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Full text of "Histoire de la réformation française"

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PRINCETON,  N 


BR  370   .P82  1868  v.4 
Puaux,  Fran  cois,  1806- 
Histoire^de  la  r  eformation 


C  v>  A 


HISTOIRE 


DB  LA 

RÉFORMATION 

FRANÇAISE 


L'auteur  de  l'Histoire  de  la  Réformation  française  se  réserve 
le  droit  de  traduction  et  de  reproduction  dans  les  pays  avec 
lesquels  la  France  a  conclu  des  traités  pour  garantir  la  propriété 
des  auteurs.  A  cet  égard,  il  s'est  conformé  aux  formalités 
voulues  par  les  règlements. 


Imprimciie  L.  Toinon  et  C»,  à  Saiiil-GermaiD. 


HISTOIRE    (*    OCT  241910  * 


DE  LA 


RÉFORMATION 

FRANÇAISE 


F.  vmi 

TOME  QUATRIÈME 


PARIS 

AGENCE  DES  ÉCOLES  DU  DIMANCHE 
16,  nuE  DE  l'abbaye 

1870 

Droils  de  traduction  et  de  reproduction  réserves. 


HISTOIRE 


DE  LA 


LIVRE  XXII. 


I. 

Henri  IV,  nous  l'avons  déjàdit,  s'était  refait  une  armée, 
grâce  aux  iiabiles  négociations  de  Turenne,  mais  l'arrivée 
tardive  des  Allemands  l'obligea  à  employer  ces  nouveaux 
auxiliaires  pendant  l'hiver,  qui  s'annonçait  d'une  manière 
très-rigoureuse.  Il  décida  le  siège  de  Rouen,  défendu  par 
Yillars-Brancas,  l'un  des  meilleurs  généraux  de  la  ligue. 
Les  difficultés  étaient  immenses,  la  ville  était  bien  fournie 
de  munitions  de  guerre  et  de  bouche ,  tout  faisait  présager 
un  siège  long  et  meurtrier.  ' 

Des  deux  côtés  les  pertes  furent  grandes  :  assiégeants  et 
assiégés  se  battirent  avec  une  rare  intrépidité ,  la  moindre 
parcelle  de  terrain  fut  disputée  avec  acharnement;  les 
troupes  royales,  qui  avaient  à  lutter  contre  le  froid,  firent 
l'expérience  de  cet  aphorisme  de  guerre  de  Coligny  «que 
les  sièges  des  grandes  villes  sont  le  cimetière  des  armées»; 
piusieurs  des  meilleurs  capitaines  du  roi  périrent  dans 
Its  assauts;  les  Rouennais  n'eurent  pas  des  pertes  moins 
douloureuses  à  essuyer.  La  ville  courait  un  danger  immi- 
nent, si  Mayenne,  dans  le  sentiment  de  son  impuissance, 
n'eût  pas  décidé  Farnèse  avenir  à  son  secours.  Le  général 
de  Philippe  II  se  mit  en  marche  le  16  janvier,  amenant  avec 
lui  six  mille  chevaux  et  vingt-quatre  mille  fantassins.  Il  ne 


I.  DavUa,  Uv.  XII. 


6  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


se  hâta  pas  plus  que  lorsqu'il  vint  délivrer  Paris  ;  rien  nô 
pouvait  le  décider  aux  hardiesses  de  la  guerre,  quand  il 
n'en  croyait  pas  l'heure  venue. 

La  nouvelle  de  l'arrivée  du  duc  de  Parme  obligea  le  roi 
de  changer  de  tactique  avec  lui.  II  savait  qu'il  n'accepterait 
une  bataille  que  s'il  le  jugeait  utile  à  ses  intérêts;  —  il 
laissa  le  commandement  du  siège  au  maréchal  de  Biron  el 
se  porta  à  la  rencontre  de  Farnèse,  dans  l'intention  d'in- 
tercepter ses  convois,  d'arrêter  ou  ralentir  sa  marche;  il 
avait  avec  lui  500  cavaliers,  l'élite  de  sa  noblesse,  qui 
brûlait  du  désir  de  se  signaler  par  quelque  action  d'éclat 
et  de  laver  l'affront  que  le  général  espagnol  lui  avait  fait 
subir  sous  les  remparts  de  Paris.  Mais  là  où  il  aurait  fallu 
une  manœuvre  savante,  Henri  IV  n'apporta  qu'une  ardeur 
bouillante,  le  général  s'évanouit  dans  le  soldat.  Emporté 

ftar  son  désir  de  faire  preuve  de  vaillance,  et  aussi  par  ce- 
ui  de  voir  l'ordre  de  bataille  des  troupes  ennemies ,  il  se 
plaça  à  l'avant-garde  avec  deux  cents  cavaliers  et  fit  êtour- 
diment  le  coup  de  pistolet  avec  celle  de  l'armée  espa- 
gnole. Le  lendemain  il  commit  la  même  imprudence, 
mais  cette  fois  le  danger  fut  plus  imminent:  il  se  trouva 
en  face  de  toute  l'armée  de  Farnèse;  comme  la  veille,  il 
fit  le  coup  de  pistolet  avec  les  soldats  de  l'avant-garde, 

ftuis  il  battit  en  retraite,  et  se  vit  sur  le  point  d'être  enve- 
oppé  par  la  cavalerie  ennemie;  dans  sa  fuite,  la  mort 
moissonnait  ses  braves  gentilshommes,  les  balles  sifflaient 
autour  de  sa  tête  devenue  un  point  de  mire  à  cause  de  son 
grand  panache  blanc ,  l'une  d'elles  l'atteignit  légèrement 
aux  reins.  Il  était  perdu  si  Farnèse  n'eût  pas  fait  des  efforts 
inouis  pour  modérer  l'ardeur  de  ses  soldats ,  ardents  à  la 
poursuite  du  Béarnais  comme  une  meute  de  chiens  affamés 
après  un  cerf.  Parme  craignait  un  piège.  Quand  on  lui 
reprocha  une  défiance  qui  lui  coûtait  la  prise  d'un  prison- 
nier si  important,  il  répondit:  «  Ce  que  j'ai  fait  je  le  ferais 
encore,  je  croyais  avoir  affaire  à  un  général  d'armée, 
comment  supposer  que  ce  n'était  qu'un  carabin?»  Parole 
sanglante  qui  peint  Farnèse  et  Henri  IV,  l'un  calculant 
tout,  l'autre  ne  calculant  rien. 

Deux  événements  affaiblirent  successivement  le  roi.  Une 
sortie  meurtrière  de  Villars  qui  lui  tua  beaucoup  de 
monde,  et  le  découragement  de  ses  gentilshommes,  qui, 


LIVRE  XXII. 


7 


fatigués  d'un  siège  dont  l'issue  leur  paraissait  plus  que 

douteuse,  quittèrent  son  armée,  qui,  en  quelques  jours,  de 
dix  mille  cavaliers  fut  réduite  à  cinq  mille;  pour  surcroît 
d'infortune  ,  las  Allemands ,  livrés  à  l'ivrognerie ,  étaient 
décimés  par  la  maladie.  Une  seconde  fois  il  voyait  ses  plus 
belles  espérances  s'évanouir.  L'approche  du  duc  de  Parme 
lui  fit  lever  le  siège  de  Rouen  le  -20  août  159-2'  sans  avoir 
pu  forcer  son  tenace  adversaire  à  accepter  la  bataille;  sa 
position  devenait  de  jour  en  jour  plus  critique,  sa  belle 
armée  se  dispersait ,  ses  plus  braves  gentilshommes  avaient 
été  tués ,  sa  caisse  était  vide.  Une  balle  lui  ramena  la  for- 
tune. Farnèse ,  blessé  le  25  avril  devant  Caudcbec ,  fut  con- 
traint ,  par  suite  de  ses  douleurs  intolérables ,  de  remettre 
à  Mayenne  le  commandement.  ■ 

II. 

Mayenne  continua  le  siège  de  Caudebec  qu'il  prit  bien- 
tôt après  ;  mais  il  ne  s'aperçut  pas  que  ses  troupes  étaient 
dans  une  position  où  le  roi  pouvait  facilement  les  renfer- 
mer entre  la  Seine  et  la  mer.  Quand  il  l'entrevit,  c'était 
trop  tard.  Henri  IV  que  ses  gentilshommes  avaient  rejoint, 
honteux  de  l'avoir  abandonné ,  le  tenait  resserré  comme 
dans  un  cercle  de  fer.  Le  péril  était  grand  :  d'un  côté  la 
Seine  lui  coupait  la  retraite,  de  l'autre  les  troupes  royales 
demandaient  avec  ardeur  la  faveur  d'une  bataille.  Il  était 
désespéré,  voyant  s'approcher  le  moment  où  il  serait 
contraint  de  déposer  les  armes.  Le  roi  et  Farnèse  furent 
ses  deux  sauveurs;  l'un  par  son  imprévoyance,  l'autre  par 
l'une  de  ces  tactiques  qui  révèlent  le  grand  homme  de 
guerre.  Le  premier,  qui  voyait  les  ligueurs  arrêtés  par  la 
Seine  large  comme  un  bras  de  mer,  n'eut  pas  même  l'idée 
qu'ils  pourraient  se  sauver  à  travers  ses  flots.  Ce  qu'il  crut 
impossible,  Farnèse  le  réalisa  sous  ses  yeux;  il  fit  prépa- 
rer à  Rouen  de  grandes  barques  plates  couvertes  d  un 
plancher  sur  lequel  il  se  proposait  d  embarquer  sa  cavale- 
rie et  son  artillerie;  il  commanda  d'autres  barques  qui 

1.  De  Thou,  liv.  CHI,  p.  65.  —  Mémoii'es  de  l'Estoile,  année  1592. 
—  Davila,  liv.  Xn. 

2.  Bentivoglio ,  Guerra  di  Fiandra,  p.  II,  liv.  VI,  p.  163.  — 
SuUy,  Économies  royales,  t.  II,  ch.  5. 


8 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


devaient  servir  de  remorqueurs;  tout  s'exécuta  avec  une 
grande  célérité.  A  l'insu  du  roi,  le  15  mars  io'ôi  tout  fut 
prêt;  le  reflux  de  la  mer  amena  la  flotilie  irnnrovisée  de 
kouen  à  Caudebec,  et  dans  la  nuit  du  20  au  21  du  même 
mois  ,  l'embarquement  eut  lieu.  Le  lendemain,  le  baron  de 
Biron  vit  du  haut  d'une  colline  des  bateaux  qui  traversaient 
le  fleuve  emportant  avec  eux  Farnèse  et  son  armée.  Tous 
les  efforts  du  roi  furent  vains;  l'armée  de  la  ligue  était 
sauvée,  grâce  à  Parme,  qui  lui  avait  préparé  une  retraite 
que  les  troupes  royales  ne  purent  lui  couper.  Après  avoir 
couru  le  plus  grand  danger,  elle  arriva  à  Saint-Cloud.' 

III. 

Henri  IV  recevait  une  nouvelle  leçon  de  tactique  mili- 
taire de  cet  homme  qui,  souffrant  et  à  moitié  mort,  n'avait 
rien  perdu  de  son  génie  et  justifiait  aux  yeux  de  l'Europe 
répithète  insultante  de  carabin  qu'il  lui  avait  donnée. 
Mayenne  n'était  pas  moins  humilié.  Parme  lui  avait  repro- 
ché durement  son  impéritie  qui  avait  compromis  le  salut 
de  son  armée;  il  s'était  retiré  à  Rouen  découragé  et  ma- 
lade, et  sentant  de  plus  en  plus  qu'il  manquait  de  ce  qui 
fait  l'homme  de  parti.  Il  n'était  pas  éloigné  de  se  rallier  au 
roi,  s'il  pouvait  le  faire  sans  danger  pour  la  religion,  et 
avant  tout,  si  sa  soumission  lui  était  chèrement  payée.  Il 
chargea  Villeroi  d'ouvrir  des  négociations  avec  Henri  IV 
qui  l'accueillit  d'autant  plus  favorablement  qu'il  avait  chargé 
Duplessis  de  foire  au  général  ligueur  des  ouvertures  de 
conciliation.  Mayenne  exigeait  du  roi  la  promesse  de  ren- 
trer dans  l'église  catholique  quand  il  se  serait  fait  instruire. 
L'austère  négociateur  du  roi  qui  ne  connaissait  en  politique 
que  la  ligne  droite,  répondit  que  si  son  maître  le  faisait,  il 
agirait  en  athéiste;  cela  cependant  n'eût  pas  arrêté  Henri  IV 
si  Mayenne  n'eût  pas  fait  pour  lui  et  pour  les  siens  des  de- 
mandes trop  exorbitantes  pour  être  acceptées.  Le  résultat 
de  toutes  ces  négociations  n'eut  d'autre  eifct  que  de  dévoi- 
ler le  prince  lorrain  et  de  montrer  en  lui  un  homme  plus 

1.  Madiicu,  t.  Il,  p.  105.  110.  —  Bentivoglio,  liv.  XVI.  —  Mé- 
moires de  Mornay,  t.  V,  p.  334.  —  D'Aubigiié,  liv.  111,  chap.  15, 
p.  266.  —  Davila,  liv.  XIII.  —  De  Thou,  iiv.  CIII. 


LIVRE  XXII. 


9 


occupé  de  ses  intérêts  qu'un  partisan  fervent  de  la  religion 
qu'il  était  chargé  de  défendre  les  armes  à  la  main.  ' 

Les  négociations  demeurèrent  pendant  quelque  temps 
secrètes  ;  mais  quand ,  par  le  roi  qui  avait  intérêt  à  ce 
qu'elles  fussent  rendues  publiques,  la  nouvelle  en  parvint 
à  Paris,  les  prédicateurs  se  déchaînèrent  avec  violence 
contre  tous  ceux  qui  parlaient  de  paix.  «Le  curé  Saint-An- 
dré-dcs-arcs,  raconte  l'Estoile,  dit  qu'il  ne  croyait  pas  qu'on 
vouiût  la  faire;  mais  que  si  tant  était  et  qu'on  en  découvrît 
quelque  chose,  il  fallait  prendre  les  armes  et  faire  plutôt 
une  sédition  de  laquelle  il  serait  des  premiers  et  en  tuerait 
autant  qu'il  pourrait...  Le  curé  de  Saint-Jacques  excommu- 
nia ce  jour-là,  en  son  prone,  tous  ceux  qui  parlaient  de 
paix  ou  qui  trouveraient  bon  le  commerce  (pour  l'approvi- 
sionnement de  Paris)  ;  qu'il  les  excommuniait  avec  tous 
ceux  qui  les  soutenaient,  comme  aussi  tous  ceux-là  qui 
parlaient  de  recevoir  ce  petit  teigneux....  en  recourant  à  la 
messe  et  se  faisant  catholique....  Le  curé  de  Saint-Cosme 
prêcha  ce  jour-là ,  que  le  Béarnais  avait  beau  faire  tout  ce 
qu'il  voudrait,  qu'il  allât  à  tous  les  diablesf  qu'il  allât  au 
prêche,  qu'il  allât  à  la  messe  ou  qu'il  n'y  allât  point;  c'é- 
tait tout  un....  Rose,  Gueilly,  Martin,  Guarinus,  Feu-Ar- 
dent et  tous  les  autres  prêchèrent  de  même  et  dirent  qu'ils 
étaient  d'avis,  si  le  Saint-Père  le  trouvait  bon,  de  recevoir 
à  l'Église  le  Béarnais  pour  capucin  et  non  pas  pour  roi.  »* 

Mayenne  se  sentant  impuissant  devant  le  déchaînement 
des  passions  des  bourgeois  de  Paris,  se  décida  à  convoquer 
les  Etats  généraux  dans  l'espérance  qu'il  pourrait  déjouer 
le  projet  de  l'Espagne  qui  les  demandait  avec  instance, 
dans  le  but  de  faire  donner  la  couronne  à  la  fille  aînée  de 
Philippe  IL  II  prit  ses  mesures,  et  des  élections  sortit  une 
assemblée,  toute  à  son  image,  composée  d'hommes  mo- 
dérés ,  mais  sans  influence  sur  la  nation ,  et  décriée  avant 
même  de  se  mettre  à  l'œuvre.  ' 

Pendant  que  Mayenne  agissait  dans  ses  intérêts,  le  roi 
n'oubliait  pas  les  siens ,  quoiqu'il  eût  dit  à  ses  huguenots 
qifil  ne  les  abandonnerait  jamais  ;  ses  regards  étaient  tou- 

1.  Mémoires  de  Villeroi,  p.  79-80.  —  Davila,  liv.  XID.  —  Du- 
picssis-Momay,  t.  V,  p.  208  et  suiv 
L'Estoile,  année  1592. 
S.  Davila.  liv.  SKU 


io  HISTOIRE  DE  LA  RÈFORMATION  FRANÇAISE. 

jours  tournés  vers  Rome.  —  Par  ses  agents  il  faisait  agir 
auprès  du  pape  pour  savoir  si,  dans  le  cas  où  il  abjurerait, 
le  pontife  lèverait  l'excommunication  qui  pesait  sur  lui'. 
Clément  VIII  dont  l'esprit  était  conciliant,  était  tri'S-embar- 
rassé;  il  sentait  sur  sa  tête  la  main  pesante  de  Philippe  H 
qu'il  craignait  de  mécontenter,  et  d'un  autre  côté  il  crai- 
gnait, en  refusant  l'absolution,  d'amener  la  formation 
d'une  église  épiscopale  indépendante  de  son  autorité  à  la 
tête  de  laquelle  se  placerait  probablement  Renaud  de 
Baume,  archevêque  ae  Bourges,  qui  s'était  attaché  avec 
plusieurs  autres  prélats  à  Henri  IV*.  Le  danger  étaitgrand;  ce 
que  l'Angleterre  avait  fait,  la  France  pouvait  le  faire ,  puis- 
que le  roi  était  disposé  à  abjurer.  Si  le  pontife  n'eût  con- 
sulté que  son  propre  penchant ,  il  eût  promis  son  absolution  ; 
mais  le  fougueux  Cajetan,  son  légat  à  Paris,  le  retenait, 
ou  le  poussait  à  des  mesures  violentes.  Les  papes  qui  ne 
semblent  relever  que  de  leur  propre  volonté,  à  part  quel- 
ques rares  exceptions,  n'ont  guère  été  que  les  dociles  ins- 
truments de  leur  entourage. 

Les  ligueurs  et  les  royalistes  étaient  mécontents;  les 
premiers ,  des  hésitations  de  Mayenne ,  les  seconds  de  celles 
de  Henri  IV.  La  situation  ne  pouvait  se  prolonger  plus 
longtemps  sans  danger  pour  leurs  intérêts;  les  combats 
que  les  deux  partis  se  livraient  sur  plusieurs  points  n'a- 
vaient d'autres  résultats  que  d'augmenter  l'apauvrissement 
du  pays  qui  tendait,  de  plus  en  plus,  à  devenir  un  désert. 
Nous  n'entrons  pas  dans  des  détails  qui  ne  seraient  qu'une 
fatigante  répétition  des  mêmes  scènes  dans  lesquelles  nous 
verrions  les  royalistes  et  les  ligueurs  tour  à  (our  vaincus  et 
vainqueurs  ;  mais  ne  retirant  de  leurs  luttes  rien  de  ce  qui 
décide  définitivement  du  succès  d'une  cause;  nous  men- 
tionnerons seulement  les  succès  d'un  homme  appelé  à  jouer 
un  grand  rôle  dans  les  événements  dont  nous  ferons  le  ré- 
cit On  l'appelait  Lesdiguières. 

IV. 

François  de  Bonne ,  seigneur  de  Lesdiguières  ou  des 
Diguières,  était  né  à  Saint-Bonnet,  en  Ghampsaur,  le 

1.  DeThou,  liv.  Cm. 
t.  Davila,  liv.  XOI. 


LIVRE  XXII.  H 

1"  avril  1543.  Orphelin  de  bonne  heure,  le  jeune  gentil- 
homme fut  destiné  au  barreau  par  sa  mère  ;  l'un  de  ses 
oncles  se  chargea  de  son  éducation ,  car  sa  famille  était  très- 
pauvre,  quoique  de  très-ancienne  noblesse.  L'enfant  fut  mis 
au  collège  d'Avignon,  il  s'y  fit  remarquer  par  son  applica- 
tion ,  la  surprenante  sagacité  de  son  esprit  et  son  goût  pour 
le  métier  des  armes.  Quand  il  eut  terminé  ses  humanités, 
son  oncle  l'envoya  à  Paris  pour  étudier  le  droit.  Si  son  pro- 
tecteur eût  vécu,  le  nom  de  Lesdiguières  se  fût  probable- 
ment perdu  dans  les  salles  des  Pas  perdus  d'un  palais  de 
justice  ;  sa  mort  en  fit  un  grand  capitaine.  Libre  de  suivre 
ses  goûts,  le  jeune  étudiant  abandonna  gaîment  ses  livres 
de  jurisprudence  et  alla  dans  le  Dauphiné  où  il  s'enrôla 
comme  simple  archer  dans  la  compagnie  d'ordonnance 
de  Gordes.  Ce  fut  là  le  premier  échelon  de  sa  grande  for- 
tune. L'archer  devait  ua  jour  être  plus  puissant  qu'un  roi 
dans  cette  même  province  du  Dauphiné  où  il  n'était  alors 
qu'un  soldat  ignoré;  mais  il  était  du  nombre  de  ces 
hommes  qui  portent,  suivant  l'expression  pittoresque  de 
Louis  XVIII,  le  bâton  de  maréchal  de  France  dans  leur 
giberne. 

Le  jeune  soldat,  sous  la  direction  d'un  précepteur  qu'on 
lui  avait  donné,  avait  été  rendu  attentif  à  la  foi  des  réfor- 
més; il  l'avait  embrassée  avec  ardeur;  son  zèle  avait  touché 
sa  mère  qui,  à  son  tour,  avait  abandonné  Rome  pour  la  foi 
des  persécutés.  Quand  la  première  guerre  civile  éclata , 
Lesdiguières  se  joignit  à  ceux  de  ses  coreligionnaires  qui 
défendirent  si  vaillamment  leur  vie  contre  les  troupes  de 
Charles  IX.  C'est  alors  que  commença  pour  lui  une  séfie 
de  succès  et  d'actions  d'éclat  qui  ne  tardèrent  pas  aie  faire 
connaître.  Au  siège  de  Sisteron  il  attira  sur  lui  l'attention 
de  Beaujeu  :  «"Voilà ,  dit  ce  chef  au  célèbre  capitaine  Fu- 
meyer  en  lui  montrant  le  jeune  archer,  un  jeune  gentil- 
homme qui  fait  des  merveilles;  s'il  vit,  il  ira  loin.»  Ces 
paroles  prophétiques  reçurent  plus  tard  leur  plein  accom- 

Elissement.  A  dater  de  ce  moment,  l'histoire  nous  montre 
esdiguières  s'élevant,  par  son  courage  et  par  son  génie 
mihtaire,  aux  plus  hauts  grades  de  l'armée,  inscrivant  un 
fait  unique  dans  les  annales  militaires  :  celui  d'un  capi- 
taine qui ,  dans  sa  longue  carrière ,  comptait  des  succès  et 
presque  pas  de  revers. 


12  IIISTOmE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

En  1501,  l'archer  de  la  compagnie  de  Gordes  enlevait 
aux  callioliques  l'importante  ville  de  Grenoble.  Florent 
Saint-Julien,  son  secrétaire,  fut  envoyé  par  le  vainqueur 
à  Henri  IV  pour  lui  annoncer  cet  important  succès  et  lui 
demander  pour  son  maître  le  gouvernement  de  Grenoble. 
Le  conseil  du  roi  s'étonna  qu'un  huguenot  osât  aspirer  à 
un  poste  si  considérable  ;  il  repoussa  la  demande  avec 
des  paroles  insultantes  pour  Lesdiguières.  «Messieurs,  ré- 
pondit fièrement  Florent  Saint-Julien  aux  membres  du 
Conseil,  puisque  vous  ne  trouvez  pas  bon  de  donnera  mon 
maître  le  gouvernement  de  Grenoble,  avisez  au  moyen  de 
le  lui  enlever.»  On  laissa  à  Lesdiguières  le  gouvernement 
qu'on  se  sentait  impuissant  de  lui  ôter. 

Le  général  huguenot  avait  toutes  les  qualités  qui  font 
le  grand  capitaine,  le  courage,  l'élan,  la  prudence,  la 
tactique  militaire,  l'art  d'éleclriser  les  soldats  et  de  leur 
donner  une  confiance  sans  limites  dans  leur  chef.  L'homme 
était  au-dessous  du  soldat  :  il  était  plus  ambitieux  que  re- 
ligieux, intéressé,  de  mœurs  suspectes,  huguenot  d'abord 
par  imitation,  plus  tard  par  habitude,  prêt  à  tous  les  évé- 
nements pourvu  qu'ils  concourussent  à  sa  fortune ,  la  seule 
divinité  qu'il  aimât  réellement.  • 

V. 

Tous  les  partis^étaient  vivement  préoccupés  de  la  pro- 
chaine tenue  des  Etats;  chacun  sentait  qu'on  touchait  à  un 
prochain  dénouement  et  faisait  des  efforts  pour  qu'il  eût 
lieu  dans  ses  intérêts.  Un  grand  capitaine  qui  venait  de  dis- 
paraître de  la  scène  du  monde  ouvrait  un  libre  champ  aux 
ambitions.  Farnèse  était  mort  des  suites  de  sa  blessure. 
Depuis  le  jour  où  une  balle  vint  relever  la  fortune  de 
Henri  IV,  il  n'avait  fait  que  languir;  il  expira  le  2  décem- 
bre 1592,  à  peine  âgé  de  quarante-cinq  ans,  dans  la  plé- 
nitude de  toutes  ses  facultés;  sa  mort  fut  aussi  nuisible  à 
Philippe  II  que  le  naufrage  de  l'Armada  et  porta  à  sa  for- 
lune  un  coup  irréparable.  Mayenne  ne  s'associa  pas  aux 
douleurs  des  ligueurs;  il  ne  pouvait  aimer  l'homme  qui 
i'accnbiait  de  son  incontestable  supériorité;  il  sentait  d'ail- 
leurs que  Farnèse  debout,  il  risquait  d'être  écrasé  entre 

î.  Ha^ft ,  l'iance  protestante ,  article  François  de  Doane,  lettre  B. 


LIVRE  XXII. 


13 


l'Espagne  et  Henri  IV'.  Délivré  de  son  rival,  il  concentra 
toute  son  attention  sur  les  États  qui  allaient  se  réunir.  C'est 
plus  de  ce  côté  que  de  son  épée  qu'il  attendait  la  récom- 
pense de  son  dévouement  h  la  cause  de  la  ligue. 

A  mesure  que  les  députés  arrivaient  à  Paris  la  capitale 
devenait  un  foyer  d'intrigues,  un  vrai  champ  de  foire  ou- 
vert à  toutes  les  ambitions.  Tous  les  yeux  étaient  tournés 
vers  celte  assemblée  qui  devait  pourvoir  à  la  vacance  du 
trône;  les  concurrents  à  la  royauté  foisonnaient,  on  en 
comptait  huit  au  moins,  trois  Guise,  le  marquis  de  Pont, 
deux  princes  de  Savoie ,  plus  ceux  des  Bourbons  qui  n'é- 
taient pas  protestants.  Chacun  recommandait  son  candidat 
et  faisait  valoir  ses  droits.  La  majorité  des  prédicateurs  se 
prononçait  en  faveur  de  l'Espagne. 

Le  17  janvier,  avant  l'ouverture  des  États,  les  députés 
allèrent  en  procession  à  Notre-Dame  pour  implorer  le  se- 
cours de  l'Esprit  saint  sur  l'assemblée. 

Le  cortège  offrait  un  spectacle  curieux  ;  on  y  voyait  tous 
les  prédicateurs  de  Paris...  les  religieux  de  tous  les  ordres... 
le  légat  du  pape...  les  Seize...  chacun  avec  son  costume  of- 
ficiel... Cette  procession  serait  aujourd'hui  oubliée,  si  un 
célèbre  pamphlet  dont  nous  parlerons  plus  tard  ne  l'avait 
pas  immortalisée  par  le  ridicule.  " 

VI. 

L'ouverture  des  États  eut  lieu  le  26  janvier  1593 ,  dans 
la  grande  salle  du  Louvre.  Le  duc  de  Mayenne ,  assis  au 
poste  d'honneur,  ouvrit  la  séance  par  un  discours,  dans 
lequel,  sans  se  désigner  par  son  noir; ,  il  se  présentait,  clai- 
rement, au  suffrage  des  députés,  pour  occuper  le  trône 
vacant.  Le  cardinal  Pellevé  prit  la  parole,  parla  en  pédant, 
et  eut  le  tort  impardonnable,  dans  une  ass.nnblée  française, 
d'ennuyer  ses  collègues'.  —  Les  deux  orateurs  qui  lui  suc- 
cédèrent, s'exprimèrent  avec  plus  de  convenance.  Le  lende- 
main de  la  séance,  le  légat  du  pape,  d'accord  avec  l'am- 
bassadeur do  Philippe  II,  appela  à  aiie  conférence  Mayenne 
et  les  principaux  députés ,  et  leur  proposa  insidieusement 

1.  Henri  Martin,  t.  X,  p.  298-299. 

2.  Kote  I. 

3.  De  Thon,  liv.  CV.  —  Daviiî,  liv.  X!H. 


i4  HISTOmE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

de  faire  prêter  aux  États  le  serment  de  ne  jamais  traiter 
avec  le  Béarnais ,  quand  même  il  se  ferait  catholique.  Ca- 
jetan,  fin  diplomate,  dévoué  à  l'Espagne,  pressentait  la  fu- 
ture abjuration  de  Henri  IV,  et  voyait  dans  cet  acte  le 
coup  fatal  qui  devait  dissoudre  la  ligue  et  anéantir  les  pro- 
jets du  roi  catholique.  Quelques  députés  entrevirent  le 
piège,  et  repoussèrent  avec  énergie  la  proposition:  «faire 
ce  serment,  dit  adroitement  d'Espinac  ,  serait  agir  contre 
les  droits  du  souverain  pontife.»  Le  légat  n'osa  pas  insister. 
Le  Béarnais  qui  croyait  que  l'assemblée  ne  se  séparerait 

fias  sans  nommer  un  chef  à  la  France,  saisit  habilement 
'occasion  de  développer  les  germes  de  division  que  son 
regard  pénétrant  y  apercevait;  en  effet,  elle  était  composée 
de  ligueurs  ardents  qui  ne  voulaient  à  aucun  prix  de  lui , 
abjurât-il;  de  ligueurs  modérés  qui,  tout  en  croyant  peu 
à  la  sincérité  d'une  conversion,  y  voyaient  cependant  la  fin 
des  maux  sans  cesse  renaissants  du  royaume  ;  de  roya- 
listes qui  attendaient,  avec  impatience,  cette  abjuration, 
pour  dissoudre  la  Sainte-Union.  L'appui  donc  de  ces  der- 
niers et  des  ligueurs  modérés ,  qui  formaient  la  majorité 
de  l'assemblée ,  était  acquis  au  roi  s'il  se  convertissait. 
Celui-ci  disposé  déjà  à  abjurer,  mais  à  ne  le  faire  qu'au 
moment  opportun,  envoya  le  28  janvier,  un  trompette  qui 
se  présenta  aux  portes  de  Paris ,  et  demanda  à  parler  au 
gouverneur.  Conformément  à  ses  instructions,  il  annonça 
hautement  qu'il  était  porteur  d'une  proposition  des  sei- 
gneurs royalistes  attachés  au  parti  du  roi ,  adressée  aux 
Etats-généraux.  Les  paroles  du  messager  piquèrent  vive- 
ment la  curiosité  des  masses  qui  ne  cachaient  pas  leur  dé- 
sir ardent  devoir  arriver  le  moment  qui  mettrait  un  terme 
à  leurs  longues  souffrances.  Les  Seize  qui  virent  dans  le 
trompette  un  nouveau  Sinon,  introduisant  dans  la  ville  un 
nouveau  cheval  de  bois,  eussent  bien  voulu  l'empêcher 
d'accomplir  son  message;  ils  ne  le  purent.  La  lettre  des 
seigneurs  royalistes  fut  lue,  elle  demandait  des  confé- 
rences avec  les  députés  des  États,  «afin  de  chercher  les 
moyens  d'apporter  de  prompts  remèdes  aux  maux  qui  tra- 
vaillaient le  royaume  et  l'église.  »  ' 

1.  Mémoires  de  la  ligue,  t.  V.  —  Davila,  liy.  XIII.  —  De  Thou, 
liv.  GV. 


LIVRE  XXII.  •  15 

Dans  une  assemblée  particulière  des  principaux  chefs  de  -, 
la  ligue,  la  proposition  des  seigneurs  royalistes  fut  dis- 
cutée ;  plusieurs  des  membres  la  trouvèrent  raisonnable. 
Consentons,  dirent-ils,  à  cette  conférence,  d'où  peut  sortir 
un  si  grand  bien  pour  le  royaume  :  «  Quoi  !  s'écria  Cajetan  ; 
vous  tombez  dans  un  piège,  vous  qui  avez  signalé  par  tant 
de  combats  votre  zèle  pour  la  foi!  Oubliez-vous  que  ces 
catholiques  infidèles  ont  encouru  les  analhèmes  du  souve- 
rain pontife?  Attendez  pour  communiquer  avec  eux,  qu'ils 
soient  lavés  par  de  longs  actes  de  pénitence  des  souillures 

Su'ils  ont  reçues  dans  leur  commerce  avec  les  hérétiques, 
'h!  que  la  foi  est  prompte  à  vaciller!  Que  sont-ils  donc 
devenus  les  temps  de  gloire  et  de  saintes  souffrances,  oii, 
consumés  de  misère,  dévorés  de  faim,  vous  restiez  sourds 
à  toutes  propositions  de  l'hérétique  et  des  fauteurs  de  l'hé- 
résie? Quand  la  protection  du  ciel,  quand  des  miracles 
évidents  vous  ont  fait  sortir  victorieux  de  cette  terrible 
épreuve,  je  vous  vois  prêts  à  vous  asseoir  aux  tables  de 
l'impie  ;  à  loger  avec  lui  sous  des  toits  que  les  foudres  du 
ciel  peuvent  à  chaque  instant  faire  écrouler!  Est-ce  ainsi 
que  vous  reconnaissez  les  soins  paternels  du  vicaire  de 
Dieu?  Que  n'a-t-il  pas  fait  pour  cette  cité  tout  à  l'heure  si 
îélée,  et  si  tiède  aujourd'hui?  Le  trésor  de  l'Église  s'est 
ouvert  pour  vos  besoins,  l'armée  du  saint  Pontife  a  passé 
les  Alpes  pour  marcher  à  votre  secours.  Songez  bien  qu'un 
moment  de  mollesse  peut  vous  faire  perdre  le  prix  de 
trente  ans  de  combats.  Quand  vous  aurez  reconnu  des 
frères  dans  de  mauvais  catholiques,  qui  vous  empêchera 
de  reconnaître  votre  roi  dans  l'hérétique  lui-même?  Vous 
croirez  à  son  vain  repentir,  à  ses  protestations  hypocrites, 
on  plutôt  devenus  hypocrites  vous-mêmes,  vous  feindrez 
d'y  croire.  Eh  bien  !  je  vous  déclare,  que  le  saint-siége  n'a 
plus  de  pardon  pour  un  hérétique  relaps.  Les  sources  de  la 
miséricorde  divine  sont  taries  pour  lui,  et  craignez  qu'elles 
ne  s'arrêtent  pour  vous.  »  • 

VII. 

Quand  une  idée  se  fait  jour  dans  les  esprits ,  et  surtout 
quand  elle  prend  racine  dans  les  cœurs,  tous  les  discours 

1.  CapeCgue,  Henri  IV  et  la  ligue,  t.  V. 


16 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


du  monde  n'en  peuvent  arrêter  la  marche.  Cnjetan  dût  s'en 
apercevoir  ;  tonte  son  éloquence  échoua  devant  la  volonté 
de  la  majorité  de  l'assem.blée,  qui  décida  que  la  proposi- 
tion serait  soumise  aux  Etals  de  Paris.  Le  Béarnais  avait 
gagné  plus  qu'une  bataille.  Il  avait  amorti  l'esprit  ligueur 
et  jeté  la  division  dans  une  assemblée  qui  avait  été  réunie 
pour  le  déclarer  indigne  du  trône  de  ses  aïeux,  en  y  appe- 
lant un  étranger.  Quelques  jours  après,  devant  les  Étals, 
la  proposition  des  seigneurs  royalistes  fut  discutée,  et, 
malgré  les  elîorts  des  plus  forcenés  ligueurs,  il  fut  décidé 
que  des  conférences  s'ouvriraient  entre  les  commissaires 
des  Etats  et  ceux  des  seigneurs  royalistes. 

Cette  nouvelle  e.xcila  dans  Paris  une  fiévreuse  ardeur; 
chaque  parti  exprima ,  bruyamment ,  à  sa  manière ,  ses 
déceptions  et  ses  espérances  ;  les  prédicateurs  furent  les 
fidèles  échos  de  ces  passions  diverses.  Il  y  eut  cependant 
des  revirements  étranges.  On  n'entendit  pas  sans  un  certain 
étonneraent  Boucher,  qui  honorait  habituellement  Mayenne 
de  ses  insultes,  exalter  le  lieutenant  -  général  ;  le  curé 
Benoît  vira  aussi  de  bord,  et  déserta  momentanément,  par 
peur  sans  doute,  le  parti  du  Béarnais  et  l'appela,  du  haut 
de  sa  chaire,  relaps  et  le  déclara  indigne  de  la  couronne. 
Quelques  jours  plus  tard,  il  changea  de  langage  devant 
Mayenne  même,  et  tint  pour  méchants  ceux  qui  s'oppo- 
seraient à  la  conversion  du  roi  de  Navarre.  Témoin  de 
cette  conduite  ambiguë,  Boucher  qui  n'aimait  pas  Benoît, 
disait  ironiquement  à  ses  confrères  :  «  Comme  les  chats , 
Benoît  tombe  toujours  sur  ses  pattes.  » 

C'est  une  singulière  époque  que  celle  dont  nous  traçons 
le  tableau.  Elle  a  pour  l'historien  un  intérêt  tout  particu- 
lier; les  hommes  lui  apparaissent  sous  leur  véritable  jour, 
avec  leurs  haines  et  leurs  sympathies.  Trop  petits  dans  une 
heure  orageuse  pour  jouer  une  tragédie,  quoiqu'ils  soient 
en  plein  dans  le  drame ,  ils  égayaient  constamment  la 
scène  comme  dans  les  pièces  de  Shakspeare.  Ils  y  appa- 
raissaient avec  leurs  habits  et  leur  langage  de  tous  les 
jours,  tenant  à  la  main,  tantôt  un  poignard,  tantôt  une 
marotte,  faisant,  tour  à  tour,  pleurer  et  rire;  mais  plus 
souvent  rire  que  pleurer;  et  cependant,  au  fond  de  leur 
jeu  tragi-comique,  il  y  a  une  immense  question  à  résoudre. 
Au  royaume  déchiré,  il'  faut  donner  un  chef;  à  des  guer- 


LIVRE  XXII. 


n 


res  qui  ont  apauvri  d'Iioinines,  d'argent  et  d'honneur  deux 
générations ,  il  faut  faire  succéder  la  paix  qui  est  toujours 
via  fin  des  guerres...  mais  que  de  difiîcultés  à  surmonter!  et 
combien  peu  de  caractères  honorables  !  l'un  crie  :  Vive 
l  Espagnol;  l'autre,  vive  Mayenne;  celui-ci,  vive  le  Béar- 
nais; celui-là,  vive  mes  intérêts,  ou  plutôt  le  cri  de  tous, 
c'est  ce  dernier  cri.  Et  dans  tout  cela,  la  France  est  ou- 
li'.iée,  et  la  religion,  dont  chaque  parti  croit  prendre  la  dé- 
fense en  main,  n'est  qu'une  pauvi'e  délaissée;  jamais  la 
robe  sans  coutures  du  Christ  ne  fut  plus  effrontément  dé- 
chirée. On  comprend  donc  que  cette  époque  nous  ait  donné 
Montaigne,  comme  les  premiers  jours  de  la  renaissance 
nous  ont  donné  Rabelais.  Le  Christ  n'a  pas  de  plus  terrible 
ennemi  que  ceux  qui  se  drapent  de  son  manteau,  et  fou- 
lent aux  pieds  ses  commandements. 

VIII. 

Avant  que  la  conférence  fût  réunie,  ses  partisans  et  ses 
adversaires  se  livrèrent  un  combat  de  paroles;  les  églises 
transformées  en  clubs  et  les  chaires  en  tribunes ,  retenti- 
rent d'imprécations  et  d'appels  à  la  concorde  et  à  la  paix. 
Le  prieur  des  carmes  Simon  Filleul,  traita  les  députés 
nommés  pour  assister  à  la  conférence  de  fauteurs  d'héré- 
sie. Morenne  et  Benoit  n'avaient  que  le  mot  paix  aux 
lèvres;  on  pouvait  le  même  jour  entendre  le  pour  et  le 
contre,  et  parfois  aussi,  le  même  prédicateur  tonnait 
contre  le  parti  qu'il  avait  encensé  la  veille.  Les  plus  pru- 
dents des  prêcheurs  (et  le  jésuite  Commolet  était  de  ce 
nombre)  se  tenaient,  dans  l'incertitude  du  dénouement, 
*  entre  les  deux;  cependant,  la  majorité  des  prédicateurs 
était  contre  le  Béarnais ,  et  parmi  eux ,  le  curé  Aubri  se 
distinguait  par  la  violence  de  son  langage.  «C'est  un  loup, 
c'est  un  tigre  bon  à  brider  » ,  disait-il  de  toute  la  force  de 
ses  poumons;  il  attaquait  les  partisans  de  la  paix  «qui  gre- 
nouillent la  paix,  comme  dans  un  marais;»  et  en  disant 
cela,  il  imitait  le  chant  de  la  grenouille:  a  La  paix,  s'é- 
criait-il; la  paLx,  la  paix!  Hé!  pauvre  peuple,  pensez-y;  ne 
l'endurons  pas,  mes  amis,  plutôt  mourir;  prenons  les  ar- 
mes, ce  sont  les  armes  de  Dieu!  Un  bon  ligueur  (je  vous 
déclare  que  je  le  suis  et  que  je  marcherai  le  premier) 


18  HISTOIRE  DE  LA  RÊFORMATION  FRANÇAISE. 

vaincra  toujours  trois  ou  quatre  politiques;  qui  frappe  le 
premier  a  l'avantage.»  Ces  paroles  retenaient  le  peuple 
dans  ses  anciens  errements,  malgré  le  désir  de  voir  la  paix 
succéder  à  la  guerre.  ' 

Boucher,  qui  tenait  plus  encore  qu'Aubri  à  sa  popula- 
rité, dépassa  son  confrère  en  fades  plaisanteries;  sa  chaire 
n'était  pas  même  une  tribune  :  il  l'avait  abaissée  au  niveau 
d'un  tréteau  de  charlatan  ;  un  jour  il  prêchait  (c'était  l'an- 
niversaire de  la  journée  des  barricades),  il  fit  l'éloge  de 
Henri  de  Guise,  et  dit  que  cette  journée  était  la  plus  belle 
qui  fût  au  monde.^  Il  avait  pris  pour  texte  de  son  discours 
ces  paroles  de  l'Écriture:  Eripe  nos  de-  Mo*.  Expliquant 
son  texte,  il  équivoqua  sur  le  sens  de  la  traduction  qu'il 
donna,  et  dit  :  «il  est  temps  de  deshourber,  de  se  déhour- 
bonner;  ce  n'est  pas  à  tel  boueux,  bon  à  jeter  au  tombe- 
reau, que  le  trône  appartient,  quoiqu'on  puissent  dire  les 
larrons  pillards  et  boulgres.  »  Un  jacobin  royaliste,  Bélan- 
ger, donna  à  Boucher  la  réplique  du  haut  de  sa  chaire  à 
Saint-Denis  ;  il  dit  à  ses  auditeurs  ligueurs,  en  jouant  sur 
le  mot  de  boucher  :  Je  vous  conseille  de  vous  déboucher 
Ces  lazzis  se  colportaient  et  faisaient  rire.  En  France  on 
rit  si  facilement,  parce  qu'on  rit  de  tout;  n'a-t-on  pas 
plaisanté  sur  la  guillotine? 

Malgré  tous  les  elforls  des  prédicateurs  ligueurs,  le  cou- 
rant se  déplaçait;  l'influence  des  plus  populaires  diminuait 
visiblement.  L'idole  de  la  veille,  commençait  à  être  un  peu 
l'oublié  du  lendemain;  plus  elle  avait  été  encensée,  plus  le 
vide  se  faisait  autour  d'elle.  Boucher  devait  bientôt  en 
faire  la  cruelle,  mais  juste  expérience;  la  foule  s'éloigna 
de  lui,  son  engouement  tourna  à  l'indifférence,  et  presque 
au  mépris.  Un  jour,  il  fut  hué  sur  le  Pont-Neuf,  où  il  pas- 
saiit  dans  son  coche;  cet  échec  lui  fut  très-sensible;  il 
quitta  sa  chaire  de  l'église  Saint-Benoît,  autour  de  laquelle 
il  avait  vu  se  presser  si  souvent  une  foule  avide  de  l'en- 
tendre. Il  y  installa  un  docteur  aveugle,  nommé  Normandis, 
tout  dévoué  aux  Seize  ;  comme  Boucher  avait  perdu  un 
œil,  les  plaisants  de  son  quartier  dirent  qu'on  avait  échangé 

1.  L'Estoile,  année  1593.  —  Ch.  Labitte,  chap.  III,  g  5,  p.  172 
et  suivantes. 

2.  Arrache-nous  du  bourbier. 

8.  Ch.  Labitte,  chap.  UI,  g  6,  p.  174-175. 


UVRE  xxn. 


19 


leur  cheval  borçne  contre  un  aveugle.  En  France,  dit 
Charles  Labitte,  les  temps  de  révolution  sont  aussi  des 
temps  de  plaisanterie.  • 

Les  efforts  des  prédicateurs  ligueurs,  pour  empêcher  la 
conférence,  furent  vains;  l'opinion  publique  s'était  pro- 
noncée ,  et  quand  les  députés  partirent  le  29  avril  de  Paris, 
pour  le  village  de  Surènes ,  où  elle  devait  avoir  lieu,  ils 
entendirent  retentir ,  longtemps  derrière  eux ,  le  cri  :  «  La 
paix,  la  paix»;  le  peuple  leur  signifiait  bruyamment  sa 
volonté. 

^  IX. 

Les  conférences  s'ouvrirent;  la  ligue  y  était  représentée 
par  douze  commissaires  :  trois  pour  Mayenne  et  son  con- 
seil, et  trois  pour  chacun  des  trois  ordres;  les  seigneurs 
royalistes  ne  l'étaient  que  par  huit.  Après  quelques  diffi- 
cultés qui  furent  levées,  les  pourparlers  commencèrent; 
mais  ou  n'entra  dans  le  vif  de  la  question,  que  le  5  mai. 
Les  deux  principes  catholiques  et  monarchiques  furent 
longtemps  discutés.  Les  commissaires  royaux  deman- 
daient par  l'organe  de  l'archevêque  de  Bourges,  qu'on  recon- 
nût dans  le  Béarnais  le  successeur  immédiat  de  Henri  III, 
et  qu'on  le  suppliât  de  rentrer  dans  le  giron  de  l'Église. 
Les  commissaires  ligueurs,  par  l'organe  de  l'archevêque  de 
Lyon,  soutenaient  qu'on  ne  pouvait  reconnaître  au  préalable 
un  roi  hérétique;  ils  ajoutaient  avec  beaucoup  de  raison, 
que  si  le  Béarnais  abjurait,  sa  conversion  manquerait  du 
sérieux  qu'on  doit  apporter  à  un  pareil  acte.  D'Espinac,  qui 
pratiquait  mal  la  morale  évangélique ,  la  comprenait  par- 
faitement; un  homme  immoral,  comme  il  l'était,  eût  dû 
être  plus  coulant  :  mais  depuis  longtemps,  comme  Judas, 
il  avait  trahi  le  crucifié,  et  s'était  vendu  au  roi  catholique; 
il  n'acceptait  pas  Henri  IV,  même  avec  son  abjuration.  Au 
reste,  les  conférences  se  tinrent  avec  une  gravité  et  une 
décence  qui  contrastaient  avec  la  turbulence  des  prédica- 
teurs. Le  parti  espagnol,  qui  les  avait  vues  s'ouvTir  avec  un 
grand  déplaisir,  redoutait  une  abjuration;  il  ne  se  trompait 
pas:  Henri rV' était  connu.  «Le  Navarrois,  écrivait  l'envoyé 
de  Savoie  à  son  maître,  de  la  religion  calviniste,  si  aucune 

1.  Ch.  Labitte,  chap.  UI,  i  6,  p.  175. 


20  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

il  en  a,  a  grand  désir  de  se  maintenir  par  les  calvinistes, 

en  opinion  de  grand  observateur  de  religion;  toutefois,  il 
a  échappé  souvent ,  et  croit  toutes  choses  d'une  autre  fa- 
çon: pour  l'intérêt,  il  ne  changera  pas  de  religion;  et  s'il  le 
fait,  il  sera  d'accord  avec  les  siens,  et  feindra.  Il  est  cou- 
rageux et  soldat;  mais  sans  discipline  militaire  :  plutôt 
comme  chef  de  soudards  et  bandits,  que  comme  général 
d'une  armée.  Il  est  libéral,  agréable,  un  peu  moqueur  et 
gausseur;  fait  profession  de  bon  François  :  grand  amateur  de 
la  noblesse;  et  encore  qu'il  montre  d'oublier  des  injures: 
mais,  en  efl'et,  il  en  a  bien  souvenance.  Il  est  adonné  sur- 
tout au  plaisir  de  la  chair;  mais  cela  ne  l'affectionne  pas, 
et  trouve  moyen  de  le  conjoindre  avec  les  armes.  » 

L'homme  dont  l'envoyé  du  duc  de  Savoie  avait  si  bien 
saisi  la  physionomie ,  devait  nécessairement  inquiéter  le 
duc  de  Féria.  Ce  dernier,  jugeant  le  moment  favorable 
pour  agir,  demanda  à  faire  une  communication  aux  Etats 
de  la  part  de  son  maître.  Une  commission  fut  nommée 
pour  entendre  l'ambassadeur,  qui,  admis  dans  son  sein, 
commença  par  faire  l'éloge  de  Philippe  II ,  en  insistant 
sur  les  sacrifices  qu'il  avait  faits  pour  la  Saiille-Union,  sacri- 
fices qu'il  était  prêt  à  faire  encore  pour  le  plus  grand  bien 
de  la  religion ,  mais  il  demanda  en  échange  que  sa  fille 
Isabelle-Clara-Eugénie  fût  déclarée  reine  de  France.  ' 

Cette  proposition  eût  pu  être  acceptée,  tant  l'esprit  de 
parti  avait  affaibli  le  sentiment  national  chez  les  ligueurs , 
si  dans  ce  moment,  un  fou  prenant  la  parole,  n'eût  trouvé 
un  moment  de  lucidité  qui  sauva  peut-èire  la  France  de 
l'humiliation  de  tomber  entre  les  mains  de  l'étranger.  Ce 
fou  fut  le  fameux  Rose,  évèque  de  Senlis,  l'un  des  plus 
fougueux  prédicateurs  de  la  ligue.  Féria  avait  à  peine 
achevé  de  formuler  son  insolente  proposition  ,  que  Rose, 
les  yeux  étincelants  et  les  lèvres  tremblantes  de  colère, 
s'écria:  «Le  ciel  nous  punit  de  nos  fautes.  La  proposition 
de  M.  l'ambassadeur  est  le  plus  grand  malheur  qui  puisse 
arriver  à  la  ligue  ;  elle  justifie  la  prédiction  des  politiques, 
et  nous  avertit,  nous  hommes  de  bonne  foi,  qu'en  croyant 
servir  la  cause  de  l'Église ,  nous  étions  les  aveugles  instru- 
ments d'un  monarque  étranger.' 

1.  De  Thon,  liv.  CVI.  —  Davila,  Hv.  XIII. 

2.  Recueil  des  États  de  1593,  p.  19&.  —  L'Esloile,  année  1593. 


LITRE  XXH. 


21 


Ces  paroles  prononcées  avec  toute  l'artîeur  d'un  ligueur 
et  le  patriotisme  d'un  Français,  déconcertèrent  Féria,  qui 
s'en  étonna  d'autant  plus  qu'il  comptait  Rose  parmi  les 
partisans  les  plus  dévoués  de  son  maître.  Mayenne,  qui  vit 
son  embarras,  et  auquel  la  sortie  de  l'évèque  de  Senlis 
n'avait  pas  déplu ,  s'approcha  de  l'ambassadeur:  «Excu- 
sez, lui  dit-il  assez  haut  pour  être  entendu  de  tous,  excu- 
sez ce  bon  docteur,  chacun  convient  qu'il  déraisonne  la 
moitié  de  l'année.»  Mayenne  disait  vrai  :  Rose  était  luna- 
tique et  avait  des  accès  périodiques  de  folie;  mais  cette 
fois,  il  était  dans  toute  la  plénitude  de  son  bon  sens.  Nous 
ne  partageons  pas  l'opinion  deLabitte  qui  prétend  qu'il  ne 
faut  pas  savoir  gré  à  Rose  de  son  opposition.  Les  belles 
actions,  chez  les  ligueurs,  sont  trop  rares  pour  que  nous 
ayons  le  droit  de  nous  montrer  trop  sévères ,  et  quand 
l'Éstoile,  racontant  le  fait,  dit  laconiquement:  «C'était 
parler  fort  à  propos  pour  un  fol  >^ ,  il  nous  paraît  trop 
caustique.  Si  le  sage  se  tait  le  jour  où  il  faut  parler,  jete- 
rons-nous  la  pierre  au  pauvre  fou  qui  parle  à  sa  place; 
nous  croyons  donc  que  l'apostrophe  de  l'évèque  de  Senlis 
lui  fut  dictée  au  moment  même ,  par  un  noble  mouvement 
d'indignation.* 

X. 

Féria  ne  se  tint  pas  pour  battu  ;  il  obtint  que  sa  propo- 
sition fût  soumise  aux  Etats.  Inigo  Mendoça,  son  docteur, 
parla  doctement,  longuement  et  lourdement  dans  l'assem- 
blée contre  la  loi  salique  ;  le  légat  lui  vint  en  aide,  parlant 
tantôt  en  latin,  tantôt  en  italien;  Féria  parla  en  espagnol. 
L'assemblée  était  dans  une  indécision  qui  eût  été  funeste 
aux  intérêts  de  la  France,  s'il  ne  se  fût  pas  trouvé  un 
homme  pour  défendre,  avec  autant  d'éloquence  que  de 
conviction,  les  droits  du  royaume.  Le  procureur-général, 
Edouard  Molé ,  l'ancêtre  de  cette  noble  famille  des  Molé , 
qui  a  donné  à  la  France  tant  de  grands  citoyens ,  indigné 
des  prétentions  du  parti  espagnol,  convoqua,  de  concert 
avec  le  premier  président  Lemaître,  zélé  ligueur,  les 
chambres  du  parlement.  Après  un  discours  aussi  remar- 

1.  Ch.  Labitte,  chap.  III,  g  6,  p.  176-177.  —  Lacretelle,  Guerres 
de  religion,  t.  DI.  —  LEstcUe,  année  1593. 


2S  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

quable  par  l'élévation  des  pensées  que  par  le  courage  qu'il 
y  déploya,  il  fit  rendre  le  28  juin  1593,  un  arrêt  qui  ra- 
cheta chez  les  parlementaires  bien  des  ftuites  et  bien  des 
faiblesses.  «Sur  la  remontrance  faite,  dit  l'arrêt,  par 
Édouard  Molé ,  procureur-général ,  et  la  matière  mise  en 
délibération,  la  cour  n'ayant,  comme  elle  n'a  jamais  eu 
d'autre  intention  que  de  maintenir  la  religion  catholique, 
apostolique  et  romaine,  en  l'État  et  couronne  de  France, 
sous  la  protection  du  roi  très-chrétien,  catholique  et 
Français ,  a  ordonné  et  ordonne  que  remontrances  seront 
faites  par  M.  le  président  Lemaître,  assisté  d'un  bon 
nombre  de  ladite  cour,  à  M.  le  lieutenant-général  de  l'État 
et  couronne  de  France  ,  en  présence  des  princes  et  oflQeiers 
de  la  couronne,  étant  de  présent  en  celte  ville,  à  ce  qu'au- 
cun traité  ne  se  fasse  pour  transférer  la  couronne  en  la 
main  de  princes  ou  princesses  étrangers  ;  que  les  lois  fon- 
damentales du  royaume  seront  gardées,  et  qu'il  ait  à  em- 
ployer l'autorité  qui  lui  est  commise  pour  empêcher  que, 
sous  prétexte  de  la  religion,  la  couronne  ne  soit  transférer 
en  main  étrangère ,  au  préjudice  des  lois  du  royaume  et 
pour  venir  le  plus  promptement  que  faire  se  pourra,  au 
repos  du  peuple,  pour  l'extrémité  duquel  il  est  rendu;  la 
dite  cour  a  néanmoins,  dès  à-présent,  déclaré  et  déclare 
tous  actes  faits  et  qui  se  feront  ci-après  pour  l'établisse- 
ment d'un  prince  ou  princesse  étranger,  nul  et  de  nul  effet 
et  valeur,  comme  fait  au  préjudice  de  la  loi  salique  et  au- 
tres lois  fondamentales  du  royaume.  »  • 

Cette  déclaration  du  parlement  étonna  et  irrita  le  duc 
de  Féria:  dansson  arrogante  bonne  foi,  il  croyait  que  son 
maître  ne  pensait  qu'aux  intérêts  et  à  la  grandeur  de  la 
France ,  et  lui  qui  n'avait  vu  jusqu'alors  autour  de  lui  que 
complaisance  et  servilisme,  ne  savait  pas  que  chez  le 
Français  l'honneur  survit  même  à  la  perte  de  la  probité 
politique,  que  s'il  peut  dans  un  moment  d'égarement  ou 
d'extrême  misère,  devenir  le  pensionnaire  de  l'étranger, 
il  ne  consent  jamais  volontairement  à  se  laisser  gouverner 
par  cet  étranger. 

^  Les  États,  n'osant  ni  blâmer  ni  approuver  la  coura- 

1.  Davila,  liv.  xm.  —  Mémoires  de  la  Ugue,  t.  V.  —  L'Estoile, 
année  1593.  —  De  Thou,  liv.  CVI. 


LIVRE  XXII. 


23 


geuse  déclaration  du  parlement,  attendaient  les  événe- 
ments pour  se  décider.  Malheureusement  pour  sa  cause , 
Philippe  II  n'avait  ni  assez  de  doublons,  ni  assez  de  lances 
espagnoles  pour  appuyer  ses  prétentions.  La  fortune  se  re- 
tirait de  lui;  l'homme,  dont  le  nom  seul  lui  valait  une 
armée:  le  duc  de  Parme  était  mort,  et  son  successeur, 
le  comte  de  Mansfeld  faisait  ressortir  par  sa  nullité  la  gran- 
deur de  sa  perte.  L'état  d'indécision,  dans  lequel  se  trou- 
vaient les  députés,  s'expUque  donc  de  lui-même. 

XL 

Le  Béarnais,  tenu  au  courant  des  événements  et  des  in- 
trigues, était  plein  d'anxiété;  il  était  convaincu  par  ce  qui 
se  passait  à  Surènes,  que  les  catholiques  ne  reconnaîtraient 
jamais  pour  roi  un  prince  huguenot.  Le  jour  où  il  eut  cette 
conviclion,  il  fut  décidé.  Arrivé  à  cette  époque  solennelle 
de  sa  vie ,  nous  sentons  le  besoin  de  refouler  dans  notre 
cœur  de  bien  légitimes  regrets.  C'est  l'historien,  et  non  le 
huguenot,  qui  doit  écrire  celle  grande  page  d'histoire. 

L'horreur  de  la  ligue  pour  un  roi  huguenot,  n'a  rien  qui 
doive  nous  étonner;  les  historiens  qui  se  préoccupent, 
avant  tout,  de  politique,  sont  de  fort  mauvais  juges, 
quand  parlant  des  excès  de  la  Sainte-Union,  ils  la  con- 
damnent sans  appel.  Dans  leur  impartialité  à  l'égard  des 
deux  cultes,  impartialité  qui,  au  fond,  n'est  que  le  résultat 
de  leur  scepticisme  systématique,  ils  ne  veulent  pas  com- 
prendre qu'un  roi  huguenot  n'était  pas  plus  possible  à  Paris, 
qu'un  roi  papiste  à  Édimbourg.  Ce  que  l'indifférentisme 
religieux  accepte,  le  zèle  religieux  ne  peut  s'en  contenter; 
les  lois  morales  ont  leur  inflexibilité  comme  les  lois  phy- 
siques. Les  ligueurs  ne  pouvaient  accepter  un  prince  pro- 
testant, et  même  les  plus  zélés  d'entre  eux  ne  pouvaient 
vouloir  de  ce  prince  au  prix  d'une  abjuration ,  dans  la 
crainte  qu'elle  ne  fût  pas  sincère.  Le  roi  de  Navarre  avait 
déjà  une  fois  abandonné  le  catholicisme  :  le  roi  de  France 
pouvait  l'abandonner  encore;  condamnons  les  violences 
des  ligueurs,  mais  ne  les  accusons  pas  de  manquer  de 
logique.  Quand  ils  disaient  :  pas  de  Béarnais  !  vive  Phi- 
lippe II  !  Ils  étaient  dans  le  vrai  de  leur  rôle. 

On  comprend  donc  les  ligueurs;  mais  on  comprend  moins 


24 


IIISTOinE  DE  LA  nÉFORMATION  FRANÇAISE. 


les  seigneurs  royalistes  qui,  tout  en  élanl  la  personniflealion 
'  de  l'indifférentisme  religieux ,  n'acceptaient  le  Béarnais 
pour  roi,  que  sous  la  condition  de  son  retour  à  l'église  ca- 
tholique; cependant,  quand  on  étudie  de  près  leurs  rai- 
sons, on  les  voit  dans  leur  intérêt,  leur  seul  Dieu. Il  y  a,  à 
cet  égard,  dans  Davila,  une  page  d'histoire  remarquable: 
«D'O,  nous  dit-il,  en  parlant  de  l'entourage  du  Béarnais, 
protestait  qu'il  ne  voulait  pas  être  plus  longtemps  trésorier 
sans  trésor;  Bellegarde,  Saint-Luc,  Termes,  Sancy,  Gril- 
lon ,  et  tous  les  anciens  serviteurs  du  roi  Henri  III,  déplo- 
raient leur  mauvaise  fortune  qui,  après  un  roi  d'or,  leur 
envoyait  un  roi  de  fer.  L'un,  en  effet,  les  comblait  de  ri- 
chesses; l'autre,  étroit  de  fortune,  et  non  moins  étroit 
d'âme  et  de  naturel,  ne  leur  offrait,  pour  récompense,  que 
des  guerres,  des  sièges  et  des  batailles.  Ils  déclaraient  ne 
vouloir  pas  soutenir  plus  longtemps  la  fatigue  intolérable 
des  armes,  ou  rester  enfermés  dans  leurs  cuirasses  comme 
des  tortues ,  avec  du  fer  sur  la  poitrine  et  du  fer  sur  les 
épaules.  Un  roi  élevé  à  la  huguenote,  courant  jour  et  nuit 
pour  vivre  de  rapine  avec  ce  qu'il  pouvait  trouver  dans  les 
chaumières  des  malheureux  paysans ,  se  chauffant  à  l'in- 
cendie de  leurs  maisons,  et  couchant  à  l'écurie  avec  leurs 
chevaux ,  ou  dans  la  puanteur  d'une  bergerie ,  n'était  pa.*. 
leur  fait.  A  la  bonne  heure,  de  faire  la  guerre  un  pei»  Je 
temps  pour  obtenir  le  repos;  mais  à  présent,  ils  servaient 
un  prince  qui  ne  se  souciait  pas  de  mettre  jamais  un  terme 
au  travail  des  armes ,  et  qui  ne  cherchait  d'autres  délices 
qu'arquebusades,  blessures,  meurtres  et  batailles.  Souvent  le 
roi  pouvait  entendre  ces  propos  de  son  antichambre,  quel- 
quefois entremêlés  de  jurements  et  de  malédictions ,  plus 
souvent  assaisonnés,  à  la  manière  française,  d'épigram- 
mes  et  de  quolibets.  »  ' 
Ces  paroles  révèlent  les  causes  qur  amenèrent  peu  îi  peu 


il  fallait  qu'il  abattît  la  ligue  en  montant  de  nouveau  à  che- 
val, ou  bien  qu'il  la  paralysât  en  lui  ôtant  le  prétexte  qu'elle 
mettait  sans  cesse  en  avant  pour  ne  pas  le  reconnaître 
roi. 


Henri  IV  à  abi 


Il  ne  pouvait  plus  se  faire  illusion. 


1.  Davila,  liv.  XUI,  p.  870.  —  D'Aublgné,  liv.  111,  chap.  XXH, 
").  289. 


LIVRE  XXII. 


25 


Placé  en  face  de  ces  deux  avenues,  Henri  IV  prit  la  se- 
conde, elle  lui  parut  plus  courte  et  plus  facile.  A  l'extré- 
mité, son  œil  apercevait  une  couronne,  tandis  que  dans  la 
première ,  il  n'entrevoyait  que  la  répétition  d'une  vie  pas- 
sée dans  des  combats  journaliers  et  dans  une  gloire  stérile. 
Tout  donc  le  poussait  vers  l'abjuration;  tout,  excepté  ce 
qui  devant  Dieu  et  devant  les  hommes,  la  rend  honorable; 
car  jamais  son  esprit  ne  fut  plus  éloigné  de  la  foi  romaine, 
qu'il  ne  l'était  au  moment  de  l'embrasser.  Mauvais  protes- 
tant, il  eût  été  plus  mauvais  catholique  encore;  il  n'aimait 
pas  la  morale  austère  des  huguenots,  et  se  riait  des  prati- 
ques catholiques:  son  esprit  critique,  fin  et  délié,  semait 
habilement  le  sarcasme;  et  la  moquerie,  sur  ses  lèvres,  se 
formulait  souvent  en  bons  mots  qui  sont  restés  ;  son  bon 
sens  qui  lui  faisait  rarement  défaut,  quand  les  passions  se 
taisaient  chez  lui ,  lui  faisait  discerner  admirablement  les 
côtés  vrais  des  choses;  l'histoire  suivante  en  est  une 
preuve. 

XII. 

Pendant  les  conférences  de  Surênes,  l'évêque  de  Lyon 
dit  à  M.  de  Bourges,  qu'il  avait  une  plainte  à  lui  faire,  ainsi 
qu'à  tous  les  ecclésiastiques  de  son  parti,  contre  un  nommé 
Chauveau  qui,  au  grand  scandale  de  tous  les  zélés  catholi- 
ques, prêchait  l'hérésie.  Or,  ce  Chauveau,  ancien  curé  de 
Saint-Gervais,  à  Paris  ,  homme  de  mœurs  irréprochables, 
bon,  charitable  ,  généreux,  se  disait  bon  catholique,  et  ne 
voulait  être  ni  ligueur  ni  huguenot.  Sa  parole  piquante 
et  originale  attirait  autour  de  sa  chaire  de  nombreux  audi- 
teurs ,  qui  aimaient  l'entendre  prêcher  contre  les  abus  de 
leur  église;  or,  voici  (nous  citons  L'Estoile)  une  bonne 
partie  des  abus  contre  lesquels  le  curé  s'élevait,  tant  er\ 
public  qu'en  particulier  : 

«  La  vénération  des  images  contre  l'exprès  commande- 
ment et  défense  de  Dieu,  disant  souvent  au  peuple  qu'il 
regardât ,  et  qu'on  lui  avait  été  et  retranché  le  second 
commandement  :  Taillées  ne  te  feras  images,  etc.,  etc. 

«  Les  ornements  qu'on  donnait  aux  saints  et  saintes  des 
églises  qui  n'étaient  que  bois  et  pierres  mortes:  et  cepen- 
dant ,  on  laissait  là  les  pierres  vives  ,  qui  étaient  les 

1 


26  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

pauvres,  vrais  membres  du  fils  de  Dieu,  mourir  de  faim 
et  de  froid. 

«Contre  les  bâtonneries  et  confréries  :  qui  était  une  pure 
idolàtrerie,  ressentant  les  bacchanales  du  paganisme  an- 
cien. 

«Contre  le  Salveregina,  lequel,  quand  il  entendait  chan- 
ter, se  levait  ordinairement,  au  lieu  de  se  mettre  à  genoux; 
disant  que  cet  honneur  appartenait  à  un  seul,  Jésus-Christ, 
et  non  à  la  Vierge;  pour  ce  qu'il  était  le  roi  des  rois  et  le 
Dieu  des  miséricordes,  et  que  quand  on  ouirait  chanter 
Ave  rex  ou  Salve  rex,  ahrs  il  se  prosternerait  à  genoux, 
mais  non  pas  pour  Salve  regina;  sachant  que  la  Vierge  ne 
demandait  point  cet  honneur  qui  appartenait  à  Dieu  seul, 
et  que  par  là  on  la  déshonorait,  au  lieu  de  l'honorer. 

«Contre  les  chandelles,  barbotages,  chapelets,  pèleri- 
nages, darpons,  heures  des  femmes  en  latin;  défense  très- 
méchante  et  pernicieuse,  que  quelques  faux  prélats  et 
docteurs  de  l'antéchrist  faisaient  au  peuple ,  de  lire  la 
Sainte-Écriture ,  comme  s'il  n'eût  été  capable  d'entendre 
son  salut. 

«Surtout  déclamait  contre  la  souveraineté  temporelle 
du  pape  et  sa  primauté ,  et  l'usurpation  du  droit  qu  il  pré- 
tendait avoir  sur  les  rois  et  princes  de  la  chrétienté;  ne 
l'honorant  d'autre  titre,  que  de  l'antéchrist,  ayant  pris  son 
siège  au  temple  de  Dieu.  » 

Les  attaques  de  Chauveau  contre  les  abus  régnants  de 
son  église,  lui  attirèrent  beaucoup  d'ennemis  qui  voulu- 
rent l'empêcher  de  prêcher.  Henri  IV,  auquel  on  l'avait  dé- 
noncé, le  fit  venir  dans  sa  chambre,  et  lui  dit  à  l'oreille: 
«Il  y  en  a  qui  veulent  vous  empêcher  de  prêcher;  mais, 
moi,  je  veux  vous  faire  évêque  :  continuez»." 

'  XIII. 

Le  même  homme  qui  encourageait  Chauveau  à  prêcher 
contre  ce  que  les  huguenots  appelaient  déjà  dédaigneuse- 
ment «le  fond  de  la  boutique  du  pape,»  se  préparait  à  le 
signer  comme  étant  l'enseignement  même  du  Seigneur.  Il 
y  était  d'ailleurs  poussé  fatalement  par  les  circonstances  : 
son  âme  à  laquelle  il  pensait  peu,  ses  intérêts  auxquels  il 

1.  L'Estoile,  année  1593. 


LIVRE  XXII. 


27 


pensait  beaucoup,  son  entourage,  tout  l'entraînait  vers  les 
avenues  du  catholicisme.  Sully,  ordinairement  long  et  dif- 
fus, se  fait  assez  bien  raconter,  par  ses  secrétaires,  les 
dispositions  du  Béarnais:  «Le  dessein  du  roi,  lui  disent- 
ils,  de  changer  de  religion,  prenant  toujours  de  nouvelles 
forces,  fut  cause  qu'il  s'en  retourna  dans  Mantes,  qui  était 
alors  son  Paris ,  où  toute  sorte  de  gens  de  qualité  et 
d'affaires  s'étant  rassemblés  ;  il  s'y  trouva  quantité  de  sol- 
liciteurs pour  lui  faire  changer  de  religion ,  dont  les 
principaux,  sans  entrer  dans  le  secret  de  sa  conscience, 
duquel  lui  seul  pouvait  être  le  vrai  juge,  furent  l'extrême 
pitié  qu'il  avait  de  voir  ainsi  tous  les  peuples  de  France, 
qu'il  nommait  ses  enfants,  exposés,  s'il  n'y  appliquait  ce 
remède,  à  de  perpétuelles  ruines,  misères  et  calamités; 
sa  liberté  et  sa  vie  être  continuellement  aguestes,  et  mis  à 
discrétion  de  ceux  auxquels  (s'il  ne  voulait  faire  un  chan- 
gement général  des  principaux  officiers),  il  était  contraint 
de  commettre  l'un  et  l'autre  :  les  puissantes  et  subtiles 
raisons  théologiques  du  temps ,  dont  il  était  rabattu  par 
M.  Du  Perron;  son  agréable  entretien  et  douce  conver- 
sation; les  connivences  pleines  d'artifices  de  quelques 
ministres  et  huguenots  du  cabinet ,  qui  voulaient  pro- 
fiter du  temps  ,  à  quelque  prix  et  par  quelque  voie 
que  ce  pût  être  ;  l'infidèle  ambition  de  plusieurs  des 
plus  puissants,  et  autorisés  parmi  ceux  de  la  religion, 
à  la  merci  desquels  il  appréhendait  de  retomber ,  si 
les  catholiques  se  résolvaient  à  se  séparer  et  l'abandon- 
ner; le  dépit  où  il  était  entré  contre  aucuns,  faisant  les 
zélés  catholiques,  pour  lui  avoir  parlé  insolemment,  et 
fait  des  harangues  imprudentes  et  impertinentes  pour  le 
Dresser,  mêmes  avec  menace  de  changer  de  religion,  dont 
fun  des  plus  hardis  avait  été  le  sieur  d'O,  usant  de  termes 
sales  de  goinfre  et  de  cabaret  à  sa  mode  accoutumée  :  le 
désir  que  ce  prince  avait  de  se  pouvoir  passer  de  telles  gens, 
et  leur  faire  sentir  un  jour  leur  témérité;  la  crainte  où 
il  était  entré:  qu'enfin,  les  États  qui  se  trouvaient  lors 
assemblés  à  Paris,  quelques  malotrus  qu'ils  pussent  être, 
n'élussent  M.  le  cardinal  de  Bourbon  pour  roi ,  et  ne  lui 
procurassent  l'infante  d'Espagne*  pour  femme;  la  lassi- 

1.  Clara  Eugénie,  seconde  fille  de  Philippe  0. 


28  HISTOIKE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

tude  et  l'ennui  d'avoir  toujours  eu  le  halecret  sur  le  dos, 
depuis  l'âge  de  douze  ans,  pour  disputer  sa  vie  et  sa  for- 
tune; la  vie  dure,  âpre  et  languide  qu'il  avait  écoulée  pen- 
dant ce  temps;  l'espérance  et  le  désir  d'une  plus  douce  et 
agréable  pour  l'avenir,  et  finalement  quelques-uns  de  ses 
confidents  et  plus  tendres  serviteurs,  entre  lesquels  se  peut 
mettre  sa  maîtresse',  y  firent  apporter  l'absolue  conclu- 
sion; les  uns  par  supplications  et  larmes,  les  autres  par 
remontrances,  et  les  autres  par  prudence  humaine ,  lais- 
sant le  cas  de  conscience  à  part,  pour  opérer  en  lui 
seul.  * 

L'abjuration  était  accomplie  dans  l'esprit  du  roi,  il  fallait 
seulement  traduire  la  volonté  en  fait ,  et  surtout  procéder 
avec  décence  et  donner  à  une  conversion  intéressée  l'ap- 
parence de  la  sincérité. 

Parmi  ses  conseillers ,  Rosny  occupait  dans  sa  confiance 
la  première  place:  il  avait  un  bon  sens  ferme,  beaucoup 
de  netteté  dans  les  idées,  une  rare  application  aux  affaires 
et  une  grande  persévérance  dans  l'exécution  de  ses  projets. 
Sa  religion  ne  dépassait  pas  en  profondeur  celle  de  son 
maître:  protestant,  il  n'eût  pas  voulu  se  faire  catholique; 
catholique ,  il  ne  se  fût  pas  fait  protestant.  Politique  avant 
tout,  la  terre  le  préoccupait  plus  que  le  ciel,  et  quand  il 
faisait  un  vœu  pour  le  Béarnais,  il  pensait  plutôt  à  lui 
mettre  sur  la  tête  la  couronne  du  dernier  des  Valois  que 
celle  d'un  martyr.  Tel  était  Rosny,  ce  type  achevé  du  pro- 
testant indifférent  et  calculateur.  Henri  IV  avait  à  son 
égard  une  liberté  de  langage  qu'il  n'avait  pas  avec  ses 
autres  conseillers  huguenots.  Rosny  ne  se  constituait  pas 
comme  Mornay,  son  censeur;  il  le  laissait  s'abandonner  à 
ses  plaisirs ,  pourvu  que  les  affaires  de  son  royaume  n'en 
souffrissent  pas  trop.  Il  pouvait  donc  comprendre  son 
maître  et  trouver  bon  ce  que  l'austère  Mornay  aurait  tenu 
pour  un  acte  digne  de  la  perdition  éternelle.  Dans  ses 
Économies  royales ,  il  y  a  deux  chapitres  qui  jettent  un 
jour  bien  triste,  mais  bien  intéressant,  sur  la  manière  dont 
le  Béarnais  fut  peu  à  peu  amené  à  se  séparer  de  ses  vieux 
compagnons  d'armes. 

1.  Gabrielle  d'Estrées. 

2.  Sully,  Économies  ïoyalea. 


LIVRE  XXII. 


29, 


XVI. 

C'était  au  commencement  de  l'année  1593.  Henri  IV  fit 
appeler  Rosny  un  soir  fort  tard.  Son  jeune  conseiller  se 
mil  à  genoux  contre  le  lit  du  roi  sur  un  carreau  ,  et  dans 
cette  position,  il  écouta  attentivement  son  maître  qui  lui 
fit  part  de  ses  embarras  et  de  son  désir  de  mettre  tin  au.t 
maux  de  son  royaume  ;  «  de  tous  côtés,  lui  dit-il ,  je  reçois 
des  lettres  dans  lesquelles  on  me  propose  de  grandes  faci- 
lités et  même  le  rétablissement  infaillible  des  affaires  de 
mon  royaume,  surtout  si  je  me  résous  à  quelque  accommo- 
dement pour  ce  qui  regarde  la  religion  »  ;  le  grand  mot 
était  lâché,  Rosny  en  comprit  toute  la  portée;  le  roi  ne 
lui  demanda  pas  une  réponse  immédiate:  «Réfléchissez, 
lui  dit-il,  à  ce  que  je  vous  dis  et  dans  quelques  jours,  je 
vous  enverrai  quérir  pour  me  dire  ce  qu'il  vous  en  aura 
semblé  »  ;  sur  ce ,  il  le  licencia  par  un  bonsoir. 

Bientôt  après ,  impatient  d'avoir  la  réponse  de  son  con- 
seiller, il  le  manda  auprès  de  lui:  il  était  comme  la  pre- 
mière fois  couché,  et  comme  la  première  fois,  Rosny  se 
mit  à  genoux  contre  le  lit  sur  un  coussin.  Le  serviteur  qui 
avait  profondément  réfléchi  aux  paroles  de  son  maître , 
commença  par  lui  faire  un  triste  tableau  de  son  royaume  ; 
il  traça  habilement  le  portrait  des  principaux  ligueurs  et 
des  personnes  attachées  à  son  service  et  les  lui  représenta 
comme  des  intrigants  dont  il  fallait  se  défaire ,  «  toute- 
fois, ajoula-t-il,  de  leurs  divisions  et  de  leurs  fractionne- 
ments à  l'infini,  il  résultera  une  grande  fatigue  pour  les 
Français  qui  se  rallieront  à  vous  et  ne  reconnaîtront  que 
votre  seule  royauté.  » 

Jusque-là  Rosny  n'avait  pas  abordé  le  point  délicat  sur 
lequel  Henri  IV  désirait  avant  tout  avoir  son  avis  ;  il  ne 
lui  disait  rien  qu'il  ne  sût  parfaitement.  Le  moment  de 
l'aborder  arriva ,  il  le  toucha  délicatement.  «  Je  crois ,  lui 
dit-il ,  qu'une  conversion  faite  dans  des  formes  honorables 
et  agréables,  serait  de  grande  utilité  et  pourrait  servir  de 
ciment  et  liaison  indissoluble  entre  vous  et  vos  sujets  ca- 
tholiques, et  même  faciliterait  tous  vos  autres  grands  et 
magnifiques  desseins  dont  vous  m'avez  quelquefois  parlé.» 
Mais,  comme  s'il  eût  trop  dit  et  pris  trop  de  responsabilité, 


30  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

il  ajouta  avec  une  grande  apparence  de  bonhomie  :  «  Sur 
quoi,  je  vous  en  dirais  davantage  si  j'étais  de  profession 
qui  me  permît  de  le  faire  en  bonne  conscience ,  me  con- 
tentant de  laisser  opérer  la  vôtre  en  vous-même  sur  un 
sujet  si  chatouilleux  et  si  délicat.» 

A  ces  paroles,  le  jeune  conseiller  en  ajouta  d'autres  ; 
les  interlocuteurs  se  séparèrent  ;  quelques  jours  après,  ils 
étaient  de  nouveau  réunis.  Le  roi  s'appesantit  sur  les  ob- 
stacles qu'il  rencontrait  et  qui  l'empêchaient  de  faire  pour 
spn  royaume  tout  ce  qu'il  désirait.  Il  se  plaignit  d'être 
calomnié  par  les  ligueurs  ^et  entouré  d'intrigants  qui  ne 

{•ensaient  qu'à  l'exploiter*  en  lui  faisant  payer  chèrement 
eurs  services.  Sans  le  dire  expressément ,  il  ne  voyait 
que  dans  un  prompt  changement  de  religion,  le  moyen  de 

fiarer  les  coups  qui  lui  étaient  portés;  de  son  côté ,  Rosny 
e  suivait  sur  ce  terrain.  «Vous  conseiller  d'aller  à  la 
messe,  lui  dit-il,  c'est  chose  que  vous  ne  devez  pas  at- 
tendre de  moi,  étant  de  la  religion.» 

Le  Béarnais ,  en  entendant  ces  mots ,  dut  croire  que 
Rosny  n'approuvait  pas  un  changement  de  religion,  mais 
il  se  rassura  bientôt;  le  conseiller  continuant  sa  phrase, 
ajouta  :  «Je  vous  dirai  cependant  que  c'est  le  plus  promet 
et  plus  facile  moyen  pour  renverser  tous  ces  monopoles 
et  laire  aller  en  fumée  tous  les  plus  malins  projets.  » 

Le  roi  et  son  conseiller  étaient  d'accord;  mais  le  roi, 
soit  reste  de  pudeur,  soit  feinte,  dit  à  Rosny:  «  Si  vous 
étiez  à  ma  place,  que  feriez-vous?» 

Le  serviteur  ne  répondit  ni  par  oui,  ni  par  non;  comme 
son  maître,  il  voulait  une  abjuration,  mais  il  la  voulait 
fondée  sur  des  motifs  qui  la  légitimassent.  Après  des  pa- 
roles louangeuses  sur  celui  qui  le  consultait,  il  dit:  «Je 
ne  connais  pour  trouver  une  nonne  issue  à  vos  embarras 
que  deux  seuls  moyens:  par  le  premier,  il  vous  faudrO 
user  de  fortes  résolutions,  sévérités,  rigueurs  et  vio» 
lences ,  qui  sont  toutes  procédures  entièrement  contraires 
à  votre  humeur  et  inclination ,  et  vous  faudra  passer  par 
un  million  de  difficultés,  fatigues,  peines ,  ennuis  ,  périls 
et  travaux ,  avoir  continuellement  le  corps  sur  la  selle ,  le 
halecret  sur  le  dos  ' ,  le  casque  en  la  tète ,  le  pistolet  au 

t.  Corselet  de  fer  qui  couvrait  la  poitrine  et  les  épaules. 


UYRE  ÎXII. 


3i 


poing  et  l'épée  en  la  main  ;  mais  qui  plus  est ,  dire  adieu 
aux  repos,  plaisirs,  passe-temps,  amours,  maîtresses, 
jeux,  chiens,  oiseaux  et  bâtiments;  car  vous  ne  sortirez 
de  telles  affaires  aue  par  multiplicité  de  prises  de  villes, 
quantités  de  comoats,  signalées  victoires  et  grande  effu- 
sion de  sang.  Au  lieu  que  par  l'autre  voie  qui  est  de  vous 
accommoder,  touchnnf  la  religion,  à  la  volonté  du  grand 
nombre  de  vos  sujets,  vous  ne  rencontrerez  pas  tant  d'en- 
nuis, peines  et  di/ficultés  en  ce  monde;  mais  pour  l'autre, 
je  ne  vous  en  réponds  pas.» 

A  ces  mots,  le  Béarnais  se  mit  à  rire,  se  leva  sur  son 
séant ,  et  s'étant  plusieurs  fois  gratté  la  fête,  dit  à  Rosny, 
que  s'il  prenait  la  résolution  d'abjurer  dans  l'intérêt  de 
ses  sujets ,  il  conserverait  toujours  une  grande  affection 
pour  ceux  qui  pendant  si  longtemps  s'étaient  attachés  à 
sa  fortune. 

Ces  derniers  mots  touchèrent  profondément  Rosny;  des 
larmes  de  joie  lui  en  vinrent  aux  yeux ,  il  baisa  la  main 
de  son  roi  :  «Je  craignais,  lui  répondit-il,  que  si  vous 
veniez  à  changer  de  religion,  on  ne  vous  portât  à  persécu- 
ter les  protestants,  vous  soutenant  qu'ils  sont  damnés», 
et  alors  Rosny,  qui  ne  se  disait  pas  théologien,  se  mit  à 
faire  le  théologien  et  blâma  aigrement  quelques  ministres 
protestants  qu'il  traita  d'impertinents,  parce  qu'ils  soute- 
naient qu'on  ne  pouvait  se  sauver  dans  la  religion  catho- 
lique. «Je  tiens,  dit-il,  pour  infaillible  que  les  hommes, 
à  quelque  religion  qu'ils  appartiennent,  s'ils  meurent  dans 
l'observation  du  Décalogue ,  aiment  Dieu  et  leur  prochain 
de  tout  leur  cœur,  s'ils  sont  pleins  d'espérance  dans  la 
miséricorde  de  Jésus-Christ  et  croient  obtenir  le  salut  par 
la  mort,  le  mérite  et  la  justice  de  Jésus-Christ,  seront  in- 
failliblement sauvés.» 

Rosny  disait  vrai;  la  religion  dont  il, trace  le  caractère 
est  celle  du  Christ  et  non  calle  de  l'Église  romaine;  le 
Béarnais  le  savait  bien,  mais  en  matière  de  foi ,  il  n'était 
pas  difficile  ,  ce  qu'il  voulait  surtout,  c'était  d'avoir  parmi 
les  protestants  des  hommes  assez  tolérants  pour  l'aider  à 
faire  le  pas  avec  le  plus  de  décence  possible.  Il  remercia 
affectueusement  Rosny,  qui  en  habile  courtisan,  lui  en 
facilitait  les  moyens.' 

1.  Sully,  Économiee  royales. 


32  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

XV. 

Cette  entrevue  explique  tout  ce  que  nous  avons  dit  des 
dispositions  du  Béarnais ,  qui  trouva  chez  les  autres  pro- 
testants plus  de  raideur  que  chez  Rosny.  Chez  eux,  la  foi 
religieuse  primait  la  foi  politique  ;  ils  ne  purent  donc  voir, 
sans  un  grand  déchirement  de  cœur,  le  roi  incliner  visi- 
blement vers  le  catholicisme.  Il  allait  les  abandonner ,  et 
solder  tant  de  fatigues,  de  privations,  de  sang  versé,  par 
une  abjuration  qui  replacerait  la  France  sous  le  joug  de 
l'antéchrist  :  ils  espéraient  cependant  encore.  Incapables 
eux-mêmes  d'échanger  leur  foi,  ce  trésor  céleste  contre 
des  trésors  périssables ,  ils  jugeaient  de  leur  maître  par 
eux-mêmes.  Des  prières  ardentes  montaient  vers  Dieu 
pour  lui  demander  de  détourner  de  dessus  la  tête  de  son 
peuple  fidèle  cet  épouvantable  malheur.  Dans  une  lettre 
(juin  1593)  adressée  aux  ministres  des  principales  églises, 
Mornay  leur  disait  :  «  Il  nous  faut  reconnaître  que  nos  pé- 
chés nous  ont  mené  là  ,  et  adorer  la  justice  de  Dieu  qui 
les  châtie  bien  souvent  les  uns  par  les  autres,  les  moindres 
par  les  plus  grands ,  aussi  est-ce  notre  devoir  comme  mé- 
decins, de  l'assister  (le  roi)  de  ce  que  Dieu  a  mis  en  nous 
laut  que  le  cœur  lui  bat.  »  Théodore  de  Bèze ,  non  moins 
aJiligé  que  Mornay,  se  hâta  d'écrire  au  roi  une  lettre  dans 
laquelle  l'élève  et  le  successeur  de  Calvin  parle  un  langage 
que  n'aurait  pas  désavoué  son  maître.  Ce  qui  préoccupe 
le  théologien  calviniste,  ce  ne  sont  point  les  intérêts  poli- 
tiques de  son  parti ,  ce  sont  ceux  de  Dieu  qui  sont  en  jeu, 
c'est  l'immoralité  de  l'acte  qui  va  se  commettre,  et  quand 
il  s'adresse  à  la  conscience  du  roi,  sa  parole  est  celle  d'un 
prophète  d'Israël.  —  «Sachez,  Sire,  lui  dit -il,  qu'en 
toutes  vos  alïaires ,  il  ne  vous  faut  jamais  regarder  ni  à 
voire  État,  ni  à  votre  propre  personne,  autrement  tout  ce 
que  vous  bâtirez  sera  sans  vrai  fondement,  et  si  votre  con- 
seil vous  mène  par  un  autre  chemin,  croyez  que  vous  êtes 
très-mal  conduit,  considérant  donc  spécialement  ce  point, 
et  spécialement,  combien  de  personnes  ont  l'œil  jeté  sur 
vous  comme  bien  étant  envoyé  de  Dieu  ;  entrez  en  vous- 
même  à  toute  heure,  et  vous  représentant  la  face  de  celui 
qui  vous  a  tant  honoré  jusqu'ici ,  et  qiii  vous  a  destiné  à 


LIVRE  XXII. 


33 


faire  reluire  sa  grâce  devant  par  tout  !e  monde,  humiliez- 
vous  profondément  jusque  au  fond  de  votre  cœur,  pour  lui 
demander  un  esprit  vraiment  froissé  et  contrit.' 

Du  fond  de  leurs  vallées ,  les  Vaudois  du  Piémont  sup- 
pliaient le  roi  de  les  reconnaître  pour  son  peuple;  dans 
une  lettre,  monument  de  leur  amour  et  de  leur  courage, 
ils  lui  disaient:  «  C'est  Dieu,  Sire,  qui  vous  a  rendu  sei- 
gneur et  maître  de  la  Gaule  cisalpine;  la  transalpine  sera 
aussi  vôtre  quand  il  dira  mot,  ou  seulement  qu'il  le  veuille. 
Le  marquisat  de  Saluées  s'en  reviendra  à  vous ,  et  Milan 
encore.  Les  vallées  de  Lucerne,  Pérouse  et  Saint -Martin 
sont  déjà  vôtres ,  et  serviront  à  votre  Dauphiné  de  bastions 
et  murailles  que  le  souverain  ouvrier  a  bâties  de  ses 
mains.  —  Murailles,  dis-je,  murées  jusqu'au  ciel!  C'est 
beaucoup,  mais  n'y  a-t-il  pas  autre  chose?  Voire,  Sire, 
car  avec  ces  murailles  de  Dieu,  cornues  et  très-hautes, 
vous  aurez  conjointement  des  murailles  et  forteresses 
toutes  vives.  Ce  sont  vos  peuples.  Sire,  qui  logent  les  en- 
trailles de  ces  vallées,  garnisons  de  nature  imprenables, 
peuples,  dis-je,  surnommés  Vaudois  et  renommés  par 
l'antiquité,  consacrés  maintenant  et  à  jamais  au  service 
de  Votre  Majesté.  Ils  ont  déjà  fait  oblation  de  leurs  biens 
à  Votre  Majesté.  Ils  ont  sacrifié  au  sacrifice  d'icelle  leurs 
propres  corps  et  vies;  ils  ont  vécu,  eux  et  leurs  enfants, 
pour  vivre  et  mourir  sous  votre  couronne:  en  un  mot, 
Sire,  ils  sont  vôtres.»' 

Cette  lettre,  datée  du  fond  des  gorges  des  vallées  du 
Piémont,  lui  parvint  quand  tout  était  accompli.  Elle  ne 
l'eût  pas  sans  doute  plus  touché  que  celle  de  ses  anciens 
compagnons  d'armes,  qui,  dans  une  requête  devenue  cé- 
lèbre, le  conjuraient  de  demeurer  fidèle  à  la  foi  dans 

1.  Bulletia  du  protestantisme  français,  1. 1",  p.  85.  —  La  lettre 
de  Théodore  de  Bèze  est  une  réponse  à  quelques  écrivains  qui 
ont  prétendu  que  le  théologien  calviniste  avait  par  des  raisons 
d'État  approuvé  l'abjuration.  —  Voir  pour  les  autres  lettres  écrites 
à  cette  occasion  par  les  réformés  à  Henri  IV  :  Capefigue,  Histoire 
de  la  réformation  et  de  la  ligue ,  t.  V. 

2.  Lettre  au  roi  des  habitants  des  vallées  de  Lucerne ,  Pérouse 
et  Saint-Martin,  étant  de  la  religion  prétendue  réformée,  qui  se 
reconnaissaient  pour  sujets  du  roL  —  Biblioth.  impériale,  mss. 
Dupuy.  —  Capefigue,  t.  VI,  p.  310. 


34  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

laquelle  il  avait  été  élevé.  «Nos  ennemis,  lui  disaient-ils, 
veulent  faire  servir  votre  autorité  pour  instrument  de 
notre  ruine;  hé!  que  notre  misère  et  notre  mort  fussent 
la  borne  de  leurs  mauvais  desseins,  nous  nous  exposerions 
encore  au  feu  de  leurs  persécutions  tyrànniques  et  à  la 
rage  des  Saint-Barthélemy  sanglantes.  Mais  quoi  !  ils  nous 
frappent  pour  blesser  Jésus-Christ  ;  ils  tentent  de  dissiper 
ses  églises,  de  bannir  son  royaume  de  votre  royaume,  de 
fermer  la  bouche  à  tous  ceux  qui  l'invoquent  en  esprit 
et  en  vérité  ;  les  laisserons-nous  faire?  demeurerons-nous 
les  bras  croisés?  ne  nous  opposerons-nous  point  à  eux? 
Si  ferons  Sire;  car  nous  fâcherions  Dieu  en  méprisant  les 
moyens  qu'il  nous  a  donnés  pour  conserver  la  pureté  de 
son  Église.  Nous  vous  adjurons,  au  nom  de  Dieu,  de  tra- 
vailler de  votre  côté  à  empêcher  l'effet  de  leurs  injustes 
délibérations,  de  vous  raidir  contre  leurs  mauvais  con- 
seils, de  dissiper  leurs  méchantes  pensées,  de  ruiner 
leurs  nrachinations  et  entreprises,  et  nous  travaillerons 
pour  vous  y  aider.  Votre  douceur,  votre  modestie  les  rend 
audacieux  ;  notre  longue  et  extrême  patience  les  provoque 
à  entreprendre  contre  nous.  S'ils  ne  vous  obéissent,  s'ils 
ne  s'accommodent  à  la  paix  que  vous  désirez ,  s'ils  conti- 
nuent à  affecter  l'inégalité,  mère  de  toute  confusion,  nous 
tâcherons  de  faire  en  sorte  que  l'appréhension  du  péril 
leur  apprenne  la  modestie  et  l'équité  que  votre  débonnai- 
reté  et  notre  patience  ne  leur  ont  encore  pu  apprendre. 
Nous  leur  ferons  pratiquer  la  loi  commune,  nous  leur  de- 
manderons œil  pour  œil,  dent  pour  dent,  main  pour  main, 
pied  pour  pied.  S'ils  bannissent  Jésus-Christ  de  vos  villes 
oïl  ils  sont  les  plus  forts,  nous  bannirons  leurs  idoles  de 
celles  où  nous  sommes  en  force;  s'ils  nous  proscrivent, 
nous  les  proscrirons  ;  nous  leur  rendrons  en  tout  la  pa- 
reille ;  nous  leur  ferons  ce  qu'ils  nous  feront  ;  tels  moyens 
sont  justes  à  ceux  auxquels  ils  sont  nécessaires,  et  légi- 
times à  ceux  qui  n'ont  point  d'autres  ressources  et  d'autres 
défenses  humaines.  En  cela,  ils  ne  se  pourront  plaindre 
que  d'eux,  car  ils  commencent  le  désordre.  Nous  oppose- 
rons au  prétexte  de  votre  autorité,  qu'ils  allégueront  contre 
nous,  votre  nonne  volonté  envers  nous.  S'ils  se  vantent  de 
vous  avoir  pour  s'être  emparés  de  votre  corps  ,  nous  nous 
vanterons  d'avoir  votre  esprit,  qui,  étant  libre,  se  range 


LIVRE  XXII. 


35 


toujours  de  notre  côté,  il  est  toujours  avec  nous.  Les  ro- 
manisques  feront  la  guerre  h  l'Évangile,  c'est-à-dire  la 
cognée  s'élèvera  contre  celui  qui  la  tient;  les  hommes 
s'armeront  contré  le  Dieu  des  armées,  contre  le  Tout- 
Puissant  :  le  tout  contre  le  rien,  les  soldats  de  l'antéchrist 
contre  ceux  de  Jésus-Christ.  Le  combat  est  sans  hasard,  la 
victoire  nous  est  assurée.  Nous  disons  avec  le  prophète  :  Si 
l'Éternel  n'eût  point  été  pour  nous,  lorsque  les  hommes  se 
sont  élevés  contre  nous,  ils  nous  eussent  engloutis  tout 
vivants.  Sire,  vous  pouvez  représenter  à  ceux  qui  se  pro- 
mettent si  bon  marché  de  nous ,  combien  l'expérience  de 
vos  prédécesseurs  les  doit  éloigner  de  leur  espérance.  La 
plupart  de  l'Europe  avait  conjuré  la  ruine  d'une  poignée 
de  fidèles  sans  dignités,  sans  retraite,  sans  argent,  sans 
amis  et  sans  forces,  sans  aucun  moyen  pour  se  défendre. 
Le  pape  aiguisait  les  couteaux  des  princes,  et  le  roi  d'Es- 
agne  leur  forgeait  des  cuirasses  de  ses  doublons;  les 
uisses  fournissaient  leurs  régiments;  les  ducs  de  Lor- 
raine et  de  Bar,  leurs  trahisons  et  leurs  oppressions. 
Qu'en  est-il  advenu?  Dieu  a  soufflé  sur  eux  comme  pous- 
sière !  Que  devons-nous  conclure  de  ces  miraculeuses 
assistances  de  Dieu?  Non,  non,  il  n'en  faut  pas  faire  la 
petite  bouche:  si  nos  ennemis  recommencent,  s'ils 
veulent  encore  faire  la  guerre  à  Jésus-Christ ,  il  chassera 
cette  fois  les  ténèbres  papales  de  tout  le  royaume.  Voilà 
comment  nous  sommes  intimidés  des  menaces  de  nos  ad- 
versaires ,  voilà  les  issues  que  nous  espérons  de  la  guerre 
qu'ils  nous  feront.  Partant,  nous  vous  supplions  très- 
humblement  de  répugner  à  leur  audace,  de  leur  remon- 
trer leurs  vanités  et  leurs  folies,  de  leur  commander  de 
laisser  régner  Jésus-Christ  doucement  et  paisiblement  en 
votre  royaume,  de  peur  qu'il  ne  se  courrouce,  que  sa 
colère  né  s'embrase.  Qu'ils  n'espèrent  plus  de  patience  de 
nous;  si  vous  ne  nous  faites  justice  d'eux,  nous  aurons 
recours. à  Dieu  qui  nous  la  fera  immédiatement.» • 

1.  Requête  au  roi  par  ceux  de  la  religion,  1593.  —  Mss.  de 
Cclbert,  vol.  XXXI;  rel.  en  parchemin.  —  Voyez  aussi  dans  le 
Bulletin  de  l'histoire  du  protestantisme,  année  1852,  la  lettre  re- 
marquable d'un  sujet  du  lol 


36 


HISTOIRE  DE  LA  RÈFORMATION  FRANÇAISE. 


XIV. 

Deux  hommes  éminents,  Lanoue  et  Otliman,  eussent 
certainement  mêlé  leurs  plaintes  à  celles  de  leurs  frères, 
si  la  mort,  en  les  couchant  dans  la  tombe,  ne  leur  eût 
épargné  cette  grande  douleur.  Quand  le  Béarnais  se  dis- 
posait à  abjurer,  ils  avaient  achevé  leur  carrière  orageuse 
au  milieu  des  agitations  de  leur  siècle,  sans  avoir  la  dou- 
ceur de  voir  le  triomphe  de  la  cause  à  laquelle  ils  avaient 
tout  sacrifié.  L'histoire  de  leurs  dernières  années  est 
pleine  de  ce  puissant  intérêt  qui  s'attache  au  souvenir  des 
hommes  qui,  ne  courbant  la  tête  que  devant  Dieu  seul, 
marchent  tristes,  mais  non  découragés,  dans  les  âpres 
sentiers  du  devoir.  , 

Après  sa  brillante  victoire  de  Senlis  sur  les  ligueurs, 
Lanoue  se  distingua  dans  presque  tous  les  combats  que  le 
roi  donna  pour  conquérir  son  royaume.  Malheureusement, 
ses  conseils  qui  respiraient  la  sagesse ,  ne  furent  pas  tou- 
jours écoutés;  lieutenant  soumis,  il  ne  dévia  jamais  de  la 
ligne  droite  et  mérita  par  sa  loyauté  le  titre  du  «  Bayard 
huguenot.  »  Il  se  fit  ainsi  sans  le  rechercher  un  piédestal 
oii  la  postérité  l'a  maintenu.  Dans  la  guerre  de  Flandres 
contre  Philippe  II,  il  se  couvrit  de  gloire  ;  mais  le  sort 
trahit  son  courage ,  et  il  devint  le  prisonnier  de  Farnèse , 
«préférant  être  pris  par  l'ennemi  que  lui  tourner  le 
dos.  y>  Le  duc  de  Parme  voulut  le  faire  décapiter  sous 
le  faux  prétexte  qu'il  avait  violé  la  promesse  qu'il  avait 
faite  en  1572,  au  duc  d'Albe,  de  ne  point  porter  les 
armes  contre  l'Espagne*.  Avant  de  le  faire,  il  en  référa 
à  Philippe  II,  qui  n'y  consentit  pas,  et  le  château  de  Lim- 
bourg  devint  la  prison  du  brave  capitaine  huguenot.  Far- 
nèse se  déshonora ,  en  traitant  avec  une  cruauté  inouïe 
son  prisonnier,  qui  souffrit  du  froid  et  de  la  faim  dans  la 
tour  où  il  était  renfermé  :  brave  sur  un  champ  de  bataille , 
Lanoue  fut  héroïque  dans  les  fers.  Il  ne  se  plaignit  pas  et 
demanda  à  son  Sauveur  de  le  soutenir  dans  ses  rudes 
épreuves;  le  Dieu,  qu'il  avait  servi  avec  tant  de  fidélKé,  lui 
fil  sentir  la  vérité  de  ces  douces  paroles  du  Crucifié  :  «  Venez 
à  moi  vous  tous  qui  êtes  travaillés  et  chargés ,  et  je  vous 

1 .  "jclle  promesse  n'avait  été,  selon  Beutivoglio,  que  pour  un  au. 


LIVRE  xxn. 


37 


soulagerai.»  Abandonné  des  hommes ,  il  connut  d'une 
manière  plus  intime  l'union  avec  Dieu,  union  qui,  em- 
bellissant tout,  fait  d'un  cachot  un  sanctuaire,  et  d'un 
bûcher  une  marche  pour  s'élancer  vers  les  cieux.  Il  nous 
apprend  lui-même  le  secret  de  sa  force  dans  une  lettre 
qu'il  écrivit  à  l'un  de  ses  fils.  «Je  veux  vous  parler,  lui  dit-il, 
de  ma  disposition  :  elle  s'améliore ,  mais  ce  ne  sont  pas  mes 
médecins  qui  en  sont  cause ,  c'est  une  continuelle  et  ar- 
dente prière,  que  je  fais  à  Dieu,  qui  a  eu  pitié  de  moi,  selon 
son  ancienne  miséricorde,  car  j'ai  au  moins  cette  commodité 
que  je  puis  toujours  lire  et  écrire,  ce  qui  sont  mes  conso- 
lations. Ma  principale  étude  est  les  écritures  auxquelles 
j'estime  profiter  de  plus  en  plus;  et  c'est  le  précieux  trésor 
que  j'ai  trouvé,  qui  me  donne  un  contentement  inexpri- 
mable. Toutes  choses  au  prix  ne  sont  que  vanité.  Ma  pa- 
tience croît  et  ma  consolation  attend  l'accomplissement  des 
promesses  de  Dieu ,  qu'il  fait  à  ceux  qui  sont  en  extrême 
aflliction.  —  Je  suis  ici,  dit-il,  en  terminant,  comme  dans 
le  taureau  de  Phalaris  plus  maltraité  qu'un  parricide.  Dieu 
veuille  que  je  pardonne  à  mes  ennemis ,  comme  David  et 
Job  ont  pardonné  aux  leurs.  J'ai  été  éprouvé  jusqu'au  der- 
nier degré,  mais  j'y  ai  appris  beaucoup.  Il  y  a  encore  du 
mal  à  passer  pour  le  corps  dont  nous  sommes  membres, 
mais  le  refuge  est  certain  ,  il  ne  faut  pas  penser  qu'étant 
hors  d'ici,  je  sois  hors  de  toutes  mes  misères,  car  il  faut 

Ïarachever  la  course  en  souffrant,  mais  il  y  a  des  relâches, 
e  puis  dire  avec  David,  encore  que  je  ne  sois  qu'un  ver- 
misseau,-Dieu  m'a  plongé  jusqu'au  fond  des  fosses  noires 
et  terribles,  mais  la  fin  sera  heureuse  ;  Dieu  prépare  un  bel 
œuvre.  Nous  ne  devons  pas  nous  enquérir  de  ce  que  sera, 
mais  le  supplier  de  parfaire  ce  qu'il  a  commencé,  je  ne 
perdrai  rien  en  mon  martyre,  puisque  j'ai  trouvé  le  trésor 
caché.  » 

Ce  fut  pendant  les  heures  de  sa  longue  captivité  (elle 
dura  cinq  ans)  que  Lanoue  écrivit  ses  admirables  Discours 
poUliques  et  miliiaircs  qui  l'ont  placé  parmi  les  meilleurs 
écrivains  du  seizième  siècle.  Juste,  impartial,  modéré,  il 
rend  justice  à  tout  le  monde,  excepté  à  lui-même.  Il  y 
oublie  de  parler  de  ses  propres  exploits.' 


1.  Haag,  France  protestante,  ai'ticle  Lanoue,  12=  partie, page  293. 
£V.  2 


38  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

La  haine  de  Philipjie  IT  pour  le  noble  prisonnier,  était 
celle  d'un  tigre  altère  de  sap  '  ,  qui  ne  laisse  vivre  sa  proie 
N  que  dans  la  crainte  de  fortes  reiirésaiiles;  il  consentit  ce- 
pendant à  un  échange,  sous  la  condition  que  son  prison- 
nier se  laisserait  crever  les  yeux.  Lanoue  y  eût  consenti, 
tant  sa  position  était  lamentable'.  Le  jour  de  la  délivrance 
se  leva  enfin  pour  lui  au  moment  où  il  avait  fait  ses  adieux 
à  la  vie  et  s'était  habitué  à  voir  son  t«mb%iu  dans  sa  pri- 
son :  il  fut  échangé  contre  le  comte  d'Egmont. 

Nous  ne  suivrons  pas  le  brave  gentiliiomme  sur  les 
nouveaux  champs  de  bataille  où  il  fit  preuve  de  sa  bravoure 
accoutumée.  En  1591  nous  le  trouvons  en  Bretagne;  de 
tristes  pressentiments  l'assiégeaient  en  entreprenant  cette 
campagne,  qui  devait  être  sa  dernière.  «Je  vais,  disait-il 
à  ses  amis ,  mourir  à  mon  gîte  comme  le  bon  lièvre.  Du- 
rant le  siège  de  Lamballe,  il  monta  sur  une  échelle  pour 
examiner  l'état  de  la  brèche;  au  moment  où  il  l'observait 
avec  attention ,  il  fut  atteint  légèrement  d'une  balle  à  la 
tète;  il  chancela,  perdit  l'équilibre  et  tomba. 

La  blessure  fut  d'abord  jugée  peu  dangereuse,  mais  lais- 
sons à  un  témoin  oculaire  le  soin  de  nous  raconter  les 
derniers  moments  de  Bras-de-fer.  «Le  IS'jeur  après  midi, 
raconte  Monlmarlin,  il  eut  une  paralysie  sur  la  langue  et 
avait  peine  à  parler,  reposa  quelque  peu  cette  nuit;  le 
lendemain  de  bon  matin,  ledit  sieur  de  Montmartin  l'alla 
trouver,  qui  reconnut  bien  qu  i!  n'y  avait  plus  d'espérance 
en  sa  vie.  Il  commença  à  prier  Dieu  ardemment,  et  avec  les 
yeux  élevés  au  ciel,  sanglots  et  soupirs,  attirait  ha  miséri- 
corde de  Dieu  ;  la  parole  et  la  connaissance  lui  continuèrent 
jusques  un  bon  quart  d'heure  devant  sa  mort,  bien  qu'il  y 
(Sût  peine  à  l'entendre,  et  peu  devant  mourir,  pleura,  et 
avec  le  doigt  proche  du  petit  essuyait  les  larmes  et  du  reste 
de  la  main  les  couvrait.  Alors  lui  commencèrent  les  con- 
vulsions et  les  agonies  de  la  mort  le  prirent,  et  le  dit 
sieur  de  Montmartin  lui  dit  en  lui  tenant  la  main  :  Sou- 
venez-vous, Monsieur,  du  passage  de  Job,  qui  dit:  «Je  sais 
que  mon  rédempteur  vit  et  qu'il  se  tiendra  le  dernier  sur 
la  terre  et  que  mes  os  et  ma  chair  verront  mon  Dieu  en  sa 

1.  Correspondance  de  François  de  Lauoiie,  récemmeut  publiée 
par  M.  Kcrvyu  de  Volkaoï-sbckê ;  Gand  et  Paris,  1S54,  in-8«. 


LIVRE  XXII. 


39 


face.»  et  en  le  pinçant  sur  la  main,  lui  dit:  «Monsieur, 
vos  os  et  votre  chair  le  verront ,  ne  le  croyez-vous  pas  t 
Alors  il  leva  la  main  au  ciel  et  la  tint  longtemps  en  l'air, 
allongeant  le  maître  doigt,  et  nous  regardant  du  même  œil 
qu'il  nous  menait  à  la  guerre,  et  aussitôt  rendit  l'esprit.»* 
Lanoue  avait  accompli  sa  soixantième  année  quand,  de 
ee  monde  de  misère,  il  passa  à  un  monde  meilleur.  Devant 
celte  noble  figure  de  nos  g«erres  civiles,  ses  ennemis  ont 
été  obligés  de  rendre  hommage  à  sa  bravoure  dans  les 
combats,  à  sa  fidélité  en  sa  parole,  à  sa  sagesse  dans  les  con- 
seils, à  sa  constance  dans  les  revers,  à  sa  modestie  dans  les 
victoires,  à  sa  foi  vive  et  humble  en  Celui  qu'il  aimait 
comme  son  Sauveur  et  qu'il  adorait  comme  son  Dieu.  ' 

XVII. 

Quatre  ans  auparavant  le  grand  jurisconsulte  Othman 
terminait  ses  jours  à  Bàle,  après  avoir  été  mêlé  à  tous  les 
grands  événements  de  son  siècle.  Peu  d'hommes  ont  fait  plus 
que  lui  l'expérience  de  ces  mélancoliques  paroles  de  Job  : 
«L'homme  né  de  femme  naît  pour  souffrir  comme  l'étin- 
celle pour  voler  en  haut.  »  Il  eut  à  lutter  contre  des  enne- 
mis puissants,  la  misère  et  les  deuils  domestiques,  mais  rien 
ne  put  abattre  cet  homme  de  fer;  «du  jour,  dit  M.  Sayous, 
oii  son  nom  commença  à  être  prononcé  avec  applaudisse- 
ments jusqu'à  la  fin  de  sa  carrière ,  il  ne  cessa  d'être  ac- 
cablé d'autant  de  misère  que  de  renommée.  Il  supporta 
l'acharnement  de  la  mauvaise  fortune  sans  que  sa  foi  et  sa 
confiance  en  Dieu  en  fussent  un  instant  affaiblies.  »  * 

Caractère  ardent,  nature  impressionnable,  il  ne  sut  pas 
toujours  éviter  les  écarts  de  la  pensée,  ces  écueils  où  som- 
brent quelquefois  les  grands  esprits;  le  célèbre  auteur  de 
la  Gaule  franque  croyait  à  l'alchimie,  et  cherchait  dans  les 
creusets  de  son  laboratoire  la  pierre  philosophale ,  afin  de 
n'être  plus  aux  prises  avec  la  misère  ;  le  malheur  rend 
crédule,  et  quelquefois,  hélas,  il  fait  perdre  aux  natures 
les  plus  indépendantes  cette  noblesse  de  caractère  qui  est 

1.  Haag,  France  protestante,  12«  partie,  page  295. 

2.  Amyrault.  Vie  de  Lanoue. 

3.  Sayous,  Études  littéraires  sur  les  écrivains  de  la  Réforme, 
article  OQunau. 


40 


UISTOIRE  DE  LA  RIÎFOnMATION  FRANÇAISE. 


Je  plus  noble  îleurori  de  leur  couronne.  Othman,  harcelé 
par  ia  pauvreté,  mendiait  des  gratifications  et  recevait  un 
salaire  pour  ses  épîires  dédicatoires  ;  à  part  cette  tache 
dans  sa  vie,  et  qui  oserait  lui  lancer  la  pierre,  il  est  l'une 
des  grandes  et  belles  figures  de  la  Réforme.  Jusqu'à  son 
dernier  soupir  il  demeura  fidèle  à  la  cause  à  laquelle  il 
sacrifia  le  plus  brillant  avenir;  tous  ceux  qui  ont  parlé  de 
lui  sont  unanimes  à  lui  décerner  une  grande  place  parmi 
ses  contemporains.  Bériat  Saint-Prix  le  met  à  côté  du  célèbre 
Cujas,  l'homme  qui  tira  le  droit  de  la  barbarie,  et  poussa 
un  cri  de  liberté  quand  la  France  était  dans  les  chaînes,  a 
un  droit  incontestable  à  notre  admiration  et  à  notre  respect. 
Dieu  lui  épargna  une  gi"ande  amertume  en  le  retirant  à  lui 
avant  que  le  roi  de  Navarre  eOt  abandonné  ses  frères;  s'il 
eût  vécu ,  la  littérature  protestante  aurait  quelques  belles 
pages  de  plus;  en  présence  de  cette  grande  apostasie,  Oth- 
man n'eût  pas  gardé  le  silence;  son  âme,  saisie  de  tristesse 
et  d'indignation,  eût  trouvé  des  accents  dignes  de  lui  et 
de  la  cause  dont  il  fut  l'un  des  plus  nobles  représentants. 

XVIII. 

Les  plaintes  des  protestants  troublaient  cependant  le 
roi  ;  il  savait  tout  ce  qu'il  y  avait  de  volonté  indomptable 
chez  ces  hommes  qui  depuis  si  longtemps,  ne  combattaient 
que  pour  la  défense  de  leur  foi.  Ne  pouvaient-ils  pas  se 
choisir  un  autre  chef,  quand  celui  qui  les  avait  conduits  à 
tant  de  batailles,  les  abandonnait.  Pour  conjurer  une 
crainte  qui  pouvait  devenir  une  réalité,  il  leur  fit  déclarer 
ar  les  seigneurs  catholiques  «que  rien  de  ce  qui  se  déli- 
érait  dans  ses  conférences  de  Suresnes  ne  serait  fait  au 
préjudice  de  la  bonne  union  et  amitié  qui  est  entre  les 
dits  catholiques  qui  reconnaissent  Sa  Majesté  et  ceux  de  la 
dite  religion.  »  " 

Le  sort  en  était  jeté.  Henri  IV  était  décidé.  Il  ne  voulut 
pas  cependant  abjurer  sans  donner  au  moins  à  sa  conver- 
sion les  apparences  de  la  sincérité.  Il  convoqua  à  cet  effet 
V.  Ëciint-Denis  des  théologiens  catholiques  pour  faire  son 

1.  ï".ipeiigue,  t.  VI,  p.  319.  —  Foutauieu,  l'orlefeuilles,  auuée 


LIVRE  xxn. 


41 


instruction.  Monseigneur  de  Bourges  présidait  la  séance: 
Je  néophyte  n'était  pas  disposé  à  faire  une  opposition  sys- 
tématique, mais  il  ne  pouvait  décemment  se  déclarer  con- 
vaincu sans  faire  quelque  résistance.  Or,  dans  ce  moment, 
le  Henri  IV,  gausseur  et  gascon,  que  nous  connaissons,  fut 
lui  tout  entier,  il  prit  un  malin  plaisir  à  riposter  en  hu- 
guenot à  ses  convertisseurs  officiels,  plus  embarrassés 
qu'émerveillés  de  sa  science.  «  Il  appliquait  si  bien,  dit 
l'Estoile,  les  passages  de  la  Sainte-Écriture,  qu'ils  y  de- 
meuraient étonnés  à  empêcher  de  donner  solution  valable 
a  ses  questions,  tant  qu'un  des  principaux  d'entre  eux  dit 
le  lendemain  à  quelqu'un,  qu'il  n'avait  jamais  vu  hérétique 
mieux  instruit  en  son  erreur,  ni  qui  la  défendit  mieux  et 
y  rendît  meilleures  raisons.  ■»  ' 

Le  Béarnais  se  rappela  ce  jour-là  les  leçons  de  sa  pieuse 
mère. 

On  passa  tout  en  revue  :  quand  on  arriva  aux  prières 
pour  les  morts,  ((laissons  le  Requiem,  Messieurs,  dit  le 
roi  aux  docteurs ,  je  ne  suis  pas  encore  mort ,  et  n'ai  pas 
envie  de  mourir.  > 

On  n'insista  pas. 

Le  dogme  du  purgatoire  est  l'un  de  ceux  qui  exigent 
une  foi  aveugle.  Il  fut  cependant  proposé  à  celle  du  Béar- 
nais. 

Quant  à  celui-là ,  leur  répondit-il ,  je  le  croirai ,  non 
comme  article  de  foi,  mais  comme  croyance  de  l'Église 
de  laquelle  je  suis  fils.  Il  ajouta  «  et  aussi  pour  vous  faire 
plaisir,  sachant  que  c'est  le  pain  des  prêtres.» 

Le  trait  était  mordant...  Les  catéchistes  firent  semblant 
de  ne  pas  comprendre. 

La  discussion  sur  l'adoration  du  sacrement  fut  plus 
longue.  Le  candidat  trouvait  chose  rude  à  croire  que  le 
pain  et  le  vin  de  la  Sainte-Cène  fussent  changés  au  corps 
et  au  sang  de  .lésus-Christ;  cependant  comme  il  ne  pou- 
vait devenir  bon  catholique  sans  croire  à  la  transsubstan- 
tiation, il  leur  dit  :  «Vous  ne  me  contentez  pas  bien  sur  ce 
point  et  ne  me  satisfaites  pas  comme  je  désirerais.  Voici,  je 
mets  aujourd'hui  mon  5me  entre  vos  mains,  je  vous  prie, 
prenez  y  garde;  car  là  où  vous  rae  faites  entrer,  je  n'en 

1.  L'Estoile,  auuée  1593. 


42  HISTOIRE  DE  LA  RÈFORMATION  FRANÇAISE. 

sortirai  que  par  la  mort,  et  de  cela  je  le  vous  jure  et  pro- 
teste'.» Or,  comme  il  pleurait  à  volonté,  quelques  larmes 
jaillirent  de  ses  yeuX. 

Ses  catéchistes  crurent  à  sa  sincérité  :  un  roi  qui  pleure 
ne  peut  être  qu'un  roi  sincère  ;  cependant,  quand  on  vou- 
lut lui  faire  signer  une  confession  de  foi  dans  laquelle  on 
lui  faisait  admettre  toutes  les  traditions  romaines,  il 
refusa. 

Le  lendemain,  il  manda  le  premier  président  de  Paris 
et  celui  de  Rouen.  «Messieurs,  leur  dit-il ,  je  vous  ai  fait 
venir  pour  vous  dire  que  j'ai  fait  tout  ce  qui  est  possible 
pour  contenter  les  prêtres  par  le  fait  de  ma  conversion  et 
mon  retour  à  la  foi  catholique.  Mais  je  ne  veux  pas  qu'on 
m'astreigne  à  des  serments  étranges  et  à  croire  des  badi- 
neries  que  le  plus  fou  d'entre  eux  ne  croirait  pas;  et  vous, 
Messieurs,  ajouta  le  roi  en  se  tournant  vers  eux:  «Croyez- 
vous  qu'il  y  ait  un  purgatoire?» 

Les  deux  magistrats  essayèrent  d'esquiver  la  question. 
Voyant  leur  embarras,  le  roi  ajouta  :  «Dites  leur,  Mes- 
sieurs, que  je  veux  qu'ils  se  contentent  hardiment,  que 
j'en  ai  assez  fait  et  que  s'ils  passent  outre,  il  y  pourra 
advenir  pis.» 

L'archevêque  de  Bourges  eut  peur  de  tout  perdre  en 
voulant  tout  gagner.  Sur  ses  conseils,  on  modifia  la  con- 
fession de  foi ,  qu'on  rendit  le  plus  raisonnable  possible , 
afin  que  le  roi  pût  y  apposer  sa  signature. 

L'instruction  du  catliécumène  était  faite:  elle  ne  fut  pas 
longue,  elle  dura  cinq  heures,  pendant  lesquelles  le  néo- 
phyte n'eut  pas  faute  de  science,  mais  de  conscience.' 

XIX. 

Le  25  juillet,  sur  les  huit  heures  du  matin,  un  brillant 
cortège  de  gentilhommes  et  de  grands  dignitaires  réunis 
à  Saint-Denis,  attendait  le  roi  à  la  porte  de  son  logis. 
Quand  il  parut,  il  fut  salué  par  d'immenses  et  joyeuses 

1.  L'Estoile,  année  1593. 

2.  Bulletin  de  l'histoire  du  protestantisme  français,  1. 1",  p.  285. 
Voyez  aussi  l'Estoile,  année  1593.  —  Sully,  Économies  royales. 
—  V.  Palma-Cayet,  Mémoires  de  la  ligue,  t.  VI. 


LIVRE  xxn. 


43 


acclamations  ;  il  s'était  paré  de  ses  plus  beaux  habits.  Le 
yieux  pourpoint  de  Henri  III  avait  disparu,  et  avait  fait 
place  à  un  vêtement  de  Fa  plus  grande  élégance.  On  n'eût 
pas  dit  un  péchear  repentant,  qui  va  pleurer  aux  pieds  des 
autels  ses  fautes  passées,  et  reconnaître,  en  se  frappant  la 
poitrine,  le  mauvais  exemple  donné  par  son  apostasie; 
—  on  eût  dit  un  prince  qui  allait  promettre  à  sa  jeune  et 
belle  fiancée...  amour  et  fidélité.  «  Sa  M;ijesté,  disent  les  ré- 
cits de  l'époque,  éta^f  revêtue  d'un  pourpoint  et  chausses 
de  satin  blanc,  bas  à  attaches  de  soie  blanche  et  souliers 
blancs,  d'un  manteau  et  chapeau  noir.»  Les  rues  par  les- 
quelles il  passa,  pour  se  rendre  à  l'église  abbatiale,  étaient 
ornées  de  fleurs  et  de  tapisseries  ;  le  cri  de  :  Vive  le  roi  î  re- 
tentissait sur  son  passage.  Chacun  sentait  que  la  fin  de  la 
guerre  était  dans  cet  acte,  dans  lequel  les  seigneurs  roya- 
listes voyaient  un  acte  de  haute  et  habile  politique ,  et  les 
masses  l'effet  de  la  puissance  du  Saint-Esprit,  qui  prenant 
en  pitié  les  malheurs  du  royaume ,  ouvrait  enfin  les  yeux 
du  descendant  de  Saint-Louis,  sur  ses  erreurs  :  ceux  des 
huguenots ,  qui  plaçaient  les  trésors  du  ciel  bien  au-dessus 
de  ceux  de  la  terre,  ne  parurent  pas  dans  la  foule;  ils  ca- 
chèrent les  uns  leur  colère,  les  autres  leurs  larmes.  Ils 
purent  croire  un  moment  que  Dieu  les  abandonnait,  puisque 
le  chef  qu'ils  avaient  servi  pendant  si  longtemps  avec  tant 
de  fidélité,  passait  sans  home,  uniquement  par  ambition, 
dans  le  parti  de  leurs  inmiacabies  adversaires.  Avec  le 
Béarnais ,  ils  avaient  eu  aes  jours  Dien  durs  et  bien  mau- 
vais, mais  ils  ne  s'étaieni  jamais  piaint;  et,  au  moment  oÉr 
ils  croyaient  au  triomphe  de  leur  cause,  leur  chef,  par 
son  abjuration,  leur  faisait  perdre  les  fruits  de  vingt  ans  de 
combats;  quelle  amertume!  Mais,  n'était- elle  pas  méri- 
tée? La  réforme,  dont  le  but  était  d'opérer  une  rénova- 
tion religieuse,  était  devenue  un  parti  politique;  du  sommet 
de  ses  glorieux  bûchers ,  d"où  elle  avait  gagné  tant  de  vic- 
toires, elle  était  descendue  sur  des  champs  de  bataille, 
où  elle  avait  subi  tant  de  défaites.  Tant  qu'elle  fut  pauvre, 
méprisée,  et  qu'elle  n'eut  pour  chefs  que  des  martyrs |el 
des  inconnus,  elle  marcha  de  triomphe  en  triomphe;  mais 
quand  ses  chefs  furent  des  capitaines ,  que  l'épée  de  fer 
eut  remplacé  l'épée  de  l'esprit ,  et  qu'au  lieu  de  verser 
son  sang,  elle  s'attacha  à  verser  celui  de  ses  persécuteurs; 


44  HISTOinE  DE  LA.  KEroRMATION  FRANÇAISE. 

elle  s'affiiiblit.  Les  Bourbons  lui  firent  plus  de  mal  que  les 
Valois;  ces  derniers,  avec  leur  armée  de  prêtres  et  d'in- 
quisiteurs, la  trouvèrent  toujours  debout;  les  premiers, 
avec  leur  épée,  la  compromirent  et  l'épuisèrent  :  le  Béar- 
nais la  frappa  bien  près  du  cœur.  Les  sociétés  religieuses 
ne  sont  jamais  impunément  infidèles  aux  lois  destinées  à 
'es  régir.  C'est  pour  ne  pas  l'avoir  compris  et  s'être  ap- 

fiuyés  sur  les  bras  de  la  chair,  que  les  huguenots  virent 
eur  chef  déserter  leurs  rangs  et  tendre  la  main  à  leurs 
oppresseurs.  Dieu,  en  les  humiliant,  futsévère,  mais  juste. 
Il  les  frappa  à  l'endroit  sensible ,  ce  qu'ils  croyaient  une 
colonne,  sur  laquelle  ils  s'appuyaient  avec  orgueil,  se 
changea  tout  à  coup  en  un  roseau  fragile;  il  leur  montra 
que  c'est  de  lui,  et  non  des  puissants  de  la  terre,  que  le 
chrétien  doit  attendre  sa  délivrance.  Revenons  au  Béarnais. 

Que  se  passait-il  en  lui  dans  ce  moment  décisif?  L'his- 
toire ne  nous  le  dit  pas;  ne  pouvons-nous  pas  cepen- 
dant, sans  nous  écarter  des  limites  de  la  vérité,  dire  que 
l'homme  qui  allait  déclarer  à  la  face  du  monde,  qu'il  te- 
nait pour  fausse  la  foi  de  sa  noble  et  pieuse  mère ,  devait 
être  un  peu  embarrassé  du  rôle  qu'il  jouait,  et  que  le  sou- 
venir de  ces  fidèles  huguenots  dut  lui  donner  intérieu- 
rement cet  embarras ,  que  nous  appelons  vulgairement 
mauvaise  honte,  et  qui  est  l'indice  certain  qu'on  va  com- 
mettre une  mauvaise  action  ;  peut-être  le  surmonta-t-il 
et  couvrit-il  de  la  raison  d'Etat  un  acte  qui  pénétrait  de 
douleur  ses  braves  gentilshommes  huguenots,  si  mal  ré- 
compensés de  leur  fidélité;  peut-être  aussi,  sa  nature  vive 
et  impressionnable  lui  représenta-t-elle  son  abandon  de 
la  foi  protestante,  comme  un  acte  d'héroïsme,  dont  Dieu 
devait  lui  tenir  compte?  Quoi  qu'il  en  soit,  il  avait  pris  ses 
plus  beaux  habits;  il  ne  voulait  pas  qu'on  le  crût  un  pauvre 
diable,  ni  qu'on  le  crût  triste.  Il  avait  pris  avec  lui-même 
ses  précautions,  pour  qu'on  ne  l'accusât  ni  d'hypocrisie,  ni 
d'entraînements;  mais  certainement,  le  coup  dont  il  allait 
frapper  la  ligue,  le  préoccupait  plus  que  le  soin  de  son 
salut,  auquel  il  pensait  peu. 

Quand  il  arriva  au  grand  portail  de  l'église  de  Saint- 
Denis,  il  trouva  Monseigneur  de  Bourges  en  grand  cos- 
tume, qui  l'attendait  avec  une  foule  de  prélats,  revêtus 
des  plus  beaux  insignes  de  leur  dignité.  L'archevêque 


LIVRE  XXII. 


45 


était  assis  sur  une  chaise  couverte  de  damas  blanc,  au 
dossier  de  laquelle  étaient  les  armes  de  France  et  do 
Kavarre. 

«Qui  êtes-vous?  dit-il  au  royal  néophyte.  —  Le  roi.  — 
Que  demandez-vous?  —  D'être  reçu  au  giron  de  l'Église 
catholique,  apostolique  et  romaine.  —  Le  voulez-vous?  — 
Oui,  je  le  veux  et  le  désire.»  —  Après  avoir  prononcé 
ces  mots ,  le  roi  se  mit  à  genoux ,  et  dit  : 

«Je  proteste  et  jure,  devant  la  face  du  Dieu  tout-puis- 
sant, de  vivre  et  mourir  dans  la  religion  catholique, 
apostolique  et  romaine,  de  la  protéger  et  défendre  envers 
tous,  au  péril  de  mon  sang  et  de  ma  vie,  renonçant  à 
toutes  hérésies  contraires  aux  enseignements  de  ladite  Église 
catholique,  apostolique  et  romaine.»  —  Il  remit  ensuite  à 
l'archevêque  un  papier,  qui  contenait  sa  profession  de  foi, 
signée  de  sa  main;  puis,  il  baisa  dévotement  l'anneau 
épiscopal  du  prélat  officiant,  qui  lui  donna  l'absolution  et 
la  bénédiction,  et  le  releva;  puis,  le  cortège  se  mit  en 
marche,  et  le  conduisit  processionnellement  au  chœur  de 
l'église;  et  là,  au  milieu  du  vivat  d'une  foule  enthousiaste, 
il  réitéra  à  genoux  devant  le  grand  autel,  et  les  mains  po- 
sées sur  les  saints  évangiles,  son  serment  de  vivre  et 
de  mourir  dans  la  rehgion  romaine  :  après,  il  baisa  dévote- 
ment l'autel,  sur  le  derrière  duquel  il  fut  conduit  par  le 
cardinal  de  Bourbon.  Monseigneur  de  Bourges  reçut  sa 
confession ,  pendant  que  les  assistants  chantaient  le  Te 
Deim,  et  d'une  telle  harmonie,  que  les  grands  et  les  petits 
pleuraient  de  joie. 

Après  sa  confession ,  qui  ne  fut  pas  longue ,  le  roi  fut 
conduit  sous  un  dais  d'or  et  de  soie  :  la  messe  commença. 
Il  l'écouta  avec  une  grande  apparence  de  componction,  qui 
émerveilla  et  toucha  les  assistants.  Au  moment  de  l'éléva- 
tion de  l'hostie,  il  se  prosterna  par  terre,  les  mains  join- 
tes, en  frappant  sa  poitrine:  après  le  chant  de  VAgnu» 
Dei,  les  vivats  recommencèrent,  et  des  poignées  de  mon- 
naies furent  jetées  dans  l'église  au  peuple ,  qui  répondit  à 
cette  largesse  par  de  grands  applaudissements.  La  céré- 
monie était  terminée;  le  roi,  accompagné  de  cinq  'a  six 
cents  gentilshommes,  fut  reconduit  à  son  hôtel,  au  son  des 
tambours  et  des  clairons ,  et  au  bruit  de  l'artillerie.  Les 
principaux  seigneurs  et  prélats  dînèrent  ensemble  ;  avant 


46  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

le  dîiier,  on  récila  le  Benedicite;  après,  on  chanta  les  Grdce$ 
en  musique;  la  journée  était  terminée. 

Quelques  heures  avant  la  cérémonie,  Henri  FV  écrivait 
à  Gabrielle  d'Estrées  :  «J'arrivai  hier  soir,  et  fus  iiïH 
portuné  de  Dieu  jusqu'à  mon  coucher;  nous  croyons  la 
trêve,  et  qu'elle  doit  se  conclure  aujourd'hui;  pour  moi, 
je  suis  à  l'endroit  des  ligueurs  de  l'ordre  de  Saint-Thomas: 
je  commence  à  parler  ce  matin  aux  évêques,  outre  ceux 
que  je  vous  mandais  hier.  Pour  escorte,  je  vous  envoie 
soixante  arquebusiers,  qui  valent  bien  des  cuirasses.  L'es- 
pérance que  j'ai  de  vous  voir  demain,  relient  ma  main  de 
vous  faire  un  plus  long  discours  :  ce  sera  demain  «  que  je 
ferai  le  saut  périlleux.»  A  l'heure  que  je  vous  écris,  j'ai 
cent  importuns  sur  les  épaules,  qui  me  feront  liaïr  Saint- 
Denis,  comme  vous  faites  Mantes.  Bonjour,  mon  cœur; 
venez  demain  de  bonne  heure,  car  il  me  semble  qu'il  y  a 
déjà  un  an  que  je  ne  vous  ai  vue.  Je  baise  un  million  de 
fois  les  belles  mains  de  mon  ange.  »  • 

Voilà,  peint  par  lui-même,  l'homme  qui,  dans  la  basi- 
lique de  Saint-Denis,  se  frappait  la  poitrine  comme  ua 
péager,  et  faisait  publiquement  devant  tout  son  peuple,  la 
confession  de  la  nouvelle  foi  qu'il  allait  embrasser. 

Parmi  les  assistants  à  la  cérémonie ,  il  y  avait  un  évêque, 
homme  droit,  qui,  témoin  de  la  sacrilège  comédie,  dit, 
immédiatement  après  que  le  roi  eut  juré  sa  nouvelle  con- 
fession de  foi  : 

«  Je  suis  catholique  de  vie  et  de  profession  ,  et  très- 
fidèle  sujet  et  serviteur  du  roi  ;  vivrai  et  mourrai  tel;  mais, 
j'eusse  trouvé  aussi  bon  et  meilleur,  que  le  roi  fût  de- 
meuré dans  sa  religion,  qUe  la  changer  comme  il  fait;  car, 
en  matière  de  conscience  :  il  y  a  un  Dieu  là-haut  qui  nous 
juge,  le  respect  duquel  seul  doit  forcer  la  conscience  des 
rois,  non  le  respect  des  royaumes  à  couronnes,  et  la  force 
des  hommes.  Je  n'en  attends  que  malheur!»' 

Un  membre  du  grand  Conseil,  très-zélé  catholique, 
prononça,  à  propos  de  l'abjuration,  ces  paroles  prophéti- 
ques :  «  Le  roi  est  perdu  ;  il  est  tuable  à  celte  heure  :  au- 
paravant, il  ne  l'était  pas  »!  ' 

1.  Mémoires  de  L'Estoile,  23  juillet  1593. 

2.  L'Estoile,  année  1593. 
S.  Ibidem, 


UVRE  XXII. 


47 


XX. 

L'abjuration  était  consommée;  le  Béarnais,  converti  au 
eatholicisme,  en  1572,  à  la  vue  des  cadavres  de  ses  frères 
assassinés,  s'était  de  nouveau  converti  à  la  vue  de  la  cou- 
ronne de  Henri  III.  Cet  acte  a  été  diversement  jugé;  les 
uns  l'ont  loué  comme  un  acte  de  haute  et  habile  politique, 
nécessité  par  les  circonstances;  les  autres  l'ont  flétri  avec 
une  grande  amertume  ;  la  question  n'a  pas  encore  été  ré- 
solue, quoique  tout  le  monde  soit  à  peu  près  d'jiccord  que 
l'abjuration  révéla ,  dans  le  nouveau  converti ,  un  poli- 
tique consommé.  Dans  cette  presque-unanimité  de  senti- 
ments ,  la  question  se  trouve  en  partie  éclaircie;  car  ce  qui 
est  mauvais  en  soi,  ne  peut  être  légitimé  par  ses  consé- 
quences. La  facilité  avec  laquelle  les  hommes  font  bon 
marché  des  principes,  aveugle  leur  entendement  et  leur 
fait,  tour  à  tour,  prendre  le  bien  pour  le  mal,  et  le  mal 
pour  le  bien.  Il  est  cependant  bien  difficile ,  en  présence 
des  résultats  de  l'abjuration,  qui  donnent  de  suite  à  la 
France  paix  au  dedans,  grandeur  au  dehors,  de  n'être  pas 
un  peu  ébloui  ;  mais  la  sagesse  ne  nous  conseille-t-elle  pas 
aussi  de  ne  pas  céder  à  l'engouement  du  moment,  et  d'at- 
tendre la  fin  des  choses ,  aim  de  porter  sur  elle  un  juge- 
ment réfléchi?  C'est  ce  que  nous  voulons  faire,  en  jugeant 
l'acte  d'abjuration  en  lui-même  et  dans  ses  résultats. 

Quant  à  l'acte,  en  lui-même,  il  est  jugé;  la  cérémo- 
nie du  25  juillet  fut  une  sacrilège  comédie,  ce  qui  pré- 
céda, en  fut  le  digne  prologue,  et  ce  qui  suivit  en  fut  le 
dénouement.  Le  Béarnais  n'apporta  aucune  sincérité  dans 
son  abjuration,  il  se  fit  catholique  par  intérêt;  il  échangea 
Paris  contre  une  messe  ;  et  pour  cette  messe  il  fit  le  saut 
périlleux,  comme  il  l'écrivait  à  sa  belle  et  ambitieuse 
maîtresse.  Sa  conversion  fut  donc  un  acte  mauvais  en  soi , 
parce  qu'il  manqua  de  ce  qui  seul  pouvait  le  rendre  hono- 
rable :  la  droiture  et  la  sincérité.  Le  roi  donc  se  joua  des 
catholiques,  qui  ne  s'y  trompèrent  pas,  mais  qui  acceptè- 
rent les  bénéfices  de  la  conversion.  Il  se  joua  aussi  de 
Dieu,  à  l'égard  duquel  il  commit  un  parjure.  Le  jour  où  le 
fils  de  la  pieuse  Jeanne  d'Albret  résolut  de  passer  au  catholi- 
cisme, son  jugement  fut  troublé;  il  ne  vit  devant  lui  qu'une 


48  HISTOIRE  DE  LA.  RÉPORMATION  FRANÇAISE. 

couronne,  plus  facile  à  ramasser  sur  les  marches  d'un  autel 
que  sur  un  champ  de  bataille;  et  il  ne  comprit  pas  que  sa 
position  était  loin  d'être  désespérée.  Roi  chrétien,  il  eût 
pu  dans  une  foi  sincère  puiser  tant  de  forces!  Une  partie 
de  la  France  le  reconnaissait;  les  ligueurs  et  les  royalistes 
étaient  divisés:  Philippe  II,  pauvre  d'hommes  et  d'argent, 
était  haï  des  seigneurs  royalistes.  La  nomination  d'un  prince 
étranger,  ou  de  l'infante  avec  un  Lorrain,  eût  excité  de 
grandes  jalousies,  au  milieu  même  de  la  noblesse  ligueuse; 
les  Etats  protestants  étaient  prêts  à  venir  en  aide  au  Béar- 
nais; la  République  de  Venise  lui  prêtait  son  appui;  les 
Vaudois  des  vallées  du  Piémont  ne  lui  demandaient  que 
le  bonheur  de  mourir  à  son  service;  le  Sult«n  lui  promet- 
tait sa  flotte:  ses  braves  huguenots  enhn,  avaient-ils  jamais 
été  avares  de  leurs  sueurs,  de  leurs  biens  et  de  leur  sang; 
que  d'éléments  de  succès!  Tout  cela  lui  échappa...  Son 
cœur,  amolli  par  les  plaisirs  à  la  cour  de  Catherine.,  ne 
pouvait  comprendre  ces  belles  paroles  de  David:  «L'Eter- 
nel est  ma  lumière  et  ma  délivrance,  de  qui  aurais-je 
peur?  l'Éternel  est  la  force  de  ma  vie,  de  qui  aurais-je 
frayeur?»  Pour  s'appuyer  sur  Dieu,  il  faut  ce  que  n'avait 
pas  Henri  IV;  un  cœur  honnête  et  droit...  Homme  charnel, 
il  agit  selon  la  chair;  il  préféra  la  couronne  des  Valois  à 
celle  du  ciel;  il  fut  logique;  l'arbre  ne  tombe  que  du  côté 
où  il  penche. 

Ceux  qui  ont  approuvé  l'abjuration ,  ne  l'ont  fait  que 
parce  que  les  résultats  immédiats  leur  en  ont  paru  bons. 
Quant  à  nous ,  nous  croyons  que  les  résultats ,  en  défini- 
tive, n'ont  été  que  ce  qu'a  été  l'acte  lui-même,  c'est-î»-dire, 
mauvais;  parce  que,  du  mal  le  bien  ne  peut  pas  plus  éma- 
ner que  d'une  fontaine  d'eau  amère  jaillir  une  eau  douce. 

Nous  ne  sommes  donc  pas  plus  éblouis  de  l'état  floris- 
sant de  la  France,  après  l'abjuration,  que  nous  le  sommes 
de  celui  d'un  malade  sortant  des  mains  d'un  empirique. 
Merveille!  merveille!  s'écrie  le  vulgaire  ignorant,  mer- 
veille !  la  plaie  que  nul  n'avait  pu  guérir  a  disparu.  Erreur! 
la  plaie  est  rentrée;  et  cependant,  pendant  de  longs  jours, 
la  France  paraît  si  bien  guérie!  les  forces  lui  reviennent 
comme  aux  vieux  aigles.  Richelieu  poursuit  l'œuvre  de 
Henri  IV,  il  abaisse  la  maison  d'Autriche,  et  préparc  les 
voies  à  Louis  "SW  qui  impose  son  nom  à  son  siècle;  et 


LIVRE  XXII. 


49 


force  le  nioncît;  à  lui  donner  le  nom  de  grand.  Sous 
son  règne,  la  France  se  couvre  de  monuments  et  de 
i;rands  hommes!  Les  sciences,  les  arts,  les  lettres  ont 
d'admirables  représentants...  Le  théâtre  a  Racine  et  Mo- 
lière; la  chaire  Bourdaloue,  Bossuet,  Massillon;  la  guerre, 
Turenne,  Vauban,  Luxembourg,  Louvois,  Duquesne.  Que 
de  grandeurs  réunies  autour  d'un  seul  homme!  Et  comme 
on  comprend  que  dans  son  enivrement,  cet  homme  se  soit 
cru  un  demi-dieu ,  et  ait  fait  peindre  et  graver  sur  ses  ar- 
moiries ,  son  nec  phiribiis  impar.  ' 

La  médaille  est  belle;  mais  nous  n'avons  pas  encore  vu 
son  revers. 

L'abjuration  apprit  à  la  France  à  se  jouer  de  ce  qu'il 
y  a  de  plus  sacré  dans  le  domaine  de  la  conscience, 
et  fit  de  Henri  IV  le  premier  pervertisseur  de  son 
royaume.  Après  lui,  beaucoup  de  gentilshommes  di- 
rent :  une  place  à  la  cour  vaut  bien  une  messe  ;  on 
déserta  le  prêche  pour  l'Église,  et  Rome  eut  quelques 
mauvais  catholiques  de  plus.  Le  libre  examen  en  religion, 
qui  a  pour  conséquence  immédiate  le  libre  examen  en  po- 
litique ,  s'affaiblit  avec  l'affaiblissement  de  la  réforme.  Les 
caractères  se  détrempant  au  contact  d'un  monarque  rail- 
leur, parjure,  vicieux,  on  fit  bon  marché  des  libertés  pu- 
bliques, et  dans  l'espace  de  deux  siècles,  la  nation  ne  fit 
entendre  que  deux  fois  sa  voix,  en  1614  et  en  1789.  Elle 
abdiqua  entre  les  mains  de  ses  rois,  et  se  priva  de  ce  qui 
fait  la  vraie  grandeur  d'un  peuple,  du  droit  de  se  gouver- 
ner lui-même  par  ses  représentants;  l'abdication  fut  telle, 
qu'un  jour  le  petit-fils  de  Henri  IV  put  dire,  en  entrant 
dans  le  parlement  de  Paris,  botté,  éperonné,  une  crava- 
che à  la  main  :  «L'Etat,  c'est  moi  !  »  Et  pas  une  seule  voix 
n'osa  s'élever  contre  cette  monstrueuse  prétention  qui  im- 
posait aux  descendants  des  vieux  Francs,  un  gouvernement 
à  la  turque,  sous  le  fouet  d'un  jeune  despote  de  vingt  ans. 
Ce  jeune  homme  fit,  il  est  vrai,  de  grandes  choses;  mais  il 
prit  à  la  France  son  dernier  homme  et  son  dernier  écu;  il 
lui  prit  quelque  chose  de  plus  précieux  que  son  or  et  son 
sang  :  il  lui  enleva  sa  dignité ,  et  corrompit  ses  mœurs  par 
les  mauvais  exemples  qu'il  lui  donna.  Après  une  vie  de 

1.  Nul  ne  le  surpasse. 


50  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

scandales  et  de  brillantes  débauches,  Louis  XIV  se  crut  re- 
ligieux, et  ne  fut  qu'un  dévot  à  idées  étroites  et  au  cœur 
sans  entrailles;  il  révoqua  l'édit  de  Nantes,  qu'il  avait  juré 
d'observer  le  jour  de  son  sacre ,  et  crut  trouver  dans  ses 
dragons  convertisseurs  le  pardon  de  ses  nombreux  péchés. 
Dans  son  aveuglement ,  il  ne  s'aperçut  pas  qu'il  souillait 
son  règne  d'une  tache  indélébile,  et  qu'en  faisant  prendre 
aux  prolestants  le  chemin  de  l'exil,  il  privait  son  royaume  de 
leurs  vertus  et  de  leur  industrie,  et  l'apauvrissait  pour  de 
longues  années;  son  soleil,  à  son  couchant,  fut  aussi  som- 
bre qu'il  avait  été  brillant  et  radieux  à  son  matin.  Quand  il 
mourut,  nul  ne  le  pleura,  nul  ne  le  regretta:  il  laissa  son 
royaume  dans  un  état  complet  d'épuisement,  et  la  reli- 
gion catholique,  pour  le  triomphe  de  laquelle  il  avait  fait 
tant  de  sacrifices  et  rendu  tant  d'arrêts  iniques,  s'en  allait 
en  lambeaux;  en  voulant  la  sauver,  il  la  compromit,  et  lui 
porta  un  coup  dont  elle  ne  s'est  plus  relevée.  Montaigne 
avait  appris  à  la  France  à  douter  ;  Louis  XIV  la  prépara  à 
ne  croire  à  rien. 

Le  régent,  qui  vit  de  près  le  vieux  roi,  ne  se  sentit  que 
mépris  pour  une  religion  dont  son  oncle  lui  paraissait  la 
plus  parfaite  personnification  ;  il  la  rejeta  comme  quelque 
chose  d'odieux  et  d'incommode,  et  brisant  tout  frein,  il 
conduisit  la  France  au  dévergondage  et  à  la  banqueroute; 
à  la  bigotterie,  succéda  l'impiété;  Voltaire  parut,  il  frappa 
à  coups  redoublés  sur  le  catholicisme,  qu'il  eut  le  malheur 
de  confondre  avec  la  religion  du  crucifié;  il  immola  le 
clergé  à  son  impitoyable  raillerie,  lui  reprocha  ses  mo- 
meries  et  ses  cruautés,  et  fit  tomber,  de  ses  mains,  les 
instruments  de  supplice,  avec  lesquels  il  avait  vaincu  la 
réforme  ;  et  tout  cela  se  passait  pendant  que  quelques 
àbbés  battaient  des  mains  à  chacune  des  hardiesses  du  phi- 
losophe, et  que  l'ignoble  Louis  XV  dînait  avec  Richelieu, 
soupait  avec  la  du  Barry,  et  disait  avec  insouciance:  «Cela 
durera  autant  que  moi»;  puis  vint  Louis  XVI,  le  bouc 
émissaire  de  sa  race;  la  Convention  le- décapita,  lui,  sa 
femme,  sa  sœur,  ses  plus  fidèles  serviteurs;  délivrée  de 
ses  rois ,  la  Nation  fut  comme  une  lave  qui  sort  d'un  cra- 
tère enflammé;  mais  cette  lave,  d'où  devait  sortir  son  in- 
dépendance, alla  se  refroidir  aux  pieds  du  vainqueur  de 
Marengo;  avec  lui,  la  France  gagna  des  batailles,  conquit 


LIVRE  XXII. 


51 


des  royaumes ,  planta  son  drapeau  victorieux  au  Krem- 
lin et  sur  le  sommet  des  pyramides ,  et  tomba ,  épuisée 
d'hommes  et  d'argent,  avec  son  maître  à  Waterloo,  d'où 
elle  se  releva  avec  des  libertés,  qu'elle  ne  sut  pas  con- 
server; trois  fois  les  descendants  du  Béarnais  prirent 
avec  tristesse  le  chemin  de  l'exil  ;  et  aujourd'hui,  ce  Paris, 
que  leur  ancêtre  échangea  contre  une  messe  ,  ne  con- 
serve d'eux  que  ce  qu'un  peuple  conserve  de  ses  anciens 
maîtres,  des  statues,  des  monuments  et  quelques  stériles 
souvenirs. 

Si,  doué  de  la  seconde  vue,  Henri  IV  eût  pu,  au  mo- 
ment de  son  abjuration ,  voir  ce  que  sa  conversion  donne- 
rait à  la  France  et  à  sa  race ,  il  n'eût  pas  hésité.  Il  eût 
demandé  à  son  épée,  et  non  à  un  parjure,  le  soin  de  mettre 
sur  sa  tête  la  couronne  de  ses  aïeux;  peut-être  eût-il 
réussi  :  mais,  s'il  fût  mort  en  soldat,  il  eût  laissé  un  nom 
aussi  grand  et  une  réputation  plus  pure. 

XXI. 

Immédiatement  après  la  cérémonie  de  Saint-Denis,  le 
roi  se  hâta  d'écrire  à  toutes  les  bonnes  villes  du  royaume, 
pour  leur  apprendre  la  grande  nouvelle  de  sa  conversion  ; 
«enfin  nous  avons,  Dieu  merci,  écrivait-il  à  leurs  magis- 
trats, conféré  avec  les  prélats  des  points  sur  lesquels  nous 
devrions  être  éclairci,  et  après  la  grâce  qu'il  a  plu  à  Dieu 
de  nous  faire  par  l'inspiration  de  son  Saint-Esprit,  que  nous 
avons  recherché  de  tous  nos  vœux  et  de^  tout  notre  cœur 
pour  notre  salut,  nous  avons  reconnu  l'Église  catholique, 
apostolique  et  romaine  être  la  vraie  Eglise  de  Dieu ,  pleine 
de  vérité  et  laquelle  ne  peut  errer;  nous  l'avons  embrassée 
et  sommes  résolu  d'y  vivre  et  mourir.»  ' 

Henri  IV  écrivit  en  même  temps  au  pape  dont  l'appui 
lui  était  nécessaire  pour  désarmer  les  ligueurs  qui  décla- 
raient ne  vouloir  jamais  reconnaître  pour  monarque  un 
hérétique  excommunié.  «Très-saint  Père,  disait  Henri  IV 
au  pontife,  je  me  suis  volontiers  soumis,  le  dimanche  25 
juillet;  j'ai  ouï  la  messe  et  joint  mes  prières  à  celles  des 

1.  Mss.  de  Béthune,  n»9114/91  (25]umet  1593).  —  Capefigue, 
Henri  IV  et  la  ligue,  vol.  VI,  p.  339. 


52  HISTOIRE  DE  LA  RÊFORMATION  FRANÇAISE. 

bons  catholiques,  comme  incorporé  à  ladite  église  avec  ferme 
intention  de  persévérer  toute  ma  vie  et  de  rendre  l'obéis- 
sance et  le  respect  dus  à  Votre  Sainteté  et  au  Saint-Siège, 
ainsi  qu'ont  fait  les  rois  très-chrétiens  mes  prédécesseurs.» 
Il  lui  annonçait  enfin  l'envoi  d'une  ambassade'.  Sa  conver- 
sion accomplie,  Henri  IV  était  conséquent  avec  lui-même; 
sa  démarche  auprès  du  pape,  que  quelques  historiens  qua- 
lifient de  servile,  n'était  que  la  conséquence  de  son  abju- 
ration et  une  réponse  immédiate  faite  à  la  protestation  du 
cardinal  de  Plaisance  contre  la  cérémonie  du  23  juillet. 
Quand  cet  orgueilleux  prélat  déclarait  «que  le  pape  seul 
pouvait  connaître  de  cette  affaire»',  il  était  naturel  que  le 
roi  s'adressât  au  seul  homme  qui  pût  lever  l'anathème  qui 
pesait  sur  lui.  Au  légat  il  opposa  le  pape;  c'était  de  la 
bonne  et  habile  politique.  Il  eût  atteint  facilement  son  but, 
si  le  prêtre  qui  l'avait  excommunié  eût  été  sur  le  trône 
pontitical;  mais  son  successeur,  le  faible  Clément  XIII, 
n'était  qu'un  pâle  reflet  de  l'indomptable  Sixte-Quint.  La 
main  de  Philippe  II  pesait  trop  lourdement  sur  lui ,  pour 
qu'il  pût,  par  une  prompte  absolution,  répondre  à  l'impa- 
tience du  nouveau  converti. 

