PRINCETON, N
BR 370 .P82 1868 v.4
Puaux, Fran cois, 1806-
Histoire^de la r eformation
C v> A
HISTOIRE
DB LA
RÉFORMATION
FRANÇAISE
L'auteur de l'Histoire de la Réformation française se réserve
le droit de traduction et de reproduction dans les pays avec
lesquels la France a conclu des traités pour garantir la propriété
des auteurs. A cet égard, il s'est conformé aux formalités
voulues par les règlements.
Imprimciie L. Toinon et C», à Saiiil-GermaiD.
HISTOIRE (* OCT 241910 *
DE LA
RÉFORMATION
FRANÇAISE
F. vmi
TOME QUATRIÈME
PARIS
AGENCE DES ÉCOLES DU DIMANCHE
16, nuE DE l'abbaye
1870
Droils de traduction et de reproduction réserves.
HISTOIRE
DE LA
LIVRE XXII.
I.
Henri IV, nous l'avons déjàdit, s'était refait une armée,
grâce aux iiabiles négociations de Turenne, mais l'arrivée
tardive des Allemands l'obligea à employer ces nouveaux
auxiliaires pendant l'hiver, qui s'annonçait d'une manière
très-rigoureuse. Il décida le siège de Rouen, défendu par
Yillars-Brancas, l'un des meilleurs généraux de la ligue.
Les difficultés étaient immenses, la ville était bien fournie
de munitions de guerre et de bouche , tout faisait présager
un siège long et meurtrier. '
Des deux côtés les pertes furent grandes : assiégeants et
assiégés se battirent avec une rare intrépidité , la moindre
parcelle de terrain fut disputée avec acharnement; les
troupes royales, qui avaient à lutter contre le froid, firent
l'expérience de cet aphorisme de guerre de Coligny «que
les sièges des grandes villes sont le cimetière des armées»;
piusieurs des meilleurs capitaines du roi périrent dans
Its assauts; les Rouennais n'eurent pas des pertes moins
douloureuses à essuyer. La ville courait un danger immi-
nent, si Mayenne, dans le sentiment de son impuissance,
n'eût pas décidé Farnèse avenir à son secours. Le général
de Philippe II se mit en marche le 16 janvier, amenant avec
lui six mille chevaux et vingt-quatre mille fantassins. Il ne
I. DavUa, Uv. XII.
6 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
se hâta pas plus que lorsqu'il vint délivrer Paris ; rien nô
pouvait le décider aux hardiesses de la guerre, quand il
n'en croyait pas l'heure venue.
La nouvelle de l'arrivée du duc de Parme obligea le roi
de changer de tactique avec lui. II savait qu'il n'accepterait
une bataille que s'il le jugeait utile à ses intérêts; — il
laissa le commandement du siège au maréchal de Biron el
se porta à la rencontre de Farnèse, dans l'intention d'in-
tercepter ses convois, d'arrêter ou ralentir sa marche; il
avait avec lui 500 cavaliers, l'élite de sa noblesse, qui
brûlait du désir de se signaler par quelque action d'éclat
et de laver l'affront que le général espagnol lui avait fait
subir sous les remparts de Paris. Mais là où il aurait fallu
une manœuvre savante, Henri IV n'apporta qu'une ardeur
bouillante, le général s'évanouit dans le soldat. Emporté
ftar son désir de faire preuve de vaillance, et aussi par ce-
ui de voir l'ordre de bataille des troupes ennemies , il se
plaça à l'avant-garde avec deux cents cavaliers et fit êtour-
diment le coup de pistolet avec celle de l'armée espa-
gnole. Le lendemain il commit la même imprudence,
mais cette fois le danger fut plus imminent: il se trouva
en face de toute l'armée de Farnèse; comme la veille, il
fit le coup de pistolet avec les soldats de l'avant-garde,
ftuis il battit en retraite, et se vit sur le point d'être enve-
oppé par la cavalerie ennemie; dans sa fuite, la mort
moissonnait ses braves gentilshommes, les balles sifflaient
autour de sa tête devenue un point de mire à cause de son
grand panache blanc , l'une d'elles l'atteignit légèrement
aux reins. Il était perdu si Farnèse n'eût pas fait des efforts
inouis pour modérer l'ardeur de ses soldats , ardents à la
poursuite du Béarnais comme une meute de chiens affamés
après un cerf. Parme craignait un piège. Quand on lui
reprocha une défiance qui lui coûtait la prise d'un prison-
nier si important, il répondit: « Ce que j'ai fait je le ferais
encore, je croyais avoir affaire à un général d'armée,
comment supposer que ce n'était qu'un carabin?» Parole
sanglante qui peint Farnèse et Henri IV, l'un calculant
tout, l'autre ne calculant rien.
Deux événements affaiblirent successivement le roi. Une
sortie meurtrière de Villars qui lui tua beaucoup de
monde, et le découragement de ses gentilshommes, qui,
LIVRE XXII.
7
fatigués d'un siège dont l'issue leur paraissait plus que
douteuse, quittèrent son armée, qui, en quelques jours, de
dix mille cavaliers fut réduite à cinq mille; pour surcroît
d'infortune , las Allemands , livrés à l'ivrognerie , étaient
décimés par la maladie. Une seconde fois il voyait ses plus
belles espérances s'évanouir. L'approche du duc de Parme
lui fit lever le siège de Rouen le -20 août 159-2' sans avoir
pu forcer son tenace adversaire à accepter la bataille; sa
position devenait de jour en jour plus critique, sa belle
armée se dispersait , ses plus braves gentilshommes avaient
été tués , sa caisse était vide. Une balle lui ramena la for-
tune. Farnèse , blessé le 25 avril devant Caudcbec , fut con-
traint , par suite de ses douleurs intolérables , de remettre
à Mayenne le commandement. ■
II.
Mayenne continua le siège de Caudebec qu'il prit bien-
tôt après ; mais il ne s'aperçut pas que ses troupes étaient
dans une position où le roi pouvait facilement les renfer-
mer entre la Seine et la mer. Quand il l'entrevit, c'était
trop tard. Henri IV que ses gentilshommes avaient rejoint,
honteux de l'avoir abandonné , le tenait resserré comme
dans un cercle de fer. Le péril était grand : d'un côté la
Seine lui coupait la retraite, de l'autre les troupes royales
demandaient avec ardeur la faveur d'une bataille. Il était
désespéré, voyant s'approcher le moment où il serait
contraint de déposer les armes. Le roi et Farnèse furent
ses deux sauveurs; l'un par son imprévoyance, l'autre par
l'une de ces tactiques qui révèlent le grand homme de
guerre. Le premier, qui voyait les ligueurs arrêtés par la
Seine large comme un bras de mer, n'eut pas même l'idée
qu'ils pourraient se sauver à travers ses flots. Ce qu'il crut
impossible, Farnèse le réalisa sous ses yeux; il fit prépa-
rer à Rouen de grandes barques plates couvertes d un
plancher sur lequel il se proposait d embarquer sa cavale-
rie et son artillerie; il commanda d'autres barques qui
1. De Thou, liv. CHI, p. 65. — Mémoii'es de l'Estoile, année 1592.
— Davila, liv. Xn.
2. Bentivoglio , Guerra di Fiandra, p. II, liv. VI, p. 163. —
SuUy, Économies royales, t. II, ch. 5.
8
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
devaient servir de remorqueurs; tout s'exécuta avec une
grande célérité. A l'insu du roi, le 15 mars io'ôi tout fut
prêt; le reflux de la mer amena la flotilie irnnrovisée de
kouen à Caudebec, et dans la nuit du 20 au 21 du même
mois , l'embarquement eut lieu. Le lendemain, le baron de
Biron vit du haut d'une colline des bateaux qui traversaient
le fleuve emportant avec eux Farnèse et son armée. Tous
les efforts du roi furent vains; l'armée de la ligue était
sauvée, grâce à Parme, qui lui avait préparé une retraite
que les troupes royales ne purent lui couper. Après avoir
couru le plus grand danger, elle arriva à Saint-Cloud.'
III.
Henri IV recevait une nouvelle leçon de tactique mili-
taire de cet homme qui, souffrant et à moitié mort, n'avait
rien perdu de son génie et justifiait aux yeux de l'Europe
répithète insultante de carabin qu'il lui avait donnée.
Mayenne n'était pas moins humilié. Parme lui avait repro-
ché durement son impéritie qui avait compromis le salut
de son armée; il s'était retiré à Rouen découragé et ma-
lade, et sentant de plus en plus qu'il manquait de ce qui
fait l'homme de parti. Il n'était pas éloigné de se rallier au
roi, s'il pouvait le faire sans danger pour la religion, et
avant tout, si sa soumission lui était chèrement payée. Il
chargea Villeroi d'ouvrir des négociations avec Henri IV
qui l'accueillit d'autant plus favorablement qu'il avait chargé
Duplessis de foire au général ligueur des ouvertures de
conciliation. Mayenne exigeait du roi la promesse de ren-
trer dans l'église catholique quand il se serait fait instruire.
L'austère négociateur du roi qui ne connaissait en politique
que la ligne droite, répondit que si son maître le faisait, il
agirait en athéiste; cela cependant n'eût pas arrêté Henri IV
si Mayenne n'eût pas fait pour lui et pour les siens des de-
mandes trop exorbitantes pour être acceptées. Le résultat
de toutes ces négociations n'eut d'autre eifct que de dévoi-
ler le prince lorrain et de montrer en lui un homme plus
1. Madiicu, t. Il, p. 105. 110. — Bentivoglio, liv. XVI. — Mé-
moires de Mornay, t. V, p. 334. — D'Aubigiié, liv. 111, chap. 15,
p. 266. — Davila, liv. XIII. — De Thou, iiv. CIII.
LIVRE XXII.
9
occupé de ses intérêts qu'un partisan fervent de la religion
qu'il était chargé de défendre les armes à la main. '
Les négociations demeurèrent pendant quelque temps
secrètes ; mais quand , par le roi qui avait intérêt à ce
qu'elles fussent rendues publiques, la nouvelle en parvint
à Paris, les prédicateurs se déchaînèrent avec violence
contre tous ceux qui parlaient de paix. «Le curé Saint-An-
dré-dcs-arcs, raconte l'Estoile, dit qu'il ne croyait pas qu'on
vouiût la faire; mais que si tant était et qu'on en découvrît
quelque chose, il fallait prendre les armes et faire plutôt
une sédition de laquelle il serait des premiers et en tuerait
autant qu'il pourrait... Le curé de Saint-Jacques excommu-
nia ce jour-là, en son prone, tous ceux qui parlaient de
paix ou qui trouveraient bon le commerce (pour l'approvi-
sionnement de Paris) ; qu'il les excommuniait avec tous
ceux qui les soutenaient, comme aussi tous ceux-là qui
parlaient de recevoir ce petit teigneux.... en recourant à la
messe et se faisant catholique.... Le curé de Saint-Cosme
prêcha ce jour-là , que le Béarnais avait beau faire tout ce
qu'il voudrait, qu'il allât à tous les diablesf qu'il allât au
prêche, qu'il allât à la messe ou qu'il n'y allât point; c'é-
tait tout un.... Rose, Gueilly, Martin, Guarinus, Feu-Ar-
dent et tous les autres prêchèrent de même et dirent qu'ils
étaient d'avis, si le Saint-Père le trouvait bon, de recevoir
à l'Église le Béarnais pour capucin et non pas pour roi. »*
Mayenne se sentant impuissant devant le déchaînement
des passions des bourgeois de Paris, se décida à convoquer
les Etats généraux dans l'espérance qu'il pourrait déjouer
le projet de l'Espagne qui les demandait avec instance,
dans le but de faire donner la couronne à la fille aînée de
Philippe IL II prit ses mesures, et des élections sortit une
assemblée, toute à son image, composée d'hommes mo-
dérés , mais sans influence sur la nation , et décriée avant
même de se mettre à l'œuvre. '
Pendant que Mayenne agissait dans ses intérêts, le roi
n'oubliait pas les siens , quoiqu'il eût dit à ses huguenots
qifil ne les abandonnerait jamais ; ses regards étaient tou-
1. Mémoires de Villeroi, p. 79-80. — Davila, liv. XID. — Du-
picssis-Momay, t. V, p. 208 et suiv
L'Estoile, année 1592.
S. Davila. liv. SKU
io HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
jours tournés vers Rome. — Par ses agents il faisait agir
auprès du pape pour savoir si, dans le cas où il abjurerait,
le pontife lèverait l'excommunication qui pesait sur lui'.
Clément VIII dont l'esprit était conciliant, était tri'S-embar-
rassé; il sentait sur sa tête la main pesante de Philippe H
qu'il craignait de mécontenter, et d'un autre côté il crai-
gnait, en refusant l'absolution, d'amener la formation
d'une église épiscopale indépendante de son autorité à la
tête de laquelle se placerait probablement Renaud de
Baume, archevêque ae Bourges, qui s'était attaché avec
plusieurs autres prélats à Henri IV*. Le danger étaitgrand; ce
que l'Angleterre avait fait, la France pouvait le faire , puis-
que le roi était disposé à abjurer. Si le pontife n'eût con-
sulté que son propre penchant , il eût promis son absolution ;
mais le fougueux Cajetan, son légat à Paris, le retenait,
ou le poussait à des mesures violentes. Les papes qui ne
semblent relever que de leur propre volonté, à part quel-
ques rares exceptions, n'ont guère été que les dociles ins-
truments de leur entourage.
Les ligueurs et les royalistes étaient mécontents; les
premiers , des hésitations de Mayenne , les seconds de celles
de Henri IV. La situation ne pouvait se prolonger plus
longtemps sans danger pour leurs intérêts; les combats
que les deux partis se livraient sur plusieurs points n'a-
vaient d'autres résultats que d'augmenter l'apauvrissement
du pays qui tendait, de plus en plus, à devenir un désert.
Nous n'entrons pas dans des détails qui ne seraient qu'une
fatigante répétition des mêmes scènes dans lesquelles nous
verrions les royalistes et les ligueurs tour à (our vaincus et
vainqueurs ; mais ne retirant de leurs luttes rien de ce qui
décide définitivement du succès d'une cause; nous men-
tionnerons seulement les succès d'un homme appelé à jouer
un grand rôle dans les événements dont nous ferons le ré-
cit On l'appelait Lesdiguières.
IV.
François de Bonne , seigneur de Lesdiguières ou des
Diguières, était né à Saint-Bonnet, en Ghampsaur, le
1. DeThou, liv. Cm.
t. Davila, liv. XOI.
LIVRE XXII. H
1" avril 1543. Orphelin de bonne heure, le jeune gentil-
homme fut destiné au barreau par sa mère ; l'un de ses
oncles se chargea de son éducation , car sa famille était très-
pauvre, quoique de très-ancienne noblesse. L'enfant fut mis
au collège d'Avignon, il s'y fit remarquer par son applica-
tion , la surprenante sagacité de son esprit et son goût pour
le métier des armes. Quand il eut terminé ses humanités,
son oncle l'envoya à Paris pour étudier le droit. Si son pro-
tecteur eût vécu, le nom de Lesdiguières se fût probable-
ment perdu dans les salles des Pas perdus d'un palais de
justice ; sa mort en fit un grand capitaine. Libre de suivre
ses goûts, le jeune étudiant abandonna gaîment ses livres
de jurisprudence et alla dans le Dauphiné où il s'enrôla
comme simple archer dans la compagnie d'ordonnance
de Gordes. Ce fut là le premier échelon de sa grande for-
tune. L'archer devait ua jour être plus puissant qu'un roi
dans cette même province du Dauphiné où il n'était alors
qu'un soldat ignoré; mais il était du nombre de ces
hommes qui portent, suivant l'expression pittoresque de
Louis XVIII, le bâton de maréchal de France dans leur
giberne.
Le jeune soldat, sous la direction d'un précepteur qu'on
lui avait donné, avait été rendu attentif à la foi des réfor-
més; il l'avait embrassée avec ardeur; son zèle avait touché
sa mère qui, à son tour, avait abandonné Rome pour la foi
des persécutés. Quand la première guerre civile éclata ,
Lesdiguières se joignit à ceux de ses coreligionnaires qui
défendirent si vaillamment leur vie contre les troupes de
Charles IX. C'est alors que commença pour lui une séfie
de succès et d'actions d'éclat qui ne tardèrent pas aie faire
connaître. Au siège de Sisteron il attira sur lui l'attention
de Beaujeu : «"Voilà , dit ce chef au célèbre capitaine Fu-
meyer en lui montrant le jeune archer, un jeune gentil-
homme qui fait des merveilles; s'il vit, il ira loin.» Ces
paroles prophétiques reçurent plus tard leur plein accom-
Elissement. A dater de ce moment, l'histoire nous montre
esdiguières s'élevant, par son courage et par son génie
mihtaire, aux plus hauts grades de l'armée, inscrivant un
fait unique dans les annales militaires : celui d'un capi-
taine qui , dans sa longue carrière , comptait des succès et
presque pas de revers.
12 IIISTOmE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
En 1501, l'archer de la compagnie de Gordes enlevait
aux callioliques l'importante ville de Grenoble. Florent
Saint-Julien, son secrétaire, fut envoyé par le vainqueur
à Henri IV pour lui annoncer cet important succès et lui
demander pour son maître le gouvernement de Grenoble.
Le conseil du roi s'étonna qu'un huguenot osât aspirer à
un poste si considérable ; il repoussa la demande avec
des paroles insultantes pour Lesdiguières. «Messieurs, ré-
pondit fièrement Florent Saint-Julien aux membres du
Conseil, puisque vous ne trouvez pas bon de donnera mon
maître le gouvernement de Grenoble, avisez au moyen de
le lui enlever.» On laissa à Lesdiguières le gouvernement
qu'on se sentait impuissant de lui ôter.
Le général huguenot avait toutes les qualités qui font
le grand capitaine, le courage, l'élan, la prudence, la
tactique militaire, l'art d'éleclriser les soldats et de leur
donner une confiance sans limites dans leur chef. L'homme
était au-dessous du soldat : il était plus ambitieux que re-
ligieux, intéressé, de mœurs suspectes, huguenot d'abord
par imitation, plus tard par habitude, prêt à tous les évé-
nements pourvu qu'ils concourussent à sa fortune , la seule
divinité qu'il aimât réellement. •
V.
Tous les partis^étaient vivement préoccupés de la pro-
chaine tenue des Etats; chacun sentait qu'on touchait à un
prochain dénouement et faisait des efforts pour qu'il eût
lieu dans ses intérêts. Un grand capitaine qui venait de dis-
paraître de la scène du monde ouvrait un libre champ aux
ambitions. Farnèse était mort des suites de sa blessure.
Depuis le jour où une balle vint relever la fortune de
Henri IV, il n'avait fait que languir; il expira le 2 décem-
bre 1592, à peine âgé de quarante-cinq ans, dans la plé-
nitude de toutes ses facultés; sa mort fut aussi nuisible à
Philippe II que le naufrage de l'Armada et porta à sa for-
lune un coup irréparable. Mayenne ne s'associa pas aux
douleurs des ligueurs; il ne pouvait aimer l'homme qui
i'accnbiait de son incontestable supériorité; il sentait d'ail-
leurs que Farnèse debout, il risquait d'être écrasé entre
î. Ha^ft , l'iance protestante , article François de Doane, lettre B.
LIVRE XXII.
13
l'Espagne et Henri IV'. Délivré de son rival, il concentra
toute son attention sur les États qui allaient se réunir. C'est
plus de ce côté que de son épée qu'il attendait la récom-
pense de son dévouement h la cause de la ligue.
A mesure que les députés arrivaient à Paris la capitale
devenait un foyer d'intrigues, un vrai champ de foire ou-
vert à toutes les ambitions. Tous les yeux étaient tournés
vers celte assemblée qui devait pourvoir à la vacance du
trône; les concurrents à la royauté foisonnaient, on en
comptait huit au moins, trois Guise, le marquis de Pont,
deux princes de Savoie , plus ceux des Bourbons qui n'é-
taient pas protestants. Chacun recommandait son candidat
et faisait valoir ses droits. La majorité des prédicateurs se
prononçait en faveur de l'Espagne.
Le 17 janvier, avant l'ouverture des États, les députés
allèrent en procession à Notre-Dame pour implorer le se-
cours de l'Esprit saint sur l'assemblée.
Le cortège offrait un spectacle curieux ; on y voyait tous
les prédicateurs de Paris... les religieux de tous les ordres...
le légat du pape... les Seize... chacun avec son costume of-
ficiel... Cette procession serait aujourd'hui oubliée, si un
célèbre pamphlet dont nous parlerons plus tard ne l'avait
pas immortalisée par le ridicule. "
VI.
L'ouverture des États eut lieu le 26 janvier 1593 , dans
la grande salle du Louvre. Le duc de Mayenne , assis au
poste d'honneur, ouvrit la séance par un discours, dans
lequel, sans se désigner par son noir; , il se présentait, clai-
rement, au suffrage des députés, pour occuper le trône
vacant. Le cardinal Pellevé prit la parole, parla en pédant,
et eut le tort impardonnable, dans une ass.nnblée française,
d'ennuyer ses collègues'. — Les deux orateurs qui lui suc-
cédèrent, s'exprimèrent avec plus de convenance. Le lende-
main de la séance, le légat du pape, d'accord avec l'am-
bassadeur do Philippe II, appela à aiie conférence Mayenne
et les principaux députés , et leur proposa insidieusement
1. Henri Martin, t. X, p. 298-299.
2. Kote I.
3. De Thon, liv. CV. — Daviiî, liv. X!H.
i4 HISTOmE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
de faire prêter aux États le serment de ne jamais traiter
avec le Béarnais , quand même il se ferait catholique. Ca-
jetan, fin diplomate, dévoué à l'Espagne, pressentait la fu-
ture abjuration de Henri IV, et voyait dans cet acte le
coup fatal qui devait dissoudre la ligue et anéantir les pro-
jets du roi catholique. Quelques députés entrevirent le
piège, et repoussèrent avec énergie la proposition: «faire
ce serment, dit adroitement d'Espinac , serait agir contre
les droits du souverain pontife.» Le légat n'osa pas insister.
Le Béarnais qui croyait que l'assemblée ne se séparerait
fias sans nommer un chef à la France, saisit habilement
'occasion de développer les germes de division que son
regard pénétrant y apercevait; en effet, elle était composée
de ligueurs ardents qui ne voulaient à aucun prix de lui ,
abjurât-il; de ligueurs modérés qui, tout en croyant peu
à la sincérité d'une conversion, y voyaient cependant la fin
des maux sans cesse renaissants du royaume ; de roya-
listes qui attendaient, avec impatience, cette abjuration,
pour dissoudre la Sainte-Union. L'appui donc de ces der-
niers et des ligueurs modérés , qui formaient la majorité
de l'assemblée , était acquis au roi s'il se convertissait.
Celui-ci disposé déjà à abjurer, mais à ne le faire qu'au
moment opportun, envoya le 28 janvier, un trompette qui
se présenta aux portes de Paris , et demanda à parler au
gouverneur. Conformément à ses instructions, il annonça
hautement qu'il était porteur d'une proposition des sei-
gneurs royalistes attachés au parti du roi , adressée aux
Etats-généraux. Les paroles du messager piquèrent vive-
ment la curiosité des masses qui ne cachaient pas leur dé-
sir ardent devoir arriver le moment qui mettrait un terme
à leurs longues souffrances. Les Seize qui virent dans le
trompette un nouveau Sinon, introduisant dans la ville un
nouveau cheval de bois, eussent bien voulu l'empêcher
d'accomplir son message; ils ne le purent. La lettre des
seigneurs royalistes fut lue, elle demandait des confé-
rences avec les députés des États, «afin de chercher les
moyens d'apporter de prompts remèdes aux maux qui tra-
vaillaient le royaume et l'église. » '
1. Mémoires de la ligue, t. V. — Davila, liy. XIII. — De Thou,
liv. GV.
LIVRE XXII. • 15
Dans une assemblée particulière des principaux chefs de -,
la ligue, la proposition des seigneurs royalistes fut dis-
cutée ; plusieurs des membres la trouvèrent raisonnable.
Consentons, dirent-ils, à cette conférence, d'où peut sortir
un si grand bien pour le royaume : « Quoi ! s'écria Cajetan ;
vous tombez dans un piège, vous qui avez signalé par tant
de combats votre zèle pour la foi! Oubliez-vous que ces
catholiques infidèles ont encouru les analhèmes du souve-
rain pontife? Attendez pour communiquer avec eux, qu'ils
soient lavés par de longs actes de pénitence des souillures
Su'ils ont reçues dans leur commerce avec les hérétiques,
'h! que la foi est prompte à vaciller! Que sont-ils donc
devenus les temps de gloire et de saintes souffrances, oii,
consumés de misère, dévorés de faim, vous restiez sourds
à toutes propositions de l'hérétique et des fauteurs de l'hé-
résie? Quand la protection du ciel, quand des miracles
évidents vous ont fait sortir victorieux de cette terrible
épreuve, je vous vois prêts à vous asseoir aux tables de
l'impie ; à loger avec lui sous des toits que les foudres du
ciel peuvent à chaque instant faire écrouler! Est-ce ainsi
que vous reconnaissez les soins paternels du vicaire de
Dieu? Que n'a-t-il pas fait pour cette cité tout à l'heure si
îélée, et si tiède aujourd'hui? Le trésor de l'Église s'est
ouvert pour vos besoins, l'armée du saint Pontife a passé
les Alpes pour marcher à votre secours. Songez bien qu'un
moment de mollesse peut vous faire perdre le prix de
trente ans de combats. Quand vous aurez reconnu des
frères dans de mauvais catholiques, qui vous empêchera
de reconnaître votre roi dans l'hérétique lui-même? Vous
croirez à son vain repentir, à ses protestations hypocrites,
on plutôt devenus hypocrites vous-mêmes, vous feindrez
d'y croire. Eh bien ! je vous déclare, que le saint-siége n'a
plus de pardon pour un hérétique relaps. Les sources de la
miséricorde divine sont taries pour lui, et craignez qu'elles
ne s'arrêtent pour vous. » •
VII.
Quand une idée se fait jour dans les esprits , et surtout
quand elle prend racine dans les cœurs, tous les discours
1. CapeCgue, Henri IV et la ligue, t. V.
16
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
du monde n'en peuvent arrêter la marche. Cnjetan dût s'en
apercevoir ; tonte son éloquence échoua devant la volonté
de la majorité de l'assem.blée, qui décida que la proposi-
tion serait soumise aux Etals de Paris. Le Béarnais avait
gagné plus qu'une bataille. Il avait amorti l'esprit ligueur
et jeté la division dans une assemblée qui avait été réunie
pour le déclarer indigne du trône de ses aïeux, en y appe-
lant un étranger. Quelques jours après, devant les Étals,
la proposition des seigneurs royalistes fut discutée, et,
malgré les elîorts des plus forcenés ligueurs, il fut décidé
que des conférences s'ouvriraient entre les commissaires
des Etats et ceux des seigneurs royalistes.
Cette nouvelle e.xcila dans Paris une fiévreuse ardeur;
chaque parti exprima , bruyamment , à sa manière , ses
déceptions et ses espérances ; les prédicateurs furent les
fidèles échos de ces passions diverses. Il y eut cependant
des revirements étranges. On n'entendit pas sans un certain
étonneraent Boucher, qui honorait habituellement Mayenne
de ses insultes, exalter le lieutenant - général ; le curé
Benoît vira aussi de bord, et déserta momentanément, par
peur sans doute, le parti du Béarnais et l'appela, du haut
de sa chaire, relaps et le déclara indigne de la couronne.
Quelques jours plus tard, il changea de langage devant
Mayenne même, et tint pour méchants ceux qui s'oppo-
seraient à la conversion du roi de Navarre. Témoin de
cette conduite ambiguë, Boucher qui n'aimait pas Benoît,
disait ironiquement à ses confrères : « Comme les chats ,
Benoît tombe toujours sur ses pattes. »
C'est une singulière époque que celle dont nous traçons
le tableau. Elle a pour l'historien un intérêt tout particu-
lier; les hommes lui apparaissent sous leur véritable jour,
avec leurs haines et leurs sympathies. Trop petits dans une
heure orageuse pour jouer une tragédie, quoiqu'ils soient
en plein dans le drame , ils égayaient constamment la
scène comme dans les pièces de Shakspeare. Ils y appa-
raissaient avec leurs habits et leur langage de tous les
jours, tenant à la main, tantôt un poignard, tantôt une
marotte, faisant, tour à tour, pleurer et rire; mais plus
souvent rire que pleurer; et cependant, au fond de leur
jeu tragi-comique, il y a une immense question à résoudre.
Au royaume déchiré, il' faut donner un chef; à des guer-
LIVRE XXII.
n
res qui ont apauvri d'Iioinines, d'argent et d'honneur deux
générations , il faut faire succéder la paix qui est toujours
via fin des guerres... mais que de difiîcultés à surmonter! et
combien peu de caractères honorables ! l'un crie : Vive
l Espagnol; l'autre, vive Mayenne; celui-ci, vive le Béar-
nais; celui-là, vive mes intérêts, ou plutôt le cri de tous,
c'est ce dernier cri. Et dans tout cela, la France est ou-
li'.iée, et la religion, dont chaque parti croit prendre la dé-
fense en main, n'est qu'une pauvi'e délaissée; jamais la
robe sans coutures du Christ ne fut plus effrontément dé-
chirée. On comprend donc que cette époque nous ait donné
Montaigne, comme les premiers jours de la renaissance
nous ont donné Rabelais. Le Christ n'a pas de plus terrible
ennemi que ceux qui se drapent de son manteau, et fou-
lent aux pieds ses commandements.
VIII.
Avant que la conférence fût réunie, ses partisans et ses
adversaires se livrèrent un combat de paroles; les églises
transformées en clubs et les chaires en tribunes , retenti-
rent d'imprécations et d'appels à la concorde et à la paix.
Le prieur des carmes Simon Filleul, traita les députés
nommés pour assister à la conférence de fauteurs d'héré-
sie. Morenne et Benoit n'avaient que le mot paix aux
lèvres; on pouvait le même jour entendre le pour et le
contre, et parfois aussi, le même prédicateur tonnait
contre le parti qu'il avait encensé la veille. Les plus pru-
dents des prêcheurs (et le jésuite Commolet était de ce
nombre) se tenaient, dans l'incertitude du dénouement,
* entre les deux; cependant, la majorité des prédicateurs
était contre le Béarnais , et parmi eux , le curé Aubri se
distinguait par la violence de son langage. «C'est un loup,
c'est un tigre bon à brider » , disait-il de toute la force de
ses poumons; il attaquait les partisans de la paix «qui gre-
nouillent la paix, comme dans un marais;» et en disant
cela, il imitait le chant de la grenouille: a La paix, s'é-
criait-il; la paLx, la paix! Hé! pauvre peuple, pensez-y; ne
l'endurons pas, mes amis, plutôt mourir; prenons les ar-
mes, ce sont les armes de Dieu! Un bon ligueur (je vous
déclare que je le suis et que je marcherai le premier)
18 HISTOIRE DE LA RÊFORMATION FRANÇAISE.
vaincra toujours trois ou quatre politiques; qui frappe le
premier a l'avantage.» Ces paroles retenaient le peuple
dans ses anciens errements, malgré le désir de voir la paix
succéder à la guerre. '
Boucher, qui tenait plus encore qu'Aubri à sa popula-
rité, dépassa son confrère en fades plaisanteries; sa chaire
n'était pas même une tribune : il l'avait abaissée au niveau
d'un tréteau de charlatan ; un jour il prêchait (c'était l'an-
niversaire de la journée des barricades), il fit l'éloge de
Henri de Guise, et dit que cette journée était la plus belle
qui fût au monde.^ Il avait pris pour texte de son discours
ces paroles de l'Écriture: Eripe nos de- Mo*. Expliquant
son texte, il équivoqua sur le sens de la traduction qu'il
donna, et dit : «il est temps de deshourber, de se déhour-
bonner; ce n'est pas à tel boueux, bon à jeter au tombe-
reau, que le trône appartient, quoiqu'on puissent dire les
larrons pillards et boulgres. » Un jacobin royaliste, Bélan-
ger, donna à Boucher la réplique du haut de sa chaire à
Saint-Denis ; il dit à ses auditeurs ligueurs, en jouant sur
le mot de boucher : Je vous conseille de vous déboucher
Ces lazzis se colportaient et faisaient rire. En France on
rit si facilement, parce qu'on rit de tout; n'a-t-on pas
plaisanté sur la guillotine?
Malgré tous les elforls des prédicateurs ligueurs, le cou-
rant se déplaçait; l'influence des plus populaires diminuait
visiblement. L'idole de la veille, commençait à être un peu
l'oublié du lendemain; plus elle avait été encensée, plus le
vide se faisait autour d'elle. Boucher devait bientôt en
faire la cruelle, mais juste expérience; la foule s'éloigna
de lui, son engouement tourna à l'indifférence, et presque
au mépris. Un jour, il fut hué sur le Pont-Neuf, où il pas-
saiit dans son coche; cet échec lui fut très-sensible; il
quitta sa chaire de l'église Saint-Benoît, autour de laquelle
il avait vu se presser si souvent une foule avide de l'en-
tendre. Il y installa un docteur aveugle, nommé Normandis,
tout dévoué aux Seize ; comme Boucher avait perdu un
œil, les plaisants de son quartier dirent qu'on avait échangé
1. L'Estoile, année 1593. — Ch. Labitte, chap. III, g 5, p. 172
et suivantes.
2. Arrache-nous du bourbier.
8. Ch. Labitte, chap. UI, g 6, p. 174-175.
UVRE xxn.
19
leur cheval borçne contre un aveugle. En France, dit
Charles Labitte, les temps de révolution sont aussi des
temps de plaisanterie. •
Les efforts des prédicateurs ligueurs, pour empêcher la
conférence, furent vains; l'opinion publique s'était pro-
noncée , et quand les députés partirent le 29 avril de Paris,
pour le village de Surènes , où elle devait avoir lieu, ils
entendirent retentir , longtemps derrière eux , le cri : « La
paix, la paix»; le peuple leur signifiait bruyamment sa
volonté.
^ IX.
Les conférences s'ouvrirent; la ligue y était représentée
par douze commissaires : trois pour Mayenne et son con-
seil, et trois pour chacun des trois ordres; les seigneurs
royalistes ne l'étaient que par huit. Après quelques diffi-
cultés qui furent levées, les pourparlers commencèrent;
mais ou n'entra dans le vif de la question, que le 5 mai.
Les deux principes catholiques et monarchiques furent
longtemps discutés. Les commissaires royaux deman-
daient par l'organe de l'archevêque de Bourges, qu'on recon-
nût dans le Béarnais le successeur immédiat de Henri III,
et qu'on le suppliât de rentrer dans le giron de l'Église.
Les commissaires ligueurs, par l'organe de l'archevêque de
Lyon, soutenaient qu'on ne pouvait reconnaître au préalable
un roi hérétique; ils ajoutaient avec beaucoup de raison,
que si le Béarnais abjurait, sa conversion manquerait du
sérieux qu'on doit apporter à un pareil acte. D'Espinac, qui
pratiquait mal la morale évangélique , la comprenait par-
faitement; un homme immoral, comme il l'était, eût dû
être plus coulant : mais depuis longtemps, comme Judas,
il avait trahi le crucifié, et s'était vendu au roi catholique;
il n'acceptait pas Henri IV, même avec son abjuration. Au
reste, les conférences se tinrent avec une gravité et une
décence qui contrastaient avec la turbulence des prédica-
teurs. Le parti espagnol, qui les avait vues s'ouvTir avec un
grand déplaisir, redoutait une abjuration; il ne se trompait
pas: Henri rV' était connu. «Le Navarrois, écrivait l'envoyé
de Savoie à son maître, de la religion calviniste, si aucune
1. Ch. Labitte, chap. UI, i 6, p. 175.
20 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
il en a, a grand désir de se maintenir par les calvinistes,
en opinion de grand observateur de religion; toutefois, il
a échappé souvent , et croit toutes choses d'une autre fa-
çon: pour l'intérêt, il ne changera pas de religion; et s'il le
fait, il sera d'accord avec les siens, et feindra. Il est cou-
rageux et soldat; mais sans discipline militaire : plutôt
comme chef de soudards et bandits, que comme général
d'une armée. Il est libéral, agréable, un peu moqueur et
gausseur; fait profession de bon François : grand amateur de
la noblesse; et encore qu'il montre d'oublier des injures:
mais, en efl'et, il en a bien souvenance. Il est adonné sur-
tout au plaisir de la chair; mais cela ne l'affectionne pas,
et trouve moyen de le conjoindre avec les armes. »
L'homme dont l'envoyé du duc de Savoie avait si bien
saisi la physionomie , devait nécessairement inquiéter le
duc de Féria. Ce dernier, jugeant le moment favorable
pour agir, demanda à faire une communication aux Etats
de la part de son maître. Une commission fut nommée
pour entendre l'ambassadeur, qui, admis dans son sein,
commença par faire l'éloge de Philippe II , en insistant
sur les sacrifices qu'il avait faits pour la Saiille-Union, sacri-
fices qu'il était prêt à faire encore pour le plus grand bien
de la religion , mais il demanda en échange que sa fille
Isabelle-Clara-Eugénie fût déclarée reine de France. '
Cette proposition eût pu être acceptée, tant l'esprit de
parti avait affaibli le sentiment national chez les ligueurs ,
si dans ce moment, un fou prenant la parole, n'eût trouvé
un moment de lucidité qui sauva peut-èire la France de
l'humiliation de tomber entre les mains de l'étranger. Ce
fou fut le fameux Rose, évèque de Senlis, l'un des plus
fougueux prédicateurs de la ligue. Féria avait à peine
achevé de formuler son insolente proposition , que Rose,
les yeux étincelants et les lèvres tremblantes de colère,
s'écria: «Le ciel nous punit de nos fautes. La proposition
de M. l'ambassadeur est le plus grand malheur qui puisse
arriver à la ligue ; elle justifie la prédiction des politiques,
et nous avertit, nous hommes de bonne foi, qu'en croyant
servir la cause de l'Église , nous étions les aveugles instru-
ments d'un monarque étranger.'
1. De Thon, liv. CVI. — Davila, Hv. XIII.
2. Recueil des États de 1593, p. 19&. — L'Esloile, année 1593.
LITRE XXH.
21
Ces paroles prononcées avec toute l'artîeur d'un ligueur
et le patriotisme d'un Français, déconcertèrent Féria, qui
s'en étonna d'autant plus qu'il comptait Rose parmi les
partisans les plus dévoués de son maître. Mayenne, qui vit
son embarras, et auquel la sortie de l'évèque de Senlis
n'avait pas déplu , s'approcha de l'ambassadeur: «Excu-
sez, lui dit-il assez haut pour être entendu de tous, excu-
sez ce bon docteur, chacun convient qu'il déraisonne la
moitié de l'année.» Mayenne disait vrai : Rose était luna-
tique et avait des accès périodiques de folie; mais cette
fois, il était dans toute la plénitude de son bon sens. Nous
ne partageons pas l'opinion deLabitte qui prétend qu'il ne
faut pas savoir gré à Rose de son opposition. Les belles
actions, chez les ligueurs, sont trop rares pour que nous
ayons le droit de nous montrer trop sévères , et quand
l'Éstoile, racontant le fait, dit laconiquement: «C'était
parler fort à propos pour un fol >^ , il nous paraît trop
caustique. Si le sage se tait le jour où il faut parler, jete-
rons-nous la pierre au pauvre fou qui parle à sa place;
nous croyons donc que l'apostrophe de l'évèque de Senlis
lui fut dictée au moment même , par un noble mouvement
d'indignation.*
X.
Féria ne se tint pas pour battu ; il obtint que sa propo-
sition fût soumise aux Etats. Inigo Mendoça, son docteur,
parla doctement, longuement et lourdement dans l'assem-
blée contre la loi salique ; le légat lui vint en aide, parlant
tantôt en latin, tantôt en italien; Féria parla en espagnol.
L'assemblée était dans une indécision qui eût été funeste
aux intérêts de la France, s'il ne se fût pas trouvé un
homme pour défendre, avec autant d'éloquence que de
conviction, les droits du royaume. Le procureur-général,
Edouard Molé , l'ancêtre de cette noble famille des Molé ,
qui a donné à la France tant de grands citoyens , indigné
des prétentions du parti espagnol, convoqua, de concert
avec le premier président Lemaître, zélé ligueur, les
chambres du parlement. Après un discours aussi remar-
1. Ch. Labitte, chap. III, g 6, p. 176-177. — Lacretelle, Guerres
de religion, t. DI. — LEstcUe, année 1593.
2S HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
quable par l'élévation des pensées que par le courage qu'il
y déploya, il fit rendre le 28 juin 1593, un arrêt qui ra-
cheta chez les parlementaires bien des ftuites et bien des
faiblesses. «Sur la remontrance faite, dit l'arrêt, par
Édouard Molé , procureur-général , et la matière mise en
délibération, la cour n'ayant, comme elle n'a jamais eu
d'autre intention que de maintenir la religion catholique,
apostolique et romaine, en l'État et couronne de France,
sous la protection du roi très-chrétien, catholique et
Français , a ordonné et ordonne que remontrances seront
faites par M. le président Lemaître, assisté d'un bon
nombre de ladite cour, à M. le lieutenant-général de l'État
et couronne de France , en présence des princes et oflQeiers
de la couronne, étant de présent en celte ville, à ce qu'au-
cun traité ne se fasse pour transférer la couronne en la
main de princes ou princesses étrangers ; que les lois fon-
damentales du royaume seront gardées, et qu'il ait à em-
ployer l'autorité qui lui est commise pour empêcher que,
sous prétexte de la religion, la couronne ne soit transférer
en main étrangère , au préjudice des lois du royaume et
pour venir le plus promptement que faire se pourra, au
repos du peuple, pour l'extrémité duquel il est rendu; la
dite cour a néanmoins, dès à-présent, déclaré et déclare
tous actes faits et qui se feront ci-après pour l'établisse-
ment d'un prince ou princesse étranger, nul et de nul effet
et valeur, comme fait au préjudice de la loi salique et au-
tres lois fondamentales du royaume. » •
Cette déclaration du parlement étonna et irrita le duc
de Féria: dansson arrogante bonne foi, il croyait que son
maître ne pensait qu'aux intérêts et à la grandeur de la
France , et lui qui n'avait vu jusqu'alors autour de lui que
complaisance et servilisme, ne savait pas que chez le
Français l'honneur survit même à la perte de la probité
politique, que s'il peut dans un moment d'égarement ou
d'extrême misère, devenir le pensionnaire de l'étranger,
il ne consent jamais volontairement à se laisser gouverner
par cet étranger.
^ Les États, n'osant ni blâmer ni approuver la coura-
1. Davila, liv. xm. — Mémoires de la Ugue, t. V. — L'Estoile,
année 1593. — De Thou, liv. CVI.
LIVRE XXII.
23
geuse déclaration du parlement, attendaient les événe-
ments pour se décider. Malheureusement pour sa cause ,
Philippe II n'avait ni assez de doublons, ni assez de lances
espagnoles pour appuyer ses prétentions. La fortune se re-
tirait de lui; l'homme, dont le nom seul lui valait une
armée: le duc de Parme était mort, et son successeur,
le comte de Mansfeld faisait ressortir par sa nullité la gran-
deur de sa perte. L'état d'indécision, dans lequel se trou-
vaient les députés, s'expUque donc de lui-même.
XL
Le Béarnais, tenu au courant des événements et des in-
trigues, était plein d'anxiété; il était convaincu par ce qui
se passait à Surènes, que les catholiques ne reconnaîtraient
jamais pour roi un prince huguenot. Le jour où il eut cette
conviclion, il fut décidé. Arrivé à cette époque solennelle
de sa vie , nous sentons le besoin de refouler dans notre
cœur de bien légitimes regrets. C'est l'historien, et non le
huguenot, qui doit écrire celle grande page d'histoire.
L'horreur de la ligue pour un roi huguenot, n'a rien qui
doive nous étonner; les historiens qui se préoccupent,
avant tout, de politique, sont de fort mauvais juges,
quand parlant des excès de la Sainte-Union, ils la con-
damnent sans appel. Dans leur impartialité à l'égard des
deux cultes, impartialité qui, au fond, n'est que le résultat
de leur scepticisme systématique, ils ne veulent pas com-
prendre qu'un roi huguenot n'était pas plus possible à Paris,
qu'un roi papiste à Édimbourg. Ce que l'indifférentisme
religieux accepte, le zèle religieux ne peut s'en contenter;
les lois morales ont leur inflexibilité comme les lois phy-
siques. Les ligueurs ne pouvaient accepter un prince pro-
testant, et même les plus zélés d'entre eux ne pouvaient
vouloir de ce prince au prix d'une abjuration , dans la
crainte qu'elle ne fût pas sincère. Le roi de Navarre avait
déjà une fois abandonné le catholicisme : le roi de France
pouvait l'abandonner encore; condamnons les violences
des ligueurs, mais ne les accusons pas de manquer de
logique. Quand ils disaient : pas de Béarnais ! vive Phi-
lippe II ! Ils étaient dans le vrai de leur rôle.
On comprend donc les ligueurs; mais on comprend moins
24
IIISTOinE DE LA nÉFORMATION FRANÇAISE.
les seigneurs royalistes qui, tout en élanl la personniflealion
' de l'indifférentisme religieux , n'acceptaient le Béarnais
pour roi, que sous la condition de son retour à l'église ca-
tholique; cependant, quand on étudie de près leurs rai-
sons, on les voit dans leur intérêt, leur seul Dieu. Il y a, à
cet égard, dans Davila, une page d'histoire remarquable:
«D'O, nous dit-il, en parlant de l'entourage du Béarnais,
protestait qu'il ne voulait pas être plus longtemps trésorier
sans trésor; Bellegarde, Saint-Luc, Termes, Sancy, Gril-
lon , et tous les anciens serviteurs du roi Henri III, déplo-
raient leur mauvaise fortune qui, après un roi d'or, leur
envoyait un roi de fer. L'un, en effet, les comblait de ri-
chesses; l'autre, étroit de fortune, et non moins étroit
d'âme et de naturel, ne leur offrait, pour récompense, que
des guerres, des sièges et des batailles. Ils déclaraient ne
vouloir pas soutenir plus longtemps la fatigue intolérable
des armes, ou rester enfermés dans leurs cuirasses comme
des tortues , avec du fer sur la poitrine et du fer sur les
épaules. Un roi élevé à la huguenote, courant jour et nuit
pour vivre de rapine avec ce qu'il pouvait trouver dans les
chaumières des malheureux paysans , se chauffant à l'in-
cendie de leurs maisons, et couchant à l'écurie avec leurs
chevaux , ou dans la puanteur d'une bergerie , n'était pa.*.
leur fait. A la bonne heure, de faire la guerre un pei» Je
temps pour obtenir le repos; mais à présent, ils servaient
un prince qui ne se souciait pas de mettre jamais un terme
au travail des armes , et qui ne cherchait d'autres délices
qu'arquebusades, blessures, meurtres et batailles. Souvent le
roi pouvait entendre ces propos de son antichambre, quel-
quefois entremêlés de jurements et de malédictions , plus
souvent assaisonnés, à la manière française, d'épigram-
mes et de quolibets. » '
Ces paroles révèlent les causes qur amenèrent peu îi peu
il fallait qu'il abattît la ligue en montant de nouveau à che-
val, ou bien qu'il la paralysât en lui ôtant le prétexte qu'elle
mettait sans cesse en avant pour ne pas le reconnaître
roi.
Henri IV à abi
Il ne pouvait plus se faire illusion.
1. Davila, liv. XUI, p. 870. — D'Aublgné, liv. 111, chap. XXH,
"). 289.
LIVRE XXII.
25
Placé en face de ces deux avenues, Henri IV prit la se-
conde, elle lui parut plus courte et plus facile. A l'extré-
mité, son œil apercevait une couronne, tandis que dans la
première , il n'entrevoyait que la répétition d'une vie pas-
sée dans des combats journaliers et dans une gloire stérile.
Tout donc le poussait vers l'abjuration; tout, excepté ce
qui devant Dieu et devant les hommes, la rend honorable;
car jamais son esprit ne fut plus éloigné de la foi romaine,
qu'il ne l'était au moment de l'embrasser. Mauvais protes-
tant, il eût été plus mauvais catholique encore; il n'aimait
pas la morale austère des huguenots, et se riait des prati-
ques catholiques: son esprit critique, fin et délié, semait
habilement le sarcasme; et la moquerie, sur ses lèvres, se
formulait souvent en bons mots qui sont restés ; son bon
sens qui lui faisait rarement défaut, quand les passions se
taisaient chez lui , lui faisait discerner admirablement les
côtés vrais des choses; l'histoire suivante en est une
preuve.
XII.
Pendant les conférences de Surênes, l'évêque de Lyon
dit à M. de Bourges, qu'il avait une plainte à lui faire, ainsi
qu'à tous les ecclésiastiques de son parti, contre un nommé
Chauveau qui, au grand scandale de tous les zélés catholi-
ques, prêchait l'hérésie. Or, ce Chauveau, ancien curé de
Saint-Gervais, à Paris , homme de mœurs irréprochables,
bon, charitable , généreux, se disait bon catholique, et ne
voulait être ni ligueur ni huguenot. Sa parole piquante
et originale attirait autour de sa chaire de nombreux audi-
teurs , qui aimaient l'entendre prêcher contre les abus de
leur église; or, voici (nous citons L'Estoile) une bonne
partie des abus contre lesquels le curé s'élevait, tant er\
public qu'en particulier :
« La vénération des images contre l'exprès commande-
ment et défense de Dieu, disant souvent au peuple qu'il
regardât , et qu'on lui avait été et retranché le second
commandement : Taillées ne te feras images, etc., etc.
« Les ornements qu'on donnait aux saints et saintes des
églises qui n'étaient que bois et pierres mortes: et cepen-
dant , on laissait là les pierres vives , qui étaient les
1
26 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
pauvres, vrais membres du fils de Dieu, mourir de faim
et de froid.
«Contre les bâtonneries et confréries : qui était une pure
idolàtrerie, ressentant les bacchanales du paganisme an-
cien.
«Contre le Salveregina, lequel, quand il entendait chan-
ter, se levait ordinairement, au lieu de se mettre à genoux;
disant que cet honneur appartenait à un seul, Jésus-Christ,
et non à la Vierge; pour ce qu'il était le roi des rois et le
Dieu des miséricordes, et que quand on ouirait chanter
Ave rex ou Salve rex, ahrs il se prosternerait à genoux,
mais non pas pour Salve regina; sachant que la Vierge ne
demandait point cet honneur qui appartenait à Dieu seul,
et que par là on la déshonorait, au lieu de l'honorer.
«Contre les chandelles, barbotages, chapelets, pèleri-
nages, darpons, heures des femmes en latin; défense très-
méchante et pernicieuse, que quelques faux prélats et
docteurs de l'antéchrist faisaient au peuple , de lire la
Sainte-Écriture , comme s'il n'eût été capable d'entendre
son salut.
«Surtout déclamait contre la souveraineté temporelle
du pape et sa primauté , et l'usurpation du droit qu il pré-
tendait avoir sur les rois et princes de la chrétienté; ne
l'honorant d'autre titre, que de l'antéchrist, ayant pris son
siège au temple de Dieu. »
Les attaques de Chauveau contre les abus régnants de
son église, lui attirèrent beaucoup d'ennemis qui voulu-
rent l'empêcher de prêcher. Henri IV, auquel on l'avait dé-
noncé, le fit venir dans sa chambre, et lui dit à l'oreille:
«Il y en a qui veulent vous empêcher de prêcher; mais,
moi, je veux vous faire évêque : continuez»."
' XIII.
Le même homme qui encourageait Chauveau à prêcher
contre ce que les huguenots appelaient déjà dédaigneuse-
ment «le fond de la boutique du pape,» se préparait à le
signer comme étant l'enseignement même du Seigneur. Il
y était d'ailleurs poussé fatalement par les circonstances :
son âme à laquelle il pensait peu, ses intérêts auxquels il
1. L'Estoile, année 1593.
LIVRE XXII.
27
pensait beaucoup, son entourage, tout l'entraînait vers les
avenues du catholicisme. Sully, ordinairement long et dif-
fus, se fait assez bien raconter, par ses secrétaires, les
dispositions du Béarnais: «Le dessein du roi, lui disent-
ils, de changer de religion, prenant toujours de nouvelles
forces, fut cause qu'il s'en retourna dans Mantes, qui était
alors son Paris , où toute sorte de gens de qualité et
d'affaires s'étant rassemblés ; il s'y trouva quantité de sol-
liciteurs pour lui faire changer de religion , dont les
principaux, sans entrer dans le secret de sa conscience,
duquel lui seul pouvait être le vrai juge, furent l'extrême
pitié qu'il avait de voir ainsi tous les peuples de France,
qu'il nommait ses enfants, exposés, s'il n'y appliquait ce
remède, à de perpétuelles ruines, misères et calamités;
sa liberté et sa vie être continuellement aguestes, et mis à
discrétion de ceux auxquels (s'il ne voulait faire un chan-
gement général des principaux officiers), il était contraint
de commettre l'un et l'autre : les puissantes et subtiles
raisons théologiques du temps , dont il était rabattu par
M. Du Perron; son agréable entretien et douce conver-
sation; les connivences pleines d'artifices de quelques
ministres et huguenots du cabinet , qui voulaient pro-
fiter du temps , à quelque prix et par quelque voie
que ce pût être ; l'infidèle ambition de plusieurs des
plus puissants, et autorisés parmi ceux de la religion,
à la merci desquels il appréhendait de retomber , si
les catholiques se résolvaient à se séparer et l'abandon-
ner; le dépit où il était entré contre aucuns, faisant les
zélés catholiques, pour lui avoir parlé insolemment, et
fait des harangues imprudentes et impertinentes pour le
Dresser, mêmes avec menace de changer de religion, dont
fun des plus hardis avait été le sieur d'O, usant de termes
sales de goinfre et de cabaret à sa mode accoutumée : le
désir que ce prince avait de se pouvoir passer de telles gens,
et leur faire sentir un jour leur témérité; la crainte où
il était entré: qu'enfin, les États qui se trouvaient lors
assemblés à Paris, quelques malotrus qu'ils pussent être,
n'élussent M. le cardinal de Bourbon pour roi , et ne lui
procurassent l'infante d'Espagne* pour femme; la lassi-
1. Clara Eugénie, seconde fille de Philippe 0.
28 HISTOIKE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
tude et l'ennui d'avoir toujours eu le halecret sur le dos,
depuis l'âge de douze ans, pour disputer sa vie et sa for-
tune; la vie dure, âpre et languide qu'il avait écoulée pen-
dant ce temps; l'espérance et le désir d'une plus douce et
agréable pour l'avenir, et finalement quelques-uns de ses
confidents et plus tendres serviteurs, entre lesquels se peut
mettre sa maîtresse', y firent apporter l'absolue conclu-
sion; les uns par supplications et larmes, les autres par
remontrances, et les autres par prudence humaine , lais-
sant le cas de conscience à part, pour opérer en lui
seul. *
L'abjuration était accomplie dans l'esprit du roi, il fallait
seulement traduire la volonté en fait , et surtout procéder
avec décence et donner à une conversion intéressée l'ap-
parence de la sincérité.
Parmi ses conseillers , Rosny occupait dans sa confiance
la première place: il avait un bon sens ferme, beaucoup
de netteté dans les idées, une rare application aux affaires
et une grande persévérance dans l'exécution de ses projets.
Sa religion ne dépassait pas en profondeur celle de son
maître: protestant, il n'eût pas voulu se faire catholique;
catholique , il ne se fût pas fait protestant. Politique avant
tout, la terre le préoccupait plus que le ciel, et quand il
faisait un vœu pour le Béarnais, il pensait plutôt à lui
mettre sur la tête la couronne du dernier des Valois que
celle d'un martyr. Tel était Rosny, ce type achevé du pro-
testant indifférent et calculateur. Henri IV avait à son
égard une liberté de langage qu'il n'avait pas avec ses
autres conseillers huguenots. Rosny ne se constituait pas
comme Mornay, son censeur; il le laissait s'abandonner à
ses plaisirs , pourvu que les affaires de son royaume n'en
souffrissent pas trop. Il pouvait donc comprendre son
maître et trouver bon ce que l'austère Mornay aurait tenu
pour un acte digne de la perdition éternelle. Dans ses
Économies royales , il y a deux chapitres qui jettent un
jour bien triste, mais bien intéressant, sur la manière dont
le Béarnais fut peu à peu amené à se séparer de ses vieux
compagnons d'armes.
1. Gabrielle d'Estrées.
2. Sully, Économies ïoyalea.
LIVRE XXII.
29,
XVI.
C'était au commencement de l'année 1593. Henri IV fit
appeler Rosny un soir fort tard. Son jeune conseiller se
mil à genoux contre le lit du roi sur un carreau , et dans
cette position, il écouta attentivement son maître qui lui
fit part de ses embarras et de son désir de mettre tin au.t
maux de son royaume ; « de tous côtés, lui dit-il , je reçois
des lettres dans lesquelles on me propose de grandes faci-
lités et même le rétablissement infaillible des affaires de
mon royaume, surtout si je me résous à quelque accommo-
dement pour ce qui regarde la religion » ; le grand mot
était lâché, Rosny en comprit toute la portée; le roi ne
lui demanda pas une réponse immédiate: «Réfléchissez,
lui dit-il, à ce que je vous dis et dans quelques jours, je
vous enverrai quérir pour me dire ce qu'il vous en aura
semblé » ; sur ce , il le licencia par un bonsoir.
Bientôt après , impatient d'avoir la réponse de son con-
seiller, il le manda auprès de lui: il était comme la pre-
mière fois couché, et comme la première fois, Rosny se
mit à genoux contre le lit sur un coussin. Le serviteur qui
avait profondément réfléchi aux paroles de son maître ,
commença par lui faire un triste tableau de son royaume ;
il traça habilement le portrait des principaux ligueurs et
des personnes attachées à son service et les lui représenta
comme des intrigants dont il fallait se défaire , « toute-
fois, ajoula-t-il, de leurs divisions et de leurs fractionne-
ments à l'infini, il résultera une grande fatigue pour les
Français qui se rallieront à vous et ne reconnaîtront que
votre seule royauté. »
Jusque-là Rosny n'avait pas abordé le point délicat sur
lequel Henri IV désirait avant tout avoir son avis ; il ne
lui disait rien qu'il ne sût parfaitement. Le moment de
l'aborder arriva , il le toucha délicatement. « Je crois , lui
dit-il , qu'une conversion faite dans des formes honorables
et agréables, serait de grande utilité et pourrait servir de
ciment et liaison indissoluble entre vous et vos sujets ca-
tholiques, et même faciliterait tous vos autres grands et
magnifiques desseins dont vous m'avez quelquefois parlé.»
Mais, comme s'il eût trop dit et pris trop de responsabilité,
30 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
il ajouta avec une grande apparence de bonhomie : « Sur
quoi, je vous en dirais davantage si j'étais de profession
qui me permît de le faire en bonne conscience , me con-
tentant de laisser opérer la vôtre en vous-même sur un
sujet si chatouilleux et si délicat.»
A ces paroles, le jeune conseiller en ajouta d'autres ;
les interlocuteurs se séparèrent ; quelques jours après, ils
étaient de nouveau réunis. Le roi s'appesantit sur les ob-
stacles qu'il rencontrait et qui l'empêchaient de faire pour
spn royaume tout ce qu'il désirait. Il se plaignit d'être
calomnié par les ligueurs ^et entouré d'intrigants qui ne
{•ensaient qu'à l'exploiter* en lui faisant payer chèrement
eurs services. Sans le dire expressément , il ne voyait
que dans un prompt changement de religion, le moyen de
fiarer les coups qui lui étaient portés; de son côté , Rosny
e suivait sur ce terrain. «Vous conseiller d'aller à la
messe, lui dit-il, c'est chose que vous ne devez pas at-
tendre de moi, étant de la religion.»
Le Béarnais , en entendant ces mots , dut croire que
Rosny n'approuvait pas un changement de religion, mais
il se rassura bientôt; le conseiller continuant sa phrase,
ajouta : «Je vous dirai cependant que c'est le plus promet
et plus facile moyen pour renverser tous ces monopoles
et laire aller en fumée tous les plus malins projets. »
Le roi et son conseiller étaient d'accord; mais le roi,
soit reste de pudeur, soit feinte, dit à Rosny: « Si vous
étiez à ma place, que feriez-vous?»
Le serviteur ne répondit ni par oui, ni par non; comme
son maître, il voulait une abjuration, mais il la voulait
fondée sur des motifs qui la légitimassent. Après des pa-
roles louangeuses sur celui qui le consultait, il dit: «Je
ne connais pour trouver une nonne issue à vos embarras
que deux seuls moyens: par le premier, il vous faudrO
user de fortes résolutions, sévérités, rigueurs et vio»
lences , qui sont toutes procédures entièrement contraires
à votre humeur et inclination , et vous faudra passer par
un million de difficultés, fatigues, peines , ennuis , périls
et travaux , avoir continuellement le corps sur la selle , le
halecret sur le dos ' , le casque en la tète , le pistolet au
t. Corselet de fer qui couvrait la poitrine et les épaules.
UYRE ÎXII.
3i
poing et l'épée en la main ; mais qui plus est , dire adieu
aux repos, plaisirs, passe-temps, amours, maîtresses,
jeux, chiens, oiseaux et bâtiments; car vous ne sortirez
de telles affaires aue par multiplicité de prises de villes,
quantités de comoats, signalées victoires et grande effu-
sion de sang. Au lieu que par l'autre voie qui est de vous
accommoder, touchnnf la religion, à la volonté du grand
nombre de vos sujets, vous ne rencontrerez pas tant d'en-
nuis, peines et di/ficultés en ce monde; mais pour l'autre,
je ne vous en réponds pas.»
A ces mots, le Béarnais se mit à rire, se leva sur son
séant , et s'étant plusieurs fois gratté la fête, dit à Rosny,
que s'il prenait la résolution d'abjurer dans l'intérêt de
ses sujets , il conserverait toujours une grande affection
pour ceux qui pendant si longtemps s'étaient attachés à
sa fortune.
Ces derniers mots touchèrent profondément Rosny; des
larmes de joie lui en vinrent aux yeux , il baisa la main
de son roi : «Je craignais, lui répondit-il, que si vous
veniez à changer de religion, on ne vous portât à persécu-
ter les protestants, vous soutenant qu'ils sont damnés»,
et alors Rosny, qui ne se disait pas théologien, se mit à
faire le théologien et blâma aigrement quelques ministres
protestants qu'il traita d'impertinents, parce qu'ils soute-
naient qu'on ne pouvait se sauver dans la religion catho-
lique. «Je tiens, dit-il, pour infaillible que les hommes,
à quelque religion qu'ils appartiennent, s'ils meurent dans
l'observation du Décalogue , aiment Dieu et leur prochain
de tout leur cœur, s'ils sont pleins d'espérance dans la
miséricorde de Jésus-Christ et croient obtenir le salut par
la mort, le mérite et la justice de Jésus-Christ, seront in-
failliblement sauvés.»
Rosny disait vrai; la religion dont il, trace le caractère
est celle du Christ et non calle de l'Église romaine; le
Béarnais le savait bien, mais en matière de foi , il n'était
pas difficile , ce qu'il voulait surtout, c'était d'avoir parmi
les protestants des hommes assez tolérants pour l'aider à
faire le pas avec le plus de décence possible. Il remercia
affectueusement Rosny, qui en habile courtisan, lui en
facilitait les moyens.'
1. Sully, Économiee royales.
32 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
XV.
Cette entrevue explique tout ce que nous avons dit des
dispositions du Béarnais , qui trouva chez les autres pro-
testants plus de raideur que chez Rosny. Chez eux, la foi
religieuse primait la foi politique ; ils ne purent donc voir,
sans un grand déchirement de cœur, le roi incliner visi-
blement vers le catholicisme. Il allait les abandonner , et
solder tant de fatigues, de privations, de sang versé, par
une abjuration qui replacerait la France sous le joug de
l'antéchrist : ils espéraient cependant encore. Incapables
eux-mêmes d'échanger leur foi, ce trésor céleste contre
des trésors périssables , ils jugeaient de leur maître par
eux-mêmes. Des prières ardentes montaient vers Dieu
pour lui demander de détourner de dessus la tête de son
peuple fidèle cet épouvantable malheur. Dans une lettre
(juin 1593) adressée aux ministres des principales églises,
Mornay leur disait : « Il nous faut reconnaître que nos pé-
chés nous ont mené là , et adorer la justice de Dieu qui
les châtie bien souvent les uns par les autres, les moindres
par les plus grands , aussi est-ce notre devoir comme mé-
decins, de l'assister (le roi) de ce que Dieu a mis en nous
laut que le cœur lui bat. » Théodore de Bèze , non moins
aJiligé que Mornay, se hâta d'écrire au roi une lettre dans
laquelle l'élève et le successeur de Calvin parle un langage
que n'aurait pas désavoué son maître. Ce qui préoccupe
le théologien calviniste, ce ne sont point les intérêts poli-
tiques de son parti , ce sont ceux de Dieu qui sont en jeu,
c'est l'immoralité de l'acte qui va se commettre, et quand
il s'adresse à la conscience du roi, sa parole est celle d'un
prophète d'Israël. — «Sachez, Sire, lui dit -il, qu'en
toutes vos alïaires , il ne vous faut jamais regarder ni à
voire État, ni à votre propre personne, autrement tout ce
que vous bâtirez sera sans vrai fondement, et si votre con-
seil vous mène par un autre chemin, croyez que vous êtes
très-mal conduit, considérant donc spécialement ce point,
et spécialement, combien de personnes ont l'œil jeté sur
vous comme bien étant envoyé de Dieu ; entrez en vous-
même à toute heure, et vous représentant la face de celui
qui vous a tant honoré jusqu'ici , et qiii vous a destiné à
LIVRE XXII.
33
faire reluire sa grâce devant par tout !e monde, humiliez-
vous profondément jusque au fond de votre cœur, pour lui
demander un esprit vraiment froissé et contrit.'
Du fond de leurs vallées , les Vaudois du Piémont sup-
pliaient le roi de les reconnaître pour son peuple; dans
une lettre, monument de leur amour et de leur courage,
ils lui disaient: « C'est Dieu, Sire, qui vous a rendu sei-
gneur et maître de la Gaule cisalpine; la transalpine sera
aussi vôtre quand il dira mot, ou seulement qu'il le veuille.
Le marquisat de Saluées s'en reviendra à vous , et Milan
encore. Les vallées de Lucerne, Pérouse et Saint -Martin
sont déjà vôtres , et serviront à votre Dauphiné de bastions
et murailles que le souverain ouvrier a bâties de ses
mains. — Murailles, dis-je, murées jusqu'au ciel! C'est
beaucoup, mais n'y a-t-il pas autre chose? Voire, Sire,
car avec ces murailles de Dieu, cornues et très-hautes,
vous aurez conjointement des murailles et forteresses
toutes vives. Ce sont vos peuples. Sire, qui logent les en-
trailles de ces vallées, garnisons de nature imprenables,
peuples, dis-je, surnommés Vaudois et renommés par
l'antiquité, consacrés maintenant et à jamais au service
de Votre Majesté. Ils ont déjà fait oblation de leurs biens
à Votre Majesté. Ils ont sacrifié au sacrifice d'icelle leurs
propres corps et vies; ils ont vécu, eux et leurs enfants,
pour vivre et mourir sous votre couronne: en un mot,
Sire, ils sont vôtres.»'
Cette lettre, datée du fond des gorges des vallées du
Piémont, lui parvint quand tout était accompli. Elle ne
l'eût pas sans doute plus touché que celle de ses anciens
compagnons d'armes, qui, dans une requête devenue cé-
lèbre, le conjuraient de demeurer fidèle à la foi dans
1. Bulletia du protestantisme français, 1. 1", p. 85. — La lettre
de Théodore de Bèze est une réponse à quelques écrivains qui
ont prétendu que le théologien calviniste avait par des raisons
d'État approuvé l'abjuration. — Voir pour les autres lettres écrites
à cette occasion par les réformés à Henri IV : Capefigue, Histoire
de la réformation et de la ligue , t. V.
2. Lettre au roi des habitants des vallées de Lucerne , Pérouse
et Saint-Martin, étant de la religion prétendue réformée, qui se
reconnaissaient pour sujets du roL — Biblioth. impériale, mss.
Dupuy. — Capefigue, t. VI, p. 310.
34 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
laquelle il avait été élevé. «Nos ennemis, lui disaient-ils,
veulent faire servir votre autorité pour instrument de
notre ruine; hé! que notre misère et notre mort fussent
la borne de leurs mauvais desseins, nous nous exposerions
encore au feu de leurs persécutions tyrànniques et à la
rage des Saint-Barthélemy sanglantes. Mais quoi ! ils nous
frappent pour blesser Jésus-Christ ; ils tentent de dissiper
ses églises, de bannir son royaume de votre royaume, de
fermer la bouche à tous ceux qui l'invoquent en esprit
et en vérité ; les laisserons-nous faire? demeurerons-nous
les bras croisés? ne nous opposerons-nous point à eux?
Si ferons Sire; car nous fâcherions Dieu en méprisant les
moyens qu'il nous a donnés pour conserver la pureté de
son Église. Nous vous adjurons, au nom de Dieu, de tra-
vailler de votre côté à empêcher l'effet de leurs injustes
délibérations, de vous raidir contre leurs mauvais con-
seils, de dissiper leurs méchantes pensées, de ruiner
leurs nrachinations et entreprises, et nous travaillerons
pour vous y aider. Votre douceur, votre modestie les rend
audacieux ; notre longue et extrême patience les provoque
à entreprendre contre nous. S'ils ne vous obéissent, s'ils
ne s'accommodent à la paix que vous désirez , s'ils conti-
nuent à affecter l'inégalité, mère de toute confusion, nous
tâcherons de faire en sorte que l'appréhension du péril
leur apprenne la modestie et l'équité que votre débonnai-
reté et notre patience ne leur ont encore pu apprendre.
Nous leur ferons pratiquer la loi commune, nous leur de-
manderons œil pour œil, dent pour dent, main pour main,
pied pour pied. S'ils bannissent Jésus-Christ de vos villes
oïl ils sont les plus forts, nous bannirons leurs idoles de
celles où nous sommes en force; s'ils nous proscrivent,
nous les proscrirons ; nous leur rendrons en tout la pa-
reille ; nous leur ferons ce qu'ils nous feront ; tels moyens
sont justes à ceux auxquels ils sont nécessaires, et légi-
times à ceux qui n'ont point d'autres ressources et d'autres
défenses humaines. En cela, ils ne se pourront plaindre
que d'eux, car ils commencent le désordre. Nous oppose-
rons au prétexte de votre autorité, qu'ils allégueront contre
nous, votre nonne volonté envers nous. S'ils se vantent de
vous avoir pour s'être emparés de votre corps , nous nous
vanterons d'avoir votre esprit, qui, étant libre, se range
LIVRE XXII.
35
toujours de notre côté, il est toujours avec nous. Les ro-
manisques feront la guerre h l'Évangile, c'est-à-dire la
cognée s'élèvera contre celui qui la tient; les hommes
s'armeront contré le Dieu des armées, contre le Tout-
Puissant : le tout contre le rien, les soldats de l'antéchrist
contre ceux de Jésus-Christ. Le combat est sans hasard, la
victoire nous est assurée. Nous disons avec le prophète : Si
l'Éternel n'eût point été pour nous, lorsque les hommes se
sont élevés contre nous, ils nous eussent engloutis tout
vivants. Sire, vous pouvez représenter à ceux qui se pro-
mettent si bon marché de nous , combien l'expérience de
vos prédécesseurs les doit éloigner de leur espérance. La
plupart de l'Europe avait conjuré la ruine d'une poignée
de fidèles sans dignités, sans retraite, sans argent, sans
amis et sans forces, sans aucun moyen pour se défendre.
Le pape aiguisait les couteaux des princes, et le roi d'Es-
agne leur forgeait des cuirasses de ses doublons; les
uisses fournissaient leurs régiments; les ducs de Lor-
raine et de Bar, leurs trahisons et leurs oppressions.
Qu'en est-il advenu? Dieu a soufflé sur eux comme pous-
sière ! Que devons-nous conclure de ces miraculeuses
assistances de Dieu? Non, non, il n'en faut pas faire la
petite bouche: si nos ennemis recommencent, s'ils
veulent encore faire la guerre à Jésus-Christ , il chassera
cette fois les ténèbres papales de tout le royaume. Voilà
comment nous sommes intimidés des menaces de nos ad-
versaires , voilà les issues que nous espérons de la guerre
qu'ils nous feront. Partant, nous vous supplions très-
humblement de répugner à leur audace, de leur remon-
trer leurs vanités et leurs folies, de leur commander de
laisser régner Jésus-Christ doucement et paisiblement en
votre royaume, de peur qu'il ne se courrouce, que sa
colère né s'embrase. Qu'ils n'espèrent plus de patience de
nous; si vous ne nous faites justice d'eux, nous aurons
recours. à Dieu qui nous la fera immédiatement.» •
1. Requête au roi par ceux de la religion, 1593. — Mss. de
Cclbert, vol. XXXI; rel. en parchemin. — Voyez aussi dans le
Bulletin de l'histoire du protestantisme, année 1852, la lettre re-
marquable d'un sujet du lol
36
HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
XIV.
Deux hommes éminents, Lanoue et Otliman, eussent
certainement mêlé leurs plaintes à celles de leurs frères,
si la mort, en les couchant dans la tombe, ne leur eût
épargné cette grande douleur. Quand le Béarnais se dis-
posait à abjurer, ils avaient achevé leur carrière orageuse
au milieu des agitations de leur siècle, sans avoir la dou-
ceur de voir le triomphe de la cause à laquelle ils avaient
tout sacrifié. L'histoire de leurs dernières années est
pleine de ce puissant intérêt qui s'attache au souvenir des
hommes qui, ne courbant la tête que devant Dieu seul,
marchent tristes, mais non découragés, dans les âpres
sentiers du devoir. ,
Après sa brillante victoire de Senlis sur les ligueurs,
Lanoue se distingua dans presque tous les combats que le
roi donna pour conquérir son royaume. Malheureusement,
ses conseils qui respiraient la sagesse , ne furent pas tou-
jours écoutés; lieutenant soumis, il ne dévia jamais de la
ligne droite et mérita par sa loyauté le titre du « Bayard
huguenot. » Il se fit ainsi sans le rechercher un piédestal
oii la postérité l'a maintenu. Dans la guerre de Flandres
contre Philippe II, il se couvrit de gloire ; mais le sort
trahit son courage , et il devint le prisonnier de Farnèse ,
«préférant être pris par l'ennemi que lui tourner le
dos. y> Le duc de Parme voulut le faire décapiter sous
le faux prétexte qu'il avait violé la promesse qu'il avait
faite en 1572, au duc d'Albe, de ne point porter les
armes contre l'Espagne*. Avant de le faire, il en référa
à Philippe II, qui n'y consentit pas, et le château de Lim-
bourg devint la prison du brave capitaine huguenot. Far-
nèse se déshonora , en traitant avec une cruauté inouïe
son prisonnier, qui souffrit du froid et de la faim dans la
tour où il était renfermé : brave sur un champ de bataille ,
Lanoue fut héroïque dans les fers. Il ne se plaignit pas et
demanda à son Sauveur de le soutenir dans ses rudes
épreuves; le Dieu, qu'il avait servi avec tant de fidélKé, lui
fil sentir la vérité de ces douces paroles du Crucifié : « Venez
à moi vous tous qui êtes travaillés et chargés , et je vous
1 . "jclle promesse n'avait été, selon Beutivoglio, que pour un au.
LIVRE xxn.
37
soulagerai.» Abandonné des hommes , il connut d'une
manière plus intime l'union avec Dieu, union qui, em-
bellissant tout, fait d'un cachot un sanctuaire, et d'un
bûcher une marche pour s'élancer vers les cieux. Il nous
apprend lui-même le secret de sa force dans une lettre
qu'il écrivit à l'un de ses fils. «Je veux vous parler, lui dit-il,
de ma disposition : elle s'améliore , mais ce ne sont pas mes
médecins qui en sont cause , c'est une continuelle et ar-
dente prière, que je fais à Dieu, qui a eu pitié de moi, selon
son ancienne miséricorde, car j'ai au moins cette commodité
que je puis toujours lire et écrire, ce qui sont mes conso-
lations. Ma principale étude est les écritures auxquelles
j'estime profiter de plus en plus; et c'est le précieux trésor
que j'ai trouvé, qui me donne un contentement inexpri-
mable. Toutes choses au prix ne sont que vanité. Ma pa-
tience croît et ma consolation attend l'accomplissement des
promesses de Dieu , qu'il fait à ceux qui sont en extrême
aflliction. — Je suis ici, dit-il, en terminant, comme dans
le taureau de Phalaris plus maltraité qu'un parricide. Dieu
veuille que je pardonne à mes ennemis , comme David et
Job ont pardonné aux leurs. J'ai été éprouvé jusqu'au der-
nier degré, mais j'y ai appris beaucoup. Il y a encore du
mal à passer pour le corps dont nous sommes membres,
mais le refuge est certain , il ne faut pas penser qu'étant
hors d'ici, je sois hors de toutes mes misères, car il faut
Ïarachever la course en souffrant, mais il y a des relâches,
e puis dire avec David, encore que je ne sois qu'un ver-
misseau,-Dieu m'a plongé jusqu'au fond des fosses noires
et terribles, mais la fin sera heureuse ; Dieu prépare un bel
œuvre. Nous ne devons pas nous enquérir de ce que sera,
mais le supplier de parfaire ce qu'il a commencé, je ne
perdrai rien en mon martyre, puisque j'ai trouvé le trésor
caché. »
Ce fut pendant les heures de sa longue captivité (elle
dura cinq ans) que Lanoue écrivit ses admirables Discours
poUliques et miliiaircs qui l'ont placé parmi les meilleurs
écrivains du seizième siècle. Juste, impartial, modéré, il
rend justice à tout le monde, excepté à lui-même. Il y
oublie de parler de ses propres exploits.'
1. Haag, France protestante, ai'ticle Lanoue, 12= partie, page 293.
£V. 2
38 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
La haine de Philipjie IT pour le noble prisonnier, était
celle d'un tigre altère de sap ' , qui ne laisse vivre sa proie
N que dans la crainte de fortes reiirésaiiles; il consentit ce-
pendant à un échange, sous la condition que son prison-
nier se laisserait crever les yeux. Lanoue y eût consenti,
tant sa position était lamentable'. Le jour de la délivrance
se leva enfin pour lui au moment où il avait fait ses adieux
à la vie et s'était habitué à voir son t«mb%iu dans sa pri-
son : il fut échangé contre le comte d'Egmont.
Nous ne suivrons pas le brave gentiliiomme sur les
nouveaux champs de bataille où il fit preuve de sa bravoure
accoutumée. En 1591 nous le trouvons en Bretagne; de
tristes pressentiments l'assiégeaient en entreprenant cette
campagne, qui devait être sa dernière. «Je vais, disait-il
à ses amis , mourir à mon gîte comme le bon lièvre. Du-
rant le siège de Lamballe, il monta sur une échelle pour
examiner l'état de la brèche; au moment où il l'observait
avec attention , il fut atteint légèrement d'une balle à la
tète; il chancela, perdit l'équilibre et tomba.
La blessure fut d'abord jugée peu dangereuse, mais lais-
sons à un témoin oculaire le soin de nous raconter les
derniers moments de Bras-de-fer. «Le IS'jeur après midi,
raconte Monlmarlin, il eut une paralysie sur la langue et
avait peine à parler, reposa quelque peu cette nuit; le
lendemain de bon matin, ledit sieur de Montmartin l'alla
trouver, qui reconnut bien qu i! n'y avait plus d'espérance
en sa vie. Il commença à prier Dieu ardemment, et avec les
yeux élevés au ciel, sanglots et soupirs, attirait ha miséri-
corde de Dieu ; la parole et la connaissance lui continuèrent
jusques un bon quart d'heure devant sa mort, bien qu'il y
(Sût peine à l'entendre, et peu devant mourir, pleura, et
avec le doigt proche du petit essuyait les larmes et du reste
de la main les couvrait. Alors lui commencèrent les con-
vulsions et les agonies de la mort le prirent, et le dit
sieur de Montmartin lui dit en lui tenant la main : Sou-
venez-vous, Monsieur, du passage de Job, qui dit: «Je sais
que mon rédempteur vit et qu'il se tiendra le dernier sur
la terre et que mes os et ma chair verront mon Dieu en sa
1. Correspondance de François de Lauoiie, récemmeut publiée
par M. Kcrvyu de Volkaoï-sbckê ; Gand et Paris, 1S54, in-8«.
LIVRE XXII.
39
face.» et en le pinçant sur la main, lui dit: «Monsieur,
vos os et votre chair le verront , ne le croyez-vous pas t
Alors il leva la main au ciel et la tint longtemps en l'air,
allongeant le maître doigt, et nous regardant du même œil
qu'il nous menait à la guerre, et aussitôt rendit l'esprit.»*
Lanoue avait accompli sa soixantième année quand, de
ee monde de misère, il passa à un monde meilleur. Devant
celte noble figure de nos g«erres civiles, ses ennemis ont
été obligés de rendre hommage à sa bravoure dans les
combats, à sa fidélité en sa parole, à sa sagesse dans les con-
seils, à sa constance dans les revers, à sa modestie dans les
victoires, à sa foi vive et humble en Celui qu'il aimait
comme son Sauveur et qu'il adorait comme son Dieu. '
XVII.
Quatre ans auparavant le grand jurisconsulte Othman
terminait ses jours à Bàle, après avoir été mêlé à tous les
grands événements de son siècle. Peu d'hommes ont fait plus
que lui l'expérience de ces mélancoliques paroles de Job :
«L'homme né de femme naît pour souffrir comme l'étin-
celle pour voler en haut. » Il eut à lutter contre des enne-
mis puissants, la misère et les deuils domestiques, mais rien
ne put abattre cet homme de fer; «du jour, dit M. Sayous,
oii son nom commença à être prononcé avec applaudisse-
ments jusqu'à la fin de sa carrière , il ne cessa d'être ac-
cablé d'autant de misère que de renommée. Il supporta
l'acharnement de la mauvaise fortune sans que sa foi et sa
confiance en Dieu en fussent un instant affaiblies. » *
Caractère ardent, nature impressionnable, il ne sut pas
toujours éviter les écarts de la pensée, ces écueils où som-
brent quelquefois les grands esprits; le célèbre auteur de
la Gaule franque croyait à l'alchimie, et cherchait dans les
creusets de son laboratoire la pierre philosophale , afin de
n'être plus aux prises avec la misère ; le malheur rend
crédule, et quelquefois, hélas, il fait perdre aux natures
les plus indépendantes cette noblesse de caractère qui est
1. Haag, France protestante, 12« partie, page 295.
2. Amyrault. Vie de Lanoue.
3. Sayous, Études littéraires sur les écrivains de la Réforme,
article OQunau.
40
UISTOIRE DE LA RIÎFOnMATION FRANÇAISE.
Je plus noble îleurori de leur couronne. Othman, harcelé
par ia pauvreté, mendiait des gratifications et recevait un
salaire pour ses épîires dédicatoires ; à part cette tache
dans sa vie, et qui oserait lui lancer la pierre, il est l'une
des grandes et belles figures de la Réforme. Jusqu'à son
dernier soupir il demeura fidèle à la cause à laquelle il
sacrifia le plus brillant avenir; tous ceux qui ont parlé de
lui sont unanimes à lui décerner une grande place parmi
ses contemporains. Bériat Saint-Prix le met à côté du célèbre
Cujas, l'homme qui tira le droit de la barbarie, et poussa
un cri de liberté quand la France était dans les chaînes, a
un droit incontestable à notre admiration et à notre respect.
Dieu lui épargna une gi"ande amertume en le retirant à lui
avant que le roi de Navarre eOt abandonné ses frères; s'il
eût vécu , la littérature protestante aurait quelques belles
pages de plus; en présence de cette grande apostasie, Oth-
man n'eût pas gardé le silence; son âme, saisie de tristesse
et d'indignation, eût trouvé des accents dignes de lui et
de la cause dont il fut l'un des plus nobles représentants.
XVIII.
Les plaintes des protestants troublaient cependant le
roi ; il savait tout ce qu'il y avait de volonté indomptable
chez ces hommes qui depuis si longtemps, ne combattaient
que pour la défense de leur foi. Ne pouvaient-ils pas se
choisir un autre chef, quand celui qui les avait conduits à
tant de batailles, les abandonnait. Pour conjurer une
crainte qui pouvait devenir une réalité, il leur fit déclarer
ar les seigneurs catholiques «que rien de ce qui se déli-
érait dans ses conférences de Suresnes ne serait fait au
préjudice de la bonne union et amitié qui est entre les
dits catholiques qui reconnaissent Sa Majesté et ceux de la
dite religion. » "
Le sort en était jeté. Henri IV était décidé. Il ne voulut
pas cependant abjurer sans donner au moins à sa conver-
sion les apparences de la sincérité. Il convoqua à cet effet
V. Ëciint-Denis des théologiens catholiques pour faire son
1. ï".ipeiigue, t. VI, p. 319. — Foutauieu, l'orlefeuilles, auuée
LIVRE xxn.
41
instruction. Monseigneur de Bourges présidait la séance:
Je néophyte n'était pas disposé à faire une opposition sys-
tématique, mais il ne pouvait décemment se déclarer con-
vaincu sans faire quelque résistance. Or, dans ce moment,
le Henri IV, gausseur et gascon, que nous connaissons, fut
lui tout entier, il prit un malin plaisir à riposter en hu-
guenot à ses convertisseurs officiels, plus embarrassés
qu'émerveillés de sa science. « Il appliquait si bien, dit
l'Estoile, les passages de la Sainte-Écriture, qu'ils y de-
meuraient étonnés à empêcher de donner solution valable
a ses questions, tant qu'un des principaux d'entre eux dit
le lendemain à quelqu'un, qu'il n'avait jamais vu hérétique
mieux instruit en son erreur, ni qui la défendit mieux et
y rendît meilleures raisons. ■» '
Le Béarnais se rappela ce jour-là les leçons de sa pieuse
mère.
On passa tout en revue : quand on arriva aux prières
pour les morts, ((laissons le Requiem, Messieurs, dit le
roi aux docteurs , je ne suis pas encore mort , et n'ai pas
envie de mourir. >
On n'insista pas.
Le dogme du purgatoire est l'un de ceux qui exigent
une foi aveugle. Il fut cependant proposé à celle du Béar-
nais.
Quant à celui-là , leur répondit-il , je le croirai , non
comme article de foi, mais comme croyance de l'Église
de laquelle je suis fils. Il ajouta « et aussi pour vous faire
plaisir, sachant que c'est le pain des prêtres.»
Le trait était mordant... Les catéchistes firent semblant
de ne pas comprendre.
La discussion sur l'adoration du sacrement fut plus
longue. Le candidat trouvait chose rude à croire que le
pain et le vin de la Sainte-Cène fussent changés au corps
et au sang de .lésus-Christ; cependant comme il ne pou-
vait devenir bon catholique sans croire à la transsubstan-
tiation, il leur dit : «Vous ne me contentez pas bien sur ce
point et ne me satisfaites pas comme je désirerais. Voici, je
mets aujourd'hui mon 5me entre vos mains, je vous prie,
prenez y garde; car là où vous rae faites entrer, je n'en
1. L'Estoile, auuée 1593.
42 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
sortirai que par la mort, et de cela je le vous jure et pro-
teste'.» Or, comme il pleurait à volonté, quelques larmes
jaillirent de ses yeuX.
Ses catéchistes crurent à sa sincérité : un roi qui pleure
ne peut être qu'un roi sincère ; cependant, quand on vou-
lut lui faire signer une confession de foi dans laquelle on
lui faisait admettre toutes les traditions romaines, il
refusa.
Le lendemain, il manda le premier président de Paris
et celui de Rouen. «Messieurs, leur dit-il , je vous ai fait
venir pour vous dire que j'ai fait tout ce qui est possible
pour contenter les prêtres par le fait de ma conversion et
mon retour à la foi catholique. Mais je ne veux pas qu'on
m'astreigne à des serments étranges et à croire des badi-
neries que le plus fou d'entre eux ne croirait pas; et vous,
Messieurs, ajouta le roi en se tournant vers eux: «Croyez-
vous qu'il y ait un purgatoire?»
Les deux magistrats essayèrent d'esquiver la question.
Voyant leur embarras, le roi ajouta : «Dites leur, Mes-
sieurs, que je veux qu'ils se contentent hardiment, que
j'en ai assez fait et que s'ils passent outre, il y pourra
advenir pis.»
L'archevêque de Bourges eut peur de tout perdre en
voulant tout gagner. Sur ses conseils, on modifia la con-
fession de foi , qu'on rendit le plus raisonnable possible ,
afin que le roi pût y apposer sa signature.
L'instruction du catliécumène était faite: elle ne fut pas
longue, elle dura cinq heures, pendant lesquelles le néo-
phyte n'eut pas faute de science, mais de conscience.'
XIX.
Le 25 juillet, sur les huit heures du matin, un brillant
cortège de gentilhommes et de grands dignitaires réunis
à Saint-Denis, attendait le roi à la porte de son logis.
Quand il parut, il fut salué par d'immenses et joyeuses
1. L'Estoile, année 1593.
2. Bulletin de l'histoire du protestantisme français, 1. 1", p. 285.
Voyez aussi l'Estoile, année 1593. — Sully, Économies royales.
— V. Palma-Cayet, Mémoires de la ligue, t. VI.
LIVRE xxn.
43
acclamations ; il s'était paré de ses plus beaux habits. Le
yieux pourpoint de Henri III avait disparu, et avait fait
place à un vêtement de Fa plus grande élégance. On n'eût
pas dit un péchear repentant, qui va pleurer aux pieds des
autels ses fautes passées, et reconnaître, en se frappant la
poitrine, le mauvais exemple donné par son apostasie;
— on eût dit un prince qui allait promettre à sa jeune et
belle fiancée... amour et fidélité. « Sa M;ijesté, disent les ré-
cits de l'époque, éta^f revêtue d'un pourpoint et chausses
de satin blanc, bas à attaches de soie blanche et souliers
blancs, d'un manteau et chapeau noir.» Les rues par les-
quelles il passa, pour se rendre à l'église abbatiale, étaient
ornées de fleurs et de tapisseries ; le cri de : Vive le roi î re-
tentissait sur son passage. Chacun sentait que la fin de la
guerre était dans cet acte, dans lequel les seigneurs roya-
listes voyaient un acte de haute et habile politique , et les
masses l'effet de la puissance du Saint-Esprit, qui prenant
en pitié les malheurs du royaume , ouvrait enfin les yeux
du descendant de Saint-Louis, sur ses erreurs : ceux des
huguenots , qui plaçaient les trésors du ciel bien au-dessus
de ceux de la terre, ne parurent pas dans la foule; ils ca-
chèrent les uns leur colère, les autres leurs larmes. Ils
purent croire un moment que Dieu les abandonnait, puisque
le chef qu'ils avaient servi pendant si longtemps avec tant
de fidélité, passait sans home, uniquement par ambition,
dans le parti de leurs inmiacabies adversaires. Avec le
Béarnais , ils avaient eu aes jours Dien durs et bien mau-
vais, mais ils ne s'étaieni jamais piaint; et, au moment oÉr
ils croyaient au triomphe de leur cause, leur chef, par
son abjuration, leur faisait perdre les fruits de vingt ans de
combats; quelle amertume! Mais, n'était- elle pas méri-
tée? La réforme, dont le but était d'opérer une rénova-
tion religieuse, était devenue un parti politique; du sommet
de ses glorieux bûchers , d"où elle avait gagné tant de vic-
toires, elle était descendue sur des champs de bataille,
où elle avait subi tant de défaites. Tant qu'elle fut pauvre,
méprisée, et qu'elle n'eut pour chefs que des martyrs |el
des inconnus, elle marcha de triomphe en triomphe; mais
quand ses chefs furent des capitaines , que l'épée de fer
eut remplacé l'épée de l'esprit , et qu'au lieu de verser
son sang, elle s'attacha à verser celui de ses persécuteurs;
44 HISTOinE DE LA. KEroRMATION FRANÇAISE.
elle s'affiiiblit. Les Bourbons lui firent plus de mal que les
Valois; ces derniers, avec leur armée de prêtres et d'in-
quisiteurs, la trouvèrent toujours debout; les premiers,
avec leur épée, la compromirent et l'épuisèrent : le Béar-
nais la frappa bien près du cœur. Les sociétés religieuses
ne sont jamais impunément infidèles aux lois destinées à
'es régir. C'est pour ne pas l'avoir compris et s'être ap-
fiuyés sur les bras de la chair, que les huguenots virent
eur chef déserter leurs rangs et tendre la main à leurs
oppresseurs. Dieu, en les humiliant, futsévère, mais juste.
Il les frappa à l'endroit sensible , ce qu'ils croyaient une
colonne, sur laquelle ils s'appuyaient avec orgueil, se
changea tout à coup en un roseau fragile; il leur montra
que c'est de lui, et non des puissants de la terre, que le
chrétien doit attendre sa délivrance. Revenons au Béarnais.
Que se passait-il en lui dans ce moment décisif? L'his-
toire ne nous le dit pas; ne pouvons-nous pas cepen-
dant, sans nous écarter des limites de la vérité, dire que
l'homme qui allait déclarer à la face du monde, qu'il te-
nait pour fausse la foi de sa noble et pieuse mère , devait
être un peu embarrassé du rôle qu'il jouait, et que le sou-
venir de ces fidèles huguenots dut lui donner intérieu-
rement cet embarras , que nous appelons vulgairement
mauvaise honte, et qui est l'indice certain qu'on va com-
mettre une mauvaise action ; peut-être le surmonta-t-il
et couvrit-il de la raison d'Etat un acte qui pénétrait de
douleur ses braves gentilshommes huguenots, si mal ré-
compensés de leur fidélité; peut-être aussi, sa nature vive
et impressionnable lui représenta-t-elle son abandon de
la foi protestante, comme un acte d'héroïsme, dont Dieu
devait lui tenir compte? Quoi qu'il en soit, il avait pris ses
plus beaux habits; il ne voulait pas qu'on le crût un pauvre
diable, ni qu'on le crût triste. Il avait pris avec lui-même
ses précautions, pour qu'on ne l'accusât ni d'hypocrisie, ni
d'entraînements; mais certainement, le coup dont il allait
frapper la ligue, le préoccupait plus que le soin de son
salut, auquel il pensait peu.
Quand il arriva au grand portail de l'église de Saint-
Denis, il trouva Monseigneur de Bourges en grand cos-
tume, qui l'attendait avec une foule de prélats, revêtus
des plus beaux insignes de leur dignité. L'archevêque
LIVRE XXII.
45
était assis sur une chaise couverte de damas blanc, au
dossier de laquelle étaient les armes de France et do
Kavarre.
«Qui êtes-vous? dit-il au royal néophyte. — Le roi. —
Que demandez-vous? — D'être reçu au giron de l'Église
catholique, apostolique et romaine. — Le voulez-vous? —
Oui, je le veux et le désire.» — Après avoir prononcé
ces mots , le roi se mit à genoux , et dit :
«Je proteste et jure, devant la face du Dieu tout-puis-
sant, de vivre et mourir dans la religion catholique,
apostolique et romaine, de la protéger et défendre envers
tous, au péril de mon sang et de ma vie, renonçant à
toutes hérésies contraires aux enseignements de ladite Église
catholique, apostolique et romaine.» — Il remit ensuite à
l'archevêque un papier, qui contenait sa profession de foi,
signée de sa main; puis, il baisa dévotement l'anneau
épiscopal du prélat officiant, qui lui donna l'absolution et
la bénédiction, et le releva; puis, le cortège se mit en
marche, et le conduisit processionnellement au chœur de
l'église; et là, au milieu du vivat d'une foule enthousiaste,
il réitéra à genoux devant le grand autel, et les mains po-
sées sur les saints évangiles, son serment de vivre et
de mourir dans la rehgion romaine : après, il baisa dévote-
ment l'autel, sur le derrière duquel il fut conduit par le
cardinal de Bourbon. Monseigneur de Bourges reçut sa
confession , pendant que les assistants chantaient le Te
Deim, et d'une telle harmonie, que les grands et les petits
pleuraient de joie.
Après sa confession , qui ne fut pas longue , le roi fut
conduit sous un dais d'or et de soie : la messe commença.
Il l'écouta avec une grande apparence de componction, qui
émerveilla et toucha les assistants. Au moment de l'éléva-
tion de l'hostie, il se prosterna par terre, les mains join-
tes, en frappant sa poitrine: après le chant de VAgnu»
Dei, les vivats recommencèrent, et des poignées de mon-
naies furent jetées dans l'église au peuple , qui répondit à
cette largesse par de grands applaudissements. La céré-
monie était terminée; le roi, accompagné de cinq 'a six
cents gentilshommes, fut reconduit à son hôtel, au son des
tambours et des clairons , et au bruit de l'artillerie. Les
principaux seigneurs et prélats dînèrent ensemble ; avant
46 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
le dîiier, on récila le Benedicite; après, on chanta les Grdce$
en musique; la journée était terminée.
Quelques heures avant la cérémonie, Henri FV écrivait
à Gabrielle d'Estrées : «J'arrivai hier soir, et fus iiïH
portuné de Dieu jusqu'à mon coucher; nous croyons la
trêve, et qu'elle doit se conclure aujourd'hui; pour moi,
je suis à l'endroit des ligueurs de l'ordre de Saint-Thomas:
je commence à parler ce matin aux évêques, outre ceux
que je vous mandais hier. Pour escorte, je vous envoie
soixante arquebusiers, qui valent bien des cuirasses. L'es-
pérance que j'ai de vous voir demain, relient ma main de
vous faire un plus long discours : ce sera demain « que je
ferai le saut périlleux.» A l'heure que je vous écris, j'ai
cent importuns sur les épaules, qui me feront liaïr Saint-
Denis, comme vous faites Mantes. Bonjour, mon cœur;
venez demain de bonne heure, car il me semble qu'il y a
déjà un an que je ne vous ai vue. Je baise un million de
fois les belles mains de mon ange. » •
Voilà, peint par lui-même, l'homme qui, dans la basi-
lique de Saint-Denis, se frappait la poitrine comme ua
péager, et faisait publiquement devant tout son peuple, la
confession de la nouvelle foi qu'il allait embrasser.
Parmi les assistants à la cérémonie , il y avait un évêque,
homme droit, qui, témoin de la sacrilège comédie, dit,
immédiatement après que le roi eut juré sa nouvelle con-
fession de foi :
« Je suis catholique de vie et de profession , et très-
fidèle sujet et serviteur du roi ; vivrai et mourrai tel; mais,
j'eusse trouvé aussi bon et meilleur, que le roi fût de-
meuré dans sa religion, qUe la changer comme il fait; car,
en matière de conscience : il y a un Dieu là-haut qui nous
juge, le respect duquel seul doit forcer la conscience des
rois, non le respect des royaumes à couronnes, et la force
des hommes. Je n'en attends que malheur!»'
Un membre du grand Conseil, très-zélé catholique,
prononça, à propos de l'abjuration, ces paroles prophéti-
ques : « Le roi est perdu ; il est tuable à celte heure : au-
paravant, il ne l'était pas »! '
1. Mémoires de L'Estoile, 23 juillet 1593.
2. L'Estoile, année 1593.
S. Ibidem,
UVRE XXII.
47
XX.
L'abjuration était consommée; le Béarnais, converti au
eatholicisme, en 1572, à la vue des cadavres de ses frères
assassinés, s'était de nouveau converti à la vue de la cou-
ronne de Henri III. Cet acte a été diversement jugé; les
uns l'ont loué comme un acte de haute et habile politique,
nécessité par les circonstances; les autres l'ont flétri avec
une grande amertume ; la question n'a pas encore été ré-
solue, quoique tout le monde soit à peu près d'jiccord que
l'abjuration révéla , dans le nouveau converti , un poli-
tique consommé. Dans cette presque-unanimité de senti-
ments , la question se trouve en partie éclaircie; car ce qui
est mauvais en soi, ne peut être légitimé par ses consé-
quences. La facilité avec laquelle les hommes font bon
marché des principes, aveugle leur entendement et leur
fait, tour à tour, prendre le bien pour le mal, et le mal
pour le bien. Il est cependant bien difficile , en présence
des résultats de l'abjuration, qui donnent de suite à la
France paix au dedans, grandeur au dehors, de n'être pas
un peu ébloui ; mais la sagesse ne nous conseille-t-elle pas
aussi de ne pas céder à l'engouement du moment, et d'at-
tendre la fin des choses , aim de porter sur elle un juge-
ment réfléchi? C'est ce que nous voulons faire, en jugeant
l'acte d'abjuration en lui-même et dans ses résultats.
Quant à l'acte, en lui-même, il est jugé; la cérémo-
nie du 25 juillet fut une sacrilège comédie, ce qui pré-
céda, en fut le digne prologue, et ce qui suivit en fut le
dénouement. Le Béarnais n'apporta aucune sincérité dans
son abjuration, il se fit catholique par intérêt; il échangea
Paris contre une messe ; et pour cette messe il fit le saut
périlleux, comme il l'écrivait à sa belle et ambitieuse
maîtresse. Sa conversion fut donc un acte mauvais en soi ,
parce qu'il manqua de ce qui seul pouvait le rendre hono-
rable : la droiture et la sincérité. Le roi donc se joua des
catholiques, qui ne s'y trompèrent pas, mais qui acceptè-
rent les bénéfices de la conversion. Il se joua aussi de
Dieu, à l'égard duquel il commit un parjure. Le jour où le
fils de la pieuse Jeanne d'Albret résolut de passer au catholi-
cisme, son jugement fut troublé; il ne vit devant lui qu'une
48 HISTOIRE DE LA. RÉPORMATION FRANÇAISE.
couronne, plus facile à ramasser sur les marches d'un autel
que sur un champ de bataille; et il ne comprit pas que sa
position était loin d'être désespérée. Roi chrétien, il eût
pu dans une foi sincère puiser tant de forces! Une partie
de la France le reconnaissait; les ligueurs et les royalistes
étaient divisés: Philippe II, pauvre d'hommes et d'argent,
était haï des seigneurs royalistes. La nomination d'un prince
étranger, ou de l'infante avec un Lorrain, eût excité de
grandes jalousies, au milieu même de la noblesse ligueuse;
les Etats protestants étaient prêts à venir en aide au Béar-
nais; la République de Venise lui prêtait son appui; les
Vaudois des vallées du Piémont ne lui demandaient que
le bonheur de mourir à son service; le Sult«n lui promet-
tait sa flotte: ses braves huguenots enhn, avaient-ils jamais
été avares de leurs sueurs, de leurs biens et de leur sang;
que d'éléments de succès! Tout cela lui échappa... Son
cœur, amolli par les plaisirs à la cour de Catherine., ne
pouvait comprendre ces belles paroles de David: «L'Eter-
nel est ma lumière et ma délivrance, de qui aurais-je
peur? l'Éternel est la force de ma vie, de qui aurais-je
frayeur?» Pour s'appuyer sur Dieu, il faut ce que n'avait
pas Henri IV; un cœur honnête et droit... Homme charnel,
il agit selon la chair; il préféra la couronne des Valois à
celle du ciel; il fut logique; l'arbre ne tombe que du côté
où il penche.
Ceux qui ont approuvé l'abjuration , ne l'ont fait que
parce que les résultats immédiats leur en ont paru bons.
Quant à nous , nous croyons que les résultats , en défini-
tive, n'ont été que ce qu'a été l'acte lui-même, c'est-î»-dire,
mauvais; parce que, du mal le bien ne peut pas plus éma-
ner que d'une fontaine d'eau amère jaillir une eau douce.
Nous ne sommes donc pas plus éblouis de l'état floris-
sant de la France, après l'abjuration, que nous le sommes
de celui d'un malade sortant des mains d'un empirique.
Merveille! merveille! s'écrie le vulgaire ignorant, mer-
veille ! la plaie que nul n'avait pu guérir a disparu. Erreur!
la plaie est rentrée; et cependant, pendant de longs jours,
la France paraît si bien guérie! les forces lui reviennent
comme aux vieux aigles. Richelieu poursuit l'œuvre de
Henri IV, il abaisse la maison d'Autriche, et préparc les
voies à Louis "SW qui impose son nom à son siècle; et
LIVRE XXII.
49
force le nioncît; à lui donner le nom de grand. Sous
son règne, la France se couvre de monuments et de
i;rands hommes! Les sciences, les arts, les lettres ont
d'admirables représentants... Le théâtre a Racine et Mo-
lière; la chaire Bourdaloue, Bossuet, Massillon; la guerre,
Turenne, Vauban, Luxembourg, Louvois, Duquesne. Que
de grandeurs réunies autour d'un seul homme! Et comme
on comprend que dans son enivrement, cet homme se soit
cru un demi-dieu , et ait fait peindre et graver sur ses ar-
moiries , son nec phiribiis impar. '
La médaille est belle; mais nous n'avons pas encore vu
son revers.
L'abjuration apprit à la France à se jouer de ce qu'il
y a de plus sacré dans le domaine de la conscience,
et fit de Henri IV le premier pervertisseur de son
royaume. Après lui, beaucoup de gentilshommes di-
rent : une place à la cour vaut bien une messe ; on
déserta le prêche pour l'Église, et Rome eut quelques
mauvais catholiques de plus. Le libre examen en religion,
qui a pour conséquence immédiate le libre examen en po-
litique , s'affaiblit avec l'affaiblissement de la réforme. Les
caractères se détrempant au contact d'un monarque rail-
leur, parjure, vicieux, on fit bon marché des libertés pu-
bliques, et dans l'espace de deux siècles, la nation ne fit
entendre que deux fois sa voix, en 1614 et en 1789. Elle
abdiqua entre les mains de ses rois, et se priva de ce qui
fait la vraie grandeur d'un peuple, du droit de se gouver-
ner lui-même par ses représentants; l'abdication fut telle,
qu'un jour le petit-fils de Henri IV put dire, en entrant
dans le parlement de Paris, botté, éperonné, une crava-
che à la main : «L'Etat, c'est moi ! » Et pas une seule voix
n'osa s'élever contre cette monstrueuse prétention qui im-
posait aux descendants des vieux Francs, un gouvernement
à la turque, sous le fouet d'un jeune despote de vingt ans.
Ce jeune homme fit, il est vrai, de grandes choses; mais il
prit à la France son dernier homme et son dernier écu; il
lui prit quelque chose de plus précieux que son or et son
sang : il lui enleva sa dignité , et corrompit ses mœurs par
les mauvais exemples qu'il lui donna. Après une vie de
1. Nul ne le surpasse.
50 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
scandales et de brillantes débauches, Louis XIV se crut re-
ligieux, et ne fut qu'un dévot à idées étroites et au cœur
sans entrailles; il révoqua l'édit de Nantes, qu'il avait juré
d'observer le jour de son sacre , et crut trouver dans ses
dragons convertisseurs le pardon de ses nombreux péchés.
Dans son aveuglement , il ne s'aperçut pas qu'il souillait
son règne d'une tache indélébile, et qu'en faisant prendre
aux prolestants le chemin de l'exil, il privait son royaume de
leurs vertus et de leur industrie, et l'apauvrissait pour de
longues années; son soleil, à son couchant, fut aussi som-
bre qu'il avait été brillant et radieux à son matin. Quand il
mourut, nul ne le pleura, nul ne le regretta: il laissa son
royaume dans un état complet d'épuisement, et la reli-
gion catholique, pour le triomphe de laquelle il avait fait
tant de sacrifices et rendu tant d'arrêts iniques, s'en allait
en lambeaux; en voulant la sauver, il la compromit, et lui
porta un coup dont elle ne s'est plus relevée. Montaigne
avait appris à la France à douter ; Louis XIV la prépara à
ne croire à rien.
Le régent, qui vit de près le vieux roi, ne se sentit que
mépris pour une religion dont son oncle lui paraissait la
plus parfaite personnification ; il la rejeta comme quelque
chose d'odieux et d'incommode, et brisant tout frein, il
conduisit la France au dévergondage et à la banqueroute;
à la bigotterie, succéda l'impiété; Voltaire parut, il frappa
à coups redoublés sur le catholicisme, qu'il eut le malheur
de confondre avec la religion du crucifié; il immola le
clergé à son impitoyable raillerie, lui reprocha ses mo-
meries et ses cruautés, et fit tomber, de ses mains, les
instruments de supplice, avec lesquels il avait vaincu la
réforme ; et tout cela se passait pendant que quelques
àbbés battaient des mains à chacune des hardiesses du phi-
losophe, et que l'ignoble Louis XV dînait avec Richelieu,
soupait avec la du Barry, et disait avec insouciance: «Cela
durera autant que moi»; puis vint Louis XVI, le bouc
émissaire de sa race; la Convention le- décapita, lui, sa
femme, sa sœur, ses plus fidèles serviteurs; délivrée de
ses rois , la Nation fut comme une lave qui sort d'un cra-
tère enflammé; mais cette lave, d'où devait sortir son in-
dépendance, alla se refroidir aux pieds du vainqueur de
Marengo; avec lui, la France gagna des batailles, conquit
LIVRE XXII.
51
des royaumes , planta son drapeau victorieux au Krem-
lin et sur le sommet des pyramides , et tomba , épuisée
d'hommes et d'argent, avec son maître à Waterloo, d'où
elle se releva avec des libertés, qu'elle ne sut pas con-
server; trois fois les descendants du Béarnais prirent
avec tristesse le chemin de l'exil ; et aujourd'hui, ce Paris,
que leur ancêtre échangea contre une messe , ne con-
serve d'eux que ce qu'un peuple conserve de ses anciens
maîtres, des statues, des monuments et quelques stériles
souvenirs.
Si, doué de la seconde vue, Henri IV eût pu, au mo-
ment de son abjuration , voir ce que sa conversion donne-
rait à la France et à sa race , il n'eût pas hésité. Il eût
demandé à son épée, et non à un parjure, le soin de mettre
sur sa tête la couronne de ses aïeux; peut-être eût-il
réussi : mais, s'il fût mort en soldat, il eût laissé un nom
aussi grand et une réputation plus pure.
XXI.
Immédiatement après la cérémonie de Saint-Denis, le
roi se hâta d'écrire à toutes les bonnes villes du royaume,
pour leur apprendre la grande nouvelle de sa conversion ;
«enfin nous avons, Dieu merci, écrivait-il à leurs magis-
trats, conféré avec les prélats des points sur lesquels nous
devrions être éclairci, et après la grâce qu'il a plu à Dieu
de nous faire par l'inspiration de son Saint-Esprit, que nous
avons recherché de tous nos vœux et de^ tout notre cœur
pour notre salut, nous avons reconnu l'Église catholique,
apostolique et romaine être la vraie Eglise de Dieu , pleine
de vérité et laquelle ne peut errer; nous l'avons embrassée
et sommes résolu d'y vivre et mourir.» '
Henri IV écrivit en même temps au pape dont l'appui
lui était nécessaire pour désarmer les ligueurs qui décla-
raient ne vouloir jamais reconnaître pour monarque un
hérétique excommunié. «Très-saint Père, disait Henri IV
au pontife, je me suis volontiers soumis, le dimanche 25
juillet; j'ai ouï la messe et joint mes prières à celles des
1. Mss. de Béthune, n»9114/91 (25]umet 1593). — Capefigue,
Henri IV et la ligue, vol. VI, p. 339.
52 HISTOIRE DE LA RÊFORMATION FRANÇAISE.
bons catholiques, comme incorporé à ladite église avec ferme
intention de persévérer toute ma vie et de rendre l'obéis-
sance et le respect dus à Votre Sainteté et au Saint-Siège,
ainsi qu'ont fait les rois très-chrétiens mes prédécesseurs.»
