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ANTOINE COURT
HISTOIRE
DE
LA RESTAURATION
DU
PROTESTANTISME EN FRANCE
AU XYIII-^ SIÈCLE
d'après des documents inédits
EDMOND HUGUES
TOME PREMIER
JJ M * L '^^
^i=^l7:
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PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS
RUE AUBER, 3, PLAGE DE l'OPÉRA
LIBRAIBIE NOUVELLE ^^^^^^^^^\^
1872
U
^fiîëiîrOTriCCA
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U \ v-
V. (
En 1685, Louis XTV révoque l'Edit de Nantes; en
1715, il proclame la disparition du protestantisme
français. — Trois quarts de siècle s'écoulent à peine,
et ces mêmes protestants, dont on croyait avoir déli-
vré le royaume, appuyés par l'opinion publique, sou-
tenus par les philosophes et les parlements, finissent
par arracher à Louis XVI un édit de tolérance.
Que s'est-il donc passé? Et par quelle suite d'évé-
nements, les fils de ces huguenots, contraints à la
fuite, à la guerre ou à l'abjuration, se retrouvent-ils,
soixante-quinze ans plus tard, sur le sol de la patrie ?
C'est ce que j'ai essayé de raconter.
Une heureuse fortune m'a permis d'étudier à loisir
la vaste collection des papiers inédits qu'ont laissés à
Genève ceux qui furent les principaux personnages
de cette restauration, et celui surtout qui en fut le
II PRÉFACE
héros : Antoine Court. Papiers de toutes sortes : let-
tres, notes, mémoires, plans d'ouvragées ; collection
d'une inépuisable richesse, qui ne compte pas moins
de cent dix-huit volumes manuscrits \ Pendant deux
années, j'en ai exploré les trésors. Je l'ai fait sans
relâche, avec amour, à peu près comme un homme
qui serait transporté dans un monde original, étrang'e,
magnifique pourtant, qu'il serait un des premiers à
parcourir et à admirer. Les hommes qui passaient de-
vant mes yeux n'avaient aucune célébrité; deux ou
trois exceptés, c'étaient des inconnus. Ils n'avaient
point joué de rôle dans l'histoire, ils n'étaient ni
hommes de guerre ni hommes d'Etat; c'étaient des
paysans, des cardeurs de laine, des ouvriers. Peu à
peu, leur figure m'a frappé. Des fêtes de la Régence,
des salons de Madame du Deffand, des réunions des
Encyclopédistes, je suis descendu à eux. Je me suis
laissé prendre à tant de mâles vertus. Page après
page, je les ai suivis, j'ai marqué leurs succès et
leurs revers, indiqué leurs efforts, compté leurs victi-
mes; — et c'est ainsi, avec leurs récits, leurs notes,
leur correspondance, qu'a été écrite cette histoire.
Si riche cependant que fût la collection de la biblio-
thèque de Genève, elle laissait bien des points à éclair-
cir, bien des lacunes à combler. Elle faisait con-
1 V. plus loin, p; 357, notre Notice sur les manuscrits d'Antoine
Court.
PRÉFACE 1 1 1
naître dans le détail l'histoire intime du protestan-
tisme, mais elle en laissait trop dans l'ombre le côté
extérieur et les événements qui eurent sur sa marche
et sur son développement une si puissante influence.
Cette histoire n'est à vrai dire qu'une longue bataille.
Deux adversaires sont en présence , les protestants
d'un côté, le clergé et la cour de l'autre. J'avais
pénétré dans les rangs des premiers; il me restait à
étudier les vues, les plans et la tactique des seconds.
Les Archives de l'Intendance du Languedoc, à Mont-
pellier, m'ont été, sous ce rapport, très-utiles ; celles
de Bordeaux m'ont donné aussi quelques renseigne-
ments. Mais c'est à Paris que j'ai fait la plus ample
moisson de documents. Si le dépôt du Ministère de la
Guerre m'en a peu fourni, que n'ai-je pas trouvé à la
section des manuscrits français de la Bibliothèque natio-
nale et surtout dans cette belle collection de papiers
relatifs au protestantisme qu'une heureuse initiative a
formée à nos Archives nationales ^'
1 Nous avons puisé aussi h des sources particulières et c'est un devoir
pour nous de les citer ici. MM. Levade et Dufournet, de Lausanne, ont
mis à notre disposition leurs papiers de famille. MM. Arnaud et
Auzière nous ont communiqué de curieux documents. M. Athanase
Coquerel nous a permis de parcourir sa belle collection des manuscrits
de Paul Rabaut. M. J,-P. Hugues enfin nous a ouvert sa bibliothèque,
si riche en ouvrages concernant l'histoire du protestantisme. Il est
inutile d'ajouter combien nous avons emprunté au savant recueil
que publie la Société de VHlstoire du Protestantisme français. —
Que tous ceux qui, de près ou de loin, nous ont aidé dans nos recher-
ches, veuillent recevoir i(;i nos remercîments.
IV PRÉFACE
Bien des faits, sans doute, bien des détails m'ont
échappé; d'autres, plus heureux que moi, les réuni-
ront. Arrivé aujourd'hui à la fin de mes recherches,
je me décide à en publier les résultats.
Le moment est-il favorable? Je ne sais. Le pro-
testantisme n'a jamais obtenu en France ses droits
de cité, et par plus d'un côté nous ressemblons à
ces Athéniens qui appelaient tout étranger : Barbare.
Le mot est dur, injuste, un peu org-ueilleux ; il
nous plaît cependant et nous y tenons : en bien des
choses, il nous sert d'excuse.
Deux choses cependant me rassurent et m'encou-
rag-ent.
Il ne s'ag-it pas seulement ici du protestantisme, il
s'agit de la France. Le dix-huitième siècle, quoique
étudié avec amour et en bien des sens, est encore diver-
sement jugé. Pour beaucoup, il est resté le siècle de la
frivolité et de l'irréligion... Mais un siècle ne tient pas
tout entier dans la chronique des salons et l'histoire
scandaleuse d'un règne. Comment expliquer le grand
dénoùment de 1789? D'où sont venus ces grands
désintéressés, ces immortels volontaires du droit? A
quelle école se sont-ils formés à la vertu, au courage
stoïque? — Le dix-huitième siècle, malgré de fâcheuses
apparences et des torts trop réels, est un siècle de
douloureux enfantement. Si, pour le bien juger, il le
faut étudier dans l'histoire de la libre pensée et dans
PRÉFACE V
celle du peuple, il ne faut pas moins l'étudier dans
l'histoire du protestantisme.
Peut-être enfin, au lendemain de nos désastres, ne
paraîtra-t-il pas inutile de montrer par un frappant
exemple comment un peuple, si profonde qu'ait été
sa chute, parvient à se relever à force de discipline,
de constance, d'austérité et de dévouement à la chose
commune.
Paris, 15 juin 1872.
INTRODUCTION
SITUATION DU PROTES AN ISME EN 1715
La g'uerre des Camisards était depuis longtemps
terminée. Coste et Abraham Mazel avaient été tués
en 1710, Claris était mort sur la roue, et les derniers
prédicants effrayés n'osaient plus paraître aux assem-
blées du Désert. Un calme profond régnait dans le
royaume. Nul bruit, nul cri, nulle protestation : tout
avait été étouffé. C'est alors que parut en 1715 une
Déclaration royale qui affirmait la disparition du pro-
testantisme français, et condamnait à la peine des
relaps tous ceux qui en feraient encore profession.
Louis XIV était vainqueur de l'hérésie *.
Ce dénoùment était inévitable.
x\u lendemain de la Révocation, les religionnaires
s'étaient partagés en trois groupes : le premier, le
plus riche, avait pris la route de l'exil; le second,
moins nombreux, mais plus ardent, s'était jeté dans
l'insurrection; le troisième, le plus considérable, n'avait
point adopté de parti et s'était résigné à attendre patiem-
' V. Pièces et documents n"' I et H.
vin INTRODUCTION
ment que la marche des événements vînt modifier sa
cruelle position. — C'est à ce dernier que la cour s'était
attaqué, depuis la défaite des Camisards. Et il était bien
facile de prévoir qu'une persécution savante, continue,
de chaque jour et de chaque heure, finirait par le désa-
grég-er, le réduire en détail, et aurait certainement
raison de sa constance ou de sa force d'inertie.
Un système complet d'ordonnances, d'édits et de dé-
clarations, renfermait les protestants qui étaient restés
en France comme dans un cercle d'où ils ne pouvaient
sortir, sans se heurter à la prison ou au gibet. La per-
sécution les saisissait le jour de leur naissance ; elle
ne les relâchait qu'à leur mort. Nouveau - nés, ils de-
vaient être baptisés à l'église qui seule leur donnait
l'état civil ; enfants, ils devaient être envoyés à l'école
catholique qui seule avait le droit de les instruire ;
hommes faits, ils ne pouvaient devenir ni greffier, ni
sergent, ni libraire, ni imprimeur, apothicaire, méde-
cin, chirurgien, avocat, procureur, notaire, pas même
domestique; moribonds, ils étaient obligés de recevoir
à leur chevet les moines et les curés ; et s'ils venaient à
mourir relaps, leur cadavre, par un dernier châtiment,
était traîné sur la claie et leur mémoire condamnée.
Pour toutes les infractions, il y avait le couvent, l'a-
mende, les galères ou la mort^
On ne connaissait pas de moyen d'échapper. Chaque
paroisse avait son curé et ses missionnaires ; les plus
petites villes avaient une garnison.
Tl fallait fréquenter l'église et vivre en catholique.
1 Histoire des Eglises du Désert, par Charles Coquerel. Pièces
justificatives n" 1. Paris. (1841).
INTRODUCTION i x
« J'apprends que vos principaux habitants, Messieurs les
Consuls, ni les femmes, ne paraissent point à l'église pour
entendre le missionnaire que le Roi a bien voulu envoyer dans
votre paroisse. Je vous déclare que l'intention du Roi est que,
s'ils n'y vont, ceux qui manqueront au devoir s'en trouveront
mal. Yous n'avez qu'à le leur dire de ma part.
« n faut qu'ils soient bien déraisonnables pour ne pas vou-
loir entendre ce qu'on a à leur dire ; informez -moi bien exac-
tement de ce qui se passera là-dessus ^ »
Pour prévenir l'intendant, il y avait l'espion. L'espion
c'était tout le monde : les envieux, les méchants, les
voisins, qui dénonçaient gratuitement et par plaisir,
lorsqu'ils n'étaient pas soudoyés par les gouverneurs.
Parmi mille faits semblables, en voici trois, pris à des-
sein dans une province éloignée qui comptait peu de
religionnaires, et où les intendants pouvaient user de
quelque tolérance. En 1714, à Nantes, un nommé
Royer, marchand raiïineur, et sa femme sont dénoncés.
c( Ils mangent de la viande, les jours défendus ; ils se
renferment dans leurs maisons, les jours de fêtes, où
ils n'ont d'autre commerce qu'avec d'autres négociants
flamands qui sont infestés de pareilles erreurs. » Il se-
rait bon, écrit-on à l'intendant Feydau de Brou, défaire
arrêter la jeune fille de Royer et de l'enfermer au cou-
vent des Ursulines; « lesdits Royer et sa femme pour-
ront faire des réflexions utiles sur leur conduite par cet
exemple.» — La même année, une jeune fille va voir son
père qui est en prison, et prie avec lui. Phelypeaux or-
donne aussitôt de la jeter dans la maison des Nouvelles-
1 Histoire de VEglise réformée d'Anditze, par M. J.-P. Hugues,
p. 753. Paris. (1864).
X INTRODUCTION
Catholiques.- — En 1715, un nommé Eicliard Rousseau
de la Bouvetière est accusé de ne faire « aucunement
son devoir; » une ordonnance est aussitôt envoyée
pour le faire arrêter. Sa fille, qui a quinze ans, mais
c( qui est prévenue des raisons et des arg-uments ordi-
naires des calvinistes » est sollicitée vainement de se
convertir ; comme elle résiste, on propose de la faire
mettre au couvent des Bénédictines ^ .
Les curés entraient à toute heure dans les maisons,
et quand ils voulaient. Nulle possibilité de fermer sa
porte. Il fallait écouter leurs exhortations, leurs me-
naces, faire des promesses et mentir, ou rompre en vi-
sière et s'exposera la persécution. Enfin, si par hasard,
dans quelque endroit retiré, une assemblée parvenait
à se réunir , les bourgeois accouraient, et les soldats
donnaient « la chasse. » Un jugement était sommaire-
ment dressé, et les hommes envoyés aux galères, les
femmes emprisonnées.
Cette sombre vie n'était éclairée par nul rayon d'es-
poir. Depuis la paix d'Utrecht, les réfugiés et les per-
sonnages s^^mpathiques de l'étranger désespéraient
d'obtenir quelque adoucissement et se tenaient à l'écart.
Les intendants étaient impitoyables, et les tracasseries
de leurs officiers croissaient chaque jour. Les provinces
étaient dans la terreur. Il faut lire les mémoires du
temps, ceux de Bombonnoux, de Corteiz, de leurs com^
pagnons : ils sont effrayants. Et qu'on n'accusepas leurs
1 Essai sur VHistolre des Eglises réformées de Bretagne, par
M. Vaurigaud, t. III, p. 194 et suiv. Paris (1870). — Nous n'insistons
pas. V. cependant pour la Normandie un « Etat des jeunes personnes
envoyées par les ordres du Roi et l'intendant k la maison des Nou-
velles-Converties de Rouen. » Archives nationales, TT, 261. (1715)
INTRODUCTION xi
auteurs d'aller au delà de la vérité ; ils sont en deçà. Ils
font soupçonner l'état des choses plutôt qu'ils ne le
montrent. C'étaient de pauvres paysans, des ouvriers
sans instruction, qui ne racontaient que ce qu'ils
avaient vu avec une simplicité et une candeur qui les
peint tout entiers.
«Je fus d'abord voir mon père et ma mère, qui me reprochè-
rent mon retour comme la dernière de toutes les imprudences,
m'exhortant de m'en retourner au plus vite, si je ne voulais être
conduit à un cruel supplice. Cette voix nous consterna tout d'a-
bord; mais, un moment après, nous reprîmes courage, et, après
avoir embrassé mon père et ma mère, nous descendîmes à An-
duze. Là nous trouvâmes trois garçons qui savaient quelques
sermons par mémoire qu'ils avaient heureusement appris, l'un
desquels a été papiste. Mais, hélas ! à peine trouvions-nous quel-
que maison de confiance, nous mangions dans le Désert, et nous
couchions dans les montagnes, sous les arbres '. »
Un autre ajoute :
« La terreuravait tellement établi son empire chez l'esprit de
ceux qui pouvaient nous accorder leur secours, qu'ils n'osaient
pas même nous ouvrir la porte de leurs maisons pour nous re-
mettre leurs petites libéralités, et, plus d'une fois, ils nous les
ont remises précipitamment par la chattière ou par d'autres
ouvertures...
« Pour apaiser notre soif, nous avions notre ressource à des
creux de rochers qui assemblaient de l'eau pendant les pluies...
J'étais si peu accoutumé à me déshabiller et à coucher molle-
ment, que je me souviens qu'à Montpellier je ne pus pas dor-
mir, parce qu'on m'avait placé sur un matelas, et qu'il me fallut,
pour goûter les doux fruits du sommeil, le quitter et le chan-
ger pour le pavé de la maison ^. »>
» N" 17 vol. H, p. 493.
2 II (Ut encore : « Les bois et les cavernes furent longtemps nos re-
XII INTRODUCTION
Tant de souffrances avaient brisé les volontés. Les re-
ligionnaires s'étaient résignés à fréquenter les assem-
blées, assister à la messe, faire bénir leurs mariages
et baptiser leurs enfants par le curé, pour tout dire, à
donner des signes manifestes de leurs nouveaux senti-
ments. c( Le diable, est-il dit quelque part, s'est pré-
valu tellement de leurs prêtres, de leur ignorance et de
leurs vices, qu'aujourd'hui, dans les endroits, on n'y
connaît que très peu le christianisme * . » Par christia-
nisme, il faut entendre protestantisme.
Quelques-uns, il est vrai, résistaient dans le Langue-
doc. Au milieu de tant de ruines, ils levaient la tête et
restaient debout. Tls narguaient le pouvoir, ces rudes
montagnards, et la Bible à la main, ils osaient résister à
cette triple menace : le curé, l'intendant, le bourreau.
(( Je sais bien qu'il y a parmi vous un grand nombre
de belles âmes qui sont encore vierges, et qui ont gardé
à Jésus-Christ la foi qu'elles lui avaient juré dans leur
baptême, qui errent dans les bois et dans les mon-
tagnes pour ne pas se souiller d'idolâtrie, aimant mieux
être dans la compagnie des bêtes sauvages qu'en celles
des ennemis de la vérité, qui voudraient forcer leurs
consciences. Que vous êtes heureux , dignes confes-
seurs du Seigneur ^ ! »
traites ordinaires. Les antres des rochers nous étaient aussi fort favo-
rables; mais, pour nous y conserver, nous usions de beaucoup de
ménagements et de prudence. La nuit était le seul temps que nous y
entrions, et lorsque nous les abandonnions, nous avions soin d'en
boucher les ouvertures, afin que les bergers ni autres personnes n'y
pussent apercevoir nos traces. » Les Insurgés protestants sons
Louis XIV, par M. Frostérus. Pièces justificatives. Paris (1868).
IN" 17, vol. O, p. 1.
2 N» 17, vol. H.
INTRODUCTION xiii
Mais ces hommes étaient rares ; on les comptait.
Les religionnaires passaient pour s'être convertis, et
tous, à vrai dire, avaient réellement abjuré sous la
pression des événements : les uns sans arrière-pensée,
les autres conservant encore au fond du cœur l'amour
de leur religion, tous fatigués de souffrir, brisés, dés-
espérés. Louis XIV ne se trompait ni ne trompait. A
voir la situation de haut et dans son ensemble, il disait
vrai quand il affirmait, en 1715, la disparition du pro-
testantisme français.
Il se faisait cependant un travail souterrain.
Dans les rangs du peuple, chez les paysans, les
ouvriers, on commençait à rougir de cette apostasie.
On était las de se faire marier par les prêtres, d'en-
voyer ses enfants à l'école catholique , d'assister à la
messe, de plier les genoux à toutes les cérémonies
d'une religion exécrée. On eût voulu jeter le masque,
crier bien haut qu'on mentait, qu'on était et qu'on res-
terait protestant. La peur retenait la foule, mais non les
hommes courageux. «Ne vous réjouissez pas, ennemis
de la vérité, comme si vous aviez remporté la victoire.
Il est vrai, vous avez triomphé de nos faiblesses en
arrachant par violence une abjuration criminelle, mais
à quoi servait-il de nous faire signer que nous renon-
cions à notre religion et que nous voulions désormais
vivre et mourir dans celle de TEglise romaine ? La
tristesse qui était peinte sûr notre visage, les larmes
qui coulèrent de nos yeux, et les soupirs qui partirent
du profond de nos cœurs, n'étaient-ils pas des témoins
plus fidèles de notre foi et de nos sentiments ! ... »
I b
XIV INTRODUCTION
Les événements politiques favorisaient beaucoup ce
travail. Si pesante que fût la main sous laquelle le pro-
testantisme courbait, on sentait à mille symptômes
qu'elle devenait moins lourde, et que les préoccupa-
tions de la cour se portaient ailleurs. Joly de Fleury,
qui fut plus tard procureur général du parlement de
Paris , indique ce point avec beaucoup de justesse.
« La guerre de 1701 qui a duré jusqu'en 1713 et 1714,
et les disgrâces que nos armées essuyèrent, releva le
courage des religionnaires. Nos ennemis y envoyèrent
des prédicants ^ . »
Il y avait quelques hommes et quelques femmes
qui, en grand secret, dans les villages et les fermes
isolées, se mêlaient de prêcher. On les connaissait, on
savait leur nom, et plus d'un, la nuit venue, allait les
écouter. Lesautres moins imprudents restaient chez eux,
et dans le silence de leurs demeures demandaient pardon
à Dieu des impiétés qu'ils croyaient avoir commises, en
assistant à la célébration des cérémonies catholiques.
« Ils tenaient d'une main l'Evangile et de l'autre l'i-
dole. Pendant la nuit, ils rendaient à Dieu dans leurs
maisons un culte secret, et pendant le jour, ils allaient
publiquement à la messe. »
Cela, dans toutes les provinces protestantes. En
Poitou, il y avait des prédicants, pauvres laboureurs,
qui allaient prêcher de maison en maison. Ils pous-
saient l'audace jusqu'à convoquer de petites assemblées.
Ils ranimaient le zèle, relevaient les courages, aidaient
à supporter les maux de la persécution. Ils excitèrent
I Bibliothèque nationale, Mss. n" 7U4(J, f>. 212.
INTRODUCTION x v
même une telle agitation que la cour s'en effraya. On
mit des détachements à leur poursuite et plusieurs
furent pris ; l'un d'entre eux fut pendu ^
En Daupliiné, en Picardie, en Normandie, en Bre-
tagne, les mêmes symptômes se manifestaient \
Mais c'est dans le Languedoc surtout qu'ils étaient
apparents. Les Monteil, les Ccuillot, les Bernard, les Bru-
nel,lesVesson,lesMazel,lesBombonnoux,lesRouvière,
essayaient chaque jour de réunir au Désert les reli-
gionnaires. Des prophétesses couraient le pays. Elles
seréfugiaient,lesoir, dans des maisons amies etpayaient
leur hospitalité en récitant des psaumes et des passages
de la Bible. Un prédicant encore, qui devait jouer plus
tard un grand rôle, Pierre Corteiz, s'efforçait en ce mo-
ment de relever les courages et de grouper autour de
lui les quelques hommes qui frémissaient sous le joug.
Il était arrivé en Languedoc, au mois de juin 1709,
* Bulletin de la Société de V Histoire dic Protestantisme, t. IV,
p. 229.
2 Voici quelques lignes, par exemple, qui regardent un petit village
du Loir-et-Cher, et que nous trouvons dans une histoire inédite, dont
M. A. de Kerpezdron a bien voulu nous communiquer le manuscrit.
« ... Après la Révocation, il ne resta que quelques familles pauvres,
mais fidèles à la foi de leurs pères, et malgré la grande tribulation,
ce petit troupeau n'a jamais cessé de se réunir toutes les fois que
Toccasion s'est présentée.
«Ils s'assemblaientnuitammentdansde vieilles carrières que Tonvoit
encore aujourd'hui dans le terrain du presbytère protestant. Leur culte
était souvent interrompu par l'arrivée des dragons qui ne se faisaient
aucun scrupule d'en massacrer quelques-uns et traînaient ensuite
ceux qu'ils croyaient être les conducteurs devant les magistrats qui
leur infligeaient des peines sévères et souvent infamantes. Plusieurs
ont été enfermés à Bicêtre, pour avoir chanté des psaumes, ou pour
avoir chez eux le N. T., ou même quelque livre de piété composé par
quelque pasteur protestant. »
XVI INTRODUCTION
accompagné de deux amis : Salomon Sabatier et
Etiemie Arnaud. Pendant trois ans, il avait sillonné la
province.
« Environ ce temps-là, je tombai malade... Joint les afflic-
tions et les chagrins que je recevais tous les jours de voir mes
chers frères enlevés de devant mes yeux, les mauvais aliments
que je mangeais, l'humidité de la terre sur laquelle je couchais,
les sérénités de la nuit que j'endurais, m'offencèrent le sang et
gâtèrent l'estomac, de sorte que j'étais faible et languissant. »
Obligé de partir pour Genève , il en était bientôt re-
venu. «Dieu fit naître de nouvelles afflictions, (si bien)
qu'au milieu de mon innocence j'avais des chagrins qui
m'étaient un espèce de martyr. Je connus bien que la
divine Providence disposait toutes ces cbosespour m'en-
gager à retourner en France, ce que je fis heureuse-
ment. » Et depuis lors, il tenait de petites réunions,
prêchait, se mettait en rapport avec les rares prédicants
dont il entendait parler, et s'efforçait dans un petit coin
du royaume de retirer le protestantisme de l'abîme
dans lequel il avait roulé.
Quelque temps après la soumission des Camisards,
Claris, rencontrant Bombonnoux : « Tous nos prédica-
teurs sont morts ou rendus, lui dit-il ; que ferons-nous ? »
'c Dieu y pourvoira ! répliqua Bombonnoux. Et quand
je n'entendrai aucune prédication d'ici à dix années, je
me sens assez de courag'e, avec le secours du ciel, pour
résister à toutes les tentations qui pourraient m'ètre
suscitées par les ennemis de l'Evangile ! » Cette fière
réponse était vers 1715 dans la bouche de beaucoup
d'hommes. Ils ne la faisaient pas à haute voix; mais
il semble qu'ils la redisaient volontiers entre eux
INTRODUCTION
XVII
comme un mot d'ordre et comme un encourag-ement.
Tous les documents sont unanimes sur ce fait. Ils en
exag'èrent même l'importance. A Paris, le curé de Saint-
Sulpice écrit : « L'ambassadeur de Hollande a chez lui
un ministre qui fait le prêclie en français, et il y va tou-
jours une g'rande quantité de monde pour l'entendre ^ »
— A Poitiers, l'évêque se plaint que les Nouveaux Con-
vertis n'assistent pas à la messe et au service divin;
qu'ils meurent sans que le curé soit averti ou qu'il
n'est averti que lorsqu'ils sont à l'ag-onie et ne parlent
plus; enfin qu'ils n'envoient leurs enfants ni à l'église
ni au catécliisme -. — C'est enfin Cliamilly lui-même,
le terrible maréchal de Cliamilly^ qui dit à la cour :
« A juger les choses par les seules apparences, rien ne paraît
plus surprenant que de voir encore des religionnaires en France.
La révocation de l'Edit de Nantes obligea de sortir du royaume
les ministres qui les confirmaient dans leurs erreurs. Les sages
et louables mesures, que le Roi prit ensuite pour réunir tous ses
sujets dans une même croyance, les personnes qui furent en-
voyées dans les provinces pour faire des conférences de con-
troverse, les bons livres qu'on prit le soin de distribuer dans
les diocèses, les maîtres et maîtresses d'école qu'on établit dans
chaque paroisse pour l'instruction de la jeunesse, — tous ces
moyens, joints à j)lusieurs édits et déclarations qu'a faits Sa
Majesté, tant pour empêcher l'accroissement de l'hérésie que
pour la détruire dans ses fondements, devaient produire des
effets tels qu'on les pouvait désirer.— Et nous eussions vu sans
doute l'accompUssement de tant de pieux desseins, sans les
malheurs qu'entraîne nécessairement après soi une guerre qui
n'a presque point eu d'interruption depuis environ trente ans^. »
1 Bibliothèque nationale, Mss. n" 704G, p. 36. (Mars 1715.)
2 Ihid., p. 14. (Janvier 1712.)
3 Ibcd., p. 19. (Juillet 1713.)
XVIII INTRODUCTION
Mais rignorance de ces prédicants improvisés, l'é-
pouvante g-énérale, la crainte des surprises, la menace
des châtiments, tout cela, accru par les précautions à
prendre et le mystère de la nuit, devait avoir une fâ-
cheuse influence sur les esprits. Dans ces petits conci-
liabules, on c( fanatisait » déjà, et les Inspirés étaient
en honneur.
On se montrait surtout très-intolérant. On était dis-
posé à s'attribuer toute vertu, tout courage, toute foi,
on formait de petits groupes, et l'on méprisait les Nou-
veaux Convertis qui, moins téméraires, s'enfermaient
dans leurs demeures. Ceux-là, c'étaient les apostats;
nulle différence n'était établie entre ceux qui, soit fai-
blesse, soit intérêt, avaient abjuré, n'espérant plus
voir le rétablissement du protestantisme, et ceux qui,
plus prudents, vivaient à l'écart, mais restaient fidèles
à leur foi. Lorsqu'un pasteur, qui devait plus tard se
rendre célèbre, vint en Dauphiné, il rencontra les plus
grandes oppositions et dut renverser mille obstacles
pour se faire accepter. « Il lui fallut non-seulement dis-
puter avec eux, mais encore s'insinuer dans leur esprit,
faisant semblant d'admirer que des gens sans lettres,
pour la plupart, des femmes même, eussent eu le zèle
et le courage de prêcher la repentance, en leur fai-
sant toujours voir par des raisons très-convaincantes
qu'on ne devait pas les regarder comme inspirés * . »
Il se passait alors ce qu'on avait déjà vu au seizième
siècle, pendant la persécution.
" De ceux-ci, les uns (mais en petit nombre) se tiennent cois
* N" 17, vol. B. Relation sur h) Dauphiné, par Vouland.
INTRODUCTION
XIX
et couverts en leurs maisons, prient Dieu un chacun chez soi,
bien secrètement toutefois, de peur d'être surpris, attendant
qu'on les accommode. (C'est le mot dont usent des tueurs.)
« Les autres s'en vont à la messe, de gaieté de cœur et
comme à l'envi l'un de l'autre, blasphèment, disputent et re-
nient mille fois le jour, pour montrer qu'ils n'en sont plus, faisant
en tout le surplus des voleries et des maux, plus que je ne t'en
saurai réciter : une grande partie de ceux-ci porte des armes
contre les autres huguenots, mais le Roi ne s'y fie pas beaucoup.
« Et les autres vont aussi à la messe, mais contre leur gré et
par force, comme il est aisé à juger à leur mine et contenance,
tant ils sont abattus et contristés, et si n'osent bonnement par-
ler l'un et l'autre, ni se laisser rencontrer par les rues ou en
leurs maisons, deux à la fois K »
Tout cela cependant indiquait la vie. De haut et de
loin, on pouvait croire comme Louis XIV que la Ré-
forme française n'existait plus ; de près, il était évident
qu'elle vivait encore. Elle traversait une dernière crise.
En sortirait-elle victorieuse ou vaincue ? La question
était là.
Qui allait la sauver, et comment? Les intendants
l'accablaient, les soldats la surveillaient, le clerg'é
l'épiait. Une armée de convertisseurs préparait ses fu-
nérailles. Au moindre mouvement, tous allaient se pré-
cipiter sur elle. Un voyageur qui parcourut le Lan-
g'uedoc, deux ans après la mort de Louis XIV, écrivait :
« Permettez-moi de vous le dire, il serait nécessaire que
les bons pasteurs fissent des efforts dans cette circon-
stance pour procurer des remèdes... et qu'on fit con-
naître à tous ces frères leurs oblig-ations par de bonnes
1 Le Réveille-Matin des François et de leurs voisins, par Kusèbe
Pluladel])lie, p. 83. Edimbourg. (1574.)
XX INTRODUCTION
lettres pastorales ^ » Des lettres pastorales et des pas-
teurs, q'est-à-dire, la parole vivante et la parole écrite,
pour consoler, affermir, relever ! C'était bien en effet le
secours nécessaire. Mais qui voudrait s'exposer à une
mort imminente? Qui comprendrait la situation, l'em-
brasserait d'un coup d'oeil, verrait le salut et le dan-
ger, et, après avoir fixé la route, aurait le courage d'y
marcher résolument ?
Il existe une vieille prière que les religionnaires
aimaient à cette date à répéter : elle marque dans un
puissant langag'e combien ils sentaient l'horreur de
leur situation et les difficultés d'y échapper.
« Des abîmes profonds d'une noire tristesse
A toi seul, Dieu puissant, nous adressons nos vœux!
Que nos gémissements excitent ta tendresse,
Et l'excès de nos maux un regard de tes yeux^ !...>»
C'est à cette heure critique, qu'un jeune prédicant
inconnu, Antoine Court, résolut de restaurer le protes-
tantisme en France, et se consacra tout entier à cette
grande entreprise.
1 N" 17, vol. H. (1717.)
2 V. Pièces et documents, n" III (1715.)
ANTOINE COURT
HISTOIRE
DE LA RESTAURATION
DU
PROTESTANTISME EN FRANCE
AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE
CHAPITRE PREMIER
KNFANCE ET JEUNESSE d'aNTOINE COURT
1(396-1715
Antoine Court naquit le 17 mai 1696 à Villeneuve
de Berg-, petite ville du Vivarais \ Ses parents, g-ens
de peu, avaient quelque fortune ; la mère, Marie Gé-
belin, sortait d'une famille aisée du bas Languedoc.
On ignore ce que faisait et ce qu'était le père ; mais on
sait que tous deux étaient des protestants très-zélés.
Pendant la grossesse de la mère, s'entretenant un jour
1 1695 ou 1696? Court déclare ne l'avoir jamais su. Cependant, dana
un second manuscrit, il écrit 1696, et nous adoptons cette date qui
nous paraît dénouer plus d'une difficulté.
I 1
2 LES PARENTS D'ANTOINE COURT
de l'état qu'ils pourraient donner à l'enfant qui allait
naître, ils se disaient « que ce serait un bien grand
bonlieur pour eux de le consacrer au service de Dieu. »
Cette parole les peint. A cette époque en effet, la persé-
cution, encore dans sa première ardeur, était terrible.
« On forçait, dit naïvement Antoine Court, lesprotes-
tants d'assister au culte de l'Eg-lise romaine ; personne
n'en était exempt, et si quelques-uns avaient assez de
courag-epour le refuser et pour s'en défendre, bientôt
des estafiers se saisissaient de leurs personnes et les
traînaient dans les couvents, les autres dans des pri-
sons, et les autres on les transportait dans un nouveau
monde. Il n'était pas permis d'envoyer les enfants
dans les pays étrangers pour les y faire étudier, et on
ne le pouvait dans le royaume que cbez des maîtres
catholiques, à qui il était ordonné, sous les peines les
plus sévères, de faire assister régulièrement tous les
écoliers à la messe et à tous les autres services de
l'Eglise catliolique\ » Les assemblées étaient traquées,
les galères remplies, et les prédicants mis à mort. Cette
année même on venait d'exécuter La Porte et Henri
Guérin; Pierre Plans devait l'être en 1697, Claude
Brousson en 1698. — Ne fallait-il pas une force de
convictions peu commune pour destiner son fils au pé-
rilleux honneur du ministère sous la croix ?
En 1700, tandis que la persécution sévissait, Jean
1 V Mémoires sur sa vie. N" 46, cahier h « Les sept cahiers ici
contenus, dit Court, c'est ce qu'il y a de composé de mes mémoires.
Pour les continuer, il faut non-seulement consulter les volumes de
mémoires manuscrits que j'ai rassemblés et qui sont indiques sous
des lettres de l'alphabet comme T. A. pour dire volume A, mais
aussi les liasses de lettres des années 1732, jusqu'en 1744. »
MARIE GEBELIN 8
Court vint à mourir et avec lui périt la majeure partie
de sa petite fortune. Sa femme restait seule, à trente -
deux ans, avec son jeune fils et deux autres enfants en
bas âg-e. C'était une huguenote tendre et bonne, mais
austère et ferme \ Elle aimait virilement, partageant
son amour entre Dieu et sa famille. Veuve jeune encore,
et réduite à un état de fortune plus que médiocre,
elle ne perdit point courag'e et se consacra tout en-
tière à l'éducation de ses enfants. A sept ans, elle mit
à l'école son fils Antoine. Elle l'y conduisit par la main,
et la première recommandation qu'elle fit au maître
fut de n'éparg^ner point le fouet à son nouvel écolier,
si celui-ci manquait à son devoir.
Antoine fit des progrès rapides. En trois ans, il eut
atteint la science de son maître. — Mince science !
«Lire, dit-il, écrire, un peu d'arithmétique, les pre-
miers éléments de la grammaire, voilà en quoi con-
sistait toute l'instruction du maître et de l'élève. » îl
le regrettait fort. Sans doute il y avait à Aubenas^ un
collège de Jésuites, il y avait aussi à Villeneuve un
régent qui enseignait le latin, mais ils étaient « si
bigots,» qu'ils n'auraient voulu violer les règlements
en faveur de personne, et qu'ils l'auraient obligé , en
l'admettant au nombre de leurs élèves, à se rendre à
l'église et assister à la messe. L'enfant, plutôt que de
se plier à cette règle, préférait rester dans son igno-
rance. Son caractère droit, loyal, un peu sauvage,
1 V. ses lettres, malheureusement trop rares. N" 1, t. II et III,
passim. — L'écriture est comme le caractère, claire, nette, hardie ,;
écriture virile.
2 A deux lieues de Villeneuve de Berg.
4 ENFANCE D'ANTOINE COURT
avait déjà eu horreur les ruses, et les apostasies feintes.
Il abhorrait la messe. Dans ses mémoires, exami-
nant si c'était counaissance ou préjugé de sa part,^ il
convient « que ses connaissances et ses lumières n'é-
taient encore ni assez développées, ni assez éten-
dues pour pénétrer jusqu'au fond de ce mystère d'une
invention humaine. » La messe, aux yeux de la foule
des protestants, était le symbole même du cathoh-
cisme Et cette religion redoutée qu'on entrevoyait
à travers un nuage de sang, qui avait fait révoquer
l'Edit de Nantes, qui avait inventé les dragonnades,
fait jeter à la tour de Constance les mères, aux ga-
lères les pères et les maris, et qui dans ce pays dé-
solé du Vivarais et des hautes Gévennes promenait
encore son impitoyable cruauté, était pour tous, mais
surtout pour l'enfant, une manière d'épouvantail fan-
tastique.
Mystérieux et austère pays que le Vivarais. La terre
n'y porte guère que des seigles et des châtaigniers, les
montagnes plus hautes que dans les Gévennes s'y dres-
sent plus sombres dans le ciel, les bois de chênes verts
abondent. C'est une contrée tourmentée et bouleversée
qui porte au recueillement et aux pensées solitaires'.
Là, dans les villages isolés, auprès du foyer, le soir,
la mère après avoir lu la Bible disait des histoires lu-
gubres; les voisins, portes closes, parlaient de l'msur-
rection des Camisards non encore étouffée, des com-
bats, de l'Esprit-Saint, des miracles. A voix basse
ensuite, craignant toujours l'oreille des espions, on
1 V. la description qu'en faisait Brneys : Histoire du fanatisme, eto
ENFANCE D'ANTOINE CODRT 5
priait ensemble, on répétait les vieilles lég'endes, on
racontait les supplices des martyrs, celui de Claude
Brousson, de Fulcrand Eey, et comment Isaac Homel
était resté deux heures sur la roue avant de recevoir le
coup de grâce, tenant de merveilleux discours et chan-
tant des psaumes ^ . On murmurait des chants tels que
ceux-ci :
Nos filles dans les monastères,
Nos prisonniers dans les cachots,
Nos martyrs dont le sang se répand à grands flots,
Nos confesseurs sur les galères,
Nos malades persécutés,
Nos mourants exposés à plus d'une furie,
Nos morts traînés à la voierie.
Te disent (ô Dieu !) nos calamités ^.
Les enfants silencieusement écoutaient. Peu à peu,
songeant à ces récits, se voyant entourés de périls, ils
remontaient à la source de tant de maux, et se sen-
taient pris d'une horreur invincible pour, tout ce qui
rappelait une forme quelconque du catholicisme. Ce
n'était pas affaire de jugement, mais d'effroi, de haine
héréditaire.
A l'école de son premier maître, Antoine Court avait
été déjà inquiété par ses camarades. On savait qu'il
était protestant, — car il le disait très-haut, — et il
n'était point de méchancetés qu'on ne lui fît. Un petit
huguenot, c'était un être curieux et endurant. On lui
jetait des pierres, on le raillait, conspuait, houspillait.
1 N» 17, vol. F, p. 181.
2 N" 17, vol. T, p. 557. Complainte de l'Ef^iise persécutée,
6 HORREUR DU CATHOLICISME
Au sortir de l'école, les enfants criaient après lui :
c( Hé ! hé ! le fils aîné de Calvin ! » Ils le poursuivaient
de ces clameurs jusque cliez lui, ameutant sur son pas-
sage tous les catholiques de la ville ^ Un jour, on
voulut le mener de force à l'église. Quatre de ses
condisciples, les plus robustes, avaient pénétré dans sa
demeure, et comme il avait eu le temps de saisir les
premières marches de l'escalier et qu'il s'y crampon-
nait, ils luttaient pour l'en arracher. Les habitants du
log'is s'assemblèrent et conseillèrent à l'enfant de se
rendre à l'église ^. Mais lui, indigné, opposa une telle
résistance qu'il oblig-ea ses adversaires à s'enfuir.
Ainsi malmené, tracassé, persécuté pour une reli-
gion qu'il connaissait à peine de nom, victime encore
enfant et participant déjà aux souffrances qu'enduraient
les siens, le jeune Antoine grandit dans la haine et
l'horreur du catholicisme.
Il fallait cependant prendre une résolution. Puisqu'il
ne voulait point poursuivre chez les Jésuites son in-
struction commencée, il n'avait plus qu'à suivre le con-
seil donné à sa mère par un de ses parents, M. Gébe-
lin. Il essaya donc de faire du commerce.
L'essai ne réussit pas. Le jeune Antoine n'avait aucun
goût pour le négoce. Ses pensées, ses souvenirs, ses
parents, la persécution dont il était témoin, tout le
poussait vers une autre voie. Il s'informait des choses
religieuses, il se plaisait à interroger les uns et les
1 N° 4G, cah. I.
2 Ibid., 1 . 3. « De peur, dit Antoine Court, que sa résistance n'eût
pour eux de fâcheuses suites. »C'étaient les politiques qui, Tout en res-
tant protestants de cœur, allaient h la messe.
PREMIERES LECTURES 7
autres ; malheureusement l'ig'norance était g-rande et
l'on ne pouvait répondre à ses questions. Il chercliait
alors des livres, mais « l'inquisition avait été si exacte
contre ces moyens efficaces de perpétuer la religion,
qu'on les avait tous enlevés aux protestants, et fait du
plus g-rand nombre la proie des flammes. Il ne restait
dans la maison que quelques feuillets séparés d'une
Bible , tristes débris d'un livre que la piété avait ra-
massés et qu'un illustre fugitif avait cousu à la suite
l'un de l'autre. » Court s'en empara, les lut et relut. La
mort d'une demoiselle de Radel le mit bientôt en pos-
session des Consolations de Vâme fidèle contre les
craintes de la mort par Drelincourt et de la Voix de
Dieu par Baxter. Presque en même temps, le clerc
d'un curé lui laissa un vieil ouvrage datant de la ré-
forme et intitulé : la Dispute d'un herger avec son curé.
Sa jeune imagination fut cliarmée par cette lecture in-
terdite et sa haine contre le catholicisme y puisa de nou-
velles forces. c( En ce moment, dit-il, il eût préféré per-
dre mille vies que d'abandonner la religion pour laquelle
il avait tant d'amour. »
Tout étonne dans la jeunesse de Court. Bien qu'enfant
il montre une force de volonté, un courage, une pro-
fondeur de sentiments, un sérieux tel pour cet âge,
qu'on serait tenté de ne point y croire, si on ne se re-
portait par la pensée à ces temps héroïques où l'extra-
ordinaire était devenu l'ordinaire. Court s'était aperçu
que la nuit venue, sa mère s'absentait quelquefois du
logis. Ne se rendait-elle pas à ces assemblées nocturnes
dont il avait entendu parfois parler à l'oreille et à mots
couverts? Cette pensée entrevue se fixa dans son esprit.
8 IL ASSISTE A UNE ASSEMBLEE
et il résolut d'épier les démarches de sa mère. Un soir,
il la voit s'échapper de la maison. Il la suit et finit par
l'atteindre à une assez gTande distance de Villeneuve.
Mais dès qu'elle le voit, la sévère huguenote l'arrête et
lui demande où il va. — « Je vous suis, ma mère, et vous
permettrez que je le fasse jusqu'où vous allez. Je con-
nais que vous allez prier Dieu, mais voudriez-vous
me refuser la grâce de l'aller faire avec vous ? » Elle
se laisse toucher, non sans verser des larmes. Elle fait
sentir à son fils les conséquences de leur entreprise et
après l'avoir fortement exhorté au secret : « Je vais si
loin, mon cher enfant, que je crains hien que tu ne
succomhes à la fatigue, mais puisque tu le veux, viens,
suis-moi, allons prier Dieu. » — Qu'importait la fa-
tigue ? La permission de sa mère le comblait de joie.
Il part avec elle , et après avoir rencontré quelques
jeunes femmes et quelques hommes, qui, le voyant
harassé, le portent sur leurs épaules, il arrive au mi-
lieu de l'assemblée. C'était une femme qui faisait le
service ce soir-là ^ .
Antoine Court, depuis lors, assista régulièrement à
toutes les assemblées du Désert. Il en devint un audi-
teur assidu et- se plut même à les provoquer. C'est lui
qui pria les prophétesses et les prédicants du Vivarais
de descendre jusqu'à Villeneuve pour y prêcher, leur
offrant son logis et promettant de veiller à leur sécu-
rité ; c'est lui encore qui réorganisa la petite église
de Villeneuve et parvint à la rendre prospère, presque
florissante.
1 N" 46, cah. I, p. 4.
SON ACTIVITE ET SON ZELE 9
Qu'on se garde surtout de croire qu'un aussi jeune
homme ne pouvait exercer une influence réelle sur ses
coreligionnaires. Ceci se passait presque au lendemain
delà guerre des Camisards ^ Le duel n'était point
terminé. Les esprits exaltés par la persécution étaient
loin d'être calmés, les prédicantes, — des femmes, des
jeunes filles^, — couraient le pays et faisaient vibrer
les âmes au bruit de leurs ardentes prophéties. Abra-
ham Mazel , le seul chef qui survécut des trois chefs
camisards envoyés par la reine Anne en France pour
y soulever les protestants, parcourait encore les hautes
Cévennes ^ . Antoine Court passait pour un de ces en-
fants qui, d'après la croyance populaire, étaient ani-
més «de l'esprit de Dieu.» Déjà, dans les assemblées
au Désert, il faisait l'office de lecteur^ et l'ardeur que
cette jeune âme mettait dans toutes ses entreprises
était bien propre à frapper d'étonnement, presque d'une
certaine superstition, ses rudes auditeurs. Pour lui,
1 1710-1711.
- Elles n'étaient guère plus âgées qu'Antoine Court. — YÀeThéâtre
sacré des Cévennes par Misson, etc. Londres, R. Roger. (1707.)
^ En 1711, quand Abraham Mazel lui-même fut mort, quelques pré-
dicants du Languedoc, — les Durand, les Rouvière, les Bombonnoux, —
avaient délibéré sur la conduite à tenir, et résolu de courir encore
une fois -les chances d'un soulèvement. « Nous avons en Lan-
guedoc, écrivaient-ils, quelques petites provisions de munitions et
d'armes que nos chers martyrs, Abraham et Claris, ont faites. Nous
avons parmi nous Bombonnoux, homme prudent et courageux, qui a
toujours été le compagnon de Claris. Vous connaissez son mérite.
Pourtant, il nous serait fort nécessaire de nous envoyer quelque
homme expert et entendu. » (N" 31, p. 512, juin 1711.) Et peu de
temps après : « On nous écrit que le zèle du peuple y est si grand
(il Montauban) qu'en Cévennes en 1702. Le peuple est tout disposé h
sacrifier tout pour sa liberté, pourvu qu'on le veuille aider, car je
m'oblige à avoir mille hommes dans deux mois. Envoyez-nous un
chef. » N" 31, p. 512. (Août 1711.)
10 PREMIÈRES COURSES AVEC BRUNEL
il n'hésitait plus sur la voie qu'il devait prendre. Les
^spectacles dont il était témoin, les prédications aux-
quelles il avait assisté , les livres qu'il avait lus, les
espérances qu'on fondait sur lui, tout le poussait vers
le ministère.
Une circonstance particulière l'affermit dans sa déci-
sion. En 1713, au mois de mai, un pauvre prédicant
nommé Brunel \ qui courait le Languedoc, étant venu
par hasard à Villeneuve, communiqua au jeune homme
le dessein qu'il avait de passer à l'étranger, et l'en-
gagea à le suivre. C'était prévenir un désir de Court :
l'offre fut accueillie avec joie. Mais comme ce départ
qui ressemblait fort à une fuite, ne pouvait avoir
lieu qu'au mois de septembre, il résolut en attendant
d'accompagner Brunel dans le haut Vivarais.
Il quitta Villeneuve à la Pentecôte ; sur sa route, il
rencontra des prophétesses qui lui prédirent un bril-
lant avenir et le conjurèrent de ne point aller en Suisse.
Une d'elles tombant en extase, s'écria ; « L'épée que
tu as vue sur le côté de mon serviteur est ma parole
qui sera en sa bouche comme une épée à deux tran-
chants ; cette rosée abondante que tu as vue tomber
sur sa tète est la même parole qui habitera plantureu-
sement sur lui ^ » Cette scène fit une profonde impres-
sion sur l'esprit de Court. Un jour, dans une de ces
mystérieuses assemblées où les assistants pleuraient
et priaient à l'envi, dans un moment d'exaltation su-
bite, il prit la parole et prêcha. L'auditoire était peu
nombreux, — trente personnes, — et composé exclusi-
1 Son vrai nom était Pierre Cha))rier.
2 N" 46, cah. I.
IL PRECHE DANS UNE ASSEMBLEE 11
vement de femmes. On le loua et on l'applaudit fort ;
peu s'en fallut qu'on ne ne le regardât comme « un
ang^e envoyé expressément du ciel pour prêcher. » De
cette époque date vraiment son ministère.
« Les heureux résultats de mon ministère naissant, dit-il,
ne laissèrent pas que de me persuader bientôt que Dieu ap-
prouvait le désir que j'avais de me consacrer à sa gloire et au
service de son Eglise, et que ma vocation était céleste et divine.
Quoique jeune, je prévoyais toutes les effrayantes suites qu'en-
traînait après elle cette résolution de me consacrer au service
des Eglises sous la croix Mais la ferme persuasion où j'étais
que Dieu approuvait mon dessein, qu'il veillerait pour ma con-
servation, qu'il m'accorderait toujours sa protection, pourvu
que je ne m'en rendisse pas indigne, et que sa providence ne
manquerait pas de me faire sortir heureusement de toutes les
épreuves par oià elle voudrait bien me faire passer, m'aflermi-
rent dans ma résolution. Je conclus plus d'une fois que je ne
devais rien avoir d'assez cher dont je ne fisse le sacrifice pour
une Eglise en faveur de laquelle le propre fils de Dieu avait
bien voulu perdre la vie sur un infâme bois, et que rien ne se-
rait plus glorieux pour moi que de perdre la mienne, si le Sei-
gneur m'appelait pour une cause qui m'avait paru si digne do
l'amour le plus parfait *. »
Dans ces dispositions d'esprit, il continua sa course
à travers le Vivarais. Son jeune âge, sa prédication
chaleureuse, son désintéressement, son infatig*able acti-
vité et cette sorte d'auréole qui entoure l'homme des-
tiné à accomplir de grandes choses, lui avaient g-agné
les montagnards et lui donnaient une véritable popu-
larité. La paix d'Utrecht venait d'être conclue. Cette
paix impatiemment attendue par les religionnaires ,
1 N" 46, cah. 1.
12 PAIX D'UTRECHT
parce qu'ils pensaient qu'elle serait l'occasion de me-
sures plus douces à leur égard, avait déçu toutes leurs
espérances. On avait rendu à la liberté quelques for-
çats ; mais les édits et les déclarations royales subsis-
taient, comme par le passé, dans toute leur sévérité \
L'irritation fut grande. Prophètes et propliétesses écla-
tèrent en menaces contre les prêtres catholiques; et
Court reçut l'ordre d'aller sur les places publiques
prêcher la pénitence et reprocher aux ecclésiastiques
1 C'est le marquis de Rocliegude (Sur le marquis de Rocliegude
V. n" 48, n" 2) qui s'était chargé de représenter les intérêts des pro-
testants devant les plénipotentiaires. Déjîi, en 1712, à Utrecht, le
marquis avait défendu ses coreligionnaires :« Vos Ex'cellences savent
de quoi il s'agit, savoir de procurer l'élargissement des confesseurs
sur les galères, dans les prisons et ailleurs, comme aussi la liberté
d'une infinité de nos frères en France qui gémissent sous l'oppression
du papisme : deux ordres de personnes qu'on ne saurait séparer, car
si l'on délivre les galériens sans délivrer les autres, les galères se-
ront bientôt remplies de Réformés sous de vains prétextes de contra-
vention. Voici la contravention : vouloir sortir du royaume pour évi-
ter la persécution, n'aller point à la messe, empêcher ses enfants d'y
aller, les refusera un prêtre pour les instruire, c'est ce qu'on appelle
contrevenir aux ordres du Roi, et c'est aussi sur cela qu'on renou-
velle, aujourd'hui plus que jamais, la persécution en France. Cela
paraît par la lettre circulaire du Roi aux Intendants des Provinces.
Que ne feront-ils pas après la paix, si l'on ne prévient ces persécu-
tions par le rétablissement de la religion en France! — Le roi objecte
que cela ne vous regarde pas et qu'il est maître chez lui. C'est faux.
La religion unit tous les protestants en un corps.... » (N" 17, vol.
N, p. 122, 26 avril 1712.) Eu 1713, ses paroles n'ayant éveillé au-
cun écho, Rocliegude passa en Angleterre. Il remit un long mémoire
h la reine, la priant au nom de ses frères sous la croix de ne point
les abandonner, mais de prendre leurs intérêts, comme jadis la reine
Elisabeth. (N° 17, vol. N, p. 126.) La reine promit son concours
ef la paix se signa. Cent trente-six galériens furent mis en liberté.
« Mais, monseigneur, dit le marquis a l'ambassadeur de France, le
duc d'Aumont, on a oublié le plus grand nombre. » Alors le duc :
« Il faut bien commencer par un bout. » (N° 13, t. V, p. 11.) Ce fut
le seul résultat des négociations.
IL SE CONSACRE AU MINISTÈRE 13
la part qu'ils avaient clans les rigueurs royales. Il n'o-
béit pas, il est vrai, en tout point. Il se contenta
d'envoyer à plusieurs curés et au gouverneur du Lan-
g'uedoc des lettres assez vives où perçait la menace. Il
leur disait qu'ils ne devaient plus solliciter la persécu-
tion contre des innocents, qu'ils se rendaient coupables
en se faisant les ministres et les exécuteurs des ordres
de la cour, et qu'il était à craindre que la patience des
protestants trop longtemps et trop cruellement oppri-
més ne finît par se lasser. Ses lettres ne produisirent
aucun effet. L'effervescence se calma peu à peu, tout
rentra dans l'ordre, et l'on n'attendit plus que du temps
et de l'immuable justice un remède à tant de maux\
Tel fut le premier acte de la vie publique de Court.
L'enfant devenait homme. Il réunit encore quelques
assemblées, puis il revint à Villeneuve de Berg. Il allait
annoncer à sa mère la résolution qu'il avait prise d'être
prédicant.
« Ma mère m'aimait tendrement. J'étais le seul fils qui lui
restait, et depuis la mort de mon père, elle avait fondé ses
espérances sur moi. Mais elle aimait la religion, elle la connais-
sait et la pratiquait encore mieux; elle avait un véritable atta-
chement pour elle. Aussi ne put elle apprendre ma résolution,
sans en être émue. Elle prévoyait tous les dangers auxquels je
m'allais exposer, elle se voyait pour toujours privée d'un fils
qu'elle aimait plus qu'elle-même; mais elle réfléchissait sur le
bonheur qu'il y avait pour moi d'être un instrument dans la
main du Seigneur pour l'instruction et la consolation de son
Eglise affligée, et sur les avantages que cette Eglise, pour la-
quelle elle s'intéressait chèrement, pourrait recueillir un jour
de mon ministère. Ainsi son amour pour moi et son attache-
« N° 46, cah. I.
14 NOUVELLES COURSES
ment pour la religion lui lircnt éprouver tour à tour ce qu'ils
peuvent sur un cœur d'une mère tendre et d'une chrétienne
véritablement zélée. Que de choses touchantes ne me dit-elle
pas ! Que de larmes ne versa-t-elle pas ! Mais pour la résoudre
d'autant plus à approuver le parti que je venais de prendre, et
pour m'y affermir moi-même davantage, je voulus prêcher de-
vant elle et prendre pour texte ces paroles de l'Evangile :
Quiconque aime père et mère j)lus que rnoi, n'est pas digne de
moi. Tout ce que je dis sur ce beau texte, si propre à nous ap-
prendre combien l'amour de Dieu doit l'emporter sur celui des
créatures, toucha sensiblement ma chère mère. Elle ne me vit
plus que comme une victime qu'elle consacra, comme un autre
Abraham, aux volontés divines ^ »
Lorsqu'il eut triomphé des craintes maternelles, Court
resta peu de temps à Villeneuve. Désireux de connaître
exactement l'état des réformés, il abandonna son pro-
jet d'aller en Suisse et descendit vers le bas Lang-ue-
doc. Il passa par Uzès et vint à Nîmes où il rencontra
un autre prédicant, nommé Jean Vesson. De là, il re-
tourna dans le Vivarais par Vais et les Boutières, con-
voquant des assemblées et prêchant ^.
Le succès de cette rapide excursion le détermina à
visiter le Dauphiné. Il le parcourut avec Brunel, le sac
sur le dos, toujours sous le coup d'une surprise, évitant
les soldats^ les espions et les bourgeois, malgré tout
plein d'ardeur, de courage et de zèle. Du Dauphiné, il
se dirigea vers Marseille où sur les g'alères royales se
trouvaient alors cent cinquante confesseurs. Il pénétra
dans ces horribles prisons flottantes, et dans unecham-
î N" 46, cab. I
- Janvier 1714,
DANS LE DAUPHINE, LE LANGUEDOC, ETC. 15
bre de vaisseau, inalgTé le péril, il org'anisa un culte
régulier.
Quelques mois après, Court quitta les « confes-
seurs » et retourna à Nîmes. Il avait reçu la lettre
d'un prédicant nommé Corteiz qui l'exhortait à venir
reprendre son ministère au milieu des populations dont
il avait naguère satisfait par sa prédication les besoins
religieux. Dès son arrivée, il convoqua les religion-
naires, tint au Désert des assemblées, et excita un em-
pressement si grand qu'il eut tout lieu de craindre
le réveil de la sévérité des gouverneurs et les sur-
prises des troupes, toujours prêtes à courir le pays.
Les religionn aires regardaient en effet de plus en
plus Antoine Court comme le chef du parti et se g-rou-
paient volontiers autour de sa personne. Les espoirs si
affaiblis commençaient à renaître, et la foule reprenait
courage, puisque la Providence avait, croyait-elle,
suscité à l'Eglise persécutée un tel apôtre et un tel dé-
fenseur. Pour lui, rien ne le lassait. Toujours en
marche, il apparaissait chaque jour dans une nouvelle
localité K C'est ainsi qu'il visita cette même année, An-
duze, Saint-Jean , Saint-Germain de Calberte, Saint-
André de Valborg'ue dans les Cévennes, puis tous les
villag^es baignés par ce Gardon que devait chanter
Florian. Soutenu par le sentiment de la mission qu'il
accomplissait, il n'avait nulle crainte de la mort et la
bravait avec une intrépidité sereine. Il encourageait les
forts, relevait les faibles, pour tous il avait des paroles
de paix et de consolation. Aussi le mouvement reli-
^ « Un soir, dit-il, que j'étais sur la plate-forme de mon logis, ré-
fléchissant sur l'état des tidèles du Languedoc, me les représentant
16 REPOS MOMENTANE
gieux qu'il excita dansées pays fut-il immense. Depuis
le soulèvement des Camisards, beaucoup de localités
fatiguées, écrasées par la lutte, n'avaient pu former
aucune assemblée religieuse et pratiquaient extérieure-
ment les cérémonies catholiques. Il les visita, réunit
leurs habitants au Désert , et déploya une si grande
activité qu'il y rétablit le protestantisme.
Malheureusement les fatigues d'une vie trop agitée
avaient ébranlé sa santé. Il fut obligé de se rendre aux
eaux minérales d'Euzet et pendant quelque temps de
rester inactif. Ce repos forcé lui fut profitable. Enfermé
dans le village de Saint- Jean de Ceyrargues, le corps
souffrant, la pensée toujours ardente, préoccupé avant
tout des maux de ses coreligionnaires, il chercha avec
passion les moyens par lesquels il relèverait leur cause
jadis si prospère, aujourd'hui réduite en de si tristes
extrémités. Il n'avait encore que dix-neuf ans; il était
peu instruit; mais il avait sillonné le Vivarais, les
Cévennes, le bas Languedoc et connaissait dans le dé-
tail la situation de ces contrées. Il n'était pas de ceux
qui voulaient marcher au hasard. Avant de courir de
nouveaux périls, il voulait se tracer un plan de con-
duite.
Comment pouvait-on restaurer en France le protes-
tantisme ? Cette question, il l'avait, sans nul doute,
récemment posée aux prédicants ses collègues, lorsqu'à
affamés de la parole de vie, et courant, peut-éti'e ce soir, h la faveur
d'une fort belle nuit qu'il fesait et éclairée d'une lune éclatante, k
travers les campagnes pour chercher une parole qu'ils ne trouvaient
pas, et que, si j'avais été au milieu d'eux, j'aurais pu leur départir, —
je formai le dessein de les aller visiter encore une fois. » N" 46, cah, L
PLANS ET PROJETS 17
Nîmes, réunis dans une maison de la ville, ils avaient
ensemble célébré la dernière fête de Pâques. Là, s'é-
taient trouvés Bombonnoux, l'ancien Camisard, Eou-
vière dit Crotte, Corteiz, Brunel, presque tous ceux qui
avaient consacré leur vie au ministère et qui usaient
leur activité dans une entreprise à laquelle ils ne voyaient
pas d'issue. Mais aucun projet n'avait été élaboré. La
fête terminée, ils étaient partis, celui-ci pour la Suisse,
ceux-là pour le Vivarais ; Court était resté seul. La
question se posait donc tout entière à ses méditations.
Que faire? Quelle résolution prendre, et la résolution
prise comment l'exécuter ? Cette pensée n'avait cessé
de l'assaillir dans ses dernières courses; il y songeait
tristement encore dans sa retraite , lorsque voyant
en imagination se dérouler le tableau des pays qu'il
avait visités, il se rappelait combien de douleurs il avait
vues, et quelles haines sous les coups d'une incessante
persécution s'y amassaient lentement.
Depuis la révocation de l'Edit de Nantes, les réfor-
més s'étaient jetés dans plusieurs aventures pour con-
quérir la liberté de conscience. En 1683 déjà, Claude
Brousson leur avait proposé un héroïque moyen. Il
s'agissait d'arrêter Louis XIV dans la voie où il s'en-
gageait par une démarche unanime et hardie. Il ne
leur conseillait pas de prendre les armes et d'organiser
la guerre civile : cette pensée lui répugnait ; mais il
disait : partout où les arrêts de la cour interdiront le
culte, que l'on se réunisse, — sans armes, — pour le célé-
brer. Il y aura des victimes dans chaque assemblée, on
emprisonnera, on bannira, on pendra peut-être ; mais
les bourreaux se lasseront, et fatigué de sévir contre
18 DISCUSSION DES PROJETS
une multitude résig-née, Louis XIV renoncera à vain-
cre l'hérésie par la persécution. Ce projet n'avait pas
prévalu. On avait préféré attendre silencieusement les
violences que de les reg^arder en face et leur présen-
ter l'attitude courag'euse de l'innocence qui se sacrifie.
Aussi arriva-t-il que trompée par de faux rapports,
croyant à la conversion des uns et à l'indifférence des
autres, ne pouvant soupçonner que ceux qui souffraient
si patiemment les drag'onnades et la suppression des
lieux de culte finiraient par recourir à la force pour
repousser la force, la cour brusqua le dénoûment et
révoqua, sans tarder, l'Edit de Nantes. La plupart
cherclièrent alors la liberté dans la fuite, les autres
dans la révolte. Quant à ceux qui par une conversion
simulée voulurent éviter les périls de la lutte et satis-
faire leurs convictions, ils ne trouvèrent dans cette
situation ambiguë ni la sécurité vis-à-vis des catholi-
ques, ni l'estime auprès de leurs corelig"ionnaires. Cette
conduite avait eu des conséquences déplorables. La ma-
jeure partie des protestants avait émigré, les Cami-
sards avaient été soumis, et parmi les nouveaux con-
vertis, combien perdaient peu à peu dans des pratiques
journalières leur ancienne haine contre le catholicisme !
Ainsi la liberté de conscience n'avait été conquise —
au prix de quels sacrifices ! ~ que par les exilés. La
guerre n'avait abouti qu'àla ruine et à l'éditde 1715.
Fallait-il donc une seconde fois recourir à la fuite '/
Fallait-il se jeter dans une nouvelle insurrection ï
Ou bien se résignerait-on à souffrir, dans l'espérance
que cette résignation muette toucherait enfin les per-
sécuteurs ?
TROIS CLASSES DE PROTESTANTS 19
La fuite n'était pas un expédient, elle était un aveu
d'impuissance. Fuir ! c'était désespérer du succès du
protestantisme en France. Au surplus, qui s'expatrie-
rait? Seraient-ce les derniers Camisards, gens rudes,
austères, attachés au vieux sol natal ? Assurément ceux
qui n'avaient pas pris part à la grande émig-ration ne
quitteraient pas le théâtre de leurs anciennes luttes.
D'un autre côté, la guerre était insoutenable. Outre que
les forces des relig'ionnaires par la défection et par la
mort étaient singulièrement amoindries , la lassitude
et le découragement avaient succédé à l'enthousiasme
des premiers jours. Peut-être se trouvait -il encore dans
le Vivarais et les hautes Cévennes quelques hommes
capables de prendre les armes; mais leur cri de guerre
ne serait pas entendu, et les troupes royales vaincraient
facilement une poignée de rebelles. Le résultat de ce
soulèvement, dont il était facile de prévoir l'issue, serait
un redoublement de rig-ueurs. • — Il ne restait donc qu'un
moyen, un seul, et c'était celui qu'avait proposé Claude
Brousson. Mais il offrait des difficultés.
Les protestants pouvaient se diviser en trois classes :
les nouveaux convertis, les hommes sages et les exal-
tés; c'est-à-dire, ceux qui fréquentaient les catholiques
et suivaient, extérieurement du moins, les exercices de
l'Eglise romaine, — ils étaient les plus nombreux, —
ceux qui malgré les menaces, intraitables, gardaient
au fond de leur cœur, pure et intacte, l'antique foi,
ceux enfin qui, tour à tour passant d'une exaltation ma-
ladive à un abattement profond, cherchaient des con-
solations à leurs maux dans les discours des « Inspi-
rés. » Il fallait donc, avant d'organiser le grand parti
20 LES MOYENS D'ACTION SONT ARRETES
de la résignation, vaincre l'indifférence des uns, modé-
rer l'ardeur des autres et réunir dans une même Eglise
gouvernée et unie les représentants épars et décou-
ragés du protestantisme français. Cela fait, on pouvait
prendre une attitude calme, digne, impassible.
Antoine Court était séduit par la grandeur et la sa-
gesse de ce projet.
<' Qui pourra dépeindre, dit-il quelque part, l'état où se trou-
vaient à cette époque et cette Eglise et la religion en France ?
A peine en connaissait-on quelques traces. La persécution d'un
côté, l'ignorance et le fanatisme de l'autre l'avaient entière-
ment anéantie et défigurée. »
Il ne perdait cependant pas courage.
« Quatre moyens, ajoute-t-il, avec la bénédiction du Seigneur
que j'implorais sans cesse, se présentèrent à mon esprit. Le
premier fut de convoquer les peuples et de les instruire dans
les assemblées religieuses; le second, de combattre le fanatisme
qui, comme un embrasement, s'était répandu de tous côtés, et
de ramener à des idées plus saines ceux qui avaient eu la fai-
blesse ou le malheur de s'en laisser infecter; le troisième, de ré-
tablir la discipline, l'usage des consistoires, des anciens, des
colloques et des synodes ; le quatrième, de former, autant qu'il
serait en mon pouvoir, de jeunes prédicateurs, d'appeler des
ministres des pays étrangers, et, s'ils manquaient de vocation
pour le martyre et qu'ils ne fussent pas disposés à répondre à
mes pressantes invitatit)iis, de solliciter auprès des puissances
protestantes des secours en argent pour aider aux études et à
l'entretien des jeunes gens en qui se trouveraient assez de cou-
rage et de bonne volonté pour se dévouer au salut et au service
de leurs frères ^. »
Mais la gravité des circonstances réclamait une auto-
1 N" 37. Mémoire aux arbitres.
JACQUES ROGER 21
rite populaire, forte, capable d'imprimer au mouve-
ment une direction unique, et de la faire accepter par
les religionnaires. Il résolut de constituer cette auto-
rité par le rétablissement des Synodes. Malg-ré les der-
niers malheurs, le souvenir de ces anciennes assemblées
ne s'était jamais entièrement effacé ; peut-être même
Court Tavait-il trouvé vivant dans une de ces familles
qui après la cessation officielle des Synodes natio-
naux avaient cependant envoyé jusqu'à la fin des dé-
putés aux réunions provinciales. Peu importe du reste
que son projet lui ait été inspiré par des amis ou par son
précoce bon sens : aussitôt qu'il l'eut conçu, il travailla
à le réaliser, et l'activité qu'il déploj^a dans cette occa-
sion montre la g*randeur des espérances qu'il attachait
à son succès. Il s'agissait en effet de rétablir au milieu
d'un peuple dispersé une institution qui jadis avait été
entourée d'un grand prestige ; il s'agissait d'imposer à
des hommes découragés ou exaltés, mais conservant
la mémoire des choses passées, un pouvoir qui en rap-
pelant les anciennes formes de la refigion proscrite fût
capable de réunir tous les cœurs et toutes les énergies
pour la revendication de la liberté confisquée.
Le plan qu'avait proposé en 1683 Claude Brousson
allait donc être adopté.
Tandis que dans un obscur villag-e, un tout jeune
homme méditait ainsi la restauration prochaine du pro-
testantisme,— dans une province étrangère, en Wur-
temberg, un autre homme, un proscrit, rêvait du même
sujet pendant les longues journées de l'exil. Il s'ap-
pelait Jacques Rog'er.
22 JACQUES ROGER
Il était né en 1665 à Boissières, en Languedoc ^
Tout jeune, il avait quitté la France, et pendant près
de douze années, il avait vécu en Suisse ou en Alle-
mag-ne. En 1708, il était rentré en France. Sa vie de-
puis lors avait été une od^'^ssée ^.
Quoique émigré en Bavière, il n'avait pas perdu de
vue ses' frères sous la croix : il vivait avec eux par la
pensée, se rappelant sans cesse le triste état dans le-
quel il les avait laissés, et regrettant d'autant plus vi-
1 N" 17. Vol. B. Relation sur le Daupbiné, par Vouland.
2 Venu en France pour prêcher, encore qu'il ne fût pas ordonné
pasteur, il s'était arrêté dans le Dauphiné et avait parcouru toute
cette province, convoquant des assemblées, consolant, apaisant. Sou-
vent il avait vu la mort de près Un jour enfin, on l'avait fait pri-
sonnier, et il avait dû, pour sauver sa vie, s'engager comme volon-
taire dans un régiment. Quelque temps après, il abandonnait ses
nouveaux compagnons et revenait dans les églises. En 1710, il pé-
nétrait dans le haut Dauphiné, trouvait un grand nombre de protes-
tants, tenait des assemblées de quatre h cinq mille personnes, et re-
tournait sur ses pas à cause « du zèle presque immodéré qu'on avait. »
Là, mille dangers l'attendaient et il échappait à la mort comme par mira-
cle. Vers la fin de cette même année, les protestants notables de la pro-
vince l'envoyaient avec M. de Beaulieu, gentilhomme de Crest, pour
supplier les puissances protestantes de s'intéresser à leur sort. Roger
se rendait à Berne et s'acquittait de sa commission. Il y restait dix-
huit mois, employant la plus grande partie de son temps à l'étude
de la théologie et servant d'intermédiaire entre les protestants du
Dauphiné et ceux de l'étranger. Il demandait aux pasteurs de Berne
de le consacrer, et ceux-ci, pour des motifs de prudence, recondui-
saient. Il passait alors en Wurtemberg, se présentait devant le Synode
des Eglises françaises tenu àWirchen, et, en obtenant l'ordination,
il obtenait aussi la permission de prêcher dans ce pays. Mais le prince
trouvant mauvais qu'un homme qui ne connaissait pas « !es langues»
parvînt au mini.st.ère, Roger en était réduit à porter sa requête à la
cour et recevait finalement la permission de prêcher dans tout le pays,
excepté dans la ville ducale. Quelques mois après, une église de la
Hesse-Cassel, Mériendorf, lui adressait une lettre de vocation, et déjà
il se disposait à se rendre à cet appel, quand il apprit la mort de
Louis XIV.
ET LE I3AUPHINÉ 23
vement de les avoir abandonnés. Que fallait-il faire
pour les sauver ? « Il fallait, disait-il, établir des con-
sistoires, tenir des Synodes, en un mot former une
espèce d'ordre ; avec l'aide de Dieu, cela pouvait met-
tre les affaires de la religion dans un meilleur état. »
Soins inutiles que de leur recommander la patience, la
résignation ! En 1710, quand il était en Daupbiné, un
nommé Chapon ayant essayé de soulever les religion-
naires de cette province, il n'avait eu qu'à ouvrir la
bouche pour les faire rentrer dans le repos. Et ce n'était
pas plus malaisé de leur inspirer l'amour du martyre :
depuis la Révocation, on ne craignait plus la mort. La
g'rande, l'unique difficulté était de réunir en un seul
faisceau les courages épars, de discipliner les victimes,
d'augmenter leur nombre, et de lés organiser en pha-
langes, en sorte que l'agonie d'une seule fût profitable
à toutes les autres.
En Dauphiné, comme en Languedoc, la situation
était la même.
Dans cet ordre de sentiments, à peine Roger eut-il
appris en 1715 la mort de Louis XIV, que « croyant
que cela apporterait du changement aux affaires, » il
résolut de se rendre aussitôt en France, dans sa chère
province. Il écrivit à l'église de Mariendorf pour faire
déHer sa parole engagée. « Il fit sentir qu'elle ne de-
vait trouver mauvais qu'il préférât de venir prêcher
sous la croix à la vocation qu'elle lui avait adressée,
qu'elle ne serait pas longtemps sans pasteur, au lieu
qu'il n'y avait point d'espérance qu'il s'en trouvât qui
voulussent aller dans les églises persécutées, qu'il les
priait de lui pardonner. » Sans plus tarder, il partit,
24 LE RÉVEIL EST DÉCIDÉ
traversa la Suisse, et arriva en Dauphiné au milieu de
l'automne. Il venait appliquer son programme.
En ce moment Antoine Court commençait à exé-
cuter le sien.
Ainsi inspirés par leur foi, deux hommes inconnus
l'un à l'autre se préparaient, au lendemain du jour où
le vainqueur de l'hérésie était tramé à Saint-Denis au
milieu des huées de la foule *, à relever dans deux
grandes provinces le drapeau qu'avaient abattu trente
ans de persécutions. Volontaires du devoir, ils accou-
raient, l'un avec sa jeunesse et son génie, l'autre avec
sa prudence et son activité, pour mettre au service de
la réforme française leur ardeur et leur dévouement.
Ils avaient vu simultanément quel était le mal et quel
était le remède. Le grand œuvre de restauration ne
devait pas péricliter entre leurs mains. A leur voix,
les nouveaux convertis allaient rougir de leur con-
duite, les c( fanatiques » disparaître et le grand parti de
la stoïque résignation s'organiser.
Mais le Languedoc, plus riche en moyens et en hom-
mes, devait dans cette voie devancer le Dauphiné et
se mettre à la tête du mouvement.
1 Ses victimes ne Tépargnèrent pas non plus. V. entre autres choses
ce quatrain que fit le fils d'un pasteur martyr, en guise d'épitaphe :
Bullet., t. XIII, p. 285.
Ci gist le mari de Tlicrèse,
De la Montespan le mignon,
L'e-vclave de la Maiiitenon,
Le valet du père Lachaise.
CHAPITRE II
LE RÉVEIL EN LANGUEDOC, EN POITOU ET EN DAUPHINE
1715-1723
Au mois d'août 1715, Louis XIV se mourait à Ver-
sailles. Le 21 du même mois, près de Nîmes, dans une
carrière abandonnée, Antoine Court convoquait le pre-
mier Synode destiné à rétablir la religion proscrite*.
Trois ou quatre laïques et quelques prédicants - as-
sistaient à cette réunion ; on n'y comptait que neuf
personnes. C'était vers le matin, à l'aube. On se mit
en prières. Après avoir invoqué Dieu, Court nommé
à la fois (( modérateur » et secrétaire de l'assemblée
exposa son plan de conduite. Dépeignant à grands
traits l'état des choses, il montra la nécessité d'y por-
ter promptement remède. Il conseilla d'établir des « An-
ciens » dont les principales fonctions seraient de con-
voquer les assemblées, de collecter pour les pauvres,
d'être attentifs aux scandales, de procurer aux prédi-
cants des retraites sûres, et de leur fournir des guides
pour les conduire d'un lieu à un autre. — Il proposa
1 N" 46.
^ Probablement: RouvièreditCrotte, Jean Hue, Jean Vesson, Etienne
Arnaud et Durand. — Bombonnous et Corteiz étaient en Suisse
26 PREMIER SYNODE
des mesures de prudence pour la tenue des assemblées,
afin de les mettre à l'abri des recherches des ennemis.
Il proposa encore d'abolir l'usag'e « déshonorant et
dangereux » qu'avaient les prédicants d'employer à
leurs besoins les deniers collectés en faveur des pau-
vres. 11 s'occupa enfin de l'extinction du « fanatisme »
et des moyens dont on pourrait se servir pour réduire
au silence les prédicantes et ceux qui parlaient au nom
de prétendues révélations ^ — Les membres du Sy-
node, surpris, écoutaient avec étonnement les paroles
du jeune homme. Assis autour de lui sur les pierres,
ils recevaient silencieusement ces propositions avec des
signes d'encouragement.
Tout fut approuvé. On commença par conférer la
charge « d'Anciens » aux laïques présents. On dressa
des règlements généraux et on ordonna de les répandre
dans la province entière ^ Enfin les prédicants furent
1 N" 46, cali. II, et n'» 37, p. 7. Mémoire aux arbitres.
2 Nous n'avons pas de copie de ces règlements généraux ; mais six
ans plus tard, en 1721, le Vivarais se donna un règlement. (V. Pierre
Durand, par L. Meynadier, p. 17. Valence, 1864). Il est très-probable
que, sauf quelques additions, le Vivarais copia celui du bas Langue-
doc. Cette seconde édition peut donc au besoin nous suffire.
« Le vingt-sixième juillet mil sept cent vingt-un, assemblés sept
proposans et deux anciens en synode provincial, a été résolu ce qui
s'ensuit :
« I. — Que tous les pasteurs, proposans et anciens signeront la con-
fession de foi contenant quarante articles, faite d'un commun accord
par les Eglises réformées de France, comme vraie et orthodoxe.
« II. — Que toutes les sociétés se soumettront à garder les règle-
raens qui seront établis suivant la discipline ecclésiastique des Eglise.s
réformées de France, autant que le temps et le lieu pourront le
permettre, et, pour cet effet, les pasteurs, pour y porter les anciens,
promettent de la signer quand ils en seront requis.
« III. — Tous les pasteurs et proposans se rendront sujets aux puis-
sances supérieures et y porteront le peuple, autant que leurs forces
LE LANGUEDOC 21
chargés d'aller « réveiller » les nouveaux convertis.
Les lieux où devaient au début se porter leurs pre-
miers efforts ne comprenaient g'tière que six diocèses
de la province du Lang-uedoc. Quarante lieues de lon-
gueur et ving't de largeur en mesuraient l'étendue.
le leur pourront permettre : et, pour cet effet, tous les pasteurs et
proposans jurent par la foi qu'ils ont au nom de Jésus-Christ d'obéir
au roi de France en toutes choses, sauf aux ordonnances c^ui pour-
roient être préjudiciables à la foi et à l'Eglise. D'ailleurs, la véné-
rable assemblée a enjoint à tous de faire prières pour le roi et ses
conseillers, non-seulement aux assemblées, mais aussi dans les familles
particulières, et principalement aux pasteurs.
« IV. — Que pour convoquer les assemblées, on usera de toute la
prudence possible, pour ne donner aucunes lumières ni porter aucun
préjudice, et qu'on ne fera pas traverser les auditeurs d'un mande-
ment h l'autre.
« V. — Que la parole de Dieu, qui est l'Ecriture Sainte comprise au
vieux et nouveau Testament, sera tenue pour seule règle de notre foi,
comme iJ est porté par les articles III et Y de la Confession de foi.
« VI. — Qu'on lira aux assemblées des chapitres de l'Ecriture Sainte
et les Commandemens compris au vingtième chapitre de l'Exode,
avant la prédication, conformément aux Eglises de Genève.
« VII. — Que les pasteurs feront répondre le catéchisme aux peuples,
tant aux assemblées que dans les maisons particulières, et expliqueront
les termes les plus obscurs, et, pour éviter toute confusion, ils se ser-
viront tous du catéchisme de Monsieur Drelincourt, fait en faveur do
sa famille.
« VIII. — Les pasteurs diront la prière trois fois le jour, et la feront
même dire à ceux des maisons oix ils seront. Ils reprendront aussi
avec soin ce qui s'y passe de mal h propos : comme de jurer le nom
de Dieu et la négligence de la dévotion; et ils feront destiner trois
heures du jour du dimanche à la dévotion à tous ceux de la maison
ensemble.
« IX. — Qu'il sera nommé des anciens, k la pluralité des voix, pour
surveiller sur la conduite du public et sur tout ce qui concerne les
affaires de l'Eglise.
« X. — Qu-e ceux qui commettront des crimes dignes de censures
seront censurés comme s'ensuit : 1" qu'ils seront censurés par un pas-
teur ou un ancien; 2" s'ils ne se repentent, on réitérera la censure en
présence de trois fidèles ; 3" s'il persévère, il sera encore censuré en
présence de trois fidèles; 4" s'il ne se repent. il sera déclamé à l'as-
semblée publique, et enfin excommunié.
28 LES PREDICANTS
C'étaient les diocèses de Mende, d'Alais, de Viviers,
d'Uzès, de Nîmes et de Montpellier. Quinze ans aupa-
ravant, ils avaient été le théâtre de la guerre des
Camisards. Selon le rapport de Bâville, il s'y trouvait
en 1698 près de cent soixante-six mille réformés. Mais
en 1715, combien la guerre, la fuite et les proscriptions
avaient diminué ce nombre !
« XI. — Que ceux qui font baptiser leurs enfants et bénir leurs ma-
riages aux prêtres de l'Eglise romaine seront suspendus de la com-
munion ; et ceux qui les accompagnent en ces actes seront censurés
par un pasteur ou ancien.
« XII. — Qu'on réfutera toutes prétendues révélations auxquelles il
n'y a rien digne d'y ajouter foi; enjoignant aux pasteurs et anciens
d'y surveiller avec soin.
« XIII. — Que si quelque pasteur ou ancien commet quelque crime
scandaleux à la société, il sera démis de sa charge pour le temps
qu'il sera jugé à propos, selon la discipline ecclésiastique.
« XIV. — Qu'on tiendra un synode tous les ans, et s'il arrivoit quel-
que cas en attendant l'an révolu, on assemblera un colloque de trois
pasteurs et six anciens, pour délibérer ce que de droit, attendant le
synode général, auquel colloque faut qu'il soit le modérateur du der-
nier synode ou le secrétaire,
« XV. — Que les anciens payeront aux pasteurs ce qui leur sera
nécessaire pour leur couverture et pour leur dépense, et cela d'une
manière qui lève tout soupçon.
« XVI. — Que les pasteurs ne tiendront le peuple h leurs prédica-
tions qu'une heure tout au plus, h cause du danger.
« XVII. — Que si quelque pasteur se rend familier avec quelque
lille d'une manière malséante, on lui défendra d'aller dans la maison
de cette fille. Enjoint au pasteur d'obéir.
« XVIII. — Que les femmes qui exposoient des prédications aux
assemblées seront interdites, vu que ce n'est pas au sexe féminin de
porter la main à l'encensoir. Et c'est d'autant que l'apôtre saint Paul
le leur défend au quatorzième chapitre de la première ,aux Corinthiens
et en la pi^emière à Timothée, chapitre II. Cependant, celles qui
ont édifié l'Eglise par une bonne doctrine et qui voudront visiter ier,
malades, instruire la jeunesse, de maison en maison, elles seront
entretenues comme pour le passé, mais la prédication leur est interdite.
« XIX. — Qu'on ne recevra aucune personne pour prêcher qui ne
soit examinée en vi.e et mœurs et doctrine par les pasteurs et anciens
et les consistoires déjà établis.
VESSON, HUC-MAZEL 29
Là, dans des vallées ignorées, au flanc des collines,
sur les montagnes, au milieu des villes ennemies, se
cachaient, disséminées et comme honteuses, les huttes,
les fermes, les maisons des protestants. C'est d'habita-
tions en habitations, toujours observés, épiés, menacés,
que les prédicants devaient aller prêcher, prier, réveil-
ler le zèle. Leur petit nombre rendait la tâche encore
plus difficile. Antoine Court n'avait pu réunir que cinq
d'entre eux au Synode : Jean Hue, Jean Vesson, Etienne
Arnaud, Rouvière et Durand. Brunel non plus que Bom-
bonnoux n'y assistaient. Corteizse trouvait en Suisse.
Jean Vesson était orig-inaire du Cros, près de Saint-
Hippolypte. En 1713, Court le rencontra à Nîmes. Il
s'était érigé en prédicant et se disait inspiré. Il prê-
chait au Désert, tombait en extase et tenait des assem-
blées que son imprudence faisait souvent surprendre
par les soldats. Il avait trente-six ou trente -sept ans^
Huc-Mazel, dit Mazelet, était presque un vieillard.
Il était né à Génolhac. A l'âge de quarante ans, il ne
savait encore ni lire ni écrire^ mais il était célèbre
parmi les Camisards. Eocayrol l'entendit prêcher avec
un grand succès devant les soldats de Roland. Après
la soumission de ces derniers, il était passé en Suisse
et s'était arrêté à Genève, où il avait un peu étudié.
Le désir de revoir la France s'étant emparé de lui, il
se rendit à Montpellier ; là, des catholiques, on ne sait
à la suite de quelles aventures, lui fournirent « son via-
tique, » et il resta quelque temps dans cette ville.
Tout à coup, cédant aux sollicitations d'un Israélite, il
1 N-'-lô, cali. J, p. 16. — V. aussi Histoire des Multipliants, par
M. Germain, p. 14. Montpellier. In-4.
30 BOMBONNOUX, DURAND
se souvint qu'il avait tenu des assemblées, partit pour
les Cévennes et recommença à prêclier^
Bombonnoux -, ou Montbonnoux, avait été briga-
dier dans la troupe de Cavalier; il avait résalu, après
la défection de son chef, de continuer la guerre jusqu'à
ce qu'il plût c< au Seigneur d'accorder la délivrance à
son Eglise. » Il faillit être pris en 1705. Deux de ses
amis furent roués à Montpellier en sa présence et jetés
encore vivants dans le bùcber. L'borreur de ce supplice
ne l'effraya pas. Il resta en France, courant le pays et
convoquant des assemblées. Il se mit en rapport avec
les principales propbétesses et les prédicants qui per-
sistaient, malgré la rigueur des édits, à prêcher au
Désert. Etienne Arnaud, Corteiz, Abrabam Mazel,
Claris et les autres furent ses compagnons. C'était un
vétéran des anciennes luttes, et plus tard il disait, non
sans quelque satisfaction, qu'il avait, pendant douze
années et avant le rétablissement de l'ordre, travaillé
au réveil de ses coreligionnaires. Antoine Court le
connut en 1714.
Pierre Durand était né au bameau du Bouscbet, en
1700 ^ Ses parents devaient être des nouveaux conver-
tis, car on voit qu'il fut baptisé par le curé de Pranles,
à l'église paroissiale. Il assista au culte catholique
1. N" 17, vol. H, p. 497.
2 V. ses très-intéressants mémoires que M. B^rosterus a publies k
la suite de son ouvrage : Les Insurgés protestants sous Louis XIV
Paris. (1866.)
8 V sa biographie par Meynadier. - 11 ne faut point confondre ce
Durand avec eelui dont BâviUe écrivait en 1710 : « Claris m'a avoue
qu'il y a un ministre dans les Cévennes, nommé Durand, venu depuis
peu, qui n'est point du pays. Je travaille h découvrir qui il est, et
j'espère qu'il sera bientôt pris » V. aussi Les Insurgés, etc., p. 199,
BRUNEL, ROUVIÈRE 31
jusqu'à douze ou treize ans. Mais à peine sorti de l'en-
fance, il s'éprit d'enthousiasme pour la religion pros-
crite, et, sans abandonner encore la maison paternelle,
il se mit à battre le pays, en compagnie probablement
d'un prédicant.
On sait peu de cbose de Pierre Chabrier, dit Bru-
nel, sinon qu'il était fort ignorant et qu'il prêçliait de-
puis le commencement du siècle ^ .
Les renseignements manquent aussi sur Rouvière
dit Crotte. Il était natif de Blaissac, en Vivarais. En
1713, il connut Vesson. En 1719, au mois d'octobre,
fait prisonnier, il répondit à ses gardiens « qu'il était
enfant de Dieu et prédicateur de l'Evangile du Christ.»
Il fut conduit à Montpellier et condamné aux galères.
Quelques personnes s'intéressèrent à lui et demandè-
rent son élargissement. En 1720, La Vrillière proposa
à l'intendant du Languedoc de le rendre à la liberté,
mais l'intendant prétendit que cette condescendance
serait d'un mauvais exemple. Rouvière obtint cepen-
dant sa grâce, car en 1724 son nom se retrouve sur
une liste de proscription, et plus tard encore on voit
qu'il continuait de prêcher dans les Cévennes ^
i II y avait plusieurs prédicants comme Brunel : Monteil, âgé de
soixante ans; Jacques G-uillot (soixante-dix ans); Jean Bonnard (plus
de soixante ans). C'étaient de pauvres laboureurs, qui travaillaient la
terre le jour, et prêchaient la nuit. Ils avaient couru mille périls de-
puis la Révocation et ne cessaient encore de tenir des assemblées.
Mais ils étaient vieux et s'étaient cantonnés au village natal : ils n'en
sortaient plus. N" 17, vol. H, p. 187.
En Poitou, ou vit aussi prêcher des travailleurs de terre et des
artisans. Dans cette période très-obscure de 1705 à 1715, ils furent
les sauveurs du protestantisme.
•2 N° 17, vol. H, p. 187, ec n° 1, t. II, p. 169, etc.
32 ETIENNE ARNAUD
Etienne Arnaud était un tout jeune homme. Il était
originaire de Saint-Hippolyte de la Planquette. Ses
parents avaient dû se réfugier en Suisse dans les der-
nières années du dix-septième siècle, ou après la sou-
mission des principaux chefs camisards; en 1709 en
effet, on le trouve étahli à Genève. A cette époque,
il fut pris du désir d'aller évangéHser ses frères de
France, et il partit, sans hésiter, avec un nommé Sa-
batier et Corteiz. Il arriva en pleine persécution. Les
gouverneurs exécutaient les édits avec une rigueur
inouïe et les protestants étaient dans la terreur. Il vit
périr le premier de ses compagnons de route. Persister
à courir le pays, c'était s'exposer lui aussi aune mort
certaine. Il le comprit. Après quelque temps de labo-
rieux efforts, il dut reprendre le chemin de Genève.
Mais les troupes le surprirent lorsqu'il cherchait à pas-
ser le Rhône au Pont-Saint-Esprit, et il fut contraint de
s'engager comme soldat. Cela se passait en 1711. Plus
tard, croyant sans doute les dangers moindres et les
temps plus favorables, il abandonna ses frères d'ar-
mes, et revint auprès de ses coreligionnaires de la pro-
vince. C'est alors qu'Antoine Court fit sa connaissance ' .
Corteiz 2 (Pierre -Carrière) était né au hameau de
Nozaret, paroisse de Castanier. En 1697, il lui était
tombé entre les mains U Boicclier de la foi., le Combat
clirètien^ dix décades de sermons excellents^ ouvrage de
M, Pierre Dv/monlin^ le Dialogue entre un fere et son
i N° 17, vol. H, p. 495. — V. 2m^^s\ Les Insurgés protestant, p. 145.
"' « Taille un peu au-dessus du médiocre, visage long et maigre,
bouche bien fendue, le nez aquilin, cheveux châtain obscurci, Tair
doux. » Signalement des prédicants.
PIERRE CORTEIZ 33
iils pottr voir si Von. se peut sauver en allant a la messe
y our éviter la 'persécution^ ouvrage des plus convenables
pour la situation d'une Eglise comme la France, et un
Catécliisme de controverse de Dumoulin. Un jour, — il
avait seize ou dix- sept ans, — il parla par hasard dans
une assemblée, et dès lors, jusqu'en 1702, il adressa des
exhortations aux fidèles, s'élevant beaucoup contre les
prophètes qui couraient le pays, prêchaient la g'uerre,
ordonnaient de tuer les prêtres et de brûler les églises.
Mais les passions étaient déchaînées ; on le traita d'in-
crédule. Il vit la terrible expédition de Julien dans les
hautes Ce venues, « cette expédition qui fut, dit Lou-
vreleuil, comme une tempête qui ne laisse rien à ra-
vag'er dans un champ fertile ; » il vit allumer l'incendie
de quatre cent soixante-six bourgs, et l'âme encore
émue de ce spectacle , profitant du passe-port que lui
fit offrir Villars, il se réfugia en Suisse. A Lausanne,
il obtint un emploi de régnent. Vers 1709, les réfugiés
jetèrent les yeux sur lui pour aller réchauffer la foi des
fidèles de France. Il n'hésita pas et partit aussitôt
pour le Languedoc. Voilà pourquoi en 1717 il écrivait :
« Vous me demandez par quel ordre et qui m'a donné
charge de prêcher, environ douze ans^ dans le Désert
de France; je répondrai ce que j'ai toujours dit, que
c'est par la force et par les lumières du Saint-Esprit
(|ui m'a fourni les connaissances et les dispositions né-
cessaires pour m'employer dans cette noble et impor-
tante chargée ^ » En 1709, Abraham Mazel, ancien ofîi-
cier de cavalerie, courait le Vivarais et poussait les
i N" 17, vol. a, p. 10.
I
34 PIERRE CURTEIZ
protestants à une nouvelle g'uerre de Camisards. Tl
réunit même en peu de jours une centaine d'hommes,
enleva les armes d'un château, battit un régiment
suisse, et déjà le pays commençait de s'ag-iter, lors-
que le gouverneur envoya des troupes qui dispersèrent
facilement la bande de Mazel. Le Vivarais fut mis dans
un déplorable état. Corteiz vit Vernoux rempli des ca-
davres des jeunes g*ens qu'on avait pendus ou rompus.
Aussi, lorsque Mazel, guéri de ses blessures , essaya
avec Claris de soulever encore une fois cette malheu-
reuse contrée, s'interposa- t-il pour les forcer à aban-
donner leur dessein. En 1712, fatigué de soutenir con-
tre les siens et contre l'ennemi une lutte de chaque jour
et presque sans succès, il revint à Genève. Là, il se
maria avec une tailleuse d'habits du nom d'Isabeau.
Mais il ne pouvait se résigner à vivre loin du théâtre
où s'était exercée son activité fiévreuse. Il quitta
sa femme, revint en France, dans les Ce venues. Il y
trouva Bombonnoux, Rouvière, Hue et Vesson. Avec
les deux premiers, prêchant, exhortant, convoquant
des assemblées, il descendit jusqu'à Nîmes. C'est dans
cette ville qu'il entra, par l'intermédiaire de Brunel,
en rapport avec Court, et que les cinq prédicants célé-
brèrent les fêtes de Pâques \
Tels étaient les ministres auxquels le premier Sy-
node du Languedoc confiait le soin de ranimer le zèle
et d'établir quelque ordre dans la province. Tels allaient
être dans cette œuvre de restauration les premiers com-
pagnons d'Antoine Court.
1 N° 17, vol. H, p. 491. Relation historique des principaux événe-
ments qui sont arrivés à la religion protestante depuis la Révocation
jusqu'en 1728. — Corteiz en est l'auteur.
PIERRE CORTEIZ 35
Hommes hardis et dévoués, insuffisants toutefois,
et non à la hauteur de la tâche. Ce n'était ni le
zèle ni le courage qui leur faisaient défaut, mais le
savoir, l'intelligence et aussi, il faut le dire, le sacri-
fice de leur personnalité au triomphe d'un programme
rigoureux. Vesson était tonnelier. Hue travailleur de
terre; Arnaud, Durand, Rouvière étaient des enfants.
Corteiz, le plus instruit peut-être, écrivant à Court,
lui recommandait de prendre garde aux fautes d'or-
thographe et de les corriger, s'il montrait la lettre à
ses amis. Cela pourtant eût été de peu d'importance,
s'ils avaient pu comprendre ce qu'on réclamait d'eux.
Mais les plus âgés surtout, les Hue, les Brunel, les
Vesson appartenaient à un autre temps. Vieux Cami-
sards, aux libres allures, ils subissaient avec peine tout
ce qui les pouvait contraindre. Il ne fallut rien moins
que la fermeté étonnante d'Antoine Court pour les
faire marcher sans trop de colères dans la voie tracée.
Encore y eut-il bien des écarts.
Deux hommes seuls avaient de la valeur : Arnaud
et Corteiz. Arnaud périt bientôt et avec lui les brillantes
espérances qu'il avait fait naître. Restait Corteiz.