XXII. 

Les  protestants  sentirent  vivement  le  coup  funeste  que 
l'abjuration  portait  à  leur  cause  ;  ils  courbèrent  la  tête ,  les 
uns  humiliés,  les  autres  douloureusement  impressionnés. 
Ceux  qui  étaient  plus  politiques  que  religieux,  laissaient 
éclater  leur  colère  et  appelaient  ingrat  le  maître  qu'ils 
avaient  servi  avec  tant  de  fidélité  et  qui  les  abandonnait  au 
moment  où,  plus  que  jamais,  ils  étaient  décidés  h  verseï 
pour  lui  la  dernière  goutte  de  leur  sang;  ceux  qui  étaient, 
avant  tout,  huguenots  et  qui  comprenaient  la  haute  impor- 
tance de  ces  paroles  de  nos  livres  saints  «  que  servirait-if 
à  im  homme  d'avoir  le  monde  entier  s'il  perdait  son  âme,  » 
gémissaient  de  voir  leur  maître  renier  la  religion  du  Christ 
pour  celle  de  l'antéchrist  romain,  et  devenu  ainsi  le  per- 
vertisseur  de  ses  sujets.  «  C'est  dans  l'angoisse  et  le  trouble, 

1.  Mss.  de  Jlesmes,  in-fol.,  t.  XII,  n»  8931/17. 

2,  Ide/n,  n»  8777/3. 


LIVRE  XXII. 


5» 


écrivait  Théodore  de  Bèze  à  GrjTiée ,  que  je  songe  à  la 
chute  de  ce  prince  sur  lequel  reposaient  tant  d'espérances 
et  qui  vient  de  contrister  si  cruellement  l'Église  de  Dieu 
et  ses  anges  !  Je  ne  m?  console  que  par  la  pensée  de  n'a- 
voir manqué  à  aucun  de  mes  devoirs  envers  le  roi  ;  je  lui 
ai  adressé  une  longue  et  sérieuse  lettre  qui  devait  produire 
sur  lui  quelque  impression,  si  le  message  était  arrivé  à 
temps  à  travers  les  mille  difficultés  de  la  route.»  ' 

La  nouvelle  de  l'abjuration  du  roi  fit  une  pénible  im- 
pression en  Allemagne  et  en  Angleterre.  La  reine  Elisabeth 
à  qui  Henri  lY  apprit  sa  grande  décision  laissa  éclater  sa 
douleur  plus  politique  que  religieuse  dans  la  lettre  sui- 
vante : 

«Ah  quelles  douleurs  !  et  quels  regrets  et  quels  gémis- 
sements j'ai  sentis  en  mon  âme  parle  son  dételles  nouvelles 
que  Morlans  m'a  contées!  Mon  Dieu,  est -il  possible 
qu'aucun  mondain  respect  dût  effacer  la  terreur  que  la 
crainte  divine  menace!  Pouvons-nous,  par  raison  même, 
attendre  bonne  séquelle  d'actes  si  iniques?  Celui  qui 
vous  a  maintenu  et  conservé  par  sa  merci,  pouvez-vous 
imaginer  qu'il  vous  permît  aller  seul  au  plus  grand  be- 
soin? Or,  cela  est  dangereux  de  mal  faire  pour  en  espé- 
rer du  bien;  encore  espérais-je  que  plus  saine  inspiration 
vous  adviendra.  —  Cependant  je  ne  cesserai  de  vous 
mettre  au  premier  rang  de  mes  dévotions  pour  que  les 
mains  d'Ésaû  ne  gâtent  les  bénédictions  de  Jacob.  Et  où 
vous  me  promettez  toute  amitié  et  fidélité,  je  confesse 
l'avoir  chèrement  méritée,  et  ne  m'en  repentirai,  pourvu 
que  ne  changiez  de  père  (autrement  ne  serai  pour  vous 
que  sœur  bâtarde  de  par  le  père)  ;  car  j'aimerai  toujours 
plus  le  naturel  que  l'adopt;  je  désire  que  Dieu  vous  guide 
en  droit  chemin  et  meilleur  sentier.  Votre  très-assurée 
sœur,  Sire,, à  la  vieille  mode;  avec  la  nouvelle  je  n'ai 
que  faire.  Elisabeth.  »  ' 

1 .  Cette  lettre  n'arriva  qu'après  l'abjuration.  —  Bulletin  de  l'his- 
toire du  protestantisme  français,  année  1552,  p.  40. 

2.  Bibliothèque  royale,  mss.  de  Colbert,  in-fol. ,  M.  R.  D.,  >ol, 
eoté  16,  fol.  S29. 


54 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇjI  ISE. 


XXIIL 

Pendant  que  les  réformés  laissaient  éclater  leurs  me- 
naces et  leurs  douleurs,  que  faisaient  les  ligueurs?  Ils 
passaient  tour  à  tour  de  la  consternation  à  la  colère  et  de  la 
colère  à  la  consternation.  Au  Heu  de  voir  dans  l'abjuration 
le  triomphe  de  leur  cause,  ils  ne  voulurent  y  voir  qu'un 
leurre.  Après  avoir  vainement  tenté  de  monter  sur  le  trône 
par  les  armes,  le  Béarnais  essayait  d'y  monter  par  une 
conversion;  c'était  évident.  La  cause  du  catholicisme  pa- 
raissait plus  menacée  que  jamais;  la  plus  vulgaire  prudence 
faisait  donc  aux  partisans  de  la  Sainte-Union  un  devoir  sa- 
cré de  ne  pas  déposer  les  armes  et  d'être  plus  vigilants  que 
jamais. 

Quelques  historiens  ont  accusé  les  ligueurs  d'avoir  man- 
qué de  logique  dans  cette  circonstance;  selon  eux,  ils  au- 
raient dû  faire  immédiatement  acte  de  soumission ,  puisque 
Henri  IV,  doublement  fils  de  Saint-Louis  par  le  sang  et 
par  la  foi,  satisfaisait  aux  exigences  de  la  religion  et  de  la 
politique.  Au  lieu  de  voir  l'abjuration  avec  défiance,  ajou- 
tent-ils, ils  auraient  dû  acclamer  en  elle  le  triomphe  de 
leur  cause,  puisqu'ils  étaient  délivrés  de  la  crainte  d'avoir 
un  roi  huguenot.  Soyons  plus  justes  à  leur  égard.  Dans  ce 
moment  difficile  ils  furent  plus  que  logiques,  ils  furent 
prudents;  en  effet,  le  roi  ne  leur  inspirait  aucune  con- 
fiance, ni  par  ses  mœurs,  ni  par  son  passé.  Ce  prince  li- 
cencieux qui,  par  intérêt,  se  convertissait,  avait  déjà  une 
fois  renié  le  catholicisme,  ne  pouvait-il  pas  le  renier  une 
seconde  fois?  Fallait-il  donc  lui  ouvrir  les  portes  de  Pa- 
ris et  mettre  dans  ses  mains  les  clefs  de  toutes  les  bonnes 
villes  du  royaume?  Les  ligueurs  raisonnaient  juste.  Quand 
un  homme  a  une  fois  manqué  à  sa  parole,  il  perd  le  droit 
d'être  cru,  et  plus  tard,  quelques  droites  que  soient  ses 
intentions ,  il  efface  difficilement  les  impressions  premières. 
C'était  le  cas  de  Henri  IV  qui  s'était  fait  catholique  sans 
conviction,  mais  qui,  sincèrement,  voulait  demeurer  ca- 
tholique. 

Les  ligueurs  raisonnaient  bien,  mais  ils  agirent  mal; 
d'une  cause  bonne  ils  firent  une  cause  détestable;  leurs 
excès  gâtèrent  tout.  Leurs  prédicateurs  furent  d'une  vio- 


LIVRE  xxn. 


55 


lence  inouïe.  Le  curé  Boucher,  entre  tous,  se  distingua 
par  son  audace;  neuf  fois  il  monta  en  chaire  et  neuf 
fois  il  signala  le  roi  à  la  haine  et  au  poignard  de  ses  audi- 
teurs; sarcasmes,  injures,  railleries,  moqueries, menson- 
|S;es ,  tout  devint  flèche  entre  les  mains  du  prêtre.  Le  but 
final  de  tous  ces  discours  était  de  prouver  que  le  roi  n'avait 
abjuré  que  pour  se  frayer  une  route  au  trône.  «  C'est  faire 
lort,  disait-il,  à  la  grâce  de  l'Esprit  saint  que  de  la  faire 
si  amère  qu'elle  ne  puisse  s'avaler  qu'avec  le  sucre  d'un 
royaume.  »  «Pour  caractériser  le  roi,  on  dirait,  dit  Charles 
Labitte,  qu'il  s'agit  de  Caligula  ou  de  Néron.  C'est,  dit  le 
fougueux  curé,  un  hérétique,  un  relaps,  un  sacrilège,  un 
brûleur  d'églises,  un  corrupteur  de  nonains,  un  massa- 
creur de  religieux  et  de  prêtres,  un  qui  n'a  fait  en  sa  vie 
autre  chose  que  faire  la  guerre  à  l'église,  répandre  le  sang 
des  catholiques,  un,  enfin,  qui,  de  tout  temps,  s'est  re- 
bellé contre  la  patrie.* 

Parle-t-il  de  ses  partisans,  il  s'écrie:  «Qui  appuie  le 
nouveau  converti  au  parlement,  entre  les  évêques,  à  la 
Sorbonne,  dans  le  peuple? 

Qui  parmi  les  magistrats?  quelque  larron  de  finances, 
quelque  roseau  à  tous  vents ,  quelque  bon  valet  à  vendre  !  » 

Qui  parmi  les  évêques?  Ceux  qui  sont  connus  par  leur 
vie  épicurienne...  des  ignorants  qui  boivent  comme  tem- 
pliers en  leurs  cruels  et  démesurés  verres ,  qui  ont  pour 
gausser  à  leur  table  les  reliques  de  Rabelais,  et  dont  le 
plus  beau  métier  est  de  danser;  ceux,  enfin,  qui  ont  à 
peine  vu  la  pointe  des  clochers  de  leurs  diocèses  et  ne 
disent  messe  ni  matines. 

Qui  parmi  les  docteurs,  parmi  les  curés  sortis  pour  l'al- 
ler convertir?  le  rebut  et  ordure  de  Paris,  des  mignons 
apostats,  joueurs  de  cartes  reconnus  concubinaires,  des 
écrivains  brouille-papiers,  vieux  fondateurs  d'hérésie, 
papes  par  fantaisie. 

Qui,  enfin,  parmi  le  peuple?  quelque  blasphémateur, 
quelque  mignarde  fardée  ou  folle  de  renom  qui  aura  couru 
a  cette  danse. 

L'orateur  parle-t-il  de  la  cérémonie  de  l'abjuration?  Il 
la  raconte  en  la  caricaturant  :  «  Quelle  cendre ,  dit-il , 

1.  Charles  Labitte,  chap.  IV,  g  1,  p.  195. 


56 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


quelle  haire?  quels  jeûnes?  quelles  larmes?  quels  sou- 
pirs? quelle  nudité  de  pieds?  quel  visage  baissé?  quelle 
humilité  de  prières?  quelle  prostration  par  terre  en  signe 
de  pénitence?  Les  gens  de  guerre  embâtonnés',  les  fifres, 
les  tambours  sonnants,  l'artillerie  et  escopeterie,  les  trom- 
pettes et  clairons,  la  grande  suite  des  gentilshommes ,  les 
demoiselles  parées;  la  délicatesse  du  pénitent  appuyé  sur 
le  col  d'un  mignon,  pour  le  grand  chemin  qu'il  y  avait  à 
faire,  environ  cinquante  pas,  depuis  la  porte  de  l'abbaye 
jusqu'à  la  porte  de  l'église  ;  la  risée  qu'il  fit  regardant  en 
haut  avec  un  bouffon  qui  était  à  la  fenêtre.  —  «En  veux-tu 
pas  être?»  Le  ders,  l'appuy,  les  oreillers,  les  tapis  semés 
de  fleurs  de  lys,  l'adoration  faite  par  les  prélats  à  celui 
qui  se  doit  soumettre  et  humilier  devant  eux,  sont  les  traits 
de  cette  pénitence.  »" 

Quel  contraste  entre  le  langage  de  Boucher  et  celui  de 
Saint-Paul  qui ,  vivant  dans  des  temps  orageux  et  difficiles, 
enseigne  aux  chrétiens  de  son  temps  l'oubli  des  injures  et 
l'amour  pour  ses  ennemis!...  quel  contraste  même  avec 
celui  des  huguenots  abandonnés  du  maître  qui  paie  leurs 
services  par  la  plus  grande  ingratitude!  Ne  dirait-on  pas 
qu'une  furie  s'est  incarnée  dans  ce  prêtre  qui  se  proclame 
le  ministre  fidèle  de  la  plus  fidèle  des  églises. 

Les  discours  de  maître  Boucher  et  de  ses  collègues  nui- 
sirent au  bon  effet  que  le  roi  attendait  de  son  retour  à  la 
foi  catholique.  Son  abjuration  eut  cependant  quelques  ré- 
sultats immédiats:  le  peuple  commença  à  soupirer  après  la 
paix;  les  ligueurs  les  plus  modérés  n'attendaient  qu'un 
mot  de  Rome  pour  déposer  les  armes,  ou  mieux  encore 
une  proposition  du  roi  pour  lui  vendre  leur  soumission;  la 
trêve  qui  avait  suspendu  les  hostilités  permettait  aux  bour- 
geois de  sortir  de  la  ville  et  d'aller  à  Saint-Denis  se  mêler 
aux  troupes  royales;  le  roi  les  recevait  avec  une  grande 
affabilité.  Il  avait  toujours  aux  lèvres  quelques  bons  mots 
qui  se  gravaient  dans  la  mémoire  et  qui,  se  répétant  de 
bouche  en  bouche,  allaient  apprendre  aux  ligueurs  «que 
ce  teigneux  de  Béarnais  n'était  pas  si  abominable  que  leurs 
prédicateurs  le  leur  représentaient.  »  Mayenne  redoutant 

1.  Neuf  discours  sur  la  simulée  conversion,  de  la  nullité  de  I» 
prctendiie  conversion  de  Henri  de  Bourbon ,  prince  de  Béarn. 


LIVRE  XXII. 


57 


le  résultat  des  visites  des  bourgeois  à  Saint-Denis,  les  in- 
terdit et  nul  à  l'avenir  ne  put  y  aller  sans  autorisation. 

Le  lieutenant-général  qui  connaissait  les  ruses  du  roi  et 
sa  promptitude  à  exécuter  ses  projets ,  mit  la  ville  sur  un 
bon  pied  de  défense.  Pendant  qu'il  le  faisait,  les  États  gé- 
néraux continuaient  leurs  séances  au  milieu  des  intrigues, 
sans  pouvoir  arrivera  une  solution,  les  uns  étant  trop 
espagnols,  les  autres  trop  français.  En  désespoir  de  cause, 
ils  renouvelèrent  le  serment  de  l'union'  et  ordonnèrent  que 
le  concile  de  Trente  serait  reçu  eî  publié  en  France, 
«dans  sa  forme  et  teneur*.»  En  haine  du  roi,  ils  livraient  le 
royaume  au  pape.  • 

1.  Serinent  prêté  par  les  princes,  seigneurs  et  députés.  —  Col- 
lection des  États  généraux  (1593.) 

2.  Déclaration  sur  la  publication  du  ÇOftCiJe  de  Trepte.  —  Crt* 
lecttOQ  des  États  généraïuL  (1593). 


53 


HISTOIRE  CE  LA  RÉFORMÂTION  FRANÇAISE. 


LIVRE  XXIII. 


I. 

Les  mauvaises  maximes  comme  les  mauvaises  semences 
portent  tôt  ou  tard  leurs  fruits.  La  doctrine  du  régicide 
était  enseignée  avec  tant  de  force  et  de  clarté  dans  les 
(îliaires  de  Paris ,  qu'il  n'est  pas  étonnant  qu'il  se  soit 
trouvé  parmi  les  ligueurs  quelques  hommes  qui ,  pre- 
nant la  place  de  Grève  pour  une  place  sainte,  aient  cru 
monter  au  ciel  par  cet  étrange  chemin.  Un  nommé  Bar- 
rière fut  de  ce  nomhre.  Ce  misérable ,  jeté  d'abord  dans 
le  désespoir  par  un  chagrin  d'amour,  fut  invité  par  des 
prêtres  à  tuer  le  roi;  «ce  sera,  lui  disaient-ils  en  secret, 
une  belle  œuvre ,  qui  vous  rendra  agréable  à  Dieu.  » 
Le  curé  de  Saint-André-des-Arcs,  Aubry,  loua  son  cou- 
rage, et  pour  l'affermir  dans  son  dessein,  le  conduisit 
chez  Varade,  recteur  des  Jésuites,  qui  leva  habilement 
tous  ses  scrupules ,  mit  sa  conscience  en  règle  et  le  fit 
confesser  et  communier  par  un  autre  jésuite,  qui  ignorait 
toute  l'affaire,  et  qui,  fidèle  aux  lois  de  son  ordre  ,  dut  ou- 
blier tout  ce  qu'il  avait  entendu.  L'assassin  acheta  un  cou- 
teau et  se  mit  à  l'affût  de  sa  proie.  Plusieurs  fois  il  fut  sur 
le  point  d'accomplir  son  crime,  et  toujours  il  en  fut  empê- 
ché, tant  il  lui  semblait  qu'on  le  retirait  en  arrière  comme 
s'il  avait  été  lié  «d'une  corde  par  le  milieu  du  corps.»  Il 
eût  fini  par  succomber  à  son  horrible  tentation,  si  la  con- 
spiration n'eût  pas  été  découverte.  Carrière  fut  arrêté  à 
Melun,  où  il  avait  suivi  Henri  IV.  Il  nia  tout  d'abord,  puis 
avoua  à  ses  juges  comment  il  avait  été  conduit  peu  à  peu 
a  ridée  de  tuer  le  roi.  Il  manifesta  un  vif  repentir  de  son 
crime ,  et  maudit  ceux  qui  l'avaient  conseillé  en  lui  assu- 
rant «que  s'il  mourrait  dans  l'entreprise,  son  âme,  enlevée 
par  les  anges,  s'envolerait  dans  le  sein  de  Dieu,  où  il  joui- 
rait d'une  béatitude  éternelle.»  Il  dit  qu'ils  l'avaient  averti 
que  s'il  lui  arrivait  d'être  pris  et  appliqué  à  la  question ,  il 
se  gardât  bien  de  nommer  aucun  de  ceux  qui  lui  avaient 


UVRE  XXIII. 


59 


conseillé  cette  action,  qu'autrement  il  serait  sûr  d'être 
damné  éternellement.  ' 

Les  juges  condamnèrent  Barrière  à  être  rompu  vif  le 
31  août  1593.  L'arrêt  qui  le  frappa  accrut  la  haine  qu'on 
commençait  à  avoir  contre  les  jésuites  ;  on  ne  vit  en  eux 
que  des  séditieux  et  des  fauteurs  de  troubles.  L'orage  qui 
grondait  sur  leur  société ,  éclatera  plus  tard  avec  une  grande 
violence. 

Ces  victoires  que  le  roi  remportait  sur  la  ligue  effrayaient 
les  réformés  ;  elles  avaient  lieu  à  leurs  dépens.  Les  hommes 
qui  étaient  infidèles  à  leur  parti,  tenaient  à  être  fidèles  à 
leur  église  et  à  montrer  leur  haine  pour  les  huguenots. 
C'était  une  indulgence  qu'ils  s'administraient;  le  zèle  du 
catholique  amnistiait  le  traître.  Chaque  gouverneur  fit  ses 
conditions;  chacun,  sans  doute,  ne  se  montra  pas  égale- 
ment rigoureux,  mais  tous,  sans  exception,  exigèrent  que 
le  culte  catholique  fût  seul  célébré  dans  les  villes  dont  ils 
étaient  gouverneurs. 

II. 

Les  protestants  étaient  toujours  sous  le  poids  de  la  dou- 
leur que  leur  causait  l'abjuration  du  roi.  Ils  se  montraient 
tristes  et  défiants;  pendant  si  longtemps  ils  avaient  cru 
une  si  grande  apostasie  impossible ,  et  elle  s'était  accom- 
plie sous  leurs  yeux  !  des  bruits  alarmants  venaient  les 
troubler  et  ajouter  à  leurs  craintes;  ils  avaient  appris  que 
des  négociations  étaient  ouvertes  avec  Philippe  II ,  dans  le 
but  de  marier  l'infante  avec  Henri  IV;  or,  de  cette  alliance 
avec  leur  implacable  ennemi  que  pouvait-il  résulter,  «  si  ce 
n'est  d'oflrir  pour  douaire  à  la  princesse  les  tètes  des  pré- 
tendus riiiiistins?»' 

1.  L'Esloile,  année  1693.  —  Davila,  liv.  XIV.  —  D'Aubigné, 
liv.  m,  ph.  25,  p.  299.  —  De  Tliou,  liv.  CVII.  —  Mémoires  de  la 
liyiio,  t.  V,  p.  430,  —  Bref,  Discours  du  procès  crimiii'îl  fait  à 
l'ierre  Barrière,  dil  f  a  Earre,  natif  d'Orléans,  accusé  de  1  horrible 
et  oxèerable  parricide  et  assassinat,  par  lui  entrepris  et  attenté 
conlre  la  personne  du  roi. 

2.  Mémoire  de  Duplessis-Mornay,  t.  V,  p.  534-535.  —  Ces  né- 
frccialions  eurent  lieu,  mais  elles  échouèrent  par  la  faute  de 
!,a  Varenne,  chargé  de  suivre  celte  affaire.  —  Mémoires  de  Sully, 
t.  II,  ch.  12. 


60 


HISTOIRE  DE  LA  RÈFORMATION  FRANÇAISE. 


Dans  l'extrémité  où  ils  se  sentaient  réduits,  les  réfor- 
més avaient  des  réunions  dans  lesquelles  ils  débattaient 
chaudement  leurs  intérêts;  leurs  plaintes  contre  le  roi 
étaient  vives,  fréquentes,  amères;  ils  le  traitaient  de  par- 
jure,  d'ingrat;  on  se  posait  la  question,  s'il  fallait  se  choi- 
sir un  autre  protecteur,  puisque  Henri  de  Bourbon  les 
avait  abandonnés.  Leurs  regards  se  tournaient  alors  vers 
le  duc  de  Bouillon.  Les  plus  puissants  de  leurs  chefs  se 
demandaient  s'ils  ne  devaient  pas  séparer  leur  cause  de  la 
cause  royale  «et  empêcher,  les  armes  à  la  main,  qu'on 
n'entreprît  rien  contre  la  liberté  de  conscience.  » 

Cette  dangereuse  proposition  fut  heureusement  et  vive- 
ment combattue  par  les  tièdes  du  parti  qui  étaient  fatigués 
de  guerre  et  ne  soupiraient  qu'après  le  repos  et  les  dignités, 

3u'ils  espéraient  trouver  auprès  du  monarque  à  la  gran- 
eur  duquel  ils  avaient  concouru.  Le  plus  ardent  de  ces 


avis  le  plus  grand  nombre,  en  leur  faisant  espérer  que  le  roi 
n'oublierait  jamais  le  service  de  ses  anciens  coreligion- 
naires et  en  leur  montrant  que  la  séparation  de  leurs  in- 
térêts de  ceux  du  roi  aboutirait  à  leur  ruine.  On  décida 
donc  que  les  églises  enverraient  au  roi  des  députés  pour 
lui  demander  des  garanties  pour  le  libre  exercice  de  leur 
culte  et  la  sûreté  de  leurs  personnes.  _ 


Les  députés  des  églises  se  dirigèrent  vers  la  ville  de 
Mantes  pour  exposer  leurs  pjaintes  au  roi;  celui-ci  redoutait 
de  se  trouver  en  présence  de  ces  hommes  qui  avaient  par- 
tagé ses  fatigues  et  ses  périls,  et  l'avaient  soutenu  dans  ses 
mauvais  jours.  Avant  de  les  recevoir,  il  demanda  à  Mornay 
de  lui  faire  connaître  ce  qu'ils  pensaient  de  son  change- 
ment; celui-ci  le  fit  dans  une  lettre  naïve  et  longue  dans 
laquelle  éclatait  toute  la  douleur  de  ce  fidèle  huguenot. 

«Voyez,  Sire,  lui  disait  Mornay,  par  quels  degrés  on 
vous  a  mené  à  la  messe;  on  vous  disait:  vous  désirez  la 
réformalion;  nous  sommes  pleins  d'abus;  entrez  seule- 
ment dedans ,  vous  les  répugnerez.  Mais  avant  d'y  entrer, 
on  vous  a  obligé  aux  plus  grossières  et  aux  moins  tenables. 

1.  Capeflgue,  t.  VI,  p.  302. 


tièdes  fut  Rosny 


habileté ,  sut  entraîner  à  son 


IIL 


LIVRE  xxm. 


61 


Ceux  qui  sont  crus  d'un  chacun  ne  pas  croire  en  Dieu , 
vous  ont  fait  jurer  les  images  et  les  reliques ,  le  purga- 
toire et  les  indulgences.  Vos  pauvres  sujets ,  par  ce  même 
chemin,  vous  voient  mener  plus  outre.  Ils  voient  que  vous 
envoyez  faire  soumission  à  nome;  ils  savent  que  l'absolu- 
tion ne  peut  être  sans  pénitence;  ils  lisent  qu'en  pareil 
cas  les  papes  ont  imposé  à  vos  prédécesseurs  de  passer 
outre-mer  contre  les  infidèles.  Ils  se  résolvent  donc,  Sire, 
que  le  pape  ,  au  premier  jour,  vous  enverra  l'épée  sacrée; 
qu'il  vous  imposera  la  loi  de  faire  la  guerre  aux  hérétiques, 
et  sous  ce  nom  comprendra  les  plus  chrétiens,  les  plus 
loyaux  Français ,  la  plus  sincère  partie  de  vos  sujets.  Cet 
arrêt  vous  sera  dur  de  prime  face;  il  offensera  votre  bon 
naturel.  —  Faire  la  guerre  à  mes  serviteurs  !  ceux  de  qui 
j'ai  bu  le  sang  en  ma  nécessité!  —  Mais  on  a  prou  de 
moyens  pour  les  vous  adoucir,  Sire,  vous  avez  tant  fait,  il 
faut  plus  passer  outre...  Aux  soupçons  s'iijoutent  des  effets, 
indices  des  mauvais  desseins  de  ceux  qui  vous  possèdent, 
et  précurseurs  de  plus  dangereux  à  l'avenir.  Le  prêche 
déjà  exilé  de  votre  cœur,  afin  de  les  bannir  en  conséquence 
de  votre  maison;  car  qui  le  voudra  n'y  pourra  vivre,  ou 
vous  y  servir  sans  servir  Dieu ,  exilé  même  de  vos  armées, 
afin  de  les  reculer  de  votre  service,  et  conséquemment 
.  des  charges  et  honneurs  ;  car  quel  homme  de  bien  y  pourra 
subsister,  en  danger  tous  les  jours  d'être  blessé,  d'être 
tué,  sans  espoir  de  consolation,  sans  assurance  seulement 
de  sépulture?  Qu'on  minute  d'exclure  tous  ceux  de  la  re- 
ligion des  principales  charges  de  l'Etat,  de  la  justice,  des 
finances,  de  la  police;  de  telles  faveurs,  selon  leur  mo- 
destie et  patience  ,  ils  prennent  à  témoin  Votre  Majesté 

Su'ils  ne  l'ont  guère  importunée;  mais  vous  supplient  aussi 
e  juger  s'il  est  raisonnable  qu'ils  fassent  ce  tort  à  leurs 
enfants,  de  les  eu  rendre  privés...  Vous  ne  prendriez  plai- 
sir de  leur  voir  un  protecteur,  vous  seriez  jaloux  s'ils  s'a- 
dressaient ailleurs  qu'à  vous.  Sire,  voulez-vous  bien  leur 
ôter  l'envie  d'un  protecteur,  ôtez-en  la  nécessité;  soyez-le 
donc  vous-même,  continuez,  dessus  eux,  ce  premier  soin, 
cette  première  affection;  prévenez  leurs  supplications  par 
un  plein  mouvement,  leurs  justes  demandes,  par  un  vo- 
loiilaire  octroi  des  choses  nécessaires.»' 
1.  Mémoires  de  Duplessis-Mornay,  t.  Y,  p.  534  -535. 


Q2  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORHATIOM  FRANÇAISE. 


IV- 

La  lettre  de  Duplessis  blessa  Henri  FV  sans  l'étonner  ; 
il  voulut  le  voir  seul,  afin  de  s'accoutumer  au  visage  des 
réformés  et  à  leurs  remontrances.  L'entrevue  eut  lieu  à 
Chartres.  Le  roi  s'efforça  de  justifier  son  changement  de 
religion  et  blâma  ceux  des  protestants  qui  l'avaient  imité , 
parce  qu'ils  n'avaient  pas  les  mêmes  raisons  que  lui  pour 
abandonner  la  foi  de  leurs  pères.  «Je  me  suis,  lui  dit-il, 
sacrifié  pour  mon  peuple  et  le  repos  de  nos  églises.  »  Cette 
confession  toucha  peu  Mornay,  il  crut  cependant  son  maî- 
tre sincère  quand  il  l'assura  que  son  affection  pour  les 
protestants  était  toujours  la  même. 

Les  catholiques  qui  redoutaient  de  voir  le  roi  et  les  dé- 
putés en  présence,  s'efforçaient  de  perdre  les  protestants 
dans  l'esprit  du  monarque  et  dans  1  opinion  publique;  ils 
faisaient  circuler  des  bruits  étranges  et  calomnieux;  ils 
accusaient  même  Mornay  d'avoir  voulu  faire  à  Saumur  une 
Sainte-Barthélémy  de  catholiques,  pour  venger  les  réfor- 
més de  ce  qui  leur  était  arrivé  vingt  et  un  ans  auparavant 
aux  matines  de  Paris.  Ce  bruit ,  que  l'honorabilité  bien  con- 
nue de  Duplessis  aurait  dû  faire  rentrer  dans  l'ombre, 
prit  une  telle  consistance  que  l'accusé  crut  devoir  porter 
plainte  au  parlement  qui,  tout  en  constatant  la  calomnie, 
ne  donna  pas  au  plaignant  la  satisfaction  qu'il  avait  droit 
d'attendre.' 

Les  menées  des  catholiques  ne  purent  cependant  em- 
pêcher les  députés  d'arriver  jusqu'au  roi;  celui-ci  eût  bien 
voulu  les  éviter,  mais  l'expérience  qui  lui  avait  appris 
tout  ce  qu'il  y  avait  de  fort  et  d'indomptable  chez  les  hu- 
guenots quand  ils  étaient  sous  le  joug  d'une  injuste  op- 

ression,  craignit  de  les  mécontenter;  il  les  reçut  à  Mantes. 

'entrevue  eut  le  caractère  de  contrainte  et  de  réserve 
qu'elle  devait  naturellement  avoir  ;  les  députés  forent  res- 
pectueux, mais  fermes,  et  firent  entendre  au  monarque  de 
rudes  et  austères  vérités.  Le  roi  se  contint;  il  sentait  que 
les  plaintes  étaient  justes  et  que  ce  n'était  pas  le  moment 
de  rompre.  Il  les  écouta  avec  une  grande  bienveillance , 

1.  Mémoires  de  Duplessis-Mornay,  t.  V. 


LIVRE  XXIII. 


63 


reçut  leurs  cahiers  qu'il  remit  à  son  chancelier  «  et  leur 
fit  espérer  de  leur  donner  contentement.  » 

Les  catholiques,  qui  n'avaient  pu  empêcher  le  roi  de  re- 
cevoir les  députés ,  l'invitèrent  à  les  renvoyer  sans  les  sa- 
tisfaire, avec  la  promesse  seulement  d'examiner  leurs 
cahiers,  et  de  leur  répondre  dans  trois  mois;  Mornay  et  le 
maréchal  de  Bouillon  s'y  opposèrent énergiquement.  «Les 
protestants ,  lui  dirent-ils  en  insistant,  ne  prendront  con- 
seil que  de  leur  désespoir,  quand  ils  verront  qu'on  les 
amuse.  »  Le  roi  céda  et  il  fut  décidé  qu'en  attendant  la 
publication  d'un  édit  on  en  dresserait  les  statuts.  Sept 
commissaires  catholiques  furent  nommés  à  cet  effet,  afin 
d'écarter  tout  soupçon  de  partialité.  Après  plusieurs  séances, 
ils  ne  savaient  ni  par  où  commencer  ni  par  où  finir.  On 
leur  adjoignit  Mornay  et  le  maréchal  de  Bouillon.  Après 
de  longues  discussions,  les  commissaires  convinrent  de 
plusieurs  articles  dont  voici  les  principaux:  Rétablissement 
de  l'édit  de  1577  avec  les  interprétations  des  conférences 
deNérac  et  de  Fleix;  révocation  des  édits  de  la  ligue;  ré- 
tablissement de  la  religion  catholique  dans  les  lieux  où  elle 
avait  été  interdite  par  suite  de  la  guerre  ;  célébration  du 
culte  réformé  dans  les  villes  de  l'obéissance  du  roi;  per- 
mission à  Madame,  sœur  du  roi,  de  célébrer  son  culte  chez 
elle  à  la  cour;  paiement  annuel  d'une  somme  pour  l'en- 
tretien des  pasteurs,  etc.,  etc. 

Le  travail  des  commissaires  terminé,  on  le  communiqua 
aux  députés  des  églises,  qui  ne  furent  pas  satisfaits.  Les 
concessions  leur  parurent  insuffisantes  ;  en  effet ,  elles  ne 
les  garantissaient,  ni  du  mauvais  vouloir,  ni  de  l'animosité 
des  catholiques.  Ils  se  plaignirent  à  Henri  IV,  qui  leur 
donna  en  compensation  la  permission  de  convoquer  des 
assemblées  provinciales,  afin  d'y  faire  le  rapport  de  tout  ce 
qui  s'était  passé  à  Mantes  et  de  se  préparer  à  la  tenue  d'un 
synode  national. 

Avant  de  quitter  Mantes ,  les  députés ,  sous  les  yeux  et 
avec  l'approbation  du  roi,  renouvelèrent  solennellement 
le  serment  d'union  des  églises.  En  présence  des  maux  qui 
leur  paraissaient  imminents,  ces  hommes  intègres  et  cou- 
rageux jurèrent  de  vivre  et  de  mourir  pour  la  défense 
d'une  foi  qui  leur  était  plus  chère  que  leur  vie.  Ce  fut  un 
spectacle  bien  touchant  que  le  serment  de  ces  hommes 


r 


\ 

64  HISTOIRE  DE  LA  nÉFORMATlON  FRANÇAISE. 

que  trente  ans  de  luttes  adiarnées  n'avaient  pu  abnllre  et 
qui,  comme  Mo'ise,  préféraient  l'opproijre  du  Christ  aux 
délices  du  monde.  Ils  auraient  pu  cependant  imiter  le  maî- 
tre qui  les  avait  abandonnés,  et  trouver,  à  sa  cour,  des  fa- 
veurs, des  places,  des  dignités.  Ils  ne  le  voulurent  pas.' 

Pendant  le  séjour  des  députés  à  Mantes ,  on  essaya  d'en 
détacher  quelques-uns  de  leur  parti,  en  leur  présentant 
pour  appât  la  protection  royale  et  des  dignités.  Des  confé- 
rences mêmes  furent  ouvertes  entre  les  ministres  et  Du 
Perron  qui  faisait  semblant  de  croire  que  le  roi  s'était  con- 
verti plutôt  devant  la  puissance  de  ses  arguments  que  de- 
vant des  raisons  de  haute  politique.  Rotan,  célèbre  pasteur 
protestant,  accusé  plus  tard,  quoique  à  tort,  de  s'être 
laissé  séduire  par  les  promesses  de  la  cour,  chercha  des 
prétextes  pour  ne  pas  controverser  avec  Du  Perron  sur 
la  question  de  la  suffisance  de  la  Sainte-Ecriture.  Le  mi- 
nistre Berault  se  présenta  à  sa  place  ;  mais  quand  le 
clergé  vit  que  les  conférences  ne  prenaient  pas  une  tour- 
nure favorable',  il  eut  l'habileté  de  les  faire  rompre,  sans 
avoir  cependant  l'air  de  battre  en  retraite.  Il  proclama 
bruyamment  ses  triomphes;  les  protestants,  pour  démon- 
trer le  contraire,  nommèrent  l'année  d'après,  dans  leur 
synode  de  Montauban,  douze  personnes,  pour  continuer 
les  conférences ,  si  Du  Perron  voulait  les  reprendre.  Il 
n'en  fut  dès  lors  plus  question. 

Après  le  départ  des  députés,  les  intrigues  continuèrent. 
Des  ordras  secrets  furent  envoyés  aux  gouverneurs  des 
provinces  pour  empêcher  les  ministres  de  se  prononcer 
avec  trop  de  force  contre  la  conversion  du  roi;  on  ne  vou- 
lait pas  qu'ils  continuassent  à  l'appeler  une  révolte.  On 
obligeait  également  quelques  prédicateurs  de  la  ligue  à 
modérer  leur  langage.  On  put  ainsi  présenter  la  cérémonie 
de  Saint-Denis  d'une  manière  tellement  adoucie  qu'il  y 
eut  parmi  les  protestants  même  des  hommes  qui  crurent 

fiouvoir  imiter  le  monarque.  Il  est  vrai  qu'ils  trouvaient 
eur  intérêt  particulier  à  être  de  la  religion  du  plus  grand 
nombre.  Les  conciliateurs  abondèrent  ;  la  facilité  avec 

1.  Élie  Benoit,  Histoire  de  l'édit  de  Nantes,  t.  I",  p.  111. 

2.  Ils  croyaient  que  Rotan  s'était  laissé  séduire ,  et  que,  dans  la 
discussion,  il  se  laisserait  systématiquement  vaincre  par  Du  Perron, 


LIVRE  xxni. 


65 


laquelle  ils  faisaient  bon  inrrché  des  principes,  entraîna 
plusieurs  de  leurs  coreligionnaires  dans  les  voies  de 
l'apostasie. 

V. 

Le  spectacle  que  présentait  Paris  à  cette  époque  est  aussi 
curieux  qu'instructif.  Les  ligueurs  et  les  royalistes  se  li- 
vraient des  combats  de  plume  et  lançaient  les  uns  contre 
les  autres  des  pamphlets,  dont  quelques-uns  ont  survécu  à 
l'oubli,  cette  fosse  commune  des  écrivains.  Immédiatement 
après  l'exécution  de  Barrière,  les  royalistes  firent  paraître 
la  démonologie  de  la  Sorbonne  la  nouvelle.  Dans  cet  écrit 
ils  accusaient  la  faculté  d'être  possédée  du  démon ,  et  d'être 
«  un  repaire  de  brigands  et  d'assassins.  »  Le  jour  des  ex- 
piations se  levait  pour  cette  corporation,  qui,  depuis  le 
syndic  Bédier,  n'avait  pas  cessé  d'éteindre  les  lumières  et 
de  rallumer  le  feu;  mêlée  à  tous  les  grands  événements  de 
l'époque,  la  Sorbonne  s'était  fait  remarquer  par  son  esprit 
intolérant  ;  tour  à  tour  elle  avait  proscrit  les  huguenots  et 
Henri  III,  les  politiques  et  le  Béarnais;  tant  qu'elle  fut 
forte  on  s'inclina  devant  elle  comme  devant  l'autorité  la 
plus  vénérée  du  royaume  ;  mais  quand  le  procès  de  Bar- 
rière eut  fait  croire  à  sa  complicité ,  les  royalistes  se 
•léchaînèrent  contre  elle  et  l'accusèrent  hautement  d'en- 
seigner les  hérésies  suivantes  :  ' 

i°  Il  est  permis  aux  sujets  de  se  rebeller  contre  leur 
roi  légitime. 

2°  Il  est  permis  au  peuple  de  désobéir  aux  magistrats  et 
de  les  pendre. 

3°  Qui  meurt  en  faisant  la  guerre  contre  son  roi  est 
martyr. 

4°  C'est  à  la  Sorbonne  (qu'ils  tiennent  aujourd'hui 
comme  un  empire  ou  plutôt  état  tyrannique)  à  juger  si  le 
pape  doit  recevoir  le  roi  et  si,  d'aventure,  il  le  faisait, 
chose  qu'ils  craignent  fort,  le  déclarer  hérétique  et  ex- 
communié. 

5°  Il  est  impossible  que  le  roi  se  convertisse. 
6°  Il  n'est  pas  en  la  puissance  du  pape  d'absoudre  le 
roi  et  le  remettre  en  son  état. 

1.  Mémoires  de  la  ligue,  t.  V,  p.  403  et  suiT. 


mSTOIRE  DE  LA  ni?FORMATION  FRANÇAISE. 


?•  Il  est  permis  de  médire  des  princes  et  seigneurs , 
tant  spirituels  que  corporels,  soit  en  public,  comme  ils 
font,  soit  en  particulier,  comme  ils  enseignent  le  peuple  à 
faire. 

8°  Que  la  messe  qu'on  chante  devant  le  roi  est  une  farce. 
9°  Qu'il  est  permis  au  sujet  d'assassiner  son  roi. 
10°  Que  quand  Dieu  descendrait  du  ciel  et  dirait  que  le 
roi  fût  converti,  il  ne  faudrait  pas  le  croire.  ' 

VI. 

L'avocat  Louis  d'Orléans  défendit  les  ligueurs  dans  son 
Banquet  du  Comte  d'Arèle.  Cet  écrit  est  indigne  de  l'au- 
teur de  la  célèbre  adresse  d'un  Catholique  anglais  aux 
Catholiques  français.  On  est  même  surpris  de  voir  paraître 
le  pamphlétaire  dans  la  lice  après  sa  séparation  d'avec  les 
Seize.  Cependant  sa  participation  à  ces  luttes  s'explique 
par  son  indigence,  qui,  vraisemblablement,  ne  sut  pas 
résister  aux  doublons  d'Espagne. 

Dans  le  Banquet  du  Comte  d'Arête  des  personnages  cau- 
sent entre  eux  sur  l'élal  présent  des  affaires  du  royaume. 
Parmi  eux  se  trouve  une  jeune  fdie  de  dix  à  douze  ans,  qui 
entre  en  scène  en  chantant  le  refrain  suivant  : 

Je  suis  bien  jeune  et  plus  tcndrette 
Que  n'est  le  bois  de  la  coudrette; 
Mais  je  vous  dis  sans  fiction 
Que  celui  qui  n'aura  envie 
Pour  la  ligne  cspandre  sa  vie. 
N'aura  pas  mon  alTection. 

-Sans  elle  le  peuple  de  France 
Gémissait  sous  la  violence. 
Et  perdions  la  religion. 
Celui  doue  qui  n'aura  envie 
Pour  la  ligue  cspandre  sa  vie. 
N'aura  pas  mou  affection. 

Un  des  interlocuteurs  prend  ensuite  la  parole  et  énu- 
mère  successivement  les  raisons  qui  rendaient  suspecte  la 

1 .  La  Sorbonue  désavoua  plus  tard  ces  maximes ,  et  prétendit 
que  la  partie  la  plus  saine  de  ses  membres  les  a  toujours  désa- 
vouées. Mais  sa  bénédiction  du  couteau  de  Jacques  Clément? 


LITRE  XXm. 


67 


foi  du  nouveau  converti,  parmi  lesquelles  il  n'oubliait  pas 
de  mentionner  celles  tirées  de  ses  mœurs  licencieuses  et 
de  ses  changements  antérieurs  de  religion.  «Ceux  de  son 
parti,  disait  le  pamphlétaire,  le  tiennent  pour  perfide, 
pour  un  écervelé,  pour  un  taquin,  pour  un  faquin,  pour 
un  méchant,  pour  un  athée,  pour  un  homme  perdu  de  tous 
vices ,  pour  un  vrai  diable,  et  vous  le  louez  et  en  faites  un 
saint  par-dessus  Saint-Louis  !  je  voudrais  bien  leur  de- 
mander comment  la  religion  est  assurée  en  sa  main,  car 
il  y  a  trente-six  ans  et  plus  que  toujours  il  cherche  de  la 
dévorer.  Il  était  baptisé  catholique,  depuis  il  s'est  fait  hé- 
rétique; il  redevient  catholique  à  la  Sainte-Barthélémy;  le 
voilà  aujourd'hui  catholique ,  ne  sera-t-il  pas  demain  hé- 
rétique ?  » 

De  quel  étroit  lien  tiendrons-nous  arrêtée  l'inconstante 
façon  de  ce  nouveau  protée  !  Je  ne  puis  que  je  vous  dise  un 
quatrain  qu'on  m'a  donné  »ur  ce  sujet,  et  que  je  ne  vous 
fasse  part  de  la  réponse  qui  est  à  propos  de  mon  discours, 
car  les  politiques  disaient: 

La  couronne  appartient  à  Henri  de  Bourbon, 
n  n'y  a  qu'à  tenir;  il  n'est  plus  hérétique. 
Qu'en  dites-vous  ligueurs?  Vous  n'avez  pas  du  bon; 
11  faut  ployer  sous  lui,  puisqu'il  est  catholique. 

nÉPONSE. 

Si  catholique  il  est,  jamais  nul  de  nos  Rois 
Ke  le  fut  tant  que  lui;  non  pas  S.  Louis  même: 
Car  ils  ne  l'ont  été  chacun  d'eux  qu'une  fois. 
Et  Henri  de  Bourbon  l'est  jà  pour  la  troisième.' 

Le  pamphlétaire  n'oublie  pas  les  réformés  ;  il  croit  qu'on 
devrait  attacher  tous  les  ministres  protestants  comme  fa- 
gots depuis  le  pied  jusqu'au  sommet  de  l'arbre  du  feu  de 
la  Saint-Jean  et  mettre  le  roi  dans  le  muid  où  l'on  met  les 
chats'.  «Ce  serait,  ajoute-t-il,  ua  sacrifice  agréable  au  ciel 
et  délectable  à  toute  la  terre.  » 

1.  Chalambeit,  Histoire  de  la  ligi.e,  t  H. 

2.  C  ciait  ia  coutume  à  Paris,  le  jour  de  la  Saint-Jeau,  de  remplir 
na  touneaii  de  chats  et  de  le  jeter  dans  le  feu.  —  L'Estoile, 
année  1693. 


68 


HISTOIRE  DE  LA  RÊFORMATION  FRANÇAIS*. 


VIL 

Les  ligueurs  lancèrent  encore  contre  les  royalistes  le 
Dialogue  du  Maheitslre  et  du  Manant;  ce  pamphlet  eut  une 
importance  plus  grande  que  celui  du  Banquet  du  comte 
d'Arête.  L'auteur  est  probablement  Rolland,  conseiller  aux 
monnaies,  l'un  des  Seize'.  L'auteur  raconte  une  conver- 
sation qui  a  eu  lieu  entre  un  gentilhomme  catholique  (le 
Maheuslre)  et  un  bourgeois  de  la  ligue  (le  Manant)  ;  le 
dialogue  est  vif,  serré,  parfois  éloquent;  le  Manant  défend 
habilement  la  prise  d'armes  de  la  ligue  et  son  refus  de  re- 
connaître pour  roi  un  prince  relaps  et  sous  le  coup  d'une 
excommunication;  les  ligueurs,  selon  lui,  ne  sont  qu'en 
état  de  légitime  défense;  ils  usent  de  la  liberté  légitime  qui, 
de  tout  temps,  leur  a  été  acquise  pour  préserver  de  toute  at- 
teinte leur  religion,  leurs  privilèges  et  leur  liberté'.  L'au- 
teur n'a  pas  oublié  que  Mayenne  a  voulu  se  substituer  aux 
Seize  et  a  fait  pendre  quatre  de  ses  membres  les  plus  zélés; 
il  sépare  la  cause  du  lieutenant-général  de  celle  de  la 
Sainte-Union  et  lui  porte  un  coup  terrible  ainsi  qu'aux 
princes  Lorrains,  en  les  montrant  plus  préoccupés  de  la 
grandeur  de  leur  maison  que  de  l'intérêt  de  la  France. 
L'auteur  termine  en  remettant  sa  cause  à  Dieu. 

«  Le  Maheustre  :  Quel  chef  avez-vous  ? 

uLe  Manant:  Dieu. 

«ic  Maheustre:  Quel  secours  avez  vous,  ou  espérez- 
vous  en  avoir? 
«  Le  Manant  :  Dieu. 

«  Le  Maheustre  :  En  qui  avez-vous  créance  et  fiance  pour 
vous  délivrer? 

«.Le  Manant:  En  Dieu. 

«ie  Maheustre:  Qu'estimez-vous  qui  vous  sauvera  des 
mains  et  puissance  du  roi? 
«Le  Manant:  Dieu. 

1.  Quelques-uns  l'attribuent  à  Cromé. 

2.  C'est  le  raisonnement  habituel  des  iiltraniontains ,  qui  ré* 
clament  pour  eux  la  liberté  de  défendre  leur  cause ,  et  dénient  ce 
droit  à  leurs  adversaires,  parce  que,  disent-ils,  la  vérité  «  « 
droit,  qui  n'appartient  pas  à  l'erreur. 


LIVRE  XXIII. 


69 


«Z,e  Slaheustre  :  Comment  pensez- vous  faire  quelque 
bon  établissement,  qui  le  soutiendra? 
«ie  Manant  :  Dieu. 

«ie  Maheustre:  Comment  pensez-vous  avoir  un  roi. 
vu  la  contradiction  de  vos  princes?  Qui  vous  le  donnera? 
<iLe  Mananl  :  Dieu.» 

Cette  fin  ne  manqua  pas  de  grandeur;  mais  Dieu  pou- 
vait-il prendre  en  main  la  cause  des  Rose,  des  Âubry,  des 
Boucher,  des  Bussy-Leclerc? 

Ce  pamphlet  fut  plus  utile  que  nuisible  à  la  cause  royale. 
En  attaquant  Mayenne,  il  affaiblit  sensiblement  l'influence 
du  seul  homme  qui  pût,  dans  ce  moment,  s'opposer  au 
roi.  Le  lieutenant-général  irrité  de  ce  qu'on  eiit  osé  s'at- 
taquer à  sa  personne ,  fit  saisir  le  livre,  qui  fut  lu  avec  plus 
d  avidifé.  C'est  alors  que  parut  le  roi  des  pamphlets,  la  sa- 
tire Ménippée'.  Ses  auteurs,  Leroy,  Pierre  Pithou,  Passe- 
rat,  Nicolas  Rapin,  Florent  Chrétien  immolèrent  les  prin- 
cipaux ligueurs  à  leur  impitoyable  raillerie. 

Les  auteurs  supposent  que  pendant  ,qu'au  Louvre  on 
faisait  des  préparatifs  pour  la  tenue  des  États,  deux  char- 
latans, l'un  Espagnol,  l'autre  Lorrain,  vendaient  leurs 
drogues  et  faisaient  à  qui  mieux  mieux  des  tours  de  passe- 
passe;  chacun  pouvait  les  voir  sans  payer.  Le  charlatan 
espagnol  monté  sur  son  grand  tréteau  faisait  de  la  musique 
et  vendait  un  électuaire  appelé  Fir/uiero  d'inferno^  ou  ca- 
tholicon  composé.  Rien,  selon  lui,  n'égalait  la  vertu  de  sa 
drogue;  la  pierre  philosophale  même  ne  pouvait  lui  être 
comparée.  A  côté  de  lui,  le  charlatan  lorrain  faisait  triste 
figure;  il  avait  beau  gesticuler,  crier,  la  foule  l'abandon- 
nait et  se  pressait  autour  de  son  rival. 

Les  spirituels  auteurs  de  la  Ménippée ,  après  un  récit 
burlesque  d'une  grande  procession  qui  eut  lieu  avant 

1.  Elle  fut  ainsi  appelée  en  souTenir  de  Ménippe  de  Gadara, 
qui  a  écrit  des  satires  en  prose  et  en  vers  contre  les  hommes  et 
les  événements  de  son  siècle.  La  Ménipée  parut  d'abord  en  manu- 
scrit ,  et  fut  imprimée  en  1 594  arec  la  date  de  1593.  Elle  a  eu  un 
gran^  nombre  d'éditions.  Charles  Nodier  en  a  donné  une  en  1824, 
en  2  vol.  in-S" ,  avec  des  notes  de  Du  Puy  et  de  Le  Duchat.  Charles 
Labitte  en  a  publié  également  en  1842  une  très-bonne,  avec  des 
notes  et  ime  introduction. 

2.  Figuier  d'enfer.  —  Voir  Note  n. 


70  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

l'ouverture  des  États  ',  font  la  description  des  douze  tapis- 
series qui  ornent  la  chambre  des  députés  et  lancent  de 
fines  railleries  sur  les  principaux  chefs  de  la  ligue.  Sur  la 
sixième,  disent-ils,  était  dépeint  le  miracle  d'Arqués,  où 
cinq  ou  six  cents  déconfortés%  prêts  de  passer  la  mer  à  la 
nage,  faisaient  la  nique  et  mettaient  en  déroute,  par  les 
charmes  du  Béarnais,  douze  ou  quinze  mille  rodomonts, 
fendeurs  de  naseaux  et  mangeurs  de  charrettes  ferrées  ;  et 
ce  qui  en  était  de  plus  beau ,  étaient  les  dames  de  Paris 
aux  fenêtres  et  autres  qui  avaient  retenu  place  dix  jours 
devant,  sur  les  boutiques  et  ouvroirs  Saint-Antoine,  pour 
voir  amener  le  Béarnais  prisonnier,  en  triomphe,  lié  et 
bagué'  et  comment  il  leur  bailla  belle,  parce  qu'il  vint  en 
autre  habit,  par  les  faubourgs  Saint-Jacques  et  Saint-Ger- 
main. ■• 

Sur  la  septième  on  pouvait  lire  l'histoire  de  la  bataille 
d'Ivry.  On  y  voyait  Mayenne ,  monté  sur  un  cheval  turc , 
courir  bride  abattue  vers  Mantes  pour  la  prendre  par  le 
guichet.  Le  lieutenant-général  criait  :  «Mes  amis,  sauvez- 
moi  et  mes  gens  ;  tout  est  perdu ,  mais  le  Béarnais  est 
mort.  »  ' 

Après  ce  préambule,  les  auteurs  font  tour  à  tour 

ftarler  Mayenne,  le  légat,  Rose,  Pellevé,  les  principaux 
igueurs.  La  partie  capitale  de  la  Ménippée  est  le  discours  de 
D'Aubray  aux  Élals  :  «Paris,  s'écrie  l'orateur,  n'est  plus 
Paris;  mais  une  spelonque'  de  bêtes  farouches,  une  cita- 
delle d'Espagnols,  Wallons  et  Napolitains;  un  asyle  et  sûre 
retraite  de  voleurs ,  meurtriers  et  assassinateurs  ;  ne  veux-tu 
jamais  te  ressentir  de  ta  dignité,  et  te  souvenir  que  tu  as 
été  au  prix  de  ce  que  tu  es  '?  ne  veux-tu  jamais  te  guérir 
de  cette  frénésie  qui,  pour  un  légitime  et  gracieux  roi,  t'a 
engendré  cinquante  roitelets  et  cinquante  tyrans?  Tu  n'as 
pu  supporter  ton  roi  si  débonnaire,  si  facile,  si  familier, 

1 .  Note  m. 

2.  Huguenots ,  allusion  au  mauvais  état  de  leurs  alTaires. 

3.  Historique. 

4.  Allusion  à  la  prise  des  faubourgs. 

5.  Allusion  à  ce  qui  arriva  à  Mayenne  lors  de  sa  défaite  à  Ivry, 
et  au  bruit  qu'il  fit  courir,  en  entrant  à  Mantes,  de  la  mort  du 
Béarnais. 

6.  Caverne. 


LIVRE  XXIII. 


74 


qui  s'était  rendu  comme  bourgeois  et  citoyen  de  la  ville 
qu'il  a  enrichie,  qu'il  a  embellie  de  ses  somptueux  bâti- 
ments, accrue  de  forts  et  superbes  remparts,  ornée  de 
privilèges  et  exemptions  honorables.  Que  dis-je ,  pu  sup- 
porter! c'est  bien  pis;  tu  l'as  chassé  de  sa  ville ,  de  sa 
maison,  de  son  lit.  Quoi  chassé!  tu  l'as  poursuivi;  quoi 
poursuivi  !  tu  l'as  assassiné,  canonisé  l'assassinateur  et  fait 
des  feux  de  joie  de  sa  mort.  Et  tu  vois  maintenant  combien 
cette  mort  t'a  profité  ;  car  elle  est  cause  qu'un  autre  est 
monté  à  sa  place,  bien  plus  vigilant,  bien  plus  laborieux, 
bien  plus  guerrier,  et  qui  saura  bien  te  serrer  de  plus  près, 
comme  tu  as  à  ton  dam'  déjà  expérimenté... 

«Mais  je  ne  puis  en  discourir  qu'avec  trop  de  regret, 
de  voir  les  choses  en  l'état  qu'elles  sont,  au  prix  qu'elles 
étaient  alors.  Chacun  avait  encore  en  ce  temps-là  du  blé 
en  son  grenier  et  du  vin  en  sa  cave  ;  chacun  avait  sa  vais- 
selle d'argent  et  sa  tapisserie  et  ses  meubles  ;  les  femmes 
avaient  encore  leur  demi-ceint';  les  reliques  étaient  en- 
tières; on  n'avait  point  touché  aux  joyaux  de  la  couronne. 
Mais  maintenant  qui  peut  se  vanter  d'avoir  de  quoi  vivre 
pour  trois  semaines,  si  ce  ne  sont  les  voleurs,  qui  se  sont 
engraissés  de  la  substance  du  peuple  et  qui  ont  pillé  à 
toutes  mains  les  meubles  des  présents  et  des  absents? 
Avons-nous  pas  consommé  peu  à  peu  toutes  nos  provisions, 
vendu  nos  meubles  ,  fondu  notre  vaisselle,  engagé  jusqu'à 
nos  habits  pour  vivoter  bien  chétivement?  Où  sont  nos 
salles  et  nos  chambres  tant  bien  garnies,  tant  diaprées  et 
[.tapissées?  Où  sont  nos  festins  et  tables  friandes?  Nous 
;  voilà  réduits  au  lait  et  au  fromage  blanccomme  les  Suisses. 
■  Nos  banquets  sont  d'un  morceau  de  vache  pour  tout  mets; 
I  bienheureux  qui  n'a  point  mangé  de  chair  de  cheval  et  de 
i  chien,  et  bienheureux  qui  a  toujours  eu  du  pain  d'avoine 
I  et  s'est  pu  passer  de  bouillie  de  son,  vendue  au  coin  des 
rues,  aux  lieux  où  on  vendait  jadis  les  friandises  de  langues, 
caillettes  et  pieds  de  mouton ,  et  n'a  pas  tenu  à  Monsieur 
le  légat  et  à  l'ambassadeur  Mendoce  que  nous  n'ayons 
mangé  les  os  de  nos  pères  comme  font  les  sauvages  de  la 
nouvelle  Espagne...  Où  est  l'honneur  de  notre  université? 

) 

1.  Préjudice. 

2.  Parure  des  FarisieaaeB. 


72  HISTOinc  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

OÙ  sont  les  collèges?  où  sont  les  écoliers?  où  sont  les  le- 
çons publiques,  où  l'on  accourait  de  toutes  les  parties  du 
inonde?  où  sont  les  religieux  étudiants  aux  couvents?  ils 
ont  pris  les  armes,  les  voilà  tous  soldats  débauchés.  Où 
sont  nos  châsses,  où  sont  nos  précieuses  reliques?  Où  est 
la  majesté  et  la  gravité  du  parlement,  jadis  tuteur  des  rois 
et  médiateur  entre  le  peuple  et  le  prince ,  etc.  » 

L'orateur,  abordant  la  question  du  jour,  continue  et  dit: 
dEnfin  nous  voulons  un  roi  pour  avoir  la  paix  ;  mais  nous  ne 
voulons  pas  faire  comme  les  grenouilles  qui,  s'ennuyant 
de  leur  roi  paisible,  élurent  la  cigogne  qui  les  dévora 
toutes.  Nous  demandons  un  roi  et  cheï  naturel  et  non  ar- 
tificiel, un  roi  déjà  fait,  non  à  faire,  et  n'en  voulons  pren- 
dre conseil  des  Espagnols,  nos  ennemis  invétérés...  Le  roi 
que  nous  demandons  est  déjà  fait  par  la  nature,  né  au 
vrai  parterre  des  fleurs  de  lys  de  France ,  rejeton  droit  et 
verdoyant  de  la  tige  de  Saint-Louis.  Ceux  qui  prêchent 
d'en  faire  un  autre  se  trompent  et  ne  sauraient  en  venir  à 
bout;  on  peut  faire  des  sceptres  et  des  couronnes,  mais 
non  pas  des  rois  pour  les  porter  ;  on  peut  faire  une  maison, 
mais  non  pas  un  arbre  ou  un  rameau  vert;  il  faut  que  la 
nature  produise,  par  espace  de  temps,  du  suc  et  de  la 
moelle  de  la  terre,  qui  entretient  la  tige  en  sa  séve  et  vi- 
gueur. On  peut  faire  une  jambe  de  bois ,  un  bras  de  fer, 
un  nez  d'argent,  mais  non  pas  une  tête.  Aussi  pouvons- 
nous  faire  des  maréchaux  à  la  douzaine,  des  pairs,  des 
amiraux  et  des  secrétaires  et  conseillers  d'Etat;  mais  de 
roi  point,  il  faut  que  celui  seul  naisse  de  lui-môme,  pour 
avoir  vie  et  valeur.  » 

Enfin  l'auteur  de  cette  partie  si  remarquable  du  pam- 
phlet essaya,  dans  l'excès  de  son  royalisme,  une  justifica- 
tion de  la  vie  licencieuse  de  Henri  IV.  «Il  faut  concéder 
aux  princes,  dit-il,  quelques  relâches  et  récréations  d'es- 
prit ,  après  qu'ils  ont  travaillé  aux  affaires  sérieuses  qui 
importent  à  notre  repos,  et  après  qu'ils  se  sont  lassés  aux 
grandes  actions  des  sièges  et  batailles.  Les  rois,  pour  être 
rois,  ne  laissent  pas  d'être  hommes,  sujets  aux  mêmes 

fiassions  que  leurs  sujets;  mais  il  faut  confesser  que  ce- 
ui-ci  en  a  moins  de  vicieuses  qu'aucun  de  ceux  qui  ont 
passé  devant  lui  ;  et  s'il  a  quelque  inclination  à  aimer  les 
choses  belles,  il  n'aime  que  les  parfaites  et  les  e-xcellcntes, 


LIVRE  xxiir. 


73 


comme  il  est  excellent  en  jugement  et  à  connaître  le  prix 
et  la  valeur  de  toutes  choses,  etc.» 

Il  eût  mieux  valu  garder  le  silence  que  de  tenter  une 
défense  impossible;  les  auteurs  de  la  Ménippée  manquèrent 
de  tact  dans  celte  partie  de  leur  écrit;  ils  oublièrent  que 
la  loi  morale  n'a  qu'une  balance  dans  laquelle  Dieu  pèse 
les  rois  et  leurs  sujets,  et  plus  sévèrement  encore  les  pre- 
miers que  les  seconds,  parce  que  leur  grandeur  rend  leur 
responsabilité  plus  grande. 

VIII. 

La  Ménippée  parut  d'abord  en  morceaux  détachés,  qui 
furent  lus  avec  une  grande  avidité.  Son  succès  fut  immense; 
elle  indigna  et  surtout  elle  fit  rire.  Or,  en  France ,  le  parti 
dont  on  rit  est  à  moitié  vaincu  :  la  ligue,  qui  s'était  mon- 
trée héroïque  devant  la  famine ,  se  sentit  faible  devant  la 
raillerie. 

Les  principaux  chefs  avaient  perdu  leur  prestige.  Les 
bourgeois,  lassés  de  tant  de  guerres,  qui  avaient  failli  perdre 
le  royaume,  commençaient  à  réfléchir;  le  doute  prenait  peu 
à  peu  la  place  de  la  foi.  Le  Béarnais  n'était  plus  à  leurs  yeux 
aussi  abominable  qu'on  le  leur  représentait;  les  défections 
commençaient.  Mais  la  ligue  avait  jeté  de  trop  profondes 
racines  dans  le  royaume  pour  que  ses  principaux  membres , 
malgré  le  ridicule  et  l'odieux  qui  s'attachaient  à  leurs  per- 
sonnes et  à  leurs  œuvres,  vinssent  volontairement  i';iire 
leur  soumission  au  roi;  ils  résistaient  donc;  maîtres  à  Pa- 
ris et  dans  les  principales  villes  du  royaume,  les  plus  zélés 
d'entre  eux  portaient  leurs  regards  vers  le  vieux  roi  d'Es- 
pagne et  rêvaient  le  mariage  de  sa  fdle  Isabelle  avec  le  tils 
de  Henri  de  Guise.  La  chaire  n'avait  pas  abdiqué  son  rôle; 
les  prédicateurs  étaient  toujours  à  leurs  postes,  occupés  k 
réchauffer  le  zèle  de  leurs  partisans.  La  situation  du  roi 
était  toujours  diflîcile;  les  cinq  mois  qui  s'étaient  écoulés 
depuis  son  abjuration,  dont  il  attendait  tant,  n'avaient  pas 
sensiblement  amélioré  ses  affaires;  ses  partisans  étaienn 
plus  nombreux,  plus  dévoués  ;  mais  les  villes  au  pouvoir  de.'î 
ligueurs  ne  lui  avaient  pas  ouvert  leurs  portes.  L'évèqua 
de  Rome  ne  $e  hâtait  pas  de  lui  envoyer  son  absolution 

IV.  3 


74  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

demandée  avec  tant  d'instance,  et  attermoyée  avec  tant 
d'habileté.  Il  se  voyait  duiis  !a  dure  nécessité  de  conquérir 
son  royaume  ville  après  \i\\e,  château  après  château 
comme  au  lendemain  de  la  mort  de  Henri  111,  et  cela, 
après  avoir  cru  l'ermement  que  son  retour  au  catholi- 
cisme jeterait  le  désordre  dans  les  rangs  des  ligueurs  et 
les  réduirait  à  l'impuissance.  Cette  perspective  ne  lui  sou- 
riait pas,  il  résolut  alors  de  traiter  avec  chaque  gouver- 
neur de  ville  et  de  province,  et,  chose  honteuse,  les  mêmes 
hommes  qui  auraient  reçu  le  roi  à  coups  de  canon,  ou- 
vrirent publiquement  un  grand  marché  où  chacun  se  ven- 
dit. Or,  comme  chacun  se  croyait  un  personnage  important, 
il  se  tarifait  haut.  Le  gouverneur  de  Meaux,  Vitri,  ceux 
de  Bourges,  d'Orléans,  de  Lyon  firent  leur  soumission'. 
Les  Seize  et  Mayenne  étaient  terrifiés;  le  roi,  ravi  de  la 
tournure  que  prenaient  ses  affaires,  disait  plaisamment 
qu'on  ne  lui  rendait  pas  la  France,  mais  qu'on  la  lui  ven- 
dait. Rome  se  montrait  plus  difficile  que  les  chefs  de  la 
Sainte-Union;  elle  ne  lui  envoyait  pas  son  pardon  sur  le- 
quel il  avait  compté  pour  abattre  la  ligue;  il  résolut  alors 
de  se  faire  sacrer;  son  but  était  de  témoigner  une  fois  de 
plus  à  son  peuple  qu'il  était  fervent  et  sincère  catholique. 

Une  difficulté  se  présenta  dans  l'exécution.  Reims ,  où 
les  rois  avaient  coutume  de  se  faire  sacrer  et  où  se  trou- 
vait la  Sainte- Ampoule,  était  au  pouvoir  des  ligueurs. 
Était-il  possible  de  faire  ailleurs  la  cérémonie?  pouvait-on 
se  passer  de  la  vénérable  relique?  Pendant  que  la  question 
se  débattait,  un  courtisan  se  rappela  que  Louis  le  Gros 
avait  été  sacré  à  Orléans  par  un  archevêque  de  Sens ,  et 
pensa  que  la  Sainte-Ampoule  de  Reims  pourrait  être  rem- 
placée par  celle  de  Saint-Martin,  conservée  précieusement 
dans  l'abbaye  de  Noirmoutiers,  près  de  Tours. 

La  difficulté  levée,  le  roi  choisit  la  ville  de  Chartres 
(pour  le  lieu  du  sacre  et  ordonna  qu'il  fût  célébré  avec 
une  grande  magnificence;  il  ne  voulut  pas  qu'on  le  crût 
un  roi  pauvre.  Habile  politique,  il  savait  qu'on  gagne  les 
masses  mieux  par  les  yeux  que  par  le  raisonnement. 

Le  27  février  1594,  la  cérémonie  eut  lieu  au  milieu 

1.  De  Thou,  liv.  CVnT.  —  Davila,  liv.  XIV.  —  D'Aubigné,  lir.  UI, 
ch.  29,  p.  322.  ~  Mémoires  de  la  ligue,  t  VI. 


LIVRE  XXIII. 


75 


d'une  grande  foule  de  princes ,  de  prélats  et  de  grands  di- 
gnitaires. L'évèque  de  Chartres  ofïicia.  Le  roi  debout,  la 
main  posée  sur  l'Evangile,  fit  un  serment,  dans  lequel, 
entre  autres  promesses,  il  fit  celle-ci  :  «Je  tâcherai,  en 
outre,  en  bonne  foi,  de  chasser  de  ma  juridiction  et  terres 
de  ma  sujétion  tous  hérétiques  dénoncés  par  l'église,  pro- 
mettant par  serment  de  garder  tout  ce  qui  a  été  dit.  Ainsi 
Dieu  m'aide  et  ces  saints  évangiles  de  Dieu.  »  ' 

Après  ces  paroles  dans  lesquelles  le  fils  de  l'huguenote 
Jeanne  d'Abret  venait  de  promettre  d'exterminer  ses  an- 
ciens compagnons  de  travaux,  il  reçut,  sur  son  front,  l'huile 
consacrée,  récita,  à  genoux  et  à  haute  voix,  le  confiteor  et 
prit  la  communion  sous  les  deux  espèces  du  pain  et  du  vin. 

La  cérémonie  terminée,  il  se  retira  au  palais  épiscopal 
au  milieu  des  acclamations  enthousiastes  de  la  foule.  Le 
lendemain  il  se  rendit  de  nouveau  dans  la  cathédrale  oii  il 
reçut  des  mains  de  l'évèque  de  Chartres  le  collier  de  l'or- 
dre du  Saint-Esprit  institué  par  Henri  III  et  prêta,  comme 
chef  de  l'ordre,  le  serment  suivant: 

«Nous  Henri,  roi  de  France  et  de  Navarre,  jurons  et 
vouons  solennellement  en  vos  mains,  à  Dieu  le  Créateur, 
de  vivre  et  de  mourir  en  la  sainte  foi  et  religion  catholique 
et  romaine  comme  à  un  bon  roi  très-chrétien  appartient, 
et  plutôt  mourir  que  d'y  faillir,  de  maintenir  à  jamais  l'or- 
dre du  Saint-Esprit.  » 

Les  serments  coûtaient  peu  au  roi;  dans  celui-là  il  pro- 
mettait, comme  dans  celui  de  la  veille,  d'extirper  l'hérésie 
de  son  royaume,  l'ordre  du  Saint-Esprit  ayant  été  en  par- 
tie institué  à  celte  fin. 

IX. 

Les  réformés  se  plaignirent  vivement.  Le  roi  leur  fit  ré- 
pondre que  ce  n'était  pas  d'eux  qu'il  s'agissait  quand  il 
avait  promis  d'extirper  les  hérétiques  de  son  royaume';  le 

'  1.  Y.  Palma-Cayet,  année  1594.  —  Davila,  liv.  XIV.  —  De  Tliou, 
Uv.  CVIII. 

J  2.  Élie  Benoît,  Histoire  de  fédit  de  Nantes,  1. 1<=^ liv.  m, p.  117. 
—  L'Histoire  d'Élie  Benoit  pour  l'exactitude  des  faits  mérite  d'avoir 
une  place  à  côté  de  celle  de  De  TLou.  Nous  aurons  souvent  occa- 
sion de  la  citer;  comine  De  Tliou,  il  a'a  puisé  qu'à  des  sources 
•ûres. 


76  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

jésuitisme  n'est  pas  né  avec  Loyola.  C'est  avec  un  profond 
dégoût  qu'on  voit  un  prince  qui  aspire  à  être  le  roi  d'un 
grand  peuple,  se  jouer  légèrement  de  ce  qu'il  y  a  de  plus 
sacré  au  monde,  et  attirer  ainsi  sur  sa  tête  et  celle  de  ses 
sujets  la  malédiction  divine. 

Le  roi  ne  pensa  guère  à  ses  promesses;  Paris  à  conqué- 
rir lui  importait  plus  que  le  ciel  à  gagner.  Or,  Paris  résis- 
tait toujours,  quoique  l'ardeur  des  ligueurs  fût  en  partie 
paralysée  par  les  catholiques  royalistes  qui  soupiraient  ar- 
demment après  l'heure  qui  les  délivrerait  de  leur  tyrannie. 
Mayenne  sentant  qu'une  plus  longue  résistance  était  diffi- 
cile, se  rapprocha  des  Seize.  Il  consentit,  sur  leur  de- 
mande, à  la  révocation  du  comte  de  Belin,  gouverneur  de 
Paris,  dont  on  suspectait  la  fidélité,  et  nomma,  à  sa  place, 
le  comte  de  Brissac,  qui  s'était  distingué  le  jour  des  barri- 
cades et  avait,  depuis  cette  mémorable  date,  donné  tant 
de  preuves  de  fidélité  et  de  dévouement  à  la  cause'.  Ce  fut 
cet  homme  qui  livra  la  ville  au  roi;  il  posa  préalablement 
ses  conditions;  il  exigea  200,000  écus  une  fois  payés;  la  con- 
servation de  son  bâton  de  maréchal  de  France,  le  gouverne- 
ment de  Corbeil  et  de  Mantes,  et  20,000  livres  de  pension. 
Henri  IV  accepta  tout;  Brissac  fit  alors  habilement  ses  dis- 

fiositions  et  profita  d'une  absence  de  Mayenne  pour  ouvrir 
es  portes  de  la  ville  au  roi  qui  y  pénétra,  non  sans  dé- 
fiance, mais  avec  cet  entrain  qu'il  mettait  dans  ses  opéra- 
tions militaires.  Les  ligueurs  apprirent,  avec  une  surprise 
mêlée  d'effroi ,  que  le  roi  assistait  à  un  Te  Demi  à  Notre- 
Dame;  ils  voulurent  prendre  les  armes,  mais  le  même 
peuple,  qui  avait  tant  souffert  pour  leur  cause,  avait, 
après  quelques  hésitations ,  acclamé  le  roi  et  fait  retentir 
les  airs  de  ses  joyeux  hourras.  Ils  comprirent  que  Paris 
leur  échappait;  les  armes  leur  tombèrent  d'elles-mêmes 
des  mains  ;  les  moins  fougueux  crièrent  :  Vive  le  roi  !  les 
plus  forcenés  dissimulèrent  leur  rage. 

Le  Te  Deum  terminé,  Henri  IV  alla  au  Louvre;  partout 
sur  son  passage  il  l'ut  salué  par  les  plus  vives  acclaniaîions 
d'une  population  enthousiaste;  il  pleurait  de  joie  et  recevait 
/avec  une  grande  bienveillance  ceux  qui  venaient  lui  pré- 
senter leurs  hommages;  mais  il  avait  soin  aussi ,  par  des 

t.  L'Estoile,  année  1594.  —  Économies  royales,  t.  U. 


LIVRE  XXIII. 


■7 


mots  piquants ,  de  faire  sentir  son  mécontentement  à  quel- 
ques hauts  dignitaires,  dont  il  avait  à  se  plaindre.  «Je  suis 
bien  aise,  Monsieur  le  président,  dit-il  à  M.  de  Hacque- 
\ille,  de  vous  voir;  je  sais  les  bons  olTices  que  vous 
avez  faits  ici,  je  vous  en  remercie;  toutefois,  quand  il  était 
question  de  quelque  atTaire  qui  importait  à  mon  service, 
vous  étiez  ordinairement  malade ,  je  suis  d'avis  que  vous 
vous  retiriez  à  votre  grand  conseil.»  Au  moment  où  il 
finissait  sa  phrase,  il  aperçut  dans  la  foule  le  secrétaire 
Mcolas  :  v  Qui  avez-vous  suivi  dans  les  troubles?»  lui  dit  le 
roi,  qui  aimait  à  plaisanter.  Celui-ci,  honteux  et  hésitant, 
répondit:  «  J'ai  quitté  le  soleil  pour  suivre  la  lune.» 

«Mais  que  penses -tu  dire  de  me  voir  ainsi  à  Paris 
comme  j'y  suis  ? 

«Je  dis.  Sire,  qu'on  a  rendu  à  César  ce  qui  appartient 
à  César  et  à  Dieu  ce  qui  appartient  à  Dieu.  » 

«Ventre  Saint-Gris,  répliqua  vivement  le  roi  en  se  tour- 
nant vers  Brissac ,  on  ne  m'a  pas  fait  comme  à  César  ;  car 
on  ne  me  l'a  pas  rendu ,  à  moi,  on  me  l'a  bien  vendu.  »  ' 

Dans  l'après-midi  il  alla  à  la  porte  Saint-Denis  voir  dé- 
filer la  garnison  espagnole  qui  sortait  avec  tous  les  honneurs 
de  la  guerre,  suivant  une  convention  signée  le  matin  avec 
le  duc  de  Féria.  Quand  celui-ci  passa  sous  la  fenêtre  de 
laquelle  le  roi  voyait  défiler  le  cortège,  il  dit  à  l'ambassa- 
deur en  le  saluant:  «Recommandez-moi  à  votre  maître, 
mais  n'y  revenez  pas.»  Au  salut  courtois  et  ironique  du 
roi,  Féria  répondit,  en  vrai  Castillan,  par  une  légère  in- 
clination de  tète;  mais  il  n'en  sentit  pas  moins  amèrement 
que  son  maître  avait  jeté  au  vent  ses  efforts  et  ses  dou- 
blons, et  que  la  réduction  de  Paris  était  pour  lui  le  pen- 
dant du  désastre  de  l'Armada.' 

Après  souper  le  roi  alla  rendre  visite  aux  duchesses  de 
Nemours  et  de  Montpensier.  La  conversation  fut  vive ,  en- 
jouée; on  eût  dit  que  l'attentat  de  Saint-Cloud ,  auquel  la 
duchesse  de  Montpensier  avait  pris  tant  de  part,  n'était 
qu'une  vieille  légende.  L'homme  qui ,  sur  le  cadavre  de 
Henri  III,  disait  en  sanglotant:  «Les  larmes  ne  pourront 
nous  le  rendre»,  faisait  une  partie  de  cartes  avec  la  cora- 

1.  L'Estoile,  année  1-594. 

2.  Pérèfixe.  Histoire  de  Henri  IV.  —  Y.  Palina-Cayet,  liv.  VI.  — 
Davila,  liv.  XIV.  —  Capeflgne;  t.  vn,  p.  148-160. 


78  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

plice  de  Jacques  Clément  et  se  laissait  galamment  gagner 
son  argent  par  elle.' 

Le  soir,  quand  il  fut  rentré  dans  le  Louvre,  il  ne  pouvait 
contenir  sa  joie  :  «C'est  un  miracle  de  Dieu,»  disait-il 
au  chancelier  Cheverni. 

X. 

Maître  de  Paris  ,  le  roi  fut  le  maître  des  volontés  ; 
l'Hôtel-de-Vilie  et  le  parlement  firent  leur  soumission  ; 
la  Sorbonne  fil  aussi  la  sienne. 

Le  corps  qui  avait  proclamé  la  déchéance  de  Henri  III, 
acclamé  son  meurtrier,  .déclaré  le  Béarnais  indigne  de  la 
couronne  et  qui  s'était  associé  à  toutes  les  fureurs  de  la 
ligue,  se  condamna  publiquement  et  signa  entre  les 
mains  du  roi  une  formule  dans  laquelle  il  le  reconnais- 
sait pour  son  légitime  souverain  et  déclarait,  conformé- 
ment à  la  doctrine  de  Saint-Paul ,  que  les  pouvoirs  sont 
institués  de  Dieu  et  que  toute  obéissance  leur  est  due.  Il 
anathématisait  ceux  de  ses  membres  qui  auraient  à  cet 
égard  des  sentiments  contraires.' 

Cinquante-quatre  maîtres  et  docteurs  apposèrent  leurs 
signatures  au  bas  de  la  formule;  cinq  ans  auparavant 
soixante-dix  membres  du  même  corps  déclaraient:  1"  que 
le  peuple  était  délié  du  serment  prêté  à  Henri  III,  qu'il 
pouvait  en  toute  sûreté  de  conscience  s'armer  pour  la  dé- 
fense de  la  religion  contre  les  conseils  néfastes  et  les  en- 
treprises dudit  roi  et  de  ses  adhérents,  puisque  Henri  III 
avait  violé  la  foi  publique,  au  préjudice  de  la  religion,  de 
^  l.'édit  de  la  Sainte-Union  et  de  la  naturelle  liberté  des 
États.  Et  aujourd'hui  ce  même  corps  reconnaissait  «que la 
puissance,  comme  le  dit  Saint-Paul,  vient  de  Dieu,  et  que 
celui  qui  résiste  à  la  puissance  encourt  la  damnation.  »  ' 

1.  L'Estoile,  année  1594. 

2.  L'Esloile,  année  1694.  —  Étals  généraux,  t.  XV.  —  Mémoires 
de  la  ligue,  t.  VI. 

3.  Henri  Martin,  t.  X,  p.  125.  —  Économies  royales,  colleci ion 
Petitot,  série  II,  1. 1",  p.  109.  —  Acte  public  de  l'obéissance  ren- 
due, jurée  et  signée  au  roi  très-chrétien  Henri  IV,  par  MM.  le 
recteur,  docteurs  et  suppôts  de  l'université  de  Paris  (22  avril  1594). 
—  Mémoires  de  la  ligue,  t.  VI,  p.  88  et  suiv. 


LIVRE  XXIII. 


79 


La  faculté  de  théologie  se  déshonora  par  son  servilisme; 
quel  que  soit  le  jugement  que  nous  portions  sur  les  li- 
gueurs, qui,  ne  vouinnt  pas  profiter  de  l'amnistie  accordée 
par  Henri  IV,  s'exilèrent  volontairement  pour  demeurer 
fidèles  à  leurs  convictions,  nous  les  plaçons  bien  au-des- 
sus de  ces  docteurs  qui,  par  lâcheté,  s'inclinent  devant  le 
prince  pour  lequel  ils  n'auraient  pas  eu  assez  de  tous  leurs 
anathèmes,  s'il  eût  été  malheureux.  On  hait  l'homme  vio- 
lent, implacable,  qui  laisse  après  chaque  empreinte  de  ses 
pas  une  tache  de  sang;  mais  on  n'a  pas  assez  de  tout  son 
mépris  pour  celui  qui  fait  litière  de  ses  principes.  Au  reste, 
la  conduite  des  Sorbonnistes  ne  doit  pas  nous  étonner;  les 
hommes  violents  sont  rarement  des  hommes  de  courage; 
ils  croient  avoir  de  la  foi,  ils  n'ont  que  des  passions  et  des 
préjugés. 

Parmi  les  prédicateurs  il  y  en  eut  qui,  s'inclinant  sans 
rougir  devant  le  fait  accompli ,  cessèrent  leurs  attaques 
contre  le  roi  et  découvrirent  en  lui  mille  vertus  qu'ils  n'y 
apercevaient  pas  la  veille  de  la  réduction  de  Paris.  Guin- 
cestre  louait,  du  haut  de  sa  chaire.  Sa  Majesté  «tellement, 
dit  l'Estoile,  qu'on  pensait  qu'il  n'y  dût  jamais  sortir.»  Le 
jour  même  de  la  réduction ,  il  vint  faire  sa  soumission  au 
roi  qui  lui  pardonna;  mais  comme  il  s'approchait  de  lui, 
Henri  dit  tout  haut  :  «  Gare  le  couteau  '  !  »  Ce  fut  sa  seule 
vengeance. 

Henri  IV  se  montra  cordial,  bon,  généreux,  à  l'égard 
des  ligueurs  les  plus  forcenés  ;  il  n'oublia  que  ses  fidèles 
huguenots;  il  savait  qu'ils  ne  le  tueraient  pas. 

XL 

Les  partis  sont  rarement  généreux:  forts,  ils  ne  com- 
prennent pas  que  les  représailles  affaiblissent  plus  qu'elles 
ne  fortifient,  et  que,  si  les  vaincus  sont  impuissants,  ils 
demeurent  insoumis  dans  leur  impuissance.  Les  royalistes, 

![ui  avaient  tant  soufl'ert  pendant  le  terrorisme  de  la  ligue, 
irent  mettre  à  mort  les  assassins  de  Brisson  et  quelques- 
uns  des  plus  forcénés  ligueurs.  Rose,  Louis  d'Orléans, 
Leclerc,  Crucé,  Pelletier,  Hamilton  Cromé,  Boucher,  et 

1.  L'Estoile,  année  1594. 


80  HISTOIRE  DE  LA  "RÉFOftMATION  FRANÇAISE. 


[jîusieurs  des  Seize  ne  durent  leur  salut  qu'à  la  fuite.  Le 
parlement  les  condamna  à  mort  et  leur  exécution  eut  lieu 
en  effigie.' 

Les  ennemis  les  plus  dangereux  des  royalistes  n'étaient 
pas  ceux  qu'on  frappait  ou  qui  prenaient  le  chemin  de 
l'exil  :  c'étaient  les  jésuites.  Ces  religieux  avaient  refusé  de 
prêter  serment  au  roi ,  sous  le  prétexte  que  le  pape  n'avait 
pas  levé  l'excommunication  qui  pesait  sur  lui;  à  part  cela, 
ils  sa  conduisaient  extérieurement  en  sujets  fidèles  et  ne 
demandaient  que  la  permission  de  régenter  paisiblement 
et  obscurément  dans  leurs  collèges.  Les  royalistes  pen- 
sèrent, et  non  sans  raison,  que  tant  que  la  société  de 
Loyola  demeurerait  debout  en  France,  la  ligue  ne  serait 
pas  éteinte.  Le  dessein  de  Barrière  d'assassiner  le  roi  di- 
sait mieux  que  toute  parole  que  la  tranquillité  de  la  mo- 
narchie était  incompatible  avec  son  existence.  Nous  avons 
raconté  au  XV'  livre  de  cette  histoire  son  procès  avec 
l'université ,  qui  se  termina  par  un  arrêt  qui  laissa  toutes 
les  questions  en  suspens  entre  elle  et  ses  adversaires. 
Comme,  jusqu'à  cette  époque,  elle  avait  été  plutôt  tolérée 
que  reconnue  officiellement  en  France,  il  fut  décidé  dans 
une  réunion  des  quatre  facultés  qu'on  reprendrait  le  pro- 
cès suspendu  depuis  trente  ans.  Le  12  mai  15941e  recteur 
de  l'université,  Jacques  d'Amboise,  présenta  requête  au 
parlement  «pour  que  les  jésuites,  ministres  et  espions 
d'Espagne  fussent  bannis  du  royaume.  » 

Les  pères,  atteints  dans  le  centre  même  de  leurs  inté- 
rêts, essayèrent  de  conjurer  l'orage  en  envoyant  leur 
soumission  au  roi  et  en  cherchant  des  appuis  jusque  dans 
ses  conseils.  D'O  et  plusieurs  autres  personnages  influents 
se  déclarèrent  ouvertement  leurs  protecteurs  et  firent 
jouer  tant  de  ressorts  que  le  recteur  de  la  Sorbonne  fut 
désavoué.  On  décida  que  les  jésuites  ne  seraient  pas  bannis 
du  royaume ,  mais  qu'ils  seraient  soumis  aux  statuts  uni- 
versitaires. 

Le  recteur,  aidé  de  quelques  curés  influents  de  Paris, 
ne  se  tint  pas  pour  vaincu ,  et  obtint  que  la  cause  serait 
plaidée.  Grâce  aux  amis  puissants  des  accusés ,  les  débat? 

1.  V.  Palma-Cayet,  liv.  VI.  —  Capefigue,  t.  VII.  —  Davila, 
Ut.  XIV.  —  De  Thou,  liv.  CIX.  —  Henri  Martin  t.  X ,  p.  368. 


LIVRE  XXIII. 


81 


eurent  lieu  à  huis  clos.  Antoine  Arnaud,  le  père  de  cet 
autre  Anioine  Arnaud  qui  devait  plus  tard  s'immortaliser 
dans  ses  luttes  contre  les  jésuites,  plaida  pour  le  recteur: 
Dollé  porta  la  parole  pour  les  curés  de  Paris. 

Les  avocats  des  demandeurs  parlèrent  avec  une  violence 
inouïe;  leurs  discours,  hérissés  de  grec,  de  latin  et  de 
citations,  ne  manquèrent  ni  d'habileté,  ni  d'une  certaine 
éloquence.  —  Cependant ,  à  force  de  fiel  et  de  haine , 
ils  dépassèrent  le  but  et  rendirent  presque  intéressants 
ceux  sur  la  tête  desquels  ils  appelaient  l'anathème  du  ciel 
et  l'exécration  des  hommes.  Arnaud  surtout  méconnut 
complètement  le  caractère  fondamental  de  la  société  de 
Loyola;  pour  la  rendre  plus  odieuse,  il  la  montra  dévouée 
à  l  Espagne. 

Les  faits  articulés  étaient  vrais;  mais  l'avocat  méconnut 
étrangement  le  caractère  constitutif  du  jésuite;  —  trois 
siècles  ont  prouvé  qu'il  n'est  ni  Français,  ni  Italien,  ni 
Espagnol,  ni  Autrichien,  mais  nlui;y>  sa  patrie  n'est  ni  Ma- 
drid, ni  Paris,  ni  Naples,  ni  Venise,  elle  n'est  pas  même 
Rome,  quoiqu'il  se  proclame  le  sujet  le  plus  soumis  du 
pape;  le  Lut  de  sa  société  est  de  tout  embrasser  pour  tout 
dominer.  Jamais  Protée  n'eut  plus  de  figures,  jamais  ca- 
méléon n'eut  plus  de  couleurs. 

Arnaud  fut  plus  dans  le  vrai  quand  il  accusa  la  société 
de  tenir  école  de  régicide.  «Mais  à  quoi  est-ce  que  je 
m'arrête?  s'écria-t-il;  à  des  calomnies  contre  les  morts? 
Hé  !  ils  ont  voulu  massacrer  les  vivants.  Ne  iut-ce  pas 
dans  le  collège  des  jésuites  à  Lyon ,  et  encore  dans  celui 
des  jésuites  à  Paris,  que  la  dernière  résolution  fut  prise 
d'assassiner  le  roi  au  mois  d'août  mil  cinq  cent  quatre-vingt 
treize.  La  déposition  de  Barrière,  exécuté  à  Melun,  n'est- 
elle  pas  toute  notoire,  et  n'a-t-elle  pas  fait  trembler  et 
tressaillir  tous  ceux  qui  ont  le  cœur  vraiment  français, 
tous  ceux  qui  n'ont  point  bâti  leurs  desseins  et  leurs  espé- 
rances sur  la  mort  du  roi?  iNe  fut-ce  pas  Varade ,  principal 
des  jésuites,  choisi  tel  par  eux  comme  le  plus  homme  de 
bien  et  le  meilleur  jésuite,  qui  exhorta  et  encouragea  ce 
meurtrier,  l'assurant  qu'il  ne  pouvait  faire  œuvre  au  monde 
plus  méritoire  que  de  tuer  le  roi,  encore  qu'il  fût  catho- 
lique et  qu'il  irait  droit  en  paradis  ;  et  pour  le  confirmer 
davantage  en  cette  malheureuse  résolution,  ne  le  fit-il  pas 


82  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


confesser  par  un  autre  jésuite  duquel  on  n'a  pu  savoir  le 

nom  et  qui  est,  par  aventure,  encore  en  cette  ville,  épiant 
de  semblables  occasions?  Quoi  plus,  ces  impics  et  exé- 
crables assassins  ne  communièrent-ils  pas  encore  ce  Bar- 
rière, employant  le  plus  précieux  et  le  plus  sacré  mystère 
de  la  religion  chrétienne  pour  faire  massacrer  le  premier 
roi  de  la  chrétienté?  » 

L'avocat  termina  en  demandant  «que  dans  le  délai  de 
quinze  jours  les  jésuites  fussent  expulsés  du  royaume,  sous 
peine,  pour  celui  qui  n'obtempérerait  pas  aux  ordres  de  la 
cour,  d'être  condamné  comme  coupable  d'avoir  attenté  sur 
la  vie  du  roi.  » 

XII. 

Dollé,  l'avocat  des  curés  de  Paris,  déploya,  dans  son 
plaidoyer,  moins  de  violence  et  plus  d'habileté  qu'Arnaud; 
comme  son  collègue ,  il  sacrifia  au  mauvais  goût  de  l'époque, 
et  c'est  de  lui  qu'on  peut  dire  : 

«Qui  nous  délivrera  des  Grecs  et  des  Romains?» 

Pour  prouver  qu'on  doit  chasser  du  milieu  des  Français 
des  étrangers  qui  introduisaient  dans  le  royaume  un  nouvel 
ordre  de  choses,  il  commença  ainsi  son  discours:  «Le  sé- 
nat de  Rome,  Messieurs,  ayant  condamné  les  sacrifices 
d'Isis  et  de  Sérapis,  ordonna  que  leur  temple  serait  ruiné, 
afin  que  les  prêtres  Isiaques  perdissent  à  jamais  l'espérance 
de  s'y  habituer.  Ceux  qui  eurent  charge  de  cette  exécution 
furent  saisis  d'une  frayeur  superstitieuse  et  n'y  osèrent 
mettre  la  main ,  de  peur  qu'en  violant  les  autels  de  ces  dieux 
étrangers  ils  ne  fussent  foudroyés  comme  on  les  en  me- 
naçait; mais  le  consul  Emilius  Paulus,  assuré  que  tout  ce 
qu'un  citoyen  faisait  pour  le  bien  de  son  pays  était  agréable 
à  Dieu,  dépouilla  sa  robe  de  pourpre,  prit  la  hache  en 
main  et  le  premier  enfonça  la  porte  pour  encourager  les 
autres  à  faire  comme  lui.  Il  est  aujourd'hui  question  de 
savoir  si  on  doit  chasser  du  milieu  de  nous  des  étran- 
gers qui  introduisent  un  nouvel  ordre  qui  n'est  pas  ap- 
prouvé par  l'Église  gallicane,  desquels  la  vie,  les  mœurs 
et  la  doctrine  sont  condamnés  depuis  longtemps  on  l'esprit 
de  tous  les  gens  de  bien;  narcaque,  sous  prétexte  de  piété 
et  de  dévotion,  ils  sapent  peu  à  peu  les  fondi  ments  de 
l'Etat,  débauchent  le  peuple  de  l'obéissance  naturelle  qu'il 


LIVRE  XXIII, 


83 


doit  à  son  foi  ;  lui  dérobent  le  cœur  de  ses  sujets  pour  les 
donner  en  proie  au  plus  grand,  au  plus  dangereux  des 
ennemis  de  la  France,  qui  bâtit  de  ses  ruines,  et,  comme 
un  cruel  Python,  cherche  à  dévorer  ses  enfants.» 

Après  la  part  faite  au  mauvnis  goût,  on  admire  comment 
Dollé  serre  de  près  ses  adversaires  et  dévoile  les  ruses  de 
leur  politique;  il  cite  les  articles  secrets  de  leur  société, 
qui  sont  les  plus  importants  de  leur  constitution;  montre 
que  leur  danger  n'est  pas  d'avoir  des  règles  comme  les 
autres  corporations;  mais  de  ne  pas  en  avoir  du  tout,  ce 
qui  leur  permet  de  prendre  tous  les  masques  et  tous  les 
visages;  il  les  montre  enfin  s'élévant  au-dessus  des  autres 
ordres ,  du  clergé  régulier  et  même  des  évéques ,  prome- 
nant leur  indépendance  partout ,  et  partout  se  rendant 
redoutables,  même  à  Rome,  de  laquelle  ils  tiennent  tous 
leurs  privilèges  exorbitants.  Quand  l'orateuraborde  la  ques- 
tion du  régicide ,  il  presse  en  rude  logicien  ses  adversaires 
et  atteint  la  véritable  éloquence  du  barreau;  il  suit  hardi- 
ment les  jésuites  sur  leur  terrain  de  défense  dans  l'affaire 
de  Barrière.  «Je  vous  supplie,  Messieurs,  dit  l'avocat  en 
s'adressant  à  la  cour,  de  les  écouter  attentivement:  ils 
disent  que  Varade,  ayant  ouï  Barrière,  qui  lui  demandait 
avis  s'il  devait  tuerie  roi,  il  le  jugea,  à  son  visage,  regard, 
geste  et  parole  égaré  de  son  sens.  Comment  cette  affaire 
était-elle  de  si  peu  d'importance  que  vous  l'ayez  examinée 
si  légèrement?  Si  Varade  le  jugeait  insensé,  pourquoi  lui 
indiquait-il  un  confesseur?  pourquoi  ne  s'enquérait-il 
depuis  à  ce  confesseur,  s'il  persévérait  en  cette  résolution 
par  où  il  est  connu  jiidiciitm  animi  faissel  Mais  voyons  le 
reste.  Quand  Barrière  lui  eut  déclaré  son  intention,  il  lui 
répondit  qu'il  ne  lui  en  pouvait  donner  avis,  étant  prêtre, 
et  que,  s'il  lui  conseillait,  il  encourrait  la  censure  d'irré- 
gularité ,  et  par  conséquent  ne  pourrait  dire  messe,  laquelle, 
toutefois,  il  voulait  dire  incontinent.  0  Dieu!  est-il  pos- 
sible qu'un  prêtre,  étant  sur  le  point  de  faire  un  sacrifice 
de  paix,  ose  proférer  telles  paroles,  qu'il  n'a  pu  faire  misé- 
ricorde, qu'il  ne  lui  a  point  été  permis  de  dissuader  un 
parricide?  Hypocrites  que  vous  êtes,  penseriez-vous  avoir 
violé  le  sabbat  en  sauvant  la  vie  à  un  homme?  Vos  règles 
vous  permettent  de  faire  la  médecine  et  d'exercer  la  chi- 
rurgie, qui  est  interdite  aux  autres  prêtres,  et  toutefois 


84  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  l'RANÇAISE. 

VOUS  faites  conscience  d'arracher  le  couteau  des  mains  de 
ceiui  qui  veut  meurtrir  votre  père?  Vous  avez  donc  pensé 
que  ce  fût  mal  fait  de  le  divertir  de  son  méchant  propos, 
puisqu'on  le  faisant  vous  craignez  l'irrégularité?  Cette 
défense  vous  condamne,  car  elle  est  conçue  en  termes 
affirmatifs;  elle  ne  porte  pas  que  Varade  s'excusât  de  dé- 
libérer sur  ce  fait,  mais  elle  dit  (ju'il  ne  lui  pouvait  con- 
seiller de  le  faire  de  peur  de  l'irrégularité  ;  cela  montre  de 
quel  côté  il  inclinait.» 

Le  but  de  l'avocat  est  d'amener  la  cour  à  un  arrêt  de 
bannissement;  il  termine  par  ces  paroles:  «Comme  an- 
ciennement les  pontifes  de  Rome  étaient  obligés  de  donner 
avis  au  sénat  des  prodiges  qui  se  rencontraient,  afin  de 
les  expier;  ainsi  les  demandeurs  qui  ont  charge  des  choses 
sacrées,  comme  avaient  ces  pontiies,  vous  avertissent  qu'il 
y  a  un  grand  prodige  en  cette  ville  et  en  plusieurs  autres 
lieux  de  France,  c'est  que  des  hommes  qui  se  disent  re- 
ligieux enseignent  à  leurs  écoliers  qu'il  est  permis  de  tuer 
les  rois  et  les  princes;  c'est  la  plus  monstrueuse  doctrine 
qui  fût  jamais.  » 

Les  jésuites  avaient  choisi  pour  leur  défenseur  l'avocat 
Daret ,  qui  fit  preuve  d'un  grand  talent  ;  il  s'attacha  à 
nier  tout  ce  qui  dans  l'attaque  était  discutable;  éluda  ha- 
bilement les  points  sur  lesquels  la  défense  était  impossible 
et  tira  un  grand  parti  du  décret  par  lequel  ses  clients,  dans 
leur  dernière  assemblée  générale  (1593),  s'étaient  interdit 
de  se  mêler  des  affaires  d'État. 

Pendant  qu'au  milieu  de  l'agitation  générale  les  avocats 
défendaient  leurs  clients,  les  accusés  agissaient  en  secret 
par  leurs  amis  sur  les  conseillers  du  parlement.  La  cour 
rendit  un  arrêt  par  lequel  l'affaire  fut  ajournée;  oe  fut  un 
vrai  triomphe  pour  les  jésuites  qui  se  préparaient  déjà  à 
prendre  le  chemin  de  l'exil;  pour  eux,  gagner  du  temps, 
c'était  tout  gagner.  Trente  ans  auparavant  le  parlement 
avait  décidé  qu'on  suspendrait  les  poursuites  dirigées  contre 
eux;  cet  arrêt  leur  avait  valu  trente  ans  de  succès  et  de 
triomphe,  pendant  lesquels  des  régents  de  collèges  étaient 
devenus  un  moment  les  arbitres  de  la  France.  ' 

1 .  Mémoires  de  la  ligue ,  t.  VI.  —  On  trouve  dans  les  Mémokes 
la  procédure  suivie  contre  les  jésuites,  les  plaidoieries  d'ArnaiiW 
*  de  Dollé  et  de  De  Duret. 


LIVRE  XXIII. 


85 


Les  jésuites  seraient  probablement  sortis  complètement 
vainqueurs  de  la  lutte,  sans  un  événement  inattendu  qui 
raviva  toutes  les  défiances  en  rallumant  toutes  les  haines. 


XIII. 

Le  27  décembre,  vers  les  six  heures  du  soir,  le  roi,  de 
retour  d'Amiens,  était  encore  tout  botté  dans  une  chambre 
du  Louvre,  ayant  près  de  lui  ses  deux  cousins,  le  prince 
de  Conti  et  le  comte  de  Soissons  et  trente  ou  quarante  des 
principaux  seigneurs  de  la  cour,  lorsque  deux  gentils- 
hommes, M}L  de  Regni  et  de  Montigny,  se  présentèrent 
devant  lui  pour  lui  présenter  leurs  hommages  ;  au  moment 
où  il  ce  baissait  pour  les  embrasser,  un  jeune  garçon,  de 
petite  taille,  qui  s'était  glissé  dans  la  foule  sans  être 
aperçu,  le  frappa  au  visage  et  le  blessa  légèrement  à  la 
lèvre.  Le  meurtrier  fut  immédiatement  arrêté. 

«Qu'on  le  relâche,  dit  le  roi,  je  lui  pardonne;»  mais 
quand  il  entendit  que  l'assassin  avait  été  élevé  chez  les  jé- 
suites, il  dit,  en  faisant  allusion  à  leur  récent  procès  : 
«Fallait-il  donc  que  les  jésuites  fussent  convaincus  par  ma 
bouche,  yf 

Le  meurtrier  fut  conduit  au  fort  l'Evèque,  où  son  in- 
terrogatoire commença;  il  déclara  qu'il  s'appelait  Pierre 
Cliastel,  et  qu'il  était  fils  d'un  marchand  drapier  de  Paris. 
Voici  son  histoire  telle  qu'elle  nous  est  fournie  par  son 
interrogatoire:  Son  père  le  mit  chez  les  jésuites  auxquels 
il  confia  son  éducation;  à  l'école  de  ces  pères  il  apprit 
entre  autres  choses  «qu'il  est  permis  de  tuer  les  rois, 
quand  ils  sont  tyrans;»  pour  perfectionner  leur  élève  et 
compléter  son  éducation,  ses  maîtres  l'introduisirent  sou- 
vent dans  leur  célèbre  chambre  des  méditations  dans  la- 
quelle ils  enfermaient  ceux  de  leurs  disciples  qu'ils  trou- 
vaient particulièrement  vicieux  ou  qu'ils  voulaient  pousser 
h  quelque  grande  action  utile  à  leur  société.  ' 

Entré  vicieux  chez  les  jésuites ,  Chastel  en  sortit  plus 
vicieux  encore;  il  avait  seulement  appris  auprès  d'eux  que 
le  moyen  le  plus  sûr  d'apaiser  la  justice  divine  étai  t  de  faire 

1.  Ko  te  IV. 


86  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

quelque  chose  qui  fût  utile  à  la  religion;  comme  il  avait 
entendu  dire  à  plusieurs  reprises  et  notamment  au  père 
Guignard,  l'un  de  leurs  docteurs  les  plus  accrédités,  «qu'il 
était  loisible  de  tuer  les  rois,  mêmemcnt  le  roi  régnant, 
lequel  n'était  à  l'Église,  parce  qu'il  n'était  approuvé  par 
le  pape;»  il  crut  avoir  trouvé  le  moyen  de  faire  taire  sa 
conscience  et  de  gagner  le  ciel.  C'est  alors  qu'il  se  décida 
à  pratiquer  ce  que  ses  maîtres  enseignaient  si  bien.  11  se 
munit  d'un  couteau  et  se  retira  dans  son  cabinet  pour  y 
méditer  ses  moyens  d'exécution;  avant  cependant  de  com- 
mettre son  assassinat,  il  communiqua  à  son  père  son  des- 
sein; celui-ci  l'en  dissuada  sans  le  persuader,  car  sa 
conscience  le  tourmentait  tellement,  «à  cause  des  péchés 
qu'il  avait  commis  et  du  penchant  qu'il  avait  à  en  commettre 
d'autres,  qu'il  crut  ne  pouvoir  expier  qu'en  faisant  quel- 
que acte  signalé;»  c'est  alors  qu'il  se  décida  à  assassiner 
le  roi. 

Quand  dans  Paris  on  connut  que  le  roi  n'avait  été  que 
blessé  et  que  le  couteau  de  l'assassin  n'était  pas  empoisonné, 
le  peuple  manifesta  bruyamment  sa  joie;  un  Te  Deum  fut 
chanté  dans  l'Église  de  Notre-Dame. 

Le  procès  de  Chastel  ne  fut  pas  long;  la  preuve  maté- 
rielle du  fait  existait  ;  l'accusé  ne  niait  rien.  Les  jésuites 
furent  compris  dans  l'instruction  dirigée  contre  lui,  et  le 
même  an'èt  qui  condamna  à  mort  le  disciple,  ordonna  l'ex- 
pulsion des  maîtres  «comme  corrupteurs  de  la  jeunesse, 
perturbateurs  du  repos  public,  ennemis  du  roi  et  de  l'État.» 
Dans  cette  circonstance  le  parlement  voulut  prouver  au 
roi  l'horreur  que  lui  inspirait  le  meurtrier  par  le  luxe  de 
la  mise  en  scène  de  son  supplice.  Après  avoir  été  soumis 
à  la  question,  Chastel  fut  conduit  devant  la  principale 
porte  de  l'église  de  Notre-Dame,  nu  en  chemise;  là,  à  ge- 
noux, et  tenant  une  torche  de  cire  ardente  du  poids  de 
deux  livres ,  il  déclara  «  qu'il  avait  commis  le  très-inhumain 
et  très-abominable  ;  an  icide,  qu'il  y  avait  été  poussé  par 
les  leçons  el  instructions  de  ses  maîtres  les  jésuites,  ce 
dont  il  demandait  pardon  à  Dieu,  au  roi  et  à  la  justice.» 

De  Notre-Dame  le  funèbre  cortège  se  rendit,  à  la  lueur 
des  flambeaux,  à  la  place  de  Grève  où  les  bourreaux  en 
grand  costume  attendaient  le  patient;  ils  le  tenaillèrent  aux 
bras  et  aux  cuisses,  lui  coupèrent  la  main,  puis  il  futécar- 


LIVRE  XÎIII. 


87 


telé,  tiré  par  quatre  chevaux;  ses  membres  sanglants  et 
palpitants  furent  jetés  au  feu  et  réduits  en  cendres.' 

Le  père  du  régicide  fut  banni  à  perpétuité  de  Paris  et  pen- 
dant neuf  ans  du  royaume;  ses  biens  furent  contisqués,  sa 
maison  rasée;  sur  l'emplacement  on  éleva  une  pyramide 
aux  quatre  faces  de  laquelle  on  grava  sur  des  tables  de 
marbre  noir  l'arrêt  qui  frappait  Chastel  et  les  jésuites.' 

Le  père  Guignard  fut  pendu  en  place  de  Grève;  l'acte 
d'accusation  porte  que  ce  jésuite  avait  écrit  de  sa  propre 
main  des  propositions  excitant  au  régicide.' 


XIV. 

L'attentat  de  Chastel  soufeva  l'indignation  publique  ;  et 
quand  les  jésuites  quittèrent  Paris ,  ils  n'emportèrent  que 
le  mépris  de  ses  bourgeois;  le  peuple,  revenu  de  sa  sangui- 
naire ivresse ,  commençait  à  avoir  honte  de  lui-même ,  et 
son  passé  lui  revenait  dans  l'esprit  comme  un  mauvais  rêve. 
Un  prédicateur  qui  eût  osé  faire  l'apothéose  de  Chastel, 
eût  été  immolé  sur  sa  chaire.  Il  y  eut  cependant  un  homme 
qui,  toujours  fidèle  à  lui-même,  se  fit  l'apologiste  du  ré- 
gicide et  des  jésuites  ses  complices,  cet  homme  fut  maître 
Boucher,  le  curé  de  Saint-Benoît;  ce  prêtre,  qui  avait  la 
foi  et  la  férocité  d'un  Marat,  avait  quitté  la  France  sans 
avoir  ni  rien  appris  ni  rien  oublié;  quand  la  nouvelle  du 
crime  de  Chastel  lui  parvint  à  Tournay  où  il  s'était  réfu- 
gié, il  n'eut  qu'un  seul  regret,  celui  que  l'assassin  n'eût 
pas  tué  Henri  IV;  et  pendant  que  les  malédictions  de  toute 
la  France  contre  le  coupable  témoignaient  de  son  indi- 
gnation et  de  ses  sympathies  pour  le  roi,  il  prit  la  défense 
du  régicide  et  fit  hautement  son  apologie.  Dans  cet  écrit 
long,  diffus,  lourd,  indigeste,  comme  tout  ce  qui  sortait 

1.  Capeûgue,  t.  VII,  p.  255.  —  D'Aubigné,  liv.  IV,  ch.  4.  — 
Davila,  liv.  XIV.  —  L'Estelle,  année  1594.  —  Procès  de  Chatel  aux 
Mémoires  de  la  ligue,  t.  VI. 

2.  Procédure  faite  contre  Jean  Chastel ,  écolier  étudiant  au  col-  \ 
lége  des  Jésuites,  pour  le  parricide  par  lui  attenté  sur  la  personne  V 
du  roi  très-ciirétien  Henri  IV,  roi  de  France  et  de  Navarre,  et 
arrêts  donnés  contre  le  parricide  et  contre  les  jésuites.  —  Cette 
procédure  se  trouve  aux  Mémoires  de  la  ligue,  t.  VI. 

3.  N'otev. 


88  HISTOIRE  DE  LA  RÈFORMATION  FRANÇAISE. 


de  sa  plume  infatigable,  il  y  a  par  moment  des  éclairs 
d'éloquence.  La  haine  est  le  trépied  sur  lequel  Boucher 
s'inspire.  Chastel,  dit-il,  n'a  pas  voulu  tuer  un  roi.  En 
effet,  Henri  IV  n'est  pas  roi  aux  yeux  du  prêtre;  il  n'est 
pas  roi  très-chrétien,  puisqu'il  n'est  pas  chrétien.  Il  n'est 
pas  fils  aîné  de  l'Église,  puisqu'il  n'est  pas  dans  l'Église; 
donc  il  n'est  pas  un  roi,  donc  Chastel,  en  le  frappant,  n'a 
pas  voulu  tuer  un  roi. 

La  conversion  de  Henri  IV  ne  touche  pas  le  prêtre  ;  à 
ses  yeux  il  n'est  pas  converti  et  il  en  dit  les  causes.  Il  va 
plus  loin;  il  ne  serait  pas  roi,  quand  môme  le  pape  lui 
donnerait  l'absolution;  il  n'est  qu'un  hérétique,  ne  peut 
être  qu'un  hérétique  sur  lequel  chacun  a  le  droit  de  courir 
sus,  et  il  s'appuie  sur  le  concile  de  Constance,  qui  fit  brû- 
ler Jean  Hus,  et  sur  Calvin,  qui  fit  brûler  Servet. 

Quant  à  Chastel,  il  loue  son  entreprise.  Elle  avait  un  but 
noble,  élevé;  le  bien  du  royaume,  l'honneur  et  la  gloire 
delà  religion;  c'est  un  Scaevola,  un  Brutus,  un  Ahod. 

Ceux  qui  l'ont  condamné  sont  des  juges  iniques.  Bou- 
cher prend  également  la  défense  des  jésuites,  il  en  fait  de 
saints  martyrs.' 

Après  cet  écrit.  Boucher  rentra  dans  l'obscurité.  Son 
châtiment  fut  de  se  survivre  à  lui-même. 

XV. 

L'université  et  les  curés  de  Paris  triomphaient;  leurs 
rivaux  prenaient  le  chemin  de  l'exil  poursuivis  par  la  haine 
et  le  mépris  public.  Ils  supportèrent  stoïquement  leur  in- 
fortune, et  de  Douai,  où  ils  se  réfugièrent,  ils  publièrent 
des  écrits  dans  lesquels  ils  essayèrent  une  justification  im- 
possible', leurs  enseignements  avaient  malheureusement 
porté  leurs  fruits;  leur  expulsion  n'était  qu'une  juste  ex- 
piation. La  nouvelle  de  l'attentat  de  Chastel  fit  une  grande 
sensation  à  Rome;  le  cardinal  d'Ossat,  fervent  catholique, 

1.  Apologie  poiu'  .lehaii  Gbasiel.  —  Mémoires  de  Condé,  t.  VI.  — 
Avertissement  aux  cutlioUcjues  sur  l'ari'èt  de  la  cour  du  parlement 
de  Paris ,  en  la  cause  de  Jeau  Chastel ,  qualifié  élève  étudiant  au 
collège  des  jésuites.  —  Mémoires  de  la  ligue,  t.  VI. 

2.  Avertissement  aux  catholiques  sur  l'arrêt  du  parlement  — 
Mémoires  de  la  ligue,  t.  YI. 


LIVRE  XXIII. 


89 


dans  le  sentiment  de  son  indignation,  dit  au  neveu  du 
pape  «que  s'il  y  avait  lieu  de  commellre  un  tel  assassinat, 
ce  serait  aux  hérétiques,  que  le  roi  a  quittés  et  abandonnés, 
à  le  commettre,  et  qui  ont  raison  de  se  défier  de  lui,  et 
cependant  ils  n'ont  rien  attenté  de  tel  contre  lui ,  ni  contre 
aucun  de  nos  rois  ses  prédécesseurs,  quelque  boucherie 
que  Leurs  Majestés  aient  faites  dédits  huguenots.  »  ' 

L'attentat  de  Chastel,  mieux  que  les  plaintes  des  réfor- 
més, rappela  au  roi  que  jamais  sa  vie  n'avait  couru  aucun 
danger  tant  qu'il  s'était  confié  à  ses  huguenots;  dans  des 
moments  d'épanchement,  il  disait  à  ses  confidents  «qu'il 
avait  plus  de  confiance  dans  les  réformés  qu'il  avait  aban- 
donnés que  dans  les  catholiques  qu'il  avait  couverts  de  son 
pardon  et  comblés  de  ses  bienfaits;»  ce  fut  peut-être 
dans  l'un  de  ces  moments  que  d'Aubigné  lui  dit:  «Sire, 
Dieu  que  vous  n'avez  encore  délaissé  que  des  lèvres,  s'est 
contenté  de  les  percer;  mais  quand  le  cœur  le  reniera,  il 
percera  le  cœur.  »  ' 

XVL 

Les  mêmes  hommes ,  qui  s'étaient  montrés  ardents  à 
demander  l'expulsion  des  jésuites ,  ne  se  montraient  pas 
mieux  disposés  à  l'égard  des  protestants;  à  leurs  yeux  ils 
étaient  toujours  des  intrus  et  un  embarras  domestique 
pour  la  maison;  de  là  des  vexations  sans  nombre,  qui  rap- 

fielaient  les  mauvais  jours  de  Henri  IIL  On  leur  refusait 
'entrée  des  charges  et  des  emplois  qu'on  donnait  aux 
chefs  des  ligueurs  qui  avaient  fait  leur  soumission.  Sous, 
divers  prétextes  on  leur  ôtait  leurs  villes  de  sûreté  ou  on 
les  empêchait  de  les  fortifier.  A  Paris  le  lieutenant  civil , 
faisant  violence  à  leur  consciente ,  les  contraignait ,  sous 

fieine  d'amende,  à  saluer  les  images,  les  croix,  les  reliques, 
es  châsses ,  quand  ils  les  rencontraient  dans  les  rues.  A 
Lyon  on  expulsait  de  la  ville  ceux  d'entre  eux  qui  ne  vou- 
laient pas  embrasser  la  religion  catholique  ;  le  parlement 
de  Rennes  interdisait  la  vente  des  livres  protestants;  celui 
de  Lyon  faisait  déterrer  les  corps  des  réformés  qui,  depuis 

1.  Lettres  du  cardinal  d  Ossat.  —  Élie  Benoit,  1. 1",  p.  133. 

2.  D'Aubigné,  part.  D,  col.  .518. 


I 


90  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

Suinze  ans ,  avaient  été  ensevelis  dans  les  cimetières  et 
ans  les  églises;  celui  de  Tours  ne  laissait  les  avocats  et 
les  procureurs  exercer  leurs  fondions  qu'à  la  condition 
d'une  abjuralion.  De  tous  les  côtés  la  fureur  des  catho- 
liques se  déchaînait  contre  eux,  pendant  que  le  roi  comblait 
de  ses  faveurs  ceux  de  la  ligue  qui  se  ralliaient  à  la  cause 
royale.  Quand  les  protestants  se  plaignaientde  cette  injuste 

Partialité,  Henri  IV  leur  disait  en  parodiant  la  parabole  de 
enfant  prodigue:  «N'est-il  pas  juste  que  je  tue  le  veau 
gras  pour  fêler  le  retour  de  mon  fds  prodigue?»  A  cela 
les  huguenots  répondaient:  Traitez-nous  au  moins  comme 
le  fds  aîné  à  qui  le  père  dit:  «Mon  fds,  tous  mes  biens 
sont  à  toi'.»  Le  roi  les  payait  alors  de  très-belles  et  bonnes 
paroles,  mais  ne  faisait  rien  pour  remédier  à  leurs  dé- 
tresses, qui  tendaient  d'autant  plus  à  s'aggraver  que  leurs 
chefs  n'étaient  pas  unis  entre  eux,  et  que  parmi  eux  il 
n'en  était  pas  un  seul  qui  imposât  à  ses  collègues  sa  supé- 
riorité. Lesdiguières  eût  pu  être  le  premier,  car  il  était 
grand  homme  de  guerre  ;  mais  il  était  égoïste ,  ambitieux , 
cupide,  débauché,  ne  pensait  qu'à  ses  intérêts,  aspirant 
plutôt  à  régner  en  roi  dans  le  Dauphiné  qu'à  défendre  ses 
coreligionnaires  contre  leurs  oppresseurs.  Rosny  eût  pu 
être  cet  homme,  si,  à  ses  éminentes  qualités  de  capitaine 
et  d'administrateur,  il  eût  allié  l'àme  puritaine  deMornay; 
mais  l'essentiel  lui  manquait;  et,  d'ailleurs,  celui  qui 
avait  conseillé  au  roi  d'abjurer,  était  trop  préoccupé  d'in- 
térêts terrestres  pour  avoir  la  noble  ambition  de  marcher 
sur  les  traces  de  Coligny  ou  de  Lanoue.  La  Trémouille 
avait  plusieurs  des  qualités  d'un  chef  de  parti;  H  était 
hardi,  ferme,  franc,  généreux;  une  foule  de  gentilshommes 
étaient  attachés  à  sa  personne;  mais  il  était  très-jeune  et 
passait  pour  entêté.  Le  plus  considérable,  de  tous  était  Tu- 
renne,  duc  de  Bouillon,  l'un  des  plus  riches  seigneurs  de 
France,  par  son  mariage  avec  Charlotte  de  laMarck,  l'o- 
pulente héritière  de  Sedan.  Bouillon  avait  autant  de  mérite 
que  d'ambition;  intrépide  et  habile  sur  le  champ  de  ba- 
taille, il  était  sage  et  avisé  dans  les  conseils;  mais  quand 
le  parti  avait  besoin  d'un  chef  qui  joignît  aux  qualités 
d'un  grand  capitaine  la  piété  d'un  chrétien,  il  n'avait  que 


1.  Élie  Benoit,  1. 1",  Uv.  III,  p.  119-120. 


V 

s 


UVRE  XXIU. 


91 


des  hommes  qui  le  servaient  plus  par  ambition  que  par 
religion;  les  réformés  eussent  certainement  séparé  leur 
^  cause  de  celle  du  roi,  si  Du  Plessis-Mornay  ne  les  eût 
*  assurés,  en  leur  faisant  espérer  des  jours  meilleurs.  Inter- 
médiaire entre  eux  et  le  roi,  il  s'efforçait  de  leur  expliquer 
que  le  refus  du  monarque  était  inspiré  par  son  conseil'. 
Or,  comme  ils  n'avaient  pas  cessé  d'aimer  l'homme  avec 
lequel  ils  avaient  vaincu  à  Coutras,  à  Arques,  à  Ivry,  ils  at- 
tendaient des  jours  meilleurs,  sans  abandonner  cependant 
l'idée  de  se  choisir,  s'ils  y  étaient  forcés,  un  protecteur 
soit  au  dehors ,  soit  au  dedans  du  royaume. 

Depuis  1583,  les  réformés,  par  le  malheur  des  temps, 
n'avaient  pu  tenir  un  synode  général.  Cette  lacune,  dans  la 
pratique  habituelle  de  leur  organisation  ecclésiastique, 
avait  porté  une  grave  atteinte  à  leurs  intérêts.  Faible 
minorité  dans  le  royaume ,  ils  ne  résistaient  à  leurs  nom- 
breux adversaires  qu'en  demeurant  étroitement  unis;  or, 
l'unité  de  foi  et  de  conduite  ne  pouvait  provenir  que  de 
l'initiative  de  l'assemblée  qui  était  la  personnification  vi- 
vante de  leurs  craintes  et  de  leurs  espérances.  Ils  en 
avaient  l'instinct  ;  de  là  leur  constance  à  revendiquer  un 
droit  qu'ils  regardaient,  non  sans  raison,  comme  la  sauve- 
garde de  leur  sûreté;  de  là  aussi  les  efforts  de  leurs  enne- 
mis pour  le  leur  ravir. 

Ce  fut  à  Montauban  que  s'ouvrit,  le  i5  juin  ioQi,  le 
synode  général'.  On  choisit  cette  ville  parce  qu'elle  était 
dévouée  à  la  cause  de  la  Réforme  et  prêle  à  toutes  les 
éventualités  de  l'avenir  qui  s'annonçait  sombre  et  mena- 
çant. 

Le  premier  soin  du  synode  fut  d'ordonner  des  prières 
pour  le  roi:  c'était  noble  et  touchant  et  contrastait  avec  la 
fureur  de  certains  ordres  de  moines  qui  refusaient  de 
prier  pour  lui  quoiqu'il  fût  rentré  dans  le  giron  de  l'Église 
catholique'.  Cependant  le  sjnode  ne  voulut  pas  qu'on  crût 
qu'il  approuvait  son  abjuration;  il  ordonna  en  conséquence 
que  tout  en  priant  Dieu  de  lui  conserver  la  santé,  de  bénir 
ses  entreprises,  on  lui  demanderait  de  l'éclairer  et  de  le 

1.  Élie  Benoit,  t.  !«',  liv.  m,  p.  122-123. 

2.  C'était  le  13«  synode  général  tenu  depuis  celui  de  1 559.  — 
Drion,  Atrég.  chron.,  1. 1",  p.  199. 

3.  Élie  Benoit,  Histoire  de  l'édit  de  Kantes,  1. 1",  liv.  m,  p.  24. 


92  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMÀTION  FRANÇAISE. 

ramener  à  la  foi  qu'il  avait  abandonnée.  On  décida  en 
outre  qu'on  enverrait  à  sa  cour  des  députés  pour  lui  faire 
des  remontrances  à  cet  égard,  et  lui  raontrer  les  périls 
que  son  changement  faisait  courir  à  la  cause  de  l'Évangile. 

Le  synode  s'occupa  ensuite  d'affaires  importantes  :  il 
fut  surtout  profondément  préoccupé  de  la  conduite  des 

ftrotestants  des  environs  de  Paris.  Le  voisinage  de  la  cour, 
'exemple  du  roi  et  l'ambition  avaient  refroidi  leur  premier 
zèle  et  en  avaient  ébranlé  plusieurs.  L'édit  de  1577  leur 
avait  paru  suffisant,  quand  de  l'aveu  de  la  grande  majorité 
des  réformés ,  cet  édit  ne  leur  donnait  que  des  garanties 
insuffisantes  et  les  laissait  à  la  merci  de  leurs  adversaires.' 

Une  lâcheté  en  amène  presque  toujours  une  seconde  ; 
les  mêmes  hommes  qui  se  montraient  satisfaits  des  con- 
cessions de  Henri  III,  s'étaient  laissé  persuader  par  les 
catholiques  d'entrer  avec  eux  dans  une  ligue  qui  avait 
pour  but  de  défendre  les  libertés  de  l'église  gallicane  contre 
le  pape.  Le  piège  était  grossier  ;  les  conciliateurs  qui  aiment 
à  se  laisser  tromper,  colorent  leur  lâcheté  du  beau  nom 
de  tolérance,  de  support  mutuel,  de  charité.  Quand  donc 
ils  proposèrent  au  synode  d'entrer  dans  la  ligue  et  de 
nommer  de  part  et  d'autre  des  commissaires  pour  déci- 
der les  questions  pendantes,  ils  ne  furent  pas  écoutés.  On 
leur  reprocha  durement  leur  lâcheté,  en  leur  faisant  sentir 
que  le  voisinage  de  la  cour  les  avait  amollis,  et  quand, 
plus  tard,  ils  proposèrent,  que  la  tenue  des  synodes  fût 
de  plus  en  plus  rare ,  leur  demande  fut  rejetée  comme 
attentoire  aux  droits  de  la  cause. 

Les  débats,  qui  eurent  lieu,  révélèrent  un  côté  fâcheux 
dans  les  dispositions  de  l'assemblée  qui ,  ayant  plus  que 
jamais  besoin  d'être  unie,  se  montra  d'abord  divisée;  les 
uns  sous  prétexte  de  charité,  de  support,  paraissaient  dis- 
posés à  passer  sous  les  fourches  caudines  de  la  cour  ;  les 
autres,  pleins  d'une  foi  ardente,  ne  voulaient  rien  sacrifier 
de  ce  qu'ils  appelaient  «  les  droits  de  la  vérité  ;  »  les  députés 
des  provinces  éloignées  de  la  cour  appartenaient  à  cette 
dernière  catégorie  ;  leur  zèle  les  fit  appeler  «  des  brouil- 
lons;» mais  ce  furent  ces  brouillons  qui  empêchèrent  le 
protestantisme  de  se  prendre  dans  les  filets  artistement 

1.  Actes  des  synodes  nationaux  (1694). 


LIVRE  XXIII. 


93 


tressés  de  la  cour...  Ils  soutinrent  le  feu  de  la  persécution, 
et  lorsque,  plus  tard,  le  protestantisnae  s'affaiblit  et  dis- 
parut presque  du  nord  de  la  France  ,  il  se  maintint  éner- 
giquement  dans  les  provinces  éloignées  de  la  capitale. 

XVII. 

Pendant  que  le  synode  continuait  ses  opérations,  les 
députés  des  églises  se  rendaient  (juin  1594)  dans  la  petite 
ville  de  Sainte-Foi,  située  sur  la  rive  gauche  de  la  Dordogne, 
pour  y  tenir  leur  assemblée  politique'.  Henri  IV,  en  l'ap- 
prenant, fut  irrité.  Il  y  vit  une  atteinte  portée  à  son  auto- 
rité: roi,  il  eût  voulu  que  ligueurs  et  protestants  s'incli- 
nassent devant  sa  volonté  ,  et  cependant  ces  députés 
pouvaient-ils  demeurer  à  sa  merci  ?  N'avaient-ils  pas  tout 
à  redouter  d'un  prince  qui  les  avait  trompés  dans  leurs 

tilus  chères  espérances  et  qui  les  récompensait  de  leur 
ongue  fidélité  en  faisant  moins  pour  eux  que  n'avait  fait 
Henri  III,  l'homme  du  traité  de  Nemours.  Dans  le  pre- 
mier moment  de  sa  colère,  Henri  IV  voulut  empêcher  les 
députés  de  se  réunir,  mais  il  comprit  bientôt  que  ce  serait 
le  moyen  d'irriter  les  réformés,  et  de  les  pousser  à  quelques 
moyens  extrêmes  qui  accroîtraient  ses  embarras  déjà  si 
grands.  Il  laissa  donc  l'assemblée  se  réunir  ;  mais  pour 
sauvegarder  ses  droits  de  roi ,  il  lui  en  envoya  l'autorisa- 
tion. Ce  fut  un  acte  de  haute  sagesse. 

Les  députés  étaient  au  nombre  de  trente.  Chacun ,  dit 
Élie  Benoit,  y  apporta  les  préjugés  de  sa  province  et  des 
mémoires  conformes  à  l'espérance  et  à  la  crainte  qui  y 
dominaient'.  La  situation  était  grave....  La  moindre  divi- 
sion dans  l'assemblée  pouvait  avoir  des  résultats  incalcu- 
lables. Il  était  nécessaire  que  chacun  fît  des  sacrifices  à 
l'intérêt  commun,  que  le  protestantisme  se  montrât  publi- 
quement uni,  qu'il  parût  à  tous  qu'il  pensait  avec  une 
seule  tête,  sentait  avec  un  seul  cœur,  et  agirait  au  be- 
soin avec  un  seul  bras. 

Pendant  les  débats  il  se  produisit  des  choses,  qui  révé- 
lèrent chez  quelques  députés  la  perle  de  tout  sens  moral. 

1.  Mémoires  de  Madame  Duplcssis,  1. 1",  p.  268-2G9.  —  D'Aii- 
bigné.  liv.  IV,  ch.  10;  t.  lil,  p.  3fi6-367. 

2.  Èlie  Benoit,  Histoire  de  l'édit  de  Nantes,  1. 1",  liv.  III,  p.  1 2G. 


94  HISTOIRE  DE  LA  RÊFORMATION  FRANÇAISE. 

Ainsi  l'un  d'eux  proposa  de  faire  une  pension  à  l'un  des 
secrétaires  d'Etat,  pour  être  leur  défenseur  auprès  du  roi, 
ainsi  qu'à  Gabrieile  d'Estrées,  sa  maîtresse*.  Cette  honteuse 
proposition  fut  rejetée  :  les  députés  comprirent  dès  l'ouver- 
ture de  sa  séance  que  leur  mission  était  de  donner  à  leur 
cause  une  base  ferme  et  solide.  Ils  ne  faillirent  pas  à  leur 
tâche,  lis  créèrent  un  conseil  général,  dans  les  mains  du- 
quel toutes  les  affaires  de  religion  furent  concentrées.  Le 
pouvoir  de  ce  conseil  s'étendait  sur  toutes  les  provinces 
qui  devaient  recevoir  de  lui ,  au  moyen  d'un  rouage  admi- 
nistratif, ses  ordres  souverains. 

Les  provinces  furent  réduites  à  dix'.  Chacune  d'elles 
devait  nommer  un  député  :  ces  dix  députés  devaient  for- 
mer le  conseil  général,  dans  lequel  entraient  quatre  gen- 
tilshommes, quatre  personnes  du  tiers-état  et  deux  mi- 
nistres. On  pensa ,  non  sans  raison ,  que  l'élément  laïque 
devait  dominer  dans  sa  composition,  à  cause  de  la  ten- 
dance des  gens  d'église  à  retirer  à  eux  toute  l'autorité. 

Chaque  province  devait,  dans  un  ordre  convenu,  nommai 
un  député,  pris  dans  l'un  des  trois  corps  du  protestantisme, 
et  afin  que  le  conseil  des  Dix  se  retrempât  sans  cesse  dans 
1  opinion  publique,  il  était  soumis,  tous  les  six  mois,  à  un 
renouvellement  par  moitié  ;  pour  lui  donner  enfin  plus  d'au- 
torité, on  arrêta  «que  les  ducs,  les  lieutenants-î(énéraux 
et  autres  personnes  qualifiées  auraient  voix  dans  rassem- 
blée, quoiqu'elles  ne  fussent  pas  députés,  pourvu  que  le 
conseil  eût  confiance  en  elles.  » 

1.  Élie  Benoit,  Histoire  de  l'édit  de  liantes,  f.  I",  liv.  III,  p.  126. 

2.  La  France  fut  d'abord  divisée  en  di^  proviuces  ou  cercles 
réduits  ensuite  à  neuf.  Les  voici  : 

1"  cercle  :  Bretag-ne,  Normandie. 
2'=     —     Picardie,  Champagne,  Sedan,  pays  Messin. 
3=     —     lie  de  France,  Orléanais,  Berry. 
-i»     —     Touraine,  Anjou,  Maine,  Perche,  Loudunois,  Pain- 
tonge ,  Aunis,  La  Roclielle,  Ang:oumois,  Bas-Poitou 
5'     —  Ilaut-l'oitou. 

G°     —     Bourgogne,  Lyonnais,  Dnuphiné,  Provence. 
Y     —     Bas-Languedoc,  Vivarais,  Basse- Auvergne. 
*>•     —     Haut-Languedoc,  Haute-Auvergne,  Ilaufe-Guyenne, 
Quercy,  Rouergue,  Afmagnac,  Comminges,  Bigorre 

»•     —     Basse-Guyenne,  Gascogne,  Bordelais,  Agénois  Pé- 
rigord,  Limousin. 


LIVRE  XXIII. 


95 


A  côté  du  conseil  général  on  créa  dans  chaque  province 
un  conseil  provincial  composé  de  cinq  ou  sept  membres  du 
tiers-état,  dans  lequel  devaient  entrer  au  moins  un  gou- 
verneur de  place  et  un  ministre.  Ce  conseil  devait  corres- 
pondre directement  avec  l'assemblée  générale,  et  avoir 
dans  son  ressort  le  même  pouvoir  que  le  conseil  général 
avait  dans  le  royaume;  il  élait  chargé  de  recueillir  les 
plaintes,  les  avis,  les  mémoires;  de  veiller  à  ce  que  la 
concorde  régnât  entre  les  grands;  de  s'occuper  enfin  de 
tout  ce  qui  intéressait  la  cause.' 

L'assemblée  arrêta  qu'il  était  urgent,  vu  le  malheur  des 
temps,  de  s'organiser  au  plus  vite  et  de  fixer  la  fin  du  mois 
de  septembre  comme  dernier  délai;  elle  s'occupa  ensuite 
à  élaborer  des  règlements  touchant  la  levée  des  deniers  et 
des  tailles,  les  places  fortes,  les  garnisons,  les  pasteurs, 
les  écoles,  les  collèges.  A  tous  ces  règlements  on  ajouta, 
dit  Elle  Benoît,  huit  articles  secrets  dont  le  premier  portait 
que  pour  l'administration  de  la  justice  on  demanderait  des 
chambres  mi-parties  dans  tous  les  parlements,  excepté  ce- 
lui de  Grenoble,  où  les  réformés,  qui  pouvaient  tout  sous 
Lesdiguières,  étaient  à  peu  près  contents  de  leur  condi- 
tion; et  si  on  ne  pouvait  obtenir  ces  chambres,  on  prenait 
la  résolution  de  récuser  tous  les  parlements,  les  présidiaux 
et  tous  autres  juges  royaux,  dans  les  affaires  dont  ils 
peuvent  juger  en  dernier  ressort;  et  qu'on  fournirait  des 
causes  de  récusation  contre  tous  ces  tribunaux.  Le  second 
portait  qu'on  rechercherait  l'intercession  de  la  reine  d'An- 
gleterre et  des  États  des  provinces  unies,  parce  qu'on 
I  trouvait  les  affaires  des  églises  déplorables.  Le  troisièm» 
!  voulait  qu'on  écrivît  aux  grands,  pour  les  exhorter  à  la 
:  piété  et  à  l'union.  Le  quatrième  permettait,  pour  celte  fois 
seulement,  de  doubler  le  nombre  des  députés  que  chaque 
i  province  enverrait  à  la  prochaine  assemblée,  à  cause  de 
î l'importance  des  affaires  qu'on  y  traiterait.  Le  cinquième 
ordonnait  que  l'exercice  de  la  religion  réformée  cessât 
dans  les  lieux  où  il  avait  été  mis  par  surprise,  pourvu  que 
cela  se  pût  faire  sans  sédition,  et  qu'on  rétablirait  la  messe 
idans  les  lieux  où  elle  était  avant  la  dernière  guerre,  ce 
qu'on  faisait  pour  ôter  aux  catholiques  le  prétexte  qu'ils 

1.  Actes  des  assemblées  générales  (15941V 


«6 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


prenaient  de  n'exécuter  pas  les  édits,  sur  ce  que  les  rcfur- 

inés  y  contrevenaient  eux-mêmes,  en  ne  permettant  pas  ' 

qu'on  dît  la  messe  dans  certaines  places  dont  ils  s'étaient  ' 

emparés.  Le  sixième  remettait  au  retour  des  députés  qu'on  ' 

enverrait  en  cour  à  déterminer  si  on  recevrait  les  catho-  ' 

liques  aux  charges  dans  les  villes  que  les  réformés  avaient  ' 

en  garde  ;  c'est-à-dire  qu'il  fallait  que  les  catholiques  | 

sussent  qu'on  les  traiterait  à  la  pareille,  et  que,  s'ils  ne  ' 

voulaient  pas  faire  part  des  charges  aux  réformés,  ceux-ci  ! 

les  en  excluraient  à  leur  tour  dans  les  lieux  où  ils  seraient  ' 

les  plus  forts.  Le  septième  désavouait  tout  ce  qu'une  pro-  ' 

vince  aurait  fait  au  préjudice  et  sans  prendre  l'avis  des  ' 
autres,  ce  qui  était  arrêté  pour  prévenir  des  demandes 

pareilles  à  celle  de  l'Ile-de-France ,  et  le  huitième  approu-  [ 

vait  l'union  de  plusieurs  provinces  contiguës  dans  un  seul  ' 

conseil  provincial.'  ' 

XVIIl.  ' 

L'assemblée  représenta  dignement  les  intérêts  de  ses  i 

mandataires  par  la  vigueur  qu'elle  déploya  et  surtout  par  la  « 

pensée  qui  présida  à  la  création  du  conseil  général.  L'unité  il 

de  vue,  de  sentiment  et  d'action  lui  évita  des  divisions  qui  s 
l'eussent  entraînée  fatalement  à  sa  ruine.  Elle  ne  voulut 

pas  d'un  grand  pour  protecteur:  elle  fit  bien.  Henri  IV  lui  i 

avait  fait  expier  cruellement  l'honneur  d'avoir  eu  à  sa  tête  a 

un  prince  du  sang  royal.  f 

Le  protestantisme  put  dès  lors  se  présenter  à  ses  enne-  i 

mis,  fort  de  son  unité,  et  leur  faire  comprendre  qu'il  ne  p 

serait  pas  facile,  ni  de  le  désunir,  ni  de  l'abattre.  C'est  à  t 

son  conseil  général  qu'il  dut  de  traverser  les  plus  mauvais  s 

jours  de  son  histoire,  et  si  plus  tard  l'édit  de  Nantes  fut  l 

donné,  il  l'obtint  moins  de  la  volonté  royale  que  de  l'ha-  il 

bileté,  de  la  vigueur  et  de  la  persistance  de  ce  conseil.  h 

Un  événement  qui  aurait  pu  avoir  des  résultats  funestes  fi 

pour  les  réformés  eut  lieu  pendant  la  tenue  de  l'assemblée  ii 

de  Sainte-Foi  ;  une  insurrection  terrible  éclata  parmi  les  !( 

paysans  du  Périgord  et  des  provinces  voisines.  Quarante  ii 
mille  d'entre  eux,  dont  un  tiers  de  réformés,  prirent  les 
firmes  et  répandirent  partout  la  consternation  et  l'effroi. 

1.  Histoire  de  l'édit  de  Nantes,  1. 1",  Uy.  Ul,  p.  129-130.  » 


lIVRE  xxin. 


97 


Ils  donnaient  pour  prétexte  de  leur  insurrection  la  con- 
duite indigne  de  la  noblesse  qui  faisait  peser  sur  les  paysans 
un  joug  cruel  et  odieux.  C'était  un  avant-coureur  des  der- 
niers jours  du  dix-huitième  siècle.  Une  haine  commune 
avait  réuni  protestants  et  catholiques  pour  travailler  «  à  la 
réformation  de  l'Élat.  »  On  ne  sait  ce  qui  serait  résulté  de 
cette  levée  de  boucliers,  si  on  n'eût  suggéré  habilement 
à  ces  derniers  l'idée  qu'il  ne  fallait  pas  admettre  les  hu- 
guenots à  l'honneur  de  travailler  avec  eux  à  une  si  sainte 
cause.  A  un  signal  convenu,  les  catholiques  se  séparèrent 
des  protestants  qui,  réduits  à  l'impuissance  par  leur  petit 
nombre ,  présentèrent  leurs  services  à  l'assemblée  de 
Sainte-Foi  qui  les  refusa  et  leur  conseilla  secrètement  de 
traiter  avec  la  cour  aux  meilleures  conditions  pour  eux; 
ils  le  firent,  .et  ainsi  finit  la  guerre  des  Croquants",  qui  fut 
une  manifestation  de  la  haine  que  la  noblesse  s'était  attirée 
par  sa  tyrannie. 

Avant  de  se  séparer,  l'assemblée  nomma  des  députés 
pour  la  représenter  à  la  cour  et  décida  que  la  prochaine 
réunion  aurait  lieu  à  Saumur  le  1"  décembre  159-i;  son 
œuvre  était  terminée;  elle  avait  bien  mérité  de  ses  man- 
dataires en  plaçant  le  protestantisme,  profondément  ébranlé, 
sur  des  bases  dont  le  temps  a  démontré  la  solidité. 

Les  députés  qu'elle  avait  envoyés  à  la  cour,  réunie  alors 
à  Saint-Germain,  furent  bien  accueillis;  mais  rien  de  ce  qui 
avait  été  promis  à  Mantes  ne  fut  accordé.  Ils  commen- 
cèrent à  perdre  patience;  ce  qui  se  passait  autour  d'eux 
n'était  pas  propre  à  leur  en  donner.  Le  duc  de  Mercœur, 
puissant  dans  la  Bretagne,  avait  ouvert  des  négociations 
avec  le  roi,  et  parmi  les  conditions,  dont  il  faisait  dépendre 
sa  soumission,  il  demandait  l'abohtion  du  culte  réformé 
dans  ses  possessions  et  dans  plusieurs  provinces  voisines  où 
il  avait  des  châteaux.  Le  pape  enfin,  qui  craignait  que  le  roi, 
lassé  de  ses  refus ,  ne  formât  une  Église  gallicane  avec  un 
patriarche  à  sa  tète,  se  montrait  moins  difficile  et  paraissait 
disposé  à  accorder  son  absolution ,  qu'il  ferait  cepeixJant 
acheter  au  monarque  au  détriment  des  réformés;  si  h  cela 
on  ajoute  les  lenteurs  des  parlements  qui  ajournaient  ou 

1.  Nom  douué  aux  paysans  insurgés.  —  Élie  Benoît,  t.  I", 
liv.  Ul,p.  130-1.3i, 

/a. 


98 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


refusaient  la  vérification  des  édits ,  on  comprend  combien 
étaient  légitimes  les  craintes  des  députés.  C'est  dans  cet 
intervalle  qu'eut  lieu  l'attentat  de  Chastel  dont  nous  avons  j  i 
parlé.  Le  crime  de  cet  assassin  avança  les  affaires  des  ré-  '  ï 
formés  mieux  que  les  instances  de  leurs  députés.  Henri  IV,  i  f 
dans  ses  moments  d'épanchement,  était  plein  de  bonnes  * 
dispositions  pour  eux;  mais  lorsqu'il  raisonnait  en  poli-  il 
tique,  il  n'osait  s'abandonner  aux  entraînements  de  son  ■ 
cœur.  Cependant  il  ne  pouvait  continuer  à  bercer  d'espé-  fl 
rances  illusoires  un  parti  qui,  dans  son  assemblée  de  4 
Sainte-Foi,  s'était  fortement  constitué,  en  se  donnant,  j  Ji 
pour  organe  oflîciel  auprès  de  la  cour,  son  conseil  général,  k 

Les  ennemis  des  réformés  avaient  pris  occasion  de  la  ]  }> 
formation,  de  ce  conseil ,  pour  les  accuser  de  vouloir  for-  »i 
mer  un  État  dans  l'État.  Le  roi,  qui  n'en  croyait  rien,  4 
jugea  cependant  prudent  de  leur  faire  quelques  concessions  if 
afin  de  rendre  inutiles  leurs  assemblées  dans  lesquelles  fi 
ils  agitaient  des  questions  brûlantes  et  vitales  pour  leur 
cause.  Il  ordonna  la  vérification  des  édits  qu'on  leur  avait 
accordés,  et  qui  devaient  être  confirmés  par  un  édit  nou-  I 
veau ,  suivant  la  promesse  faite  à  leurs  députés  à  Mantes. 

Ce  ne  fut  pas  sans  de  grandes  difficultés  que  le  conseil 
consentit  aux  désirs  du  roi.  Le  parlement,  devant  lequel  f 
l'édit  fut  porté,  l'enregistra  après  de  longues  et  orageuses 
discussions;  les  opinions  se  firent  jour  avec  une  grande  f 
violence;  les  zélés  catholiques  de  la  cour  n'admettaient  f 
pas  qu'on  pût  déclarer  les  réformés  capables  de  remplir 
concurremment  avec  eux  toutes  les  charges  de  l'État.  Ils  " 
durent  cependant  céder;  la  modération  l'emporta  sur  la 
violence.  Les  hommes  sages  du  parlement  comprirent  que  ; 
le  refus  d'enregistrement  amènerait  une  nouvelle  guerre 
civile;  les  sept  qui  avaient  eu  lieu  en  moins  de  trente-  f 
deux  ans,  le  courage  indomptable  que  les  dissidents  y 
avaient  déployé,  les  maux  sans  nombre  qui  en  étaient  ré- 
sultés  pour  le  royaume  furent,  auprès  du  roi,  des  avocats  ?' 
plus»  puissants  que  les  passions  ligueuses  qui  s'agitaient  i 
encore  autour  de  lui. 

Les  protestants  furent  "a  demi  satisfaits  de  l'édit  et  très-  !' 
mécontents  de  la  manière  dont  il  avait  été  rendu.  Le  pro- 
cureur  général  La  Guesle  ne  voulut  pas  qu'on  se  servît, 
dans  l'enregiîtrement,  delà  formule  accoutumée:  tOuI 


LIVRE  XXIII. 


99 


et  ce  requérant  le  procureur  général  »  il  ne  mit  que  ces 
mots  :  «  Ouï  le  procureur  général.  »  C'était  grave ,  con- 
traire aux  précédents,  et  constituait  un  antécédent  fâcheux 
qui  faisait  connaître  aux  catholiques  que  l'enregistrement 
de  l'édit  avait  été  forcé ,  ce  qui ,  dans  l'opinion  publique ,  lui 
ôtait  la  plus  grande  partie  de  sa  force.* 

Pendant  ces  négociations,  conformément  à  ce  qui  avait 
été  arrêté  à  Sainte-Foi,  les  réformés  étaient  sur  le  point 
de  tenir  une  assemblée  à  Saumur.  Quand  le  roi  en  enten- 
dit parler,  il  en  éprouva  une  vive  peine  ;  jaloux  de  son  au- 
torité plus  qu'aucun  de  ses  prédécesseurs,  il  ne  pouvait 
supporter  l'idée  de  la  moindre  résistance  à  sa  volonté; 
mais  chez  lui  l'homme  politique  était  le  frein  du  roi.  Il  se 
décida  à  accorder  ce  qu'il  ne  pouvait  empêcher  sans  recou- 
rir à  la  force  qui  eût  provoqué  une  vive  résistance  de  la 
part  des  huguenots. 

XIX. 

Les  historiens  hostiles  au  protestantisme  ne  veulent  voir 
que  des  rebelles  dans  ces  députés  qui,  malgré  le  roi,  vont 
de  tous  les  points  de  la  France  se  réunir  à  Saumur';  un 
peu  de  réflexion  et  d'équité  devrait  leur  faire  comprendre 
que  les  réformés  n'exercèrent  que  le  droit  de  légitime  dé- 
fense et  que  leur  inaclion  ou  leur  insouciance  les  eût  li- 
vrés à  la  merci  de  leurs  implacables  ennemis;  loin  de  les 
blâmer,  il  faut  au  contraire  admirer  leur  constance  dans 
les  épreuves,  et  la  persistance  avec  laquelle  ils  ne  ces- 
sèrent de  réclamer  leurs  droits  de  citoyens  et  la  liberté  de 
servir  Dieu  selon  leur  conscience;  grands  sur  les  champs 
de  bataille,  ils  ne  le  sont  pas  moins  dans  les  conseils, 
où  ils  discutent  leurs  intérêts,  résolus  à  tout,  même  au 
sacrifice  de  leur  vie,  plutôt  que  de  trahir  la  cause  de 
leurs  glorieux  pères;  aussi  c'est  avec  un  sentiment  de  res- 
pectueuse admiration  que  la  pensée  s'arrête  sur  cette  as- 
semblée de  Saumur,  qui,  dénuée  de  ressources,  revendique 
énergiquement  ses  droits  et  ne  veut  ni  du  dernier  édit, 

1.  Histoire  de  l'édit  de  Nantes,  1. 1",  liv.  III,  p.  137. 

2.  Mémoires  de  Madame  Duplessis-Mornay,  1. 1",  p.  268-269.  — 
D'Aubigué,  liv.  IV,  ch.  10;  t.  UI,  page  366-367. 


400         HISTOIRE  DE  LA.  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

ni  des  anciens,  parce  qu'elle  les  croit  impuissants  pour 
protéger  sa  cause;  elle  en  demande  un  nouveau,  qui  lui 
Qonne  la  liberté  de  culte  dans  tout  le  royaume,  garantisse 
un  salaire  à  ses  pasteurs,  permette  aux  réformés  de  dis- 
poser de  leurs  biens  à  leur  volonté,  leur  donne  des  cours 
et  des  tribunaux  mi-parties,  les  rende  admissibles  à  tous 
les  emplois,  remette  entre  leurs  mains  des  places  de  sû- 
reté avec  des  garnisons  payées  aux  frais  de  l'État.  S'il  n'y 
eût  eu  dans  leurs  délibérations  que  des  intérêts  politiques 
engagés,  ils  n'eussent  montré  ni  tant  de  courage  ni  tant 
de  persévérance;  regardant  à  la  terre  plutôt  qu'au  ciel,  ils 
eussent,  comme  les  ligueurs  ,  dit  à  Henri  IV:  «Combien 
nous  donnes-tu  et  nous  te  livrerons  notre  cause.»  Ils  ne 
le  firent  pas,  parce  que  chez  eux  il  y  avait  des  convictions 
fortes  et  que  le  sang  de  leurs  martyrs  coulait  encore  dans 
leurs  veines;  il  y  eut,  sans  doute,  parmi  eux  des  lâches  et 
des  ambitieux  ;  mais  au  moins  la  masse  résista  aux  pro- 
messes et  aux  séductions  et  donna  au  monde  un  noble 
exemple  en  ne  sacrifiant  pas  au  veau  d'or  ;  leur  mémoire 
n'y  a  rien  perdu. 