Il lui annonçait enfin l'envoi d'une ambassade'. Sa conver-
sion accomplie, Henri IV était conséquent avec lui-même;
sa démarche auprès du pape, que quelques historiens qua-
lifient de servile, n'était que la conséquence de son abju-
ration et une réponse immédiate faite à la protestation du
cardinal de Plaisance contre la cérémonie du 23 juillet.
Quand cet orgueilleux prélat déclarait «que le pape seul
pouvait connaître de cette affaire»', il était naturel que le
roi s'adressât au seul homme qui pût lever l'anathème qui
pesait sur lui. Au légat il opposa le pape; c'était de la
bonne et habile politique. Il eût atteint facilement son but,
si le prêtre qui l'avait excommunié eût été sur le trône
pontitical; mais son successeur, le faible Clément XIII,
n'était qu'un pâle reflet de l'indomptable Sixte-Quint. La
main de Philippe II pesait trop lourdement sur lui , pour
qu'il pût, par une prompte absolution, répondre à l'impa-
tience du nouveau converti.
XXII.
Les protestants sentirent vivement le coup funeste que
l'abjuration portait à leur cause ; ils courbèrent la tête , les
uns humiliés, les autres douloureusement impressionnés.
Ceux qui étaient plus politiques que religieux, laissaient
éclater leur colère et appelaient ingrat le maître qu'ils
avaient servi avec tant de fidélité et qui les abandonnait au
moment où, plus que jamais, ils étaient décidés h verseï
pour lui la dernière goutte de leur sang; ceux qui étaient,
avant tout, huguenots et qui comprenaient la haute impor-
tance de ces paroles de nos livres saints « que servirait-if
à im homme d'avoir le monde entier s'il perdait son âme, »
gémissaient de voir leur maître renier la religion du Christ
pour celle de l'antéchrist romain, et devenu ainsi le per-
vertisseur de ses sujets. « C'est dans l'angoisse et le trouble,
1. Mss. de Jlesmes, in-fol., t. XII, n» 8931/17.
2, Ide/n, n» 8777/3.
LIVRE XXII.
5»
écrivait Théodore de Bèze à GrjTiée , que je songe à la
chute de ce prince sur lequel reposaient tant d'espérances
et qui vient de contrister si cruellement l'Église de Dieu
et ses anges ! Je ne m? console que par la pensée de n'a-
voir manqué à aucun de mes devoirs envers le roi ; je lui
ai adressé une longue et sérieuse lettre qui devait produire
sur lui quelque impression, si le message était arrivé à
temps à travers les mille difficultés de la route.» '
La nouvelle de l'abjuration du roi fit une pénible im-
pression en Allemagne et en Angleterre. La reine Elisabeth
à qui Henri lY apprit sa grande décision laissa éclater sa
douleur plus politique que religieuse dans la lettre sui-
vante :
«Ah quelles douleurs ! et quels regrets et quels gémis-
sements j'ai sentis en mon âme parle son dételles nouvelles
que Morlans m'a contées! Mon Dieu, est -il possible
qu'aucun mondain respect dût effacer la terreur que la
crainte divine menace! Pouvons-nous, par raison même,
attendre bonne séquelle d'actes si iniques? Celui qui
vous a maintenu et conservé par sa merci, pouvez-vous
imaginer qu'il vous permît aller seul au plus grand be-
soin? Or, cela est dangereux de mal faire pour en espé-
rer du bien; encore espérais-je que plus saine inspiration
vous adviendra. — Cependant je ne cesserai de vous
mettre au premier rang de mes dévotions pour que les
mains d'Ésaû ne gâtent les bénédictions de Jacob. Et où
vous me promettez toute amitié et fidélité, je confesse
l'avoir chèrement méritée, et ne m'en repentirai, pourvu
que ne changiez de père (autrement ne serai pour vous
que sœur bâtarde de par le père) ; car j'aimerai toujours
plus le naturel que l'adopt; je désire que Dieu vous guide
en droit chemin et meilleur sentier. Votre très-assurée
sœur, Sire,, à la vieille mode; avec la nouvelle je n'ai
que faire. Elisabeth. » '
1 . Cette lettre n'arriva qu'après l'abjuration. — Bulletin de l'his-
toire du protestantisme français, année 1552, p. 40.
2. Bibliothèque royale, mss. de Colbert, in-fol. , M. R. D., >ol,
eoté 16, fol. S29.
54
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇjI ISE.
XXIIL
Pendant que les réformés laissaient éclater leurs me-
naces et leurs douleurs, que faisaient les ligueurs? Ils
passaient tour à tour de la consternation à la colère et de la
colère à la consternation. Au Heu de voir dans l'abjuration
le triomphe de leur cause, ils ne voulurent y voir qu'un
leurre. Après avoir vainement tenté de monter sur le trône
par les armes, le Béarnais essayait d'y monter par une
conversion; c'était évident. La cause du catholicisme pa-
raissait plus menacée que jamais; la plus vulgaire prudence
faisait donc aux partisans de la Sainte-Union un devoir sa-
cré de ne pas déposer les armes et d'être plus vigilants que
jamais.
Quelques historiens ont accusé les ligueurs d'avoir man-
qué de logique dans cette circonstance; selon eux, ils au-
raient dû faire immédiatement acte de soumission , puisque
Henri IV, doublement fils de Saint-Louis par le sang et
par la foi, satisfaisait aux exigences de la religion et de la
politique. Au lieu de voir l'abjuration avec défiance, ajou-
tent-ils, ils auraient dû acclamer en elle le triomphe de
leur cause, puisqu'ils étaient délivrés de la crainte d'avoir
un roi huguenot. Soyons plus justes à leur égard. Dans ce
moment difficile ils furent plus que logiques, ils furent
prudents; en effet, le roi ne leur inspirait aucune con-
fiance, ni par ses mœurs, ni par son passé. Ce prince li-
cencieux qui, par intérêt, se convertissait, avait déjà une
fois renié le catholicisme, ne pouvait-il pas le renier une
seconde fois? Fallait-il donc lui ouvrir les portes de Pa-
ris et mettre dans ses mains les clefs de toutes les bonnes
villes du royaume? Les ligueurs raisonnaient juste. Quand
un homme a une fois manqué à sa parole, il perd le droit
d'être cru, et plus tard, quelques droites que soient ses
intentions , il efface difficilement les impressions premières.
C'était le cas de Henri IV qui s'était fait catholique sans
conviction, mais qui, sincèrement, voulait demeurer ca-
tholique.
Les ligueurs raisonnaient bien, mais ils agirent mal;
d'une cause bonne ils firent une cause détestable; leurs
excès gâtèrent tout. Leurs prédicateurs furent d'une vio-
LIVRE xxn.
55
lence inouïe. Le curé Boucher, entre tous, se distingua
par son audace; neuf fois il monta en chaire et neuf
fois il signala le roi à la haine et au poignard de ses audi-
teurs; sarcasmes, injures, railleries, moqueries, menson-
|S;es , tout devint flèche entre les mains du prêtre. Le but
final de tous ces discours était de prouver que le roi n'avait
abjuré que pour se frayer une route au trône. « C'est faire
lort, disait-il, à la grâce de l'Esprit saint que de la faire
si amère qu'elle ne puisse s'avaler qu'avec le sucre d'un
royaume. » «Pour caractériser le roi, on dirait, dit Charles
Labitte, qu'il s'agit de Caligula ou de Néron. C'est, dit le
fougueux curé, un hérétique, un relaps, un sacrilège, un
brûleur d'églises, un corrupteur de nonains, un massa-
creur de religieux et de prêtres, un qui n'a fait en sa vie
autre chose que faire la guerre à l'église, répandre le sang
des catholiques, un, enfin, qui, de tout temps, s'est re-
bellé contre la patrie.*
Parle-t-il de ses partisans, il s'écrie: «Qui appuie le
nouveau converti au parlement, entre les évêques, à la
Sorbonne, dans le peuple?
Qui parmi les magistrats? quelque larron de finances,
quelque roseau à tous vents , quelque bon valet à vendre ! »
Qui parmi les évêques? Ceux qui sont connus par leur
vie épicurienne... des ignorants qui boivent comme tem-
pliers en leurs cruels et démesurés verres , qui ont pour
gausser à leur table les reliques de Rabelais, et dont le
plus beau métier est de danser; ceux, enfin, qui ont à
peine vu la pointe des clochers de leurs diocèses et ne
disent messe ni matines.
Qui parmi les docteurs, parmi les curés sortis pour l'al-
ler convertir? le rebut et ordure de Paris, des mignons
apostats, joueurs de cartes reconnus concubinaires, des
écrivains brouille-papiers, vieux fondateurs d'hérésie,
papes par fantaisie.
Qui, enfin, parmi le peuple? quelque blasphémateur,
quelque mignarde fardée ou folle de renom qui aura couru
a cette danse.
L'orateur parle-t-il de la cérémonie de l'abjuration? Il
la raconte en la caricaturant : « Quelle cendre , dit-il ,
1. Charles Labitte, chap. IV, g 1, p. 195.
56
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
quelle haire? quels jeûnes? quelles larmes? quels sou-
pirs? quelle nudité de pieds? quel visage baissé? quelle
humilité de prières? quelle prostration par terre en signe
de pénitence? Les gens de guerre embâtonnés', les fifres,
les tambours sonnants, l'artillerie et escopeterie, les trom-
pettes et clairons, la grande suite des gentilshommes , les
demoiselles parées; la délicatesse du pénitent appuyé sur
le col d'un mignon, pour le grand chemin qu'il y avait à
faire, environ cinquante pas, depuis la porte de l'abbaye
jusqu'à la porte de l'église ; la risée qu'il fit regardant en
haut avec un bouffon qui était à la fenêtre. — «En veux-tu
pas être?» Le ders, l'appuy, les oreillers, les tapis semés
de fleurs de lys, l'adoration faite par les prélats à celui
qui se doit soumettre et humilier devant eux, sont les traits
de cette pénitence. »"
Quel contraste entre le langage de Boucher et celui de
Saint-Paul qui , vivant dans des temps orageux et difficiles,
enseigne aux chrétiens de son temps l'oubli des injures et
l'amour pour ses ennemis!... quel contraste même avec
celui des huguenots abandonnés du maître qui paie leurs
services par la plus grande ingratitude! Ne dirait-on pas
qu'une furie s'est incarnée dans ce prêtre qui se proclame
le ministre fidèle de la plus fidèle des églises.
Les discours de maître Boucher et de ses collègues nui-
sirent au bon effet que le roi attendait de son retour à la
foi catholique. Son abjuration eut cependant quelques ré-
sultats immédiats: le peuple commença à soupirer après la
paix; les ligueurs les plus modérés n'attendaient qu'un
mot de Rome pour déposer les armes, ou mieux encore
une proposition du roi pour lui vendre leur soumission; la
trêve qui avait suspendu les hostilités permettait aux bour-
geois de sortir de la ville et d'aller à Saint-Denis se mêler
aux troupes royales; le roi les recevait avec une grande
affabilité. Il avait toujours aux lèvres quelques bons mots
qui se gravaient dans la mémoire et qui, se répétant de
bouche en bouche, allaient apprendre aux ligueurs «que
ce teigneux de Béarnais n'était pas si abominable que leurs
prédicateurs le leur représentaient. » Mayenne redoutant
1. Neuf discours sur la simulée conversion, de la nullité de I»
prctendiie conversion de Henri de Bourbon , prince de Béarn.
LIVRE XXII.
57
le résultat des visites des bourgeois à Saint-Denis, les in-
terdit et nul à l'avenir ne put y aller sans autorisation.
Le lieutenant-général qui connaissait les ruses du roi et
sa promptitude à exécuter ses projets , mit la ville sur un
bon pied de défense. Pendant qu'il le faisait, les États gé-
néraux continuaient leurs séances au milieu des intrigues,
sans pouvoir arrivera une solution, les uns étant trop
espagnols, les autres trop français. En désespoir de cause,
ils renouvelèrent le serment de l'union' et ordonnèrent que
le concile de Trente serait reçu eî publié en France,
«dans sa forme et teneur*.» En haine du roi, ils livraient le
royaume au pape. •
1. Serinent prêté par les princes, seigneurs et députés. — Col-
lection des États généraux (1593.)
2. Déclaration sur la publication du ÇOftCiJe de Trepte. — Crt*
lecttOQ des États généraïuL (1593).
53
HISTOIRE CE LA RÉFORMÂTION FRANÇAISE.
LIVRE XXIII.
I.
Les mauvaises maximes comme les mauvaises semences
portent tôt ou tard leurs fruits. La doctrine du régicide
était enseignée avec tant de force et de clarté dans les
(îliaires de Paris , qu'il n'est pas étonnant qu'il se soit
trouvé parmi les ligueurs quelques hommes qui , pre-
nant la place de Grève pour une place sainte, aient cru
monter au ciel par cet étrange chemin. Un nommé Bar-
rière fut de ce nomhre. Ce misérable , jeté d'abord dans
le désespoir par un chagrin d'amour, fut invité par des
prêtres à tuer le roi; «ce sera, lui disaient-ils en secret,
une belle œuvre , qui vous rendra agréable à Dieu. »
Le curé de Saint-André-des-Arcs, Aubry, loua son cou-
rage, et pour l'affermir dans son dessein, le conduisit
chez Varade, recteur des Jésuites, qui leva habilement
tous ses scrupules , mit sa conscience en règle et le fit
confesser et communier par un autre jésuite, qui ignorait
toute l'affaire, et qui, fidèle aux lois de son ordre , dut ou-
blier tout ce qu'il avait entendu. L'assassin acheta un cou-
teau et se mit à l'affût de sa proie. Plusieurs fois il fut sur
le point d'accomplir son crime, et toujours il en fut empê-
ché, tant il lui semblait qu'on le retirait en arrière comme
s'il avait été lié «d'une corde par le milieu du corps.» Il
eût fini par succomber à son horrible tentation, si la con-
spiration n'eût pas été découverte. Carrière fut arrêté à
Melun, où il avait suivi Henri IV. Il nia tout d'abord, puis
avoua à ses juges comment il avait été conduit peu à peu
a ridée de tuer le roi. Il manifesta un vif repentir de son
crime , et maudit ceux qui l'avaient conseillé en lui assu-
rant «que s'il mourrait dans l'entreprise, son âme, enlevée
par les anges, s'envolerait dans le sein de Dieu, où il joui-
rait d'une béatitude éternelle.» Il dit qu'ils l'avaient averti
que s'il lui arrivait d'être pris et appliqué à la question , il
se gardât bien de nommer aucun de ceux qui lui avaient
UVRE XXIII.
59
conseillé cette action, qu'autrement il serait sûr d'être
damné éternellement. '
Les juges condamnèrent Barrière à être rompu vif le
31 août 1593. L'arrêt qui le frappa accrut la haine qu'on
commençait à avoir contre les jésuites ; on ne vit en eux
que des séditieux et des fauteurs de troubles. L'orage qui
grondait sur leur société , éclatera plus tard avec une grande
violence.
Ces victoires que le roi remportait sur la ligue effrayaient
les réformés ; elles avaient lieu à leurs dépens. Les hommes
qui étaient infidèles à leur parti, tenaient à être fidèles à
leur église et à montrer leur haine pour les huguenots.
C'était une indulgence qu'ils s'administraient; le zèle du
catholique amnistiait le traître. Chaque gouverneur fit ses
conditions; chacun, sans doute, ne se montra pas égale-
ment rigoureux, mais tous, sans exception, exigèrent que
le culte catholique fût seul célébré dans les villes dont ils
étaient gouverneurs.
II.
Les protestants étaient toujours sous le poids de la dou-
leur que leur causait l'abjuration du roi. Ils se montraient
tristes et défiants; pendant si longtemps ils avaient cru
une si grande apostasie impossible , et elle s'était accom-
plie sous leurs yeux ! des bruits alarmants venaient les
troubler et ajouter à leurs craintes; ils avaient appris que
des négociations étaient ouvertes avec Philippe II , dans le
but de marier l'infante avec Henri IV; or, de cette alliance
avec leur implacable ennemi que pouvait-il résulter, « si ce
n'est d'oflrir pour douaire à la princesse les tètes des pré-
tendus riiiiistins?»'
1. L'Esloile, année 1693. — Davila, liv. XIV. — D'Aubigné,
liv. m, ph. 25, p. 299. — De Tliou, liv. CVII. — Mémoires de la
liyiio, t. V, p. 430, — Bref, Discours du procès crimiii'îl fait à
l'ierre Barrière, dil f a Earre, natif d'Orléans, accusé de 1 horrible
et oxèerable parricide et assassinat, par lui entrepris et attenté
conlre la personne du roi.
2. Mémoire de Duplessis-Mornay, t. V, p. 534-535. — Ces né-
frccialions eurent lieu, mais elles échouèrent par la faute de
!,a Varenne, chargé de suivre celte affaire. — Mémoires de Sully,
t. II, ch. 12.
60
HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
Dans l'extrémité où ils se sentaient réduits, les réfor-
més avaient des réunions dans lesquelles ils débattaient
chaudement leurs intérêts; leurs plaintes contre le roi
étaient vives, fréquentes, amères; ils le traitaient de par-
jure, d'ingrat; on se posait la question, s'il fallait se choi-
sir un autre protecteur, puisque Henri de Bourbon les
avait abandonnés. Leurs regards se tournaient alors vers
le duc de Bouillon. Les plus puissants de leurs chefs se
demandaient s'ils ne devaient pas séparer leur cause de la
cause royale «et empêcher, les armes à la main, qu'on
n'entreprît rien contre la liberté de conscience. »
Cette dangereuse proposition fut heureusement et vive-
ment combattue par les tièdes du parti qui étaient fatigués
de guerre et ne soupiraient qu'après le repos et les dignités,
3u'ils espéraient trouver auprès du monarque à la gran-
eur duquel ils avaient concouru. Le plus ardent de ces
avis le plus grand nombre, en leur faisant espérer que le roi
n'oublierait jamais le service de ses anciens coreligion-
naires et en leur montrant que la séparation de leurs in-
térêts de ceux du roi aboutirait à leur ruine. On décida
donc que les églises enverraient au roi des députés pour
lui demander des garanties pour le libre exercice de leur
culte et la sûreté de leurs personnes. _
Les députés des églises se dirigèrent vers la ville de
Mantes pour exposer leurs pjaintes au roi; celui-ci redoutait
de se trouver en présence de ces hommes qui avaient par-
tagé ses fatigues et ses périls, et l'avaient soutenu dans ses
mauvais jours. Avant de les recevoir, il demanda à Mornay
de lui faire connaître ce qu'ils pensaient de son change-
ment; celui-ci le fit dans une lettre naïve et longue dans
laquelle éclatait toute la douleur de ce fidèle huguenot.
«Voyez, Sire, lui disait Mornay, par quels degrés on
vous a mené à la messe; on vous disait: vous désirez la
réformalion; nous sommes pleins d'abus; entrez seule-
ment dedans , vous les répugnerez. Mais avant d'y entrer,
on vous a obligé aux plus grossières et aux moins tenables.
1. Capeflgue, t. VI, p. 302.
tièdes fut Rosny
habileté , sut entraîner à son
IIL
LIVRE xxm.
61
Ceux qui sont crus d'un chacun ne pas croire en Dieu ,
vous ont fait jurer les images et les reliques , le purga-
toire et les indulgences. Vos pauvres sujets , par ce même
chemin, vous voient mener plus outre. Ils voient que vous
envoyez faire soumission à nome; ils savent que l'absolu-
tion ne peut être sans pénitence; ils lisent qu'en pareil
cas les papes ont imposé à vos prédécesseurs de passer
outre-mer contre les infidèles. Ils se résolvent donc, Sire,
que le pape , au premier jour, vous enverra l'épée sacrée;
qu'il vous imposera la loi de faire la guerre aux hérétiques,
et sous ce nom comprendra les plus chrétiens, les plus
loyaux Français , la plus sincère partie de vos sujets. Cet
arrêt vous sera dur de prime face; il offensera votre bon
naturel. — Faire la guerre à mes serviteurs ! ceux de qui
j'ai bu le sang en ma nécessité! — Mais on a prou de
moyens pour les vous adoucir, Sire, vous avez tant fait, il
faut plus passer outre... Aux soupçons s'iijoutent des effets,
indices des mauvais desseins de ceux qui vous possèdent,
et précurseurs de plus dangereux à l'avenir. Le prêche
déjà exilé de votre cœur, afin de les bannir en conséquence
de votre maison; car qui le voudra n'y pourra vivre, ou
vous y servir sans servir Dieu , exilé même de vos armées,
afin de les reculer de votre service, et conséquemment
. des charges et honneurs ; car quel homme de bien y pourra
subsister, en danger tous les jours d'être blessé, d'être
tué, sans espoir de consolation, sans assurance seulement
de sépulture? Qu'on minute d'exclure tous ceux de la re-
ligion des principales charges de l'Etat, de la justice, des
finances, de la police; de telles faveurs, selon leur mo-
destie et patience , ils prennent à témoin Votre Majesté
Su'ils ne l'ont guère importunée; mais vous supplient aussi
e juger s'il est raisonnable qu'ils fassent ce tort à leurs
enfants, de les eu rendre privés... Vous ne prendriez plai-
sir de leur voir un protecteur, vous seriez jaloux s'ils s'a-
dressaient ailleurs qu'à vous. Sire, voulez-vous bien leur
ôter l'envie d'un protecteur, ôtez-en la nécessité; soyez-le
donc vous-même, continuez, dessus eux, ce premier soin,
cette première affection; prévenez leurs supplications par
un plein mouvement, leurs justes demandes, par un vo-
loiilaire octroi des choses nécessaires.»'
1. Mémoires de Duplessis-Mornay, t. Y, p. 534 -535.
Q2 HISTOIRE DE LA RÉFORHATIOM FRANÇAISE.
IV-
La lettre de Duplessis blessa Henri FV sans l'étonner ;
il voulut le voir seul, afin de s'accoutumer au visage des
réformés et à leurs remontrances. L'entrevue eut lieu à
Chartres. Le roi s'efforça de justifier son changement de
religion et blâma ceux des protestants qui l'avaient imité ,
parce qu'ils n'avaient pas les mêmes raisons que lui pour
abandonner la foi de leurs pères. «Je me suis, lui dit-il,
sacrifié pour mon peuple et le repos de nos églises. » Cette
confession toucha peu Mornay, il crut cependant son maî-
tre sincère quand il l'assura que son affection pour les
protestants était toujours la même.
Les catholiques qui redoutaient de voir le roi et les dé-
putés en présence, s'efforçaient de perdre les protestants
dans l'esprit du monarque et dans 1 opinion publique; ils
faisaient circuler des bruits étranges et calomnieux; ils
accusaient même Mornay d'avoir voulu faire à Saumur une
Sainte-Barthélémy de catholiques, pour venger les réfor-
més de ce qui leur était arrivé vingt et un ans auparavant
aux matines de Paris. Ce bruit , que l'honorabilité bien con-
nue de Duplessis aurait dû faire rentrer dans l'ombre,
prit une telle consistance que l'accusé crut devoir porter
plainte au parlement qui, tout en constatant la calomnie,
ne donna pas au plaignant la satisfaction qu'il avait droit
d'attendre.'
Les menées des catholiques ne purent cependant em-
pêcher les députés d'arriver jusqu'au roi; celui-ci eût bien
voulu les éviter, mais l'expérience qui lui avait appris
tout ce qu'il y avait de fort et d'indomptable chez les hu-
guenots quand ils étaient sous le joug d'une injuste op-
ression, craignit de les mécontenter; il les reçut à Mantes.
'entrevue eut le caractère de contrainte et de réserve
qu'elle devait naturellement avoir ; les députés forent res-
pectueux, mais fermes, et firent entendre au monarque de
rudes et austères vérités. Le roi se contint; il sentait que
les plaintes étaient justes et que ce n'était pas le moment
de rompre. Il les écouta avec une grande bienveillance ,
1. Mémoires de Duplessis-Mornay, t. V.
LIVRE XXIII.
63
reçut leurs cahiers qu'il remit à son chancelier « et leur
fit espérer de leur donner contentement. »
Les catholiques, qui n'avaient pu empêcher le roi de re-
cevoir les députés , l'invitèrent à les renvoyer sans les sa-
tisfaire, avec la promesse seulement d'examiner leurs
cahiers, et de leur répondre dans trois mois; Mornay et le
maréchal de Bouillon s'y opposèrent énergiquement. «Les
protestants , lui dirent-ils en insistant, ne prendront con-
seil que de leur désespoir, quand ils verront qu'on les
amuse. » Le roi céda et il fut décidé qu'en attendant la
publication d'un édit on en dresserait les statuts. Sept
commissaires catholiques furent nommés à cet effet, afin
d'écarter tout soupçon de partialité. Après plusieurs séances,
ils ne savaient ni par où commencer ni par où finir. On
leur adjoignit Mornay et le maréchal de Bouillon. Après
de longues discussions, les commissaires convinrent de
plusieurs articles dont voici les principaux: Rétablissement
de l'édit de 1577 avec les interprétations des conférences
deNérac et de Fleix; révocation des édits de la ligue; ré-
tablissement de la religion catholique dans les lieux où elle
avait été interdite par suite de la guerre ; célébration du
culte réformé dans les villes de l'obéissance du roi; per-
mission à Madame, sœur du roi, de célébrer son culte chez
elle à la cour; paiement annuel d'une somme pour l'en-
tretien des pasteurs, etc., etc.
Le travail des commissaires terminé, on le communiqua
aux députés des églises, qui ne furent pas satisfaits. Les
concessions leur parurent insuffisantes ; en effet , elles ne
les garantissaient, ni du mauvais vouloir, ni de l'animosité
des catholiques. Ils se plaignirent à Henri IV, qui leur
donna en compensation la permission de convoquer des
assemblées provinciales, afin d'y faire le rapport de tout ce
qui s'était passé à Mantes et de se préparer à la tenue d'un
synode national.
Avant de quitter Mantes , les députés , sous les yeux et
avec l'approbation du roi, renouvelèrent solennellement
le serment d'union des églises. En présence des maux qui
leur paraissaient imminents, ces hommes intègres et cou-
rageux jurèrent de vivre et de mourir pour la défense
d'une foi qui leur était plus chère que leur vie. Ce fut un
spectacle bien touchant que le serment de ces hommes
r
\
64 HISTOIRE DE LA nÉFORMATlON FRANÇAISE.
que trente ans de luttes adiarnées n'avaient pu abnllre et
qui, comme Mo'ise, préféraient l'opproijre du Christ aux
délices du monde. Ils auraient pu cependant imiter le maî-
tre qui les avait abandonnés, et trouver, à sa cour, des fa-
veurs, des places, des dignités. Ils ne le voulurent pas.'
Pendant le séjour des députés à Mantes , on essaya d'en
détacher quelques-uns de leur parti, en leur présentant
pour appât la protection royale et des dignités. Des confé-
rences mêmes furent ouvertes entre les ministres et Du
Perron qui faisait semblant de croire que le roi s'était con-
verti plutôt devant la puissance de ses arguments que de-
vant des raisons de haute politique. Rotan, célèbre pasteur
protestant, accusé plus tard, quoique à tort, de s'être
laissé séduire par les promesses de la cour, chercha des
prétextes pour ne pas controverser avec Du Perron sur
la question de la suffisance de la Sainte-Ecriture. Le mi-
nistre Berault se présenta à sa place ; mais quand le
clergé vit que les conférences ne prenaient pas une tour-
nure favorable', il eut l'habileté de les faire rompre, sans
avoir cependant l'air de battre en retraite. Il proclama
bruyamment ses triomphes; les protestants, pour démon-
trer le contraire, nommèrent l'année d'après, dans leur
synode de Montauban, douze personnes, pour continuer
les conférences , si Du Perron voulait les reprendre. Il
n'en fut dès lors plus question.
Après le départ des députés, les intrigues continuèrent.
Des ordras secrets furent envoyés aux gouverneurs des
provinces pour empêcher les ministres de se prononcer
avec trop de force contre la conversion du roi; on ne vou-
lait pas qu'ils continuassent à l'appeler une révolte. On
obligeait également quelques prédicateurs de la ligue à
modérer leur langage. On put ainsi présenter la cérémonie
de Saint-Denis d'une manière tellement adoucie qu'il y
eut parmi les protestants même des hommes qui crurent
fiouvoir imiter le monarque. Il est vrai qu'ils trouvaient
eur intérêt particulier à être de la religion du plus grand
nombre. Les conciliateurs abondèrent ; la facilité avec
1. Élie Benoit, Histoire de l'édit de Nantes, t. I", p. 111.
2. Ils croyaient que Rotan s'était laissé séduire , et que, dans la
discussion, il se laisserait systématiquement vaincre par Du Perron,
LIVRE xxni.
65
laquelle ils faisaient bon inrrché des principes, entraîna
plusieurs de leurs coreligionnaires dans les voies de
l'apostasie.
V.
Le spectacle que présentait Paris à cette époque est aussi
curieux qu'instructif. Les ligueurs et les royalistes se li-
vraient des combats de plume et lançaient les uns contre
les autres des pamphlets, dont quelques-uns ont survécu à
l'oubli, cette fosse commune des écrivains. Immédiatement
après l'exécution de Barrière, les royalistes firent paraître
la démonologie de la Sorbonne la nouvelle. Dans cet écrit
ils accusaient la faculté d'être possédée du démon , et d'être
« un repaire de brigands et d'assassins. » Le jour des ex-
piations se levait pour cette corporation, qui, depuis le
syndic Bédier, n'avait pas cessé d'éteindre les lumières et
de rallumer le feu; mêlée à tous les grands événements de
l'époque, la Sorbonne s'était fait remarquer par son esprit
intolérant ; tour à tour elle avait proscrit les huguenots et
Henri III, les politiques et le Béarnais; tant qu'elle fut
forte on s'inclina devant elle comme devant l'autorité la
plus vénérée du royaume ; mais quand le procès de Bar-
rière eut fait croire à sa complicité , les royalistes se
•léchaînèrent contre elle et l'accusèrent hautement d'en-
seigner les hérésies suivantes : '
i° Il est permis aux sujets de se rebeller contre leur
roi légitime.
2° Il est permis au peuple de désobéir aux magistrats et
de les pendre.
3° Qui meurt en faisant la guerre contre son roi est
martyr.
4° C'est à la Sorbonne (qu'ils tiennent aujourd'hui
comme un empire ou plutôt état tyrannique) à juger si le
pape doit recevoir le roi et si, d'aventure, il le faisait,
chose qu'ils craignent fort, le déclarer hérétique et ex-
communié.
5° Il est impossible que le roi se convertisse.
6° Il n'est pas en la puissance du pape d'absoudre le
roi et le remettre en son état.
1. Mémoires de la ligue, t. V, p. 403 et suiT.
mSTOIRE DE LA ni?FORMATION FRANÇAISE.
?• Il est permis de médire des princes et seigneurs ,
tant spirituels que corporels, soit en public, comme ils
font, soit en particulier, comme ils enseignent le peuple à
faire.
8° Que la messe qu'on chante devant le roi est une farce.
9° Qu'il est permis au sujet d'assassiner son roi.
10° Que quand Dieu descendrait du ciel et dirait que le
roi fût converti, il ne faudrait pas le croire. '
VI.
L'avocat Louis d'Orléans défendit les ligueurs dans son
Banquet du Comte d'Arèle. Cet écrit est indigne de l'au-
teur de la célèbre adresse d'un Catholique anglais aux
Catholiques français. On est même surpris de voir paraître
le pamphlétaire dans la lice après sa séparation d'avec les
Seize. Cependant sa participation à ces luttes s'explique
par son indigence, qui, vraisemblablement, ne sut pas
résister aux doublons d'Espagne.
Dans le Banquet du Comte d'Arête des personnages cau-
sent entre eux sur l'élal présent des affaires du royaume.
Parmi eux se trouve une jeune fdie de dix à douze ans, qui
entre en scène en chantant le refrain suivant :
Je suis bien jeune et plus tcndrette
Que n'est le bois de la coudrette;
Mais je vous dis sans fiction
Que celui qui n'aura envie
Pour la ligne cspandre sa vie.
N'aura pas mon alTection.
-Sans elle le peuple de France
Gémissait sous la violence.
Et perdions la religion.
Celui doue qui n'aura envie
Pour la ligue cspandre sa vie.
N'aura pas mou affection.
Un des interlocuteurs prend ensuite la parole et énu-
mère successivement les raisons qui rendaient suspecte la
1 . La Sorbonue désavoua plus tard ces maximes , et prétendit
que la partie la plus saine de ses membres les a toujours désa-
vouées. Mais sa bénédiction du couteau de Jacques Clément?
LITRE XXm.
67
foi du nouveau converti, parmi lesquelles il n'oubliait pas
de mentionner celles tirées de ses mœurs licencieuses et
de ses changements antérieurs de religion. «Ceux de son
parti, disait le pamphlétaire, le tiennent pour perfide,
pour un écervelé, pour un taquin, pour un faquin, pour
un méchant, pour un athée, pour un homme perdu de tous
vices , pour un vrai diable, et vous le louez et en faites un
saint par-dessus Saint-Louis ! je voudrais bien leur de-
mander comment la religion est assurée en sa main, car
il y a trente-six ans et plus que toujours il cherche de la
dévorer. Il était baptisé catholique, depuis il s'est fait hé-
rétique; il redevient catholique à la Sainte-Barthélémy; le
voilà aujourd'hui catholique , ne sera-t-il pas demain hé-
rétique ? »
De quel étroit lien tiendrons-nous arrêtée l'inconstante
façon de ce nouveau protée ! Je ne puis que je vous dise un
quatrain qu'on m'a donné »ur ce sujet, et que je ne vous
fasse part de la réponse qui est à propos de mon discours,
car les politiques disaient:
La couronne appartient à Henri de Bourbon,
n n'y a qu'à tenir; il n'est plus hérétique.
Qu'en dites-vous ligueurs? Vous n'avez pas du bon;
11 faut ployer sous lui, puisqu'il est catholique.
nÉPONSE.
Si catholique il est, jamais nul de nos Rois
Ke le fut tant que lui; non pas S. Louis même:
Car ils ne l'ont été chacun d'eux qu'une fois.
Et Henri de Bourbon l'est jà pour la troisième.'
Le pamphlétaire n'oublie pas les réformés ; il croit qu'on
devrait attacher tous les ministres protestants comme fa-
gots depuis le pied jusqu'au sommet de l'arbre du feu de
la Saint-Jean et mettre le roi dans le muid où l'on met les
chats'. «Ce serait, ajoute-t-il, ua sacrifice agréable au ciel
et délectable à toute la terre. »
1. Chalambeit, Histoire de la ligi.e, t H.
2. C ciait ia coutume à Paris, le jour de la Saint-Jeau, de remplir
na touneaii de chats et de le jeter dans le feu. — L'Estoile,
année 1693.
68
HISTOIRE DE LA RÊFORMATION FRANÇAIS*.
VIL
Les ligueurs lancèrent encore contre les royalistes le
Dialogue du Maheitslre et du Manant; ce pamphlet eut une
importance plus grande que celui du Banquet du comte
d'Arête. L'auteur est probablement Rolland, conseiller aux
monnaies, l'un des Seize'. L'auteur raconte une conver-
sation qui a eu lieu entre un gentilhomme catholique (le
Maheuslre) et un bourgeois de la ligue (le Manant) ; le
dialogue est vif, serré, parfois éloquent; le Manant défend
habilement la prise d'armes de la ligue et son refus de re-
connaître pour roi un prince relaps et sous le coup d'une
excommunication; les ligueurs, selon lui, ne sont qu'en
état de légitime défense; ils usent de la liberté légitime qui,
de tout temps, leur a été acquise pour préserver de toute at-
teinte leur religion, leurs privilèges et leur liberté'. L'au-
teur n'a pas oublié que Mayenne a voulu se substituer aux
Seize et a fait pendre quatre de ses membres les plus zélés;
il sépare la cause du lieutenant-général de celle de la
Sainte-Union et lui porte un coup terrible ainsi qu'aux
princes Lorrains, en les montrant plus préoccupés de la
grandeur de leur maison que de l'intérêt de la France.
L'auteur termine en remettant sa cause à Dieu.
« Le Maheustre : Quel chef avez-vous ?
uLe Manant: Dieu.
«ic Maheustre: Quel secours avez vous, ou espérez-
vous en avoir?
« Le Manant : Dieu.
« Le Maheustre : En qui avez-vous créance et fiance pour
vous délivrer?
«.Le Manant: En Dieu.
«ie Maheustre: Qu'estimez-vous qui vous sauvera des
mains et puissance du roi?
«Le Manant: Dieu.
1. Quelques-uns l'attribuent à Cromé.
2. C'est le raisonnement habituel des iiltraniontains , qui ré*
clament pour eux la liberté de défendre leur cause , et dénient ce
droit à leurs adversaires, parce que, disent-ils, la vérité « «
droit, qui n'appartient pas à l'erreur.
LIVRE XXIII.
69
«Z,e Slaheustre : Comment pensez- vous faire quelque
bon établissement, qui le soutiendra?
«ie Manant : Dieu.
«ie Maheustre: Comment pensez-vous avoir un roi.
vu la contradiction de vos princes? Qui vous le donnera?
<iLe Mananl : Dieu.»
Cette fin ne manqua pas de grandeur; mais Dieu pou-
vait-il prendre en main la cause des Rose, des Âubry, des
Boucher, des Bussy-Leclerc?
Ce pamphlet fut plus utile que nuisible à la cause royale.
En attaquant Mayenne, il affaiblit sensiblement l'influence
du seul homme qui pût, dans ce moment, s'opposer au
roi. Le lieutenant-général irrité de ce qu'on eiit osé s'at-
taquer à sa personne , fit saisir le livre, qui fut lu avec plus
d avidifé. C'est alors que parut le roi des pamphlets, la sa-
tire Ménippée'. Ses auteurs, Leroy, Pierre Pithou, Passe-
rat, Nicolas Rapin, Florent Chrétien immolèrent les prin-
cipaux ligueurs à leur impitoyable raillerie.
Les auteurs supposent que pendant ,qu'au Louvre on
faisait des préparatifs pour la tenue des États, deux char-
latans, l'un Espagnol, l'autre Lorrain, vendaient leurs
drogues et faisaient à qui mieux mieux des tours de passe-
passe; chacun pouvait les voir sans payer. Le charlatan
espagnol monté sur son grand tréteau faisait de la musique
et vendait un électuaire appelé Fir/uiero d'inferno^ ou ca-
tholicon composé. Rien, selon lui, n'égalait la vertu de sa
drogue; la pierre philosophale même ne pouvait lui être
comparée. A côté de lui, le charlatan lorrain faisait triste
figure; il avait beau gesticuler, crier, la foule l'abandon-
nait et se pressait autour de son rival.
Les spirituels auteurs de la Ménippée , après un récit
burlesque d'une grande procession qui eut lieu avant
1. Elle fut ainsi appelée en souTenir de Ménippe de Gadara,
qui a écrit des satires en prose et en vers contre les hommes et
les événements de son siècle. La Ménipée parut d'abord en manu-
scrit , et fut imprimée en 1 594 arec la date de 1593. Elle a eu un
gran^ nombre d'éditions. Charles Nodier en a donné une en 1824,
en 2 vol. in-S" , avec des notes de Du Puy et de Le Duchat. Charles
Labitte en a publié également en 1842 une très-bonne, avec des
notes et ime introduction.
2. Figuier d'enfer. — Voir Note n.
70 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
l'ouverture des États ', font la description des douze tapis-
series qui ornent la chambre des députés et lancent de
fines railleries sur les principaux chefs de la ligue. Sur la
sixième, disent-ils, était dépeint le miracle d'Arqués, où
cinq ou six cents déconfortés% prêts de passer la mer à la
nage, faisaient la nique et mettaient en déroute, par les
charmes du Béarnais, douze ou quinze mille rodomonts,
fendeurs de naseaux et mangeurs de charrettes ferrées ; et
ce qui en était de plus beau , étaient les dames de Paris
aux fenêtres et autres qui avaient retenu place dix jours
devant, sur les boutiques et ouvroirs Saint-Antoine, pour
voir amener le Béarnais prisonnier, en triomphe, lié et
bagué' et comment il leur bailla belle, parce qu'il vint en
autre habit, par les faubourgs Saint-Jacques et Saint-Ger-
main. ■•
Sur la septième on pouvait lire l'histoire de la bataille
d'Ivry. On y voyait Mayenne , monté sur un cheval turc ,
courir bride abattue vers Mantes pour la prendre par le
guichet. Le lieutenant-général criait : «Mes amis, sauvez-
moi et mes gens ; tout est perdu , mais le Béarnais est
mort. » '
Après ce préambule, les auteurs font tour à tour
ftarler Mayenne, le légat, Rose, Pellevé, les principaux
igueurs. La partie capitale de la Ménippée est le discours de
D'Aubray aux Élals : «Paris, s'écrie l'orateur, n'est plus
Paris; mais une spelonque' de bêtes farouches, une cita-
delle d'Espagnols, Wallons et Napolitains; un asyle et sûre
retraite de voleurs , meurtriers et assassinateurs ; ne veux-tu
jamais te ressentir de ta dignité, et te souvenir que tu as
été au prix de ce que tu es '? ne veux-tu jamais te guérir
de cette frénésie qui, pour un légitime et gracieux roi, t'a
engendré cinquante roitelets et cinquante tyrans? Tu n'as
pu supporter ton roi si débonnaire, si facile, si familier,
1 . Note m.
2. Huguenots , allusion au mauvais état de leurs alTaires.
3. Historique.
4. Allusion à la prise des faubourgs.
5. Allusion à ce qui arriva à Mayenne lors de sa défaite à Ivry,
et au bruit qu'il fit courir, en entrant à Mantes, de la mort du
Béarnais.
6. Caverne.
LIVRE XXIII.
74
qui s'était rendu comme bourgeois et citoyen de la ville
qu'il a enrichie, qu'il a embellie de ses somptueux bâti-
ments, accrue de forts et superbes remparts, ornée de
privilèges et exemptions honorables. Que dis-je , pu sup-
porter! c'est bien pis; tu l'as chassé de sa ville , de sa
maison, de son lit. Quoi chassé! tu l'as poursuivi; quoi
poursuivi ! tu l'as assassiné, canonisé l'assassinateur et fait
des feux de joie de sa mort. Et tu vois maintenant combien
cette mort t'a profité ; car elle est cause qu'un autre est
monté à sa place, bien plus vigilant, bien plus laborieux,
bien plus guerrier, et qui saura bien te serrer de plus près,
comme tu as à ton dam' déjà expérimenté...
«Mais je ne puis en discourir qu'avec trop de regret,
de voir les choses en l'état qu'elles sont, au prix qu'elles
étaient alors. Chacun avait encore en ce temps-là du blé
en son grenier et du vin en sa cave ; chacun avait sa vais-
selle d'argent et sa tapisserie et ses meubles ; les femmes
avaient encore leur demi-ceint'; les reliques étaient en-
tières; on n'avait point touché aux joyaux de la couronne.
Mais maintenant qui peut se vanter d'avoir de quoi vivre
pour trois semaines, si ce ne sont les voleurs, qui se sont
engraissés de la substance du peuple et qui ont pillé à
toutes mains les meubles des présents et des absents?
Avons-nous pas consommé peu à peu toutes nos provisions,
vendu nos meubles , fondu notre vaisselle, engagé jusqu'à
nos habits pour vivoter bien chétivement? Où sont nos
salles et nos chambres tant bien garnies, tant diaprées et
[.tapissées? Où sont nos festins et tables friandes? Nous
; voilà réduits au lait et au fromage blanccomme les Suisses.
■ Nos banquets sont d'un morceau de vache pour tout mets;
I bienheureux qui n'a point mangé de chair de cheval et de
i chien, et bienheureux qui a toujours eu du pain d'avoine
I et s'est pu passer de bouillie de son, vendue au coin des
rues, aux lieux où on vendait jadis les friandises de langues,
caillettes et pieds de mouton , et n'a pas tenu à Monsieur
le légat et à l'ambassadeur Mendoce que nous n'ayons
mangé les os de nos pères comme font les sauvages de la
nouvelle Espagne... Où est l'honneur de notre université?
)
1. Préjudice.
2. Parure des FarisieaaeB.
72 HISTOinc DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
OÙ sont les collèges? où sont les écoliers? où sont les le-
çons publiques, où l'on accourait de toutes les parties du
inonde? où sont les religieux étudiants aux couvents? ils
ont pris les armes, les voilà tous soldats débauchés. Où
sont nos châsses, où sont nos précieuses reliques? Où est
la majesté et la gravité du parlement, jadis tuteur des rois
et médiateur entre le peuple et le prince , etc. »
L'orateur, abordant la question du jour, continue et dit:
dEnfin nous voulons un roi pour avoir la paix ; mais nous ne
voulons pas faire comme les grenouilles qui, s'ennuyant
de leur roi paisible, élurent la cigogne qui les dévora
toutes. Nous demandons un roi et cheï naturel et non ar-
tificiel, un roi déjà fait, non à faire, et n'en voulons pren-
dre conseil des Espagnols, nos ennemis invétérés... Le roi
que nous demandons est déjà fait par la nature, né au
vrai parterre des fleurs de lys de France , rejeton droit et
verdoyant de la tige de Saint-Louis. Ceux qui prêchent
d'en faire un autre se trompent et ne sauraient en venir à
bout; on peut faire des sceptres et des couronnes, mais
non pas des rois pour les porter ; on peut faire une maison,
mais non pas un arbre ou un rameau vert; il faut que la
nature produise, par espace de temps, du suc et de la
moelle de la terre, qui entretient la tige en sa séve et vi-
gueur. On peut faire une jambe de bois , un bras de fer,
un nez d'argent, mais non pas une tête. Aussi pouvons-
nous faire des maréchaux à la douzaine, des pairs, des
amiraux et des secrétaires et conseillers d'Etat; mais de
roi point, il faut que celui seul naisse de lui-môme, pour
avoir vie et valeur. »
Enfin l'auteur de cette partie si remarquable du pam-
phlet essaya, dans l'excès de son royalisme, une justifica-
tion de la vie licencieuse de Henri IV. «Il faut concéder
aux princes, dit-il, quelques relâches et récréations d'es-
prit , après qu'ils ont travaillé aux affaires sérieuses qui
importent à notre repos, et après qu'ils se sont lassés aux
grandes actions des sièges et batailles. Les rois, pour être
rois, ne laissent pas d'être hommes, sujets aux mêmes
fiassions que leurs sujets; mais il faut confesser que ce-
ui-ci en a moins de vicieuses qu'aucun de ceux qui ont
passé devant lui ; et s'il a quelque inclination à aimer les
choses belles, il n'aime que les parfaites et les e-xcellcntes,
LIVRE xxiir.
73
comme il est excellent en jugement et à connaître le prix
et la valeur de toutes choses, etc.»
Il eût mieux valu garder le silence que de tenter une
défense impossible; les auteurs de la Ménippée manquèrent
de tact dans celte partie de leur écrit; ils oublièrent que
la loi morale n'a qu'une balance dans laquelle Dieu pèse
les rois et leurs sujets, et plus sévèrement encore les pre-
miers que les seconds, parce que leur grandeur rend leur
responsabilité plus grande.
VIII.
La Ménippée parut d'abord en morceaux détachés, qui
furent lus avec une grande avidité. Son succès fut immense;
elle indigna et surtout elle fit rire. Or, en France , le parti
dont on rit est à moitié vaincu : la ligue, qui s'était mon-
trée héroïque devant la famine , se sentit faible devant la
raillerie.
Les principaux chefs avaient perdu leur prestige. Les
bourgeois, lassés de tant de guerres, qui avaient failli perdre
le royaume, commençaient à réfléchir; le doute prenait peu
à peu la place de la foi. Le Béarnais n'était plus à leurs yeux
aussi abominable qu'on le leur représentait; les défections
commençaient. Mais la ligue avait jeté de trop profondes
racines dans le royaume pour que ses principaux membres ,
malgré le ridicule et l'odieux qui s'attachaient à leurs per-
sonnes et à leurs œuvres, vinssent volontairement i';iire
leur soumission au roi; ils résistaient donc; maîtres à Pa-
ris et dans les principales villes du royaume, les plus zélés
d'entre eux portaient leurs regards vers le vieux roi d'Es-
pagne et rêvaient le mariage de sa fdle Isabelle avec le tils
de Henri de Guise. La chaire n'avait pas abdiqué son rôle;
les prédicateurs étaient toujours à leurs postes, occupés k
réchauffer le zèle de leurs partisans. La situation du roi
était toujours diflîcile; les cinq mois qui s'étaient écoulés
depuis son abjuration, dont il attendait tant, n'avaient pas
sensiblement amélioré ses affaires; ses partisans étaienn
plus nombreux, plus dévoués ; mais les villes au pouvoir de.'î
ligueurs ne lui avaient pas ouvert leurs portes. L'évèqua
de Rome ne $e hâtait pas de lui envoyer son absolution
IV. 3
74 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
demandée avec tant d'instance, et attermoyée avec tant
d'habileté. Il se voyait duiis !a dure nécessité de conquérir
son royaume ville après \i\\e, château après château
comme au lendemain de la mort de Henri 111, et cela,
après avoir cru l'ermement que son retour au catholi-
cisme jeterait le désordre dans les rangs des ligueurs et
les réduirait à l'impuissance. Cette perspective ne lui sou-
riait pas, il résolut alors de traiter avec chaque gouver-
neur de ville et de province, et, chose honteuse, les mêmes
hommes qui auraient reçu le roi à coups de canon, ou-
vrirent publiquement un grand marché où chacun se ven-
dit. Or, comme chacun se croyait un personnage important,
il se tarifait haut. Le gouverneur de Meaux, Vitri, ceux
de Bourges, d'Orléans, de Lyon firent leur soumission'.
Les Seize et Mayenne étaient terrifiés; le roi, ravi de la
tournure que prenaient ses affaires, disait plaisamment
qu'on ne lui rendait pas la France, mais qu'on la lui ven-
dait. Rome se montrait plus difficile que les chefs de la
Sainte-Union; elle ne lui envoyait pas son pardon sur le-
quel il avait compté pour abattre la ligue; il résolut alors
de se faire sacrer; son but était de témoigner une fois de
plus à son peuple qu'il était fervent et sincère catholique.
Une difficulté se présenta dans l'exécution. Reims , où
les rois avaient coutume de se faire sacrer et où se trou-
vait la Sainte- Ampoule, était au pouvoir des ligueurs.
Était-il possible de faire ailleurs la cérémonie? pouvait-on
se passer de la vénérable relique? Pendant que la question
se débattait, un courtisan se rappela que Louis le Gros
avait été sacré à Orléans par un archevêque de Sens , et
pensa que la Sainte-Ampoule de Reims pourrait être rem-
placée par celle de Saint-Martin, conservée précieusement
dans l'abbaye de Noirmoutiers, près de Tours.
La difficulté levée, le roi choisit la ville de Chartres
(pour le lieu du sacre et ordonna qu'il fût célébré avec
une grande magnificence; il ne voulut pas qu'on le crût
un roi pauvre. Habile politique, il savait qu'on gagne les
masses mieux par les yeux que par le raisonnement.
Le 27 février 1594, la cérémonie eut lieu au milieu
1. De Thou, liv. CVnT. — Davila, liv. XIV. — D'Aubigné, lir. UI,
ch. 29, p. 322. ~ Mémoires de la ligue, t VI.
LIVRE XXIII.
75
d'une grande foule de princes , de prélats et de grands di-
gnitaires. L'évèque de Chartres ofïicia. Le roi debout, la
main posée sur l'Evangile, fit un serment, dans lequel,
entre autres promesses, il fit celle-ci : «Je tâcherai, en
outre, en bonne foi, de chasser de ma juridiction et terres
de ma sujétion tous hérétiques dénoncés par l'église, pro-
mettant par serment de garder tout ce qui a été dit. Ainsi
Dieu m'aide et ces saints évangiles de Dieu. » '
Après ces paroles dans lesquelles le fils de l'huguenote
Jeanne d'Abret venait de promettre d'exterminer ses an-
ciens compagnons de travaux, il reçut, sur son front, l'huile
consacrée, récita, à genoux et à haute voix, le confiteor et
prit la communion sous les deux espèces du pain et du vin.
La cérémonie terminée, il se retira au palais épiscopal
au milieu des acclamations enthousiastes de la foule. Le
lendemain il se rendit de nouveau dans la cathédrale oii il
reçut des mains de l'évèque de Chartres le collier de l'or-
dre du Saint-Esprit institué par Henri III et prêta, comme
chef de l'ordre, le serment suivant:
«Nous Henri, roi de France et de Navarre, jurons et
vouons solennellement en vos mains, à Dieu le Créateur,
de vivre et de mourir en la sainte foi et religion catholique
et romaine comme à un bon roi très-chrétien appartient,
et plutôt mourir que d'y faillir, de maintenir à jamais l'or-
dre du Saint-Esprit. »
Les serments coûtaient peu au roi; dans celui-là il pro-
mettait, comme dans celui de la veille, d'extirper l'hérésie
de son royaume, l'ordre du Saint-Esprit ayant été en par-
tie institué à celte fin.
IX.
Les réformés se plaignirent vivement. Le roi leur fit ré-
pondre que ce n'était pas d'eux qu'il s'agissait quand il
avait promis d'extirper les hérétiques de son royaume'; le
' 1. Y. Palma-Cayet, année 1594. — Davila, liv. XIV. — De Tliou,
Uv. CVIII.
J 2. Élie Benoît, Histoire de fédit de Nantes, 1. 1<=^ liv. m, p. 117.
— L'Histoire d'Élie Benoit pour l'exactitude des faits mérite d'avoir
une place à côté de celle de De TLou. Nous aurons souvent occa-
sion de la citer; comine De Tliou, il a'a puisé qu'à des sources
•ûres.
76 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
jésuitisme n'est pas né avec Loyola. C'est avec un profond
dégoût qu'on voit un prince qui aspire à être le roi d'un
grand peuple, se jouer légèrement de ce qu'il y a de plus
sacré au monde, et attirer ainsi sur sa tête et celle de ses
sujets la malédiction divine.
Le roi ne pensa guère à ses promesses; Paris à conqué-
rir lui importait plus que le ciel à gagner. Or, Paris résis-
tait toujours, quoique l'ardeur des ligueurs fût en partie
paralysée par les catholiques royalistes qui soupiraient ar-
demment après l'heure qui les délivrerait de leur tyrannie.
Mayenne sentant qu'une plus longue résistance était diffi-
cile, se rapprocha des Seize. Il consentit, sur leur de-
mande, à la révocation du comte de Belin, gouverneur de
Paris, dont on suspectait la fidélité, et nomma, à sa place,
le comte de Brissac, qui s'était distingué le jour des barri-
cades et avait, depuis cette mémorable date, donné tant
de preuves de fidélité et de dévouement à la cause'. Ce fut
cet homme qui livra la ville au roi; il posa préalablement
ses conditions; il exigea 200,000 écus une fois payés; la con-
servation de son bâton de maréchal de France, le gouverne-
ment de Corbeil et de Mantes, et 20,000 livres de pension.
Henri IV accepta tout; Brissac fit alors habilement ses dis-
fiositions et profita d'une absence de Mayenne pour ouvrir
es portes de la ville au roi qui y pénétra, non sans dé-
fiance, mais avec cet entrain qu'il mettait dans ses opéra-
tions militaires. Les ligueurs apprirent, avec une surprise
mêlée d'effroi , que le roi assistait à un Te Demi à Notre-
Dame; ils voulurent prendre les armes, mais le même
peuple, qui avait tant souffert pour leur cause, avait,
après quelques hésitations , acclamé le roi et fait retentir
les airs de ses joyeux hourras. Ils comprirent que Paris
leur échappait; les armes leur tombèrent d'elles-mêmes
des mains ; les moins fougueux crièrent : Vive le roi ! les
plus forcenés dissimulèrent leur rage.
Le Te Deum terminé, Henri IV alla au Louvre; partout
sur son passage il l'ut salué par les plus vives acclaniaîions
d'une population enthousiaste; il pleurait de joie et recevait
/avec une grande bienveillance ceux qui venaient lui pré-
senter leurs hommages; mais il avait soin aussi , par des
t. L'Estoile, année 1594. — Économies royales, t. U.
LIVRE XXIII.
■7
mots piquants , de faire sentir son mécontentement à quel-
ques hauts dignitaires, dont il avait à se plaindre. «Je suis
bien aise, Monsieur le président, dit-il à M. de Hacque-
\ille, de vous voir; je sais les bons olTices que vous
avez faits ici, je vous en remercie; toutefois, quand il était
question de quelque atTaire qui importait à mon service,
vous étiez ordinairement malade , je suis d'avis que vous
vous retiriez à votre grand conseil.» Au moment où il
finissait sa phrase, il aperçut dans la foule le secrétaire
Mcolas : v Qui avez-vous suivi dans les troubles?» lui dit le
roi, qui aimait à plaisanter. Celui-ci, honteux et hésitant,
répondit: « J'ai quitté le soleil pour suivre la lune.»
«Mais que penses -tu dire de me voir ainsi à Paris
comme j'y suis ?
«Je dis. Sire, qu'on a rendu à César ce qui appartient
à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu. »
«Ventre Saint-Gris, répliqua vivement le roi en se tour-
nant vers Brissac , on ne m'a pas fait comme à César ; car
on ne me l'a pas rendu , à moi, on me l'a bien vendu. » '
Dans l'après-midi il alla à la porte Saint-Denis voir dé-
filer la garnison espagnole qui sortait avec tous les honneurs
de la guerre, suivant une convention signée le matin avec
le duc de Féria. Quand celui-ci passa sous la fenêtre de
laquelle le roi voyait défiler le cortège, il dit à l'ambassa-
deur en le saluant: «Recommandez-moi à votre maître,
mais n'y revenez pas.» Au salut courtois et ironique du
roi, Féria répondit, en vrai Castillan, par une légère in-
clination de tète; mais il n'en sentit pas moins amèrement
que son maître avait jeté au vent ses efforts et ses dou-
blons, et que la réduction de Paris était pour lui le pen-
dant du désastre de l'Armada.'
Après souper le roi alla rendre visite aux duchesses de
Nemours et de Montpensier. La conversation fut vive , en-
jouée; on eût dit que l'attentat de Saint-Cloud , auquel la
duchesse de Montpensier avait pris tant de part, n'était
qu'une vieille légende. L'homme qui , sur le cadavre de
Henri III, disait en sanglotant: «Les larmes ne pourront
nous le rendre», faisait une partie de cartes avec la cora-
1. L'Estoile, année 1-594.
2. Pérèfixe. Histoire de Henri IV. — Y. Palina-Cayet, liv. VI. —
Davila, liv. XIV. — Capeflgne; t. vn, p. 148-160.
78 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
plice de Jacques Clément et se laissait galamment gagner
son argent par elle.'
Le soir, quand il fut rentré dans le Louvre, il ne pouvait
contenir sa joie : «C'est un miracle de Dieu,» disait-il
au chancelier Cheverni.
X.
Maître de Paris , le roi fut le maître des volontés ;
l'Hôtel-de-Vilie et le parlement firent leur soumission ;
la Sorbonne fil aussi la sienne.
Le corps qui avait proclamé la déchéance de Henri III,
acclamé son meurtrier, .déclaré le Béarnais indigne de la
couronne et qui s'était associé à toutes les fureurs de la
ligue, se condamna publiquement et signa entre les
mains du roi une formule dans laquelle il le reconnais-
sait pour son légitime souverain et déclarait, conformé-
ment à la doctrine de Saint-Paul , que les pouvoirs sont
institués de Dieu et que toute obéissance leur est due. Il
anathématisait ceux de ses membres qui auraient à cet
égard des sentiments contraires.'
Cinquante-quatre maîtres et docteurs apposèrent leurs
signatures au bas de la formule; cinq ans auparavant
soixante-dix membres du même corps déclaraient: 1" que
le peuple était délié du serment prêté à Henri III, qu'il
pouvait en toute sûreté de conscience s'armer pour la dé-
fense de la religion contre les conseils néfastes et les en-
treprises dudit roi et de ses adhérents, puisque Henri III
avait violé la foi publique, au préjudice de la religion, de
^ l.'édit de la Sainte-Union et de la naturelle liberté des
États. Et aujourd'hui ce même corps reconnaissait «que la
puissance, comme le dit Saint-Paul, vient de Dieu, et que
celui qui résiste à la puissance encourt la damnation. » '
1. L'Estoile, année 1594.
2. L'Esloile, année 1694. — Étals généraux, t. XV. — Mémoires
de la ligue, t. VI.
3. Henri Martin, t. X, p. 125. — Économies royales, colleci ion
Petitot, série II, 1. 1", p. 109. — Acte public de l'obéissance ren-
due, jurée et signée au roi très-chrétien Henri IV, par MM. le
recteur, docteurs et suppôts de l'université de Paris (22 avril 1594).
— Mémoires de la ligue, t. VI, p. 88 et suiv.
LIVRE XXIII.
79
La faculté de théologie se déshonora par son servilisme;
quel que soit le jugement que nous portions sur les li-
gueurs, qui, ne vouinnt pas profiter de l'amnistie accordée
par Henri IV, s'exilèrent volontairement pour demeurer
fidèles à leurs convictions, nous les plaçons bien au-des-
sus de ces docteurs qui, par lâcheté, s'inclinent devant le
prince pour lequel ils n'auraient pas eu assez de tous leurs
anathèmes, s'il eût été malheureux. On hait l'homme vio-
lent, implacable, qui laisse après chaque empreinte de ses
pas une tache de sang; mais on n'a pas assez de tout son
mépris pour celui qui fait litière de ses principes. Au reste,
la conduite des Sorbonnistes ne doit pas nous étonner; les
hommes violents sont rarement des hommes de courage;
ils croient avoir de la foi, ils n'ont que des passions et des
préjugés.
Parmi les prédicateurs il y en eut qui, s'inclinant sans
rougir devant le fait accompli , cessèrent leurs attaques
contre le roi et découvrirent en lui mille vertus qu'ils n'y
apercevaient pas la veille de la réduction de Paris. Guin-
cestre louait, du haut de sa chaire. Sa Majesté «tellement,
dit l'Estoile, qu'on pensait qu'il n'y dût jamais sortir.» Le
jour même de la réduction , il vint faire sa soumission au
roi qui lui pardonna; mais comme il s'approchait de lui,
Henri dit tout haut : « Gare le couteau ' ! » Ce fut sa seule
vengeance.
Henri IV se montra cordial, bon, généreux, à l'égard
des ligueurs les plus forcenés ; il n'oublia que ses fidèles
huguenots; il savait qu'ils ne le tueraient pas.
XL
Les partis sont rarement généreux: forts, ils ne com-
prennent pas que les représailles affaiblissent plus qu'elles
ne fortifient, et que, si les vaincus sont impuissants, ils
demeurent insoumis dans leur impuissance. Les royalistes,
![ui avaient tant soufl'ert pendant le terrorisme de la ligue,
irent mettre à mort les assassins de Brisson et quelques-
uns des plus forcénés ligueurs. Rose, Louis d'Orléans,
Leclerc, Crucé, Pelletier, Hamilton Cromé, Boucher, et
1. L'Estoile, année 1594.
80 HISTOIRE DE LA "RÉFOftMATION FRANÇAISE.
[jîusieurs des Seize ne durent leur salut qu'à la fuite. Le
parlement les condamna à mort et leur exécution eut lieu
en effigie.'
Les ennemis les plus dangereux des royalistes n'étaient
pas ceux qu'on frappait ou qui prenaient le chemin de
l'exil : c'étaient les jésuites. Ces religieux avaient refusé de
prêter serment au roi , sous le prétexte que le pape n'avait
pas levé l'excommunication qui pesait sur lui; à part cela,
ils sa conduisaient extérieurement en sujets fidèles et ne
demandaient que la permission de régenter paisiblement
et obscurément dans leurs collèges. Les royalistes pen-
sèrent, et non sans raison, que tant que la société de
Loyola demeurerait debout en France, la ligue ne serait
pas éteinte. Le dessein de Barrière d'assassiner le roi di-
sait mieux que toute parole que la tranquillité de la mo-
narchie était incompatible avec son existence. Nous avons
raconté au XV' livre de cette histoire son procès avec
l'université , qui se termina par un arrêt qui laissa toutes
les questions en suspens entre elle et ses adversaires.
Comme, jusqu'à cette époque, elle avait été plutôt tolérée
que reconnue officiellement en France, il fut décidé dans
une réunion des quatre facultés qu'on reprendrait le pro-
cès suspendu depuis trente ans. Le 12 mai 15941e recteur
de l'université, Jacques d'Amboise, présenta requête au
parlement «pour que les jésuites, ministres et espions
d'Espagne fussent bannis du royaume. »
Les pères, atteints dans le centre même de leurs inté-
rêts, essayèrent de conjurer l'orage en envoyant leur
soumission au roi et en cherchant des appuis jusque dans
ses conseils. D'O et plusieurs autres personnages influents
se déclarèrent ouvertement leurs protecteurs et firent
jouer tant de ressorts que le recteur de la Sorbonne fut
désavoué. On décida que les jésuites ne seraient pas bannis
du royaume , mais qu'ils seraient soumis aux statuts uni-
versitaires.
Le recteur, aidé de quelques curés influents de Paris,
ne se tint pas pour vaincu , et obtint que la cause serait
plaidée. Grâce aux amis puissants des accusés , les débat?
1. V. Palma-Cayet, liv. VI. — Capefigue, t. VII. — Davila,
Ut. XIV. — De Thou, liv. CIX. — Henri Martin t. X , p. 368.
LIVRE XXIII.
81
eurent lieu à huis clos. Antoine Arnaud, le père de cet
autre Anioine Arnaud qui devait plus tard s'immortaliser
dans ses luttes contre les jésuites, plaida pour le recteur:
Dollé porta la parole pour les curés de Paris.
Les avocats des demandeurs parlèrent avec une violence
inouïe; leurs discours, hérissés de grec, de latin et de
citations, ne manquèrent ni d'habileté, ni d'une certaine
éloquence. — Cependant , à force de fiel et de haine ,
ils dépassèrent le but et rendirent presque intéressants
ceux sur la tête desquels ils appelaient l'anathème du ciel
et l'exécration des hommes. Arnaud surtout méconnut
complètement le caractère fondamental de la société de
Loyola; pour la rendre plus odieuse, il la montra dévouée
à l Espagne.
Les faits articulés étaient vrais; mais l'avocat méconnut
étrangement le caractère constitutif du jésuite; — trois
siècles ont prouvé qu'il n'est ni Français, ni Italien, ni
Espagnol, ni Autrichien, mais nlui;y> sa patrie n'est ni Ma-
drid, ni Paris, ni Naples, ni Venise, elle n'est pas même
Rome, quoiqu'il se proclame le sujet le plus soumis du
pape; le Lut de sa société est de tout embrasser pour tout
dominer. Jamais Protée n'eut plus de figures, jamais ca-
méléon n'eut plus de couleurs.
Arnaud fut plus dans le vrai quand il accusa la société
de tenir école de régicide. «Mais à quoi est-ce que je
m'arrête? s'écria-t-il; à des calomnies contre les morts?
Hé ! ils ont voulu massacrer les vivants. Ne iut-ce pas
dans le collège des jésuites à Lyon , et encore dans celui
des jésuites à Paris, que la dernière résolution fut prise
d'assassiner le roi au mois d'août mil cinq cent quatre-vingt
treize. La déposition de Barrière, exécuté à Melun, n'est-
elle pas toute notoire, et n'a-t-elle pas fait trembler et
tressaillir tous ceux qui ont le cœur vraiment français,
tous ceux qui n'ont point bâti leurs desseins et leurs espé-
rances sur la mort du roi? iNe fut-ce pas Varade , principal
des jésuites, choisi tel par eux comme le plus homme de
bien et le meilleur jésuite, qui exhorta et encouragea ce
meurtrier, l'assurant qu'il ne pouvait faire œuvre au monde
plus méritoire que de tuer le roi, encore qu'il fût catho-
lique et qu'il irait droit en paradis ; et pour le confirmer
davantage en cette malheureuse résolution, ne le fit-il pas
82 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
confesser par un autre jésuite duquel on n'a pu savoir le
nom et qui est, par aventure, encore en cette ville, épiant
de semblables occasions? Quoi plus, ces impics et exé-
crables assassins ne communièrent-ils pas encore ce Bar-
rière, employant le plus précieux et le plus sacré mystère
de la religion chrétienne pour faire massacrer le premier
roi de la chrétienté? »
L'avocat termina en demandant «que dans le délai de
quinze jours les jésuites fussent expulsés du royaume, sous
peine, pour celui qui n'obtempérerait pas aux ordres de la
cour, d'être condamné comme coupable d'avoir attenté sur
la vie du roi. »
XII.
Dollé, l'avocat des curés de Paris, déploya, dans son
plaidoyer, moins de violence et plus d'habileté qu'Arnaud;
comme son collègue , il sacrifia au mauvais goût de l'époque,
et c'est de lui qu'on peut dire :
«Qui nous délivrera des Grecs et des Romains?»
Pour prouver qu'on doit chasser du milieu des Français
des étrangers qui introduisaient dans le royaume un nouvel
ordre de choses, il commença ainsi son discours: «Le sé-
nat de Rome, Messieurs, ayant condamné les sacrifices
d'Isis et de Sérapis, ordonna que leur temple serait ruiné,
afin que les prêtres Isiaques perdissent à jamais l'espérance
de s'y habituer. Ceux qui eurent charge de cette exécution
furent saisis d'une frayeur superstitieuse et n'y osèrent
mettre la main , de peur qu'en violant les autels de ces dieux
étrangers ils ne fussent foudroyés comme on les en me-
naçait; mais le consul Emilius Paulus, assuré que tout ce
qu'un citoyen faisait pour le bien de son pays était agréable
à Dieu, dépouilla sa robe de pourpre, prit la hache en
main et le premier enfonça la porte pour encourager les
autres à faire comme lui. Il est aujourd'hui question de
savoir si on doit chasser du milieu de nous des étran-
gers qui introduisent un nouvel ordre qui n'est pas ap-
prouvé par l'Église gallicane, desquels la vie, les mœurs
et la doctrine sont condamnés depuis longtemps on l'esprit
de tous les gens de bien; narcaque, sous prétexte de piété
et de dévotion, ils sapent peu à peu les fondi ments de
l'Etat, débauchent le peuple de l'obéissance naturelle qu'il
LIVRE XXIII,
83
doit à son foi ; lui dérobent le cœur de ses sujets pour les
donner en proie au plus grand, au plus dangereux des
ennemis de la France, qui bâtit de ses ruines, et, comme
un cruel Python, cherche à dévorer ses enfants.»
Après la part faite au mauvnis goût, on admire comment
Dollé serre de près ses adversaires et dévoile les ruses de
leur politique; il cite les articles secrets de leur société,
qui sont les plus importants de leur constitution; montre
que leur danger n'est pas d'avoir des règles comme les
autres corporations; mais de ne pas en avoir du tout, ce
qui leur permet de prendre tous les masques et tous les
visages; il les montre enfin s'élévant au-dessus des autres
ordres , du clergé régulier et même des évéques , prome-
nant leur indépendance partout , et partout se rendant
redoutables, même à Rome, de laquelle ils tiennent tous
leurs privilèges exorbitants. Quand l'orateuraborde la ques-
tion du régicide , il presse en rude logicien ses adversaires
et atteint la véritable éloquence du barreau; il suit hardi-
ment les jésuites sur leur terrain de défense dans l'affaire
de Barrière. «Je vous supplie, Messieurs, dit l'avocat en
s'adressant à la cour, de les écouter attentivement: ils
disent que Varade, ayant ouï Barrière, qui lui demandait
avis s'il devait tuerie roi, il le jugea, à son visage, regard,
geste et parole égaré de son sens. Comment cette affaire
était-elle de si peu d'importance que vous l'ayez examinée
si légèrement? Si Varade le jugeait insensé, pourquoi lui
indiquait-il un confesseur? pourquoi ne s'enquérait-il
depuis à ce confesseur, s'il persévérait en cette résolution
par où il est connu jiidiciitm animi faissel Mais voyons le
reste. Quand Barrière lui eut déclaré son intention, il lui
répondit qu'il ne lui en pouvait donner avis, étant prêtre,
et que, s'il lui conseillait, il encourrait la censure d'irré-
gularité , et par conséquent ne pourrait dire messe, laquelle,
toutefois, il voulait dire incontinent. 0 Dieu! est-il pos-
sible qu'un prêtre, étant sur le point de faire un sacrifice
de paix, ose proférer telles paroles, qu'il n'a pu faire misé-
ricorde, qu'il ne lui a point été permis de dissuader un
parricide? Hypocrites que vous êtes, penseriez-vous avoir
violé le sabbat en sauvant la vie à un homme? Vos règles
vous permettent de faire la médecine et d'exercer la chi-
rurgie, qui est interdite aux autres prêtres, et toutefois
84 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION l'RANÇAISE.
VOUS faites conscience d'arracher le couteau des mains de
ceiui qui veut meurtrir votre père? Vous avez donc pensé
que ce fût mal fait de le divertir de son méchant propos,
puisqu'on le faisant vous craignez l'irrégularité? Cette
défense vous condamne, car elle est conçue en termes
affirmatifs; elle ne porte pas que Varade s'excusât de dé-
libérer sur ce fait, mais elle dit (ju'il ne lui pouvait con-
seiller de le faire de peur de l'irrégularité ; cela montre de
quel côté il inclinait.»
Le but de l'avocat est d'amener la cour à un arrêt de
bannissement; il termine par ces paroles: «Comme an-
ciennement les pontifes de Rome étaient obligés de donner
avis au sénat des prodiges qui se rencontraient, afin de
les expier; ainsi les demandeurs qui ont charge des choses
sacrées, comme avaient ces pontiies, vous avertissent qu'il
y a un grand prodige en cette ville et en plusieurs autres
lieux de France, c'est que des hommes qui se disent re-
ligieux enseignent à leurs écoliers qu'il est permis de tuer
les rois et les princes; c'est la plus monstrueuse doctrine
qui fût jamais. »
Les jésuites avaient choisi pour leur défenseur l'avocat
Daret , qui fit preuve d'un grand talent ; il s'attacha à
nier tout ce qui dans l'attaque était discutable; éluda ha-
bilement les points sur lesquels la défense était impossible
et tira un grand parti du décret par lequel ses clients, dans
leur dernière assemblée générale (1593), s'étaient interdit
de se mêler des affaires d'État.
Pendant qu'au milieu de l'agitation générale les avocats
défendaient leurs clients, les accusés agissaient en secret
par leurs amis sur les conseillers du parlement. La cour
rendit un arrêt par lequel l'affaire fut ajournée; oe fut un
vrai triomphe pour les jésuites qui se préparaient déjà à
prendre le chemin de l'exil; pour eux, gagner du temps,
c'était tout gagner. Trente ans auparavant le parlement
avait décidé qu'on suspendrait les poursuites dirigées contre
eux; cet arrêt leur avait valu trente ans de succès et de
triomphe, pendant lesquels des régents de collèges étaient
devenus un moment les arbitres de la France. '
1 . Mémoires de la ligue , t. VI. — On trouve dans les Mémokes
la procédure suivie contre les jésuites, les plaidoieries d'ArnaiiW
* de Dollé et de De Duret.
LIVRE XXIII.
85
Les jésuites seraient probablement sortis complètement
vainqueurs de la lutte, sans un événement inattendu qui
raviva toutes les défiances en rallumant toutes les haines.
XIII.
Le 27 décembre, vers les six heures du soir, le roi, de
retour d'Amiens, était encore tout botté dans une chambre
du Louvre, ayant près de lui ses deux cousins, le prince
de Conti et le comte de Soissons et trente ou quarante des
principaux seigneurs de la cour, lorsque deux gentils-
hommes, M}L de Regni et de Montigny, se présentèrent
devant lui pour lui présenter leurs hommages ; au moment
où il ce baissait pour les embrasser, un jeune garçon, de
petite taille, qui s'était glissé dans la foule sans être
aperçu, le frappa au visage et le blessa légèrement à la
lèvre. Le meurtrier fut immédiatement arrêté.
«Qu'on le relâche, dit le roi, je lui pardonne;» mais
quand il entendit que l'assassin avait été élevé chez les jé-
suites, il dit, en faisant allusion à leur récent procès :
«Fallait-il donc que les jésuites fussent convaincus par ma
bouche, yf
Le meurtrier fut conduit au fort l'Evèque, où son in-
terrogatoire commença; il déclara qu'il s'appelait Pierre
Cliastel, et qu'il était fils d'un marchand drapier de Paris.
Voici son histoire telle qu'elle nous est fournie par son
interrogatoire: Son père le mit chez les jésuites auxquels
il confia son éducation; à l'école de ces pères il apprit
entre autres choses «qu'il est permis de tuer les rois,
quand ils sont tyrans;» pour perfectionner leur élève et
compléter son éducation, ses maîtres l'introduisirent sou-
vent dans leur célèbre chambre des méditations dans la-
quelle ils enfermaient ceux de leurs disciples qu'ils trou-
vaient particulièrement vicieux ou qu'ils voulaient pousser
h quelque grande action utile à leur société. '
Entré vicieux chez les jésuites , Chastel en sortit plus
vicieux encore; il avait seulement appris auprès d'eux que
le moyen le plus sûr d'apaiser la justice divine étai t de faire
1. Ko te IV.
86 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
quelque chose qui fût utile à la religion; comme il avait
entendu dire à plusieurs reprises et notamment au père
Guignard, l'un de leurs docteurs les plus accrédités, «qu'il
était loisible de tuer les rois, mêmemcnt le roi régnant,
lequel n'était à l'Église, parce qu'il n'était approuvé par
le pape;» il crut avoir trouvé le moyen de faire taire sa
conscience et de gagner le ciel. C'est alors qu'il se décida
à pratiquer ce que ses maîtres enseignaient si bien. 11 se
munit d'un couteau et se retira dans son cabinet pour y
méditer ses moyens d'exécution; avant cependant de com-
mettre son assassinat, il communiqua à son père son des-
sein; celui-ci l'en dissuada sans le persuader, car sa
conscience le tourmentait tellement, «à cause des péchés
qu'il avait commis et du penchant qu'il avait à en commettre
d'autres, qu'il crut ne pouvoir expier qu'en faisant quel-
que acte signalé;» c'est alors qu'il se décida à assassiner
le roi.
Quand dans Paris on connut que le roi n'avait été que
blessé et que le couteau de l'assassin n'était pas empoisonné,
le peuple manifesta bruyamment sa joie; un Te Deum fut
chanté dans l'Église de Notre-Dame.
Le procès de Chastel ne fut pas long; la preuve maté-
rielle du fait existait ; l'accusé ne niait rien. Les jésuites
furent compris dans l'instruction dirigée contre lui, et le
même an'èt qui condamna à mort le disciple, ordonna l'ex-
pulsion des maîtres «comme corrupteurs de la jeunesse,
perturbateurs du repos public, ennemis du roi et de l'État.»
Dans cette circonstance le parlement voulut prouver au
roi l'horreur que lui inspirait le meurtrier par le luxe de
la mise en scène de son supplice. Après avoir été soumis
à la question, Chastel fut conduit devant la principale
porte de l'église de Notre-Dame, nu en chemise; là, à ge-
noux, et tenant une torche de cire ardente du poids de
deux livres , il déclara « qu'il avait commis le très-inhumain
et très-abominable ; an icide, qu'il y avait été poussé par
les leçons el instructions de ses maîtres les jésuites, ce
dont il demandait pardon à Dieu, au roi et à la justice.»
De Notre-Dame le funèbre cortège se rendit, à la lueur
des flambeaux, à la place de Grève où les bourreaux en
grand costume attendaient le patient; ils le tenaillèrent aux
bras et aux cuisses, lui coupèrent la main, puis il futécar-
LIVRE XÎIII.
87
telé, tiré par quatre chevaux; ses membres sanglants et
palpitants furent jetés au feu et réduits en cendres.'
Le père du régicide fut banni à perpétuité de Paris et pen-
dant neuf ans du royaume; ses biens furent contisqués, sa
maison rasée; sur l'emplacement on éleva une pyramide
aux quatre faces de laquelle on grava sur des tables de
marbre noir l'arrêt qui frappait Chastel et les jésuites.'
Le père Guignard fut pendu en place de Grève; l'acte
d'accusation porte que ce jésuite avait écrit de sa propre
main des propositions excitant au régicide.'
XIV.
L'attentat de Chastel soufeva l'indignation publique ; et
quand les jésuites quittèrent Paris , ils n'emportèrent que
le mépris de ses bourgeois; le peuple, revenu de sa sangui-
naire ivresse , commençait à avoir honte de lui-même , et
son passé lui revenait dans l'esprit comme un mauvais rêve.
Un prédicateur qui eût osé faire l'apothéose de Chastel,
eût été immolé sur sa chaire. Il y eut cependant un homme
qui, toujours fidèle à lui-même, se fit l'apologiste du ré-
gicide et des jésuites ses complices, cet homme fut maître
Boucher, le curé de Saint-Benoît; ce prêtre, qui avait la
foi et la férocité d'un Marat, avait quitté la France sans
avoir ni rien appris ni rien oublié; quand la nouvelle du
crime de Chastel lui parvint à Tournay où il s'était réfu-
gié, il n'eut qu'un seul regret, celui que l'assassin n'eût
pas tué Henri IV; et pendant que les malédictions de toute
la France contre le coupable témoignaient de son indi-
gnation et de ses sympathies pour le roi, il prit la défense
du régicide et fit hautement son apologie. Dans cet écrit
long, diffus, lourd, indigeste, comme tout ce qui sortait
1. Capeûgue, t. VII, p. 255. — D'Aubigné, liv. IV, ch. 4. —
Davila, liv. XIV. — L'Estelle, année 1594. — Procès de Chatel aux
Mémoires de la ligue, t. VI.
2. Procédure faite contre Jean Chastel , écolier étudiant au col- \
lége des Jésuites, pour le parricide par lui attenté sur la personne V
du roi très-ciirétien Henri IV, roi de France et de Navarre, et
arrêts donnés contre le parricide et contre les jésuites. — Cette
procédure se trouve aux Mémoires de la ligue, t. VI.
3. N'otev.
88 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
de sa plume infatigable, il y a par moment des éclairs
d'éloquence. La haine est le trépied sur lequel Boucher
s'inspire. Chastel, dit-il, n'a pas voulu tuer un roi. En
effet, Henri IV n'est pas roi aux yeux du prêtre; il n'est
pas roi très-chrétien, puisqu'il n'est pas chrétien. Il n'est
pas fils aîné de l'Église, puisqu'il n'est pas dans l'Église;
donc il n'est pas un roi, donc Chastel, en le frappant, n'a
pas voulu tuer un roi.
La conversion de Henri IV ne touche pas le prêtre ; à
ses yeux il n'est pas converti et il en dit les causes. Il va
plus loin; il ne serait pas roi, quand môme le pape lui
donnerait l'absolution; il n'est qu'un hérétique, ne peut
être qu'un hérétique sur lequel chacun a le droit de courir
sus, et il s'appuie sur le concile de Constance, qui fit brû-
ler Jean Hus, et sur Calvin, qui fit brûler Servet.
Quant à Chastel, il loue son entreprise. Elle avait un but
noble, élevé; le bien du royaume, l'honneur et la gloire
delà religion; c'est un Scaevola, un Brutus, un Ahod.
Ceux qui l'ont condamné sont des juges iniques. Bou-
cher prend également la défense des jésuites, il en fait de
saints martyrs.'
Après cet écrit. Boucher rentra dans l'obscurité. Son
châtiment fut de se survivre à lui-même.
XV.
L'université et les curés de Paris triomphaient; leurs
rivaux prenaient le chemin de l'exil poursuivis par la haine
et le mépris public. Ils supportèrent stoïquement leur in-
fortune, et de Douai, où ils se réfugièrent, ils publièrent
des écrits dans lesquels ils essayèrent une justification im-
possible', leurs enseignements avaient malheureusement
porté leurs fruits; leur expulsion n'était qu'une juste ex-
piation. La nouvelle de l'attentat de Chastel fit une grande
sensation à Rome; le cardinal d'Ossat, fervent catholique,
1. Apologie poiu' .lehaii Gbasiel. — Mémoires de Condé, t. VI. —
Avertissement aux cutlioUcjues sur l'ari'èt de la cour du parlement
de Paris , en la cause de Jeau Chastel , qualifié élève étudiant au
collège des jésuites. — Mémoires de la ligue, t. VI.
2. Avertissement aux catholiques sur l'arrêt du parlement —
Mémoires de la ligue, t. YI.
LIVRE XXIII.
89
dans le sentiment de son indignation, dit au neveu du
pape «que s'il y avait lieu de commellre un tel assassinat,
ce serait aux hérétiques, que le roi a quittés et abandonnés,
à le commettre, et qui ont raison de se défier de lui, et
cependant ils n'ont rien attenté de tel contre lui , ni contre
aucun de nos rois ses prédécesseurs, quelque boucherie
que Leurs Majestés aient faites dédits huguenots. » '
L'attentat de Chastel, mieux que les plaintes des réfor-
més, rappela au roi que jamais sa vie n'avait couru aucun
danger tant qu'il s'était confié à ses huguenots; dans des
moments d'épanchement, il disait à ses confidents «qu'il
avait plus de confiance dans les réformés qu'il avait aban-
donnés que dans les catholiques qu'il avait couverts de son
pardon et comblés de ses bienfaits;» ce fut peut-être
dans l'un de ces moments que d'Aubigné lui dit: «Sire,
Dieu que vous n'avez encore délaissé que des lèvres, s'est
contenté de les percer; mais quand le cœur le reniera, il
percera le cœur. » '
XVL
Les mêmes hommes , qui s'étaient montrés ardents à
demander l'expulsion des jésuites , ne se montraient pas
mieux disposés à l'égard des protestants; à leurs yeux ils
étaient toujours des intrus et un embarras domestique
pour la maison; de là des vexations sans nombre, qui rap-
fielaient les mauvais jours de Henri IIL On leur refusait
'entrée des charges et des emplois qu'on donnait aux
chefs des ligueurs qui avaient fait leur soumission. Sous,
divers prétextes on leur ôtait leurs villes de sûreté ou on
les empêchait de les fortifier. A Paris le lieutenant civil ,
faisant violence à leur consciente , les contraignait , sous
fieine d'amende, à saluer les images, les croix, les reliques,
es châsses , quand ils les rencontraient dans les rues. A
Lyon on expulsait de la ville ceux d'entre eux qui ne vou-
laient pas embrasser la religion catholique ; le parlement
de Rennes interdisait la vente des livres protestants; celui
de Lyon faisait déterrer les corps des réformés qui, depuis
1. Lettres du cardinal d Ossat. — Élie Benoit, 1. 1", p. 133.
2. D'Aubigné, part. D, col. .518.
I
90 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
Suinze ans , avaient été ensevelis dans les cimetières et
ans les églises; celui de Tours ne laissait les avocats et
les procureurs exercer leurs fondions qu'à la condition
d'une abjuralion. De tous les côtés la fureur des catho-
liques se déchaînait contre eux, pendant que le roi comblait
de ses faveurs ceux de la ligue qui se ralliaient à la cause
royale. Quand les protestants se plaignaientde cette injuste
Partialité, Henri IV leur disait en parodiant la parabole de
enfant prodigue: «N'est-il pas juste que je tue le veau
gras pour fêler le retour de mon fds prodigue?» A cela
les huguenots répondaient: Traitez-nous au moins comme
le fds aîné à qui le père dit: «Mon fds, tous mes biens
sont à toi'.» Le roi les payait alors de très-belles et bonnes
paroles, mais ne faisait rien pour remédier à leurs dé-
tresses, qui tendaient d'autant plus à s'aggraver que leurs
chefs n'étaient pas unis entre eux, et que parmi eux il
n'en était pas un seul qui imposât à ses collègues sa supé-
riorité. Lesdiguières eût pu être le premier, car il était
grand homme de guerre ; mais il était égoïste , ambitieux ,
cupide, débauché, ne pensait qu'à ses intérêts, aspirant
plutôt à régner en roi dans le Dauphiné qu'à défendre ses
coreligionnaires contre leurs oppresseurs. Rosny eût pu
être cet homme, si, à ses éminentes qualités de capitaine
et d'administrateur, il eût allié l'àme puritaine deMornay;
mais l'essentiel lui manquait; et, d'ailleurs, celui qui
avait conseillé au roi d'abjurer, était trop préoccupé d'in-
térêts terrestres pour avoir la noble ambition de marcher
sur les traces de Coligny ou de Lanoue. La Trémouille
avait plusieurs des qualités d'un chef de parti; H était
hardi, ferme, franc, généreux; une foule de gentilshommes
étaient attachés à sa personne; mais il était très-jeune et
passait pour entêté. Le plus considérable, de tous était Tu-
renne, duc de Bouillon, l'un des plus riches seigneurs de
France, par son mariage avec Charlotte de laMarck, l'o-
pulente héritière de Sedan. Bouillon avait autant de mérite
que d'ambition; intrépide et habile sur le champ de ba-
taille, il était sage et avisé dans les conseils; mais quand
le parti avait besoin d'un chef qui joignît aux qualités
d'un grand capitaine la piété d'un chrétien, il n'avait que
1. Élie Benoit, 1. 1", Uv. III, p. 119-120.
V
s
UVRE XXIU.
91
des hommes qui le servaient plus par ambition que par
religion; les réformés eussent certainement séparé leur
^ cause de celle du roi, si Du Plessis-Mornay ne les eût
* assurés, en leur faisant espérer des jours meilleurs. Inter-
médiaire entre eux et le roi, il s'efforçait de leur expliquer
que le refus du monarque était inspiré par son conseil'.
Or, comme ils n'avaient pas cessé d'aimer l'homme avec
lequel ils avaient vaincu à Coutras, à Arques, à Ivry, ils at-
tendaient des jours meilleurs, sans abandonner cependant
l'idée de se choisir, s'ils y étaient forcés, un protecteur
soit au dehors , soit au dedans du royaume.
Depuis 1583, les réformés, par le malheur des temps,
n'avaient pu tenir un synode général. Cette lacune, dans la
pratique habituelle de leur organisation ecclésiastique,
avait porté une grave atteinte à leurs intérêts. Faible
minorité dans le royaume , ils ne résistaient à leurs nom-
breux adversaires qu'en demeurant étroitement unis; or,
l'unité de foi et de conduite ne pouvait provenir que de
l'initiative de l'assemblée qui était la personnification vi-
vante de leurs craintes et de leurs espérances. Ils en
avaient l'instinct ; de là leur constance à revendiquer un
droit qu'ils regardaient, non sans raison, comme la sauve-
garde de leur sûreté; de là aussi les efforts de leurs enne-
mis pour le leur ravir.
Ce fut à Montauban que s'ouvrit, le i5 juin ioQi, le
synode général'. On choisit cette ville parce qu'elle était
dévouée à la cause de la Réforme et prêle à toutes les
éventualités de l'avenir qui s'annonçait sombre et mena-
çant.
Le premier soin du synode fut d'ordonner des prières
pour le roi: c'était noble et touchant et contrastait avec la
fureur de certains ordres de moines qui refusaient de
prier pour lui quoiqu'il fût rentré dans le giron de l'Église
catholique'. Cependant le sjnode ne voulut pas qu'on crût
qu'il approuvait son abjuration; il ordonna en conséquence
que tout en priant Dieu de lui conserver la santé, de bénir
ses entreprises, on lui demanderait de l'éclairer et de le
1. Élie Benoit, t. !«', liv. m, p. 122-123.
2. C'était le 13« synode général tenu depuis celui de 1 559. —
Drion, Atrég. chron., 1. 1", p. 199.
3. Élie Benoit, Histoire de l'édit de Kantes, 1. 1", liv. m, p. 24.
92 HISTOIRE DE LA RÉFORMÀTION FRANÇAISE.
ramener à la foi qu'il avait abandonnée. On décida en
outre qu'on enverrait à sa cour des députés pour lui faire
des remontrances à cet égard, et lui raontrer les périls
que son changement faisait courir à la cause de l'Évangile.
Le synode s'occupa ensuite d'affaires importantes : il
fut surtout profondément préoccupé de la conduite des
ftrotestants des environs de Paris. Le voisinage de la cour,
'exemple du roi et l'ambition avaient refroidi leur premier
zèle et en avaient ébranlé plusieurs. L'édit de 1577 leur
avait paru suffisant, quand de l'aveu de la grande majorité
des réformés , cet édit ne leur donnait que des garanties
insuffisantes et les laissait à la merci de leurs adversaires.'
Une lâcheté en amène presque toujours une seconde ;
les mêmes hommes qui se montraient satisfaits des con-
cessions de Henri III, s'étaient laissé persuader par les
catholiques d'entrer avec eux dans une ligue qui avait
pour but de défendre les libertés de l'église gallicane contre
le pape. Le piège était grossier ; les conciliateurs qui aiment
à se laisser tromper, colorent leur lâcheté du beau nom
de tolérance, de support mutuel, de charité. Quand donc
ils proposèrent au synode d'entrer dans la ligue et de
nommer de part et d'autre des commissaires pour déci-
der les questions pendantes, ils ne furent pas écoutés. On
leur reprocha durement leur lâcheté, en leur faisant sentir
que le voisinage de la cour les avait amollis, et quand,
plus tard, ils proposèrent, que la tenue des synodes fût
de plus en plus rare , leur demande fut rejetée comme
attentoire aux droits de la cause.
Les débats, qui eurent lieu, révélèrent un côté fâcheux
dans les dispositions de l'assemblée qui , ayant plus que
jamais besoin d'être unie, se montra d'abord divisée; les
uns sous prétexte de charité, de support, paraissaient dis-
posés à passer sous les fourches caudines de la cour ; les
autres, pleins d'une foi ardente, ne voulaient rien sacrifier
de ce qu'ils appelaient « les droits de la vérité ; » les députés
des provinces éloignées de la cour appartenaient à cette
dernière catégorie ; leur zèle les fit appeler « des brouil-
lons;» mais ce furent ces brouillons qui empêchèrent le
protestantisme de se prendre dans les filets artistement
1. Actes des synodes nationaux (1694).
LIVRE XXIII.
93
tressés de la cour... Ils soutinrent le feu de la persécution,
et lorsque, plus tard, le protestantisnae s'affaiblit et dis-
parut presque du nord de la France , il se maintint éner-
giquement dans les provinces éloignées de la capitale.
XVII.
Pendant que le synode continuait ses opérations, les
députés des églises se rendaient (juin 1594) dans la petite
ville de Sainte-Foi, située sur la rive gauche de la Dordogne,
pour y tenir leur assemblée politique'. Henri IV, en l'ap-
prenant, fut irrité. Il y vit une atteinte portée à son auto-
rité: roi, il eût voulu que ligueurs et protestants s'incli-
nassent devant sa volonté , et cependant ces députés
pouvaient-ils demeurer à sa merci ? N'avaient-ils pas tout
à redouter d'un prince qui les avait trompés dans leurs
tilus chères espérances et qui les récompensait de leur
ongue fidélité en faisant moins pour eux que n'avait fait
Henri III, l'homme du traité de Nemours. Dans le pre-
mier moment de sa colère, Henri IV voulut empêcher les
députés de se réunir, mais il comprit bientôt que ce serait
le moyen d'irriter les réformés, et de les pousser à quelques
moyens extrêmes qui accroîtraient ses embarras déjà si
grands. Il laissa donc l'assemblée se réunir ; mais pour
sauvegarder ses droits de roi , il lui en envoya l'autorisa-
tion. Ce fut un acte de haute sagesse.
Les députés étaient au nombre de trente. Chacun , dit
Élie Benoit, y apporta les préjugés de sa province et des
mémoires conformes à l'espérance et à la crainte qui y
dominaient'. La situation était grave.... La moindre divi-
sion dans l'assemblée pouvait avoir des résultats incalcu-
lables. Il était nécessaire que chacun fît des sacrifices à
l'intérêt commun, que le protestantisme se montrât publi-
quement uni, qu'il parût à tous qu'il pensait avec une
seule tête, sentait avec un seul cœur, et agirait au be-
soin avec un seul bras.
Pendant les débats il se produisit des choses, qui révé-
lèrent chez quelques députés la perle de tout sens moral.
1. Mémoires de Madame Duplcssis, 1. 1", p. 268-2G9. — D'Aii-
bigné. liv. IV, ch. 10; t. lil, p. 3fi6-367.
2. Èlie Benoit, Histoire de l'édit de Nantes, 1. 1", liv. III, p. 1 2G.
94 HISTOIRE DE LA RÊFORMATION FRANÇAISE.
Ainsi l'un d'eux proposa de faire une pension à l'un des
secrétaires d'Etat, pour être leur défenseur auprès du roi,
ainsi qu'à Gabrieile d'Estrées, sa maîtresse*. Cette honteuse
proposition fut rejetée : les députés comprirent dès l'ouver-
ture de sa séance que leur mission était de donner à leur
cause une base ferme et solide. Ils ne faillirent pas à leur
tâche, lis créèrent un conseil général, dans les mains du-
quel toutes les affaires de religion furent concentrées. Le
pouvoir de ce conseil s'étendait sur toutes les provinces
qui devaient recevoir de lui , au moyen d'un rouage admi-
nistratif, ses ordres souverains.
Les provinces furent réduites à dix'. Chacune d'elles
devait nommer un député : ces dix députés devaient for-
mer le conseil général, dans lequel entraient quatre gen-
tilshommes, quatre personnes du tiers-état et deux mi-
nistres. On pensa , non sans raison , que l'élément laïque
devait dominer dans sa composition, à cause de la ten-
dance des gens d'église à retirer à eux toute l'autorité.
Chaque province devait, dans un ordre convenu, nommai
un député, pris dans l'un des trois corps du protestantisme,
et afin que le conseil des Dix se retrempât sans cesse dans
1 opinion publique, il était soumis, tous les six mois, à un
renouvellement par moitié ; pour lui donner enfin plus d'au-
torité, on arrêta «que les ducs, les lieutenants-î(énéraux
et autres personnes qualifiées auraient voix dans rassem-
blée, quoiqu'elles ne fussent pas députés, pourvu que le
conseil eût confiance en elles. »
1. Élie Benoit, Histoire de l'édit de liantes, f. I", liv. III, p. 126.
2. La France fut d'abord divisée en di^ proviuces ou cercles
réduits ensuite à neuf. Les voici :
1" cercle : Bretag-ne, Normandie.
2'= — Picardie, Champagne, Sedan, pays Messin.
3= — lie de France, Orléanais, Berry.
-i» — Touraine, Anjou, Maine, Perche, Loudunois, Pain-
tonge , Aunis, La Roclielle, Ang:oumois, Bas-Poitou
5' — Ilaut-l'oitou.
G° — Bourgogne, Lyonnais, Dnuphiné, Provence.
Y — Bas-Languedoc, Vivarais, Basse- Auvergne.
*>• — Haut-Languedoc, Haute-Auvergne, Ilaufe-Guyenne,
Quercy, Rouergue, Afmagnac, Comminges, Bigorre
»• — Basse-Guyenne, Gascogne, Bordelais, Agénois Pé-
rigord, Limousin.
LIVRE XXIII.
95
A côté du conseil général on créa dans chaque province
un conseil provincial composé de cinq ou sept membres du
tiers-état, dans lequel devaient entrer au moins un gou-
verneur de place et un ministre. Ce conseil devait corres-
pondre directement avec l'assemblée générale, et avoir
dans son ressort le même pouvoir que le conseil général
avait dans le royaume; il élait chargé de recueillir les
plaintes, les avis, les mémoires; de veiller à ce que la
concorde régnât entre les grands; de s'occuper enfin de
tout ce qui intéressait la cause.'
L'assemblée arrêta qu'il était urgent, vu le malheur des
temps, de s'organiser au plus vite et de fixer la fin du mois
de septembre comme dernier délai; elle s'occupa ensuite
à élaborer des règlements touchant la levée des deniers et
des tailles, les places fortes, les garnisons, les pasteurs,
les écoles, les collèges. A tous ces règlements on ajouta,
dit Elle Benoît, huit articles secrets dont le premier portait
que pour l'administration de la justice on demanderait des
chambres mi-parties dans tous les parlements, excepté ce-
lui de Grenoble, où les réformés, qui pouvaient tout sous
Lesdiguières, étaient à peu près contents de leur condi-
tion; et si on ne pouvait obtenir ces chambres, on prenait
la résolution de récuser tous les parlements, les présidiaux
et tous autres juges royaux, dans les affaires dont ils
peuvent juger en dernier ressort; et qu'on fournirait des
causes de récusation contre tous ces tribunaux. Le second
portait qu'on rechercherait l'intercession de la reine d'An-
gleterre et des États des provinces unies, parce qu'on
I trouvait les affaires des églises déplorables. Le troisièm»
! voulait qu'on écrivît aux grands, pour les exhorter à la
: piété et à l'union. Le quatrième permettait, pour celte fois
seulement, de doubler le nombre des députés que chaque
i province enverrait à la prochaine assemblée, à cause de
î l'importance des affaires qu'on y traiterait. Le cinquième
ordonnait que l'exercice de la religion réformée cessât
dans les lieux où il avait été mis par surprise, pourvu que
cela se pût faire sans sédition, et qu'on rétablirait la messe
idans les lieux où elle était avant la dernière guerre, ce
qu'on faisait pour ôter aux catholiques le prétexte qu'ils
1. Actes des assemblées générales (15941V
«6
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
prenaient de n'exécuter pas les édits, sur ce que les rcfur-
inés y contrevenaient eux-mêmes, en ne permettant pas '
qu'on dît la messe dans certaines places dont ils s'étaient '
emparés. Le sixième remettait au retour des députés qu'on '
enverrait en cour à déterminer si on recevrait les catho- '
liques aux charges dans les villes que les réformés avaient '
en garde ; c'est-à-dire qu'il fallait que les catholiques |
sussent qu'on les traiterait à la pareille, et que, s'ils ne '
voulaient pas faire part des charges aux réformés, ceux-ci !
les en excluraient à leur tour dans les lieux où ils seraient '
les plus forts. Le septième désavouait tout ce qu'une pro- '
vince aurait fait au préjudice et sans prendre l'avis des '
autres, ce qui était arrêté pour prévenir des demandes
pareilles à celle de l'Ile-de-France , et le huitième approu- [
vait l'union de plusieurs provinces contiguës dans un seul '
conseil provincial.' '
XVIIl. '
L'assemblée représenta dignement les intérêts de ses i
mandataires par la vigueur qu'elle déploya et surtout par la «
pensée qui présida à la création du conseil général. L'unité il
de vue, de sentiment et d'action lui évita des divisions qui s
l'eussent entraînée fatalement à sa ruine. Elle ne voulut
pas d'un grand pour protecteur: elle fit bien. Henri IV lui i
avait fait expier cruellement l'honneur d'avoir eu à sa tête a
un prince du sang royal. f
Le protestantisme put dès lors se présenter à ses enne- i
mis, fort de son unité, et leur faire comprendre qu'il ne p
serait pas facile, ni de le désunir, ni de l'abattre. C'est à t
son conseil général qu'il dut de traverser les plus mauvais s
jours de son histoire, et si plus tard l'édit de Nantes fut l
donné, il l'obtint moins de la volonté royale que de l'ha- il
bileté, de la vigueur et de la persistance de ce conseil. h
Un événement qui aurait pu avoir des résultats funestes fi
pour les réformés eut lieu pendant la tenue de l'assemblée ii
de Sainte-Foi ; une insurrection terrible éclata parmi les !(
paysans du Périgord et des provinces voisines. Quarante ii
mille d'entre eux, dont un tiers de réformés, prirent les
firmes et répandirent partout la consternation et l'effroi.
1. Histoire de l'édit de Nantes, 1. 1", Uy. Ul, p. 129-130. »
lIVRE xxin.
97
Ils donnaient pour prétexte de leur insurrection la con-
duite indigne de la noblesse qui faisait peser sur les paysans
un joug cruel et odieux. C'était un avant-coureur des der-
niers jours du dix-huitième siècle. Une haine commune
avait réuni protestants et catholiques pour travailler « à la
réformation de l'Élat. » On ne sait ce qui serait résulté de
cette levée de boucliers, si on n'eût suggéré habilement
à ces derniers l'idée qu'il ne fallait pas admettre les hu-
guenots à l'honneur de travailler avec eux à une si sainte
cause. A un signal convenu, les catholiques se séparèrent
des protestants qui, réduits à l'impuissance par leur petit
nombre , présentèrent leurs services à l'assemblée de
Sainte-Foi qui les refusa et leur conseilla secrètement de
traiter avec la cour aux meilleures conditions pour eux;
ils le firent, .et ainsi finit la guerre des Croquants", qui fut
une manifestation de la haine que la noblesse s'était attirée
par sa tyrannie.
Avant de se séparer, l'assemblée nomma des députés
pour la représenter à la cour et décida que la prochaine
réunion aurait lieu à Saumur le 1" décembre 159-i; son
œuvre était terminée; elle avait bien mérité de ses man-
dataires en plaçant le protestantisme, profondément ébranlé,
sur des bases dont le temps a démontré la solidité.
Les députés qu'elle avait envoyés à la cour, réunie alors
à Saint-Germain, furent bien accueillis; mais rien de ce qui
avait été promis à Mantes ne fut accordé. Ils commen-
cèrent à perdre patience; ce qui se passait autour d'eux
n'était pas propre à leur en donner. Le duc de Mercœur,
puissant dans la Bretagne, avait ouvert des négociations
avec le roi, et parmi les conditions, dont il faisait dépendre
sa soumission, il demandait l'abohtion du culte réformé
dans ses possessions et dans plusieurs provinces voisines où
il avait des châteaux. Le pape enfin, qui craignait que le roi,
lassé de ses refus , ne formât une Église gallicane avec un
patriarche à sa tète, se montrait moins difficile et paraissait
disposé à accorder son absolution , qu'il ferait cepeixJant
acheter au monarque au détriment des réformés; si h cela
on ajoute les lenteurs des parlements qui ajournaient ou
1. Nom douué aux paysans insurgés. — Élie Benoît, t. I",
liv. Ul,p. 130-1.3i,
/a.
98
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
refusaient la vérification des édits , on comprend combien
étaient légitimes les craintes des députés. C'est dans cet
intervalle qu'eut lieu l'attentat de Chastel dont nous avons j i
parlé. Le crime de cet assassin avança les affaires des ré- ' ï
formés mieux que les instances de leurs députés. Henri IV, i f
dans ses moments d'épanchement, était plein de bonnes *
dispositions pour eux; mais lorsqu'il raisonnait en poli- il
tique, il n'osait s'abandonner aux entraînements de son ■
cœur. Cependant il ne pouvait continuer à bercer d'espé- fl
rances illusoires un parti qui, dans son assemblée de 4
Sainte-Foi, s'était fortement constitué, en se donnant, j Ji
pour organe oflîciel auprès de la cour, son conseil général, k
Les ennemis des réformés avaient pris occasion de la ] }>
formation, de ce conseil , pour les accuser de vouloir for- »i
mer un État dans l'État. Le roi, qui n'en croyait rien, 4
jugea cependant prudent de leur faire quelques concessions if
afin de rendre inutiles leurs assemblées dans lesquelles fi
ils agitaient des questions brûlantes et vitales pour leur
cause. Il ordonna la vérification des édits qu'on leur avait
accordés, et qui devaient être confirmés par un édit nou- I
veau , suivant la promesse faite à leurs députés à Mantes.
Ce ne fut pas sans de grandes difficultés que le conseil
consentit aux désirs du roi. Le parlement, devant lequel f
l'édit fut porté, l'enregistra après de longues et orageuses
discussions; les opinions se firent jour avec une grande f
violence; les zélés catholiques de la cour n'admettaient f
pas qu'on pût déclarer les réformés capables de remplir
concurremment avec eux toutes les charges de l'État. Ils "
durent cependant céder; la modération l'emporta sur la
violence. Les hommes sages du parlement comprirent que ;
le refus d'enregistrement amènerait une nouvelle guerre
civile; les sept qui avaient eu lieu en moins de trente- f
deux ans, le courage indomptable que les dissidents y
avaient déployé, les maux sans nombre qui en étaient ré-
sultés pour le royaume furent, auprès du roi, des avocats ?'
plus» puissants que les passions ligueuses qui s'agitaient i
encore autour de lui.
Les protestants furent "a demi satisfaits de l'édit et très- !'
mécontents de la manière dont il avait été rendu. Le pro-
cureur général La Guesle ne voulut pas qu'on se servît,
dans l'enregiîtrement, delà formule accoutumée: tOuI
LIVRE XXIII.
99
et ce requérant le procureur général » il ne mit que ces
mots : « Ouï le procureur général. » C'était grave , con-
traire aux précédents, et constituait un antécédent fâcheux
qui faisait connaître aux catholiques que l'enregistrement
de l'édit avait été forcé , ce qui , dans l'opinion publique , lui
ôtait la plus grande partie de sa force.*
Pendant ces négociations, conformément à ce qui avait
été arrêté à Sainte-Foi, les réformés étaient sur le point
de tenir une assemblée à Saumur. Quand le roi en enten-
dit parler, il en éprouva une vive peine ; jaloux de son au-
torité plus qu'aucun de ses prédécesseurs, il ne pouvait
supporter l'idée de la moindre résistance à sa volonté;
mais chez lui l'homme politique était le frein du roi. Il se
décida à accorder ce qu'il ne pouvait empêcher sans recou-
rir à la force qui eût provoqué une vive résistance de la
part des huguenots.
XIX.
Les historiens hostiles au protestantisme ne veulent voir
que des rebelles dans ces députés qui, malgré le roi, vont
de tous les points de la France se réunir à Saumur'; un
peu de réflexion et d'équité devrait leur faire comprendre
que les réformés n'exercèrent que le droit de légitime dé-
fense et que leur inaclion ou leur insouciance les eût li-
vrés à la merci de leurs implacables ennemis; loin de les
blâmer, il faut au contraire admirer leur constance dans
les épreuves, et la persistance avec laquelle ils ne ces-
sèrent de réclamer leurs droits de citoyens et la liberté de
servir Dieu selon leur conscience; grands sur les champs
de bataille, ils ne le sont pas moins dans les conseils,
où ils discutent leurs intérêts, résolus à tout, même au
sacrifice de leur vie, plutôt que de trahir la cause de
leurs glorieux pères; aussi c'est avec un sentiment de res-
pectueuse admiration que la pensée s'arrête sur cette as-
semblée de Saumur, qui, dénuée de ressources, revendique
énergiquement ses droits et ne veut ni du dernier édit,
1. Histoire de l'édit de Nantes, 1. 1", liv. III, p. 137.
2. Mémoires de Madame Duplessis-Mornay, 1. 1", p. 268-269. —
D'Aubigué, liv. IV, ch. 10; t. UI, page 366-367.
400 HISTOIRE DE LA. RÉFORMATION FRANÇAISE.
ni des anciens, parce qu'elle les croit impuissants pour
protéger sa cause; elle en demande un nouveau, qui lui
Qonne la liberté de culte dans tout le royaume, garantisse
un salaire à ses pasteurs, permette aux réformés de dis-
poser de leurs biens à leur volonté, leur donne des cours
et des tribunaux mi-parties, les rende admissibles à tous
les emplois, remette entre leurs mains des places de sû-
reté avec des garnisons payées aux frais de l'État. S'il n'y
eût eu dans leurs délibérations que des intérêts politiques
engagés, ils n'eussent montré ni tant de courage ni tant
de persévérance; regardant à la terre plutôt qu'au ciel, ils
eussent, comme les ligueurs , dit à Henri IV: «Combien
nous donnes-tu et nous te livrerons notre cause.» Ils ne
le firent pas, parce que chez eux il y avait des convictions
fortes et que le sang de leurs martyrs coulait encore dans
leurs veines; il y eut, sans doute, parmi eux des lâches et
des ambitieux ; mais au moins la masse résista aux pro-
messes et aux séductions et donna au monde un noble
exemple en ne sacrifiant pas au veau d'or ; leur mémoire
n'y a rien perdu.
XX.