Héros inconnu que ce prédicant * ! Il avait vu tour
à tour les excès du fanatisme religieux auxquels s'é-
taient livrés les Camisards et les mesures d'épouvan-
table rigueur qui avaient frappé les insurgés ; il avait
ensuite connu les réfugiés des pays étrangers et il
était resté en rapport avec quelques-uns d'entre eux*
Une raison saine, le véritable sentiment de l'état des
' Ses lettres, son journal mériteraient bien d'être publiés.
36 PIERRE CORTEIZ
choses, le désir de tracer et de suivre jusqu'au bout
un programme clair et méthodique, l'horreur du fana-
tisme et de l'emploi des moyens violents, — tout faisait
de lui un auxiliaire d'un rare mérite. D'un courage
éprouvé, jouant depuis son enfance avec la mort, insen-
sible à la fatigue, il parcourait la France, passait en
Suisse, franchissant les distances et bravant les dan-
gers avec une insouciance, une sérénité admirable.
Son âme était aussi ferme que son corps. Il était
huguenot et montagnard. A cela, il joignait une
grande douceur. Cet homme rigide et sévère avait
des tendresses, des délicatesses exquises. Ses lettres à
sa femme, « à son Isabeau, » sont remplies de détails
touchants. Il y parle de lui, d'elle, de ses enfants,
surtout de ses excursions périlleuses et des progrès « de
la relig'ion » comme un père et comme un héros. Point
de forfanterie, point d'ostentation; il écrit comme il
pense. A travers cette écriture indécise et qui se traîne
bizarrement, en boitant, on croirait lire dans son cœur
comme dans les pages ouvertes d'un livre. Il était
bien l'homme qui convenait aux protestants ; sa naïve
éloquence, la rudesse de son langage, l'austérité de sa
vie, tout cela tempéré par une bonté sympathique, de-
vait lui assurer une immense influence.
Aussi, dès qu'Antoine Court l'eût rencontré, en-
chaîna-t-il sa vie à la sienne. Ce fut une amitié grave
et solide, que rien ne put ébranler et qui lia pour tou-
jours ces deux hommes dont la foi s'était proposé le
même but. L'un fut la tête qui conçut, l'autre le bras
qui exécuta. Non pas que l'un ordonnât et l'autre
obéît, — en réalité ils s'interrogeaient mutuellement.
SYNODE DE 171G 37
et aucune grande détermination ne fut prise qu'ils n'en
eussent délibéré en commun, — mais il semble que
Court prit plutôt l'initiative des projets, et que Corteiz
s'employa davantage à leur accomplissement. Ils se
partageaient, sans aucune envie, le champ d'activité,
et ce n'est pas sans quelque admiration qu'on voit le
plus vieux de ces hommes s'incliner devant la précoce
maturité et l'intelligence du plus jeune. Court parlant
de son ami : « Une chose essentielle, dit-il, manquait,
c'étaient des prédicateurs; un seul de tous ceux qui
existaient alors pouvait me seconder, et il le fît effica-
cement : il s'appelait Corteiz. Il ne s'était point trouvé
à la première assemblée synodale que j'avais convo-
quée, parce qu'il était alors dans les paj^s étrang^ers.
A son retour, il n'approuva pas seulement ce que
j'avais fait; il entra aussi dans toutes les vues que je
me proposais pour l'avenir, et il fit tout ce qui était
en son pouvoir pour le faire réussir. »
Antoine Court, dès que le Synode eut adopté ses
propositions, reprit ses courses dans la province. Il se
dirigea vers les églises qu'il avait déjà visitées l'année
précédente; il y trouva la piété accrue, les cœurs raf-
fermis. C'étaient celles que baigne l'Hérault. Il encou-
ragea les uneS;, réveilla celles qui étaient encore en-
gourdies, annonçant partout les heureux événements
qui venaient de s'accomplir. A son retour, il convoqua
dans les Cévennes un second Synode. Que s'y passa-
t-il, et quels en furent les membres? On ne sait guère.
Il est certain cependant qu'on s'y occupa beaucoup du
c( fanatisme » et que les femmes prédicantes y furent
38 ENTREVUE DE COURT ET DE ROGER
citées pour défendre leur cause * . Des Cévennes il des-
cendit vers Saint-Hippolyte, Sauve, Monoblet, et réunit
dans un cliâteau bâti sur une hauteur, entre ces trois
villes, une des assemblées les plus considérables qu'on
eut vues depuis longtemps. Le nombre des fidèles,
l'attitude de cette foule étonnée qui revenait, non
sans quelque lionte peut-être, à ses habitudes délais-
sées, les récits faits au retour, le bruit dont les pro-
testants entourèrent cette assemblée dans un but poli-
tique, attirèrent l'attention des « puissances. » Le
g'ouverneur d'Alais, prévenu, se porta sur les lieux et
après de vives remontrances interdit aux nouveaux
convertis de renouveler leurs réunions. Vaine inter-
diction ! Elle ne pouvait arrêter le zèle renaissant. A
peine arrivé de Saint- HIppoly te, au mois de mai 1716,
Court se rendit à la Roque-d'Aubay, près de Sommiè-
res, mais l'assemblée qu'il y convoqua fut surprise. Cette
activité d'apôtre commençait d'inquiéter l'intendant qui
fit afficher aux portes des églises et sur les places pu-
bliques un placard, où il promettait cinquante pistoles à
qui lui livrerait le jeune ministre. Celui-ci cependant ne
s'effraya point. Chassé de Sommières, il partit aussitôt
pour Cal visson, et se dirigea du côté delaRouvière. Ilpar-
vint bientôt à Nîmes ^ Là, il rencontra Jacques Roger.
Jacques Roger, revenu en 1715 en Dauphiné, avait
eu hâte de parcourir cette province, et satisfait « du
zèle que les fidèles fesaient paraître, surtout en appre-
nant qu'il avait été reçu ministre, » il avait résolu de
descendre en Languedoc. En route il avait couru de
1 N° 46, cah. IL (13 janvier 1716.)
2 Ibid.
SYNODE EN DAUPHINE 39
grands périls et n'avait dû son salut qu'à son sang'-
froid. Il venait d'arriver accompag*né de Brunel ^
On a peu de détails sur cette entrevue. Ces deux
hommes ne s'étaient jamais vus, peut-être même Court
ne connaissait-il pas de nom son intrépide interlocu-
teur. Ils eurent toutefois plusieurs conférences. Le
jeune prédicant, avec abandon, avec chaleur, raconta
ce qu'il avait fait et ce qu'il espérait faire; il montra
la nécessité de réveiller les protestants et de les disci-
pliner; il parla du Synode qu'il avait convoqué récem-
ment, des règdements qu'il avait proposés et qu'on avait
admis, et il supplia Rog-er de suivre les mêmes règles
' de conduite en Daupliiné ^ Eog'er depuis longtemps
était convaincu. A son tour, il communiqua ses pen-
sées, fît part de son programme, raconta sa vie... Mais
il fallut s'arracher aux douceurs de cette amitié nais-
sante. L'Eghse réclamait les soins de ces deux apôtres.
Ils se séparèrent.
Eoger ne tarda pas à se rendre en Dauphiné. Il y
trouva Corteiz qui revenait de Genève et décida avec
lui de réunir un Synode. Le Synode se tint le 22 août :
sept prédicants y assistaient ^ Voici quelques-uns des
règ"lements qui furent arrêtés :
« Les pères de famille seront exhortés à faire trois fois le jour
la prière en commun avec leurs enfants et leurs domestiques.
— On doit destiner au moins deux heures à la dévotion du di-
manche, à laquelle tous ceux de la maison doivent se rendre.
1 N" 17, voJ. B. Mémoire sur le Dauphiné par Vouhuid. Ce curieux
mémoire est très-exact.
2 N» 36.
3 1716.
40 ROGER ET LE DAUPHINÉ
— On doit reprendre en public après la première, la deuxième
et la troisième admonition, tous ceux qui commettent des crimes
noirs et scandaleux. — Les pasteurs doivent se rassembler de
six mois en six mois, pour voir si tous ont eu soin de visiter
les malades, d'ordonner les collectes pour les secourir, en un
mot, s'ils ont rempli les devoirs de leur charge, sans reproche.
— Les anciens exhorteront les fidèles d'avoir soin de tous les
pasteurs que la divine Providence leur enverra tant pour leur
sûreté que pour leur entretient »
Après la tenue du Synode, Rog'er continua ses cour-
ses, allant de Die à Châtillon, de Cliâtillon à la vallée
de Bourdeaux. Il avait pour compagnon Rouvière.
« Par tous les endroits où ils passaient, ils engag'eaient,
autant qu'ils pouvaient, les chefs de famille et les
hommes les plus sensés à former des consistoires, et à
se soumettre à l'ordre conformément à la conclusion
du Synode. » Vers la fin d'octobre, Bombonnoux et
Corteiz prirent congé de leurs amis et descendirent en
Languedoc. C'est en ce moment qu'un nommé Martel,
qui arrivait de Suisse, et le jeune Pierre Durand vinrent
trouver Roger et s'éprirent d'une vive admiration pour
lui. Durand s'était cantonné dans le Vivarais; mais il
franchit dès lors plusieurs fois le Rhône pour demander
à l'expérience de son austère ami des conseils et des
encouragements ^ .
Antoine Court cependant avait visité les églises
qu'il avait fondées sur les bords du Gardon. L'hiver
approchait. A Nîmes, il s'était déjà senti souffrant.
Une fièvre violente dont les accès duraient jusqu'à
' V. Coquerel, t. I, p. 33 et 34.
2 V. Pierre Durand, etc., et n" 17. vol. B.
COURSES DANS LE BAS LANGUEDOC 41
trente heures sans intervalle, se déclara tout à coup,
et le retint immobile pendant cinq semaines. Dès qu'il
se crut guéri, il reprit ses fonctions. Il était encore
malade; parfois il était saisi d'accès terribles, sur la
route, en rase campagne. Sa volonté était impuissante
à dompter le mal. Il continuait cependant à marcher,
s'arrètant ici et là, par les chemins écartés. Il n'avait
point de cheval. Quand il ne pouvait plus avancer, et
qu'il succombait sous la fatigue et la maladie, il priait
deux hommes d'entre-croiser leurs mains, et il s'asseyait
sur ce fauteuil improvisé. Un gite lui était souvent
offert dans une demeure amie. Mais que de fois, à
peine s'était-il livré au sommeil, l'alarme était donnée !
Il fallait partir aussitôt. Un soir qu'après un violent
accès de fièvre, il commençait à goûter un sommeil
réparateur, son hôte aperçut un traître reconnu pour
tel, qui rôdait autour de la maison. Il se précipite dans
la chambre de Court, et le supplie de s'en aller. Nuit
terrible ! Il était déjà tard; au dehors tombait une pluie
fine et pénétrante. Il dut partir, et tout frissonnant
errer à travers la campagne à la recherche d'un abri.
Après de longues souffrances, une maison hospitalière
s'ouvrit enfin, non sans peine, et il put y terminer
un sommeil si violemment interrompu et si nécessaire
à sa santé K
De village en village. Court arriva à Anduze où il
fit un petit séjour. ïl y réveilla le zèle, tint des assem-
blées dans les caves et multiplia « le nombre de ceux
qui donnaient gloire à Dieu par une profession moins
1 N" 46, cah. II et III.
42 SYNODE DE 1717
timide qu'auparavant, plus pure et plus publique de
leur foi. » Aux approches des fêtes de Noël, toujours
souffrant, il arriva à Saint- Jean-du-Gard.
L'année 1717 le retrouva à Saint-Hippolyte. Cette
ville avait accueilli avec joie ses exhortations, et chez
quelques amis il rencontrait une hospitahté toujours
empressée. Il y revenait avec bonheur. Mais en ce
moment, soit que la dernière assemblée, qu'il avait
tenue en ce pays avec tant d'éclat, eut redoublé les
colères de la cour, soit que son nom, autour duquel
se ralliaient de plus en plus les réformés, fut devenu
pour, l'intendant une sorte d'épouvantail, il ne put y
résider longtemps. Dès que le g'ouverneur, prévenu
par les espions, connut son arrivée, il fit informer
l'hôte, chez (Jui le jeune prédicant était descendu, qu'il
savait tout et qu'il ferait veiller sur la maison. Court
fut obligé de quitter cette demeure; il frappa à d'au-
tres portes, mais aucune ne s'ouvrit. La peur des
galères étouffait les meilleures intentions ^
Court quitta la ville, et peu de temps après le can-
ton. Il se dirigea vers Nîmes, parcourut les villages
voisins, et convoqua quelques assemblées. Vers la fin
du mois de février 1717, il repartit pour les Cévennes
où devait se réunir, le 2 mars, un nouveau Synode.
Quelles conférences sérieuses et pleines de grandeur
durent alors tenir sur les hommes et sur les choses
les quelques prédicants qui avaient assisté à la réu-
nion de 1715! Où en était l'œuvre? Quels obstacles
avait-on rencontrés et quels appuis ? Quelles mesures
1 N" 46, cah. III.
SYNODE DE 1717 43
fallait-il prendre? Pouvait-on espérer? S'était-on engagé
dans une entreprise sans issue ? Mille préoccupations
absorbantes, et qui ne laissaient pas même une place
aux récits des aventures personnelles. L'accomplisse-
ment de l'œuvre commune occupait toutes les pensées.
Il paraît toutefois que les renseignements donnés fu-
rent bons, et que nul ne se plaignit d'avoir en vain
lutté contre une tiédeur invincible, car le Synode, loin
de prendre des mesures pour exciter le zèle des nou-
veaux convertis, en prit plutôt pour le modérer ^
Au commencement de l'année en effet, au mois de
janvier, Vesson avait tenu une assemblée du côté d'An-
duze. Elle avait été surprise, et les troupes avaient fait
soixante- douze prisonniers. Cette affaire avait eu un
douloureux retentissement. Le Synode, sous le coup de
cet événement, décida « qu'on n'accorderait aucun se-
cours dans leurs souffrances à ceux qui se jetteraient
aveuglément dans le danger soit en allant, soit en re-
venant des assemblées religieuses ^ » Bien plus, et
peut-être ceci à l'adresse de Vesson : « S'il arrive,
ajouta-t-il, que quelque pasteur, par un zèle précipité
et une chaleur inconsidérée, vienne à jeter téméraire-
ment ses frères dans le danger , il sera démis de sa
charge, jusqu'à ce qu'il donne des preuves de senti-
ments plus sages, se conduisant selon la prudence chré-
tienne ^ . — Les pasteurs ne convoqueront les assem-
^ Rec^reil manuscrit des Synodes du dix-httitième siècle. Com-
muniqué par M. le pasteur J.-P. Hugues. — Y. aussi Coquerel, t. I
p. 35.
2/6id., art. III.
3 Ihid , art. lY,
44 SUPPLICE D'ARNAUD
blées que de huit jours eu huit jours, si ce u'est dans le
cas d'une dévotion extraordinaire, comme en un temps de
jeûne ou de Cène.» — Il semble donc qu'on craignait
plus les fâcheux effets d'une piété surexcitée que. son
affaissement.
Le Synode cependant nomma des prédicants pour
administrer la Sainte-Cène. Ayant « réveillé, » il vou-
lut sanctifier les âmes. Depuis de longues années cette
cérémonie n'avait pu s'accomplir ; les dangers inces-
sants, la crainte des surprises, l'instabilité d'une passa-
gère sécurité avaient toujours empêché de la célébrer.
Beaucoup de religionnaires désiraient participer à cette
auguste commémoration. Il choisit donc Durand, Crotte
et Court pour administrer la Cène « dans toutes les
églises où la prudence le permettrait ^ » Cette dernière
décision prise, il se sépara. — Pour quelques-uns cette
séparation devait être éternelle.
Au mois de décembre, Arnaud ayant convoqué près
d'Alais une assemblée fut pris au retour par les soldats.
On le conduisit à Montpellier, on le jug^ea, condamna, et
le 22 janvier 1718, ce malheureux jeune homme, au
milieu d'une grande affluence de monde, fut pendu à
Alais. La cour continuait son système de répression.
Mais à la silencieuse résignation des protestants et à
l'héroïque sérénité du martyr, elle dut s'apercevoir
qu'elle devenait, chaque jour, de plus en plus impuis-
sante à arrêter le mouvement qui poussait les reli-
gionnaires à la revendication de leurs libertés con-
fisquées^.
1 V. Coquerel, t. I, p. 35.
^ N" 46. — Voici un fragment d'une complainte sur la mort d'Ar-
BÉTRINE ET PIERREDON 45
Cette mort attrista profondément les protestants,
mais ne les déconrag*ea point. Quant aux compag-nons
d'Arnaud, loin de se laisser effrayer, ils redoublèrent
d'activité. Court qui avait prévu de tels événements,
et qui, fidèle à son prog*ramme, ne cessait de chercher
à augmenter le nombre des prédicants, avait précisé-
ment sous la main un jeune homme insensible à la
peur. Son nom était Bétrine. Il l'avait rencontré dans
une de ses courses, et le voyant plein d'ardeur, il l'a-
vait décidé à partag^er ses périls. Il le présenta au Sy-
node du 17 février 1718,1e fit examiner etrecevoir pro-
posant : Etienne Arnaud était remplacé. Cette même
année. Court fit encore nommer un jeune homme « pour
proposer la parole de Dieu. » On l'appelait : Pierredon '.
naud. Nous devons h l'obligeance de M, le pasteur Auzière la commu-
nication de cette pièce.
« Il y a plus de trente années
Qu'il nous faut cachei- dans les bois,
Pour voir la parole exposée ;
Encore nous faut tenir cois.
Lorsque nos ennemis nous trouvent
Dans les sacrés lieux assemblés,
Comme des enragés ils crient :
« Il faut qu'ils soient tous massacrés ! "
. . . Cependant, ô mes très-chers frères,
Qui l'Evangile annoncez
A tous ces généreux fidèles,
Dans ces temps de calamités,
Ne perdez au combat courage :
Dieu de Jacob vous soutiendrai
Nos épreuves et nos outrages
De son ciel il couronnera! n etc.
• Synode du 21 novembre 1718 :
, . « A été en personne Jacques Pierredon, du nias de Blanas,
paroisse de Saint- Jean-du-Pin, lequel s'est présenté à l'assemblée
46 DEPOSITION DE VESSON
Mais déjà quelques-uns, soit dépit, soit désir immo-
déré d'indépendance , abandonnaient l'œuvre entre-
prise et reprenaient leur ancien g'enre de vie. Le
Synode de 1718 avait été oblig-é, après une troisième
admonition, de « déposer » Vesson comme scliismatique
et coupable de plusieurs fautes g-raves. Jean Hue de son
côté n'était pas sans inspirer de sérieuses inquiétudes.
Heureusement Corteiz venait d'arriver. La présence
de cet homme énergique releva le courag'e d'Antoine
Court un peu ébranlé par ces divisions naissantes, et
qui se sentait comme isolé au milieu de ses com-
pagnons.
Les Cévennes et le bas Languedoc avaient été déjà
parcourus ; deux fois même on avait visité les églises
du diocèse de Montpellier. Court fit un pas en avant
et s'avança vers le haut Languedoc. Il n'était plus
seul; Corteiz l'accompagnait. Les deux prédicants al-
lèrent à Cournonteral, Cournonsec, Villemane, Mon-
tagnac; ils arrivèrent ainsi jusqu'à Bédarieux, dans le
diocèse de Béziers. Depuis longtemps, ces pays n'a-
pour recevoir d'icelle l'approbation de proposer la Parole de Dieu.
Laquelle, après avoir béni Dieu de son bon zèle et souhaité qu'il le
comble de grâces, l'a reçu et lui donne permission de proposer dans
toutes les églises où la Providence l'apellera, jusqu'à ce qu'il soit
plus amplement examiné et installé dans la charge du saint minis-
tère pour faire toutes les fonctions de cette sainte charge. Ainsi, la
compagnie prie et exhorte toutes les églises où il sera appelé de le
recevoir pour proposer la Parole de Dieu, et de lui accorder ce dont
il aura besoin. Et c'est sur la condition qu'il acceptera les articles de
tous nos règlements, et qu'il sera toujours du sentiment unanime de
ses frères. »
Signé : Corteiz, pasteur; — Court, pasteur et secrétaire;
ROUVIÈRE, J. BÉTRINE, J. BoMBuNNOUS.
(Fièce communiquée par M. Auzière).
COURSES DANS LE HAUT LANGUEDOC 47
valent point entendu de pasteurs, ni vu passer ces
hommes que le délire propliéticjue poussait à travers
le Vivarais et les Cévennes ; ils étaient restés en dehors
des événements. Quand tout fut accompli, quand les
meilleurs d'entre eux eurent été envoyés aux g'alères
ou se furent expatriés, et qu'il parut ne plus rester la
moindre place à l'espérance, ces nouveaux convertis
avaient désespéré de l'avenir. Ils avaient fréquenté les
Eg'lises et envoyé leurs enfants aux écoles; à peine
quelques-uns d'entre eux, les vieillards, avaient-ils con-
servé dans leur cœur l'amour de la relig'ion proscrite.
Cette indifférence ne laissa pas que d'effrayer les deux
prédicants. Plus d'une fois les portes auxquelles ils
allèrent frapper se fermèrent devant eux, mais ils ne se
laissèrent pas rebuter, et quand les maisons leur furent
interdites, ils se réfugièrent à la campagne ou dans
les cabarets. Un fâcheux incident put seul déterminer
leur retour. On leur contestait souvent l'authenticité de
leur mission ; on leur demandait qui les avait établis
prédicants. Un jour qu'ils abordaient le thème de leurs
exhortations, on les pria de montrer leurs lettres de
créance. Corteiz étonné montra de vieux papiers que
lui avaient donnés des ministres réfugiés, mais Court
l'arrêtant montra la Bible, et se prévalut de la mission
qu'il tenait du Synode. Quel Synode ? On n'en avait
jamais entendu parler. Ils furent injuriés et chassés.
Ils quittèrent ces pays et s'acheminèrent tristement
vers les Cévennes où devait se tenir, le 3 mai, une
nouvelle réunion synodale. En route, comme ils discu-
taient la valeur des moyens qu'ils pourraient employer
pour obtenir des lettres de créance, un parti que Ro-
48 CORTEIZ PART POUR LA SUISSE
ger leur avait d'ailleurs recommandé s'offrit à leur
esprit. Il fallait que l'un d'eux quittât la France et s'al-
lât fcxire consacrer pasteur dans une Eglise étrangère.
C'était périlleux, mais nécessaire. Le Synode interrogé
approuva ce dessein, et Corteiz partit pour Genève
cliargé de lettres de recommandation pour Pictet et
Lég*er, pasteurs et professeurs dans cette ville. On dé-
cida en outre qu'Antoine Court , au retour de son col-
lèg'ue, prendrait le même chemin dans le même but.
Corteiz se dirigea donc vers la Suisse, et le jeune prédi-
cant reprit ses courses dans le Languedoc.
Œuvre ardue que de « réveiller » les âmes ! Pour
obtenir ce résultat on exhortait, on prêchait au Désert.
Ce n'était pas suffisant. Le prêche faisait naître l'es-
poir, mais encore cet espoir fallait-il l'aft'ermir, l'aug-
menter. Les prédicants, dans les premiers temps sur-
tout où il n'y avait aucune organisation, ne pouvaient
que rarement convoquer les assemblées, et si pathé-
tiques que fussent leurs exhortations, l'impression
qu'elles produisaient était bientôt effacée. Quels chan-
gements durables pouvaient opérer des sermons pro-
noncés à de si longs intervalles? Les nouveaux con-
vertis, sous le coup de mille vexations, les oubliaient
facilement, et retombaient dans leur premier abatte-
ment. C'était une lueur dans leur ciel sombre. D'ailleurs,
tous ne pouvaient et n'osaient se rendre aux assem-
blées. La classe bourg-eoise se montrait peu dispo-
sée à braver pour le prêche des périls trop certains.
Elle restait chez elle, se tenait à l'écart. Seul le pau-
vre peuple courait aux assemblées. N'ayant rien à per-
LE CULTE DE FAMILLE 49
dre sinon la liberté et la vie, il exposait volontiers ces
deux biens pour avoir la joie d'écouter ses ministres
proscrits * .
Voilà pourquoi à côté du culte public qu'ils tinrent
toujours en grand honneur les prédicants recomman-
daient sans cesse aux religionnaires le cuite caché et
de famille. Lisez vos saints livres, disaient - ils ; la
prière est agréable à Dieu.
« Grand Dieu '^, que les cieux des deux ne peuvent com-
prendre, mais qui as promis de te trouver où deux ou trois sont
assemblés en ton nom, tu nous vois assemblés dans cette mai-
son pour t'y rendre nos hommages religieux, pour y adorer ta
grandeur et pour y implorer tes compassions. Nous gémissons
en secret d'être privés de nos exercices publics, et de n'enten-
dre point dans nos temples la voix de tes serviteurs. Mais bien
loin de murmurer contre ta t*rovidence, nous reconnaissons
que tu pouvais avec justice nous accabler par tes jugements
les plus sévères ; ainsi nous admirons ta bonté au milieu de
tes châtiments. Nous sommes sans temples; mais remplis cette
maison de ta glorieuse présence! Nous sommes sans pasteurs;
mais sois toi-même notre pasteur! Instruis-nous des vérités
de ton Evangile. Nous allons lire et méditer ta parole : im-
prime-la dans nos cœurs ! Fais que nous y apprenions à te bien
connaître, et ce que tu es et ce que nous sommes ; ce que tu
as fait pour notre salut et ce que nous devons faire pour ton
service ; les vertus qui te sont agréables et les vices que tu dé-
fends ; les peines dont tu menaces les impénitents, les tièdes,
les lâches et les profanes, et la récompense glorieuse que tu
promets à ceux qui te seront fidèles. Fais que nous sortions de
ce petit exercice plus saints, plus zélés pour ta gloire et pour ta
* Antoine Court devait lui rendre plus tard un éclatant hommage.
2 Les Armes de Sion ou Prières sur V état présent de V affliction
de r Eglise. Rotterdam, (1718.)
1 4
50 MANQUE ABSOLU DE LIVRES
vérité, plus détachés du monde, ot plus relii^ioux observateurs
de tes commandements. Exauce-nous par ton fils! »
Les protestants malheureusement n'avaient plus de
livres. Bibles et psaumes avaient été brûlés. On en
gardait pieusement sans doute quelques pages déta-
chées, on récitait de mémoire les psaumes les plus
connus et des passages entiers de la Bible, mais ces
compag'nons amis et inséparables qu'on rencontrait
jadis les premiers dans la maison, et qui étaient les
témoins mystérieux de toutes les peines et de toutes
les joies, — ce livre surtout qui avait fait dire au
poëte :
Tout protestant est pape mie bible à la main.
cè livre manquait, et lui manquant, au milieu de cette
désolation des choses, l'espérance insensiblement s'é-
vanouissait. A cela s'attachait surtout un grave péril.
Les religionnaires étaient des gens du peuple, gros-
siers, ignorants, sans instruction. Privés de ce livre
qu'ils croyaient divinement inspiré et auquel ils en
appelaient comme au seul Maître, ils pouvaient en
s'abandonnant aux rêveries de leur imagination tom-
ber dans un mysticisme dangereux. Ne conversant
plus avec la Bible, il était à redouter qu'ils voulussent
converser directement avec Dieu. Crainte nullement
chimérique ! Déjà on pouvait entendre exposer de
bizarres théories sur l'Inspiration. Les inspirés étaient
recherchés, honorés; ils avaient leurs partisans. De
toutes façons il fallait donc remettre les protestants en
face de la Bible. « La nécessité des livres est grande, »
écrivait un jour Antoine Court; cette affirmation sous
LES RÉFUGIÉS EN ENVOIENT 51
mille formes se reproduit dans ses lettres et dans celles
de Corteiz. Mais comment se les procurer? Le pays
était trop pauvre pour les acheter de ses deniers, et
la surveillance des ennemis trop active pour les laisser
pénétrer librement.
Les réfugiés avaient souvent réussi à faire par-
venir à leurs frères quelques ouvrages. On s'a-
dressa encore à leur générosité et on les pria de multi-
plier leurs dons. La Suisse et la Hollande se firent
remarquer par leur empressement à répondre à cet
appel. c( M. Basnag'e, écrivait le pasteur Vial, m'a
mandé qu'il vous envoie des livres par la voie de
Genève et d'autres endroits, aussi bien qu'à nos frères
du Poitou. J'ai même su que les Etats de Hollande ont
fait un petit fonds pour ce sujet, cela m'a fait soup-
çonner qu'à l'avenir vous aurez peut-être moins besoin
de ceux que nous vous envoyions ci-devant. Cependant
nous ferons à cet égard-là tout ce que nous pourrons,
et quand vous n'en pourrez pas tirer d'ailleurs, vous
n'aurez qu'à m'écrire V » Ces livres étaient des Tes-
taments et des psautiers, — des Testaments surtout,
puis des ouvrages de morale, des traités sur la Cène^
les catéchismes de Drelincourt, d'Osterwald, de Super-
ville ou de Saurin, le Présewatif contre la corruption
ou Traité des sources de la coromption^ par Osterwald;
\ Indifférence des religions, par Pictet, ou bien encore
la Manne mystique du Désert^ la Morale de Pictet et
sa Théologie^ les Sermons de Claude, V Exposition des
quarante articles de la confession de foi '^. Quanta
N-' 1, t. ir, p. 158. (1719.)
N" 7, t. II, p. 168, et n" 17, vol. G, ii" VI.
52 PASSION DE LECTURE
faire pénétrer ces ouvrag-es en France, de hardis col-
porteurs s'en cliarg-eaient. Les difficultés et les périls
étaient grands, mais ils en triomphaient. Avec leurs
ballots, un beau jour, ils passaient la frontière, arri-
vaient, déposaient leur précieux fardeau en lieu sûr et
repartaient. Lorsque les prédicants possédaient quel-
ques livres, après le prêche ou dans leurs courses, ils
les distribuaient aux fidèles. C'était la « manne divine. »
Tous, pour en avoir, se précipitaient, se ruaient; ils
mettaient de la fureur à obtenir une bible, des psautiers,
des catéchismes. « Il me serait difficile, écrivait Cor-
teiz, de vous dire où se distribuèrent (ceux) que votre
bonté me donna. J'en ai laissé un peu partout, et si
j'eusse voulu croire le monde, je les aurais tous laissés
à la première paroisse * . » Un sermon d'Antoine Court
qui avait été imprimé à Genève, fut distribué le jour
de sa consécration ; on se l'arracha. Les livres malgré
tous les efforts étaient cependant si rares qu'en aurait-
on eu c( mille quintaux » on les aurait distribués en
moins d'un mois. Dans cette pénurie, on résolut de
faire apprendre par cœur le plus court et le plus im-
portant de tous ces ouvrages, celui qui résumait les
choses de la foi, et paraissait l'asseoir sur des bases
solides. Le Synode pria les pasteurs d'interroger les
fidèles sur le catéchisme, tant dans les assemblées que
dans les maisons particulières. Le catéchisme choisi
fut celui de Drelincourt ^.
Un autre moyen pour affermir les religionnaires
dans leur foi et exciter leur zèle fut de les rappeler
» N" 17, vol. G, p. 1. (1716.)
« Ihid., p. 383. (1721.)
JEÛNES GÉNÉRAUX 53
tous, par une même mesure, au sentiment de leurs
communs péchés. Si la persécution se décliaînait,
croyaient-ils, si leurs ennemis les attaquaient sans
trêve ni repos, c'est qu'ils avaient offensé Dieu. 11
fallait donc apaiser la divinité, pour échapper aux mains
des persécuteurs. Ce fut l'orig-ine des jeûnes g-éné-
raux. Dans les premiers jours de l'année, et toutes les
fois qu'il y avait à déplorer un grand malheur, les
religionnaires de la province entière se mettaient en
prières et jeûnaient. C'étaient des jours solennels de
deuil et de recueillement. Les Synodes fixaient la
date de ces grandes et pieuses fêtes. Les prédicants
couraient alors le pays et convoquaient le plus grand
nombre d'assemblées qu'il leur était possible. Des
discours d'exhortations étaient écrits et distribués dans
les églises que les ministres n'avaient pu visiter.
« 0 étrange et impie aveuglement! écrivait Antoine Court.
On ne voit pas de changements, point de réformation. Endurci
qu'on est dans le crime, vendu au péché, on persévère, on per-
siste à olfenser l'Etre suprême. Indolent et insensible à ses
coups les plus terribles, on ne pense pas à les détourner de
dessus ses têtes criminelles, mais plutôt à satisfaire les pas-
sions infâmes qui les attirent et qui les irritent! Quelles larmes,
quelles lamentations, quels gémissements ne mérite pas une
conduite de cette nature ! Mais quels nouveaux sujets de lar-
mes n'est-ce pas pour nous, M. F., d^ voir nos EgUses, nos
sanctuaires dans la poudre, nos assemblées dissipées, nos mi-
nistres bannis, nos chandehers éteints, nos saintes Tables ren-
versées, nos exercices de dévotion condamnés à un éternel si-
lence, nos généreux athlètes enfermés dans d'étroites prisons
ou enchaînés sur des galères, et enfin nos lumignons fumants,
nos tisons sauvés de la grande incendie menacés du fleuve que
le dragon roux fait sortir de la gueule pour submerger l'épouse
54 LETTRES D'EXHORTATIONS
qui fait sa demeure dans le Désert!... Prosternons-nous... en
présence du Dieu fort, avec les larmes aux yeux, la douleur
dans le cœur et Ips prières dans la bouche ; disons tous d'une
voix : «0 Dieu! sois apaisé envers nous qui sommes pécheurs!
Nous le confessons, nous l'avouons, Seigneur, nous avons péché
contre toi, nous avons commis l'iniquité, nous avons été re-
belles, nous avons fait méchamment, nous nous sommes dé-
tournés de ta loi... » Si nous nous humilions, mes CF., de cette
manière, en la présence de Dieu, si nous sommes véritable-
ment repentants de nos fautes, si nous sommes bien résolus de
garder désormais les ordres de sa justice, si nous exécutons de
bonne foi les résolutions que nous aurons prises, si nous fe-
sons du moins tous nos efforts pour conformer notre vie aux
préceptes de l'auteur de notre morale, je ne doute point que
Dieu ne se repente, pour me servir de l'expression d'un pro-
phète, du mal qu'il a projeté de nous faire, qu'il ne détourne
les jugements dont il nous menace et qui semblent prêts à fon-
dre sur nous, qu'il ne change nos jours d'amertume en des
jours de joie et d'allégresse, qu'il nous réjouisse au prix des
jours qu'il nous a affligés, et que quand il voudrait bien nous
laisser encore, pour des raisons de sagesse, dans l'état où nous
sommes et nous rappeler même à la mort par le fléau de la
peste, qu'il ne nous donne toute la force nécessaire pour sor-
tir heureusement avec gloire et avec salut de ces terribles
épreuves ^ »
C'est ainsi, par le prêclie, par le culte de famille, par
le livre, par les jeûnes, qu'Antoine Court et ses collè-
gues arrachaient les nouveaux convertis à leur tiédeur
ou à leur abattement. En certains lieux, quelques pro-
testants leur ouvraient les voies et les aidaient dans
leur tâche. Il y avait de ces hommes ici et là, dans
les Cévennes surtout. Mais ils étaient rares ceux qui,
comme Duplan, inaccessibles à la peur et à la fai-
1 N" 7, 1. 1, p. 34.
DUPLAN 55
blesse, abandonnaient le soin de leurs affaires privées
pour se consacrer tout entiers à leurs coreligionnaires,
— Ce gentilhomme d'Alais, instruit, pieux, un peu
mystique , dévoué au protestantisme , avant même
qu'Antoine Court eût commencé son œuvre, avait
organisé dans sa ville natale une petite Egalise. Il
allait voir ses frères, les consolait et les soutenait;
il priait avec eux, secourait leurs malades, les exhor-
tait, prêchait devant eux. Aussi son nom était-il en-
touré de respect, et son influence considérable. Duplan
entra vers 1715 en relations avec Court. Le jeune pré-
dicant s'inclina sans peine devant l'autorité de cet
homme qui avait pour lui le talent, la fortune et la
piété. Il écouta ses recommandations, se confia en son
expérience, et, comme leurs projets étaient les mêmes,
il ne prit aucune détermination qu'il ne l'eût consulté.
Duplan de son côté l'encouragea, loua son ardeur, et
s'employa tout entier à aplanir devant lui les diffi-
cultés. Et à vrai dire, dans cette grande œuvre de res-
tauration religieuse entreprise par Antoine Court avec
tant de vaillance et conduite avec tant de fermeté, il ne
fallait rien moins que les chaleureuses exhortations
de tels hommes, leur appui et leurs conseils, pour ré-
conforter sa volonté qui parfois défaillait devant des
difficultés pour tout autre insurmontables.
Corteiz cependant était arrivé à Genève. Il avait
remis ses lettres de recommandation, mais les per-
sonnes à qui elles étaient adressées n'avaient pu se
rendre à ses désirs. Elles avaient craint que l'éclat d'une
consécration publique n'excitât contre la petite repu-
56 CONSECRATION DE CORTEIZ
blique les colères du gouvernement français ^ . Une con-
férence secrète avait été tenue, et on y avait résolu d'en-
voyer Corteiz à Zurich. Les pasteurs de cette ville étaient
en effet dévoués à la cause des égalises françaises.
Il partit. Les lettres qu'on lui avait remises pour les
Messieurs de Zurich étaient pressantes ; elles ne purent
toutefois que difficilement vaincre leurs irrésolutions.
Pourquoi l'envoyait-on de si loin ? Si on le recevait pas-
teur, il leur arriverait de tous côtés des jeunes gens
pour être reçus ; ils ne voulaient recevoir que ceux qui
avaient fait leur « apprentissag-e » dans leur ville ;
les magistrats verraient leur complaisance de mauvais
œil ; ils avaient de méchants voisins ; mille autres argu-
ments ^. Corteiz finit par triompher de leurs scrupules,
et fut enfin examiné. Il dut répondre pendant trois jours
aux demandes qu'on lui fit sur les textes les plus im-
portants de l'Ecriture, et prêcha avec un grand succès.
Ces épreuves terminées, il reçut sa lettre d'ordination.
Le but de son voyage était atteint.
Dans cette ville, il avait fait imprimer un sermon
d'Antoine Court et sur la première page du livre, en
manière de préface, il avait mis une dédicace à la mère
de son jeune collègue. Dès qu'il fut de retour à Genève,
il le fit mettre en vente, et déjà quelques colporteurs
le vendaient dans les rues, lorsque les magistrats,
* C'avait été cette même crainte qui, en 1712, avait empêché Berne de
consacrer Roger. «... On trouvait deux diflicultés pour Je recevoir
ministre pour revenir en France : l'une qu'ayant établi un ordre qui
porcait qu'on ne pouvait pas recevoir un ministre qui ne possédât pas
les termes originaux (les langues); l'autre, qu'étant alliés ou voisins
d'une puissance aussi redoutable que la France, ils craignaient de
s'attirer des affaires en ordonnant des ministres pour y aller j)rêcher »
2 N» 1, t II, p 25. (1718.)
RETOUR EN FRANCE 57
rayant appris, en prohibèrent tout à coup la vente. Ce
fut pour lui comme une révélation ; il comprit alors
combien était illusoire l'indépendance de Genève en
face de la France. Il resta néanmoins quelque temps
encore dans cette ville, et au mois de novembre 1718,
après une absence de cinq mois, il rentra dans les Cé-
vennes.
Le jour de son arrivée fut un jour de grande joie.
Un rendez- vous g'énéral fut aussitôt donné, et toutes
les églises officiellement établies y envoyèrent des
députés pour le féliciter de l'heureux succès de son
voyage \ Court demanda alors un congé. Il voulait, à
son tour, comme il avait été convenu, aller en paj-s
étranger demander la consécration. Mais le Synode
fît des objections. La saison était avancée; — il y avait
mille périls ; — s'il lui arrivait un accident, quel dé-
sastre pour l'Eglise! D'ailleurs, Corteiz ne pouvait-il
présider cette cérémonie?
Cette dernière raison parut déterminante. Il fut
résolu qu'on ferait consacrer Court par son collègue.
Un vieillard, homme distingué par sa piété et ses
lumières, Colom, fut adjohit à Corteiz pour interroger
le jeune prédicant. L'examen roula sur divers articles
de théologie et sur quelques-unes des matières con-
troversées entre protestants et catholiques. Court s'en
tira avec honneur et fut admis. Le 21 novembre 1718,
eut lieu la consécration ^
Ce fut une imposante cérémonie. La nuit était tombée ;
dans la plaine, les protestants accourus des églises
1 X° 7, t. I, p. 235.
2 N- 46, cah. IV
58 CONSECRATION DE COURT
environnantes étaient assis, en prières. Court se leva et
fit lui-même un discours sur les devoirs du ministère.
« Il V traita de la nécessité et des avantao^es de la
prédication ; il releva la gloire de la Providence qui,
touchée enfin des malheurs de l'Eglise en France, lui
suscitait des ministres dans les temps même que ses
ennemis étaient le plus acharnés à sa ruine ; il demanda
enfin le secours des prières de toute l'assemblée pour
obtenir la grâce de remplir avec un nouveau zèle le
grade dont il allait être revêtu, et toutes les vertus
nécessaires pour le pouvoir faire avec succès. » Paroles
touchantes qui faisaient fondre en larmes l'auditoire.
Quand il eut achevé son exhortation, il se mit à genoux;
Corteiz s'approcha, puis élevant sur sa tête une bible,
au nom de Jésus-Christ et par l'autorité du Synode,
il lui donna le pouvoir d'exercer toutes les fonctions
du ministère \ Des cris de joie éclatèrent alors de tous
côtés. Ainsi, après tant d'années d'oppression et de
souffrances, une religion proscrite se relevait de ses
* «. L'acte qui lui fut délivré par ordre du Synode, portait qu'on
l'avait entendu proposer l'espace de trois ans et demi, avec beaucoup
d'édification (on voulait dire des Cévennes, où le Synode se tenait) ;
qu'on n'avait rien trouvé dans sa conduite et dans ses mœurs qui fût
indigne d'un ministre de l'Evangiîe; que le Synode, composé d'en-
viron soixante pasteurs, proposants ou anciens, avait souhaité una-
nimement qu'il fut examiné sur la théologie, et qu'il proposât, dans
une assemblée publique, pour être ministre; que dans cet examen on
avait trouvé qu'il avait une doctrine très-conforme h l'analogie de la
foi et aux règles que la sagesse de Dieu avait établies dans son Eglise,
et que son zèle et son affection pour la religion étaient tout à fait
singulières. Ainsi continuait-on dans l'acte : Nous lui avons donné
et conféré l'ordination au saint ministère selon la manière de l'im-
position des mains ordonnée dans la Parole de Dieu, et pratiquée
dans nos Eglises réformées, pour prêcher la pure parole de Dieu,
administrer les saints sacrements de baptême et de la sainte Cène, et
CONSECRATION DE COURT 59
ruines, et librement, dans la solitude du Désert, con-
sacrait à son service de ses mains défaillantes les
hommes qui devaient lui rendre sa prospérité pre-
mière ! Au milieu de ces transports, Colom s'adressant
à l'assemblée, s'écria : « M. F., nous couronnerons une
solennité qui met le comble à nos vœux, qui remplit
nos âmes d'une joie si vive et si juste, nous la couron-
nerons par le chant des paroles du psalmiste, tiré du
psaume CIL »
En registre sera mise
Une si grande entreprise,
Pour en faire souvenir
A ceux qui sont à venir,
Et la gent à Dieu sacrée,
Gomme de nouveau créée,
Lui chantera la louange
De ce bienfait tout étrange.
Peu à peu les derniers chants lentement s'éteigni-
exercer la discipline ecclésiastique et tout ce qui en dépend. Cette
imposition des mains, ajoutait-on, est fondée : 1° Sur sa vie édifiante;
2° Sur la sûreté de sa doctrine; 3" Sur la manière de bien exposer la
Parole de Dieu; et enfin sur la demande générale qui en a été faite.
Ces rares qualités, disait Corteiz, se trouvant en lui, par un commun
consentement des préopinants, des anciens et du troupeau, je lui ai
imposé les mains et donné la main d'association. On finissait par
des vœux qu'il plût à Dieu de le sanctifier par son Saint-Esprit, de le
préserver de la main cruelle des ennemis ; de lui être toujours un
soleil et un bouclier; de faire réussir son ministère à la gloire dô son
grand nom, à l'avancement du règne de son Fils, et au salut des âmes.
La souscription faite : Donné en Cévennes, le 21 novembre 1718.
L'a -te n'était signé que par Pierre Corteiz, ministre; Jacques Bom-
bonnoux, Jean Rouvière, Botrine et Pierredon, proposants. L'usage
n'était point de faire signer les députés des Eglises, crainte que si
les pièces signées venaient à se perdre ou à tomber entre les mains
des ennemis, on ne fît à ces députés des affaires fâcheuses » N" 46,
cah. IV.
60 COURSES ET SUCCES
rent, les fidèles se dispersèrent, et la campagne re-
tomba dans le silence de la nuit. Un nouveau pasteur
venait de se vouer au service des Egalises sous la
croix * !
Court presque aussitôt, — c'était vers la fin de
l'année 1718, — se mit à parcourir les Cévennes et les
ég-lises du Bas- Languedoc . Les premiers mois de
l'année suivante furent consacrés à visiter la Lussa-
nenque et les autres églises que Corteiz avait momen-
tanément confiées à ses soins. Il trouva partout le
nombre de fidèles accru, partout il vit les religion-
naires aguerris, pleins de zèle et de dévouement à la
cause commune ^
Le liaut Languedoc de son côté cédait aux efforts
des prédicants. Après avoir presque chassé Court et
son collègue, il appelait Corteiz et réclamait sa pré-
sence. Celui-ci accompagné de Rouvière allait « de
foires en foires, » de Montpellier à Montagnac, de Mon-
tagnac à Villeneuve; il poussait même jusqu'à Béda-
rieux, et parlait d'aller jusqu'à Saint- Affrique.
«■ Nos affaires, éorivait-il. sont au contentement de ton! le
monde. »
Et, ailleurs :
« Toute la montagne donne présentement gloire à Dieu.
Quelques livres parsemés ont réveillé un grand nombre d'âmes
qui dormaient, tellement que les noises, les discordes, les pro-
cès, les querelles commencent à perdre leurs forces; mais sur-
tout la jeunesse travaille avec empressement à croître leurs lu-
mières et leurs connaissances, tellement que le curé des Plan-
1 NM6, cah. V et VI.
2N" 17, vol, G, p. 1.
LA PESTE DE 1720 61
tiers, proche Villeraugues... un jour de dimanche, se prit à
pleurer, disant que tout d'un coup son égUse était devenue dé-
serte, mais que le seigneur évêque en serait informé. Quelques
lâches en furent intimidés; mais la jeunesse bénissait le ciel
qui les avait éclairés ^ »
Les livres avaient fait cela, mais aussi la contagion
du succès et les exhortations. La double consécration
de Court et de Corteiz avait eu un grand retentisse-
ment. c( Cette imposition des mains que mon collègue
et moi avions reçue, dit Court, aida beaucoup à ré-
veiller le zèle des protestants. Nos Eglises s'augmen-
taient et en nombre et en membres. Nos travaux se
multipliaient aussi ^ » Ils se multiplièrent tellement
et devinrent si absorbants, que les deux hardis prédi-
cants furent obligées de partager la province en deux
districts : celui des hautes et celui des basses Cévennes
et du bas Languedoc. Corteiz prit le premier pour
champ de son activité et Court le second.
Une calamité vint augmenter leurs travaux. En
1720, la peste éclata. Le terrible fléau pénétra avec
une incroyable rapidité en Provence et en Languedoc,
et fît dans ces contrées d'horribles ravages. En vain
prit- on les plus minutieuses mesures pour circonscrire
le mal. Les villes furent mises en état de siège, portes
fermées et commerce interdit, un cordon sanitaire fut
établi et les soldats reçurent l'ordre de fusiller quicon-
que essayerait de le franchir. Cependant en deux
jours, il y eut quinze cents morts à Marseille; Toulon
et Arles furent ravagées ; Alais et Montpellier comptè-
» N° 17, vol. G, p. 2S. fl719.)
2 N" 46, cah. V et \'l.
62 REDOUBLEMENT DE PIETÉ
rent de nombreuses victimes, et Lyon même ne fut pas
à l'abri du fléau ^ . Les religionnaires du Languedoc tirent
preuve dans ces terribles mois d'un redoublement de
piété. Cette peste n'était-elle pas un châtiment de Dieu?
N'avait-elle pas été envoyée par l'Eternel pour se venger
de l'oubli coupable où son peuple l'avait laissé? « Quand
je fais réflexion, s'écriait un protestant, que j'ai em-
ployé vingt-trois ans que j'ai passés sur la terre à
des choses vaines et inutiles, que mon état est pitoya-
ble ! — Oh ! assistez-moi de vos bonnes et pieuses
prières ^. » Les prédicants avaient conseillé de suspen-
dre momentanément la convocation des assemblées;
ils furent obligés de les reprendre. Tel était l'élan
de la piété , que tout le monde courait au Désert.
c( La crainte de la mort, dit Corteiz, que la peste don-
nait, servait beaucoup à l'augmentation du courage et
du zèle de nos peuples. »
Antoine Court avait monentanément quitté la
France ^ Corteiz resté presque seul depuis son départ,
ne pouvait plus suffire à la tâche''. « J'ai une pleine
poche de lettres, écrivait-il, qui toutes demandent
réponse; d'autre part je suis accablé tous les jours
par de nouvelles visites; j'ai beau demander qu'on ne
me fasse voir à personne, ceux chez qui je suis logé
ne peuvent résister aux sollicitations ^ » Il se multi-
î Ajoutez qu'à Lyon la misère devint telle que les rues se rempli-
rent de mendiants. N° ], t. II, p. 241. (1721.)
^N^J, t. II, p. 625. (1721.)
3 V. plus loin, chap. vu.
'* De fâcheuses divisions, dont on verra plus loin le détail (cliap. iir
j). 101, et chap. vi), avaient diminué le nombre des prédicants.
•' N" 17, vol. G. Journal de Corteiz. —V. aussi n" 1, t. II.
GAUBERT ET ROUX 63
pliait cependant. Il battait le pays, convoquait les
assemblées, org'anisait les consistoires et célébrait la
sainte Cène.
Heureusement il recruta en ce moment même deux
collègues. Au Synode de 1720, un jeune homme,
nommé Gaubert, fut reçu proposant ' , et l'année sui-
vante un autre jeune homme, nommé Roux ^
Les g-ouverneurs ne s'occupaient plus des protes-
tants, et les soldats restaient jour et nuit dans leurs
cantonnements : l'œuvre du « réveil » continua avec
plus de succès. Les ég'lises de la Lozère, Florac, le
Pont-de-Montvert , Saint-Julien-d' Arpaon , Cassag'nas,
« firent de grands progrès et se relevèrent par une
merveilleuse assistance de Dieu. » Les « tièdes » de
Saint -Germain reprirent courag^e. On fut oblig'é d'aug-
menter le nombre des anciens des églises de Lasalle,
Saumane et Alais. La ville même de Ganges, long-
temps indifférente, renaquit à la foi ^. Pierre Durand
vint en Languedoc pour prendre connaissance des
* N" 1, t. II, p. 342. — « Le 13 décembre de la dite année, dit aussi
Corteiz, M. Jean Gaubert, natif d'Arphy, paroisse d'Aulas en Cévennes,
fut reçu en plein Synode, proposant. Après un sérieux examen, il fut
admis pour prêcher FEvangile, comme les autres proposants, sans
toucher aux sacrements. »
2 « Le 22 mai 1721, ledit François Roux, natif de Cavagnac (Cavei-
rac) en Vaunage, se présenta pour être examiné en vie et mœurs et
doctrine, afin d'être admis dans le corps des proposants. »
^ « . . . Sur les bords de l'Hérault, écrit Corteiz, il y a une petite
« villette nommée Ganges, habitée depuis la Réformation par des pro-
«< testants» mais qui s'étaient si fort relâchés dans ces dernières an-
« néeSj qu'on n'avait encore pu réveiller leurs consciences. Mais par
« le secours céleste, l'année 1721, la prédication y a produit un eft'et
<< admirable. On y a vu le zèle s'augmenter, le vice se ralentir, les
« cabarets ne furent plus tant visités, ni les livres de piété tant né-
'< gligés.. » N" 17, vol. H , p. 513. Relation historique, etc.
64 COURSES DE CORTEIZ
règ'lements qui étaient en vigueur et les appliquer en
Vivarais.
En 1722, la communauté de Montaren et les égiises
de la montag'ne du Bouquet, près d'Uzès, se réveil-
lèrent à la voix de Corteiz. Ce dernier, infatig*able,
passa l'année à courir le pays. Il se rendit à Canaules,
à Sommières « dont quelques Messieurs blâmaient les
assemblées *, » à Manoblet, Lasalle, Saint- Jean-du-
Gard, à Peirolles, Saint-Roman, Sadorgues, Saint-
Martin-de-Saumane, à Saint-André-de-Gabriac, aux
Plantiers, à Cassagnas, aux Beaumes, à Saint-Ger-
main, Saint- Julien, Saint-Privat, au Collet de Dèze, à
Saint-Hilaire, Saint-Micliel, prêchant partout où on
l'en priait, dans les bourgs, dans les hameaux, établis-
sant des consistoires et administrant la Cène. Au mois
de septembre, il revint à Nîmes, et c'est à Boucoiran,
petit village sur la route , qu'il rencontra Antoine
Court, de retour de Genève. Il s'arrêta peu de temps
avec lui et continua sa course. Il visita Saint-Quentin,
Saint-Laurent, Fontamèche, Lussan, Vendras...
«... Quelques résidus des fidèles de la ville de Bagnols,
proche Uzès, ayant appris que les fidèles du Pin s'étaient assem-
blés pour donner gloire à Dieu, m'envoyèrent un exprès pour
me dire que leur ville était autrefois une Eglise considérable,
mais qu'à faute de la prédication de l'Evangile ces pierres mys-
tiques s'étaient disjointes, et qu'elles servaient à former une
Eglise idolâtre. On ne voit, me dirent-ils encore que mariages
bigarés, que bénitiers dans les manoirs, qu'empressement à se
rendre dans la dévotion romaine. Quel remède à un si grand
1 N'est-ce pas à cette date qu'il faut placer la lettre adressée par
les habitants de Sommières? V, Pièces et documents, n" IV,
COURSES DE CORTEIZ 65
malheur? Je leur répondis que je ne voyais pas de remède plus
efficace et plus souverain que de leur porter le flambeau de
l'Evangile., la lumière de la Parole de Dieu... »
Malheureusement il ne put aller à Bagnols, et il
ajoute : « J'ai appris avec douleur qu'ils croupissent
encore dans leurs erreurs. » Aux fêtes de Noël, il se
rendit enfin à Nîmes qui était comme le rendez-vous
général, et donna la Cène « dans une chambre secrète
de la ville, à environ quatre- ving^ts personnes distin-
guées. »
L'année 1723 s'ouvrit sous les plus favorables aus-
pices. Antoine Court et Corteiz recommencèrent à par-
courir le Languedoc avec un succès croissant. Les
églises de la Lozère furent définitivement constituées..
Le Vivarais accepta les règlements du Languedoc.
« Dans le mois de septembre, dit Corteiz, M. Rouvière et
moi nous allâmes en Yivarais. Nous y assemblâmes les pré-
dicateurs avec un nombre considérable de personnes distinguées
qui ont du zèle et de la piété; après avoir imploré le secours
de Dieu et représenté la nécessité d'un ordre dans l'Eglise, et
que ces MM. en eurent convenu, nous rangeâmes les pa-
roisses en églises... La mémoire ne me fournit pas combien il
y a d'églises dans le Yivarais; toutefois, il me semble qu'il y en
a vingt-quatre ^.. »
C'est ainsi que le protestantisme se fortifiait dans la
montagne « et que les prêtres perdaient toute espé-
rance de voir jamais la religion protestante rangée
dans l'Eglise romaine. »
1 V. ))lus liaut p. 26 les règlements du Vivarais.
l
66 LE REVEIL EN DAUPHINÉ
Les nouvelles du Daupliiné étaient malheureusement
moins satisfaisantes. Roger, cet homme infatigable
qui aurait fait « cent lieues par jour sans se lasser, »
courait en tous sens les vallées et les montagnes du
Daupliiné, réchauffant la piété, rétablissant l'ordre,
convoquant des assemblées, cherchant à recruter des
ouvriers pour son périlleux labeur. Il allait surtout des
frontières du Comtat jusqu'à l'Isère, et depuis Die
jusqu'à Valence. Il n'avait d'autre auxiliaire qu'un
tout jeune homme qui ne prêchait pas encore et ne
devait commencer à prêcher qu'en 1718; son nom
était Ville veyre. Parfois Brunel, quittant le Vivarais,
venait lui offrir son concours, mais rarement et pour
un espace de temps plus ou moins court. Roger était
seul, isolé ; il ne pouvait suffire à la tâche. En certains
endroits cependant, comme dans la vallée de Bour-
deaux, il était parvenu à former de florissantes églises.
Mais des imprudences qu'il n'avait pu empêcher avaient
tout perdu. Aussitôt en effet que les religionnaires ap-
prenaient qu'il était dans leurs quartiers, ce n'étaient
plus qu'allées et venues ; ils disaient même hautement
qu'ils allaient aux assemblées. Que fît-on? On écrivit à
la cour qu'il se formait de gros attroupements, et que
les protestants y venaient en armes. La cour ordonna
de sévir et le commandant de la province, le comte de
Médavid, envoya à Bourdeaux un bataillon du régi-
ment de Navarre. Le pays fut traité en pays conquis.
Les soldats firent mille ravages, maltraitèrent le pau-
vre peuple, s'installèrent dans les maisons et violèrent
les femmes. C'était un souvenir des dragonnades.
Lorsque le pays fut ruiné, ils partirent. Dans cette
PROVENCE, COMTE DE FOIX 67
expédition sept maisons avaient été rasées. Rog*er et
Villeveyre, effrayés, avaient du se retirer dans des
lieux écartés et n'osaient plus convoquer des assem-
blées. La province était dans la terreur. Cela se passait
en 1719 \
Si tristes qu'eussent été ces événements, il était néan-
moins manifeste que le protestantisme redressait la
tête, non-seulement en Dauphiné, en Languedoc, mais
encore dans toutes les provinces du royaume ^
Les religionnaires de la Provence, à la voix de
Rog'er, commencèrent à donner des signes non équi-
voques de leur fidélité à la religion. « Alors, la conta-
gion affligeant la Provence, le zèle des réformés se
réveilla, et les assemblées furent plus nombreuses ; on
chantait dans les bourgs, et dans les villes et villages
hautement les louanges de Dieu ^. »
En 1722, un jeune prédicant, dont on ne sait que le
nom, Cliapel, parcourut le comté de Foix. Partout où
il passa, il trouva les protestants bien disposés. Les
assemblées qu'il réunit comptèrent jusqu'à trois cents
personnes, et chaque jour il vit augmenter le nombre
des assistants ^.
1 N° 46, cah. 1. Nous retrouverons plus loin Villeveyre. V. tome II,
chap. IV, p, 99. — V. aussi Les Guerres de religion et la Société
protestante dans les Hauter- Alpes ^ par M. Charonnet, p. 507. In-8.
2 Bien des documents mj; (heureusement nous manquent à l'appui
de ce que nous avançons. L« fait n'en est pas moins certain. Le peu
de preuves que nous posséd ns montre avec évidence que, partout où
le protestantisme comptait des adhérents avant la Révocation, les
religionnaires, qui étaient restés, persévérèrent dans leur foi et choi-
sirent Tanjiée où Louis XIV aiourut pour donner des signes éclatants
de leur fidélité.
3 N" 17, vol. B.
* N» 1, t. II. (Juin 172^.)
6S GUYENNE, BRETAGNE
Dans l'Ag'enais, après la mort de Louis XIV, la per-
sécution sembla se ralentir. Le culte de famille se célé-
bra avec moins de crainte et quelques petites réunions
nocturnes furent même tentées. C'était le prélude des
grandes assemblées du Désert ^
En Bretagne, -plusieurs nouveaux convertis s'em-
ployèrent courageusement « à ramener leurs frères à
leurs anciennes convictions, et à les fortifier en secret
par des entretiens, des lectures, et une sorte de culte
privé, dans une foi qu'ils n'avaient jamais au fond
abandonnée. » Chose curieuse ! Ce mouvement fut ex-
clusivement laïque; ce furent des gentilshommes, des
négociants, des artisans, des femmes même qui s'y
employèrent. En 1715 déjà, un M. de Touvois, fils du
marquis de Crux, fut accusé de prêcher à Saffré
dans le château qu'il occupait. « J'ai appris, écrivait-
on à l'intendant Ferrand, qu'il lui arrive quelquefois,
après le repas, d'appeler dans sa chambre tous les
domestiques et de leur faire des prédications. Le fait
est notoire, et j'estime qu'il conviendrait que vous pre-
niez la peine. Monsieur, de le mander pour lui défen-
dre de prendre cette liberté. » Quelques années plus
tard, en effet, Touvois et d'autres nouveaux convertis
furent l'objet de rigoureuses mesures. « Cet exemple,
écrivait l'intendant, contiendra les nouveaux convertis
qui se donnent trop de licence depuis quelque temps ^. »
En Picardie, depuis la fin de 1714, des réunions
^ Chronique des Eglises réformées de V Agenais, par M. A. La-
garde. Toulouse (1870).
2 Essai sur VHistoire des Eglises réformées de Bretagne, par
M. Vaurigaud. Tome III, p. 195, 198. Parib. (1870.)
PICARDIE, POITOr 69
se tinrent dans une caverne située près de Templeux-
le-Guérard. Pour se mettre à l'abri du froid, disaient
les religionnaires. Pour prier Dieu, assuraient les
curés. Une nuit du mois de mai, tandis que le village
dormait, la maréchaussée accourut, les maisons furent
fouillées, et quatre habitants conduits en prison ^
Dans l'Aisne, il est certain qu'il y avait encore des
relig-ionnaires et qu'ils commençaient de s'ag'iter, car
on voit, en 1725, qu'un nombre considérable d'entre
eux furent obligés de s'expatrier pour échapper aux
rigueurs de l'édit de 1724 ^
Lorsque Antoine Court, en 1715, convoquait le pre-
mier Synode, de nombreuses assemblées se tenaient
déjà dans le Poitou. En vain Chebroux, un des sub-
délégués de l'intendant faisait peser sur le pays « sa
lourde main de fer, » il ne pouvait accabler les Ni-
vet, les Begniers, les Marbœuf , les Berthelot, tant
d'autres prédicants qui n'avaient cessé depuis la Ré-
vocation de courir le pays ^. Nivet fut pris. « Que fera
le petit troupeau, lui dit Chebroux, maintenant que
nous tenons son pasteur ? » Mais lui fièrement : « Ne
vous mettez pas en peine du petit troupeau. Mon-
sieur, il a un pasteur qui est à couvert de toutes vos
recherches et qui ne l'abandonnera pas. » Et comme
Chebroux riait : « Vous riez à votre aise, mais il n'en
1 Histoire des protestants de Picardie, part icîdièrement de ceti^:
du département de la, Somme, \)2iV M. Rossier. Paris. (1861.)
2 Essai historique sur les Eglises réformées du département de
C Aisne, par M. Douen. p. 126. Paris. (1860.)
3 C'étaient, comme dans le Languedoc, de simples paysans. Nivet
Tétait. Jean Marbœuf était un laboureur d'une mémoire prodigieuse,
qui avait appris un grand nombre de sermons, et les récitait. Ber-
thelot semblablement.
70 LE RÉVEIL EN POITOU
sera pas toujours de même. Un jour nous paraîtrons
vous et moi devant un tribunal plus équitable que ce-
lui que vous occupez maintenant. Alors s'accompli-
ront ces paroles : Vous êtes bienheureux, vous qui pleu-
rez à présent parce que votre tristesse va se changer
en joie ; mais malheur sur vous qui riez maintenant, car
Yotrejoie se convertira en deuiP. » Le subdélégué conti-
nua son œuvre de persécution. Berthelot, quoique con-
damné aux galères par contumace, continuait son minis-
tère. Il se cachait et convoquait des assemblées dans les
lieux écartés, il tenait tête à Chebroux, et remphssait si
bien la contrée du bruit de son nom qu'on n'appelait
plus le protestantisme que «la rehgion Berthelote. »
Vers 1718 % les rehgionnaires poussèrent l'audace
jusqu'à s'assembler publiquement sur les emplace-
ments des anciens temples démolis. « Cette résolution
prise, on jeta d'abord la vue sur l'emplacement du
temple deMougon, parce que ce bourg était presque en-
tièrement de la religion et dix ou douze jours à l'avance
on avertit les protestants des environs. Le jour mar-
qué , on s'assembla, sur la place même où avait été
le temple, et dont on avait fait un jardin; l'homme à
qui il appartenait voulut s'y opposer ; les autres di-
saient que c'était leur place et qu'on les en avait pri-
vés injustem'ent. La contestation fut de courte durée;
il ne voulut pas ouvrir la porte, mais on l'eut bientôt
forcée ; on entra dans le jardin qui était entouré de
murs e\ on commença à faire la lecture en attendant
1 N" 17, voL R, p. 193.
^- Le Bulletin dit, 1718 ; n" 17, vol. R, p. 193, dit, 1/19. Nous adop-
tons 1718.
LE PROTESTANTISME EN 1723 71
que le monde s'assemblât ; il y eut environ deux mille
personnes K » Des assemblées semblables se tinrent à
Melle, à Lamotlie-Saint-Héraye, à Saint-Maixent ; il y
en eut encore à Couclié , à Clierveux, à Lusignan, à
Saint-Cliristoplie,àSaint-GelayprèsFontenay-le-Comte,
à Benêt. Berthelot poussa jusqu'à Angoulême. « Il
serait à désirer, écrivait Maurepas à l'intendant du
Poitou, qu'on pût arrêter le nommé Berthelot, et que
ce prédicant qui, après avoir été déjà pris, ose encore
se signaler sans mesure et sans considération, pût
servir, par préférence, d'exemple à ceux qu'il séduit.
Nous comptons bien que vous y donnerez une attention
singulière. » Quoi que fît l'intendant, il y eut encore,
en 1720, des assemblées à Saint-Maixent et à Niort;
et ce ne fut qu'au mois de septembre que Bertlielot
fut enfin pris. Mais la capture du prédicant n'empê-
cha rien. Le mouvement relig-ieux continua de se pro-
pager à Benêt. Le mouvement religieux se propageait
de bourg en bourg, de village en village. C'était comme
une résurrection de la religion proscrite.
Ainsi, quelques années à peine après la mort de
Louis XIV, la déclaration de 1715 recevait le plus
complet démenti. Du Poitou, un M. de Luques écrivait
à l'ambassadeur hollandais : « Les assemblées ont été
fort nombreuses , car elles ont passé trois mille per-
sonnes^. » Dans le Dauphiné, l'évêque de Gap mandait
que les nouveaux convertis de son diocèse « ne gar-
daient plus de ménagements par rapport à la reli-
< V. Bullet., t. IV, p. 230.
2 Ibid., p. 238.
72 RÉSULTATS OBTENUS
gion ^ » Dans le Languedoc, il y avait une ardeur, une
intensité de piété étonnante. Un M. de Massane qui
avait été chargé par l'intendant de faire une tournée
en fut stupéfait.
« J'ai passé, lui écrivait-il, par le Vigan, Aulas, Anmessas,
Yalleraugue; ensuite je suis revenu par Moutardier, Roque-
dur, Saint-Julien, Ganges et -Lassalle. Il serait inutile, Mon-
sieur, de vous détailler ce qui se passe à chaque endroit, puis-
qu'on peut le faire en général ; c'est-à-dire, Monsieur, qu'on
fait partout des assemblées aux champs et dans les maisons ;
on entend chanter les psaumes ouvertement, soit à la campagne,
soit à la ville. J'ose vous assurer avoir vu et entendu ces der-
niers plusieurs fois. Tout cela ne discontinue pas 2. »
Il y avait comme une explosion de bonheur autour
de cette restauration inattendue. Quelques proscrits, à
Genève, toujours hésitants et remphs du souvenir de
la patrie absente, au bruit de ces succès, commençaient
de revenir en France. Ils préféraient à la paix et à la
liberté qu'ils goûtaient à l'étranger les périls de la
lutte et les dangers de chaque heure dans la province
natale. Des serviteurs même venaient s'offrir sponta-
nément aux égHses sous la croix. Des jeunes gens s'en-
rôlaient parmi les prédicants, et n'était-ce pas l'un
d'eux qui, en offrant son dévouement et son courage-
aux protestants de France, écrivait :
« A vous les pasteurs et anciens, qui êtes les restaurateurs
« des débris de nos pauvres Eglises de France qui, comme par
« un miracle de la divine Providence et contre l'attente de nos
1 V. La Société protestants dans les Hautes-Alpes, etc., p. 507.
2 Histoire de VEglise réformée de Montpellier, par M. Ph. Cor
bière, p, 353. Montpellier. (1861.)
RÊVES ET ESPÉRANCES 73
« adversaires qui s'imaginaient follement d'en voir une fin to-
« taie, il y a encore un petit lumignon qui fume, et dans l'es-
« pérance que bientôt cette fumée se changera en une éclatante
'< lumière pour éclairer tout notre atmosphère, — on pourrait
« ici appliquer les paroles de saint Paul aux Actes, chap. XIV,
« V. 16, 17, que quoiqu'il ait laissé marcher toutes les nations
u dans leurs voies impures, il ne s'est point pourtant laissé
« sans témoignage en fesant du bien à ses ennemis même K >»
La phrase est laborieuse et paraît obscure ; le sen-
timent qui ranime brille de clarté. Un immense
espoir, au milieu de toutes les craintes, gonflait les
cœurs 2. Les assemblées devenaient plus fréquentes, la
piété plus vive, les pasteurs plus nombreux et la cour
même effrayée venait de traiter avec cette puissance
naissante. Les religionnaires se livraient à des rêves de
restauration, et comme Gaubert, ils se plaisaient à
croire, que « le lumig-non » se transformerait bientôt
en une éclatante lumière.
1 L'auteur de cette lettre était le proposant Gaubert,
'2 V. Pièces et documents, n" VII.
CHAPITRE III
l'ordre : SYNODES, PREDICANTS, MARIAGES
1715-1723
Deux mots résumaient le programme d'Antoine
Court : Ordre et Eéveil ! Le réveil avait eu lieu, il s'a-
gissait d'établir l'ordre.
Dans la pratique, on ne les séparait point. Dès que
les fidèles d'un lieu avaient entendu les exhortations
du prédicant, ils étaient aussitôt priés de souscrire aux
règlements qu'avait dressés le premier Synode de
1715. Alors seulement TEgiise était fondée. « Nous
avons travaillé à établir l'ordre, » écrit Corteiz ; le pre-
mier sujet dont parle Court à Roger, le jour de leur
entrevue, c'est de l'ordre, et les lettres de tous les pré-
dicants sont, pendant de longues années, remplies de ce
mot. En rétablissant l'ordre en effet, on instituait un gou-
vernement au milieu des églises de France ; on mettait
un terme à l'anarchie qui les précipitait vers la ruine ;
on prévenait de nouvelles discussions; on groupait
enfin en corps d'armée disciplinée la foule des reli-
gionnaires courant jusqu'alors à l'aventure. Il y avait
plus. On restaurait un état de choses disparu de-
puis trente années, et c'était d'une singulière impor-
CONVOCATION DES SYNODES 75
tance. Le mot tradition^ par une curieuse inconsé-
quence, a toujours été aux yeux des protestants, même
les plus éclairés, un mot entouré de prestige. Par là,
en même temps qu'on réveillait la piété chez les uns,
on la raffermissait chez les autres.
Tout le monde sait quelle était avant la Révocation
la discipline des églises réformées de France. Antoine
Court la copia autant qu'il lui fut possible.
Il était impossible de rétablir les Synodes nationaux,
mais il était facile de tenir des Synodes provinciaux,
et le premier, on l'a vu, fut convoqué en 1715. Dès lors,
chaque année, ils se réunirent régulièrement. Les prédi-
cants s'entendaient pour en déterminer la date, et quel-
que temps avant l'époque ^mée. le modérateur du Sy-
node précédent écrivait :
« Je dois vous donner avis que le temps de notre foire géné-
rale est fixé; qu'il faut se rendre, pour le plus tard, le. . . .
à Faites-y attention et ne manquez pas. »
Une chambre haute, une grotte, un bois, le lit d'un
torrent, étaient les lieux ordinaires oii ils se réunis-
saient. Pour y assister, il fallait être pasteur, propo-
sant ou Ancien. Plus tard, à propos de ces derniers, il
y eut quelques abus, et l'on décida que personne ne
serait admis, s'il ne portait « un billet » de son con-
sistoire. En général, les Anciens de chaque église s'as-
semblaient en colloque et nommaient deux députés
pour se rendre au Synode. Lorsque tous les membres
étaient arrivés, on choisissait un modérateur, un ad-
ioint et un greffier. Il était donné lecture des décisions
76 LES SYNODES
prises par le précédent Synode, et, cela fait, le modéra-
teur exposait les différents sujets qui devaient être dis-
cutés par les députés. — Affaires de discipline , fixa-
tion de règ'lements , lettres de recommandation auprès
des Eglises étrangères, admission d'Anciens, jeûnes
généraux, examen des proposants, déposition des pas-
teurs indignes, propositions particulières,... toutes les
affaires qui, de près ou de loin, intéressaient le protes-
tantisme formaient l'objet des délibérations. Les déci-
sions avaient force de loi; ne point s'incliner devant
elles, c'était se mettre hors la paix de l'Eglise. Lors-
qu'on avait épuisé la série des questions à l'ordre du
jour, pasteurs, proposants et anciens se livraient à un
examen fraternel de leur conduite. Les prédicants, les
premiers, sortaient deux à deux, et en leur absence on
donnait des détails sur leur conduite et leur genre de
vie. Le modérateur recueillait ce que la Compag'nie
avait dit, et conformément à ce qui avait été rapporté
faisait publiquement la louange ou la censure des deux
ministres qui rentraient. Tous les assistants voyaient
ainsi, les uns après les autres, leurs paroles et leurs
actes jugés et appréciés. Le modérateur lui-même et
son adjoint n'échappaient pas à cette curieuse investi-
gation. Ils sortaient l'un après l'autre , et celui des
deux qui restait, après avoir recueilli les opinions, pré-
sentait à son collègue, selon qu'il le méritait, les admo-
nestations ou les compliments de l'assemblée entière.
La réunion était terminée par la lecture de la Bible
et par une prière ^ .
1 N" 7, t. I, p. 9. (1719.)
LES COLLOQUES 77
Dans les premiers temps, il se tenait deux Synodes par
an et tous les députés de la province devaient y assister ^ .
Mais cela faisait de l'éclat. On décida de convoquer
tour à tour le premier synode dans les hautes Cévennes,
et le second dans le bas Languedoc ^ Quand l'un se te-
nait dans les Cévennes, le bas Languedoc envoyait
deux ou trois députés, et réciproquement. Mais plus
tard, le nombre des fidèles croissant de jour en jour, il
fut résolu de convoquer chaque année trois Synodes :
l'un dans le haut Languedoc, l'autre dans les Cévennes,
le dernier au Pays-Bas. Cette mesure fut prise en 1721 ^.
Malgré ces fréquentes réunions, il pouvait dans l'in-
tervalle surgir des affaires qui exigeaient une prompte
solution. Cela méritait quelque attention. En 1716, on
avait déjà convenu que les pasteurs se rassemble-
raient de six en six mois, pour s'informer s'ils avaient
eu soin de visiter les malades, d'ordonner les collectes,
et s'ils avaient rempli les devoirs de leur charge sans
reproches \ La gravité des circonstances exigeait
plus. Aussi résolut-on bientôt d'assembler, dans tous
les cas embarrassants, un colloque de trois pasteurs et
de six Anciens pour délibérer sur la conduite à tenir.
Il fallait toutefois que le modérateur ou le secrétaire
du dernier Synode assistât à ce colloque ^.
1 N» 46. Lettre à Basnage. (1719.)
2 N" 7, t. I, p. 8. (1719.)
3 N» 17, vol. G, p. 582, et n" 17, vol. H, p. 34.
* V. Coquerel, t. I, p. 34.
^ Il serait très-utile de publier les actes de tous les Synodes qui se
tinrent en France depuis 1715. Si quelque éditeur intelligent se char-
geait de ce soin, il rendrait un grand service au protestantisme et h
ses historiens.
78 CONSISTOIRES ET ANCIENS
D'après l'ancienne discipline, au-dessous de ces toutes-
puissantes assemblées, il y avait pour chaque église
un pouvoir exécutif particulier : c'était le Consistoire.
Le Consistoire était composé d'Anciens ; il était chargé
de tous les soins de la communauté, il apaisait les dif-
férends, faisait les collectes, nommait les pasteurs,
avait mission de maintenir la paix, l'ordre et la disci-
pline. Excellente institution et qui méritait bien dans
ces temps difficiles d'être la première rétablie. Elle fut
en effet un des objets préférés de la sollicitude de
Court. En 1715, son premier soin fut de faire nommer
des Anciens; dans la suite, partout où il établit des
églises , il oblig-ea les principaux protestants de s'as-
sembler en sa présence et de choisir comme Anciens
ceux qui passaient pour avoir le plus de talent, de zèle
et de piété.
Une communauté qui se fût permis de n'avoir point
d'Anciens était abandonnée. Un Synode écrivit dans
ses règlements : « Il est délibéré que dans les villes et
lieux où il n'y avait point d'Anciens, on en établira in-
cessamment, et faute de le faire, s'il y a refus de la part
des fidèles, ils ne seront pas visités par les pasteurs,
ni avertis pour aller aux assemblées * . » On voit de
quelle importance paraissait l'organisation des Con-
sistoires. Prêcher en effet, exhorter, réveiller les âmes
craintives ou indifférentes, c'était bien; mais encore
fallait-il leur donner un appui, de peur de chute. En
certains endroits, où les curés n'étaient pas trop tra-
cassiers, les espions trop nombreux, les consuls ou les
1 Synode du bas Languedoc. (1723.)
CONSISTOIRES ET ANCIENS 79
gouverneurs trop sévères, où d'ailleurs les prédicants
n'avaient cessé depuis la Révocation de faire entendre
leur voix, le réveil n'était point difficile, et les nou-
veaux convertis étaient assez disposés à faire ce que
l'on réclamait d'eux. Mais en d'autres lieux, — les pe-
tites villes surtout et les villages, — où chaque voisin
était un espion et le curé impitoyable, il fallait réitérer
les prières, les instructions, les appels. Chose grave
que d'obéir ! car tous savaient à quelles vexations ils
allaient s'exposer, dès qu'ils seraient démasqués. Que
réclamait le prédicant ? De ne point envoyer les en-
fants à l'école? Mais c'était se faire accabler d'amendes.
De ne point se marier à l'église? C'était se mettre hors
la loi. De ne point assister à la messe ? C'était chercher
sa ruine. D'être assidu aux assemblées? C'était mériter
les galères. Souvent dans le premier enthousiasme et
sous l'effet des exhortation, le nouveau converti pou-
vait donner des marques de repentance et prenait pour
l'avenir les meilleures résolutions ; mais lorsque le pré-
dicant était parti, que le son de sa voix ne retentissait
plus à ses oreilles, et que lentement la réflexion suc-
cédait à l'enthousiasme, peu à peu son ardeur se modé-
rait et les vieilles habitudes triomphaient. L'œuvre
était à recommencer. Les Anciens avaient pour charge
de remplacer le prédicant absent et d'entretenir la piété
qu'il avait excitée. Ils prévenaient les chutes , veil-
laient sur les mœurs, censuraient les scandales et les
fautes ; ils recueillaient encore les deniers de l'Eglise
pour les pauvres, les malades et les prisonniers; sur-
tout ils groupaient autour d'eux les protestants isolés,
découragés par l'abandon où ils se trouvaient. Ils les
80 CONSISTOIRES ET ANCIENS
voyaient, reillaient sur eux, les encourageaient à braver
les périls de leur nouvelle position. Les collectes que de
porte en porte, en cachette, ils faisaient, les conversa-
tions qu'à voix basse ils tenaient sur la religion et sur
l'état des ég-lises, — quand le prédicant reviendrait, où
se tiendrait l'assemblée , si la ville voisine avait repris
courage, si au Désert il était vrai qu'on eût fait des
prisonniers, — tout les aidait dans cette espèce de minis-
tère. Au besoin ils étaient apôtres, et par leurs paroles
douces et graves ils leur communiquaient leur force,
leur ferveur, et les entraînaient avec eux. Ainsi peu à
peu se recrutait la communauté. Lorsque le prédicant
revenait, il la trouvait augmentée, organisée, pleine de
vie; ses efforts n'avaient pas été perdus.
L'importance de la charge réclamait des hommes
qui en fussent dignes; aussi choisissait-on des fidèles
connus par leur sagesse et leur piété K C'étaient de
petits bourgeois, plus souvent des ouvriers, des tra-
vailleurs. La classe riche fuyait ces honneurs périlleux.
1 Voici, d'après Corteiz, la copie d'une lettre que le Consistoire
d'Alais envoya à un Synode, en présentant trois Anciens pour être
reçus. N" 1, t. II, p. 584.
« Nous, soussignés, nous étant assemblés au nom de J.-C. pour la
propagation de la foi et l'édification de l'Eglise, après avoir examiné
ceux d'entre nous ayant reçu quelque capacité pour la charge d'Ancien,
pour veiller sur la conduite de l'Eglise, selon la. louable coutume des
églises chrétiennes, nous avons unanimement donné notre voix et
notre approbation aux sieurs, nommés Nous prions, au nom
de J.-C, les pasteurs et Anciens qui sont assemblés pour travailler
heureusement pour les intérêts de la gloire de Dieu, d'examiner la
capacité des sujets, et, s'ils se trouvent dignes d'exercer cette sainte
charge, de leur donner votre vénérable approbation, après les avoir
exhortés, comme vous le jugez être nécessaire, pour les porter à remplir
dignement et fidèlement les fonctions de leur charge, en laquelle ils
seront installés, si vous les en jugez dignes. y>
LES PREDICANTS 81
Lorsqu'à l'issue d'une assemblée, un fidèle se pré-
sentait pour être reçu Ancien, on réunissait aussitôt
quelques protestants, — une ving'taine, — pour con-
naître leur opinion sur le candidat. On s'informait s'il
était c( vicieux, vindicatif, avare, vaniteux, joueur,
fainéant, ivrogne, si sa femme était sag-e, s'il vivait
en paix avec ses voisins, s'il instruisait bien sa famille,
s'il était assez courag'eux et prudent pour conduire
l'Eglise K » L'enquête était-elle favorable, le prédicant
lui adressait une exhortation et l'installait dans sa
cliarg'e. Au Synode suivant, il était rendu compte de
cette nomination, et le Synode, après en avoir délibéré,
lui accordait « sa vénérable approbation, »
Mais le vrai chef, celui qui présidait et convoquait
les assemblées, nommait les Anciens, censurait, exhor-
tait, c'était le prédicant.
Graves fonctions que les siennes, malheureusement
exercées trop souvent par des personnes qui n'en compre-
naient pas la responsabilité ! On avait vu, et on voyait
encore de tout jeunes hommes tenir des assemblées, et
gTavement, au milieu de l'admiration générale, faire des
prières et réciter des discours. Court lui-même n'avait-
il pas été de ce nombre ? Il y avait encore dans quel-
ques villages, ou courant le pays, de pauvres igno-
rants qui tout à coup s'érigeaient en prédicant s. I^eur
prudence était loin d'égaler leur zèle; ils émettaient
les plus absurdes idées, « corrompaient la religion »
et compromettaient par leurs excès la cause qu'ils
s'étaient donné mission de défendre.
î N" 1, t. II, p. 705. (1722.)
I ' (î
32 CONDITIONS D'ADMISSIBILITÉ
Un tel état de clioBes était dang-ereux, et il fallait
y remédier. Antoine Conrt fit premièrement décréter
qu'aucune femme ne pourrait prèclier; ensuite, qu'on
ne recevrait pasteurs dans l'Eglise que ceux dont on
aurait examiné la doctrine et les mœurs selon les rè-
gles de la discipline ecclésiastique \
Pour être élevé à cette charge, le prédicant de^
vait, de l'aveu de tous, mener une vie irréprochable et
posséder les lumières et les connaissances requises
pour s'acquitter « d'un si glorieux emploi. y> « Sondez,
écrivait Court à Corteiz, examinez bien auparavant les
sujets auxquels vous voulez donner votre approbation.
De là dépend la joie et le bonheur, ainsi que le repos
de l'Eglise, la j'oie et le contentement de tous ^ »
Ailleurs, il ajoutait :
c. Nous n'avons pas besoin de présomptueux, d'ignorants et
de volages. Ainsi, ne faites rien à la hâte. Pesez tout avec soin,
examinez mûrement les sujets, avant que de les admettre; de
là dépendent et les progrès de la religion et le repos de l'Eglise.
Il vaut mieux que le nombre en soit plus petit et que les sujets
soient meilleurs. »
En 1721, écrivant à Pierre Durand qui étabhssait
à cette époque l'ordre en Vivarais : « 11 vous faut, di-
sait-il encore, des hommes vertueux et pleins de zèle.
Un lâche efféminé, un esclave du vice n'y seraient
point de tout propres. 11 n'y a que la piété qui inspre
la noblesse et la grandeur d'âme qui sont nécessaires.
La piété se soutient dans les dangers les plus extre-
1 N° 1, t. II, p. 19. Synode de 1717.
«N<'7, t. 1, p. 192. (1721.)
LE PROPOSANT 83
mes; elle triomphe des obstacles les plus difficiles. Une
bonne conscience marche toujours la tête levée. »
Tant de recommandations n'étaient pas inutiles. Il se
présentait sans cesse des inconnus pour prêcher, qui n'a-
vaient à ce périlleux honneur ni droits ni titres. Aussi
Antoine Court rappelait-il le règlement : « Eecomman-
dez fortement à Messieurs les Anciens de ne recevoir qui
que ce soit qui se présente pour prêcher, quelque zélé,
quelque savant qu'il paraisse, sans avoir premièrement
été examiné selon la formule de nos règlements. Mes-
sieurs de Nîmes ont été la dupe d'un nommé Chau-
méri qui leur dit être ministre ^.. » C'était pour lui
d'une importance extrême. Dès qu'il apprenait que le
règlement avait été éludé, il se plaignait. « J'ai été
fort fâché contre Messieurs de Lasalle d'avoir ainsi
reçu le nommé Bover, sans examen. »
Prédicant est un mot vague qui servait à désigner
trois classes d'hommes en réalité parfaitement dis-
tinctes. Sous ce nom générique, on comprenait les pro-
posants, les prédicants et enfin les pasteurs ^
Le proposant était un de ces jeunes enthousiastes
que le zèle pour la rehgion opprimée et le mépris du
martyre poussaient de bonne heure à courir le pays en
prêchant et convoquant des assemblées. Quelques
années plus tôt, ils eussent figuré parmi les bandes
camisardes et passé pour inspirés. Mais Court avait
soin de modérer leur ardeur. Venait-il dans une de ses
1 N» 7, t. I, p. 163. (1721.)
*2 Peut-être ferions-nous mieux de dire : les élèves proposants, les
proposants, et enjQn les pasteurs; plus tard, en effet, il n'y eut guère
de prédicant qui ne devînt pasteur.
84 VIE D'UN PROPOSANT
courses à rencontrer un jeune homme bien disposé,
loin de l'abandonner à ses propres impulsions, il se
rattachait pour le connaître.
Après avoir pénétré le caractère du jeune homme,
s'il le croyait apte au ministère, il l'emmenait avec lui
et au milieu des dangers de chaque heure l'instruisait,
l'exhortait, le préparait à ses futures fonctions de pré-
dicant. C'est ainsi qu'avant 1723 furent admis Betrine,
Pierredon, Céphas Deleuze, Jean Gaubert, Roux.
Dur apprentissage et plein d'un rude labeur ! Mille
périls à affronter, l'ennemi à fuir, les nuits passées à
la belle étoile, le gîte incertain, les longues marches,
et pour toute joie, toute consolation, l'enseignement
du pasteur et la présence aux assemblées , voilà quelle
était leur vie.
«... Je fis dresser, raconte Court, un lit de camp dans un
torrent et au-dessous d'un rocher. L'air nous servait de rideaux
et des branches feuillées soutenues par des perches traversées
nous servaient de ciel. C'est là que nous campâmes près de huit
jours ; c'étaient là nos salles, nos parterres et nos cabinets. Pour
ne pas laisser écouler le temps inutilement et pour exercer nos
proposants, je leur donnai un texte de l'Ecriture sainte pour y
faire des réflexions. Ce fut les onze premiers versets du cin-
quième chapitre de saint Luc. Il ne leur était permis ni de se
communiquer leurs lumières les uns aux autres, ni de se servir
d'autres secours que de la Bible. Aux heures de récréation,
je leur proposais tantôt un point de doctrine à exphquer, tantôt
un passage de l'Ecriture, tantôt un précepte de morale, tantôt
je leur donnais des passages à concilier. Et voici la méthode
dont je me servais. Dès avoir proposé la question, je demandais
au plus jeune son sentiment, et par rang de l'un à l'autre, jus-
qu'au premier. Après que chacun avait dit ce qu'il en pensait,
je m'adressais de nouveau au plus jeune pour lui demander s'il
EXAMENS 80
n'avait point d'objections à faire au sentiment des autres, et
ainsi de l'un à l'autre. Après qu'ils s'étaient combattus, je leur
donnais le sens que je concevais sur la matière proposée. —
Quand leurs propositions furent prêtes, on traversa une perche
sur deux pieux forcheux, qui dans cette occasion leur servit de
chaire pour la prêcher. Quand l'un l'avait rendue, je demandais
à tous les remarques qu'on y avait faites, observant la méthode
ci-dessus exprimée ^.. »
Le proposant ne restait pas toujours sous la tutelle
du pasteur. Au bout de quelque temps, on l'envoyait
seul en mission dans les églises qu'il avait déjà visi-
tées. Alors il pouvait prêclier. On le tenait toutefois
encore en telle suspicion, qu'on ne l'autorisait à prê-
cher que des sermons imprimés, ou, s'il en avait fait
de sa propre composition, examinés par des personnes
choisies dans le Synode ^ On savait par expérience
dans quels ég*arements de doctrine et d'imagination
étaient tombées et pouvaient tomber ces jeunes intelli-
gences.
Lorsque le proposant avait en différentes occasions
prouvé qu'il était à la hauteur de sa vocation, s'il le
demandait, il était reçuprédicant. Pour obtenir ce titre,
il lai fallait subir un examen. A la tenue du Synode
il se présentait devant le modérateur et les députés. Il
avait à répondre à certaines questions de doctrine et
de morale. « Etablissez l'existence de Dieu, » lui
disait-on, et en même temps on lui faisait des objec-
tions de ce genre : « Cette idée n'est-elle pas le fruit
de l'éducation que nous ont donnée nos pères, de l'in-
' N" 7, 1. 11, p. 301.
2 N" 17, vol. G, p. 34. Synode de 1719.
86 EXAMENS
vention de quelques politiques, de la crainte des hom-
mes ? Cette idée vient du cœur, mais le cœur est cor-
rompu, et il ne sort rien de Lon du cœur; cette idée
n'est donc pas bonne? » On l'interrogeait aussi sur la
création du monde, le péclié, la divinité de Jésus-
Christ, sa mort et sa résurrection, la Trinité, la Pro-
vidence, l'Eglise, les assemblées, la divinité des Ecri-
tures \
Cependant on ne fit subir des examens semblables
que plus tard, vers 1725, et quand les examinateurs
commencèrent eux-mêmes à posséder quelques-unes de
ces questions. Dans les premiers temps, on ne récla-
mait que beaucoup de zèle et la connaissance de l'E-
criture sainte'. On leur demandait particuHèrement s'ils
s'engageaient à maintenir les règlements et la disci-
pline des éghses, et s'ils promettaient de vivre et de
mourir pour la défense des quarante articles de la
confession de foi. C'était tout. L'examen terminé, le
modérateur s'approchait et au milieu d'un profond si-
lence faisait une exhortation ^ La cérémonie se termi-
i j^o 7^ i 11^ p. 157.— V. aussi Pièces et documents, n" V, de quoi
se composa Texamen de Roux.
2 « On ne recevra aucun pasteur dans l'Eglise qu'après un sérieux
examen de sa doctrine et de ses mœurs, selon les préceptes de saint
Paul, le docteur des nations, et selon la règle de la discipline ecclé-
siastique des Eglises réformées de France, h laquelle nous nous con-
formons le mieux qu'il nous est possible. Ainsi, la compagnie des
pasteurs a arrêté que ceux qui seront admis dans cette sainte charge
doivent avoir le témoignage de mener une vie irréprochable, et pos-
séder les lumières et les connaissances requises pour s'acquitter d'un
si glorieux emploi, et puisque dans ce temps de calamité nous rece-
vons des pasteurs qui n'ont pas acquis l'intelligence des langues par
l'étude, au moins faut-il qu'ils aient les qualités ci-dessus désignées. »
Synode du 7 février 1718,
s Voici un fragment d'un di.scours de consécration prononcé par An-
LE PRÉDICANT, LE PASTEUR 87
liait par la prière, par des applaudissements, des féli-
citations et des embrassements réciproques.
Les fonctions du prédicant se rapprochaient beau-
coup de celles du pasteur. Comme eux ils prêchaient,
couraient le pays, convoquaient les assemblées, org-a-
nisaient les Consistoires, faisaient respecter les règ'le-
ments. Ceci seul les disting-uait, c'est que n'ayant pas
reçu l'imposition des mains, il ne leur était pas permis
d'administrer les sacrements et de donner la Cène. Un
des prédicants, — Vesson, — se permit un jour d'offrir
la communion ; on lui en fît un crime, et ce ne fut pas le
moindre des griefs qui, plus tard, le firent « déposer.»
Les pasteurs, — et pendant long-temps on ne compta
dans ce corps que Corteiz, Rog*er et Court, — avaient seuls
le droit de s'acquitter de toutes les fonctions pastorales.
Malgré ces degrés, un peu trop marqués peut-être,
et qui dans la pratique s'effaçaient souvent, il n'y
avait personne qui eût le droit de s'attribuer une supé-
riorité quelconque. L'égalité était absolue. « Que si
vous remarquez quelque différence dans la conduite
que nous tenons, disait Court, vous le savez, cela n'ar-
rive que par l'obligation où nous sommes d'administrer
toine Court :«0 Dieu! que ton amour et ta sagesse sont incompréhensi-
bles. Tu suscites pour l'instruction et la consolation de tes Eglises
affligées des jeunes gens sans études, sans secours, sans moyens, qui
nous éditient et qui nous charment par des réponses pleines d'onction
et de sagesse, et qui sont tout prêts, non-seulement h prêcher ta pa-
role au milieu des dangers et des périls qui les menacent au milieu
d'une violente et dure persécution, mais encore à sceller de leur sang
les vérités de ton Evangile. Il ne faut pas moins que ta dextre pour
faire des choses si grandes et si miraculeuses, et que ton amour pour
veiller d'une manière si distinguée i\ notre salut.... » N° 7, t. II,
p. 164.
88 TRAITEMENT DES PREDICANTS
la sainte Cène. Plut au ciel que tous, autant que nous
sommes, eussions reçu l'entière ordination pour être
en état de remplir toutes les fonctions du ministère
évang'élique, et qu'il me soit permis de vous exhorter
ici, mon clier frère, d'aspirer à cette sainte vocation ^.y>
Au début , lorsque Court commença à prêcher,
les prédicants n'étaient pas payés ; ils vivaient où le
hasard de leurs courses les conduisait, chez les fidèles
qui leur offraient un gîte. Quelquefois ils prenaient
pour eux l'argent des collectes faites à l'issue des as-
semblées. Sommes misérables ! Que pouvaient donner
les pauvres gens qui assistaient à ces réunions? Trois
assemblées produisirent une fois un sol et six deniers.
Mais au Synode de 1719, frappé des difficultés de leur
position^ Court proposa d'assigner des émoluments à
ceux des prédicants qui étaient mariés^. Vesson était
accablé de dettes, et avait une nombreuse famille ; la
femme de Corteiz , à Genève, vivait péniblement un
peu à la charge de tous. Court obtint pour le premier
quelques sacs de blé et de châtaignes avec vingt livres
en argent, pour le second cinquante écus qui devaient
être payés en argent et répartis sur toutes les églises ^ .
11 n'osa pas toutefois réclamer un traitement pour ses
autres collègues; les églises n'étaient pas assez riches.
Cet état de choses dura quelque temps. Court raconte,
non sans orgueil, que depuis 1713 jusqu'en 1723, les
1 N" 7, t. II, p. 219.
2 N°46, cah. IV.
'•* « II a été accordé pour la subsistance de la famille de Vesson, six
salmées de blé, touzelle et seigle, deux salmées de châtaignes blan-
ches, et trente livres d'argent, qui lui seront payées par quartiers,
suivant la répartition qui lui sera faite. »
TRAITEMENT DES PREDICANTS 89
deux années exceptées qu'il passa à Genève, il servit
les églises de France sans en recevoir un denier. Sa
famille et quelques particuliers pourvurent à ses be-
soins. En 1721 cependant, on revint sur ce sujet et on
décida que les Anciens payeraient aux pasteurs ce qui
leur serait nécessaire pour « leur couverture et leurs
dépenses V » Le Synode de 1723 précisa davantage.
Cent livres par an, dit-il, payables en deux payements
ég'aux seront accordées aux proposants qui battront la
campagne, cinquante à ceux qui ne la battront point ^.