XX. 

Au  milieu  de  tous  ces  débats  les  affaires  du  roi  prenaient 
une  tournure  favorable  :  la  ligue  allait  s'affaiblissant,  et 
cependant  elle  résistait  toujours,  couvrant  sa  rébellion  de 
l'autorité  du  pape,  qui  n'avait  pas  encore  levé  l'excommu- 
nication qui  pesait  sur  Henri  IV,  lequel  n'avait  pas  cessé  de 
négocier  auprès  du  pontife  sa  réconciliation  avec  l'Eglise. 
Deux  hommes  habiles,  insinuants,  d'Ossat  et  Du  Perron, 
l'aidaient  dans  cette  tâche;  son  insistance  auprès  du  Saint- 
Siège  s'explique  par  son  désir  de  désarmer  la  ligue  et, 
plus  encore ,  le  bras  des  assassins.  Après  tant  de  combats, 
de  périls  et  de  fatigues,  il  soupirait  après  le  repos. 
L'homme  brave  parmi  les  braves  et  qui,  dans  les  rencon- 
tres les  plus  périlleuses,  ne  connut  jamais  la  crainte,  «était 
peureux  devant  le  couteau;  »  l'absolution  papale  était  à  ses 
yeux  un  bouclier  plus  sûr  que  les  arrêts  de  ses  parlements, 
qui  avaient  déclaré  sa  personne  inviolable  et  sacrée.  Pour 
l'obtenir,  il  ne  négligea  rien,  fit  des  bassesses  et  descendit 
presque  au  niveau  de  cet  autre  Henri  qui,  la  corde  au  cou, 


LIVRE  xxni. 


101 


en  plein  hivêr,  vint  en  chemise  se  courber  devant  l'impla- 
cable el  orgueilleux  Grégoire  VII'.  On  pardonne  quelquefois 
aux  rois  d'être  cruels,  jamais  d'être  rampants,  et  quelle 
que  soit  la  raison  d'état  dont  ils  se  couvrent,  ils  sont  obli- 
gés de  respecter  la  dignité  royale  dans  leur  personne. 
Henri  IV  l'oublia  complètement  et  continua  les  scènes  de 
l'abjuration  et  du  sacre. 

Après  de  longues  et  habiles  négociations,  le  pape  crai- 
gnant, par  de  nouveaux  retards  ,  de  pousser  le  roi  à 
quelque  résolution  désespérée,  se  décida  à  lui  accorder 
son  absolution  à  des  conditions  dures  et  humiliantes  dont 
voici  les  principales  •• 

Le  rétablissement  du  culte  catholique  dans  tout  le 
Béarn  ; 

>  La  publication  du  concile  de  Trente  en  France  sauf 
quelques  modifications; 

La  remise  du  prince  de  Condé  entre  les  mains  des  ca- 
tholiques qui  rélèveraient  dans  leur  religion  ; 

La  restitution  au  clergé  romain  de  tous  ses  biens  ; 

L'exclusion  des  réformés  de  toutes  les  charges  pu- 
bliques, etc.* 

Indépendamment  de  ces  conditions,  le  pontife  imposait 
au  roi,  pour  pénitence,  l'obligation  d'entendre  tous  les 
dimanches  une  messe  conventuelle  dans  la  chapelle  royale, 
et  la  messe  privée  tous  les  jours  de  la  semaine,  de  dire  le 
rosaire  tous  les  dimanches ,  le  chapelet  tous  les  samedis  et 
les  litanies  tous  les  mercredis,  de  jeûner  tous  les  vendre- 
dis, de  se  confesser  et  communier  publiquement  au  moins 
quatre  fois  l'année.  Le  pape  oublia  de  lui  ordonner  de 
cesser  sa  vie -scandaleuse  et  de  se  séparer  de  Gabrielle 
d'Estrées;  cela  eût  mieux  valu. 

Là  ne  se  bornèrent  pas  les  humiliations  du  roi;  dans 
ces  jours  d'affaiblissement  la  papauté  se  croyait  encore 
forte;  elle  dut  le  croire  quand  elle  vit  un  Bourbon  victo- 
rieux de  ses  ennemis,  celui  qui  naguère  l'avait  bravée  et 

1.  Henri  IV,  empereur  d'Allemagne,  mort  de  misère  en  1106. 
Son  ûls  Henri  V,  qui  causa  sa  mort,  fit  déterrer  son  corps,  qui, 

endant  cinq  années,  demeura  sans  sépulture  aux  portes  do 
église  de  Spii-e. 

2.  D'Aubigné,  liv.  XIV.  —  De  Thon,  liv.  CXIII.  —  Canefiffue. 
^-^'11,  p.  29-i.  —  L'Estoile,  année  1595. 


iéi  '       HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

raillée  dans  Rome  même,  mendier  son  appui.  Sans  doute, 
dans  ses  instances,  il  y  avait  plus  de  politique  que  d'affec- 
tion; mais  aux  yeux  de  toute  l'Europe  le  roi  de  France 
reconnaissait  dans  le  pape  la  plus  haute  autorité  qui  fût  au 
monde;  c'était  un  triomphe  pour  Rome  après  les  rudes 
coups  que  la  réforme  lui  avait  portés;  elle  voulut  donc, 
en  cette  occasion  solennelle  ,  agir  comme  en  plein  moyen 
âge;  plus  le  roi  se  montra  faible,  plus  elle  se  montra  exi- 
geante, demeurant  fidèle  à  sa  politique.  La  cérémonie  de 
la  réconciliation  eut  lieu  dans  Saint-Pierre  :  ce  jour-là 
la  basilique  fut  ornée  avec  une  pompe  extraordinaire.  Le 
pape,  vêtu  de  pourpre  et  portant  la  tiare  sur  la  tête,  ap- 
parut aux  yeux  de  toute  l'assemblée,  assis  sur  un  trône 
éclatant  entouré  de  cardinaux,  de  grands  dignitaires  et  de 
tous  les  officiers  de  sa  maison.  Douze  pénitenciers  armés 
de  baguettes  étaient  à  droite  et  à  gauche  du  trône  ponti- 
fical. 

Les  deux  procureurs  du  roi,  d'Ossatet  Du  Perron,  con- 
duits processionnellement  devant  le  pontife,  furent  admis 
à  l'honneur  de  lui  baiser  les  pieds.  Immédiatement  après. 
Du  Perron  lut,  à  genoux,  en  latin,  la  confession  de  foi 
par  laquelle  le  roi  renonçait  aux  erreurs  de  Calvin  et  de- 
mandait humblement  au  Saint-père  son  absolution. 

Le  pape  accorda  cette  demande  aux  conditions  qu'il  lui 
avait  imposées. 

Du  Perron  et  d'Ossat  le  promirent  au  nom  de  leur 
maître. 

Après  cette  promesse  on  entonna  le  miserere;  pendant 
le  chant,  le  pape,  armé  d'une  baguette,  frappait  alterna- 
tivement sur  l'épaule  de  d'Ossat  et  sur  celle  de  Du  Perron. 
Le  miserere  fini,  il  prononça  quelques  oraisons  en  langue 
latine,  puis  il  déclara  le  roi  absous  du  crime  d'hérésie,  le 
remit  dans  le  giron  de  l'Église  et  lui  donna,  en  le  nom- 
mant, le  titre  de  «roi  très-chrétien»;  au  même  instant 
les  voûtes  de  l'immense  cathédrale  furent  ébranlées  par 
le  son  des  trompettes  et  des  tambours  auxquels  se  mêlèrent 
les  cris  d'allégresse  des  assistants  et  le  bruit  des  canons 
du  château  Saint-Ange,  qui  tiraient  à  toute  volée. 

Le  pape  descendit  de  son  trône,  embrassa  affectueusement 
les  procureurs  du  roi.  «Je  suis  heureux,  leur  dit-il,  d'avoir 
ouvert  à  votre  maître  les  portes  de  l'Église  militante.» 


LIVRE  xnn. 


103 


«J'assure  votre  béatitude,  lui  répondit  Du  Perron, 
qu'avec  la  foi  et  les  bonnes  œuvres  il  s'ouvrira  à  soi- 
même  celle  de  la  triomphante.  » 

Du  Perron  promettait  beaucoup.' 

La  grande  fête  du  15  septembre  1595  fut  complétée  par 
le  supplice  de  deux  protestants  :  un  Flamand  fut  brûlé 
vif  au  champ  de  Flore;  un  Anglais,  qui  avait  renverse  un 
ciboire  et  traité  d'idole  l'hostie,  eut  le  même  sort.  On  lui 
coupa  la  langue  et  lé  poing,  et  dans  la  crainte  que  sa  mort 
ne  fût  trop  prompte  et  trop  douce,  on  le  brûla  contmuelle- 
raent  avec  des  torches  ardentes,  depuis  sa  prison  jusqu  au 
lieu  de  son  supplice.  ' 

XXI. 

Les  protestants,  malgré  les  promesses  du  roi,  n'étaient 
pas  rassurés;  des  bruits  étranges,  qui  venaient  de  Rome, 
les  tenaient  dans  une  grande  anxiété  ;  ils  pensèrent  que  le 
roi  avait  acheté  son  absolution  à  leurs  dépens;  et  cependant 
ils  ne  pouvaient  se  résoudre  à  croire  que  l'homme,  auquel 
ils  avaient  tout  prodigué,  voulût  faire  de  leur  ruine  une  con- 
dition de  stabilité  pour  son  trône.  Dans  ses  instructions  à 
d'Ossat  et  à  Du  Perron  n'avait-il  pas  fait  coucher  par  écrit 
ces  paroles  notables  destinées  à  être  mises  sous  les  yeux 
du  pape  :  «  Ceux  de  la  religion  réformée  étant  en  grand 
nombre  et  puissants  dans  le  royaume  comme  ils  sont, 
servent  et  fortilient  grandement  sadile  Majesté  à  défendre 
son  État  contre  ses  ennemis  comme  ils  ont  fait  ci-devant: 
de  sorte  que  sadite  Majesté  serait  accusée  d'imprudence 
et  d'inçratitude  si,  après  en  avoir  tiré  tant  de  services 
qu'elle  "a  fait,  et  au  besoin  qu'elle  a  encore  d'eux,  elle  leur 
courait  sus  et  les  forçait  à  prendre  les  armes  contre  sa 
personne,  comme  ils  ont  toujours  fait  quand  on  a  voulu 
forcer  leur  conscience;  mais  Sa  Majesté  espère  d'en  avoir 
meilleur  compte  par  la  douceur  et  l'exemple  de  sa  vie  que 
par  la  rigueur.  »  ' 
En  apprenant  l'absolution  papale,  les  catholiques  mani- 

'     1.  Palma-Cayet,  année  1595.  — CapeOgue,  liv. Vïï.  —  L'Estoile, 
gimée  1595.  —  Davila,  Uv.  XiV.  —  De  Thou,  Uv.  CXm. 

2.  Histoire  de  l'cdit  de  Nantes,  liv.  d,  p.  147. 

3.  Ëlie  Benoit,  1. 1",  liv.  III,  p.  144. 


i04         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

restèrent  bruyamment  leur  joie;  trente-cinq  ans  de  guerre 
les  avaient  lassés;  ils  soupiraient  après  la  paix,  cependant 
tout  ce  que  le  catholicisme  comptait  d'hommes  honorables 
se  sentit  abaissé  dans  l'humiliation  que  le  pape  avait  in- 
fligé à  la  royauté  dans  la  personne  du  monarque.  Ils  blâ- 
mèrent vivement  Du  Perron  et  d'Ossat,  de  s'être  soumis 
à  la  formalité  de  la  baguette.  Quant  au  roi,  il  ne  partagea 
pas  l'indignation  de  son  entourage;  habitué  à  rire  de  tout, 
il  rit  des  coups  de  baguette,  car  elles  lui  venaient  en  aide 
contre  les  ligueurs,  sur  les  épaules  desquels  le  pape  avait 
frappé  plutôt  que  sur  les  siennes.  Après  la  cérémonie  de 
l'abjuration  et  celle  du  sacre  il  pouvait  tout  se  permettre; 
il  fut  fidèle  à  lui-même. 

Le  jour  où  il  reçut  la  nouvelle  de  sa  réhabilitation  il 
envoya  des  courriers  dans  toutes  les  provinces  de  son 
royaume  pour  apprendre  aux  gouverneurs  cet  heureux 
événement  ;  il  disait  dans  ses  lettres  «  que  le  plus  grand  hon- 
neur que  les  monarques  laissent  d'eux  a  la  postérité  est 
de  s'être  humiliés  et  d'être  enfants  de  l'Église.»' 

I.  V  Palma-Cayet,  année  1595,  édit.  panth.  litt.,  p.  600. 


105 


LIVRE  XXIV. 


I. 

Pendant  que  d'Ossat  et  Du  Perron  négociaient  à  Rome 
auprès  du  pape  la  réconciliation  du  roi  avec  l'Eglise  catho- 
lique, des  protestants  qui  célébraient  leur  culte  à  la  Châ- 
taigneraye  furent  impitoyablement  mis  à  mort  par  les  soldats 
de  la  garnison  de  Rochefort.  Deux  cents  personnes  de  tout 
âge  et  de  tout  sexe  périrent.  Ce  fut  une  femme ,  la  dame 
de  la  Châtaigneraye  qui  prépara  cette  sanglante  expédition, 
et  qui  après  l'exécution,  vint  sur  le  terrain  du  massacre  , 
gaie,  riante ,  joyeuse,  compter  les  morts  et  s'informer  si 
ceux  des  huguenots  qu'elle  haïssait  le  plus  étaient  du 
nombre.  Les  soldats  se  montrèrent  impitoyables  :  un  enfant 
nouveau-né,  qu'on  avait  apporté  à  l'assemblée  pour  rece- 
voir le  baptême,  fut  massacré;  un  autre  qui,  à  peine  âgé 
de  huit  ans,  présentait  auxégorgeurs  huit  sous  en  échange 
de  sa  vie,  ne  les  toucha  ni  par  son  innocence,  ni  par  sa 
jeunesse,  ni  par  ses  cris:  le  pauvre  agneau  fut  immolé.' 

Les  protestants,  indignés  de  cet  acte  de  lâche  barbarie, 
commis,  en  pleine  paix,  sur  des  gens  inoffensifs,  et  dans 
le  plein  exercice  de  leurs  droits,  demandèrent  qu'on  pour- 
suivit les  auteurs  du  massacre  comme  des  brigands,  et 
dans  la  crainte  de  voir  se  renouveler  de  pareilles  vio- 
lences, plusieurs  d'entre  eux  prirent  les  armes.  Quelques- 
uns  même,  dans  l'e.xcès  de  leur  indignation,  voulaient 
user  de  représailles  sur  les  catholiques,  pour  se  faire  jus- 
tice de  leurs  propres  mains. 

IL 

Toutes  ces  plaintes  parvenaient  aux  oreilles  du  roi,  qui 
s'efforçait  de  les  oublier.  Des  choses  plus  importantes  le 
■préoccupaient  alors;  il  faisait  agir  auprès  du  pape  les  res- 

1.  Élie  Benoit,  t.  I",  liv.  IV,  p.  J50. 


106        HlSTOmE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

sorts  de  sa  diplomatie  pour  obtenir  son  absolution;  ce  fut 
pendant  ces  délicates  et  épineuses  négociations  qu'il  crut 
être  agréable  au  Saint-Siège,  en  faisant  tous  ses  efforts  pour 
retirer  des  mains  des  protestants  le  jeune  prince  de  Condé, 
qu'ils  gardaient  comme  un  otage,  avec  l'arriêre-pensée 
de  s'en  faire  un  protecteur,  si  on  continuait  à  les  molester; 
leurs  craintes  n'étaient  pas  sans  fondement:  la  vérification 
del'édit,  qui  devait  améliorer  leur  position,  n'avait  fait 
que  l'empirer;  de  là,  leur  refus  de  rendre  le  jeune  prince. 
Henri  IV,  sans  attendre  que  le  pape  lui  en  eût  imposé 
l'obligation,  déploya  son  habileté  accoutumée  pour  les  y 
contraindre,  sans  en  venir  à  des  voies  de  fait,  auxquelles  il 
répugnait;  il  lit  courir  le  bruit  que  les  réformés  ne  ren- 
draient jamais  le  jeune  prince  :  c'était  les  signaler  comme 
des  rebelles  et  des  factieux;  il  fitajouter  que  leur  conduite 
préjudiciait  à  ses  intérêts.  C'était  jeter  la  zizanie  au  milieu 
de  leurs  rang^ ,  à  cause  de  ceux  de  leurs  coreligionnaires 
qui  lui  étaient  attachés;  il  fit  enfin  insinuer,  que  ce  qu'on 
ne  voulait  pas  lui  donner  volontairement ,  il  saurait  le 
prendre  par  la  force  ;  c'était  le  moyen  d'effrayer  les  ti- 
mides, qui  soupiraient  après  le  repos  et  tremblaient  au 
moindre  bruit  de  guerre. 

Le  jeune  prince',  objet  de  ces  négociations ,  était  le  fils 
aîné  de  Henri  de  Bourbon,  prince  de  Condé,  mort  à  Jarnac. 
Ce  prince  qui  avait  plus  de  courage  que  de  talents  mili- 
taires, et  plus  d'ambition  que  de  valeur  personnelle,  était 
plus  aimé  des  protestants  que  le  roi  de  Navarre.  Après 
avoir  abjuré  le  lendemain  du  24  août  1572,  il  était  rentré 
dans  l'Église  réformée,  à  laquelle  il  était  attaché  moins  par 
politique  que  par  conviction.  Depuis  ce  jour  il  n'avait  pas, 
comme  Henri  de  Béarn,  éveillé  les  soupçons  de  ses  core- 
ligionnaires par  des  réticences  et  des  hésitations;  aussi  les 
protestants  le  préféraient  à  son  cousin ,  malgré  la  supériorité 
que  ce  dernier  avait  sur  lui.  Rien  ne  faisait  prévoir  la  mort 
de  ce  prince,  quand,  tout  à  coup,  il  mourut  à  Saint-Jean- 
d'Angély,  le  5  mars  1588,  à  la  fleur  de  son  âge.  On  crut  à 
un  empoisonnement.  L'autopsie  confirma  les  soupçons  qui 
se  portèrent  sur  Brossant,  l'un  de  ses  domestiques,  et  sur 
son  page:  le  premier  fut  exécuté;  le  second,  qui  parvint  à 

1.  Haag,  France  protestante,  art.  Bourbon. 


LIVRE  XXIV. 


101 


s'échapper,  fut  condamné  à  mort  et  brûlé  en  effigie.  Les 
soupçons  ne  s'arrêtèrent  pas  aux  serviteurs  du  prince,  ils 
atteignirent  son  épouse ,  Charlotte  de  la  Trémouille.  On 
crut  voir  en  elle  la  main  invisible  qui  avait  présidé  à  ce 
crime  ;  jetée  en  prison,  son  procès  commença  :  en  1595 
il  n'était  pas  terminé,  et  les  soupçons  continuaient  à  planer 
sur  elle  ,  quoique  ,  jusqu'à  cette  époque  ,  les  enquêtes 
n'eussent  abouti  à  aucun  résultat  positif.' 

Deux  hommes  étaient  ses  ennemis  particuliers  :  le  prince 
de  Conti  et  le  comte  de  Soissons,  frères  de  son  mari.  Ces 
deux  princes  attendaient  d'une  condamnation  infamante  fa 
perte  des  droits  de  son  fds ,  alors  premier  prince  du  sang, 
et  né  six  mois  après  la  mort  de  son  père.  En  le  faisant  dé- 
clarer illégitime*,  ils  se  rapprochaient  du  trône;  ils  avaient 
donc  intérêt  à  faire  flétrir  leur  belle-sœur  par  un  jugement 
solennel.  Ils  inquiétaient  autant  le  roi  que  les  huguenots. 
La  Trémouille ,  frère  de  la  veuve  de  Condé ,  souffrait 
cruellement  de  voir  sa  sœur  sous  le  poids  d'une  accusation 
infamante.  Ce  seigneur  courageux,  habile,  entreprenant, 
avait  toute  la  confiance  des  protestants,  qui  repor- 
taient sur  lui  leurs  espérances.  Henri  IV  craignit  qu'il  ne 
voulût  pas  rendre  le  jeune  prince,  sous  le  nom-  duquel 
il  pouvait  devenir  un  jour  le  chef  de  ses  coreligionnaires. 
—  La  situation  était  très-compliquée,  car  de  quelque  ma- 
nière qu'il  en  poursuivît  l'issue,  il  allait  se  heurter  contre 
des  difficultés.  Il  eut  alors  l'idée  d'intéresser  La  Trémouille 
à  l'honneur  de  sa  sœur,  en  lui  faisant  sentir  habilement 
la  honte  qui  rejaillirait  sur  sa  maison,  si  la  princesse, 
déjà  condamnée  par  les  juges  de  Saint-Jean-d'Angély , 
portait  sa  téte  sur  un  échafaud  comme  complice  de  la 
mort  de  son  mari.  Ebranlés  par  ces  raisons,  les  parents  de 
l'accusée  présentèrent  au  roi  une  requête  qu'il  accueillit 
favorablement;  les  demandeurs  y  exposaient  que  les  juges 
qui  avaient  condamné  Charlotte  de  la  Trémouille  étaient 
incompétents;  que  c'était  au  parlement  de  Paris,  juge 

1.  Mémoires  de  la  ligue,  t.  II.  —  On  trouve  dans  ces  Mémoires 
les  pièces  suivantes  :  Relation  de  la  mort  du  prince  de  Condé.  — 
Avertissement  sur  la  mort  de  Monseigneur  le  prince  de  Condé.  — 
Rapport  des  médecins  et  chirurgiens  sur  la  mort  du  prince  de 
Condé,  p.  303-304. 

i,  Rosoy,  Éconowies  royales,  t.  n,  cb.  22,  p.  233. 


108         HISTOIRE  DE  LA  RÈFORMATION  FRANÇAISE. 

naturel  des  princes  du  sang,  à  prononcer.  Le  marquis  de 
Pisani  fut  envoyé  à  Saint-Jean-d'Angély  avec  la  mission 
d'en  ramener  la  princesse  avec  son  fils'.  11  éprouva  d'abord 
de  grandes  difficultés  :  les  zélés  parmi  les  protestants 
craignaient,  non  sans  raison,  qu'une  fois  nanti  de  la 
personne  du  jeune  prince,  la  cour  ne  fit  tous  ses  efforts 
pour  lui  faire  oublier  la  religion  de  son  père  ;  pour  atté- 
nuer leurs  craintes,  on  promit  le  contraire,  mais  dès 
qu'elle  l'eut  en  sa  possession,  elle  manœuvra  si  habile- 
ment que  ce  prince,  sur  lequel  les  protestants  faisaient 
reposer  tant  d'espérances,  après  avoir  résisté  à  ses  con- 
vertisseurs par  ses  cris  et  par  ses  larmes',  se  rangea  peu 
à  peu  du  côté  des  catholiques,  et  devint  controversiste  et 
convertisseur.  Les  protestants  devaient  faire  encore  une 
fois  l'expérience,  qu'en  s'appuyant  sur  les  grands  de  ce 
monde,  ils  avaient  bâti  sur  le  sable.  Ce  n'était  que  jus- 
tice :  la  Réforme  devait  échouer  partout  où  elle  n'avait 
pas  été  fidèle  à  son  principe. 

Charlotte  de  la  Trémouille  comparut  devant  ses  juges , 
qui  la  relevèrent  solennellement  de  l'arrêt  porté  contre 
elle;  elle  fut  rendue  à  la  liberté,  et  quelque  temps  après 
elle  abjura  la  religion  protestante  à  Rouen  entre  les 
mains  du  légat  du  pape. 

Quelle  qu'ait  été  la  solennité  de  l'arrêt  qui  lui  rendit  son 
honneur,  des  doutes  continuèrent  à  planer  sur  sa  mé- 
moire'. «Les  cours  de  justice,  ditSismondi,  avaient  si  peu 
de  respect  pour  la  vérité,  et  les  preuves,  sur  lesquelles 
elles  se  décidaient ,  étaient  si  peu  concluantes  ,  que 
l'opinion  publique  ne  put  jamais  avec  sûreté  prendre 
leurs  sentences  pour  ses  règles.  » 

IIL 

Les  réformés,  témoins  de  toutes  ces  nouvelles  intrigues, 
faisaient  tous  leurs  efforts  pour  qu'on  fit  droit  à  leurs  de- 
mandes. Les  deux  députés  de  leur  assemblée  de  Saumur 

1.  L'Estoile,  année  1595. 

2.  Il  fut  conduit  la  première  fois  à  la  messe  le  24  janvier  1696. 
—  Voir  l'Estoile,  année  1596. 

3.  Sismondi,  t.  XXI,  p.  330.  —  De  Thou,  liv.  CXII.  p.  560; 
t.  CXVII,  p.  20.  —  Davila,  liv.  XIV.  —  Haag,  France  protestante. 


LIVRE  XXIV. 


109 


se  rendirent  à  Lyon  où  était  le  roi  ;  il  leur  fit  un  «cciieil 
très-bienveillant  et  les  engagea  à  l'aider  dans  sa  nouvelle 
guerre  avec  l'Espagne.  Dans  cette  circonstance,  le  con- 
seil général  des  églises  réformées  crut  devoir  se  désister  de 
ses  demandes,  et  fut  d'avis  qu'il  fallait  assister  énergique- 
ment  le  roi.  Le  duc  de  Bouillon  lui  offrit  ses  services,  les 
Provinces-Unies  et  l'Angleterre  s'allièrent  à  la  France  contre 
l'Espagne,  à  la  grande  joie  des  protestants,  qui  attendaient 
de  cette  union  la  fm  de  leurs  maux  ou  tout  au  moins 
l'ère  d'un  meilleur  avenir.  Dans  le  traité  intervenu  entre 
la  France  et  la  Grande-Bretagne ,  Elisabeth  voulait  faire 
insérer  un  article  par  lequel  le  roi  s'obligeait  de  donner  un 
édit  favorable  aux  protestants  de  son  royaume.  Le  duc  de 
Bouillon,  qui  avait  été  envoyé  auprès  de  la  reine  d'Angle- 
terre pour  arrêter  les  bases  du  traité  d'alliance,  s'y  opposa. 
Ses  coreligionnaires  lui  en  firent  d'amers  reproches,  mais 
furent  dès  lors  assurés  d'avoir  hors  de  la  France  des  pro- 
tecteurs qui  pourraient  leur  venir  en  aide  dans  leurs  jours 
de  détresse.' 

La  guerre  avec  l'Espagne  n'ayant  pas  porté  les  fruits 
qu'ils  en  espéraient,  les  réformés  se  virent  exposés  à  de 
nouveaux  retards  qui  les  jetèrent  dans  de  grandes  impa- 
tiences: toujours  demander  et  ne  recueillir  que  de  stériles 
paroles,  c'était  dur  pour  ces  hommes  qui  avaient  le  senti- 
ment profond  de  la  justice  de  leurs  demandes  et  de  l'ini- 

3uité  des  refus  répétés  dont  elles  étaient  suivies.  Le  roi , 
e  son  côté,  fatigué  de  leurs  requêtes,  perdant  quelque- 
fois patience,  leur  disait  des  paroles  dures,  auxquelles  ils 
ripostaient  en  lui  rappelant  leurs  longs  services. 

Le  pape,  qui  savait  par  ses  émissaires  tout  ce  qui  se  pas- 
sait en  France,  avait  soin  de  prendre  pour  prétexte  lo 
moindre  acte,  la  moindre  parole  du  roi  en  faveur  des  pro- 
testants, pour  mettre  en  doute  la  sincérité  de  sa  conversion. 
Clément  VlII  eut  voulu  l'amener  peu  à  peu  à  exterminei 
ses  anciens  coreligionnaires,  comme  il  l'avait  promis  lors 
de  son  abjuration  et  de  son  sacre;  «mais  le  roi  n'y  voulut 
jamais  consentir;  »  cependant  il  essayait  de  contenter  le 

f)ape:  il  prononçait  alors  quelques  paroles  rudes  contre 
es  réformés,  ou  bien  faisait  le  convertisseur,  et  y  réus- 

1.  Histoire  de  l'édit  de  Nantes,  liv.  IV,  p.  156. 
IV.  4 


•410        HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATIOM  FRANÇAISE. 

fiissait  quelquefois  ;  le  r!?pe  espérait  arriver  graduellement  à 
«on  but.  Il  se  crut  nicine  s;  •  le  point  do  l'atteindre,  quand, 
en  1596,  on  fit  courir  le  L.  ^It  que  le  roi  avait  définitive- 
ment rompu  avec  les  liuguenols,  et  leur  avait  dit  en  ré- 
ponse à  une  requête  qu'ils  lui  avaient  présentée,  «qu'il 
se  joindrait  au  roi  d'Espagne  pour  les  détruire,  et  que, 
s'ils  ne  se  tenaient  pas  dans  le  terme  des  édits,  ils  n'au- 
raient pas  si  bon  marché  de  lui  que  de  ses  prédécesseurs.  »  * 
Mais  pendant  qu'il  parlait  ainsi,  il  donnait  à  des  hugue- 
nots laïques  des  prieurés,  des  évêchés,  des  abbayes,  dont 
ces  derniers  retiraient  les  revenus,  comme  cela  se  pra- 
tique encore  en  Angleterre,  sous  le  nom  d'un  confident 
ou  prête-nom.  L'abus  à  cet  égard  était  tel,  que  le  conseil 
privé  du  roi  rendit  un  arrêt  qui  adjugea  un  évêché  à  une 
femme,  Le  clergé  catholique  qui  prenait  facilement  son 

fiarli  des  abus  quand  ils  favorisaient  ses  intérêts  particu-* 
iers,  se  plaignit  vivement  et  ce  ne  fut  pas  sans  peine  qu'il 
parvint  à  introduire  des  réformes  dans  cette  partie  de  la 
législation  ecclésiastique. 

IV. 

Les  plaintes  du  clergé  catholique  inquiétèrent  le  roi 
qui  lui  permit  de  se  réunir.  Il  parut  en  personne  à  l'as- 
semblée; le  discours  qui  lui  fut  adressé  fut  modéré  de 
formes.  On  lui  demanda  de  faire  un  édit  pour  ramener  les 
protestants  dans  la  religion  catholique,  sans  lui  demander 
cependant,  cette  fois,  de  le  faire  par  la  force,  mais  par 
des  conseils  et  la  persuasion  ;  il  obtempéra  à  ces  de- 
mandes et  rendit  en  sa  faveur  un  édit  à  Travercy  (1596), 
qui  porta  une  nouvelle  atteinte  aux  libertés  déjà  si  res- 
treintes des  protestants.  11  les  obligea  à  souffrir  la  réinté- 
gration du  culte  catholique  sur  tous  les  points  du  royaume, 
et  leur  enleva  le  droit  de  se  faire  ensevelir  dans  les  ci- 
metières et  autres  lieux  consacrés  ,  quoiqu'ils  eussent  des 
droits  de  patronage,  à  moins  qu'ils  ne  mourussent  dans  la 
religion  romaine;  il  donna  au  clergé  le  droit  de  reven- 
diquer les  reliques  et  les  ornements  des  églises  des  mains 

1.  Élie  Benoit,  t.  I",  liv.  IV,  p.  160.  —  Agrippa  d'Aubjgné, 
Histoire  universelle. 


LIVRE  XXIV. 


111 


de  leurs  détenteurs,  et  dans  le  cas  où  ils  ne  les  représen- 
teraient pas,  celui  de  leur  intenter  une  action  civile.  L'ar- 
ticle de  l'édit,  auquel  tenait  le  plus  le  clergé,  était  la  res- 
titution par  ces  derniers  de  tous  les  biens  ecclésiastiques.' 

Après  cinq  ans  de  demandes,  d'instances  et  de  suppli- 
cations, les  réformés  n'avaient  abouti  qu'à  l'édit  de  Tra- 
Vercy. 

Un  autre  édit,  auquel  le  roi  attachait  une  plus  grande 
importance,  fut  celui  de  Folembray  (janvier  1596)%  qu'il 
rendit  en  faveur  de  Mayenne,  qui  lui  vendit  chèrement  sa 
soumission.  Ce  fut  lui  qui  dicta  les  termes  du  contrat:  le 
roi  signa.  Il  renonça  même  à  poursuivre  les  complices  de 
la  mort  de  Henri  III. 

«Il  est  constant,  dit  de  Thou,  en  parlant  des  traités 
faits  par  le  roi  avec  les  ligueurs,  que  tous  ces  édits  ,  ces 
traités,  ces  conventions,  que  le  roi  fut  obligé  de  faire  avec 
les  princes,  les  grands,  les  villes  et  les  gouverneurs  des 
places  rebelles,  pour  rendre  la  paix  au  royaume,  coû- 
tèrent à  l'État  plus  de  six  millions  d'écus,  qu'il  fallut  im- 
poser sur  le  malheureux  peuple,  que  la  guerre  avait  réduit 
à  une  extrême  pauvreté,  et  qui  avait  un  grand  besoin  d'être 
soulagé.  Ces  sommes,  qu'oïl  exigea  avec  une  rigueur 
inouie,  jointes  aux  impôts  ordinaires,  ruinèrent  presque 
sans  ressource,  non-seulement  le  petit  peuple,  mais  les 
familles  les  plus  honnêtes,  dont  le  fonds  et  les  revenus  se 
trouvèrent  anéantis  par  la  misère  où  le  peuple  était  réduit. 
Telle  fut  la  fin  de  cette  guerre  qu'on  n'avait  entreprise  que 
pour  le  maintien  de  la  religion  et  pour  le  soulagement  du 
peuple.  Au  lieu  de  cela,  on  peut  dire  que  la  religion  se  vit 
entièrement  détruite,  foulée  aux  pieds,  et  absolument 
anéantie  par  l'impiété  des  guerres  civiles,  tandis  que  les 

fieuples,  non-seulement  de  la  campagne,  mais  de  toutes 
es  villes  du  royaume,  et  les  meilleures  familles  même, 
furent  réduits  à  la  plus  grande  indigence.  A  l'égard  des 
princes,  des  grands  et  de  la  noblesse,  ils  s'accoutumèrent 

1.  Histoire  de  l'édit  de  Nantes,  1. 1",  liv.  IV,  p.  162-163. 

2.  Cet  édit  fut,  après  une  vive  opposition,  enregistré  au  parle- 
ment le  9  avril  1596,  le  29  mai  suivant  à  la  cour  des  comptes  et 
le  29  du  même  mois  à  la  cour  des  aides.  —  Voir  dans  De  Thou, 
liv.  CXV,  le  récit  de  cette  grave  affaire. 

}.  Note  VI. 


iiî         HISTOIRE  DE  IK  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

tellement  à  vivre  sans  règle  et  à  faire  des  dépenses  qui 
passaient  leurs  forces,  qu'aujourd'hui  on  les  voit  noyés 
de  dettes  et  déjà  dégoûtés  de  la  paix  que  Dieu  nous  a  enfin 
accordée  par  sa  bonté,  n'avoir  plus  de  ressources  que 
dans  de  nouveaux  troubles ,  et  soupirer  encore  après  une 
nouvelle  guerre  civile,  pour  remédier  au  mauvais  état  de 
leurs  affaires'.»  Un  seul  ligueur,  le  duc  de  Mercœur,  n'a- 
vait pas  fait  sa  soumission  :  la  Sainte-Union  ne  vivait  que 
par  lui. 

V. 

Les  défiances  des  protestants  demeuraient  les  mêmes  : 
chaque  jour  était  marqué  par  un  nouvel  acte  d'oppression 
ou  de  mauvaise  foi;  on  voulait,  suivant  la  confession 
na'ive  d'un  conseiller  d'État,  les  pousser  «  à  faire  les  fous.> 
Henri  IV  était  étranger  à  ces  lâches  menées,  qu'il  ne  pou- 
vait empêcher.  Ceux  des  chefs  de  la  ligue  qu'il  avait  ache- 
tés, n'avaient  pas  abandonné  l'idée  d'un  démembrement 
de  la  France;  cette  idée  même  avait  pris  corps,  et  les 
principaux  auteurs  du  complot  vexaient  les  protestants 
\  pour  les  pousser  à  prendre  les  armes,  et  par  la  guerre, 
arriver  h  leur  fin. 

Les  réformés  qui  avaient,  par  leur  courage,  aidé  le  roi 
il  conquérir  son  trône,  l'aidèrent,  par  leur  sagesse  ,  à  le 
conserver.  Ils  se  bornèrent  à  continuer  leur  assemblée,  qui 
fut  transportée  à  Loudun  (1"  avril  159G),  avec  la  permis- 
sion du  monarque.  Pendant  la  tenue  de  l'assemblée,  les 
parlements  de  Bordeaux,  de  Toulouse  et  d'Aix,  rendirent 
des  arrêts  qui  limitaient  les  libertés  des  protestants;  celui 
d'Aix  interdit  même  sous  peine  de  mort  la  religion  réfor- 
mée dans  toute  l'étendue  de  son  ressort.  Sous  le  ciel  ar- 
dent de  cette  contrée,  les  passions  ligueuses  ne  s'étaient 
pas  amorties;  d'Oppède  revivait  dans  ses  intolérants  suc- 
cesseurs. 

L'assemblée  qui  recevait  de  toutes  les  provinces  les  ca- 
hiers contenant  les  plaintes  de  ses  mandataires,  élait 
dans  une  grande  perplexité;  elle  attendait  peu  de  la  bien- 
veillance du  roi  :  elle  lui  envoya  néanmoins  le  huguenot 


1.  DeThou,  Bv.  CXV,  p.  743-741. 


LIVRE  XXIX. 


113 


Vulson  pour  presser  l'exécution  de  ses  promesses  ;  l'en- 
voyé fut  bien  accueilli,  mais  n'obtint  rien.  Le  roi,  offensé 
de  la  hardiesse  des  députés  qui  lui  avaient  fait  dire  par  leur 
envoyé  que  l'assemblée  attendait  sa  réponse  à  Loudun,  et 
plus  encore  de  sa  résolution  de  ne  se  séparer  qu'après 
avoir  obtenu  une  conclusion  des  affaires  pour  lesquelles 
elle  s'était  réunie,  lui  ordonna  de  se  dissoudre  immédia- 
tement. —  «Nous  n'avons,  se  dirent  alors  les  députés, 
rien  à  attendre  de  la  cour;  c'est  en  nous-mêmes  et  dans 
nos  propres  forces  que  nous  devons  chercher  un  remède 
à  nos  maux.  »  —  L'idée  de  séparer  leur  cause  de  celle  du 
roi  germait  dans  les  esprits  d'une  manière  rapide,  in- 
quiétante; elle  se  légitimait  à  plusieurs  égards.  Duplessis- 
Mornay  conjura  l'orage  en  se  rendant  au  sein  de  l'as- 
semblée, à  laquelle  il  fit  entrevoir  les  dangers  d'une 
pareille  mesure  ;  il  persuada  aux  députés  qu'avec  une  ré- 
sistance passive,  ils  atteindraient  mieux  leur  but  qu'en 
prenant  une  mesure  qui  les  placerait  en  état  de  rébellion 
ouverte.  «Fortifions,  leur  dit-il,  notre  assemblée  d'un 
pliTS  grand  nombre  de  personnes  considérables,  et  déci- 
dons que  nous  ne  nous  séparerons  pas  sans  avoir  obtenu 
un  édit  avec  des  garanties  sulfisantes  pour  son  exécution.)) 
L'assemblée  suivit  le  conseil  de  Duplessis ,  et  la  sagesse  , 
cette  fois  encore,  l'emporta  sur  le  ressentiment.' 

L'attitude  de  l'assemblée  inquiétait  vivement  le  roi;  dans 
une  lettre  que  Mornay  lui  écrivit,  ce  fidèle  serviteur  lui  ex- 
posait les  raisons  que  les  protestants  avaient  de  se  plaindre, 
plaçait  sous  ses  yeux  des  faits  et  l'engageait  à  envoyer 
un  commissaire  pour  entendre  et  recevoir  les  plaintes  des 
réformés,  «Ne  croyez  pas.  Sire,  lui  disait-il,  que  la  chose 
n'est  pas  peu  importante  ;  chacun  veut  savoir,  une  bonne 

1.  Dans  une  lettre  à  La  Fontaine  (19  juin  1596),  Du  Plessis 
disait  :  iJe  vous  ai  écrit  de  notre  assemblée  de  Loudun;  chacun  y 
désire  la  paix,  mais  chacun  y  est  las  de  l'incerlitude  de  notre 
condition;  en  vain  leur  prêche-t-on  la  patience;  ils  répliquent, 
quils  l'ont  eue  en  vain,  qu'il  y  a  sept  ans  que  le  roi  règne,  que 
(  leur  condition  empire  tous  les  jours ,  qu'on  fait  pour  la  ligue  tout 
ce  qu'elle  veut,  que  la  cour  ni  les  cours  ne  lui  refusent  riea  et 
n'y  fait  rien  l'histoire  du  prodigue.  Au  moins,  disent-ils,  anrès 
avoir  tué  le  vean  gras  pour  eux .  qu'on  ne  nous  laisse  pas  la  corde 
au  cou,  poui'  salaire  de  notre  lidéUté.  » 


Hé        HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

fois,  ce  qu'il  doit  attendre  pour  sa  sûreté.»  Pour  reinplif 
cette  mission  délicate  il  lui  indiqua  le  président  de  Thou.* 
Le  roi  accueillit  favorablement  la  lettre  de  Duplessis  :  il 
révoqua  de  suite  les  ordres  de  disperser  l'assemblée  par 
la  force  et  lui  promit  de  lui  envoyer  dans  un  bref  délai  un 
commissaire  pour  traiter  avec  elle.  Le  délai  expiré,  le 
commissaire  n'arriva  pas,  l'assemblée  était  impatiente; 
tant  d'années  de  demandes  et  de  vaine  attente  l'avaient 
lassée.  Le  roi  avait  contenté  tout  le  monde,  excepté  les 
huguenots;  bien  plus,  tout  ce  qui  s'était  fait  pour  l'asseoir 
sur  le  trône,  avait  été  fait  à  leurs  dépens;  le  pape  avait 
vendu  chèrement  son  absolution,  et  quand  les  chefs  de 
la  ligue  avaient  à  leur  tour  vendu  leur  soumission,  ils 
avaient  cru  éviter  la  honte  de  leur  marché  par  la  mani- 
festation de  leur  haine  contre  les  protestants. 

VI. 

«Toutes  ces  réductions,  dit  Élie  Benoît,  donnaient  de 
nouveaux  ombrages  aux  réformés,  contre  les  libertés  des- 
quels on  insérait  toujours  quelque  clause  dans  les  traités 
des  gouverneurs  et  des  villes.  Les  articles  mêmes,  qu'on 
avait  arrêtés  à  Mantes,  se  trouvaient  presque  tous  violés 
par  ces  nouveaux  édits,  et  les  réformés,  après  ces  infrac- 
tions, se  trouvaient  à  recommencer.  Toutes  les  villes  ne 
montrèrent  pas  une  aversion  égale  pour  eux  ;  mais  elles 
s'accordèrent  toutes  à  demander  qu'on  n'exerçât  dans  leur 
enceinte  nulle  autre  religion  que  la  catholique.  Meaux  se 
contenta  d'exclure  de  ses  murailles  et  de  ses  faubourgs 
l'exercice  de  la  religion  réformée.  D'autres  le  firent  ex- 
clure de  leur  banlieue.  Plusieurs  le  firent  réduire  aux  bornes 
de  l'édit  de  1577,  de  peur  que  les  services  des  réformés 
ne  leur  fissent  obtenir  une  liberté  plus  étendue.  Plusieurs 
demandèrent  l'exclusion  de  l'exercice  des  réformés  dans 
toute  la  juridiction  de  leur  bailliage;  quelques-uns  y  ajou- 
tèrent la  peine  de  la  vie  pour  ceux  qui  y  contreviendraient. 

t.  Brief  discours  par  lequel  chacun  peut  être  éclairci  des  justes 
procédures  de  ceux  de  la  religion  réformée ,  par  M.  Duplessis.  — 
Dans  ce  discours,  qui  se  trouve  au  tome  VU  des  Mémoii'es  de  l'au- 
teur, p.  278 ,  la  négociation  relative  «ux  protestants  s'y  trouve 
racontée  avec  de  grands  détaUs. 


uvBs  xinr. 


paris  fit  reculer,  ft  dix  lieues  à  la  ronde ,  l'eiercice  que 
les  réformés  désiraient.  Villars  les  bannit  de  Rouen  et  de 
toutes  les  villes  et  places  qu'il  remit  dans  l'obéissance  du 
roi,  et  fit  ajouter  qu'il  n'y  serait  reçu  ni  juge,  ni  oflicier 

3ui  ne  fût  catholique  et  qui  ne  vécût  selon  les  constitutions 
e  l'église  romaine.  Mais  pour  adoucir  cette  clause  rigou- 
reuse, on  y  ajouta  que  cela  durerait  jusqu'à  ce  que  le  roi 
en  eût  autrement  ordonné.  Poitiers,  outre  l'exclusion  de 
l'exercice  de  la  ville  et  des  faubourgs  et  de  tous  les  lieux 
oii  l'édit  de  1577  ne  le  permettait  pas,  demanda  le  réta- 
blissement de  la  religion  catholique  en  divers  lieux  du  Poi- 
tou. Agen  fit  limiter  sa  banlieue  à  demi-lieue  à  la  ronde 
où  l'exercice  de  la  religion  réformée  ne  se  pouvait  faire. 
Amiens  le  fit  défendre  dans  la  ville  et  dans  tout  le  bailliage 
sans  réserver  l'édit  de  1577.  Beauvais  obtint  qu'il  ne  se 
pourrait  faire  qu'à  trois  lieues  à  la  ronde  et  dans  le^ 
reste  du  bailliage  qu'aux  lieux  où  il  s'était  fait  du  vivant  du 
feu  roi.  Saint-Ma!o  fut  traité  de  même.  Les  villes  et  les 
seigneurs  qui  revinrent  plus  tard  à  leur  devoir,  suivirent 
l'exemple  des  autres  et  tirèrent  tout  ce  qu'ils  purent  du 
roi  contre  la  religion  réformée.»' 

Les  réformés  renouvelèrent  leurs  demandes  quand  ils 
apprirent  que  Clément  VIll  avait  envoyé  un  légat  en  France: 
l'arrivée  de  ce  prélat  leur  paraissait  un  présage  de  mauvais 
augure;  ils  ne  doutaient  pas  qu'il  ne  vînt  solliciter  le  roi  de 

[(rendre  des  mesures  violentes  contre  eux  ou  toijt  au  moins 
'engager  à  ajourner  la  réponse  à  leurs  cahiers,  qu'ils  atten- 
daient depuis  si  longtemps.  Leurs  craintes  s'accrurent  en 
voyant  diminuer  leurs  garnisons  en  Poitou  et  en  Saintonge, 
et  supprimer  celle  de  Thouars.  De  plus ,  Rosny,  leur  co- 
religionnaire, loin  de  soutenir  leur  cause,  paraissait  la 
trahir.  Ce  ministre  de  Henri  IV  n'était  aimé  ni  des  catho- 
liques ni  des  protestants;  son  caractère  hautain,  dur,  al- 
lier, lui  faisait  des  ennemis  de  tous  les  hommes  qui  avaient 
une  valeur  personnelle.  Dans  le  maréchal  deBouillon,  Rosny 
baissait  l'homme  puissant  aux  affaires;  dans  Lesdiguières, 
le  soldat  heureux  et  indépendant  ;  dans  Duplessis-Mornay, 
l'honnête  homme  et  l'habile  politique.  Il  tenait  systémati- 
quement ce  dernier  éloigné  de  la  cour  dans  la  crainte  qu'il 

1.  Histoire  de  l'édit  <1e  Nantes,  1 1",  Ut.  m,  p.  116-117. 


ii6         HISTOIRE  DE  hk  RÉFORHATION  FRANÇAISE. 

ne  le  supplantât  dans  l'esprit  du  roi.  Chez  Rosny  l'ambi- 
tion était  une  maladie  incurable;  de  grands  défauts  ter- 
nissaient chez  lui  d'admirables  et  d'incomparables  quali- 
tés; il  avait  beaucoup  de  ce  qui  fait  le  grand  minisire  et 
un  peu  de  ce  qui  rend  l'homme  petit.' 

Dans  l'impossibilité  de  se  faire  rendre  justice,  l'assem- 
blée se  décida  à  se  la  faire  elle-même.  Elle  ordonna,  en 
quelques  lieux  du  Poitou,  la  saisie  des  recettes  royales 
comme  une  compensation  au  préjudice  qui  lui  était  causé 
par  les  diminutions  de  leurs  garnisons,  leurs  seules  ga- 
ranties contre  de  nouvelles  vexations  qui  leur  paraissaient 
imminentes.  L'attitude  de  l'assemblée  et  la  réunion  d'un 
synode  national  qui  avait  lieu  au  même  moment  à  Saumur 
alarmèrent  le  roi  qui  craignit  que  les  députés  et  le  synode, 
en  unissant  leurs  efforts,  n'accrussent  ses  embarras.  Il  se 
décida  alors  à  envoyer  des  commissaires  pour  traiter  avec 
l'assemblée.  Sur  le  refus  de  De  Thou,  il  nomma  pour 
cette  mission  De  Vie  et  Colignon,  qui  reprochèrent  aux 
membres  de  l'assemblée  de  ne  pas  savoir  tenir  compte  de 
la  position  difficile  du  roi.  «Le  roi,  dirent-ils,  se  plaint 
de  ce  que  vous  êtes  bien  éloignés  de  l'affection  et  du  res- 
pect que  vous  avez  toujours  eus  pour  lui.»  Aux  reproches 
qu'ils  leur  firent  de  songer  plus  à  leurs  intérêts  particu- 
liers qu'au  bien  public,  les  députés  demandèrent  aux  com- 
missaires s'ils  connaissaient  pour  eux  un  bien  public  pré- 
férable à  leur  conservation.  «Est-ce juste,  ajoutèrent-ils, 
de  laisser  des  milliers  des  meilleurs  sujets  de  Sa  Majesté 
exposés  sans  défense  à  la  merci  de  leurs  ennemis ,  gens 
exercés  à  la  perlidie ,  aux  injustices  et  aux  massacres?»* 

VII. 

Henri  IV  se  décida  cependant  à  faire  quelques  conces- 
sions aux  protestants ,  quand  il  vit  que  l'assemblée  était 
résolue  à  ne  rien  céder  de  ce  qui  concernait  le  paiement 
de  ses  iTiinistres  et  l'administration  de  la  justice,  pour  la 
sûreté  de  laquelle  elle  réclamait  des  chambres  mi-parfics 
dans  les  parlements  qui  leur  étaient  suspects.  Il  leur  per- 

1.  Histoire  de  l'édit  de  Kantcs,  t.  l",  !iv.  111,  p.  121-123. 
t.  Élic  Bei;oil,  t.  Il,  ch.  4,  p.  177. 


LIVRE  XXIV. 


mit  de  con-tinuer  l'exercice  de  leur  culte  dans  tous  les 
lieux  où  ils  l'avaient  commencé  pendant  l'année  courante, 
et  l'établissement  d'un  second  lieu  de  culte  dans  chaque 
bailliage ,  de  plus  il  fit  enregistrer  par  le  parlement  de 
Rouen  l'édit  de  1577,  comme  il  l'avait  déjà  été  par  celui 
de  Paris. 

Ce  n'étaient  que  des  palliatifs  à  une  situation  qui  de- 
mandait des  remèdes  énergiques;  et  cependant  ce  mini- 
mum de  justice  indisposa  Rome ,  qui  vit ,  dans  la  vérification 
de  l'édit  de  1577  par  le  parlement  de  Rouen,  un  recul  de 
Henri  IV  dans  sa  foi  religieuse.  Le  pape  se  plaignit  vive- 
ment à  d'Ossat,  qui  calma  le  pontife,  en  lui  exposant  que 
le  roi  avait  agi  sous  l'empire  de  la  nécessité. 

Les  commissaires  royaux  se  rendirent,  au  commence- 
ment de  février  1597,  à  l'assemblée,  qui,  sur  son  désir, 
s'était  réunie  à  Vendôme.  Ils  lui  dirent  «que  leur  maître, 
malgré  tout  le  bien  qu'il  voulait  aux  prolestants ,  ne  pou- 
vait accorder  davantage.»  L'assemblée  ne  fut  pas  satisfaite. 
«On  nous  sacrifie,  dirent  les  députés  aux  commissaires, 
on  oublie  nos  services,  on  nous  forcera,  par  des  injus- 
tices réitérées ,  à  chercher  notre  soulagement  en  nous- 
mêmes.  »  Les  commissaires  qui  connaissaient  les  disposi- 
tions de  l'assemblée  écrivirent  au  roi  qu'il  serait  dange- 
reux de  la  pousser  au  désespoir;  que  ce  qu'il  y  avait  de 
plus  urgent  à  faire,  c'était  de  la  dissoudre  et  de  renvoyer 
les  députés  dans  leurs  provinces  avec  des  concessions  qui 
les  satisfissent. 

Le  roi  fut  mécontent  de  l'attitude  que  prenait  l'assem- 
blée; il  s'emporta  contre  Bouillon  et  La  Tremouille,  cou- 
pables, à  ses  yeux,  d'entretenir,  parmi  ses  membres,  un 
esprit  d'agitalion  contraire  à  ses  intérêts  et  à  ceux  des 
réformés,  qui,  par  leur  manque  de  patience,  rendaient  sa 
tâche  difficile  et  l'empêchaient  d'exécuter  le  bien  qu'il  se 
proposait  de  leur  faire. 

Le  roi  pensait  ce  qu'il  disait,  mais  il  avait  perdu  le  droit 
d'êlre  cru.  Depuis  sept  ans  il  promettait  et  disait  aux  hu- 
guenots: «Vous  n'êtes  pas  patients!  »  Les  événements  plus 
forts  que  sa  volonté  lui  avaient  créé  cette  étrange  situation. 

Les  choses  ne  tendaient  pas  vers  une  situation  favorable. 
Les  pourparlers  continuaient  à  Saumur  où  l'assemblée 
s'élail  trausnortée  de  Vendôme,  guand  tout  àcoi^  lanou- 


118         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

velle  de  la  prise  d'Amiens  par  les  Espagnols  retentit  en 
France  comme  un  coup  de  tonnerre  qui  terrifia  le  roi  et 
remplit  d'espérance  les  ligueurs.' 

VIII. 

lia  nouvelle  surprit  Henri  IV  au  milieu  des  plaisirs  aux- 
quels il  se  livrait  sans  retenue.  Sa  maîtresse  en  litre  était 
Gabrielle  d'Estrées ,  qu'il  avait  fait  duchesse  de  Beau- 
fort,  et  pour  laquelle  il  dépensait  follement  des  sommes 
énormes,  auxquelles  Rosny  subvenait  avec  ses  pots  de  vin.» 
L'Estoiie ,  tout  en  ne  prétendant  qu'au  modeste  rôle  de 
nouvelliste,  nous  a  laissé  une  belle  page  d'histoire  de  ces 
temps  si  agités.  «Le  jeudi  gras  (13  lévrier  1597),  le  roi, 
dit-il,  soupa  et  coucha  chez  Zamet,  et  le  vendredi  il  en- 
voya dire  aux  marchands  de  la  foire  qu'ils  n'eussent  à  dé- 
taler, parce  qu'il  y  voulait  aller  le  lendemain;  comme  il 
fit  et  dîna  chez  Gondi  avec  Mad.  la  marquise,  à  laquelle  il 
voulut  donner  sa  foire  d'une  bague  de  huit  cents  écus  qu'il 
marchanda  pour  elle,  mais  il  ne  l'acheta  pas...  Il  mar- 
chanda tout  plein  d'autres  besognes  à  la  foire  ;  mais  de  ce 
que  on  lui  faisait  vingt  écus  il  en  offrait  six  et  ne  gagnèrent 
guère  les  marchands  à  sa  vue...  Le  dimanche  gras  il  dîna 
et  soupa  chez  Sancy...  Le  dimanche  23,  qui  6;  ;it  le  pre- 
mier jour  du  carême,  le  roi  fit  une  mascarade  de  sorciers 
et  alla  voir  les  compagnies  de  Paris.  Il  fut  chez  la  prési- 
dente Saint-André,  chez  Zamet  et,  en  tout  plein  d'autres 
lieux,  ayant  toujours  la  marquise  à  son  côté.  Ballets, mas- 
carailes,  musique  de  toute  sorte,  suivirent  ces  beaux 
festins...  Le  mercredi,  12  mars,  veille  de  la  m-i-carême, 
pendant  qu'on  s'amusait  à  rire  et  à  baller,  arrivèrent  les 
piteuses  nouvelles  de  la  surprise  d'Amiens  par  l'Espagnol, 
qui  avait  fait  des  verges  de  nos  balais  pour  nous  fouetter. 
De  laquelle  nouvelle  Paris,  'a  cour,  la  danse  et  toute  la 
fête  fut  fort  troublée;  et  même  le  roi,  duquel  la  constance 
et  magnanimité  ne  s'ébranlent  aisément,  étant  comme 

1.  Surprise  d'Amiens.  —  Mémoires  de  la  ligue,  t.  VI.  — ' 
V.  Palma-Cayet,  liv.  IX.  —  Davila,  liv.  XV. 

2.  Chaque  fois  que  Sully  contractait  iiu  marché  an  nom  et  pour 
le  compte  de  l'État,  il  se  faisait  donner  une  certaine  sojnme  à  titre 
de  pots  de  vin.  Ces  pots  de  vin  étaient  les  fonds  secrets  du  rci. 


tïVRE  XXIV. 


119 


étonné  de  ce  coup  et  regardant  cependant  îi  Dieu ,  comme 

il  fait  ordinairement  plus  en  l'adversité  qu'en  la  prospé- 
rité, dit  tout  haut  ces  mois  :  «Ce  coup  est  du  ciel!  ces 
pauvres  gens,  pour  avoir  refusé  une  petite  garnison  que 
je  leur  ai  voulu  bailler,  se  sont  perdus.»  Puis,  songeant 
un  peu,  dit:  «  C'est  assez  fait  le  roi  de  France,  il  est  temps 
de  faire  le  roi  de  Navarre.  »  Et  se  retournant  vers  la  mar- 
quise qui  pleurait,  lui  dit  :  «Il  faut  quitter  nos  armes  et 
monter  à  cheval  pour  faire  une  autre  guerre.  »  * 

IX. 

Un  grand  malheur  fondait  inopinément  sur  Henri  IV, 
au  milieu  de  ses  plaisirs  ;  ce  n'était  pas  une  simple  décla- 
ration de  guerre  qui  lui  était  faite,  c'était  l'existence  même 
de  sa  couronne  qui  était  en  question.  Ses  alliés  et  ses  en-" 
nemis  le  crurent  perdu.  La  nouvelle  de  la  prise  de  Doul- 
lens ,  Cambrai  et  Calais  ébranla  la  confiance  de  ses  plus 
fidèles  serviteurs.  L'Espagne  tout  entière,  aidée  du  duc 
de  Mercœur,  du  duc  de  Savoie  et  de  quelques  chefs  ca- 
tholiques, qui  n'avaient  pas  encore  fait  leur  soumission, 
se  lovait  contre  lui  aux  acclamations  des  Parisiens,  qui  ne 
pardonnaient  pas  au  roi  la  suppression  de  leurs  rentes  et 
la  perte  de  leurs  libertés  municipales.  Ils  se  croyaient  déjà 
vainqueurs,  et  faisaient  circuler  contre  lui  et  contre  sa 
maîtresse  des  lazzis  et  des  satires.  * 

La  reine  d'Angleterre,  à  laquelle  Henri  IV  fit  demander 
des  secours,  les  lui  refusa.  Il  lui  offrait  cependant  Calais 
en  gage.  Menacée  par  une  grande  flotte  espagnole ,  Elisa- 
beth réservait  ses  forces,  soit  pour  repousser  cette  flotte, 
soit  pour  attaquer  celle  de  l'Espagne. 

Le  danger  était  imminent,  vu  les  nombreux  éléments 
de  dissolution  qui  existaient  dans  le  royaume.  La  France, 
en  1593,  fut  moins  près  d'un  démembrement  qu'à  cette 
époque. 

Les  sentiments  des  réformés  se  firent  jour,  quand  la 
nouvelle  de  la  prise  d'Amiens  parvint  à  l'assemblée  réunie 

1.  Journal  de  l'Estoile,  t.  III,  p.  189-193. 

2.  DeThou,  liv.  CXVm.  —  Davila,  t.  XV.  —  L'Estoile,  aniée 
1597. 


120         HISTOIRE  DE  LA  RÈFORMATION  FRANÇAISE. 

h  Saumur.  Les  uns  proposaient  de  saisir  cette  occasion  de 
prendre  les  armes ,  afin  d'obtenir  de  la  détresse  du  mo- 
narque ce  qu'ils  n'avaient  pu  retirer  de  son  équité  ;  les 
autres,  qui  aimaient  toujours  leur  ancien  maître,  dirent 
que  ce  serait  odieux  d'abandonner  le  roi  dans  une  posi- 
tion si  critique,  et  que  c'était  le  moment,  non  de  lui  faire 
de  nouvelles  demandes,  mais  de  se  relâcher  de  leurs  pré- 
tentions. Les  ducs  de  la  Trémouille  et  de  Bouillon,  qui  ju- 
geaient la  position  du  roi  désespérée,  se  prononçaient 
pour  le  parti  des  armes.  Henri  IV  eût  couru  de  grands 
dangers ,  si  la  proposition  des  deux  maréchaux  eût  été  ac- 
cueillie favorablement;  la  plupart  des  églises,  et  parmi 
elles  les  plus  nombreuses  ,  la  rejetèrent,  ainsi  que  la 
meilleure  partie  de  la  noblesse.  Ce  jour-là  les  protestants 
sauvèrent  la  France  de  la  honte  d'un  démembrement  ; 
leur  prise  d'armes  eût  amené  infailliblement  celle  des 
ligueurs,  et  Philippe  II,  avant  de  mourir,  eût  vu  ses 
vœux  accomplis.  Dieu  ne  le  permit  pas.  Des  opprimés 
devinrent  le  salut  de  leur  patrie. 

Les  embarras  du  roi  étaient  extrêmes  :  il  n'avait  ni  ar- 
gent, ni  troupes;  entouré  de  conspirateurs,  il  ne  savait  à 
qui  se  fier.  Dans  cette  extrémité ,  il  trouva  dans  Rosny  un 
puissant  auxiliaire.  Cet  homme  dur,  inflexible,  ne  recula 
pas  devant  des  mesures,  qui,  dans  des  temps  ordinaires, 
eussent  été  iniques,  mais  qui  alors  étaient  justifiées  par 
la  grande  loi  du  salut  public.  Sa  main  s'appesantit  sur  tous 
ceux  de  la  nation  qui  n'aimaient  pas  à  donner;  il  pro- 
posa entre  autres  choses,  de  créer  et  de  mettre  en  vente 
un  certain  nombre  d'offices ,  de  lever  un  impôt  forcé  sur 
les  plus  riches  des  membres  des  cours  souveraines  et  des 
grandes  villes ,  et  de  demander  au  clergé  un  décime  ou 
deux.  ' 

Les  parlements,  auxquels  furent  adressés  les  édits  bur- 
saux,  tirent  des  remontrances  d'autant  plus  violentes  qu'ils 
sentaient  le  gouvernement  plus  faible.  Le  roi,  qui  était 
parti  pour  Amiens,  accourut  en  toute  hâte  à  Paris,  pour 
forcer  la  main  au  parlement.  «Messieurs  de  la  cour,  dit 
l'Estoile,  allèrent  trouver  Sa  Majesté  qui  était  au  lit;  M.  de 
Harlay  pLutail  la  parole,  contre  lequel  le  roi,  pour  ne  pas 

t.  ÉconoraioÈ  loyales,  t.  IIL 


LIVRE  XXIV. 


121 


condeecendre  à  ses  demandes ,  entra  en  colère  jusqu'aux 
démentis.  Il  leur  dit  qu'ils  feraient  comme  ces  fols  d'A- 
miens qui,  pour  lui  avoir  refusé  deux  mille  écus,  en 
avaient  baillé  un  million  à  l'ennemi....  Au  premier  prési- 
4enl,  qui  lui  dit  que  Dieu  leur  avait  baillé  la  justice  en 
mains,  de  laquelle  ils  lui  étaient  responsables  ;  relevant 
cette  parole,  il  lui  répartit  qu'au  contraire  c'était  à  lui  qui 
était  roi  auquel  Dieu  l'avait  donnée,  et  lui  à  eux.  A  quoi 
9n  dit  que  le  premier  président  ne  répliqua  rien,  outré, 
tomme  on  le  présuppose  de  colère  et  de  dépit,  dont  il 
tomba  malade  et  fut  saigné.  Ce  que  le  roi  ayant  entendu, 
demanda  si  avec  le  sang,  on  lui  avait  tiré  sa  gloire'.  Le  roi 
plaisantait  sur  tout,  dans  la  bonne  et  dans  la  mauvaise 
fortune.  » 

Devant  la  résistance  injuste  de  la  cour,  qui  mettait  l'État 
en  péril,  le  roi  ne  faiblit  pas  :  il  se  rendit  au  parlement, 
menaça  les  conseillers  de  les  chasser  ou  de  les  envoyer  à 
la  Bastille.  Devant  cet  argument  sans  réplique  les  con- 
seillers enregistrèrent  en  sa  présence,  le  12  avril  1597, 
les  édits  bursaux.  Le  roi  retourna  à  Amiens ,  laissant  Paris 
dans  une  extrême  agilalion,  causée  par  la  misère  et  les 
passions  ligueuses  qui  se  réveillaient  à  la  vue  d'un  mo- 
narque dont  la  chute  paraissait  imminente. 

Les  demandes  du  roi  étaient  juslitiées  par  son  propre 
dénuement.  «Je  veux  bien  vous  dire,  écrivait-il  d'Amiens 
à  Rosny,  l'état  où  je  rae  trouve  réduit,  qui  est  tel  que  je 
suis  fort  proche  des  ennemis  et  n'ai  quasi  pas  un  cheval 
sur  lequel  je  puisse  combattre,  ni  un  harnais  complet  que 
je  puisse  endosser.  Mes  chemises  sont  toutes  déchirées , 
mes  pourpoints  troués  aux  coudes ,  ma  marmite  est  sou- 
vent renversée,  et  depuis  deux  jours  je  dine  et  soupe  cliez 
les  uns  et  les  autres  ;  mes  pourvoyeurs  disent  n'avoir  plus 
moyen  de  rien  fournir  pour  ma  table ,  d'autant  plus  qu'il 
y  a  plus  de  six  mois  qu'ils  n'ont  reçu  d'argent.  Partant  , 
jugez  si  je  mérite  d'être  ainsi  traité,  et  si  je  dois  plus  long- 
temps soull'rir  que  les  financiers  et  les  trésoriers  me 
fassent  mourir  de  faim,  ei  qu'eux  tiennent  des  table.s 
friandes  et  bien  servies,  que  "ma  maisor.  soit  pieiiic  do 
nécessités  et  la  leur  de  richesses  et  d'opulence,  n  * 

1.  I/Kstoiie,  année  1597. 

2.  tc'uiiumies  royales,  1 1". 


122 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


Dans  cette  lettre  le  roi  fait  allusion  à  l'état  de  Paris 
qui  présentait  un  double  spectacle  :  celui  de  la  misère  la 
plus  navrante  et  du  luxe  le  plus  scandaleux.  «Pendant 
qu'on  apportait,  rapporte  l'Estoile,  à  tas  de  tous  côtés,  à 
l'Hôlel-Dieu,  les  pauvres  membres  de  Jésus-Christ,  si  secs 
et  si  exténués  qu'ils  n'y  étaient  pas  plutôt  entrés  qu'ils  y 
rendaient  l'esprit,  on  dansait,  onmommait';  les  festins 
et  banquets  se  faisaient  à  45  écus  le  plat,  avec  des  colla- 
tions magnifiques  à  trois  services,  et  la  superfluité  des 
habillements,  bagues  et  pierreries  était  telle  ,  qu'elle  s'é- 
tendait jusqu'aux  bouts  des  souliers  et  des  patins.  »' 

Et  c'étaient  ces  hommes  insensibles  aux  misères  du 
peuple  qui  étaient  le  plus  opposés  aux  édits  bursaux,  et 
qui,  pendant  que  la  France  était  sur  le  point  de  recom- 
mencer une  nouvelle  guerre  civile  ou  de  tomber  sous  le 
joug  de  l'Espagne,  ne  rêvaient  que  plaisirs  et  fêtes,  au 
milieu  des  cris  des  alîamés  et  du  râle  des  mourants.  Le 
peuple  portait  la  peine  de  ses  propres  excès;  plus  tard, 
ce  même  peuple  appesantira  sa  main  sur  ceux  qui,  insen- 
sibles à  sa  détresse,  ne  comprirent  pas  que  les  richesses 
sont  un  dépôt  que  Dieu  nous  confie  pour  nous  entr'aider 
dans  nos  souffrances.  Il  y  a  plusieurs  manières  de  tuer  les 
hommes:  la  plus  cruelle  et  la  plus  criminelle,  c'est  de 
les  laisser  mourir  de  faim.  Revenons  au  roi. 

Dans  cette  situation  périlleuse,  Henri  IV  ne  désespéra 
pas;  il  redevint  le  roi  de  Navarre  :  hardi,  gai,  entrepre- 
nant. Quand  sa  noblesse  le  vit  sous  les  murs  d'Amiens,  elle 
fit  par  point  d'honneur  ce  qu'elle  n'aurait  pas  fait  par  ré- 
flexion; elle  accourut  pour  vaincre  ou  mourir  avec  lui.  Le 
vieux  sang  gaulois,  qui  coulait  dans  ses  veines,  se  réchauffa 
à  l'odeur  de  la  poudre  et  au  son  des  clairons.  Tel  qui  l'a- 
vait abandonné,  ne  pensa  qu'au  plaisir  de  se  battre  et  de 
se  distinguer  sous  ses  yeux.  Mayenne  donna  l'exemple  de 
la  fidélité  aux  promesses.  On  regrette  vivement,  pour 
l'honneur  des  prolo'^lnnts,  l'absence  de  Bouillon  et  de  La 
Trémouille,  qui  furent  accusés  d'avoir  voulu  profiter  du 
désordre  de  l'État,  pour  obtenir  par  la  force  les  avantages 
qu'on  leur  refusait. 

1.  Ou  jouait  la  comédie. 

2.  L'Estoile,  année  1597. 


LIVRE  XXIV. 


123 


Cependant  les  protestants  n'abandonnèrent  pas  tous  le 

roi  :  s'ils  ne  parurent  pas  en  corps  au  siège,  ils  y  parurent 
comme  individus;  un  grand  nombre  d'entre  eux,  mêlés 
aux  troupes  royales ,  prirent  part  aux  périls ,  et  versèrent 
leur  sang  pour  la  cause  de  la  patrie;  parmi  eux  se  trouvait 
lui  gentilhomme  huguenot,  le  jeune  duc  Henri  de  Rohan, 
appelé  à  un  grand  rôle  parmi  ses  coreligionnaires, 

X. 

Henri  de  Rohan  était  le  fils  aîné  de  Réné  de  Rohan  et 
de  la  célèbre  Catherine  de  Partheuay-Larchévêque.  11  na- 
quit au  château  de  Blain,  le  25  août  1579.  A  peine  âgé  de 
six  ans  il  perdit  son  père.  Sa  mère  le  fit  élever  avec  le  plus 
grand  soin ,  et  le  prépara,  par  une  éducation  virile  et  forte, 
pour  les  temps  oiageux  qui  s'annonçaient.  L'enfant  mon- 
tra de  bonne  heure  un  goût  décidé  pour  les  armes  et  pour 
tous  les  exercices  du  corps.  Sa  lecture  favorite  était  Plu- 
tarque.  La  vie  des  hommes  illustres,  dont  le  célèbre  bio- 
graphe raconte  les  faits,  enflammait  sa  jeune  imagination, 
et  lui  faisait  désirer  de  leur  ressembler.  En  attendant  qu'il 
pût  imiter  leur  vaillance  sur  les  champs  de  bataille,  leur 
habileté  aux  sièges  des  villes ,  leur  sagesse  dans  les  con- 
seils, il  les  imitait  dans  leur  vie  simple,  frugale,  austère; 
et  quand  plus  tard,  il  fut  appelé  à  vivre  au  milieu  d'une 
cour  vicieuse,  il  sut  s'y  conserver  pur  de  toute  souillure, 
et  pendant  que  les  jeunes  gentilshommes  ne  rêvaient  que 
plaisirs  et  fêtes,  il  étudiait.  Ce  fut  au  siège  d'Amiens  qu'il 
fit  ses  premières  armes.  Ses  débuts  attirèrent  sur  lui  les 
regards  de  Henri  IV,  bon  juge  en  cette  matière  ;  sous  le 
simple  soldat,  il  devina  le  héros,  qui  déjà  se  sentait  né 
pour  les  grandes  choses.' 

XL 

Ce  qui  devait  être  la  ruine  de  Henri  IV  fut  la  cause  de 
sa  grandeur;  il  paralysa,  en  entrant  à  Amiens  par  la 
brèche ,  la  main  du  vieux  Philippe  II,  et  s'imposa  au  parti 
ligueur'.  Le  duc  de  Mercœur  demanda  une  trêve  de  trois 

1.  Haag,  France  protestante,  lir.  XJI,  p.  474. 

2.  Mémoires  de  la  ligue,  t.  VI.  —  De  TIiou,  liv.  CXVIII.  —  Ben- 
tivoglio,  p.  m,  liv.  IV.  —  Capitulation  d'Amiens,  p.  524. 


124        HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATIOK  FRANÇAISE. 


mois.  Le  roi  catholique  lui-même ,  courbé  moins  sous  le 
poids  des  années  que  sous  celui  des  infirmités  et  du  dé- 
couragement, sentit  que  son  rôle  était  fini  en  France  ;  il 
ne  pensa  plus  qu'à  négocier.  Des  conférences  s'ouvrirent, 
et  la  paix  fut  signée  entre  l'Espagne  et  la  France  à  Ver- 
vins,  le  2  mai  1598,  sur  les  bases  du  traité  de  Càteau- 
Cambrésis,  si  funeste  à  la  France',  mais  le  royaume  se 
trouvait  alors  dans  un  tel  état  d'épuisement  que  le  roi  dut 
renoncer  à  un  accroissement  de  territoire.  L'Angleterre  et 
la  Hollande  refusèrent  d'èire  comprises  dans  le  traité,  ne 
foulant  à  aucun  prix,  faire  la  paix  avec  l'Espagne ,  ce  qui 
n'empêcha  pas  Henri  IV  de  passer  outre,  malgré  les  enga- 
gements qu'il  avait  contractés  avec  ces  deux  puissances.  H 
sentait  que  la  France  avait  avant  tout  besoin  de  paix  et  de 
repos.  Pendant  les  négociations  qui  aboutirent  au  traité  de 
Vervins,  le  roi  poursuivait  le  règlement  de  deux  grandes 
affaires  qui  le  préoccupaient  vivement:  la  réduction  du  duc 
de  i\Iercœur,  le  dernier  grand  chef  de  la  ligue,  et  la  tran- 
saction avec  les  protestants,  qui  réclamaient  instamment 
un  édit  qui  garantît  l'existence  de  leur  culte,  leurs  vies  et 
leurs  propriétés. 

Le  duc  de  Mercœur,  qui  n'avait  pas  fait  sa  soumission, 
même  après  que  Mayenne  eut  fait  la  sienne,  se  montra 

filus  trailable  à  la  reprise  d'Amiens.  Sentant  qu'une  plus 
ongue  résistance  entraînerait  sa  ruine,  il  ne  songea  qu'à 
céder  devant  un  roi  victorieux,  mais  il  eut  soin  de  se  faire 
fscheter  chèrement  sa  soumission.  Le  traité  fut  signé  à 
Angers  le  20  mars  151)8. 

XIL 

La  ligue  était  morte.  Pour  porter  un  jugement  sain 
sur  cette  grande  page  d'histoire  de  nos  guerres  religieuses, 
il  faut  s'élever  dans  les  régions  calmes  et  sereines  des 
principes;  alors  seulement  on  pourra  avoir  l'explication 
du  grand  drame  au  prologue  duquel  nous  trouvons  le 
cardinal  de  Lorraine,  et  au  dernier  acte  son  neveu  le  duc 
(Se  Majenne. 

1.  Traités  Je  paix,  t., II,  p.  616.  —  Mémoires  de  la  ligue,  t.  VI. 
—  Davila.  liv.  XV.  —  Élisabeth  et  Henri  IV,  par  Prévost  Paradol, 
Paris  lȈd. 


LIVRE  XXIV. 


125 


La  ligue  a  son  principe  générateur  dans  l'ultramonta- 
nisme.  Ce  qui  arriva  au  seizième  siècle  se  renouvellerait 
aujourd'hui,  si  la  chose  était  possible.  Il  ne  faut  pas  ou- 
blier que  le  prêtre  n'a  qu'un  seul  chef,  le  pape ,  une  seule 
patrie,  Rome,  un  seul  but,  la  grandeur  de  son  église;  iS 
n'est  ni  Français ,  ni  Anglais,  ni  Espagnol,  ni  Allemand; 
il  est  lui,  ne  veut  être  que  lui,  ne  peut  être  que  lui;  c'esê 
là  le  secret  de  sa  force.  11  pense  avec  une  seule  tète,  sent 
avec  un  seul  cœur,  agit  avec  un  seul  bras  ;  tout  ce  qui  le 
sert  a  droit  à  son  encens,  tout  ce  qui  lui  résiste  ne  mérite 
que  ses  anathèmes.  Ses  principes,  qui  paraissent  immua- 
bles sont  d'une  élasticité  étonnante  ;  il  sait  se  faire  tout  à 
tous:  les  mêmes  hommes  auxquels  il  serre  fraternellement 
la  main  sur  les  bords  du  lac  Léman  ,  il  les  proscrit  à 
Rome'.  En  traçant  ce  portrait,  nous  ne  faisons  que  de 
l'histoire  ;  or,  dans  ce  portrait  se  trouvent  tous  les  germes 
de  la  ligue  et  ses  développements  immédiats. 

Le  clergé  est  intolérant  par  principe  :  les  bûchers,  dres- 
sés sous  les  règnes  de  François  1"  et  de  ses  succes- 
seurs, furent  la  conséquence  inévitable  de  cette  maxime 
«qu'il  ne  faut  pas  souffrir  dans  l'Église  et  à  côté  de  l'É- 
glise des  hérétiques.  »  Tout  disposés  qu'étaient  les  rois 
à  le  seconder,  le  clergé  romain  ne  comprit  ni  l'inutilité, 
ni  l'odieux  des  persécutions;  il  le  comprit  si  peu  qu'il  at- 
tribua à  son  manque  de  rigueur  (lui  rigoureux  jusqu'à  la 
barbarie)  l'accroissement  des  huguenots.  Il  y  eut  cepen- 
dant un  moment  où  Henri  III  se  fatigua  de  faire  la  guerre 
à  des  hommes  qui  semblaient  renaître  de  leurs  cendres  et 
se  montraient  plus  diiïïciles  à  vaincre  le  lendemain  d'une 
défaite  que  le  lendemain  d'une  victoire;  de  là  les  traités 
que  ce  monarque  faisait  avec  eux ,  de  là  aussi  le  commen- 
cement de  son  impopularité.  On  voulait  qu'il  exterminât 
les  huguenots  jusqu'au  dernier;  il  se  sentit  impuissant 
pour  cette  œuvre  de  destruction  ;  de  plus  il  commençait  à 
comprendre  que  l'affaiblissement  et  l'anéantissement  des 
réformés  seraient  sa  propre  ruine;  si  sa  haine  de  zélé  ca- 
tholique lui  faisait  désirer  la  ruine  de  ses  sujets  dissidents, 
ses  intérêts  de  roi  lui  faisaient  une  impérieuse  nécessité 

1.  Ce  qui  se  passe  à  Genève,  où  le  pai'ti  ultiamontaiu  soutient 
ks  radicaux  couire  les  conservateurs,  en  e.st  la  preuve. 


426        HISTOIRE  DE  LA  RÈFORMATION  FRANÇAISE. 

de  les  laisser  subsister.  Le  clergé,  qui  ne  regardait  qu'à  ses 
intérêts  de  caste,  se  détacha  de  Henri  III  le  jour  où  il  vit 
clairement  que  ce  monarque  hésitait  à  lui  offrir  son  bras 
pour  frapper  les  réformés;  un  intérêt  commun  réunit 
ses  membres;  la  ligue  fut  formée,  il  en  fut  l'âme,  les 
Guises,  la  main;  ses  actes  ne  doivent  pas  nous  étonner. 
Lorsqu'il  prononça  la  déchéance  de  Henri  III  et  acclama 
son  meurtrier,  il  fut  très -conséquent,  aussi  bien  que 
lorsqu'il  refusa  de  reconnaître  pour  roi  légitime  le  Béar- 
nais hérétique  et  relaps.  Ses  violences  eurent  leur  cause 
moins  dans  les  hommes  que  dans  les  principes  :  ceux  qui 
croyaient  à  la  légitimité  du  régicide,  pouvaient  sans  re- 
mords faire  pendre  Brisson. 

Les  admirateurs  de  la  ligue  nous  l'ont  présentée  comme 
populaire,  elle  ne  le  fut  jamais;  elle  fut  populacière.  Née 
d'une  intrigue  de  sacristie ,  elle  s'alimenta  par  l'intrigue, 
et  ne  se  soutint  que  par  l'appui  de  l'Espagne.  Si  elle  fût 
sortie  d'un  mouvement  spontané  de  la  nation,  elle  aurait 
rejeté  en  quelques  jours  les  huguenots  du  royaume, 
comme  en  1593  la  France  rejeta  les  étrangers  hors  de  ses 
frontières.  Les  mêmes  historiens  parlent  avec  enthou- 
siasme de  son  amour  pour  la  liberté  ;  mais  la  liberté  est- 
elle  compatible  avec  la  dictature?  La  ligue  empêcha  tout 
ce  qu'elle  put  empêcher  et  ne  souffrit  que  ce  qu'elle  ne 
put  interdire.  Les  pensionnaires  de  Philippe  II  ne  pou- 
vaient pas  aimer  la  liberté. 

Tous  les  ligueurs  n'étaient  pas  la  ligue;  la  vraie  ligue 
n'était  ni  Mayenne,  ni  Brissac,  ni  d'Aumale,  ni  même  la 
duchesse  de  Montpensier;  c'était  Pelletier,  Boucher,  Guin- 
cestre,  Garin,  Panigarole,  Commolet,  Rose,  le  conseil 
des  Dix,  les  Seize,  Cajetan,  Bellarmin,  toute  l'armée  des 
prêtres  et  leurs  séides;  c'est  là  qu'il  faut  l'étudier,  car 
c'est  là  que  fut  son  âme. 

Elle  eut  un  triste  mérite,  celui  d'arrêter  l'essor  de  la 
réforme  et  de  forcer  Henri  IV  à  abjurer;  elle  compromit 
ainsi  pour  longtemps  l'avenir  de  la  France ,  prépara  la 
ruine  de  toutes  les  libertés  et  sema  les  germes  de  la  tem- 
pête qui  devait  éclater  sur  elle  à  la  fin  du  dix-huitième 
siècle. 

On  a  voulu  justifier  la  ligue  en  disant  que  les  protes- 
tants aussi  s'étaient  ligués  ;  la  différence  est  notable  :  les 


LIVRE  JJIY. 


427 


huguenots  s'unirent  pour  se  défendre,  les  catholiques  pour 
les  opprimer.  Des  deux  côtés  il  y  eut  des  excès;  mais  ceux 
des  protestants  ne  furent  que  des  représailles  justifiées  par 
le  droit  de  la  guerre,  tandis  que  ceux  des  ligueurs  n'eurent 
d'autre  cause  qu'une  haine  que  deux  siècles  et  demi  n'ont 
pas  éteinte  et  qui  ne  mourra  qu'avec  le  dernier  ultra- 
montain. 

xin. 

Le  roi  qui  avait  rallié  à  sa  cause  les  seigneurs  royalistes 
et  les  chefs  de  la  ligue ,  les  premiers  par  son  abjuration , 
les  seconds  au  prix  d'énormes  sacrifices  pécuniaires,  avait 
encore  à  satisfaire  les  réformés,  dont  le  mécontentement 
lui  paraissait  légitime  quoique  très-inopportun.  Un  écrit, 
publié  quelque  temps  après  la  surprise  d'Amiens,  entre- 
tenait parmi  eux  une  grande  agitation,  que  les  ambitieux 
du  parti  auraient  pu  exploiter  à  leur  avantage  et  au  détri- 
ment de  la  paix.  L'auteur,  au  nom  de  ses  frères,  y  expose 
dans  les  plus  grands  détails  les  maux  sous  lesquels  ils  gé- 
missent. On  ne  peut  lire  ces  pages  trempées  de  larmes  sans 
se  sentir  profondément  ému  pour  les  opprimés  et  indigné 
contre  les  oppresseurs.  Le  calme  qui  règne  dans  tout 
ce  récit  remue  plus  profondément  le  cœur  que  ne  le  fe- 
rait la  violence  ;  on  sent  la  vérité  palpiter  sous  chaque 
ligne,  sous  chaque  parole;  celui  qui  parle  au  nom  de  ses 
frères  nous  apparaît  comme  un  témoin  tidèle  et  exact  diis 
choses  qu'il  raconte'.  «Nous  sommes,  dit-il  en  leur  nom, 
en  s'adressant  à  Henri  lY,  contraints  à  regret  de  nous 
plaindre,  mais  nous  y  sommes  forcés  par  la  fureur  de  nos 
ennemis.  Nous  ne  sommes  ni  Espagnols,  ni  ligueurs;  de- 
uis  notre  berceau  jusqu'à  ce  jour  nous  avons  com- 
altu  et  prodigué  notre  sang  pour  la  conservation  de 
votre  couronne,  et  cependant  depuis  huit  ans  notre  con- 

1 .  L'écrit  parut  sous  le  titre  de  :  Plaintes  des  églises  réformées 
de  France,  sur  les  victimes  qui  leur  sont  faites  en  plusieurs  en- 
droits du  royaume,  et  pour  lesquelles  elles  se  sont  en  toute  hu- 
inilité  adressées  diverses  fois  à  Sa  Majesté  et  à  Messieurs  de  son 
Conseil.  —  L'écrit  se  trouve  en  entier  dans  les  Mémoires  de  Du- 
plessis-Momay. 


128         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

dilion  est  la  même  ;  la  trêve  qu'on  nous  accorde  nous  est 
plus  préjudiciable  que  ne  le  serait  une  guerre  civile.  Pen- 
dant que  nos  ennemis  prenaient  les  armes  contre  l'État, 
nous  le  servions;  et  pour  récompense  de  notre  dévoue- 
ment à  votre  personne,  on  veut'  vous  persuader,  par  des 
raisons  de  conscience,  de  travailler  à  notre  destruction.  On 
a  commencé  d'abord  par  vous  obliger  à  aller  à  la  messe  ; 
vous  l'avez  fait  en  disant  que  jamais  on  ne  vous  contrain- 
drait à  faire  du  mal  à  ceux  qui  vous  avaient  aidé  de  leur 
or,  de  leur  sueur  et  de  leur  sang,  et  cependant  on  vous  a 
mené  peu  à  peu  à  croire  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  grossier 
dans  la  religion  romaine,  et  le  jour  de  votre  sacre  à 
Chartres  vous  avez  juré  d'exterminer  l'hérésie  et  les  héré- 
tiques; et  ce  serment,  on  vous  l'a  fait  renouveler  quand 
vous  avez  pris  l'ordre  du  Saint-Esprit.  Ah!  permetlez-nous 
de  vous  faire  entendre  nos  plaintes ,  afin  que  vous  con- 
naissiez, par  vous-même,  la  vérité  que  vos  conseillers 
vous  cachent.  Nous  nous  plaignons,  Sire,  de  tous  les  Fran- 
çais; car  ceux  qui  ont  de  bonnes  et  droites  intentions  sont 
tellement  faibles  et  craintifs,  qu'ils  font  cause  commune 
avec  les  autres.  La  noblesse,  le  peuple,  les  magistrats,  le 
clergé,  les  ordres  religieux  nous  oppriment;  le  clergé 
surtout  nous  couvre  de  ses  mépris  et  nous  poursuit  de 
ses  railleries.  Pendant  cinquante  ans  on  nous  a  poursuivis, 
massacrés,  noyés,  pendus,  brûlés,  massacrés  en  masse, 
bannis  du  royaume  ;  pendant  trente-cinq  ans ,  à  sept  re- 
prises, on  nous  a  fait  la  guerre  pour  nous  détruire,  et, 
après  tant  de  luttes  et  de  traités  de  paix  indignement  vio- 
lés, nous  ne  pouvons  exercer  notre  culte  que  là  où  nous 
sommes  assez  forts  pour  neutraliser  la  violence  de  nos 
ennemis;  ailleurs  nous  ne  pouvons  aller  adorer  Dieu  dans 
nos  temples,  sans  rencontrer  les  huées  et  quelquefois  les 
mauvais  traitements  des  catholiques.  Plusieurs  de  nos 
frères  ont  été  battus,  blessés,  estropiés,  laissés  pour 
morts;  nos  maisons  ne  nous  mettent  pas  à  l'abri  de  leurs 
atteintes,  nous  ne  pouvons  y  faire  nos  prières,  et  quand 
nos  minisires  y  viennent  administrer  le  baptême  à  nos  en- 
fants, on  les  saisit  et  on  condamne  aux  dépens  ceux  qui  y 
ont  assisté.  Les  parlements,  qui  devraient  être  les  gardiens 
dos  libertés  religieuses,  sont  les  premiers  à  les  violer.  Ce- 
lui de  Bordeaux  a  fait  arrêter  ceux  qui  avaient  assisté  au 


tIVRE  XXIV. 


129 


prêche  dans  la  maison  de  Madame'.  Les  troupes  du  duc  de 
Guise  ont  fait  du  temple  de  Lourmarin  une  étable,  et  jeté 
sept  à  huit  de  nos  frères  dans  l'eau.  Dans  le  Poitou  la 
garnison  de  Rochechouard  a  tiré  deux  coups  de  canon 
contre  quinze  cents  réformés  assemblés  selon  l'ordon- 
nance de  l'Hôtel-de-Ville.  Partout,  Sire,  nous  trouvons 
des  entraves  à  l'exercice  de  notre  culte,  et  nulle  part  nous 
ne  trouvons  le  moyen  de  nous  faire  jouir  de  ce  que  les 
édits  nous  ont  accordé.  A  l'armée,  nos  soldats  ne  peuvent 
servir  Dieu  selon  leur  conscience.  A  Rouen,  Madame  a  été 
obligée  de  sortir  de  la  ville  ;  le  légat  n'a  pas  voulu  qu'elle 
y  prît  la  cène.  On  nous  enlève  nos  places  de  sûreté.  Les 
seigneurs  catholiques,  qui  avaient  promis  au  temps  de  leur 
réconciliation  le  libre  exercice  de  la  religion  aux  réformés 
dans  leurs  terres,  manquent  à  leurs  serments.  On  nous  ar- 
rache nos  livres,  nos  psaumes,  notre  Bible,  et  quand  nous 
nous  plaignons,  on  nous  outrage  ou  on  nous  raille.  On  nous 
défend  de  nous  assembler  pour  prier  Dieu;  si  nous  y  con- 
trevenons, on  nous  condamne  à  l'amende  et  à  la  prison. 
Nous  n'avons  pas  même  en  quelques  provinces  le  droit  de 
nous  plaindre;  on  nous  défend  d'imprimer  et  de  vendre; 
on  méconnaît  à  notre  égard  le  droit  le  plus  sacré  de  la 
nature,  celui  d'apporter  des  consolations  à  nos  malades  et 
à  nos  condamnés.  Privés  des  exhortations  de  leurs  frères , 
ils  sont  livrés  à  celles  des  prêtres  et  des  moines.  Les  édits, 
Sire,  sont  fidèlement  observés  quand  ils  restreignent  quel- 

ues-unes  de  nos  libertés;  ils  sont  foulés  aux  pieds  quand 

s  nous  accordent  quelques  privilèges. 
«Non  content  de  nous  empêcher  d'exercer  notre  culte, 
on  nous  contraint  à  des  pratiques  superstitieuses,  on  nous 
ordonne  de  fendre  le  devant  de  nos  maisons  et  même 
d'assister  aux  proce.ssions  de  la  Fête-Dieu,  sous  peine  de 
cinquante  écus  d'amende.  Dans  certains  lieux  on  jette  en 
prison  ceux  qui  refusent  de  saluer  la  croix  et  de  se  pros- 
terner devant  l'hostie.  On  nous  force  de  contribuer  à  la 
construction  des  églises  et  au  service  divin  à  la  manière 
catholique.  Nos  ouvriers  sont  punis  d'amende  et  contraints 
d'assister  aux  messes  des  métiers;  on  baptise  nos  enfants 
malgré  nous;  quand  on  le  peut,  on  nous  les  enlève.  On 

1 .  Catherine  de  Bourbon ,  sœur  du  roL 


IbO        HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

nous  oblige  d'observer  le  carême  et  les  fêtes;  nos  mi- 
nistres sont  chassés  des  écoles,  on  leur  défend  d'ouvrir 
des  collèges;  veut-on  donc  nous  contraindre  à  l'ignorance 
et  à  la  barbarie?  Ainsi  en  faisait  Julien. 

«La  pauvreté  devrait  au  moins  être  hors  des  atteintes 
de  nos  ennemis.  Hélas!  il  n'en  est  rien,  et  là  oii  nous  con- 
tribuons le  plus  aux  aumônes,  nos  nécessiteux  n'y  ont 
pas  de  part,  et  il  y  a  des  lieux  de  votre  royaume  où  nous 
ne  pouvons  pas  habiter.  A  Lyon  les  juges  ont  chassé  ceux 
de  nos  frères  qui  y  étaient  rentrés  après  leur  bannisse- 
ment. 

«  Quant  aux  charges  publiques,  on  nous  en  écarte,  et  dans 
les  chambres  de  justice  on  nous  appelle  turcs,  chiens, 
hérétiques,  hétéroclites,  de  la  nouvelle  opinion,  dignes 
d'être  poursuivis  à  feu  et  à  sang  et  chassés  de  tout  le 
royaume.  Les  parlements  méconnaissent  complètement 
leurs  devoirs  et  se  conduisent  en  juges  prévaricateurs. 

«Maltraités  dans  notre  naissance,  dans  notre  vie,  dans 
l'éducation  de  nos  enfants,  nous  le  sommes  même  dans 
nos  funérailles  ;  on  nous  refuse  dans  quelques  endroits 
l'usage  des  cimetières ,  et  nous  sommes  obligés  de  faire 
jusqu'à  cinq  lieues  pour  donner  à  nos  morts  une  sépulture 
honorable;  on  déterre  leurs  cadavres,  qui  restent  exposés 
aux  bêtes  sauvages  et  en  danger  d'être  mangés  par  des 
chiens. 

«Ah,  Sire,  nous  ne  sommes  ni  des  jacobins,  ni  des  jé- 
suites. Comme  eux,  nous  n'en  voulons  ni  à  votre  vie,  ni  à 
votre  couronne.  Vous  connaissez  notre  lidélité  ;  nous  vous 
demandons  un  édit  avec  nos  larmes  et  non  pas  comme  les 
ligueurs  qui,  au  lieu  de  leurs  requêtes  pour  avoir  la  paix , 
ne  vous  ont  présenté  que  la  pointe  de  leurs  épées.  Six 
fois,  Sire,  nous  avons  renouvelé  nos  instances  à  Mantes, 
à  Saint-Germain,  à  Lyon,  au  camp  de  la  Fère,  à  Mon- 
ceaux, à  Rouen,  et  jusqu'ici  on  s'est  prévalu  contre  nous 
de  la  raison  d'Etat ,  et  on  nous  dit  que  ce  n'est  pas  encore 
temps.  Oh,  bon  Dieu!  Après  trente-cinq  ans  de  cruelles 
persécutions,  dix  ans  de  bannissement  par  les  édits  de  la 
ligue,  huit  ans  du  règne  duroi,  quatre  de  poursuites,  nous 
redoutons  de  nouvelles  proscriptions  ;  le  pape  y  pousse  de 
toutes  ses  forces,  et  cependant  les  catholiques  seuls  ne 
sont  pas  l'État,  nous  en  faisons  partie.  Nous  demandons 


LIVRE  XXIV. 


131 


un  édit  à  Votre  Majesté,  qui  nous  fasse  jouir  de  fout  ce 
qui  est  commun  à  tous  vos  sujets,  c'est-à-dire  beaucoup 
moins  que  ceque  vous  avez  accordé  à  vos  rebelles  ligueurs, 
un  édit  qui  ne  vous  contraigne  pas  à  distribuer  vos  Etats 
comme  il  vous  plaira,  qui  ne  vous  force  point  à  épuiser 
vos  finances  et  à  charger  votre  peuple'.  Ni  l'ambition,  ni 
l'avarice  ne  nous  mène;  la  seule  gloire  de  Dieu ,  la  liberté 
de  nos  consciences,  le  repos  de  l'Etat,  la  sûreté  de  nos 
biens  et  de  nos  vies ,  c'est  le  comble  de  nos  souhaits  et  le 
but  de  nos  requêtes.» 

XIV. 

Cet  écrit  déplut  aux  protestants  de  la  cour,  qui  le  trou- 
vèrent intempestif  et  trop  violent  dans  les  formes.  Un  écri- 
vain contemporain ,  qui  a  fait  du  règne  de  Henri  IV  une 
étude  savante  et  consciencieuse,  porte  sur  les  réformés  le 
jugement  suivant  : 

«Relativement  aux  vexations  et  aux  injustices  de  détail, 
dont  ils  avaient  droit  de  demander  et  d'attendre  la  répres- 
sion, il  y  a  plusieurs  observations  à  faire.  D'abord  jus- 
qu'en 1598,  le  brigandage  fut  maître  dans  loulcs  les 
campagnes  et  dans  toutes  les  villes  de  France  ;  avant  ce 
temps,  le  roi  se  trouva  complètement  hors  d'état  de  les 
faire  respecter  dans  l'exercice  de  leur  religion,  comme  il 
fut  impuissant  à  protéger  les  trois-quarts  de  ses  sujets.  En 
second  lieu,  les  réformés  étaient  maîtres  dans  deux  cents 
villes  du  midi  de  la  France,  entre  lesquelles  on  comptait 

Silusieurs  grandes  villes,  La  Rochelle,  Montauban ,  Kimes, 
lontpellier.  Ceux  d'entre  eux  auxquels  la  liberté  de  con- 
science et  le  culte  secret  ne  suffisaient  pas,  n'avaient-ils 
pas  la  ressource  de  se  transporter  dans  1  une  de  ces  villes 
du  Midi,  où  ils  auraient  complètement  échappé  à  la  con- 
trainte? N'avaienl-ils  pas  à  faire  dans  l'intérêt  de  leur  re- 
ligion, ce  que  tant  d'autres  s'imposent  dans  un  intérêt  de 
commerce,  d'économie  ou  de  simple  convenance?  Enfin, 
depuis  Î589,  qui  est-ce  qui  n'avait  pas  cruellement  souf- 
fert? qui  est-ce  qui  n'avait  pas  été  obligé,  et  qui  n'était 
pas  contraint  encore  actuellement  de  faire  des  sacrilices 

1 .  Âlliision  aux  sommes  énormes  que  la  soumissioD  des  ligueui's 
ivaiî  coûté  au  roi. 


132         HISTOIRE  DE  LA  HÉFORMATION  FRANÇAISE. 

sans  mesure?  Le  roi,  forcé  dans  ses  croyances  et  abjurant 
la  religion  de  toute  sa  vie  ;  la  France  prodiguant  son  ar- 
gent et  ses  plus  hautes  dignités  aux  chefs  de  la  ligue,  à 
ceux  qui  l'avaient,  peu  s'en  fallait,  perdue  et  mise  sous  le 
joug  de  l'étranger!  Dans  cette  rançon  du  pays,  les  hugue- 
nots ne  devaient-ils  pas  payer  leur  part,  en  souffrant,  pour 
un  temps  seulement,  quelques  atteintes  et  quelques  re- 
tranchements à  leur  liberté  civile  et  religieuse? 

«Malgré  les  notables  améliorations  survenues  dans  leur 
état,  ils  pouvaient  légitimement  désirer  mieux.  Avant 
d'être  mis  sur  la  même  ligne  que  les  catholiques,  avant 
d'arriver  à  l'entière  liberté  des  citoyens  devant  la  loi,  à 
laquelle  ils  avaient  un  droit  incontestable,  quelques  con- 
quêtes leur  restaient  à  faire.  Ils  avaient  à  obtenir,  pour 
l'exercice  de  leur  culte,  des  facilités,  une  publicité,  une 
protection  constante,  qui  leur  manquaient  encore  en  partie; 
ils  avaient  à  poursuivre  le  libre  et  entier  accès  aux  magis- 
tratures municipales,  aux  divers  offices,  et  notamment  à 
ceux  de  judicature;  ils  avaient  quelques  garanties  de  plus 
à  exiger  pour  obtenir  une  justice  impartiale  ;  mais  dans  la 
poursuite  de  ces  nouveaux  droits,  il  leur  était  interdit  de 
recourir  à  des  moyens  que  n'approuvait  pas  l'intérêt  du 
pays ,  et  de  se  montrer  plus  impatients,  plus  exigeants  que 
les  autres  ordres.  Jusqu'en  1598,  jusqu'à  l'enlier  désar- 
mement des  ennemis  intérieurs  et  extérieurs,  le  calvi- 
nisme n'avait  été  ni  le  seul  maltraité,  ni  le  plus  maltraité. 
L'ordre  public,  les  finances,  l'agriculture,  le  commerce 
étaient  ruinés  ;  pour  obtenir  des  réformes  indispensables , 
pour  échapper  à  d'intolérables  souffrances,  aucune  des 
classes  de  citoyens  n'avait  intrigué  et  comploté  contre  le 
gouvernement.  Les  réformés  étaient  tenus  à  la  même 
résignation:  l'édit  de  Mantes,  1591,  les  articles  de  Mantes 
de  1593,  le  renouvellement  solennel  de  l'édit  de  Poitiers 
en  1595,  leur  donnaient  l'assurance  et  la  preuve  que 
Henri  serait  juste  et  bienveillant  à  leur  égard.  Ils  devaient 
donc  s'en  remettre  au  temps,  aux  promesses  et  à  la  justice 
du  roi,  pour  obtenir  le  redressement  de  leurs  griefs,  l'ex- 
tension des  avantages  réels  et  importants  dont  ils  jouissaient 
déjà,  la  plénitude  de  la  liberté  religieuse,  civile  et  poli- 
tiqus.  Loin  de  là,  ils  employèrent  des  moyens  violents,  qui 
pouvaient  perdre  leur  patrie  dans  les  circonstances  prô- 


tlVRE  XXIV. 


433 


sentes,  et  qui  lui  préparaient  un  avenir  gros  de  dangers. 
Ils  se  firent  dans  la  France  une  France  à  part  et  formèrent 
dans  l'État  un  État ,  démembrèrent  le  royaume,  rompirent 
l'unité  nationale  et  territoriale.  Qu'avec  des  rois  tels  que 
Charles  IX  et  Henri  III,  passant  envers  eux  de  la  tolérance 
et  des  concessions  à  la  guerre,  aux  proscriptions,  aux 
assassinats ,  ils  recourussent  à  ces  extrémités  désastreuses 
pour  le  pays,  c'est  ce  dont  il  gémit;  mais  c'est  ce  qu'on 
excuse  quand  on  songe  qu'ils  avaient  à  défendre  leur  vie 
et  leur  religion  ;  mais  les  bons  citoyens  les  blâmeront 
éternellement  d'avoir  employé  les  mêmes  moyens  avec  un 


qu'à  regret,  ami  de  leurs  personnes,  religieux  observa- 
teur de  sa  parole,  même  envers  ses  plus  cruels  ennemis. 
Dans  l'exécution  de  leurs  projets,  les  calvinistes  prirent  le 
mot  d'ordre  de  plusieurs  chefs,  animés  de  sentiments 
très-différents;  les  uns,  purs  de  tout  intérêt  humain,  se 
laissèrent  entraîner  par  une  ardeur  religieuse  et  un  pro- 
sélytisme aveugles  :  de  ce  nombre  était  Duplessis-Mornay, 
qui,  même  au  milieu  de  ses  erreurs,  servit  utilement  le 
roi  de  France,  en  arrêtant  son  parti  sur  la  limite  des  der- 
niers excès.  Les  autres,  tels  queLaTrémouille  et  Bouillon, 
perdus  d'ambition,  aspiraient  au  rôle  et  à  la  puissance  des 
Condé  et  des  Coligny  en  France,  des  princes  d'Orange  en 
Hollande ,  et  ils  ne  pouvaient  réussir  qu'en  perpétuant  les 
troubles  et  en  tenant  les  huguenots  constitués  en  parti 
armé.  Les  uns  et  les  autres  furent  condamnés  par  les  cal- 
vinistes modérés,  restés  fidèles  aux  principes  des  politiques, 
qui  voyaient  la  France  avant  leur  secte  et  leurs  pas- 
sions. La  Force  se  tint  à  l'écart  de  son  parti ,  Rosny  et 
Collignon  combattirent  ces  prétentions  exagérées.  Leur 
conduite  accuse  plus  les  huguenots  que  les  reproches  de 
tous  les  catholiques  réunis.»' 


Ces  accusations  sont  graves  ,  car  elles  émanent  d'un 
écrivain ,  qui  dans  son  beau  livre  du  règne  de  Henri  IV,  a 
donné  une  haute  idée  de  son  impartialité  et  de  sa  sagacité 

1.  Poirson,  Histoire  du  règue  de  Henri  IV,  t.  I".  —  État  dei 
calvinistes  de  1589  à  1594,  p.  352-344. 


prince  élevé  dans  leurs  croyances 


XV. 


4. 


Î34        HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  nUNÇAISE. 

historique.  Sont-elles  complètement  méritées?  nous  ne  le 
pensons  pas  :  pour  prononcer  sainement  dans  ces  graves 
débats,  il  ne  faut  pas  oublier  les  malheurs  qui  depuis  plus 
d'un  tiers  de  siècle  étaient  le  pain  quotidien  des  réformés. 
Il  faut  savoir  surtout  tenir  compte  de  leur  amère  décep- 
tion ,  quand  ils  virent  l'homme ,  dont  ils  avaient  fait  la 
fortune,  passer  dans  les  rangs  de  leurs  implacables  enne- 
mis, au  moment  où  ils  croyaient  toucher  au  but.  A  cette 
heure  solennelle  de  leur  histoire,  ils  auraient  pu  l'aban- 
donner et  se  choisir  parmi  leurs  chefs  un  autre  protecteur. 
Ils  ne  le  firent  pas ,  et  en  continuant  à  servir  sous  ses 
drapeaux,  ils  l'aidèrent  à  vaincre  la  ligue  et  ne  deman- 
dèrent pour  récompense  de  leurs  fidèles  services  qu'un 
édit  qui  les  mît  à  l'abri  de  la  violence  des  catholiques; 
celui  de  Mantes  (1591),  les  articles  de  Mantes  de  1593  et 
le  renouvellement  de  l'édit  de  Poitiers  de  1595,  étaient 
plutôt  un  témoignage  des  bonnes  dispositions  du  roi,  que 
des  garanties  sérieuses. 

Quand  les  hommes  souffrent,  il  leur  est  bien  difficile 
d'être  patients;  cependant  ils  donnèrent  à  leur  maître 
sept  ans  de  patience,  et  s'il  y  a  dans  leur  histoire  quelque 
chose  qui  soit  digne  d'admiration,  ce  sont  ces  sept  années 
pendant  lesquelles  on  les  berça  de  vaines  promesses.  Leur 
amour  pour  Henri  IV  survécut  à  leur  estime  pour  lui;  sans 
cet  amour,  ils  auraient  séparé  leur  cause  de  la  sienne. 
Si  enfin  on  examine  les  choses  de  près,  Henri  IV,  comme 
roi,  n'était  pas  digne  de  leur  confiance.  Depuis  le  jour  de  la 
mort  de  Henri  III ,  et  même  avant  cette  époque ,  il  avait 
montré  que  son  attachement  à  la  cause  de  la  Réforme 
était  plus  que  problématique;  ses  appels  réitérés  à  un  con- 
cile, quand  les  protestants  savaient  qu'il  tenait  l'église 
catholique  pour  une  communion  hétérodoxe,  n'étaient  pas 
de  nature  à  les  rassurer;  et  quand  plus  tard  il  abjura,  ils 
comprirent  amèrement  que  leur  maître  «  n'avait  faute  de 
science  mais  de  conscience. 5>  Quelle  confiance  pouvaient-ils 
donc  avoir  dans  un  prince  qui ,  le  jour  de  son  abjuration, 
avait  juré  solennellement  d'exterminer  ses  anciens  compa- 
gnons d'armes ,  et  avait  renouvelé  ce  sacrilège  serment  le 
jour  de  son  sacre.  En  supposant  môme  qu'ils  crussent  que 
ce  n'était  de  sa  part  qu'une  affaire  de  pure  forme ,  pou- 
vaient-ils faire  dépendre  leur  sûreté  d'un  monarque  qui 


LIVRE  XXIV. 


135 


s'était  joué  publiquement  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  sacré  au 
monde,  surtout  quand  ce  prince,  dont  l'ambition  ne  recu- 
lait pas  devant  un  parjure,  menait  une  vie  scandaleuse.  Ne 
pouvait-il  pas,  comme  son  père  de  triste  mémoire,  deve- 
nir le  persécuteur  des  huguenots?  Henri  IV,  dit-on,  les 
affectionnait;  c'est  vrai,  mais  il  les  aimait  moins  que  ses 
intérêts.  Après  avoir  vendu  son  âme  à  Rome  par  ambition, 
ne  pouvait-il  pas,  si  son  ambition  l'exigeait,  lui  sacrifier 
les  réformés? 

La  position  du  roi  était  certainement  difficile;  nul  ne 
songe  à  le  contester;  mais  celle  des  protestants  ne  l'était 
pas  moins.  Le  passé  était  pour  eux  la  leçon  de  l'avenir, 
ne  devaient-ils  pas  prendre  leurs  précautions  même  avec 
Henri  IV?  Les  hommes  passent,  les  édits  restent;  que 
seraient-ils  devenus ,  si  la  mort  du  roi ,  survenant  tout  à 
coup ,  les  eût  laissés  désarmés  en  présence  d'un  succes- 
seur qui,  le  jour  de  son  sacre,  eût  juré  comme  lui  leur 
extermination? 

Ils  ne  voulurent  jamais ,  comme  les  ligueurs,  faire  un 
Etat  dans  l'État;  leur  organisation  politique  ne  fut  que  la 
conséquence  de  l'attitude,  sans  cesse  menaçante,  de  leurs 
ennemis;  et  si  parmi  leurs  chefs  ils  eurent  quelques  am- 
bitieux qui  essayèrent  d'exploiter  leurs  rossentiments  à  leur 
avantage  personnel,  la  masse  des  réformés  demeura  fidèle 
au  roi  et  l'aida  dans  son  triomphe  définitif  Leur  conduite 
prouva  surabondamment  qu'ils  ne  demandaient  à  la  cour 
qu'une  seule  chose:  «qu'on  les  laissât  se  saouler  de 
prêches,»  et  s'ils  continuèrent  d'avoir  dans  l'État  une  or- 
ganisation qui,  en  apparence,  était  contraire  à  l'autorité 
royale,  ce  n'était  pas  pour  la  contrarier,  mais  pour  l'em- 
pêcher de  recommencer  sous  les  Bourbons  les  iniquités 
des  Valois;  le  passé  leur  faisait  un  impérieux  devoir  de  la 
défiance.  Les  factieux  sont  ceux  qui  profitent  du  pouvoir 

fiour  opprimer  et  non  ceux  qui  se  mettent  en  garde  contre 
es  oppresseurs.  On  a  qualifié  de  pamphlet  l'écrit  dans  le- 
quel les  réformés  exposaient  leurs  plaintes  ;  il  n'est  qu'un 
éloquent  manifeste  de  leurs  douleurs  ;  et  si  parmi  eux 
quelques-uns  le  blâmèrent,  c'était  parce  que  la  sève 
huguenote  s'était  desséchée  dans  leur  cœur  au  contact  de 
la  cour,  et  que  la  terre  i  gagner  leur  tenait  plus  à  cœur 
que  le  ciel  à  conquérir. 


136        HISTOIRB  DE  LA  RÉFÔRMAtlON  FRANÇAISE. 

L'homme  consciencieux  ne  pourra  refuser  son  admira- 
tion à  ces  citoyens  qui ,  pouvant  trouver  leur  avantage 
terrestre  à  imiter  leur  souverain,  préférèrent  demeurer 
dans  le  parti  des  opprimés.  Les  opinions  consciencieuses, 
quand  elles  ont  pour  représentants  des  hommes  intègres , 
ont  droit  à  notre  respect. 

XVI. 

Quelque  bons  que  fussent  leurs  rapports  avec  la  cour, 
les  députés,  commençant  à  croire  qu'on  voulait  les  jouer, 
montrèrent  de  l'aigreur.  Le  roi,  à  son  tour,  fatigué  de 
leurs  instances ,  laissait  paraître  du  ressentiment,  et  quel- 
quefois même  il  mêlait  à  ses  paroles  des  menaces:  «Je 
serais  fâché,  écrivait -il  à  ses  commissaires,  d'en  venir 
à  des  extrémités  avec  des  gens  que  j'aime  plus  qu'ils  ne 
s'aiment.  » 

Ces  paroles  imprudentes  du  roi,  qui  n'étaient  que  le  ré- 
sumé fidèle  de  la  position  difficile  que  lui  faisaient  les  partis, 
blessèrent  les  réformés;  Bouillon  et  La  Trémouille  étaient 
les  plus  irrités;  ils  savaient  que  les  menaces  du  roi  étaient 
à  leur  adresse,  parce  qu'on  les  disait  les  auteurs  de  tout 
ce  qui  s'était  proposé  dans  l'assemblée. 

XVIL 

Les  affaires  eussent  probablement  traîne  encore  en 
longueur,  si  le  roi  n'eût  reçu  la  soumission  du  duc  de 
Mercœur,  le  dernier  chef  de  la  ligue.  Ce  fut  alors  qu'il  se 
décida  à  donner  aux  réformés  l'édit  dont  les  articles  se 
discutaient  depuis  si  longtemps  entre  les  députés  des  as- 
semblées politiques  des  protestants  et  son  conseil.  Il  était 
alors  à  Nantes,  à  la  tête  de  son  armée.  L'assemblée  de 
Vendôme  s'était  transportée  à  Chatellerault,  et  c'est  au 
moment  où  il  la  tenait,  comme  le  dit  Élie Benoît,  sous  son 
canon',  qu'il  donna  l'édit  célèbre,  connu  sous  le  nom  d'édit 
de  Nantes,  du  nom  de  la  ville  où  trente-neuf  ans  aupara- 
vant les  protestants,  sous  la  direction  de  La  Renaudie, 
avaient  tenu  leur  première  assemblée  et  forme  leur  con- 
juration contre  les  Guises. 

I.  Histoire  dé  l'Mit  de  Nantes,  liv.  V,  p.  224. 


uvRE  xn\. 


«Entre  les  grâces  infinies,  dit  le  roi  dans  le  préambule 
de  l'édil,  qu'il  a  plu  à  Dieu  de  nous  départir,  celle-ci  est 
bien  des  plus  insignes  et  remarquables  de  nous  avoir  donné 
la  vertu  et  la  force  de  ne  céder  aux  effroyables  troubles, 
confusions  et  désordres  qui  se  trouvèrent  à  notre  avène- 
ment à  ce  royaume  qui  était  divisé  en  tant  de  partis  et  de 
factions  que  la  plus  légitime  en  était  quasi  la  moindre,  et 
de  nous  être  néanmoins  tellement  roidis  contre  celte  tour- 
mente que  nous  l'ayons  enfin  surmontée,  .et  touchions 
maintenant  le  port  de  salut  et  repos  de  cet  Etat;  de  quoi 
à  lui  seul  en  soit  la  gloire  toute  entière,  et  à  nous  la 
grâce  et  obligation  qu'il  se  soit  voulu  servir  de  notre  la- 
beur pour  parfaire  ce  bon  œuvre,  auquel  il  a  été  visible  à 
tous,  si  nous  avons  porté  ce  qui  était  non-seulement  de 
notre  devoir  et  pouvoir,  mais  quelque  chose  de  plus  qui 
n'eût  peut-être  pas  été  en  autre  temps  bien  convenable  à 
la  dignité  que  nous  tenons ,  que  nous  n'avons  plus  eu 
crainte  d'y  exposer,  puisque  nous  y  avons  tant  de  fois  et  si 
librement  exposé  notre  propre  vie.  Et  en  cette  grande  oc- 
curence  de  si  grandes  et  périlleuses  affaires  ne  se  pouvant 
toutes  comporter,  tout  à  la  fois  en  même  temps,  il  nous 
a  fallu  tenir  cet  ordre  d'entreprendre  premièrement  ceux 
qui  ne  se  pouvaient  terminer  que  par  la  force,  et  plutôt 
remettre  et  suspendre  pour  quelque  temps  les  autres  qui 
se  pouvaient  et  devaient  traiter  par  la  raison  et  la  justice, 
comme  les  différents  généraux  d'entre  nos  bons  sujets  et  les 
maux  particuliers  des  plus  saines  parties  de  l'État ,  que  nous 
estimions  pouvoir  bien  plus  aisément  guérir  après  en  avoir 
6té  la  cause  principale  qui  était  en  la  continuation  de  la 
guerre  civile.  En  quoi  nous  étant  (par  la  grâce  de  Dieu) 
bien  et  heureusement  succédé,  les  armes  et  hostilités 
étant  de  tout  cessées  en  tout  le  dedans  du  royaume,  nous 
espérons  qu'il  nous  succédera  aussi  bien  aux  autres  affaires 
qui  restent  à  y  composer,  et  que  par  ce  moyen  nous  par- 
viendrons à  l'établissement  d'une  bonne  paix  et  tranquille 
repos,  qui  a  toujours  été  le  but  de  tous  nos  vœux  et  in- 
tentions et  le  prix  que  nous  désirons  de  tant  de  peines  et 
travaux  auxquels  nous  avons  passé  ce  cours  de  notre  âge.  •  n 

1.  Drion,  Abrégé  chronologique,  1. 1",  p.  20S. 


488        HISTOIRB  DB  LA  R^PoRMATION  FIUNÇAISE. 


XVIII. 

li'édit  accordait  entre  autres  choses  aux  prétendus  ré- 
formés (c'est  ainsi  qu'on  continua  à  les  appeler  depuis): 
i"  le  droit  d'habiter  sur  tous  les  points  du  royaume,  sans 
qu'on  pût  les  astreindre  à  faire  quelque  chose  qui  fût  con- 
traire à  leur  foi  religieuse  ;  2°  le  libre  exercice  du  culte 
dans  toutes  les  villes  où  il  se  trouvait  établi  en  1596  et 
1597,  et  dans  toutes  les  villes  où  il  était  exercé  en  vertu 
de  l'édit  de  1577  ,  et  de  plus  dans  une  ville  ou  bourg ,  par 
bailliage  ou  sénéchaussée, sans  dérogation  aux  traités  faits 
avpc  les  catholiques.  L'admission  des  protestants  dans  les 
écoles  et  les  collèges,  le  droit  d'en  fonder  et  de  publier 
des  livres  de  leur  religion,  dans  tous  les  lieux  où  leur 
culte  était  autorisé  ;  5°  l'admissibilité  à  tous  les  emplois , 
sans  être  astreints  aux  cérémonies  et  aux  usages  qui  pour- 
raient blesser  leur  conscience;  6°  le  droit  d'avoir  un  cime- 
tière dans  chaque  lieu  où  leur  culte  était  célébré  ;  8°  l'in- 
terdiction aux  catholiques  de  leur  enlever  leurs  enfants 
pour  les  faire  changer  de  religion  ;  9°  le  droit  de  pourvoir 
à  jeur  éducation  par  testament;  10°  l'institution  à  Paris 
d'une  nouvelle  chnmbre  «dite  de  l'édit»,  chargée  déjuger 
les  affaires  dans  lesquelles  les  protestants  seraient  inté- 
ressés; 11°  l'établissement  dans  le  délai  de  six  mois  de 
chambre  mi-partie  à  Bordeaux  et  à  Grenoble;  12°  le  main- 
tien de  la  chambre  mi-partie  de  Castres. 

Les  réformés  étaient  obligés  par  l'édit  de  respecter  les 
jours  fériés  et  les  degrés  de  parenté  prohibés  par  l'Eglise 
romaine  pour  les  mariages  ;  ils  devaient  en  outre  payer 
les  dîmes  au  clergé  et  se  désister  de  toutes  pratiques,  né- 
gQciations  et  intelligences  dedans  et  dehors  le  royaume. 

Leurs  synodes  provinciaux  et  généraux  étaient  mainte- 
nus, sous  la  réserve  de  l'autorisation  du  roi.  C'était  le 
côlé  faible  de  l'édit,  une  espèce  d'article  XIV  de  la  charte 
nantaise.  L'avenir  le  prouva.  Les  réformés  obtenaient  pour 
leurs  pasteurs  une  somme  annuelle  et  des  places  de  sûreté, 
qui  devaient  pendant  huit  ans  demeurer  entre  leurs  mains 
comme  un  gage  des  loyales  intentions  du  roi.' 

1.  L'édit  de  Nantes  se  compose  de  92  articles  publics  et  de  56 
articles  secrets.  —  Drion,  Abrégé  chronologique,  1. 1",  p.  207  et 
suiv.  —  Aymon,  Hist.  des  synodes.  —  Haag,  France  protestante. 
—  Pièces  justificatives. 


UTRE  XXVI. 


139 


XIX. 

Cet  édit,  à  la  rédaction  duquel  on  n'était  parvenu  qu'a- 
près de  longues  difficultés ,  suscitées  par  les  exigences 
quelquefois  trop  grandes  des  protestants  et  par  le  mauvais 
vouloir  de  la  cour,  ne  satisfit  pas  les  exaltés  des  deux 
partis  ;  mais  les  iiommes  modérés  admirèrent  la  haute 
sagesse  du  roi,  qài,  en  donnant  aux  réformés  ce  qui  leur 
appartenait  légitimement,  sans  rien  retrancher  des  libertés 
des  catholiques ,  avait  mis  fin  à  des  guerres  qui  ruinaient 
la  France  au  dedans  et  la  couvraient  de  honte  au  dehors. 

L'édit  ne  satisfaisait  pas  complètement  les  protestants , 
mais  il  leur  accordait  une  garantie  suffisante  pour  le  libre 
exercice  de  leur  culte  sur  toutes  les  parties  du  territoire 
où  il  leur  était  permis  de  le  célébrer.  Une  plus  large  con- 
cession eût  été  le  moyen  infaillible  de  rendre  leur  condi- 
tion moins  bonne,  en  fournissant  aux  catholiques  des 
prétextes  plausibles  de  se  plaindre  ;  ils  eurent  la  sagesse 
de  le  comprendre.  Théodore  de  Bèze  qui,  malgré  son  âge 
avancé,  avait  suivi  avec  toute  l'ardeur  d'un  jeune  homme, 
les  longues  et  difficiles  négociations  des  assemblées  poli- 
tiques des  protestants ,  écrivait  ces  paroles  remarquables 
à  l'assemblée  de  Châtellerault:  «Je  loue  de  tout  mon 
cœur  notre  grand  et  vrai  Dieu ,  tout-puissant  et  tout  bon , 
premièrement  de  ce  qu'il  a  incliné  le  cœur  de  celui  qu'il 
a  donné  pour  roi  à  la  France ,  à  un  tel  conseil  et  moyen  si 
convenables  pour  changer  l'horreur  des  guerres  civiles  en 
une  vraie  tranquillité ,  conjointe  avec  le  moyen  d'honorer 
celui  qui  en  est  proprement  l'auteur  et  le  donneur;  secon- 
dement de  ce  qu'il  lui  a  plu,  d'autre  part,  conduire  et 
bénir  une  telle  assemblée  par  son  Saint-Esprit,  non-seu- 
lement de  la  grâce  et  constante  union  en  la  profession  de 
sa  sainte  vérité,  mais  aussi  d'une  vraiment  chrétienne 
charité  envers  la  commune  pairie  et  avec  tout  cela  du  don 
de  sa  sainte  prudence  acquise  à  une  non  moins  sage  que 
zélée  conclusion  de  tout.  »  ' 

L'assemblée  de  Châtellerault  avait  accompli  courageuse- 
mcni  a  Llche  ;  c'est  à  elle,  dit  un  historien  moderne,  que 

1.  Biblioihèque  de  Genève,  lettres  et  pièces  diverses  coucernaût 
les  églises  réformées,  n»  4. 


140         HISTOIRE  DE  LA  RÈFORMATION  FRANÇAISE. 

la  France  doit  autant,  si  ce  n'est  plus  qu'à  Henri  IV  d'a- 
voir devancé  par  l'édit  de  Nantes'  les  autres  peuples  chré- 
tiens dans  les  voies  de  la  société  nouvelle  qui  sépare 
l'Église  de  l'État,  le  devoir  social  des  choses  de  la  con- 
science, et  le  croyant  du  citoyen.' 

L'assemblée  demeura  encore  avec  la  permission  du  roi 
à  Châtellerault  jusqu'au  11  juin  1598.  Elle  nomma  un 
abrégé  d'assemblée,  c'est-à-dire  quelques  membres  qui 
continuèrent  à  résider  dans  cette  ville  pour  veiller  à  la 
vérification  de  l'édit ,  que  le  roi  ne  voulait  présenter  aux 
parlements  qu'après  le  départ  du  légat  du  pape.  Elle  ne  se 
sépara  pas  sans  rendre  de  solennelles  actions  de  grâces  à 
Dieu  des  faveurs  dont  il  avait  comblé  son  peuple.  Après 
s'être  donné  le  baiser  d'adieu ,  les  députés  se  rendirent 
chacun  dans  leurs  provinces  pour  y  faire  connaître  à  leurs 
mandataires  le  résultat  de  leurs  travaux. 

XX. 

Ce  fut  au  milieu  des  agitations  produites  par  l'édit  qu'un 
synode  national  se  réunit  le  26  mai  1598  à  Montpellier. 
Toutes  les  provinces  y  furent  représentées,  excepté  le 
Lyonnais,  la  Bourgogne  et  le  Forez;  Béraut,  pasteur  de 
Montauban,  présida  l'assemblée;  on  s'occupa  d'abord  de 
faire  le  dénombrement  des  églises  qui  existaient  au  mo- 
ment de  l'édit  ;  on  en  trouva  763,  ainsi  réparties:  l'Or- 
léanais 39,  l'Anjou  21,  le  Poitou  60,  Dauphiné  et  Pro- 
vence 9i  ,  Bourgogne  11 ,  Bretagne  14,  Ile-de-France  88, 
Normandie  59,  Haut-Languedoc  96 ,  Bas-Languedoc  116, 
Lyonnais  4,  Forez  2,  Guienne  83.  Un  dénombrement  fait 
précédemment  par  ordre  de  Henri  IV  (en  mars  1597) 
avait  donné  les  résultats  suivants  :  694  églises  publiques, 
257  églises  de  fief,  2800  ministres,  400  proposants, 
274,000  familles.' 

Le  synode  crut  qu'il  fallait  se  contenter  de  l'édit  et  s'en 

1.  Anquez,  Histoire  des  assemblées  politiques  des  réformés  de 
France,  p.  70. 

2.  A.  Thierry,  Essai  sur  l'histoire  de  la  formation  et  du  progrès 
du  tiers-état,  p.  207. 

3.  Drion,  Histoire  chi-onologique,  t.  I",  p.  259-260. 


LIVRE  XXIV. 


141 


gervir  pour  raffermir  sa  cause,  si  profondément  ébranlée, 
en  reliant  par  des  liens  de  plus  en  plus  forts,  les  églises 
entre  elles.  Il  s'éleva  avec  beaucoup  d'énergie  contre  les 
projets  de  réunion  avec  les  catholiques  qui  préoccupaient 
alors  tous  les  esprits.  De  nombreux  écrits  circulaient  et 
trouvaient  un  facile  accès  auprès  des  protestants  tièdes  ou 
indiirérents.  Ce  désir  de  réunion  ,  qui  n'avait  d'autre  cause 
que  la  crainte,  de  voir  se  renouveller  un  douloureux  passé 
«devint,  dit  Élie  Benoît,  une  démangeaison  qui  dura  jus- 
qu'à la  révocation  de  l'édit.»' 

Le  synode  s'occupa  de  détails  intérieurs  relatifs  aux 
églises,  auxquelles  il  recommanda,  en  se  séparant,  de  res- 
serrer de  plus  en  plus  leur  union  par  une  sainte  vie. 

Parmi  les  membres  de  l'assemblée  il  y  avait  un  ministre, 
dont  le  nom  était  déjà  célèbre  dans  son  parti  :  Daniel 
Chamier  était  né  en  son  père',  émerveillé  de  sa 

rare  aptitude  au  travail  et  de  sa  pénétration  surprenante, 
le  confia  aux  soins  d'un  habile  instituteur,  qui  lui  donna 
sa  première  instruction.  Le  jeune  Daniel  lit  à  Orange  ses 
humanités  sous  Crozier,  et  à  peine  âgé  de  seize  ans,  il  fui 
appelé  à  Nimes  comme  régent  de  quatiième;  deux  ans 
après,  il  alla  à  Genève,  et  eut  pour  maître  Théodore  de 
Bèze ,  sous  lequel  il  termina  ses  études  avec  une  grande 
distinction.  De  retour  dans  sa  famille,  il  se  présenta  devant 
le  synode  de  sa  province;  le  jeune  homme  qui  était  ap- 
pelé à  jeter  tant  d'éclat  sur  son  parti ,  fut  déclaré  inca- 
pable par  ses  examinateurs.  Un  synode  du  Languedoc  se 
montra  plus  éclairé;  il  l'admit  au  nombre  de  ses  ministres. 
Bientôt  après ,  l'église  des  Vans  lui  fut  confiée,  et  plus 
tard,  celle  d'Aubenas.  Les  persécutions  qui  suivirent, 
l'obligèrent  de  prendre  la  fuite;  plus  tard  nous  le  trou- 
vons pasteur  à  Montélimart,  où  il  avait  succédé  à  son 
père.  Les  églises  ne  tardèrent  pas  à  apprécier  Chamier: 
dans  les  conseils  il  était  sage  ;  dans  l'action,  énergique; 
dans  sa  vie  de  pasteur,  fidèle.  Au  synode  national  de  Sau- 
mur  et  aux  assemblées  politiques  de  Vendôme ,  de  Sau- 
mur  et  de  Châtellerault ,  il  se  fit  remarquer  par  un  en- 
semble admirable  de  qualités,  qui  le  rendirent  aussi  odieux 

1.  Histoire  de  l'édit  de  Nantes,  liv.  VI,  p.  2Ô9.  ' 

2.  Il  était  pasteur.  —  Voir  une  Kofice  de  ce  fidèle  serviteur  de 
Dieu  dans  Ja  I  rauce  protestante ,  article  Charnier. 


m         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

au  pouvoir  que  cher  aux  églises".  «On  ne  vit  jamais,  dit 
Bayle,  un  homme  plus  raide,  plus  inflexible,  plus  intrai- 
table, par  rapport  aux  artifices  que  la  cour  mettait  en  usage 
pour  affaiblir  les  protestants.  »  ' 

XXI. 

Trois  affaires  de  la  plus  haute  importance  préoccupaient 
alors  le  roi  et  donnaient  de  vives  inquiétudes  aux  protes- 
tants. La  première  concernait  la  dissolution  de  son  mariage 
avec  Marguerite  de  Valois.  Nous  avons  déjà  dit  la  funeste 
influence  qu'eut  sur  sa  vie  son  union  avec  cette  princesse. 
Le  jour  où  il  se  sépara  d'elle,  sa  vie  commença  à  n'être 
qu'une  longue  série  de  scandales;  nous  ne  voulons  être 
ni  le  Brantôme,  ni  le  Pierre  de  l'Estoile  de  son  règne; 
nous  ne  dirons  de  sa  vie  intime  que  ce  que  nous  ne  pou- 
vons en  omettre  pour  être  fidèle  à  notre  tâche  d'historien. 

A  l'époque  où  nous  sommes  arrivé,  Gabrielle  d'Eslrées, 
sa  maîtresse,  était  morte  d'une  manière,  dit  Elle  Benoît, 
qui  pouvait  faire  soupçonner  que  Rosny  et  quelques 
autres  savaient  bien  qu'elle  devait  mourir  ^  Sa  fin  fut  la- 
mentable. Au  moment  où  elle  attendait  de  Rome  la  dis- 
pense qui  devait  la  faire  reine  de  France ,  la  mort  la  coucha 
subitement  dans  un  cercueil.  Le  roi,  selon  l'usage ,  s'était 
retiré  à  Fontainebleau  pour  s'y  recueillir  pendant  la  quin- 
zaine de  Pâques;  Gabrielle,  qui  l'y  avait  suivi,  le  quitta, 
afin  que  sa  présence  ne  nuisît  pas  au  bon  exemple  qu'il 
voulait  donner  à  son  peuple,  en  pratiquant  ses  devoirs  re- 
ligieux; leurs  adieux  furent  pleins  de  douloureux  pres- 
sentiments. Elle  arriva  à  Paris  le  jeudi  saint  et  alla  loger 
chez  le  banquier  Zamet,^qui  s'était  enrichi  dans  le  manie- 
ment des  deniers  de  l'État.  L'opulent  financier  italien  la 
reçut  d'une  manière  fastueuse  et  lui  servit  un  repas,  dans 
lequel  il  lui  présenta  les  mets  qu'elle  préférait.  Après  le 
dîner  elle  se  sentit  incommodée  ;  elle  alla  néanmoins  en- 
tendre les  ténèbres  au  petit  Saint-Antoine.  A  son  retour 
elle  éprouva  de  violentes  douleurs;  d'affreux  pressenti- 
ments traversèrent  son  esprit.  «  Qu'on  me  retire  de  cette 

1.  Hîiag,  France  protestante,  art.  Cliamier,  p.  317. 

2.  Bayle,  Dictionnaire  historique,  art.  Charnier. 

S.  Bistoire  de  l'édit  de  Nantes,  t.  I",  llv.  VI,  p.  268. 


LIVRE  XXIV. 


143 


maison  !  s'écria-t-elle  avec  terreur.  »  Un  moment  de  calme 
succéda  à  ses  souffrances;  elle  en  profita  pour  écrire  au 
roi.  Bientôt  après  survint  un  nouvel  accès ,  et  elle  expira 
dans  d"horribles  convulsions.' 

Le  10  avril  1599  elle  comparut  devant  son  Dieu.  Le  roi 
parut  d'abord  inconsolable  ;  mais  un  mois  s'était  à  peine 
écoulé  et  déjà  Henriette  d'Entrague  '  avait  pris  la  place  de 
Gabrielle.  La  nouvelle  passion  du  roi  fut  vive  et  forte;  il 
fit  à  sa  nouvelle  maîtresse  une  promesse  par  écrit  dé 
l'épouser.  Honteux  cependant  de  cette  démarche,  il  remii 
le  papier  qui  la  contenait  à  Rosny,  qui  le  déchira.  «Vous 
êtes  fou!  s'écria  le  roi,  que  prétendez-vous  faire?»  — 
«Il  est  vrai,  répondit  le  ministre,  je  le  suis,  et  plût  i 
Dieu  que  je  le  fusse  seul  en  France.»' 

Le  roi  ne  se  fâcha  pas ,  mais ,  de  plus  en  plus  aveuglé 
par  sa  folle  passion ,  il  souscrivit  une  nouvelle  promesse 
et  fit  jouer  auprès  du  pape  tous  les  ressorts  de  sa  diplo- 
matie pour  obtenir  la  dissolution  de  son  mariage.  Margue- 
rite de  Valois  s'y  était  opposée,  pour  ne  pas  mettre  h  sa 
place  Gabrielle  d'Estrées,  qui  n'était  à  ses  yeux  qu'une 
fille  de  basse  extraction.* 

La  seconde  négociation  était  celle  du  rappel  des  jésuites. 
Depuis  l'arrêt  qui  les  avait  frappés ,  ils  n'avaient  cessé 
d'intriguer  pour  rentrer  en  France,  où  ils  avaient  de  chnuds 
partisans;  ils  n'avaient  même  obéi  qu'à  demi;  forts  de  la 
protection  des  parlement  de  Bordeaux  et  de  Toulouse,  ils 
bravaient,  du  fond  de  la  Guyenne,  leurs  ennemis.  Le  roi 
lui-même  n'était  plus  opposé  à  leur  rappel;  il  craignait 
ces  moines  «qui  savaient  si  bien  manier  le  couteau;  «il 

Eensait  qu'ils  seraient  moins  à  craindre  en  France  que 
ors  de  France,  et  qu'il  valait  mieux  se  les  attacher  par 
des  bienfaits  (jue  de  les  pousser  à  des  mesures  violentes 
par  trop  de  rigueur. 

1.  L'Estoile,  aunée  1599.  —  Économies  royales,  t.  UI,  p.  281- 
297.  —  De  Thou ,  Hv.  CXXU. 

2.  Elle  était  fille  de  Fran-;ois  de  Balzac  et  de  Marie  Touchet ,  fille 
naturelle  de  Charles  LX. 

3.  Capefigue,  Histoire  de  la  réformation,  t.  VIII.  —  Sully,  Éco- 
nomies royales,  t.  III,  p.  31 1. 

4.  Sully,  Économies  royales,  t.  III,  p.  233.  —  Sismoadi,  t.  XXn 
âl.IX,p.  31. 


m         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

XXII. 

La  troisième  négociation  avait  pour  objet  le  mariage  de 
Madame  avec  le  duc  de  Bar,  fils  du  duc  de  Lorraine ,  le- 
quel ne  pouvait  s'accomplir  sans  une  dispense  du  pape, 
puisque  le  futur  époux  de  la  princesse  était  catholique. 

Parmi  ceux  qui  virent  avec  peine  le  roi  abandonner 
la  réforme,  il  faut  placer  au  premier  rang  Catherine  de 
Bourbon ,  sa  sœur.  Cette  princesse,  toute  inférieure  qu'elle 
fut  à  sa  mère,  occupe  cependant  dans  l'histoire  une 
place  intéressante.  Elle  avait  à  peine  quinze  ans  quand  tout 
à  coup  elle  devint  orpheline;  la  forte  éducation,  qu'elle 
avait  reçue  dans  le  Béarn ,  la  prépara  à  traverser  des  temps 
difficiles  et  à  se  garantir  des  pièges  dans  lesquels  il  était 
si  facile  de  tomber  à  la  cour  des  Valois.  Elle  avait  hérité 
de  sa  mère  et  de  son  aïeule  Marguerite  de  Valois  des 
grâces,  de  l'esprit  et  des  talents.  Elle  aimait  les  arts,  jouait 
bien  du  luth;  sa  voix,  quand  elle  chantait,  avait  une  dou- 
ceur inexprimable.  Lorsque,  à  l'époque  du  mariage  de  son 
fils ,  Jeanne  d'Albret  la  conduisit  à  Paris ,  sa  présence  fit 
sensation  au  milieu  même  des  belles  femmes  de  la  cour 
de  Charles  IX.  «Qu'elle  est  belle,  ma  Catherine!  »  disait  la 
reine  de  Navarre,  qui  ne  cachait  pas  son  mépris  pour  l'en- 
tourage de  Catherine  de  Médicis.  Elle  ne  devait  pas  voir  se 
développer  cette  jeune  plante,  qu'elle  avait  cultivée  avec 
tant  de  soins  et  sur  laquelle  elle  avait  répandu  le  parfum 
de  l'Évangile.  Sur  son  lit  de  mort  il  lui  fallut  la  puissance 
de  la  grâce  pour  se  résigner  à  se  séparer  de  sa  fille  chérie; 
elle  la  recommanda  à  son  fils,  et  plus  encore  à  Dieu.' 

Catherine  sentit  vivement  le  vide  que  la  mort  de  sa  mère 
faisait  dans  sa  vie;  c'était  leur  première  séparation.  Après 
la  Saint-Barthélémy  elle  abjura  avec  son  frère,  et  pen- 
dant près  de  quatre  ans  elle  pratiqua  le  culte  catholique. 
Mais  lorsque  Henri  III  lui  permit  de  retourner  dans  le 
Béarn ,  elle  n'attendit  pas  même  d'être  arrivée  à  Pau  pour 
rejeter  le  masque  hypocrite  qu'on  l'avait  forcé  de  prendre. 
A  son  passage  à  Ghàteaudun,  elle  s'empressa  d'aller  au 
prêche,  et  plus  tard,  à  la  Rochelle,  oii  son  frère  l'avait 
accompagné,  «elle  fit  avec  lui,  dit  d'Aubigné,  pénitence 

1.  Mole  vn. 


LIVRE  XXIV. 


14,') 


publique  d'avoii  élé ,  par  menace ,  réduite  à  la  religion 
romaine.  » 

L'éducation  chrétienne  qu'elle  avait  reçue,  rafîection 

f (refonde  qu'elle  avait  pour  le  duc  de  Soissons,  son  cousin, 
a  garantirent  des  pièges  dans  lesquels  elle  serait  proba- 
blement tombée.  Elle  se  conserva  pure  et  chaste.  La  médi- 
sance même  la  respecta. 

Jamais  princesse  n'eut  plus  de  prétendants.  Peu  après  sa 
naissance,  Henri  II  la  demanda  pour  celui  de  ses  fils  qui 
fut  Henri  111;  Philippe  II,  Charles  III,  duc  de  Lorraine, 
Charles,  duc  de  Savoie,  et  plusieurs  autres  se  mirent  sur 
les  rangs;  mais  le  duc  de  Soissons  fut  le  seul  qu'elle  aima. 

En  1593,  la  princesse,  alors  âgée  de  quarante  ans, 
n'était  pas  encore  mariée.  Elle  aimait  toujours  Soissons, 
quoiqu'il  se  fût  jeté  dans  le  parti  de  la  ligue  et  se  fût 
rendu  indigne  de  son  affection. 

Toutes  les  instances  qui  lui  furent  faites  pour  changer 
de  religion  furent  vaines;  elle  demeura  ferme  dans  sa  foi 
et  devint  de  jour  en  jour  plus  chère  aux  protestants,  aux- 
quels elle  rappelait  sa  mère  toujours  vivante  dans  leurs 
souvenirs.  Quand  il  fut  question  de  son  union  avec  le  duc  de 
Bar,  les  réformés  manifestèrent  une  grande  répugnance 
pour  cette  alliance  avec  un  prince  catholique  et  zélé  pour 
sa  religion  jusqu'au  fanatisme.  Dans  le  synode  national  de 
Montpellier',  ils  déclarèrent,  pour  lever  les  scrupules  de 
la  princesse,  que  ce  mariage  n'était  pas  licite;  mais  Ca- 
therine donna  son  consentement  ;  ce  fut  une  faute  qui 
devint  pour  elle  une  source  d'amères  déceptions. 

xxin. 

Avant  l'accomplissement  du  mariage  ,  les  docteurs  ca- 
tholiques firent  de  grands  efforts  pour  l'amener  à  une  ab- 
juration. Des  conférences  nombreuses  eurent  lieu  en  sa 
présence,  entre  des  théologiens  des  deux  partis;  du  côté 
des  protestants  envoyait  un  ministre  encore  jeune,  qui  se 
distingua  parmi  ses  confrères;  son  instruction  était  solide 
et  variée,  son  argumentation  serrée  et  semée  de  traits  vifs 
et  piquants.  Il  prononçait  quelquefois  des  mots  qu'un 


1.  Tenu  en  1598,  du  26  au  30  mai. 
IV. 


5 


14(j  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

n'oubliait  plus  et  qui  étaient  tous  autant  de  flèches  acérées 
attachées  au  flanc  do  ses  adversaires.  On  l'appelait  Pierre 
Du  Moulin. 

Ce  jeune  homme,  qui  allait  devenir  un  grand  contro- 
versiste  et  l'écrivain  le  plus  original  de  son  parti,  était  né 
en  15G8,  au  château  de  Buhi.  A  l'âge  de  quatre  ans,  l'une 
des  servantes  de  son  père  le  sauva  des  mains  des  assassins 
de  la  Saint-Barthélémy;  il  fit  ses  études  à  Sedan  et  à  Paris , 
passa  quatre  ans  en  Angleterre,  et  étudia  à  Cambridge 
sous  les  meilleurs  professeurs  de  celte  célèbre  université. 
A  son  retour  il  fit  naufrage ,  perdit  tous  ses  livres  et  chanta 
son  malheur  dans  un  poëme  '  qui  commença  sa  réputation.  ' 

A  l'âge  de  vingt-quatre  ans  Du  Moulin  fut  nommé  pro- 
fesseur de  philosophie  à  l'université  de  Leyde.  Son  érudi- 
tion, sa  méthode  d'enseignement,  l'art  de  présenter  dans 
un  style  simple,  clair,  original  les  idées  les  plus  abstraites, 
donnèrent  à  ses  leçons  un  grand  éclat.  Parmi  ses  élèves  il 
y  avait  un  Hollandais  qui  se  faisait  déjà  remarquer  \kt  une 
intelligence  extraordinaire  et  promettait  d'être  un  jour  la 
gloire  et  l'ornement  de  sa  patrie  :  on  l'appelait  Grotius. 

Après  plusieurs  années  d'un  professorat  qui  laissa  à 
Leyde  de  longs  et  honorables  souvenirs,  Du  Moulin  fut 
appelé  comme  ministre  à  Cliarenton  où  ses  mérites  furent 
dignement  appréciés.  Homme  de  lutte,  il  eut  le  rare  bon- 
heur de  ne  pas  vivre  dans  des  temps, médiocres  et  de  pou- 
voir déployer ,  au  service  de  son  Église  ,  les  dons  qu'il 
avait  reçus  de  Dieu.  Sa  phrase  vive,  au  four  gaulois,  lui 
donnait  une  grande  supériorité  sur  ses  adversaires,  dans 
un  pays  où  le  ridicule  tue  plus  vite  que  les  raisonnements. 
On  a  droit  de  s'étonner  quand,  de  nos  jours,  on  e.vhume 
de  la  poussière  de  nos  bibliothèques  tant,  d'écrits  indi- 
gestes, qu'on  n'ait  pas  songé  à  ceu.\  de  Du  Moulin.  Est-ce 
oubli ,  ingratitude ,  ignorance  ?  Un  peu  de  cela  tout  en- 
semble. Le  pasteur  de  Charenton  est  un  maître  dans  l'art 
d'écrire,  et  les  vrais  amateurs  du  beau  style  saluent  en 
lui  un  précurseur  de  Pascal,  de  Molière  et  de  Paul-Louis 
Courrier. 

1.  Il  était  intitulé  :  VotiDU  tabella.  \ 

2.  Haag,  France  protestante,  L  D,  p.  420. 


irVRE  VXIV. 


147 


XXIV. 

Si  le  style  est  l'homme,  Du  Moulin  revit  tout  entier  dans 
le  sien.  Dans  la  belle  préface  de  son  livre'  contre  celui  du 
cardinal  Du  Perron',  on  lit  les  lignes  suivantes  qui  donnent 
une  idée  de  l'esprit  du  controversiste  et  de  sa  manière 
d'écrire. 

«Reste  de  donner  au  lecteur  quelque  goût,  en  général, 
du  livre  de  M.  le  cardinal  Du  Perron,  afin  que  par  un 
échantillon  il  puisse  juger  de  la  pièce  entière. 

«  En  premier  lieu ,  s'il  peut  y  avoir  quelque  louange  à  mal 
faire,  et  si  défendre  l'erreur  avec  dextérité  mérite  quel- 
que recommandation,  je  ne  puis  refuser  à  la  mémoire  de 
ce  cardinal  cette  louange  que  ce  livre  est  bâti  avec  un 
grand  artifice,  et  qu'il  y  a  bandé  tous  ses  sens  et  employé, 
avec  un  grand  travail,  toute  la  dextérité  de  son  esprit,  de 
laquelle  il  en  avait  de  reste.  Je  ne  trouve  point ,  entre  les 
adversaires,  d'ouvrage  tant  élaboré.  Et  même  tous  les 
autres  livres  qu'il  a  faits  sont  un  peu  de  chose  au  prix.  On 
y  voit  une  grande  diligence  en  la  recherche  de  l'antiquité, 
et  une  souplesse  à  plastrer  son  fait  et  à  décliner  les  questions 
qu'il  juge  non  soutenables,  et  à  mettre  en  vue  tout  ce  qu'il 
y  a  de  plus  spécieux  pour  la  papauté.  Il  trouve  plusieurs 
nouvelles  échappatoires,  dont  nul  ne  s'était  encore  avisé, 
et  où  les  autres  défenseurs  de  la  papauté  ne  lui  satisfont 
pas,  il  trouve  quelque  nouvel  expédient  et  prend  un  autre 
chemin.  Il  décline  insensiblement  la  pointe  de  nos  objec- 
tions et  colore  sa  faiblesse  d'apparence  de  mépris,  et  revêt 
le  tout  d'un  langage  honnête  et  d'un  style  doux  et  agréable, 
si  ce  n'est  ès  lieux  où  il  se  trouve  empêtré  et  pressé  de 
l'évidence  de  la  vérité;  car  alors  il  s'embarrasse  exprès  de 
paroles  obscures  et  entasse  une  pile  de  distinctions  en 
termes  philosophiques,  et  espend  un  nuage  de  poussière 
avec  un  style  capricieux  et  importun.  Par  sa  grande  lecture 
des  Pères  il  entasse,  plus  par  ostentation  que  par  nécessité, 
multitude  d'allégations  sur  choses  légères  ou  non  contro- 
•versées.  Mais  son  peu  de  savoir  en  la  langue  grecque  el 

1.  Ce  livre  est  intitulé  :  Nouveauté  du  Papisme. 

2.  Le  livre  du  cardinal  Du  Perron  est  infitulé  :  Réplique  à  la 
fftponsc  du  screnissime  Roy  Jaques  I.  Roy  de  la  Grande-B>  gm. 


148         HISTOIKIC  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

ès  lettres  humaines  le  fait  souvent  broncher.  De  passages 
faisiOés  tout  en  fourmille.  Je  ne  me  suis  arrêté  à  les  exa- 
miner tous  et  me  suis  contenté  d'en  produire  peu  entre 
plusieurs,  sachant  combien  cet  examen  est  importun  au 
lecteur  et  de  peu  d'instruction.  Mais  à  tout  prendre,  il  est 
certain  que  nul  de  ceux  qui  en  France  ont  brouillé  le  pa- 
pier en  faveur  du  pape  ne  lui  peut  être  comparé;  et  que 
ce  serait  lui  faire  tort,  je  ne  dis  pas  d'égaler,  mais  même 
de  nommer  après  lui  certains  menus  brouillons  et  esprits 
acariâtres,  ignorants  au  dernier  degré,  comme  un  père 
Gontier  et  un  père  Véron,  auxquels  l'impudence  et  la  co- 
lère injurieuse  ont  disloqué  le  cerveau;  lesquels,  en  un 
autre  temps,  ne  seraient  point  soufferts,  mais  sont  bons 
pour  ce  temps  auquel  la  hardiesse  est  prise  pour  savoir  et 
l'orgueil  pour  zèle  et  le  style  injurieux  pour  la  vraie  élo- 

Îuence.  Et  peu  s'en  faut  que  je  ne  mette  au  rang  Jehan 
aubert,  évêque  de  Bazas;  mais  j'épargne  sa  mitre  et  re- 
çois ses  injures  de  cabaret  pour  autant  de  louanges.  Tous 
ces  gens  sourdent  après  Monsieur  Du  Perron,  comme 
quand  du  corps  d'un  cheval  mort  naissent  des  mouches 
guêpes.  »  ' 

Du  Moulin  ne  combat  pas  avec  moins  d'esprit  l'abus  des 
indulgences  papales. 

«Si  le  pape,  dit-il,  était  obligé  de  rendre  compte  de 
ses  actions,  et  montrer  par  quelle  autorité  il  fait  ce  qu'il 
fait,  pourrait-il  dire  où  c'est  que  Dieu  lui  a  donné  le  pou- 
voir de  tirer  les  âmes  du  purgatoire?  Qui  lui  a  commandé 
de  ramasser  en  son  trésor  les  satisfactions  superabon- 
dantes des  saints  et  des  moines,  où  et  quand  première- 
ment Dieu  lui  a  commandé  de  faire  cette  distribution?  Je 
crois  qu'il  se  trouverait  fort  empêché,  vu  que  les  pontifes 
de  l'Ancien  Testament  ne  recueillaient  point  les  satisfac- 
tions superabondantes  de  Noé ,  ni  d'Abraham,  et  n'en  fai- 
saient aucune  distribution ,  et  ne  se  sont  jamais  avisés  de 
tirer  aucune  âme  du  purgatoire,  ni  par  puissance  de  juri- 
diction ,  ni  par  manière  de  suffrage.  Vu  aussi  que  ni  Jésus- 
Christ  ,  ni  les  apôtres  ,  ni  l'ancienne  Église ,  par  plusieurs 
siècles,  n'ont  parlé  de  ce  trésor,  ni  distribué  par  indul- 

1.  Nouveauté  du  papisme  (préface),  Genève,  imprimcnc  de 
Pierre  Chouet  ,,  M.DC.XXVII. 


LIVRE  XXIV. 