Au milieu de tous ces débats les affaires du roi prenaient
une tournure favorable : la ligue allait s'affaiblissant, et
cependant elle résistait toujours, couvrant sa rébellion de
l'autorité du pape, qui n'avait pas encore levé l'excommu-
nication qui pesait sur Henri IV, lequel n'avait pas cessé de
négocier auprès du pontife sa réconciliation avec l'Eglise.
Deux hommes habiles, insinuants, d'Ossat et Du Perron,
l'aidaient dans cette tâche; son insistance auprès du Saint-
Siège s'explique par son désir de désarmer la ligue et,
plus encore , le bras des assassins. Après tant de combats,
de périls et de fatigues, il soupirait après le repos.
L'homme brave parmi les braves et qui, dans les rencon-
tres les plus périlleuses, ne connut jamais la crainte, «était
peureux devant le couteau; » l'absolution papale était à ses
yeux un bouclier plus sûr que les arrêts de ses parlements,
qui avaient déclaré sa personne inviolable et sacrée. Pour
l'obtenir, il ne négligea rien, fit des bassesses et descendit
presque au niveau de cet autre Henri qui, la corde au cou,
LIVRE xxni.
101
en plein hivêr, vint en chemise se courber devant l'impla-
cable el orgueilleux Grégoire VII'. On pardonne quelquefois
aux rois d'être cruels, jamais d'être rampants, et quelle
que soit la raison d'état dont ils se couvrent, ils sont obli-
gés de respecter la dignité royale dans leur personne.
Henri IV l'oublia complètement et continua les scènes de
l'abjuration et du sacre.
Après de longues et habiles négociations, le pape crai-
gnant, par de nouveaux retards , de pousser le roi à
quelque résolution désespérée, se décida à lui accorder
son absolution à des conditions dures et humiliantes dont
voici les principales ••
Le rétablissement du culte catholique dans tout le
Béarn ;
> La publication du concile de Trente en France sauf
quelques modifications;
La remise du prince de Condé entre les mains des ca-
tholiques qui rélèveraient dans leur religion ;
La restitution au clergé romain de tous ses biens ;
L'exclusion des réformés de toutes les charges pu-
bliques, etc.*
Indépendamment de ces conditions, le pontife imposait
au roi, pour pénitence, l'obligation d'entendre tous les
dimanches une messe conventuelle dans la chapelle royale,
et la messe privée tous les jours de la semaine, de dire le
rosaire tous les dimanches , le chapelet tous les samedis et
les litanies tous les mercredis, de jeûner tous les vendre-
dis, de se confesser et communier publiquement au moins
quatre fois l'année. Le pape oublia de lui ordonner de
cesser sa vie -scandaleuse et de se séparer de Gabrielle
d'Estrées; cela eût mieux valu.
Là ne se bornèrent pas les humiliations du roi; dans
ces jours d'affaiblissement la papauté se croyait encore
forte; elle dut le croire quand elle vit un Bourbon victo-
rieux de ses ennemis, celui qui naguère l'avait bravée et
1. Henri IV, empereur d'Allemagne, mort de misère en 1106.
Son ûls Henri V, qui causa sa mort, fit déterrer son corps, qui,
endant cinq années, demeura sans sépulture aux portes do
église de Spii-e.
2. D'Aubigné, liv. XIV. — De Thon, liv. CXIII. — Canefiffue.
^-^'11, p. 29-i. — L'Estoile, année 1595.
iéi ' HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
raillée dans Rome même, mendier son appui. Sans doute,
dans ses instances, il y avait plus de politique que d'affec-
tion; mais aux yeux de toute l'Europe le roi de France
reconnaissait dans le pape la plus haute autorité qui fût au
monde; c'était un triomphe pour Rome après les rudes
coups que la réforme lui avait portés; elle voulut donc,
en cette occasion solennelle , agir comme en plein moyen
âge; plus le roi se montra faible, plus elle se montra exi-
geante, demeurant fidèle à sa politique. La cérémonie de
la réconciliation eut lieu dans Saint-Pierre : ce jour-là
la basilique fut ornée avec une pompe extraordinaire. Le
pape, vêtu de pourpre et portant la tiare sur la tête, ap-
parut aux yeux de toute l'assemblée, assis sur un trône
éclatant entouré de cardinaux, de grands dignitaires et de
tous les officiers de sa maison. Douze pénitenciers armés
de baguettes étaient à droite et à gauche du trône ponti-
fical.
Les deux procureurs du roi, d'Ossatet Du Perron, con-
duits processionnellement devant le pontife, furent admis
à l'honneur de lui baiser les pieds. Immédiatement après.
Du Perron lut, à genoux, en latin, la confession de foi
par laquelle le roi renonçait aux erreurs de Calvin et de-
mandait humblement au Saint-père son absolution.
Le pape accorda cette demande aux conditions qu'il lui
avait imposées.
Du Perron et d'Ossat le promirent au nom de leur
maître.
Après cette promesse on entonna le miserere; pendant
le chant, le pape, armé d'une baguette, frappait alterna-
tivement sur l'épaule de d'Ossat et sur celle de Du Perron.
Le miserere fini, il prononça quelques oraisons en langue
latine, puis il déclara le roi absous du crime d'hérésie, le
remit dans le giron de l'Église et lui donna, en le nom-
mant, le titre de «roi très-chrétien»; au même instant
les voûtes de l'immense cathédrale furent ébranlées par
le son des trompettes et des tambours auxquels se mêlèrent
les cris d'allégresse des assistants et le bruit des canons
du château Saint-Ange, qui tiraient à toute volée.
Le pape descendit de son trône, embrassa affectueusement
les procureurs du roi. «Je suis heureux, leur dit-il, d'avoir
ouvert à votre maître les portes de l'Église militante.»
LIVRE xnn.
103
«J'assure votre béatitude, lui répondit Du Perron,
qu'avec la foi et les bonnes œuvres il s'ouvrira à soi-
même celle de la triomphante. »
Du Perron promettait beaucoup.'
La grande fête du 15 septembre 1595 fut complétée par
le supplice de deux protestants : un Flamand fut brûlé
vif au champ de Flore; un Anglais, qui avait renverse un
ciboire et traité d'idole l'hostie, eut le même sort. On lui
coupa la langue et lé poing, et dans la crainte que sa mort
ne fût trop prompte et trop douce, on le brûla contmuelle-
raent avec des torches ardentes, depuis sa prison jusqu au
lieu de son supplice. '
XXI.
Les protestants, malgré les promesses du roi, n'étaient
pas rassurés; des bruits étranges, qui venaient de Rome,
les tenaient dans une grande anxiété ; ils pensèrent que le
roi avait acheté son absolution à leurs dépens; et cependant
ils ne pouvaient se résoudre à croire que l'homme, auquel
ils avaient tout prodigué, voulût faire de leur ruine une con-
dition de stabilité pour son trône. Dans ses instructions à
d'Ossat et à Du Perron n'avait-il pas fait coucher par écrit
ces paroles notables destinées à être mises sous les yeux
du pape : « Ceux de la religion réformée étant en grand
nombre et puissants dans le royaume comme ils sont,
servent et fortilient grandement sadile Majesté à défendre
son État contre ses ennemis comme ils ont fait ci-devant:
de sorte que sadite Majesté serait accusée d'imprudence
et d'inçratitude si, après en avoir tiré tant de services
qu'elle "a fait, et au besoin qu'elle a encore d'eux, elle leur
courait sus et les forçait à prendre les armes contre sa
personne, comme ils ont toujours fait quand on a voulu
forcer leur conscience; mais Sa Majesté espère d'en avoir
meilleur compte par la douceur et l'exemple de sa vie que
par la rigueur. » '
En apprenant l'absolution papale, les catholiques mani-
' 1. Palma-Cayet, année 1595. — CapeOgue, liv. Vïï. — L'Estoile,
gimée 1595. — Davila, Uv. XiV. — De Thou, Uv. CXm.
2. Histoire de l'cdit de Nantes, liv. d, p. 147.
3. Ëlie Benoit, 1. 1", liv. III, p. 144.
i04 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
restèrent bruyamment leur joie; trente-cinq ans de guerre
les avaient lassés; ils soupiraient après la paix, cependant
tout ce que le catholicisme comptait d'hommes honorables
se sentit abaissé dans l'humiliation que le pape avait in-
fligé à la royauté dans la personne du monarque. Ils blâ-
mèrent vivement Du Perron et d'Ossat, de s'être soumis
à la formalité de la baguette. Quant au roi, il ne partagea
pas l'indignation de son entourage; habitué à rire de tout,
il rit des coups de baguette, car elles lui venaient en aide
contre les ligueurs, sur les épaules desquels le pape avait
frappé plutôt que sur les siennes. Après la cérémonie de
l'abjuration et celle du sacre il pouvait tout se permettre;
il fut fidèle à lui-même.
Le jour où il reçut la nouvelle de sa réhabilitation il
envoya des courriers dans toutes les provinces de son
royaume pour apprendre aux gouverneurs cet heureux
événement ; il disait dans ses lettres « que le plus grand hon-
neur que les monarques laissent d'eux a la postérité est
de s'être humiliés et d'être enfants de l'Église.»'
I. V Palma-Cayet, année 1595, édit. panth. litt., p. 600.
105
LIVRE XXIV.
I.
Pendant que d'Ossat et Du Perron négociaient à Rome
auprès du pape la réconciliation du roi avec l'Eglise catho-
lique, des protestants qui célébraient leur culte à la Châ-
taigneraye furent impitoyablement mis à mort par les soldats
de la garnison de Rochefort. Deux cents personnes de tout
âge et de tout sexe périrent. Ce fut une femme , la dame
de la Châtaigneraye qui prépara cette sanglante expédition,
et qui après l'exécution, vint sur le terrain du massacre ,
gaie, riante , joyeuse, compter les morts et s'informer si
ceux des huguenots qu'elle haïssait le plus étaient du
nombre. Les soldats se montrèrent impitoyables : un enfant
nouveau-né, qu'on avait apporté à l'assemblée pour rece-
voir le baptême, fut massacré; un autre qui, à peine âgé
de huit ans, présentait auxégorgeurs huit sous en échange
de sa vie, ne les toucha ni par son innocence, ni par sa
jeunesse, ni par ses cris: le pauvre agneau fut immolé.'
Les protestants, indignés de cet acte de lâche barbarie,
commis, en pleine paix, sur des gens inoffensifs, et dans
le plein exercice de leurs droits, demandèrent qu'on pour-
suivit les auteurs du massacre comme des brigands, et
dans la crainte de voir se renouveler de pareilles vio-
lences, plusieurs d'entre eux prirent les armes. Quelques-
uns même, dans l'e.xcès de leur indignation, voulaient
user de représailles sur les catholiques, pour se faire jus-
tice de leurs propres mains.
IL
Toutes ces plaintes parvenaient aux oreilles du roi, qui
s'efforçait de les oublier. Des choses plus importantes le
■préoccupaient alors; il faisait agir auprès du pape les res-
1. Élie Benoit, t. I", liv. IV, p. J50.
106 HlSTOmE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
sorts de sa diplomatie pour obtenir son absolution; ce fut
pendant ces délicates et épineuses négociations qu'il crut
être agréable au Saint-Siège, en faisant tous ses efforts pour
retirer des mains des protestants le jeune prince de Condé,
qu'ils gardaient comme un otage, avec l'arriêre-pensée
de s'en faire un protecteur, si on continuait à les molester;
leurs craintes n'étaient pas sans fondement: la vérification
del'édit, qui devait améliorer leur position, n'avait fait
que l'empirer; de là, leur refus de rendre le jeune prince.
Henri IV, sans attendre que le pape lui en eût imposé
l'obligation, déploya son habileté accoutumée pour les y
contraindre, sans en venir à des voies de fait, auxquelles il
répugnait; il lit courir le bruit que les réformés ne ren-
draient jamais le jeune prince : c'était les signaler comme
des rebelles et des factieux; il fitajouter que leur conduite
préjudiciait à ses intérêts. C'était jeter la zizanie au milieu
de leurs rang^ , à cause de ceux de leurs coreligionnaires
qui lui étaient attachés; il fit enfin insinuer, que ce qu'on
ne voulait pas lui donner volontairement , il saurait le
prendre par la force ; c'était le moyen d'effrayer les ti-
mides, qui soupiraient après le repos et tremblaient au
moindre bruit de guerre.
Le jeune prince', objet de ces négociations , était le fils
aîné de Henri de Bourbon, prince de Condé, mort à Jarnac.
Ce prince qui avait plus de courage que de talents mili-
taires, et plus d'ambition que de valeur personnelle, était
plus aimé des protestants que le roi de Navarre. Après
avoir abjuré le lendemain du 24 août 1572, il était rentré
dans l'Église réformée, à laquelle il était attaché moins par
politique que par conviction. Depuis ce jour il n'avait pas,
comme Henri de Béarn, éveillé les soupçons de ses core-
ligionnaires par des réticences et des hésitations; aussi les
protestants le préféraient à son cousin , malgré la supériorité
que ce dernier avait sur lui. Rien ne faisait prévoir la mort
de ce prince, quand, tout à coup, il mourut à Saint-Jean-
d'Angély, le 5 mars 1588, à la fleur de son âge. On crut à
un empoisonnement. L'autopsie confirma les soupçons qui
se portèrent sur Brossant, l'un de ses domestiques, et sur
son page: le premier fut exécuté; le second, qui parvint à
1. Haag, France protestante, art. Bourbon.
LIVRE XXIV.
101
s'échapper, fut condamné à mort et brûlé en effigie. Les
soupçons ne s'arrêtèrent pas aux serviteurs du prince, ils
atteignirent son épouse , Charlotte de la Trémouille. On
crut voir en elle la main invisible qui avait présidé à ce
crime ; jetée en prison, son procès commença : en 1595
il n'était pas terminé, et les soupçons continuaient à planer
sur elle , quoique , jusqu'à cette époque , les enquêtes
n'eussent abouti à aucun résultat positif.'
Deux hommes étaient ses ennemis particuliers : le prince
de Conti et le comte de Soissons, frères de son mari. Ces
deux princes attendaient d'une condamnation infamante fa
perte des droits de son fds , alors premier prince du sang,
et né six mois après la mort de son père. En le faisant dé-
clarer illégitime*, ils se rapprochaient du trône; ils avaient
donc intérêt à faire flétrir leur belle-sœur par un jugement
solennel. Ils inquiétaient autant le roi que les huguenots.
La Trémouille , frère de la veuve de Condé , souffrait
cruellement de voir sa sœur sous le poids d'une accusation
infamante. Ce seigneur courageux, habile, entreprenant,
avait toute la confiance des protestants, qui repor-
taient sur lui leurs espérances. Henri IV craignit qu'il ne
voulût pas rendre le jeune prince, sous le nom- duquel
il pouvait devenir un jour le chef de ses coreligionnaires.
— La situation était très-compliquée, car de quelque ma-
nière qu'il en poursuivît l'issue, il allait se heurter contre
des difficultés. Il eut alors l'idée d'intéresser La Trémouille
à l'honneur de sa sœur, en lui faisant sentir habilement
la honte qui rejaillirait sur sa maison, si la princesse,
déjà condamnée par les juges de Saint-Jean-d'Angély ,
portait sa téte sur un échafaud comme complice de la
mort de son mari. Ebranlés par ces raisons, les parents de
l'accusée présentèrent au roi une requête qu'il accueillit
favorablement; les demandeurs y exposaient que les juges
qui avaient condamné Charlotte de la Trémouille étaient
incompétents; que c'était au parlement de Paris, juge
1. Mémoires de la ligue, t. II. — On trouve dans ces Mémoires
les pièces suivantes : Relation de la mort du prince de Condé. —
Avertissement sur la mort de Monseigneur le prince de Condé. —
Rapport des médecins et chirurgiens sur la mort du prince de
Condé, p. 303-304.
i, Rosoy, Éconowies royales, t. n, cb. 22, p. 233.
108 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
naturel des princes du sang, à prononcer. Le marquis de
Pisani fut envoyé à Saint-Jean-d'Angély avec la mission
d'en ramener la princesse avec son fils'. 11 éprouva d'abord
de grandes difficultés : les zélés parmi les protestants
craignaient, non sans raison, qu'une fois nanti de la
personne du jeune prince, la cour ne fit tous ses efforts
pour lui faire oublier la religion de son père ; pour atté-
nuer leurs craintes, on promit le contraire, mais dès
qu'elle l'eut en sa possession, elle manœuvra si habile-
ment que ce prince, sur lequel les protestants faisaient
reposer tant d'espérances, après avoir résisté à ses con-
vertisseurs par ses cris et par ses larmes', se rangea peu
à peu du côté des catholiques, et devint controversiste et
convertisseur. Les protestants devaient faire encore une
fois l'expérience, qu'en s'appuyant sur les grands de ce
monde, ils avaient bâti sur le sable. Ce n'était que jus-
tice : la Réforme devait échouer partout où elle n'avait
pas été fidèle à son principe.
Charlotte de la Trémouille comparut devant ses juges ,
qui la relevèrent solennellement de l'arrêt porté contre
elle; elle fut rendue à la liberté, et quelque temps après
elle abjura la religion protestante à Rouen entre les
mains du légat du pape.
Quelle qu'ait été la solennité de l'arrêt qui lui rendit son
honneur, des doutes continuèrent à planer sur sa mé-
moire'. «Les cours de justice, ditSismondi, avaient si peu
de respect pour la vérité, et les preuves, sur lesquelles
elles se décidaient , étaient si peu concluantes , que
l'opinion publique ne put jamais avec sûreté prendre
leurs sentences pour ses règles. »
IIL
Les réformés, témoins de toutes ces nouvelles intrigues,
faisaient tous leurs efforts pour qu'on fit droit à leurs de-
mandes. Les deux députés de leur assemblée de Saumur
1. L'Estoile, année 1595.
2. Il fut conduit la première fois à la messe le 24 janvier 1696.
— Voir l'Estoile, année 1596.
3. Sismondi, t. XXI, p. 330. — De Thou, liv. CXII. p. 560;
t. CXVII, p. 20. — Davila, liv. XIV. — Haag, France protestante.
LIVRE XXIV.
109
se rendirent à Lyon où était le roi ; il leur fit un «cciieil
très-bienveillant et les engagea à l'aider dans sa nouvelle
guerre avec l'Espagne. Dans cette circonstance, le con-
seil général des églises réformées crut devoir se désister de
ses demandes, et fut d'avis qu'il fallait assister énergique-
ment le roi. Le duc de Bouillon lui offrit ses services, les
Provinces-Unies et l'Angleterre s'allièrent à la France contre
l'Espagne, à la grande joie des protestants, qui attendaient
de cette union la fm de leurs maux ou tout au moins
l'ère d'un meilleur avenir. Dans le traité intervenu entre
la France et la Grande-Bretagne , Elisabeth voulait faire
insérer un article par lequel le roi s'obligeait de donner un
édit favorable aux protestants de son royaume. Le duc de
Bouillon, qui avait été envoyé auprès de la reine d'Angle-
terre pour arrêter les bases du traité d'alliance, s'y opposa.
Ses coreligionnaires lui en firent d'amers reproches, mais
furent dès lors assurés d'avoir hors de la France des pro-
tecteurs qui pourraient leur venir en aide dans leurs jours
de détresse.'
La guerre avec l'Espagne n'ayant pas porté les fruits
qu'ils en espéraient, les réformés se virent exposés à de
nouveaux retards qui les jetèrent dans de grandes impa-
tiences: toujours demander et ne recueillir que de stériles
paroles, c'était dur pour ces hommes qui avaient le senti-
ment profond de la justice de leurs demandes et de l'ini-
3uité des refus répétés dont elles étaient suivies. Le roi ,
e son côté, fatigué de leurs requêtes, perdant quelque-
fois patience, leur disait des paroles dures, auxquelles ils
ripostaient en lui rappelant leurs longs services.
Le pape, qui savait par ses émissaires tout ce qui se pas-
sait en France, avait soin de prendre pour prétexte lo
moindre acte, la moindre parole du roi en faveur des pro-
testants, pour mettre en doute la sincérité de sa conversion.
Clément VlII eut voulu l'amener peu à peu à exterminei
ses anciens coreligionnaires, comme il l'avait promis lors
de son abjuration et de son sacre; «mais le roi n'y voulut
jamais consentir; » cependant il essayait de contenter le
f)ape: il prononçait alors quelques paroles rudes contre
es réformés, ou bien faisait le convertisseur, et y réus-
1. Histoire de l'édit de Nantes, liv. IV, p. 156.
IV. 4
•410 HISTOIRE DE LA RÉFORMATIOM FRANÇAISE.
fiissait quelquefois ; le r!?pe espérait arriver graduellement à
«on but. Il se crut nicine s; • le point do l'atteindre, quand,
en 1596, on fit courir le L. ^It que le roi avait définitive-
ment rompu avec les liuguenols, et leur avait dit en ré-
ponse à une requête qu'ils lui avaient présentée, «qu'il
se joindrait au roi d'Espagne pour les détruire, et que,
s'ils ne se tenaient pas dans le terme des édits, ils n'au-
raient pas si bon marché de lui que de ses prédécesseurs. » *
Mais pendant qu'il parlait ainsi, il donnait à des hugue-
nots laïques des prieurés, des évêchés, des abbayes, dont
ces derniers retiraient les revenus, comme cela se pra-
tique encore en Angleterre, sous le nom d'un confident
ou prête-nom. L'abus à cet égard était tel, que le conseil
privé du roi rendit un arrêt qui adjugea un évêché à une
femme, Le clergé catholique qui prenait facilement son
fiarli des abus quand ils favorisaient ses intérêts particu-*
iers, se plaignit vivement et ce ne fut pas sans peine qu'il
parvint à introduire des réformes dans cette partie de la
législation ecclésiastique.
IV.
Les plaintes du clergé catholique inquiétèrent le roi
qui lui permit de se réunir. Il parut en personne à l'as-
semblée; le discours qui lui fut adressé fut modéré de
formes. On lui demanda de faire un édit pour ramener les
protestants dans la religion catholique, sans lui demander
cependant, cette fois, de le faire par la force, mais par
des conseils et la persuasion ; il obtempéra à ces de-
mandes et rendit en sa faveur un édit à Travercy (1596),
qui porta une nouvelle atteinte aux libertés déjà si res-
treintes des protestants. 11 les obligea à souffrir la réinté-
gration du culte catholique sur tous les points du royaume,
et leur enleva le droit de se faire ensevelir dans les ci-
metières et autres lieux consacrés , quoiqu'ils eussent des
droits de patronage, à moins qu'ils ne mourussent dans la
religion romaine; il donna au clergé le droit de reven-
diquer les reliques et les ornements des églises des mains
1. Élie Benoit, t. I", liv. IV, p. 160. — Agrippa d'Aubjgné,
Histoire universelle.
LIVRE XXIV.
111
de leurs détenteurs, et dans le cas où ils ne les représen-
teraient pas, celui de leur intenter une action civile. L'ar-
ticle de l'édit, auquel tenait le plus le clergé, était la res-
titution par ces derniers de tous les biens ecclésiastiques.'
Après cinq ans de demandes, d'instances et de suppli-
cations, les réformés n'avaient abouti qu'à l'édit de Tra-
Vercy.
Un autre édit, auquel le roi attachait une plus grande
importance, fut celui de Folembray (janvier 1596)% qu'il
rendit en faveur de Mayenne, qui lui vendit chèrement sa
soumission. Ce fut lui qui dicta les termes du contrat: le
roi signa. Il renonça même à poursuivre les complices de
la mort de Henri III.
«Il est constant, dit de Thou, en parlant des traités
faits par le roi avec les ligueurs, que tous ces édits , ces
traités, ces conventions, que le roi fut obligé de faire avec
les princes, les grands, les villes et les gouverneurs des
places rebelles, pour rendre la paix au royaume, coû-
tèrent à l'État plus de six millions d'écus, qu'il fallut im-
poser sur le malheureux peuple, que la guerre avait réduit
à une extrême pauvreté, et qui avait un grand besoin d'être
soulagé. Ces sommes, qu'oïl exigea avec une rigueur
inouie, jointes aux impôts ordinaires, ruinèrent presque
sans ressource, non-seulement le petit peuple, mais les
familles les plus honnêtes, dont le fonds et les revenus se
trouvèrent anéantis par la misère où le peuple était réduit.
Telle fut la fin de cette guerre qu'on n'avait entreprise que
pour le maintien de la religion et pour le soulagement du
peuple. Au lieu de cela, on peut dire que la religion se vit
entièrement détruite, foulée aux pieds, et absolument
anéantie par l'impiété des guerres civiles, tandis que les
fieuples, non-seulement de la campagne, mais de toutes
es villes du royaume, et les meilleures familles même,
furent réduits à la plus grande indigence. A l'égard des
princes, des grands et de la noblesse, ils s'accoutumèrent
1. Histoire de l'édit de Nantes, 1. 1", liv. IV, p. 162-163.
2. Cet édit fut, après une vive opposition, enregistré au parle-
ment le 9 avril 1596, le 29 mai suivant à la cour des comptes et
le 29 du même mois à la cour des aides. — Voir dans De Thou,
liv. CXV, le récit de cette grave affaire.
}. Note VI.
iiî HISTOIRE DE IK RÉFORMATION FRANÇAISE.
tellement à vivre sans règle et à faire des dépenses qui
passaient leurs forces, qu'aujourd'hui on les voit noyés
de dettes et déjà dégoûtés de la paix que Dieu nous a enfin
accordée par sa bonté, n'avoir plus de ressources que
dans de nouveaux troubles , et soupirer encore après une
nouvelle guerre civile, pour remédier au mauvais état de
leurs affaires'.» Un seul ligueur, le duc de Mercœur, n'a-
vait pas fait sa soumission : la Sainte-Union ne vivait que
par lui.
V.
Les défiances des protestants demeuraient les mêmes :
chaque jour était marqué par un nouvel acte d'oppression
ou de mauvaise foi; on voulait, suivant la confession
na'ive d'un conseiller d'État, les pousser « à faire les fous.>
Henri IV était étranger à ces lâches menées, qu'il ne pou-
vait empêcher. Ceux des chefs de la ligue qu'il avait ache-
tés, n'avaient pas abandonné l'idée d'un démembrement
de la France; cette idée même avait pris corps, et les
principaux auteurs du complot vexaient les protestants
\ pour les pousser à prendre les armes, et par la guerre,
arriver h leur fin.
Les réformés qui avaient, par leur courage, aidé le roi
il conquérir son trône, l'aidèrent, par leur sagesse , à le
conserver. Ils se bornèrent à continuer leur assemblée, qui
fut transportée à Loudun (1" avril 159G), avec la permis-
sion du monarque. Pendant la tenue de l'assemblée, les
parlements de Bordeaux, de Toulouse et d'Aix, rendirent
des arrêts qui limitaient les libertés des protestants; celui
d'Aix interdit même sous peine de mort la religion réfor-
mée dans toute l'étendue de son ressort. Sous le ciel ar-
dent de cette contrée, les passions ligueuses ne s'étaient
pas amorties; d'Oppède revivait dans ses intolérants suc-
cesseurs.
L'assemblée qui recevait de toutes les provinces les ca-
hiers contenant les plaintes de ses mandataires, élait
dans une grande perplexité; elle attendait peu de la bien-
veillance du roi : elle lui envoya néanmoins le huguenot
1. DeThou, Bv. CXV, p. 743-741.
LIVRE XXIX.
113
Vulson pour presser l'exécution de ses promesses ; l'en-
voyé fut bien accueilli, mais n'obtint rien. Le roi, offensé
de la hardiesse des députés qui lui avaient fait dire par leur
envoyé que l'assemblée attendait sa réponse à Loudun, et
plus encore de sa résolution de ne se séparer qu'après
avoir obtenu une conclusion des affaires pour lesquelles
elle s'était réunie, lui ordonna de se dissoudre immédia-
tement. — «Nous n'avons, se dirent alors les députés,
rien à attendre de la cour; c'est en nous-mêmes et dans
nos propres forces que nous devons chercher un remède
à nos maux. » — L'idée de séparer leur cause de celle du
roi germait dans les esprits d'une manière rapide, in-
quiétante; elle se légitimait à plusieurs égards. Duplessis-
Mornay conjura l'orage en se rendant au sein de l'as-
semblée, à laquelle il fit entrevoir les dangers d'une
pareille mesure ; il persuada aux députés qu'avec une ré-
sistance passive, ils atteindraient mieux leur but qu'en
prenant une mesure qui les placerait en état de rébellion
ouverte. «Fortifions, leur dit-il, notre assemblée d'un
pliTS grand nombre de personnes considérables, et déci-
dons que nous ne nous séparerons pas sans avoir obtenu
un édit avec des garanties sulfisantes pour son exécution.))
L'assemblée suivit le conseil de Duplessis , et la sagesse ,
cette fois encore, l'emporta sur le ressentiment.'
L'attitude de l'assemblée inquiétait vivement le roi; dans
une lettre que Mornay lui écrivit, ce fidèle serviteur lui ex-
posait les raisons que les protestants avaient de se plaindre,
plaçait sous ses yeux des faits et l'engageait à envoyer
un commissaire pour entendre et recevoir les plaintes des
réformés, «Ne croyez pas. Sire, lui disait-il, que la chose
n'est pas peu importante ; chacun veut savoir, une bonne
1. Dans une lettre à La Fontaine (19 juin 1596), Du Plessis
disait : iJe vous ai écrit de notre assemblée de Loudun; chacun y
désire la paix, mais chacun y est las de l'incerlitude de notre
condition; en vain leur prêche-t-on la patience; ils répliquent,
quils l'ont eue en vain, qu'il y a sept ans que le roi règne, que
( leur condition empire tous les jours , qu'on fait pour la ligue tout
ce qu'elle veut, que la cour ni les cours ne lui refusent riea et
n'y fait rien l'histoire du prodigue. Au moins, disent-ils, anrès
avoir tué le vean gras pour eux . qu'on ne nous laisse pas la corde
au cou, poui' salaire de notre lidéUté. »
Hé HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
fois, ce qu'il doit attendre pour sa sûreté.» Pour reinplif
cette mission délicate il lui indiqua le président de Thou.*
Le roi accueillit favorablement la lettre de Duplessis : il
révoqua de suite les ordres de disperser l'assemblée par
la force et lui promit de lui envoyer dans un bref délai un
commissaire pour traiter avec elle. Le délai expiré, le
commissaire n'arriva pas, l'assemblée était impatiente;
tant d'années de demandes et de vaine attente l'avaient
lassée. Le roi avait contenté tout le monde, excepté les
huguenots; bien plus, tout ce qui s'était fait pour l'asseoir
sur le trône, avait été fait à leurs dépens; le pape avait
vendu chèrement son absolution, et quand les chefs de
la ligue avaient à leur tour vendu leur soumission, ils
avaient cru éviter la honte de leur marché par la mani-
festation de leur haine contre les protestants.
VI.
«Toutes ces réductions, dit Élie Benoît, donnaient de
nouveaux ombrages aux réformés, contre les libertés des-
quels on insérait toujours quelque clause dans les traités
des gouverneurs et des villes. Les articles mêmes, qu'on
avait arrêtés à Mantes, se trouvaient presque tous violés
par ces nouveaux édits, et les réformés, après ces infrac-
tions, se trouvaient à recommencer. Toutes les villes ne
montrèrent pas une aversion égale pour eux ; mais elles
s'accordèrent toutes à demander qu'on n'exerçât dans leur
enceinte nulle autre religion que la catholique. Meaux se
contenta d'exclure de ses murailles et de ses faubourgs
l'exercice de la religion réformée. D'autres le firent ex-
clure de leur banlieue. Plusieurs le firent réduire aux bornes
de l'édit de 1577, de peur que les services des réformés
ne leur fissent obtenir une liberté plus étendue. Plusieurs
demandèrent l'exclusion de l'exercice des réformés dans
toute la juridiction de leur bailliage; quelques-uns y ajou-
tèrent la peine de la vie pour ceux qui y contreviendraient.
t. Brief discours par lequel chacun peut être éclairci des justes
procédures de ceux de la religion réformée , par M. Duplessis. —
Dans ce discours, qui se trouve au tome VU des Mémoii'es de l'au-
teur, p. 278 , la négociation relative «ux protestants s'y trouve
racontée avec de grands détaUs.
uvBs xinr.
paris fit reculer, ft dix lieues à la ronde , l'eiercice que
les réformés désiraient. Villars les bannit de Rouen et de
toutes les villes et places qu'il remit dans l'obéissance du
roi, et fit ajouter qu'il n'y serait reçu ni juge, ni oflicier
3ui ne fût catholique et qui ne vécût selon les constitutions
e l'église romaine. Mais pour adoucir cette clause rigou-
reuse, on y ajouta que cela durerait jusqu'à ce que le roi
en eût autrement ordonné. Poitiers, outre l'exclusion de
l'exercice de la ville et des faubourgs et de tous les lieux
oii l'édit de 1577 ne le permettait pas, demanda le réta-
blissement de la religion catholique en divers lieux du Poi-
tou. Agen fit limiter sa banlieue à demi-lieue à la ronde
où l'exercice de la religion réformée ne se pouvait faire.
Amiens le fit défendre dans la ville et dans tout le bailliage
sans réserver l'édit de 1577. Beauvais obtint qu'il ne se
pourrait faire qu'à trois lieues à la ronde et dans le^
reste du bailliage qu'aux lieux où il s'était fait du vivant du
feu roi. Saint-Ma!o fut traité de même. Les villes et les
seigneurs qui revinrent plus tard à leur devoir, suivirent
l'exemple des autres et tirèrent tout ce qu'ils purent du
roi contre la religion réformée.»'
Les réformés renouvelèrent leurs demandes quand ils
apprirent que Clément VIll avait envoyé un légat en France:
l'arrivée de ce prélat leur paraissait un présage de mauvais
augure; ils ne doutaient pas qu'il ne vînt solliciter le roi de
[(rendre des mesures violentes contre eux ou toijt au moins
'engager à ajourner la réponse à leurs cahiers, qu'ils atten-
daient depuis si longtemps. Leurs craintes s'accrurent en
voyant diminuer leurs garnisons en Poitou et en Saintonge,
et supprimer celle de Thouars. De plus , Rosny, leur co-
religionnaire, loin de soutenir leur cause, paraissait la
trahir. Ce ministre de Henri IV n'était aimé ni des catho-
liques ni des protestants; son caractère hautain, dur, al-
lier, lui faisait des ennemis de tous les hommes qui avaient
une valeur personnelle. Dans le maréchal deBouillon, Rosny
baissait l'homme puissant aux affaires; dans Lesdiguières,
le soldat heureux et indépendant ; dans Duplessis-Mornay,
l'honnête homme et l'habile politique. Il tenait systémati-
quement ce dernier éloigné de la cour dans la crainte qu'il
1. Histoire de l'édit <1e Nantes, 1 1", Ut. m, p. 116-117.
ii6 HISTOIRE DE hk RÉFORHATION FRANÇAISE.
ne le supplantât dans l'esprit du roi. Chez Rosny l'ambi-
tion était une maladie incurable; de grands défauts ter-
nissaient chez lui d'admirables et d'incomparables quali-
tés; il avait beaucoup de ce qui fait le grand minisire et
un peu de ce qui rend l'homme petit.'
Dans l'impossibilité de se faire rendre justice, l'assem-
blée se décida à se la faire elle-même. Elle ordonna, en
quelques lieux du Poitou, la saisie des recettes royales
comme une compensation au préjudice qui lui était causé
par les diminutions de leurs garnisons, leurs seules ga-
ranties contre de nouvelles vexations qui leur paraissaient
imminentes. L'attitude de l'assemblée et la réunion d'un
synode national qui avait lieu au même moment à Saumur
alarmèrent le roi qui craignit que les députés et le synode,
en unissant leurs efforts, n'accrussent ses embarras. Il se
décida alors à envoyer des commissaires pour traiter avec
l'assemblée. Sur le refus de De Thou, il nomma pour
cette mission De Vie et Colignon, qui reprochèrent aux
membres de l'assemblée de ne pas savoir tenir compte de
la position difficile du roi. «Le roi, dirent-ils, se plaint
de ce que vous êtes bien éloignés de l'affection et du res-
pect que vous avez toujours eus pour lui.» Aux reproches
qu'ils leur firent de songer plus à leurs intérêts particu-
liers qu'au bien public, les députés demandèrent aux com-
missaires s'ils connaissaient pour eux un bien public pré-
férable à leur conservation. «Est-ce juste, ajoutèrent-ils,
de laisser des milliers des meilleurs sujets de Sa Majesté
exposés sans défense à la merci de leurs ennemis , gens
exercés à la perlidie , aux injustices et aux massacres?»*
VII.
Henri IV se décida cependant à faire quelques conces-
sions aux protestants , quand il vit que l'assemblée était
résolue à ne rien céder de ce qui concernait le paiement
de ses iTiinistres et l'administration de la justice, pour la
sûreté de laquelle elle réclamait des chambres mi-parfics
dans les parlements qui leur étaient suspects. Il leur per-
1. Histoire de l'édit de Kantcs, t. l", !iv. 111, p. 121-123.
t. Élic Bei;oil, t. Il, ch. 4, p. 177.
LIVRE XXIV.
mit de con-tinuer l'exercice de leur culte dans tous les
lieux où ils l'avaient commencé pendant l'année courante,
et l'établissement d'un second lieu de culte dans chaque
bailliage , de plus il fit enregistrer par le parlement de
Rouen l'édit de 1577, comme il l'avait déjà été par celui
de Paris.
Ce n'étaient que des palliatifs à une situation qui de-
mandait des remèdes énergiques; et cependant ce mini-
mum de justice indisposa Rome , qui vit , dans la vérification
de l'édit de 1577 par le parlement de Rouen, un recul de
Henri IV dans sa foi religieuse. Le pape se plaignit vive-
ment à d'Ossat, qui calma le pontife, en lui exposant que
le roi avait agi sous l'empire de la nécessité.
Les commissaires royaux se rendirent, au commence-
ment de février 1597, à l'assemblée, qui, sur son désir,
s'était réunie à Vendôme. Ils lui dirent «que leur maître,
malgré tout le bien qu'il voulait aux prolestants , ne pou-
vait accorder davantage.» L'assemblée ne fut pas satisfaite.
«On nous sacrifie, dirent les députés aux commissaires,
on oublie nos services, on nous forcera, par des injus-
tices réitérées , à chercher notre soulagement en nous-
mêmes. » Les commissaires qui connaissaient les disposi-
tions de l'assemblée écrivirent au roi qu'il serait dange-
reux de la pousser au désespoir; que ce qu'il y avait de
plus urgent à faire, c'était de la dissoudre et de renvoyer
les députés dans leurs provinces avec des concessions qui
les satisfissent.
Le roi fut mécontent de l'attitude que prenait l'assem-
blée; il s'emporta contre Bouillon et La Tremouille, cou-
pables, à ses yeux, d'entretenir, parmi ses membres, un
esprit d'agitalion contraire à ses intérêts et à ceux des
réformés, qui, par leur manque de patience, rendaient sa
tâche difficile et l'empêchaient d'exécuter le bien qu'il se
proposait de leur faire.
Le roi pensait ce qu'il disait, mais il avait perdu le droit
d'êlre cru. Depuis sept ans il promettait et disait aux hu-
guenots: «Vous n'êtes pas patients! » Les événements plus
forts que sa volonté lui avaient créé cette étrange situation.
Les choses ne tendaient pas vers une situation favorable.
Les pourparlers continuaient à Saumur où l'assemblée
s'élail trausnortée de Vendôme, guand tout àcoi^ lanou-
118 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
velle de la prise d'Amiens par les Espagnols retentit en
France comme un coup de tonnerre qui terrifia le roi et
remplit d'espérance les ligueurs.'
VIII.
lia nouvelle surprit Henri IV au milieu des plaisirs aux-
quels il se livrait sans retenue. Sa maîtresse en litre était
Gabrielle d'Estrées , qu'il avait fait duchesse de Beau-
fort, et pour laquelle il dépensait follement des sommes
énormes, auxquelles Rosny subvenait avec ses pots de vin.»
L'Estoiie , tout en ne prétendant qu'au modeste rôle de
nouvelliste, nous a laissé une belle page d'histoire de ces
temps si agités. «Le jeudi gras (13 lévrier 1597), le roi,
dit-il, soupa et coucha chez Zamet, et le vendredi il en-
voya dire aux marchands de la foire qu'ils n'eussent à dé-
taler, parce qu'il y voulait aller le lendemain; comme il
fit et dîna chez Gondi avec Mad. la marquise, à laquelle il
voulut donner sa foire d'une bague de huit cents écus qu'il
marchanda pour elle, mais il ne l'acheta pas... Il mar-
chanda tout plein d'autres besognes à la foire ; mais de ce
que on lui faisait vingt écus il en offrait six et ne gagnèrent
guère les marchands à sa vue... Le dimanche gras il dîna
et soupa chez Sancy... Le dimanche 23, qui 6; ;it le pre-
mier jour du carême, le roi fit une mascarade de sorciers
et alla voir les compagnies de Paris. Il fut chez la prési-
dente Saint-André, chez Zamet et, en tout plein d'autres
lieux, ayant toujours la marquise à son côté. Ballets, mas-
carailes, musique de toute sorte, suivirent ces beaux
festins... Le mercredi, 12 mars, veille de la m-i-carême,
pendant qu'on s'amusait à rire et à baller, arrivèrent les
piteuses nouvelles de la surprise d'Amiens par l'Espagnol,
qui avait fait des verges de nos balais pour nous fouetter.
De laquelle nouvelle Paris, 'a cour, la danse et toute la
fête fut fort troublée; et même le roi, duquel la constance
et magnanimité ne s'ébranlent aisément, étant comme
1. Surprise d'Amiens. — Mémoires de la ligue, t. VI. — '
V. Palma-Cayet, liv. IX. — Davila, liv. XV.
2. Chaque fois que Sully contractait iiu marché an nom et pour
le compte de l'État, il se faisait donner une certaine sojnme à titre
de pots de vin. Ces pots de vin étaient les fonds secrets du rci.
tïVRE XXIV.
119
étonné de ce coup et regardant cependant îi Dieu , comme
il fait ordinairement plus en l'adversité qu'en la prospé-
rité, dit tout haut ces mois : «Ce coup est du ciel! ces
pauvres gens, pour avoir refusé une petite garnison que
je leur ai voulu bailler, se sont perdus.» Puis, songeant
un peu, dit: « C'est assez fait le roi de France, il est temps
de faire le roi de Navarre. » Et se retournant vers la mar-
quise qui pleurait, lui dit : «Il faut quitter nos armes et
monter à cheval pour faire une autre guerre. » *
IX.
Un grand malheur fondait inopinément sur Henri IV,
au milieu de ses plaisirs ; ce n'était pas une simple décla-
ration de guerre qui lui était faite, c'était l'existence même
de sa couronne qui était en question. Ses alliés et ses en-"
nemis le crurent perdu. La nouvelle de la prise de Doul-
lens , Cambrai et Calais ébranla la confiance de ses plus
fidèles serviteurs. L'Espagne tout entière, aidée du duc
de Mercœur, du duc de Savoie et de quelques chefs ca-
tholiques, qui n'avaient pas encore fait leur soumission,
se lovait contre lui aux acclamations des Parisiens, qui ne
pardonnaient pas au roi la suppression de leurs rentes et
la perte de leurs libertés municipales. Ils se croyaient déjà
vainqueurs, et faisaient circuler contre lui et contre sa
maîtresse des lazzis et des satires. *
La reine d'Angleterre, à laquelle Henri IV fit demander
des secours, les lui refusa. Il lui offrait cependant Calais
en gage. Menacée par une grande flotte espagnole , Elisa-
beth réservait ses forces, soit pour repousser cette flotte,
soit pour attaquer celle de l'Espagne.
Le danger était imminent, vu les nombreux éléments
de dissolution qui existaient dans le royaume. La France,
en 1593, fut moins près d'un démembrement qu'à cette
époque.
Les sentiments des réformés se firent jour, quand la
nouvelle de la prise d'Amiens parvint à l'assemblée réunie
1. Journal de l'Estoile, t. III, p. 189-193.
2. DeThou, liv. CXVm. — Davila, t. XV. — L'Estoile, aniée
1597.
120 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
h Saumur. Les uns proposaient de saisir cette occasion de
prendre les armes , afin d'obtenir de la détresse du mo-
narque ce qu'ils n'avaient pu retirer de son équité ; les
autres, qui aimaient toujours leur ancien maître, dirent
que ce serait odieux d'abandonner le roi dans une posi-
tion si critique, et que c'était le moment, non de lui faire
de nouvelles demandes, mais de se relâcher de leurs pré-
tentions. Les ducs de la Trémouille et de Bouillon, qui ju-
geaient la position du roi désespérée, se prononçaient
pour le parti des armes. Henri IV eût couru de grands
dangers , si la proposition des deux maréchaux eût été ac-
cueillie favorablement; la plupart des églises, et parmi
elles les plus nombreuses , la rejetèrent, ainsi que la
meilleure partie de la noblesse. Ce jour-là les protestants
sauvèrent la France de la honte d'un démembrement ;
leur prise d'armes eût amené infailliblement celle des
ligueurs, et Philippe II, avant de mourir, eût vu ses
vœux accomplis. Dieu ne le permit pas. Des opprimés
devinrent le salut de leur patrie.
Les embarras du roi étaient extrêmes : il n'avait ni ar-
gent, ni troupes; entouré de conspirateurs, il ne savait à
qui se fier. Dans cette extrémité , il trouva dans Rosny un
puissant auxiliaire. Cet homme dur, inflexible, ne recula
pas devant des mesures, qui, dans des temps ordinaires,
eussent été iniques, mais qui alors étaient justifiées par
la grande loi du salut public. Sa main s'appesantit sur tous
ceux de la nation qui n'aimaient pas à donner; il pro-
posa entre autres choses, de créer et de mettre en vente
un certain nombre d'offices , de lever un impôt forcé sur
les plus riches des membres des cours souveraines et des
grandes villes , et de demander au clergé un décime ou
deux. '
Les parlements, auxquels furent adressés les édits bur-
saux, tirent des remontrances d'autant plus violentes qu'ils
sentaient le gouvernement plus faible. Le roi, qui était
parti pour Amiens, accourut en toute hâte à Paris, pour
forcer la main au parlement. «Messieurs de la cour, dit
l'Estoile, allèrent trouver Sa Majesté qui était au lit; M. de
Harlay pLutail la parole, contre lequel le roi, pour ne pas
t. ÉconoraioÈ loyales, t. IIL
LIVRE XXIV.
121
condeecendre à ses demandes , entra en colère jusqu'aux
démentis. Il leur dit qu'ils feraient comme ces fols d'A-
miens qui, pour lui avoir refusé deux mille écus, en
avaient baillé un million à l'ennemi.... Au premier prési-
4enl, qui lui dit que Dieu leur avait baillé la justice en
mains, de laquelle ils lui étaient responsables ; relevant
cette parole, il lui répartit qu'au contraire c'était à lui qui
était roi auquel Dieu l'avait donnée, et lui à eux. A quoi
9n dit que le premier président ne répliqua rien, outré,
tomme on le présuppose de colère et de dépit, dont il
tomba malade et fut saigné. Ce que le roi ayant entendu,
demanda si avec le sang, on lui avait tiré sa gloire'. Le roi
plaisantait sur tout, dans la bonne et dans la mauvaise
fortune. »
Devant la résistance injuste de la cour, qui mettait l'État
en péril, le roi ne faiblit pas : il se rendit au parlement,
menaça les conseillers de les chasser ou de les envoyer à
la Bastille. Devant cet argument sans réplique les con-
seillers enregistrèrent en sa présence, le 12 avril 1597,
les édits bursaux. Le roi retourna à Amiens , laissant Paris
dans une extrême agilalion, causée par la misère et les
passions ligueuses qui se réveillaient à la vue d'un mo-
narque dont la chute paraissait imminente.
Les demandes du roi étaient juslitiées par son propre
dénuement. «Je veux bien vous dire, écrivait-il d'Amiens
à Rosny, l'état où je rae trouve réduit, qui est tel que je
suis fort proche des ennemis et n'ai quasi pas un cheval
sur lequel je puisse combattre, ni un harnais complet que
je puisse endosser. Mes chemises sont toutes déchirées ,
mes pourpoints troués aux coudes , ma marmite est sou-
vent renversée, et depuis deux jours je dine et soupe cliez
les uns et les autres ; mes pourvoyeurs disent n'avoir plus
moyen de rien fournir pour ma table , d'autant plus qu'il
y a plus de six mois qu'ils n'ont reçu d'argent. Partant ,
jugez si je mérite d'être ainsi traité, et si je dois plus long-
temps soull'rir que les financiers et les trésoriers me
fassent mourir de faim, ei qu'eux tiennent des table.s
friandes et bien servies, que "ma maisor. soit pieiiic do
nécessités et la leur de richesses et d'opulence, n *
1. I/Kstoiie, année 1597.
2. tc'uiiumies royales, 1 1".
122
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
Dans cette lettre le roi fait allusion à l'état de Paris
qui présentait un double spectacle : celui de la misère la
plus navrante et du luxe le plus scandaleux. «Pendant
qu'on apportait, rapporte l'Estoile, à tas de tous côtés, à
l'Hôlel-Dieu, les pauvres membres de Jésus-Christ, si secs
et si exténués qu'ils n'y étaient pas plutôt entrés qu'ils y
rendaient l'esprit, on dansait, onmommait'; les festins
et banquets se faisaient à 45 écus le plat, avec des colla-
tions magnifiques à trois services, et la superfluité des
habillements, bagues et pierreries était telle , qu'elle s'é-
tendait jusqu'aux bouts des souliers et des patins. »'
Et c'étaient ces hommes insensibles aux misères du
peuple qui étaient le plus opposés aux édits bursaux, et
qui, pendant que la France était sur le point de recom-
mencer une nouvelle guerre civile ou de tomber sous le
joug de l'Espagne, ne rêvaient que plaisirs et fêtes, au
milieu des cris des alîamés et du râle des mourants. Le
peuple portait la peine de ses propres excès; plus tard,
ce même peuple appesantira sa main sur ceux qui, insen-
sibles à sa détresse, ne comprirent pas que les richesses
sont un dépôt que Dieu nous confie pour nous entr'aider
dans nos souffrances. Il y a plusieurs manières de tuer les
hommes: la plus cruelle et la plus criminelle, c'est de
les laisser mourir de faim. Revenons au roi.
Dans cette situation périlleuse, Henri IV ne désespéra
pas; il redevint le roi de Navarre : hardi, gai, entrepre-
nant. Quand sa noblesse le vit sous les murs d'Amiens, elle
fit par point d'honneur ce qu'elle n'aurait pas fait par ré-
flexion; elle accourut pour vaincre ou mourir avec lui. Le
vieux sang gaulois, qui coulait dans ses veines, se réchauffa
à l'odeur de la poudre et au son des clairons. Tel qui l'a-
vait abandonné, ne pensa qu'au plaisir de se battre et de
se distinguer sous ses yeux. Mayenne donna l'exemple de
la fidélité aux promesses. On regrette vivement, pour
l'honneur des prolo'^lnnts, l'absence de Bouillon et de La
Trémouille, qui furent accusés d'avoir voulu profiter du
désordre de l'État, pour obtenir par la force les avantages
qu'on leur refusait.
1. Ou jouait la comédie.
2. L'Estoile, année 1597.
LIVRE XXIV.
123
Cependant les protestants n'abandonnèrent pas tous le
roi : s'ils ne parurent pas en corps au siège, ils y parurent
comme individus; un grand nombre d'entre eux, mêlés
aux troupes royales , prirent part aux périls , et versèrent
leur sang pour la cause de la patrie; parmi eux se trouvait
lui gentilhomme huguenot, le jeune duc Henri de Rohan,
appelé à un grand rôle parmi ses coreligionnaires,
X.
Henri de Rohan était le fils aîné de Réné de Rohan et
de la célèbre Catherine de Partheuay-Larchévêque. 11 na-
quit au château de Blain, le 25 août 1579. A peine âgé de
six ans il perdit son père. Sa mère le fit élever avec le plus
grand soin , et le prépara, par une éducation virile et forte,
pour les temps oiageux qui s'annonçaient. L'enfant mon-
tra de bonne heure un goût décidé pour les armes et pour
tous les exercices du corps. Sa lecture favorite était Plu-
tarque. La vie des hommes illustres, dont le célèbre bio-
graphe raconte les faits, enflammait sa jeune imagination,
et lui faisait désirer de leur ressembler. En attendant qu'il
pût imiter leur vaillance sur les champs de bataille, leur
habileté aux sièges des villes , leur sagesse dans les con-
seils, il les imitait dans leur vie simple, frugale, austère;
et quand plus tard, il fut appelé à vivre au milieu d'une
cour vicieuse, il sut s'y conserver pur de toute souillure,
et pendant que les jeunes gentilshommes ne rêvaient que
plaisirs et fêtes, il étudiait. Ce fut au siège d'Amiens qu'il
fit ses premières armes. Ses débuts attirèrent sur lui les
regards de Henri IV, bon juge en cette matière ; sous le
simple soldat, il devina le héros, qui déjà se sentait né
pour les grandes choses.'
XL
Ce qui devait être la ruine de Henri IV fut la cause de
sa grandeur; il paralysa, en entrant à Amiens par la
brèche , la main du vieux Philippe II, et s'imposa au parti
ligueur'. Le duc de Mercœur demanda une trêve de trois
1. Haag, France protestante, lir. XJI, p. 474.
2. Mémoires de la ligue, t. VI. — De TIiou, liv. CXVIII. — Ben-
tivoglio, p. m, liv. IV. — Capitulation d'Amiens, p. 524.
124 HISTOIRE DE LA RÉFORMATIOK FRANÇAISE.
mois. Le roi catholique lui-même , courbé moins sous le
poids des années que sous celui des infirmités et du dé-
couragement, sentit que son rôle était fini en France ; il
ne pensa plus qu'à négocier. Des conférences s'ouvrirent,
et la paix fut signée entre l'Espagne et la France à Ver-
vins, le 2 mai 1598, sur les bases du traité de Càteau-
Cambrésis, si funeste à la France', mais le royaume se
trouvait alors dans un tel état d'épuisement que le roi dut
renoncer à un accroissement de territoire. L'Angleterre et
la Hollande refusèrent d'èire comprises dans le traité, ne
foulant à aucun prix, faire la paix avec l'Espagne , ce qui
n'empêcha pas Henri IV de passer outre, malgré les enga-
gements qu'il avait contractés avec ces deux puissances. H
sentait que la France avait avant tout besoin de paix et de
repos. Pendant les négociations qui aboutirent au traité de
Vervins, le roi poursuivait le règlement de deux grandes
affaires qui le préoccupaient vivement: la réduction du duc
de i\Iercœur, le dernier grand chef de la ligue, et la tran-
saction avec les protestants, qui réclamaient instamment
un édit qui garantît l'existence de leur culte, leurs vies et
leurs propriétés.
Le duc de Mercœur, qui n'avait pas fait sa soumission,
même après que Mayenne eut fait la sienne, se montra
filus trailable à la reprise d'Amiens. Sentant qu'une plus
ongue résistance entraînerait sa ruine, il ne songea qu'à
céder devant un roi victorieux, mais il eut soin de se faire
fscheter chèrement sa soumission. Le traité fut signé à
Angers le 20 mars 151)8.
XIL
La ligue était morte. Pour porter un jugement sain
sur cette grande page d'histoire de nos guerres religieuses,
il faut s'élever dans les régions calmes et sereines des
principes; alors seulement on pourra avoir l'explication
du grand drame au prologue duquel nous trouvons le
cardinal de Lorraine, et au dernier acte son neveu le duc
(Se Majenne.
1. Traités Je paix, t., II, p. 616. — Mémoires de la ligue, t. VI.
— Davila. liv. XV. — Élisabeth et Henri IV, par Prévost Paradol,
Paris lȈd.
LIVRE XXIV.
125
La ligue a son principe générateur dans l'ultramonta-
nisme. Ce qui arriva au seizième siècle se renouvellerait
aujourd'hui, si la chose était possible. Il ne faut pas ou-
blier que le prêtre n'a qu'un seul chef, le pape , une seule
patrie, Rome, un seul but, la grandeur de son église; iS
n'est ni Français , ni Anglais, ni Espagnol, ni Allemand;
il est lui, ne veut être que lui, ne peut être que lui; c'esê
là le secret de sa force. 11 pense avec une seule tète, sent
avec un seul cœur, agit avec un seul bras ; tout ce qui le
sert a droit à son encens, tout ce qui lui résiste ne mérite
que ses anathèmes. Ses principes, qui paraissent immua-
bles sont d'une élasticité étonnante ; il sait se faire tout à
tous: les mêmes hommes auxquels il serre fraternellement
la main sur les bords du lac Léman , il les proscrit à
Rome'. En traçant ce portrait, nous ne faisons que de
l'histoire ; or, dans ce portrait se trouvent tous les germes
de la ligue et ses développements immédiats.
Le clergé est intolérant par principe : les bûchers, dres-
sés sous les règnes de François 1" et de ses succes-
seurs, furent la conséquence inévitable de cette maxime
«qu'il ne faut pas souffrir dans l'Église et à côté de l'É-
glise des hérétiques. » Tout disposés qu'étaient les rois
à le seconder, le clergé romain ne comprit ni l'inutilité,
ni l'odieux des persécutions; il le comprit si peu qu'il at-
tribua à son manque de rigueur (lui rigoureux jusqu'à la
barbarie) l'accroissement des huguenots. Il y eut cepen-
dant un moment où Henri III se fatigua de faire la guerre
à des hommes qui semblaient renaître de leurs cendres et
se montraient plus diiïïciles à vaincre le lendemain d'une
défaite que le lendemain d'une victoire; de là les traités
que ce monarque faisait avec eux , de là aussi le commen-
cement de son impopularité. On voulait qu'il exterminât
les huguenots jusqu'au dernier; il se sentit impuissant
pour cette œuvre de destruction ; de plus il commençait à
comprendre que l'affaiblissement et l'anéantissement des
réformés seraient sa propre ruine; si sa haine de zélé ca-
tholique lui faisait désirer la ruine de ses sujets dissidents,
ses intérêts de roi lui faisaient une impérieuse nécessité
1. Ce qui se passe à Genève, où le pai'ti ultiamontaiu soutient
ks radicaux couire les conservateurs, en e.st la preuve.
426 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
de les laisser subsister. Le clergé, qui ne regardait qu'à ses
intérêts de caste, se détacha de Henri III le jour où il vit
clairement que ce monarque hésitait à lui offrir son bras
pour frapper les réformés; un intérêt commun réunit
ses membres; la ligue fut formée, il en fut l'âme, les
Guises, la main; ses actes ne doivent pas nous étonner.
Lorsqu'il prononça la déchéance de Henri III et acclama
son meurtrier, il fut très -conséquent, aussi bien que
lorsqu'il refusa de reconnaître pour roi légitime le Béar-
nais hérétique et relaps. Ses violences eurent leur cause
moins dans les hommes que dans les principes : ceux qui
croyaient à la légitimité du régicide, pouvaient sans re-
mords faire pendre Brisson.
Les admirateurs de la ligue nous l'ont présentée comme
populaire, elle ne le fut jamais; elle fut populacière. Née
d'une intrigue de sacristie , elle s'alimenta par l'intrigue,
et ne se soutint que par l'appui de l'Espagne. Si elle fût
sortie d'un mouvement spontané de la nation, elle aurait
rejeté en quelques jours les huguenots du royaume,
comme en 1593 la France rejeta les étrangers hors de ses
frontières. Les mêmes historiens parlent avec enthou-
siasme de son amour pour la liberté ; mais la liberté est-
elle compatible avec la dictature? La ligue empêcha tout
ce qu'elle put empêcher et ne souffrit que ce qu'elle ne
put interdire. Les pensionnaires de Philippe II ne pou-
vaient pas aimer la liberté.
Tous les ligueurs n'étaient pas la ligue; la vraie ligue
n'était ni Mayenne, ni Brissac, ni d'Aumale, ni même la
duchesse de Montpensier; c'était Pelletier, Boucher, Guin-
cestre, Garin, Panigarole, Commolet, Rose, le conseil
des Dix, les Seize, Cajetan, Bellarmin, toute l'armée des
prêtres et leurs séides; c'est là qu'il faut l'étudier, car
c'est là que fut son âme.
Elle eut un triste mérite, celui d'arrêter l'essor de la
réforme et de forcer Henri IV à abjurer; elle compromit
ainsi pour longtemps l'avenir de la France , prépara la
ruine de toutes les libertés et sema les germes de la tem-
pête qui devait éclater sur elle à la fin du dix-huitième
siècle.
On a voulu justifier la ligue en disant que les protes-
tants aussi s'étaient ligués ; la différence est notable : les
LIVRE JJIY.
427
huguenots s'unirent pour se défendre, les catholiques pour
les opprimer. Des deux côtés il y eut des excès; mais ceux
des protestants ne furent que des représailles justifiées par
le droit de la guerre, tandis que ceux des ligueurs n'eurent
d'autre cause qu'une haine que deux siècles et demi n'ont
pas éteinte et qui ne mourra qu'avec le dernier ultra-
montain.
xin.
Le roi qui avait rallié à sa cause les seigneurs royalistes
et les chefs de la ligue , les premiers par son abjuration ,
les seconds au prix d'énormes sacrifices pécuniaires, avait
encore à satisfaire les réformés, dont le mécontentement
lui paraissait légitime quoique très-inopportun. Un écrit,
publié quelque temps après la surprise d'Amiens, entre-
tenait parmi eux une grande agitation, que les ambitieux
du parti auraient pu exploiter à leur avantage et au détri-
ment de la paix. L'auteur, au nom de ses frères, y expose
dans les plus grands détails les maux sous lesquels ils gé-
missent. On ne peut lire ces pages trempées de larmes sans
se sentir profondément ému pour les opprimés et indigné
contre les oppresseurs. Le calme qui règne dans tout
ce récit remue plus profondément le cœur que ne le fe-
rait la violence ; on sent la vérité palpiter sous chaque
ligne, sous chaque parole; celui qui parle au nom de ses
frères nous apparaît comme un témoin tidèle et exact diis
choses qu'il raconte'. «Nous sommes, dit-il en leur nom,
en s'adressant à Henri lY, contraints à regret de nous
plaindre, mais nous y sommes forcés par la fureur de nos
ennemis. Nous ne sommes ni Espagnols, ni ligueurs; de-
uis notre berceau jusqu'à ce jour nous avons com-
altu et prodigué notre sang pour la conservation de
votre couronne, et cependant depuis huit ans notre con-
1 . L'écrit parut sous le titre de : Plaintes des églises réformées
de France, sur les victimes qui leur sont faites en plusieurs en-
droits du royaume, et pour lesquelles elles se sont en toute hu-
inilité adressées diverses fois à Sa Majesté et à Messieurs de son
Conseil. — L'écrit se trouve en entier dans les Mémoires de Du-
plessis-Momay.
128 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
dilion est la même ; la trêve qu'on nous accorde nous est
plus préjudiciable que ne le serait une guerre civile. Pen-
dant que nos ennemis prenaient les armes contre l'État,
nous le servions; et pour récompense de notre dévoue-
ment à votre personne, on veut' vous persuader, par des
raisons de conscience, de travailler à notre destruction. On
a commencé d'abord par vous obliger à aller à la messe ;
vous l'avez fait en disant que jamais on ne vous contrain-
drait à faire du mal à ceux qui vous avaient aidé de leur
or, de leur sueur et de leur sang, et cependant on vous a
mené peu à peu à croire tout ce qu'il y a de plus grossier
dans la religion romaine, et le jour de votre sacre à
Chartres vous avez juré d'exterminer l'hérésie et les héré-
tiques; et ce serment, on vous l'a fait renouveler quand
vous avez pris l'ordre du Saint-Esprit. Ah! permetlez-nous
de vous faire entendre nos plaintes , afin que vous con-
naissiez, par vous-même, la vérité que vos conseillers
vous cachent. Nous nous plaignons, Sire, de tous les Fran-
çais; car ceux qui ont de bonnes et droites intentions sont
tellement faibles et craintifs, qu'ils font cause commune
avec les autres. La noblesse, le peuple, les magistrats, le
clergé, les ordres religieux nous oppriment; le clergé
surtout nous couvre de ses mépris et nous poursuit de
ses railleries. Pendant cinquante ans on nous a poursuivis,
massacrés, noyés, pendus, brûlés, massacrés en masse,
bannis du royaume ; pendant trente-cinq ans , à sept re-
prises, on nous a fait la guerre pour nous détruire, et,
après tant de luttes et de traités de paix indignement vio-
lés, nous ne pouvons exercer notre culte que là où nous
sommes assez forts pour neutraliser la violence de nos
ennemis; ailleurs nous ne pouvons aller adorer Dieu dans
nos temples, sans rencontrer les huées et quelquefois les
mauvais traitements des catholiques. Plusieurs de nos
frères ont été battus, blessés, estropiés, laissés pour
morts; nos maisons ne nous mettent pas à l'abri de leurs
atteintes, nous ne pouvons y faire nos prières, et quand
nos minisires y viennent administrer le baptême à nos en-
fants, on les saisit et on condamne aux dépens ceux qui y
ont assisté. Les parlements, qui devraient être les gardiens
dos libertés religieuses, sont les premiers à les violer. Ce-
lui de Bordeaux a fait arrêter ceux qui avaient assisté au
tIVRE XXIV.
129
prêche dans la maison de Madame'. Les troupes du duc de
Guise ont fait du temple de Lourmarin une étable, et jeté
sept à huit de nos frères dans l'eau. Dans le Poitou la
garnison de Rochechouard a tiré deux coups de canon
contre quinze cents réformés assemblés selon l'ordon-
nance de l'Hôtel-de-Ville. Partout, Sire, nous trouvons
des entraves à l'exercice de notre culte, et nulle part nous
ne trouvons le moyen de nous faire jouir de ce que les
édits nous ont accordé. A l'armée, nos soldats ne peuvent
servir Dieu selon leur conscience. A Rouen, Madame a été
obligée de sortir de la ville ; le légat n'a pas voulu qu'elle
y prît la cène. On nous enlève nos places de sûreté. Les
seigneurs catholiques, qui avaient promis au temps de leur
réconciliation le libre exercice de la religion aux réformés
dans leurs terres, manquent à leurs serments. On nous ar-
rache nos livres, nos psaumes, notre Bible, et quand nous
nous plaignons, on nous outrage ou on nous raille. On nous
défend de nous assembler pour prier Dieu; si nous y con-
trevenons, on nous condamne à l'amende et à la prison.
Nous n'avons pas même en quelques provinces le droit de
nous plaindre; on nous défend d'imprimer et de vendre;
on méconnaît à notre égard le droit le plus sacré de la
nature, celui d'apporter des consolations à nos malades et
à nos condamnés. Privés des exhortations de leurs frères ,
ils sont livrés à celles des prêtres et des moines. Les édits,
Sire, sont fidèlement observés quand ils restreignent quel-
ues-unes de nos libertés; ils sont foulés aux pieds quand
s nous accordent quelques privilèges.
«Non content de nous empêcher d'exercer notre culte,
on nous contraint à des pratiques superstitieuses, on nous
ordonne de fendre le devant de nos maisons et même
d'assister aux proce.ssions de la Fête-Dieu, sous peine de
cinquante écus d'amende. Dans certains lieux on jette en
prison ceux qui refusent de saluer la croix et de se pros-
terner devant l'hostie. On nous force de contribuer à la
construction des églises et au service divin à la manière
catholique. Nos ouvriers sont punis d'amende et contraints
d'assister aux messes des métiers; on baptise nos enfants
malgré nous; quand on le peut, on nous les enlève. On
1 . Catherine de Bourbon , sœur du roL
IbO HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
nous oblige d'observer le carême et les fêtes; nos mi-
nistres sont chassés des écoles, on leur défend d'ouvrir
des collèges; veut-on donc nous contraindre à l'ignorance
et à la barbarie? Ainsi en faisait Julien.
«La pauvreté devrait au moins être hors des atteintes
de nos ennemis. Hélas! il n'en est rien, et là oii nous con-
tribuons le plus aux aumônes, nos nécessiteux n'y ont
pas de part, et il y a des lieux de votre royaume où nous
ne pouvons pas habiter. A Lyon les juges ont chassé ceux
de nos frères qui y étaient rentrés après leur bannisse-
ment.
« Quant aux charges publiques, on nous en écarte, et dans
les chambres de justice on nous appelle turcs, chiens,
hérétiques, hétéroclites, de la nouvelle opinion, dignes
d'être poursuivis à feu et à sang et chassés de tout le
royaume. Les parlements méconnaissent complètement
leurs devoirs et se conduisent en juges prévaricateurs.
«Maltraités dans notre naissance, dans notre vie, dans
l'éducation de nos enfants, nous le sommes même dans
nos funérailles ; on nous refuse dans quelques endroits
l'usage des cimetières , et nous sommes obligés de faire
jusqu'à cinq lieues pour donner à nos morts une sépulture
honorable; on déterre leurs cadavres, qui restent exposés
aux bêtes sauvages et en danger d'être mangés par des
chiens.
«Ah, Sire, nous ne sommes ni des jacobins, ni des jé-
suites. Comme eux, nous n'en voulons ni à votre vie, ni à
votre couronne. Vous connaissez notre lidélité ; nous vous
demandons un édit avec nos larmes et non pas comme les
ligueurs qui, au lieu de leurs requêtes pour avoir la paix ,
ne vous ont présenté que la pointe de leurs épées. Six
fois, Sire, nous avons renouvelé nos instances à Mantes,
à Saint-Germain, à Lyon, au camp de la Fère, à Mon-
ceaux, à Rouen, et jusqu'ici on s'est prévalu contre nous
de la raison d'Etat , et on nous dit que ce n'est pas encore
temps. Oh, bon Dieu! Après trente-cinq ans de cruelles
persécutions, dix ans de bannissement par les édits de la
ligue, huit ans du règne duroi, quatre de poursuites, nous
redoutons de nouvelles proscriptions ; le pape y pousse de
toutes ses forces, et cependant les catholiques seuls ne
sont pas l'État, nous en faisons partie. Nous demandons
LIVRE XXIV.
131
un édit à Votre Majesté, qui nous fasse jouir de fout ce
qui est commun à tous vos sujets, c'est-à-dire beaucoup
moins que ceque vous avez accordé à vos rebelles ligueurs,
un édit qui ne vous contraigne pas à distribuer vos Etats
comme il vous plaira, qui ne vous force point à épuiser
vos finances et à charger votre peuple'. Ni l'ambition, ni
l'avarice ne nous mène; la seule gloire de Dieu , la liberté
de nos consciences, le repos de l'Etat, la sûreté de nos
biens et de nos vies , c'est le comble de nos souhaits et le
but de nos requêtes.»
XIV.
Cet écrit déplut aux protestants de la cour, qui le trou-
vèrent intempestif et trop violent dans les formes. Un écri-
vain contemporain , qui a fait du règne de Henri IV une
étude savante et consciencieuse, porte sur les réformés le
jugement suivant :
«Relativement aux vexations et aux injustices de détail,
dont ils avaient droit de demander et d'attendre la répres-
sion, il y a plusieurs observations à faire. D'abord jus-
qu'en 1598, le brigandage fut maître dans loulcs les
campagnes et dans toutes les villes de France ; avant ce
temps, le roi se trouva complètement hors d'état de les
faire respecter dans l'exercice de leur religion, comme il
fut impuissant à protéger les trois-quarts de ses sujets. En
second lieu, les réformés étaient maîtres dans deux cents
villes du midi de la France, entre lesquelles on comptait
Silusieurs grandes villes, La Rochelle, Montauban , Kimes,
lontpellier. Ceux d'entre eux auxquels la liberté de con-
science et le culte secret ne suffisaient pas, n'avaient-ils
pas la ressource de se transporter dans 1 une de ces villes
du Midi, où ils auraient complètement échappé à la con-
trainte? N'avaienl-ils pas à faire dans l'intérêt de leur re-
ligion, ce que tant d'autres s'imposent dans un intérêt de
commerce, d'économie ou de simple convenance? Enfin,
depuis Î589, qui est-ce qui n'avait pas cruellement souf-
fert? qui est-ce qui n'avait pas été obligé, et qui n'était
pas contraint encore actuellement de faire des sacrilices
1 . Âlliision aux sommes énormes que la soumissioD des ligueui's
ivaiî coûté au roi.
132 HISTOIRE DE LA HÉFORMATION FRANÇAISE.
sans mesure? Le roi, forcé dans ses croyances et abjurant
la religion de toute sa vie ; la France prodiguant son ar-
gent et ses plus hautes dignités aux chefs de la ligue, à
ceux qui l'avaient, peu s'en fallait, perdue et mise sous le
joug de l'étranger! Dans cette rançon du pays, les hugue-
nots ne devaient-ils pas payer leur part, en souffrant, pour
un temps seulement, quelques atteintes et quelques re-
tranchements à leur liberté civile et religieuse?
«Malgré les notables améliorations survenues dans leur
état, ils pouvaient légitimement désirer mieux. Avant
d'être mis sur la même ligne que les catholiques, avant
d'arriver à l'entière liberté des citoyens devant la loi, à
laquelle ils avaient un droit incontestable, quelques con-
quêtes leur restaient à faire. Ils avaient à obtenir, pour
l'exercice de leur culte, des facilités, une publicité, une
protection constante, qui leur manquaient encore en partie;
ils avaient à poursuivre le libre et entier accès aux magis-
tratures municipales, aux divers offices, et notamment à
ceux de judicature; ils avaient quelques garanties de plus
à exiger pour obtenir une justice impartiale ; mais dans la
poursuite de ces nouveaux droits, il leur était interdit de
recourir à des moyens que n'approuvait pas l'intérêt du
pays , et de se montrer plus impatients, plus exigeants que
les autres ordres. Jusqu'en 1598, jusqu'à l'enlier désar-
mement des ennemis intérieurs et extérieurs, le calvi-
nisme n'avait été ni le seul maltraité, ni le plus maltraité.
L'ordre public, les finances, l'agriculture, le commerce
étaient ruinés ; pour obtenir des réformes indispensables ,
pour échapper à d'intolérables souffrances, aucune des
classes de citoyens n'avait intrigué et comploté contre le
gouvernement. Les réformés étaient tenus à la même
résignation: l'édit de Mantes, 1591, les articles de Mantes
de 1593, le renouvellement solennel de l'édit de Poitiers
en 1595, leur donnaient l'assurance et la preuve que
Henri serait juste et bienveillant à leur égard. Ils devaient
donc s'en remettre au temps, aux promesses et à la justice
du roi, pour obtenir le redressement de leurs griefs, l'ex-
tension des avantages réels et importants dont ils jouissaient
déjà, la plénitude de la liberté religieuse, civile et poli-
tiqus. Loin de là, ils employèrent des moyens violents, qui
pouvaient perdre leur patrie dans les circonstances prô-
tlVRE XXIV.
433
sentes, et qui lui préparaient un avenir gros de dangers.
Ils se firent dans la France une France à part et formèrent
dans l'État un État , démembrèrent le royaume, rompirent
l'unité nationale et territoriale. Qu'avec des rois tels que
Charles IX et Henri III, passant envers eux de la tolérance
et des concessions à la guerre, aux proscriptions, aux
assassinats , ils recourussent à ces extrémités désastreuses
pour le pays, c'est ce dont il gémit; mais c'est ce qu'on
excuse quand on songe qu'ils avaient à défendre leur vie
et leur religion ; mais les bons citoyens les blâmeront
éternellement d'avoir employé les mêmes moyens avec un
qu'à regret, ami de leurs personnes, religieux observa-
teur de sa parole, même envers ses plus cruels ennemis.
Dans l'exécution de leurs projets, les calvinistes prirent le
mot d'ordre de plusieurs chefs, animés de sentiments
très-différents; les uns, purs de tout intérêt humain, se
laissèrent entraîner par une ardeur religieuse et un pro-
sélytisme aveugles : de ce nombre était Duplessis-Mornay,
qui, même au milieu de ses erreurs, servit utilement le
roi de France, en arrêtant son parti sur la limite des der-
niers excès. Les autres, tels queLaTrémouille et Bouillon,
perdus d'ambition, aspiraient au rôle et à la puissance des
Condé et des Coligny en France, des princes d'Orange en
Hollande , et ils ne pouvaient réussir qu'en perpétuant les
troubles et en tenant les huguenots constitués en parti
armé. Les uns et les autres furent condamnés par les cal-
vinistes modérés, restés fidèles aux principes des politiques,
qui voyaient la France avant leur secte et leurs pas-
sions. La Force se tint à l'écart de son parti , Rosny et
Collignon combattirent ces prétentions exagérées. Leur
conduite accuse plus les huguenots que les reproches de
tous les catholiques réunis.»'
Ces accusations sont graves , car elles émanent d'un
écrivain , qui dans son beau livre du règne de Henri IV, a
donné une haute idée de son impartialité et de sa sagacité
1. Poirson, Histoire du règue de Henri IV, t. I". — État dei
calvinistes de 1589 à 1594, p. 352-344.
prince élevé dans leurs croyances
XV.
4.
Î34 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION nUNÇAISE.
historique. Sont-elles complètement méritées? nous ne le
pensons pas : pour prononcer sainement dans ces graves
débats, il ne faut pas oublier les malheurs qui depuis plus
d'un tiers de siècle étaient le pain quotidien des réformés.
Il faut savoir surtout tenir compte de leur amère décep-
tion , quand ils virent l'homme , dont ils avaient fait la
fortune, passer dans les rangs de leurs implacables enne-
mis, au moment où ils croyaient toucher au but. A cette
heure solennelle de leur histoire, ils auraient pu l'aban-
donner et se choisir parmi leurs chefs un autre protecteur.
Ils ne le firent pas , et en continuant à servir sous ses
drapeaux, ils l'aidèrent à vaincre la ligue et ne deman-
dèrent pour récompense de leurs fidèles services qu'un
édit qui les mît à l'abri de la violence des catholiques;
celui de Mantes (1591), les articles de Mantes de 1593 et
le renouvellement de l'édit de Poitiers de 1595, étaient
plutôt un témoignage des bonnes dispositions du roi, que
des garanties sérieuses.
Quand les hommes souffrent, il leur est bien difficile
d'être patients; cependant ils donnèrent à leur maître
sept ans de patience, et s'il y a dans leur histoire quelque
chose qui soit digne d'admiration, ce sont ces sept années
pendant lesquelles on les berça de vaines promesses. Leur
amour pour Henri IV survécut à leur estime pour lui; sans
cet amour, ils auraient séparé leur cause de la sienne.
Si enfin on examine les choses de près, Henri IV, comme
roi, n'était pas digne de leur confiance. Depuis le jour de la
mort de Henri III , et même avant cette époque , il avait
montré que son attachement à la cause de la Réforme
était plus que problématique; ses appels réitérés à un con-
cile, quand les protestants savaient qu'il tenait l'église
catholique pour une communion hétérodoxe, n'étaient pas
de nature à les rassurer; et quand plus tard il abjura, ils
comprirent amèrement que leur maître « n'avait faute de
science mais de conscience. 5> Quelle confiance pouvaient-ils
donc avoir dans un prince qui , le jour de son abjuration,
avait juré solennellement d'exterminer ses anciens compa-
gnons d'armes , et avait renouvelé ce sacrilège serment le
jour de son sacre. En supposant môme qu'ils crussent que
ce n'était de sa part qu'une affaire de pure forme , pou-
vaient-ils faire dépendre leur sûreté d'un monarque qui
LIVRE XXIV.
135
s'était joué publiquement de ce qu'il y a de plus sacré au
monde, surtout quand ce prince, dont l'ambition ne recu-
lait pas devant un parjure, menait une vie scandaleuse. Ne
pouvait-il pas, comme son père de triste mémoire, deve-
nir le persécuteur des huguenots? Henri IV, dit-on, les
affectionnait; c'est vrai, mais il les aimait moins que ses
intérêts. Après avoir vendu son âme à Rome par ambition,
ne pouvait-il pas, si son ambition l'exigeait, lui sacrifier
les réformés?
La position du roi était certainement difficile; nul ne
songe à le contester; mais celle des protestants ne l'était
pas moins. Le passé était pour eux la leçon de l'avenir,
ne devaient-ils pas prendre leurs précautions même avec
Henri IV? Les hommes passent, les édits restent; que
seraient-ils devenus , si la mort du roi , survenant tout à
coup , les eût laissés désarmés en présence d'un succes-
seur qui, le jour de son sacre, eût juré comme lui leur
extermination?
Ils ne voulurent jamais , comme les ligueurs, faire un
Etat dans l'État; leur organisation politique ne fut que la
conséquence de l'attitude, sans cesse menaçante, de leurs
ennemis; et si parmi leurs chefs ils eurent quelques am-
bitieux qui essayèrent d'exploiter leurs rossentiments à leur
avantage personnel, la masse des réformés demeura fidèle
au roi et l'aida dans son triomphe définitif Leur conduite
prouva surabondamment qu'ils ne demandaient à la cour
qu'une seule chose: «qu'on les laissât se saouler de
prêches,» et s'ils continuèrent d'avoir dans l'État une or-
ganisation qui, en apparence, était contraire à l'autorité
royale, ce n'était pas pour la contrarier, mais pour l'em-
pêcher de recommencer sous les Bourbons les iniquités
des Valois; le passé leur faisait un impérieux devoir de la
défiance. Les factieux sont ceux qui profitent du pouvoir
fiour opprimer et non ceux qui se mettent en garde contre
es oppresseurs. On a qualifié de pamphlet l'écrit dans le-
quel les réformés exposaient leurs plaintes ; il n'est qu'un
éloquent manifeste de leurs douleurs ; et si parmi eux
quelques-uns le blâmèrent, c'était parce que la sève
huguenote s'était desséchée dans leur cœur au contact de
la cour, et que la terre i gagner leur tenait plus à cœur
que le ciel à conquérir.
136 HISTOIRB DE LA RÉFÔRMAtlON FRANÇAISE.
L'homme consciencieux ne pourra refuser son admira-
tion à ces citoyens qui , pouvant trouver leur avantage
terrestre à imiter leur souverain, préférèrent demeurer
dans le parti des opprimés. Les opinions consciencieuses,
quand elles ont pour représentants des hommes intègres ,
ont droit à notre respect.
XVI.
Quelque bons que fussent leurs rapports avec la cour,
les députés, commençant à croire qu'on voulait les jouer,
montrèrent de l'aigreur. Le roi, à son tour, fatigué de
leurs instances , laissait paraître du ressentiment, et quel-
quefois même il mêlait à ses paroles des menaces: «Je
serais fâché, écrivait -il à ses commissaires, d'en venir
à des extrémités avec des gens que j'aime plus qu'ils ne
s'aiment. »
Ces paroles imprudentes du roi, qui n'étaient que le ré-
sumé fidèle de la position difficile que lui faisaient les partis,
blessèrent les réformés; Bouillon et La Trémouille étaient
les plus irrités; ils savaient que les menaces du roi étaient
à leur adresse, parce qu'on les disait les auteurs de tout
ce qui s'était proposé dans l'assemblée.
XVIL
Les affaires eussent probablement traîne encore en
longueur, si le roi n'eût reçu la soumission du duc de
Mercœur, le dernier chef de la ligue. Ce fut alors qu'il se
décida à donner aux réformés l'édit dont les articles se
discutaient depuis si longtemps entre les députés des as-
semblées politiques des protestants et son conseil. Il était
alors à Nantes, à la tête de son armée. L'assemblée de
Vendôme s'était transportée à Chatellerault, et c'est au
moment où il la tenait, comme le dit Élie Benoît, sous son
canon', qu'il donna l'édit célèbre, connu sous le nom d'édit
de Nantes, du nom de la ville où trente-neuf ans aupara-
vant les protestants, sous la direction de La Renaudie,
avaient tenu leur première assemblée et forme leur con-
juration contre les Guises.
I. Histoire dé l'Mit de Nantes, liv. V, p. 224.
uvRE xn\.
«Entre les grâces infinies, dit le roi dans le préambule
de l'édil, qu'il a plu à Dieu de nous départir, celle-ci est
bien des plus insignes et remarquables de nous avoir donné
la vertu et la force de ne céder aux effroyables troubles,
confusions et désordres qui se trouvèrent à notre avène-
ment à ce royaume qui était divisé en tant de partis et de
factions que la plus légitime en était quasi la moindre, et
de nous être néanmoins tellement roidis contre celte tour-
mente que nous l'ayons enfin surmontée, .et touchions
maintenant le port de salut et repos de cet Etat; de quoi
à lui seul en soit la gloire toute entière, et à nous la
grâce et obligation qu'il se soit voulu servir de notre la-
beur pour parfaire ce bon œuvre, auquel il a été visible à
tous, si nous avons porté ce qui était non-seulement de
notre devoir et pouvoir, mais quelque chose de plus qui
n'eût peut-être pas été en autre temps bien convenable à
la dignité que nous tenons , que nous n'avons plus eu
crainte d'y exposer, puisque nous y avons tant de fois et si
librement exposé notre propre vie. Et en cette grande oc-
curence de si grandes et périlleuses affaires ne se pouvant
toutes comporter, tout à la fois en même temps, il nous
a fallu tenir cet ordre d'entreprendre premièrement ceux
qui ne se pouvaient terminer que par la force, et plutôt
remettre et suspendre pour quelque temps les autres qui
se pouvaient et devaient traiter par la raison et la justice,
comme les différents généraux d'entre nos bons sujets et les
maux particuliers des plus saines parties de l'État , que nous
estimions pouvoir bien plus aisément guérir après en avoir
6té la cause principale qui était en la continuation de la
guerre civile. En quoi nous étant (par la grâce de Dieu)
bien et heureusement succédé, les armes et hostilités
étant de tout cessées en tout le dedans du royaume, nous
espérons qu'il nous succédera aussi bien aux autres affaires
qui restent à y composer, et que par ce moyen nous par-
viendrons à l'établissement d'une bonne paix et tranquille
repos, qui a toujours été le but de tous nos vœux et in-
tentions et le prix que nous désirons de tant de peines et
travaux auxquels nous avons passé ce cours de notre âge. • n
1. Drion, Abrégé chronologique, 1. 1", p. 20S.
488 HISTOIRB DB LA R^PoRMATION FIUNÇAISE.
XVIII.
li'édit accordait entre autres choses aux prétendus ré-
formés (c'est ainsi qu'on continua à les appeler depuis):
i" le droit d'habiter sur tous les points du royaume, sans
qu'on pût les astreindre à faire quelque chose qui fût con-
traire à leur foi religieuse ; 2° le libre exercice du culte
dans toutes les villes où il se trouvait établi en 1596 et
1597, et dans toutes les villes où il était exercé en vertu
de l'édit de 1577 , et de plus dans une ville ou bourg , par
bailliage ou sénéchaussée, sans dérogation aux traités faits
avpc les catholiques. L'admission des protestants dans les
écoles et les collèges, le droit d'en fonder et de publier
des livres de leur religion, dans tous les lieux où leur
culte était autorisé ; 5° l'admissibilité à tous les emplois ,
sans être astreints aux cérémonies et aux usages qui pour-
raient blesser leur conscience; 6° le droit d'avoir un cime-
tière dans chaque lieu où leur culte était célébré ; 8° l'in-
terdiction aux catholiques de leur enlever leurs enfants
pour les faire changer de religion ; 9° le droit de pourvoir
à jeur éducation par testament; 10° l'institution à Paris
d'une nouvelle chnmbre «dite de l'édit», chargée déjuger
les affaires dans lesquelles les protestants seraient inté-
ressés; 11° l'établissement dans le délai de six mois de
chambre mi-partie à Bordeaux et à Grenoble; 12° le main-
tien de la chambre mi-partie de Castres.
Les réformés étaient obligés par l'édit de respecter les
jours fériés et les degrés de parenté prohibés par l'Eglise
romaine pour les mariages ; ils devaient en outre payer
les dîmes au clergé et se désister de toutes pratiques, né-
gQciations et intelligences dedans et dehors le royaume.
Leurs synodes provinciaux et généraux étaient mainte-
nus, sous la réserve de l'autorisation du roi. C'était le
côlé faible de l'édit, une espèce d'article XIV de la charte
nantaise. L'avenir le prouva. Les réformés obtenaient pour
leurs pasteurs une somme annuelle et des places de sûreté,
qui devaient pendant huit ans demeurer entre leurs mains
comme un gage des loyales intentions du roi.'
1. L'édit de Nantes se compose de 92 articles publics et de 56
articles secrets. — Drion, Abrégé chronologique, 1. 1", p. 207 et
suiv. — Aymon, Hist. des synodes. — Haag, France protestante.
— Pièces justificatives.
UTRE XXVI.
139
XIX.
Cet édit, à la rédaction duquel on n'était parvenu qu'a-
près de longues difficultés , suscitées par les exigences
quelquefois trop grandes des protestants et par le mauvais
vouloir de la cour, ne satisfit pas les exaltés des deux
partis ; mais les iiommes modérés admirèrent la haute
sagesse du roi, qài, en donnant aux réformés ce qui leur
appartenait légitimement, sans rien retrancher des libertés
des catholiques , avait mis fin à des guerres qui ruinaient
la France au dedans et la couvraient de honte au dehors.
L'édit ne satisfaisait pas complètement les protestants ,
mais il leur accordait une garantie suffisante pour le libre
exercice de leur culte sur toutes les parties du territoire
où il leur était permis de le célébrer. Une plus large con-
cession eût été le moyen infaillible de rendre leur condi-
tion moins bonne, en fournissant aux catholiques des
prétextes plausibles de se plaindre ; ils eurent la sagesse
de le comprendre. Théodore de Bèze qui, malgré son âge
avancé, avait suivi avec toute l'ardeur d'un jeune homme,
les longues et difficiles négociations des assemblées poli-
tiques des protestants , écrivait ces paroles remarquables
à l'assemblée de Châtellerault: «Je loue de tout mon
cœur notre grand et vrai Dieu , tout-puissant et tout bon ,
premièrement de ce qu'il a incliné le cœur de celui qu'il
a donné pour roi à la France , à un tel conseil et moyen si
convenables pour changer l'horreur des guerres civiles en
une vraie tranquillité , conjointe avec le moyen d'honorer
celui qui en est proprement l'auteur et le donneur; secon-
dement de ce qu'il lui a plu, d'autre part, conduire et
bénir une telle assemblée par son Saint-Esprit, non-seu-
lement de la grâce et constante union en la profession de
sa sainte vérité, mais aussi d'une vraiment chrétienne
charité envers la commune pairie et avec tout cela du don
de sa sainte prudence acquise à une non moins sage que
zélée conclusion de tout. » '
L'assemblée de Châtellerault avait accompli courageuse-
mcni a Llche ; c'est à elle, dit un historien moderne, que
1. Biblioihèque de Genève, lettres et pièces diverses coucernaût
les églises réformées, n» 4.
140 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
la France doit autant, si ce n'est plus qu'à Henri IV d'a-
voir devancé par l'édit de Nantes' les autres peuples chré-
tiens dans les voies de la société nouvelle qui sépare
l'Église de l'État, le devoir social des choses de la con-
science, et le croyant du citoyen.'
L'assemblée demeura encore avec la permission du roi
à Châtellerault jusqu'au 11 juin 1598. Elle nomma un
abrégé d'assemblée, c'est-à-dire quelques membres qui
continuèrent à résider dans cette ville pour veiller à la
vérification de l'édit , que le roi ne voulait présenter aux
parlements qu'après le départ du légat du pape. Elle ne se
sépara pas sans rendre de solennelles actions de grâces à
Dieu des faveurs dont il avait comblé son peuple. Après
s'être donné le baiser d'adieu , les députés se rendirent
chacun dans leurs provinces pour y faire connaître à leurs
mandataires le résultat de leurs travaux.
XX.
Ce fut au milieu des agitations produites par l'édit qu'un
synode national se réunit le 26 mai 1598 à Montpellier.
Toutes les provinces y furent représentées, excepté le
Lyonnais, la Bourgogne et le Forez; Béraut, pasteur de
Montauban, présida l'assemblée; on s'occupa d'abord de
faire le dénombrement des églises qui existaient au mo-
ment de l'édit ; on en trouva 763, ainsi réparties: l'Or-
léanais 39, l'Anjou 21, le Poitou 60, Dauphiné et Pro-
vence 9i , Bourgogne 11 , Bretagne 14, Ile-de-France 88,
Normandie 59, Haut-Languedoc 96 , Bas-Languedoc 116,
Lyonnais 4, Forez 2, Guienne 83. Un dénombrement fait
précédemment par ordre de Henri IV (en mars 1597)
avait donné les résultats suivants : 694 églises publiques,
257 églises de fief, 2800 ministres, 400 proposants,
274,000 familles.'
Le synode crut qu'il fallait se contenter de l'édit et s'en
1. Anquez, Histoire des assemblées politiques des réformés de
France, p. 70.
2. A. Thierry, Essai sur l'histoire de la formation et du progrès
du tiers-état, p. 207.
3. Drion, Histoire chi-onologique, t. I", p. 259-260.
LIVRE XXIV.
141
gervir pour raffermir sa cause, si profondément ébranlée,
en reliant par des liens de plus en plus forts, les églises
entre elles. Il s'éleva avec beaucoup d'énergie contre les
projets de réunion avec les catholiques qui préoccupaient
alors tous les esprits. De nombreux écrits circulaient et
trouvaient un facile accès auprès des protestants tièdes ou
indiirérents. Ce désir de réunion , qui n'avait d'autre cause
que la crainte, de voir se renouveller un douloureux passé
«devint, dit Élie Benoît, une démangeaison qui dura jus-
qu'à la révocation de l'édit.»'
Le synode s'occupa de détails intérieurs relatifs aux
églises, auxquelles il recommanda, en se séparant, de res-
serrer de plus en plus leur union par une sainte vie.
Parmi les membres de l'assemblée il y avait un ministre,
dont le nom était déjà célèbre dans son parti : Daniel
Chamier était né en son père', émerveillé de sa
rare aptitude au travail et de sa pénétration surprenante,
le confia aux soins d'un habile instituteur, qui lui donna
sa première instruction. Le jeune Daniel lit à Orange ses
humanités sous Crozier, et à peine âgé de seize ans, il fui
appelé à Nimes comme régent de quatiième; deux ans
après, il alla à Genève, et eut pour maître Théodore de
Bèze , sous lequel il termina ses études avec une grande
distinction. De retour dans sa famille, il se présenta devant
le synode de sa province; le jeune homme qui était ap-
pelé à jeter tant d'éclat sur son parti , fut déclaré inca-
pable par ses examinateurs. Un synode du Languedoc se
montra plus éclairé; il l'admit au nombre de ses ministres.
Bientôt après , l'église des Vans lui fut confiée, et plus
tard, celle d'Aubenas. Les persécutions qui suivirent,
l'obligèrent de prendre la fuite; plus tard nous le trou-
vons pasteur à Montélimart, où il avait succédé à son
père. Les églises ne tardèrent pas à apprécier Chamier:
dans les conseils il était sage ; dans l'action, énergique;
dans sa vie de pasteur, fidèle. Au synode national de Sau-
mur et aux assemblées politiques de Vendôme , de Sau-
mur et de Châtellerault , il se fit remarquer par un en-
semble admirable de qualités, qui le rendirent aussi odieux
1. Histoire de l'édit de Nantes, liv. VI, p. 2Ô9. '
2. Il était pasteur. — Voir une Kofice de ce fidèle serviteur de
Dieu dans Ja I rauce protestante , article Charnier.
m HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
au pouvoir que cher aux églises". «On ne vit jamais, dit
Bayle, un homme plus raide, plus inflexible, plus intrai-
table, par rapport aux artifices que la cour mettait en usage
pour affaiblir les protestants. » '
XXI.
Trois affaires de la plus haute importance préoccupaient
alors le roi et donnaient de vives inquiétudes aux protes-
tants. La première concernait la dissolution de son mariage
avec Marguerite de Valois. Nous avons déjà dit la funeste
influence qu'eut sur sa vie son union avec cette princesse.
Le jour où il se sépara d'elle, sa vie commença à n'être
qu'une longue série de scandales; nous ne voulons être
ni le Brantôme, ni le Pierre de l'Estoile de son règne;
nous ne dirons de sa vie intime que ce que nous ne pou-
vons en omettre pour être fidèle à notre tâche d'historien.
A l'époque où nous sommes arrivé, Gabrielle d'Eslrées,
sa maîtresse, était morte d'une manière, dit Elle Benoît,
qui pouvait faire soupçonner que Rosny et quelques
autres savaient bien qu'elle devait mourir ^ Sa fin fut la-
mentable. Au moment où elle attendait de Rome la dis-
pense qui devait la faire reine de France , la mort la coucha
subitement dans un cercueil. Le roi, selon l'usage , s'était
retiré à Fontainebleau pour s'y recueillir pendant la quin-
zaine de Pâques; Gabrielle, qui l'y avait suivi, le quitta,
afin que sa présence ne nuisît pas au bon exemple qu'il
voulait donner à son peuple, en pratiquant ses devoirs re-
ligieux; leurs adieux furent pleins de douloureux pres-
sentiments. Elle arriva à Paris le jeudi saint et alla loger
chez le banquier Zamet,^qui s'était enrichi dans le manie-
ment des deniers de l'État. L'opulent financier italien la
reçut d'une manière fastueuse et lui servit un repas, dans
lequel il lui présenta les mets qu'elle préférait. Après le
dîner elle se sentit incommodée ; elle alla néanmoins en-
tendre les ténèbres au petit Saint-Antoine. A son retour
elle éprouva de violentes douleurs; d'affreux pressenti-
ments traversèrent son esprit. « Qu'on me retire de cette
1. Hîiag, France protestante, art. Cliamier, p. 317.
2. Bayle, Dictionnaire historique, art. Charnier.
S. Bistoire de l'édit de Nantes, t. I", llv. VI, p. 268.
LIVRE XXIV.
143
maison ! s'écria-t-elle avec terreur. » Un moment de calme
succéda à ses souffrances; elle en profita pour écrire au
roi. Bientôt après survint un nouvel accès , et elle expira
dans d"horribles convulsions.'
Le 10 avril 1599 elle comparut devant son Dieu. Le roi
parut d'abord inconsolable ; mais un mois s'était à peine
écoulé et déjà Henriette d'Entrague ' avait pris la place de
Gabrielle. La nouvelle passion du roi fut vive et forte; il
fit à sa nouvelle maîtresse une promesse par écrit dé
l'épouser. Honteux cependant de cette démarche, il remii
le papier qui la contenait à Rosny, qui le déchira. «Vous
êtes fou! s'écria le roi, que prétendez-vous faire?» —
«Il est vrai, répondit le ministre, je le suis, et plût i
Dieu que je le fusse seul en France.»'
Le roi ne se fâcha pas , mais , de plus en plus aveuglé
par sa folle passion , il souscrivit une nouvelle promesse
et fit jouer auprès du pape tous les ressorts de sa diplo-
matie pour obtenir la dissolution de son mariage. Margue-
rite de Valois s'y était opposée, pour ne pas mettre h sa
place Gabrielle d'Estrées, qui n'était à ses yeux qu'une
fille de basse extraction.*
La seconde négociation était celle du rappel des jésuites.
Depuis l'arrêt qui les avait frappés , ils n'avaient cessé
d'intriguer pour rentrer en France, où ils avaient de chnuds
partisans; ils n'avaient même obéi qu'à demi; forts de la
protection des parlement de Bordeaux et de Toulouse, ils
bravaient, du fond de la Guyenne, leurs ennemis. Le roi
lui-même n'était plus opposé à leur rappel; il craignait
ces moines «qui savaient si bien manier le couteau; «il
Eensait qu'ils seraient moins à craindre en France que
ors de France, et qu'il valait mieux se les attacher par
des bienfaits (jue de les pousser à des mesures violentes
par trop de rigueur.
1. L'Estoile, aunée 1599. — Économies royales, t. UI, p. 281-
297. — De Thou , Hv. CXXU.
2. Elle était fille de Fran-;ois de Balzac et de Marie Touchet , fille
naturelle de Charles LX.
3. Capefigue, Histoire de la réformation, t. VIII. — Sully, Éco-
nomies royales, t. III, p. 31 1.
4. Sully, Économies royales, t. III, p. 233. — Sismoadi, t. XXn
âl.IX,p. 31.
m HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
XXII.
La troisième négociation avait pour objet le mariage de
Madame avec le duc de Bar, fils du duc de Lorraine , le-
quel ne pouvait s'accomplir sans une dispense du pape,
puisque le futur époux de la princesse était catholique.
Parmi ceux qui virent avec peine le roi abandonner
la réforme, il faut placer au premier rang Catherine de
Bourbon , sa sœur. Cette princesse, toute inférieure qu'elle
fut à sa mère, occupe cependant dans l'histoire une
place intéressante. Elle avait à peine quinze ans quand tout
à coup elle devint orpheline; la forte éducation, qu'elle
avait reçue dans le Béarn , la prépara à traverser des temps
difficiles et à se garantir des pièges dans lesquels il était
si facile de tomber à la cour des Valois. Elle avait hérité
de sa mère et de son aïeule Marguerite de Valois des
grâces, de l'esprit et des talents. Elle aimait les arts, jouait
bien du luth; sa voix, quand elle chantait, avait une dou-
ceur inexprimable. Lorsque, à l'époque du mariage de son
fils , Jeanne d'Albret la conduisit à Paris , sa présence fit
sensation au milieu même des belles femmes de la cour
de Charles IX. «Qu'elle est belle, ma Catherine! » disait la
reine de Navarre, qui ne cachait pas son mépris pour l'en-
tourage de Catherine de Médicis. Elle ne devait pas voir se
développer cette jeune plante, qu'elle avait cultivée avec
tant de soins et sur laquelle elle avait répandu le parfum
de l'Évangile. Sur son lit de mort il lui fallut la puissance
de la grâce pour se résigner à se séparer de sa fille chérie;
elle la recommanda à son fils, et plus encore à Dieu.'
Catherine sentit vivement le vide que la mort de sa mère
faisait dans sa vie; c'était leur première séparation. Après
la Saint-Barthélémy elle abjura avec son frère, et pen-
dant près de quatre ans elle pratiqua le culte catholique.
Mais lorsque Henri III lui permit de retourner dans le
Béarn , elle n'attendit pas même d'être arrivée à Pau pour
rejeter le masque hypocrite qu'on l'avait forcé de prendre.
A son passage à Ghàteaudun, elle s'empressa d'aller au
prêche, et plus tard, à la Rochelle, oii son frère l'avait
accompagné, «elle fit avec lui, dit d'Aubigné, pénitence
1. Mole vn.
LIVRE XXIV.
14,')
publique d'avoii élé , par menace , réduite à la religion
romaine. »
L'éducation chrétienne qu'elle avait reçue, rafîection
f (refonde qu'elle avait pour le duc de Soissons, son cousin,
a garantirent des pièges dans lesquels elle serait proba-
blement tombée. Elle se conserva pure et chaste. La médi-
sance même la respecta.
Jamais princesse n'eut plus de prétendants. Peu après sa
naissance, Henri II la demanda pour celui de ses fils qui
fut Henri 111; Philippe II, Charles III, duc de Lorraine,
Charles, duc de Savoie, et plusieurs autres se mirent sur
les rangs; mais le duc de Soissons fut le seul qu'elle aima.
En 1593, la princesse, alors âgée de quarante ans,
n'était pas encore mariée. Elle aimait toujours Soissons,
quoiqu'il se fût jeté dans le parti de la ligue et se fût
rendu indigne de son affection.
Toutes les instances qui lui furent faites pour changer
de religion furent vaines; elle demeura ferme dans sa foi
et devint de jour en jour plus chère aux protestants, aux-
quels elle rappelait sa mère toujours vivante dans leurs
souvenirs. Quand il fut question de son union avec le duc de
Bar, les réformés manifestèrent une grande répugnance
pour cette alliance avec un prince catholique et zélé pour
sa religion jusqu'au fanatisme. Dans le synode national de
Montpellier', ils déclarèrent, pour lever les scrupules de
la princesse, que ce mariage n'était pas licite; mais Ca-
therine donna son consentement ; ce fut une faute qui
devint pour elle une source d'amères déceptions.
xxin.
Avant l'accomplissement du mariage , les docteurs ca-
tholiques firent de grands efforts pour l'amener à une ab-
juration. Des conférences nombreuses eurent lieu en sa
présence, entre des théologiens des deux partis; du côté
des protestants envoyait un ministre encore jeune, qui se
distingua parmi ses confrères; son instruction était solide
et variée, son argumentation serrée et semée de traits vifs
et piquants. Il prononçait quelquefois des mots qu'un
1. Tenu en 1598, du 26 au 30 mai.
IV.
5
14(j HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
n'oubliait plus et qui étaient tous autant de flèches acérées
attachées au flanc do ses adversaires. On l'appelait Pierre
Du Moulin.
Ce jeune homme, qui allait devenir un grand contro-
versiste et l'écrivain le plus original de son parti, était né
en 15G8, au château de Buhi. A l'âge de quatre ans, l'une
des servantes de son père le sauva des mains des assassins
de la Saint-Barthélémy; il fit ses études à Sedan et à Paris ,
passa quatre ans en Angleterre, et étudia à Cambridge
sous les meilleurs professeurs de celte célèbre université.
A son retour il fit naufrage , perdit tous ses livres et chanta
son malheur dans un poëme ' qui commença sa réputation. '
A l'âge de vingt-quatre ans Du Moulin fut nommé pro-
fesseur de philosophie à l'université de Leyde. Son érudi-
tion, sa méthode d'enseignement, l'art de présenter dans
un style simple, clair, original les idées les plus abstraites,
donnèrent à ses leçons un grand éclat. Parmi ses élèves il
y avait un Hollandais qui se faisait déjà remarquer \kt une
intelligence extraordinaire et promettait d'être un jour la
gloire et l'ornement de sa patrie : on l'appelait Grotius.
Après plusieurs années d'un professorat qui laissa à
Leyde de longs et honorables souvenirs, Du Moulin fut
appelé comme ministre à Cliarenton où ses mérites furent
dignement appréciés. Homme de lutte, il eut le rare bon-
heur de ne pas vivre dans des temps, médiocres et de pou-
voir déployer , au service de son Église , les dons qu'il
avait reçus de Dieu. Sa phrase vive, au four gaulois, lui
donnait une grande supériorité sur ses adversaires, dans
un pays où le ridicule tue plus vite que les raisonnements.
On a droit de s'étonner quand, de nos jours, on e.vhume
de la poussière de nos bibliothèques tant, d'écrits indi-
gestes, qu'on n'ait pas songé à ceu.\ de Du Moulin. Est-ce
oubli , ingratitude , ignorance ? Un peu de cela tout en-
semble. Le pasteur de Charenton est un maître dans l'art
d'écrire, et les vrais amateurs du beau style saluent en
lui un précurseur de Pascal, de Molière et de Paul-Louis
Courrier.
1. Il était intitulé : VotiDU tabella. \
2. Haag, France protestante, L D, p. 420.
irVRE VXIV.
147
XXIV.
Si le style est l'homme, Du Moulin revit tout entier dans
le sien. Dans la belle préface de son livre' contre celui du
cardinal Du Perron', on lit les lignes suivantes qui donnent
une idée de l'esprit du controversiste et de sa manière
d'écrire.
«Reste de donner au lecteur quelque goût, en général,
du livre de M. le cardinal Du Perron, afin que par un
échantillon il puisse juger de la pièce entière.
« En premier lieu , s'il peut y avoir quelque louange à mal
faire, et si défendre l'erreur avec dextérité mérite quel-
que recommandation, je ne puis refuser à la mémoire de
ce cardinal cette louange que ce livre est bâti avec un
grand artifice, et qu'il y a bandé tous ses sens et employé,
avec un grand travail, toute la dextérité de son esprit, de
laquelle il en avait de reste. Je ne trouve point , entre les
adversaires, d'ouvrage tant élaboré. Et même tous les
autres livres qu'il a faits sont un peu de chose au prix. On
y voit une grande diligence en la recherche de l'antiquité,
et une souplesse à plastrer son fait et à décliner les questions
qu'il juge non soutenables, et à mettre en vue tout ce qu'il
y a de plus spécieux pour la papauté. Il trouve plusieurs
nouvelles échappatoires, dont nul ne s'était encore avisé,
et où les autres défenseurs de la papauté ne lui satisfont
pas, il trouve quelque nouvel expédient et prend un autre
chemin. Il décline insensiblement la pointe de nos objec-
tions et colore sa faiblesse d'apparence de mépris, et revêt
le tout d'un langage honnête et d'un style doux et agréable,
si ce n'est ès lieux où il se trouve empêtré et pressé de
l'évidence de la vérité; car alors il s'embarrasse exprès de
paroles obscures et entasse une pile de distinctions en
termes philosophiques, et espend un nuage de poussière
avec un style capricieux et importun. Par sa grande lecture
des Pères il entasse, plus par ostentation que par nécessité,
multitude d'allégations sur choses légères ou non contro-
•versées. Mais son peu de savoir en la langue grecque el
1. Ce livre est intitulé : Nouveauté du Papisme.
2. Le livre du cardinal Du Perron est infitulé : Réplique à la
fftponsc du screnissime Roy Jaques I. Roy de la Grande-B> gm.
148 HISTOIKIC DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
ès lettres humaines le fait souvent broncher. De passages
faisiOés tout en fourmille. Je ne me suis arrêté à les exa-
miner tous et me suis contenté d'en produire peu entre
plusieurs, sachant combien cet examen est importun au
lecteur et de peu d'instruction. Mais à tout prendre, il est
certain que nul de ceux qui en France ont brouillé le pa-
pier en faveur du pape ne lui peut être comparé; et que
ce serait lui faire tort, je ne dis pas d'égaler, mais même
de nommer après lui certains menus brouillons et esprits
acariâtres, ignorants au dernier degré, comme un père
Gontier et un père Véron, auxquels l'impudence et la co-
lère injurieuse ont disloqué le cerveau; lesquels, en un
autre temps, ne seraient point soufferts, mais sont bons
pour ce temps auquel la hardiesse est prise pour savoir et
l'orgueil pour zèle et le style injurieux pour la vraie élo-
Îuence. Et peu s'en faut que je ne mette au rang Jehan
aubert, évêque de Bazas; mais j'épargne sa mitre et re-
çois ses injures de cabaret pour autant de louanges. Tous
ces gens sourdent après Monsieur Du Perron, comme
quand du corps d'un cheval mort naissent des mouches
guêpes. » '
Du Moulin ne combat pas avec moins d'esprit l'abus des
indulgences papales.
«Si le pape, dit-il, était obligé de rendre compte de
ses actions, et montrer par quelle autorité il fait ce qu'il
fait, pourrait-il dire où c'est que Dieu lui a donné le pou-
voir de tirer les âmes du purgatoire? Qui lui a commandé
de ramasser en son trésor les satisfactions superabon-
dantes des saints et des moines, où et quand première-
ment Dieu lui a commandé de faire cette distribution? Je
crois qu'il se trouverait fort empêché, vu que les pontifes
de l'Ancien Testament ne recueillaient point les satisfac-
tions superabondantes de Noé , ni d'Abraham, et n'en fai-
saient aucune distribution , et ne se sont jamais avisés de
tirer aucune âme du purgatoire, ni par puissance de juri-
diction , ni par manière de suffrage. Vu aussi que ni Jésus-
Christ , ni les apôtres , ni l'ancienne Église , par plusieurs
siècles, n'ont parlé de ce trésor, ni distribué par indul-
1. Nouveauté du papisme (préface), Genève, imprimcnc de
Pierre Chouet ,, M.DC.XXVII.
LIVRE XXIV.