Mais ce mince traitement n'était pas toujours compté.
« Ceux qui servent, lit-on quelque part, ne furent pas
payés. Ils ont perdu 30 pour 100, et le reste a été
payé en papier ^ » — Les Anciens, pour surcroît, se
dispensaient de faire les collectes, car lorsqu'ils se pré-
sentaient, on leur faisait « de mauvais compliments. »
S'il y avait des règlements pour les prédicants et les
Anciens, il y en avait aussi pour les fidèles ; le même
ordre qui rég^nait parmi les chefs devait régner dans
le troupeau.
Une des questions vitales pour le protestantisme
était la question des baptêmes et des mariages '• .
1 N" 17, vol. G. p. 381.
2 Ihid. Synode de 1723.
3 ^^"7, t. II, p. 297. Cela ressemble bien peu à ce que devait dire
Fauteur du mémoire de 1738 (V. tome II, p. 427.) « Ensuite, on Tait
courir un chapeau, oti chacun met pour le prédicant ce qu'il juge à
propos. Ces sortes de quêtes valent souvent plus de cent écus, et voilà
le vrai motif qui engage ces sortes de gens k hasarder ce métier au
risque de se faire pendre. »
'■* Question vitale en eflet, et tlont les conséquences devaient être
90 BAPTEMES ET MARIAGES
Avant la révocation de l'Edit de Nantes, les reli-
gionnaires, on le sait, se mariaient devant leurs pas-
teurs; mais depuis la Révocation, privés et dépouillés
de leurs anciens droits, ils étaient tenus de faire bénir
leurs unions et de faire baptiser leurs enfants à l' égalise
et par le prêtre. L'ordonnance de 1715 avait exicore
aggravé leur position. Convertis au catliolicisme par
arrêt royal, ils étaient désormais obligés de se conduire
en bons et fidèles catholiques. Ils avaient pu, avant
1715, tout en bravant les édits et au risque d'encourir
les peines édictées contre eux, se faire marier au Dé-
sert, dans les chapelles des ambassadeurs ou à l'étran-
ger. Ils ne le pouvaient maintenant. Légalement le
protestantisme n'existait plus en France. Tout homme
donc qui ne se mariait pas à l'église n'était point
marié, partant ne mettait au monde que des bâtards.
Il ne leur était ainsi permis de se passer du prêtre
qu'à la condition de perdre toute existence légale ^ .
L'horreur de cette situation était augmentée par les
cruelles formalités qui étaient attachées à la bénédiction
du mariage. Le clergé avait remarqué que la grande
masse des religionnaires, pour échapper à la sévérité
des lois ou à une note infamante, s'étaient soumis à
considéral)les! (V. tome II, chap. ix, p. 278.) La question de Tétat civil
prime toutes les autres au dix-huitième siècle. Tout y aboutit, tout
en découle. Nous aurons occasion d'y revenir plus d'une fois.
' De l'excès du mal devait sortii" une amélioration. Le clergé en
vint à regretter l'ordonnance de 1715. « Auparavant la perversion
était sévèrement ])unie, disait un prêtre, on en avait même ôté la prin-
cipale cause en défendant et en déclarant nuls les iiiariages des ca-
tholiques avec les prétendus réformés; au lieu qu'aujourd'hui, sur le
principe qu'il n'y a qu'une seule religion en France, la perversion ne
peut être constatée. » V, tome II, p. 428.
CRUELLES FORMALITÉS 91
ses exig'ences et avaient recfouru à son ministère, bien
que leur abjuration, conséquence directe de leur com-
parution, ne fut sincère en aucune façon. Qu'avait-il
donc fait? Désireux d'éviter à tout prix la profanation
des sacrements, il avait résolu de ne conférer le ma-
riage qu'à ceux dont les sentiments religieux ne lui
seraient pas suspects et qui auraient, pendant plusieurs
mois, donné des preuves publiques et certaines de
catholicité. Ici, il imposa des « épreuves » de quatre,
six et douze mois; là, avant d'inscrire sur les registres
les noms des conjoints, il exig-ea d'eux des professions
de foi écrites ou de vive voix * .
■« Gomment donner, disait un prêtre, un sacrement de l'E-
glise, et un sacrement qui suppose la grâce et une conscience
pure, à des gens qui font profession de ne pas croire à l'Eglise
1 Voici la formule d'abjuration qui était imposée en Languedoc aux
nouveaux convertis : « Nous, susdits... croyons de ferme foi et con-
fessons tous et un chacun des articles contenus au symbole de la foi
duquel use la sainte Eglise romaine... Je crois en Dieu, le Père tout-
puissant... Je crois à une sainte Eglise catholique, apostolique et ro-
maine; je confesse un seul baptême pour la rémission des péchés, et
attends la résurrection des morts et la vie des siècles à venir. Ainsi
soit-il ! — Je crois et embrasse fortement la tradition des apôtres et
de la sainte Eglise, avec toutes les constitutions et observances d'i-
celle. J'admets et reçois la sainte Ecriture et au sens que cette mère
Eglise tient et a tenu, à laquelle appartient de juger de la vraie in-
telligence et interprétation de ladite Ecriture, et jamais je ne la
prendrai ni exposerai que selon le commun accord et consentement
unanime des Pères. Je confesse qu'il y a sept sacrements de la loi
nouvelle, vraiment et proprement ainsi appelés, institués par notre
Seigneur J.-C, et nécessaires, mais non pas tous à chacun, pour le
salut du genre humain, lesquels sont : le baptême, la confirmation,
la sainte eucharistie, la pénitence, l'extrême-onction, l'ordre et le
mariage, et par iceux que la grâce nous est conférée, et que d'iceux
le baptême, la confirmation et l'ordre ne se peuvent réitérer sans sa-
crilège. — Je crois aussi et admets les cérémonies approuvées par
l'Eglise catholique et usitées en l'administration solennelle desdits
92 PROFESSIONS DE FOI
et qui ne donnent aucune marque de catholicité?... Aussi exige-
t-on partout quelque temps d'épreuve, pendant lequel on instruit
les fiancés ; on exige ensuite une profession de foi par laquelle
ils disent qu'ils croyent tout ce que l'Eglise catholique, apos-
tolique et romaine croit et enseigne, et qu'ils condamnent tout
sacrements. — Je crois aussi et embrasse tout ce qui a été défini et
déterminé par le saint Concile de Trente touchant le péché originel
et la justification. — Je reconnais qu'en la sainte messe l'on oftre à
Dieu un vrai, propre, propitiatoire sacrifice pour les vivants et pour
les morts, et que le corps et le sang- avec l'âme et la divinité de J.-C,
est vraiment, réellement, substantiellement au très-saint sacrement
de l'eucharistie, et qu'en icelui est faite une conversion de toute la
substance du pain au corps et du vin au sang, laquelle conversion
l'Eglise romaine appelle transsubstantiation. — Je confesse qu'il y a
un purgatoire oti les âmes détenues peuvent être soulagées par les
suffrages et les bienfaits des fidèles. — ' J'avoue qu'on doit honorer
et invoquer les saints bienheureux et régnants avec J.-C, lesquels
prient et off'rent à Dieu leurs oraisons pour nous, et desquels on doit
vénérer les saintes reliques; comme aussi que l'on doit avoir et rete-
nir les saintes images de J.-C, et de sa bienheureuse mère, perpétuel-
lement vierge, et des autres saints et saintes, en leur faisant l'hon-
neur et la révérence qui leur appartient. — Je confesse que notre dit
rédempteur J.-C. a laissé à son Eglise la puissance des indulgences
et que l'usage en est très-salutaire au peuple chrétien. Je reconnais la
sainte Eglise catholique, apostolique et romaine, mère et supérieure
de toutes les Eglises. Je promets une entière obéissance au pape et
saint-père, à Rome, successeur de saint Pierre, chef et prince des
apôtres et vicaire de J.-C. J'approuve sans aucun doute et fais pro-
fession de tout ce qui a été décidé, déterminé, déclaré par les saints
canons et conciles généraux, et spécialement par le Concile de Trente,
et rejette et réprouve tout ce qui leur est contraire, et toutes hérésies
condamnées et rejetées et anathématisées par l'Eglise... — Nous,
tel... et telle... promettons, vouons et jurons sur ces saints Evangiles
de persister entièrement et inviolablement jusqu'au dernier soupir
de notre vie, moyennant la grâce de Dieu, en cette foi catholique, hors
de laquelle il n'y a point de salut et nul ne se peut sauver, et tout
présentement nous faisons, sans aucune contrainte, profession, et,
tant qu'il nous sera possible, la ferons tenir, garder, observer et pro-
fesser par tous ceux desquels nous aurons charge en notre maison et
état. Ainsi, Dieu soit en notre aide et en saints Evangiles, sur lesquels
nous le promettons, en faisant serment entre les mains de messire
vicaire général et officiai, à...., le »
INFRACTIONS A LA LOI 93
ce qu elle condamne, et promettent de vivre et mourir dans
cette foi K »
Voilà où en étaient réduits les religionn aires. Il leur
fallait ou mentir et se parjurer, ou vivre sans exis-
tence lég'ale et comme en dehors de la société.
Si cruelle que fût cette dernière alternative, plus
d'un aima mieux s'y soumettre que plier les genoux
devant les autels d'une religion qu'il abhorrait.
« Je crois, écrivait déjà en 1711 le curé de Saint-Jean-d'Angély,
qu'il est de mon devoir de vous représenter qu'il s'est fait dans
une paroisse trois mariages de nouveaux convertis qui scanda-
lisent les anciens catholiques et sont d'un pernicieux exemple
pour les N. G. Jusqu'ici retenus, ils s'étaient beaucoup obser-
vés se tenant dans la soumission. A présent ils ne gardent
plus de mesure, s'imaginant, sur l'impunité de ceux qui ont
contracté de semblables mariages, qu'ils ont toute sorte de li-
berté, et qu'on n'est plus en droit de s'embarrasser s'ils font
leur devoir ^. »
Et Chamilly écrivait encore de la Rochelle, en 1713 :
« Les prétendus réformés se marient aujourd'hui ainsi qu'a-
vant la révocation de l'Eclitde Nantes. Toute la différence qu'il
y a, c'est qu'ils contractaient validement autrefois, quant aux
effets civils, en observant ce qui était prescrit par les ordon-
nances royales; au lieu qu'aujourd'hui, le roi ayant abrogé
ces ordonnances par la révocation de l'Edit de Nantes, et ne
se mariant pas en présence de leurs ministres, leurs mariages
sont clandestins selon les lois de l'Eglise et de l'Etat ^. »
Ces infractions à la loi furent même assez nom-
1 V. tome II, p. 421.
2 Bibliothèque nationale, Mss. n" 7046, p. 12. (Août 1711.)
^ Ibid., p. 22. (1713.)
94 INQUIÉTUDE DE LA COUR
breuses pour que la cour s'en inquiétât sérieusement.
Elle comprenait en effet que si ces fâcheux exem-
ples se g'énéralisaient , c'étaient d'inextricables diffi-
cultés qui se préparaient pour l'avenir ; que l'Eglise
ne regarderait jamais ces mariag-es comme valides, à
moins qu'ils ne fussent de nouveau célébrés en pré-
sence du prêtre et sous les conditions fixées par les
canons; et que, si ces religionnaires dont elle niait
officiellement l'existence, mais dont elle n'ig*norait
pas le nombre, prenaient décidément le parti de se
passer des sacrements de l'Eglise, elle aurait un jour
devant elle une multitude d'hommes dont les mariages
seraient appelés concubinages et les enfants bâtards,
qui ne pourraient ni tester ni hériter, et qui vivraient
en France, dans le royaume, quoique Français et quoi-
que sujets, hors la société et comme des parias ^
Pour être fondées, ses craintes étaient cependant à
cette époque singulièrement prématurées. Si les infrac-
tions à la loi que Itii signalaient ses intendants n'étaient
point rares, elles n'étaient pas en nombre si consi-
1 Le maréchal de Chamilly posait très-bien dans son rapport les
termes du problème qui devait se débattre plus tard (V. Bibliothè-
que nationale, Mss. n'^ 7046, p, 22.)', et il n'était pas le seul. Plusieurs
mémoires furent composés sur ce sujet et communiqués à d'Aguesseau
qui, d'un trait, indiqua résolument le remède :
« Le mariage est aussi le contrat le plus important de tous ceux
qui se passent dans la société. Le Roi en est le maître, et peut y éta-
blir telle règle que Sa Majesté jugera à propos, par rapport aux effets
civils au moins; mais pour le faire avec toute la circonspection que la
chose le mérite, il sera nécessaire de demander l'avis des principaux
magistrats du parlement de Paris et de ceux des provinces, tant sur
les causes de cette nature qui s'y sont présentées et qui y ont été
jugées ou qui y sont encore pendantes, que sur les règles générales
qui y pourront être établies. » Bibliothèque nationale, Mss. n" 7046,
p. 26.
CRAINTES PRÉMATURÉES 95
dérable qu'elle dût en prendre déjà l'alarme. Elles
n'étaient qu'un symptôme : le mal n'avait pas encore
de profondes racines. Ce fut seulement vers 1730 que
les mariages se multiplièrent au Désert, et que la
totalité des protestants prit la résolution de se marier
en présence des prédicants. L'abbé de Caveirac devait
même assigner « à cette grande licence » une date
plus reculée, l'année 1743. « Avant ce temps, dit-il,
il y avait bien quelques mariages de la même espèce,
mais c'était dans les montagnes du Vivarais et dans les
Ce venues, et en si petite quantité qu'ils ne faisaient
pas de sensations dans le royaume K » La vérité est,
qu'en 1715, à la mort de Louis XIV, et sous laEégence,
la plupart des religionnaires reculaient devant la note
infamante dont on les menaçait, qu'ils se soumettaient
à toutes les exigences du prêtre, et que c'était bien à
l'église qu'ils allaient faire bénir et légitimer leurs
unions. Chacun, il est vrai, essayait d'atténuer en
quelque manière l'horreur des conditions qui lui étaient
imposées. Ceux-ci affectaient de railler les cérémonies
auxquelles ils assistaient, et ceux-là g^agnaient un
prêtre à prix d'argent pour qu'il les en dispensât. « Ils
disent, écrivait le Père Guerrier, qu'ils trouvent des
curés qui à la vérité se font bien payer, mais qui les
marient pour leur argent. L'on m'écrit qu'ils se font
donner jusqu'à quinze pistoles. Il est triste qu'il se
' Mémoire politico-critique^ où Von examine s'il est de Vintérêt
de VEglise et de VEtat d'établir pour les calvinistes du royaume
une nouvelle forme de se marier^ et où Von réfute V écrit qui a pour
titre : Mémoire théologique et politique au sujet des mariages
clandestins des protestants^ p. 19, iii-8. (175G.)
06 COURT ET LES SYNODES
trouve des curés qui fassent ces sortes de mariages
qui, étant contre les dispositions des saints canons, font
tort à l'Eglise et à l'Etat i. » Et en 1710 déjà, n'était-
ce pas un évêque, l'évêque de Gap, qui dénonçait lui-
même trente mariag'es de cette espèce bénis dans une
seule de ses paroisses?... Quoi qu'il en soit, la cour
devait être sans inquiétude. Il n'y avait guère que
« les gens du menu » qui bravassent l'autorité royale,
et se fissent, au mépris des ordonnances, marier au
Désert. Tous ceux qui avaient quelque soin de leur for-
tune et de leur établissement consentaient encore aux
épreuves, à l'abjuration, et ne négligeaient pour arriver
à leurs fins aucune des formalités que le clerg'é avait
prescrites contre eux.
C'est précisément contre cette condescendance et
« cette lâcheté » fatale au protestantisme qu'Antoine
Court et les Synodes s'élevèrent, dès la première heure,
avec une très-gTande force. Quoi donc! Etait-ce tout
que de se rendre aux assemblées ! Leur courage n'al-
lait-il qu'à venir entendre le prédicant, et leur vertu
qu'à pleurer publiquement sur « leurs péchés? » Etaient-
ils protestants ou non? S'ils l'étaient, qu'ils jetassent
donc le masque de nouveaux convertis ! A cette heure
terrible où se débattaient les destinées de la Réforme
française, il fallait hardiment se rang-er dans un camp
ou dans l'autre, et dùt-on perdre l'honneur, la fortune
et la vie, marcher résolument derrière le drapeau qu'on
s'était choisi.
Il était expressément défendu aux religionnai-
1 Bibliothèque nationale, Mss. n" 7046, p. 12.
RÈGLEMENTS SYNODAUX 97
res de se marier à l'église et d'y faire baptiser leurs
enfants. Ils étaient au contraire exhortés à se servir
« des moyens que la Providence leur fournissait par le
ministère de leurs pasteurs légitimement appelés dans
l'église ^ » Pour les baptêmes, lorsque le prêtre deman-
dait aux parents si leur enfant était baptisé, les parents
devaient répondre affirmativement et s'opposer à ce
qu'il fut rebaptisé par le curé \ Les mariages enfin,
— et on revint sur ce sujet, — ne pouvaient être bénis
par les prêtres de l'Eglise romaine. Les mariages
mixtes, « big-arrés, » étaient également interdits. Le
Synode de 1722 donna ordre à tous les Anciens d'avoir
une attention particulière sur la jeunesse pour empê-
cher, autant que possible, qu'elle se « polluât par
mariage avec la partie contraire ^ »
Les mariages, à cette époque, se faisaient en géné-
1 N" 7, t. III, p. 47. Synode de 1719. — On revint bien des fois sur
cette grave et importante question. « Le 20 mai 1723, nous assem-
blâmes en Synode, dit Corteiz, les prédicateurs et les Anciens dépen-
dant des Synodes de la montagne. La question affligeante qui entre-
tint fort longtemps l'assemblée synodale, ce fut de ne point se marier
dans TEglise de Rome. Le dessein est très-bon, mais l'exécution dif-
iicile quand on n'est pas soutenu par le magistrat, ou plutôt que le
magistrat fait la guerre et persécute la personne fidèle. La chose fut
pourtant décidée de ne point se marier dans l'Eglise romaine, et
principalement à cause des abjurations horribles exigées par icelle. Il
faut donc se délibérer de faire la volonté de Dieu et de sortir de Ba-
byione, et les prédicateurs de se faire devoir d'y exhorter le peuple,
montrant à la jeunesse la nécessité de garder la pureté de la foi et
l'innocence, sortir du royaume, ou bien, si l'on veut rester, se marier
par ceux qu'on reconnaît pour ses légitimes pasteurs, sans avoir égard
ni à la confiscation des biens, ni aux misères de la vie, ni aux empri-
sonnements, ni, en un mot, à toutes les peines que l'Eglise romaine
inflige h ceux qui ne veulent pas encenser la Bête. »
2 N" 1, t. II. p. 21.
-^ N" 7, t, I, p. 322.
9§ CÉRÉMONIES DU BAPTÊME
rai au Désert, les baptêmes rarement ; le prédicant
baptisait plus souvent dans des maisons isolées et dans
des fermes. On sait peu de chose sur la façon dont se
pratiquaient ces deux cérémonies; pour en connaître
le détail, il faut voir ce qui eut lieu plus tard, en 1743.
Il est cependant à peu près certain qu'on agissait
alors comme on agit dans la suite. Quand il y
avait promesse de mariage, le ministre l'annonçait
publiquement au Désert devant les fidèles, et s'il n'y
avait ni opposition ni protestation, il procédait à la
bénédiction, suivant la forme ordinaire des Eglises
réformées. Il marquait la date de la cérémonie sur
un registre qu'il portait avec lui et délivrait un cer-
tificat aux nouveaux mariés. Lorsqu'il s'agissait d'un
baptême, le ministre faisait promettre au père et à la
mère de ne point consentir à ce que leur enfant fût
rebaptisé, afin d'éviter la profanation c< du nom adora-
rable de la très-sainte Trinité, le mépris du saint bap-
tême et le scandale qu'il y aurait dans la réitération
de ce saint sacrement. » Cette promesse faite, il répan-
dait l'eau baptismale sur le front de l'enfant. Le nom
de ce dernier, ceux du parrain et de la marraine, ainsi
que du père et de la mère étaient ensuite inscrits sur
son registre ^
Ce n'était pas sans danger que ces cérémonies avaient
lieu. En 1720, la femme d'un Ancien vint à accoucher.
Son mari, craignant les espions et le curé, l'avait en-
voyée hors de la maison, dans une ferme isolée, pour
y faire ses couches. Dès que l'enfant fut venu au monde,
1 V. Bullet., t. Xill, p. 12.
ET DU MARIAGE 99
Corteiz le baptisa et huit jours après la mère, quoique
fatiguée et encore souffrante, rentra au log'is. A peine
était-elle de retour, que le prêtre fît dire au mari qu'il
savait tout et qu'il le priait de lui communiquer le
« baptistoire » de son enfant. L'Ancien demanda un
entretien particulier, refusa d'indiquer en quel lieu sa
femme s'était accouchée, mais avoua que l'enfant était
baptisé et qu'un prédicant avait présidé la cérémonie.
Grand embarras. Le curé répliqua qu'il ne pouvait
éviter de rebaptiser l'enfant. Le père, homme rude et
zélé, arg'umenta, réclama, et déclara finalement que
s'il ne pouvait rien empêcher, il ne livrerait pas du
moins son enfant sans protester devant Dieu et de-
vant les personnes présentes qu'il était déjà baptisé,
et qu'il ne consentait pas qu'on lui administrât un
second baptême. La journée se passa sans nouvel inci-
dent. Le lendemain, le curé accompagné d'une femme
arriva dans la maison paternelle, s'empara de l'enfant,
et malgré les protestations de l'Ancien, emporta le
nouveau-né et le rebaptisa K
Cette misérable comédie autour d'un berceau se re-
produisit souvent. Que de fois on vit de scènes sembla-
bles ! Il est facile dès lors de comprendre quelle inflexi-
bilité il fallut montrer pour imposer ces règlements
aux religionnaires. On en fut réduit à les placer dans
cette dure alternative ou de sortir de l'Eglise, ou de se
soumettre à la discipline qu'elle avait instituée.
Si malgré les défenses synodales, quelqu'un se ma-
riait dans l'Eglise romaine ou y faisait baptiser ses
1 N° 1, t. n, p. -^62. (1720.)
1(K) PEIiNl':S DISCIPLINAIRES
enfants, il était aussitôt exclu de la sainte Cène. Il
ne pouvait être réintégré dans ses droits qu'après avoir
témoig*né publiquement dans une assemblée, au pied
de la table sainte et les g-enoux en terre, son reg"ret
d'être entré dans une église « impure, » et de s'être
incliné « devant un prêtre idolâtre. » Si quelqu'un
sig-nait l'abjuration exigée par certains prêtres, il était
une première fois excommunié pour dix mois. Si, par
un second mariage, il retombait dans la même faute,
il était tenu indigne d'être membre de l'Egdise et
excommunié dans les assemblées publiques. Cette
excommunication ne pouvait être levée que lorsque le
coupable donnait des sig'nes non équivoques de repen-
tance et avait manifesté sérieusement le désir de ren-
trer c( dans la paix de l'Eglise \ »
Quelques fidèles, indécis, voulaient biaiser, cher-
cliaient des échappatoires. Ils disaient pour leur dé-
fense que c'était leur corps seulement qui fléchissait
devant l'idole, non leur âme , qu'ils ne varieraient
plus, que c'était une parenthèse dans leur vie. « Pa-
renthèse ! leur répondait- on. Dieu veut que nous le
glorifions en nos corps et en nos esprits. C'est le ten-
ter que d'espérer de se relever; aller sciemment dans
le péché, c'est ignorer si on en sortira ^ » Et, lorsqu'on
passait outre, l'article du règlement était sévèrement
appliqué. C'est ainsi qu'un jour, dans une grande as-
semblée, Corteiz refusa de donner la communion aux
personnes qui s'étaient mariées dans l'Eglise romaine.
« Elles furent fort consternées, dit-il, quand elles en-
1 N" 7, t. III, p. 47. Synode de 1719
2 N" 17, vol. a. (1721)
ZV^'^
SCHISME DE HUC-MAZEL loi
tendirent que ceux qui avaient fait infraction en se
mariant à la messe devaient faire reconnaissance pu-
blique. »
La sévérité devait s'exercer avec d'autant plus
d'éclat, que quelques-uns, et ce n'étaient pas les
■moindres, faisaient preuve d'une plus grande condes-
cendance. Un prédicant qui avait collaboré à la rédac-
tion des règ'lements, non-seulement ne prohibait pas
les mariages à l'Eg'lise, mais encore les tolérait et les
encourageait. C'était Jean Hue. Cet homme qui avait,
à son retour de Genève, passé quelque temps à Mont-
pellier, avait été dans cette ville entretenu par des
catholiques ; il avait là probablement puisé certaines
doctrines sur la résurrection un peu hasardées et qui
devaient plus tard inquiéter ses collèg'ues. Mais c'est
de là sans aucun doute qu'il avait rapporté la convic-
tion qu'on pouvait, sans péché, se marier à l'église et
signer les abjurations dont le clergé avait établi la
formule. Il disait que dans le premier cas on ne com-
mettait pas un péché, mais une simple pollution, que
dans le second, on pouvait sans blesser sa conscience,
sans trahir la religion et sans renier Jésus-Christ, ré-
pondre aux prêtres qu'on abjurait les hérésies de Calvin,
parce qu'ils ne demandaient pas d'abjurer la religion
de Jésus-Christ. Et Court, reprenant ces derniers mots,
s'écriait naïvement : « Comme s'il ne fallait pas en-
tendre que sous cette expression d'hérésie on veut et
on entend de nous faire abjurer la croyance de la reli-
gion que professait Calvin qui nest autre que celle de
Jésus-Christ et de ses apôtres *. » Quoi qu'il en soit,
» N" 7, t. I, p. 8. (1719.)
102 SCHISME DE HUC-MAZEL
de telles paroles dans la bouche de Hue étaient dan-
gereuses. Les fidèles se soumettaient difficilement à
la rigueur de la discipline; aussi, voyant un prédicant
subvenir à leur embarras et les soutenir dans leurs
hésitations, commençaient-ils à former autour de lui
un parti très-nombreux. Heureusement les partisans de
l'ordre étaient décidés à ne point laisser échouer l'œuvre
qu'ils avaient entreprise. Un Synode fut tenu en 1719,
au mois de septembre ; soixante membres y assistaient
et Corteiz en était le modérateur : « Vous me parlez,
écrivait-il, de Hue, dit Mazel, et de l'admonester dou-
cement. Ceux qui vous ont donné cet avis sont des per-
sonnes très-sages; mais, hélas! ce n'est pas moi qui l'ai
démis, ce sont ses erreurs ^ . » Hue en effet dans cette as-
semblée fut interdit et déposé pour avoir prévariqué aux
articles des règlements. Mais ce vieillard, très-ignorant,
était d'une singulière opiniâtreté. Loin de se soumettre
à la décision de ses supérieurs, il continua, dans les
hautes Cévennes où il s'était retiré, de propager ses
sentiments sur les abjurations et les mariages, comme
sur les autres articles de la foi. Il eut bientôt ses disci-
ples. Deux proposants, envoyés par le Synode, vinrent
le trouver, et dans une assemblée lurent aux fidèles
un livre imprimé, dans lequel l'auteur s'élevait contre
ceux qui se faisaient marier ou faisaient baptiser leurs
enfants par des prêtres romains ^. » Corteiz, inquiet de
cette opposition, encore qu'elle fut confinée dans une
seule contrée, — il l'appelait la contrée de Mazel, —
s'y rendit lui aussi, pour ébranler dans l'esprit des
1 N" 7, 1. I, p 8; et n" 17, vol. G, p. 38.
•2N" 17, vol. G, n" VI. (1720.)
SCHISME DE VESSON 103
relig'ionnaires le crédit de son collègue. Pictet enfin
écrivit de Genève aux partisans de Mazel pour les rap-
peler au sentiment du devoir, au respect de l'ordre et
de la discipline. Mais tous les efforts furent inutiles. La
popularité de Hue était considérable. Les membres du
Synode et les prédicants passèrent « pour des émis-
saires du démon, )v et il ne fallut rien moins qu'une
lutte incessante, la trahison d'un faux frère et le
martyre de Jean Hue, pour que cette manière de
schisme cessât définitivement.
Cette opposition n'avait pas été la première. Elle
avait été faite au nom des fidèles et soutenue par eux :
de là son importance. Mais, en 1716, trois ans avant
qu'elle se manifestât, un prédicant s'était déjà élevé
contre la réorg'anisation de l'Eglise. Jean Vesson se
plaignait des obligations auxquelles on l'astreig^nait;
il avait refusé de faire examiner ses sermons, ne s'était
point rendu aux Sj^nodes, avait donné la sainte Cène,
quoiqu'il n'en eût pas le droit, et avait convoqué des
assemblées avec une extrême imprudence ; pour tout
dire « il faisait bande à part, sans excuse légitime, »
violait la discipline et calomniait ses frères. Il luttait,
malheureusement pour lui, contre un pouvoir trop
affermi déjà pour qu'il le pût ébranler. Un Synode
tenu au mois de février 1718, l'assigna à sa barre et,
comme il ne s'était point présenté, le démit de ses
fonctions ^ Une porte de salut lui était cependant
1 « La compagnie examinant les mœurs des pasteurs et ayant trouvé
que malgré une première, une seconde et une troisième admonition
le S' Jean Vesson, pasteur extraordinaire, persiste dans une conduite
104 ÉTABLISSEMENT DE L'oRDRE
ouverte. On décida qu'il serait réintégré dans sacharg'e
de prédicant, s'il donnait des marques de repentir, et
réparait sa faute devant un colloque. Vesson comprit
que les temps étaient changés et, en 1718, au mois de
mars, il fit sa soumission entre les mains de Corteiz,
de Rouvière et d'Antoine Court
Ce furent les seuls obstacles que le parti de l'ordre
eut à vaincre. Dès lors, recrutant chaque jour de
nouveaux membres, fort de l'adhésion de tous, modi-
fiant ou perfectionnant ses règlements et le rouage de
sa discipline, il i)rit par la force des choses une impor-
tance croissante. L'ordre finit par s'établir; et ce mot
qu'Antoine Court avait mis sur son drapeau à côté de
cet autre : Réveil, fut entouré d'un tel prestig-e aux
yeux des Eglises étrangères et de l'Eglise même de
France, qu'il amena le triomphe de l'œuvre à laquelle
le jeune prédicant s'était dévoué.
ti'ès-repréhensible k plusieurs égards, elle l'a, d'une voix unanime et
en vertu de l'article 47 de la discipline ecclésiastique des Eglises
réformées de France, déposé et démis comme coupable de plusieurs
fautes graves et principalement comme schismatique, s'étant séparé
de la compagnie de ses frères, sans excuse légitime, et ayant rejeté
les instances de plusieurs fidèles qui le priaient de se rendre au pré-
sent Synode pour entendre la censure qui lui serait faite. Ainsi ledit
S*" Jean Vesson demeurera interdit par défaut, jusqu'à ce qu'il donne
des marques d'une sincère repentance et qu'il ait édifié l'Eglise par
son retour, autant qu'il peut l'avoir scandalisée par sa mauvaise
conduire. »
1 N" 1. t rr, p. 20 et 23.
CHAPITRE IV
LES ASSEMBLÉES AU DESERT '
1715-1723
Dans un espace de temps relativement court , et au-
tant qu'il était possible, le protestantisme avait été
c( réveillé » et l'ancien ordre de choses rétabli. C'était
un grand résultat. Mais que voulait-on? Conquérir la
liberté de conscience. Il fallait donc montrer à la cour
qu'il restait, en dépit de l'ordonnance de 1715, des
protestants en France, et que ces protestants étaient
fermement décidés, dussent-ils payer leur résolution
de leur vie, à revendiquer jusqu'à leur dernier souffle
les droits primordiaux qu'on leur avait ravis.
C'est ce qui explique les eflPorts et la persévérance
d'Antoine Court pour organiser régulièrement les as-
semblées au Désert. Il y voyait un moyen, non d'intimi-
dation, mais en quelque sorte de parade. « Le but de ces
assemblées, dit-il quelque part, était, ainsi que je l'ai
rapporté, de faire connaître aux Puissances que le nom-
bre des protestants était plus considérable qu'on le
1 V. sur ce même sujet, tome II, chap. vi, p. 158. —Il n'est pas sans
une certaine importance, pour voir les choses sous leur vrai jour
• le préciser les dates et de distinguer les époques.
106 CONVOCATION DES ASSEMBLEES
pensait, et d'obtenir par ce moyen, s'il était possible,
quelque tolérance en leur faveur * . y>Les> protestants mon-
traient par là en effet qu'ils n'étaient point une poignée
d'hommes, mais presqu'un peuple; ils montraient en
même temps de quels sentiments ils étaient désormais
animés, leur amour pour le roi et leur éloignement pour
les luttes civiles.
Il fallait toutefois que ce résultat s'obtînt sans trop
de souffrances. Le moyen proposé était très -périlleux,
car les édits étaient inexorables. On devait donc user
de prudence, si l'on ne voulait point s'exposer à des
dangers trop certains.
C'est aux Anciens que revenait la charge de convo-
quer les assemblées. Le matin, ou dans la journée, un
homme passait. Il trouvait un frère , lui annonçait
qu'un prêche devait avoir lieu, à telle heure et en tel
lieu, puis disparaissait. Cependant, portes closes, à
l'oreille, on se communiquait la bonne nouvelle. Les
préparatifs se faisaient. Peu de chose, puisqu'on par-
tait sans armes. Mais encore fallait-il tromper par de
faux avis les voisins, calmer les inquiétudes des vieil-
lards, exhumer de la cachette un feuillet des Ecritures
ou des psaumes ; tout cela demandait des soins. Enfin
la nuit venait. Alors mille craintes. Quelque espion ou
quelque faux frère n'avait-il pas appris la convocation de
l'assemblée ? Le gouverneur n'était-il pas informé ?
Les troupes n'étaient- elles pas sur pied ? Mais la foi
triomphait de la crainte, et, vers dix heures, on partait
de la ville ou du village, non par bande, — cela eût pu
1 N" 40, cah. II.
FATIGUES ET SOT JFFR ANGES UH
donner des soupçons, — mais séparément, sauf à se réu-
nir plus loin, eh quelque endroit isolé. On se rencon-
trait, on parlait des premiers dang'ers surmontés, et,
pleine d'espérance, la petite troupe composée de cinq
à dix personnes se dirigeait vers le lieu convenu.
La course était longue : une lieue, deux lieues. Les
femmes étaient harassées et les enfants avaient peine
à arriver. Chose grave! car les abandonner en route
ou les renvoyer à la maison, c'était les exposer à être
surpris par les troupes, les livrer aux interrogatoires,
partant faire surprendre l'assemblée. Il fallait alors que
les hommes robustes de la troupe les portassent sur
leurs épaules.
En hiver, dans ces contrées, les nuits sont froides,
en été, elles sont parfois pluvieuses ; mais vents, orages,
rien n'arrêtait ces intrépides confesseurs. A Nîmes, en
1715, Antoine Court avait convoqué dans les environs
une assemblée. Un orage violent éclata tout à coup.
Ses amis le retenaient , mais lui , quoique à pied et
qu'il eût une lieue de chemin à faire, se mit immédia-
tement en route, songeant à ceux qui avaient probable-
ment affronté le même orage pour venir écouter sapa-
role^ Sur la lisière d'un bois, toutes tremblantes, seules,
il rencontra trois jeunes filles qui avaient perdu leur
chemin dans l'obscurité et qui le prièrent de les con-
duire à l'endroit où, sous la pluie battante, l'assemblée
était déjà réunie \
« Cinq dimanches de suite, raconte Gorteiz, nous fûmes
exposés à souffrir la phiio; mais, le premier dimanche, il plut
i N" 46, cah II.
108 SOTJFFRANCES ET TONTRE-TEMPS
très-fort pendant le temps de la dévotion. Nous n'avions d'au-
tre couvert que le ciel. Jugez de quelle façon nous fûmes
mouillés! Au moins je puis dire que je sentais couler l'eau le
long de l'épine du dos et de ma chemise. Qui ne voit la peine
qu'il faut souffrir pour trouver la Parole de Dieu ; et heureux
encore si l'on était au Désert en sûreté ! Cependant je n'aper-
rois la dévotion plus vive ni plus ardente que quand on se
trouve dans ces extrémités. »
Et ailleurs :
« Le samedi au soir, la veille de l'assemblée, il se leva un vent
si fort et si froid que l'eau glaçait sous les pieds. Ce qui fit que
dans cette haute montagne où il se fait des assemblées con-
sidérables, il ne se rendit qu'environ mille âmes qui forcè-
rent contre le vent impétueux. Je leur exposai la prédication
que j'avais méditée; mais, hélas! à tous moments le vent me
fermait la bouche et me coupait la parole. Ah! qu'on est mal-
heureux de se trouver dans un lieu où l'on ne peut prier Dieu
qu'au risque des galères et de la mort même ^. »
Parfois la date était fausse, l'heure était mal indi-
quée, le rendez-vous mal pris, et l'on ne trouvait pas
le lieu de l'assemblée ; parfois encore celle-ci était con-
tremandée et, au risque de tomber dans une embuscade
des troupes, on courait à la recherche d'un prêche qui ne
pouvait avoir lieu. « Ceux qui devaient assister à4'as-
semblée étaient déjà mandés pour cela, lorsque quel-
ques fidèles étaient venus rapporter qu'elle ne pouvait
pas se tenir sans danger, à cause que les vignes qui
étaient autour se trouvaient g'ardées par les catho-
hques^. » Mais ceux qui n'avaient pas été prévenus
1 N" 17, vol. H. Relation historique, etc.
2 N° 4f>, cah. I.
LE DÉSERT 1(»9
avaient battu le pays toute la nuit. C'étaient de nou-
veaux dangers à affronter pour le prêche suivant.
Plus de temples : ils avaient été démolis ou brûlés ;
leurs matériaux avaient servi à construire des églises.
On se réunissait donc dans les endroits écartés. Une
caverne, l'enfoncement d'un bois, un ravin ignoré, une
ferme abandonnée étaient les sanctuaires habituels.
C'est ce qu'on appelait le Désert.
L'assemblée était lente à se réunir. Peu à peu ce-
pendant, les groupes se formaient. Au temps passé,
entre la soumission des Camisards et la venue de Court,
il n'y avait guère qu'une centaine de personnes, par-
fois plus, souvent moins. Avec Antoine Court on vit
des assemblées qui comptèrent jusqu'à deux mille au-
diteurs. c( Il me souvient, dit-il, il n'y a que quatre jours
que nos plus nombreuses assemblées n'excédaient
pas le nombre de deux à trois cents, et quand nous
en voyions une qui allait à ce nombre, peu s'en fallait
que nous ne criassions au miracle. » Dès l'année
1718, on compta les assistants par milliers, et il est
parlé quelque part d'une assemblée où il n'y avait pas
moins de quatre mille fidèles.
Il s'y trouvait beaucoup d'hommes et de jeunes gens ;
les femmes pourtant dominaient, intrépides, coura-
geuses, exaltées.
Cependant, on disposait les sentinelles, choisissant
les plus agiles et les plus forts \ Si l'assemblée se te-
* N° 46, cah. II, p. 44.— Un Synode, tenu en 1720, revint sur ce point.
« Les circonstances lâcheuses demandant que l'on prenne de plus
i^randes précautions pour Ja conservation des assemblées, il a été dé-
cidé que les anciens auront soin de fournir de sentinelles les lieux
où il y a garnison. •» Rcaieil âas actes synodaux, etc.
110 SENTINELLES, PANIQUES
liait non loin d'une ville, on les échelonnait de poste en
poste jusqu'aux murailles pour donner l'alarme, au cas
qu'un détachement sortît ; si elle se tenait en rase cam-
pagne ou dans une caverne, on les établissait dans les
alentours en leur ordonnant de se replier à la première
apparence de péril. C'était parfois la source d'épouvan-
tables paniques. Un joui', Court était sur le point de
donner la bénédiction ; les sentinelles les plus voisines
s'en étant aperçues coururent en hâte pour avoir part
à ce dernier acte du culte. Malheureusement elles
avaient des boutons de cuivre sur leur justaucorps et
s'avançaient rapidement. Quelques-uns les prirent pour
des soldats. L'alarme fut donnée. Les derniers voulant
prendre la fuite renversèrent les premiers, et dans un
moment la confusion fut portée à son comble. Enfin ou
reconnut l'erreur et le service interrompu fut continué
avec une nouvelle joie K
« Le 25 novembre, dit Gorteiz, l'assemblée fut formée la nuit,
dans une maisonnette de laquelle on se sert pour sécher les
châtaignes, dans uji ])ois proche de nos formidables ennemis =
Lassemblée était formée en faveur des paroisses de Saint-
Martialj de la Mialouze et du Collet de Dèze. Comme la maison
était petite, on pria les Anciens de ne mener que des commu-
niants ; mais bien qu'on ( ùt enjoint à ceux qui faisaient la fonction
de cloches de n'en mener qu'un petit nombre, il en vint beau-
coup plus que la maison ne pouvait contenir ; mais la peur y
pourvut. Les deux sentinelles virent quatre hommes avec cha-
cun un flambeau à la main pour s'éclairer. A la vérité, c'étaient
des ennemis, mais qui ne pensaient point à nous. Nos senti-
nelles se donnèrent peur. Il leur parut que ces flambeaux ve-
naient à nous, bien qu'il ne fut pas vrai; ils vinrent donner
1 N° 46, cah. II.
LE CULTE 111
l'alarme à l'assemblée. Je sortis promptemeiitpour voir de quoi
il s'agissait, j'aperçus ces quatre flambeaux et je dis aux An-
ciens : « Ces flambeaux suivent le ruisseau, et ne croyez pas que
l'ennemi vienne avec de la lumière pour nous surprendre; cal-
mez-vous et ne faites pas de bruit. » Cependant une partie de
l'assemblée s'enfuit, et la maison qui était trop petite fut assez
grande. Le restant, nous achevâmes heureusement notre dévo-
tion; le lendemain les fuyards se reprochèrent leur lâcheté^. »
Dès que le prédicant était arrivé, le service commen-
çait. C'était vers minuit. Les assemblées de jour furent
toujours très-rares et ne se tinrent que beaucoup plus
tard, vers 1743. La lecture de la Bible, le chant des
psaumes, les prières et les exhortations du prédicateur
composaient les éléments du culte. Les fidèles priaient
d'abord en particulier. Quand le ministre se faisait at-
tendre, on lisait quelques passages de la Bible. Un des
assistants, en g-énéral un Ancien, faisait l'office de
lecteur'^. « Avant que le ministre n'arrivât, dit une re-
lation du temps , on a fait la lecture de quelques cha-
pitres de l'Ecriture sainte, et chanté les psaumes LXX
et LXXX; ensuite le ministre étant arrivé, il a com-
mencé par la confession des péchés et a fait chanter le
psaume CXXXVIT. à g-enoux et il a pris pour texte dans
ledit psaume le verset 7 ^ »
* N" 17, vol. H. Relation historique, etc.
■^ « Sur ce qu'il a été dit que plusieurs profanes et libertins s'ingé-=
raient à faire la lecture et lisaient le chant des pseaumes aux saintes
assemblées, et qu'à cause de cela les fidèles étaient scandalisés, — C'e^st
pourquoi il a été délibéré qu'à l'avenir, personne ne fera la JecLure
de la Parole de Dieu ni le chant des pseaumes, qu'il n'ait été élu
Ancien, et là où il n'y aura pas des Anciens capables, ils seront obligés
de faire l'élection de leur lecteur et de leur chantre. » Synode de 1720.
Recueil des actes synodaux, etc.
^NM7, vol. 0. (Juin 1719.)
112 LE 6ERM0N
Le prédicaiit, debout sur une émineiice commen-
(;ait enfin son exliortation. Très-probablement, dans
cette circonstance, il avait un costume particulier*.
Qu'étaient ces sermons? On ne sait guère ; il n'en reste
aucun fragment. La plupart cependant n'étaient autres
que des discours imprimés à l'étranger et laborieuse-
ment appris par cœur. Pour soutenir le zèle de leurs
coreligionnaires, les réfugiés leur faisaient en effet
passer des livres, des traités religieux, des sermons. De
Hollande, de Genève surtout, on expédiait « aux défen-
seurs de la foi » des paquets de livres qu'un correspon-
dant courageux se chargeait de faire parvenir à leur
destination. Corteiz reçut ainsi huit douzaines de ca-
téchismes et dix sermons ^. Ce fut l'origine d'une cu-
rieuse habitude. Quelques prédicants incapables de
composer eux-mêmes leurs sermons apprenaient ceux
des orateurs célèbres , et les déclamaient ensuite aux
assemblées. Bombonnoux récita ainsi un discours de
Pierre Dumoulin, et «la faim pour la parole faisait
trouver bonne cette manière de prêcher. » Habitude
cependant fâcheuse, et qu'on abandonna. Les prédi-
cants se mirent bientôt à composer et à réciter leurs
propres sermons. Un professeur de Genève, l'illustre
Pictet, loua même le talent d'Antoine Court et déclara
que ce jeune homme avait « des dons considérables »
pour la chaire. Point de théologie d'ailleurs dans ces
exhortations, ni de longs raisonnements, point d'orne-
ments ni de fleurs de rhétorique. Un des plus instruits et
i Cela paraît ressuriir d'une lettre de Duplaii, en 1730, et d'une
autre de Corteiz, en 1718. N" 1, t. IJ, p. 42
2 N" 17, vo!, G.
LE SERMON 113
des plus intrépides, Claude Brousson s'en était déjà
glorifié. « Je rejette tous les vains ornements de l'élo-
quence et de la sagesse du siècle qui consiste à mêler
dans la prédication de l'Evangile quelque trait de l'his-
toire profane ou quelque point de philosophie et des
autres sciences humaines , afin de paraître savant, ce
qui me paraît un pur abus du saint ministère ; car cet
impur mélange, d'un côté fait juger que celui qui
parle cherche plutôt la vaine gloire que la gloire de
son -maître et le salut de ses élus, et de l'autre cor-
rompt la parole de Dieu... » Que fallait -il attendre
des autres ? Ils avaient composé leurs discours sur
quelque route , en marchant , dans une grange, sous
un arbre , et n'avaient eu pour toute bibliothèque
c( qu'une Bible, et pour table qu'une pierre reposant sur
leurs genoux \ » Parlant d'ordinaire à l'improviste, à la
première occasion, prédicateurs ignorants s'adressant à
des auditeurs plus ig*norants encore, quelles quahtés
oratoires pouvait-on exiger d'eux? — Soupçonnaient-
ils eux-mêmes que l'art de la parole eût ses règles et
ses lois ?
Point de haine dans leurs discours : des paroles de
charité... quelque chose de véhément et de doux, de
ferme et d'affectueux, — le cœur s'adressant au cœur.
Grands et sublimes accents comme on en entend chez le
peuple, frivolités et naïvetés toucliantes, répétition de
mots et d'idées, citations diffuses de passag-es bibliques,
solécismes et barbarismes continuels, et malgré cela, on
ne sait quel parfum inconnu qui pénétrait les âmes
N" 40, cah. 111.
1
114 l.E SERMON
des auditeurs. Court prêcha, un soir, à l' improviste. Il
s'exprima avec onction et véhémence, d'une manière
suivie et sans se « déférer nulle part. » « Parlai -je avec
ordre, ajoute-t-il, suivis-je les règles de l'art oratoire?
Elles ne m'étaient seulement pas connues ; mais mon
discours plût et édifia mon auditoire. » Leprédicant n'é-
tait que l'écho des sentiments qui ag'itaient les auditeurs
pressés autour de lui. Ag'itée au souffle de ses pa-
roles, l'assemblée, haletante et émue, écoutait. Au mi-
lieu de la nuit , il y avait des silences étranges ■ que
troublait seule la voix du ministre. Cette parole grave,
enflammée, réchauffait les cœurs, remuait les âmes ;
chacun croyait entendre la propre voix de sa conscience.
De là, ces émotions poig*nantes qu'augmentaient les
périls de l'heure, ces applaudissements arrachés par
la naïve éloquence des orateurs, ces larmes qui cou-
laient au récit des infortunes subies, des persécutions
à affronter, des souffrances de la primitive Eglise.
« Pendant la prédication, est-il dit quelque part, tout
le pauvre peuple fondait en larmes. »
Le sermon était long , trop long souvent . Il fallut
remédier à cet abus. On décida que les pasteurs n'em-
ploieraient pas plus d'une heure, ou tout au plus cinq
quarts d'heure, à leurs prédications suivant en cela
l'exemple des prédicateurs de Genève *. Lorsqu'il avait
terminé , et que les applaudissements, — car souvent
on applaudissait, — avaient cessé, il arrivait que le mi-
nistre baptisât un enfant, ou bénît un mariage. Ce cas
toutefois, dans les premiers temps surtout, se présen-
1 V. Coquerel, t I, p. 34. Synode de 1717, -V. aussi n" 17, vol. G,
p. 382. Synode de 1721.
LA SAINTE CENE \ '115
tait rarement. Plus fréquemment on donnait la com-
munion. Cette cérémonie ne pouvait être célébrée
que par les pasteurs, et Court dans ses récits s'étend
longuement sur ce chapitre. Il paraît qu'aux jours
de communion on formait avec des pièces de bois une
sorte de parquet où se tenaient les Anciens pendant
la prédication. Au moment où le pasteur se préparait
à célébrer la sainte Cène, ceux-ci allaient se placer à
l'entrée et empêchaient d'approcher de la table qui-
conque avait commis une action scandaleuse, et n'en
avait pas encore fait pénitence publique.
« Les Anciens, écrit Gorteiz, se tiennent u la porte du par-
quet qu'on fait avec des pièces de bois, dans lequel parquet
ils se tiennent pendant la prédication jusqu'à la célébration de
la sainte Cène. Ils se relèvent ensuite pour laisser passer les
communiants les uns après les autres. Mais ils se tiennent à la
porte pour prendre garde que personne de ceux qui ont fait
quelque action scandaleuse ne s'approche qu'il n'ait fait pre-
mièrement réparation. »
Les fidèles qui étaient dans la paix de l'Eglise com-
muniaient les premiers ; quand le dernier avait accompli
cet acte, les Anciens faisaient approcher ensemble les
coupables. On les voyait alors s'avancer vers la table
sainte, tremblants et comme honteux ; ils écoutaient
chacun selon leurs fautes les exhortations et les remon-
trances du prédicant, — puis ils communiaient. Il y avait
en ce moment de touchantes scènes. Un jour, un homme
entouré de respect, «dont le péché était caché au monde,
maisdécouvertaugrandcréateurdescœurs, » se précipita
tout à coup à genoux devant la table, pleurant et se lamen-
tant. Il confessait à haute voix son péché de lâcheté et
116 • LES ESPIONS
d'idolâtrie, et en demandait pardon à l'Eglise et à Dieu.
C'était Corteiz qui présidait. Toute l'assemblée, — plus
de deux mille personnes, — fondait en larmes, et lui-
même à cette vue, contenait avec peine son émotion '.
Pour courir à ces assemblées nocturnes, à quels
dangers ne s'exposaient pas les fidèles ! Dangers mul-
tiples et qui font frémir. Il y avait d'abord les espions.
Le duc de Roquelaure écrivant à un de ces personna-
ges, lui disait en manière de conclusion :
« Enfin, je ne puis trop vous recommander de faire de fré-
quents détachements des troupes que vous commandez, et que
vous enverrez de jour ou de nuit... visiter les lieux suspects et
où vous aurez lieu de croire qu'il se pourra tenir des assemblées
suivant les avis qui vous en seront donnés par les personnes de
confiance que vous devrez vous ménager dans chacun des lieux
de votre commandement^... »
Aussi les espions ne manquaient-ils pas. Un d'eux
très-bien intentionné et très-propre à réussir s'offrait
à veiller jour et nuit pour faire surprendre les prédi-
cants dispersés dans le pays. Il ne demandait que
deux pistolets pour se défendre, s'il était attaqué pour
le service du roi ^ Puis il y avait les faux frères, g'ens
bien pensants, bien vus du pouvoir, gens de toutes con-
ditions, qui, pour peu de cliose^ — une place ou les dé-
pouilles de la victime, — s'engageaient à dénoncer les
assemblées. En 1720, le parlement de Bordeaux ap-
prit que les religionnaires de la Eochelle se réunis-
^ N" 17, vol. H, p. 523. Relation historique, etc.
2 Y. Histoire de VEgllse d'Anduze, etc., p. 688 et 755.
3 N" 17, vol. H. (1718.)
LES FAUX FRERES, LES SOLDATS 117
saient au Désert. On cherclia un commissaire pour
s'informer de ce qui se passait ; on ne trouva per-
sonne. Mais un conseiller au parlement, qui avait
j^hangé de religion pour occuper cette charg-e, se pré-
senta, se rendit au Désert, fît son rapport, et accusa
deux femmes ' . — Enfin c'étaient les soldats, entre
tous les moins odieux, qui, à toute heure du jour et
de la nuit, aux approches surtout des grandes fêtes,
battaient le pays, chercliaient les assemblées, tra-
• quaient les hérétiques, arrêtaient les suspects, et se ven-
geaient sur leurs captifs de toutes les courses vaines
et de tous les dérang'ements nocturnes, dont ceux-ci
avaient été les causes involontaires.
Les ordres du roi étaient formels. Il était interdit
aux protestants « de faire aucun exercice de religion
autre que de la catholique, et de s'assembler pour cet
effet en aucun lieu et sous quelque prétexte que ce
puisse être, à peine contre les hommes des galères
perpétuelles, et contre les femmes d'être rasées et en-
fermées pour toujours, avec confiscation des biens des
uns et des autres, même à peine de mort contre les
pasteurs ^ » Ni repos ni tranquillité : alerte conti-
nuelle. Se rendre au Désert, c'était courir l'aventure
d'en revenir au milieu d'une escorte de soldats pour
aller ramer à Marseille, ou prier à la tour de Con-
stance; prêcher au Désert, c'était faire à l'avance le
sacrifice de sa vie.
Il y eut des châtiments terribles. Malgré tout, la foi
1 N° 17, vol. U.
'^ V. encore chap. v, p. 133, les ordonnances que puMia le régent
contre les assemljlées.
118 LES CHATIMENTS
eut toujours ses disciples, et dans ce duel inég-al la fai-
blesse qui était le droit, finit par vaincre la force qui
était l'injustice. Prison, galères, mort, on affrontait tout
avec un sang-froid, une sérénité merveilleuse. L'assem-.
blée est, unjour,réuniedansune caverne et «leprêche»
commence, quand les sentinelles avertissent que les sol-
dats approchent. On en doute d'abord, et on continue.
Mais les troupes avancent. Alors on fait sortir les fem-
mes, les enfants, ensuite les liommes; cependant les mi-
nistres, se tenant à l'ouverture, donnent la bénédiction
au peuple qui sort sans confusion, et malgré le danger
restent les derniers h penser à leur sécurité '. Les fem-
mes étaient admirables. Si grand que fût le péril, tou-
jours ardentes, toujours les premières aux assemblées,
elles lassaient la sévérité de leurs persécuteurs. Prisons
terribles cependant que les hôpitaux, les couvents et
les tours de Constance ! Le chevalier de Boufflers en
fut effrayé. Mais elles bravaient tout, même jeunes, et
presque encore dans l'enfance. La sœur d'un prédicant
décapité à Montpellier fut prise et enfermée à Aigues-
Mortes : elle avait quinze ans. Pour toutes, l'horreur
d'une réclusion imminente s'évanouissait devant la joie
d'assister h une assemblée.
Il y eut de 1715 à 1723, dans le Languedoc seule-
ment et sans compter celles qui passèrent inaperçues,
sept surprises d'assemblées ^ Chaque année, on enten-
dit le bruit des fusillades, et l'on vit, en longs convois,
passer les prisonniers.
1 N" 46. . , ,,
'- En Languedoc seulement. Eu 1715, assemblée surprise a Vauvert;
en 1716, h Mandagout; en 1717, à Anduze : en 1720. à Nîmes, etc.. etc.
SURPRISES D'ASSEMBLEES 119
«... Pendant mon séjour du côté d'Uzès, dit Court, je vis
deux de mes parents, nommés Hugous, de qui l'on venait de
raser la maison, par ordre de Dumolard, subdélégué de Bâ-
ville dans le Vivarais. Cette maison était située à la campagne,
a une petite demi-lieue de Villeneuve-de-Berg. Un jour de di-
manche, Joffre qui dans la suite épousa ma sœur cadette, Ladet,
mon cousin germain, et Flavier, un de mes amis, se rendirent
dans cette maison pour y faire quelques exercices religieux.
Leur marche fut aperçue; on vit dans le moment toute la bour-
geoisie sous les armes, qui se mit en devoir d'aller fondre sur
cette maison. La petite troupe, en étant avertie, démaraauplus
vite, et comme elle n'était composée que de trois personnes,
il fut facile de dérober à leur ennemi cette évasion. Aussi ne
s'en aperçut-il point; mais sur le simple soupçon qu'ils y avaient
été, et parce que dans sa perquisition il trouva dans la maison
une Bible et quelques autres livres de piété, il se saisit du
maître qu'il amena prisonnier. 11 (Dumolard) ordonna que la
maison fut rasée, et que tous les effets mobiliaires fussent con-
fisqués. L'exécution suivit de près l'ordonnance. La maison fut
démohe et tous les effets portés à Villeneuve où ils furent ven-
dus publiquement au plus enchérisseur*. »
Voilà une exécution inconnue et dont on ne parla
point. Combien d'autres de ce genre ! « La nuit du 6 au
7 du mois de mai, Court avait convoqué une assemblée
dans un Désert appelé les Roques d'Aubay, proche
de Sommières. Il n'avait pas manqué de précautions
pour la garantir de toutes surprises. Aussi se tint-elle
avec beaucoup de tranquillité. Mais malheureusement
les protestants duGrand-Gallargues, qui faisaient partie
de ceux qui s'étaient rendus dans cette assemblée,
furent aperçus par deux faux frères qui avaient quelque
autorité dans le lieu, et qui, dans le dessein de les faire
1 N" 40, cah. 1
120 SURPRISES D'ASSEMBLÉES
arrêter au retour, firent mettre la bourgeoisie sous les
armes et garder les portes. La chose fut conduite avec
tant de secret qu'on n'en fut informé que lorsque les
fidèles de ce lieu donnèrent à leur retour dans l'em-
buscade. Un des bourg'eois armés, touché sans doute
du triste sort qui menaçait ses concitoyens s'ils étaient
arrêtés, tira en l'air son fusil pour faire comprendre
ce qu'il y avait à craindre pour eux, s'ils approchaient.
A ce sig'nal, ceux qui étaient encore éloig^nés de la
porte prirent la fuite. » Mais quelques-uns furent pris.
On fit g"rand bruit à Montpellier de l'affaire. Un captif
fut condamné aux g^alères, sept à la même peine par
contumace, et le bourreau vint inscrire à Gallarg-ues
leurs noms sur un poteau, au milieu de la place
publique ^ .
Telles étaient les assemblées qu'annonçait à ses
frères l'homme qui, le matin, venait convoquer pour
le Désert les survivants des dernières persécutions. Nul
ne manquait à l'appel : tous y allaient , enfants ,
femmes et vieillards. Les temples démolis, le culte
. supprimé j la foi proscrite, on continuait ainsi la tra-
dition interrompue, on affirmait l'existence de la Eé-
forme. Non pas qu'on voulût former un Etat dans
l'Etat, et qu'on méconnût l'obéissance due aux Puis-
sances. Les Puissances, aux yeux de tous, étaient or-
données de Dieu, et nul ne cherchait à le contester ^.
La politique était exclue de ces assemblées, et, pour
dire le vrai, song-eant à Dieu, avait-on le temps de
1 N" 46, cah. II.
2 V plus loin, chap. v.
ATTAQUES CONTRE LES ASSEMBLÉES 121
songer au Roi? C'était beaucoup plus simple et beau-
coup plus grand. Louis XIV avait exilé les protestants,
rempli les galères, élevé les potences, et décidé som-
mairement qu'il ne pouvait désormais et qu'il ne devait
plus y avoir de réformés en France \ on protestait
contre cette dernière décision. Le lieu de la protes-
tation, c'était le Désert.
Chose curieuse! Ces assemblées où l'on n'entendait
que des prières et le cbant des psaumes furent appelées
séditieuses et attaquées comme telles. Par qui? Par
les catholiques peut-être? Xon, par des protestants.
A peine le bruit de cette résurrection du protestan-
tisme était-il parvenu à l'étranger, que les pasteurs
s'en étaient profondément émus. Etait-ce la restau-
ration de l'ancien ordre de choses ? Etaient-ce les pré-
paratifs d'une nouvelle guerre de Camisards? Ils ne
savaient. Ils avaient peu de confiance danslamodération
des religionnaires, ils se les représentaient volontiers
toujours prêts au combat et n'attendant qu'un chef
pour se jeter dans la révolte. Depuis 1710, malgré leur
attachement aux églises françaises, ils les avaient un
peu oubliées; ils ignoraient ce qui s'y était passé, et
les efforts d'Antoine Court pour rétablir l'ordre et ceux
de ses collègues pour comprimer toute tentative d'in-
surrection.
Au surplus, si l'on en croit Corteiz, ils étaient mal
informés ! Ils imaginaient que ces assemblées, où des
prédicants inconnus convoquaient les fidèles, étaient
semblables à celles où les Camisards avaient autrefois
prêché la guerre sainte. Fanatiques alors, anabaptistes
122 ATTAQUES DES PASTEURS ETRANGERS
et inspirés s'y donnaient carrière. On jeûnait, on chan-
tait, on faisait des miracles. Les enfants prophétisaient,
les hommes tombaient en extase, le frère Clary faisait
allumer des bûchers et les traversait à pas lents.
Assemblées étranges, pleines de fantastiques visions,
dont le résultat avait été une guerre meurtrière et
l'écrasement des insurgés.
Les pasteurs étrangers se rappelaient ces événements
récents encore, et la crainte de les voir se renouveler
les avait immédiatement saisis. Dans cette situation
d'esprit, ils écrivirent sans différer en France contre
les assemblées du Désert.
Les religionnaire^ fort étonnés se défendirent. « Nous
ne souffrons, disait Corteiz, ni fanatiques, ni piétistes,
ni anabaptistes ; la Parole de Dieu est seule reconnue
pour règle, et plût à Dieu que vous vissiez régner
l'ordre et la règle que nous y tenons \ » Vaines pro-
testations. Corteiz plaidait une cause qu'il ne pouvait
gagner encore.
Pourquoi, disaient-ils, des assemblées publiques? Les
protestants ne pouvaient-ils pas sortir à leur gré du
royaume, s'ils voulaient prier Dieu en commun? En
admettant même que cette extrémité leur répugnât, ne
pouvaient-ils pas se livrer en particulier à des exer-
cices domestiques de piété ? Ils voulaient se réunir au
Désert et en gTand nombre. Or, pour chanter en com-
mun les psaumes de Marot et écouter des sermons qui
ne produisaient aucun effet, ils excitaient la cour à de
nouvelles rigueurs, ils dépeuplaient les familles, ils
1 N" 17, vol. a, p. 3. (171G.)
LEUR ARGUMENTATION 123
exposaient aux g-alères une multitude d'hommes inof-
fensifs. Et de quel droit? Les assemblées relevaient
évidemment de la juridiction du souverain. Les con-
voquer malgré ses ordres, c'était se mettre hors la loi
et mériter le nom de rebelles. Au surplus, non-seulement
les princes interdisaient ces sortes de réunions, mais
encore la religion. Jésus et ses apôtres n'avaient jamais
prêché au Désert qu'accidentellement ; ils allaient en
g'énéral de maisons en maisons pour annoncer la bonne
nouvelle; et la plus grande de leurs assemblées se
tint dans une chambre haute. Ainsi, il n'était pas
certain que Dieu eut prescrit les assemblées, il était
même probable qu'il ne les avait point comman-
dées. Il était évident d'un autre côté que Dieu avait
ordonné d'obéir aux souverains dans toutes les choses
qu'il n'avait pas défendues. Donc, dans le cas proposé,
le plus sûr était d'obéir au roi, parce que dans la
concurrence de deux devoirs dont l'un est obscur et
l'autre clair, il faut préférer le certain au probable. —
Tel était le thème ordinaire sur lequel, avec preuves à
l'appui, arguments historiques et nombreuses citations
bibliques, s'exerçait l'éloquence des adversaires ^ .
Un événement vint augmenter les appréhensions.
En 1719, il y eut des troubles dans le Poitou. Le bruit
courut qu'ils avaient pour auteurs les religionnaires
de ce pays, et qu'ils avaient été suscités par le brillant
* N" 13, t. III. Réflexions sur les assemblées que nos frères les ré-
formés font en France contre les ordres du roi. — Il n'y a ni date ni
nom d'auteur. Peut-être furent-elles imprimées en 1719, peut-être
en 1726; car, à cette époque, parut un écrit dont Court se plaignit
amèrement. Mais rien de moins sûr
124 LETTRES DE BASNAGE ET DE PICTET
et remuant ministre d'Espag'ne, Albéroni. Cette nou-
velle arriva en Suisse et dans les Pays-Bas. Personne
n'osa en contester l'authenticité, la cour en ayant écrit
à deux illustres pasteurs de ces pays, à Basnag-e, le
célèbre réfugié, et à Pictet. Ce fut alors comme une
explosion de reproches. Ne Tavaient-ils pas assuré?
Les assemblées avaient produit leur effet naturel ; les
protestants de France allaient reprendre les armes;
non-seulement le Poitou, mais encore le Dauphiné, le
Languedoc étaient en armes. « J'ai appris, écrivait
l'un d'eux, par une personne de considération et d'une
fort grande piété, que le Roi d'Espagme ou le cardinal
Albéroni fait prêcher, de nuit, dans le bas et haut Lan-
guedoc, de ces voleurs du saint nom de Jésus qu'on
appelle Jésuites, pour tâcher par leurs représentations
et leurs belles promesses de tourner le cœur des ré-
formés du côté du Roi d'Espagne et trahir notre bon
Roi^))
Basnage écrivit une première lettre à propos des
assemblées et les condamna. Cette condamnation éma-
nant d'un tel personnage pouvait avoir un fâcheux
retentissement. Antoine Court le comprit et, encore
ému par ces injustes attaques, il prit la plume et ré-
pondit. Dans un rapide abrégé des événements qui
s'étaient succédé depuis la révocation de l'Edit de Nan-
tes, il lui parlait de l'état misérable où cet édit avait
jeté les protestants, des violences, des persécutions, de
la guerre des Camisards et de la profonde détresse qui
en avait été le résultat; il lui parlait encore de ses
1 N" 1, t. II, p. 83. (1719.)
REPONSE D'ANTOINE COURT 125
efforts, de ceux de ses collègues, « lumig-nons fumants, »
pour éclairer les cœurs, ranimer la foi, éveiller l'es-
pérance; il lui pariait de Tordre qu'ils avaient établi,
de la discipline, — et arrivant enfin aux assemblées :
« Nous ne nous arrêterons pas longtemps à réfuter ceux qui
annoncent l'Evangile et qui cependant réprouvent nos assem-
blées. Supposons pour un moment que cinq ou six bergers
eussent trente ou quarante mille brebis dispersées dans un
vaste pays, séparées par des cloisons, serait-il possible que ces
bergers pussent nourrir tant de brebis, s'ils ne formaient de
petits troupeaux pour leur donner tour à tour les choses néces-
saires ? Nous ne croyons pas même qu'il fût difficile de prouver
que les chrétiens des premiers siècles et nos frères du temps
de la réformation aient fait des assemblées, quoique les prin-
ces les eussent défendues. Nous n'ignorons pas qu'il ne faille
de la prudence et des lieux à l'abri des persécuteurs, et nous
avons si bien suivi cette méthode, que pour une assemblée qui
est découverte, il s'en fait cent à l'insu des ennemis. Il est
vrai que quelques maisons ou granges ont été dévastées, quel-
ques personnes ont été condamnées aux galères, plusieurs
mises en prison ; très-peu ont souffert la mort. Mais ignore-t-on
qu'il y a des croix attachées à la profession de l'Evangile? On
a remarqué quelquefois que lorsqu'une assemblée avait été
vendue, les détachements roulaient autour du lieu oii elle se
faisait comme les habitants de Sodome et de Gomorrhe autour
de la maison de Loth, et il est arrivé que des brebis qui ve-
naient de paître ont servi de garde pour reconduire chez eux
des loups qui étaient venus pour les dévorer. Nous protestons
encore contre tous ceux à qui il appartiendra, que nous vou-
ions rendre à notre prince ce qui lui est dû ; mais nous croyons
qu'il ne nous est pas permis de négliger pour un peu de temps
notre salut, ni celui de nos frères. »
Ailleurs, il ajoutait : « Nos assemblées ne sont point
tumultueuses ; on n'y porte point d'armes. Nous n'a-
126 NOUVELLES ATTAQUES
VOUS rien à nous reproclier de ce côté-là, puiî^que nous
blâmons tous ceux qui sont sortis de nos rangs pour
suivre d'autres maximes que celles de l'Evang-ile ' . »
Basnage se montra satisfait de ces déclarations. Mais
d'autres lettres arrivaient de Genève ; il fallut encore
y répondre. Court fit copier l'apologie qu'il venait
d'adresser au pasteur de la Haye, et l'envoya. Le même
résultat fut atteint ; il y eut quelque apaisement dans
les colères. Le pasteur Vial écrivit que tous les gens
de bien avaient appris avec joie les lieureux résultats
qu'obtenaient Antoine Court et ses collègues par les
assemblées au Désert, qu'il déplorait l'envoi des lettres
injurieuses adressées au jeune prédicant, et que, pour
lui, son seul but avait été de montrer au Roi de France
que la relig'ion protestante n'autorisait pas la désobéis-
sance aux princes légitimes, encore moins la rébellion.
On se tromperait' cependant si l'on croyait que tous
les esprits s'étaient rendus aux arguments du jeune
pasteur; il avait défendu la cause des assemblées,
mais ne l'avait point encore gagnée. Quelque temps
après ces événements, Pictet revenait sur ce sujet et
accumulait les griefs ^. Toutefois, après avoir déclaré
qu'il n'était point le seul de ce sentiment, il avouait
qu'il ne prétendait rien imposer, et que, si les pasteurs
de France se trouvaient bien de leurs assemblées, il en
bénirait Dieu avec ardeur ^ Plus tard encore, lorsque
l'édit de 1724 eut été promulgué, de nouvelles atta-
1 N" 46. Lettre pastorale à Basnage. (1719.)
2 V. Pièces et documents, n" VI.
3 II y eut encore, vers cette époque, la lettre d'un prosélyte « de
réputation » contre les assemblées.
TRISTESSE ET JOIE DE COURT 127
ques, et non les moins violentes, furent dirigées contre
ces inoffensives réunions du Désert. « Ah ! s'écriait
Court, on fait plus de mal qu'on ne. pense, quand
on décrie nos assemblées ou qu'on ne les approuve
pas ^ »
Il était en effet convaincu qu'elles offraient le
moyen le plus sûr pour affermir les courages et en-
tretenir la piété, qu'elles étaient surtout la protestation
la plus simple et la plus concluante contre la décla-
ration de 1715. Aussi quelle joie lorsqu'il annonce que
les assemblées continuent avec régularité et que leur
nombre est de jour en jour plus considérable ! Il est
presque tenté cl,e s'en attribuer l'bonneur, et assu-
rément il n'y est pas sans droit. Ce fut sa fermeté
qui maintint les assemblées au Désert. — Quant aux
avantages politiques qu'il prétendait en retirer, il ne
s'en exagérait pas l'importance. La convocation des
assemblées, le nombre des assistants, l'ordre qui y
rég'nait, ne furent pas sans exercer une grande in-
fluence sur les conseils de la cour. Elles n'eurent d'a-
bord, il est vrai , d'autre résultat que de faire multi-
plier les mesures de rigueur ; mais peu à peu les soldats
se lassèrent de courir le pays pour les surprendre, et
les intendants d'envoyer aux galères les prisonniers.
Cette héroïque obstination à affirmer au grand jour
l'existence du protestantisme sauva le protestantisme
français.
' N" 7, t. III, p. 25. (1726.) — Ce ne devaient pas être les dernières
attaques. On verra, dans la suite de. cette histoire, que les assemblées
au Désert continuèrent d'avoir des détracteurs nombreux et d'autant
plus violents qu'elles se tinrent avec plus d'éclat
12S SUCCÈS DES ASSEMBLÉES
Elle ne contribua pas peu en attendant à lui valou'
son premier succès.
Jusqu'alors, l'ingénieux système mis à la mode par
la déclaration de 1715 était resté en vigueur, et la
cour, s'abritant derrière la loi, continuait de nier qu'il
y eût encore des protestants en France. Elle dut
rompre, sinon officiellement, officieusement du moins,
avec ce système. Cela se passa en 1719, en pleine Ré-
gence, à propos d'une aventure curieuse qui se noua
et se dénoua au moment même où les religionnaires
commençaient à s'agiter, et où Albéroni conspirait
contre la France.
CHAPITRE V
LE PROTESTANTISME ET LA REGENCE ^
1715-1723
C'est avec une entière confiance, avec joie, que les
protestants avaient salué à la mort de Louis XIV l' avè-
nement du duc d'Orléans. Ils avaient pensé qu'une ère
de tolérance allait désormais s'ouvrir, et que tous les
édits qui pesaient sur eux disparaîtraient en même
temps que celui qui les avait signés ^'
Une première déclaration troubla leurs illusions. Le
Régent signifia hautement c( qu'il maintiendrait les
édits contre les religionn aires. » Il ajoutait toutefois
« qu'il espérait trouver dans leur bonne conduite l'oc-
casion d'user de ménagements conformes à sa clé-
mence ^. » Cette seconde phrase raviva et raffermit
1 On dit généralement que la Régence fut pour le protestantisme
un temps de tolérance, presque de liberté religieuse. Rien n'est moins
fondé; ce chapitre et le chapitre viii en fourniront la preuve.
* Joly de Fleury en convient aussi : « Les nouveaux convertis se
sont persuadés, depuis la mort du feu Roi, que Vindulgence dont ou
a usé pendant les premières années du règne de Louis XV {\) pou-
vait leur faire espérer le rétablissement de l'exercice de leur reli-
gion. » Extrait d'un rapport deLaFare. Bibliothèque nationale, Mss.
n» 7046, p. 213.
3 Histoire de la Régence^ par Lemontey. Paris, (1832.)
I 9
130 CONFIANCE DES PROTESTANTS
leurs espérances. Le maintien des édits, pensèrent-
ils, n'était qu'un acte de pure politique, et ils coururent
en foule aux assemblées qu'Antoine Court et ses collè-
gues commençaient de convoquera — De cruels évé-
nements ne devaient pas tarder à leur montrer sous
leur vrai jour les intentions du pouvoir.
Le duc d'Orléans n'avait personnellement aucune
haine contre « les huguenots, » comme il les appelait ;
* K'est-ce pas sous l'empire de cette pensée que fut écrite cette re-
quête naïve et charmante dans son embarras, envoyée au Régent, en
1716, par les religionnaires duDaupliiné?— Ah! pour rien au monde,
ils n'auraient voulu le compromettre.
« Monseigneur, quatre ou cinq personnes du nombre des religion-
naires du Dauphiné, osent prendre la liberté d'écrire à Votre Altesse
Royale, sans oser cependant signer leur lettre, pour l'assurer pre-
mièrement de leur soumission profonde et leur fidélité inviolable et
lui donner avis en même temps que quelques-uns des leurs, qui habi-
tent dans les hameaux et villages de la campagne, se sont émancipés
depuis quelques semaines de faire des assemblées, dans la seule vue
toutefois de prier Dieu et se consoler ensemble, sans le moindre port
d'armes, quel que ce puisse être, en secret, autant qu'il leur a été
possible, et sans aucun tumulte, désordre ni sédition. — Dès que nous
avons été informé de la chose, nous pouvons. Monseigneur, assurer
Votre Altesse Royale, avec la dernière sincérité, que nous n'avons
rien négligé de ce qui peut être en notre pouvoir pour l'empêcher
et pour réprimer ce zèle hors de saison. Comme la prudence ne nous
a pas permis de nous transporter dans les endroits où ces assemblées
peuvent se former, de peur que quelques catholiques d'un zèle outré
et trop ardent n'eussent pu imputer nos démarches à un motif direc-
tement opposé à celui qui nous les aurait fait entreprendre, nous
n'avons cessé d'être aux aguets les jours de marché pour avertir les
paysans de notre connaissance d'être sages, de demeurer tranquilles,
de discontinuer ces sortes d'assemblées et de se contenter de prier
Dieu chacun chez soi et dans sa famille. Nous leur avons recommandé
fortement de donner le même avis, de main en main, à tous leurs
voisins; en un mot, d'être fidèles au Roi, et de ne rien faire contre
les lois d'un gouvernement aussi équitable que celui de Votre Altesse
Royale, sous lequel nous avons tous le bonheur de vivre. » Archives
nationales, TT. 463. (Avril 1716.)
LE RÉGENT ET SAINT-SIMON 131
il était même animé d'intentions bienveillantes à leur
égard, et un jour, en 1716, il les manifesta claire-
ment.
Les religionnaires ajoutaient à tous les embarras que
lui avait légués le feu roi ; ils s'adressaient à lui pour
mille procès, et la difficulté de concilier les édits et dé-
clarations de Louis XIV le jetaient dans de grandes
perplexités. Ce jour-là, il se prit donc de pitié pour ses
sujets huguenots. « Louis XIV les avait traités avec
cruauté; l'Etat avait souffert de la révocation de l'Edit
de Nantes ; cette mesure avait ruiné le pays et excité
des haines mortelles : pourquoi ne rappellerait-on pas
les réfugiés dans leur patrie ?» — ^11 parlait ainsi de-
vant Saint-Simon. Le noble duc fut d'abord stupéfait.
Mais reprenant quelque calme , il se hâta de ramener
f?on royal interlocuteur à de plus justes sentiments. Il
lui rappela les désordres et les guerres civiles dont les
huguenots avaient été les instigateurs depuis Henri II
jusqu'à Louis XIII. 11 parla de leurs prétentions et des
embarras qu'ils avaient donnés à Henri IV. Louis XIV
avait abattu l'hydre; pourquoi, au lieu de jouir en paix
d'un si grand repos domestique, irait-il de son gré
faire ce que le feu Roi avait eu le courage et la force
de rejeter avec indignation, « quand, épuisé du blé, d'ar-
gent, de ressources et presque de troupes, et à la veille
des plus calamiteuses extrémités, ses nombreux enne-
mis voulurent exiger le retour des huguenots en France,
comme l'une des conditions sans lesquelles ils ne vou-
laient point mettre de bornes à leurs conquêtes ni à
leurs prétentions ? » — Le Régent fut déconcerté. 11
rompit brusquement l'entretien, et ne parla plus désor-
132 LES HOMMES DE L'ANCIEN RÈGNE
mais ni de tolérance ni du rappel des protestants * .
Cette anecdote que raconte Saint-Simon peint assez
bien le duc d'Orléans. Ses intentions pour les relig-ion-
naires étaient excellentes, mais il n'avait ni la volonté
ni le temps de les exécuter. Il avait à liquider la suc-
cession d'un règ-ne, il avait le duc du Maine, Law, la
banque, les intrigues d'Espag*ne; accablé d'affaires,
comment s'occuper sérieusement des nouveaux con-
vertis ? . . . .
S'il n'essaya point de s'occuper de leur condition,
ceux qui depuis si long-temps poursuivaient en France
la disparition du protestantisme et qui avaient su mettre
à leur dévotion l'esprit, la volonté et la puissance de
Louis XIV, se gardèrent bien d'imiter sa réserve et de
partager son indifférence. Ils étaient restés au pouvoir,
et ils n'entendaient point perdre par un changement
de règne le fruit de leurs longs et patients travaux. Le
vieil ordre de choses n'avait pas encore été aboli, les
anciens conseils de conscience et de Yintérieur fonc-
tionnaient toujours à Paris : la persécution devait donc
suivre son cours.
Les premières assemblés du Désert qu'Antoine Court,
au lendemain de la mort de Louis XIV, avait con-
voquées en Languedoc, avaient excité une assez vive
émotion. Bâville et Roquelaure, à Montpellier, dans
le premier moment de colère, en avaient immédiate-
ment écrit à la cour. • — Ici, il faut tout citer :
« M. le duc de Roquelaure et M. de Bâville donnent avis
de quelques petites assemblées qui se sont tenues en Langue-
* Œuvres de Saint-Simon, édition Chéruel, t. XIV, chap. i.
DÉCLARATION DE 1716 133
doc, et proposent de rendre une ordonnance pour les empê-
cher.
« Il faut répondre à M. de Bâville et à M. de Roquelaure
qu'ayant rendu compte à Mgr le duc d'Orléans des lettres qu'il
nous écrit au sujet de..., et de l'ordonnance en forme de placard
que M. de Bâville a proposé qu'il fut rendu pour défendre les
assemblées ; Son Altesse Royale a jugé à propos de m' ordonner
de rendre compte au conseil de Régence de ce qu'ils proposent,
et il a été décidé d'expédier l'ordonnance que je lui envoie,
pour qu'il la fasse imprimer et afficher incessamment ^ »
En effet, au mois de mai ou de juin 1716, parut et
fut affichée dans tous les bourgs et villag-es du Lan-
o^uedoc une ordonnance royale qui, après avoir énu-
méré toutes les lois restrictives promulguées sous
l'ancien règ-ne pour empêcher les assemblées, conti-
nuait ainsi : ... « Cependant toutes ces lois ne pouvant
contenir l'endurcissement des nouveaux convertis qui
continuent de faire des assemblées prohibées et défen-
dues par des ordonnances , il était nécessaire d'y pour-
voir et de renouveler les mêmes défenses pour l'en-
tière exécution des intentions de Sa Majesté. Ainsi le
procureur général du Roi a requis être ordonné que les
ordonnances, édits et déclarations du Roi prohibitives
des dites assemblées, seront exécutées suivant leur
» Archives nationales, ÏT. 322. (17 mai 1716.) C'est la minute pro-
bablement de la réponse du conseil de Régence. — Malgré d'activés
et de patientes recherches au ministère de la guerre, aux Archives
nationales, aux Archives des départements, nous n'avons pu retrou-
ver la correspondance échangée entre les intendants et la cour au
sujet des religionnaires, pendant les années 1715-1723. Il a fallu nous
contenter de quelques rares pièces égarées et trouvées ici et là. Les
Archives du secrétariat de la maison du roi ont une déplorable lacune
de 1706 îi 1719; et h cette dernière date, elles ne contiennenr guère
que des lettres de Maurepas sur les affaires du Poitou.
134 CONSTERNATION DES PROTESTANTS
forme et teneur, conformément à la volonté du Roi ; et
ce faisant, être faites itératives inhibitions et défenses
à tous les nouveaux convertis du ressort de la cour, de
quelque qualité et quelque condition qu'ils soient, de
faire aucun exercice de la relig-ion prétendue réformée,
ni de s'assembler pour cet effet, sous prétexte de
prières ou culte de la dite religion de quelque nature
qu'il soit, en aucun lieu, en quelque nombre, ni sous
quelque prétexte que ce puisse être, ni de faire des
assemblées ou quelque exercice de la religion autre
que la catholique, apostolique, romaine, et, sous quel-
que prétexte que ce soit, de recevoir aucuns ministres et
prédicants, ni d'avoir aucun commerce avec eux, di-
rectement ou indirectement *... i>
Le 5 août de la même année, parut encore une lettre
du duc d'Antin aux évêques, oii il les priait d'envoyer
la liste des écoles de leurs diocèses et des lieux qui en
manquaient , afin que les enfants des nouveaux con-
vertis ne pussent pas retomber dans les égarements
de leurs pères, faute d'éducation ^.
Rien n'était donc changé. Ce nouveau règne que les
religionnaires avaient salué avec tant de joie, dont ils
attendaient avec certitude la fin de leurs maux, comp-
tait à peine une année d'existence, et déjà il avait
promulgué une ordonnance terrible qui rappelait les
plus terribles du règne précédent et qui montrait clai-
rement l'intention de la cour de ne point se dépar-
tir de cette inflexibilité et de cette rigueur dont le
1 Archives nationales, TT. 463.
2 N" 17, vol. G, p. 505. — V. aussi Recueil des Edits, Déclara-
tions et Arrêts d'à Conseil concernant la R. P. R A Rouen (1729)
PLAINTES ET REQUETES 135
feu Roi avait donné, pendant de si longues années,
de si éclatants et si nombreux exemples. La stupeur
fut immense. Et la consternation qui suivit fut d'au-
tant plus profonde que les espérances avaient été plus
hautes.
« La plupart de ceux qui sont restés, écrivait un protestant,
s'étaient flattés qu'après la mort de Sa Majesté, qui était obsé-
dée par les Jésuites, leurs grands ennemis, ils pourraient jouir
de quelque liberté, puisque Votre Altesse Royale sait très-bien
que la religion doit se persuader et non se forcer. Mais ils sont
bien loin de leur compte, puisqu'ils voient revivre les mêmes
rigueurs, et qu'ils sont comme l'oiseau sur la branche, prêts à
tout moment d'être exterminés*... »
De leur côté, les religionnaires de Guyenne ajou-
taient à propos d'une assemblée surprise :
« Hélas! combien de maux ne leur a-t-on pas fait souffrir
pour leur religion, depuis trente-deux ans que l'on les persécute
à outrance, que l'on a ruiné et réduit un nombre infini de gens
à la mendicité, que l'on a gardés en prison, renfermés depuis
vingt-cinq et trente ans, (d'autres ont été mis dans les couvents
pour avoir des prétextes de leur avoir leurs biens), que l'on a
exécutés plusieurs fois, et que l'on a enfin réduits à la dernière
extrémité 2... »
Antoine Court prit lui aussi la plume et dans une
lettre à Roquelaure qui commandait en Languedoc :
Le clergé, disait-il en substance, continuait donc de
les peindre sous de fausses couleurs, puisqu'après
trente années de disgrâces, on renouvelait contre eux
les plus sévères édits du temps passé. Malgré leur
• Archives nationales, TT. 46^). (17J6.)
« IhùL. TT, 363 —V. aussi Vif^e^ et documents, n" VIII
136 LETTRE D'ANTOINE COURT
fidélité, ils se voyaient exposés sous la Rég*ence aux
mêmes rigueurs qui les avaient frappés sous Louis XIV.
De quel crime cependant pouvait-on les charg-er? D'être
attachés à leur religion et d'en faire profession au Dé-
sert? Mais était-ce un crime ! Etaient-ils des factieux?
On savait bien que non. En vain avait-on surpris
leurs assemblées, fait des prisonniers, tiré sur une
foule inoffensive, ils n'avaient jamais eu recours à des
représailles : ils s'étaient laissé emprisonner, tuer
(( comme des agneaux sans défense. » Ils demandaient
peu. Us ne réclamaient ni le droit de s'assembler dans
les villes, ni la permission d'élever des temples ; ils
sollicitaient simplement la permission d'aller dans les
bois, au Désert, invoquer en pleine liberté le Dieu de
leurs pères... Au surplus, continuait-il, quel que fût
l'accueil fait à leur demande, ils étaient trop convaincus
de la nécessité de leurs assemblées pour y renoncer ;
et depuis longtemps ils avaient fait le sacrifice de leur
vie au triomphe de leur foi. Mais ils mourraient sans
murmurer, et quelles que fussent les souffrances qu'on
leur réservât, rien n'arracherait de leur cœur les sen-
timents d'amour qu'ils nourrissaient pour le roi et
pour la monarchie *.
Ces protestations et ces prières demeurèrent sans ré-
sultat. La cour, menée déjà, poussée et dirigée par le
clergé, avait résolu de poursuivre jusqu'à son accom-
plissement l'œuvre entreprise par Louis XIV. Rien ne
pouvait, en ce moment du moins, la faire dévier de la
ligne de conduite qu'on lui avait tracée. Quelques mois
1 NM6, cah IL (1716.)
MESURES CONTRE LES RÉFUGIÉS 137
après l'ordonnance contre les assemblées, elle prit des
mesures contre les réfugiés qui, sur le faux espoir de
jours meilleurs, s'étaient hâtés de revenir dans leur
patrie. Elle leur interdit l'accès du sol natal, et leur
défendit de passer la frontière, s'ils n'abjuraient pu-
bliquement le protestantisme * . Bien décidée à en finir,
elle voulait ainsi circonscrire le mal pour le mieux
étouffer.
« Le l'eu roi, écrivait l'intendant de Bretagne, a donné des
ordres pour empêcher que les religionnaires réfugiés dans les
pays étrangers rentrassent dans le royaume, sans faire dans la
première ville frontière un nouveau serment de fidélité, et sans
promettre, s'ils ne font pas en même temps abjuration de la
R. P. R., de la faire incessamment. Et comme quelques-uns
pourraient tenter d'y revenir à l'occasion des changements qui
viennent d'arriver, j'ai reçu l'ordre de Sa Majesté de faire arrê-
ter ceux qui pourraient rentrer dans cette province, sans avoir
dessein de satisfaire à ces conditions... »
Et plus loin :
<'.... C'est afin que vous teniez la main à l'exécution de ce
règlement, sans vous en départir en aucune manière, que nous
vous faisons savoir que telle est la volonté de la Régence^... »
En Daupliiné, Médavid accentua la pensée de la
cour, et mit dans l'exécution de ses ordres une rigueur
militaire :
«... Je vous supplie, Monseigneur, de donner ordre à Mes
1 La cour dut envoyer aux intendants et aux commandants militaires
une lettre circulaire écrite dans ce sens. Malheureusement nous ne
la possédons pas. Mais le fait n'est pas douteux, et si nous ne con-
naissons pas le texte de cette circulaire, nous en connaissons certai-
nement l'esprit par les lettres des intendants et des commandants k
leurs subdélégués.
* V. Histoire des Eglises de Bretagne, etc., t. III, p. 213.
138 MESURES CONTRE LES RÉFUGIÉS
sieurs les curés de votre diocèse de vous envoyer un état exact
de ceux qui sont revenus dans leurs paroisses, qui n'ont pas
fait abjuration, et de vouloir bien m'en informer, afm qu'en y
envoyant des troupes, je puisse la leur faire faire ou les faire
sortir de la province *... » •
Quant au Lang'uedoc, Roquelaure terminait ses in-
structions par ces lignes : « ... Si après cela, il ne laisse
pas d'en revenir quelqu'un, ne manquez pas, s'il vous
plaît, de le faire arrêter et de me l'envoyer en sûreté ^. »
Ces vieux commandants, ces intendants choisis par
Louis XIV pour donner les derniers coups au pro-
testantisme expirant n'étaient pas hommes en effet à
abandonner le système de terreur qu'ils avaient pra-
tiqué avec tant de succès. Aussi, dès que les volontés
1 V. La société 'protestante dans les Hautes-Alpes, etc., p. 425.
494, 505 (Août 1716.)
* Voici la lettre tout entière :
« A Montpellier, ce 14" septembre 1717.
« Quoi que je ne doute pas, Monsieur, que vous n'ayez toute l'at-
tention que vous devez à ce qu'il n'arrive rien dans votre départe-
ment contre le bien du service du Roi et de la tranquilité publique;
je dois néanmoins vous faire savoir qu'il est nécessaire que dans la
conjoncture présente, vous ayez une aplication particulière à veiller
sur ce qui se passe, observant surtout d'être informé bien réguliè-
rement de tous les étrangers, gens inconnus et suspects qui pourront
arriver ou même passer dans les lieux de vôtre inspection, afin que
vous soyez en état de les faire arrêter, s'il y a lieu, et donner avis
conformément aux instructions qui vous ont été remises. Il est bon
de vous faire remarquer que vous ne devez point avoir égard aux
passeports que les réfugiés français prennent à Genève, en Suisse,
ou en différens endroits, des ministres des puissances étrangères, et
que les réfugiés ne peuvent revenir en cette province, sans qu'ils en
ayent une permission du Roi, ou une de moi ; si après cela il ne
laisse pas d'en revenir quelqu'un, ne manquez pas, s'il vous plait, de
le faire arrêter et de me l'envoyer en sûreté. Je suis. Monsieur, très
parfaitement à vous.
« Signé ■' Le Duc de Roquelaure. >
NM7, vol. H, p. 286.
PERSÉCUTION EN FRANCE 139
du pouvoir se furent nettement manifestées, la persécu-
tion, quelque temps interrompue, reprit-elle son cours
ordinaire.
En Picardie, Bernage fit battre le pays par les
troupes, et se donna le plaisir de courir, de nuit, sus
aux assemblées * . •
En Bretagne, des mariag'es furent annulés et des
enfants séquestrés ^.
En Saintonge, Chamilly brûla les maisons de ceux
qui allaient au Désert.
En Guyenne, Berwick écrivit un jour que les nou-
veaux convertis tenaient des assemblées et qu'il serait
d'avis d'ordonner aux troupes de charger celles qui se
tenaient dans le voisinage de leurs quartiers. Le Régent
approuva aussitôt le dessein, et ajouta que les pré-
dicants devaient être punis de mort ^. Une assemblée
ayant été convoquée, les soldats marchèrent contre les
fidèles et les dispersèrent ^.
En Dauphiné, Médavid disait avec un sourire, à
propos d'une exécution qu'il venait de faire : « J'espère
que le châtiment que je viens d'infliger à ceux de la
vallée de Bourdeaux servira d'exemple à ceux de la
province, et qu'ils se comporteront de manière à ne
pas attirer chez eux mes missionnaires '^... »
Dans le Poitou, on se livra à la chasse des prédicants ;
vingt-cinq hommes, — gens de rien, laboureurs, tisse-
rants, valets de ferme, — furent obligés de se réfu-
1 V. Histoire de Picardie, etc., p. 276.
* V. Histoire des Eglises de Bretagne, etc., t. III, p. 215. (1715-1718.)
3 V. Histoire de la Régence, etc., t. II, p. 145 et 146.
'* V. Œuvres de Saint-Si/non, etc., I. XIV, cliap, i.
î» P'êvrier 1719.
140 PERSECUTION EN LANGUEDOC
^ier en Angleterre, envoj^és aux galères ou pendus ^
Bâville, en Languedoc, et Eoquelaure ne pouvaient
se laisser dépasser. Ce dernier écrivait au gouverneur
d'une ville : « Outre l'attention que vous devez avoir
à exécuter bien régulièrement le contenu de votre
instruction, je vous dirai encore que vous devez vous
attacher particulièrement 1° à empêcher qu'il ne se
tienne des assemblées, 2° à faire arrêter sans mena-
gement ni complaisance tous les étrangers, les incon-
nus et les suspects ^. » Recommandation inutile! Nul
n'était disposé à ménager des séditieux que l'on croyait
domptés, et qui donnaient de nouveau des signes de
leur indomptable esprit de résistance. En 1715, Roque-
laure avait cru pouvoir désarmer vingt-cinq mille hom-
mes des milices bourgeoises, mais ce qu'il en restait,
joint aux troupes régulières, était suffisant pour con-
tenir les religionnaires. De tous côtés, il envoya des
détachem^ents et mit les soldats en campagne ; le nom-
bre des espions fut augmenté, les têtes des prédicants
mises à prix, et les traîtres encouragés à découvrir les
assemblées. Un prédicant fut arrêté et pendu; plu-
sieurs réunions du Désert furent surprises et disper-
sées. Au commencement de l'année 1717, on apprit
qu'une assemblée devait se tenir dans les Ce venues,
près d'Anduze, au Désert. Les dragons accoururent
pour donner « la chasse. » Ils saisirent soixante-qua-
torze personnes et les conduisirent à Montpellier. Ro-
quelaure condamna vingt-deux hommes aux galères
1 V. BvUet., t. IV, p. 224, et n" 17, vol. R.
2 N» 17, vol. H, p. 2m et 290.
PERSECUTION EN LANGUEDOC 141
perpétuelles, les femmes à la prison, et le bourreau re-
çut l'ordre d'aller planter au milieu de la place d'An-
duze un poteau où seraient inscrits les noms des con-
damnés. La punition ne parut même pas assez sévère.
Il n'y avait dans cette ville que trois compagnies du
régiment de Brie ; on y envoya dix nouvelles compa-
gnies avec leur état-major. Où log'er tous ces gens de
guerre et comment les nourrir? Le conseil de la ville
dut pourvoir à tout; il emprunta, réquisitionna, et
plaça les soldats chez les habitants. La cour alors se
déclara satisfaite ^ — La même année, une assemblée
se tint aux environs d'Uzès. Plusieurs personnes furent
prises et frappées' de différentes peines. Duvillar ,
commandant dans le diocèse, écrivit aux Consuls, en
envoyant un exemplaire du jugement :
« Il faut que vous avertissiez tous les habitants qu'il y a pré-
sentement des ordres plus rigoureux que par le passé, pour pu-
nir sévèrement ces sortes d'assemblées. Les communes sont
chargées de tous les frais qui se font pour le jugement des
coupables et pour la nourriture des femmes qui sont prises aux
dites assemblées, qui sont condamnées à une prison perpétuelle,
et entretenues aux dépens de la paroisse d'oiî elles sont. Outre
cela, la paroisse où l'assemblée s'est tenue est encore accablée
par un logement de troupes qui n'en sortiront point qu'ils ne
l'aient entièrement ruinée^. »
Les religionn aires cependant, pillés, traqués, con-
* V. Histoire de l'Eglise d'Anditze, etc., p. 758.