149 


gences  le  surplus  des  satisfactions  humaines,  ni  établi  des 
autels  privilégiés ,  ni  tiré  aucune  ame  du  purgatoire.  Et 
de  fait ,  Gabriel  Biel  en  la  57»  leçon  sur  le  canon  de  la 
messe  et  Cajetan,  au  commencement  du  livre  des  indul- 
gences, reconnaissent  que  rien  ne  se  trouve  des  indul- 
gences dans  toute  l'antiquité.» 

c  L'abus  y  est  tout  clair  en  ce  que  la  rémission  des  pé- 
chés est  attachée  à  une  certaine  Église,  tellement  que 
celui  qui  ferait  ailleurs  trois  fois  plus  de  dévotion  n'au- 
rait point  le  même  pardon.  Item ,  en  ce  que  quand  le 
jubilé  est  à  Rome ,  ceux  qui  sont  proches  ont  la  rémission 
des  péchés  à  leur  aise,  mais  ceux  qui  sont  à  trois  cents 
lieues  de  là  et  qui  n'ont  point  d'argent,  ni  de  cheval,  ni 
de  bonnes  jambes,  sont  privés  de  cette  libéralité  spiri- 
tuelle. Item,  en  ce  que  le  pape  donne  plein  pardon  de 
tout  péché  et  le  tiers  des  péchés  par- dessus,  c'est-à-dire 
qu'il  pardonne  tous  les  péchés  et  plusieurs  autres;  Item, 
en  ce  que  le  pape  et  le  clergé  en  tirent  de  grands  profits, 
et  exercent  par  là  un  grand  trafic.  Le  jubilé  est  la  grande 
moisson  de  la  ville  de  Rome,  alors  offrandes  et  richesses 
y  abondent  de  tous  côtés  ;  Item,  en  ce  que  le  pape  donne 
des  pardons  avec  un  calcul  exact  comme  ayant  secrète- 
ment supputé  avec  Dieu,  donnant  dix-huit  mille  ans  de 
pardon,  et  autant  de  quarantaines  de  jours  et  quelques 
jours  par-dessus.  Ne  restait  plus  que  les  heures  et  minutes; 
Item,  en  ce  qu'il  jette  les  indulgences  au  hasard,  comme 
une  poignée  d'écus  sur  la  foule  ,  comme  quand  il  espard 
mille  ans  d'indulgence  sur  la  foule  du  peuple  au  jour  de 
son  couronnement.»  * 

Du  Moulin  ne  raille  pas  avec  moins  d'esprit  le  culte 
superstitieux  des  reliques. 

«Le  lecteur  équitable,  dit-il,  considérera  quelle  peut 
être  cette  religion  qui  cache  au  peuple  les  écrits  des 
apôtres  et  lui  montre  leurs  os  ;  qui  ensevelit  leur  doctrine 
et  déterre  leurs  ossements.  Comme  si  un  fils  gardait  soi- 
gneusement de  vieilles  bottes  ou  une  pièce  du  test  de  son 

1.  Bmicliev  de  la  foi  ou  défense  de  la  confession  de  foi  des 
églises  réformées  du  royaume  de  France  contre  tes  objections  du 
siem-  Arnoiis,  jésuite;  livre  auquel  sont  décidées  toutes  les  priu- 
cinales  controverses  entre  les  églises  réformées  et  l'église  romaine, 
p.  342-343,  Genève,  cliez  Pierre  Ânbert,  M  DG.XXX. 


150        HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


père,  et  supprimait  son  testament.  Les  meilleures  reliques  de 
saint  Pierre  et  de  saint  Paul  sont  leurs  écrits  divinement 
inspirés;  ce  qui  seul  doit  être  cliéri  et  recherché,  c'est 
cela  seul  qu'on  néglige.  A  l'imitation  des  Juifs,  ils  ornent 
les  sépulcres  des  prophètes  et  persécutent  ceux  qui  sui- 
vent leurs  doctrines.  En  quoi  notez  la  ruse;  car  on  re- 
cherche et  adore  les  os  des  apôtres,  au  lieu  de  rechercher 
leurs  écrits,  parce  que  ces  os  ne  parlent  point,  mais 
leurs  écrits  parlent  et  disent  choses  odieuses  a  ces  mes- 
sieurs; parce  que  aussi  à  ces  os  on  en  peut  suhsiituer 
d'autres,  mais  ces  Messieurs  ne  sauraient  faire  une  autre 
Sainte-Ecriture;  parce  que_ aussi  il  n'est  pas  si  aisé  de 
trafiquer  de  passages  de  l'Écriture  que  de  morceaux  de 
reliques,  desquelles  on  vend  même  la  vue,  et  se  fait  trafic 
d'une  marchandise  sans  la  livrer.»  • 

XXV. 

Un  écrivain  qui  a  su  jeter  sur  des  matières  abstraites 
tant  de  sel  attique  et  tant  de  vie,  et  qui  a  écrit  mille  pages 
comme  celle  que  nous  venons  de  transcrire,  a  droit  de 
bourgeoisie  dans  notre  littérature  nationale  à  côté  des 
plus  grands  maîtres.  C'est  un  devoir  de  piété  filiale  de  lui 
donner  la  place  qu'il  mérite.  Bernard  Palissy  et  Olivier  de 
Serres  ont  attendu  longtemps  le  jour  de  la  justice.  Celui 
de  Du  Moulin  viendra.  Il  trouvera  so;i  historien. 

Du  Moulin,  avec  ses  qualités  solides  et  brillantes,  de- 
vait se  distinguer  dans  les  conférences  qui  se  tenaient  en 
présence  de  Catherine  de  Bourbon,  qu'il  affermit  dans  sa 
foi.  Il  gagna  la  confiance  de  la  princesse,  qui,  après  son 
mariage,  le  choisit  pour  son  chapelain.  Les  catholiques 
ne  voulurent  pas  s'avouer  vaincus,  et  imputèrent  «à  l'en- 
1  clément  de  Madame  sa  résolution  de  demeurer  dans  la 
religion  protestante.» 

Le  pape  s'opposait  au  mariage  et  refusait  ses  dispenses. 
Henri  IV,  ennuyé  de  ces  refus,  résolut  de  passer  outre  et 
de  faire  bénir  le  mariage  de  sa  sœur  par  un  prélat  fran- 
çais, certain  que  le  pape  s'inclinerait  devant  les  faits 
accomplis.  Il  s'adressa  à  plusieurs  évêques,  qui  tous  refu- 

l.  Bouclier  de  la  foi,  p.  492. 


LIVRE  XXIV. 


151 


sèrent  de  prêter  leur  ministère  à  une  union  pour  laquelle 
le  pape  refusait  ses  dispenses.  «Il  ne  se  trouva  point,  dit 
Sully,  d'évèques  qui  voulussent  la  marier,  de  quoi  le  roi, 
infiniment  en  peine,  envoya  quérir  un  sien  frère  bâlard, 
fait  depuis  peu  archevêque  de  Rouen ,  plutôt  par  faveur 
que  pour  son  grand  savoir,  croyant  (vu  ce  qu'il  lui  était  et 
qu'il  avait  été  autrefois  assez  bon  compagnon,  ayant  sou- 
vent fait  la  débauche  au  jeu,  à  faire  bonne  chère  et  autres 
choses  encore,  surtout  avec  M.  de  Roquelaure)  qu'il  lui 
ferait  faire  tout  ce  que  bon  lui  semblerait;  mais  lui,  en 
ayant  parlé  à  bon  escient  et  voyant  qu'il  ne  faisait  pas 
moins  de  difficullés  que  les  autres,  voire  qu'il  usait  des 
mêmes  paroles  et  des  mêmes  scrupules  en  alléguant,  à 
tous  propos,  les  saints  canons,  il  lui  dit:  Voyez,  mon 
frère,  et  depuis  quand,  je  vous  prie,  êtes  vous  devenu  si 
consciencieux  sur  toute  chose  où  ma  volonté  vous  est  ma- 
nifestée et  en  laquelle  il  y  va  du  bien  de  mon  service  et  de 
celui  de  ma  sœur,  à  laquelle  vous  devez  quelque  chose 
aussi  bien  qu'à  moi?  je  ne  sais  d'où  vous  est  provenu  cette 
grande  suffisance  et  qui  vous  en  a  tant  appris.  Mais  puis- 
que vous  faites  ainsi  l'entendu,  afin  de  ne  me  fâcher  pas 
davantage  contre  vous,  j'enverrai  vers  vous  un  grand  doc- 
teur pour  votre  père  confesslsur,  et  qui  entend  merveil- 
leusement les  cas  de  conscience,  et  sur  cela  s'élant  sépa- 
rés, le  roi  envoya  aussitôt  quérir  M.  de  Roquelaure  auquel 
en  arrivant  il  dit:  «Vous  ne  savez  pas,  Roquelaure,  votre 
archevêque  (car  ce  fut  vous  qui  me  parlâtes  le  premier  de 
lui  bailler  Rouen)  veut  faire  le  prélat  et  le  docteur,  me  ve- 
nant alléguer  les  saints  canons,  où  je  crois  qu'il  entend 
aussi  peu  que  vous  et  moi,  et  cependant,  par  ses  refus,  ma 
sœur  demeure  à  marier.  Je  vous  prie,  parlez  à  lui  comme 
vous  avez  accoutumé,  et  faites  souvenir  du  temps  passé.» 

«  Ha  pardieu ,  Sire ,  cela  ne  va  pas  bien ,  dit  M.  de  Ro- 
quelaure, car  il  est  temps,  au  moins  selon  mon  opinion, 

a ne  notre  sœur  Catelon  commence  à  goûter  les  douceurs 
e  cette  vie  et  ne  crois  pas  que  dorénavant  elle  en  puisse 
mourir  par  trop  grande  jeunesse;  mais,  Sire,  dites-moi 
un  peu,  je  vous  prie,  que  dit  ce  bel  évêque  pour  ses  rai- 
sons; car  il  en  est  quelquefois  aussi  mal  garni  que  je  sau- 
rais être ,  et  m'en  vais  le  trouver,  si  vous  l'avez  agréable 
pour  lui  apprendre  son  devoir.  » 


152       iii'îToinE  nr;  i,a  réformation  français::. 

Ei  s'en  étant  allé  de  ce  pas  en  son  logis ,  il  lui  dit  en 
entrant  rlasis  la  chambre:  «Hé  quoi,  que  veut  dire  ceci, 
rfion  archevêque ,  l'on  m'a  dit  que  vous  faites  le  fat;  mais, 
ardicu,  je  ne  le  soud'rirai  pas;  car  il  irait  trop  de  mon 
onneur,  puisque  chacun  dit  que  je  vous  gouverne.  Ne  sa- 
vez-vous  pas  bien  qu'à  votre  prière  je  me  rendis  votre 
caution  vers  le  roi  lorsque  je  lui  parlai  pour  vous  faire 
avoir  l'archevêché  de  Rouen  Or,  ne  me  faites  pas  trouver 
menteur  en  vous  opiniàtrant  ainsi  à  faire  la  bête;  cela  se- 
rait bon  entre  vous  et  moi  qui  nous  sommes  vus  quelque- 
fois ensemble  les  dés  à  la  main  ;  mais  il  s'en  faut  bien 
garder  lorsqu'il  y  va  du  service  du  maître  et  de  ses  abso- 
lus commandements.  » 

«  Hé ,  vrai  Dieu,  que  voulez-vous  que  je  fasse?  dit  M.  de 
Rouen;  quoi!  que  je  me  fasse  moquer  de  moi  et  repro- 
cher, par  tous  les  autres  prélats ,  une  action  où  chacun  dit 
qu'il  y  va  grandement  de  la  conscience,  ni  ayant  aucun 
evêque  auquel  le  roi  n'en  ait  parlé  et  qui  ne  l'en  ait  aus- 
sitôt refusé?  » 

«Ho,  morbleu,  ne  le  prenez  pas  là,  dit  M.  de  Roque- 
laure,  car  vous  et  eux  sont  bien  diverses;  car  ces  gens 
s'alambiquent  tellement  le  cerveau  après  le  grec  et  le  la- 
tin ,  qu'ils  en  deviennent  tous  fous;  et  puis,  vous  êtes  frère 
du  roi,  obligé  de  faire  tout  ce  qu'il  commandera,  sans  op- 
position, ne  vous  ayant  pas  choisi,  ni  fait  archevêque  pour 
le  sermoner,  ni  lui  apprendre  ou  alléguer  les  canons; 
mais  pour  lui  obéir  en  toutes  choses  où  il  ira  de  son  ser- 
vice, que  si  vous  faites  plus  le  fat  et  l'acariâtre,  je  man- 
derai à  Jeaneton  de  Gondom,  à  Bernarde  l'Éveillée  et  à 
Alaistre  Julien;  m'entendez-vous  bien?  et,  partant,  ne 
vous  le  faites  pas  dire  deux  fois,  puisque  rien  ne  vous  doit 
être  si  cher  que  les  bonnes  grâces  du  roi,  lesquelles,  à 
mes  sollicitations,  vous  ont  plus  valu  que  tout  le  latin  et 
le  grec  des  autres.  Pardieu,  c'est  bien  à  vous  à  faire  par- 
ler des  saints  canons  où  vous  n'entendez  que  le  haut  alle- 
mand. » 

«Vous  ne  serez  jamais  las  de  gausser  en  parlant  à  moi , 
dit  M.  de  Rouen;  cela  était  bon  en  mes  jeunes  ans  el  cii 
des  choses  de  néant;  mais  eu  choses  si  sérieuses  comme 
celle-ci  où  il  y  va  de  mon  salut,  il  faut  parler  de  sens  ras- 
sis et  sans  se  moquer,  car  quoique  j'estime  l'honneur  des 


LIVRE  XXIV. 


153 


bonnes  gr3ces  du  roi  autant  que  ma  vie ,  si  m'est  paradis 
encore  plus  cher  que  l'un  ni  Tautre.» 

«Comment,  morbleu,  paradis,  dit  M.  de  Roquelaure, 
et  êtes-vous  si  aze'  que  de  parier  d'un  lieu  oii  vous  ne 
fûtes  jamais;  ne  savez-vous  quel  il  y  fait,  ni  si  vous  y 
serez  reçu  quand  vous  y  voudrez  aller?» 

«Oui,  j'y  serai  reçu,  dit  M.  de  Rouen,  n'en  doutez  nulle- 
ment.» 

«  C'est  bien  discouru  à  vous ,  dit  M.  de  Roquelaure ,  car, 
pardieu,  je  tiens  que  paradis  a  été  si  peu  fait  pour  vous, 
que  le  Louvre  pour  moi.  Mais  laissons  un  peu  là  votre  pa- 
radis, vos  canons  et  votre  conscience  à  une  autre  fois  et 
vous  résolvez  à  marier  Madame;  car  si  vous  y  manquez,  je 
vous  ôterai  trois  ou  quatre  méchants  mots  de  latin  que 
vous  avez  à  toute  heure  à  la  bouche,  et  plus  n'en  sait  le- 
dit déposant,  et  puis,  adieu  la  crosse  et  la  mître,  mais 
qui  pis  est,  cette  nelle  maison  de  Gaillon' et  dix  mille  écus 
de  "ente.  »  Ils  eurent  encore  d'autres  discours  trop  longs 
à  réciter,  lesquels  se  terminèrent  en  telle  sorte  que  M.  de 
Rouen  se  résolut  de  marier  Madame.»' 

Le  pape,  irrité  qu'on  eût  passé  outre  à  la  célébration 
du  mariage,  refusa  ses  dispenses  et  remplit  tellement  de 
scrupules  l'esprit  de  l'époux  de  Catherine  qu'il  vécut  avec 
elle  comme  s'ils  n'eussent  pas  été  mariés.  Ce  fut  là  la 
première  punition  de  la  princesse  qui,  aimant  tendrement 
son  mari,  souffrit  cruellement  d'en  être  délaissée.  Ce  ne 
fut  qu'un  peu  plus  tard  que  le  duc  de  Rar,  à  son  refour  de 
Rome,  se  rapprocha  d'elle.  11  était,  dit-on,  porteur  de 
dispenses  secrètes,  le  pape  n'ayant  pas  voulu  les  donner 
publiquement. 

La  princesse  fut  de  nouveau  assaillie  par  les  docteurs 
catholiques;  mais  elle  demeura  de  plus  en  plus  ferme,  à 
la  grande  joie  des  réformés,  qui  lui  pardonnèrent  son  ma- 
riage ,  en  étant  les  témoins  journaliers  de  sa  constance  et 
de  sa  foi. 

1.  Ane. 

2.  Elle  avait  appartenu  au  vieux  cardinal  de  Bourbon. 
8.  Sully,  Économies  royales,  ch.  89. 


164        HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


LIVRE  XXV 


I. 

Une  affaire  plus  importante  que  le  mariage  de  la  sœur 
du  roi  préoccupait  vivement  les  esprits.  Sur  tous  les  points 
du  royaume  les  catholiques  s'élevaient  contre  la  vérifica- 
tion de  l'édit;  les  parlements  ne  voulaient  pas  admettre 
les  protestants  dans  leur  sein;  la  Sorbonne  refusait  de  leur 
accorder  le  diplôme  de  licencié  et  de  docteur;  l'université 
prétendait  leur  fermer  les  portes  de  ses  collèges;  la  faculté 
de  médecine  même  se  montrait  intolérante  et  demandait 
avec  instance  leur  exclusion  de  ses  cours;  le  clergé  enfin 
criait  à  la  trahison'.  Dans  cette  grave  circonstance  le  roi 
se  montra  habile  et  profond  politique;  il  voulait  la  vérifi- 
cation de  l'édit,  parce  qu'elle  était  à  ses  yeux  un  acte  de 
justice  et  de  nécessité  politique.  «Je  ne  puis,  écrivait-il 
au  duc  de  Luxembourg,  reculer  sans  hasarder  le  repos  de 
mon  État;  car  la  partie  de  ceux  de  contraire  religion  est 
encore  trop  enracinée  en  icelui  et  trop  forte  et  puissante 
dedans  et  dehors  pour  être  mise  à  nonchaloir'.  .J'en  ai  été 
trop  bien  servi  et  assisté  en  mes  nécessités.  Je  remettrais 
des  troubles  en  mon  royaume  plus  dangereux  que  par  le 
passé.  »' 

Les  plus  grandes  difficultés  provenaient  du  parlement  de 
Paris,  qui  opposait  au  roi  une  résistance  systématique.  Mé- 
content de  l'attitude  hostile  des  conseillers,  Henri  IV  résolut 
d'obtenir  par  la  force  ce  qu'il  croyait  avoir  le  droit  d'at- 
tendre de  leur  justice.  Il  les  manda  au  Louvre  dans  son 
cabinet.  «Vous  me  voyez,  leur  dit-il,  en  mon  cabinet  où 
je  viens  parler  à  vous  non  point  en  habit  royal  et  avec 
l'épée  et  la  cape,  comme  mes  prédécesseurs,  ni  comme 

1.  Élie  Benoit,  Histoire  de  l'édit  de  Nantes,  1. 1",  liv.  VI,  p.  271. 

2.  Abandon. 

3.  Recueil  de  lettres  missives  de  Henri  IV,  publié  par  M.  Berger 
de  Xivrey.  —  Bulletin  de  l'Histoire  du  protestaatisma  français, 
année  1853,  p.  30. 


LIVRE  XXV. 


155 


un  prince  qui  vient  parler  aux  ambassadeurs  étrangers, 
maisvèlu  comme  un  père  de  famille  en  pourpoint,  pour  par- 
ier familièrement  à  ses  enfants.  Ce  que  je  veux  dire,  c'est 
que  je  vous  prie  de  vérifier  l'édil  que  j'ai  accordé  à  ceux 
de  la  religion.  Ce  que  j'en  ai  fait,  est  pour  le  bien  de  la  paix; 
je  l'ai  faile  au  dehors,  je  veux  la  faire  au  dedans  de  mon 
royaume.  Vous  me  devez  obéir,  quaad  il  n'y  aurait  d'autre 
considération  que  de  ma  qualité,  et  obligation  que  m'ont 
mes  sujets  et  particulièrement  vous  de  mon  parlement.  J'ai 
remis  les  uns  en  leurs  maisons  dont  ils  étaient  bannis,  les 
autres  en  la  foi  qu'ils  n'avaient  plus.  Si  l'obéissance  était 
due  à  mes  prédécesseurs,  il  m'est  dù  autant  et  plus  de  dé- 
votion, parce  que  j'ai  rétabli  l'État;  Dieu  m'ayant  choisi 
pour  me  mettre  au  royaume  qui  est  mien  par  héritage  et 
acquisilion.  Les  gens  de  mon  parlement  ne  seraient  en 
leur  siège  sans  moi.  Je  ne  veux  me  vanter;  mais  je  veux 
bien  dire  que  je  n'ai  exemple  à  invoquer  que  de  moi-  < 
même.  Je  sais  bien  qu'on  fait  des  brigues  au  parlement, 
que  l'on  a  suscité  des  prédicateurs  factieux,  mais  je  don- 
nerai bien  ordre  contre  ceux-là  et  ne  m'en  attendrai  à 
vous.  C'est  !e  chemin  que  l'on  prit  pour  faire  des  barricades 
et  ve  nir  par  degrés  à  l'assassinat  du  roi.  Je  me  garderai  bien 
de  tout  cela;  je  couperai  la  racine  à  toutes  factions  et  à 
toutes  prédications  séditieuses,  faisant  accourcir  tous  ceux 
qui  les  suscitent.  J'ai  sauté  sur  les  murailles  de  la  ville, 
je  sauterai  bien  sur  les  barricades.  ÎN'e  m'alléguez  point  la 
religion  catholique:  je  l'aime  plus  que  vous;  je  suis  plus 
catholique  que  vous;  je  suis  lils  aîné  de  l'Église,  nul  de 
vous  ne  l'est,  ni  le  peut  être.  Vous  vous  abusez  si  vous 
pensez  être  bien  avec  le  pape,  j'y  suis  mieux  que  vous. 
Quand  je  l'entreprendrai,  je  vous  ferai  tous  déclarer  héré- 
tiques pour  ne  me  vouloir  pas  obéir.  J'ai  plus  d'intelligence 
que  vous;  vous  avez  beau  faire,  je  saurai  ce  que  chacun 
de  vous  dira.  Je  sais  tout  ce  qu'il  y  a  en  vos  maisons  ;  je 
sais  tout  ce  que  vous  faites,  tout  ce  que  vous  dites  ;  j'ai  un 
petit  démon  qui  me  le  révèle.  Ceux  qui  ne  désirent  que' 
mon  édit  passe  me  veulent  la  gLierre;  je  la  déclarerai  de- 
main à  ceux  de  la  religion,  mais  je  ne  la  leur  ferai  pas. 
Vous  irez  tous  avec  vos  robes,  et  vous  ressemblerez  la 
procession  des  capucins,  qui  portaient  le  mousquet  sous 
leurs  habits.  Il  vous  ferait  beau  voir.  Quand  'lous  ne  vou- 


î  55  HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

(Irez  pnsser  l'édit  vous  me  ferez  aller  au  parlement.  Vous 
serez  ingrats  quand  vous  m'aurez  créé  cette  envie.  J'appelle 
à  témoin  ceux  de  mon  conseil  qui  ont  trouvé  l'édit  bon  et 
nécessaire  pour  le  bien  de  mes  affaires  :  M.  le  Connétable, 
MM.  de  Bellièvre,  de  Sancy,  de  Siliery  et  de  Viilcroy.  Je 
l'ai  fait  par  leur  avis  et  des  ducs  et  pairs  de  mon  royaiime. 
Il  n'y  en  a  pas  un  qui  osât  se  dire  protecteur  de  la  religion 
catholique,  ni  qui  osât  nier  qu'il  ne  m'ait  donné  cet  avis. 
Je  suis  protecteur  de  la  religion,  je  dissiperai  bien  les 
bruits  que  l'on  veut  faire.  L'on  s'est  plaint  à  Paris  que  je 
voulais  faire  des  levées  de  Suisses  ou  autres  amas  de 
troupes.  Si  je  le  faisais,  il  en  faudrait  bien  juger,  et  ce 
serait  pour  un  bon  effet,  par  la  raison  de  mes  déporte- 
ments passés;  témoin  ce  que  j'ai  fait  pour  la  reconquête 
d'Amiens,  où  j'ai  employé  l'argent  desdits  édits  que  vous 
n'eussiez  passés  si  je  ne  fusse  allé  au  parlement.  La  né- 
cessité m'a  fait  faire  ces  édits  pour  la  même  nécessité  que 
j'ai  fait  celui-ci.  J'ai  autrefois  fait  le  soldat;  on  a  parlé,  et 
n'en  ai  pas  fait  semblant.  Je  suis  roi  maintenant  et  parle 
en  roi;  je  veux  être  obéi.  A  la  vérité,  les  gens  de  justice 
sont  mon  bras  droit;  mais  si  la  gangrène  se  met  au  bras 
droit,  il  faut  que  la  gauche  le  coupe.  Quand  mes  régiments 
ne  me  servent  pas,  je  les  casse.  Que  gagnerez-vous  quand 
vous  ne  me  vérifierez  pas  mon  édit?  Aussi  bien  sera -t- il 
passé.» 

A  ces  paroles  vives,  mordantes,  spirituelles,  le  roi  en 
ajouta  d'autres,  dont  chacune  était  un  trait  acéré  à  l'adresse 
des  membres  du  parlement.  Sous  le  père  qui  gourmande, 
on  sent  le  roi  qui  parle  en  maître  :  «  Donnez  à  mes  prières, 
leur  dit-il  en  terminant,  ce  que  vous  n'auriez  pas  voulu 
donner  à  mes  menaces;  vous  n'en  aurez  point  de  moi; 
faites  ce  que  je  vous  commande  au  plus  tôt,  dont  je  vous 
prie,  et  ne  le  ferez  seulement  pour  moi,  mais  aussi  pour 
vous  et  le  bien  de  la  paix.»' 

Les  conseillers  firent  au  monarque  quelques  observa- 
tions et  se  retirèrent;  bientôt  après  ils  (irent  présenter  au 
roi  un  cahier  contenant  leurs  remontrances.  Henri  IV  les 
manda  de  nouveau  au  Louvre  et  leur  fit  comprendre,  dans 

1.  L'Esfoile,  année  1 590.  —  Mémoires  de  Sully,  t.  X ,  p.  1  H  , 
année  tôOO.  —  Bulletin  de  l'Histoire  du  protestantisme  françai.";, 
amf'C  18:i"      1?8  et  r.uiv. 


LIVRE  XXV. 


<57 


un  langage  ferme,  qu'il  voulait  être  obéi;  il  leur  prouva 
que  la  paix  de  l'État  était  la  paix  de  l'Église,  et  leur  re- 
procha vivement  l'outrage  dont  ils  se  rendaient  coupables 
à  son  égard  en  ne  voulant  pas  croire  à  sa  parole,  à  laquelle 
ses  ennemis  même  croyaient.  «Je  suis,  leur  dit-il,  en 
accentuant  chaque  mot,  catholique,  roi  catholique  romain, 
non  catholique  jésuite  ;  je  ne  suis  de  l'humeur  de  ces 
gens-là ,  ni  de  leurs  semblables  qui  sont  des  faiseurs  de 
tueurs  de  roi.  » 

Il  insista  de  nouveau  sur  la  nécessité  d'assurer  le  repos 
de  l'État  par  la  paix;  leur  montra  que  sans  elle  la  réforme 
de  l'Église  était  impossible;  il  déplora  la  distinction  que 
l'on  faisait  entre  les  catholiques  et  les  huguenots  et  dit 
que,  si  les  premiers  voulaient  convertir  les  seconds,  ce 
n'était  pas  par  la  violence ,  mais  par  de  bons  exemples 
qu'ils  y  parviendraient.  Il  reprocha  aux  conseillers  de  trou- 
bler la  paix  du  royaume  par  leur  opposition  à  sa  volonté, 
qui  n'avait  d'autre  but  que  le  plus  grand  bien  de  ses  su- 
jets. C'est  à  cette  opposition  qu'il  attribua  l'attitude  hostile 
des  réformés ,  auxquels  il  avait  été  contraint  d'accorder  la 
liberté  de  s'assembler.  Il  leur  rappela  que  tous  les  édits 
faits  contre  eux  sous  Henri  III,  n'avaient  pu  les  anéantir: 
«Quand  j'étais  avec  eux,  ajouta-t-il,  à  chaque  nouvelle 
d'une  nouvelle  rigueur,  je  faisais  des  cabrioles;  je  disais, 
loué  soit  Dieu,  car  tantôt  nous  aurons  quatre  mille 
hommes,  tantôt  six  mille  hommes,  et  nous  les  trouvions 
enfin  ;  car  ceux  qui  étaient  désespérés  auparavant  étaient 
contraints  de  se  réunir.  »  ' 

Le  roi  congédia  les  conseillers  qui  se  retirèrent  avec  la 
conviction  qu'il  était  résolu  à  les  contraindre  à  vérifier 
l'édit. 

IL 

L'édit  fut  porté  au  parlement  ;  plusieurs  conseillers 
s'opposèrent  vivement  h  son  enregistrement ,  et  peut-être 
eût-il  fallu  que  le  roi,  botté,  épéronné,  une  cravache  h 
la  main,  vint  leur  signifier  sa  volonté  souveraine,  si  La- 
zare Coqueley  ne  s'était  pas  prononcé  en  sens  contraire. 

1.  Bulletin  de  l'Histoire  du  proleslantisme  français,  année  180.5, 
D.  128  et  suiv. 


158         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

L'opinion  de  ce  conseiller  ne  pouvait  être  suspecte;  il 
était  un  ancien  ligueur  qui,  trop  homme  de  sens  pour  per- 
sister à  servir  un  parti  qui  cntraînaitvisiblement  la  France 
vers  sa  ruine,  s'était  rallié  à  la  cause' royale  ;  il  avait  suivi, 
avec  un  vif  intérêt,  les  négociations  pendantes  entre  la 
cour  et  les  réformés;  son  zèle  pour  la  religion  catholique 
ne  l'avait  pas  aveuglé,  et  il  comprenait  ces  paroles  que  le 
roi  avait  adressées  au  parlement  en  réponse  à  la  présen- 
tation de  ses  cahiers:  «J'ai  désiré  faire  deux  ménages, 
l'un  de  ma  sœur,  je  l'ai  fait;  l'autre  de  la  France  avec  la 
paix,  ce  dernier  ne  peut  être  que  par  la  paix  et  la  paix  ne 
sera  ferme  que  mon  édit  étant  vérifié.»' 

Coqueley  laissa  les  opinions  des  opposants  se  faire  jour, 
puis  il  prit  la  parole  et  dans  un  discours  plein  de  sens,  de 
force  et  d'à-propos ,  il  montra  les  funestes  effets  de  la 
guerre  civile  sur  le  royaume,  qui  ne  pouvait  devenir  grand 
que  par  l'union  des  partis.  Il  fit  un  éloge  juste  et  mérité 
du  roi,  qui  avait  tout  sacrifié  pour  donner  à  la  France  le 
bienfait  inestima'ole  de  la  paix  :  «Suivons,  Messieurs,  leur 
dit-il,  les  vues  d'un  prince,  dont  la  bonté  pour  nous 
égale  la  sagesse.  Craignons  de  nous  laisser  conduire  par 
un  zèle  indiscret  qui,  dans  ces  derniers  troubles,  a  aveuglé 
tant  de  gens ,  et  d'exposer  la  religion  à  un  danger  évident 
en  voulant  la  conserver.  Que  la  charité  chrétienne  anime 
toutes  nos  démarches  et  souffrons  que  des  compatriotes  et 
des  concitoyens  jouissent  des  honneurs,  des  privilèges  et 
des  dignités,  qu'ils  ont  droit  de  partager  avec  nous. 

«Nous  ne  pourrions,  sans  ingratitude  et  sans  injustice, 
nous  y  opposer;  en  effet,  lorsqu'une  puissante  faction, 
appuyée  des  forces  de  l'Espagne,  attaquait  cette  monarchie 
avec  tant  de  fureur,  avec  quel  courage  et  quelle  ardeur 
les  protestants  ont-ils  concouru  à  la  défense  de  la  patrie? 
Ne  doivent-ils  pas  recevoir  une  digne  récompense  de 
leurs  services,  et  j  cul-on,  sans  être  injuste,  la  leur  refu- 
ser? Après  tant  d  ;  guerres  civiles,  qui  ont  enfanté  ces 
cabales,  dont  on  doit  craindre  encore  le  funeste  poison, 
après  tant  de  batailles,  aussi  funestes  à  l'un  qu'à  l'autre 
parti,  l'on  ne  peut  douter  que  le  royaume  n'ait  besoin  de 

1.  Bulletin  de  l'Histoire  du  protestantisme  français,  aimée  1854, 
p.  134. 


LTVRE  XXV.. 


159 


paix;  mais  comment  espérer  cette  tranquillité,  si  l'on 
veut  chasser  et  séparer  du  corps  de  l'État  ceux  qui  l'ont 
défendu  avec  tant  de  courage?  Animés  par  un  motif  si 
légitime  de  vengeance,  ne  pourraient-ils  pas  tourner  contre 
nous  les  armes  dont  ils  se  sont  servis  si  utilement  pour  le 
salut  de  la  nation,  et  pleins  d'indignation,  ne  pourraient-ils 
pas  détruire  ce  qu'ils  ont  pu  conserver. 

«Mais  dira-t-on,  c'est  offenser  Dieu,  et  il  est  dange- 
reux de  tolérer  de  nouvelles  opinions.  Au  contraire.  Mes- 
sieurs, Dieu  lui-même  a  peut  être  permis  ce  schisme  et 
ces  disputes  de  religion ,  afin  que  la  crainte  d'une  secte 
ennemie  fit  rentrer  dans  leurs  devoirs  ces  catholiques,  qui, 
contents  de  conserver  la  foi  et  fiers  de  la  justice  de  leur 
cause,  se  laissaient  corrompre  par  le  faste  et  sortaient  des 
bornes  étroites  de  la  discipline.  On  peut  dire  que  cette  di- 
vision dans  la  foi  est  un  mal  invét,cré,  qui  a  pénétré  dans 
toutes  les  parties  du  corps  de  l'Éiat  et  qu'il  faut  plutôt 
pallier  ce  mal  incurable  que  d'en  tenter  la  guérison. 

«  On  a  déjà  employé  tous  les  remèdes  que  fournit  une 
guerre  juste,  si  on  peut  donner  ce  nom  à  une  guerre  ci- 
vile. Quels  carnages  affreux  dans  le  temps  même  de  la 
paix!  Quels  torrents  de  sang  ont  alors  coulé  !  Tout  âge, 
tout  sexe,  toute  condition,  ont  fourni  des  victimes.  Il  n'é- 
tait pas  alors  permis  de  se  plaindre  ou  de  pleurer  ses  pa- 
rents et  ses  amis.  Des  gardes  et  des  espions  semés  de  tous 
côtés,  examinaient  la  douleur  des  malheureux,  et  les 
larmes  rendaient  criminels  ceux  qu'on  ne  pouvait  accuser 
comme  novateurs.  La  crainte  et  la  violence  avaient  brisé 
les  liens  les  plus  sacrés  de  la  société,  et  une  barbarie  im- 
pitoyable avait  étouffé  l'humanité  dans  tous  les  cœurs. 

«Quel  a  été  le  fruit  de  toutes  ces  fureurs?  Elles  ont  re- 
nouvelé les  ressentiments  presque  éloutîés,  et  nous  ont 
armé  les  uns  contre  les  autres.  Nos  crimes  et  nos  perfidies 
réciproques  ont  rendu  odieux  à  toutes  les  nations  de  la 
terre  le  nom  français,  qu'elles  respectaient  autrefois.  Que 
nous  serions  aveugles  et  insensés  si,  à  peine  sortis  de 
tous  ces  dangers,  nous  allions  échouer  contre  le  même 
écueil  !  Fuyons  ce  funeste  rocher ,  c'est  le  seul  moyen 
d'éviter  le  naufrage,  et  quittons  pour  toujours  ces  armes, 
dont  les  coups  ont  été  jusqu'à  présent  si  malheureux.  En- 
vironnés de  maux  auxquels  la  prudence  humaine  ne  peut 


160         HISTOIRE  DE  LA  RÈFORMATION  FRANÇAISE. 

trouver  de  remèdes,  adressons-nous  à  Dieu  et  disons  avec 
Josaphat,  ce  sage  roi  de  Juda  :  Lorsque  nous  ignorons, 
Seigneur,  ce  qu'il  faut  faire ,  notre  unique  ressource  est 
de  tourner  les  yeux  vers  vous.»' 

Les  paroles  de  l'ex-ligueur  rallièrent  à  son  opinion  la 
majorité  des  conseillers.  Le  parlement  arrêta,  le  29  février 
1599,  que  l'édit  serait  enregistré  sans  modifications,  et 
qu'on  remettrait  à  la  sagesse  et  à  la  prudence  du  roi  le 
soin  de  veiller  à  son  exécution.  • 

IIL 

Les  parlements  de  province  suivirent  l'exemple  de  celui 
de  Pans'.  Quelques-uns  cependant,  et  notamment  ceux  de 
Bordeaux  et  de  Toulouse,  opposèrent  une  vive  résistance. 

Ils  envoyèrent  à  Paris  leurs  députés  pour  exposer  au 
roi  leurs  doléances.  Le  4  novembre  1599,  ceux  du  parle- 
ment de  Rouen  furent  introduits  dans  le  château  de  Saint- 
Germain-en-Laye ,  au  moment  où  Henri  IV  s'amusait  avec 
ses  enfants  dans  l'une  des  salles  du  château.  A  la  vue  des 
dépuiés  il  se  leva,  laissa  ses  jeux  et  s'avança  vers  eux  : 
«Ne  trouvez  pas  étrange,  leur  dit-il,  de  me  voir  ainsi 
folâtrer  avec  ces  petits  entants;  je  sais  faire  le  fol  et  aussi 
le  sage.  Je  viens  de  faire  le  fol  avec  eux,  je  m'en  vais  faire 
maintenant  le  sage  avec  vous  et  vous  donner  audience.» 
Il  entra  dans  une  chambre  où  le  suivirent  son  chancelier, 
le  maréchal  d'Ornano,  et  les  députés. 

Le  président  Chessac  prit  la  parole  et  parla  pendant  une 
heure  et  demie.  Le  roi,  qui  l'avait  écouté  avec  une  grande 
attention,  lui  dit  que  jamais  il  n'avait  entendu  un  plus  beau 
parleur  que  lui;  après  le  compliment  vint  la  critique,  elle  fut 
amère:  «Je  voudrais,  lui  dit-il,  que  le  corps  répondît  au  vê- 
tement; car  je  vois  bien  que  vos  maximes  et  propositions  sont 
les  mêmes  ou  semblables  qu'étaient  celles  que  fit  jadis  le 
feu  cardinal  duc  de  Lorraine  au  feu  roi  en  la  ville  de  Lyon, 
retournant  en  Pologne,  tendantes  à  remuement  d'État. 
Nous  avons  obtenu  la  paix  tant  désirée,  Dieu  merci,  la- 

1.  De  Thou ,  liv.  CXXH,  p.  279  et  suiv. 

2.  L'enregistrement  ne  fut  pas  pur  et  simple  :  cliaque  parlement 
l'accorda  avec  guelgues  iéfières  modifications. 


LIVRE  SXT. 


161 


quelle  nous  coûte  trop  pour  la  commettre  en  troubles.  Je 
veux  continuer  et  châtier  exemplairement  ceux  qui  y  vou- 
draient apporter  alléralion.  Je  suis  votre  roil  ;gitime,  votre 
chef,  mon  royaume  en  est  le  corps.  Vous  avez  cet  honneur 
d'en  être  membres.  C'est  affaire  du  chef  de  commander, 
et  aux  membres  d'obéir,  et  d'y  apporter  la  chair,  le  sang, 
les  os  et  tout  ce  qui  en  dépend.  Vous  dites  que  votre  par- 
lement se  trouve  seul'  qui,  en  ce  royaume,  est  demeuré 
en  l'obéissance  de  son  roi,  et  partant  que  ne  devez  avoir 
pire  condition  que  les  parlements  de  Paris  et  de  Rouen 
qui,  durant  le  débordement  et  orage  de  la  ligue,  se  sont 
dévoyés.  Certes  ce  vous  a  été  beaucoup  d'heur;  mais 
après  Dieu  il  en  faut  rendre  louange,  non  à  vous  autres', 
qui  n'avez  eu  faute  de  mauvaise  volonté  pour  remuer  mé- 
nage contre  les  autres,  mais  à  feu  M.  le  maréchal  de 
Matignon,  qui,  vous  tenant  la  bride  courte,  vous  en  a  em- 
pêché. Ily  a^  longtemps  qu'étant  seulement  roi  de  Navarre 
je  connaissais  dès  lors  bien  avant  vos  maladies  ;  mais  n'a- 
vais les  remèdes  en  main  pour  les  y  appliquer.  Maintenant 
que  je  suis  roi  de  France,  je  les  connais  encore  mieux  et 
ai  les  moyens  en  main  pour  y  remédier  et  en  faire  repen- 
tir ceux  qui  voudront  s'opposer  à  mes  commandements. 
J'ai  fait  un  édit,  je  veux  qu'il  soit  exécuté,  et  quoi  qu'il  en 
soit,  veux  être  obéi*.  Bien  vous  en  prendra,  si  le  faites. 
Mon  chancelier  vous  dira  plus  en  plein  ce  qui  est  de  ma 
volonté.  »  ' 

Le  même  jour  le  roi  donna  audience  aux  députés  du 
parlement  de  Toulouse.  «C'est  chose  étrange,  leur  dit-il 

1.  Floquet,  Histoire  du  parlement  de  Normandie,  1. 111,  p.  414. 
—  Deux  parlements  seulement  surent  demeurer  purs  :  celui  de 
Pretagne  et  celui  de  Guienne. 

2.  V.  de  Thou,  liv.  XCVII. 

3.  Jacques  Goyon ,  deuxième  de  nom ,  seigneur  de  Matignon , 
comte  de  Torigny,  prince  de  Mortagne;  il  mourut  à  Bordeaux  au 
mois  de  juillet  1597.  —  Mém.  du  Journ.  de  Pierre  de  l'Estoile,  éd. 
Petitot,  p.  208.  —  Marguerite  de  Valois  l'appelle  «  un  dangereux  et 
fin  Normand,  un  brouillon  malicieux.  »  —  Mémoires,  p.  150,  153, 
-année  1578. 

4.  Voir  les  extraits  des  dépêches  d'Aerssen ,  datées  de  Paris  le 
22  février,  d'Orléans  le  6  juillet  et  de  Blois  le  15  août  1599. 

5.  Bulletin  de  l'Histoire  du  protestantisme  français,  année  1853, 
p.  139. 


162 


HISTOIHE  DE  LA  RÊFORMATION  FRANÇAISE. 


avec  colère,  que  vous  ne  pouvez  cacher  vos  mauvaises  vo- 
lontés. J'aperçois  bien  que  vous  avez  encore  de  l'espagnol 
dans  le  ventre'.  Et  qui  donc  voudrait  croire  que  ceux  qui 
ont  exposé  leurs  vies,  biens,  élals  et  honneurs  pour  la 
défense  et  consin'valion  de  ce  royaume,  seront  indii^nes 
des  charges  honorables  et  publiques,  comme  ligueurs  per- 
fides et  dignes  qu'on  leur  courre  sus,  et  qu'on  les  bannisse 
du  royaume.  Mais  ceux  qui  ont  employé  le  vert  et  le  sec 
pour  perdre  cet  Etat,  seraient  (à  votre  dire)  bons  Français 
dignes  et  capables  de  charges!  Je  ne  suis  aveugle;  j'y  vois 
clair.  Je  veux  que  ceux  de  la  religion  vivent  en  paix  en 
mon  royaume  et  soient  capables  d'entrer  aux  charges;  non 
pas  parce  qu'ils  sont  de  la  religion,  mais  d'autant  qu'ils 
ont  été  fidèles  serviteurs  à  moi  et  à  la  couronne  de  France. 
Je  veux  être  obéi  et  que  mon  édit  soit  publié  et  exécuté 

Ïiar  tout  mon  royaume.  Il  est  temps  que  nous  tous,  saou- 
és  de  la  guerre,  devenions  sages  à  nos  dépens.»' 
Sur  ce  il  les  congédia. 

Les  députés  des  parlements  de  Rouen  et  de  Toulouse 
quittèrent  Saint-Germain  et  rapportèrent  à  leur  compagnie 
les  paroles  du  roi.  Les  conseillers,  comprenant  qu'une  plus 
longue  résistance  devenait  inutile,  enregistrèrent  l'édit  en 
lui  faisant  subir  quelques  modifications. 

IV. 

En  présence  des  luttes  du  roi  avec  les  membres  des 
cours  souveraines  du  royaume ,  on  se  demande  quelle  était 
l'utilité  des  parlements  sous  le  rapport  des  aflaires  po- 
litiques; ou  bien  ils  avaient  des  droits,  ou  bien  ils  n'en 
avaient  pas;  s'ils  en  avaient,  pourquoi  le  roi  violait-il  leurs 
privilèges?  s'ils  n'en  avaient  pas,  pourquoi  la  volonté 
royale  ne  se  passait-elle  pas  de  leurs  concours? 

1.  Bibliothèque  impériale,  fonds  Fontette,  portef.  VI,  pièce  17. 
—  Bulletin  de  l'Histoire  du  protestantisme  français,  année  1S53, 
p.  137. 

2.  Floquet,  1. 111,  p.  557.  —  Des  conseillers  du  parlement  de 
Toulouse,  vaincus  d'impatience  ou  mus  de  je  ne  sais  quelle  légè- 
reté et  inconstance,  avaient  écliaugé  la  toge  contre  la  cuirasse 
assez  mdireclemcnt  (dit  La  Roche  Flavyn,  leur  collègue);  il  y  en 
avait  eu  de  blessés  aux  assauts  des  villes,  et  plusieurs  même  pé- 
rirent au  siège  de  \illemur. 


LIVBB  XXI. 


163 


Les  corps  politiques  ne  sont  grands  et  utiles  que  quand 
ils  agissent  dans  la  plénitude  de  leur  souveraineté,  car  ils 
perdent  de  leur  dignité  quancf  ils  délibèrent  et  votent  sous 
une  pression  étrangère...  Le  peuple  ne  voit  alors  en  eux 
que  des  instruments  d'une  puissance  plus  haute;  et  là  où 
il  devrait  voir  des  hommes  il  n'aperçoit  que  des  courti- 
sans ou  des  valets.  Au  lieu  de  respecter  il  méprise.  Ce 
n'est  que  justice. 

Dans  les  événements  dont  nous  faisons  le  récit,  les  par- 
lements opposèrent  une  résistance  injuste.  Ils  avaient  pour 
eux  contre  la  volonté  du  roi,  la  légalité;  mais  le  roi  avait 
pour  lui  contre  eux,  le  droit  et  la  justice.  Nous  ne  nous 
sentons  aucun  penchant  pour  le  despotisme  sous  quelque 
forme  qu'il  se  présente  ;  mais  nous  comprenons  comment 
avec  les  passions  et  les  haines  de  l'époque  la  puissance 
royale  s'est  élevée  sur  les  débris  des  libertés  parlemen- 
taires. Ce  n'est  jamais  impunément  que  les  corps  consti- 
tués violent  les  lois  éternelles  de  la  justice,  alors  même 
qu'ils  le  font  avec  la  lettre  de  leurs  chartes.  Ils  amassent 
ainsi  sur  leurs  tètes  des  trésors  de  colère  et  sont,  sans  s'en 
douter,  les  auxiliaires  les  plus  puissants  du  despotisme  qui 
n'est  possible  que  le  jour  où  ils  ont  perdu  la  confiance  et 
l'estime  de  la  nation.  Les  sénateurs  romains  qui  attendent 
les  Gaulois  sur  leurs  chaises  curules,  intrépides  devant  la 
mort,  sont  grands.  Les  parlementaires  qui,  sur  leurs  sièges, 
enregistrent  l'édit  sous  l'œil  du  maître,  sont  petits. 

V. 

Quand  le  pape  reçut  la  nouvelle  de  la  vérification  de  l'é- 
dit, il  s'  écria:  «Cetéditme  crucifie"!  C'est,  disait-il  aux 
cardinaux  d'Ossat  et  de  Joyeuse,  le  plus  mauvais  qu'on 
puisse  imaginer,  puisqu'il  permet  la  liberté  de  conscience 
à  tout  chacun,  et  ce  qui  est  la  pire  chose  du  monde,  c'est 
qu'il  permet  l'épreuve  partout.  Cet  édit,  fait  sous  mon 
nez  ,  est  un  affront  qui  n'est  pas  moins  injurieux  pour 
moi  que  si  on  m'avait  fait  une  balafre.  »  ' 

Les  cardinaux  s'efforcèrent  de  le  calmer,  en  lui  prouvant 

1.  Letti-es  du  cardinal  d'Ossat. 

2.  Histoire  de  l'édit  de  Nantes,  liv.  VI,  p.  280. 


■164        HISTOIRE  DE  LA  RÊFORMATION  FRANÇAISE. 

ue  le  roi  avait  cédé  à  une  nécessité  et  non  à  un  penciiant 
e  son  cœur,  et  qu'il  n'aurait  pu  le  refuser  sans  recom- 
mencer une  nouvelle  guerre  qui  eût  été  plus  funeste  aux 
catholiques  qu'aux  protestants. 

La  colère  (lu  pape  ne  fut  pas  stérile.  Le  roi,  pour  l'a- 
paiser, donna  aux  catholiques  du  Béarn  un  édit,  qui  était 
pour  eux  ce  que  celui  de  Nantes  était  pour  les  protes- 
tants. ' 

L'abrégé'  de  l'assemblée  de  Chatellerault,  qui  avait  con- 
tinué à  siéger  pour  travailler  à  la  vérification  de  l'édit  de 
Nantes,  s'opposa  énergiquement  aux  changements  qu'on 
voulut  y  apporter.  Elle  ne  réussit  pas  toujours,  mais  elle 
empêcha  au  moins  qu'on  le  dénatura;  elle  nota  minutieu- 
sement toutes  les  infractions  et  présenta  au  roi  ses  cahiers 
dans  lesquels  elle  consigna  ses  observations.  ' 


VL 

L'édit  de  Nantes  fut  un  acte  de  justice  et  de  bonne  po- 
litique. Il  soldait  des  services  rendus  et  retirait  la  France 
des  dangers  des  guerres  civiles.  Pour  s'en  convaincre,  il 
suffit  de  jeter  un  regard  rapide  sur  l'état  de  la  France 
avant  et  après  la  date  mémorable  du  13  avril  1598. 

Avant  l'édit,  le  royaume  présentait  un  aspect  désolant; 
la  campagne  était  abandonnée  aux  ronces  et  aux  herbes 
parasites  ;  faute  de  culture,  le  royaume  était  visité  par  des 
famines  et  des  disettes  périodiques;  les  maisons,  les  châ- 
teaux, les  villes  et  les  villages  n'offraient  que  traces  de 
ruines;  les  fossés  des  villes  fortes  étaient  comblés,  leurs 
remparts  renversés,  leurs  portes  brûlées,  les  monuments 
publics  mutilés,  les  revenus  publics  réduits  à  néant,  ceux 
des  particuliers  compromis,  le  commerce  anéanti,  le  clergé 
même,  pour  lequel  tant  de  sang  huguenot  avait  été  versé, 
avait  vu  ses  dîmes  impayées  et  ses  biens  usurpés  par 
l'État.  Le  roi  était  le  plus  pauvre  de  ses  sujets  :  au  siège 

1.  Élic  Benoit,  Histoire  de  l'édit  de  Nantes,  liv.  VI,  p.  284-585. 

2.  C'est-à-diro  commission  cliargcc  de  l'cprcsonter  l'assemblée, 
•t.  Hi!5toire  de  l'édit  de  Nantes,  !iv.  ^fl,  p.  2S5  et  suiv.  —  Élie 

Benoit,  selon  ."in  rontinnc,  entre  dans  de  grands  détail.';. 


LIVRE  XXV. 


165 


d'Amiens,  il  n'avait  pas  assez  d'argent  pour  fournir  sa 
table  et  s'acheter  un  pourpoint  ;  encore  quelques  années 
d'un  pareil  régime,  et  le  royaume  tombant  en  lambeaux, 
serait  devenu  la  proie  de  quelques  grands  seigneurs  qui 
auraient  fondé  leur  grandeur  personnelle  sur  ses  débris. 
Il  fallait  que  la  France  récelàt  dans  son  sein  des  forces 
inusables  pour  n'avoir  pas  péri  dans  ces  temps  calamiteux 
oii  tous  les  droits  étaient  contestés,  méconnus ,  foulés  aux 
pieds,  et  pendant  lesquels,  chacun  faisait,  non  ce  qui  est 
bon,  mais  ce  qui  lui  semblait  bon,  travaillait  à  l'abaisse- 
ment de  la  patrie  et  à  l'agrandissement  de  la  maison  d'Au- 
triche. Jamais  l'Espagne  ne  fut  plus  près  de  réaliser  le 
vœu  de  Charles-Quint,  la  monarchie  universelle,  que  pen- 
dant les  trente-cinq  années  de  nos  guerres  civiles. 

Mais  à  peine  l'édit  de  Nantes  fut -il  signé  et  vérifié  que 
la  France  changea  de  face  avec  la  rapidité  d'un  change- 
ment de  décoration  à  vue  ;  Les  champs  furent  ensemen- 
cés, les  maisons  réparées,  le  commerce,  cette  seconde 
mamelle  des  peuples,  reprit  vie  et  force,  les  transactions 
firent  reparaître  l'argent  qui  avait  disparu  de  la  circula- 
tion, le  clergé  fut  mieux  payé,  le  roi  put  enfin  tenir  sa 
maison  comme  il  convieiil  au  chef  d'un  grand  royaume; 
l'étranger  enfin  qui  nous  raillait  et  qui  ne  cachait  pas  son 
mépris  pour  un  peuple  qui  ne  savait  pas  se  gouverner,  fut 
saisi  d'admiration  et  d'eiîroi.  La  France,  reléguée  au  rang 
d'un  royaume  de  second  ordre,  reprit  sa  place,  et  quand 
ou  vit  à  sa  tête  un  roi  élevé  à  la  rude  et  salutaire  école 
de  l'adversité,  jeune  encore,  plein  d'ardeur  et  de  vie, 
guerrier,  administrateur,  politique,  on  rechercha  son  al- 
liance. En  présence  de  tels  résultats,  plusieurs  de  ceux  qui 
ne  voulaient  pas  de  l'édit  furent  contraints  de  reconnaître 
que  le  roi  avait  marché  dans  les  voies  d'une  politique 
aussi  habile  que  réparatrice;  les  zélés  ligueurs  seuls  ne  le 
lui  pardonnèrent  pas;  l'édit,  à  leurs  yeux,  n'était  qu'un 
sacrilège. 

Quand  on  examine  au  flambeau  de  l'Évangile  la  question 
de  tolérance ,  en  matière  religieuse ,  elle  est  des  plus 
simples;  l'amour  des  hommes  nous  est  prescrit  comme 
l'un  de  nos  premiers  devoirs  envers  le  prochain  ;  or,  si 
notre  prochain  a  le  malheur,  à  nos  yeux,  de  ne  pas  croire 
comme  nous,  la  force  brutale  sera-t-elle  le  sûr  moyen  de 


166 


HISTOIRE  DE  LA  RÊFORMATION  FRANÇAISE. 


l'y  contraindre?  Non;  car  lorsque  cet  homme  se  verra 
honni,  raillé,  haï,  jeté  en  prison,  frappé  clans  ses  affec- 
tions les  plus  chères,  conduit  au  supplice,  pourra-t-il  voir 
dans  son  persécuteur  un  disciple  de  celui  qui  ne  sut  que 
bénir,  aimer  et  mourir;  il  éprouvera  une  répulsion  pro- 
fonde pour  son  convertisseur,  et,  en  présence  de  la  mort, 
il  dira  :  Je  ne  serai  jamais  de  la  religion  de  mon  bourreau. 

L'édit  de  Nantes  était  un  acte  de  justice  à  l'égard  des 
réformés  ;  ils  avaient  secouru  la  royauté ,  lorsque  la  Sor- 
bonne  prononça  la  déchéance  de  Henri  III;  ils  avaient  prêté 
leur  appui  au  roi  légitime,  quand  il  était  sans  argent,  sans 
troupes,  sans  prestige.  Sans  l'attentat  de  Jacques  ClémCfit, 
ils  l'eussent  remis  sur  le  pavoi ,  lui  l'auteur  de  la  Saint- 
Bartliéiemy,  lui  l'auteur  du  traité  de  Némours,  lui  qui  disait 
aux  Etats  deBlois,  quelques  jours  avant  de  faire  assassiner 
Guise,  «je  voudrais  voir  en  portrait  dans  ma  chambre  le 
dernier  huguenot  de  mon  royaume  »  ;  ce  furent  eux  qui, 
après  sa  mort  combattirent  à  Arques,  à  Ivry  et  empê- 
chèrent la  France  de  devenir  une  province  espagnole. 
Déjà  ils  avaient  combattu  au  Havre  et  avaient  aidé 
Charles  IX  à  en  chasser  les  Anglais;  à  part  quelques 
taches  dans  leur  histoire,  ils  furent  les  vrais  patriotes  du 
royaume;  plus  tard,  aux  jours  de  la  Fronde,  ils  furent  les 
sujets  les  plus  dévoués  d'un  roi  mineur,  et  leur  attache- 
ment à  leur  prince  leur  fit  alors  donner  le  sobriquet  de 
royaux  qui  leur  est  reste  dans  le  midi  de  la  France.  L'édit 
fut  donc,  commenous  l'avons  déjà  dit,  un  acte  de  justice; 
s'il  ne  répara  pas  tous  les  maux  du  passé,  il  fit  au  moins 
lever  sur  les  réformés  l'espérance  d'un  meilleur  avenir. 

VII. 

On  s'est  demandé  si  l'édit  de  Nantes  est  un  acte  émané 
de  la  seule  volonté  du  roi,  ou  bien  un  traité  intervenu 
entre  le  souverain  et  ses  sujets  dissidents;  la  question  est 
controversée,  et  quoique  aujourd'hui  elle  paraisse  oiseuse, 
elle  a  cependant  son  intérêt;  les  uUramontains  appellent 
toujours  l'édit  un  acte  émané  de  la  volonté  royale  accor- 
dant aux  protestants  ce  qu'elle  eût  dû  leur  refuser,  puis- 
qu'aux  hérétiques  on  ne  doit  que  ce  qui  est  dû  aux 


LIVRE  XXV. 


167 


niMlfaileurs  ;  ce  fut  l'argument  qu'on  fit  valoir  plus  tard 
auprès  de  Louis  XIV;  mais  quand  on  étudie  les  prélimi- 
naires des  négociations  de  l'édit,  on  est  amené  forcément 
à  lui  donner  le  nom  de  traité.  Quand  il  fui  rendu,  les  pro- 
testants étaient  sous  les  armes  et  ils  avaient  plus  encore  de 
raisons  de  ne  pas  vouloir  le  Béarnais  pour  leur  roi,  que  les 
ligueurs,  quand  ce  prince  n'était  pas  encore  passé  au  ca- 
tholicisme; par  son  abjuration  leur  ancien  chef  rompait  le 
contrat  qu'ils  avaient  fait  sur  les  champs  de  bataille  et 
qu'ils  avaient  signé  de  leur  sang.  Ce  contrat  serait -il 
moins  légitime  que  ses  traités  avec  les  ligueurs?  Tout  ce 
qui  s'est  passé  avant  l'édit  de  Nantes  éclaire  la  question;  il 
ne  fut  pas  donné  le  lendemain  de  Tabjuration  pour  rassu- 
rer les  réformés.  Plusieurs  années  s'écoulent ,  se  passent 
en  demandes  d'un  côté,  en  refus  et  en  attermoyement  de 
l'autre  ;  des  négociations  s'ouvrent ,  on  discute ,  on  de- 
mande, on  refuse,  on  insiste,  on  abandonne  un  point,  on 
se  rabat  sur  un  autre.  Pendant  quatre  ans  on  discute  les 
bases  de  cette  nouvelle  charte.  Deux  autres  sulllsent  à 
peine  pour  les  arrêter.  «Jamais,  dit  Elie  Benoît,  traité  de 
roi  à  roi  ou  d'État  à  État,  n'a  eu  plus  de  marques  et  plus 
de  circonstances  d'un  véritable  traité'.»  De  là  l'obligation 
pour  les  successeurs  de  Henri  IV  de  l'observer,  puisque 
l'édit  n'est  qu'un  contrat  synallagmalique  entre  le  roi  et 
ses  sujets  de  la  religion  réformée. 

Nous  ne  nous  sommes  étendu  sur  ce  point  que  pour 
montrer  que  quelque  grande  que  fût  r.mlorité  royale,  elle 
avait  des  limites  dans  lesquelles  elle  devait  se  renfermer 
et  des  engagements  qu'elle  ne  pouvait  rompre  tant  que  les 
parties  contractantes  demeureraient  fidèles  à  l'esprit  du 
traité;  mais  ce  qu'on  ne  saurait  trop  admirer,  c'est  la 
constance  avec  laquelle  les  réformés  réclamèrent  leurs 
droits  à  une  époque  où  toutes  les  hberlés  de  la  nation  al- 
laient s'engloutir  dans  la  puissance  royale.  L'édit  de  Nantes 
fut  donc  tout  autant  leur  œuvre  que  celle  de  Henri  IV.  ' 

!.  Élie  Benoît,  1. 1",  liv.  vn,  p.  323. 

?.  Voir  Auquez,  Assemblées  politiques  des  protestants  —  Mi- 
cliciet  —  Henri  ilaitiu  —  Sismondi. 


168 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFOUMATION  FRANÇAISE. 


VIII. 


L'année  1598,  célèbre  par  l'édit  de  Nantes,  vit  mourir 
Philippe  II. 

La  mort  ne  se  jeta  pas  sur  lui  comme  un  oiseau  de  proie  ; 
elle  vint  lentement;  mais  elle  vint  avec  le  fouet  des  ven- 
geances divines  et  lui  dressa  un  lit  de  douleur;  «elle  l'inonda, 
dit  Antonio  Pérès,  d'une  sale  phlhiriasis ,  accompagnée  de 
toute  une  armée  de  poux;  elle  ne  voulait  pas,  dit  l'e.xact 
narrateur,  le  détruire  sans  lui  avoir  fait  sentir  que  les 
princes  et  les  monarques  de  la  terre  ont  d'aussi  misérables 
et  honteuses  manières  de  sortir  de  la  vie  que  ceux  qui  ont 
vécu  pauvres.  »  ' 

Les  témoins  de  cette  étrange  maladie  furent  frappés 
d'épouvante.  Les  médecins,  après  avoir  vainement  essayé 
d'arrêter  cette  invasion  de  poux  sur  le  corps  frêle  et  dé- 
bile du  royal  malade,  disaient  entre  eux:  eccemanus  Dei^. 
Et  cependant,  sur  ce  lit  qui  fait  horreur  et  pitié,  le  roi 
était  moins  tourmenté  de  ses  souffrances  que  du  jugement 
à  venir., Quand  il  sentait  ce  ver  qui  ne  meurt  pas,  dont 
parle  l'Évangile,  attaché  à  son  cœur  et  le  mordre,  il 
poussait  alors  de  grands  soupirs  et  disait:  «J'aurais  été 
plus  heureux  si  j'étais  né  pauvre  prêtre  que  monarque  des 


Le  lit  de  mort  de  Philippe  II  présente  une  grande  leçon 
pour  les  souverains  qui  dans  leur  orgueil  croient  que  leur 
puissance  n'aura  point  de  fin;  il  leur  crie,  par  la  bouche 
de  l'illustre  malade,  que  tout  est  vanité  et  rongement 
d'esprit,  que  la  force  de  l'homme  n'est  que  faiblesse, 
que  sa  grandeur  n'est  que  néant.  Quel  prédicateur  puissant 
que  Philippe  d'Espagne,  quand  il  fait  approcher  de  son  lit 
son  fils  et  lui  dit,  en  lui  montrant  le  cercueil  de  cuivre 
qu'il  s'était  fait  préparer:  «Vous  voyez  aujourd'hui,  mon 
fils,  comment  Dieu  m'a  déjà  dépouillé  de  la  gloire  et  de  la 
majesté  d'un  roi  pour  vous  en  revêtir  vous-même;  pour 
moi,  on  me  vêtira  dans  quelques  heures  d'un  misérable 
suaire,  et  on  me  ceindra  d'une  pauvre  corde.  La  couronne 

1  Mignet  Antonio  Ferez  et  Philippe  D,  p.  380. 
2.  Voilà  la  main  de  Dieu. 


LIVRE  XXV. 


169 


de  roi  me  tombe  de  la  tête,  et  la  mort  me  l'ôte  pour  vous 
la  donner.  Un  jonr  viendra  où  cette  couronne  tombera  de 
votre  tête  comme  de  la  mienne.  Vous  êtes  jeune  comme  je 
l'ai  été.  Mes  jours  étaient  comptés,  et  les  voilà  qui  finissent; 
Dieu  sait  le  compte  des  vôtres,  qui  finiront  à  leur  tour. 
Je  vous  recommande  la  guerre  avec  les  infidèles  et  la  paix 
avec  la  France.  »  Après  ces  paroles  il  entra  dans  la  sombre 
vallée  de  l'ombre  de  la  mort;  ses  forces  s'affaiblirent  et  il 
expira  en  portant  ses  regards  vers  le  ciel  où  l'attendait  son 
juge".  Il  avait  soixante-douze  ans  quand  il  descendit  dans 
la  tombe,  laissant  une  mémoire  maudite. 

Ce  prince  a  eu  des  apologistes  qui  l'ont  exalté;  mais  leurs 
efforts  n'ont  pu  le  réhabiliter  aux  yeux  de  la  postérité,  qui 
a  confirmé  le  nom  de  «  démon  du  Midi  »  qui  de  son  vivant 
lui  fut  donné.  Il  ne  fut  pas  cependant  un  roi  ordinaire, 
et  l'historien  qui  voudrait  trop  le  rabaisser  ne  donnerait 
de  lui  qu'un  portrait  incomplet.  Il  fut  patient,  laborieux 
et  sut,  chose  rare,  s'entourer  d'hommes  éminents  :  Doria, 
Sanla  Cruz,  don  Juan,  le  duc  d'Albe,  Farnèseet  plusieurs 
autres  commandèrent  ses  flottes  et  ses  armées.  11  eut  pour 
ministres  Antonio  Ferez,  Granvelle;  pour  ambassadeurs 
Mendoce,  Feria,  Taxis.  La  prospérité  ne  l'enfla  pas,  l'ad- 
versité ne  l'abattit  pas.  Courbé  sous  le  poids  des  années  et 
des  souffrances  corporelles ,  il  marcha  toujours  vers  son 
but  avec  une  constance  qui  ne  se  démentit  jamais.  Sur  son 
lit  de  mort  il  ne  fut  pas  sans  grandeur,  et  la  première 
fois  qu'il  baissa  la  tête ,  ce  fut  devant  celui  qui  le  ployait 
comme  un  roseau  et  lui  faisait  sentir  que  les  rois  les 
plus  puissants  ne  sont  que  comme  la  feuille  que  le  vent 
lait  tourbillonner  devant  lui. 

Parmi  les  rois  d'Espagne,  le  fils  de  Charles-Quint  a  une 
grande  place  dans  l'histoire,  mais  il  l'occupe  pour  son 
châtiment;  car  à  part  quelques  apologistes  sans  pudeur, 
tous  les  écrivains  de  quelque  poids  le  mettent  au  rang  des 
plus  mauvais  et  des  plus  méchants  rois  que  les  peuples 
aient  jamais  eu.  Il  fut  fourbe,  cruel,  implacable,  débauché 
sous  des  dehors  de  di'ivotion;  pour  lui  tous  les  moyens 
d'atteindre  un  but  furent  bons.  Disciple  du  Vieux  de  la 

1.  Sully,  Économies  royales,  année  1598.  —  V.  Palma-Cayet, 
année  1598.  —  Brève  compendio  y  elogio  de  la  vida  de  el  rcy 
Phelipe  scgundo  de  Espana ,  P.  Antonio  Ferez. 

5. 


470         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

montagne,  il  députa  ses  assassins  vers  Elisabeth  et  vers 
Escovedo,  le  secrétaire  de  don  Juan;  père  sans  entrailles, 
il  fit  m:'ltre  à  mort  son  fils  doïi  Carlos.  Pendant  les  trop 
longs  jours  de  son  règne,  il  fut  le  mauvais  génie  de  la 
France-,  il  se  crut  grand  et  ne  fut  qu'opiniâtre.  Admira- 
blement secondé  par  des  hommes  éminents,  il  neutralisa 
presque  toujours  leurs  services  par  la  manie  qu'il  eut  de 
vouloir  tout  ordonner,  tout  diriger  du  fond  de  son  triste 
Escurial.  Il  travailla  immensément  et  ne  fit  rien;  là  où  il 
aurait  fallu  une  tête  intelligente  il  n'y  eut  qu'un  infatigable 
chef  de  bureau.  A  sa  place  un  homme  de  génie,  pénétré 
des  besoins  de  son  siècle,  eût  continué  l'œuvre  de  Charles- 
Quint:  il  la  ruina.  Avec  la  plus  belle  armée  du  monde, 
commandée  par  d'habiles  généraux,  il  n'aboutit  qu'ù  des 
défaites;  avec  les  trésors  du  nouveau  monde  il  n'arriva 
qu'à  la  banqueroute;  avec  les  finesses  de  sa  diplomatie  il 
ne  recueillit  que  des  échecs;  avec  ses  rêves  de  monarchie 
universelle  il  assista  au  démembrement  de  ses  vastes  états; 
tout  dépérit  entre  ses  mains;  la  Hollande  secoua  son  joug 
de  fer,  et  de  l'excès  de  ses  douleurs  naquit  sa  glorieuse 
indépendance.  La  France  ne  voulut  ni  de  sa  fille  pour 
reine,  ni  de  son  tribunal  du  Saint-Office  pour  sauvegarder 
sa  foi.  La  réforme  qu'il  avait  voulu  étouffer  y  était  fou- 
jours  debout  avec  son  édit  de  Nantes,  conquis  au  prix  de 
quarante  ans  de  luîtes.  L'Angleterre  enfin  qu'il  avait  me- 
nacée avec  son  invincible  Armada  prenait  le  sceptre  des 
mers,  lui  interceptait  la  route  des  Indes  et  l'insultait 
devant  Cadix.  La  seule  consolation  qu'il  eut  en  mourant 
ce  fut  de  léguer  à  son  fils  la  paix  de  Vervins.  11  avait  ap- 
pris trop  tard  que  les  guerres  injustes  sont  la  ruine  des 
nations  et  que  l'orgueil  marche  devant  l'écrasement. 

Sa  mort  fut  un  soulagement  pour  la  chrétienté.  Les  li- 
gueurs seuls  le  pleurèrent.  Les  protestants  dirent  que  Dieu 
l'avait  frappé  comme  Hérode,  et  avait  prolongé  ses  jours 
pour  lui  iniliger  le  supplice  de  l'édit  de  Nantes.  Les  partis 
sont  naturellement  crédules  et  se  complaisent  à  voir  dans 
les  événements  qui  leur  sont  favorables  une  favew  de  la 
Providence  ;  et  cependant,  quand  le  célèbre  édit  fut  rendu, 
le  roi  catholique  élait  désillusionné.  L'âge,  les  infirmités, 
les  revers  l'avaient  dompté;  il  sentait  que  c'en  élait  fait  de 
ses  espérances,  dont  il  ne  lui  restait  que  des  amertumes  et 


LIVRE  XXV. 


de  stériles  regrets.  Il  était  trop  vieux  pour  recommencer, 
et  trop  pauvre  pour  lancer  à  la  mer  une  nouvelle  Armada. 

IX. 

L'édit  de  Nantes  commençait  à  peine  à  faire  entrer  la 
France  dans  les  voies  réparatrices  de  la  pai.x,  quand  sou- 
dainement elle  fut  sous  le  coup  d'une  fiévreuse  ardeur 
qui  inquiéta  le  roi  et  lui  fit  craindre  d'être  obligé  «de 
faire  encore  le  roi  de  Navarre.  »  Il  ne  s'agi-ssait  cependant 

3ue  d'une  intrigante  que  ses  compères  disaient  possédée 
u  démon.  Cet  événement,  qui  aujourd'hui  passerait  in- 
aperçu et  ne  pourrait  être  exploité  que  dans  quelques  vil- 
lages reculés  de  l'empire,  agita  toute  la  France,  et  la  cour, 
quand  on  vit  que  le  vieux  parti  ligueur  s'en  servait  pour 
rallumer  les  haines  et  mettre  encore  une  fois  le  royaume 
en  danger. 

Un  tisserand  de  Romorantin ,  en  Sologne,  nommé  Jacqijes 
Brossier,  avait  une  fille  atteinte  d'une  maladie  étrange.  Dé- 
goûté de  son  métier,  il  trouva  plus  agréable  et  plus  lucratif 
de  courir  le  monde  en  conduisant  avec  lui  cette  jeune  fille. 
Le  peuple,  qui  est  glace  pour  la  vérité  et  feu  pour  le  men- 
songe, accourait  de  tous  les  côtés  pour  voir  Marthe,  la 
possédée.  La  fourberie  de  Brossier  fut  découverte  par  les 
chanoines  d'Orléans  et  de  Cléry  qui,  par  leurs  actes  capi- 
tulaires  des  17  mars,  18  et  15  septembre  1598,  firent  dé- 
fense aux  prêtres  du  diocèse  de  recourir  à  l'exorcisme. 

L'artisan  de  Romorantin  quitta  les  environs  d'Orléans 
et  alla  à  Angers  exercer  son  industrie.  Cette  ville  avait  pour 
évêque  un  homme  instruit  et  éclairé'.  Le  prélat,  soupçon- 
nant une  ruse,  voulut,  avant  de  procéder  à  l'exorcisme, 
s'assurer  si  par  quelque  artifice  il  ne  la  découvrirait  pas, 
il  invita  Marthe  Brossier  à  sa  table  et  lui  fit  à  son  insu 
boire  de  l'eau  bénite.  Cette  eau  qui,  selon  la  croyance 
d'alors,  aurait  dû  la  faire  tomber  dans  des  convulsions, 
ne  fit  aucun  effet.  Les  soupçons  de  l'évêque  s'accrurent; 
il  lui  fit  bientôt  après  présenter  de  l'eau  ordinaire,  en  lui 
disant  que  c'était  de  l'eau  bénite.  Marthe  fut  immédiate- 
naent  atteinte  de  grandes  convulsions. 

C'est  une  ruse,  se  dit  le  prélat;  cependant  la  voix  pu- 

1.  n  s'appelait  Miron. 


172         HISTOIRE  DE  LA  nÉFORMATION  FRANÇAISE. 

blique  lui  avait  tellement  représenté  la  fille  du  tisserand 
comme  possédée  qu'il  voulut  arriver  à  une  conviction  plus 
forte  du  fait. 

Apportez-moi,  dit-il  tout  haut  à  son  sommeiller,  le  cé- 
rémonial où  se  trouvent  les  exorcismes,  et  s'élant  habile- 
ment fait  donner  à  la  place  un  Virgile,  il  se  mit  à  lire. 

Marthe,  croyant  qu'on  lui  lisait  les  paroles  du  cérémonial, 
tomba  en  convulsions  au  premier  vers  qu'elle  entendit  lire, 
criant  qu'elle  était  tourmentée  par  l'esprit  malin. 

Convaincu  de  la  tromperie ,  l'évêque  réprimanda  sévè- 
rement cette  fille  et  son  père,  et  leur  ordonna  de  quitter 
son  diocèse  et  de  ne  plus  abuser  le  peuple  par  de  pareilles 
jongleries.  Brossier,  qui  avait  pris  goût  à  son  rôle  de 
fripon,  au  lieu  de  retourner  à  son  métier  de  tisserand,  se 
dirigea  vers  Paris,  où  il  espérait  trouver  des  partisans 
parmi  ceux  du  parti  ligueur,  sans  cesse  à  l'affût  de  pré- 
textes pour  inquiéter  le  gouvernement.  Il  ne  se  trompa 
pas;  à  peine  arrivé,  les  mille  trompettes  de  la  renommée 
firent  de  sa  fille  un  personnage  considérable;  les  capucins 
se  constituèrent  ses  patrons.  Les  expériences  qu'ils  firent 
sur  elle  eurent  un  plein  succès;  le  peuple  se  porta  en 
foule  aux  séances  des  moines;  —  or,  comme  on  faisait 
dire  à  Marthe  tout  ce  qu'on  voulait,  ils  se  firent  de  ses 

faroles  une  arme  contre  le  roi  et  contre  les  protestants, 
aris  était  agité  comme  si  on  eût  été  à  la  veille  de  quelque 
grand  événement.  L'affaire  parut  sérieuse  au  cardinal 
Gondi,  archevêque  de  Paris,  qui  crut  devoir  intervenir 
officiellement  ;  il  fit  venir  chez  lui  cinq  des  plus  célèbres 
médecins  de  l'université  de  Paris:  Jean  Riolan,  Nicolas 
Ellain,  Michel  Marescot,  Jean  Haultin,  et  Louis  Duret. 

La  possédée  fit,  en  présence  des  docteurs,  des  bonds, 
des  sauts,  tomba  dans  des  convulsions  et  tira  de  sa  poi- 
trine des  sons  extraordinaires. 

Marescot  et  l'un  de  ses  collègues,  lui  ayant  parlé  en 
grec  et  en  latin,  elle  leur  dit  qu'elle  n'était  pas  en  lieu 
propre  pour  leur  répondre. 

Les  médecins  déclarèrent  après  examen  qu'il  pourrait 
bien  y  avoir  dans  le  cas  de  Marthe  Brossier  un  peu  de 
maladie,  mais  qu'il  y  avait  certainement  beaucoup  de 
friponnerie.' 
ï.  Relations  des  médecins  de  Paria. 


LITRE  XXV. 


173 


Le  lendemain  il  y  eut  une  seconde  séance  dans  la  cha- 
pelle de  Sainte -Geneviève.  La  possédée  renouvela  les 
scènes  de  la  veille,  en  présence  des  docteurs  Ellain  et 
Duret.  Ce  dernier  lui  enfonça  une  épingle  entre  le  pouce 
et  l'index  de  la  main  droite.  Marthe  ne  manifesta  pas  le 
moindre  signe  de  douleur. 

Cette  expérience  frappa  les  médecins  qui  convoquèrent 
leurs  collègues  pour  une  nouvelle  séance. 

Le  lendemain,  1" avril  1599,  une  foule  nombreuse  était 
réunie  dans  l'église  Sainte -Geneviève,  dans  une  attente 
pleine  d  anxiété.  Le  père  Séraphin  commença  la  cérémonie 
de  l'exorcisme  en  présence  des  médecins  et  d'un  grand 
nombre  de  docteurs  en  théologie.  Pendant  l'opération 
Marthe  roulait  des  yeux  hagards,  tirait  la  langue,  son  corps 
frémissait  et  s'agitait  sous  d'horribles  convulsions.  Quand 
le  père  capucin  prononça  ces  paroles /iomo  faclus  est,  «le 
Verbe  a  été  fait  chair,»  la  possédée  poussa  des  hurlements, 
se  rou'a  par  terre,  se  releva  et  se  mit  à  courir  avec  une 
célérité  surprenante. 

Dans  l'orgueil  de  son  triomphe  l'exorciste  s'écria  tout 
haut:  «S'il  y  a  quelqu'un  qui  en  doute  qu'il  essaie,  au 
péril  de  sa  vie,  d'arrêter  ce  démon.  » 

Les  assistants  tremblaient  de  teiTenr,  quand  tout  à  coup 
Marescot  se  leva  et  dit  d'une  voix  retentissante:  «je  l'es- 
saierai,» et  il  courut  vers  la  possédée,  posa  la  main  sur 
sa  tête  et  saisit  son  bras  qu'il  retint  comme  dans  un  étau 
de  fer. 

Marthe,  se  sentant  impuissante,  cessa  de  crier  et  dit 
tranquillement:  «l'esprit  s'est  retiré.» 

«C'est  donc  moi,  dit  ironiquement  Marescot,  qui  ai 
chassé  le  démon.»  Après  cela  le  docteur  fit  semblant  de 
se  retirer.  Marthe,  qui  le  crut  parti,  recommença  la  scène 
qui  venait  de  se  terminer  d'une  manière  si  compromettante 
pour  le  père  Séraphin  ;  mais  Marescot  reparut  tout  à  coup 
au  milieu  de  l'assemblée,  et  comme  la  première  fois  la 
jeta  à  terre  et  la  réduisit  à  l'impuissance  de  se  mouvoir. 

«Levez-vous,»  lui  crie  le  père  Séraphin  avec  une  voix 
pleine  d'autorité. 

dCe  démon,  lui  répondit  Marescot  en  raillant,  n'a  pas 
de  pieds  pour  se  tenir  debout.  » 


i  H         niSTOIHE  DE  LA  RÈPORMATION  FRANÇAISE. 


clairvoyants,  ne  convainquit  qu'à  demi  l'assemblée  qui 
se  sépara  au  milieu  d'une  vive  agitation.  Quatre  méde- 
cins déclarèrent  que  Marthe  n'était  qu'une  fourbe.  Haul- 
tin  fut  à  demi  convaincu  et  demanda  trois  mois  de 
réflexion  et  d'expériences.  Duret,  celui  de  tous  qui  était 
le  plus  populaire  auprès  des  masses,  déclara  que  Marthe 
était  possédée  du  démon.  Sa  déposition  infirma  celle  de 
ses  collègues,  et  Paris  ne  douta  plus  de  la  possession  de 
Marthe,  surtout  quand  il  sut  qu'un  procès-verbal,  dressé 
devant  l'évêque,  constatait  le  fait. 

Marescot  ne  laissa  pas  sans  réponse  le  procès -verbal 
que  le  père  Séraphin  faisait  circuler.  Il  prouva  une  fois  de 
plus  que  Marthe  n'était  qu'une  aventurière';  mais  le  peuple 
ajouta  plus  de  foi  au  procès-verbal  qu'à  sa  réfutation.  Son 
amour  du  merveilleux  l'agita  extrêmement  et  la  cour  se  crut 
à  la  veille  d'un  soulèvement  général.  Le  roi,  qui  était  alors 
à  Fontainebleau,  jugea  l'affaire  grave  et  y  vit  de  la  part  du 
parti  ligueur  un  prétexte  pour  fomenter  des  troubles,  le 
rendre  odieux  à  son  peuple  et  l'empêcher  de  rendre  stable 
l'édit  qu'il  venait  de  donner  aux  protestants;  il  ordonna 
au  parlement  de  s'occuper  de  cette  affaire. 

Le  peuple  fut  mécontent  de  la  décision  qui  mettait  Marthe 
entre  les  mains  du  parlement  et  sous  le  contrôle  de  mé- 
decins les  plus  distingués  de  Paris;  les  prédicateurs  mon- 
trèrent une  audace  extraordinaire  et  renouvelèrent  par 
leurs  discours  incendiaires  quelques-uns  des  excès  de  la 
ligue.  Le  peuple  murmurait  et  criait  hautement  qu'on  n'a- 
vait déféré  Marthe  au  parlement  que  pour  plaire  aux  ré- 
formés, parce  qu'ils  craignaient  de  se  voir  confondus  par 
ce  moyen  que  Dieu  fournissait  à  son  église  pour  mani- 
fester sa  gloire  et  confondre  par  un  miracle  éclatant  ses 
ennemis. 

On  fut  obligé  de  sévir  contre  ceux  des  prédicateurs  qui 
enflammaient  le  plus  le  peuple.  Le  parlement  enfin,  après 
avoir  examiné  l'alfaire,  rendit  le  24  mars  1599  un  arrêt 
par  lequel  Marthe  et  son  père  furent  renvoyés  à  Piomoran- 
tin  avec  injonction  formelle  à  ce  dernier  de  ne  pas  laisser 
sortir  sa  fille  de  son  village  sans  la  permission  de  Paul  Gal- 
lois, châtelain  du  lieu.  Le  père  et  la  fille  quittèrent  Paris  et 

1.  Livre  de  Michel  Marescot 


I 


LIVRE  XXV. 


115 


allèrent  mourir  à  Romorantin  dans  la  misère  et  dans  l'ou- 
bli, après  avoir  compromis  un  instant  par  leur  fourberie 
la  tranquillité  du  royaume.' 

X. 

Au  milieu  des  préoccupations  que  donnaient  au  roi  toutes 
les  affaires  de  son  royaume,  dont  il  désirait  vivement  la 
pacification,  il  attendait  avec  impatience  le  bref  du  pape 
qui  lui  permettrait  de  contracter  un  nouveau  mariage.  La 
reine  Marguerite,  qui  avait  refusé  son  consentement  à  la 
dissolution  de  leur  union,  l'avait  accordé  dès  qu'elle  n'eut 
plus  à  redouter  de  voir  prendre  sa  place  par  une  femme 
de  basse  extraction.  Dans  son  abjection,  cette  princesse 
avait  conservé  tout  l'orgueil  de  sa  race. 

Le  pape  se  décida  et  prononça  la  dissolution  sur  les 
instances  du  cardinal  d'Ossat,  qui  négocia  cette  affaire 
avec  son  habilelé  accoutumée. 

Tout  se  préparait  pour  l'exécution  de  l'édit  qui  com- 
mençait à  porter  ses  fruits  dans  le  royaume,  quand  un 
événement,  qui  eut  un  grand  éclat,  fit  croire  aux  catho- 
liques à  la  chute  prochaine  de  la  réforme. 

XL 

Mornay,  dans  ses  heures  de  loisirs,  avait  écrit  un  traité 
sur  l'institution  de  l'Eucharistie;  dans-ce  livre  il  maltraite 
le  pape,  et  cite  plus  de  quatre  mille  passages  tirés  des 
pères  et  des  scholastiques  pour  prouver  la  fausseté  du 
dogme  de  la  transsubtantialion.  Le  nom  de  l'auteur, 
l'homme  le  plus  honorable  de  son  temps,  donna  à  son 
ouvrage  un  grand  retentissement;  le  clergé  effrayé  porta 
plainte  jusqu'aux  pieds  du  trône.  Henri  IV,  qui  désirait  la 
fin  des  luttes  théologiques,  manifesta  son  mécontentement 
à  Mornay  qui,  sur  la  couverture  de  son  livre,  avait  ajouté 
à  son  nom  son  titre  de  conseiller  d'Etat,  ce  qui  pouvait 
faire  croire  que  le  roi  était  de  connivence  dans  cette 
affaire.  Ce  fut  pour  l'auteur  te  commencement  de  l'aban- 

l.  Actes  d',1  pa:-!emc:it  de  Paris.  —  Ds  Thou ,  t.  IX,  eb.  23, 
p.  2&9  et  suiv.  —  L'Estoile,  année  laOP. 


176 


HISTOIRE  DE  LA  RÊFORMATION  FRANÇAISE. 


don  immérité  dans  lequel  son  maître  le  laissa.  Le  clergé 
ne  put  faire  condamner  son  livre  par  le  parlement  de  Bor- 
deaux; le  premier  président,  homme  de  sens,  pensant 
avec  raison  que  la  liberté  du  culte  emporte  avec  elle  celle 
de  discussion,  refusa  de  se  rendre  à  ses  instances  et  lui 
dit  qu'il  était  plus  honorable  pour  lui  de  réfuter  l'écrit  de 
Duplessis  que  de  le  faire  brûler  par  la  main  du  bourreau. 
Impuissant  de  ce  côté ,  le  clergé  fit  insulter  lâchement 
Mornay  par  ses  prédicateurs,  qui  le  signalèrent  à  la  haine 
des  catholiques.  Pendant  plusieurs  jours  les  amis  de  l'au- 
teur, craignant  pour  sa  vie,  s'opposèrent  à  ce  qu'il  parût 
en  public.  La  sœur  du  roi  lui  oflrit  un  asile  dans  son 
hôtel. 

La  modération  que  la  cour  montra  à  l'égard  de  l'insti- 
tution de  l'eucharistie  s'explique  moins  par  sa  tolérance 
que  par  la  crainte  de  mécontenter  les  réformés.  Le  clergé, 
malgré  les  obstacles  que  la  politique  du  gouvernement  ap- 
portait à  ses  désirs,  ne  cessa  pas  ses  poursuites,  il  fit 
condamner  l'année  suivante  le  livre  de  Mornay  par  un  tri- 
bunal de  province.  Il  eut  la  joie  de  le  voir  brûler  .sur  une 
place  publique  par  la  main  du  bourreau;  mais  pendant 
qu'il  battait  des  mains  il  ne  s'apercevait  pas  dans  son  irré- 
lif'xion  qu'on  ne  brûle  pas  les  idées,  et  qu'un  bourreau 
est  un  mauvais  juge  des  controverses. 

Mornay  révendiqua  ses  droits  et  demanda  qu'il  lui  fût 
permis  d'appeler,  du  jugement  qui  avait  condamné  son 
livre,  à  la  chambre  de  l'édit  et  non  au  conseil  privé,  où  il 
ne  trouverait  que  des  personnes  qui  voudraient  assoupir 
l'affaire  et  le  laisser  sons  le  coup  de  la  condamnation.  Ses 
plaintes  ne  furent  pas  écoutées.  Il  était  dans  les  destinées 
(le  l'auteur  que  ce  livre,  qui  jetait  tant  de  bruit  autour  de 
son  nom,  devint  la  cause  de  l'une  des  plus  amères  douleurs 
de  sa  vie. 

Le  traité  de  l'eucharistie,  aujourd'hui  oublié,  dut  sa  cé- 
lébrité à  la  violence  de  ses  adversaires;  dans  leur  aveu- 
glement ils  ne  comprirent  pas  que  leurs  attaques  étaient 
îe  moyen  de  le  faire  lire  et  de  soulever  un  esprit  d'examen 
qu'il  était  dans  leur  intérêt  d'assoupir.  ' 

1.  Le  Traité  de  l'institution  de  l'Euchavislic  fut  condamné  par 
la  Sorbonne  ;  il  figure  dans  l'index  parmi  le?  livres  hérétiques  de 
première  classe. 


LIVRE  XXT. 


Tous  ceux  qui  avaient  écrit  contre  Mornay,  et  le  nombre 
en  était  grand,  avaient  procédé  contre  lui  comme  de  nos 
jours  on  procède  contre  les  controversistes  protestants. 
Au  lieu  d'attaquer  de  front  son  ouvrage,  on  releva  quel- 
ques citations  inexactes,  quelques  omissions,  et  volontai- 
rement on  oublia  tout  le  reste.  Ce  procédé  est  peu  loyal  ; 
mais  quand  on  a  pour  principe  que  la  fm  justifie  les 
moyens,  on  va  en  avant  sans  pudeur  et  on  se  donne  une 
victoire  plus  honteuse  qu'une  défaite.  Tant  que  les  adver- 
saires de  Mornay  se  contentèrent  de  le  décrier  et  de  l'in- 
jurier, il  garda  le  silence;  mais  quand  ils  l'accusèrent 
d'avoir  sciemment  cité  dans  son  ouvrage  des  textes  faux, 
il  fut  vivement  blessé  dans  son  honneur.  Fort  de  sa  droi- 
ture, il  publia,  vers  la  fm  de  mars  (1600),  un  écrit  dans 
lequel  il  invitait  ses  accusateurs  à  se  joindre  à  lui  pour 
présenter  une  requête  au  roi,  et  lui  demander  des  com- 
missaires devant  lesquels  on  pût  vérifier  les  passages  de 
son  livre  ligne  après  ligne. 

Cet  écrit  tomba  entre  les  mains  de  Du  Perron  qui  y 
répondit  le  25  mars  en  acceptant  le  défi  et  en  offrant  de 
prouver  «que  le  traité  de  l'eucharistie  contenait  cinq  cents 
énormes  faussetés,  de  compte  fait  et  sans  hyperbole»; 
il  écrivit  en  même  temps  au  roi  pour  demander  la 
conférence.  Si  nous  n'avons  pas  donné  quelques  détails 
biographiques  sur  ce  personnage  important,  c'est  que  nous 
nous  réservions  de  le  faire  à  l'un  des  moments  de  sa  vie 
où  il  parut  vaincre  le  protestantisme  dans  celui  qui  était 
son  plus  docte  et  son  plus  brillant  représentant. 

XII. 

Davi  Du  Perron  naquit  dans  la  ville  de  Saint -Lfl  en 
1556.  Son  père,  protestant  réfugié,  habitait  Berne.  Frappé 
de  l'intelligence  remarquable  de  son  fils,  il  s'appliqua  avec 
un  soin  particulier  à  en  développer  les  heureux  germes. 
Le  jeune  Davi  ne  les  trompa  pas;  il  se  fit  remarquer  entre 
tous  ses  condisciples  par  une  rare  aptitude  au  travail,  par 
une  merveilleuse  compréhension  et  par  une  mémoire  ex- 
traordinaire. Il  étudia  les  mathématiques,  la  philosophie, 
les  langues;  il  alla  à  Paris  où  il  donna  des  leçons  pour 
cagner  sa  vie.  Philippe  Desportes,  le  poète  de  la  cour  de 


178         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATfON  FRANÇAISE. 

Henri  III,  se  déclara  son  protecteur  et  lui  fit  obtenir  le 
brevet  de  lecteur  du  roi  avec  une  pension  de  1200  écus. 

Les  manières  distinguées  de  Du  Perron,  sa  belle  fi!,'ure, 
sa  parole  facile,  -élégante,  les  vers  qu'il  adressait  aux 
grands  et  aux  dames,  le  tirent  rechercher  par  la  société 
élégante  de  Paris  et  le  mirent  à  la  mode.  Desportes  lui 
persuada  de  quitter  sa  religion  et  d'entrer  dans  la  prêtrise 
romaine.  Du  Perron ,  qui ,  à  une  grande  vanité  joignait  une 
plus  grande  ambition,  suivit  le  conseil  de  son  protecteur, 
abandonna  la  foi  de  ses  pères  et  se  fit  prêtre.  C'était  une 
brillante  conquête  que  faisait  le  catholicisme.  Aussi  les 
faveurs  et  les  dignités  ne  manquèrent  pas  au  transfuge  du 
protestantisme  qui,  en  peu  d'années,  de  simple  abbé,  de- 
vint un  évèque  et  un  personnage  important  appelé  à  jouer 
un  grand  rôle  dans  les  discussions  théologiques  qui  alors 
passionnaient  le  monde. 

Du  Perron  se  distinguait  de  la  plupart  des  prêtres  par 
une  science  qui  n'avait  rien  de  factice,  par  des  manières 
de  grand  seigneur,  par  un  ejand  aplomb  et  par  une  faci- 
lité d'élocution  où  il  y  avait  plus  de  rhétorique  que  de 
vrai  talent  oratoire. 

Il  avait  cependant  quelques  taches  dans  sa  vie.  Dans  un 
mouvement  de  colère  il  avait  poignardé  un  homme;  la 
protection  du  poëte  Desportes  le  retira  des  mains  de  la 
justice  moyennant  une  somme  payée  aux  parents  de  la  vic- 
time. On  admirait  moins  la  piété  du  jeune  prêtre  que  son 
esprit. 

Nous  avons  déjà  dit  comment  Du  Perron  gagna  la  con- 
fiance du  cardinal  do  Bourbon  qu'il  voulait  faire  nommer 
roi  de  France  au  détriment  de  Henri  IV  '.  Le  complot  fut  dé- 
couvert; on  prétendit  même  qu'il  l'avait  dévoilé  au  Béar- 
nais. Ses  manières  insinuantes  lui  gagnèrent  la  confiance 
de  Gabrielle  d'Estrées  et  celle  de  Henri  IV.  Plus  tard  nous 
trouvons  le  prélat  occupé  à  Rome  avec  d'Ossat  à  servir 
auprès  du  pape  les  intérêts  du  roi  avec  un  succès  qui  le 
mit  de  plus  en  plus  en  faveur  et  le  rendit  l'homme  le  plus 
important  du  clergé. 

Un  écrivain  contemporain  a  tracé  de  lui  ie  portrait 
suivant  : 


1.  Biographie  universelle.  — 


Art.  Du  Perron. 


in'RK  XXV. 


179 


«Toujours  flottant  entre  la  passion  et  l'esprit,  Du  Perron 
avait  une  physionomie  douteuse,  cynique,  impérieuse, 
fausse,  impudente  avec  distinction.  Il  visait  à  l'effet  et  se 
jouait  de  ses  auditoires.  Son  attitude  était  théâtrale;  son 
geste,  tantôt  emphatique,  tantôt  burlesque.  Son  éloquence, 
bien  plus  profane  que  religieuse,  n'était  qu'une  rhéto- 
rique. De  l'érudition,  du  pédantisme,  une  imperturbable 
assurance,  de  l'ironie  assaisonnée  d'outrages,  des  saillies 
par  moments,  jamais  un  cri  d'âme,  des  cupidités  per- 
aonnelles,  une  ambition  aveugle,  jamais  l'amour  de  la 
vérité,  jamais  l'enthousiasme  des  idées  divines  qui  re- 
muent les  masses,  parce  qu'elles  sont  générales,  désinté- 
ressées et  qu'elles  élèvent  l'humanité  au-dessus  d'elle- 
même;  des  combinaisons  d'intelligence  et  d'imagination, 
jamais  d'inspirations  sincères;  des  calculs,  -jamais  des 
convictions  :  tel  est  Du  Perron. 

«Un  mot  le  peint  tout  entier,  après  avoir  prouvé  bril- 
lamment l'existence  de  Dieu  ,  comme  un  grand  prince  le 
complimentait  de  sa  verve  de  parole:  «Voulez -vous,  lui 
dit  Du  Perron,  que  je  vous  prouve  le  contraire  avec  une 
waisemblance  égale?» 

«Voilà  le  sophiste  pris  sur  le  fait.  Ce  qui  lui  a  toujours 
manqué,  c'est  la  chose  la  plus  rare,  la  plus  sainte,  la 
seule  nécessaire,  car  elle  donne  tout  le  reste  pour  sur- 
croît. Cette  chose  c'est  une  foi.  Sous  les  apparences  de 
l'orthodoxie  il  cache  un  ardent  égoïsme.  En  sondant  ce 
présomptueux  docteur,  on  est  surpris  du  peu  qui  re- 
couvre ses  jactances.  lia  tous  les  artifices  du  comédien, 
toute  la  désinvolture  du  courtisan,  toute  les  ressources  du 
prédicateur,  toutes  les  souplesses  de  l'avocat;  mais'  a-t-il 
un  cœur?  Non.  Il  y  a  un  rôle  dans  ce  fier  prélat,  cent 
rôles;  il  n'y  a  pas  un  homme.»' 

Ce  portrait  est  un  peu  forcé,  .mais  il  nous  donne  la 
vraie  physionomie  de  l'évèque  d'Évreux. 

XIII. 

Tel  était  l'homme  qui  allait  entrer  en  lutte  avec  celui 
que  les  catholiques  appelaient  «le  pape  des  protestants.» 

1.  Dargaud,  Histoire  de  la  liberté  religieuse  eu  France  et  de 
■ea fondateurs,  t.  IV,  liv.  LV,  p.  338-339. 


180         HISTOIRE  DE  LA  nËFORMATION  FRANÇAISE. 

Mornay,  ne  voulant  pas  demeurer  sous  le  coup  des  accu- 
sations de  Du  Perron,  avait  demandé  au  roi  la  tenue  d'une 
conférence  publique.  Le  nonce  du  pape  et  quelques  pré- 
lats qui  avaient  souvenir  des  séances  du  colloque  de  Poissy 
s'y  opposèrent  dans  la  crainte  que  le  roi  ne  sentît  se  ré- 
veiller en  lui  ses  velléités  de  protestantisme;  ils  savaient 
de  plus  qu'en  érudition  personne  ne  surpassait  Mornay,  et 
malgré  les  bravades  de  Du  Perron,  ils  rendaient  justice  à 
son  adversaire,  dont  l'honorabilité  avait  résisté  à  toutes  les 
calomnies  des  prédicateurs.  Le  roi  finit  par  triompher  de 
leurs  craintes  et  les  assura  que  la  conférence  ne  porterait 
pas  sur  le  fond  de  la  doctrine,  mais  sur  la  vérité  des  pas- 
sages indiqués  par  l'auteur;  il  promit  en  outre  «qu'on 
prendrait  les  plus  grandes  précautions  pour  que  la  religion 
romaine  ne  perdit  rien  à  cette  conférence.» 

Les  amis  de  Mornay  de  leur  côté  redoutaient  une  ren- 
contre; ils  ne  doutaient  ni  de  sa  droiture,  ni  de  sa  sincé- 
rité, mais  ils  craignaient,  et  non  sans  raison,  que  ses 
adversaires  ne  conclussent  de  quelques  passages  mal  cités 
ou  mal  choisis  au  rejet  de  tout  le  livre,  comme  un  tissu 
de  calomnies  contre  l'Église  romaine;  ils  le  dissuadèrent 
donc  d'engager  la  lutte;  mais  lui,  attaqué  dans  son  hon- 
neur, ne  pouvait  supporter  d'être  l'accusé  de  faux.  Avant 
la  conférence  il  eut  dit  :  «Que  Dieu  dessèche  ma  main,  si 
elle  a  écrit  sciemment  une  phrase,  une  ligne,  un  mot 
qui  soit  faux;»  il  ne  voulut  rien  écouter.  11  manqua  de 
prudence ,  mais  il  fit  preuve  de  loyauté  ;  il  faut  nous 
incliner  devant  sa  loyauté  ;  le  controversiste  y  perdit , 
l'honnête  homme  y  gagna. 

Toutes  les  difficultés  étant  levées,  il  fut  décidé  que  la 
conférence  se  tiendrait  à  Fontainebleau.  Ce  lieu  fut 
choisi  dans  le  double  but  d'empêciier  la  populace  de 
se  mêler  à  cette  discussion,  et  Duplessis- Mornay  d'a- 
voir recours  aux  bibliothèques  de  Paris  et  aux  hommes 
érudits  que  cette  ville  renfermait.  L'opinion  publique,  ce- 
pendant se  préoccupait  vivement  de  la  conférence;  le 
roi  qui  la  voulait,  le  nom  et  la  réputation  des  deux  ad- 
versaires, la  matière  sur  laquelle  la  controverse  devait 
porter,  les  conséquences  favorables  pour  le  parti  qui  rem- 
porterait la  victoire,  funeste  pour  celui  qui  subirait  la 
défaite,  tout  cela  agitait  les  esprits.  A  voir  l'animation  qui 


UVUE  XXV. 


181 


régnait  dans  la  capitale,  on  aurait  pu  se  croire  à  la  veille 
d'un  nouveau  colloque  de  Poissy.  «Cette  dispute,  dit  l'Es- 
toile,  fait  l'entretien  de  tout  Paris;  les  uns,  qui  ont  admiré 
l'éloquence  et  la  pureté  du  style  du  livre  de  Duplessis, 
souhaitent  que  les  témoignages  des  Pères  qu'il  cite  soient 
fidèles;  d'autres  assurent  qu'un  homme  de  ce  caractère 
est  exempt  d'imposer,  voire  de  suspicion;  quelques-uns, 
qu'il  n'est  pas  surprenant  que  dans  un  si  grand  nombre  de 
passages  cités  dans  le  livre  de  V Institution  de  l'eucharistie 
on  en  trouve  peut-être  quelques-uns  mal  cités  ou  allé- 
gués. Cependant  on  n'en  doit  pas  conclure  que  ce  livre 
soit  mauvais.  Plusieurs  qui  savent  que  les  occupations  du 
sieur  Duplessis  ne  lui  permettent  point  d'avoir  examiné 
par  lui-même  tous  les  passages  cités  dans  son  livre, 
croient  véritablement  qu'il  y  en  a  un  grand  nombre  de 
défectueux,  et  qu'il  a  tort  d'avoir  fait  le  défi  auparavant  de 
les  avoir  revus  lui-même,  et,  en  ce  cas,  blâment  les  mi- 
nistres et  autres  qui  lui  ont  fourni  ces  passages;  que  la 
mauvaise  foi  doit  tomber  sur  eux  et  non  sur  lui.  » 

XIV. 

Le  2  avril,  le  roi  accorda  la  conférence.  Le  10  du 
même  mois,  les  commissaires  furent  nommés.  Du  côté  dos 
catholiques,  c'étaient  le  chancelier  Bellièvre,  de  Thou  et 
Pithou  :  le  premier  connu  par  son  dévouement  au  pape, 
les  deux  autres  par  leur  timidité;  on  leur  en  adjoignit  un 
quatrième,  le  médecin  Jean  Martin,  catholique  zélé  jusqu'à 
la  passion.  Du  côté  des  protestants,  c'étaient  Casaubon, 
homme  docte,  mais  un  peu  craintif,  et  Dufresne-Canaye, 
qui  pensait  déjà  à  abjurer.  La  partie  commençait  à  n'être 
plus  égale;  la  balance  penchait  en  faveur  de  Du  Perron  par 
le  choix  des  arbitres.  Mornay  aurait  dû  insister  pour  que 
l'équilibre  fût  rétabli;  mais,  fort  d'une  conscience  qui  lui 
rendait  un  bon  témoignage,  il  alla  en  avant.  Le  propre  des 
hommes  droits  est  d'élever  les  autres  à  leur  niveau.  La 
charité  ne  soupçonne  pas  le  mal.  Le  14  avril  Duplessis 
demanda  à  son  adversaire  ses  moyens  de  faux,  afin  d'avoir 
le  temps  d'y  répondre.  Du  Perron  répondit  que  s'il  fallait 
entrer  dans  la  discussion  de  tous  les  passages ,  c'était  le 
sûr  moyen  de  fatiguer  le  roi;  ttla  seule  chose  que  je 

IV.-  6 


182 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


puisse  faire ,  lui  écriv!'  -i' ,  c'est  de  remettre  à  ia  com- 
mission une  liste  de  cinq  c  nls  passages  falsifiés.» 

Mornay  se  rendit  le  28  du  même  mois  à  Fontainebleau 
où  Du  Perron  était  arrivé  la  veille.  Le  lendemain,  il  pré- 
senta au  roi  une  requête  dans  laquelle  il  demanda  que  les 
passages  cités  dans  son  traité  fussent  vérifiés  les  uns  après 
les  autres,  attendu  que  Du  Perron  soutenait  publiquement 
(}u'il  n'y  avait  pas  un  seul  de  ces  passages  qui  ne  fût 
inexact  ou  faux.  «Je  passerai  condamnation,  disait-il,  sur 
ceux  qui  seront  tels;  mais  je  demande  que  ceux  contre 
lesquels  on  ne  pourra  formuler  les  mêmes  reproches  soient 
tenus  pour  authentiques  et  vrais.  » 

Du  Perron  comprit  tout  ce  que  l'acceptation  de  la  de- 
mande de  son  adversaire  contenait  de  dangers,  si  à  côté 
de  quelques  passages  faux,  inexacts  ou  mal  cités,  il  fallait 
admettre  ceux  qui  auraient  tous  les  caractères  de  la  vérité. 
Que  deviendrait  alors  la  messe,  si  elle  étaitbattue  en  brèche 
par  ces  saints-pères  que  Mornay  citait  à  profusion?  Ne 
faudrait-il  pas  faire  l'humiliant  aveu  que  les  Augustin,  les 
Athanase,  les  Théodoret,  les  Éoiphane,  lesirénée,  lesCy- 
prien,  tout  ce  que  l'antiquité  chrétienne  compte  d'hommes 
instruits,  pieux,  interprétaient  à  la  manière  de  Genève  les 
célèbres  paroles  :  Ceci  est  mon  corps ,  ceci  est  mon  sang? 
Du  Perron  ne  devait  vouloir  à  aucun  prix  de  la  demande 
de  Mornay  :  elle  fut  rejetée.  Le  tort  de  celui-ci  fut  de  ne  pas 
insister;  car  sa  demande  était  juste,  et  si,  comme  auteur 
du  traité  de  Ylnslitulion  de  l'Eucharistie,  il  était  en  cause, 
le  protestantisme  y  était  encore  plus  que  lui,  quoique  à  cet 
égard  il  eût  formellement  fait  ses  réserves.  Il  n'obtint  ni 
une  favorable  réponse  à  sa  demande,  ni  même  la  liste  des 
cinq  cents  passages  incriminés;  «je  les  remettrai  au  roi, 
lui  dit  Du  Perron,  chaque  jour  nous  en  tirerons  cinquante 
que  nous  examinerons  en  présence  des  commissaires.» 

Ici  encore  apparaît  la  déloyauté  du  prélat  qui  veut  ôter 
à  l'accusé  tout  moyen  ae  tiereiîse.  et  le  forcer  à  répondre 
immédiatement  à  ses  accusations,  sans  lui  donner  le  temps 
ni  de  consulter  les  auteurs  auxquels  il  a  emprunté  ses  ci- 
tations, ni  de  se  faire  aider  par  ses  amis  dans  cette  tâche 
ingrate  et  laborieuse.  Mornay  comprit  la  ruse  de  son 
adversaire  qui  lui  avait  l'ait  signifier  que  les  choses  devaient 
se  passer  ainsi,  «puisque  telle  était  la  bonne  volonté  du 


LIVRE  XXV. 


183 


roi.  »  Il  refusa  d'y  souscrire  et  représenta  à  Henri  IV  que 

les  choses  ne  pouvaient  se  passer  selon  les  désirs  de  son 
adversaire,  puisqu'il  s'agissait  de  la  vérité  et  de  l'honneur 
de  Dieu.  Il  renouvela  sa  demande  pour  obtenir  la  commu- 
nication de  la  liste  des  cinq  cents  passages.  Le  prélat  s'y 
refusa.  Mornay  déclara  qu'il  n'assisterait  pas  à  la  con- 
férence. 

Le  roi  ordonna  néanmoins  qu'on  passât  outre;  puis,  il 
réfléchit  que  la  conférence,  sans  la  présence  de  l'accusé, 
n'aurait  pas  les  résultats  qu'il  en  attendait;  il  ordonna  donc 
qu'une  liste  de  soixante  passages  fut  remise  à  Mornay  qui 
ne  la  reçut  qu'à  minuit  et  fut  obligé  de  rendre  à  six  heures 
du  matin  les  livres  qu'on  lui  avait  remis  pour  confronter 
les  citations. 

Le  i  mai,  à  une  heure  de  l'après-midi,  la  conférence 
s'ouvrit  dans  la  salle  du  bain;  trois  tables  y  étaient  dressées: 
l'une,  pour  le  roi,  l'évêque  d'Évreux  etDuplessis;  l'autre, 
pour  les  commissaires;  la  troisième,  pour  les  secrélaires; 
autoui  du  roi  étaient  assis  les  princes,  les  officiers  de  la 
couronne,  des  évêques,  des  abbés  et  quelques  protestants. 

Après  que  le  roi  eut  ouvert  la  séance  et  que  le  chance- 
lier eut  exposé  le  but  de  la  conférence ,  Du  Perron  prit 
la  parole  et  loua  le  roi  de  ce  qu'il  n'avait  pas  permis  que 
dans  cette  controverse  on  touchât  à  la  foi',  dont  il  ne 
devait  pas  se  mêler,  la  chose  n'étant  pas  de  sa  compétence. 
Il  protesta  ensuite  de  son  estime  pour  Duplessis  qu'il 
croyait  incapable  de  faire  volontairement  des  citations 
à  faux;  mais  il  en  accusa  ceux  qui  lui  avaient  fourni  des 
matériaux.  En  constatant  la  bonne  foi  de  son  adversaire, 
il  l'accusait  indirectement  de  légèreté  et  d'irréflexion. 

Mornay  sentit  le  trait,  mais  il  ne  voulut  pas  que  les  ré- 
formés fussent  accusés  dans  sa  personne;  il  protesta  et 

firit  noblement  sur  lui  seul  la  responsabilité  des  citations. 
1  déclara  (il  aurait  dû  le  faire  plus  tôt)  que  sur  plus  de 
quatre  mille  passages  cités,  il  pouvait  peut-être  s'en  trou- 
xer  quelques-uns  où  il  avait  pu  faillir  comme  homme; 
mais  que  la  mauvaise  foi  n'y  avait  pas  présidé;  c'est  ce 
que  désirait  son  adversaire,  qui  ne  voulait  constater  que 
ion  inexactitude. 

1.  Le  roi  n'avait  pas  voulu  qu'il  fût  question  de  l'examen  du 
dogme  de  la  préseace  réelle. 


184         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


XV. 

Parmi  les  passages  à  examiner  sur  les  soixante ,  dont  on 
lui  avait  fourni  la  liste,  Mornay  n'avait  pu  en  collationner 
que  dix-neuf  pendant  les  six  heures  qu'il  avait  dû  prendre 
sur  son  sommeil.  De  ces  dix- neuf  on  n'en  vénfia  que 
neuf;  voici  quel  en  fut  le  résultat  d'après  l'Esloile  : 

Sur  le  premier,  tiré  de  Duns  Scot:  Jean  Dtins  {ditl'Es- 
cot),  près  de  cent  ans  après  le  concile  de  Latran,  osa  bien 
remettre  en  question  si  le  corps  de  Christ  est  réellement  \ 
compris  sous  les  espèces,  et  dit  que  non,  et  ses  fondements  \ 
sont  que  la  qualité  ne  le  peut  souffrir,  l'évêque  d'Evreux 
soutint  que  Duplessis  avait  pris  l'objection  pour  la  solution, 
et  que  la  foi  de  Scot  était  conforme  à  la  doctrine  catho- 
lique. Duplessis  le  nia,  et  il  ne  fut  rien  prononcé. 

Sur  le  deuxième,  tiré  de  Durand:  C est  témérité  de  dire 
que  le  corps  de  Christ,  par  la  divine  vertu,  ne  ptiisse  être 
au  Sacrement  en  autre  manière  que  par  la  conversion  du 
pain  en  icehii,  car  cela  semble  déroger  à  la  toute-puissance 
divine.  Le  chanceUer,  les  deux  parties  ouïes,  prononça 
que  Duplessis  avait  pris  l'objection  pour  la  solution.  On  le 
condamna  certainement  un  peu  vite,  dit  à  ce  sujet  l'abbé 
de  Longuerue;  Durand  combat  certainement  la  trans-  i 
substantiation.  C'est  ce  que  Duplessis  soutenait,  disant  (|ue  i 
Durand  n'avait  pas  osé  parler  plus  clairement,  mais  qu  au  j 
fond  on  voyait  bien  quel  était  son  sentiment.  i 

Sur  le  troisième  passage ,  tiré  de  Chrysostôme  :  il  ne  se  | 
faut  point  arrêter  à  la  prière  des  saints,  ainsi  plutôt  ache-  ( 
miner  notre  salut  avec  crainte  et  tremblement,  la  décision  | 
des  commissaires  fut  que  Duplessis  avait  omis  des  mots 
essentiels  en  supprimant  cette  phrase  incidente  :  Non  que 
nous  niions  qu'il  ne  nous  faille  prier  les  saints,  phrase  jj 
qu'il  avait  omise,  dit-il,  parce  qu  elle  concerne  les  saints  i 
vivants,  et  non  pas  les  saints  morts.  , 

Même  décision  touchant  le  quatrième  passage ,  tiré  aussi 
de  Chrysostôme  :  Nous  sommes  bien  plus  sûrs  par  notre  j 
propre  suffrage  que  par  celui  d' autrui,  et  Dieu  ne  donne  pas 
sitôt  notre  salut  aux  prières  d' autrui  qu'aux  nôtres.  Il  fut  ,  ^ 
décidé  que  ces  paroles  de  Chrysostôme  s'appliquaient  aux  !  ^ 
saints  vivants.  ;  n 


LIVRE  XXV. 


185 


Sur  le  cinquième,  pris  du  commentaire  de  Saint-Jérôme 
sur  Ézéchiel  :  S'il  y  a  confiance  en  quelqu'un,  confions-nous 
en  un  seul  Dieti,  car  maudit  soit  l'homme  qui  a  confiance 
en  l'homme,  bien  qu'ils  soient  saints  ou  prophètes.  Il  ne 
faut  point  se  confier  aux  principaux  des  églises,  lesquels 
{quand  bien  ils  seraient  justes)  ne  délivreraient  que  leurs 
âmes  et  non  pas  celles  de  leurs  fils,  l'évêque  reprocha  à 
Duplessis  d'avoir  supprimé  à  la  fin  du  passage  ces  mots  : 
«s'ils  sont  négligents»;  et  le  chancelier  prononça  que  le 
passage  n'était  pas  entier. 

Sur  le  sixième:  Que  diront-ils  de  Cyrille,  patriarche 
d' Alexandrie,  qui  répond  à  l'empereur  Julien,  longtemps 
après  Constantin,  lui  reprochant  l'honneur  rendu  à  la  croix  : 
Que  les  chrétiens  ne  rendaient  adoration  ni  révérence  au 
signe  de  la  croix.  Du  Perron  soutint  qu'il  était  faux,  et  Du- 
plessis reconnut  qu'il  ne  se  trouvait  pas  textuellement  dans 
Cyrille.  C'est  ce  que  la  décision  des  commissaires  constata.  ' 

Sur  le  septième,  tiré  des  lois  des  empereurs:  Parce  que 
nous  n'avons  rien  en  plus  grande  recommandation  que  le 
service  de  Dieu,  nous  défendons  à  toute  personne  de  faire  le 
signe  de  la  croix  de  noire  Sauveur  Jésus-Christ,  en  couleur 
ni  en  pierre,  ni  en  autre  matière,  ni  le  graver,  peindre,  ni 
tailler;  ainsi  voulons  qu'en  quelque  lieu  qu'il  se  trouve  il 
soit  ôté,  à  peine  aux  contrevenants  d'être  très-grièvement 
punis,  Du  Perron  accusa  Mornay  d'avoir  cmi;  à  dessein 
quelques  mots  d'une  très-grande  importance.  Uuplessis  rér 
pondit  qu'il  avait  cité  cette  loi  d'après  Petrus  Crinitus 
(auteur  catholique),  et  les  commissaires  déclarèrent  que 
la  citation  était  exacte,  mais  que  Crinitus  s'était  abusé. 

Sur  le  huitième,  tiré  de  Saint-Bernard:  Elle  (la  vierge 
Marie),  n'a  pas  besoin  de  faux  honneurs  ou  elle  est;  ce 
n'est  pas  l'honorer,  mais  lui  ôter  l'honneur,  etc.;  le  chan- 
celier déclara  qu'il  aurait  été  bon  de  séparer  par  un  etc. 
les  différents  textes  dont  il  se  compose. 

Enfin  sur  le  neuvième ,  extrait  de  Théodoret  :  Dieu  fait 
ce  qui  lui  plaît,  mais  les  images  sont  faites  telles  qu'il  plaît 

1.  Au  reproche  de  Julien  :  «Vous  avez  quitté  les  ancOes,  et  main- 
tenant vous  adorez  la  croix,»  Cyrille  répondit  :  «  Quiconque  dit 
cela  est  ignorant  et  menteur.  »  C'est  de  cette  réponse  que  Duplessis 
avait  tiré  la  conclusion  que  les  premiers  chrétiens  n'adoraient  pas 
la  croix,  —  Son  induction  n'était-elle  pas  juste  ? 


186         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

aux  hommes;  elles  ont  des  domiciles,  des  sens,  mais  elles 
n'ont  point  de  sens;  il  fut  décidé,  conformément  à  l'opi- 
nion de  l'évêque  d'Évreux,  que  ce  passage  devait  s'en- 
tendre des  idoles  des  païens  et  non  des  images  des  chrétiens. 

XVI. 

Tel  fut  le  résultat  de  cette  fameuse  conférence  qui  avait 
tant  agité  les  esprits  et  qui  eut  de  si  minces  résultats.  Du 
Perron  n'en  triompha  pas  moins  ;  il  voyait ,  et  il  ne  se 
trompait  pas,  à  l'extrémité  de  la  lice,  un  chapeau  de  car- 
dinal. Son  adversaire  se  défendit  mal;  une  nuit  d'insom- 
nie et  la  pensée  qu'il  pourrait  compromettre  une  cause 
qui,  à  ses  yeux,  était  moins  la  sienne  que  celle  de  Dieu, 
lui  ôtèrent  cette  assurance  sans  laqueJle  les  luttes  de  parole 
sont  impossibles.  Rosny,  qui  d'abord  avait  voulu  empê- 
cher la  conférence,  se  rangea  du  côté  du  plus  fort.  C'est 
avec  un  sentiment  de  dégoût  qu'on  lit  les  lignes  suivantes 
dans  ses  Économies  royales  :  «Vous  trouvâtes  (ce  sont  tou- 
jours ses  secrétaires  qui  lui  parlent)  le  sieur  Duplessis  si 
opiniâtre  qu'il  n'y  eut  moyen  de  s'en  divertir,  et  néan- 
moins il  se  défendit  si  mal  qu'il  faisait  rire  les  uns,  mettait 
les  autres  en  colère  et  faisait  pitié  aux  autres;  ce  que 
voyant  le  roi,  il  vint  vous  demander:  «Eh  bien!  que  vous 
en  semble  de  votre  pape?»  «Il  me  semble.  Sire,  dites- 
vous,  qu'il  est  plus  pape  que  vous  ne  pensez;  car  ne  voyez- 
vous  pas  qu'il  donne  un  chapeau  rouge  à  M.  D'Evreux? 
Mais  au  fond,  je  ne  vis  jamais  homme  si  étonné,  ni  qui  se 
défendit  si  mal.  Si  notre  religion  n'avait  un  meilleur  fon- 
dement que  ses  jambes  et  ses  bras  en  croix  (car  il  les  te- 
nait ainsi) ,  je  la  quitterais  aujourd'hui  plutôt  que  demain. d  • 

La  conduite  du  roi  ne  fut  pas  moins  déloyale  que  celle 
de  son  ministre.  «Henri  IV,  dit  M.  de  Félice,  voulut  sou- 

{»er  dans  la  salle  de  ce  tournoi  théologique  comme  il 
'aurait  fait  sur  un  champ  de  bataille;  il  annonça  dans  tout 
le  royaume  le  succès  qu'il  avait  obtenu.»  Du  Perron  triom- 
phait. «Dites  vérité,  M.  d'Évreux,  bon  droit  a  eu  bon 
besoin  d'aide.»* 

1.  Sully,  Économies  royales,  année  1600. 

2.  De  Félice,  Histoire  des  protestants,  liv.  111,  p.  283.  (Paris 
1850.) 


LIVRE  ÏXV. 


187 


Quelques  jours  après ,  Henri  écrivit  au  due  d'Épernon  la 
lettre  suivante:  «Le  diocèse  d'Évreux  a  gagné  celui  de 
Saumur,  et  la  douceur  dont  on  y  a  procédé  a  été  occasion 
à  quelque  huguenot  que  ce  soit  de  dire  que  rien  y  ait  eu 
force  que  la  vérité.  Ce  porteur  y  était,  qui  vous  contera 
comme  j'y  ai  fait  merveille  ;  c'est  un  des  plus  grands  coups 
pour  l'Eglise  de  Dieu  qui  se  soit  fait  il  y  a  longtemps; 
suivant  ces  erres',  nous  ramènerons  plus  de  séparés  de 
l'Eglise  en  un  an  que  par  une  autre  voie  en  cinquante.  »' 

L'ancien  mignon  de  Henri  HI  fut  indigné  de  la  joie 
du  roi.  «Je  vous  tiens,  écrivit-il  à  Mornay,  pour  homme 
d'honneur  et  pour  mon  ami.»  Au  sortir  de  la  conférence 
Mayenne  avait  dit  :  «Je  n'ai  vu  là  sinon  un  ancien  et  fort 
fidèle  serviteur  très-mal  payé  de  ses  services.  » 

Les  témoignages  d'estime  et  d'affection  que  Mornay  reçut 
ne  le  consolèrent  pas  de  son  'échec.  Sa  douleur  fut  si 
grande  qu'il  éprouva  au  sortir  de  la  conférence  une  op- 
pression suivie  de  vomissements;  le  médecin  La  Rivière 
le  trouva  fort  mal  et  déclara  au  roi  que  les  conférences  ne 
pourraient  continuer. 

Henri  IV  hésita  à  aller  le  voir  et  lui  envoya  Lomenie, 
le  secrétaire  de  ses  commandements ,  qui  lui  assura  de  sa 
part  que  le  roi  serait  toujours  son  maître  et  son  ami. 
«Du  maître,  lui  répondit  mélancoliquement  le  malade, 
je  ne  m'en  suis  que  trop  aperçu;  d'ami,  il  ne  m'appartient 
pas;  j'en  ai  vu  qui  ont  entrepris  sur  la  vie,  l'honneur  et 
l'État  du  roi,  sur  son  lit  même;  contre  ceux-là  tous  en- 
semble le  roi  n'a  jamais  montré  tant  de  rigueur  que  contre 
moi  seul,  qui  lui  ai  fait  toute  ma  vie  service.  » 

«Le  roi,  lui  répondit  Lomenie,  se  plaint  de  vos  attaques 
contre  le  pape;  si  vous  voulez  cesser  d'écrire,  il  vous 
rendra  toutes  ses  bonnes  grâces.» 

«Jamais,»  répondit  le  malade. 

Les  adversaires  de  l'écrivain  huguenot  profitèrent  habile- 
ment de  sa  maladie  pour  rompre  les  conférences.  Contents 
de  leur  triomphe  d'un  jour,  ils  craignaient  de  le  compro- 
mettre ;  et  cependant ,  quand  on  se  place  en  face  du  résultat 
de  ces  débats  si  bruyants,  on  reconnaît  que  Du  Perron 

1.  Manière  d'agir. 

2.  Bulletin  de  l'histoire  du  protestantisme  français,  arnée  1858 
p.  360. 


fH'îi         HISTOIRE  DE  LX  riÉPORMATION  FRANÇAISE. 

se  conlenta  de  bien  peu  de  chose,  et  que  les  combattants, 
en  se  séparant,  laissèrent  debout,  sans  l'avoir  résolue,  la 
question  de  la  présence  réelle  que  l'évêque  d'Évreux  et  ses 
partenaires  surent  habilement  éluder;  il  leur  parut  plus 
facile  de  signaler  quelques  erreurs  involontaires  dans  les 
citations  nombreuses  du  traité  de  l'eucharistie  que  de  prou- 
ver que  le  dogme  de  la  transsubstantiation  est  en  parfait 
accord  avec  l'esprit  et  la  lettre  des  Écritures,  et  les  en- 
seignements des  Pères. 

Les  conférences  étaient  closes,  mais  la  lutte  n'était  pas 
finie.  A  peine  de  retour  à  Saumur,  Mornay,  malgré  son 
état  souffrant  et  maladif,  voulut  prévenir  le  mauvais  effet 
de  la  lettre  du  roi  à  d'Épernon,  répandue  à  profusion  dans 
le  royaume.  Aidé  du  ministre  Chandieu  et  de  quelques 
autres,  il  écrivit  une  relation  des  conférences.  Henri  IV, 
qui  s'efforçait  de  s'imaginer  qu'il  était  de  plus  en  plus  ca- 
tholique ,  fut  extrêmement  irrité  de  la  hardiesse  de  Mornay, 
auquel  il  ôta  la  surintendance  des  mines  qu'il  lui  avait 
donnée  peu  de  temps  auparavant;  et  si  ce  n'eût  été  la 
crainte  de  soulever  contre  lui  les  huguenots,  il  l'eût  fait 
traduire,  comme  un  séditieux,  devant  une  cour  de  justice. 
11  n'est  de  pire  ennemi  qu'un  ami  devenu  ingrat,  surtout 
quand  cet  ami  est  un  roi  qui  se  sent  débiteur  de  son  sujet.' 

XVII. 

Dans  nos  jours  d'infortune,  la  femme  est  notre  ange 
consolateur.  Elle,  ordinairement  si  faible,  devient  forte 
quand  l'homme  ploie,  courbé  sous  l'orage;  elle  trouve  alors 
des  paroles  que  l'ami  le  plus  tendre  ne  trouverait  pas  dans 
son  cœur;  ses  ressources  sont  inépuisables,  les  épreuves 
qui  devraient  l'abattre  la  relèvent;  quand  l'homme  tombe, 
elle  est  debout. 

Mornay,  qui  eût  été  calme  devant  un  bûcher,  faiblit 

1.  Voyez  pour  tout  ce  qui  a  trait  à  la  célèbre  conférence  — 
l'Estoile  —  Sully,  Économies  royales  —  Mémoires  de  Diiplessis- 
Mornay  —  Mémoires  de  Madame  Duplessis-Mornay  —  De  Tliou , 
liv.  CXXIII  —  Bulletin  du  protestantisme  français,  année  1858, 
p.  351  —  Haag-,  France  protestante,  art.  Duplessis-Mornay  — 
•  Benoit,  Histoire  de  l'édit  de  Nantes,  1. 1",  liv.  VII.  —  Les  actes  du 
colloque  de  Fontainebleau. 


LIVRE  XXV. 


189 


après  son  échec  de  Fontainebleau.  Trop  humble  pour  se 
préoccuper  de  sa  propre  gloire,  il  ne  pensait  qu'à  l'affront 
que  les  Églises  réformées  avaient  reçu  dans  sa  personne. 
Il  était  inconsolable.  «Ne  vous  désolez  pas,  lui  dit  Char- 
lotte Arbaleste,  sa  hdèle  compagne,  si  Dieu  est  pour 
nous,  qui  sera  contre  nous?»  Et  la  pieuse  femme,  frêle, 
délicate,  à  peine  relevée  de  maladie,  mais  forte  de  cœur, 
ranima  le  courage  de  son  noble  époux.  «Elle  courut  de 
tous  côtés,  en  toutes  les  librairies  de  ses  amis  pour  pro- 
curer à  son  mari  les  livres  dont  il  avait  besoin  pour  pré- 
senter sa  défense.  »  Elle  pria  Du  Moulin  de  faire ,  pendant 
la  maladie  de  Mornay,  le  récit  de  ce  qui  s'était  passé  à 
Fontainebleau;  elle  se  multiplia,  et,  grâce  à  ses  soins  et 
à  sa  force  d'âme,  Duplessis  put  reprendre  sa  polémique 
avec  Du  Perron  et  reporter  sa  cause  devant  le  tribunal  de 
l'opinion  publique. 

Au  milieu  des  scènes  humiliantes  que  nous  offre  l'his- 
toire de  ces  temps  agités ,  on  considère  avec  un  vif 
intéi'èt  ces  deux  époux  qui ,  sous  le  toit  domestique , 
nous  présentent  l'un  des  plus  beaux  modèles  du  ménage 
chrétien.  La  religion  qui  a  pu  former  un  Duplessis  et  une 
Charlotte  Arbaleste  serait-elle  réprouvée  de  Dieu?  L'arbre 
qui  a  porté  de  si  beaux  fruits  aurait-il  une  sève  mauvaise? 

Charlotte  Arbaleste  s'associa  constamment  aux  joies  et 
aux  peines  de  Mornay.  Sa  vie  se  passa  entre  ses  devoirs 
d'épouse  et  ses  occupations  de  mère;  elle  ne  rechercha 
pas  le  rôle  disgracieux  de  la  femme  politique;  sa  seule 
ambition  fut  de  se  perdre  dans  la  gloire  de  son  illustre 
époux,  et  son  bonheur  de  lui  adoucir  les  rudes  et  âpres 
sentiers  de  la  vie.  —  Elle  se  consacra  à  cette  dernière 
tâche  avec  un  dévouement  qui  ne  se  démentit  jamais. 
Sa  piété  fut  vivante,  et  quand  nous  parcourons  les  mémoires 
qu'elle  nous  a  laissés,  nous  comprenons  tout  ce  qu'il  y 
avait,  dans  ce  cœur  de  femme,  de  force,  de  poésie,  de 
douceur;  «  moins  instruite ,  moins  brillante ,  moins  riche  de 
savoir  et  d'esprit,  dit  M.  Guizot,  que  Mistress  Hutchinson, 
Madame  de  Mornay  avait  le  sens  plus  droit  et  le  cœur  plus 
simple  :  pas  la  moindre  teinte  de  romanesque  dans  ses 
sentiments  et  dans  ses  désirs,  pas  la  moindre  complaisance 
vaniteuse  quand  elle  parle  soit  d'elle-même,  soit  de  ce  qui 
k  touche  ;  loin  de  rien  amplifier,  de  rien  étaler  «  elle 


490         HISTOIUE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

montre  toujours  moins  qu'elle  ne  pourrait;  elle  dit  moins 
qu'elle  ne  sent.  Les  événements  les  plus  considérables, 
quand  elle  les  raconte;  les  sentiments  les  plus  puissants, 
quand  elle  les  exprime,  se  présentent  bous  une  lorme  con- 
tenue, exempts  ae  tout  agrandissement,  de  tout  ornement 
factice  ou  prémédité.  C'est  la  vérité  pure,  réduite  à  son 
expression  la  plus  simple,  et  racontée,  en  passant,  dans 
la  mesure  de  la  stricte  nécessité  pour  l'information  ou 
l'édification  du  fils  à  qui  elle  adresse  son  récit,  sans  mé- 
lange d'aucun  autre  dessein,  sans  aucun  mouvement  ni 
retour  personnel.  C'était  une  femme  aussi  passionnée  que 
grave ,  qui  suivit  son  mari  dans  tous  les  périls ,  prit  part 
i  tous  ses  travaux,  vécut  pour  lui  seul,  reçut  de  lui  toutes 
ses  joies  et  mourut  de  douleur  de  la  mort  de  leur  fils.  »' 

Ce  fils,  dont  parle  l'illustre  historien,  était  l'espérance 
de  son  père  et  l'orgueil  de  sa  mère.  A  vingt-six  ans,  il 
trouva  la  mort  au  siège  de  Gueldre.  En  apprenant  celte 
fatale  nouvelle,  Mornay  s'écria  douloureusement:  «Je n'ai 
plus  de  fils,  je  n'ai  donc  plus  de  femme!» 

Madame  Duplessis-Mornay,  qui  depuis  longtemps  avait 
commencé  ses  mémoires  pour  l'instruction  de  cet  enfant 
chéri,  ploya  comme  un  frêle  roseau  sous  le  coup;  elle 
ajouta  cependant  un  chapitre  au  livre  qui  devait  en  avoir 
plusieurs  encore.  Dans  ce  chapitre  elle  raconîe  la  mort 
de  son  fils;  chaque  mot  est  trempé  d'une  larme;  on  sent, 
en  le  lisant,  que  le  trait  qui  l'a  frappée  l'a  atteinte  à  la 
source  même  de  la  vie.  En  elle  il  y  a  deux  êtres  :  l'un  qui 
a  soif  du  ciel  pour  y  revoir  l'enfant  que  la  mort  lui  a  ravi; 
l'autre  qui  veut  demeurer  sur  la  terre,  parce  qu'elle  sent 
qu'elle  y  laissera  un  époux  qu'elle  aime  plus  que  la  vie. 
«Est-il  raisonnable,  dit-elle,  que  ce  mien  livre  finisse 
par  lui,  qui  ne  fut  entrepris  que  pour  lui  décrire  notre 
pérégrination  en  cette  vie;  et  puisqu'il  a  plu  à  Dieu,  il  a 
eu  plutôt  et  plus  doucement  fini  la  sienne  ;  aussi  bien  si 
je  ne  craignais  l'affliction  de  M.  Duplessis,  il  m'ennuierait 
extrêmement  de  lui  survivre.» 

Mornay  oublia  sa  douleur  pour  ne  penser  qu'à  celle  de 
sa  chère  compagne;  il  pleura  avec  elle,  s'efforça  de  la 

1.  Études  biographiques  sur  la  révolution  d'Angleterre,  Paris 
1851.  —  Mistress  Hutchinson,  1620-1669,  p.  251-254. 


LIVRE  XXV. 


191 


consoler  et  lui  écrivit  les  lettres  les  plus  tendres  ;  tout  fut 
inutile.  A  dater  de  ce  moment,  sa  vie  ne  fut  plus  qu'une 
lente  et  douloureuse  agonie.  Femme  chrétienne,  elle  n'avait 
pas  attendu  la  onzième  heure  pour  se  préparer  à  aller  à  la 
rencontre  de  son  Dieu.  Depuis  longtemps  elle  était  prête; 
les  temps  orageux  dans  lesquels  elle  avait  vécu  lui  avaient 
fait  envisager  la  vie  par  son  côté  austère  et  sérieux.  En 
1583,  quand  son  fils  n'était  encore  qu'un  enfant,  elle  tra- 
çait dans  le  silence  de  son  cabinet  l'écrit  dans  lequel  elle 
consignait  ses  dernières  volontés.  «Nous  savons,  dit -elle, 
que  notre  vie  est  fragile,  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  certain 
que  la  mort,  et  rien  de  plus  incertain  que  l'heure;  nous 
savons  aussi  que  notre  félicité  est  de  servir  à  Dieu  et  à 
notre  prochain;  que  nous  devons  chercher  tous  moyens 
d'instruire  notre  postérité  en  la  crainte  et  la  connaissance 
de  Dieu,  tant  par  admiration  que  par  bons  exemples.» 

Elle  ne  faillit  pas  à  la  tâche,  la  noble  femme;  et  quand 
l'heure  du  délogement  sonna,  elle  put  dire  avec  l'apôtre  : 
«J'ai  combattu  îe  bon  combat,  j'ai  achevé  ma  course,  j'ai 
gardé  la  foi;  la  couronne  de  justice  m'est  réservée.» 

Mornay  veilla  jour  et  nuit  près  de  son  chevet;  fidèle  à  la 
promesse  qu'il  lui  avait  faite  de  l'avertir  au  moment  su- 
prême, il  s'acquitta  de  ce  pieux  devoir  en  époux  qui  pleure, 
en  chrétien  qui  prie.  Au  baiser  qu'il  lui  donna,  et  avant 
même  qu'il  eut  ouvert  la  bouche,  Charlotte  comprit;  elle 
leva  ses  regards  doux  et  brillants  sur  lui:  «Après  la 
connaissance,  lui  dit-elle,  de  mon  salut  en  Jésus-Christ, 
je  n'ai  tant  remercié  Dieu  que  de  m'avoir  donné  à  vous  ; 
que  la  tristesse  de  ma  mort  ne  vous  rende  pas  moins  utile 
à  l'Église;  que  Dieu,  de  plus  en  plus,  veuille  vous  bénir. 
Pour  moi,  je  m'en  vais  à  lui,  sachant  que  rien  ne  pourra 
me  séparer  de  l'amour  que  Dieu  m'a  porté  en  son  Fils.  Je 
sais  que  mon  Rédempteur  est  vivant;  par  sa  grâce  j'ai  part 
à  sa  victoire. » 

Jamais  elle  n'avait  possédé  plus  complètement  la  lucidité 
de  son  esprit,  et  jamais  plus  vivement  elle  n'avait  joui 
de  la  plénitude  de  cette  foi  «qui  est  une  représentation 
des  choses  qu'on  espère  et  une  manifestation  de  celles 
qu'on  ne  voit  point.  » 

Flamme  vive  et  brillante,  mais  près  de  s'éteindre,  la 
mourante  s'occupa  de  ses  filles  qui  étaient  absentes  ;  elle 


i92         HISTOIRE  DE  LA  BÉFORMATION  FRANÇAISE. 

indiqua  le  moyen  de  leur  faire  savoir,  la  nouvelle  de  sa 
mort;  elle  eut  une  parole  d'affection  et  une  recomman- 
dation pour  tous  ceux  qui  l'avaient  servie. 

Le  moment  suprême  avançait  à  grands  pas;  elle  le  pres- 
sentit à  la  difficulté  qu'elle  avait  d'entendre;  elle  demanda 
qu'on  parlât  plus  haut  et  pria  le  pasteur  Bouchereau  «de 
lui  ramentevoir,  approchant  sa  fin,  ces  dernières  paroles 
d>5  notre  Seigneur  en  croix  :  Père,  je  remets  mon  âme 
entre  tes  mains.  »  —  «Mais,  ajoute  le  pieux  et  fidèle  narra- 
teur, il  n'en  fut  pas  besoin,  car  elle  s'en  souvint  d'elle- 
même,  et  les  prononça  fermement  tendant  à  sa  délivrance 
toujours  avec  saintes  paroles,  tant  qu'elle  put  parler;  elle 
finit  en  sanglotant  à  Jésus  jusqu'au  dernier  soupir,  et  ainsi 
rendit  l'âme  à  Dieu.  » 

La  douleur  de  Mornay  ne  fut  pas  bruyante;  il  était  trop 
affligé  pour  répandre  au  dehors  les  douleurs  de  son  âme; 
Dieu  seul  fut  son  consolateur.  L'amitié,  la  sympathie  sont 
des  baumes  précieux  pour  nos  peines  ;  mais  il  est  des 
vides  que  Dieu  seul  peut  combler  par  sa  grâce;  celui  que  la 
mort  de  Charlotte  avait  creusé  dans  son  cœur  était  de  ce 
nombre. 

La  dépouille  mortelle  de  madame  Duplessis  fut  placée 
dans  le  mausolée  qu'elle  avait  fait  élever  à  son  fils.  La 
mère  et  l'enfant,  en  attendant  la  bienheureuse  résurrec- 
tion, reposent  à  côté  l'un  de  l'autre;  et  de  ces  tombeaux, 
que  le  temps  n'a  pu  fermer,  sort  un  parfum  d'espérance 
et  de  vie.' 

XVIII. 

La  fameuse  conférence  de  Fontainebleau  aida  Du  Perron 
à  obtenir  le  chapeau  de  cardinal  qu'il  ambitionnait.  Ce  fut 
le  seul  fruit  que  les  catholiques  en  retirèrent,  après  avoir 
cru  au  triomphe  de  leur  cause.  Les  protestants  n'étaient  pas 
moins  confiants  ;  un  grand  nombre  d'entre  eux  croyaient 
que  lorsque  la  crainte  des  supplices  n'arrêterait  plus  les 
catholiques,  ils  abandonneraient  en  masse  leur  Église; 
mais  le  beau  temps  des  conversions  était  passé.  Des  guerres 
sanglantes  avaient  engendré  des  haines  ,  sur  lesquelles 

1.  Ilaag-,  Fiance  protestante.  —  Ad.  SchelTcr.  Bulletin  de  l'Hist 
du  protest.  franc.,  annpe         p.  649  et  suiv. 


LIVRE  XXV. 


193 


des  siècles  passent  quelquefois  sans  les  effacer.  Ils  n'en 
tenaient  pas  compte,  et  quand  les  commissaires  royaux 
firent  leur  tournée  dans  le  royaume  pour  l'exécution  de 
l'édit,  ils  négligèrent  de  se  faire  adjuger  leurs  droits, 
«s'attendant,  dit  Élie  Benoît,  à  la  prochaine  décadence  de 
la  religion,  comme  s'ils  en  eussent  eu  des  révélations 
expresses.  »  ' 

I  L'exécution  de  l'édit  fut  l'affaire  importante  de  l'an- 
née 1600.  Les  commissaires  chargés  de  cette  mission 
délicate  s'en  acquittèrent  d'un  manière  inégale,  en  appor- 
tant cependant  à  leur  mandat  un  esprit  de  justice  dont  il 
faut  savoir  leur  tenir  compte,  à  cause  des  difficultés  qu'ils 
rencontraient  tant  chez  les  protestants  que  chez  les  ca- 
tholiques. C'est  au  milieu  de  leurs  opérations  difficiles  que 
finit  le  seizième  siècle. 

XI3L 

Comme  un  voyageur,  qui,  après  une  longue  course, 
atteint  le  sommet  d'une  haute  montagne  et  se  retourne 
pour  mesurer  des  yeux  le  chemin  qu'il  a  parcouru,  nous 
reportons  nos  regards  vers  ce  seizième  siècle  qui  vient  de 
finir:  un  horizon  immense  se  déroule  devant  nous,  varié 
à  l'infini.  Depuis  le  temps  où  le  Sauveur  foula  de  son  pied 
sacré  une  terre  maudite  par  le  péché ,  jamais  siècle  n'avait 
creusé  une  empreinte  prus  profonde  sur  le  sol  de  l'hu- 
manité; c'est  à  donner  le  vertige  :  les  yeux  s'élèvent 
sur  des  pics  étincelants  de  lumière  et  s'abaissent  dans  de 
ténébreux  abîmes;  rien  ne  manque  au  tableau:  c'est  un 
drame  à  la  Shakespeare;  on  y  pleure ,  on  y  rit,  le  laid  et  le 
beau  s'y  coudoient;  les  romanciers  les  plus  inventifs  n'ont 
rien  trouvé  de  pareil;  la  fiction  pâlit  ici  devant  la  réalité. 

Ce  grand  siècle  attend  encore  son  juge;  les  questions 
qu'il  a  soulevées  sont  toujours  vivaces;  les  deux  principes 
qui  s'y  livrèrent  une  lutte  acharnée  ne  se  sont  avoués 
vaincus  ni  l'un  ni  l'autre.  On  connaît  nos  sympathies: 
nous  ne  les  cachons  pas;  mais  notre  impartialité,  comme 
historien,  surnage  au  milieu  des  flots  Douillonnants  des 


I.  Élie  BenoU.  Histoire  de  l'édit  de  îtotes.  !iv  VJil.  n.  3fil. 


194         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

passions.  Nous  sommes  calme,  quoique  ému,  parce  que 
l'esprit  de  secte  et  de  parti  n'a  pas  de  prise  sur  nous;  et 
quand  nous  sommes  fier  et  heureux  d'appartenir  au  parti 
des  opprimés,  c'est  parce  que  nous  sentons  que  dans  les 
grandes  batailles  du  seizième  siècle,  les  protestants ,  malgré 
leurs  fautes  et  leur  faiblesse,  furent  les  restaurateurs  du 
christianisme.  En  effet,  qu'était  la  religion  du  Christ  quand 
le  vieux  Lefèvre  d'ÉtapIes,  et  son  disciple  Guillaume  Farel 
découvrirent,  en  lisant  la  Bible,  «que  le  juste  vitdela  foi?» 
L'histoire  le  dit  :  elle  était  presque  retournée  au  paganisme. 
L'homme  avait  pris  dans  l'Église  la  place  du  Christ;  la 
Bible  était  enchaînée  et  avec  elle  toutes  les  libertés  qui 
sont  le  patrimoine  naturel  de  l'homme.  Les  premiers  an- 
cêtres du  protestantisme  secouèrent  le  joug  papal  et  resti- 
tuèrent au  monde  la  Sainte-Ecriture,  phare  allumé  parla 
main  de  Dieu  pour  éclairer  l'humanité  dans  le  désert  de 
ce  monde;  à  ce  rude  et  noble  labeur  ils  se  dévouèrent 
tout  entiers,  rien  ne  les  arrêta,  ni  la  colère  des  rois,  ni  les 
haines  ardentes  de  la  Sorbonne.  Comme  Pierre  devant  le 
Sanhédrin,  ils  dirent  fièrement  aux  grands  de  la  terre: 
«Jugez  vous-même  s'il  vaut  mieux  obéir  aux  hommes  qu'à 
Dieu.»  Leur  constance  étonna,  irrita;  on  les  dévoua  à  la 
mort,  et  joyeux  ils  s'élancèrent,  comme  les  martyrs  des 
jours  apostoliques,  sur  ces  bûchers  dont  ils  firent  des  chaires, 
et  d'où  la  vérité  descendit  comme  un  fleuve  de  vie.  On  les 
croyait  anéantis,  et,  pareils  au  phénix,  ils  renaissaient  tou- 
jours de  leurs  cendres  ;  tant  qu'ils  ne  surent  que  prier  et 
mourii",  ils  firent  des  conquêtes  ;  mais  un  jour,  ils  prirent 
les  armes,  et  le  vaisseau  de  la  Réforme,  jusques-là  invin- 
cible, alla  toucher  contre  un  écueil  à  Amboise.  Ils  ou- 
blièrent que  le  chrétien,  comme  le  Sauveur,  ne  doit  verser 
d'autre  sang  que  le  sien.  Là  fut  le  point  d'arrêt.  Nous 
l'avons  dit,  les  promesses  faites  au  martyr  ne  sont  pas 
faites  au  soldat.  Invincibles  sur  leurs  bûchers,  les  réformés 
furent  vaincus  sur  des  champs  de  bataille.  Cependant, 
sur  ces  champs  de  bataille,  ils  sont  grands  encore;  tou- 
jours vaincus,  ils  sont  toujours  à  vaincre;  ils  lassent  leurs 
adversaires,  comme  leurs  martyrs  lassèrent  leurs  bourreaux. 
Sept  guerres  civiles ,  une  infinité  de  massacres  ,  sont  im- 
puissants à  les  déraciner  du  sol  français.  L'enclume  est 
frappée,  toujours  frappée,  et  les  marteaux  seuls  sont  usés. 


LIVRE  XXV. 


195 


Maïs  au  milieu  de  ces  guerres  sans  cesse  renaissantes , 
dans  lesquelles  ils  combattent  pour  le  droit  inaliénable  qu'a 
tout  homme  de  servir  et  d'adorer  Dieu  selon  sa  conscience, 
comment  ne  pas  admirer  leur  courage  dans  les  combats , 
leur  constance  dans  les  revers,  leur  héroïsme  pendant  les 
famines,  leur  soumission  à  Dieu  dans  les  plus  cruelles 
épreuves.  Ah!  ce  ne  sont  pas  des  hommes  vulgaires  que 
ces  protestants  qui,  depuis  François  I"  jusqu'à  Henri  IV, 
proclament  la  liberté  d'examen  qui  grandit  l'homme,  en 
présence  du  principe  d'autorité  qui  l'abaisse  et  l'avilit. 

Un  point  important  à  constater,  c'est  que  la  plupart  des 
Français  célèbres  du  seizième  siècle  appartiennent  à  la 
Réforme.  Que  d'hommes  remarquables  dans  tous  les 
genres  !  En  tête  figure  le  vénérable  Lefèvre  d'Élaples 
avec  le  cortège  de  ces  premiers  chrétiens,  qui  fournirent 
à  la  Réforme  ses  premiers  martyrs;  près  de  lui  nous 
voyons  Calvin,  le  plus  grand  théologien  que  le  monde  ait 
encore  produit,  entouré  de  Farel,  de  Bèze,  de  Marlorat, 
de  Viret,  ses  lieutenants  et  ses  amis.  Othman  représente 
le  droit;  Bernard  Palissy,  les  sciences  géologiques;  les 
Estienne,  l'imprimerie;  Ramus,  la  pensée;  Marot  et  Du 
Bartas,  la  poésie;  D'Aubigné,  l'histoire;  Ambroise  Paré, 
la  chirurgie;  Gondimel,  la  musique;  Olivier  de  Serre, 
l'agriculture;  Goujon,  la  statuaire;  Turnebe  et  Scaliger, 
la  science  tout  entière.  Le  huguenot  c'est  la  fidélité  aux  con- 
victions religieuses,  c'est  la  moralité  au  foyer  domestique. 
Sur  les  champs  de  bataille  et  dans  les  conseils  nous  trou- 
vons Condé,  Coligny,  Andelot,  Lanoue,  Duplessis-Mornay, 
Sully.  Si  en  face  de  tous  ces  hommes  on  place  ceux  du 
parti  catholique ,  dont  l'histoire  a  conservé  les  noms , 
quelle  distance  !  Si  par  le  fruit  l'arbre  est  jugé ,  qui  osera 
contester  à  la  Réforme  la  sainteté  de  son  origine? 

XX. 

Les  bienfaits  que  la  Réformation  française  répandit  sur 
le  royaume  sont  immenses;  elle  porta  une  main  hardie 
sur  les  abus  par  lesquels  le  traditionalisme  romain  avait 
altéré  la  religion  noble  et  simple  du  Crucifié.  A  des  lé- 
gendes, elle  substitua  des  réalités;  au  culte  de  la  forme, 


196         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FUANÇAISE. 

celui  de  l'esprit;  au  pape,  la  Sainte-Écriture;  à  la  morale 
relâchée  des  casuistes  du  moyen  âge,  celle  des  temps 
apostoliques.  En  restituant  la  Bible  au  peuple,  elle  rendit 
le  peuple  moral  et  donna  au  monde  ce  huguenot  qui  re- 
pousse par  sa  physionomie  austère  les  honmies  légers  et 
frivoles,  mais  qu'on  ne  saurait  trop  admirer,  quand  il  fait 
du  toit  domestique  un  sanctuaire  de  piété,  impénétrable 
aux  mauvaises  mœurs;  elle  eut  même  une  heureuse  in- 
fluence sur  le  clergé  français;  son  œil  sans  cesse  ouvert  sur 
lui  le  força  à  être,  au  moins  extérieurement,  moral,  et 
l'arrêta  sur  la  pente  fatale  qui  l'entraînait  vers  des  abîmes 
de  honte;  c'est  à  cela  qu'il  doit  d'être  aujourd'hui  le  plus 
moral  de  tous  les  clergés  romains.  Obligé  d'être  sans  cesse 
en  lutte  avec  les  réformés,  il  fut  contraint  de  demander  à 
la  science  des  armes  pour  se  défendre;  il  eut  des  savants. 

En  revendiquant  le  droit  de  servir  Dieu  selon  leur 
conscience,  les  protestanls  ouvrirent  aux  idées  politiques 
de  nouveaux  horizons;  ils  apprirent  aux  rois  qu'ils  étaient 
indépendanls  de  Rome,  et  aux  peuples  que  le  pouvoir  des 
princes  a  des  limites ,  hors  desquelles  ils  ne  sont  plus  leurs 
pères,  mais  leurs  tyrans.  A  leurs  yeux,  le  droit  divin  des 
rois  n'impliquait  pas  la  soumission  de  l'esclave,  mais 
l'obéissance  do  l'homme  libre.  Serviteurs,  ils  ne  furent 
pas  serfs;  soumis  à  César  dans  tout  ce  qui  appartient  à 
César,  ils  lui  rel'usèrent  ce  qui  appartient  à  Dieu.  Voilà  ce 
qui,  mnlgré  leurs  fautes,  les  fit  grands  et  les  grandira 
plus  encore  dans  l'avenir.  Leur  œuvre  leur  coûta  des 
larmes  et  des  douleurs.  Après  trois  siècles  elle  est  debout, 
et  quoique  la  France  ne  soit  pas  protestante,  c'est  aux  ré- 
formés qu'elle  doit  les  grands  principes  de  1789,  qui  sont 
demeurés  les  bases  de  son  droit  public,  malgré  tous  les 
écarts  et  les  défaillances  de  la  liberté. 