149
gences le surplus des satisfactions humaines, ni établi des
autels privilégiés , ni tiré aucune ame du purgatoire. Et
de fait , Gabriel Biel en la 57» leçon sur le canon de la
messe et Cajetan, au commencement du livre des indul-
gences, reconnaissent que rien ne se trouve des indul-
gences dans toute l'antiquité.»
c L'abus y est tout clair en ce que la rémission des pé-
chés est attachée à une certaine Église, tellement que
celui qui ferait ailleurs trois fois plus de dévotion n'au-
rait point le même pardon. Item , en ce que quand le
jubilé est à Rome , ceux qui sont proches ont la rémission
des péchés à leur aise, mais ceux qui sont à trois cents
lieues de là et qui n'ont point d'argent, ni de cheval, ni
de bonnes jambes, sont privés de cette libéralité spiri-
tuelle. Item, en ce que le pape donne plein pardon de
tout péché et le tiers des péchés par- dessus, c'est-à-dire
qu'il pardonne tous les péchés et plusieurs autres; Item,
en ce que le pape et le clergé en tirent de grands profits,
et exercent par là un grand trafic. Le jubilé est la grande
moisson de la ville de Rome, alors offrandes et richesses
y abondent de tous côtés ; Item, en ce que le pape donne
des pardons avec un calcul exact comme ayant secrète-
ment supputé avec Dieu, donnant dix-huit mille ans de
pardon, et autant de quarantaines de jours et quelques
jours par-dessus. Ne restait plus que les heures et minutes;
Item, en ce qu'il jette les indulgences au hasard, comme
une poignée d'écus sur la foule , comme quand il espard
mille ans d'indulgence sur la foule du peuple au jour de
son couronnement.» *
Du Moulin ne raille pas avec moins d'esprit le culte
superstitieux des reliques.
«Le lecteur équitable, dit-il, considérera quelle peut
être cette religion qui cache au peuple les écrits des
apôtres et lui montre leurs os ; qui ensevelit leur doctrine
et déterre leurs ossements. Comme si un fils gardait soi-
gneusement de vieilles bottes ou une pièce du test de son
1. Bmicliev de la foi ou défense de la confession de foi des
églises réformées du royaume de France contre tes objections du
siem- Arnoiis, jésuite; livre auquel sont décidées toutes les priu-
cinales controverses entre les églises réformées et l'église romaine,
p. 342-343, Genève, cliez Pierre Ânbert, M DG.XXX.
150 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
père, et supprimait son testament. Les meilleures reliques de
saint Pierre et de saint Paul sont leurs écrits divinement
inspirés; ce qui seul doit être cliéri et recherché, c'est
cela seul qu'on néglige. A l'imitation des Juifs, ils ornent
les sépulcres des prophètes et persécutent ceux qui sui-
vent leurs doctrines. En quoi notez la ruse; car on re-
cherche et adore les os des apôtres, au lieu de rechercher
leurs écrits, parce que ces os ne parlent point, mais
leurs écrits parlent et disent choses odieuses a ces mes-
sieurs; parce que aussi à ces os on en peut suhsiituer
d'autres, mais ces Messieurs ne sauraient faire une autre
Sainte-Ecriture; parce que_ aussi il n'est pas si aisé de
trafiquer de passages de l'Écriture que de morceaux de
reliques, desquelles on vend même la vue, et se fait trafic
d'une marchandise sans la livrer.» •
XXV.
Un écrivain qui a su jeter sur des matières abstraites
tant de sel attique et tant de vie, et qui a écrit mille pages
comme celle que nous venons de transcrire, a droit de
bourgeoisie dans notre littérature nationale à côté des
plus grands maîtres. C'est un devoir de piété filiale de lui
donner la place qu'il mérite. Bernard Palissy et Olivier de
Serres ont attendu longtemps le jour de la justice. Celui
de Du Moulin viendra. Il trouvera so;i historien.
Du Moulin, avec ses qualités solides et brillantes, de-
vait se distinguer dans les conférences qui se tenaient en
présence de Catherine de Bourbon, qu'il affermit dans sa
foi. Il gagna la confiance de la princesse, qui, après son
mariage, le choisit pour son chapelain. Les catholiques
ne voulurent pas s'avouer vaincus, et imputèrent «à l'en-
1 clément de Madame sa résolution de demeurer dans la
religion protestante.»
Le pape s'opposait au mariage et refusait ses dispenses.
Henri IV, ennuyé de ces refus, résolut de passer outre et
de faire bénir le mariage de sa sœur par un prélat fran-
çais, certain que le pape s'inclinerait devant les faits
accomplis. Il s'adressa à plusieurs évêques, qui tous refu-
l. Bouclier de la foi, p. 492.
LIVRE XXIV.
151
sèrent de prêter leur ministère à une union pour laquelle
le pape refusait ses dispenses. «Il ne se trouva point, dit
Sully, d'évèques qui voulussent la marier, de quoi le roi,
infiniment en peine, envoya quérir un sien frère bâlard,
fait depuis peu archevêque de Rouen , plutôt par faveur
que pour son grand savoir, croyant (vu ce qu'il lui était et
qu'il avait été autrefois assez bon compagnon, ayant sou-
vent fait la débauche au jeu, à faire bonne chère et autres
choses encore, surtout avec M. de Roquelaure) qu'il lui
ferait faire tout ce que bon lui semblerait; mais lui, en
ayant parlé à bon escient et voyant qu'il ne faisait pas
moins de difficullés que les autres, voire qu'il usait des
mêmes paroles et des mêmes scrupules en alléguant, à
tous propos, les saints canons, il lui dit: Voyez, mon
frère, et depuis quand, je vous prie, êtes vous devenu si
consciencieux sur toute chose où ma volonté vous est ma-
nifestée et en laquelle il y va du bien de mon service et de
celui de ma sœur, à laquelle vous devez quelque chose
aussi bien qu'à moi? je ne sais d'où vous est provenu cette
grande suffisance et qui vous en a tant appris. Mais puis-
que vous faites ainsi l'entendu, afin de ne me fâcher pas
davantage contre vous, j'enverrai vers vous un grand doc-
teur pour votre père confesslsur, et qui entend merveil-
leusement les cas de conscience, et sur cela s'élant sépa-
rés, le roi envoya aussitôt quérir M. de Roquelaure auquel
en arrivant il dit: «Vous ne savez pas, Roquelaure, votre
archevêque (car ce fut vous qui me parlâtes le premier de
lui bailler Rouen) veut faire le prélat et le docteur, me ve-
nant alléguer les saints canons, où je crois qu'il entend
aussi peu que vous et moi, et cependant, par ses refus, ma
sœur demeure à marier. Je vous prie, parlez à lui comme
vous avez accoutumé, et faites souvenir du temps passé.»
« Ha pardieu , Sire , cela ne va pas bien , dit M. de Ro-
quelaure, car il est temps, au moins selon mon opinion,
a ne notre sœur Catelon commence à goûter les douceurs
e cette vie et ne crois pas que dorénavant elle en puisse
mourir par trop grande jeunesse; mais, Sire, dites-moi
un peu, je vous prie, que dit ce bel évêque pour ses rai-
sons; car il en est quelquefois aussi mal garni que je sau-
rais être , et m'en vais le trouver, si vous l'avez agréable
pour lui apprendre son devoir. »
152 iii'îToinE nr; i,a réformation français::.
Ei s'en étant allé de ce pas en son logis , il lui dit en
entrant rlasis la chambre: «Hé quoi, que veut dire ceci,
rfion archevêque , l'on m'a dit que vous faites le fat; mais,
ardicu, je ne le soud'rirai pas; car il irait trop de mon
onneur, puisque chacun dit que je vous gouverne. Ne sa-
vez-vous pas bien qu'à votre prière je me rendis votre
caution vers le roi lorsque je lui parlai pour vous faire
avoir l'archevêché de Rouen Or, ne me faites pas trouver
menteur en vous opiniàtrant ainsi à faire la bête; cela se-
rait bon entre vous et moi qui nous sommes vus quelque-
fois ensemble les dés à la main ; mais il s'en faut bien
garder lorsqu'il y va du service du maître et de ses abso-
lus commandements. »
« Hé , vrai Dieu, que voulez-vous que je fasse? dit M. de
Rouen; quoi! que je me fasse moquer de moi et repro-
cher, par tous les autres prélats , une action où chacun dit
qu'il y va grandement de la conscience, ni ayant aucun
evêque auquel le roi n'en ait parlé et qui ne l'en ait aus-
sitôt refusé? »
«Ho, morbleu, ne le prenez pas là, dit M. de Roque-
laure, car vous et eux sont bien diverses; car ces gens
s'alambiquent tellement le cerveau après le grec et le la-
tin , qu'ils en deviennent tous fous; et puis, vous êtes frère
du roi, obligé de faire tout ce qu'il commandera, sans op-
position, ne vous ayant pas choisi, ni fait archevêque pour
le sermoner, ni lui apprendre ou alléguer les canons;
mais pour lui obéir en toutes choses où il ira de son ser-
vice, que si vous faites plus le fat et l'acariâtre, je man-
derai à Jeaneton de Gondom, à Bernarde l'Éveillée et à
Alaistre Julien; m'entendez-vous bien? et, partant, ne
vous le faites pas dire deux fois, puisque rien ne vous doit
être si cher que les bonnes grâces du roi, lesquelles, à
mes sollicitations, vous ont plus valu que tout le latin et
le grec des autres. Pardieu, c'est bien à vous à faire par-
ler des saints canons où vous n'entendez que le haut alle-
mand. »
«Vous ne serez jamais las de gausser en parlant à moi ,
dit M. de Rouen; cela était bon en mes jeunes ans el cii
des choses de néant; mais eu choses si sérieuses comme
celle-ci où il y va de mon salut, il faut parler de sens ras-
sis et sans se moquer, car quoique j'estime l'honneur des
LIVRE XXIV.
153
bonnes gr3ces du roi autant que ma vie , si m'est paradis
encore plus cher que l'un ni Tautre.»
«Comment, morbleu, paradis, dit M. de Roquelaure,
et êtes-vous si aze' que de parier d'un lieu oii vous ne
fûtes jamais; ne savez-vous quel il y fait, ni si vous y
serez reçu quand vous y voudrez aller?»
«Oui, j'y serai reçu, dit M. de Rouen, n'en doutez nulle-
ment.»
« C'est bien discouru à vous , dit M. de Roquelaure , car,
pardieu, je tiens que paradis a été si peu fait pour vous,
que le Louvre pour moi. Mais laissons un peu là votre pa-
radis, vos canons et votre conscience à une autre fois et
vous résolvez à marier Madame; car si vous y manquez, je
vous ôterai trois ou quatre méchants mots de latin que
vous avez à toute heure à la bouche, et plus n'en sait le-
dit déposant, et puis, adieu la crosse et la mître, mais
qui pis est, cette nelle maison de Gaillon' et dix mille écus
de "ente. » Ils eurent encore d'autres discours trop longs
à réciter, lesquels se terminèrent en telle sorte que M. de
Rouen se résolut de marier Madame.»'
Le pape, irrité qu'on eût passé outre à la célébration
du mariage, refusa ses dispenses et remplit tellement de
scrupules l'esprit de l'époux de Catherine qu'il vécut avec
elle comme s'ils n'eussent pas été mariés. Ce fut là la
première punition de la princesse qui, aimant tendrement
son mari, souffrit cruellement d'en être délaissée. Ce ne
fut qu'un peu plus tard que le duc de Rar, à son refour de
Rome, se rapprocha d'elle. 11 était, dit-on, porteur de
dispenses secrètes, le pape n'ayant pas voulu les donner
publiquement.
La princesse fut de nouveau assaillie par les docteurs
catholiques; mais elle demeura de plus en plus ferme, à
la grande joie des réformés, qui lui pardonnèrent son ma-
riage , en étant les témoins journaliers de sa constance et
de sa foi.
1. Ane.
2. Elle avait appartenu au vieux cardinal de Bourbon.
8. Sully, Économies royales, ch. 89.
164 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
LIVRE XXV
I.
Une affaire plus importante que le mariage de la sœur
du roi préoccupait vivement les esprits. Sur tous les points
du royaume les catholiques s'élevaient contre la vérifica-
tion de l'édit; les parlements ne voulaient pas admettre
les protestants dans leur sein; la Sorbonne refusait de leur
accorder le diplôme de licencié et de docteur; l'université
prétendait leur fermer les portes de ses collèges; la faculté
de médecine même se montrait intolérante et demandait
avec instance leur exclusion de ses cours; le clergé enfin
criait à la trahison'. Dans cette grave circonstance le roi
se montra habile et profond politique; il voulait la vérifi-
cation de l'édit, parce qu'elle était à ses yeux un acte de
justice et de nécessité politique. «Je ne puis, écrivait-il
au duc de Luxembourg, reculer sans hasarder le repos de
mon État; car la partie de ceux de contraire religion est
encore trop enracinée en icelui et trop forte et puissante
dedans et dehors pour être mise à nonchaloir'. .J'en ai été
trop bien servi et assisté en mes nécessités. Je remettrais
des troubles en mon royaume plus dangereux que par le
passé. »'
Les plus grandes difficultés provenaient du parlement de
Paris, qui opposait au roi une résistance systématique. Mé-
content de l'attitude hostile des conseillers, Henri IV résolut
d'obtenir par la force ce qu'il croyait avoir le droit d'at-
tendre de leur justice. Il les manda au Louvre dans son
cabinet. «Vous me voyez, leur dit-il, en mon cabinet où
je viens parler à vous non point en habit royal et avec
l'épée et la cape, comme mes prédécesseurs, ni comme
1. Élie Benoit, Histoire de l'édit de Nantes, 1. 1", liv. VI, p. 271.
2. Abandon.
3. Recueil de lettres missives de Henri IV, publié par M. Berger
de Xivrey. — Bulletin de l'Histoire du protestaatisma français,
année 1853, p. 30.
LIVRE XXV.
155
un prince qui vient parler aux ambassadeurs étrangers,
maisvèlu comme un père de famille en pourpoint, pour par-
ier familièrement à ses enfants. Ce que je veux dire, c'est
que je vous prie de vérifier l'édil que j'ai accordé à ceux
de la religion. Ce que j'en ai fait, est pour le bien de la paix;
je l'ai faile au dehors, je veux la faire au dedans de mon
royaume. Vous me devez obéir, quaad il n'y aurait d'autre
considération que de ma qualité, et obligation que m'ont
mes sujets et particulièrement vous de mon parlement. J'ai
remis les uns en leurs maisons dont ils étaient bannis, les
autres en la foi qu'ils n'avaient plus. Si l'obéissance était
due à mes prédécesseurs, il m'est dù autant et plus de dé-
votion, parce que j'ai rétabli l'État; Dieu m'ayant choisi
pour me mettre au royaume qui est mien par héritage et
acquisilion. Les gens de mon parlement ne seraient en
leur siège sans moi. Je ne veux me vanter; mais je veux
bien dire que je n'ai exemple à invoquer que de moi- <
même. Je sais bien qu'on fait des brigues au parlement,
que l'on a suscité des prédicateurs factieux, mais je don-
nerai bien ordre contre ceux-là et ne m'en attendrai à
vous. C'est !e chemin que l'on prit pour faire des barricades
et ve nir par degrés à l'assassinat du roi. Je me garderai bien
de tout cela; je couperai la racine à toutes factions et à
toutes prédications séditieuses, faisant accourcir tous ceux
qui les suscitent. J'ai sauté sur les murailles de la ville,
je sauterai bien sur les barricades. ÎN'e m'alléguez point la
religion catholique: je l'aime plus que vous; je suis plus
catholique que vous; je suis lils aîné de l'Église, nul de
vous ne l'est, ni le peut être. Vous vous abusez si vous
pensez être bien avec le pape, j'y suis mieux que vous.
Quand je l'entreprendrai, je vous ferai tous déclarer héré-
tiques pour ne me vouloir pas obéir. J'ai plus d'intelligence
que vous; vous avez beau faire, je saurai ce que chacun
de vous dira. Je sais tout ce qu'il y a en vos maisons ; je
sais tout ce que vous faites, tout ce que vous dites ; j'ai un
petit démon qui me le révèle. Ceux qui ne désirent que'
mon édit passe me veulent la gLierre; je la déclarerai de-
main à ceux de la religion, mais je ne la leur ferai pas.
Vous irez tous avec vos robes, et vous ressemblerez la
procession des capucins, qui portaient le mousquet sous
leurs habits. Il vous ferait beau voir. Quand 'lous ne vou-
î 55 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
(Irez pnsser l'édit vous me ferez aller au parlement. Vous
serez ingrats quand vous m'aurez créé cette envie. J'appelle
à témoin ceux de mon conseil qui ont trouvé l'édit bon et
nécessaire pour le bien de mes affaires : M. le Connétable,
MM. de Bellièvre, de Sancy, de Siliery et de Viilcroy. Je
l'ai fait par leur avis et des ducs et pairs de mon royaiime.
Il n'y en a pas un qui osât se dire protecteur de la religion
catholique, ni qui osât nier qu'il ne m'ait donné cet avis.
Je suis protecteur de la religion, je dissiperai bien les
bruits que l'on veut faire. L'on s'est plaint à Paris que je
voulais faire des levées de Suisses ou autres amas de
troupes. Si je le faisais, il en faudrait bien juger, et ce
serait pour un bon effet, par la raison de mes déporte-
ments passés; témoin ce que j'ai fait pour la reconquête
d'Amiens, où j'ai employé l'argent desdits édits que vous
n'eussiez passés si je ne fusse allé au parlement. La né-
cessité m'a fait faire ces édits pour la même nécessité que
j'ai fait celui-ci. J'ai autrefois fait le soldat; on a parlé, et
n'en ai pas fait semblant. Je suis roi maintenant et parle
en roi; je veux être obéi. A la vérité, les gens de justice
sont mon bras droit; mais si la gangrène se met au bras
droit, il faut que la gauche le coupe. Quand mes régiments
ne me servent pas, je les casse. Que gagnerez-vous quand
vous ne me vérifierez pas mon édit? Aussi bien sera -t- il
passé.»
A ces paroles vives, mordantes, spirituelles, le roi en
ajouta d'autres, dont chacune était un trait acéré à l'adresse
des membres du parlement. Sous le père qui gourmande,
on sent le roi qui parle en maître : « Donnez à mes prières,
leur dit-il en terminant, ce que vous n'auriez pas voulu
donner à mes menaces; vous n'en aurez point de moi;
faites ce que je vous commande au plus tôt, dont je vous
prie, et ne le ferez seulement pour moi, mais aussi pour
vous et le bien de la paix.»'
Les conseillers firent au monarque quelques observa-
tions et se retirèrent; bientôt après ils (irent présenter au
roi un cahier contenant leurs remontrances. Henri IV les
manda de nouveau au Louvre et leur fit comprendre, dans
1. L'Esfoile, année 1 590. — Mémoires de Sully, t. X , p. 1 H ,
année tôOO. — Bulletin de l'Histoire du protestantisme françai.";,
amf'C 18:i" 1?8 et r.uiv.
LIVRE XXV.
<57
un langage ferme, qu'il voulait être obéi; il leur prouva
que la paix de l'État était la paix de l'Église, et leur re-
procha vivement l'outrage dont ils se rendaient coupables
à son égard en ne voulant pas croire à sa parole, à laquelle
ses ennemis même croyaient. «Je suis, leur dit-il, en
accentuant chaque mot, catholique, roi catholique romain,
non catholique jésuite ; je ne suis de l'humeur de ces
gens-là , ni de leurs semblables qui sont des faiseurs de
tueurs de roi. »
Il insista de nouveau sur la nécessité d'assurer le repos
de l'État par la paix; leur montra que sans elle la réforme
de l'Église était impossible; il déplora la distinction que
l'on faisait entre les catholiques et les huguenots et dit
que, si les premiers voulaient convertir les seconds, ce
n'était pas par la violence , mais par de bons exemples
qu'ils y parviendraient. Il reprocha aux conseillers de trou-
bler la paix du royaume par leur opposition à sa volonté,
qui n'avait d'autre but que le plus grand bien de ses su-
jets. C'est à cette opposition qu'il attribua l'attitude hostile
des réformés , auxquels il avait été contraint d'accorder la
liberté de s'assembler. Il leur rappela que tous les édits
faits contre eux sous Henri III, n'avaient pu les anéantir:
«Quand j'étais avec eux, ajouta-t-il, à chaque nouvelle
d'une nouvelle rigueur, je faisais des cabrioles; je disais,
loué soit Dieu, car tantôt nous aurons quatre mille
hommes, tantôt six mille hommes, et nous les trouvions
enfin ; car ceux qui étaient désespérés auparavant étaient
contraints de se réunir. » '
Le roi congédia les conseillers qui se retirèrent avec la
conviction qu'il était résolu à les contraindre à vérifier
l'édit.
IL
L'édit fut porté au parlement ; plusieurs conseillers
s'opposèrent vivement h son enregistrement , et peut-être
eût-il fallu que le roi, botté, épéronné, une cravache h
la main, vint leur signifier sa volonté souveraine, si La-
zare Coqueley ne s'était pas prononcé en sens contraire.
1. Bulletin de l'Histoire du proleslantisme français, année 180.5,
D. 128 et suiv.
158 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
L'opinion de ce conseiller ne pouvait être suspecte; il
était un ancien ligueur qui, trop homme de sens pour per-
sister à servir un parti qui cntraînaitvisiblement la France
vers sa ruine, s'était rallié à la cause' royale ; il avait suivi,
avec un vif intérêt, les négociations pendantes entre la
cour et les réformés; son zèle pour la religion catholique
ne l'avait pas aveuglé, et il comprenait ces paroles que le
roi avait adressées au parlement en réponse à la présen-
tation de ses cahiers: «J'ai désiré faire deux ménages,
l'un de ma sœur, je l'ai fait; l'autre de la France avec la
paix, ce dernier ne peut être que par la paix et la paix ne
sera ferme que mon édit étant vérifié.»'
Coqueley laissa les opinions des opposants se faire jour,
puis il prit la parole et dans un discours plein de sens, de
force et d'à-propos , il montra les funestes effets de la
guerre civile sur le royaume, qui ne pouvait devenir grand
que par l'union des partis. Il fit un éloge juste et mérité
du roi, qui avait tout sacrifié pour donner à la France le
bienfait inestima'ole de la paix : «Suivons, Messieurs, leur
dit-il, les vues d'un prince, dont la bonté pour nous
égale la sagesse. Craignons de nous laisser conduire par
un zèle indiscret qui, dans ces derniers troubles, a aveuglé
tant de gens , et d'exposer la religion à un danger évident
en voulant la conserver. Que la charité chrétienne anime
toutes nos démarches et souffrons que des compatriotes et
des concitoyens jouissent des honneurs, des privilèges et
des dignités, qu'ils ont droit de partager avec nous.
«Nous ne pourrions, sans ingratitude et sans injustice,
nous y opposer; en effet, lorsqu'une puissante faction,
appuyée des forces de l'Espagne, attaquait cette monarchie
avec tant de fureur, avec quel courage et quelle ardeur
les protestants ont-ils concouru à la défense de la patrie?
Ne doivent-ils pas recevoir une digne récompense de
leurs services, et j cul-on, sans être injuste, la leur refu-
ser? Après tant d ; guerres civiles, qui ont enfanté ces
cabales, dont on doit craindre encore le funeste poison,
après tant de batailles, aussi funestes à l'un qu'à l'autre
parti, l'on ne peut douter que le royaume n'ait besoin de
1. Bulletin de l'Histoire du protestantisme français, aimée 1854,
p. 134.
LTVRE XXV..
159
paix; mais comment espérer cette tranquillité, si l'on
veut chasser et séparer du corps de l'État ceux qui l'ont
défendu avec tant de courage? Animés par un motif si
légitime de vengeance, ne pourraient-ils pas tourner contre
nous les armes dont ils se sont servis si utilement pour le
salut de la nation, et pleins d'indignation, ne pourraient-ils
pas détruire ce qu'ils ont pu conserver.
«Mais dira-t-on, c'est offenser Dieu, et il est dange-
reux de tolérer de nouvelles opinions. Au contraire. Mes-
sieurs, Dieu lui-même a peut être permis ce schisme et
ces disputes de religion , afin que la crainte d'une secte
ennemie fit rentrer dans leurs devoirs ces catholiques, qui,
contents de conserver la foi et fiers de la justice de leur
cause, se laissaient corrompre par le faste et sortaient des
bornes étroites de la discipline. On peut dire que cette di-
vision dans la foi est un mal invét,cré, qui a pénétré dans
toutes les parties du corps de l'Éiat et qu'il faut plutôt
pallier ce mal incurable que d'en tenter la guérison.
« On a déjà employé tous les remèdes que fournit une
guerre juste, si on peut donner ce nom à une guerre ci-
vile. Quels carnages affreux dans le temps même de la
paix! Quels torrents de sang ont alors coulé ! Tout âge,
tout sexe, toute condition, ont fourni des victimes. Il n'é-
tait pas alors permis de se plaindre ou de pleurer ses pa-
rents et ses amis. Des gardes et des espions semés de tous
côtés, examinaient la douleur des malheureux, et les
larmes rendaient criminels ceux qu'on ne pouvait accuser
comme novateurs. La crainte et la violence avaient brisé
les liens les plus sacrés de la société, et une barbarie im-
pitoyable avait étouffé l'humanité dans tous les cœurs.
«Quel a été le fruit de toutes ces fureurs? Elles ont re-
nouvelé les ressentiments presque éloutîés, et nous ont
armé les uns contre les autres. Nos crimes et nos perfidies
réciproques ont rendu odieux à toutes les nations de la
terre le nom français, qu'elles respectaient autrefois. Que
nous serions aveugles et insensés si, à peine sortis de
tous ces dangers, nous allions échouer contre le même
écueil ! Fuyons ce funeste rocher , c'est le seul moyen
d'éviter le naufrage, et quittons pour toujours ces armes,
dont les coups ont été jusqu'à présent si malheureux. En-
vironnés de maux auxquels la prudence humaine ne peut
160 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
trouver de remèdes, adressons-nous à Dieu et disons avec
Josaphat, ce sage roi de Juda : Lorsque nous ignorons,
Seigneur, ce qu'il faut faire , notre unique ressource est
de tourner les yeux vers vous.»'
Les paroles de l'ex-ligueur rallièrent à son opinion la
majorité des conseillers. Le parlement arrêta, le 29 février
1599, que l'édit serait enregistré sans modifications, et
qu'on remettrait à la sagesse et à la prudence du roi le
soin de veiller à son exécution. •
IIL
Les parlements de province suivirent l'exemple de celui
de Pans'. Quelques-uns cependant, et notamment ceux de
Bordeaux et de Toulouse, opposèrent une vive résistance.
Ils envoyèrent à Paris leurs députés pour exposer au
roi leurs doléances. Le 4 novembre 1599, ceux du parle-
ment de Rouen furent introduits dans le château de Saint-
Germain-en-Laye , au moment où Henri IV s'amusait avec
ses enfants dans l'une des salles du château. A la vue des
dépuiés il se leva, laissa ses jeux et s'avança vers eux :
«Ne trouvez pas étrange, leur dit-il, de me voir ainsi
folâtrer avec ces petits entants; je sais faire le fol et aussi
le sage. Je viens de faire le fol avec eux, je m'en vais faire
maintenant le sage avec vous et vous donner audience.»
Il entra dans une chambre où le suivirent son chancelier,
le maréchal d'Ornano, et les députés.
Le président Chessac prit la parole et parla pendant une
heure et demie. Le roi, qui l'avait écouté avec une grande
attention, lui dit que jamais il n'avait entendu un plus beau
parleur que lui; après le compliment vint la critique, elle fut
amère: «Je voudrais, lui dit-il, que le corps répondît au vê-
tement; car je vois bien que vos maximes et propositions sont
les mêmes ou semblables qu'étaient celles que fit jadis le
feu cardinal duc de Lorraine au feu roi en la ville de Lyon,
retournant en Pologne, tendantes à remuement d'État.
Nous avons obtenu la paix tant désirée, Dieu merci, la-
1. De Thou , liv. CXXH, p. 279 et suiv.
2. L'enregistrement ne fut pas pur et simple : cliaque parlement
l'accorda avec guelgues iéfières modifications.
LIVRE SXT.
161
quelle nous coûte trop pour la commettre en troubles. Je
veux continuer et châtier exemplairement ceux qui y vou-
draient apporter alléralion. Je suis votre roil ;gitime, votre
chef, mon royaume en est le corps. Vous avez cet honneur
d'en être membres. C'est affaire du chef de commander,
et aux membres d'obéir, et d'y apporter la chair, le sang,
les os et tout ce qui en dépend. Vous dites que votre par-
lement se trouve seul' qui, en ce royaume, est demeuré
en l'obéissance de son roi, et partant que ne devez avoir
pire condition que les parlements de Paris et de Rouen
qui, durant le débordement et orage de la ligue, se sont
dévoyés. Certes ce vous a été beaucoup d'heur; mais
après Dieu il en faut rendre louange, non à vous autres',
qui n'avez eu faute de mauvaise volonté pour remuer mé-
nage contre les autres, mais à feu M. le maréchal de
Matignon, qui, vous tenant la bride courte, vous en a em-
pêché. Ily a^ longtemps qu'étant seulement roi de Navarre
je connaissais dès lors bien avant vos maladies ; mais n'a-
vais les remèdes en main pour les y appliquer. Maintenant
que je suis roi de France, je les connais encore mieux et
ai les moyens en main pour y remédier et en faire repen-
tir ceux qui voudront s'opposer à mes commandements.
J'ai fait un édit, je veux qu'il soit exécuté, et quoi qu'il en
soit, veux être obéi*. Bien vous en prendra, si le faites.
Mon chancelier vous dira plus en plein ce qui est de ma
volonté. » '
Le même jour le roi donna audience aux députés du
parlement de Toulouse. «C'est chose étrange, leur dit-il
1. Floquet, Histoire du parlement de Normandie, 1. 111, p. 414.
— Deux parlements seulement surent demeurer purs : celui de
Pretagne et celui de Guienne.
2. V. de Thou, liv. XCVII.
3. Jacques Goyon , deuxième de nom , seigneur de Matignon ,
comte de Torigny, prince de Mortagne; il mourut à Bordeaux au
mois de juillet 1597. — Mém. du Journ. de Pierre de l'Estoile, éd.
Petitot, p. 208. — Marguerite de Valois l'appelle « un dangereux et
fin Normand, un brouillon malicieux. » — Mémoires, p. 150, 153,
-année 1578.
4. Voir les extraits des dépêches d'Aerssen , datées de Paris le
22 février, d'Orléans le 6 juillet et de Blois le 15 août 1599.
5. Bulletin de l'Histoire du protestantisme français, année 1853,
p. 139.
162
HISTOIHE DE LA RÊFORMATION FRANÇAISE.
avec colère, que vous ne pouvez cacher vos mauvaises vo-
lontés. J'aperçois bien que vous avez encore de l'espagnol
dans le ventre'. Et qui donc voudrait croire que ceux qui
ont exposé leurs vies, biens, élals et honneurs pour la
défense et consin'valion de ce royaume, seront indii^nes
des charges honorables et publiques, comme ligueurs per-
fides et dignes qu'on leur courre sus, et qu'on les bannisse
du royaume. Mais ceux qui ont employé le vert et le sec
pour perdre cet Etat, seraient (à votre dire) bons Français
dignes et capables de charges! Je ne suis aveugle; j'y vois
clair. Je veux que ceux de la religion vivent en paix en
mon royaume et soient capables d'entrer aux charges; non
pas parce qu'ils sont de la religion, mais d'autant qu'ils
ont été fidèles serviteurs à moi et à la couronne de France.
Je veux être obéi et que mon édit soit publié et exécuté
Ïiar tout mon royaume. Il est temps que nous tous, saou-
és de la guerre, devenions sages à nos dépens.»'
Sur ce il les congédia.
Les députés des parlements de Rouen et de Toulouse
quittèrent Saint-Germain et rapportèrent à leur compagnie
les paroles du roi. Les conseillers, comprenant qu'une plus
longue résistance devenait inutile, enregistrèrent l'édit en
lui faisant subir quelques modifications.
IV.
En présence des luttes du roi avec les membres des
cours souveraines du royaume , on se demande quelle était
l'utilité des parlements sous le rapport des aflaires po-
litiques; ou bien ils avaient des droits, ou bien ils n'en
avaient pas; s'ils en avaient, pourquoi le roi violait-il leurs
privilèges? s'ils n'en avaient pas, pourquoi la volonté
royale ne se passait-elle pas de leurs concours?
1. Bibliothèque impériale, fonds Fontette, portef. VI, pièce 17.
— Bulletin de l'Histoire du protestantisme français, année 1S53,
p. 137.
2. Floquet, 1. 111, p. 557. — Des conseillers du parlement de
Toulouse, vaincus d'impatience ou mus de je ne sais quelle légè-
reté et inconstance, avaient écliaugé la toge contre la cuirasse
assez mdireclemcnt (dit La Roche Flavyn, leur collègue); il y en
avait eu de blessés aux assauts des villes, et plusieurs même pé-
rirent au siège de \illemur.
LIVBB XXI.
163
Les corps politiques ne sont grands et utiles que quand
ils agissent dans la plénitude de leur souveraineté, car ils
perdent de leur dignité quancf ils délibèrent et votent sous
une pression étrangère... Le peuple ne voit alors en eux
que des instruments d'une puissance plus haute; et là où
il devrait voir des hommes il n'aperçoit que des courti-
sans ou des valets. Au lieu de respecter il méprise. Ce
n'est que justice.
Dans les événements dont nous faisons le récit, les par-
lements opposèrent une résistance injuste. Ils avaient pour
eux contre la volonté du roi, la légalité; mais le roi avait
pour lui contre eux, le droit et la justice. Nous ne nous
sentons aucun penchant pour le despotisme sous quelque
forme qu'il se présente ; mais nous comprenons comment
avec les passions et les haines de l'époque la puissance
royale s'est élevée sur les débris des libertés parlemen-
taires. Ce n'est jamais impunément que les corps consti-
tués violent les lois éternelles de la justice, alors même
qu'ils le font avec la lettre de leurs chartes. Ils amassent
ainsi sur leurs tètes des trésors de colère et sont, sans s'en
douter, les auxiliaires les plus puissants du despotisme qui
n'est possible que le jour où ils ont perdu la confiance et
l'estime de la nation. Les sénateurs romains qui attendent
les Gaulois sur leurs chaises curules, intrépides devant la
mort, sont grands. Les parlementaires qui, sur leurs sièges,
enregistrent l'édit sous l'œil du maître, sont petits.
V.
Quand le pape reçut la nouvelle de la vérification de l'é-
dit, il s' écria: «Cetéditme crucifie"! C'est, disait-il aux
cardinaux d'Ossat et de Joyeuse, le plus mauvais qu'on
puisse imaginer, puisqu'il permet la liberté de conscience
à tout chacun, et ce qui est la pire chose du monde, c'est
qu'il permet l'épreuve partout. Cet édit, fait sous mon
nez , est un affront qui n'est pas moins injurieux pour
moi que si on m'avait fait une balafre. » '
Les cardinaux s'efforcèrent de le calmer, en lui prouvant
1. Letti-es du cardinal d'Ossat.
2. Histoire de l'édit de Nantes, liv. VI, p. 280.
■164 HISTOIRE DE LA RÊFORMATION FRANÇAISE.
ue le roi avait cédé à une nécessité et non à un penciiant
e son cœur, et qu'il n'aurait pu le refuser sans recom-
mencer une nouvelle guerre qui eût été plus funeste aux
catholiques qu'aux protestants.
La colère (lu pape ne fut pas stérile. Le roi, pour l'a-
paiser, donna aux catholiques du Béarn un édit, qui était
pour eux ce que celui de Nantes était pour les protes-
tants. '
L'abrégé' de l'assemblée de Chatellerault, qui avait con-
tinué à siéger pour travailler à la vérification de l'édit de
Nantes, s'opposa énergiquement aux changements qu'on
voulut y apporter. Elle ne réussit pas toujours, mais elle
empêcha au moins qu'on le dénatura; elle nota minutieu-
sement toutes les infractions et présenta au roi ses cahiers
dans lesquels elle consigna ses observations. '
VL
L'édit de Nantes fut un acte de justice et de bonne po-
litique. Il soldait des services rendus et retirait la France
des dangers des guerres civiles. Pour s'en convaincre, il
suffit de jeter un regard rapide sur l'état de la France
avant et après la date mémorable du 13 avril 1598.
Avant l'édit, le royaume présentait un aspect désolant;
la campagne était abandonnée aux ronces et aux herbes
parasites ; faute de culture, le royaume était visité par des
famines et des disettes périodiques; les maisons, les châ-
teaux, les villes et les villages n'offraient que traces de
ruines; les fossés des villes fortes étaient comblés, leurs
remparts renversés, leurs portes brûlées, les monuments
publics mutilés, les revenus publics réduits à néant, ceux
des particuliers compromis, le commerce anéanti, le clergé
même, pour lequel tant de sang huguenot avait été versé,
avait vu ses dîmes impayées et ses biens usurpés par
l'État. Le roi était le plus pauvre de ses sujets : au siège
1. Élic Benoit, Histoire de l'édit de Nantes, liv. VI, p. 284-585.
2. C'est-à-diro commission cliargcc de l'cprcsonter l'assemblée,
•t. Hi!5toire de l'édit de Nantes, !iv. ^fl, p. 2S5 et suiv. — Élie
Benoit, selon ."in rontinnc, entre dans de grands détail.';.
LIVRE XXV.
165
d'Amiens, il n'avait pas assez d'argent pour fournir sa
table et s'acheter un pourpoint ; encore quelques années
d'un pareil régime, et le royaume tombant en lambeaux,
serait devenu la proie de quelques grands seigneurs qui
auraient fondé leur grandeur personnelle sur ses débris.
Il fallait que la France récelàt dans son sein des forces
inusables pour n'avoir pas péri dans ces temps calamiteux
oii tous les droits étaient contestés, méconnus , foulés aux
pieds, et pendant lesquels, chacun faisait, non ce qui est
bon, mais ce qui lui semblait bon, travaillait à l'abaisse-
ment de la patrie et à l'agrandissement de la maison d'Au-
triche. Jamais l'Espagne ne fut plus près de réaliser le
vœu de Charles-Quint, la monarchie universelle, que pen-
dant les trente-cinq années de nos guerres civiles.
Mais à peine l'édit de Nantes fut -il signé et vérifié que
la France changea de face avec la rapidité d'un change-
ment de décoration à vue ; Les champs furent ensemen-
cés, les maisons réparées, le commerce, cette seconde
mamelle des peuples, reprit vie et force, les transactions
firent reparaître l'argent qui avait disparu de la circula-
tion, le clergé fut mieux payé, le roi put enfin tenir sa
maison comme il convieiil au chef d'un grand royaume;
l'étranger enfin qui nous raillait et qui ne cachait pas son
mépris pour un peuple qui ne savait pas se gouverner, fut
saisi d'admiration et d'eiîroi. La France, reléguée au rang
d'un royaume de second ordre, reprit sa place, et quand
ou vit à sa tête un roi élevé à la rude et salutaire école
de l'adversité, jeune encore, plein d'ardeur et de vie,
guerrier, administrateur, politique, on rechercha son al-
liance. En présence de tels résultats, plusieurs de ceux qui
ne voulaient pas de l'édit furent contraints de reconnaître
que le roi avait marché dans les voies d'une politique
aussi habile que réparatrice; les zélés ligueurs seuls ne le
lui pardonnèrent pas; l'édit, à leurs yeux, n'était qu'un
sacrilège.
Quand on examine au flambeau de l'Évangile la question
de tolérance , en matière religieuse , elle est des plus
simples; l'amour des hommes nous est prescrit comme
l'un de nos premiers devoirs envers le prochain ; or, si
notre prochain a le malheur, à nos yeux, de ne pas croire
comme nous, la force brutale sera-t-elle le sûr moyen de
166
HISTOIRE DE LA RÊFORMATION FRANÇAISE.
l'y contraindre? Non; car lorsque cet homme se verra
honni, raillé, haï, jeté en prison, frappé clans ses affec-
tions les plus chères, conduit au supplice, pourra-t-il voir
dans son persécuteur un disciple de celui qui ne sut que
bénir, aimer et mourir; il éprouvera une répulsion pro-
fonde pour son convertisseur, et, en présence de la mort,
il dira : Je ne serai jamais de la religion de mon bourreau.
L'édit de Nantes était un acte de justice à l'égard des
réformés ; ils avaient secouru la royauté , lorsque la Sor-
bonne prononça la déchéance de Henri III; ils avaient prêté
leur appui au roi légitime, quand il était sans argent, sans
troupes, sans prestige. Sans l'attentat de Jacques ClémCfit,
ils l'eussent remis sur le pavoi , lui l'auteur de la Saint-
Bartliéiemy, lui l'auteur du traité de Némours, lui qui disait
aux Etats deBlois, quelques jours avant de faire assassiner
Guise, «je voudrais voir en portrait dans ma chambre le
dernier huguenot de mon royaume » ; ce furent eux qui,
après sa mort combattirent à Arques, à Ivry et empê-
chèrent la France de devenir une province espagnole.
Déjà ils avaient combattu au Havre et avaient aidé
Charles IX à en chasser les Anglais; à part quelques
taches dans leur histoire, ils furent les vrais patriotes du
royaume; plus tard, aux jours de la Fronde, ils furent les
sujets les plus dévoués d'un roi mineur, et leur attache-
ment à leur prince leur fit alors donner le sobriquet de
royaux qui leur est reste dans le midi de la France. L'édit
fut donc, commenous l'avons déjà dit, un acte de justice;
s'il ne répara pas tous les maux du passé, il fit au moins
lever sur les réformés l'espérance d'un meilleur avenir.
VII.
On s'est demandé si l'édit de Nantes est un acte émané
de la seule volonté du roi, ou bien un traité intervenu
entre le souverain et ses sujets dissidents; la question est
controversée, et quoique aujourd'hui elle paraisse oiseuse,
elle a cependant son intérêt; les uUramontains appellent
toujours l'édit un acte émané de la volonté royale accor-
dant aux protestants ce qu'elle eût dû leur refuser, puis-
qu'aux hérétiques on ne doit que ce qui est dû aux
LIVRE XXV.
167
niMlfaileurs ; ce fut l'argument qu'on fit valoir plus tard
auprès de Louis XIV; mais quand on étudie les prélimi-
naires des négociations de l'édit, on est amené forcément
à lui donner le nom de traité. Quand il fui rendu, les pro-
testants étaient sous les armes et ils avaient plus encore de
raisons de ne pas vouloir le Béarnais pour leur roi, que les
ligueurs, quand ce prince n'était pas encore passé au ca-
tholicisme; par son abjuration leur ancien chef rompait le
contrat qu'ils avaient fait sur les champs de bataille et
qu'ils avaient signé de leur sang. Ce contrat serait -il
moins légitime que ses traités avec les ligueurs? Tout ce
qui s'est passé avant l'édit de Nantes éclaire la question; il
ne fut pas donné le lendemain de Tabjuration pour rassu-
rer les réformés. Plusieurs années s'écoulent , se passent
en demandes d'un côté, en refus et en attermoyement de
l'autre ; des négociations s'ouvrent , on discute , on de-
mande, on refuse, on insiste, on abandonne un point, on
se rabat sur un autre. Pendant quatre ans on discute les
bases de cette nouvelle charte. Deux autres sulllsent à
peine pour les arrêter. «Jamais, dit Elie Benoît, traité de
roi à roi ou d'État à État, n'a eu plus de marques et plus
de circonstances d'un véritable traité'.» De là l'obligation
pour les successeurs de Henri IV de l'observer, puisque
l'édit n'est qu'un contrat synallagmalique entre le roi et
ses sujets de la religion réformée.
Nous ne nous sommes étendu sur ce point que pour
montrer que quelque grande que fût r.mlorité royale, elle
avait des limites dans lesquelles elle devait se renfermer
et des engagements qu'elle ne pouvait rompre tant que les
parties contractantes demeureraient fidèles à l'esprit du
traité; mais ce qu'on ne saurait trop admirer, c'est la
constance avec laquelle les réformés réclamèrent leurs
droits à une époque où toutes les hberlés de la nation al-
laient s'engloutir dans la puissance royale. L'édit de Nantes
fut donc tout autant leur œuvre que celle de Henri IV. '
!. Élie Benoît, 1. 1", liv. vn, p. 323.
?. Voir Auquez, Assemblées politiques des protestants — Mi-
cliciet — Henri ilaitiu — Sismondi.
168
HISTOIRE DE LA RÉFOUMATION FRANÇAISE.
VIII.
L'année 1598, célèbre par l'édit de Nantes, vit mourir
Philippe II.
La mort ne se jeta pas sur lui comme un oiseau de proie ;
elle vint lentement; mais elle vint avec le fouet des ven-
geances divines et lui dressa un lit de douleur; «elle l'inonda,
dit Antonio Pérès, d'une sale phlhiriasis , accompagnée de
toute une armée de poux; elle ne voulait pas, dit l'e.xact
narrateur, le détruire sans lui avoir fait sentir que les
princes et les monarques de la terre ont d'aussi misérables
et honteuses manières de sortir de la vie que ceux qui ont
vécu pauvres. » '
Les témoins de cette étrange maladie furent frappés
d'épouvante. Les médecins, après avoir vainement essayé
d'arrêter cette invasion de poux sur le corps frêle et dé-
bile du royal malade, disaient entre eux: eccemanus Dei^.
Et cependant, sur ce lit qui fait horreur et pitié, le roi
était moins tourmenté de ses souffrances que du jugement
à venir., Quand il sentait ce ver qui ne meurt pas, dont
parle l'Évangile, attaché à son cœur et le mordre, il
poussait alors de grands soupirs et disait: «J'aurais été
plus heureux si j'étais né pauvre prêtre que monarque des
Le lit de mort de Philippe II présente une grande leçon
pour les souverains qui dans leur orgueil croient que leur
puissance n'aura point de fin; il leur crie, par la bouche
de l'illustre malade, que tout est vanité et rongement
d'esprit, que la force de l'homme n'est que faiblesse,
que sa grandeur n'est que néant. Quel prédicateur puissant
que Philippe d'Espagne, quand il fait approcher de son lit
son fils et lui dit, en lui montrant le cercueil de cuivre
qu'il s'était fait préparer: «Vous voyez aujourd'hui, mon
fils, comment Dieu m'a déjà dépouillé de la gloire et de la
majesté d'un roi pour vous en revêtir vous-même; pour
moi, on me vêtira dans quelques heures d'un misérable
suaire, et on me ceindra d'une pauvre corde. La couronne
1 Mignet Antonio Ferez et Philippe D, p. 380.
2. Voilà la main de Dieu.
LIVRE XXV.
169
de roi me tombe de la tête, et la mort me l'ôte pour vous
la donner. Un jonr viendra où cette couronne tombera de
votre tête comme de la mienne. Vous êtes jeune comme je
l'ai été. Mes jours étaient comptés, et les voilà qui finissent;
Dieu sait le compte des vôtres, qui finiront à leur tour.
Je vous recommande la guerre avec les infidèles et la paix
avec la France. » Après ces paroles il entra dans la sombre
vallée de l'ombre de la mort; ses forces s'affaiblirent et il
expira en portant ses regards vers le ciel où l'attendait son
juge". Il avait soixante-douze ans quand il descendit dans
la tombe, laissant une mémoire maudite.
Ce prince a eu des apologistes qui l'ont exalté; mais leurs
efforts n'ont pu le réhabiliter aux yeux de la postérité, qui
a confirmé le nom de « démon du Midi » qui de son vivant
lui fut donné. Il ne fut pas cependant un roi ordinaire,
et l'historien qui voudrait trop le rabaisser ne donnerait
de lui qu'un portrait incomplet. Il fut patient, laborieux
et sut, chose rare, s'entourer d'hommes éminents : Doria,
Sanla Cruz, don Juan, le duc d'Albe, Farnèseet plusieurs
autres commandèrent ses flottes et ses armées. 11 eut pour
ministres Antonio Ferez, Granvelle; pour ambassadeurs
Mendoce, Feria, Taxis. La prospérité ne l'enfla pas, l'ad-
versité ne l'abattit pas. Courbé sous le poids des années et
des souffrances corporelles , il marcha toujours vers son
but avec une constance qui ne se démentit jamais. Sur son
lit de mort il ne fut pas sans grandeur, et la première
fois qu'il baissa la tête , ce fut devant celui qui le ployait
comme un roseau et lui faisait sentir que les rois les
plus puissants ne sont que comme la feuille que le vent
lait tourbillonner devant lui.
Parmi les rois d'Espagne, le fils de Charles-Quint a une
grande place dans l'histoire, mais il l'occupe pour son
châtiment; car à part quelques apologistes sans pudeur,
tous les écrivains de quelque poids le mettent au rang des
plus mauvais et des plus méchants rois que les peuples
aient jamais eu. Il fut fourbe, cruel, implacable, débauché
sous des dehors de di'ivotion; pour lui tous les moyens
d'atteindre un but furent bons. Disciple du Vieux de la
1. Sully, Économies royales, année 1598. — V. Palma-Cayet,
année 1598. — Brève compendio y elogio de la vida de el rcy
Phelipe scgundo de Espana , P. Antonio Ferez.
5.
470 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
montagne, il députa ses assassins vers Elisabeth et vers
Escovedo, le secrétaire de don Juan; père sans entrailles,
il fit m:'ltre à mort son fils doïi Carlos. Pendant les trop
longs jours de son règne, il fut le mauvais génie de la
France-, il se crut grand et ne fut qu'opiniâtre. Admira-
blement secondé par des hommes éminents, il neutralisa
presque toujours leurs services par la manie qu'il eut de
vouloir tout ordonner, tout diriger du fond de son triste
Escurial. Il travailla immensément et ne fit rien; là où il
aurait fallu une tête intelligente il n'y eut qu'un infatigable
chef de bureau. A sa place un homme de génie, pénétré
des besoins de son siècle, eût continué l'œuvre de Charles-
Quint: il la ruina. Avec la plus belle armée du monde,
commandée par d'habiles généraux, il n'aboutit qu'ù des
défaites; avec les trésors du nouveau monde il n'arriva
qu'à la banqueroute; avec les finesses de sa diplomatie il
ne recueillit que des échecs; avec ses rêves de monarchie
universelle il assista au démembrement de ses vastes états;
tout dépérit entre ses mains; la Hollande secoua son joug
de fer, et de l'excès de ses douleurs naquit sa glorieuse
indépendance. La France ne voulut ni de sa fille pour
reine, ni de son tribunal du Saint-Office pour sauvegarder
sa foi. La réforme qu'il avait voulu étouffer y était fou-
jours debout avec son édit de Nantes, conquis au prix de
quarante ans de luîtes. L'Angleterre enfin qu'il avait me-
nacée avec son invincible Armada prenait le sceptre des
mers, lui interceptait la route des Indes et l'insultait
devant Cadix. La seule consolation qu'il eut en mourant
ce fut de léguer à son fils la paix de Vervins. 11 avait ap-
pris trop tard que les guerres injustes sont la ruine des
nations et que l'orgueil marche devant l'écrasement.
Sa mort fut un soulagement pour la chrétienté. Les li-
gueurs seuls le pleurèrent. Les protestants dirent que Dieu
l'avait frappé comme Hérode, et avait prolongé ses jours
pour lui iniliger le supplice de l'édit de Nantes. Les partis
sont naturellement crédules et se complaisent à voir dans
les événements qui leur sont favorables une favew de la
Providence ; et cependant, quand le célèbre édit fut rendu,
le roi catholique élait désillusionné. L'âge, les infirmités,
les revers l'avaient dompté; il sentait que c'en élait fait de
ses espérances, dont il ne lui restait que des amertumes et
LIVRE XXV.
de stériles regrets. Il était trop vieux pour recommencer,
et trop pauvre pour lancer à la mer une nouvelle Armada.
IX.
L'édit de Nantes commençait à peine à faire entrer la
France dans les voies réparatrices de la pai.x, quand sou-
dainement elle fut sous le coup d'une fiévreuse ardeur
qui inquiéta le roi et lui fit craindre d'être obligé «de
faire encore le roi de Navarre. » Il ne s'agi-ssait cependant
3ue d'une intrigante que ses compères disaient possédée
u démon. Cet événement, qui aujourd'hui passerait in-
aperçu et ne pourrait être exploité que dans quelques vil-
lages reculés de l'empire, agita toute la France, et la cour,
quand on vit que le vieux parti ligueur s'en servait pour
rallumer les haines et mettre encore une fois le royaume
en danger.
Un tisserand de Romorantin , en Sologne, nommé Jacqijes
Brossier, avait une fille atteinte d'une maladie étrange. Dé-
goûté de son métier, il trouva plus agréable et plus lucratif
de courir le monde en conduisant avec lui cette jeune fille.
Le peuple, qui est glace pour la vérité et feu pour le men-
songe, accourait de tous les côtés pour voir Marthe, la
possédée. La fourberie de Brossier fut découverte par les
chanoines d'Orléans et de Cléry qui, par leurs actes capi-
tulaires des 17 mars, 18 et 15 septembre 1598, firent dé-
fense aux prêtres du diocèse de recourir à l'exorcisme.
L'artisan de Romorantin quitta les environs d'Orléans
et alla à Angers exercer son industrie. Cette ville avait pour
évêque un homme instruit et éclairé'. Le prélat, soupçon-
nant une ruse, voulut, avant de procéder à l'exorcisme,
s'assurer si par quelque artifice il ne la découvrirait pas,
il invita Marthe Brossier à sa table et lui fit à son insu
boire de l'eau bénite. Cette eau qui, selon la croyance
d'alors, aurait dû la faire tomber dans des convulsions,
ne fit aucun effet. Les soupçons de l'évêque s'accrurent;
il lui fit bientôt après présenter de l'eau ordinaire, en lui
disant que c'était de l'eau bénite. Marthe fut immédiate-
naent atteinte de grandes convulsions.
C'est une ruse, se dit le prélat; cependant la voix pu-
1. n s'appelait Miron.
172 HISTOIRE DE LA nÉFORMATION FRANÇAISE.
blique lui avait tellement représenté la fille du tisserand
comme possédée qu'il voulut arriver à une conviction plus
forte du fait.
Apportez-moi, dit-il tout haut à son sommeiller, le cé-
rémonial où se trouvent les exorcismes, et s'élant habile-
ment fait donner à la place un Virgile, il se mit à lire.
Marthe, croyant qu'on lui lisait les paroles du cérémonial,
tomba en convulsions au premier vers qu'elle entendit lire,
criant qu'elle était tourmentée par l'esprit malin.
Convaincu de la tromperie , l'évêque réprimanda sévè-
rement cette fille et son père, et leur ordonna de quitter
son diocèse et de ne plus abuser le peuple par de pareilles
jongleries. Brossier, qui avait pris goût à son rôle de
fripon, au lieu de retourner à son métier de tisserand, se
dirigea vers Paris, où il espérait trouver des partisans
parmi ceux du parti ligueur, sans cesse à l'affût de pré-
textes pour inquiéter le gouvernement. Il ne se trompa
pas; à peine arrivé, les mille trompettes de la renommée
firent de sa fille un personnage considérable; les capucins
se constituèrent ses patrons. Les expériences qu'ils firent
sur elle eurent un plein succès; le peuple se porta en
foule aux séances des moines; — or, comme on faisait
dire à Marthe tout ce qu'on voulait, ils se firent de ses
faroles une arme contre le roi et contre les protestants,
aris était agité comme si on eût été à la veille de quelque
grand événement. L'affaire parut sérieuse au cardinal
Gondi, archevêque de Paris, qui crut devoir intervenir
officiellement ; il fit venir chez lui cinq des plus célèbres
médecins de l'université de Paris: Jean Riolan, Nicolas
Ellain, Michel Marescot, Jean Haultin, et Louis Duret.
La possédée fit, en présence des docteurs, des bonds,
des sauts, tomba dans des convulsions et tira de sa poi-
trine des sons extraordinaires.
Marescot et l'un de ses collègues, lui ayant parlé en
grec et en latin, elle leur dit qu'elle n'était pas en lieu
propre pour leur répondre.
Les médecins déclarèrent après examen qu'il pourrait
bien y avoir dans le cas de Marthe Brossier un peu de
maladie, mais qu'il y avait certainement beaucoup de
friponnerie.'
ï. Relations des médecins de Paria.
LITRE XXV.
173
Le lendemain il y eut une seconde séance dans la cha-
pelle de Sainte -Geneviève. La possédée renouvela les
scènes de la veille, en présence des docteurs Ellain et
Duret. Ce dernier lui enfonça une épingle entre le pouce
et l'index de la main droite. Marthe ne manifesta pas le
moindre signe de douleur.
Cette expérience frappa les médecins qui convoquèrent
leurs collègues pour une nouvelle séance.
Le lendemain, 1" avril 1599, une foule nombreuse était
réunie dans l'église Sainte -Geneviève, dans une attente
pleine d anxiété. Le père Séraphin commença la cérémonie
de l'exorcisme en présence des médecins et d'un grand
nombre de docteurs en théologie. Pendant l'opération
Marthe roulait des yeux hagards, tirait la langue, son corps
frémissait et s'agitait sous d'horribles convulsions. Quand
le père capucin prononça ces paroles /iomo faclus est, «le
Verbe a été fait chair,» la possédée poussa des hurlements,
se rou'a par terre, se releva et se mit à courir avec une
célérité surprenante.
Dans l'orgueil de son triomphe l'exorciste s'écria tout
haut: «S'il y a quelqu'un qui en doute qu'il essaie, au
péril de sa vie, d'arrêter ce démon. »
Les assistants tremblaient de teiTenr, quand tout à coup
Marescot se leva et dit d'une voix retentissante: «je l'es-
saierai,» et il courut vers la possédée, posa la main sur
sa tête et saisit son bras qu'il retint comme dans un étau
de fer.
Marthe, se sentant impuissante, cessa de crier et dit
tranquillement: «l'esprit s'est retiré.»
«C'est donc moi, dit ironiquement Marescot, qui ai
chassé le démon.» Après cela le docteur fit semblant de
se retirer. Marthe, qui le crut parti, recommença la scène
qui venait de se terminer d'une manière si compromettante
pour le père Séraphin ; mais Marescot reparut tout à coup
au milieu de l'assemblée, et comme la première fois la
jeta à terre et la réduisit à l'impuissance de se mouvoir.
«Levez-vous,» lui crie le père Séraphin avec une voix
pleine d'autorité.
dCe démon, lui répondit Marescot en raillant, n'a pas
de pieds pour se tenir debout. »
i H niSTOIHE DE LA RÈPORMATION FRANÇAISE.
clairvoyants, ne convainquit qu'à demi l'assemblée qui
se sépara au milieu d'une vive agitation. Quatre méde-
cins déclarèrent que Marthe n'était qu'une fourbe. Haul-
tin fut à demi convaincu et demanda trois mois de
réflexion et d'expériences. Duret, celui de tous qui était
le plus populaire auprès des masses, déclara que Marthe
était possédée du démon. Sa déposition infirma celle de
ses collègues, et Paris ne douta plus de la possession de
Marthe, surtout quand il sut qu'un procès-verbal, dressé
devant l'évêque, constatait le fait.
Marescot ne laissa pas sans réponse le procès -verbal
que le père Séraphin faisait circuler. Il prouva une fois de
plus que Marthe n'était qu'une aventurière'; mais le peuple
ajouta plus de foi au procès-verbal qu'à sa réfutation. Son
amour du merveilleux l'agita extrêmement et la cour se crut
à la veille d'un soulèvement général. Le roi, qui était alors
à Fontainebleau, jugea l'affaire grave et y vit de la part du
parti ligueur un prétexte pour fomenter des troubles, le
rendre odieux à son peuple et l'empêcher de rendre stable
l'édit qu'il venait de donner aux protestants; il ordonna
au parlement de s'occuper de cette affaire.
Le peuple fut mécontent de la décision qui mettait Marthe
entre les mains du parlement et sous le contrôle de mé-
decins les plus distingués de Paris; les prédicateurs mon-
trèrent une audace extraordinaire et renouvelèrent par
leurs discours incendiaires quelques-uns des excès de la
ligue. Le peuple murmurait et criait hautement qu'on n'a-
vait déféré Marthe au parlement que pour plaire aux ré-
formés, parce qu'ils craignaient de se voir confondus par
ce moyen que Dieu fournissait à son église pour mani-
fester sa gloire et confondre par un miracle éclatant ses
ennemis.
On fut obligé de sévir contre ceux des prédicateurs qui
enflammaient le plus le peuple. Le parlement enfin, après
avoir examiné l'alfaire, rendit le 24 mars 1599 un arrêt
par lequel Marthe et son père furent renvoyés à Piomoran-
tin avec injonction formelle à ce dernier de ne pas laisser
sortir sa fille de son village sans la permission de Paul Gal-
lois, châtelain du lieu. Le père et la fille quittèrent Paris et
1. Livre de Michel Marescot
I
LIVRE XXV.
115
allèrent mourir à Romorantin dans la misère et dans l'ou-
bli, après avoir compromis un instant par leur fourberie
la tranquillité du royaume.'
X.
Au milieu des préoccupations que donnaient au roi toutes
les affaires de son royaume, dont il désirait vivement la
pacification, il attendait avec impatience le bref du pape
qui lui permettrait de contracter un nouveau mariage. La
reine Marguerite, qui avait refusé son consentement à la
dissolution de leur union, l'avait accordé dès qu'elle n'eut
plus à redouter de voir prendre sa place par une femme
de basse extraction. Dans son abjection, cette princesse
avait conservé tout l'orgueil de sa race.
Le pape se décida et prononça la dissolution sur les
instances du cardinal d'Ossat, qui négocia cette affaire
avec son habilelé accoutumée.
Tout se préparait pour l'exécution de l'édit qui com-
mençait à porter ses fruits dans le royaume, quand un
événement, qui eut un grand éclat, fit croire aux catho-
liques à la chute prochaine de la réforme.
XL
Mornay, dans ses heures de loisirs, avait écrit un traité
sur l'institution de l'Eucharistie; dans-ce livre il maltraite
le pape, et cite plus de quatre mille passages tirés des
pères et des scholastiques pour prouver la fausseté du
dogme de la transsubtantialion. Le nom de l'auteur,
l'homme le plus honorable de son temps, donna à son
ouvrage un grand retentissement; le clergé effrayé porta
plainte jusqu'aux pieds du trône. Henri IV, qui désirait la
fin des luttes théologiques, manifesta son mécontentement
à Mornay qui, sur la couverture de son livre, avait ajouté
à son nom son titre de conseiller d'Etat, ce qui pouvait
faire croire que le roi était de connivence dans cette
affaire. Ce fut pour l'auteur te commencement de l'aban-
l. Actes d',1 pa:-!emc:it de Paris. — Ds Thou , t. IX, eb. 23,
p. 2&9 et suiv. — L'Estoile, année laOP.
176
HISTOIRE DE LA RÊFORMATION FRANÇAISE.
don immérité dans lequel son maître le laissa. Le clergé
ne put faire condamner son livre par le parlement de Bor-
deaux; le premier président, homme de sens, pensant
avec raison que la liberté du culte emporte avec elle celle
de discussion, refusa de se rendre à ses instances et lui
dit qu'il était plus honorable pour lui de réfuter l'écrit de
Duplessis que de le faire brûler par la main du bourreau.
Impuissant de ce côté , le clergé fit insulter lâchement
Mornay par ses prédicateurs, qui le signalèrent à la haine
des catholiques. Pendant plusieurs jours les amis de l'au-
teur, craignant pour sa vie, s'opposèrent à ce qu'il parût
en public. La sœur du roi lui oflrit un asile dans son
hôtel.
La modération que la cour montra à l'égard de l'insti-
tution de l'eucharistie s'explique moins par sa tolérance
que par la crainte de mécontenter les réformés. Le clergé,
malgré les obstacles que la politique du gouvernement ap-
portait à ses désirs, ne cessa pas ses poursuites, il fit
condamner l'année suivante le livre de Mornay par un tri-
bunal de province. Il eut la joie de le voir brûler .sur une
place publique par la main du bourreau; mais pendant
qu'il battait des mains il ne s'apercevait pas dans son irré-
lif'xion qu'on ne brûle pas les idées, et qu'un bourreau
est un mauvais juge des controverses.
Mornay révendiqua ses droits et demanda qu'il lui fût
permis d'appeler, du jugement qui avait condamné son
livre, à la chambre de l'édit et non au conseil privé, où il
ne trouverait que des personnes qui voudraient assoupir
l'affaire et le laisser sons le coup de la condamnation. Ses
plaintes ne furent pas écoutées. Il était dans les destinées
(le l'auteur que ce livre, qui jetait tant de bruit autour de
son nom, devint la cause de l'une des plus amères douleurs
de sa vie.
Le traité de l'eucharistie, aujourd'hui oublié, dut sa cé-
lébrité à la violence de ses adversaires; dans leur aveu-
glement ils ne comprirent pas que leurs attaques étaient
îe moyen de le faire lire et de soulever un esprit d'examen
qu'il était dans leur intérêt d'assoupir. '
1. Le Traité de l'institution de l'Euchavislic fut condamné par
la Sorbonne ; il figure dans l'index parmi le? livres hérétiques de
première classe.
LIVRE XXT.
Tous ceux qui avaient écrit contre Mornay, et le nombre
en était grand, avaient procédé contre lui comme de nos
jours on procède contre les controversistes protestants.
Au lieu d'attaquer de front son ouvrage, on releva quel-
ques citations inexactes, quelques omissions, et volontai-
rement on oublia tout le reste. Ce procédé est peu loyal ;
mais quand on a pour principe que la fm justifie les
moyens, on va en avant sans pudeur et on se donne une
victoire plus honteuse qu'une défaite. Tant que les adver-
saires de Mornay se contentèrent de le décrier et de l'in-
jurier, il garda le silence; mais quand ils l'accusèrent
d'avoir sciemment cité dans son ouvrage des textes faux,
il fut vivement blessé dans son honneur. Fort de sa droi-
ture, il publia, vers la fm de mars (1600), un écrit dans
lequel il invitait ses accusateurs à se joindre à lui pour
présenter une requête au roi, et lui demander des com-
missaires devant lesquels on pût vérifier les passages de
son livre ligne après ligne.
Cet écrit tomba entre les mains de Du Perron qui y
répondit le 25 mars en acceptant le défi et en offrant de
prouver «que le traité de l'eucharistie contenait cinq cents
énormes faussetés, de compte fait et sans hyperbole»;
il écrivit en même temps au roi pour demander la
conférence. Si nous n'avons pas donné quelques détails
biographiques sur ce personnage important, c'est que nous
nous réservions de le faire à l'un des moments de sa vie
où il parut vaincre le protestantisme dans celui qui était
son plus docte et son plus brillant représentant.
XII.
Davi Du Perron naquit dans la ville de Saint -Lfl en
1556. Son père, protestant réfugié, habitait Berne. Frappé
de l'intelligence remarquable de son fils, il s'appliqua avec
un soin particulier à en développer les heureux germes.
Le jeune Davi ne les trompa pas; il se fit remarquer entre
tous ses condisciples par une rare aptitude au travail, par
une merveilleuse compréhension et par une mémoire ex-
traordinaire. Il étudia les mathématiques, la philosophie,
les langues; il alla à Paris où il donna des leçons pour
cagner sa vie. Philippe Desportes, le poète de la cour de
178 HISTOIRE DE LA RÉFORMATfON FRANÇAISE.
Henri III, se déclara son protecteur et lui fit obtenir le
brevet de lecteur du roi avec une pension de 1200 écus.
Les manières distinguées de Du Perron, sa belle fi!,'ure,
sa parole facile, -élégante, les vers qu'il adressait aux
grands et aux dames, le tirent rechercher par la société
élégante de Paris et le mirent à la mode. Desportes lui
persuada de quitter sa religion et d'entrer dans la prêtrise
romaine. Du Perron , qui , à une grande vanité joignait une
plus grande ambition, suivit le conseil de son protecteur,
abandonna la foi de ses pères et se fit prêtre. C'était une
brillante conquête que faisait le catholicisme. Aussi les
faveurs et les dignités ne manquèrent pas au transfuge du
protestantisme qui, en peu d'années, de simple abbé, de-
vint un évèque et un personnage important appelé à jouer
un grand rôle dans les discussions théologiques qui alors
passionnaient le monde.
Du Perron se distinguait de la plupart des prêtres par
une science qui n'avait rien de factice, par des manières
de grand seigneur, par un ejand aplomb et par une faci-
lité d'élocution où il y avait plus de rhétorique que de
vrai talent oratoire.
Il avait cependant quelques taches dans sa vie. Dans un
mouvement de colère il avait poignardé un homme; la
protection du poëte Desportes le retira des mains de la
justice moyennant une somme payée aux parents de la vic-
time. On admirait moins la piété du jeune prêtre que son
esprit.
Nous avons déjà dit comment Du Perron gagna la con-
fiance du cardinal do Bourbon qu'il voulait faire nommer
roi de France au détriment de Henri IV '. Le complot fut dé-
couvert; on prétendit même qu'il l'avait dévoilé au Béar-
nais. Ses manières insinuantes lui gagnèrent la confiance
de Gabrielle d'Estrées et celle de Henri IV. Plus tard nous
trouvons le prélat occupé à Rome avec d'Ossat à servir
auprès du pape les intérêts du roi avec un succès qui le
mit de plus en plus en faveur et le rendit l'homme le plus
important du clergé.
Un écrivain contemporain a tracé de lui ie portrait
suivant :
1. Biographie universelle. —
Art. Du Perron.
in'RK XXV.
179
«Toujours flottant entre la passion et l'esprit, Du Perron
avait une physionomie douteuse, cynique, impérieuse,
fausse, impudente avec distinction. Il visait à l'effet et se
jouait de ses auditoires. Son attitude était théâtrale; son
geste, tantôt emphatique, tantôt burlesque. Son éloquence,
bien plus profane que religieuse, n'était qu'une rhéto-
rique. De l'érudition, du pédantisme, une imperturbable
assurance, de l'ironie assaisonnée d'outrages, des saillies
par moments, jamais un cri d'âme, des cupidités per-
aonnelles, une ambition aveugle, jamais l'amour de la
vérité, jamais l'enthousiasme des idées divines qui re-
muent les masses, parce qu'elles sont générales, désinté-
ressées et qu'elles élèvent l'humanité au-dessus d'elle-
même; des combinaisons d'intelligence et d'imagination,
jamais d'inspirations sincères; des calculs, -jamais des
convictions : tel est Du Perron.
«Un mot le peint tout entier, après avoir prouvé bril-
lamment l'existence de Dieu , comme un grand prince le
complimentait de sa verve de parole: «Voulez -vous, lui
dit Du Perron, que je vous prouve le contraire avec une
waisemblance égale?»
«Voilà le sophiste pris sur le fait. Ce qui lui a toujours
manqué, c'est la chose la plus rare, la plus sainte, la
seule nécessaire, car elle donne tout le reste pour sur-
croît. Cette chose c'est une foi. Sous les apparences de
l'orthodoxie il cache un ardent égoïsme. En sondant ce
présomptueux docteur, on est surpris du peu qui re-
couvre ses jactances. lia tous les artifices du comédien,
toute la désinvolture du courtisan, toute les ressources du
prédicateur, toutes les souplesses de l'avocat; mais' a-t-il
un cœur? Non. Il y a un rôle dans ce fier prélat, cent
rôles; il n'y a pas un homme.»'
Ce portrait est un peu forcé, .mais il nous donne la
vraie physionomie de l'évèque d'Évreux.
XIII.
Tel était l'homme qui allait entrer en lutte avec celui
que les catholiques appelaient «le pape des protestants.»
1. Dargaud, Histoire de la liberté religieuse eu France et de
■ea fondateurs, t. IV, liv. LV, p. 338-339.
180 HISTOIRE DE LA nËFORMATION FRANÇAISE.
Mornay, ne voulant pas demeurer sous le coup des accu-
sations de Du Perron, avait demandé au roi la tenue d'une
conférence publique. Le nonce du pape et quelques pré-
lats qui avaient souvenir des séances du colloque de Poissy
s'y opposèrent dans la crainte que le roi ne sentît se ré-
veiller en lui ses velléités de protestantisme; ils savaient
de plus qu'en érudition personne ne surpassait Mornay, et
malgré les bravades de Du Perron, ils rendaient justice à
son adversaire, dont l'honorabilité avait résisté à toutes les
calomnies des prédicateurs. Le roi finit par triompher de
leurs craintes et les assura que la conférence ne porterait
pas sur le fond de la doctrine, mais sur la vérité des pas-
sages indiqués par l'auteur; il promit en outre «qu'on
prendrait les plus grandes précautions pour que la religion
romaine ne perdit rien à cette conférence.»
Les amis de Mornay de leur côté redoutaient une ren-
contre; ils ne doutaient ni de sa droiture, ni de sa sincé-
rité, mais ils craignaient, et non sans raison, que ses
adversaires ne conclussent de quelques passages mal cités
ou mal choisis au rejet de tout le livre, comme un tissu
de calomnies contre l'Église romaine; ils le dissuadèrent
donc d'engager la lutte; mais lui, attaqué dans son hon-
neur, ne pouvait supporter d'être l'accusé de faux. Avant
la conférence il eut dit : «Que Dieu dessèche ma main, si
elle a écrit sciemment une phrase, une ligne, un mot
qui soit faux;» il ne voulut rien écouter. 11 manqua de
prudence , mais il fit preuve de loyauté ; il faut nous
incliner devant sa loyauté ; le controversiste y perdit ,
l'honnête homme y gagna.
Toutes les difficultés étant levées, il fut décidé que la
conférence se tiendrait à Fontainebleau. Ce lieu fut
choisi dans le double but d'empêciier la populace de
se mêler à cette discussion, et Duplessis- Mornay d'a-
voir recours aux bibliothèques de Paris et aux hommes
érudits que cette ville renfermait. L'opinion publique, ce-
pendant se préoccupait vivement de la conférence; le
roi qui la voulait, le nom et la réputation des deux ad-
versaires, la matière sur laquelle la controverse devait
porter, les conséquences favorables pour le parti qui rem-
porterait la victoire, funeste pour celui qui subirait la
défaite, tout cela agitait les esprits. A voir l'animation qui
UVUE XXV.
181
régnait dans la capitale, on aurait pu se croire à la veille
d'un nouveau colloque de Poissy. «Cette dispute, dit l'Es-
toile, fait l'entretien de tout Paris; les uns, qui ont admiré
l'éloquence et la pureté du style du livre de Duplessis,
souhaitent que les témoignages des Pères qu'il cite soient
fidèles; d'autres assurent qu'un homme de ce caractère
est exempt d'imposer, voire de suspicion; quelques-uns,
qu'il n'est pas surprenant que dans un si grand nombre de
passages cités dans le livre de V Institution de l'eucharistie
on en trouve peut-être quelques-uns mal cités ou allé-
gués. Cependant on n'en doit pas conclure que ce livre
soit mauvais. Plusieurs qui savent que les occupations du
sieur Duplessis ne lui permettent point d'avoir examiné
par lui-même tous les passages cités dans son livre,
croient véritablement qu'il y en a un grand nombre de
défectueux, et qu'il a tort d'avoir fait le défi auparavant de
les avoir revus lui-même, et, en ce cas, blâment les mi-
nistres et autres qui lui ont fourni ces passages; que la
mauvaise foi doit tomber sur eux et non sur lui. »
XIV.
Le 2 avril, le roi accorda la conférence. Le 10 du
même mois, les commissaires furent nommés. Du côté dos
catholiques, c'étaient le chancelier Bellièvre, de Thou et
Pithou : le premier connu par son dévouement au pape,
les deux autres par leur timidité; on leur en adjoignit un
quatrième, le médecin Jean Martin, catholique zélé jusqu'à
la passion. Du côté des protestants, c'étaient Casaubon,
homme docte, mais un peu craintif, et Dufresne-Canaye,
qui pensait déjà à abjurer. La partie commençait à n'être
plus égale; la balance penchait en faveur de Du Perron par
le choix des arbitres. Mornay aurait dû insister pour que
l'équilibre fût rétabli; mais, fort d'une conscience qui lui
rendait un bon témoignage, il alla en avant. Le propre des
hommes droits est d'élever les autres à leur niveau. La
charité ne soupçonne pas le mal. Le 14 avril Duplessis
demanda à son adversaire ses moyens de faux, afin d'avoir
le temps d'y répondre. Du Perron répondit que s'il fallait
entrer dans la discussion de tous les passages , c'était le
sûr moyen de fatiguer le roi; ttla seule chose que je
IV.- 6
182
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
puisse faire , lui écriv!' -i' , c'est de remettre à ia com-
mission une liste de cinq c nls passages falsifiés.»
Mornay se rendit le 28 du même mois à Fontainebleau
où Du Perron était arrivé la veille. Le lendemain, il pré-
senta au roi une requête dans laquelle il demanda que les
passages cités dans son traité fussent vérifiés les uns après
les autres, attendu que Du Perron soutenait publiquement
(}u'il n'y avait pas un seul de ces passages qui ne fût
inexact ou faux. «Je passerai condamnation, disait-il, sur
ceux qui seront tels; mais je demande que ceux contre
lesquels on ne pourra formuler les mêmes reproches soient
tenus pour authentiques et vrais. »
Du Perron comprit tout ce que l'acceptation de la de-
mande de son adversaire contenait de dangers, si à côté
de quelques passages faux, inexacts ou mal cités, il fallait
admettre ceux qui auraient tous les caractères de la vérité.
Que deviendrait alors la messe, si elle étaitbattue en brèche
par ces saints-pères que Mornay citait à profusion? Ne
faudrait-il pas faire l'humiliant aveu que les Augustin, les
Athanase, les Théodoret, les Éoiphane, lesirénée, lesCy-
prien, tout ce que l'antiquité chrétienne compte d'hommes
instruits, pieux, interprétaient à la manière de Genève les
célèbres paroles : Ceci est mon corps , ceci est mon sang?
Du Perron ne devait vouloir à aucun prix de la demande
de Mornay : elle fut rejetée. Le tort de celui-ci fut de ne pas
insister; car sa demande était juste, et si, comme auteur
du traité de Ylnslitulion de l'Eucharistie, il était en cause,
le protestantisme y était encore plus que lui, quoique à cet
égard il eût formellement fait ses réserves. Il n'obtint ni
une favorable réponse à sa demande, ni même la liste des
cinq cents passages incriminés; «je les remettrai au roi,
lui dit Du Perron, chaque jour nous en tirerons cinquante
que nous examinerons en présence des commissaires.»
Ici encore apparaît la déloyauté du prélat qui veut ôter
à l'accusé tout moyen ae tiereiîse. et le forcer à répondre
immédiatement à ses accusations, sans lui donner le temps
ni de consulter les auteurs auxquels il a emprunté ses ci-
tations, ni de se faire aider par ses amis dans cette tâche
ingrate et laborieuse. Mornay comprit la ruse de son
adversaire qui lui avait l'ait signifier que les choses devaient
se passer ainsi, «puisque telle était la bonne volonté du
LIVRE XXV.
183
roi. » Il refusa d'y souscrire et représenta à Henri IV que
les choses ne pouvaient se passer selon les désirs de son
adversaire, puisqu'il s'agissait de la vérité et de l'honneur
de Dieu. Il renouvela sa demande pour obtenir la commu-
nication de la liste des cinq cents passages. Le prélat s'y
refusa. Mornay déclara qu'il n'assisterait pas à la con-
férence.
Le roi ordonna néanmoins qu'on passât outre; puis, il
réfléchit que la conférence, sans la présence de l'accusé,
n'aurait pas les résultats qu'il en attendait; il ordonna donc
qu'une liste de soixante passages fut remise à Mornay qui
ne la reçut qu'à minuit et fut obligé de rendre à six heures
du matin les livres qu'on lui avait remis pour confronter
les citations.
Le i mai, à une heure de l'après-midi, la conférence
s'ouvrit dans la salle du bain; trois tables y étaient dressées:
l'une, pour le roi, l'évêque d'Évreux etDuplessis; l'autre,
pour les commissaires; la troisième, pour les secrélaires;
autoui du roi étaient assis les princes, les officiers de la
couronne, des évêques, des abbés et quelques protestants.
Après que le roi eut ouvert la séance et que le chance-
lier eut exposé le but de la conférence , Du Perron prit
la parole et loua le roi de ce qu'il n'avait pas permis que
dans cette controverse on touchât à la foi', dont il ne
devait pas se mêler, la chose n'étant pas de sa compétence.
Il protesta ensuite de son estime pour Duplessis qu'il
croyait incapable de faire volontairement des citations
à faux; mais il en accusa ceux qui lui avaient fourni des
matériaux. En constatant la bonne foi de son adversaire,
il l'accusait indirectement de légèreté et d'irréflexion.
Mornay sentit le trait, mais il ne voulut pas que les ré-
formés fussent accusés dans sa personne; il protesta et
firit noblement sur lui seul la responsabilité des citations.
1 déclara (il aurait dû le faire plus tôt) que sur plus de
quatre mille passages cités, il pouvait peut-être s'en trou-
xer quelques-uns où il avait pu faillir comme homme;
mais que la mauvaise foi n'y avait pas présidé; c'est ce
que désirait son adversaire, qui ne voulait constater que
ion inexactitude.
1. Le roi n'avait pas voulu qu'il fût question de l'examen du
dogme de la préseace réelle.
184 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
XV.
Parmi les passages à examiner sur les soixante , dont on
lui avait fourni la liste, Mornay n'avait pu en collationner
que dix-neuf pendant les six heures qu'il avait dû prendre
sur son sommeil. De ces dix- neuf on n'en vénfia que
neuf; voici quel en fut le résultat d'après l'Esloile :
Sur le premier, tiré de Duns Scot: Jean Dtins {ditl'Es-
cot), près de cent ans après le concile de Latran, osa bien
remettre en question si le corps de Christ est réellement \
compris sous les espèces, et dit que non, et ses fondements \
sont que la qualité ne le peut souffrir, l'évêque d'Evreux
soutint que Duplessis avait pris l'objection pour la solution,
et que la foi de Scot était conforme à la doctrine catho-
lique. Duplessis le nia, et il ne fut rien prononcé.
Sur le deuxième, tiré de Durand: C est témérité de dire
que le corps de Christ, par la divine vertu, ne ptiisse être
au Sacrement en autre manière que par la conversion du
pain en icehii, car cela semble déroger à la toute-puissance
divine. Le chanceUer, les deux parties ouïes, prononça
que Duplessis avait pris l'objection pour la solution. On le
condamna certainement un peu vite, dit à ce sujet l'abbé
de Longuerue; Durand combat certainement la trans- i
substantiation. C'est ce que Duplessis soutenait, disant (|ue i
Durand n'avait pas osé parler plus clairement, mais qu au j
fond on voyait bien quel était son sentiment. i
Sur le troisième passage , tiré de Chrysostôme : il ne se |
faut point arrêter à la prière des saints, ainsi plutôt ache- (
miner notre salut avec crainte et tremblement, la décision |
des commissaires fut que Duplessis avait omis des mots
essentiels en supprimant cette phrase incidente : Non que
nous niions qu'il ne nous faille prier les saints, phrase jj
qu'il avait omise, dit-il, parce qu elle concerne les saints i
vivants, et non pas les saints morts. ,
Même décision touchant le quatrième passage , tiré aussi
de Chrysostôme : Nous sommes bien plus sûrs par notre j
propre suffrage que par celui d' autrui, et Dieu ne donne pas
sitôt notre salut aux prières d' autrui qu'aux nôtres. Il fut , ^
décidé que ces paroles de Chrysostôme s'appliquaient aux ! ^
saints vivants. ; n
LIVRE XXV.
185
Sur le cinquième, pris du commentaire de Saint-Jérôme
sur Ézéchiel : S'il y a confiance en quelqu'un, confions-nous
en un seul Dieti, car maudit soit l'homme qui a confiance
en l'homme, bien qu'ils soient saints ou prophètes. Il ne
faut point se confier aux principaux des églises, lesquels
{quand bien ils seraient justes) ne délivreraient que leurs
âmes et non pas celles de leurs fils, l'évêque reprocha à
Duplessis d'avoir supprimé à la fin du passage ces mots :
«s'ils sont négligents»; et le chancelier prononça que le
passage n'était pas entier.
Sur le sixième: Que diront-ils de Cyrille, patriarche
d' Alexandrie, qui répond à l'empereur Julien, longtemps
après Constantin, lui reprochant l'honneur rendu à la croix :
Que les chrétiens ne rendaient adoration ni révérence au
signe de la croix. Du Perron soutint qu'il était faux, et Du-
plessis reconnut qu'il ne se trouvait pas textuellement dans
Cyrille. C'est ce que la décision des commissaires constata. '
Sur le septième, tiré des lois des empereurs: Parce que
nous n'avons rien en plus grande recommandation que le
service de Dieu, nous défendons à toute personne de faire le
signe de la croix de noire Sauveur Jésus-Christ, en couleur
ni en pierre, ni en autre matière, ni le graver, peindre, ni
tailler; ainsi voulons qu'en quelque lieu qu'il se trouve il
soit ôté, à peine aux contrevenants d'être très-grièvement
punis, Du Perron accusa Mornay d'avoir cmi; à dessein
quelques mots d'une très-grande importance. Uuplessis rér
pondit qu'il avait cité cette loi d'après Petrus Crinitus
(auteur catholique), et les commissaires déclarèrent que
la citation était exacte, mais que Crinitus s'était abusé.
Sur le huitième, tiré de Saint-Bernard: Elle (la vierge
Marie), n'a pas besoin de faux honneurs ou elle est; ce
n'est pas l'honorer, mais lui ôter l'honneur, etc.; le chan-
celier déclara qu'il aurait été bon de séparer par un etc.
les différents textes dont il se compose.
Enfin sur le neuvième , extrait de Théodoret : Dieu fait
ce qui lui plaît, mais les images sont faites telles qu'il plaît
1. Au reproche de Julien : «Vous avez quitté les ancOes, et main-
tenant vous adorez la croix,» Cyrille répondit : « Quiconque dit
cela est ignorant et menteur. » C'est de cette réponse que Duplessis
avait tiré la conclusion que les premiers chrétiens n'adoraient pas
la croix, — Son induction n'était-elle pas juste ?
186 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
aux hommes; elles ont des domiciles, des sens, mais elles
n'ont point de sens; il fut décidé, conformément à l'opi-
nion de l'évêque d'Évreux, que ce passage devait s'en-
tendre des idoles des païens et non des images des chrétiens.
XVI.
Tel fut le résultat de cette fameuse conférence qui avait
tant agité les esprits et qui eut de si minces résultats. Du
Perron n'en triompha pas moins ; il voyait , et il ne se
trompait pas, à l'extrémité de la lice, un chapeau de car-
dinal. Son adversaire se défendit mal; une nuit d'insom-
nie et la pensée qu'il pourrait compromettre une cause
qui, à ses yeux, était moins la sienne que celle de Dieu,
lui ôtèrent cette assurance sans laqueJle les luttes de parole
sont impossibles. Rosny, qui d'abord avait voulu empê-
cher la conférence, se rangea du côté du plus fort. C'est
avec un sentiment de dégoût qu'on lit les lignes suivantes
dans ses Économies royales : «Vous trouvâtes (ce sont tou-
jours ses secrétaires qui lui parlent) le sieur Duplessis si
opiniâtre qu'il n'y eut moyen de s'en divertir, et néan-
moins il se défendit si mal qu'il faisait rire les uns, mettait
les autres en colère et faisait pitié aux autres; ce que
voyant le roi, il vint vous demander: «Eh bien! que vous
en semble de votre pape?» «Il me semble. Sire, dites-
vous, qu'il est plus pape que vous ne pensez; car ne voyez-
vous pas qu'il donne un chapeau rouge à M. D'Evreux?
Mais au fond, je ne vis jamais homme si étonné, ni qui se
défendit si mal. Si notre religion n'avait un meilleur fon-
dement que ses jambes et ses bras en croix (car il les te-
nait ainsi) , je la quitterais aujourd'hui plutôt que demain. d •
La conduite du roi ne fut pas moins déloyale que celle
de son ministre. «Henri IV, dit M. de Félice, voulut sou-
{»er dans la salle de ce tournoi théologique comme il
'aurait fait sur un champ de bataille; il annonça dans tout
le royaume le succès qu'il avait obtenu.» Du Perron triom-
phait. «Dites vérité, M. d'Évreux, bon droit a eu bon
besoin d'aide.»*
1. Sully, Économies royales, année 1600.
2. De Félice, Histoire des protestants, liv. 111, p. 283. (Paris
1850.)
LIVRE ÏXV.
187
Quelques jours après , Henri écrivit au due d'Épernon la
lettre suivante: «Le diocèse d'Évreux a gagné celui de
Saumur, et la douceur dont on y a procédé a été occasion
à quelque huguenot que ce soit de dire que rien y ait eu
force que la vérité. Ce porteur y était, qui vous contera
comme j'y ai fait merveille ; c'est un des plus grands coups
pour l'Eglise de Dieu qui se soit fait il y a longtemps;
suivant ces erres', nous ramènerons plus de séparés de
l'Eglise en un an que par une autre voie en cinquante. »'
L'ancien mignon de Henri HI fut indigné de la joie
du roi. «Je vous tiens, écrivit-il à Mornay, pour homme
d'honneur et pour mon ami.» Au sortir de la conférence
Mayenne avait dit : «Je n'ai vu là sinon un ancien et fort
fidèle serviteur très-mal payé de ses services. »
Les témoignages d'estime et d'affection que Mornay reçut
ne le consolèrent pas de son 'échec. Sa douleur fut si
grande qu'il éprouva au sortir de la conférence une op-
pression suivie de vomissements; le médecin La Rivière
le trouva fort mal et déclara au roi que les conférences ne
pourraient continuer.
Henri IV hésita à aller le voir et lui envoya Lomenie,
le secrétaire de ses commandements , qui lui assura de sa
part que le roi serait toujours son maître et son ami.
«Du maître, lui répondit mélancoliquement le malade,
je ne m'en suis que trop aperçu; d'ami, il ne m'appartient
pas; j'en ai vu qui ont entrepris sur la vie, l'honneur et
l'État du roi, sur son lit même; contre ceux-là tous en-
semble le roi n'a jamais montré tant de rigueur que contre
moi seul, qui lui ai fait toute ma vie service. »
«Le roi, lui répondit Lomenie, se plaint de vos attaques
contre le pape; si vous voulez cesser d'écrire, il vous
rendra toutes ses bonnes grâces.»
«Jamais,» répondit le malade.
Les adversaires de l'écrivain huguenot profitèrent habile-
ment de sa maladie pour rompre les conférences. Contents
de leur triomphe d'un jour, ils craignaient de le compro-
mettre ; et cependant , quand on se place en face du résultat
de ces débats si bruyants, on reconnaît que Du Perron
1. Manière d'agir.
2. Bulletin de l'histoire du protestantisme français, arnée 1858
p. 360.
fH'îi HISTOIRE DE LX riÉPORMATION FRANÇAISE.
se conlenta de bien peu de chose, et que les combattants,
en se séparant, laissèrent debout, sans l'avoir résolue, la
question de la présence réelle que l'évêque d'Évreux et ses
partenaires surent habilement éluder; il leur parut plus
facile de signaler quelques erreurs involontaires dans les
citations nombreuses du traité de l'eucharistie que de prou-
ver que le dogme de la transsubstantiation est en parfait
accord avec l'esprit et la lettre des Écritures, et les en-
seignements des Pères.
Les conférences étaient closes, mais la lutte n'était pas
finie. A peine de retour à Saumur, Mornay, malgré son
état souffrant et maladif, voulut prévenir le mauvais effet
de la lettre du roi à d'Épernon, répandue à profusion dans
le royaume. Aidé du ministre Chandieu et de quelques
autres, il écrivit une relation des conférences. Henri IV,
qui s'efforçait de s'imaginer qu'il était de plus en plus ca-
tholique , fut extrêmement irrité de la hardiesse de Mornay,
auquel il ôta la surintendance des mines qu'il lui avait
donnée peu de temps auparavant; et si ce n'eût été la
crainte de soulever contre lui les huguenots, il l'eût fait
traduire, comme un séditieux, devant une cour de justice.
11 n'est de pire ennemi qu'un ami devenu ingrat, surtout
quand cet ami est un roi qui se sent débiteur de son sujet.'
XVII.
Dans nos jours d'infortune, la femme est notre ange
consolateur. Elle, ordinairement si faible, devient forte
quand l'homme ploie, courbé sous l'orage; elle trouve alors
des paroles que l'ami le plus tendre ne trouverait pas dans
son cœur; ses ressources sont inépuisables, les épreuves
qui devraient l'abattre la relèvent; quand l'homme tombe,
elle est debout.
Mornay, qui eût été calme devant un bûcher, faiblit
1. Voyez pour tout ce qui a trait à la célèbre conférence —
l'Estoile — Sully, Économies royales — Mémoires de Diiplessis-
Mornay — Mémoires de Madame Duplessis-Mornay — De Tliou ,
liv. CXXIII — Bulletin du protestantisme français, année 1858,
p. 351 — Haag-, France protestante, art. Duplessis-Mornay —
• Benoit, Histoire de l'édit de Nantes, 1. 1", liv. VII. — Les actes du
colloque de Fontainebleau.
LIVRE XXV.
189
après son échec de Fontainebleau. Trop humble pour se
préoccuper de sa propre gloire, il ne pensait qu'à l'affront
que les Églises réformées avaient reçu dans sa personne.
Il était inconsolable. «Ne vous désolez pas, lui dit Char-
lotte Arbaleste, sa hdèle compagne, si Dieu est pour
nous, qui sera contre nous?» Et la pieuse femme, frêle,
délicate, à peine relevée de maladie, mais forte de cœur,
ranima le courage de son noble époux. «Elle courut de
tous côtés, en toutes les librairies de ses amis pour pro-
curer à son mari les livres dont il avait besoin pour pré-
senter sa défense. » Elle pria Du Moulin de faire , pendant
la maladie de Mornay, le récit de ce qui s'était passé à
Fontainebleau; elle se multiplia, et, grâce à ses soins et
à sa force d'âme, Duplessis put reprendre sa polémique
avec Du Perron et reporter sa cause devant le tribunal de
l'opinion publique.
Au milieu des scènes humiliantes que nous offre l'his-
toire de ces temps agités , on considère avec un vif
intéi'èt ces deux époux qui , sous le toit domestique ,
nous présentent l'un des plus beaux modèles du ménage
chrétien. La religion qui a pu former un Duplessis et une
Charlotte Arbaleste serait-elle réprouvée de Dieu? L'arbre
qui a porté de si beaux fruits aurait-il une sève mauvaise?
Charlotte Arbaleste s'associa constamment aux joies et
aux peines de Mornay. Sa vie se passa entre ses devoirs
d'épouse et ses occupations de mère; elle ne rechercha
pas le rôle disgracieux de la femme politique; sa seule
ambition fut de se perdre dans la gloire de son illustre
époux, et son bonheur de lui adoucir les rudes et âpres
sentiers de la vie. — Elle se consacra à cette dernière
tâche avec un dévouement qui ne se démentit jamais.
Sa piété fut vivante, et quand nous parcourons les mémoires
qu'elle nous a laissés, nous comprenons tout ce qu'il y
avait, dans ce cœur de femme, de force, de poésie, de
douceur; « moins instruite , moins brillante , moins riche de
savoir et d'esprit, dit M. Guizot, que Mistress Hutchinson,
Madame de Mornay avait le sens plus droit et le cœur plus
simple : pas la moindre teinte de romanesque dans ses
sentiments et dans ses désirs, pas la moindre complaisance
vaniteuse quand elle parle soit d'elle-même, soit de ce qui
k touche ; loin de rien amplifier, de rien étaler « elle
490 HISTOIUE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
montre toujours moins qu'elle ne pourrait; elle dit moins
qu'elle ne sent. Les événements les plus considérables,
quand elle les raconte; les sentiments les plus puissants,
quand elle les exprime, se présentent bous une lorme con-
tenue, exempts ae tout agrandissement, de tout ornement
factice ou prémédité. C'est la vérité pure, réduite à son
expression la plus simple, et racontée, en passant, dans
la mesure de la stricte nécessité pour l'information ou
l'édification du fils à qui elle adresse son récit, sans mé-
lange d'aucun autre dessein, sans aucun mouvement ni
retour personnel. C'était une femme aussi passionnée que
grave , qui suivit son mari dans tous les périls , prit part
i tous ses travaux, vécut pour lui seul, reçut de lui toutes
ses joies et mourut de douleur de la mort de leur fils. »'
Ce fils, dont parle l'illustre historien, était l'espérance
de son père et l'orgueil de sa mère. A vingt-six ans, il
trouva la mort au siège de Gueldre. En apprenant celte
fatale nouvelle, Mornay s'écria douloureusement: «Je n'ai
plus de fils, je n'ai donc plus de femme!»
Madame Duplessis-Mornay, qui depuis longtemps avait
commencé ses mémoires pour l'instruction de cet enfant
chéri, ploya comme un frêle roseau sous le coup; elle
ajouta cependant un chapitre au livre qui devait en avoir
plusieurs encore. Dans ce chapitre elle raconîe la mort
de son fils; chaque mot est trempé d'une larme; on sent,
en le lisant, que le trait qui l'a frappée l'a atteinte à la
source même de la vie. En elle il y a deux êtres : l'un qui
a soif du ciel pour y revoir l'enfant que la mort lui a ravi;
l'autre qui veut demeurer sur la terre, parce qu'elle sent
qu'elle y laissera un époux qu'elle aime plus que la vie.
«Est-il raisonnable, dit-elle, que ce mien livre finisse
par lui, qui ne fut entrepris que pour lui décrire notre
pérégrination en cette vie; et puisqu'il a plu à Dieu, il a
eu plutôt et plus doucement fini la sienne ; aussi bien si
je ne craignais l'affliction de M. Duplessis, il m'ennuierait
extrêmement de lui survivre.»
Mornay oublia sa douleur pour ne penser qu'à celle de
sa chère compagne; il pleura avec elle, s'efforça de la
1. Études biographiques sur la révolution d'Angleterre, Paris
1851. — Mistress Hutchinson, 1620-1669, p. 251-254.
LIVRE XXV.
191
consoler et lui écrivit les lettres les plus tendres ; tout fut
inutile. A dater de ce moment, sa vie ne fut plus qu'une
lente et douloureuse agonie. Femme chrétienne, elle n'avait
pas attendu la onzième heure pour se préparer à aller à la
rencontre de son Dieu. Depuis longtemps elle était prête;
les temps orageux dans lesquels elle avait vécu lui avaient
fait envisager la vie par son côté austère et sérieux. En
1583, quand son fils n'était encore qu'un enfant, elle tra-
çait dans le silence de son cabinet l'écrit dans lequel elle
consignait ses dernières volontés. «Nous savons, dit -elle,
que notre vie est fragile, qu'il n'y a rien de plus certain
que la mort, et rien de plus incertain que l'heure; nous
savons aussi que notre félicité est de servir à Dieu et à
notre prochain; que nous devons chercher tous moyens
d'instruire notre postérité en la crainte et la connaissance
de Dieu, tant par admiration que par bons exemples.»
Elle ne faillit pas à la tâche, la noble femme; et quand
l'heure du délogement sonna, elle put dire avec l'apôtre :
«J'ai combattu îe bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai
gardé la foi; la couronne de justice m'est réservée.»
Mornay veilla jour et nuit près de son chevet; fidèle à la
promesse qu'il lui avait faite de l'avertir au moment su-
prême, il s'acquitta de ce pieux devoir en époux qui pleure,
en chrétien qui prie. Au baiser qu'il lui donna, et avant
même qu'il eut ouvert la bouche, Charlotte comprit; elle
leva ses regards doux et brillants sur lui: «Après la
connaissance, lui dit-elle, de mon salut en Jésus-Christ,
je n'ai tant remercié Dieu que de m'avoir donné à vous ;
que la tristesse de ma mort ne vous rende pas moins utile
à l'Église; que Dieu, de plus en plus, veuille vous bénir.
Pour moi, je m'en vais à lui, sachant que rien ne pourra
me séparer de l'amour que Dieu m'a porté en son Fils. Je
sais que mon Rédempteur est vivant; par sa grâce j'ai part
à sa victoire. »
Jamais elle n'avait possédé plus complètement la lucidité
de son esprit, et jamais plus vivement elle n'avait joui
de la plénitude de cette foi «qui est une représentation
des choses qu'on espère et une manifestation de celles
qu'on ne voit point. »
Flamme vive et brillante, mais près de s'éteindre, la
mourante s'occupa de ses filles qui étaient absentes ; elle
i92 HISTOIRE DE LA BÉFORMATION FRANÇAISE.
indiqua le moyen de leur faire savoir, la nouvelle de sa
mort; elle eut une parole d'affection et une recomman-
dation pour tous ceux qui l'avaient servie.
Le moment suprême avançait à grands pas; elle le pres-
sentit à la difficulté qu'elle avait d'entendre; elle demanda
qu'on parlât plus haut et pria le pasteur Bouchereau «de
lui ramentevoir, approchant sa fin, ces dernières paroles
d>5 notre Seigneur en croix : Père, je remets mon âme
entre tes mains. » — «Mais, ajoute le pieux et fidèle narra-
teur, il n'en fut pas besoin, car elle s'en souvint d'elle-
même, et les prononça fermement tendant à sa délivrance
toujours avec saintes paroles, tant qu'elle put parler; elle
finit en sanglotant à Jésus jusqu'au dernier soupir, et ainsi
rendit l'âme à Dieu. »
La douleur de Mornay ne fut pas bruyante; il était trop
affligé pour répandre au dehors les douleurs de son âme;
Dieu seul fut son consolateur. L'amitié, la sympathie sont
des baumes précieux pour nos peines ; mais il est des
vides que Dieu seul peut combler par sa grâce; celui que la
mort de Charlotte avait creusé dans son cœur était de ce
nombre.
La dépouille mortelle de madame Duplessis fut placée
dans le mausolée qu'elle avait fait élever à son fils. La
mère et l'enfant, en attendant la bienheureuse résurrec-
tion, reposent à côté l'un de l'autre; et de ces tombeaux,
que le temps n'a pu fermer, sort un parfum d'espérance
et de vie.'
XVIII.
La fameuse conférence de Fontainebleau aida Du Perron
à obtenir le chapeau de cardinal qu'il ambitionnait. Ce fut
le seul fruit que les catholiques en retirèrent, après avoir
cru au triomphe de leur cause. Les protestants n'étaient pas
moins confiants ; un grand nombre d'entre eux croyaient
que lorsque la crainte des supplices n'arrêterait plus les
catholiques, ils abandonneraient en masse leur Église;
mais le beau temps des conversions était passé. Des guerres
sanglantes avaient engendré des haines , sur lesquelles
1. Ilaag-, Fiance protestante. — Ad. SchelTcr. Bulletin de l'Hist
du protest. franc., annpe p. 649 et suiv.
LIVRE XXV.
193
des siècles passent quelquefois sans les effacer. Ils n'en
tenaient pas compte, et quand les commissaires royaux
firent leur tournée dans le royaume pour l'exécution de
l'édit, ils négligèrent de se faire adjuger leurs droits,
«s'attendant, dit Élie Benoît, à la prochaine décadence de
la religion, comme s'ils en eussent eu des révélations
expresses. » '
I L'exécution de l'édit fut l'affaire importante de l'an-
née 1600. Les commissaires chargés de cette mission
délicate s'en acquittèrent d'un manière inégale, en appor-
tant cependant à leur mandat un esprit de justice dont il
faut savoir leur tenir compte, à cause des difficultés qu'ils
rencontraient tant chez les protestants que chez les ca-
tholiques. C'est au milieu de leurs opérations difficiles que
finit le seizième siècle.
XI3L
Comme un voyageur, qui, après une longue course,
atteint le sommet d'une haute montagne et se retourne
pour mesurer des yeux le chemin qu'il a parcouru, nous
reportons nos regards vers ce seizième siècle qui vient de
finir: un horizon immense se déroule devant nous, varié
à l'infini. Depuis le temps où le Sauveur foula de son pied
sacré une terre maudite par le péché , jamais siècle n'avait
creusé une empreinte prus profonde sur le sol de l'hu-
manité; c'est à donner le vertige : les yeux s'élèvent
sur des pics étincelants de lumière et s'abaissent dans de
ténébreux abîmes; rien ne manque au tableau: c'est un
drame à la Shakespeare; on y pleure , on y rit, le laid et le
beau s'y coudoient; les romanciers les plus inventifs n'ont
rien trouvé de pareil; la fiction pâlit ici devant la réalité.
Ce grand siècle attend encore son juge; les questions
qu'il a soulevées sont toujours vivaces; les deux principes
qui s'y livrèrent une lutte acharnée ne se sont avoués
vaincus ni l'un ni l'autre. On connaît nos sympathies:
nous ne les cachons pas; mais notre impartialité, comme
historien, surnage au milieu des flots Douillonnants des
I. Élie BenoU. Histoire de l'édit de îtotes. !iv VJil. n. 3fil.
194 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
passions. Nous sommes calme, quoique ému, parce que
l'esprit de secte et de parti n'a pas de prise sur nous; et
quand nous sommes fier et heureux d'appartenir au parti
des opprimés, c'est parce que nous sentons que dans les
grandes batailles du seizième siècle, les protestants , malgré
leurs fautes et leur faiblesse, furent les restaurateurs du
christianisme. En effet, qu'était la religion du Christ quand
le vieux Lefèvre d'ÉtapIes, et son disciple Guillaume Farel
découvrirent, en lisant la Bible, «que le juste vitdela foi?»
L'histoire le dit : elle était presque retournée au paganisme.
L'homme avait pris dans l'Église la place du Christ; la
Bible était enchaînée et avec elle toutes les libertés qui
sont le patrimoine naturel de l'homme. Les premiers an-
cêtres du protestantisme secouèrent le joug papal et resti-
tuèrent au monde la Sainte-Ecriture, phare allumé parla
main de Dieu pour éclairer l'humanité dans le désert de
ce monde; à ce rude et noble labeur ils se dévouèrent
tout entiers, rien ne les arrêta, ni la colère des rois, ni les
haines ardentes de la Sorbonne. Comme Pierre devant le
Sanhédrin, ils dirent fièrement aux grands de la terre:
«Jugez vous-même s'il vaut mieux obéir aux hommes qu'à
Dieu.» Leur constance étonna, irrita; on les dévoua à la
mort, et joyeux ils s'élancèrent, comme les martyrs des
jours apostoliques, sur ces bûchers dont ils firent des chaires,
et d'où la vérité descendit comme un fleuve de vie. On les
croyait anéantis, et, pareils au phénix, ils renaissaient tou-
jours de leurs cendres ; tant qu'ils ne surent que prier et
mourii", ils firent des conquêtes ; mais un jour, ils prirent
les armes, et le vaisseau de la Réforme, jusques-là invin-
cible, alla toucher contre un écueil à Amboise. Ils ou-
blièrent que le chrétien, comme le Sauveur, ne doit verser
d'autre sang que le sien. Là fut le point d'arrêt. Nous
l'avons dit, les promesses faites au martyr ne sont pas
faites au soldat. Invincibles sur leurs bûchers, les réformés
furent vaincus sur des champs de bataille. Cependant,
sur ces champs de bataille, ils sont grands encore; tou-
jours vaincus, ils sont toujours à vaincre; ils lassent leurs
adversaires, comme leurs martyrs lassèrent leurs bourreaux.
Sept guerres civiles , une infinité de massacres , sont im-
puissants à les déraciner du sol français. L'enclume est
frappée, toujours frappée, et les marteaux seuls sont usés.
LIVRE XXV.
195
Maïs au milieu de ces guerres sans cesse renaissantes ,
dans lesquelles ils combattent pour le droit inaliénable qu'a
tout homme de servir et d'adorer Dieu selon sa conscience,
comment ne pas admirer leur courage dans les combats ,
leur constance dans les revers, leur héroïsme pendant les
famines, leur soumission à Dieu dans les plus cruelles
épreuves. Ah! ce ne sont pas des hommes vulgaires que
ces protestants qui, depuis François I" jusqu'à Henri IV,
proclament la liberté d'examen qui grandit l'homme, en
présence du principe d'autorité qui l'abaisse et l'avilit.
Un point important à constater, c'est que la plupart des
Français célèbres du seizième siècle appartiennent à la
Réforme. Que d'hommes remarquables dans tous les
genres ! En tête figure le vénérable Lefèvre d'Élaples
avec le cortège de ces premiers chrétiens, qui fournirent
à la Réforme ses premiers martyrs; près de lui nous
voyons Calvin, le plus grand théologien que le monde ait
encore produit, entouré de Farel, de Bèze, de Marlorat,
de Viret, ses lieutenants et ses amis. Othman représente
le droit; Bernard Palissy, les sciences géologiques; les
Estienne, l'imprimerie; Ramus, la pensée; Marot et Du
Bartas, la poésie; D'Aubigné, l'histoire; Ambroise Paré,
la chirurgie; Gondimel, la musique; Olivier de Serre,
l'agriculture; Goujon, la statuaire; Turnebe et Scaliger,
la science tout entière. Le huguenot c'est la fidélité aux con-
victions religieuses, c'est la moralité au foyer domestique.
Sur les champs de bataille et dans les conseils nous trou-
vons Condé, Coligny, Andelot, Lanoue, Duplessis-Mornay,
Sully. Si en face de tous ces hommes on place ceux du
parti catholique , dont l'histoire a conservé les noms ,
quelle distance ! Si par le fruit l'arbre est jugé , qui osera
contester à la Réforme la sainteté de son origine?
XX.
Les bienfaits que la Réformation française répandit sur
le royaume sont immenses; elle porta une main hardie
sur les abus par lesquels le traditionalisme romain avait
altéré la religion noble et simple du Crucifié. A des lé-
gendes, elle substitua des réalités; au culte de la forme,
196 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FUANÇAISE.
celui de l'esprit; au pape, la Sainte-Écriture; à la morale
relâchée des casuistes du moyen âge, celle des temps
apostoliques. En restituant la Bible au peuple, elle rendit
le peuple moral et donna au monde ce huguenot qui re-
pousse par sa physionomie austère les honmies légers et
frivoles, mais qu'on ne saurait trop admirer, quand il fait
du toit domestique un sanctuaire de piété, impénétrable
aux mauvaises mœurs; elle eut même une heureuse in-
fluence sur le clergé français; son œil sans cesse ouvert sur
lui le força à être, au moins extérieurement, moral, et
l'arrêta sur la pente fatale qui l'entraînait vers des abîmes
de honte; c'est à cela qu'il doit d'être aujourd'hui le plus
moral de tous les clergés romains. Obligé d'être sans cesse
en lutte avec les réformés, il fut contraint de demander à
la science des armes pour se défendre; il eut des savants.
En revendiquant le droit de servir Dieu selon leur
conscience, les protestanls ouvrirent aux idées politiques
de nouveaux horizons; ils apprirent aux rois qu'ils étaient
indépendanls de Rome, et aux peuples que le pouvoir des
princes a des limites , hors desquelles ils ne sont plus leurs
pères, mais leurs tyrans. A leurs yeux, le droit divin des
rois n'impliquait pas la soumission de l'esclave, mais
l'obéissance do l'homme libre. Serviteurs, ils ne furent
pas serfs; soumis à César dans tout ce qui appartient à
César, ils lui rel'usèrent ce qui appartient à Dieu. Voilà ce
qui, mnlgré leurs fautes, les fit grands et les grandira
plus encore dans l'avenir. Leur œuvre leur coûta des
larmes et des douleurs. Après trois siècles elle est debout,
et quoique la France ne soit pas protestante, c'est aux ré-
formés qu'elle doit les grands principes de 1789, qui sont
demeurés les bases de son droit public, malgré tous les
écarts et les défaillances de la liberté.
Les réformés, en inaugurant le règne du libre examen,
ouvrirent à la science de nouveaux horizons; avec Rome,
elle avait des fers aux pieds; avec le protestantisme, elle
eut des ailes ; elle s'éleva sur des hauteurs avec Isaac
Kevi'ton, s'enfonça dans des abîmes avec Cuvier; elle put
s'égarer, sans doute, être folle par moments, courir après
la recherche de la pierre philosophale; mais si elle n'opéra
pas dans ses creusets la transmutation des métaux, elle
trouva des richesses çui valent mieux que la découverte
LIVRE XXV.
197
du grand œuvre. Que serait-elle devenue sous la tutelle
des hommes qui jetèrent dans les prisons du Saint-Office
l'illustre Galilée?