2 V. Bullet.j t. IX, p. 138. — Duvillar ne faisait qu'exécuter les or-
dres de la cour. Voici deux fragments de lettres du conseil, à la date
de 1718, qui ne peuvent laisser aucun doute sur l'esprit qui l'animait :
« Le Régent approuve fort, Monsieur, le jugement que vous
142 RÉSIGNATION DES PROTESTANTS
damnés, jetés aux galères, n'avaient de prières que
pour le Eoi. En toutes occasions, ils s'appelaient « les
très-humbles et fidèles sujets de sa Majesté. » Ils al-
laient au Désert, il est vrai, malgré les édits, mais s'ils
continuaient de fréquenter les assemblées, ce n'était
nullement pour faire acte d'opposition : ils croyaient
accomplir un devoir. « Nous protestons, écrivait Court,
contre tous ceux à qui il appartiendra, que nous vou-
lons rendre à notre prince ce qui lui est dû ; mais nous
croyons qu'il ne nous est pas permis de négliger pour
un peu de temps notre salut et celui de nos frères * . »
Ce point excepté, ils s'inclinaient devant le pouvoir qui
les frappait et subissaient ses arrêts sans murmures,
patiemment, presque avec respect, comme un châti-
ment envoyé par Dieu.
C'est Antoine Court qui avait mis au cœur des an-
ciens Camisards ces sentiments de patience, et chaque
avez rendu en condamnant aux galères les deux hommes qui ont été
pris dans l'assemblée de nouveaux convertis tenue dans le champ de
Rouvière, et la détention de quatre femmes, comme aussi de faire
payer les frais de la procédure et la gratification du dénonciateur par
la communauté de Florac et une communauté voisine, en punition
de ce que quelques-uns y ont assisté, ce petit châtiment devant pro-
duire un bon effet pour l'avenir. Il ne restait que pouvoir attraper le
prédicant pour en faire un exemple. » Histoire de VEglise de Mont-
pellier, etc., p. 367. (1718.)
« On me donne avis qu'il y a, dans les Cévennes et dans le diocèse
de Mende, un grand nortibre de prédicants qui ne se cachent presque
plus, et qui pervertissent tellement les peuples qu'il ne reste presque
plus de traces de religion dans certaines paroisses. J'ai eu l'honneur
d'en rendre compte à Son Altesse Royale, qui m'a parue touchée de
ces désordres... Elle a ajouté qu'il y avait deux bataillons dont vous
pouvez disposer pour les répandre dans les lieux infectés par ces pré-
dicants » Ihid., p. 550.
1 N° 46. Lettre à Basnage. (1719.)
RESIGNATION DES PROTESTANTS 143
jour, il en entretenait l'énergie faiblissante par ses
exhortations. Avec la même force qu'il avait prêché le
Réveil et la nécessité de l'Ordre, il leur recommandait
maintenant la paix, la douceur, la charité ; il leur parlait
des malheurs qu'ils s'étaient jadis attirés par leurs vio-
lences et par la g-uerre ; il les suppliait de se soumettre
religieusement aux rig'ueurs de la persécution. Au
commencement de son ministère, il avait trouvé le pays
frémissant. Le souffle g'uerrier qui avait animé les
compagnons de Cavalier animait encore quelques
hommes hardis et supportant difficilement les exactions
des intendants ' . Il n'eût fallu qu'une étincelle pour ral-
lumer l'incendie. A force d'efforts, par ses prédications,
par les synodes, par le réveil de la piété, il était par-
venu à comprimer ce penchant à la révolte. Et cepen-
dant, en 1719 encore, il était obligé de reconnaître
que s'il cessait d'exhorter le peuple, il s'élèverait aus-
sitôt « des séducteurs et des scélérats qui feraient des
ravages effroyables ^. » Cette crainte le rendait attentif
et pressant. Si pareil malheur fût en ejffet arrivé, il
savait que la cause du protestantisme français était
définitivement perdue. Le but qu'il voulait atteindre,
c'était la liberté; mais pour y parvenir, il n'avait vu,
il ne voyait encore qu'un seul moyen : la résig'nation.
En 1718, les troupes arrêtèrent Etienne Arnaud, et
un détachement le conduisit d'Alais à Montpellier. Le
détachement ne comptait que quarante soldats ; il était
facile à quelques hommes résolus de se mettre en
embuscade sur la route, de l'attaquer et de délivrer le
* V. Histoire des Camisards^ etc., préface.
« N" 46, cah. IV.
144 FRANCE ET ESPAGNE
jeune prédicant. La chose fut décidée. Mais, avant
d'accomplir ce dessein, on consulta Court. Celui-ci était
le collègue d'Arnaud; il l'aimait comme un ami,
comme un frère; il se fût dévoué pour l'arracher à
la mort. Cependant, lorsque les conjurés lui confièrent
leur projet, il leur défendit de le mettre en exécution
« préférant ne pas risquer de mettre tout le pays
en feu, et voir un frère sceller de son sang les vérités
qu'il avait prêchées, que de lui rendre la liberté
pour édifier encore le peuple ^ » Et comme il avait
agi pour Arnaud, il e\\t ordonné qu'on agît pour lui-
même.
Un très-curieux événement survint bientôt qui per-
mit aux religionnaires de donner au Régent de nou-
velles assurances de leur fidélité à la monarchie.
Le duc d'Orléans voyait depuis 1715 l'Espagne
conspirer contre la France. Il avait, il est vrai, conclu
contre elle la triple et quadruple alliance, fait marcher
ses soldats vers les Pyrénées, vu Byng anéantir la
flotte espagnole et déjoué la conspiration de Cellamare.
Mais rien ne pouvait accabler celui qui était l'âme
de ces complots : Albéroni. Ce premier ministre de
Philippe V, toujours vaincu, jamais abattu, ne cessait
de lui susciter des embarras. Après l'insuccès de Cella-
mare, loin de désespérer, il préparait aussitôt un grand
coup pour une époque prochaine. Il forcerait, disait-il,
l'empereur par une lointaine diversion de Ragotzi à lui
lâcher l'armée de Sicile, il paralyserait l'Angleterre par
une petite flotte jacobite, et il soulèverait enfin la
1 N° 46, cah. III.
LA COUR CRAINT UN SOULEVEMENT 145
France en faveur de son maître Philippe V. Projets peu
sérieux, mais qui préoccupaient le Régent.
Au printemps de 1719^ une étrange nouvelle arriva
tout à coup à Paris. Les protestants, séduits par des
émissaires espagnols, étaient en armes; ceux du Poitou
s'étaient déjà mis en révolte, ceux du Languedoc
allaient se soulever. Le duc d'Orléans s'effraya. Une
nouvelle guerre de Camisards l'obligeait en effet à
détacher une partie de ses forces, et toutes lui étaient
nécessaires pour faire face à l'armée espagnole. Com-
bien de temps d*ailleurs faudrait-il pour vaincre ces
rebelles? Louis XIV en était venu difficilement à bout.
Ne serait-ce pas comme jadis une long'ue guerre de
partisans qui ajouterait à ses embarras présents ? N'é-
tait-il pas à craindre que ce soulèvenient soutenu par
Albéroni ne devînt l'origine d'un soulèvement général
en faveur de Philippe V ? — Peut-être alors le Régent se
souvint-il de la conversation qu'il avait eue avec Saint-
Simon, et lui vint-il comme un repentir de n'avoir pas
enlevé aux religiormaires par sa clémence le droit de
s'insurger contre ses rigueurs.
Cependant il fallait agir, et sans tarder * . Le comte
de Morville, ambassadeur de France en Hollande, fut
chargé par le duc d'Orléans d'engager Basnage à
écrire à ses coreligionnaires pour leur recommander la
soumission. Le professeur Pictet reçut de son côté à
Genève de semblables ouvertures. Pictet et Basnage
écrivirent aussitôt. L'opuscule de ce dernier avait
pour titre : Listruction et lettre pastorale aux Réfor-
1 N" 46, cah. IV. — Cette aventure y est tout au long racontée.
I 10
146 LETTRES DE PICTET, DE BA8NAGE
onés de France sur la persévérance dans la foi et la
fidélité pour le Souverain \ La cour de France le fit
imprimer et répandre à prcîfusion : on en remplit
le Poitou et le Lang'uedoc. Les prédicants étonnés
se concertèrent aussitôt, et, le 30 juillet 1719, ils firent
par la plume de Court une longue et belle réponse
au célèbre pasteur de la Haye. Les Camisards, disaient-
ils entre autres choses, n'étaient ni des leurs, ni
leurs chefs ; ils les répudiaient. L'esprit de révolte ne
les animait point, mais un esprit de paix. « Nous vou-
lons, avec la grâce de notre Seigneur, jusqu'au dernier
soupir de notre vie, en rendant à César ce qui est à
César, rendre aussi à Dieu ce qui appartient à Dieu. »
C'est du ciel seulement qu'ils attendaient leur déli-
vrance, et ils laissaient à Dieu le soin de faire éclater
sa miséricorde et sa sagesse dans leurs misères et leurs
perplexités ^.
Antoine Court, ne sachant rien de ce qui se passait à
Paris ) prenait vers cette époque les eaux minérales à
Euzet^. Un jour, il reçut deux courriers. Le premier
lui demandait un rendez-vous, le second lui en mar-
quait un pour affaires importantes. Ig*norant si
ces deux hommes étaient mandés par la même per-
sonne, il indiqua pour lieu de l'entrevue une petite
ville, Durfort. Là, il rencontra deux protestants de
Nîmes qui se disaient envoyés par un député de la
cour, M. Génac de Beaulieu, et qui lui remirent divers
papiers. Dans une lettre, M. de Beaulieu invitait Court
1 A Rotterdam, chez Abraham Acher. (15 juin 1719.)
2 V, Bullet., t. V, p. 54. (1719.)
8 N" 46, cah. IV.
DEPUTATION EN LANGUEDOC 147
à ne plus convoquer d'assemblées et à prémunir les
religionnaires contre les insinuations des émissaires
de l'Espagne. « Soyez assuré, ajoutait-il, que celui qui
prend la liberté de vous écrire est peut-être plus au
fait de toutes les affaires qu'aucun de vous, et qu'il
vous souhaite de toute son âme toutes les bénédictions
du ciel et de la terre *. » T.1 l'exhortait en finissant à
suivre les sag^es avis de M. Pictet. Court trouva en
effet une lettre de Pictet et une autre du marquis de
Duquesne. Le dernier demandait des détails sur un
nommé Scipion Soulan, le premier exhortait les pro-
testants à la fidélité, comme Basnage et comme le pas-
teur Vial l'avaient fait encore tout récemment :
« Au nom de Dieu, mes chers frères, tenez -vous sur vos
gardes contre tous ceux qui cherchent à vous perdre; regardez
comme vos ennemis tous ceux qui vous parlent de secouer le
joug du prince qui vous gouverne, quelque prétexte qu'ils pren-
nent pour ce sujet; souvenez-vous surtout qu'on ne peut vous
faire de semblables propositions, sans déshonorer notre reli-
gion... D'ailleurs, mes très-chers frères, que pouvez-vous atten-
dre de l'Espagne, qui s'est toujours déclarée l'ennemie capitale
de notre sainte religion et qui, dans les siècles précédents, n'a
pu s'assouvir du sang de nos pères? Vous devez surtout consi-
dérer que le cardinal qui gouverne cette puissante monarchie
ne pourra jamais être de vos amis, et que, quelque caresse qu'il
vous fasse aujourd'hui, il ne laissera pas de vous tourner le
dos ^. »
Cela se passait dans les premiers jours d'août. Le
Régent en eft'et très-inquiet, et n'osant trop compter sur
l'effet de la lettre de Basnage , avait envoyé M. de
1 N" 1. t. II. p. 107. (13 août 1719.)
2 Ibid., p. 73. (Avril 1719.)
148 STUPEFACTION DES RELIGIONN AIRES
Beaulieu en Laiig-uedoc, et un M. de la Bouchetière dans
le Poitou pour se mettre directement en rapport avec
les principaux protestants et les tenir en garde contre
les intrigues étrangères.
Court stupéfait fît aussitôt chercher Duplan dont les
conseils lui étaient précieux. — Dès le lendemain, il
répondit à ces diverses lettres. Il écrivit à M. de Beau-
lieu c( que la révolte, les massacres, et tous les hor-
ribles excès qui s'étaient commis au commencement du
siècle, avaient apparemment fait présumer aux amis et
aux ennemis de la France que les protestants de cette
province seraient plus disposés que les autres du
royaume à écouter les promesses et à se laisser séduire
aux flatteuses espérances que les loups travestis en
brebis voudraient leur donner pour les engager dans
une guerre qui favoriserait leurs pernicieux desseins ;
mais qu'ils pouvaient l'assurer que les prédicateurs
avaient soin de répandre parmi le peuple les mêmes
maximes de piété envers Dieu, de charité envers le
prochain et de fidélité envers le Roi, que Jésus-Christ
et les apôtres avaient enseignées dans leurs écrits;
qu'ils faisaient leurs assemblées sans armes, sans tu-
multe, et uniquement dans les vues de glorifier Dieu
et de travailler au salut du prochain ; qu'on y priait
Dieu pour le Eoi et son Altesse ; que ceux qui prési-
daient à ces assemblées étaient tous gens connus;
qu'on n'en recevait point qui n'eussent été examinés
et approuvés par des gens capables; que ce n'était
plus de ces Eolan furieux, ni de ces Cavalier qui se
servaient du glaive de fer pour faire la guerre à leurs
ennemis; — que c'étaient aujourd'hui des soldats qui
RÉPONSE D'ANTOINE COURT 149
n'employaient que l'épée de l'esprit, des agneaux tou-
jours prêts à répandre leur sang pour le salut de leur
prochain, bien loin de penser à sacrifier les peuples à
des passions criminelles ; — et que si le duc Régent
pouvait lire dans leurs cœurs, il y verrait écrit en let-
tres d'or ineffaçables la fidélité et le dévouement de
leur cœur pour le Eoi et le service de son Altesse ^ . »
M. de Beaulieu était un gentilhomme du Dauphiné
animé d'excellentes intentions. En arrivant dans le Lan-
guedoc, il s'était lui-même facilement convaincu de la
fausseté des bruits qui avaient effrayé la cour. Les as-
semblées étaient fréquentes sans doute, mais la pro-
vince était tranquille. La lettre d'Antoine Court le ras-
sura complètement. Il répondit aussitôt « qu'il avait
lu avec un singulier plaisir et une très-grande édifica-
tion les réponses qu'il leur avait plu de lui faire, qu'il
louait leur zèle , et qu'il priait le Seigneur de tout son
cœur qu'il continuât à leur inspirer toute la prudence
nécessaire dans des occasions aussi périlleuses et aussi
délicates.» — Une chose cependant piquait vivement sa
curiosité. Le Régent avait été certainement informé d'un
soulèvement dans le Poitou et dans le Languedoc . Qui l'a-
vait pu ainsi tromper? Court ne tarda pas à lui répondre.
« J'ai reconnu, Monsieur, que vous souhaitiez une informa-
tion plus exacte de la disposition des esprits et des cœurs des
protestants de ce pays. Vous voudriez aussi nous persuader
toujours à suspendre nos assemblées pour quelque temps, et
vous nous dites qu'il serait de notre intérêt de découvrir ceux
qui ont la malice de prévenir la cour contre nous en donnant
de faux avis... — Outre que je crois presque impossible de dé-
1 N° 1, t. II, p. 125. (20 août.)
150 REPONSE D'ANTOINE COURT
couvrir ceux qui ont donné de faux avis à la cour sur notre
fidélité, il me semble qu'il n'est pas fort nécessaire, attendu
que nous ne doutons pas que ce soit nos ennemis, — ces per-
sonnes qui regardent le pape comme infaillible, maître absolu
du droit divin, du temporel des rois et de la vie comme de la
conscience des peuples, et qui, sous un voile de piété, un mas-
que de religion et des intentions bien dirigées, se croient tout
permis, et croient rendre service à Dieu en employant la fraude, la
calomnie et la violence pour nous rendre odieux et nous faire
périr entièrement, s'il leur était possible*. »
Les protestants en effet ignoraient les projets d'Albé-
roni et n'avaient jamais réfléchi aux cliances d'un sou-
lèvement dans une guerre générale^. Les religionnaires
du Poitou s'étaient rendus à des assemblées, il est vrai,
mais n'ayant d'autre dessein que d'implorer Dieu.
«Il est certain, écrivait M. de la Bouchetière, qu'on a fait très-
grand tort à tous ces pauvres gens de dire que leurs assemblées
étaient fomentées par les ennemis de l'Etat. Ils n'ont jamais
eu d'autre dessein que de prier Dieu, et, lorsqu'ils l'ont fait, ils
ont toujours prié pour la conservation du Roi et pour la pros-
périté de M. le Régent. Ils n'ont jamais eu de ministres. C'a
toujours été l'un d'entre eux, qui après avoir appris quelques ser-
mons, le leur a récité, et cela sans aucun tumulte et sans armes ^.»
Un ennemi acharné, — probablement un prêtre du
diocèse de Nîmes, — avait donc, sans nulle preuve,
dénoncé les protestants.
Les avis qu'il donnait devaient être cependant précis.
1 N" 1, t. II.
2 Court de Gébelin affirme cependant que l'Espagne avait réellement
envoyé des émissaires, mais qu'ils avaient été éconduits... Monde
'primitif, t. VIII, p. 5 et suiv.
' N° 1, t. II. Cette lettre est aussi confirmée par celle de M. de La-
ques. Biillet.,i. IV, p. 237. *
SCIPION SOTILAN 151
Il y parlait d'un certain Scipion, dit Soulan, comme de
l'instig'ateur du soulèvement. Le marquis de Duquesne
priait en effet Antoine Court dans une lettre remise
par M. de Beaulieu de prendre des renseignements sur
ce mystérieux personnage.
Le jeune prédicant ne le connaissait pas. Il mit
néanmoins quelques hommes en campagne et par-
vint bientôt à réunir quelques informations. Sci-
pion Soulan était né à Saint-Hilaire, dans le diocèse
d'Alais ; sa mère tenait un cabaret sur le chemin qui
conduisait d'Alais à Nîmes. C'était un jeune homme
de vingt -cinq ans, inquiet, joueur, libertin, aimant
la bonne chère. Il avait combattu de bonne heure,
étant encore berger, avec les Camisards, et avait été
pris et enrôlé dans le régiment de M. de la Fare qui,
lui voyant quelque talent, l'avait nommé ofïfîcier. Après
avoir commis un vol, Soulan était parti pour Venise,
où on assurait qu'il avait été capitaine. Peut-être de
Venise était-il passé en Espagne', et là, pour gagner
quelques pistoles, avait-il promis à Albéroni de faire
soulever les protestants du Languedoc. Mais il avait
dissipé l'argent et n'avait point soulevé les religion-
naires. Peut-être encore avait-il essayé d'enrôler quel-
ques hommes et de les pousser à la révolte, mais
ses tentatives avaient été apparemment si faibles et les
oppositions qu'il avait rencontrées si grandes , qu'il
avait dû abandonner son projet. En tous cas, son entre-
prise n'avait pas même été connue. « Sans doute, di-
sait Court, le fameux Cavalier a été berger; mais les
temps sont changés, car encore qu'on laisse peser sur
les réformés les édits excroqués par les faux dévots à
152 ESPOIR DES PROTESTANTS
son bisaïeul, ils ne se révolteront pas, quand même on
leur assurerait la liberté de conscience et d'exercer pu-
bliquement leur religion K »
Court cependant concevait les espérances les plus
grandes, et son cœur s'ouvrait à la joie. L'héroïque con-
duite qu'il avait conseillée allait donc porter ses fruits !
Le Régent allait connaître quels sentiments d'amour
et de dévouement animait les réformés ! Il n'était point
douteux que les mesures rigoureuses que, malgré lui,
il avait maintenues, ne fussent aussitôt retirées ! . . . Pre-
nant les protestants pour des rebelles, il les avait jus-
qu'alors laissé traiter comme tels ; les voyant en réalité
paisibles et soumis, il reviendrait à la clémence. L'oc-
casion était solennelle. Il venait de déchirer l'édit de
1715, en reconnaissant officiellement l'existence des
protestants ; il allait déchirer les autres, par justice et
par reconnaissance, et arrêter la persécution contre
des sujets fidèles et dévoués.
Ces espérances étaient partagées par les meilleurs
esprits. Une des personnes que M. de Beaulieu avait
envoyées à Court pour lui porter ses lettres, lui écrivait :
« Depuis que je vous ai quitté, mille réflexions m'ont
roulé dans l'esprit. La situation où paraissent les af-
faires fait concevoir les plus grandes espérances pour
le rétablissement de l'Eglise. » Et il conseillait d'écrire
au député gentilhomme, afin qu'il employât son crédit
auprès du Régent en faveur des protestants.
Un colloque où assistaient les collègues d'Antoine
Court fut aussitôt tenu. Le jeune prédicant aimait les
1 N" 1, t. II, p. 216. (1719)
ESPOIR DES PROTESTANTS 153
choses simples et claires; il proposa d'écrire directe-
ment au duc d'Orléans. Mais on fit des objections
et on résolut de n'écrire qu'à M. de Beaulieu. Deux
lettres furent composées : l'une traitait des assem-
blées, l'autre du dévouement des protestants au Roi.
Tout ce qui avait été déjà dit sur ces deux sujets y
était répété en des termes à peu près^' semblables.
Ces grandes nouvelles colportées par les fidèles, par
les prédicants, couraient cependant la province et la
remplissaient de joie. Duplan profita de ce moment
pour recommander encore une fois la patience et la
résignation ' . Soin bien inutile ! Ce n'était plus ni la
colère ni la haine qui agitaient les âmes, mais un senti-
ment d'incroyable bonheur. A peine pouvait-on croire
à la réalité de ces événements. « 0 abîme, s'écriait
Court, des richesses de la sagesse et de la providence
de Dieu en la conduite de son Eglise ! Que ses voies
en cet égard, comme dans les autres, sont incompré-
hensibles et difficiles à trouver ! Qui aurait, je vous
prie, imaginé que la Providence nous eût fait naître,
il y a quelque temps où on ne nous regardait que
comme des malheureux abandonnés de Dieu et
des hommes, une pareille occasion, qui nous donne
tant de jour à donner des marques incontestables de
^ « Il est bon que je vous informe que les Puissances n'ignorent pas
vos noms ; elles savent tout ce qui se fait dans ce pays. C'est pour-
quoi il est plus nécessaire qup jamais de redoubler nos prières envers
Dieu, afin qu'il change le cœur de nos ennemis en notre faveur. Le
frère Court sait que nous avons informé la cour de notre innocence
et de notre fidélité pour le Roi; mais cela ne suffit pas. Il faut que
nous n'ayons dans toutes nos actions pour l)ut que sa gloire et le salut
de nos prochains... » N" 12, p. 15. (1719 )
154 LA PERSÉCUTION RECOMMENCE
notre fidélité et de notre obéissance envers Sa Ma-
jesté \ »
Les mois s'écoulaient. Fontarabie, Saint-Sébastien
avaient été pris et les vaisseaux de Philippe avaient
été brûlés ; l'Espagne était vaincue. Aucun cliang'ement
ne s'était encore produit dans la condition des protes-
tants; mais l'espérance d''un état de choses meilleur
vivait toujours, et l'on continuait, sans être trop inquiété
par les troupes, à fréquenter les assemblées. Cette
espèce de liberté entretenait les illusions.
Ni les édits cependant, ni les ordonnances n'avaient
été abrogés. La cour n'avait point dévié de sa ligne de
conduite, et si, quelques mois durant, elle s'était relâ-
chée de la sévérité dont elle avait déjà donné tant de
preuves, elle n'avait nullement songé à promulguer
un édit de tolérance. Les événements l'avaient momen-
tanément oblig'ée de suspendre l'application des ordon-
nances, mais elle entendait bien la reprendre, dès que
la prudence et la politique lui en donneraient le loi-
sir et la permission.
Elle le prouva bientôt.
En Bretagne, en 1720, le substitut du procureur
général se plaignit que plusieurs religionnaires né-
gligeaient ou refusaient d'envoyer leurs enfants
aux écoles catholiques. Le parlement ordonna aussi-
tôt à tous les pères, mères, tuteurs, de les y en-
voyer, « et nommément ceux issus de parents qui
ont fait profession de la R. P. R., » — sous peine de
* N" 1, t, II, p. 134. Page détachée, sans date ni signature. Ce doii
être un fragment de sermon ou de lettre pastorale.
EN BRETAGNE, EN DAUPHINÉ 155
cent livres d'amende. La Vrillière écrivait de son côté
à l'intendant :
« Son Altesse Royale ayant appris que les déclarations du
Roi sur l'instruction des enfants des nouveaux convertis,
étaient fort négligées, m'a ordonné de vous écrire que son in-
tention est que, dans l'étendue de votre département, vous te-
niez la main à ce que les instructions publiques se fassent
régulièrement par ceux qui en sont chargés, et que les pères et
mères, tuteurs et curateurs y envoient leurs enfants sous les
peines y portées. »
La même année, un marchand de Saint-Saturnin fut
accusé d'empêcher ses enfants d'aller aux offices et
aux instructions de l'église. Quelques mois se passè-
rent; l'ordre arriva un jour d'enfermer ses deux filles
an couvent des Ursulines et son fils au couvent des
Mathurins ^
En Dauphiné, les protestants continuaient de passer
la frontière pour aller faire bénir leurs mariag'es à
Genève. « Je les ferai arrêter, écrivit Médavid, et
traduire à leurs frais dans la tour de Crest ou dans les
prisons les plus prochaines, jusqu'à ce qu'ils aient fait
réhabiliter leurs mariages aux formes ordinaires de
l'Eglise... C'est de cette manière que j'en use dans
les autres diocèses de l'étendue de mon gouvernement,
où l'on s'aperçoit que ce châtiment a beaucoup rebuté
leur ardeur à cet égards »
Dans le Poitou, les assemblées se multipliaient, de-
venaient de plus en plus nombreuses à Niort, à Saint-
* V. Histoire des Eglises de Bretagne^ etc., p. 219 et suiv.
2 V. La Socicti' protestante dans les Ila-xtes-Alpes, etc., p. 425
41>5, 505. (1720.)
156 LA PERSÉCUTION DANS LE POITOU
Maixent et dans les autres lieux « infectés. » De la
Tour, l'intendant, ne savait à quelles mesures recourir
pour arrêter le mal, et Chamilly s'adressait chaque
jour à Paris pour demander des instructions. Les in-
structions ne tardèrent pas à arriver : « J'ai trouvé,
lui manda-t-on, S. A. E. dans les mêmes sentiments
que je vous ai marqués par ma précédente, savoir qu'on
ne fasse encore autre chose qu'arrêter les prédicants,
les lecteurs, ceux qui prêteront leurs maisons pour
tenir les assemblées et quelques-uns des principaux
qui les composent '. » Et quelques jours plus tard :
c( J'apprends avec plaisir l'emprisonnement du prédi-
cant de Niort. S. A. R. est persuadée qu'en s'attachant,
comme vous le faites, à faire suivre et arrêter ses sem-
blables, on parviendra facilement à dissiper les assem-
blées dont ils sont les mobiles^... » Rien n'empêcha
cependant la continuation des assemblées, ni la prise
du prédicant, ni les courses de la maréchaussée. - — Que
faire ? On afficha dans toutes les villes et tous les vil-
lages l'ordonnance déjà vieille de 1716.
« Comme ces gens, Monsieur, qui s'assemblent au préjudice
des défenses portées par les déclarations dii Roi se laissent sé-
duire de la fausse idée que, n'ayant point été renouvelées dans
ce règne, ils peuvent se dispenser d'y obéir, je vous adresse,
par ordre de S. A. R., une ordonnance qui, sans rien prescrire
de nouveau, déclare nettement l'intention de Sa Majesté sur
l'entière observation des anciennes déclarations. Vous aurez
agréable de la faire publier, afficher et exécuter, de concert
avec M. le comte de Chamilly auquel j'en envoie autant
i Archives nationales O i 368, p. 32. (Mars 1719.)
^Ihid , p. 39.
LA PERSÉCUTION DANS LE POITOU 157
pour en user de concert avec vous ^ Mgr le duc d'Orléans, qui
ne fait aujourd'hui que ce qu'il fit il y a quelque temps en pa-
reille occasion pour la Guyenne et pour le Languedoc, s'en pro-
met, et de votre attention, le même succès ^. »
L'effet produit par cette publication et par les arres-
tations qui la suivirent de près fut, paraît-il, consi-
dérable , car les religionnaires frappés d'épouvante
quittèrent leurs demeures et prirent la fuite. Il fallut
les rassurer. « S. A. E. m'a ordonné de vous faire
savoir que son intention est que vous disiez et fassiez
dire aux principaux d'entre eux que le Roi leur par-
donne à condition de tenir à l'avenir une conduite
plus régulière, et qu'ils peuvent librement et sûre-
ment se rendre à leurs maisons et à leurs affaires ; et,
pour leur en ôter tout lieu d'en douter, que vous fassiez
1 « De par le Roi,
« Sa Majesté informée que quelques particuliers, nouveaux con-
vertis, s'étant imaginés sans fondement que les assemblées pouvaient
être permises entr'eux pourvu que l'on n'y portât point d'armes, en
ont tenu quelques-unes au préjudice des Ordonnances rendues à cet
égard, et voulant sur cela faire savoir ses intentions et les détrom-
per des idées chimériques que des esprits mal intentionnés leur ont
suggérées, Sa Majesté, de l'avis de Monsieur le Duc d'Orléans, a dé-
claré et ordonné, veut et entend que les Ordonnances et Déclarations,
rendues sur le fait des assemblées des nouveaux convertis, soient
ponctuellement exécutées ; fait défense à toutes personnes de se trou-
ver à aucune, sous peine d'être punis, aux termes desdites Ordon-
nances, Edits et Déclarations. Mande et ordonne Sa Majesté au Gou-
verneur, Lieutenants Généraux, Commandant et Intendant de Poitou,
Baillis, Sénéchaux, Prévôts, Juges, leurs Lieutenans et tous autres
ses Justiciers et Officiers qu'il appartiendra, de tenir la main chacun
à son égard, à l'exacte observation de la présente Ordonnance, la-
quelle Sa Majesté veut être publiée et affichée partout où besoin sera,
à ce qu'aucun n'en prétende cause d'ignorance.
« Fait à Paris, le vingt-unième mars mil sept cent dix-neuf.
« Signé : Louis. Et plus bas : Phélypeaux. »
» Archives nationales, OS 368, p. 43. (Mars 1719.)
158 LA PERSECUTION EN LANGUEDOC
mettre en liberté ceux qui ont été arrêtés ^.. » Mais
à peine revenus de leur panique, ils reprirent la route
du Désert, prudemment d'abord, avec éclat bientôt. En
vain Maurepas écrivait-il de Paris : « S. A. R. a paru
très-satisfaite de votre attention aux démarches qu'on
a faites pour déconcerter les assemblées. Il j a lieu de
croire qu'elles cesseront par la manière sérieuse dont
ces mallieureux voient qu'on s'y prend ^. » Aucune
menace ne put les arrêter. Les prédicants ne se lassè-
rent pas de convoquer des assemblées, et les religion -
naires de s'y rendre, quelles que fussent les peines
dont la cour les frappât.
En Lang^uedoc, Bâville était récemment parti ^, — en
1718, — mais son successeur, Bernage, intendant de
Picardie, avait déjà donné trop de preuves de sévérité
pour que les religionnaires pussent se flatter de trouver
en lui sinon un défenseur, un protecteur du moins
de leurs droits. Ayant appris que les assemblées se
multipliaient rapidement, il en écrivit à la cour, et la
cour mit aussitôt à sa disposition de nouvelles troupes
pour parcourir « les lieux infectés par les prédicants. »
La persécution recommença ''. Bernage accompagné du
1 Archives nationales, 01,368, p. 67. (Mai 1719.)
2 Ihid., 0 1, 369, p. 110, 174, 184. (1720.)
" Voici la liste des intendants du Languedoc dans les soixante pre^
mières années du dix-huitième siècle : Avril 1718, Bernage; — Jan-
vier 1725, Louis-Basile de Bernage fils, conseiller du roi, maître des
requêtes;' — Septembre 1743, Le Nain; — Janvier 1751, Jean-Emma-
nuel de Saint- Priest.
* On continua aussi d'enlever les enfants : c'était une vieille habi-
tude. Nous ne mentionnons ici le fait que pour mémoire, car on rem-
plirait plusieurs volumes de faits semblables.
« Versailles, ce 13 avril 1720. — M. l'Evêque deLavaur m*a écrit 1^
LA PERSECUTION EN LANGUEDOC L59
duc de Roquelaure entreprit un voyage dans la pro-
vince, fît comparaître devant lui les principaux pro-
testants de chaque ville, et après leur avoir défendu
de tenir des assemblées, il leur déclara qu'ils avaient
tout à espérer de la bonté du Régent, mais tout à
craindre de sa sévérité, s'ils persistaient à enfreindre
ses ordres. Et en même temps, il demandait à la cour
qu'elle voulût bien mettre aux ordres du duc de Roque-
laure le commandant d'Alais, M. d'Yverni. « Il fallait,
disait-il, un officier de caractère dans le pays, avec
des pouvoirs suffisants. » Cela se passait une année à
peine après la députation de M. de Beaulieu K En
lettre ci-jointe, sur ce que le sieur Chomel de Saint-Laurent, reli-
gionnaire très-opiniâtre, n'envoie pas sa fille aux instructions ; et
sur le compte que j'en ai rendu au Roi, Sa Majesté m'a expédié l'ordre
que vous trouverez ci-joint pour faire mettre cette fille dans le cou-
vent de Sainte-Claire de \?i, ville deLavaur; et il sera à propos que
vous teniez les mains h ce qu'il paye la pension et les frais de l'exé-
cution. On ne peut, Monsieur, vous honorer plus parfaitement que je
le fais. »
« Signé : Saint-Florentin. »
— Le 25 septembre 1720, l'archevêque de Narbonne faisait encore
demander au marquis de la Vrillière qu'on voulût bien enfermer au
collège des Jésuites de Toulouse un jeune protestant de cette ville.
« D'ailleurs, ajoutait-il, il a du bien suffisamment pour être entretenu.»
Nous ne mentionnons aussi que pour mémoire les lettres de ce
genre-ci :
« A Monsieur Azaïs. J'ai reçu, Monsieur, avec votre lettre du 25 du
mois dernier, un mémoire qui contient vos raisons sur les plaintes
que l'on m'avait portées contre vous. Vous ne pouvez disconvenir
qu'elles avaient quelque fondement, puisqu'il est certain que vous
avez fait, un jour maigre, un repas en maigre et en gras, publique-
ment, dans un pré, ce qui a causé du scandale. Soyez donc plus cir-
conspect à l'avenir, sans quoi on ne pourrait s'empêcher de sévir con-
tre vous. »
«Signe : La Vrillière. »
BuUef., t. VII, p. 38.
' V. Histoire de V Eglise de Montpellier^ etc., p. 265.
160 DECOURAGEMENT DES PROTESTANTS
1720, une assemblée fut surprise et dissipée à Fou-
gères, près de Bédarieux % et une autre près de Nîmes,
dans la caverne de la Beaume-de-Fades ^. Il y eut
plusieurs condamnations. Un grand nombre de femmes
et de filles furent dirigées sur les ports de mer, pour
être transportées en Amérique. En 1721, de nouvelles
assemblées furent dispersées à Nîmes et à Saint-Hip-
polyte, et les prisonniers furent envoyés à Alais pour
enterrer les victimes qu'y faisait la peste.
Les religionnaires découragés comprirent bien alors
qu'il ne serait fait aucun changement dans leur situa-
tion, et que rien, ni leur fidélité, ni leur soumission,
ni leurs protestations de dévouement, ne pourrait
ébranler l'inexorable volonté qui les avait voués à la
persécution.
Un proposant s'adressa au duc de Roquelaure et à
Bernage. Il croyait les protestants calomniés; il ne
pouvait imaginer que ces rigueurs fussent exercées
sans motif et sans cause.
« Il est certain que, si quelque scélérat venait dans quelque
ville du royaume voler, blasphémer le saint nom de Dieu, pail-
larder, chanter des chansons infâmes, on ne lui dirait rien, ou
du moins trouverait-il des amis et d'indulgence. Mais si quel-
que personne craignant Dieu y venait faire une prière ou chan-
ter quelque psaume, ce serait un scélérat, un rebelle, un crimi-
nel de l'Etat... Il semble que nous ne soyons pas des chrétiens,
mais de monstres de nature indignes de vivre, et, dans cette
ignorante fureur, on nous déchirerait avec les dents. »
1 V. Histoire de V Eglise de Montpellier, etc., p. 549.
2 V. plus loin, chap. vu, p. 224.
LETTRE A BERNAGE 161
L'auteur protestait de nouveau du dévouement des
réformés, et, prenant l'offensive, il prouvait que le
catholicisme qui les accusait de rébellion avait été
lui-même le plus grand ennemi de l'Etat. Il s'inclinait
néanmoins, sans murmure ni colère, devant la force
qui les opprimait, il prenait Dieu à témoin de l'inno-
cence des religionnaires et le priait de bénir leurs
persécuteurs. « Nous continuerons à demander votre
protection par des prières et des vœux, et demander
au ciel votre prospérité et celle du Roi, et celle des
dignitaires *. »
Ces derniers mots n'étaient ni une amplification
oratoire ni dans un but politique; un sentiment vrai
les avait inspirés. « Dans tous nos sermons, écrivait-on,
dans toutes nos lettres, nous exhortons le peuple à la
soumission et fidélité au Roi ^. » Et le Synode de 1721,
tenu en Vivarais, disait dans un de ses règlements :
« Tous les pasteurs et proposants se rendront sujets aux puis-
sances supérieures, et y porteront le peuple autant que leurs
forces le leur pourront permettre. Et, pour cet effet, tous les
pasteurs et proposants jurent par la foi qu'ils ont au nom de
Jésus-Christ d'obéir au Roi de France en toutes choses, sauf aux
ordonnances quipourraient être préjudiciables à la foi et à l'E-
glise. D'ailleurs, la vénérable assemblée enjoint à tous de faire
prière pour le Roi et pour ses conseillers, non-seulement aux
assemblées, mais aussi dans les familles particulières, et prin-
cipalement aux pasteurs ^. »
Une si grande soumission et des preuves si écla-
t N" 17, vol. F, p. 2Ô2. (1721.) Gaubert était l'auteur de cette apo-
logie.
8 Ibid., p. 382. (1721.)
3 N'- 17, vol. G. p. 382. (1721.)
I 11
162 CONTINUATION DE LA PERSÉCUTION
tantes de dévouement ne trouvèrent pas grâce cepen-
dant devant les persécuteurs. Les mesures de rigueur
furent maintenues, bien plus, multipliées. En 1720,
la cour prorog'ea pour trois années les défenses aux
nouveaux catholiques de disposer de leurs biens ^
On continua de poursuivre les assemblées et de les
dissiper-, les prisonniers furent condamnés aux galères,
et les prédicants mis à mort; bientôt même on vit à
Montpellier se dresser le gibet. C'était comme une
préparation à la déclaration de 1724.
Claude Brousson, Antoine Court, Jacques Roger,
avaient tour à tour pensé que la patience et la rési-
gnation désarmeraient la cour. Les faits semblaient
donner à leurs prévisions un cruel démenti.
♦ V. Recueil des Edits^ Déclarations^ etc.
CHAPITRE VI
LES INSPIRÉS ET LES MULTIPLIANTS
1715-1723
Antoine Court et ses collègues s'épuisaient en efforts.
Depuis 1720 cependant, l'œuvre de réorg-anisation
rencontrant des obstacles imprévus progressait lente-
ment. Sous les coups d'une persécution croissante, un
parti grossissait chaque jour, qui se séparait du reste
des protestants et s'opposait à toute tentative d'orga-
nisation. « J'apprends avec douleur, écrivait-on de
Genève, qu'entre tous les obstacles que vous rencon-
trez tous les jours à l'établissement de la gloire de
Dieu et du règ*ne de son cher fils, vous avez des gens
parmi vous qui paraissent de troubler l'ordre *. » —
Ces g*ens étaient les « fanatiques, » et ce parti celui
des Inspirés.
Le parti des Inspirés avait des racines profondes, quoi-
que cachées, parmi les protestants. C'étaient les Inspirés,
prophètes ou prophétesses, qui avaient au lendemain de
la Révocation couru le Languedoc et soutenu les reli-
gionnaires ; c'étaient eux qui avaient ani aie au combat les
» N" 17, vol. G. Lettre de Pictet.
164 LES PETITS PROPHÈTES
bandes camisardes, réchauffé leur courage et souvent
décidé la victoire ; c'étaient enfin les Inspirés qui de-
puis ce soulèvement, indomptables, et à travers mille
périls , avaient entretenu le foyer de la foi. Circon-
stances importantes et qu'on ne doit pas oublier î Si
on les négligeait, on s'expliquerait mal l'opiniâtreté
de la résistance des uns et celle des attaques des autres.
Il faut donc revenir sur cette histoire, et avant d'abor-
der le présent remonter au passé.
Les premiers prophètes, on le sait, avaient paru dans
le Dauphiné, presque au lendemain de la Révocation.
C'étaient des enfants , des garçons, des filles, surtout
des filles; les plus âgés pouvaient avoir dix ans*. Ils
avaient parcouru les villages et les hameaux, récitant
des psaumes, des cantiques, faisant aux montagnards
qui les écoutaient de tristes prédictions. Leur nombre
s'était bientôt accru, et, l'enthousiasme prophétique se
propageant, on en avait bientôt compté jusqu'à huit
mille ^. Ces pauvres enfants avaient soulevé le Viva-
rais, le Dauphiné, le bas Languedoc. Ils avaient d'a-
bord étonné, ils avaient ensuite profondément remué
les âmes. Leur sérieux, leurs cris, leurs souffrances
leur avaient gagné les sympathies de ceux qui les écou-
taient. Ils étaient sujets à de singulières agitations, se
roulaient par terre, se tordaient dans des convulsions
horribles. Ils éclataient en imprécations avec des ho-
quets terribles : «Mon enfant, jeté dis, je t'assure.
Miséricorde ! Miséricorde ! » Ailleurs, présageant la
1 N" 30, p 7. Manuscrit de l'histoire des fanatiques, par de la Beaume.
2 Misson l'assure dans son Théâtre sacré. — V. aussi n" 17, vol. G.
p. 413.
ASTIER, ISABEAU VINCENT 165
ruine de Babylone, ils s'écriaient « que Ton était dans
les derniers temps, qu'il fallait combattre vaillamment
pour la foi et le repentir de ses péchés, que Babylone
serait détruite dans peu de temps, qu'il fallait s'amen-
der, qu'une partie de la grande Babylone serait dé-
truite l'an 1708, que la délivrance de l'Eglise serait
prochaine... » Tout cela était dit en français. « Servez-
vous de vos faux et moissonnez : la moisson de la
terre est prête. Coupons les grappes des vignes : les
raisins sont mûrs; — que vos mains s'arment de
force M... » La plupart de ces petits prophètes s'é-
taient arrêtés dans les hameaux voisins et s'étaient
vite fait oublier. Seuls, Gabriel Astier et la belle ber-
gère du Cret, Isabeau Vincent, s'étaient rendus célè-
bres. Astier était passé dans les Boutières et dans le
Vivarais, où s'étaient tenues d'immenses assemblées.
Isabeau était descendue à Grenoble, et elle y avait ob-
tenu de grands succès. Mais de Broglie et Bâville
avaient bientôt dispersé les fidèles d'Astier et enfermé
la belle Isabeau dans un couvent. Dès lors, tout était
rentré dans l'ordre.
Quelle était la cause de ce mouvement ? On a pré-
tendu qu'un gentilhomme du Dauphiné, calviniste fer-
vent, Du Serre, avait réuni chez lui un certain nom-
bre d'enfants , de filles, leur avait inspiré l'horreur de
l'Eglise, la haine du pape, et leur avait appris à trem-
bloter, battre des mains, se jeter par terre, baver,
écumer, fermer les yeux, et demeurer assoupis ^ C'est
* Histoire de quinze ans sous Louis XIV, par Moret, t. I, p. 299,
Paris. (1859.)
2 V. Fléchier, Brueys, de la Beaume et tant d'autres ; récemment
Moret : Histoire de quinze ans, etc.
166 DU SERRE ET LES PETITS PROPHÈTES
ridicule et odieux. Court qui n'était pas partisan des
prophètes le dément en termes fort nets \ L'assertion
d'ailleurs ne peut soutenir l'examen . On dit que Du Serre
s'était concerté à Genève avec les ministres réfugiés
et qu'il était poussé par eux à « cette machiavélique
jonglerie. » Or, on sait que les ministres voyaient avec
un vif déplaisir les prophètes, qu'en Angleterre, lors-
que ces derniers s'y réfugièrent, ils furent fort mal
reçus, et qu'en Suisse, depuis Trélat jusqu'à Pictet, les
pasteurs ne cessèrent de les combattre. Et d'ailleurs, si
Du Serre fut le promoteur de ce mouvement en 1689,
comment expliquer l'apparition des toutes jeunes In-
spirées qui se firent entendre en 1688, bien loin du
Peyra , dans les montagnes du Castrois '^ ? Y avait -il
là un autre Du Serre? Non, la chose est beaucoup
plus simple et toute naturelle. La seule cause du mou-
vement prophétique fut l'excès du mal. Traqués, pillés,
dénoncés, ruinés par le gouverneur, par les espions,
par les dragons, toujours en méfiance, toujours sous le
coup d'une surprise et la menace des galères et du gi-
bet, les réformés avaient mis toute leur confiance en
Dieu: n'espérant plus rien sur la terre, ils avaient
tout espéré du ciel. Qu'on ajoute à cela les exhorta-
tions continuelles « à tout quitter » pour se trouver
dans les assemblées, les courses de paroisse en paroisse
à travers les montagnes, les dangers, les jeûnes ordon-
nés pour fléchir la colère de Dieu, et l'on pourra me-
surer le degré d'exaltation auquel purent monter ces
hommes impressionnables. Or, les enfants, — caria
* V. Histoire des troubles des Céi'eriiies^ etc. t. II, p. 5.
2 V. Bvllet., t. XIV, j). 158.
LES INSPIREES DU CASTROIS 167
famille protestante était austère, unie, liée, — les en-
fants, le soir, après la lecture de la Bible, écoutaient
les sombres récits du père : .comme quoi, la veille, une
assemblée avait été surprise, qu'un voisin avait été
pendu par les soldats, que les dragons avançaient,
et qu'on était perdu. Ils étaient émus, effrayés. Puis,
on lisait une page de l'Apocalyse, une lettre du fou-
gueux Jurieu * ; on parlait de relèvement, de victoire ;
on maudissait le papisme ; on le regardait comme la
bête de l'Apocalypse ; — et le cerveau agité par ces
sombres visions, la nuit, les enfants avaient des songes
affreux, se réveillaient en sursaut, croyaient voir des
anges, criaient, pleursiient, répétaient les phrases qu'ils
avaient entendues. Un d'eux, probablement plus exalté,
dut raconter ses visions à ses camarades; ce fut le
commencement du mouvement prophétique. Les bandes
de petits prophètes se formèrent.
Si étrange qu'elle puisse paraître, l'explication n'est
point hasardée. En 1688, il y eut des assemblées
fort nombreuses dans les montagnes du Castrois.
On l'apprit , l'intendant arriva, fît trois prisonniers et
les condamna au gibet. Le reste des habitants fut ac-
cablé d'amendes et de charges de toute espèce. Dès lors,
on n'entendit plus parler « de prêches. »Tout paraissait
calme et tranquille, lorsque subitement de nouvelles
réunions se tinrent avec affluence de nouveaux con-
vertis. Que s'était-il passé? Deux jeunes filles, dont
l'une avait à peine douze ans, passaient pour avoir
* Les lettres de Jurieu parurent en 1688. Lettres pastorales adres-
sées aux fidèles de France qui gcnilssent sous la captivité de Bahy-
lone. Rotterdam, chez Abraham Acher. (1688.)
168 LES PROPHETES CAMISAKDS
eu des visions d'anges venus, disait-on, tout exprès de
la part du Seigneur Jésus, prophétisaient et convo-
quaient des assemblées \ L'exécution de l'intendant et
les souffrances des fidèles les avaient seules inspirées.
Personne ne met en doute la bonne foi de ces pe-
tits prophètes, mais on prétend qu'ils furent les dupes
d'une odieuse supercherie. Il n'y eut, on le voit, ni
violence, ni jonglerie, ni école de prophétie ; il y eut
excès de souffrances. Qu'un gentilhomme calviniste ait
possédé une verrerie sur la montagne du Peyra, qu'il ait
été à Genève, que lui même se soit cru inspiré; c'est
très-probable. Mais qu'il ait appelé chez lui déjeunes
enfants pour leur apprendre à prophétiser, qu'il ait été
poussé à cette machination par les ministres de Genève,
et qu'il soit ainsi le promoteur du mouvement prophéti-
que, c'est ce que tout dément. Il y eut un Du Serre dans
toutes les familles : ce furent la Bible et le malheur.
Cependant Bâville et de Broglie, dès qu'ils avaient
vu cette éclosion de prophètes et le mal qu'ils faisaient
dans le Vivarais , les Cévennes et le bas Languedoc,
s'étaient immédiatement portés sur les lieux. Ils avaient
dispersé les assemblées, pendu les récalcitrants, et en
peu de temps les prisons s'étaient trouvées « si rem-
plies de ces pauvres gens et particulièrement d'enfants,
qu'on n'avait plus su qu'en faire. » Mais pour avoir
disparu, les prophètes n'étaient point morts. En 1700,
« le renouvellement du fanatisme avait commencé de
faire du bruit ^.)) Une vieille du Vivarais, tailleuse
d'habits, « qui roulait le diocèse d'Uzès, » s'était fait
1 V. Bull, t. XIV, p. 158.
2 N" 30, p. 15.
LES PROPHÈTES GAMISARDS 169
entendre dans les assemblées ; bientôt étaient survenus
Daniel Eaoul, Marguerite Arnaud, Françoise Bez,
Etienne Goût, tous pauvres gens, ignorants, domes-
tiques. Ils disaient « qu'un temple de marbre blanc,
orné de filets d'or, avec des tables où les préceptes de
la loi seraient gravés , tomberait du ciel au milieu du
Talon de Saint-Privat pour la consolation des fidèles
des hautes Ce venues. » Mais surtout ils poussaient à
la révolte et prêchaient la guerre sainte : c'est à leurs
ordres que les Camisards avaient pris les armes. La
prophétie devenait guerrière. Après avoir poussé à l'a-
mendement et à l'espérance, elle excitait à la lutte, à
la guerre et au combat. Quelques années auparavant,
c'étaient les enfants qui prophétisaient, c'étaient main-
tenant les pères, arrachés par la persécution à leurs
travaux et devenus tout à la fois soldats et prophètes.
Leur nombre n'était pas grand. Abraham Mazel, Elie
Marion, Coste, Claris, Durand Fage, Jean Cavalier,
étaient les plus illustres. Quelques femmes, mais rares.
Placés au milieu des bandes camisardes qu'ils diri-
geaient, ils en étaient véritablement l'âme et la princi-
pale force. Si les généraux de Louis XIV avaient pu les
faire enlever, les révoltés se fussent immédiatement
dispersés. Au fait, non : la persécution en eût fait sur-
gir de nouveaux. Ils étaient comme les rameaux de cet
arbre dont parle le poëte : l'un coupé, l'autre renais-
sait. Uno avulso^ non déficit alter aureus. «Tout ce
que nous faisions, dit Durand Fage, soit pour le géné-
ral, soit pour notre conduite particulière, c'était tou-
jours par ordre de l'Esprit*. » Les prophètes en effet
* V. le Théâtre sacré , etc., p. 117.
no LES PROPHETES CAMISARDS
commandaient, les soldats obéissaient. Aucun mur-
mure, aucun doute ; obéissance aveugle. Devaient-ils
attaquer l'ennemi? Craignaient-ils quelque embuscade?
Etaient-ils poursuivis? « Seigneur, s'écriaient-ils, fais-
nous connaître ce qu'il te plait que nous fassions pour
ta gloire et pour ton bien! )> Les prophètes ordonnaient
la bataille, les retraites , les courses, promettaient la
victoire, encourageaient les faibles, démasquaient les
traîtres, fortifiaient et exaltaient jusqu'à la démence.
Car il y eut dans la guerre des Camisards des actes
d'héroïsme touchant à la folie. Quand «l'Esprit» avait
parlé, ces hommes étaient transfigurés. Sans armes,
ou n'ayant que des fusils et des sabres hors d'usage, ils
affrontaient la g*rêle des mousquetades et les coups des
ti'oupes disciplinées de LouisXIV, comme s'ils eussent
été revêtus de fer, ou comme si les ennemis n'eussent
eu que « des bras de laine. y> L'Esprit n'avait-il pas dit
en effet : « N'appréhendez rien, mes enfants, je vous
conduirai, je vous assisterai ? » Les Camisards étaient
tous, plus ou moins, des hallucinés. Un enthousiasme
ordinaire n'eût point suffi à l'effort de ce soulèvement.
Ce fut en effet la défection seule des chefs qui put faire
déposer les armes aux deux mille Ccimisards qui pen-
dant trois ans avaient tenu en échec les meilleurs
généraux de Louis XIV, vingt mille hommes d'armée
régulière et cinquante-deux régiments des milices de
la province. En tout autre temps, en tout autre pays,
les prophètes — cela leur arriva en Angleterre et en
Suisse — eussent passé pour des fous ou des imposteurs;
sur le sombre théâtre des Cévennes, au milieu de cette
contrée dont ils semblaient être le symbole vivant, ils
LES PROPHÈTES CAMISARDS 171
étaient les hommes inspirés et les chefs invincibles qui
conduisaient les révoltés à la victoire. Pour les com-
prendre, il ne faut pas les détacher de leur cadre; par-
tout ailleurs, ils sont impossibles. Nulle fraude surtout
et nulle supercherie. Ces gens-là se croyaient les instru-
ments de Dieu. Quoi qu'en pense Court, venu dix ans
plus tard, et peu porté par les abus dont il fut le témoin
à croire inspirés ceux qui prétendaient l'être, ils étaient
bien les prophètes de combat, suscités « par l'Esprit de
Dieu » pour conduire et diriger son peuple. Tout ce
qu'ils disaient ressentir, éprouver, entendre, voir, ils le
ressentaient, l'entendaient, le voyaient. En 1704, près
de Sérignan, Claris ayant démasqué deux traîtres, on
osa, quoique ceux-ci eussent avoué leur crime, sou-
tenir qu'il était d'intellig*ence avec ces deux hommes
pour faire croire à un miracle. Alors « l'Esprit » s'ex-
primant par la bouche de Claris :
« 0 gens de petite foi, est-ce que vous doutez encore de ma
puissance après tant de merveilles que je vous ai fait voir?
Je veux qu'on allume tout présentement un feu, et je te dis,
mon enfant, que je permettrai que tu te mettes au milieu des
flammes, sans qu elles aient pouvoir sur toi. »
Malgré les cris, on porta des sarments, et on alluma
le bûcher. Claris y entra résolument et n'en sortit que
lorsque tout le bois fut consumé. Il était intact. — Un
fourbe se fut-il exposé aux railleries de la foule et à
une mort certaine ?
Ces faits, et bien d'autres, paraissent extraordinaires.
La science en donne une explication fort naturelle K
* Des maladies mentales considérées sovs les rapports médical^
172 LES PROPHÈTES CAMISARDS
Peut-être néglig"e-t-elle le haut spiritualisme de ces
phénomènes, mais il est facile par la compréhension de
l'histoire de lui rendre le rang qu'il doit occuper.
C'était la seule souffrance qui avait fait les prophè-
tes. Persécutés, ils avaient répondu à la persécution par
un cri de guerre; ils avaient poussé à la révolte, armé
les paysans, enrégimenté quelques ouvriers, et, mal-
gré tout, quoique la guerre fût le thème de leurs
ardentes prédications, ils étaient restés bons, affec-
tueux, humains. Il faut en effet les distinguer des
rares Camisards qui, affolés par le désespoir, assassi-
naient l'abbé du Cayla et Madame de Miraman,
brûlaient les églises , tuaient les prêtres et usaient de
terribles représailles contre leurs ennemis vaincus. Les
prophètes conseillaient toujours après le combat de re-
lâcher ceux qui ne leur avaient point fait de mal, prê-
chaient la clémence, la repentance, l'amendement des
mœurs , et transformaient les camps , théâtre de leurs
extases, en vrais camps de Dieu, où jamais on n'en-
tendit ni jurements, ni bruit de querelles et de dis-
cordes, mais le seul murmure des prières et le chant
des psaumes ^
Tous leurs efforts cependant avaient été vains. Ca-
valier avait traité avec le maréchal de Villars, Roland
était mort, et les bandes camisardes , privées de leurs
chefs, s'étaient dispersées dans la montagne. De la
hygiénique et médico-légal, par Esquirol. Paris. (1838.) — De la
folie, considérée sous le point de vue pathologique, philosophique,
historique et judiciaire, par M. Calmeil. Paris. (1845.) — Histoire
du merveilleux dans les temps modernes, par M. Figuier. Paris.
(1860.) — La Magie et les Magiciens, par M. Maury. Paris. (1860.)
1 Les Prophètes Cévenols, par M, Dubois. Strasbourg (1861).
PRÉDICANTES ET PROPHETESSES 173
terrible insurrection qui avait un moment effrayé Ver-
sailles, il ne restait plus qu'un douloureux souvenir et
un immense écrasement.
Plus de chefs, plus de pasteurs, plus de prophètes.
Les chefs étaient morts ou réfugiés, les pasteurs étaient
bannis, les prophètes avaient cherché un asile dans
les pays étrang'ers.
Peu à peu cependant, les choses avaient repris leur
cours naturel. Quelques femmes avaient été les hé-
roïnes de cette restauration. Quand tout paraissait dé-
sespéré, elles avaient pris en main la cause vaincue ,
et avec leur foi, leur dévouement, leur abnégation et la
puissance invincible de leurs espérances, elles avaient
résolu de la rendre victorieuse.
Elles s'érigèrent en prédicantes ; elles tinrent au Dé-
sert des assemblées, et dans ces mystérieuses réunions,
composées presque exclusivement de femmes, elles ra-
nimèrent les esprits abattus, fortifièrent les volontés
chancelantes. La première fois qu'Antoine Court, jeune
encore, accompagna sa mère au « prêche, » il entendit
les exhortations d'une prédicante et en fut édifié. C'é-
tait la veuve Bancel, de Vallon, qui, cette nuit, ofiiciait.
Elles couraient ainsi de pays en pays, du Vivarais
dans les Cévennes, des Cévennes dans le bas Langue-
doc, à travers les villes et les villages, s'arrêtant ici,
prêchant là, lorsqu'on les en priait, et que l'Esprit les
y poussait. C'est ainsi qu'en 1709 passèrent à Ville-
neuve-de-Berg Balastière et Isabeau Chalençon; elles
descendirent vers Nîmes et furent faites prisonnières
dans cette ville. A quelque temps de là, Antoine Court
pria Martine et Suzanne Rouge dont il venait d'appren-
174 PRÉDICANTES ET PROPHETESSKS
dre l'arrivée à Vais de donner une prédication à ses
coreligionnaires. Plus tard survinrent la veuve Caton,
la fameuse Claire et surtout Isabeau Dubois, cette cou-
rageuse et charmante femme, qui fit sur l'âme de l'en-
fant une profonde impression et dont Tliomme fait
aimait à vanter la haute sagesse et la modestie.
Ces femmes ne se contentaient pas de prêcher ; elles
prophétisaient. Lorsque Court, en 1713, quitta la mai-
son paternelle , il rencontra sur son chemin Claire et
Caton qui tombèrent en extase et lui présagèrent une
brillante destinée. Elles étaient les héritières des pro-
phètes camisards exilés et s'en gdorifiaient. Mais quel-
que chose de profondément humain, d'affectueux, ani-
mait leurs discours. Nul cri, nulle fureur; des paroles
tendres, des larmes. Ces prédications et ces prophéties
leur donnaient une immeiise influence. Dans chaque
village , dans chaque ferme , elles avaient leurs parti-
sans. Là, dans un langage bizarre mêlé de citations
bibliques et du récit naïf de leurs visions, elles leur
prêchaient la repentance, et leur faisaient concevoir,
au delà des malheurs présents, l'espérance d'un état
meilleur. Parfois elles poussaient à la révolte, sur les
indications des chefs. Ainsi, quoique rien ne l'assure,
il n'est pas douteux qu'elles n'aient été les agents de
Coste et de Claris, quand ces derniers essayèrent en
1710 d'exciter dans les Cévennes un second soulève-
ment. Et plus tard, après la paix d'Utrecht, lorsque
la cour maintint ses mesures de rig'ueur, ce furent elles
qui éclatèrent en menaces, se rendirent dans les as-
semblées, ordonnèrent à Court de paraître sur les places
publiques, et qui poussèrent de toutes façons à une
I
TROIS PHASES JUSQU'EN 1715 175
g'uerre nouvelle. Heureusement elles ne parvinrent
à provoquer qu'une agitation passagère. Mais ces
belliqueux discours, héritage d'un temps qui n'était
plus, étaient rares. Les prophétesses, avant tout^
prêchaient la repen tance, relevaient les courages,
g'ourmandaient les faibles. Elles arrêtaient le protes-
tantisme dans sa décadence, elles tenaient le drapeau
autour duquel leurs exhortations appelaient les vic-
times de ces temps malheureux. Le jour de la gTande
réparation, imaginaient-elles, ne devait pas tarder ave-
nir, et toutes, dans le haut et le bas Vivarais, aimaient
à répéter cette promesse que l'Esprit leur avait faite :
(( Il se tiendra une assemblée célèbre dans un pré
nommé Lacour, proche Chalançon. Des Anglais y as-
sisteront ; un arbre merveilleux croîtra et fleurira dans
une nuit; sous son ombrag'e, on distribuera la Cène K »
Les prophétesses croyaient à la réalisation de cette pré-
diction. Elles l'attendaient avec joie, elles aimaient à
la regarder comme le commencement des temps meil-
leurs à l'établissement desquels elles consacraient leurs
efforts et leur vie.
Tels avaient été jusqu'en 1715 les trois phases du
mouvement prophétique. Né, on l'a vu, de l'excès
de la souffrance, entretenu par la souffrance, il avait
sans doute entraîné les protestants à de graves ex-
trémités, mais il les avait arrachés à une ruine cer-
taine. Petits prophètes, prophètes, prophétesses,
tous avaient travaillé à raviver les dernières lueurs
de la foi. Ils avaient , par leur héroïque activité,
1 N" 46, cah. I.
176 LE PROPHÉTISME EN 1715
groupé les fuyards, prêché l'espérance, et donné pour
but à tous les efforts, la restauration prochaine de
l'Eglise persécutée. Si, à la mort de Louis XIV, les
protestants existaient encore, si vingt ans de persécu-
tions n'avaient pu les lasser, si l'édit de 1715 n'était
qu'un mensonge, c'était grâce aux prophètes, depuis
le jour où ils s'étaient fait entendre sur les montagnes
du Peyra et du Castrois, jusqu'au jour où, Louis XIV
mourant, ils continuaient à exhorter dans leurs assem •
blées nocturnes les survivants de la grande persécution .
En 1715, lorsque Court commença son ministère, de
tous côtés, en tous lieux, surgissaient prophètes etpré-
dicants. « La licence de s'ériger en prédicateurs était
telle, que quiconque en formait le dessein pouvait
l'exécuter sans obstacle, qu'hommes et femmes se
mêlaient du métier, et qu'il n'était pas rare de voir
dans les assemblées, si peu nombreuses qu'elles fus-
sent, deux, trois femmes et quelquefois des hommes
tomber en extase et parler tous à la fois. » Le Viva-
rais, les Cévennes, la Vannage, étaient remplis d'In-
spirés \ On en rencontrait surtout dans cette partie de
la province qui avait été le principal théâtre de la
guerre des Camisards. Brenoux, Alais, Congeniès,
Nîmes, Ganges, Loriol, Lunel, étaient les lieux ordi-
naires de leurs prédications. Duplan a laissé le récit
' N" 17, vol. G. — Non-seulement cette partie du Languedoc, mais
encore le Daupliiné tout entier avait des Inspirés. (N° 17, vol. B.
Mémoire sur le Dauphiné.) Roger s'en expliqua fort bien la cause.
« M. R., dit son biographe, reconnut d'abord que ce qui attirait la
plupart des protestants dans les assemblées des fanatiques, c'était la
famine de la Parole de Dieu. »
MULTITUDE DTNSPIRÉS 177
d'un voyage qu'il fît du côté de Ganges; dans cha-
que lieu qu'il traversa, il trouva des femmes ou des
hommes qui tombaient en extase, racontaient leurs
visions, priaient Dieu en public, prêchaient et pro-
phétisaient. On n'entreprenait plus rien sans consulter
l'Esprit. Devait-on faire une course, aller à une
assemblée, accomplir l'acte le plus ordinaire de la vie,
aussitôt l'Inspiré de l'endroit était interrogé : sa ré-
ponse devenait ordre de Dieu. Les Inspirés allaient
plus loin; ils se vantaient d'exorciser et de guérir les
malades. A Nîmes, une jeune fille de vingt ans était
soufîrante. Claire et la veuve Caton, la croyant pos-
sédée du démon, voulurent l'en délivrer; elles appe-
lèrent Court à la séance, et se mirent à questionner
le démon. Celui-ci répondit qu'il s'appelait « Belle
Oreille. » On lui ordonna de quitter le corps de la pau-
vre malade. On pria, jeûna, mais le démon ne voulut
point obéir, et la jeune fîUe resta dans le même état
où elle se trouvait précédemment. A Ganges, dans une
réunion, arriva un homme qui avait le corps enflé.
L'Inspirée lui imposa les mains, « et, après l'avoir cen-
suré de ses défauts et l'avoir exhorté à la repentance,
lui ordonna de prier Dieu pendant trois jours, après
quoi il se trouverait guéri. » Il faut croire que la pro-
messe de l'Esprit ne se réalisa point, car l'auteur
ajoute : « Depuis, il a été inspiré à cette femme qui
lui avait imposé les mains, que ces trois jours vou-
laient dire trois semaines à Dieu, le maître de ces
événements \ »
1 Airiiivy.> .le rUcrauit, G, 13l>, u" 2'J4.
I U
178 LEUR AUTORITÉ ET LEUR CRÉDIT
Ces insuccès étaient nombreux. Plus d'un malade
ne guérit point, plus d'une asseml3lée qui devait être
surprise se termina dans le plus grand calme, et plus
d'une qui devait se tenir en toute sécurité fut surprise ;
mais si éclatants que fussent les démentis donnés par
les faits aux prédictions de l'Esprit, rien ne pouvait
ébranler les convictions, ni dissiper les illusions des re-
ligionnaires. Que de fois d'ailleurs les Inspirés avaient
dit vrai, et que de pliénomènes étonnants!
« Il y a des fois que nous sommes fort effrayés, écrivait-on
à Court, et d'une tristesse qui nous ôte fenvie de rien faire,
parce que bien souvent ils prononcent des choses si fortes et
avec tant de pénétration, qu'il nous semble que le jugement de
Dieu pend sur nos têtes. Il y a des fois que celle que vous con-
naissez qui est chez nous, nous met dans des alarmes terribles.
Elle fait de grands cris des douleurs qu'elle souffre, dans le
temps que cela la prend. D'autre fois, il lui semble de voir
quantité de morts, de sang répandu par les rues. Gela lui donne
de grandes frayeurs, aussi bien qu'à nous, et puis elle dit : « Je
te dis, mon enfant, que ce que je te fais voir devant tes yeux
arrivera bientôt en plusieurs endroits; il y en a qui le verront,
d'autres qui ne le verront pas, mais ils l'entendront dire bientôt,
bientôt, mon enfant*. »
Cette crédulité faisait la puissance des Inspirés.
Ils jouissaient d'une autorité incontestée. De là des
impostures. Que la plupart d'entre eux fussent de
bonne foi, surtout les femmes, et elles dominaient, la
chose n'est point douteuse. Mais que quelques-uns,
profitant de la créance accordée depuis de nombreuses
années aux prophètes, en aient abusé pour en imposer,
c'est ce qui n'est pas moins certain*
» N" 1, t. II, p. 373.
THÉORIE DE L'INSPIRATION 179
« Ma ])atience à examiner, dit Court, avant que de condam-
ner fut des plus grandes. Mais la fourbe parut avec tant d'éclat,
qu'il aurait fallu se remplir d'illusions soi-même et se rendre
peu sensible à l'iionneur de la religion qui était en grande
souffrance, et vouloir se repaître d'erreur et de mensonge^ que
de ne pas crier à haute voix *. »
Au surplus, un fait très-curieux se passait en ce
moment. Après cette douloureuse période de trou-
bles, de persécutions, de malheurs domestiques, les
protestants privés de pasteurs, privés de livres, et
même de la Bible dont ils n'avaient que quelques
pag*es — l'Apocalypse, appartenant surtout à la classe
pauvre et peu instruite qui n'avait pu s'expatrier,
avaient perdu la grande tradition calviniste. Peu à
peu, se débarrassant de tout bag'age théologique, ils en
étaient arrivés à ne plus croire qu'aux ordres de l'Es-
prit, aux révélations directes de Dieu. Or, vers 1715,
au commencement de la Régence, quelques hommes
partageant les mêmes idées, et fort ignorants pour la
plupart, donnèrent un corps à cette croyance géné-
rale, la précisèrent, la formulèrent en système. Il se
produisit en France le même phénomène qu'on avait
déjà remarqué aux premiers jours de la Réforme, sous
Luther ; « A quoi bon , disaient les prophètes de
Zwichau, s'attacher si étroitement à la Bible ! Toujours
la Bible ! La Bible peut-elle nous parler, n'est-elle
pas insuffisante pour nous instruire ? Si Dieu eut voulu
nous enseigner par un livre, ne nous eut-il pas envoyé
du ciel une Bible ? C'est par l'Esprit seul que nous
pouvons être illuminés. Dieu lui-même nous parle.
» N" 7i t. XIII, p. 57.
180 THÉORIE DE L'INSPIRATION
Dieu lui-même nous révèle ce que nous devons faire
et ce que nous devons dire *. » On vit en effet courir
et se lire de plus en plus dans le bas Languedoc les
feuilles d'un manuscrit que l'on appelait le « Livre de
l'Esprit. » Il y était dit que Dieu avait fait son ouvrage,
que Christ avait accompli le sien et que c'était main-
tenant le tour du Saint-Esprit ^. Les Inspirés affir-
maient que le règ'ne du Saint-Esprit allait arriver et
qu'une nouvelle création devait être son œuvre. « On
dit qu'il n'y a pas d'Inspirés, disait l'un d'eux, moi, je
soutiens qu'il y en a. On dit qu'il n'y a pas de pro-
phètes, mais moi-même qui vous parle, vous pouvez
dire qu'un prophète vous parle, car j'ai été comme
Saint deux fois aux cieux ^. » Si quelques-uns, peu
convaincus, se permettaient de douter, les Inspirés en
appelaient à la Bible, invoquaient les déclarations de
l'Ancien Testament et se réclamaient des prophéties de
Joël. Ils ajoutaient que de tout temps l'Esj^rit s'était
révélé, qu'aux premiers jours du christianisme il avait
fait des miracles, et que jusqu'à la fin des siècles il
inspirerait les siens. Et en quel temps, disaient-ils, en
pouvait-il être plus besoin que dans le temps présent'/
Lorsque des prédicants orgaieilleux tombaient dans
des erreurs ou des vices capitaux, ne fallait-il pas les
reprendre? Lorsqu'ils n'étaient capables de donner leurs
soins qu'à la forme extérieure de leurs discours, ne
fallait-il pas par les paroles mêmes de l'Esprit remettre
* Histoire de la Réformatioii de seizième siècle, par M. Merle
crAubigné, t. III, p. 57(1860).
2 N" 1, t. II, p. 309. (1720.)
3 Jhid., p. 57 (1722.)
THÉORIE DE I/INSPIRATION isl
riioinme en rapport avec son Dieu? Tout croulait. Les
fidèles étaient plongés clans le mal, le protestantisme était
en pleine décadence morale : il n'y avait d'autre remède
que de détruire le péché. Les prédicants n'étaient plus à
la hauteur de la tâche; seul, l'Esprit de Dieu qui jadis
avait opéré de si grands miracles et qui dans ces der-
niers temps avait permis à tant « de menu peuple » de
résister aux royales persécutions, seul l'Esprit, par ses
interprètes, pouvait sauver les hommes et arrêter le
protestantisme dans sa chute imminente *.
Ceux qui parlaient ainsi étaient les théoriciens ; leurs
partisans appuyaient ces affirmations par des arguments
tirés de leur expérience. Ils disaient qu'après avoir
entendu la prédication des Inspirés, ils se sentaient
détachés du monde et pleins de zèle pour Dieu ; qu'ils
n'avaient jamais tant pensé à lui que depuis la con-
naissance de toutes ces choses, et que s'ils restaient
seulement quelques jours, sans assister à ces petites
assemblées, ils n'avaient plus le même zèle pour Dieu ;
que l'Ecriture n'avait pas la même force pour les faire
penser au jugement à venir; que rien ne leur faisait
faire de si sérieuses réflexions que d'entendre parler
ces g'ens dans leur inspiration ; pour tout dire, que
chacune de leurs paroles leur donnait l'horreur du péché
et les détachait entièrement du monde ^.
Bonnes gens, après tout, et de bonne foi ! Ils cou-
raient dans leurs réunions et ils écoutaient avec des
cœurs remplis de zèle ces Inspirés qui de moins en
moins leur parlaient de rébellion, mais leur prêchaient
1 N" 17, vol. G. (1122).
2 N" l,t. Il, p. 899. (1721.)
182 EXTRAVAGANCES ET EXCÈS
la repentance, la sainteté, le pardon et l'amonr. Ren-
trés chez eux, au soir, ils s'entretenaient de ces tou-
chantes choses, jeûnaient, priaient, interrog'eaient Dieu
et lui confessaient leurs fautes. Dieu répondait, répri-
mandait, donnait de nouveaux ordres, et ces hommes,
à qui l'Esprit permettait de nouer ainsi avec l'Etre
suprême une muette conversation, doux, calmes, rési-
gnés, reposaient dans la tranquillité de leur conscience.
Que de choses malheureusement d'une extravagance
risible ! Dans un de ses sermons, un Inspiré disait :
c( J'ai parlé avec Dieu, et j'ai vu les chérubins et séra-
phins qui allaient et venaient et se prosternaient devant
Dieu. » Et ailleurs : « Ah! mon Dieu! il me semble
que je te vois au-dessous de cette voûte! je te vois!
ah ! que tu es beau et que tu es noir ! Tu as des che-
veux crépus * ! » Dans la Vannage, une femme, au
milieu d'une assemblée, se déshabillait, et, toute nue,
se faisait traîner par les cheveux dans la salle -. —
A Nîmes, une nommée Tibaude, tenait de petites réu-
nions. Un jour qu'il s'y trouvait dix-sept personnes.
Court y assista. La prophétesse entra, tomba en extase,
chanta, parla un langage qu'on n'entendait pas, ver-
sifia et pour chacun des assistants tourna un couplet.
A son mari, elle dit :
Et toi, mon pauvre grison,
Je m'adresse à toi, tout de bon.
A une autre personne :
Pour toi, avec tes cheveux tortus,
Tu auras toujours l'esprit bossu.
1 N° 1, t. II, p. 57.
« Ibid., p. 350.
ANTOINE COURT ET LES INSPIRÉS 183
Paroles bizarres qui étonnaient ! Pour les auditeurs,
tremblants et attentifs, ils applaudissaient \ — Et ces
scènes n'étaient pas rares; chaque secte avait les sien-
nes. Les choses les plus extraordinaires se faisaient
au nom de l'Esprit. « Tous les jours, écrivait Corteiz,
nous apprenons des choses tout à fait indignes de
l'Esprit de Dieu. »
La foule cependant se tournait de plus en plus vers les
Inspirés. A Nimes, la femme Tibaude avait son égdise;
Vesson comptait un grand nombre d'adhérents à Con-
géniès et dans la Vannage; à Brenoux, se trouvaient
« les grands piliers » de Mazel ; dans le Vivarais, Mon-
teil g'ouvernait sans rivaJ. Pais, chaque ville, chaque
village avait ses prophètes. Les sectes se multipliaient.
Et, chose plus grave! elles avaient chacune la préten-
tion de composer l'Eglise ; elles cherchaient à s'isoler,
à avoir leurs rites spéciaux, leur culte particulier. Le
protestantisme, qu'aucun lien, ni celui d'une révolte
commune ni celui de la foi, ne réunissait, tendait ainsi
à se diviser en une infinité de petites communautés,
Antoine Court, comme tous ses coreligionnaires, avait
longtemps ajouté foi aux discours des Inspirés. Il en
vint cependant à soupçonner que « tout ce qu'on appelait
révélation n'avait pas la source dans l'Esprit divin, et
(pie, si on n'en pouvait pas accuser la fraude, on pou-
vait penser du moins que la plupart de ceux qu'on
appelait Inspirés, étaient la dupe de leur zèle et de
leur crédulité ^. »
* N» 46, cah. I, p. 31.
2 Ibid.
181 MESURES CONTRE LES INSPIRES
Néanmoins, avant de les juger définitivement, il
crut devoir les examiner avec soin. Ce qui le surprenait
surtout, c'est que les propliéties qu'il avait entendues
se réalisassent si rarement. Il pensait que l'Esprit de
Dieu ne pouvait ni tromper ni se tromper, et il n'ima-
ginait point que ses interprètes pussent faire des pré-
dictions auxquelles les événements donnaient un com-
plet démenti. Long-temps il hésita, mais en 1715 son
opinion fut fixée. Il divisa les Inspirés en deux classes :
les fourbes et les fous. Puis, voyant combien ils dis-
créditaient la cause du protestantisme, et indisposaient
les esprits sages et prudents « qui étaient venus jusqu'à
envisager les prédicants et les assemblées avec une
espèce d'horreur, » il prit contre eux d'énergiques
mesures. Il établit l'ordre, fit venir des livres, déve-
loppa l'instruction.
Mais l'entreprise était difficile. Les Inspirés « reg^ar-
daient comme blasphémateurs ceux qui osaient s'éman-
ciper d'attaquer la production de leur cerveau dé-
rangé, et, croyant Dieu lui-même intéressé dans leur
propre cause, prédisaient en son nom contre les auda-
cieux téméraires les malheurs les plus funestes. » La
résistance qu'on lui opposa, les obstacles à vaincre, la
crédulité des uns et la ténacité des autres, le décou-
ragèrent. Désespérant de conduire son entreprise à
bonne fin, il crut que « le meilleur pour lui était d'a-
bandonner les malades encore à eux-mêmes K »
Il fut bientôt oblig'é de rompre le silence. Lorsqu'il
vit à quelles extrémités se portaient les Inspirés , lors-
1 N" 4G, cah. I.
MESURES CONTRE LES INSPIRÉS 185
que dans tous ses efforts il se sentit entravé, dans son
œuvre de réorganisation empêché, dans ses projets
d'ordre et de discipline combattu, il n'hésita pas à faire
entendre de nouveau sa voix et à eng-ag-er la lutte.
Pour lui, il n'avait que son inébranlable volonté et son
g-rand bon sens; contre lui se rangeaient les Inspirés
et leurs partisans qui formaient après tout la partie
vivante du protestantisme. Convaincre et ramener les
imposteurs, c'était difficile ; mais on pouvait par le
raisonnement, par l'instruction et par l'influence des
théologiens étrang-ers, détacher d'eux leurs adhérents;
c'est ce qu'il essaya. Un jour, il se rendit à une assem-
blée que la femme Tibaude tenait à Nîmes. Il écouta,
et lorsque, le discours terminé, les assistants se levèrent
pour applaudir, il s'écria, à l'étonnement de tous, que
de pareilles choses ne pouvaient avoir Dieu pour au-
teur. La prophétesse indignée, sans mot dire, quitta
la réunion et ses partisans la suivirent. Il resta seul,
stupéfait. Le lendemain, il trouva les assistants de la
veille et parvint à les convaincre des mensonges de
Tibaude. Ce fut un de ses premiers et de ses plus
éclatants succès ^ . L'échec de cette prophétesse en dis-
crédita bien d'autres qui, pour n'avoir pas la même ré-
putation , n'en avaient pas moins leurs ardents défen-
seurs. Antoine Court travailla ainsi à faire le vide
autour des Inspirés. Il convoqua des assemblées, mul-
tiplia ses exhortations, montra la fausseté des prophé-
ties ; surtout il s'efforça de ramener les esprits sincères
aune conception de la religion plus saine et plus vraie.
1 N" 46, cah. I, p. 31.
186 MESURES CONTRE LES INSPIRÉS
Point de repos. S'il avait appris qu'en quelque en-
droit avait surgi une Inspirée dont les extases et les
paroles jetaient le trouble, il accourait; s'il ne pouvait
se rendre lui-même sur les lieux, il écrivait. On lui
manda qu'à Loriol une servante, ancienne catho-
lique, tombait en extase, se prétendait animée de
l'Esprit et par ses tristes prédictions épouvantait tous
ceux qui l'entouraient. Aussitôt il écrivit une longue
lettre où il combattait les Inspirés, et, pour frapper un
plus grand coup, il fît même écrire par l'illustre Pictet
de Genève ^ .
Malgré tout, il était difficile de désabuser des gens qui
s'opiniâtraient dans leur erreur. En vaindisait-il que des
hommes véritablement animés par le Saint-Esprit ne se
pouvaient tromper, qu'en tout temps on avait vu faire
mille choses surprenantes, que, si les Inspirés disaient
de bonnes paroles, ils les avaient lues dans la Bible,
et qu'ils ne donnaient qu'une preuve d'heureuse mé-
moire. On lui répondait que ces personnes « n'étaient
capables ni de folies, ni d'imagination, non plus que
de bonne mémoire, pour débiter tant de choses surpre-
nantes en des termes que des savants ne sauraient
trouver pour s'en servir dans leurs discours, que Dieu
dit qu'il cacherait ces choses aux sages et entendus et
les révélerait aux plus petits, et que, si ceux-là se tai-
saient, les pierres même parleraient ^ »
Contre des convictions si profondes, la parole mal-
habile encore d'un jeune prédicant ne pouvait préva-
loir; il fallait qu'elle reçût une consécration. A l'insti-
* N" 17, vol. G, p. 259. — V. aussi Pièces et documents, ii"* IX.
«N^l, t. II, p. 399.
DECISIONS DES SYNODES 187
g-ation de Court, le Synode de 1715 établit : P que,
selon l'ordre de saint Paul, il serait défendu aux femmes
de prêcher à l'avenir; 2° qu'il serait ordonné de s'en
tenir uniquement à l'Ecriture sainte comme à la seule
règle de foi, et qu'en conséquence on rejetterait toutes
les prétendues révélations qui avaient vogue parmi les
protestants, non- seulement parce qu'elles n'avaient au-
cun fondement dans l'Ecriture , mais encore à cause
des grands abus qu'elles avaient produits. — Le se-
cond Synode, tenu en 1716, s'occupa de nouveau de ce
triste sujet :
« On doit écouter la Parole do Dieu comme la seule règle de
foi, et en même temps refuser toute prétendue révélation dans
laquelle nous n'avons rien qui puisse soutenir notre foi ; et, à
cause des grands scandales qui sont arrivés de notre temps,
les pasteurs sont obligés d'y veiller avec soin ^ »
Malheureusement deux des pasteurs qui avaient
signé ces règ'lements furent les premiers à les violer,
et devinrent les chefs de ces mêmes Inspirés qu'ils
avaient promis de combattre. C'étaient Jean Hue et
Jean Vesson. Le succès que l'on attendait de ces me-
sures fut singulièrement amoindri.
Singulier homme que Vesson ! On a vu qu'il avait
été déjà déposé par les Synodes et réintégré peu de
temps après, en 1718, dans sa chargée ^. Des signes de
mésintelligence ne tardèrent pas à se manifester. Ves-
son, qui avait jadis été un des Inspirés les plus popu-
laires, devint-il jaloux de la prépondérance croissante
» Synode de 1716.
« V. cliap. III, p. 103.
188 JEAN VIvSSON
d'Antoine Court? Son parti que les règlements syno-
daux tendaient à ruiner lui reprocha-t-il sa désertion ?
Ou plutôt, sa foug'ue naturelle, son amour d'indépen-
dance, son impatience de tout frein, l'empêcliaient-
ils de se plier à la discipline récemment instituée ? On
ne sait. Quoi qu'il en soit, il reprit bientôt ses habi-
tudes, prêchant à sa guise, administrant la Cène et n'as-
sistant pas aux Synodes. En 1719, il reçut une lettre de
Court qui le rappelait au devoir. Ses sentiments n'étaient
pas encore hostiles, car, dans une lettre à l'un de ses
partisans, il protestait de son dévouement à l'Eglise et
de son amour pour l'union. « Sans doute, il n'avait pas
assisté au Synode , mais quel besoin l'y eût conduit,
puisqu'il annonçait la parole de Dieu ? » Il parlait d'ail-
leurs en termes excellents de Court et se plaisait à l'ap-
peler « son frère \ » On n'osa point lui susciter de nou-
veaux embarras, et il continua à mener sa libre vie.
(( Comment faire de l'interdire ! Nous craignons plus
qu'il ne se rang'e entièrement du parti des Inspirés
qui sont encore en grand nombre dans la Vannage,
ce qui formerait une autre secte qui serait très dan-
gereuse ^. » On lui donna cependant pour compagnon
le proposant Deleuze, homme sage, éclairé, pour sur-
veiller les discours qu'il tiendrait et les explications
de la Bible qu'il pourrait donner. Vesson ne tint compte
de lui. Les choses suivirent leur cours. Vesson viola
les règlements établis et inclina probablement de plus
en plus vers le parti des Inspirés. Les Synodes se déci-
dèrent alors à prendre de vigoureuses mesures, et ils
1 N" 1, t. II, p. 61. (1719.)
2 N" 7, t. I, p. 2. (1719.;
DÉPOSITION DE VESSON 189
l'assignèrent devant nne de leurs assemblées. Les co-
lères longtemps contenues éclatèrent. Vesson qui se
sentait appuyé , entouré, à la tête d'un parti, n'hésita
pas à calomnier les Anciens ; il supposa des lettres dif-
famatoires, affecta de ne point paraître à la réunion
synodale, et surtout soutint et enseigna des doctrines
désapprouvées.
Un Synode fut convoqué en 1720 pour le juger.
« Que fera-t-on de Vesson qui s'oppose à l'ordre, qui ne veut
point de discipline, qui insulte les Anciens, qui calomnie ses
frères? Et à l'instant^ on prouva comme à Meyrueis (Vj il avait lu
une lettre supposée et dillamatoire contre tous ses frères qui
prêchent au Désert; on prouva comment il avait baptisé des
enfants depuis que l'assemblée l'avait défendu à tous les propo-
sants ; on a mené un très-grand nombre de preuves comme (quoi)
il a violé à tous égards ce qu'il avait promis à la grotte du château
deFraisac Après que la vénérable compagnie a eu entendu
toutes les fautes, ils ont dit qu'il ne fallait plus qu'il prêchât.
Quelques-uns de la compagnie ont dit : Mais le moyen de
l'empêcher? Tous les autres de l'assemblée se sont pris à crier :
Il ne le faut point écouter, et exhorter le peuple à ne point le
recevoir. M. Baldy, qui est plein de bons conseils, dit : Parce
que cet homme est un flatteur et que le monde ne le connaît
pas tel qu'il est, on pourrait regarder cette démission comme
injuste. Il y faut ajouter que le sieur Vesson peut revenir dans
la paix de l'Eglise lorsqu'il composera un Synode général dans
lequel il donnera une pleine satisfaction en se justifiant des
crimes qu'on lui impute \ »
C'était un acte hardi que de banni i* de la paix de
l'Eglise un homme tel que Vesson ; un schisme pou-
vait en résulter. Mais encore qu'ils redoutassent une
» X" 1, t. II, p, 30P. (1720.)
190 IRRITATION DU PARTI DES INSPIRES
scission funeste, les membres du Synode la croyaient
moins périlleuse pour le protestantisme que le fana-
tisme et le désordre. Convaincus par Antoine Court
et par une lettre récente de Pictet de la nécessité de la
discipline, ils voulaient avant toutes choses et à tous
risques la faire respecter. Ce fut donc avec un profond
sentiment deleurdevoir que, le 13septembre 1720, usant
encore une fois du pouvoir dictatorial dont ils avaient été
investis, ils imposèrent silence àVesson et lui ordon-
nèrent c( d'obéir à la voix de l'Ecriture qui dit que l'es-
prit des prophètes est soumis aux prophètes ^ »
Cette décision combla l'irritation des Inspirés. Jus-
qu'à ce moment Hue et Vesson avaient exercé une in-
contestable influence sur ce parti ; dès ce jour, ils en
devinrent ràme,le personnifièrent. Vesson se jeta dans
le bas Lang-uedoc , Hue dans les Cévennes. Hue, on
l'a vu, s'était séparé depuis longtemps de ses collègues ;
la démission de Vesson réveilla son ardeur. Il se trou-
vait dans les hautes Cévennes, où depuis longtemps
déjà, grâce à ses opinions hardies sur la messe, sur les
mariages et sur l'Inspiration, il s'était g*agné des parti-
sans. Corteiz s'eng-agea dans la montag-ne pour ébran-
ler son crédit ; il ne réussit pas. En 1722, un jeune
proposant. Combes, fut envoyé de nouveau par le
Synode pour dissiper dans l'esprit de ses adhérents le
jDrestige dont était encore entouré le vieux Camisard.
Cette' mission eut un peu plus de succès. Combes agit
avec habileté et finit par s'attirer, non sans peine, la
confiance des protestants.
* V. Pièces et documents, n° X.
ACCUEIL QU'IL FAIT A VESSON 191
La résistance de Vesson fut encore plus long-ue. Dès
qu'il apprit la mesure qui le frappait, il parcourut les
villag'es dont il connaissait les sympathies, et s'efforça
d'exciter en sa faveur par ses pressantes exhortations leur
zèle et leur dévouement. Il se posa en victime, se préten-
dit calomnié, méprisé, injustement condamné. Il rejeta
l'autorité des Synodes, accusa d'hérésie ses persécu-
teurs, exalta surtout la puissance de l'Esprit. Un jour
que Corteiz le poussait à bout, il répondit : « Vous
vous opposez aux conseils de Dieu , en vous opposant
aux révélations, et je ne veux me réunir qu'à la condi-
tion que vous ne parlerez ni contre les révélations, ni
contre ceux qui les croient. »
Ainsi banni de l'Eglise, il fut accueilli par les fidèles
avec enthousiasme. Tous ceux qui voyaient avec peine
le nouvel état de choses, tous ceux qui ajoutaient foi aux
discours des Inspirés et qui sentaient leurs convictions
opprimées par les règ*lements nouveaux , firent cause
commune avec lui. Durfort, Cong'éniès, toute la Vaunag'e
tint pour lui : il devint « le grand timon * . » Une chose
aggravait la situation. Si le parti de l'ordre, dont An-
toine Court était le chef, se composait d'hommes sages
et instruits, et si celui des Inspirés se recrutait surtout
parmi les ig*norants, on ne peut nier qu'il n'y eut parmi
ces derniers des religionnaires éclairés et de mérite.
Ils pouvaient ne point soutenir Vesson, mais toutes
leurs sympathies appartenaient au parti et aux idées
dont il était le représentant. Parmi ces derniers se trou-
vait Duplan. Il n'aimait ni Vesson ni Hue, « ces re-
1 N» 1, t. II, p. 348. (4721.)
192 DUPLAN
belles , ces org-ueilleux , ces hérétiques , ces schisma-
tiques, » mais il croyait aux communications du Saint-
Esprit, il croyait aux révélations. Ni les fourbes ni
les fanatiques n'avaient pu ébranler sa conviction. Il
détestait les impostures et les superstitions, mais ayant
été témoin, jeune encore, de faits touchants et qui l'a-
vaient profondément ému, lisant la Bible avec piété et
avec foi, voyant à chacune de ses pages l'intervention
miraculeuse de la divinité, il était fermement persuadé
de la possibilité et de la réalité de certaines prophéties.
Aussi disait-il hautement qu'il n'aimait pas « les ju-
gements téméraires, ni les voix aigres qui sous appa-
rence de piété et de zèle, criaient sans connaissance
et sans intelligence : Ote ! ôte ! crucifie , crucifie ! »
Il n'avait jamais sur ce sujet partagé l'opinion d'An-
toine Court. « Nos sentiments, lui écrivait un jour
son jeune ami, ont toujours été sur ce chapitre les
antipodes les uns des autres , votre expérience vous
persuadant qu'il y a des Inspirés, et la mienne qu'il
n'y en a pas. » Le pieux gentilhomme d'Alais fré-
quentait donc les Inspirés et assistait à leurs assem-
blées ; leurs réunions lui étaient chères, et leur mys-
ticisme plaisait à sa sensible imagination ; il en était
l'hôta assidu et le principal personnag*e^
Il fallait prendre des mesures énergiques. Ce péril
devait être définitivement écarté, et l'on devait attaquer
sans hésitation un parti qui compromettait chaque jour
la cause du protestantime. — Les Synodes, les prédi-
cants et les pasteurs étrangers furent chargés de ce soin.
> K- 1^, p. 19. - V. au^^i u^ 7, t. II, p. 81 et 311.
RÉSISTANCE 1)K \ ESSOX 193
Les Synodes de 1721 déclarèrent que l'Eciiture sainte
devait être tenue pour seule règ-le de foi, et que ceux
qui soutiendraient Vesson dans son schisme ne seraient
pas admis à la sainte Cène \ Ils censurèrent en outre
Duplan qui encourag*eait et autorisait les visions et les
songes de « ces femmelettes ^ »
On résolut en même temps de faire suivre Vesson de
villag'e en village ^. Le Synode de 1721 confia cette
mission à Bétrine et à Pierredon, et bientôt Corteiz et
Rouvière vinrent les rejoindre. « Nous avons résolu,
écrivait Corteiz, de faire quelque séjour à la Vannage.
Je crois qu'il nous y faudra tenir un colloque à cause de
Vesson. » Ils poursuivirent ainsi leur adversaire, eux le
cherchant, lui les évitant. Parfois ils parvinrent à le ren-
contrer ; ils lui parlèrent d'ordre, d'union, de discipline ;
mais celui-ci se plaçant toujours sur le terrain de l'inspi-
ration évita de répondre à leurs exhortations sentimen-
tales. Ils s'adressèrent alors à ses partisans ; ces derniers
se montrèrent intraitables et menaçants. Un jour qu'ils
se trouvaient dans un village, ils virent deux hommes ar-
més de bâtons leur demander ce qu'ils voulaient de Ves-
son. Jamais d'ailleurs la vraie question ne fut traitée :
ils firent appel à l'union. C'était habile, car ils se sen-
taient incapables de réfuter certains arguments ; mais
ils répandirent en grand nombre des traités et des dis-
cours où le sujet était élucidé. Vécni contre les fana-
tiques du pasteur suisse, Merlat, courut ainsi tout le
bas LangnuMloc.
t N" 1, (. U, p. 477. (Mai 1721.)
2 Ibid., p. 581. (Octobre 1721.)
3 Thid., p. 288. (1720.)
I 13
194 l.K'l TRE DE PlcriÉT
Court s'était absenté ; il se trouvait en ce moment à
Genève. C'est de là qu'il encoumg'eait les pasteurs étran-
gers, ses amis, à s'occuper de cette g'rave affaire. En
attendant, il écrivait contre les femmes qui se mêlaient
de prêcher. Saint Paul, disait-il, n'a jamais permis aux
femmes d'enseigner. Et après avoir établi cette thèse :
« Si quelqu'une de nos prédicantes, ajoutait-il, a assez de
savoir et de zèle pour convertir certain pécheur ou pour riiain-
tenir la religion là où elle est établie, quand il n'y aura point de
ministre en cet endroit là, qu'elle s'attache par des représen-
tations à ramener ce pécheur, à consoler l'aflliiçé, à visiter le
malade, à instruire la jeunesse, à fortifier le faible ; mais qu'elle
fasse tout cela par des entretiens charitables, par des visites
particulières: quelle ne s'émancipe jamais à prêcher, ni à
paraître un docteur dans une assemblée dûment convoquée. »
Et ailleurs :
« Peut-on injurier davantage lEsprit de Dieu qu'en le faisant
auteur des rêveries et des singeries d'une Tibaude, d'une Valen-
tine, d'une Boureille de Grand-Gallargues, et de tantd' autres M »
Cédant enfin aux pressantes sollicitations de Corteiz
et de Court , Pictet publia sa fameuse Lettre sut ceux
qui se croient inspirés ^.
Ce n'était pas la première fois que l'on s'adres-
sait dans ce but à Genève. En 1714 déjà, des fana-
tiques ayant paru à Erhm, on avait demandé à la vé-
nérable Compagnie quelle était la conduite qu'il fallait
tenir à leur égard. En 1717, le modérateur avait prié
1 N" 7, t. I, p. 181 (1720.) et p. -18. (1721.)
* Lettre sur ceux qui se cruient inspirés. Bihliotliéque de Genève.
(Recueil de diverses pièces, i.XXY.) Celte lettre parut probablement
au mois de juin 1721. — V. aussi Pièces et documents, n" IX.
SUCCÈS QU*ELLE OBTIENT ÎÔ5
les pasteurs, à cause du nombre croissant des préten-
dus Inspirés, de donner une explication publique de
l'inspiration *. On voit encore que Samuel Turrétin fît
soutenir plusieurs thèses sur ce sujet par les étudiants
de l'Académie ^.