Les  réformés,  en  inaugurant  le  règne  du  libre  examen, 
ouvrirent  à  la  science  de  nouveaux  horizons;  avec  Rome, 
elle  avait  des  fers  aux  pieds;  avec  le  protestantisme,  elle 
eut  des  ailes  ;  elle  s'éleva  sur  des  hauteurs  avec  Isaac 
Kevi'ton,  s'enfonça  dans  des  abîmes  avec  Cuvier;  elle  put 
s'égarer,  sans  doute,  être  folle  par  moments,  courir  après 
la  recherche  de  la  pierre  philosophale;  mais  si  elle  n'opéra 
pas  dans  ses  creusets  la  transmutation  des  métaux,  elle 
trouva  des  richesses  çui  valent  mieux  que  la  découverte 


LIVRE  XXV. 


197 


du  grand  œuvre.  Que  serait-elle  devenue  sous  la  tutelle 
des  hommes  qui  jetèrent  dans  les  prisons  du  Saint-Office 
l'illustre  Galilée? 

Au  milieu  de  ces  points  de  vue  si  variés  sur  lesquels 
s'arrêtent  nos  regards,  il  en  est  un  qui  excite  notre  sur- 
prise et  force  notre  admiration;  il  a  un  aspect  qui  lui  est 

Farticulier  et  offre  un  frappant  contraste  avec  tout  ce  qui 
entoure  :  c'est  Genève.  Depuis  le  jour  où  ses  citoyens 
brisèrent  le  joug  de  leur  évêque  et  inscrivirent  au-dessus 
des  portes  de  leur  ville  ces  trois  mots:  PostTenebras  Lttx\ 
cette  cité  se  développa  moralement  et  intellectuellement 
d'une  manière  étonnante.  Son  existence,  au  milieu  d'en- 
nemis acharnés  à  sa  perte,  n'a  son  explication  raisonnable 
que  dans  l'intervention  de  Dieu  qui  la  garantit  de  leurs 
atteintes.  Qu'elle  est  belle,  cette  ville  qui  ne  baisse  la  tête 
ni  devant  le  pape,  ni  devant  les  princes  de  la  maison  de 
Savoie,  ni  devant  les  menaces  des  Valois;  vingt  fois  le 
clerg';  romain  la  croit  près  de  sa  ruine,  et  toujours,  à 
l'heure  du  danger,  Dieu  lui  tend  une  main  secourable. 
On  la  hait,  on  la  calomnie,  on  la  menace;  elle  ne  rallentit 
pas  son  œuvre.  Ses  portes  sont  toujours  ouvertes  aux  vic- 
times des  persécutions  romaines,  et  elle  se  venge  de  ses 
ennemis  en  leur  envoyant  la  vérité  chrétienne  avec  ses 
presses  infatigables  et  ses  missionnaires,  qui  ne  deman- 
dent pour  salaire  de  leurs  travaux  que  la  joie  de  mourir 
au  service  de  Jésus-Christ.' 

Nous  apercevons  cependant  dans  cette  cité  un  point 
noir,  une  tache:  le  bûcher  de  l'infortuné  Servet.  Mais  ce 
qui  nous  console,  c'est  que  ce  bûcher  a, plus  fait  pour  la 
tolérance  religieuse  que  tous  ceux  de  l'Église  romaine  ;  il 
fut  la  grande  inconséquence  de  la  Réforme,  et  nous  dirons 
avec  M.  Albert  Rilliet  :  «  Son  erreur  fut  de  ne  pas  se 
confier  ,  pour  protéger  sa  vie ,  aux  mêmes  principes  qui  la 
lui  avaient  donnée,  et  de  céder  à  l'irrésistible  tentation 
de  comprimer  par  la  force,  dont  les  pouvoirs  politiques  lui 
offraient  le  secours  et  lui  cachaient  l'odieux,  ce  qu'elle 
aurait  dû  combattre  par  les  armes  seules  de  la  persuasion. 
La  parole  l'avait  mise  au  monde,  et  pour  se  défendre,  elle 

1.  Après  les  ténèbres,  la  h'tnière, 

2.  Sûte  Vîu. 


498         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

préféra  l'échafaud  à  la  parole*.  Le  supplice  de  Servet  fut 
en  même  temps  le  fruit  et  le  remède  de  cette  funeste  in- 
conséquence. La  répression  n'avait  en  effet  pour  terme 
logique  et  pour  résultat  eiïicace  que  le  bûcher.  Les  flammes 
du  bûcher  mirent  en  lumière,  mieux  que  les  arguments 
les  plus  habiles,  l'iniquité  de  la  répression.  Elles  ont  à 
elles  seules  autant  éclairé  les  esprits  que  tous  les  auto-da-fé 
catholiques,  car  une  éclatante  contradiction  choque  plus 
encore  que  les  résultats  d'un  système  conséquent.  » 

XXI.' 

Genève  n'a  pas  persisté  dans  ses  égarements  :  à  la  lueur 
de  son  bûcher  ses  yeux  se  sont  ouverts;  elle  a  compris 
qu'en  matière  religieuse  Dieu  seul  est  juge,  et  qu'il  n'ap- 
partient pas  à  l'homme  de  se  constituer  le  vengeur  du 
Tout-puissant.  Heureux  les  peuples  qui  s'instruisent  à 
l'école  de  leurs  fautes  et  de  leurs  erreurs;  mais  malheur 
à  ceux  qui,  prenant  l'immobilité  pour  la  force,  persistent 
dans  leurs  égarements;  comme  l'insensé  ils  se  creusent 
de  leurs  propres  mains  une  fosse  qui  devient  infaillible- 
ment leur  tombeau. 

Nous  avons  raconté  les  événements  qui  se  sont  accomplis 
à  Genève  jusqu'à  la  mort  de  son  réformateur.  Nous  re- 
prenons notre  récit,  un  moment  interrompu,  pour  con- 
duire nos  lecteurs  jusqu'au  jour  où  Théodore  de  Bèze,  le 
successeur  de  Calvin,  termina  sa  longue  et  belle  carrière. 

1.  Relation  du  procès  criminel  intenté  à  Genève  en  1553  contre 
Michel  Servet,  rédigée  d'après  les  documents  originaux  par  Albert 
Rilliet,  page  124;  Genève  1844. 


199 


LIVRE  XXVI. 


L 

La  mort  de  Calvin  fit  un  vide  immense;  Genève  sentit, 
le  jour  des  funérailles  de  ce  grand  homme,  que  sa  dis- 
parition de  la  scène  du  monde  rapetissait  tous  ses  com- 
pagnons de  travaux.  Quand  la  main  ferme  et  énergique  qui 
tenait  le  gouvernail  se  fut  glacée  sous  les  étreintes  de  la 
mort,  on  se  demanda  quel  serait  celui  qui  serait  appelé  à 
sa  succession.  Bèze  fut  désigné'.  Quelque  inférieur  que  le 
disciple  fût  au  maître ,  il  accepta  cet  héritage  avec  une 
grande  défiance  de  lui-même;  mais  il  regarda  à  celui  qui 
par  sa  grâce  accomplit  sa  force  dans  notre  infirmité.  Il  ne 
chercha  pas  à  innover  :  le  sillon  était  tracé  ;  il  y  marcha  d'un 
pas  ferme  et  résolu,  et  ne  rechercha  d'autre  gloire  que 
celle  d'être  l'exécuteur  testamentaire  de  l'homme  dont  il 
avait  eu  l'honneur  d'être  le  disciple  et  l'ami. 

De  tous  les  hommes  remarquables  que  possédait  Genève, 
Bèze  était  le  seul  qui  fut  digne  de  succéder  au  réforma- 
teur. Mûri  à  l'école  de  l'expérience,  après  une  vie  dissipée, 
qui  rappelle  celle  de  saint  Augustin,  il  s'était  donné  sans 
réserve  à  Dieu,  qui  avait  fait  de  lui  un  vase  d'élection,  en 
faisant  briller  dans  sa  personne  toutes  les  merveilles  de  sa 
grâce.  Bèze  n'avait  ni  la  science  universelle  de  Calvin ,  ni  sa 
puissante  individualité;  mais  il  avait  un  ensemble  de  qua- 
lités qui  firent  de  lui  un  homme  éminent ,  et  lui  don- 
nèrent parmi  ses  collègues  la  première  place.  On  voyait 
réunies  en  lui  une  instruction  solide,  une  érudition  éten- 
due ,  une  éloquence  vive,  entraînante;  une  austérité  de 
mœurs  qui  ne  se  démentait  jamais;  une  fermeté  qui  ne 
dégénérait  pas  en  opiniâtreté  ;  un  zèle  pour  sa  cause ,  que 
rien  ne  pouvait  attiédir  :  c'était  un  grand  chrétien,  sous 
les  dehors  d'un  parfait  gentilhomme. 

1.  Second  volume  de  cette  histoire,  p.  242-243. 


200         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

Pendant  la  vie  de  Calvin,  personne  ne  songea  à  contester 
au  réformateur  la  dictature  qu'il  exerçait,  non  par  usur- 
pation, mais  de  par  ce  droit  qu'ont  les  hommes  de  génie 

3ui,  à  des  moments  donnés  dans  la  vie  des  peuples,  sont 
es  nécessités ,  parce  qu'ils  font  ce  que  les  autres  ne  sau- 
raient ou  ne  pourraient  faire.  Les  Genevois  s'étaient  si  bien 
accomodés  de  cette  dictature  qu'ils  la  subissaient  avec  re- 
connaissance. «Pendant  un  quart  de  siècle,  dit  M.  Gaberel, 
la  république  avait  accepté  l'influence  presque  irrésistible 
de  son  directeur  religieux  :  les  services  du  réformateur,  la 
sagesse  de  ses  résolutions,  la  fermeté  de  ses  projets  lui 
donnaient  la  plus  haute  position  de  l'État.  «Allons  prendre 
l'avis  de  M.  Calvin»  :  telle  était  la  première  pensée  des  ci- 
toyens et  des  magistrats,  lorsque  de  graves  difficultés  se 
présentaient.  Le  cabinet  de  travail  du  réformateur  devenait 
journellement  le  théâtre  des  consultations  politiques  et 
civiles  les  plus  familières  ou  les  plus  importantes  pour 
Genève.  »  * 

Genève  ne  décerna  pas  cependant  la  dictature  à  Bèzé. 
Ce  qu'elle  avait  fait  pour  Calvin,  elle  ne  voulait  ni  ne  de- 
vait le  faire  pour  un  autre.  Elle  sentit  avec  un  admirable 
instinct  que  les  gens  d'église  sont  dominateurs  par  nature; 
aussi  pour  éviter  les  abus,  dans  lesquels  Rome  était  tom- 
bée, la  vénérable  compagnie  arrêta  qu'elle  élirait,  sous  le 
titre  de  modérateur,  un  chef  annuel,  destituable  pour 
cause  de  mauvaise  gestion,  «et  qui  ne  serait  qu'un  collègue 
parmi  ses  collègues.»  Théodore  de  Bèze  fut  ce  premier 
modérateur;  pendant  plus  de  quinze  ans  la  compagnie  le 
réélut.  Sur  les  procès-verbaux  d'élection  on  lit  ces  mots 
caractéristiques  :  «la  charge  est  continuée  à  M.  de  Bèze,  à 
cause  de  son  aptitude  et  bons  services.»' 

1.  Gaberel,  Histoire  de  Genève,  2=édit.,  p.  3-4.  Nous  voudrions 
pouvoir  exprimer  ici  convenablement  à  M.  Gaberel  toute  notre  re- 
connaissance pour  ses  savants  et  consciencieux  travaiLx,  qui  nous 
ont  dispensé  de  recherches  longues  et  difficiles.  Quand  on  lit  son 
siil)staiitiel  travail  sur  Genève,  on  sent  qu'il  a  épuisé  la  matière  et 
qu'il  n'y  a  qu'à  glaner  après  lui. 

2  Gaberel,  Histoire  de  Genève,  2»  édit.,  t.  II,  p.  9. 


LIVRE  XXVI. 


201 


IL 

Au  point  où  nous  sommes  arrivés  de  l'histoire  de  Ge- 
nève, nous  comprenons,  en  les  sentant,  toutes  les  difficultés 
de  notre  tâche.  Genève  est  le  centre  de  la  Réformation 
française;  c'est  de  ses  murs  que  part  chaque  jour  le  mot 
d'ordre;  c'est  là  qu'elle  se  montre  dans  sa  plus  vraie  ex- 
pression; tout  y  bouillonne,  tout  y  a  force  et  vie. 

Ce  qui  frappe  à  Genève,  c'est  le  cachet  que  Calvin  a  im- 
primé à  son  œuvre.  L'impulsion  est  si  bien  donnée  qu'après 
lui  tout  marche  comme  avec  lui;  seulement  dans  les  cas 
graves,  magistrats,  professeurs  et  pasteurs  sentent  le  vide 
que  la  mort  a  fait  en  le  leur  prenant.  Ils  sont  obligés  de 
décider  eux-mêmes,  ne  pouvant  plus  dire  :  «Allons  con- 
sulter M.  Calvin.  » 

Sous  la  direction  puissante  du  réformateur,  une  renais- 
sance morale  s'était  opérée  dans  Genève.  La  ville  épisco- 

[)ale  de  Pierre  de  la  Beaume  était  devenue  une  cité  modèle, 
laïe  des  impies  et  des  débauchés.  Les  germes  de  corrup- 
tion n'étaient  pas  anéantis;  mais  au  moins  depuis  la  défaite 
des  libertins,  le  vice  n'osait  plus  lever  insolemment  la  tête, 
il  se  cachait;  et  sous  le  règne  des  lois  que  nous  appel- 
lerions aujourd'hui  tyranniques,  la  ville  se  développait 
moralement,  intellectuellement  et  matériellement,  d'une 
manière  remarquable;  sa  fraternelle  hospitalité  pour  les 
proscrits  de  France  et  d'Italie  lui  avait  procuré  des  citoyens 
nouveaux,  qui  devinrent  pour  elle  un  moyen  puissant  de 
régénération. 

Entre  tous,  les  pasteurs  se  distinguaient  par  une  conduite 
honorable  qui  les  rendait  les  modèles  du  troupeau.  La 
plupart  d'entre  eux  avaient  souffert  pour  la  cause  de  leur 
Sauveur;  l'habitude  qu'ils  avaient  de  se  censurer  mutuelle- 
ment, les  rendait  attentifs  aux  devoirs  de  leurs  charges. 
L'œil  qui  veillait  sur  eux  n'avait  rien  d'inquisitorial,  et 
contribuait  puissamment  à  entourer  de  vénération  et  de 
respect  la  compagnie  qui  ne  souffrait  pas  que  ses  membres 
déshonorassent  leur  robe  de  pasteur.  Quand  il  le  fallait , 
elle  frappait;  elle  retranchait  même  celui  de  ses  membres 
qui ,  infidèle  à  son  mandat,  se  rendait  indigne  du  minis- 


202         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

tère  évangélique.  Ses  rigueurs ,  conformes  à  la  lettre  et  à 
l'esprit  de  l'Évangile,  contribuaient  au  développement  de 
la  vie  religieuse. 

m. 

L'un  des  traits  caractéristiques  de  la  Réformation  à  Ge- 
nève ,  c'était  la  célébration  dii_  culte  qui  offrait  un  con- 
traste frappant  avec  celui  de  l'Église  romaine  :  autant  l'un 
était  pompeux,  autant  l'autre  était  simple;  les  temples 
étaient  nus,  les  ministres  ofliciants  ne  se  distinguaient 
des  simples  fidèles  que  par  leur  robe  noire;  la  chaire 
avait  remplacé  l'autel;  le  prêche,  la  messe;  la  seule  chose 
qui  frappait  les  yeux,  c'était  la  table  sainte  sur  laquelle 
étaient  exposés  le  pain  et  le  vin,  emblèmes  du  corps 
rompu  et  du  sang  versé  de  Jésus-Christ.' 

On  s'est  souvent  demandé  si  les  réformateurs,  en  orga- 
nisant le  culte,  ne  le  détruisirent  pas.  Cette  question  ne 
manque  pas  d'intérêt  en  face  des  reproches  de  l'Église  la- 
tine, qui  accuse  la  Réforme  de  manquer  de  culte  et  de 
faire  de  ses  églises  de  simples  auditoires  où  l'on  s'instruit, 
mais  où  l'on  n'adore  pas. 

Les  reproches  de  Rome  ne  sont  pas  sans  valeur,  mais 
ils  perdent  de  leur  importance  quand  on  étudie  le  temps 
où  les  réformateurs  accomplirent  leur  œuvre.  La  chré- 
tienté était  alors  en  plein  paganisme;  le  dogme  avait 
presque  disparu  sous  la  pompe  des  cérémonies;  tout  était 
sacrilié  aux  sens  au  détriment  de  l'âme;  l'enseignement 
était  nul.  De  plus,  la  plupart  des  cérémonies  étaient  une 
copie,  plus  ou  moins  perfectionnée,  du  culte  des  prêtres 
de  Cybèle  et  do  Jupiter.  (Du  Choul  a  prouvé  jusqu'aux  der- 
niers degrés  de  l'évidence,  qu'à  part  sa  terminologie,  le 
culte  de  Rome  païenne  revit  dans  celui  de  la  Rome  papale.) 
Il  n'est  donc  pas  élouna;!t  que  les  réformateurs  aient 
porté  résolument  la  hache  sur  tout  ce  qui,  dans  le  catho- 
licisme, rappelait  l'idolâtrie  romaine.  Ils  ne  voulurent  donc 
ni  du  vêtement  des  prêtres,  ni  de  leur  tonsure,  ni  de  leurs 
j)rocessions,  ni  de  leurs  fêtes,  ni  de  leurs  images  taillées; 
lis  rejetèrent  leurs  litanies  qui  leur  rappelaient  les  vaines 

1.  Casaubon,  Éphémcrides,  de  147  à  181.  —  Gabcrel,  Histoire 
de  Genève,  2«  édit.,  t.  II,  p.  19-20. 


LIVRE  XXtI. 


203 


redites  des  païens.  Quant  à  l'autel  de  leur  messe,  ils  le 
démolirent  :  il  était  à  leurs  yeux  l'abomination  de  ha  déso- 
lation. Quand  ils  eurent  fait  table  rase  et  arraché  jusqu'à 
la  dernière  pierre  de  l'édifice  ,  ils  bâtirent  sur  ses  fonde- 
ments et  remplacèrent  le  culte  du  moyen  âge  par  celui  de 
l'Eglise  primitive,  dont  ils  essayèrent  de  se  rapprocher 
autant  que  les  circonstances  pouvaient  le  leur  permettre. 
En  le  faisant ,  ils  eurent  toujours  devant  les  yeux  ces  pa- 
roles des  livres  saints:  «Dieu  est  esprit  et  vérité,  il  faut 
que  ceux  qui  l'adorent,  l'adorent  en  esprit  et  en  vérité.'» 
Les  réformés  eurent  donc  un  culte  en  esprit  et  en  vérité  ; 
mais  eurent-ils  le  véritable ,  celui  qui  répond  à  toutes  les 
inspirations  de  l'âme?  Nous  ne  le  croyons  pas.  Tel  qu'il 
est,  leur  culte  l'emporte  beaucoup  sur  celui  des  catholi- 
ques, mais  il  est  loin  cependant  de  ce  qu'il  devrait  être.  La 
chaire ,  qui ,  dans  le  temple  réformé ,  a  remplacé  l'autel 
sur  lequel  l'Eglise  latine  célèbre  sa  messe ,  est  tout  à  la 
fois  une  grande  force  et  une  grande  faiblesse  :  une  grande 
force,  quand  le  ministre  oiïiciant  a  le  don  d'instruire, 
de  toucher,  et  le  don  si  précieux  de  se  faire  écouler; 
une  grande  faiblesse  ,  quand  il  est  froid ,  long ,  diffus , 
fatigant.  La  partie  essentielle  du  culte  étant  clîez  ies  ré- 
formés la  prédication,  on  conçoit  facilement  qu'il  dépend 
de  l'homme  et  non  d'un  ensemble  de  choses,  dont  chaque 
partie  doit  concourir  à  l'édification  des  fidèles.  Les  prières 
et  les  chants  sont  rélégués  dans  l'arrière-plan,  et  cepen- 
dant c'est  par  eux  que  le  public  pourrait  prendre  part  au 
service  et  y  dire  son  Amen. 

Aux  premiers  jours  de  la  Réformation ,  le  sermon  fut  le 
bélier  avec  lequel  on  battit  Rome  en  brèche  ;  avec  lui ,  on 
sapa  les  erreurs;  avec  lui,  on  fonda  la  vérité;  ses  services 
étaient  incontestables  :  mais  ce  n'était  pas  une  raisoa  pour 
lui  donner  la  place  qu'il  occupe  encore  aujourd'hui;  là  fut 
l'erreur:  le  protestantisme  en  porte  la  peine,  car  il  a  bien 
un  culte,  mais  il  n'a  pas  le  culte.  Nous  ne  blâmons  pas, 
nous  constatons  des  faits;  car  il  ne  faut  pas  demander, 
même  aux  hommes  les  plus  forts,  ce  qu'ils  n'ont  pu  nous 
donner;  il  faut  surtout  ne  jamais  oublier  que  les  préjugés, 
les  haines ,  les  habitudes  ont  une  puissance  devant  laquelle 

l.  Jean,  cliap.  IfV,  v.  24. 


204         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

s'inclinent  à  leur  insu  les  plus  grands  esprits.  Les  réfor- 
mateurs eussent  pu  éviter  l'écueil  dans  lequel  ils  sont 
tombés,  s'ils  n'avaient  pas  eu  pour  principe  absolu  que 
tout  ce  qui  venait  directement  de  Rome  devait  être  pros- 
crit sans  pitié,  rejeté  sans  regret.  Si,  au  lieu  de  tout  con- 
damner en  masse,  ils  eussent  fait  un  intelligent  triage,  en 
laissant  subsister  ce, qui  n'avait  contre  lui,  ni  le  texte,  ni 
l'esprit  des  saintes  Écritures ,  leur  culte  eût  été  moins  nu 
et  la  lacune  que  nous  déplorons  eût  été  heureusement 
comblée;  il  n'en  fut  pas  ainsi ,  et  quelque  grands  qu'aient 
été  leur  dévouement  et  leur  droiture,  leur  travail,  comme 
toute  œuvre  d'homme,  porte  l'empreinte  de  l'imperfec- 
tion. Ce  qu'ils  eussent  pu  faire  avec  facilité,  devient  au- 
jourd'hui, par  l'empire  des  habitudes,  une  difficulté  de 
premier  ordre.  —  Quoi  qu'il  en  soit,  le  culte  à  Genève  se 
célébrait  avec  une  noble  simplicité ,  qui  n'était  pas  sans 
grandeur.  L'homme  s'isolant  complètement  de  tout  ce 
qui  est  matériel  et  se  mettant  en  communication  directe 
avec  Dieu,  s'élevait  jusqu'à  lui  par  la  prière.  Sa  piété  était 
celle  des  forts  qui  ne  cherchent  pas  le  créateur  sous  des 
symboles  grossiers  et  visibles  ;  il  trouvait  toujours  dans 
son  culte  une  nourriture  pour  son  âme,  et  à  moins  qu'il 
ne  portât  des  pas  indifférents  dans  la  maison  de  prières,  il 
n'en  sortait  jamais  sans  avoir  trouvé  un  peu  de  manne 
pour  sa  faim,  un  peu  d'eau  vive  pour  sa  soif 

Les  cultes  pompeux  ne  sont,  en  définitive,  qu'une  mise 
en  scène:  la  première  fois  ils  étonnent,  saisissent,  re- 
muent le  cœur,  enflamment  l'imagination;  mais  quand  la 
scène  se  répète  continuellement,  le  prestige  s'évanouit: 
c'est  an  airain  qui  résonne ,  une  cymoale  qui  retentit.  La 
ville  de  Rome ,  où  le  culte  est  resplendissant ,  et  dont  les 
cérémonies  sont  célèbres  dans  le  monde  entier,  n'est-elle 
pas  la  cité  ou  il  y  a  le  plus  d'indifférents  et  le  plus  d'athées?  ' 

IV. 

Calvin ,  avec  son  génie  organisateur,  avait  voulu  faire  de 
Genève  la  Sparte  chrétienne.  Jusqu'à  un  certain  point  il  y 

I.  Le  voisinage  de  Rome,  disait  Machiavel,  a  fait  de  nous  des 
athées  et  des  scélératg.  (Comment,  sur  Tite-Live.) 


LIVRE  XXVI. 


205 


réussit;  et  cependant,  tout  en  admirant  ce  vigoureux  gé- 
nie, nous  ne  pouvons  donner  à  son  œuvre  une  approba- 
tion sans  restriction.  Il  fut  trop  légal ,  pas  assez  évangé- 
lique.  Héritier  de  l'esprit  intolérant  du  moyen  âge,  il  crut 
marcher  dans  la  voie  droite,  parce  que  ses  intentions 
étaient  dégagées  de  tout  intérêt  personnel,  et  qu'il  ne 
poursuivait  sur  la  terre  que  la  gloire  de  Dieu.  Homme 
d'obéissance  et  de  soumission,  il  crut  que  les  autres  pou- 
vaient pratiquer  ce  qu'il  pratiquait  lui-même;  de  là,  ce 
joug  de  fer  sous  lequel  il  courba  Genève,  qu'il  conduisit, 
par  la  dictature  des  institutions ,  à  la  liberté  et  à  la  gran- 
deur. Un  historien  éminent  et  dont  les  paroles  font  auto- 
rité ,  M.  Mignet,  après  avoir  étudié  la  révolution  religieuse 
de  Genève,  termine  son  récit  par  ces  paroles  remarquables: 

«En  moins  d'un  demi-siècle,  Genève  changea  entière- 
ment de  face.  Elle  passa  par  trois  révolutions  consécu- 
tives. La  première  de  ces  révolutions  la  délivra  du  duc  de 
Savoie,  qui  perdit  son  autorité  déléguée,  en  voulant 
l'étendre  et  la  trai.sformer  en  souveraineté  absolue.  Elle 
se  fit,  à  l'aide  d'une  alliance  avec  les  cantons  de  Fribourg 
et  de  Berne,  qui  défendirent  l'indépendance  de  Genève,  et 
elle  eut  pour  instrument  principal  Berthelier,  qui  paya  de 
sa  tête  ce  patriotique  service. 

«La  seconde  introduisit  dans  Genève  le  culte  réformé  et 
y  détruisit  la  souveraineté  de  l'évêque.  Elle  s'opéra  par 
l'entremise  de  Farel ,  avec  l'assistance  du  canton  de 
Berne ,  et  au  profit  du  parti  démocratique  qui ,  vainqueur 
du  duc  de  Savoie,  tendit  à  l'ester  le  seul  maître  de  Genève 
et  à  ne  plus  en  partager  le  gouvernement  avec  son  ancien 
prince  ecclésiastique. 

«La  troisième  constitua  l'administration  protestante 
dans  Genève  et  lui  subordonna  l'administration  civile.  Elle 
fut  accomplie  par  Calvin ,  secondée  par  les  émigrés  étran- 
gers et  dirigée  contre  le  parti  municipal  des  libertins, 
comme  la  seconde  l'avait  été  contre  le  parti  ecclésiastique 
de  l'évêque ,  et  la  première,  contre  le  parti  étranger  du  duc 
de  Savoie.  Les  Savoyards,  les  épiscopaux,  les  démocrates 
succombèrent  tour  à  tour,  les  uns  devant  les  autres  et 
tous,  devant  les  calvinistes. 

«La  première  de  ces  révolutions  valut  à  Genève  son  in- 
dépendance extérieure;  la  seconde,  sa  régénération  morale 

6. 


206         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

ét  sa  souveraineté  politique;  la  troisième,  sa  grandeur. 
Ces  trois  révolutions  ne  se  suivirent  pas  seulement,  elles 
s'enchaînèrent.  La  Suisse  marchait  à  la  liberté  ;  l'esprit 
humain ,  à  l'émancipation.  La  liberté  de  la  Suisse  fit  l'indé- 
pendance de  Genève,  et  l'émancipation  de  l'esprit  humain 
fit  sa  réformalion.  Ces  changements  ne  s'accomplirent  ni 
sans  difficulté ,  ni  sans  guerre.  Mais ,  s'ils  troublèrent  la 
paix  de  la  ville,  s'ils  y  agitèrent  les  âmes,  s'ils  y  divisèrent 
les  familles ,  s'ils  y  causèrent  des  emprisonnements ,  des 
exils,  s'ils  y  ensanglantèrent  les  rues,  ils  trempèrent  les 
caractères ,  ils  éveillèrent  les  esprits ,  ils  purifièrent  les 
mœurs,  ils  formèrent  des  citoyens  et  des  hommes,  et  Ge- 
nève sortit  transformée  de  ses  épreuves.  Elle  était  assu- 
jettie et  elle  devint  indépendante;  elle  était  ignorante  et 
elle  devint  une  des  lumières  de  l'Europe  ;  elle  était  une 
petite  ville,  elle  devint  la  capitale  d'une  grande  opinion. 
Sa  science,  sa  constitution,  sa  grandeur  furent  l'œuvre  de 
la  France,  par  ces  exilés  du  seizième  siècle  qui,  ne  pouvant 
pas  réaliser  leurs  idées  dans  leur  pays ,  les  portèrent  en 
Suisse,  dont  ils  payèrent  l'hospitalité  en  lui  donnant  un 
culte  nouveau  et  le  gouvernement  spirituel  de  plusieurs 
peuples.»' 

Ces  paroles  sont  une  réponse  aux  historiens  qui  pro- 
clament que  l'œuvre  de  Calvin  fut  une  œuvre  d'immoralité 
et  de  désordre.  Les  faits  ne  leur  apprennent  rien ,  parce  que 
la  haine  les  aveugle,  et  qu'ils  ne  sauraient  rendre  justice 
au  grand  réformateursans  condamnerleur cause.  Cependant 
la  lumière  se  fait  peu  à  peu  dans  les  esprits,  et  le  jour  ap- 
proche où  notre  siècle  saluera,  dans  les  ancêtres  de  la  Ré- 
forme, les  restaurateurs  du  christianisme  et  les  fondateurs 
de  l'ordre  et  de  la  liberté.  Si  Calvin  et  ses  compagnons 
d'œuvre  eussent  été  des  hommes  immoraux,  sans  valeur 
personnelle,  ils  seraient  aujourd'hui  tout  entiers  dans 
leurs  tombes  ;  la  critique  attaque  les  forts ,  elle  dédaigne 
les  faibles. 

V. 

Les  pasteurs  occupent  une  grande  place  dans  l'histoire 
de  Genève  :  ils  y  remplacèffrkt  le  prêtre  confesseur.  Leur 

1.  Mignet,  Mémoires  historiques,  p.  385-387,  édit.  Charpent.; 
Paris  1854. 


LIVRE  XXVI. 


207 


ministère  y  fut  béni;  et  leur  influence,  ens'étendant  sur  la 
famille,  y  développa  des  germes  précieux  de  moralité.  Ils 
purent  ainsi  préparer  des  membres  pour  l'Église  et  des 
citoyens  pour  l'État.  La  Compagnie,  épurée  par  l'éloigne- 
ment  de  ceux  de  ses  membres  qui  étaient  entrés  sans 
vocation  dans  le  ministère,  acquit  un  grand  ascendant 
qu'elle  dut  au  zèle  qu'elle  déploya,  et  à  une  piété  réelle. 
Les  bons  exemples,  venant  de  haut,  donnèrent  aux  pré- 
dicateurs une  grande  force;  quand  on  vit  les  pasteurs 
marcher  d'un  pas  ferme  dans  la  voie  étroite,  leurs  fidèles 
trouvèrent  moins  dur  le  joug  du  code  ecclésiastique,  et 
plus  tard ,  quand  la  vie  chrétienne  eut  pénétré  dans  les 
cœurs,  ils  firent  l'expérience  de  ces  belles  paroles  du  Sau- 
veur: «Mon  joug  est  doux,  mon  fardeau  léger,  et  mes 
commandements  ne  sont  pas  pénibles.» 

Leur  œuvre  cependant  était  hérissée  de  difficultés.  L'ap- 
plication du  code  ecclésiastique  donnait  lieu  à  des  plaintes 
qui  n'étaient  pas  toujours  sans  fondement.  Heureusement 
l'esprit  large  et  conciliant  de  Théodore  de  Bèze  savait  y 
apporter  à  propos  des  adoucissements;  là  où  Calvin  eût 
frappé,  le  disciple  fermait  les  yeux;  aussi,  peu  à  peu, 
et  sans  qu'il  fût  besoin  d'une  révision,  plusieurs  des  ar- 
ticles du  code  ecclésiastique  tombèrent  en  désuétude. 
Néanmoins  les  pasteurs  se  montrèrent  rigides.  Leur  tâche 
était  rude;  les  libertins  avaient  été  vaincus,  mais  leurs 
détestables  maximes,  n'ayant  pu  être  bannies  de  la  ville, 
y  entretenaient  l'esprit  de  révolte  et  l'amour  de  coupables 
plaisirs.  On  fut  donc  obligé  de  sévir  contre  les  cabaretiefs 
et  les  usuriers,  et  de  reprendre  les  écrivains  licencieux, 
à  la  tête  desquels  se  trouvait  le  célèbre  Henri  Estienne. 

VI. 

Parmi  ceux  qui  furent  censurés,  nous  trouvons  un 
homme  qui,  vingt  ans  auparavant,  avait  attiré  sur  lui  les 
regards  de  la  foule  et  mérité  ses  sympathies  par  son  élo- 
quence entraînante  et  communicative.  C'est  le  maître  d'é- 
cole de  la  salle  du  Boitet,  l'orateur  irrésistible  de  la  place 
du  Molard.  Semblable  à  ces  poètes,  (jui  ne  sont  vraiment 
poètes  qu'un  seul  jour  dans  leur  vie ,  Froment  avait  eu 


208        HISTOIRE  DE  LX  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

nussi  son  jour  :  il  avait  fait,  en  quelques  heures,  ce  que 
tant  d'autres  ne  font  pas  en  de  longues  années.  Il  avait  aidé 
Farel  à  arracher  Genève  des  mains  de  son  évèque.  Il  n'avait 
pas,  sans  doute,  fait  le  plan  du  siège;  mais,  sans  son  au- 
(iace,  il  est  probable  que  la  ville  eût  résisté  bien  long- 
temps encore,  et  peut-être  serait -elle  demeurée  sous 
le  joug  de  Rome? 

Après  l'abolition  solennelle  de  la  messe.  Froment  fut 
nommé,  en  1537,  pasteur  de  l'église  de  Saint- Gervais, 
qu'il  aurait  quittée,  si  nous  devons  en  croire  Gauthier'  ; 
pour  aller  desservir  celle  de  Massongi  dans  le  Chalais*: 
jusqu'en  1552  sa  vie  n'offre  rien  de  saillant;  elle  se  passe 
dans  l'obscurité.  Il  n'est  pas  au  nombre  de  ces  confesseurs 
de  Christ  qui  assiègent  la  porte  de  Calvin,  et  ont  soif  du 
martyre.  Son  nom  ne  se  trouve  mêlé  à  aucune  des  luttes  de 
cette  époque;  et  cependant  cet  homme  avait,  entre  tous, 
fait  preuve  d'une  puissante  initiative,  et  déployé  une  rare 
intrépidité.  Ce  phénomène  moral  a  cependant  son  explica- 
tion dans  la  nature  même  des  dispositions  chrétiennes. 

Le  mouvement  religieux  de  l'époque  avait  moins  agi 
sur  la  conscience  que  sur  l'imagination  de  Froment. 
Homme  d'opposition,  il  savait  mieux  manier  le  marteau 
qui  démolit  que  la  truelle  qui  édifie.  Comme  cela  arrive 
dans  toutes  les  révolutions  religieuses,  la  réaction  vint,  et 
avec  elle,  l'impuissance;  et  celui  qui  fut  un  héros  au 
Molard  et  à  Saint-Pierre,  ne  fut  qu'un  homme  ordinaire, 
iiuand  il  fallut  s'occuper  des  devoirsjournaliers  du  pastoral. 
En  1552,  Froment  revint  à  Genève  où  l'attendaient  des 
chagrins  domestiques.  Un  mariage  irréfléchi  lui  avait  donné 
une  compagne  qui  ne  sut  pas  respecter  en  lui  l'époux 
et  le  pasteur.  Peut-être  aussi  un  manque  de  sagesse  et  de 
prudence  de  s»  part  précipita  son  épouse  dans  de  crimi- 
nels égarements.  La  compagnie  des  pasteurs  le  rendit  res- 
jjonsable  de  la  conduite  de  sa  femme,  et  lui  infligea  des 
réprimandes  qui  étaient  de  nature  à  le  déconsidérer  aux 
yeux  de  son  troupeau.  La  douleur  et  la  honte  qu'il  en 
éprouva,  le  firent  renoncer  au  pastoral.  Dans  cet  intervalle, 
Bonnivard  lui  fit  la  proposition  d'être  son  collaborateur 

1.  Gauthier,  Histoh-e  de  Genève. 

2.  Haag,  France  protestante,  lettre  F,  p.  177. 


LIVRE  XXVI. 


209 


dans  la  rédaction  de  son  histoire  de  Genève;  il  accepta 
cette  offre  avec  empressement,  et  dans  la  même  année  il  se 
fit  recevoir  notaire. 

Genève,  qui  n'avait  pas  oublié  ses  services,  se  montra 
reconnaissante;  elle  lui  accorda  le  droit  de  bourgeoisie,  et 
le  nomma,  en  1559,  membre  du  conseil  des  Deux  Cents. 
11  eût  été  facile  à  Froment  de  se  relever  dans  l'opinion 
publique;  mais  malheureusement,  emporté  par  son  carac- 
tère ardent,  impétueux,  il  sembla  s'appliquera  justifier  la 
sévérité  dont  il  avait  été  l'objet  de  la  part  du  consistoire 
en  marchant  dans  les  mêmes  voies  que  sa  femme.  En 
1562,  un  arrêt  de  bannissement  fut  rendu  contre  lui.  Il 
quitta  la  ville,  et  pendant  dix  ans,  il  traîna ,  à  l'étranger, 
une  vie  pleine  de  honte  et  de  remords.  Le  malheur  le 
ploya,  sans  cependant  le  briser.  Il  se  rappela  alors  ces  jours 
où ,  soldat  intrépide  du  Crucifié,  il  lui  consacrait  ses  forces, 
et  où  il  eût  marché  au  martyre  en  chantant  des  cantiques. 
Comme  l'enfant  prodigue,  il  se  repentit,  et  demanda  à 
retourner  dans  sa  patrie.  Il  y  rentra  à  l'âge  de  soixante- 
deux  ans.  Qu'elle  était  différente  cette  entrée,  de  celle 
où,  quarante  ans  auparavant,  il  venait  combattre  pour  l'É- 
vangile. Ah  !  il  y  a  quelque  chose  qui  impressionne  vive- 
ment dans  cet  homme,  un  moment  placé  si  haut,  et  main- 
tenant tombé  si  bas.  Il  peut  se  relever  aux  yeux  du  Dieu 
qui  pardonne  parce  qu'il  aime  ;  mais  il  ne  le  peut  plus 
devant  ses  semblables,  d'autant  plus  impitoyables,  qu'ils 
ont  eux-mêmes  plus  besoin  de  grâce  et  de  pardon.  Jette- 
rons-nous aussi  la  pierre  à  cette  grande  infortune?  Serons- 
nous  moins  miséricordieux  que  Dieu?  Les  services  passés 
ne  compteront-ils  pour  rien?  Ce  serait  une  ingratitude. 
Froment  a  eu  une  punition  grande  comme  sa  faute.  Il  s'est 
éteint  dans  l'obscurité.  Après  avoir  fait  tant  de  bruit,  il 
devait  disparaître  comme  le  chêne  qui  tombe,  et  il  s'en 
alla'Comme  la  feuille  qui  se  détache  de  ses  branches.  Notre 
légitime  curiosité  est  ici  mise  en  défaut.  Mais  quel  que  soit 
le  jugement  qu'on  porte  sur  Froment ,  on  ne  pourra  mé- 
connaître en  lui  l'un  des  grands  ouvriers  de  la  Réforme; 
il  est  vrai  qu'il  ne  travailla  qu'un  jour;  mais  combien 
d'hommes,  soi-disant  importants  qui,  dans  une  longue  vie, 
n'ont  pas  même  travaillé  une  heure.  Jetons  donc  sur  la 
tombe  du  maître  d'école  de  la  grande  salle  du  Boitet  une 


210        niSTOIUE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

branche  de  laurier  trempée  de  larmes  ;  elle  dira  notre  ad- 
miration et  nos  regrets.  ' 

VII. 

Les  pasteurs  furent  appelés  à  soutenir  des  luttes  pénibles 
avec  les  magistrats,  quand  ces  derniers  se  trouvèrent  en 
désaccord  avec  eux  sur  l'application  du  code  ecclésiastique. 
C'est  dans  la  savante  et  consciencieuse  histoire  de  M.  Ga- 
berel  qu'il  faut  lire  cette  grande  page  de  la  vie  de  la  Com- 
pagnie des  pasteurs.  Nous  y  renvoyons  nos  lecteurs ,  parce 
que  nous  nous  écarterions  du  plan  que  nous  nous  sommes 
tracé,  si  nous  entrions  dans  des  détails  qui,  tout  intéres- 
sants qu'ils  sont,  n'appartiennent  qu'à  l'histoire  particulière 
de  la  réformation  genevoise. 

Le  dévouement  journalier  des  pasteurs  les  soutint  dans 
l'opinion  publique  plus  encore  que  la  loi  dont  ils  étaient 
armés.  Une  circonstance  douloureuse  contribua  à  les  gran- 
dir dans  l'esprit  des  masses,  et  leur  donna  un  grand  ascen- 
dant sur  elles.  Une  peste  terrible  désola  Genève  en  1565, 
et  une  plus  terrible  encore  quatre  ans  après.  Les  pasteurs 
ne  faillirent  pas  à  leur  noble  tâche,  comme  le  clergé 
romain,  lors  de  l'épidémie  de  1522.  Sans  crainte  devant 
la  mort  qui  moissonnait  leurs  tidèles,  ils  pénétrèrent  dans 
toutes  les  maisons  atteintes  du  fléau,  pour  apporter  aux 
mourants  le  baume  des  consolations  chrétiennes. 

11  y  eut  une  scène  bien  touchante.  La  Compagnie  était 
réunie  pour  élire  le  chapelain  des  pestiférés  :  les  circon- 
stances étaient  graves  et  sérieuses.  Avant  de  procéder  au 
tirage  au  sort,  les  assistants  implorèrent  l'assistance  divine: 
«Seigneur,  dirent-ils,  toi  qui  sondes  les  cœurs  des  hommes , 
fais  connaître  celui  que  tu  as  choisi  pour  ce  ministère  !  » 

On  allait  commencer  les  opérations,  quand  un  membre 
proposa  d'exempter  Théodore  de  Bèze,  à  cause  de  sa  grande 
utilité  au  milieu  des  églises. 

De  Bèze  s'y  opposa  énergiquement.  «C'est  mon  droit, 
dit-il,  de  partager  les  périls  de  mes  frères.»  Plusieurs  pas- 
teurs âgés  abondèrent  dans  son  sens,  et  rappelèrent  que, 
dans  des  circonstances  semblables,  Œcolampade  à  Bâle, 

1.  Froment  n'a  produit  qu'un  seul  ouvrage  important  ayant 
pour  titre  :  Actes  et  gestes  merveilleux  de  la  cité  de  Genève. 


UVRE  XXVI. 


Bucer  à  Strasbourg,  Bullinger  à  Zurich,  s'étaient  dévoués 
comme  les  plus  humbles  ecclésiastiques,  et  que  Calvin, 
pendant  son  séjour  à  Strasbourg,  lors  de  son  exil,  avait 
visité,  soigné  et  consolé  les  pestiférés. 

Pendant  la  discussion,  une  députalion  du  conseil  se 
présenta ,  et  demanda  que  de  Bèze  fût  exempté  ;  «  sa  per- 
sonne, dirent  les  magistrats,  est  trop  précieuse,  par  son 
puissant  crédit  auprès  des  cours  protestantes,  pour  que 
nous  puissions  consentir  à  le  voir  exposé  sans  utilité  réelle 
pour  la  république.»' 

Devant  la  volonté  du  conseil,  Théodore  de  Bèze  dut 
céder. 

Le  sort  désigna  le  pasteur  Legagneux  qui  tira  de  l'urne 
le  billet  d'élection  sur  lequel  étaient  écrits  ces  mots  :  Qtie 
la  volonté  de  Dieu  soit  faite. 

Il  demanda  au  Seigneur  de  le  soutenir  dans  la  mission 
que  Dieu  lui  confiait  par  le  sort  et  alla  se  loger  à  la  Cou- 
leuvrenière  au  milieu  des  pestiférés.  Pendant  trois  mois  il 
demeura  dans  le  lazaret,  calme  et  intrépide  devant  la  mort. 
Il  ne  fut  pas  le  seul  pasteur  qui  alla  s'installer  au  lazaret; 
d'autres  montrèrent  le  même  dévouement,  et  la  Compa- 
gnie, pendant  ces  jours  de  grande  détresse,  s'honora,  aux 
yeux  de  ses  (idèles ,  par  un  courage  sans  ostentation. 

Plus  tard,  en  1570,  le  fléau  sévit  de  nouveau  avec  une 
grande  force;  les  pasteurs  furent  fidèles  à  leur  poste. 
Parmi  ceux  qui  se  distinguèrent,  l'histoire  a  conservé  les 
noms  de  Colladon,  de  Perrot  et  de  Chausse.  La  contagion 
sévissait  et  décimait  la  population;  les  malades  n'entraient 
sur  des  brancards  à  l'hôpital  que  pour  en  sortir,  bientôt 
après,  dans  des  cercueils.  Les  bras  ne  suffisaient  plus  pour 
enterrer  les  morts.  L'épouvante  était  dans  la  ville  menacée 
de  devenir  un  désert.  Le  pasteur  Chausse ,  animé  de  cette 
paix  chrétienne,  qui  donne  le  calme  au  milieu  de  la  tem- 
pête, devint  l'ange  consolateur  des  infortunés  atteints  par 
le  fléau. 

Neuf  ans  après  (1574),  la  peste  reparut,  et  les  Genevois 
revirent  l'intrépide  pasteur  de  nouveau  à  son  poste ,  se 
multipliant  à  force  de  zèle  et  se  dévouant,  comme  le  bon 
berger,  pour  ses  brebis.  Il  quitta  sa  maison  pour  vivre  au 


1.  Gaberel,  1. 1",  p.  167 


212        HISTOIRE  DE  LA  RÈFORMATION  FRANÇAISE. 

milieu  des  pestiférés  et  n'y  rentra  un  moment  que  pour 
recevoir  le  dernier  soupir  de  sa  fille  aînée,  \ictime  du 
fléau. 

Cette  peste  l'atteignit  dans  la  partie  la  plus  sensible  de 
son  être;  mais  loin  de  ralentir  son  zèle,  elle  ne  fit  que  le 
redoubler.  Il  retourna  au  milieu  de  ses  pestiférés,  calme, 
mais  frappé  au  cœur.  Il  aimait  tant  sa  fille  ! 

Vers  le  milieu  de  juin ,  la  peste  l'atteignit  avec  une  si 
grande  violence,  que  dès  le  premier  moment,  on  déses- 
péra de  ses  jours.  Les  magistrats  allèrent  le  voir  et  l'assu- 
rèrent que  la  république  aurait  soin  de  ses  enfants  et  de 
sa  veuve,  si  Dieu  le  retirait  à  lui. 

«Je  suis  bien  payé  de  mes  services,  leur  dit  Chausse. 

Mais  retirez-vous . . .  recevez  mes  adieux       Il  y  a  trop  de 

danger  ici  pour  vous. . .  » 

Le  lendemain,  la  vénérable  compagnie  se  rendit  en 
corps  auprès  du  mourant,  qui  fut  profondément  touché 
de  la  marque  d'affection  que  lui  donnaient  ses  collègues  ; 
il  tourna  vers  eux  ses  regards  pleins  d'une  douceur  inex- 
primable, et  d'une  voix  faible,  mais  bien  accentuée,  il  les 
remercia  de  leur  courage  :  «  Je  m'en  vais  en  paix,  leur 
dit-il,  non  point  par  les  souvenances  de  ce  que  j'ai  fait, 
mais  par  l'assurance  de  la  rémission  de  mes  péchés  et  de 
mon  salut,  en  la  grande  miséricorde  de  notre  sauveur 
Jésus-Christ.» 

Dans  ce  moment  suprême,  le  mourant  ne  regarda  pas  à 
ses  œuvres;  elles  étaient  grandes  cependant;  il  avait  tout 
offert  à  son  Dieu,  tout  jusqu'à  sa  femme  et  ses  enfants; 
mais  il  se  sentait  encore  un  serviteur  inutile,  et  ne  trou- 
vait sa  paix  «que  dans  celui»  qui  est  notre  paix,  et  nous 
couvre  par  la  foi  en  son  immortel  sacrifice,  du  manteau 
de  sa  justice. 

Chausse  demanda  à  ses  collègues  de  lui  pardonner,  puis 
il  tourna  ses  regards  vers  son  Dieu ,  et  s'endormit  sur  la 
terre  pour  se  réveiller  entre  les  bras  de  son  Sauveur  qui 
lui  rendit  selon  ses  œuvres.' 

La  République,  touchée  de  son  dévouement,  adopta  ses 
enfants. 

Plus  tard,  la  peste  désola  encore  la  ville,  et  Genève 
f,  Registre  de  la  compagnie,  18  juin  1574. 


LIVRE  XXVI. 


213 


eut  dans  ses  pasteurs  ses  martyrs  de  la  mort,  qui  prou- 
vèrent au  monde  que  le  ministre  de  Jésus-Christ ,  époux 
et  père,  n'a  rien  à  envier,  en  fait  de  courage  et  de  dé- 
vouement, au  prêtre  catholique.' 

VIII. 

L'une  des  gloires  de  la  Réforme  est  l'impulsion  remar- 
quable qu'elle  donna  aux  études.  Elle  montra  ainsi  que  la 
science  et  le  progrès  ne  sont  pas  les  ennemis  de  la  foi. 
Sans  doute  Calvin,  avec  son  esprit  absolu,  voulut  assigner 
des  limites  à  la  science  théologique.  A  part  cette  erreur,  qui 
provenait  chez  lui  de  la  nécessité  de  mettre  un  frein  aux 
divagations  des  théologiens,  il  voulut  faire  de  Genève  une 
cité  vraiment  savante;  ses  efforts  furent  couronnés  d'un 
plein  succès,  et  après  lui  sa  ville  d'adoption  n'eut  rien  à 
envier  aux  cités  les  plus  célèbres.  Son  collège  compta  de 
nombreux  élèves  qui  y  recevaient  une  instruction  classique 
très-avancée  pour  l'époque.  Son  académie  eut  à  sa  tète  des 
professeurs,  dont  plusieurs  furent  des  hommes  éminents. 
J3es  élèves  y  accouraient  de  toutes  les  parties  des  contrées 
protestantes,  et  dans  l'espace  de  73  années  (de  1559  à 
1632),  2800  étudiants  vinrent  s'asseoir  sur  ses  bancs. 
Elle  mérita  dès  lors  le  nom  de  la  Rome  protestante.  Elle 
tint,  dit  Michelet,  haute  sa  lampe,  et  fut  la  grande  école 
des  nations.  Il  fallait  qu'elle  se  fit  la  fabrique  des  saints  et 
des  martyrs,  la  sombre  forge  où  se  forgeassent  les  élus  de 
la  mort.  Missions  terribles!  Ils  étaient  attendus,  épiés  :  pris 
sur  le  fait  d'avoir  sur  eux  un  évangile  français,  ils  étaient 
sûrs  d'être  brûlés.' 

IX. 

Ce  fut  un  jour  de  profonde  douleur  pour  Genève  que 
celui  où  elle  vit  se  présenter  à  ses  portes  des  hommes,  des 
femmes,  des  enfants  et  des  vieillards,  qui  venaient  lui 
demander  un  asile  contre  la  rage  de  leurs  bourreaux.  Ja- 
mais aux  époques  des  plus  cruelles  persécutions  de  Fran- 

1 .  Note  rx. 

2.  Michelet,  Guerres  de  religion.  —  Au  titre  l'École  du  martyiû 
(de  1555  à  1566),  Genève  envoya  en  France  121  pasteura. 


214         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

çois  I"  et  de  Henri  II,  elle  n'avait  vu  arriver  tant  de 

réfugiés:  c'était  Charles  IX  qui  les  lui  envoyait.  Devant 
celte  grande  infortune ,  la  charité  des  Genevois  ne  faiblit 
pas.  Ce  fut  à  qui  d'entre  eux  sécherait  une  larme  et  adou- 
cirait une  douleur  :  vêtements,  vivres,  remèdes,  ils  n'é- 
pargnèrent rien.  ' 

Pendant  qu'on  se  réjouissait  à  Paris,  î»  Madrid  et  à 
Rome,  Genève  prit  le  deuil,  et  s'humilia  sous  la  puissante 
main  de  Dieu.  Théodore  de  Bèze  était  navré  de  douleur; 
le  coup  qui  frappait  si  cruellement  ses  frères  de  France 
ne  l'étonna  pas.  En  apprenant  la  funèbre  nouvelle,  il  s'é- 
cria: «Je  l'avais  bien  dit!»^ 

Le  conseil  décida  qu'on  célébrerait  un  jour  déjeune  et 
d'humiliation  pour  demander  au  Seigneur  de  protéger  son 
peuple  contre  la  fureur  de  ses  ennemis.  Le  3  septembre , 
Saint-Pierre  se  remplit  d'une  foule  immense;  les  réchap- 

{(és  de  la  Saint-Barthélemy  prirent  place  sur  des  bancs  qui 
eur  étaient  réservés  :  ils  étaient  graves,  recueillis,  tristes, 
mais  reconnaissants  pour  le  Dieu  qui,  dans  sa  miséricorde 
infinie ,  leur  donnait  une  ville  de  refuge.  Tous  les  regards 
de  l'assemblée  étaient  dirigés  sur  eux.  Théodore  de  Bèze 
monta  en  chaire;  quel  texte  de  prédication  que  la  présence 
de  tant  d'infortunés!  L'orateur  maudira-t-il  les  bourreaux? 
demandera-t-il  à  Dieu  de  faire  descendre  sur  eux  le  feu 
du  ciel?  Non,  il  sera  chrétien.  Perdra-t-il  courage?  non, 
il  regardera  au  Dieu  des  armées.  «Combien,  dit-il,  que  la 
conspiration  des  ennemis  s'étend  jusqu'à  vouloir  racler  la 
mémoire  des  bons  de  dessus  la  terre,  afin  qu'il  n'y  ait  que 
le  règne  des  méchants  en  vogue ,  néanmoins  tout  ira  au- 
trement. Les  rois  de  ce  monde  ont  beau  se  mutiner  et 
s'élever  contre  le  Seigneur  pour  secouer  son  joug  et  ruiner 
son  église  ;  Celui  qui  habite  les  cieux  les  brisera  comme 
un  vase  de  terre,  et  détruira  toute  principauté  qui  s'oppose 
au  royaume  éternel  de  Jésus-Christ.  Partant,  ne  vous 
fâchez  point  des  malfaisants  que  vous  voyez,  ce  semble, 
prospérer  ;  car  ils  seront  coupés  comme  le  foin  et  se  fane- 
ront comme  l'herbe  verte.  Attendez  en  patience  le  Sei- 
gneur ;  ayez  ferme  confiance  en  lui,  et  ne  portez  point 

1.  Registres  du  conseil  (30  août  1572). 

2.  Deuxième  volume  de  cette  bLsloire,  p.  S5Î. 


\ 


LIVRE  XXVI. 


215 


(l'ennui,  n'ayez  même  aucun  regret  de  celui  qui  espère  en 
ses  lâchetés,  car  les  malins  seront  exterminés,  mais  ceux 
qui  ont  leur  attente  au  Seigneur  seront  bénis  de  lui  ;  ils 
ne  seront  point  confus  au  mauvais  temps.  La  main  de 
Dieu  n'est  point  abrégée,  son  bras  n'est  point  accourci;  le 
Seigneur  est  le  roi  qui  seul  peut  tout  ce  qu'il  veut;  il  ne 
permettra  point  qu'un  cheveu  de  notre  tète  tombe  en  terre 
sans  sa  volonté.  Partant,  ne  nous  effrayons  aucunement 
pour  le  dessein  des  hommes  qui  ont  injustement  délibéré 
de  nous  mettre  tous  à  mort  avec  nos  femmes  et  nos  en- 
fants; soyons  plutôt  assurés  que  si  le  Seigneur  a  ordonné 
de  nous  délivrer  tous  ou  aucun  de  nous,  nul  ne  lui  pourra 
résister.  S'il  lui  plaît  que  nous  mourrions  tous,  ne  crai- 
gnons point ,  car  il  a  plu  à  notre  père  nous  donner  une 
autre  habitation  qui  est  le  royaume  céleste ,  auquel  il  n'y 
a  point  de  mutation,  pauvreté,  misère,  larmes,  pleurs, 
deuil  ou  tristesse ,  mais  félicité  et  béatitude  éternelles. 
Il  vaut  beaucoup  mieux  être  logé  avec  le  pauvre  Lazare 
au  sein  d'Abraham  qu'avec  le  mauvais  riche,  avec  Caïn, 
avec  Saûl ,  avec  Hérode  ou  avec  Judas  en  enfer.  Cepen- 
dant, il  nous  faut  boire  le  breuvage  que  le  Seigneur  nous  a 
préparé,  à  chacun  selon  sa  position.  Il  ne  faut  pas  que 
nous  ayons  honte  de  la  croix  de  Christ,  ni  regret  de  boire 
du  fiel  duquel  il  a  été  le  premier  abreuvé ,  sachant  que 
notre  tristesse  sera  tournée  en  joie  et  que  nous  rirons  à 
notre  tour  quand  les  méchants  pleureront  et  grinceront 
les  dents.»' 

Le  discours  de  Bèze  fut  écouté  avec  une  émotion  pro- 
I  fonde.  Les  larmes  coulaient  sur  tous  les  visages;  dans  ce 
moment  solennel  chacun  sentait  que  la  ville  que  Dieu 
garde  est  bien  gardée. 

Parmi  les  réfugiés ,  il  y  avait  plusieurs  pasteurs  et  parmi 
eux  le  pieux  Chandieu.  On  leur  offrit  généreusement 
d'exercer  leur  ministère,  et  des  fonds  pour  l'instruction 
des  enfants  qui  les  avaient  suivis  dans  leur  exil.  «  Nous 
remercions  Dieu,  dit  Chandieu  à  Théodore  de  Bèze,  qui 
leur  avait  fait  cette  double  offre  au  nom  de  la  congrégation 
des  pasteurs ,  de  la  grâce  qu'il  nous  a  accordée  en  nous 
retirant  du  glaive  des  méchants  ;  nous  éprouvons  une 


1.  Uaberel,  Histoire  de  i'église  de  Geaève,  t.  H,  p.  324-325 


21 G         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

profonde  reconnaissance  de  votre  olTre  pécuniaire,  mais 
nous  désirons  que  cet  argent  demeure  entre  les  mains 
d'un  ministre  de  votre  compagnie ,  auquel  nous  puissions 
nous  adresser  selon  les  besoins  les  plus  pressants  de  nos 
frères  pauvres.»' 

Théodore  de  Bèze  répondit  fraternellement  à  Chandieu, 
exhorta  les  pasteurs  à  mettre  de  plus  en  plus  leur  con- 
fiance en  Dieu,  et  afin  qu'ilsnese  crussent  pas  étrangers  à 
Genève,  il  leur  dit  que  toutes  les  chaires  de  la  ville  étaient 
à  leur  disposition.  «Les  Genevois,  ajouta-t-il,  seront  heu- 
reux de  vous  y  voir  monter.» 

L'hiver  de  1572  à  1573,  le  plus  rigoureux  dont  Genève 
ait  gardé  le  souvenir,  s'annonçait  d'une  manière  alar- 
mante. De  Bèze  ne  crut  pas  que  ceux  qui  avaient  reçu  dans 
leurs  maisons  les  réfugiés  dussent  porter  seuls  une  si 
lourde  charge.  Il  proposa  une  collecte  qui  produisit  4000 
livres.  Les  pasteurs  s'inscrivirent  en  tête  de  la  liste  et 
donnèrent  un  bel  exemple  de  désintéressement,  en  refu- 
sant qu'on  fit  une  démarche  auprès  du  conseil  pour  aug- 
menter leur  modeste  traitement.  La  plupart  d'entre  eux 
étaient  pauvres  et  avaient  à  peine  le  strict  nécessaire  pour 
nourrir  leurs  familles.  «Messieurs  du  conseil,  dirent-ils, 
savent  ce  qu'ils  ont  à  faire,  et  il  ne  convient  pas  que,  dans 
ce  temps  calamiteux,  on  puisse  dire  que  nous  avons  solli- 
cité un  accroissement  de  gages'»,  noble  langage  toujours 
admiré  des  troupeaux  qui  comprennent  si  bien  que  l'une 
des  gloires  du  pasteur  est  une  humble  résignalion  à  la 
pauvreté,  et  qui  cependant  oublient  quelquefois  que  si 
le  serviteur  de  Dieu  ne  doit  convoiter  ni  or,  ni  argent,  il 
est  cependant  digne  de  son  salaire,  comme  le  bœuf  qui 
foule  le  grain.  Pauvre  bœuf,  trop  oublié  de  ceux  pour  les- 
quels il  ouvre  avec  ses  sueurs  le  sillon  de  la  vie  éternelle! 

L'hiver  fut  terrible  ,  mais  la  charité  des  Genevois  ne  se! 
ralentit  pas  un  seul  moment.  Les  réfugiés  comprirent 
toute  la  grandeur  des  charges  que  leur  présence  imposait 
à  leurs  frères.  Les  ministres  français  furent  surtout  admi- 
rables de  résignation  et  se  retranchèrent  toute  la  nourri-, 
ture  qui  ne  leur  était  pas  absolument  nécessaire. 

1.  fiaberel,  Ilistoh-e  de  l'église  de  Genève,  t.  II,  p.  325-326.  ;  " 
7.  Idem,  p.  328-329. 


I 


LIVRE  XXVI. 


217 


Genève  brava  la  colère  do  Gliarics  IX  en  accordant  ou- 
verlement  l'hospitalité  à  ses  victimes.  Le  roi  de  France 
s'indignait  qu'une  petite  ville  osât,  à  la  face  de  l'Europe, 
recueillir  ceux  qui  étaient  échappés  à  ses  bourreaux.  Il 
résolut  de  compléter  sa  victoire  en  détruisant  ce  qu'il  ap- 
pelait le  foyer  de  l'hérésie.  —  Dieu  qui  veillait  sur  la 
noble  ville,  déjoua  ses  projets.  Genève  fut  encore  une  fois 
sauvée.  Charles  IX  descendit  prématurément  dans  la  tombe, 
et  la  cité  qu'il  avait  voulu  détruire  ne  fit  que  grandir. 


X. 

Quatre  ans  environ  après  l'arrivée  des  réfugiés ,  une 
scène  bien  touchante  eut  lieu  à  Genèva.  Henri  III  avait 
rendu  l'édit  du  8  juin  1576  qui  permettait  aux  protestants 
de  rentrer  en  Francn'.  Quels  que  soient  les  torts  de  notre 
patrie,  nous  l'aimons  toujours.  R  y  a  dans  les  lieux  qui 
nous  ont  vu  naître  tant  de  souvenirs!  nos  pas  se  sont  im- 

Îirimés  si  souvent  sur  son  sol  en  caractères  ineffaçables; 
à,  nous  avons  les  cendres  de  ceux  qui  nous  furent  chers, 
et  dont  la  vie  fut  notre  vie;  là,  nous  avons  le  toit  qui  nous 
a  abrité,  la  maison  de  prières  où  nous  avons  formé  alliance 
avec  Dieu,  et  près  d'elle  le  champ  du  repos.  Ah!  rien  ne 
peut  remplacer  ce  petit  coin  de  terre  que  l'un  appelle  sa 
ville,  l'autre  son  village,  et  quel  que  soit  le  lieu  où  le 
malheur  nous  jette,  fut-il  des  plus  beaux  et  des  plus 
riants ,  il  ne  vaut  pas  à  nos  yeux  le  lieu  où  nous  versâmes 
nos  premières  larmes  et  où  nous  eûmes  nos  premières 
joies. 

Un  ministre  de  la  petite  ville  de  Saint- An tonin,  située 
sur  les  bords  de  l'Aveyron  ,  à  quelques  lieues  de  Montauban, 
fut  obligé  de  s'expatrier:  il  vint  à  Genève  où  il  reçut  une 
hospitalité  fraternelle;  malgré  l'affection  dont  il  fut  en- 
touré, il  prit  la  nostalgie.  Quoiqu'il  sût  qu'en  remettant 
les  pieds  sur  la  tet're  natale,  il  encourrait  la  peine  de 
mort,  il  voulut  encore  une  fois  revoir  son  cher  Saint-An- 
tonin.  Il  partit  seul ,  marchant  la  nuit ,  se  cachant  le  jour, 
et  après  un  demi-mois  de  marche,  il  arriva  au  lever  de 


1.  Drion ,  Histoire  chronologique,  1. 1". 
IV.  7 


218 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


l'aurore  sur  une  colline  du  haut  de  laquelle  il  l'aperçut.  A 

la  vue  de  cette  paroi<^se  qui  îui  était  si  chère,  et  des  ruines 
du  temple  dans  lequel  il  av     si  souvent  annoncé  le  con- 
seil de  Dieu,  son  cœur  ballit  avec  force.  Agité  d'impres- 
sions diverses,  ses  larmes  coulèrent,  sa  voix  éclata  en  • 
sanglots.  11  eût  voulu,  comme  Josué,  arrêter  le  soleil  afin 
de  pouvoir  plonger  plus  longtemps  ses  regards  sur  ces 
lieux  si  vivants  dans  ses  souvenirs.  Mais  la  ville  se  réveilla  :  : 
il  reprit  alors  son  bâton  de  voyageur  et  retourna  à  Genève  ] 
pour  y  mourir'.  Revenons  aux  réfugiés.  , 

Dès  qu'ils  apprirent  qu'ils  pouvaient  rentrer  dans  leur  , 
patrie ,  ils  se  réunirent  à  Saint-Pierre  où  un  service  so-  , 
lennel  fut  célébré.  Des  milliers  de  voix  entonnèrent  le  ■ 
beau  cantique  1 
La  voici  l'heureuse  journée  , 
Qui  répoud  à  notre  désir.  J 

Le  pasteur  Chandieu,  au  nom  de  ses  frères,  prit  la  pa-  ^ 
rôle  et  s'adressaiit  aux  divers  corps  de  l'Etat,  leur  dit:  , 
«  Messieurs  les  conseillers.  Messieurs  les  pasteurs,  lorsque  ] 
nous  arrivâmes  dans  ces  murs,  brisés  de  fatigue  et  de  , 
douleur,  ignorant  le  sort  de  nos  plus  chers  amis ,  nous  j 
trouvâmes  diez  vous  l'accueil  le  plus  fraternel ,  des  con-  ^ 
solations  chrétiennes  et  des  secours  qui  sont  de  véritables  | 
sacrifices,  vu  la  rigueur  du  temps  et  la  difficulté  de  pour-  '  j 
voir  aux  besoins  de  tous  les  misérables.  Votre  charité  a  i  ] 
donné  sans  compter,  ni  calculer;  elle  a  considéré  les  mal-  | 
heureux  sans  jamais  s'effrayer  de  leur  nombre;  elle  n'a  | 
pas  laissé  une  seule  souffrance  sans  l'adoucir.  Nous  ne 
pourrons  jamais  assez  reconnaître  ces  grâces.  Nous  consi-  , 
dérerons  toujours  l'église  de  Genève  comme  notre  bienfaj-  ■ 
trice  et  notre  mère,  et  de  tous  les  temples  réformés  ^ 
français  s'élèveront  chaque  dimanche,  des  paroles  de  béné-  j 
diction,  en  souvenir  de  votre  admirable  bienfaisance  à  ^ 
notre  égard.  » 

Quand  Chandieu  eut  achevé  de  parler,  il  y  eut  une  scènç 
qui  émut  profondément  l'assemblée  et  fit  couler  d'abon- 
dantes larmes,  moins  amères  que  celles  qui  coulèrent 
dans  le  même  temple  le  3  septembre  1572.  Chandieu  et 

1.  On  a  montré  à  l'auteur  de  cette  histoire  le  lieu  d'où  le  pas-  j  | 
teur  plongea  ses  regards  sur  Saint-Antonin. 

2.  Registres  de  la  compagnie  (8  juin  1676). 


tIVRE  XXVI. 


219 


les  seigneurs  français  s'avancèrent  vers  les  pasteurs  et  les 
conseillers  genevois,  leur  serrèrent  fraternellement  les 
mains  et  les  embrassèrent.  11  y  eut  le  soir  un  banquet  où 
des  discours  touchants  furent  prononcés.  Pas  une  seule 
parole  d'amertume ,  de  colère  et  de  récrimination  ne  se 
rencontra  sur  les  lèvres  des  orateurs.  «Un  grand  nombre 
de  citoyens,  dit  M.  Gaberel,  accompagnèrent  les  réfugiés 
jusqu'à  la  frontière  française.  Mais  quelle  différence  avec 
les  jours  de  l'arrivée!  Les  protestants  rentraient  dans  leur 
patrie  la  joie  au  cœur;  l'espérance  et  les  plans  d'avenir 
occupaient  seuls  leur  pensée.  Point  de  coupables  projets, 
on  ne  les  avait  jamais  entendu  maudire  leurs  persécuteurs, 
ils  ne  connaissaient  pas  ces  farouches  rassemblements  où 
l'émigré  politique  réclame  la  vengeance  comme  le  plus 
saint  des  devoirs.  Bannis  de  la  terre  natale  pour  avoir 
voulu  servir  Dieu  en  esprit  et  en  vérité,  ils  ne  s'étaient 
distingués  durant  l'exil,  que  par  la  qualité  de  vrais  adora- 
teurs; ils  revenaient  dans  leur  pays,  ne  demandant  que  la 
liberté  de  conscience  avec  le  droit  d'élever  leurs  enfants 
selon  le  Seigneur  et  d'ensevelir  leurs  parents  près  de  leurs 
temples.  Les  misères  du  passé  considérées  par  eux  comme 
des  dispensations  providentielles,  ne  s'étaient  pas  trans- 
formées en  des  sources  de  haine.  Ils  avaient  souffert  le 
martyre,  et  comme  tous  les  véritables  martyrs  chrétiens , 
le  plus  beau  fleuron  de  leur  couronne  était  d'avoir  prié,  à 
l'exemple  de  leur  divin  maître,  pour  ceux  qui  les  maltrai- 
taient et  les  persécutaient.'» 

Le  lendemain,  19  juin  1576,  jour  mémorable  dans  leur 
vie,  ils  reprirent  ce  même  chemin  de  France  par  lequel  ils 
étaient  venus,  fuyant  le  poignard  de  leurs  assassins;  leurs 
cœurs  étaient  pleins  d'espérance;  ils  ne  virent  pas  que 
le  ciel  de  France  était  chargé  de  tempêtes  :  la  joie  est 
confiante. 

XI. 

Genève  était  toujours  pour  Rome  un  précieux  joyau 
détaché  de  sa  couronne;  aussi  le  pape,  sans  cesse  convoi- 
teux  de  cette  belle  proie ,  essaya  à  plusieurs  reprises  de  se 

1.  Gaberel,  Histoire  de  l'église  de  Genève,  t.  0,  p.  338-339. 


220         HISTOIRE  DE  LA  RÉFOIIMATION  FRANÇAISE. 

le  faire  rendre,  soit  par  le  roi  très-chrétien,  soit  par  le 
roi  catholique.  La  Savoie  lui  vint  constamment  en  aide; 
mais  ce  que  la  force  des  armes  et  les  ruses  de  la  diplo- 
matie n'avaient  pu  faire,  un  prêtre,  François  de  Sales, 
eut  la  pensée  de  le  tenter  par  la  parole.  L'entreprise  était 
audacieuse;  mais  l'homme  qui  se  mit  à  cette  œuvre  était 
admirablement  doué  et  eût  réussi  s'il  n'eût  pas  été  aux 

[trises  avec  l'impossible;  il  appartenait  par  sa  naissance  à 
a  première  noblesse  de  la  Savoie,  et  il  était  l'aîné  d'une 
famille  nombreuse  sur  laquelle  il  devait  jeter  l'éclat  de 
son  nom.  Ses  parents  lui  firent  donner  une  éducation  dis- 
tinguée et  l'envoyèrent  à  Paris  étudier  sous  Genébrard  el 
Maldonat.  Ses  deux  maîtres  furent  moins  émerveillés  de  sa 
rare  intelligence  que  de  sa  piété  simple  et  candide  et  de 
sa  foi  soumise  qui  croyait  tout  sans  examen.' 

De  Paris  il  alla  à  Padoue  étudier  sous  Pencirole  qui  y  pro- 
fessait la  jurisprudence  avec  un  grand  éclat.  Il  fit  des  progrès 
rapides  dans  le  droit  civil  et  fut  reçu ,  le  5  septembre  1591 , 
docteur  aux  grands  applaudissements  des  quarante -huit 
maîtres  de  l'université.  Il  fit  pendant  ses  études  la  connais- 
sance du  jésuite  Possevino,  homme  de  mœurs  douces  et  d'un 
commerce  agréable.  Ce  père  devint  son  conducteur  spirituel 
et  lui  donna  des  directions  qui  influèrent  considérablement 
sur  sa  vie.  A  la  suite  d'une  grave  maladie,  il  se  décida  à  en- 
trer dans  la  vie  religieuse  vers  laquelle  ses  goûts  le  portaient. 
Quoique  sa  piété,  fut  sincère,  il  ne  put  échapper  au  sym- 
bolisme de  son  Église  qui  parle  plus  à  l'imagination  qu'à 
l'âme.  La  vierge  Marie  devint  l'objet  de  son  culte.  C'était  sa 
médiatrice  auprès  de  son  Fils  ;  par  elle,  ses  prières  montaient 
vers  Dieu.  Catholique  humble  et  soumis,  il  croyait  que 
Rome  est  la  mère  et  la  maîtresse  de  toutes  les  Églises  et 
ajoutait  foi  aux  légendes  miraculeuses  dont  se  compose 
son  histoire;  ainsi,  il  croyait  que  la  maison  de  la  Vierge 
avait  été  transportée  par  les  anges  de  Nazareth  à  Lorette. 
Il  voulut  visiter  ce  célèbre  sanctuaire;  «à  peine  eut-il 
fléchi  les  genoux,  dit  son  biographe,  que,  comme  s'il  fût 

1.  La  vie  de  l'illustrissime  François  de  Sales,  de  très-henrcuse 
et  glorieuse  mémoire  cvôque  et  prince  de  Genève,  et  inslitutour 
de  l'ordre  des  dames  de  la  Visitation  p.  le  R.  p.  Lovys  de  la  Rivière 
de  l'ordre  des  miijimes,  3«  édition;  à  Lyon  chez  Clavde  Rigavd, 
an  M.D.CXXVII. 


LIVRE  XXVI. 


221 


entré  dans  une  fournaise ,  il  se  sentit  enflammé  d'une 
extraordinaire  charité;  il  contemplait  cette  chambrette  où 
la  Vierge  glorieuse  habita  jadis  avec  son  virginal  patron 
saint  Joseph,  où  l'ange  Gabriel  descendit  pour  annoncer 
le  mystère  des  mystères,  où  le  Saint-Esprit  s'écoula  d'une 
manière  non  accoutumée  dans  le  chaste  amarry'  de  la 
bien-aimée  Vierge  pour  y  dresser  les  appareils  des  hy- 
postatiques  noces  qui  se  devaient  tôt  célébrer  entre  la 
personne  du  Verbe  éternel  et  la  nature  humaine ,  où  s'est 
parfaite  celte  divine  union  qui  n'a  encore  eu  ci-devant  et 
n'aura  ci-après  sa  semblable,  où  le  Verbe  s'est  fait  chair, 
où  la  sagesse  incréée  s'est  faite  sagesse  incarnée,  où  la 
divine  enfance  du  divin  poupon  a  été  élevée  depuis  qu'il 
fut  retourné  d'Egypte.  0  vrai  Dieu!  c'est  en  ce  lieu  que  la 
Mère  d'amour  a  tant  de  fois  couché,  levé  et  nourri  son 
petit  enfant  d'amour,  le  sacré  Jésus.  C'est  en  ce  lieu  que 
l'amoureux  Jésus  a  si  souvent  reposé  au  giron,  dormi  au 
sein  et  embrassé  de  ses  bras  mignards  le  col  amoureux  de 
sa  digne  mère;  c'est  ici  que  le  bienheureux  Joseph  a  pris 
une  infinité  de  fois  entre  ses  bras  ce  céleste  garçonnet,  le 
caressant,  lui  apprenant  a  marcher,  le  menant  par  la  main; 
c'est  en  ce  lieu  véritablement  que  le  divin  Époux  s'est  re- 
posé entre  les  beaux  lys  virginaux  :  Marie  et  Joseph.  Plaise 
à  votre  bonté,  ô  mon  doux  Sauveur,  que  le  souvenir  de 
ces  vôtres  actions  ne  s'efface  jamais  de  ma  mémoire.  Toutes 
vos  actions  sont  incomparables,  saintes  et  augustes;  ce 
sont  autant  de  miroirs ,  autant  de  bien  nets  et  bien  polis 
cristaux,  où  nous  apercevons  clairement  et  les  imperfec- 
tions qui  sont  en  nous,  et  les  perfections  qui  n'y  sont  pas. 
Mais  je  ne  sais  que  veut  dire  que  les  très-sages  actions  de 
votre  bénite  enfance  m'agréent  tant,  me  ravissent  tant  par 
leur  simplicité,  par  leur  candeur,  par  leur  innocence; 
chacune  en  particulier  est  un  aimant.' 

De  Lorette,  François  de  Sales  alla  à  Rome.  Plein  de 
celte  charité  qui  ne  soupçonne  pas  le  mal,  il  se  crut  encore 
dans  la  ville  des  martyrs;  tout  lui  rappelait  ces  temps  glo- 
rieux où  les  chrétiens  étaient  jetés  en  pâture  aux  bêtes 
féroces  et  éclairaient  les  rues  et  les  places  publiques  de 

1.  Sein. 

2.  Histoire  de  Saint-François  de  Sales,  1 1",^.  87- W. 


222         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

leurs  corps  transformés  en  torches  ardentes;  il  ne  vit  rien 
de  ce  qui  se  passait  autour  de  lui  et  retourna  en  Savoie, 
avec  la  certitude  que  le  pape  était  le  vicaire  de  Jésus-Christ, 
et  les  protestants  des  hérétiques  qui  ravatçeaient  la  vigne  du 
Seigneur.  A  peine  arrivé,  il  déclara  à  ses  parents  son  dé- 
sir de  se  faire  prêtre;  ils  y  consentirent  à  regret. 

Le  jour  où  il  échangea  ses  habits  de  gentilhomme  contre 
une  soutane,  il  éprouva  une  grande  joie.  On  ne  saurait 
exprimer,  dit  son  biographe,  l'allégresse  d'esprit  qui  le 
saisit  lorsqu'il  se  vit  paré  de  la  sainte  livrée.  «Voilà,  disait- 
il  en  son  cœur,  une  casaque  qui  m'avertit  que  je  serai 
bientôt  enrôlé  à  une  milice,  en  laquelle  on  combat  sous 
l'oriflamme  de  la  croix  pour  remporter  le  prix  de  la  gloire 
éternelle.  Heureuse  milice,  certainement,  puisqu'en  icelle 
on  consacre  son  courage,  non  à  la  vanité,  mais  à  la  vérité; 
non  pour  l'ambition ,  mais  pour  la  dévotion  ;  non  à  des  évé- 
nements douteux,  mais  à  des  infaillibles  lauriers  glorieux: 
heureuse  milice,  encore  un  coup,  vu  que  l'on  y  triomphe 
plutôt  en  souffrant  qu'en  frappant;  plutôt  en  répandant 
son  sang  qu'en  tirant  celui  des  veines  de  l'adversaire; 
plutôt  en  mourant  qu'en  tuant.  »  ' 

Quelque  vive  que  fut  la  piété  du  jeune  gentilhomme , 
elle  subit  l'influence  délétère  du  milieu  dans  lequel  il 
vécut.  S'il  eût  été  le  contemporain  deFarel,  il  est  probable 
que  le  protestantisme  compterait  un  grand  réformateur  de 
plus.  François  de  Sales  eût  certainement  voulu  savoir  ce 

a n'étaient  ces  premiers  martyrs,  doux,  calmes  et  sereins 
evant  la  mort.  Il  l'eût  su,  et  comme  Othman,  Bèze,  Mar- 
lorat  et  tant  d'autres,  il  eût  quitté  l'Église  des  oppresseurs 
pour  celle  des  opprimés;  mais  quand  il  vint  au  monde,  la 
séparation  s'était  accomplie;  les  protestants,  moins  chré- 
tiens que  politiques ,  avaient  exercé  à  l'égard  des  catho- 
liques la  loi  du  talion;  ils  avaient  incendié  les  églises  et 
les  monastères,  déchiré  les  images,  mutilé  les  statues, 
jeté  au  ruisseau  des  rues  les  reliques,  livré  à  leurs  risées 
les  vêtements  sacerdotaux.  Ces  souvenirs  étaient  vivants 
dans  le  cœur  des  catholiques  qui  aimaient  à  oublier  qu'ils 
avaient  été  les  agresseurs. 
Il  eût  été  difficile  que  le  jeune  François  de  Sales  ne 

1.  Histoire  de  François  de  Sales,  liv.  U,  p.  111. 


lIVRE  XXVI. 


«23 


partageât  pas  les  préjugés  de  son  époque  contre  les  ré- 
formés; son  esprit,  porté  au  mysticisme  qui  se  serait  fa- 
cilement accommodé  de  la  théologie  de  Lefèvre  d'Etaples 
et  de  Gérard  Roussel,  n'aurait  pas  été  attiré  vers  le  dogme 
i;onevois,  sévère  de  forme  et  de  fonds.  Le  catholicisme, 
avec  sa  symbolique ,  sa  hiérarchie  ecclésiastique  et  la  pompe 
de  ses  cérémonies,  répondait  mieux  à  ses  instincts  reli- 
gieux. Il  se  manifeste  aux  époques  das  luttes  religieuses 
un  esprit  de  parti  qui  rend  aux  hommes  les  plus  réfléchis 
l'exercice  de  l'examen  très  -  difficile.  Ces  considérations 
expliquent  comment  le  jeune  prêtre  savoisien,  plein  de 
science  et  de  piété,  a  pu  devenir,  malgré  les  grossières 
erreurs  de  son  Église,  son  champion  le  plus  brillant  et 
le  plus  vénéré.  L'esprit  comme  le  cœur  a  ses  égarements. 

A  peine  entré  dans  les  ordres,  François  de  Sales  se 
distingua  de  la  plupart  de  ses  confrères  par  la  manière 
dont  il  exerça  son  ministère;  il  visitait  les  pauvres,  portait 
le  viatique  aux  mourants,  prêchait  fréquemment,  et  se 
rendait  recommandable  par  sa  vie  irréprochable.  Il  était  le 
modèle  du  prêtre  catholique.  Tel  était  l'homme  sur  lequel 
Claude  Granier,  évèque  de  Genève,  jeta  les  yeux  pour 
faire  rentrer  dans  son  Église  les  habitants  du  Chablais  qui 
s'en  étaient  séparés. 

XIL 

La  contrée  que  Claude  de  Granier  voulait  conquérir  à  la 
foi  romaine  devait  au  protestantisme  sa  régénération  mo- 
rale et  intellectuelle;  voici  le  portrait  qu'en  fait  un  histo- 
rien de  François  de  Sales,  quand  Farel,  aidé  de  Fabri, 
alla  la  soustraire  au  joug  de  Rome  et  la  détacher  de  la 
Savoie  pour  la  donner  à  messieurs  de  Berne  : 

«Presque  tous  les  monastères,  tant  d'hommes  que  de 
femmes,  et  les  prieurés  conventuels  de  la  Savoie  et  du 
Genevois  sont  tellement  déchus  de  la  discipline  régulière 
et  observance  des  ordres  qu'à  peine  peut -on  distinguer 
les  réguliers  des  séculiers,  parce  que  les  uns  vagabondent 
par  le  monde,  les  autres,  qui  demeurent  dans  leurs  cloîtres, 
vivent  assez  dissolûment  avec  un  grand  scandale  du  peuple. 
C'est  une  merveille  combien  la  discipline  des  réguliers  e.st 
dissipée  en  toutes  les  abbayes  et  prieurés  de  ce  diocèse 


224         HISTOIUE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

(j'en  excepte  les  chartreux  et  les  mendiaiils).  L'argent  de 
tous  les  autres  est  réduit  en  ordures;  leur  vin  est  changé 
en  poison;  ils  font  blasphémer  les  ennemis  du  Seigneur, 
qui  disent  chaque  jour  :  «  où  est  le  Dieu  de  ces  gens-là?» 
Sous  le  rapport  d'argent  les  choses  n'en  vont  pas  mieux; 
les  habitants  des  montagnes  crient  que  ceux-ci  se  nour- 
rissent de  leur  lait,  se  couvrent  de  leur  laine  et  ne 
prennent  aucun  soin  de  leurs  âmes.  Les  abbés  et  les 
prieurs,  à  propos  de  revenus,  ont  continuellement  entre 
eux  des  procès,  noises  et  querelles  scandaleuses.  Quant 
aux  religieuses,  il  est  nécessaire  qu'elles  soient  mieux 
assistées  spirituellement,  et  qu'elles  ne  demeurent  pas 
exposées  au  désordre  de  tant  de  visites  vaines  et  dange- 
reuses de  parents  et  amis.»' 

Sous  l'influence  régénératrice  de  la  Réforme,  le  Chablais 
s'était  transformé.  A  dater  de  1536,  dit  M.  Gaberel,  la 
vallée  du  Léman  subit  une  métamorphose  complète.  Na- 
guère, le  campagnard,  plus  esclave  que  le  nègre  d'Amé- 
rique, ne  possédait  pas  un  pouce  de  terrain;  le  fruit  de 
son  travail  ne  lui  appartenait  pas;  sa  femme  et  ses  enfants 
se  trouvaient  à  la  merci  du  seigneur.  Les  guerres  entre 
les  comtes  obligeaient  les  paysans  à  revêtir  la  cuirasse; 
sans  cesse  ils  devaient  sacrifier  leur  vie  pour  des  intérêts 
absolument  étrangers.  Les  sujets  des  moines  et  des  abbés 
n'étaient  pas  dans  une  condition  meilleure.  La  violence  et 
la  luxure  régnaient  dans  les  monastères  aussi  bien  que 
dans  les  châteaux.  De  leur  côté,  les  marchands  soufl"raient, 
sans  espoir  de  temps  meilleurs,  les  vexations  des  châte- 
lains; fréquemment  dévalisés  ou  soumis  à  de  fortes  ran- 
çons par  les  hommes  d'armes,  ils  étaient  obligés  de  se 
munir  de  sommes  considérables  pour  obtenir  le  passage. 
Misère,  vol,  débauche,  esclavage,  abrutissement:  tel  était 
le  spectacle  que  présentait  le  pays  genevois,  lorsque  les 
Bernois,  pareils  au  vent  de  leurs  Alpes  qui  dissipe  les 
vapeurs  empoisonnées,  détruisirent  pour  jamais  la  tyran- 
nie féodale  en  ravageant  ses  forteresses.  Dès  lors ,  les 
agriculteurs,  devenus  propriétaires,  connurent  le  bonheur 
de  recueillir  le  fruit  de  leurs  peines  sans  que  la  main  d'un 

1.  Histoire  du  bienheureux  François  de  Sales,  par  Auguste  de 
Sales,  sou  neveu  (Annecy  1032),  p".  216,  361 ,  473-474.  —  Ga- 
berel, Histoire  de  l'église  de  Genève,  t.  Il,  p.  T)!  1-542. 


LIVRE  XXVI. 


225 


Diaîlre  vint  le  leur  ravir;  ils  savourèrent  la  joie  toute  nou- 
velle de  travailler  en  paix  pour  nourrir  leurs  familles;  ils 
purent  voir  leurs  fils  grandir,  prendre  des  forces,  sans 
craindre  la  visite  des  valets  armés  chargés  du  recrutement; 
ils  purent  se  réjouir  de  la  beauté  de  leurs  filles,  sans  avoir 
à  redouter  les  regards  du  seigneur.  A  la  place  du  moine 
collecteur,  et  des  fermages  impitoyablemant  exigés,  les 
gens  du  Cliablais  recevaient  la  visite  paternelle  d'un  mi- 
nistre payé  par  l'État,  et  qui  ne  réclamait  ni  dime,  ni 
casuel  pour  son  salaire.  Les  revenus  des  grandes  terres 
conventuelles  ne  disparaissaient  plus  dans  les  trésors  mys- 
térieux des  abbés  et  des  prieurs.  Cet  argent  était  employé 
publiquement  au  bénéfice  des  pauvres  et  servait  à  payer 
les  instituteurs  publics.  Les  cérémonies  d'église  ne  coû- 
taient rien  ;  les  familles  épuisées  par  les  maladies  n'avaient 
point  à  craindre  la  ruine  occasionnée  par  les  frais  d'ense- 
velissement et  du  purgatoire.  Le  culte  d'esprit  et  de  vérité, 
donné  gratuitement  par  le  Sauveur,  était  célébré  sans  que 
l'argent  vînt  le  souiller  de  sa  triste  influence.  Un  bien-être 
matériel  et  religieux,  auparavant  inconnu,  se  manifestait 
dans  la  vallée  du  Léman.  ' 

XIII. 

Ce  fut  dans  cette  contrée  que  François  de  Sales  vint 
exercer  son  activité.  Il  était  éminemment  propre  à  cette 
œuvre;  par  sa  famille,  il  appartenait  aux  premières  maisons 
de  la  Savoie;  par  sa  science,  il  pouvait  lutter  avec  la  plu- 
part des  m.inistres  protestants;  par  son  éloquence  douce, 
persuasive,  entraînante,  il  se  préparait  un  accès  dans  les 
cœurs;  de  plus,  il  allait  prêcher  la  foi  catholique  aux  sujets 
de  son  souverain.  Le  grand  obstacle  qu'il  avait  à  vaincre, 
était  de  leur  faire  comprendre  que  leurs  pères  s'étaient 
rendus  coupables  d'hérésie,  quand  ils  avaient  rompu  avec 
l'évèque  de  Rome.  Il  ne  calcula  pas  les  difficultés,  alla  en 
avant,  et  fit  son  entrée  dans  le  Chablais  le  10  septembre 
1594.  Pour  compagnon  de  travail  il  avait  son  parent  le 
chanoine  Louis  de  Sales,  pour  armes  de  guerre,  une  Bible 

1.  Gaberel,  Hist.  de  Genève,  t.  II,  d.  . 
I,  li-aiic  ùi  Jiyous 


226         HISTOIRE  DE  LA  RÉFOnMATlON  FRANÇAISE. 

et  un  Bellarmin.  Les  missionnaires,  qui  l'avaient  précédé 
dans  ce  champ  de  travail,  virent  en  lui  un  Gédéon,  et 
fêtèrent  sa  bien- venue  en  exorcisant,  suivant  les  formules 
de  l'Église  latine,  les  malins  esprits  qui  étaient  dans  la 
contrée. 

L'intrépide  missionnaire  résolut  d'attaquer  le  protes- 
tantisme dans  son  foyer,  à  Thonon.  Mais  il  ne  tarda  pas  à 
comprendre  que  visites,  exhortations,  cérémonies  pom- 
peuses, rien  ne  trouvait  l'accès  du  cœur  des  hérétiques 
qui  refusaient  de  l'entendre,  et  montraient  souvent  un 
visage  irrité;  après  deux  ans  de  travaux,  quatre  [irolestants 
seulement  se  décidèrent  à  abandonner  la  réforme;  quel- 
que temps  après,  l'avocat  Poncet  et  le  baron  d'AvuUy  firent 
leur  abjuration;  mais  ces  deux  conversions  furent  sans  in- 
fluence sur  la  masse  des  habitants  du  Chablais. 

Dans  son  désappointement,  le  missionnaire  catholique 
écrivit  au  duc  de  Savoie  :  «Je  vois  bien,  lui  disait -il,  ce 
qu'il  faut  faire;  il  faut  rétablir,  en  grand  nombre,  curés 
et  prédicateurs;  car  tel  est  l'état  de  voire  Chablais,  que 
c'est  une  province  ruinée.  Quant  à  moi,  j'ai  déjà  employé 
vingt-sepl  mois  à  mes  propres  dépens,  en  ce  misérable 
pays ,  alin  d'y  épancher  la  parole  de  Dieu  selon  votre 
volonté;  mais  le  dirai -je?  j'ai  semé  entre  les  épines  et 
sur  les  pierres:  certes,  outre  la  recouverte  de  M.  d'Avully 
ou  de  l'avocat  Poncet ,  ce  n'est  pas  trop  grand  cas  des 
autres.  Mais  je  prie  Dieu  qu'il  nous  baille  une  meilleure 
fortune,  et  Votre  Altesse,  selon  sa  piété,  ne  permettra 
point  que  tous  nos  efforts  soient  vains.»* 

François  de  Sales  avait  épuisé  tous  les  trésors  de  son 
éloquence.  Il  était  fatigué  de  semer  «entre  dos  épines 
et  sur  des  pierres.»  Il  serait  cependant  demeuré  à  son 
poste,  si  Charles-Emmanuel  ne  l'eût  invite  à  venir  auprès 
de  lui.  Le  duc  le  reçut  avec  une  grande  distinction,  et 
s'entretint  longtemps  avec  lui ,  sur  les  moyens  de  réduire 
le  Chablais  au  catholicisme.  Pendant  son  voyage,  le  prêtre 
avait  réfléchi  ;  il  n'apportait  à  son  maître ,  pour  prix  de 
vingt-sept  mois  de  dévouement,  que  six  conversions  dont 
les  causes  eussent  été  peut-être  peu  honorables  à  divul- 
guer. Le  mode  de  procéder  était  évidemment  luauvais,  il 

1.  Gaberel,  Hist.  de  l'Église  de  Genève,  t.  II,  p.  600. 


LIVRE  XXVI. 


227 


fallait  le  changer.  Le  doux  François  de  Sales  fit  au  duc, 

qui  les  accepta,  les  propositions  suivantes  : 

«Il  faut  établir  huit  prédicateurs  bien  payés,  qui  n'aient 
d'autre  mandai  que  de  prêcher  sans  cesse  dans  les  villages 
protestants; 

«Les  trente  cures  du  Chablais  doivent  être  pourvues  de 
pasteurs  payés  avec  les  revenus  de  l'église; 

«La  ville  de  Thonon  a  besoin  de  six  ecclésiastiques; 

«Le  ministre  Viret,  de  Thonon,  doit  être  éloigné  et 
empêché  d'avoir  aucun  commerce  avec  ses  ouailles  ; 

«Il  faut  bannir  le  maître  d'école  protestant  de  cette 
ville  et  mettre  un  jésuite  à  sa  place,  dès  que  faire  se 
pourra  ; 

«Des  sénateurs  devront  assembler  le  conseil  général 
de  Thonon,  et  inviter  les  bourgeois  à  écoutée  les  raisons 
des  missionnaires,  de  la  part  de  Son  Altesse,  avec  pa- 
roles qui  expriment  la  charité  et  l'autorité  d'un  si  grand 
prince  ; 

«  Il  plaira  à  Votre  Altesse  de  faire  aumône  et  libéralité 
à  quelques  vieilles  personnes  qui  ont  toujours  vécu  catho- 
liques au  milieu  des  hérétiques  ; 

«Tous  les  hérétiques  doivent  être  privés  de  leurs 
emplois  publics,  et  des  catholiques  favorisés  mis  à  leur 
place  ; 

«  On  baillera  bon  avancement  dans  les  armes  à  la  jeunesse 
catholique  du  Chablais; 

«Il  faut  semer  la  terreur  parmi  les  habitants  du  Chablais 
par  de  bons  édits; 

«Enfin  Votre  Altesse  doit  se  montrer  libérale  envers  les 
nouveaux  convertis.  ' 

François  de  Sales  était  revenu  à  la  manière  de  procéder 
de  son  Eglise.  Il  retourna  à  Thonon  ;  cette  fois  il  ne  s'ap- 
puya ni  sur  la  Bible,  ni  sur  Bellarmin,  mais  sur  les 
pouvoirs  que  lui  avait  conférés  le  duc. 

Convaincu  qu'il  fallait  procéder  vigoureusement,  il  or- 
donna de  faire  des  préparatifs  à  Saint-Hippolyte  pour  y  cé- 
lébrer la  messe.  Le  peuple  indigné  s'ameuta.  Les  magistrats 
effrayés,  craignant  que  les  habitants  de  Thonon  ne  se 

1.  Vie  de  Sales,  par  Auguste  de  Sales,  p.  117.  —  Original,  Ar-  < 
chives  de  Turin. 


228         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

portassent  à  quelques  excès ,  reprochèrent  vivement  au 
missionnaire  sa  conduite,  et  lui  dirent  que,  d'après  le 
traité  de  Nyons,  il  ne  pouvait  s'emparer  de  l'église  qu'avec 
leur  consentement. 

Celui  que  depuis  on  a  appelé  un  «agneau»,  déroula  à 
leurs  yeux  les  parchemins  contenant  ses  pleins  pouvoirs: 
«Voici,  leur  dit-il  en  les  leur  montrant,  les  pouvoirs  écrits 
de  mon  maître  ;  prenez  garde  à  lui  obéir,  si  vous  voulez 
conserver  vos  tètes.»' 

L'agneau  était  devenu  loup  :  le  prêtre  se  retrouvait  dans 
le  doux  François  qui,  dès  lors,  fit  plus  de  conquêtes  avec 
les  ordonnances  de  son  souverain  qu'avec  son  Bellarmin, 
Avec  ces  parchemins,  il  se  fit  ouvrir  les  portes  des  églises 
jusqu'alors  fermées  à  son  éloquence  que  ses  biographes 
nous  disent  avoir  été  divine;  et  il  put  écrire  à  son  maître 
lii'S  lettres  qui  le  réjouirent.  Ce  que  le  zèle  du  mission- 
iiaire  n'avait  pu  faire ,  la  main  de  l'inquisiteur  l'accom- 
plit. Le  Chablnis  eut  ses  petites  dragonnades;  on  ouvrit 
les  églises  de  force,  on  y  rétablit  la  messe ,  on  chassa  les 
pasteurs  et  les  instituteurs;  François  de  Sales  triompha  de 
foules  les  résistances,  mais  il  blessa  au  cœur  son  église. 
Deux  siècles  et  demi  ont  constaté  que  le  catholicisme  ne 
|ieut  entrer  en  lutte  avec  la  Réforme  qu'avec  des  armes 
qui  déshonorent  le  parti  qui  s'en  sert  et  qui  blessent  tou- 
jours la  main  qui  les  manient. 

La  conversion  du  Chablais  donna  au  missionnaire  savoi- 
«ien  une  grande  célébrité  parmi  les  hommes  de  son  parti; 
et  lui-même,  enivré  de  sa  victoire  qu'il  attribuait  à  ses 
prédications  multipliées,  dut  se  croire,  entre  les  mains 
de  Dieu,  un  ministre  dévoué  de  ses  miséricordes.  Ses 
coreligionnaires,  privés  d'hommes  zélés,  firent  de  lui, 
pendant  sa  vie,  un  bienheureux,  et  se  le  représentèrent 
comme  un  apôtre,  l'auréole  au  front.  De  son  vivant  même, 
la  légende  s'empara  de  sa  vie. 

XIV.  • 

Si  François  de  Sales  eût  eu  le  pouvoir  de  faire  des  mi- 
racles, il  s'en  fût  servi  certainement,  lorsqu'il  reçut  mis- 

1  Gaberel,  Hi.^t.  de  l'église  de  Genève,.  1.  II,  p.  603. 


LIVRE  XXVI. 


229 


sion  du  pape  de  conquérir  Genève  en  ramenant  le  vieux 
Tliéodore  de  Bèze  au  catholicisme. 

Le  vieillard  huguenot  supportait  admirablement  le  far- 
deau des  années.  Sa  piété  forte  et  vivante  lui  donnait  la 
jeunesse  perpétuelle  du  chrétien.  Les  yeux  de  toute  la 
Réforme  française  étaient  arrêtés  sur  cet  homme  qui,  de- 
puis tant  d'années,  la  représentait  si  dignement;  une  pa- 
role de  lui  était  reçue  avec  un  religieux  respect ,  toujours 
méditée  et  presque  toujours  écoutée.  On  savait  que  le  dis- 
ciple de  Calvin  n'avait  pour  but,  comme  son  maître,  que  la 
i;loire  de  Dieu.  Il  jouissait  donc  de  cette  grande  et  univer- 
selle popularité  qui  est  le  lot  ordinaire  des  hommes  émi- 
nents,  quand  ils  l'acquièrent  sans  l'avoir  ni  désirée,  ni 
recherchée  ;  aussi  les  catholiques,  pour  jeter  l'alarme  au 
milieu  des  protestants,  firent  courir  plusieurs  fois  le  bruit 
que  leur  réformateur  avait  embrassé  la  religion  catholique. 
De  Bèze  ne  s'en  émouvait  pas  ;  mais  une  fois  on  propagea 
partout  la  nouvelle  comme  si  certaine,  qu'il  crut  devoir 
démentir  ces  faux  bruits  en  flétrissant  ceux  qui  les  col- 
portaient. ' 

François  de  Sales  accepta  la  mission  du  pape  et  partit. 
Il  n'avait  avec  lui  ni  sa  Bible,  ni  son  Bellarmin,  car  il  ne 
s'agissait  pas  de  convaincre  le  vieillard,  mais  de  le  tenter; 
il  arriva  à  Genève  et  se  présenta  chez  le  réformateur  qui 
le  reçut  avec  sa  politesse  habituelle  et  le  laissa  un  mo- 
ment seul  dans  son  cabinet. 

Un  portrait  frappa  les  yeux  du  jeune  missionnaire  :  c'é- 
tait celui  de  Calvin,  au  bas  duquel  étaient  ces  vers: 

Hoc  vultu  hoc  kabitu  Calvinum  sacra  docentem 

Geneva  fœlix  audiit, 
Ctijus  scripta  piis  tolo  celebrantur  in  orbe 

Malis  licet  ringcalibus.^ 

François  de  Sales  prit  un  crayon,  et  en  modifiant  trois 
mots,  ht  d'un  éloge  la  satire  suivante  : 

1 .  n  fit  à  cette  occasion  un  petit  pamphlet  intitulé  :  Beza  redi- 

vicKs  (Bèze  ressuscité) ,  semé  de  traits  lins  et  mordauts. 

2.  Ceci  représente  Calvin  enseignant  des  choses  saintes,  que 
Genève  heureuse,  écouta.  Les  écrits  du  graùd  homme  sont  adini- 
i-<  s  du  monde  relis.ieus  tout  eiiUa*. 


230         HISTOIIIE  DE  LA  RÉFOHMATION  FRANÇAISE. 

Hoe  vultu  hoc  hahitu  Calvinum  insana  docentem 
Geneva  démens  audiil, 
Cujus  scripla  piis  lolo  damnantur  in  orbe 
Malis  licel  ringenlibus.* 

Quand  de  Bèze  rentra .  r  rsr.ccîs  de  Sales  lui  montra  le 
changement  qu'il  avait  fait  dans  le  quatrain;  le  vieillard, 
qui  aimait  la  poésie  et  qui  avait  excellé  dans  la  satire,  en 
rit  de  bon  cœur. 

Après  cet  incident,  qui  n'eut  pas  de  suite,  la  conversa- 
tion s'engagea  sur  les  questions  qui  divisaient  les  protes- 
tants et  les  catholiques;  les  interlocuteurs  se  comportèrent 
en  vrais  gentilshommes,  mais  comme  ils  partaient  de  deux 
points  diamétralement  opposés,  il  était  impossible  qu'ils 
pussent  arriver  à  une  solution.  Bèze  admira  la  facilité  d'é- 
locution  du  prêtre  savoisien;  celui-ci,  la  science  et  la  pré- 
cision du  reformateur.  Quand  François  de  Sales  vit  que 
son  éloquence  n'atteignait  pas  son  but,  il  dit  :  «Peut- 
être,  Monsieur,  craignez-vous  que  si  vous  retournez  dans 
l'Église  catholique,  les  commodités  de  la  vie  ne  vous 
manquent.  » 

Le  vieillard  jeta  sur  le  jeune  homme  un  regard  étonné. 

Le  prêtre  prit  ce  regard  pour  un  commencement  d'ad- 
hésion. Il  ajouta  :  «Oh,  Monsieur,  s'il  ne  tient  qu'à  cela, 
selon  l'assurance  que  j'en  ai  do  Sa  Sainteté,  je  vous  porte 
parole  d'une  pension  de  quatre  mille  écus  d'or  tous  les 
ans  ;  outre  cela,  tous  vos  meubles  seront  payés  au  double 
de  ce  que  vous  les  estimerez.» 

En  entendant  ces  paroles ,  le  vieillard  jeta  sur  le  jeune 
homme  un  regard  où  une  majesté  sévère  se  mêlait  au  mé- 
pris... Du  doigt  il  lui  montra  sa  bibliothèque  vide  : 

«Mes  livres,  lui  dit-il,  ont  été  vendus  pour  subvenir 
aux  besoins  de  mes  frères ,  les  réfugiés  français.  » 

Puis  se  levant,  i!  lui  montra  sa  porte  :  <iVade  relro,  Sa- 
tanasD^,  lui  dil-il. 

Le  missionnaire  sortit  désappointé,  et  sous  le  double 

1.  Ceci  représente  Calvin  enseignant  des  choses  vaines,  que 
Genève  en  démence  écoute.  Les  écrits  de  Calvin  sont  damnés  du 
monde  religieux  tout  entier. 

2.  Eu  arrière  de  moi,  satan. 


LIVRE  XXVI. 


231 


poids  du  mépris  et  de  l'indignation  de  l'homme  que  les 
catholiques  pouvaient  hair,  mais  qui  leur  avait  ôté,  par  sa 
vie  intègre,  le  droit  de  le  mépriser. 

Les  hommes  qui  accommodent  l'histoire  à  leurs  pas- 
sions ,  ont  raconté  à  leur  manière  l'entrevue  du  prêtre  et 
du  théologien  réformé;  naturellement  ils  ont  donné  au 
premier  le  beau  rôle,  et  comme  ses  tentatives  de  conver- 
tisseur n'avaient  pas  réussi,  ils  ont  dû  en  dire  les  causes. 
Les  voici.  Nous  citons  une  page  de  la  Société  des  bons 
livres. 

«Le  pape  ne  croyant  rien  au-dessus  des  forces  de  saint 
François  de  Sales,  lui  donna  commission  d'aller  conférer 
à  Genève  avec  Théodore  de  Bèze,  presque  aussi  renommé 
que  Calvin,  et  de  ne  rien  épargner  pour  l'engager  de  ren- 
trer dans  le  sein  de  l'Église  où  il  était  né.  L'exécution  n'é- 
tait ni  sûre,  ni  facile;  mais  ces  considérations  ne  furent 
jamais  rien  pour  François  de  Sales,  quand  il  s'agissait  de  la 
gloire  de  Dieu.  Plein  de  foi  et  de  courage,  il  partit  pour 
Genève  le  plus  tôt  qu'il  lui  fut  possible  :  il  arriva  heureuse- 
ment chez  Bèze,  comme  ce  ministre  était  seul.  On  conféra 
longtemps  et  toujoursavecbeaucoup  d'honnêteté.  Après  celte 
entrevue  dont  François  augura  bien,  de  Bèze  le  pria  in- 
stamment de  revenir.  Il  revint  en  elTet  et  jusqu'à  trois  fois, 
mais  sans  avancer  beaucoup  plus  que  la  première ,  du 
moins  pour  le  salut  de  ce  misérable  apostat.  Dans  une 
quatrième  visite  que  lui  fit  le  saint  évèque  de  Genève,  le 
triomphe  de  la  vraie  foi  devint  plus  sensible.  Le  morne 
silence  que  de  Bèze  garda  sur  tout  ce  qu'on  lui  disait  de 
plus  pressa'nt ,  marqua  qu'il  reconnaissait  la  vérité.  Mais 
ses  yeux  baissés  et  la  rougeur  de  son  front,  où  se  peignait 
son  cœur  bourrelé  de  remords,  firent  conjecturer  en  même 
temps  qu'il  tenait  àl'erreur  par  des  liens  dont  on  n'eût  ja- 
mais soupçonné  ce  vieillard  presque  octogénaire  ;  et  le 
trait  suivant  montra  bientôt  la  vérité  de  cette  conjecture. 
Deshaies ,  gouverneur  de  Montargis,  se  trouvant  à  Genève 
pour  les  aiîaires  du  roi,  contracta  une  étroite  amitié  avec 
ce  ministre  au  moyen  de  la  belle  humeur  dont  ils  étaient 
l'un  et  l'autre.  Dans  une  de  ces  conversations  badines  où 
l'on  peut  tout  hasarder.  Deshaies  lui  demanda  ce  qui  pou- 
vait attacher  un  homme  tel  que  lui  à  la  triste  Réforme  de 
Calvin.  De  Bèze  ne  répondit  rien,  il  se  leva,  et  faisant  en- 


232         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


trer  une  jeune  fille  fort  belle:  Voilà,  dit-il,  ce  qui  nie 
convainc  de  la  boulé  de  ma  religion!»' 

La  haine  est  rarement  clairvoyante...  Dans  son  aveugle- 
ment, elle  se  frappe  de  ses  mains  et  devient  son  propre 
accusateur.  Si  le  vieillard  huguenot  eût  eu  les  passions 
d'un  jeune  homme ,  il  n'eût  pas  été  une  citadelle  impre- 
nable; mieux  qu'un  autre,  il  savait  que  Rome  connaît  les 
accommodements  avec  le  ciel.  Quel  lien  eût  donc  pu  le  re- 
tenir dans  l'austère  ciié  de  Calvin,  où  sa  vie  se  passait 
comme  sur  la  place  publique  ?  On  a  honte  de  s'arrêter  à 
de  pareilles  calomnies.' 

Les  Genevois  avaient  dans  Charles-Emmanuel  un  ennemi 
plus  dangereux  que  François  de  Sales.  Ce  prince  n'avait 
jamais,  malgré  ses  insuccès,  renoncé  au  projet  de  s'em- 
parer de  leur  ville.  C'était  devenu  chez  lui  une  idée  fixe 
qui  lui  fit  fouler  aux  pieds  le  respect  que  les  peuples  se 
doivent  quand  leurs  rapports  internationaux  s'exercent  sous 
l'empire  des  traités  écrits  ou  tacites. 

Ce  fut  sous  le  double  empire  du  fanatisme  et  d'une  am- 
bition iijsaliable  que  ce  prince  se  prépara  en  pleine  paix 
à  s'ciiîuarcr  de  Genève.  11  lui  fallait  pour  aîleindre  son  but 
endormir  la  vigilance  des  Genevois;  ce  n'était  pas  facile. 
La  connaissance  qu'ils  avaient  de  son  caractère,  leur  était 
!a  confiance  qu'on  donne  à  un  ennemi  loyal  et  généreux; 
tout  ce  qui  se  passait  autour  d'eux,  les  tenait  en  éveil  et 
rendait  plus  difliciles  les  projets  de  leur  dangereux  voisin. 
Charles  -  Emmanuel ,  informé  de  leur  vigilance,  profita 
d'un  jubilé  qui  se  célébrait  à  Thonon  ponr  organiser  la 
prise  de  Genève;  il  espérait  qu'au  milieu  de  cet  immense 
concours  de  curieux,  de  pèlerins,  il  pourrait  enrégimen- 
ter ceux  qui  devaient  concourir  à  l'expédition.  Pendant 
que  le  clergé  demandait  à  Dieu  de  faire  descendre  sur  son 

1.  Anecdotes  chrétiennes  ou  traits  d'histoire  clioisis  par  l'abbé 
Reyre,  l'aris,  1825,  în-12,  faisant  partie  delà  collection  des  ou- 
vrages publiés  par  le  comité  des  bous  livres,  comité  présidé  par 
vu  pair  de  France  sous  la  restauration.  —  Voir  aussi  IjuUctiu  de 
l'histoire  du  protestantisme  français,  année  1859,  p.  281.  — 

t.  VII,  p.  227  et  369. 

2.  Gabercl,  Hist.  de  l'église  de  Genève,  t.  11,  p.  640  et  suiv. 


LIVRE  XXVI. 


233 


peuple  sa  bénédiction,  l'évêque  de  Genève,  Claude  de 
Granier,  prenait  exactement  le  nom  de  tout  arrivant, 
Lorrain,  Suisse,  Savoisien,  Turinois,  Bourguignon,  Fran- 
çais; quand  il  s'était  assuré  que  la  dévotion  seule  l'avait 
attiré  à  Thonon  pour  y  gagner  des  indulgences  attachées 
au  jubilé,  il  enflammait  son  imagination  en  lui  parlant  de 
Genève.  «C'est  cette  ville  maudite  qu'il  faut  prendre,  lui 
disait-il;  de  sa  chute  dépend  celle  de  l'hérésie.»  Le  prélat 
lui  dévoilait  alors  le  plan  de  la  conjuration  qui  avait  l'ap- 
probation du  souverain  pontife  ;  et  après  lui  avoir  fait 
prêter  serment  sur  l'hostie,  il  lui  disait:  «Ange  du  ciel, 
porte  au  royaume  clément  ceux  qui  obéiront.  Marie,  sainte 
mère  de  Dieu,  tu  puniras  par  le  supplice  éternel  ceux  qui 
trahiront  leur  serment.  »  * 

Les  Genevois  ne  virent  pas  sans  appréhension  la  tenue 
du  jubilé;  ils  se  doutèrent  que  quelque  complot  se  tramait 
contre  leur  ville.  Plusieurs  d'entre  eux  allèrent  à  Thonon 
et  se  mêlèrent  à  la  foule  des  étrangers  qui  aflluaient  de 
toute  part.  Les  catholiques  s'attendaient  à  la  prochaine 
conversion  de  leurs  hérétiques  voisins. 

Le  duc  crut  avoir  fait  prendre  le  change  aux  Genevois 
sur  le  mouvement  des  troupes  sur  lesquelles  il  comptait 
pour  surprendre  la  ville  ;  il  arrêta  en  conséquence  le 
24  août  1600  pour  le  jour  de  l'exécution. 

Ce  jour -là  deux  artificiers  français,  gagnés  par  ses 
agents,  devaient  mettre  le  feu  à  deux  mines  creusées  par 
eux  :  la  première,  sous  la  tour  du  boulevard  du  Pin,  près 
le  collège;  la  seconde,  sous  le  bastion  de  la  porte  Neuve. 
La  charge  de  poudre  devait  produire  une  explosion  telle 
que  les  habitants,  sous  le  poids  de  la  stupeur,  ne  pense- 
raient qu'à  abandonner  la  ville  qui,  au  même  instant, 
vivement  attaquée  par  les  soldats  de  Charles-Emmanuel, 
serait  prise  sans  résistance'.  Ce  complot  fut  découvert  :  les 
artificiers  ne  durent  leur  salut  qu'à  la  fuite.  Cet  échec  ne 
découragea  pas  Charles-Emmanuel.  Conseillé  par  un  gentil- 
homme, nommé  d'Albigny,  il  étudia  des  plans  qu'on  lui 
soumit  pour  surprendre  la  ville  hérétique;  le  suivant  mé- 
rite d'être  mentionné. 

1.  De  superventu  allobrogum  in  urbem  Genevam  (1603). 

2.  Archives  de  Turin,  Genève,  1"=  catégorie,  paquet  19.  — 
Moyens  proposés  à  Son  Altesse  pour  la  prise  de  Genève. 


234         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

On  aurait  construit  un  char  dont  on  aurait  déguisé 
la  nature  en  plaçant  sur  des  barils  de  poudre  des  volailles 
et  des  légumes.  Au  jour  convenu ,  un  paysan  l'aurait  conduit 
dans  la  ville  où  soixante  soldats  déguisés  en  paysans  l'au- 
raient précédé;  arrivés  à  la  porte  de  Rive,  cinq  hommes 
auraient  mis  le  feu  aux  poudres;  au  bruit  de  l'explosion, 
cent  arquebusiers  savoisiens  cachés  aux  environs  se  se- 
raient emparés  de  la  port^  et  l'auraient  gardée  jusqu'au 
moment  ou  quatre  mille  hommes,  partis  dans  la  soirée  des 
villes  voisines ,  seraient  arrivés  pour  leur  prêter  main  forte 
et  préparer  par  la  prise  de  la  ville  une  entrée  triomphale 
à  leur  souverain. 

XVI. 

Les  Genevois  qui ,  en  quelques  mois,  avaient  failli  devenir 
deux  fois  la  proie  de  leur  implacable  voisin,  redoublèrent 
de  vigilance  et  lui  firent  comprendre  qu'à  l'avenir  avec  eux 
la  ruse  serait  impuissante.  Le  duc  ne  renonça  pas  à  ses 
projets,  et  recourut  à  la  force.  Il  fit  préparer  à  Turin  tous 
les  engins  nécessaires  pour  une  escalade.  On  construisit 
sous  ses  yeux  des  échelles  longues  et  solides  garnies  à 
leurs  extrémités  de  drap  noir  et  de  crampons;  par  un  mé- 
canisme simple  et  ingénieux,  elles  s'emboîtaient  comme 
dans  un  étui,  en  sortaient  avec  facilité  et  atteignaient  une 
hauteur  calculée  sur  celle  des  remparts  de  Genève.  On 
construisit  également  des  claies  portatives  qui,  posées  sur 
l'eau,  servaient  de  bateaux  plats  et  pouvaient  porter  cha- 
cune un  certain  nombre  de  personnes.  C'était  au  moyen 
de  ces  engins  qu'une  escalade  devait  être  tentée.  Quelque 
bien  gardé  que  fut  le  secret,  le  bruit  en  vint  aux  oreilles 
des  Genevois  qui  plus  que  jamais  se  tinrent  sur  leurs 
gardes;  mais  leur  vigilance  fut  endormie  par  un  traître 
et  par  un  conseiller  du  duc  de  Savoie.  Le  premier  était 
leur  syndic,  Blondel,  qui  s'était  lâchement  vendu  à  l'en- 
nemi de  sa  patrie;  il  se  moqua  hautement  des  craintes  de 
ses  concitoyens  qu'il  traita  de  chimériques;  le  second  était 
le  président  de  Rochette  qui,  par  une  conduite  irrépro- 
chable, avait  conquis  la  confiance  des  Genevois.  Le  duc, 
par  ses  promesses,  était  parvenu  à  le  rendre  complice  de 
ses  fourceries.  L'honnête  homme,  devenu  fripon  à  l'école 


LIVRE  XXVI. 


235 


de  son  souverain,  entra  dans  Genève  comme  un  nouveau 
Sinon  et  parvint  à  rassurer  les  Genevois.  «Ne  craignez 
rien,  leur  dit-il,  vivez  en  paix,  personne  plus  que  Charles- 
Emmanuel  ne  veut  la  conservation  de  vos  libertés.» 

Le  conseil  auquel  il  tenait  ce  langage  lui  répondit:  «Les 
faits  nous  annoncent  la  guerre,  vos  paroles  la  paix;  votre 
maître  est  un  traître.  » 

Alors  le  président  prit  Dieu  à  témoin  de  la  sincérité  de 
ses  paroles.  «  Dieu  me  damne ,  dit-il ,  et  que  sa  colère  et 
celle  de  tous  les  saints  tombent  sur  moi  et  sur  toute  ma 
famille,  si  la  paix  n'est  pas  parfaitement  sûre.» 

L'accent  de  vérité  avec  lequel  il  prononçait  ces  paroles, 
sa  vie  passée,  qui  en  était  le  plus  sûr  garant,  rassurèrent 
les  Genevois  qui  commencèrent  à  croire  que  les  grands 
préparalifs  de  guerre  n'étaient  pas  faits  contre  eux.  A  des 
jours  de  terreur  succédèrent  des  jours  de  paix,  pendant 
lesquels  Charles-Emmanuel  se  prépara  habilement  à  con- 
sommer la  ruine  de  la  ville  huguenote.  De  nombreuses 
milices  qui  ignoraient  le  but  de  l'entreprise  furent  éche- 
lonnées dans  divers  quartiers;  quand  l'heure  de  les  mettre 
en  mouvement  fut  arrivée,  Bernolière,  leur  chef,  se  fit 
administrer  en  leur  présence  l'extrême  onction  sur  la  place 
d'armes  de  Bonne. 

Les  soldats,  frappés  du  spectacle  inaccoutumé  d'un 
homme  bien  portant  qui  se  fait  administrer  le  viatique  des 
mourants,  furent  vivement  impressionnés;  c'est  ce  que 
voulait  Bernolière  qui,  après  la  cérémonie,  leur  dévoila, 
dans  un  langage  passionné  et  éloquent,  le  but  de  l'entre- 
prise. «Amis,  leur  dit-il  en  terminant,  la  victoire  dépend 
d'une  heure  de  courage  et  de  bonne  volonté.  »  ' 

Electrisés  par  les  paroles  de  leur  commandant,  les 
soldats  et  les  gentilshommes  répondirent  à  la  proposi- 
tion de  leur  chef  par  des  acclamations;  nouveaux  croi- 
sés, ils  brûlaient  du  désir  de  délivrer  Genève  des  mains 
des  hérétiques;  ils  se  sentaient  capables  de  tout  affronter. 
Pour  cette  grande  œuvre  la  couronne  du  ciel  devait  être 
la  récompense  de  leurs  efforts;  ils  se  mirent  en  marche. 

Charles-Emmanuel,  qui  les  avait  précédés  en  partant 

1.  Vrai  discours  sur  l'entreprise,  Lausanne  1602.  —  Récit  latiu 
de  1603.  —  Manuscrit  Naville. 


236         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

incognito  de  Turin,  attendait  ses  soldats  à  Étrembières. 
Ses  insuccès  passés  lui  donnèrent  des  craintes  qui  s'éva- 
,  nouirent  quand  il  vit  arriver  les  principaux  conjurés  qui 
ne  doutaient  pas  du  succès. 


XVII. 

Les  Genevois  ne  pensaient  pas  au  danger  imminent  dont 
ils  étaient  menacés.  Les  paroles  de  paix  du  président  Ro- 
cheite,  la  confiance  apparente  du  syndic  Blondel  leur  fai- 
saient croire  au  moins  à  une  paix  momentanée;  et  d'ailleurs, 
qui  eût  pensé  qu'après  deux  complots  découverts ,  presque 
coup  sur  coup,  Charles-Emmanuel  fût  prêt  à  entrer  dans 
leur  ville  par  le  sommet  de  ses  remparts  comme  un  loup 
dans  une  bergerie.  Ils  dormaient  donc  en  paix ,  sous  la 
foi  des  traités,  quand  leur  ennemi  se  préparait  à  envahir 
leur  ville. 

A  la  faveur  des  ombres  de  la  nuit,  d'Albigny  et  Berno- 
lière  s'étaient  approchés  de  Genève  dans  le  plus  grand 
silence;  ils  étaient  suivis  de  trois  cents  soldats  d'élite  qui 
portaient  les  mystérieuses  échelles,  les  claies  et  les  fascines 
destinées  à  combler  les  fossés.  Deux  cent  cinquante  autres 
soldats  armés  de  piques,  de  marteaux  et  de  haches  les 
suivaient;  ils  étaient  couverts  de  cuirasses  et  de  cottes  de 
maille,  afin  de  pouvoir  opposer  une  longue  résistance, 
jusqu'au  moment  où  le  gros  des  troupes  arriverait  pour  les 
seconder.  Leur  fanatisme  décuplait  leurs  forces  et  les 
rendait  capables  de  tout  tenter,  même  l'impossible.  Jamais 
la  ville  de  refuge  des  protestants  n'avait  couru  un  plus 
grand  danger;  ses  ennemis  la  croyaient  déjà  en  leur  pou- 
voir. Dans  l'ivresse  d'une  victoire  qu'ils  n'avaient  pas  en- 
core gagnée,  ils  avaient  apporté  avec  eux  tout  l'attirail  des 
cérémonies  de  leur  culte;  des  chariots  en  étaient  chargés. 
Des  moines  et  des  prêtres  n'attendaient  que  la  prise  de  la 
ville  pour  purifier  Saint-Pierre  des  souillures  des  hugue- 
nots ;  ils  avaient  imité  Philippe  II ,  allant  avec  sa  flotte 
rendre  à  la  Grande-Bretagne  la  vieille  foi  de  ses  pères. 
Le  même  esprit  produisait  les  mômes  causes. 

Qitnnd  Bernolière  crut  que  Genève  é'ait  plongée  dans 


LIVRE  VXVI. 


237 


un  profond  sommeil,  il  s'avança  intrépidement  avec  sa 
troupe  jusqu'au  pied  des  remparts  de  la  Corraterie ,  ce  qui 
lui  fut  rendu  facile,  h  cause  de  la  boue  durcie  par  le 
froid;  il  ne  voulait  pas  commencer  l'opération  de  l'es- 
calade avant  d'être  certain  qu'il  pouvait  le  faire  sans 
être  entendu;  le  moindre  signal  d'alarme  pouvait  tout 
compromettre.  Il  frappa  avec  une  pierre  à  coups  redoublés 
sur  la  muraille,  prêta  attentivement  l'oreille  et  n'eut  d'autre 
réponse  que  le  silence.  Au  bruit  qu'il  faisait,  sa  main  ne 
tremblait  pas,  mais  son  cœur  palpitait;  il  renouvela  plu- 
sieurs fois  l'expérience;  chaque  fois  il  tendit  l'oreille  et 
n'eut  d'autre  réponse  que  le  silence.  «Blondel,  se  dit-il,  a 
été  fidèle;  c'est  par  ici  que  nous  devons  entrer  dans  la  ville, 
ce  côté  du  rempart  n'est  pas  gardé.»  Il  donne  alors  le  signal, 
les  échelles  sortent  de  leurs  étuis  et  se  déboîtent;  fixées 
solidement  sur  les  claies,  elles  s'élèvent  jusque  sur  le 
sommet  des  murs.  Au  pied  de  ces  échelles  un  jésuite 
écossais,  le  père  Alexandre,  encourage  les  soldats.  «La 
mort,  leur  dit-il,  ne  peut  vous  atteindre,  vous  en  avez 
pour  garant  ces  amulettes  que  je  vous  donne.  Un  gentil- 
homme, M.  de  Jannat,  monte  le  premier.  Une  pierre  du 
rempart  détachée  par  la  pression  de  l'échelle  tombe  sur 
lui  en  faisant  un  grand  bruit.' 

Un  sentiment  d'anxiété  se  manifeste  parmi  les  Savoi- 
siens;  mais  il  est  bientôt  suivi  par  un  moment  de  grande 
confiance.  Le  rempart  n'est  pas  gardé;  on  se  hâte;  c'est 
à  qui  aura  l'honneur  de  monter  le  premier.  En  quelques 
instants,  et  au  milieu  du  plus  profond  silence,  deux  cents 
hommes  ont  atteint  le  sommet  des  remparts.  Bernolière, 
qui  connaît  les  lieux,  s'avance  à  pas  de  loup  vers  une  gué- 
rite située  à  cent  pas  environ  de  la  porte  Neuve,  se  jette 
sur  la  sentinelle  et  l'égorgé  avant  qu'elle  ait  le  temps  do 
crier  au  secours. 

L'intrépide  commandant  ne  doute  plus  du  succès;  il  ex- 
pédie un  de  ses  soldats  pour  apprendre  sa  première  opé- 
ration à  d'Albigny  qui  arrivait  à  Plainpalais  avec  le  gros 
de  sa  troupe.  Celui-ci  croit  la  ville  prise,  et  dans  l'excès 
de  sa  joie  il  envoie  à  Charles-Emmanuel  un  courrier  pour 
lui  apprendre  cette  grande  nouvelle. 

1.  Note  X, 


2^8         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

La  confiance  est  un  puissant  auxiliaire;  Bernoliêre  et 
d'Albigny  en  manquèrent.  Au  lieu  d'attaquer  la  ville  à 
l'improviste  et  de  jeter  au  miii-eu  de  ses  habitants  une 
terreur  panique  qui  eût  paralysé  leurs  forces,  ils  convin- 
rent d'attendre  le  matin  pour  combiner  leurs  efforts;  cette 
fausse  manœuvre  les  perdit,  et  fit  échouer  leur  entreprise 
si  heureusement  commencée. 

Vers  deux  heures  du  matin,  une  lueur  parut  au  loin  sur 
les  remparts;  c'était  une  ronde  de  nuit.  Les  conjurés  n'hé- 
sitèrent pas,  ils  s'avancèrent  rapidement  et  se  jetèrent 
sur  les  soldats  genevois.  Un  coup  de  feu  partit;  le  tambour 
de  la  ronde  s'échappa,  battit  de  sa  caisse  en  courant,  et 
jeta  l'alarme  dans  la  ville.  Bernoliêre,  voyant  le  complot 
découvert,  donna  le  signal  de  l'attaque.  Ses  soldats,  armés 
de  marteaux  et  de  haches,  se  mirent  à  enfoncer  les  portes 
de  la  Monnaie,  de  la  Treille  et  de  laTertasse,  et  pénétrè- 
rent dans  les  avenues  de  la  Corraterie.  Les  Genevois, 
réveillés  au  milieu  de  la  nuit,  ne  consultèrent  que  leur 
courage;  à  demi  vêtus,  à  demi  armés,  ils  disputèrent 
chaque  pouce  de  terrain;  on  lutta  corps  à  corps;  on  se 
battit  à  coups  d'arquebuse,  de  marteau,  de  hache,  de 
pieux,  de  pierres;  tout  devint  arme  sous  la  main  des  com- 
battants; d'un  côté,  c'était  la  rage  du  fanatisme  qui  faisait 
faire  aux  Savoyards  des  prodiges  de  valeur;  de  l'autre, 
c'était  un  ardent  amour  de  l'indépendance  qui  faisait 
do  chaque  Genevois  un  héros;  et  tout  cela  se  passait  au 
son  sinistre  du  tocsin,  à  la  clarté  des  lampes  qui  brillaient 
à  chaque  fenêtre  de  la  ville.  On  allait  à  la  mort  sans  hé- 
siter. Un  Genevois  était  à  peine  hors  de  combat,  qu'un 
autre  prenait  sa  place;  les  femmes  elles-mêmes  se  mê- 
lèrent à  la  lutte  et  lancèrent  des  meubles  et  des  pierres 
sur  les  assaillants.  L'une  d'elles  saisit  la  marmite  dans 
laquelle  elle  préparait  la  soupe,  la  lance  de  sa  fenêtre  sur 
un  Savoyard,  lui  en  fait  un  casque  et  le  tue. 

Le  Genevois  se  multiplia;  il  fit  face  à  tout;  pour  lui,  le 
danger  n'existait  pas,  quoique  tout  fut  danger  pour  lui; 
partout  il  opposa  une  résistance  vigoureuse,  opiniâtre;  au 
milieu  du  tumulte ,  sa  fureur  ne  lui  ôta  pas  sa  présence 
d'esprit;  l'instinct  du  péril  le  rendit  tacticien.  Un  canon, 
chargé  de  mitraille  jusqu'à  la  gorge,  balaya  les  échelles  et 
ferma  aux  assaillants  l'une  de  leurs  issues;  un  soldat  vau- 


LIVRE  XXVI. 


239 


dois,  nommé  Mercier,  laissa  tomber  la  herse  de  la  porte 
Neuve,  au  moment  où  un  pétard  allait  partir  et  ouvrir 
une  large  brèche  aux  Savoyards.  Tout  servait  les  Genevois, 
jusqu'à'^la  fierté  des  soldats  espagnols  que  d'Albigny  voulait 
faire  entrer  dans  la  ville  par  les  échelles.  «  Nous  sommes 
trop  nobles,  répondirent  leurs  chefs,  pour  entrer  ailleurs 
que  par  la  porte,  d 

D'Albigny,  qui  jusqu'à  cette  heure  avait  déployé  l'habi- 
leté d'un  conspirateur  et  le  courage  d'un  soldat,  perdit 
confiance;  il  tenta  un  dernier  et  suprême  effort;  mais  il  ne 
tarda  pas  à  comprendre  que  tout  était  perdu  ;  les  Genevois 
semblaient  se  multiplier;  de  chaque  fenêtre  partaient  des 
coups  de  fusil,  qui  mettaient  les  Savoyards  hors  de  com- 
bat; des  masses  de  bourgeois  se  ruaient  sur  eux,  les  re- 
foulaient bravement  vers  les  remparts  et  ne  leur  laissaient 
d'autre  ressource  que  de  se  précipiter  dans  les  fossés. 

Frémissant  de  rage,  d'Albigny  se  retira  lentement;  il 
rencontra,  près  des  fossés,  Charles- Emmanuel ,  qui,  ne 
dout-nnt  pas  de  sa  victoire,  avait  ordonné  à  sa  musique 
militaire  déjouer  des  fanfares. 

«  En  arrière,  Monseigneur,  lui  dit  d'Albigny,  en  arrière, 
tout  est  perdu;  l'armée  me  suit  en  déroute.» 

«Misérable  butor!  lui  dit  le  duc  hors  de  lui;  vous  avez 
fait  une  belle  affaire;»  et  sans  prononcer  une  autre  parole, 
il  tourna  le  dos  à  la  ville,  dans  laquelle  il  croyait  entrer 
en  triomphateur. 

Quel  retour  que  celui  de  ce  prince  déloyal ,  qui  ne  ren- 
contrait sur  son  passage  que  les  arcs  de  triomphe  qu'on 
avait  élevés  pour  le  fêter!  Jamais  punition  ne  lut  plus 
méritée. 

XVIII. 

Dieu  avait  encore  une  fois  sauvé  Genève.  En  la  délivrant 
il  éparana  au  monde  les  horreurs  épouvantables  dont  la  prise 
de  cette  cité  eût  été  suivie;  car  Charles -Emmanuel  qui, 
vaincu,  inscrivit  dans  l'histoire,  le  12  décembre  1602,  la 
pnse  la  plus  honteuse  de  son  règne,  eût,  vainqueur,  inscrit 
ce'jour-lk  la  page  la  plus  sanglante  de  sa  vie.  Ses  soldats 
eussent  renouve'lé  les  scènes  les  plus  douloureuses  de  la 
sinistre  ann^e  1572,  et  Rome,  dans  la  joie  de  ce  grand 


1240         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

événement,  eût  entonné  un  solennel  TeDeum,  et  com- 
mandé à  un  nouveau  Vasari,  de  lui  peindi'e  un  nouveau 
massacre  d'hérétiques  pour  faire  le  pendant  du  trop  cé- 
lèbre tableau  sur  lequel  on  lit  encore  aujourd'hui  ces 
mots  :  Hugonotorum  strages.' 

Le  lendemain  de  cette  nuit  célèbre,  c'était  dimanche; 
les  Genevois  étaient  sous  l'empire  de  sentiments  divers  : 
l'étonnement,  l'indignation,  la  douleur,  agitaient  leurs 
cœurs;  c'étaient  des  cris  de  fureur  contre  Charles-Emma- 
nuel ,  dont  ils  accompagnaient  la  fuite  avec  des  malé- 
dictions, et  le  regret  de  ne  l'avoir  pas  fait  prisonnier; 
c'étaient  des  larmes  répandues  sur  les  cadavres  de  leurs 
généreux  frères  qui  avaient  fait  échouer,  au  prix  de  leur 
sang,  les  ruses  infâmes  du  prince  savoyard.  On  contemplait 
avec  respect  et  émotion  le  corps  ensanglanté  de  ces  nobles 
victimes  du  dévouement  à  la  patrie.  On  se  racontait  tout 
ce  qu'on  savait  de  cette  nuit  terrible  ;  on  se  disait  les 
noms  de  ceux  qu'on  voyait  morts,  les  armes  encore  dans 
leurs  mains. 

Au  milieu  de  ces  émotions  si  légitimes,  les  cloches,  à 
l'heure  accoutumée,  appelèrent  les  citoyens  au  service 
divin;  ils  se  précipitèrent  en  foule  dans  leurs  églises  pour 
rendre  grâces  à  Dieu  de  leur  merveilleuse  délivrance.  Les 
pasteurs  n'entretinrent  les  fidèles  que  de  la  bonté  de 
Dieu  qui  avait  veillé  sur  leur  ville.  A  Saint -Pierre,  les 
assistants  ne  virent  pas  sans  émotion ,  de  Bèze  se  lever  pour 
prendre  la  parole.  A  sa  vue ,  il  se  fit  un  silence  profond ,  qui 

fiermit  à  la  voix  du  pieux  vieillard  de  se  faire  entendre  ;  tous 
es  yeux  étaient  arrêtés  sur  cet  homme  dont  la  vie  n'était 
qu'un  dévouement  journalier  à  la  cause  de  la  République, 
et  qui  honorait,  dans  sa  personne ,  la  noble  cause  à  laquelle 
il  avait  tout  sacrifié  ;  il  était  courbé  sous  le  poids  des  an- 
nées; mais,  chez  lui,  le  cœur  n'avait  pas  vieilli,  et  ce 
cœur,  dans  ce  moment,  débordait  de  reconnaissance  pour 
le  Dieu ,  qui  avait  protégé  sa  chère  patrie.  Ses  paroles  ne 
furent  que  l'écho  de  ses  sentiments;  elles  touchèrent  vi- 
vement l'assemblée  dont  l'émotion  fut  au  comble  quand 
elle  chanta  avec  le  vieillard  le  psaume  24,  approprié  aux 
circonstances  : 

1.  Massacre  des  huguenoil. 


LIVRE  XXVI. 


241 


Des  conjurés  les  rapides  torrents 
Eussent  sur  nous  cent  et  cent  fois  passé  ; 
Mais  gloire  à  Dieu  qui  n'est  plus  courroucé, 
Et  qui  n'a  point  permis  à  nos  tyrans 
D'engloutir  tout  comme  ils  l'avaient  pensé. 

Genève  fit  de  belles  funérailles  aux  citoyens  morts  au 
service  de  la  patrie;  toute  la  ville  y  assista  et  témoigna 
par  sa  présence,  son  recueillement,  et  ses  larmes,  le  haut 
prix  qu'elle  attachait  à  leur  dévouement. 

XIX. 

Pendant  cette  lugubre  et  solennelle  cérémonie,  les  pri- 
sonniers savoisiens  attendaient,  dans  leur  prison,  qu'on 
statuât  sur  leur  sort;  ils  auraient  eu  peut-être  la  vie 
sauve,  si  des  bruits  de  nouvelles  trahisons  n'avaient  circulé 
dans  la  ville ,  et  si  on  avait  ignoré  la  promesse  que  d'Al- 
bigny  avait  faite  à  ses  soldats  de  leur  abandonner,  pendant 
deux  jours,  la  ville  à  discrétion;  les  magistrats  cédè- 
rent devant  la  pression  du  peuple  :  les  prisonniers  (ils 
étaient  au  nombre  de  treize,  tous  gentilshommes)  furent 
condamnés  à  être  pendus;  au  moment  suprême,  ils  recon- 
nurent et  confessèrent  leur  faute,  et  moururent  avec  cou- 
rage. Genève  se  fiit  montrée  aussi  grande  qu'elle  avait  été 
intrépide,  si  elle  les  eut  renvoyés  avec  mépris;  cepen- 
dant leur  supplice  fut  légal.  Ils  furent  pendus,  non  comme 
soldats,  mais  comme  brigands  et  assassins. 

La  nuit  du  12  novembre  fit  une  impression  tellement 
profonde  dans  les  cœurs  des  Genevois,  que  son  souvenir 
est  devenu  un  héritage  de  famille.  Chaque  année,  leur  ville 
célèbre  l'anniversaire  de  cette  grande  nuit.  Cependant  les 
fêtes  ne  sont  réellement  fêtes  que  quand  elles  ont  des  rai- 
sons d'être.  Sans  doute,  Genève  serait  coupable,  aujour- 
d'hui, si  elle  perdait  le  souvenir  de  sa  délivrance;  mais 
fait- elle  bien  de  célébrer  encore  sa  fête  de  l'Escalade?  Si 
les  particuliers  doivent  pratiquer  l'oubli  des  injures,  les 
peuples  ne  doivent  -  ils  pas  les  précéder  dans  cette  noble 
voie?  La  Savoie  d'aujourd'hui  n'est  plus  la  Savoie  de 
Charles -Emmanuel  ;  elle  marche  avec  son  gouvernement 
libéral  h  la  tète  des  idées  les  plus  généreuses.  Pourquoi 
Genève  coiiîinuerait-elle,  le  12  novembre  de  chaque  année, 

7. 


242        HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

à  lui  rappeler  la  perfidie  de  son  ancien  duc?  pourquoi 
cet  outrage  public  jeté  au  passé  d'un  peuple,  son  plus  près 
voisin  et  son  fidèle  allié?  Quand  les  temps  changent,  les 
habitudes  doivent  changer;  vouloir  conserver  ce  qui  n'a 
pas  de  raison  d'être,  c'est  un  anachronisme,  et  un  peuple 
intelligent  ne  doit  pas  en  commettre.  Le  Genevois  donc, 
qui  proposerait  à  ses  concitoyens  l'abolition  de  la  célé- 
bration bruyante  de  la  fête  de  i'Escalade,  et  son  remplace- 
ment par  un  service  religieux,  dans  lequel  les  pasteurs 
rappelleraient  les  bienfaits  de  Dieu,  en  demandant,  pour 
Genève  et  la  Savoie,  ses  plus  précieuses  bénédictions, 
ferait  l'acte  d'un  bon  citoyen. 

Quand  la  nouvelle  de  l'insuccès  du  guet-apens  de  Charles- 
Emmanuel  fut  connu,  les  Églises  de  France  envoyèrent 
leurs  félicitations  à  la  ville.  Celle  de  Metz,  joignant  les  actes 
aux  paroles,  lui  envoya  le  produit  d'une  abondante  collecte. 
Henri  IV,  qui  avait  cru  la  ville  de  Genève  déjà  au  pouvoir 
du  duc  de  Savoie,  ne  dissimula  pas  son  indignation,  et 
jura  que  le  duc  ne  conserverait  pas  sa  conquête.  Quand  il 
apprit  la  déroute  du  prince ,  il  bondit  de  joie  et  dit  dans 
son  patois  gascon  au  député  qui  lui  en  apporta  la  nouvelle  : 
Vos  y  etiasV 

—  Oui,  sire,  répondit  M.  de  Chapeaurouge ,  et  tous  les 
traîtres  qui  sont  dans  la  ville  ont  péri. 

—  Va  benl  ajouta  le  roi,  y  sont  tos  pendus,  y  è  ien 
fait.  ' 

Les  Genevois,  forts  des  promesses  de  Henri  IV,  prirent 
l'offensive  et  portèrent  la  guerre  jusqu'au  cœur  de  la 
Savoie.  Charles-Emmanuel,  couvert  de  honte  aux  yeux  de 
l'Europe,  accablé  de  reproches  de  la  part  de  ceux  de  ses 
conseillers  contre  l'avis  desquels  l'escalade  avait  eu  lieu, 
fut  contraint  de  faire  un  traité  de  paix  avec  Genève;  il  le 
signa  à  Saint-Julien  le  21  juillet  1603.  Sa  main  tremblait 
de  rage;  la  joie  des  Savoisiens,  en  apprenant  cette  heu- 
reuse nouvelle,  lui  disait  mieux  que  toute  parole,  que 
l'écrasement  marche  devant  l'orgueil.  La  paix  était  signée, 
mais  Genève  demeura  défiante  :  le  passé  lui  en  faisait  une 
nécessité  et  un  devoir. 

1.  Vous  y  étiez. 

2.  Cela  va  bien  ...  ils  sont  tous  pendus ,  c'est  bien  fait. 


IIVRE  XXVI. 


243 


XX. 

Après  l'escalade ,  Théodore  de  Bèze  vécut  encore  près 
de  trois  ans,  attendant,  chaque  jour,  la  venue  de  son 
maître,  et  s'y  préparant  par  la  prière  et  la  méditation  de 
la  parole  sainte.  11  ne  paraissait  renaître  aux  choses  de  la 
terre  que  pour  s'occuper  des  affaires  de  sa  patrie  adoptivé 
qu'il  chérissait  de  l'affection  du  proscrit,  quand  il  trouve 
sur  la  terre  étrangère  la  liberté  et  des  cœurs  pour  l'aimer. 

Il  avait  dépassé  l'âge  où  les  vieillards  descendent  ordi- 
nairement les  froides  marches  de  la  tombe.  Mais  ce  vieil- 
lard, qui  paraissait  inutile  à  la  république,  était  pour  elle 
comme  le  palladium  de  ses  libertés.  Elle  entourait  ses  der- 
niers jours  de  respect  et  d'admiration,  sans  que  jamais  le 
pieux  vieillard  ne  s'enorgueillit  des  beaux  dons  qu'il  avait 
reçus  de  son  Dieu  :  sa  seule  joie  fut  de  les  consacrer  au 
service  du  maître  qui,  comme  un  tison  ardent,  l'avait 
retiré  du  feu-,  et  lui,  qui  avait  tant  écrit,  tant  agi,  porté 
si  souvent  le  fardeau  de  toutes  les  églises,  se  regardait 
comme  un  serviteur  inutile,  et  ne  trouvait  sa  paix,  sa  joie 
et  son  assurance  qu'en  Jésus-Christ,  mort  pour  ses  péchés, 
ressuscité  pour  sa  justification. 

L'espérance,  qu'il  avait  placée  dans  le  Sauveur  seul,  ne 
fut  pas  trompée;  il  récolta,  à  la  fin  de  sa  longue  journée, 
ce  qu'il  avait  si  souvent  semé  avec  larmes. 

Ses  nuits  étaient  extrêmement  pénibles  à  cause  de  ses 
fréquentes  insomnies;  il  savait  alors  accélérer  les  heures 
en  pensant  à  son  Dieu ,  et  en  méditant  comme  David  ses 
saints  commandements;  avec  le  prophète,  il  répétait 
ces  paroles  :  «Je  bénis  l'Éternel!  Ses  conseils  font  le 
sujet  de  mes  pensées  durant  les  veilles  de  la  nuit;  mon 
âme  est  tranquille;  ton  souvenir.  Seigneur,  est  présent  à 
mon  esprit;  je  pense  à  toi;  tu  as  été  mon  aide;  je  tres- 
saillerai de  joie  à  l'ombre  de  tes  ailes.» 

Le  vieillard  se  préparait  au  départ;  mais  il  pensait  à  la 
tombe,  comme  le  matelot  au  port:  depuis  longtemps  il 
savait,  que  par  de  là  celte  terre  de  misère,  il  y  a  un  lieu 
où  la  justice  habite;  c'est  là  qu'il  reverrait  Calvin,  Farel, 
Marlorat,  Pierre  martyr,  tous  ces  nobles  compagnons  de 
travail  ;  c'est  là  surtout  qu'il  verrait  Jésus ,  l'agneau  de  Dieu , 


244         HISTOIRE  DE  LA  RIÎFOKMATION  FRANÇAISE, 


et  alors  son  âme  tressaillait  de  joie  et  d'allégresse  et  la  | 
sombre  vallée  de  l'ombre  de  la  mort,  vers  laquelle  il  s'a-  | 
vançait,  s'éclairait  d'une  vive  lumière,  semblable  à  celle  de 
Bethléem,  la  nuit  où  les  anges,  au  milieu  du  concert  des 
cieux,  annoncèrent  aux  bergers  la  venue  du  Rédempteur.  ||| 

Soutenu  par  le  sentiment  de  la  présence  de  Dieu ,  Théo-  l|' 
dore  de  Bèze  attendit  dans  la  prière  et  le  recueillement  I 
l'heure  suprême;  elle  vint  enfin;  son  dernier  soleil  se  leva  ' 
le  13  octobre  1605.  Quand  les  ministres  Lafaye  et  Perrot 
aperçurent  sur  ses  traits  les  avant-coureurs  de  la  mort, 
ils  prévinrent  la  compagnie  des  pasteurs  qui  vint  une  der-  (i 
nière  fois  saluer  le  collègue  qui,  pendant  tant  d'années,  ( 
l'avait  dirigée  avec  tant  d'habileté  et  de  désintéressement. 
Un  suprême  entretien  eut  lieu  entre  les  pasteurs  et  le 
mourant,  sur  l'excellence  de  la  connaissance  de  Jésus-  ; 
Christ.  Il  fut  très-touché  de  cette  marque  d'intérêt,  et  „ 
s'humilia  comme  un  petit  enfant  :  «Pardonnez-moi,  leur 
dit-il,  les  fautes  et  les  erreurs  que  j'ai  commises  pendant 
mon  long  ministère.» 

Des  larmes  coulaient  de  tous  les  yeux;  mais  ces  larmes 
étaient  moins  l'expression  de  leur  profonde  douleur  que 
celle  de  leur  vive  reconnaissance  à  l'égard  de  Dieu  qui , 
pendant  de  si  longues  années,  leur  avait  prêté  dans  le  ré- 
formateur un  conducteur  ferme,  habile,  prudent,  qui  les 
avait  aidé  à  retirer  Genève  des  grands  périls  qui  avaient 
si  souvent  menacé  son  existence  ;  il  leur  retirait  sans 
doute  l'instrument  de  ses  miséricordes,  mais  il  le  faisait, 
quand  leur  vaisseau,  battu  par  tant  d'orages,  avait  jeté 
glorieusement  l'ancre  dans  le  port. 

La  présence  de  ses  compagnons  de  travaux  dans  le  mi- 
nistère ranima  le  mourant,  mais  ce  ne  fut  qu'un  éclair;  le 
lendemain  il  s'informa  selon  son  habitude,  de  l'état  de  la  i 
ville  (depuis  l'escalade  il  était  devenu  craintif).  On  lui  dit 
que  tout  y  était  paisible;  «que  le  Seigneur  en  soit  béni», 
dit-il ,  et  il  prit  un  léger  repas  à  la  suite  duquel  survint 
une  défaillance.  On  le  coucha;  quelques  moments  après 
il  s'endormit.' 

Genève  porta  le  deuil  de  son  réformateur  auquel  elle  fit 
de  splendides  funérailles.  Les  larmes  et  les  regrets  de  tout 

1.  Note  XI. 


LIVRE  XXIV. 


245 


un  peuple  furent  son  oraison  funèbre,  la  seule  qui  fût 
digne  de  lui  ;  ses  restes  mortels  lurent  déposés  au  cloître 
de  Saint-Pierre,  quoiqu'il  eût  demandé  d'être  enseveli  au 
cimetière  de  Plain-Palais ,  près  de  son  maître  Calvin.  Les 
Genevois  n'exécutèrent  pas  sa  dernière  volonté  parce  que 
les  Savoisiens  avaient  menacé  de  détruire  son  corps  et  de 
l'envoyer  à  Piome.' 

XXI. 

Comme  la  tombe  de  Calvin,  celle  de  Bèze  est  toujours 
ouverte.  C'est  à  qui  des  ultramontains  lui  jetera  la  pierre 
et  ramassera  la  boue  jetée  à  la  face  du  réformateur  par  les 
Bolsec,  les  Claude  Sainctes,  les  Coster;  mais  le  jour  de  la 
justice  est  venu  pour  l'homme  qui  fut,  pendant  un  demi- 
siècle,  le  directeur  pieux,  intelligent  et  dévoué  des  réfor- 
més français.  Cet  homme  ne  fut  pas  sans  doute  irrépro- 
chable: moins  que  tout  autre  il  se  crut  infaillible.  Plusieurs 
fois,  dans  ses  controverses  avec  ses  adversaires,  il  fut 
caustique,  âpre,  mordant;  dans  l'ardeur  de  la  lutte,  il  ne 
sut  pas  toujours  se  modérer  et  souvent  il  s'abandonna  au 
mauvais  goût  et  aux  mauvaises  habitudes  de  son  siècle;  et 
cependant,  cet  homme  dont  la  plume  était  un  fer  acéré,  était 
doux,  simple,  gai,  et  malgré  sa  supériorité,  se  faisait 
aimer  de  tous  ceux  qui  l'approchaient,  parce  que,  tout  en 
étant  une  remarquable  personnalité,  il  n'était  pas  per- 
sonnel. 

Un  écrivain  qui  ne  s'est  pas  montré  bienveillant  pour 
lui,  lui  rend  justice  :  «Bèze,  dit  Sénebier,  eut  des  vertus  et 
des  talents  qui  l'auraient  rendu  célèbre  dans  tous  les 
temps,  mais  il  ne  sut  pas  se  préserver  des  vices  de  son 
siècle';  il  se  distingua  par  sa  douceur,  sa  modération  et 
sa  fermeté  ;  il  fil  admirer  son  intégrité  et  son  courage 
contre  les  vices  et  les  vicieux;  il  fut  comme  Calvin,  la  co- 
lonne de  l'église  de  Genève,  et  une  lumière  pour  le  con- 
seil qui  le  consultait;  il  était  prédicateur  éloquent,  poëte 
ingénieux,  critique  pénétrant,  théologien  érudit,  savant 
infatigable,  négociateur  estimé,  quand  il  n'était  pas  ques- 

1 .  Kote  xii. 

2.  Par  vices  l'auteur  eutend  sans  doute  les  écarts  des  contre  - 
Tersistes. 


2i'6         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

tion  de  religion  ;  en  général ,  il  fut  plus  savant  qu'original, 
il  avait  plus  d'imagination  que  de  génie.»' 

Ce  jugement  porté  sur  de  Bèze  par  un  écrivain  qui  fut, 
à  son  égard,  moins  un  historien  qu'un  critique,  est  au- 
jourd'hui celui  de  tous  les  hommes  honnêtes  et  conscien- 
cieux. Si  de  Bèze  n'eût  été  que  l'homme  dont  les  Audin 
et  les  Bolsec  nous  tracent  le  portrait,  depuis  longtemps  le 
silence  se  ferait  autour  de  sa  tombe. 