Au milieu de ces points de vue si variés sur lesquels
s'arrêtent nos regards, il en est un qui excite notre sur-
prise et force notre admiration; il a un aspect qui lui est
Farticulier et offre un frappant contraste avec tout ce qui
entoure : c'est Genève. Depuis le jour où ses citoyens
brisèrent le joug de leur évêque et inscrivirent au-dessus
des portes de leur ville ces trois mots: PostTenebras Lttx\
cette cité se développa moralement et intellectuellement
d'une manière étonnante. Son existence, au milieu d'en-
nemis acharnés à sa perte, n'a son explication raisonnable
que dans l'intervention de Dieu qui la garantit de leurs
atteintes. Qu'elle est belle, cette ville qui ne baisse la tête
ni devant le pape, ni devant les princes de la maison de
Savoie, ni devant les menaces des Valois; vingt fois le
clerg'; romain la croit près de sa ruine, et toujours, à
l'heure du danger, Dieu lui tend une main secourable.
On la hait, on la calomnie, on la menace; elle ne rallentit
pas son œuvre. Ses portes sont toujours ouvertes aux vic-
times des persécutions romaines, et elle se venge de ses
ennemis en leur envoyant la vérité chrétienne avec ses
presses infatigables et ses missionnaires, qui ne deman-
dent pour salaire de leurs travaux que la joie de mourir
au service de Jésus-Christ.'
Nous apercevons cependant dans cette cité un point
noir, une tache: le bûcher de l'infortuné Servet. Mais ce
qui nous console, c'est que ce bûcher a, plus fait pour la
tolérance religieuse que tous ceux de l'Église romaine ; il
fut la grande inconséquence de la Réforme, et nous dirons
avec M. Albert Rilliet : « Son erreur fut de ne pas se
confier , pour protéger sa vie , aux mêmes principes qui la
lui avaient donnée, et de céder à l'irrésistible tentation
de comprimer par la force, dont les pouvoirs politiques lui
offraient le secours et lui cachaient l'odieux, ce qu'elle
aurait dû combattre par les armes seules de la persuasion.
La parole l'avait mise au monde, et pour se défendre, elle
1. Après les ténèbres, la h'tnière,
2. Sûte Vîu.
498 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
préféra l'échafaud à la parole*. Le supplice de Servet fut
en même temps le fruit et le remède de cette funeste in-
conséquence. La répression n'avait en effet pour terme
logique et pour résultat eiïicace que le bûcher. Les flammes
du bûcher mirent en lumière, mieux que les arguments
les plus habiles, l'iniquité de la répression. Elles ont à
elles seules autant éclairé les esprits que tous les auto-da-fé
catholiques, car une éclatante contradiction choque plus
encore que les résultats d'un système conséquent. »
XXI.'
Genève n'a pas persisté dans ses égarements : à la lueur
de son bûcher ses yeux se sont ouverts; elle a compris
qu'en matière religieuse Dieu seul est juge, et qu'il n'ap-
partient pas à l'homme de se constituer le vengeur du
Tout-puissant. Heureux les peuples qui s'instruisent à
l'école de leurs fautes et de leurs erreurs; mais malheur
à ceux qui, prenant l'immobilité pour la force, persistent
dans leurs égarements; comme l'insensé ils se creusent
de leurs propres mains une fosse qui devient infaillible-
ment leur tombeau.
Nous avons raconté les événements qui se sont accomplis
à Genève jusqu'à la mort de son réformateur. Nous re-
prenons notre récit, un moment interrompu, pour con-
duire nos lecteurs jusqu'au jour où Théodore de Bèze, le
successeur de Calvin, termina sa longue et belle carrière.
1. Relation du procès criminel intenté à Genève en 1553 contre
Michel Servet, rédigée d'après les documents originaux par Albert
Rilliet, page 124; Genève 1844.
199
LIVRE XXVI.
L
La mort de Calvin fit un vide immense; Genève sentit,
le jour des funérailles de ce grand homme, que sa dis-
parition de la scène du monde rapetissait tous ses com-
pagnons de travaux. Quand la main ferme et énergique qui
tenait le gouvernail se fut glacée sous les étreintes de la
mort, on se demanda quel serait celui qui serait appelé à
sa succession. Bèze fut désigné'. Quelque inférieur que le
disciple fût au maître , il accepta cet héritage avec une
grande défiance de lui-même; mais il regarda à celui qui
par sa grâce accomplit sa force dans notre infirmité. Il ne
chercha pas à innover : le sillon était tracé ; il y marcha d'un
pas ferme et résolu, et ne rechercha d'autre gloire que
celle d'être l'exécuteur testamentaire de l'homme dont il
avait eu l'honneur d'être le disciple et l'ami.
De tous les hommes remarquables que possédait Genève,
Bèze était le seul qui fut digne de succéder au réforma-
teur. Mûri à l'école de l'expérience, après une vie dissipée,
qui rappelle celle de saint Augustin, il s'était donné sans
réserve à Dieu, qui avait fait de lui un vase d'élection, en
faisant briller dans sa personne toutes les merveilles de sa
grâce. Bèze n'avait ni la science universelle de Calvin , ni sa
puissante individualité; mais il avait un ensemble de qua-
lités qui firent de lui un homme éminent , et lui don-
nèrent parmi ses collègues la première place. On voyait
réunies en lui une instruction solide, une érudition éten-
due , une éloquence vive, entraînante; une austérité de
mœurs qui ne se démentait jamais; une fermeté qui ne
dégénérait pas en opiniâtreté ; un zèle pour sa cause , que
rien ne pouvait attiédir : c'était un grand chrétien, sous
les dehors d'un parfait gentilhomme.
1. Second volume de cette histoire, p. 242-243.
200 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
Pendant la vie de Calvin, personne ne songea à contester
au réformateur la dictature qu'il exerçait, non par usur-
pation, mais de par ce droit qu'ont les hommes de génie
3ui, à des moments donnés dans la vie des peuples, sont
es nécessités , parce qu'ils font ce que les autres ne sau-
raient ou ne pourraient faire. Les Genevois s'étaient si bien
accomodés de cette dictature qu'ils la subissaient avec re-
connaissance. «Pendant un quart de siècle, dit M. Gaberel,
la république avait accepté l'influence presque irrésistible
de son directeur religieux : les services du réformateur, la
sagesse de ses résolutions, la fermeté de ses projets lui
donnaient la plus haute position de l'État. «Allons prendre
l'avis de M. Calvin» : telle était la première pensée des ci-
toyens et des magistrats, lorsque de graves difficultés se
présentaient. Le cabinet de travail du réformateur devenait
journellement le théâtre des consultations politiques et
civiles les plus familières ou les plus importantes pour
Genève. » *
Genève ne décerna pas cependant la dictature à Bèzé.
Ce qu'elle avait fait pour Calvin, elle ne voulait ni ne de-
vait le faire pour un autre. Elle sentit avec un admirable
instinct que les gens d'église sont dominateurs par nature;
aussi pour éviter les abus, dans lesquels Rome était tom-
bée, la vénérable compagnie arrêta qu'elle élirait, sous le
titre de modérateur, un chef annuel, destituable pour
cause de mauvaise gestion, «et qui ne serait qu'un collègue
parmi ses collègues.» Théodore de Bèze fut ce premier
modérateur; pendant plus de quinze ans la compagnie le
réélut. Sur les procès-verbaux d'élection on lit ces mots
caractéristiques : «la charge est continuée à M. de Bèze, à
cause de son aptitude et bons services.»'
1. Gaberel, Histoire de Genève, 2=édit., p. 3-4. Nous voudrions
pouvoir exprimer ici convenablement à M. Gaberel toute notre re-
connaissance pour ses savants et consciencieux travaiLx, qui nous
ont dispensé de recherches longues et difficiles. Quand on lit son
siil)staiitiel travail sur Genève, on sent qu'il a épuisé la matière et
qu'il n'y a qu'à glaner après lui.
2 Gaberel, Histoire de Genève, 2» édit., t. II, p. 9.
LIVRE XXVI.
201
IL
Au point où nous sommes arrivés de l'histoire de Ge-
nève, nous comprenons, en les sentant, toutes les difficultés
de notre tâche. Genève est le centre de la Réformation
française; c'est de ses murs que part chaque jour le mot
d'ordre; c'est là qu'elle se montre dans sa plus vraie ex-
pression; tout y bouillonne, tout y a force et vie.
Ce qui frappe à Genève, c'est le cachet que Calvin a im-
primé à son œuvre. L'impulsion est si bien donnée qu'après
lui tout marche comme avec lui; seulement dans les cas
graves, magistrats, professeurs et pasteurs sentent le vide
que la mort a fait en le leur prenant. Ils sont obligés de
décider eux-mêmes, ne pouvant plus dire : «Allons con-
sulter M. Calvin. »
Sous la direction puissante du réformateur, une renais-
sance morale s'était opérée dans Genève. La ville épisco-
[)ale de Pierre de la Beaume était devenue une cité modèle,
laïe des impies et des débauchés. Les germes de corrup-
tion n'étaient pas anéantis; mais au moins depuis la défaite
des libertins, le vice n'osait plus lever insolemment la tête,
il se cachait; et sous le règne des lois que nous appel-
lerions aujourd'hui tyranniques, la ville se développait
moralement, intellectuellement et matériellement, d'une
manière remarquable; sa fraternelle hospitalité pour les
proscrits de France et d'Italie lui avait procuré des citoyens
nouveaux, qui devinrent pour elle un moyen puissant de
régénération.
Entre tous, les pasteurs se distinguaient par une conduite
honorable qui les rendait les modèles du troupeau. La
plupart d'entre eux avaient souffert pour la cause de leur
Sauveur; l'habitude qu'ils avaient de se censurer mutuelle-
ment, les rendait attentifs aux devoirs de leurs charges.
L'œil qui veillait sur eux n'avait rien d'inquisitorial, et
contribuait puissamment à entourer de vénération et de
respect la compagnie qui ne souffrait pas que ses membres
déshonorassent leur robe de pasteur. Quand il le fallait ,
elle frappait; elle retranchait même celui de ses membres
qui , infidèle à son mandat, se rendait indigne du minis-
202 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
tère évangélique. Ses rigueurs , conformes à la lettre et à
l'esprit de l'Évangile, contribuaient au développement de
la vie religieuse.
m.
L'un des traits caractéristiques de la Réformation à Ge-
nève , c'était la célébration dii_ culte qui offrait un con-
traste frappant avec celui de l'Église romaine : autant l'un
était pompeux, autant l'autre était simple; les temples
étaient nus, les ministres ofliciants ne se distinguaient
des simples fidèles que par leur robe noire; la chaire
avait remplacé l'autel; le prêche, la messe; la seule chose
qui frappait les yeux, c'était la table sainte sur laquelle
étaient exposés le pain et le vin, emblèmes du corps
rompu et du sang versé de Jésus-Christ.'
On s'est souvent demandé si les réformateurs, en orga-
nisant le culte, ne le détruisirent pas. Cette question ne
manque pas d'intérêt en face des reproches de l'Église la-
tine, qui accuse la Réforme de manquer de culte et de
faire de ses églises de simples auditoires où l'on s'instruit,
mais où l'on n'adore pas.
Les reproches de Rome ne sont pas sans valeur, mais
ils perdent de leur importance quand on étudie le temps
où les réformateurs accomplirent leur œuvre. La chré-
tienté était alors en plein paganisme; le dogme avait
presque disparu sous la pompe des cérémonies; tout était
sacrilié aux sens au détriment de l'âme; l'enseignement
était nul. De plus, la plupart des cérémonies étaient une
copie, plus ou moins perfectionnée, du culte des prêtres
de Cybèle et do Jupiter. (Du Choul a prouvé jusqu'aux der-
niers degrés de l'évidence, qu'à part sa terminologie, le
culte de Rome païenne revit dans celui de la Rome papale.)
Il n'est donc pas élouna;!t que les réformateurs aient
porté résolument la hache sur tout ce qui, dans le catho-
licisme, rappelait l'idolâtrie romaine. Ils ne voulurent donc
ni du vêtement des prêtres, ni de leur tonsure, ni de leurs
j)rocessions, ni de leurs fêtes, ni de leurs images taillées;
lis rejetèrent leurs litanies qui leur rappelaient les vaines
1. Casaubon, Éphémcrides, de 147 à 181. — Gabcrel, Histoire
de Genève, 2« édit., t. II, p. 19-20.
LIVRE XXtI.
203
redites des païens. Quant à l'autel de leur messe, ils le
démolirent : il était à leurs yeux l'abomination de ha déso-
lation. Quand ils eurent fait table rase et arraché jusqu'à
la dernière pierre de l'édifice , ils bâtirent sur ses fonde-
ments et remplacèrent le culte du moyen âge par celui de
l'Eglise primitive, dont ils essayèrent de se rapprocher
autant que les circonstances pouvaient le leur permettre.
En le faisant , ils eurent toujours devant les yeux ces pa-
roles des livres saints: «Dieu est esprit et vérité, il faut
que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité.'»
Les réformés eurent donc un culte en esprit et en vérité ;
mais eurent-ils le véritable , celui qui répond à toutes les
inspirations de l'âme? Nous ne le croyons pas. Tel qu'il
est, leur culte l'emporte beaucoup sur celui des catholi-
ques, mais il est loin cependant de ce qu'il devrait être. La
chaire , qui , dans le temple réformé , a remplacé l'autel
sur lequel l'Eglise latine célèbre sa messe , est tout à la
fois une grande force et une grande faiblesse : une grande
force, quand le ministre oiïiciant a le don d'instruire,
de toucher, et le don si précieux de se faire écouler;
une grande faiblesse , quand il est froid , long , diffus ,
fatigant. La partie essentielle du culte étant clîez ies ré-
formés la prédication, on conçoit facilement qu'il dépend
de l'homme et non d'un ensemble de choses, dont chaque
partie doit concourir à l'édification des fidèles. Les prières
et les chants sont rélégués dans l'arrière-plan, et cepen-
dant c'est par eux que le public pourrait prendre part au
service et y dire son Amen.
Aux premiers jours de la Réformation , le sermon fut le
bélier avec lequel on battit Rome en brèche ; avec lui , on
sapa les erreurs; avec lui, on fonda la vérité; ses services
étaient incontestables : mais ce n'était pas une raisoa pour
lui donner la place qu'il occupe encore aujourd'hui; là fut
l'erreur: le protestantisme en porte la peine, car il a bien
un culte, mais il n'a pas le culte. Nous ne blâmons pas,
nous constatons des faits; car il ne faut pas demander,
même aux hommes les plus forts, ce qu'ils n'ont pu nous
donner; il faut surtout ne jamais oublier que les préjugés,
les haines , les habitudes ont une puissance devant laquelle
l. Jean, cliap. IfV, v. 24.
204 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
s'inclinent à leur insu les plus grands esprits. Les réfor-
mateurs eussent pu éviter l'écueil dans lequel ils sont
tombés, s'ils n'avaient pas eu pour principe absolu que
tout ce qui venait directement de Rome devait être pros-
crit sans pitié, rejeté sans regret. Si, au lieu de tout con-
damner en masse, ils eussent fait un intelligent triage, en
laissant subsister ce, qui n'avait contre lui, ni le texte, ni
l'esprit des saintes Écritures , leur culte eût été moins nu
et la lacune que nous déplorons eût été heureusement
comblée; il n'en fut pas ainsi , et quelque grands qu'aient
été leur dévouement et leur droiture, leur travail, comme
toute œuvre d'homme, porte l'empreinte de l'imperfec-
tion. Ce qu'ils eussent pu faire avec facilité, devient au-
jourd'hui, par l'empire des habitudes, une difficulté de
premier ordre. — Quoi qu'il en soit, le culte à Genève se
célébrait avec une noble simplicité , qui n'était pas sans
grandeur. L'homme s'isolant complètement de tout ce
qui est matériel et se mettant en communication directe
avec Dieu, s'élevait jusqu'à lui par la prière. Sa piété était
celle des forts qui ne cherchent pas le créateur sous des
symboles grossiers et visibles ; il trouvait toujours dans
son culte une nourriture pour son âme, et à moins qu'il
ne portât des pas indifférents dans la maison de prières, il
n'en sortait jamais sans avoir trouvé un peu de manne
pour sa faim, un peu d'eau vive pour sa soif
Les cultes pompeux ne sont, en définitive, qu'une mise
en scène: la première fois ils étonnent, saisissent, re-
muent le cœur, enflamment l'imagination; mais quand la
scène se répète continuellement, le prestige s'évanouit:
c'est an airain qui résonne , une cymoale qui retentit. La
ville de Rome , où le culte est resplendissant , et dont les
cérémonies sont célèbres dans le monde entier, n'est-elle
pas la cité ou il y a le plus d'indifférents et le plus d'athées? '
IV.
Calvin , avec son génie organisateur, avait voulu faire de
Genève la Sparte chrétienne. Jusqu'à un certain point il y
I. Le voisinage de Rome, disait Machiavel, a fait de nous des
athées et des scélératg. (Comment, sur Tite-Live.)
LIVRE XXVI.
205
réussit; et cependant, tout en admirant ce vigoureux gé-
nie, nous ne pouvons donner à son œuvre une approba-
tion sans restriction. Il fut trop légal , pas assez évangé-
lique. Héritier de l'esprit intolérant du moyen âge, il crut
marcher dans la voie droite, parce que ses intentions
étaient dégagées de tout intérêt personnel, et qu'il ne
poursuivait sur la terre que la gloire de Dieu. Homme
d'obéissance et de soumission, il crut que les autres pou-
vaient pratiquer ce qu'il pratiquait lui-même; de là, ce
joug de fer sous lequel il courba Genève, qu'il conduisit,
par la dictature des institutions , à la liberté et à la gran-
deur. Un historien éminent et dont les paroles font auto-
rité , M. Mignet, après avoir étudié la révolution religieuse
de Genève, termine son récit par ces paroles remarquables:
«En moins d'un demi-siècle, Genève changea entière-
ment de face. Elle passa par trois révolutions consécu-
tives. La première de ces révolutions la délivra du duc de
Savoie, qui perdit son autorité déléguée, en voulant
l'étendre et la trai.sformer en souveraineté absolue. Elle
se fit, à l'aide d'une alliance avec les cantons de Fribourg
et de Berne, qui défendirent l'indépendance de Genève, et
elle eut pour instrument principal Berthelier, qui paya de
sa tête ce patriotique service.
«La seconde introduisit dans Genève le culte réformé et
y détruisit la souveraineté de l'évêque. Elle s'opéra par
l'entremise de Farel , avec l'assistance du canton de
Berne , et au profit du parti démocratique qui , vainqueur
du duc de Savoie, tendit à l'ester le seul maître de Genève
et à ne plus en partager le gouvernement avec son ancien
prince ecclésiastique.
«La troisième constitua l'administration protestante
dans Genève et lui subordonna l'administration civile. Elle
fut accomplie par Calvin , secondée par les émigrés étran-
gers et dirigée contre le parti municipal des libertins,
comme la seconde l'avait été contre le parti ecclésiastique
de l'évêque , et la première, contre le parti étranger du duc
de Savoie. Les Savoyards, les épiscopaux, les démocrates
succombèrent tour à tour, les uns devant les autres et
tous, devant les calvinistes.
«La première de ces révolutions valut à Genève son in-
dépendance extérieure; la seconde, sa régénération morale
6.
206 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
ét sa souveraineté politique; la troisième, sa grandeur.
Ces trois révolutions ne se suivirent pas seulement, elles
s'enchaînèrent. La Suisse marchait à la liberté ; l'esprit
humain , à l'émancipation. La liberté de la Suisse fit l'indé-
pendance de Genève, et l'émancipation de l'esprit humain
fit sa réformalion. Ces changements ne s'accomplirent ni
sans difficulté , ni sans guerre. Mais , s'ils troublèrent la
paix de la ville, s'ils y agitèrent les âmes, s'ils y divisèrent
les familles , s'ils y causèrent des emprisonnements , des
exils, s'ils y ensanglantèrent les rues, ils trempèrent les
caractères , ils éveillèrent les esprits , ils purifièrent les
mœurs, ils formèrent des citoyens et des hommes, et Ge-
nève sortit transformée de ses épreuves. Elle était assu-
jettie et elle devint indépendante; elle était ignorante et
elle devint une des lumières de l'Europe ; elle était une
petite ville, elle devint la capitale d'une grande opinion.
Sa science, sa constitution, sa grandeur furent l'œuvre de
la France, par ces exilés du seizième siècle qui, ne pouvant
pas réaliser leurs idées dans leur pays , les portèrent en
Suisse, dont ils payèrent l'hospitalité en lui donnant un
culte nouveau et le gouvernement spirituel de plusieurs
peuples.»'
Ces paroles sont une réponse aux historiens qui pro-
clament que l'œuvre de Calvin fut une œuvre d'immoralité
et de désordre. Les faits ne leur apprennent rien , parce que
la haine les aveugle, et qu'ils ne sauraient rendre justice
au grand réformateursans condamnerleur cause. Cependant
la lumière se fait peu à peu dans les esprits, et le jour ap-
proche où notre siècle saluera, dans les ancêtres de la Ré-
forme, les restaurateurs du christianisme et les fondateurs
de l'ordre et de la liberté. Si Calvin et ses compagnons
d'œuvre eussent été des hommes immoraux, sans valeur
personnelle, ils seraient aujourd'hui tout entiers dans
leurs tombes ; la critique attaque les forts , elle dédaigne
les faibles.
V.
Les pasteurs occupent une grande place dans l'histoire
de Genève : ils y remplacèffrkt le prêtre confesseur. Leur
1. Mignet, Mémoires historiques, p. 385-387, édit. Charpent.;
Paris 1854.
LIVRE XXVI.
207
ministère y fut béni; et leur influence, ens'étendant sur la
famille, y développa des germes précieux de moralité. Ils
purent ainsi préparer des membres pour l'Église et des
citoyens pour l'État. La Compagnie, épurée par l'éloigne-
ment de ceux de ses membres qui étaient entrés sans
vocation dans le ministère, acquit un grand ascendant
qu'elle dut au zèle qu'elle déploya, et à une piété réelle.
Les bons exemples, venant de haut, donnèrent aux pré-
dicateurs une grande force; quand on vit les pasteurs
marcher d'un pas ferme dans la voie étroite, leurs fidèles
trouvèrent moins dur le joug du code ecclésiastique, et
plus tard , quand la vie chrétienne eut pénétré dans les
cœurs, ils firent l'expérience de ces belles paroles du Sau-
veur: «Mon joug est doux, mon fardeau léger, et mes
commandements ne sont pas pénibles.»
Leur œuvre cependant était hérissée de difficultés. L'ap-
plication du code ecclésiastique donnait lieu à des plaintes
qui n'étaient pas toujours sans fondement. Heureusement
l'esprit large et conciliant de Théodore de Bèze savait y
apporter à propos des adoucissements; là où Calvin eût
frappé, le disciple fermait les yeux; aussi, peu à peu,
et sans qu'il fût besoin d'une révision, plusieurs des ar-
ticles du code ecclésiastique tombèrent en désuétude.
Néanmoins les pasteurs se montrèrent rigides. Leur tâche
était rude; les libertins avaient été vaincus, mais leurs
détestables maximes, n'ayant pu être bannies de la ville,
y entretenaient l'esprit de révolte et l'amour de coupables
plaisirs. On fut donc obligé de sévir contre les cabaretiefs
et les usuriers, et de reprendre les écrivains licencieux,
à la tête desquels se trouvait le célèbre Henri Estienne.
VI.
Parmi ceux qui furent censurés, nous trouvons un
homme qui, vingt ans auparavant, avait attiré sur lui les
regards de la foule et mérité ses sympathies par son élo-
quence entraînante et communicative. C'est le maître d'é-
cole de la salle du Boitet, l'orateur irrésistible de la place
du Molard. Semblable à ces poètes, (jui ne sont vraiment
poètes qu'un seul jour dans leur vie , Froment avait eu
208 HISTOIRE DE LX RÉFORMATION FRANÇAISE.
nussi son jour : il avait fait, en quelques heures, ce que
tant d'autres ne font pas en de longues années. Il avait aidé
Farel à arracher Genève des mains de son évèque. Il n'avait
pas, sans doute, fait le plan du siège; mais, sans son au-
(iace, il est probable que la ville eût résisté bien long-
temps encore, et peut-être serait -elle demeurée sous
le joug de Rome?
Après l'abolition solennelle de la messe. Froment fut
nommé, en 1537, pasteur de l'église de Saint- Gervais,
qu'il aurait quittée, si nous devons en croire Gauthier' ;
pour aller desservir celle de Massongi dans le Chalais*:
jusqu'en 1552 sa vie n'offre rien de saillant; elle se passe
dans l'obscurité. Il n'est pas au nombre de ces confesseurs
de Christ qui assiègent la porte de Calvin, et ont soif du
martyre. Son nom ne se trouve mêlé à aucune des luttes de
cette époque; et cependant cet homme avait, entre tous,
fait preuve d'une puissante initiative, et déployé une rare
intrépidité. Ce phénomène moral a cependant son explica-
tion dans la nature même des dispositions chrétiennes.
Le mouvement religieux de l'époque avait moins agi
sur la conscience que sur l'imagination de Froment.
Homme d'opposition, il savait mieux manier le marteau
qui démolit que la truelle qui édifie. Comme cela arrive
dans toutes les révolutions religieuses, la réaction vint, et
avec elle, l'impuissance; et celui qui fut un héros au
Molard et à Saint-Pierre, ne fut qu'un homme ordinaire,
iiuand il fallut s'occuper des devoirsjournaliers du pastoral.
En 1552, Froment revint à Genève où l'attendaient des
chagrins domestiques. Un mariage irréfléchi lui avait donné
une compagne qui ne sut pas respecter en lui l'époux
et le pasteur. Peut-être aussi un manque de sagesse et de
prudence de s» part précipita son épouse dans de crimi-
nels égarements. La compagnie des pasteurs le rendit res-
jjonsable de la conduite de sa femme, et lui infligea des
réprimandes qui étaient de nature à le déconsidérer aux
yeux de son troupeau. La douleur et la honte qu'il en
éprouva, le firent renoncer au pastoral. Dans cet intervalle,
Bonnivard lui fit la proposition d'être son collaborateur
1. Gauthier, Histoh-e de Genève.
2. Haag, France protestante, lettre F, p. 177.
LIVRE XXVI.
209
dans la rédaction de son histoire de Genève; il accepta
cette offre avec empressement, et dans la même année il se
fit recevoir notaire.
Genève, qui n'avait pas oublié ses services, se montra
reconnaissante; elle lui accorda le droit de bourgeoisie, et
le nomma, en 1559, membre du conseil des Deux Cents.
11 eût été facile à Froment de se relever dans l'opinion
publique; mais malheureusement, emporté par son carac-
tère ardent, impétueux, il sembla s'appliquera justifier la
sévérité dont il avait été l'objet de la part du consistoire
en marchant dans les mêmes voies que sa femme. En
1562, un arrêt de bannissement fut rendu contre lui. Il
quitta la ville, et pendant dix ans, il traîna , à l'étranger,
une vie pleine de honte et de remords. Le malheur le
ploya, sans cependant le briser. Il se rappela alors ces jours
où , soldat intrépide du Crucifié, il lui consacrait ses forces,
et où il eût marché au martyre en chantant des cantiques.
Comme l'enfant prodigue, il se repentit, et demanda à
retourner dans sa patrie. Il y rentra à l'âge de soixante-
deux ans. Qu'elle était différente cette entrée, de celle
où, quarante ans auparavant, il venait combattre pour l'É-
vangile. Ah ! il y a quelque chose qui impressionne vive-
ment dans cet homme, un moment placé si haut, et main-
tenant tombé si bas. Il peut se relever aux yeux du Dieu
qui pardonne parce qu'il aime ; mais il ne le peut plus
devant ses semblables, d'autant plus impitoyables, qu'ils
ont eux-mêmes plus besoin de grâce et de pardon. Jette-
rons-nous aussi la pierre à cette grande infortune? Serons-
nous moins miséricordieux que Dieu? Les services passés
ne compteront-ils pour rien? Ce serait une ingratitude.
Froment a eu une punition grande comme sa faute. Il s'est
éteint dans l'obscurité. Après avoir fait tant de bruit, il
devait disparaître comme le chêne qui tombe, et il s'en
alla'Comme la feuille qui se détache de ses branches. Notre
légitime curiosité est ici mise en défaut. Mais quel que soit
le jugement qu'on porte sur Froment , on ne pourra mé-
connaître en lui l'un des grands ouvriers de la Réforme;
il est vrai qu'il ne travailla qu'un jour; mais combien
d'hommes, soi-disant importants qui, dans une longue vie,
n'ont pas même travaillé une heure. Jetons donc sur la
tombe du maître d'école de la grande salle du Boitet une
210 niSTOIUE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
branche de laurier trempée de larmes ; elle dira notre ad-
miration et nos regrets. '
VII.
Les pasteurs furent appelés à soutenir des luttes pénibles
avec les magistrats, quand ces derniers se trouvèrent en
désaccord avec eux sur l'application du code ecclésiastique.
C'est dans la savante et consciencieuse histoire de M. Ga-
berel qu'il faut lire cette grande page de la vie de la Com-
pagnie des pasteurs. Nous y renvoyons nos lecteurs , parce
que nous nous écarterions du plan que nous nous sommes
tracé, si nous entrions dans des détails qui, tout intéres-
sants qu'ils sont, n'appartiennent qu'à l'histoire particulière
de la réformation genevoise.
Le dévouement journalier des pasteurs les soutint dans
l'opinion publique plus encore que la loi dont ils étaient
armés. Une circonstance douloureuse contribua à les gran-
dir dans l'esprit des masses, et leur donna un grand ascen-
dant sur elles. Une peste terrible désola Genève en 1565,
et une plus terrible encore quatre ans après. Les pasteurs
ne faillirent pas à leur noble tâche, comme le clergé
romain, lors de l'épidémie de 1522. Sans crainte devant
la mort qui moissonnait leurs tidèles, ils pénétrèrent dans
toutes les maisons atteintes du fléau, pour apporter aux
mourants le baume des consolations chrétiennes.
11 y eut une scène bien touchante. La Compagnie était
réunie pour élire le chapelain des pestiférés : les circon-
stances étaient graves et sérieuses. Avant de procéder au
tirage au sort, les assistants implorèrent l'assistance divine:
«Seigneur, dirent-ils, toi qui sondes les cœurs des hommes ,
fais connaître celui que tu as choisi pour ce ministère ! »
On allait commencer les opérations, quand un membre
proposa d'exempter Théodore de Bèze, à cause de sa grande
utilité au milieu des églises.
De Bèze s'y opposa énergiquement. «C'est mon droit,
dit-il, de partager les périls de mes frères.» Plusieurs pas-
teurs âgés abondèrent dans son sens, et rappelèrent que,
dans des circonstances semblables, Œcolampade à Bâle,
1. Froment n'a produit qu'un seul ouvrage important ayant
pour titre : Actes et gestes merveilleux de la cité de Genève.
UVRE XXVI.
Bucer à Strasbourg, Bullinger à Zurich, s'étaient dévoués
comme les plus humbles ecclésiastiques, et que Calvin,
pendant son séjour à Strasbourg, lors de son exil, avait
visité, soigné et consolé les pestiférés.
Pendant la discussion, une députalion du conseil se
présenta , et demanda que de Bèze fût exempté ; « sa per-
sonne, dirent les magistrats, est trop précieuse, par son
puissant crédit auprès des cours protestantes, pour que
nous puissions consentir à le voir exposé sans utilité réelle
pour la république.»'
Devant la volonté du conseil, Théodore de Bèze dut
céder.
Le sort désigna le pasteur Legagneux qui tira de l'urne
le billet d'élection sur lequel étaient écrits ces mots : Qtie
la volonté de Dieu soit faite.
Il demanda au Seigneur de le soutenir dans la mission
que Dieu lui confiait par le sort et alla se loger à la Cou-
leuvrenière au milieu des pestiférés. Pendant trois mois il
demeura dans le lazaret, calme et intrépide devant la mort.
Il ne fut pas le seul pasteur qui alla s'installer au lazaret;
d'autres montrèrent le même dévouement, et la Compa-
gnie, pendant ces jours de grande détresse, s'honora, aux
yeux de ses (idèles , par un courage sans ostentation.
Plus tard, en 1570, le fléau sévit de nouveau avec une
grande force; les pasteurs furent fidèles à leur poste.
Parmi ceux qui se distinguèrent, l'histoire a conservé les
noms de Colladon, de Perrot et de Chausse. La contagion
sévissait et décimait la population; les malades n'entraient
sur des brancards à l'hôpital que pour en sortir, bientôt
après, dans des cercueils. Les bras ne suffisaient plus pour
enterrer les morts. L'épouvante était dans la ville menacée
de devenir un désert. Le pasteur Chausse , animé de cette
paix chrétienne, qui donne le calme au milieu de la tem-
pête, devint l'ange consolateur des infortunés atteints par
le fléau.
Neuf ans après (1574), la peste reparut, et les Genevois
revirent l'intrépide pasteur de nouveau à son poste , se
multipliant à force de zèle et se dévouant, comme le bon
berger, pour ses brebis. Il quitta sa maison pour vivre au
1. Gaberel, 1. 1", p. 167
212 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
milieu des pestiférés et n'y rentra un moment que pour
recevoir le dernier soupir de sa fille aînée, \ictime du
fléau.
Cette peste l'atteignit dans la partie la plus sensible de
son être; mais loin de ralentir son zèle, elle ne fit que le
redoubler. Il retourna au milieu de ses pestiférés, calme,
mais frappé au cœur. Il aimait tant sa fille !
Vers le milieu de juin , la peste l'atteignit avec une si
grande violence, que dès le premier moment, on déses-
péra de ses jours. Les magistrats allèrent le voir et l'assu-
rèrent que la république aurait soin de ses enfants et de
sa veuve, si Dieu le retirait à lui.
«Je suis bien payé de mes services, leur dit Chausse.
Mais retirez-vous . . . recevez mes adieux Il y a trop de
danger ici pour vous. . . »
Le lendemain, la vénérable compagnie se rendit en
corps auprès du mourant, qui fut profondément touché
de la marque d'affection que lui donnaient ses collègues ;
il tourna vers eux ses regards pleins d'une douceur inex-
primable, et d'une voix faible, mais bien accentuée, il les
remercia de leur courage : « Je m'en vais en paix, leur
dit-il, non point par les souvenances de ce que j'ai fait,
mais par l'assurance de la rémission de mes péchés et de
mon salut, en la grande miséricorde de notre sauveur
Jésus-Christ.»
Dans ce moment suprême, le mourant ne regarda pas à
ses œuvres; elles étaient grandes cependant; il avait tout
offert à son Dieu, tout jusqu'à sa femme et ses enfants;
mais il se sentait encore un serviteur inutile, et ne trou-
vait sa paix «que dans celui» qui est notre paix, et nous
couvre par la foi en son immortel sacrifice, du manteau
de sa justice.
Chausse demanda à ses collègues de lui pardonner, puis
il tourna ses regards vers son Dieu , et s'endormit sur la
terre pour se réveiller entre les bras de son Sauveur qui
lui rendit selon ses œuvres.'
La République, touchée de son dévouement, adopta ses
enfants.
Plus tard, la peste désola encore la ville, et Genève
f, Registre de la compagnie, 18 juin 1574.
LIVRE XXVI.
213
eut dans ses pasteurs ses martyrs de la mort, qui prou-
vèrent au monde que le ministre de Jésus-Christ , époux
et père, n'a rien à envier, en fait de courage et de dé-
vouement, au prêtre catholique.'
VIII.
L'une des gloires de la Réforme est l'impulsion remar-
quable qu'elle donna aux études. Elle montra ainsi que la
science et le progrès ne sont pas les ennemis de la foi.
Sans doute Calvin, avec son esprit absolu, voulut assigner
des limites à la science théologique. A part cette erreur, qui
provenait chez lui de la nécessité de mettre un frein aux
divagations des théologiens, il voulut faire de Genève une
cité vraiment savante; ses efforts furent couronnés d'un
plein succès, et après lui sa ville d'adoption n'eut rien à
envier aux cités les plus célèbres. Son collège compta de
nombreux élèves qui y recevaient une instruction classique
très-avancée pour l'époque. Son académie eut à sa tète des
professeurs, dont plusieurs furent des hommes éminents.
J3es élèves y accouraient de toutes les parties des contrées
protestantes, et dans l'espace de 73 années (de 1559 à
1632), 2800 étudiants vinrent s'asseoir sur ses bancs.
Elle mérita dès lors le nom de la Rome protestante. Elle
tint, dit Michelet, haute sa lampe, et fut la grande école
des nations. Il fallait qu'elle se fit la fabrique des saints et
des martyrs, la sombre forge où se forgeassent les élus de
la mort. Missions terribles! Ils étaient attendus, épiés : pris
sur le fait d'avoir sur eux un évangile français, ils étaient
sûrs d'être brûlés.'
IX.
Ce fut un jour de profonde douleur pour Genève que
celui où elle vit se présenter à ses portes des hommes, des
femmes, des enfants et des vieillards, qui venaient lui
demander un asile contre la rage de leurs bourreaux. Ja-
mais aux époques des plus cruelles persécutions de Fran-
1 . Note rx.
2. Michelet, Guerres de religion. — Au titre l'École du martyiû
(de 1555 à 1566), Genève envoya en France 121 pasteura.
214 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
çois I" et de Henri II, elle n'avait vu arriver tant de
réfugiés: c'était Charles IX qui les lui envoyait. Devant
celte grande infortune , la charité des Genevois ne faiblit
pas. Ce fut à qui d'entre eux sécherait une larme et adou-
cirait une douleur : vêtements, vivres, remèdes, ils n'é-
pargnèrent rien. '
Pendant qu'on se réjouissait à Paris, î» Madrid et à
Rome, Genève prit le deuil, et s'humilia sous la puissante
main de Dieu. Théodore de Bèze était navré de douleur;
le coup qui frappait si cruellement ses frères de France
ne l'étonna pas. En apprenant la funèbre nouvelle, il s'é-
cria: «Je l'avais bien dit!»^
Le conseil décida qu'on célébrerait un jour déjeune et
d'humiliation pour demander au Seigneur de protéger son
peuple contre la fureur de ses ennemis. Le 3 septembre ,
Saint-Pierre se remplit d'une foule immense; les réchap-
{(és de la Saint-Barthélemy prirent place sur des bancs qui
eur étaient réservés : ils étaient graves, recueillis, tristes,
mais reconnaissants pour le Dieu qui, dans sa miséricorde
infinie , leur donnait une ville de refuge. Tous les regards
de l'assemblée étaient dirigés sur eux. Théodore de Bèze
monta en chaire; quel texte de prédication que la présence
de tant d'infortunés! L'orateur maudira-t-il les bourreaux?
demandera-t-il à Dieu de faire descendre sur eux le feu
du ciel? Non, il sera chrétien. Perdra-t-il courage? non,
il regardera au Dieu des armées. «Combien, dit-il, que la
conspiration des ennemis s'étend jusqu'à vouloir racler la
mémoire des bons de dessus la terre, afin qu'il n'y ait que
le règne des méchants en vogue , néanmoins tout ira au-
trement. Les rois de ce monde ont beau se mutiner et
s'élever contre le Seigneur pour secouer son joug et ruiner
son église ; Celui qui habite les cieux les brisera comme
un vase de terre, et détruira toute principauté qui s'oppose
au royaume éternel de Jésus-Christ. Partant, ne vous
fâchez point des malfaisants que vous voyez, ce semble,
prospérer ; car ils seront coupés comme le foin et se fane-
ront comme l'herbe verte. Attendez en patience le Sei-
gneur ; ayez ferme confiance en lui, et ne portez point
1. Registres du conseil (30 août 1572).
2. Deuxième volume de cette bLsloire, p. S5Î.
\
LIVRE XXVI.
215
(l'ennui, n'ayez même aucun regret de celui qui espère en
ses lâchetés, car les malins seront exterminés, mais ceux
qui ont leur attente au Seigneur seront bénis de lui ; ils
ne seront point confus au mauvais temps. La main de
Dieu n'est point abrégée, son bras n'est point accourci; le
Seigneur est le roi qui seul peut tout ce qu'il veut; il ne
permettra point qu'un cheveu de notre tète tombe en terre
sans sa volonté. Partant, ne nous effrayons aucunement
pour le dessein des hommes qui ont injustement délibéré
de nous mettre tous à mort avec nos femmes et nos en-
fants; soyons plutôt assurés que si le Seigneur a ordonné
de nous délivrer tous ou aucun de nous, nul ne lui pourra
résister. S'il lui plaît que nous mourrions tous, ne crai-
gnons point , car il a plu à notre père nous donner une
autre habitation qui est le royaume céleste , auquel il n'y
a point de mutation, pauvreté, misère, larmes, pleurs,
deuil ou tristesse , mais félicité et béatitude éternelles.
Il vaut beaucoup mieux être logé avec le pauvre Lazare
au sein d'Abraham qu'avec le mauvais riche, avec Caïn,
avec Saûl , avec Hérode ou avec Judas en enfer. Cepen-
dant, il nous faut boire le breuvage que le Seigneur nous a
préparé, à chacun selon sa position. Il ne faut pas que
nous ayons honte de la croix de Christ, ni regret de boire
du fiel duquel il a été le premier abreuvé , sachant que
notre tristesse sera tournée en joie et que nous rirons à
notre tour quand les méchants pleureront et grinceront
les dents.»'
Le discours de Bèze fut écouté avec une émotion pro-
I fonde. Les larmes coulaient sur tous les visages; dans ce
moment solennel chacun sentait que la ville que Dieu
garde est bien gardée.
Parmi les réfugiés , il y avait plusieurs pasteurs et parmi
eux le pieux Chandieu. On leur offrit généreusement
d'exercer leur ministère, et des fonds pour l'instruction
des enfants qui les avaient suivis dans leur exil. « Nous
remercions Dieu, dit Chandieu à Théodore de Bèze, qui
leur avait fait cette double offre au nom de la congrégation
des pasteurs , de la grâce qu'il nous a accordée en nous
retirant du glaive des méchants ; nous éprouvons une
1. Uaberel, Histoire de i'église de Geaève, t. H, p. 324-325
21 G HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
profonde reconnaissance de votre olTre pécuniaire, mais
nous désirons que cet argent demeure entre les mains
d'un ministre de votre compagnie , auquel nous puissions
nous adresser selon les besoins les plus pressants de nos
frères pauvres.»'
Théodore de Bèze répondit fraternellement à Chandieu,
exhorta les pasteurs à mettre de plus en plus leur con-
fiance en Dieu, et afin qu'ilsnese crussent pas étrangers à
Genève, il leur dit que toutes les chaires de la ville étaient
à leur disposition. «Les Genevois, ajouta-t-il, seront heu-
reux de vous y voir monter.»
L'hiver de 1572 à 1573, le plus rigoureux dont Genève
ait gardé le souvenir, s'annonçait d'une manière alar-
mante. De Bèze ne crut pas que ceux qui avaient reçu dans
leurs maisons les réfugiés dussent porter seuls une si
lourde charge. Il proposa une collecte qui produisit 4000
livres. Les pasteurs s'inscrivirent en tête de la liste et
donnèrent un bel exemple de désintéressement, en refu-
sant qu'on fit une démarche auprès du conseil pour aug-
menter leur modeste traitement. La plupart d'entre eux
étaient pauvres et avaient à peine le strict nécessaire pour
nourrir leurs familles. «Messieurs du conseil, dirent-ils,
savent ce qu'ils ont à faire, et il ne convient pas que, dans
ce temps calamiteux, on puisse dire que nous avons solli-
cité un accroissement de gages'», noble langage toujours
admiré des troupeaux qui comprennent si bien que l'une
des gloires du pasteur est une humble résignalion à la
pauvreté, et qui cependant oublient quelquefois que si
le serviteur de Dieu ne doit convoiter ni or, ni argent, il
est cependant digne de son salaire, comme le bœuf qui
foule le grain. Pauvre bœuf, trop oublié de ceux pour les-
quels il ouvre avec ses sueurs le sillon de la vie éternelle!
L'hiver fut terrible , mais la charité des Genevois ne se!
ralentit pas un seul moment. Les réfugiés comprirent
toute la grandeur des charges que leur présence imposait
à leurs frères. Les ministres français furent surtout admi-
rables de résignation et se retranchèrent toute la nourri-,
ture qui ne leur était pas absolument nécessaire.
1. fiaberel, Ilistoh-e de l'église de Genève, t. II, p. 325-326. ; "
7. Idem, p. 328-329.
I
LIVRE XXVI.
217
Genève brava la colère do Gliarics IX en accordant ou-
verlement l'hospitalité à ses victimes. Le roi de France
s'indignait qu'une petite ville osât, à la face de l'Europe,
recueillir ceux qui étaient échappés à ses bourreaux. Il
résolut de compléter sa victoire en détruisant ce qu'il ap-
pelait le foyer de l'hérésie. — Dieu qui veillait sur la
noble ville, déjoua ses projets. Genève fut encore une fois
sauvée. Charles IX descendit prématurément dans la tombe,
et la cité qu'il avait voulu détruire ne fit que grandir.
X.
Quatre ans environ après l'arrivée des réfugiés , une
scène bien touchante eut lieu à Genèva. Henri III avait
rendu l'édit du 8 juin 1576 qui permettait aux protestants
de rentrer en Francn'. Quels que soient les torts de notre
patrie, nous l'aimons toujours. R y a dans les lieux qui
nous ont vu naître tant de souvenirs! nos pas se sont im-
Îirimés si souvent sur son sol en caractères ineffaçables;
à, nous avons les cendres de ceux qui nous furent chers,
et dont la vie fut notre vie; là, nous avons le toit qui nous
a abrité, la maison de prières où nous avons formé alliance
avec Dieu, et près d'elle le champ du repos. Ah! rien ne
peut remplacer ce petit coin de terre que l'un appelle sa
ville, l'autre son village, et quel que soit le lieu où le
malheur nous jette, fut-il des plus beaux et des plus
riants , il ne vaut pas à nos yeux le lieu où nous versâmes
nos premières larmes et où nous eûmes nos premières
joies.
Un ministre de la petite ville de Saint- An tonin, située
sur les bords de l'Aveyron , à quelques lieues de Montauban,
fut obligé de s'expatrier: il vint à Genève où il reçut une
hospitalité fraternelle; malgré l'affection dont il fut en-
touré, il prit la nostalgie. Quoiqu'il sût qu'en remettant
les pieds sur la tet're natale, il encourrait la peine de
mort, il voulut encore une fois revoir son cher Saint-An-
tonin. Il partit seul , marchant la nuit , se cachant le jour,
et après un demi-mois de marche, il arriva au lever de
1. Drion , Histoire chronologique, 1. 1".
IV. 7
218
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
l'aurore sur une colline du haut de laquelle il l'aperçut. A
la vue de cette paroi<^se qui îui était si chère, et des ruines
du temple dans lequel il av si souvent annoncé le con-
seil de Dieu, son cœur ballit avec force. Agité d'impres-
sions diverses, ses larmes coulèrent, sa voix éclata en •
sanglots. 11 eût voulu, comme Josué, arrêter le soleil afin
de pouvoir plonger plus longtemps ses regards sur ces
lieux si vivants dans ses souvenirs. Mais la ville se réveilla : :
il reprit alors son bâton de voyageur et retourna à Genève ]
pour y mourir'. Revenons aux réfugiés. ,
Dès qu'ils apprirent qu'ils pouvaient rentrer dans leur ,
patrie , ils se réunirent à Saint-Pierre où un service so- ,
lennel fut célébré. Des milliers de voix entonnèrent le ■
beau cantique 1
La voici l'heureuse journée ,
Qui répoud à notre désir. J
Le pasteur Chandieu, au nom de ses frères, prit la pa- ^
rôle et s'adressaiit aux divers corps de l'Etat, leur dit: ,
« Messieurs les conseillers. Messieurs les pasteurs, lorsque ]
nous arrivâmes dans ces murs, brisés de fatigue et de ,
douleur, ignorant le sort de nos plus chers amis , nous j
trouvâmes diez vous l'accueil le plus fraternel , des con- ^
solations chrétiennes et des secours qui sont de véritables |
sacrifices, vu la rigueur du temps et la difficulté de pour- ' j
voir aux besoins de tous les misérables. Votre charité a i ]
donné sans compter, ni calculer; elle a considéré les mal- |
heureux sans jamais s'effrayer de leur nombre; elle n'a |
pas laissé une seule souffrance sans l'adoucir. Nous ne
pourrons jamais assez reconnaître ces grâces. Nous consi- ,
dérerons toujours l'église de Genève comme notre bienfaj- ■
trice et notre mère, et de tous les temples réformés ^
français s'élèveront chaque dimanche, des paroles de béné- j
diction, en souvenir de votre admirable bienfaisance à ^
notre égard. »
Quand Chandieu eut achevé de parler, il y eut une scènç
qui émut profondément l'assemblée et fit couler d'abon-
dantes larmes, moins amères que celles qui coulèrent
dans le même temple le 3 septembre 1572. Chandieu et
1. On a montré à l'auteur de cette histoire le lieu d'où le pas- j |
teur plongea ses regards sur Saint-Antonin.
2. Registres de la compagnie (8 juin 1676).
tIVRE XXVI.
219
les seigneurs français s'avancèrent vers les pasteurs et les
conseillers genevois, leur serrèrent fraternellement les
mains et les embrassèrent. 11 y eut le soir un banquet où
des discours touchants furent prononcés. Pas une seule
parole d'amertume , de colère et de récrimination ne se
rencontra sur les lèvres des orateurs. «Un grand nombre
de citoyens, dit M. Gaberel, accompagnèrent les réfugiés
jusqu'à la frontière française. Mais quelle différence avec
les jours de l'arrivée! Les protestants rentraient dans leur
patrie la joie au cœur; l'espérance et les plans d'avenir
occupaient seuls leur pensée. Point de coupables projets,
on ne les avait jamais entendu maudire leurs persécuteurs,
ils ne connaissaient pas ces farouches rassemblements où
l'émigré politique réclame la vengeance comme le plus
saint des devoirs. Bannis de la terre natale pour avoir
voulu servir Dieu en esprit et en vérité, ils ne s'étaient
distingués durant l'exil, que par la qualité de vrais adora-
teurs; ils revenaient dans leur pays, ne demandant que la
liberté de conscience avec le droit d'élever leurs enfants
selon le Seigneur et d'ensevelir leurs parents près de leurs
temples. Les misères du passé considérées par eux comme
des dispensations providentielles, ne s'étaient pas trans-
formées en des sources de haine. Ils avaient souffert le
martyre, et comme tous les véritables martyrs chrétiens ,
le plus beau fleuron de leur couronne était d'avoir prié, à
l'exemple de leur divin maître, pour ceux qui les maltrai-
taient et les persécutaient.'»
Le lendemain, 19 juin 1576, jour mémorable dans leur
vie, ils reprirent ce même chemin de France par lequel ils
étaient venus, fuyant le poignard de leurs assassins; leurs
cœurs étaient pleins d'espérance; ils ne virent pas que
le ciel de France était chargé de tempêtes : la joie est
confiante.
XI.
Genève était toujours pour Rome un précieux joyau
détaché de sa couronne; aussi le pape, sans cesse convoi-
teux de cette belle proie , essaya à plusieurs reprises de se
1. Gaberel, Histoire de l'église de Genève, t. 0, p. 338-339.
220 HISTOIRE DE LA RÉFOIIMATION FRANÇAISE.
le faire rendre, soit par le roi très-chrétien, soit par le
roi catholique. La Savoie lui vint constamment en aide;
mais ce que la force des armes et les ruses de la diplo-
matie n'avaient pu faire, un prêtre, François de Sales,
eut la pensée de le tenter par la parole. L'entreprise était
audacieuse; mais l'homme qui se mit à cette œuvre était
admirablement doué et eût réussi s'il n'eût pas été aux
[trises avec l'impossible; il appartenait par sa naissance à
a première noblesse de la Savoie, et il était l'aîné d'une
famille nombreuse sur laquelle il devait jeter l'éclat de
son nom. Ses parents lui firent donner une éducation dis-
tinguée et l'envoyèrent à Paris étudier sous Genébrard el
Maldonat. Ses deux maîtres furent moins émerveillés de sa
rare intelligence que de sa piété simple et candide et de
sa foi soumise qui croyait tout sans examen.'
De Paris il alla à Padoue étudier sous Pencirole qui y pro-
fessait la jurisprudence avec un grand éclat. Il fit des progrès
rapides dans le droit civil et fut reçu , le 5 septembre 1591 ,
docteur aux grands applaudissements des quarante -huit
maîtres de l'université. Il fit pendant ses études la connais-
sance du jésuite Possevino, homme de mœurs douces et d'un
commerce agréable. Ce père devint son conducteur spirituel
et lui donna des directions qui influèrent considérablement
sur sa vie. A la suite d'une grave maladie, il se décida à en-
trer dans la vie religieuse vers laquelle ses goûts le portaient.
Quoique sa piété, fut sincère, il ne put échapper au sym-
bolisme de son Église qui parle plus à l'imagination qu'à
l'âme. La vierge Marie devint l'objet de son culte. C'était sa
médiatrice auprès de son Fils ; par elle, ses prières montaient
vers Dieu. Catholique humble et soumis, il croyait que
Rome est la mère et la maîtresse de toutes les Églises et
ajoutait foi aux légendes miraculeuses dont se compose
son histoire; ainsi, il croyait que la maison de la Vierge
avait été transportée par les anges de Nazareth à Lorette.
Il voulut visiter ce célèbre sanctuaire; «à peine eut-il
fléchi les genoux, dit son biographe, que, comme s'il fût
1. La vie de l'illustrissime François de Sales, de très-henrcuse
et glorieuse mémoire cvôque et prince de Genève, et inslitutour
de l'ordre des dames de la Visitation p. le R. p. Lovys de la Rivière
de l'ordre des miijimes, 3« édition; à Lyon chez Clavde Rigavd,
an M.D.CXXVII.
LIVRE XXVI.
221
entré dans une fournaise , il se sentit enflammé d'une
extraordinaire charité; il contemplait cette chambrette où
la Vierge glorieuse habita jadis avec son virginal patron
saint Joseph, où l'ange Gabriel descendit pour annoncer
le mystère des mystères, où le Saint-Esprit s'écoula d'une
manière non accoutumée dans le chaste amarry' de la
bien-aimée Vierge pour y dresser les appareils des hy-
postatiques noces qui se devaient tôt célébrer entre la
personne du Verbe éternel et la nature humaine , où s'est
parfaite celte divine union qui n'a encore eu ci-devant et
n'aura ci-après sa semblable, où le Verbe s'est fait chair,
où la sagesse incréée s'est faite sagesse incarnée, où la
divine enfance du divin poupon a été élevée depuis qu'il
fut retourné d'Egypte. 0 vrai Dieu! c'est en ce lieu que la
Mère d'amour a tant de fois couché, levé et nourri son
petit enfant d'amour, le sacré Jésus. C'est en ce lieu que
l'amoureux Jésus a si souvent reposé au giron, dormi au
sein et embrassé de ses bras mignards le col amoureux de
sa digne mère; c'est ici que le bienheureux Joseph a pris
une infinité de fois entre ses bras ce céleste garçonnet, le
caressant, lui apprenant a marcher, le menant par la main;
c'est en ce lieu véritablement que le divin Époux s'est re-
posé entre les beaux lys virginaux : Marie et Joseph. Plaise
à votre bonté, ô mon doux Sauveur, que le souvenir de
ces vôtres actions ne s'efface jamais de ma mémoire. Toutes
vos actions sont incomparables, saintes et augustes; ce
sont autant de miroirs , autant de bien nets et bien polis
cristaux, où nous apercevons clairement et les imperfec-
tions qui sont en nous, et les perfections qui n'y sont pas.
Mais je ne sais que veut dire que les très-sages actions de
votre bénite enfance m'agréent tant, me ravissent tant par
leur simplicité, par leur candeur, par leur innocence;
chacune en particulier est un aimant.'
De Lorette, François de Sales alla à Rome. Plein de
celte charité qui ne soupçonne pas le mal, il se crut encore
dans la ville des martyrs; tout lui rappelait ces temps glo-
rieux où les chrétiens étaient jetés en pâture aux bêtes
féroces et éclairaient les rues et les places publiques de
1. Sein.
2. Histoire de Saint-François de Sales, 1 1",^. 87- W.
222 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
leurs corps transformés en torches ardentes; il ne vit rien
de ce qui se passait autour de lui et retourna en Savoie,
avec la certitude que le pape était le vicaire de Jésus-Christ,
et les protestants des hérétiques qui ravatçeaient la vigne du
Seigneur. A peine arrivé, il déclara à ses parents son dé-
sir de se faire prêtre; ils y consentirent à regret.
Le jour où il échangea ses habits de gentilhomme contre
une soutane, il éprouva une grande joie. On ne saurait
exprimer, dit son biographe, l'allégresse d'esprit qui le
saisit lorsqu'il se vit paré de la sainte livrée. «Voilà, disait-
il en son cœur, une casaque qui m'avertit que je serai
bientôt enrôlé à une milice, en laquelle on combat sous
l'oriflamme de la croix pour remporter le prix de la gloire
éternelle. Heureuse milice, certainement, puisqu'en icelle
on consacre son courage, non à la vanité, mais à la vérité;
non pour l'ambition , mais pour la dévotion ; non à des évé-
nements douteux, mais à des infaillibles lauriers glorieux:
heureuse milice, encore un coup, vu que l'on y triomphe
plutôt en souffrant qu'en frappant; plutôt en répandant
son sang qu'en tirant celui des veines de l'adversaire;
plutôt en mourant qu'en tuant. » '
Quelque vive que fut la piété du jeune gentilhomme ,
elle subit l'influence délétère du milieu dans lequel il
vécut. S'il eût été le contemporain deFarel, il est probable
que le protestantisme compterait un grand réformateur de
plus. François de Sales eût certainement voulu savoir ce
a n'étaient ces premiers martyrs, doux, calmes et sereins
evant la mort. Il l'eût su, et comme Othman, Bèze, Mar-
lorat et tant d'autres, il eût quitté l'Église des oppresseurs
pour celle des opprimés; mais quand il vint au monde, la
séparation s'était accomplie; les protestants, moins chré-
tiens que politiques , avaient exercé à l'égard des catho-
liques la loi du talion; ils avaient incendié les églises et
les monastères, déchiré les images, mutilé les statues,
jeté au ruisseau des rues les reliques, livré à leurs risées
les vêtements sacerdotaux. Ces souvenirs étaient vivants
dans le cœur des catholiques qui aimaient à oublier qu'ils
avaient été les agresseurs.
Il eût été difficile que le jeune François de Sales ne
1. Histoire de François de Sales, liv. U, p. 111.
lIVRE XXVI.
«23
partageât pas les préjugés de son époque contre les ré-
formés; son esprit, porté au mysticisme qui se serait fa-
cilement accommodé de la théologie de Lefèvre d'Etaples
et de Gérard Roussel, n'aurait pas été attiré vers le dogme
i;onevois, sévère de forme et de fonds. Le catholicisme,
avec sa symbolique , sa hiérarchie ecclésiastique et la pompe
de ses cérémonies, répondait mieux à ses instincts reli-
gieux. Il se manifeste aux époques das luttes religieuses
un esprit de parti qui rend aux hommes les plus réfléchis
l'exercice de l'examen très - difficile. Ces considérations
expliquent comment le jeune prêtre savoisien, plein de
science et de piété, a pu devenir, malgré les grossières
erreurs de son Église, son champion le plus brillant et
le plus vénéré. L'esprit comme le cœur a ses égarements.
A peine entré dans les ordres, François de Sales se
distingua de la plupart de ses confrères par la manière
dont il exerça son ministère; il visitait les pauvres, portait
le viatique aux mourants, prêchait fréquemment, et se
rendait recommandable par sa vie irréprochable. Il était le
modèle du prêtre catholique. Tel était l'homme sur lequel
Claude Granier, évèque de Genève, jeta les yeux pour
faire rentrer dans son Église les habitants du Chablais qui
s'en étaient séparés.
XIL
La contrée que Claude de Granier voulait conquérir à la
foi romaine devait au protestantisme sa régénération mo-
rale et intellectuelle; voici le portrait qu'en fait un histo-
rien de François de Sales, quand Farel, aidé de Fabri,
alla la soustraire au joug de Rome et la détacher de la
Savoie pour la donner à messieurs de Berne :
«Presque tous les monastères, tant d'hommes que de
femmes, et les prieurés conventuels de la Savoie et du
Genevois sont tellement déchus de la discipline régulière
et observance des ordres qu'à peine peut -on distinguer
les réguliers des séculiers, parce que les uns vagabondent
par le monde, les autres, qui demeurent dans leurs cloîtres,
vivent assez dissolûment avec un grand scandale du peuple.
C'est une merveille combien la discipline des réguliers e.st
dissipée en toutes les abbayes et prieurés de ce diocèse
224 HISTOIUE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
(j'en excepte les chartreux et les mendiaiils). L'argent de
tous les autres est réduit en ordures; leur vin est changé
en poison; ils font blasphémer les ennemis du Seigneur,
qui disent chaque jour : « où est le Dieu de ces gens-là?»
Sous le rapport d'argent les choses n'en vont pas mieux;
les habitants des montagnes crient que ceux-ci se nour-
rissent de leur lait, se couvrent de leur laine et ne
prennent aucun soin de leurs âmes. Les abbés et les
prieurs, à propos de revenus, ont continuellement entre
eux des procès, noises et querelles scandaleuses. Quant
aux religieuses, il est nécessaire qu'elles soient mieux
assistées spirituellement, et qu'elles ne demeurent pas
exposées au désordre de tant de visites vaines et dange-
reuses de parents et amis.»'
Sous l'influence régénératrice de la Réforme, le Chablais
s'était transformé. A dater de 1536, dit M. Gaberel, la
vallée du Léman subit une métamorphose complète. Na-
guère, le campagnard, plus esclave que le nègre d'Amé-
rique, ne possédait pas un pouce de terrain; le fruit de
son travail ne lui appartenait pas; sa femme et ses enfants
se trouvaient à la merci du seigneur. Les guerres entre
les comtes obligeaient les paysans à revêtir la cuirasse;
sans cesse ils devaient sacrifier leur vie pour des intérêts
absolument étrangers. Les sujets des moines et des abbés
n'étaient pas dans une condition meilleure. La violence et
la luxure régnaient dans les monastères aussi bien que
dans les châteaux. De leur côté, les marchands soufl"raient,
sans espoir de temps meilleurs, les vexations des châte-
lains; fréquemment dévalisés ou soumis à de fortes ran-
çons par les hommes d'armes, ils étaient obligés de se
munir de sommes considérables pour obtenir le passage.
Misère, vol, débauche, esclavage, abrutissement: tel était
le spectacle que présentait le pays genevois, lorsque les
Bernois, pareils au vent de leurs Alpes qui dissipe les
vapeurs empoisonnées, détruisirent pour jamais la tyran-
nie féodale en ravageant ses forteresses. Dès lors , les
agriculteurs, devenus propriétaires, connurent le bonheur
de recueillir le fruit de leurs peines sans que la main d'un
1. Histoire du bienheureux François de Sales, par Auguste de
Sales, sou neveu (Annecy 1032), p". 216, 361 , 473-474. — Ga-
berel, Histoire de l'église de Genève, t. Il, p. T)! 1-542.
LIVRE XXVI.
225
Diaîlre vint le leur ravir; ils savourèrent la joie toute nou-
velle de travailler en paix pour nourrir leurs familles; ils
purent voir leurs fils grandir, prendre des forces, sans
craindre la visite des valets armés chargés du recrutement;
ils purent se réjouir de la beauté de leurs filles, sans avoir
à redouter les regards du seigneur. A la place du moine
collecteur, et des fermages impitoyablemant exigés, les
gens du Cliablais recevaient la visite paternelle d'un mi-
nistre payé par l'État, et qui ne réclamait ni dime, ni
casuel pour son salaire. Les revenus des grandes terres
conventuelles ne disparaissaient plus dans les trésors mys-
térieux des abbés et des prieurs. Cet argent était employé
publiquement au bénéfice des pauvres et servait à payer
les instituteurs publics. Les cérémonies d'église ne coû-
taient rien ; les familles épuisées par les maladies n'avaient
point à craindre la ruine occasionnée par les frais d'ense-
velissement et du purgatoire. Le culte d'esprit et de vérité,
donné gratuitement par le Sauveur, était célébré sans que
l'argent vînt le souiller de sa triste influence. Un bien-être
matériel et religieux, auparavant inconnu, se manifestait
dans la vallée du Léman. '
XIII.
Ce fut dans cette contrée que François de Sales vint
exercer son activité. Il était éminemment propre à cette
œuvre; par sa famille, il appartenait aux premières maisons
de la Savoie; par sa science, il pouvait lutter avec la plu-
part des m.inistres protestants; par son éloquence douce,
persuasive, entraînante, il se préparait un accès dans les
cœurs; de plus, il allait prêcher la foi catholique aux sujets
de son souverain. Le grand obstacle qu'il avait à vaincre,
était de leur faire comprendre que leurs pères s'étaient
rendus coupables d'hérésie, quand ils avaient rompu avec
l'évèque de Rome. Il ne calcula pas les difficultés, alla en
avant, et fit son entrée dans le Chablais le 10 septembre
1594. Pour compagnon de travail il avait son parent le
chanoine Louis de Sales, pour armes de guerre, une Bible
1. Gaberel, Hist. de Genève, t. II, d. .
I, li-aiic ùi Jiyous
226 HISTOIRE DE LA RÉFOnMATlON FRANÇAISE.
et un Bellarmin. Les missionnaires, qui l'avaient précédé
dans ce champ de travail, virent en lui un Gédéon, et
fêtèrent sa bien- venue en exorcisant, suivant les formules
de l'Église latine, les malins esprits qui étaient dans la
contrée.
L'intrépide missionnaire résolut d'attaquer le protes-
tantisme dans son foyer, à Thonon. Mais il ne tarda pas à
comprendre que visites, exhortations, cérémonies pom-
peuses, rien ne trouvait l'accès du cœur des hérétiques
qui refusaient de l'entendre, et montraient souvent un
visage irrité; après deux ans de travaux, quatre [irolestants
seulement se décidèrent à abandonner la réforme; quel-
que temps après, l'avocat Poncet et le baron d'AvuUy firent
leur abjuration; mais ces deux conversions furent sans in-
fluence sur la masse des habitants du Chablais.
Dans son désappointement, le missionnaire catholique
écrivit au duc de Savoie : «Je vois bien, lui disait -il, ce
qu'il faut faire; il faut rétablir, en grand nombre, curés
et prédicateurs; car tel est l'état de voire Chablais, que
c'est une province ruinée. Quant à moi, j'ai déjà employé
vingt-sepl mois à mes propres dépens, en ce misérable
pays , alin d'y épancher la parole de Dieu selon votre
volonté; mais le dirai -je? j'ai semé entre les épines et
sur les pierres: certes, outre la recouverte de M. d'Avully
ou de l'avocat Poncet , ce n'est pas trop grand cas des
autres. Mais je prie Dieu qu'il nous baille une meilleure
fortune, et Votre Altesse, selon sa piété, ne permettra
point que tous nos efforts soient vains.»*
François de Sales avait épuisé tous les trésors de son
éloquence. Il était fatigué de semer «entre dos épines
et sur des pierres.» Il serait cependant demeuré à son
poste, si Charles-Emmanuel ne l'eût invite à venir auprès
de lui. Le duc le reçut avec une grande distinction, et
s'entretint longtemps avec lui , sur les moyens de réduire
le Chablais au catholicisme. Pendant son voyage, le prêtre
avait réfléchi ; il n'apportait à son maître , pour prix de
vingt-sept mois de dévouement, que six conversions dont
les causes eussent été peut-être peu honorables à divul-
guer. Le mode de procéder était évidemment luauvais, il
1. Gaberel, Hist. de l'Église de Genève, t. II, p. 600.
LIVRE XXVI.
227
fallait le changer. Le doux François de Sales fit au duc,
qui les accepta, les propositions suivantes :
«Il faut établir huit prédicateurs bien payés, qui n'aient
d'autre mandai que de prêcher sans cesse dans les villages
protestants;
«Les trente cures du Chablais doivent être pourvues de
pasteurs payés avec les revenus de l'église;
«La ville de Thonon a besoin de six ecclésiastiques;
«Le ministre Viret, de Thonon, doit être éloigné et
empêché d'avoir aucun commerce avec ses ouailles ;
«Il faut bannir le maître d'école protestant de cette
ville et mettre un jésuite à sa place, dès que faire se
pourra ;
«Des sénateurs devront assembler le conseil général
de Thonon, et inviter les bourgeois à écoutée les raisons
des missionnaires, de la part de Son Altesse, avec pa-
roles qui expriment la charité et l'autorité d'un si grand
prince ;
« Il plaira à Votre Altesse de faire aumône et libéralité
à quelques vieilles personnes qui ont toujours vécu catho-
liques au milieu des hérétiques ;
«Tous les hérétiques doivent être privés de leurs
emplois publics, et des catholiques favorisés mis à leur
place ;
« On baillera bon avancement dans les armes à la jeunesse
catholique du Chablais;
«Il faut semer la terreur parmi les habitants du Chablais
par de bons édits;
«Enfin Votre Altesse doit se montrer libérale envers les
nouveaux convertis. '
François de Sales était revenu à la manière de procéder
de son Eglise. Il retourna à Thonon ; cette fois il ne s'ap-
puya ni sur la Bible, ni sur Bellarmin, mais sur les
pouvoirs que lui avait conférés le duc.
Convaincu qu'il fallait procéder vigoureusement, il or-
donna de faire des préparatifs à Saint-Hippolyte pour y cé-
lébrer la messe. Le peuple indigné s'ameuta. Les magistrats
effrayés, craignant que les habitants de Thonon ne se
1. Vie de Sales, par Auguste de Sales, p. 117. — Original, Ar- <
chives de Turin.
228 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
portassent à quelques excès , reprochèrent vivement au
missionnaire sa conduite, et lui dirent que, d'après le
traité de Nyons, il ne pouvait s'emparer de l'église qu'avec
leur consentement.
Celui que depuis on a appelé un «agneau», déroula à
leurs yeux les parchemins contenant ses pleins pouvoirs:
«Voici, leur dit-il en les leur montrant, les pouvoirs écrits
de mon maître ; prenez garde à lui obéir, si vous voulez
conserver vos tètes.»'
L'agneau était devenu loup : le prêtre se retrouvait dans
le doux François qui, dès lors, fit plus de conquêtes avec
les ordonnances de son souverain qu'avec son Bellarmin,
Avec ces parchemins, il se fit ouvrir les portes des églises
jusqu'alors fermées à son éloquence que ses biographes
nous disent avoir été divine; et il put écrire à son maître
lii'S lettres qui le réjouirent. Ce que le zèle du mission-
iiaire n'avait pu faire , la main de l'inquisiteur l'accom-
plit. Le Chablnis eut ses petites dragonnades; on ouvrit
les églises de force, on y rétablit la messe , on chassa les
pasteurs et les instituteurs; François de Sales triompha de
foules les résistances, mais il blessa au cœur son église.
Deux siècles et demi ont constaté que le catholicisme ne
|ieut entrer en lutte avec la Réforme qu'avec des armes
qui déshonorent le parti qui s'en sert et qui blessent tou-
jours la main qui les manient.
La conversion du Chablais donna au missionnaire savoi-
«ien une grande célébrité parmi les hommes de son parti;
et lui-même, enivré de sa victoire qu'il attribuait à ses
prédications multipliées, dut se croire, entre les mains
de Dieu, un ministre dévoué de ses miséricordes. Ses
coreligionnaires, privés d'hommes zélés, firent de lui,
pendant sa vie, un bienheureux, et se le représentèrent
comme un apôtre, l'auréole au front. De son vivant même,
la légende s'empara de sa vie.
XIV. •
Si François de Sales eût eu le pouvoir de faire des mi-
racles, il s'en fût servi certainement, lorsqu'il reçut mis-
1 Gaberel, Hi.^t. de l'église de Genève,. 1. II, p. 603.
LIVRE XXVI.
229
sion du pape de conquérir Genève en ramenant le vieux
Tliéodore de Bèze au catholicisme.
Le vieillard huguenot supportait admirablement le far-
deau des années. Sa piété forte et vivante lui donnait la
jeunesse perpétuelle du chrétien. Les yeux de toute la
Réforme française étaient arrêtés sur cet homme qui, de-
puis tant d'années, la représentait si dignement; une pa-
role de lui était reçue avec un religieux respect , toujours
méditée et presque toujours écoutée. On savait que le dis-
ciple de Calvin n'avait pour but, comme son maître, que la
i;loire de Dieu. Il jouissait donc de cette grande et univer-
selle popularité qui est le lot ordinaire des hommes émi-
nents, quand ils l'acquièrent sans l'avoir ni désirée, ni
recherchée ; aussi les catholiques, pour jeter l'alarme au
milieu des protestants, firent courir plusieurs fois le bruit
que leur réformateur avait embrassé la religion catholique.
De Bèze ne s'en émouvait pas ; mais une fois on propagea
partout la nouvelle comme si certaine, qu'il crut devoir
démentir ces faux bruits en flétrissant ceux qui les col-
portaient. '
François de Sales accepta la mission du pape et partit.
Il n'avait avec lui ni sa Bible, ni son Bellarmin, car il ne
s'agissait pas de convaincre le vieillard, mais de le tenter;
il arriva à Genève et se présenta chez le réformateur qui
le reçut avec sa politesse habituelle et le laissa un mo-
ment seul dans son cabinet.
Un portrait frappa les yeux du jeune missionnaire : c'é-
tait celui de Calvin, au bas duquel étaient ces vers:
Hoc vultu hoc kabitu Calvinum sacra docentem
Geneva fœlix audiit,
Ctijus scripta piis tolo celebrantur in orbe
Malis licet ringcalibus.^
François de Sales prit un crayon, et en modifiant trois
mots, ht d'un éloge la satire suivante :
1 . n fit à cette occasion un petit pamphlet intitulé : Beza redi-
vicKs (Bèze ressuscité) , semé de traits lins et mordauts.
2. Ceci représente Calvin enseignant des choses saintes, que
Genève heureuse, écouta. Les écrits du graùd homme sont adini-
i-< s du monde relis.ieus tout eiiUa*.
230 HISTOIIIE DE LA RÉFOHMATION FRANÇAISE.
Hoe vultu hoc hahitu Calvinum insana docentem
Geneva démens audiil,
Cujus scripla piis lolo damnantur in orbe
Malis licel ringenlibus.*
Quand de Bèze rentra . r rsr.ccîs de Sales lui montra le
changement qu'il avait fait dans le quatrain; le vieillard,
qui aimait la poésie et qui avait excellé dans la satire, en
rit de bon cœur.
Après cet incident, qui n'eut pas de suite, la conversa-
tion s'engagea sur les questions qui divisaient les protes-
tants et les catholiques; les interlocuteurs se comportèrent
en vrais gentilshommes, mais comme ils partaient de deux
points diamétralement opposés, il était impossible qu'ils
pussent arriver à une solution. Bèze admira la facilité d'é-
locution du prêtre savoisien; celui-ci, la science et la pré-
cision du reformateur. Quand François de Sales vit que
son éloquence n'atteignait pas son but, il dit : «Peut-
être, Monsieur, craignez-vous que si vous retournez dans
l'Église catholique, les commodités de la vie ne vous
manquent. »
Le vieillard jeta sur le jeune homme un regard étonné.
Le prêtre prit ce regard pour un commencement d'ad-
hésion. Il ajouta : «Oh, Monsieur, s'il ne tient qu'à cela,
selon l'assurance que j'en ai do Sa Sainteté, je vous porte
parole d'une pension de quatre mille écus d'or tous les
ans ; outre cela, tous vos meubles seront payés au double
de ce que vous les estimerez.»
En entendant ces paroles , le vieillard jeta sur le jeune
homme un regard où une majesté sévère se mêlait au mé-
pris... Du doigt il lui montra sa bibliothèque vide :
«Mes livres, lui dit-il, ont été vendus pour subvenir
aux besoins de mes frères , les réfugiés français. »
Puis se levant, i! lui montra sa porte : <iVade relro, Sa-
tanasD^, lui dil-il.
Le missionnaire sortit désappointé, et sous le double
1. Ceci représente Calvin enseignant des choses vaines, que
Genève en démence écoute. Les écrits de Calvin sont damnés du
monde religieux tout entier.
2. Eu arrière de moi, satan.
LIVRE XXVI.
231
poids du mépris et de l'indignation de l'homme que les
catholiques pouvaient hair, mais qui leur avait ôté, par sa
vie intègre, le droit de le mépriser.
Les hommes qui accommodent l'histoire à leurs pas-
sions , ont raconté à leur manière l'entrevue du prêtre et
du théologien réformé; naturellement ils ont donné au
premier le beau rôle, et comme ses tentatives de conver-
tisseur n'avaient pas réussi, ils ont dû en dire les causes.
Les voici. Nous citons une page de la Société des bons
livres.
«Le pape ne croyant rien au-dessus des forces de saint
François de Sales, lui donna commission d'aller conférer
à Genève avec Théodore de Bèze, presque aussi renommé
que Calvin, et de ne rien épargner pour l'engager de ren-
trer dans le sein de l'Église où il était né. L'exécution n'é-
tait ni sûre, ni facile; mais ces considérations ne furent
jamais rien pour François de Sales, quand il s'agissait de la
gloire de Dieu. Plein de foi et de courage, il partit pour
Genève le plus tôt qu'il lui fut possible : il arriva heureuse-
ment chez Bèze, comme ce ministre était seul. On conféra
longtemps et toujoursavecbeaucoup d'honnêteté. Après celte
entrevue dont François augura bien, de Bèze le pria in-
stamment de revenir. Il revint en elTet et jusqu'à trois fois,
mais sans avancer beaucoup plus que la première , du
moins pour le salut de ce misérable apostat. Dans une
quatrième visite que lui fit le saint évèque de Genève, le
triomphe de la vraie foi devint plus sensible. Le morne
silence que de Bèze garda sur tout ce qu'on lui disait de
plus pressa'nt , marqua qu'il reconnaissait la vérité. Mais
ses yeux baissés et la rougeur de son front, où se peignait
son cœur bourrelé de remords, firent conjecturer en même
temps qu'il tenait àl'erreur par des liens dont on n'eût ja-
mais soupçonné ce vieillard presque octogénaire ; et le
trait suivant montra bientôt la vérité de cette conjecture.
Deshaies , gouverneur de Montargis, se trouvant à Genève
pour les aiîaires du roi, contracta une étroite amitié avec
ce ministre au moyen de la belle humeur dont ils étaient
l'un et l'autre. Dans une de ces conversations badines où
l'on peut tout hasarder. Deshaies lui demanda ce qui pou-
vait attacher un homme tel que lui à la triste Réforme de
Calvin. De Bèze ne répondit rien, il se leva, et faisant en-
232 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
trer une jeune fille fort belle: Voilà, dit-il, ce qui nie
convainc de la boulé de ma religion!»'
La haine est rarement clairvoyante... Dans son aveugle-
ment, elle se frappe de ses mains et devient son propre
accusateur. Si le vieillard huguenot eût eu les passions
d'un jeune homme , il n'eût pas été une citadelle impre-
nable; mieux qu'un autre, il savait que Rome connaît les
accommodements avec le ciel. Quel lien eût donc pu le re-
tenir dans l'austère ciié de Calvin, où sa vie se passait
comme sur la place publique ? On a honte de s'arrêter à
de pareilles calomnies.'
Les Genevois avaient dans Charles-Emmanuel un ennemi
plus dangereux que François de Sales. Ce prince n'avait
jamais, malgré ses insuccès, renoncé au projet de s'em-
parer de leur ville. C'était devenu chez lui une idée fixe
qui lui fit fouler aux pieds le respect que les peuples se
doivent quand leurs rapports internationaux s'exercent sous
l'empire des traités écrits ou tacites.
Ce fut sous le double empire du fanatisme et d'une am-
bition iijsaliable que ce prince se prépara en pleine paix
à s'ciiîuarcr de Genève. 11 lui fallait pour aîleindre son but
endormir la vigilance des Genevois; ce n'était pas facile.
La connaissance qu'ils avaient de son caractère, leur était
!a confiance qu'on donne à un ennemi loyal et généreux;
tout ce qui se passait autour d'eux, les tenait en éveil et
rendait plus difliciles les projets de leur dangereux voisin.
Charles - Emmanuel , informé de leur vigilance, profita
d'un jubilé qui se célébrait à Thonon ponr organiser la
prise de Genève; il espérait qu'au milieu de cet immense
concours de curieux, de pèlerins, il pourrait enrégimen-
ter ceux qui devaient concourir à l'expédition. Pendant
que le clergé demandait à Dieu de faire descendre sur son
1. Anecdotes chrétiennes ou traits d'histoire clioisis par l'abbé
Reyre, l'aris, 1825, în-12, faisant partie delà collection des ou-
vrages publiés par le comité des bous livres, comité présidé par
vu pair de France sous la restauration. — Voir aussi IjuUctiu de
l'histoire du protestantisme français, année 1859, p. 281. —
t. VII, p. 227 et 369.
2. Gabercl, Hist. de l'église de Genève, t. 11, p. 640 et suiv.
LIVRE XXVI.
233
peuple sa bénédiction, l'évêque de Genève, Claude de
Granier, prenait exactement le nom de tout arrivant,
Lorrain, Suisse, Savoisien, Turinois, Bourguignon, Fran-
çais; quand il s'était assuré que la dévotion seule l'avait
attiré à Thonon pour y gagner des indulgences attachées
au jubilé, il enflammait son imagination en lui parlant de
Genève. «C'est cette ville maudite qu'il faut prendre, lui
disait-il; de sa chute dépend celle de l'hérésie.» Le prélat
lui dévoilait alors le plan de la conjuration qui avait l'ap-
probation du souverain pontife ; et après lui avoir fait
prêter serment sur l'hostie, il lui disait: «Ange du ciel,
porte au royaume clément ceux qui obéiront. Marie, sainte
mère de Dieu, tu puniras par le supplice éternel ceux qui
trahiront leur serment. » *
Les Genevois ne virent pas sans appréhension la tenue
du jubilé; ils se doutèrent que quelque complot se tramait
contre leur ville. Plusieurs d'entre eux allèrent à Thonon
et se mêlèrent à la foule des étrangers qui aflluaient de
toute part. Les catholiques s'attendaient à la prochaine
conversion de leurs hérétiques voisins.
Le duc crut avoir fait prendre le change aux Genevois
sur le mouvement des troupes sur lesquelles il comptait
pour surprendre la ville ; il arrêta en conséquence le
24 août 1600 pour le jour de l'exécution.
Ce jour -là deux artificiers français, gagnés par ses
agents, devaient mettre le feu à deux mines creusées par
eux : la première, sous la tour du boulevard du Pin, près
le collège; la seconde, sous le bastion de la porte Neuve.
La charge de poudre devait produire une explosion telle
que les habitants, sous le poids de la stupeur, ne pense-
raient qu'à abandonner la ville qui, au même instant,
vivement attaquée par les soldats de Charles-Emmanuel,
serait prise sans résistance'. Ce complot fut découvert : les
artificiers ne durent leur salut qu'à la fuite. Cet échec ne
découragea pas Charles-Emmanuel. Conseillé par un gentil-
homme, nommé d'Albigny, il étudia des plans qu'on lui
soumit pour surprendre la ville hérétique; le suivant mé-
rite d'être mentionné.
1. De superventu allobrogum in urbem Genevam (1603).
2. Archives de Turin, Genève, 1"= catégorie, paquet 19. —
Moyens proposés à Son Altesse pour la prise de Genève.
234 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
On aurait construit un char dont on aurait déguisé
la nature en plaçant sur des barils de poudre des volailles
et des légumes. Au jour convenu , un paysan l'aurait conduit
dans la ville où soixante soldats déguisés en paysans l'au-
raient précédé; arrivés à la porte de Rive, cinq hommes
auraient mis le feu aux poudres; au bruit de l'explosion,
cent arquebusiers savoisiens cachés aux environs se se-
raient emparés de la port^ et l'auraient gardée jusqu'au
moment ou quatre mille hommes, partis dans la soirée des
villes voisines , seraient arrivés pour leur prêter main forte
et préparer par la prise de la ville une entrée triomphale
à leur souverain.
XVI.
Les Genevois qui , en quelques mois, avaient failli devenir
deux fois la proie de leur implacable voisin, redoublèrent
de vigilance et lui firent comprendre qu'à l'avenir avec eux
la ruse serait impuissante. Le duc ne renonça pas à ses
projets, et recourut à la force. Il fit préparer à Turin tous
les engins nécessaires pour une escalade. On construisit
sous ses yeux des échelles longues et solides garnies à
leurs extrémités de drap noir et de crampons; par un mé-
canisme simple et ingénieux, elles s'emboîtaient comme
dans un étui, en sortaient avec facilité et atteignaient une
hauteur calculée sur celle des remparts de Genève. On
construisit également des claies portatives qui, posées sur
l'eau, servaient de bateaux plats et pouvaient porter cha-
cune un certain nombre de personnes. C'était au moyen
de ces engins qu'une escalade devait être tentée. Quelque
bien gardé que fut le secret, le bruit en vint aux oreilles
des Genevois qui plus que jamais se tinrent sur leurs
gardes; mais leur vigilance fut endormie par un traître
et par un conseiller du duc de Savoie. Le premier était
leur syndic, Blondel, qui s'était lâchement vendu à l'en-
nemi de sa patrie; il se moqua hautement des craintes de
ses concitoyens qu'il traita de chimériques; le second était
le président de Rochette qui, par une conduite irrépro-
chable, avait conquis la confiance des Genevois. Le duc,
par ses promesses, était parvenu à le rendre complice de
ses fourceries. L'honnête homme, devenu fripon à l'école
LIVRE XXVI.
235
de son souverain, entra dans Genève comme un nouveau
Sinon et parvint à rassurer les Genevois. «Ne craignez
rien, leur dit-il, vivez en paix, personne plus que Charles-
Emmanuel ne veut la conservation de vos libertés.»
Le conseil auquel il tenait ce langage lui répondit: «Les
faits nous annoncent la guerre, vos paroles la paix; votre
maître est un traître. »
Alors le président prit Dieu à témoin de la sincérité de
ses paroles. « Dieu me damne , dit-il , et que sa colère et
celle de tous les saints tombent sur moi et sur toute ma
famille, si la paix n'est pas parfaitement sûre.»
L'accent de vérité avec lequel il prononçait ces paroles,
sa vie passée, qui en était le plus sûr garant, rassurèrent
les Genevois qui commencèrent à croire que les grands
préparalifs de guerre n'étaient pas faits contre eux. A des
jours de terreur succédèrent des jours de paix, pendant
lesquels Charles-Emmanuel se prépara habilement à con-
sommer la ruine de la ville huguenote. De nombreuses
milices qui ignoraient le but de l'entreprise furent éche-
lonnées dans divers quartiers; quand l'heure de les mettre
en mouvement fut arrivée, Bernolière, leur chef, se fit
administrer en leur présence l'extrême onction sur la place
d'armes de Bonne.
Les soldats, frappés du spectacle inaccoutumé d'un
homme bien portant qui se fait administrer le viatique des
mourants, furent vivement impressionnés; c'est ce que
voulait Bernolière qui, après la cérémonie, leur dévoila,
dans un langage passionné et éloquent, le but de l'entre-
prise. «Amis, leur dit-il en terminant, la victoire dépend
d'une heure de courage et de bonne volonté. » '
Electrisés par les paroles de leur commandant, les
soldats et les gentilshommes répondirent à la proposi-
tion de leur chef par des acclamations; nouveaux croi-
sés, ils brûlaient du désir de délivrer Genève des mains
des hérétiques; ils se sentaient capables de tout affronter.
Pour cette grande œuvre la couronne du ciel devait être
la récompense de leurs efforts; ils se mirent en marche.
Charles-Emmanuel, qui les avait précédés en partant
1. Vrai discours sur l'entreprise, Lausanne 1602. — Récit latiu
de 1603. — Manuscrit Naville.
236 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
incognito de Turin, attendait ses soldats à Étrembières.
Ses insuccès passés lui donnèrent des craintes qui s'éva-
, nouirent quand il vit arriver les principaux conjurés qui
ne doutaient pas du succès.
XVII.
Les Genevois ne pensaient pas au danger imminent dont
ils étaient menacés. Les paroles de paix du président Ro-
cheite, la confiance apparente du syndic Blondel leur fai-
saient croire au moins à une paix momentanée; et d'ailleurs,
qui eût pensé qu'après deux complots découverts , presque
coup sur coup, Charles-Emmanuel fût prêt à entrer dans
leur ville par le sommet de ses remparts comme un loup
dans une bergerie. Ils dormaient donc en paix , sous la
foi des traités, quand leur ennemi se préparait à envahir
leur ville.
A la faveur des ombres de la nuit, d'Albigny et Berno-
lière s'étaient approchés de Genève dans le plus grand
silence; ils étaient suivis de trois cents soldats d'élite qui
portaient les mystérieuses échelles, les claies et les fascines
destinées à combler les fossés. Deux cent cinquante autres
soldats armés de piques, de marteaux et de haches les
suivaient; ils étaient couverts de cuirasses et de cottes de
maille, afin de pouvoir opposer une longue résistance,
jusqu'au moment où le gros des troupes arriverait pour les
seconder. Leur fanatisme décuplait leurs forces et les
rendait capables de tout tenter, même l'impossible. Jamais
la ville de refuge des protestants n'avait couru un plus
grand danger; ses ennemis la croyaient déjà en leur pou-
voir. Dans l'ivresse d'une victoire qu'ils n'avaient pas en-
core gagnée, ils avaient apporté avec eux tout l'attirail des
cérémonies de leur culte; des chariots en étaient chargés.
Des moines et des prêtres n'attendaient que la prise de la
ville pour purifier Saint-Pierre des souillures des hugue-
nots ; ils avaient imité Philippe II , allant avec sa flotte
rendre à la Grande-Bretagne la vieille foi de ses pères.
Le même esprit produisait les mômes causes.
Qitnnd Bernolière crut que Genève é'ait plongée dans
LIVRE VXVI.
237
un profond sommeil, il s'avança intrépidement avec sa
troupe jusqu'au pied des remparts de la Corraterie , ce qui
lui fut rendu facile, h cause de la boue durcie par le
froid; il ne voulait pas commencer l'opération de l'es-
calade avant d'être certain qu'il pouvait le faire sans
être entendu; le moindre signal d'alarme pouvait tout
compromettre. Il frappa avec une pierre à coups redoublés
sur la muraille, prêta attentivement l'oreille et n'eut d'autre
réponse que le silence. Au bruit qu'il faisait, sa main ne
tremblait pas, mais son cœur palpitait; il renouvela plu-
sieurs fois l'expérience; chaque fois il tendit l'oreille et
n'eut d'autre réponse que le silence. «Blondel, se dit-il, a
été fidèle; c'est par ici que nous devons entrer dans la ville,
ce côté du rempart n'est pas gardé.» Il donne alors le signal,
les échelles sortent de leurs étuis et se déboîtent; fixées
solidement sur les claies, elles s'élèvent jusque sur le
sommet des murs. Au pied de ces échelles un jésuite
écossais, le père Alexandre, encourage les soldats. «La
mort, leur dit-il, ne peut vous atteindre, vous en avez
pour garant ces amulettes que je vous donne. Un gentil-
homme, M. de Jannat, monte le premier. Une pierre du
rempart détachée par la pression de l'échelle tombe sur
lui en faisant un grand bruit.'
Un sentiment d'anxiété se manifeste parmi les Savoi-
siens; mais il est bientôt suivi par un moment de grande
confiance. Le rempart n'est pas gardé; on se hâte; c'est
à qui aura l'honneur de monter le premier. En quelques
instants, et au milieu du plus profond silence, deux cents
hommes ont atteint le sommet des remparts. Bernolière,
qui connaît les lieux, s'avance à pas de loup vers une gué-
rite située à cent pas environ de la porte Neuve, se jette
sur la sentinelle et l'égorgé avant qu'elle ait le temps do
crier au secours.
L'intrépide commandant ne doute plus du succès; il ex-
pédie un de ses soldats pour apprendre sa première opé-
ration à d'Albigny qui arrivait à Plainpalais avec le gros
de sa troupe. Celui-ci croit la ville prise, et dans l'excès
de sa joie il envoie à Charles-Emmanuel un courrier pour
lui apprendre cette grande nouvelle.
1. Note X,
2^8 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
La confiance est un puissant auxiliaire; Bernoliêre et
d'Albigny en manquèrent. Au lieu d'attaquer la ville à
l'improviste et de jeter au miii-eu de ses habitants une
terreur panique qui eût paralysé leurs forces, ils convin-
rent d'attendre le matin pour combiner leurs efforts; cette
fausse manœuvre les perdit, et fit échouer leur entreprise
si heureusement commencée.
Vers deux heures du matin, une lueur parut au loin sur
les remparts; c'était une ronde de nuit. Les conjurés n'hé-
sitèrent pas, ils s'avancèrent rapidement et se jetèrent
sur les soldats genevois. Un coup de feu partit; le tambour
de la ronde s'échappa, battit de sa caisse en courant, et
jeta l'alarme dans la ville. Bernoliêre, voyant le complot
découvert, donna le signal de l'attaque. Ses soldats, armés
de marteaux et de haches, se mirent à enfoncer les portes
de la Monnaie, de la Treille et de laTertasse, et pénétrè-
rent dans les avenues de la Corraterie. Les Genevois,
réveillés au milieu de la nuit, ne consultèrent que leur
courage; à demi vêtus, à demi armés, ils disputèrent
chaque pouce de terrain; on lutta corps à corps; on se
battit à coups d'arquebuse, de marteau, de hache, de
pieux, de pierres; tout devint arme sous la main des com-
battants; d'un côté, c'était la rage du fanatisme qui faisait
faire aux Savoyards des prodiges de valeur; de l'autre,
c'était un ardent amour de l'indépendance qui faisait
do chaque Genevois un héros; et tout cela se passait au
son sinistre du tocsin, à la clarté des lampes qui brillaient
à chaque fenêtre de la ville. On allait à la mort sans hé-
siter. Un Genevois était à peine hors de combat, qu'un
autre prenait sa place; les femmes elles-mêmes se mê-
lèrent à la lutte et lancèrent des meubles et des pierres
sur les assaillants. L'une d'elles saisit la marmite dans
laquelle elle préparait la soupe, la lance de sa fenêtre sur
un Savoyard, lui en fait un casque et le tue.
Le Genevois se multiplia; il fit face à tout; pour lui, le
danger n'existait pas, quoique tout fut danger pour lui;
partout il opposa une résistance vigoureuse, opiniâtre; au
milieu du tumulte , sa fureur ne lui ôta pas sa présence
d'esprit; l'instinct du péril le rendit tacticien. Un canon,
chargé de mitraille jusqu'à la gorge, balaya les échelles et
ferma aux assaillants l'une de leurs issues; un soldat vau-
LIVRE XXVI.
239
dois, nommé Mercier, laissa tomber la herse de la porte
Neuve, au moment où un pétard allait partir et ouvrir
une large brèche aux Savoyards. Tout servait les Genevois,
jusqu'à'^la fierté des soldats espagnols que d'Albigny voulait
faire entrer dans la ville par les échelles. « Nous sommes
trop nobles, répondirent leurs chefs, pour entrer ailleurs
que par la porte, d
D'Albigny, qui jusqu'à cette heure avait déployé l'habi-
leté d'un conspirateur et le courage d'un soldat, perdit
confiance; il tenta un dernier et suprême effort; mais il ne
tarda pas à comprendre que tout était perdu ; les Genevois
semblaient se multiplier; de chaque fenêtre partaient des
coups de fusil, qui mettaient les Savoyards hors de com-
bat; des masses de bourgeois se ruaient sur eux, les re-
foulaient bravement vers les remparts et ne leur laissaient
d'autre ressource que de se précipiter dans les fossés.
Frémissant de rage, d'Albigny se retira lentement; il
rencontra, près des fossés, Charles- Emmanuel , qui, ne
dout-nnt pas de sa victoire, avait ordonné à sa musique
militaire déjouer des fanfares.
« En arrière, Monseigneur, lui dit d'Albigny, en arrière,
tout est perdu; l'armée me suit en déroute.»
«Misérable butor! lui dit le duc hors de lui; vous avez
fait une belle affaire;» et sans prononcer une autre parole,
il tourna le dos à la ville, dans laquelle il croyait entrer
en triomphateur.
Quel retour que celui de ce prince déloyal , qui ne ren-
contrait sur son passage que les arcs de triomphe qu'on
avait élevés pour le fêter! Jamais punition ne lut plus
méritée.
XVIII.
Dieu avait encore une fois sauvé Genève. En la délivrant
il éparana au monde les horreurs épouvantables dont la prise
de cette cité eût été suivie; car Charles -Emmanuel qui,
vaincu, inscrivit dans l'histoire, le 12 décembre 1602, la
pnse la plus honteuse de son règne, eût, vainqueur, inscrit
ce'jour-lk la page la plus sanglante de sa vie. Ses soldats
eussent renouve'lé les scènes les plus douloureuses de la
sinistre ann^e 1572, et Rome, dans la joie de ce grand
1240 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
événement, eût entonné un solennel TeDeum, et com-
mandé à un nouveau Vasari, de lui peindi'e un nouveau
massacre d'hérétiques pour faire le pendant du trop cé-
lèbre tableau sur lequel on lit encore aujourd'hui ces
mots : Hugonotorum strages.'
Le lendemain de cette nuit célèbre, c'était dimanche;
les Genevois étaient sous l'empire de sentiments divers :
l'étonnement, l'indignation, la douleur, agitaient leurs
cœurs; c'étaient des cris de fureur contre Charles-Emma-
nuel , dont ils accompagnaient la fuite avec des malé-
dictions, et le regret de ne l'avoir pas fait prisonnier;
c'étaient des larmes répandues sur les cadavres de leurs
généreux frères qui avaient fait échouer, au prix de leur
sang, les ruses infâmes du prince savoyard. On contemplait
avec respect et émotion le corps ensanglanté de ces nobles
victimes du dévouement à la patrie. On se racontait tout
ce qu'on savait de cette nuit terrible ; on se disait les
noms de ceux qu'on voyait morts, les armes encore dans
leurs mains.
Au milieu de ces émotions si légitimes, les cloches, à
l'heure accoutumée, appelèrent les citoyens au service
divin; ils se précipitèrent en foule dans leurs églises pour
rendre grâces à Dieu de leur merveilleuse délivrance. Les
pasteurs n'entretinrent les fidèles que de la bonté de
Dieu qui avait veillé sur leur ville. A Saint -Pierre, les
assistants ne virent pas sans émotion , de Bèze se lever pour
prendre la parole. A sa vue , il se fit un silence profond , qui
fiermit à la voix du pieux vieillard de se faire entendre ; tous
es yeux étaient arrêtés sur cet homme dont la vie n'était
qu'un dévouement journalier à la cause de la République,
et qui honorait, dans sa personne , la noble cause à laquelle
il avait tout sacrifié ; il était courbé sous le poids des an-
nées; mais, chez lui, le cœur n'avait pas vieilli, et ce
cœur, dans ce moment, débordait de reconnaissance pour
le Dieu , qui avait protégé sa chère patrie. Ses paroles ne
furent que l'écho de ses sentiments; elles touchèrent vi-
vement l'assemblée dont l'émotion fut au comble quand
elle chanta avec le vieillard le psaume 24, approprié aux
circonstances :
1. Massacre des huguenoil.
LIVRE XXVI.
241
Des conjurés les rapides torrents
Eussent sur nous cent et cent fois passé ;
Mais gloire à Dieu qui n'est plus courroucé,
Et qui n'a point permis à nos tyrans
D'engloutir tout comme ils l'avaient pensé.
Genève fit de belles funérailles aux citoyens morts au
service de la patrie; toute la ville y assista et témoigna
par sa présence, son recueillement, et ses larmes, le haut
prix qu'elle attachait à leur dévouement.
XIX.
Pendant cette lugubre et solennelle cérémonie, les pri-
sonniers savoisiens attendaient, dans leur prison, qu'on
statuât sur leur sort; ils auraient eu peut-être la vie
sauve, si des bruits de nouvelles trahisons n'avaient circulé
dans la ville , et si on avait ignoré la promesse que d'Al-
bigny avait faite à ses soldats de leur abandonner, pendant
deux jours, la ville à discrétion; les magistrats cédè-
rent devant la pression du peuple : les prisonniers (ils
étaient au nombre de treize, tous gentilshommes) furent
condamnés à être pendus; au moment suprême, ils recon-
nurent et confessèrent leur faute, et moururent avec cou-
rage. Genève se fiit montrée aussi grande qu'elle avait été
intrépide, si elle les eut renvoyés avec mépris; cepen-
dant leur supplice fut légal. Ils furent pendus, non comme
soldats, mais comme brigands et assassins.
La nuit du 12 novembre fit une impression tellement
profonde dans les cœurs des Genevois, que son souvenir
est devenu un héritage de famille. Chaque année, leur ville
célèbre l'anniversaire de cette grande nuit. Cependant les
fêtes ne sont réellement fêtes que quand elles ont des rai-
sons d'être. Sans doute, Genève serait coupable, aujour-
d'hui, si elle perdait le souvenir de sa délivrance; mais
fait- elle bien de célébrer encore sa fête de l'Escalade? Si
les particuliers doivent pratiquer l'oubli des injures, les
peuples ne doivent - ils pas les précéder dans cette noble
voie? La Savoie d'aujourd'hui n'est plus la Savoie de
Charles -Emmanuel ; elle marche avec son gouvernement
libéral h la tète des idées les plus généreuses. Pourquoi
Genève coiiîinuerait-elle, le 12 novembre de chaque année,
7.
242 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
à lui rappeler la perfidie de son ancien duc? pourquoi
cet outrage public jeté au passé d'un peuple, son plus près
voisin et son fidèle allié? Quand les temps changent, les
habitudes doivent changer; vouloir conserver ce qui n'a
pas de raison d'être, c'est un anachronisme, et un peuple
intelligent ne doit pas en commettre. Le Genevois donc,
qui proposerait à ses concitoyens l'abolition de la célé-
bration bruyante de la fête de i'Escalade, et son remplace-
ment par un service religieux, dans lequel les pasteurs
rappelleraient les bienfaits de Dieu, en demandant, pour
Genève et la Savoie, ses plus précieuses bénédictions,
ferait l'acte d'un bon citoyen.
Quand la nouvelle de l'insuccès du guet-apens de Charles-
Emmanuel fut connu, les Églises de France envoyèrent
leurs félicitations à la ville. Celle de Metz, joignant les actes
aux paroles, lui envoya le produit d'une abondante collecte.
Henri IV, qui avait cru la ville de Genève déjà au pouvoir
du duc de Savoie, ne dissimula pas son indignation, et
jura que le duc ne conserverait pas sa conquête. Quand il
apprit la déroute du prince , il bondit de joie et dit dans
son patois gascon au député qui lui en apporta la nouvelle :
Vos y etiasV
— Oui, sire, répondit M. de Chapeaurouge , et tous les
traîtres qui sont dans la ville ont péri.
— Va benl ajouta le roi, y sont tos pendus, y è ien
fait. '
Les Genevois, forts des promesses de Henri IV, prirent
l'offensive et portèrent la guerre jusqu'au cœur de la
Savoie. Charles-Emmanuel, couvert de honte aux yeux de
l'Europe, accablé de reproches de la part de ceux de ses
conseillers contre l'avis desquels l'escalade avait eu lieu,
fut contraint de faire un traité de paix avec Genève; il le
signa à Saint-Julien le 21 juillet 1603. Sa main tremblait
de rage; la joie des Savoisiens, en apprenant cette heu-
reuse nouvelle, lui disait mieux que toute parole, que
l'écrasement marche devant l'orgueil. La paix était signée,
mais Genève demeura défiante : le passé lui en faisait une
nécessité et un devoir.
1. Vous y étiez.
2. Cela va bien ... ils sont tous pendus , c'est bien fait.
IIVRE XXVI.
243
XX.
Après l'escalade , Théodore de Bèze vécut encore près
de trois ans, attendant, chaque jour, la venue de son
maître, et s'y préparant par la prière et la méditation de
la parole sainte. 11 ne paraissait renaître aux choses de la
terre que pour s'occuper des affaires de sa patrie adoptivé
qu'il chérissait de l'affection du proscrit, quand il trouve
sur la terre étrangère la liberté et des cœurs pour l'aimer.
Il avait dépassé l'âge où les vieillards descendent ordi-
nairement les froides marches de la tombe. Mais ce vieil-
lard, qui paraissait inutile à la république, était pour elle
comme le palladium de ses libertés. Elle entourait ses der-
niers jours de respect et d'admiration, sans que jamais le
pieux vieillard ne s'enorgueillit des beaux dons qu'il avait
reçus de son Dieu : sa seule joie fut de les consacrer au
service du maître qui, comme un tison ardent, l'avait
retiré du feu-, et lui, qui avait tant écrit, tant agi, porté
si souvent le fardeau de toutes les églises, se regardait
comme un serviteur inutile, et ne trouvait sa paix, sa joie
et son assurance qu'en Jésus-Christ, mort pour ses péchés,
ressuscité pour sa justification.
L'espérance, qu'il avait placée dans le Sauveur seul, ne
fut pas trompée; il récolta, à la fin de sa longue journée,
ce qu'il avait si souvent semé avec larmes.
Ses nuits étaient extrêmement pénibles à cause de ses
fréquentes insomnies; il savait alors accélérer les heures
en pensant à son Dieu , et en méditant comme David ses
saints commandements; avec le prophète, il répétait
ces paroles : «Je bénis l'Éternel! Ses conseils font le
sujet de mes pensées durant les veilles de la nuit; mon
âme est tranquille; ton souvenir. Seigneur, est présent à
mon esprit; je pense à toi; tu as été mon aide; je tres-
saillerai de joie à l'ombre de tes ailes.»
Le vieillard se préparait au départ; mais il pensait à la
tombe, comme le matelot au port: depuis longtemps il
savait, que par de là celte terre de misère, il y a un lieu
où la justice habite; c'est là qu'il reverrait Calvin, Farel,
Marlorat, Pierre martyr, tous ces nobles compagnons de
travail ; c'est là surtout qu'il verrait Jésus , l'agneau de Dieu ,
244 HISTOIRE DE LA RIÎFOKMATION FRANÇAISE,
et alors son âme tressaillait de joie et d'allégresse et la |
sombre vallée de l'ombre de la mort, vers laquelle il s'a- |
vançait, s'éclairait d'une vive lumière, semblable à celle de
Bethléem, la nuit où les anges, au milieu du concert des
cieux, annoncèrent aux bergers la venue du Rédempteur. |||
Soutenu par le sentiment de la présence de Dieu , Théo- l|'
dore de Bèze attendit dans la prière et le recueillement I
l'heure suprême; elle vint enfin; son dernier soleil se leva '
le 13 octobre 1605. Quand les ministres Lafaye et Perrot
aperçurent sur ses traits les avant-coureurs de la mort,
ils prévinrent la compagnie des pasteurs qui vint une der- (i
nière fois saluer le collègue qui, pendant tant d'années, (
l'avait dirigée avec tant d'habileté et de désintéressement.
Un suprême entretien eut lieu entre les pasteurs et le
mourant, sur l'excellence de la connaissance de Jésus- ;
Christ. Il fut très-touché de cette marque d'intérêt, et „
s'humilia comme un petit enfant : «Pardonnez-moi, leur
dit-il, les fautes et les erreurs que j'ai commises pendant
mon long ministère.»
Des larmes coulaient de tous les yeux; mais ces larmes
étaient moins l'expression de leur profonde douleur que
celle de leur vive reconnaissance à l'égard de Dieu qui ,
pendant de si longues années, leur avait prêté dans le ré-
formateur un conducteur ferme, habile, prudent, qui les
avait aidé à retirer Genève des grands périls qui avaient
si souvent menacé son existence ; il leur retirait sans
doute l'instrument de ses miséricordes, mais il le faisait,
quand leur vaisseau, battu par tant d'orages, avait jeté
glorieusement l'ancre dans le port.
La présence de ses compagnons de travaux dans le mi-
nistère ranima le mourant, mais ce ne fut qu'un éclair; le
lendemain il s'informa selon son habitude, de l'état de la i
ville (depuis l'escalade il était devenu craintif). On lui dit
que tout y était paisible; «que le Seigneur en soit béni»,
dit-il , et il prit un léger repas à la suite duquel survint
une défaillance. On le coucha; quelques moments après
il s'endormit.'
Genève porta le deuil de son réformateur auquel elle fit
de splendides funérailles. Les larmes et les regrets de tout
1. Note XI.
LIVRE XXIV.
245
un peuple furent son oraison funèbre, la seule qui fût
digne de lui ; ses restes mortels lurent déposés au cloître
de Saint-Pierre, quoiqu'il eût demandé d'être enseveli au
cimetière de Plain-Palais , près de son maître Calvin. Les
Genevois n'exécutèrent pas sa dernière volonté parce que
les Savoisiens avaient menacé de détruire son corps et de
l'envoyer à Piome.'
XXI.
Comme la tombe de Calvin, celle de Bèze est toujours
ouverte. C'est à qui des ultramontains lui jetera la pierre
et ramassera la boue jetée à la face du réformateur par les
Bolsec, les Claude Sainctes, les Coster; mais le jour de la
justice est venu pour l'homme qui fut, pendant un demi-
siècle, le directeur pieux, intelligent et dévoué des réfor-
més français. Cet homme ne fut pas sans doute irrépro-
chable: moins que tout autre il se crut infaillible. Plusieurs
fois, dans ses controverses avec ses adversaires, il fut
caustique, âpre, mordant; dans l'ardeur de la lutte, il ne
sut pas toujours se modérer et souvent il s'abandonna au
mauvais goût et aux mauvaises habitudes de son siècle; et
cependant, cet homme dont la plume était un fer acéré, était
doux, simple, gai, et malgré sa supériorité, se faisait
aimer de tous ceux qui l'approchaient, parce que, tout en
étant une remarquable personnalité, il n'était pas per-
sonnel.
Un écrivain qui ne s'est pas montré bienveillant pour
lui, lui rend justice : «Bèze, dit Sénebier, eut des vertus et
des talents qui l'auraient rendu célèbre dans tous les
temps, mais il ne sut pas se préserver des vices de son
siècle'; il se distingua par sa douceur, sa modération et
sa fermeté ; il fil admirer son intégrité et son courage
contre les vices et les vicieux; il fut comme Calvin, la co-
lonne de l'église de Genève, et une lumière pour le con-
seil qui le consultait; il était prédicateur éloquent, poëte
ingénieux, critique pénétrant, théologien érudit, savant
infatigable, négociateur estimé, quand il n'était pas ques-
1 . Kote xii.
2. Par vices l'auteur eutend sans doute les écarts des contre -
Tersistes.
2i'6 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
tion de religion ; en général , il fut plus savant qu'original,
il avait plus d'imagination que de génie.»'
Ce jugement porté sur de Bèze par un écrivain qui fut,
à son égard, moins un historien qu'un critique, est au-
jourd'hui celui de tous les hommes honnêtes et conscien-
cieux. Si de Bèze n'eût été que l'homme dont les Audin
et les Bolsec nous tracent le portrait, depuis longtemps le
silence se ferait autour de sa tombe.
XXII.
Quelques années après la mort du réformateur, le prêtre
qui, jeune, avait voulu le tenter, achevait à Lyon son pélé-
rinage terrestre. Devenu évèque, il n'était pas demeuré
oisif: écrivain, orateur, missionnaire, directeur de con-
sciences, administrateur, il avait suffi à tout; jusqu'à sa
dernière heure il travailla et ne trouva le repos que dans
sa tombe. Il était à Lyon, venant d'Avignon et se rendant
à Annecy, quand sur le point de partir, il sentit les pre-
mières atteintes de la maladie qui devait l'emporter. Elles
se mnnifcslèrent par une attaque d'apoplexie qui effraya
ses amis.