Pictet avait une g'rande autorité sur les feligion-
naires. Aussi, dès 1720, Corteiz mandait-il à Court :
« Dites à M. Pictet d'écrire contre; il le faut prier de
se signer, car ces prétendus Inspirés seraient capables
de dire que c'est nous qui l'avons faite. » La lettre
parut. Cet opuscule ne reproduisait guère qUe les
sentiments bien connus de l'auteur sur ces matières,
mais il était imprimé, signé et appuyé parla vénérable
Compagnie de Genève. Il produisit une immense émo-
tion. ^ Nos fanatiques sont pour ainsi dire aiix abois, »
écrivait Durand, et Corteiz réclamait des exemplaires
pour les distribuer :
« J'ai déjà appris que le li\re contre les prétendus Inspirés
en a ébranlé plusieurs et affermi un bon nombre d'autres t[ui
variaient, et a donné, comme vous êtes tout persuadé, une véri-
table joie à j)lusieurs autres qui étaient affligés de voir tant de
personnes chanceler et entrer dans des sentiments justement
improuvés. Mais il n'y a pas assez en France de ces livres; il
on faudrait trois ou quatre cents. S'il se découvre quelque moyen
pour en faire passer, profitez- en pour la guérison de ces pau-
vres Uialades. »
Le vide commença de se faire autour de Vesson. Il
comprit que le seul mb^^eli de relever son autorité était
1 Archives de la vénérable Compagnie de Genève, p. 334, 335. (1714.)
* Préservatif contre le Fanatisme, on Réfutation des prétendus
Inspirés des derniers sirclcs, par S. Turrétin. Genève, chez Du Vil-
lard et Jacquier (1753.)
196 DISCRÉDIT DE \ KSSUN
de la faire consacrer d'une manière solennelle. Il écri-
vit à Pictet et, peu de temps après, il montra une lettre
du savant professeur où celui-ci lui disait que « sans
exception, un troupeau pouvait élire un pasteur, et lui
donner le pouvoir de faire toutes les fonctions du mi-
nistère. » Aussitôt il assembla ses partisans, et leur fit
entendre qu'ils pouvaient légitimement lui donner l'or-
dination. Ces gens, prévenus en sa faveur, ne regar-
dèrent pas si, dans le cas actuel, la chose pouvait se
faire, si Vesson avait les qualités requises, s'il avait
été déposé, ni si son renvoi était juste. Ils le reconnu-
rent comme pasteur et promirent de le soutenir jusqu'à
la mort. —Vesson, rassuré, convoquaavec une nouvelle
ardeur les assemblées, administra les sacrements et
annonça hautement qu'il ne voulait plus se laisser gou-
verner par tous c( les réformateurs et docteurs, car il
avait reçu plus de Dieu que tous ces bons person-
nages. » Il signa : Jean Vesson, berger du Christs
Il y avait eu cependant une supercherie ou un faux :
Pictet n'avait jamais écrit au fougueux Inspiré.
" J'apprends encore, écrivit-il, que le sieur Vesson montre
une lettre, qu'il dit venir de ma part, qui porte qu'on peut et qu'on
doit le recevoir ministre et lui donner plein pouvoir d'en faire
les fonctions, sans recevoir l'imposition des mains. Je crois qu'il
serait embarrassé de montrer cette lettre, ou quelqu'un l'aura
écrite en mon nom ^. »
Le grand crédit dont jouissait Vesson s'évanouit
subitement. On l'abandonna; seuls, quelques amis lui
1 N° 1, t. II, p. 553. (Décembre 1721.)
3 N" 7, t. I, p. 260.
LES MULTIPLIANTS 107
restèrent. Désespéré, il courut de tous côtés, parla, se
justifia, montra des lettres supposées. Vains efforts : il
était perdu. Un jour, du côté de Sommières, il tint une
assemblée ; quelques fidèles seulement s'y rendirent.
c( Qu'est-ce que je vous ai fait, mes frères, s'écria-t-il,
ne vous ai-je pas prêché l'évangile du Christ? Pour-
quoi voulez-vous m'abandonnera? » Pressé de toutes
parts par le parti de l'ordre, délaissé par les siens,
chargé en outre d'une nombreuse famille qu'il ne pou-
vait plus entretenir, poursuivi par les huissiers et les
sergents qui faisaient des exécutions dans sa maison, il
commença de désespérer de la fortune. Tout à coup,
au mois de juin 17.22, il disparut avec plusieurs de ses
partisans. Un profond silence se fit autour de son nom.
Le parti des Inspirés était bien ébranlé. Hue commen-
çait de perdre toute autorité ; Vesson venait de quitter la
Vannage, les prophètes étaient en discrédit; Monteil se
maintenait seul dans le Vivarais. Les principaux chefs
disparus, leurs adhérents, s'il en restait encore, ne de-
vaient pas tarder à rentrer dans l'ordre, à revenir aux
doctrines officielles de l'Eglise. Mais il fallait, avant que
le parti ne reçût les derniers coups, qu'il comptât, lui
aussi, ses martvrs.
Le 6 mars 1723, on eut à Montpellier un curieux
spectacle ^ Une centaine de soldats du régiment d'Au-
vergne conduisaient à la citadelle deux chaises à por-
» N" I, t. II, p. 57. (Mai 1122.)
* N" 30. — V. aussi Novodles recherches sitr ht secte des Multi'
pliants, par M. Germain, professeur d'histoire à la Faculté des let-
tres de Montpellier. Montpellier (1857).
198 LES MULTIPLIANTS
teur, et, vêtues de costumes étranges, treize personnes
armées de bâtons chargés de lauriers. Il y avait six
hommes, six femmes et un jeune garçon. Trois de ces
hommes étaient coiffés d'un bonnet de papier doré en
forme de casque ; ils tenaient à la main un roseau d'où
pendait un étendard de taffetas; ils étaient revêtus
d'une aube sur laquelle tombait en guise d'étole une
espèce de baudrier. Deux de ces femmes étaient elles
aussi vêtues d'une aube et portaient un bonnet de
moire d'argent, bordé de taffetas blanc, avec une ai-
grette attachée par un ruban vert. Derrière eux mar-
chait la maréchaussée. — Les habitants étonnés ,
croyant voir une bande de masques surpris dans une
orgie, se pressaient sur les portes; quelques-uns ima-
ginaient que c'était la suite du Chevalet que l'on me-
nait en prison K
Parmi ces prisonniers se trouvait Vesson.
Montpellier comptait peu de protestants. Le spectacle
des exécutions capitales, la vue des placards chaque
jour affichés contre les religionnaires, la multitude des
prêtres et des confréries en avaient singulièrement
diminué le nombre. Un an plus tard, en 1724, Cor-
teiz écrivait :
« Gomme il n'y a ni ministres, ni proposants, ni assem-
blées, ni sacrements, ni discipline, la corruption y est grande,
les préjugés funestes ; autant de personnes à qui je parlais,
autant de religions je trouvais. Il y a une crasse ignorance;
quelques-uns sont de la religion parce que seulement leur père
et mère en étaient ^. »
» N» 30, p. 175.
* N» 17, vol. H, p. 534. Relation historique, etc.
MADEMOISELLE A'ERCHANl) \W
Villes peu sûres en effet pour les réformés, (telles où
résidaient à la fois les jésuites, le g-ouverneur et l'in-
tendant! C'est cependant à Montpellier que les ^ev-
niers Inspirés avaient cherché un asile.
Au temps où leparti jouissait de son plus grand crédit,
et où les mesures prises par le Synode de 1720 ii'a-
vaient fait qu'accroître sa popularité, une demoiselle
Verchand, habitant cette ville, mais originaire de Som-
mières, avait eu pendant un voyage dans les Céven-
nes une étrange vision. Elle avait vu le ciel s'ouvrir
et Dieu lui apparaître. Bientôt la peste avait éclaté, et
le souvenir de ce qu'elle avait contemplé n'avait plus
quitté son esprit. De retour à Montpellier, elle s'était
mise en relations avec Duplan. Celui-ci lui avait écrit
plusieurs lettres. Il lui parlait « de la grande affaire
du règne de Dieu, et de la délivrance de son Eglise; »
il demandait à l'Eternel de lui accorder de plus en plus
c( les lumières et les vertus de son esprit pour lui faire
connaître les grands mystères de son amour, » mille
autres choses semblables \ Mademoiselle Verchand, à
son instigation et sous le coup des derniers événements,
avait aussiôt réuni chez elle quelques coreligionnaires
pour prier Dieu en commun. Une secte s'était ainsi
formée.
On connaît les extravag*ances des Inspirés et l'on sait
(jue ceux du bas Languedoc se disting'uaient parmi les
plus exalté A. Il a été parlé plus haut du « Livre de
l'Esprit. » Mais à L\mel, la folie avait atteint son plus
haut degré. Un nommé Delord réunissait dans sa
» N» 30, jj. 1H2, 1«3.
^^00 AN'J'OINK KT ANDRÉ COMTE
demeure quelques religionnaires, et deux fils de cor-
donnier, Antoine et André Comte, y faisaient les
fonctions de prédicants et de prophètes. La chambre
où ils s'assemblaient était tapissée de feuilles de
papier sur lesquelles ils avaient écrit des versets de la
Bible et dessiné maladroitement la figure de saint Paul,
d'Elie et d'autres. Un bâton portait en guise d'éten-
dard une vieille serviette sur laquelle on lisait les
commandements. Dans le fond se trouvait la chaire.
Or, vers 1721, Antoine et André Comte quittèrent
Lunel et se rendirent à Montpellier dans le but pro-
bablement de répandre leurs doctrines et de recruter
des partisans. Ils réussirent au delà de leurs espé-
rances. Mademoiselle Verchand était naturellement dé-
signée à leurs visites; ils se présentèrent chez elle, lui
firent accroire que la peste n'éclaterait pas dans la ville,
et, comme celle-ci cherchait à échapper à leurs instan-
ces, « ils lui arrantèrent sa maison par ordre de Dieu. »
Mademoiselle Verchand se laissa persuader ; les frè-
res Comte s'établirent dans sa maison et devinrent
les grands directeurs de la secte qu'elle avait fondée.
Quelque temps après, un commis de Montpellier, natif
du Pont-de -Mont vert, fort ignorant et fort exalté,
Jacob Bonicel, fut admis parmi les membres de la
société. D'autres personnes, inquiétées probablement
par les progrès du parti de l'ordre, vinrent accroître
ce petit noyau ; la nouvelle Eglise prit de jour en jour
une importance croissante.
C'est alors que Vesson arriva. Il avait sans doute
entendu parler à Sommières de Mademoiselle Verchand ;
il savait qu'elle possédait quelque fortuné et que les
ARRIVÉE DE VESSON 201
chefs de la secte touchaient des émoluments. Aussi,
lorsqu'il se vit traqué par ses créanciers, abandonné
par ses adhérents, poursuivi par les Synodes, il partit
pour Montpellier. La petite communauté le reçut avec
de grands honneurs. Elle le nomma ministre et pasteur
en titre. Par son intermédiaire, elle entra aussitôt en
correspondance avec les villes où Vesson avait compté
ses plus chauds partisans. Elle fît même écrire à
Duplan pour l'engager à venir, lui offrant la prési-
dence de l'Eglise. Duplan refusa. On employa menaces
et promesses ; il resta inexorable. Il ne voulut jamais
se renfermer « dans ce résidu, » soit que les pratiques
auxquelles on s'y livrait lui parussent ridicules, soit
qu'il ne voulût point faire cause commune avec Vesson
« que l'orgueil et quelque autre passion criminelle
avaient séparé du corps de l'Eglise K »
La secte ne perdit point courage. Elle travailla non-
seulement à grouper autour d'elle les débris du parti
des Inspirés, mais elle prétendit encore tenir entre ses
mains les seules chances de salut du protestantisme.
Un de ses membres écrivait :
« Jésus-Christ est venu à présent en esprit et en vérité
pour montrer la lumière au peuple nouveau de la Ghanaan
céleste par les opérations du Saint-Esprit. Nous sommes ici pos-
tés pour recevoir toute nation qui voudra être du parti de la fille
de Sion. Elle fera voir la délivrance à tous les élus qui seront
dans la France, et aux autres aussi, s'ils partent promptement
pour venir voir la gloire qui va arriver sur la terre avec le triom-
phement. C'est à présent le rappellement des enfants de Dieu *. »
1 N" 12, p. 23.
- V. Nouvelles recherches sur la secte des M/flf/p/in/ils, etc., p. GO.
202 SYSTÈME THÉOLOGIQUE
La réunion de ces visionnaires, tous Inspirés et pro-
phètes à divers deg'rés, devait nécessairement faire
éclore quelque système bizarre, étrange. C'est ce qui
arriva. Un des membres, Bonicel, en fut le théoricien.
Dieu, disait-il, ^vait envoyé une première fois Jésus
au monde pour le s^iuver; mais le monde, sous l'in-
fluence de s^ nature perverse, ne l'avait p^i^ écouté et
avait persisté dans ses errements, Il fallait donc une
nouvelle création du règne de Jésus-Christ; cette créa-
tion, le Saint-Esprit en pouvait seul être l'auteur. Voilà
pourquoi Dieu avait institué dans son ciel et baptisé de
son Saint-Esprit trois mages pour instruire et repren-
dre de sa part les peuples, les avait appelé?^ Paul,
Jean, Moïse, leur avait donné le bau4ner, la robe
blanche et Je casque coiume marque de leur charge,
et leur avait confié le sqin de faire entrer les u§tions
dans le temple saint, où il avait placé une nouvelle
arche mystique. Qii'cin i^e gardât surtout cle fermer
l'oreille aux prophéties dç ces mages suscités par Dieu ;
la coupe de malédiction était pleine, la chaudière brû-
lait et allait consumer ceux qui les auraient méprisées.
Il fallait, à moins de périr, devenir hommes de la nou-
velle création et entrer dans le royaume que le Saint-
Esprit allait fonder.
Mais comment y entrer et par quels moyens? Par
le baptême du Saint-Esprit. Un des trois mages, le
mage Jean, — Bonicel, — appelé par Dieu à adminis-
trer le baptême de la repentance, avait été chargé de
répandre sur les élus « les eaux de la grâce divine. »
Bienheureux qui recevait le billet de ce baptême et
possédait « le numéro de ce jour de bienveillanqç. » Il
('KREMONŒS ET PRATIQUES 20;{
participait aux bienfaits du nouveau règ*ae. Ce règ'ne
ne devait pas tarder à venir ; il était même déjà venu, et
ft l'année de bienveillance » en était le commencement.
La maison de la Glanitino — Mademoiselle Verchand
— était le temple de Salomon, et Montpellier allait
devenir une nouvelle Jérusalem, où de tous côtés on
apporterait les trésors du monde et où arriveraient des
pays étrangers les plus magnifiques offrandes.
Tel était en quelques mots le système. C'est dans le
détail des pratiques que s'étaient surtout donné car-
rière les imaginations.
Devenus par le baptême enfants d'une nouvelle créa-
tion, les élus cliangeaient leurs noms contre de nou-
veaux noms. Ainsi Bonicel s'appelait Jean ; Antoine
Comte, Moïse; Bourely, Paul; Mademoiselle Verchand,
la Glanitino; la pro2)liétesse Blayne, Marie-Madeleine;
Vesson, Solmifa. Dès qu'un nouveau disciple avait
reçu le baptême, il recevait un billet où se trouvait
son nouveau nom en hébreu, — hébreu, comme le
reste, de récente invention.
Le baptême avait des rites particuliers. Le néophyte
avait la main et le visage lavés, recevait ensuite sur la
tête trois gouttes d'eau, et était peigné, afin que les
mauvaises pensées qui se trouvaient dans ses cheveux
disparussent. Il écrivait sur un papier : « Je promets à
mon Dieu de ne lui être plus rebelle et de ne plus mur-
murer envers ses effets. » Ensuite, pieds nus et à genoux,
il s'avançait vers le « résidu, » mangeait à la porte un
peu de miel pour se rendre doux, humble et patient, et
s'avançait dans le sanctuaire où il buvait trois gouttes
d'eau-de-vie ; puis on lui coupait une mèche de cheveux.
204 LE CULTE
De là, il était mené au « pavillon de la gloire » où des
mains de Moïse, il recevait de l'eau-de-vie qu'il buvait
au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
La sainte Cène était célébrée assez simplement.
« Prends, disait-on, en offrant le pain; ceci est mon
corps que je te donne à mang-er, » et, présentant la
coupe : <( Prends ceci et bois ; ceci est mon sang* que
j'ai versé sur l'arbre de la croix pour vous tous. » Jésus
était censé parler par la bouche de ses ministres.
Les enfants de la nouvelle création pouvaient se
marier entre eux. Bonicel et Mademoiselle Vercliand
furent ainsi mariés. Mais il paraît que ces mariag*es
pouvaient être rompus, quand les deux contractants le
demandaient, et qu'en outre quelques-uns étaient
purement spirituels, « pour le ciel, et non pas pour la
terre. »
Le culte de la secte n'avait rien de curieux. On don-
nait la communion, et l'on prêchait.
Mais surtout on racontait les visions, on prophétisait
et l'on conversait avec Dieu par le Saint-Esprit. Dieu
se manifestait en toutes occasions à son nouveau peuple
et lui faisait part de sa volonté. Les trois mag'es étaient
les interprètes de ses commandements. De là, d'étran-
g'es cérémonies. Il faut lire les procès-verbaux où sont
consig-nés les actes des Multipliants, — tel était le nom
de ces sectaires, — c'est le comble de la folie. Il fut
un jour question de faire dans les rues de Montpellier
une procession. Mademoiselle Verchand représentait la
veuve de Sarepta; Marie -Madeleine fîg-urait Sion et
deux femmes les filles d'Israël. Soixante enfants ha-
billés de blanc avec des bonnets en carton enrubannés
LE SANCTUAIRE 205
frappaient sur des tambours et jouaient du violon;
quelques veuves suivaient le cortège une palme à la
main et des couronnes sur la tête ; plus loin marchaient
les anciens et les patriarches en culottes noires et en
bas noirs.
Quant aux salles où se réunissaient les sectaires, la
première contenait ving*t-quatre bancs ; elle était ornée
de lauriers auxquels étaient attachés des pommes, des
oranges, des citrons, des pains de grosseur différente,
des bouteilles de vin et d'eau-de-vie. Sur la porte se
lisait cette inscription : « Personne ne peut entrer dans
le lieu saint, sans être fouillé. » La seconde, « le résidu,
le sanctuaire, » était plus vaste. Au milieu se dressait
une chaire élevée de quatre marches, ornée de lauriers,
de rubans avec des inscriptions hébraïques. Aux murs
s'adossaient de gros lauriers. Le plafond était tendu
de blanc et au milieu brillait un cartouche avec ces
mots en grosses lettres rouges : H sec est ma veritatis.
Dans la salle ou voyait une lampe à sept becs, des
tambours, des sacs remplis de fruits, des balances, des
compas, des pains moisis, un plat entouré d'une ser-
viette dont les quatre bouts étaient liés avec des rubans
de différentes couleurs; tout cela en bon ordre, bien
disposé, arrangé. Chaque objet avait en effet sa signi-
fication. Les lauriers représentaient la délivrance de
l'Egiise et le triomphe de Jésus-Christ en esprit ; les
oranges fig'uraient les biens qui devaient abonder pen-
dant le règne du Christ ; le taffetas blanc tendu sur le
plafond et les ganses de rubans aux quatre couleurs
n'étaient autres que les livrées des noces du Saint-
Esprit ; la chaire représentait la montagne d'Oreb ; la
M LE PÀËTI t)E L'okDRE
lampe les chandeliers de Salomon ; les trois drapeaux
le Père, le Fils et le Saint-Esprit... Il faut passer
outre ; on risquerait fort de se perdre dans cette multi-
tude de symboles.
Voilà où en étaient venus les successeurs des pre-
miers Inspirés, et comment, à la suite de l'évolution
qui commença à s'opérer dans le prophétisme vers 1715,
les esprits et les cerveaux malades se laissèrent peu
à peu séduire par des spéculations dont le résultat
apparut bientôt cliez les sectaires de Montpellier. Court
et ses collègues l'avaient pressenti. Aussi avaient-ils
déployé une ardeur infatigable à ruiner ce parti. Mais
lorsqu'ils espéraient voir triompher leur cause, leur
])rincipal adversaire avait fui, s'était dérobé à leurs
poursuites. Où s'était-il réfugié? Ils l'avaient bientôt
appris. Vesson établi à Montpellier cherchait de là à
entraver les efforts de ceux qu'il considérait connue
ses J)lùs g-rands ennemis.
« Monsieur, écrivait Corteiz à un tidèiO; on nous a dit que
Jean A^esson du lieu du Cios en Cévennes, prédicant, venait
dans vos quartiers. Nous sommes obligés en bonne conscience
de vous en avertir selon le Synode de Yitré, tenu en l'an 1583,
et du Synode de Lyon en Tan 15(33, et du Synode de Yerteuil,
tenu en 1567, comme vous pouvez lire dans la discipline
ecdésiastique, chap. I'^^', art. 'i5, et 55 et 56. Voici l'article :
(I Les coureurs, c'est-à-dire ceux qui n'ont aucune vocation et
s'ingèrent dans le saint ministère, seront réprimés et interdits,
et ceux qui seront déclarés scliismatiques seront dénoncés par
toutes les églises, afin qu'elles s'en donnent garde. ».... Vesson
se trouve dans ce cas Il fait environ huit ans qu'il est le
sujet de nos larmes, de nos maux. Il a été toujours rebelle,
inflexible, il nous fuit, il s'éloigne de nous. Apparemment
AllRESTATluN DES MULTIPLIANTS ^Oi
l'horreur de ses crimes répouvante, et il n'ose se produire. Il
abuse de quelque peu de personnes, de leur crédulité, de leur
faiblesse. On nous a dit qu'il venait dans vos contrées. Notre
conscience nous engage à vous prévenir que Vesson , étant un
menteur de profession , il pourrait avec quelque homme ou
femme vous montrer ])lusieurs lettres et papiers supposés, et
sous apparence de zèle et de piété vous séduire; mais surtout,
comme c'est un avare, il ne manquera pas de faire agir pour
faire ramasser tout ce qu'il pourra exiger ^ »
Il fallait donc recommencer la lutte, couper les rami-
fications de la secte et circonscrire le mal dans Mont-
pellier. Bernag-e épai'g'na à Court cette lutte, mais par
quelle terrible mesure de rigueur ! Il avait appris par
ses espions que l'on voyait entrer depuis quelque
temps dans la maison de Mademoiselle Vercliand un
nombre considérable de personnes, et que des cérémonies
bizarres s'y accomplissaient. A son retour des Etats
tenus à Nîmes, il fît envahir la maison par un déta-
chement de soldats, et treize personnes furent prises.
— C'étaient ces prisonniers que, le 6 mars 1723, on
avait vu passer dans les rues de Montpellier, escortés
par quelques hommes de la maréchaussée et du régi-
ment d'Auvergne.
Le procès de ces malheureux s'instruisit rapidement.
Convaincus d'avoir désobéi aux ordres du Koi qui dé-
fendait de professer la religion protestante et de s'as-
sembler pour prêcher, ils furent tous condamnés. Ves-
son, pour échapper à la peine qui le menaçait, commit
dans le cours de l'instruction une triste action. Il écri-
vit à Bernage pour se mettre à ses gages et lui livrer
1 V JJfdlet s t. XIll, p. 160.
208 SUPPLICE DE BONICEL, COMTE, TESSON
ses coreligionnaires. D'ailleurs, il demandait peu : la
liberté, le secret, cinq cents écus et les biens qu'on lui
retenait. La chose se ferait fort convenablement; aux
fêtes de Pâques, tandis que les réformés seraient assem-
blés au Synode, il se présenterait devant eux bénis-
sant le ciel de sa miraculeuse délivrance, et livrerait
aux soldats ceux qu'il désignerait, — apparemment
Court, Corteiz et les autres prédicants. Mais Bernage
n'accueillit pas la proposition. Vesson fut condamné à
la peine de mort K
Le 22 avril, Bonicel et Antoine Comte, les deux ma-
ges, Vesson le ministre, furent extraits de la citadelle,
en chemise, la corde au cou, tenant chacun une torche
de cire ardente. Conduits devant la croix de la place
de l'Esplanade, ils firent amende honorable, et pendus
ensuite aux gibets élevés sur la place. Derrière eux,
tremblants et pâles, les autres membres de la petite
communauté assistaient à l'exécution.
Il a été parlé plus haut des prophètes de Lunel. Sur
la dénonciation de l'un des captifs, les soldats se
portèrent dans cette ville et s'emparèrent des deux
filles de Delord et de deux hommes ^ On instruisit leur
procès avec celui des prisonniers faits chez Mademoi-
selle Verchand. Les uns furent condamnés à ramer sur
les g'alères du roi, les autres à être enfermés dans la
tour de Constance. Ils étaient treize, cinq hommes et
huit femmes; parmi ces dernières se trouvait Made-
moiselle Verchand : elle eut la tête rasée, et, après avoir
i V. Bidlet.^ t. III, p. 12. — Le texte de la condamnation fut affiché
dans tout le J^anguedoc.
2 V. Pièces et documents, n" XI.
SUPPLICE DE HUC-MAZEL 201)
assisté au supplice de ses amis, elle fut enfermée avec
ses compag-nes de captivité dans cette tour de Con-
stance, où depuis de si long-ues années étaient jetées
sans aucune distinction d'âg"e les plus touchantes vic-
times de la persécution K
Quelques semaines après l'exécution de Vesson, le
gibet se dressa une seconde fois. Dans les Cévennes,
dans une maison écartée de Saint-Paul-Lacoste, les sol-
dats avaient arrêté le vieux Hue, et l'avaient conduit à
la citadelle de Montpellier où Vesson se trouvait en-
core. Le vieillard fut confronté avec son ancien ami.
On l'accusa d'avoir présidé des assemblées et d'avoir
prêché. Convaincu de ce double crime, il fut condamné
à être pendu. Hue avait soixante ans. Il avait déjà
inquiété le Synode par ses opinions, et pour le détour-
ner de certaines idées catholiques, on avait prié un
pasteur suisse de lui écrire. Eien ne l'avait touché.
Sous le coup de sa condamnation et de sollicitations
pressantes, il finit par abjurer. Mais cette abjuration
sincère ne le sauva pas, et, le 5 mai, au milieu d'une
affluence extraordinaire, il souffrit le dernier supplice
avec une grande résignation. Les catholiques firent à leur
victime de pompeuses funérailles. Deux cents pénitents
marchaient à la tête du convoi, les cordeliers y assis-
taient, et six d'entre eux portaient la bière. Sur les
ailes du cortège, trente-six ecclésiastiques ramassaient
les aumônes des fidèles. Enfin, pour rendre cette céré-
' La fille de Mademoiselle Verchaud luL mise dans un couvent. Ou
voit (Archives de THérault, G, 392) qu'il lui fut accordé sur le fonds
des amendes une pension de 150 livrer ; elle se trouvait alors au cou-
vent des religieuses d'Agde,
I 14
210 FUITE DE DUPLAN
nioiiie plus ►solennelle, le corps du vieux prédicant fut
déposé dans un caveau de Notre-l)ame-des-Tables ^
Ces supplices, les extravagances de la secte, et le
gTand éclat dont furent entourés ces événements, por-
tèrent un coup fatal au parti des Inspirés. Peut-être
Duplan aurait-il pu retarder par le prestige de son
nom un dénoùment inévitable, mais il fut bientôt
obligé de s'enfuir à l'étrang'er. On avait trouvé à Mont-
pellier, parmi les papiers des Multipliants, les lettres
qu'il avait adressées à Mademoiselle Vercliand. Pour-
suivi pendant un an, découragé et désespéré, il se dé-
cida, après avoir erré au Désert, à quitter la France .
On n'entendit plus dès lors parler sérieusement de
prophètes ni d'Inspirés ^.
Un Synode décréta que ceux (}ui avaient soutenu
Vesson seraient oblig'és j)our rentrer dans l'Eglise de
faire devant les pasteurs, Anciens et fidèles, la décla-
ration suivante :
u Nous confessons et déclarons en présence de Dieu et de
l'Eglise que, si nous avons soutenu Vesson, ça a été dans un
temps qu'il ne })rèchait que la Parole de Dieu et que nous
ignorions s'il avait droit ou tort dans le schisme qui décliirait
1 N» 30, p. 191, 193, 198.
2 N" 5, 11'' XI, p. 4.
3 N" 17, vol. G, }). 349. — « SeuiiiueiUs -sur la fin niallieureus>e de Ves-
son et Mazelet : Ces personnes étaient séparées de notre corps. Nous
les avions excommuniées comme des hérétiques et des rebelles. Ce-
pendant leur chute entre vos mains n'a pas resté de nous pénétrer
d'affliction, car nous aurions beaucoup plus souhaité, comme nous
en faisions souvent le sujet de nos prières, qu'ils eussent glorifié Dieu
et édifié l'Eglise par leur retour dans leurs devoirs que de leur voir
finir (leurs) jours d'une manière si misérable et si peu édifiante. Mais
comme Dieu ne fait rien que sagement, nous avons mis le doigt sur
la bouche en admirant les effets de sa providence... »
DISPARITION DES INSPIRES 211
l'Eglise. Nous demandons pardon à Dieu de n'avoir pas donné
assez de soins et fait de prières pour connaître notre devoir
dans cette affaire, et nous promettons désormais d'être attacliés
au corps des pasteurs et des Anciens qui composent l'Eglise et
de nous opposer de toutes nos forces à ceux qui voudront prê-
cher sans vocation, ou qui n'observeront pas l'ordre et la disci-
pline ecclésiastique que nos pères ont sagement établie, pour
l'édification de l'Eglise ^ »
Le parti de l'ordre ne voulait point laisser perdre
les fruits de son triomphe. Il redoutait les écarts d'ima-
gination et le retour d'un mal qui avait trop long-temps
duré.
On vit bien encore à Nîmes et dans les villages envi-
ronnants de nouveaux fanatiques ; Monteil se maintint
assez longtemps dans le Vivarais, et même un nommé
Dortial, avec les prophétesses Claire et Veyrenclie,
essaya plus tard de fonder une secte semblable à celle
des Multipliants de Montpellier. Mais c'étaient les der-
nières agitations d'un soulèvement qui avait ébranlé
jusque dans ses bases le protestantisme, les derniers
vestiges d'un état de choses qui était à tout jamais
renversé.
« A l'égard des fanatiques ou des prétendus Inspirés, écrivait
Court, il n'y en a plus beaucoup au milieu de nous. Autrefois
c'était une espèce de contagion qui s'était communiquée pres-
que dans tous les lieux et dans toutes les familles. A peine,
aujourd'hui, nous en connaissons une douzaine continés pres-
que tous dans un même lieu '^. >>
Ainsi les Inspirés avaient disparu. Leur doctrine
IN" 17, vol. G, ]). 357. (Seplembiv 1723.)
« N» 7, t. III, p. 128. (1726.)
212 DISPARITION DES INSPIRES
tomba bientôt dans un tel discrédit que ce devint un
crime à ravenir de l'avoir partagée. Duplan fut même
très- vivement combattu, parce qu'il avait fréquenté
les assemblées des f^matiques. Tl ne fallut rien moins
que l'autorité de son nom et l'éclat de ses servi-
ces pour arrêter les attaques de quelques adversaires
acharnés.
La cause de l'ordre et du bon sens était définitive-
ment g'agnée.
CHAPITRE VII
VOYAGE d'aNTOINE COURT A GENÈVE
1720 - 1722
Il faut revenir un peu en arrière, aux derniers jours
de 1720.
La nouvelle inattendue de la restauration du pro-
testantisme en France était parvenue jusqu'en Hol-
lande et en Suisse. Mais quelle était cette restau-
ration? Par quels moyens se faisait-elle, et par quels
ouvriers? — On ne savait. Les détails donnés par les
voyageurs étaient rares , peu précis ; ils n'avaient
rien de sur et n'expliquaient rien. Les nouvellistes
étaient d'ailleurs mal informés, souvent mal intention-
nés. Les pasteurs, disait-on, étaient des fanatiques qui
exposaient les protestants sans nécessité ; il n'y avait
point d'ordre ; les Inspirés se multipliaient ; les pro-
testants voulaient se révolter contre le Roi.
On a déjà vu qu'Antoine Court et ses collègues avaient
été obligés d'écrire à Basnage et à Pictet pour les in-
struire de l'état réel des choses K Ces personnages s'é-
taient facilement rassurés. Mais la foule des réfugiés
* V. chap. IV, p. 124.
214 PRÉVENTIONS DES PAYS PROTESTANTS
et l)eaucoiip d'hommes éclairés restaient inquiets,
indécis, peu sympathiques à la cause desreligionnaires.
En Suisse, et à Genève surtout, on se livrait aux plus
fâcheuses suppositions. La conduite des protestants,
pendant les dernières affaires d'Espag'ue, n'avait été
comprise ni approuvée de personne, et les préventions,
loin de disparaître, s'étaient au contraire fortifiées,
(^ue voulaient-ils? où allaient-ils? Autant de questions
auxquelles on répondait toujours avec défaveur.
Ces préventions injustes décourag-eaient Antoine
Court. Pictet l'exhortait en vain à continuer l'œuvre
si heureusement commencée, lui disant de rester su-
périeur aux calomnies, car « Dieu seul est celui qui
connaît nos plus secrètes pensées \ » Si ces exhorta-
tions relevaient un moment son courage, elles ne
l'arrachaient point à son ahattement. Ce qu'il désirait,
c'est que tous les protestants de l'étranger connussent
ses véritables desseins, qu'il n'y eut ni obscurité ni
malentendu, car il voulait compter sur leur aide et
sur leur appui. Or, toutes ses intentions étaient mécon-
nues, tous ses actes dénaturés...
Ce fut précisément dans une de ces heures de dé-
faillance que, de Genève, quelques amis lui écrivi-
rent de venir en Suisse. Il ne pouvait, disaient-ils,
concevoir le désir que ses frères avaient de le con-
naître, et il ferait un grand bien à sa cause ^. Antoine
Court se rendit en hâte à l'invitation. Il se montrerait,
pensa-t-il,il exposerait ses besoins, ce qu'il avait achevé,
ce qu'il projetait, ses espérances et ses craintes. Les
1 N* 1, t. II, p. 135. (Août 1719.)
2 Ihid., p. 153. (Octobre 1719.)
GENÈVE ET LA FRANCE 215
ég'lises ne souffriraient pas d'ailleurs de son absence.
Un mois, six semaines au plus suffiraient au voyag-e; il
n'avait même pas besoin de demander un cong*é au
Synode \
Il partit.
Genève, depuis la révocation de l'Edit de Nantes,
était devenue le g-rand asile des fugitifs. Elle leur avait
généreusement ouvert à tous ses maisons et sa bourse.
Elle n'affichait pas trop cependant son hospitalité, et
elle agissait avec prudence. La cour de France n'en-
tendait point qu'on la bravât, et les mêmes menaces que
Louis XIV avait proférées contre son indépendance,
la Régence les avait répétées. C'est ainsi que la véné-
rable Compagnie de cette ville avait reçu la défense ex-
presse de se mêler en quoi que ce fut des prédicants
français % que Corteiz n'avait pu être solennellement
consacré dans ses temples, ni le sermon de Court se
vendre publiquement dans ses rues. Mais Genève se
résignait et travaillait silencieusement. C'est de cette
ville qu'étaient envoyés les livres en Languedoc et que
partait l'argent pour la délivrance des galériens ; c'est
encore dans cette ville qu'on jetait à cette heure les
fondements d'une maison où devaient être reçus les ré-
fugiés français nécessiteux. Chacun s'était partagé la
tache. Le pasteur Calandrin s'occupait des prisonniers:
le comité de la bourse française , des malheureux ;
Vial, Pictet, des frères sous la croix.
Antoine Court avait quitté le Languedoc, en grand
secret, vers la fin de l'année 1720. Lorsqu'il entra dans
* N» 46, cah. V.
* N« 17, vol. G, p. y.
,'IG ARRIVEE D'ANTOINE COURT
la vieille cité, .son arrivée produisit une telle émotion
(|ue, malgTé le mystère dont elle fut entourée, le ré-
sident de France en fut informé. Les pasteurs l'ac-
cueillirent avec joie, les habitants avec empressement,
tous avec une cordiale et touchante sympathie.
« Vos lettres, lui écrivait-on du Languedoc, nous ont donné
aussi bien de la joie, nous apprenant que vous avez été gracieu-
sement reçu de Messieurs les pasteurs, et que, vous étant trouvé
dans des honorables compagnies composées de gens distin-
gués par leur naissance et par leur piété, vous les avez satis-
faits et édifiés par la solidité de vos raisonnements, et que, pour
marque de leur approbation, ils vous ont encouragé à répandre
de plus en plus la bonne odeur de nos Eglises ^ »
Un homme surtout se montra plein de bonté, d'af-
fection; ce fut Pictet. Non-seulement il le reçut chez
lui comme un frère, mais encore il aplanit devant lui
les difficultés, l'aidant en toutes occasions de son expé-
rience et de ses conseils. Antoine Court était pauvre;
Pictet s'adressa à la vénérable Compagnie, et obtint
pour son collègue de l'arg-ent et des secours^. Ce fut
l'origine d'une amitié touchante que malheureusement
la mort rompit trop tôt. Le vieillard s'était pris d'une
véritable affection pour le jeune homme, et plus tard
1 N.° 1, t. II, p. 347. — Et encore :« Vous me marquez que Messieurs
nos très-honorés pères et frères vous font beaucoup d'honneur et d'a-
mitié, de quoi je leur suis, avec tout notre Consistoire, fort obligé... »
2 Archives de la vénérable Compagnie de Grenève, p. 50. (20 décem-
bre 1720.) «...M. Pictet a dit qu'un nommé M. Court, prédicateur des
protestants persécutés en France, est dans cette ville, qu'étant dans la
nécessité, il conviendrait de leur faire quelque libéralité. Opiné, l'avis
a été que la Compagnie lui donnera deux écus, et le recommandera
au pasteur qui présidera h la bourse française. »
THALEUREUX ACCUEIL 217
il aimait à lui écrire : « Votre santé ine mettait eu
peine et je craignais les suites de votre maladie
Ce que j'ai fait pour vous est si peu de chose auprès
de ce que j'aurais souhaité, que cela ne mérite pas
que vous en conserviez même le souvenir... Nous
prions Dieu pour vous et pour ceux qui vous ressem-
blent ^ » Un tel accueil, si charmant et si chaleureux,
était plein de promesses pour l'heureuse issue de ce
voyage.
Antoine Court se hâta de dissiper les préventions et
de montrer quelle était la situation réelle du protes-
tantisme français. Il parla de l'ordre qui régnait, des
progrès accomplis, de la piété des fidèles et de leur
soumission à la cour. Il parla surtout des assemblées.
C'était une question sur laquelle on s'expliquait peu
favorablement; Pictet lui-même paraissait médiocre-
ment convaincu de la nécessité de ces réunions publi-
ques au Désert. Mais, disait le jeune pasteur, tout le
monde convient que la prédication de l'Evangile et la
participation aux sacrements sont les deux voies ordi-
naires dont la Providence se sert pour amener les
hommes au salut. Je vous demande donc si on doit
s'interdire l'une ou l'autre de ces voies sans qu'il y ait
contrainte absolue. Les protestants ne peuvent et ne
veulent point abandonner la France ; ils sont trop
vieux, d'ailleurs trop surveillés. Faut-il donc qu'ils
n'aient point de culte, parce que ce culte se tient au
Désert et qu'il est défendu ? Que craint-on ? Que les
assemblées soient surprises et que la cour redouble
1 N" 17, vol. G, p. 319. (1723.)
218 DEFENSE DES ASSEMBLÉES
ses rigueurs? Mais les Synodes, mais les pasteurs re-
commandent la plus grande prudence, et pour une ou
deux personnes qui sont arrêtées, on ne peut empêcher
d'en consoler des milliers qui ne le seront pas. Il n'y a
qu'une seule chose déplorable, c'est le manque de pas-
teurs. Loin de détourner de leur œuvre ceux qui s'ex-
posent chaque jour au péril de leur vie pour le bien
de leurs frères, vous devriez envoyer des ministres
dans ces malheureuses contrées qui en ont un si grand
besoin. — S'élevant ensuite à des considérations plus
hautes, il prétendait qu'on devait, à l'exemple « des
hérauts évangéliques, aller dans les Athènes et dans
les Eome, malgré les oppositions des philosophes et
des magistrats, pour les convaincre par des discours
puissants et démonstratifs. Pour moi, j'ai toujours eu
honte pour le parti protestant, quand j'ai fait réflexion
que le parti papiste avait eu à cœur la conversion des
infidèles, jusqu'à leur envoyer de temps en temps un
nombre infini de missionnaires, sans que le parti pro-
testant ait témoigné jusqu'ici beaucoup d'empresse-
ment pour cette conversion qui devrait d'ailleurs lui
être si chère \ »
Antoine Court, qui voulait si g-énéreusement con-
vertir les magistrats et les païens, réussit à convertir
ses adversaires. C'était un premier résultat.
« Un temps était, qui n'est plus, qu'on blâmait les assemblées
(lu Désert; un temps plus heureux et plus éclairé a succédé à
ce temps fâcheux mêlé de sombres nuages qui empêchait de
connaître la nécessité et l'utihté de ces assemblées... Ce qu'on
1 N" 7, t. I, p. 133.
DEMANDE DE PASTEURS 219
blâmait, ce qu'on condamnait avec hauteur, on le loue, ou du
moins on demeure dans un respectueux silence ^ »
Le succès l'avait enhardi. Après avoir défendu les
protestants et leur conduite, il exposa franchement leurs
besoins. Il n'y avait dans le Languedoc que deux pas-
teurs, et le nombre des proposants était encore petit.
Etienne Arnaud était mort , Hue s'était séparé de ses
collègues, et Vesson venait d'être déposé par le Sy-
node. Les recrues, — « des cardeurs de laine, des tail-
leurs d'habits, des garçons de boutique, des jeunes
gens sans étude, » — étaient rares et malhabiles ; ne
fallait-il point d'ailleurs prévoir le moment où cette
petite troupe serait diminuée par l'ennemi et par les
supplices? Cependant le protestantisme français se ré-
veillait de son sommeil. Non-seulement le Languedoc
renaissait à la foi et à la vie, mais encore toutes les
provinces du royaume. Il fcillait donc des hommes
pour encourager et soutenir ce réveil religieux. Il fal-
lait que les pasteurs chassés par la révocation de l'Edit
de Nantes revinssent dans leur patrie, comme le vieux
Roger du Dauphiné, ou que les églises étrangères,
qui avaient attiré et gardé chez elles la plupart des
ministres français, consentissent, en manière de re-
tour, à envoyer leurs pasteurs pour prêcher sous la
croix.
Antoine Court revint souvent sur ce sujet. Mais on
accueillit ses ouvertures sinon avec peu de Inenveil-
lance, du moins avec froideur. Personne ne se sentait
c< de vocation pour le martyre. » Cependant dans les
1 N" 7, t. 1, p. 21. (1721.)
220 DE LA FONDATION jri'N 8ÉMINA1RK
longues causeries, le soir, chez Pictet ou chez une de
ces grandes familles que leur dévouement au protes-
tantisme avait illustrées, tandis qu'il parlait et qu'à
ses chaleureuses paroles on opposait les objections, peu
à peu on conçut et on développa un projet qu'Antoine
Court caressait depuis longtemps, mais dont il n'osait
espérer la réalisation. Puisque les églises étrangères
ne voulaient point envoyer leurs pasteurs en France,
pourquoi ne fonderaient-elles pas un établissement, un
séminaire, où seraient placés, pour y acquérir les con-
naissances nécessaires et s'y mettre en état de servir
les églises, les jeunes Français qui voudraient se con-
sacrer au ministère ï II n'y avait que deux difficultés à
résoudre et le projet s'exécutait : trouver de l'argent
pour le séminaire, trouver des étudiants pour le mi-
nistère. Le jeune prédicant promit des étudiants ; il ne
restait donc plus que la difficulté pécuniaire. A vrai
dire, ce n'était pas la moindre.
Court s'adressa aussitôt à Basnage et à tous ceux
qu'il croyait capables de l'aider dans son dessein. Il
n'hésita point à écrire encore au premier prélat de
l'Eglise anglicane, l'archevêque de Cantorbéry, Wil-
liam Wake. Les consistoires sont établis, lui disait-il,
l'ordre règ^ne, les Synodes fonctionnent, les églises se
multiplient, mais la moisson est abondante et les ou-
vriers manquent. Georges II doit honorer de sa protec-
tion le protestantisme français , et lui accorder des
preuves royales de sa munificence. Wake communi-
qua la lettre au Roi, et le Roi, si l'on en croit la ré-
ponse de l'archevêque, ne dissimula point sa joie à ces
nouvelles. Il promit de s'intéresser aux églises, quand
LETTRES A WAKE, A SAURIN 221
roccasion se présenterait, et témoigna son déplaisir
de ne pouvoir leur donner autant de marques de sa
protection qu'il en donnait à celles du Palatinat * .
Le projet cependant était encore loin de se réaliser,
et Court ne l'ignorait point. Ce n'était qu'un dessein,
conçu non certes à l'aventure, mais qui avait encore
besoin d'être longuement examiné, avant qu'on passât
à son exécution. Quand le rêve deviendrait-il une
réalité ? On ne savait. Il fallait en attendant subvenir
aux besoins les plus pressants.
Court écrivit au grand orateur de la Haye, à Sau-
rin, pour le prier d'envoyer des prédicateurs en France.
« Il y a une abondante moisson à faire, disait-il; les cam-
pagnes sont blanchies. La Normandie, le Poitou, le pays d"Au-
nis, la Saintonge, le Béarn, le Languedoc et le Dauphiné, n'at-
tendent que des ouvriers armés de leurs faucilles °^. »
. Mais Saurin ne se laissa pas toucher par cet appel ;
comme ses collègues de Genève, comme tous ceux que
la Révocation avait chassés et qui avaient trouvé à
l'étranger une seconde patrie, il répondit évasivement
et ne promit rien. Les églises de France étaient de-
puis longtemps oubliées.
Antoine Court cependant ne désespérait pas de l'a-
venir. Il s'était trouvé des hommes pour relever une
cause qui paraissait perdue, il s'en trouverait bien,
pensait-il, pour la faire triompher.
La peste, on le sait, avait éclaté vers cette époque.
' N" 37, p. 9. Mémoire aux arbitres. — V. ausbi n" 7, 1. 1, p. 276.
SX' 7, t. I, p. 415. (Août 1722.)
222 MADEMOISELLE CORTEIZ
Court n'osait point, quel qu'en fût son désir, rentrer
en France. Les bulletins qu'on lui adressait sur les
progrès du fléau, l'étroite surveillance qui faisait gar-
der toutes les routes, étaient bien propres à le faire
rester à Genève. Ses amis d'ailleurs, non ses collègues
cependant, l'engageaient à ne point s'exposer aux
périls d'un semblable voyage. Il prolongea donc son
séjour dans la vieille cité.
Il était d'abord descendu au logis du Lion cVor; de
là, il s'était transporté dans la maison de Mademoi-
selle Corteiz, la femme de son collègue. Sa pension
était de cinq écus ^ . Il vivait de cette somme modeste-
ment, simplement, au milieu de ses amis, des réfugiés
et de tous ceux qui lui avaient ouvert si amicalement
la porte de leurs demeures. Son temps se passait à ser-
vir ses frères , à parler d'eux , à chercher des sou-
lag'ements à leurs maux. La France l'occupait tout
entier.
Quelles longues conversations n'avait-il pas avec
Mademoiselle Corteiz ! Cette pauvre femme inquiète,
seule, isolée, l'accablait de questions sur l'Eglise qu'elle
considérait ijn peu comme sienne, sur son mari sur-
tout, sur ses travaux. Souvent une profonde tris-
tesse l'envahissait et la crainte des dangers que cou-
rait chaque jour Corteiz triomphait de sa virile fer-
meté. Alors celui dont la tète était mise à prix essayait
de consoler celle qui pouvait à chaque courrier ap-
prendre la mort de l'homme dévoué qui était sa vie ^.
* C'est le Synode de 1721 qui le« lui avait alloués.
2 N"7, t. I, p. 195. (Novembre 1721.)
ANTOINE COUR'T ET PICTET 223
Mais le jeune prédicant oubliait ces discours en
allant chez Pictet. Dès qu'il pénétrait dans cette
maison, il s'arrachait à ses lug-ubres pensées, et quit-
tant les tristesses présentes, il s'abandonnait à la joie
du triomphe à venir. Là, dans le cercle de la famille,
il aimait à lire les lettres qui venaient de France. On
se félicitait mutuellement des progrès que faisait le pro-
testantisme, on déplorait les erreurs de ceux qui sus-
citaient des obstacles, on travaillait à remédier aux
maux, on remerciait Dieu des merveilles qu'il faisait en
faveur des religiomiaires ' . Dans cette maison, Court
trouvait toutes choses : des consolations, des conseils,
des secours.
C'est là probablement que le modérateur de la véné-
rable Compag'nie forma le projet d'inviter les pasteurs
de Genève, ses collègues, à adresser des prières pu-
bliques à Dieu pour qu'il fît cesser le fléau qui rava-
geait la France ^. C'est de là certainement que par-
tirent les diverses lettres destinées à mettre fin au
schisme qui divisait les protestants. L'adversaire
le plus redoutable que rencontrèrent Vesson et les
Inspirés fut, on s'en souvient, Pictet, et les coups les
plus terribles qui frappèrent leur parti furent portés
par la main du savant professeur. C'est Genève qui tua
les Inspirés de France.
Un triste événement, dont Court racontait souvent
les péripéties, était surtout l'objet de la curiosité et de
la pitié de tous. En 1720, un peu avant son départ,
1 N- 7, t. I, p. 219. (Novembre 1721.)
2 Archives de la vénérable Compagnie, j). 43. (Octobre 1726.)
224 RELATION HISTORIQUE, ETC.
on sait qu'une assemblée qu'il présidait près de Nîmes
avait été surprise. Les troupes avaient fait un grand
nombre de prisonniers. On avait jeté trois des captives
à la tour de Constance, et les autres condamnés avaient
été bientôt dirigés sur la Eocbelle. Un jour, on avait
revu ces malheureux, le carcan au cou, passant lente-
ment dans les rues de Nîmes. D'étape en étape, ils
allaient jusqu'au port de mer. Quand ils avaient tra-
versé Nîmes, il pleuvait; ils étaient mouillés jusqu'aux
os et couverts de boue. En entrant cependant dans les
faubourg's, ils avaient eu la force d'ôter leurs bonnets
et d'entonner un psaume. Le lendemain, ils étaient
repartis, et pendant trente-neuf jours ces malheureux
avaient ainsi marché, tombant à chaque instant sous
la fatigue et sous les coups. Arrivés à Lyon, on leur
avait enfin accordé un repos de deux semaines. De
là, ils avaient été incorporés à la chaîne des forçats
de Bourgogne, et par Roanne et Saumur dirigés sur
la Eochelle. Ils devaient être transportés sur les bords
du Mississipi pour peupler la colonie de la Nouvelle-
Orléans ^ .
Cette histoire lugubre avait fait frémir Genève. Ne
pouvait-on pas leur procurer des secours ? N'obtien-
drait-on pas leur grâce ? — Court fît une collecte pour
les galériens de Nîmes. Pictet s'inscrivit parmi les do-
nateurs. Madame Vial, Alphonse Turrétin et plusieurs
autres personnag^esde Zurich; on recueillit 440 livres.
On écrivit ensuite, on pria les Puissances étrangères
^ Y. pour le détail de cette affaire, Bullet.^ t. IV, p. 134 et suiv.
— V, aussi la complainte qui fut faite sur ces malheureux. Ballet.
t. IV, p. 180.
RELATION HISTORIQUP:, ETC. 225
de s'intéresser aux prisonniers, et Court eut bientôt
la joie d'apprendre que le Régent, sur la demande de
l'ambassadeur d'Ang-leterre, venait de commuer leur
peine en un bannissement perpétuel^
Le jeune prédicant fit plus. Mettant à profit l'atten-
tion que cette affaire avait excitée, il écrivit l'histoire
des prisonniers de la Rochelle. Le manuscrit courut
Genève sous le manteau. Il produisit une grande émo-
tion, et quelques personnes souhaitèrent qu'il fût im-
primé. Les amis de Court appuyèrent ce vœu, et les
pasteurs de Zurich se charg'èrent de le réaliser. Mais
quand il s'agit de savoir quelle préface on pourrait
ajouter au volume, il y eut quelque embarras. Court avait
d'abord écrit une épître dédicatoire aux pasteurs sous
la croix, malheureusement l'épître était vive, et on
s'en effraya. Il se décida alors à publier la même lettre
apologétique qu'il avait envoyée à Basnage et à Pictet,
lorsque Albéroni et la prétendue révolte des protes-
tants avaient fait tant de bruit à l'étrang'er. Cet écrit
d'un côté qui marquait tant de modération et de ré-
signation , cette histoire de l'autre qui témoignait de
tant de sévérité, formaient une antithèse qui devait
douloureusement émouvoir le lecteur^.
' N*»!, t. II, p. 343, 351, 360, 453, 459. (1721.)
^ Relation historique des horribles crxtautéz qic on a exercées envers
quelques protestans en France, 2'>oï'r avoir assiste à une assonhlée
tenue dans le Désert^ près de Nismes, en Languedoc. On y (t ajouté
un Abrégé d'histoire apologétique, ou Défense des Réformés de
France^ qui sert de réponse à V instruction pastorale sur la persé-
vérance en la foy et la fidélité pour le souverain de M. Basnage.
datée du 19 avril 1719. (In-12.) Bibliothèque de l'Arsenal. Cet opus-
cule très-rare et curieux mériterait bien d'être réimprimé.
« Une seconde raison, dit Antoine Courtdans sa préface, quiest entrée
I 15
Î2Û L'ACADÉMIE DE GENÈVE
Tels étaient les soins auxquels Antoine Court con-
sacrait son temps et ses loisirs. Ils- n'étaient point si
absorbants qu'il ne pût dans l'intervalle se livrer à son
goût pour l'étude. Son éducation avait été fort négligée,
il le sentait lui-même, et s'en affligeait. En France,
il avait essayé d'y suppléer par la lecture. Parmi les
ouvrag-es qu'il s'était fait envoyer de l'étranger pour
l'édification des fidèles, il y en avait beaucoup pour sa
propre instruction et celle des proposants. Mais lorsqu'il
se trouva à Genève reçu dans l'intimité des Pictet, des
Turrétin, lorsqu'il se vit dans cette ville qui passait
pour la capitale du protestantisme et pour un foyer de
lumières, quel ne dut pas être son désir d'apprendre!
En 1721, le recteur de l'Académie était Antoine Mau-
rice. A la Faculté de théologie professaient Samuel
Turrétin, Bénédict Pictet et cet Alphonse Turrétin,
l'illustre représentant des doctrines de l'Ecole de Sau-
mur, qui avait pris si brillamment possession de la
chaire d'histoire récemment créée. Depuis longtemps
l'Académie n'avait jeté un aussi vif éclat. Antoine
Court pendant son séjour à Genève fut donc assuré-
dans notre dessein, a été défaire connaître d'un côté jusqu'où les excè.s
de nos ennemis étaient capables de les porter contre les fidèles qu'on pou-
vait surprendre occupés des exercices divins, et, de l'autre, la fermeté
et la constance que ces fidèles témoignaient au milieu de toutes les
souffrances auxquelles ils étaient exposés, fermeté et constance qui
n'édifiera pas moins les fidèles des siècles à venir, qu'elle affermira
dans la véritable foi ceux qui vivent aujourd'hui. »
Ailleurs, il ajoutait :
« Au reste l'auteur, étant sans étude et sans beaucoup d'expérience,
élevé d'ailleurs dans une .province où la langue française est très-
éloignée de son élégance et de sa pureté, prie les lecteurs de par-
donner la rudesse de son style e\ son irrégularité^ et d'y suppléer
par leurs lumières. »
1
L'ACADEMIE DE GENEVE 227
ment étudiant. On ne trouve pas, il est vrai, son nom
dans le Livre du J^ecteur^ ^mai^ il était permis aux étran-
gers de suivre les cours de l'Académie sans prendre d'in-
scriptions et sans laisser ainsi de traces de leur passage.
Le jeune prédicant, préoccupé de g*raves affaii^es, tou-
jours prêt d'ailleurs à partir pour la France, ne put se
décider à devenir un des élèves réguliers de l'Aca-
démie. Il suivit cependant les cours avec soin, avec la
ferme volonté de s'instruire. C'est ce qui expliquerait
comment ses correspondants de Suisse lui donnaient
dans leurs lettres le titre d'étudiant.
Dès cette époque aussi bien, un grand changement
se manifeste dans son style, et ses lettres diffèrent sin-
g'ulièrement des précédentes. Il y a abus d'épithètes,
de périphrases, de métaphores. La phrase marche dans
une harmonieuse cadence et couverte de fleurs. Ainsi
il écrit :
« L'onde bouillante poussée d'un doux zéphire qui environne
et qui assiège votre cœur, fait naître dans mon âme de grandes
espérances. »
Et encore, à propos de son départ de Genève :
« Qu'il est affligeant de voir par trois fois échouer ses des-
seins, lorsqu'on était le plus près de les remplir I L'équipage
prêt et en bon ordre, la route marquée, les vaisseaux prêts à
partir, déjà les voiles entlées, tout cela échoue, tout cela est
arrêté. Se peut-il quelque chose de plus accal)iant! Quelle peut
être la source d'un si trisio sort? O Dieu, dissi})c tous les som-
bres nuages, apaise la tcMiipête, ramène le calme, produis la
bonasse, dissipe les obstacles, et porte sur les ailes du vent de
^ V. la belle et savante édition qu'en a donné récemment M G.
Révilliodj de Genève.
228 COURT SE PROPOSE D'ÉCRIRE
ta bonne Providence celui qui gémit et soupire depuis si long-
temps dans un port si éloigné de sa chère patrie. »
En même temps, dans ses lettres, il devient plus
prodigue de recommandations; il s'érige même en
professeur de rhétorique. « Appliquez-vous à lire de
bons livres pour la pureté de la langue française,
tâchez de rendre vos idées aussi nettes que possible,
à bien exposer ensuite vos pensées, toujours avec le
moins de paroles que vous pourrez ; les longs discours
ennuient ^ . » C'est un sujet sur lequel il aime à reve-
nir; il s'y étend avec complaisance, avec tendresse. On
voit qu'il répète ce qu'il vient d'apprendre.
Antoine Court ne dut pas chercher seulement à
apprendre la langue et à former son style, il étudia
probablement encore les questions théologiques et
l'histoire. Il priait ainsi ses amis de France de lire avec
soin l'Ecriture sainte, « ce magasin d'où ils pouvaient
tirer les armes nécessaires pour combattre l'erreur et
le vice. » 11 donnait des explications des passages
bibliques et cherchait avec Pictet à dissiper l'obscurité
des mots et des phrases dont le sens lui échappait.
L'histoire paraissait surtout le captiver. Il parcourait
l'ancienne et la moderne, citait Trajan et commentait
de Bèze.
Peut-être cédait-il à ce goût naissant, quand il réso-
lut, se trouvant encore à Genève, d'écrire l'histoire des
Eglises de France. Il est vrai que Basnag'e, charmé
par l'ardeur juvénile de cette belle intelligence, l'avait
exhorté à recueillir les matériaux nécessaires à ce tra-
1 N. 7, t. I. (1721 )
L'HISTOIRE DES EGLISES DE FRANCE 229
vail. Mais la joie qu'il témoigne, en remerciant l'il-
lustre pasteur de ses encouragements, montre qu'ils
avaient été adressés à un liomme déjà bien disposé :
(i Je suis ravi que M. Benoît vive encore, et qu'il soit dans
le dessein de continuer l'histoire de l'Edit de Nantes. Cette
nouvelle m'a fait un plaisir inexprimable. A Dieu ne plaise que
je le croise dans son projet! Je continuerai cependant, selon
votre désir, l'histoire de nos Eglises et je ne manquerai de pro-
fiter des sages et judicieux avis que vous me faites l'honneur de
me donner là-dessus *. »
Dans ce commerce avec des hommes de goût et de
savoir, il s'était épris d'amour pour les choses de l'es-
prit. Peut-être n'était-ce encore qu'un amour un peu
vague, mal défini, mais il devait devenir une passion
et inspirer toute sa conduite dans la seconde partie de
sa vie. En attendant, il écoutait, il étudiait, surtout il
rêvait. La gloire de l'historien Benoît l'éblouissait.
On disait déjà de lui que sa piété, son zèle et ses lumiè-
res « édifiaient » beaucoup, et on ajoutait qu'il avait
reçu c( de beaux dons pour l'édification des églises ".»
Le jeune homme faisait en effet pressentir l'homme fait.
Genève annonçait Lausanne.
La peste cependant avait cessé de sévir et les nou-
velles de France devenaient de plus en plus rassurantes.
Les protestants réclamaient leur pasteur. Les oubliait-il ?
Ne savait-il point que l'Eglise avait besoin de son acti-
vité et de son dévouement ? Il fallut se décidera partir.
On était au milieu de l'année 1722.
AN» 7, t. I, p. 334. (1722.)
* Ibid., p. 73.
230 COUR EST INVITÉ A REVENIR EN FRANCE
Déjà, dès la fin de l'année précédente, ses collègues,
et Corteiz surtout, l'avaient instamment prié de revenir
au milieu d'eux.
u Vous voyez comme je me trouve seul. — Hormis le frère
Rouvière, le frère Deleuze, le frère Bétrine, le frère Combes,
les autres ne me donnent pas grand secours Si nous étions
deux, l'un se tiendrait en Gévennes, l'autre en bas Languedoc.
Mais il faut avouer que je suis dans un triste état^ aussi suis-je
le plus souvent pour perdre courage et sur le point de me
retirer dans un endroit*. »
MalgTé ces prières, il était resté.
te . . . Les pressantes sollicitations qui m'ont été faites à
divers temps et par différentes personnes sur mon retour sont
inutiles. Jé n'en ai pas besoin pour m'y exciter. Mon inclination
naturelle, la passion violente que j'ai pour l'intérêt de nos
Eglises et le désir ardent de me consacrer au service de mon
Sauveur sont des raisons assez fortes et assez puissantes pour
m'entraîner Cependant que les principaux d'entre vous et
des Anciens s'assemblent, et qu'après avoir jeûné et prié, il
soit délibéré à la pluralité des voix si je dois partir. Je regar-
derai votre délibération comme une vocation céleste, que je
me ferai un devoir de suivre, dès que vous m'en aurez donné
avis, fallùt-il perdre la vie. Car elle ne m'est point pré-
cieuse, pourvu que j'achève heureusement ma course, que je
m'acquitte du devoir de ma charge, et que je semelle par mes
soulTrances ou de mon sang, si la Providence m'y appelle, les
vérités que Dieu m'a fait la grâce de prêcher à son Eglise ^. »
Tl n'oubliait pas les relig-ionnaires, mais il croyait
mieux servir leurs intérêts en prolongeant son séjour à
Genève. Il voulait fortifier entre la France et la Suisse
t N" L t. II, p. 634. (1721.)
2N"7, t. I, p. 221. (1721.)
\
HÉSITATIONS, RETARDS 231
des liens que le malheur avait établis , mais dont cer-
taines préventions avaient amoindri la force. D'ailleurs
ne s'intéressait-il pas directement aux affaires de la reli-
gion ? Il avait écrit contre les partisans de Vesson et
de Hue; il avait envoyé des livres aux proposants; il
avait ordonné de maintenir l'ordre soit parmi les fidèles,
soit parmi les pasteurs; il avait, pour soutenir le zèle,
multiplié ses exhortations et adressé à toutes les épo-
ques mémorables de chaleureux appels aux Eglises.
Sa correspondance était énorme : il y avait dépensé
400 francs de port, argent de France *.
Peut-être cela même, — tant d'agitation, l'impor-
tance qu'on attachait à sa personne, son goût pour
l'étude, — le tetenait-il à Genève plutôt que d'autres
soins. On lui écrivait de tous côtés, il vivait dans
l'intimité des grandes familles, il correspondait avec
des hommes tels que Basnage, William Wake, Saurin.
Il jouait un rôle, il était un personnage.
Au mois d'août cependant, il comprit qu'il n'y avait
plus place à de nouveaux retards, et qu'il fallait quit-
ter la Suisse. Il s'arracha aux sollicitations de Pictet
qui le pressait de se fixer à Genève, et abandonna son
dessein d'aller remercier à Zurich les pasteurs qui
avaient donné tant de preuves de sympathie aux pro-
testants de France ^
Le 9 août, il prit la routé de France.
La route ordinaire était bien connue. On allait de
Genève à Lyon, de Lyon à Saint-Etienne-en-Forez, de
Saint-Etienne à Mont faucon en suivant la route du
1 N" 4(>, cah. V, et ii" 1, t. II, p. 325.
2 X" 7, t. I, p. 380.
232 DÉPART DE GENÈVE
Puy jusqu'à Saint- Jean, puis on prenait à gauche, on
gagnait Saint-Agrève qui n'était éloigné de Saint-
Jean que de trois ou quatre lieues. Corteiz avait bien
des fois fait le voyage à pied, soit pour aller en Suisse,
soit pour en revenir. — Mais le Résident de France était
informé de la présence de Court à Genève, et la tête
du prédicant était mise à prix. Il fallait prendre des
précautions. On tint conseil et on résolut que le proscrit
passerait par Paris, où il prendrait un certificat de
santé. Le départ eut lieu dans le plus grand secret.
Malgré tout, le Résident en fut bientôt averti par ses
espions ; il annonça la nouvelle à la cour qui fit aus-
sitôt écbelonner des troupes pour arrêter le voyageur
depuis Lyon jusqu'au Pont-Saint-Esprit. Ce déploie-
ment de forces était inutile. Le jeune prédicant venait
d'entrer en Provence, en passant par Toulouse. Il avait
encore une fois mis en défaut l'habileté des gouver-
neurs et des intendants ^ .
Un jour, écrivant de Genève à son collègue Roger,
Antoine Court lui disait : c< Je me suis occupé à déra-
ciner de l'esprit d'une infinité de personnes la fausse
idée qu'ils se formaient des protestants. J'ai tâché de
les leur faire envisager dans leur véritable point de
vue ^ » Il avait fait plus, il avait excité en leur faveur
une très-vive sympathie. Calandrin, le père des con-
fesseurs, était mort en 1721 , et Corteiz, en apprenant
cette douloureuse nouvelle, s'était écrié : « Dieu veuille
par son infinie miséricorde en susciter d'autres qui
l'égalent en charité ! » Ces personnes charitables
1 N" 46, cab. V.
aN» 7, t. I, p. 276. (1722.)
RESULTATS DE CE VOYAGE 233
avaient été trouvées. C'étaient les Pictet, les Vial, les
Maurice Turrétin, et les principaux réfugiés; c'était
l'archevêque de Cantorbéry, c'était encore le roi
d'Angleterre. Désormais les Eglises sous la croix ne
seraient plus aba^ndonnées à leurs seules ressources :
elles comptaient à l'étranger des amis et des défen-
seurs. En attendant le jour où la grande voix du dix-
liuitième siècle ferait entendre les premières paroles
de tolérance, des hommes inconnus, placés en tous
pa^^s et de toutes conditions, allaient employer leur
influence et leur fortune à soutenir les victimes de
la persécution.
CHAPITRE Vlli
LA DÉCLARATION DE 1724
1723-1725
En 1723, vers la fin de l'année, la situation du pro-
testantisme paraissait assez rassurante.
Bien que la politique de la cour inspirât de sé-
rieuses inquiétudes et que les dernières condamnations
des Multipliants indiquassent clairement la voie dans
laquelle elle entendait marcher, on détournait volon-
tiers les yeux des gibets de Montpellier pour les re-
poser sur le spectacle inattendu et consolant que don-
naient les religionnaires. Les résultats obtenus en huit
années à peine remplissaient de joie les meilleurs es-
prits. On regardait donc avec confiance vers l'avenir.
On prenait courage. On aimait à croire que la persé-
cution s'arrêterait d'elle-même, dès que réorganisée,
relevée, mise sur pied, la Réforme française pour-
rait montrer et opposer à la cour le nombre de ses
adhérents, leur fidélité et leurs vertus.
Il faut le dire : l'œuvre de la restauration avait un
plein succès. Lorsqu'à son retour de Genève, après
une absence de deux années, Antoine Court se mit à
parcourir le théâtre de ses derniers travaux, il fut en-
SOUMISSION DE BOYER gg&
core plus étonné de ce qu'il vit que charmé. Sans
doute bien des points laissaient encore à désirer, les
règlements étaient violés parfois, des difficultés et des
embarras se présentaient chaque jour, mais il n'y avait
plus de sérieux obstacles à redouter. Il était déjà pos-
sible de fixer la date prochaine où tous les anciens con-
vertis marcheraient d'un pas égal sous le même dra-
peau et obéiraient au même commandement.
Les deux dernières difiicultés venaient d'être dé-
nouées cette année même.
Corteiz avait, en 1721, rencontré dans les Céventies
un ancien dragon qui s'était fait prédicant. Ce dragon
était natif de Lausanne et s'appelait Boyer. Corteiz lui
avait défendu de prêcher, s'il ne s'y faisait autoriser par
les Synodes ; mais celui-ci soutenu par quelques reli-
gionnaires avait refusé d'obéir aux règlements, et il
avait fallu porter l'affaire devant Antoine Court.
« 11 est de l'intérêt de l'Eglise et du devoir de ma charge, lui
écrivit ce dernier, que tout se passe dans l'ordre, et que je prenne
garde qu'il ne se fourre parmi nous, sous prétexte de piété, de
zèle et de religion, des esprits vain s /libertins et téméraires.
J'espère, Monsieur, que vous aurez de tout autres caractères,
que l'humilité, la jjiété, la prudence et le zèle, l'amour de l'or-
dre et la charité seront vos vertus ordinaires ^ »
Il avait ainsi obtenu que Boyer fût attaché à Boni-
bonnoux, comme proposant. Boyer cependant n^avait
pas tardé à enfreindre de nouveau les règlements. Il
avait des partisans dévoués, et l'on devait craindre une
scission dans l'Eglise, si on usait contre lui de mesures
1 N' 7, t. 1, p 297.
236 SOUMISSION DES VESSONIENS
trop rig-oureuses. Antoine Court convoqua un colloque
où il réunit les mécontents, et, en leur présence, il fit
promettre à Boyer de se soumettre à la discipline éta-
blie. Il lui permit en même temps de visiter quelques
églises dont il lui donna la liste et lui annonça qu'il
serait examiné au prochain Synode pour être officielle-
ment reçu proposant * .
La seconde affaire était plus grave. Au commence-
ment de l'année, on avait appris la condamnation des
Multipliants et le supplice de Vesson. Mais quoique le
parti des Inspirés eiit singulièrement diminué depuis la
fuite et la mort de leur chef, il s'en trouvait cependant
encore qui vivaient à l'écart, en dehors de l'Eglise.
Un Synode fut assemblé où se trouvaient tous les pré-
dicants, un seul excepté, et près de cinquante Anciens.
Duplan, soupçonné par les fidèles de soutenir les In-
spirés, s'y était rendu, sur la prière de Court. Après
les préliminaires d'usage, on parla de Vesson. Le fa-
meux prédicant avait des défenseurs parmi les assis-
tants et son innocence fut chaleureusement soutenue.
Mais si l'on pouvait vanter la pureté de ses intentions,
et se faire l'avocat de ses doctrines, il était malaisé de
prétendre qu'il n'eût point troublé l'ordre, rempli d'agi-
tation les Ce venues et le bas Languedoc, refusé de se
soumettre aux règlements, et occasionné un véritable
schisme. Le débat se termina heureusement à la sa-
tisfaction de tous. Les « Vessoniens, » comme on les
appelait, s'engagèrent à signer et à faire signer une
déclaration par laquelle ils avouaient leurs torts et
» N" 7, t. I, p. 438.
PROGRES DU PROTESTANTISME 237
promettaient de n'y plus retomber. Le Synode les réin-
tégTa alors dans la paix de l'Eg-lise ^ .
Ainsi toutes les difficultés sérieuses étaient résolues,
tous les obstacles renversés. Le parti des Inspirés
était ruiné, l'ordre régnait, une piété croissante ani-
mait les protestants, et la religion proscrite, relevant
peu à peu la tète, faisait chaque jour en Languedoc et
dans le reste de la France des conquêtes nouvelles.
« Le 12 mars 1724, écrit Gorteiz, deux réformés de la paroisse
de Vais, en Yivarais, nous furent trouver pour nous exposer
que leur paroisse était environnée de paroisses papistes, mais
qu'autrefois leur paroisse formait une belle église, qu'elle avait
son temple et entretenait son pasteur; mais se trouvant depuis
longtemps sans exercice de religion, et les jeunes et les vieux
étant corrompus, si vous. Messieurs, nous faisiez la grâce de
passer chez nous, vous ne sauriez jamais faire une plus grande
charité. Ce raisonnement nous toucha, et nous partîmes ce
jour-là avec eux. Etant arrivés audit Vais, ces deux bons fidèles
se donnèrent mille soins pour former une assemblée; mais,
hélas ! à peine purent-ils trouver quarante personnes de con-
fiance. L'acte de dévotion fini, ils me prièrent de leur donner
encore un sermon, que le nombre des auditeurs augmenterait;
mais l'expérience nous ayant appris diverses fois que les en-
trées sont difficiles, nous craignîmes et pour nos personnes et
qu'on fit des prisonniers, et nous écrivîmes à nos frères du Yi-
varais, comme étant plus proches que nous, d'y faire quelques
visites. Depuis, nous avons appris avec une grande joie que
cette grande paroisse a pris courage et donne lieu aux minis-
tres du Vivarais de les visiter ^ »
L'exemple de Vais n'était pas un exemple isolé. Que
d'autres villes donnaient en ce moment même de sem-
« N° 7, 1. 1, p. 423. (1723.)
' N" 17, vol. H. Relation historique, etc.
238 ÉCOLES, MARIAGES, ASSEMBLEES
blables « marques de véritable repentir ' ! » Les con-
sistoires n'étaient déjà plus en nombre suffisant, et
il avait fallu nommer de nouveaux Anciens. On avait
même décidé que les colloques se tiendraient désor-
mais deux fois par an, dans chaque quartier, pour
examiner à la fois la conduite des Anciens qui s'acquit-
teraient mal de leur charge, et se concerter sur les
mesures les plus efficaces « pour l'extirpation des
vices et la propagation de la foi ". »
Et c'était par des faits, par des actes quotidiens, que
se montrait et se prouvait ce réveil du protestantisme.
Les religionnaires n'envoyaient plus leurs enfants
à l'école. Un curé ordonna un jour au maître d'école
de sa paroisse de conduire tous ses élèves à l'église ; le
niaître d'école promit d'obéir. Mais quel ne fut pas
son embarras, lorsqu'il voulut tenir sa promesse ! Dès
que les petits huguenots entendaient le son de la cloche,
ils se sauvaient et laissaient leur maître seul avec le
curé ^ .
Les baptêmes et les mariages au Désert devenaient
de jour en jour plus nombreux. Quoi qu'il en coûtât, on
prenait l'habitude de confier aux mains du prédicant
les actes de l'état civil.
Quant aux assemblées, elles se multipliaient. « On
me donne avis, écrivait Saint-Florentin, qu'il ne reste
plus de traces de religion dans certaines provinces ou
les curés se trouvent quelquefois seuls dans leurs
églises; que les assemblées des religionnaires sont fré-
1 K° 7, t. I, p. 425. (1723.)
2 Ihid.
^ Ihiil., p. 189. (i72h)
MORALITÉ, AUSTÉRITÉ 239
quentes et publiques ; que le signal de la cloche pour
la messe, le jour du dimanche, sert pour convoquer les
assemblées des prédicants, et que souvent le prêtre,
sortant de l'autel, eiitend de la porte de son église
chanter les psaumes de Marot * . »
Que dire de cette vie intime, toute de patience, de
dévouement et d'austérité, dont le touchant spectacle
était bien propre à fortifier le courage et la confiance
des prédicants. Ici les détails abondent, et il faut choi-
sir. « Nous l'avons déjà dit, écrit Corteiz, on ne laisse
communier personne de ceux qu'on est informé qu'ils
sont brouillés ensemble ou avec quelqu'un (^ui est à
l'assemblée, sans être réconcilié. Et en cas qu'il n'y
en ait qu'un à l'assemblée, on l'engag'e par de bonnes
et fortes raisons de prendre avec lui un ou deux An-
ciens et d'aller se réconcilier. Que s'il s'agit de par-
tage de terres, de maisons, ou connaissance de papiers
ou actes, chacune des parties intéressées prend un
homme impartial et connaissable et on s'entretient
pour la réconciliation de ces deux hommes. » « On vit
dans cette assemblée, ajoute-t-il plus loin, un nombre
considérable de réconciliations, et l'on put heureuse-
ment calmer les procès ^. » C'est un Sjaiode qui, en
pleine Régence, édicté les pviines suivantes :
« Ceux qui auront juré, l)lasphcmé le nom de Dieu, seront
condamnés à donner cinq sols pour les pauvres; ceux qui au-
ront violé, profané le jour du dimanche par jeux, dél)auches.
payeront aussi cinq sols pour les pauvres; pour toutes les pa-
roles sales ot deshonnètes, six deniers; pour chaque faute,
' Archives de l'Hérault, 2« division, paquet 89. (1721.)
2 N" 17, vol, H. Relation historique, etc.
240 PROSPERITE DE LA SITUATION
mensonge, médisance, moqueries et autres paroles condamnées
dans l'Ecriture sainte, six deniers ^ »
On apprit un jour que quelques jeunes g^ens avaient
assisté à « des fêtes votives. » Grand émoi. On s'as-
semble aussitôt, et pour arrêter le cours d'un mal aussi
dang'ereux, on ordonne de lire dans toutes les assem-
blées du Désert cet article de la discipline : « Les
danses et jeux seront réprimés; et surtout ceux qui
font état de danser ou d'assister aux fêtes votives,
après avoir été admonestés plusieurs fois, seront
excommuniés ^ » Plus tard, on connut qu'une de-
moiselle s'était permis d'aller à la comédie. « Aurait-
elle insulté de cette manière, s'écrie Court, les
souffrances de nos confesseurs et les cendres de nos
martyrs? Aurait-elle fait cette injure à notre Eglise af-
fligée? Aurait-elle donné un si mauvais exemple à
tant de personnes qui ont les yeux sur elle et qui jus-
qu'ici l'avaient reg-ardée comme un exemple de piété
et de sagesse ? Ha ! si cela était, que le ciel s'en étonne
et que la terre frémisse ^ ! »
Tant d'activité et tant de zèle, une piété si intense,
une telle austérité dans les mœurs, tout cela rapproché,
groupé, devait naturellement encourager les espérances
et faire voir sous un jour favorable la situation du
protestantisme. Antoine Court et ses collègues, ras-
surés par ce spectacle, se laissaient séduire par son
charme. Ils redoutaient la cour, sans doute; mais ils se
reposaient sur la fermeté des religionnaires. Si malgré
1 N» 17, vol. G, p. 372. Synode de 1721.
2 N» 7, t. I, p. 424. Synode de 1723.
3 N° 7, t. II, p. 345.
COLERE DU CLERGE ET DE LA COUR 241
les édits, pensaient-ils, malgré les espions, les soldats
et les intendants, ils avaient pu en moins de huit an-
nées relever une religion tombée si bas qu'on la croyait
perdue, — que ne pouvaient-ils pas entreprendre,
faire et achever, aujourd'hui que tout était en voie de
réorganisation et que plusieurs éléments de succès
étaient déjà solidement constitués!
Cette restauration du protestantisme ne pouvait ce-
pendant passer inaperçue; elle ne pouvait surtout
s'accomplir sans que le clerg'é n'employât toute son
énergie à l'entraver et à l'empêcher. En 1716 déjà,
au commencement de la Régence, il avait fait pro-
mulguer un édit pour prohiber les assemblées ; depuis
lors, il n'avait cessé de pousser le pouvoir à une impi-
toyable répression ; et quoique ses efforts n'eussent en-
core obtenu aucun succès, il n'était pas plus disposé
en 1723 qu'en 1715 à abandonner la cause pour le
triomphe de laquelle il luttait depuis tant d'années.
On a vu qu'en 1723 les assemblées tenues à Mont-
pellier chez Mademoiselle Verchand avaient été surpri-
ses ; on avait pendu, le même jour, trois prisonniers, et
bientôt après Huc-Mazel subissait le dernier supplice *.
La cour fatiguée et exaspérée espéra c< que cet exemple
contiendrait les nouveaux convertis ^. » Elle était dé-
* « Je joins, Monsieur, à. rette lettre une ordonnance de mille livres
avec l'état de la distribution pour le remboursennent de pareille
somme qui a été payée à celui qui a fait prendre le nommé Mazelet,
le Roi voulant que cela soit remboursé sur-le-champ. » Histoire de
V Eglise de Montpellier, etc., p. 369. (Mars 1723.)
■^ V. Nouvelles recherches sur la secte des MidtipUants^ etc., p. 75
I 16
242 FUITE DE DUPLAN
cidée d'ailleurs à user de mesures rigoureuses, et elle
avait ordonné qu'on agit sans liésitation, prompte-
nient.
Bernage avait trouvé dans les papiers des Multi-
pliants des pièces compromettantes. Tl connaissait les
noms des prédicants et des hommes qui avaient quel-
que influence parmi les religionnaires. Duplan fut
aussitôt poursuivi et obligée de quitter la maison pater-
nelle. Les prédicants furent en même temps prévenus
par les subdélégués de l'intendant que le roi vou-
lait bien leur faire gTâce de la vie, mais qu'ils de-
vaient se rendre « aux conditions d'être envoj^és aux
pays étrangers, dont ils ne pourraient revenir, sans
être punis de mort. » Dès que ces nouvelles furent
connues, Corteiz répondit : « J'apprends qu'on nous
offre or et argent pour nous accompagner hors de
France; soyez persuadé que ce n'est ni or ni arg*ent
qui nous fait agir, mais le pur mouvement de notre
conscience, la seule connaissance de la vérité, et la
nécessité indispensable de réveiller les consciences qui
dorment dans une malheureuse léthargie et dans une
criminelle sécurité \ » Lorsque le subdélégué .fît prier
1 V. Bullet., t. XIII, p. 286. — Ces quelques lignes étaient en post-
scriptuni à une belle et longue lettre que Corteiz envoya a M. Campre-
don, commandant en Cévennes. Voici la lettre.
«Monsieur, on m'a dit que vous promettez à tous ceux auxquels
vous parlez de mettre tout en usage pour nous livrer entre les mains
des bourreaux; mais je ne le crois pas, selon le témoignage que d'ail-
leurs on rend à votre douceur, bonté, équité naturelle. Je crois qu'on
vous fait tort de dire que vous êtes animé d'un esprit meurtrier et
sanguinaire. Il est vrai que quelques pasteurs de l'Eglise romaine, qui
sont nature'lement méchants et qui liaïsssent mortellement les pro-
testants, pourraient bien surprendre votre bonté (et votre) équité
Car, au fond, je ne puis pas comprendre que pourrait-il (y) avoir en
MENACES CONTRE LES PREDICANTS 243
Court de sortir du royaume et lui offrit la permission
de faire vendre ses biens, le jeune prédicant repoussa
la proposition avec la même fierté. « S'il était bien
connu de la cour, disait-il dans sa lettre, elle travaille-
rait au contraire à le retenir, — persuadée qu'il lui
nous qui fut capable d'attirer sur nous votre juste indignation »
Venait ici l'apologie des protestants.
«... Messieurs les prêtres, pour nous noircir auprès de votre
personne, vous disent que nous assemblons les fidèles au Désert con-
tre les ordres du Roi; mais, si c'est un crime d'assem!)ler les fidèles
dans le Désert pour y venir entendre la parole de vérité, les premiers
chrétiens qui s'assemblèrent contre les édits des Rois ont donc été
coujjabjes? Les Prophètes, les Apôtres, et le Fils de Dieu iui-mêm(?
serait digne de blâme en assemblant les fidèles dans les déserts con-
tre la volonté des gouverneurs et des magistrats?... Monsieur, ceci
demande bien d'attention; il s'agit de la gloire de Dieu et du salut
des âmes ; il serait ban de ne plus écouter ces sortes de prêtres qui
ne donnent que des conseils de violence et de cruauté, et examiner
en même temps quel dommage porterait la religion protestante en
PVance. Je ne crois pas qu'il y ait homme sage et prudent qui, pariant
sincèrement, y- puisse découvrir aucun mal; il est évident que bien
loin que la religion protestante portât coup à la splendeur du royaume
de France, elle servirait certainement à le rendre plus fort en peu-
ples, en or, en argent, plus pompeux et plus florissant. Monsieur,
vous vous êtes acquis, aussi bien que M. de Celestot, la louange et
l'estime de tout ce qu'il y a d'honnêtes gens dans votre voisinage; le
peuple vous aime et vous chérit; ils disent à votre digne louange que
vous travaillez heureusement à soutenir le droit de la veuve et la
cause de l'orphelin, que vous excitez le monde h vider leurs procès à
l'amiable. Toutes ces belles vertus seraient-elles chassées en cher-
chant à répandre le sang des fidèles? Non, je ne puis me le persua-
der.. Nous espérons. Monsieur, que vous serez touché des gens qui
croient sincèrement ce qu'ils soutiennent, et, quand notre créance
serait autant fausse comme elle est véritable, nous serions toujours
plus dignes de compassion que de haine. Soyez persuadé qjie notre
religion est de Dieu, que tant que durera (le) soleil, tant aussi durera
notre religion. L'expérience montre que dans ce royaume les massa-
cres exercés environ deux cent cinquante ans n'ont pu ctoufter du
tout la religion protestante, mais bien que ceux qui ont été les instru-
ments de la violence ont fait une fin misérable. Aujourd'hui, nous bé-
nissons Dieu de ce que nos princes sont radoucis; nous espéron- (]n<^
244 MENACES CONTRE LES PRÉDICANTS
rendait d'utiles services en lui donnant de bons su-
jets \ »
Grands dangers cependant. Les prédicants étaient
prévenus que, s'ils étaient arrêtés après le temps fixé
pour leur reddition, leur mort était certaine et le der-
nier supplice les attendait. Bernage avait fait publier
au son de trompe leurs noms et ceux de leurs collè-
gues ; mille livres étaient offertes à qui les ferait pren-
dre. Sur cette liste fatale étaient inscrits Corteiz, Du-
rand, Rouvière, Court, Bombonnoux, Gaubert et un
autre prédicant; les autres n'étaient point connus
ou ne paraissaient pas encore dignes du gibet ^. On
faisait cependant quelque différence entre ces futurs
martyrs. La tète de Corteiz «le plus dangereux de
tous » valait deux mille livres^. Celle de Court depuis
quelque temps avait renchéri. Autrefois on n'en offrait
le grand Dieu qui a fait le ciel et la terre, lequel nous adorons, ma-
nifestera notre innocence, nous donnera des jours de paix et de rafraî-
chissement. Alors nous éclaterons en actions de grâces, nous oublie-
rons tous les maux que nous avons soufferts, nous donnerons des vœux
et des supplications au ciel en faveur de tous nos bienfaiteurs du
nombre desquels nous vous tenons.
Je suis, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.
« Signé : Corteiz. »
Campredon communiqua cette lettre à Bernage, et Bernage à La
Vrillière. Celui-ci répondit :
«... Son Altesse Royale, qui est plus persuadée que jamais de la
nécessité de s'assurer de cet homme, a très-fort approuvé la promesse
qui a été faite de donner trois mille livres à celui qui en procurera
la capture. Ainsi, vous pouvez faire agir en conformité. Je mande la
même chose à M. de Rothe, qui m'en avait aussi écrit.
« Signé : La Vrillière. »
Meudon, le 12 août 1723. — JBullet., t. XIII, p. 154 et 286.
1 N° 46, cah. V.
2 N° 17, vol. G, p. 353.
3 V. Pièces et documents, n " Xll.
MENACES CONTRE LA SUISSE 245
que mille francs; la somme avait paru minime : on
l'avait portée à mille écus. M. d'Yverni d'ailleurs,
pour empêcher les erreurs et exciter le zèle, avait pris
le soin de répandre son signalement et de promettre
lui-même la récompense ^
A la même époque ^, à Genève, se passait une cu-
rieuse aventure. Bernage était convaincu que l'obsti-
nation des religionnaires à fréquenter les assemblées
était entretenue par les ministres étrangers. Il en
écrivit à la cour. La cour chargea aussitôt le Résident
de France de faire des remontrances aux MM. de Ge-
nève. « Il y avait des preuves certaines que M. Pictet
avait des correspondances avec les Réformés, qu'il leur
donnait des instructions et des conseils, qu'entre autres
choses il leur faisait entendre qu'ils pouvaient se choi-
sir des pasteurs pour prêcher et administrer les sacre-
ments dans leurs assemblées, ce qui était contraire aux
ordres du Roi. » Le Résident s'acquitta de l'ordre, et le
syndic fît comparaître Pictet devant lui. Pictet répon-
dit qu'il n'avait jamais écrit aux religionnaires, sinon
en réponse aux lettres qu'il avait reçues d'eux, que,
bien loin de les avoir exhortés à faire des assemblées,
il les en avait dissuadés, qu'il avait écrit au temps
d'Albéroni une lettre bien vue par la cour pour les
détourner de toute idée de révolte, et qu'au reste on
avait pu lui attribuer de fausses lettres. Le syndic était
convaincu. Mais, comme il fallait ménager les suscep-
tibilités de la France, il porta l'affaire devant son con-
seil, et pria la compagnie des pasteurs de lui envoyer
1 N' 46, cah. V.
2 Juillet 1723.
24G ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU CLERGÉ
quatre députés. Alors, solennellement, de manière à
ce qu'on n'en ignorât, il les engagea à se conduire à
l'égard des protestants français avec toute la modéra-
tion et la prudence possibles ^ .
Toutes ces mesures , la condamnation des Multi-
pliants, les menaces contre les prédicants, les obser-
vations du Résident de France devaient rassurer le
clergé sur les intentions de la cour. Il se rassura en
effet. On le vit bien lorsque, le 2 juin, réuni à Paris
en assemblée générale, et Louis XV ayant atteint sa
majorité, il fut admis en présence du jeune Roi. Il ne
dit pas une seule phrase sur les religionnaires. Il n'en
parla pas, n'y fît même pas allusion : son discours roula
en entier sur la piété du feu Roi, sur celle de Louis XV
et la grosse querelle théologique qui divisait le ca-
tholicisme français ^.
Deux mois cependant ne s'étaient pas écoulés depuis
la dernière harangue, que l'on reçut à Paris, de l'évê-
que d'Alais, un long mémoire sur l'état de la religion
dans les Cévennes ^ Il était navrant.
« Quelques soins que l'on ait pris depuis la révocation de
TEdit de Nantes pour détruire l'hérésie et le fanatisme dans les
Cévennes, quelques efforts qu'ayent fait, au risque même de
leur vie, les personnes qui étaient chargées de l'autorité du
Roi en Languedoc pour y étouffer l'esprit de rébellion, et quel-
que dépense que l'on ait été obligé de faire pour tâcher d'y par-
1 Archives de la vénérable Compagnie de Genève, p. 303, 304.
(Juillet 1723.)
2 V. Procès-verbal de rassemblée générale du clergé de France
en 1723.
3 Réflexions sur l'état présent de la religion dans les Cévennes
(19 août 1723.)
MÉMOIRE DE L'ÉVÊQUE D'ALAIS 247
venir, soit en construisant de nouveaux chemins dans ces
montagnes auparavant inaccessibles, soit en y établissant des
postes garnis de troupes et des commandans pour les conduire,
ou en y répandant des missionnaires zélés et en grand nombre,
soit enfin pour les frais que la guerre des Camisards a occa-
sionnés, il semble que tout cela n'a servi jusqu'à présent qu'à
diminuer ou suspendre dans les temps les progrès du mal sans
en attaquer la source, qu'il prend de nouvelles racines et devient
tous les jours plus à craindre. En sorte que l'on reconnaît avec
douleur que, dans les trois premières années, ou pour garantir
le royaume de la peste, on a été obligé de se relâcher à l'égard
des nouveaux convertis des mesures qui les tenaient dans le
devoir. 11 s'est commis plus de désordres, et l'hérésie a fait plus
de progrès que l'on n'en avoit vu jusque là depuis 35 ans.
« En effet, les assemblées qui étaient auparavant très rares et
très secrètes sont devenues si fréquentes, si publiques et si nom-
breuses, qu'il s'en est fait de plus de 3,000 personnes, qu'il s'y est
trouvé jusqu'à 400 chevaux, que l'on y administrait le baptême
et la Cène, que l'on y donnait la mission aux prédicans, et que
le chant des psaumes se faisait entendre jusque dans les villa-
ges voisins, et, quoiqu'ils sussent que le port des armes rendait
leurs assemblées encore plus criminelles, il ne s'en est presque
presque point fait où il ne se soit trouvé un nombre de gens
armés pour favoriser la retraite en cas de surprise.
« Nos églises qu'ils fréquentoient autrefois, du moins par
respect humain, sont maintenant abandonnées ; il y a de gros-
ses paroisses où à peine se trouve- t-il un catholique pour servir
les curés dans leur ministère. Les pères et mères cessent d'en-
voyer leurs enfans à nos écoles, aimant mieux les laisser vivre
dans l'ignorance absolue de la religion et de tout devoir que de
les livrer quelques mois à nos instructions. Ceux que nous
avons élevés avec grand soin dans la doctrine de l'Eghse tom-
bent bientôt dans l'erreur et succombent aux caresses ou aux
mauvais traitemens de leurs parens. Il y a parmi eux des zélés
uniquement occupés à détruire le bien que nous tachons d'éta-
blir. Go sont eux qui arrangent les mariages pour éviter les
alliances avec les familles des anciens catholiques, qui vont
248 MÉMOIRE DE L'ÉVÊQUE D'ALAIS
dans les maisons expliquer l'Ecriture sainte dont ils font sou-
vent des applications très dangereuses ; ils y font la prière et
récitent les sermons de leurs ministres; ce sont les mêmes
gens qui s'emparent de la chambre des mourants, et souvent
de ceux qui nous avaient donné quelque espérance de retour et
qui nous en font refuser l'entrée.
« Il commence même à se trouver des familles qui se dis-
pensent d'envoyer baptiser leurs enfans à l'église; il y en a
déjà eu des exemples dans le diocèse d'Alais ; et il a paru dans
les papiers de Mazelet que le sentiment de ne plus recevoir le
baptême à l'église ni la bénédiction du mariage s'accréditait
parmi eux et devenait celui du plus grand nombre de leurs pré-
dicants. La facilité avec laquelle ils reçoivent dans leurs assem-
blées et à leurs prières ceux qui vivent dans un concubinage
public en est une forte preuve.
« On s'est aperçu depuis peu d'années qu'un grand nombre
de nouveaux convertis, qui avaient paru revenir sincèrement et
avaient persévéré très longtemps dans la foi catholique, ont
tout d'un coup cessé de fréquenter nos églises et se sont replon-
gés dans l'erreur et dans le désordre.
« Mais ce qui nous touche le plus vivement et qui peut avoir
de très fâcheuses suites, c'est la chute d'anciens catholiques
qui se pervertissent. 11 n'y a presque point de ville, ni de vil-
lage, où on n'en voye de tristes exemples, et le nombre en
augmente tous les jours.
« Quoique la levée des lignes ait ôté aux huguenots les moyens
de faire impunément des assemblées aussi nombreuses que
celles qu'ils ont faites dans le temps de la peste, ils ne laissent
pas d'en former tous les jours qui tiennent sans cesse les trou-
pes en haleine, le supplice des fanatiques de Montpellier et
celui de Mazelet n'ayant fait sur eux qu'une faible impression.
« Tant de désordres, après quarante ans de travaux et de
soins des plus habiles hommes du dernier règne et au milieu
d'une paix solide et générale, font craindre avec justice de très
grands maux par la suite, et font sentir la nécessité de prendre
des partis décidés.
a Gomme il n'est point de notre ministère de les proposer,
MÉMOIRE DE L'ÉVÊQUE D'ALAIS 249
nous nous contenterons d'indiquer ce qui nous paraît mériter
le plus d'attention de la part de la cour.
« Les prédicants sont sans doute le premier objet; mais comme
ils prennent de grandes précautions pour n'être pas reconnus
et qu'il est rare que ces gens là les trahissent, ce n'est guères
que par ceux qui ont coutume de les loger que l'on peut être
instruit de leurs marches. C'est donc à ces receleurs, à leurs
familles, et à tout ce qui les fréquente que l'on doit prendre
garde de préférence.
« Les livres de Genève contre la religion cathohque se sont
multipliés à l'infini; il s'en débite une grande quantité dans
les foires; il y a partout des gens qui font métier d'en répandre
dans les maisons ; il est important d'arrêter ce débit et de tâcher
même de retirer ceux qui sont entre leurs mains, quoique les
moyens en soient difficiles.
« 11 est notoire qu'ils ont travaillé à établir dans chaque lieu
une sorte de ministère public, par la considération où paraissent
être parmi eux ceux qui se mêlent d'instruire dans les maisons.
Ils sont plus à craindre que les prédicants, parce que ce sont eux
qui sont reçus chez les riches et qui entretiennent les gens aisés
dans l'éloignement de notre religion. Ils sont l'âme de toute l'in-
trigue et ont des relations partout, même dans les pays étran-
gers. Il y en a d'autres qui travaillent sous leurs ordres et leur
obéissent aveuglément; rien n'est si dangereux que ces deux
espèces de gens, étonne craindra pas de dire qu'il paraîtnécessaire
d'éloigner ceux que l'on connaît pour toujours de la province.