XXII. 

Quelques  années  après  la  mort  du  réformateur,  le  prêtre 
qui,  jeune,  avait  voulu  le  tenter,  achevait  à  Lyon  son  pélé- 
rinage  terrestre.  Devenu  évèque,  il  n'était  pas  demeuré 
oisif:  écrivain,  orateur,  missionnaire,  directeur  de  con- 
sciences, administrateur,  il  avait  suffi  à  tout;  jusqu'à  sa 
dernière  heure  il  travailla  et  ne  trouva  le  repos  que  dans 
sa  tombe.  Il  était  à  Lyon,  venant  d'Avignon  et  se  rendant 
à  Annecy,  quand  sur  le  point  de  partir,  il  sentit  les  pre- 
mières atteintes  de  la  maladie  qui  devait  l'emporter.  Elles 
se  mnnifcslèrent  par  une  attaque  d'apoplexie  qui  effraya 
ses  amis. 

Le  coup  qui  l'avait  subitement  frappé,  avait  amorti  ses 
facultés,  sans  lui  en  ôter  l'e.xercice.  Dans  le  sentiment  du 
danger  qui  menaçait  sa  vie,  il  élevait  son  âme  à  Dieu  et 
s'écriait:  «Mon  Dieu,  lave-moi  de  mon  iniquité,  purifie- 
moi  de  mon  péché.» 

«l'.Ionseigneur,  lui  dit  un  prêtre,  quant  à  votre  con- 
science, vous  y  avez  mis  bon  ordre  pendant  votre  vie.» 
«Ah!  non  pas  cela»,  répondit-il  en  poussant  un  profond 
soupir.  Il  faisait  l'expérience  que  l'homme  en  face  de  Dieu 
n'est  qu'un  frêle  roseau,  un  lumignon  que  le  moindre 
souffle  de  vent  peut  éteindre. 

Un  autre  prêtre  le  pria  de  dire  à  Dieu:  «Seigneur,  si  jé 
suis  encore  nécessaire,  conserve-moi  à  mon  peuple.» 

Il  ne  le  voulut  pas.  «Je  ne  suis,  dit-il,  qu'un  serviteur 
inutile.» 

Sur  un  lit  de  mort,  les  grands  docteurs  ajiprennent  plus 
de  vraie  théologie  que  dans  leur  cabinet.  Là,  ils  deviennent 

1.  Haag,  France  protestante,  art.  Bèze. 


LIVRE  XXVI. 


247 


petits  enfants,  et  le  Seigneur,  en  les  remplissant  de  sa 
plénitude,  leur  fait  comprendre  avec  tous  les  saints,  la 
hauteur  et  la  profondeur,  la  longueur  et  la  largeur  de  l'a- 
mour que  Dieu  nous  a  témoigné  en  Jésus  -  Christ;  ils 
sentent  alors  que  leur  science  a  été  bien  bornée,  et  ils 
apprennent,  en  quelques  heures,  plus  de  vraie  théologie 
que  durant  les  années  pendant  lesquelles  ils  se  sont  cour- 
bés sur  leurs  livres.  Pour  la  première  fois  peut-être, 
François  de  Sales  découvrait  qu'au  milieu  de  sa  vie  labo- 
rieuse, il  n'était  qu'un  serviteur  inutile,  et  sans  doute 
aussi  pour  la  première  fois,  il  secoua  son  demi-pelagia- 
nisme  pour  ne  regarder  qu'à  Jésus  seul.  «Je  sacrifie, 
dit-il,  tout  à  Dieu,  je  sacrifie  ma  mémoire  et  mes  actions 
à  Dieu  le  père ,  mon  entendement  et  mes  paroles  à  Dieu 
le  Fils,  ma  volonté  et  mes  pensées  à  Dieu  le  Saint-Esprit, 
mon  corps,  ma  langue,  mes  sentiments  et  mes  souffrances 
à  l'humanité  de  Jésus-Christ,  lequel  a  livré  pour  moi  son 
corps  aux  tourments  et  à  l'arbre  de  la  croix.» 

A  cette  heure  de  sa  vie,  l'évêque  de  Genève  proclamait, 
à  son  insu,  la  grande  doctrine  de  l'expiation  qui  renverse 
par  sa  base  tout  l'édifice  de  la  dogmatique  romaine.  A  ce 
moment  suprême  de  sa  vie,  il  oublia  les  médiateurs  de  son 
Église,  et  concentrant  ses  regards  sur  la  croix,  il  s'adressa 
à  celui  qui  donne  le  pardon  et  la  vie;  à  lui  seul,  il  voulut 
tout  donner,  tout  sacrifier,  parce  qu'il  sentait  qu'au  mo- 
ment de  la  calamité,  il  était  sa  seule  arche  de  salut. 

L'un  des  prêtres  qui  le  soignait ,  témoin  de  ses  dispo- 
sitions, en  fut  surpris. 

«Monseigneur,  lui  dit-il,  que  sentez-vous  de  la  foi  ca- 
Ihohque?  Ne  seriez-vous  point  devenu  huguenot? 

A  ce  mot  de  huguenot,  le  malade  qui  sans  s'en  douter, 
ne  voyait  son  salut  que  là  où  les  Calvin,  les  Luther,  les 
Farel,  les  Bèze  l'avaient  trouvé,  s'écria  :  «0  la  lie!  je  ne  le 
fus  jamais.»  Il  fit  un  sigiu  de  croix,  et  ajouta  :  «Ce  serait 
une  trahison.» 

Pendant  le  cours  de  sa  maladie,  il  n'eut  sur  les  lèvres 
que  les  paroles  des  livres  saints.  «  Éternel  mon  Dieu ,  di- 
sait-il avec  David,  je  chanterai  éternellement  ta  miséri- 
corde, mon  corps  et  ma  chair  exalteront  le  Dieu  vivant.» 

Il  ne  demanda  ni  confesseur,  ni  prêtre  pour  lui  ad- 
ministrer l'extrème-onction  ;  —  son  âme  était  en  commu- 


248         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

nion  avec  son  Sauveur  dans  lequel  il  plaçait  toute  son 
espérance;  il  oubliait  les  cérémonies  de  son  Église;  qu'au- 
rait-il fait  des  hommes  quand,  s'entretenant  avec  son 
Dieu,  il  faisait  la  douce  expérience  que  le  Christ  «est 
le  chemin,  la  vérité  et  la  vie»,  et  que  Dieu  l'a  donné  au 
pécheur  afin  qu'il  fût  «sa  sagesse,  sa  justice,  sa  sanctifi- 
cation et  sa  rédemption.» 

Après  une  vie  de  fatigues  et  de  combats,  François  de 
Sales  trouvait  à  sa  dernière  heure  le  vrai  Jésus ,  celui  qui 
ne  fait  acception  de  personne  ,  et  se  montre  toujours 
plein  de  compassion  pour  ceux  qui ,  comme  l'évèque  de 
Genève,  dans  un  zèle  aveugle  mais  sincère,  consacrent 
leurs  jours  à  annoncer  un  Évangile  incomplet.  Dieu  re- 
garda à  sa  droiture,  et  quand  le  missionnaire  catholique 
concentra  ses  regards  sur  la  croix,  il  sentit  une  paix  di- 
vine pénétrer  son  cœur,  et  comme  l'apôtre  Paul,  il  ne 
voulut  savoir  autre  chose  «  que  Jésus  -  Christ  et  Jésus- 
Christ  crucifié.  » 

Sa  douceur,  sa  patience  inaltérable,  sa  confiance  en 
Dieu  firent  l'étonnement  de  tous  ceux  qui  l'entouraient  de 
leurs  soins  les  plus  affectueux.  «  Il  semblait ,  dit  le  père 
La  Rivière ,  un  agnelet  dans  son  lit,  il  faisait  tout  ce  qu'on 
voulait,  il  souffrait  tout  ce  qu'on  voulait  sans  se  plaindre 
le  moins  du  monde.  On  le  tourmenta  tant  pour  remédier 
à  celte  apoplexie,  on  l'affligea  tant,  on  le  martyrisa  tant, 
qu'on  n'y  saurait  penser  sans  mal  de  cœur.  On  lui  souffla 
de  la  poudre  au  nez  diverses  fois,  qui  le  fit  éternuer  coup 
sur  coup  douze  ou  quinze  fois  avec  une  grande  vio- 
lence et  ébranlement  de  tout  le  corps.  On  lui  déchira 
les  jambes  et  les  épaules  à  force  de  les  lui  frotter,  levant 
l'emplâtre  de  cantharides  qu'on  lui  avait  appliqué  sur  la 
tête;  on  lui  arracha  la  première  peau,  et  comme  on  lui 
eut  demandé  s'il  sentait  le  ma!  qu'on  lui  faisait,  il  répondil 
fort  doucement  :  «  Oui,  que  je  le  sens.  »  On  lui  dit  que  le 
médecin  avait  ordonné  qu'il  prendrait  une  médecine ,  il 
répondit:  Faites  ce  que  vous  voudrez  au  malade,  et  n'ayant 
su  auparavant  avaler  un  bouillon  qu'il  ne  le  rendit  aussitôt, 
il  s'efforça  néanmoins  d'obéir,  et  prit  cette  médecine  à 
reprises  avec  une  cuillerjusqu'à  la  dernière  goutte.  On  lui 
appliqua  deux  fois  le  fer  chaud  sur  la  nuque,  et  une  fois 
le  bouton  ardent  sur  le  haut  de  la  lète  jusqu'à  l'os  qui  en 


UVRE  XXVI. 


249 


fut  brûlé  ;  jamais  pourtant  il  ne  fronça  le  front,  ni  fit  sem- 
blant de  se  douloir';  seulement  on  lui  entendit  dire  bel- 
lement: Jésus,  Maria,  et  lui  vit-on  tomber  de  grosses 
larmes  des  yeux,  excité  par  la  véhémence  de  la  douleur., 
mais  son  visage  resta  toujours  paisible,  content  et  tran- 
quille. 

Enfin,  se  sentant  défaillir,  il  tourna  la  tête  du  côté  de 
M.  Pernet,  lui  serra  la  main  et  lui  dit  :  «Monsieur  Pernet, 
advesperascit ,  et  incUnala  est  jam  dies;y>  voulant  signi- 
fier, que  le  jour  de  cette  misérable  vie  était  presque  fini 
pour  lui,  et  qu'en  bref,  il  s'allait  clore  tout  à  lait.  De  quoi 
s'apercevant,  le  révérend  père  dom  Philippe  Malabaila,  de 
l'ordre  des  Feuillants,  commença  à  se  mettre  à  genoux  et 
à  dire  les  litanies  des  saints  avec  ceux  qui  étaient  là  pré- 
sents. Et  comme  il  fut  à  omnes  sancti  Innocentes  orate  pro 
eo*,  il  se  répéta  par  trois  fois,  d'autant  que  c'était  le  jour 
des  Sacrés  Innocents,  et  à  la  troisième  fois  ce  bienheureux 
évêque  rendit  l'esprit  entre  les  mains  de  son  époux  Jésus, 
si  doucement,  si  suavement  qu'à  peine  s'en  aperçut -on, 
l'an  mil  six  cent  vingt -deux  (le  vingt -huitième  de  dé- 
cembre,  à  huit  heures  du  soir,  le  cinquante -sixième  de 
son  âge  et  le  vingtième  de  son  épiscopat.  Ledit  père 
Feuillant  lui  ferma  révéremment  les  yeux  et  lui  rendit  les 
derniers  devoirs.' 

Ainsi  se  termina  la  vie  de  cet  homme  remarquable  qui 
combattit  pendant  si  longtemps  et  sans  relâche,  la  foi 
réformée,  et  qui,  à  son  insu,  l'embrassa  au  moment  su- 
prême. Dieu  regarda  à  sa  droiture  comme  il  avait  regardé 
à  celle  de  Corneille,  et  il  se  fit  trouver  à  lui  comme  au 
pieux  centenier.  François  de  Sales  avait  du  sang  chrélieu 
dans  les  veines,,  car  sous  le  chaume  et  la  paille  des  tradi- 
tions de  son  Église,  il  découvrit  le  fondement  d'or  de 
l'Évangile  sur  lequel  les  réformateurs  avaient  élevé  leur 
édifice  religieux.  Là  se  trouve  l'explication  de  sa  vie,  mé- 
lange singulier  de  piété  et  de  puériHtés.  11  mécanisa  la 
religion  et  crut  pouvoir  l'enseigner  comme  on  enseigne 
une  science  humaine.  Ce  fut  moins  un  travers  de  son  cœur 

1.  Plaindre. 

2.  Vous  tous  saints  innocents  priez  pour  lui. 

3.  Histoire  de  Saint-Francois  de  Sales,  par  le  Père  La  Rivière, 
liv.  IV,  p.  661-G6Î. 


250         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATÏÔN  FRANÇAISE. 

que  le  tort  de  son  éducation.  Si  quelque  chose,  enfin, doit 
nous  donner  une  haute  idée  de  sa  vie  spirituelle,  c'est  qu'il 
ait  pu  saisir  tant  de  rayons  de  la  vérité  chrétienne,  quand, 
entre  elle  et  son  âme  il  y  avait  toutes  les  ombres  du  roma- 
nisme.  Il  fallait  que  cette  âme  soupirât  après  Dieu  comme 
le  cerf  altéré  après  les  torrents  d'eau,  pour  avoir  trouvé 
une  oasis  dans  les  déserts  arides  du  catholicisme  du  moyen 
âge!  Tout  ce  que  l'évêque  de  Genève  a  écrit  de  bon,  de 
grand  et  de  beau,  il  l'a  tiré  des  livres  saints  et  des  dogmes 
qui  sont  communs  aux  trois  grandes  communions  de  la 
chrétienté.  Quand  il  aborde  les  autres  sujets,  il  est  faible, 
souvent  ridicule. 

XXIII. 

Deux  siècles  et  demi  nous  séparent  de  l'époque  oii 
François  de  Sales  ramena  le  Chablais  à  la  foi  romaine  et 
s'acquit,  dans  son  diocèse  et  dans  le  monde  catholique, 
une  réputation  que  les  années  n'ont  pas  affaiblie;  mais  le 
Chablais  a-t-il  beaucoup  gagné  en  abandonnant  la  Réforme  ? 
Pour  décider  cette  question,  il  faut  comparer  Annecy  à 
Genève,  c'est-à-dire,  le  travail  de  François  de  Sales  à 
celui  des  réformateurs;  ils  ont  tous  travaillé  sur  le  même 
sol,  respiré  le  même  air,  parlé  la  même  langue.  Si  Rome 
est  l'orthodoxie  et  Genève  l'hérésie,  l'arbre  doit  se  faire 
connaître  à  ses  fruits,  le  bon  n'en  portera  pas  de  mauvais, 
le  mauvais  n'en  produira  pas  de  bons  :  c'est  là  une  règle 
infaillible. 

Le  Christ  n'est  pas  venu  apporter  au  monde  les  ténèbres, 
puisqu'il  est  la  lumière,  ni  la  mort,  puisqu'il  est  la  vie; 
comment  se  fait-il  donc  que  Genève  se  soit  placée,  par  sa 
moralité  et  sa  science,  à  la  tête  du  monde  civilisé,  et 
qu'Annecy  et  son  territoire  n'aient  pas  même  un  nom 
dans  la  carte  littéraire?  A  quelle  trace  reconnaît-on  le  fruit 
des  œuvres  du  bienheureux  François  ?  Quels  hommes  cé- 
lèbres sa  ville  épiscopale  a -t- elle  produits?  Par  quelle 
invention  savante  et  ingénieuse  s'est -elle  fait  connaître? 
Ce  qui  se  voit  chez  elle,  n'est-ce  pas  ce  qui  frappe  le  voya- 
geur en  Suisse,  quand  il  traverse  les  cantons  catholiques. 

Genèveades  citoyens  riches,  même  opulents;  la  fortune 
n'est  pas  un  litre  pour  aller  au  ciel ,  elle  est  plutôt  un 


LIVRE  XXVI. 


251 


obstacle  pour  n'y  pas  aller;  mais  la  pauvreté  des  Chablai- 
siens  ne  les  a  rendus  ni  plus  moraux,  ni  plus  instruits:  et 
si  les  Genevois  l'ont  toujours  emporté  sur  eux  en  bien- 
être  matériel,  ils  l'ont  aussi  emporté  ea  instruction  et  en 
moralité;  ils  ont  donc  tout  gagné  à  recevoir  la  Réforme, 
quand  leurs  voisins  ont  tout  perdu  en  la  proscrivant. 

La  science  a  ses  périls  et  ses  écueils;  mais  ne  vaut-elle 
pas  mieux  qu'une  superstition  grossière  et  ignorante?  Le 
culte  en  esprit  et  en  vérité  ne  l'emporte-t-il  pas  sur  celui 
qu'on  rend  à  de  vaines  reliques,  au  bois  ou  à  la  pierre? 
Genève  a  des  collèges  florissants,  des  académies  renom- 
mées, des  écoles  nombreuses;  ces  institutions  ne  répon- 
dent pas  toujours  pleinement  à  ce  qu'on  pourrait  attendre 
d'elles;  mais  ces  centres  de  lumières  ne  valent -ils  pas 
mieux  que  des  écoles  de  frères  et  des  séminaires  où  Ton 
en  est  encore  pour  l'instruction  aux  traditions  du  moyen 
âge? 

L'dumône  peut  être  quelquefois  fastueuse  et  pharisaïque  ; 
mais  Genève,  où  l'on  donne  largement  dans  les  temps  de 
calamité  publique,  n'a-t-elle  pas  une  supériorité  marq^uée 
sur  Annecy? 

D'où  proviennent  ces  différences  notables  entre  le  pays 
de  l'hérésie  et  le  pays  de  l'orthodoxie?  Ne  serait-ce  pas 
qu'on  se  trompe  sur  les  mots,  et  que  Genève,  en  passant 
à  la  Réforme,  aurait  cessé  d'être  hérétique  pour  devenir 
orthodoxe? 

Il  y  a  plusieurs  manières  de  faire  del'apologétique;  l'une 
des  plus  simples,  parce  qu'elle  est  à  la  portée  des  esprits 
les  plus  vulgaires,  et  des  plus  frappantes,  parce  qu'elle 
est  sans  réplique ,  c'est  de  juger  l'arbre  par  ses  fruits.  — 
Revenons  en  France. 


252         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


LIVRE  XXVÏI. 


I. 

A  la  fin  de  l'année  1600,  Marseille  présentait  un  aspect 
inaccoutumé:  une  foule  immense  attendait  sur  les  quais, 
avec  l'impatience  particulière  aux  habitants  du  Midi,  la 
flottille  qui  amenait  en  France  la  reine  Marie  de  Médicis, 
fille  de  feu  François,  grand-duc  de  Toscane.  A  la  sortie 
de  son  navire  qui,  par  la  beauté  de  ses  décorations,  rap- 
pelait celui  de  Cléopâtre,  la  princesse  italienne  fut  com- 
plimentée par  les  seigneurs  et  les  dames  de  la  cour  que  le 
roi  avait  envoyés  à  Marseille  pour  la  recevoir.  Ils  lui  for- 
mèrent un  brillant  cortège  qui  l'accompagna  jusqu'à  l'ap- 
partement somptueux  que  la  ville  lui  avait  préparé. 

La  reine  séjourna  à  Marseille  jusqu'au  16  novembre. 
Henri  IV,  pendant  tout  ce  temps,  traita  magnifiquement 
les  personnes  de  sa  suite.' 

Marie  de  Médicis  quitta  Marseille  et  se  dirigea  vers 
Avignon  où  on  lui  fit  une  réception  fastueuse.  Les  jésuites 
parurent  oublier  dans  cette  circonstance  l'arrêt  qui  les 
avait  bannis  du  royaume;  ils  se  firent  les  ordonnateurs 
des  fêtes  qui  attirèrent  dans  la  ville  un  concours  de  visi- 
teurs aussi  nombreux  qu'à  l'époque  de  la  célèbre  procession 
des  Battus  où  Henri  III  et  sa  cour  assistèrent. 

Les  révérends  pères  avaient  tiré  du  nombre  sept  des  effets 
merveilleux;  on  l'avait  observé  partout:  dans  les  présenta- 
tions, dans  les  repas,  dans  les  bals,  dans  les  arcs  de  triomphe; 
il  ne  pouvait  être  que  d'un  très-bon  augure  pour  la  reine. 
En  effet,  la  ville  qui  la  recevait  avec  tant  de  magnificence 
avait  sept  portes,  sept  églises,  sept  paroisses,  sept  hos- 
pices, sept  couvents  de  filles,  sept  collèges;  le  roi,  son 
époux,  avait  sept  fois  sept  ans,  il  était  le  neuf  fois  septième 
roi  depuis  Pharamond;  il  avait  gagné  la  bataille  d'Arqués 

1.  De  Thou  indique  le  chiffre  de  7000  tant  Français  qu'étran- 
gers, liv.  CXXV,  p.  407. 


1 


LIVRE  XXVII. 


253 


le  trois  fois  septième  jour  du  mois;  à  Ivry  son  armée  se 
composait  de  sept  escadrons,  et  il  avait  vaincu  Mayenne 
le  deux  fois  septième  jour  de  mars;  il  avait  donné  la  bril- 
lante bataille  de  Fontaine-Française  le  mois  de  juillet  qui 
est  le  septième  de  l'année,  et  le  même  mois  il  avait  ab- 
juré à  Saint-Denis;  le  vingt-sept  février  il  avait  repris 
Amiens  aux  Espagnols,  et  le  trois  fois  septième  jour  de 
juin  il  avait  fait  la  paix  avec  l'Espagne.  Quant  à  la  reine, 
elle  était  aussi  sous  l'influence  bénie  du  nombre  mysté- 
rieux :  Elle  avait  vingt-sept  ans;  son  aïeul,  Ferdinand, 
avait  été  le  septième  empereur  d'Autriche;  elle  avait  abordé 
à  Marseille  avec  une  escadrille  de  dix-sept  galères,  et  la 
capitane  qu'elle  avait  montée  avait  vingt-sept  pas  de  lon- 
gueur et  vingt-sept  rameurs  de  chaque  côté.' 

Les  pères  ne  durent  pas  sans  doute  oublier  que  le  ciel 
avait  sept  planètes,  l'Église  romaine  sept  sacrements  et  la 
semaine  sept  jours.  Ces  puérilités  drolatiques  donnent  une 
idée  peu  élevée  du  genre  d'esprit  de  cette  époque;  en  tout 
cela,  ce  qu'il  y  avait  de  plus  vrai  c'est  que  la  princesse 
amenait  avec  elle  en  France  les  sept  péchés  capitaux. 

François  Suarès'  harangua  Marie  de  Médicis  au  nom  du 
clergé  et  lui  souhaita  un  Dauphin  avant  la  fin  de  l'année. 
La  reine  lui  répondit  en  italien  :  Pregate  il  Dio  accio  me 
faccia  quesla  grazia.  ^ 

Le  mardi  21  novembre  elle  assista  à  une  grande  solennité 
musicale  dans  la  salle  du  palais  de  Rouvre;  le  légat  du 
pape  qui  avait  l'honneur  d'être  son  hôte  fit  suivre  le 
concert  d'un  bal,  à  la  fin  duquel  il  lui  ménagea  une  mer- 
veilleuse surprise.  A  un  signal  donné,  et  avec  la  rapidité 
d'un  changement  de  décoration  à  vue,  les  tapisseries  de 
la  salle  disparurent  et  découvrirent  aux  yeux  émerveillés 
de  la  reine  trois  tables  couvertes  de  toutes  sortes  d'ani- 
maux, de  poissons  et  de  statues  de  dieux,  de  déesses  et 
d'empereurs  en  sucre.  ■* 

Après  trois  jours  de  séjour,  la  reine  quitta  Avignon  et 
se  dirigea  vers  Lyon  où  elle  arriva  le  2  décembre.  La  ré- 
ception fut  digne  de  la  seconde  ville  du  royaume;  mais 

1.  De  Thou,  liv.  CXXY,  p.  40S. 

2.  Célèbre  jésuite. 

3.  Priez  Dieu  qu'il  me  fasse  cette  grâce. 

4.  L'Estelle,  année  IGOO.  ■ 


IV. 


8 


254 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


quel  que  fut  le  bon  vouloir  des  échevins,  les  fêtes  ne 
furent  pas  aussi  sp'ù.idides  que  celles  qui  s'étaient  faites 
sous  l'influence  du  nombre  o^pt. 

Pendant  que  la  reine  faisait  son  entrée  triomphale  en 

France ,  Henri  IV  était  occupé  à  terminer  la  guerre  qu'il  i 

soutenait  contre  le  duc  de  Savoie.  Les  Genevois,  témoins  \  i 
,   des  combats  qui  se  livraient  à  quelques  heures  de  leurs 

frontières,  étaient  inquiets  du  séjour  que  certains  seigneurs  ( 

catholiques  faisaient  dans  leur  ville;  leurs  noms  leur  rap-  [  t 

pelaient  les  persécutions  sanglantes  de  leurs  frères  de  i  s 

France.  Un  jour  ils  virent  arriver  Rosny  avec  une  escorte  I  ( 

de  cent  chevaux;  sa  présence  les  rassura:  «Messieurs,  i 

leur  dit-il,  tenez  vos  cœurs  en  repos;  le  roi  a  trop  bonne  i 

volonté  pour  vous  et  a  trop  autorité  parmi  les  siens  pour  il 

croire  que  personne  osât  rien  entreprendre  à  votre  pré-  ( 

judice;  toutefois,  pour  vous  ôter  tout  doute,  je  ne  partirai  * 

pas  d'ici  que  tous  ces  gens  ne  soient  dehors.»'  |f 

Le  lendemain  une  députation,  en  tète  de  laquelle  se  trou-  ;  |t 

vait  Théodore  de  Bèze,  alla  trouver  le  roi.  Rosny  la  présenta  fi 

au  monarque  qui  lui  fit  un  accueil  bienveillant  et  gracieux.  f 

«Sire,  lui  dit  de  Bèze  d'une  voix  émue,  nulle  éloquence  l 

de  paroles  humaines  n'étant  capable  d'e.xalter  vos  louanges  p 

jusqu'au  sommet  du  mérite  de  vos  œuvres  admirables,  et  it 

mon  style  étant  trop  bas  et  ma  voix  trop  faible  pour  l'émi-  )i 

nence  et  magnificence  des  vertus  de  Votre  Majesté,  que  » 

l'univers  publiera  sans  cesser,  tout  ainsi  qu'elle  ne  cesse  i  l'i 

jamais  de  produire  des  actions  dignes  de  gloire  et  de  l- 

louange,  je  laisserai  aux  saints  anges  la  célébration  des  n 

éloges  qui  lui  sont  dus  pour  avoir  tiré  les  Églises  du  >  f 

Seigneur  d'oppression,  et  avoir  acquis  aux  enfants  de  Dieu  1 1 
une  ample  liberté  pour  le  servir  selon  ses  divins  préceptes, 
et  pour  l'invoquer  uniquement  en  trinité  de  personnes;  et 
partant  me  contenterai  ès  choses  humaines  de  dire  comme 
Siméon  ès  divines  : 

1.  C'étaient  Messieurs  d'Épernon,  Guise,  de  Biron",  d'Elbœuf  et 
de  la  Guiche. 


J 


LIVRE  XXVII. 


255 


Or  laisse  Créateur 
En  pais  ton  serviteur. 
Puisque  mes  yeux  ont  eu 
Le  crédit  d'avoir  vu 
Avant  que  de  mourir 

Le  Sauveur 
Et  le  libérateur. 

de  nous  vos  très-humbles  serviteurs,  des  fidèles  en  géné- 
ral ,  voire  de  toute  la  France.  » 

Le  roi  écouta  de  Bèze  avec  une  bonté  respectueuse. 
«Mon  père ,  lui  répondit-il,  ce  peu  de  paroles,  grandement 
signifiantes,  étant  dignes  de  la  réputation  que  M.  de  Bèze 
s'est  acquise  au  bien  dire,  je  les  reçois  avec  le  gré,  la 
grâce  et  les  tendres  ressentiments  qu'elles  méritent,  et 
vous  dirai  qu'ayant  les  rois ,  mes  devanciers ,  toujours  tenu 
votre  ville  en  leur  protection,  je  suis  non-seulement  résolu 
de  les  imiter  en  cela,  et  toutes  autres  choses  dignes  de  la 
gloire  d'un  roi  de  France;  mais  aussi  d'ajouter  en  sa  fa- 
veur tous  autres  effets  dignes  de  cordiales  affections,  que 
[  je  sais  que  vous  avez  toujours  tous  eues  pour  moi.  En  quoi 
je  veux  que  celui  que  je  tiens  par  la  main,  qui  vous  a 
présenté  et  qui  vous  aime  tous,  serve  de  solliciteur,  et 
que  vous  parliez  à  lui  des  choses  que  vous  désirerez  de 
moi ,  lesquelles  seront  bien  difficiles ,  si  vous  ne  les  obtenez 
pas.  Je  sais  déjà  bien,  lui  dit-il  tout  bas  à  l'oreille,  ce  que 
vous  désirez  le  plus  de  moi  (car  vous  lui  en  aviez  déjà 
parlé)  c'est  la  démolition  du  fort  Sainte-Catherine  qui 
TOUS  tient  en  échec.  Force  gens  me  veulent  persuader  de 
l'en  rien  faire,  et  vois  bien  que  c'est  par  malice;  aussi  n'y 
li-je  nul  égard.  Je  vous  aime  et  veux  faire  pour  vous,  s'il 
ta  quelque  chose  qui  vous  accommode,  en  ce  que  j'y  con- 
juêterai  près  de  votre  ville;  et  dès  à  présent  je  vous  donne 
na  foi  et  ma  parole,  que  qui  en  parle  le  fort  Sainte-Ca- 
lierine  sera  démoli;  et  voici  un  homme  (vous  tenant  par 
î  main)  en  qui  vous  vous  fiez  bien,  et  avez  raison,  à  qui 
î  le  commande  dès  à  présent,  et  le  ferai  plus  expressé- 
lent  'jiiand  il  sera  temps.  »  * 
De  Bèze  remercia  le  roi  avec  une  grande  effusion  de 
œur;  des  larmes  de  reconnaissance  coulaient  des  yeux 
u  vieillard  qui  prit  congé  du  roi  et  alla  rapporter  à  ses 

1.  Sully,  Économies  royales,  année  1600. 


25G 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFOnMATlON  FRANÇAISE. 


concitoyens  les  paroles  du  monarque.  Les  Genevois  se  le- 
vèrent comme  un  seul  homme  et  coururent  vers  le  fort 
qu'ils  rasèrent  avec  tant  de  promptitude  qu'on  apprit,  dit 
de  Thou,  sa  démolition  avant  même  qu'on  sût  que  le  roi 
avait  le  dessein  de  le  détruire.' 

III. 

Le  roi,  impatient  de  voir  sa  nouvelle  épouse,  qu'il  ne 
connaissait  que  par  son  portrait,  se  rendit  le  9  décembre 
à  Lyon  où  elle  l'attendait.  En  le  voyant,  elle  se  jeta  à  ses 
genoux;  il  la  releva  avec  bonté  en  s'excusant  d'être  arrivé 
si  tard.  Le  lendemain  le  mariage  fut  célébré  avec  une 
grande  pompe  dans  l'église  cathédrale  de  Saint-Jean.  Le* 
illusions  du  roi  furent  courtes.  Son  regard  vif  et  pénétrant 
lui  révéla  de  suite  que  la  princesse  italienne  n'était  pas  la 
femme  dans  laquelle  il  aurait  voulu  trouver  l'idéal  de  la 
reine:  Elle  n'avait  de  Catherine  de  Médicis  ni  la  grâce,  ni 
l'esprit,  ni  l'intelligence;  elle  était  grosse  de  taille  et  de 
figure;  ses  yeux  étaient  grands,  mais  ronds,  fixes,  sans 
vivacité  et  sans  douceur;  elle  ne  parlait  pas  le  français; 
son  entourage  acheva  de  le  désillusionner.' 

Ce  mariage  fut  une  calamité  nationale  et  une  condam- 
nation éclatante  des  mariages  officiels  des  rois.  Les  pré- 
jugés séculaires,  quand  ils  ont  pour  base  l'orgueil,  do- 
minent les  princes  à  leur  insu.  Henri  IV  se  serait  épargné  : 
bien  des  maux  si,  rompant  ouvertement  avec  les  cou-j 
tûmes  de  son  époque,  il  eût  placé  la  couronne  royale  sur 
le  front  pur  et  chaste  de  la  fille  d'une  des  grandes  maisons 
de  France  ;  il  eût  pu  faire  cela  pour  une  maîtresse  dans  une 
heure  de  caprice  ou  de  folle  passion;  il  n'était  pas  au-dessus 
des  préjugés  de  son  siècle  pour  le  faire  en  prince  sage  eU 
réfléchi.  m 

IV.  i 

Au  milieu  des  préoccupations  causées  par  la  guerr» 
avec  le  duc  de  Savoie  et  le  mariage  du  roi,  les  protestantsi 

1.  De  Thou,  liv.  CXXV,  p.  411.  —  D'Aubigné,  Hist.  univers.i 
liv.  V,  ch.  9,  p.  658.  —  Spon,  Hist.  de  Genève,  t.  II,  liv.  nd 
p.  352.  ,  I 

2.  L'Estoile,  année  1600.  —  Sully,  Économies  royales,  t.  lu, 
p.  896. 


LIVRE  XXVII. 


257 


avaient  les  yeux  sur  les  commissaires  chargés  de  l'exécu- 
tion de  l'édit  dans  les  provinces.  Leur  assemblée  de  Sau- 
mur  se  faisait  rendre,  jour  par  jour,  compte  de  la  manière 
dont  ils  remplissaient  leur  mandat;  elle  craignait  que  les 
choses  se  tissent  trop  vite  et  trop  légèrement;  elle  se  plaignait 
surtout  de  ce  qu'on  n'avait  pas  fait  jurer  à  tous  les  officiers 
publics  obéissance  à  l'édit.  Craignant  qu'une  négligence 
sur  un  point  si  capital  ne  nuisît  considérablement  à  ses 
intérêts,  elle  voulut  se  transporter  à  Loudun;  le  roi  ne  le 
lui  permit  pas,  et  lui  ordonna  de  se  séparer,  quoique  un 
synode  national,  qui  se  tenait  à  Gergeau',  eût  ajouté  ses 
instances  aux  siennes;  devant  la  volonté  royale,  les  députés 
durent  céder. 

Les  assemblées  politiques  des  réformés  déplaisaient  au 
roi  ;  il  craignait  qu'elles  ne  fussent  pour  quelques  seigneurs 
protestants  un  moyen  d'exercer  une  trop  grande  influence 
sur  leurs  coreligionnaires;  mais  ces  derniers  les  regar- 
daient comme  indispensables  à  leurs  intérêts,  parce  que 
dans  leurs  synodes  provinciaux  et  nationaux  ils  ne  pou- 
vaient s'occuper  que  d'a.Taires  de  dogme  ou  de  discipline 
ecclésiastique.  Il  y  avait  donc  antagonisme  entre  eux  et  le 
roi  qui  autorisa  cependant  la  tenue  d'une  assemblée  à 
Sainte-Foy. 

Cette  assemblée  se  réunit  dans  cette  dernière  viilc  le 
16  octobre  1601.  Les  députés  étaient  au  nombre  de  trente- 
cinq  :  deux  pour  le  Berry  et  l'Orléanais  ;  trois  pour  La 
Rochelle;  deux  pour  la  Provence;  deux  pour  la  Norman- 
die; trois  pour  le  haut  Languedoc  et  la  haute  Guyenne; 
trois  pour  la  Bretagne;  deux  pour  l'Anjou  et  la  Touraine; 
trois  pour  la  Saintonge;  deux  pour  le  IJauphiné  et  un  pour 
le  Vivarais. 

L'assemblée  dressa  des  cahiers  dans  lesquels  elle  de- 
mandait le  rétablissement  de  l'édit  tel  qu'il  avait  été  accordé 
à  Nantes,  signala  l'inexactitude  des  commissaires  et  l'op- 

fiosition  que  son  e.xécution  rencontrait  chez  quelques  par- 
ements; elle  nomma  deux  députés:  Saint -Germain  et 
Desbordes-Mercier,  et  les  chargea  «de  poursuivre  con- 
jointement, au  nom  de  toutes  les  églises,  tout  ce  qui 
concernait  le  bien  général  et  particulier  de  chaque  pro- 

1.  Ce  synode  se  tint  du  9  au  21  mai  160S. 


258        HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

vince,  de  présenter  les  cahiers  dressés  en  la  compagnie;? 
d'en  solliciter  la  réponse  et  de  se  gouverner  en  tout, 
suivant  le  règlement  adopté  par  l'assemblée  et  les  instruc- 
tions qui  leur  seraient  baillées.» 

Elle  dressa  ensuite  les  instructions  des  députés  géné- 
raux, s'occupa  du  rétablissement  des  conseils  provinciaux, 
arrêta  les  bases  de  leur  organisation  et  rédigea  les  cahiers 
que  Saint-Germain  et  Desbordes-Mercier  devaient  présen- 
ter au  roi.  Ces  cahiers  étaient  au  nombre  de  trois  :  par  le 
premier,  elle  demanda  le  rétablissement  de  l'édil  de  INanles 
dans  sa  première  forme  et  teneur;  dans  le  second,  elle 
traita  des  points  concernant  les  articles  secrets  de  l'édit 
dont  le  roi  s'était  réservé  la  connaissance  ;  dans  le  troisième, 
elle  exposa  les  plaintes  des  protestants  touchant  l'inexécu- 
tion de  l'édit  et  les  modifications  qu'on  lui  faisait  subir.' 

L'assemblée  se  sépara  après  avoir  pourvu  avec  un  re- 
marquable dévouement  à  to\is  les  besoins  de  la  cause;  ses 
deux  représentants  se  rendirent  à  Paris  où  ils  furent  ac- 
cueillis gracieusement  par  le  roi ,  qui  reçut  leurs  cahiers 
et  leur  ht  des  réponses  favorables ,  mais  refusa  de  rendre 
l'édit  à  sa  première  forme,  attendu  que  les  changements 
qui  y  avaient  été  apportés  ne  détruisaient  pas  sa  nature  et 
avaient  facilité  sa  vérification. 

V. 

Le  règne  des  trois  derniers  Valois  avait  rendu  la  France 
semblable  à  une  mer  qui,  battue  par  la  plus  violente  des 
tempêtes,  est  encore  agitée  quand  le  vent  qui  l'a  soulevée 
est  tombé.  Henri  IV  avait  soumis  les  partis  sans  les  fondre , 
Les  huguenots  étaient  toujours  sur  un  pied  de  défiance  ; 
les  ligueurs  étaient  des  sujets  peu  sûrs;  les  seigneurs  roya- 
listes enfin,  h  la  tête  desquels  étaient  le  maréchal  de  Biron, 
se  plaignaient  que  le  roi  eût  soldé  plus  largement  la  sou- 
mission de  Mayenne  que  leur  fidélité;  ils  ne  cachaient  pas 
leur  mécontentement,  Biron  surtout.  Ses  plaintes  étaient 
toujours  en  rapport  avec  son  état  de  gène  qui  n'avait 
d'autre  cause  que  sa  prodigalité,  à  laquelle  la  liste  civile 
d'un  roi  eût  à  peine  suffi. 

1.  Anquez,  Histoire  des  assemblées  politiques  des  réformés  de 
France,  p.  210. 


LIVRE  XXVH. 


259 


«Charles-GontautBiron,  dit  Capefigue,  avait  un  caractère 
indomptable:  il  était  orgueilleux  et  fier  de  son  origine, 
avec  un  besoin  sans  cesse  renaissant  d'éloges,  de  pouvoir 
et  d'argent;  il  avait  toutes  les  prodigalités  de  la  vie  de 
gentilhomme;  il  aimait  les  chevaux  à  tout  crin  et  de  race; 
dans  ses  accès  de  colère,  il  eût  précipité  femme,  fille,  roi 
ou  prince  de  la  tour  du  Chàtelet,  ou  du  bourdon  de  Notre- 
Dame  sur  le  pavé ,  et  vu  sans  émotion  la  cervelle  jaillis- 
sant sur  les  dalles  ensanglantées.  Comme  Henri  IV  il  eût 
mis  ses  terres  et  ses  châteaux  sur  le  sol,  le  pendu,  la 
mailemort  du  Tarot  ou  le  roi  de  coupe  et  de  deniers;  il 
aimait  les  travaux  pénibles,  les  exercices  violents  ;  il  restait 
à  cheval  quinze  heures  de  suite  :  vie  aventureuse  commen- 
cée dans  les  camps  et  qui  ne  pouvait  s'assouplir  aux  ré- 
gularités d'un  revenu  fixe  et  d'un  gouvernement  économe.»' 

Ce  fut  sur  ce  seigneur  ambitieux,  prodigue  et  ruiné  que 
Charles-Emmanuel  jeta  les  yeux  quand,  en  1598,  il  vint 
à  Paris  pour  intriguer.  Il  présenta  de  grands  appâts  à  son 
ambition  pour  l'engager  à  trahir  son  souverain.  Il  lui  pro- 
mit l'une  de  ses  filles  en  mariage  avec  500,000  écus  de 
dot  et  l'érection  de  son  gouvernement  de  Bourgogne  en 
principauté  indépendante.  Le  but  du  duc  de  Savoie  était 
de  reconstituer  la  ligue  et  d'agrandir  ses  domaines  de  tout 
ce  que  les  chances  favorables  de  la  guerre  lui  donne- 
raient. Sa  première  proie  devait  être  Genève.  Rome  et 
Madrid  furent  initiées  au  complot.  Le  danger  était  grand. 
Henri  IV  devait  être  attaqué  à  Timproviste  par  les  Espa- 
gnols, les  Savoisiens  et  les  seigneurs  complices  de  Biron. 

Cette  entreprise,  qui  menaçait  l'Europe  et  le  protestan- 
tisme de  nouveaux  malheurs,  fut  découverte:  ourdie  au 
mois  d'août  1601,  Lesdiguières  en  avait  connaissance 
le  14  octobre  suivant'  par  un  seigneur  romain  devenu 
rotestant.  Ce  gentilhomme  lui  déclara  que  le  pape  éla- 
orait  un  projet  qui  avait  pour  but  l'extermination  des 
réformés.  Quelques  mois  plus  tard,  un  ami  de  ce  seigneur, 
devenu  aussi  protestant,  arrivait  en  poste  à  Paris  pour 
prévenir  Henri  IV  que  les  troupes  du  duc  de  Savoie  et  du 

1.  Capefigue,  Hist.  de  la  ligue  et  du  règne  de  Henri  IV,  t.  VIII, 
p.  230. 

2.  Gaberel ,  Hist.  de  l'église  de  Genève ,  t.  H,  p.  472.  —  Registres 
du  Conseil,  14  octobre  1601. 


260 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


roi  d'Espagne  étaient  prêtes  à  l'attaquer.  «Votre  Majesté 
très-chrétienne,  lui  dit-il,  est  regardée  comme  un  hypo- 
crite; l'excommunication  doit  la  frapper;  ses  enfants  seront 
regardés  comme  illégitimes;  et  Genève,  qu'elle  s'obsline 
à  protéger,  tombera  au  pouvoir  de  Charles-Emmanuel.»' 

Le  roi  ne  pouvait  croire  qu'on  eût  osé  en  pleine  paix 
ourdir  un  projet  si  criminel;  et  que  Biron,  l'homme  qu'il 
avait  comblé  de  ses  bienfaits,  fût  en  France  le  principal 
chef  de  la  conspiration;  mais  devant  les  faits,  ses  yeux 
s'ouvrirent.  Un  gentilhomme,  nommé  Lafm,  confident  et 
complice  de  Biron,  vendit  chèrement  au  roi  son  secret, 
qui  le  lui  solda  par  une  grosse  somme  et  le  don  de  sa  vie. 

Avant  de  frapper,  le  roi,  qui  aimait  Biron,  essaya  à 
diverses  reprises,  sans  pouvoir  réussir,  de  l'amener  b 
avouer  sa  faute  pour  avoir  l'occasion  de  la  lui  pardonner. 
Il  l'envoya  en  ambassade  auprès  d'Elisabeth,  dans  l'espé- 
rance qu'elle  le  ramènerait  dans  les  sentiers  du  devoir. 
La  vieille  reine  admira,  sans  l'approuver,  la  bonté  du  roi. 
Un  jour  elle  montra  au  maréchal  la  tète  du  jeune  comte 
d'Essex  qui  était,  depuis  un  an,  clouée  à  l'une  des  portes 
de  la  tour.  «Si  j'étais,  lui  dit-elle,  à  la  place  du  roi,  mon 
IVère,  il  y  aurait  des  têtes  aussi  bien  coupées  à  Paris  qu'à 
Londres.»' 

Biron  ne  comprit  pas;  il  retourna  à  Paris,  s'enfonça  de 
plus  en  plus  dans  ses  complots  criminels.  Quand  le  roi 
eut  sous  les  yeux  la  preuve  matérielle  de  la  conspiration, 
il  manda  à  Fontainebleau  le  maréchal  qui  était  dans  son 
gouvernement  de  Bourgogne.  Celui-ci,  croyant  que  le  roi 
ignorait  le  complot,  se  présenta  devant  lui,  le  13  juin  1602, 
avec  son  aisance  et  son  aplomb  ordinaire. 

Henri  IV  ne  recourait  aux  mesures  violentes  qu'à  la  der- 
nière extrémité.  Rien  n'est  plus  touchant  que  le  récit  qui 
nous  a  été  laissé  de  tout  ce  qu'il  tenta  auprès  du  maréchal, 
avant  de  prendre  une  suprême  décision;  il  le  supplia  de 
'lui  dire  s'il  avait  tramé  quelque  chose  contre  la  sûreté  de 
son  État,  que  s'il  l'avait  fait,  il  pardonnerait  tout.  A  toutes 
ces  ouvertures,  où  l'ami  se  montrait  plus  que  le  prince, 
Biron  répondit  d'une  manière  hautaine  et  soldatesque  : 

1.  Registres  du  Coaseil,  24  mars  I6O1:. 

2.  Bibl  mipérialc,  mss.  Colbert,  cet.  9769/3;  de  Cangé,  37. 


LIVRE  XXVII. 


261 


«Qu'on  me  montre  mon  accusateur,  Sire,  qu'on  me  le 
nomme.» 

Le  roi  revint  plusieurs  fois  à  la  charge ,  et  toujours  il 
trouva  le  cœur  du  maréchal  fermé  à  tous  les  efforts  qu'il 
faisait  pour  le  sauver.  Sa  patience  atteignit  les  dernières 

limites;  il  lui  fit  demander  son  épée  

Le  maréchal  ouvrit  les  yeux  :  c'était  trop  tard.  Henri  IV 
avait  prononcé  le  mot  fatal;  l'ami  avait  fait  place  au  roi 
qui  se  sent  contraint  par  la  nécessité  de  mettre  un  terme 
à  des  menées  coupables  en  faisant  tomber  la  tôle  du  plus 
puissant  de  ces  seigneurs  royalistes  qui  s'étaient  ralliés  à 
sa  cause  après  la  mort  de  Henri  HL  L'acte  était  hardi,  le 
moyen  douloureux;  mais  il  eût  été  souverainement  impo- 
liti(iue  de  montrer  pour  un  grand  coupable  une  indulgence 
qu'on  eût  prise  pour  de  la  faiblesse.  Rosny,  dans  cette 
grave  circonstance,  fut  au  roi  d'un  merveilleux  secours,  il 
partagea  avec  lui  devant  l'histoire  la  responsabilité  du 
g/and  procès  qui  allait  s'engager  devant  le  parlement. 

L'emprisonnement  de  Biron  causa  une  profonde  sensa- 
tion; ses  amis  et  ses  iinrenis  (et  ils  étaient  nombreux) 
supplièrent  le  roi  de  lui  p  :  donner,  en  souvenir  de  ses 
services;  il  reçut  leur  requrie,  mais  il  se  montra  ferme. 
«Faites  tout  ce  que  vous  pourrez,  leur  dit-il,  pour  éta- 
blir son  innocence.  » 

La  vieille  mère  de  Biron  intercéda  aussi  pour  son  mal- 
heureux (ils.  Tout  fut  inutile;  il  ne  restait  au  maréchal 
qu'à  se  montrer,  devant  ses  juges,  dans  sa  prison  et  sur 
I  échafaud,  digne  du  soldat  qui  avait  tant  de  fois  affronté 
la  mort  avec  héroïsme ,  et  à  racheter  ainsi  aux  yeux  des 
hommes  la  honte  de  sa  trahison. 

Le  parlement,  à  l'unanimité,  reconnut  la  culpabilité  du 
maréchal  cl  le  condamna  le  29  juillet  à  être  décapité. 
La  nouvelle  de  sa  condamnation  atterra  Biron. 
Dans  son  désespoir  il  ne  savait  ni  ce  qu'il  disait,  ni  ce  qu'il 
faisait;  tantôt  il  criait  à  l'injustice  du  roi,  tantôt  il  faisait 
un  appel  suppliant  à  sa  miséricorde;  il  pleurait,  riait, 
gesticulait,  implorait,  priait,  menaçait.  Pour  le  don  de  la 
vie  il  eût  échangé  son  bâton  de  maréchal  contre  une  ar- 
quebuse de  soldat;  aucune  humiliation  ne  lui  eût  coûté;  il 
étonnait  autant  par  ses  défaillances  que  par  la  grandeur 
ÙB  sou  wâ-lkt^ur. 


262         HISTOIRE  DE  LA  HÉFOKMATION  FRANÇAISE. 

Le  31  juillet,  vers  cinq  heures  du  soir,  le  chancelier  se 

présenta  dans  la  chapelle  où  il  avait  été  déposé. 

—  C'est  le  moment  de  partir,  lui  dit  le  magistrat. 
Biron  tressaillit  d'etlroi:  il  avait  compris,  il  demanda 

un  instant  pour  se  recueillir,  se  dirigea  vers  l'autel,  tomha 
machinalement  à  genoux,  fit  sa  prière  et  se  releva;  en 
sortant,  il  trouva  à  la  porte  un  inconnu  dont  l'aspect  le 
frappa. 

—  Quel  est  cet  homme?  dit-il. 

—  C'est  l'exécuteur  de  l'arrêt,  lui  répondit-on. 

A  ce  nom,  saisi  de  terreur  et  de  colère,  il  dit  au  bour- 
reau: «Retire-toi,  ne  me  touche  pas  qu'il  ne  soit  temps!» 
Il  ajouta  :  «Je  ne  veux  pas  être  lié,  j'irai  librement  à  la 
mort,  je  ne  veux  pas  mourir  comme  un  voleur  ou  un  es- 
clave.» 

L'exécuteur  s'approcha  de  lui.  «Ne  t'approche  point, 
lui  cria  Biron  d'une  voix  tonnante,  ou  je  t'étrangle.» 

11  suivit  ceux  qui  marchaient  devant  lui. 

En  franchissant  la  porte  de  la  chapelle,  il  jeta  sur  les 
soldats  préposés  à  sa  garde  des  regards  pleins  d'une  indi- 
cible tristesse.  «Mes  amis,  leur  dit-il,  je  vous  serais  bien 
obligé  de  me  donner  une  mousquetade.  » 

Puis,  pensant  au  genre  de  mort  qui  lui  était  destiné,  il 
s'écria  :  «Quelle  pitié  de  mourir  si  misérablement  et  d'un 
coup  si  honteux.  » 

Quand  le  funèbre  cortège  fut  arrivé  dans  la  basse  cour 
oii  l'échafaud  était  dressé,  on  lut  au  maréchal  son  arrêt 
de  mort;  Biron  protesta  de  son  innocence. 

—  Pensez  à  votre  salut,  lui  dirent  les  théologiens  qui 
avaient  été  chargés  de  l'assister  au  moment  suprême.  Il  ne 
les  écouta  pas;  se  banda  lui-mênie  les  yeux.  «Je  veux, 
dit-il,  selon  l'avis  de  Vespasien,  mourir  debout.» 

—  Maréchal,  lui  dit  le  bourreau,  il  faut  vous  mettre  à 
genou.x. 

—  Non,  répondit-il,  si  tu  ne  peux  pas  m'aballre  en  un 
coup,  mets  en  trente,  je  ne  bougerai  non  plus  qu'un  hibou. 

On  le  pressa  de  s'agenouiller,  il  refusa,  puis  il  obéit. 

—  Permettez,  Monseigneur,  lui  dit  l'exécuteur,  qu'on 
vous  coupe  les  cheveux. 

A  ces  mots  le  condamné,  montrant  le  bourreau  aux 
Bssistants,  s'écria:  «Je  ne  veux  pas  qu'il  me  louche  tant 


LIVRE  XXVII. 


363 


que  je  serai  en  vie;  si  on  me  met  en  colère,  j'étranglerai 
la  moitié  de  ce  qui  est  ici  et  contraindrai  l'autre  à  me  tuer.  » 
Le  bourreau  eut  peur. 

Trois  fois  le  maréchal  se  banda  les  yeux,  trois  fois  il 
ôta  le  bandeau,  reg,ardant  autour  de  lui,  tendant  l'oreille, 
comme  si  le  mot  de  grâce  allait  retentir  pour  lui. 

Ce  mot  si  désiré  ne  se  fit  pas  entendre,  et  pendant  qu'il 
faisait  sa  prière,  le  bourreau  fit  signe  à  son  valet  de  lui 
remettre  le  glaive;  il  le  prit  et  trancha  la  tète  du  maré- 
chal si  habilement  que  peu  de  gens  s'en  aperçurent.' 

VI. 

L'exécution  de  Biron  fit  sentir  aux  partis  qu'ils  avaient 
un  maître  dans  Henri  IV.  Ils  comprirent  que  celui  qui 
n'avait  pas  reculé  devant  l'exécution  de  l'homme  qui  avait 
reçu  à  son  service  trente-sept  blessures,  et  qui  apparte- 
nait à  la  première  noblesse  du  royaume,  n'hésiterait  pas  à 
livrer  au  bourreau  quiconque  oserait  l'imiter. 

La  mort  du  maréchal  fut  une  nécessité  politique;  le  roi 
ne  céda  ni  à  la  haine,  ni  à  la  passion  :  il  frappa ,  après  avoir 
épuisé  tous  ies  moyens  pour  amener  le  coupable  à  l'aveu 
et  au  repentir  de  son  crime.  L'échafaud  dressé  dans  la 
cour  de  la  Bastille  soulève  naturellement  la  question  de  la 
peine  de  mort  en  matière  politique.  Sur  ce  grave  et  délicat 
sujet,  les  criminalistes  ne  sont  pas  d'accord;  les  uns  veulent 
abattre  cet  échafaud  sur  lequel  sont  montés  tant  d'inno- 
centes victimes,  les  autres  veulent  le  maintenir  dans  l'in- 
térêt de  la  sécurité  des  États.  Les  uns  et  les  autres  ne 
manquent  pas  d'exemples  pour  soutenir  leur  thèse,  et 
quand  les  premiers  nous  montrent  Robespierre  envoyant 
les  Girondins  à  la  mort,  on  se  sent  pressé  de  courir  vers 
l'échafaud  pour  l'abattre,  comme  les  Français  coururent 
en  1789  vers  la  Bastille  pour  la  démolir.  Mais  quand  avec 
les  seconds  on  regarde  à  Biron,  à  Babington,  à  Savage  et 
à  ceux  qui  voulurent  faire  sauter  le  parlement  anglais,  on 

1.  Conspiration,  prison,  jugement  et  mort  du  duc  de  Biron, 
exécuté  à  Paris,  dans  la  Bastille,  dernier  jour  de  juillet  1602.  — 
Bibl.  impériale,  mss.  cet.  9769/3;  de  Cangé,  97.  —  Registres  de 
l'Hôtel-de-Ville,  XV,  fol.  860. 


264         HISTOIRE  DE  LA  ÏIÈFORMATION  FRANÇAISE. 

se  demande  si  en  cas  d'abolition  de  la  peine  de  mort,  il  ne 
faudrait  pas  faire  une  exception  pour  de  pareils  coupables. 

La  question  nous  paraît  insoluble  :  ici  on  frappe  un  in- 
nocent, là,  un  grand  coupable;  à  l'un  l'échafaud  donne  la 
gloire,  à  l'autre,  l'infamie.  Aujourd'hui  c'est  l'homme  qui 
se  venge,  demain  c'est  la  justice  qui  réclame  une  expiation. 

Nous  sommes  étonné  que  ce  soldat  intrépide  ne  se  soit 
pas  montré  dans  la  cour  de  la  Bastille  ce  qu'il  avait  été 
sur  un  champ  de  bataille;  nous  sommes  tenté  de  lui  reti- 
rer la  pitié  qu'on  accorde  si  volontiers  aux  malheureux;  et 
cependant  quand  nous  réfléchissons ,  l'étonnement  cesse 
et  nous  nous  prenons  à  le  plaindre. 

Quand  il  se  vit  face  à  face  avec  le  bourreau,  il  avait  le 
sentiment  de  la  justice  de  sa  condamnation,  sans  avoir  la 
repentance  d'un  coupable.  S'il  portait  ses  regards  en  ar- 
rière, il  ne  les  arrêtait  que  sur  une  trahison  qui  elîaçait 
tous  ses  services  rendus;  s'il  les  portait  en  avant,  il  ne 
voyait  qu'une  tombe  dans  laquelle  il  descendait  sans  gloire. 
Où  aurait-il  trouvé  des  forces  pour  surmonter  les  horreurs 
du  IrépasV  lui,  si  jeune  encore,  lui,  chez  lequel  il  y  avait 
exubérance  de  vie  et  toutes  les  brutales  passions  de 
l'honîme  de  guerre.  Sur  le  nouveau  champ  de  bataille,  où 
il  fut  appelé  à  lutter  avec  la  mort,  son  courage  l'abandonna  ; 
il  trembla,  lui  qui  n'avait  tremblé  ni  au  sifilement  des 
balles  ni  au  bruit  du  canon.  Son  orgueil  qui  était  immense 
fut  vaincu.  Plaignons-le;  mais  ne  nous  étonnons  pas  de  sa 
terreur;  elle  fut  naturelle.  Tremblant,  il  nous  intéresse 
plus  que  s'il  eût  essayé  de  poser  comme  Danton  sur  son 
échafaud.  Autant  nous  admirons  la  sérénité  dans  un  martyr, 
autant  nous  éprouvons  de  répulsion  pour  celui  qui ,  en 
face  de  la  mort,  prend  son  cynisme  pour  du  courage. 

On  rapporte  que,  pendant  les  heures  d'agonie  morale  de 
l'infortuné  Biron,  l'un  de  ceux  qui  étaient  préposés  h  sa 
garde  lui  dit  : 

—  Quoi!  maréchal,  vous  qui  tant  de  fois  avez  alTronté 
la  mort  sur  des  champs  de  bataille,  vous  tremblez! 

—  Mon  ami,  lui  répondit  Biron,  alors  je  regardais  la 
mort,  aujourd'hui  elle  me  regarde. 

Ces  dernières  paroles  nous  donnent  l'explication  de  ses 
terreurs. 


UVRE  XXVII. 


265 


VII. 

Plusieurs  grands  personnages  furent  impliqués  dans  la 
conspiration  de  Biron,  notamment  le  comte  d'Auvergne' 
elle  duc  de  Roussillon.  Lafin,  le  dénonciateur  du  maré- 
chal, avait  désigné  pour  ses  complices  Lanoue,  Constans, 
d'Aubigné,  La  Trémouille;  Sully  même  n'avait  pas  échappé 
aux  délations  de  ce  scélérat.  Henri  IV  fut  épouvanté  de 
ces  révélations  dont  il  reconnut  bientôt  la  fausseté;  cepen- 
dant ses  doutes  sur  le  comte  d'Auvergne  s'étant  traduits 
en  réalité,  il  le  fit  arrêter;  quant  au  duc  de  Bouillon,  il 
se  plaisait  à  le  croire  coupable,  afin  d'avoir  un  prétexte 
plausible  pour  s'emparer  de  sa  personne  et  pour  comprimer 
le  parti  protestant  dont  il  était  l'un  des  chefs  les  plus 
accrédités.  Bouillon  n'aimait  pas  Henri  IV;  il  le  croyait 
ingrat  et  oublieux  de  ses  services. 

L'attitude  hostile  du  seigneur  protestant  le  compromit 
dans  l'esprit  du  roi  qui,  lors  de  la  guerre  de  Savoie,  le 
l-aissa  à  l'écart.  Mécontent  de  ce  procédé,  qu'il  regardait 
comme  une  grande  ingratitude,  Bouillon  se  retira  à  Lan- 
quais  oii  un  émissaire  du  comte  d'Auvergne  vint  le  trouver, 
et  lui  fit  des  ouvertures  pour  le  rattacher  au  parti  de  Birou  ; 
il  ne  les  repoussa  pas.  S'il  faut  en  croire  d'Aubigné,  il 
aurait,  au  mois  de  février  IGOl,  réuni  dans  l'un  de  ses 
châteaux  du  Limousin  neuf  des  protestants  les  plus  influents 
de  la  contrée  et  leur  aurait  déroulé  le  plan  de  la  conjura- 
tion en  les  engageant  à  y  entrer,  sous  la  promesse  qu'on 
abandonnerait  aux  protestants  le  sud-ouest  de  la  France  et 
le  Dauphiné  et  qu'on  leur  donnerait  200,000  écustant  que 
durerait  la  guerre.' 

D'après  d'.\ubigné ,  ce  serait  le  duc  qui  aurait  fait  re- 
jeter cette  proposition  absurde.  Bouillon  néanmoins  entre- 
tint des  relations  avec  Biron,  et  probablement  lui  promit 
son  appui  contre  le  roi  qui  travaillait  visiblement  à  abaisser 
la  noblesse  ;  mais  il  n'est  pas  prouvé  qu'il  se  soit  allié  avec 
l'Espagne  et  la  Savoie  contre  la  France  :  cela  même,  disent 
les  MM.  Haag,  est  inadîEïssibie.'  _ 

1.  Fils  naturel  de  Charles  IX  et  de  Marie  FoiicbeL 

2.  liaag,  France  protestante,  lettre  L,  p.  391. 
2-  Liùês^ 


266         HISTOIRE  DE  LA  RÈFORMATION  FRANÇAISE. 

Quand  Bouillon  apprit  l'arrestation  de  Biron ,  il  écrivit 
au  roi  qu'il  se  mettait  à  sa  disposition,  ce  qu'il  n'eût  pas 
fait  s'il  eût  trempé  de  fait  dans  la  conspiration  du  maréchal; 
il  se  disposait  à  se  rendre  à  la  cour,  quand  un  gentilhomme 
lui  dit  :  «Monseigneur,  si  vous  avez  deux  têtes,  vous  ferez 
bien  d'en  laisser  une  chez  vous.»  Il  voulut  néanmoins 
partir,  quand  une  lettre  du  roi,  qui  l'invitait  à  venir  se 
justifier  des  accusations  qui  étaient  portées  contre  lui,  le 
décida  à  rester.  Au  lieu  d'aller  à  Fontainebleau  il  se  di- 
rigea vers  Castres  pour  demander  à  être  jugé  par  la  chambre 
mi-partie  qui  siégeait  dans  cette  ville.  Le  roi,  qui  craignait 
UH  acquittement,  défendit  à  la  chambre  de  prononcer, 
quoique  l'affaire  fût  de  sa  compétence'.  La  chambre  pro- 
testa; mais  devant  la  volonté  royale,  plus  forte  que  les 
édits,  elle  céda.  Bouillon  se  hâta  de  quitter  Castres  où  il 
n'était  pas  en  sûreté,  traversa  le  Languedoc  et  put,  grâce 
à  Lesdiguières,  gagner  Genève  à  travers  le  Dauphiné. 

A  peine  arrivé,  il  publia  sa  justification.  Les  églises  du 
Languedoc  qui  croyaient  à  son  innocence  adressèrent  une 
requête  au  roi  et  le  prièrent  «de  ne  pas  confondre  le  juste 
avec  Barabas.  » 

Les  poursuites  dirigées  contre  Bouillon  émurent  les 
princes, protestants  qui  intercédèrent  auprès  du  roi.  La 
vieille  Élisabelh,  ne  pouvant  croire  à  la  trahison  du  sei- 
gneur huguenot,  ht  de  vives  instances  auprès  de  Henri  IV 
qui  insisia  pour  qu'il  vînt  se  justifier  ou  implorer  son  par- 
don. Le  duc  ne  voulut  ni  affronter  un  parlement,  qui  dé- 
libérait sous  le  regard  du  roi,  ni  implorer  un  pardon  qui 
constaterait  sa  culpabilité.  De  Sédan,  il  écrivit  au  roi  une 
lettre  respectueuse  ;  elle  demeura  sans  réponse. 

vnL 

Pendant  que  sous  une  administration  ferme  et  éclairée 
la  France  se  relevait  de  ses  ruines,  la  reine  d'Angleterre 
arrivait  au  terme  de  sa  longue  et  glorieuse  carrière.  Les 
dernières  années  de  sa  vie  avaient  été  semées  d'amertumes, 
et  au  milieu  des  grandeurs  elle  avait  traîné  une  existence 


1.  Bibliothèque  impériale,  mss.  de  Bétlnme,  n»  8939,  folio  2, 
verso. 


LIVRE  XXVII. 


267 


languissante.  Privée  des  joies  de  l'épouse  et  de  la  mère  de 
famille,  son  cœur  était  devenu  un  désert  sur  lequel  la  re- 
ligion n'avait  pas  versé  son  baume  consolateur.  Trop  tière 
pour  étaler  au  dehors  les  douleurs  de  son  âme,  elle  se 
faisait  violence  et  se  livrait  à  des  exercices  au-dessus  de 
ses  forces.  C'est  ainsi  que  dans  le  courant  de  septembre 
1602  elle  allait  fréquemment  à  la  chasse  et  prêtait  l'oreille 
aux  spéculateurs  de  cour  qui  voulaient  donner  un  succes- 
seur au  comte  d'Essex. 

Vers  le  milieu  de  novembre  sa  santé  fut  sérieusement 
altérée.  Sa  force  de  volonté  triompha  momentanément  de 
sa  faiblesse;  elle  fit  célébrer  par  un  tournoi  et  par  des 
fêles  magnifiques  l'anniversaire  de  son  avènement  au  trône. 
Aux  derniers  jours  de  janvier  elle  donna  des  ordres  pour 
qu'on  la  conduisît  h  Richemond,  afin  d'y  respirer  un  air 
plus  pur  et  vivre  plus  retirée  ;  son  entourage  habituel  la 
trouva  plus  pensive  et  fit  la  remarque  qu'elle  priait  plus 
souvent;  et  comme  si  elle  eût  eu  le  pressentiment  de  sa  fin 
prochaine,  elle  dit  au  lord-amiral  dans  le  cours  d'un  en- 
trelien et  comme  accidentellement:  «Mon  trône  est  un 
trône  de  rois,  nul  autre  qu'un  roi  et  mon  plus  proche 
parent  ne  peut  me  succéder.  » 

Le  31  janvier  elle  partit  pour  Richemond;  sa  santé 
s'améliora  jusqu'au  20  février,  époque  à  laquelle  elle  eut 
une  rechute.  Pendant  dix  jours  et  dix  nuits  elle  demeura 
étendue  sur  un  tapis,  appuyée  sur  des  coussins,  refusant 
tout  secours  et  poussant  des  gémissements  continuels  qui 
indiquaient  chez  elle  moins  une  souffrance  physique  qu'une 
immense  douleur  morale  dont  les  causes  ont  vivement 
préoccupé  les  historiens.  «Elisabeth,  dit  Hume,  n'était 
plus  en  étal  de  goûter  la  joie  d'aucun  événement  heureux. 
Elle  était  tombée  dans  une  mélancolie  profonde  que  tous 
les  avantages,  l'éclat  et  la  gloire  de  son  règne  ne  purent 
jamais  ni  soulager,  ni  guérir.  Quelques-uns  attribuèrent 
sa  tristesse  au  regret  d'avoir  pardonné  à  Tyrone,  qu'elle 
s'était  toujours  promis  de  châtier  comme  il  le  méritait; 
mais  il  avait  si  bien  intrigué  avec  les  ministres  de  cette 

grincesse  qu'ils  lui  arrachèrent  la  grâce  de  ce  rebelle, 
'autres  personnes  conjecturèrent  avec  plus  de  vraisem- 
blance que  l'abattement  de  la  reine  était  causé  par  les 
inielligences  secrètes  que  sa  cour  entretenait  avec  le  roi 


268         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

d'Ecosse  son  successeur,  et  par  l'abandon  de  ses  courti- 
sans que  son  grand  âge  et  ses  infirmités  éloignaient  d'elle. 
Mais  cette  sombre  douleur  avait  dans  son  âme  un  principe 
secret  que  les  historiens  ont  longtemps  rejeté  comme  ro- 
manesque, et  dont  les  dernières  découvertes  semblent 
avoir  confirmé  le  soupçon'.  Il  arriva  quelques  accidents 
qui  ranimèrent  sa  tendresse  pour  Essex  et  l'amertume 
aflreuse  d'avoir  consenti  à  sa  mort. 

«Le  comte  d'Essex,  après  son  retaur  de  l'heureuse  ex- 
pédition de  Cadix,  remarquant  à  quel  point  les  sentiments 
qu'il  avait  inspirés  à  la  reine  étaient  augmentés,  saisit 
cette  occasion  de  se  plaindre  de  ce  que  la  nécessité  de  son 
service  le  forçait  à  se  séparer  d'elle  si  souvent.  Il  montra 
même  une  inquiétude  délicate  sur  les  mauvais  offices  que 
ses  ennemis,  plus  assidus  à  faire  leur  cour,  pouvaient  lui 
rendre  auprès  de  Sa  Majesté.  Elisabeth,  émue  de  cette 
tendre  jalousie,  donna  une  bague  au  comte  d'Essex,  en 
lui  ordonnant  de  la  garder  comme  un  gage  de  sa  tendresse; 
c!!e  l'assura  que  dans  quelque  disgrâce  qu'il  pût  tomber, 
quelques  préventions  qu'on  eût  l'art  de  lui  inspirer  contre 
liii,  ie  seul  aspect  de  cette  bague,  s'il  la  représentait  alors 
il  ses  yeux,  lui  retracerait  ses  premiers  sentiments,  et 
q;ie!que  fût  sa  colère  ,  elle  consentirait  à  le  voir  et  à 
|ji'èLer  une  oreille  favorable  à  sa  jusliOcation.  Essex,  malgré 
toutes  ses  infortunes,  conservait  ce  don  précieux  pour  ne 
s'en  servir  qu'à  la  dernière  extrémité;  lorsqu'il  se  vit  jugé 
et  condamné ,  il  résolut  enfin  d'en  essayer  l'effet.  Il  confia 
cet  anneau  à  la  comtesse  de  Nottingham ,  en  la  priant  de 
le  remellre  à  la  reine.  Le  comte  de  Nottingham  exigea  de 
sa  femme,  pour  se  venger  d'Essex,  dont  il  était  l'ennemi, 
qu'elle  n'exécutât  point  la  commission  dont  elle  s'était  char- 
gée. Cependant  Elisabeth  espérait  toujours  que  son  favori 
tâcherait  de  la  fléchir  en  lui  rappelant  ses  promesses,  afin 
de  l'émouvoir  en  sa  faveur  par  ce  dernier  moyen.  Elle  fut  , 
indignée  de  ce  qu'il  ne  s'en  servait  pas,  et  attribua  cette  | 
négligence  à  son  indomptable  obstination;  préoccupée  del 
cette  idée,  après  plusieurs  délais  et  plusieurs  combats  in-l 
térieurs,  le  ressentiment  et  la  politique  l'excitèrent  à  signer» 
Tordre  de  l'exécution.  La  comtesse  de  Nottingham  tombal 
malade,  et,  se  sentruit  approcher  de  sa  fin,  les  reniordsl 
d'une  si  grande  infidélité  la  troublèrent;  elle  supplia  la^| 

I 


LfVRE  XXYII. 


269 


reine  de  venir  la  voir  et  lui  révéla  ce  fatal  secret  en  im- 
plorant sa  clémence.  Elisabeth, également  saisie  de  surprise 
et  de  fureur,  traita  la  mourante  avec  l'emportement  le  plus 
extrême;  elle  s'écria  que  Dieu  pouvait  lui  pardonner,  mais 
qu'elle  ne  lui  pardonnerait  jamais  ;  elle  l'accabla  de 
reproches  et  sortit  avec  la  rage  dans  le  cœur.  Cette  mal- 
heureuse princesse,  livrée  au  désespoir,  rejeta  toute  espèce 
de  consolation  et  refusa  même  de  prendre  les  aliments;  elle 
se  jeta  par  terre  et  y  resta  immobile  à  nourrir  ses  regrets 
de  réflexions  les  plus  cruelles  et  déclara  que  la  vie  n'était 
plus  pour  elle  qu'un  fardeau  insupportable.  »  ' 

IX. 

Le  récit  de  Hume,  accepté  par  Horace  Walpole,  est 
contredit  par  plusieurs  historiens  et  notamment  par  le 
continuateur  de  l'histoire  d'Angleterre,  d'après  Mackin- 
tosch,  qui  le  taxe  d'invraisemblance.  Il  ne  serait,  d'après 
cet  écrivain,  qu'un  on  dit  sans  authenticité,  et  d'après  le 
docteur  Birch  qu'une  tradition  dans  la  famille  de  lady 
Elisabeth  Spelmann,  petite-fiUe  de  Robert  Carey,  comte 
de  Mommouth,  auteur  de  mémoires  bien  connus  dans  les- 
quels il  rapporte  cette  histoire  comme  un  témoin  oculaire 
de  la  dernière  maladie  de  la  reine. 

Ce  qui  jette  encore  du  doute  dans  le  récit  de  Hume, 
c'est  la  manière  dont  Essex  aurait  remis  l'anneau.  D'après 
cet  écrivain  ce  serait  au  duc  de  Notlingham  lui-même  qu'il 
l'aurait  confié;  d'après  un  autre,  il  l'aurait  remis  à  un 
jeune  garçon  inconnu  qu'il  aurait  vu  passer  de  la  fenêtre 
de  la  prison  où  il  était  renfermé.  Ce  dernier  récit  est  in- 
vraisemblable et  ne  mérite  pas  même  d'être  discuté;  reste 
donc  celui  de  Hume  qu'il  est  difficile  d'admettre  sans  pou- 
voir le  rejeter  absolument.  Pour  l'affirmative  on  peut  dire 
que  des  faits  pareils  ne  s'inventent  guère  quand  ils  se  pro- 
duisent avec  des  détails  et  des  circonstances  qui  ont  des 
rapports  directs  au  caractère  bien  connu  des  personnages; 
pour  la  négative  on  peut  dire  qu'il  est  surprenant  que 

l.  Ilume,  Hist.  d'Angleterre,  t  XU,  page  276.  —  Iverdon 
M.DCC.L\X.\I,  trad.  franç. 


270        HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

d'Essex,  possesseur  de  cet  anneau  précieux,  n'en  ait  fait 
usage  qu'après  sa  condamnation  à  mort  et  l'ait  remis  à  la 
femme  d'un  homme  qui  était  son  ennemi  personnel.' 

L'écrivain  consciencieux  est  obligé,  par  respect  pour  la 
vérité,  de  reléguer  au  rang  des  faits  douteux  tous  ceux  qui 
n'ont  pas  pour  eux  un  caractère  d'authenticité.  L'histoire  ne 
vit  pas  d'embellissement  ;  les  réalités  sont  les  seuls  orne- 
ments qui  lui  conviennent;  lui  en  donner  d'autres,  c'est  la 
rabaisser  au  niveau  du  roman.  Dans  les  cas  douteux  l'histo- 
rien ne  recule  pas  devant  les  explications;  mais  il  les  fait 
sous  toutes  réserves.  Certes  c'est  un  spectacle  saisissant 
que  celui  que  présente  cette  femme  qui,  parée  de  ses  plus 
plus  beaux  vêtements,  se  roule  sur  le  tapis  de  sa  chambre, 
pousse  des  cris  lamentables  et  ne  confie  à  personne 
le  secret  d'une  immense  douleur.  Faut -il  en  chercher 
l'explication  dans  la  révélation  de  la  duchesse  de  Not- 
tingham?  dans  ses  douleurs  physiques?  dans  le  sentiment 
de  sa  popularité  compromise?  dans  le  cri  de  l'ambitieux 
contraint  de  détacher  de  ses  propres  mains  sa  couronne 
pour  la  poser  sur  la  tête  d'un  successeur  mortellement 
haï?  A  toutes  ces  questions  il  est  difficile  de  faire  une  ré- 
ponse précise.  Le  cœur  a  des  abîmes  impénétrables;  la 
seule  chose  que  nous  puissions  constater,  c'est  que  la  vue 
du  lit  de  mort  de  la  fdie  de  Henri  VIII  impressionne  vive- 
ment et  offre  l'un  des  tableaux  les  plus  dramatiques  de 
l'histoire. 

La  douleur  eut  bientôt  usé  les  forces  d'Élisabeth;  les 
avant-coureurs  de  la  mort  ne  tardèrent  pas  à  paraître  sur 
son  visage  et  à  apprendre  à  ses  médecins  que  sa  fin  était 
proche.  Son  conseil  se  présenta  devant  elle;  elle  comprit. 
A  cette  heure  suprême  elle  fut  reine:  «J'ai,  dit-elle, 
porté  le  sceptre  des  rois,  je  veux  qu'un  roi  me  succède.» 
Elle  désigna  pour  son  successeur  le  fils  de  Marie  Stuart, 
Jacques  VI,  roi  d'Ecosse;  c'était  son  dernier  adieu  aux 
grandeurs  de  ce  monde.  A  l'archevêque  de  Cantorbéry, 
qui  l'exhortait  à  porter  ses  regards  vers  Dieu,  elle  dit:  «Je 
le  fais,  et  mon  âme  cherche  à  s'unir  à  lui;»  elle  ne  dit 
plus  rien;  insensible  à  tout  ce  qui  se  passait  autour  d'elle, 
elle  entra  à  grands  pas  dans  la  sombre  vallée  de  l'ombre 

1.  Extrait  de  l'Histoire  d'Angleterre,  continuée  d'après  Maki n- 
tosch,  t.  IV,  p.  140  et  ^uiv. 


LIVRE  XXVII. 


271 


de  la  mort  et  expira  doucement  à  l'âge  de  soixante-dix 
ans  après  un  règne  de  quarante.' 

X. 

Élisabeth  avait  terminé  sa  longue  et  glorieuse  carrière, 
après  avoir  vu  de  son  lit  de  mort  ses  ennemis  fuir  devant 
elle.  Son  histoire  est  inséparable  de  celle  de  la  Réformalion 
française,  et  quelque  jugement  qu'on  porte  sur  l'assistance 
qu'elle  donna  aux  protestants,  ces  derniers  ne  peuvent 
qu'être  reconnaissants  envers  une  princesse  qui,  fidèle 
aux  lois  de  sa  politique,  soutint  au  dehors  le  vrai  protes- 
tantisme, qu'elle  persécutait  dans  ses  propres  États'.  De- 
vant celte  grande  figure  l'historien  se  recueille  pour  tracer 
fidèlement  le  portrait  de  la  femme  qui,  aux  faiblesses  de 
son  sexe,  sut  allier  les  qualités  les  plus  brillantes  du  sou- 
verain. Dans  le  grand  siècle,  qui  fut  le  sien,  nul  monarque, 
pas  même  Charles-Quint,  ne  la  rapetisse  de  sa  présence; 
elle  a  une  grandeur  qui  lui  est  propre,  et  qui  force  ses  ad- 
versaires les  plus  acharnés  à  s'incliner  devant  la  puissance 
de  son  génie.  Au  milieu  des  p!<is  éminents  périls,  elle  fut 
toujours  à  la  hauteur  de  sa  fortune.  Les  Anglais,  aujour- 
d'hui comme  autrefois,  sont  fiers  de  leur  reine  et  jettent 
par  reconnaissance  un  voile  d'oubli  sur  la  femme  qui,  chez 
Élisabeth,  est  aussi  petite  que,  la  souveraine  est  grande. 
Nous  aimons  chez  un  peuple  ce  sentiment  de  piété  filiale; 
et  cependant  il  ne  doit  jamais  faire  oublier  les  droits  im- 
prescriptibles de  la  vérité;  car  pour  bien  admirer,  il  faut 
préalablement  estimer.  Or,  notre  admiration  pour  la  fille 
de  Henri  VU!  est  loin  d'être  complète;  si  nous  rendons 
justice  à  son  génie,  nous  ne  fermons  pas  les  yeux  sur  les 
taches  de  son  règne. 

La  protestante  Élisabeth  fut  très-peu  protestante  dans 
le  sens  de  ce  mot;  elle  subit  la  réforme  plutôt  qu'elle  ne 
l'accepta.  Ce  qu'elle  fit  pour  elle  fut  un  effet  de  la  réflexion 
et  non  de  la  sympathie.  Comme  femme  et  comme  reine 
elle  ne  pouvait  aimer  le  protestantisme  :  femme,  elle  haïs- 
sait sa  morale  austère;  reine,  son  amour  de  l'indépen- 
dance ;  sous  ce  rapport  elle  ressembla  à  François  I". 

1.  Hume,  Hist.  d'Angleterre,  t.  XII,  p.  279. 

2.  Note  xin. 


272         HISTOIRE  DE  LA  RÈFORMATION  FRANÇAISE. 

L'anglicanisme  convenait  mieux  à  sa  nature.  Elle  aimait 
la  pompe  de  son  culte,  sa  hiérarchie  ecclésiastique  qui 
permettait  d'avoir  de  hauts  dignitaires  qui  ne  le  cédaient 
en  rien  aux  plus  grands  seigneurs  par  le  luxe  de  leurs 
palais  et  le  train  princier  de  leur  maison;  elle  trouvait 
naturel  que  Whitgill,  primat  d'Angleterre,  marchât  sur  les 
traces  de  Wolsey,  et  se  fît  servir  à  genoux  par  ses  servi-, 
leurs;  elle  fut  toujours  opposée  au  mariage  des  pasteurs, 
et  aurait  voulu  que  le  célibat  devint  une  loi  fondamentale 
de  la  religion  réformée.  Elle  ne  fut  guère  plus  protestante 
que  son  vicieux  père;  quand  elle  frappa  durement  et  trop 
souvent  cruellement  les  catholiques,  elle  ne  se  constitua 
pas  le  vengeur  de  Dieu ,  mais  son  propre  vengeur;  elle  eût 
laissé  en  paix  ,les  croyants  ;  elle  frappe  sans  pitié  les 
conspirateurs.  Elisabeth  haïssait  le  catholicisme,  non  à 
cause  de  ses  dogmes,  mais  à  cause  de  son  esprit  de  domi- 
nation; elle  haïssait  plus  encore  les  puritains  qui,  dans 
leur  zèle,  gui  allait  parfois  jusqu'au  fanatisme,  voulaient 
ramener  l'Eglise  anglicane  à  la  simplicité  de  l'Église  pri- 
mitive; elle  mêla  leur  sang  à  celui  des  catholiques'.  De 
quelque  côté  que  vint  l'opposition,  elle  était  criminelle  à 
ses  yeux;  elle  frappait  sans  hésiter.  Ce  fut  à  cette  décision 
de  volonté  qu'elle  dut  le  silence  qui  se  lit  autour  d'elle  ; 
elle  prépara  ainsi  par  la  dictature  l'Angleterre  à  ses  hautes 
destinées  et  força  tout  un  peuple  asservi  à  la  reconnaissance 
par  la  grandeur  des  services  rendus. 

Cette  princesse,  si  grande  comme  reine,  avait  dans  sa 
vie  intérieure  des  côtés  bien  obscurs;  vieille  et  ridée,  elle 
avait  la  prétention  d'être  toujours  jeune;  sa  vanité  crédule 
lui  faisait  accepter  des  flatteries  qui  n'étaient  que  des  san- 
glantes railleries.  Elle  montrait  une  lettre  dans  laquelle 
Raleigh,  l'un  de  ses  favoris  disgraciés,  voulant  obtenir  son 
rappel,  disait  d'elle,  en  écrivant  à  un  de  ses  amis:  «J'avais 
la  douce  habitude  de  la  voir  monter  à  cheval  comme 
Alexandre,  chasser  comme  Diane,  marcher  comme  Vénus, 
de  l'entendre  chanter  comme  un  ange,  jouer  de  la  lyre 
comme  Orphée'.»  Elle  avait  alors  soixante  ans;  le  collier 
d'or  dont  elle  entourait  son  cou  pour  en  dissimuler  les 
rides,  ies  bracelets  dentelle  chargeait  ses  bras,  lespierre- 

1 .  Note  xtv 


LiTOE  xxvn. 


ries  dont  elle  couvrait  ses  charmes  flétris,  les  airs  de  jeune 
fille  qu'elle  affectait,  en  faisaient  un  personnage  éminem- 
ment ridicule,  seule  elle  ne  s'en  apercevait  pas.  Plus  tard 
elle  expia  cruellement  sa  vanité  crédule,  quand  elle  sentit 
qu'elle  était  vieille  et  laide.  Ce  fut  son  châtiment;  il  fut 
terrible. 

«Ce  furent  là,  dit  un  écrivain  moderne,  ses  imperfec- 
tions véritables;  sa  violence  et  son  avarice  ne  méritaient 

Eoint  de  lui  devenir  fatales  et  ne  manquaient  pas  d'excuses, 
e  temps  où  elle  vivait,  et  les  grandes  choses  qu'elle  a 
faites,  justifient  son  économie,  bien  qu'il  s'y  mêla  une 
avidité  peu  royale;  ses  actes  de  violence  furent  renfermés 
dans  sa  cour.  Sa  dignité,  mais  non  sa  politique,  son  en- 
tourage, mais  non  l'Europe,  eurent  à  souffrir  de  ce  qu'elle 
ne  sut  pas  toujours  dominer  le  sang  de  Henri  VIII  qui 
s'échaulTait  parfois  dans  ses  veines.  Si  elle  interrompait 
volontiers  les  ambassadeurs,  surtout  ceux  du  roi  de  France, 
elle  n'en  était  que  mieux  informée  de  ce  qu'elle  voulait 
savoir  par  les  explications  écrites  que  ces  interruptions 
mêmes  rendaient  nécessaires  et  qu'exigeait  son  conseil'. 
Si  ses  conseillers  étaient  plus  souvent  interrompus  encore 
et  raillés  sur  leur  sagesse,  elle  s'en  excusait  elle-même, 
non  sans  grandeur,  sur  son  âge,  sur  la  pratique  des  affaires 
d'état  commencée  dès  le  berceau',  et  mettait  d'ailleurs  à 
profit  les  conseils  dont  elle  affectait  de  se  passer.  Mais 
c'était  sans  avantage,  comme  sans  dignité  qu'elle  épanchait 
librement  sa  mauvaise  humeur  sur  son  entourage.  Il  était 
des  jours  où  tout  l'irritait,  où  elle  ne  respectait  rien, 
et  ce  n'était  pas  une  simple  métaphore  que  ce  jeu  de 
mots  d'un  de  ses  courtisans  :  «Je  n'affronterai  pas  aujour- 
d'hui la  colère  de  Sa  Majesté,  de  peur  d'être  colleté  moi- 
même.  »  La  coquetterie  des  autres  femmes  la  blessait  et 
lui  arrachait  d'amères  paroles;  elle  ne  voulait  ni  être  sur- 
passée, ni  égalée  dans  le  luxe  de  ses  parures.  Lady  Howard 
vint  un  jour  à  la  cour  avec  un  vêtement  de  velours,  brodé 
d'or  et  de  perles  qui  éclipsait  l'éclat  de  la  reine,  et  attirai 
tous  les  yeux.  Elisabeth  le  lui  envoya  demander,  le  revêti 
et,  se  promenant  devant  ses  femmes,  elle  les  consultai 

1.  Journal  de  De  Maisse,  p.  212. 

2.  Idem,  p.  213. 


274         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

sur  son  nouveau  costume.  Elle  demanda  bientôt  à  lady 
Howard  elle-même  s'il  n'était  pas  un  peu  court,  et  en  effet 
il  convenait  mal  à  la  grande  taille  de  la  reine,  lady  Howard 
l'ayant  avoué.,  «  S'il  ne  me  va  pas,  parce  qu'il  est  trop 
court,  reprit  Elisabeth,  il  ne  vous  va  pas,  parce  qu'il  est 
trop  beau;  il  n'est  donc  fait  ni  pour  l'une,  m  pour  l'autre.» 
Le  mauvais  goût  des  courtisans  et  leurs  modes  n'étaient  pas 
à  l'abri  de  son  contrôle.  «Je  me  souviens,  écrit  Harrington, 
qu'elle  a  craché  sur  l'habit  frangé  de  sir  Matthew;  puisse  Dieu 
m'épargner  de  semblables  plaisanteries.»  Enfin  ses  filles 
d'honneur  ne  la  mécontentaient  pas  impunément;  la  belle 
miss  Bridges  fut  un  jour  cruellement  frappée  ;  il  est  vrai 
qu'elle  passait  pour  être  aimée  d'Essex'.  Mais  ces  violences 
n'avaient  pas  toujours  une  cause  aussi  grave.  Elle  levait 
volontiers  la  main  sur  ce  charmant  entourage,  et,  au  mois 
de  mai  1597,  un  courtisan  écrivait  à  Harrington  qu'on 
entendait  ces  belles  jeunes  filles  crier  et  supplier  d'une 
façon  pitoyable.  «En  vérité,  disait  Robert  Cecil,  elle  était 
plus  qu'un  homme  et  parfois  moins  qu'une  femme.  » 

«Son  avarice  n'était  pas  moins  célèbre  et  était  mieux 
justifiée.  Les  ambassadeurs  français  qui  raillent  cette  ava- 
rice oublient  qu'ils  venaient  sans  cesse  lui  emprunter  de 
l'argent,  et  qu'ils  ne  le  rapportaient  pas  toujours.  Leur 
réputation  de  débiteurs  insolvables  était  aussi  bien  établie 
en  Angleterre  que  l'avarice  incontestée  de  la  reine,  et  on 
en  faisait  un  trait  de  caractère  national.»' 

Dans  Éiisabeth  la  femme  est  petite,  la  reine  grande, 
mais  la  reine,  en  excitant  notre  admiration,  ne  provoque 
pa,s  notre  sympathie.  Ses  haines  sont  implacables,  son  or- 
gueil immense,  son  despotisme  brûlai;  elle  fait  décapiter 
ses  amants  ;  et  cependant  cette  reine  ,  qui  aujourd'hui 
serait  impossible  dans  la  Grande-Brelagne,  fut  son  salut 
au  seizième  siècle.  Elle  tint  d'une  main  ferme  les  rênes  de 
l'Éiat  avec  un  instinct  merveilleux  de  ses  besoins;  son  coup 
d'œil  vif  et  pénétr.mt  la  trompa  rarement,  et  au  milieu 
des  plus  violents  caprices  de  la  femme  ardente  et  passion- 
née, elle  ne  leur  sacrifiajamais  les  intérêts  de  son  peuple; 

1.  Aikin,  p.  394. 

2.  Prévost-Paradol,  Elisabeth  et  Henri  IV,  1695-  1598.  —  Am- 
bassade de  Hurault  de  Maisse  en  Angleterre  au  sujet  de  la  paix  de 
Vervins,  p.  124  et  suiv. 


LIVRE  XXVII. 


275 


cela  seul  révèle  un  grand  esprit  et  couvre  bien  des  fautes. 

Philippe  II  et  Elisabeth  sont  les  deux  plus  grandes  ligures 
politiques  de  la  seconde  moitié  du  seizième  siècle;  ils 
furent  les  représentants,  l'un  du  passé,  l'autre  de  l'avenir. 
Dans  leur  lutte  opiniAtre  et  gigantesque  la  femme  vainquit 
l'homme.  Le  roi  catholique  entraîna  avec  lui  dans  la  tombe 
la  puissance  espagnole;  la  reine  protestante  fit  de  la  pierre 
de  son  sépulcre  la  pierre  angulaire  de  la  puissance  bri- 
tannique. 

L'étude  de  la  vie  de  ces  deux  souverains  offre  un  attrait 
irrésistible  à  l'historien  qui  cherche  à  pénétrer  les  causes 
de  la  grandeur  et  de  la  décadence  des  empires;  il  les  suit 
pas  à  pas,  et  à  travers  la  trame  si  multiple  de  leur 
vie,  il  saisit  l'idée  qui  abaisse  l'un  et  élève  l'autre.  Cham- 
pion du  passé  et  de  l'immobilité,  Philippe  II  voulut  arrêter 
le  siècle  dans  sa  marche,  et  mourut  à  la  peine.  Leur  lutte 
cependant  paraissait  si  inégale  !  le  fils  de  Charles-Quint 
avait  hérité  de  son  père  l'Espagne,  les  Flandres,  l'or  du 
nouveau  monde;  la  France  mendiait  son  appui;  il  avait 
pour  ambassadeurs  des  diplomates  habiles,  pour  généraux 
des  tacticiens  consommés,  pour  armée  les  meilleurs  sol- 
dats du  monde,  pour  serf  le  pape,  pour  flotte  l'invincible 
Armada,  pour  journalistes  les  prédicateurs  de  la  ligue. 
Elisabeth  avait  pour  rempart  la  mer  et  l'amour  de  ses 
sujets.  Elle  n'eût  pas  été  sauvée  ,  si  la  Réforme  n'eût 
jeté  au  milieu  de  son  peuple  le  puissant  souffle  de  vie  qui 
le  régénéra.  Philippe  marcha  d'échec  en  échec;  du  sang 
qu'il  fit  couler  dans  les  Flandres  et  en  France  se  forma  un 
torrent  dans  lequel  sa  fortune  s'engloutit;  en  voulant  tout 
conquérir,  il  perdit  tout.  Possesseur  de  richesses  immenses, 
il  fit  deux  fois  banqueroute,  ruina  son  peuple,  mourut 
obéré,  laissant  dans  l'histoire  un  nom  maudit,  et  pendant 
que  de  ses  immenses  possessions,  comme  de  ses  flottes, 
il  ne  restait  que  d'impuissants  débris,  la  protestante  Angle- 
terre promenait  sur  toutes  les  mers  son  pavillon  victorieux. 
Depuis  cette  grande  époque  l'Espagne  n'a  fait  que  descendre, 
et  l'ullramonlanisme,  dont  elle  a  été  la  terre  classique,  ne 
lui  a  légué  que  des  révolutions  stériles;  tandis  que  la  Ré- 
forme a  donné  à  la  Grande-Bretagne  la  moralité  au  foyer 
domestique,  la  puissance  matérielle,  la  liberté,  l'affection 
pour  ses  souverains,  le  respect  des  lois,  l'amour  du  sol 


276         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

natal  el  la  (in  de  ces  révolutions  qui  nous  aflligeal  ssins 
nous  surprendre  dans  les  contrées  où  la  Réforme  est  pros- 
crite. Le  protestantisme  veut  des  hommes  libres,  l'ullra- 
montanisme  ne  veut  que  des  serfs.  Le  combat  peut  être 
long,  opiniâtre;  le  résultat  un  moment  incertain;  mais  le 
triomphe  n'est  pas  douteux  :  la  mort  est  impuissante  contre 
la  vie. 

XI. 

Élisabeth  eut  pour  successeur  Jacques  VI,  roi  d'Ecosse. 
Le  fds  de  Marie  Stuart  n'avait  ni  le  génie  d'Elisabeth,  ni 
les  grâces  de  sa  mère  :  il  était  timide,  irrésolu,  dissimulé, 
négligent,  minutieux.  Il  avait  deux  passions  :  celle  de  la 
chasse  et  celle  de  la  controverse  religieuse;  la  première 
lui  faisait  négliger  les  affaires  de  son  royaume;  la  seconde 
le  rendait  ridicule.  Son  livre  «touchant  le  pouvoir  des 
rois,»  qu'il  fit  paraître  à  l'occasion  d'un  serment  qu'il 
avait  exigé  de  ses  sujets  catholiques,  fut  proscrit  en  Es- 
pagne,  brûlé  à  Florence,  mis  à  l'index  à  Rome,  interdit 
en  France,  et  devint  un, texte  inépuisable  d'attaques  inju- 
rieuses et  de  railleries.  Élisabeth  avait  un  successeur,  mais 
elle  n'était  pas  remplacée;  un  nain  avait  pris  la  place  d'un 
géant.  Quand  Sully  alla,  de  la  part  de  Henri  IV,  compli- 
menter Jacques  VI,  à  l'occasion  de  son  avènement  au 
trône,  il  comprit  que  son  maître  aurait  dans  ce  prince 
un  allié  peu  sûr. 

Les  protestants  de  France  regrettèrent  vivement  Éli- 
sabeth, qui  était  leur  protecteur  le  plus  puissant  auprès 
de  Henri  IV;  et  ce  protecteur,  ils  le  perdaient  au  mo- 
ment oïl  le  clergé  devenait  de  plus  en  plus  exigeant,  le 
pape  plus  soupçonneux,  et  où  les  jésuites,  bannis  du 
royaume,  étaient  sur  le  point  d'y  rentrer.  Les  passions 
religieuses  devenaient  chaque  jour  plus  vives,  et  les  réfor- 
més, plus  zélés  que  charitables,  ne  travaillaient  pas  à  les 
calmer.  Leur  aversion  pour  la  papauté  se  révéla  dans  un 
synode  national  qui  se  réunit  à  Gap  et  qui  fut  l'un  des 
plus  célèbres  qu'ils  eussent  encore  tenu.  Les  provinces 
suivantes  y  furent  représentées  par  leurs  députés  :  l'Ile  de 
France,  la  Picardie,  la  Champagne,  la  Bretagne,  l'Orléanais, 
le  Berry,  le  Nivernais,  l'Anjou,  le  Blaisois,  la  Touraine, 


LIVRE  XXVII. 


277 


le  Maine,  le  Poitou,  la  Saintonge,  l'Angoumois,  l'Aunis, 
la  basse  Guyenne,  le  Périgord,  le  Limousin,  le  Vivarais, 
le  Valais,  le  bas  Languedoc,  la  Bourgogne,  le  Lyonnais, 
le  Forez,  la  Provence,  le  Dauphiné  et  Orange*.  On  y  dis- 
cuta, sous  la  présidence  de  Charnier,  des  points  de  disci- 
pline et  de  dogme,  et  on  chercha  les  moyens  d'opérer 
une  réunion  entre  les  luthériens,  les  zwingliens  et  les  cal- 
vinistes, touchant  l'interprétation  des  célèbres  paroles  de 
la  Cène.  Le  synode  pensait  que  rien  n'était  plus  propre 
à  affaiblir  le  protestantisme  que  ces  disputes  intermina- 
bles sur  des  points  qu'il  eût  été  sage  ,  vu  leur  sainte 
obscurité ,  de  laisser  à  la  libre  croyance  de  chacun  ;  mais 
les  théologiens  ne  savent  pas  toujours  comprendre  cette 
belle  maxime  de  saint  Augustin  qu'il  faudrait  écrire  en 
lettres  d'or  en  tête  de  toutes  les  confessions  de  foi  :  in 
dubiis  liberlas\  On  discuta  beaucoup  et  on  arriva  à  cette 
solution  qu'il  était  impossible  de  s'entendre. 

Di'  isés  sur  l'interprétation  des  paroles  de  la  Cène,  les 
membres  du.synode  se  montrèrent  très-unis  pour  attaquer 
le  pape  et  l'Église  romaine;  ils  décrétèrent  qu'on  ajoute- 
rait à  la  confession  de  foi,  dont  on  avait  fait  lecture,  l'ar- 
ticle suivant  : 

«Puisque  l'évêque  de  Rome,  s'étant  dressé  une  monar- 
chie dans  la  chrétienté  en  s'attribuant  une  domination  sur 
toutes  les  églises  et  les  pasteurs,  s'est  élevé  jusqu'à  se 
nommer  Dieu;  à  vouloir  être  adoré;  à  se  vanter  d'avoir 
toute  puissance  en  ciel  et  en  terre;  à  disposer  de  toutes 
choses  ecclésiastiques;  à  décider  des  affaires  de  foi;  à  au- 
toriser et  interpréter  à  son  plaisir  les  Écritures;  à  faire 
trafic  des  âmes;  à  dispenser  des  vœux  et  des  serments;  à 
ordonner  de  nouveaux  services  de  Dieu  ;  et  pour  le  regard 
de  la  police,  à  fouler  aux  pieds  l'autorité  légitime  des 
magistrats,  en  ôtant,  donnant,  échangeant  les  royaumes. 
Nous  croyons  et  maintenons  que  c'est  proprement  Va7ité- 
christ  et  le  fils  de  perdition  prédit  par  la  parole  de  Dieu, 
sous  l'emblème  de  la  paillarde  vêtue  d'écarlate.» 

1.  Drion,  Abrégé  chron.,  1. 1",  p.  267. 

2.  Dans  les  choses  douteuses,  liberté. 


t 


I. 


278        HISTOIRE  SE  hk  RÉFORHATION  FRANÇAISE. 


XII. 

Au  nombre  des  membres  du  synode  se  trouvait  un  mi- 
nistre qui  jouissait  d'une  grande  réputation  parmi  les 
réformés  :  on  l'appelait  Jérémie  Ferrier.  Il  était  le  fils  d'un 
capitaine  huguenot  de  condition  obscure,  «mais  soldat  et 
homme  de  fer  et  l'un  des  plus  renommés  de  son  parti'.» 
En  1599  Ferrier,  après  avoir  terminé  ses  études,  fut 
donné  à  l'église  d'Alais;  il  ne  tarda  pas  à  se  faire  connaître; 
il  avait  une  intelligence  vive ,  un  esprit  prompt,  un  langage 
facile,  entraînant,  des  gestes  expressifs;  un  besoin  im- 
périeux de  faire  parler  de  lui,  plus  de  savoir  faire  que  de 
savoir;  il  avait  les  larmes  à  sa  volonté,  et  possédait  le  don 
de  plaire  aux  masses  qu'il  gouvernait  au  gré  de  sa  parole. 
Malheureusement  il  avait  plus  de  zèle  extérieur  que  de 
piété;  son  vice  dominant  était  l'avarice.  «C'était,  ditTalle- 
mont  des  Reaux,  l'homme  du  monde  le  plus  avare  jusque- 
là,  que  quand  il  était  député  à  quelque  synode,  il  vivait  si 
mesquinement  et  recherchait  avec  tant  de  soin  les  repues 
franches,  qu'il  épargnait  le  demi-tiers  de  ce  qu'on  lui  donnait 
pour  sa  dépense'.»  Son  avarice,  qui  devait  plus  tard  en 
faire  un  apostat ,  était  comme  voilée  par  les  services  écla- 
tants qu'il  avaif  rendus  à  son  parti.  A  Nismes  il  ne  craignit 
pas,  pendant  qu'il  desservait  l'église  d'Alais,  de  répondre 
à  une  provocation  que  lui  fit  le  père  Cotton;  la  dispute 
n'eut  pas  lieu,  parce  que  le  sénéchal  s'y  opposa. 

Les  réformés  de  la  ville,  émerveillés  des  talents  du 
jeune  ministre,  le  nommèrent  la  même  année  (1601)  pas- 
teur de  leur  église  et  professeur  de  théologie.  Dans  ces 
doubles  fonctions  il  se  distingua  et  jeta  un  vif  éclat  sur 
l'académie  de  Nismes.  ' 

Ce  fut  sans  doute  à  cette  époque  que  Ferrier  publia  ses 
fameuses  thèses  de  l'Antéchrist.  Elles  soulevèrent  un  véri- 
table orage.  Le  parlement  de  Toulouse,  toujours  fidèle  aux 
traditions  de  son  passé,  lança  sur  l'audacieux  professeur 
un  mandat  d'amener  qui  ne  put  être  mis  à  exécution. 

1.  Haag,  France  protestante,  art.  Ferncr. 

2.  Tallemant  des  Reaux,  Historiettes. 

3.  Haag,  France  protestante,  art.  Ferrier,  p.  94.  —  Borel,  His- 
toire de  Féglise  réformée  de  Nimes. 


LIVRE  XXVII. 


279 


L'énergie  que  Ferrier  avait  déployée  le  fit  choisir  pour 
l'un  des  députés  du  synode  de  Gap  qui  le  nomma  son 
vice-président,  et  prit  ses  thèses  sous  sa  protection,  en 
ordonnant  que  la  proposition  qu'il  avait  soutenue  que  le 
pape  était  l'Antéchrist  serait  insérée  dans  la  confession  de 
foi. 

XIII. 

Ce  nom  d'Antéchrist,  donné  au  pape  par  les  réformés, 
n'était  que  le  résultat  forcé  de  l'attitude  que  l'évèque  de 
Rome  avait  prise  au  milieu  de  la  catholicité,  en  s'attachant 
à  donner  à  ses  fidèles  un  enseignement  opposé  à  l'ensei- 
gnement apostolique.  Si  le  nom  A' Antéchrist  signifie  opposé 
au  Christ,  comment  les  protestants  ne  le  lui  auraient-ils 
pas  appliqué,  puisque  la  cause  capitale  de  leur  séparation 
provenait  de  son  abandon  des  traditions  évangéliques;  et 
plus  tard,  quand  ils  furent  persécutés,  parce  qu'ils  ne 
voulaient  d'autre  chef  dans  l'église  que  le  Christ,  comment 
n'auraient -ils  pas  vu  dans  le  pape,  leur  implacable  per- 
sécuteur ,  un  ennemi  du  Christ  ? 

Malgré  l'opposition  énergique  du  roi ,  toutes  les  églises 
acceptèrent  avec  une  approbation  presque  générale,  le  dé- 
cret du  synode.  Le  pape  se  plaignit  vivement.  Son  nonce 
fit  à  Henri  IV  des  plaintes  amères;  mais  le  mot  était  écrit, 
accepté,  acclamé.' 

La  cour  s'efforça  de  calmer  l'évèque  de  Rome,  en  en- 
gageant quelques  réformés  influents  à  désavouer  le  nou- 
vel article  de  la  confession  de  foi.  Le  désaveu  eut  peu  de 
poids,  car  il  n'était  pas  de  ceux  qui  étaient  les  plus  auto- 
risés dans  le  parti.  Henri  IV  ne  laissa  pas  prendre  à  cette 
affaire  de  plus  grandes  proportions;  il  l'assoupit,  et  défen- 
dit à  la  chambre  mi-partie  de  Castres ,  devant  laquelle 
Ferrier  s'était  pourvu  contre  l'arrêt  du  parlement  de  Tou- 
louse, de  continuer  ses  poursuites  contre  le  pasteur  de 
Nismes. 

Le  synode  s'occupa  de  plusieurs  autres  affaires,  dont 
quelques-unes  d'une  grande  importance;  il  écrivit  au  roi 
en  faveur  du  duc  de  Bouillon,  demanda  que  les  protes- 

1.  Drion,  Abrégé  chronol.,  1. 1",  p.  267.  —  Aymon,  Synodes 
nationaux.  —  Haag,  France  protestante,  pièces  justificatives. 


!280         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

tants  ne  fussent  pas  obligés  à  se  donner  eux-mêmes  dans 
les  actes  publics,  le  nom  de  «  prétendus  réformés»',  fit 
des  règlements  pour  les  écoles  et  les  collèges,  décida  la 
fondation  de  bibliothèques  et  de  séminaires  pour  former 
la  jeunesse ,  et  se  sépara  après  avoir  montré  plus  de  fidé- 
lité que  de  charité,  plus  de  zèle  que  de  prudence.' 

XIV. 

La  tenue  du  synode  de  Gap  fut  favorable  aux  jésuites , 
qui  avaient  été  rappelés  depuis  quelque  temps  en  France, 
et  attendaient  avec  impatience  l'enregistrement  de  l'édit 
royal. 

Depuis  leur  bannissement,  ils  n'avaient  cessé  d'intri- 
guer et  ne  s'étaient  pas  montré  difficiles  sur  le  choix  des 
hommes  qui  pouvaient  les  servir  auprès  du  roi.  Ils  eurent 
pour  leur  entremetteur,  La  Varenne,  le  directeur  officiel 
des  plaisirs  de  son  maître  ;  ce  courtisan  comprit  qu'en  ai- 
dant au  rétablissement  des  disciples  de  Loyola,  il  donne- 
rait de  puissants  protecteurs  à  ses  enfants  qu'il  voulait 
faire  entrer  dans  la  prêtrise.  Un  chapeau  de  cardinal  pour 
l'un  de  ses  fils  n'était  pas  au-dessus  de  l'ambition  de  ce 
courtisan.  Par  son  entremise ,  quelques  jésuites  commen- 
cèrent «par  se  couler  doucement  à  la  cour»  où  ils  se 
firent  humbles,  petits ,  complaisants.  Parmi  eux  était  le 
père  Gotton  qui  s'insinua  si  bien  dans  les  bonnes  grâces 
du  roi  qu'il  le  disposa  à  rappeler  sa  Société. 

Avant  de  prendre  une  décision,  Henri  IV  voulut  consul- 
ter son  conseil  sur  cette  affaire  :  Rosny,  Châteauneuf,  Vil- 
leroy,  Jeanin,  Sillery  et  quelques  autres  se  réunirent  sous 
la  présidence  du  chancelier  Bellièvre  ;  La  Varenne  était 
présent.  La  discussion  fut  longue,  embarrassée,  les  uns 
étaient  pour,  les  autres  contre;  personne  n'osait  formuler 
nettement  son  avis,  quoique  chacun  se  comprit  à  demi 
mot.  Sillery  qui  désirait  le  rappel,  voulut  faire  expliquer 
Rosny,  le  plus  influent  des  membres  du  conseil,  à  cause 
de  la  confiance  que  le  roi  lui  accordait;  celui-ci  s'excusa, 
prétextant  sa  religion  ;  de  Thou  seul  exprima  nettement 

1.  Pour  les  satisfaire  on  imagina  de  les  appeler  ofllcleilement 
réformés ,  aux  termes  de  l'édit. 


LIVRE  XXVII. 


281 


l'opinion  que  le  mieux  serait  de  renvoyer  cette  nCfaire  au 
parlement;  c'est  ce  que  ne  voulaient  pas  les  partisans  du 
rappel,  sachant  que  le  corps  qui  avait  banni  les  jésuites, 
maintiendrait  son  arrêt. 

On  se  sépara  sans  avoir  émis  un  avis. 

Le  lendemain,  Rosny se  rendit  chez  le  roi  et  lui  raconta 
ce  qui  s'était  passé.  «Puisque  nous  en  avons,  dit  Henri  IV, 
le  loisir  d'en  discourir,  dites-moi  librement  tout  ce  que 
vous  appréhendez  de  cette  affaire,  et  puis,  je  vous  dirai 
aussi  ce  que  j'en  espère,  afin  de  voir  de  quel  côté  pen- 
chera la  balance.» 

Le  conseiller,  qui  n'était  pas  gêné  par  la  présence  de 
ses  collègues,  signala  au  roi  sept  raisons  qui  lui  parais- 
saient s'opposer  au  rétablissement  de  la  Société. 

La  première:  les  jésuites  étaient  trop  dévoués  à  l'Es- 
pagne et  à  la  maison  d'Autriche  pour  se  rallier  franchement 
à  la  France  ; 

La  seconde:  ils  étaient  trop  brouillons,  trop  intrigants, 
trop  ambitieux,  pour  ne  pas  amener  avec  eux  des  fçrments 
de  discorde; 

La  troisième:  ils  pourraient  s'insinuer  par  leurs  flatte- 
ries dans  la  confiance  du  roi  et  éloigner  ainsi  de  lui  ses 
meilleurs  serviteurs; 

La  quatrième  :  leur  obéissance  aveugle  au  pape  était  un 
danger  permanent  pour  le  royaume  «tant  que  le  roi  d'Es- 
pagne tiendrait  le  souverain  pontife  dans  ses  ceps  et  dans 
ses  menottes»; 

La  cinquième:  la  crainte  qu'ils  n'entraînassent  le  roi 
dans  une  guerre  contre  les  protestants ,  et  n'épuisassent 
ainsi  la  France  d'hommes  et  d'argent; 

La  sixième  :  la  cramle  que  la  facilité  qu'auraient  les 
pères  de  s'approcher  du  roi ,  ne  leur  donnât  le  désir  de 
donner  au  monarque  un  boucon'  ou  quelque  malheureux 
coup; 

La  septième  :  l'association  secrète  à  la  tète  de  laquelle 
se  trouvait  le  pape ,  ayant  pour  but  de  lui  faire  aban- 
donner ceux  de  ses  amis  et  de  ses  alliés ,  ennemis  de  la 
religion  catholique.  ' 

Rosny  développa  chacune  de  ses  raisons  avec  une 

1.  Fiole  empoisonnée. 


282         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

grande  netteté.  Le  roi  l'écouta  avec  attention  et  lui  dit  que 
sur  cette  matière  il  n'était  pas  aussi  bien  préparé  que  lui, 
mais  que  cependant,  contre  ces  sept  raisons,  il  en  avait 
deux  qui  lui  paraissaient  de  nature  à  le  faire  changer 
d'opinion. 

La  première  :  le  père  Majus  l'avait  assuré  que  la  Société 
avait  travaillé  à  la  grandeur  des  États  qui  l'avaient  reçue , 
protégée,  encouragée;  qu'il  pouvait  être  certain  que  si  la 
France  agissait  à  son  égard  comme  l'Espagne,  elle  se  dé- 
vouerait sans  réserve  à  sa  prospérité,  et  même  au  détri- 
ment de  cette  dernière  puissance  ;  qu'elle  consentirait 
enfin  à  être  chassée  ignominieusement  si  elle  manquait 
aux  promesses,  condition  de  son  rappel.  «  Or,  ne  douté-je 
point,  ajouta  le  roi,  que  vous  ne  puissiez  faire  diverses 
répliques  à  cette  première  raison,  mais  je  n'estime  pas 
que  vous  en  voulussiez  seulement  chercher  à  celte  se- 
conde, qui  est  que  par  nécessité,  il  me  faut  à  présent, 
faire  de  deux  choses  l'une;  à  savoir:  de  les  admettre  pu- 
rement et  simplement,  les  décharger  des  difames  et  op- 
prohrcs  dosqueisils  ont  été  flétris,  et  les  mettre  à  l'épreuve 
de  leurs  beaux  serments  et  promesses  excellentes,  ou 
bien  de  les  rejeter  plus  absolument  que  jamais,  et  leur 
user  de  toutes  les  rigueurs  et  duretés  dont  on  pourra  avi- 
ser, afin  qu'ils  n'approchent  jamais  ni  de  moi ,  ni  de  mes 
États;  auquel  il  n'y  a  point  de  doute  que  ce  ne  soit  les 
jeter  au  dernier  désespoir,  et,  par  icclui,  dans  des  des- 
seins d'attenter  à  ma  vie,  ce  qui  me  la  rendrait  si  misé- 
rable et  langoureuse,  demeurant  toujours  ainsi  dans  les 
défiances  d'être  empoisonné  ou  bien  assassiné  (car  ces 
gens  ont  des  intelligences  et  correspondances  partout  et 
grande  dextérité  à  disposer  les  esprits  selon  qu'il  leur 
plaît)  qu'il  me  vaudrait  mieux  être  déjà  mort,  étant  en 
cela  de  l'opinion  de  César,  que  la  plus  douce  est  la  moins 
prévue  et  attendue.» 

Évidemment  Henri  IV  avait  peur  du  couteau. 

Rosny  comprit  que  le  rappel  des  jésuites  était  décidé 
dans  l'esprit  du  roi,  et  sentit  que  les  pères  ne  lui  pardon- 
nci'aicnt  jamais  de  s'y  être  opposé,  il  vira  habilement  de 
bord ,  et  cachant  sa  lâcheté  sous  le  manteau  de  son  affec- 
tion, i!  répondit: 

«Vous  avez  très-bien  conjecturé,  Sire,  en  croyant  qu'à 


LIVRE  XXVII. 


283 


celte  dernière  raison,  ou  plutôt  inconvénient,  je  n'aurais 
rien  à  répliquer;  car  plutôt  que  de  vous  laisser  vivre  dans 
les  tourments  dételles  appréhensions  et  inquiétudes,  je 
consentirais,  non-seulement,  le  rétablissement  des  jé- 
suites, mais  aussi  celui  de  quelqu'autre  secte  que  ce  pût 
être;  par  quoi,  sans  en  discourir  davantage,  puisque  je 
vois  de  telles  opinions  rouler  dans  l'esprit  de  Votre  Ma- 
jesté ,  je  me  resous  de  devenir  même  le  solliciteur  du  ré- 
tablissement des  jésuites,  autant  ou  plus  que  ne  le  saurait 
être  La  Varenne,  comme  j'espère  que,  dès  le  premier 
conseil  qui  se  tiendra  sur  ce  sujet,  Votre  Majesté  en  aura 
des  preuves.» 

«Je  ne  vous  nierai  point,  dit  lors  le  roi,  que  ce  ne  me 
soit  un  plaisir  fort  singulier  de  vous  voir  en  cette  dispo- 
sition ;  et  afin  de  vous  y  confirmer  et  fortifier,  je  vous  veux 
dès  nriaintenant,  assurer  contre  deux  de  vos  appréhen- 
sions où  vous  avez  intérêt,  en  vous  donnant  ma  foi  et  ma 
parole  (lesquelles,  vous  savez  bien,  que  j'aimerais  mieux 
mourir  que  de  les  violer,  les  estimant  parties  esserttielles 
de  la  royauté,  et  sans  lesquelles,  par  conséquent,  tout  roi 
est  indigne  d'être  roi)  que  jamais  jésuite,  ni  autre,  non 
pas  même  le  pape,  n'auront  le  pouvoir  de  me  jeter  à  la 
guerre  contre  ceux  de  la  religion,  si  vous-même  n'en 
étiez  le  solliciteur,  ni  d'éloigner,  ni  défavoriser  aucuns  de 
ceux  de  celte  profession  à  cause  d'icelle;  desquels  je  me 
trouve  tellement  et  loyalement  servi,  et  surtout  de  vous, 
de  qui  je  dirais  volontiers  ce  que  vous  me  disiez  l'autre 
jour,  que  disait  Darius  de  son  Zopire,  et  veux  même  obli- 
ger tous  ceux  de  cette  société  à  vous  aimer  et  révérer 
comme  vous  le  connaîtrez  avant  peu  Je  jours.»* 

XV. 

Les  jésuites  triomphaien!.  L'enregistrement  par  le  par- 
lement des  lettres-patentes  de  leur  rappel  n'était  plus 
qu'une  affaire  de  pure  forme.  Le  roi  savait  qu'il  rencon- 
trerait de  la  résistance  chez  les  conseillers  ;  mais  il  savait 
aussi  qu'elle  s  évanouirait  devant  sa  volonté.  Il  se  sentait 
maître  el  savait  dire:  a  Je  suis  roi"»  en  accentuant  forte- 

1.  Sully,  Économies  royales  (1604). 


284         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


ment  chaque  mot.  Le  parlement ,  par  la  bouche  de  son 
premier  président,  lui  fit  des  remontrances. 

«Je  tremble,  lui  dit  de  Harlay ,  au  seul  nom  de  Bar- 
rière, qui  enrôlé  parla  société,  armé  par  La  Yarade , 
muni  de  l'absolution  qu'il  avait  reçue  et  du  précieux  corps 
de  Jésus-Christ,  s'engagea  par  serment  à  enfoncer  le  poi- 
gnard dans  le  sein  de  Votre  Majesté.  Quoique  ce  scélérat 
n'ait  pas  réussi  dans  son  exécrable  entreprise ,  il  a  du 
moins  par  son  exemple,  ouvert  le  chemin  au  second  par- 
ricide que  nos  yeux  ont  vu  presque  consommé. 

«Guignard,  prêtre  de  la  même  société,  a  composé  des 
livres  de  sa  propre  main  pour  justifier  ces  détestables  at- 
tentats; il  a  donné  des  éloges  au  meurtre  de  Henri  III, 
comme  à  un  acte  de  justice,  et  a  défendu  l'opinion  con- 
damnée dans  le  concile  de  Constance. 

«Dans  quelle  crainte  ne  doit  pas  nous  jeter  le  souvenir 
de  ces  actions  impies  et  la  faciliter  d'imiter  ces  horribles 
exemples;  forcés  de  trembler  pour  la  personne  du  prince, 
pourrons-nous  compter  un  moment  sur  sa  vie?  Ne  serait- 
ce  pas  une  véritable  félonie  de  voir  de  loin  le  péril  et  d'y 
courir  tête  baissée.  Y  a-t-il  un  Français  assez  lâche  et 
assez  malheureux  pour  vouloir  survivre  à  sa  patrie  dont  le 
salut,  comme  on  l'a  dit  souvent,  dépend  de  celui  de  Sa 
Majesté.» 

Le  roi  n'entendait  rien  qu'il  ne  sût  déjà ,  il  répondit  au 
premier  président  avec  beaucoup  de  bienveillance,  mais 
en  maître  qui  veut  être  obéi.  Il  congédia  les  conseillers  : 
quelques  jours  après,  les  lettres  royales  autorisant  la 
rentrée  des  jésuites  dans  le  royaume ,  furent  enregistrées, 
mais  à  des  conditions  humiliantes.  Le  plaisir  de  rentrer 
leur  fit  tout  oublier;  leur  pouvoir  parut  si  grand  le  len- 
demain de  leur  rétablissement,  qu'on  eût  dit  qu'ils  étaient 
les  vrais  maîtres  de  la  France.' 

1.  Élie  Benoit,  Hist.  de  l'édit  de  Nantes,  liv.  VIII,  p.  402.  — 
Voir  pour  tout  ce  qui  concerne  le  rappel  des  Jésuites  :  Chronologie 
novernaire  de  Palîna-Cayet  —  Eisloire  universelle  de  De  Thou  — 
Histoire  de  la  compagnie  de  Jésus  par  Jouvency  et  par  Bartol  — 
Journal  de  l'Estoile  —  Économies  royales  de  Sully  —  Lettres  du 
cardinal  d'Ossat  —  Ambassades  du  cardinal  Du  l'erroa. 


UVRE  XXVII. 


S85 


XVI. 

Un  deuil  domestique  inattendu,  vint  affliger  le  roi  au 
milieu  des  préoccupations  que  lui  donnaient  les  exigences 
des  partis.  La  duchesse  de  Bar,  sa  sœur,  mourut.  Cette 
princesse  demeura  fidèle  à  la  foi  de  son  illustre  mère; 
toutes  les  tentatives  pour  l'amener  à  une  abjuration, 
échouèrent  devant  une  conviction  qui  reposait  sur  le 
double  fondement  de  la  parole  sainte  et  d'une  conscience 
droite.  Pour  complaire  à  son  mari,  elle  consentit  cepen- 
dant à  écouter  les  arguments  des  docteurs  catholiques. 
Son  ministre,  Dumoulin,  la  soutint  dans  ses  luttes  péni- 
bles qui  l'affligeaient  et  faisaient  craindre  aux  protestants 
qu'elle  n'imitât  son  frère.  Plusieurs  fois  on  fit  courir  le 
bruit  qu'elle  était  allée  à  la  messe.  «Je  ne  pense  pas  y 
aile:-,  écrivait-elle  à  Mornay,  jusqu'à  ce  que  vous  soyez 
devenu  pape.»  Dans  une  "lettre  à  Théodore  de  Bèze, 
elle  disait  :  «Quant  à  ma  conscience,  elle  est  toujours 
semblable,  faisant  profession  de  la  même  religion,  en  la- 
quelle j'ai  été  nourrie  dès  le  berceau,  si  ce  n'est  avec  la 
même  liberté  que  je  faisais  à  Paris,  pour  le  moins  est-ce 
avec  la  résolution  toute  pareille  d'y  vivre  et  mourir, 
moyennant  la  grâce  de  Dieu ,  ce  que  je  vous  prie  de 
croire,  et  en  assurer  les  gens  de  bien.»' 

Sa  fermeté  faisait  la  désolation  et  l'admiration  de  sa 
nouvelle  famille.  «Je  suis,  disait-elle  dans  la  même  lettre, 
la  plus  contente  et  la  plus  heureuse  du  monde,  de  vivre 
parmi  des  princes  qui  m'honorent  extrêmement,  quelque 
constance  qu'ils  voient  en  moi  de  persévérer  en  la  reli- 
gion. En  quoi  je  vous  prie  m'assister  de  vos  saintes  prières, 
comme  de  ma  part  je  supplie  le  créateur  qu'il  vous  donne 
sainte  et  longue  vie.» 

«Madame,  lui  répondit  le  réformateur.  Votre  Excel- 
lence me  fera  cet  honneur  de  croire,  s'il  lui  plaît,  que  se- 
lon mes  devoirs,  je  la  porte  en  continuelle  souvenance 
devant  la  face  du  Seigneur,  notre  bon  Dieu  et  père,  lui 
rendant  grâces  de  ce  qu'il  lui  plaît  faire  cette  faveur  à  la 
France,  ou  plustôt  à  toute  la  vraie  Église  catholique  et 

1 .  Bulletin  de  la  société  de  l'Histoire  du  protest,  franc. ,  année 
1853,  p.  149. 


286        HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

près  et  loin ,  de  voir  en  votre  personne,  un  si  remarquable 
exemple  de  piété,  témoignée  d'un  si  vrai  zèle  de  sa  gloire, 
avec  toute  occasion  d'espérer  qu'il  parachèvera  son 
œuvre  si  heureusement  commencée  et  avancée  en  vous.» 

Théodore  de  Bèze  était  pour  Catherine  l'idéal  du  chré- 
tien; elle  admirait  en  lui  une  piété  ferme  sans  rudesse, 
douce  sans  mysticisme ,  compatissante  sans  faiblesse  ;  il 
était  pour  elle  un  père,  un  ami,  un  guide.  Ces  deux  nobles 
cœurs  étaient  dignes  de  se  comprendre;  ils  avaient  trouvé 
au  pied  de  la  croix  le  secret  de  cette  aimable  fraternité 
chrétienne  qui,  sans  confondre  les  rangs,  unit  les  cœurs 
dans  un  même  amour  ,  et  devient  pour  le  disciple  de 
Jésus-Christ  une  des  sources  de  ses  plus  pures  jouissances. 
Rien  n'est  plus  touchant  que  la  lecture  des  lettres  échan- 
gées entre  le  réformateur  et  la  sœur  de  Henri  IV.  Dans 
l'une  de  ces  lettres,  Catherine,  en  lui  envoyant  quelques- 
unes  de  ses  poésies,  lui  dit:  «Parmi  mes  douleurs  je  m'é- 
bats quelquefois  à  parler  à  Dieu  avec  ma  plume,  non  en 
vers  si  bien  faits  comme  ceux  qui  font  profession  de 
longue  main  de  bien  écrire,  mais  chrétiennement  pour 
ma  consolation ,  comme  vous  verrez  par  ceux  que  je  vous 
envoyé,  pour  en  être  juge  et  modérateur  de  ce  qui  peut 
s'y  trouver  à  redire,  vous  priant  de  toute  mon  affection 
d'y  passer  librement  la  plume  et  me  tesmoigner  en  cela 
ce  que  j'espère  de  votre  bonne  amitié,  et  croire  qu'en 
tout  autre  endroit  je  vous  rendrai  preuve  de  la  mienne, 
avec  autant  de  volonté  que  j'en  ai  à  prier  Dieu  qu'il  veuille, 
Monsieur  de  Bèze,  vous  maintenir  sous  sa  sainte  garde.»' 

Au  nombre  des  pièces  de  vers  que  la  princesse  envoyait 
au  réformateur  se  trouvait  la  suivante  : 

Pardonne-moi,  Seigneur  tout  saint,  tout  débonnaire, 
Si  j'ai  par  trop  cédé  à  de  mondains  appâts. 
Hélas  !  j'ai  fait  le  mal,  lequel  je  ne  veux  pas, 
Et  ne  fais  pas  le  bien  que  je  désire  faire. 

Mon  esprit  trop  bouillant,  guidé  par  ma  jeunesse. 

S'est  laissé  emporter  après  la  vanité, 

Au  lieu  de  s'élever  vers  la  divinité. 

Et  admirer  les  faits  de  ta  grande  sagesse. 

1.  Lettre  datée  de  Fontambre  (26  janvier  1598).  —  Bulletin  de 
la  société  de  l'Histoire  du  protest,  franc.,  année  1853,  p.  142. 


trV'RE  XXVII. 


S87 


Ma  langue,  qui  devait  publier  ta  puissance 
El  l'honneur  que  de  toi  je  reçois  tous  les  jours. 
Est  bègue  quand  il  faut  entrer  en  ces  discours. 
Et  prompte  et  babillarde  après  la  médisance. 

Mon  oreille,  Seigneur,  n'est-elle  pas  coupable, 
Qui  devait  écouter  ta  sainte  vérité 
Et  y  preudi'e  plaisir,  tant  ingrate  a  été. 
Tarde  à  ouïr  ta  loi,  et  ouverte  à  la  fable. 

Que  dirai-je,  mon  Dieu,  de  mes  yeux  inJQdèles,  ' 
Qui,  au  lieu  de  jeter  leur  regard  dans  les  cieux, 
D"où  leur  vient  leur  salut,  aveuglés  aiment  mieux 
Les  arrêter  ici  sur  des  beautés  mortelles  ? 

Mes  maiDs  ne  font  pas  mieux  s'amusant  à  écrire, 
Au  lieu  de  ta  louange  un  discours  inventé, 
Lorsques  jointes  devaient  prier  la  magesté 
D'approcher  la  pitié  et  reculer  ton  ire. 

Alors  qu'il  faut  aller  écouter  ta  parole , 
Mes  pieds  sont  engourdis  et  vont  le  petit  pas  ; 
Mais  s'il  faut  aller  voir  quelques  mondains  esbats, 
Au  heu  de  cheminer,  il  semble  que  je  vole. 

Mon  cœur  est  endormi  en  sa  vaine  pensée. 
Et  ne  médite  pas  aux  biens  que  tu  lui  fais, 
n  les  met  en  oubU;  mais  où  sont  les  parfaits 
De  qui  ta  Magesté  n'ait  été  ofTensée  ? 

Mais,  reçois  moi  Seigneur  d'un  oeil  doux  et  propice, 
Puisque  je  reconnais  mes  péchés  devant  toi. 
Regarde  à  ton  cher  fils,  sacrifié  pour  moi, 
Qui,  prenant  mes  péchés,  me  vêt  de  sa  justice.' 

Ces  vers  simples  et  touchants  rappellent  les  beaux  can- 
tiques que  David  commençait  avec  un  cri  de  désespoir  et 
qu'il  terminait  avec  un  chant  d'espérance.  Comme  un  ro- 
seau, la  princesse  ployait;  mais  comme  la  branche,  elle  se 
relevait  toujours.  Ame  tendre,  cœur  aimant,  elle  trouvait 
ses  joies  les  plus  pures  dans  le  creuset  de  ses  plus  vio- 
lentes douleurs. 

Un  moment  elle  crut  à  l'amour  de  son  mari ,  qu'elle 
aimait  passionnément;  c'était  après  son  retour  de  Rome. 

1.  Voir  l'intéressant  article,  que  M.  Jules  Bonnet  a  inséré  dans 
le  Bulletin  de  la  société  de  l'Histoire  du  protestant,  franc. ,  année 
1840.  —  Cet  article  est  intitulé  ;  Lettres  et  poésies  de  Catherine 
de  Kavarre,  duchesse  de  Bar. 


288        HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

«J'ai  tant  importuné  mon  Dieu ,  écrivait-elle  à  Théodore 
de  Bèze,  qu'enfin  il  m'a  ramené  Monsieur  mon  mari  sain 
et  gaillard,  dont  je  le  loue  et  le  remercie  de  tout  mon 
cœur.  Monsieur  mon  mari  me  promet  tout  bon  traitement 
et  m'assure  fort  en  sa  parole.  » 

Catherine  se  faisait  illusion  ;  son  mari  ne  l'aima  jamais. 
Elle  écrivit  encore  à  son  vieil  ami  de  Genève  : 

«Je  suis  ici,  Dieu  merci,  avec  tout  le  repos  que  je  sau- 
rais désirer,  attendant  la  jouissance  d'un  bien  que  les 
médecins  et  les  apparences,  mais  plus  la  bonté  de  Dieu, 
me  promettent,  c'est  la  venue  d'un  enfant,  dont  les  mé- 
decins m'assurent  que  je  suis  enceinte.  S'il  a  plu  à  Dieu 
me  faire  cette  grâce ,  j'espère  qu'il  parachèvera.  Je  vous 
ai  bien  voulu  mander  cette  nouvelle,  afin  que,  comme 
l'un  de  mes  bons  amis,  vous  participiez  à  ma  joie  et  m'ai- 
diez de  vos  prières.  Au  demeurant,  je  vous  prie  de  me 
recommander  à  vos  confrères  et  de  les  assurer  de  mon 
affection  envers  eux  et  de  ma  résolution  en  la  profession 
de  la  vérité.  En  cette  volonté  je  finis  celle-cy,  priant  Dieu 
qu'il  lui  plaise.  Monsieur  de  Bèze,  vous  avoir  en  sa  sainte 
protection  et  sauvegarde.  »  ' 

Cet  enfant  qu'elle  attendait ,  comblait  ses  vœux  :  elle 
voyait  en  lui  le  lien  qui  désormais  devait  l'unir  à  un  époux 
qui  ne  lui  avait  montré  que  de  la  froideur.  Ce  ne  fut 
qu'une  illusion  causée  par  l'ignorance  de  ses  médecins, 
qui  avaient  pris  une  tumeur  pour  une  grossesse;  elle  souf- 
frait cruellement.  Son  frère  lui  envoya  son  médecin  André 
Du  Laurent,  qui  constata  de  suite  la  nature  de  la  maladie 
et  voulut  en  entreprendre  la  cure.  La  princesse  refusa. 
«Je  ne  veux  pas  nuire,  dit-elle,  à  l'enfant  que  je  porte 
dans  mon  sein.» 

Elle  supporta  des  souffrances  atroces  avec  une  admira- 
ble patience,  et  quitta  cette  terre,  où  elle  avait  tant  souf- 
fert, en  chrétienne  qui  espère  et  en  épouse  trop  heureuse 
de  mourir,  si  sa  mort  doit  rendre  père  son  époux. 

Le  roi  regretta  sa  sœur  ;  les  réformés  la  pleurèrent. 
Elle  fut  la  dernière  des  grandes  dames  du  sang  royal  qui 
appartinrent  à  la  réforme. 


1.  Lettre  du  6  décembre  1603,  datée  de  Nancy. 


LIVUE  XXVIl. 


2*9 


XVIL 

Depuis  leur  rappel,  qui  datait  à  peine  de  quelques  jours  , 
les  jésuites  avaient  gagné  considérablement  du  terrain  et 
se  trouvaient  sur  toutes  les  avenues  du  pouvoir.  Le  père 
Coton  exerçait  une  influence  extraordinaire  sur  l'esprit  du 
roi ,  qu'il  suivait  partout.  On  fit  circuler,  à  cette  occasion, 
le  quatrain  suivant  : 

Autant  que  le  roi  fait  un  pas , 
Le  père  Coton  l'accompagne; 
Mais  le  bon  roi  ne  songe  pas 
Que  fin  Coton  vient  d'Espagne.' 

L'intimité  qui  régnait  entre  le  jésuite  et  son  royal  péni- 
tent, alarmait  les  réformés.  «Ses  oreilles,  disaient-ils  en 
parlant  du  monarque  et  en  faisant  allusion  au  nom  du 
confesseur,  sont  bouchés  de  coton.»  Les  pères  faisaient 
envie,  après  avoir  fait  horreur.  Ils  osaient  tout  oser;  mal- 
gré les  protestations  du  parlement,  ils  obtinrent  du  roi  la 
démolition  de  la  pyramide,  sur  laquelle  était  gravé  l'arrêt 
de  leur  bannissement;  cela  causa  une  profonde  sensa- 
tion dans  tous  les  rangs  de  la  société.  Les  parlementaires, 
les  sorbonnistes,  les  réformés  exhalèrent  tour  à  tour  leur 
colère  impuissante  dans  des  écrits  plus  ou  moins  violents, 
que  le  public  lut  avec  avidité;  le  plus  célèbre  de  ces  pam- 
phlets, aujourd'hui  oubliés,  est  La  Prosopopée  de  la  pyra- 
mide.^ 

L'auteur ,  par  une  fiction  ingénieuse ,  fait  parler  le  mo- 
nument qui  va  tomber  sous  le  coup  du  marteau  de  ses 
démolisseurs.  «Taisez -vous,  méchants,  leur  dit-il,  puis- 
que les  pierres  parlent.  Ecoutez ,  vous  bons  Français , 
puisque  les  autres  n'ont  point  d'oreilles.  Je  suis,  ce  qui 
n'est  plus  une  pyramide  qui  parle,  une  pierre  muette ,  qui 
vous  sollicite  de  m'écouter,  une  colonne  sans  ouie  et  sans 
sentiment,  qui  vous  en  veut  faire  venir.  Je  parle  n'étant 
plus,  qui  étant  ne  parlai  jamais,  je  me  plains  de  la  clé- 
mence ,  qui  ne  me  plaignis  jamais  de  la  cruauté  ;  afin  de 


1.  L'Estelle,  année  1605. 

2.  L'écrit  est  intitulé  :  Prosopopée  de  la  pyramide  dressée  de- 
vant la  grande  porte  du  palais  de  Paris.  —  Voir  Mémoires  de  Condé, 
t\n,p.  207. 

lY.  9 


290        HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


me  rehausser  par  les  m^mns  moyens  qu'on  m'a  fail  abattre 
et  rabattre  de  la  méuioire  0  "  hommes,  ce  que  l'on  efface 
de  dessus  la  terre.  La  justic;  .ne  fit  dresser,  la  miséricorde 
me  fait  défaire,  non  miséricirde,  mais  cruaulc,  puisqu'il 
est  aussi  cruel  de  pardonner  à  tous,  que  de  ne  faire  grâce 
à  aucun.  Je  naquis  d'un  parricide,  comme  les  bonnes  lois 
naissent  des  mauvaises  mœurs.  Un  coup  de  couteau,  porté 
sur  le  visage  du  plus  grand  roi  du  monde ,  me  porta  sur 
la  plus  haute  face  du  monde;  mais,  voyez  un  peu  l'incer- 
titude des  choses  humaines,  je  devais  durer  après  mille 
siècles,  à  peine  ai-je  vu  seulement  un  lustre.» 
La  pyramide  s'adresse  ensuite  au  roi  : 
«Mais  par  votre  foi,  Sire,  ne  voulez-vous  pas  devenir 
jésuite,  afin  que  les  jésuites  demeurent  rois?  et  quand 


comme  le  feu  roi ,  en  penseriez-vous  être  mieux  servi  que 
lui?  Êtes-vous  plus  catholique  que  lui?  C'est  grand  cas 
que  vous  n'ouvriez  quelquefois  les  yeux  sur  les  ombres  de 
ce  pauvre  prince ,  et  que  la  considéralion  de  sa  mort  ne 
puisse  toucher  votre  vie.  Je  parle  bien  haut;  mais  que  me 
peut-on  pis  faire  que  de  me  ruiner?  Sire,  les  pierres  ne 
parlent  point  que  par  une  grande  merveille  ;  c'est  pourquoi 
elles  doivent  d'autant  plus  être  écoutées,  qu'elles  parlent 
moins,  surtout  quand  elles  parlent  des  choses  que  les 
hommes  n'osent  pas  dire.  J'ai  souvent  ouï  plusieurs  de  vos 
bons  sujets  se  lamenter  de  cela,  que  vous  reconnaissiez 
mieux  et  favorisiez  davantage  vos  ennemis  que  vos  servi- 
teurs ,  à  quoi  l'occurrence  de  vos  affaires  vous  pourrait  bien 
quelquefois  porter;  mais  d'en  faire  une  règle  générale, 
Sire,  il  vaudrait  mieux  vous  avoir  offensé  que  servi,  et 
quel  propos  y  a-t-il  de  laisser  à  reconnaître  un  service, 
pour  rémunérer  une  offense?  N'est-ce  pas  détourner  les 
bous  de  bien  faire,  et  acheminer  les  autres  au  mal?  et 
cela,  Sire,  faut-il  le  pratiquer  envers  les  jésuites,  qui  ont 
tant  de  fois  écrit  et  prècliô  qu'il  était  licite  aux  sujets  de 
tuer  librement  leurs  rois? 

Après  ces  paroles  la  pyramide  retrace,  à  grands  traits, 
l'esprit  dominateur  de  la  société  de  Loyola,  et  la  faiblesse 
incroyable  du  roi ,  qui  semble  leur  faire  un  pont  de  son 
dos  pour  les  fnire  monter  par-dessus  la  royauté,  puis  elle 
teraiinc  en  s'adrcssaat  aux  jésuites:  «Qu'auriez-vous  pu 


vous  porteriez  le  sac  et  vous 


LIVRE  XXVII. 


291 


faire  davantage,  si  vous  eussiez  triomphé  de  la  France? 
Encore  César,  après  avoir  battu  Pompée,  commanda  que 
ses  statues  demeurassent  droites,  et  par  ce  moyen,  en 
rendit  les  siennes  plus  assurées  :  mais  vous,  étant  non- 
seulement  vaincus,  mais  convaincus,  bannis  et  retirés  par 
miséricorde,  usez  plus  outrageusement  de  votre  retour, 
que  si  vous  aviez  opprimé  la  liberté  du  pays;  et  je  ne  crois 
pas,  Si  selon  vos  inutiles  efforts,  vous  eussiez  pu  chasser 
les  Français,  et  introduire  les  Espagnols  en  ce  royaume, 
que  vous  eussiez  pu  faire  davantage,  que  d'abolir  les  mar- 
ques de  la  justice  ;  mais  vous  ne  gagnez  rien  en  cela,  car, 
pour  une  pyramide  abattue,  qui  ne  se  pouvait  voir  qu'en 
un  seul  endroit,  vous  susciterez  cent  mille  hommes  qui 
crieront  et  écriront  par  tout  le  monde,  que  justement 
vous  avez  été  déclarés,  par  divers  arrêts,  corrupteurs  de 
la  jeunesse  de  la  France,  et  même  perturbateurs  du  repos 
public,  traîtres  au  roi  et  déserteurs  de  votre  patrie.»' 

Les  jésuites  se  consolèrent  facilement  des  attaques  de 
leurs  ennemis,  par  la  joie  de  leur  triomphe;  comblés  des 
faveurs  du  roi,  ils  oublièrent  les  causes  honteuses  de  leur 
rappel.  De  la  pyramide  il  ne  reste  aujourd'hui  qu'un  sou- 
venir; mais  ce  qu'ils  ne  purent  et  ne  pourront  jamais  dé- 
molir, ce  sont  ces  paroles  que  Henri  IV  dit  à  ses  ministres 
en  plein  conseil  :  «Ventre  saint-gris,  si  je  ne  permets  le 
rétablissement  des  jésuites,  me  répondrez-vous  de  ma 
)ersonne?» 

XVIII. 

Le  père  Coton,  aux  sollicitations  duquel  le  roi  avait 
iccordé  la  démolition  de  la  pyramide,  se  fit  de  nombreux 
î-nnemis.  Il  fut  un  soir  attaqué,  lorsqu'il  sortait  du  Louvre. 
jSs  jésuites  accusèrent  les  protestants  d'avoir  voulu  l'as- 
assiner  :  ceu.x-ci  répondirent  qu'ils  ne  savaient  pas  comme 
ux  jouer  au  couteau  et  qu'ils  ne  tuaient  que  sur  les 
hamps  de  bataille.  La  blessure  que  reçut  le  confesseur 
u  roi  était  si  légère  qu'on  répandit  le  bruit  qu'il  se  l'était 
ute  pour  se  rendre  intéressant. 

Une  attaque  bien  autrement  importante  que  ce"^  dont 
oton  aurait  été  l'objet,  vint  le  troubler  dans  les  j  ios  de 

1.  Voir  sur  le  même  sujet  :  Complainte  au  roi  sur  la  pyramide 
•  Mémoires  de  Coudé,  t.  VI,  p.  212. 


i92         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


son  triomphe  :  on  fit  courir  dans  tout  Paris  un  pamphlet 
intitulé  le  grimoire  du  père  Cotm.  Voici  à  quelle  occasion. 

Il  y  avait  alors  à  Paris  une  seconde  Marthe  Brossier  :  on 
l'appelait  Adrienne  Dufresnes.  Cette  intrigante,  qui  passait 
pour  être  possédée  du  démon,  excitait  vivement  la  curio- 
sité publique. 

«èous  prétexte  de  l'exorciser,  Coton,  dit  Élie  Benoît, 
dressa  une  liste  dans  laquelle  il  posait  au  diable  une  série 
de  questions,  parmi  lesquelles  plusieurs  concernaient  les  [ 
réformés.  L'une  parlait  du  comte  de  Laval,  petit-fils  de 
Dandelot,  qui  changea  de  religion  peu  après  et  qui  mourut  f 
l'année  suivante  en  Hongrie;  une  autre  parlait  de  la  guerre 
et  s'informait  si  le  roi  la  ferait  aux  Espagnols  ou  aux  hé- 
rétiques; une  autre  parlait  de  Chamier  et  de  Ferrier,  gens 
que  les  jésuites  avaient  en  vue,  à  cause  de  leur  crédit 
chez  les  réformés ,  et  vraisemblablement  ce  jésuite  aurait 
voulu  savoir  le  moyen  de  les  détruire  ou  de  les  gagner  ; 
une  autre  touchait  le  roi  et  Rosny,  et  apparemment  elle 
devait  s'informer  des  moyens  de  perdre  l'un  dans  l'esprit 
de  l'autre  ;  une  qui  la  suivait  demandait  comme  subsi- 
(liairement,  ce  qui  arriverait  touchant  la  conversion  de  ce 
favori;  immédiatement  après  il  s'informait  qui  étaient  les 
liéréliques  de  la  cour  les  plus  faciles  à  réduire  à  la  foi 
romaine  ;  ensuite  il  voulait  savoir  ce  qui  était  le  plus  utile 
pour  la  conversion  des  liéréliques,  c'est-à-dire  s'il  était 
plus  à  propos  d'en  venir  avec  eux,  à  la  force  ouverte,  ou 
de  s'en  tenir  à  une  tolérance  frauduleuse.  Il  voulait 
prendre  aussi  du  démon  des  leçons, de  théologie,  et  le  ,  n 
forcer  à  lui  dire  quel  passage  de  l'Écriture  était  le  plus  j 
clair  pour  prouver  le  purgatoire,  et  pour  montrer  l'éga-  • 
lité  de  la  puissance  du  pape  à  celle  de  saint  Pierre.  Il  lui  i 
demandait  aussi  en  quel  temps  Vhérésie  de  Calvin  serait  1 
éteinte.  Il  l'interrogeait  sur  l'altération  des  passages  de 
l'Écriture  par  les  hérétiques ,  et  il  avait  raison  de  demander  |j 
sur  cela  les  lumières  du  prince  des  ténèbres,  parce  qu'il 
préparait  un  ouvrage  où  il  accusait  la  version  de  Genève^ 
d'un  grand  nombre  de  falsilicalions.  Il  passait  aux  affaires!! 
étrangères  pour  savoir  comment  on  pourrait  se  prendre  à,, 
converlir  le  roi  et  la  reine  d'Angleterre,  et  tout  lef 
royaume,  et  pour  y  réussir  avec  plus  de  facilité?  Comment  jf 
on' puni  rait  défaire  le  (urc  et  convertir  les  infidèles;  d'où 

II 


LIVRE  xxvn. 


293 


venait  que  Genève  était  si  souvent  conservée.  Puis  reve- 
nant aux  affaires  du  royaume,  il  demandait  quelque  chose 
touchant  les  places  de  sûreté ,  touchant  Lesdiguières  et  sa 
conversion  et  touchant  la  durée  de  l'hérésie.»' 

Ces  questions  eussent  été  sottes  et  impernitentes  si 
sous  la  sottise,  la  méchanceté  ne  se  fût  pas  cachée.  Le 
jésuite,  infidèle  cette  fois  à  la  prudence  qui  caractérise  sa 
société ,  écrivit  de  sa  propre  main  les  questions  sur  une 
feuille  volante  et  la  mit  dans  un  livre  que  Gillot,  conseiller 
au  parlement  lui  avait  prêté  en  1C03;  il  rendit  le  livre  et 
oublia  la  feuille  qui  tomba  entre  les  mains  du  président 
de  Thou  qui  la  montra  au  roi;  celui-ci  trouva  la  curiosité  du 
jésuite  un  peu  trop  grande,  mais  son  crédit  n'en  fut  pas 
diminué  à  la  cour. 

Le  public,  moins  complaisant  que  le  roi,  eut  connais- 
sance de  l'affiiire ,  il  trouva  comique  que  Colon  eût  voulu 
questionner  le  démon ,  non-seulement  sur  les  affaires 
d'Etat,  mais  encore  sur  le  moyen  de  convertir  les  héré- 
tiques, comme  si  le  prince  des  ténèbres  était  intéressé  à 
l'abjuration  des  protestants.  De  là  ,  l'apparition  du  gri- 
moire du  père  Coton ^  dans  lequel  on  racontait  en  détail  ce 
qui  s'était  passé  entre  lui  et  le  diable.»  ' 

Le  roi  ne  put  empêcher  la  circulation  du  pamphlet  qui 
fit  rire  aux  dépens  des  jésuites,  mais  qui  affligea  profon- 
dément les  esprits  sérieux.  Sous  les  bouffonneries  on  dé- 
couvrait les  germes  de  nouvelles  intrigues  qui  pouvaient 
ramener  la  France  aux  plus  mauvais  jours  de  la  Ligue. 

Les  jésuites  nièrent  le  fait;  mais  leurs  dénégations 
n'ont  jusqu'ici  constaté  que  leurs  mensonges. 

XIX. 

Au  milieu  de  tous  ces  incidents  ,  les  réformés  se 
préparaient  à  tenir  une  nouvelle  assemblée  générale. 
Le  roi  le  voyait  avec  peine  :  il  craignait  qu'elle  ne  prît 
la  défense  du  duc  de  Bouillon  qui  de  suppliant  était 
devenu  accusateur,  et  se  présentait  aux  yeux  de  l'Europe 

1.  Élie  Benoit,  Histoire  de  l'édit  de  Nantes,  t.  \" ,  liv.  VII,  p.  402 
et  suiv. 

2.  L'Estoile,  année  1605.  —  De  Thou,  liv.  CXXXII,  p.  717  et 
suiv.  —  Liste  des  questions  dressées  par  le  père  Coton  pour 
l'exorcisme  d'Adrieune  Dufresnes. 


294         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

comme  une  viclime  de  sa  fidélité  au  protestantisme.  Le 
lieu  enfin  de  la  réunion  lui  déplaisait:  Chatellerault  n'é- 
tait pas  éloigné  des  possessions  de  Duplessis-Mornay  et  de 
La  Trémouille.  Ce  dernier  lui  éîait  aussi  suspect  à  cause 
de  la  grande  influence  qu'il  exerçaitsur  ses  coreligionnaires. 

Ce  seigneur  était  né  en  1566  d'une  famille  illustre  du 
Poitou.  Son  père,  Louis  de  la  Trémouille',  zélé  catholique 
tué  en  1577  devant  Melle,  laissa  deux  enfants:  une  fille, 
Charlotte  Catherine;  un  fils,  Claude  deThouars,  pair  de 
France,  prince  de  Talmont,  conseiller  du  roi  et  capitaine 
de  cent  hommes  d'armes. 

Le  jeune  Claude,  après  avoir  servi  dans  les  armées  ca- 
tholiques, se  fit  protestant  et  s'attacha  à  Henri  de  Condé 
qui  épousa  sa  sœur.  Fidèle  à  la  cause  qu'il  avait  embrassée 
par  conviction,  il  se  distingua  dans  les  combats  qui  se  li- 
vraient journellement  entre  les  deux  partis.  Après  la  mort 
de  son  infortuné  beau-frère,  il  suivit  Henri  IV  sur  presque 
tous  les  champs  de  bataille,  où  il  conquit  la  répulation 
d'un  habile  capitaine.  La  seule  récompense  qu'il  obtint  de 
son  maître  fut  l'érection  de  son  duché  de  Thouars  en  du- 
ché-pairie. 

Trop  fier  pour  descendre  au  rôle  de  courtisan,  La  Tré- 
mouille montra  toujours  une  noble  indépendance,  et 
pendant  que  Rosny  donnait  l'exemple  d'une  soumission 
serviie,  il  se  tenait  à  l'écart,  résistant  au  despotisme 
royal,  chaque  fois  que  l'intérêt  de  ses  coreligionnaires 
l'exigeait.  Ce  fut  lui  qui  fit  à  l'assemblée  de  Loudua 
(1596)  la  proposition  de  saisir  les  deniers  royaux  pour  les 
employer  au  paiement  de  la  garnison  de  Thouars'.  Avec 
tous  les  membres  de  l'assemblée,  il  prêta  le  serment  d'u- 
nion'. En  1597,  il  assista  à  l'assemblée  politique  de  Cha- 
tellerault qu'il  présida  avec  autant  de  sagesse  que  d'énergie 
et  repoussa  les  offres  qui  lui  furent  faites  par  Schomberg 
et  de  Thou." 

1 .  Ilaag ,  France  protestante. 

2.  Fonds  de  Brienne,  n»  208. 

3.  Note  XV. 

4.  Ces  offres  consistaient  en  dix  brevets  de  maîtres-de-camp  et 
deux  de  maréchaux  de  camp  pour  ses  amis,  avec  une  pension 
annuelle  de  mille  éciis  attacliée  à  cliaciin  des  premiers  et  de  .3000 
à  chacun  des  deux  autres;  à  lui-même  on  lui  offrait  le  produit  du 
péage  de  la  Charente. 


LIVRE  XXVII. 