Le coup qui l'avait subitement frappé, avait amorti ses
facultés, sans lui en ôter l'e.xercice. Dans le sentiment du
danger qui menaçait sa vie, il élevait son âme à Dieu et
s'écriait: «Mon Dieu, lave-moi de mon iniquité, purifie-
moi de mon péché.»
«l'.Ionseigneur, lui dit un prêtre, quant à votre con-
science, vous y avez mis bon ordre pendant votre vie.»
«Ah! non pas cela», répondit-il en poussant un profond
soupir. Il faisait l'expérience que l'homme en face de Dieu
n'est qu'un frêle roseau, un lumignon que le moindre
souffle de vent peut éteindre.
Un autre prêtre le pria de dire à Dieu: «Seigneur, si jé
suis encore nécessaire, conserve-moi à mon peuple.»
Il ne le voulut pas. «Je ne suis, dit-il, qu'un serviteur
inutile.»
Sur un lit de mort, les grands docteurs ajiprennent plus
de vraie théologie que dans leur cabinet. Là, ils deviennent
1. Haag, France protestante, art. Bèze.
LIVRE XXVI.
247
petits enfants, et le Seigneur, en les remplissant de sa
plénitude, leur fait comprendre avec tous les saints, la
hauteur et la profondeur, la longueur et la largeur de l'a-
mour que Dieu nous a témoigné en Jésus - Christ; ils
sentent alors que leur science a été bien bornée, et ils
apprennent, en quelques heures, plus de vraie théologie
que durant les années pendant lesquelles ils se sont cour-
bés sur leurs livres. Pour la première fois peut-être,
François de Sales découvrait qu'au milieu de sa vie labo-
rieuse, il n'était qu'un serviteur inutile, et sans doute
aussi pour la première fois, il secoua son demi-pelagia-
nisme pour ne regarder qu'à Jésus seul. «Je sacrifie,
dit-il, tout à Dieu, je sacrifie ma mémoire et mes actions
à Dieu le père , mon entendement et mes paroles à Dieu
le Fils, ma volonté et mes pensées à Dieu le Saint-Esprit,
mon corps, ma langue, mes sentiments et mes souffrances
à l'humanité de Jésus-Christ, lequel a livré pour moi son
corps aux tourments et à l'arbre de la croix.»
A cette heure de sa vie, l'évêque de Genève proclamait,
à son insu, la grande doctrine de l'expiation qui renverse
par sa base tout l'édifice de la dogmatique romaine. A ce
moment suprême de sa vie, il oublia les médiateurs de son
Église, et concentrant ses regards sur la croix, il s'adressa
à celui qui donne le pardon et la vie; à lui seul, il voulut
tout donner, tout sacrifier, parce qu'il sentait qu'au mo-
ment de la calamité, il était sa seule arche de salut.
L'un des prêtres qui le soignait , témoin de ses dispo-
sitions, en fut surpris.
«Monseigneur, lui dit-il, que sentez-vous de la foi ca-
Ihohque? Ne seriez-vous point devenu huguenot?
A ce mot de huguenot, le malade qui sans s'en douter,
ne voyait son salut que là où les Calvin, les Luther, les
Farel, les Bèze l'avaient trouvé, s'écria : «0 la lie! je ne le
fus jamais.» Il fit un sigiu de croix, et ajouta : «Ce serait
une trahison.»
Pendant le cours de sa maladie, il n'eut sur les lèvres
que les paroles des livres saints. « Éternel mon Dieu , di-
sait-il avec David, je chanterai éternellement ta miséri-
corde, mon corps et ma chair exalteront le Dieu vivant.»
Il ne demanda ni confesseur, ni prêtre pour lui ad-
ministrer l'extrème-onction ; — son âme était en commu-
248 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
nion avec son Sauveur dans lequel il plaçait toute son
espérance; il oubliait les cérémonies de son Église; qu'au-
rait-il fait des hommes quand, s'entretenant avec son
Dieu, il faisait la douce expérience que le Christ «est
le chemin, la vérité et la vie», et que Dieu l'a donné au
pécheur afin qu'il fût «sa sagesse, sa justice, sa sanctifi-
cation et sa rédemption.»
Après une vie de fatigues et de combats, François de
Sales trouvait à sa dernière heure le vrai Jésus , celui qui
ne fait acception de personne , et se montre toujours
plein de compassion pour ceux qui , comme l'évèque de
Genève, dans un zèle aveugle mais sincère, consacrent
leurs jours à annoncer un Évangile incomplet. Dieu re-
garda à sa droiture, et quand le missionnaire catholique
concentra ses regards sur la croix, il sentit une paix di-
vine pénétrer son cœur, et comme l'apôtre Paul, il ne
voulut savoir autre chose « que Jésus - Christ et Jésus-
Christ crucifié. »
Sa douceur, sa patience inaltérable, sa confiance en
Dieu firent l'étonnement de tous ceux qui l'entouraient de
leurs soins les plus affectueux. « Il semblait , dit le père
La Rivière , un agnelet dans son lit, il faisait tout ce qu'on
voulait, il souffrait tout ce qu'on voulait sans se plaindre
le moins du monde. On le tourmenta tant pour remédier
à celte apoplexie, on l'affligea tant, on le martyrisa tant,
qu'on n'y saurait penser sans mal de cœur. On lui souffla
de la poudre au nez diverses fois, qui le fit éternuer coup
sur coup douze ou quinze fois avec une grande vio-
lence et ébranlement de tout le corps. On lui déchira
les jambes et les épaules à force de les lui frotter, levant
l'emplâtre de cantharides qu'on lui avait appliqué sur la
tête; on lui arracha la première peau, et comme on lui
eut demandé s'il sentait le ma! qu'on lui faisait, il répondil
fort doucement : « Oui, que je le sens. » On lui dit que le
médecin avait ordonné qu'il prendrait une médecine , il
répondit: Faites ce que vous voudrez au malade, et n'ayant
su auparavant avaler un bouillon qu'il ne le rendit aussitôt,
il s'efforça néanmoins d'obéir, et prit cette médecine à
reprises avec une cuillerjusqu'à la dernière goutte. On lui
appliqua deux fois le fer chaud sur la nuque, et une fois
le bouton ardent sur le haut de la lète jusqu'à l'os qui en
UVRE XXVI.
249
fut brûlé ; jamais pourtant il ne fronça le front, ni fit sem-
blant de se douloir'; seulement on lui entendit dire bel-
lement: Jésus, Maria, et lui vit-on tomber de grosses
larmes des yeux, excité par la véhémence de la douleur.,
mais son visage resta toujours paisible, content et tran-
quille.
Enfin, se sentant défaillir, il tourna la tête du côté de
M. Pernet, lui serra la main et lui dit : «Monsieur Pernet,
advesperascit , et incUnala est jam dies;y> voulant signi-
fier, que le jour de cette misérable vie était presque fini
pour lui, et qu'en bref, il s'allait clore tout à lait. De quoi
s'apercevant, le révérend père dom Philippe Malabaila, de
l'ordre des Feuillants, commença à se mettre à genoux et
à dire les litanies des saints avec ceux qui étaient là pré-
sents. Et comme il fut à omnes sancti Innocentes orate pro
eo*, il se répéta par trois fois, d'autant que c'était le jour
des Sacrés Innocents, et à la troisième fois ce bienheureux
évêque rendit l'esprit entre les mains de son époux Jésus,
si doucement, si suavement qu'à peine s'en aperçut -on,
l'an mil six cent vingt -deux (le vingt -huitième de dé-
cembre, à huit heures du soir, le cinquante -sixième de
son âge et le vingtième de son épiscopat. Ledit père
Feuillant lui ferma révéremment les yeux et lui rendit les
derniers devoirs.'
Ainsi se termina la vie de cet homme remarquable qui
combattit pendant si longtemps et sans relâche, la foi
réformée, et qui, à son insu, l'embrassa au moment su-
prême. Dieu regarda à sa droiture comme il avait regardé
à celle de Corneille, et il se fit trouver à lui comme au
pieux centenier. François de Sales avait du sang chrélieu
dans les veines,, car sous le chaume et la paille des tradi-
tions de son Église, il découvrit le fondement d'or de
l'Évangile sur lequel les réformateurs avaient élevé leur
édifice religieux. Là se trouve l'explication de sa vie, mé-
lange singulier de piété et de puériHtés. 11 mécanisa la
religion et crut pouvoir l'enseigner comme on enseigne
une science humaine. Ce fut moins un travers de son cœur
1. Plaindre.
2. Vous tous saints innocents priez pour lui.
3. Histoire de Saint-Francois de Sales, par le Père La Rivière,
liv. IV, p. 661-G6Î.
250 HISTOIRE DE LA RÉFORMATÏÔN FRANÇAISE.
que le tort de son éducation. Si quelque chose, enfin, doit
nous donner une haute idée de sa vie spirituelle, c'est qu'il
ait pu saisir tant de rayons de la vérité chrétienne, quand,
entre elle et son âme il y avait toutes les ombres du roma-
nisme. Il fallait que cette âme soupirât après Dieu comme
le cerf altéré après les torrents d'eau, pour avoir trouvé
une oasis dans les déserts arides du catholicisme du moyen
âge! Tout ce que l'évêque de Genève a écrit de bon, de
grand et de beau, il l'a tiré des livres saints et des dogmes
qui sont communs aux trois grandes communions de la
chrétienté. Quand il aborde les autres sujets, il est faible,
souvent ridicule.
XXIII.
Deux siècles et demi nous séparent de l'époque oii
François de Sales ramena le Chablais à la foi romaine et
s'acquit, dans son diocèse et dans le monde catholique,
une réputation que les années n'ont pas affaiblie; mais le
Chablais a-t-il beaucoup gagné en abandonnant la Réforme ?
Pour décider cette question, il faut comparer Annecy à
Genève, c'est-à-dire, le travail de François de Sales à
celui des réformateurs; ils ont tous travaillé sur le même
sol, respiré le même air, parlé la même langue. Si Rome
est l'orthodoxie et Genève l'hérésie, l'arbre doit se faire
connaître à ses fruits, le bon n'en portera pas de mauvais,
le mauvais n'en produira pas de bons : c'est là une règle
infaillible.
Le Christ n'est pas venu apporter au monde les ténèbres,
puisqu'il est la lumière, ni la mort, puisqu'il est la vie;
comment se fait-il donc que Genève se soit placée, par sa
moralité et sa science, à la tête du monde civilisé, et
qu'Annecy et son territoire n'aient pas même un nom
dans la carte littéraire? A quelle trace reconnaît-on le fruit
des œuvres du bienheureux François ? Quels hommes cé-
lèbres sa ville épiscopale a -t- elle produits? Par quelle
invention savante et ingénieuse s'est -elle fait connaître?
Ce qui se voit chez elle, n'est-ce pas ce qui frappe le voya-
geur en Suisse, quand il traverse les cantons catholiques.
Genèveades citoyens riches, même opulents; la fortune
n'est pas un litre pour aller au ciel , elle est plutôt un
LIVRE XXVI.
251
obstacle pour n'y pas aller; mais la pauvreté des Chablai-
siens ne les a rendus ni plus moraux, ni plus instruits: et
si les Genevois l'ont toujours emporté sur eux en bien-
être matériel, ils l'ont aussi emporté ea instruction et en
moralité; ils ont donc tout gagné à recevoir la Réforme,
quand leurs voisins ont tout perdu en la proscrivant.
La science a ses périls et ses écueils; mais ne vaut-elle
pas mieux qu'une superstition grossière et ignorante? Le
culte en esprit et en vérité ne l'emporte-t-il pas sur celui
qu'on rend à de vaines reliques, au bois ou à la pierre?
Genève a des collèges florissants, des académies renom-
mées, des écoles nombreuses; ces institutions ne répon-
dent pas toujours pleinement à ce qu'on pourrait attendre
d'elles; mais ces centres de lumières ne valent -ils pas
mieux que des écoles de frères et des séminaires où Ton
en est encore pour l'instruction aux traditions du moyen
âge?
L'dumône peut être quelquefois fastueuse et pharisaïque ;
mais Genève, où l'on donne largement dans les temps de
calamité publique, n'a-t-elle pas une supériorité marq^uée
sur Annecy?
D'où proviennent ces différences notables entre le pays
de l'hérésie et le pays de l'orthodoxie? Ne serait-ce pas
qu'on se trompe sur les mots, et que Genève, en passant
à la Réforme, aurait cessé d'être hérétique pour devenir
orthodoxe?
Il y a plusieurs manières de faire del'apologétique; l'une
des plus simples, parce qu'elle est à la portée des esprits
les plus vulgaires, et des plus frappantes, parce qu'elle
est sans réplique , c'est de juger l'arbre par ses fruits. —
Revenons en France.
252 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
LIVRE XXVÏI.
I.
A la fin de l'année 1600, Marseille présentait un aspect
inaccoutumé: une foule immense attendait sur les quais,
avec l'impatience particulière aux habitants du Midi, la
flottille qui amenait en France la reine Marie de Médicis,
fille de feu François, grand-duc de Toscane. A la sortie
de son navire qui, par la beauté de ses décorations, rap-
pelait celui de Cléopâtre, la princesse italienne fut com-
plimentée par les seigneurs et les dames de la cour que le
roi avait envoyés à Marseille pour la recevoir. Ils lui for-
mèrent un brillant cortège qui l'accompagna jusqu'à l'ap-
partement somptueux que la ville lui avait préparé.
La reine séjourna à Marseille jusqu'au 16 novembre.
Henri IV, pendant tout ce temps, traita magnifiquement
les personnes de sa suite.'
Marie de Médicis quitta Marseille et se dirigea vers
Avignon où on lui fit une réception fastueuse. Les jésuites
parurent oublier dans cette circonstance l'arrêt qui les
avait bannis du royaume; ils se firent les ordonnateurs
des fêtes qui attirèrent dans la ville un concours de visi-
teurs aussi nombreux qu'à l'époque de la célèbre procession
des Battus où Henri III et sa cour assistèrent.
Les révérends pères avaient tiré du nombre sept des effets
merveilleux; on l'avait observé partout: dans les présenta-
tions, dans les repas, dans les bals, dans les arcs de triomphe;
il ne pouvait être que d'un très-bon augure pour la reine.
En effet, la ville qui la recevait avec tant de magnificence
avait sept portes, sept églises, sept paroisses, sept hos-
pices, sept couvents de filles, sept collèges; le roi, son
époux, avait sept fois sept ans, il était le neuf fois septième
roi depuis Pharamond; il avait gagné la bataille d'Arqués
1. De Thou indique le chiffre de 7000 tant Français qu'étran-
gers, liv. CXXV, p. 407.
1
LIVRE XXVII.
253
le trois fois septième jour du mois; à Ivry son armée se
composait de sept escadrons, et il avait vaincu Mayenne
le deux fois septième jour de mars; il avait donné la bril-
lante bataille de Fontaine-Française le mois de juillet qui
est le septième de l'année, et le même mois il avait ab-
juré à Saint-Denis; le vingt-sept février il avait repris
Amiens aux Espagnols, et le trois fois septième jour de
juin il avait fait la paix avec l'Espagne. Quant à la reine,
elle était aussi sous l'influence bénie du nombre mysté-
rieux : Elle avait vingt-sept ans; son aïeul, Ferdinand,
avait été le septième empereur d'Autriche; elle avait abordé
à Marseille avec une escadrille de dix-sept galères, et la
capitane qu'elle avait montée avait vingt-sept pas de lon-
gueur et vingt-sept rameurs de chaque côté.'
Les pères ne durent pas sans doute oublier que le ciel
avait sept planètes, l'Église romaine sept sacrements et la
semaine sept jours. Ces puérilités drolatiques donnent une
idée peu élevée du genre d'esprit de cette époque; en tout
cela, ce qu'il y avait de plus vrai c'est que la princesse
amenait avec elle en France les sept péchés capitaux.
François Suarès' harangua Marie de Médicis au nom du
clergé et lui souhaita un Dauphin avant la fin de l'année.
La reine lui répondit en italien : Pregate il Dio accio me
faccia quesla grazia. ^
Le mardi 21 novembre elle assista à une grande solennité
musicale dans la salle du palais de Rouvre; le légat du
pape qui avait l'honneur d'être son hôte fit suivre le
concert d'un bal, à la fin duquel il lui ménagea une mer-
veilleuse surprise. A un signal donné, et avec la rapidité
d'un changement de décoration à vue, les tapisseries de
la salle disparurent et découvrirent aux yeux émerveillés
de la reine trois tables couvertes de toutes sortes d'ani-
maux, de poissons et de statues de dieux, de déesses et
d'empereurs en sucre. ■*
Après trois jours de séjour, la reine quitta Avignon et
se dirigea vers Lyon où elle arriva le 2 décembre. La ré-
ception fut digne de la seconde ville du royaume; mais
1. De Thou, liv. CXXY, p. 40S.
2. Célèbre jésuite.
3. Priez Dieu qu'il me fasse cette grâce.
4. L'Estelle, année IGOO. ■
IV.
8
254
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
quel que fut le bon vouloir des échevins, les fêtes ne
furent pas aussi sp'ù.idides que celles qui s'étaient faites
sous l'influence du nombre o^pt.
Pendant que la reine faisait son entrée triomphale en
France , Henri IV était occupé à terminer la guerre qu'il i
soutenait contre le duc de Savoie. Les Genevois, témoins \ i
, des combats qui se livraient à quelques heures de leurs
frontières, étaient inquiets du séjour que certains seigneurs (
catholiques faisaient dans leur ville; leurs noms leur rap- [ t
pelaient les persécutions sanglantes de leurs frères de i s
France. Un jour ils virent arriver Rosny avec une escorte I (
de cent chevaux; sa présence les rassura: «Messieurs, i
leur dit-il, tenez vos cœurs en repos; le roi a trop bonne i
volonté pour vous et a trop autorité parmi les siens pour il
croire que personne osât rien entreprendre à votre pré- (
judice; toutefois, pour vous ôter tout doute, je ne partirai *
pas d'ici que tous ces gens ne soient dehors.»' |f
Le lendemain une députation, en tète de laquelle se trou- ; |t
vait Théodore de Bèze, alla trouver le roi. Rosny la présenta fi
au monarque qui lui fit un accueil bienveillant et gracieux. f
«Sire, lui dit de Bèze d'une voix émue, nulle éloquence l
de paroles humaines n'étant capable d'e.xalter vos louanges p
jusqu'au sommet du mérite de vos œuvres admirables, et it
mon style étant trop bas et ma voix trop faible pour l'émi- )i
nence et magnificence des vertus de Votre Majesté, que »
l'univers publiera sans cesser, tout ainsi qu'elle ne cesse i l'i
jamais de produire des actions dignes de gloire et de l-
louange, je laisserai aux saints anges la célébration des n
éloges qui lui sont dus pour avoir tiré les Églises du > f
Seigneur d'oppression, et avoir acquis aux enfants de Dieu 1 1
une ample liberté pour le servir selon ses divins préceptes,
et pour l'invoquer uniquement en trinité de personnes; et
partant me contenterai ès choses humaines de dire comme
Siméon ès divines :
1. C'étaient Messieurs d'Épernon, Guise, de Biron", d'Elbœuf et
de la Guiche.
J
LIVRE XXVII.
255
Or laisse Créateur
En pais ton serviteur.
Puisque mes yeux ont eu
Le crédit d'avoir vu
Avant que de mourir
Le Sauveur
Et le libérateur.
de nous vos très-humbles serviteurs, des fidèles en géné-
ral , voire de toute la France. »
Le roi écouta de Bèze avec une bonté respectueuse.
«Mon père , lui répondit-il, ce peu de paroles, grandement
signifiantes, étant dignes de la réputation que M. de Bèze
s'est acquise au bien dire, je les reçois avec le gré, la
grâce et les tendres ressentiments qu'elles méritent, et
vous dirai qu'ayant les rois , mes devanciers , toujours tenu
votre ville en leur protection, je suis non-seulement résolu
de les imiter en cela, et toutes autres choses dignes de la
gloire d'un roi de France; mais aussi d'ajouter en sa fa-
veur tous autres effets dignes de cordiales affections, que
[ je sais que vous avez toujours tous eues pour moi. En quoi
je veux que celui que je tiens par la main, qui vous a
présenté et qui vous aime tous, serve de solliciteur, et
que vous parliez à lui des choses que vous désirerez de
moi , lesquelles seront bien difficiles , si vous ne les obtenez
pas. Je sais déjà bien, lui dit-il tout bas à l'oreille, ce que
vous désirez le plus de moi (car vous lui en aviez déjà
parlé) c'est la démolition du fort Sainte-Catherine qui
TOUS tient en échec. Force gens me veulent persuader de
l'en rien faire, et vois bien que c'est par malice; aussi n'y
li-je nul égard. Je vous aime et veux faire pour vous, s'il
ta quelque chose qui vous accommode, en ce que j'y con-
juêterai près de votre ville; et dès à présent je vous donne
na foi et ma parole, que qui en parle le fort Sainte-Ca-
lierine sera démoli; et voici un homme (vous tenant par
î main) en qui vous vous fiez bien, et avez raison, à qui
î le commande dès à présent, et le ferai plus expressé-
lent 'jiiand il sera temps. » *
De Bèze remercia le roi avec une grande effusion de
œur; des larmes de reconnaissance coulaient des yeux
u vieillard qui prit congé du roi et alla rapporter à ses
1. Sully, Économies royales, année 1600.
25G
HISTOIRE DE LA RÉFOnMATlON FRANÇAISE.
concitoyens les paroles du monarque. Les Genevois se le-
vèrent comme un seul homme et coururent vers le fort
qu'ils rasèrent avec tant de promptitude qu'on apprit, dit
de Thou, sa démolition avant même qu'on sût que le roi
avait le dessein de le détruire.'
III.
Le roi, impatient de voir sa nouvelle épouse, qu'il ne
connaissait que par son portrait, se rendit le 9 décembre
à Lyon où elle l'attendait. En le voyant, elle se jeta à ses
genoux; il la releva avec bonté en s'excusant d'être arrivé
si tard. Le lendemain le mariage fut célébré avec une
grande pompe dans l'église cathédrale de Saint-Jean. Le*
illusions du roi furent courtes. Son regard vif et pénétrant
lui révéla de suite que la princesse italienne n'était pas la
femme dans laquelle il aurait voulu trouver l'idéal de la
reine: Elle n'avait de Catherine de Médicis ni la grâce, ni
l'esprit, ni l'intelligence; elle était grosse de taille et de
figure; ses yeux étaient grands, mais ronds, fixes, sans
vivacité et sans douceur; elle ne parlait pas le français;
son entourage acheva de le désillusionner.'
Ce mariage fut une calamité nationale et une condam-
nation éclatante des mariages officiels des rois. Les pré-
jugés séculaires, quand ils ont pour base l'orgueil, do-
minent les princes à leur insu. Henri IV se serait épargné :
bien des maux si, rompant ouvertement avec les cou-j
tûmes de son époque, il eût placé la couronne royale sur
le front pur et chaste de la fille d'une des grandes maisons
de France ; il eût pu faire cela pour une maîtresse dans une
heure de caprice ou de folle passion; il n'était pas au-dessus
des préjugés de son siècle pour le faire en prince sage eU
réfléchi. m
IV. i
Au milieu des préoccupations causées par la guerr»
avec le duc de Savoie et le mariage du roi, les protestantsi
1. De Thou, liv. CXXV, p. 411. — D'Aubigné, Hist. univers.i
liv. V, ch. 9, p. 658. — Spon, Hist. de Genève, t. II, liv. nd
p. 352. , I
2. L'Estoile, année 1600. — Sully, Économies royales, t. lu,
p. 896.
LIVRE XXVII.
257
avaient les yeux sur les commissaires chargés de l'exécu-
tion de l'édit dans les provinces. Leur assemblée de Sau-
mur se faisait rendre, jour par jour, compte de la manière
dont ils remplissaient leur mandat; elle craignait que les
choses se tissent trop vite et trop légèrement; elle se plaignait
surtout de ce qu'on n'avait pas fait jurer à tous les officiers
publics obéissance à l'édit. Craignant qu'une négligence
sur un point si capital ne nuisît considérablement à ses
intérêts, elle voulut se transporter à Loudun; le roi ne le
lui permit pas, et lui ordonna de se séparer, quoique un
synode national, qui se tenait à Gergeau', eût ajouté ses
instances aux siennes; devant la volonté royale, les députés
durent céder.
Les assemblées politiques des réformés déplaisaient au
roi ; il craignait qu'elles ne fussent pour quelques seigneurs
protestants un moyen d'exercer une trop grande influence
sur leurs coreligionnaires; mais ces derniers les regar-
daient comme indispensables à leurs intérêts, parce que
dans leurs synodes provinciaux et nationaux ils ne pou-
vaient s'occuper que d'a.Taires de dogme ou de discipline
ecclésiastique. Il y avait donc antagonisme entre eux et le
roi qui autorisa cependant la tenue d'une assemblée à
Sainte-Foy.
Cette assemblée se réunit dans cette dernière viilc le
16 octobre 1601. Les députés étaient au nombre de trente-
cinq : deux pour le Berry et l'Orléanais ; trois pour La
Rochelle; deux pour la Provence; deux pour la Norman-
die; trois pour le haut Languedoc et la haute Guyenne;
trois pour la Bretagne; deux pour l'Anjou et la Touraine;
trois pour la Saintonge; deux pour le IJauphiné et un pour
le Vivarais.
L'assemblée dressa des cahiers dans lesquels elle de-
mandait le rétablissement de l'édit tel qu'il avait été accordé
à Nantes, signala l'inexactitude des commissaires et l'op-
fiosition que son e.xécution rencontrait chez quelques par-
ements; elle nomma deux députés: Saint -Germain et
Desbordes-Mercier, et les chargea «de poursuivre con-
jointement, au nom de toutes les églises, tout ce qui
concernait le bien général et particulier de chaque pro-
1. Ce synode se tint du 9 au 21 mai 160S.
258 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
vince, de présenter les cahiers dressés en la compagnie;?
d'en solliciter la réponse et de se gouverner en tout,
suivant le règlement adopté par l'assemblée et les instruc-
tions qui leur seraient baillées.»
Elle dressa ensuite les instructions des députés géné-
raux, s'occupa du rétablissement des conseils provinciaux,
arrêta les bases de leur organisation et rédigea les cahiers
que Saint-Germain et Desbordes-Mercier devaient présen-
ter au roi. Ces cahiers étaient au nombre de trois : par le
premier, elle demanda le rétablissement de l'édil de INanles
dans sa première forme et teneur; dans le second, elle
traita des points concernant les articles secrets de l'édit
dont le roi s'était réservé la connaissance ; dans le troisième,
elle exposa les plaintes des protestants touchant l'inexécu-
tion de l'édit et les modifications qu'on lui faisait subir.'
L'assemblée se sépara après avoir pourvu avec un re-
marquable dévouement à to\is les besoins de la cause; ses
deux représentants se rendirent à Paris où ils furent ac-
cueillis gracieusement par le roi , qui reçut leurs cahiers
et leur ht des réponses favorables , mais refusa de rendre
l'édit à sa première forme, attendu que les changements
qui y avaient été apportés ne détruisaient pas sa nature et
avaient facilité sa vérification.
V.
Le règne des trois derniers Valois avait rendu la France
semblable à une mer qui, battue par la plus violente des
tempêtes, est encore agitée quand le vent qui l'a soulevée
est tombé. Henri IV avait soumis les partis sans les fondre ,
Les huguenots étaient toujours sur un pied de défiance ;
les ligueurs étaient des sujets peu sûrs; les seigneurs roya-
listes enfin, h la tête desquels étaient le maréchal de Biron,
se plaignaient que le roi eût soldé plus largement la sou-
mission de Mayenne que leur fidélité; ils ne cachaient pas
leur mécontentement, Biron surtout. Ses plaintes étaient
toujours en rapport avec son état de gène qui n'avait
d'autre cause que sa prodigalité, à laquelle la liste civile
d'un roi eût à peine suffi.
1. Anquez, Histoire des assemblées politiques des réformés de
France, p. 210.
LIVRE XXVH.
259
«Charles-GontautBiron, dit Capefigue, avait un caractère
indomptable: il était orgueilleux et fier de son origine,
avec un besoin sans cesse renaissant d'éloges, de pouvoir
et d'argent; il avait toutes les prodigalités de la vie de
gentilhomme; il aimait les chevaux à tout crin et de race;
dans ses accès de colère, il eût précipité femme, fille, roi
ou prince de la tour du Chàtelet, ou du bourdon de Notre-
Dame sur le pavé , et vu sans émotion la cervelle jaillis-
sant sur les dalles ensanglantées. Comme Henri IV il eût
mis ses terres et ses châteaux sur le sol, le pendu, la
mailemort du Tarot ou le roi de coupe et de deniers; il
aimait les travaux pénibles, les exercices violents ; il restait
à cheval quinze heures de suite : vie aventureuse commen-
cée dans les camps et qui ne pouvait s'assouplir aux ré-
gularités d'un revenu fixe et d'un gouvernement économe.»'
Ce fut sur ce seigneur ambitieux, prodigue et ruiné que
Charles-Emmanuel jeta les yeux quand, en 1598, il vint
à Paris pour intriguer. Il présenta de grands appâts à son
ambition pour l'engager à trahir son souverain. Il lui pro-
mit l'une de ses filles en mariage avec 500,000 écus de
dot et l'érection de son gouvernement de Bourgogne en
principauté indépendante. Le but du duc de Savoie était
de reconstituer la ligue et d'agrandir ses domaines de tout
ce que les chances favorables de la guerre lui donne-
raient. Sa première proie devait être Genève. Rome et
Madrid furent initiées au complot. Le danger était grand.
Henri IV devait être attaqué à Timproviste par les Espa-
gnols, les Savoisiens et les seigneurs complices de Biron.
Cette entreprise, qui menaçait l'Europe et le protestan-
tisme de nouveaux malheurs, fut découverte: ourdie au
mois d'août 1601, Lesdiguières en avait connaissance
le 14 octobre suivant' par un seigneur romain devenu
rotestant. Ce gentilhomme lui déclara que le pape éla-
orait un projet qui avait pour but l'extermination des
réformés. Quelques mois plus tard, un ami de ce seigneur,
devenu aussi protestant, arrivait en poste à Paris pour
prévenir Henri IV que les troupes du duc de Savoie et du
1. Capefigue, Hist. de la ligue et du règne de Henri IV, t. VIII,
p. 230.
2. Gaberel , Hist. de l'église de Genève , t. H, p. 472. — Registres
du Conseil, 14 octobre 1601.
260
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
roi d'Espagne étaient prêtes à l'attaquer. «Votre Majesté
très-chrétienne, lui dit-il, est regardée comme un hypo-
crite; l'excommunication doit la frapper; ses enfants seront
regardés comme illégitimes; et Genève, qu'elle s'obsline
à protéger, tombera au pouvoir de Charles-Emmanuel.»'
Le roi ne pouvait croire qu'on eût osé en pleine paix
ourdir un projet si criminel; et que Biron, l'homme qu'il
avait comblé de ses bienfaits, fût en France le principal
chef de la conspiration; mais devant les faits, ses yeux
s'ouvrirent. Un gentilhomme, nommé Lafm, confident et
complice de Biron, vendit chèrement au roi son secret,
qui le lui solda par une grosse somme et le don de sa vie.
Avant de frapper, le roi, qui aimait Biron, essaya à
diverses reprises, sans pouvoir réussir, de l'amener b
avouer sa faute pour avoir l'occasion de la lui pardonner.
Il l'envoya en ambassade auprès d'Elisabeth, dans l'espé-
rance qu'elle le ramènerait dans les sentiers du devoir.
La vieille reine admira, sans l'approuver, la bonté du roi.
Un jour elle montra au maréchal la tète du jeune comte
d'Essex qui était, depuis un an, clouée à l'une des portes
de la tour. «Si j'étais, lui dit-elle, à la place du roi, mon
IVère, il y aurait des têtes aussi bien coupées à Paris qu'à
Londres.»'
Biron ne comprit pas; il retourna à Paris, s'enfonça de
plus en plus dans ses complots criminels. Quand le roi
eut sous les yeux la preuve matérielle de la conspiration,
il manda à Fontainebleau le maréchal qui était dans son
gouvernement de Bourgogne. Celui-ci, croyant que le roi
ignorait le complot, se présenta devant lui, le 13 juin 1602,
avec son aisance et son aplomb ordinaire.
Henri IV ne recourait aux mesures violentes qu'à la der-
nière extrémité. Rien n'est plus touchant que le récit qui
nous a été laissé de tout ce qu'il tenta auprès du maréchal,
avant de prendre une suprême décision; il le supplia de
'lui dire s'il avait tramé quelque chose contre la sûreté de
son État, que s'il l'avait fait, il pardonnerait tout. A toutes
ces ouvertures, où l'ami se montrait plus que le prince,
Biron répondit d'une manière hautaine et soldatesque :
1. Registres du Coaseil, 24 mars I6O1:.
2. Bibl mipérialc, mss. Colbert, cet. 9769/3; de Cangé, 37.
LIVRE XXVII.
261
«Qu'on me montre mon accusateur, Sire, qu'on me le
nomme.»
Le roi revint plusieurs fois à la charge , et toujours il
trouva le cœur du maréchal fermé à tous les efforts qu'il
faisait pour le sauver. Sa patience atteignit les dernières
limites; il lui fit demander son épée
Le maréchal ouvrit les yeux : c'était trop tard. Henri IV
avait prononcé le mot fatal; l'ami avait fait place au roi
qui se sent contraint par la nécessité de mettre un terme
à des menées coupables en faisant tomber la tôle du plus
puissant de ces seigneurs royalistes qui s'étaient ralliés à
sa cause après la mort de Henri HL L'acte était hardi, le
moyen douloureux; mais il eût été souverainement impo-
liti(iue de montrer pour un grand coupable une indulgence
qu'on eût prise pour de la faiblesse. Rosny, dans cette
grave circonstance, fut au roi d'un merveilleux secours, il
partagea avec lui devant l'histoire la responsabilité du
g/and procès qui allait s'engager devant le parlement.
L'emprisonnement de Biron causa une profonde sensa-
tion; ses amis et ses iinrenis (et ils étaient nombreux)
supplièrent le roi de lui p : donner, en souvenir de ses
services; il reçut leur requrie, mais il se montra ferme.
«Faites tout ce que vous pourrez, leur dit-il, pour éta-
blir son innocence. »
La vieille mère de Biron intercéda aussi pour son mal-
heureux (ils. Tout fut inutile; il ne restait au maréchal
qu'à se montrer, devant ses juges, dans sa prison et sur
I échafaud, digne du soldat qui avait tant de fois affronté
la mort avec héroïsme , et à racheter ainsi aux yeux des
hommes la honte de sa trahison.
Le parlement, à l'unanimité, reconnut la culpabilité du
maréchal cl le condamna le 29 juillet à être décapité.
La nouvelle de sa condamnation atterra Biron.
Dans son désespoir il ne savait ni ce qu'il disait, ni ce qu'il
faisait; tantôt il criait à l'injustice du roi, tantôt il faisait
un appel suppliant à sa miséricorde; il pleurait, riait,
gesticulait, implorait, priait, menaçait. Pour le don de la
vie il eût échangé son bâton de maréchal contre une ar-
quebuse de soldat; aucune humiliation ne lui eût coûté; il
étonnait autant par ses défaillances que par la grandeur
ÙB sou wâ-lkt^ur.
262 HISTOIRE DE LA HÉFOKMATION FRANÇAISE.
Le 31 juillet, vers cinq heures du soir, le chancelier se
présenta dans la chapelle où il avait été déposé.
— C'est le moment de partir, lui dit le magistrat.
Biron tressaillit d'etlroi: il avait compris, il demanda
un instant pour se recueillir, se dirigea vers l'autel, tomha
machinalement à genoux, fit sa prière et se releva; en
sortant, il trouva à la porte un inconnu dont l'aspect le
frappa.
— Quel est cet homme? dit-il.
— C'est l'exécuteur de l'arrêt, lui répondit-on.
A ce nom, saisi de terreur et de colère, il dit au bour-
reau: «Retire-toi, ne me touche pas qu'il ne soit temps!»
Il ajouta : «Je ne veux pas être lié, j'irai librement à la
mort, je ne veux pas mourir comme un voleur ou un es-
clave.»
L'exécuteur s'approcha de lui. «Ne t'approche point,
lui cria Biron d'une voix tonnante, ou je t'étrangle.»
11 suivit ceux qui marchaient devant lui.
En franchissant la porte de la chapelle, il jeta sur les
soldats préposés à sa garde des regards pleins d'une indi-
cible tristesse. «Mes amis, leur dit-il, je vous serais bien
obligé de me donner une mousquetade. »
Puis, pensant au genre de mort qui lui était destiné, il
s'écria : «Quelle pitié de mourir si misérablement et d'un
coup si honteux. »
Quand le funèbre cortège fut arrivé dans la basse cour
oii l'échafaud était dressé, on lut au maréchal son arrêt
de mort; Biron protesta de son innocence.
— Pensez à votre salut, lui dirent les théologiens qui
avaient été chargés de l'assister au moment suprême. Il ne
les écouta pas; se banda lui-mênie les yeux. «Je veux,
dit-il, selon l'avis de Vespasien, mourir debout.»
— Maréchal, lui dit le bourreau, il faut vous mettre à
genou.x.
— Non, répondit-il, si tu ne peux pas m'aballre en un
coup, mets en trente, je ne bougerai non plus qu'un hibou.
On le pressa de s'agenouiller, il refusa, puis il obéit.
— Permettez, Monseigneur, lui dit l'exécuteur, qu'on
vous coupe les cheveux.
A ces mots le condamné, montrant le bourreau aux
Bssistants, s'écria: «Je ne veux pas qu'il me louche tant
LIVRE XXVII.
363
que je serai en vie; si on me met en colère, j'étranglerai
la moitié de ce qui est ici et contraindrai l'autre à me tuer. »
Le bourreau eut peur.
Trois fois le maréchal se banda les yeux, trois fois il
ôta le bandeau, reg,ardant autour de lui, tendant l'oreille,
comme si le mot de grâce allait retentir pour lui.
Ce mot si désiré ne se fit pas entendre, et pendant qu'il
faisait sa prière, le bourreau fit signe à son valet de lui
remettre le glaive; il le prit et trancha la tète du maré-
chal si habilement que peu de gens s'en aperçurent.'
VI.
L'exécution de Biron fit sentir aux partis qu'ils avaient
un maître dans Henri IV. Ils comprirent que celui qui
n'avait pas reculé devant l'exécution de l'homme qui avait
reçu à son service trente-sept blessures, et qui apparte-
nait à la première noblesse du royaume, n'hésiterait pas à
livrer au bourreau quiconque oserait l'imiter.
La mort du maréchal fut une nécessité politique; le roi
ne céda ni à la haine, ni à la passion : il frappa , après avoir
épuisé tous ies moyens pour amener le coupable à l'aveu
et au repentir de son crime. L'échafaud dressé dans la
cour de la Bastille soulève naturellement la question de la
peine de mort en matière politique. Sur ce grave et délicat
sujet, les criminalistes ne sont pas d'accord; les uns veulent
abattre cet échafaud sur lequel sont montés tant d'inno-
centes victimes, les autres veulent le maintenir dans l'in-
térêt de la sécurité des États. Les uns et les autres ne
manquent pas d'exemples pour soutenir leur thèse, et
quand les premiers nous montrent Robespierre envoyant
les Girondins à la mort, on se sent pressé de courir vers
l'échafaud pour l'abattre, comme les Français coururent
en 1789 vers la Bastille pour la démolir. Mais quand avec
les seconds on regarde à Biron, à Babington, à Savage et
à ceux qui voulurent faire sauter le parlement anglais, on
1. Conspiration, prison, jugement et mort du duc de Biron,
exécuté à Paris, dans la Bastille, dernier jour de juillet 1602. —
Bibl. impériale, mss. cet. 9769/3; de Cangé, 97. — Registres de
l'Hôtel-de-Ville, XV, fol. 860.
264 HISTOIRE DE LA ÏIÈFORMATION FRANÇAISE.
se demande si en cas d'abolition de la peine de mort, il ne
faudrait pas faire une exception pour de pareils coupables.
La question nous paraît insoluble : ici on frappe un in-
nocent, là, un grand coupable; à l'un l'échafaud donne la
gloire, à l'autre, l'infamie. Aujourd'hui c'est l'homme qui
se venge, demain c'est la justice qui réclame une expiation.
Nous sommes étonné que ce soldat intrépide ne se soit
pas montré dans la cour de la Bastille ce qu'il avait été
sur un champ de bataille; nous sommes tenté de lui reti-
rer la pitié qu'on accorde si volontiers aux malheureux; et
cependant quand nous réfléchissons , l'étonnement cesse
et nous nous prenons à le plaindre.
Quand il se vit face à face avec le bourreau, il avait le
sentiment de la justice de sa condamnation, sans avoir la
repentance d'un coupable. S'il portait ses regards en ar-
rière, il ne les arrêtait que sur une trahison qui elîaçait
tous ses services rendus; s'il les portait en avant, il ne
voyait qu'une tombe dans laquelle il descendait sans gloire.
Où aurait-il trouvé des forces pour surmonter les horreurs
du IrépasV lui, si jeune encore, lui, chez lequel il y avait
exubérance de vie et toutes les brutales passions de
l'honîme de guerre. Sur le nouveau champ de bataille, où
il fut appelé à lutter avec la mort, son courage l'abandonna ;
il trembla, lui qui n'avait tremblé ni au sifilement des
balles ni au bruit du canon. Son orgueil qui était immense
fut vaincu. Plaignons-le; mais ne nous étonnons pas de sa
terreur; elle fut naturelle. Tremblant, il nous intéresse
plus que s'il eût essayé de poser comme Danton sur son
échafaud. Autant nous admirons la sérénité dans un martyr,
autant nous éprouvons de répulsion pour celui qui , en
face de la mort, prend son cynisme pour du courage.
On rapporte que, pendant les heures d'agonie morale de
l'infortuné Biron, l'un de ceux qui étaient préposés h sa
garde lui dit :
— Quoi! maréchal, vous qui tant de fois avez alTronté
la mort sur des champs de bataille, vous tremblez!
— Mon ami, lui répondit Biron, alors je regardais la
mort, aujourd'hui elle me regarde.
Ces dernières paroles nous donnent l'explication de ses
terreurs.
UVRE XXVII.
265
VII.
Plusieurs grands personnages furent impliqués dans la
conspiration de Biron, notamment le comte d'Auvergne'
elle duc de Roussillon. Lafin, le dénonciateur du maré-
chal, avait désigné pour ses complices Lanoue, Constans,
d'Aubigné, La Trémouille; Sully même n'avait pas échappé
aux délations de ce scélérat. Henri IV fut épouvanté de
ces révélations dont il reconnut bientôt la fausseté; cepen-
dant ses doutes sur le comte d'Auvergne s'étant traduits
en réalité, il le fit arrêter; quant au duc de Bouillon, il
se plaisait à le croire coupable, afin d'avoir un prétexte
plausible pour s'emparer de sa personne et pour comprimer
le parti protestant dont il était l'un des chefs les plus
accrédités. Bouillon n'aimait pas Henri IV; il le croyait
ingrat et oublieux de ses services.
L'attitude hostile du seigneur protestant le compromit
dans l'esprit du roi qui, lors de la guerre de Savoie, le
l-aissa à l'écart. Mécontent de ce procédé, qu'il regardait
comme une grande ingratitude, Bouillon se retira à Lan-
quais oii un émissaire du comte d'Auvergne vint le trouver,
et lui fit des ouvertures pour le rattacher au parti de Birou ;
il ne les repoussa pas. S'il faut en croire d'Aubigné, il
aurait, au mois de février IGOl, réuni dans l'un de ses
châteaux du Limousin neuf des protestants les plus influents
de la contrée et leur aurait déroulé le plan de la conjura-
tion en les engageant à y entrer, sous la promesse qu'on
abandonnerait aux protestants le sud-ouest de la France et
le Dauphiné et qu'on leur donnerait 200,000 écustant que
durerait la guerre.'
D'après d'.\ubigné , ce serait le duc qui aurait fait re-
jeter cette proposition absurde. Bouillon néanmoins entre-
tint des relations avec Biron, et probablement lui promit
son appui contre le roi qui travaillait visiblement à abaisser
la noblesse ; mais il n'est pas prouvé qu'il se soit allié avec
l'Espagne et la Savoie contre la France : cela même, disent
les MM. Haag, est inadîEïssibie.' _
1. Fils naturel de Charles IX et de Marie FoiicbeL
2. liaag, France protestante, lettre L, p. 391.
2- Liùês^
266 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
Quand Bouillon apprit l'arrestation de Biron , il écrivit
au roi qu'il se mettait à sa disposition, ce qu'il n'eût pas
fait s'il eût trempé de fait dans la conspiration du maréchal;
il se disposait à se rendre à la cour, quand un gentilhomme
lui dit : «Monseigneur, si vous avez deux têtes, vous ferez
bien d'en laisser une chez vous.» Il voulut néanmoins
partir, quand une lettre du roi, qui l'invitait à venir se
justifier des accusations qui étaient portées contre lui, le
décida à rester. Au lieu d'aller à Fontainebleau il se di-
rigea vers Castres pour demander à être jugé par la chambre
mi-partie qui siégeait dans cette ville. Le roi, qui craignait
UH acquittement, défendit à la chambre de prononcer,
quoique l'affaire fût de sa compétence'. La chambre pro-
testa; mais devant la volonté royale, plus forte que les
édits, elle céda. Bouillon se hâta de quitter Castres où il
n'était pas en sûreté, traversa le Languedoc et put, grâce
à Lesdiguières, gagner Genève à travers le Dauphiné.
A peine arrivé, il publia sa justification. Les églises du
Languedoc qui croyaient à son innocence adressèrent une
requête au roi et le prièrent «de ne pas confondre le juste
avec Barabas. »
Les poursuites dirigées contre Bouillon émurent les
princes, protestants qui intercédèrent auprès du roi. La
vieille Élisabelh, ne pouvant croire à la trahison du sei-
gneur huguenot, ht de vives instances auprès de Henri IV
qui insisia pour qu'il vînt se justifier ou implorer son par-
don. Le duc ne voulut ni affronter un parlement, qui dé-
libérait sous le regard du roi, ni implorer un pardon qui
constaterait sa culpabilité. De Sédan, il écrivit au roi une
lettre respectueuse ; elle demeura sans réponse.
vnL
Pendant que sous une administration ferme et éclairée
la France se relevait de ses ruines, la reine d'Angleterre
arrivait au terme de sa longue et glorieuse carrière. Les
dernières années de sa vie avaient été semées d'amertumes,
et au milieu des grandeurs elle avait traîné une existence
1. Bibliothèque impériale, mss. de Bétlnme, n» 8939, folio 2,
verso.
LIVRE XXVII.
267
languissante. Privée des joies de l'épouse et de la mère de
famille, son cœur était devenu un désert sur lequel la re-
ligion n'avait pas versé son baume consolateur. Trop tière
pour étaler au dehors les douleurs de son âme, elle se
faisait violence et se livrait à des exercices au-dessus de
ses forces. C'est ainsi que dans le courant de septembre
1602 elle allait fréquemment à la chasse et prêtait l'oreille
aux spéculateurs de cour qui voulaient donner un succes-
seur au comte d'Essex.
Vers le milieu de novembre sa santé fut sérieusement
altérée. Sa force de volonté triompha momentanément de
sa faiblesse; elle fit célébrer par un tournoi et par des
fêles magnifiques l'anniversaire de son avènement au trône.
Aux derniers jours de janvier elle donna des ordres pour
qu'on la conduisît h Richemond, afin d'y respirer un air
plus pur et vivre plus retirée ; son entourage habituel la
trouva plus pensive et fit la remarque qu'elle priait plus
souvent; et comme si elle eût eu le pressentiment de sa fin
prochaine, elle dit au lord-amiral dans le cours d'un en-
trelien et comme accidentellement: «Mon trône est un
trône de rois, nul autre qu'un roi et mon plus proche
parent ne peut me succéder. »
Le 31 janvier elle partit pour Richemond; sa santé
s'améliora jusqu'au 20 février, époque à laquelle elle eut
une rechute. Pendant dix jours et dix nuits elle demeura
étendue sur un tapis, appuyée sur des coussins, refusant
tout secours et poussant des gémissements continuels qui
indiquaient chez elle moins une souffrance physique qu'une
immense douleur morale dont les causes ont vivement
préoccupé les historiens. «Elisabeth, dit Hume, n'était
plus en étal de goûter la joie d'aucun événement heureux.
Elle était tombée dans une mélancolie profonde que tous
les avantages, l'éclat et la gloire de son règne ne purent
jamais ni soulager, ni guérir. Quelques-uns attribuèrent
sa tristesse au regret d'avoir pardonné à Tyrone, qu'elle
s'était toujours promis de châtier comme il le méritait;
mais il avait si bien intrigué avec les ministres de cette
grincesse qu'ils lui arrachèrent la grâce de ce rebelle,
'autres personnes conjecturèrent avec plus de vraisem-
blance que l'abattement de la reine était causé par les
inielligences secrètes que sa cour entretenait avec le roi
268 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
d'Ecosse son successeur, et par l'abandon de ses courti-
sans que son grand âge et ses infirmités éloignaient d'elle.
Mais cette sombre douleur avait dans son âme un principe
secret que les historiens ont longtemps rejeté comme ro-
manesque, et dont les dernières découvertes semblent
avoir confirmé le soupçon'. Il arriva quelques accidents
qui ranimèrent sa tendresse pour Essex et l'amertume
aflreuse d'avoir consenti à sa mort.
«Le comte d'Essex, après son retaur de l'heureuse ex-
pédition de Cadix, remarquant à quel point les sentiments
qu'il avait inspirés à la reine étaient augmentés, saisit
cette occasion de se plaindre de ce que la nécessité de son
service le forçait à se séparer d'elle si souvent. Il montra
même une inquiétude délicate sur les mauvais offices que
ses ennemis, plus assidus à faire leur cour, pouvaient lui
rendre auprès de Sa Majesté. Elisabeth, émue de cette
tendre jalousie, donna une bague au comte d'Essex, en
lui ordonnant de la garder comme un gage de sa tendresse;
c!!e l'assura que dans quelque disgrâce qu'il pût tomber,
quelques préventions qu'on eût l'art de lui inspirer contre
liii, ie seul aspect de cette bague, s'il la représentait alors
il ses yeux, lui retracerait ses premiers sentiments, et
q;ie!que fût sa colère , elle consentirait à le voir et à
|ji'èLer une oreille favorable à sa jusliOcation. Essex, malgré
toutes ses infortunes, conservait ce don précieux pour ne
s'en servir qu'à la dernière extrémité; lorsqu'il se vit jugé
et condamné , il résolut enfin d'en essayer l'effet. Il confia
cet anneau à la comtesse de Nottingham , en la priant de
le remellre à la reine. Le comte de Nottingham exigea de
sa femme, pour se venger d'Essex, dont il était l'ennemi,
qu'elle n'exécutât point la commission dont elle s'était char-
gée. Cependant Elisabeth espérait toujours que son favori
tâcherait de la fléchir en lui rappelant ses promesses, afin
de l'émouvoir en sa faveur par ce dernier moyen. Elle fut ,
indignée de ce qu'il ne s'en servait pas, et attribua cette |
négligence à son indomptable obstination; préoccupée del
cette idée, après plusieurs délais et plusieurs combats in-l
térieurs, le ressentiment et la politique l'excitèrent à signer»
Tordre de l'exécution. La comtesse de Nottingham tombal
malade, et, se sentruit approcher de sa fin, les reniordsl
d'une si grande infidélité la troublèrent; elle supplia la^|
I
LfVRE XXYII.
269
reine de venir la voir et lui révéla ce fatal secret en im-
plorant sa clémence. Elisabeth, également saisie de surprise
et de fureur, traita la mourante avec l'emportement le plus
extrême; elle s'écria que Dieu pouvait lui pardonner, mais
qu'elle ne lui pardonnerait jamais ; elle l'accabla de
reproches et sortit avec la rage dans le cœur. Cette mal-
heureuse princesse, livrée au désespoir, rejeta toute espèce
de consolation et refusa même de prendre les aliments; elle
se jeta par terre et y resta immobile à nourrir ses regrets
de réflexions les plus cruelles et déclara que la vie n'était
plus pour elle qu'un fardeau insupportable. » '
IX.
Le récit de Hume, accepté par Horace Walpole, est
contredit par plusieurs historiens et notamment par le
continuateur de l'histoire d'Angleterre, d'après Mackin-
tosch, qui le taxe d'invraisemblance. Il ne serait, d'après
cet écrivain, qu'un on dit sans authenticité, et d'après le
docteur Birch qu'une tradition dans la famille de lady
Elisabeth Spelmann, petite-fiUe de Robert Carey, comte
de Mommouth, auteur de mémoires bien connus dans les-
quels il rapporte cette histoire comme un témoin oculaire
de la dernière maladie de la reine.
Ce qui jette encore du doute dans le récit de Hume,
c'est la manière dont Essex aurait remis l'anneau. D'après
cet écrivain ce serait au duc de Notlingham lui-même qu'il
l'aurait confié; d'après un autre, il l'aurait remis à un
jeune garçon inconnu qu'il aurait vu passer de la fenêtre
de la prison où il était renfermé. Ce dernier récit est in-
vraisemblable et ne mérite pas même d'être discuté; reste
donc celui de Hume qu'il est difficile d'admettre sans pou-
voir le rejeter absolument. Pour l'affirmative on peut dire
que des faits pareils ne s'inventent guère quand ils se pro-
duisent avec des détails et des circonstances qui ont des
rapports directs au caractère bien connu des personnages;
pour la négative on peut dire qu'il est surprenant que
l. Ilume, Hist. d'Angleterre, t XU, page 276. — Iverdon
M.DCC.L\X.\I, trad. franç.
270 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
d'Essex, possesseur de cet anneau précieux, n'en ait fait
usage qu'après sa condamnation à mort et l'ait remis à la
femme d'un homme qui était son ennemi personnel.'
L'écrivain consciencieux est obligé, par respect pour la
vérité, de reléguer au rang des faits douteux tous ceux qui
n'ont pas pour eux un caractère d'authenticité. L'histoire ne
vit pas d'embellissement ; les réalités sont les seuls orne-
ments qui lui conviennent; lui en donner d'autres, c'est la
rabaisser au niveau du roman. Dans les cas douteux l'histo-
rien ne recule pas devant les explications; mais il les fait
sous toutes réserves. Certes c'est un spectacle saisissant
que celui que présente cette femme qui, parée de ses plus
plus beaux vêtements, se roule sur le tapis de sa chambre,
pousse des cris lamentables et ne confie à personne
le secret d'une immense douleur. Faut -il en chercher
l'explication dans la révélation de la duchesse de Not-
tingham? dans ses douleurs physiques? dans le sentiment
de sa popularité compromise? dans le cri de l'ambitieux
contraint de détacher de ses propres mains sa couronne
pour la poser sur la tête d'un successeur mortellement
haï? A toutes ces questions il est difficile de faire une ré-
ponse précise. Le cœur a des abîmes impénétrables; la
seule chose que nous puissions constater, c'est que la vue
du lit de mort de la fdie de Henri VIII impressionne vive-
ment et offre l'un des tableaux les plus dramatiques de
l'histoire.
La douleur eut bientôt usé les forces d'Élisabeth; les
avant-coureurs de la mort ne tardèrent pas à paraître sur
son visage et à apprendre à ses médecins que sa fin était
proche. Son conseil se présenta devant elle; elle comprit.
A cette heure suprême elle fut reine: «J'ai, dit-elle,
porté le sceptre des rois, je veux qu'un roi me succède.»
Elle désigna pour son successeur le fils de Marie Stuart,
Jacques VI, roi d'Ecosse; c'était son dernier adieu aux
grandeurs de ce monde. A l'archevêque de Cantorbéry,
qui l'exhortait à porter ses regards vers Dieu, elle dit: «Je
le fais, et mon âme cherche à s'unir à lui;» elle ne dit
plus rien; insensible à tout ce qui se passait autour d'elle,
elle entra à grands pas dans la sombre vallée de l'ombre
1. Extrait de l'Histoire d'Angleterre, continuée d'après Maki n-
tosch, t. IV, p. 140 et ^uiv.
LIVRE XXVII.
271
de la mort et expira doucement à l'âge de soixante-dix
ans après un règne de quarante.'
X.
Élisabeth avait terminé sa longue et glorieuse carrière,
après avoir vu de son lit de mort ses ennemis fuir devant
elle. Son histoire est inséparable de celle de la Réformalion
française, et quelque jugement qu'on porte sur l'assistance
qu'elle donna aux protestants, ces derniers ne peuvent
qu'être reconnaissants envers une princesse qui, fidèle
aux lois de sa politique, soutint au dehors le vrai protes-
tantisme, qu'elle persécutait dans ses propres États'. De-
vant celte grande figure l'historien se recueille pour tracer
fidèlement le portrait de la femme qui, aux faiblesses de
son sexe, sut allier les qualités les plus brillantes du sou-
verain. Dans le grand siècle, qui fut le sien, nul monarque,
pas même Charles-Quint, ne la rapetisse de sa présence;
elle a une grandeur qui lui est propre, et qui force ses ad-
versaires les plus acharnés à s'incliner devant la puissance
de son génie. Au milieu des p!<is éminents périls, elle fut
toujours à la hauteur de sa fortune. Les Anglais, aujour-
d'hui comme autrefois, sont fiers de leur reine et jettent
par reconnaissance un voile d'oubli sur la femme qui, chez
Élisabeth, est aussi petite que, la souveraine est grande.
Nous aimons chez un peuple ce sentiment de piété filiale;
et cependant il ne doit jamais faire oublier les droits im-
prescriptibles de la vérité; car pour bien admirer, il faut
préalablement estimer. Or, notre admiration pour la fille
de Henri VU! est loin d'être complète; si nous rendons
justice à son génie, nous ne fermons pas les yeux sur les
taches de son règne.
La protestante Élisabeth fut très-peu protestante dans
le sens de ce mot; elle subit la réforme plutôt qu'elle ne
l'accepta. Ce qu'elle fit pour elle fut un effet de la réflexion
et non de la sympathie. Comme femme et comme reine
elle ne pouvait aimer le protestantisme : femme, elle haïs-
sait sa morale austère; reine, son amour de l'indépen-
dance ; sous ce rapport elle ressembla à François I".
1. Hume, Hist. d'Angleterre, t. XII, p. 279.
2. Note xin.
272 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
L'anglicanisme convenait mieux à sa nature. Elle aimait
la pompe de son culte, sa hiérarchie ecclésiastique qui
permettait d'avoir de hauts dignitaires qui ne le cédaient
en rien aux plus grands seigneurs par le luxe de leurs
palais et le train princier de leur maison; elle trouvait
naturel que Whitgill, primat d'Angleterre, marchât sur les
traces de Wolsey, et se fît servir à genoux par ses servi-,
leurs; elle fut toujours opposée au mariage des pasteurs,
et aurait voulu que le célibat devint une loi fondamentale
de la religion réformée. Elle ne fut guère plus protestante
que son vicieux père; quand elle frappa durement et trop
souvent cruellement les catholiques, elle ne se constitua
pas le vengeur de Dieu , mais son propre vengeur; elle eût
laissé en paix ,les croyants ; elle frappe sans pitié les
conspirateurs. Elisabeth haïssait le catholicisme, non à
cause de ses dogmes, mais à cause de son esprit de domi-
nation; elle haïssait plus encore les puritains qui, dans
leur zèle, gui allait parfois jusqu'au fanatisme, voulaient
ramener l'Eglise anglicane à la simplicité de l'Église pri-
mitive; elle mêla leur sang à celui des catholiques'. De
quelque côté que vint l'opposition, elle était criminelle à
ses yeux; elle frappait sans hésiter. Ce fut à cette décision
de volonté qu'elle dut le silence qui se lit autour d'elle ;
elle prépara ainsi par la dictature l'Angleterre à ses hautes
destinées et força tout un peuple asservi à la reconnaissance
par la grandeur des services rendus.
Cette princesse, si grande comme reine, avait dans sa
vie intérieure des côtés bien obscurs; vieille et ridée, elle
avait la prétention d'être toujours jeune; sa vanité crédule
lui faisait accepter des flatteries qui n'étaient que des san-
glantes railleries. Elle montrait une lettre dans laquelle
Raleigh, l'un de ses favoris disgraciés, voulant obtenir son
rappel, disait d'elle, en écrivant à un de ses amis: «J'avais
la douce habitude de la voir monter à cheval comme
Alexandre, chasser comme Diane, marcher comme Vénus,
de l'entendre chanter comme un ange, jouer de la lyre
comme Orphée'.» Elle avait alors soixante ans; le collier
d'or dont elle entourait son cou pour en dissimuler les
rides, ies bracelets dentelle chargeait ses bras, lespierre-
1 . Note xtv
LiTOE xxvn.
ries dont elle couvrait ses charmes flétris, les airs de jeune
fille qu'elle affectait, en faisaient un personnage éminem-
ment ridicule, seule elle ne s'en apercevait pas. Plus tard
elle expia cruellement sa vanité crédule, quand elle sentit
qu'elle était vieille et laide. Ce fut son châtiment; il fut
terrible.
«Ce furent là, dit un écrivain moderne, ses imperfec-
tions véritables; sa violence et son avarice ne méritaient
Eoint de lui devenir fatales et ne manquaient pas d'excuses,
e temps où elle vivait, et les grandes choses qu'elle a
faites, justifient son économie, bien qu'il s'y mêla une
avidité peu royale; ses actes de violence furent renfermés
dans sa cour. Sa dignité, mais non sa politique, son en-
tourage, mais non l'Europe, eurent à souffrir de ce qu'elle
ne sut pas toujours dominer le sang de Henri VIII qui
s'échaulTait parfois dans ses veines. Si elle interrompait
volontiers les ambassadeurs, surtout ceux du roi de France,
elle n'en était que mieux informée de ce qu'elle voulait
savoir par les explications écrites que ces interruptions
mêmes rendaient nécessaires et qu'exigeait son conseil'.
Si ses conseillers étaient plus souvent interrompus encore
et raillés sur leur sagesse, elle s'en excusait elle-même,
non sans grandeur, sur son âge, sur la pratique des affaires
d'état commencée dès le berceau', et mettait d'ailleurs à
profit les conseils dont elle affectait de se passer. Mais
c'était sans avantage, comme sans dignité qu'elle épanchait
librement sa mauvaise humeur sur son entourage. Il était
des jours où tout l'irritait, où elle ne respectait rien,
et ce n'était pas une simple métaphore que ce jeu de
mots d'un de ses courtisans : «Je n'affronterai pas aujour-
d'hui la colère de Sa Majesté, de peur d'être colleté moi-
même. » La coquetterie des autres femmes la blessait et
lui arrachait d'amères paroles; elle ne voulait ni être sur-
passée, ni égalée dans le luxe de ses parures. Lady Howard
vint un jour à la cour avec un vêtement de velours, brodé
d'or et de perles qui éclipsait l'éclat de la reine, et attirai
tous les yeux. Elisabeth le lui envoya demander, le revêti
et, se promenant devant ses femmes, elle les consultai
1. Journal de De Maisse, p. 212.
2. Idem, p. 213.
274 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
sur son nouveau costume. Elle demanda bientôt à lady
Howard elle-même s'il n'était pas un peu court, et en effet
il convenait mal à la grande taille de la reine, lady Howard
l'ayant avoué., « S'il ne me va pas, parce qu'il est trop
court, reprit Elisabeth, il ne vous va pas, parce qu'il est
trop beau; il n'est donc fait ni pour l'une, m pour l'autre.»
Le mauvais goût des courtisans et leurs modes n'étaient pas
à l'abri de son contrôle. «Je me souviens, écrit Harrington,
qu'elle a craché sur l'habit frangé de sir Matthew; puisse Dieu
m'épargner de semblables plaisanteries.» Enfin ses filles
d'honneur ne la mécontentaient pas impunément; la belle
miss Bridges fut un jour cruellement frappée ; il est vrai
qu'elle passait pour être aimée d'Essex'. Mais ces violences
n'avaient pas toujours une cause aussi grave. Elle levait
volontiers la main sur ce charmant entourage, et, au mois
de mai 1597, un courtisan écrivait à Harrington qu'on
entendait ces belles jeunes filles crier et supplier d'une
façon pitoyable. «En vérité, disait Robert Cecil, elle était
plus qu'un homme et parfois moins qu'une femme. »
«Son avarice n'était pas moins célèbre et était mieux
justifiée. Les ambassadeurs français qui raillent cette ava-
rice oublient qu'ils venaient sans cesse lui emprunter de
l'argent, et qu'ils ne le rapportaient pas toujours. Leur
réputation de débiteurs insolvables était aussi bien établie
en Angleterre que l'avarice incontestée de la reine, et on
en faisait un trait de caractère national.»'
Dans Éiisabeth la femme est petite, la reine grande,
mais la reine, en excitant notre admiration, ne provoque
pa,s notre sympathie. Ses haines sont implacables, son or-
gueil immense, son despotisme brûlai; elle fait décapiter
ses amants ; et cependant cette reine , qui aujourd'hui
serait impossible dans la Grande-Brelagne, fut son salut
au seizième siècle. Elle tint d'une main ferme les rênes de
l'Éiat avec un instinct merveilleux de ses besoins; son coup
d'œil vif et pénétr.mt la trompa rarement, et au milieu
des plus violents caprices de la femme ardente et passion-
née, elle ne leur sacrifiajamais les intérêts de son peuple;
1. Aikin, p. 394.
2. Prévost-Paradol, Elisabeth et Henri IV, 1695- 1598. — Am-
bassade de Hurault de Maisse en Angleterre au sujet de la paix de
Vervins, p. 124 et suiv.
LIVRE XXVII.
275
cela seul révèle un grand esprit et couvre bien des fautes.
Philippe II et Elisabeth sont les deux plus grandes ligures
politiques de la seconde moitié du seizième siècle; ils
furent les représentants, l'un du passé, l'autre de l'avenir.
Dans leur lutte opiniAtre et gigantesque la femme vainquit
l'homme. Le roi catholique entraîna avec lui dans la tombe
la puissance espagnole; la reine protestante fit de la pierre
de son sépulcre la pierre angulaire de la puissance bri-
tannique.
L'étude de la vie de ces deux souverains offre un attrait
irrésistible à l'historien qui cherche à pénétrer les causes
de la grandeur et de la décadence des empires; il les suit
pas à pas, et à travers la trame si multiple de leur
vie, il saisit l'idée qui abaisse l'un et élève l'autre. Cham-
pion du passé et de l'immobilité, Philippe II voulut arrêter
le siècle dans sa marche, et mourut à la peine. Leur lutte
cependant paraissait si inégale ! le fils de Charles-Quint
avait hérité de son père l'Espagne, les Flandres, l'or du
nouveau monde; la France mendiait son appui; il avait
pour ambassadeurs des diplomates habiles, pour généraux
des tacticiens consommés, pour armée les meilleurs sol-
dats du monde, pour serf le pape, pour flotte l'invincible
Armada, pour journalistes les prédicateurs de la ligue.
Elisabeth avait pour rempart la mer et l'amour de ses
sujets. Elle n'eût pas été sauvée , si la Réforme n'eût
jeté au milieu de son peuple le puissant souffle de vie qui
le régénéra. Philippe marcha d'échec en échec; du sang
qu'il fit couler dans les Flandres et en France se forma un
torrent dans lequel sa fortune s'engloutit; en voulant tout
conquérir, il perdit tout. Possesseur de richesses immenses,
il fit deux fois banqueroute, ruina son peuple, mourut
obéré, laissant dans l'histoire un nom maudit, et pendant
que de ses immenses possessions, comme de ses flottes,
il ne restait que d'impuissants débris, la protestante Angle-
terre promenait sur toutes les mers son pavillon victorieux.
Depuis cette grande époque l'Espagne n'a fait que descendre,
et l'ullramonlanisme, dont elle a été la terre classique, ne
lui a légué que des révolutions stériles; tandis que la Ré-
forme a donné à la Grande-Bretagne la moralité au foyer
domestique, la puissance matérielle, la liberté, l'affection
pour ses souverains, le respect des lois, l'amour du sol
276 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
natal el la (in de ces révolutions qui nous aflligeal ssins
nous surprendre dans les contrées où la Réforme est pros-
crite. Le protestantisme veut des hommes libres, l'ullra-
montanisme ne veut que des serfs. Le combat peut être
long, opiniâtre; le résultat un moment incertain; mais le
triomphe n'est pas douteux : la mort est impuissante contre
la vie.
XI.
Élisabeth eut pour successeur Jacques VI, roi d'Ecosse.
Le fds de Marie Stuart n'avait ni le génie d'Elisabeth, ni
les grâces de sa mère : il était timide, irrésolu, dissimulé,
négligent, minutieux. Il avait deux passions : celle de la
chasse et celle de la controverse religieuse; la première
lui faisait négliger les affaires de son royaume; la seconde
le rendait ridicule. Son livre «touchant le pouvoir des
rois,» qu'il fit paraître à l'occasion d'un serment qu'il
avait exigé de ses sujets catholiques, fut proscrit en Es-
pagne, brûlé à Florence, mis à l'index à Rome, interdit
en France, et devint un, texte inépuisable d'attaques inju-
rieuses et de railleries. Élisabeth avait un successeur, mais
elle n'était pas remplacée; un nain avait pris la place d'un
géant. Quand Sully alla, de la part de Henri IV, compli-
menter Jacques VI, à l'occasion de son avènement au
trône, il comprit que son maître aurait dans ce prince
un allié peu sûr.
Les protestants de France regrettèrent vivement Éli-
sabeth, qui était leur protecteur le plus puissant auprès
de Henri IV; et ce protecteur, ils le perdaient au mo-
ment oïl le clergé devenait de plus en plus exigeant, le
pape plus soupçonneux, et où les jésuites, bannis du
royaume, étaient sur le point d'y rentrer. Les passions
religieuses devenaient chaque jour plus vives, et les réfor-
més, plus zélés que charitables, ne travaillaient pas à les
calmer. Leur aversion pour la papauté se révéla dans un
synode national qui se réunit à Gap et qui fut l'un des
plus célèbres qu'ils eussent encore tenu. Les provinces
suivantes y furent représentées par leurs députés : l'Ile de
France, la Picardie, la Champagne, la Bretagne, l'Orléanais,
le Berry, le Nivernais, l'Anjou, le Blaisois, la Touraine,
LIVRE XXVII.
277
le Maine, le Poitou, la Saintonge, l'Angoumois, l'Aunis,
la basse Guyenne, le Périgord, le Limousin, le Vivarais,
le Valais, le bas Languedoc, la Bourgogne, le Lyonnais,
le Forez, la Provence, le Dauphiné et Orange*. On y dis-
cuta, sous la présidence de Charnier, des points de disci-
pline et de dogme, et on chercha les moyens d'opérer
une réunion entre les luthériens, les zwingliens et les cal-
vinistes, touchant l'interprétation des célèbres paroles de
la Cène. Le synode pensait que rien n'était plus propre
à affaiblir le protestantisme que ces disputes intermina-
bles sur des points qu'il eût été sage , vu leur sainte
obscurité , de laisser à la libre croyance de chacun ; mais
les théologiens ne savent pas toujours comprendre cette
belle maxime de saint Augustin qu'il faudrait écrire en
lettres d'or en tête de toutes les confessions de foi : in
dubiis liberlas\ On discuta beaucoup et on arriva à cette
solution qu'il était impossible de s'entendre.
Di' isés sur l'interprétation des paroles de la Cène, les
membres du.synode se montrèrent très-unis pour attaquer
le pape et l'Église romaine; ils décrétèrent qu'on ajoute-
rait à la confession de foi, dont on avait fait lecture, l'ar-
ticle suivant :
«Puisque l'évêque de Rome, s'étant dressé une monar-
chie dans la chrétienté en s'attribuant une domination sur
toutes les églises et les pasteurs, s'est élevé jusqu'à se
nommer Dieu; à vouloir être adoré; à se vanter d'avoir
toute puissance en ciel et en terre; à disposer de toutes
choses ecclésiastiques; à décider des affaires de foi; à au-
toriser et interpréter à son plaisir les Écritures; à faire
trafic des âmes; à dispenser des vœux et des serments; à
ordonner de nouveaux services de Dieu ; et pour le regard
de la police, à fouler aux pieds l'autorité légitime des
magistrats, en ôtant, donnant, échangeant les royaumes.
Nous croyons et maintenons que c'est proprement Va7ité-
christ et le fils de perdition prédit par la parole de Dieu,
sous l'emblème de la paillarde vêtue d'écarlate.»
1. Drion, Abrégé chron., 1. 1", p. 267.
2. Dans les choses douteuses, liberté.
t
I.
278 HISTOIRE SE hk RÉFORHATION FRANÇAISE.
XII.
Au nombre des membres du synode se trouvait un mi-
nistre qui jouissait d'une grande réputation parmi les
réformés : on l'appelait Jérémie Ferrier. Il était le fils d'un
capitaine huguenot de condition obscure, «mais soldat et
homme de fer et l'un des plus renommés de son parti'.»
En 1599 Ferrier, après avoir terminé ses études, fut
donné à l'église d'Alais; il ne tarda pas à se faire connaître;
il avait une intelligence vive , un esprit prompt, un langage
facile, entraînant, des gestes expressifs; un besoin im-
périeux de faire parler de lui, plus de savoir faire que de
savoir; il avait les larmes à sa volonté, et possédait le don
de plaire aux masses qu'il gouvernait au gré de sa parole.
Malheureusement il avait plus de zèle extérieur que de
piété; son vice dominant était l'avarice. «C'était, ditTalle-
mont des Reaux, l'homme du monde le plus avare jusque-
là, que quand il était député à quelque synode, il vivait si
mesquinement et recherchait avec tant de soin les repues
franches, qu'il épargnait le demi-tiers de ce qu'on lui donnait
pour sa dépense'.» Son avarice, qui devait plus tard en
faire un apostat , était comme voilée par les services écla-
tants qu'il avaif rendus à son parti. A Nismes il ne craignit
pas, pendant qu'il desservait l'église d'Alais, de répondre
à une provocation que lui fit le père Cotton; la dispute
n'eut pas lieu, parce que le sénéchal s'y opposa.
Les réformés de la ville, émerveillés des talents du
jeune ministre, le nommèrent la même année (1601) pas-
teur de leur église et professeur de théologie. Dans ces
doubles fonctions il se distingua et jeta un vif éclat sur
l'académie de Nismes. '
Ce fut sans doute à cette époque que Ferrier publia ses
fameuses thèses de l'Antéchrist. Elles soulevèrent un véri-
table orage. Le parlement de Toulouse, toujours fidèle aux
traditions de son passé, lança sur l'audacieux professeur
un mandat d'amener qui ne put être mis à exécution.
1. Haag, France protestante, art. Ferncr.
2. Tallemant des Reaux, Historiettes.
3. Haag, France protestante, art. Ferrier, p. 94. — Borel, His-
toire de Féglise réformée de Nimes.
LIVRE XXVII.
279
L'énergie que Ferrier avait déployée le fit choisir pour
l'un des députés du synode de Gap qui le nomma son
vice-président, et prit ses thèses sous sa protection, en
ordonnant que la proposition qu'il avait soutenue que le
pape était l'Antéchrist serait insérée dans la confession de
foi.
XIII.
Ce nom d'Antéchrist, donné au pape par les réformés,
n'était que le résultat forcé de l'attitude que l'évèque de
Rome avait prise au milieu de la catholicité, en s'attachant
à donner à ses fidèles un enseignement opposé à l'ensei-
gnement apostolique. Si le nom A' Antéchrist signifie opposé
au Christ, comment les protestants ne le lui auraient-ils
pas appliqué, puisque la cause capitale de leur séparation
provenait de son abandon des traditions évangéliques; et
plus tard, quand ils furent persécutés, parce qu'ils ne
voulaient d'autre chef dans l'église que le Christ, comment
n'auraient -ils pas vu dans le pape, leur implacable per-
sécuteur , un ennemi du Christ ?
Malgré l'opposition énergique du roi , toutes les églises
acceptèrent avec une approbation presque générale, le dé-
cret du synode. Le pape se plaignit vivement. Son nonce
fit à Henri IV des plaintes amères; mais le mot était écrit,
accepté, acclamé.'
La cour s'efforça de calmer l'évèque de Rome, en en-
gageant quelques réformés influents à désavouer le nou-
vel article de la confession de foi. Le désaveu eut peu de
poids, car il n'était pas de ceux qui étaient les plus auto-
risés dans le parti. Henri IV ne laissa pas prendre à cette
affaire de plus grandes proportions; il l'assoupit, et défen-
dit à la chambre mi-partie de Castres , devant laquelle
Ferrier s'était pourvu contre l'arrêt du parlement de Tou-
louse, de continuer ses poursuites contre le pasteur de
Nismes.
Le synode s'occupa de plusieurs autres affaires, dont
quelques-unes d'une grande importance; il écrivit au roi
en faveur du duc de Bouillon, demanda que les protes-
1. Drion, Abrégé chronol., 1. 1", p. 267. — Aymon, Synodes
nationaux. — Haag, France protestante, pièces justificatives.
!280 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
tants ne fussent pas obligés à se donner eux-mêmes dans
les actes publics, le nom de « prétendus réformés»', fit
des règlements pour les écoles et les collèges, décida la
fondation de bibliothèques et de séminaires pour former
la jeunesse , et se sépara après avoir montré plus de fidé-
lité que de charité, plus de zèle que de prudence.'
XIV.
La tenue du synode de Gap fut favorable aux jésuites ,
qui avaient été rappelés depuis quelque temps en France,
et attendaient avec impatience l'enregistrement de l'édit
royal.
Depuis leur bannissement, ils n'avaient cessé d'intri-
guer et ne s'étaient pas montré difficiles sur le choix des
hommes qui pouvaient les servir auprès du roi. Ils eurent
pour leur entremetteur, La Varenne, le directeur officiel
des plaisirs de son maître ; ce courtisan comprit qu'en ai-
dant au rétablissement des disciples de Loyola, il donne-
rait de puissants protecteurs à ses enfants qu'il voulait
faire entrer dans la prêtrise. Un chapeau de cardinal pour
l'un de ses fils n'était pas au-dessus de l'ambition de ce
courtisan. Par son entremise , quelques jésuites commen-
cèrent «par se couler doucement à la cour» où ils se
firent humbles, petits , complaisants. Parmi eux était le
père Gotton qui s'insinua si bien dans les bonnes grâces
du roi qu'il le disposa à rappeler sa Société.
Avant de prendre une décision, Henri IV voulut consul-
ter son conseil sur cette affaire : Rosny, Châteauneuf, Vil-
leroy, Jeanin, Sillery et quelques autres se réunirent sous
la présidence du chancelier Bellièvre ; La Varenne était
présent. La discussion fut longue, embarrassée, les uns
étaient pour, les autres contre; personne n'osait formuler
nettement son avis, quoique chacun se comprit à demi
mot. Sillery qui désirait le rappel, voulut faire expliquer
Rosny, le plus influent des membres du conseil, à cause
de la confiance que le roi lui accordait; celui-ci s'excusa,
prétextant sa religion ; de Thou seul exprima nettement
1. Pour les satisfaire on imagina de les appeler ofllcleilement
réformés , aux termes de l'édit.
LIVRE XXVII.
281
l'opinion que le mieux serait de renvoyer cette nCfaire au
parlement; c'est ce que ne voulaient pas les partisans du
rappel, sachant que le corps qui avait banni les jésuites,
maintiendrait son arrêt.
On se sépara sans avoir émis un avis.
Le lendemain, Rosny se rendit chez le roi et lui raconta
ce qui s'était passé. «Puisque nous en avons, dit Henri IV,
le loisir d'en discourir, dites-moi librement tout ce que
vous appréhendez de cette affaire, et puis, je vous dirai
aussi ce que j'en espère, afin de voir de quel côté pen-
chera la balance.»
Le conseiller, qui n'était pas gêné par la présence de
ses collègues, signala au roi sept raisons qui lui parais-
saient s'opposer au rétablissement de la Société.
La première: les jésuites étaient trop dévoués à l'Es-
pagne et à la maison d'Autriche pour se rallier franchement
à la France ;
La seconde: ils étaient trop brouillons, trop intrigants,
trop ambitieux, pour ne pas amener avec eux des fçrments
de discorde;
La troisième: ils pourraient s'insinuer par leurs flatte-
ries dans la confiance du roi et éloigner ainsi de lui ses
meilleurs serviteurs;
La quatrième : leur obéissance aveugle au pape était un
danger permanent pour le royaume «tant que le roi d'Es-
pagne tiendrait le souverain pontife dans ses ceps et dans
ses menottes»;
La cinquième: la crainte qu'ils n'entraînassent le roi
dans une guerre contre les protestants , et n'épuisassent
ainsi la France d'hommes et d'argent;
La sixième : la cramle que la facilité qu'auraient les
pères de s'approcher du roi , ne leur donnât le désir de
donner au monarque un boucon' ou quelque malheureux
coup;
La septième : l'association secrète à la tète de laquelle
se trouvait le pape , ayant pour but de lui faire aban-
donner ceux de ses amis et de ses alliés , ennemis de la
religion catholique. '
Rosny développa chacune de ses raisons avec une
1. Fiole empoisonnée.
282 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
grande netteté. Le roi l'écouta avec attention et lui dit que
sur cette matière il n'était pas aussi bien préparé que lui,
mais que cependant, contre ces sept raisons, il en avait
deux qui lui paraissaient de nature à le faire changer
d'opinion.
La première : le père Majus l'avait assuré que la Société
avait travaillé à la grandeur des États qui l'avaient reçue ,
protégée, encouragée; qu'il pouvait être certain que si la
France agissait à son égard comme l'Espagne, elle se dé-
vouerait sans réserve à sa prospérité, et même au détri-
ment de cette dernière puissance ; qu'elle consentirait
enfin à être chassée ignominieusement si elle manquait
aux promesses, condition de son rappel. « Or, ne douté-je
point, ajouta le roi, que vous ne puissiez faire diverses
répliques à cette première raison, mais je n'estime pas
que vous en voulussiez seulement chercher à celte se-
conde, qui est que par nécessité, il me faut à présent,
faire de deux choses l'une; à savoir: de les admettre pu-
rement et simplement, les décharger des difames et op-
prohrcs dosqueisils ont été flétris, et les mettre à l'épreuve
de leurs beaux serments et promesses excellentes, ou
bien de les rejeter plus absolument que jamais, et leur
user de toutes les rigueurs et duretés dont on pourra avi-
ser, afin qu'ils n'approchent jamais ni de moi , ni de mes
États; auquel il n'y a point de doute que ce ne soit les
jeter au dernier désespoir, et, par icclui, dans des des-
seins d'attenter à ma vie, ce qui me la rendrait si misé-
rable et langoureuse, demeurant toujours ainsi dans les
défiances d'être empoisonné ou bien assassiné (car ces
gens ont des intelligences et correspondances partout et
grande dextérité à disposer les esprits selon qu'il leur
plaît) qu'il me vaudrait mieux être déjà mort, étant en
cela de l'opinion de César, que la plus douce est la moins
prévue et attendue.»
Évidemment Henri IV avait peur du couteau.
Rosny comprit que le rappel des jésuites était décidé
dans l'esprit du roi, et sentit que les pères ne lui pardon-
nci'aicnt jamais de s'y être opposé, il vira habilement de
bord , et cachant sa lâcheté sous le manteau de son affec-
tion, i! répondit:
«Vous avez très-bien conjecturé, Sire, en croyant qu'à
LIVRE XXVII.
283
celte dernière raison, ou plutôt inconvénient, je n'aurais
rien à répliquer; car plutôt que de vous laisser vivre dans
les tourments dételles appréhensions et inquiétudes, je
consentirais, non-seulement, le rétablissement des jé-
suites, mais aussi celui de quelqu'autre secte que ce pût
être; par quoi, sans en discourir davantage, puisque je
vois de telles opinions rouler dans l'esprit de Votre Ma-
jesté , je me resous de devenir même le solliciteur du ré-
tablissement des jésuites, autant ou plus que ne le saurait
être La Varenne, comme j'espère que, dès le premier
conseil qui se tiendra sur ce sujet, Votre Majesté en aura
des preuves.»
«Je ne vous nierai point, dit lors le roi, que ce ne me
soit un plaisir fort singulier de vous voir en cette dispo-
sition ; et afin de vous y confirmer et fortifier, je vous veux
dès nriaintenant, assurer contre deux de vos appréhen-
sions où vous avez intérêt, en vous donnant ma foi et ma
parole (lesquelles, vous savez bien, que j'aimerais mieux
mourir que de les violer, les estimant parties esserttielles
de la royauté, et sans lesquelles, par conséquent, tout roi
est indigne d'être roi) que jamais jésuite, ni autre, non
pas même le pape, n'auront le pouvoir de me jeter à la
guerre contre ceux de la religion, si vous-même n'en
étiez le solliciteur, ni d'éloigner, ni défavoriser aucuns de
ceux de celte profession à cause d'icelle; desquels je me
trouve tellement et loyalement servi, et surtout de vous,
de qui je dirais volontiers ce que vous me disiez l'autre
jour, que disait Darius de son Zopire, et veux même obli-
ger tous ceux de cette société à vous aimer et révérer
comme vous le connaîtrez avant peu Je jours.»*
XV.
Les jésuites triomphaien!. L'enregistrement par le par-
lement des lettres-patentes de leur rappel n'était plus
qu'une affaire de pure forme. Le roi savait qu'il rencon-
trerait de la résistance chez les conseillers ; mais il savait
aussi qu'elle s évanouirait devant sa volonté. Il se sentait
maître el savait dire: a Je suis roi"» en accentuant forte-
1. Sully, Économies royales (1604).
284 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
ment chaque mot. Le parlement , par la bouche de son
premier président, lui fit des remontrances.
«Je tremble, lui dit de Harlay , au seul nom de Bar-
rière, qui enrôlé parla société, armé par La Yarade ,
muni de l'absolution qu'il avait reçue et du précieux corps
de Jésus-Christ, s'engagea par serment à enfoncer le poi-
gnard dans le sein de Votre Majesté. Quoique ce scélérat
n'ait pas réussi dans son exécrable entreprise , il a du
moins par son exemple, ouvert le chemin au second par-
ricide que nos yeux ont vu presque consommé.
«Guignard, prêtre de la même société, a composé des
livres de sa propre main pour justifier ces détestables at-
tentats; il a donné des éloges au meurtre de Henri III,
comme à un acte de justice, et a défendu l'opinion con-
damnée dans le concile de Constance.
«Dans quelle crainte ne doit pas nous jeter le souvenir
de ces actions impies et la faciliter d'imiter ces horribles
exemples; forcés de trembler pour la personne du prince,
pourrons-nous compter un moment sur sa vie? Ne serait-
ce pas une véritable félonie de voir de loin le péril et d'y
courir tête baissée. Y a-t-il un Français assez lâche et
assez malheureux pour vouloir survivre à sa patrie dont le
salut, comme on l'a dit souvent, dépend de celui de Sa
Majesté.»
Le roi n'entendait rien qu'il ne sût déjà , il répondit au
premier président avec beaucoup de bienveillance, mais
en maître qui veut être obéi. Il congédia les conseillers :
quelques jours après, les lettres royales autorisant la
rentrée des jésuites dans le royaume , furent enregistrées,
mais à des conditions humiliantes. Le plaisir de rentrer
leur fit tout oublier; leur pouvoir parut si grand le len-
demain de leur rétablissement, qu'on eût dit qu'ils étaient
les vrais maîtres de la France.'
1. Élie Benoit, Hist. de l'édit de Nantes, liv. VIII, p. 402. —
Voir pour tout ce qui concerne le rappel des Jésuites : Chronologie
novernaire de Palîna-Cayet — Eisloire universelle de De Thou —
Histoire de la compagnie de Jésus par Jouvency et par Bartol —
Journal de l'Estoile — Économies royales de Sully — Lettres du
cardinal d'Ossat — Ambassades du cardinal Du l'erroa.
UVRE XXVII.
S85
XVI.
Un deuil domestique inattendu, vint affliger le roi au
milieu des préoccupations que lui donnaient les exigences
des partis. La duchesse de Bar, sa sœur, mourut. Cette
princesse demeura fidèle à la foi de son illustre mère;
toutes les tentatives pour l'amener à une abjuration,
échouèrent devant une conviction qui reposait sur le
double fondement de la parole sainte et d'une conscience
droite. Pour complaire à son mari, elle consentit cepen-
dant à écouter les arguments des docteurs catholiques.
Son ministre, Dumoulin, la soutint dans ses luttes péni-
bles qui l'affligeaient et faisaient craindre aux protestants
qu'elle n'imitât son frère. Plusieurs fois on fit courir le
bruit qu'elle était allée à la messe. «Je ne pense pas y
aile:-, écrivait-elle à Mornay, jusqu'à ce que vous soyez
devenu pape.» Dans une "lettre à Théodore de Bèze,
elle disait : «Quant à ma conscience, elle est toujours
semblable, faisant profession de la même religion, en la-
quelle j'ai été nourrie dès le berceau, si ce n'est avec la
même liberté que je faisais à Paris, pour le moins est-ce
avec la résolution toute pareille d'y vivre et mourir,
moyennant la grâce de Dieu , ce que je vous prie de
croire, et en assurer les gens de bien.»'
Sa fermeté faisait la désolation et l'admiration de sa
nouvelle famille. «Je suis, disait-elle dans la même lettre,
la plus contente et la plus heureuse du monde, de vivre
parmi des princes qui m'honorent extrêmement, quelque
constance qu'ils voient en moi de persévérer en la reli-
gion. En quoi je vous prie m'assister de vos saintes prières,
comme de ma part je supplie le créateur qu'il vous donne
sainte et longue vie.»
«Madame, lui répondit le réformateur. Votre Excel-
lence me fera cet honneur de croire, s'il lui plaît, que se-
lon mes devoirs, je la porte en continuelle souvenance
devant la face du Seigneur, notre bon Dieu et père, lui
rendant grâces de ce qu'il lui plaît faire cette faveur à la
France, ou plustôt à toute la vraie Église catholique et
1 . Bulletin de la société de l'Histoire du protest, franc. , année
1853, p. 149.
286 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
près et loin , de voir en votre personne, un si remarquable
exemple de piété, témoignée d'un si vrai zèle de sa gloire,
avec toute occasion d'espérer qu'il parachèvera son
œuvre si heureusement commencée et avancée en vous.»
Théodore de Bèze était pour Catherine l'idéal du chré-
tien; elle admirait en lui une piété ferme sans rudesse,
douce sans mysticisme , compatissante sans faiblesse ; il
était pour elle un père, un ami, un guide. Ces deux nobles
cœurs étaient dignes de se comprendre; ils avaient trouvé
au pied de la croix le secret de cette aimable fraternité
chrétienne qui, sans confondre les rangs, unit les cœurs
dans un même amour , et devient pour le disciple de
Jésus-Christ une des sources de ses plus pures jouissances.
Rien n'est plus touchant que la lecture des lettres échan-
gées entre le réformateur et la sœur de Henri IV. Dans
l'une de ces lettres, Catherine, en lui envoyant quelques-
unes de ses poésies, lui dit: «Parmi mes douleurs je m'é-
bats quelquefois à parler à Dieu avec ma plume, non en
vers si bien faits comme ceux qui font profession de
longue main de bien écrire, mais chrétiennement pour
ma consolation , comme vous verrez par ceux que je vous
envoyé, pour en être juge et modérateur de ce qui peut
s'y trouver à redire, vous priant de toute mon affection
d'y passer librement la plume et me tesmoigner en cela
ce que j'espère de votre bonne amitié, et croire qu'en
tout autre endroit je vous rendrai preuve de la mienne,
avec autant de volonté que j'en ai à prier Dieu qu'il veuille,
Monsieur de Bèze, vous maintenir sous sa sainte garde.»'
Au nombre des pièces de vers que la princesse envoyait
au réformateur se trouvait la suivante :
Pardonne-moi, Seigneur tout saint, tout débonnaire,
Si j'ai par trop cédé à de mondains appâts.
Hélas ! j'ai fait le mal, lequel je ne veux pas,
Et ne fais pas le bien que je désire faire.
Mon esprit trop bouillant, guidé par ma jeunesse.
S'est laissé emporter après la vanité,
Au lieu de s'élever vers la divinité.
Et admirer les faits de ta grande sagesse.
1. Lettre datée de Fontambre (26 janvier 1598). — Bulletin de
la société de l'Histoire du protest, franc., année 1853, p. 142.
trV'RE XXVII.
S87
Ma langue, qui devait publier ta puissance
El l'honneur que de toi je reçois tous les jours.
Est bègue quand il faut entrer en ces discours.
Et prompte et babillarde après la médisance.
Mon oreille, Seigneur, n'est-elle pas coupable,
Qui devait écouter ta sainte vérité
Et y preudi'e plaisir, tant ingrate a été.
Tarde à ouïr ta loi, et ouverte à la fable.
Que dirai-je, mon Dieu, de mes yeux inJQdèles, '
Qui, au lieu de jeter leur regard dans les cieux,
D"où leur vient leur salut, aveuglés aiment mieux
Les arrêter ici sur des beautés mortelles ?
Mes maiDs ne font pas mieux s'amusant à écrire,
Au lieu de ta louange un discours inventé,
Lorsques jointes devaient prier la magesté
D'approcher la pitié et reculer ton ire.
Alors qu'il faut aller écouter ta parole ,
Mes pieds sont engourdis et vont le petit pas ;
Mais s'il faut aller voir quelques mondains esbats,
Au heu de cheminer, il semble que je vole.
Mon cœur est endormi en sa vaine pensée.
Et ne médite pas aux biens que tu lui fais,
n les met en oubU; mais où sont les parfaits
De qui ta Magesté n'ait été ofTensée ?
Mais, reçois moi Seigneur d'un oeil doux et propice,
Puisque je reconnais mes péchés devant toi.
Regarde à ton cher fils, sacrifié pour moi,
Qui, prenant mes péchés, me vêt de sa justice.'
Ces vers simples et touchants rappellent les beaux can-
tiques que David commençait avec un cri de désespoir et
qu'il terminait avec un chant d'espérance. Comme un ro-
seau, la princesse ployait; mais comme la branche, elle se
relevait toujours. Ame tendre, cœur aimant, elle trouvait
ses joies les plus pures dans le creuset de ses plus vio-
lentes douleurs.
Un moment elle crut à l'amour de son mari , qu'elle
aimait passionnément; c'était après son retour de Rome.
1. Voir l'intéressant article, que M. Jules Bonnet a inséré dans
le Bulletin de la société de l'Histoire du protestant, franc. , année
1840. — Cet article est intitulé ; Lettres et poésies de Catherine
de Kavarre, duchesse de Bar.
288 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
«J'ai tant importuné mon Dieu , écrivait-elle à Théodore
de Bèze, qu'enfin il m'a ramené Monsieur mon mari sain
et gaillard, dont je le loue et le remercie de tout mon
cœur. Monsieur mon mari me promet tout bon traitement
et m'assure fort en sa parole. »
Catherine se faisait illusion ; son mari ne l'aima jamais.
Elle écrivit encore à son vieil ami de Genève :
«Je suis ici, Dieu merci, avec tout le repos que je sau-
rais désirer, attendant la jouissance d'un bien que les
médecins et les apparences, mais plus la bonté de Dieu,
me promettent, c'est la venue d'un enfant, dont les mé-
decins m'assurent que je suis enceinte. S'il a plu à Dieu
me faire cette grâce , j'espère qu'il parachèvera. Je vous
ai bien voulu mander cette nouvelle, afin que, comme
l'un de mes bons amis, vous participiez à ma joie et m'ai-
diez de vos prières. Au demeurant, je vous prie de me
recommander à vos confrères et de les assurer de mon
affection envers eux et de ma résolution en la profession
de la vérité. En cette volonté je finis celle-cy, priant Dieu
qu'il lui plaise. Monsieur de Bèze, vous avoir en sa sainte
protection et sauvegarde. » '
Cet enfant qu'elle attendait , comblait ses vœux : elle
voyait en lui le lien qui désormais devait l'unir à un époux
qui ne lui avait montré que de la froideur. Ce ne fut
qu'une illusion causée par l'ignorance de ses médecins,
qui avaient pris une tumeur pour une grossesse; elle souf-
frait cruellement. Son frère lui envoya son médecin André
Du Laurent, qui constata de suite la nature de la maladie
et voulut en entreprendre la cure. La princesse refusa.
«Je ne veux pas nuire, dit-elle, à l'enfant que je porte
dans mon sein.»
Elle supporta des souffrances atroces avec une admira-
ble patience, et quitta cette terre, où elle avait tant souf-
fert, en chrétienne qui espère et en épouse trop heureuse
de mourir, si sa mort doit rendre père son époux.
Le roi regretta sa sœur ; les réformés la pleurèrent.
Elle fut la dernière des grandes dames du sang royal qui
appartinrent à la réforme.
1. Lettre du 6 décembre 1603, datée de Nancy.
LIVUE XXVIl.
2*9
XVIL
Depuis leur rappel, qui datait à peine de quelques jours ,
les jésuites avaient gagné considérablement du terrain et
se trouvaient sur toutes les avenues du pouvoir. Le père
Coton exerçait une influence extraordinaire sur l'esprit du
roi , qu'il suivait partout. On fit circuler, à cette occasion,
le quatrain suivant :
Autant que le roi fait un pas ,
Le père Coton l'accompagne;
Mais le bon roi ne songe pas
Que fin Coton vient d'Espagne.'
L'intimité qui régnait entre le jésuite et son royal péni-
tent, alarmait les réformés. «Ses oreilles, disaient-ils en
parlant du monarque et en faisant allusion au nom du
confesseur, sont bouchés de coton.» Les pères faisaient
envie, après avoir fait horreur. Ils osaient tout oser; mal-
gré les protestations du parlement, ils obtinrent du roi la
démolition de la pyramide, sur laquelle était gravé l'arrêt
de leur bannissement; cela causa une profonde sensa-
tion dans tous les rangs de la société. Les parlementaires,
les sorbonnistes, les réformés exhalèrent tour à tour leur
colère impuissante dans des écrits plus ou moins violents,
que le public lut avec avidité; le plus célèbre de ces pam-
phlets, aujourd'hui oubliés, est La Prosopopée de la pyra-
mide.^
L'auteur , par une fiction ingénieuse , fait parler le mo-
nument qui va tomber sous le coup du marteau de ses
démolisseurs. «Taisez -vous, méchants, leur dit-il, puis-
que les pierres parlent. Ecoutez , vous bons Français ,
puisque les autres n'ont point d'oreilles. Je suis, ce qui
n'est plus une pyramide qui parle, une pierre muette , qui
vous sollicite de m'écouter, une colonne sans ouie et sans
sentiment, qui vous en veut faire venir. Je parle n'étant
plus, qui étant ne parlai jamais, je me plains de la clé-
mence , qui ne me plaignis jamais de la cruauté ; afin de
1. L'Estelle, année 1605.
2. L'écrit est intitulé : Prosopopée de la pyramide dressée de-
vant la grande porte du palais de Paris. — Voir Mémoires de Condé,
t\n,p. 207.
lY. 9
290 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
me rehausser par les m^mns moyens qu'on m'a fail abattre
et rabattre de la méuioire 0 " hommes, ce que l'on efface
de dessus la terre. La justic; .ne fit dresser, la miséricorde
me fait défaire, non miséricirde, mais cruaulc, puisqu'il
est aussi cruel de pardonner à tous, que de ne faire grâce
à aucun. Je naquis d'un parricide, comme les bonnes lois
naissent des mauvaises mœurs. Un coup de couteau, porté
sur le visage du plus grand roi du monde , me porta sur
la plus haute face du monde; mais, voyez un peu l'incer-
titude des choses humaines, je devais durer après mille
siècles, à peine ai-je vu seulement un lustre.»
La pyramide s'adresse ensuite au roi :
«Mais par votre foi, Sire, ne voulez-vous pas devenir
jésuite, afin que les jésuites demeurent rois? et quand
comme le feu roi , en penseriez-vous être mieux servi que
lui? Êtes-vous plus catholique que lui? C'est grand cas
que vous n'ouvriez quelquefois les yeux sur les ombres de
ce pauvre prince , et que la considéralion de sa mort ne
puisse toucher votre vie. Je parle bien haut; mais que me
peut-on pis faire que de me ruiner? Sire, les pierres ne
parlent point que par une grande merveille ; c'est pourquoi
elles doivent d'autant plus être écoutées, qu'elles parlent
moins, surtout quand elles parlent des choses que les
hommes n'osent pas dire. J'ai souvent ouï plusieurs de vos
bons sujets se lamenter de cela, que vous reconnaissiez
mieux et favorisiez davantage vos ennemis que vos servi-
teurs , à quoi l'occurrence de vos affaires vous pourrait bien
quelquefois porter; mais d'en faire une règle générale,
Sire, il vaudrait mieux vous avoir offensé que servi, et
quel propos y a-t-il de laisser à reconnaître un service,
pour rémunérer une offense? N'est-ce pas détourner les
bous de bien faire, et acheminer les autres au mal? et
cela, Sire, faut-il le pratiquer envers les jésuites, qui ont
tant de fois écrit et prècliô qu'il était licite aux sujets de
tuer librement leurs rois?
Après ces paroles la pyramide retrace, à grands traits,
l'esprit dominateur de la société de Loyola, et la faiblesse
incroyable du roi , qui semble leur faire un pont de son
dos pour les fnire monter par-dessus la royauté, puis elle
teraiinc en s'adrcssaat aux jésuites: «Qu'auriez-vous pu
vous porteriez le sac et vous
LIVRE XXVII.
291
faire davantage, si vous eussiez triomphé de la France?
Encore César, après avoir battu Pompée, commanda que
ses statues demeurassent droites, et par ce moyen, en
rendit les siennes plus assurées : mais vous, étant non-
seulement vaincus, mais convaincus, bannis et retirés par
miséricorde, usez plus outrageusement de votre retour,
que si vous aviez opprimé la liberté du pays; et je ne crois
pas, Si selon vos inutiles efforts, vous eussiez pu chasser
les Français, et introduire les Espagnols en ce royaume,
que vous eussiez pu faire davantage, que d'abolir les mar-
ques de la justice ; mais vous ne gagnez rien en cela, car,
pour une pyramide abattue, qui ne se pouvait voir qu'en
un seul endroit, vous susciterez cent mille hommes qui
crieront et écriront par tout le monde, que justement
vous avez été déclarés, par divers arrêts, corrupteurs de
la jeunesse de la France, et même perturbateurs du repos
public, traîtres au roi et déserteurs de votre patrie.»'
Les jésuites se consolèrent facilement des attaques de
leurs ennemis, par la joie de leur triomphe; comblés des
faveurs du roi, ils oublièrent les causes honteuses de leur
rappel. De la pyramide il ne reste aujourd'hui qu'un sou-
venir; mais ce qu'ils ne purent et ne pourront jamais dé-
molir, ce sont ces paroles que Henri IV dit à ses ministres
en plein conseil : «Ventre saint-gris, si je ne permets le
rétablissement des jésuites, me répondrez-vous de ma
)ersonne?»
XVIII.
Le père Coton, aux sollicitations duquel le roi avait
iccordé la démolition de la pyramide, se fit de nombreux
î-nnemis. Il fut un soir attaqué, lorsqu'il sortait du Louvre.
jSs jésuites accusèrent les protestants d'avoir voulu l'as-
assiner : ceu.x-ci répondirent qu'ils ne savaient pas comme
ux jouer au couteau et qu'ils ne tuaient que sur les
hamps de bataille. La blessure que reçut le confesseur
u roi était si légère qu'on répandit le bruit qu'il se l'était
ute pour se rendre intéressant.
Une attaque bien autrement importante que ce"^ dont
oton aurait été l'objet, vint le troubler dans les j ios de
1. Voir sur le même sujet : Complainte au roi sur la pyramide
• Mémoires de Coudé, t. VI, p. 212.
i92 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
son triomphe : on fit courir dans tout Paris un pamphlet
intitulé le grimoire du père Cotm. Voici à quelle occasion.
Il y avait alors à Paris une seconde Marthe Brossier : on
l'appelait Adrienne Dufresnes. Cette intrigante, qui passait
pour être possédée du démon, excitait vivement la curio-
sité publique.
«èous prétexte de l'exorciser, Coton, dit Élie Benoît,
dressa une liste dans laquelle il posait au diable une série
de questions, parmi lesquelles plusieurs concernaient les [
réformés. L'une parlait du comte de Laval, petit-fils de
Dandelot, qui changea de religion peu après et qui mourut f
l'année suivante en Hongrie; une autre parlait de la guerre
et s'informait si le roi la ferait aux Espagnols ou aux hé-
rétiques; une autre parlait de Chamier et de Ferrier, gens
que les jésuites avaient en vue, à cause de leur crédit
chez les réformés , et vraisemblablement ce jésuite aurait
voulu savoir le moyen de les détruire ou de les gagner ;
une autre touchait le roi et Rosny, et apparemment elle
devait s'informer des moyens de perdre l'un dans l'esprit
de l'autre ; une qui la suivait demandait comme subsi-
(liairement, ce qui arriverait touchant la conversion de ce
favori; immédiatement après il s'informait qui étaient les
liéréliques de la cour les plus faciles à réduire à la foi
romaine ; ensuite il voulait savoir ce qui était le plus utile
pour la conversion des liéréliques, c'est-à-dire s'il était
plus à propos d'en venir avec eux, à la force ouverte, ou
de s'en tenir à une tolérance frauduleuse. Il voulait
prendre aussi du démon des leçons, de théologie, et le , n
forcer à lui dire quel passage de l'Écriture était le plus j
clair pour prouver le purgatoire, et pour montrer l'éga- •
lité de la puissance du pape à celle de saint Pierre. Il lui i
demandait aussi en quel temps Vhérésie de Calvin serait 1
éteinte. Il l'interrogeait sur l'altération des passages de
l'Écriture par les hérétiques , et il avait raison de demander |j
sur cela les lumières du prince des ténèbres, parce qu'il
préparait un ouvrage où il accusait la version de Genève^
d'un grand nombre de falsilicalions. Il passait aux affaires!!
étrangères pour savoir comment on pourrait se prendre à,,
converlir le roi et la reine d'Angleterre, et tout lef
royaume, et pour y réussir avec plus de facilité? Comment jf
on' puni rait défaire le (urc et convertir les infidèles; d'où
II
LIVRE xxvn.
293
venait que Genève était si souvent conservée. Puis reve-
nant aux affaires du royaume, il demandait quelque chose
touchant les places de sûreté , touchant Lesdiguières et sa
conversion et touchant la durée de l'hérésie.»'
Ces questions eussent été sottes et impernitentes si
sous la sottise, la méchanceté ne se fût pas cachée. Le
jésuite, infidèle cette fois à la prudence qui caractérise sa
société , écrivit de sa propre main les questions sur une
feuille volante et la mit dans un livre que Gillot, conseiller
au parlement lui avait prêté en 1C03; il rendit le livre et
oublia la feuille qui tomba entre les mains du président
de Thou qui la montra au roi; celui-ci trouva la curiosité du
jésuite un peu trop grande, mais son crédit n'en fut pas
diminué à la cour.
Le public, moins complaisant que le roi, eut connais-
sance de l'affiiire , il trouva comique que Colon eût voulu
questionner le démon , non-seulement sur les affaires
d'Etat, mais encore sur le moyen de convertir les héré-
tiques, comme si le prince des ténèbres était intéressé à
l'abjuration des protestants. De là , l'apparition du gri-
moire du père Coton ^ dans lequel on racontait en détail ce
qui s'était passé entre lui et le diable.» '
Le roi ne put empêcher la circulation du pamphlet qui
fit rire aux dépens des jésuites, mais qui affligea profon-
dément les esprits sérieux. Sous les bouffonneries on dé-
couvrait les germes de nouvelles intrigues qui pouvaient
ramener la France aux plus mauvais jours de la Ligue.
Les jésuites nièrent le fait; mais leurs dénégations
n'ont jusqu'ici constaté que leurs mensonges.
XIX.
Au milieu de tous ces incidents , les réformés se
préparaient à tenir une nouvelle assemblée générale.
Le roi le voyait avec peine : il craignait qu'elle ne prît
la défense du duc de Bouillon qui de suppliant était
devenu accusateur, et se présentait aux yeux de l'Europe
1. Élie Benoit, Histoire de l'édit de Nantes, t. \" , liv. VII, p. 402
et suiv.
2. L'Estoile, année 1605. — De Thou, liv. CXXXII, p. 717 et
suiv. — Liste des questions dressées par le père Coton pour
l'exorcisme d'Adrieune Dufresnes.
294 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
comme une viclime de sa fidélité au protestantisme. Le
lieu enfin de la réunion lui déplaisait: Chatellerault n'é-
tait pas éloigné des possessions de Duplessis-Mornay et de
La Trémouille. Ce dernier lui éîait aussi suspect à cause
de la grande influence qu'il exerçaitsur ses coreligionnaires.
Ce seigneur était né en 1566 d'une famille illustre du
Poitou. Son père, Louis de la Trémouille', zélé catholique
tué en 1577 devant Melle, laissa deux enfants: une fille,
Charlotte Catherine; un fils, Claude deThouars, pair de
France, prince de Talmont, conseiller du roi et capitaine
de cent hommes d'armes.
Le jeune Claude, après avoir servi dans les armées ca-
tholiques, se fit protestant et s'attacha à Henri de Condé
qui épousa sa sœur. Fidèle à la cause qu'il avait embrassée
par conviction, il se distingua dans les combats qui se li-
vraient journellement entre les deux partis. Après la mort
de son infortuné beau-frère, il suivit Henri IV sur presque
tous les champs de bataille, où il conquit la répulation
d'un habile capitaine. La seule récompense qu'il obtint de
son maître fut l'érection de son duché de Thouars en du-
ché-pairie.
Trop fier pour descendre au rôle de courtisan, La Tré-
mouille montra toujours une noble indépendance, et
pendant que Rosny donnait l'exemple d'une soumission
serviie, il se tenait à l'écart, résistant au despotisme
royal, chaque fois que l'intérêt de ses coreligionnaires
l'exigeait. Ce fut lui qui fit à l'assemblée de Loudua
(1596) la proposition de saisir les deniers royaux pour les
employer au paiement de la garnison de Thouars'. Avec
tous les membres de l'assemblée, il prêta le serment d'u-
nion'. En 1597, il assista à l'assemblée politique de Cha-
tellerault qu'il présida avec autant de sagesse que d'énergie
et repoussa les offres qui lui furent faites par Schomberg
et de Thou."
1 . Ilaag , France protestante.
2. Fonds de Brienne, n» 208.
3. Note XV.
4. Ces offres consistaient en dix brevets de maîtres-de-camp et
deux de maréchaux de camp pour ses amis, avec une pension
annuelle de mille éciis attacliée à cliaciin des premiers et de .3000
à chacun des deux autres; à lui-même on lui offrait le produit du
péage de la Charente.
LIVRE XXVII.
295
«Messieurs, leur dil-il, je vous excuse, qui venez de
travailler pour éteindre la ligue, et ayant trouvé un parti
enflé d'intérêts particuliers, ne l'avez plutôt piqué au lieu
plus sensible que vous l'avez réduit à néant. Pour vous
montrer qu'il n'y a rien de pareil parmi nous, quand vous
me donneriez la moitié du royaume, refusant à ces pauvres
gens qui sont à la salle ce qui leur est nécessaire pour
servir Dieu librement et sûrement, vous n'auriez rien
avancé; mais donnez-leur ces choses justes et nécessaires
et que le roi me fasse pendre à la porte de l'assemblée,
vous aurez achevé et nul ne s'émouvra.»
Après l'assemblée de Chatellerault que La Trémouille
ne présida pas jusqu'à la fin , il alla en Portugal o£i le roi
l'envoya pour se débarrasser de lui. A son retour il se re-
tira dans son château de Thouars où il se trouvait au mo-
ment où une nouvelle assemblée politique allait se réunir.
Il y eut probablement joué un rôle très-important, si le
23 octobre 1604, la mort ne l'eût surpris; il n'avait que
trente -huit ans. Le bruit courut qu'on l'avait aidé à
mourir.