« Les anciens catholiques nouvellement pervertis sont d'un
trop pernicieux exemple pour n'y pas faire une attention parti-
culière; il y en a peu d'aisés dans ce cas, si ce n'est quelques
femmes qui ont passé dans des familles huguenotes, mais il y
a beaucoup de domestiques, d'ouvriers et de pauvres qui ont eu
le malheur de succomber.
«< Il parait encore absolument nécessaire d'obliger les pères et
mères, sous des peines considérables, d'envoyer leurs enfans
à nos écoles et à nos catéchismes.
« Il est également important d'obliger tous les nouveaux con-
vertis d'assister aux prières, et aux sermons, et aux instructions
250 CONDUITE DE LA COUR DEPUIS 1715
publiques. Il y a beaucoup de familles, même des plus appa-
rentes, qui depuis plusieurs années n'ont pas mis une seule
fois le pied à l'église ; cette contrainte, (juil ne faut cependant
pas étendre plus loin, serait salutaire à un grand nombre; et
nous sommes presque sûrs de les ramener, lorsque nous aurons
gagné sur eux de nous entendre et de surmonter la crainte des
reprocbes et des menaces de la part de ceux de leur religion V »
Tous ces détails que donnait l'évèque d'Alais sur la
situation du protestantisme dans les Cévennes étaient
déjàconnus de la cour\ Bâville,Eoquelaure et Bernag-e
l'en avaient depuis long'temps informée. Et si elle sa-
vait quel était le mal, elle savait aussi quelle en était
l'étendue. Ce n'était pas dans les Cévennes seulement
que les protestants s'agitaient, c'était dans le Langue-
doc entier, en Dauphiné, en Guyenne, en Saintonge,
= dans le Poitou, en Picardie, et jusqu'en Bretagne.
Comme l'évèque d'Alais, elle était vivement préoccupée
parleurs mouvements; comme lui, elle chercliait les
moyens de les faire définitivement cesser. Depuis 1715,
elle y travaillait sans relâche. Emprisonnements, amen-
des, galères, elle avait tout employé ; n'était-ce point
hier qu'elle avait fait mettre à mort à Montpelher les
malheureux qui s'étaient permis de braver ses dernières
ordonnances. Le protestantisme cependant continuait
dans l'ombre, avec opiniâtreté, son œuvre; et c'était
1 Bibliothèque nationale, Mss n" 7046, p. 40. (Août 1723.)
"^ On y prêta cependant grande attention. On lit à la fin du manus-
crit : « Il a été délibéré, dans le conseil des affaires ecclésiastiques
du 19 août 1723, que le présent mémoire serait envoyé à M. le pro-
cureur général du parlement de Paris pour avoir son avis.
« Signé : l'Evêque de Nantes.
« Eci'it et envoyé au double dudit mémoire, le 25 août 1723. »
ELLE PRÉPARE UNE DÉCLARATION 251
MU lendemain d'une quadruple exécution capitale, au
moment même où elle le croyait dans la terreur, qu'un
évêque venait à elle et lui dénonçait l'inanité de ses
mesures et la vanité de sa répression!... Engag-ée
malgré tout, autant par honneur que par intérêt, à ter-
miner glorieusement l'entreprise qu'avait commencée
Louis XIV, poussée par le clergé qui avait la direction
des affaires religieuses, elle ne pouvait ni ne voulait
revenir sur ses actes ; elle se proposait bien plutôt d'ap-
pliquer avec une fermeté et une sévérité croissante ce
qu'elle avait décidé. Le moment était décisif.
« La mort du feu Roi, dit Joly de Fleury, suivit de trop près
les traités de paix de 1713 et 1714, pour réprimer les excès des
religionnaires du Languedoc. Les liaisons que M. le Régent
prit avec les Anglais, releva leur courage. Ils publiaient dans
tout le royaume que l'exercice de la R. P. R. allait être per-
mis... On songea alors à y remédier par une loi qui renferme-
rait la disposition de plus de deux cents édits, déclarations ou
arrêts qui étaient presque ignorés. M. le chancelier d'Agues-
seau y travailla. Son séjour à Fresne suspendit l'ouvrage : on
en reparla à son retour.
« Pendant le ministère du cardinal Dubois, on reçut des nou-
velles de la Guyenne, de la Saintonge, du Languedoc où les
religionnaires s'asseml)laient et méprisaient les lois du royaume
surtout relativement aux baptêmes ou aux mariages ^ »
La Régence avait en effet ordonné, depuis 1716, une
enquête générale sur la situation du protestantisme et
s'était fait adresser, sur les questions dont la solution la
préoccupait, des rapports détaillés par les hommes les
plus compétents en cette matière '. On en possède en-
* Bibliothèque nationale. Mss. n« 7046, p. 212.
2 Nous insistons ]\ dessein et nous tenons à donner toutes les preu-
252 ENQUÊTE GÉNÉRALE
core un résumé ; et ce résumé, bien qu'incomplet, ne
laisse pas d'offrir quelque intérêt ^ .
Quatre sujets y sont traités : les relaps, le retour
des réfugiés en France, l'éducation des enfants, la cé-
lébration des mariages.
Des relaps et du retour des réfugiés, il est inutile de
parler ici : le rapporteur ne disait rien qui n'eût été
déjà dit. — Quant à l'éducation des enfants :
« 11 est très-bon, écrivait-il, de renouveler les dispositions de
la déclaration -du 13 décembre 1698, mais il semble qu'il faut
aller plus loin et trouver les moyens de la faire exécuter. Rien
n'est si important que l'éducation de ces enfants, et, l'on peut
dire, rien de plus négligé. Ceux qui ne veulent pas les envoyer
demeurent dans l'impunité; les curés n'ont aucune attention
pour déclarer aux juges ceux qui y manquent : ils ont sur cela
le même principe que sur les relaps, que pareille dénonciation qui
doit produire une amende les rend haïssables et les mettent hors
d'état de pouvoir convertir les pères. Il y a beaucoup de négli-
gence dans la plupart, et peu de zèle dans les juges et les pro-
cureurs du Roi. 11 semble même que cet article est un peu trop
négligé de la part des évêques qui n'entrent sur cela dans au-
cun détail. Il arrive décela que tous les enfants, sans éducation
pour aucune religion, deviendront les plus méchantes gens du
monde, et également pernicieux pour la religion et pour l'Etat. »
ves que nous avons entre les mains. Il importe que la responsabilité
de la déclaration de 1724 remonte à qui de droit.
1 Bibliothèque nationale, Mss. n°7046, p. 44.— En tête du mémoire
Rulhière a écrit : «Une lecture attentive de cette pièce prouve qu'elle
contient un résumé des différents mémoires composés pour rendre la
déclaration de 1724. (J'en ai trouvé l'original dans le manuscrit de
M. le chancelier d'Aguesseau.) Cependant le premier mémoire ici à
côté, concernant les relaps, paraît fait avant 1715, puisque dans l'é-
numération des lois sur ce sujet, il ne cite que les trois précédentes
et ne fait pas mention de celle-là.— Ce mémoire m'a paru de la même
main dont le sont presque tous ceux de M. de Bâville. »
MORT DU DUC D'ORLÉANS 253
Et sur la grosse question des mariages, le rappor-
teur, après avoir constaté les fâcheuses proportions
que le mal tendait à prendre, après avoir reg-retté que
les- évêques ne voulussent pas fixer sur la durée et la
forme des épreuves des mesures uniformes :
« Gomme cette décision, ajoutait-il, pourrait durer longtemps
par la diversité d'avis, et même par la difficulté que plusieurs
forment de se soumettre à la décision, chacun prétendant devoir
suivre en ce point ses lumières particulières, il serait bon de
leur en écrire; mais il ne faudrait pas diffère?' la Déclaration
sur ce prétexte, qui ne peut paraître trop tôt. On pourrait ré-
server la décision de ces questions pour une autre Déclaration
ou en faire la matière d'une instruction, sans en faire une loi. »
îl est ainsi manifeste que la Régence s'était proposé
et avait décidé de promulguer une nouvelle Décla-
ration contre le protestantisme, qu'elle en avait préparé
les matériaux, et qu'elle était prête vers la fin de
l'année 1723 à la faire enregistrer par le parlement.
Mais Dubois et le duc d'Orléans moururent subite-
ment l'uii après l'autre, dans l'intervalle de quelques
mois ; tout fut renvoyé.
« Après la mort de Louis XIV, dit l'auteur anonyme d'un
mémoire important S les religionnaires répandirent le bruit
qu'on devait leur permettre l'exercice public de leur religion.
S. A. R. Mgr le duc d'Orléans , pour faire cesser la vaine
espérance dont se flattaient les religionnaires et faire exécu-
ter les Déclarations du feu Roi concernant la révocation de
l'Edit de Nantes, fit travailler par des personnes habiles et
1 Bibliothèque nationale, Mss. n" 7046, p. 43. — On lit en tête du
mémoire : « . . . Extrait d'un mémoire intitulé : Mémoire histori-
que des Edits et Déclarations^ etc.. Ce mémoire est bien fait, mais
on en ignore l'auteur... »
254 LE DUC DE BOURBON ET FLEURY
éclairées un projet d'une nouvelle Déclaration. Ce prince mou
rut avant que d'avoir pu exécuter ce qu'il avait projeté sur cette
importante aftaire... «
La mort du duc d'Orléans ne devait pas arrêter le
clergé dans la poursuite et l'application de ses des-
seins. Au mois de janvier, le gouverneur d'une petite
place des Cévennes, rencontrant par hasard un reli-
gionnaire, lui dit « que les affaires allaient clianger
de face, et qu'on ne devait plus s'attendre à autant
de douceur qu'on en avait goûtée sous la Rég*ence ^»
Antoine Court connut le propos et ne s'en émut pas.
C'était, pensa-t-il, pour intimider les protestants. Ce
gouverneur cependant ne faisait pas de vaines me-
naces. S'il n'avait pas encore reçu des ordres de la
cour, il connaissait les événements qui s'y étaient suc-
cédé, et prévoyait bien quelles en seraient les con-
séquences pour les religionnaires.
Le duc de Bourbon, « cette g-lorieuse nullité, » avait
été nommé premier ministre, et l'évêque de Fréjus,
Fleury, qui l'avait fait nommer, lui laissant les appa-
rences du pouvoir, s'était emparé sous son nom de la
complète direction des affaires. Fleury avait fait ses
études cliez les Jésuites ; et les Jésuites avaient fait
de lui un personnage. Malgré Louis XIV, ils l'avaient
fait précepteur du futur roi. Ils n'avaient attaché à
cette subite élévation qu'une condition : c'était de re-
cevoir pour confesseur Pollet. Ce confesseur « était un
cuistre, un mouchard, et un saint, fort sincère, zélé
jusqu'au crime. Quand on viola Port-Royal , qu'on
1 N"?, t, I, |v 439. (1724.)
i
REPRISE DU PROJET DE DECLARATION 255
brisa les cercueils, la police frémit elle-même, mais
n'osa reculer, se voyant reg'ardée par une autre police,
ce sauvag-e et cruel Pollet^)) Les Jésuites gouver-
naient Pollet, PoUet Fleury, et Fleur}^ le duc de Bour-
bon. Louis XV n'était qu'un enfant. Comme sous le
feu Roi, la France était tombée entre les mains du
clerg'é^.
« On suivit le plan, dit l'auteur anonyme de l'important mé-
moire déjà cité, sur lequel (le duc d'Orléans) avait fait travailler.
Le projet de déclaration contenait ce qui regardait l'exercice
de la religion et l'administration des biens des religionnaires.
Ce projet fut communiqué à M. de Bdville, conseiller d'Etat.
M. de Tressan, archevêque de Rouen, eut ordre de le lui porter et
d'en conférer avec lui. Les lumières de ce magistrat et sa grande
capacité, la part qu'il avait eue à tout ce qui s'était passé depuis
la révocation de l'Edit de Nantes, le mettaient en état de pren-
dre une décision juste par rapport à ce qui pouvait regarder
ceux de la R. P. R. Il fut d'avis d'ôter de la Déclaration tout ce
qui pouvait avoir rapport à l'administration des biens des reli-
gionnaires réfugiés. C'est donc par sa main et quasi sous ses
yeuxqu'aété rédigée et dressée la Déclaration de 1724, laquelle
n'a fait que rappeler les articles des précédents édits et a dimi-
nué même, dans l'article des relaps, la sévérité des peines pro-
noncées contre eux^. »
- Histoire de France : Loiila X T', par M. Michelet, p. 5 et G.
^ Deux ans plus tard, en 1726, un abbé Robert, de Nîmes, dont il
sera question plus loin, écrivant directement à Fleury, lui disait :
«... Il semble qu'il est temps de désabuser les N. C. de pouvoir
perpétuer le calvinisme en France, que Je feu Roi avait interdit par
la révocation de PEdit de Nantes, et dont le Roi régnant a maintenu
les déclarations par celle qu'il a fait publier au commencement de
son règne... Le cœur du Roi est entre iws mains^ comme dans les
mains de Dieu, et Ton ne saurait douter qu'il ne se porte à tout le
bien que vous voudrez lui in5j»irer... » Bibliothèque nationale,. Mss.
n" 7046, p. 54.
8 Bibliothèque nationale, Mss. n" 7046, p. 43.
256 DÉCLARATION DE 1724
Joly de Fleury confirme ces lignes dans son fa-
meux mémoire de 1752 : « On reprit le système d'une
nouvelle loi après la mort de M. le duc d'Orléans. Le
projet fut consommé par' la déclaration de 1724 \ »
Donc, au mois de mai 1724, tandis que les reli-
gionnaires du Languedoc et des autres provinces du
royaume , tout entiers aux rêves d'une restaura-
tion prochaine, aimaient à se persuader et à dire
qu'une ère de paix allait s'ouvrir et que le nouveau
Roi se disposait, comme don de joyeux avènement, à
promulguer un édit de tolérance, — tout à coup,
dans toutes les villes, bourgs et villages, on entendit
et l'on vit crier et afficher une Déclaration, en date du
14, qui commençait par ces mots :
« De tous les grands desseins que le feu Roi, notre très ho-
noré seigneur et bisaïeul a formés dans le cours de son règne,
il n'y en a point que nous ayons plus à cœur de suivre et d'exé-
cuter que celui qu'il avait conçu d'éteindre entièrement l'hérésie
dans son royaume, à quoi il a donné une application infatiga-
ble jusqu'au dernier moment de sa vie. Dans la vue de soutenir
un ouvrage si digne de son zèle et de sa piété, aussitôt que
nous sommes parvenu à la majorité, notre premier soin a été
de nous faire représenter les édits, déclarations et arrêts du
conseil qui ont été rendus sur ce sujet, pour en renouveler les
dispositions et enjoindre à tous nos officiers de les faire obser-
ver avec la dernière exactitude ^. . . «
Défense était faite, sous peine de galères perpé-
1 Bibliothèque nationale, Mss. n° 7046, p. 212. Dans le même mé-
moire (p. 227) Joly de Fleury précise :« Quand on commença, en 1716,
de formerun projet pour renfermer les dispositions des précédents édits
dans une même loi, on fit un mémoire de questions qui furent com-
muniquées à M. de Bâville sur le sujet des mariages. »
* V. Pièces et documents, n° XIIL.
DÉCLARATION DE 1724 257
tuelles contre les hommes, de prison contre les femmes,
et (le confiscation des biens, de faire profession d'aucune
autre religion que de la religion catholique. — Ordre
était donné de livrer et de mettre à mort les prédi-
cants. — Ordre, sous peine d'amende ou de plus grandes
])eines, de faire baptiser dans les vingt-quatre heures
les enfants par les curés. — Défense d'envoyer les en-
fants hors du royaume, sous peine de six mille livres
d'amende par an. — Ordre d'établir des maîtres et des
maîtresses d'école dans toutes les paroisses qui en
étaient privées, de conduire les écoliers à la messe, et
de leur enseigner les principaux mystères de la reli-
gion catholique. — Ordre d'envoyer les enfants aux
écoles et aux catéchismes jusqu'à l'âge de quatorze
ans, sous peine d'amende. — Ordre aux médecins, apo-
thicaires et chirurgiens de prévenir les curés, lorsque
leurs malades seraient en danger de mort, et aux pa-
rents d'introduire les curés — seuls — auprès des ma-
lades. — Ordre de faire le procès à la mémoire de ceux
({ui, pendant leur maladie, auraient déclaré vouloir
mourir dans la religion prétendue réformée, et, s'ils ve-
naient à recouvrer la santé, de les bannir à perpétuité,
en confîscant leurs biens. — Défense aux religionnaires^
sous peine de galères ou de prison, d'exhorter leurs
frères malades et en danger de mort. — Interdiction
des charges publiques aux hérétiques. — Ordre d'ob-
server dans les mariages les solennités prescrites par
les saints canons. — Défense de se marier en pays
étrangers, et peine des galères contre les parents, tu-
teurs ou curateurs (|ui permettraient à leurs enfants
d'enfreindre la défense. — Ordre enfin d'employer les
I 17
258 QUEL EST L'AUTEUR DE LA DECLARATION ?
amendes et les biens confisqués à l'entretien des nou-
veaux convertis nécessiteux ^
Tel était le contenu de cette fameuse Déclaration '.
Qui en avait été l'instigateur, et qui l'avait rédigée?
Etait-ce le duc d'Orléans, Bâville, Lavergne de Tres-
san; était-ce encore Fleury, le duc de Bourbon ou
Pollet? Le clergé, comme on l'affirme, n'y avait-il eu
nulle part, non plus que les intendants ^ ? Etait-elle
une manœuvre de parti, ou réellement une machine
de guerre contre le protestantisme?... L'exposé des
faits, qui précédèrent la Déclaration, ne peut laisser
subsister aucun doute.
Malesherbes, cependant, est assez tenté d'affirmer
qu'elle avait été conçue exclusivement dans un but
politique, et que le principal auteur en était un pro-
cureur général du parlement de Paris, le célèbre Joly
de Fleury \ D'après lui, la question des mariages en
eut été l'occasion et la principale cause ^*
* Recueil des Edits^ Déclarations, etc. (14 mai 1724.)
2 « Le dernier état de la législation et des règlements sur laR. P. H.
et sur les religionnaires, devait dire Gilbert des Voisins, se trouve
dans la déclaration du 14 mai, qui en a été comme la consommation. »
(Bibliothèque nationale, Mss. n° 7047, p. 393.) L'abbé de Caveirac de-
vait rappeler«]e chef-d'œuvre de la politique chrétienne et humaine, i^
Apologie de Louis XIV et de son conseil sur la ^'évocation de l'E^
dit de Nantes, p. 448. (1758.)
* Eclaircissements historiques sur les causes de la révocation
de VEdit de Nantes et sur Vctat des protestants de France, par
Rulhière, p. 154. (1788.)
* Joly de Fleury était né en 1675; il mourut en 1756. Il avait été
nommé procureur général du parlement de Paris en 1717, en rem-
placement de d'Aguesseau.
^ De fait, un auteur anonyme remarque que la déclaration de 1724 fu!
lapremière qui attaqua les religionnaires dans leur état civil, et qui,
outre les prohibitions et les peines, s'expliqua bien clairement sur l'illé-
gitimité de leurs unions.— Bibliothèque nationale, Mss. n" 7047, p. 638.
EXPLICATIONS DE MALESHERBES ^59
« Rappelons-nous l'époque de 1724, où le ministère, d'après
l'impulsion dos règnes do Louis XIII et de Louis XIV voulait
faire montre, en apparence, de protéger la religion, mais où le
ministre, M. le Duc, n'était rien moins que dévot, et où on
prévoyait le règne d'un jeune Roi qui vraisemblablement, ainsi
que les autres, serait pendant longtemps plus conduit par des
maîtresses que par des confesseurs...
« La déclaration de I72'i étant rendue, enregistrée sans ré-
clamation, ainsi devenue loi de l'Etat, et les protestants se sou-
mettant à se marier dans l'Eglise, pourvu que l'Eglise voulût
Itien les y admettre sans les tourmenter, il est certain que le
malheur de la bâtardise ne pouvait arriver que parce qu'il y
aurait quelques évoques qui les tourmenteraient, ou par le refus
définitif de marier ceux qui seraient notamment reconnus polir
protestants, ou par la tyrannie des longues épreuves.
(( L'auteur de la déclaration de 1724 n'ignorait pas qu'il y avait
(juelques évoques, soit ceux de l'ancien système du cardinal de
Noailles, soit ceux qui par une politique abominable voulaient
fonder leur despotisme sur le refus du mariage, qui dès lors se
disposaient à se l'endre les maîtres d'accorder ou de refuser
C(Hto faveur.
« L'auteur de la déclaration le savait et en était enchanté.
« Il se préparait à prouver que les évêques étaient l'unique
cause des troubles, qu'ils étaient réfractaires à une déclaration
rendue par le Roi, approuvée par le clergé entier, enregistrée
dans tous les parlements, et à proposer, pour forcer les évêques
TiUiatiques, factieux et rebelles, tout ce que vous voyez proposé
|)ar M. J(oly) de F(leury), dans son mémoire de 1752. Voilà le
vrai secret de la politique de l'auteur de la déclaration de 1724,
qui était un homme très-conséquent, quoique sa déclaration fût
inconséquente.
u Malheureusement, il n'avait pas prévu que, deux ans après,
d y aurait un premitn' ministre cardinal, pendant seize ou dix-
sept ans, ([ui ne consentirait jamais que la justice temporelle fit
la loi au clergé sur l'administration des sacrements, et que, de-
260 EXI'LICATIUNS DE MALESHERBES
puis ce j)remier ministre, le Roi serait toujours fidèle à ses pro-
messes sur cet objets.. »
Ces lignes étaient adressées à Rulliière, et le sens
eu est bien clair ^ Maleslierbes croit que la Déclara-
^ Bibliothèque nationale, Mss. u" 7047, p. 650. Développement du
système politique de l'auteur de la déclaration de 1724.
2 A ce mémoire était jointe une lettre contidentielle ti'ès-cui'ieuse
de Maleslierbes à Rulhière, oii il insistait de nouveau, revenait à
la charge. La voici :
« Lettre de M. de Maleslierbes, servant d'envoi au mémoire ci-joint
sur la déclaration de 1724, qu'il a composé à la suite d'une discus-
sion que j'eus avec lui sur cette déclaration. J'ai dit mon avis sur ce
sujet dans mes Eclaircissements historiques. » (Note de Rulhière.)
« Je suis parfaitement de votre avis, Monsieur, sur ce que la per-
sécution proprement dite, c'est-à-dire les procédures criminelles, n'é-
taient pas du goût du cardinal de Fleury. Mais votre observation,
que je trouve très-juste, me prouve encore plus que la déclaration
de 1724 n'a pas été rendue dans l'intention de rendre ces procédures
communes. Le cardinal de FJeury était au conseil en 1724. M. le Duc
ne travaillait avec le Roi qu'en sa présence, nous l'avons vu dans les
mémoires de Villars.
« Avec sa modestie politique, il évitait de paraître influer sur les
grandes affaires d'Etat; mais sur celles de la religion, auxquelles il
croyait devoir être attaché en sa qualité d'évêque, on se concertait
sûrement avec lui.
« Je crois qu à i)résent que vous avez vu le mémoire de M. Joly de
Fleury, vous ne doutez pas que ce ne soit fort de son gré que cette
déclaration fut rendue.
« Les dispositions menaçantes de la déclaration furent regardées
comme ce que nous nommons lois comminatoires. M. de Fleury et en
général tous les procureurs généraux et tous les magistrats intrigants
sont grands partisans des lois comminatoires. Il n'y a que celles-là
qui leur donnent de la puissance, parce qu'ils sont maîtres de Jes faire
exécuter ou non. Il n'y a aucun plaisir pour eux d'être juges, quand
ils sont obligés de rendre une loi stricte, au lieu qu'il y a à négocier
tous les jours avec eux pour l'exécution d'une loi comminatoire. C'est
ce qui fait d'un procureur général du parlement de Paris une puis-
sance aussi redoutable que celle d'un ministre. Il y a longtemps que
je le sais, et j'ai eu sur les lois comminatoires plus d'une dispute
surtout avec M. Pasquier qui, de tous les magistrats despotes, était
celui qui se déboutonnait le plus.
« Je voudrais que tous les ministres qui ont à se mêler de législation
EXPLICATIONS DE MALESIIERBES 261
tion couvrait c( une embûche, » et « qu'elle n'était qu'une
espèce d'arsenal pour foudroyer quelque jour tout le
corps du clerg'é. » Le but réel, immédiat, de la Décla-
ration n'était pas, d'après lui, la conversion plus ou
moins sincère des religionnaires ; elle cachait sous ses
inconséquences apparentes le projet de soumettre un
jour le clergé aux parlements, et de l'y soumettre dans
fassent l)ien pénétrés de cette vérité qui doit les mettre en garde contre
toute la classe des magistrats qui conspirent (?) eavec le gouvernement,
« M. Joly deFleury remplit ou crut remjjlir plusieursvues à lafois jiar
la déclaration de 1724 : 1" cellede tenir tous les protestants du ressort du
parlement de Paris sous la main du procureur général, par la crainte
des dispositions comminatoires, qu'on lérnit seulement exécuter
(comme on l'a fait) une jurisprudence tous les dix ans, pour qu'on les
craignît toujours; 2" son système, qui était celui de tous les dévots
ou de ceux qui se donnaient i)0ur tels depuis 1685, qui était de laisser
oublier le nom de protestants en ne laissant aucune différence avec
eux et les catholiques dans les actes extérieurs; 3" l'espérance secrète
que, si quelqu'un des évêques, qui consentiraient à adopter le nouveau
système, imaginaient de refuser le sacrement de mariage, ce serait
une heureuse occasion de les y contraindre par la puissance séculière.
« Je crois qu'il ne fit pas confidence de cette troisième vue au car-
dinal de Fieury, le champion du clergé; mais vous la voyez claire-
ment dans son mémoire de 1752, et vous voyez toutes ses recherches
faites d'avance, car il n'eut pas sûrement le temps de les faire,
quand on lui demanda son mémoire. Vous y voyez que, comme le roi
de Prusse et l'empereur, il tenait (?) ses forces sur pied pour les faire
marcher dans le moment de la guerre, et en effet, cette artillerie
qui ne servit pns eu 1752, pour l'affaire des protestants, est celle qu'on
employa, deux ans après, dans l'affaire des jansénistes.
« Je n'écrirai pas cela en termes tout aussi clairs dans le mémoire,
mais, entre vous et moi, c'est là tout le secret de la déclaration de
1724.
« (Nota.) Dans le passage que vous avez remarqué, il ne parle pas
de révoquer la loi contre les relaps, mais d'employer la prudence à
ne la pas faire exécuter.
« Il .s'oppose aux actes de violence, c'est-à-dire à ceux dont
Je crois qu'ils lui répugnaient, et il n'est pas possible qu'ils ne répu-
gnent à tout homme élevé dans la loi La grande persécution
n'est pns favorable :i la puissance de la magistrature, elle entraîne la
2(52 RÉFUTATION DE RULHIÈRE
le point le plus sensible : T administration des sacre-
ments, espérant bien, par nne extension du même prin-
cipe, forcer les deux partis qui divisaient l'Eglise de
France, l'un à marier les protestants, sans épreuves, et
l'autre à donner la commnnion aux jansénistes, sans
examen.
L'explication est curieuse, mais il est impossible
de l'accepter. Rulhière, qui eut bien des documents
entre les mains, la repousse énergiquement.
ce Lavergnecle Tressan, dit-il, issu cV aïeux calvinistes etaumù-
nier du Régent, était devenu, par la faveur de ce prince, évêque
de Nantes et secrétaire du conseil de conscience... Dès qu'il se
vit membre d'un conseil, la vanité de faire, l'ambition de parve-
nir et l'exemple de Bissy qiii avait conquis la pourpre par la
ouerre du jansénisme, le décidèrent à tenter la fortune dans
k persécution des protestants; et il s'y porta sans ordre, sans
piété, sans passion, avec le calme d'un entrepreneur qm re-
prend les travaux d'une mine délaissée.
u Mais il lui fut plus facile de compiler quelques lois anciennes
que de les faire consacrer de nouveau par l'autorité. Dubois re-
poussa son plan avec le brusque mépris dont il payait tous les
novateurs. Après la mort de ce ministre, Tressan sollicita sans
révolte, et, quand il y a révolte (?), les exécutions militaires et com-
missions du conseil pour juger prévôtalement les coupables ; mais c est
ia petite persécution, celle de menacer les parents d'un protestant qui
est mort en déclarant qu'il persiste, de faire poursuivre sa mémoire
et de confisquer ses biens pour se laisser ensuite fléchir aux prières
de la famille et ne pas poursuivre, celle de forcer ceux qui ont fait un
mariage caché k venir le réhabiliter dans l'église, h quoi il n'est pas
impossible de les amener, quand on est sûr que l'Eglise les recevra, et
aujourd'hui celle de pouvoir demander aux enfants de produire l'acte
de célébration de mariage de leur père, en se réservant de n'user de
ce droit que quand on le voudra,- c'est, dis-je, cette petite persécution
qui ne produit pas tout à fait la révolte et amuse le magistrat.
« Je vous prie de jeter cette lettre au feu. »
l3il)liothèquo nationale, Mss. u" 7047, p. 04.").
RÉFUTATION DE EULHIÈRE] ^63
fruit lo duc d'Orléans. La paresse et la bonté de ce prince répu-
gnèrent également au rôle de persécuteur que lui proposait son
aumônier, c'est-à-dire l'homme qu'il avait coutume de regarder
comme le plus inutile de ses serviteurs.
u Mais quand sous le gouvernement de M. lo Duc, la puis-
sance législative fut mise au pillage, l'obstiné prélat fit adopter
ce rebut de la Régence, sans mémoire, sans examen, comme
un hommage au feu Roi et une simple formule d'exécution. La
foudre étant ainsi allumée, il engagea M. de Bdville à en diri-
ger les coups. Le vieillard expirait; mais sa force sembla re-
naître pour une tiiche si conforme aux passions de sa vie. L'in-
struction secrète qu'il dressa pour les intendants est un chef-
d'œuvre de ruse et d'oppression. Sa mort surprit M. de Bâville
achevant cet ouvrage.
« L'étonnement que causa la déclaration de 1724, est attesté
par tous les contemporains. Le clergé, les intendants, les
tril)unaux ne l'avaient ni demandée ni prévue ^ »
Ces derniers mots exceptés, Rulliière dit vrai.
Ne fait-il pas cependant peser sur Tressan une
trop lourde responsabilité? Tressan est-il le seul, l'u-
nique auteur de la Déclaration? — -Vraiment Rulliière
laisse échapper avec trop de facilité la foule de ceux
qui doivent assumer leur part de cet acte, si petite
qu'elle soit.
Il faut revenir à la vérité. L'évêque de Nantes, —
aidé d'ailleurs de Bâville, — fut le rédacteur de la Dé-
claration, sans doute; mais celui qui en fut l'instig'a-
teur, ce fut le clergé tout entier. On ne peut en
douter, lorsqu'on a suivi ses démarches depuis 1715,
année par année, presque jour par jour. Abbés, curés,
évèques, ils ne cessaient tous d'écrire à la cour, aux
• \' l'Jc/itirciase/tieiits Jiistoriques, etc., p. 15*^.
26A CONCLUSION
intendants, se plaignant d'être abandonnés, réclamant
une prompte répression. N'était-ce pas encore en 1723
que l'évêque d'Alais exposait d'une si lamentable fa-
çon la situation du protestantisme dans les Cévennes ' ?
— Les intendants de leur côté,fatig-uésde lutter contre
des adversaires que rien ne pouvait réduire, s'adres-
saient à la cour, demandaient des ordres, de nouvelles
instructions. Pour satisfaire les uns et les autres, la
cour avait, en 1716 déjà, fait connaître ses intentions.
Mais depuis lors, se perdant dans le dédale des édits
et des ordonnances, excédée, lassée, elle essayait,
comme le dit Joly de Fleury, de les coordonner et de
les fondre en une seule loi. — C'est ainsi qu'après Luit
années d'études, de reclierches et de remaniements, fut
faite et fut promulguée la Déclaration de 1724. Sans
doute Tressan y eut une large part. Il visait au cha-
peau de cardinal, et, comme le cardinal de Bissy, il
espérait l'obtenir par son zèle et par son concours. 11
ne fut toutefois qu'un instrument. C'est au clerg-é
tout entier que doit remonter la responsabilité de cette
loi, dignie couronnement de toutes celles qui avaient
été dirigées depuis Louis XIV contre le protestantisme.
Cependant les religionnaires entendaient dire que de
nouvelles mesures venaient d'être prises contre eux ;
et ils se refusaient à y croire.
Mais lorsqu'ils apprirent que les parlements avaient
enregistré la Déclaration, et qu'elle avait été lue dans
une assemblée du Présidial à Nîmes, ils tombèrent
> V. plus haut, p. 240.
STUPEUR DES RELIGIONN AIRES 265
dans la stupeur ^ Ensuite, mesurant par la réflexion
l'abîme du mal, ils s'abandonnèrent à des pensées
de révolte. Puisque la résignation, le dévouement au
Roi, les protestations de fidélité, n'avaient servi qu'à
appeler sur eux de nouvelles rigueurs, il ne leur restait
plus qu'à tenter encore une fois les chances d'un sou-
lèvement général.
Antoine Court était atterré.
Tous les malheurs fondaient à la fois sur lui. Pictet,
son maître et son ami, venait de mourir. Au mois d'avril
1722, il l'avait quitté à Genève souffrant^, mais la ma-
ladie, — agg*ravée peut-être parles ennuis, — avait em-
piré et l'avait bientôt enlevé à sa famille et au protestan-
tisme. «Vous me parlez de la chose la plus accablante
qui eut pu m'arriver, de la mort de l'illustre Pictet, de
cet homme incomparable, de cet homme si tendre et
si bon qu'il eut pour moi tant de bonté que de me
mettre comme au rang de ses enfants. Ha! quel coup,
mes chers amis, quel funeste coup^! »
Pour comble de tristesse, en même temps qu'il pre-
nait'connaissance de la Déclaration, il apprenait les
projets révolutionnaires que les protestants avaient
formés dans leur première indignation. Il se hâta de
parcourir la province pour les combattre, et les pro-
testants promirent heureusement de rester calmes ''.
Tl fallait cependant prévenir des maux plus grands,
et, s'il était possible, obtenir de la cour quelque adou-
' N" 7, t. II, p. 67.
a N» 7, t, I, p. 305.
3 Ibid., (. II, p. 65.
'• N" 40, l'.'ih. ^■.
266 LETTRE DE DUPLAN AU ROI DE PRUSSE
cissement à de si cruelles mesuies. Il était superflu cle
s'adresser au duc de Bourbon et à Louis XV ; on écri-
vit aux Puissances étrangères pour les intéresser
aux malheurs des protestants. Antoine Court envoya
au chapelain de l'ambassadeur de Hollande et aux
c( hautes Puissances » de ce pays, une requête, respec-
tueuse entre toutes, où il ne réclamait point le se-
cours de leurs armes, mais seulement leur protection,
leurs prières à Dieu, et leurs bons offices auprès du Roi
de France. — Duplan s'adressa au Roi d'Angleterre,
à l'archevêque de Cantorbéry et au Roi de Prusse. Il
disait à ce dernier :
«Sire,Votro Majesté a été sans doute informée qu'on apultlié
depuis peu une déclaration en France qui renouvelle et qui ag-
grave celles que Louis XIV a fait exécuter autrefois contre les
protestants de son royaume.
« Le poste suprême que Votre Majesté occupe, les vertus
héroïques qui éclatent en sa personne, la profession qu'elle fait
du pur christianisme, les fortes marques de protection qu elle a
données et qu'elle donne actuellement aux réformés, à quoi Ion
peut ajouter l'exemple de ses ancêtres, de glorieuse mémoire,
— tout cela nous donne de vives espérances, Sire, que vous
écouterez favorablement les plaintes et les gémissements d'une
inflnité de bonnes âmes qu'on n'a pas seulement privées de-
puis longtemps du culte public, de la vraie religion, mais qu'on
se met en devoir de forcer, par les voies les plus illicites et les
plus dures, à pratiquer un culte idolâtre et superstitieux.
<c Notre Roi ne peut pas se plaindre de notre fidélité pour
son service. Nous n'avons garde aussi de nous plaindre de Sa
Majesté. Nous savons qu'on a surpris sa jeunesse, sa piété et
sa justice, nous ne nous plaignons pas non plus des grands sei-
gneurs, ni des magistrats, ni des officiers de guerre; au con-
1 N» 17, vol. G, p. 307.(1724.)
LETTRE DE CxAUBERT A LuUlS X^' 207
traire, nuur; nous louons de leur probité et de leur douceur ;
c'est uniquement contre le papisme, c'est contre quelques per-
sonnes vendues à la cour de Rome que nous implorons, Sire,
votre royale et puissante protection.
« Vous connaissez, grand Roi, ce que vous devez à Dieu et ce
que vous pouvez faire en faveur des Eglises qui sont sous la
croix. Ainsi nous nous contentons de vous exposer nos misères.
Toutes les Puissances protestantes se feront un devoir et un
plaisir do concourir à cette bonne œuvre avec Votre Majesté.
« A Dieu ne plaise qu'il soit dit que tant de puissants et d'il-
lustres princes chrétiens fassent paraître moins de zèle pour
soutenir la vérité, que quelque petit nombre de prélats ambi-
tieux et quelques prêtres et moines, avares ou passionnés, font
paraître d'ardeur pour faire triompher la superstition.
« Nous sommes persuadés, Sire, que Votre Majesté, pénétrée
d'amour pour Dieu et de charité peur l'Eglise, et aspirant à une
gloire immortelle sur la terre et à un l)onheur infini dans le
ciel, nous sommes persuadés, dis-je, qu'elle jettera les yeux sur
notre triste état, et qu'elle emploiera les moyens les plus effi-
caces et en même temps les plus justes et les plus doux poui'
arrêter les funestes eflets de la persécution. Cependant, Sire,
nous ne cesserons point de faire les vieux les plus ardents eu
faveur de Votre Majesté et de la famille royale. Dieu veuille,
grand prince, bénir tous vos justes desseins et répandre la ter-
reur de vos armes sur tous vos ennemis. Dieu veuille vous
conserver longtemps pour être les délices de votre peuple et le
protecteur de l'Eglise. Dieu veuille enfin, après que vous serez
rassasié de jours et de gloire sur la terre, vous couronner d'une
immortalité bienheureuse dans le cieP. »
Un proposant osa s'adresser directement à Louis XV.
Il se faisait petit, liumhle, il en appelait au Roi et à son
bon cœur : « Sire, pour l'amour de Celui qui vous a mis
le sceptre en mains et qui vous a fait heureusement
5 N"U^ 1- !>4. fl724)
268 SYNODE DE 1724
monter sur cet auguste trône pour rendre la justice au
peuple qu'il a confié à votre sag-e prudence et qui sont
ses enfants et vos sujets, ayez compassion de ces pau-
vres innocents opprimés sans cause, faites qu'ils ne
soient plus violentés en leur conscience. Ils attendent
de votre bonté et douceur quelque adoucissement à
leurs maux * . »
Apologies, requêtes, suppliques, rien n'ébranla la
volonté de ceux qui avaient fait signer la Déclaration .
Elle resta intacte, nullement modifiée, dans son impi-
toyable rigueur, a Notre âme est agitée, écrivait Cor-
teiz, nous sommes dans l'affliction et dans la tristesse,
mais nous espérons que Dieu mettra un jour fin à tous
nos maux, qu'il essuyera toutes larmes de nos yeux, et
c'est ce qui me console ^. »
Cependant, sous le coup des derniers événements, un
Synode avait été 'immédiatement convoqué^. Quelle
conduite allait-on tenir? A quoi fallait-il se résoudre?
C'est ce qu'il allait débattre. « En examinant l'état dans
lequel les réformés se trouvent aujourd'hui en France,
disait l'auteur des Lettres stcr la Déclaration de 1724, il
me semble qu'ils n'ont que l'un de ces trois partis à
prendre : Celui de la révolte, ou celui de la dissimula-
tion, ou celui de la fuite. Je n'en connais point d'au-
tres... » Beaucoup pensaient comme lui. Mais l'auteur
en négligeait un : celui de la résignation.
Les circonstances étaient graves. Depuis longtemps,
1 N" 17, vol. G, p. 294. (Août 1724.
2 Ihid,, p. m. (Juillet 1724.)
3 N" 7, t. II. (Octobre 1724.)
«YNODE DK 1724 269
aucun Synode ne s'était réuni dans un moment aussi
solennel. On expédia d'abord quelques affaires cou-
rantes, et on reçut Boyer au nombre des proposants,
encore qu'il eût fait preuve d'une singulière ignorance
à son examen. Cela fait, deux g-raves questions furent
posées. Les protestants devaient-ils émigrer? ou de-
vaient-ils rester en France malgré la persécution ? On
en délibéra longuement, mais sans aboutir à une dé-
cision. Les religionnaires furent maîtres comme aupa-
ravant de fuir ou de rester, d'affirmer solennellement
leur foi , ou d'aller à l'étranger adorer librement
leur Dieu. On décida néanmoins que les prédicants
les encourageraient à rester et à souffrir patiemment
les maux dont ils étaient menacés \ Le Synode dé-
clara ensuite que, dans les tristes conjonctures où
l'on se trouvait, les colères devaient s'éteindre, les
procès s'arranger, la liaine faire place à l'amour.
Plus de dissensions, plus de luttes : un sentiment
commun de respect et de soumission devant la main
(pli les frappait. Il se sépara, après avoir ordonné
* Il y eut des éiiiigrants, malgré les exhortations du Synode.
On voit ainsi que des religionnaires de l'Aisne passèrent la frontière.
« On a fait lecture d'une lettre de Tournay, adressée au Synode,
j)ar laquelle elle nous marque que depuis la dernière déclaration du
Roi de P'raiice contre ses sujets réformés, il sort tous les jours de
Picardie et des frontières de cette province, des familles entières qui
se retirent dans des Etats protestants, sans compter celles de la dé-
pendance de Saint-Amand, qui sont vivement persécutées, et que
la plupart de ces familles passant par Tournay, et se trouvant dé-
nuées de tout, les charités qu'elle est obligée de faire l'ont tellement
épuisée qu'elle sera bientôt hors d'état de les continuer si nous ne les
aidons à soutenir le fardeau. » Synode de Lewaerde. (Août 1725.)
Essai .sur les Eglises de V Aisne, etc., j). 126. — V. aussi la cor-
respondance de de Brou et de Mellier, Histoire des Eglises de Bre-
tagne^ etc., t. III, p. 228.
210 LETTRES DE LONDRES
un jeûne général pour apaiser la colère de Dieu, et
arrêter « le torrent de vices qui étaient la honte de la
Réforme * . »
Une chose étonne. Ces nouvelles rigueurs ne pro-
duisirent au dehors qu'une très-petite émotion. Quel-
ques pasteurs de Berlin saisirent cette occasion pour
eng'ag'er leurs frères sous la Croix à ne plus fré-
quenter les assemblées du Désert. De Suisse et de
Genève arrivèrent aussi de stériles marques de sympa-
thie. Les protestants déploraient le triste sort de leurs
coreligionnaires, mais quelle aide pouvaient-ils leur of-
frir, quels secours leur donner? Il ne leur était per-
mis que de prier le ciel de faire cesser ce douloureux
état de choses et d'intercéder auprès des Puissances ^
Enfin en 1725, parurent à Londres, imprimées, les
Lettres à un protestant français touchant la Dèdara'-
tionduRoP.
L'auteur s'y montrait très-rnodéré. Il condamnait Tat-
titjLide de la cour, blâmait les mesures, admonestait
les protestants et leur donnait des conseils. Point de
colère d'ailleurs, ni d'indignation. « Il y a déjà quel-
ques mois qu'il s'était répandu un bruit confus, que
l'on minutait en France lui nouvel arrêt contre les re-
ligionnaires, mais la plupart ne pouvaient se le per-
suader... L'événement nous a désabusé. 11 n'y a pres-
que personne ici qui n'ait lu la nouvelle Déclaration, et
vous jugez bien qu'elle a été pendant plusieurs jours
1 N" 7, t. IL (Octobre 1724.)
2N" 1, t. III, p. 154.(1725.)
^ 2 vol.^ chez Thomas Li tonne. Londres. (1725)
LA HENRIADE 271
le sujet ordinaire des conversations. Je vous avoue que,
selon notre manière de penser, elle ne fait guère d'hon-
neur à ceux qui sont présentement à la tète du g'ouver-
nement de votre royaume '. »
Quant à la France, elle vit promulguer sans étoii-
nement le nouveau décret. Elle fut vraiment com-
plice de la cour. Peut-être n'était-elle plus disposée
à rire, comme Madame de Sévig'né, des pendaisons des
huguenots, mais comme Racine, La Fontaine, Bossuet,
elle accordait toujours au Roi le droit de poursuivre et
de condamner les hérétiques de son royaume. La tolé-
l'ance en matière de religion n'avait encore ni preneurs
ni défenseurs.
En 1723 cependant, venue de Rouen par fraude,
avait paru dans les salons de Paris la Henriade. Vol-
taire y faisait l'éloge de Coligny , s'y montrait sévère
aux catholiques et favorable aux réformés ; il recom-
mandait surtout l'esprit de paix et de tolérance. Mais
le nonce Maifei avait dénoncé à la cour de Rome le
poète et le poëme. On avait dit à Fleury qu'il était
indécent et même criminel de louer Colig'ny et la reine
Elisabeth; et peu s'en était fallu que le cardinal de
Bissy, président de l'assemblée du clergé, ne censurât
juridiquement l'ouvrag'e ^
En dénonçant, en condamnant, en proscrivant, ou
' V. Lettres à un protestant franrais, etc., tome I, p 1 et 2.
'''Dans \x\\ Recueil jncauiscrît de pièces concey^aant Vhistoirc de
France,(\vn se trouve à la bibliothèque de l'Arsenal (V. tome II, n" 151),
un critique anonyme, qui rendait compte de la Henriade, et qui se
disait Anglais, écrivait :
« Qu'on dise tout ce qu'on voudra, les Français l'ont peut-être Ja
révérence aux étrangers mieux que nous, mais nous les recevons mieux.
272 INDIFFÉRENCE DE LA FRANCE
croyait arrêter l'essor de ropiiiion naissante. On l'exci-
tait. Peu à peu, devait se former en France, inoins
par conviction que par haine de l'oppression, un
parti ([ui revendiquerait hautement, sinon la liberté
religieuse, du moins la tolérance. En 1724, après la
Henriade^ les protestants n'avaient pas eu de défen-
seurs ; Calas devait avoir \'oltaire.
Nous ne nous embarrassons pas de quelle religion est un homme;
nous le chérissons et encourageons, secourons, dès qu'il a du mérite.
Depuis la persécution injuste et encore plus mal avisée excitée contre
notre religion en France en 1686, environ dix mille familles fran-
çaises ont fait fortune chez nous, et aujourd'hui encore nous nous
taxons volontairement pour faire subsister tous les pauvres Français
réfugiés!... Il faut rendre justice à M. de Voltaire, la Henriade est
pleine des plus beaux morceaux et des plus forts qu'on ait jamais
écrits contre la persécution; en cela nous louons la noblesse de son
âme; mais en cela aussi, nous nous plaignons qu'il n'ait pas assez
distingué les protestants qui tolèrent tout d'avec les papistes qui per-
sécutent tout. »
CHAPITRE IX
FONDATION DU SEMINAIRE DE LAUSANNE *
1725-1729
Quelques mois s'étaient écoulés depuis la promul-
gation de la Déclaration de 1724, et Corteiz écrivait :
« Tous les lieux où je viens de passer sont tranquil-
les; le zèle est considérable, les assemblées sont nom-
breuses ^. »
Circonstances critiques cependant. On avait tout à re-
douter, et le calme dont on jouissait, non sans étonne-
ment, paraissait aux meilleurs esprits le présage de
prochaines tempêtes.
C'était contre les prédicants surtout qu'était dirigée
la Déclaration de 1724, et c'était sur eux que les
premiers coups devaient être frappés. Antoine Court
et ses collègues ne l'ignoraient pas ; de là, leur in-
quiétude et leurs angoisses. Non pas qu'ils craignissent
pour eux : depuis longtemps, ils avaient fait le sacrifice
de leur vie. Ils craignaient pour le protestantisme re-
naissant, pour ses églises à peine reconstituées. Eux
1 V. aussi tome II, p. 31, le chapitre consacré au séminaire de Lau-
sanne.
2 N" I, t. IIL p. 286. (Mars 1725.)
I 18
274 LETTRE A SAURIN
morts en effet, ils comprenaient b^en que les églises,
sans chefs et sans soutiens, se désorganiseraient,
retomberaient dans l'anarcliie, et que le travail de dix
ans serait en un jour perdu.
A peine la Déclaration venait-elle d'être publiée,
qu'Antoine Court, sous le poids de cette terrible préoc-
cupation, écrivit à Saurin, le suppliant de venir en
France ou d'envoyer des prédicateurs. Saurin répondit,
comme autrefois, que le retour des pasteurs ne lui
paraissait point nécessaire, bien plutôt dangereux.
« Le retour des ministres redoublerait la persécution, s'écria
Antoine Court, et on doit prévenir par charité ces malheurs !
Il vaut donc mieux, selon ce nouveau et inouï système de cha-
rité, s'exposer à perdre le ciel, le salut, la gloire, son âme, son
Dieu, à souffrir les peines des damnés, ces tourments éternels,
ce feu qui ne s'éteint point, cet étang ardent de feu et de sou-
fre, ces tortures, ces géhennes, ces grincement:^ de dents dont
parle l'Ecriture, que de risquer sa Uberté, son repos, quelque
peu de bien, que de s'exposer à souffrir quelques mois, quel-
ques jours, quelques heures dans une prison, sur une galère,
ou la mort sur une potence, sur un échafaud! «
Et plus loin :
(c Yoici une vocation qu'un peuple nombreux parlant par \d
l)0uche de ses conducteurs vous adresse, qu'un peuple affamé,
altéré de justice, vous adresse depuis si longtemps, qui vous
sollicite par ce qu'il y a de plus sacré, de plus tendre et de plus
révéré dans la rehgion, par les compassions divines, par le pré-
cieux sang de Jésus-Christ, par Tintérèt que les fidèles minis-
tres doivent prendre à la gloire de leur Maître, au bonheur de
son EgUse, au salut d'un peuple :qui appartient à son alhance,
et qui se trouve abandonné et dispersé dans un vaste désert,
sans pasteur, sans pâture, pressé de la faim et de la soif, envi-
ronné d'un ennemi fier, puissant et dangereux, — par l'intérêt
DIFFICULTES DE LA SITUATION ^5
que vous devez prendre à vos propres âmes de ne diiïérer plus
îi le secourir, à lui tendre les douces mamelles de vos consola-
tions, à le retirer du bourbier ai'freux, du fatal bourbier où ses
péchés Tont malheureusement plongé, à le garantir enfm des
malheurs où Terreur et le vice l'entraîneraient infaiUiblement,
si vous faisiez tant que de lui refuser le secours qu'il vous de-
mande*. »
Ce qui rendait Antoine Court si pressant, c'est qu'il
se sentait seul et isolé, que tous ses collègaies récla-
maient son concours, que les églises manquaient de
prédicants, et que ceux qu'elles avaient ne pouvaient
suffire à la tâche. Du Daupliiné, Roger lui écrivait qu'il
était accablé de travail et qu'il avait besoin d'auxiliaires ;
d'autres provinces, lui arrivaient les mêmes demandes.
Mais lui : « Ils s'adressent à nous, nous qui pouvons
à peine faire un centième de l'ouvrage qui se trouve
sous notre faucille ! » Et aussitôt : « Quand est-ce que
notre voix sera entendue? Quand est-ce que les églises
étrangères, libres et abondantes en pasteurs, en four-
niront à celles qui en manquent et qui en ont plus
que de besoin? Ecoutez, Eglises du grand Dieu, écoutez
la voix faible et mourante de quelques-unes de vos
sœurs ^ ! » Cette indifférence des protestants l'étonnait
et l'attristait. Quoi ! dans un tel moment un tel oubli !
Qu'importait une sympathie stérile, des vœux et des
conseils ! Tl était temps d'agir et l'on n'agissait point !
Pensées fiévreuses et qui le tourmentaient. C'est
alors qu'il s'arrêta à un projet depuis longtemps conçu,
et qu'il travailla à son exécution.
»N" 7, t. II. p. 41. (Juillel 17:^4.)
2 Ibicl., 1». 133. (Murs 1725,)
216 PROPOSITION DE DUPLAN
Lorsque Duplan, poursuivi par les espions et les sol-
dats, avait été obligé de quitter la France \ il s'était
adressé aux Puissances étrang-ères pour réclamer leur
appui. En même temps, il écrivait à Court : « Dans les
lettres que j'écris à leurs hautes Puissances, je leur
mande que je crois qu'on leur enverra quelque député
pour les informer de toutes clioses. Je crois que la
chose est importante. Vous pourrez communiquer cette
affaire aux personnes que vous croirez les plus propres
pour un bon conseil ^. » Et il se proposait comme dé-
puté. Antoine Court, à son retour de Genève, s'était
déjà entretenu de cette question avec son ami. Il pen-
sait qu'un député actif, intelligent et pieux, pourrait,
mieux que les lettres et les requêtes, intéresser les
princes protestants en faveur des religionnaires. Il
les engagerait, disait-il, à subvenir aux besoins des
ég'lises, et surtout à leur procurer de l'argent pour
l'instruction des jeunes gens qui voudraient se consa-
crer au ministère ^. Aussi accepta-t-il avec joie la pro-
position que lui faisait Duplan. Il connaissait d'ail-
leurs son zèle, son désintéressement et surtout son
opiniâtre intrépidité ^ . Pour son talent, il le tenait en
liante estime.
Voici quel était son projet. Repoussé par tous les pas-
teurs étrangers, et n'ayant pu obtenir qu'ils vinssent
prêcher en France, il ferait frapper à leur porte, à
i N» 12, p. 31. (Juillet 1724). V. aussi cliap. viii, p. 242.
2 Ibid., p. 32. (Juillet 1724.)
3 N" 5, n» 11.
*N°37, p. 9. Mémoire aux arbitres.— Nous insistons sur ces dé-
tails, car il y eut rupture plus tard entre les deux amis.
DUPLAN EST NOMMÉ DÉPUTÉ GÉNÉRAL 277
celle des réfugiés, des hommes pieux et des princes de
tous pays, afin qu'ils secourussent de leur arg-ent
ceux qu'ils avaient refusé de secourir de leur parole.
Plus d'appel au dévouement et au martyre ; appel à la
piété et à la charité. Dans la suite, lorsqu'une somme
suffisante serait réunie, il chercherait, parmi les rudes
et austères paysans qu'il connaissait, de jeunes hommes
de talent que le martyre n'effrayerait pas, et il les
enverrait dans une académie étrangère pour les initier
aux connaissances exigées par le ministère ^ .
Antoine Court s'ouvrit de son dessein au Synode de
1724. La proposition parut excellente, mais la personne
de Duplan déplaisait : on avait encore en suspicion
ses sentiments à l'égard des Inspirés ^. Quelques mois
s'écoulèrent en négociations. Enfin, en 1725, l'entente
s'établit. c( Le Synode, écrivait Court à Duplan, se
tiendra, s'il plaît au Seigneur, après les fêtes de Pâ-
ques; vous serez nommé par lui député g'énéral des
églises du Languedoc vers les Puissances protestantes.
J'ai déjà le suffrage d'un colloque pour cela. Dieu
veuille rendre votre députation efficace ^. » Le Synode
s'ouvrit le T' mai 1725. Parmi les assistants, se trou-
vaient trois députés choisis par les membres du Synode
précédent tenu dans les Ce venues, et deux députés
envoyés par chaque église du bas Languedoc. Court,
prenant la parole, montra la nécessité de se faire repré-
senter auprès des cours étrangères, et, sa proposition
* On se rappelle qu'il avait déjà été question de ce projet pendant
son séjour h Genève. V. chap. vu, p. 220.
2 N° 5, n» XI.
^N"?, t. II, p. 135. (Mars 1725.)
278 ATTRIBUTIONS DU DÉPUTÉ G?]NERAL
faite, comme on ne faisait aucune objection, il invita
l'assemblée à choisir un homme capable de remplir
cette fonction importante. L'assemblée, sans hésiter,
arrêta son choix sur le jeune prédicant. Sa surprise
fut extrême. Quoi! Lui revêtu de cette charge! Mais
les pasteurs n'étaient -ils pas assez rares? Fallait -il
encore en diminuer le nombre? Court se hâta de dé-
cliner cet honneur, et, faisant l'éloge de son ami, il le
proposa aux suffrag-es du Synode. Les assistants, bien
qu'indécis, finirent par se ranger à l'avis de leur modé-
rateur et se décidèrent à nommer Duplan K
Quelles étaient les attributions du député générale
Court déclara dans son discours au Synode qu'elles
consisteraient à implorer la protection des Puissances
en faveur des églises, et à les solliciter d'agir auprès
de Louis XV pour obtenir la révocation des édits ^.
Elles étaient donc plus étendues que dans le premier
projet. A vrai dire cependant, le député avait surtout
pour mission de demander des secours pécuniaires. C'é-
tait un quêteur qui devait aller collecter l'argent néces-
saire pour combattre le découragement par la prédica-
tion, l'ignorance par le livre, la misère par l'aumône. En
réalité même, il ne devait demander des secours que
pour la prédication. Réunir un fonds assez considérable
pour fonder un séminaire, tel était le but immédiat de
sa mission^.
Pour lui, il eut droit à cinquante pistoles ; c'est le
traitement que lui alloua le Synode. Il fallait qu'avec
1 N'> 7, t. ir, p. 161. (Mars 1725.) — V. aussi n" 37. p. 12,
2 Ihid.
3 N" 37, p. 9.
DTJPLAN ENTRE EN FONCTIONS 279
cette somme il suffit à ses frais de correspondance, à
ses voyages et à toutes les dépenses qu'il serait obligé
de faire. Telle était encore la pauvreté des religion -
naires, qu'il ne toucha jamais ces cinquantes pistoles.
« Je ne les ai pas encore, lui écrivait Court, mais on
travaillera incessamment à les lever ^ . » Duplan, d'ail-
leurs, ne demandait pas d'émoluments ^ « Dieu, avait-
il dit, sera mon pourvoyeur et ma récompense en
même temps. »
Duplan s'était fixé depuis une année à Genève. Dès
qu'il eut reçu ses lettres de créance et qu'un Synode
tenu en Daupliiné l'eut confirmé dans sa charge, il
s'occupa, sans tarder, de sa délicate mission ^
La plupart des grandes familles genevoises étaient
bien disposées pour les églises de France. Antoine Court
avait réveillé pendant son séjour les anciennes sympa-
thies et les anciens dévouements. Calendrin, il est vrai,
et Pictet étaient morts. Mais, pleins d'ardeur et d'iné-
puisable charité, vivaient encore les Maurice, les Vial,
les Turrétin. Duplan espérait trouver, auprès de ces
1 N" 7, t. II, p. 297.
2 Au mois de juillet 1725, il réclama cependant quelque argent; mais,
(K's (lomêlés étant survenus, il retira sa demande.
^ Ici, malheureusement, nous n'avons pas les documents qui i)our-
l'aient nous faire en quelque sorte assister h la fondation du sémi-
naire de Lausanne. Ils existent cependant, ils sont entre les mains du
Comité de la Bourse française de Genève; mais le Comité les tient
secrets. M. Munier, ancien recteur de l'Académie de Genève, a bien
voulu nous donner quelques renseignements; il nous a été toutefois
impossible de rien savoir de précis. Il faut marcher dans l'obscurité,
en tâtonnant, n'ayant pour guide que quelques lettres trop rares. Nous
croyons malgré tout être dans le vrai chemin, et n'avoir rien affirmé
qui ne trouve sa confirmation dans les papiers secrets du Comité.
280 FROIDEUR DE GENÈVE
hommes et des grandes familles dont ils étaient les amis
et comme les directeurs, un accueil sympathique et
même chaleureux. Au surplus, le dessein pour l'exécu-
tion duquel il demandait des secours n'était point
nouveau. Antoine Court s'en était souvent entretenu,
et peut-être même était-il né de quelques conversa-
tions avec Pictet. Tout semblait donc assurer le succès
des premières démarches du député. — Quel ne fut pas
son étonnement, lorsqu'il se heurta à des froideurs
mal déguisées ou à des refus catégoriques !
« Cette ville, écrivait- il bientôt, ne peut ou ne veut plus
fournir à une quantité extraordinaire de pauvres qui augmente
tous les jours, soit à cause du dérangement du commerce,
soit à cause de la vanité ou de l'avarice qui régnent chez les
plus riches. Je n'ai pu recueillir de la charité que quelques
vieux livres et environ vingt écus. Je me suis épuisé pour ne
point laisser l'occasion de fournir à ma patrie des secours pour
l'instruction et pour le salut des pasteurs et du peuple ^ »
Aussi attristé que surpris de cette réception, il
s'adressa à l'archevêque de Cantorbéry. Il lui parlait
de la miraculeuse conservation du protestantisme fran-
çais, du nombre et du zèle des religionnaires, des
secours dont ils avaient besoin et de l'appui qu'ils
lui demandaient auprès de Sa Majesté Britannique ^
Le prélat répondit-il favorablement? On ne sait. Mais
plus tard l'Angleterre se fit remarquer entre les divers
pays protestants par sa générosité. Duplan enfin en-
treprit un assez long voyage en Suisse pour quêter
des subsides. On le reçut partout avec une respectueuse
1 N" 12, p. 75. (Septembre 1725.)
^ Ibid., p. 95.
VOYAGE EN SUISSE 281
admiration. Lorsqu'il racontait, clans ces villes encore
attachées aux vieilles traditions calvinistes, les souf-
frances subies, la persécution incessante, les martyres
et les succès de dix ans de lutte, il y avait d'immenses
étonnements. Cet homme, qui était envoyé par ses
frères de France aux ég'lises de Suisse et qui lui-même
avait été le témoin de tant d'événements extraordi-
naires, devenait un personnage, presqu'un héros. Il ne
put cependant décider aucun pasteur à braver le péril,
quitter la Suisse et franchir la frontière. « C'est au ciel
à nous fournir des prédicateurs ; personne ne veut en-
tendre la voix qui en appelle au Désert. » Mais il reçut
des présents et des dons; c'était le but de son voyage
et il était en partie atteint ^
A la fin de l'année 1725, les sommes collectées de-
vaient être minimes ; elles étaient toutefois suffisantes
pour l'entretien d'un proposant. « C'est par les soins
(de Duplan), dit Antoine Court, qu'en 1726 on obtint
quelques petits secours qui furent employés aux études
de M. Bétrine ^. »
Bétrine, en effet, ce tout jeune homme qu'Antoine
Court avait autrefois rencontré dans ses courses et qu'il
avait consacré au ministère, quitta le Languedoc en
1726, et passa en Suisse.
« Ce sont nos Messieurs, vous m'entendez bien, écrivait-il
en arrivant, ce sont eux (|ui m'ont procuré cette abondance de
livres. J'ai fait vos civilités à deux ou trois d'eux. Je ne man-
(fuerai pas de les présenter à tous ceux que j'aurai l'honneur
« N° 12, p. 79. (Novembre 1729.)
2 N" 7, t. IX, p. 284. Court fait erreur : c'est en 1725
282 LE PREMIER ÉTUDIANT : BETRINE
de voir pour m'acquitter de ma commission. Soyez persuadé
qu'ils ont fait un fort bon accueil à vos humbles respects ^ >>
Mais où étudierait-il? Dans quelle Académie? C'est
ce qu'il importait de décider.
Depuis Louis XIV, Genève était observée, me-
nacée par la France. En 1723, le Résident lui avait
'durement rappelé sa faiblesse et sa dépendance, et elle
s'était inclinée. Admettre dans son Académie, soutenir
de son argent ou de celui de la Suisse, un jeune
liomme qui se disposait, malgré la récente Déclaration,
à violer les ordres du Roi, c'était montrer beaucoup
de témérité. Sans doute elle comptait parmi ses étu-
diants quelques jeunes gens envoyés par les églises
vaudoises, — ces malheureuses églises non moins per-
sécutées que celles de France, — et son conseil leur
allouait même une pension, les instruisait et les entre-
tenait à ses frais pendant îe cours de leurs études ".
Mais, du côté des Alpes, elle ne se sentait point mena-
cée et n'avait aucune colère à redouter. Il y avait tout
à craindre de la France. La braver, et cela après des
remontrances si récentes, c'était s'exposer à de nou-
velles représentations, peut-être même à la perte de
son indépendance.
Lorsque Corteiz était venu, quelques années aupa-
ravant, demander l'ordination aux pasteurs de Genève,
ceux-ci, déclinant cet honneur, l'avaient envoyé dans
une autre ville. On agit de même avec Bétrine. Sur
la prière de Duplan, quelques pasteurs se réunirent
i N" 1, t. III, p. 443. (Octobre 1725.)
■2 Archives de la ville Genève, n" 4527. (Février 112G.)
BÉTRINE ÉTUDIE A LAUSANNE 283
en ûTand secret pour délibérer dans quelle Académie il
conviendrait d'envoyer le jeune proposant. Berne était
peu sympathique, Zurich était allemande et trop éloi-
gnée; on jeta les yeux sur Lausanne. Bétrine partit
en effet pour cette ville.
Ce ne fut pas cependant à l'Académie même qu'il
étudia. Il était en effet, comme tous les prédicants,
fort ig'norant, et comme il ne savait ni le latin ni le
grec, il aurait suivi sans profit les cours qui se don-
naient à l'Académie \ Son séjour était d'ailleurs limité ;
il fallait que dans l'espace d'un an il acquît toute
son instruction théologique. C'était trop peu. Aussi
Duplan :
« Il faut qu'il prolonge son temps, si Ton veut qu'il soit digne
(le recevoir rimposition des mains ; d'ailleurs plusieurs de nos
amis et des plus prudents seraient d'avis qu'on le reçut dans ce
pays, afui de fermer la bouche à nos calomniateurs, et pour le-
ver aussi le scrupule de certains esprits faibles et ignorants
que nous devons ménager. Vous savez qu'on fait passer nos
prédicateurs pour des ignorants, des batteurs de pavé, sans
aveu, sans vocation. C'est pourquoi, il est expédient qu'il y en
ait parmi nous qui aient reçu leur ordination par des églises
étrangères ^. »
Mais ces paroles, si sensées qu'elles fussent, ne pou-
vaient point ébranler la détermination des églises ; la
France réclamait ses pasteurs. Bétrine fut donc confié
h quelques hommes de cœur et de talent, — le profes-
seur Polier peut-être, — qui se chargèrent de compléter
* Aussi son nom ne se trouve-t-il pas dans les Archives de l'Aca-
démie (le Lausanne.
«N- 1, t IV, p. 80. (172G.)
284 CABALE CONTRE DUPLAN
en quelques mois son éducation. Quant aux frais de
son entretien, — frais bien petits, — ce fut sans doute
Duplan qui les paya directement, avec le produit des
collectes qu'il venait de faire.
Rien n'était encore précisé, fixé, arrêté. Il n'y
avait ni comité organisé, ni fonds, ni règ'lements. Ce
n'était point le séminaire qu'Antoine Court avait rêvé
d'établir, et qui devait s'élever plus tard. C'en était
à peine l'ébauche.
En France cependant, les protestants attaquaient
leur député; une cabale même se formait contre lui.
Le bruit avait couru que Duplan fréquentait les Inspi-
rés de Genève, et on l'avait appris avec un vif mécon-
tentement. Court en écrivit à son ami :
« Si vous n'observez mieux votre conduite sur l'article en
question et si vous négligez de pratiquer ce que je viens de vous
dire, vous vous mettrez hors d'état de remplir vos engagements
et vos promesses ; vous rendrez par cela même votre zèle infruc-
tueux et inutile. Quelle conséquence ! Elle est pourtant natu-
relle, puisqu'il est certain que vous perdrez la confiance qu'on a
sur vous, que vous forcez en quelque sorte l'Eglise de retirer
l'auguste emploi qu'elle vous donne et que vous perdez le cré-
dit que vous auriez pu acquérir chez l'étranger, crédit qui est
pourtant si nécessaire et si important à l'exécution des desseins
dont vous êtes chargé ^ »
Duplan répondit aussitôt, mais d'une manière éva-
sive, qui justifiait les craintes. Les colères s'accrurent.
Duplan surpris par cette opposition envoya au Synode
de 1726 une lettre qu'avaient signée les pasteurs de
1 N" 7, t. II, p, 211. (Novembre 1725.)
CABALE CONTRE DUPLAN 285
Genève et qui témoignait de la pureté de sa vie et de
ses sentiments ; Court présenta en même temps sa dé-
fense. Les murmures cessèrent momentanément. Mais,
bientôt, on prétendit que les attestations soumises au
Synode étaient fausses, qu'aucun pasteur ne les avait
signées. Corteiz, avec deux proposants, — le triolet^
suivant le mot de Court, — résolut de faire retirer par
les protestants les lettres de créance qu'ils avaient
données à leur député. Un Synode s'étant réuni en
1727, il présenta plusieurs délibérations prises en diffé-
rents colloques et réclama la déposition de Duplan.
La séance fut vive. Court, prié une seconde fois d'ac-
cepter la charge de député général « pour le bien de la
paix, » refusa énerg'iquement d'accéder à cette prière ^ .
Il s'indigna, tint un long discours où il vanta les
services de Duplan, et déclara qu'il abandonnerait son
ministère, si l'assemblée ne maintenait pas dans ses
fonctions le député qu'elle avait récemment élu ^. Le
Synode s'inclina devant cette ferme attitude, et la
proposition de Corteiz fut rejetée. L'irritation des es-
prits cependant n'était pas encore calmée. Quoique
Duplan eût écrit qu'il « consentait pour l'amour de. la
paix à ne plus se trouver dans les assemblées des
Lispirés et même à fuir leur commerce, autant que la
cliaritéle pouvait permettre, » — le Mo/^^ était encore
debout, s'agitait, recrutait des partisans, et préparait
une nouvelle campagne. Court résolut de terminer
définitivement cette affaire. Un Synode national fut
convoqué dans le Dauphiné vers la fin de cette même
* N" 37, p. 12. Mémoire aux ai-biti-es.
2 N" 7, t. III, p. 233. (1727.)
2S6 NOUVP^AUX SUCCÈS DE DUPLAN
année, et là, solennellement, les membres de l'as-
semblée confirmèrent Duplan dans sa charge * .
Antoine Court désirait d'autant plus apaiser cette
querelle, que Duplan rendait en ce moment au protes-
tantisme de plus importants services. Il l'avait déjà dit :
c( On ne pouvait rien trouver dans la conduite de son ami
qui méritât l'affront qu'on lui voulait faire; tout mé-
ritait des louanges. » Duplan en effet ne s'était point
laissé rebuter par les obstacles. Bien que Genève se fut
montrée peu libérale et que la Suisse ne lui eût accordé
que quelques petits présents, il ne s'était point lassé de
frapper aux portes, d'envoyer des suppliques, de de-
mander des secours. « J'ai porté, disait-il, la charrue
sur des terres en friche, ou peu s'en faut. Il y a des
pierres et des ronces qu'il faut ôter et arracher, avant
que de se flatter de recueillir des fruits ^. » Les fruits,
pour continuer la comparaison, ne tardèrent pas
à mûrir. Quelques mois après, en 17,27, tandis qu'en
France de vifs débats s'engageaient sur sa personne,
il obtint de quelques amis la promesse d'entrete-
nir deux proposants, à leurs frais, dans la ville de
Lausanne, jusqu'au jour où ces derniers seraient
consacrés pasteurs ^. Ces amis demandaient peu de
1 N'' 5, n" XI. L'affaire y est tout au long exposée.
2 N" 12, p. 167. (Janvier 1727.)
3 Ibîd., p. 173. (Mars 1727.)
«... Au mois de mars 1727, dit Court (N° 7, t. IX, p. 294), de
nouvelles sollicitations obtinrent de plus grands secours; il y en eut
d'assez suffisants pour fournir à l'entretien de deux étudiants. » Et
ailleurs : « . . . Cette communion eut tout l'effet que l'on pouvait en
espérer, puisque par les soins infatigables du député et la libéralité
de divers souverains et députés, l'on eut, dès l'an 1727, de quoi four-
nir h l'entretien de deux jeunes proposants hors du royaume... »
LE SECOND ETUDIANT : ROUX 287
chose : le secret, mais ils l'exig'eaieiit. « Nous sommes
très-sensibles, écrivit aussitôt Court, aux bontés de ces
pieux et charitables personnages qui veulent bien se
donner le soin et faire la dépense de l'entretien de
deux de nos proposants. Remerciez-les-en bien de notre
part. Des secours de cette nature nous sont si avan-
tag'eux, que les soins que vous vous êtes donnés pour
les obtenir méritent plus que des louanges \ » Un
jeune homme fut aussitôt choisi pour aller étudier à
Lausanne, et s'achemina vers la Suisse. C'était le pro-
posant Roux, originaire de Caveirac, dans le diocèse
de Nîmes.
Ainsi le principal objet de la députation de Dupîan
était presque réalisé. Quelques hommes « pieux et
charitables » s'étaient engagés à subvenir aux dépenses
de deux étudiants, et non-seulement des deux premiers,
mais encore de ceux par lesquels ils seraient successi-
vement remplacés. Ils entretiendraient, disaient-ils,
deux jeunes g'ens, et après « ces deux, deux autres. y>
Certaines difficultés, il est vrai, surgirent, mais elles
furent bientôt résolues.
Quels furent ces bienfaiteurs? On ne peut se livrer
qu'à des suppositions. Ils habitaient la Suisse, voilà
tout ce que l'on sait. Les protestants de Hollande,
d'Angleterre ou d'Allemag'ue, ne contribuèrent que
plus tard aux dépenses du séminaire.
Aucun fonds d'ailleurs n'était réuni. Ce devait être
une cotisation annuelle que le député prélevait selon
les besoins, et les besoins étaient petits. « Tout ce que
» N" I, t. 111, p. 186. (Avril 1727,)
288 INACTION FORCEE DE DUPLAN
je puis VOUS dire, écrivait-il plus tard, c'est que nos
revenus sont petits et fort casuels, et qu'à mesure
qu'on reçoit, on distribue pour l'entretien des propo-
sants \ » Il faut remarquer toutefois que, dès cette
année 1727, un comité choisi par les bienfaiteurs fut
probablement constitué à Genève pour recevoir et
distribuer les sommes collectées. On l'appela, dans la
suite, l'hoirie.
Les ég-lises n'allouaient à Duplan aucune indemnité,
et celui-ci, trop pauvre pour voyager à ses frais, ne
pouvait aug'menter le nombre des bienfaiteurs, ni
accroître les ressources nécessaires à la fondation du
séminaire. Cette inaction le chagrinait. Il disait volon-
tiers que, s'il avait trouvé une pistole en Suisse, il en
trouverait dix, vingt, trente, en Allemagne, en Hol-
lande et en Angleterre^. Ailleurs, il ajoutait que certai-
nement il rencontrerait dans les pays protestants « des
personnes pieuses qui contribueraient avec plaisir pour
le tabernacle du P'ils de Dieu dans notre chère patrie ^ . )>
Mais l'arg'ent manquait, et, malgré ses pressantes sol-
licitations, on ne pouvait fournir à une si dispendieuse
entreprise.
Duplan se résigna à rester en Suisse.
Ne pouvant aller lui-même exposer les besoins des
religionnaires, il se décida à les exposer par écrit. Les
réponses qu'il reçut furent toutefois peu favorables,
et les secours rares ou insignifiants. On restait froid.
c( Je vous le dis avec regret et avec douleur, à la
i No 12, p. 247. (1729.)
2 Ibid., p. 196. (1728.)
3 Ibid., p. 210. (Mars 1728.)
AMIS ET BIENFAITEURS 289
réserve de quelques petits secours des particuliers qui
ont une véritable piété, nous ne devons pas nous
appuyer sur les Puissances protestantes. Ce sont des
roseaux cassés qui nous perceraient les mains, à moins
que Dieu ne les anime d'un nouveau zèle ^ »
Il se borna donc, en attendant des jours meilleurs, à
solliciter les dons des gouvernements et des principaux
personnages de la Suisse. Berne ^ qui, à l'époque de la
Révocation, avait offert une si large hospitalité aux
réfugiés, Zuricli, Lausanne, se firent remarquer par
leur générosité. Elles augmentèrent les petits revenus
dont on jouissait déjà, et même, en certaines occa-
sions, elles accordèrent des secours soit à des misères
pressantes, soit à de grandes infortunes. LL. EE.
de Berne firent ainsi sur les sollicitations de Duplan,
une pension à vie à un nommé Martel ^. Quelque temps
après, comme les églises étaient trop pauvres pour
payer leurs pasteurs, deux cents livres furent recueillies
et envoyées en France^. Les revenus pour l'entretien
des proposants s'accrurent aussi et l'on put enfin rece-
voir à Lausanne un certain nombre d'étudiants. « liCS
années suivantes, dit Court, furent plus fructueuses '*. »
De 1725 à 1730, le Daupliiné, le Languedoc et les
Ce venues envoyèrent en Suisse six proposants ^
Un comité, composé de personnes « hors de tout
1 N" 12 (Déceiubre 1728.)
2 N''12, p. 200. (1728.)
» Ihid , p. 243. (1729.)
*■ N" 8. — En 1728, il obtint 1900 livres de Berne.
— — _ 776 — de Schaffouze.
— _ _ {;580 — de Zurich.
— - — 500 — de Bàle.
» N''12, p. 255.(1729.)
I 19
290 COMITE DE GENEVE
soupçon d'imprudence et d'infidélité, » fut en outre
définitivement établi. Il eut mission, non-seulement de
recevoir et de répartir les sommes reçues, mais encore
de surveiller à Lausanne les études des jeunes gens qui
s'y trouvaient. C'est en son nom ainsi que le pasteur
Vial, un de ses membres probablement, invita les
ég-lises de France à accorder deux années pour l'édu-
cation de leurs étudiants, disant au surplus que « les
amis et bienfaiteurs » l'exig'eaient * .
Duplan cependant courait la Suisse en tous sens et
sans se lasser. Il ne se contentait plus de demander des
secours pour l'entretien des étudiants, il en demandait
encore pour l'achat de livres, pour les galériens, pour
toutes les victimes de la persécution. Il appelait cela
« son négoce. » Tout d'ailleurs se faisait dans le plus
grand secret ; les églises de France n'étaient pas même
informées des négociations et des démarches dont elles
étaient l'objet. Un jour, elles s'adressèrent à leur dé-
puté et le prièrent de les instruire du résultat de ses
travaux et du nom de leurs bienfaiteurs. Duplan ré-
pondit aussitôt : « Il n'est ni juste, ni possible, ni
convenable que je vous rende compte de ce qui est
donné. Comme c'est ici une affaire de charité, on doit
être satisfait que les choses soient bien administrées,
sans savoir d'où elles viennent et à quoi elles se mon-
tent ^. » Le mystère enveloppait cette œuvre.
1 N" I, t. » p. 292. (1729.) — Le Synode national de 1730 prit la
mesure suivante : « Sur la demande qui a été faite, si on devait limiter
un temps aux prédicateurs qui vont étudier dans les académies étran-
gères protestantes, il a été répondu qu'on laissera la chose à la pru-
dence de MM. nos amis des pays étrangers. » Recueil de Synodes, etc.
a N" 12, p. 247. (1729.)
LE SEMINAIRE EST FONDE 291
Qu'importait ! On toucliait au but. Les fondements
d'un établissement, qui devait pendant quatre-ving-ts
ans donner des pasteurs aux réformés, étaient soli-
dement assis. Il suffisait qu'un homme actif, dévoué
et persévérant, se mît maintenant à la tâche : l'ou-
vrage serait bientôt achevé.
CHAPITRE X
QUATRE ANNÉES DE LUTTES
1725-1729
A l'étranger, se fondait mystérieusement pour les
églises de France un séminaire, pépinière de prédicants
hardis et forts. C'était bien. La Déclaration de 1724 pou-
vait être désormais appliquée dans toute sa rigueur ; il
faudrait bien des fois dresser l'écliafaud avant d'épui-
ser la liste de tous ceux qui se disposaient à le braver.
Deux choses restaient maintenant à faire : retenir les
protestants « dans la foi; » augmenter leur nombre, s'il
était possible. La persécution allait en effet sévir : il
fallait craindre les faiblesses et redouter les apostasies.
Antoine Court, au Synode 1725, n'avait pas seu-
lement proposé d'élire un député général ; il avait for-
mulé d'autres propositions K
Au commencement de l'année, il avait failli être
pris. Tandis qu'il prêchait dans une maison, les soldats
avaient fait irruption, et il n'avait du son salut qu'à
un heureux hasard et à son sang -froid. Mais plu-
sieurs assistants avaient été faits prisonniers. Un d'eux
^ N" 7, t. II, p. 161. — V. audsi Pièces et (Jocumeiits, ii" XIV.
CRÉATION D'UNE CAISSE DE SECOURS 293
avait été relâché, quatre avaient été retenus, jug'és et
condamnés aux g'alères par le sénéchal de Nîmes K On
voulait les retirer de prison, et le seul moyen, c'était
de racheter leur liberté. Le prix était élevé. Court
avait essayé de faire une collecte pour la rançon des
g^alériens ; il n'avait pas réussi : la misère était trop
g'rande. Cas grave, et qui allait souvent se reproduire.
Il invita donc le Synode à créer un fonds public
destiné à secourir a ceux qui souffraient pour l'Evaii-
gnle ; et, ajouta-t-il, — car sa pensée embrassait tout,
— « et ceux aussi qui travaillaient au ministère. » Une
collecte g'énérale et extraordinaire se ferait, et les
ég'lises seraient invitées à y contribuer dans la limite
de leurs moyens. Cela, « tant par donations entre vifs
que par legs testamentaires % » conformément à la déli-
bération qu'avait prise autrefois le Synode national de
1620. On établirait dans chaque q^iarlier un trésorier
pour recueillir les dons; quand le fonds serait con-
stitué, un colloque aurait charge de distribuer les se-
cours, suivant les besoins et les infortunes^. Le Svnode
accueillit avec faveur cette proposition et pria Antoine
Court d'écrire sur ce sujet une lettre pastorale aux
églises. c( J'y travaillerai, s'il plaît au Seig*neur, disait
Court quelques jours après, mais hélas! que de sujets
indigents ou peu zélés ma lettre va rencontrer '* ! »
Le Synode décida en second lieu qu'un prédicant
' Le Parlement de Toulouse cassa plus lard l'arrêt.
* Legs testamentaires, mais faits oralement. Le protestant n'existait
pas devant la loi; il ne pouvait légalement ni tester ni disposer de
ses biens.
8 N» 7. t. II, p. 161. (Mai 1725.)
* Ibid.
294 CONFÉDÉRATION DES ÉGLISES
serait député vers les églises du Vivarais pour y con-
solider l'ordre, et vers celles duDauphiné pour engager
ces dernières à s'unir « à leurs sœurs du Languedoc. )>
Court avait résolu de faire entrer toutes les églises
du royaume dans une espèce de confédération. Contre
les persécutions prochaines, il fallait, en effet, gTOu-
per en faisceau les forces disséminées*.
Le proposant Bouvière fut chargé de s'entendre
avec Roger sur l'union des églises du Dauphiné et du
Lang'uedoc. La mission n'était point difficile; Roger
qui l'avait provoquée était incapable de susciter des
obstacles ^ Rouvière passa dans le Vivarais qu'évan-
gélisait le courag'eux Pierre Durand, en visita les
églises, établit des Anciens, et après avoir rencontré
Roger, le pria de convoquer un Synode où serait
exposée la mission dont il était investi ^ .
Le Synode se réunit bientôt *. Roger, qui en était le
modérateur, proposa de recevoir la « sommation des
églises sœurs, comme un effet de leur soin charitable,
et de sig-ner leurs règ'lements en signe de parfaite et
éternelle union. » Il fît toutefois observer que cette dé-
férence n'impliquait aucun aveu d'infériorité, et que
1 N" 7, t. II, p. 161. (1725.)
2 Roger, de son côté, demandait que le Dauphiné s'unît au Langue-
doc. « Alors M, R., dit son biographe (N" 17, vol. B), crut que, pour
mieux faire recevoir l'ordre aux protestants de cette province, il n'a-
vait pas un meilleur moyen que de demander une lettre de sommation
auxMessieurs du Languedoc pour le Dauphiné et le Vivarais, pour les
engager à se soumettre à l'ordre, parce qu'un corps mieux rangé se-
rait mieux en état de se soutenir; sur quoi les Messieurs du Langue-
doc ayant répondu, ils réunirent, avec le secours de Dieu, et rangè-
rent les choses dans Tordre qui règne à présent. »
3 N''7, t. II. V aussi n" 1, t. III, p. 379 (Juin 1725.)
* Juin 1725.
DU DAUPHINÉ ET DU LANGUEDOC 295
le Lang'uedoc, en prenant l'initiative de cette mesure,
ne pourrait en aucune façon aspirer à une forme quel-
conque de domination^; il insista même sur ce point.
Domination! s'écria Court. « Nous ne sommes pas as-
sez amis du superbe et aveug^le Vatican pour adopter
ses maximes, ni pour imiter sa conduite ^. » Toutes
les conditions furent acceptées.
« On traita, dit Gorteiz, une alliance fort étroite entre les
églises du Languedoc et celles du Vivarais et du Dauphiné, et
on dressa quelques articles pour serrer plus étroitement cette
union; en voici la copie :
« En premier lieu, que le Languedoc ne recevra point dans
ses Synodes, ou autrement, des ministres sans le consentement
des Synodes du Vivarais et du Dauphiné; et réciproquement, le
Dauphiné et le Vivarais ne recevront point de proposants dans
le saint ministère, sans le consentement et l'approbation des
Synodes du Languedoc. Ce qui donna lieu à cet article fut la
crainte que quelque proposant délinquant ne fût surprendre les
pasteurs de ces Synodes, et que le saint ministère ne fût exercé
par des personnes indignes.
« Le deuxième article, que nous recevrions tous les quarante
articles de la confession de foi dressés et reçus par les égUses
réformées de France : que nous aurions mêmes doctrines à l'é-
gard des dogmes, mômes règlements à l'égard de la discipline,
et que nous nous donnerions mutuellement les secours néces-
saires dans tous les cas, sans qu'il y eût jamais rien qui pût
avoir le moindre air de rébellion contre la couronne de notre
Roi \ »
Curieuse préoccupation, et d'autant plus digne de
remarque, qu'il se passa dans cette même assemblée
i N" 1, t. III, p. 383.
2 N" 7, t. II. (Juillet 1725.)
3 N» 17, vol. H, p. 538 Relation historicfe, etc.
296 DAUPHINÉ ET LANGUEDOC
un fait qui a sa valeur. Antoine Court avait souhaité
que, pour sceller solennellement leur union, les Sy-
nodes et les pasteurs des deux provinces signassent
le formulaire que les pasteurs français avaient l'ha-
bitude de signer avant la Révocation. Roger s'y op-
posa. Soit que le bruit des disputes que le Consensus
occasionnait en ce moment en Suisse fût parvenu à ses
oreilles, soit qu'il cédât à un noble sentiment de
libéralisme, il prétendit qu'un pareil acte pourrait
avoir de dangereuses conséquences pour l'union des
protestants. Mais Antoine Court :
(i Je ne dis pas qu'il n'y ait bien des choses dans cette dis-
cipline que le temps et les circonstances ont rendues inutiles
ou impraticables... Mais tout ce qui concerne la classe intéres-
sante dont j'ai parlé doit être reçu à pratique. D'ailleurs, le for-
mulaire ne s'arrête pointa la discipline, il. s'étend jusqu'aux
dogmes qui doivent être crus. Je sais bien qu'on ne commande
pas la foi, mais je sais aussi qu'il est d'une dangereuse consé-
quence que ceux qui enseignent ne sentent pas une même
chose du Seigneur, et qu'il faut, autant qu'on le peut, éviter de
recevoir dans le ministère ceux qui sentent mal en la foi. Si
on a des sentiments purs et orthodoxes, on ne doit point se
faire de la peine à signer une confession de foi qui a passé
jusqu'ici pour être orthodoxe et qui a été signée par les plus
célèbres compagnies qu'il y ait eu peut-être depuis le temps des
apôtres^... »
Roger, peu convaincu par ces arguments, resta iné-
branlable, et le formulaire ne fut pas sig*né. Cette op-
position cependant, il faut le remarquer, n'excita ni
luttes ni dissensions. Il ne s'agissait plus en effet de
1 N" 7, t, II, p. 281. (Juillet 1725.)
PREMIER SYNODE NATIONAL 291
querelles tliéolog'iques. Quelle place, en ces temps de
persécutions, pouvait-on donner aux discussions qui
avaient ag^ité pendant le dix-septième siècle le monde
protestant, et dont on entendait encore en Suisse les
derniers échos? Une seule chose importait : la res-
tauration du protestantisme.
Lorsque Antoine Court connut le résultat de la dé-
putation de Rouvière : « Nous hénissons Dieu, lui écri-
vit-il, de l'heureux succès de votre importante com-
mission. » Heureux événement en effet et de g*rande
importance! Mais ce n'était qu'un commencement. Du-
plan, conseillé par quelques personnages de la Suisse,
venait d'écrire qu'il serait nécessaire de tenir un Synode
général oii se réuniraient les députés du Vivarais, du
Dauphiné, du Languedoc et des Cévennes^ On pour-
rait ainsi, disait-il, prendre des mesures communes
(( pour la propagation de l'Evangile. » Court trouva
le conseil judicieux ; la convocation d'un Synode gé-
néral fut décidée ^.
Une première assemblée se tint vers la fin de cette
même année % mais, soit que les députés n'y eussent
pas été en nombre suffisant, soit qu'on y eut résolu
de se réunir une seconde fois, d'une façon plus solen-
nelle, ce ne fut que le 16 mai 1726, au fond d'une
vallée du Vivarais, que s'ouvrit après une interruption
de soixante-six ans le premier Synode général des
églises réformées de France.
On l'appela Synode national.
1 Duplan séparait toujours les Cévennes et le Vivarais du Languedoc.
« N» 7, t. II, p. 18L (Juillet 1725.)
3 N°7, t. IIL p. 127. (Septembre 1725.;
298 PREMIER SYNODE NATIONAL
Quarante-sept membres y assistaient : trois pasteurs,
huit proposants, trente -six Anciens.
Que d'événements s'étaient succédé depuis le jour
où, près de Nîmes, obscurément et misérablement, s'é-
tait tenue la première assemblée de ce genre ! Ni les
rig-ueurs n'avaient été suspendues, ni la persécution
ne s'était arrêtée : une déclaration terrible venait
de couronner ce sombre échafîxudag-e de cruelles me-
sures. Cependant, après onze années de maux et de
souffrances, les religionnaires , loin de succomber,
relevaient plus fièrement la tête. Leur sang avait jailli
sous les coups des soldats au Désert et sous la corde
des gardes aux galères; mais telle en avait été la
puissance fécondante que chaque goutte avait été un
germe de vie. Leur nombre augmentait de jour en
jour, et avec leur nombre, leur courage, leur fermeté
et leur audace. Ils n'étaient plus comme autrefois
rares, tremblants et pâles ; ils étaient hardis et puissants,
et ils formaient déjà presque un peuple. Les despotes,
depuis l'origine du monde, s'obstinent follement à
vouloir étouffer la liberté. C'est une hydre qui a plus
de cent têtes, et qui, comme le géant de la fable, re-
prend sans cesse des forces, en se plong'eant au sein
de l'humanité.
Une des premières mesures du Synode fut de pres-
crire la soumission aux Puissances supérieures : au Roi,
aux gouverneurs, commandants et magistrats, et d'or-
donner des prières publiques en leur faveur.
On débattit ensuite et on accepta les règlements qui
depuis longtemps déjà étaient observés dans les églises
du Languedoc : rétablissement du culte public, en res-
PREMIER SYNODE NATIONAL 299
pectant les usagées traditionnels; — injonction aux pas-
teurs de ne prêcher que l'Ecriture, seule règ"le de foi,
« et ce qui en sort par des raisons claires et simples ; »
prudence et réserve dans la convocation des assem-
blées : nul éclat, ni bruit, ni bandes trop nombreuses;
exercice du culte de famille ; recommandation aux
fidèles de fournir des guides à leurs pasteurs, de veil-
ler à leur sûreté et de les recevoir dans leur logis ;
censure de ceux qui feraient bénir leur mariag^e ou
1)aptiser leurs enfants à l'Eg-lise romaine ; exercices
catécliétiques dans les familles ; soumission des pas-
teurs et proposants à la discipline ecclésiastique ; pureté
et sévérité des mœurs ; règles de prudence pour les
personnes qui auraient le malheur d'être arrêtées ; réu-
nion annuelle des Synodes nationaux ; caisse de réserve
alimentée par les collectes pour soulager les malheu-
reux ; établissement de secrétaires dans les consistoires
pour recevoir, distribuer et examiner l'emploi de l'ar-
gent; ordre enfin aux corps synodaux de se taxer
et de payer aux pasteurs une pension, comme marque
de reconnaissance*.
Mais les troupes « roulaient ; » après avoir délibéré
pendant quelques jours, l'assemblée dut se séparer.
Avant que les députés regagnassent leurs églises,
Pierre Durand, un des rares survivants du Synode de
1715,* demanda à être consacré au ministère. C'était
un homme courag*eux et patient, qui dans le Vivarais
s'était dévoué à l' œuvre de la restauration et, seul,
l'avait terminée. L'assemblée lui donna l'ordination et
* V Pièoes et dooiiments, n" XV.
;¥)0 CONSECRATION DE PIERRE DURAND
la France protestante compta un nouveau pasteur : c'é-
tait le quatrième ' .
Tandis qu'Antoine Court faisait prendre ces mesures
d'intérêt g'énéral, il n'oubliait pas de quelle sollicitude
particulière il devait entourer en ce moment les égli-
ses et les fidèles. Jusqu'alors, les prédicants avaient
* « Aux lecteurs, paix et bénédiction de Dieu.
« Pierre Durand, du lieu du Bouschet, paroisse de Pranles, en Vi-
varais, ayant proposé l'espace d'environ sept ans dans les églises qui
s'assemblent sous la croix en Yivarais, h la grande édification de tous
les fidèles, avec beaucoup d'érudition, de piété et de zèle, et lui ayant
été adressée la vocation au saint ministère par une assemblée syno-
dale, le 11 novembre 1724, continuée aux assemblées synodales du
21 juin et du 29 août 1725, s'est enfin présenté, par l'ordre du Synode
national tenu en Yivarais, le 16 mai 1726, pour être examiné et reçu
dans le saint ministère, h quoi nous, les soussignés, ayant acquiescé,
il a été examiné dans la vie et dans les mœurs, et par un examen en
théologie, en présence des députés à ce nommés, et, après avoir heu-
reusement proposé la Parole de Dieu en notre présence, nous avons
demeuré très-satisfaits de l'un et de l'autre, et avons reconnu que le
Seigneur lui avait départi des talents considérables pour l'édification
de son Eglise. C'est pourquoi nous lui avons conféré, h la face d'une
assemblée publique, l'ordination, selon la manière de l'imposition des
mains reçue dans nos églises, pour remplir toutes les fonctions du
saint ministère, soit dans la prédication de la Parole de Dieu, l'ad-
ministration des saints sacrements, soit dans l'exercice de la disci-
pline ecclésiastique et dans tout ce qui en dépend, et nous lui avons
donné la main d'association.
« Qu'il plaise à Dieu que par son Saint-Esprit il le fortifie et sanc-
tifie dans la vérité, qu'il le remplisse de ses grâces, et qu'il fasse
réussir son ministère è la gloire de son saint nom, à l'avancement
du règne de Jésus-Christ.
« Au Désert, le dix-septième mai, mil sept cent vingt-six,
« En foi de quoi, nous nous sommes signés :
« Jacques Roger, pasteur, modérateur; AntoineCourt, pasteur,
modérateur adjoint; Corteiz, pasteur.
« Je rends témoignage au présent certificat:
«Boyer, proposant du Languedoc et secrétaire du Synode national :
Roux, proposant du Languedoc; Jean Rouvier, proposant:
Bernard, proposant; Guilhot, proposant: Fauriel, proposant. »
Pierre Dnrand^ etc., p. 22.
DIVISION DL LANGUEDOC EN QUARTIERS 301
couru un peu à raventure le Lang'uedoc. Missionnaires
toujours prêts à partir, ils allaient où les fidèles les
appelaient. De là, un fâcheux état de choses. Certaines
ég-lises étaient trop visitées ; d'autres étaient trop né-
g'iig'ées et n'entendaient qu'à de longs intervalles les
exhortations des pasteurs * . Or, quelle que fût l'ardeur
de la piété, le contact incessant des prédicants avec
les fidèles pouvait seul désormais empêcher qu'elle
ne s'éteignît. Le Languedoc fut donc divisé en sept
quartiers^ et à chacun de ces quartiers fut attaché
un proposant. Outre les assemblées publiques que
celui-ci convoquait, il devait instruire les familles où
il logerait, réunir de petites sociétés particulières, y
faire des exercices de piété, et interroger les fidèles
sur le catéchisme. Dans ses courses, il assemblait en
colloque les Anciens, leur faisait rendre compte de
leur conduite, et leur adressait censures ou éloges,
publiquement, selon qu'ils le méritaient. Il ne restait
enfin que six mois dans un même qîiartier; deux
fois par an, les Synodes assignaient un champ diffé-
rent à son activité ■\
Quant à Court et à Corteiz, les deux seuls pasteurs
du Languedoc, ils s'étaient partagé la province entière.