295 


«Messieurs,  leur  dil-il,  je  vous  excuse,  qui  venez  de 
travailler  pour  éteindre  la  ligue,  et  ayant  trouvé  un  parti 
enflé  d'intérêts  particuliers,  ne  l'avez  plutôt  piqué  au  lieu 
plus  sensible  que  vous  l'avez  réduit  à  néant.  Pour  vous 
montrer  qu'il  n'y  a  rien  de  pareil  parmi  nous,  quand  vous 
me  donneriez  la  moitié  du  royaume,  refusant  à  ces  pauvres 
gens  qui  sont  à  la  salle  ce  qui  leur  est  nécessaire  pour 
servir  Dieu  librement  et  sûrement,  vous  n'auriez  rien 
avancé;  mais  donnez-leur  ces  choses  justes  et  nécessaires 
et  que  le  roi  me  fasse  pendre  à  la  porte  de  l'assemblée, 
vous  aurez  achevé  et  nul  ne  s'émouvra.» 

Après  l'assemblée  de  Chatellerault  que  La  Trémouille 
ne  présida  pas  jusqu'à  la  fin ,  il  alla  en  Portugal  o£i  le  roi 
l'envoya  pour  se  débarrasser  de  lui.  A  son  retour  il  se  re- 
tira dans  son  château  de  Thouars  où  il  se  trouvait  au  mo- 
ment où  une  nouvelle  assemblée  politique  allait  se  réunir. 
Il  y  eut  probablement  joué  un  rôle  très-important,  si  le 
23  octobre  1604,  la  mort  ne  l'eût  surpris;  il  n'avait  que 
trente -huit  ans.  Le  bruit  courut  qu'on  l'avait  aidé  à 
mourir. 

Henri  IV  apprit  avec  une  joie  qu'il  ne  chercha  pas  à 
dissimuler,  un  événement  qui  le  délivrait  d'un  homme 
dont  il  redoutait  le  génie,  et  qui  avait  su,  dans  l'abandon 
où  il  l'avait  laissé ,  mériter  sa  haine  et  conserver  son  es- 
time. L'assemblée  de  Chatellerault  lui  causa  dès  lors  des 
craintes  moins  vives.  11  s'y  fit  représenter  par  Rosny. 

XX. 

L'assemblée  s'ouvrit  le  26  juillet  1605.  Son  premier 
acte  fut  de  renouveler,  malgré  l'opposition  de  Rosny,  le 
serment  d'union  des  églises.  Chaque  député  promit  de 
remplir  fidèlement  le  mandat  qui  lui  était  confié. 

Ce  début  parut  de  mauvais  augure  au  ministre  de 
Henri  IV,  qui  dans  les  premières  séances,  se  montra  peu 
conciliant.  En  parlant  des  places  de  sûreté  que  l'édit  de 
Hantes  avait  accordé  à  ses  coreligionnaires,  il  dit  «que  les 
réformés  devaient  plus  compter  sur  la  bienveillance  du 
roi  que  sur  la  multitude  des  bicoques  qu'ils  occupaient  à 
titre  d'otage,  et  dont  pas  une  n'était  en  état  de  soutenir 
un  siège  régulier.  Puis  il  leur  communiqua  les  ordres 


296 


HISTOIRE  DE  LA  nÉFOIWlATION  FRANÇAISE. 


royaux:  «Si  quelqu'un,  dit-il  eu  (erminanl,  soit  député, 
soil  seigneur,  cherche  à  s'émanciper,  j'userai  de  mon  au- 
torifé  de  gouverneur  pour  le  réduire  au  devoir'.»  Le  ton 
hautain  et  menaçant  avec  lequel  il  parla ,  blessa  vivement 
les  députés.  Il  le  comprit,  et  changeant  tout  à  coup  de 
langage,  il  chercha  à  obtenir  par  la  diplomatie  ce  qu'on 
refuserait  à  ses  menaces.  Il  obtint  de  l'assemblée  qu'elle 
ne  nommerait  pas  directement  elle-même  les  deu.x  députés 
généraux  qui  devaient  la  représenter  à  la  cour,  mais  qu'ils 
seraient  choisis  par  le  roi  sur  une  liste  de  six  candidats 
nommés  par  elle.  Il  demanda  de  plus  qu'il  n'y  eût  plus  à 
l'avenir  d'assemblées  politiques:  «Elles  seront  inutiles, 
dit-il,  puisque  les  églises  ont  leurs  synodes  provinciaux 
et  nationaux  pour  s'occuper  des  questions  de  discipline  et 
qu'elles  auront  leurs  députés  généraux  à  la  cour  pour  dé- 
tendre leurs  intérêts  politiques.» 

L'assemblée  refusa  d'accéder  aux  demandes  de  Rosny 
qui  parvint  cependant  à  obtenir  «que  les  assemblées  po- 
litiques n'auraient  lieu  que  sous  la  condition  expresse  de 
rendre  compte  des  raisons  qui  feraient  juger  leurs  réu- 
nions nécessaires,  et  de  solliciter  du  roi  la  permission  de 
se  réunir'.»  C'était  une  abdication  à  peu  près  complète  de 
leurs  droits,  puisque  le  gouvernement  demeurait  à  l'avenir 
le  maître  de  l'époque  de  la  convocation  des  assemblées  et 
de  la  direction  de  leurs  délibérations.  Cette  décision  qui 
investissait  la  couronne  d'un  droit  aussi  grand,  renfer- 
mait des  germes  do  divisions,  puisque  chaque  refus  de  la 
royauté  devait  provoquer  l'esprit  de  résistance.  Mieux  eût 
valu  renoncer  à  la  tonue  de  ces  réunions  que  de  s'exposer 
à  ces  luttes  dans  lesquelles  un  parti  se  retranche  derrière 
la  justice  et  l'autre  derrière  la  légalité;  en  elîet,  un  droit 
dont  l'exercice  dépend  de  la  volonté  d'autrui,  n'est  pas 
plus  un  droit  que  la  tolérance  n'est  la  liberté. 

L'assemblée,  qui  céda  sur  une  grande  question  de  poli- 
tique, se  montra  inflexible  sur  une  question  de  dogme. 
Sully  demandait  que  le  mot  Antéchrist,  appliqué  au  pape, 
fût  retranché  de  la  confession  de  foi  des  églises  réformées; 

1.  Anquez,  Assemblées  politiques,  p.  118.  —  Sully,  Économies 
royales. 

2.  Sully,  Économies  royales.  —  Élie  Benoit,  Actes  des  assem- 
blées t'ciiérales.  —  Anquez,  Assemblées  politiques. 


LIVRE  XXVII. 


291 


l'assemblée  répondit:  Ce  qui  est  écrit  est  écrit:  les  hugue- 
nots étaient  plus  religieux  que  politiques.  Ils  eussent  tout 
cédé  au  roi:  assemblées,  places  fortes,  s'ils  eussent  été 
assurés  qu'à  l'avenir  ils  ne  seraient  plus  inquiétés  dans 
l'exercice  de  leur  culte.  Leur  résistance  n'avait  d'autre 
cause  que  leur  défiance. 

L'assemblée  se  sépara  le  9  août.  Les  deux  députés  gé- 
néraux, Lanoue  et  Ducros,  nommés  par  le  roi  sur  la  liste 
des  six  candidats  qui  lui  avaient  été  présentés,  se  rendirent 
à  la  cour.  Henri  IV  les  accueillit  avec  bienveillance  et 
promit  de  faire  droit  au  cahier  de  plaintes  qu'ils  lui  pré- 
sentèrent de  la  part  de  leurs  coreligionnaires,  auxquels  il 
accorda  par  un  brevet  du  10  août  le  droit  de  garder  leurs 
places  de  sûreté  pendant  huit  ans,  à  dater  du  jour  de  la 
vérification  de  l'édit  dans  les  parlements. 

Le  maréchal  de  Bouillon  qui  avait  espéré  d'être  sou- 
tenu par  l'assemblée,  fut  trompé  dans  son  attente.  Les 
députés  qui  crurent  voir  dans  sa  conduite  plus  de  politique 
et  d'intérêt  personnel  que  de  religion,  refusèrent  de  s'in- 
téresser à  sa  cause.  Se  voyant  délaissé,  il  n'attendit  pas 
que  le  roi  lui  prît  par  la  force  ce  qu'il  lui  était  impossible 
de  garder;  il  ordonna  à  ses  gens  de  lui  rendre  ses  places 
fortes.  Quelques  temps  après,  il  fit  sa  paix  avec  le  roi  qui, 
satisfait  d'avoir  humilié  le  maréchal,  le  réintégra  dans 
toutes  ses  possessions.  Rosny  reçut  la  récompense  de  l'ha- 
bileté qu'il  avait  déployée  dans  ses  négociations  avec  les 
réformés;  il  fut  élevé  à  la  dignité  de  duc  et  pair  et  prit  le 
nom  de  Sully. 

XXL 

Le  clergé  tint  une  assemblée  à  Paris  dans  la  même  année 
oij  les  réformés  en  avaient  tenu  une  à  Chatellerault.  L'ar- 
chevêque de  Vienne  harangua  le  roi  et  fit  dans  son  discours 
plusieurs  allusions  qui  regardaient  les  protestants  qu'il 
accusa  formellement  de  contrevenir  à  l'édit  de  Nantes.  Le 
prélat,  au  nom  de  ses  collègues,  demanda  entre  autres 
choses  la  publication  du  concile  de  Trente.  Le  roi  répondit 
a  l'archevêque  d'une  manière  évasive,  que  chaque  parti 
pouvait  entendre  dans"un  sens  favorable  à  sa  cause. 

Médiâteur  entre  les  deux  cultes,  Henri  IV  ne  pouvait 


298         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


pas  toujours  réussir  à  les  faire  vivre  en  paix.  Plusieurs 
fois  il  dut  intervenir  pour  empêcher  ou  prévenir  des  colli- 
sions, dont  les  causes  éfaient  ridicules  et  les  résultats 
sanglants.  Le  samedi  10  de  ce  mois  (septembn;  1G05)  dit 
l'Estoile,  on  trompetta  des  défenses  par  la  ville  de  Paris, 
de  ne  plus  chanter  par  les  rues  la  chanson  de  Colas,  et  ce 
SUT  peine  de  la  hart',  à  cause  des  grandes  querelles, 
scandales  et  mouvements  qui  en  arrivaient  tous  les  jours, 
même  des  meurtres.»' 

Les  protestants  qui  s'étaient  montré  si  grands  sur  les 
bûchers  et  sur  les  champs  de  bataille ,  se  montraient  petits 
(levant  la  raillerie.  Une  mauvaise  chanson  les  mit  hors 
d'eux-mêmes;  au  lieu  d'en  rire  les  premiers,  ils  eurent  la 
faiblesse  de  montrer  d'abord  de  la  mauvaise  humeur,  puis 
de  l'irritalion.  Ce  trait  de  leur  histoire,  tout  insigniliant 
qu'il  nous  apparaisse,  n'est  pas  sans  quelque  intérêt  au 
point  de  vue  de  l'étude  du  cœur  humain  qui  se  révèle  à 
nous,  moins  dans  les  grands  que  dans  les  petits  événe- 
ments de  la  vie. 

XXIL 

Au  mois  do  septembre  4605,  un  vigneron  d'Orléans, 
nommé  Claude  Pannier  Colas  perdit  sa  vache ^  La  bête 
égarée  se  dirigea  vers  le  hameau  de  Bionne,  situé  sur  la 
route  qui  prolonge  le  faubourg  de  Bourgogne  et  entra  dans 
un  temple  prolestant  au  moment  du  service.  Le^  assistants 
crurent  que  c'était  un  mauvais  tour  des  catholiques ,  qui 
montraient  ainsi  le  mépris  qu'ils  professaient  pour  leur 
culte.  Dans  leur  irréflexion,  ils  se  ruèrent  sur  le  pauvre 
animal,  le  tuèrent,  le  dépécèrent  et  s'en  partagèrent  les 
morceaux.* 

Lorsque  Colas  apprit  le  sort  de  sa  bête ,  il  porta  plainte 
au  bailli  d'Orléans  qui  condamna  les  protestants  à  lui 
en  payer  le  prix,  ce  qu'ils  firent  au  moyen  d'une  quête. 

1.  De  la  pendaison. 

2.  L'Estoile,  année  1605. 

3.  Bulletin  de  la  société  de  l'histoire  du  protestantisme  français; 
7«  année,  p.  91,  215,  3G4. 

4.  Due  autre  version  dit  qu'ils  distribuèrent  les  morceaux  aux 
passants. 


LIVRE  XXVII. 


299 


L'affaire  eut  un  grand  retentissement:  la  moquerie  s'en 
empara  et  rendit  tous  les  protestants  du  royaume  soli- 
daires de  la  colère  ridicule  de  leurs  coreligionnaires;  un 
grand  nombre  de  chansons  circulèrent.  Celle  qui  eut  le 
plus  de  succès  fut  celle  intitulée  :  Complainte  du  pauvre 
Colas  touchant  l'ingratitude  de  sa  vache\  «On  la  chanta 
partout  à  Paris,  dit  l'Estoile,  par  toutes  les  villes  et  les 
villages  de  France,  on  n'avait  la  tête  roftipue  que  de  cette 
chanson ,  laquelle  grands  et  petits  chantaient  à  l'envi  l'un 
de  l'autre,  en  dépit  des  huguenots  devant  la  porte  desquels 
pour  les  agacer,  cette  sotte  populace  la  chantait  ordinai- 
rement, et  était  déjà  passé  en  proverbe  de  dire  quand  on 
voulait  désigner  un  huguenot  :  «  C'est  la  vache  à  Colas  ou 
//  est  de  la  vache  à  Colas.y> 

Plus  les  protestants  se  montraient  vexés,  plus  les  catho- 
liques se  montraient  ardents  à  chanter  la  chanson  ;  de  là, 
des  querelles  et  des  rixes.  Près  du  couvent  des  Cordeliers, 
un  catholique  qui  la  chantait  fut  tué  d'un  coup  d'épée  par 
un  protestant,  archer  des  gardes  de  M.  de  la  Force.  Té- 
moin de  ces  scènes,  le  roi  défendit  de  chanter  la  chanson 
et  la  fit  brûler  en  place  de  Grève  par  la  main  du  bour- 
reau :  on  la  chanta  davantage. 

Le  roi  étant  un  jour  au  Louvre,  dit  M.  Edouard  Four- 
nier',  environné  de  ses  courtisans,  le  duc  de  la  Force, 
alors  capitaine  des  gardes,  arrivant  précipitamment  dans 
la  salle,  s'approcha  du  roi,  lorsque  le  comte  de  Gram- 
mont  son  ennemi  capital,  dit  d'un  ton  moqueur: 

Voici  venir  La  Force, 
Qui  vient  à  grande  force 
■Voir  la  vache  à  Colas. 

Le  roi  que  cette  raillerie  égaya ,  l'ayant  fait  répéter  h 
Grammont  qui  passait  à  la  cour  pour  l'un  des  chefs  de 
la  grande  confrérie,  La  Force  répliqua  sur-le-champ  en 
achevant  le  couplet  de  la  manière  suivante: 

Les  cornes  de  la  vache 
Serviront  de  panache 
A  Grammont  que  voilà. 

1.  L'Estoile,  année  1605. 

î.  Édouard  Fournier,  Variétés  historiques  et  littérsdre»,  t  H, 
sax  notes. 


300         HISTOUIE  UK  LA  RÉFOUMATIO.N  FRANÇAISE. 


iSur  quoi ,  Sa  Majesté  le  roi  s'écria:  «Ventre  saint  gris! 
mon  cher  Grammoiit,  te  voilà  bien  payé!  Et  cette  apos- 
trophe piqua ,  dit-on ,  tellement  ce  dernier,  qu'il  quitta 
brusquement  la  cour  et  n'y  retourna  jamais.»' 

La  chanson  se  chanta  longtemps,  et  longtemps  encore 
on  dit  en  parlant  des  huguenots  :  Ils  sont  de  la  vache  à 
•  Colas.  Ceux-ci  quand  ils  le  pouvaient,  rendaient  la  pa- 
-reille  aux  catholiques,  ne  laissant  échapper  aucune  occa- 
sion de  les  mortifier;  c'est  ainsi  que  dans  les  églises  du 
midi  de  la  France,  les  membres  des  consistoires  avaient 
la  coutume  de  suspendre  dans  la  salle  de  leurs  séances 
ou  dans  la  sacristie  ,  les  ornements  sacerdotaux  des 
prêtres  qui  embrassaient  la  réforme.  C'étaient  des  tro- 
phées qu'ils  montraient  avec  orgueil.  Le  clergé  romain 
s'en  ofl'ensait  et  portait  ses  plaintes  jusqu'au  roi,  qui  s'im- 
patientait de  ces  mesquines  tracasseries  dans  lesquelles 
les  deux  partis  manquaient  également  de  charité  et  de 
support.' 

Ces  soutanes  de  prêtres  suspendues  à  la  voûte  de  la 
•salle  des  séances  des  consistoires  et  des  sacristies  avaient 
cependant  une  haute  signification  qui  n'échappa  pas  à 
Fœil  vigilant  du  clergé.  Elles  étaient  les  fruits  de  l'édit  de 
Nantes  qui  permettait  à  tout  Français  sans  exception  de 
quitter  sa  religion,  sans  courir  le  danger  d'être  inquiété 
dans  ses  biens  et  dans  sa  vie.  Les  prêtres  qui  étaient 
fatigués  de  la  tyrannie  épiscopale  ou  qui  étaient  éclairés 
sur  les  erreurs  de  leur  église,  embrassaient  la  réforme. 
L'exemple  pouvait  devenir  contagieux.  Le  clergé  ob- 
tint par  ses  importunités  un  édit  qui  ouvrit  la  série  de 
ces  restrictions  qui  devaient  annuler  de  fait  celui  de 
Nantes  avant  le  trop  célèbre  jour  de  sa  révocation  ofTi- 
cielle.  L'un  de  ces  articles  portait  que  comme  les  ecclé- 
siastiques romains  ne  pourraient  se  ranger  au  parti  des 
réformés  que  pour  éviter  les  punitions  canoniques  de 
leurs  crimes  et  de  leurs  dérèglements,  on  devait  leur  faire 
leur  procès  avant  qu'ils  pussent  faire  profession  de  la  re- 
ligion réformée.  D'autres  articles  portaient  que  les  protes- 
tants ne  pourraient  avoir  leurs  sépultures  dans  les  églises, 

1 .  Kote  XVI. 

?.  Élio  Eenoît,  lîist.  de  redit  de  Kantes,  t.  l",  liv.  IX,  p.  432. 


LIVRE  XXVII. 


30! 


ni  crans  les  monastères,  ni  dans  les  cimetières  des  catho* 
liques,  SOUS  rfii  texte  même  de  fondation  ou  de  patronage; 
qu'on  ne  bâtirait  point  de  temple  si  près  des  églises  que 
les  ecclésiastiques  faisant  le  service, en  reçussent  de  l'em- 
pêchement ou  du  scandale;  que  les  régents,  précepteurs 
ou  maîtres  d'école  des  villages  seraient  approuvés  par  les 
curés  sans  préjudice  à  l'édit  de  Nantes.' 

1.  Élie  Benoit,  Hist.  de  rédit  de  Nantes,  1. 1",  liv.  IX,  p.  430  et 
iZI.  —  Drion,  Airégé  chronologique,  1. 1",  p.  271. 


302 


HISTOIRE  DE  LA  HÈFORMATlON  FRANÇAIS!. 


LIVRE  XXVIIL 


1. 

Les  concessions  que  le  roi  faisait  aux  catholiques  aux 
dépens  des  protestants,  aigrissaient  ces  derniers,  sans 
contenter  les  prêtres,  dont  plusieurs  ne  voulaient  pas  faire 
de  prières  pour  sa  personne  dans  les  services  publics.  Il 
fallut  recourir  aux  parlements  pour  les  y  contraindre.  — 
L'esprit  ligueur,  entretenu  avec  habileté  par  les  jésuites, 
était  un  obstacle  permanent  aux  bonnes  et  loyales  inten- 
tions de  Henri  IV,  qui  désirait  apprendre  aux  deux  cultes 
à  vivre  en  paix  à  côté  l'un  de  l'autre.  Il  n'y  réussissait 
qu'à  demi;  et  ce  qu'il  obtenait,  il  le  devait  à  la  seule 
crainte  qu'il  inspirait.  Un  événement  qui  eut  lieu  à  cette 
époque  révéla  au  monde  épouvanté  tout  ce  qu'un  zèle 
aveugle  peut  entreprendre  pour  le  triomphe  de  Rome  et 
la  ruine  du  protestantisme.  La  société  de  Loyola,  depuis 
le  jour  où  son  fondateur  avait  entrepris  de  rasseoir  le 
catholicisme  ébranlé  sur  ses  antiques  bases,  n'avait  cessé 
d'être,  pour  la  chrétienté,  une  cause  de  discordes  et 
d'assassinats.  Elle  avait  brouillé  toute  l'Europe  par  ses 
intrigues;  la  Suède,  la  Pologne,  la  Prusse,  la  Hongrie,  la 
Moscovie  avaient  été  le  théâtre  de  ses  sanglantes  tragédies'. 
Nous  avons  raconté  au  dix-huitième  livre  de  cette  histoire 
le  complot  de  Savage,  de  B.illard  et  de  Babington,  son 
insuccès  ne  découragea  pas  les  jésuites,  qui,  ne  compre- 
nant pas  que  Dieu  se  déclar  iif  contre  eux,  quand  il  don- 
nait à  l'Angleterre  contre  l'E^^pagne,  ses  orages  et  ses 
tempêtes  pour  détruire  lailniii;  le  Philippe  II,  cherchèrent 
des  tueurs,  pour  assassiner  Elisabeth  :  ils  en  trouvèrent. 
En  1592,  Patrice  Cullen  s'offrit.  Deux  ans  après,  deux  ' 
autres  tueurs,  William  et  Yorck,  se  dévouèrent  et  reçu- 
rent des  mains  du  jésuite  Holte,  le  pain  de  la  Cène;  en 

1.  Guettée,  Histoire  des  jésuites,  1. 1".  —  Élie  Benoit,  Hist.  de 
redit  de  Nantes,  1. 1",  p.  438. 


LIVRE  XXvril. 


303 


1597,  Sqiiirre  vint  du  fond  de  l'Espagne  à  Londres,  pour 
essayer  du  poison  :  un  disciple  de  Loyola,  Walpole,  lui 
promit  le  ciel  et  lui  fit  jurer  de  garder  le  secret. 

Dieu  déjoua  toîss  ces  complots.  Les  assassins  furent 
découverts  et  avouèrent  tout  avant  de  mourir.  «  Nous 
avons,  dit  un  auteur  contemporain  de  ces  événements , 
leurs  aveux  signés  de  la  main  propre  de  chacun  d'eux,  en 
sorte  que  nous  pouvons  procéder  dans  cette  affaire,  comme 
l'on  dit,  papier  sur  tabie.»' 

Après  la  mort  d'Elisabeth,  les  jésuites  crurent  que  son 
successeur,  Jacques  VI,  le  fils  de  Marie  Sluart,  abandon- 
nerait la  foi  des  réformés  dans  laquelle  il  avait  été  élevé; 
leur  espoir  fut  encore  déçu;  Garnet,  le  principal  meneur 
de  toutes  les  inlrigues,  était  sur  le  point  de  quitter  l'An- 
gleterre, quand  deux  catholiques  de  haute  naissance, 
Catesby  et  Percy,  lui  demandèrent,  s'il  était  permis, pour 
soutenir  la  cause  de  Rome  contre  la  Réforme,  de  faire 
périr,  en  une  fois,  plusieurs  coupables,  tout  en  envelop- 
pant dans  leur  ruine  quelques  innocents.  ■ —  Il  est  permis 
de  le  faire,  répondit  Garnet  sans  hésiter. 

Catesby  et  Percy  furent  rassurés;  l'homme  qu'ils  con- 
sultaient jouissait  parmi  les  membres  de  son  ordre,  dont 
il  était  le  supérieur,  de  la  réputation  d'un  profond  et  sage 
docteur.  Ils  s'adjoignirent  des  complices  qui ,  tous  Jurè- 
rent sur  les  saints  Évangiles,  de  persévérer  dans  leurs 
desseins,  et  d'en  garder  inviolabiement  le  secret.  Le  jé- 
suite Gérard  leur  donna  l'absolution. 

Leur  projet  était  de  faire  périr,  d'un  seul  coup,  le  roi, 
la  famille  royale,  le  parlement  et  les  personnages  les  plus 
considérables  de  la  ville  de  Londres.  Le  il  décembre,  ils 
se  mirent  à  l'œuvre,  et  commencèrent  à  creuser  une 
mine  qui  devait  conduire  d'une  maison  qu'ils  avaient 
louée,  jusques  sous  la  voûte  de  la  grande  salle  du  parle- 
ment. Quand  elle  fut  achevée,  ils  y  entassèrent  des  barils 
de  poudre  auxquels  on  devait  mettre  le  feu,  le  jour  où  Is 
roi,  accompagné  de  toute  sa  famille  et  des  principaux 
dignitaires  de  son  royaume,  en  ferait  l'ouverture  solen- 
nelle. Pendant  que  les  conjurés  perçaient  leur  souterrain, 

1.  Procès  contre  Henri  Garnet,  supérieur  de  la  société  jésuiti- 
que en  Angleterre  et  autres ,  etc.  ;  à  Londres  de  l'imprimerie  de 
Jean  Norton,  imprimeur  du  roi  (1607). 


304 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


Catesby  les  encourageait.  «,  Dans  le  moment,  leur  disait- 
il,  en  faisant  allusion  au  jour  de  l'ouverture  du  parlement , 
oii  les  ennemis  de  notre  sainte  religion  méditeront,  peut- 
être,  quelques  nouvelles  mesures,  nous  les  ferortS  passer 
des  flammes  de  ce  monde  à  celles  qui  doivent  les  consu- 
mer pour  toujours.»  Le  père  Garnet  ne  demeurait  pas 
oisif  :  il  administrait  le  sacrement  de  la  pénitence  et  de  la 
sainte  Cène  aux  conspirateurs,  et  demandait  à  Dieu,  dans 
des  prières  ferventes,  de  faire  réussir  cette  entreprise 
pour  la  plus  grande  gloire  de  son  église. 

Quand  le  passage  eut  été  pratiqué,  les  conspirateurs 
.entassèrent  des  barils  de  poudre  sous  la  chambre  du  par- 
lement, et  attendirent  avec  anxiété  l'ouverture  de  la 
séance  royale. 

Heureusement  un  des  complices  de  Catesby  avait  un 
ami  dans  le  parlement.  A  défaut  de  la  conscience,  qui, 
chez  lui,  était  muette,  la  pitié  fit  entendre  sa  voix.  Il 
lui  écrivit,  eu  dissimulant  son  écriture,  une  lettre  dans 
laquelle  il  l'avertissait  de  ne  pas  se  rendre  au  parlement 
le  jour  de  l'ouverture.  Le  style  de  cette  lettre,  son  obscu- 
rité ,  lui  firent  croire  au  eiie  orovenait  d'un  cerveau 
malade,  ou  d'un  mystiiicaleur.  it  la  communiqua  cepen- 
dant au  secrétaire  d'Etat  Salisbury,  qui  n'y  attacha  au- 
cune importance,  mais  qui  eut  l'idée  d'en  faire  immédia- 
tement part  au  roi.  Celui-ci  lut  la  lettre  avec  une  grande 
attention,  fut  frappé  de  quelques  expressions,  et  devina, 
sous  l'ambiguïlé  des  termes,  le  projet  des  conspirateurs. 
11  ordonna  de  visiter  les  caves  du  parlement  ;  on  y  trouva 
GuyFawkes,  domestique  de  Percy.  On  l'arrêta;  la  poudre, 
cachée  sous  des  fagots,  fut  découverte;  elle  était  con- 
tenue dans  trente-six  barils.  Fawkes  déclara  tout.  Catesby 
et  ses  complices  prirent  la  fuite.  On  se  mit  vivement  à 
leur  poursuite;  les  deux  chefs  de  la  conspiration  périrent 
les  armes  à  la  main,  ainsi  que  plusieurs  de  leurs  com- 
pagnons de  crime.  Les  autres  furent  arrêtés,  jugés  et 
condaioiiés  à  mcrL 

'îl 

Le  jésuite  Garnet  fut  arrêté.  Dans  le  cours  de  l'instruc- 
tion de  son  jorocès ,  il  ne  put ,  malgré  ses  restrictions 


UVHE  XXVIII. 


305 


mentales,  décliner  la  responsabilité  du  crime  qui  avait 
épouvanté  TAngleterre.  Il  fut  condamné  à  mort. 

Le  3  mai  1605.  il  fut  conduit  au  lieu  de  son  supplice. 
\  la  vue  de  l'échafaud.  il  se  troubla  et  se  mit  à  trembler 
de  tous  ses  membres.  L'angoisse  et  la  terreur  se  peignaient 
sur  sa  figure  blafarde.  Pour  la  première  fois,  peut-être, la 
conscience  lui  faisait  entendre  sa  voix  sévère,  et  com- 
prendre que  ce  qu'il  regardait  comme  une  œuvre  méritoire 
de  la  vie  éternelle,  n'était  qu'un  crime  abominable.  D'un 
pas  chancelant,  il  monta  sur  l'échafaud,  et  d'une  vois 
émue  il  dit  aux  assistants  :  «Le  crime  qu'on  a  voulu  com- 
mettre est  énorme,  et  s'il  eût  été  consommé,  il  eût  été 
impossible  de  n'en  pas  avoir  horreur;  mais  je  n'ai  su  la 
chose  de  Catesby  qu'en  général  ;  je  suis  cependant  cou- 
pable de  l'avoir  célée  et  d'avoir  négligé  de  l'empêcher;  ce 
que  j'ai  su  en  particulier,  ajouta-t-il,  je  ne  l'ai  appris  que 
sous  le  sceau  de  la  confession.  » 

A  ces  mots,  le  magistrat  chargé  de  présider  "a  son  exé- 
cution lui  dit  :  «Rappelez- vous  les  quatre  articles  signés 
de  votre  main,  qui  sont  entre  les  mains  du  roi';  ils  prou- 
vent que  vous  avez  eu  connaissance  du  crime  autrement 
que  par  la  confession.» 

Garnet  baissa  la  tète  :  «Ce  que  j'ai  signé  est  vrai,  dit- 
il;  ma  condamnation  est  juste;  j'aurais  dû  tout  découvrir 
h  Sa  Majesté.  » 

Un  moment  après,  la  justice  humaine  était  satisfaite. 

La  société  de  Loyola  ne  se  montra  pas  ingrate  pour 
l'homme  qui  s'était  dévoué  pour  elle,  et  dont  le  seul  tort, 
à  ses  yeux,  avait  été  d'avouer  son  crime. 

Sans  tenir  compte  du  procès-verbal  de  sa  mort,  elle  en 
dressa  un,  dans  lequel  elle  dénatura  audacieusement  les 
faits,  et  d'un  criminel  fit  un  saint  martyr.  «.Il  monta,  dit 
le  père  Jouvency,à  l'échelle  du  gibet  avec  une  incroyable 
sérénité,  qu'il  conserva  même  étant  suspendu  à  la  potence, 
et  jusqu'à  sa  mort,  quand  on  lui  eut  coupé  la  tète,  en  sorte 
que  plusieurs  y  accoururent  pour  le  voir  de  plus  près. 

«Le  peuple  en  gémit,  et  comme  le  bourreau  se  mettait 
en  devoir  de  couper  la  corde  ,  avant  qu'il  eût  rendu  l'es- 
prit, le  peuple  l'en  empêcha  par  ses  cris.  Ensuite  le  mêina 


306         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

exécuteur  montrant,  comme  on  le  fait  ordinairement, 
dans  ses  mains  ensanglantées,  le  Cœur  qu'il  avait  arraché, 
personne  ne  poussa  les  cris  accoutumés  de  vive  le  roi! 
mais  chacun  rendit  témoignage  par  un  silence  aussi  élo- 
quent que  luguhre,  h  l'innocence  de  cet  excellent  prêtre  ; 
ou,  si  l'on  entendit  quelques  paroles,  ce  fut  de  la  part  de 
ceux  qui  disaient  qu'assurément  ce  n'était  pas  la  mort  d'un 
traître. 

«Il  y  eut  un  combat  religieux  entre  les  catholiques  pour 
enlever  ses  dépouilles,  ou  pour  recevoir  son  sang  dans  des 
linges,  tandis  qu'on  lui  déchirait  le  corps.»  ' 

Le  père  Jouvency,  en  se  faisant  le  panégyriste  de  Car- 
net, dut  se  rappeler  la  maxime  pratique  de  sa  société: 
«que  tout  mauvais  cas  est  niable.»  Il  fallait  que  cet  écri- 
vain fût  bien  aveugle,  ou  bien  hardi,  pour  oser  justifier 
un  crime  abominable,  dont  elle  n'a  pas  su  se  laver ,  malgré 
tous  les  efforts  de  ses  défenseurs. 

Lorsque  plus  tard,  sous  Charles  I",  les  catholiques  furent 
accusés  d'une  nouvelle  conspiration,  le  comte  de  Sfaffort, 
le  principal  accusé,  parlant  dans  sa  défense  de  la  conspi- 
ration des  poudres,  prononça  ces  paroles  remarquables  : 
«Je  fis  une  recherche  exacte  de  cette  affaire  et  plus  par- 
ticulière qu'aucune  autre  personne,  je  m'en  enquisàmon 
père,  à  mon  oncle  et  à  plusieurs  autres;  je  suis  convaincu 
et  crois  fortement  par  les  preuves  que  j'en  ai  reçues  que 
cette  trahison  était  un  horrible  et  détestable  dessein  de 
quelques  jésuites,  avec  quelques  autres  gens,  et  je  la  con- 
sidère comme  une  action  si  exécrable,  que  je  ne  crois  pas 
que  la  malice  des  jésuites^  ni  l'esprit  de  l'homme  veuille 
ou  puisse  l'excuser.  »  ' 

1.  Souvenirs  liistoriques  de  la  compagnie  de  Jésus ,  5«  partie, 
t.  n,  commençant  à  l'année  1591  jusqu'à  1616,  imprimé  à  Rome 
en  1710  avec  permission.  —  Voir  pour  tout  ce  qui  concerne  la 
Icélèbre  conspiration  des  poudres  :  Procès  contre  Henri  Garnet, 
supérieur  de  la  société  jésuitique  en  Angleterre;  Londres,  impri- 
merie de  Jean  Norton,  imprimeur  du  roi  (1607).  —  Extraits  des 
assertions  dangereuses  et  pernicieuses  en  tous  genres,  que  les 
soi-disant  jésuites  ont  dans  tous  les  temps  et  persévéremmcnt 
soutenues,  etc.,  pages  460  et  suivantes;  Paris,  chez  Pierre-Guil- 
laume Simon,  imprimeur  du  parlement,  rue  de  la  Harpe,  à  i Her- 
cule (M.DCC.LXII). 

2.  Guettée,  Histoire  des  jésuites,  1. 1",  p.  282-28*. 


LIVRE  XXVIII. 


307 


Le  noble  accusé  qui  porta  sa  tête  sur  l'échafaud,  victime 
de  sa  fidélité  à  Charles  I",  se  trompait  :  les  jésuites  n'ont 
pu  justifier  la  conspiration  des  poudres,  mais,  ils  l'ont 
essayé,  comme  ils  ont  essayé  de  faire  un  saint  de  Chatel, 
et  un  bienheureux  du  père  Guignard.  Soyons  justes,  et, 
dans  cette  triste  et  honteuse  page  du  catholicisme  romain, 
ne  confondons  pas  les  catholiques  anglais  avec  les  Catesby, 
les  Percy,  les  Fawkes,  les  Oldercorne  et  les  Garnet;  ils 
ne  trempèrent  pas  dans  cet  attentat,  dont  tout  l'odieux 
retombe  sur  la  société  de  Loyola,  sur  Catesby  et  ses 
complices. 

Le  complot  qui  avait  pour  but  d'anéantir  la  Réforme, 
la  raffermit;  les  protestants  anglais  manifestèrent  leur  in- 
dignation contre  les  coupables,  et  leur  dégoût  pour  une 
religion  qui  em.ployait  de  semblables  moyens  pour  parve- 
nir à  ses  fins.  Le  jour  à  jamais  mémorable,  où  Dieu  les 
avait  délivrés  de  la  main  de  leurs  implacables  ennemis,  a 
pris  rang  parmi  leurs  fêtes  nationales.  Chaque  année,  ils 
célèbrent  un  anniversaire  qui  leur  rappelle  l'un  des  crimes 
les  plus  audacieux  dont  les  jésuites,  la  personnification 
vivante  du  catholicisme  ultramontain,  se  soient  rendus 
coupables  :  Guy  Fawkes  et  le  père  Garnet  gardèrent  mieux 
l'Angleterre  des  atteintes  du  papisme  que  la  plume  des 
Du  Perron  et  des  Bellarmin. 

in. 

Henri  IV  tressaillit  d'horreur  en  apprenant  la  conspira- 
tion des  poudres.  C'eût  été  le  moment  de  proscrire  ces 
moines  assassins  qui  exerçaient  le  meurtre  en  grand.  De- 
puis le  jour  où  la  lame  du  couteau  de  Jean  Cliàtel  avait 
brillé  à  ses  yeux ,  il  avait  peur  et  cherchait  dans  la  diplo- 
matie ce  qu'il  aurait  dû  demander  à  un  acte  énergique  qui 
eût  mis  au  ban  de  la  chrétienté  ces  hommes,  dont  les  en- 
seignements préparaient  en  silence  le  fer  qui  devait  lui 
percer  le  sein.  11  agit  à  leur  égard  comme  si  la  grande 
conspiration  des  poudres  eût  été  une  invention  de  leurs 
ennemis.  11  les  combla  de  grâces  et  porta  leur  société  au 
plus  haut  degré  de  prospérité,  mais  toujours  fidèle  à  son 
système  de  juste  milieu,  il  accorda  aux  protestants  le 
droit  de  célébrer  leur  culte  à  Charenton,  quoique  l'édit 


308 


HISTOIRE  DE  LA  UÉFORMATION  FRANÇAISE. 


de  Nantes  portât  qu'ils  ne  pourraient  le  faire  qu'à  cinq 
lieues  de  la  capitale.  Jusqu'à  ce  moment,  ils  se  réunis- 
saient à  Ablon,  mais  le  trajet,  surtout  pendant  les  jours 
d'hiver,  était  si  diflicile,  qu'il  en  résultait  de  graves  in- 
convénients :  plusieurs  enfants  qu'on  avait  apportés  au 
temple  pour  y  être  baptisés  étaient  moris,  et  les  seigneurs 
protestants  qui  étaient  attachés  à  la  cour  par  leurs  chnryes, 
se  plaignaient  d'un  éloignemcnt  qui  les  empêchait  dé 
rendre,  le  même  jour,  leurs  devoirs  à  Dieu  et  au  roi. 

Quoique  cette  dérogation  à  l'édit  fut  insignifiante,  les 
catholiques  manifestèrent  leur  mécontentement.  La  popu- 
lace de  Paris  s'ameuta;  le  roi  revint  en  toute  liate  de  Fon- 
tainebleau pour  la  comprimer.  Nous  reviendrons  plus  tard 
sur  l'établissement  du  culte  protestant  à  Charenton  qui 
devint  l'un  des  quartiers  généraux  de  la  Réforme. 

Les  jésuites,  jaloux  de  la  moindre  faveur  que  le  roi  ac- 
cordait à  ses  anciens  coreligionnaires,  faisaient  des  efforts 
incessants  pour  établir  leur  influence  partout,  mais  ils 
rencontraient  quelquefois  une  vive  opposition  de  la  part  de 
certains  évêques  qui  haïssaient  cette  secte  turbulente  et 
ambitieuse  ;  tous  ceux  des  prêtres  de  l'Église  romaine 
qui  avaient  un  cœur  vraiment  français,  s'affligeaient  de  sa 
prospérité  croissante  et  blâmaient  hautement  le  roi  de  sa 
condescendance  pour  des  hommes  dont  les  actes  étaient 
trop  d'accord  avec  leurs  pernicieuses  doctrines.  Quand 
l'occasion  se  présentait  de  les  humilier,  ils  ne  la  laissaient 
pas  échapper.  Un  jour  une  vive  contestation  s'éleva  entre 
quelques  jésuites  et  les  chanoines  du  chapitre  de  Notre- 
Dame  de  Paris.  Les  premiers  demandaient  au  roi,  par 
l'intermédiaire  de  Coton,  de  leur  accorder  son  cœur  pour 
le  déposer  après  sa  mort,  dans  leur  église  de  la  Flèche. 
Les  seconds  s'y  opposaient,  parce  que  leur  chapitre  jouis- 
sait depuis  longtemps  du  privilège  d'avoir  en  dépôt  le 
cœur  des  rois;  la  discussion  s'échauffant,  un  chanoine 
faisant  allusion  au  nom  de  la  ville  pour  laquelle  les  jésuites 
briguaient  cet  honneur,  leur  demanda  ce  qu'ils  désiraient 
le  plus  ardemment,  ou  de  mettre  le  cœur  du  roi  dans 
La  Flèche  ou  la  fièche  dans  le  cœur  du  roi?  ' 

Le  trait  était  cruel,  il  allait  droit  à  son  adresse.  Les 

1.  Élie  Benoit,  Kisl.  de  l'édit  de  Nantes,  liv.  IX,  p.  UO. 


LtVRE  XXVIII. 


309 


jésuites  triomphèrent,  le  roi  leur  légua  son  cœur.  Il  le 
fit  à  sa  manière,  en  plaisantant:  «Prenez  patience,  Mes- 
sieurs ,  leur  dit-il,  je  n'ai  pas  envie  de  mourir.» 

Dans  la  même  année  où  ces  choses  se  passaient  (1607), 
les  jésuites  éprouvèrent  à  La  Rochelle  un  échec  qui  leur 
fut  très- sensible.  Cette  ville  huguenotte  troublait  leur 
sommeil;  ils  résolurent  de  s'y  installer  et  d'y  faire  prédo- 
miner leur  influence;  l'entreprise  était  difficile  à  cause  de 
la  haine  instinctive  que  la  population  protestante  portait 
au  clergé  et  surtout  aux  jésuites;  ils  n'osèrent  pas  deman- 
der au  roi  la  permission  de  laisser  prêcher  l'un  des 
membres  de  la  société  dans  l'église  affectée  au  culte  catho- 
lique, sachant  qu'il  l'aurait  refusée.  Ils  s'adressèrent  donc 
par  l'intermédiaire  de  La  Varenne,  leur  protecteur,  à 
Beaulieu  et  à  de  Fresnes,  qui  accordèrent  sous  le  nom  du 
roi,  au  père  Séguiran,  la  permission  de  se  rendre  à  La 
Rochelle  pour  y  prêcher.  Ce  prédicateur  célèbre,  muni  de 
son  faux  passe-port,  partit  de  Paris  et  se  présenta  hardi- 
ment aux  portes  de  La  Rochelle. 

Les  soldats  qui  étaient  de  garde  lui  demandèrent  qui  il 
était. 

—  Je  suis,  répondit-il,  de  la  compagnie  de  Jésus,  et 
je  viens  remplir  au  milieu  de  vous  le  ministère  évangé- 
îique. 

—  Retirez -vous,  lui  répondirent  les  factionnaires; 
Jésus  n'a  point  de  compagnons  et  vous  n'avez  point  de 
lelire  du  roi. 

Le  jésuite  insista,  menaça:  les  factionnaires  furent  in- 
flexibles. Séguiran  fut  contraint  de  retourner  à  Paris. 

Le  renvoi  ignominieux  du  jésuite  irrita  la  cour.  Le  roi 
fit  semblant  de  participer  à  l'indignation  générale  et  dit 
en  public  à  Sully  :  «Vos  gens  de  La  Rochelle  ont  bien  fait 
des  leurs;  est-ce  là  le  respect  qu'ils  me  rendent  pour 
l'amitié  que  je  leur  porte  et  les  gratifications  qu'ils  reçoi- 
vent de  moi  comme  vous  savez?  Et  alors  il  raconta  avec 
une  grande  animation,  tout  ce  qui  s'était  passé,  déclarant 
qu'il  saurait  apprendre  à  ces  audacieux  Rochelois  à  res- 
pecter ses  ordres.» 

Sully  l'écoutait  avec  stupéfaction,  prêta  partager  sa  co- 
lère contre  ses  coreligionnaires ,  quand  le  roi  le  prenant 
en  particulier,  lui  dit:  «J'ai  fait  ainsi  le  fâché  pour  fermer 


310 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


la  bouche  à  ceux  qui  ne  cherchont  qu'à  blâmer  mes  ac- 
tions; mais  à  vous  je  dis  qu'il  n'ont  pas  tout  le  tort  du 
monde,  car  je  n'ai  ni  commandé,  ni  été  informé  de  telles 
dépèches,  lesquelles  j'eusse  bien  empêché  si  j'en  eusse 
été  averti.  Néanmoins,  il  y  faut  pourvojr  par  une  autre 
voie  que  par  désaveu  des  secrétaires  d'État,  d'autant  que 
cela  serait  tiré  à  conséquence  jtour  toutes  leurs  autres 
dépêches.  Avisez  quel  moyen  il  y  aura.  Il  me  semble  que 
le  meilleur  serait  de  leur  écrire  qu'ils  vous  envoyassent 
deux  ou  trois  personnes  de  qualité  et  de  créance  pour 
traiter  d'une  alfaire  qui  leur  touche  inlinimcnt,  afin  de 
leur  en  faire  les  ouvertures  telles  que  la  satisfaction  pu- 
blique me  serait  rendue  et  qu'ils  demeurent  assurés  qué 
je  ne  veux  rien  innover  en  leur  liberté,  ni  sûreté.» 

Sully  s'associant  à  l'idée  du  roi  manda  aux  magistrats  de 
La  Rochelle  de  lui  envoyer  des  députés  avec  lesquels  il  put 
s'entendre  sur  une  alîaire  d'une  grande  importance  qui 
les  concernait.  Les  députés  étant  arrivés,  «Sully,  dit  le  père 
Acère,  dévoila  tout  le  mystère.  Il  leur  dit  que  la  chose 
s'était  passée  sans  la  participation  du  roi  et  qu'elle  n'arri- 
verait plus;  mais  qu'il  fallait  une  réparation  publique  à 
l'autorité  royale  qu'on  n'avait  pas  assez  respectée;  qu'ainsi 
le  père  Séguiran  serait  reçu  dans  leur  ville ,  mais  qu'au 
bout  de  quelques  jours  il  aurait  ordre  de  se  retirer.  Les 
députés  ne  parurent  pas  mécontents  du  tour  que  prenait 
le  ministre  d'État  pour  les  tirer  d'embarras.»' 

Les  députés ,  de  retour  à  La  Rochelle ,  remirent  aux 
magistrats  une  lettre  de  Sully  dans  laquelle  il  les  enga- 
geait à  se  soumettre  aux  désirs  du  roi;  les  conseils  du  mi- 
nistre furent  suivis.  Séguiran  reprit  le  chemin  de  la  cité 
huguenote  d'où  il  fut  rappelé  quelques  jours  après.  La 
société  comprit  alors  qu'elle  avait  été  mystifiée. 

Il  n'y  eut  rien  d'important  dans  le  courant  de  l'année 
1607  que  le  synode  qui  se  tint  à  La  Rochelle-.  L'ouverture 
en  fut  retardée  jusqu'au  l"  mars,  parce  que  le  roi  ne 
voulait  pas  scandaliser  le  légat  du  pape  qui  venait  assister 
au  baptême  du  dauphin ,  en  permettant  une  réunion  dans 
laquelle  on  devait  traiter  la  question  de  TAntéclirist. 

1.  Sully,  Économies  royales.  —  Arien,  Hist.  de  La  Rochelle, 
liv.  VI,  t.  II.  p,  I  |Ç)-1?0. 

2.  Il  fut  le  dix-huitième  synode  national  des  églises  réformées. 


LIVRE  XXVIII. 


311 


IV. 

Immédiatement  après  la  formation  de  son  bureau,  le 

synode  députa  au  roi  quelques-uns  de  ses  membres  char- 
gés d'obtenir  de  lui  trois  choses  :  la  première,  qu'on  pro- 
cédât à  la  nomination  de  deux  députés  généraux  à  la  place 
de  ceux  qui  avaient  été  nommés  par  l'assemblée  générale 
de  Chàtellerault;  la  seconde,  que  le  terme  de  leur  mandat 
fût  limité  à  un  an;  la  troisième,  que  le  synode  ne  lût  tenu 
qu'à  lui  désigner  deux  personnes  pour  remplir  cette 
charge  auprès  de  lui. 

Le  roi  reçut  les  députés  avec  bienveillance.  Sully  s'en- 
tretint souvent  avec  eux,  leur  parla  avec  abandon  cïe  l'af- 
fection que  son  maître  portait  aux  protestants,  et  ne  les 
laissa  partir  que  lorsqu'il  les  vit  disposés  à  seconder  les 
Tues  de  la  cour.  11  leur  remit  des  lettres  pour'le  synode;^' 
dans  l'une  d'elles,  il  recommandait  expressément  qu'on 
rayât  de  la  confession  de  foi  le  mot  Antéchrist,  «le  pontife 
leur  disait-il,  qui  occupe  aujourd'hui  le  siège  romain  ,  ne 
Teut  gagner  les  consciences  que  parla  voie  de  la  douceur.» 
Le  témoignage  de  Sully  ne  persuada  pas  les  députés;  ils 
savaient  que  depuis  l'édit  de  Kantes  le  pape  n'avait  pas  re- 
noncé au  projet  de  les  exterminer;  —  ils  n'étaient  donc 
pas  touchés  par  les  raisons  de  ceux  vivant  à  la  cour,  insis- 
taient sur  la  nécessité  de  ne  pas  offenser  le  roi  et  prê- 
chaient la  soumission  sous  toutes  les  formes.  «Ce  sont, 
disaient-ils  en  les  raillant,  les  clairvoyants  de  l'Égiise, 
leur  prévoyance  leur  montre  des  inconvénients  qui  nous 
échappent.»  Ceux-ci,  à  leur  tour,  disaient  de  quelques 
membres  de  l'assemblée  :  «Ce  sont  les  fous  du  synode»; 
nais  ce  furent  ces  fous  qui  maintinrent  vigoureusement 
Burs  droits;  à  leur  tète  était  Charnier,  dont  Henri  IV 
iisait  :  «  S'il  y  a  un  chat  à  fouetter,  il  faut  qu'il  le  fasse.»' 
Le  parti  de  la  cour  à  la  tète  duquel  était  Montmariin, 
sbtinl  cependant  une  demi-victoire  sur  la  question  irri- 
ante  de  l'Antéchrist.  Le  roi  s'était  expliqué  si  catégori- 
juement  sur  ce  point,  qu'il  eût  été  impplilique  de  passer 
vatre.  Sous  prétexte  de  surséance,  dit  Élie  Benoit,  le  sy- 

1.  Bulletin  de  la  soc.  de  l'hist.  du  protestant,  franç  (1S63).  — 
or.rr.al  inédit  de  Charnier,  publié  par  Cbarlcs  Read. 


312         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATiON  FRANÇAISE. 


iiodii  abandonna  l'affaire  et  se  contenta  de  promettre  la 
protection  des  églises  à  ceux  qui  seraient  inquiétés  pour 
avoir  prêché,  ou  confessé,  ou  dit,  ou  écrit  quelque  chose 
de  celte  matière,  c'est-à-dire,  en  un  mot,  que  la  doctrine 
fût  retenue,  et  qu'on  tînt  la  question  pour  décidée;  mais 
que  l'intérêt  de  l'Etat  ne  permit  pas  qu'on  l'insérât  comme 
un  article  de  foi  parmi  les  autres.' 

Le  synode  voulant  montrer  plus  clairement  qu'il  ne 
désavouait  pas  la  doctrine,  chargea  le  ministre  Vignier  de 
traiter  amplement  la  question. 

Les  fous  du  synode  qui  avaient  cédé  à  demi  sur  la  ques- 
tion de  l'Antéchrist ,  refusèrent  de  présenter  au  roi  une 
liste  de  six  candidats  sur  laquelle  il  devait  choisir  les  deux 
députés  qui  devaient  représenter  à  la  cour  les  intérêts  de 
la  cause.  Ils  en  nommèrent  seulement  deux,  Mirande  et 
Yillarnoul gendre  de  Mornay,  et  supplièrent  Henri  IV  de 
convoquer,  dans  le  plus  bref  délai,  une  assemblée  dans 
laquelle  on  délibérerait  sur  le  mode  à  suivre  pour  la 
nomination  de  la  députation  générale.' 

Le  synode  envoya  Chamier  à  la  cour  pour  présenter  au 
roi  la  nomination  de  ses  deux  députés.  Après  six  mois 
d'attente,  il  n'avait  pas  eu  l'honneur  d'être  présenté  au 
roi,  «parce  qu'il  était  de  ces  fous  du  synode  qu'il  n'aimait 
pas ,  de  ces  tètes  dures  que  rien  ne  fléchit ,  de  ces  cœurs 
inaccessibles  aux  craintes  et  aux  espérances  qui  sont  les 
plus  fortes  machines  de  la  cour^»  Mais  tout  échoua  devant 
la  patience  indomptable  du  ministre  de  Montélimart. 

Les  affaires  dont  il  était  chargé  étaient  moins  agréables 
encore  que  sa  personne  ;  le  roi  ne  pouvait,  après  son  re- 
fus, sans  faire  preuve  de  faiblesse,  sanctionner  la  nomi- 
nation de  Mirande  et  de  Villarnoul ,  faite  contrairement  à 
sa  volonté;  mais  en  se  refusant  à  la  sanctionner,  il  lui 
était  bien  diflicile  de  ne  pas  accorder  la  permission  de 
tenir  une  nouvelle  assemblée  générale.  Placé  entre  ces 
deux  alternatives,  il  se  décida  pour  la  seconde  ,  mais  en  y 

!.  Élie  Benoit,  Hist.  de  l'édit  de  Nantes,  1. 1",  llv.  IX,  p.  443.  — 

Actes  des  synodes  nationaux. 

2.  Anquèz ,  Assemblées  politicpies  des  réformés  de  France , 
p.  222.  —  Elle  se  tint  en  1608;  ses  membres  étaient  au  uornljif 
de  38, 

i.  Élie  Benoît,  Hist.  de  l'édit  de  Nantes,  liv.  IX,  p.  447. 


i 


LIVRE  XXVltt, 


S13 


apportant  tant  de  restrictions  que  les  réformés  ne  pou- 
vaient en  retirer  de  biens  grands  avantages.  On  leur  indi- 
qua Jargeau  pour  le  lieu  de  la  réunion,  parce  que  cette 
ville  était  voisine  du  duché  de  Sully,  dont  Sully  était  devenu 
titulaire  en  1606. 

L'assemblée  s'occupa  d'abord  de  la  vérification  des  pou- 
voirs de  ses  membres  et  entendit  le  rapport  de  La  Noue  et 
Ducros,  et  dressa  ensuite  ses  cahiers  dans  lesquels,  entre 
autres  choses,  elle  demanda  que  la  députation  générale  fût 
limitée  à  deux  années,  et  que  le  roi  répondît  à  plusieurs 
demandes  particulières  qu'elle  lui  avait  faites  par  l'inter- 
médiaire de  Sully.' 

Sully  était  présent  à  l'assemblée.  De  jour  en  jour  il  de- 
venait plus  suspect  à  son  parti  qui  le  croyait  sur  le  point 
de  changer  de  religion.  Le  roi,  pour  s'y  disposer,  lui  avait 
offert  pour  son  fils  une  de  ses  filles  bâtardes,  sous  la  con- 
dition qu'ils  se  fissent  tous  deux  catholiques  J  e  père  Cotton, 
qui  partageait  avec  Du  Perron  le  titre  d-^  convertisse'ir 
de  la  cour,  avait  essayé  d'ébranler  le  favori  de  Henri  IV 
dans  ses  croyances,  il  échoua;  Sully  permit  cependant  à 
son  fils  de  changer  de  religion  ;  on  crut  assez  généralement 
parmi  les  protestants,  h  une  intrigue  entre  le  roi  et  son 
ministre,  afin  de  réhabiliter  ce  dernier  dans  l'esprit  de 
ses  coreligionnaires  qui  n'oseraient  plus  s  l'avenir  mettre 
en  doute  son  attachement  à  son  parti,  en  lui  voyant  pré- 
férer sa  foi  religieuse  à  une  alliance  que  des  maisons  prin- 
cières  n'eussent  pas  dédai^ée.  La  réception  que  lui  fit 
l'assemblée  fut  froide,  elle  lui  fit  sentir  qu'elle  voyait  en 
lui  moins  un  coreligionnaire  qu'un  négociateur  du  roi. 
^éanmoins,  à  force  d'habileté  et  d'insistance  .  il  parvint  à 
la  ranger  à  la  volonté  royale  ;  elle  abandonna  plusieurs  de 
ses  places  de  sûreté  et  renonça  à  la  nomination  directe 
des  deux  députés  chargés  de  la  représenter  à  la  cour;  elle 
dressa  une  liste  de  six  candidats  au  nombr^  desquels 
étaient  Mirande  et  Villarnoul.  Le  roi  les  choisit  pour  dé- 
putés, montrant  ainsi  que  ce  qui  lui  avait  déplu  dans  leur 
précédente  nomination,  ce  n'était  pas  leurs  personnes, 
mais  les  formalités  de  leui  élection.' 

1.  Anqiiez,  Assemblées  politiques  des  réformés,  p.  224. 

2.  Élie  Benoit,  Hist.  de  l'édit  de  Nantes,  liv.  IX,  p.  450. 

9. 


314        HISTOIRE  DE  LA  RÉFORHATION  FRANÇAISE. 


?. 

Le  cîerçé  s'assembla  dans  le  courant  de  l'année  1608,  à 
Paris.  Cinq  cardinaux  et  un  nombre  considérable  d'évèques 
étaient  présents,  tous  revêtus  de  leurs  plus  éclatants  cos- 
tumes. Malgré  cet  appareil  pompeux,  qui  accusait  un  état  ' 
de  grande  prospérité,  Fremiot,  archevêque  de  Bourges, 
portant  la  parole  au  nom  de  l'assemblée,  fit  au  roi  un 
tableau  piteux  et  lamentable  de  la  situation  misérable  dans 
laquelle  l'Église  était  tombée,  et  lui  demanda  pour  cica- 
triser ses  plaies,  la  publication  du  concile  de  Trente  qu'il 
avait  promise  au  pape  par  ses  procureurs,  lors  de  son  abso- 
lution. 

Le  roi  désavoua  hautement  ses  procureurs  et  déclara 
nettement  qu'il  ne  ferait  pas  ce  que  François  I",  Henri  H, 
Charles  IX,  qui  n'avaient  pas  comme  lui  des  engagements 
solennels  avec  les  réformés,  s'élaient  refusés  de  faire.  «Je 
ne  veux  pas,  leur  dit-il,  renouveler  les  troubles  du 
royaume.» 

Le  fermeté  du  roi  fut  une  espèce  de  consolation  pour 
les  réformés ,  du  déplaisir  qu'ils  avaient  de  voir  l'éduca- 
tion du  dauphin  confiée  au  père  Coton.' 

Il  y  eut  une  autre  affaire,  dit  Élie  Benoît,  dans  laquelle 
le  roi  donna  agréablement  le  change  au  clergé.  Ce  corps 
immensément  riche,  suppliait  depuis  longtemps  le  roi 
d'établir  un  fonds  pour  des  pensions  en  faveur  des  pas- 
teurs protestants  qu'on  solliciterait  à  changer  de  religion;  > 
or,  comme  jusqu'à  cette  époque,  les  gages  qu'il  donnait 
aux  apostats  étaient  très-minimes,  les  conversions  étaient 
rares;  il  pensa  donc  qu'un  moyen  infaillible  de  les  attirer 
vers  Rome,  ce  serait  de  leur  présenter  l'appât  d'une  bonne 
pension.  Il  lui  eût  été  facile  de  le  faire,  disposant  de  res- 
sources immenses  ;  mais  plus  habitué  à  recevoir  qu'à  don-  1 
ner,  il  s'adressa  au  roi  qui  n'y  fit  aucune  objection,  et  eut 
l'idée  de  lui  imposer  cette  charge  II  s'adressa  au  pape  qui, 
répondant  à  ses  désirs,  fit  un  bref  par  lequel  il  exhorta  ce 
corps  à  faire  ce  fonds  lui-même.  Le  cardinal  de  Joyeuse 
présenta  le  bref  à  l'assemblée  du  clergé  qui  fut  contrainte 
oc  l'accueillir  et  vota  une  somme  annuelle  de  trente  mille 

a.  Élie  Benoit,  Hist.  de  fédit  de  Naates,  liv.  IX,  p.  4âl. 


LIVRE  xxvm. 


315 


livres.  Toute  minime  qu'elle  fut  pour  l'important  objet  au- 
quel elle  était  destinée,  elle  ne  fut  jomais  épuisée.  Plus  tard, 
le.?  sommes  accumulées  demeurant  sans  emploi,  on  s'en 
servit  pour  solder  des  missionnaires  qui  allaient  de  îieu 
en  lieu  molester  les  réformés,  et  des  agents  subalternes 
chargés  de  les  solliciter  à  changer  de  religion.' 

VI. 

Pendant  ce  temps-là,  la  cour  d'Espagne  persécutait 
cruellement  les  Morisques;  dans  leur  douleur  ces  infor- 
tunés regardèrent  à  Henri  IV  :  «  Nous  nous  donnons  à  vous, 
lui  dirent-ils,  si  vous  voulez  nous  prendre  sous  votre 
protection.  »  Avant  de  leur  faire  une  réponse ,  le  roi 
envoya  sur  les  lieux  Panissant,  gentilhomme  Gascon  et 
réformé,  afin  de  conférer  avec  eux.  Revêtu  d'un  habit  de 
cordelier,  il  pénétra  en  Espagne  et  sut  habilement  gagner 
leur  confiance  ;  mais  les  bigots  de  la  cour  représentèrent 
vivement  au  roi  que  Panissant  voulait  les  gagner  à  la  ré- 
forme; ils  le  firent  rappeler  et  remplacer  par  Ciavérie  dont 
la  négociation  fut  sans  succès.  Les  Morisques  auraient  pu 
embrasser  la  réforme,  jamais  le  catholicisme  romain,  à 
cause  de  l'aversion  qu'ils  avaient  pour  son  culte;  les  bigots 
donc  trouvèrent  plus  raisonnable  qu'ils  demeurassent 
mahométans  que  de  devenir  protestants  et  bons  Français.' 

Les  jésuites,  qui  durant  ces  jours  de  paix  brouillaient 
tout  en  Europe ,  soufDaient  en  France  un  esprit  de  désordre  ; 
le  père  Coton ,  le  complaisant  et  le  confesseur  du  roi,  di- 
vulgua les  secrets  que  le  monarque  lui  avait  confiés,  il 
n'eut  pas  la  punition  qu'il  méritait;  la  cour  taxa  ses  accu- 
sations de  calomnies.  Le  père  Gonthier  rappelait  dans  ses 
discours  quelques-uns  des  plus  ardents  prédicateurs  de  la 
ligue;  le  père  Ignace  Armand,  souple,  insinuant,  cachait 
ses  intrigues  sous  les  dehors  d'une  grande  humiUté.  Le  roi 
témoin  de  toutes  ces  roueries,  qui  neutralisaient  ses  bonnes 
intentions,  en  avait  souvent  le  cœur  plein  d'amertume,  et 
ne  savait  comment  les  réprimer;  et  lui,  si  courageux,  si 
intrépide  devant  des  fronts  de  bataille,  se  sentait  désarmé 
devant  ces  sourdes  menées.  Il  crut  à  tort  qu'il  apprivoi- 

1.  Élie  Benoit,  Hist.  de  l'édit  de  Nantes,  liv.  IX,  p.  45i. 

2.  Idem,  t.  i",  p.  452. 


316         HISTOIRE  m  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE 

serait  les  jésuites  en  les  comblant  de  biens;  ceux-ci,  forts 
de  ses  craintes,  lui  faisaient  chaque  jour  de  nouvelles 
demandes;  c'est  ainsi  que  dans  le  courant  de  l'année  1608 
il  les  établit  dans  le  Béarn,  malgré  l'opposition  des  États 
et  des  députés  de  cette  province  qui  lui  représentèrent  que 
ce  serait  un  fléau  pour  le  pays,  et  firent  valoir,  mais  en  vain, 
un  arrêt  du  parlement  de  Pau  qui  défendait  de  les  rece- 
voir. La  même  année  ils  établirent  un  noviciat  à  Paris  et 
jetèrent  les  fondements  de  leur  célèbre  collège  de  Clermont. 

Le  roi  cependant  n'oubliait  pas  les  huguenots,  il  les 
savait  fidèles  à  sa  cause  et  à  sa  personne,  il  ordonna  qu'on 
examinât  les  cahiers  de  leur  dernière  assemblée;  quelques- 
unes  de  leurs  demandes  furent  répondues  favorablement; 
on  abolit  certaines  solennités  que  les  catholiques  avaient 
établies  en  souvenir  des  succès  qu'ils  avaient  remportés 
sur  les  réformés,  et  dont  la  célébration  était  de  nature  à 
raviver  les  haines  que  le  roi  s'efforçait  d'éteindre. 

VII. 

Il  se  tint  peu  à  peu  un  synode  national'  dans  la  petite 
ville  de  St.  Maixent  (Poitou)'  on  n'y  traita  que  des  afîfaires 
de  discipline;  le  seul  fait  qui  mérite  d'être  mentionné, 
c'est  la  présentation  aux  membres  de  l'assemblée  du  livre 
que  Vignier  avait  composé  sur  la  question  de  l'Antéchrist 
soulevée  au  synode  de  Gap.  Après  examen,  on  décida  que 
l'académie  de  Saumur  veillerait  suf  son  impression;  le 
livre  parut  sous  le  ,titre  de  Théâtre  de  l'Antéchrist.  Il  le 
dédiait  à  la  saincte  Église  réformée,  séparée  de  la  Babylone 
spirituelle  pour  embrasser  l'Évangile. 

«Je  te  présente,  lui  disait  l'auteur,  ce  mien  labeur 
(chère  espouse  de  nostre  Seigneur  Jésus-Christ)  comme 
t'estant  consacré  de  tout  droict  selon  la  vocation  que  j'ai 
en  toi  et  pour  toi.  Tu  y  verras  le  portraict  de  cette  paillarde 
qui  t'a  si  longtemps  persécutée,  chassée  au  désert,  foulée 
aux  pieds  et  s'est  enyvrée  de  ton  sang.  Laquelle  te  poursuit 
cncor  et  ne  peut  souffrir  que  tu  te  pares  pour  les  nopces 
de  ton  Espoux.  Tu  y  verras  aussi  sa  condamnation  et  ruine 

1.  Il  fut  le  19"  synode  national. 

2.  Drion,  Abrégé  des  conciles,  t.  I",  p.  273. 


LIVRE  XXV  u:. 


317 


prochaine  prédite  par  l'Esprit  de  Dieu,  reconnue  par 
plusieurs  grands  personnages  des  siècles  passés. 

«Dieu  veuille  que  cela  porte  aux  yeux  et  au  cœur  de  ceux 
qu'elle  tient  enlacés  en  ses  liens,  et  qu'elle  empoisonne 
de  la  coupe  de  ses  paillardises.  Pour  le  moins  certes  m'as- 
surerai-je  que  ceux  qui  liront  cet  écrit  sans  préjugé  dépravé, 
reconnoistront  combien  tu  as  eu  raison  d'obéir  à  ce  com- 
mandement céleste  :  Sortez  d'icelle  mon  peuple  :  combien 
sainctement  tu  as  quitté  les  hauts  lieux  de  Beth-Âven,  où 
on  te  convoquait  sous  le  nom  de  Béthel  :  combien  pru- 
demment tu  es  sortie  d'Egypte  d'entre  le  peuple  d'un  lan- 
gage étranger,  pour  ouïr  la  voix  de  ton  espoux  et  servir  à 
l'Eternel  ton  Dien.  Voici  je  ne  doute  point  que  tes  adver- 
saires mesmes,  s'ils  ne  regardent  ce  que  tu  as  faict,  et  les 
causes  pourquoi  tu  l'as  faict  d'un  œil  plus  sinistre  que  les 
magiciens  d'Egypte  ne  considéraient  les  miracles  deMoyse, 
quelques  Jannès  et  Jambrès  qui  te  résistent,  ne  soient 
enfin  conlraincts  de  prononcer  cette  vérité  :  C'est  ici  le 
doigt  de  Dieu. 

«Je  ne  déduirai  point  les  causes  qui  t'ont  forcée  à  cette 
*  séparation,  lesquelles  ont  esté  amplement  et  dignement 
traitées  par  plusieurs  de  tes  serviteurs.  Mais  si  nous  prou- 
vons que  le  Pape  est  l'Antéchrist,  qu'avons-nous  besoin 
de  plus  grande  dispute?» 
Le  livre  de  Vignier  fut  accueilli  avec  des  cris  de  joie 

fiar  les  réformés,  avec  des  cris  de  colère  par  les  caiho- 
iques;  les  jésuites,  surtout,  l'atlaquèrent  avec  violence. 
Le  père  Gonthier,  prêchant  devant  le  roi,  s'exprima  sur  ce 
sujet  d'une  manière  séditieuse  et  violente.  Le  monarque  lui 
fit  de  sévères  réprimandes;  mais  craignant  qu'on  ne  l'ac- 
cusât de  partialité  envers  les  protestants,  il  défendit  le 
débit  du  théâtre  de  l'Antéchrist. 

VIIL 

Un  fait  digne  de  remarque  se  passait  à  cette  époque  en 
Hollande  :  le  président  Jeannin ,  autrefois  passionné  ligueur, 
mais  homme  de  sens,  plaidait  en  Hollande  la  cause  de  la 
liberté  religieuse.  Le  roi  l'avait  envoyé  auprès  des  États 
pour  confirmer,  au  nom  de  la  France,  le  traité  signé  au 
nom  du  roi  d'Espagne  et  des  Archiducs,  après  avoir  signé 


318         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

le  traité  avec  l'ambassadeur  du  roi  d'Angleterre ,  Jeannin 
parla  de  la  religion  et  dit  que  le  désir  aident  de  sonmaitre 
était  qu'on  accordât  aux  catholiques  dans  les  Provinces- 
Unies  la  même  liberté  qu'on  accordait  aux  protestants  dans 
ses  étals;  qu'il  faisait  cette  proposition,  après  la  signature 
du  traité,  afin  que  cette  concession  fût  censée  accordée 
librement  et  sans  contrainte  :  Le  président  fit  valoir  les 
services  que  les  catholiques  avaient  rendus  à  la  cause  de 
leur  patrie  en  combattant  dans  les  mêmes  rangs  que  les 
protestants,  il  insista  sur  le  devoir  de  leur  rendre  justice 
en  leur  accordant  la  liberté  de  servir  Dieu  selon  leur 
conscience,  11  montra  la  France  sortant  de  ses  ruines 
sous  l'influence  d'un  gouvernement  sage  et  modéré,  lit  un 
tableau  saisissant  des  malheurs  dans  lesquels  l'intolérance 
religieuse  avait  jeté  les  peuples,  qui,  au  lieu  de  s'aimer, 
s'étaient  entr'égorgés,  et  conclut  en  demandant  la  liberté 
de  conscience  pour  les  catholiques. 

«Si  leur  attente  était  trompée,  leur  dit-il,  il  en  arrive- 
rait, ou  qu'emportés  par  un  zèle  indiscret  ils  auraient 
recours  à  la  force  pour  tirer  raison  de  la  violence  qu'on 
exerçait  à  leur  égard,  ou  qu'ils  abandonneraient  peu  à  peu 
leur  religion,  mettraient  Dieu  en  oubli  et  se  plongeraient 
dans  l'impiété,  plus  pernicieuse  à  la  république  que  toute 
sorte  de  superstitions;  car  le  superstitieux  est  toujours 
dans  la  crainte,  et  après  s'être  mis  à  couvert  des  châti- 
ments des  hommes,  il  croit  toujours  ne  pouvoir  se  sous- 
traire à  la  vengeance  divine  qui  lui  cause  de  plus  grandes 
frayeurs.  Pénétré  de  cette  crainte  salutaire,  il  obéit  aux 
lois,  et  ne  se  livre  pas  si  aisément  au  crime  qu'un  scélérat, 
qui,  sans  crainte  et  sans  espérance  après  la  mort,  ne 
regarde  comme  criminel  et  honteux  que  ce  qu'il  ne  peut 
dérober  aux  yeux  de  la  justice  humaine,  ou  ce  qui  peut 
lui  attirer  des  châtiments.» 

«  Ces  raisons,  poursuivit-il ,  doivent  suffire  aux  Etats  pour 
les  engager  à  contenter  les  catholiques.  Le  roi,  ayant  nien 
prévu  que  sa  demande  trouverait  de  l'opposition,  n'a  pas 
Toulu  mettre  le  trouble  dans  la  république;  c'est  pour 
cela  qu'il  a  jugé  à  propos  de  restreindre  sa  prière  en  faveur 
des  catholiques.  Sa  Majesté  ne  demande  pas  qu'on  leur 
accorde  la  liberté  de  professer  publiquement  leur  religion, 
mais  qu'on  leur  permette  seulement  de  le  faire  en  parti- 


LIVRE  XXVITI. 


319 


euHer  dans  leurs  maisons,  sans  le?  inquiéter  sur  ce  sujet. 
Si  les  États  jugent  cette  tolérance  préjudiciable  à  la  répu- 
blique, le  roi  consent  qu'on  prenne  de  justes  mesures, 
pour  obvier  à  tous  les  inconvénients  qui  pourraient  arriver 
à  cette  occasion.  » 

IX. 

Les  États  prêtèrent  une  sérieuse  attention  aux  paroles 
si  sages  de  Jeannin;  mais  ils  ne  donnèrent  pas  aux  catho- 
liques hollandais  la  même  liberté  que  Henri  IV  avait  accor- 
dée en  France  aux  protestants;  ils  les  tolérèrent,  et  sous 
l'empire  de  la  tolérance,  les  catholiques  hollandais  eurent 
plus  de  vraie  liberté  que  n'en  eurent  les  réformés  sous  un 
édit  qui  leur  garantissait  le  plein  exercice  de  leur  culte. 
En  Hollande  les  catholiques  furent  protégés  par  l'esprit 
public  contre  les  lois  rendues  contre  eux.  En  France  les 
réformés  lurent  poursuivis  par  l'esprit  public ,  malgré 
l'édit  rendu  pour  eux. 

Nous  croyons  toute  intolérance,  en  matière  de  liberté 
religieuse,  mauvaise,  la  protestante  plus  encore  que  la 
catholique  ;  mais  les  plaintes  des  catholiques  contre  les 
protestants,  lorsque  ces  derniers  leur  refusent  la  liberté 
du  culte,  perdent  beaucoup  de  leur  valeur,  quand  les  pro- 
testants leur  disent  •  «c'est  vous-mêmes  qui  nous  forcez 
à  être  intolérants ,  parce  que  nous  savons  que  vous  ne  vous 
servirez  de  la  liberté  que  vous  nous  demandez  que  pour 
opprimer  la  nôtre.»  C'est  ainsi  que  l'intolérance  romaine 
produit  l'intolérance  protestante.  La  première  émane  d'un 
principe,  la  seconde  d'un  fait;  aussi  pendant  que  la  cause 
de  la  liberté  religieuse-  n'a  pas  fait  un  seul  pas  dans  les 
contrées  où  le  prêtre  romain  domine,  elle  enfonce  chaque 
jour  ses  racines  sur  le  sol  des  nations  protestantes,  qui 
commencent  à  comprendre  que  lorsque  un  principe  est 
bon  ,  il  ne  faut  pas  regarder  au  mal  prochain  et  appa- 
rent que  son  application  peut  faire.  Voltaire  réclama  la 
tolérance  au  nom  de  l'indilierentisme  religieux;  Henri  IV 
la  voulut  dans  l  intérêt  de  sa  politique;  le  protestant  doit 
la  vouloir  dans  celui  de  la  vérité,  parce  que  l'erreur  qui 
germe  et  se  développe  à  l'abri  du  despotisme  n'a  pas  d'a- 
venir sous  un  gouvernement  de  liberté. 


320         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

Quels  que  soient  les  mobiles  qui  ont  poussé  Henri  IV  à 
vouloir  la  libérlé  religieuse ,  l'édit  de  Nantes  sera  aux 
yeux  de  la  postérité  son  plus  beau  titre  de  gloire.  Il  mon- 
trera en  lui  un  prince  qui  apprit  à  la  grande  et  rude 
école  de  l'expérience  qu'en  matière  de  religion  la  force 
brutale  atteint  moins  encore  l'opprimé  que  l'oppresseur; 
et  cependant  ce  prince  qui  donnait  au  monde  un  exemple 
que  ses  successeurs  ne  surent  pas  imiter,  inoculait  à  la 
France  le  poison  de  ses  vices.  Sa  cour  était  un  lieu  de 
débauches  et  de  grossières  dissipations;  on  y  jouait,  on  s'y 
enivrait,  on  s'y  prostituait'  comme  à  Sodome  et  à  Go- 
morrhe,  et  du  milieu  de  ces  prélats  et  prédicateurs,  qui 
ne  cessaient  de  demander  des  restrictions  à  l'édit  de 
Nantes,  il  ne  s'élevait  pas  une  seule  voix  contre  des  dé- 
bordements qui  eussent  arraché  à  Jérémie  des  lamen- 
tations plus  douloureuses  que  celles  qu'il  laissait  échapper 
de  ses  lèvres,  à  la  vue  de  la  déchéance  morale  des  entants 
de  Jacob.  Le  roi  avait  par  moment  le  sentiment  qu'il  s'avi- 
lissait aux  yeux  de  son  peuple;  dans  une  lettre  qu'il  écrivit 
a  Sully,  il  nous  laisse  pénétrer  dans  les  replis  les  plus 
secrets  de  son  cœur. 

«Mon  ami,  je  vous  écris  cette  lettre,  non  de  ma  main , 
mais  de  celle  de  Loménie,  tant  à  cause  qu'elle  est  un  peu 
bien  longue  et  que  je  me  suis  blessé  à  un  pouce,  que  pour 
ce  qu'elle  a  été  ramassée  de  plusieurs  et  divers  discours 
de  mes  familiers  serviteurs  de  votre  premier  temps,  lors- 
que à  mon  lever  et  à  mon  coucher,  je  leur  demandais  des 
nouvelles  de  ce  que  disent  de  moi,  par  la  cour  et  par  la 
ville,  les  langues  médisantes  et  les^vieuses  de  mes  pros- 
pérités. Cette  lettre  que  j'ai  commtindé  à  Loménie  de  vous 
écrire  comme  de  ma  main,  vous  dira  une  partie  de  mes 
sentiments  là-dessus,  afin  que  vous  me  disiez  les  vôtres 
lorsque  je  vous  verrai. 

«  En  tous  lesquels  discours,  je  ne  nierai  pas  qu'il  ne 
puisse  y  avoir  quelque  chose  de  vrai.  Mais  aussi  dois-je 
dire  que,  ne  passant  pas  mesure,  il  me  devait  plutôt  être 
dit  en  louange  qu'en  blâme,  et  en  tout  cas  me  devrait-on 
excuser  la  licence  en  tels  divertissements  qui  n'apportent 
ni  dommage,  ni  incommodités  à  mes  peuples,  par  forme 

1.  L'Esfoile,  année  1609. 


LIVRE  XXVIII. 


321 


de  compensation  de  tant  d'amertumes  que  j'ai  goûtées  et 
de  tant  d'ennuis,  déplaisirs,  fatigues,  périls  et  dangers 
par  lesquels  j'ai  passé  depuis  mon  enfance  jusqu'à  cin- 
quante ans. 

«J'ai  su  que  quelques-unes  des  dépendances  de  ceux 
qui  se  plaisent  à  me  décrier,  vous  ayant  fiiit  tous  ces 
beaux  contes,  vous  les  en  avez  grandement  blâmés,  et  dit 
que  ces  petits  défauts  et  pécadilles,  trouveraient  facile- 
ment toutes  leurs  excuses  et  défenses  légitimes,  moyen- 
nant qu'ils  ne  m'ôtassent  pas  la  souvenance  d'une  infinité 
de  beaux,  hauts  et  magnifiques  projets  et  desseins  que 
vous  saviez  que  j'avais  eus  de  longue  main,  ne  me  fissent 
pas  perdre  le  désir  de  les  continuer,  ne  m'empêchassent 
pas  d'avoir  le  souci,  ni  de  prendre  le  temps,  les  occa- 
sions et  opportunités,  de  les  entamer  et  poursuivre  jus- 
qu'à 'eur  perfection. 

«Desquels  discours  ayant  eu  avis,  j'ai  bien  voulu  vous 
écrire  cette  lettre  pour  faire  souvenir  de  ce  que  fort  sou- 
vent je  vous  ai  ouï  dire,  lorsque  quelques-uns  blâmaient 
quelques-unes  de  vos  actions,  à  savoir  que  l'Écriture  n'or- 
donne pas  absolument  de  n'avoir  pas  de  péchés,  ni  défauts, 
d'autant  que  telles  infirmités  sont  attachées  à  l'impétuosité 
et  promptitude  de  la  nature  humaine  ,  mais  bien  de  n'en 
être  pas  dominés ,  ni  les  laisser  régner  sur  nos  volontés , 
qui  est  ce  à  quoi  je  me  suis  étudié,  ne  pouvant  faire 
mieux. 

«  Et  vous  savez  beaucoup  de  choses  qui  se  sont  passées 
touchant  mes  maîtresses  ,  qui  ont  été  les  passions  que  tout 
le  monde  a  cru  les  plus  puissantes  sur  moi ,  si  je  n'ai  pas 
souvent  maintenu  vos  opinions  contre  leurs  fantaisies, 
jusqu'à  leur  avoir  dit,  lorsqu'elles  faisaient  les  acariâtres, 
que  j'aimerais  mieux  avoir  perdu  dix  maîtresses  comme 
elles  qu'un  serviteur  comme  vous  ,  qui  m'étiez  nécessaire 
pour  les  choses  honorables  et  utiles.  C'est  ce  que  vous 
verrez  encore  faire,  et  je  vous  en  donne  ma  foi  et  parole 
lorsque  les  occasions  et  opportunités  me  seront  présentées 
pour  entamer,  poursuivre,  mettre  à  exécution  quelques- 
uns  des  honorables  et  glorieux  desseins  que  vous  savez 
que  j'ai  dès  longtemps  en  l'esprit,  et  sur  lesquels  vous 
m'avez  écrit  tant  de  lettres  et  avons  tant  discouru  ensemble. 
«Car  alors  ferai-je  voir  que  je  quitterai  plutôt  maîtresses, 


322 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


amours,  chiens,  oiseaux ,  jeux  et  brelans,  bâtiments,  fes- 
tins et  banquets,  et  toutes  autres  dépenses ,  plaisirs  et 
pasbc-lemps,  que  de  perdre  la  moindre  occasion  et  op- 
portunité pour  acquérir  honneur  et  gloire,  dont  les  prin- 
cipales, après  mon  devoir  entre  Dieu,  ma  femme,  mes 
enfants ,  mes  fidèles  serviteurs  et  mes  peuples  que  j'aime 
comme  mes  enfants ,  sont  de  me  faire  tenir  pour  prince 
loyal,  de  foi  et  de  parole  et  de  faire  des  actions  sur  la  tin 
de  mes  jours,  qui  les  perpétuent  et  couronnent  de  gloire 
et  d'honneur  comme  j'espère  que  feront  les  heureux  suc- 
cès des  desseins  que  vous  savez,  auxquels  vous  ne  devez 
douter  que  je  ne  pense  plus  souvent  qu'à  tous  mes  diver- 
tissements cy  dessus.»' 

X. 

Cette  lettre  révèle  chez  Henri  IV  un  respect  pour  l'opi- 
nion publique  que  n'avait  pas  son  prédécesseur.  Il  sent 
le  besoin  de  compter  avec  elle  et  il  essaye  une  justifica- 
tion qui  deviendra  de  plus  en  plus  impossible,  à  mesure 
que  les  générations  comprendront  mieux  que  le  souverain 
qui  remporte  des  victoires  sur  son  propre  cœur,  est  plus 
fort  que  celui  qui  prend  des  villes.  Et  cependant  ce  mo- 
narque qui  s'avilit  comme  homme,  se  montre  grand  comme 
roi  quand,  avec  Sully  son  fidèle  ministre,  il  s'occupe  des 
intérêts  de  son  royaume.  Grâce  à  leurs  elforts  réunis,  les 
plaies  profondes  que  la  ligue  avait  faites ,  sont  pansées, 
cicatrisées,  guéries;  l'agriculture  protégée,  encouragée,  a 
ramené  partout  l'abondance;  le  commerce  et  l'industrie 
créent  de  nouvelles  sources  de  richesses  ;  pour  les  favoriser  i 
on  trace  des  routes,  on  creuse  des  canaux,  des  ports,  on  lui 
ouvre  à  l'étranger  de  nombreux  débouchés;  plus  positive 
que  la  maison  de  Valois,  mais  non  moins  amie  des  arts, 
celle  des  Bourbons  marche  sur  leurs  traces  et  à  côté  de 
Chambord  et  d'Anet,  de  beaux  monuments  s'élèvent,  moins 
délicats  de  forme,  mais  plus  solides, correspondant  mieux 
au  génie  du  maître.  Quelques  années  ont  sufll  pour  établir 
une  métamorphose  complète.  La  France,  qui  se  débattait 
sous  l'influence  honteuse  et  funeste  de  l'Espagne,  a  recon- 

S.  Sully,  Économies  royales,  c.  171,  t.  Il,  p.  200-201. 


à 


LIVRE  XXVIII. 


323 


quis  son  auiûuomie;  elle  est  elle,  c'esl-à-dire  puissante, 
influente  dans  les  conseils  de  l'Europe.  Son  roi  en  est 
devenu  l'arbitre;  l'Allemagne  l'aime  et  l'admire,  la  maison 
d'Autriche  le  craint. 

Les  peuples  ont,  comme  les  individus,  des  procès  à 
vider;  les  luttes,  un  moment  suspendues  par  les  traités  et 
les  trêves  sont  repris  et  ne  se  vident  sur  les  champs  de 
bataille  qu'avec  du  sang  humain.  Henri  IV  qui  avait  à  un 
haut  degré  le  sentiment  de  la  dignité  nationale  vit  d.ins  la 
paix  de  Vervins  une  trêve  qui  lui  permettait  de  refaire  son 
peuple  par  le  repos  ;  mais  \a  pensée  constante  de  son  règne 
fut  de  faire  expier  à  l'Espagne  ses  intrigues  et  les  humi- 
liations qu'elle  avait  fait  subir  à  la  France  pendant  de  si 
longues  années.  Aidé  de  Sully,  il  commença  ses  prépara- 
tifs dès  1603;  six  ans  après  il  était  prêt.  c<  Jamais  on  n'a- 
vait vu,  dit  Elle  Benoit,  en  France  de  si  beaux  préparalifs. 
Les  guerres  civiles  avaient  fait  de  bons  soldats  de  pres- 
que tous  les  Français.  Il  y  avait  un  nombre  incroyable  de 
vieux  officiers ,  signalés  par  une  longue  expérience.  On  ne 
manquait  point  des  généraux  expérimentés,  et  le  roi  était 
reconnu  par  toute  l'Europe  pour  le  plus  hardi  et  le  plus 
grand  capitaine  de  son  temps.  Le  sang  bouillait  dans  les 
veines  des  réformés  qui  s'assuraient  de  voir  finir  leurs 
terreurs  avec  la  grandeur  de  la  maison  d'Autriche;  et  qui 
ne  demandaient  que  l'occasion  de  se  venger,  par  une  légi- 
time guerre ,  des  massacres,  des  violences  qu'ils  croyaient 
que  le  conseil  d'Espagne  avaient  inspirées  contre  eux,  à 
celui  de  France.  Les  catholiques  espéraient  s'avancer  et  se 
faire  valoir  par  la  guerre.  L'économie  et  la  vigilance  de 
Sully  avaient  mis  un  ordre  aux  affaires,  qu'on  ne  se  sou- 
venait pas  d'y  avoir  jamais  vu.  Jamais  il  n'y  avait  eu  tant 
d'armes  à  l'arsenal,  et  ce  qui  était  le  plus  extraordinaire 
pour  la  France,  jamais  tant  d'argent  comptant,  ni  tant  de 
ressources  pour  plusieurs  années.  Les  alliances  étaient 
belles  et  puissantes  ;  outre  celles  des  Provinces-Unies  qu'on 
avait  renouvelées,  il  y  en  avait  une  conclue ,  depuis  peu  à 
Hall  en  Souabe,  malgré  les  oppositions  de  l'empereur,  avec 
une  quinzaine  des  princes  protestants.  »  • 

1.  Élie  Benoit,  Hist.  de  l'édit  de  Kantes,  1. 1",  liv.  IX, p.  462.  — 
Sully,  Économies  royales. 


324         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


XI. 

On  ne  savait  sur  qui  allait  fondre  ce  noir  nuage,  Rome 
craignait,  l'Espagne  tremblait.  Le  vieux  parti  ligueur  qui 
pressentait  que  l'orage  allait  éclater  sur  lui,  disait  à  la  vue 
de  ces  grands  préparatifs,  qu'il  vaudrait  mieux  les  tourner 
contre  les  hérétiques  du  dedans  que  contre  les  catholiques 
du  dehors-,  ces  hérétiques  ,  ajoutait-il,  sont  une  poignée 
de  gens  aisés  à  exterminer,  si  chacun  voulait  balayer  le 
devant  de  sa  maison.  L'un  de  ses  prédicateurs  ne  craignit 
pas  de  dire  en  présence  du  roi  et  de  sa  cour,  «que  cette 
guerre  pour  des  hérétiques  contre  des  catholiques  était 
illicite;  que  ce  seraient  autant  de  coups  donnés  dans  le 
cœur  de  Jésus-Christ.»  En  terminant  son  discours,  il  voua 
aux  enfers  tous  ceux  qui  y  prendraient  part.' 

Des  bruits  sinistres  circulaient  partout.  On  annonçait  la 
mort  prochaine  du  roi  :  «ce  serait  grande  merveille,  dit 
Mornay  à  M.  de  Lucques,  si  ses  ennemis  ne  se  défont  pas  de 
sa  personne.  «Au  milieu  de  tous  ces  préparatifs  qui  annon- 
çaient à  la  France  qu'elle  était  à  la  veille  d'une  grande 
guerre,  sans  que  rien  d'officiel  lui  eût  appris  quel  en- 
nemi elle  allait  attaquer,  le  roi  devint  subitement  amou- 
reux de  Charlotte  de  Montmorency ,  la  jeune  épouse  du 
prince  de  Condé.  Dans  sa  folle  et  criminelle  passion,  il  se 
montra  odieux  et  ridicule:  odieux,  en  voulant  ravir  au 
prince  sa  compagne  ;  ridicule ,  en  donnant  à  la  cour  le 
spectacle  d'un  amoureux  de  cinquante-sept  ans,  laid,  dé- 
goûtant'. Le  prince  de  Condé  était  pauvre,  avare;  Char- 
lotte de  Montmorency,  coquette.  Il  eût  peut-être  vendu  sa 
femme  qui  se  serait  prêtée  par  ambition  à  cet  infâme 
marché,  s'il  n'eût  cru  utile  à  ses  intérêts  de  l'enlever  et 
de  se  rendre  intéressant  en  remplissant  l'Europe  du  bruit 
de  ses  malheurs.  A  la  nouvelle  de  sa  fuite,  Henri  IV  fu- 
rieux, ne  pensa  qu'aux  moyens  de  ravoir  la  princesse,  et 
se  disposa  à  aller  la  chercher  lui-même  à  Bruxelles,  et 
rompit  des  négociations  entamées  à  l'occasion  de  l'ouver- 
ture de  la  succession  des  duchés  de  Juliers  et  de  Giève.s, 

1.  Les  Elzeviers,  liv.  II,  p.  340. 

2.  L'Estoile,  aimée  IGIO. 


LIVRE  XXVIII. 


325 


ouverte  par  le  décès  de  Jean-Guillaume,  mort  sans  posté- 
rité le  25  mars  1609.  Il  demanda  à  l'archiduc  passage  pour 
ses  troupes  sur  son  territoire;  sur  son  refus,  il  lui  déclara 
la  guerre.  Les  hostilités  devaient  commencer  au  milieu  du 
mois  de  mai.' 

XII. 

Soit  que  Marie  de  Médicis  entrevît  un  divorce  dans 
fa  passion  de  son  mari  pour  la  princesse  de  Coudé  ,  soit 
qu'elle  eut  le  pressentiment  que  la  guerre  qui  allait  éclater 
mettrait  en  danger  les  jours  du  roi,  elle  insista  vivement  au- 
près de  lui  pour  qu'il  la  fit  sacrer.  Henri  IV  résista  d'abord  ; 
puis  il  céda,  mais  avec  une  répugnance  visible.  «Ile! 
mon  ami,  disait-il  à  Sully,  que  ce  sacre  me  déplaît!  .Je  ne 
sais  ce  que  c'est;  mais  le  cœur  me  dit  qu'il  m'arrivera 
quelque  malheur  ;  puis,  s'asseyant  sur  une  chaise  basse 
faite  exprès  pour  lui  (à  l'arsenal),  rêvant  et  battant  des 
doigts  sur  l'étui  de  sos  lunettes,  il  se  relevait  tout  à  coup, 
et  frappant  des  deux  mains  sur  ses  deux  cuisses,  il  disait: 
Pardieu,  je  mourrai  en  cette  ville  et  n'en  sortirai  jamais. 
Ils  me  tueront,  car  je  vois  bien  qu'ils  n'ont  d'autre  re- 
mède à  leur  danger  que  ma  mort.  Ah!  maudit  sacre,  tu 

seras  cause  de  ma  mort  Car  pour  ne  vous  rien  céler, 

l'on  m'a  dit  que  je  devais  être  tué  à  la  première  grande 
magnificence  que  je  ferais,  et  que  je  mourrais  dans  uu 
carrosse,  et  c'est  ce  qui  me  rend  si  peureux.» — ^«Yous  ne 
m'aviez,  ce  me  semble,  jamais  dit  cela,  Sire,  répondit 
Sully;  aussi  me  suis-je  étonné  de  vous  voir  crier  dans  im 
carrosse  comme  si  vous  aviez  appréhendé  ce  petit  péril , 
après  vous  avoir  vu  tant  de  fois  parmi  les  coups  de  canon, 
les  mousquetades ,  les  coups  de  lances,  de  piques  et  d'é- 
pées,  sans  rien  craindre.  Mais  puisque  vous  avez  celte 
opinion  et  que  votre  esprit  en  est  tant  travaillé,  si  j'étais 
que  de  vous,  je  partirais  dès  demain  ,  je  laisserais  faire  le 
sacre  sans  vous,  ou  le  remettrais  l\  une  autre  fois,  et  je 
n'entrerais  de  longtemps  à  Paris,  ni  en  carrosse. »- 

1.  Suite  de  De  Thou,  t.  X,  liv.  III.  —  Mémoires  de  Fontenay.  — 
Mareuil,  liv.  I",  p.  36-40.  —  Sully,  Économies  royales,  année 
IGIO. 

2.  Sully,  Économies  royales,  t.  VllI,  364-3G6.  —  Cassompierre, 
Mémoires.  —  Journal  de  L'Estoile ,  année  1 G 1 0. 

IV.  10 


326         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

Henri  IV  ne  suivit  pn?;  If^  conseil  de  son  fidèle  ministre. 
Il  fit  sacrer  la  reine  ;  la  cén  lonie  eut  lieu  le  13  mai  1610 
dans  l'église  de  Saiiil-Deiiis  ;.vec  une  grande  pompe. 

Le  roi  parut  gai,  enjoué,  mais  sa  joie  était  mêlée  d'im- 
patience ;  il  ramena  le  soir  la  reine  à  Paris  où  elle  devait 

l'aire  son  entrée  solennelle  trois  jours  après       Vers  onze 

heures  du  soir,  il  se  retira  dans  son  appartement.  Les  ténè- 
bres ,  le  silence ,  les  vagues  appréhensions  qu'il  avait  depuis 
quelques  jours  le  troublèrent;  il  se  mit  sur  ses  deux  ge- 
noux dans  la  posture  d'un  suppliant,  et  éleva  machinale- 
ment ses  regards  vers  Dieu  qu'il  avait  tant  offensé  et  dans 
lequel  il  voyait  moins  un  père  qu'un  juge.  Puis  il  se  leva, 
et  alla  dans  son  cabinet  afin  de  s'y  mieux  recueillir. 

Ses  serviteurs  voyant  qu'il  demeurait  plus  longtemps 
gu'il  n'avait  accoutumé,  l'interrompirent.  «Ces  gens-là ,  dit- 
il  avec  impatience,  empêcheront-ils  toujours  mon  bien.» 

Le  lendemain  il  était  triste  et  abattu.  Il  alla  aux  Feuil- 
lants entendre  la  Bresse.  Un  homme  à  figure  sinistre  l'y 
suivit. 

Après  dîner,  il  se  retira  dans  sa  chambre  et  se  mit  au 
lit,  essaya  mais  en  vain,  de  dormir;  il  se  leva,  embrassa 
la  reine  et  monta  dans  son  carrosse,  sans  trop  savoir  où  il 
irait.  Il  occupait  le  fond  de  la  voiture  :  à  sa  droite  il  avait 
le  duc  d'Épernon;  à  la  portière  de  son  côté,  le  duc  de 
Montbazon.  Le  marquis  de  La  Force ,  le  maréchal  de  La- 
vardin,  le  comte  de  Roquelaure,  le  marquis  de  Mirabeau 
et  le  premier  écuyer,  de  Liancourt,  occupaient  les  autres 
places  de  la  voiture. 

Au  moment  où  le  carross'e  allait  partir,  Vitry,  capi- 
taine de  ses  gardes,  lui  demanda  s'il  lui  plaisait  qu'il  l'ac- 
compagnât. 

—  Non,  lui  dit-il. 

—  Permettez-moi,  Sire,  répondit  Vitry,  que  je  vous 
laisse  mes  gardes. 

—  Non,  dit  Henri  IV,  je  ne  veux  ni  de  vous,  ni  de  vos 
gardes;  je  ne  veux  personne  autour  de  moi. 

—  Quel  est  le  quantième  du  mois,  dit-il  à  un  des  sei- 
gneurs qui  l'accompagnaient. 

—  C'est  le  13  mai,  Sire. 

—  Non ,  Sire ,  ajouta  un  autre ,  c'est  le  14. 

—  Tu  sais  mieux  ton  almanach  que  ne  fais  pas  l'autre, 


LIVRE  XXVIII, 


327 


répondil,  le  roi  en  se  prenant  à  rire.  Entre  le  13  et  le  14, 
dit-il ,  «et  sur  ces  mots ,  dit  l'Estoile,  il  fit  aller  son  carrosse.» 

Il  ne  savait  pas  où  il  voulait  aller;  après  avoir  à  plu- 
sieurs reprises  hésité  ,  il  donna  l'ordre  qu'on  le  conduisît 
à  l'Arsenal'  pour  y  visiter  Sully  qui  était  malade.  Le  car- 
rosse se  dirigea  vers  la  rue  Saint-Denis:  le  même  homme 
qui  avait  suivi  le  roi  à  l'église  des  Feuillants,  suivait  la 
voiture  qui,  arrivée  dans  la  rue  de  la  Ferronnerie,  s'ar- 
rêta à  cause  de  deux  charrettes  qui  rétrécissaient  la  voie. 

Cet  homme,  sans  être  vu,  se  glissa  entre  les  boutiques 
et  les  roues  de  la  voiture,  et  frappa  le  roi  de  deux  coups 
de  couteau. 

Henri  IV  poussa  un  cri  et  tomba  dans  les  bras  du  duc 
d'Epernon:  il  était  mort. 

L'assassin  aurait  pu  s'échapper,  il  ne  le  voulut  pas.  Son 
couteau  sanglant  à  la  main,  il  attendit  tranquillement, 
qu'on  le  saisît  ou  qu'on  le  tuât. 

L'un  des  gentilshommes  qui  accompagnaient  le  roi  vou- 
lut se  jeter  sur  l'assassin  et  le  percer  de  son  épée. 

Le  duc  d'Epernon  s'y  opposa,  et  ordonna  qu'on  arrêtât 
le  meurtrier. 

Dans  ce  moment  critique,  l'ancien  mignon  de  Henri  IV 
montra  une  présence  d'esprit  extraordinaire.  «Le  roi  n'est 
que  blessé,»  dit-il  aux  personnes  qui  s'étaient  attroupées 
autour  de  la  voiture  et  qui  le  croyant  mort ,  poussaient 
des  cris  de  douleur.  Il  fit  abaisser  les  portières  du  carrosse 
et  ramena  un  cadavre  au  Louvre. 

Quand  on  connut  la  fatale  nouvelle,  une  foule  immense 
se  pressa  aux  abords  du  palais.  L'immense  douleur  du 
peuple  constata  l'immensité  du  malheur.  —  A  part  quel- 
ques seigneurs  incorrigibles  ,  chacun  sentait  qu'il  avait 
perdu  dans  le  roi  un  père  ,  dont  la  main  ferme  avait 
clos  l'ère  des  révolutions  sanglantes  qui  depuis  plus  d'un 
demi-siècle  affligeaient  le  royaume.  On  demandait  quel 
était  son  meurtrier.  On  accusait  tout  haut  les  jésuites. 

Le  père  Coton,  à  la  nouvelle  de  l'assassinat,  courut  au 
Louvre....  Qui  est,  s'écria-t-il,  le  méchant  qui  a  tué  ce  bon 
prince,  ce  saint  roi,  ce  grand  roi? N'est-ce  pas  un  huguenot? 

Ah!  quelle  pitié,  dit  le  jésuite,  s'il  en  est  ainsi;  et  il  fit 
itrois  grands  signes  de  croix. 

J.  Kotc  xym. 


328         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


Un  (les  assislanls  qui  avait  cntoiulu  rcxclamalion  de  Co- 
lon, dit  assez  haut  pour  être  entendu:  Les  huguenots  ne 
font  pas  de  ces  coups-là. 

Le  jésuite  alla  visiter  le  meurtrier  dans  sa  prison.  «Mon 
ami,  lui  dit-il,  gardez-vous  bien  à  ne  mettre  pas  en  peine 
les  gens  de  bien.  Dans  sa  sollicitude ,  il  lui  promit  de  faire 
tous  les  jours  mention  de  lui  au  sacrifice  de  la  messe.»' 

Le  duc  d'Epernon  qui  sentait  tout  le  péri!  de  la  situa- 
lion,  déploya  une  rare  énergie.  «  Madame,  dit-il  à  la  reine 
qui  se  lamentait  et  s'écriait  en  sanglotant  :  Hélas  !  le  roi 
est  mort;  vous  vous  trompez ,  Madame,  le  roi  ne  meurt 
pas  en  France  »  ,  et  pendant  que  Paris  était  dans  une  ex- 
trême agitation,  le  conseil  du  roi  défunt  signa  un  acte  qui 
confiait  le  royaume  à  sa  veuve.  D'Épernon,  botté,  épe- 
ronné,  la  main  sur  la  garde  de  son  épée ,  porta  cet  acte  au 
parlement  qui,  séance  tenante,  rendit  d'urgence  un  arrêt 
«par  lequel  il  déclarait  la  reine,  mère  du  roi,  régente  de 
France,  pour  avoir  l'administration  des  affaires  pendant 
le  bas  âge  du  roi  avec  toute-puissance  et  autorité.» 

A  quatre  heures  de  l'après-midi,  le  roi  avait  été  frappé; 
trois  heures  après,  sa  veuve  prenait  les  rênes  de  l'État. 
Le  lendemain,  le  jeune  roi  tenait  un  lit  de  justice  et  dé- 
clarait sa  mère  régente  de  France,  «pour  avoir  soin  de 
l'éducation  et  nourriture  de  sa  personne»  et  l'administra- 
tion de  ses  affaires  pendant  son  bas  âge.  » 

XIII. 

Pendant  que  la  cour,  sous  le  coup  d'impressions  di- 
verses, s'agitait  et  intriguait  autour  du  cadavre  du  roi,  un 
cburrier  parti  de  Paris  le  jour  même  de  l'attentat,  arrivait 
le  lendemain  aux  portes  de  Saumur  au  moment  où  les  lu- 
mières commençaient  à  s'éteindre. 

«J'ai  besoin,  dit-il  à  la  sentinelle,  de  parler  au  gouver- 
neur.» 

Malgré  l'heure  avancée  do  la  nuit,  il  fut  conduit  vers 
Mornay. 

«Monseigneur,  lui  dit-il  lout  bas  à  l'oreille,  le  roi  a  été 
tué.» 


1.  L'Estoilc,  année  IGIO. 


LIVRE  XXVIII. 


329 


Mornay  pâlit  :  plus  navré  qu'étonné  d'un  attentat  qui 
jetait  la  France  sur  le  bord  de  l'abîme,  il  sentit  que  ce 
n'était  pas  le  moment  de  pleurer,  mais  d'agir;  plus  tard 
il  pleurera  le  maître  ingrat  qui  a  si  cruellement  déchiré 
son  cœur,  mais  l'heure  présente  sera  employée  à  assu- 
rer à  son  jeune  successeur  la  fidélité  de  tous  ceux  qui 
vivent  sous  son  gouvernement.  Il  n'a  pas  même  l'idée  de 
profiter  de  la  faiblesse  de  la  royauté  pour  faire  rendre  à 
ses  coreligionnaires  ce  que  les  infractions  à  l'édit  de 
Nantes  leur  ont  ravi.  Il  ouvre  son  tiroir  d'où  il  tire  un  pa- 
pier sur  lequel,  en  prévision  de  quelque  grande  catas- 
trophe, il  avait  écrit  depuis  longtemps  ces  mots  :  Ordre  au 
tcsoin. 

11  s'assied  à  son  bureau,  toute  la  nuit  il  écrit;  des 
courriers  partent  dans  toutes  les  directions  pour  annoncer 
la  fatale  nouvelle ,  et  porter  des  ordres  aux  commandants 
de  place  pour  maintenir  l'ordre  et  la  tranquillité. 

Le  jour  qui  suivit  cette  nuit,  qui  lui  laissa  de  longs  et 
douloureux  souvenirs,  il  assembla  à  l'hôtel  de  ville  les 
magistrats  et  les  principaux  habitants  de  Saumur:  «Vous 
savez  tous,  leur  dit-il,  que  nous  avons  perdu  notre  roi  et 
tel  roi,  que  plusieurs  siècles  auparavant  n'en  avaient  point 
vu  de  pareil.  Mais  les  rois  de  France  ne  meurent  point; 
que  chacun  se  retire  en  sa  maison,  assuré,  autant  qu'en 
cet  esclandre  il  se  peut  que  le  mal  est  trop  grand  pour 
empirer.» 

A  Saumur  comme  à  Paris,  la  douleur  fut  profonde  ;  on 
oublia  les  torts  du  roi  et  on  ne  pensa  qu'aux  côtés  de  sa  vie 
par  lesiquels  il  était  digne  d'être  aimé.  Chacun  sentait  que 
le  gouvernail  de  l'État  tenu  par  une  main  ferme,  était 
tombé  dans  celle  d'un  enfant  sous  la  tutelle  d'une  prin- 
cesse étrangère.  Si  Mornay,  avec  l'autorité  que  lui  donnait 
son  nom  et  ses  actes,  eût  été  un  ambitieux  comme  Bouil- 
lon, il  eût  appelé  les  réformés  aux  armes  ;  il  ne  le  fit  pas. 
Avant  d'être  homme  politique ,  il  était  chrétien  et  com- 
prenait admirablement  ces  paroles  des  livres  saints  adres- 
sées aux  fidèles  de  l'Eglise  primitive:  «Soyez  soumis  aux 
puissances  supérieures.»  L'expérience  lui  avait  déjJi  révélé 
avec  une  grande  amertume  que  chaque  fois  que  son  parti 
avait  eu  recours  au  bras  de  la  chair,  il  avait  subi  plus  d'é- 
checs qu'obtenu  de  triomphes.  La  France  qui  devait  tant 


330        HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

à  Mornay  ,  lui  dut  encore  sa  tranquillité  à  une  époque  ofi 
elle  aurait  pu  être  si  facilement  troublée;  son  courage ,  sa 
sagesse,  son  désintéressement,  sa  haute  capacité,  avaient 
fait  de  lui  le  premier  homme  de  la  Réforme;  aussi  quand 
la,mort  du  roi  fit  croire  à  de  nouveaux  revirements  dans 
l'État,  tous  les  regards  se  tournèrent  vers  lui. 

La  cour  qui  connaissait  l'influence  qu'il  avait  sur  les 
réformés,  lui  fit  écrire  deux  lettres  par  le  jeune  roi  dans 
lesquelles  il  aflirmait  vouloir  maintenir  les  édits  et  annon- 
çait que  sa  mère  avait  été  nommée  régente.' 

«Sire,  répondit  Mornay  au  roi,  c'est  un  vieux  serviteur 
qui  ose  écrire  à  Votre  Majesté  sur  une  si  douloureuse  oc- 
casion. Le  poids  de  cette  couronne  vous  vient  par  la  vo- 
lonté de  Dieu  en  vos  jeunes  années;  mais  celui  qui  dès 
votre  naissance  vous  la  destinait ,  saura  la  maintenir  sur 
votre  tête  par  sa  puissante  main.  Votre  Majesté  ne  man- 
quera pas  d'une  infinité  de  fidèles  serviteurs  qui  courront 
à  la  vengeance  d'un  acte  aussi  horrible.  Entre  ceux-là, 
Sire,  ayant  eu  l'honneur  de  servir  le  feu  roi,  d'immor- 
telle mémoire  en  ses  plus  grandes  adversités,  je  tâcherai 
de  témoigner  à  Votre  Majesté,  Sire,  en  celle-ci  qui  les 
surpasse  toutes,  que  je  ne  me  propose  plus  autre  bonheur 
que  de  mourir  votre  serviteur.' 

La  confiance  que  le  roi  et  son  conseil  avaient  en  Mor- 
nay, ne  fut  pas  trompée.  Le  seigneur  huguenot  réunit  le 
lendemain  du  jour  où  il  avait  écrit  au  jeune  Louis  XIII , 
les  magistrats,  la  garnison,  les  bourgeois  de  Saumur  et 
les  députations  des  campagnes  de  son  gouvernement. 
L'assemblée  était  nombreuse ,  sérieuse ,  recueillie.  11  prit 
la  parole  au  milieu  du  plus  profond  silence,  et  dit: 

«  Messieurs  ,  notre  roi,  le  plus  grand  que  la  chrétienté 
ait  eu  depuis  cinq  cents  ans,  qui  avait  survécu  à  tant  d'ad- 
versités, de  périls,  de  sièges,  de  batailles,  d'assassinats 
même  attentés  en  sa  personne,  tombe  sous  les  coups  d'un 
misérable. 

«....Ils  nous  ont  donc  tué  notre  roi,  et  j'en  vois  vos 
yeux  mouillés  de  larmes  et  vos  cœurs  désolés ,  mais  si  ,\e 
faut-il  pas  perdre  courage.  Notre  courage  doit  redoubler 

1.  Lettres  des  14  et  15  mai  1610. 

2.  Lettre  du  18  mai  1610. 


LIVRE  XXVIII. 


331 


au  contraire  par  la  nécessité  et  notre  juste  douleur.  Nous 
avons  de  la  grâce  de  Dieu  ce  privilège  en  ce  royaume , 
que  les  rois  n'y  meurent  point.  Il  nous  en  a  laissé  un  en 
qui,  dès  ce  bas  âge ,  renaissent  les  vertus  de  son  père.  La 
reine  sa  mère,  princesse  magnanime,  est  déclarée  régente. 
Tournons-nous  donc  vers  eux  dès  aujourd'hui ,  et  faisons 
vœu  d'obéissance  et  fidèle  service.» 

Mornay  prononça  ces  paroles  d'un  ton  solennel;  son 
regard,  sa  voix,  son  geste,  tout  était  parlant  chez  lui.  Il 
leva  la  main  droite,  et  s'écria  : 

«  Je  fais  serment  devant  mon  Dieu ,  je  vous  en  donne 
l'exemple,  qu'on  ne  parle  plus  entre  nous,  d'huguenots  ni 
de  papistes.  Si  nous  sommes  Français,  si  nous  aimons 
notre  patrie,  si  nos  familles,  si  nous-mêmes,  ils  doivent 
désormais  être  effacés  de  nos  âmes.  Il  ne  faut  plus  qu'une 
écharpe  entre  nous.  Qui  sera  bon  Français,  me  sera  citoyen  ♦ 
me  sera  frère.  Je  vous  conjure  donc,  Messieurs,  de  vous 
embrasser  tous,  de  n'avoir  qu'un  cœur  et  qu'une  âme. 
Nous  sommes  petits,  et  notre  ville  peut  être  de  considé- 
ration ;  mais  ayons  l'ambition  de  donner  à  nos  voisins  le 
bon  exemple  de  fidélité  à  nos  rois,  d'amour  à  notre  patrie.» 

Après  ces  paroles,  Mornay  ordonna  qu'on  fît  la  lecture 
des  lettres  officielles  du  roi  et  de  la  régente.  Quand  elle 
fut  terminée,  on  procéda  à  leur  enregistrement.  Plusieurs 
des  assistants  prononcèrent  des  discours  qui  furent  écoutés 
avec  un  religieux  silence  ;  Mornay  reprit  la  parole  et  dit  : 

«Eh  bien  donc,  Messieurs,  officiers  et  peuple,  promet- 
tez-vous pas  ici,  devant  Dieu  et  sur  le  salut  de  vos  âmes, 
d'être  et  demeurer  fidèles  sujets  et  serviteurs  de  notre  roi 
Louis ,  par  la  grâce  de  Dieu,  treizième  de  nom,  et  de  la 
reine  sa  mère,  déclarée  régente;  de  vous  comporter  fra- 
ternellement les  uns  envers  les  autres? 

«Oui»,  s'écria  toute  l'assemblée,  et  toutes  les  mains  S?^ 
levèrent  aux  cris  mille  fois  répétés  de  Vive  le  roi  ! 

Ainsi  parla  le  seigneur  huguenot;  ce  jour-là,  il  se  ven- 
gea en  chrétien  de  l'homme  qui  sans  pitié  pour  ses  souf- 
frances, après  l'avoir  raillé  à  Fontainebleau,  avait  soldé 
ses  services  par  le  retrait  de  plusieurs  de  ses  charges ,  et 
avait  oublié  de  lui  payer  les  sommes  qu'il  avait  dépensées 
à  son  service.  Tant  que  son  maître  fut  puissant  et  fort,  il 
$e  tint  à  l'écart;  le  rôle  de  suppliant  éi.nit  trop  pelit  pour 


^32         HISTOIUE  DE  LA  RÉFORMATION  FHANÇAISE. 

sa  digiiilé  d'homme;  celui  de  courtisan  trop  bas  pour  son 
caractère  de  chrétien.  Mornay  ne  pouvait  offrir  ses  services 
qu'à  la  faiblesse  et  au  malheur. 

XIV. 

A  la  nouvelle  de  l'attentat ,  Sully  se  dirigea  vers  le 
Louvre;  dans  son  trajet,  il  rencontra  quelques  seigneurs 
auxquels  il  recommanda  de  servir  fidèlement  le  jeune  roi 
et  sa  mère.  «Cette  recommandation  est  inutile,  lui  répon- 
dirent-ils avec  hauteur;  c'est  nous  qui  sommes  chargés  de 
le  faire  promettre  aux  autres.» 

Sully  comprit  qu'il  n'avait  plus  de  maître;  éperdu  et 
tremblont  de  frayeur,  il  rebroussa  chemin  et  alla  s'enfer- 
mer dans  la  Bastille,  où  il  fil  apporter  tout  le  pain  qu'il 
trouva  chez  les  boulangers.  Ministre  tout-puissant,  il  n'a- 
vait pas  su,  aux  jours  de  sa  grandeur,  se  faire  des  amis; 
suspect  aux  protestants,  il  était  haï  des  seigneurs  de  la 
cour  qui  enviaient,  les  uns  les  honneurs  dont  il  était  com- 
blé, les  autres  les  richesses  immenses  qu'il  avait  amassées 
dans  le  maniement  des  deniers  de  l'Etat.  Des  avis  secrets 
qui  lui  parvinrent  de  se  tenir  sur  ses  gardes,  augmentèrent 
ses  alarmes;  il  se  barricada  dans  le  château  de  la  Bastille 
comme  s'il  eût  dû  soutenir  un  siège,  et  expédia  des  cour- 
riers à  son  gendre,  le  duc  de  Rohan  pour  l'engager  à  se 
rapproclier  sans  relard  de  Paris  avec  les  6000  Suisses  qu'il 
comniaiidait. 

Cependant  la  ville  était  calme;  tous  les  corps  de  l'État 
faisaient  leur  soumission  au  nouveau  gouvernement,  et 
Marie  de  Médicis,  acclamée  partout  comme  régente ,  exer- 
çait le  souverain  pouvoir  «ans  contestation:  princes  et  sei- 
gneurs se  courbaient  à  l'envi  devant  ce  pouvoir  d'un  jour, 
faisant  assaut  de  bassesses  et  de  flatteries.  Sully,  après 
vingt-quatre  heures  de  douloureuses  réflexions,  jugea  lui- 
même  qu'il  était  prudent  de  faire  sa  soumission;  une  plus 
longue  absence  pouvait  être  interprétée  contre  lui.  La  cour, 
qui  sentait  le  besoin  de  rallier  tous  les  partis  autour  du 
pouvoir  naissant  de  la  régente,  lui  avait  fait  porter  de 
bonnes  paroles  par  d'ICpcnion.  Il  se  décidadonc  à  se  rendre 
au  Louvre.  Quelques  cavaliers  seulement  l'accompagnaient. 
La  reine  l'accueillit  comme  l'aurait  fait  le  roi  défunt;  tous 


LIVRE  xxvm. 


333 


deux  versèrent  des  larmes.  «  Mon  fils,  dit  la  reine  au  jeune 
Louis  XIII,  c'est  M.  de  Sully;  il  vous  le  faut  aimer,  car 
c'est  un  des  meilleurs  et  des  plus  utiles  serviteurs  du  roi 
votre  père,  et  le  prier  qu'il  continue  à  vous  servir  de 
même.» 

Sully  ne  comprit  pas  ou  ne  voulut  pas  comprendre  que 
l'accueil  qui  lui  était  fait,  n'avait  d'autre  cause  que  la 
crainte  qu'il  inspirait  ou  l'espérance  d'avoir  les  millions 
qu'il  avait  entassés  dans  la  Bastille.  Moins  ambitieux  ou 
moins  cupide,  il  eût  senti  que  l'heure  de  la  retraite  avait 
sonné  pour  lui.  Mais  soit  qu'il  songeât  à  sauver  son  im- 
mense fortune,  soit  que  l'amour  qu'il  avait  pour  Henri  IV 
se  fût  reporté  sur  son  jeune  successeur,  il  reprit  sa  place 
au  conseil. 

Le  duc  de  Bouillon  imita  Sully ,  mais  plus  prompt  que 
lui,  il  n'attendit  pas  qu'on  lui  demandât  ses  services,  il 
les  offrit  :  la  reine  les  accepta  avec  empressement.  En 
s'assurant  du  général  des  réformés,  elle  conjurait  le  dan- 
ger d'un  soulèvement  qui  eût  été  facile  sous  un  gouver- 
nement qui  par  sa  composition,  inspirait  une  défiance 
légitime.  Aussi  la  cour  se  liàtn  de  rassurer  les  protestants, 
et  le  22  mai  le  roi  fit  une  déclaration  par  laquelle  il  ratifia 
l'édit  de  Nantes  dans  sa  forme  et  teneur  «  le  tenant  pour 
perpétuel  et  irrévocable.»  Cette  déclaration  fut  immédia- 
tement suivie  d'un  brevet  qui  confirmait  aux  protestants  le 
droit,  accordé  par  Henri  IV,  de  faire  leurs  exercices  à 
Charenton.  —  Ils  crurent  à  la  sincérité  de  la  cour  et 
ne  mirent  pas  en  doute  qu'un  roi  ne  peut  manquer  à  sa 
parole  publiquement  donnée  sur  le  cercueil  de  son  pré- 
décesseur. Après  avoir  eu  un  moment  de  grand  effroi ,  ils 
se  rassurèrent. 

Pleuré  par  les  protestants,  par  le  peuple  et  par  le§  sei- 
gneurs catholiques  qui  s'étaient  associés  à  ses  grands 
projets,  le  roi  ne  l'était  ni  par  les  jésuites,  ni  par  le 
parti  de  la  cour  vendu  à  l'Espagne.  Sa  mort  était  arrivée 
au  moment  où  à  la  tête  d'une  puissante  armée ,  il  allait 
abaisser  l'orgueilleuse  maison  d'Autriche  et  rétablir  l'équi- 
libre européen,  si  longtemps  dérangé  par  elle.  Quelques 
heures  avaient  sufiî  pour  abaisser  ceux  qui  étaient  éle- 
vés et  élever  ceux  qui  étaient  abaissés.  Le  pouvoir  était 
tombé  dc3  laains  d'un  ;^vand  homme  dans  celle  d'intri- 


334         HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE.  .  ' 

gants  qui  se  réjouissaient  sans  contrainte  de  sa  mort, 
et  se  préparaient  à  rendre  à  ses  restes  les  honneurs  qui 
lui  étaient  dus.  Ils  l'avaient  déposé,  revêtu  de  ses  habits 
royaux,  dans  une  des  salles  du  Louvre,  transformée  en 
chapelle  ardente,  et  pendant  que  la  foule  venait  les  larmes 
aux  yeux,  baiser  son  suaire  et  jeter  sur  lui  un  regard 
d'adieu,  il  y  avait  au-dessus  de  la  salle  où  il  reposait,  des 
joies  indécentes,  sataniques.  Les  valets  étaient  devenus 
maîtres,  et  ces  valets  se  disposaient  à  faire  de  la  France, 
un  marchepied  pour  le  successeur  de  Philippe  IL 

XV. 

Arrôtons-nous  près  de  ce  lit  de  parade  sur  lequel  repose 
le  corps  de  l'homme  qui  vit  si  souvent  la  mort  en  face  et 
la  trouva  sous  le  fer  d'un  misérable  assassin.  Jugeons-le 
comme  les  Égyptiens  jugeaient  leurs  rois,  sans  passion, 
avec  justice. 

Henri  IV  est  un  être  multiple  qu'on  ne  peut  peindre  de 
face  que  lorsqu'on  a  étudié  ses  nombreux  profils.  11  y  a  en 
lui  le  soldat,  le  politique,  l'écrivain  ,  le  roi,  l'homme. 

Le  soldat  est  parfait:  il  rit,  plaisante  au  roulement  des 
tambours,  au  sifflement  des  balles,  au  bruit  du  canon; 
calme  avec  un  éclair  dans  les  yeux.  Dans  un  pays  où  le 
courage  militaire  est  si  commun  que  la  lâcheté  y  est  in- 
connue, le  Béarnais  se  distingua  parmi  les  plus  braves, 
mais  le  soldat  est  plus  grand  que  le  capitaine,  parce  que  là 
où  il  aurait  fallu  être  capitaine,  il  ne  fut  trop  souvent  que 
soldat.  Il  s'inspirait  moins  de  ses  réflexions  passées  que 
du  moment  présent  ;  mais  il  avait  alors  le  coup  d'œil  ra- 
pide, juste;  c'était  un  improvisateur  de  victoires  et  ce- 
pendant Farnèse  le  domine  de  toute  sa  hauteur;  devant  ce 
froid  italien,  il  se  rabaisse  à  la  taille  d'un  brillant  colonel, 
mais  ce  colonel  conquit  mieux  l'admiration  de  sa  valeu- 
reuse gentilhommerie  avec  ses  étourderies  qu'il  ne  l'eût 
fait  s'il  eût  été  un  Cincinnatus.  Il  fut  l'homme  de  son 
époque,  mais  de  son  époque  il  n'eut  pas  la  cruauté  ;  sa 
nature  chevaleresque  ne  pouvait  le  faire  descendre  au  rôle 
terrible  d'un  baron  des  Adrets  ou  à  la  froide  cruauté  d'un 
Biaise  de  Montluc,  Il  fit  la  guerre  en  adversaire  loyal  et 


LIVRE  XXVIII. 


335 


généreux  ;  c'est  là  l'un  des  plus  beaux  côtés  de  sa  physio- 
nomie. 

Il  est  rare  qu'un  soldat  soit  un  habile  politique  ;  Henri  IV 
cependant  le  fut  :  mûri  de  bonne  heure  à  la  rude  et  salu- 
taire école  des  adversités,  il  étudia  les  hommes  et  les  évé- 
nements avec  une  sagacité  qui  paraît  étonnante  chez  un 
prince  qui  ne  rêvait  que  combats  et  plaisirs.  Sa  position 
au  milieu  des  partis  fut  toujours  difficile ,  et  toujours  il 
sut,  comme  un  habile  pilote,  éviter  les  écueils  ;  il  ne  se 
précipita  pas  au-devant  des  événements ,  il  les  attendit; 
mais  les  moyens  qu'il  employa  pour  arriver  à  ses  fins  ne 
furent  pas  toujours  bons;  au  moment  même  où  il  disait  à 
ses  braves  huguenots:  «avec  vous  c'est  à  la  vie  et  à  la  mort», 
il  se  courbait  devant  le  pape.  Il  priait  comme  un  simple 
huguenot  devant  un  front  de  bataille  ;  après  le  combat  il 
allait  porter  aux  pieds  d'une  maîtresse  les  drnpeau.x  con- 
quis à  l'ennemi,  jetant  ainsi  au  vent  et  à  l'amour  les  fruits 
d'une  grande  victoire.  Il  trompait  si  bien  qu'on  aimait  à 
se  laisser  tromper  par  lui  ;  quand  on  le  lui  reprochait,  il 
disait:  «  Que  voulez-vous  que  j'y  fasse,  j'y  suis  obligé.» 
Ses  manœuvres  diplomatiques,  avant,  pendant  ou  après  la 
ligue,  nous  font  admirer  le  négociateur  et  un  peu  méses- 
timer l'homme.  Ses  apologistes  disent  à  sa  décharge  que 
sa  conduite  fut  dictée  par  les  circonstances,  mais  la  mo- 
rale qu'il  foula  aux  pieds  n'a  ni  deux  poids,  ni  deux  me- 
sures. Quand  il  eut  conquis  ou  plutôt  acheté  son  royaume, 
sa  politique  fut  grande,  et  si  le  coup  de  poignard  d'un 
assassin  ne  l'eût  pas  arrêté  dans  ses  projets,  il  eût  épargné 
à  la  France  et  au  monde  de  grands  malheurs  et  de  grandes 
hontes.  La  guerre  de  trente  ans  n'aurait  pas  eu  lieu. 

Henri  IV  a  obtenu  une  gloire  à  laquelle  il  ne  pensa  ja- 
mais :  celle  d'écrivain.  Si  le  style  estriiomme,  le  Béar- 
nais est  tout  entier  dans  le  sien.  Quelle  verve,  quelle 
rondeur  dans  ses  lettres,  dans  ses  proclamations,  dans 
ses  discours!  Tout  y  révèle  un  improvisateur,  et  cependant 
tout  y  est  pensé,  mûri,  arrêté,  exprimé  d'une  manière 
nette,  originale,  piquante;  c'est  le  bon  sens  qui  se  revêt 
de  toutes  les  grâces  de  l'esprit  gaulois,  et  qui  assoupHt 
sous  son  génie  une  langue  que  devait  parler  plus  tard  Mo- 
lière et  Mad.  de  Sévigné.  On  ne  peut  le  comparer  qu'à  lui- 
même,  on  peut  d'autant  plus  l'admirer  qu'il  n'eut  ja 


o3G         HISTOIRE  DE  LA  RÈFORMATION  FRANÇAISE. 

l'amour-propre  indomptable  de  la  plupart  des  auteurs,  et 
que,  comme  Lafontaine ,  il  écrivit  des  chefs-d'œuvre  sans 
s'en  douter. 

Comme  roi,  Henri  IV  fut  grand,  si  nous  établissons  un 
point  de  comparaison  entre  lui  et  les  souverains  qui  ont 
régné  sur  la  France;  il  n'eut  ni  le  génie  militaire  de  Na- 
poléon, ni  la  majesté  fastueuse  de  Louis  XIV,  ni  l'esprit 
j  organisateur  de  Cliarlemagne ,  mais  il  dépassa  de  toute  la 
tète  la  plupart  des  autres  monarques  français.  Il  eut  un 
instinct  admirable  des  besoins  de  la  France  et  sut  s'ad- 
i:'oindre  un  homme  à  la  grandeur  duquel  il  contribua  et  qui 
contribua  à  la  sienne.  Aidé  de  Sully ,  il  encouragea  puis- 
samment l'agriculture,  et  malgré  Sully,  il  fonda  le  com- 
merce et  l'industrie. 

Quelques  années  de  règne  lui  suffirent  pour  réparer  les 
désastres  de  quarante  ans  de  guerre  ;  il  replaça  la  France 
ai;  rang  qu'elle  avait  perdu,  et  ce  roi  si  pauvre,  qu'il  ne 
pouvait  quelquefois  payer  les  fournisseurs  de  sa  table, 
élait  craint  et  respecté.  Quand  il  mourut,  toute  l'Europe 
avait  les  yeux  sur  lui,  il  en  était  l'arbilre.  On  s'est  trompé 
cependant,  quand  on  a  salué  le  Béarnais  du  nom  de  Henri 
le  Grand;  mais  on  ne  se  trompe  pas  quand  on  l'appelle  un 
grand  roi.  Il  le  fut  par  son  courage,  sa  politique  et  sa  rare 
inielligence  des  besoins  de  son  royaume. 

Quand  les  historiens  jugent  les  princes,  ils  sont  pour  la 
plupart  aussi  indulgents  pour  l'homme  privé  qu'ils  sont 
sévères  pour  l'homme  public.  Cependant  ces  deux  hommes 
sont  inséparables  et  s'expliquent  mutuellement.  Henri  IV 
nous  paraît  grand,  mais  comme  il  le  serait  davantage  si 
l'homme  privé  n'eût  compromis  l'homme  public.  Nous 
déplorons  les  nombreuses  taches  qui  nous  frappent  dans 
sa  vie,  vie  admirable  par  tant  de  côtés,  méprisable  par 
tant  d'autres:  son  cgoïsme  l'empêcha  de  se  préoccuper  des 
intérêts  des  autres;  son  orgueil  lui  fit  haïr  toute  supério- 
rité ;  son  ingratitude  lui  fit  oublier  les  services  de  ses 
meilleurs  amis;  sa  fureur  du  jeu  l'endetta;  son  amour  des 
femmes  fit  de  sa  cour  un  séjour  permanent  de  scandale;  à 
tous  ces  défauts,  nous  devrions  dire  ces  vices,  il  joignit 
le  mensonge  cl  le  parjure  ;  les  vices  de  l'homme  privé  se 
retrouvent  dans  presque  tous  les  actes  de  sa  vie  publique; 
il  écoiiîa  ses  passions  plus  encore  que  sc^  iulérOls.  ra- 


Livr.E  xxvni. 


337 


rement  sa  conscience.  Supposons  Henri  IV  simple  genlil- 
liomme,  il  nous  apparaîtra  comme  un  Roquelaure  de  cour, 
et  il  descendra  au-dessous  de  notre  mépris.  Nous  ne  com- 
prenons pas  les  historiens  qui  glissent  légèrement  sur  le 
caractère  de  l'homme  privé ,  et  lui  ouvrent  le  trésor  de 
leurs  indulgences;  ils  ne  refléchissent  pas  au  mal  immense 
que  cet  homme  a  fait  à  la  France  par  les  exemples  qu'il 
lui  a  donnés.  Quand  le  souverain  s'avilit,  les  sujets  sont 
portés  à  l'imiter,  et  si  la  moralité  est  la  pierre  angulaire 
de  l'édifice  social,  qui  osera  soutenir  que  Henri  IV  ne  l'ait 
fortement  ébranlée?  On  admire  l'homme  qui  a  gagné  des 
batailles  sur  les  ligueurs  et  on  ne  flétrit  pas  celui  qui  ne 
sut  presque  jamais  remporter  une  victoire  sur  son  propre 
cœur.  On  le  loue  d'avoir  fondé  en  France  l'industrie  et  le 
commerce,  ne  mériterait-il  pas  plus  de  louanges  s'il  eût 
inauguré  le  règne  des  bonnes  mœurs?  On  l'admire  quand 
il  déjouait  les  partis  par  l'habilété  de  sa  politique,  ne  mé- 
riterait-il pas  plus  d'admiration  si  sa  politique  eût  été 
droite.  Il  abandonna  les  huguenots  :  s'il  l'eût  fait  par  con- 
viction, nous  pourrions  le  plaindre  sans  le  mésestimer.  De 
quel  côté  donc  que  nous  envisagions  l'homme  privé,  nous 
sommes  désillusionnes;  il  fut  spirituel ,  brave,  aimable, 
séduisant  et  fit  de  grandes  choses,  mais  ces  grandes  choses 
ne  peuvent  forcer  ni  le  respect,  ni  l'eslime  de  la  posté- 
rité; nous  sommes  sévère,  mais  juste,  et  notre  jugement 
n'est  ni  un  caprice  d'historien,  ni  une  vengeance  de  hu- 
guenot :  il  est  dicté  par  les  faits. 

Une  mauvaise  chanson  a  fait  de  Henri  IV  un  roi  popu- 
laire ,  mais  il  faudrait  désespérer  d'un  peuple  qui  trouve- 
rait dans  ce  monarque  l'idéal  de  son  souverain.  Quand  les 
Français  comprendront  que  la  vraie  grandeur  des  rois 
n'est  pas  seulement  dans  le  génie  politique,  mais  encore 
dans  la  droiture  et  la  pureté  des  mœurs,  Henri  IV  perdra 
beaucoup  de  son  prestige.  Le  temps  fait  attendre  ses  ar- 
rêts, mais  quand  il  les  rend,  ils  sont  irrévocables.  Cepen- 
dant malgré  la  sévérité  de  nos  jugements,  nous  nous 
sentons  à  moitié  désarnsés  devant  cette  graiidc  figure  de 
nos  guerres  civiles  et  religieuses;  et  comme  ces  braves 
huguenots  qu'il  abandonna,  nous  ne  pouvons  nous  cmpè- 
chiT  de  l'admirer;  il  est  si  courageux  !  de  l'aimer  un  peu; 
il  est  «juclqucfois  si  bon! 


338 


HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 


XVI. 

L'homme  qui  avait  asassiné  le  roi  était  né  à  Angoulême, 
et  s'appelait  François  Ravaillac,  il  avait  trente-deux  ans; 
jeune  il  entra  dans  un  couvent  de  Feuillants,  d'où  il  fut 
renvoyé  ;  il  se  fit  alors  solliciteur  d'affaires  ,  perdit  un 
procès  important  et  fut  accusé  de  meurtre;  mais  faute  de 
preuves  suffisantes,  il  fut  absous;  il  s'établit  alors  à  An- 
goulème,  «oîi  pour  gagner  sa  vie  il  montrait  aux  enfants 
à  prier  Dieu  en  la  religion  catholique  ,  apostolique  et 
romaine.  » 

Cet  homme  qui  appartenait  à  la  famille  des  Jacques 
Clément  et  des  Chatel  crut  rendre  à  son  Église  un  service 
signalé  en  la  délivrant  d'un  roi  dont  il  ne  croyait  pas  la 
conversion  sincère  ;  avant  de  le  faire  il  voulut  l'engager  à 
détruire  des  hérétiques  et  à  cesser  ses  préparatifs  de  guerre 
qui,  disait  il,  étaient  dirigés  contre  les  princes  catholiques 
et  contre  le  Saint-Père;  or,  plusieurs  fois  il  fit  le  voyage 
de  Paris  afin  de  parler  au  roi  ;  il  ne  put  parvenir  jusqu'à 
lui ,  il  crut  alors  que  Dieu  voulait  sa  mort.  Une  dernière 
fois  il  quitta  Angoulème  aux  environs  de  Pâques  avec  l'in- 
tention formelle  d'accomplir  son  crime.  Pour  s'y  aguerrir 
il  portait  dans  un  sachet  sur  son  cœur  un  peu  de  coton 
qu'il  croyait  être  un  morceau  de  la  vraie  croix  et  des 
amulettes  sur  lesquelles  étaient  écrits  ces  vers  : 

Qne  toujours  dans  mon  cœur 
Jésus  soit  vainqueur. 

Arrivé  à  Paris  le  cœur  lui, manqua ...  il  reprit  le  chemin 
de  sa  ville  natale;  arrivé  à  Étampes,  ses  regards  tombèrent 
sufr  un  bas-relief  représentant  Vecce  honio,  il  retourna 
aussitôt  sur  ses  pas.  «C'est,  dit-il,  la  volonté  de  Dieu  que 
j'accomplisse  mon  dessein.»  On  connaît  le  reste.  Pendant 
les  deux  jours  qui  suivirent  son  crime  il  fut  gardé  dans 
l'hôtel  de  Pvetz.  C'est  là  que  le  père  Colon  et  un  grand 
nombre  de  personnes  furent  le  voir  et  lui  parler.  Son 
procès  dura  dix  jours,  il  avoua  son  crime  et  fut  condamné 
à  mort. 


LIVRE  SXVIII. 


339 


XVII. 

• 

Ravaillac  fut  amené  devant  Messieurs  du  parlement; 
pendant  qu'il  était  à  genoux,  le  greffier  lut  l'arrêt  qui  le 
condamnait  à  mort,  et  ordonnait  qu'il  serait  préalablement 
appliqué  à  la  question,  à  moins  qu'il  ne  déclarât  avec 
serment  ce  qui  l'avait  incité  à  commettre  son  crime,  et 
quels  étaient  ceux  qui  l'y  avaient  poussé. 

«Par  la  damnation  de  mon  âme,  dit  Ravaillac,  il  n'y  a 
eu  homme,  femme,  ni  autre  que  moi  qui  l'ai  su.» 

Les  bourreaux  le  firent  asseoir  sur  un  fauteuil;  l'opéra- 
tion des  brodequins  commença.  On  enfonça  le  premier 
coin;  le  patient  poussa  un  grand  cri.  «Mon  Dieu,  s'écria-t- 
il,  ayez  pitié  de  mon  âme,  pardonnez-moi  ma  faute.» 

—  Déclarez  vos  complices ,  lui  dit  le  greffier. 

—  Je  n'en  ai  point,  répondit  le  patient. 
Le  bourreau  enfonça  le  second  coin. 
Nouveau  cri  plus  perçant  que  le  premier. 

Somn;é  de  nouveau  de  nommer  ses  complices ,  il  ré- 
pondit: «Je  ne  peux  dire  que  ce  que  j"ai  dit.» 

Le  bourreau  continua  à  enfoncer  le  deuxième  coin. 

Les  douleurs  du  condamné  étaient  affreuses  ;  il  poussait 
des  cris  déchirants  :  «Reçois,  mon  Dieu,  criait-il,  reçois 
cette  peine  pour  la  satisfaction  de  mes  péchés!» 

Le  bourreau  mit  le  troisième  coin. 

Ravaillac  se  mit  à  trembler  de  tous  ses  membres.  Son 
corps  se  couvrit  de  sueur,  il  balbutia  quelques  paroles  et 
tomba  en  défaillance  ;  on  relira  ses  pieds  des  brodequins; 
on  lui  jeta  de  l'eau  sur  la  figure  pour  l'aider  à  reprendre 
ses  sens  ;  on  lui  fit  avaler  un  peu  de  vin  et  on  le  coucha 
sur  un  matelas,  où  il  resta  jusqu'au  moment  où  l'exécuteur 
vint  le  prendre:  c'était  midi.  Avant  de  le  conduire  à  la 
place  de  Grève,  on  le  supplia  de  dire  toute  la  vérité. 

«  C'est  le  diable  qui  m'a  porté  à  cette  abominable  ac- 
tion, répondit-il;  je  prie  le  roi,  la  reine  et  tout  le  monde 
de  me  pardonner.»  On  ne  put  lui  arracher  une  autre  con- 
fession. 

Quand  on  vit  qu'une  plus  longue  insistance  était  inutile, 
on  lui  fit  signer  sa  déposition  et  on  se  prépara  à  sortir  de 
la  Conciergerie. 


340         HISTOIRE  DE  LA  RÈFORMATIOK  FRANÇAISE. 

Au  moment  du  départ,  du  milieu  des  prisonniers  s'éleva 
un  cri  terrible  qui  fil  tressaillir  de  terreur  le  meurtrier. 
Ses  compagnons  de  prison  l'accablèiient  d'injures  et  l'eus- 
sent mis  en  pièces  sans  l'intervention  des  archers  A  la 
sortie  de  la  prison ,  le  cortège  rencontra  une  foule  tellement 
compacte  qu'il  fallut  forcer  le  passage  pour  faire  avancer 
le  tombereau  ;  en  apercevant  Ravaillnc,  le  peuple  l'accueillit 
par  des  imprécations:  les  uns  lui  criaient  m^c/iani,  les  au- 
tres traître,  ceux-ci  meurtrier,  ceu\-\h  parricide.  L'infor- 
tuné comprit  alors  toute  l'atrocité  de  son  crime,  et  maudit 
les  docteurs  qui  lui  avaient  enseigné  dans  leurs  livres  que 
de  son  couteau  il  se  ferait  une  clef  pour  ouvrir  le  ciel  ; 
de  quelque  côté  qu'il  portât  les  yeux,  il  ne  trouvait  pas  un 
regard  ami.  Le  même  peuple  qui  avait  fait  un  saint  du 
meurtrier  de  Henri  III,  ne  voyait  qu'un  damné  dans  celui 
de  Henri  IV;  il  avait  soif  de  son  sang;  le  supplice  le  plus 
atroce  lui  paraissait  une  douce  punition.  Rien  ne  manqua 
à  celui  du  maître  d'école  d'Angoulème. 

On  essaya  encore  une  fois  de  lui  arracher  une  confes- 
sion plus  ample  que  cr-llcs  qu'il  avait  déjà  faites  ;  ce  fut  en 
vain;  une  foule  immense ,  compacte,  haletante,  impa- 
tiente, entourait  réchafaud  sur  lequel  le  palicnt  était 
assis,  tenant  dans  sa  main  droite  le  couteau  avec  lequel  il 
avait  frappé  le  roi. 

On  commença  par  mettre  le  feu  à  son  bras;  l'excès  de 
la  douleur  lui  arracha  un  cri  perçant,  plusieurs  fois  il 
prononça  les  mots  Jésus,  y]/«r/«.  Les  assistants  tressaillirent 
de  joie  quand  le  bourreau,  saisissant  les  tenailles,  com- 
mença à  lui  enlever  des  lambeaux  de  chair. 

Ils  craignaient  cependant  qu'il  n'allât  trop  vite  et  ne 
hâtât  sa  fm. 

Ils  furent  satisfaits.  Après  le  mal  vint  le  remède  plus 
terrible  que  le  mal  :  avec  du  plomb  fondu  et  de  l'huile 
on  cicatrisa  ses  plaies. 

Rnvaillac  poussait  des  cris  affreux.  Les  docteurs  lui  de- 
mandèrent encore  une  fois  de  dire  tout  ce  qu'il  savait: 
«Rien  de  plus  que  ce  que  je  vous  ai  dit»,  répondit-il.  Ils 
voulurent  alors ,  sur  l'invitation  du  greffier,  faire  des 
prières  pour  lui;  ils  firent  signe  à  la  foule  de  faire  silence. 
«Non,  non,  s'écrièrent  les. -'^lîislanfs,  pas  de  prières  pour 
ce  misérable,  pour  ce  damné.)) 


LIVRE  XXVIII. 


341 


«Votre  plus  terrible  jugement,  lui  dit  le  greffier,  est 
l'indignation  de  celte  foule,  déclarez  donc  quels  sont  ceux 
qui  vous  ont  poussé  à  commettre  ce  crime. 

«  Il  n'y  a  que  moi,  dit  Ravaillac  qui  l'ai  fait.» 

On  fit  approcher  des  chevaux  qui  commencèrent  l'éear- 
tèlement  au  milieu  des  imprécations  sans  cesse  crois- 
santes du  peuple,  plusieurs  se  mirent  à  tirer  les  cordes; 
enfin  après  une  heure  d'atroces  douleurs,  le  meurtrier 
avait  fini  de  souffrir.  Il  avait  à  peine  cessé  de  vivre,  que 
les  assistants  se  ruèrent  sur  son  cadavre  et  le  frappèrent , 
les  uns  à  coups  de  couteaux,  les  autres  à  coups  de  bâtons. 
On  l'arracha  des  mains  de  l'exécuteur,  on  le  déchira  en 
morceaux  qu'on  traîna  tout  palpitants  dans  les  rues,  et 
qu'on  brûla  ensuite. 

En  retraçant  ces  scènes  d'horreur,  le  cœur  est  saisi  d'un 
profond  dégoût,  à  la  vue  de  ce  peuple  qui  témoigne  d'une 
manière  si  cruelle  l'amour  qu'il  a  pour  son  roi.  L'as- 
sassin mérita  la  mort,  mais  fallait-il  tout  ce  terrible  appa- 
reil de  supplice  pour  l'expiation  de  son  crime?  Ce  peuple 
n'eût-il  pas  été  plus  digne ,  plus  grand ,  s'il  eût  assisté  si- 
lencieux au  supplice  du  coupable;  et  quand  on  demanda 
pour  lui  les  dernières  prières,  n'eût-il  pas  dû  se  rappeler 
les  dernières  paroles  du  Sauveur  pardonnant  à  ses  insul- 
teurs  et  à  ses  bourreaux?  Dans  ces  scènes  déchirantes  ,  le 
meurtrier,  malgré  l'horreur  que  nous  inspire  son  crime, 
nous  touche  par  sa  constance  et  nous  émeut  par  ses  dou- 
leurs; nous  le  retranchons  violemment  de  la  société, 
n'est-ce  pas  assez?  Faut-il  encore,  comme  des  sauvages, 
prendre  un  barbare  plaisir  à  le  voir  mutilé,  tenaillé,  écar- 
telé? 

XVIII. 

Est-ce  Ravaillac  seul  qu'il  faut  rendre  responsable  de 
l'assassinat  de  Henri  IV  ?  Nous  serions  heureux  de  le 
croire;  mais  malheureusement,  derrière  le  maître  d'école 
d'Angoulème,  nous  voyons  la  main  mystérieuse  qui  l'a 
poussé  h  commettre  son  crime  :  cette  main  est  celle  de 
celui  qui  a  semé  dans  son  cœur  la  fatale  idée  qu'il  ferait 
de  son  couteau  une  clef  pour  s'ouvrir  le  ciel.  S'il  n'eût 
pas  entendu  professer  la  doctrine  de  la  légitimité  du  régi- 
cide, eût-il  jamais  eu  l'idée  de  son  parricide? 


342        HISTOIRE  DE  LA  RÉFORMATION  FRANÇAISE. 

Dans  ce  monde,  où  le  superficiel  est  si  commun,  on  ne 
s'arrête  qu'aux  faits,  quand  c'est  aux  causes  qu'il  faut 
remonter,  puisque  c'est  là  seulement  que  se  trouve  l'ex- 
plication des  événements  qui  nous  étonnent  d'abord,  mais 
qui  cessent  de  nous  surprendre  quand  nous  en  saisissons 
les  premiers  germes.  Nous  trouvons  donc  logique  l'attentat 
de  Ravaillac;  il  avait  si  souvent  entendu  dire  que  celui  qui 
tue  un  tyran  fait  une  action  méritoire  de  la  vie  éternelle, 
qu'il  tint  a  commettre  cette  action  :  S'il  ne  l'eût  pas  fait 
d'autres  l'eussent  tenté.  Philippe  II  ennoblissant  la  famille 
de  l'assassin  du  prince  d'Orange,  Sixte-Quint  approuvant 
le  meurtre  de  Henri  III,  les  prédicateurs  de  la  ligue,  prê- 
chant ouvertement  le  régicide,  avaient  suspendu  un  glaive 
sur  la  tète  de  tout  prince  qui  oserait  se  déclarer  indépen- 
dant de  l'église. 

Il  se  rencontra  donc  un  homme  dans  le  cœur  duquel 
cette  semence  tomba,  elle  s'y  développa  avec  force.... 
On  connaît  le  reste.  La  société  voulut  une  expiation,  elle 
eut  lieu  :  elle  fut  horrible  et  cependant  le  bourreau  n'at- 
teignit pas  les  grands  coupables.  On  ne  frappa  qu'un  homme, 
mais  les  maximes  qui  avaient  armé  cet  homme  ne  furent 
pas  exécutées  en  place  de  grève;  elles  demeurèrent  dans 
le  sol  de  la  nation  comme  une  plante  vénéneuse.  Ah!  c'est 
moins  contre  Ravaillac  que  contre  elles  qu'il  faut  pousser 
un  cri  d'indignation  afin  de  les  faire  rentrer  dans  les 
abîmes  de  l'enfer  d'où  elles  sont  montées. 

Ravaillac  eut-il  des  complipes?  Plusieurs  historiens  le 
croient,  les  uns  nomment  d'Epernon,  les  autres  la  Reine, 
et  cependant  lorsqu'on  lit  avec  attention  les  pièces  de  son 
procès,  qu'on  assiste  à  tous  ses  interrogatoires,  qu'on 
recueille  les  paroles  que  lui  arracha  la  torture,  on  arrive 
à  cette  conclusion  qu'il  n'eut  d'autre  complice  que  les 
maximes  jésuitiques.  Ravaillac  ne  fut  donc  que  la  main 
qui  frappa  le  prince  qui  eut  l'idée  d'inaugurer  en  f^jance 
le  règne  de  la  tolérance  :  cette  idée  était  grande,  géné- 
reuse, il  en  fut  le  premier  et  le  plus  célèbre  martyr. 


FIN  DU  QUATRIÈME  VOLUME. 


NOTES 

taAIRCISSEMENTS  ET  CURIOSITÉS  HISTORIQUES 

DU  QUATRIÈME  VOLUME. 


Note  I,  page  13. 

La  procession  fut  telle  :  le  recteur  Roze  quitta  sa  capeluche  rec- 
torale, prit  sa  robe  de  maitre-ès-arts  avec  le  camail  et  le  roquet, 
et  un  hausse-col  dessous  ;  la  barbe  et  la  tête  rasées  toutes  de  frais, 
l'épée  au  côté  et  une  pertuisane  sur  l'épaule.  Les  curés  Amilton, 
Bouclier  et  Guincestre',  un  petit  plus  bizarrement  armés,  faisaient 
le  premier  rang ,  et  devant  eux  marchaient  trois  petits  moinetons 
et  novices,  leurs  robes  troussées,  ayant  chacun  le  casque  en  tête 
dessous  leurs  capuchons,  et  unerondache  pendue  au  col  où  étaient 
peintes  les  armoiries  et  devises  desdits  seigneurs.  Maître  Jacques 
Pelletier,  curé  de  Saint-Jacques-  marchait  à  côté,  tantôt  devant, 
tantôt  derrière,  habillé  de  violet,  en  gendarme  scholastique,  la 
couronne  et  la  barbe  faite  de  frais,  une  brigandine'  sur  le  dos, 
avec  l'épée  et  le  poignard  et  une  hallebarde  sur  l'épaule  gauche, 
en  forme  de  sergent  de  bande,  qui  suait,  poussait  et  haletait,  pour 
mettre  chacun  en  rang  et  ordonnance.  Puis  suivaient  de  trois  en 
trois  cinquante  ou  soixante  religieux,  tant  cordeliers  que  jacobins, 
carmes,  capucins,  minimes,  bons  hommes,  feuillants  et  autres, 

1.  Jean  Harailton,  Écossais,  cuiô  de  Saint-CiJme  ;  Jean  Boucher,  curé  de  Saint- 
Benoit;  Jean  Guincestre ,  Vineestre  ou  Lincestre,  curé  de  Saint-Gervais  ;  tous  trois 
fameux  ligueurs. 