Henri IV apprit avec une joie qu'il ne chercha pas à
dissimuler, un événement qui le délivrait d'un homme
dont il redoutait le génie, et qui avait su, dans l'abandon
où il l'avait laissé , mériter sa haine et conserver son es-
time. L'assemblée de Chatellerault lui causa dès lors des
craintes moins vives. 11 s'y fit représenter par Rosny.
XX.
L'assemblée s'ouvrit le 26 juillet 1605. Son premier
acte fut de renouveler, malgré l'opposition de Rosny, le
serment d'union des églises. Chaque député promit de
remplir fidèlement le mandat qui lui était confié.
Ce début parut de mauvais augure au ministre de
Henri IV, qui dans les premières séances, se montra peu
conciliant. En parlant des places de sûreté que l'édit de
Hantes avait accordé à ses coreligionnaires, il dit «que les
réformés devaient plus compter sur la bienveillance du
roi que sur la multitude des bicoques qu'ils occupaient à
titre d'otage, et dont pas une n'était en état de soutenir
un siège régulier. Puis il leur communiqua les ordres
296
HISTOIRE DE LA nÉFOIWlATION FRANÇAISE.
royaux: «Si quelqu'un, dit-il eu (erminanl, soit député,
soil seigneur, cherche à s'émanciper, j'userai de mon au-
torifé de gouverneur pour le réduire au devoir'.» Le ton
hautain et menaçant avec lequel il parla , blessa vivement
les députés. Il le comprit, et changeant tout à coup de
langage, il chercha à obtenir par la diplomatie ce qu'on
refuserait à ses menaces. Il obtint de l'assemblée qu'elle
ne nommerait pas directement elle-même les deu.x députés
généraux qui devaient la représenter à la cour, mais qu'ils
seraient choisis par le roi sur une liste de six candidats
nommés par elle. Il demanda de plus qu'il n'y eût plus à
l'avenir d'assemblées politiques: «Elles seront inutiles,
dit-il, puisque les églises ont leurs synodes provinciaux
et nationaux pour s'occuper des questions de discipline et
qu'elles auront leurs députés généraux à la cour pour dé-
tendre leurs intérêts politiques.»
L'assemblée refusa d'accéder aux demandes de Rosny
qui parvint cependant à obtenir «que les assemblées po-
litiques n'auraient lieu que sous la condition expresse de
rendre compte des raisons qui feraient juger leurs réu-
nions nécessaires, et de solliciter du roi la permission de
se réunir'.» C'était une abdication à peu près complète de
leurs droits, puisque le gouvernement demeurait à l'avenir
le maître de l'époque de la convocation des assemblées et
de la direction de leurs délibérations. Cette décision qui
investissait la couronne d'un droit aussi grand, renfer-
mait des germes do divisions, puisque chaque refus de la
royauté devait provoquer l'esprit de résistance. Mieux eût
valu renoncer à la tonue de ces réunions que de s'exposer
à ces luttes dans lesquelles un parti se retranche derrière
la justice et l'autre derrière la légalité; en elîet, un droit
dont l'exercice dépend de la volonté d'autrui, n'est pas
plus un droit que la tolérance n'est la liberté.
L'assemblée, qui céda sur une grande question de poli-
tique, se montra inflexible sur une question de dogme.
Sully demandait que le mot Antéchrist, appliqué au pape,
fût retranché de la confession de foi des églises réformées;
1. Anquez, Assemblées politiques, p. 118. — Sully, Économies
royales.
2. Sully, Économies royales. — Élie Benoit, Actes des assem-
blées t'ciiérales. — Anquez, Assemblées politiques.
LIVRE XXVII.
291
l'assemblée répondit: Ce qui est écrit est écrit: les hugue-
nots étaient plus religieux que politiques. Ils eussent tout
cédé au roi: assemblées, places fortes, s'ils eussent été
assurés qu'à l'avenir ils ne seraient plus inquiétés dans
l'exercice de leur culte. Leur résistance n'avait d'autre
cause que leur défiance.
L'assemblée se sépara le 9 août. Les deux députés gé-
néraux, Lanoue et Ducros, nommés par le roi sur la liste
des six candidats qui lui avaient été présentés, se rendirent
à la cour. Henri IV les accueillit avec bienveillance et
promit de faire droit au cahier de plaintes qu'ils lui pré-
sentèrent de la part de leurs coreligionnaires, auxquels il
accorda par un brevet du 10 août le droit de garder leurs
places de sûreté pendant huit ans, à dater du jour de la
vérification de l'édit dans les parlements.
Le maréchal de Bouillon qui avait espéré d'être sou-
tenu par l'assemblée, fut trompé dans son attente. Les
députés qui crurent voir dans sa conduite plus de politique
et d'intérêt personnel que de religion, refusèrent de s'in-
téresser à sa cause. Se voyant délaissé, il n'attendit pas
que le roi lui prît par la force ce qu'il lui était impossible
de garder; il ordonna à ses gens de lui rendre ses places
fortes. Quelques temps après, il fit sa paix avec le roi qui,
satisfait d'avoir humilié le maréchal, le réintégra dans
toutes ses possessions. Rosny reçut la récompense de l'ha-
bileté qu'il avait déployée dans ses négociations avec les
réformés; il fut élevé à la dignité de duc et pair et prit le
nom de Sully.
XXL
Le clergé tint une assemblée à Paris dans la même année
oij les réformés en avaient tenu une à Chatellerault. L'ar-
chevêque de Vienne harangua le roi et fit dans son discours
plusieurs allusions qui regardaient les protestants qu'il
accusa formellement de contrevenir à l'édit de Nantes. Le
prélat, au nom de ses collègues, demanda entre autres
choses la publication du concile de Trente. Le roi répondit
a l'archevêque d'une manière évasive, que chaque parti
pouvait entendre dans"un sens favorable à sa cause.
Médiâteur entre les deux cultes, Henri IV ne pouvait
298 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
pas toujours réussir à les faire vivre en paix. Plusieurs
fois il dut intervenir pour empêcher ou prévenir des colli-
sions, dont les causes éfaient ridicules et les résultats
sanglants. Le samedi 10 de ce mois (septembn; 1G05) dit
l'Estoile, on trompetta des défenses par la ville de Paris,
de ne plus chanter par les rues la chanson de Colas, et ce
SUT peine de la hart', à cause des grandes querelles,
scandales et mouvements qui en arrivaient tous les jours,
même des meurtres.»'
Les protestants qui s'étaient montré si grands sur les
bûchers et sur les champs de bataille , se montraient petits
(levant la raillerie. Une mauvaise chanson les mit hors
d'eux-mêmes; au lieu d'en rire les premiers, ils eurent la
faiblesse de montrer d'abord de la mauvaise humeur, puis
de l'irritalion. Ce trait de leur histoire, tout insigniliant
qu'il nous apparaisse, n'est pas sans quelque intérêt au
point de vue de l'étude du cœur humain qui se révèle à
nous, moins dans les grands que dans les petits événe-
ments de la vie.
XXIL
Au mois do septembre 4605, un vigneron d'Orléans,
nommé Claude Pannier Colas perdit sa vache ^ La bête
égarée se dirigea vers le hameau de Bionne, situé sur la
route qui prolonge le faubourg de Bourgogne et entra dans
un temple prolestant au moment du service. Le^ assistants
crurent que c'était un mauvais tour des catholiques , qui
montraient ainsi le mépris qu'ils professaient pour leur
culte. Dans leur irréflexion, ils se ruèrent sur le pauvre
animal, le tuèrent, le dépécèrent et s'en partagèrent les
morceaux.*
Lorsque Colas apprit le sort de sa bête , il porta plainte
au bailli d'Orléans qui condamna les protestants à lui
en payer le prix, ce qu'ils firent au moyen d'une quête.
1. De la pendaison.
2. L'Estoile, année 1605.
3. Bulletin de la société de l'histoire du protestantisme français;
7« année, p. 91, 215, 3G4.
4. Due autre version dit qu'ils distribuèrent les morceaux aux
passants.
LIVRE XXVII.
299
L'affaire eut un grand retentissement: la moquerie s'en
empara et rendit tous les protestants du royaume soli-
daires de la colère ridicule de leurs coreligionnaires; un
grand nombre de chansons circulèrent. Celle qui eut le
plus de succès fut celle intitulée : Complainte du pauvre
Colas touchant l'ingratitude de sa vache\ «On la chanta
partout à Paris, dit l'Estoile, par toutes les villes et les
villages de France, on n'avait la tête roftipue que de cette
chanson , laquelle grands et petits chantaient à l'envi l'un
de l'autre, en dépit des huguenots devant la porte desquels
pour les agacer, cette sotte populace la chantait ordinai-
rement, et était déjà passé en proverbe de dire quand on
voulait désigner un huguenot : « C'est la vache à Colas ou
// est de la vache à Colas.y>
Plus les protestants se montraient vexés, plus les catho-
liques se montraient ardents à chanter la chanson ; de là,
des querelles et des rixes. Près du couvent des Cordeliers,
un catholique qui la chantait fut tué d'un coup d'épée par
un protestant, archer des gardes de M. de la Force. Té-
moin de ces scènes, le roi défendit de chanter la chanson
et la fit brûler en place de Grève par la main du bour-
reau : on la chanta davantage.
Le roi étant un jour au Louvre, dit M. Edouard Four-
nier', environné de ses courtisans, le duc de la Force,
alors capitaine des gardes, arrivant précipitamment dans
la salle, s'approcha du roi, lorsque le comte de Gram-
mont son ennemi capital, dit d'un ton moqueur:
Voici venir La Force,
Qui vient à grande force
■Voir la vache à Colas.
Le roi que cette raillerie égaya , l'ayant fait répéter h
Grammont qui passait à la cour pour l'un des chefs de
la grande confrérie, La Force répliqua sur-le-champ en
achevant le couplet de la manière suivante:
Les cornes de la vache
Serviront de panache
A Grammont que voilà.
1. L'Estoile, année 1605.
î. Édouard Fournier, Variétés historiques et littérsdre», t H,
sax notes.
300 HISTOUIE UK LA RÉFOUMATIO.N FRANÇAISE.
iSur quoi , Sa Majesté le roi s'écria: «Ventre saint gris!
mon cher Grammoiit, te voilà bien payé! Et cette apos-
trophe piqua , dit-on , tellement ce dernier, qu'il quitta
brusquement la cour et n'y retourna jamais.»'
La chanson se chanta longtemps, et longtemps encore
on dit en parlant des huguenots : Ils sont de la vache à
• Colas. Ceux-ci quand ils le pouvaient, rendaient la pa-
-reille aux catholiques, ne laissant échapper aucune occa-
sion de les mortifier; c'est ainsi que dans les églises du
midi de la France, les membres des consistoires avaient
la coutume de suspendre dans la salle de leurs séances
ou dans la sacristie , les ornements sacerdotaux des
prêtres qui embrassaient la réforme. C'étaient des tro-
phées qu'ils montraient avec orgueil. Le clergé romain
s'en ofl'ensait et portait ses plaintes jusqu'au roi, qui s'im-
patientait de ces mesquines tracasseries dans lesquelles
les deux partis manquaient également de charité et de
support.'
Ces soutanes de prêtres suspendues à la voûte de la
•salle des séances des consistoires et des sacristies avaient
cependant une haute signification qui n'échappa pas à
Fœil vigilant du clergé. Elles étaient les fruits de l'édit de
Nantes qui permettait à tout Français sans exception de
quitter sa religion, sans courir le danger d'être inquiété
dans ses biens et dans sa vie. Les prêtres qui étaient
fatigués de la tyrannie épiscopale ou qui étaient éclairés
sur les erreurs de leur église, embrassaient la réforme.
L'exemple pouvait devenir contagieux. Le clergé ob-
tint par ses importunités un édit qui ouvrit la série de
ces restrictions qui devaient annuler de fait celui de
Nantes avant le trop célèbre jour de sa révocation ofTi-
cielle. L'un de ces articles portait que comme les ecclé-
siastiques romains ne pourraient se ranger au parti des
réformés que pour éviter les punitions canoniques de
leurs crimes et de leurs dérèglements, on devait leur faire
leur procès avant qu'ils pussent faire profession de la re-
ligion réformée. D'autres articles portaient que les protes-
tants ne pourraient avoir leurs sépultures dans les églises,
1 . Kote XVI.
?. Élio Eenoît, lîist. de redit de Kantes, t. l", liv. IX, p. 432.
LIVRE XXVII.
30!
ni crans les monastères, ni dans les cimetières des catho*
liques, SOUS rfii texte même de fondation ou de patronage;
qu'on ne bâtirait point de temple si près des églises que
les ecclésiastiques faisant le service, en reçussent de l'em-
pêchement ou du scandale; que les régents, précepteurs
ou maîtres d'école des villages seraient approuvés par les
curés sans préjudice à l'édit de Nantes.'
1. Élie Benoit, Hist. de rédit de Nantes, 1. 1", liv. IX, p. 430 et
iZI. — Drion, Airégé chronologique, 1. 1", p. 271.
302
HISTOIRE DE LA HÈFORMATlON FRANÇAIS!.
LIVRE XXVIIL
1.
Les concessions que le roi faisait aux catholiques aux
dépens des protestants, aigrissaient ces derniers, sans
contenter les prêtres, dont plusieurs ne voulaient pas faire
de prières pour sa personne dans les services publics. Il
fallut recourir aux parlements pour les y contraindre. —
L'esprit ligueur, entretenu avec habileté par les jésuites,
était un obstacle permanent aux bonnes et loyales inten-
tions de Henri IV, qui désirait apprendre aux deux cultes
à vivre en paix à côté l'un de l'autre. Il n'y réussissait
qu'à demi; et ce qu'il obtenait, il le devait à la seule
crainte qu'il inspirait. Un événement qui eut lieu à cette
époque révéla au monde épouvanté tout ce qu'un zèle
aveugle peut entreprendre pour le triomphe de Rome et
la ruine du protestantisme. La société de Loyola, depuis
le jour où son fondateur avait entrepris de rasseoir le
catholicisme ébranlé sur ses antiques bases, n'avait cessé
d'être, pour la chrétienté, une cause de discordes et
d'assassinats. Elle avait brouillé toute l'Europe par ses
intrigues; la Suède, la Pologne, la Prusse, la Hongrie, la
Moscovie avaient été le théâtre de ses sanglantes tragédies'.
Nous avons raconté au dix-huitième livre de cette histoire
le complot de Savage, de B.illard et de Babington, son
insuccès ne découragea pas les jésuites, qui, ne compre-
nant pas que Dieu se déclar iif contre eux, quand il don-
nait à l'Angleterre contre l'E^^pagne, ses orages et ses
tempêtes pour détruire lailniii; le Philippe II, cherchèrent
des tueurs, pour assassiner Elisabeth : ils en trouvèrent.
En 1592, Patrice Cullen s'offrit. Deux ans après, deux '
autres tueurs, William et Yorck, se dévouèrent et reçu-
rent des mains du jésuite Holte, le pain de la Cène; en
1. Guettée, Histoire des jésuites, 1. 1". — Élie Benoit, Hist. de
redit de Nantes, 1. 1", p. 438.
LIVRE XXvril.
303
1597, Sqiiirre vint du fond de l'Espagne à Londres, pour
essayer du poison : un disciple de Loyola, Walpole, lui
promit le ciel et lui fit jurer de garder le secret.
Dieu déjoua toîss ces complots. Les assassins furent
découverts et avouèrent tout avant de mourir. « Nous
avons, dit un auteur contemporain de ces événements ,
leurs aveux signés de la main propre de chacun d'eux, en
sorte que nous pouvons procéder dans cette affaire, comme
l'on dit, papier sur tabie.»'
Après la mort d'Elisabeth, les jésuites crurent que son
successeur, Jacques VI, le fils de Marie Sluart, abandon-
nerait la foi des réformés dans laquelle il avait été élevé;
leur espoir fut encore déçu; Garnet, le principal meneur
de toutes les inlrigues, était sur le point de quitter l'An-
gleterre, quand deux catholiques de haute naissance,
Catesby et Percy, lui demandèrent, s'il était permis, pour
soutenir la cause de Rome contre la Réforme, de faire
périr, en une fois, plusieurs coupables, tout en envelop-
pant dans leur ruine quelques innocents. ■ — Il est permis
de le faire, répondit Garnet sans hésiter.
Catesby et Percy furent rassurés; l'homme qu'ils con-
sultaient jouissait parmi les membres de son ordre, dont
il était le supérieur, de la réputation d'un profond et sage
docteur. Ils s'adjoignirent des complices qui , tous Jurè-
rent sur les saints Évangiles, de persévérer dans leurs
desseins, et d'en garder inviolabiement le secret. Le jé-
suite Gérard leur donna l'absolution.
Leur projet était de faire périr, d'un seul coup, le roi,
la famille royale, le parlement et les personnages les plus
considérables de la ville de Londres. Le il décembre, ils
se mirent à l'œuvre, et commencèrent à creuser une
mine qui devait conduire d'une maison qu'ils avaient
louée, jusques sous la voûte de la grande salle du parle-
ment. Quand elle fut achevée, ils y entassèrent des barils
de poudre auxquels on devait mettre le feu, le jour où Is
roi, accompagné de toute sa famille et des principaux
dignitaires de son royaume, en ferait l'ouverture solen-
nelle. Pendant que les conjurés perçaient leur souterrain,
1. Procès contre Henri Garnet, supérieur de la société jésuiti-
que en Angleterre et autres , etc. ; à Londres de l'imprimerie de
Jean Norton, imprimeur du roi (1607).
304
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
Catesby les encourageait. «, Dans le moment, leur disait-
il, en faisant allusion au jour de l'ouverture du parlement ,
oii les ennemis de notre sainte religion méditeront, peut-
être, quelques nouvelles mesures, nous les ferortS passer
des flammes de ce monde à celles qui doivent les consu-
mer pour toujours.» Le père Garnet ne demeurait pas
oisif : il administrait le sacrement de la pénitence et de la
sainte Cène aux conspirateurs, et demandait à Dieu, dans
des prières ferventes, de faire réussir cette entreprise
pour la plus grande gloire de son église.
Quand le passage eut été pratiqué, les conspirateurs
.entassèrent des barils de poudre sous la chambre du par-
lement, et attendirent avec anxiété l'ouverture de la
séance royale.
Heureusement un des complices de Catesby avait un
ami dans le parlement. A défaut de la conscience, qui,
chez lui, était muette, la pitié fit entendre sa voix. Il
lui écrivit, eu dissimulant son écriture, une lettre dans
laquelle il l'avertissait de ne pas se rendre au parlement
le jour de l'ouverture. Le style de cette lettre, son obscu-
rité , lui firent croire au eiie orovenait d'un cerveau
malade, ou d'un mystiiicaleur. it la communiqua cepen-
dant au secrétaire d'Etat Salisbury, qui n'y attacha au-
cune importance, mais qui eut l'idée d'en faire immédia-
tement part au roi. Celui-ci lut la lettre avec une grande
attention, fut frappé de quelques expressions, et devina,
sous l'ambiguïlé des termes, le projet des conspirateurs.
11 ordonna de visiter les caves du parlement ; on y trouva
GuyFawkes, domestique de Percy. On l'arrêta; la poudre,
cachée sous des fagots, fut découverte; elle était con-
tenue dans trente-six barils. Fawkes déclara tout. Catesby
et ses complices prirent la fuite. On se mit vivement à
leur poursuite; les deux chefs de la conspiration périrent
les armes à la main, ainsi que plusieurs de leurs com-
pagnons de crime. Les autres furent arrêtés, jugés et
condaioiiés à mcrL
'îl
Le jésuite Garnet fut arrêté. Dans le cours de l'instruc-
tion de son jorocès , il ne put , malgré ses restrictions
UVHE XXVIII.
305
mentales, décliner la responsabilité du crime qui avait
épouvanté TAngleterre. Il fut condamné à mort.
Le 3 mai 1605. il fut conduit au lieu de son supplice.
\ la vue de l'échafaud. il se troubla et se mit à trembler
de tous ses membres. L'angoisse et la terreur se peignaient
sur sa figure blafarde. Pour la première fois, peut-être, la
conscience lui faisait entendre sa voix sévère, et com-
prendre que ce qu'il regardait comme une œuvre méritoire
de la vie éternelle, n'était qu'un crime abominable. D'un
pas chancelant, il monta sur l'échafaud, et d'une vois
émue il dit aux assistants : «Le crime qu'on a voulu com-
mettre est énorme, et s'il eût été consommé, il eût été
impossible de n'en pas avoir horreur; mais je n'ai su la
chose de Catesby qu'en général ; je suis cependant cou-
pable de l'avoir célée et d'avoir négligé de l'empêcher; ce
que j'ai su en particulier, ajouta-t-il, je ne l'ai appris que
sous le sceau de la confession. »
A ces mots, le magistrat chargé de présider "a son exé-
cution lui dit : «Rappelez- vous les quatre articles signés
de votre main, qui sont entre les mains du roi'; ils prou-
vent que vous avez eu connaissance du crime autrement
que par la confession.»
Garnet baissa la tète : «Ce que j'ai signé est vrai, dit-
il; ma condamnation est juste; j'aurais dû tout découvrir
h Sa Majesté. »
Un moment après, la justice humaine était satisfaite.
La société de Loyola ne se montra pas ingrate pour
l'homme qui s'était dévoué pour elle, et dont le seul tort,
à ses yeux, avait été d'avouer son crime.
Sans tenir compte du procès-verbal de sa mort, elle en
dressa un, dans lequel elle dénatura audacieusement les
faits, et d'un criminel fit un saint martyr. «.Il monta, dit
le père Jouvency,à l'échelle du gibet avec une incroyable
sérénité, qu'il conserva même étant suspendu à la potence,
et jusqu'à sa mort, quand on lui eut coupé la tète, en sorte
que plusieurs y accoururent pour le voir de plus près.
«Le peuple en gémit, et comme le bourreau se mettait
en devoir de couper la corde , avant qu'il eût rendu l'es-
prit, le peuple l'en empêcha par ses cris. Ensuite le mêina
306 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
exécuteur montrant, comme on le fait ordinairement,
dans ses mains ensanglantées, le Cœur qu'il avait arraché,
personne ne poussa les cris accoutumés de vive le roi!
mais chacun rendit témoignage par un silence aussi élo-
quent que luguhre, h l'innocence de cet excellent prêtre ;
ou, si l'on entendit quelques paroles, ce fut de la part de
ceux qui disaient qu'assurément ce n'était pas la mort d'un
traître.
«Il y eut un combat religieux entre les catholiques pour
enlever ses dépouilles, ou pour recevoir son sang dans des
linges, tandis qu'on lui déchirait le corps.» '
Le père Jouvency, en se faisant le panégyriste de Car-
net, dut se rappeler la maxime pratique de sa société:
«que tout mauvais cas est niable.» Il fallait que cet écri-
vain fût bien aveugle, ou bien hardi, pour oser justifier
un crime abominable, dont elle n'a pas su se laver , malgré
tous les efforts de ses défenseurs.
Lorsque plus tard, sous Charles I", les catholiques furent
accusés d'une nouvelle conspiration, le comte de Sfaffort,
le principal accusé, parlant dans sa défense de la conspi-
ration des poudres, prononça ces paroles remarquables :
«Je fis une recherche exacte de cette affaire et plus par-
ticulière qu'aucune autre personne, je m'en enquisàmon
père, à mon oncle et à plusieurs autres; je suis convaincu
et crois fortement par les preuves que j'en ai reçues que
cette trahison était un horrible et détestable dessein de
quelques jésuites, avec quelques autres gens, et je la con-
sidère comme une action si exécrable, que je ne crois pas
que la malice des jésuites^ ni l'esprit de l'homme veuille
ou puisse l'excuser. » '
1. Souvenirs liistoriques de la compagnie de Jésus , 5« partie,
t. n, commençant à l'année 1591 jusqu'à 1616, imprimé à Rome
en 1710 avec permission. — Voir pour tout ce qui concerne la
Icélèbre conspiration des poudres : Procès contre Henri Garnet,
supérieur de la société jésuitique en Angleterre; Londres, impri-
merie de Jean Norton, imprimeur du roi (1607). — Extraits des
assertions dangereuses et pernicieuses en tous genres, que les
soi-disant jésuites ont dans tous les temps et persévéremmcnt
soutenues, etc., pages 460 et suivantes; Paris, chez Pierre-Guil-
laume Simon, imprimeur du parlement, rue de la Harpe, à i Her-
cule (M.DCC.LXII).
2. Guettée, Histoire des jésuites, 1. 1", p. 282-28*.
LIVRE XXVIII.
307
Le noble accusé qui porta sa tête sur l'échafaud, victime
de sa fidélité à Charles I", se trompait : les jésuites n'ont
pu justifier la conspiration des poudres, mais, ils l'ont
essayé, comme ils ont essayé de faire un saint de Chatel,
et un bienheureux du père Guignard. Soyons justes, et,
dans cette triste et honteuse page du catholicisme romain,
ne confondons pas les catholiques anglais avec les Catesby,
les Percy, les Fawkes, les Oldercorne et les Garnet; ils
ne trempèrent pas dans cet attentat, dont tout l'odieux
retombe sur la société de Loyola, sur Catesby et ses
complices.
Le complot qui avait pour but d'anéantir la Réforme,
la raffermit; les protestants anglais manifestèrent leur in-
dignation contre les coupables, et leur dégoût pour une
religion qui em.ployait de semblables moyens pour parve-
nir à ses fins. Le jour à jamais mémorable, où Dieu les
avait délivrés de la main de leurs implacables ennemis, a
pris rang parmi leurs fêtes nationales. Chaque année, ils
célèbrent un anniversaire qui leur rappelle l'un des crimes
les plus audacieux dont les jésuites, la personnification
vivante du catholicisme ultramontain, se soient rendus
coupables : Guy Fawkes et le père Garnet gardèrent mieux
l'Angleterre des atteintes du papisme que la plume des
Du Perron et des Bellarmin.
in.
Henri IV tressaillit d'horreur en apprenant la conspira-
tion des poudres. C'eût été le moment de proscrire ces
moines assassins qui exerçaient le meurtre en grand. De-
puis le jour où la lame du couteau de Jean Cliàtel avait
brillé à ses yeux , il avait peur et cherchait dans la diplo-
matie ce qu'il aurait dû demander à un acte énergique qui
eût mis au ban de la chrétienté ces hommes, dont les en-
seignements préparaient en silence le fer qui devait lui
percer le sein. 11 agit à leur égard comme si la grande
conspiration des poudres eût été une invention de leurs
ennemis. 11 les combla de grâces et porta leur société au
plus haut degré de prospérité, mais toujours fidèle à son
système de juste milieu, il accorda aux protestants le
droit de célébrer leur culte à Charenton, quoique l'édit
308
HISTOIRE DE LA UÉFORMATION FRANÇAISE.
de Nantes portât qu'ils ne pourraient le faire qu'à cinq
lieues de la capitale. Jusqu'à ce moment, ils se réunis-
saient à Ablon, mais le trajet, surtout pendant les jours
d'hiver, était si diflicile, qu'il en résultait de graves in-
convénients : plusieurs enfants qu'on avait apportés au
temple pour y être baptisés étaient moris, et les seigneurs
protestants qui étaient attachés à la cour par leurs chnryes,
se plaignaient d'un éloignemcnt qui les empêchait dé
rendre, le même jour, leurs devoirs à Dieu et au roi.
Quoique cette dérogation à l'édit fut insignifiante, les
catholiques manifestèrent leur mécontentement. La popu-
lace de Paris s'ameuta; le roi revint en toute liate de Fon-
tainebleau pour la comprimer. Nous reviendrons plus tard
sur l'établissement du culte protestant à Charenton qui
devint l'un des quartiers généraux de la Réforme.
Les jésuites, jaloux de la moindre faveur que le roi ac-
cordait à ses anciens coreligionnaires, faisaient des efforts
incessants pour établir leur influence partout, mais ils
rencontraient quelquefois une vive opposition de la part de
certains évêques qui haïssaient cette secte turbulente et
ambitieuse ; tous ceux des prêtres de l'Église romaine
qui avaient un cœur vraiment français, s'affligeaient de sa
prospérité croissante et blâmaient hautement le roi de sa
condescendance pour des hommes dont les actes étaient
trop d'accord avec leurs pernicieuses doctrines. Quand
l'occasion se présentait de les humilier, ils ne la laissaient
pas échapper. Un jour une vive contestation s'éleva entre
quelques jésuites et les chanoines du chapitre de Notre-
Dame de Paris. Les premiers demandaient au roi, par
l'intermédiaire de Coton, de leur accorder son cœur pour
le déposer après sa mort, dans leur église de la Flèche.
Les seconds s'y opposaient, parce que leur chapitre jouis-
sait depuis longtemps du privilège d'avoir en dépôt le
cœur des rois; la discussion s'échauffant, un chanoine
faisant allusion au nom de la ville pour laquelle les jésuites
briguaient cet honneur, leur demanda ce qu'ils désiraient
le plus ardemment, ou de mettre le cœur du roi dans
La Flèche ou la fièche dans le cœur du roi? '
Le trait était cruel, il allait droit à son adresse. Les
1. Élie Benoit, Kisl. de l'édit de Nantes, liv. IX, p. UO.
LtVRE XXVIII.
309
jésuites triomphèrent, le roi leur légua son cœur. Il le
fit à sa manière, en plaisantant: «Prenez patience, Mes-
sieurs , leur dit-il, je n'ai pas envie de mourir.»
Dans la même année où ces choses se passaient (1607),
les jésuites éprouvèrent à La Rochelle un échec qui leur
fut très- sensible. Cette ville huguenotte troublait leur
sommeil; ils résolurent de s'y installer et d'y faire prédo-
miner leur influence; l'entreprise était difficile à cause de
la haine instinctive que la population protestante portait
au clergé et surtout aux jésuites; ils n'osèrent pas deman-
der au roi la permission de laisser prêcher l'un des
membres de la société dans l'église affectée au culte catho-
lique, sachant qu'il l'aurait refusée. Ils s'adressèrent donc
par l'intermédiaire de La Varenne, leur protecteur, à
Beaulieu et à de Fresnes, qui accordèrent sous le nom du
roi, au père Séguiran, la permission de se rendre à La
Rochelle pour y prêcher. Ce prédicateur célèbre, muni de
son faux passe-port, partit de Paris et se présenta hardi-
ment aux portes de La Rochelle.
Les soldats qui étaient de garde lui demandèrent qui il
était.
— Je suis, répondit-il, de la compagnie de Jésus, et
je viens remplir au milieu de vous le ministère évangé-
îique.
— Retirez -vous, lui répondirent les factionnaires;
Jésus n'a point de compagnons et vous n'avez point de
lelire du roi.
Le jésuite insista, menaça: les factionnaires furent in-
flexibles. Séguiran fut contraint de retourner à Paris.
Le renvoi ignominieux du jésuite irrita la cour. Le roi
fit semblant de participer à l'indignation générale et dit
en public à Sully : «Vos gens de La Rochelle ont bien fait
des leurs; est-ce là le respect qu'ils me rendent pour
l'amitié que je leur porte et les gratifications qu'ils reçoi-
vent de moi comme vous savez? Et alors il raconta avec
une grande animation, tout ce qui s'était passé, déclarant
qu'il saurait apprendre à ces audacieux Rochelois à res-
pecter ses ordres.»
Sully l'écoutait avec stupéfaction, prêta partager sa co-
lère contre ses coreligionnaires , quand le roi le prenant
en particulier, lui dit: «J'ai fait ainsi le fâché pour fermer
310
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
la bouche à ceux qui ne cherchont qu'à blâmer mes ac-
tions; mais à vous je dis qu'il n'ont pas tout le tort du
monde, car je n'ai ni commandé, ni été informé de telles
dépèches, lesquelles j'eusse bien empêché si j'en eusse
été averti. Néanmoins, il y faut pourvojr par une autre
voie que par désaveu des secrétaires d'État, d'autant que
cela serait tiré à conséquence jtour toutes leurs autres
dépêches. Avisez quel moyen il y aura. Il me semble que
le meilleur serait de leur écrire qu'ils vous envoyassent
deux ou trois personnes de qualité et de créance pour
traiter d'une alfaire qui leur touche inlinimcnt, afin de
leur en faire les ouvertures telles que la satisfaction pu-
blique me serait rendue et qu'ils demeurent assurés qué
je ne veux rien innover en leur liberté, ni sûreté.»
Sully s'associant à l'idée du roi manda aux magistrats de
La Rochelle de lui envoyer des députés avec lesquels il put
s'entendre sur une alîaire d'une grande importance qui
les concernait. Les députés étant arrivés, «Sully, dit le père
Acère, dévoila tout le mystère. Il leur dit que la chose
s'était passée sans la participation du roi et qu'elle n'arri-
verait plus; mais qu'il fallait une réparation publique à
l'autorité royale qu'on n'avait pas assez respectée; qu'ainsi
le père Séguiran serait reçu dans leur ville , mais qu'au
bout de quelques jours il aurait ordre de se retirer. Les
députés ne parurent pas mécontents du tour que prenait
le ministre d'État pour les tirer d'embarras.»'
Les députés , de retour à La Rochelle , remirent aux
magistrats une lettre de Sully dans laquelle il les enga-
geait à se soumettre aux désirs du roi; les conseils du mi-
nistre furent suivis. Séguiran reprit le chemin de la cité
huguenote d'où il fut rappelé quelques jours après. La
société comprit alors qu'elle avait été mystifiée.
Il n'y eut rien d'important dans le courant de l'année
1607 que le synode qui se tint à La Rochelle-. L'ouverture
en fut retardée jusqu'au l" mars, parce que le roi ne
voulait pas scandaliser le légat du pape qui venait assister
au baptême du dauphin , en permettant une réunion dans
laquelle on devait traiter la question de TAntéclirist.
1. Sully, Économies royales. — Arien, Hist. de La Rochelle,
liv. VI, t. II. p, I |Ç)-1?0.
2. Il fut le dix-huitième synode national des églises réformées.
LIVRE XXVIII.
311
IV.
Immédiatement après la formation de son bureau, le
synode députa au roi quelques-uns de ses membres char-
gés d'obtenir de lui trois choses : la première, qu'on pro-
cédât à la nomination de deux députés généraux à la place
de ceux qui avaient été nommés par l'assemblée générale
de Chàtellerault; la seconde, que le terme de leur mandat
fût limité à un an; la troisième, que le synode ne lût tenu
qu'à lui désigner deux personnes pour remplir cette
charge auprès de lui.
Le roi reçut les députés avec bienveillance. Sully s'en-
tretint souvent avec eux, leur parla avec abandon cïe l'af-
fection que son maître portait aux protestants, et ne les
laissa partir que lorsqu'il les vit disposés à seconder les
Tues de la cour. 11 leur remit des lettres pour'le synode;^'
dans l'une d'elles, il recommandait expressément qu'on
rayât de la confession de foi le mot Antéchrist, «le pontife
leur disait-il, qui occupe aujourd'hui le siège romain , ne
Teut gagner les consciences que parla voie de la douceur.»
Le témoignage de Sully ne persuada pas les députés; ils
savaient que depuis l'édit de Kantes le pape n'avait pas re-
noncé au projet de les exterminer; — ils n'étaient donc
pas touchés par les raisons de ceux vivant à la cour, insis-
taient sur la nécessité de ne pas offenser le roi et prê-
chaient la soumission sous toutes les formes. «Ce sont,
disaient-ils en les raillant, les clairvoyants de l'Égiise,
leur prévoyance leur montre des inconvénients qui nous
échappent.» Ceux-ci, à leur tour, disaient de quelques
membres de l'assemblée : «Ce sont les fous du synode»;
nais ce furent ces fous qui maintinrent vigoureusement
Burs droits; à leur tète était Charnier, dont Henri IV
iisait : « S'il y a un chat à fouetter, il faut qu'il le fasse.»'
Le parti de la cour à la tète duquel était Montmariin,
sbtinl cependant une demi-victoire sur la question irri-
ante de l'Antéchrist. Le roi s'était expliqué si catégori-
juement sur ce point, qu'il eût été impplilique de passer
vatre. Sous prétexte de surséance, dit Élie Benoit, le sy-
1. Bulletin de la soc. de l'hist. du protestant, franç (1S63). —
or.rr.al inédit de Charnier, publié par Cbarlcs Read.
312 HISTOIRE DE LA RÉFORMATiON FRANÇAISE.
iiodii abandonna l'affaire et se contenta de promettre la
protection des églises à ceux qui seraient inquiétés pour
avoir prêché, ou confessé, ou dit, ou écrit quelque chose
de celte matière, c'est-à-dire, en un mot, que la doctrine
fût retenue, et qu'on tînt la question pour décidée; mais
que l'intérêt de l'Etat ne permit pas qu'on l'insérât comme
un article de foi parmi les autres.'
Le synode voulant montrer plus clairement qu'il ne
désavouait pas la doctrine, chargea le ministre Vignier de
traiter amplement la question.
Les fous du synode qui avaient cédé à demi sur la ques-
tion de l'Antéchrist , refusèrent de présenter au roi une
liste de six candidats sur laquelle il devait choisir les deux
députés qui devaient représenter à la cour les intérêts de
la cause. Ils en nommèrent seulement deux, Mirande et
Yillarnoul gendre de Mornay, et supplièrent Henri IV de
convoquer, dans le plus bref délai, une assemblée dans
laquelle on délibérerait sur le mode à suivre pour la
nomination de la députation générale.'
Le synode envoya Chamier à la cour pour présenter au
roi la nomination de ses deux députés. Après six mois
d'attente, il n'avait pas eu l'honneur d'être présenté au
roi, «parce qu'il était de ces fous du synode qu'il n'aimait
pas , de ces tètes dures que rien ne fléchit , de ces cœurs
inaccessibles aux craintes et aux espérances qui sont les
plus fortes machines de la cour^» Mais tout échoua devant
la patience indomptable du ministre de Montélimart.
Les affaires dont il était chargé étaient moins agréables
encore que sa personne ; le roi ne pouvait, après son re-
fus, sans faire preuve de faiblesse, sanctionner la nomi-
nation de Mirande et de Villarnoul , faite contrairement à
sa volonté; mais en se refusant à la sanctionner, il lui
était bien diflicile de ne pas accorder la permission de
tenir une nouvelle assemblée générale. Placé entre ces
deux alternatives, il se décida pour la seconde , mais en y
!. Élie Benoit, Hist. de l'édit de Nantes, 1. 1", llv. IX, p. 443. —
Actes des synodes nationaux.
2. Anquèz , Assemblées politicpies des réformés de France ,
p. 222. — Elle se tint en 1608; ses membres étaient au uornljif
de 38,
i. Élie Benoît, Hist. de l'édit de Nantes, liv. IX, p. 447.
i
LIVRE XXVltt,
S13
apportant tant de restrictions que les réformés ne pou-
vaient en retirer de biens grands avantages. On leur indi-
qua Jargeau pour le lieu de la réunion, parce que cette
ville était voisine du duché de Sully, dont Sully était devenu
titulaire en 1606.
L'assemblée s'occupa d'abord de la vérification des pou-
voirs de ses membres et entendit le rapport de La Noue et
Ducros, et dressa ensuite ses cahiers dans lesquels, entre
autres choses, elle demanda que la députation générale fût
limitée à deux années, et que le roi répondît à plusieurs
demandes particulières qu'elle lui avait faites par l'inter-
médiaire de Sully.'
Sully était présent à l'assemblée. De jour en jour il de-
venait plus suspect à son parti qui le croyait sur le point
de changer de religion. Le roi, pour s'y disposer, lui avait
offert pour son fils une de ses filles bâtardes, sous la con-
dition qu'ils se fissent tous deux catholiques J e père Cotton,
qui partageait avec Du Perron le titre d-^ convertisse'ir
de la cour, avait essayé d'ébranler le favori de Henri IV
dans ses croyances, il échoua; Sully permit cependant à
son fils de changer de religion ; on crut assez généralement
parmi les protestants, h une intrigue entre le roi et son
ministre, afin de réhabiliter ce dernier dans l'esprit de
ses coreligionnaires qui n'oseraient plus s l'avenir mettre
en doute son attachement à son parti, en lui voyant pré-
férer sa foi religieuse à une alliance que des maisons prin-
cières n'eussent pas dédai^ée. La réception que lui fit
l'assemblée fut froide, elle lui fit sentir qu'elle voyait en
lui moins un coreligionnaire qu'un négociateur du roi.
^éanmoins, à force d'habileté et d'insistance . il parvint à
la ranger à la volonté royale ; elle abandonna plusieurs de
ses places de sûreté et renonça à la nomination directe
des deux députés chargés de la représenter à la cour; elle
dressa une liste de six candidats au nombr^ desquels
étaient Mirande et Villarnoul. Le roi les choisit pour dé-
putés, montrant ainsi que ce qui lui avait déplu dans leur
précédente nomination, ce n'était pas leurs personnes,
mais les formalités de leui élection.'
1. Anqiiez, Assemblées politiques des réformés, p. 224.
2. Élie Benoit, Hist. de l'édit de Nantes, liv. IX, p. 450.
9.
314 HISTOIRE DE LA RÉFORHATION FRANÇAISE.
?.
Le cîerçé s'assembla dans le courant de l'année 1608, à
Paris. Cinq cardinaux et un nombre considérable d'évèques
étaient présents, tous revêtus de leurs plus éclatants cos-
tumes. Malgré cet appareil pompeux, qui accusait un état '
de grande prospérité, Fremiot, archevêque de Bourges,
portant la parole au nom de l'assemblée, fit au roi un
tableau piteux et lamentable de la situation misérable dans
laquelle l'Église était tombée, et lui demanda pour cica-
triser ses plaies, la publication du concile de Trente qu'il
avait promise au pape par ses procureurs, lors de son abso-
lution.
Le roi désavoua hautement ses procureurs et déclara
nettement qu'il ne ferait pas ce que François I", Henri H,
Charles IX, qui n'avaient pas comme lui des engagements
solennels avec les réformés, s'élaient refusés de faire. «Je
ne veux pas, leur dit-il, renouveler les troubles du
royaume.»
Le fermeté du roi fut une espèce de consolation pour
les réformés , du déplaisir qu'ils avaient de voir l'éduca-
tion du dauphin confiée au père Coton.'
Il y eut une autre affaire, dit Élie Benoît, dans laquelle
le roi donna agréablement le change au clergé. Ce corps
immensément riche, suppliait depuis longtemps le roi
d'établir un fonds pour des pensions en faveur des pas-
teurs protestants qu'on solliciterait à changer de religion; >
or, comme jusqu'à cette époque, les gages qu'il donnait
aux apostats étaient très-minimes, les conversions étaient
rares; il pensa donc qu'un moyen infaillible de les attirer
vers Rome, ce serait de leur présenter l'appât d'une bonne
pension. Il lui eût été facile de le faire, disposant de res-
sources immenses ; mais plus habitué à recevoir qu'à don- 1
ner, il s'adressa au roi qui n'y fit aucune objection, et eut
l'idée de lui imposer cette charge II s'adressa au pape qui,
répondant à ses désirs, fit un bref par lequel il exhorta ce
corps à faire ce fonds lui-même. Le cardinal de Joyeuse
présenta le bref à l'assemblée du clergé qui fut contrainte
oc l'accueillir et vota une somme annuelle de trente mille
a. Élie Benoit, Hist. de fédit de Naates, liv. IX, p. 4âl.
LIVRE xxvm.
315
livres. Toute minime qu'elle fut pour l'important objet au-
quel elle était destinée, elle ne fut jomais épuisée. Plus tard,
le.? sommes accumulées demeurant sans emploi, on s'en
servit pour solder des missionnaires qui allaient de îieu
en lieu molester les réformés, et des agents subalternes
chargés de les solliciter à changer de religion.'
VI.
Pendant ce temps-là, la cour d'Espagne persécutait
cruellement les Morisques; dans leur douleur ces infor-
tunés regardèrent à Henri IV : « Nous nous donnons à vous,
lui dirent-ils, si vous voulez nous prendre sous votre
protection. » Avant de leur faire une réponse , le roi
envoya sur les lieux Panissant, gentilhomme Gascon et
réformé, afin de conférer avec eux. Revêtu d'un habit de
cordelier, il pénétra en Espagne et sut habilement gagner
leur confiance ; mais les bigots de la cour représentèrent
vivement au roi que Panissant voulait les gagner à la ré-
forme; ils le firent rappeler et remplacer par Ciavérie dont
la négociation fut sans succès. Les Morisques auraient pu
embrasser la réforme, jamais le catholicisme romain, à
cause de l'aversion qu'ils avaient pour son culte; les bigots
donc trouvèrent plus raisonnable qu'ils demeurassent
mahométans que de devenir protestants et bons Français.'
Les jésuites, qui durant ces jours de paix brouillaient
tout en Europe , soufDaient en France un esprit de désordre ;
le père Coton , le complaisant et le confesseur du roi, di-
vulgua les secrets que le monarque lui avait confiés, il
n'eut pas la punition qu'il méritait; la cour taxa ses accu-
sations de calomnies. Le père Gonthier rappelait dans ses
discours quelques-uns des plus ardents prédicateurs de la
ligue; le père Ignace Armand, souple, insinuant, cachait
ses intrigues sous les dehors d'une grande humiUté. Le roi
témoin de toutes ces roueries, qui neutralisaient ses bonnes
intentions, en avait souvent le cœur plein d'amertume, et
ne savait comment les réprimer; et lui, si courageux, si
intrépide devant des fronts de bataille, se sentait désarmé
devant ces sourdes menées. Il crut à tort qu'il apprivoi-
1. Élie Benoit, Hist. de l'édit de Nantes, liv. IX, p. 45i.
2. Idem, t. i", p. 452.
316 HISTOIRE m LA RÉFORMATION FRANÇAISE
serait les jésuites en les comblant de biens; ceux-ci, forts
de ses craintes, lui faisaient chaque jour de nouvelles
demandes; c'est ainsi que dans le courant de l'année 1608
il les établit dans le Béarn, malgré l'opposition des États
et des députés de cette province qui lui représentèrent que
ce serait un fléau pour le pays, et firent valoir, mais en vain,
un arrêt du parlement de Pau qui défendait de les rece-
voir. La même année ils établirent un noviciat à Paris et
jetèrent les fondements de leur célèbre collège de Clermont.
Le roi cependant n'oubliait pas les huguenots, il les
savait fidèles à sa cause et à sa personne, il ordonna qu'on
examinât les cahiers de leur dernière assemblée; quelques-
unes de leurs demandes furent répondues favorablement;
on abolit certaines solennités que les catholiques avaient
établies en souvenir des succès qu'ils avaient remportés
sur les réformés, et dont la célébration était de nature à
raviver les haines que le roi s'efforçait d'éteindre.
VII.
Il se tint peu à peu un synode national' dans la petite
ville de St. Maixent (Poitou)' on n'y traita que des afîfaires
de discipline; le seul fait qui mérite d'être mentionné,
c'est la présentation aux membres de l'assemblée du livre
que Vignier avait composé sur la question de l'Antéchrist
soulevée au synode de Gap. Après examen, on décida que
l'académie de Saumur veillerait suf son impression; le
livre parut sous le ,titre de Théâtre de l'Antéchrist. Il le
dédiait à la saincte Église réformée, séparée de la Babylone
spirituelle pour embrasser l'Évangile.
«Je te présente, lui disait l'auteur, ce mien labeur
(chère espouse de nostre Seigneur Jésus-Christ) comme
t'estant consacré de tout droict selon la vocation que j'ai
en toi et pour toi. Tu y verras le portraict de cette paillarde
qui t'a si longtemps persécutée, chassée au désert, foulée
aux pieds et s'est enyvrée de ton sang. Laquelle te poursuit
cncor et ne peut souffrir que tu te pares pour les nopces
de ton Espoux. Tu y verras aussi sa condamnation et ruine
1. Il fut le 19" synode national.
2. Drion, Abrégé des conciles, t. I", p. 273.
LIVRE XXV u:.
317
prochaine prédite par l'Esprit de Dieu, reconnue par
plusieurs grands personnages des siècles passés.
«Dieu veuille que cela porte aux yeux et au cœur de ceux
qu'elle tient enlacés en ses liens, et qu'elle empoisonne
de la coupe de ses paillardises. Pour le moins certes m'as-
surerai-je que ceux qui liront cet écrit sans préjugé dépravé,
reconnoistront combien tu as eu raison d'obéir à ce com-
mandement céleste : Sortez d'icelle mon peuple : combien
sainctement tu as quitté les hauts lieux de Beth-Âven, où
on te convoquait sous le nom de Béthel : combien pru-
demment tu es sortie d'Egypte d'entre le peuple d'un lan-
gage étranger, pour ouïr la voix de ton espoux et servir à
l'Eternel ton Dien. Voici je ne doute point que tes adver-
saires mesmes, s'ils ne regardent ce que tu as faict, et les
causes pourquoi tu l'as faict d'un œil plus sinistre que les
magiciens d'Egypte ne considéraient les miracles deMoyse,
quelques Jannès et Jambrès qui te résistent, ne soient
enfin conlraincts de prononcer cette vérité : C'est ici le
doigt de Dieu.
«Je ne déduirai point les causes qui t'ont forcée à cette
* séparation, lesquelles ont esté amplement et dignement
traitées par plusieurs de tes serviteurs. Mais si nous prou-
vons que le Pape est l'Antéchrist, qu'avons-nous besoin
de plus grande dispute?»
Le livre de Vignier fut accueilli avec des cris de joie
fiar les réformés, avec des cris de colère par les caiho-
iques; les jésuites, surtout, l'atlaquèrent avec violence.
Le père Gonthier, prêchant devant le roi, s'exprima sur ce
sujet d'une manière séditieuse et violente. Le monarque lui
fit de sévères réprimandes; mais craignant qu'on ne l'ac-
cusât de partialité envers les protestants, il défendit le
débit du théâtre de l'Antéchrist.
VIIL
Un fait digne de remarque se passait à cette époque en
Hollande : le président Jeannin , autrefois passionné ligueur,
mais homme de sens, plaidait en Hollande la cause de la
liberté religieuse. Le roi l'avait envoyé auprès des États
pour confirmer, au nom de la France, le traité signé au
nom du roi d'Espagne et des Archiducs, après avoir signé
318 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
le traité avec l'ambassadeur du roi d'Angleterre , Jeannin
parla de la religion et dit que le désir aident de sonmaitre
était qu'on accordât aux catholiques dans les Provinces-
Unies la même liberté qu'on accordait aux protestants dans
ses étals; qu'il faisait cette proposition, après la signature
du traité, afin que cette concession fût censée accordée
librement et sans contrainte : Le président fit valoir les
services que les catholiques avaient rendus à la cause de
leur patrie en combattant dans les mêmes rangs que les
protestants, il insista sur le devoir de leur rendre justice
en leur accordant la liberté de servir Dieu selon leur
conscience, 11 montra la France sortant de ses ruines
sous l'influence d'un gouvernement sage et modéré, lit un
tableau saisissant des malheurs dans lesquels l'intolérance
religieuse avait jeté les peuples, qui, au lieu de s'aimer,
s'étaient entr'égorgés, et conclut en demandant la liberté
de conscience pour les catholiques.
«Si leur attente était trompée, leur dit-il, il en arrive-
rait, ou qu'emportés par un zèle indiscret ils auraient
recours à la force pour tirer raison de la violence qu'on
exerçait à leur égard, ou qu'ils abandonneraient peu à peu
leur religion, mettraient Dieu en oubli et se plongeraient
dans l'impiété, plus pernicieuse à la république que toute
sorte de superstitions; car le superstitieux est toujours
dans la crainte, et après s'être mis à couvert des châti-
ments des hommes, il croit toujours ne pouvoir se sous-
traire à la vengeance divine qui lui cause de plus grandes
frayeurs. Pénétré de cette crainte salutaire, il obéit aux
lois, et ne se livre pas si aisément au crime qu'un scélérat,
qui, sans crainte et sans espérance après la mort, ne
regarde comme criminel et honteux que ce qu'il ne peut
dérober aux yeux de la justice humaine, ou ce qui peut
lui attirer des châtiments.»
« Ces raisons, poursuivit-il , doivent suffire aux Etats pour
les engager à contenter les catholiques. Le roi, ayant nien
prévu que sa demande trouverait de l'opposition, n'a pas
Toulu mettre le trouble dans la république; c'est pour
cela qu'il a jugé à propos de restreindre sa prière en faveur
des catholiques. Sa Majesté ne demande pas qu'on leur
accorde la liberté de professer publiquement leur religion,
mais qu'on leur permette seulement de le faire en parti-
LIVRE XXVITI.
319
euHer dans leurs maisons, sans le? inquiéter sur ce sujet.
Si les États jugent cette tolérance préjudiciable à la répu-
blique, le roi consent qu'on prenne de justes mesures,
pour obvier à tous les inconvénients qui pourraient arriver
à cette occasion. »
IX.
Les États prêtèrent une sérieuse attention aux paroles
si sages de Jeannin; mais ils ne donnèrent pas aux catho-
liques hollandais la même liberté que Henri IV avait accor-
dée en France aux protestants; ils les tolérèrent, et sous
l'empire de la tolérance, les catholiques hollandais eurent
plus de vraie liberté que n'en eurent les réformés sous un
édit qui leur garantissait le plein exercice de leur culte.
En Hollande les catholiques furent protégés par l'esprit
public contre les lois rendues contre eux. En France les
réformés lurent poursuivis par l'esprit public , malgré
l'édit rendu pour eux.
Nous croyons toute intolérance, en matière de liberté
religieuse, mauvaise, la protestante plus encore que la
catholique ; mais les plaintes des catholiques contre les
protestants, lorsque ces derniers leur refusent la liberté
du culte, perdent beaucoup de leur valeur, quand les pro-
testants leur disent • «c'est vous-mêmes qui nous forcez
à être intolérants , parce que nous savons que vous ne vous
servirez de la liberté que vous nous demandez que pour
opprimer la nôtre.» C'est ainsi que l'intolérance romaine
produit l'intolérance protestante. La première émane d'un
principe, la seconde d'un fait; aussi pendant que la cause
de la liberté religieuse- n'a pas fait un seul pas dans les
contrées où le prêtre romain domine, elle enfonce chaque
jour ses racines sur le sol des nations protestantes, qui
commencent à comprendre que lorsque un principe est
bon , il ne faut pas regarder au mal prochain et appa-
rent que son application peut faire. Voltaire réclama la
tolérance au nom de l'indilierentisme religieux; Henri IV
la voulut dans l intérêt de sa politique; le protestant doit
la vouloir dans celui de la vérité, parce que l'erreur qui
germe et se développe à l'abri du despotisme n'a pas d'a-
venir sous un gouvernement de liberté.
320 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
Quels que soient les mobiles qui ont poussé Henri IV à
vouloir la libérlé religieuse , l'édit de Nantes sera aux
yeux de la postérité son plus beau titre de gloire. Il mon-
trera en lui un prince qui apprit à la grande et rude
école de l'expérience qu'en matière de religion la force
brutale atteint moins encore l'opprimé que l'oppresseur;
et cependant ce prince qui donnait au monde un exemple
que ses successeurs ne surent pas imiter, inoculait à la
France le poison de ses vices. Sa cour était un lieu de
débauches et de grossières dissipations; on y jouait, on s'y
enivrait, on s'y prostituait' comme à Sodome et à Go-
morrhe, et du milieu de ces prélats et prédicateurs, qui
ne cessaient de demander des restrictions à l'édit de
Nantes, il ne s'élevait pas une seule voix contre des dé-
bordements qui eussent arraché à Jérémie des lamen-
tations plus douloureuses que celles qu'il laissait échapper
de ses lèvres, à la vue de la déchéance morale des entants
de Jacob. Le roi avait par moment le sentiment qu'il s'avi-
lissait aux yeux de son peuple; dans une lettre qu'il écrivit
a Sully, il nous laisse pénétrer dans les replis les plus
secrets de son cœur.
«Mon ami, je vous écris cette lettre, non de ma main ,
mais de celle de Loménie, tant à cause qu'elle est un peu
bien longue et que je me suis blessé à un pouce, que pour
ce qu'elle a été ramassée de plusieurs et divers discours
de mes familiers serviteurs de votre premier temps, lors-
que à mon lever et à mon coucher, je leur demandais des
nouvelles de ce que disent de moi, par la cour et par la
ville, les langues médisantes et les^vieuses de mes pros-
pérités. Cette lettre que j'ai commtindé à Loménie de vous
écrire comme de ma main, vous dira une partie de mes
sentiments là-dessus, afin que vous me disiez les vôtres
lorsque je vous verrai.
« En tous lesquels discours, je ne nierai pas qu'il ne
puisse y avoir quelque chose de vrai. Mais aussi dois-je
dire que, ne passant pas mesure, il me devait plutôt être
dit en louange qu'en blâme, et en tout cas me devrait-on
excuser la licence en tels divertissements qui n'apportent
ni dommage, ni incommodités à mes peuples, par forme
1. L'Esfoile, année 1609.
LIVRE XXVIII.
321
de compensation de tant d'amertumes que j'ai goûtées et
de tant d'ennuis, déplaisirs, fatigues, périls et dangers
par lesquels j'ai passé depuis mon enfance jusqu'à cin-
quante ans.
«J'ai su que quelques-unes des dépendances de ceux
qui se plaisent à me décrier, vous ayant fiiit tous ces
beaux contes, vous les en avez grandement blâmés, et dit
que ces petits défauts et pécadilles, trouveraient facile-
ment toutes leurs excuses et défenses légitimes, moyen-
nant qu'ils ne m'ôtassent pas la souvenance d'une infinité
de beaux, hauts et magnifiques projets et desseins que
vous saviez que j'avais eus de longue main, ne me fissent
pas perdre le désir de les continuer, ne m'empêchassent
pas d'avoir le souci, ni de prendre le temps, les occa-
sions et opportunités, de les entamer et poursuivre jus-
qu'à 'eur perfection.
«Desquels discours ayant eu avis, j'ai bien voulu vous
écrire cette lettre pour faire souvenir de ce que fort sou-
vent je vous ai ouï dire, lorsque quelques-uns blâmaient
quelques-unes de vos actions, à savoir que l'Écriture n'or-
donne pas absolument de n'avoir pas de péchés, ni défauts,
d'autant que telles infirmités sont attachées à l'impétuosité
et promptitude de la nature humaine , mais bien de n'en
être pas dominés , ni les laisser régner sur nos volontés ,
qui est ce à quoi je me suis étudié, ne pouvant faire
mieux.
« Et vous savez beaucoup de choses qui se sont passées
touchant mes maîtresses , qui ont été les passions que tout
le monde a cru les plus puissantes sur moi , si je n'ai pas
souvent maintenu vos opinions contre leurs fantaisies,
jusqu'à leur avoir dit, lorsqu'elles faisaient les acariâtres,
que j'aimerais mieux avoir perdu dix maîtresses comme
elles qu'un serviteur comme vous , qui m'étiez nécessaire
pour les choses honorables et utiles. C'est ce que vous
verrez encore faire, et je vous en donne ma foi et parole
lorsque les occasions et opportunités me seront présentées
pour entamer, poursuivre, mettre à exécution quelques-
uns des honorables et glorieux desseins que vous savez
que j'ai dès longtemps en l'esprit, et sur lesquels vous
m'avez écrit tant de lettres et avons tant discouru ensemble.
«Car alors ferai-je voir que je quitterai plutôt maîtresses,
322
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
amours, chiens, oiseaux , jeux et brelans, bâtiments, fes-
tins et banquets, et toutes autres dépenses , plaisirs et
pasbc-lemps, que de perdre la moindre occasion et op-
portunité pour acquérir honneur et gloire, dont les prin-
cipales, après mon devoir entre Dieu, ma femme, mes
enfants , mes fidèles serviteurs et mes peuples que j'aime
comme mes enfants , sont de me faire tenir pour prince
loyal, de foi et de parole et de faire des actions sur la tin
de mes jours, qui les perpétuent et couronnent de gloire
et d'honneur comme j'espère que feront les heureux suc-
cès des desseins que vous savez, auxquels vous ne devez
douter que je ne pense plus souvent qu'à tous mes diver-
tissements cy dessus.»'
X.
Cette lettre révèle chez Henri IV un respect pour l'opi-
nion publique que n'avait pas son prédécesseur. Il sent
le besoin de compter avec elle et il essaye une justifica-
tion qui deviendra de plus en plus impossible, à mesure
que les générations comprendront mieux que le souverain
qui remporte des victoires sur son propre cœur, est plus
fort que celui qui prend des villes. Et cependant ce mo-
narque qui s'avilit comme homme, se montre grand comme
roi quand, avec Sully son fidèle ministre, il s'occupe des
intérêts de son royaume. Grâce à leurs elforts réunis, les
plaies profondes que la ligue avait faites , sont pansées,
cicatrisées, guéries; l'agriculture protégée, encouragée, a
ramené partout l'abondance; le commerce et l'industrie
créent de nouvelles sources de richesses ; pour les favoriser i
on trace des routes, on creuse des canaux, des ports, on lui
ouvre à l'étranger de nombreux débouchés; plus positive
que la maison de Valois, mais non moins amie des arts,
celle des Bourbons marche sur leurs traces et à côté de
Chambord et d'Anet, de beaux monuments s'élèvent, moins
délicats de forme, mais plus solides, correspondant mieux
au génie du maître. Quelques années ont sufll pour établir
une métamorphose complète. La France, qui se débattait
sous l'influence honteuse et funeste de l'Espagne, a recon-
S. Sully, Économies royales, c. 171, t. Il, p. 200-201.
à
LIVRE XXVIII.
323
quis son auiûuomie; elle est elle, c'esl-à-dire puissante,
influente dans les conseils de l'Europe. Son roi en est
devenu l'arbitre; l'Allemagne l'aime et l'admire, la maison
d'Autriche le craint.
Les peuples ont, comme les individus, des procès à
vider; les luttes, un moment suspendues par les traités et
les trêves sont repris et ne se vident sur les champs de
bataille qu'avec du sang humain. Henri IV qui avait à un
haut degré le sentiment de la dignité nationale vit d.ins la
paix de Vervins une trêve qui lui permettait de refaire son
peuple par le repos ; mais \a pensée constante de son règne
fut de faire expier à l'Espagne ses intrigues et les humi-
liations qu'elle avait fait subir à la France pendant de si
longues années. Aidé de Sully, il commença ses prépara-
tifs dès 1603; six ans après il était prêt. c< Jamais on n'a-
vait vu, dit Elle Benoit, en France de si beaux préparalifs.
Les guerres civiles avaient fait de bons soldats de pres-
que tous les Français. Il y avait un nombre incroyable de
vieux officiers , signalés par une longue expérience. On ne
manquait point des généraux expérimentés, et le roi était
reconnu par toute l'Europe pour le plus hardi et le plus
grand capitaine de son temps. Le sang bouillait dans les
veines des réformés qui s'assuraient de voir finir leurs
terreurs avec la grandeur de la maison d'Autriche; et qui
ne demandaient que l'occasion de se venger, par une légi-
time guerre , des massacres, des violences qu'ils croyaient
que le conseil d'Espagne avaient inspirées contre eux, à
celui de France. Les catholiques espéraient s'avancer et se
faire valoir par la guerre. L'économie et la vigilance de
Sully avaient mis un ordre aux affaires, qu'on ne se sou-
venait pas d'y avoir jamais vu. Jamais il n'y avait eu tant
d'armes à l'arsenal, et ce qui était le plus extraordinaire
pour la France, jamais tant d'argent comptant, ni tant de
ressources pour plusieurs années. Les alliances étaient
belles et puissantes ; outre celles des Provinces-Unies qu'on
avait renouvelées, il y en avait une conclue , depuis peu à
Hall en Souabe, malgré les oppositions de l'empereur, avec
une quinzaine des princes protestants. » •
1. Élie Benoit, Hist. de l'édit de Kantes, 1. 1", liv. IX, p. 462. —
Sully, Économies royales.
324 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
XI.
On ne savait sur qui allait fondre ce noir nuage, Rome
craignait, l'Espagne tremblait. Le vieux parti ligueur qui
pressentait que l'orage allait éclater sur lui, disait à la vue
de ces grands préparatifs, qu'il vaudrait mieux les tourner
contre les hérétiques du dedans que contre les catholiques
du dehors-, ces hérétiques , ajoutait-il, sont une poignée
de gens aisés à exterminer, si chacun voulait balayer le
devant de sa maison. L'un de ses prédicateurs ne craignit
pas de dire en présence du roi et de sa cour, «que cette
guerre pour des hérétiques contre des catholiques était
illicite; que ce seraient autant de coups donnés dans le
cœur de Jésus-Christ.» En terminant son discours, il voua
aux enfers tous ceux qui y prendraient part.'
Des bruits sinistres circulaient partout. On annonçait la
mort prochaine du roi : «ce serait grande merveille, dit
Mornay à M. de Lucques, si ses ennemis ne se défont pas de
sa personne. «Au milieu de tous ces préparatifs qui annon-
çaient à la France qu'elle était à la veille d'une grande
guerre, sans que rien d'officiel lui eût appris quel en-
nemi elle allait attaquer, le roi devint subitement amou-
reux de Charlotte de Montmorency , la jeune épouse du
prince de Condé. Dans sa folle et criminelle passion, il se
montra odieux et ridicule: odieux, en voulant ravir au
prince sa compagne ; ridicule , en donnant à la cour le
spectacle d'un amoureux de cinquante-sept ans, laid, dé-
goûtant'. Le prince de Condé était pauvre, avare; Char-
lotte de Montmorency, coquette. Il eût peut-être vendu sa
femme qui se serait prêtée par ambition à cet infâme
marché, s'il n'eût cru utile à ses intérêts de l'enlever et
de se rendre intéressant en remplissant l'Europe du bruit
de ses malheurs. A la nouvelle de sa fuite, Henri IV fu-
rieux, ne pensa qu'aux moyens de ravoir la princesse, et
se disposa à aller la chercher lui-même à Bruxelles, et
rompit des négociations entamées à l'occasion de l'ouver-
ture de la succession des duchés de Juliers et de Giève.s,
1. Les Elzeviers, liv. II, p. 340.
2. L'Estoile, aimée IGIO.
LIVRE XXVIII.
325
ouverte par le décès de Jean-Guillaume, mort sans posté-
rité le 25 mars 1609. Il demanda à l'archiduc passage pour
ses troupes sur son territoire; sur son refus, il lui déclara
la guerre. Les hostilités devaient commencer au milieu du
mois de mai.'
XII.
Soit que Marie de Médicis entrevît un divorce dans
fa passion de son mari pour la princesse de Coudé , soit
qu'elle eut le pressentiment que la guerre qui allait éclater
mettrait en danger les jours du roi, elle insista vivement au-
près de lui pour qu'il la fit sacrer. Henri IV résista d'abord ;
puis il céda, mais avec une répugnance visible. «Ile!
mon ami, disait-il à Sully, que ce sacre me déplaît! .Je ne
sais ce que c'est; mais le cœur me dit qu'il m'arrivera
quelque malheur ; puis, s'asseyant sur une chaise basse
faite exprès pour lui (à l'arsenal), rêvant et battant des
doigts sur l'étui de sos lunettes, il se relevait tout à coup,
et frappant des deux mains sur ses deux cuisses, il disait:
Pardieu, je mourrai en cette ville et n'en sortirai jamais.
Ils me tueront, car je vois bien qu'ils n'ont d'autre re-
mède à leur danger que ma mort. Ah! maudit sacre, tu
seras cause de ma mort Car pour ne vous rien céler,
l'on m'a dit que je devais être tué à la première grande
magnificence que je ferais, et que je mourrais dans uu
carrosse, et c'est ce qui me rend si peureux.» — ^«Yous ne
m'aviez, ce me semble, jamais dit cela, Sire, répondit
Sully; aussi me suis-je étonné de vous voir crier dans im
carrosse comme si vous aviez appréhendé ce petit péril ,
après vous avoir vu tant de fois parmi les coups de canon,
les mousquetades , les coups de lances, de piques et d'é-
pées, sans rien craindre. Mais puisque vous avez celte
opinion et que votre esprit en est tant travaillé, si j'étais
que de vous, je partirais dès demain , je laisserais faire le
sacre sans vous, ou le remettrais l\ une autre fois, et je
n'entrerais de longtemps à Paris, ni en carrosse. »-
1. Suite de De Thou, t. X, liv. III. — Mémoires de Fontenay. —
Mareuil, liv. I", p. 36-40. — Sully, Économies royales, année
IGIO.
2. Sully, Économies royales, t. VllI, 364-3G6. — Cassompierre,
Mémoires. — Journal de L'Estoile , année 1 G 1 0.
IV. 10
326 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
Henri IV ne suivit pn?; If^ conseil de son fidèle ministre.
Il fit sacrer la reine ; la cén lonie eut lieu le 13 mai 1610
dans l'église de Saiiil-Deiiis ;.vec une grande pompe.
Le roi parut gai, enjoué, mais sa joie était mêlée d'im-
patience ; il ramena le soir la reine à Paris où elle devait
l'aire son entrée solennelle trois jours après Vers onze
heures du soir, il se retira dans son appartement. Les ténè-
bres , le silence , les vagues appréhensions qu'il avait depuis
quelques jours le troublèrent; il se mit sur ses deux ge-
noux dans la posture d'un suppliant, et éleva machinale-
ment ses regards vers Dieu qu'il avait tant offensé et dans
lequel il voyait moins un père qu'un juge. Puis il se leva,
et alla dans son cabinet afin de s'y mieux recueillir.
Ses serviteurs voyant qu'il demeurait plus longtemps
gu'il n'avait accoutumé, l'interrompirent. «Ces gens-là , dit-
il avec impatience, empêcheront-ils toujours mon bien.»
Le lendemain il était triste et abattu. Il alla aux Feuil-
lants entendre la Bresse. Un homme à figure sinistre l'y
suivit.
Après dîner, il se retira dans sa chambre et se mit au
lit, essaya mais en vain, de dormir; il se leva, embrassa
la reine et monta dans son carrosse, sans trop savoir où il
irait. Il occupait le fond de la voiture : à sa droite il avait
le duc d'Épernon; à la portière de son côté, le duc de
Montbazon. Le marquis de La Force , le maréchal de La-
vardin, le comte de Roquelaure, le marquis de Mirabeau
et le premier écuyer, de Liancourt, occupaient les autres
places de la voiture.
Au moment où le carross'e allait partir, Vitry, capi-
taine de ses gardes, lui demanda s'il lui plaisait qu'il l'ac-
compagnât.
— Non, lui dit-il.
— Permettez-moi, Sire, répondit Vitry, que je vous
laisse mes gardes.
— Non, dit Henri IV, je ne veux ni de vous, ni de vos
gardes; je ne veux personne autour de moi.
— Quel est le quantième du mois, dit-il à un des sei-
gneurs qui l'accompagnaient.
— C'est le 13 mai, Sire.
— Non , Sire , ajouta un autre , c'est le 14.
— Tu sais mieux ton almanach que ne fais pas l'autre,
LIVRE XXVIII,
327
répondil, le roi en se prenant à rire. Entre le 13 et le 14,
dit-il , «et sur ces mots , dit l'Estoile, il fit aller son carrosse.»
Il ne savait pas où il voulait aller; après avoir à plu-
sieurs reprises hésité , il donna l'ordre qu'on le conduisît
à l'Arsenal' pour y visiter Sully qui était malade. Le car-
rosse se dirigea vers la rue Saint-Denis: le même homme
qui avait suivi le roi à l'église des Feuillants, suivait la
voiture qui, arrivée dans la rue de la Ferronnerie, s'ar-
rêta à cause de deux charrettes qui rétrécissaient la voie.
Cet homme, sans être vu, se glissa entre les boutiques
et les roues de la voiture, et frappa le roi de deux coups
de couteau.
Henri IV poussa un cri et tomba dans les bras du duc
d'Epernon: il était mort.
L'assassin aurait pu s'échapper, il ne le voulut pas. Son
couteau sanglant à la main, il attendit tranquillement,
qu'on le saisît ou qu'on le tuât.
L'un des gentilshommes qui accompagnaient le roi vou-
lut se jeter sur l'assassin et le percer de son épée.
Le duc d'Epernon s'y opposa, et ordonna qu'on arrêtât
le meurtrier.
Dans ce moment critique, l'ancien mignon de Henri IV
montra une présence d'esprit extraordinaire. «Le roi n'est
que blessé,» dit-il aux personnes qui s'étaient attroupées
autour de la voiture et qui le croyant mort , poussaient
des cris de douleur. Il fit abaisser les portières du carrosse
et ramena un cadavre au Louvre.
Quand on connut la fatale nouvelle, une foule immense
se pressa aux abords du palais. L'immense douleur du
peuple constata l'immensité du malheur. — A part quel-
ques seigneurs incorrigibles , chacun sentait qu'il avait
perdu dans le roi un père , dont la main ferme avait
clos l'ère des révolutions sanglantes qui depuis plus d'un
demi-siècle affligeaient le royaume. On demandait quel
était son meurtrier. On accusait tout haut les jésuites.
Le père Coton, à la nouvelle de l'assassinat, courut au
Louvre.... Qui est, s'écria-t-il, le méchant qui a tué ce bon
prince, ce saint roi, ce grand roi? N'est-ce pas un huguenot?
Ah! quelle pitié, dit le jésuite, s'il en est ainsi; et il fit
itrois grands signes de croix.
J. Kotc xym.
328 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
Un (les assislanls qui avait cntoiulu rcxclamalion de Co-
lon, dit assez haut pour être entendu: Les huguenots ne
font pas de ces coups-là.
Le jésuite alla visiter le meurtrier dans sa prison. «Mon
ami, lui dit-il, gardez-vous bien à ne mettre pas en peine
les gens de bien. Dans sa sollicitude , il lui promit de faire
tous les jours mention de lui au sacrifice de la messe.»'
Le duc d'Epernon qui sentait tout le péri! de la situa-
lion, déploya une rare énergie. « Madame, dit-il à la reine
qui se lamentait et s'écriait en sanglotant : Hélas ! le roi
est mort; vous vous trompez , Madame, le roi ne meurt
pas en France » , et pendant que Paris était dans une ex-
trême agitation, le conseil du roi défunt signa un acte qui
confiait le royaume à sa veuve. D'Épernon, botté, épe-
ronné, la main sur la garde de son épée , porta cet acte au
parlement qui, séance tenante, rendit d'urgence un arrêt
«par lequel il déclarait la reine, mère du roi, régente de
France, pour avoir l'administration des affaires pendant
le bas âge du roi avec toute-puissance et autorité.»
A quatre heures de l'après-midi, le roi avait été frappé;
trois heures après, sa veuve prenait les rênes de l'État.
Le lendemain, le jeune roi tenait un lit de justice et dé-
clarait sa mère régente de France, «pour avoir soin de
l'éducation et nourriture de sa personne» et l'administra-
tion de ses affaires pendant son bas âge. »
XIII.
Pendant que la cour, sous le coup d'impressions di-
verses, s'agitait et intriguait autour du cadavre du roi, un
cburrier parti de Paris le jour même de l'attentat, arrivait
le lendemain aux portes de Saumur au moment où les lu-
mières commençaient à s'éteindre.
«J'ai besoin, dit-il à la sentinelle, de parler au gouver-
neur.»
Malgré l'heure avancée do la nuit, il fut conduit vers
Mornay.
«Monseigneur, lui dit-il lout bas à l'oreille, le roi a été
tué.»
1. L'Estoilc, année IGIO.
LIVRE XXVIII.
329
Mornay pâlit : plus navré qu'étonné d'un attentat qui
jetait la France sur le bord de l'abîme, il sentit que ce
n'était pas le moment de pleurer, mais d'agir; plus tard
il pleurera le maître ingrat qui a si cruellement déchiré
son cœur, mais l'heure présente sera employée à assu-
rer à son jeune successeur la fidélité de tous ceux qui
vivent sous son gouvernement. Il n'a pas même l'idée de
profiter de la faiblesse de la royauté pour faire rendre à
ses coreligionnaires ce que les infractions à l'édit de
Nantes leur ont ravi. Il ouvre son tiroir d'où il tire un pa-
pier sur lequel, en prévision de quelque grande catas-
trophe, il avait écrit depuis longtemps ces mots : Ordre au
tcsoin.
11 s'assied à son bureau, toute la nuit il écrit; des
courriers partent dans toutes les directions pour annoncer
la fatale nouvelle , et porter des ordres aux commandants
de place pour maintenir l'ordre et la tranquillité.
Le jour qui suivit cette nuit, qui lui laissa de longs et
douloureux souvenirs, il assembla à l'hôtel de ville les
magistrats et les principaux habitants de Saumur: «Vous
savez tous, leur dit-il, que nous avons perdu notre roi et
tel roi, que plusieurs siècles auparavant n'en avaient point
vu de pareil. Mais les rois de France ne meurent point;
que chacun se retire en sa maison, assuré, autant qu'en
cet esclandre il se peut que le mal est trop grand pour
empirer.»
A Saumur comme à Paris, la douleur fut profonde ; on
oublia les torts du roi et on ne pensa qu'aux côtés de sa vie
par lesiquels il était digne d'être aimé. Chacun sentait que
le gouvernail de l'État tenu par une main ferme, était
tombé dans celle d'un enfant sous la tutelle d'une prin-
cesse étrangère. Si Mornay, avec l'autorité que lui donnait
son nom et ses actes, eût été un ambitieux comme Bouil-
lon, il eût appelé les réformés aux armes ; il ne le fit pas.
Avant d'être homme politique , il était chrétien et com-
prenait admirablement ces paroles des livres saints adres-
sées aux fidèles de l'Eglise primitive: «Soyez soumis aux
puissances supérieures.» L'expérience lui avait déjJi révélé
avec une grande amertume que chaque fois que son parti
avait eu recours au bras de la chair, il avait subi plus d'é-
checs qu'obtenu de triomphes. La France qui devait tant
330 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
à Mornay , lui dut encore sa tranquillité à une époque ofi
elle aurait pu être si facilement troublée; son courage , sa
sagesse, son désintéressement, sa haute capacité, avaient
fait de lui le premier homme de la Réforme; aussi quand
la,mort du roi fit croire à de nouveaux revirements dans
l'État, tous les regards se tournèrent vers lui.
La cour qui connaissait l'influence qu'il avait sur les
réformés, lui fit écrire deux lettres par le jeune roi dans
lesquelles il aflirmait vouloir maintenir les édits et annon-
çait que sa mère avait été nommée régente.'
«Sire, répondit Mornay au roi, c'est un vieux serviteur
qui ose écrire à Votre Majesté sur une si douloureuse oc-
casion. Le poids de cette couronne vous vient par la vo-
lonté de Dieu en vos jeunes années; mais celui qui dès
votre naissance vous la destinait , saura la maintenir sur
votre tête par sa puissante main. Votre Majesté ne man-
quera pas d'une infinité de fidèles serviteurs qui courront
à la vengeance d'un acte aussi horrible. Entre ceux-là,
Sire, ayant eu l'honneur de servir le feu roi, d'immor-
telle mémoire en ses plus grandes adversités, je tâcherai
de témoigner à Votre Majesté, Sire, en celle-ci qui les
surpasse toutes, que je ne me propose plus autre bonheur
que de mourir votre serviteur.'
La confiance que le roi et son conseil avaient en Mor-
nay, ne fut pas trompée. Le seigneur huguenot réunit le
lendemain du jour où il avait écrit au jeune Louis XIII ,
les magistrats, la garnison, les bourgeois de Saumur et
les députations des campagnes de son gouvernement.
L'assemblée était nombreuse , sérieuse , recueillie. 11 prit
la parole au milieu du plus profond silence, et dit:
« Messieurs , notre roi, le plus grand que la chrétienté
ait eu depuis cinq cents ans, qui avait survécu à tant d'ad-
versités, de périls, de sièges, de batailles, d'assassinats
même attentés en sa personne, tombe sous les coups d'un
misérable.
«....Ils nous ont donc tué notre roi, et j'en vois vos
yeux mouillés de larmes et vos cœurs désolés , mais si ,\e
faut-il pas perdre courage. Notre courage doit redoubler
1. Lettres des 14 et 15 mai 1610.
2. Lettre du 18 mai 1610.
LIVRE XXVIII.
331
au contraire par la nécessité et notre juste douleur. Nous
avons de la grâce de Dieu ce privilège en ce royaume ,
que les rois n'y meurent point. Il nous en a laissé un en
qui, dès ce bas âge , renaissent les vertus de son père. La
reine sa mère, princesse magnanime, est déclarée régente.
Tournons-nous donc vers eux dès aujourd'hui , et faisons
vœu d'obéissance et fidèle service.»
Mornay prononça ces paroles d'un ton solennel; son
regard, sa voix, son geste, tout était parlant chez lui. Il
leva la main droite, et s'écria :
« Je fais serment devant mon Dieu , je vous en donne
l'exemple, qu'on ne parle plus entre nous, d'huguenots ni
de papistes. Si nous sommes Français, si nous aimons
notre patrie, si nos familles, si nous-mêmes, ils doivent
désormais être effacés de nos âmes. Il ne faut plus qu'une
écharpe entre nous. Qui sera bon Français, me sera citoyen ♦
me sera frère. Je vous conjure donc, Messieurs, de vous
embrasser tous, de n'avoir qu'un cœur et qu'une âme.
Nous sommes petits, et notre ville peut être de considé-
ration ; mais ayons l'ambition de donner à nos voisins le
bon exemple de fidélité à nos rois, d'amour à notre patrie.»
Après ces paroles, Mornay ordonna qu'on fît la lecture
des lettres officielles du roi et de la régente. Quand elle
fut terminée, on procéda à leur enregistrement. Plusieurs
des assistants prononcèrent des discours qui furent écoutés
avec un religieux silence ; Mornay reprit la parole et dit :
«Eh bien donc, Messieurs, officiers et peuple, promet-
tez-vous pas ici, devant Dieu et sur le salut de vos âmes,
d'être et demeurer fidèles sujets et serviteurs de notre roi
Louis , par la grâce de Dieu, treizième de nom, et de la
reine sa mère, déclarée régente; de vous comporter fra-
ternellement les uns envers les autres?
«Oui», s'écria toute l'assemblée, et toutes les mains S?^
levèrent aux cris mille fois répétés de Vive le roi !
Ainsi parla le seigneur huguenot; ce jour-là, il se ven-
gea en chrétien de l'homme qui sans pitié pour ses souf-
frances, après l'avoir raillé à Fontainebleau, avait soldé
ses services par le retrait de plusieurs de ses charges , et
avait oublié de lui payer les sommes qu'il avait dépensées
à son service. Tant que son maître fut puissant et fort, il
$e tint à l'écart; le rôle de suppliant éi.nit trop pelit pour
^32 HISTOIUE DE LA RÉFORMATION FHANÇAISE.
sa digiiilé d'homme; celui de courtisan trop bas pour son
caractère de chrétien. Mornay ne pouvait offrir ses services
qu'à la faiblesse et au malheur.
XIV.
A la nouvelle de l'attentat , Sully se dirigea vers le
Louvre; dans son trajet, il rencontra quelques seigneurs
auxquels il recommanda de servir fidèlement le jeune roi
et sa mère. «Cette recommandation est inutile, lui répon-
dirent-ils avec hauteur; c'est nous qui sommes chargés de
le faire promettre aux autres.»
Sully comprit qu'il n'avait plus de maître; éperdu et
tremblont de frayeur, il rebroussa chemin et alla s'enfer-
mer dans la Bastille, où il fil apporter tout le pain qu'il
trouva chez les boulangers. Ministre tout-puissant, il n'a-
vait pas su, aux jours de sa grandeur, se faire des amis;
suspect aux protestants, il était haï des seigneurs de la
cour qui enviaient, les uns les honneurs dont il était com-
blé, les autres les richesses immenses qu'il avait amassées
dans le maniement des deniers de l'Etat. Des avis secrets
qui lui parvinrent de se tenir sur ses gardes, augmentèrent
ses alarmes; il se barricada dans le château de la Bastille
comme s'il eût dû soutenir un siège, et expédia des cour-
riers à son gendre, le duc de Rohan pour l'engager à se
rapproclier sans relard de Paris avec les 6000 Suisses qu'il
comniaiidait.
Cependant la ville était calme; tous les corps de l'État
faisaient leur soumission au nouveau gouvernement, et
Marie de Médicis, acclamée partout comme régente , exer-
çait le souverain pouvoir «ans contestation: princes et sei-
gneurs se courbaient à l'envi devant ce pouvoir d'un jour,
faisant assaut de bassesses et de flatteries. Sully, après
vingt-quatre heures de douloureuses réflexions, jugea lui-
même qu'il était prudent de faire sa soumission; une plus
longue absence pouvait être interprétée contre lui. La cour,
qui sentait le besoin de rallier tous les partis autour du
pouvoir naissant de la régente, lui avait fait porter de
bonnes paroles par d'ICpcnion. Il se décidadonc à se rendre
au Louvre. Quelques cavaliers seulement l'accompagnaient.
La reine l'accueillit comme l'aurait fait le roi défunt; tous
LIVRE xxvm.
333
deux versèrent des larmes. « Mon fils, dit la reine au jeune
Louis XIII, c'est M. de Sully; il vous le faut aimer, car
c'est un des meilleurs et des plus utiles serviteurs du roi
votre père, et le prier qu'il continue à vous servir de
même.»
Sully ne comprit pas ou ne voulut pas comprendre que
l'accueil qui lui était fait, n'avait d'autre cause que la
crainte qu'il inspirait ou l'espérance d'avoir les millions
qu'il avait entassés dans la Bastille. Moins ambitieux ou
moins cupide, il eût senti que l'heure de la retraite avait
sonné pour lui. Mais soit qu'il songeât à sauver son im-
mense fortune, soit que l'amour qu'il avait pour Henri IV
se fût reporté sur son jeune successeur, il reprit sa place
au conseil.
Le duc de Bouillon imita Sully , mais plus prompt que
lui, il n'attendit pas qu'on lui demandât ses services, il
les offrit : la reine les accepta avec empressement. En
s'assurant du général des réformés, elle conjurait le dan-
ger d'un soulèvement qui eût été facile sous un gouver-
nement qui par sa composition, inspirait une défiance
légitime. Aussi la cour se liàtn de rassurer les protestants,
et le 22 mai le roi fit une déclaration par laquelle il ratifia
l'édit de Nantes dans sa forme et teneur « le tenant pour
perpétuel et irrévocable.» Cette déclaration fut immédia-
tement suivie d'un brevet qui confirmait aux protestants le
droit, accordé par Henri IV, de faire leurs exercices à
Charenton. — Ils crurent à la sincérité de la cour et
ne mirent pas en doute qu'un roi ne peut manquer à sa
parole publiquement donnée sur le cercueil de son pré-
décesseur. Après avoir eu un moment de grand effroi , ils
se rassurèrent.
Pleuré par les protestants, par le peuple et par le§ sei-
gneurs catholiques qui s'étaient associés à ses grands
projets, le roi ne l'était ni par les jésuites, ni par le
parti de la cour vendu à l'Espagne. Sa mort était arrivée
au moment où à la tête d'une puissante armée , il allait
abaisser l'orgueilleuse maison d'Autriche et rétablir l'équi-
libre européen, si longtemps dérangé par elle. Quelques
heures avaient sufiî pour abaisser ceux qui étaient éle-
vés et élever ceux qui étaient abaissés. Le pouvoir était
tombé dc3 laains d'un ;^vand homme dans celle d'intri-
334 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE. . '
gants qui se réjouissaient sans contrainte de sa mort,
et se préparaient à rendre à ses restes les honneurs qui
lui étaient dus. Ils l'avaient déposé, revêtu de ses habits
royaux, dans une des salles du Louvre, transformée en
chapelle ardente, et pendant que la foule venait les larmes
aux yeux, baiser son suaire et jeter sur lui un regard
d'adieu, il y avait au-dessus de la salle où il reposait, des
joies indécentes, sataniques. Les valets étaient devenus
maîtres, et ces valets se disposaient à faire de la France,
un marchepied pour le successeur de Philippe IL
XV.
Arrôtons-nous près de ce lit de parade sur lequel repose
le corps de l'homme qui vit si souvent la mort en face et
la trouva sous le fer d'un misérable assassin. Jugeons-le
comme les Égyptiens jugeaient leurs rois, sans passion,
avec justice.
Henri IV est un être multiple qu'on ne peut peindre de
face que lorsqu'on a étudié ses nombreux profils. 11 y a en
lui le soldat, le politique, l'écrivain , le roi, l'homme.
Le soldat est parfait: il rit, plaisante au roulement des
tambours, au sifflement des balles, au bruit du canon;
calme avec un éclair dans les yeux. Dans un pays où le
courage militaire est si commun que la lâcheté y est in-
connue, le Béarnais se distingua parmi les plus braves,
mais le soldat est plus grand que le capitaine, parce que là
où il aurait fallu être capitaine, il ne fut trop souvent que
soldat. Il s'inspirait moins de ses réflexions passées que
du moment présent ; mais il avait alors le coup d'œil ra-
pide, juste; c'était un improvisateur de victoires et ce-
pendant Farnèse le domine de toute sa hauteur; devant ce
froid italien, il se rabaisse à la taille d'un brillant colonel,
mais ce colonel conquit mieux l'admiration de sa valeu-
reuse gentilhommerie avec ses étourderies qu'il ne l'eût
fait s'il eût été un Cincinnatus. Il fut l'homme de son
époque, mais de son époque il n'eut pas la cruauté ; sa
nature chevaleresque ne pouvait le faire descendre au rôle
terrible d'un baron des Adrets ou à la froide cruauté d'un
Biaise de Montluc, Il fit la guerre en adversaire loyal et
LIVRE XXVIII.
335
généreux ; c'est là l'un des plus beaux côtés de sa physio-
nomie.
Il est rare qu'un soldat soit un habile politique ; Henri IV
cependant le fut : mûri de bonne heure à la rude et salu-
taire école des adversités, il étudia les hommes et les évé-
nements avec une sagacité qui paraît étonnante chez un
prince qui ne rêvait que combats et plaisirs. Sa position
au milieu des partis fut toujours difficile , et toujours il
sut, comme un habile pilote, éviter les écueils ; il ne se
précipita pas au-devant des événements , il les attendit;
mais les moyens qu'il employa pour arriver à ses fins ne
furent pas toujours bons; au moment même où il disait à
ses braves huguenots: «avec vous c'est à la vie et à la mort»,
il se courbait devant le pape. Il priait comme un simple
huguenot devant un front de bataille ; après le combat il
allait porter aux pieds d'une maîtresse les drnpeau.x con-
quis à l'ennemi, jetant ainsi au vent et à l'amour les fruits
d'une grande victoire. Il trompait si bien qu'on aimait à
se laisser tromper par lui ; quand on le lui reprochait, il
disait: « Que voulez-vous que j'y fasse, j'y suis obligé.»
Ses manœuvres diplomatiques, avant, pendant ou après la
ligue, nous font admirer le négociateur et un peu méses-
timer l'homme. Ses apologistes disent à sa décharge que
sa conduite fut dictée par les circonstances, mais la mo-
rale qu'il foula aux pieds n'a ni deux poids, ni deux me-
sures. Quand il eut conquis ou plutôt acheté son royaume,
sa politique fut grande, et si le coup de poignard d'un
assassin ne l'eût pas arrêté dans ses projets, il eût épargné
à la France et au monde de grands malheurs et de grandes
hontes. La guerre de trente ans n'aurait pas eu lieu.
Henri IV a obtenu une gloire à laquelle il ne pensa ja-
mais : celle d'écrivain. Si le style estriiomme, le Béar-
nais est tout entier dans le sien. Quelle verve, quelle
rondeur dans ses lettres, dans ses proclamations, dans
ses discours! Tout y révèle un improvisateur, et cependant
tout y est pensé, mûri, arrêté, exprimé d'une manière
nette, originale, piquante; c'est le bon sens qui se revêt
de toutes les grâces de l'esprit gaulois, et qui assoupHt
sous son génie une langue que devait parler plus tard Mo-
lière et Mad. de Sévigné. On ne peut le comparer qu'à lui-
même, on peut d'autant plus l'admirer qu'il n'eut ja
o3G HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
l'amour-propre indomptable de la plupart des auteurs, et
que, comme Lafontaine , il écrivit des chefs-d'œuvre sans
s'en douter.
Comme roi, Henri IV fut grand, si nous établissons un
point de comparaison entre lui et les souverains qui ont
régné sur la France; il n'eut ni le génie militaire de Na-
poléon, ni la majesté fastueuse de Louis XIV, ni l'esprit
j organisateur de Cliarlemagne , mais il dépassa de toute la
tète la plupart des autres monarques français. Il eut un
instinct admirable des besoins de la France et sut s'ad-
i:'oindre un homme à la grandeur duquel il contribua et qui
contribua à la sienne. Aidé de Sully , il encouragea puis-
samment l'agriculture, et malgré Sully, il fonda le com-
merce et l'industrie.
Quelques années de règne lui suffirent pour réparer les
désastres de quarante ans de guerre ; il replaça la France
ai; rang qu'elle avait perdu, et ce roi si pauvre, qu'il ne
pouvait quelquefois payer les fournisseurs de sa table,
élait craint et respecté. Quand il mourut, toute l'Europe
avait les yeux sur lui, il en était l'arbilre. On s'est trompé
cependant, quand on a salué le Béarnais du nom de Henri
le Grand; mais on ne se trompe pas quand on l'appelle un
grand roi. Il le fut par son courage, sa politique et sa rare
inielligence des besoins de son royaume.
Quand les historiens jugent les princes, ils sont pour la
plupart aussi indulgents pour l'homme privé qu'ils sont
sévères pour l'homme public. Cependant ces deux hommes
sont inséparables et s'expliquent mutuellement. Henri IV
nous paraît grand, mais comme il le serait davantage si
l'homme privé n'eût compromis l'homme public. Nous
déplorons les nombreuses taches qui nous frappent dans
sa vie, vie admirable par tant de côtés, méprisable par
tant d'autres: son cgoïsme l'empêcha de se préoccuper des
intérêts des autres; son orgueil lui fit haïr toute supério-
rité ; son ingratitude lui fit oublier les services de ses
meilleurs amis; sa fureur du jeu l'endetta; son amour des
femmes fit de sa cour un séjour permanent de scandale; à
tous ces défauts, nous devrions dire ces vices, il joignit
le mensonge cl le parjure ; les vices de l'homme privé se
retrouvent dans presque tous les actes de sa vie publique;
il écoiiîa ses passions plus encore que sc^ iulérOls. ra-
Livr.E xxvni.
337
rement sa conscience. Supposons Henri IV simple genlil-
liomme, il nous apparaîtra comme un Roquelaure de cour,
et il descendra au-dessous de notre mépris. Nous ne com-
prenons pas les historiens qui glissent légèrement sur le
caractère de l'homme privé , et lui ouvrent le trésor de
leurs indulgences; ils ne refléchissent pas au mal immense
que cet homme a fait à la France par les exemples qu'il
lui a donnés. Quand le souverain s'avilit, les sujets sont
portés à l'imiter, et si la moralité est la pierre angulaire
de l'édifice social, qui osera soutenir que Henri IV ne l'ait
fortement ébranlée? On admire l'homme qui a gagné des
batailles sur les ligueurs et on ne flétrit pas celui qui ne
sut presque jamais remporter une victoire sur son propre
cœur. On le loue d'avoir fondé en France l'industrie et le
commerce, ne mériterait-il pas plus de louanges s'il eût
inauguré le règne des bonnes mœurs? On l'admire quand
il déjouait les partis par l'habilété de sa politique, ne mé-
riterait-il pas plus d'admiration si sa politique eût été
droite. Il abandonna les huguenots : s'il l'eût fait par con-
viction, nous pourrions le plaindre sans le mésestimer. De
quel côté donc que nous envisagions l'homme privé, nous
sommes désillusionnes; il fut spirituel , brave, aimable,
séduisant et fit de grandes choses, mais ces grandes choses
ne peuvent forcer ni le respect, ni l'eslime de la posté-
rité; nous sommes sévère, mais juste, et notre jugement
n'est ni un caprice d'historien, ni une vengeance de hu-
guenot : il est dicté par les faits.
Une mauvaise chanson a fait de Henri IV un roi popu-
laire , mais il faudrait désespérer d'un peuple qui trouve-
rait dans ce monarque l'idéal de son souverain. Quand les
Français comprendront que la vraie grandeur des rois
n'est pas seulement dans le génie politique, mais encore
dans la droiture et la pureté des mœurs, Henri IV perdra
beaucoup de son prestige. Le temps fait attendre ses ar-
rêts, mais quand il les rend, ils sont irrévocables. Cepen-
dant malgré la sévérité de nos jugements, nous nous
sentons à moitié désarnsés devant cette graiidc figure de
nos guerres civiles et religieuses; et comme ces braves
huguenots qu'il abandonna, nous ne pouvons nous cmpè-
chiT de l'admirer; il est si courageux ! de l'aimer un peu;
il est «juclqucfois si bon!
338
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
XVI.
L'homme qui avait asassiné le roi était né à Angoulême,
et s'appelait François Ravaillac, il avait trente-deux ans;
jeune il entra dans un couvent de Feuillants, d'où il fut
renvoyé ; il se fit alors solliciteur d'affaires , perdit un
procès important et fut accusé de meurtre; mais faute de
preuves suffisantes, il fut absous; il s'établit alors à An-
goulème, «oîi pour gagner sa vie il montrait aux enfants
à prier Dieu en la religion catholique , apostolique et
romaine. »
Cet homme qui appartenait à la famille des Jacques
Clément et des Chatel crut rendre à son Église un service
signalé en la délivrant d'un roi dont il ne croyait pas la
conversion sincère ; avant de le faire il voulut l'engager à
détruire des hérétiques et à cesser ses préparatifs de guerre
qui, disait il, étaient dirigés contre les princes catholiques
et contre le Saint-Père; or, plusieurs fois il fit le voyage
de Paris afin de parler au roi ; il ne put parvenir jusqu'à
lui , il crut alors que Dieu voulait sa mort. Une dernière
fois il quitta Angoulème aux environs de Pâques avec l'in-
tention formelle d'accomplir son crime. Pour s'y aguerrir
il portait dans un sachet sur son cœur un peu de coton
qu'il croyait être un morceau de la vraie croix et des
amulettes sur lesquelles étaient écrits ces vers :
Qne toujours dans mon cœur
Jésus soit vainqueur.
Arrivé à Paris le cœur lui, manqua ... il reprit le chemin
de sa ville natale; arrivé à Étampes, ses regards tombèrent
sufr un bas-relief représentant Vecce honio, il retourna
aussitôt sur ses pas. «C'est, dit-il, la volonté de Dieu que
j'accomplisse mon dessein.» On connaît le reste. Pendant
les deux jours qui suivirent son crime il fut gardé dans
l'hôtel de Pvetz. C'est là que le père Colon et un grand
nombre de personnes furent le voir et lui parler. Son
procès dura dix jours, il avoua son crime et fut condamné
à mort.
LIVRE SXVIII.
339
XVII.
•
Ravaillac fut amené devant Messieurs du parlement;
pendant qu'il était à genoux, le greffier lut l'arrêt qui le
condamnait à mort, et ordonnait qu'il serait préalablement
appliqué à la question, à moins qu'il ne déclarât avec
serment ce qui l'avait incité à commettre son crime, et
quels étaient ceux qui l'y avaient poussé.
«Par la damnation de mon âme, dit Ravaillac, il n'y a
eu homme, femme, ni autre que moi qui l'ai su.»
Les bourreaux le firent asseoir sur un fauteuil; l'opéra-
tion des brodequins commença. On enfonça le premier
coin; le patient poussa un grand cri. «Mon Dieu, s'écria-t-
il, ayez pitié de mon âme, pardonnez-moi ma faute.»
— Déclarez vos complices , lui dit le greffier.
— Je n'en ai point, répondit le patient.
Le bourreau enfonça le second coin.
Nouveau cri plus perçant que le premier.
Somn;é de nouveau de nommer ses complices , il ré-
pondit: «Je ne peux dire que ce que j"ai dit.»
Le bourreau continua à enfoncer le deuxième coin.
Les douleurs du condamné étaient affreuses ; il poussait
des cris déchirants : «Reçois, mon Dieu, criait-il, reçois
cette peine pour la satisfaction de mes péchés!»
Le bourreau mit le troisième coin.
Ravaillac se mit à trembler de tous ses membres. Son
corps se couvrit de sueur, il balbutia quelques paroles et
tomba en défaillance ; on relira ses pieds des brodequins;
on lui jeta de l'eau sur la figure pour l'aider à reprendre
ses sens ; on lui fit avaler un peu de vin et on le coucha
sur un matelas, où il resta jusqu'au moment où l'exécuteur
vint le prendre: c'était midi. Avant de le conduire à la
place de Grève, on le supplia de dire toute la vérité.
« C'est le diable qui m'a porté à cette abominable ac-
tion, répondit-il; je prie le roi, la reine et tout le monde
de me pardonner.» On ne put lui arracher une autre con-
fession.
Quand on vit qu'une plus longue insistance était inutile,
on lui fit signer sa déposition et on se prépara à sortir de
la Conciergerie.
340 HISTOIRE DE LA RÈFORMATIOK FRANÇAISE.
Au moment du départ, du milieu des prisonniers s'éleva
un cri terrible qui fil tressaillir de terreur le meurtrier.
Ses compagnons de prison l'accablèiient d'injures et l'eus-
sent mis en pièces sans l'intervention des archers A la
sortie de la prison , le cortège rencontra une foule tellement
compacte qu'il fallut forcer le passage pour faire avancer
le tombereau ; en apercevant Ravaillnc, le peuple l'accueillit
par des imprécations: les uns lui criaient m^c/iani, les au-
tres traître, ceux-ci meurtrier, ceu\-\h parricide. L'infor-
tuné comprit alors toute l'atrocité de son crime, et maudit
les docteurs qui lui avaient enseigné dans leurs livres que
de son couteau il se ferait une clef pour ouvrir le ciel ;
de quelque côté qu'il portât les yeux, il ne trouvait pas un
regard ami. Le même peuple qui avait fait un saint du
meurtrier de Henri III, ne voyait qu'un damné dans celui
de Henri IV; il avait soif de son sang; le supplice le plus
atroce lui paraissait une douce punition. Rien ne manqua
à celui du maître d'école d'Angoulème.
On essaya encore une fois de lui arracher une confes-
sion plus ample que cr-llcs qu'il avait déjà faites ; ce fut en
vain; une foule immense , compacte, haletante, impa-
tiente, entourait réchafaud sur lequel le palicnt était
assis, tenant dans sa main droite le couteau avec lequel il
avait frappé le roi.
On commença par mettre le feu à son bras; l'excès de
la douleur lui arracha un cri perçant, plusieurs fois il
prononça les mots Jésus, y]/«r/«. Les assistants tressaillirent
de joie quand le bourreau, saisissant les tenailles, com-
mença à lui enlever des lambeaux de chair.
Ils craignaient cependant qu'il n'allât trop vite et ne
hâtât sa fm.
Ils furent satisfaits. Après le mal vint le remède plus
terrible que le mal : avec du plomb fondu et de l'huile
on cicatrisa ses plaies.
Rnvaillac poussait des cris affreux. Les docteurs lui de-
mandèrent encore une fois de dire tout ce qu'il savait:
«Rien de plus que ce que je vous ai dit», répondit-il. Ils
voulurent alors , sur l'invitation du greffier, faire des
prières pour lui; ils firent signe à la foule de faire silence.
«Non, non, s'écrièrent les. -'^lîislanfs, pas de prières pour
ce misérable, pour ce damné.))
LIVRE XXVIII.
341
«Votre plus terrible jugement, lui dit le greffier, est
l'indignation de celte foule, déclarez donc quels sont ceux
qui vous ont poussé à commettre ce crime.
« Il n'y a que moi, dit Ravaillac qui l'ai fait.»
On fit approcher des chevaux qui commencèrent l'éear-
tèlement au milieu des imprécations sans cesse crois-
santes du peuple, plusieurs se mirent à tirer les cordes;
enfin après une heure d'atroces douleurs, le meurtrier
avait fini de souffrir. Il avait à peine cessé de vivre, que
les assistants se ruèrent sur son cadavre et le frappèrent ,
les uns à coups de couteaux, les autres à coups de bâtons.
On l'arracha des mains de l'exécuteur, on le déchira en
morceaux qu'on traîna tout palpitants dans les rues, et
qu'on brûla ensuite.
En retraçant ces scènes d'horreur, le cœur est saisi d'un
profond dégoût, à la vue de ce peuple qui témoigne d'une
manière si cruelle l'amour qu'il a pour son roi. L'as-
sassin mérita la mort, mais fallait-il tout ce terrible appa-
reil de supplice pour l'expiation de son crime? Ce peuple
n'eût-il pas été plus digne , plus grand , s'il eût assisté si-
lencieux au supplice du coupable; et quand on demanda
pour lui les dernières prières, n'eût-il pas dû se rappeler
les dernières paroles du Sauveur pardonnant à ses insul-
teurs et à ses bourreaux? Dans ces scènes déchirantes , le
meurtrier, malgré l'horreur que nous inspire son crime,
nous touche par sa constance et nous émeut par ses dou-
leurs; nous le retranchons violemment de la société,
n'est-ce pas assez? Faut-il encore, comme des sauvages,
prendre un barbare plaisir à le voir mutilé, tenaillé, écar-
telé?
XVIII.
Est-ce Ravaillac seul qu'il faut rendre responsable de
l'assassinat de Henri IV ? Nous serions heureux de le
croire; mais malheureusement, derrière le maître d'école
d'Angoulème, nous voyons la main mystérieuse qui l'a
poussé h commettre son crime : cette main est celle de
celui qui a semé dans son cœur la fatale idée qu'il ferait
de son couteau une clef pour s'ouvrir le ciel. S'il n'eût
pas entendu professer la doctrine de la légitimité du régi-
cide, eût-il jamais eu l'idée de son parricide?
342 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
Dans ce monde, où le superficiel est si commun, on ne
s'arrête qu'aux faits, quand c'est aux causes qu'il faut
remonter, puisque c'est là seulement que se trouve l'ex-
plication des événements qui nous étonnent d'abord, mais
qui cessent de nous surprendre quand nous en saisissons
les premiers germes. Nous trouvons donc logique l'attentat
de Ravaillac; il avait si souvent entendu dire que celui qui
tue un tyran fait une action méritoire de la vie éternelle,
qu'il tint a commettre cette action : S'il ne l'eût pas fait
d'autres l'eussent tenté. Philippe II ennoblissant la famille
de l'assassin du prince d'Orange, Sixte-Quint approuvant
le meurtre de Henri III, les prédicateurs de la ligue, prê-
chant ouvertement le régicide, avaient suspendu un glaive
sur la tète de tout prince qui oserait se déclarer indépen-
dant de l'église.
Il se rencontra donc un homme dans le cœur duquel
cette semence tomba, elle s'y développa avec force....
On connaît le reste. La société voulut une expiation, elle
eut lieu : elle fut horrible et cependant le bourreau n'at-
teignit pas les grands coupables. On ne frappa qu'un homme,
mais les maximes qui avaient armé cet homme ne furent
pas exécutées en place de grève; elles demeurèrent dans
le sol de la nation comme une plante vénéneuse. Ah! c'est
moins contre Ravaillac que contre elles qu'il faut pousser
un cri d'indignation afin de les faire rentrer dans les
abîmes de l'enfer d'où elles sont montées.
Ravaillac eut-il des complipes? Plusieurs historiens le
croient, les uns nomment d'Epernon, les autres la Reine,
et cependant lorsqu'on lit avec attention les pièces de son
procès, qu'on assiste à tous ses interrogatoires, qu'on
recueille les paroles que lui arracha la torture, on arrive
à cette conclusion qu'il n'eut d'autre complice que les
maximes jésuitiques. Ravaillac ne fut donc que la main
qui frappa le prince qui eut l'idée d'inaugurer en f^jance
le règne de la tolérance : cette idée était grande, géné-
reuse, il en fut le premier et le plus célèbre martyr.
FIN DU QUATRIÈME VOLUME.
NOTES
taAIRCISSEMENTS ET CURIOSITÉS HISTORIQUES
DU QUATRIÈME VOLUME.
Note I, page 13.
La procession fut telle : le recteur Roze quitta sa capeluche rec-
torale, prit sa robe de maitre-ès-arts avec le camail et le roquet,
et un hausse-col dessous ; la barbe et la tête rasées toutes de frais,
l'épée au côté et une pertuisane sur l'épaule. Les curés Amilton,
Bouclier et Guincestre', un petit plus bizarrement armés, faisaient
le premier rang , et devant eux marchaient trois petits moinetons
et novices, leurs robes troussées, ayant chacun le casque en tête
dessous leurs capuchons, et unerondache pendue au col où étaient
peintes les armoiries et devises desdits seigneurs. Maître Jacques
Pelletier, curé de Saint-Jacques- marchait à côté, tantôt devant,
tantôt derrière, habillé de violet, en gendarme scholastique, la
couronne et la barbe faite de frais, une brigandine' sur le dos,
avec l'épée et le poignard et une hallebarde sur l'épaule gauche,
en forme de sergent de bande, qui suait, poussait et haletait, pour
mettre chacun en rang et ordonnance. Puis suivaient de trois en
trois cinquante ou soixante religieux, tant cordeliers que jacobins,
carmes, capucins, minimes, bons hommes, feuillants et autres,
1. Jean Harailton, Écossais, cuiô de Saint-CiJme ; Jean Boucher, curé de Saint-
Benoit; Jean Guincestre , Vineestre ou Lincestre, curé de Saint-Gervais ; tous trois
fameux ligueurs.
2. Curé de Saint -Jacques -la -Boucherie. Il fut obligé de sortir de Paris, après
la reddition de cette ville à l'obéissance de Henri IV. Au reste il se nommait Julien
Pelletier, et il était frère de Jean et Jacques Pelletier, connus par leurs ouvrages, «
Voyez la bibliothèque française du sieur De la Croix du Maine,
3. Brigandine, sorte de cotte de maille.
344
NOTES.
tous couverts avec leurs capuchons et habits agrafés, armés à
l'antique calholiquc : entre autres y avait six capucins, ayant cha-
cun un morion en tête et au-dessus une plume de coq, revêtus
de cottes de mailles, l'épée ceinte au coté par dessus leurs habits,
l'un portant une lance , l'autre une croix, l'un unépieu, l'autre
une arqiicliuse et l'autre une arbalette, le tout rouillé, par humi-
lité catholique; les autres presque tous avaient des piques, qu'ils
branlaient souvent faute de meilleur passe-temps, hormis un feuil-
lant boiteux', qui, armé tout à crud, se faisait faire place avec
une épée à deux mains et une hache d'armes à la ceinture, sou
bréviaire pendu par derrière, et le faisait bon voir sur un pied
faisant le mouhnet devant les dames -. A la queue y avait trois
minimes, tous d'une parure : savoir est, ayant sur leurs habits
chacun un plastron à courroies, et le derrière découvert, la salade
en tête, l'épée et pistolet à la ceinture, et chacun une arquebuse
à croq sans fourchette. Derrière était le prieur des jacobins' en
fort bon point, traînant une hallebarde de gauchère, et armé à la
légère en morte-paie. Je n'y vis ni chartreux ni célestins qui s'é-
taient excusés sur le commerce; mais tout cela marchait eu moult
et belle ordonnance catholique romaine et semblaient les anciens
Cranequiniers'' de France. Ils voulurent en passant faire une salve,
ou escopeterie; mais le légat leur défendit de peur qu'il ne lui
malavint ou à quelqu'un des siens comme au cardinal Cajctan'.