Sans poste fixe, ils couraient le pays. Ils entreprenaient
de longues courses à travers les églises, baptisant,
mariant, donnant la communion. Voilà le seul moyen,
disait Court, de « fournir à l'instruction d'un grand
peuple ^ . »
1 N" 7, t. Il, p. ;>00. (17:>5.)
2 V. Pièces et documents n" XIX.
3N" 7, t. III, p. 127. (I7?r,.)
30;^ DISCUSSIONS AVEC GAUBERÏ
Cette dernière mesure ne fut pourtant pas appliquée
sans difficulté. Les prédicants se voyaient avec peine
soumis à la décision arbitraire des Synodes. L'obliga-
tion de quitter, deux fois par an, leur quartief leur
était à charge. Les uns trouvaient les quartiers assi-
gnés trop peu importants, et y croyaient leur talent
déplacé*; les autres, avec plus de raison, prétendaient
qu'on avilissait par là leur ministère dont la liberté
seule faisait la grandeur ^. Le proposant Gaubert refusa
d'obéir aux ordres du Synode. Il s'ensuivit une polémi-
que avec Court, et ce fut une occasion offerte à ce der-
nier de placer la question sur son véritable terrain :
« Les vues qu'on s'est proposé en établissant cet article ont
été doubles. La première, afni que toutes les églises fussent
visitées exactement, et que chacune eût tour à tour les prédica-
tions nécessaires, ce qu'elles n'avaient point avant l'établisse-
ment de cet article; les prédicateurs, se trouvant presque tous
à la fois dans un même endroit ou se plaisant plus dans quoi-
qu'un, négUgeaient absolument les autres. L'autre raison, qu'on
a eue en vue, a été que toutes les églises eussent part aux grâ-
ces et aux talents qu'il a plu à Dieu de départir à ses servi-
teurs. Les talents pouvant être plus ou moins considérables
selon la divine grâce de Dieu, l'édification de l'Eglise s'en trouve
aussi plus ou moins grande, et chacune d'elles peut et doit
souhaiter d'en être participante. Ces vues me paraissent nobles
et n'ont rien> selon moi, de condamnable. Ajoutez que le mi-
nistère peut acquérir par ce changement plus de poids et d'effi-
cace, les choses perdant de leur goût pour être trop communes,
les peuples se familiarisant trop avec les prédicateurs pour les
avoir vus et fréquentés longtemps, — familiarité qui est d'un
grand préjudice au ministère, les exhortations et les censures
» N" 7, t. II, p. 475.
« Ibid., p. 231.
HEUREUX RÉSULTATS DE CETTE xAIESURE 303
perdant par là leur principale force. S'il était praticable, un
même prédicateur devrait être moins vu d'un même troupeau
que l'était un Roi de Perse de son peuple *... »
La querelle dura quelque temps, alimentée par des
lettres, des répliques et des mémoires. Gaubert finit
par se rendre aux raisons de Court, et cette sag'e me-
sure, qui mettait les ég'lises en communication directe
et incessante avec le prédicant, fut adoptée par tous.
Le prédicant parcourait ainsi son quartier^ hameau
par hameau, maison par maison. De là, un zèle crois-
sant parmi les fidèles. Leur piété était sans cesse
tenue en éveil, et le chang*ement même de leurs visi-
teurs donnait du charme à la persévérance et du prix
à la foi. Pour le prédicant, marchant de nuit plutôt
que de jour, tantôt sous un déguisement, tantôt sous
un autre, il mettait en défaut par des déplacements
continuels les espions et les soldats. Son œuvre s'ac-
complissait lentement, sûrement. De plus, au chef-
lieu du quartier^ on avait réuni quelques ouvrages en-
voyés de l'étranger. Ces ouvrages ne pouvaient être
ni aliénés ni déplacés; ils étaient destinés à ceux-là
seuls qui prêchaient ^. Aux heures de tristesse, de
découragement ou de repos, le prédicant pouvait
puiser dans ces livres, choisis avec soin, le courage et
l'instruction nécessaires pour s'acquitter de la mission
que les Synodes lui confiaient.
Ainsi, rien n'avait été épargné pour conjurer les
effets de la Déclaration. L'union des églises était un
1 N" 7, t. Il, p. ;eoo.
^N" 12, p. 31. (1725.)
304 LA SITUATION EN 1726
fait accompli, la piété des religionnaires était entre-
tenue par de quotidiennes exhortations, leur charité ve-
nait enfin d'être mise à l'épreuve. Court avait terminé
le mémoire qu'il s'était chargé d'écrire « sur l'établis-
sement d'une bourse publique pour l'entretien du
ministère, des pauvres, des prisonniers et d'un député
dans les pays étrang'ers. » Une collecte avait été faite,
et les résultats avaient heureusement trompé ses appré-
hensions *.
« Le zèle parmi nous ne se dément pas, écrivait Antoine
Court au retour d'un voyage fait, en 1726, dans la province ;
il semble, au contraire, à tous moments brûler de nouvelles
flammes... J'ai administré dans toutes les églises la sainte
Gène; le nombre des communiants y a été considérable, dans
quelques-unes il a monté au delà de mille. Partie de ces assem-
blées ont été faites de jour et les autres de nuit; presque dans
toutes, on y a vu paraître des personnes de marque et dont le
zèle, après avoir été longtemps endormi, se réveille^... Dans le
cours de ma visite, j'ai béni quelques mariages et baptisé quel-
ques enfants ^... »
Il faut ajouter, pour compléter le tableau, que le
petit corps des prédicants venait de faire deux nou-
velles recrues : c'était Maroger, originaire de Nîmes %
1 N" 7, t. II, p. 405.
2 Ce zèle parmi les personnes « démarque » était-il le résultat d'une
lettre récente que Court avait écrite : «... J'en ai une autre (lettre)
contre la noblesse et les gens riches... qui n'assistent pas aux assem-
blées... Je sais que les résolutions vigoureuses ne sont pas a])prou-
vées de tout le monde; mais je sais aussi que, lorsqu'elles ne s'éloi-
gnent pas d'une prudence bien entendue, elles sont d'un grand usage. »
N" 7, t. III, p. 50. (1726.;
3 N" 7, t. II, p. 385. (Avril 1126.)
* « A mon retour de Montpellier (1724), dit Corteiz, M. Maroger,
natif de Nîmes, nous vint trouver pour nous déclarer qu'il voulait se
AVÈNEMENT DE FLEURY AU MINISTÈRE 305
et Claris, de Lézan, dans le diocèse d'Alais. Ces deux
jeunes hommes avaient sollicité du Synode la permis-
sion de prêcher sous la croix, au lendemain même de
la Déclaration.
La situation ne s'était pas sensiblement aggravée.
Une assemblée avait été surprise à Alais et les soldats
avaient fait quelques prisonniers. C'était tout.
Il semblait que l'attention de la cour, occupée par
les questions politiques et le mariag-e de Louis XV, se
fût détournée de la question religieuse \
Mais, en 1726, le duc de Bourbon fut exilé, etFleury
devint officiellement premier ministre. Quelque temps
après, l'évèque de Fréjus, arrivant au comble des hon-
neurs, fut préconisé à Rome dans un consistoire et
nommé cardinal. Dès lors, tout chang'ea.
Duplan, qui par ses relations en Suisse était informé
de ce qui se tramait à Paris, avait prévenu Antoine
Court. « L'évèque de Fréjus, lui disait-il, depuis son
consacrer au service de l'Eglise sous la croix. Je l'exhortai d'augmen-
ter ses lumières pour être en état de soutenir un examen de la part
de MM. les ministres, proposants et Anciens; je lui démontrai les
peines, fatigues, duretés, mépris, et enfin le martyre auquel il fallait
s'e.xposer en embrassant ce parti. Il me répondit qu'il avait réfléchi
sur toutes ces choses, mais qu'il sentait en lui un courage qui ne
pouvait venir que de Dieu: ce qui nous donna h. croire qu'il était
appelé de Dieu. Quelque temps après, il vint rester quelques mois
avec moi ; sa piété, son zèle, sa mémoire et sa grande facilité à s'é-
noncer dans les sermons, nous fit un véritable plaisir; ensuite il fut
reçu dans le corps des {)roposants. » N° 17, vol. H. Relation histo-
rique, etc.
' Au désespoir des évèques. V. la curieuse correspondance de de
Brou à Melli(.'r. Histoire des Eglises de Bretagne, etc., p. 22S.
(Octobre 1724.)
I 20
306 MÉMOIRE DE L'ABBÉ ROBERT
élévation au cardinalat, n'attend que d'avoir réglé ses
intérêts avec quelques puissances « pour abolir le
nom des protestants en France. » C'est une créature
des jésuites. Il a demandé la fameuse Déclaration
de 1724, et il va la faire exécuter. Veillez ! »
Duplan ne se trompait pas. A peine Fleury était-il
revenu au pouvoir que le clergé, qui connaissait ses
sentiments intimes et le regardait volontiers comme
« son champion, » suivant le mot de Maleslierbes, l'ac-
cablait de ses demandes, de ses mémoires, de ses priè-
res, et le suppliait de prendre enfin des mesures éner-
giques contre le protestantisme. On possède la lettre
et le mémoire d'un abbé Robert, prévôt de l'église
cathédrale de Nîmes, homme, paraît-il, modéré et pru-
dent; le document est curieux.
« Le non usage de leur religion, pendant quarante ans, n'en a
point détaché (les religionnaires) ; les pères et mères l'impriment
dans le cœur de leurs enfants, et n'ont pas de peine à détruire en
eux les premières teintures qu'on tâche de leur donner dans
leur éducation. Plusieurs, même de ceux qui avaient été dociles
à Dieu et goûté le don céleste, se sont retirés de la foi qu'ils
avaient reçue, et ont été d'un exemple très-pernicieux à ceux
qu'on travaillait à faire rentrer dans le sein de l'Eglise; ils ont
même entraîné des cathoUques dans l'erreur. Ils ne sont plus
intimidés par les ordres qui émanent de l'autorité royale. Gomme
ils sont sans effet, ils n'en font aucun sur leur esprit; ils les
regardent comme des coups de foudre qui s'évanouissent avec
leur hruit, et, n'en étant point intimidés, ils ne deviennent que
plus opiniâtres. Aussi doit-on se persuader qu'il n'y a pas moins
de calvinistes en France qu'avant la conversion générale.
a II est douloureux qu'un si grand œuvre n'ait eu aucun
fruit général et qu'on puisse dire qu'il est plus reculé qu'a-
vancé; la cour paraît même l'avoir perdu de vue et n'a montré
MÉMOIRE DE L'ABBÉ ROBERT 307
ses intentions que par des actes de loin en loin qui, quoique pu-
bliés dans tout le royaume, n'ont eu aucune force et sont de nul
effet. Tout ce qu'a produit jusqu'à présent la prétendue con-
version générale, n'a été que d'ôter à une partie des sujets du
Roi tout exercice réglé dans leur religion, presque tout senti-
ment de véritable christianisme, et que de les mettre en occa-
sion de tomber d'une apostasie dans une autre, et de forcer les
ministres du Seigneur à une profanation continuelle des sacre-
ments de l'Eglise*. >»
Et il indiquait les moyens propres, selon lui, à re-
médier à ce c( pitoyable état de la religion. » Fleury te-
nait l'abbé Robert en haute considération; plus d'une
fois il lui emprunta ses vues, et il adopta même plus
tard son projet sur la question des mariages ; il n'est
donc pas inutile d'indiquer les moyens que l'abbé pro-
posait. Ce dernier avouait volontiers, quoiqu'il n'ap-
prouvât pas complètement la conduite de Louis XIV,
que, c( si les hommes se roidissent quelque temps contre
l'autorité, à la fin ils se rendent. » Tout son système se
réduisait précisément à un mélange de tolérance et de
sévérité. Il fallait, disait-il : P Faire composer un livre
clair, substantiel, méthodique, qui serait un résumé
des choses de la foi et qu'on appellerait le « Livre de la
religion, » puis, le distribuer dans tout le royaume ;
2" Maintenir l'interdiction de tout exercice du protes-
tantism-e ^ ; 3'* Former et placer dans les paroisses des
1 N» 17, vol. H, p. 651. (Novembre 1726.) V. aussi Bibliothèque na-
tionale, Mss. n» 7046, p. 58. Mémoire sur les moyens que l'on doit
mettre en usage pour convertir les protestants.
2 II serait à souhaiter, ajoutait-ij, qu'il fût possible de purger les
villes et les campagnes de ces zélés brouillons et de ces fameux ha'*
rangueurs qui croient devoir être en droit de faire les fonctions de
ministres et qui se font écouter comme des oracles, quoiqu'ils n'aient
pas même les preuves de leur religion.
308 MÉMOIRE DE L'ABBÉ ROBERT
ouvriers évangéliques dig-nes de leur nom et de leur
charge ; 4° Créer des écoles, choisir des maîtres avec
soin, et obliger les religionnaires à leur confier leurs
entants ; 5" Interdire aux protestants toutes les charges
publiques; 6" Leur défendre d'émigrer ou de rentrer en
France. Enfin sur la question des mariages:
«< Les pères et mères, ajoutait-il, n'ayant d'autres vues que
leur établissement, consentent au dehors qu'ils satisfassent
aux épreuves qu'on leur demande, et ces jeunes personnes s'y
livrent avec plaisir, poussés par des motifs purement temporels.
11 n'y a nulle uniformité dans ces épreuves : elles sont arbi-
traires à MM. les évêques. Les uns les exigent de quatre mois,
d'autres de six, et d'autres d'un an : on les oblige d'aller à la
messe les fêtes et les dimanches. Il y a même des paroisses
où les curés, qui en ont le catalogue, les appellent par leur
nom, comme des écoliers dans une classe, ce qui semble inté-
resser la dignité de la religion et la décence du service divin.
« Et comme ils veulent venir à leur fin, ils y sont assez régu-
liers, et, le temps de l'épreuve fini, on les marie en face de l'E-
glise, de sorte qu'après avoir professé le sacrement qui les unit
ensemble, ils sont également enracinés dans leurs premières
erreurs, et ils ne font plus aucunes fonctions de catholiques.
— Ce qui est si infaillible, qu'à peine, depuis quarante ans, en
a-t-on vu qui ayent été fidèles aux promesses solennelles qu'on
avait exigées d'eux avant leur mariage ; ce qui est une désola-
tion pour les ministres qui les reçoivent aux sacrements, pour
peu qu'ils aient de zèle et qu'ils soient prévenus de la sainteté
de leur ministère. »
Pour faire cesser ce scandale, il conseillait d'établir
deux sortes de mariages : l'un, pour les catholiques,
avec les termes : Ego 'vos in 7naôrimo7iium conjungo
in nomine Patris^ et Filii, et Spiritus Sancti et qu'on
regarderait comme sacrement; l'autre, pour les pro-
NOUVEL ÉDIT DE 1726 309
testants, dont le contrat ou, si l'on veut, l'engag-e-
ment, serait béni par le prêtre, mais simplement avec
l'eau et le signe de la croix, et n'aurait que des effets
civils ' .
Tel était le système de l'abbé Eobert ; en plus d'un
point il fut exactement suivi.
Un mois avant, au mois de septembre de cette
même année, avait été déjà sig'né à Fontainebleau,
confirmé à Montpellier et affiché dans la province, un
nouvel édit par lequel Louis XV ordonnait de sévir con-
tre toute personne qui aurait assisté ou qui aurait
même été « soupçonnée » d'avoir assisté aux assem-
blées. Les hommes, « sans autre forme ou figure de
procès, » devaient être envoyés aux g'alères, les fem-
mes recluses à perpétuité dans les prisons habituelles - -
La rigueur de cet ordre n'empêcha point de continuer
les assemblées ; on se borna à recommander la plus
gTande prudence". Deux assemblées furent cependant
surprises, l'une à Valleraugue, l'autre à Castres, dans
le haut Languedoc. Plusieurs prisonniers furent faits,
et La Fare, sommairement, les condamna aux galères et
à la tour de Constance "'. Il obéissait aux ordres qu'il
avait reçus.
' « Ce projet, dit Joly de Fleury, fut communiqué (en 1728 ou 1729)
au cardinal de Rolian qui ne s'en éloignait pas; le cardinal de Bissy
seul s'y opposa. »
2 N» 7, t. III, p. 61. (11 septembre 1726.)
■^ Ihid.
'* N" 1, t. IV, p. 100, 145, 155. « Tous ces événements fâcheux, man-
dait Court, ces rigueurs, ces ordonnances, joint au sourd murmure
qu'il se trame quelque chose de fort mauvais contre nous, intimident
les lâches, mais n'effrayent pas les gens fermes et courageux. » N" 7,
t m, p. 61.
310 ÉCOLES, AMENDES
Bientôt furent prescrites de nouvelles mesures. La
cour ordonna d'ouvrir des écoles dans chaque commu-
nauté. Les maîtres et les maîtresses furent obligés de
dresser une liste de tous les enfants des nouveaux con-
vertis, âgés de sept à quatorze ans; le curé et les évê-
ques furent priés d'en vérifier l'exactitude. Pour les
protestants, ils durent envoyer leurs fils et leurs filles
dans les écoles. S'ils n'obéissaient pas, ils payaient.
Corteiz rencontra dans une de ses courses un homme
qui se lamentait ; il avait plusieurs enfants, ceux-ci
ne voulaient point, après l'école, aller à la messe, et on
l'accablait d'amendes, — amendes peu élevées d'ail-
leurs, mais prélevées méthodiquement, avec persévé-
rance. Sur cette matière, les ordres étaient précis, et les
juges chargés de les faire exécuter étaient suspendus de
leurs fonctions, s'ils y mettaient quelque nég'ligence * .
Cependant , quoique fréquemment surprises , les
assemblées se réunissaient toujours. Les g^alères, la
prison, le gibet... sinistre perspective! mais qui n'ef-
frayait pas. On eut de nouveau recours aux amendes.
Le Languedoc, en 1728, fut par un ordre de la cour
divisé en cent cinquante-six arrondissements. Chaque
arrondissement comprenait un certain nombre de com-
munautés. Cela fait, on décréta que les nouveaux con-
vertis, habitant dans l'étendue d'un arrondissement,
seraient responsables des assemblées qui s'y pourraient
tenir, qu'ils seraient condamnés sans forme de procès à
des amendes arbitraires et aux frais des procédures,
qu'ils seraient enfin astreints, en cas de récidive, à con-
1 V. Pièces et documeuts, n"^ XVI, XVII et XVIII.
ARRONDISSEMENTS, AMENDES 311
tribuer à l'établissement de garnisons effectives. On fît
plus. C'étaient les prédicants qui convoquaient et pré-
sidaient les assemblées; la cour ordonna, lorsqu'ils se-
raient pris, que l'arrondissement, dans lequel aurait eu
lieu la capture, payerait une somme de 3,000 livres.
Les dénonciateurs seuls étaient exemptés de ces char-
ges, et ceux des nouveaux convertis qui remplissaient
leurs devoirs de catholiques et pouvaient le prouver
par un certificat del'évêque. « L'ennemi, écrivait Court,
n'est pas seulement attentif à la destruction du pas-
teur, il ne néglige rien de ce qui peut contribuer à la
destruction du troupeau ^ » On le dissipait, en effet,
par la famine.
Le système était ingénieux. Dans une ville du dio-
cèse d'Alais, quelques jeunes protestants, pris de vin,
maltraitèrent des bergers qui revenaient de la messe. Ils
furent enfermés en prison. Peu de temps après, ils par-
vinrent à s'évader. Cela fit grand bruit. On prétendit
que des protestants masqués, pénétrant dans la prison,
en avaient forcé les portes et avaient mis en liberté
leurs coreligionnaires. D'Yverny, qui commandait à
Alais, arriva aussitôt à la tête de deux compag^nies de
soldats. Il réunit ces derniers à ceux qui se trouvaient
déjà en garnison dans la ville, et de deux en deux les
envoya chez les nouveaux convertis. Ceux-ci durent
payer à chaque homme « dix sols par jour avec les usten-
siles, » cela pendant vingt-deux jours '\ La punition
était suffisante.
(Quelque temps avant cette expédition, un tragique
» V. Pièces et documents, ir XXI (1729.)
5 V. Histoire de VEglise d'Andnze, etc., p. 784 et suiv.
312 SUPPLICE DE ROUSSEL
événement avait profondément ému les protestants.
Un de leurs collègues, Alexandre Roussel, prêt à quitter
]eqicartier qu'il avait, suivant l'usag-e, évangélisé pen-
dant six mois, voulut convoquer une dernière assem-
blée. Il s'y rendait, accompagné d'un homme de con-
fiance, lorsque, tout à coup, sur la route, il sévit entouré
de quatre cavaliers : il était tombé dans une embuscade.
Il fut garrotté aussitôt, et, après avoir subi un premier
interrogatoire, conduit à Montpellier sous bonne
escorte. Son procès s'instruisit rapidement, et encore
qu'un puissant personnage eût intercédé pour lui, il
fut condamné à mort. L'échafaud se dressa sur l'espla-
nade de Montpellier , et le jeune prédicant subit avec
une héroïque fermeté le dernier supplice. C'était en
1728, au mois de novembre \
La reprise de la persécution n'avait étonné ni les pré-
dicants ni. Antoine Court; depuis 1724, ils s'y atten-
daient -.
^ A'. Pièces et documents, n"* XX.
2 Comme Malesherbes, nous entendons, par persécution, la grande
persécution, celle qui consistait à surprendre les assemblées, fusiller,
condamner aux galères et pendre les prédicants; l'autre, la petite,
n'avait point cessé depuis 1724; il suffit, pour s'en assurer, de parcourir
les registres du secrétariat de la maison du roi. Bien que très-
incomplets, ils sont instructifs. Ainsi pour l'année 1725 :
Lettre l. l'évêque de Poitiers et k l'intendant de Limoges. (Mars
1725.) Paudin du Treuil, gentilhomme d'Angoumois. « L'inten-
tion du roi, informé de sa conduite, est qu'il mette incessamment
hors de chez lui cette prédicante, et que, s'il ne se dispose à faire in-
struire ses enfants d'une manière convenable, S. M. y mettra ordre. »
Cette prédicante était une gouvernante. — A M. de Bouville, inten-
dant d'Orléans. (Avril.) Ordre « de mettre aux N. C. d'Orléans la
nommée Couvret, que son père, religionnaire, empêche de suivre les
instructions de son curé. » — A l'évêque de Soissons. Un père est
mort relaps. Ordre de mettre en liberté sa fille qui était au couvent.
LE CONSEIL EXTRAORDINAIRE 313
Les circonstances devenaient cependant assez criti-
ques pour s'en préoccuper. Dès que les premières me-
sures de répression furent appliquées, Court essaya de
constituer un corps, investi d'une puissance illimitée,
composé d'un petit nombre de membres, et qu'il serait
facile de convoquer pour faire face aux événements et
prendre les décisions nécessaires. Il proposa son des-
sein à l'un des Synodes de 1726, et le Synode l'ap-
prouva ^ Telle fut l'origine du Conseil extraordinaire.
Cq conseil se recrutait parmi les hommes de talent et
«tV énergie choisis dans les colloques % et devait être
présidé par un pasteur ^ Il se tint pour la première
fois, en 1726, vers la fin de l'année. Neuf articles y
furent mis en délibération et adoptés. Les uns regar-
daient les prédicateurs et les Anciens, les bons exemples
— A de Bouville, intendant (Forléans. Prière de relâcher une fille
Babault qui était au couvent. — A l'intendant de la Rochelle. Ordre de
séparer un nommé Bechet, marié sans les formalités, avec une nommée
Goribau. — A l'intendant d'Orléans. Ordre de mettre au couvent du
Saint-Sépulcre de Vierzon les nommées Pichery et du Plain, et h
celui des Hospitaliers d'Aubigny, la nommée Babault. — A l'ambas-
sadeur du roi d'Angleterre. (Septembre.) Louis Moquet et Suzanne
Chateigner, de Pouzanges, en Poitou, sont allés se marier k Jersey.
Prière de faire défendre aux recteurs des paroisses de Jersey et Quer-
nesey de marier les sujets du roi. — A l'intendant de la Rochelle.
Une veuve Boutiron s'est refaite protestante. Ses tîls demandent qu'on
la fasse mettre au couvent. Prière d'informer. — A l'iniendant de
Poitiers. Transférer Mlle Brouard aux N. Conv. de Poitiers, et de
Parthenay Mlle de la Darroterie. — Archives nationales, 0*372,
p. 139, 141, 164, 230, 247, 260, 391.
1 N" 7, t. II, p. 61 et 247. (1727.)
2 Ibid. On venait en effet de décider que le bas Languedoc et les
Cévennes seraient divisés en sept quartiers et seize colloques où l'on
ne résoudrait que les moindres affaires, celles qui concernera i(Mit les
églises comprises dans lesdits colloques.
8N»7. t. III. p 202.
314 ATTITUDE DES RELIGIONNAIRES
qu'ils devaient donner, et la manière dont ils de-
vaient se conduire dans l'exercice de leur charg-e ; les au-
tres réprimaient les jeux, les danses, les débauches,
c( les masquarades, » et indiquaient les mesures qu'on
devait prendre contre ceux qui persévéraient « dans
ces licences effrénées ; » d'autres encore déclaraient que
les assemblées continueraient malgré les édits, mais
qu'on les tiendrait avec la plus grande prudence. Ces
articles se terminaient enfin par la prescription d'un
jeûne solennel \
Une chose heureusement rassurait les prédicants,
c'était l'attitude résolue et calme des relig-ionnaires.
La persécution ne les avait ni effrayés ni abattus; et
les idées de révolte semblaient même avoir perdu tout
empire sur leur esprit. Ils attendaient avec résig*na-
tion des jours meilleurs. Si, douze ans après la mort
de Louis XIV, le régime de terreur qu'il avait adopté
était encore une fois rétabli, et si l'on voyait reparaître
les plus mauvais jours du règne précédent, la cour ce-
pendant avait beau multiplier les amendes, — on citait
tel village dont les amendes d'un seul mois s'élevaient
à mille livres, — élever les gibets, et, pour combler la
mesure, ordonner de remettre entre les mains des con-
suls tous les livres de religion % elle s'acharnait en vain
contre des hommes endurcis à la souffrance, qui dès le
premier jour de leur naissance avaient appris à faire
peu de cas de la mort, quand il s'agissait de leur vie
à venir. « Les peines afflictives, écrivait Court, soit
1 N° 7, t. III, p. 172. (1727.) — V. aussi Bullet., t. II, p. 240
^ Il y eut, en avril 1729, une ordonnance royale qui défendait de
])0sséder des livres de religion, sous peine d'amende, et, en cas de ré-
cidive, de bannissement. Archives de l'Hérault, C. 234.
COURSES DANS LE LANGUEDOC 315
qu'elles regardent les corps et les biens, ne sont pas
assez efficaces pour détourner un peuple convaincu de
l'excellence et de la nécessité de ses devoirs envers
Dieu ^ » Et ailleurs, parlant de la mort de Roussel :
« Votis avez raison de vous persuader que la mort édi-
fiante de notre clier frère M. Roussel n'aura point in-
timidé nos autres frères qui prêchent sous la croix. J'en
ai vu quelqu'un, et pendant la prison, et depuis la mort
de ce martyr, qui nous parut toujours avoir le même
zèle et le même courage. Je n'ai aucun lieu de croire
qu'il n'en soit de même des autres. Ils agissent tous
pour une bonne cause et sont tous persuadés qu'il y a
une Providence qui veille sur les événements, et qu'il
n'en arrive aucun, que ceux qui en sont les objets n'en
recueillent de grands avantages ^. »
Une telle attitude autorisait la confiance et l'es-
poir. On pouvait voir se dérouler, sans trop d'appréhen-
sions, la suite des événements, et poursuivre l'œuvre
commencée en 1715.
Les prédicants continuèrent de courir le Languedoc.
Antoine Court consacra les premiers mois de 1727 à
battre une partie de la province. Il visita successivement
les Garrig'ues, Foissac, Lédignan, Boucoiran, Saint-
Geniès, Nîmes, laCalmette, Lunel, Marsillargues, Cal-
visson. Nages, Sommières, Anduze, Lasalle, Saint-
Jean-du-Gard. « Notre temple dans ce jour, dit-il, fut
un enfoncement entre des montagnes. Pour nous y
rendre, nous fumes obligés de traverser un demi pan
de neige. » Il se rendit encore à Durfort, Manoblet,
1 V. Pièces et documents n" XXL
«N"?, t. III, p. 333. (1729.)
316 COURSES DANS LE LANGUEDOC
Saint-Hippolyle, Milhaud, Caveirac, Vergéze, Beau-
voisin ^.. Corteiz, de son côté, parcourait les ég'lises
des Cévennes et du haut Lang'uedoc.
« Le 29 juin 1727, ayant prié les Anciens de la montagne de
la Lusette, ou du moins de la paroisse de Mandagout (les plus
proches de cette montagne) de convoquer l'assemblée à une
place qui favorisât les réformés des paroisses et villes du Vigan,
de Molières, de Bréau, d'Aulas, de Mendagout et de Vallerau-
gue, — comme il fut un beau jour de dimanche, l'assemblée
était fort nombreuse. Quelques messieurs soutenaient qu'elle
passait deux mille âmes. M. Court, les ministres Bombonnoux
et Roussel s'y rendirent. 11 se trouva aussi dans cette assem-
blée des fidèles de Saint- Jean-du-Bruel et de Cornus, environ
sept lieues de la place de l'assemblée.
« Après avoir embrassé les frères MM. Court, Bombonnoux
et Roussel, je m'en fus avec ceux de Saint- Jean-du-Bruel, et
après avoir annoncé la bonne Parole de Dieu à Saint-Jean, je
me rendis à Cornus, ensuite à Saint-Afïrique. Après avoir ex-
posé la prédication de l'Evangile dans ces endroits, je serais
volontiers allé jusqu'au Pont de Camarès, si l'on ne m'avait in-
formé que les fidèles de ce lieu m'attendaient avec une grande
impatience et par là faisaient voir qu'ils en avaient connais-
sance, et que les ennemis en pouvaient avoir aussi, et que la
prudence demandait de différer ^. »
Loin de s'éteindre, le zèle, comme un incendie,
aug-mentait, g-ag-naitde proche en proche. Les bornes
du Lang'uedoc étaient déjà franchies. Les protestants
commençaient de s'agiter sérieusement en Rouerg-ue, en
Guyenne, dans le comté de Foix, dans l'Orléanais, eu
Bretagne, en Saintonge, dans le Poitou.
1 N» 7, t. II, p. 365. (Avril 1727.)
■2N° 17. vol. H. Relation historique, etc.
ROUERGUE, GUYENNE ET POITOU 317
On sait que les religionnaires de cette dernière
province avaient, en 1718 et 1719, tenu des assemblées
publiques et poussé l'audace jusqu'à se réunir sur
l'emplacement de leurs temples détruits ^ Mais un des
subdélégués de l'intendant s'était immédiatement porté
sur les lieux, et par une prompte répression avait bien-
tôt fait tout rentrer dans l'ordre. Les chaires avaient
été brûlées, les fidèles dispersés et Bertlielot pendu.
« Tout est présentement tranquille, écrivait-on ; ils ne
laissent pourtant pas de s'assembler, mais sans éclat. »
En 1720, le lieutenant g-ouverneur du Poitou, M. de
Cliâtillon, avait de nouveau multiplié les expéditions
de dragons et les condamnations. On avait bientôt vu
les prisons de Niort remplies de protestants. C'est
après ces terribles événements que le jeune prédicant,
dont il a été parlé, Cliapel, avait parcouru ce mal-
heureux pays ^. 11 avait convoqué plusieurs assem-
blées et distribué près de neuf cents catéchismes de
Drelincourt. De tous côtés, on l'avait prié de rester,
mais il avait refusé, était partie Cette courte appari-
tion avait été comme une lueur dans un ciel sombre, et
les protestants du Poitou en avaient longtemps vu de-
vant leurs yeux briller l'éclat. L'éblouissement durait
encore en 1726.
Cette année, au mois d'octobre, le Synode venait
(le s'ouvrir en Languedoc, au Désert, lorsqu'on y vit
arriver des hommes inconnus. C'étaient des députés
de la basse Guyenne, du Rouerg'ue et du Poitou. Ils
* V. chap. IL, \u GU.
2 N-17, vol. R, p. 193.
3 0)1 a vu qu'il •s'était roinlu dans le comté tle Foix, en il22>
318 . DÉPUTATION DU ROUERGUE, ETC.
présentèrent un long* mémoire portant la signature de
plusieurs « bons bourg'eois et bons marchands du
pays, » qui priaient le Synode de leur envoyer des pro-
posants et des pasteurs. Ils furent pressants , ils
montrèrent tout un peuple « affamé et altéré, sans
pain, sans eau, privé de tout secours, et de toute con-
solation. »
Le bruit en effet de la restauration du protestan-
tisme avait couru la France, comme il avait couru l'é-
tranger, et les espoirs longtemps déçus aimaient à
se reposer sur le Languedoc, dont la situation était
relativement prospère.
Le Synode ému envoya le proposant Maroger * .
Celui-ci écrivit bientôt qu'il avait trouvé les religion-
naires de ces contrées remplis d'ardeur, qu'ils avaient
un vif désir « de s'avancer dans la piété, » et qu'ils
commençaient «de faire des sociétés religieuses, le
saint jour du repos. » Ils savaient, ajoutait-il, le ca-
téchisme, mais ils n'avaient pas de livres; ils étaient
disposés aussi à chanter les psaumes de la nouvelle
version, mais ils n'avaient pas de psautiers. On de-
vait donc envoyer « six douzaines de catéchismes, au-
tant de psaumes, deux ou trois douzaines de Nouveaux
1 « Nous avons été obligé, écrivait Court, de faire une députation
de l'un de nos proposants et du sieur La Rivière qui l'accompagne
dans le haut Languedoc, la basse Guyenne et le Poitou. Les fidèles
de ces cantons firent une députation dans notre Synode la plus tou-
chante. Ils sont représentés par leur mémoire comme un peuple af-
famé, sans pain et sans eau, privé de tout secours et de toute conso-
lation. Ils n'oublient rien de tout ce qui est capable de toucher pour
en obtenir. Ce mémoire est signé d'une trentaine de bons bourgeois
et bons marchands du pays. Nos affaires, grâce au Seigneur, parais-
sent aller de mieux en mieux. » N° 7, t. III, p, 5L (Octobre 1726.)
COURSES DE MAROGER 319
Testaments et autant d'Armes de Sio7i. » — Marog-er
continua ses courses, prêchant, convoquant des assem-
blées partout où c'était possible. Une assemblée avait
été récemment surprise à Castres : les religionnaires
ne s'effrayèrent pas et continuèrent d'aller au Désert.
Au mois de février 1727, Maroger se trouvait à G rais-
sessac oii « tout allait bien * . »
L'année suivante, au Synode, les fidèles de Guyenne
et du Rouergue envoyèrent encore des députés. Ils
remerciaient l'assemblée de leur avoir délégué un pro-
posant, mais la suppliaient de vouloir bien leur donner
un pasteur et un second proposant pour le service de
leurs églises. Le Synode leur eût volontiers accordé ce
qu'ils réclamaient, mais les circonstances étaient trop
graves pour se priver du secours d'un pasteur. Il se
contenta d'envoyer un proposant et choisit Maroger
pour cette mission ^
« Le Synode des Cévennes, dit Gorteiz, fut convoqué le 12 sep-
tembre. Les réformés de la Guyenne et de la Rouergue y envoyè-
rent deux députés avec une lettre de remercîments, de ce que
notre corps leur avait envoyé un proposant; secondement, ils
présentèrent une requête par laquelle ils priaient l'assemblée
synodale de vouloir bien leur donner un pasteur et un proposant
pour le service des églises. Le Synode leur témoigna d'abord la
joie qu'il ressentait de leur demande, et la douleur de ne pouvoir
leur accorder un pasteur, leur démontrent que le Languedoc
n'en avait que deux, et que ces deux pasteurs avaient bien de
la peine de pouvoir subvenir, et que les églises du Languedoc
et des Cévennes ne sauraient s'en passer sans perte. Mais le
1 N» 7, t. IV, p. 170 et 209. (Décembre 1726 - février 1727.)
« N" 17, vol. H., p. 545.
320 COURSES DE GAUBERT, CORTEIZ, ETC.
Synode leur accorda notre cher frère Maroger, proposant, et
qu'un des pasteurs leur ferait visite de temps en temps. »
Maroger partit aussitôt. Il trouva les choses en voie
de prospérité et le zèle accru. Dans l'intervalle qui avait
séparé ses deux voyages, Gaubert avait en effet péné-
tré dans le liaut Languedoc, affermi l'ordre et même
réuni un colloque \ Corteiz de son côté avait visité la
Guyenne ; il avait prêché quatre fois au Désert et cé-
lébré trois fois la Cène. Malheureusement les dangers
se multipliaient, et il s'était retiré -. Quelques difficul-
tés avaient donc disparu et l'œuvre devenait plus facile.
Maroger parcourut le haut Languedoc et le Eouergue,
établissant partout des Anciens et des consistoires.
On voit par ses lettres trop rares qu'il passa à Millau,
à Camarès, Saint-Aftrique, Faugères, Bédarieux, Mon-
tagnac ^ . Bientôt il pria Antoine Court devenir baptiser
quelques enfants, et bénir près de quarante mariages \
En 1729, le Synode heureux des résultats obtenus ré-
solut d'envoyer un second prédicant dans ces contrées.
« Une nouvelle députation, écrivait Court, a été faite
vers les églises du Rouergue et de la haute Guyenne.
Cette petite mission s'étendra, s'il est possible, jusqu'au
pied des monts Pyrénées ^. » Bétrine, (j^ui venait d'arriver
de Lausanne, et un jeune ])roposant, nommé Grail,
furent désignés pour aller rejoindre Maroger ^.
1 N» 1, t. IV, p. 243 et 299. (1727.)
'i Ihid. (Juillet 1727.)
3 Ihid. (Novembre 1727.)
* Ihid. , p. 367. (Janvier 1728.)
s N" 7, t. III, p. 359. (Août 1729.)
^ Voici leur lettre de créance :
« Nous, les pasteurs, prédicateurs et Anciens, députés des églises
COURSES DE CHAPEL DANS LE POITOU 321
Les prédicants du Languedoc, on le voit, n'avaient
encore pénétré ni en Saintonge ni en Poitou. Mais
Chapel y avait reparu. Cet liomme hardi, qui avait
sillonné vers 1722 ces deux provinces et s'était ensuite
dirigé vers le comté de Foix, était revenu au milieu
de l'année 1728, et avait convoqué en peu de temps
jusqu'à quarante assemblées*. A la fin de 1729, il
se trouvait encore dans le Poitou, et l'influence dont
il y jouissait peut se mesurer au degré d'inquiétude
qu'il inspirait à la cour. « Quoique vous n'ayez pu
du bas Languedoc et des Cévennes, aux fidèles du haut Languedoc,
Rouergue, Guyenne Saintonge, Poitou, etc. Salut.
« Messieurs nos très-chers et très-honorés frères, connaissant l'uti-
lité de la prédication de l'Evangile et le pressant besoin que vous
avez qu'elle s'établisse parmi vous, informés, d'autre part, de vos bon-
nes dispositions à la recevoir, assemblés en Synode, nous avons dé-
puté vers vous notre très-cher et bien-aimé frère, Monsieur Betrine,
l'un de nos prédicateurs, accompagné du sieur Grail, aspirant à la
charge de prédicateur, dans le dessein qu'il s'emploie ncn-seulement
k vous prêcher l'Evangile, mais de plus à affermir ou à établir l'ordre,
selon la discipline ecclésiastique, comme à toutes les autres choses
nécessaires. Recevez-le, chers frères, non-seulement comme une per-
sonne qui nous est précisément chère, non-seulement comme une
victime qui va s'immoler pour votre service, mais encore comme une
personne qui mérite par soi-même, par sa piété, par son zèle, par sa
sagesse, toutes sortes de déférence. Obéissez à ses exhortations, sui-
vez ses sages et judicieux avis, rendez-vous à ses conseils, marchez
selon la règle qu'il vous indiquera. Du reste, nous ne vous parlons
pas de son entretien et de sa conservation, persuadés que vous ne
négligerez rien de tout ce qui pourra contribuer h l'un et ?i l'autre.
Que le ciel accompagne de ses bénédictions les plus abondantes et
de sa grâce la plus efficace sa députation au milieu de vous! Qu'il
rende son ministère heureux et florissant! Qu'il bénisse et le prédi-
cateur et le peuple! Qu'il couvre tous de sa puissante protection et
vous conserve tous ensemble chèrement !
« Du Désert, et de notre assemblée synodale, le neuvième août mil-
sept cent vingt et neuf. Signé et scellé du sceau de nos églises.
« A. Court, pasteur; M. Maroger, prédicateur; Corteiz, pasteur; Claris. >»
« N" 1, t. IV, p. tl5 (1728.)
I 21
322 I.E PROTESTANTISME DANS L'ORLÉANAIS
parvenir à faire arrêter le nommé Cliapel, écrivait-on
à l'intendant de Poitiers, la reclierclie (pi'on a faite de
ce prédicant produira un bon effet, et intimidera les re-
ligionnaires qui favorisent les assemblées (|ui sont de-
venues depuis quelque temps plus fréquentes, mais
qui seront bientôt interrompues par les ordres que vous
me marquez que vous venez de donner et par l'arrivée
des troupes qui doivent hiverner dans la province'. »
Et plus loin : « Il y a lieu de supposer qu'en continuant
de traiter sévèrement, comme vous vous le proposez,
ceux que vous soupçonnez encore d'entretenir ou d'ex-
citer le trouble, les mouvements des religionnaires de-
viendront moins fréquents -. »
Les documents manquent à cette date sur les autres
provinces du royaume, mais il est très-probable que
les relifj-ionnaires commençaient de s'v remuer à la ^oix
deprédicants inconnus, et que leur conduite était assez
audacieuse pour qu'ils ne passassent déjà plus inaperçus.
L'Orléanais en est un curieux exemple. Cette province
comptait peu de protestants à la Révocation, cepen-
dant, en 1729 déjà, les rares descendants de ces der-
niers ne craignaient pas de jeter le masque et s'a-
vouaient hautement hug'uenots. L'évêque d'Orléans,
tout ému, s'en plaignait, l'intendant s'en préoccupait
sérieusement, et la cour était oblig*ée de prendre des
mesures pour arrêter le mal.
tt M. le cardinal de Fleury m'a remis la lettre que vous lui
avez écrite au sujet du grand nombre de familles protestantes
1 Archives nationales. 0' 376, p. 400. (1729.)
2 Ibid., p. 414. (Novembre 1729.)
EN N()Ri\IANDIE, BRETAGNE, ETC. 328
(juo vous avez dans votre diocèse, et qui se perpétuent, faute de
pourvoir à l'éducation des enfants, et par les mariages «[ue l'ont
des prêtres étrangers. A l'égard du premier article, si vous
voulez bien envoyer un état des jeunes personnes des deux
sexes que vous croirez devoir être mises dans les couvents,
collèges ou pensions, je vous enverrai les ordres du Roi à cet
effet. Quant aux prêtres ([ui font des mariages entre gens de lii
religion, lorsque vous ferez procéder contre eux, soit à votre
oflicialité, s'ils sont de votre diocèse, soit à la requête du sieur
procureur du Roi du Chàtelet, s'ils sont étrangers, un seul ju-
gement de rigueur qui interviendrait ferait cesser ces abus ^ »
Et encore :
«< «le vous envoie plusieurs ordres du Roi que M. révê(|U('
d'Orléans m'a demandés pour faire mettre dans les couvents,
collèges et hôpitaux, plusieurs enfants des protestants pour être
instruits. Vous tiendrez, s'il vous plaît, la main à ce que leurs
pensions soient exactement payées par leurs familles ^. »
L'exemple des religionnaires de l'Orléanais n'était
assurément pas isolé. Dans l'Tle de France, où le
clerg-é, en 1715 déjà, se plaignait des protestants; en
Picardie, où plusieurs familles émigraient en 1724 •' ;
en Normandie, où les religionnaires se signalèrent plus
tard par leur zèle ; en Bretagne, où depuis 1715 ne
cessaient de s'agiter quelques hommes dévoués, —
les protestants devaient certainement commencer de se
voir, se groupaient, reprenaient courage, et^ quoique
épiés, surveillés, menacés, tendaient à s'isoler pour
1 Archives nationales, O^ 376, p. 346. (Octobre 1729.)
2 Ibid., (Novembre IT2V.)
3 V. aussi un « Etat de ceux qui font profession de la R. P. li. en
rélection de Péronne, et qui vont au prêche k Tournay par la route
de Cambrai, Vicogne et Saint-Amand. » (1731.) Esscdsur les Eglises
de VAisne, p. 127.
324 PROSPÉRITÉ DU LANGUEDOC ET DU DAUPHINÉ
la pratique des choses religieuses , se faisaient une
place à part, et transformaient, à défaut de temples,
leurs demeures en sanctuaires.
Ainsi, au Nord comme au Midi, le protestantisme
s'org'anisait, se reconstituait.
Antoine Court, bien que la persécution, loin de ces-
ser, redoublât en ce moment, s'abandonnait à la joie,
en apprenant ces nouvelles. Volontiers il eût répété ce
qu'il avait récemment écrit à Duplan : « Nos affaires,
grâce au Seigneur, paraissent aller de mieux en
mieux * . »
Si le protestantisme en effet se consolidait dans l'Est
et dans le Nord, que dire de la situation du Dauphiné
et surtout du Languedoc ? En 1728, Court entreprit un
long voyage dans cette dernière province ; il en revint
rempli d'espérance. « Les diff'érentes assemblées, prises
dans leur total, pouvaient monter au delà de trois
mille personnes. Dans toutes, nous avons administré la
sainte Cène; dans aucune, nous n'avons eu aucune
alarme; dans presque toutes, nous avons reçu des gens
à la paix de l'Eg'lise^. »
Le ministre et l'ambassadeur de Hollande ayant
demandé que l'on fît le dénombrement des protestants
du Dauphiné et du Lang'uedoc, on y travailla aussitôt^.
Il fut alors prouvé que depuis la révocation de l'Edit de
Nantes le nombre des réformés n'y avait pas sensible-
ment diminué. On y trouva deux cent mille protestants.
î N" 7, t. m, p. 51. (1726.)
2 N° 7, t. III. — Coquerel a publié rintéressant récit de ce voya^'e.
V. tome I., p. 176.
3 N" 17, vol. G. ■
ÉGLISES DU LANGUEDOC 325
Encore ceux qui se disaient protestants, « et qui as-
sistaient à la messe, » n'étaient-ils pas compris dans ce
nombre. Il y avait cent vingt églises, et chacune de ces
églises comprenait plusieurs villag*es ou hameaux.
Corteiz en comptait pour le Synode du bas Languedoc
vingt-neuf, dix-huit pour celui des Cévennes, et douze
pour celui de Lozère*; le Vivarais en contenait quarante-
deux, le Rouergue huit, le haut Languedoc onze.
A la tète de ces églises se trouvait un Synode natio-
1 Voici les églises qui, vers la lin de 1728, existaient en Languedoc ;
Synode du Payf<-Bas.
\. Vauvert, le Cayla, Saint-Gille, Générac, Beauvoisin.
2. Caissargues, Saint-Cézaire, Nîmes.
3. Caveirac, Langlade, Clarensac.
4. Bernis, Uchaud, Milhaud.
5. Calvisson, Saint-Dionizy, Saint-Cosme, Nages.
6. Congéniés et les hameaux voisins,
7. Saint-Laurent, Aimargues, Marsillargues, Lunel, Gallargues.
8. Aigues-Vives et ses hameaux.
9. Aubay, Junas, VilJevielle, Sommières.
10. Au delà du Vidourle, Montredon, Favas. Aspères avec Aujar-
gues, Saint-Bauzille.
11. Combas, Fontanès, Souvigniargues.
12. Saint-Félix, Vie, Cannes.
13. Sauve, Quissac.
14. Saint-Hippolyte, La Cadière.
15. Lézan, Lédignan, Cassagnoles, Massane, Maruejols
16. Boucoiran, Ners, Lascours.
17. Sauzet, Saint-Geniès, Saint-Bauzély.
18. La Rouvière, Saint-Mamert. Dions, la Calmette, Carignargues.
19. Blauzac, Sanilhac.
20. Uzès, Pail
21. Montaren, La Beaume, Puisargue.
22. Garrigues, Coulorgues, Aurillac.
23. Foissac, Aigaliers, Gatigues, Barron.
2A. Saint-Hipolyte, Saint-Jean, Saint-Just, Euget.
25. Saussines, Bouquet, Mailaivargues (?), Seynes.
26. Lussan, Vendras, Rochegoude. Fond-les-Tavernes (?)
326 ORGANISATION
liai, et plus bas le Conseil extraordinaire qui se réu-
nissait dans les circonstances graves; trois Synodes
étaient en outre, chaque année, rég-ulièrement convo-
qués et s'occupaient des choses d'intérêt général; seize
colloques résolvaient les affaires courantes.
Pour l'évangélisation du Languedoc, on comptait
dix proposants et deux pasteurs : Corteiz et Court;
27. Saint-Laurent, Fontaines, Saint-Quentin.
28. Saint-Ambroix, les Mages (?), Miltenn (?)
29. Saint-Jean-des-Anneaux, Barjac, Salavas, Vallon, Lagorce.
N" 17, vol. H, p. 506.
Synode des Cévennes.
1. Ganges.
2. Sumène.
3. La Rivière, Saint-Laurens, Montdardier.
4. Saint-Julien, Roquedur.
5. Le Vigan.
6. Bréau, Molières, Aveze, Aumessas, Arigas.
7. Aulas, Mendagout.
8. Valleraugue.
9. Meyrueis,.
10. Durfort.
11. Anduze.
12. Lasalle, Saint-Bonnet, Soudorgues.
13. Sainte-Croix, Toiras, Saint-Jean, Corbes.
14. Mialet, Générargues, Saint-Sébastien.
15. Peyroles, Saint-Martin, Saumane.
16. Saint-Jean de Gabriac, Le Pompidou, Sainte-Croix.
16. Saint-Etienne, Saint-Roman.
18. Les Plantiers, Saint-André.
Synode de Lozère.
1. Les paroisses de Fraissinet (?) le mandement des Rousses.
2. Vebron, Saint-Laurent de Trêves.
3. Barre et ses hameaux.
4. Florac, Montez, Lasalle-de-Montvaillant.
5. Saint-Julien, Bedouez, Grizac.
6. Recouliez (?), Fressinet, Labrousse (?)
7. Pont de Montvert, Frugères.
8. Cassagnas, Saint-Germain, Saint-Martin.
9. Saint-Privat de Vallongre, Saint-Frezal
PROPOSANTS ET PASTEUPvS 327
Bétrine , Combe , Rouvière , Bombonnoux, Gaubert,
Roux, Boyer, Claris, Maroger et Rivière. Le Vivarais,
qui se dirigeait comme une province à part, avait
pour son service un pasteur : Pierre Durand, et cinq
proposants : Lassagne , Clerqné , Brunel , Bernard,
Guilbot.
Dans le Dauphiné enfin, Roger était l'unique pas-
10. Vialas, Genolhac, Chamborigaud.
11. Saint-Martin de Boubos, la Melouse, Blannares.
12. Castagnet, Saint-Andéol, le Collet deDézes. — N" 17, vol. H, p. 552.
Vw cirais.
Le Pouzin, Baix et Saint-Vincent-des-Barres.
Chomérac, Saint-Simphorien, Rochesauve.
Creyssac, Rompon, Saint-Juillien, Flaviac.
La Voulte.
Privas, Saint-André-de-Crei sel Iles.
Saint-Cierge.
Saint-Vincent-d'Urfort.
Pranles.
Saint-Sauveur.
Serres.
Ajou.
Issamoullenc.
Vais.
Gluiras.
Marcols.
Saint-Christol.
Le Champ, Saint-Prix et Saint-Cierge.
Saint-Maurice.
Silliac.
Chalançon.
Saint-Julien, la Crou:>se,
Saint-Jean, Charmes
Vernoux. •
Châteauneuf.
Boffre.
Bruzac et Toulaud
Saint-Didier.
Gilhoc.
328 ECOLES DE CHANT
teur; il était accompag'iié de trois proposants : Ville-
veyre, Fauriel et Faure*.
Il faut ajouter que trois écoles de chant pour les psau-
mes avaient été établies, l'une dans les montag'nes delà
Lozère, l'autre à Peyroles, et la dernière à Anduze ^
La cour cependant était persuadée qu'il ne restait en
France qu'une poignée de protestants, vieilles gens
2. La Mastre.
L Mounens et Saiut-Bazile.
L Saint-Julien-des-Boiitièi'es.
2. Saint-Agrève.
2. Chambon.
2. Saint-Voy.
1. Champelause?— N" 17, vol. 0, p. 3L"j. Tableau dressé en 1731
Hniit Languedoc.
1 Lacaune, Roquesier.
2. La Case.
3. Esperausses, Gigoiiet.
4. Vabres.
5. Vabres de Senegats.
6. La Palastrier (?)
7. Castres.
8. Réalmont.
9. Puylaurens.
10. Négrepelisse.
11. Montauban, — N" 17, vol. 0. p. 323. Tableau dressé en 1731
Rouergue.
1. Saint-Jean-de-Bruel.
2. Cornus.
3. Fondamente, Montfranc (\)
4. Saint-Félix-de-Sorgue, Le Cviyiar (?)
5. Saint-AÔrique,
6." Le Pont de Camarès.
7. Brusque, La Mouline, Saint-Ronie.
8. Millau de Rouergue. — N" 17, vol. 0, p. 324. (1730.)
1 Pour le tableau des églises du Dauphiné , ngus renvoyons au
tome II, thap. vi, p. 156.
2 N" 17. vol. H, p. 555.
CONGRÈS DE SOISSONS 329
obstinés, qui allaient bientôt mourir. Ne fallait-il pas
la tirer de cette erreur ? On écrivit de Paris qu'un con-
grès allait s'ouvrir à Soissons, et qu'il serait à propos
de lui envoyer un mémoire où seraient inscrits le nom,
l'âg'e et la demeure de tous les relig'ionnaires du
royaume * . C'était un moyen en effet de percer publique-
ment à jour le mensonge juridique par lequel on trom-
pait à la fois la cour et l'opinion publique. Le conseil
fut-il suivi, et le mémoire envoyé ? On ne sait. Il est
cependant intéressant de constater ce premier réveil de
l'opinion.
Les Lettres de Voltaire sur les Anglais n'avaient point
encore paru, mais elles étaient depuis longtemps déjà
composées : quelques-unes couraient sous le manteau.
«C'est ici le pays des sectes, y était-il dit; un Anglais,
comme un homme libre, va au ciel par le chemin qui
lui plaît. y> Et ailleurs : « (>)uand ils apprennent qu'en
France des jeunes gens, connus par leurs débauches et
élevés à la prélature par des intrigues de femmes, font
publiquement l'amour, s'égayent à composer des chan-
sons tendres, donnent, tous les jours, des soupers déli-
cats et long's, et de là vont implorer les lumières du
Saint-Esprit et se nomment hardiment les successeurs
des apôtres, ils remercient Dieu d'être protestants;
mais ce sont de vilains hérétiques à brûler à tous les
diables , comme dit maître François Rabelais. C'est
pourquoi je ne me mêle point de leurs affaires 2. » .
Quelques années plus tard, les Lettres parurent et
furent brûlées par la main du bourreau. Mais que de
' N» 7, t. III, p. 21s. — V. aussi il" 1, (. IV, p. 401. (1728.)
' Lettres sur les .iûfflais,^). ;{2 et ^'). Amsterdam. (17o5.)
330 LETTRES SUR LES ANGLAIS
lecteurs, venant à se rappeler la Déclaration de 1724,
les persécutions des jansénistes et celles des protes-
tants, durent s'arrêter pensifs devant cette affirmation
que, dans cette étrang:e nation anglaise, chacun pou-
vait prier Dieu à sa mode.
Antoine Court, cependant, prédicant inconnu dont
le nom n'était répété que par les espions et par les gou-
verneurs, continuait avec ses collègues, patiemment,
lentement^ son œuvre. Mais aux révoltes de sa con-
science et de sa raison, il pressentait que des temps
meilleurs approchaient. Plus d'hésitations seulement.
Il fallait déchirer le voile. Il fallait faire connaître à
la France et à l'Europe quel terrible et inégal duel se
livraient depuis quinze années un pouvoir despotique
et un peuple résigné.
CHAPITRE XI
LA VIE d'un PRÉDICANT
1715-1729
Cent viug't églises fondées, l'ancienne discipline réta-
blie, le nomljre des protestants du Lang-uedoc porté à
deux cent mille, le corps des prédicants aug-menté, le
séminaire fondé, l'attention des pays étrangers éveillée,
tels étaient, après quinze ans, les résultats obtenus.
Mais à quel prix ! Lorsque le prédicant Claris fut arrêté,
le subdélég-ué de l'intendant lui demanda en quel lieu
il était resté, depuis qu'il avait quitté la maison pater-
nelle ; Claris répondit : « Tantôt dans les villes, tan-
tôt dans les bourgs et les villages. » Ensuite il
ajouta : « Pour ma sûreté, j'errais de campagne en
campagne, et je couchais dans les forêts, dans les ca-
vernes. » — Tous les ouvriers du grand œuvre auraient
eu le droit de faire la même réponse. C'était bien au
prix de leur santé, de leur vie, qu'ils avaient restauré
le protestantisme en France.
Parcourez le pays, à pied, aux premiers jours d'au-
tomne ; évitez les grandes routes, mais demandez
au paysan les vieux chemins, les chemins du temps
jadis, abandonnés aujourd'hui. C'est là qu'ils ont passé.
332 COURSES ET TOURNÉES
La trace de leurs pas est encore marquée sur le sol,
et la contrée est si pleine de leur souvenir , qu'ils
apparaîtront devant vous, comme au temps où, soli-
taires, ils allaient de paroisse en paroisse glorifier et
prêcher la foi de leurs pères. Dans le bas Lan-
g-uedoc, le pays est plat, et les chemins, à travers les
vignes rampantes et les oliviers, s'étendent couverts
de poussière en longs rubans blancs. C'est une con-
trée riche et fertile, la contrée « de Chanaam, » comme
on l'appelait. Mais lorsqu'on s'avance vers les Cé-
vennes, ou que peu à peu on s'engage dans le haut
Lang'uedoc, la nature change d'aspect. Voici la mon-
tagne. Peu de vignes, plus d'oliviers. Des seigles, des
mûriers rabougris. Les châtaigniers centenaires se
tordent aux flancs des monts ; les torrents grondent au
fond des vallées; les villag*es deviennent rares; les
routes s'ouvrent tristement dans le roc; au-dessus,
s'étend le ciel d'un bleu intense.
C'est bien là (ju'ils ont passé. Comme ces pâtres
qui, encore aujourd'hui, descendent des hautes Cé-
vennes vers la plaine, aux jours de marché, ainsi ils
battaient le pays. C'était ce qu'ils appelaient « aller
de foire en foire. » Ils cheminaient à pied, le bâton à
la main, vêtus grossièrement. A les voir, on les eut
pris pour de rudes montagnards. Parfois ils allaient à
cheval, couverts de leur manteau, le chapeau rabattu
sur le front, en gens qui craignent d'être reconnus.
Mais le cas était rare. Ils n'étaient pas assez riches pour
acheter des chevaux, et les paysans leur prêtaient dif-
ficilement les leurs. « Pour moi qui suis toujours valé-
tudinaire, écrivait (.xaubert, je ne puis guère marcher.
UNE TOURNÉE DE C'URTEIZ 333
et le monde devient mal obligeant. Ceux qui ont de
bonnes montures, ne leur manque pas de bonnes rai-
sons pour se- dispenser de les prêter * . » Ils allaient
ainsi presque toujours à pied, s'arrêtant ici et là, prê-
chant, exhortant.
«< Et parce que M. Court se trouvait à Genève du temps de la
peste, et tous les passages bloqués à ne pouvoir entrer en Lan-
guedoc pour me soulager, je priai l'assemblée synodale de me
donner M. Rouvière, proposant, pour m'assister sans cepen-
dant qu'il touchât aux sacrements. Ce qui me fut gracieuse-
ment accordé.
« Ainsi nous partîmes, le 10 avril, de Nîmes pour aller ad-
ministrer la sainte Gène à l'église de Canaules... — Le 23, nous
allâmes administrer la sainte Gène à l'église de Manoblet;
le 27, nous allâmes rendre le même office à celle de Gros. Le
5 mai, nous donnâmes la même consolation à l'église de La*
salle; le 8, nous fîmes de même à l'église de Saint-Jean de Gardon-
nenque... En sortant de cette assemblée, on établit quelques An-
ciens pour les églises de Lasalle et de Saint-Jean. — Le 10, nous
fîmes l'assemblée en faveur de paroisses de Peyroles, de Saint-
Roman, de Soudorgues, de Saint-Martin, de Saumane. Il ne se
passa rien d'important dans cette vocation. Le 17, l'assemblée
fut formée en faveur des paroisses de Saint-André de Gabriac, de
Moleson, des Plantiers. Il ne se passa rien de remarquable, si ce
n'estque quelques familles divisées furent heureusement récon-
ciliées. Le 24, l'assemblée fut convoquée en faveur de Gassa-
gnac et des quatre paroisses voisines, savoir : les Baumes.
Saint-Germain, Saint-Martin, et partie de Saint-Julien et de
Saint-Privat. L'assemblée était environ de deux mille âmes ;
car, bien que l'assemblée ne fùl convoquée qu'en faveur de
quatre à cinq paroisses, il en vint de plus de six. Plusieurs firent
réparation devant la table du Seigneur, étant surtout coupables
du crime de lâcheté d'avoir assisté au prétendu sacritice de la
1 N' 1, t. IV, p. 117. (17;>(i.)
334 Î'NE TOURNÉE D" ANTOINE CoTJRT
Messe. Beaucoup de personnes furent heureusement réconci-
liées. Le 27, nous allâmes au bourg Saint-Germain, Nous ébran-
lâmes un peu les consciences de ces temporisateurs ; mais
n'ayant pas continué à les fréquenter, ils sont restés dans leur
crinnnelle tiédeur*... »
En 1728, Antoine Court fit nue tournée dans le bas
Languedoc et dans les Cévennes, seul d'abord, plus
tard accompagné d'un proposant. Dans l'espace de
deux mois et quelques jours, il visita trente et une
églises, y tint des assemblées, prêcha, donna la com -
munion, et parcourut près de cent lieues.
« Je men-emis en campagne le jeudi, vingtième mai. Sur mon
chemin, j'appris que M. Bétrine convoquait ce soir-là une as-
semblée. Je m'y rendis. Je partis de là pour Saint-Hippolyte
de Gaton où j'assemblai, le vendredi 21, l'église de ce lieu et
celles des environs... Le dimanche 23, je convoquai les églises
de Vendras et de Lussan; le lundi 24, celles de Saint-Laurent et
de Saint-Quentin ; le mercredi 26, celles d'Uzès et de Montaren ;
le jeudi 27, celles de Garrigues et de Foissac. Il ne se passa
rien de particulier dans ces assemblées. On y vit seulement,
comme en bien d'autres, plusieurs personnes qui n'avaient ja-
mais paru à nos sociétés religieuses. Tout y fut tranquille.
« M'étant rendu à Nîmes pour une affaire particulière, j'en
partis le lundi dernier mai, et j'assemblai, ce soir même, l'é-
glise de cette ville, celle de la Galmette et de Saint-Geniès,
Avant que de sortir de la ville, on vint me dire que l'assemblée
était vendue. Je* ne laissai pas de partir. Sur la porte de la
Bouquerie, je vis une troupe de soldats, et, un peu plus loin.,
une troupe d'officiers qui fixèrent un moment les yeux sur un
cavalier que j'avais avec moi. Ces deux troupes me firent crain-
dre qu'on n'eût accusé juste, sur l'avis qu'on venait de me don-
' N" 17, vol. H. Relation historique, etc. V. cette curieuse et émou-
vante relation dont Corteiz est l'auteur. Pièces et documents, n° XXIL
UNE TOURNÉE D'ANTOINE COURT 335
nor. Mais je n'en continiuii pas moins mon chemin, porsuatlé
que l'assemblée se .tenait un peu Irop loin de la ville pour être
suivie, et que, s'il y avait quelque chose à craindre, ce ne se-
rait qu'en revenant, et qu'alors il ne manquerait pas de moyens
pour rendre inutiles les soins des soldats. Nous eûmes un au-
tre obstacle. Ce fut une nuit sombre et obscure, accompagnée
de pluie : obstacle qui lit que plusieurs errèrent pendant la
nuit, sans trouver l'assemblée. Je rencontrai sur mes pas une
de ces troupes errantes à laquelle il fallut que je servisse de
iiuide. 11 cessa ce revers, et la pluie nous laissa assez tranquil-
lement achever notre exercice. Il n'en fut pas de même à notre
retour. Elle se renforça. Heureuse encore l'assemblée de n'a-
voir à se défendre que contre la i)luie ! Les soldats ne firent
pas de sortie.
« Le mardi 1^»' juin, je convoquai les églises de Lédignan,
Boucoiran, de Lascours, de Gruviès. M. Claris, qui devait m'ac-
compagner dans les hautes Gévennes et dans la montagne, me
vint y joindre. L'assemblée congédiée, nous partîmes et nous
nous rendîmes du côte de Brenoux où nous assemblâmes,
le jeudi 3 juin, cette église avec une de ses voisines. Quel(iucs
personnes de votre ville voulaient être de la partie, mais une
pluie très-forte, qui nous surprit en chemin, lit décamper tous
ceux qui s'étaient rendus sur la place à bonne heure. Les fidèles
(|ui étaient avec moi et qui n'étaient pas en nombre ne perdi-
rent pas courage. Nous nous rendîmes, malgré la pluie, sur
les lieux. Avant (jue d'y arriver, nous trouvâmes sur nos pas
une troupe de gens qui s'en retournaient chez eux et qui nous
apprirent que tous avaient déserté* Nous ramenâmes ceux-là
et rappelâmes par le chant des psaumes les moins éloignés des
autres. La prédication fut ouïe, et la sainte Gène célébrée tout
de même ({ue si le temps avait été beau ou moins mauvais.
« Le samedi matin, cinquième juin, j'assemblai les églises de
Ghamborigaud et de G... Gette dernière église, qui se distingue
de bien d'autres par son zèle et par son courage, me fournit
l'occasion d'exercer les principales fonctions de mon ministère.
Ge jour même, me furent présentés cinq enfants pour être
baptisés, et autant de mariages pour être bénis.
336 INTEMPÉRIES, SOUFFRANCES
«Le leiidemaiu matin, jour de dimanche, lurent convoquées
les églises de Genolliac, Frugères, et du Pont de Montvert, et
où assista encore Téglise de G... L'assemblée fut très-nom-
breuse. On y vit ce qu'on n'avait peut-être point vu depuis la Ré-
vocation, cinq enfants baptisés à la tête de l'assemblée. Cette cé-
rémonie attendrit le cœur de tous les assistants. Que de larmes
furent répandues pendant la prédication ! La pluie nous incom-
moda, non-seulement pendant cette cérémonie, mais encore
après. L'exercice achevé, la pluie ayant cessé, les uns se reti-
l'èrent et les autres prirent une réfection sur le lieu. Là, se virent
un grand nombre de cercles de personnes assises sur le gazon
qui avec simplicité prirent un sobre et simple repas composé
des aliments que chacun a soin de porter de chez soi, et qui se
termina par un chant d'un sacré cantique. C'est ainsi qu'on en
use ordinairement dans les assemblées de ce pays. Avant de
([uitter la place je bénis cinq mariages. »
riuie ou vent^ clialeur ou froid, ils bravaient tout.
La maladie ne les arrêtait pas. On se rappelle qu'An-
toine Court tomba malade dans les premières années
de son ministère ; malg-ré la fièvre, il persista à courir le
pays, se faisant porter par deux hommes, quand il ne
pouvait plus marclier. « Mon compagnon de voyage,
écrivait Corteiz, le frère Rouvière a été malade envi-
ron cinquante jours dans un village; il m'est venu
joindre, mais il est encore fort malade, bien qu'il
marclie un peu \ » La souffrance pouvait les étreindre,
non les terrasser.
Si du moins, le soir, ils avaient toujours trouvé un
accueil sympathique et un abri ! Mais combien de fois
ils n'avaient pour dormir « que la rase campag-ne, le
dessous des arbres ou les antres des rochers.» Ils étaient
1 N« 17, vol. G, p. 128.
L*H0SP1TALITÉ 337
encore, comme les prédicants de la première heure,
obligées de chercher un asile au Désert « entre des
rochers, des buissons coupés qui couvraient partie
d'une heaume ou caverne. » C'est là qu'ils se barrica-
daient pour passer la nuit ' . Une maison inconnue leur
oiFrait-elle l'hospitalité, il fallait encore qu'ils s'en dé-
fiassent. Peut-être le maître du logis était-il un traître.
Ne les avait-il point reçus, gagné par l'appât de la
récompense, pour les livrer aux soldats pendant leur
sommeil ? On répétait volontiers qu'un nommé Minot
avait ainsi livré un prédicant.
Cependant, on doit le dire, les religionnaires aimaient
assez à recevoir les prédicants ; ils y mettaient même
de l'émailation. Depuis le « réveil, » ils ouvraient fa-
cilement leurs maisons aux ministres qui venaient y
frapper; ils les -ouvraient au premier appel, sans hési-
ter, avec joie. C'était faire preuve de courag'e. Ces mai-
sons hospitalières étaient connues des espions; les
gouverneurs savaient tous quels en étaient les maî-
tres et on possédait à l'Intendance la liste des familles
chez lesquelles venaient habituellement loger les pré-
dicants ^ Si ces derniers étaient capturés chez eux, les
fidèles savaient quelle peine ils encouraient.
« Déiendons à tous nos sujets, avait dit le Roi en 1724, de re-
cevoir les ministres ou prédicants, de leur donner retraite, se-
ï « , . . Dieu, nicoiite Court, hénissait visiblement mon ministère^
malgré mes dangers, mes fatigues, et tout ce qu'il y avait à souflVir
pour la nourriture et pour les gîtes, qui étaient le plus souvent la
rase campagne, le dessous des arbres ou les antres des rochers. » N" 46,
cah. I.
2 Cette liste fort curieuse existe. Le Bulletin Ta publiée et nous en
avons eu l'original entre les mains.
1 22
338 LES DANGERS
cours et assistance, d'avoir directemenL ou indirectement aucun
commerce avec eux ; enjoignons à ceux qui en auront connais-
sance de les dénoncer aux officiers des lieux, le tout à peine, en
cas de contravention, contre les hommes de galères à perpétuité,
et contre les femmes d'être rasées etenfermées pour le reste de
leurs jours dans les lieux que nos juges estimeront à propos, et
de confiscation des biens des uns et des autres. »
Mais que pouvaient faire ces menaces et ces peines,
lorsqu'il s'agissait de donner asile à un de ces hom-
mes qui couraient la province pour le triomphe de la
commune foi, et qui, dans les longues soirées d'hiver,
passaient les veillées à raconter à leurs hôtes les souf-
frances subies, les succès remportés, et de quel poids
dans la balance de leurs destinées pouvaient être leur
zèle et leur persévérance.
« Le moment que le pasteur arrive à rassemblée, écrivait
Court, est épié par mille personnes qui chacune a un mot à lui
dire, ou un cas de conscience à lui exposer. Quatre heures en-
tières l'attendent ensuite pour le voir debout et bien occupé ; il
est trop aimé, il est trop rare pour trouver là la lin de son tra-
vail. 11 faut qu'il essuie les compliments d'une foule de gens qui
se jettent sur lui, dont il n'y a aucun qui ne lui baise la main et
ne lui demande fétat de sa santé. »
Les fatigues du voyage étaient grandes, les périls
plus grands encore. On avait mis à prix la tête de tous
les prédicants, et de fortes sommes étaient offertes à qui
les livrerait. On avait en outre répandu leur signale-
ment, et certains gouverneurs n'avaient pas hésité
à le donner à la populace. Ainsi, marchant au ha-
sard, par les routes détournées, prêchant dans les as-
semblées, reposant sous le toit de son hôte, le prédi-
cant était toujours sous le coup d'une surprise et
ESPIONS KT SOLDATS 339
pouvait être traîné à la mort. Les espions, soit misère,
soit cupidité, abondaient. Chaque jour, les gouver-
neurs recevaient des offres de service :
« J'ai l'honneur de vous informer qu'un homme s'est offert à
nous pour veiller, jour et nuit, [lour faire surprendre les prédi-
cants qui courent le pays et les assemblées qui se feront. Il me
paraît sage et de bonne volonté, et son ancien curé, homme de
bon sens, qui me le procure, veut m'en répondre. "
Aussi la police était-elle bien informée.
u J'ai l'honneur de vous informer que Durand a commencé
à paraître aux environs d'Anduze, depuis quelques jours. Je ne
sais d'oii il vient, ni où il a resté plus de deux mois. Un autre
prédicant a paru en même temps que lui ; vous trouverez son
portrait ci-inclus. »
Antoine Court et Duplan couraient le paj^s, dé-
guisés en officiers. La Fare en fut averti; il ordonna
aussitôt qu'on les arrêtât, indiquant la ville et la
maison où l'on aurait le plus de chances de les sur-
prendre ^
Que de périlleuses aventures! Un jour, près de
Nîmes, Court composait un sermon, assis au pied d'un
arbre. Tout à coup les soldats, qui le croyaient ré-
fugié dans une maison des environs, apparurent. A
cette vue, il grimpa sur l'arbre, et, caché par le feuil-
lage, il assista, témoin prudent, aux recherches qu'on
faisait pour s'emparer de sa personne^. Une seconde
fois, il se trouvait chez un coreligionnaire qui lui avait
offert l'hospitalité pour la nuit ; il dormait déjà ,
« N° 7, t. II. (1724.)
« N» 46, cah. I.
340 RÉCITS D'AVENTURES
quand un détachement de troupes arriva et un ofEcier fit
frapper à la porte. Le péril était grand. Court pria son
hôte de faire le malade et d'envoyer aussitôt sa femme
ouvrir aux soldats ; pour lui, il se blottit dans la ruelle du
lit où était couché son ami. La femme tira les verrous,
les soldats entrèrent, l'officier pénétra dans la chambre,
fouilla les armoires, sonda les murs; il ne découvrit
rien. L'hôte cependant, entr'ouvrant les rideaux, et
pâle de peur, lui témoignait son déplaisir de ne pou-
voir se lever, pour l'aider dans ses recherches, malade
qu'il était, et jurait bien haut que jamais prédicant
ne s'était caché dans sa maison; les soldats se décidè-
rent à partira — En 1725, le dang-er fut plus grand.
Court avait été prié par « des personnes de distinction »
de présider une assemblée à Alais. C'était un piég*e que
lui avait dressé un gentilhomme qui, pour prix de
sa trahison, devait obtenir une compag'nie de dra-
g'ons. L'assemblée fut surprise et Court obligé de vse
cacher pendant ving't et une heures sous un tas d'im-
mondices ^. C'est à ce propos que Duplan lui écrivait :
« Je vous vois surpris dans une maison par vos ennemis, ne
connaissant pas la carte du pays, courant pendant l'obscurité
sur des toits qui glissent à cause de la neige et de la pluie; je
vous vois repoussé du premier asile qui se présente à votre
fuite, je vous vois abandonné de tout le monde, presque saisi
par deux soldats qui se contentent de vous faire rentrer dans
votre réduit, comme dans une cage ou dans une prison dont ils
ferment la porte; je vous vois monter de hautes murailles qui
épuisent vos forces; je vous vois environné d'ennemis de
» N° 46, cah. I et V.
« Ibid.
RÉCITS D'AVENTURES 341
toutes parts et hors d'espérance de vous sauver, à cause de la
clarté des flambeaux qui environnent toute l'île. Je vous vois enfin
ramassant le bois de votre caisse, creusant votre tombeau dans
du fumier, et Dieu lui-même qui vous couvre, afin que les mé-
chants ne touchent point à son oint^ »
Voilà bien du liant style. — Court raconte ses aven-
tures avec infiniment plus de bonhomie et de naïveté .
Il avait, comme ses collègues, fait depuis longtemps
le sacrifice de sa vie, et il parle de la mort sans proso-
popée ni rhétorique, en homme qui ne la craint plus et
la brave en se jouant. Il n'insiste que sur une chose ;
son sang'-froid.
En 1715, en revenant de Nîmes, il aperçut à l'en-
trée des garrigues deux capucins. Il alla à leur ren-
contre, fit route avec eux, et mit bientôt la conversa-
tion sur le purgatoire, l'invocation des saints, la défense
de lire l'Ecriture et surtout la transsubstantiation. Les
capucins étaient fort intrigués; enfin l'un deux : «Vous
fiiites le fin, vous avez été aux assemblées. » Court ne
se déconcerta pas, et souriant, avec calme : « Je vois
par là que vous avez une idée plus avantageuse de ces
religieuses convocations que je ne m'étais imaginé.
\'ous avez raison. On y acquiert des connaissances sa-
lutaires, et elles sont formées pour l'instruction et non
pour y tramer des projets de révolte, comme vous avez
accoutumé de les en accuser calomnieusement. » Là-
dessus, comme on approchait du couvent Saint-Nicolas
et que l'aventure pouvait avoir une fin désagréable, il
abandonna en riant ses deiix compag-nons de routée
» N» 12, p. 51. (1725.)
* N" 46, cah. I et III.
34« RÉCITS D'AVENTURES
— Deux ans plus tard, harassé de fatigue, il entra
dans un cabaret sur le bord d'une route. Survint un
personnage qui n'était autre que le commandant de la
g'arnison d'un villag*e voisin. Le personnage l'inter-
rogea, et lui demanda avec autorité qui il était et où
il allait. Court répondit qu'il allait à Nîmes, et que,
s'il avait quelque chose à lui ordonner, il se mettait à
sa disposition. Le commandant de s'adoucir aussitôt,
d'assurer qu'il était très-sensible à ses obligeantes offres
de service, qu'il avait deux lettres à faire jeter au cour-
rier, mais qu'elles n'étaient pas cachetées et qu'il
craindrait de le trop retarder, s'il le priait de les atten-
dre. Court insista, entra dans le cabinet du comman-
dant, donna un faux nom, le lieu de son logis, et prit
les deux lettres dont l'une était pour Roquelaure et
l'autre pour Bâville. « Ainsi se tira-t-il d'une aven-
ture qui pouvait lui être des plus funestes, et des mains
d'un homme dont le principal emploi était de le faire
arrêter et qui vraisemblablement avait son signale-
ment \ »
Toutes les aventures n'avaient pas malheureuse-
ment un dénoùment aussi inattendu. On avait beau
prendre des noms supposés, se vêtir de costumes d'em-
prunt, et organiser pour déjouer les espions une contre-
police; trop souvent les soins étaient inutiles. Les
fidèles ne se ménageaient pas cependant; ils condui-
saient le prédicant aux assemblées, le prévenaient du
péril et le cachaient. Mais que pouvaient des efforts
isolés contre des espions sans cesse aux écoutes, âpres
i N" 46, cah. 1 et III.
. FERMETÉ DES MARTYRS 543
au g-ain, et contre des gouverneurs qui mettaient leur
émulation à arrêter les prédicants ! Une seule chose
étonne, c'est que le nombre des victimes ait été en réa-
lité si petit. Dans l espace de quinze ans, on ne pendit
que quatre prédicants : Arnaud , Hue , Vesson et
Alexandre Roussel. C'était peu.
On sait comment ils furent pris, mais avec quelle
merveilleuse fermeté d'âme ils subirent leur supplice,
c'est ce qu'on ne saurait assez admirer. « Jamais on n'a
vu une personne plus tranquille, écrivait Duplan à la
mère d'Arnaud, et plus résignée à la mort que ce pau-
vre agneau. Ses ennemis les plus cruels en ont été
touchés... Je ne doute pas, ma chère sœur, que vous ne
vous soumettiez avec joie aux ordres du ciel qui
avait prédestiné votre cher fils à être du nombre des
martyrs ; les hommes n'ont fait qu'exécuter les décrets
de Dieu. Il faut adorer avec un religieux respect cette
main invisible qui règle avec une souveraine sagesse
tous les événements qui arrivent dans ce monde*.» —
Lorsque Roussel fut pris et enfermé dans la citadelle
de Montpellier, le duc d'Uzès, qui le voulait sauver, lui
conseilla de contrefaire le fou. Mais lui, avec fermeté :
« Monseigneur, je vous suis très-obligé de vos bonnes
intentions en ma faveur, mais permettez-moi de dire
à votre Grandeur que je n'ai jamais été de meilleur
sens que je suis présentement, et que ma conscience ne
me permet pas de contrefaire le fol. » Il fut condamné
à être pendu, et l'exécution suivit de près lejug-ement.
iN» I, t. II, p 15. (1718.)
344 SUPPLICE DE ROUSSEL .
u L'heure de l'exécution étant venue, dit une relation du
temps, notre fidèle martyr vit entrer dans sa prison le bourreau
et un archer; ce dernier connaissant M. Roussel l'embrassa et
pleura; mais M. Roussel ne parut pas ému. Il se contenta de
témoigner sa reconnaissance à cet archer attendri, et il se mit
ensuite à genoux pour prier Dieu. Il le fit à haute voix, et sa
prière fut accompagnée de tant d'onction et de zèle, qu'elle ravit
en admiration Farcher et le bourreau qui n'étaient pas accou-
tumés d'en entendre de pareilles. Après cela, on vit entrer trois
ou quatre moines qui étaient venus à la citadelle, soit pour dis-
poser M. Roussel à la mort, soit pour le séduire à changer de
religion par les motifs capables d'ébranler un fidèle qui n'aurait
pas posé sa foi sur un solide fondement ; mais ce fut en vain
que les moines déployèrent leur éloquence. M. Roussel leur
répondit toujours avec beaucoup de douceur, de sagesse et de
fermeté touchant sa religion et son espérance. Il leur témoigna
que, bien loin de craindre la mort, il la regardait comme la lin de
.ses peines et son entrée dans le séjour des liienheureux; c'est
pourquoi il les priait instamment de le laisser en repos, n'ayani
aucun besoin de leur ministère. M. le major de la place qui
était près de là, ayant en tendu ces dernières paroles, entra dans
la prison, et dit à M. Roussel qu'il ne fallait pas mépriser ces
révérends pères, puisqu'ils étaient là pour le disposer à bien
mourir. M. Roussel lui répondit qu'il ne méprisait, ni n'avait
jamais méprisé personne; mais que, n'ayant aucun besoin du se-
cours de ces révérends pères, il les priait instamment de le
laisser en repos. Après ces paroles, notre martyr tira en parti-
culier M. le major, il le chargea de quelque chose qui regar-
dait sa famille, et, après avoir reçu la promesse qu'il souhaitait,
il le remercia, et ensuite il se dépouilla, et se remit entre les
mains du bourreau. On sortit ensuite de la citadelle. On avait
eu soin de ranger depuis la porte de la place jusqu'au gibet deux
fortes haies de soldats, le fusil monté et la bayonnette au bouL.
Notre martyr était accompagné par le bourreau, une troupe
d'archers, une autre de soldats, et une autre de tambours qui
battaient la caisse, et par les moines qui ne le voulurent pas
quitter, quoiqu'il les eût priés instamment de le laisser en re-
SUPPLICE DE ROUSSEL 345
pos, et qu'il les rebutât ensuite avec les bras, lorsqu'ils s'ap-
prochaient trop de ses oreilles dans un temps oîi il était uni-
quement occupé de Dieu. Mais notre martyr, en allant offrir à
Dieu le sacrifice de son corps, avait affaire à des oiseaux plus
opiniâtre? et ])lus mauvais que le patriarche Abraham, lorsqu'il
offrit le sien, comme il est raconté en la Genèse. Malgré le
bruit des tambours, il y eut des personnes qui s' étant appro-
chées, soit par faveur, ou par quelque argent qu'on donne aux
soldats pour pouvoir rendre témoignage de tout ce qui se passe
dans les derniers moments de ceux qui scellent la vérité de leur
sang, entendirent que notre martyr chanta une partie du
psaume Ll« et la fm du XXXiV® qui finit le dernier acte de sa
dévotion. On ne remarqua point dans sa route qu'il eût un vi-
sage triste ou effrayé, on remarqua, au contraire, un air tran-
quille, doux et modeste. 11 semblait qu'il allait plutôt à une
fête qu'à un martyre. Ses yeux étaient souvent fixés vers le ciel
qu'il regardait comme sa patrie et le lieu de son repos, après
avoir soutenu les combats et les épreuves qui sont attachées à
la profession de l'Evangile. J^orsqu'on fut arrivé au pied de la
potence, il se mit à genoux où il lit encore une pi'ière ; après
(juoi, il monta l'échelle avec beaucoup de courage et de fermeté.
Le bourreau attendri voulut encore le solliciter de sauver sa vie
en changeant de religion, mais comme c'était une aveugle ten-
dresse, ce furent aussi des paroles inutiles. Le bourreau fit son
office; fâme de notre martyr fut bientôt séparée de son corps ;
elle s'envola dans le ciel accompagnée des anges qui sont les
administrateurs de la parole de Dieu^ >>
Alexandre Roussel avait vin g't- six ans.
Antoine Court avaitréussi jusqu'alors à échapper aux
poursuites. Quoiqu'il eût traversé les plus g'rands périls,
il avait toujours déjoué les efforts de ses ennemis « par
un effet, disait-il, de la Providence divine. » Depuis
' V. Piècesi et clocumeiits, n" XX.
346 ANTOINE COURT EST POURSUIVI
le supplice de Roussel cependant, les espions étaient
en campagne et les troupes en mouvement pour le
surprendre. «Nous l'aurons votre M. Court,» disait-on
sans cesse aux religionnaires. Le P' mars 1729, la nuit,
le commandant de la ville, où il était caché, fit faire
des perquisitions dans deux maisons ; il ne le trouva
point. Le 2 avril, le même commandant, suivi d'une
partie de la garnison, alla le rechercher dans une
autre maison; ses recherches furent encore vaines,
a On voit par tous ces mouvements, qu'on ne man-
que pas d'espions, que je fais beaucoup de la peine à
l'ennemi et qu'on ne néglige rien pour me surprendre ;
mais on voit en même temps que les soins de la Pro-
vidence ne se lassent pas en ma faveur; qu'elle veille
pour ma conservation ; que les ennemis et les espions,
quelque rusés qu'ils puissent être, sont souvent con-
fondus dans leur maligne sagesse. » — Le 24 avril, un
détachement de soldats pénétra dans une maison de
Nîmes où on le croyait caché, et la fouilla eu tous
sens. Ce fut encore en vain. Mais l'intendant avait
résolu de s'emparer de ce prédicant qui, depuis quinze
ans, reconstruisait avec opiniâtreté ce qu'il renversait,
et tenait tête, seul, sans armes et sans appui, à la
cour, au clergé, aux espions et aux soldats. Sa tète
était mise au prix de dix mille livres, et la chasse était
ouverte. Court ne pouvait assurément tarder à succom-
ber sous la triple attaque du faux frère, du soldat et
du gouverneur * .
Les protestants étaient inquiets : (( Il a passé là ; il
' y Pièces et documents, n" XXI.
SA VIE, SES TRAVAUX 'Ml
a ris(^ué en tel endroit; il a échappé à tel péril; un
tel l'a voulu livrer*. » Quelques-uns lui conseillaient
de quitter la France et d'attendre à l'étranger que
l'orage fut passé. Mais il n'écoutait aucun conseil. « Il
avait reçu, disait-il, tant de marques de la protection
divine, il sentait son ministère si nécessaire à l'Eg-lise,
qu'il aurait cru pécher, et contre la bonté divine ([ui
l'avait protégé si souvent et en tant d'occasions diffé-
rentes, et contre l'Eglise à laquelle son ministère pa-
raissait si utile, et se rendre coupable d'une extrême
lâcheté, s'il avait abandonné son troupeau. » Il se fît
humble, inaperçu, prit des précautions et continua
son ministère.
Sa vie, comme celle de ses collègues, était toute
d'action, mais combien plus laborieuse! Il écrivait
non- seulement des apologies et des mémoires, lisait,
s'instruisait, composait des sermons et des lettres pas-
torales, mais encore il entretenait une active corres-
pondance avec les protestants de l'étranger et ceux
de sa patrie, Il ne lui suffisait point de s'occuper du
présent, il voulait encore préparer l'avenir. Le présent
même était plein de doutes, d'incertitudes ; que de
soins n'exig'eait-il pas ! La convocation des Synodes,
les rivalités et les colères à apaiser, les conseils adonner,
les malheureux à visiter, les améliorations à introduire,
les projets à débattre, la discipline à faire respecter,
— il fallait qu'il s'employât à tout, qu'il dirig'eat tout,
qu'il se donnât tout à tous. C'étaient des lettres aux
galériens pour les inviter à la patience, aux mères
* V. Pièces et documents, n" XXL
•MS VISITES PASTORALES
dont on avait enfermé les filles dans les couvents, aux
familles affligées par les mille douleurs de l'existence
augmentées de celles de la persécution, — lettres
pleines de tendresse, de sévérité et de mâles conso-
lations.— C'étaient des visites aux malheureux, et quels
malheureux! Les amendes multipliées, la misère — une
misère hideuse, croissante, — la faim déchirant les
entrailles, les soldats s'installant dans les maisons et
les ruinant, voilà les souffrances qu'il fallait voir et qu'il
fallait faire patiemment supporter. Tous en effet n'a-
vaient pas l'héroïque gTandeur d'âme de cette femme pro-
testante, la mère de Roussel. Lorsqu'elle apprit la mort
de son fils et la sérénité avec laquelle il avait subi le der-
nier supplice, loin de montrer de l'affliction, elle ne
témoig'na que de la joie. Antoine Court alla lui offrir
ses consolations ; mais elle : « Si mon fils avait montré
quelque faiblesse, je ne m'en serais jamais consolée,
mais, ptiisqu'il est mort constamment, que de g'râces
n'ai-je pas à rendre à Dieu qui l'a fortifié*. »
Ce n'était pas tout. Avait-on élu les Anciens, et les
consistoires fonctionnaient-ils bien? — Où en était
l'œuvre, et n'y avait-il point de reproches à adresser
aux prédicants? — Quand se tiendrait le Synode? en
quel lieu? Ne serait-il pas préférable de le convoquer
plus tard et dans un endroit moins exposé aux recher-
ches des troupes? — Mille autres choses. Court ne ta-
rissait point.
Les prédicants recevaient chaque jour des lettres de
lui, et répondaient. C'était un continuel échange de de-
^ V. Pièces et documents, n° XX.
LETTRES ET CORRESPONDANCE 3-49
mandes et de nouvelles. Des hommes sûrs et le courrier
parfois portaient les lettres. Celles-ci étaient adressées à
des personnes tierces qui étaient dans la confidence et
se cliarg'eaient de les remettre à leurs vrais destina-
taires, ou bien elles portaient des noms d'emprunt.
Lorsque Durand écrivait à Court, il mettait sur l'en-
veloppe le nom de Deling*èbe. Les autres proposants
se livraient en cette matière aux caprices de leur
fantaisie. « A Monsieur Court, écrivaient-ils, vicaire
de l'Eg-lise sous la f ; à Monsieur Ax, Cx bon berg'er
en son logement ; à Monsieur Court, avocat pour le
g-rand Roi en son conseil spirituel en Languedoc'. »
— Chose touchante que les sentiments de m^utuelle
affection et de support qui se manifestaient dans ces
lettres! Lorsqu'il ne s'agissait plus d'aff'aires ecclésias-
tiques, ces hommes écrivaient des pages d'un charme
infini, d'une délicatesse exquise. Il faut lire surtout la
correspondance de Duplan, deCorteiz et de Court; on
trouverait difficilement, malgré les g*rossiers défauts de
la forme, quelque chose de plus simple, de plus noble. Ce
ne sont que des conseils, des exhortations, des appels,
mais qui rappellent les épîtres des Pères par l'énergie
et par la tendresse. Avec les proposants surtout, qu'il
regardait un peu comme ses fils. Court entretenait une
correspondance suivie. Il leur traçait leurconduite, leur
donnait des conseils, leur indiquait des livres à lire;
il les réprimandait parfois et réparait leurs fautes. En
1725, quelques plaintes s'étaient élevées contre le pro-
posant Gaubert. Court lui ordonna aussitôt de quitter
* N" 1, t. II, m, IV, passitH.
3o0 LETTRES ET CORRESPONDANCK
son Eglise et d'aller porter son ministère dans un autre
qîiartier\ L'ordre déplut et Gaubert s'insurgea. Plu-
sieurs lettres furent échangées. « Vous vous mettrez
en colère, dites-vous, répondit Court. Il ne faut pas le
faire ; Dieu le défend, et cela vous ferait mal. » Légère
ironie, conseils, tendresse paternelle, rien ne man-
quait à ces épîtres. Et cependant, malgré cette affec-
tueuse sollicitude, un- sentiment de jalousie germait
déjà chez quelques-uns. On supportait difficilement sa
supériorité; elle commençait h devenir à charge; et,
bien qu'on n'en voulût pas convenir, elle paraissait fa-
tigante. Il y avait paru dans les démêlés qui suivi-
rent la nomination de Duplan à la députation. Il y
parut encore. On lui suscita mille ennuis, en identi-
fiant la cause de Duplan à la sienne ^
Combien l'horreur de cette vie vagabonde devenait
épouvantable, quand le prédicant avait, comme lui,
comme Corteiz, une femme, une famille. Corteiz était
marié à Genève. Depuis longtemps, il n'avait pas reçu
de nouvelles de sa femme, et il errait tristement, de-
mandant à ses correspondants habituels s'ils n'avaient
point reçu de lettre à son adresse. On avait partout ré-
pondu négativement. Alors, à bout de courage, il
écrivit à un marchand de Genève, son compère : « Si
ma femme est vivante, je la prie de m'écrire, et si elle
ne peut pas, vous aurez la bonté de le faire, et m'ap-
prendrez son état et celui de ma petite. Si ma femme
n'a pas d'argent pour payer la nourrice, vous lui en
donnerez, et nous serons toujours en bon compte. » En-
î N-' 7, t. II, p. 147.
9 N» 7, t III, p. 218. (1727.)
TRISTESSES ET DOULEURS 351
fin, il reçut les lettres de sa femme; elles étaient res-
tées un mois à Montpellier. Quelle joie ! « Je g'iorifie
de tout mon cœur le grand Dieu de ce qu'il vous a dé-
livré des maladies, des peines;... qu'il plaise à la
bonté divine de vous rétablir vos forces, et vous donner
toute la patience dont vous avez besoin ! » Un autre
jour, il apprit que sa mère était morte, et que le prêtre
avait refusé de la recevoir dans son cimetière, « parce
qu'elle n'avait pas voulu porter les marques de la
bête \ )) — Un autre jour, que son enfant, une petite
fille, \'enait de s'éteindre dans les bras de sa mère, loin de
lui : « Je n'ai jamais pu l'embrasser sur la terre, écrivait-
il; j'espère de la miséricorde de Dieu qu'elle jouit d'une
parfaite paix dans le ciel avec notre divin époux ^. »
Ainsi, fuir sans cesse, avoir l'oreille aux écoutes,
craindre le passant, voir sans cesse se projeter sur la
route l'ombre de l'écliafaud, et avec cela se sentir l'âme
torturée par cet épouvantable supplice : l'anxiété ! Que
faisaient-il ? Vivaient-ils encore? Fallait-il craindre, fal-
lait-il espérer? Plus tard une lettre arrivait, long-temps
attendue : elle apprenait la mort de la mère, de la fille.
Brisé, on s'arrêtait sur le bord du chemin, on pleurait.
Mais quoi ! était-on excusable de se livrer à sa douleur,
quand la voix de Dieu vous appelait à consoler des
douleurs bien plus grandes, celles des persécutés et
celles des victimes ! On reprenait sa route et on con-
voquait une assemblée. C'était la vie.
Antoine Court, s'était marié en 1722, à son retour de
1 N" 17, vol. G, p. 28.
«N» 1, t II, p. 431. (1721 )
352 MARIAGE D'ANTOINE COURT
Genève. Il avait épousé une jeune fille d'Uzès, dont il
avait probablement fait la connaissance dans ses courses
à travers le Languedoc. On la nommait Etiennette Pa-
ges, mais lui et ses amis l'appelaient simplement Ra-
cliel.
Sa jeune femme avait quelque fortune, mais surtout
une ferme piété. « Je vous marquerai très-volontiers, lui
écrivait un Ancien, l'état de Mademoiselle Pag(ès), car
je n'ai rien à en dire qui ne doive vous satisfaire et édi-
fier. Je vous dirai donc qu'elle édifie fort l'Eg'lise par son
zèle et sa débomiaireté ^ » C'est de cela qu'il s'était épris.
De ce mariag'o il avait eu trois enfants. En 1727,
sa femme habitait Uzès, et elle n'y avait pas été en-
core inquiétée, lorsqu'un jour le nouveau comman-
dant de la ville, venant à passer devant sa maison,
s'arrêta, fit quelques questions aux voisins, et con-
tinua son chemin. Grande peur! Court se rappela
ce qu'avait récemment écrit Duplan à sa femme ;
(( Je crains à tout moment qu'on ne vous enlève^. »
Il courut au-devant d'elle, et la pria de partir pour
Genève. Au commencement de l'année 1728, il di-
sait : « Ma Rachel est errante, elle n'habite plus la
maison; une vente a été passée sur partie de ses
biens, en faveur d'une permission que nous avons ob-
* N" 1, t. II, p. 450. (1721) — Quelle était cette iemiiie douce, dé-
vouée, courageuse, dont son fils, Court de Gébelin, devait dire plu^
tard : « Une épouse d'une force d'âme peu commune, et qui ne vivait
que pour sa famille?...» (V. Monde jpriml'Jf, t. A'III, p. 9.) Court
se montre très-discret à l'égard de sa femme; son nom est mémo
effacé dans quelques lettres. Il l'aimait beaucoup et on le lui reprocha
souvent. On verra plus loin (V. tome II, chap. xiii, p. 380) quelle fut
sa douleur, lorsqu'il la perdit. Il en mourut
a N" 12, p. 161.