2.  Curé  de  Saint -Jacques -la -Boucherie.  Il  fut  obligé  de  sortir  de  Paris,  après 
la  reddition  de  cette  ville  à  l'obéissance  de  Henri  IV.  Au  reste  il  se  nommait  Julien 
Pelletier,  et  il  était  frère  de  Jean  et  Jacques  Pelletier,  connus  par  leurs  ouvrages,  « 
Voyez  la  bibliothèque  française  du  sieur  De  la  Croix  du  Maine, 

3.  Brigandine,  sorte  de  cotte  de  maille. 


344 


NOTES. 


tous  couverts  avec  leurs  capuchons  et  habits  agrafés,  armés  à 

l'antique  calholiquc  :  entre  autres  y  avait  six  capucins,  ayant  cha- 
cun un  morion  en  tête  et  au-dessus  une  plume  de  coq,  revêtus 
de  cottes  de  mailles,  l'épée  ceinte  au  coté  par  dessus  leurs  habits, 
l'un  portant  une  lance ,  l'autre  une  croix,  l'un  unépieu,  l'autre 
une  arqiicliuse  et  l'autre  une  arbalette,  le  tout  rouillé,  par  humi- 
lité catholique;  les  autres  presque  tous  avaient  des  piques,  qu'ils 
branlaient  souvent  faute  de  meilleur  passe-temps,  hormis  un  feuil- 
lant boiteux',  qui,  armé  tout  à  crud,  se  faisait  faire  place  avec 
une  épée  à  deux  mains  et  une  hache  d'armes  à  la  ceinture,  sou 
bréviaire  pendu  par  derrière,  et  le  faisait  bon  voir  sur  un  pied 
faisant  le  mouhnet  devant  les  dames  -.  A  la  queue  y  avait  trois 
minimes,  tous  d'une  parure  :  savoir  est,  ayant  sur  leurs  habits 
chacun  un  plastron  à  courroies,  et  le  derrière  découvert,  la  salade 
en  tête,  l'épée  et  pistolet  à  la  ceinture,  et  chacun  une  arquebuse 
à  croq  sans  fourchette.  Derrière  était  le  prieur  des  jacobins'  en 
fort  bon  point,  traînant  une  hallebarde  de  gauchère,  et  armé  à  la 
légère  en  morte-paie.  Je  n'y  vis  ni  chartreux  ni  célestins  qui  s'é- 
taient excusés  sur  le  commerce;  mais  tout  cela  marchait  eu  moult 
et  belle  ordonnance  catholique  romaine  et  semblaient  les  anciens 
Cranequiniers''  de  France.  Ils  voulurent  en  passant  faire  une  salve, 
ou  escopeterie;  mais  le  légat  leur  défendit  de  peur  qu'il  ne  lui 
malavint  ou  à  quelqu'un  des  siens  comme  au  cardinal  Cajctan'. 
Après  ces  beaux  pères  marchaient  les  quatre  mendiants  qui  avaient 
multipliés  en  plusieurs  ordres,  tant  ecclésiastiques  que  séculiers, 
puis  les  paroisses;  puis  les  seize,  quatre  à  quatre,  depuis  réduits 
à  douze'  et  habillés  de  même ,  comme  on  les  joue  à  la  féte  des 
torches  en  plein  jour.  Après  eux  marchaient  les  prévôts  des  mar- 
chands et  échevins  ,  bigarrés  de  diverses  couleurs',  puis  la  cour 
de  parlement  telle  quelle,  les  gardes  italiennes,  espagnoles  et  val- 
lonnés de  Monsieur  le  Lieutenant;  puis  les  gentilshommes,  de  frais 
gravés  par  la  Sainte -Union,  et  après  eux  quelques  vétérinaires» 
de  la  confrérie  de  Saint-Éloy.  Suivait  après.  Monsieur,  tout  douce- 
ment, le  cardinal  de  Pellevé,  tout  bassement;  et  après  eux  Mon- 
sieur le  légat,  vrai  miroir  de  parfaite  beauté  S  et  devant  lui  mar- 

1.  Bernard  do  MontgaîUard  ,  dit  le  petit  Feuillant ,  qui  se  relira  depuis  en  Flandre , 
où  i!  a  vécu  longtemps  ;  il  eut  l'abbaye  d'Orval ,  dans  le  comté  de  Cbini ,  h  deux  lieuel 
de  Montniédy.  Voyez  les  remarques  sur  la  satire  Méuipée,  in-8°,  p.  53  et  suiv. 

2.  Ce  fait,  transporté  iei ,  était  arrivé  au  siège  de  Paris  en  lo90. 

3.  Ce  prieur  était  mort  au  temps  dont  on  parle  ici. 

4.  C'est-à-dire  arbalétriers.  Cranequin  signifie  un  bandage  en  fer  «Tec  lequel  ob 
bandait  les  arbalétres. 

b.  C'est  qu'il  y  eut  un  homme  tué  à  la  portière  de  son  carrosse. 

6.  Parce  que  le  duc  de  Mayenne  en  avait  fait  pendre  quatre. 

7.  A  cause  de  leurs  robes.  11  y  en  avait  plusieurs  qui  étaient  serviteurs  du  roi. 

8.  Marécbaux  de  ligne  vétrrinairc .  art  de  ferrer  les  chevaux  ;  mais  ici  par  équivoque 
au  mot  v^in-an.  I.es  maréchaux  de  la  confrérie  de  Saint-Kloy  sont  les  maréchaux  fer- 
rant les  chevaux. 

9.  Ou  jn-étend  qu'il  était  fart  laid. 


NOTE?, 


chait  le  doyen  de  Sorbonne  avec  la  croix  où  pendaient  les  bulles 
du  pouvoir.  Item  venait  Madame  de  Nemours  représentant  la  reine- 
mère'  ou  grand-mère  (in  dubio)  du  roi  futur  et  lui  portait  la 
queue,  Mademoiselle  de  la  Rue,  lille  de  noble  et  discrète  personne 
Monsieur  de  la  Rue-,  cy  devant  tailleur  d  habits  sur  le  pont  Saint- 
Mi;  bel,  et  maintenant  un  des  cent  gentilhonimes  et  conseillers 
d'État  de  l'Union,  et  la  suivaient  Madame  la  donaii'ière  de  Mont- 
pensier  avec  son  écharpe  verte  fort  sale  d'usage  et  Madame  la 
Lieutenante  de  l'État  et  couronne  de  France'  suivie  de  Mesdames 
de  Belin  et  de  Bussy-le-Clerc.  Alors  s'avançait  et  faisait  voir  Mon- 
sieur le  Lieutenant  et  devant  lui  deux  massiers ,  fourres  d'her- 
mines, et  à  ses  flancs  deux  Wallons  portant  hoquetons  noirs,  tous 
parsemés  de  croix  de  Lorraine  rouges,  ayant  devant  et  derrière 
une  devise  en  broderie,  dont  le  corps  représentait  l'histoire  de 
Pbaëton,  et  était  le  mot  :  la  magnis  voluisse  sai  est.  Arrivés  qu'ils 
furent  tous  en  cet  équipage  à  la  chapeUe  de  Bourbon,  Monsieur 
le  docteur  Rose,  quittant  son  hausse-col,  son  épée  et  pertuisane, 
monta  en  chaire,  où  ayant  prouvé  par  bons  et  valides  arguments 
que  c'était  à  ce  coup  que  tout  irait  bien,  proposa  un  bel  expédient, 
pour  mettre  fin  à  la  gueiTe  dans  six  mois  pour  le  plus  tard,  ratio- 
cinant ainsi  :  En  France  il  y  a  dix-sept  cent  mille  clochers  \  dont 
Paris  n'est  compté  que  pour  un.  Qu'on  prenne  de  chacun  clocher 
un  homme  catholique  soldoié  aux  dépens  de  la  paroisse,  et  que 
les  deniers  soient  maniés  par  des  docteurs  en  théologie  ou,  pour 
le  moins  gradués,  nommés;  nous  ferons  douze  cents  mille  com- 
battants et  500,000  pioniers.  Alors  tous  les  assistants  furent  vus 
tressaillir  de  joie  et  s  écrier  :  ô  coup  du  ciel  !  puis  exborta  vivement 
à  la  guerre  et  à  mourrir  pour  les  princes  lorrains,  et  si  besoin 
était  pour  le  roi  très-cathoUque,  avec  telle  véhémence,  qu'à  peine 
put-on  tenir  son  régiment  de  moines  et  pedans ,  qu'ils  ne  s'en- 
courusseut  de  ce  pas  attaquer  les  forts  de  Gournay  et  Saint-Denis; 
mais  on  les  retint  avec  un  peu  d'eau  bénite,  comme  on  apaise  les 
mouches  et  freslons  avec  un  peu  de  poussière.  Le  sermon  flni ,  la 
messe  fut  chantée  en  haute  note  par  M.  le  révérendissime  cardinal 
de  Pellevé,  à  la  fin  de  laquelle  les  chantres  entonnèrent  un  motet 
commençant  :  Bos  brevitas  sensits,  hos  brevitas  sensus ,  fecit 
conjungere  simul.  Lors  tous  ceux  qui  devaient  être  de  l'assemblée 
accompagnèrent  Monsieur  le  Lieutenant  au  Louvre,  le  reste  se  re- 
tira en  confusion  qui  çà  qui  là,  chacun  chez  soi. 

(Extrait  de  La  Satyre  Ménipée.  —  Mémoires  de  la  ligue,  t.  VU.) 

1.  A  rause  que  io  (!iic  ùe  Mayenne,  son  fils,  el  le  duc  de  Guise ,  son  petît-fils , 
prélendaicnt  à  la  couruune. 

2.  Jean  de  la  Rue,  taiUeur  d'habils,  émissaire  des  Seize. 

3.  Henri  de  Savoie ,  duchesse  de  Lorraine. 

4.  L'avis  des  dix -sept  cent  millt'  L-luthers  fut  proposé  par  Jacques  Cœur  an  roi 
Ctarles  VII,  el  c'Cit  Je  cela  que  l'auleur  se  inoijue  iti. 


346 


NOTES. 


Note  n,page  G9. 
I. 

Ce  que  ce  pauvre  malheureux  Charlcs-Quint  n'a  pu  faire  avec 
toutes  les  forces  unies  et  tous  les  canons  de  l'Europe,  son  brave 
fils  Dom  Pliilippe,  moyennant  cette  drogue,  l'a  su  faire  en  se 
jouant,  avec  un  simple  lieutenant  de  douze  ou  quinze  mille 
hommes. 

n. 

Que  ce  lieutenant  ait  du  catholicon  en  ses  enseignes  et  cor- 
nettes, il  entrera,  sans  coup  férir,  dans  un  royaume  ennemi;  et 
lui  ira-t-on  au  devant  avec  croix  et  bannières,  légats  et  primats', 
et  bien  "qu'il  ruine ,  ravage ,  usurpe ,  massacre  et  saccage  tout , 
qu'il  emporte,  ravisse,  brûle  et  mette  tout  en  désert,  le  peuple 
du  pays  dira  :  ce  sont  nos  gens,  ce  sont  bons  catholiques.  Us  le 
sont  pour  la  paix  et  pour  notre  mère  sainte  Église  ;  qu'un  roi  ca- 
sanier' s'amuse  à  afliner  cette  drogue  en  son  escurial,  qu'il  écrive 
en  un  mot  en  Flandre  au  père  Ignace  cacheté  de  caOïolUon,  il 
trouvera  homme  lequel  [salvà  conscieti(id)  assassinera  son  enne- 
mi', qu'il  n'avait  pu  vaincre  par  armes  en  vingt  ans. 

III. 

Si  le  roi  se  propose  d'assurer  ses  états  à  ses  enfants  après  sa 
mort,  et  d'envaliir  le  royaume  d.' autrui  à  petits  frais,  qu'il  en 
écrive  un  mot  à  Mciidoze  son  ambassadeur,  ou  au  père  Commolet"' 
et  qu'au  bas  de  sa  lettre  il  écrive  avec  dell  Uiguiero  <lel  inj'erno, 
Yo  el  Rey.  ils  lui  fourniront  d'un  moine  apostat',  qui  s'en  ira  sous 
beau  semblant ,  comme  un  Judas assassiner  de  sang  froid  un 
grand  roi  de  France,  son  beau-frère,  au  milieu  de  son  camp, 
sans  craindre  Dieu  ni  les  hommes;  ils  feront  plus,  ils  canonise- 
ront le  meurtrier,  et  mettront  ce  Judas  au-dessus  de  saint  Pierre, 
et  baptiseront  ce  prodigieux  et  horrible  forfait  du  nom  de  coup 
du  ciel,  dont  les  parains  seront  cardinaux,  légats  et  pnmats.' 

IV.  i 

Qu'une  grande  puissance  armée  de  preux  et  terribles  français^ 

1.  Le  cardinal  de  PeUevé,  archevêque  de  Reims  el  Pierre  d'Espinac ,  arclicvèqael 
de  Lyon. 

2.  L'anlGiir  entend  parler  de  Pliilippe  II,  roi  d'Espagne. 

3.  11  est  ici  question  de  l'assasinat  commis  en  la  personne  du  jirinco  d'Orange  à 
Delfl  en  Hollande. 

4.  Le  p^re  Jacques  Commolet,  jésuite.  On  assure  que  dès  l'année  l'iSO  il  excita 
dans  Paris  le  peuple  à  la  rébellion  ,  au  sujet  de  la  mort  de  Guise.  —  Voyez  les  re 
marques  sur  la  satyre  Jlénipée,  p.  27  el  28. 

5.  L'auteur  désigne  l'assassinat  du  roi  Henri  Ifl  j.ar  Jacques  Clément,  jacobin, 
tenu  pour  saint  par  les  ligueurs. 

6.  Les  cardinaux  Gaétan  ou  Cajetan  et  de  Plaisance ,  légats  ;  le  cardinal  da  Petlevé 
•I  Pierre  d'Espiguac  ,  archevêque  de  LyoD. 


NOTES. 


347 


soit  prête  à  bien  faii'e  pour  la  défense  de  la  couronne  et  patrie, 
et  pour  venger  un  si  épouvantable  assassinat,  qu'on  jette  au  mi- 
lieu de  cette  armée  un  demi-dragme  de  celte  drogue,  elle  engour- 
dira tous  les  bras  de  ces  braves  et  généreux  guerriers. 

V. 

Servez  d'espion*  au  camp,  aux  tranchées,  au  canon,  à  la  cham- 
bre du  roi  et  en  ses  conseils,  bien  qu'on  vous  connaisse  pour 
tel,  pourvu  qu'aïez  pris  dès  le  matin  un  grain  de  Bigidero,  qui- 
conque vous  taxera,  sera  estimé  huguenot  ou  fauteur  d'hérétique. 

VI. 

Tranchez  des  deux  côtés ,  soiez  perfide ,  et  bien  que  vous  tou- 
chiez l'argent  du  roi  pour  faire  la  guerre ,  n'aigrissez  rien ,  pra- 
tiquez avec  les  ennemis  ;  si  vous  collez  votre  épée  dedans  votre 
fourreau  avec  du  catholicon,  vous  serez  estimé  trop  homme  de 
bien. 

VU. 

Voulez-vous  êti'e  un  honorable  rieur  et  neutre ,  faites  peindi-e 
à  l'entour  de  votre  maison  non  du  feu  de  saint  Antoine-,  mais 
des  croix  de  Eiguiero,  vous  voUà  exempt  du  hoqueton  et  de 
l'arrière-ban. 

YIll. 

Aïez  sur  vous  le  poids  d'un  demi-écu  de  catholicon,  U  ne  vous 
faut  point  de  plus  valable  passe-port  pour  être  aussi  bien  venu  à 
Tours  qu'à  Mantes',  à  Orléans  qu'à  Chartres,  à  Compiègne  qu'à 
Paria 

IX. 

Soïez  reconnu  pour  pensionnau'e  d'Espagne,  monopolez,  tra- 
hissez, changez,  vendez,  troquez,  désunissez  les  princes,  pourvu 
qu'ayez  un  grain  de  catholicon  à  la  bouche,  on  vous  emljrassera 
et  entrera-t-on  en  défiance  des  plus  fidèles  et  anciens  serviteurs 
comme  d'infidèles  et  huguenots,  quelques  francs  catholiques  qu'ils 
aient  toujours  été. 

X. 

Que  tout  aUle  de  mal  en  pis,  que  l'ennemi  avance  ses  desseins, 
et  ne  se  recule  de  la  paix,  que  pour  mieux  sauter,  voyant  le  beau 
jeu  qu'on  lui  fait,  que  l'Église  romaine  même  courre  risque,  qu'il 
y  ait  pervertissement  de  tout  ordre  ecclésiastique  ou  séculier,  à 
faute  de  parler  bon  français,  semez  finement  un  petit  de  Eiguiero 
par  le  monde,  personne  ne  s'en  souciera,  et  n'en  osera  parler, 
craignant  d'être  réputé  huguenot. 

1.  On  croil  que  Tauleur  veut  désigner  M.  de  Villeroi. 

2.  On  peignait  de  ce  feu  la  poile  des  hôpitaux  où  l'on  metttit  ceux  qui  iuiest 
affligés  de  la  maladie,  dite  le  feu  de  saint  Antoine. 

3.  Au  lieu  de  Mantes  on  dit  Troyes  dans  d'autres  éditioni. 


348 


NOTEiî. 


XI. 

Cantonncz-voiis  et  tous  installez  tyrankiiicmcnt  dans  les  villca 
du  roi,  depuis  le  Havre  jusqu'à  Mezicrres,  et  depuis  Nantes  jus- 
qu'à Cambrai'.  Soyez  vilain,  renégat  ou  perfide,  n'ol)cïssez  ni  à 
Dieu,  ni  à  roi,  ni  à  loi;  aïez  là-dessus  en  main  un  petit  de  catho- 
licon,  et  le  laites  prêcher  en  votre  canton,  vous  serez  grand  et 
catholique  homme. 

Xll. 

Aïez  la  face  honnie'  et  le  front  ulcéré,  comme  les  infidèles  co!i- 
cierges  du  ponteau  de  mer'  et  de  Viennes  frottez-vous  un  peu 
les  yeux  de  ce  divin  électuaire ,  il  vous  sera  avis  que  vous  serez 
prudhomme  et  riche. 

XIII. 

Si  un  pape  comme  Sixe  V«  fait  quelque  chose  contre  vous,  il 
vous  sera  permis  illœsd  consientiû  de  l'exccrer,  maudire,  tonner, 
blasphémer  contre  lui ,  pourvu  que  dedans  votre  encre  il  y  ait 
tant  soit  peu  de  Uiguiero. 

XIV. 

N'aïez  point  de  religion ,  moquez-vous  à  gogo  des  prêtres ,  il  ne 
vous  faudra  autre  absolution,  ni  d'autre  chardonncrette*  qu'une 
demi-dragme  de  catholicon. 

XV. 

Voulez-vous  bientôt  être  cardinal?  frottez  une  des  cornes  de 
votre  bonnet  de  Higuiero ,  il  deviendra  rouge ,  et  serez  fait  cardi- 
nal, fussiez-vous  le  plus  incestueux  et  ambitieux  primat  du  monde.' 

XVI. 

Soïez  aussi  criminel  que  la  Mothe-Serrant»,  soïez  convaincu  de 

1.  Cps  pays  étaient  tenus  par  la  ligue. 

2.  Déslionorée. 

3.  ViUe  de  Normandie, 

4.  Ville  du  Daupbiné.  Cette  ville  fut  perGderaent  livrée  par  Scipion  de  Maugiron 
au  duc  de  Nemours  en  1592. 

5.  Sixte  V  était  fort  haï  des  Espagnols;  il  y  a  quelques  historiens  qui  ont  écrit  qu'il 
fut  empoisonné.  Il  mourut  le  27  août  ;  la  nouvelle  fui  sue  à  Paris  le  5  septembre  1 590. 
JLe  curé  de  Saint-André,  Aubri ,  prêcha  qu'il  était  mort,  que  ce  miracle  s'était  fait 
entre  les  deux  Noire-Dames,  et  se  servit  de  ces  mots  si  peu  religieux  :  «Dieu  vous  a 
délivré  d'un  méchant  pape,  et  politique. 

6.  Assaisonnement  fait  avec  le  cardon  d'Espagne. 

7.  Pierre  d'Espinac  ,  déjà  nommé. 

8.  Guillaume  de  Brie,  sieur  de  la  Mothe-Serrant,  gentilhomme  angevin.  —  Voyez 
t)  sommaire  de  la  généalogie  de  la  maison  de  Brie,  dans  les  remarques  de  Pabbé  Mé- 
ciage  sur  la  vie  de  Guillaume  Ménage,  iu-4°,  p.  307  et  suiv,  Guillaume  de  Brie  fui 
oupplicié  ù  Tours  pour  ses  crimes. 


NOTES. 


3-i9 


fausse  monnoie  comme  Mandreville",  Sodomlste  comme  Secault*, 
scélérat  comme  Bussy',  athéiste  et  ingrat  comme  le  poëte  de  l'ami- 
rauté', lavez-vous  d'eau  de  Higuiero,  vous  voilà  sans  taches  et 
pilier  de  la  foi. 

XVII. 

Que  quelque  sage  prélat  ou  conseOler  d'état ,  vrai  catholique 
françois,  s'ingère  de  s'opposer  aux  vulpines  entreprises  des  en- 
nemis de  l'état,  pourvu  qu'ayez  un  grain  de  cutholicon  sur  la 
langue ,  il  vous  sera  permis  de  les  accuser  de  vouloir'  laisser  per- 
dre la  religion. 

xvra. 

.Que  quelques  bons  prédicateurs,  non  pedans,  soient  sortis  des 
villes  rebelles,  pour  aider  à  desensorceler  le  simple  peuple,  s'ils 
n'ont  un  brin  de  Higuiero  dans  leur  bonnet,  ils  s'en  peuvent  bien 
retourner. 

XIX. 

Que  l'Espagne  mette  le  pied  sur  la  gorge  de  l'honneur  de  la 
France ,  que  les  Lorrains  s'elforceut  de  voler  le  légitime  héritage 
aux  priuces  du  sang  royal,  qu'ils  leur  débattent  non  moins  furieu- 
sement que  cauteleusement ,  qu'ils  leur  disputent  la  couronne, 
servez-vous  là-dessus  de  catholicon,  vous  verrez  qu'on  s'amusera 
plustot  à  voir  hors  de  saison  quelque  dispute  de  la  chape  à  l'évê- 
queS  qu'à  travailler  à  rames  et  à  voiles,  pour  faire  lâcher  prise 
aux  tyrans  matois ,  qui  tremblent  de  peur.  C'est  à  peu  près  la 
moitié  des  articles  que  contenait  la  pancarte  du  charlatan  espa- 
gnol, le  temps  vous  fera  voir  les  autres. 

(Extrait  de  La  Satyre  Ménippde.  —  Mémoires  de  la  ligue,  t.  VI.) 

Noie  m,  page  70. 

On  publia  un  nombre  considérable  de  parapMets  contre  la  ligue. 
«Dans  le  pourparler  du  Maheustre  et  du  Manant,  dit  Capeflgue,  on 
voyait  la  hgue  sous  les  traits  d'une  pauvre  femme,  un  bâton  à  la 

1.  Guillaume  ou  Martin  (3a  Bosc,  sieur  d'Esmamdreville.  l\  était  gouverneur  de 
Sainte-Menehould  pour  la  ligue  en  15S8.  Ue  lui  et  de  sa  femme  Isabeau  le  Aloiiie 
•ont  descendus  les  autres  seigneurs  d'Esmandreville. 

2.  Pierre  Senault ,  un  des  principaux  de  la  faction  des  Seize,  père  de  Jean-François 
Senault,  qui  a  été  général  de  la  congrégation  de  l'Oratoire,  et  aussi  fidèle  au  roi  et  & 
l'État  que  son  père  leur  avait  été  infidèle.  Pierre  avait  été  clerc  au  greffe  de  ta  cour 
du  parlement,  et  il  fut  greffier  du  conseil  de  la  ligue;  il  fut  chassé  de  Paris  la 
30  mars  159i. 

3.  Bussy  Leclerc,  procureur  de  la  cour,  l'uB  des  seize  qui  emprisonna  le  parlement 
et  fui  depuis  gouverneur  de  la  Bastille. 

4.  Ce  poL-te  était  Pîiilippe  Desportes,  abbédeTiron,  parce  qu'il  s'était  retiré  au- 
près de  î'auiital  de  Villars,  cousin  germain  d'Anne  de  Joyeuse,  li  avait  eu  aussi 
j'obbaye  do  Bon-Port. 

5.  On  apjielle  ainsi  la  dispute  du  droit  d'un  tiers. 

10. 


350 


NOTES. 


main,  s'aclierainant  hors  de  Paris.  —  Quelle  femme  est  cela?  s'é- 
cria le  Malieustre.  —  C'est  la  ligue,  répondait  le  Manant;  elle  va 
hors  de  Paris  pour  prendre  Soissons.  —  Vient-elle  des  enfers  pour 
nous  ensorceler?  Que  dénotent  ces  chiens  dont  elle  est  suivie? — 
C'est  qu'eUe  est  pleine  d'envie  et  qu'elle  s'eflbrce  de  mordre  alors 
même  qu'elle  rit.  —  «Il  n'y  eut  pas  assez  d'odes,  de  somiets,  de 
quatrains,  de  stances  et  couplets  à  l'éloge  du  Béarnais,  —  pro- 
ductions latines  ou  françaises  dans  lesqueUes  se  complaisaient  les 
parlementaires.  11  existe  encore  des  gravures  contemporaines  où 
Henri  IV  est  reproduit  sous  les  traits  de  tous  les  héros  de  la  fablè. 
Jean  Leclerc,  rue  Saint-Jean-de-Latran ,  à  la  Salamandre,  vendait 
une  grande  image  démontrant  la  délivrance  de  la  France  par  le 
Persée  français  ;  comme  Andromède ,  la  France  avait  été  sacrifiée , 
mais  le  monstre  qui  la  gardait  entre  ses  dents  avait  senti  comljien 
le  bras  de  Persée  était  fort  :  «France,  demeure  Adèle  et  ne  crois 
plus  à  ceux  qui  ont  rogné  l'or  de  ton  diadème.  » 

(Capeflgue,  Histoire  de  la  Réforme,  de  la  Ligue  et  de  HenrilV, 
t.  VU,  p.  184,  185,  18C.) 

Note  rv,  page  85. 

Quand  les  jésuites  veulent  réformer  un  novice  ou  le  préparer 
pour  quelque  action  utile  à  leur  compagnie,  Os  l'enferment  pen- 
dant plusieurs  jours  dans  une  chambre,  sous  le  prétexte  d'une 
plus  grande  liberté  pour  lui,  de  se  livrer  à  la  méditation  des 
choses  saintes. 

L'imagination  du  novice  s'exalte  naturellement  dans  la  solitude; 
les  voix  my.slôrieuses  qu'on  lui  fait  entendre,  les  apparitions  dont 
on  frappe  ses  yeux,  lui  font  croii'e  qu'il  est  favorisé  d'une  révéla- 
tion du  ciel.  Dès  ce  moment  il  ne  s'appartient  plus.  11  réalise  les 
célèbres  paroles  de  Loyola  :  Perinde  ac  cadaver.  On  peut  dès 
lors,  comme  à  Jacques  Clément, lui  remettre  un  poignard;  sa  main 
ne  tremble  pas  plus  que  sa  conscience  n'est  troublée  ;  il  ne  se 
croit  pas  assassin,  mais  ange  exterminateur. 

Note  V,  page  87. 

Dans  les  papiers  du  père  Guignard,  on  découvrit  les  maximes 
suivantes  écrites  de  sa  propre  main  : 

(c  1°  Si,  en  l'an  1572,  on  eût  saigné  la  vaine  basihque,  nous  ne 
fussions  tombés  de  fièvre  en  chaud  mal,  comme  nous  expérimen- 
tons. Pour  asoiî  pardonné  au  sang,  ils  ont  mis  la  France  à  feu  et 
à  sang; 

«  2»  Que  le  Néron  cruel  (Henri  III  )  a  été  tué  par  un  Clément,  et 
le  moine  simulé  despeché  par  la  main  d'un  vrai  moine  ; 

«3°  Appellerons-nous  un  Néron,  un  Sardanapale.un  renard  de 
Béarn,  roi  de  France?  un  hon,  roi  de  Portugal  i"  une  louve,  reine 


NOTES. 


351 


d'Angleterre?  un  griffon,  roi  de  Suède?  un  pourceau,  roi  de 
Saxe? 

«  4°  Pensez  qu'il  faisait  beau  voir  trois  rois,  si  rois  se  doivent 
nommer!  Le  feu  tyi'aa  (Hcuri  Ili),  le  Béarnais,  et  ce  prétendu 
monarque  de  Portugal ,  dom  Antiiouio  (ennemi  du  roi  d'Espagne)! 

«  5°  Que  le  plus  bel  anagramme ,  qu'on  ti'ouva  jamais  sous  le 
nom  du  tyran  défunt,  était  celui  par  lequel  on  disait  :  0  le  vilain 
Bérodes  ! 

«  6°  Que  l'acte  héro'ique  fait  par  Jacques  Clément,  comme  don 
du  Saint-Esprit,  appelé  de  ce  nom  par  nos  théologiens,  a  été  jus- 
tement loué  par  le  feu  prieur  des  Jacobins,  Bourgoing,  confes- 
seur et  martjT,  par  plusieurs  raisons,  tant  à  Paris,  que  j'ai  ouï 
de  mes  propres  oreilles  lorsqu'il  enseignait  sa  iudilh,  que  de- 
vant ce  beau  parlement  de  Tours;  ce  que  ledit  Bourgoing,  qui 
plus  est,  a  signé  de  son  propre  sang  et  sacré  de  sa  propre  mort; 
et  ne  fallait  croire  ce  que  les  ennemis  rapportaient;  que,  par  ces 
derniers  propos,  il  avait  improuvé  cet  acte  comme  détestable; 

«  7°  Que  la  couronne  de  France  pouvait  et  devait  être  transférée 
à  une  autre  famille  que  celle  de  Bom'bon; 

«  8°  Que  le  Béarnais,  ores  que  converti  à  la  foi  catholique,  se- 
rait traité  plus  doucement  qu'il  ne  méritait,  si  on  lui  donnait  la 
couronne  monacale  en  quelque  couvent  bien  réformé,  pour  iUec 
faire  pénitence  de  tant  de  maux  qu'il  a  faits  à  la  France,  et  re- 
mercier Dieu  de  ce  qu'il  lui  avait  fait  la  grâce  de  se  reconnaître 
avant  la  mort  ; 

«  9«Que,  si  on  ne  le  peut  déposer  sans  guerre, qu'on  guerroyé; 
si  on  ne  peut  faire  la  guerre,  qu'on  le  fasse  mourir!» 

(Extrait  de  la  Procédure  contre  Jehan  Châtel,  Mémoires  de  la 


Suit  le  mémoire  des  sommes  payées  par  le  roi  pour  traités  faits, 
réduction  de  pays,  villes,  places  et  seigneuries  particulières,  en 
l'obéissance  du  roi  pour  pacifler  le  royaume. 
A  M.  de  Lorraine  et  autres  particuliers,  suivant 


A  M.  de  Mayeime  et  autres  particuliers,  suivant 
son  traité,  compris  les  dettes  de  deux  régimens 
de  suisses,  que  le  roi  s'est  chargé  de  payer.  .  .  .  3,580,000 
A  M.  de  Guise,  prince  de  Joinville,  et  autres. 


Ligue.) 


Note  vi,  page  111. 


Prix  de  la  ligue. 


son  traité  et  promesses  secrètes, 


3,766,825  llv. 


suivant  son  traité  

A  M.  de  Nemours  et  autres. 


3,888,830 
378,000 


A  reporter. 


11,613,655  Ut. 


352 


NOTES. 


Report   11,613,655  liv. 

Pour  M.  de  Mercœiir,  Blavct,  M.  de  Vendôme  et 
autres,  suivant  leur  traité  pour  la  province  de 

Brettagne   4,295,350 

Plus  pour  M.  d'Elbœuf ,  Poitiers  et  divers  parti- 
culiers  970,824 

A  M.  de  Villars,  le  chevalier  d'Oise  son  frère, 
les  villes  de  Rouen,  Le  Havre  et  autres  places,  et 
pour  les  récompenses  qu'il  a  fallu  donner  à  Mes- 
sieurs de  Montpensier,  maréchal  de  Biron,  chan- 
celier do  Chiverni,  et  autres   3,477,800 

A  M.  d'Espernon   496,000 

Pour  la  réduction  de  Marseille   406,000 

Pour  M.  de  Brissac,  la  ville  de  Paris  et  autres 

particuliers   1,695,400 

A  M.  de  Joyeuse ,  pour  lui ,  Toulouse  et  autres 

voies   1,470,000 

A  M.  de  la  Chastre,  pour  lui,  Orléans,  Bourges, 

et  autres  particuliers   898,900 

A  M.  de  Villeroi,  pour  lui,  son  fils,  Ponto-ise,  etc.  470,594 

A  M.  de  Bois-Dauphin   670,800 

A  M.  de  Balagny,  pour  lui,  Cambrai  et  autres 

particuliers   828,930 

A  MM.  de  Vitry  et  Medarid   380,000 

Plus  pour  les  sieurs  Vidâmes  d'Amiens,  Abbe- 

ville,  Peronne  et  autres  places   1,261,880 

Pour  les  sieurs  de  Belan,  Joffreville  et  autres, 
Troyes  ,  Nogent ,  Vitry,  Rocroy,  Chaumont,  et 

autres  places   830,048 

Pour  Vezelay ,  Macou ,  Mailly  et  divers  particu- 
liers en  Bourgogne   457,000 

Pour  les  sieurs  de  Canillac,  Monfan  et  autres, 

la  vUle  Du  Puy  et  autres  villes   547,000 

Pour  diverses  villes  en  Guyenne,  les  sieurs  de 

Montpezat,  Montespan  et  autres   390,000 

Pour  les  traités  de  Lyon,  Vienne,  Valence  et 
autres  villes,  et  divers  particuliers  en  Lyonais  et 

Dauphiné   636,800 

Pour  la  ville  de  Dinan  et  quelques  autres.  .  .  .  180,000 
Plus  pour  les  sieurs  Leviston,  Baudoin  et  Be- 

villiers,  suivant  les  promesses  à  eux  faites  ....  1 00,000 


Total  du  prix  de  la  ligue  32, 1 42,9.s  i  liv. 


(Extrait  des  Lettres  de  Heiiri  IV.) 


NOTES. 


353 


Note  \a,  page  144. 

Dans  la  nuit  de  samedi ,  Jeanne  d'Àlbret  fit  approcher  la  baronne 
de  ThigiionTille,  à  qiii  elle  avait  confié  l'éducation  de  sa  fîlle;  elle 
Tentrelint  durant  deux  heures ,  â  voix  basse  ;  après  quoi  elle  ajouta, 
assez  haut  pour  être  entendue,  qu'elle  remettait  entre  ses  mains 
sa  fiUe  chérie,  ne  doutant  point  qu'elle  ne  pût  la  conserver  digne 
d'eUe,  et  des  soins  qu'elle  lui  avait  coûtés  depuis  son  enfance; 
elle  l'exhorta  à  lui  répéter  souvent  ses  dernières  volontés  :  "  Dites 
«  lui  que  sa  mère  mourante  lui  commande  de  se  montrer  dès  son 
s  bas  âge,  ferme  et  constante  au  service  de  Dieu,  qu'elle  le  prie , 
"  qu'elle  le  serve  ;  qu'elle  soit  soumise  à  son  frère ,  aux  femmes 
«vertueuses  qui  vont  diriger  ses  pas  au  milieu  de  tant  d'écueUs; 
«qu'elle  se  dise  sans  cesse  à  elle-même,  qu'en  écoutant  leurs 
'I  sages  avis,  c'est  moi-même  qu'elle  écoute;  rappelez -lui  le  passé, 
«nos  entretiens,  les  exemples  de  vertus  et  de  constance  dont  elle 
«  a  été  témoin.  Enfin,  dites -lui  que  je  la  remets  en  la  garde  et 
«protection  de  Dieu,  qui  la  gardera  et  protégera  si  elle  le  sert.  » 

(Extrait  de  l'Histoire  de  Jeanne  dAlbret,  par  M"'  de  Vauviliiers, 
t.  n,  p.  426-427.) 

Noie  vm,  page  197. 

îjetfrcs  de  François  de  Sale§  au  dnc  de  Shtoîc  qnî 

ie  consiiîtaîî  sur  la  conîlnite  à  tenir  à  l'égard  de 
Genève. 

«  n  n'y  a  nul  doute  que  l'hérésie  de  l'Europe  ne  vint  à  être 
grandement  débilitée,  si  cette  cité  était  domptée  et  réduite,  parce 
que  c'est  le  siège  de  Satan,  d'oii  il  épanche  l'hérésie  sur  tout  le 
reste  du  monde ,  ce  qui  est  évident  par  ces  points  :  Genève  est  la 
capitale  du  calvinisme;  car  Calvin  et  de  Bèze  y  ont  choisi  leur 
domicile.  Toutes  les  églises  prétendues  réformées  de  France  se 
rapportent  aux  minish'es  de  Genève  quant  aux  points  de  doctrine 
et  aux  autres  affaires  de  police  ecclésiastique.  Toutes  les  villes 
des  hérétiques  respectent  Genève  comme  l'asile  de  leur  religion  : 
cette  année  même,  un  homme  du  Languedoc  est  venu  la  visiter, 
comme  un  cathoUque  visiterait  Rome.  U  n'y  a  point  de  ville  en 
Europe  qui  ait  plus  de  commodités  pom-  entretenir  l'hérésie ,  puis- 
qu'elle est  la  porte  de  France ,  d'ItaMe  et  d'Allemagne  ;  de  sorte 
qu'il  s'y  trouve  des  habitants  de  toutes  les  nations  :  Italiens , 
Français,  Allemands,  Polonais,  Espagnols^  Anglais,  et  des  pro- 
vinces les  plus  éloignées.  D'ailleurs  chacun  sait  le  grand  nombre 
de  ministres  qui  y  est.  L'aimée  passée  elle  en  a  fourni  vingt  à  la 
France;  l'Angleterre  même  fait  venir  des  ministres  de  Genève. 
Que  dirai-je  des  belles  et  magnifiques  imprimeries,  par  lesquelles 
cette  viUe  remplit  toute  la  terre  de  ses  méchants  livres ,  jusqu'à 


NOTES. 


les  faire  distribuer  aux  dépens  du  public  !  Cette  arniôe ,  le  livre  de 
la  Roche  Cliandieu  a  été  imprimé  à  eu  donuer  gratuilemeut  pour 
700  écus  d'or.  A  ceci  se  rapporlcut  les  écoles  où  l'on  voit  une 
quantité  de  jeunes  gentilshoninics  de  France  et  d'Allemagne,  Il  ne 
faut  point  oublier  les  exercices  continuels  de  prédications ,  leçons, 
conférences,  disputes,  composition  de  livres  et  autres  semblables 
qui  enti'etiennent  merveilleusement  l'hérésie.  Toutes  les  entreprises 
qui  se  font  contre  le  Saint-Siège  apostolique  et  les  princes  catho- 
liques ont  leur  commencement  à  Genève.  Aucune  ville  de  l'Europe 
ne  reçoit  autant  d'apostats  de  tous  grades  séculiers  et  réguliers. 
De  là  je  conclus  que  Genève  étant  abattue,  il  est  nécessaire  que 
l'hérésie  se  dissipe.  Pour  en  venir  à  ces  fins ,  il  faut  établir  les 
jésuites  à  Thonou^  une  imprimerie  à  Annecy  pour  mettre  en 
lumière  les  écrits  que  les  doctes  font  contre  l'hérésie ,  et  ainsi 
pousser  un  clou  avec  un  autre  clou.  Les  autres  choses  qui  regar- 
dent proprement  la  destruction  de  la  ville  de  Genève  ne  sont  point 
de  mon  gibier  ni  de  mon  humeur  ;  Votre  Altesse  a  en  main  plus 
d'expédients  que  je  n'en  saurais  penser.  » 
(Extrait  de  la  Vie  de  saint  François  de  Sales , 'par  son  neyeu 
Auguste  de  Sales,  p.  120  à  121;' Lyon,  1633). 

Imprimeurs  genevois  à  la  fin  dn  16°  siècle,  d'après  ud  travail  de 
M.  le  professeur  GauUieur. 

1.  Les  Estienne.  —  2.  Jean  Crespiii,  d'Arras. —  3.  Jean  Durand, 
de  Cliàtillon-siir-Seine.  —  4.  Michelic  Kicot.  —  5.  Jean  Chouct. — 
6.  Thomas  Courtaud.  —  7.  Conrad  Badius.  —  8.  Gabriel  Carties.  — 
9.  rierre  de  Saint- André.  —  10.  Charles  Pernot.  —  11.  Jacques 
Planchant.  —  12.  Antoine  Leymarie.  —  13.  Antoine  Reboul.  — 
14.  Perrin  à  Cologny.  —  15.  Barbier.  —  IG.  Pinereul.  —  17.  Bon- 
nefoy.  — 18.  Gymnicus. —  19.  François  Le  Preux. —  20.  Guillaume 
Maurice.  —  21.  RiverL  —  22.  Berthêt.—  23.  Commeliu.  —  24.  Es- 
tienne ,  Anastase.  —  25.  Jean  de  Laon.  —  26.  Jean  Georges.  — 
27.  Hamelin.  —  28.  Chauvin,  Antoine.  —  29.  Mathieu  Berjon.  — 
30.  Olivier  Jordriu.  —  31.  Jean  Mirard.  —  32.  Vincent  Brôs.  — 
33.  Pyramus  de  Candole.  —  34.  Les  De  Tournes. 

(Gaberel,  Histoire  de  Genève,  t.  II,  aux  pièces  justificatives, 
p.  267.) 

Note  IX, page  213. 

Dans  un  discours  prononcé  au  Havre  dans  l'église  Saint-Fran- 
çois ,  le  R.  P.  Carboy  s'exprimait  sur  le  protestantisme  de  la 
manière  suivante  : 

«Eu  dehors  du  catholicisme  apostolique  et  romain,  dans  les 
sectes  et  les  Églises  qui  ont  rejeté  lo  dogme  eucharistique,  vous 
Le  rencontrerez  que  des  hommes  ùnpuissants  à  produire  le  bien 
et  des  œuvres  frappées  à  leur  naissance  de  stérDité  et  de  mort. 


NOTES. 


355 


«En  face  de  l'Apostolat  catholique  disséminé  à  tous  les  Tenfs 
du  ciel,  l'histoire  impartiale  et  véridique  ne  présente  dans  les 
Églises  dissidentes  que  des  révérends  Pasteurs  qui  courent  le 
monde  à  tant  de  revenus  fixes- par  mois  et  par  année.  Dans  une 
seule  année ,  le  catholicisme  compte  en  Chine  soixante  martyrs 
dans  ses  prêti-es  :  les  annales  du  méthodisme  n'en  ofTrent  pas  un 
seul  sur  tous  les  points  du  globe  en  ti'ois  siècles;  elles  ne  nous 
montrent  que  des  traflqueurs  qui  escomptent  les  âmes  en  cher- 
chant le  bonheur. 

«  L'Eucharistie  fait  germer  la  charité  pure  dans  les  âmes  qu'elle 
ennoblit  et  transforme.  Venez  plutôt,  comparez  et  jugez.  En  1562 
mie  peste  cruelle  désole  Genève  et  décime  sa  population  ;  il  n'y 
avait  plus  alors  à  Genève  d'évèque,  de  prêtres,  ni  de  moines  :  le 
calvinisme  avait  jeté  son  niveau  destructem*  sur  toutes  les  insti- 
tutions que  le  catholicisme  avait  fondées  dans  les  siècles.  Le  con- 
seil d'État  s'assemble  pour  délibérer  sur  les  mesures  à  prendre 
dans  une  aussi  grande  perplexité  des  esprits  :  le  chef  du  consis- 
toire protestant  se  présente  dans  l'assemblée ,  et  déclai'e  que  ses 
pasteurs  et  lui  se  retù:ent,  alléguant  l'insuffisance  de  leur  courage 
et  l'inefficacité  de  leur  mission  dans  une  aussi  terrible  calamité. 
Tout  le  monde  peut  Mre  cette  déclaration  sur  les  registres  conser- 
vés au  conseil  d'État  de  la  répubMque  genevoise,  à  la  date  de 
1562.  Voilà  le  dévouement,  l'esprit  de  sacrifice  et  les  œuvres  dr 
la  Réformation ,  qui  a  rejeté  l'Eucharistie  et  qui  n'a  plus  le  foyer 
de  l'amour. 

«Comparez  encore  le  zèle  apostoUque  et  l'inetTable  charité 
d'Hyacinthe-Louis  de  Quélen,  de  gracieuse  et  douce  mémoire, 
lors  de  l'invasion  du  choléra  asiatique  de  1832,  avec  la  conduite 
iDdigne  et  souverainement  blâmable  de  l'archevêque  protestant  de 
Dubhn ,  qui  conseilla  à  ses  collaborateurs ,  dans  un  mandement 
de  la  même  époque,  de  prendre  toutes  leurs  mesures  pour  éviter 
la  contagion,  de  fuir  les  malades,  et  de  laisser  aux  catholiques 
leurs  superstitions  sacramentelles  et  leurs  téméraii-es  assiduités 
auprès  des  cholériques.  C'est  de  l'histoire  contemporaine;  elle  est 
irréfutable  :  les  témoins  vivent  encore.  » 

A  l'occasion  de  cette  attaque  dii-ecte,  reproduite  par  le  Courrier 
du  Havre,  Jl.  le  pasteur  Poullain  a  reçu  de  M.  le  pastem-  Gaberel, 
l'historien  de  l'église  de  Genève,  la  letti'e  suivante  : 

«Genève,  le  26  février  1854. 

«  Cher  frère, 

«  L'affirmation  du  Révérend  Père  Carboy  n'a  qu'une  apparence 
de  vérité.  Voici  les  faits  : 

Avant  l'établissement  de  la  Réformation  à  Genève ,  nos  registres 
contiennent  des  plaintes  amères  contre  les  prêtres  catholiques 
qui  refusent  de  soigner  les  pestiférés.  Aucun  d'eux  n'est  victime 


356 


NOTES. 


du  fléau,  et  les  magistrats  parlent  de  leur  lâcheté  en  fermes  très- 
durs.  —  Ainsi,  le  2  mai  1494,  les  seigneurs  syndics  font  des 
instances  auprès  des  sept  curés  de  la  ville  pour  trouver  un  cha- 
pelain, vu  qu'aucun  prêtre  ne  veut  aller  à  l'hôpital.  Celui  qu'on  y 
envoie  en  est  honteusement  chassé  le  2  septembre.  —  Le  18  no- 
vembre 1494,  on  y  conduit  de  force  un  religieux  nommé  le  Frère 
Pierre.  —  Le  30  décembre  1513,  on  se  plaint  du  très-court  séjour 
que  les  prêtres  font  auprès  des  pestiférés. 

«Enfin  le  30  avril  1530,  après  un  effroyable  procès,  le  prêtre 
de  l'hôpital  des  pestiférés  fut  roué  avec  ses  serviteurs  pour  avoir 
propagé  le  fléau  afin  de  profiter  des  dépouilles  et  des  biens  des 
victimes. 

«  Vous  voyez  qu'avant  de  jeter  la  pierre  à  ses  adversaires  il  est 
bon  d'examiner  si  sa  propre  maison  est  bien  nette. 

«  C'est  en  153.'),  connue  on  le  sait,  que  la  Réforme  s'est  établie 
à  Genève.  Que  s'est-il  passé  depuis  lors?  La  vUle  fut  désolée  par 
la  peste  à  plusieurs  reprises  :  en  1543,  —  1560,  —  1570,  — 
1574,  —  1615 ,  —  1617.  C'est  sans  doute  à  l'année  1543  que  se 
rapporte  le  fait  dont  on  a  voulu  faire  sortir  une  si  grave  accusa- 
tion contre  le  protestantisme.  Voici  quelques  extraits  du  registre 
(nous  conservons  le  langage  du  temps)  : 

"Du  1"  mai  1543.  —  La  peste  sévissant  cruellement,  sur  les 
sept  pasteurs  se  présentent  spontanément  MM.  Jehan  Calvin, 
Chastillon  et  Pierre  Blanchct ,  qui  demandent  à  tirer  au  sort  pour 
consoler  les  malades.  Le  conseil  déclare  que  M.  Calvin  ayant  fait 
ses  preuves  deux  ans  auparavant  en  la  peste  à  Strasbourg,  où  il  a 
soigné  et  consolé  les  pestes,  il  ne  sera  pas  employé,  étant  trop 
iilile  à  l'Élat.  Le  sort  tombe  sur  le  pasteur  Pierre  Blanchet,  qui 
s'enferme  avec  les  pestiférés  et  meurt  au  bout  d'un  mois,  victime 
de  son  zèle. 

«  Du  5  juin  1543.  —  Le  conseil  demande  un  pasteur  pour  rem- 
placer M.  Pierre  Blanchet  qin  est  allé  à  Dieu  en  faisant  son 
devoir.  Sur  ce,  quatre  pasteurs,  Louis  et  Aime  Champereaux, 
Philippe  de  Ecclesia  et  Abel  Poupin  déclarent  qu'ils  ne  se  sentent 
pas  le  courage  d'aller  vers  les  pestés.  MM.  Calvin,  de  Gencston  et 
Chastillon  s'offrent  de  nouveau.  De  Gencston,  étant  dé.signé  par 
le  sort,  s'enferme  à  l'hôpital  avec  sa  femme,  qui  se  dévoue  aussi 
au  service  des  malades,  et,  au  bout  de  six  semaines,  tous  deux 
meurent  de  la  peste. 

"Les  quatre  pasteurs  susnommés  claiciit  des  moines  reçus  au 
saint  ministère,  mais  qui  n'étaient  nullement  propres  à  cette  vo- 
cation, car  trois  ans  plus  tard  les  deux  Champereaux  étaient  bannis 
pour  mauvaises  mœurs,  Ecclesia  poiu-  usure  çt  Poupin  pour 
;;ihéisme.  « 

Ils  furent  remplacés  par  des  pasteurs  sincères  venus  de  France, 
au  nombre  desquels  se  trouve  Jean  Macard.  de  Laon,  qui,  en 


NOTES. 


357 


1560,  accepte  la  charge  de  consolateur  des  pestiférés  et,  après 
deux  mois  de  service,  meurt  de  la  fièvre  peslileniiellc ,  confes- 
sant jusqu'à  son  dernier  sanglot  la  sainte  foi  qu'il  avait  pro- 
fessée. 

En  15G8,  le  registre  porte  :  «M.  Perrot,  pasteur  et  professeur 
de  théologie,  fut  nomme  consolateur  à  l'hôpital  des  pestes.  La 
maladie  était  terrible  ;  des  files  entières  de  malades  changeaient 
journellement.  La  terreur  empêchant  de  trouver  des  infirmiers  en 
nombre  sulTisant,  M.  Perrot  aidait  de  ses  mains  à  tous  les  soins 
des  malades.  Durant  deux  mois  il  ne  quitta  pas  les  salles  et  Dieu 
lui  fit  la  grâce  de  le  conserver  à  travers  le  danger. 

«En  1574,  le  pasteur  Chausse  est  atteint  de  la  peste  après  avoir 
soigné  les  malades  durant  ti'ois  mois.  Ses  collègues  allant  lui  faire 
les  derniers  adieux,  il  leur  dit  :  Finalement ,  je  suis  frappé  à 
mort  et  je  remercie  Dieu  dem'avoir  retiré  à  lui.  Les  temps  sont 
si  misérables  que  souvent  la  foi  dcf aille  devant  l'œuvre.  Je  m'en 
vais  tranquille,  non  point  par  la  souvenance  de  ce  que  j'ai 
essarté  de  faire,  viais  par  l'assurance  de  la  rémission  de  mes 
péchés  en  Jésus-Christ  notre  Sauveur. 

«  En  1 6 1 5 ,  le  pasteur  Gauthier,  riche  et  dans  une  brillante  posi- 
tion, s'enferme  à  l'hôpital  avec  sa  femme  qui  ne  veut  pas  le 
quitter.  Ils  se  multiphent  en  aumônes,  dit  le  registre,  voulant  que 
les  plus  pauvres  fussent  aussi  bien  soignés  que  les  riches.  Ils 
furent  atteints  et  moururent  à  trois  heures  de  distance.  Gauthier, 
disait  un  collègue,  vous  mourez  victime  de  votre  dévouement. 
Au  nom  de  Dieu,  répondit  le  pasteur  mourant,  parlez-moi  de 
Jésus  et  ne  venez  pas  gâter  par  une  louange  le  moment  qui  me 
rapproche  de  mon  Sauveur. 

«En  1617,  Antoine  La  Faye,  chef  de  l'Église,  successeur  de 
Théodore  de  Bèze,  était  choisi  par  le  sort  pour  consoler  les  pesti- 
férés; sa  compagne  ne  voulut  pas  se  séparer  de  lui.  Au  bout  de 
trois  mois,  leur  tâche  était  finie;  ils  rentrèrent  chez  eux  et  reçu- 
rent les  félicitations  de  leurs  amis.  Mais  le  lendemain  les  symptômes 
mortels  se  déclarent;  leur  maladie  est  courte;  et  comme  les  amis 
de  La  Faye  se  lamentaient  de  voir  sa  carrière  si  misérablement 
tranchée:  —  Remercions  Dieu,  àil-il,  qui  7ious  juge  dignes  d'être 
appelés  à  un  travail  difficile  en  ce  monde. 

«Voilà,  cher  Frère,  de  quoi  répondre,  etc. 

«  Signé  Gaberel,  pasteur.  » 

(Cette  note  est  extraite  d'une  brochure  intitulée  :  Réponse  aux 
accusations  du  R.  P.  Carboij  contre  le  protestantisme .  par 
H.  Poulain,  pasteur  de  FégUse  protestante  du  Havre;  l'-sris, 
Joèl  Cherbuliez,  1854.) 


358 


NOTES. 


Note  X,  page  237. 

Un  jésuite  écossais,  au  moment  de  l'escalade,  remit  aux  Sa- 
voyai-d.s  des  papiers  magifpies,  qui  devaient  les  préserver  des 
atteintes  de  l'eau,  du  fer  et  du  feu. 

Ces  amulettes  portaient  les  paroles  suivantes  en  latin  : 

«Cette  lettre  est  écrite  par  le  Sauveur  lui-même; 

Le  pape  Léon  l'a  envoyée  à  GliarJes-Quint. 

Celui  qui  la  portera  ou  la  lira,  dans  ce  jour,  ne  périra  ni  par  le 
fer,  ni  par  l'eau,  ni  par  le  feu;  aucun  homme  ne  pourra  lui  faire 
aucun  mal. 

S'il  vient  à  mourir,  le  porteur  est  garanti  des  peines  de  l'enfer. 
Christ,  ma  vie^  je  t'adore  ! 

Christ,  mon  sauveur,  brise  les  glaives,  romps  les  liens  1 
Que  ton  signe  devienne  le  rachat  de  ma  vie  ! 
Donne-moi  la  vie  éternelle  et  mets  en  fuite  mes  ennemis  !  » 
(Gaberel,  Histoire  de  l'église  de  Genève,  t.  Il,  p.  488.) 

Dangers  <te  â^enèvc.  —  Entreprise  de  Saïut-C'barles» 
Boroméc  et  du  pape  contre  ftenève. 

N"  1.  —  Bref  de  Paul  IV  à  François  II  pour  conquérir  Genève, 
11  juin  1560. 

Nous  avons  appris  que  Votre  Majesté  a  promis  à  notre  cher  CIs 
Emmanuel -Philibert  des  troupes  et  de  l'argent  pour  remettre 
Genève  sous  sa  domination.  Nous  approuvons  beaucoup  ce  projet. 
Rien  de  plus  digne  ne  pouvait  être  entrepris  par  vous.  En  eifet, 
cette  ville,  comme  tous  le  savent,  est  l'asile  de  tous  les  hérétiques 
de  France  et  d'Italie.  Elle  est  la  source  empoisonnée  d'où  naguère 
sont  sortis  les  troubles  et  les  séditions  cpii  ont  bouleversé  votre 
royaume.  Jamais,  pendant  que  cette  ville  sera  au  pouvoir  des 
hérétiques,  les  ennemis  de  la  foi  catholique  ne  manqueront  d'un 
refuge  assuré.  Aussi  nous  vous  exhortons  de  tout  notre  cœur 
avec  le  zèle  qui  nous  dévore;  bien  plus,  nous  vous  demandons 
d'aider  le  duc  de  Savoie  à  récupérer  cette  ville.  Envoyez -lui  des 
cavaliers,  des  fantassins,  de  l'argent  en  abondance.  En  faisant 
cela,  vous  accomplirez  une  chose  très-agréable  à  Dieu  et  utile 
par-dessus  tout  à  la  paix  de  votre  royaume.  Car  une  fois  cet  asile, 
ce  réceptacle  enlevé  aux  hérétiques  de  France,  ceux  qui  dans 
leur  cœur  machinent  des  complots,  seront  brisés  pour  jamais. 
Nous  envoyons  les  présentes  par  notre  vénérable  frère  le  nonce, 
qui  vous  les  confirmera  verbalement.  —  A  Rome,  le  11  juin 
1560. 

N"  2.  —  Le  pape  Paul  IV  au  roi  d'Espagne  Philippe  II,  le  13  juin  1560. 

Noti-e  bien-aimé  Hls  Emmanuel- Philibert  nous  affirme  qu'il  a  le 
plus  grand  désii-  de  récupérer  Genève.  Nous  avons  appris  que 
notre  très-cher  fils  en  Christ  .François  II,  R.  T.  C,,  lui  a  promis  de 


NOTES. 


359 


la  cavalerie  et  de  l'infanterie,  pour  rcdnirc  cette  ville.  Votre  Majesté 
sait  que  dès  longtemps  eclte  ville  est  l'asile  des  hérétiques,  que 
les  ennemis  de  l'Eglise  affluent  chez  elle  de  France  et  d'Kalie. 
Nous  sommes  donc  persuadés  que  vous  aiderez  Emmanuel -Phili- 
bert dans  la  proportion  de  votre  zèle  religieux,  et  que  vous  com- 
prendrez la  grandeur  et  l'importance  de  cette  œuvre.  Mais  comme 
nulle  entreprise  ne  nous  tient  plus  au  cœur  que  le  renversement 
de  ce  réceptacle  d'hérésie,  nous  vous  adi-essons  à  ce  sujet  les 
plus  pressantes  sollicitations.  Nulle  œuvre  n'est  plus  digne  de 
Dieu  et  de  la  sainte  Éghse  cathoUque.  Suivez  notre  exemple  et 
celui  du  roi  de  France,  qui,  de  la  Bourgogne  et  nous  d'Italie, 
enverrons  contre  Genève  les  pins  puissantes  troupes,  et  joignez 
à  nos  soldats  vos  redoutables  cohortes,  afin  que  le  succès  soit 
assuré.  —  Dat.  Romœ  apitd  S.  P.  clic  ///juin  an  P. 

N°  3.  —  Salât- Charles-Borromée  contre  Genève,  18  jain  1S60. 

Lettre  à  il.  de  Colleyno  sur  le  subside  à  donner  au  duc  de 
Savoie  pour  reprendre  Genève.  {Archives  de  Turin,  p.  49, 
n"  2 ,  l"  catég. ,  affaires  de  Genève.) 

Kous  avertissons  M.  de  Collegno  que  Sa  Sainteté  a  déposé 
20,000  écus  en  mains  de  Thomas  de  Marini ,  à  Milan.  Cette  so.mme 
doit  servir  aux  cantons  catholiques  contre  les  hérétiques  qui  veu- 
lent attaquer  les  fidèles.  Les  cantons  protestants  sont  irrités  des 
projets  des  cathoHques  contre  Claris.  Grâce  à  ces  20,000  écus,  les 
cantons  hérétiques  étant  empêchés ,  ne  pourront  aller  au  secours 
de  Genève  quand  Son  Altesse  lui  donnera  l'assaut. 

2°  Quand  Son  Altesse  marchera  sur  Genève,  elle  rece^Ta  éga- 
lement 20,000  écus  comptant  pour  payer,  durant  trois  mois,  cette 
entreprise. 

3»  Le  pape  enverra  sa  cavalerie  à  ses  frais  pour  chasser  les 
fugitifs  genevois;  car  cette  guerre  doit  être  com-te,  vu  que  les 
Turcs  pourraient  bien  nous  inquiéter. 

4°  Sa  Sainteté  trouve  à  propos  de  ne  pas  appeler  cette  guerre 
luthérienne ,  mais  seulement  guerre  contre  des  rebelles  et  une 
cité  qui  est  la  propriété  du  duc  Emmanuel-Philibert. 

5"  Sa  Sainteté  s'arrangera  avec  les  Français  pour  qu'As  fassent 
partir  des  détachements  des  cinq  garnisons  qu'ils  ont  en  Piémont, 
afin  que  Son  Altesse  voie  bien  que  le  pape  désire  son  bien-être  et 
son  contentement. 

Fait  à  Rome,  le  13  juin  1560. 

Charles,  cardinal  Bon-omée,  P.  P. 

La  mort  de  François  n,  arrivée  peu  après  l'expédition  de  ces 
missives,  fît  échouer  cette  entreprise,  et  Genève  échappa  à  l'un 
des  plus  grands  dangers  que  son  indépendance  ait  courus. 

(Archives  de  Turin,  1"  catégorie,  paquet  14.) 


360 


NOTES. 


Noie  XI,  page  214. 
Testament  de  Théodore  de  Bèze. 

Au  nom  de  Dieu  qui  a  fait  le  ciel  et  la  terre,  Amen. 

Je,  Théodore  de  Besze,  fils  de  feu  noble  Pierre  de  Besze,  baiiiyde 
Vezelay,  ministre  de  la  parole  de  Dieu  en  l'Église  de  Genève,  et 
fait  bourgeois  dudit  Genève,  par  la  grâce  de  mes  très -honorés 
seigneurs;  sain  de  corps  et  d'esprit  par  la  grâce  de  Dieu,  prévoyant 
toutefois  l'incertitude  de  cette  vie,  surtout  entre  l'âge  de  77  ans 
auquel  je  me  trouve,  j'ai  avisé  et  résolu  de  faire  mon  dernier 
testament  solemnel  et  par  écrit  en  la  forme  et  manière  qui  s'en 
suit  :  Premièrement,  je  recommande  à  Dieu  Père,  Fils  et  Saint- 
Esprit,  mon  âme  et  mon  corps;  m'assurant  par  sa  sainte  et  seule 
grâce  qu'en  la  séparation  de  l'âme  d'avec  le  corps,  mon  âme  sera 
reçue  en  ce  degré  de  félicité,  à  raison  de  laquelle  il  est  dit  que 
bien  heureux  sont  ceux  qui  meurent  au  Seigneur.  Et  quant  à  mon 
corps ,  il  ressuscitera  par  la  grande  puissance  de  mon  Créateur 
en  la  dernière  et  bienheureuse  journée  promise  pour  la  résurrec- 
tion des  morts;  atin  de  jouir  à  jamais  de  ce  qu'il  m'a  fait  connaître, 
croire  et  espérer  dès  les  temps  de  cette  pauvre  vie.  Je  lui  rends 
grâce  infinie  de  ce  qu'il  lui  a  plu  dès  mon  âge  de  seize  ans  me 
faire  connaître  cette  vérité;  et  plus  encore,  que  j'ai  été  enveloppé, 
et  me  suis  en  mille  sortes  égaré  aux  labyrinthes  de  jeunesse, 
n'ayant  faute  de  tentateurs;  toutefois,  par  une  très-sainte  grâce 
et  faveur  de  mon  Dieu,  au  lieu  que  je  méritais  par  trop  que  toute 
cette  connaissance  étant  abolie  en  moi ,  je  périsse  malheureuse- 
ment, il  a  tellement  opéré,  que,  postposaut  toutes  choses,  à  sa 
gloire  et  au  repos  de  ma  conscience,  il  m'a  retiré  au  port  de  son 
Église  en  cette  ville  de  Genève;  mais  je  bénis  son  nom  encore 
davantage,  en  ce  que,  multipliant  ses  miséricordes  sur  moi, 
pauvre  pécheur,  depuis  l'an  1548  que  j'arrivai  en  celte  ville,  le 
23  octobre,  quoique  je  fusse  indigne  d'être  des  moindres  brebis 
du  troupeau  du  Seigneur,  il  lui  a  plu,  toutefois,  dès  l'an  1549, 
m'honorer  de  plusieurs  charges  en  son  église,  ayant  exercé  dix 
ans  en  l'église  de  Lausanne  la  profession  de  la  langue  grecque,  et 
été  employé  par  les  Églises  françaises  envers  les  princes  protes- 
tants d'Allemagne.  Durant  lequel  temps  il  m'a  préservé  en  la 
maladie  de  peste,  et  en  plusieurs  épreuves  de  maladies  et  que- 
relles il  lui  a  plu  m'assister  à  son  honneur  et  gloire,  jusqu'à  ce 
que,  prenant  congé  volontaire  et  gracieux  des  magniliqucs  sei- 
gneurs de  Berne,  je  fus  appelé  premièrement  à  la  profession  de 
langue  grecque,  au  commencement  que  celte  école  de  Genève  fut 
dressée,  et  linaleraent  au  saint  ministère  de  la  parole  de  Dieu,  et 
adjoint  à  feu  mon  très-honoré  père  au  Seigneur,  M.  Jean  Calvin, 
de  très-heureuse  mémoire  en  la  profession  de  théologie,  à  savoir 


NOTES. 


361 


l'an  1559.  Depuis  lequel  temps,  en  deux  voyages,  l'un  de  trois 

mois  en  Guieune,  vers  le  feu  roi  Antoine  de  Navarre  :  l'autre  au 
coUoqpie  de  Poissy  l'an  1 5  6 1 ,  qui  fut  de  vingt  mois ,  y  étant  com- 
pris le  temps  de  toute  la  première  guerre  civile,  durant  tout  lequel 
espace  il  me  serait  impossible  de  réciter  les  grandes  assistances 
que  j'ai  senties  du  Seigneur  en  toutes  sortes  de  charges,  non- 
seulement  par  ti'op  pesantes,  mais  aussi  par  trop  périlleuses,  jus- 
qu'à ce  qu'étant  de  retour  en  ce  lieu,  il  m'a  fait  cette  grâce  jus- 
qu'à présent  de  n'avoir  été  sans  édification  tant  de  bouche  que 
par  écrit,  selon  qu'il  a  plu  à  Dieu  m'y  conduire.  Mais  hélas  1  fai- 
sant comparaison  de  mon  devoir  avec  ce  peu  d'effet,  je  baisse  ma 
tète  devant  mon  Dieu,  lui  demandant  grâce  et  miséricorde.  Je 
supplie  mes  très-honorés  seigneurs  de  me  pardonner  mes  infir- 
mités ,  acceptant  pour  effet  la  pure  et  sincère  volonté  que  j'ai 
toujours  eue  da  leur  faire  service  à  mon  possible.  A  quoi,  outre 
mes  gages  ordinaires,  je  reconnais  qu'ils  ont  usé  de  très-grandes 
gratuités  envers  moi,  dont  je  les  remercie  très-humblement.  Quant 
à  la  sainte  compagnie  de  mes  très-honorés  frères  et  compagnons 
en  l'œuvre  du  Seigneur,  comme  ils  ont  supporté  beaucoup  de 
mes  infirmités,  j'espère  qu'ils  me  rendront  toujours  témoignage 
que  je  me  suis  sincèrement  porté  avec  eux  en  ma  charge,  sans 
jamais  avoir  eu  débat  ni  contention.  Dieu  leur  veuille  accroître  ces 
grandes  grâces  de  plus  en  plus ,  pour  être  bien  ouïs ,  tant  en  la 
doctrine  reçue  en  ladite  Eglise,  qu'en  la  discipline  d'icelle  :  se 
souvenant,  non-seulement,  de  ce  que  eux  et  moi  ont  reçu,  mais 
de  ces  grands  personnages  desquels  nous  l'avons  reçu,  et  singu- 
lièrement de  ce  grand  serviteur  de  Dieu  feu  M.  Jean  Calvin  ;  de  la 
sagesse,  piété,  érudition  et  prudence  duquel,  ce  sera  bien  assez 
s'Os  peuvent  être  bons  imitateurs;  fermant  les  oreiUes  à  ces  esprits 
frétillants  qui  commencent  à  s'élever,  aussi  pleins  d'opinion  de 
leur  suffisance  en  eux-mêmes ,  qu'ils  sont  vides  de  bon  et  ferme 
jugement.  Que  si  ce  qui  a  été  bien  ordonné  se  peut  faire  encore 
meilleur,  je  dis  quant  à  l'ordre,  que  cela  se  considère  très-milre- 
ment,  et  s'exécute  d'un  esprit  sage  et  paisible  par  moyens  éloignés 
de  zèle  étourdi  et  d'ambition.  Que  s'il  s'en  trouve  d'autre  humeur 
en  la  compagnie,  eux  premièrement,  et,  si  besoin  est,  le  magis- 
trat n'y  saurait  trop  tôt  pourvoir.  Quant  à  moi,  je  prétends  vivre 
et  mourir  en  ce  que  j'ai  appris  par  les  susdits  grands  personnages 
que  je  reconnais  prins  de  la  pure  parole  de  Dieu.  Dieu  me  faisant 
la  grâce  de  mourir  en  cette  Église,  je  prie  que  mon  pauvre  corps 
soit  enterré  au  lieu  et  en  la  sépulture  accoutumée,  parmi  tant 
d'excellents  personnages,  et  de  mes  bons  frères  et  amis,  pour 
ressusciter  ensemble,  s'il  plait  à  Dieu,  en  cette  bienheureuse 
journée  et  apparition  de  Jésus-Christ,  notre  Sauveur,  etc. 

Et  combien  que  je  ne  fasse  aucune  distinction  du  heu  quant  à 
la  conscience,  toutefois  je  désire  i  si  faii'c  se  peut  commodément, 

IV.  41 


362 


NOTES. 


d'être  enterré  au  plus  près  de  feu  ma  bien-aimée  première  femme 
Claude  Desnoze,  qui  m'a  laut  d'nnnées  accompagné  et  fidèlement 
assisté,  et  fait  tout  devoir  de  i.  .  une  vraiment  chrétienne.  L'en- 
droit est  assez  près  de  l'entrée  de  l'iaiupalais ,  tournant  à  main 
droite,  auprès  du  coin  qui  fait  un  détour,  ou  à  un  jardin. 

Quant  aux  biens  (jue  Dieu  m'a  prêtés  en  cette  vie^  je  déclare  : 
(Suit  le  dispositif.) 

Et  ayant  tout  ce  que  dessus  bien  tu,  lu  et  considéré,  d'autant 
que  c'est  ma  dernière  disposition  faite  de  ma  franche  volonté ,  et 
sans  induction  quelconque,  n'y  voulant  ajouter  ou  diminuer, pour 
le  présent,  aucune  chose,  je  l'ai  signé  de  ma  propre  main  et 
cacheté  de  mon  cachet  accoutumé,  et  fait  signer  audit  Jouenon, 
notaire,  et  pour  plus  grande  confirmation  de  ma  dite  disposition 
et  dernière  volonté,  à  Genève,  le  18  du  mois  d'octobre  1595.  — 
Théodore  de  Besze. 

Cy  est  la  fin  du  susdit  testament,  à  savoir,  ime  ratification  du- 
dit  testament  par  ledit  sieur  de  Bcsze ,  le  1 6  de  novembre  1 59  9 ,  en 
présence  des  témoins  soussignés,  outre  ledit  sieur  Théodore  de 
Besze  et  le  notaire  Jouenon,  les  sieurs Dulac,  de  Tournes,  Eslienne 
Lemelays,  François  Lefeure,  Gabriel  Cartier,  Kéhémie  Carat, 
Anastase-Jean  Martin.  Je,  Théodore  de  Besze,  atteste  par  cet  écrit 
de  ma  main,  que  le  contenu  dans  les  feuilles  de  papier  ici  encloses , 
est  mon  testament  et  ma  dernière  volonté,  que  moi-même  ait 
minuté  el  diclé  à  Egrege-Jeau  Jouenon,  notaire  juré  de  cette  cité 
de  Genève,  l'ayant  prié  de  l'écrire,  et  avec  lequel  moi-même  ai 
collationné  le  tout  sur  ma  dite  minute,  de  mot  à  mot,  et  finalement 
signé  de  ma  main,  avec  quelques  apostilles  aussi  ajoutées  et  dic- 
tées par  moi,  en  certains  endroits,  et  finalement  j'ai  apposé  le 
sceau  des  armes  de  la  famille  dont  je  suis  né,  ce  que  je  certifie  à 
fous  ceux  qu'il  appartiendra  être  véritable  ;  suppliant  mes  très- 
honorés  seigneurs  de  vouloir  approuver,  nonobstant  les  solem- 
nités  ordinaires  non  observées;  fait,  écrit  et  signé  de  ma  main. 
Ce  25  octobre,  l'an  de  notre  salut,  1595.  Théodore  de  Besze.  Et 
au-dessous  :  Et  moi,  Jean  Jouenon,  bourgeois  et  notaire  jiu'é  de 
Genève,  me  suis  soussigné,  requis  par  ledit  sieur  de  Besze  pour 
plus  grande  confirmation  de  sa  dite  dernière  volonté.  Jouenon. 

(Tiré  des  pièces  justificatives  deV  Histoire  de  l'Église  de  Genève, 
par  Gaberel,  t.  II,  Genève  1558,  p.  261  et  suiv.) 

Note  XII ,  page  245. 

Hort  de  Théodore  de  Bèze. 

Séance  de  la  compagnie  des  pasteurs  et  du  conseil,  le  14  octebrei605. 

«  Nous  venons,  dit  le  Modérateur,  nous  affliger  ensemble  de  la 
perte  que  l'Église  a  faite.  Vous  êtes  comme  nous.  Messieurs,  sai- 
sis d'un  profond  regret,  en  songeant  à  tous  les  services  que  M.  de 


NOTES. 


363 


Besze  a  rendus  à  la  ville.  Il  n'était  pas  seulement  un  brillant  flam- 
beau en  la  maison  de  Dieu  ;  mais  un  rempart  pour  la  sûreté  de 
Genève,  et  personne  n'oubliera  que  si  nous  trouvons  secours  et 
faveurs  auprès  des  princes  étrangers ,  c'est  à  l'enti-eprise  de  M.  de 
Besze  que  nous  le  devons.  H  nous  sera  difficile  de  trouver  son 
égal  pour  faire  régner  la  bienveillance  et  adoucir  les  discordes. 
Mais  nous  rendrons  honneur  à  sa  mémoire,  en  nous  eucom'ageant 
tous  dans  une  bonne  et  sainte  intelligence  au  bien  de  l'État  et  de 
l'Église.  De  notre  part,  nous  protestons  d'une  afTection  sincère  et 
chrétienne  envers  les  magistrats ,  comme  le  défunt  nous  en  a  tou- 
jours donné  l'exemple.  » 

Le  syndic  Lect  répondit:  «Messieurs,  nous  sommes  vraiment 
touchés  de  deuil  et  de  tristesse  par  la  mort  de  notre  fi'ère  de  Besze. 
Kotre  grand  désir  est  de  réparer  sa  perte  en  conservant  son  esprit 
de  paix  et  de  conciliation  entre  nous.  Kous  espérons  que  toujours 
l'union  et  la  bonne  correspondance  seront  entre  l'Eglise  et  l'État, 
pour  le  bien  du  pays.  A  cet  elTet,  suivons  les  traces  de  ces  deux 
grands  personnages  qui  ont  si  heureusement  servi  en  cette 
ville.  » 

Kote  xm,page  250. 

De  ce  qui  se  pa§§a  en  sa  maladie  et  l'heareox  trépaa 

de  François  de  !Sales. 

Donc  le  27  du  mois  de  décembre,  jour  dédié  à  l'honneur  de 
saint  Jean  l'évangéliste,  après  avoir  diné,  son  valet  de  chambre 
rin\"itant  à  prendre  de  la  botte,  parce  qu'il  fallait  partir  avec  le 
sérénissime  prince  de  Piémont  :  «Prenons-la  (lui  tit-il),  puisque 
vous  le  voulez,  je  ne  pense  pas  pourtant  que  nous  allions  guère 
loin.  »  Cela  étant  fait,  il  se  sentit  tout  engourdi  et  demeura  assez 
longtemps  appuyé  contre  la  table  sans  sonner  mot;  puis,  repre- 
nant un  peu  ses  esprits,  U  écrivit  deux  lettres,  l'une  pour  les 
révérends  pères  récollets  qui  lui  demandèrent  certaines  recom- 
mandations, l'autre  à  madame  l'abbesse  du  monastère  de  la 
Déserte  de  Lyon,  qui  l'avait  supplié  instamment  de  1  accepter  en 
qualité  de  sa  très-obéissante  fille.  Environ  sur  le  midi,  coup  sur 
coup,  il  fut  visité  de  plusieurs  reUgieux  et  ecclésiastiques,  les- 
quels vinrent  humblement  recevok  sa  bénédiction.  Ses  domestiques 
ayant  remarqué  que  ni  à  leur  arri'vée,  ni  à  leur  sortie,  il  ne 
s'était  point  levé  de  sa  chaise  pour  les  saluer,  contre  son  ordinaire, 
jugèrent  incontinent  qu'il  se  trouvait  mal.  C'est  pourquoi  M.  Ro- 
land, surintendant  de  sa  maison ,  lui  dit  :  «  Monseigneur,  l'heure  se 
fait  haute,  il  me  semble  qu  il  sera  bon  d'attendre  de  partir  jusqu'à 
demain;»  à  quoi  il  répondit;  «  Vous  croyez  possible  que  je  sois 
malade.  »  Peu  de  temps  après  il  lui  survint  un  grand  manquement 
de  cœur,  et  dans  demi-heure  l'apoplexie  le  saisit,  laquelle,  quoi- 
que elle  l'assoupit  extrêmement,  si  est-ce  qu'elle  ne  l'empêcha 


364 


NOTES. 


pas  de  proférer  de  temps  en  temps  des  paroles  et  des  sentences 
dignes  de  lui,  selon  que  nous  verrons  tout  maintenant.  On  lui 
voulait  apporter  le  très-auguste  sacrement ,  par  manière  de  via- 
ti(jue,  toutefois  on  s'en  départit  à  cause  de  son  continuel  vomisse- 
ment, joint  qu'il  avait  célébré  la  messe  ce  jour-là.  Comme  le 
bruit  fut  divulgué  par  Lyon  qu'il  s'en  allait  mourant,  grand 
nombre  de  personnes  s'émeut  et  accourut ,  tant  pour  le  consoler 
qu'afln  de  recevoir  la  consolation;  car  il  n'est  pas  croyable  com- 
bien la  seule  vue  de  ce  bienheureux  prélat  édiUait  et  touchait  les 
consciences. 

Monseigneur  le  révérendissime  Robert  Bertelot ,  évôque  de  Damas 
et  sufTragant  en  l'archevêché  de  Lyon,  se  transporta  des  premiers 
à  son  logis,  et,  entrant  dans  sa  chambre,  lui  cria,  modérément 
néanmoins  :  «  Francisce,  quœ  mutatio  dexterœ  excelsi  ?  Vous  me 
Tintes  dire  adieu  la  veille  de  Noël,  à  présent  je  suis  contraint  de 
vous  venir  dire  adieu.  »  Alors  notre  pauvre  agonisant  le  regarda 
attentivement  et  lui  tendit  la  main  en  signe  de  bienveillance.  Ledit 
seigneur  évêque  de  Damas  reprenant  la  parole  lui  témoigna  qu'il 
était  venu  pour  l'assister  et  usa  de  ce  qui  est  écrit  aux  Proverbes 
de  Salomon  :  «Frater  qui  admiralur  a  fratre  quasi  civitas  mu- 
nita;  »  à  quoi  répondit  le  malade  :  «  et  dominus  salvabit  virnm- 
gue.»  Quelques  minutes  s'ctant  écoulées,  le  susdit  révérendissime 
évêque  de  Damas  lui  dit  ce  beau  verset  de  David  :  «  Jacta  cogita- 
tum  tuum  in  Domine  ;  »  et  notre  patient  poursuivit  et  ipse  te 
enutriet,  ajoutant  sans  beaucoup  de  délai  :  «  Meus  cibus  est  ut 
faciam  voluntatem  patris  mei.  « 

Le  révérend  monsieur  Ménard,  vicaire  général,  substitué  à 
l'archevêché  de  Lyon,  le  vint  pareillement  exhorter.  Il  lui  de- 
manda s'il  n'agréait  pas  qu'il  instituât  en  l'éghse  de  Sainte-Marie 
l'oraison  des  quarante  heures ,  à  ce  qu'il  plut  à  Notre  Seigneur 
de  lui  rendre  sa  santé?  Le  saint  évêque  lui  répondit  :  "Je  ne  le 
mérite  pas.  »  «Eh  quoi,  répliqua  le  sieur  Ménard,  ne  voidez-vous 
pas  qu'on  prie  pour  vous?»  «Ahl  de  cela,  oui,  répartit-il.  »  «Ou- 
bliez-vous point  de  prier  la  sainte  vierge  Marie?  lui  fit-il.  »  «  Je 
l'ai  priée  tous  les  jours  de  ma  vie,  répondit-il.  »  Ce  dévot  ecclé- 
siastique, qui  J«  chérissait  tendrement,  ayant  envit-  de  lui  ouvrir 
le  sujet  de  quetnme  pieux  discours,  comme  ausst  rie  le  réveiller 
davantage,  l'exci'ta  par  tels  propos:  «Monseigneur,  que  sentez- 
vous  de  la  foi  catholique?  seriez-vous  point  devenu  huguenot?» 
«  0  la  lie,  ne  le  fus  jamais  ;  «  et  faisant  un  grand  signe  de  croix  : 
«  Ce  serait  une  étrange  trahison,  dit-il.  »  Le  même  lui  représentant 
que  les  plus  signalés  en  sainteté  avaient  appréhendé  la  mort,  il 
répliqua  :  «  Ils  avaient  bien  raison.  »  Et  comme  on  lui  mit  en 
avant  cette  sentence  du  sage  :  0  mors  quam  amai-a  est  mcmnria 
tua;  il  poursuivit  :  «  Bomini  pacem  habenti  in  substanliis  sîds.» 

Les  révérends  pères  de  la  compagnie  de  Jésus  l'assistèrent  jour 


NOTES. 


365 


et  nuit,  tour  à  tour,  dès  le  commencement  de  sa  maladie,  jusqu'à 
ce  qu'il  eut  rendu  l'esprit,  avec  une  affection  très -intelligente  et 
une  cordialité  non  pareille,  notamment  le  révérend  père  Jean 
Fourier,  provincial,  le  révérend  père  Louis  Jlichaelis,  recteur  du 
collège  de  Lyon,  le  révérend  père  Pierre  Bernaud,  recteur  de  la 
maison  de  la  troisième  probation  de  Saint-Joseph,  le  révérend 
père  Gaspard  Marguilier,  le  révérend  père  Reymond  Sauvian,  le 
révérend  père  Amerez,  et  le  vénérable  frère  coadjuteur  Guillaume 
Armand;  qui  lui  rendait  service  d'une  façon,  qui  d'une  autre,  qui 
le  soutenait,  qui  le  faisait  promener  par  la  chambre,  qui  s'essayait 
du  mieux  qu'il  pouvait,  en  le  frottant,  de  divertir  l'apoplexie;  ils 
allaient  à  l'envie,  ces  charitables  serviteurs  du  roi  Jésus,  à  qui 
plus  apporterait  de  soulagement  au  pamTe  patient,  que  la  pesan- 
teur du  mal  allait,  petit  à  petit,  accablant.  Ils  lui  firent  produire, 
de  temps  en  temps,  à  force  actes  de  foi,  d'espérance  et  de  charité, 
de  patience,  d'humilité,  de  résignation,  de  contrition;  Us  raoyen- 
nèrent  qu'on  lui  donna  l'extrême  onction;  ils  firent  iaiie  pour  lui 
de  particulières  oraisons  chez  eux,  et  en  somme  se  monti-èrent 
fidèles  amants  de  celui  qui  les  avait  toujours  tant  aimé  et  chérL 
L'un  d'eux  lui  ayant  ouï  réciter  ce  verset  de  David  :  Amplius  lava 
vie  ab  iyiiquitate  med  et  peccato  meo  munda  me,  lui  dit:  n  0 
Monseigneur,  quant  à  votre  conscience,  grâce  à  notre  bon  Dieu, 
vous  y  avez  mis  l'ordre  qu'il  fallait  durant  votre  vie  ;  »  il  répon- 
dit :  «  Ah  1  non  pas  cela.  »  Un  autre  le  conviant  de  présenter  à 
notre  Seigneur,  la  prière  de  saint  Martin,  Domine  si  adhuc  populo 
tuo  sum  necessarius  non  récusa  laborem,  U  n'y  voulut  jamais 
acquiescer,  assurant  qu'iï  était  servus  inutilis.  Quelque  autre 
l'invitant  à  dire  le  sacré  Trisagion;  Sanctus,  sanctus,  sanctiis 
Dominus  Deus  Sabaoth ,  il  poursuivit  :  Pleni  sunt  cœli  et  terra 
majestatis  g/oriœ  tuœ ,  continua  le  reste  du  Te  Deum  lavdamus 
et  fit  une  action  de  grâces  de  tous  les  bénéfices  qu'il  avait  reçus 
de  la  divine  bonté.  Une  autre  fois,  lui  remémoriant  le  psaume: 
Miserere  mei  Deus,  il  le  poursuivit  jusqu'à  la  fin.  Le  susdit  révé- 
rend père  Marguilier  l'exhorta  à  proférer  ces  paroles  que  l'amou- 
reux Sauveur  poussa  hors  de  sa  poitrine  angoissée  au  jardin  des 
Olives  ;  Paler  si  possibile  est  transeat  à  me  calix  iste.  Ce  dé- 
bonnaire prélat  ne  le  voulut  pas  prononcer,  seulement  il  se  con- 
tenta de  dire  ce  qui  suit  :  «iN'ow  mea  sed  tua  vohmtas  fiât.  «  Le 
même  père  l'anima  doucement  à  sacrifier  son  âme  à  la  très-glo- 
rieuse Trinité.  Alors  le  saint  évèque,  redoublant  ses  forces,  jeta 
d'un  grand  cœur  ses  embrasés  élans  :  «  Je  sacrifie  tout  à  Dieu  :  je 
sacrifie  ma  mémoire  et  mes  actions  à  Dieu  le  Père;  mon  entende- 
ment et  mes  paroles  à  Dieu  le  Fils;  ma  volonté  et  mes  pensées  à 
Dieu  le  Saint-Esprit;  mon  corps,  mon  cœur,  ma  langue,  mes 
eentiments  et  mes  soulfrances  à  l'humanité  de  Jésus-Christ,  lequel 
a  livré  pour  moi  son  corps  aux  tourments  en  l'arbre  de  la  croii.  » 


366 


NOTES. 


Le  rérérend  père  FûUrier,  provincial,  son  ancien  ami,  qui  avait 
ouï  sa  confession  générale  lorsqu'il  se  préparait  pour  se  faire 
sacrer  évêqué  et  qxii  lui  avait  jadis  servi  de  directeur  spirituel, 
S'approchant  de  lui,  cria  bellement  :  «  Monseigneur,  vous  ne  vous 
souvenez  plus  de  moi?»  «Si  fait,  bien,  mon  père,  répondit-il 
fort  gracieusement,  je  ne  vous  oublierai  jamais.  »  Et  voyant  que  le 
zélé  frère  coadjuteur  Guillaume  Ai-mand  ne  se  pouvait  souler  de 
le  servir,  il  lui  dit  amiablement :  «  Mon  frère,  vous  prenez  beau- 
coup de  peine  avec  moi,  que  ferai-je  pour  vous?  »  «  Vous  prierez 
s'il  vous  plaît  pour  moi.  Monseigneur,  lui  répondit-il,  quand  vous 
serez  arrivé  au  ciel.  » 

Le  révérend  monsieur  Pernet,  docteur  en  théologie,  demeura 
pendant  sa  maladie  presque  toujours  attaché  au  chevet  de  son  lit 
et  mâiutefois  U  lui  entendit  répéter  ces  trois  excellents  versets  du 
prophète  royal  David.  Le  premier  :  Misericordias  Domini  in  œter- 
num  ccmlaho;  le  second  :  Cor  meum  et  caro  mea  exuUaverunt  in 
Dêum  Vivian  ;  le  troisième  :  Renuit  consolari  anima  mea,  memor 
fui  et  Dei  delectatus  sum.  Et  il  proférait  ces  versets  tacitement, 
ainsi  qu'une  personne  qui  récite  ses  heures  en  oyant  la  messe. 

Ce  bienheureux  prélat  apercevant  ses  serviteurs  pleurant  amère- 
ment et  fondant  en  larmes,  il  leur  dit  :  «  Ne  faut  pas  pleurer,  il  se 
faut  conformer  à  la  volonté  de  Dieu.  »  Le  pauvre  M.  Roland,  prêtre 
et  smintèndant  de  sa  maison,  était  plus  mort  que  vif;  il  ne  savait 
quelle  contenance  tenir;  enfin  se  violentant,  il  s'approcha  de -son 
bon  maître  avec  ce  peu  de  paroles:  «Monseigneur,  parlez -nous 
un  petit,  dites  quelques  paroles.  «  «Vivez  en  paix,  lui  fit-il,  et  en 
la  crainte  de  Dieu,  » 

Le  révérend  père  Charles  de  Saint-Laurent,  feuillant,  lui  dit: 
«  Courage,  Monseigneur,  peut-être  que  Dieu  vous  réserve  encore 
pour  vous  faii'e  asseoir  sur  votre  trône  à  Genève."  «Je  n'ai  ja- 
mais désiré  le  trône,  répondit-il,  je  n'ai  souhaité  que  leur  salut.  » 

Un  certain,  pensant  le  réjouir,  lui  A'int  faire  fête  de  l'arrivée  du 
révérendissime  Jean-François  de  Sales,  évêque  de  Calcédoine,  son 
frère ,  mais  U  le  tança  doucement  en  lui  répUquant  :  «  U  ne  faut 
jamais  mentir.  «  On  lui  demanda  s'il  voulait  laisser  les  filles  de 
Sainte-Marie  orphelines,  U  répartit:  «  qui  cœpitopus  ipseperficiet, 
perficiet ,  pei-ficiet  ;  »  continuant  à  perte  d'haleine  ce  prophétique 
perficiet  jusques  à  trois  fois. 

Le  ti-ès- illustre  prince  et  duc  de  Nemours  le  vint  visiter  et  se 
mit  à  genoux  la  larme  à  l'œil  pour  recevoir  sa  bénédiction,  il  la 
lui  donna  par  deux  fois,  sur  quoi  il  lui  dit:  «  U  y  en  am'a  donc 
une  pour  moi,  et  une  pour  le  duc  de  Genevois,  mon  fils.»  Et 
comme  on  se  fut  enquis  de  lui  voir  s'il  reconnaissait  quel  était  ce 
seignem',  il  répondit:  «Oui,  c'est  Monseignem-  le  duc  de  Nemours.» 
(Extrait  de  La  vie  de  François  de  Sales,  par  le  révéread  pèra 
De  la  Rivière,  p.  665  et  suiv.) 


NOTES. 


367 


Note  xrv,  page  272. 

L'impopularité  d'un  parti  toujours  occupé  de  cette  œuvre  san- 
glante et  qui  ne  semblait  respirer  que  poiu-  l'assassinat  d'une  fenune, 
ne  pouvait  que  s'accroître.  Le  mariage,  réputé  quelque  temps  iné- 
vitable d'Elisabeth  avec  le  duc  d'Anjou,  fit  éclater  la  défiance 
universelle  qu'excitaient  les  catholiques,  et  ne  servit  qu'à  donner 
la  mesure  de  cette  impopularité.  Une  lettre  de  Philippe  Sidney, 
rendue  pubUque,  excita  contre  ce  mariage  les  senlijnents  de  la 
nation  avec  assez  de  fermeté  pour  obtenir  l'approbation  générale, 
avec  assez  de  mesm-e  pour  ne  point  ii-riter  Elisabeth.  Les  puri- 
tains furent  plus  hardis  et  moins  heureux;  leur  Mvre,  intitulé 
L'abîme  où  le  mariage  français  eyitraine  l'Angleterre ,  parut 
à  la  reine  un  appel  à  la  révolte,  digne  de  la  répression  la  plus 
sévère.  Il  lui  importait  peu  qu'elle  y  fût  appelée  la  fille  de  Dieu. 
Le  duc  d'Anjou,  flétri  du  nom  du  fils  de  l'Antéchrist,  ses  con- 
seillers accusés  d'avoir  ^alii  la  religion  nationale  devaient  être  à 
ses  yeux  recouverts  de  sa  propre  inviolabilité,  et  la  dignité  de 
la  couronne  était  intéressée  à  leur  défense.  Le  respectable  John 
Stuhb,  auteur  du  livre,  le  libraire  Wilham  Page,  qui  l'avait 
propagé,  eurent  la  main  droite  coupée  par  le  bourreau  sur  la 
place  de  Westminster.  Le  véridique  historien  de  ce  règne  (Camdeu) 
fut  témoin  de  leur  supplice,  du  silence  désapprobateur  de  la 
foule,  plus  inquiète  du  mariage  catbohque  que  de  l'offense  reçue 
et  vengée  par  Elisabeth,  de  l'admiration  pleine  de  piété  avec  la- 
quelle on  vit  John  Stubb  mutilé  élever  son  chapeau  de  la  main 
gauche  en  criant  :  Vive  la  reine! 

(Extrait  de  l'ouvrage  de  M.  Prévost -Paradol,  intitulé  :  Elisabeth 
c^ffenri /F  [15«5-1 598],  p.  97-98.) 

Note  XV,  page  294. 

Serment  fait  par  les  dépotés  présents  à  liouduu 
(20  Juin  1S96). 

Nous  soussignés,  promettons  et  jurons  garder,  inviolablement, 
l'union  des  Églises  de  France  faite  à  Mantes  le  9  décembre  1593 , 
et,  en  conséquence  d'iceUe,  nous  soumettre  à  toutes  les  résolu- 
tions des  assemblées  générales ,  et  notamment  de  celle  tenue  à 
Loudun,  en  la  présente  année,  observer  les  règlements  y  dressés 
pour  l'ordre  de  notre  conservation,  pour  à  laquelle  parvenir,  nous 
promettons  de  maintenir  de  tout  notre  pouvon-  ce  que  nous  avons 
délibéré  de  conscience ,  ne  permettant  pas  que  l'exercice  de  la 
reUgion  soit  ôté  d'aucuns  lieux  où  il  est  maintenant,  ni  la  messe 
reçue  ès  lieux  où  elle  n'est  point  de  présent,  de  garder  nos  sûre- 
tés, ne  relâcher  aucune  des  places  que  nous  tenons ,  saisir  les 
deniers  pour  les  payements  des  garnisons,  selon  qu'il  a  été  déjà 


3&8 


NOTES. 


ordonné  par  ladite  assemblée,  employer  vie  et  biens  pour  la  dé- 
fense de  celui,  ou  ceux,  qui  seront  recherchés  pour  cet  effet, 
garder  lidèlemeut  les  places  pour  la  manutention  des  éghses,  n'en 
transporter  aucune  pour  quelque  cause  que  ce  soit,  ès  mains  d'un 
autre,  sans  le  consentement  et  expresse  permission  du  conseil  de 
la  province;  bref,  exécuter,  fidèlement,  et  de  point  en  point  tout 
ce  qui  est,  et  sera  ordonné  pour  Tentretenement  du  ministère, 
récusation  des  parlements,  qu'autres  choses  concernant  le  bien 
général  ou  particulier  de  toutes  les  Églises  réformées  de  France, 
le  tout  jusqu'à  ce  que  par  lesdites  Églises  en  ait  été  autrement 
avisé. 

(Extrait  des  Actes  des  assemblées  générales.) 

Note  XVI,  page  300. 
lia  Tache  à  Colas. 

Au  mois  de  janvier  (1615),  le  sieur  de  la  Force  se  trouvant  à  la 
cour,  arriva  la  quereUe  du  marquis  de  la  Force  et  du  comte  de 
Grammont,  laquelle  se  passa  de  cette  sorte: 

«  Le  marquis  de  la  Force  était  de  quartier  auprès  du  roi  comme 
capitaine  des  gardes;  un  jour  qu'il  accompagnait  Sa  Majesté  dans 
la  forêt  de  Saint-Germain;  voilà  que  tout  à  coup  un  taureau  fu- 
rieux court  par  un  sentier  droit  à  la  personne  du  roi;  la  Force  se 
jette  aussitôt  entre  Sa  Majesté  et  le  taureau,  lequel  il  fit  tomber 
raide  mort  d'un  coup  d'épée.  Le  roi  se  divertissait  fort  à  faire 
battre  des  taureaux  contre  des  dogues  d'Angleterre  ;  il  avait  même 
un  homme  exprés  pour  en  faire  venir  des  pays  étrangers  et  les 
dresser  à  ce  genre  de  combat;  un  de  ces  animaux,  échappé  du 
heu  où  il  était  renfermé,  avait  mis  en  péril  la  vie  du  roi.  On  loua 
extraordinairement  l'action  du  marquis  de  la  Force,  et  tous  ceux 
qui  étaient  présents  en  parlèrent  beaucoup  le  soir,  au  retour  de 
la  chasse. 

«Ayant  entendu  ce  récit,  le  comte  de  Grammont,  impatienté 
des  louanges  qu'on  donnait  au  marquis  de  la  Force ,  qu'il  n'ai- 
mait pas,  jaloux  du  mérite  qu'on  lui  attribuait,  et  railleur  de  son 
naturel ,  comme  tous  ceux  de  sa  maison ,  se  plut  à  tourner  la 
chose  en  ridicule,  et  même  fit,  sur  un  air  alors  en  vogue,  le  cou- 
plet suivant  : 

Le  marquis  de  la  Force 
A  tué  par  sa  force 
La  grand' vache  à  Colas, 
La  la,  deri  dera. 

f  II  voulait  dire  par  là  qu'on  faisait  grand  bruit  de  peu  de  chose, 
et  se  moquait,  en  même  temps,  de  ceux  de  la  religion  que  les 
raiholiques  désignaient  sous  le  nom  de  vache  à  Colas ,  fle  qui  était 
re^  'a'dé  comme  une  injure. 


NOTES. 


369 


«  Cette  boutade  fut  racontée,  le  jour  même,  au  marquis  de  la 
Force,  qui,  trouvant  le  sieur  de  Grammont  dans  l'antichambre  du 
roi,  lui  dit  :  «Je  viens  d'apprendre  que  vous  êtes  poète;  eh  tient 
moi ,  je  le  suis  aussi.  Vous  avez  fait  ce  couplet  : 

Le  marquis  de  la  Force,  <it& 

«Moi,  j'ai  composé  celui-ci  sur  le  même  ait  i 

Des  cornes  de  la  vache 
Je  fais  faire  un  panache 
Pour  Grammont  que  voilà, 
La  la ,  deri  dora. 

«Et  puis  le  marquis  de  la  Force  lui  faisait  les  cornes  avec  ses 
doigts,  et  finit  par  lui  relever  le  bout  du  nez.  D'abord  Grammont 
ne  dit  que  :  pourpoint  bas  !  qui  était  le  terme  dont  on  se  servait 
quand  on  voulait  se  battre.  Cette  querelle,  se  passant  si  proche 
du  roi,  fut  aussitôt  rapportée  à  Sa  Majesté,  qui  envoya,  à  chacun 
d'eux,  un  exempt  des  gardes  du  corps,  avec  ordre  de  les 
garder  en  leur  maison  jusqu'à  ce  que  cette  affaire  fût  accom- 
modée. 

«  La  précaution  fut  inutCe,  car  les  deux  adversaires  s'étaient 
échappés;  le  duel  eut  lieu  au  Pré  aux  Clercs,  et  le  marquis  de  la 
Force  ayant  blessé  le  comte  de  Grammont,  le  força  de  rendi'e  les 
armes  et  de  demander  la  vie.  La  reine  dut  ensuite  travailler  à  une 
réconciliation  plus  apparente  que  réelle.  « 

{Mémoires  de  la  Force,  publiés  par  M.  le  marquis  de  la  Grange, 
en  1843.  —  Voy.  aussi  Bulletin  de  la  société  de  l'histoire 
du.  protestantisme ,  7«  année,  p.  365,  366.) 

Note  xvii ,  page  305. 

£xécation  du  jésuite  Ciarnet.  —  Ses  déclarations 
sur  l'échafand» 

Le  trois  mai,  Henri  Garnet  subit  le  dernier  supplice. . .  Lorsqu'il 
fut  sur  Féchafaud,  il  s'arrêta  comme  étonné,  laissant  voir,  sur 
Bon  visage  sa  crainte  et  ses  remords —  Il  dit  aux  assistants  que 
ça  avait  été  une  entreprise  horrible,  que  le  crime  qu'on  avait 
voulu  commettre  était  énorme ,  et  de  telle  nature  que  s'il  efit  été 
achevé,  il  lui  eût  été  impossible  de  ne  pas  en  avoù*  horreur.  D 
ajouta  qu'il  n'avait  su  la  chose  de  Catesby  qu'en  général;  qu'il  était 
cependant  coupable  de  l'avoir  célé  et  d'avoir  négligé  de  l'empêcher , 
parce  qu'il  avait  su  en  particulier,  il  ne  Favait  appris  que  sous  le 
sceau  de  la  confession.  Le  Magistrat  chargé  d'assister  à  l'exécution 
l'avertit  de  se  ressouvenir  de  ces  quatre  articles,  que  le  roi,  entre 
plusieurs  autres,  avait  entre  les  mains  signés  de  la  propre  main 


370 


NOTES. 


!•  Que  Greenwell  lui  avait  déclaré  le  fait  non  comme  un  péché, 
mais  cômmé  une  chose  dont  il  avait  déjà  ouï  parler,  et  cela  pour 
le  consulter. 

2"  Que  Catesby  et  Greenwell  l'étaient  venu  trouver,  atin  qu'il 
les  confirmât  dans  le  dessein  d'exécuter  le  crime  qu'ils  avaient 
entrepris. 

3»  Que  Tesmond  lui-même  avait  eu  avec  lui,  dans  îe  comtâ 
d'Essex  un  entretien  assez  long  sur  les  particularités  de  cette  con- 
juration des  poudres. 

4"  Que  Greenwell  avait  demandé  à  Carnet,  gui  est-ce  qui  serait 
protecteur  du  royaume?  et  que  Garnet  avait  répondu:  qu'il  ne 
fallut  pas  s'embarrasser  de  celà,  jusqu'à  ce  que  la  chose  fût  faite 
et  consommée: 

Toutes  ces  choses  prouvent  que  vous  avez  eu  connaissance  de 
ces  crUnes  autrement  que  par  la  confession,  et  elles  sont  signées 
de  votre  propre  main. 

Garnet  répondit  que  tout  ce  qu'il  avait  signé  était  vrai,  et  qu'on 
l'avait  condamné  tiès-justement  à  mort,  pour  n'avoii'  pas  décou- 
vert à  Sa  Majesté  ce  qu'U  avait  su. 

(Extrait  du  procès  de  Henri  Garnet  de  la  Société  jésuitique  ea 
Angleterre,  et  autres,  —  traduit  de  l'anglais  en  latin  par  G. 
Camden.  —  Londres,  imprimerie  de  Jean  Morton,  hnprimeur 
du  roi,  l'an  1607.' — Voir  aussi  àlapage  46G-467. — Extraits 
des  assertions  dangereuses  et  pernicieuses  en  tout  genre  que 
les  soi-disant  jésuites  ont,  dans  tous  les  temps  et  perséve- 
rammeut  soutenues,  enseignées  et  pubhées  dans  leurs  livres 
avec  l'approbation  de  leurs  supérieurs  et  généraux.  —  Véri- 
fiées et  coUationnées  par  les  commissaires  du  parlement  ea 
exécution  de  l'arrêté  de  la  cour  du  31  août  1761.  —  Paris, 
chez  Pierre-Guillaume  Simon,  imprimeur  du  parlement,  rue 
dé  la  Harpe,  à  l'Hercule.     An  M.DCC.LXn.) 

Note  xvra,  page  327. 

Assassinat  du  roi. 

Le  Roi  sortit  peu  après  pour  s'en  aller  à  l'Ai'senal.  11  délibéra 
longtemps  s'il  sortirait,  et  plusieurs  fois  dit  à  la  reine  :  «  5!a  mie, 
irai-je ,  n'h-ai-je  pas?  »  Il  sortit  même  deux  ou  ti'ois  fois ,  et  puis, 
tout  d'un  coup,  retourna  en  disant  à  la  reine  :  «Ma  mie,  irai-je 
encore  ?  «  et  faisait  de  nouveau  doute  d'aller  ou  demeurer.  Enfin 
il  se  résolut  d'y  aller ,  et  ayant  plusieurs  fois  baisé  la  reine ,  lui 
dit  adieu ,  et  entre  autres  choses  que  l'on  a  remarqué ,  il  lui  dit  : 
n  Je  ne  ferai  qu'aller  et  venii'^  et  serai  ici  tout  à  cette  heure  même.  » 
Comme  il  fut  en  bas  de  la  montée  où  son  carrosse  l'attendait , 
M.  de  Praslin,  son  capitame  des  gardes,  le  voulut  suivi-e,  iTlui 
dit:  «Allcz-voi.is-ça,  je  ne  veux  personne,  aliez  à  vos  affaires.  » 


NOTES. 


371 


Ainsi  n'ayant  autour  de  lui  que  quelques  gentilshommes  et  des 
valets  de  pied,  il  monta  en  carrosse,  se  mit  au  fond  à  sa  main 
gauche,  et  fit  mettre  M.  d'Espernoii  à  la  droite;  auprès  de  lui,  à 
portière,  étaient  M.  de  Montbazon,  M.  de  la  Force;  à  la  portière, 
du  côté  de  M.  d'Espernon,  étaient  M.  le  maréchal  de  Lavardin , 
M.  de  Créqui;  au-devant  M.  le  marquis  de  Mirabeau  et  M.  le  pre- 
mier écuyer.  Comme  il  fut  à  la  Croix  du  Tiroir,  on  lui  demanda  oii 
il  voulait  aller;  il  commanda  qu'on  alla  vers  Saiut-Innocent.  Étant 
arrivé  à  la  rue  de  la  Ferronnerie,  qui  est  à  la  fin  de  celle  de  Saint- 
Honoré  pour  aller  à  celle  de  Saint-Denis,  devant  la  Salamandre,  il 
se  rencontra  une  charrette  qui  obligea  le  carrosse  du  roi  à  s'ap- 
procher plus  près  des  boutiques  de  qiiincaillers  qui  sont  du  côté 
de  Saint- Innocent,  et  même  d'aller  un  peu  plus  bellement  sans 
s'arrêter  toutefois,  combien  qu'un  qui  s'est  hâté  de  faire  im- 
primer le  discours,  l'ait  écrit  de  cette  façon.  Ce  fut  là  qu'un  abo- 
minable assassin,  qui  s'était  rangé  contre  la  prochaine  boutique, 
qui  est  celle  du  Cœur  couronne  percé  d'une  flèche,  se  jeta  sur  le 
roi  et  lui  donna,  coup  sur  coup,  deux  coups  de  couteau  dans  le 
Côté  gauche;  l'un  prenant  entre  l'aisselle  et  le  tétin,  va  en  mon- 
tant sans  faire  autre  chose  que  glisser;  l'autre  prend  la  cinquième 
et  sixième  côte,  et  en  descendant  en  bas,  coupe  une  grosse  artère 
de  ceUes  qu'ils  appellent  fezneî^ei.  Leroi^  parmaHieur,  et  comme 
pour  tenter  davantage  ce  monstre,  avait  la  main  gauche  sur  l'é- 
paule de  M.  de  Montbazon,  et  de  l'autre  s'appuyait  sur  M.  d'Esper- 
non, auquel  il  parlait.  Il  jeta  quelque  petit  cri  et  lit  quelques 
mouvements.  M.  de  Montbazon  lui  ayant  demandé  :  «Qu'est-ce, 
Sire?  »  Il  répondit  :  «  Ce  n'est  rien  I  ce  n'est  rien!  »  par  deux  fois; 
mais  la  dernière,  il  le  dit  si  bas  qu'on  ne  put  l'entendre.  Voilà  les 
seules  paroles  qu'U  dit  depuis  qu'il  fut  blessé. 

Tout  aussitôt  le  carrosse  retourna  vers  le  Louvre.  Comme  il  fut 
au  pied  de  la  montée,  où  il  était  monté  en  carrosse,  qui  est  celle 
de  la  chambre  de  la  reine,  on  lui  donna  du  vin.  Pensez  que  quel- 
qu'un était  déjà  couru  devant  porter  cette  nouvelle.  Le  sieur  de 
Cérisy,  Ueutenant  de  la  compagnie  de  M.  dePraslin,  lui  ayant 
soulevé  la  tête ,  il  fit  quelque  mouvements  des  yeux,  puis  les  re- 
ferma aussitôt  sans  les  plus  rouvrir.  11  fut  porté  en  haut  par  M.  de 
Montbazon,  le  comte  de  Curson  en  Quercy,  etmis  sur  le  lit  de  sou 
cabinet,  et,  sur  les  deux  heures,  porté  sur  le  ht  de  sa  chambre, 
où  il  fut  tout  le  lendemain  et  le  dimanche,  un  chacun  allait  lui 
donner  de  l'eau  bénite.  Je  ne  vous  dis  rien  des  pleurs  de  la  reine, 
cela  se  doit  imaginer.  Pour  le  peuple  de  Paris,  je  crois  qu'U  ne 
pleura  jamais  tant  qu'à  cette  occasion. 

(Extrait  des  Lettres  de  Malherbe,  p,  142-144.  Paris,  Biaise, 
1822,  in-8«.) 


a72 


NOTES. 


Stanees  de  HUe  Anne  de  Rohan  sot  la  mort  dn  roi.  —  Lyon, 
François  Yvra,  1610. 

Jadis  pour  ses  beaux-fatcts  nous  élevions  nos  testes , 

L'ombre  de  ses  lauriers  nous  gardait  des  tempestes, 

La  fin  de  nos  combats  finissait  notre  effroi, 

Nous  nous  prisions  tous  seuls,  nous  méprisions  les  autres 

Estant  plus  glorieux  d'être  sujets  du  roi 

Que  si  les  autres  rois  eussent  été  les  nogtres. 

Maiûtenant  notre  gloire  est  à  jamais  ternie. 
Maintenant  notre  joie  est  à  jamais  finie , 
Les  lys  sont  attérés  et  nous  sommes  avec  eux  ; 
Daphné  baisse,  chétive,  en  terre  son  visage. 
Et  semble  par  ce  geste  humble  autant  que  piteux, 
Ou  couronner  sa  tombe  ou  bien  lui  faire  hommage. 

France,  pleure  ton  roi,  qu'un  noir  cachot  enserre. 
Roi  florissant  en  paix,  victorieux  en  guerre. 
Qui  conservait  des  tiens  les  biens,  les  libertés; 
Jettes  saus  fin  des  cris  et  des  larmes  non  feintes; 
Jusques  au  bout  du  monde ,  aux  heux  plus  escartés 
Où  resonnaient  ses  faicts,  fais  résonner  tes  plaintes. 

Regrettons,  soupirons;  ceste  sage  prudence, 
Geste  extrême  bonté,  ceste  rare  vaillance, 
Ce  cœur  qui  se  pouvait  fléchir  et  non  dompter, 
Vertus  de  qui  la  perte  est  à  nous  tant  amère. 
Et  que  je  puis  plustôt  admirer  que  chanter, 
Paisqu'à  ce  grand  Achille  il  faudi'ait  un  Homère. 


Ua  NOUS  ou  OVATRlilU  T0l(7tUi 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


I.  Siège  de  Rouen.  —  Ardeur  des  assiégeants.  —  Intrépidité 
des  assiégés.  —  Farnèse  se  prépare  à  faire  lever  le  siège.  — 
Henri  IV  se  porte  à  sa  rencontre.  —  Sa  fausse  bravoure.  — 
Il  court  un  grand  danger.  —  Mot  sanglant  de  Farnèse  contre 
lui.  —  Levée  du  siège  de  Rouen.  —  Farnèse  blessé  devant 
Caudebec  ,  remet  le  commandement  à  Mayenne.  — II.  Mayenne 
continue  le  siège  de  Caudebec.  —  Son  imprévoyance  le"  jette 
dans  un  extrême  péril.  —  Farnèse.  par  une  habile  manœuvre, 
délivre  Mayenne.  —  III.  Mayenne  humilié  et  découragé,  se  re- 
tire à  Rouen.  —  Des  négociations  sont  ouvertes  entre  lui  et 
Henri  IV.  —  Les  exigences  de  Mayenne  les  font  échouer.  — 
Discours  incendiaires  des  prédicateurs  de  Paris.  —  Mayenne 
ne  pouvant  lutter  contre  le  déchaînement  des  passions,  des 
bourgeois  ligueurs  de  Paris,  se  décide  à  convoquer  les  États 
généraux.  —  Henri  IV  essaie  de  savoir  par  ses  agents,  si  dans 
le  cas  d'une  abjuration ,  le  pape  lèverait  l'excommunication 
qui  pesait  sur  lui.  —  Mécontentement  des  ligueurs  et  des  pro- 
testants. —  IV.  Lesdiguières.  —  Détails  biographiques  sur  ce 
chef  huguenot.  —  Son  portrait.  —  V.  Mort  de  Farnèse.  —  Ou- 
verture des  États.  —  VI.  Mayenne.  Ses  prétentions  à  la  cou- 
ronne. —  Intrigues  au  sein  des  États.  —  Craintes  de  Henri  IV. 
—  Il  essaie  de  jeter  la  division  parmi  les  députés.  —  Sur  son 
conseil,  les  seigneurs  royalistes  proposent  une  conférence  aux 
principaux  chefs  de  la  ligue.  —  Vive  opposition  de  la  part  des 
Seize  et  du  légat  du  pape.  —  VII.  La  conférence  est  acceptée. 
'  —  VIII.  Opposition  violente  des  prédicateurs.  —  Jeu  de  mot  de 
Boucher.  —  IX.  Les  commissaires  des  deux  parties  se  réu- 
nissent à  Sùresnes.  —  Crainte  des  Espagnols..  —  Le  duc  de 
Féria  fait  la  proposition  à  une  commission  des  États  de  donner 
le  trône  de  France  à  l'infante  Isabelle  Clara-Eugénie.  —  Indi- 


374 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


gnation  patriotique  de  Rose,  évêque  de  Senlis.  —  La  proposi- 
tion est  écartée.  —  X.  Féria  fait  de  nouveau  ses  propositions. 

—  Belle  conduite  du  procureur  général  Molé.  —  Heniarquable 
arrêt  du  parlement  qui  déclare  nulle  toute  nomination  au  trône 
de  France  d'uii  priticé  étranger.  —  Désappointéiiient  et  co- 
lère de  Féria.  —  XI.  Les  alarmes  de  Henri  IV  redoublent.  — 
Dans  la  crainte  que  les  États  ne  nomment  un  successeur  à 
Henri  III,  il  se  décide  à  abjurer.  —  Page  curieuse  de  Davila 
sur  l'entourage  du  roi.  —  ScéplicîStne  du  roi.  —  XII.  Chauveau, 
ancien  curé  de  Saint-Gervais.  —  Ses  attaques  contre  les  tra- 
ditions de  son  église.  —  Le  roi  le  protège  contre  ses  dénon- 
ciateurs. —XIII.  Préliminaires  de  la  conversion.  —  Le  protes- 
tant Rosny.  —XIV.  Curieux  entretien  entre  Henri  IV  et  Rosny. 

—  Causes  de  la  conversion.  —  XV.  DOiileur  des  réformés  en 
apprenant  le  dessein  du  roi  d'abjurer.  —  Théodore  de  Bèze.— 
Sa  lettre  au  roi.  —  Les  Vaudois  des  vallées  du  Piémont.  — 
Leur  belle  supplique.  —  XVI.  Lanoue.  Sa  mort.— XVII.  Othman. 
Sa  mort.  —  XVIII.  Le  roi  ne  veut  pas  abjurer  sans  se  îàirè 
instruire.  —  Sa  cathéchisation.  —  Curieux  détails.  —  XIX. 
Cérémonie  de  l'abjuration  à  Saint-Denis.  —  XX.  Jugement 
porté  sur  l'abjuration.  —  XXI.  Le  roi  écrit  à  toutes  les  bonnes 
vdles  du  royaume  pour  leur  apprendre  la  nouvelle  de  son  ab- 
juration. —  Sa  lettre  au  pape.  —  XXII.  Abattement  et  douleur 
des  réformés.  —  Leurs  plaintes.  —  Indignation  de  la  reine 
d'Angleterre.  —  Sa  lettre  au  roi.  —  XXIII.  Désappointement 
et  fureur  des  ligueurs.  —  Fameux  sermons  de  IV^  Boucher  sur 
la  simulée  conversion  de  Henri  de  Bourbon,  prince  de 
Béarn.  —  Mayenne  fait  ses  préparatifs  de  défense.  .  .  Page  o. 


I.  Barrière  veut  attenter  à  la  vie  du  roi.  —  Procès  de  Bar- 
rière. —  Sa  condamnation.  —  Son  exécution.  —  Les  chefs  li- 
gueurs continuent  à  se  vendre.  —  II.  Nouvelles  alarmes  des 
protestants.  —  Bruit  d'un  projet  de  mariage  entre  Henri  IV  et 
l'infante,  fdle  de  Philippe  II.  —  Les  protestants  pensent  à  se 
chercher  un  protecteur  et  à  séparer  leur  cause  de  celle  du  roi. 
—  Ils  envoient  des  députés  à  Sîantes  pour  exposer  leurs 
plaintes.  —  III.  LettredeDuplesois-Mornayauroi.  —  IV.L'ntre- 
vue  de  Mornay  et  du  roi  à  Chartres.  —  Embarras  du  roi.  — 
Les  catholiques  font  courir  le  bruit  que  Jlornay  veut  faire  une 
Saint-Barthélemy  de  catholiques  à  Sauraur.  —  Indignation  de 
Mornay  qui  porte  plainte  au  parlement.  —  Efforts  des  catho- 
liques pour  empêcher  le  roi  de  recevoir  les  députés  protestants. 
~  ils  échouent.  —  Henri  IV  les  reçoit  à  Mantes,  et  leur  fait 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


315 


dès  concessions.  —  Difficultés  pour  la  rédaction  dé  ces  con- 
cessions qui  ne  satisfont  pas  les  protestants.  —  Les  députés 
renouvellent  à  Mantes  le  serment  d'union  des  églises.  —  In- 
trigues des  catholiques  pour  séduire  les  députés. —Le  ministre 
Rotan  accusé  de  s'être  laissé  séduire.  —  Conférences  théolo- 
giques commencées  avec  Du  Perron.  —  Elles  sont  interrom- 
pues. —  L'évêque  d'Évreux  se  proclame  vainqueur.  Des  com- 
missaires sont  envoyés  dans  les  provinces  pour  défendre  aux 
ministres  de  se  prononcer  avec  trop  de  force  contre  la  conver- 
sion du  roi.  —  On  obtient  de  quelques  prédicateurs  ligueurs 
de  modérer  leur  langage.  —  Plusieurs  protestants  passent  à 
la  religion  catholique.  —  V.  Célèbre  guerre  de  plume  entre 
les  catholiques  royalistes  et  les  ligueurs.  —  La  aémonologie 
de  la  Sorbonne  l'a  nouvelle.  —  Accusations  portées  contre 
la  Sorbonne.  —  \I.  Dans  le  banquet  du  comte  [d'Arête 
Louis  d'Orléans  défend  les  ligueurs  et  attaque  les  protestants. 
"  VII.  Dialogue  du  Maheustre  et  du  Manant.  Nouveau 
pamphlet  des  ligueurs  contre  les  royalistes.  —  Les  royalistes 
iépondent  aux  ttgueurs.  —  La  satyre  Ménippée.  —  Détails  et 
citations.  —  Inlluence  considérable  de  ce  pamphlet  pour  la 
cause  de  Henri  IV.  —  VIII.  Situation  difficile  du  roi.  —  Il  se 
décide  à  acheter  les  chefs  ligueurs.  —  Les  gouverneurs  de 
Meaux,  de  Bourges  et  d'Orléans  font  leur  soumission.  —  Le 
roi  se  fait  sacrer  a  Chartres.  —  La  sainte  Ampoule.  —  Le  roi 
jure  d'exterminer  les  hérétiques.  —  IX.  Les  réformés  se 
plaignent.  —  Réponse  jésuitique  du  roi.  —  Il  achète  Paris  de 
Brissac.  —  Réduction  de  Paris.  ■ —  Stupéfaction  des  ligueurs. 
Te  Deum  chanté  à  Notre-Dame.  —  Bons  mots  du  roi.  —  Le 
roi  et  la  duchesse  de  Montpensier.  —  X.  Le  parlement  et  la 
Sorbonne  font  leur  soumission.  —  Revirement  subit  dans  les 
opinions  de  la  Sorbonne.  —  Guincestre  et  Henri  IV.  —  XI. 
L'université  attaque  les  jésuites.  —  Plaidoiries  célèbres.  — 
Discours  d'Arnaud,  avocat  de  l'université.  —  XII.  Discours  de 
Dollé,  avocat  des  curés  de  Paris.  —  Réponse  de  Duret,  défen- 
seur des  jésuites.  —  Arrêt  du  parlement  qui  suspend  les  pour- 
suites. —  XIIL  Attentat  de  Châtel  contre  le  roi.  —  Détails 
biographiques!  —  Condamnation  et  exécution  de  Châtel.  — 
Les  jésuites  impliqués  dans  le  procès  de  Châtel  sont  bannis  du 
rovaume.  —  Le  père  Guignard  est  pendu  en  place  de  Grève. — 
XIV.  Indignation  générale  contre  Châtel  et  les  jésuites.  — 
M'  Bouchè'r  fait  l'apologie  de  Châtel  et  des  jésuites.  —  XV.  Les 
disciples  de  Lovola  supportent  stoïquement  leur  malheur.  — 
XVI.  Les  adversaires  des  jésuites  vexent  les  protestants.  —  Ils 
organisent  un  système  de  persécution.— Mauvaise  plaisanterie 
de^Henri  IV  en  réponse  aux  plaintes  des  protestants.  —  Princi- 
paux chefs  protestants.  —  Lesdiguières.  —  Bouillon.— La  Tré- 


376 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


mouille. — Leurdésunion.— LaRéformemanqued'unchef.— Du- 
plessyMornayessaie  de  calmer  leurs  craintes. — Synode  général 
de  Montauban.  —  Députés  du  nord  et  du  midi. — Influence  funeste 
delacoursurlesdéputésdunord. — Les  sages  etlesbrouillons. — 

XVII.  Assemblée  politique  de  Sainte-Foy.  —  Physionomie  de 
l'assemblée.' — Abaissement  moral  de  quelques  députés. — 
Résolution  énergique  de  l'assemblée.  —  Création  d'un  conseil 
général.  —  Formation  de  ce  conseil.  —  Règlement  général.  — 

XVIII.  Grande  utilité  du  conseil  général.  —  La  guerre  des 
croquants.  —  L'assemblée  de  Sainte-Foi  nomme  deux  députés 
pour  la  représenter  à  la  cour  et  décide  la  tenue  d'une  nouvelle 
assemblée  à  Saumur  pour  le  1"  décembre  1594.  —  Les  députés 
se  rendent  à  la  cour.  —  On  les  accueille  bien,  mais  on  ne  leur 
accorde  rien.  —  Ils  perdent  patience.  —  On  se  décide  cepen- 
dant à  faire  vérifier  les  édits  rendus  précédemment  en  leur  fa- 
veur. —  Les  protestants  sont  à  demi  satisfaits.  —  Le  roi  qui 
avait  refusé  la  tenue  d'une  assemblée  politique  à  Saumur,  se 
décide  à  donner  son  autorisation.  —  XIX.  Les  catholiques  ne 
voient  que  des  rebelles  dans  les  réformés.  —  Courage  des  dé- 
putés de  Saumur.  —  XX.  Affaiblissement  de  la  ligue.  —  Le 
pape  se  décide  à  donner  son  absolution  au  roi.  —  Conditions 
honteuses  auxquelles  elle  est  promise.  —  Le  roi  les  accepte.— 
Cérémonie  de  l'absolution  à  Saint-Pierre.  —  Formalités  de  la 
bnguefte.  —  Deux  protestants  mis  à  mort  le  jour  de  la  cérémo- 
nie. —  XXI.  Inquiétudes  des  protestants.  —  Indignation  des  sei- 
gneurs catholiques  en  apprenant  les  humiliations  auxquelles 
Duperron  et  d'Ossat  s'étaient  soumis  au  nom  du  roi.  —  Le  roi 
en  rit  Page  58. 


I.  Massacre  horrible  des  protestants  à  la  Châtaigneraie.  — 
Froide  cruauté  de  la  dame  de  la  Châtaigneraie.  —  Les  réformés 
demandent  la  punition  des  coupables.  On  les  satisfait  à  demi. 
—  II.  Négociations  du  roi  pour  retirer  lejeune  prince  de  Condé 
des  mains  des  huguenots.  —  Difficultés  applanics.  —  Char- 
lotte de  la  Trémouille,  veuve  du  prince  de  Condé,  fait  réviser 
son  procès.  —  Elle  est  déclarée  innocente.  —  Elle  et  son  fils 
abjurent  le  protestantisme.  —  III.  Les  réformés  soutiennent 
Henri  IV  dans  sa  guerre  avec  l'Espagne.  —  Le  pape  essaie  , 
mais  vainement  de  l'engager  dans  la  voie  des  persécutions.  — 
Embarras  du  roi.  —  Son  système  de  bascule.  —  IV.  Plaintes 
du  clergé.  —  Édit  de  Travercy.  —  Mayenne  vend  sa  soumis- 
sion. —  Édit  de  Folembray.  —  V.  On  veut  pousser  les  protes- 
tants à  commettre  des  imprudences.  —  Leur  sagesse  et  leui 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


377 


inodéralion.  —  Leur  assemblée  est  transportée  à  Loudun.  — 
Vulson  député  au  roi  pour  lui  présenter  le  cahier  de  leurs 
plaintes.  —  La  cour  ne  répond  pas  favorablement  le  cahier.  — 
Mécontentement  des  protestants.  —  L'idée  de  se  chercher  un 
protecteur,  germe  de  nouveau  dans  quelques  esprits. — Sagesse 
de  Mornay.  —  Sa  lettre  au  roi.— Le  roi  révoque  l'ordre  de  dis- 
perser l'assemblée  par  la  force.  —  VL  Justes  griefs  des  réformés. 

—  Leurs  alarmes  en  apprenant  l'arrivée  d'un  légat  du  pape  en 
France.  —  On  diminue  leurs  garnisons  en  Poitou.  —  Rosny 
paraît  irahir  leur  cause.  —  Dans  l'impossibilité  de  se  faire 
rendre  justice,  l'assemblée  de  Loudun  fait  saisir  les  recettes 
royales  du  Poitou.  —  VIL  Le  roi  se  décide  à  leur  faire  quel- 
ques concessions.  —  Le  pape  se  plaint.  —  Le  cardinal  d'Ossat 
le  calme.  —  L'assemblée  est  transporté  à  Vendôme.  —  Puis  à 
Saumur.  ■ —  Plaintes  et  récriminations  des  deux  côtés.  —  Prise 
d'Amiens  par  les  Espagnols.  —  VIIL  Stupéfaction  du  roi.  — 
Une  pa;ie  de  sa  vie  domestique.  —  IX.  Dangers  du  roi.  —  Son 
impopularité.  —  Bouillon  et  La  Trémouille  proposent  une 
prise  d'armes  aux  protestants.  —  Elle  est  repoussée.  —  DifiS- 
eultés  du  roi.  Caisses  vides.  —  Opulence  et  misère.  — 
Lettre  de  Henri  IV  à  Rosny.  —  Énergie  de  ce  dernier.  —  Le 
roi  de  France  au  jour  du  danger,  redevient  le  roi  de  Navarre. 

—  Son  courage.  —  Son  habileté  au  siège  d'Amiens.  —  Les 
protestants  y  assistent  non  comme  corps,  mais  comme  indivi- 
dus. —  X.  Henri  de  Rohan  se  distingue  au  siège  d'Amiens.  — 
Détails  biographiques  sur  ce  gentilhomme  huguenot.  — 
XI.  Reprise  d'Amiens.  —  Traité  de  Vervins.  —  Le  duc  de  Mer- 
cœur  fait  sa  soumission.  —XII.  Mort  de  la  ligue.  —  Jugement 
porté  sur  elle.  —  XIII.  Célèbre  écrit  contenant  les  plaintes  des 
protestants.  —  XIV.  L'écrit  désapprouvé  par  les  protestants 
de  la  cour.  —  Jugement  sévère  sur  cet  écrit.  —  XV.  Justifica- 
tion de  l'écrit.  —  XVI.  Découragement  des  protestants.  — 

XVII.  Assemblée  de  Chàtellerault.  —  Édit  de  Nantes.  — 

XVIII.  Contenu  de  l'édit.  —  XIX.  Sagesse  de  l'édit.  —  Les 
hommes  modérés  le  reçoivent  avec  une  grande  reconnaissance. 
Lettre  de  Théodore  de  Bèze.  —  L'assemblée  de  Chàtellerault 
se  sépare  après  avoir  nommé  un  abrégé  d'assemblée.  — 
XX.  Synode  national  de  Montpellier.  —  Il  s'élève  contre  les 
projets  de  réunion  avec  les  catholiques.  —  Daniel  Charnier.  — 
Détails  biographiques.  —  XXI.  Grandes  préoccupations  du  roi. 

—  Dissolution  de  son  mariage  avec  Marguerite  de  Valois.  — 
Mort  de  Gabrielle  d'Estrées.  — Henriette  d'Entragues  devenue 
la  maîtresse  en  titre.  —  Rappel  des  jésuites.  —  XXII.  Cathe- 
rine de  Bourbon,  sœur  du  roi.  — Détails  biographiques.  — 
XXIII.  Efforts  du  clergé  pour  la  ramener  à  la  religion  romaine. 

—  Le  ministre  Du  Moulin.  —  Détails  biographiques.  — 


378 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


XXrV.  Du  Moulin  considéré  comme  écrivain.  —  Morceaux  dé- 
tacliés  de  ses  nombreux  ouvrages.  —  XXV.  Du  Moulin  aflermit 
la  sœur  du  roi  dans  la  foi  protestante.  —  Le  pape  s'oppose  au 
mariage  de  Catherine  avec  lè  due  de  Bar.  —  Le  roi  se  décide 
malgré  l'opposition  pontificale  à  passer  outre.  — ■  Roquelaure 
force  l'archevêque  de  Rouen  à  bénir  le  mariage  de  la  princesse. 
^  Préliminaires  curieux  Page  4  05. 


I.  Vive  opposition  du  clergé  et  des  parlements  à  la  vérifica- 
tion de  l'édit.  —  Henri  IV  mande  au  Louvre  les  membres  du 
parlement.  —  Allocution  remarquable  qu'il  leur  adresse.  — 
Les  conseillers  persistent  dans  leur  opposition.  —  Le  roi  les 
mande  de  nouveau  au  Louvre.  —  II.  L'édit  est  porté  au  parle- 
ment. —  Discours  remarquable  de  l'ex-ligueur  Coquefey  — 
Coqueley  rallie  à  son  opinion  la  majorité  de  l'assemblée.  — 
L'édit  est  vérifié.  —  III.  Les  parlements  de  province  imitent 
l'exemple  de  celui  de  Paris.  —  Résistance  de  ceux  de  Rouen  et 
de  Toulouse.  —  Le  roi  reçoit  leurs  députés.  —  Discours  qu'il 
leur  adresse.  —  Les  parlements  de  Rouen  et  de  Toulouse  sen- 
tant qu'une  plus  longue  résistance  est  inutile,  vérifient  l'édit. 

—  IV.  Puissance  du  roi  et  autorité  des  parlements.  —  Antago- 
nisme. —  V.  Douleur  du  pape  en  apprenant  la  nouvelle  de  la  vé- 
rification de  l'édit.  —  Le  roi  apaise  le  pontife  en  donnant  un  édit 
en  faveur  des  catholiques  du  Béarn.  —  VL  La  France  avant  et 
après  l'édit.  —  VIL  L'édit  est-il  une  charte  octroyée  ou  un  traité 
entre  le  roi  et  les  protestants?  —  YIII.  Mort  de  Philippe  II.  — 
Jugement  porté  sur  ce  prince.  —  IX.  La  paix  apportée  à  Is 
France  par  l'édit  esttrouolée.  — Marthe  Brossier,  la  possédée. 

—  Le  vieux  parti  ligueur  se  sert  de  cette  intrigante  pour  trou-- 
hier  le  royaume.  —  Le  père  Séraphin.  —  Le  médecin  Marescot 
et  ses  collègues.  —  Expériences  faites  sur  la  possédée.  — 
Prédications  séditieuses.  —  Fanatisme  du  peuple.  —  La  Cour 
fait  intervenir  le  parlement.  —  Marthe  Brossier  et  son  père 
renvoyés  à  Romorantin.  —  X.  Marguerite  de  Valois  consent  à 
la  dissolution  de  son  mariage  avec  Henri  IV.  —  Le  pape  en 
prononce  la  dissolution.  —  XI.  Le  royaume  est  de  nouveau 
agité.  —  Duplessis-Mornay.  —  Son  traité  sur  Vinstitution  de 
l'Eucharistie.  —  Colère  du  clergé.  —  Il  fait  condamner  le 
livre  de  Mornay  par  un  tribunal  de  province.  —  Mornay  appelle 
de  la  sentence.  —  Accusé  d'avoir  inséré  des  citations  fausses  dans 
son  livre,  il  demande  au  roi  de  nommer  des  commissaires  pour 
vérifier  les  citations.  —  Du  Perron  accepte  le  défi  et  se  charge 
de  prouver  oue  le  traité  de  l'institution  de  l'Eucharistie  contient 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


379 


plus  de  cinq  cpnts  passages  faux  ou  inexacts.  —  XII.  Détails 
biographiques  sur  Du  Perron.  —  XIII.  Yive  préoccupation  des 
esprits.  —  Les  uns  redoutent  une  conférence,  les  autres  l'ap- 
pellent de  tous  leurs  vœux.  —  Fontainebleau  est  choisi  pour 
le  lieu  de  la  conférence.  — XIV.  ÏNomination  des  commissaires. 
—  Ouverture  de  la  conférence.  —  Mauvaise  foi  et  habileté  de 
Du  Perron.  —  La  conférence  est  près  de  se  rompre.  —  Aveu 
tardif  de  Mornay  qu'il  aurait  pu  se  tromper.  —  XV.  Examen 
des  passages  incriminés.  —  XVI.  Mornay  pris  au  dépourvu  ne 
sait  pas  se  défendre.  — Vanité  de  Du  Perron  satisfaite.  —  Joie 
indécente  du  roi.  —  Sa  lettre  à  d'Épernon.  —  Mornay  tombe 
malade.  —  Ingratitude  du  roi.  —  La  conférence  est  ronipue.  — 
Mornay  retourne  à  Saumur.  —  XVII.  Chai'lotte  Arbaleste.  — 
Elle  relève  le  courage  de  son  époux  et  l'aide  à  se  défendre 
devant  le  tribunal  de  l'opinion  publique.  —  Portrait  de  madame 
Duplessis-Mornay.  —  Détails  intimes  sur  sa  vie.  —  La  mort 
de  son  fils.  —  La  douleur  qu'elle  en  éprouve.  —  Ses  derniers 
jours.  —  Sa  mort.  —  Elle  fait  un  vide  immense  dans  la  vie  de 
Mornay.  —  XVIII.  La  conférence  de  Fontainebleau.  —  Ses  résul- 
tats. —  Fin  du  seizième  siècle.  —  XIX.  Jugement  porté  sur  ce 
siècle.  —  XX.  Bienfaits  de  la  Réformation.  —  XXI.  Genève  à  la 
fin  du  seizième  siècle.  —  Lue  tache  dans  son  histoire.  Page  1 54. 


I.  Vide  immense  que  la  mort  de  Calvin  fait  à  Genève.  —  Bèze 
succède  à  Calvin.  —  Caractère  du  réformateur.  —  II.  Genève  et 
le  code  ecclésiastique. —  III.  LecuIteàGenève.  — Sasimplicité. 

—  Ses  lacunes.  —  Place  qu'occupe  le  sermon  dans  le  culte.  — 
Réflexions  à  ce  sujet.  —  IV.  Grandeur  de  Genève.  — V.  Dévoue- 
ment des  pasteurs. —  Difficultés  de  leur  tâche.  —  Leur  sévérité. 
—VI.  Froment.  —  Sa  chute. —  Le  consistoire  le  censure.  —  II 
s'exile.  —  Son  retour  à  Genève.  —  Sa  mort.  —  VII.  La  peste 
désole  Genève.  —  Courage  des  pasteurs.  —  Théodore  de  Bèze 
se  présente  pour  secourir  les  malades.— Le  conseil  s'y  oppose. 

—  Le  pasteur  Legagneux.  —  Son  dévouement.  —  Le  pasteur 
Chausse  atteint  de  la  peste.  —  Il  meurt  au  milieu  des  pesti- 
férés. —  Reconnaissance  de  Genève  pour  la  famille  de  Chausse. 

—  VIII.  Influence  de  Genève  sur  la  Réforme  par  ses  martyrs 
et  son  académie.  —  IX.  Arrivée  à  Genève  des  Français  fuyant 
les  bourreaux  de  la  Saint-Barthélemy.  —  Hospitalité  des  Ge- 
nevois. —  Célébration  d'un  jour  de  jeûne.  —  Discours  de 
Théodore  de  Bèze  à  Saint-Pierre.  —  Reconnaissance,  désin- 
téressement et  dévouement  des  réfugiés.  —  Noble  exejuple 
qu'ils  donnent  pendant  le  rude  hiver  de  1573.  —  Colère  de 


380 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Charles  IX  en  apprenant  la  généreuse  hospitalité  des  Géne- 
vois  envers  les  réfugiés.  —  Il  menace  Genève.  —  Genève  ré- 
siste noblement.  —  X.  Retour  des  réfugiés  en  France.  —  Ban- 
quet d'adieux.  —  L'amour  du  sol  natal.  —  XI.  Rome  rêve 
sans  cesse  la  conquête  de  Genève.  —  François  de  Sales.  — 
Détails  biographiques  sur  François  de  Saies.  —  François  de 
Sales  à  Paris  ,  à  Rome,  à  Notre-Dame  de  Lorette.  —  Il  entre 
dans  les  ordres.  —  Sa  joie  en  échangeant  ses  habits  de  gen- 
tilhomme contre  une  soutane  de  prêtre.  —  XII.  Claude  de 
Granier,  évêque  de  Genève,  se  dispose  à  envoyer  François  de 
Sales  dans  le  Chablais.  —  Le  Chablais  sous  la  domination  ro- 
maine. —  Transformation  morale  sous  l'influence  de  la  Ré- 
forme. —  XIII.  Courage  et  habileté  de  François  de  Sales.  — 
Insuccès  de  sa  mission.  —  Son  découragement.  —  Ne  pou- 
vant réussir  avec  la  parole,  il  recourt  au  bras  de  la  chair.  — 
Indignation  des  Chablaisiens.  —  Ils  s'ameutent.  —  L'agneau 
devient  loup.  —  François  de  Sales  conquiert  le  Chablais  à  la 
foi  romaine.  —  XIV.  François  de  Sales  à  Genève.  —  Son  en- 
trevue avec  Théodore  de  Bèze.  —  Le  portrait  de  Calvin.  — 
Tentation  de  Théodore  de  Bèze  par  François  de  Sales.  — 
Noble  indignation  du  réformateur.  —  Désappointement  du 
tentateur.  —  Manière  des  ultramontains  d'écrire  l'histoire.  — 

XV.  Charles-Emmanuel,  duc  de  Savoie.  —  Son  ambition  insa- 
tiable. —  Ses  diverses  tentatives  sur  Genève.  —  Ses  insuccès. 

XVI.  Préparatifs  de  l'escalade.  —  XVII.  Vigilance  des  Gene- 
vois endormie.  —  Leur  fausse  sécurité.  —  Les  Savoisiens 
escaladent  les  remparts.  —  Cri  d'alarme.  —  Les  Genevois 
réveillés  au  milieu  du  bruit,  courent  aux  armes.  —  Combat 
sanglant  dans  les  rues.  —  Défaite  des  Savoyards.  —  Fuite 
honteuse  de  Charles-Emmanuel.  —  XVIII.  Genève  est  sauvée. 
—  Joie  de  ses  habitants.  —  Ils  font  remonter  à  Dieu  la  cause 
de  leur  délivrance.  —  Le  vieux  Théodore  de  Bèze  rend  grâces 
à  Dieu  dans  Saint-Pierre.  —  Genève  fait  des  funérailles  solen- 
nelles aux  citoyens  morts  en  défendant  leur  patrie.  —  XIX. 
Exécution  des  prisonniers  savoisiens.  —  Fête  de  l'escalade. — 
Elle  n'a  plus  de  sens  aujourd'hui.  —  Joie  de  Henri  IV  en  ap- 
prenant l'insuccès  de  Charles-Emmanuel.  —  XX.  Derniers 
jours  de  Théodore  de  Bèze.  —  Sa  mort.  —  Deuil  des  Gene- 
vois. —  XXI.  Jugement  porté  sur  le  réformateur.  —  Témoi- 
gnage de  Sénebier.  —  XXII.  François  de  Sales.  —  Ses  der- 
niers moments.  —  Il  meurt  dans  le  sein  de  l'Église  romaine, 
et  ne  cherche  son  salut  que  là  où  les  réformateurs  ont  cherché 
le  leur.  —  XXIII.  François  de  Sales  et  les  réformateurs  jugés 
par  leurs  œuvres:  Genève  et  le  Chablais  Page  ■199. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


381 


I.  Marseille  à  la  fin  de  l'année  1600.  —  Elle  fait  une  récep- 
tion fastueuse  à  Marie  de  Médicis,  l'épouse  de  Henri  IV.  — 
Marie  de  Médicis  à  Avignon.  —  Les  jésuites  se  constituent 
les  ordonnateurs  des  fêtes  destinées  à  célébrer  sa  bienvenue. 

—  UôFe  que  joue  le  nombre  7  dans  les  fêtes.  —  Banquet  et 
danses.  —  Arrivée  de  la  reine  à  Lyon.  —  II.  Le  roi  termine  sa 
guerre  avec  ,  le  duc  de  Savoie.  —  Crainte  des  Genevois  en 
voyant  arriver  dans  les  murs  de  leur  ville  les  descendants  des 
égorgeurs  de  la  Saint-Barthélemy.  —  Rosny  les  rassure.  — 
Théodore  de  Bèze  va  à  la  tête  d'une  députation  trouver  le  roi. 

—  Sa  harangue.  —  Réponse  affectueuse  du  roi.  —  Il  permet 
aux  Genevois  de  démolir  le  fort  Sainte-Catherine.  —  III.  Le 
roi  va  rejoindre  Marie  de  Médicis  à  Lyon.  —  Son  désappointe- 
ment. —  IV.  Crainte  des  réformés.  —  L'édit  est  mal  exécuté 
dans  les  provinces.  —  Plaintes  de  l'assemblée  de  Sauraur.  — 
Les  assemblées  politiques  des  réformés  déplaisent  au  roi.  — 
Assemblée  de  Sainte-Foy.  —  Elle  nomme  deux  députés  géné- 
raux près  de  la  cour  et  les  charge  de  présenter  au  conseil 
leurs  cahiers.  —  Elle  se  sépare  après  avoir  pourvu  aux  inté- 
rêts de  la  cause.  —  V.  Conspiration  du  maréchal  de  Biron.  — 
Dangers  qu'eût  couru  la  réforme  si  elle  eût  réussi.  —  Efforts 
du  roi  pour  sauver  Biron.  —  Obstination  de  Biron.  —  Son  ar- 
restation. —  Son  jugement.  —  Ses  défaillances  devant  la 
mort.  —  VI.  L'exécution  de  Biron  épouvante  les  seigneurs 
royalistes  et  raffermit  Henri  IV  sur  son  trône.  —  De  la  peine 
de  mort  en  matière  politique.  —  VII.  Grands  personnages  im- 
pliqués dans  la  conspiration  de  Biron.  —  Le  duc  de  Bouillon  , 
soupçonné  d'être  complice  du  maréchal,  est  mandé  à  la  cour. 

—  11  hésite,  puis  il  refuse  de  s'y  rendre.  —  Il  publie  une  jus- 
tification et  demande  d'être  jugé  par  la  chambre  mi-partie  de 
Castres.  —  Le  roi  s'y  oppose.  —  VIII.  Élisabeth,  reine  d'An- 
gleterre. —  Sa  maladie.  —  Ses  angoisses.  —  IX.  Les  causes 
en  sont  peu  connues.  —  Ses  dernières  paroles.  —  Sa  mort.  — 
X.  Jugement  porté  sur  Elisabeth.  —  Les  grandeurs  de  la 
reine ,  la  petitesse  de  la  femme.  —  Parallèle  entre  Elisabeth 
et  Philij)pe  II.  —  Supériorité  d'Elisabeth.  —  XL  Jacques  VI , 
roi  d'Ecosse,  succède  à  Elisabeth.  —  Les  protestants  fran- 
çais regrettent  Elisabeth.  —  Synode  national  à  Gap.  —  Les 
membres  du  synode  décrètent  que  dans  leur  confession  de 
foi ,  le  pape  sera  appelé  l'Antéchrist.  —  XII.  Ferrier.  —  Dé- 
tails biographiques  sur  ce  célèbre  ministre.  —  Ses  thèses  sur 
l'Antéchrist.  —  XIII.  Irritation  du  pape  contre  les  membres 
du  synode.  —  Il  se  plaint  au  roi  qui  essaie  de  le  calmer,  ap- 


382 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


paise  l'affaire  et  défend  à  la  chambre  mi-partie  de  Castres  de 
poursuivre  Ferrier.  —  XIV.  Les  Jésuites.  —  Ils  profitent  ha- 
bilement de  l'irritation  soulevée  parla  question  de  l'Antéchrist 
et  demandent  au  roi  de  faire  enregistrer  l'édit  de  leur  rappel. 

—  Entretien  du  roi  et  de  Sully  sur  ce  sujet.  —  Raisons  de 
Sully  pour  faire  repousser  leur  demande.  —  Raisons  du  roi 
pour  la  leur  accorder.  —  XV.  Opposition  du  parlement  au 
rappel  des  Jésuites.  —  Discours  de  Ilarlay.  —  Le  parlement 
enregistre  l'édit.  —  XVI.  Mort  de  la  duchesse  de  Bar,  sœur  du 
roi.  —  Détails  biographiques  sur  cette  princesse.  —  Les  ré- 
formés la  regrettent  vivement.  —  XVII.  Coton.  —  Son  crédit 
auprès  du  roi.  —  Épigramme  contre  Coton.  —  Démolition  de 
la  pyramide.  —  Prosopopée  de  la  pyramide.  —  Causes  hon- 
teuses de  l'influence  des  jésuites.  —  XVIII.  Coton  se  fait  de 
nombreux  ennemis.  —  Tentation  d'assassinat  sur  Coton,  — 
Adrienne  Dufresne  ou  le  Grimoire  du  père  Coton.  —  Questions 
théologiques  et  autres  posées  au  diable.  —  Imprudence  du 
père  Coton,  qui  oublie  dans  les  feuillets  d'un  livre  la  liste  des 
questions  posées  au  diable.  —  Le  roi  mécontent  de  Coton.  — 
XIX.  Nouvelle  assemblée  politique  des  protestants  à  Châtelle- 
rault.  —  La  Trémouille.  —  Détails  biographiques  sur  ce  sei- 
gneur huguenot.  —  Sa  mort.  —  XX.  Le  roi  se  fait  représenter 
à  l'assemblée  de  Châtellerault  par  Rosny.  —  Défiance  de  l'as- 
semblée. —  Elle  cède  sur  plusieurs  points.  —  Elle  résiste  sur 
celui  de  l'Antéchrist.  —  Le  duc  de  Bouillon,  qui  avait  compté 
sur  l'appui  de  l'assemblée,  qui  lui  fait  défaut,  se  décide  à  faire 
sa  soumission.  —  XXI.  Assemblée  du  clergé  à  Paris.  —  Il  de- 
mande la  publication  du  concile  de  Trente  en  France.  —  Refus 
du  roi.  —  Le  roi  médiateur  entre  les  deux  partis.  —  La  chan- 
son de  Colas.  —  XXII.  Origine  de  la  chanson  de  Colas.  — 
Irritation  ridicule  des  protestants.  —  La  Force  et  Grammont. 

—  Représailles  des  protestants.  —  Trophées  suspendues  à 
la  voûte  des  sacristies  de  Paris.  —  Une  première  restriction 
apportée  à  l'édit  de  Nantes  Page  25i!.  j 

L  Les  jésuites.  —  Agents  d'assassinats  en  Angleterre.  — 
Conspiration  des  poudres.  —  Elle  est  découverte.  —  Coupables 
exécutés.  —  II.  Le  jésuite  Garnet  est  arrêté.  —  Instruction  de 
son  procès.  —  Ses  aveux.  —  Son  effroi  sur  l'échafaud.  —  Sa 
compagnie  en  fait  un  saint.  —  Remarquables  paroles  du  comte 
de  Stafford  touchant  la  conspiration  des  poudres.  —  Affermis- 
sement du  protestantisme  en  Angleterre.  —  Anniversaire  de  la 
conspiration  des  poudres.  —  III.  Horreur  de  Henri  IV  en  ap- 
prenant la  découverte  de  la  conspiration  des  poudres.  —  Sa 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


383 


fatale  condescendance  à  l'égard  des  jésuites.  —  Il  accorde  aux 
protestants  le  droit  de  célébrer  leur  culte  à  Charenton.  —  Les 
jésuites  et  les  chanoines  de  Notre-Dame  de  Paris  se  disputent 
le  cœur  de  Henri  IV.  —  Les  jésuites  l'emportent.  —  Bon  mot 
du  roi.  —  Le  jésuite  Séguiran  se  présente  aux  portes  de  La 
Rochelle.  —  On  lui  en  refuse  l'entrée.  —  Feinte  colère  du  roi. 

—  Les  jésuites  sont  mystifiés.  —  IV.  IS»  synode  national  à 
La  Rochelle.  —  Sully  y  est  député  par  la  cour.  —  Sa  présence 
excite  la  défiance  des  membres  de  l'assemblée.  —  Les  clair- 
voyants de  l'église  et  les  fous  du  synode.  —  Chamier.  —  No- 
mination de  Mirande  et  de  Villarnoul  à  la  députatlon  générale. 

—  Chamier  à  la  cour.  —  Sa  persévérance  indomptable.  — 
Sully  amène  peu  à  peu  les  membres  du  synode  à  se  soumettre 
aux  volontés  du  roi.  —  V.  Assemblée  du  clergé.  —  Ses  plaintes. 

—  Il  demande  la  publication  du  concile  de  Trente  en  France. 

—  Refus  du  roi.  —  Le  roi  lutte  de  finesse  avec  le  clergé.  — 
VI.  Persécution  des  Morisques.  —  Ils  veulent  se  donner  à 
Henri  IV,  qui  leur  envoie  Panissant,  gentilhomme  réformé.  — 
Le  clergé  fait  remplacer  Panissant  par  un  envoyé  catholique, 
dans  la  crainte  que  les  Morisques  ne  passent  à  la  réforme.  — 
Insuccès  de  l'envoyé  catholique.  —  Les  jésuites  de  plus  en 
plus  puissants  à  la  cour.  —  Ils  obtiennent  la  permission  de 
s'établir  en  Béarn.  —  VII.  19"  synode  national  tenu  à  Saint- 
Maixent.  —  L'assemblée  décrète  que  le  Théâtre  de  l'Anté- 
christ de  Vignier  sera  imprimé  à  ses  frais.  —  Grand  succès 
du  Théâtre  de  l'antéchrist.  —  Irritation  des  jésuites.  —  Le  roi 
défend  le  débit  du  livre.  —  VIII.  L'ex-ligueur  Jeannin  demande 
aux  Provinces-Unies  des  Pays-Bas  la  liberté  de  culte  pour  les 
catholiques.  —  Son  discours  aux  États.  —  IX.  Résultats  ob- 
tenus. —  Raisons  sur  lesquelles  les  protestants  se  fondent 
pour  refuser  aux  catholiques  la  liberté  de  culte.  —  Henri  IV 
et  sa  cour.  —  Inconduite  du  roi.  —  Sa  lettre  à  Sully.  —  X.  La 
lettre  du  roi  est  un  hommage  à  l'opinion  publique.  —  Prospé- 
rité matérielle  de  la  France.  —  Grands  préparatifs  de  guerre. 

—  XI.  Anxiété  générale.  —  Audace  des  prédicateurs.  —  Bruits 
sinistres  touchant  la  mort  prochaine  du  roi.  —  Le  roi  amou- 
reux de  la  princesse  de  Condé.  —  Le  prince  de  Condé  enlève 
sa  femme.  —  Colère  du  roi.  —  II  déclare  la  guerre  à  l'arcliiduc. 

—  XII.  Alarmes  de  Marie  de  Médicis  —  Elle  demande  au  roi 
de  la  faire  sacrer.  —  Terreur  secrète  que  ce  sacre  inspire  au 
roi.  —  Ses  confidences  â  Sully.  —  Conseils  de  Sully.  —  Sacre 
de  la  reine.  —  Gaîté  et  abattement  du  roi.  —  Une  nuit  d'in- 
somnie. —  Le  roi  se  dispose  à  aller  rendre  visite  à  Sully  à 
l'arsenal.  —  Assassinat  du  roi.  —  Sa  mort  instantanée.  — 
Présence  d'esprit  du  duc  d'Épernon.  —  Douleur  du  peuple  en 
apprenant  la  mort  du  roi.  —  Le  père  Coton  et  l'assassin  du  roi. 


384  TABLE  DES  MATIÈRES. 

—  Énergie  du  duc  d'Épernon.  —  11  fait  nommer  Marie  de  Mé- 
dicis  régente  du  royaume.  —  Faiblesse  du  parlement.  — 
XIII.  Douleur  de  Duplessis-Mornay  en  apprenant  la  mort  du 
roi.  —  Conduite  admirable  du  seigneur  huguenot.  —  XIV.  Ter- 
reurs de  Sully.  —  Il  se  barricade  à  la  Bastille.  —  Il  se  décide 
à  aller  à  la  cour.  —  Son  entrevue  avec  la  régente.  —  Il  con- 
tinue à  rester  au  pouvoir.  —  Le  duc  de  Bouillon  offre  ses  ser- 
vices. —  Le  roi  pleuré  par  le  peuple.  —  Joie  des  jésuites  et 
du  parti  espagnol.  —  Les  valets  deviennent  les  maîtres.  — 
XV.  Henri  IV.  —  Jugement  porté  sur  ce  prince.  —  XVI.  Détails 
sur  Ravaillac.  —  Sa  condamnation  à  mort.  —  XVII.  Ravaillao 
subit  la  question.  —  Sa  patience.  —  Ravaillac  en  place  de 
Grève.  —  Fureur  du  peuple.  —  XVIII.  Ravaillac  eut -il  des 
complices?  Page  302. 

Notes,  éclaircissements  et  curiosités  historiques.  Page  343. 


on  DB  LA  TABLI  DO  QÛÂtiiiÈfiiÉ  VOLDK.  ^ 


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BW5830  .P97  v.4 

Histoire  de  la  Reformation  française 


Princeton  Theological  Seminary-Speer  Library 


1  1012  00037  7913