Après ces beaux pères marchaient les quatre mendiants qui avaient
multipliés en plusieurs ordres, tant ecclésiastiques que séculiers,
puis les paroisses; puis les seize, quatre à quatre, depuis réduits
à douze' et habillés de même , comme on les joue à la féte des
torches en plein jour. Après eux marchaient les prévôts des mar-
chands et échevins , bigarrés de diverses couleurs', puis la cour
de parlement telle quelle, les gardes italiennes, espagnoles et val-
lonnés de Monsieur le Lieutenant; puis les gentilshommes, de frais
gravés par la Sainte -Union, et après eux quelques vétérinaires»
de la confrérie de Saint-Éloy. Suivait après. Monsieur, tout douce-
ment, le cardinal de Pellevé, tout bassement; et après eux Mon-
sieur le légat, vrai miroir de parfaite beauté S et devant lui mar-
1. Bernard do MontgaîUard , dit le petit Feuillant , qui se relira depuis en Flandre ,
où i! a vécu longtemps ; il eut l'abbaye d'Orval , dans le comté de Cbini , h deux lieuel
de Montniédy. Voyez les remarques sur la satire Méuipée, in-8°, p. 53 et suiv.
2. Ce fait, transporté iei , était arrivé au siège de Paris en lo90.
3. Ce prieur était mort au temps dont on parle ici.
4. C'est-à-dire arbalétriers. Cranequin signifie un bandage en fer «Tec lequel ob
bandait les arbalétres.
b. C'est qu'il y eut un homme tué à la portière de son carrosse.
6. Parce que le duc de Mayenne en avait fait pendre quatre.
7. A cause de leurs robes. 11 y en avait plusieurs qui étaient serviteurs du roi.
8. Marécbaux de ligne vétrrinairc . art de ferrer les chevaux ; mais ici par équivoque
au mot v^in-an. I.es maréchaux de la confrérie de Saint-Kloy sont les maréchaux fer-
rant les chevaux.
9. Ou jn-étend qu'il était fart laid.
NOTE?,
chait le doyen de Sorbonne avec la croix où pendaient les bulles
du pouvoir. Item venait Madame de Nemours représentant la reine-
mère' ou grand-mère (in dubio) du roi futur et lui portait la
queue, Mademoiselle de la Rue, lille de noble et discrète personne
Monsieur de la Rue-, cy devant tailleur d habits sur le pont Saint-
Mi; bel, et maintenant un des cent gentilhonimes et conseillers
d'État de l'Union, et la suivaient Madame la donaii'ière de Mont-
pensier avec son écharpe verte fort sale d'usage et Madame la
Lieutenante de l'État et couronne de France' suivie de Mesdames
de Belin et de Bussy-le-Clerc. Alors s'avançait et faisait voir Mon-
sieur le Lieutenant et devant lui deux massiers , fourres d'her-
mines, et à ses flancs deux Wallons portant hoquetons noirs, tous
parsemés de croix de Lorraine rouges, ayant devant et derrière
une devise en broderie, dont le corps représentait l'histoire de
Pbaëton, et était le mot : la magnis voluisse sai est. Arrivés qu'ils
furent tous en cet équipage à la chapeUe de Bourbon, Monsieur
le docteur Rose, quittant son hausse-col, son épée et pertuisane,
monta en chaire, où ayant prouvé par bons et valides arguments
que c'était à ce coup que tout irait bien, proposa un bel expédient,
pour mettre fin à la gueiTe dans six mois pour le plus tard, ratio-
cinant ainsi : En France il y a dix-sept cent mille clochers \ dont
Paris n'est compté que pour un. Qu'on prenne de chacun clocher
un homme catholique soldoié aux dépens de la paroisse, et que
les deniers soient maniés par des docteurs en théologie ou, pour
le moins gradués, nommés; nous ferons douze cents mille com-
battants et 500,000 pioniers. Alors tous les assistants furent vus
tressaillir de joie et s écrier : ô coup du ciel ! puis exborta vivement
à la guerre et à mourrir pour les princes lorrains, et si besoin
était pour le roi très-cathoUque, avec telle véhémence, qu'à peine
put-on tenir son régiment de moines et pedans , qu'ils ne s'en-
courusseut de ce pas attaquer les forts de Gournay et Saint-Denis;
mais on les retint avec un peu d'eau bénite, comme on apaise les
mouches et freslons avec un peu de poussière. Le sermon flni , la
messe fut chantée en haute note par M. le révérendissime cardinal
de Pellevé, à la fin de laquelle les chantres entonnèrent un motet
commençant : Bos brevitas sensits, hos brevitas sensus , fecit
conjungere simul. Lors tous ceux qui devaient être de l'assemblée
accompagnèrent Monsieur le Lieutenant au Louvre, le reste se re-
tira en confusion qui çà qui là, chacun chez soi.
(Extrait de La Satyre Ménipée. — Mémoires de la ligue, t. VU.)
1. A rause que io (!iic ùe Mayenne, son fils, el le duc de Guise , son petît-fils ,
prélendaicnt à la couruune.
2. Jean de la Rue, taiUeur d'habils, émissaire des Seize.
3. Henri de Savoie , duchesse de Lorraine.
4. L'avis des dix -sept cent millt' L-luthers fut proposé par Jacques Cœur an roi
Ctarles VII, el c'Cit Je cela que l'auleur se inoijue iti.
346
NOTES.
Note n,page G9.
I.
Ce que ce pauvre malheureux Charlcs-Quint n'a pu faire avec
toutes les forces unies et tous les canons de l'Europe, son brave
fils Dom Pliilippe, moyennant cette drogue, l'a su faire en se
jouant, avec un simple lieutenant de douze ou quinze mille
hommes.
n.
Que ce lieutenant ait du catholicon en ses enseignes et cor-
nettes, il entrera, sans coup férir, dans un royaume ennemi; et
lui ira-t-on au devant avec croix et bannières, légats et primats',
et bien "qu'il ruine , ravage , usurpe , massacre et saccage tout ,
qu'il emporte, ravisse, brûle et mette tout en désert, le peuple
du pays dira : ce sont nos gens, ce sont bons catholiques. Us le
sont pour la paix et pour notre mère sainte Église ; qu'un roi ca-
sanier' s'amuse à afliner cette drogue en son escurial, qu'il écrive
en un mot en Flandre au père Ignace cacheté de caOïolUon, il
trouvera homme lequel [salvà conscieti(id) assassinera son enne-
mi', qu'il n'avait pu vaincre par armes en vingt ans.
III.
Si le roi se propose d'assurer ses états à ses enfants après sa
mort, et d'envaliir le royaume d.' autrui à petits frais, qu'il en
écrive un mot à Mciidoze son ambassadeur, ou au père Commolet"'
et qu'au bas de sa lettre il écrive avec dell Uiguiero <lel inj'erno,
Yo el Rey. ils lui fourniront d'un moine apostat', qui s'en ira sous
beau semblant , comme un Judas assassiner de sang froid un
grand roi de France, son beau-frère, au milieu de son camp,
sans craindre Dieu ni les hommes; ils feront plus, ils canonise-
ront le meurtrier, et mettront ce Judas au-dessus de saint Pierre,
et baptiseront ce prodigieux et horrible forfait du nom de coup
du ciel, dont les parains seront cardinaux, légats et pnmats.'
IV. i
Qu'une grande puissance armée de preux et terribles français^
1. Le cardinal de PeUevé, archevêque de Reims el Pierre d'Espinac , arclicvèqael
de Lyon.
2. L'anlGiir entend parler de Pliilippe II, roi d'Espagne.
3. 11 est ici question de l'assasinat commis en la personne du jirinco d'Orange à
Delfl en Hollande.
4. Le p^re Jacques Commolet, jésuite. On assure que dès l'année l'iSO il excita
dans Paris le peuple à la rébellion , au sujet de la mort de Guise. — Voyez les re
marques sur la satyre Jlénipée, p. 27 el 28.
5. L'auteur désigne l'assassinat du roi Henri Ifl j.ar Jacques Clément, jacobin,
tenu pour saint par les ligueurs.
6. Les cardinaux Gaétan ou Cajetan et de Plaisance , légats ; le cardinal da Petlevé
•I Pierre d'Espiguac , archevêque de LyoD.
NOTES.
347
soit prête à bien faii'e pour la défense de la couronne et patrie,
et pour venger un si épouvantable assassinat, qu'on jette au mi-
lieu de cette armée un demi-dragme de celte drogue, elle engour-
dira tous les bras de ces braves et généreux guerriers.
V.
Servez d'espion* au camp, aux tranchées, au canon, à la cham-
bre du roi et en ses conseils, bien qu'on vous connaisse pour
tel, pourvu qu'aïez pris dès le matin un grain de Bigidero, qui-
conque vous taxera, sera estimé huguenot ou fauteur d'hérétique.
VI.
Tranchez des deux côtés , soiez perfide , et bien que vous tou-
chiez l'argent du roi pour faire la guerre , n'aigrissez rien , pra-
tiquez avec les ennemis ; si vous collez votre épée dedans votre
fourreau avec du catholicon, vous serez estimé trop homme de
bien.
VU.
Voulez-vous êti'e un honorable rieur et neutre , faites peindi-e
à l'entour de votre maison non du feu de saint Antoine-, mais
des croix de Eiguiero, vous voUà exempt du hoqueton et de
l'arrière-ban.
YIll.
Aïez sur vous le poids d'un demi-écu de catholicon, U ne vous
faut point de plus valable passe-port pour être aussi bien venu à
Tours qu'à Mantes', à Orléans qu'à Chartres, à Compiègne qu'à
Paria
IX.
Soïez reconnu pour pensionnau'e d'Espagne, monopolez, tra-
hissez, changez, vendez, troquez, désunissez les princes, pourvu
qu'ayez un grain de catholicon à la bouche, on vous emljrassera
et entrera-t-on en défiance des plus fidèles et anciens serviteurs
comme d'infidèles et huguenots, quelques francs catholiques qu'ils
aient toujours été.
X.
Que tout aUle de mal en pis, que l'ennemi avance ses desseins,
et ne se recule de la paix, que pour mieux sauter, voyant le beau
jeu qu'on lui fait, que l'Église romaine même courre risque, qu'il
y ait pervertissement de tout ordre ecclésiastique ou séculier, à
faute de parler bon français, semez finement un petit de Eiguiero
par le monde, personne ne s'en souciera, et n'en osera parler,
craignant d'être réputé huguenot.
1. On croil que Tauleur veut désigner M. de Villeroi.
2. On peignait de ce feu la poile des hôpitaux où l'on metttit ceux qui iuiest
affligés de la maladie, dite le feu de saint Antoine.
3. Au lieu de Mantes on dit Troyes dans d'autres éditioni.
348
NOTEiî.
XI.
Cantonncz-voiis et tous installez tyrankiiicmcnt dans les villca
du roi, depuis le Havre jusqu'à Mezicrres, et depuis Nantes jus-
qu'à Cambrai'. Soyez vilain, renégat ou perfide, n'ol)cïssez ni à
Dieu, ni à roi, ni à loi; aïez là-dessus en main un petit de catho-
licon, et le laites prêcher en votre canton, vous serez grand et
catholique homme.
Xll.
Aïez la face honnie' et le front ulcéré, comme les infidèles co!i-
cierges du ponteau de mer' et de Viennes frottez-vous un peu
les yeux de ce divin électuaire , il vous sera avis que vous serez
prudhomme et riche.
XIII.
Si un pape comme Sixe V« fait quelque chose contre vous, il
vous sera permis illœsd consientiû de l'exccrer, maudire, tonner,
blasphémer contre lui , pourvu que dedans votre encre il y ait
tant soit peu de Uiguiero.
XIV.
N'aïez point de religion , moquez-vous à gogo des prêtres , il ne
vous faudra autre absolution, ni d'autre chardonncrette* qu'une
demi-dragme de catholicon.
XV.
Voulez-vous bientôt être cardinal? frottez une des cornes de
votre bonnet de Higuiero , il deviendra rouge , et serez fait cardi-
nal, fussiez-vous le plus incestueux et ambitieux primat du monde.'
XVI.
Soïez aussi criminel que la Mothe-Serrant», soïez convaincu de
1. Cps pays étaient tenus par la ligue.
2. Déslionorée.
3. ViUe de Normandie,
4. Ville du Daupbiné. Cette ville fut perGderaent livrée par Scipion de Maugiron
au duc de Nemours en 1592.
5. Sixte V était fort haï des Espagnols; il y a quelques historiens qui ont écrit qu'il
fut empoisonné. Il mourut le 27 août ; la nouvelle fui sue à Paris le 5 septembre 1 590.
JLe curé de Saint-André, Aubri , prêcha qu'il était mort, que ce miracle s'était fait
entre les deux Noire-Dames, et se servit de ces mots si peu religieux : «Dieu vous a
délivré d'un méchant pape, et politique.
6. Assaisonnement fait avec le cardon d'Espagne.
7. Pierre d'Espinac , déjà nommé.
8. Guillaume de Brie, sieur de la Mothe-Serrant, gentilhomme angevin. — Voyez
t) sommaire de la généalogie de la maison de Brie, dans les remarques de Pabbé Mé-
ciage sur la vie de Guillaume Ménage, iu-4°, p. 307 et suiv, Guillaume de Brie fui
oupplicié ù Tours pour ses crimes.
NOTES.
3-i9
fausse monnoie comme Mandreville", Sodomlste comme Secault*,
scélérat comme Bussy', athéiste et ingrat comme le poëte de l'ami-
rauté', lavez-vous d'eau de Higuiero, vous voilà sans taches et
pilier de la foi.
XVII.
Que quelque sage prélat ou conseOler d'état , vrai catholique
françois, s'ingère de s'opposer aux vulpines entreprises des en-
nemis de l'état, pourvu qu'ayez un grain de cutholicon sur la
langue , il vous sera permis de les accuser de vouloir' laisser per-
dre la religion.
xvra.
.Que quelques bons prédicateurs, non pedans, soient sortis des
villes rebelles, pour aider à desensorceler le simple peuple, s'ils
n'ont un brin de Higuiero dans leur bonnet, ils s'en peuvent bien
retourner.
XIX.
Que l'Espagne mette le pied sur la gorge de l'honneur de la
France , que les Lorrains s'elforceut de voler le légitime héritage
aux priuces du sang royal, qu'ils leur débattent non moins furieu-
sement que cauteleusement , qu'ils leur disputent la couronne,
servez-vous là-dessus de catholicon, vous verrez qu'on s'amusera
plustot à voir hors de saison quelque dispute de la chape à l'évê-
queS qu'à travailler à rames et à voiles, pour faire lâcher prise
aux tyrans matois , qui tremblent de peur. C'est à peu près la
moitié des articles que contenait la pancarte du charlatan espa-
gnol, le temps vous fera voir les autres.
(Extrait de La Satyre Ménippde. — Mémoires de la ligue, t. VI.)
Noie m, page 70.
On publia un nombre considérable de parapMets contre la ligue.
«Dans le pourparler du Maheustre et du Manant, dit Capeflgue, on
voyait la hgue sous les traits d'une pauvre femme, un bâton à la
1. Guillaume ou Martin (3a Bosc, sieur d'Esmamdreville. l\ était gouverneur de
Sainte-Menehould pour la ligue en 15S8. Ue lui et de sa femme Isabeau le Aloiiie
•ont descendus les autres seigneurs d'Esmandreville.
2. Pierre Senault , un des principaux de la faction des Seize, père de Jean-François
Senault, qui a été général de la congrégation de l'Oratoire, et aussi fidèle au roi et &
l'État que son père leur avait été infidèle. Pierre avait été clerc au greffe de ta cour
du parlement, et il fut greffier du conseil de la ligue; il fut chassé de Paris la
30 mars 159i.
3. Bussy Leclerc, procureur de la cour, l'uB des seize qui emprisonna le parlement
et fui depuis gouverneur de la Bastille.
4. Ce poL-te était Pîiilippe Desportes, abbédeTiron, parce qu'il s'était retiré au-
près de î'auiital de Villars, cousin germain d'Anne de Joyeuse, li avait eu aussi
j'obbaye do Bon-Port.
5. On apjielle ainsi la dispute du droit d'un tiers.
10.
350
NOTES.
main, s'aclierainant hors de Paris. — Quelle femme est cela? s'é-
cria le Malieustre. — C'est la ligue, répondait le Manant; elle va
hors de Paris pour prendre Soissons. — Vient-elle des enfers pour
nous ensorceler? Que dénotent ces chiens dont elle est suivie? —
C'est qu'eUe est pleine d'envie et qu'elle s'eflbrce de mordre alors
même qu'elle rit. — «Il n'y eut pas assez d'odes, de somiets, de
quatrains, de stances et couplets à l'éloge du Béarnais, — pro-
ductions latines ou françaises dans lesqueUes se complaisaient les
parlementaires. 11 existe encore des gravures contemporaines où
Henri IV est reproduit sous les traits de tous les héros de la fablè.
Jean Leclerc, rue Saint-Jean-de-Latran , à la Salamandre, vendait
une grande image démontrant la délivrance de la France par le
Persée français ; comme Andromède , la France avait été sacrifiée ,
mais le monstre qui la gardait entre ses dents avait senti comljien
le bras de Persée était fort : «France, demeure Adèle et ne crois
plus à ceux qui ont rogné l'or de ton diadème. »
(Capeflgue, Histoire de la Réforme, de la Ligue et de HenrilV,
t. VU, p. 184, 185, 18C.)
Note rv, page 85.
Quand les jésuites veulent réformer un novice ou le préparer
pour quelque action utile à leur compagnie, Os l'enferment pen-
dant plusieurs jours dans une chambre, sous le prétexte d'une
plus grande liberté pour lui, de se livrer à la méditation des
choses saintes.
L'imagination du novice s'exalte naturellement dans la solitude;
les voix my.slôrieuses qu'on lui fait entendre, les apparitions dont
on frappe ses yeux, lui font croii'e qu'il est favorisé d'une révéla-
tion du ciel. Dès ce moment il ne s'appartient plus. 11 réalise les
célèbres paroles de Loyola : Perinde ac cadaver. On peut dès
lors, comme à Jacques Clément, lui remettre un poignard; sa main
ne tremble pas plus que sa conscience n'est troublée ; il ne se
croit pas assassin, mais ange exterminateur.
Note V, page 87.
Dans les papiers du père Guignard, on découvrit les maximes
suivantes écrites de sa propre main :
(c 1° Si, en l'an 1572, on eût saigné la vaine basihque, nous ne
fussions tombés de fièvre en chaud mal, comme nous expérimen-
tons. Pour asoiî pardonné au sang, ils ont mis la France à feu et
à sang;
« 2» Que le Néron cruel (Henri III ) a été tué par un Clément, et
le moine simulé despeché par la main d'un vrai moine ;
«3° Appellerons-nous un Néron, un Sardanapale.un renard de
Béarn, roi de France? un hon, roi de Portugal i" une louve, reine
NOTES.
351
d'Angleterre? un griffon, roi de Suède? un pourceau, roi de
Saxe?
« 4° Pensez qu'il faisait beau voir trois rois, si rois se doivent
nommer! Le feu tyi'aa (Hcuri Ili), le Béarnais, et ce prétendu
monarque de Portugal , dom Antiiouio (ennemi du roi d'Espagne)!
« 5° Que le plus bel anagramme , qu'on ti'ouva jamais sous le
nom du tyran défunt, était celui par lequel on disait : 0 le vilain
Bérodes !
« 6° Que l'acte héro'ique fait par Jacques Clément, comme don
du Saint-Esprit, appelé de ce nom par nos théologiens, a été jus-
tement loué par le feu prieur des Jacobins, Bourgoing, confes-
seur et martjT, par plusieurs raisons, tant à Paris, que j'ai ouï
de mes propres oreilles lorsqu'il enseignait sa iudilh, que de-
vant ce beau parlement de Tours; ce que ledit Bourgoing, qui
plus est, a signé de son propre sang et sacré de sa propre mort;
et ne fallait croire ce que les ennemis rapportaient; que, par ces
derniers propos, il avait improuvé cet acte comme détestable;
« 7° Que la couronne de France pouvait et devait être transférée
à une autre famille que celle de Bom'bon;
« 8° Que le Béarnais, ores que converti à la foi catholique, se-
rait traité plus doucement qu'il ne méritait, si on lui donnait la
couronne monacale en quelque couvent bien réformé, pour iUec
faire pénitence de tant de maux qu'il a faits à la France, et re-
mercier Dieu de ce qu'il lui avait fait la grâce de se reconnaître
avant la mort ;
« 9«Que, si on ne le peut déposer sans guerre, qu'on guerroyé;
si on ne peut faire la guerre, qu'on le fasse mourir!»
(Extrait de la Procédure contre Jehan Châtel, Mémoires de la
Suit le mémoire des sommes payées par le roi pour traités faits,
réduction de pays, villes, places et seigneuries particulières, en
l'obéissance du roi pour pacifler le royaume.
A M. de Lorraine et autres particuliers, suivant
A M. de Mayeime et autres particuliers, suivant
son traité, compris les dettes de deux régimens
de suisses, que le roi s'est chargé de payer. . . . 3,580,000
A M. de Guise, prince de Joinville, et autres.
Ligue.)
Note vi, page 111.
Prix de la ligue.
son traité et promesses secrètes,
3,766,825 llv.
suivant son traité
A M. de Nemours et autres.
3,888,830
378,000
A reporter.
11,613,655 Ut.
352
NOTES.
Report 11,613,655 liv.
Pour M. de Mercœiir, Blavct, M. de Vendôme et
autres, suivant leur traité pour la province de
Brettagne 4,295,350
Plus pour M. d'Elbœuf , Poitiers et divers parti-
culiers 970,824
A M. de Villars, le chevalier d'Oise son frère,
les villes de Rouen, Le Havre et autres places, et
pour les récompenses qu'il a fallu donner à Mes-
sieurs de Montpensier, maréchal de Biron, chan-
celier do Chiverni, et autres 3,477,800
A M. d'Espernon 496,000
Pour la réduction de Marseille 406,000
Pour M. de Brissac, la ville de Paris et autres
particuliers 1,695,400
A M. de Joyeuse , pour lui , Toulouse et autres
voies 1,470,000
A M. de la Chastre, pour lui, Orléans, Bourges,
et autres particuliers 898,900
A M. de Villeroi, pour lui, son fils, Ponto-ise, etc. 470,594
A M. de Bois-Dauphin 670,800
A M. de Balagny, pour lui, Cambrai et autres
particuliers 828,930
A MM. de Vitry et Medarid 380,000
Plus pour les sieurs Vidâmes d'Amiens, Abbe-
ville, Peronne et autres places 1,261,880
Pour les sieurs de Belan, Joffreville et autres,
Troyes , Nogent , Vitry, Rocroy, Chaumont, et
autres places 830,048
Pour Vezelay , Macou , Mailly et divers particu-
liers en Bourgogne 457,000
Pour les sieurs de Canillac, Monfan et autres,
la vUle Du Puy et autres villes 547,000
Pour diverses villes en Guyenne, les sieurs de
Montpezat, Montespan et autres 390,000
Pour les traités de Lyon, Vienne, Valence et
autres villes, et divers particuliers en Lyonais et
Dauphiné 636,800
Pour la ville de Dinan et quelques autres. . . . 180,000
Plus pour les sieurs Leviston, Baudoin et Be-
villiers, suivant les promesses à eux faites .... 1 00,000
Total du prix de la ligue 32, 1 42,9.s i liv.
(Extrait des Lettres de Heiiri IV.)
NOTES.
353
Note \a, page 144.
Dans la nuit de samedi , Jeanne d'Àlbret fit approcher la baronne
de ThigiionTille, à qiii elle avait confié l'éducation de sa fîlle; elle
Tentrelint durant deux heures , â voix basse ; après quoi elle ajouta,
assez haut pour être entendue, qu'elle remettait entre ses mains
sa fiUe chérie, ne doutant point qu'elle ne pût la conserver digne
d'eUe, et des soins qu'elle lui avait coûtés depuis son enfance;
elle l'exhorta à lui répéter souvent ses dernières volontés : " Dites
« lui que sa mère mourante lui commande de se montrer dès son
s bas âge, ferme et constante au service de Dieu, qu'elle le prie ,
" qu'elle le serve ; qu'elle soit soumise à son frère , aux femmes
«vertueuses qui vont diriger ses pas au milieu de tant d'écueUs;
«qu'elle se dise sans cesse à elle-même, qu'en écoutant leurs
'I sages avis, c'est moi-même qu'elle écoute; rappelez -lui le passé,
«nos entretiens, les exemples de vertus et de constance dont elle
« a été témoin. Enfin, dites -lui que je la remets en la garde et
«protection de Dieu, qui la gardera et protégera si elle le sert. »
(Extrait de l'Histoire de Jeanne dAlbret, par M"' de Vauviliiers,
t. n, p. 426-427.)
Noie vm, page 197.
îjetfrcs de François de Sale§ au dnc de Shtoîc qnî
ie consiiîtaîî sur la conîlnite à tenir à l'égard de
Genève.
« n n'y a nul doute que l'hérésie de l'Europe ne vint à être
grandement débilitée, si cette cité était domptée et réduite, parce
que c'est le siège de Satan, d'oii il épanche l'hérésie sur tout le
reste du monde , ce qui est évident par ces points : Genève est la
capitale du calvinisme; car Calvin et de Bèze y ont choisi leur
domicile. Toutes les églises prétendues réformées de France se
rapportent aux minish'es de Genève quant aux points de doctrine
et aux autres affaires de police ecclésiastique. Toutes les villes
des hérétiques respectent Genève comme l'asile de leur religion :
cette année même, un homme du Languedoc est venu la visiter,
comme un cathoUque visiterait Rome. U n'y a point de ville en
Europe qui ait plus de commodités pom- entretenir l'hérésie , puis-
qu'elle est la porte de France , d'ItaMe et d'Allemagne ; de sorte
qu'il s'y trouve des habitants de toutes les nations : Italiens ,
Français, Allemands, Polonais, Espagnols^ Anglais, et des pro-
vinces les plus éloignées. D'ailleurs chacun sait le grand nombre
de ministres qui y est. L'aimée passée elle en a fourni vingt à la
France; l'Angleterre même fait venir des ministres de Genève.
Que dirai-je des belles et magnifiques imprimeries, par lesquelles
cette viUe remplit toute la terre de ses méchants livres , jusqu'à
NOTES.
les faire distribuer aux dépens du public ! Cette arniôe , le livre de
la Roche Cliandieu a été imprimé à eu donuer gratuilemeut pour
700 écus d'or. A ceci se rapporlcut les écoles où l'on voit une
quantité de jeunes gentilshoninics de France et d'Allemagne, Il ne
faut point oublier les exercices continuels de prédications , leçons,
conférences, disputes, composition de livres et autres semblables
qui enti'etiennent merveilleusement l'hérésie. Toutes les entreprises
qui se font contre le Saint-Siège apostolique et les princes catho-
liques ont leur commencement à Genève. Aucune ville de l'Europe
ne reçoit autant d'apostats de tous grades séculiers et réguliers.
De là je conclus que Genève étant abattue, il est nécessaire que
l'hérésie se dissipe. Pour en venir à ces fins , il faut établir les
jésuites à Thonou^ une imprimerie à Annecy pour mettre en
lumière les écrits que les doctes font contre l'hérésie , et ainsi
pousser un clou avec un autre clou. Les autres choses qui regar-
dent proprement la destruction de la ville de Genève ne sont point
de mon gibier ni de mon humeur ; Votre Altesse a en main plus
d'expédients que je n'en saurais penser. »
(Extrait de la Vie de saint François de Sales , 'par son neyeu
Auguste de Sales, p. 120 à 121;' Lyon, 1633).
Imprimeurs genevois à la fin dn 16° siècle, d'après ud travail de
M. le professeur GauUieur.
1. Les Estienne. — 2. Jean Crespiii, d'Arras. — 3. Jean Durand,
de Cliàtillon-siir-Seine. — 4. Michelic Kicot. — 5. Jean Chouct. —
6. Thomas Courtaud. — 7. Conrad Badius. — 8. Gabriel Carties. —
9. rierre de Saint- André. — 10. Charles Pernot. — 11. Jacques
Planchant. — 12. Antoine Leymarie. — 13. Antoine Reboul. —
14. Perrin à Cologny. — 15. Barbier. — IG. Pinereul. — 17. Bon-
nefoy. — 18. Gymnicus. — 19. François Le Preux. — 20. Guillaume
Maurice. — 21. RiverL — 22. Berthêt.— 23. Commeliu. — 24. Es-
tienne , Anastase. — 25. Jean de Laon. — 26. Jean Georges. —
27. Hamelin. — 28. Chauvin, Antoine. — 29. Mathieu Berjon. —
30. Olivier Jordriu. — 31. Jean Mirard. — 32. Vincent Brôs. —
33. Pyramus de Candole. — 34. Les De Tournes.
(Gaberel, Histoire de Genève, t. II, aux pièces justificatives,
p. 267.)
Note IX, page 213.
Dans un discours prononcé au Havre dans l'église Saint-Fran-
çois , le R. P. Carboy s'exprimait sur le protestantisme de la
manière suivante :
«Eu dehors du catholicisme apostolique et romain, dans les
sectes et les Églises qui ont rejeté lo dogme eucharistique, vous
Le rencontrerez que des hommes ùnpuissants à produire le bien
et des œuvres frappées à leur naissance de stérDité et de mort.
NOTES.
355
«En face de l'Apostolat catholique disséminé à tous les Tenfs
du ciel, l'histoire impartiale et véridique ne présente dans les
Églises dissidentes que des révérends Pasteurs qui courent le
monde à tant de revenus fixes- par mois et par année. Dans une
seule année , le catholicisme compte en Chine soixante martyrs
dans ses prêti-es : les annales du méthodisme n'en ofTrent pas un
seul sur tous les points du globe en ti'ois siècles; elles ne nous
montrent que des traflqueurs qui escomptent les âmes en cher-
chant le bonheur.
« L'Eucharistie fait germer la charité pure dans les âmes qu'elle
ennoblit et transforme. Venez plutôt, comparez et jugez. En 1562
mie peste cruelle désole Genève et décime sa population ; il n'y
avait plus alors à Genève d'évèque, de prêtres, ni de moines : le
calvinisme avait jeté son niveau destructem* sur toutes les insti-
tutions que le catholicisme avait fondées dans les siècles. Le con-
seil d'État s'assemble pour délibérer sur les mesures à prendre
dans une aussi grande perplexité des esprits : le chef du consis-
toire protestant se présente dans l'assemblée , et déclai'e que ses
pasteurs et lui se retù:ent, alléguant l'insuffisance de leur courage
et l'inefficacité de leur mission dans une aussi terrible calamité.
Tout le monde peut Mre cette déclaration sur les registres conser-
vés au conseil d'État de la répubMque genevoise, à la date de
1562. Voilà le dévouement, l'esprit de sacrifice et les œuvres dr
la Réformation , qui a rejeté l'Eucharistie et qui n'a plus le foyer
de l'amour.
«Comparez encore le zèle apostoUque et l'inetTable charité
d'Hyacinthe-Louis de Quélen, de gracieuse et douce mémoire,
lors de l'invasion du choléra asiatique de 1832, avec la conduite
iDdigne et souverainement blâmable de l'archevêque protestant de
Dubhn , qui conseilla à ses collaborateurs , dans un mandement
de la même époque, de prendre toutes leurs mesures pour éviter
la contagion, de fuir les malades, et de laisser aux catholiques
leurs superstitions sacramentelles et leurs téméraii-es assiduités
auprès des cholériques. C'est de l'histoire contemporaine; elle est
irréfutable : les témoins vivent encore. »
A l'occasion de cette attaque dii-ecte, reproduite par le Courrier
du Havre, Jl. le pasteur Poullain a reçu de M. le pastem- Gaberel,
l'historien de l'église de Genève, la letti'e suivante :
«Genève, le 26 février 1854.
« Cher frère,
« L'affirmation du Révérend Père Carboy n'a qu'une apparence
de vérité. Voici les faits :
Avant l'établissement de la Réformation à Genève , nos registres
contiennent des plaintes amères contre les prêtres catholiques
qui refusent de soigner les pestiférés. Aucun d'eux n'est victime
356
NOTES.
du fléau, et les magistrats parlent de leur lâcheté en fermes très-
durs. — Ainsi, le 2 mai 1494, les seigneurs syndics font des
instances auprès des sept curés de la ville pour trouver un cha-
pelain, vu qu'aucun prêtre ne veut aller à l'hôpital. Celui qu'on y
envoie en est honteusement chassé le 2 septembre. — Le 18 no-
vembre 1494, on y conduit de force un religieux nommé le Frère
Pierre. — Le 30 décembre 1513, on se plaint du très-court séjour
que les prêtres font auprès des pestiférés.
«Enfin le 30 avril 1530, après un effroyable procès, le prêtre
de l'hôpital des pestiférés fut roué avec ses serviteurs pour avoir
propagé le fléau afin de profiter des dépouilles et des biens des
victimes.
« Vous voyez qu'avant de jeter la pierre à ses adversaires il est
bon d'examiner si sa propre maison est bien nette.
« C'est en 153.'), connue on le sait, que la Réforme s'est établie
à Genève. Que s'est-il passé depuis lors? La vUle fut désolée par
la peste à plusieurs reprises : en 1543, — 1560, — 1570, —
1574, — 1615 , — 1617. C'est sans doute à l'année 1543 que se
rapporte le fait dont on a voulu faire sortir une si grave accusa-
tion contre le protestantisme. Voici quelques extraits du registre
(nous conservons le langage du temps) :
"Du 1" mai 1543. — La peste sévissant cruellement, sur les
sept pasteurs se présentent spontanément MM. Jehan Calvin,
Chastillon et Pierre Blanchct , qui demandent à tirer au sort pour
consoler les malades. Le conseil déclare que M. Calvin ayant fait
ses preuves deux ans auparavant en la peste à Strasbourg, où il a
soigné et consolé les pestes, il ne sera pas employé, étant trop
iilile à l'Élat. Le sort tombe sur le pasteur Pierre Blanchet, qui
s'enferme avec les pestiférés et meurt au bout d'un mois, victime
de son zèle.
« Du 5 juin 1543. — Le conseil demande un pasteur pour rem-
placer M. Pierre Blanchet qin est allé à Dieu en faisant son
devoir. Sur ce, quatre pasteurs, Louis et Aime Champereaux,
Philippe de Ecclesia et Abel Poupin déclarent qu'ils ne se sentent
pas le courage d'aller vers les pestés. MM. Calvin, de Gencston et
Chastillon s'offrent de nouveau. De Gencston, étant dé.signé par
le sort, s'enferme à l'hôpital avec sa femme, qui se dévoue aussi
au service des malades, et, au bout de six semaines, tous deux
meurent de la peste.
"Les quatre pasteurs susnommés claiciit des moines reçus au
saint ministère, mais qui n'étaient nullement propres à cette vo-
cation, car trois ans plus tard les deux Champereaux étaient bannis
pour mauvaises mœurs, Ecclesia poiu- usure çt Poupin pour
;;ihéisme. «
Ils furent remplacés par des pasteurs sincères venus de France,
au nombre desquels se trouve Jean Macard. de Laon, qui, en
NOTES.
357
1560, accepte la charge de consolateur des pestiférés et, après
deux mois de service, meurt de la fièvre peslileniiellc , confes-
sant jusqu'à son dernier sanglot la sainte foi qu'il avait pro-
fessée.
En 15G8, le registre porte : «M. Perrot, pasteur et professeur
de théologie, fut nomme consolateur à l'hôpital des pestes. La
maladie était terrible ; des files entières de malades changeaient
journellement. La terreur empêchant de trouver des infirmiers en
nombre sulTisant, M. Perrot aidait de ses mains à tous les soins
des malades. Durant deux mois il ne quitta pas les salles et Dieu
lui fit la grâce de le conserver à travers le danger.
«En 1574, le pasteur Chausse est atteint de la peste après avoir
soigné les malades durant ti'ois mois. Ses collègues allant lui faire
les derniers adieux, il leur dit : Finalement , je suis frappé à
mort et je remercie Dieu dem'avoir retiré à lui. Les temps sont
si misérables que souvent la foi dcf aille devant l'œuvre. Je m'en
vais tranquille, non point par la souvenance de ce que j'ai
essarté de faire, viais par l'assurance de la rémission de mes
péchés en Jésus-Christ notre Sauveur.
« En 1 6 1 5 , le pasteur Gauthier, riche et dans une brillante posi-
tion, s'enferme à l'hôpital avec sa femme qui ne veut pas le
quitter. Ils se multiphent en aumônes, dit le registre, voulant que
les plus pauvres fussent aussi bien soignés que les riches. Ils
furent atteints et moururent à trois heures de distance. Gauthier,
disait un collègue, vous mourez victime de votre dévouement.
Au nom de Dieu, répondit le pasteur mourant, parlez-moi de
Jésus et ne venez pas gâter par une louange le moment qui me
rapproche de mon Sauveur.
«En 1617, Antoine La Faye, chef de l'Église, successeur de
Théodore de Bèze, était choisi par le sort pour consoler les pesti-
férés; sa compagne ne voulut pas se séparer de lui. Au bout de
trois mois, leur tâche était finie; ils rentrèrent chez eux et reçu-
rent les félicitations de leurs amis. Mais le lendemain les symptômes
mortels se déclarent; leur maladie est courte; et comme les amis
de La Faye se lamentaient de voir sa carrière si misérablement
tranchée: — Remercions Dieu, àil-il, qui 7ious juge dignes d'être
appelés à un travail difficile en ce monde.
«Voilà, cher Frère, de quoi répondre, etc.
« Signé Gaberel, pasteur. »
(Cette note est extraite d'une brochure intitulée : Réponse aux
accusations du R. P. Carboij contre le protestantisme . par
H. Poulain, pasteur de FégUse protestante du Havre; l'-sris,
Joèl Cherbuliez, 1854.)
358
NOTES.
Note X, page 237.
Un jésuite écossais, au moment de l'escalade, remit aux Sa-
voyai-d.s des papiers magifpies, qui devaient les préserver des
atteintes de l'eau, du fer et du feu.
Ces amulettes portaient les paroles suivantes en latin :
«Cette lettre est écrite par le Sauveur lui-même;
Le pape Léon l'a envoyée à GliarJes-Quint.
Celui qui la portera ou la lira, dans ce jour, ne périra ni par le
fer, ni par l'eau, ni par le feu; aucun homme ne pourra lui faire
aucun mal.
S'il vient à mourir, le porteur est garanti des peines de l'enfer.
Christ, ma vie^ je t'adore !
Christ, mon sauveur, brise les glaives, romps les liens 1
Que ton signe devienne le rachat de ma vie !
Donne-moi la vie éternelle et mets en fuite mes ennemis ! »
(Gaberel, Histoire de l'église de Genève, t. Il, p. 488.)
Dangers <te â^enèvc. — Entreprise de Saïut-C'barles»
Boroméc et du pape contre ftenève.
N" 1. — Bref de Paul IV à François II pour conquérir Genève,
11 juin 1560.
Nous avons appris que Votre Majesté a promis à notre cher CIs
Emmanuel -Philibert des troupes et de l'argent pour remettre
Genève sous sa domination. Nous approuvons beaucoup ce projet.
Rien de plus digne ne pouvait être entrepris par vous. En eifet,
cette ville, comme tous le savent, est l'asile de tous les hérétiques
de France et d'Italie. Elle est la source empoisonnée d'où naguère
sont sortis les troubles et les séditions cpii ont bouleversé votre
royaume. Jamais, pendant que cette ville sera au pouvoir des
hérétiques, les ennemis de la foi catholique ne manqueront d'un
refuge assuré. Aussi nous vous exhortons de tout notre cœur
avec le zèle qui nous dévore; bien plus, nous vous demandons
d'aider le duc de Savoie à récupérer cette ville. Envoyez -lui des
cavaliers, des fantassins, de l'argent en abondance. En faisant
cela, vous accomplirez une chose très-agréable à Dieu et utile
par-dessus tout à la paix de votre royaume. Car une fois cet asile,
ce réceptacle enlevé aux hérétiques de France, ceux qui dans
leur cœur machinent des complots, seront brisés pour jamais.
Nous envoyons les présentes par notre vénérable frère le nonce,
qui vous les confirmera verbalement. — A Rome, le 11 juin
1560.
N" 2. — Le pape Paul IV au roi d'Espagne Philippe II, le 13 juin 1560.
Noti-e bien-aimé Hls Emmanuel- Philibert nous affirme qu'il a le
plus grand désii- de récupérer Genève. Nous avons appris que
notre très-cher fils en Christ .François II, R. T. C,, lui a promis de
NOTES.
359
la cavalerie et de l'infanterie, pour rcdnirc cette ville. Votre Majesté
sait que dès longtemps eclte ville est l'asile des hérétiques, que
les ennemis de l'Eglise affluent chez elle de France et d'Kalie.
Nous sommes donc persuadés que vous aiderez Emmanuel -Phili-
bert dans la proportion de votre zèle religieux, et que vous com-
prendrez la grandeur et l'importance de cette œuvre. Mais comme
nulle entreprise ne nous tient plus au cœur que le renversement
de ce réceptacle d'hérésie, nous vous adi-essons à ce sujet les
plus pressantes sollicitations. Nulle œuvre n'est plus digne de
Dieu et de la sainte Éghse cathoUque. Suivez notre exemple et
celui du roi de France, qui, de la Bourgogne et nous d'Italie,
enverrons contre Genève les pins puissantes troupes, et joignez
à nos soldats vos redoutables cohortes, afin que le succès soit
assuré. — Dat. Romœ apitd S. P. clic ///juin an P.
N° 3. — Salât- Charles-Borromée contre Genève, 18 jain 1S60.
Lettre à il. de Colleyno sur le subside à donner au duc de
Savoie pour reprendre Genève. {Archives de Turin, p. 49,
n" 2 , l" catég. , affaires de Genève.)
Kous avertissons M. de Collegno que Sa Sainteté a déposé
20,000 écus en mains de Thomas de Marini , à Milan. Cette so.mme
doit servir aux cantons catholiques contre les hérétiques qui veu-
lent attaquer les fidèles. Les cantons protestants sont irrités des
projets des cathoHques contre Claris. Grâce à ces 20,000 écus, les
cantons hérétiques étant empêchés , ne pourront aller au secours
de Genève quand Son Altesse lui donnera l'assaut.
2° Quand Son Altesse marchera sur Genève, elle rece^Ta éga-
lement 20,000 écus comptant pour payer, durant trois mois, cette
entreprise.
3» Le pape enverra sa cavalerie à ses frais pour chasser les
fugitifs genevois; car cette guerre doit être com-te, vu que les
Turcs pourraient bien nous inquiéter.
4° Sa Sainteté trouve à propos de ne pas appeler cette guerre
luthérienne , mais seulement guerre contre des rebelles et une
cité qui est la propriété du duc Emmanuel-Philibert.
5" Sa Sainteté s'arrangera avec les Français pour qu'As fassent
partir des détachements des cinq garnisons qu'ils ont en Piémont,
afin que Son Altesse voie bien que le pape désire son bien-être et
son contentement.
Fait à Rome, le 13 juin 1560.
Charles, cardinal Bon-omée, P. P.
La mort de François n, arrivée peu après l'expédition de ces
missives, fît échouer cette entreprise, et Genève échappa à l'un
des plus grands dangers que son indépendance ait courus.
(Archives de Turin, 1" catégorie, paquet 14.)
360
NOTES.
Noie XI, page 214.
Testament de Théodore de Bèze.
Au nom de Dieu qui a fait le ciel et la terre, Amen.
Je, Théodore de Besze, fils de feu noble Pierre de Besze, baiiiyde
Vezelay, ministre de la parole de Dieu en l'Église de Genève, et
fait bourgeois dudit Genève, par la grâce de mes très -honorés
seigneurs; sain de corps et d'esprit par la grâce de Dieu, prévoyant
toutefois l'incertitude de cette vie, surtout entre l'âge de 77 ans
auquel je me trouve, j'ai avisé et résolu de faire mon dernier
testament solemnel et par écrit en la forme et manière qui s'en
suit : Premièrement, je recommande à Dieu Père, Fils et Saint-
Esprit, mon âme et mon corps; m'assurant par sa sainte et seule
grâce qu'en la séparation de l'âme d'avec le corps, mon âme sera
reçue en ce degré de félicité, à raison de laquelle il est dit que
bien heureux sont ceux qui meurent au Seigneur. Et quant à mon
corps , il ressuscitera par la grande puissance de mon Créateur
en la dernière et bienheureuse journée promise pour la résurrec-
tion des morts; atin de jouir à jamais de ce qu'il m'a fait connaître,
croire et espérer dès les temps de cette pauvre vie. Je lui rends
grâce infinie de ce qu'il lui a plu dès mon âge de seize ans me
faire connaître cette vérité; et plus encore, que j'ai été enveloppé,
et me suis en mille sortes égaré aux labyrinthes de jeunesse,
n'ayant faute de tentateurs; toutefois, par une très-sainte grâce
et faveur de mon Dieu, au lieu que je méritais par trop que toute
cette connaissance étant abolie en moi , je périsse malheureuse-
ment, il a tellement opéré, que, postposaut toutes choses, à sa
gloire et au repos de ma conscience, il m'a retiré au port de son
Église en cette ville de Genève; mais je bénis son nom encore
davantage, en ce que, multipliant ses miséricordes sur moi,
pauvre pécheur, depuis l'an 1548 que j'arrivai en celte ville, le
23 octobre, quoique je fusse indigne d'être des moindres brebis
du troupeau du Seigneur, il lui a plu, toutefois, dès l'an 1549,
m'honorer de plusieurs charges en son église, ayant exercé dix
ans en l'église de Lausanne la profession de la langue grecque, et
été employé par les Églises françaises envers les princes protes-
tants d'Allemagne. Durant lequel temps il m'a préservé en la
maladie de peste, et en plusieurs épreuves de maladies et que-
relles il lui a plu m'assister à son honneur et gloire, jusqu'à ce
que, prenant congé volontaire et gracieux des magniliqucs sei-
gneurs de Berne, je fus appelé premièrement à la profession de
langue grecque, au commencement que celte école de Genève fut
dressée, et linaleraent au saint ministère de la parole de Dieu, et
adjoint à feu mon très-honoré père au Seigneur, M. Jean Calvin,
de très-heureuse mémoire en la profession de théologie, à savoir
NOTES.
361
l'an 1559. Depuis lequel temps, en deux voyages, l'un de trois
mois en Guieune, vers le feu roi Antoine de Navarre : l'autre au
coUoqpie de Poissy l'an 1 5 6 1 , qui fut de vingt mois , y étant com-
pris le temps de toute la première guerre civile, durant tout lequel
espace il me serait impossible de réciter les grandes assistances
que j'ai senties du Seigneur en toutes sortes de charges, non-
seulement par ti'op pesantes, mais aussi par trop périlleuses, jus-
qu'à ce qu'étant de retour en ce lieu, il m'a fait cette grâce jus-
qu'à présent de n'avoir été sans édification tant de bouche que
par écrit, selon qu'il a plu à Dieu m'y conduire. Mais hélas 1 fai-
sant comparaison de mon devoir avec ce peu d'effet, je baisse ma
tète devant mon Dieu, lui demandant grâce et miséricorde. Je
supplie mes très-honorés seigneurs de me pardonner mes infir-
mités , acceptant pour effet la pure et sincère volonté que j'ai
toujours eue da leur faire service à mon possible. A quoi, outre
mes gages ordinaires, je reconnais qu'ils ont usé de très-grandes
gratuités envers moi, dont je les remercie très-humblement. Quant
à la sainte compagnie de mes très-honorés frères et compagnons
en l'œuvre du Seigneur, comme ils ont supporté beaucoup de
mes infirmités, j'espère qu'ils me rendront toujours témoignage
que je me suis sincèrement porté avec eux en ma charge, sans
jamais avoir eu débat ni contention. Dieu leur veuille accroître ces
grandes grâces de plus en plus , pour être bien ouïs , tant en la
doctrine reçue en ladite Eglise, qu'en la discipline d'icelle : se
souvenant, non-seulement, de ce que eux et moi ont reçu, mais
de ces grands personnages desquels nous l'avons reçu, et singu-
lièrement de ce grand serviteur de Dieu feu M. Jean Calvin ; de la
sagesse, piété, érudition et prudence duquel, ce sera bien assez
s'Os peuvent être bons imitateurs; fermant les oreiUes à ces esprits
frétillants qui commencent à s'élever, aussi pleins d'opinion de
leur suffisance en eux-mêmes , qu'ils sont vides de bon et ferme
jugement. Que si ce qui a été bien ordonné se peut faire encore
meilleur, je dis quant à l'ordre, que cela se considère très-milre-
ment, et s'exécute d'un esprit sage et paisible par moyens éloignés
de zèle étourdi et d'ambition. Que s'il s'en trouve d'autre humeur
en la compagnie, eux premièrement, et, si besoin est, le magis-
trat n'y saurait trop tôt pourvoir. Quant à moi, je prétends vivre
et mourir en ce que j'ai appris par les susdits grands personnages
que je reconnais prins de la pure parole de Dieu. Dieu me faisant
la grâce de mourir en cette Église, je prie que mon pauvre corps
soit enterré au lieu et en la sépulture accoutumée, parmi tant
d'excellents personnages, et de mes bons frères et amis, pour
ressusciter ensemble, s'il plait à Dieu, en cette bienheureuse
journée et apparition de Jésus-Christ, notre Sauveur, etc.
Et combien que je ne fasse aucune distinction du heu quant à
la conscience, toutefois je désire i si faii'c se peut commodément,
IV. 41
362
NOTES.
d'être enterré au plus près de feu ma bien-aimée première femme
Claude Desnoze, qui m'a laut d'nnnées accompagné et fidèlement
assisté, et fait tout devoir de i. . une vraiment chrétienne. L'en-
droit est assez près de l'entrée de l'iaiupalais , tournant à main
droite, auprès du coin qui fait un détour, ou à un jardin.
Quant aux biens (jue Dieu m'a prêtés en cette vie^ je déclare :
(Suit le dispositif.)
Et ayant tout ce que dessus bien tu, lu et considéré, d'autant
que c'est ma dernière disposition faite de ma franche volonté , et
sans induction quelconque, n'y voulant ajouter ou diminuer, pour
le présent, aucune chose, je l'ai signé de ma propre main et
cacheté de mon cachet accoutumé, et fait signer audit Jouenon,
notaire, et pour plus grande confirmation de ma dite disposition
et dernière volonté, à Genève, le 18 du mois d'octobre 1595. —
Théodore de Besze.
Cy est la fin du susdit testament, à savoir, ime ratification du-
dit testament par ledit sieur de Bcsze , le 1 6 de novembre 1 59 9 , en
présence des témoins soussignés, outre ledit sieur Théodore de
Besze et le notaire Jouenon, les sieurs Dulac, de Tournes, Eslienne
Lemelays, François Lefeure, Gabriel Cartier, Kéhémie Carat,
Anastase-Jean Martin. Je, Théodore de Besze, atteste par cet écrit
de ma main, que le contenu dans les feuilles de papier ici encloses ,
est mon testament et ma dernière volonté, que moi-même ait
minuté el diclé à Egrege-Jeau Jouenon, notaire juré de cette cité
de Genève, l'ayant prié de l'écrire, et avec lequel moi-même ai
collationné le tout sur ma dite minute, de mot à mot, et finalement
signé de ma main, avec quelques apostilles aussi ajoutées et dic-
tées par moi, en certains endroits, et finalement j'ai apposé le
sceau des armes de la famille dont je suis né, ce que je certifie à
fous ceux qu'il appartiendra être véritable ; suppliant mes très-
honorés seigneurs de vouloir approuver, nonobstant les solem-
nités ordinaires non observées; fait, écrit et signé de ma main.
Ce 25 octobre, l'an de notre salut, 1595. Théodore de Besze. Et
au-dessous : Et moi, Jean Jouenon, bourgeois et notaire jiu'é de
Genève, me suis soussigné, requis par ledit sieur de Besze pour
plus grande confirmation de sa dite dernière volonté. Jouenon.
(Tiré des pièces justificatives deV Histoire de l'Église de Genève,
par Gaberel, t. II, Genève 1558, p. 261 et suiv.)
Note XII , page 245.
Hort de Théodore de Bèze.
Séance de la compagnie des pasteurs et du conseil, le 14 octebrei605.
« Nous venons, dit le Modérateur, nous affliger ensemble de la
perte que l'Église a faite. Vous êtes comme nous. Messieurs, sai-
sis d'un profond regret, en songeant à tous les services que M. de
NOTES.
363
Besze a rendus à la ville. Il n'était pas seulement un brillant flam-
beau en la maison de Dieu ; mais un rempart pour la sûreté de
Genève, et personne n'oubliera que si nous trouvons secours et
faveurs auprès des princes étrangers , c'est à l'enti-eprise de M. de
Besze que nous le devons. H nous sera difficile de trouver son
égal pour faire régner la bienveillance et adoucir les discordes.
Mais nous rendrons honneur à sa mémoire, en nous eucom'ageant
tous dans une bonne et sainte intelligence au bien de l'État et de
l'Église. De notre part, nous protestons d'une afTection sincère et
chrétienne envers les magistrats , comme le défunt nous en a tou-
jours donné l'exemple. »
Le syndic Lect répondit: «Messieurs, nous sommes vraiment
touchés de deuil et de tristesse par la mort de notre fi'ère de Besze.
Kotre grand désir est de réparer sa perte en conservant son esprit
de paix et de conciliation entre nous. Kous espérons que toujours
l'union et la bonne correspondance seront entre l'Eglise et l'État,
pour le bien du pays. A cet elTet, suivons les traces de ces deux
grands personnages qui ont si heureusement servi en cette
ville. »
Kote xm,page 250.
De ce qui se pa§§a en sa maladie et l'heareox trépaa
de François de !Sales.
Donc le 27 du mois de décembre, jour dédié à l'honneur de
saint Jean l'évangéliste, après avoir diné, son valet de chambre
rin\"itant à prendre de la botte, parce qu'il fallait partir avec le
sérénissime prince de Piémont : «Prenons-la (lui tit-il), puisque
vous le voulez, je ne pense pas pourtant que nous allions guère
loin. » Cela étant fait, il se sentit tout engourdi et demeura assez
longtemps appuyé contre la table sans sonner mot; puis, repre-
nant un peu ses esprits, U écrivit deux lettres, l'une pour les
révérends pères récollets qui lui demandèrent certaines recom-
mandations, l'autre à madame l'abbesse du monastère de la
Déserte de Lyon, qui l'avait supplié instamment de 1 accepter en
qualité de sa très-obéissante fille. Environ sur le midi, coup sur
coup, il fut visité de plusieurs reUgieux et ecclésiastiques, les-
quels vinrent humblement recevok sa bénédiction. Ses domestiques
ayant remarqué que ni à leur arri'vée, ni à leur sortie, il ne
s'était point levé de sa chaise pour les saluer, contre son ordinaire,
jugèrent incontinent qu'il se trouvait mal. C'est pourquoi M. Ro-
land, surintendant de sa maison , lui dit : « Monseigneur, l'heure se
fait haute, il me semble qu il sera bon d'attendre de partir jusqu'à
demain;» à quoi il répondit; « Vous croyez possible que je sois
malade. » Peu de temps après il lui survint un grand manquement
de cœur, et dans demi-heure l'apoplexie le saisit, laquelle, quoi-
que elle l'assoupit extrêmement, si est-ce qu'elle ne l'empêcha
364
NOTES.
pas de proférer de temps en temps des paroles et des sentences
dignes de lui, selon que nous verrons tout maintenant. On lui
voulait apporter le très-auguste sacrement , par manière de via-
ti(jue, toutefois on s'en départit à cause de son continuel vomisse-
ment, joint qu'il avait célébré la messe ce jour-là. Comme le
bruit fut divulgué par Lyon qu'il s'en allait mourant, grand
nombre de personnes s'émeut et accourut , tant pour le consoler
qu'afln de recevoir la consolation; car il n'est pas croyable com-
bien la seule vue de ce bienheureux prélat édiUait et touchait les
consciences.
Monseigneur le révérendissime Robert Bertelot , évôque de Damas
et sufTragant en l'archevêché de Lyon, se transporta des premiers
à son logis, et, entrant dans sa chambre, lui cria, modérément
néanmoins : « Francisce, quœ mutatio dexterœ excelsi ? Vous me
Tintes dire adieu la veille de Noël, à présent je suis contraint de
vous venir dire adieu. » Alors notre pauvre agonisant le regarda
attentivement et lui tendit la main en signe de bienveillance. Ledit
seigneur évêque de Damas reprenant la parole lui témoigna qu'il
était venu pour l'assister et usa de ce qui est écrit aux Proverbes
de Salomon : «Frater qui admiralur a fratre quasi civitas mu-
nita; » à quoi répondit le malade : « et dominus salvabit virnm-
gue.» Quelques minutes s'ctant écoulées, le susdit révérendissime
évêque de Damas lui dit ce beau verset de David : « Jacta cogita-
tum tuum in Domine ; » et notre patient poursuivit et ipse te
enutriet, ajoutant sans beaucoup de délai : « Meus cibus est ut
faciam voluntatem patris mei. «
Le révérend monsieur Ménard, vicaire général, substitué à
l'archevêché de Lyon, le vint pareillement exhorter. Il lui de-
manda s'il n'agréait pas qu'il instituât en l'éghse de Sainte-Marie
l'oraison des quarante heures , à ce qu'il plut à Notre Seigneur
de lui rendre sa santé? Le saint évêque lui répondit : "Je ne le
mérite pas. » «Eh quoi, répliqua le sieur Ménard, ne voidez-vous
pas qu'on prie pour vous?» «Ahl de cela, oui, répartit-il. » «Ou-
bliez-vous point de prier la sainte vierge Marie? lui fit-il. » « Je
l'ai priée tous les jours de ma vie, répondit-il. » Ce dévot ecclé-
siastique, qui J« chérissait tendrement, ayant envit- de lui ouvrir
le sujet de quetnme pieux discours, comme ausst rie le réveiller
davantage, l'exci'ta par tels propos: «Monseigneur, que sentez-
vous de la foi catholique? seriez-vous point devenu huguenot?»
« 0 la lie, ne le fus jamais ; « et faisant un grand signe de croix :
« Ce serait une étrange trahison, dit-il. » Le même lui représentant
que les plus signalés en sainteté avaient appréhendé la mort, il
répliqua : « Ils avaient bien raison. » Et comme on lui mit en
avant cette sentence du sage : 0 mors quam amai-a est mcmnria
tua; il poursuivit : « Bomini pacem habenti in substanliis sîds.»
Les révérends pères de la compagnie de Jésus l'assistèrent jour
NOTES.
365
et nuit, tour à tour, dès le commencement de sa maladie, jusqu'à
ce qu'il eut rendu l'esprit, avec une affection très -intelligente et
une cordialité non pareille, notamment le révérend père Jean
Fourier, provincial, le révérend père Louis Jlichaelis, recteur du
collège de Lyon, le révérend père Pierre Bernaud, recteur de la
maison de la troisième probation de Saint-Joseph, le révérend
père Gaspard Marguilier, le révérend père Reymond Sauvian, le
révérend père Amerez, et le vénérable frère coadjuteur Guillaume
Armand; qui lui rendait service d'une façon, qui d'une autre, qui
le soutenait, qui le faisait promener par la chambre, qui s'essayait
du mieux qu'il pouvait, en le frottant, de divertir l'apoplexie; ils
allaient à l'envie, ces charitables serviteurs du roi Jésus, à qui
plus apporterait de soulagement au pamTe patient, que la pesan-
teur du mal allait, petit à petit, accablant. Ils lui firent produire,
de temps en temps, à force actes de foi, d'espérance et de charité,
de patience, d'humilité, de résignation, de contrition; Us raoyen-
nèrent qu'on lui donna l'extrême onction; ils firent iaiie pour lui
de particulières oraisons chez eux, et en somme se monti-èrent
fidèles amants de celui qui les avait toujours tant aimé et chérL
L'un d'eux lui ayant ouï réciter ce verset de David : Amplius lava
vie ab iyiiquitate med et peccato meo munda me, lui dit: n 0
Monseigneur, quant à votre conscience, grâce à notre bon Dieu,
vous y avez mis l'ordre qu'il fallait durant votre vie ; » il répon-
dit : « Ah 1 non pas cela. » Un autre le conviant de présenter à
notre Seigneur, la prière de saint Martin, Domine si adhuc populo
tuo sum necessarius non récusa laborem, U n'y voulut jamais
acquiescer, assurant qu'iï était servus inutilis. Quelque autre
l'invitant à dire le sacré Trisagion; Sanctus, sanctus, sanctiis
Dominus Deus Sabaoth , il poursuivit : Pleni sunt cœli et terra
majestatis g/oriœ tuœ , continua le reste du Te Deum lavdamus
et fit une action de grâces de tous les bénéfices qu'il avait reçus
de la divine bonté. Une autre fois, lui remémoriant le psaume:
Miserere mei Deus, il le poursuivit jusqu'à la fin. Le susdit révé-
rend père Marguilier l'exhorta à proférer ces paroles que l'amou-
reux Sauveur poussa hors de sa poitrine angoissée au jardin des
Olives ; Paler si possibile est transeat à me calix iste. Ce dé-
bonnaire prélat ne le voulut pas prononcer, seulement il se con-
tenta de dire ce qui suit : «iN'ow mea sed tua vohmtas fiât. « Le
même père l'anima doucement à sacrifier son âme à la très-glo-
rieuse Trinité. Alors le saint évèque, redoublant ses forces, jeta
d'un grand cœur ses embrasés élans : « Je sacrifie tout à Dieu : je
sacrifie ma mémoire et mes actions à Dieu le Père; mon entende-
ment et mes paroles à Dieu le Fils; ma volonté et mes pensées à
Dieu le Saint-Esprit; mon corps, mon cœur, ma langue, mes
eentiments et mes soulfrances à l'humanité de Jésus-Christ, lequel
a livré pour moi son corps aux tourments en l'arbre de la croii. »
366
NOTES.
Le rérérend père FûUrier, provincial, son ancien ami, qui avait
ouï sa confession générale lorsqu'il se préparait pour se faire
sacrer évêqué et qxii lui avait jadis servi de directeur spirituel,
S'approchant de lui, cria bellement : « Monseigneur, vous ne vous
souvenez plus de moi?» «Si fait, bien, mon père, répondit-il
fort gracieusement, je ne vous oublierai jamais. » Et voyant que le
zélé frère coadjuteur Guillaume Ai-mand ne se pouvait souler de
le servir, il lui dit amiablement : « Mon frère, vous prenez beau-
coup de peine avec moi, que ferai-je pour vous? » « Vous prierez
s'il vous plaît pour moi. Monseigneur, lui répondit-il, quand vous
serez arrivé au ciel. »
Le révérend monsieur Pernet, docteur en théologie, demeura
pendant sa maladie presque toujours attaché au chevet de son lit
et mâiutefois U lui entendit répéter ces trois excellents versets du
prophète royal David. Le premier : Misericordias Domini in œter-
num ccmlaho; le second : Cor meum et caro mea exuUaverunt in
Dêum Vivian ; le troisième : Renuit consolari anima mea, memor
fui et Dei delectatus sum. Et il proférait ces versets tacitement,
ainsi qu'une personne qui récite ses heures en oyant la messe.
Ce bienheureux prélat apercevant ses serviteurs pleurant amère-
ment et fondant en larmes, il leur dit : « Ne faut pas pleurer, il se
faut conformer à la volonté de Dieu. » Le pauvre M. Roland, prêtre
et smintèndant de sa maison, était plus mort que vif; il ne savait
quelle contenance tenir; enfin se violentant, il s'approcha de -son
bon maître avec ce peu de paroles: «Monseigneur, parlez -nous
un petit, dites quelques paroles. « «Vivez en paix, lui fit-il, et en
la crainte de Dieu, »
Le révérend père Charles de Saint-Laurent, feuillant, lui dit:
« Courage, Monseigneur, peut-être que Dieu vous réserve encore
pour vous faii'e asseoir sur votre trône à Genève." «Je n'ai ja-
mais désiré le trône, répondit-il, je n'ai souhaité que leur salut. »
Un certain, pensant le réjouir, lui A'int faire fête de l'arrivée du
révérendissime Jean-François de Sales, évêque de Calcédoine, son
frère , mais U le tança doucement en lui répUquant : « U ne faut
jamais mentir. « On lui demanda s'il voulait laisser les filles de
Sainte-Marie orphelines, U répartit: « qui cœpitopus ipseperficiet,
perficiet , pei-ficiet ; » continuant à perte d'haleine ce prophétique
perficiet jusques à trois fois.
Le ti-ès- illustre prince et duc de Nemours le vint visiter et se
mit à genoux la larme à l'œil pour recevoir sa bénédiction, il la
lui donna par deux fois, sur quoi il lui dit: « U y en am'a donc
une pour moi, et une pour le duc de Genevois, mon fils.» Et
comme on se fut enquis de lui voir s'il reconnaissait quel était ce
seignem', il répondit: «Oui, c'est Monseignem- le duc de Nemours.»
(Extrait de La vie de François de Sales, par le révéread pèra
De la Rivière, p. 665 et suiv.)
NOTES.
367
Note xrv, page 272.
L'impopularité d'un parti toujours occupé de cette œuvre san-
glante et qui ne semblait respirer que poiu- l'assassinat d'une fenune,
ne pouvait que s'accroître. Le mariage, réputé quelque temps iné-
vitable d'Elisabeth avec le duc d'Anjou, fit éclater la défiance
universelle qu'excitaient les catholiques, et ne servit qu'à donner
la mesure de cette impopularité. Une lettre de Philippe Sidney,
rendue pubUque, excita contre ce mariage les senlijnents de la
nation avec assez de fermeté pour obtenir l'approbation générale,
avec assez de mesm-e pour ne point ii-riter Elisabeth. Les puri-
tains furent plus hardis et moins heureux; leur Mvre, intitulé
L'abîme où le mariage français eyitraine l'Angleterre , parut
à la reine un appel à la révolte, digne de la répression la plus
sévère. Il lui importait peu qu'elle y fût appelée la fille de Dieu.
Le duc d'Anjou, flétri du nom du fils de l'Antéchrist, ses con-
seillers accusés d'avoir ^alii la religion nationale devaient être à
ses yeux recouverts de sa propre inviolabilité, et la dignité de
la couronne était intéressée à leur défense. Le respectable John
Stuhb, auteur du livre, le libraire Wilham Page, qui l'avait
propagé, eurent la main droite coupée par le bourreau sur la
place de Westminster. Le véridique historien de ce règne (Camdeu)
fut témoin de leur supplice, du silence désapprobateur de la
foule, plus inquiète du mariage catbohque que de l'offense reçue
et vengée par Elisabeth, de l'admiration pleine de piété avec la-
quelle on vit John Stubb mutilé élever son chapeau de la main
gauche en criant : Vive la reine!
(Extrait de l'ouvrage de M. Prévost -Paradol, intitulé : Elisabeth
c^ffenri /F [15«5-1 598], p. 97-98.)
Note XV, page 294.
Serment fait par les dépotés présents à liouduu
(20 Juin 1S96).
Nous soussignés, promettons et jurons garder, inviolablement,
l'union des Églises de France faite à Mantes le 9 décembre 1593 ,
et, en conséquence d'iceUe, nous soumettre à toutes les résolu-
tions des assemblées générales , et notamment de celle tenue à
Loudun, en la présente année, observer les règlements y dressés
pour l'ordre de notre conservation, pour à laquelle parvenir, nous
promettons de maintenir de tout notre pouvon- ce que nous avons
délibéré de conscience , ne permettant pas que l'exercice de la
reUgion soit ôté d'aucuns lieux où il est maintenant, ni la messe
reçue ès lieux où elle n'est point de présent, de garder nos sûre-
tés, ne relâcher aucune des places que nous tenons , saisir les
deniers pour les payements des garnisons, selon qu'il a été déjà
3&8
NOTES.
ordonné par ladite assemblée, employer vie et biens pour la dé-
fense de celui, ou ceux, qui seront recherchés pour cet effet,
garder lidèlemeut les places pour la manutention des éghses, n'en
transporter aucune pour quelque cause que ce soit, ès mains d'un
autre, sans le consentement et expresse permission du conseil de
la province; bref, exécuter, fidèlement, et de point en point tout
ce qui est, et sera ordonné pour Tentretenement du ministère,
récusation des parlements, qu'autres choses concernant le bien
général ou particulier de toutes les Églises réformées de France,
le tout jusqu'à ce que par lesdites Églises en ait été autrement
avisé.
(Extrait des Actes des assemblées générales.)
Note XVI, page 300.
lia Tache à Colas.
Au mois de janvier (1615), le sieur de la Force se trouvant à la
cour, arriva la quereUe du marquis de la Force et du comte de
Grammont, laquelle se passa de cette sorte:
« Le marquis de la Force était de quartier auprès du roi comme
capitaine des gardes; un jour qu'il accompagnait Sa Majesté dans
la forêt de Saint-Germain; voilà que tout à coup un taureau fu-
rieux court par un sentier droit à la personne du roi; la Force se
jette aussitôt entre Sa Majesté et le taureau, lequel il fit tomber
raide mort d'un coup d'épée. Le roi se divertissait fort à faire
battre des taureaux contre des dogues d'Angleterre ; il avait même
un homme exprés pour en faire venir des pays étrangers et les
dresser à ce genre de combat; un de ces animaux, échappé du
heu où il était renfermé, avait mis en péril la vie du roi. On loua
extraordinairement l'action du marquis de la Force, et tous ceux
qui étaient présents en parlèrent beaucoup le soir, au retour de
la chasse.
«Ayant entendu ce récit, le comte de Grammont, impatienté
des louanges qu'on donnait au marquis de la Force , qu'il n'ai-
mait pas, jaloux du mérite qu'on lui attribuait, et railleur de son
naturel , comme tous ceux de sa maison , se plut à tourner la
chose en ridicule, et même fit, sur un air alors en vogue, le cou-
plet suivant :
Le marquis de la Force
A tué par sa force
La grand' vache à Colas,
La la, deri dera.
f II voulait dire par là qu'on faisait grand bruit de peu de chose,
et se moquait, en même temps, de ceux de la religion que les
raiholiques désignaient sous le nom de vache à Colas , fle qui était
re^ 'a'dé comme une injure.
NOTES.
369
« Cette boutade fut racontée, le jour même, au marquis de la
Force, qui, trouvant le sieur de Grammont dans l'antichambre du
roi, lui dit : «Je viens d'apprendre que vous êtes poète; eh tient
moi , je le suis aussi. Vous avez fait ce couplet :
Le marquis de la Force, <it&
«Moi, j'ai composé celui-ci sur le même ait i
Des cornes de la vache
Je fais faire un panache
Pour Grammont que voilà,
La la , deri dora.
«Et puis le marquis de la Force lui faisait les cornes avec ses
doigts, et finit par lui relever le bout du nez. D'abord Grammont
ne dit que : pourpoint bas ! qui était le terme dont on se servait
quand on voulait se battre. Cette querelle, se passant si proche
du roi, fut aussitôt rapportée à Sa Majesté, qui envoya, à chacun
d'eux, un exempt des gardes du corps, avec ordre de les
garder en leur maison jusqu'à ce que cette affaire fût accom-
modée.
« La précaution fut inutCe, car les deux adversaires s'étaient
échappés; le duel eut lieu au Pré aux Clercs, et le marquis de la
Force ayant blessé le comte de Grammont, le força de rendi'e les
armes et de demander la vie. La reine dut ensuite travailler à une
réconciliation plus apparente que réelle. «
{Mémoires de la Force, publiés par M. le marquis de la Grange,
en 1843. — Voy. aussi Bulletin de la société de l'histoire
du. protestantisme , 7« année, p. 365, 366.)
Note xvii , page 305.
£xécation du jésuite Ciarnet. — Ses déclarations
sur l'échafand»
Le trois mai, Henri Garnet subit le dernier supplice. . . Lorsqu'il
fut sur Féchafaud, il s'arrêta comme étonné, laissant voir, sur
Bon visage sa crainte et ses remords — Il dit aux assistants que
ça avait été une entreprise horrible, que le crime qu'on avait
voulu commettre était énorme , et de telle nature que s'il efit été
achevé, il lui eût été impossible de ne pas en avoù* horreur. D
ajouta qu'il n'avait su la chose de Catesby qu'en général; qu'il était
cependant coupable de l'avoir célé et d'avoir négligé de l'empêcher ,
parce qu'il avait su en particulier, il ne Favait appris que sous le
sceau de la confession. Le Magistrat chargé d'assister à l'exécution
l'avertit de se ressouvenir de ces quatre articles, que le roi, entre
plusieurs autres, avait entre les mains signés de la propre main
370
NOTES.
!• Que Greenwell lui avait déclaré le fait non comme un péché,
mais cômmé une chose dont il avait déjà ouï parler, et cela pour
le consulter.
2" Que Catesby et Greenwell l'étaient venu trouver, atin qu'il
les confirmât dans le dessein d'exécuter le crime qu'ils avaient
entrepris.
3» Que Tesmond lui-même avait eu avec lui, dans îe comtâ
d'Essex un entretien assez long sur les particularités de cette con-
juration des poudres.
4" Que Greenwell avait demandé à Carnet, gui est-ce qui serait
protecteur du royaume? et que Garnet avait répondu: qu'il ne
fallut pas s'embarrasser de celà, jusqu'à ce que la chose fût faite
et consommée:
Toutes ces choses prouvent que vous avez eu connaissance de
ces crUnes autrement que par la confession, et elles sont signées
de votre propre main.
Garnet répondit que tout ce qu'il avait signé était vrai, et qu'on
l'avait condamné tiès-justement à mort, pour n'avoii' pas décou-
vert à Sa Majesté ce qu'U avait su.
(Extrait du procès de Henri Garnet de la Société jésuitique ea
Angleterre, et autres, — traduit de l'anglais en latin par G.
Camden. — Londres, imprimerie de Jean Morton, hnprimeur
du roi, l'an 1607.' — Voir aussi àlapage 46G-467. — Extraits
des assertions dangereuses et pernicieuses en tout genre que
les soi-disant jésuites ont, dans tous les temps et perséve-
rammeut soutenues, enseignées et pubhées dans leurs livres
avec l'approbation de leurs supérieurs et généraux. — Véri-
fiées et coUationnées par les commissaires du parlement ea
exécution de l'arrêté de la cour du 31 août 1761. — Paris,
chez Pierre-Guillaume Simon, imprimeur du parlement, rue
dé la Harpe, à l'Hercule. An M.DCC.LXn.)
Note xvra, page 327.
Assassinat du roi.
Le Roi sortit peu après pour s'en aller à l'Ai'senal. 11 délibéra
longtemps s'il sortirait, et plusieurs fois dit à la reine : « 5!a mie,
irai-je , n'h-ai-je pas? » Il sortit même deux ou ti'ois fois , et puis,
tout d'un coup, retourna en disant à la reine : «Ma mie, irai-je
encore ? « et faisait de nouveau doute d'aller ou demeurer. Enfin
il se résolut d'y aller , et ayant plusieurs fois baisé la reine , lui
dit adieu , et entre autres choses que l'on a remarqué , il lui dit :
n Je ne ferai qu'aller et venii'^ et serai ici tout à cette heure même. »
Comme il fut en bas de la montée où son carrosse l'attendait ,
M. de Praslin, son capitame des gardes, le voulut suivi-e, iTlui
dit: «Allcz-voi.is-ça, je ne veux personne, aliez à vos affaires. »
NOTES.
371
Ainsi n'ayant autour de lui que quelques gentilshommes et des
valets de pied, il monta en carrosse, se mit au fond à sa main
gauche, et fit mettre M. d'Espernoii à la droite; auprès de lui, à
portière, étaient M. de Montbazon, M. de la Force; à la portière,
du côté de M. d'Espernon, étaient M. le maréchal de Lavardin ,
M. de Créqui; au-devant M. le marquis de Mirabeau et M. le pre-
mier écuyer. Comme il fut à la Croix du Tiroir, on lui demanda oii
il voulait aller; il commanda qu'on alla vers Saiut-Innocent. Étant
arrivé à la rue de la Ferronnerie, qui est à la fin de celle de Saint-
Honoré pour aller à celle de Saint-Denis, devant la Salamandre, il
se rencontra une charrette qui obligea le carrosse du roi à s'ap-
procher plus près des boutiques de qiiincaillers qui sont du côté
de Saint- Innocent, et même d'aller un peu plus bellement sans
s'arrêter toutefois, combien qu'un qui s'est hâté de faire im-
primer le discours, l'ait écrit de cette façon. Ce fut là qu'un abo-
minable assassin, qui s'était rangé contre la prochaine boutique,
qui est celle du Cœur couronne percé d'une flèche, se jeta sur le
roi et lui donna, coup sur coup, deux coups de couteau dans le
Côté gauche; l'un prenant entre l'aisselle et le tétin, va en mon-
tant sans faire autre chose que glisser; l'autre prend la cinquième
et sixième côte, et en descendant en bas, coupe une grosse artère
de ceUes qu'ils appellent fezneî^ei. Leroi^ parmaHieur, et comme
pour tenter davantage ce monstre, avait la main gauche sur l'é-
paule de M. de Montbazon, et de l'autre s'appuyait sur M. d'Esper-
non, auquel il parlait. Il jeta quelque petit cri et lit quelques
mouvements. M. de Montbazon lui ayant demandé : «Qu'est-ce,
Sire? » Il répondit : « Ce n'est rien I ce n'est rien! » par deux fois;
mais la dernière, il le dit si bas qu'on ne put l'entendre. Voilà les
seules paroles qu'U dit depuis qu'il fut blessé.
Tout aussitôt le carrosse retourna vers le Louvre. Comme il fut
au pied de la montée, où il était monté en carrosse, qui est celle
de la chambre de la reine, on lui donna du vin. Pensez que quel-
qu'un était déjà couru devant porter cette nouvelle. Le sieur de
Cérisy, Ueutenant de la compagnie de M. dePraslin, lui ayant
soulevé la tête , il fit quelque mouvements des yeux, puis les re-
ferma aussitôt sans les plus rouvrir. 11 fut porté en haut par M. de
Montbazon, le comte de Curson en Quercy, etmis sur le lit de sou
cabinet, et, sur les deux heures, porté sur le ht de sa chambre,
où il fut tout le lendemain et le dimanche, un chacun allait lui
donner de l'eau bénite. Je ne vous dis rien des pleurs de la reine,
cela se doit imaginer. Pour le peuple de Paris, je crois qu'U ne
pleura jamais tant qu'à cette occasion.
(Extrait des Lettres de Malherbe, p, 142-144. Paris, Biaise,
1822, in-8«.)
a72
NOTES.
Stanees de HUe Anne de Rohan sot la mort dn roi. — Lyon,
François Yvra, 1610.
Jadis pour ses beaux-fatcts nous élevions nos testes ,
L'ombre de ses lauriers nous gardait des tempestes,
La fin de nos combats finissait notre effroi,
Nous nous prisions tous seuls, nous méprisions les autres
Estant plus glorieux d'être sujets du roi
Que si les autres rois eussent été les nogtres.
Maiûtenant notre gloire est à jamais ternie.
Maintenant notre joie est à jamais finie ,
Les lys sont attérés et nous sommes avec eux ;
Daphné baisse, chétive, en terre son visage.
Et semble par ce geste humble autant que piteux,
Ou couronner sa tombe ou bien lui faire hommage.
France, pleure ton roi, qu'un noir cachot enserre.
Roi florissant en paix, victorieux en guerre.
Qui conservait des tiens les biens, les libertés;
Jettes saus fin des cris et des larmes non feintes;
Jusques au bout du monde , aux heux plus escartés
Où resonnaient ses faicts, fais résonner tes plaintes.
Regrettons, soupirons; ceste sage prudence,
Geste extrême bonté, ceste rare vaillance,
Ce cœur qui se pouvait fléchir et non dompter,
Vertus de qui la perte est à nous tant amère.
Et que je puis plustôt admirer que chanter,
Paisqu'à ce grand Achille il faudi'ait un Homère.
Ua NOUS ou OVATRlilU T0l(7tUi
TABLE DES MATIÈRES.
I. Siège de Rouen. — Ardeur des assiégeants. — Intrépidité
des assiégés. — Farnèse se prépare à faire lever le siège. —
Henri IV se porte à sa rencontre. — Sa fausse bravoure. —
Il court un grand danger. — Mot sanglant de Farnèse contre
lui. — Levée du siège de Rouen. — Farnèse blessé devant
Caudebec , remet le commandement à Mayenne. — II. Mayenne
continue le siège de Caudebec. — Son imprévoyance le" jette
dans un extrême péril. — Farnèse. par une habile manœuvre,
délivre Mayenne. — III. Mayenne humilié et découragé, se re-
tire à Rouen. — Des négociations sont ouvertes entre lui et
Henri IV. — Les exigences de Mayenne les font échouer. —
Discours incendiaires des prédicateurs de Paris. — Mayenne
ne pouvant lutter contre le déchaînement des passions, des
bourgeois ligueurs de Paris, se décide à convoquer les États
généraux. — Henri IV essaie de savoir par ses agents, si dans
le cas d'une abjuration , le pape lèverait l'excommunication
qui pesait sur lui. — Mécontentement des ligueurs et des pro-
testants. — IV. Lesdiguières. — Détails biographiques sur ce
chef huguenot. — Son portrait. — V. Mort de Farnèse. — Ou-
verture des États. — VI. Mayenne. Ses prétentions à la cou-
ronne. — Intrigues au sein des États. — Craintes de Henri IV.
— Il essaie de jeter la division parmi les députés. — Sur son
conseil, les seigneurs royalistes proposent une conférence aux
principaux chefs de la ligue. — Vive opposition de la part des
Seize et du légat du pape. — VII. La conférence est acceptée.
' — VIII. Opposition violente des prédicateurs. — Jeu de mot de
Boucher. — IX. Les commissaires des deux parties se réu-
nissent à Sùresnes. — Crainte des Espagnols.. — Le duc de
Féria fait la proposition à une commission des États de donner
le trône de France à l'infante Isabelle Clara-Eugénie. — Indi-
374
TABLE DES MATIÈRES.
gnation patriotique de Rose, évêque de Senlis. — La proposi-
tion est écartée. — X. Féria fait de nouveau ses propositions.
— Belle conduite du procureur général Molé. — Heniarquable
arrêt du parlement qui déclare nulle toute nomination au trône
de France d'uii priticé étranger. — Désappointéiiient et co-
lère de Féria. — XI. Les alarmes de Henri IV redoublent. —
Dans la crainte que les États ne nomment un successeur à
Henri III, il se décide à abjurer. — Page curieuse de Davila
sur l'entourage du roi. — ScéplicîStne du roi. — XII. Chauveau,
ancien curé de Saint-Gervais. — Ses attaques contre les tra-
ditions de son église. — Le roi le protège contre ses dénon-
ciateurs. —XIII. Préliminaires de la conversion. — Le protes-
tant Rosny. —XIV. Curieux entretien entre Henri IV et Rosny.
— Causes de la conversion. — XV. DOiileur des réformés en
apprenant le dessein du roi d'abjurer. — Théodore de Bèze.—
Sa lettre au roi. — Les Vaudois des vallées du Piémont. —
Leur belle supplique. — XVI. Lanoue. Sa mort.— XVII. Othman.
Sa mort. — XVIII. Le roi ne veut pas abjurer sans se îàirè
instruire. — Sa cathéchisation. — Curieux détails. — XIX.
Cérémonie de l'abjuration à Saint-Denis. — XX. Jugement
porté sur l'abjuration. — XXI. Le roi écrit à toutes les bonnes
vdles du royaume pour leur apprendre la nouvelle de son ab-
juration. — Sa lettre au pape. — XXII. Abattement et douleur
des réformés. — Leurs plaintes. — Indignation de la reine
d'Angleterre. — Sa lettre au roi. — XXIII. Désappointement
et fureur des ligueurs. — Fameux sermons de IV^ Boucher sur
la simulée conversion de Henri de Bourbon, prince de
Béarn. — Mayenne fait ses préparatifs de défense. . . Page o.
I. Barrière veut attenter à la vie du roi. — Procès de Bar-
rière. — Sa condamnation. — Son exécution. — Les chefs li-
gueurs continuent à se vendre. — II. Nouvelles alarmes des
protestants. — Bruit d'un projet de mariage entre Henri IV et
l'infante, fdle de Philippe II. — Les protestants pensent à se
chercher un protecteur et à séparer leur cause de celle du roi.
— Ils envoient des députés à Sîantes pour exposer leurs
plaintes. — III. LettredeDuplesois-Mornayauroi. — IV.L'ntre-
vue de Mornay et du roi à Chartres. — Embarras du roi. —
Les catholiques font courir le bruit que Jlornay veut faire une
Saint-Barthélemy de catholiques à Sauraur. — Indignation de
Mornay qui porte plainte au parlement. — Efforts des catho-
liques pour empêcher le roi de recevoir les députés protestants.
~ ils échouent. — Henri IV les reçoit à Mantes, et leur fait
TABLE DES MATIÈRES.
315
dès concessions. — Difficultés pour la rédaction dé ces con-
cessions qui ne satisfont pas les protestants. — Les députés
renouvellent à Mantes le serment d'union des églises. — In-
trigues des catholiques pour séduire les députés. —Le ministre
Rotan accusé de s'être laissé séduire. — Conférences théolo-
giques commencées avec Du Perron. — Elles sont interrom-
pues. — L'évêque d'Évreux se proclame vainqueur. Des com-
missaires sont envoyés dans les provinces pour défendre aux
ministres de se prononcer avec trop de force contre la conver-
sion du roi. — On obtient de quelques prédicateurs ligueurs
de modérer leur langage. — Plusieurs protestants passent à
la religion catholique. — V. Célèbre guerre de plume entre
les catholiques royalistes et les ligueurs. — La aémonologie
de la Sorbonne l'a nouvelle. — Accusations portées contre
la Sorbonne. — \I. Dans le banquet du comte [d'Arête
Louis d'Orléans défend les ligueurs et attaque les protestants.
" VII. Dialogue du Maheustre et du Manant. Nouveau
pamphlet des ligueurs contre les royalistes. — Les royalistes
iépondent aux ttgueurs. — La satyre Ménippée. — Détails et
citations. — Inlluence considérable de ce pamphlet pour la
cause de Henri IV. — VIII. Situation difficile du roi. — Il se
décide à acheter les chefs ligueurs. — Les gouverneurs de
Meaux, de Bourges et d'Orléans font leur soumission. — Le
roi se fait sacrer a Chartres. — La sainte Ampoule. — Le roi
jure d'exterminer les hérétiques. — IX. Les réformés se
plaignent. — Réponse jésuitique du roi. — Il achète Paris de
Brissac. — Réduction de Paris. ■ — Stupéfaction des ligueurs.
Te Deum chanté à Notre-Dame. — Bons mots du roi. — Le
roi et la duchesse de Montpensier. — X. Le parlement et la
Sorbonne font leur soumission. — Revirement subit dans les
opinions de la Sorbonne. — Guincestre et Henri IV. — XI.
L'université attaque les jésuites. — Plaidoiries célèbres. —
Discours d'Arnaud, avocat de l'université. — XII. Discours de
Dollé, avocat des curés de Paris. — Réponse de Duret, défen-
seur des jésuites. — Arrêt du parlement qui suspend les pour-
suites. — XIIL Attentat de Châtel contre le roi. — Détails
biographiques! — Condamnation et exécution de Châtel. —
Les jésuites impliqués dans le procès de Châtel sont bannis du
rovaume. — Le père Guignard est pendu en place de Grève. —
XIV. Indignation générale contre Châtel et les jésuites. —
M' Bouchè'r fait l'apologie de Châtel et des jésuites. — XV. Les
disciples de Lovola supportent stoïquement leur malheur. —
XVI. Les adversaires des jésuites vexent les protestants. — Ils
organisent un système de persécution.— Mauvaise plaisanterie
de^Henri IV en réponse aux plaintes des protestants. — Princi-
paux chefs protestants. — Lesdiguières. — Bouillon.— La Tré-
376
TABLE DES MATIÈRES.
mouille. — Leurdésunion.— LaRéformemanqued'unchef.— Du-
plessyMornayessaie de calmer leurs craintes. — Synode général
de Montauban. — Députés du nord et du midi. — Influence funeste
delacoursurlesdéputésdunord. — Les sages etlesbrouillons. —
XVII. Assemblée politique de Sainte-Foy. — Physionomie de
l'assemblée.' — Abaissement moral de quelques députés. —
Résolution énergique de l'assemblée. — Création d'un conseil
général. — Formation de ce conseil. — Règlement général. —
XVIII. Grande utilité du conseil général. — La guerre des
croquants. — L'assemblée de Sainte-Foi nomme deux députés
pour la représenter à la cour et décide la tenue d'une nouvelle
assemblée à Saumur pour le 1" décembre 1594. — Les députés
se rendent à la cour. — On les accueille bien, mais on ne leur
accorde rien. — Ils perdent patience. — On se décide cepen-
dant à faire vérifier les édits rendus précédemment en leur fa-
veur. — Les protestants sont à demi satisfaits. — Le roi qui
avait refusé la tenue d'une assemblée politique à Saumur, se
décide à donner son autorisation. — XIX. Les catholiques ne
voient que des rebelles dans les réformés. — Courage des dé-
putés de Saumur. — XX. Affaiblissement de la ligue. — Le
pape se décide à donner son absolution au roi. — Conditions
honteuses auxquelles elle est promise. — Le roi les accepte.—
Cérémonie de l'absolution à Saint-Pierre. — Formalités de la
bnguefte. — Deux protestants mis à mort le jour de la cérémo-
nie. — XXI. Inquiétudes des protestants. — Indignation des sei-
gneurs catholiques en apprenant les humiliations auxquelles
Duperron et d'Ossat s'étaient soumis au nom du roi. — Le roi
en rit Page 58.
I. Massacre horrible des protestants à la Châtaigneraie. —
Froide cruauté de la dame de la Châtaigneraie. — Les réformés
demandent la punition des coupables. On les satisfait à demi.
— II. Négociations du roi pour retirer lejeune prince de Condé
des mains des huguenots. — Difficultés applanics. — Char-
lotte de la Trémouille, veuve du prince de Condé, fait réviser
son procès. — Elle est déclarée innocente. — Elle et son fils
abjurent le protestantisme. — III. Les réformés soutiennent
Henri IV dans sa guerre avec l'Espagne. — Le pape essaie ,
mais vainement de l'engager dans la voie des persécutions. —
Embarras du roi. — Son système de bascule. — IV. Plaintes
du clergé. — Édit de Travercy. — Mayenne vend sa soumis-
sion. — Édit de Folembray. — V. On veut pousser les protes-
tants à commettre des imprudences. — Leur sagesse et leui
TABLE DES MATIÈRES.
377
inodéralion. — Leur assemblée est transportée à Loudun. —
Vulson député au roi pour lui présenter le cahier de leurs
plaintes. — La cour ne répond pas favorablement le cahier. —
Mécontentement des protestants. — L'idée de se chercher un
protecteur, germe de nouveau dans quelques esprits. — Sagesse
de Mornay. — Sa lettre au roi.— Le roi révoque l'ordre de dis-
perser l'assemblée par la force. — VL Justes griefs des réformés.
— Leurs alarmes en apprenant l'arrivée d'un légat du pape en
France. — On diminue leurs garnisons en Poitou. — Rosny
paraît irahir leur cause. — Dans l'impossibilité de se faire
rendre justice, l'assemblée de Loudun fait saisir les recettes
royales du Poitou. — VIL Le roi se décide à leur faire quel-
ques concessions. — Le pape se plaint. — Le cardinal d'Ossat
le calme. — L'assemblée est transporté à Vendôme. — Puis à
Saumur. ■ — Plaintes et récriminations des deux côtés. — Prise
d'Amiens par les Espagnols. — VIIL Stupéfaction du roi. —
Une pa;ie de sa vie domestique. — IX. Dangers du roi. — Son
impopularité. — Bouillon et La Trémouille proposent une
prise d'armes aux protestants. — Elle est repoussée. — DifiS-
eultés du roi. Caisses vides. — Opulence et misère. —
Lettre de Henri IV à Rosny. — Énergie de ce dernier. — Le
roi de France au jour du danger, redevient le roi de Navarre.
— Son courage. — Son habileté au siège d'Amiens. — Les
protestants y assistent non comme corps, mais comme indivi-
dus. — X. Henri de Rohan se distingue au siège d'Amiens. —
Détails biographiques sur ce gentilhomme huguenot. —
XI. Reprise d'Amiens. — Traité de Vervins. — Le duc de Mer-
cœur fait sa soumission. —XII. Mort de la ligue. — Jugement
porté sur elle. — XIII. Célèbre écrit contenant les plaintes des
protestants. — XIV. L'écrit désapprouvé par les protestants
de la cour. — Jugement sévère sur cet écrit. — XV. Justifica-
tion de l'écrit. — XVI. Découragement des protestants. —
XVII. Assemblée de Chàtellerault. — Édit de Nantes. —
XVIII. Contenu de l'édit. — XIX. Sagesse de l'édit. — Les
hommes modérés le reçoivent avec une grande reconnaissance.
Lettre de Théodore de Bèze. — L'assemblée de Chàtellerault
se sépare après avoir nommé un abrégé d'assemblée. —
XX. Synode national de Montpellier. — Il s'élève contre les
projets de réunion avec les catholiques. — Daniel Charnier. —
Détails biographiques. — XXI. Grandes préoccupations du roi.
— Dissolution de son mariage avec Marguerite de Valois. —
Mort de Gabrielle d'Estrées. — Henriette d'Entragues devenue
la maîtresse en titre. — Rappel des jésuites. — XXII. Cathe-
rine de Bourbon, sœur du roi. — Détails biographiques. —
XXIII. Efforts du clergé pour la ramener à la religion romaine.
— Le ministre Du Moulin. — Détails biographiques. —
378
TABLE DES MATIÈRES.
XXrV. Du Moulin considéré comme écrivain. — Morceaux dé-
tacliés de ses nombreux ouvrages. — XXV. Du Moulin aflermit
la sœur du roi dans la foi protestante. — Le pape s'oppose au
mariage de Catherine avec lè due de Bar. — Le roi se décide
malgré l'opposition pontificale à passer outre. — ■ Roquelaure
force l'archevêque de Rouen à bénir le mariage de la princesse.
^ Préliminaires curieux Page 4 05.
I. Vive opposition du clergé et des parlements à la vérifica-
tion de l'édit. — Henri IV mande au Louvre les membres du
parlement. — Allocution remarquable qu'il leur adresse. —
Les conseillers persistent dans leur opposition. — Le roi les
mande de nouveau au Louvre. — II. L'édit est porté au parle-
ment. — Discours remarquable de l'ex-ligueur Coquefey —
Coqueley rallie à son opinion la majorité de l'assemblée. —
L'édit est vérifié. — III. Les parlements de province imitent
l'exemple de celui de Paris. — Résistance de ceux de Rouen et
de Toulouse. — Le roi reçoit leurs députés. — Discours qu'il
leur adresse. — Les parlements de Rouen et de Toulouse sen-
tant qu'une plus longue résistance est inutile, vérifient l'édit.
— IV. Puissance du roi et autorité des parlements. — Antago-
nisme. — V. Douleur du pape en apprenant la nouvelle de la vé-
rification de l'édit. — Le roi apaise le pontife en donnant un édit
en faveur des catholiques du Béarn. — VL La France avant et
après l'édit. — VIL L'édit est-il une charte octroyée ou un traité
entre le roi et les protestants? — YIII. Mort de Philippe II. —
Jugement porté sur ce prince. — IX. La paix apportée à Is
France par l'édit esttrouolée. — Marthe Brossier, la possédée.
— Le vieux parti ligueur se sert de cette intrigante pour trou--
hier le royaume. — Le père Séraphin. — Le médecin Marescot
et ses collègues. — Expériences faites sur la possédée. —
Prédications séditieuses. — Fanatisme du peuple. — La Cour
fait intervenir le parlement. — Marthe Brossier et son père
renvoyés à Romorantin. — X. Marguerite de Valois consent à
la dissolution de son mariage avec Henri IV. — Le pape en
prononce la dissolution. — XI. Le royaume est de nouveau
agité. — Duplessis-Mornay. — Son traité sur Vinstitution de
l'Eucharistie. — Colère du clergé. — Il fait condamner le
livre de Mornay par un tribunal de province. — Mornay appelle
de la sentence. — Accusé d'avoir inséré des citations fausses dans
son livre, il demande au roi de nommer des commissaires pour
vérifier les citations. — Du Perron accepte le défi et se charge
de prouver oue le traité de l'institution de l'Eucharistie contient
TABLE DES MATIÈRES.
379
plus de cinq cpnts passages faux ou inexacts. — XII. Détails
biographiques sur Du Perron. — XIII. Yive préoccupation des
esprits. — Les uns redoutent une conférence, les autres l'ap-
pellent de tous leurs vœux. — Fontainebleau est choisi pour
le lieu de la conférence. — XIV. ÏNomination des commissaires.
— Ouverture de la conférence. — Mauvaise foi et habileté de
Du Perron. — La conférence est près de se rompre. — Aveu
tardif de Mornay qu'il aurait pu se tromper. — XV. Examen
des passages incriminés. — XVI. Mornay pris au dépourvu ne
sait pas se défendre. — Vanité de Du Perron satisfaite. — Joie
indécente du roi. — Sa lettre à d'Épernon. — Mornay tombe
malade. — Ingratitude du roi. — La conférence est ronipue. —
Mornay retourne à Saumur. — XVII. Chai'lotte Arbaleste. —
Elle relève le courage de son époux et l'aide à se défendre
devant le tribunal de l'opinion publique. — Portrait de madame
Duplessis-Mornay. — Détails intimes sur sa vie. — La mort
de son fils. — La douleur qu'elle en éprouve. — Ses derniers
jours. — Sa mort. — Elle fait un vide immense dans la vie de
Mornay. — XVIII. La conférence de Fontainebleau. — Ses résul-
tats. — Fin du seizième siècle. — XIX. Jugement porté sur ce
siècle. — XX. Bienfaits de la Réformation. — XXI. Genève à la
fin du seizième siècle. — Lue tache dans son histoire. Page 1 54.
I. Vide immense que la mort de Calvin fait à Genève. — Bèze
succède à Calvin. — Caractère du réformateur. — II. Genève et
le code ecclésiastique. — III. LecuIteàGenève. — Sasimplicité.
— Ses lacunes. — Place qu'occupe le sermon dans le culte. —
Réflexions à ce sujet. — IV. Grandeur de Genève. — V. Dévoue-
ment des pasteurs. — Difficultés de leur tâche. — Leur sévérité.
—VI. Froment. — Sa chute. — Le consistoire le censure. — II
s'exile. — Son retour à Genève. — Sa mort. — VII. La peste
désole Genève. — Courage des pasteurs. — Théodore de Bèze
se présente pour secourir les malades.— Le conseil s'y oppose.
— Le pasteur Legagneux. — Son dévouement. — Le pasteur
Chausse atteint de la peste. — Il meurt au milieu des pesti-
férés. — Reconnaissance de Genève pour la famille de Chausse.
— VIII. Influence de Genève sur la Réforme par ses martyrs
et son académie. — IX. Arrivée à Genève des Français fuyant
les bourreaux de la Saint-Barthélemy. — Hospitalité des Ge-
nevois. — Célébration d'un jour de jeûne. — Discours de
Théodore de Bèze à Saint-Pierre. — Reconnaissance, désin-
téressement et dévouement des réfugiés. — Noble exejuple
qu'ils donnent pendant le rude hiver de 1573. — Colère de
380
TABLE DES MATIÈRES.
Charles IX en apprenant la généreuse hospitalité des Géne-
vois envers les réfugiés. — Il menace Genève. — Genève ré-
siste noblement. — X. Retour des réfugiés en France. — Ban-
quet d'adieux. — L'amour du sol natal. — XI. Rome rêve
sans cesse la conquête de Genève. — François de Sales. —
Détails biographiques sur François de Saies. — François de
Sales à Paris , à Rome, à Notre-Dame de Lorette. — Il entre
dans les ordres. — Sa joie en échangeant ses habits de gen-
tilhomme contre une soutane de prêtre. — XII. Claude de
Granier, évêque de Genève, se dispose à envoyer François de
Sales dans le Chablais. — Le Chablais sous la domination ro-
maine. — Transformation morale sous l'influence de la Ré-
forme. — XIII. Courage et habileté de François de Sales. —
Insuccès de sa mission. — Son découragement. — Ne pou-
vant réussir avec la parole, il recourt au bras de la chair. —
Indignation des Chablaisiens. — Ils s'ameutent. — L'agneau
devient loup. — François de Sales conquiert le Chablais à la
foi romaine. — XIV. François de Sales à Genève. — Son en-
trevue avec Théodore de Bèze. — Le portrait de Calvin. —
Tentation de Théodore de Bèze par François de Sales. —
Noble indignation du réformateur. — Désappointement du
tentateur. — Manière des ultramontains d'écrire l'histoire. —
XV. Charles-Emmanuel, duc de Savoie. — Son ambition insa-
tiable. — Ses diverses tentatives sur Genève. — Ses insuccès.
XVI. Préparatifs de l'escalade. — XVII. Vigilance des Gene-
vois endormie. — Leur fausse sécurité. — Les Savoisiens
escaladent les remparts. — Cri d'alarme. — Les Genevois
réveillés au milieu du bruit, courent aux armes. — Combat
sanglant dans les rues. — Défaite des Savoyards. — Fuite
honteuse de Charles-Emmanuel. — XVIII. Genève est sauvée.
— Joie de ses habitants. — Ils font remonter à Dieu la cause
de leur délivrance. — Le vieux Théodore de Bèze rend grâces
à Dieu dans Saint-Pierre. — Genève fait des funérailles solen-
nelles aux citoyens morts en défendant leur patrie. — XIX.
Exécution des prisonniers savoisiens. — Fête de l'escalade. —
Elle n'a plus de sens aujourd'hui. — Joie de Henri IV en ap-
prenant l'insuccès de Charles-Emmanuel. — XX. Derniers
jours de Théodore de Bèze. — Sa mort. — Deuil des Gene-
vois. — XXI. Jugement porté sur le réformateur. — Témoi-
gnage de Sénebier. — XXII. François de Sales. — Ses der-
niers moments. — Il meurt dans le sein de l'Église romaine,
et ne cherche son salut que là où les réformateurs ont cherché
le leur. — XXIII. François de Sales et les réformateurs jugés
par leurs œuvres: Genève et le Chablais Page ■199.
TABLE DES MATIÈRES.
381
I. Marseille à la fin de l'année 1600. — Elle fait une récep-
tion fastueuse à Marie de Médicis, l'épouse de Henri IV. —
Marie de Médicis à Avignon. — Les jésuites se constituent
les ordonnateurs des fêtes destinées à célébrer sa bienvenue.
— UôFe que joue le nombre 7 dans les fêtes. — Banquet et
danses. — Arrivée de la reine à Lyon. — II. Le roi termine sa
guerre avec , le duc de Savoie. — Crainte des Genevois en
voyant arriver dans les murs de leur ville les descendants des
égorgeurs de la Saint-Barthélemy. — Rosny les rassure. —
Théodore de Bèze va à la tête d'une députation trouver le roi.
— Sa harangue. — Réponse affectueuse du roi. — Il permet
aux Genevois de démolir le fort Sainte-Catherine. — III. Le
roi va rejoindre Marie de Médicis à Lyon. — Son désappointe-
ment. — IV. Crainte des réformés. — L'édit est mal exécuté
dans les provinces. — Plaintes de l'assemblée de Sauraur. —
Les assemblées politiques des réformés déplaisent au roi. —
Assemblée de Sainte-Foy. — Elle nomme deux députés géné-
raux près de la cour et les charge de présenter au conseil
leurs cahiers. — Elle se sépare après avoir pourvu aux inté-
rêts de la cause. — V. Conspiration du maréchal de Biron. —
Dangers qu'eût couru la réforme si elle eût réussi. — Efforts
du roi pour sauver Biron. — Obstination de Biron. — Son ar-
restation. — Son jugement. — Ses défaillances devant la
mort. — VI. L'exécution de Biron épouvante les seigneurs
royalistes et raffermit Henri IV sur son trône. — De la peine
de mort en matière politique. — VII. Grands personnages im-
pliqués dans la conspiration de Biron. — Le duc de Bouillon ,
soupçonné d'être complice du maréchal, est mandé à la cour.
— 11 hésite, puis il refuse de s'y rendre. — Il publie une jus-
tification et demande d'être jugé par la chambre mi-partie de
Castres. — Le roi s'y oppose. — VIII. Élisabeth, reine d'An-
gleterre. — Sa maladie. — Ses angoisses. — IX. Les causes
en sont peu connues. — Ses dernières paroles. — Sa mort. —
X. Jugement porté sur Elisabeth. — Les grandeurs de la
reine , la petitesse de la femme. — Parallèle entre Elisabeth
et Philij)pe II. — Supériorité d'Elisabeth. — XL Jacques VI ,
roi d'Ecosse, succède à Elisabeth. — Les protestants fran-
çais regrettent Elisabeth. — Synode national à Gap. — Les
membres du synode décrètent que dans leur confession de
foi , le pape sera appelé l'Antéchrist. — XII. Ferrier. — Dé-
tails biographiques sur ce célèbre ministre. — Ses thèses sur
l'Antéchrist. — XIII. Irritation du pape contre les membres
du synode. — Il se plaint au roi qui essaie de le calmer, ap-
382
TABLE DES MATIÈRES.
paise l'affaire et défend à la chambre mi-partie de Castres de
poursuivre Ferrier. — XIV. Les Jésuites. — Ils profitent ha-
bilement de l'irritation soulevée parla question de l'Antéchrist
et demandent au roi de faire enregistrer l'édit de leur rappel.
— Entretien du roi et de Sully sur ce sujet. — Raisons de
Sully pour faire repousser leur demande. — Raisons du roi
pour la leur accorder. — XV. Opposition du parlement au
rappel des Jésuites. — Discours de Ilarlay. — Le parlement
enregistre l'édit. — XVI. Mort de la duchesse de Bar, sœur du
roi. — Détails biographiques sur cette princesse. — Les ré-
formés la regrettent vivement. — XVII. Coton. — Son crédit
auprès du roi. — Épigramme contre Coton. — Démolition de
la pyramide. — Prosopopée de la pyramide. — Causes hon-
teuses de l'influence des jésuites. — XVIII. Coton se fait de
nombreux ennemis. — Tentation d'assassinat sur Coton, —
Adrienne Dufresne ou le Grimoire du père Coton. — Questions
théologiques et autres posées au diable. — Imprudence du
père Coton, qui oublie dans les feuillets d'un livre la liste des
questions posées au diable. — Le roi mécontent de Coton. —
XIX. Nouvelle assemblée politique des protestants à Châtelle-
rault. — La Trémouille. — Détails biographiques sur ce sei-
gneur huguenot. — Sa mort. — XX. Le roi se fait représenter
à l'assemblée de Châtellerault par Rosny. — Défiance de l'as-
semblée. — Elle cède sur plusieurs points. — Elle résiste sur
celui de l'Antéchrist. — Le duc de Bouillon, qui avait compté
sur l'appui de l'assemblée, qui lui fait défaut, se décide à faire
sa soumission. — XXI. Assemblée du clergé à Paris. — Il de-
mande la publication du concile de Trente en France. — Refus
du roi. — Le roi médiateur entre les deux partis. — La chan-
son de Colas. — XXII. Origine de la chanson de Colas. —
Irritation ridicule des protestants. — La Force et Grammont.
— Représailles des protestants. — Trophées suspendues à
la voûte des sacristies de Paris. — Une première restriction
apportée à l'édit de Nantes Page 25i!. j
L Les jésuites. — Agents d'assassinats en Angleterre. —
Conspiration des poudres. — Elle est découverte. — Coupables
exécutés. — II. Le jésuite Garnet est arrêté. — Instruction de
son procès. — Ses aveux. — Son effroi sur l'échafaud. — Sa
compagnie en fait un saint. — Remarquables paroles du comte
de Stafford touchant la conspiration des poudres. — Affermis-
sement du protestantisme en Angleterre. — Anniversaire de la
conspiration des poudres. — III. Horreur de Henri IV en ap-
prenant la découverte de la conspiration des poudres. — Sa
TABLE DES MATIÈRES.
383
fatale condescendance à l'égard des jésuites. — Il accorde aux
protestants le droit de célébrer leur culte à Charenton. — Les
jésuites et les chanoines de Notre-Dame de Paris se disputent
le cœur de Henri IV. — Les jésuites l'emportent. — Bon mot
du roi. — Le jésuite Séguiran se présente aux portes de La
Rochelle. — On lui en refuse l'entrée. — Feinte colère du roi.
— Les jésuites sont mystifiés. — IV. IS» synode national à
La Rochelle. — Sully y est député par la cour. — Sa présence
excite la défiance des membres de l'assemblée. — Les clair-
voyants de l'église et les fous du synode. — Chamier. — No-
mination de Mirande et de Villarnoul à la députatlon générale.
— Chamier à la cour. — Sa persévérance indomptable. —
Sully amène peu à peu les membres du synode à se soumettre
aux volontés du roi. — V. Assemblée du clergé. — Ses plaintes.
— Il demande la publication du concile de Trente en France.
— Refus du roi. — Le roi lutte de finesse avec le clergé. —
VI. Persécution des Morisques. — Ils veulent se donner à
Henri IV, qui leur envoie Panissant, gentilhomme réformé. —
Le clergé fait remplacer Panissant par un envoyé catholique,
dans la crainte que les Morisques ne passent à la réforme. —
Insuccès de l'envoyé catholique. — Les jésuites de plus en
plus puissants à la cour. — Ils obtiennent la permission de
s'établir en Béarn. — VII. 19" synode national tenu à Saint-
Maixent. — L'assemblée décrète que le Théâtre de l'Anté-
christ de Vignier sera imprimé à ses frais. — Grand succès
du Théâtre de l'antéchrist. — Irritation des jésuites. — Le roi
défend le débit du livre. — VIII. L'ex-ligueur Jeannin demande
aux Provinces-Unies des Pays-Bas la liberté de culte pour les
catholiques. — Son discours aux États. — IX. Résultats ob-
tenus. — Raisons sur lesquelles les protestants se fondent
pour refuser aux catholiques la liberté de culte. — Henri IV
et sa cour. — Inconduite du roi. — Sa lettre à Sully. — X. La
lettre du roi est un hommage à l'opinion publique. — Prospé-
rité matérielle de la France. — Grands préparatifs de guerre.
— XI. Anxiété générale. — Audace des prédicateurs. — Bruits
sinistres touchant la mort prochaine du roi. — Le roi amou-
reux de la princesse de Condé. — Le prince de Condé enlève
sa femme. — Colère du roi. — II déclare la guerre à l'arcliiduc.
— XII. Alarmes de Marie de Médicis — Elle demande au roi
de la faire sacrer. — Terreur secrète que ce sacre inspire au
roi. — Ses confidences â Sully. — Conseils de Sully. — Sacre
de la reine. — Gaîté et abattement du roi. — Une nuit d'in-
somnie. — Le roi se dispose à aller rendre visite à Sully à
l'arsenal. — Assassinat du roi. — Sa mort instantanée. —
Présence d'esprit du duc d'Épernon. — Douleur du peuple en
apprenant la mort du roi. — Le père Coton et l'assassin du roi.
384 TABLE DES MATIÈRES.
— Énergie du duc d'Épernon. — 11 fait nommer Marie de Mé-
dicis régente du royaume. — Faiblesse du parlement. —
XIII. Douleur de Duplessis-Mornay en apprenant la mort du
roi. — Conduite admirable du seigneur huguenot. — XIV. Ter-
reurs de Sully. — Il se barricade à la Bastille. — Il se décide
à aller à la cour. — Son entrevue avec la régente. — Il con-
tinue à rester au pouvoir. — Le duc de Bouillon offre ses ser-
vices. — Le roi pleuré par le peuple. — Joie des jésuites et
du parti espagnol. — Les valets deviennent les maîtres. —
XV. Henri IV. — Jugement porté sur ce prince. — XVI. Détails
sur Ravaillac. — Sa condamnation à mort. — XVII. Ravaillao
subit la question. — Sa patience. — Ravaillac en place de
Grève. — Fureur du peuple. — XVIII. Ravaillac eut -il des
complices? Page 302.
Notes, éclaircissements et curiosités historiques. Page 343.
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Histoire de la Reformation française
Princeton Theological Seminary-Speer Library
1 1012 00037 7913