COURT SE DÉCIDE A QUITTER LA EllAXCl-: o53
tenue de la cour. La permission a été jug'ée bonne, la
vente l'est aussi. Ma Eacliel n'attend que ce prix, ou
d'avoir mis quelqu'autre arrangement à cette affaire,
pour faire voile vers l'heureuse cité\ » Elle ne partit
cependant qu'en 1729, avec deux de ses enfants, et
arriva à Genève dans le mois d'avril.
Cette séparation fut très-sensible àx\ntoine Court. Il
aimait tendrement sa femme, et se voyait désormais
séparé d'elle et par la iong'ueur du trajet et par l'im-
minence du dang-er. D'ailleurs, il la savait malade,
et sa douleur était d'autant plus vive.
Il conçut le dessein d'aller la rejoindre. « Ces fré-
quentes indispositions, et un grand nombre d'autres
choses, augmentent le désir que j'aurais de vous voir -. »
Il prépara donc son départ, et se disposa à quitter la
France.
Cette détermination presque subite, dans la situation
surtout où se trouvait le protestantisme, étonne et elle
étonna ses coreligionnaires. Il est nécessaire de l'expli-
(p.ier. Depuis son séjour à Genève, Court avait sou-
vent souhaité d'aller se fixer à l'étranger. L'amour
de l'étude, le désir de déployer son acti^■ité sur un
plus grand théâtre, le soin des églises, tout l'y pous-
sait. Il avait cependant résisté à la tentation. Au com-
mencement de 1729, encore qu'il fut traqué de tous les
côtés et que beaucoup le sollicitassent à fuir, il s'était
décidé, on le sait, à rester en France. « Le Berger, qui
voit le loup et qui s'enfuit, est un mercenaire, » avait-il
dit à Du])lau. Mais le départ de sa femme fut pour lui
1 N" 7, t. 111. p. 274. (Août l',20.)
2 Ihid., p. 453.
I 23
354 PLANS ET PROJETS
comme un coup de foudre. Dans sa solitude, tous ses
projets, tous ses desseins, tous les rêves qu'il avait ja-
dis formés, apparurent subitement à la lumière de
son amour.
La situation du protestantisme, prospère sans doute,
n'était point florissante encore. Comment la ren-
dre plus satisfaisante? Quel moyen })our arriver à ce
but? — Continuerait-il de courir la province et d'or-
g'aniser la discipline? Il l'avait fait depuis sa plus ten-
dre enfance, et les résultats obtenus étaient excellents,
La limite du possible était atteinte; on ne pouvait
guère la dépasser. Mais éveiller l'attention de la
France et la piété des Puissances étran<^-ères, former
et préparer au ministère des jeunes gens dévoués et
instruits, faire entendre dans la grande mêlée du dix-
liuitième siècle la voix de la tolérance, demander
hautement réparation et justice, c'était la seconde et
la plus importante partie de l'œuvre, et voilà ce qui
restait à faire.
Court le dit quelque part. Expliquant les motifs qui
le poussèrent à se réfugier en Suisse :
« .Je voulais, dit-il, contribuer de tout mon jjouvoir, en pre-
nant soin de ma famille qui était depuis six mois à Genève, à
l'étaldissement d'un séminaire ; aider aux études des jeunes gens
qui y seraient envoyés, les diriger sur la manière de gouverner
l'Eglise et sur les moyens qu'il y aurait à suivre pour les pro-
grès de la religion; faire ce qui dépendrait de moi pour faire
consacrer ces jeunes gens dans les académies étrangères; éta-
blir des correspondances avec toutes les églises du royaume ;
contribuer à ce que le nombre de ces églises augmentât tous les
jours ; les aider toutes, autant que j'en serais capable, par mes
lumières et par mes conseils ; rassembler les matériaux pour la
r)KPART D'ANTOINE COURT 355
composition d'une histoire destinée à transmettre a la postérité
les miracles qu'une Providence, aussi magnifique dans Si's voles
(|u'impénétrabie dans ses vues, avait opérés en faveur d'une
Eglise dont un puissant Roi avait résoluja perte, et s'était féli-
cité d'avoir éteinte; et mettre ensuite les matériaux en œuvre ;
faire enfin tout ce qui dépendrait de moi en faveur de ceux que
la persécution chasserait de leur patrie et les forcerai ta cliercher
des asiles dans des bords étrangers.»
Vers la liu du mois d'août 1729 \ Aiituiiie Court se
décida donc à partir. Accompagné de Claris, jeune pro-
posant qu'il affectionnait entre tous, il se dirigea vers
la Suisse où devait s'écouler la seconde partie de sa vie.
Tl avait alors trente-trois ans. Depuis quatorze ans,
il évangélisait le Languedoc.
Au début de son ministère, quand il accompagnait
Brunel, il avait trouvé cette province dans une bien
triste situation. Le jjrotestantisme y était défiguré, la
discipline inconnue, les religionnaires rares et découra-
gés, les populations misérables et ignorantes, les prédi-
cants erraient à l'aventure, les Lispirés étaient honorés.
On sait quel était l'état dans lequel il la laissait. Et c'est
à quoi assurément il songeait avec orgueil, lorscpi'il
traversait une dernière fois ces contrées qu'il avait si
souvent parcourues , et où il avait marqué la forte
empreinte de ses pas. Oui, certes, il avait le droit de
se glorifier de son œuvre. Cette province lui apparte-
nait, c'était son ouvrage, c'était son bien; il l'avait
1 N" o7, p. H.Mémoii'e aux arl)itre5.
* Court dit (N" o7, p. 14) qu'il quiua la France en septembre; cepen-
dant il arriva à Lyon, le 2 septembre (N" 7, t. II, p. 363). 11 est pro-
bable que ses souvenirs le trompent et qu'il partit dans les derniers
jours d'août.
356 CONCLUSION
faite ce qu'elle était. De tous côtés, les religionnaires
effrayés lui disaient : « Vous nous abandonnez ! » Mais
lui : « Oui, Jérusalem, si je t'oublie, (jue ma dextre
s'oublie elle-même,' que ma langue s'attaclie à mon pa-
lais ^ » Il n'abandonnait pas ce qui avait été l'objet
de ses soins et le but de sa vie; il allait lui clierclier
au loin de nouveaux appuis et de nouveaux soutiens.
En 1729, les églises sous la croix avaient pris pour
devise: « Sauve-nous, Seigneur, nous périssons! » Dé-
sormais, elles allaient graver sur leurs sceaux : « Sous
la croix, le triomplie ! » •
* N" 46, cah. V.
FIN DU PREMIER VOLUME.
NOTICE
STTR LES
MANUSCRITS D'ANTOINE COURT
Les manuscrits d'Antoine Court n'étaient pas incon-
]ius. On savait que cette belle collection se trouvait à
la bibliothèque de Genève, et plus d'un auteur, qui
l'avait rapidement parcourue, en avait déjà vanté Tin-
térèt et la richesse. On y puisait peu cependant. Il
semblait qu'on la louait d'autant plus qu'on en con-
naissait moins les détails. Ce fut la Société de V His-
foire du Protestantisme finançais qui, dès ses débuts,
appela sérieusement sur ces manuscrits l'attention du
monde savant V En 1854, sur sa demande, Eug'ène
Haag' donna dans le Bulletin des renseio:nements cu-
rieux sur (pielques points obscurs -. En 18()1 enfin,
M. Francis ^\'adino*ton ])ublia l'inventaire sommaire
de tous les papiers d'Antoine Court conservés à Ge-
nève ■\ Depuis lors, plusieurs écrivains se sont en-
1 y. ]h>U('tin, t I, p. 133 et 237.
2 Ihid., t. U, p. 225.
^ Ibid., 1. X, i>. SO. — Nous renvoyons ;\ c(\ travail sérieux, bien
l'ait, et au'^si complet qu'il peut l'être dans ses minces proportions,
ceux de nos lecteurs qui voudraient se rendre compte de la richesse
et de la variété de cette collection.
'^'^S NOTICE
g-agés dans la lecture de cette vaste collection, ceux-ci
pour Y élucider quelque épisode obscur de l'histoire du
protestantisme, ceux-là pour rechercher quelque cu-
rieux mémoire, et aucun n'en est revenu sans rapporter
une riche moisson de découvertes ^
Nous avons dit ailleurs comment Antoine Court avait
peu h peu ramassé et réuni cette innombrable quantité de
documents^ ; il nous reste à en faire un relevé succinct.
La collection des « papiers Court » comprend cent
seize volumes rehés (gros in-é"), deux paquets de pièces
non classées, un cahier assez épais et un carton rempli
de papiers ayant appartenu à Court de Gébehn. Elle
est divisée en cinquante séries.
N" 1. — Lettres adressées à Antoine Court. (1718-
1755.) 28 vol. in-4" marqués L
AC.
N" 2. — Lettres d'Antoine Court et de son fils à
M. de Vég-obre. (1750-1783.) 1 vol. in-4'\
W 3. —Lettres adressées à Court deGébelin, (1735-
1755.) 1 vol. in-4\
NO 4 _ Minutes de lettres de Court de Gébelin.
(1749-1754.) 1 vol. in-4".
N° 5. — Mémoires divers d'Antoine Court. (1731-
1746.) 1 vol. in-4\
N' 6. — Indice pour les 28 volumes de lettres adres-
sées à Antoine Court. 1 vol. in-4".
^ Pour^ ne citer que deux faits, c"ef?t de là, par exemple, qu'ont
été extraits le récit des souffrances de Blanche Gamond, publié par
M. Th. Claparède, et les mémoires de Borabonnoux et du baron d'Ayga-
liers, publiés par M. Frostérus.. Nous ne parlons pas naturellement
de toutes les pièces qu'en a tirées le Bulletin, et qu'il a disséminées
dans ses vingt et un volumes de documents inédits.
2 V. tome I, chap. vu, p. 225 et 228: tome II, chap. i, p. 22 et suiv..
et chap. xrii, p. 386 et suiv.
NOTICE 359
N" 7. — Minutes des lettres d'Antoine Gonrt. (1720-
1755.) 13 vol. in-4% marqués LDC.
N° 8. — Table g-énérale des matières contenues
dans les 28 volumes de la correspondance (série n° 1).
1 vol. in -4".
N"9. — Copies de lettres et divers procès-ver])aux.
(1745-1748.) 1 vol. in-4.
N" 10. — Lettres des amis de Court et actes des
conférences. 1 vol. in-4".
N" 11. —Lettres diverses. 1 vol. in-4".
N° 12. —Lettres diverses. 1 vol. in-4".
N" 13. — Lettres et mémoires divers. 3 vol. iQ-4".
N" 14. — Lettres de Sallet, ou mémoires recueillis
par lui. 1 vol. in-4°.
N" 15. — Lettres et autres pièces.
N" 16. — Traité sur les assemblées. 2 vol. in-4".
N° 17. — Recueils et mémoires. 22 vol. in-4", mar-
qués par les lettres de l'alphabet A. B. C, etc.
N° 18. — Recueils et mémoires. 2 vol. in-4. AA. BB.
N° 19. — Pièces diverses. 1 vol. in-4".
N" 20. — Pièces diverses. 1 vol. in-4''.
N"21. — Extraits et mélanges. 1 vol. in-4^
N" 22. — Recueils et extraits divers. 1 vol. in-4''.
N" 23. — Cours de théolog-ie. 1 vol. in-4".
N" 24. -^ Commentaires et controverses. 1 vol. in-4".
N" 25. — Traductions et sermons. 1 vol. in-4".
N" 26. — Morale en latin et en français. 1 vol. in-4".
N" 27. — Mélang-es. 3 vol. in-4".
N" 28. — Histoire des ég'lises réformées de France,
ou mémoires pour servir à l'histoire des ég'lises ré-
formées de France et de leur dispersion depuis la
révocation de l'Edit de Nantes jusqu'à présent.
2 vol. in-4.
000 XOTICK
N" 29. — Pièces sur les Camisards. 1 vol. in-4".
N" 30. — Eecneil de mémoires sur les Camisards.
1 vol. in-folio.
N'' 31. — Lettres sur les Camisards. 1 vol. in-4".
N" 32. — Histoire des Camisards. 1 vol. in-4".
N" 33. — Mémoire sur les Camisards. 1 vol. iD-4^
N" 34. — Mémoire sur les démêlés de quelques
séminaristes et de deux ministres de Poitou. 1 vol.
in-4\
N" 35. — Traduction des mémoires de Cavalier.
1 vol. in-4".
N" 36. — Recueil des pièces du voyag'e fait en
France par Antoine Cuurt, en 1744. 1 vol. in-4".
N" 37. — Papiers concernant les démêlés avec Du-
plan. 1 vol. in-4".
N" 38. — Liste des galériens. 1 vol. in-4".
N"" 39. — Histoire des martyrs. 1 vol. in-4".
N" 40. — Mémoire de Boyer. 1 vol. in-4'.
N" 41. — Jugement de Boyer. 1 cahier in-4'.
N° 42. — Histoire des ministres de France, tome I.
marqué A. 1 vol. in-4\
N" 43. — Papiers de famille. 1 vol. in-4".
N" 44. — Papiers divers. 1 portefeuille.
N"45. — Comptes. 2 cahiers in-folio.
N" 4() . — Mémoires de Court, banque profestante, etc .
N" 47. — Sermons, écrits d'édification.
N" 48. — Recueil de mémoires sur les protestants de
France. 1 vol. in-folio, marqué B. B.
N" 49. — Mélanges. 1 vol. in-folio, marqué B.
N" 50. ' — Supplément à l'Histoire de l'Edit de
Nantes, par Benoît. 1 vol. in-folio, marqué A.
Ces cent dix-huit volumes sont assez bien classés et
NOTICE 361
dans un ordre conveDable. Us contiennent l'iiistoire
complète et intime du protestantisme français au dix-
huitième siècle, et il en est peu qui n'offrent un réel
intérêt. Parmi les plus importants, nous citerons ceux
qui sont compris dans les séries 5, 12, 13, 17, 29,
30, 31, 32, 46, 48 et 50, — mais surtout et avant
tout; les séries 1 et 7. C'est là que sont déposées par
ordre de date et conservées dans un ordre parfiiit les
minutes de toutes les lettres d'Antoine Court ; c'est là
(jue sont réunies les réponses de tous ses correspon-
dants depuis 1718 jusqu'à 1755. Antoine Court, on le
sait, classait avec beaucoup de soin toutes les lettres
qu'il recevait, et prenait copie de toutes les siennes.
Telles il les avait arrang*ées, telles elles sont encore.
Tl y a peu de lacunes dans cette vaste correspondance,
et c'est, presque jour par jour, qu'on peut y suivre les
('vénements de sa vie, et l'histoire des ég-lises réformées
de France.
Un petit problème se pose ici cependant. Dans la
série n" 1, le volume I, le volume XVIII et l'année
1752 manquent complètement. Perte très-malheureuse î
car ce dernier volume contenait certainement de pré-
cieux détails sur la g-rande émig-ration. Il y a plus.
Les lettres adressées à Antoine Court ne vont que de
1718 à 1755, et ses réponses de 1720 à la même date.
Or, il a commencé son ministère en 1715, et il n'est
mort qu'en 1760. Que sont donc devenus 1" les lettres
où se trouvaient relatés les faits de 1715 à 1718, 2" les
lettres de 1752, 3" celles de 1755 à 1760, 4" les volumes
I et XVIII de la série n" 1 ?
Il est aisé de répondre à la première question. Dans
les premiers temps, Antoine Court, jeune encore et au
début de son ministère, ne conservait ni les lettres
.%2 NOTICE
qu'il recevait ni celles qu'il écrivait, lettres d'ailleurs
en petit nombre. Il n'y ajoutait aucune importance. Il
ne gardait, et sans beaucoup de soin, que les papiers
auxquels l'intérêt du moment donnait quelque valeur.
On les possède encore. Il les réunit plus tard et les
plaça sans ordre dans le reste de sa collection. Ce ne
fut que trois années après, en 1718, qu'il comprit l'im-
portance de ces lettres écrites au jour le jour et qu'il les
conserva. On ne peut donc rechercher ce qui n'a ja-
mais existé.
Il n'en est pas de même des volumes I et XVIII, des
deux volumes où sont relatés les événements de 1752,
et de ceux enfin qui allaient de 1755 à 1760.
Pour les quatre premiers, nous sommes disposé à
croire qu'ils furent égarés, après la mort d'Antoine
Court, de la façon suivante. Lorsque Court de Gébelin
partit pour Paris, il mit en dépôt à la Bibliothèque de
Genève, par l'entremise de M. de Végobre, la plupart
des manuscrits de son père, mais il en laissa quelques-
uns à son ami Charles de Lois (Louis de Chéseaux?).
A sa mort, la Bibliothèque acheta bien les manuscrits
laissés en dépôt, mais elle ne put probablement, mal-
gré les stipulations de l'achat, entrer en possession de
ceux que Charles de Lois possédait ^ C'est ainsi que
furent distraits de la collection ces quatre volumes,
1 Le 19 mars 1785, deux mois après la mort de Court de Gébelin,
les directeurs de la Bibliothèque proposèrent « d'acquérir ceux des
manuscrits de feu M. Court père, qui se sont trouvés dans l'hoirie de
M. Court de Gébelin son fils. Comme ces manuscrits contiennent
beaucoup de choses relatives à l'histoire des églises réformées de
France, l'avis fut de consacrer 15 louis d'or à cette acquisition. >> Assis-
taient à cette séance : Binet, Scholarque, deLescale, Vernet,Perdriau,
Sarrasin, Diodati, Sénebier, de Lubières, de Tournes. — La sœur de
Court de Gébelin, Pauline Solier, (V, tome II, chap. xiir, p. 396) ac-
cepta l'offre des directeurs, et voici son reçu : <.< Je soussigné, ai reçu
de M. le pasteur de Lescale, en sa qualité de recteur de l'Académie
NOTICE 36:r
égarés aujourd'hui, qui laissent une déplora "hle lacune
dans la correspondance.
Quant aux autres, voici ce que nous supposons. En
1755, Court vit subitement mourir sa femme et cette
mort lui causa une vive douleur. Découragé, il remit
peu à peu à son fils Court de Gébelin le soin des églises
de France. Court de Gébelin dépouilla l'immense cor-
respondance, fit les réponses, remplaça insensible-
ment son père, mais il était lui-même accablé de tra-
vaux, étant professeur au séminaire de Lausanne et
ramassant déjà des matériaux pour son grand ou-
vrage : le Monde primitif \ Selon toutes les probabi-
lités, il ne classa plus les lettres qu'il recevait, et
ne prit pas copie de celles qu'il envoyait. D'un côté,
les unes s'entassèrent, de l'autre, il ne resta pas trace
des siennes. En 1760, son père mourut. Il lui suc-
céda comme représentant des églises et vint bientôt
s'établir à Paris. Il quitta à Genève tous les papiers
classés de son père; il emporta ceux qui n'étaient pas
en ordre, et dont il pouvait avoir besoin, puisqu'ils
concernaient les dernières années. Mais il avait à me-
ner de front ses intérêts propres et ceux des églises,
(le Genève, quinze louis neufs, que messieurs les directeurs de la Bi-
bliothèque publique de cette ville ont bien voulu me donner pour
acquérir à laiiite Bibliothèque la propriété des divers livres, mémoires
et manuscrits relatifs principalement aux protestants de France et
provenant de feu mon père et de feu mon frère, lesquels livres, mé-
moires et manuscrits avaient été mis en dépôt par mon dit frère et
par M. de Végobre dans ladite Bibliothèque, à laquelle je m'engage
de faire parvenir, s'il m'est possible, les deux volumes que mon frère
retira à Paris, ainsi que ceux qui peuvent être restés entre les mains
de M. Charles de Lois, k qui mon frère avait contié tous ses effets en
quittant Lausanne. En foi de quoi, j'ai signé à Genève, le l'^juin 1785.
« Pauline Solier. »
1 C'est ainsi que les lettres de Court qu'il nous a conservées pour
les années 1753, 1754, 1755, sont très-rares. Elles ne forment qu'un
seul volume!
364 NOTICE
i^on J/onde primitif et les délicates nég-ociatioiis jjoiir
obtenir la tolérance. Pouvant à peine suffire à la tâche,
il laissa les lettres de ses correspondants s'amonceler,
et continua à ne pas écrire les minutes des siennes. Le
désordre s'accrut. C'est au milieu de ses mille affaires,
de ses soucis et de ses embarras pécuniaires, que la
mort vint le surprendre. La Bibliothèque de Genève ne
put ainsi acheter ni les lettres de 1755 à 1760 qu'il
avait emportées, ni celles qu'il avait reçues pendant
son séjour à Paris. Or, que devinrent-elles? Rabaut
Saint-Etienne, dans une lettre du 8 août 1784, écrit :
« M. de Beaulieu, président du Musée, travaillant à
rang-er les papiers de M. de (lébelin, a mis de côté
ceux des pasteurs du royaume; ils seront adressés à
M. Moulinié à Lyon, pour les distribuer ; sans cette
précaution, ils auraient passé dans les mains du mi-
nistère. y> On ne sait si Moulinié les reçut. Peut-être fu-
rent-ils classés par liasses et expédiés aux provinces
d'où ils étaient venus*. Peut-être encore furent-ils ven-
dus et dispersés. Quoi qu'il en ait été, les lettres de
1755 à 1760 furent ég^arées avec les autres papiers de
l'ag-ence protestante.
Cette perte est très-g-rande et irréparable. Là, pour
ne citer que deux faits, devaient se trouver tous les
renseig-nements relatifs au premier agent des ég'lises,
Lecointe de Marcillac, et les lettres assurément échan-
g-ées entre Antoine Court et Voltaire, pendant le séjour
de ce dernier à Lausanne.
* Ne serait-ce pas une de ces liasses qu'a découverte récemment
M. Arnaud ? (V. Bnllct.. t. XXI, p. 151.) Nous serions assez disposé
à le croire.
PIECES
ET
DOCUM?]NTS INEDITS
N« 1
DECLARATION DU ROV, QUI ORDONiNE QUE (JEUX QUI AURONT DECLARE
qu'ils VEULENT PERSISTER ET MOURIR DANS LA RELIGION PRÉ-
TENDUE REFORMÉE, SOIT Qu'iLS AYENT FAIT ABJURATION, OU NON,
SERONT REPUTEZ RELAPS.
Donnée à Versailh s, le 8 mars IT13.
Louis, par la ji,i'ace de Dieu Roy de France et de Navarre :
A tous ceux qui ces présentes Lettres verront, salut. Depuis la
révocation de l'Edit de Nantes, Nous n'avons rien oublié de ce qui
pouvoit dépendre de Nous, pour retirer des erreurs de la R.P. H.
ceux de nos sujets qui y estoient nez, et pour procurer l'éduca-
tion de leurs enfans dans la véritable, et Nous avons eu la satis-
l'actioii de voir que Dieu a béni en cela nos pieuses intentions,
par le grand nombre de personnes qui ont l'ait abjuration; sur
ce qui Nous revint cependant que ([uelques uns, ajtrès s'estri^
convertis, refusoient dans l'extrémité de leurs maladies, de
recevoir les Sacremens, et mouroient après avoir déclarez qu'ils
persistoient dans la R. P. R. faisant voir par-la qu'ils estoient
retombez dans leurs premiers égaremens ; Nous ordonnâmes
366 PIÈGES ET DOCUMENTS INÉDITS
par Nostre Déclaration du 29 avril 1686, (j[u en ce cas le procez
seroit fait à leur mémoire et prescrivîmes à nos juges la ma-
nière dont ils dévoient punir un tel crime, et les peines que nous
estimions à propos d'estre prononcées contre les coupables.
Nous apprenons néantmoins que, les abjurations s' estant faites
souvent dans des provinces éloignées de celles où décèdent nos
dits sujets, ou par un si grand nombre à la fois qu'il n auroit
pas esté possible d'en tenir des registres exacts ; nos juges,
ausquels ceux qui meurent relaps sont dénoncez, trouvent de
la difficulté de les condamner aux termes de nostre dite Décla-
ration du 29 avril 1686, faute de preuves existantes de leur ab-
juration, et d'autant que le séjour que ceux qui ont esté de la
R. P. R. ou qui sont nez de parens religionnaires, ont fait dans
nostre Royaume, depuis (jue INous y avons aboly tout exercice
de ladite religion, est une preuve plus ([ue suflisante qu'ils ont
embrassé la religion Catholique, Apostolique et Romaine, sans
(|uoy, ils n'y auroient pas esté souflerts ny tolérez, voulant sur
ce faire sçavoir nos intentions ; a ces causes et autres, à ce
Nous mouvant, en interprétant, en tant que de besoin, nostre
Déclaration du 29 avril 1686 et y ajoustant, Nous avons dit,
déclaré et ordonné, et par ces Présentes signées de nostre main^
disons, déclarons, et ordonnons, voulons et Nous plaist, que
tous nos sujets, nez de parens qui ont esté de la R. P. R, avant
ou depuis la revocation de l'Edit de Nantes, qui dans leurs ma-
ladies, auront refusé aux Curez, Vicaires ou autres Prêtres de
recevoir les Sacremens de l'Eglise, et auront déclaré qu'ils
veulent persister dans la R. P. R. soit (juils ayent fait abju-
ration, ou non, ou ([ue les actes n'en puissent estre rapportez,
soient reputez relaps, et sujets aux peines prononcées par nostre
dite Déclaration du 29 avril 1686, que nous voulons au surplus
et entendons estre exécutée selon la forme et teneur. Si don-
nons EN MANDEMi^NT à nos aiiicz et féaux Conseillers, les Gens
tenans nogtre Cour de Parjeiiient à Paris, que ces Présentes ils
ayent à ênregistrei, et le contenu en iceiles exécuter et faire
PIÈCKS ET DOCUMENTS INÉDITS 367
exécuter, garder et observer selon leur forme et teneur, nonob-
stant tous Edits, Déclarations et autres choses à ce contraires :
car tel est nostre plaisir; en témoin de quoy, Nous y avons fait
mettre nostre scel. Donné à Versailles, le huitième jour de
Mars, l'an de grâce mil sept cent quinze, et de nostre Règne
le soixante-douzième.
Signé : LOUIS.
Et sur le reply ; Par le Roy Phelypeacx, et scellé du grand
Sceau de cire jaune.
(Bibliothèque nationale, Mss. n" 70^6, p. 'lO).
N" Il
LETTIUC DK .M. 1)' A(iU i:SSEAU . l'IlOCUHKUR (iENÉRAL
DU PArvLKMEXT DK PARIS.
Du 26 mars 1713.
Monsieur,
J'ai reru ce matin une déclaration du Roy que vous m'avez
adressée, par laquelle Sa Majesté ordonne que tous les religion-
naires, qui auront refusé de recevoir les sacrements de l'Eglise
dans leur maladie et auront déclaré qu'ils veulent mourir dans
la R. P. R., soient réputés rela])S, soit qu'ils ayent fait abjura-
tion ou non, ou que les actes n'en puissent être raportés, et
sujets aux peines portées par la déclaration du 29 avril 16(SC).
Je prends la liberté do vous ri'présenler lu dilTiculté que ces
mots : soit qu'ils ayent l'ait altjuration ou non, etc., présentent
d'abord naturellement à l'esprit. La justice ne })unit point des
accusés sur de simples présomptions ; et ce n'est point assez
qu'un accusé soit réputé coupable : il faut qu'il le soit en effet
pour être condamné. Ces sortes de présomptions peuvent bien
avoir lieu dans les matières civiles oîi la vraisemblance est
reçue au défaut de la vérité, mais elles n'ont jamais lieu en
matière crimmelle oià il faut que le crime soit prouvé pour pou-
368 PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS
voir prononcer une condamnation. Si Ton y admet quelcjuefois
des présomptions, c'est lorsqu'elles sont nécessaires et qu'elles
renferment par conséquent une preuve sufiisanle du lait; mais
comme il n'y a jamais eu de loy qui ait imposé aux religion-
naires la nécessité de changer de religion, on ne peut pas dire
qu'il y ait une présomption nécessaire de ce changement. Le
Roy a bien aboli l'exercice de la R. P. R. par ses édits, mais il
n'a point ordonné précisément aux religionnaires de faire ab-
juration et d'embrasser la relligion catholique. Toute la rigueur
de la loy est tombée sur les relaps, c'est à dh'e sur ceux ijui
après avoir abjuré leur mauvaise relligion sont retombés dans
leurs anciennes erreurs. Mais pour cela, il faut nécessairomeni
|)rouver qu'ils en sont sortis, parce que pour tomber il faut s'être
relevé, et l'on aura toujours bien de la peine à comprendre
([u'un homme qui ne paroit point s'être jamais converti soil
cependant retombé, dans l'hérésie et qu'on puisse le condamner
comme si le fait étoit prouvé. Il semble donc que, pour ne pas
donner atteinte aux règles de la justice qui ne doivent jamais
être observées plus exactement que quand il s'agit de religion,
et pour aiîermir cependant l'exécution de la déclaration de
1686, il sufhroit d'ordonner qu'au défaut de preuves d'une ab-
juration en forme, la partie pul>li([ue feroit preuve de l'exercice
de la religion catholique fait par ceux qui auroient refusé de
recevoir les sacrements à la mort. Cet exercice une fois piouvé
tiendroit lieu de ral)juration, parce qu'il feroit voir ({ue les
accusés seroient rentrés de fait dans le sein de l'Eglise el,
qu'étant retournés ensuite à leurs premiers égarements, .ils
inéritent d'être punis comme relaps. Si le Roy approuve cette
pensée, on pourroit l'expliquer en ces termes : Voulons, qu'en
cas qu'on ne puisse rapporter les actes de V abj wallon faitte
par ceux de nos sujets nés de jjarens faisant profession de la
R. P. R. ou qui en ont fait profession eux-mêmes, avant ou
depuis la révocation de l'Edit de Nantes, qu'il ij soit suppléé
parles preuves qui seront rapportées pour établir qu ils ont
PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS 369
exerce la religion catholique et en ont fait les actes ordinaires ,
et que sur lesd. preuves, ceux qui dans leurs maladies auront
refusé aux curés, vicaires, ou autres personnes de recevoir les
sacremens de VEglise et déclaré qu'ils veulent persister et
mourir dans la R. P. R., soient poursuivis comme relaps et
condamnés aux peines 2')rononcées par nôtre déclaration, du
29 avril 1G8G, que nous voulons au surplus être exécutée selon
sa forme et teneur.
Il me semble que ce tempéramment satisfait à toutes les vues
que Ton peut avoir sur ce sujet sans blesser les principes ordi-
naires de la justice. Je vous supplie de vouloir bien le proposer
au Roy et de me faire savoir ensuite les intentions de Sa Ma-
jesté, afm que je m'y conforme comme je le dois.
Je suis avec respect, M. votre, etc.
Signé : d'Aguesseau.
A Paris, ce 26 mars 1715.
(Bibliothèque nationale, Mss. u° 7046, p. 38.)
N<' m
I7li
Des abymes profonds d'une noire tristesse
A toy seul, Dieu puissant, nous adressons nos vœux.
Que nos gémissements excitent ta tendresse,
Et l'excès de nos maux un regard de tes yeux !
Accablés sous les coups do ta juste colère,
Veux-tu donc avec nous compter à la rigueur?
N'es-tu plus notre Dieu, n'es-tu plus notre père?
Nous feras-ta toujours sentir ton bras vengeur?
Que le sang de ton Fils, notre unique rossoar(^e,
Toujours frais et vivant intercède pour nous :
I 24
370 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
Qu'il fléchisse ton cœur, et nous ouvre la source
Uoù découle ta grâce et tes biens les plus doux !
A ton égard, Seigneur, nous l'avouons sans feinte,
Nous méritons des maux iniiniment plus grands :
Mais c'est pour n'adorer que ta Majesté Sainte
Que nous sommes en proye à nos cruels tirans.
Leur rage contre nous, à son coml)le montée.
Ravage sans pitié tes fidèles troupeaux.
Tout paraît seconder leur fureur indomptée.
Tout flatte leur orgueil par des succès nouveaux.
Nous te le redisons, à Dieu, pour ta querelle,
Pour soutenir tes Droits nous sommes accablez :
Peux- tu voir d'un œil sec notre peine mortelle,
Et, sans en être ému, tes troupeaux désole/.?
Regarde nous plutôt d'un œuil plein de teiulresse.
Que ta compassion se réveille en ce jour !
Pour nos cruels malheurs ta gloire t'intéresse ;
Pais-nous donc ressentir ton paternel amour !
Que nos tendres enfants, dont l'extrême faiblesse
Les expose sans cesse aux pièges de l'erreur,
Puissent, par tes bontés, de tous ceux qu'on leur dresse
Eviter les détours et fuir Tappas trompeur.
() souverain pasteur, et le seul ([ui nous reste,
Du vice et de l'erreur démasque tous les traits,
Et détourne nos pas de leur route funeste
De peur que ton flambeau ne s^éteigne à jamais!
Tiens-toi près des mourants, Dieu tout bon et tout sage
Que ton divin esprit soit leur consolateur ;
Dans ces derniers moments redouble leur courage
Contre la chair, le monde, et l'esprit tentateur !
PIJCCES K'ï DUCUMICNTS INEDITS 3tl
Que kl |)ertc dos biens, riiorroiir et rinfamic.
Dont le zèle en fureur s'arme contre leur iby.
Réveillent leur ardeur par le calme endormie
Et les fassent toujours plus espérer en toy î
Toy, qui des plus grands Ro)s es le souverain maître,
Qui diriges leurs cœurs comme le cours des eaux.
Fléchi le, cœur du nôtre, et lui fay reconnaître
L'innocence et le droit de tes pauvres troupeaux!
Que les princes, chez (jui l'on prêche ta parole
Et qui n'ignorent pas ({uelle est ta volonté,
La fassent retentir de l'un à l'autre pôle,
Et qu'ainsi ton grand nom soit partout exalté!
Eclaire les esprits de ceux qui nous haïssent,
Ou leur inspire au moins ({uelque ombre d'équité,
Et ne permets jamais que nos langues trahissent,
Même dans les tourments, ta sainte vérité !
(N^ 17, vol. G, p. 431).
N" IV
tlHQUHTE DE l'kGLISL; DK SOMMIÈRKS A UN SYNODE rUOVINGlAL.
(Sans tialo).
Aux très illustres, les vénérables Messieurs, les pasteurs et
deputtés des Eglises, quy composent le synode provincial des
Basses Gevenes.
Messieurs,
La désolation extrême où sont réduits depuis trois années les
lidelles de cette Eglise, désolation qu'on ne peut l'enuisager
sans frémir, depuis l'époque fatalle quelle ce vit priuée des
pasteurs selon son cœur, nous a déterminés des aujourd'hui >
372 PIÈCES ET DOCUMENTS INEDITS
dans une conjoncture aussy critique quy nous doit faire craindre
avec justice que la miséricorde et la patience de Dieu ne vienne
enfin a cesser, veu les crimes scandaleux quy y ont empiré, de
vous supplier très instemment d'auoir compassion d'un état sy
triste; nous l'espérons de votre charitté. Les intérêts de la
gloire de Dieu et le salut des âmes qu'il a rachettees par son
sang précieux, vous doiuent engager a y apporter un remède
convenable. Ce remède serait, messieurs, de nous faire la grâce
de nous enuoyer de vos pasteurs et prédicateurs pour desseruir
notre église, sans quoy elle va perrir. Ne soyez pas msensibles
à nos représentations, veu qu'elle ne tend qu'à un but juste et
équitable. Autorises d"autre part par les loix de l'Eglise et par
la discipline eclesiastique, lequel selon elle l'on ne peut forcer
des fidelles a receuoir un pasteur contre leur gré, persuades
comme nous sommes que vous aures égard à notre très humble
représentation, nous prions du profond de nos cœurs l'Estre
Suprême qu'il répande sur vous touttes les lumières de son
St. Esprit, affm que touttes vos délibérations tournent au salut
des fidelles et a l'auancement de son Eglise. Nous sommes
avec une parfaite soumission et respect,
Messieurs,
Vos très humbles et très obéissants serviteurs
Nicol. Griolet, Gilly, Irmejais(?), Romieux, Beaucourt, Peyre,
Penicaud, Olivier, A. S. Aran (?), Albaret, Pacadan, Berte-
zenes, A. Gausse, Griolet, Peyre, Duinas, Fesquet, Banc,
P. Lanet, Audoyer, Bancel.... Pantourtior (?).
(N" 13, t. m.)
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 373
No V
ARTICLES DES DEMANDES QU ON A FAITES A M. ROUX
En promiorlieu, êtes vous porté de ])onne volonté a signer la
confession de foy, tant de votre sang que de votre nom, et de
vous soumaitre avec humilitté et de suivre avec exattidude la
discipline ecclésiastique et les règlements qne nous avons éta-
blis?
La 2^^, qu'antandez-vous par la confession de foy et la dissi-
pline ecclésiastique?
La 3", croiez-vous qu'il y ait 2 natures en J. -Christ, une na-
ture divine et une nature humaine?
Le 4'*, que tenez vous pour le chef de la vraye Eglise?
Le 5e, vous ne croiez pas donc que le pape soit le chef de l'E-
glise et le viquaire de J.-G. en terre?
Le G*', que vous semble-t-il donc du pape de Rome. — Re-
ponce. Je le regarde, repont-il, comme l'antechrist prédit par les
Sts hommes.
Le 5", nalés pas tant vitte, lui repliqua-je. S. Jean nous dit au
chap. I de sa première epitre que celuy qui nie que J. Ch. soit
venu en chair, celuy la et l'antechrist; or l'Eglise romaine ne nie
})oint l'humanité de J.-C, au contraire la confesse.
Le 8^, mes dans notre religion n'y a-t-il point do ce nombre
de ceux quy renient Dieu par leurs œuvres? — Reponce. Il y
en a nombre, aussi seront-ils mis du rang des blasphémateurs,
et recompancez comme les entichretiens. — Mes l'église ro-
maine renie d'une manière efroiable en soposant à la gloire de
Dieu père. Fils et S. Esprit, etc.
374 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
Le 9^, vous croies donc que le pape et tout ce qui découle de
sa doctrine et lantechrist et lantecbristianisme?
La 10«, dou vien que lantechrist étant sy visible, sy palpable, en
ce que T esprit de Dieu nous a marqué sy clairement le temps
de sa naissance^, le lieu de sa demeure, la couleur de ses abis, la
qualité de sa doctrine, jusqu'aux moindres sircons tances, et
néammoins il y ait tant de peuples aveuglés ?
La 11«, que croies vous de la charge des pasteurs? En quoi
consiste celle des diacres et anciens et diaconesse ?
La 12^, tous ceux quy ont charge de l'Eglise peuvent-il exer-
cer les mêmes fonctions?
La \3^, que croies vous donc du batème des sages femmes qui
batisent les petis enfans et autres qui n'ont point ressu de légi-
times vocations dans l'Eglise parles voyes égglesiastiques?
La 14% donnez nous une courte paraphrase du verset 4 du
20 chap. des Actes rendant témoignage tant au Juif comme aux
Grecs de la repentance envers Dieu et de la foy en .T. C. notre
Seigneur.
La 16'% enfin êtes vous en état de souffrir tous les maux que
la sirconstance du temps vous menasse, comme les roues, les
gibets, les potances, les injures, les duretés, les soufrances, les
calonies, en un mot tous les maux auquel s sont esposez ceux
qui prêchent sous la croix de Christ.
Yoilà mot a mot les chefs ou principe des demandes faittes a
M. Roux dont il a répondu nu grnnd contentement de toute
l'assemblée.
(N" 17, vol, 0.}
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 375
N« VI
LETTRE DE PIGTET A CORTEIZ SUR LES ASSEMBLÉES
Janvier 17'20 1.
Monsipnr ot très chor frèro,
Jo vous avouo qun j'ai toujours condamné \es p;randes assom-
blées, soit parce que je scay qu'il y a eu très souvent de la con-
fusion et du désordre, soit parce que je scay de très l)onne part
qu'il s'en est tenu contre toutes les repjles de la prudence chré-
tienne, dans le temps que les Catholiques Romains, qui ne nous
voulaient pas de mal, faisaient dire ou qu'on ne fit pas d'as-
semblée ou qu'on la finit avant midi, — car ils me l'on dit eux
mêmes, — soit parce que j'ay appris que plusieurs fois des gens
s'y mêlaient de prêcher qui ne sca valent pas ce qu'ils disaient,
en sorte que des personnes de bon sens en étaient scandalisées,
soit parce que dans ces grandes assemblées il se mêle souvent
de faux frères qui reconnaissent ceux qui y sont et qui les dé-
férent, soit parce que je suis persuadé qu'on instruit mieux dans
de petites assemblées que dans des grandes, soit parce qu'on
m'a assuré plusieurs fois que ce serait le moyen de vous rendre
favorables les Puissances, soit parce qu'il y a eu des massacres,
des meurtres, plusieurs envoyés aux galères, ou confinés dans
des cachots, soit parce qu'il y a des temps où il vaut mieux in-
struire les gens dans leur particulier, lorsqu'on y a plus à risquer
en le faisant en public que d'utilité, soit enfin pour des raisons
que je ne puis confier au papier. On m'a même rapporté que
plusieurs ])Oussèrent à faire de grandes assemblées pour avoir
plus d'argent et qu'il y en a eu nui ont osé desbaguer les doigts
des femmes qui n'avaient point d'argent à leur donner.
1 Note (le Court.
376 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
Vous dites que la plus part des maisons ne sont pas com-
modes, mais il y en a qui le sont, où Ton peut s'assembler,
Vous dites qu'il y a des apprentifs et des domestiques pa-
pistes qui révéleraient ce qu'on ferait. Mais croyez-vous qu'ils
ne le tairaient pas, et peut-être on en convertirait quelques uns.
Vous dites que l'un se garde de sa belle fille, l'autre de sa
belle mère; mais pensez-vous que ces gens ignorent ce qui se
fait, et de plus on peut, comme j'ây dit, choisir les maisons.
D'ailleurs ces dangers ne sont pas à craindre à présent où
l'on permet de se tenir dans les maisons et d'y faire des exer-
cices; du moins on fait semblant de n'en rien scavoir.
Vous dites que les uns ont de la dévotion dans une maison et
d'autres n'en ont point, Gela ne serait-il pas dans les assem-
blées?
Vous dites qu'une prédication en rase campagne touche da-
vantage. Je conviens que le prédicateur crie plus haut, mais la
crainte où l'on est d'être surpris, les incommodités que l'on
souffre, en allant ou venant dans l'assemblée même doucement,
ralentissent et troublent bien la dévotion.
Vous dites que 10 a 12 prédicateurs ne suffiraient pas. A cela
je n'ay rien a dire, sinon qu'il s'en trouverait plusieurs qui iraient
volontiers dans les maisons, mais qui ne veulent pas s'exposer
aux assemblées.
Je ne doute pas que ce soit une grande consolation d'entendre
parler de Dieu à des gens qui ne font jamais oui. Mais ce n'est
pas là de la question. Est-ce qu'il n'y a pas de certaines conjonc-
tures où Ton ne doit pas faire tout ce qu'on pourrait à cause du
danger, où l'on s'expose de se faire massacrer, de changer de
nouveau de religion, et parce qu'on espère de se rendre les Puis-
sances favorables, au lieu qu'en se raidissant contre elles, on les
oblige quelquefois malgré elles à faire des choses qu'elles ne
voudraient pas. Je ne suis pas le seul de ce sentiment; mais je
ne prétends pas que mon sentiment prevaille. Si vous vous trou-
vez bien de vos assemblées, j'en béniray Dieu avec autant
PIÈCES ET DOCUMENTS INEDITS 377
d'ardeur que vous, et je le prie de tout cœur que ce zélé que
vous témoignez produise tous les bons effets que vous en atten-
dez.
Je scay fort bien que lorsque la parole de Dieu n'est plus
prechée, c'est le plus grand de tous les malheurs, mais elle peut
être prechée en particulier et en public.
Je seray toujours prêt de vous donner les avis que je jugeray
vous être nécessaire, et je l'ay fait diverses fois, selon qu'on me
les a demandés. Vous n'avez qu'a me marquer en quoi je puis
vous être utile, et je le feray incessamment.
Je n'ay point vu la lettre que vous m'aves écrite. M. Dul (?)
m'en a parlé et me l'a promise, mais ne me l'a jamais donnée.
J'ay vu la lettre que M. Court a écrite a M. Rey, d'ontj'ay été
très satisfait. 11 n'y a que deux jours qu'il me l'a montrée, quoi-
qu'il l'aye reçue le 12 d'octobre. J'avais appris par diverses per-
sonnes qu'il y avait des choses dans cette lettre qui me regar-
daient; mais il ne me l'apportait point. Etant venu me deman-
der un témoignage pour aller a Paris, je lui en parlay, et il me
la tira de sa poche, sans quoy je ne l'aurais point vue. J'ay bénit
Dieu d'apprendre tout ce qu'on a fait chez- vous, les bons règle-
ments qu'on y a établis; j'approuve fort que ceux, qui ne sont
pas en état de faire des sermons, se servent de ceux qu'on a,
plutôt que de débiter des discours sans ordre et s'écartant du
vray sens de l'Ecriture. J'ay parcouru avec plaisir le sermon de
M. Court sur la nouvelle créature. J'ay vu qu'il a rassemblé avec
beaucoup de jugement tout ce qu'on a fait sur ce beau texte ; et
je'voy avec joye qu'il a des dons considérables pour la chaire. Je
croy qu'on fait fort bien de se servir des sermons qui ont été im-
primés, d'en tirer la matière de ceux qu'on fait parce qu'on ne
craindra pas de s'écarter et qu'on s'évitera beaucoup de peine ;
mais je suis d'avis :
1» que les sermons fussent moins longs ; les prédicateurs se-
raient moins fatigués et les auditeurs en rapporteraient plus.
2° qu'on donnât en peu de mots le sens du texte et qu'on en
378 PIECES ET DOCUxMENTS INEDITS
tirât ensuite les vérités qu'il renferme d'une manière simple et
instructive.
3" que les applications fussent vives et tirées du texte, mais
appliquées aux besoins présents.
4" que l'on fit plus de catéchismes que de sermons, parce qu'on
en tire beaucoup plus de fruit.
5° que l'on choisit les textes les plus ])eaux, les plus aisés a re-
tenir, les plus instructifs et les plus consolants.
J'avais dit à M. Rey d'écrire que j'avais dessein, si je pouvais
me procurer un imprimeur, de vous envoyer de tems en tems des
lettres qui ..... l'exposition de l'Ecriture moins étendue que
dans les sermons, maïs plus que dans les notes qui sont dans la
Bible; ce qui vous pourrait servir de commentaire, comme vous
n'avez pas tous les livres dont vous avez besoin, et ce qui pour-
rait servir à ceux qui vous entendraient, soit pour en profiter
mieux et les retenir, soit pour les mieux comprendre.
J'attendray votre réponse sur ce sujet; et j'aurais déjà fait
quelque chose, si j'avais scu que vous le souhaitassiez.
J'ay fait des dialogues qui sont des entretiens du pasteur avec
le hdéle, oii j'expliquais ainsi des passages, je traitais des cas
de cpnscience et j'y mêlais des histoires de confesseurs. H. y en
a déjà 2 tomes. Mais on n'en trouve plus du 2^* où j'avais com-
mencé fexplication du V. et N. T. Pour cela vous mieux
que des lettres, je les continuerai pourvu que je trouve un im-
primeur, et je réfute de tems en tems les livres qui parlent con-
tre nous.
^'ous n'apprendrez que ce qui vous conviendra le mieux, et je
vous aideray par mes livres autant qu'il me sera possible. J'en
ay fait un depuis peu ppurla consolation des malades qu'on vous
doit envoyer.
J'ay fait une lettre contre ceux qui se marient avec des Ca-
tholiques, mais elle est manuscrite, et je l'ay remise a ceux qui
me l'ont demandée; peut-être la ferai-je imjirimer.
(N" 17, vol. G, p. 189.)
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 319
No YIl
CHANSON NOUVELLE
Sur l'air : S* vous payez, vnu.t damerez; point (Vargenl, point de branle,
1710,
Aujourd'hui on parle do paix :
0 la bonne nouvelle !
Le bon Dieu, veuille qu'il soit vrav !
Qu'elle soit banie à jamais
Cette guerre cruelle!
Des aujourd'hui, qu'il soit permis
Liberté aux fidelles !
Les protestants du temps présent
Qui sont dedans la France
Demandent tous bien humblement
A ce grand Dieu tout puissant
L'ouverture des temples.
Donnés nous, grand Dieu tout puissant.
Liberté de conscience!
('ar, depuis trente un an
Que nous sommes en misère,
Que nous sommes tristes et dolens
D'avoir souffert tant de tourmens
Donnés nous, ô grand Dieu puissant.
Liberté des prières.
Tous les dragons et cavaliers
Avec grande violence
Nous ont partout traînés
A la messe, et tous forcés
380 PIECES ET DOCUMENTS INEDITS
Et forcent les consciences.
Ils attirent pour le sûr
La misère à la France.
Faut oublier le temps passé
Et vivre comme frères.
Nous voyons le ciel irrité
Par les orages qu'il a fait
Et tremblements de terre.
Faut s'assembler tous de bon cœur
Et dire nos prières.
La grande troupe des protestants
Faut qu'il se multiplie.
Faut bâtir des temples au levant
Et même dedans l'occident
Et dans la Barbarie
Dans le pays mahométan
Et dedans la Turquie.
Yenez promptement, les maçons
Et les tailleurs de pierre,
Venez battir cette maison
Qui est tombée de Sion
Par la fureur des guerres.
Venez promptement, menuisiers.
Pour y poser la chaire.
Yenez promptement, chers pasteurs,
Pressés dedans les isles.
Venez y comme ambassadeurs
De Jesus-Ghrist, notre Sauveur.
Sans qu'aucun vous chagrine,
Yenez prêcher la vérité
De son St Evangile !
(Archives nationales, TT, 322.)
PIÈCES ET DOCUMENTS INEDITS 381
N« Vlll
REQUÊTE DES RELIGIONNAIRES AU RÉGENT
Ecrite d'Alais en Sévaines, ce 16 juillet 1716.
Monseigneur et Souuerain Prince,
On se flatoit en France qu'après la mort du Roi les Religion-
naires trouueroient du soulagement tant sur ce qui concerne la
Religion que sur bien d'autres pésents fardeaux a eux imposés.
En effet, il sembloit paroitre un grand soulagement par raport
aux réclamations du puple qui ne sauoit par ou exprimer la joye
excessiue qu'il auoitet qu'il a en effet de voir un si digne Prince,
couronné de hautes vertus et d'une sy grande naissence, qui
aloit être leur m(aitre) absolu et leur père commun par le pouuoft*
de la Régence a luy légitimement due. G'étoit alors que presque
tout le monde croyoit avoir liberté de leur religion, ou du moins
que, s'ils n'avoient un exercice public et permis de l'ordre du
souuerain, qu'à tout le moins on les laisseroit libres entre eux de
prier a leur manière, de s'assembler ou de ne pas s'assembler
en ne fesant tort ny mal à quy que ce soit.
Cette espérance avoit noury plusieurs personnes pendant tout
le temps que V. A. R. a gardé le silence, mais lorsquelle a bien
voulu s'en expliquer, et qu'on a vu que c'étoit tout autrement,
(î'est alors qu'on a cessé de se flatter, et malgré le penchant que
chacun a a aimer et a vouloir professer la Rehgion, ils vous
ont voué une prompte obéissance; je suis très assuré qu'on ne
vous dira pas autrement. Mais, Monseigneur, qu'il vous plaise
de considérer la perte commune du Royaume par rapport à la
désertion des Religionnaires aux pays étrangers, les sommes
d'argent qu'ils y ont fait passer, et le nombre des familles qui
l'a suivi. 11 y a longtemps que personne n'avoit daigné sortir de
France a cause de leurs belles espérances, mais a présent qu'on
382 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
vous voit expliquer différemment de leurs prétentions, on n'a
plus rien a espérer, on ne se flate plus. Ainsi, Monseigneur,
chacun fait son possible pour sortir sa conscience de prison ;
l'un s'en va aujourd'huy et l'autre demain. Depuis que l'on sait
votre intention, plusieurs ont formé leur dessein. Ce pauvre
puple affligé ne trauaille pour la plus part qu'a chercher de
moyens pour ramasser de l'argent pour se retirer. Chacun joue
son rôle, le mieux qu'il peut, pour en auoir. Les uns atendent
d'être payés de certaines dettes, les autres atendent la récolte
des denrées, et les autres vont chercher à faire un établisse-
ment attendant l'occasion de venir quérir leurs familles. J'ai
résolu d'en avertir V. A. R. non par autre motif que celui de la
charité et du zèle que j'ai toujours eu pour le bien de l'Etat,
étant bien persuadé qu'on ne vous auertit pas de cela, a cause
que ceci n'eclatte que fort peu, parce que rarement s'en va-t-il
cTeux familles à la fois du même endroit. Cependant, ces fré-
quentes saignées, quoi que douces et légères, ne laissent pas
d'aObiblir le malade, an lieu (|ue selon toute aparence il ne tar-
dera pas longtemps a le nombre en venir plus grand.
L'exactitude que Mgr le Duc de Roquelaure et Mgr de Bouille
ont fait paroitre a exécutter vos ordres et les porter eux mêmes
presque dans toutes nos villes et en plusieurs villages, les pu-
bliant au peuple, avec cette belle éloquence si ordinaire a ces
Seigneurs, nous ote tout espoir de jamais \Aus recouurer Hberté.
Nous n'avons pu que le croire, et en étant entièrement persuadés
plusieurs ont formé le dessein de chercher leur liberté ailleurs,
excepté de ceux qui, par un pur attachement aux biens de cette
viej font la résolution de rester en France et prendi'e l'habit de
temporiseur. Mais de quelle manière qu'on se l'imagine, ces pre-
miers sont avec eux, et ces derniers aussi raporta leur hipocrisie.
Enfin, Monseigneur, je me regarderois comme le plus heu-
reux du monde si je pouvois être sur de vous représenter ces
choses, sans motiver votre mépris ni votre colère. Je prie
V. A. R. de me rendre justice et de vouloir connoitre mon in-
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 383
tention tonte vouée au bien public. Je ne suis pas si stupide que
je ne connoisse bien en moi une eifronterie trop grande, mais
l'éloge de V. 1. et R. P. par ceux qui en savent faire le portrait,
m'obligea passer pardessus toutes sortes de raisonnements.
L'on vous représente comme le Hercule de lumières, comme
la verta et la justice même, doué de toutes sortes de grandes
(jualités; l'on ne fait pas difficulté de croire que vous pardonne-
rez les défauts d'un infirme, et (jue vous écouterez les raisons de
tous vos sujets, et que en temps et en lieux Y. A. R. leur rendia
la justice qui leur est due. Sur ces considérations, j'ai cru pou-
voir vous prier de la jiart de plusieurs de vos peuples, f|ue puis-
qu'il n'est pas vôtre plaisir qu'ils fassent profession de leur re-
ligion sous quel prétexte que ce soit, que du moins vous ayez la
charité de les regarder comme des fidèles sujets, sans les diffé-
rencier des Catholiques, et sans les charger de logements de
troupes, et de toute sorte de contributions, ainsi qu'on a accou-
tumé de faire depuis plus de trente ans.
Nous sommes tous nés dans un même climat, nous auoii?
tous humé le même air, nous avons le cœur également fran-
çais; prenez donc a pitié. Monseigneur, notre longue souffrance.
Jetez vos yeux de compassion sur tant de misérables qui plutôt
se feroient traîner sur la clée que de vous être infidèles. La
souffrance a été assez rude et assez longue; il est temps de nous
regarder a pitié pour ne pas nous charger plus que les autres
sujets; et d'ailleurs que, par se bienfait (j[ui ne vous put jiroduire
que mille louanges et mille bénédictions, plusieurs et peut-être
tous ceux qui ont projette de se retirer de France, voyant cette
généreuse libéralité, changeront de sentiments, tout ira mieux
dans Tordre, plusieurs murmures liniront, tous les gens un peu
eleués feront leurs eiforts pour faire connoitre a la petite jjopu-
lace la force de leur deuoir. Tout le monde est persuadé que s'il
vous étoit bien connu de la manière (ju on nous a traités et (ju'on
nous traite encore, que V. A. R. y remédieroit. L'on vous en prie,
Monseigneur, d'une manière a fendre le cœur le plus dur. lia !
384 PIECES ET DOCUMENTS INEDITS
plut à Dieu que l'echo de la Providence lit retentir les plaintes
de ces panures gens jusques a vos oreilles, avec les bénédictions
qu'on vous souhaite et que toutes leurs intentions vous fussent
bien connues! Personne ne douteroit nullement de votre protec-
tion, nous ne serions plus regardés d'œil d'iniquité, en un mot,
nous ne serions plus en abomination aux Puissances, nous
n'aurions plus besoin de lamanter ny de vous crier grâce et mi-
séricorde, vous sauriez nos desseins et notre bonne volonté, et,
connaissant nos bons cœurs, vous n auriez nulle peine a nous
accorder vos faneurs, Y. A. R. ne nous ne regarderoit plus in-
digne. Nous prions le Seigneur qu'il vous en veuille éclaircir par
sa grâce, et qu'il vous fasse toucher au vif le tort qu'on nous a
fait. C'est une grâce toute parti cuhère que je demande a mon
créateur, et a V. A. R. celle de me permettre de lui souhaiter
toutes les bénédictions du ciel et le plaisir de voir ses desseins
accomplir et qu'elle ne soit point fâchée qu'avec un profond res-
pect et une entière soumission à sa volonté, je me dise d'un
cœur le plus sincère du monde, de votre Haute et Royale Gran-
deur le plus humble, fidèle seruiteur et sujet.
P. S. J'ai omis de dire qu'à mes précédentes j'avois employé
tous mes soins pour déguiser mon caractère, j'ai agi a celleci sans
aucun fard, et je voudrois du fonds de mon ame avoir le bien
d'être propre pour donner ma vie, s'il étoit besoin, pour l'honneur
de votre seruice, que, après ce que je dois à mon Dieu, seroit le
plus grand de mes désirs, non pas pour la gloire ni par aucune
vanité mondaine, a dessein de me tirer de la poussière, mais
pour vous offrir un seruiteur qui sans doute est l'un des plus sin-
cères et des plus iidèles homme du monde. Les suites vous en
convaincroit, si vous ordonnez la moindre perquisition ])our sa-
voir qui vous a adressé celle ici dattée du jour cy dessus, en m'as-
surant de votre part de ne rien craindre.
(Archives nationales, 1T, 463.)
PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS 385
N« IX
LETTRE DE PIGTET A MADEMOISELLE SLMART
SUR LES INSPIRÉS
Gomme j'ai fait, Mademoiselle, un petit ouvrage sur ces pré-
tendus Inspirés, qui s'imprime actuellement, ma lettre ne sera
pas aussi longue quelle l'aurait été, parce que vous verrez dans
mon petit livre ce que je pense sur cette matière. Je serai bien
fâché qu'on put me reprocher de ne pas reconnaître l'esprit de
Dieu quand il se manifeste, mais je ne veux pas aussi attribuer
à l'esprit de Dieu ce qui ne me parait pas digne de lui. Je
conviens que ce que vous voyez est extraordinaire, mais il ne
faut pas croire que tout ce qui est extraordinaire procède de
l'esprit de Dieu. Il y a eu des temps ou une certaine folie sai-
sissait certaine personne qui leur faisait faire mille choses
surprenantes. Je conviens que toutes les bonnes choses que ces
gens disent sont tirées de la parole de Dieu, qui est l'ouvrage
du S. Esprit, mais il ne s'ensuit pas que ceux qui les disent
soient inspirés ; cela signifie seulement qu'ils ont une heureuse
mémoire pour retenir ce qu'ils ont apris. Aussi vous avez sage-
ment remarqué qu'ils disent bien quand ils scavent bien, qu'ils
disent mal quand ils ne le scavent pas, preuve évidente que
c'est là l'effet de leur mémoire et non du S. Esprit, car si c'était
le S. Esprit, ils diraient toujours bien. Il n'est pas surprenant
qu'il y ait des gens qui se plaisent à entendre la parole de Dieu
et a la lire; c'est une grâce de l'esprit de Dieu qui fait qu'ils
trouvent leur délice dans ces livres sacrés, mais il ne s'ensuit
pas que ces gens soient inspirés.
On peut aisément concevoir que de gens qui ont entendu
parler d'Inspirés, qui ont regardé comme de personnes inspirées
I 25
3S6 PIECES ET DOCUMENTS INEDITS
ceux qui exhortaient les autres à la repentance, s'imaginent être
inspirés eux même et que leur imagination échauffée a pu causer
(les mouvements extraordinaires, semblables a une extase, on
a bien veu d'autres effets de l'imagination aussi étranges.
Je conçois aisément qu'une ])apiste, qui entendit dire de belles
(jt bonnes choses dans une assemblée ([u elle ne crovait }ioint
entendre, aye couru de riiorreur jiour ki religion Roin"^'. Dieu
avant donné l'efticace à la parole qu'elle avait entendue dans
l'assemblée, c'est un effet de la grâce de Dieu, mais il ne s'en-
suit pas qu'elle aye été inspirée ; plusieurs papistes ont été ainsy
convertis sans être inspirés, comme l'on prétend qu'il y en ait.
Quand on entend la pure parole de Dieu et qu'on va ensuite à
la messe on y trouve une grande différence, on est étonné (juc
les hommes ayent si fort corrompu les vérités célestes.
11 ne faut pas s'étonner si cette lille, qui avait entendu ces
prétendus Inspirés, jiarle comme si c'était Dieu qui leur disait :
mon enfant! ou a (|ui l'on l'avait dit, ait eu l'imagination frapée
et ainsi échauffée.
Cette fille avait pu entendre de gens qui disaient que c'était
une grande folie de courrir après les richesses, que Dieu ferait
bien voir la vanité de ces choses et qu'il châtierait les hommes,
mais il ne fallait pas être inspiré pour deviner cela. Plusieurs
jiersonnes qui ne se croyent pas inspirées ont tenu le même
langage. Dieu fait si souvent de telles menasses aux hommes
qu'on n'en scaurait douter. On peut prédire des malheurs aux
pécheurs aussi corrompus qu'il y en a aujourd'hui, et être assuré
qu'ils arriveront. 11 y a longtemps que nous dénonçons le juge-
ment de ce Dieu aux hommes et nous voyons avec douleur
l'accomplissement de ces menasses.
Tout ce que cette lille dit de bon a été dit plusieurs fois.
Ces grands mouvements, ces convulsions peuvent être l'effet
d'une imagination trop émue qui cause de grands bouleverse-
ments dans le corps.
Pour juger si ce qu'elle dit des peuples de langages mconnus qui
PIÈCES ET DUGUiMENTS INÉDITS 387
doivent arriver et massacrer tout procède do l'esprit, il I'ulU ;U-
tendre l'événement. Ainsi, Mademoiselle, pour ne faire aucune
démarche dans cette affaire, ne vous hâtez pas d'attribuer au
S. Esprit ce qui peut être de cause naturelle.
Ne dites pas non plus que ces gens sont poussés par le Dé-
mon, car quoique le Démon pourrait faire toutes ces choses,
a lin de tourner en ridicule notre religion, cependant il n'est }»as
toujours nécessaire de le faire intervenir i)artout.
Deliez-Yous un peu de ce qu'on yous dit, car on j)Ourrait vous
tromixu', et même de votre jugement, car quand on est avec des
gens qui ont ces pensées d'inspiration, tout ce qu'on voit faire
surprend et étonne.
Profiitez de toutes les exhortations qu ou fait à la rei»entance.
Elles sont toujours salutaires. Mais ne croyez pas légèrement
que ceux, qui font des choses que vous n'avez point vues, sont
inspirés.
Je ne vois pas ])ourquoy Dieu inspirerait (plutôt) une servante
papiste autrefois Ijigotte quv, d'autres personnes pieuses.
Je ne vois pas non plus pourquoy des gens, qui vous an-
noncent la })arole de Dieu, comme vous l'a annoncée M. Court
qui m'a remis votre lettre, ne seraient pas plutôt des Inspirés
que des gens qui parlent a batton rompu. Rien n'est si dange-
reux que de donner dans ces visions. Dès qu'on se croit inspiré,
on prend tout ce (^u'on débite pour des doctrines du S. Esprit.
Quels desordres n'ont pas causé en tout temps ces sortes dv
gens, mais vous verrez cela dans mon livre d'une manière
plus étendue.
Je suis de tout mon cœur et avec une parfaite estime, Madc
moiselle, votre très humble et obéissant serviteur.
(N" 17, vol. G, p* 264.)
388 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
N° X
LETTRE DE GORTEIZ A VESSON LUI AÎSiNONÇANT SA DEPOSITION
l'6 décembre 1720.
Monsieur, vous serez informé comme nous nous sommes
assemblezen colloque, le 13 du courant, au nombrede25 anciens,
entre lesquels il y avait un ministre et deux proposans. Après avoir
invoqué le saint nom de Dieu pour luy demander sa protection,
son amour, sa grâce, son esprit de lumière, de sagesse et de san-
tiiication, nous avons celon les règles de ladissipline exclesias-
tique étably un modérateur, après quoy les députés du sinode
du 20 Tbre ont informé « la vénérable compagnie de tout ce que
s'y étaient proposé et délibéré. Après quoy ont et venu a parler
de vous et de la letre par laquelle vous étiez prié de vous rendre
au présent sinode. Un Encien a dit que peu être vous ne l'aviez
pas reçue. Pandant cette intervalle, il et arrivé deux hommes de
chez vous scavoir un ilustre Encien et un bon fidelle qui ont
témoigné comme vous aviez vrayement reçu la letre et déclaré
en même temps que vous netiez pas dans le santim^ de venir
n'y dans les colloques, n'y dans les sinodes. Alors la vénérable
assemblée a été priée d' examiner meurem^ et en bonne consience
s'il et fort hutille qu'il y ait dans l'Eglise de consistoires et un
ordre. Dans ce même instan, a été produit une lettre de M. le
célèbre P. prouvant Fhutilitté et la nécessité de la dissipline,
disant que le fils de Dieu, ny les apôtres, ny les prophètes, non
jamais combatu lordre. Us travaillaient à destruire les erreurs
et les préjugez, mais non jamais touché à l'ordre, bien que la
doctrine fut corrompue, qu'on ne peut jamais établir une bonne
doctrine sans établir en même tems un ordre et une bonne
dissipline pour la soutenir. Les apôtres premiers fondateurs de
la religion Chrétienne ont etably des reglemi» et esprecement
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 389
recommande l'exatte observation de l'ordre. S. Paul dit a
l'Eglise de Gorinthe(l Corinth. 14, v. 40) que Dieu et un Dieu
d'ordre et de paix et non pas de confussions, de même les en-
fans de Dieu sont des enfans de paix et d'ordre et non pas de
trouble. Le même apôtre dit a son dissiple Titte (chap. 1, v. 5),
qu'il lavait laisse en Crète afin qu'il continue ametre toutes
choses en bon ordre et qu'il établisse des enciens de lieu en
lieu. S. Gyprien, nonostonant les cruelles persécutions, ont voit
dans ces lettres apologiques, que quelques uns appellent apos-
toliques, qu'ils établissent partout où il passait des Enciens et
un ordre. La même chose ont lit dans les écrits de Beze. Helas !
que serait un corps, une société, une Republique, un royaume,
une armée, sans un ordre, sans une dissipbne. L'ordre a de
grandes hutillitez. Il est bon pour reunir les esprits, pour re-
conseiller les affections, banir les esquandalles, humilier les
pécheurs, corriger les vicieux ; trez bon pour conduire les as-
semblées duement convoquées, pour secourir les pauvres, pour
dissiper l'erreur; en un mot, l'ordre donne une double force pour
combattre les ennemis de la piété, les averssaires de la paix et
de la concorde; ce n'est pas sans de grandes raisons que l'ordre
et appelé lame de l'Eghse et le nerdt de la religion.
Après que la vénérable compagnie a leu reconnu la nécessité
de l'ordre, tant par les livres des Pères que par lecriture Sainte,
comme aussy par les lettres de nos très et honores frères des
pais étrangers, l'assemblée a unanimement convenu que chi-
matiques et sectateres soient bannys de la paix de l'Eglise, qui
soients ministres, qui soients proposants, qui soients Enciens,
qui soients lahiques de quelque ordre qu'ils soients, après la
\^^, la 2, la 3 admonition, qu'on le tienne pour hérétique. Cela
et la santance de S. Paul, et le fils de Dieu veut qu'on les regarde
comme des payents et comme des inlidelles ceux qui ce rai-
dissent contre les Enciens et contre l'Eglise. Il faut dont con-
venir que celuy qui refuse de ce soumettre à f ordre et aux
bons règlements que la sagesse de Dieu a eîably pour la
:m PIÈCES ET DOCUMENTS INEDITS
conduitte et goiivernemt de son Eglise ne sont pas les pins
humbles ny les meilleurs cretiens. Là dessus, un de la com-
pagnie a raporté en belles paroUes de S. Paul aux Romains
cbap. 16 V. 17 prenez garde a ceux qui font des partialitez et
qui causent du esquandalle. En effet une personne, qui fait secte
a part, cause des oribles exquandalles, il ce cepare de la paix de
l'Eglise, il ront le sacré ugnioii de l'Eulise par son injuste
ceparation .
La vénéral)le compagnie, au nombre de laquelle il n'y a per-
sonne qui vous puisse être suspecte, vous a trouvé coupable de
tous ces crimes. Prouvant que vous aviez refusé cette fois de
vous randre dans le présent sinode ou colloque, la compagnie
a justemt dit que, sy vous étiez innossant des crimes dont Ion
vous impute, vous seriez venu pour maniffester votre innossance,
mais vous seriez encore venu tant plus volontiers parce que
vous pouviez venir e parler sans craintes .Mais ce n'est pas la
M. le seul crime dont vous étiez coupable, quoy que cela suffirait
pour mettre en prison et entieremi de mettre tan un ministre
que un prêtre quy refuserait de ce rendre dans un lieu qui
serait appelle et ou il pourraient parler sans danger.
En 2 lieu, vous êtes coupable d'avoir baptizé des enfans dans
le tems que, bien loin qu'on vous leut commandé, ont vous l'avait
defandut, et qui y a de ministres qui ont reçeu toutes les forma-
lités requisses pour faire cette Stt" fonction; c'est encore un
grand crime, car c'est faire revivre lerreur des Marcionites et
autoriser celle de l'Eglise Romaine qui simagine que la néces-
sité autorise hommes et femmes, sans produire de sollides mi-
sons. Mais ceux qui sont heureusement instruits dans la rehgion
Chrétienne croient avec tous les ortodoxes qu'il n'est permy
d'aministrer les sacrements qu'a ceux qui ont reçu une légitime
vocation, dans un temps do paix, par une assemblée des pas-
teurs et prophesseurs. Alors il est permis a des Enciens helus a
la pluralité des voix detablir un homme en qui ils connnisseni
des qualitez requises au 8. Ministère, de luy donner la puis-
f>IÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 391
sance et laïUorité de faire toutes les fonctions d'un pasteur; et
vous n'êtes etably ny dans un consistoire de ministres, ny dans
un consistoire d'Enciens.A^'ous pouvez donc lire votre condam-
nation au 25 article de la confession de foy dressée d'un com-
mun acord de toutes les églises reformT'es de France, qu(^
l'Eglise ne [sent su1)sister, s'il n'y a un ordre sacré, iiiviolaltle, et
au ;]! article que nul ne ce doit ingérer de sou autorité propre.
Vous eles encore condamné au 25 article de la disci])line ex-
clésiastique que, quand un pasteur serait approuvé de soni
troupeau et du ministre prochain, il faut que la chose soit au-
torisée par le sinode.
En 3^ lieu, vous êtes coupable d'avoir leu(a Meyrueis) une lettre
disphamatoire et supposée, disant faussement que M. Elgaire
l'avait envoyée a Durand et aux autres, et d'avoir méprisse et
calonnié les Enciens helus a la pluralité des voix les appelans
ivrognes, couquins, voUeurs.
En 4 lieu, vous êtes coupable de parjurre n'ayant pas obtenu
ce que vous aviez promis a la crote du château de Presac et de
n'être pas aie avec le frère Deleuze, comme vous l'aviez promis
en plain sinode.
En 5 lieu, vous êtes coupable de soutenir .enseigner des
sentiments improuvés,.
En 6 lieu, vous êtes coupable de ne vouloir vous rendre dans
les asseml)lées de vos frères, lors qu'ils sont assemblez avec que
les fidelles pour rendre à Dieu leurs omages religieux. Des
ilustres fidelles ont témoigné en plaine assemblée que vous
aviez refussé sans sujet de vous y rendre dans le tems même
qu'ils vous epriaient, et sertainem^ vous n'avez jamais fait voir
aucun amour pour vos frères.
En 7 lieu, vous êtes coupables de n'avoir pas travailliez a
établir de reglemts pour la conduite et bienseence des as-
semblées, conformemi à vos frères et celon l'exhortation de
S. Paul (Philip. 3 v. \i)) suivant tous une même règle, ayant un
même senlim*. Tout cela lait qiw vous vous rendez du lout
392 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS?
indigne d'occuper la charge dans laquelle vous vous êtes ingérf'».
A raison de quoy, la compagnie vous impose silence par une
liatte de honne consience et vous ascigne devant Dieu d'obéir
à la voix de lecriture Sie , qui vous dit que Tesprit de pro-
phétie est soumis aux prophètes (1 Gorinth., 14, v. 32). Cepen-
dant, par une charité incomparable, la compagnie, a unanime-
ment convenu et arrêté que vous pouvez revenir dans la paix
de l'Eglise en composant vous même un sinode général a la face
du quel vous vous justifierez, sy vous croyez le pouvoir faire,
et fairez voir votre innocence, sy vous croyez en avoir.
Fait ce 13 Dessembre 1720. Dieu veuille avoir pitié des errans
et ramener ceux qui ce garent, amen.
(N» 17, vol. 0, IV 10.^
No XI
ARRESTATION DES INSPIRÉS DE LUNEL
A Luuel, ce 21 mars 1723.
On a arrêté hier entre 10 et 11 heures du soir, dans la maison
du nomme Delort, deux filles du dit Delort, âgées d'environ 22
ou 23 ans, avec deux fils du nommé Comte. L'un était prédicant
et avait déserté au Regim^ de Limousin, il y a 4 ans. Ces fana-
tiques suivaient la même secte que ceux qui ont été arrêtés dans
la maison de M^^^ Yerchaud à Montpellier. La maison dans la-
quelle ils ont été arrêtés était tapissée de feuilles de papier,
sur laquelle il y avait des figures mal dessignées de St Paul, du
prophette Elle, et autres prophettes, et chargées de versets de la
Bible. Ils avaient à l'imitation de ceux de Montpellier un dra-
peau ou étendard fait d'une vieille serviette attachée à un bâ-
ton avec un papier collé dessus contenant les commandements
de Dieu, ils avaient une couronne de laurier garnie de rubans,
et la chaire qu'ils avaient dans le temple était composée de
3 chaires, qui en soutenaient une 4'"^ tout entourées d'une nape;
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 393
il y a l'Empreinte de l'Eternel sur un carreau du temple, on
leur a trouvé des registres conformes à ceux de Montpellier par
raport aux cérémonies qu'ils faisaient pour les baptêmes et les
mariages , ce qui prouve qu'ils avaient correspondce avec ceux
de Montpe", plusieurs papiers contenant des infamies.
J'ai vu de mes propres yeuxunpapenard où il y avait 4 figures,
l'une du prophète Elie, une de Si Paul, une de l'Eternel, une
autre qui n'était point nommée, où, après plus^s (demandes qu'ils
faisaient faire du prophète Elie à St Paul, l'Eternel repondit
qu'il f...
iN'^ 30, p. 182 et 183.)
N« XU
COPTE DE LA LETTRE ESCRITTE PAR M. DE BERNaGE A SES SUBDÉLÉGUÉS
ET DANS LES PAYS OU ïh Y A DES RELIGIONNAIRES
Le 21 may 1723.
Le Roy et son Altesse Royale ayant jugé. M*", que l'exemple
des châtiments qui viennent d'estre faicts, en execuîon de mes
jugements, à Vesson, Mazellet et autres prédicants, épouvan-
terait assez les autres pour les porter à renoncer à leur métier,
ont bien voulu m'authoriser à faire grâce de la vie à ceux qui
viendraient se rendre, aux conditions d'estre envoyés aux pays
étrangers, dont ils ne pourraient revenir sans estre punis de mort.
,1e vous envoyé un état de ceux qui sont reconnus pour prédi-
cants tant par réputation que par les preuves que j'ay trouvées
dans le procès des autres que j'ay jugés. Si vous pouvez con-
naître , comme il n'est pas bien difficille, des personnes qui
les ayent veu, et qu'ils ayent eu quelques relations avec eux,
vous pourez les faire avertir de cette grâce dont il leur importe
de proffiter promptement, car en même temps vous leur ferez
sçavoir que tous ceux qui seront arrestés, avant de s'estre ren-
394 PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS
dus, seront punis de mort sans miséricorde, comme les derniers
qui ont esté condamnés, et que non seulement je t'eray donner à
ceux qui les auront indiqués et fait arrester la même somme de
1000 1. que j'ay fait donner pour la capture deMazellet; mais je
feray payer le double, et peut estre plus, à celluy qui ferait ar-
rêter Courtes, qu'on regarde comme le plus dangereux de tous,
et c'est de quoy vous pouvez assurer ceux que vous pouriés
connaître capable de rendre un aussy bon service, car on ne peut
trop détromper les N. G., qui conservent les principes de leur
ancienne religion, de Tydée que leur donnent ces malheureux
prédicants soutenus par les impostures de quelques ministres
étrangers, avec qui ils se sont procures de» relations, qu'on tolé-
rait l'exercice de cette religion, et même les assemblées, et
c'est ce qu'on faira par la continuâion des sévères punitions
dont ils viennent voir l'exemple, toutes les fois qu'on arrestera
des prédicants et ceux qui assistent dans des assemblées.
(N« 17, vol. G, p. 35!.)
N« XIII
DÉCLARATION DU ROV CONCERNANT LA RELIGION.
Donnée à Versailles, le 14 mai 1724.
Louis, etc. De tous les grands desseins que le feu Roy, notre
très-honoré seigneur et bisayeul, a formez dans le cours de son
règne, il n'y en a point que nous ayons plus à cœur de suivre
et d'exécuter, que celuy qu'il avoit conçu d'éteindre entièrement
l'hérésie dans son royaume, à quoy il a donné une application
infatigable jusqu'au dernier moment de sa vie. Dans la vue de
soutenir un ouvrage si digne de son zèle et de sa piété, aussi-
tôt que nous sommes parvenus à la majorité, notw premier soin
a été de nous faire représenter les édits, déclarations et arrests
du Conseil qui ont été rendus sur ce sujet, pour en renouveller
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 395
les dispositions et enjoindre à tous nos officiers de les faire ob-
server avec la dernière exactitude ; mais nous avons été informé
que l'exécution en a été ralentie depuis plusieurs années, sur-
tout dans les provinces qui ont été affligées d(^ la conta ijion, et
dans lesquelles il se trouve un grand nombre de nos sujets qui-
ont ci-devant fait profession de la li. P. H., par les f.iusses et
dangereuses impressions que quelques-uns d'entre eux, j)eu sin-
cèrement réunis à la R. G. A. et R., et excitez par des mouve-
mens étrangers, ont voulu insinuer secrètement, pendant notre
minorité ; ce qui nous ayant engagé à donner une nouvelle atten-
tion à un objet si important, nous avons reconnu que les prin-
cipaux abus, qui se sont glissez et qui demandent un plus prompt
remède, regardent principalement les assemblées illicites, l'édu-
cation des enfans, l'obligation, pour tous ceux qui exercent
quebjues fonctions publiques, de professer la R. G. A. et R.,
les peines ordonnées contre les relaps, et la célébration des ma-
riages; sur quoy nous avons résolu d'ex})liquer bien disertement
nos intentions. A ces causes, de l'avis de notre Conseil, et de
notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, nous
avonsdit et ordonné, et par ces présentes signées de notre main,
disons et ordonnons, voulons et nous plaîst:
I. Que la R. G. A.etR. soit seule exercée dans notre royaume,
pays et terres de notre obéissance ; défendons à tous nos sujets,
de quelque état, qualité et condition qu'ils soient, de faire aucun
exercice de religion, autre que ladite R. G., et de s'assemblerpour
cet effet en aucun lieu et sous quelque prétexte que ce puisse
être, à peine, contre les bommes, des galères perpétuelles, et
contre les femmes, d'être rasées et enfermées pour toujours
dans les lieux que nos juges estimeront à propos, avec confisca-
tion des biens des uns et des autres ; même à, peine de mort
contre ceux rpii seront assemblez en armes.
II. Estant informez qu'il s'est élevé et s'élève journellement
dans notre royaume plusieurs predicans, qui ne sont occupez
((u'à exciter les i)euples à la révolte, et à les détourner des exer-
396 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
cices de la R. C. A. et R., ordonnons que tous les prédicans
qui auront convoqué des assemblées, qui y auront prêché, ou
fait aucunes fonctions, soient punis de mort, ainsi que la décla-
ration du mois de juillet 1686 l'ordonne pour les ministres de la
Religion prétendue réformée, sans que ladite peine de mort
puisse à l'avenir estre réputée comminatoire. Défendons à tous
nos sujets de recevoir lesdits ministres ou prédicans, de leur
donner retraite, secours et assistance, d'avoir directement ou
indirectementaucun commerce avec eux : enjoignons a ceux qui
en auront connoissance, de les dénoncer aux officiers des lieux,
le tout à peine, en cas de contravention, contre les hommes,
des galères à perpétuité, et contre les femmes, d'être rasées ei
enfermées pour le reste de leurs jours dans les lieux que nos
juges estimeront à propos, et de confiscation de Ijiens des uns
et des autres.
m. Ordonons à tous nos sujets, et notamment à ceux qui ont
ci-devant professé la R. P. R., ou qui sont nez de parens qui
en on fait profession, de faire baptiser leurs enfans dans les
églises des paroisses où ils demeurent, dans les vingt-quatre
heures après leur naissance, si ce n'est qu'ils ayent obtenu la
permission des archevêques ou des évêques diocésains de différer
les cérémonies du baptême pour des raisons considérables ; en-
joignons aux sages-femmes et autres personnes qui assistent
les femmes dans leurs accouchemens, d'avertir les curés des
lieux de la naissance des enfans, et à nos officiers et à ceux des
sieurs qui ont la haute-justice, d'y tenir la main et do punir les
contrevenans par des condamnations d'amendes, même par do
plus grandes peines, suivant l'exigence des cas.
IV. Qant à féducation des enfans de ceux qui ont cy-devant
professé la R. P. R., ou qui sont nez de parens qui en ont fait
profession, voulons que l'édit du mois de janvier 1686 et les dé-
clarations du 13 décembre 1698 et 16 octobre 1700 soient exécu-
tées en tout ce qu'elles contiennent; et en y ajoutant, nous
défendons à tous nosdits sujets d'envoyer élever leurs enfans
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 397
hors du royaume, à moins qu'ils n'en ayent obtenu de nous
une permission par écrit, signée de l'un de nos secrétaires d'E-
tat, laquelle nous n'accorderons qu'après que nous aurons esté
suffisamment informez de la catholicité des pères et mères, et
ce à peine, en cas de contravention, d'une amende, laquelle sera
réglée à proportion des biens et facultez des pères et mères des-
dits enfans, et néanmoins ne pourra être moindre que la somme
de six mille livres , et sera continuée par chaque année que
leursdits enfans demeureroient en pays étrangers au préjudice
de nos défenses ; à quoy nous enjoignons à nos juges de tenir
exactement la main.
V. Voulons qu'il soit étably, autant qu'il sera possible, des
maîtres et des maîtresses d'école dans toutes les paroisses où
il n'y en a point, pour instruire tous les enfans de l'un et
l'autre sexe, des principaux mystères et devoirs de la R. G. A.
et R., les conduire à la messe tous les jours ouvriers, autant
qu'il sera possible, leur donner des instructions dont ils ont be-
soin sur ce sujet, et avoir soin qu'ils assistent au service divin
les dimanches et fêtes, comme aussi pour y apprendre à lire
et même écrire à ceux qui pourront en avoir besoin, le tout
ainsi qu'il sera ordonné par les archevêques et évêques, en con-
formité de l'article xxv de l'édit de 1695, concernant la juridic-
tion ecclésiastique : voulons, à cet effet, ({ue dans les lieux où
il n'y aura pas d'autres fonds, il puisse être imposé sur tous les
liabitans la somme qui manquera pour l'établissement desdits
maîtres et maîtresses, jusqu'à celle de cent cinquante livres par
an pour les maîtres et cent livres pour les maîtresses, et (jue
les lettres sur ce nécessaires, soient expédiées sans frais, sur
les avis que les archevêques et évêques diocésains; et les com-
missaires départis dans nos provinces pour l'exécution de nos
ordres, nous en donneront.
VI. Enjoignons à tous les pères, mères, tuteurs etautres person-
nes qui sont chargées de l'éducation des enfans, et nommément
de ceux dont les pères ou les mores ont fait profession du la
398 PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS
R. P. R., ou sont nez de parents religionnaires, de les envoyer
aux écoles et aux catéchismes juscju'à l'âge de quatorze ans,
même pour ceux qui sont au-dessus de cet âge jusqu'à celuy de
vingt ans, aux instructions qui se font les dimanches et les
festes, si ce n'est que ce soient des personnes de telle condition
qu'elles puissent etqu'(dles doivent les faire instruire chez elles,
ou les envoyer au collège, ou les mettre dans des monastères
ou communautez réguhères ; enjoignons aux curez de veiller avec
une attention ])articulière sur l'instruction desdits enfans dans
leurs paroisses , même à l'égard de ceux qui n'iront pas aux
écoles ; exhortons et néanmoins enjoignons aux archevêques et
évêques de s'en informer soigneusement; ordonnons aux pères
etautres qui en ont l'éducation, etparticuhèrement aux personnes
les plus considérables par leur naissance ou par leurs emplois,
de leur représenter les enfans qu'ils ont chez eux, lorsque les
archevêques ou évêques l'ordonneront dans le cours de leurs vi-
sites, pour leur rendre compte de l'instruction qu'ils auront re-
çue touchant la religion, et à nos juges, procureurs et à ceux
des sieurs qui ont la haute-justice, de faire toutes les diligences,
perquisitions et ordonnances nécessaires pour l'exécution de
notre volonté à cet égard, et de punir ceux qui seroient négh-
geans d'y satisfaire, ou qui auroient la témérité d'y contrevenir
de quelque manière que ce puisse être, par des condamnations
d'amende qui seront exécutées par provision, nonobstant l'appel,
à telles sommes qu'elles puissent monter.
VII. Pour assurer encore plus l'exécution de l'article précédent,
voulons que nos i)rocureurs et ceux des sieurs hauts-justiciers
se fassent remettre tous les mois par les curez, vicaires, maîtres
ou maîtresses d'écoles, ou autres qu'ils chargeront de ce soin,
un état exact de tous les enfans qui n'iront pas aux écoles ou
aux catéchismes et instructions, de leur noms, âges, sexes, et
des noms de leurs pères et mères, pour faire ensuite les pour-
suites nécessaires contre les pères et mères, tuteurs ou cura-
teurs, ou autres chargez de leur éducation, et (juils aient soin de
PIEGES ET DOCUMENTS INÉDITS 399
rendre compte, au moins tous les six mois, à nos procureurs
généraux, chacun dans leur ressort, des diligences qu'ils auront
faites à cet égard, pour recevoir d'eux les ordres et les instruc-
tions nécessaires.
VIII. Les secours spirituels n'étant en aucun temps plus né-
cessaires, surtout à ceux de nos sujets qui se sont nouvelle-
ment réunis à l'Eglise, que dans les occasions de maladies, où
leur vie et leur salut sont également en danger, voulant que les
médecins et à leur défaut les apotiquaires et chirurgiens qui se-
ront appeliez pour visiter les malades, soient tenus d'en donner
avis aux curez ou vicaires des paroisses dans lesquelles lesdits
malades demeureront, aussi- tôt qu'ils jugeront que la maladie
pourroit être dangereuse, s'ils ne \oyent qu'on les y ait appel-
iez d'ailleurs, afin que lesdits malades, et nommément nos su-
jets nouvellement réunis àl'Eglise, puissent en recevoir les avis et
les consolations spirituelles dont ils auront besoin: et le secours
des sacremens, lorsque lesdits curez ou vicaires trouveront les-
dits malades en état de les recevoir; enjoignons aux parens,
serviteurs et autres ])ersonnes qui seront auprès desdits ma-
lades, de les faire entrer auprès d'eux, et de les recevoir avec
la bienséance convenable à leur caractère ; et voulons que ceux
desdits médecins, apotiquaires et chirurgiens qui auront né-
ghgé ce qui est leur devoir à cet égard, et pareillement les pa- "
rens, serviteurs et autres qui sont auprès desdits malades, qui
auront refusé ausdits curez ou vicaires, ou prêtres envoyez par
eux, de faire voir lesdits malades, soient condamnez en telle
amende qu'il appartiendra, même les médecins, apotiquaires,
chirurgiens, interdits en cas de récidive, le tout suivant l'exi-
gence des cas.
IX. Enjoignons pareillement à tous curez, vicaires et autres
({ui ont la charge des âmes , de visiter soigneusement les nia-
kules, de (juehpie état et qualité qu'ils soient, notamment ceux
rjui ont ci-devant professé la U. P. H., ou (jui sont nez de pa-
ïens qui en ont fait profession, de les exhorter en particuliei et
400 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
sans témoins à recevoir les sacremens de l'Eglise, en leur don-
nant à cet eftet toutes les instructions nécessaires avec la pru-
dence et la charité qui convient à leur ministère, et en cas qu'au
mépris de leurs exhortations et avis salutaires, lesdits malades
refusent de recevoir les sacremens qui leur seront par eux offerts,
et déclarent ensuite publiquement qu'ils veulent mourir dans la
R. P. R., et qu'ils persistent dans la déclaration qu'ils en auront
faite pendant leur maladie, voulons que, s'ils viennent à recou-
vrir la santé, le procez leur soit fait et parfait par nos baillifs
et sénéchaux, à la requête de nos procureurs, et qu'ils soient
condamnez au bannissement à perpétuité, avec confiscation de
leurs biens, et dans les pais où la confiscation n'a lieu, en une
amende qui ne pourra être moindre que la valeur de la moitié
de leurs biens; si, au contraire, ils meurent dans cette malheu-
reuse disposition, nous ordonnons que le procez sera fait à leur
mémoire par nosdits baillifs et sénéchaux, à la requeste de nos
procureurs, en la forme prescrite par les articles du titre xxn de
notre ordonnance du mois d'aoust 1670, pour estre leur dite mé-
moire condamnée, avec confiscation de leurs biens, dérogeant
aux autres peines portées par les déclarations des 29 avril 1686
et 8 mars 1715, lesquelles seront au surplus exécutées en ce qui
ne se trouvera contraire au présent article; et en cas qu'il n'y
ait point de bailhage royal dans le lieu où le fait sera arrivé,
nos prévôts et juges royaux, et s'il n'y en a pas, les juges des
sieurs qui y ont la haute-justice, en informeront et envoyeront
les informations par eux faites aux greffes de nos bailliages et
sénéchaussées d'où ressortissent lesdits juges, ou qui ont la
connoissance des cas royaux dans l'étendue desdites justices,
pour y être procédé à l'instruction et au jugement du procez, à
la charge de l'appel en nos cours de parlement.
X. Voulons que le contenu au précédent article soit exécuté
sans qu'il soit besoin dautre preuve, pour étabhr le crime de re-
laps, que le refus qui aura esté fait par le malade des sacremens de
l'Eglise otVerts par les curez, vicaires ou autres ayans la charge
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 401
des âmes, et la déclaration qu'il aura faite publiquement comme
ci-dessus, et sera la preuve dudit refus et de ladite déclaration
publique, establie par la déposition desdîts curez ou vicaires ou
autres ayans la charge des âmes, et de ceux qui auront esté pré-
sens lors de ladite déclaration, sans qu'il soit nécessaire que les
juges du lieu se soient transportez dans la maison desdits ma-
lades, pour y dreser procez-verbal de leur refus et déclaration,
et sans que lesdits curez ou vicaires qui auront visité les ma-
lades soient tenus de requérir le -transport desdits officiers, ni
de leur dénoncer le refus et la déclaration qui leur aura esté faite,
dérogeant à cet égard aux déclarations des 29 avril 1686 et
8 mars 1715, en ce qui pourra estre contraire au présent article
et au précédent.
XI. Et attendu que, nous sommes informez que ce qui con-
tribue le plus à confirmer ou à faire retomber lesdits malades
dans leurs anciennes erreurs, est la présence et les exhortations
de quelques religionnaires cachez qui les assistent secrètement
en cet état, et abusent des préventions de leur enfance et de la
foiblesse où la maladie les réduit, pour les faire mourir hors du
sein de l'Eglise, nous ordonnons que le procez soit fait et parfait
par nos bailUfs et sénéchaux, ainsi qu'il est dit ci-dessus, à ceux
qui se trouveront coupables de ce crime, dent nos prévôts ou
autres juges royaux pourront informer, même les juges des
sieurs qui auroient la haute-justice dans les lieux où le fait se-
roit arrivé, s'il n'y a point de bailliage ou sénéchaussée royale
dans lesdits lieux; à la charge d'envoyer les informations au
bailliage royal comme dessus, pour estre le procez continué par
nos baillifs et sénéchaux, et les coupables condamnez, sçavoir,
les hommes aux galères perpétuelles ou à temps, selon que les
juges l'estimeront à propos, et les femmes à estre rasées et en-
fermées dans les lieux que nos juges ordonneront, à perpétuité
ou à temps, ce que nous laissons pareillement à leur prudence.
XII. Ordonnons que suivant les anciennes ordonnances des
Rois nos prédécesseurs, et l'usage observé dans notre royaume,
I 26*
402 PIECES ET DOCUMENTS INEDITS
nul de nos sujets ne pourra estre reçu en aucune charge de judi-
cature dans nos cours, bailliages, sénéchaussées, prévôtez et
justices, ni dans celles des hauts-justiciers, même dans les.
places de maires et échevins, et autres officiers des hôtels=-de-
ville, soit qu'ils soient érigez en titre d'office, ou qu'il y soit
pourvu par élection ou autrement, ensemble dans celle de gref •
fiers, procureurs, notaires, huissiers et sergens, de quelque ju-
risdiction que ce puisse être, et généralement dans aucun office
ou fonction publique, soit en titre ou par commission, même
dans les offices de notre maison et maisons royales, sans avoir
une attestation du curé ou, en son absence, du vicaire de la
paroisse dans laquelle ils demeurent, de leur bonne vie et mœurs,
ensemble de fexercice actuel qu'ils font de la R. C. A. et R.
XIII. Voulons pareillement que les licences ne puissent estre
accordées dans les universitez du royaume, à ceux qui auront
étudié en droit ou en médecine, que sur des attestations sem-
blables que les curez leur donneront, et seront par eux repré-
sentées à ceux qui leur doivent donner lesdites licences; des-
quelles attestations il sera fait mention dans les lettres de
licence qui leur seront expédiées, à peine de nullité; n'enten-
dons néanmoins assujettir à cette règle les étrangers qui vien-
dront étudier et prendre des degrez dans les universitez de
notre royaume, à la charge que, conformément à la déclaration
du 26 février 1680 et à l'édit du mois de mars 1707, les degrez
par eux obtenus ne pourront leur servir dans notre royaume.
XIV. Les médecins, chirurgiens, apoticaires et sages-femmes,
ensemble les libraires et imprimeurs ne pourront estre aussi ad-
mis à exercer leur état et profession dans aucun lieu de notre
royaume, sans rapporter une pareille attestation, <ie laquelle il
sera fait mention dans les lettres qui leur seront expédiées, même
dans la sentence des juges, à l'égard de ceux qui doivent prêter
serment devant eux, le tout à peine de nullité.
XV. Voulons que les ordonnances, édits et déclarations des
Rois nos prédécesseurs sur le fait des mariages, et nommément
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 403
redit du mois de mars 1697 et la déclaration du 15 juin de la
même année, soient exécutez, selon leur forme et teneur, par
nos sujets nouvellement réunis à la foy catholique, comme par
tous nos autres sujets ; leur enjoignons d'observer dans les ma-
riages qu'ils voudront contracter, les solemnitez prescrites tant
par les saints canons reçus et observez dans ce royaume, que
lesdites ordonnances, édits et déclarations, le tout sous les
peines qui y sont portées, et même de punition exemplaire, sui-
vant l'exigence des cas.
XYI. Les enfans mineurs, dont les pères et mères, tuteurs
ou curateurs sont sortis de notre royaume et se sont retirez
dans les païs étrangers pour cause de religion, pourront vala-
blement contracter mariage, sans attendre ni demander le con-
sentement de leursdits pères et mères, tuteurs ou curateurs ab-
sens, à condition néanmoins de prendre le consentement et
avis de leurs tuteurs ou curateurs, s'ils en ont dans le royaume,
sinon il leur en sera créé à cet effet, ensemble de leurs parens
ou alliez, s'ils en ont, ou au défaut des parens et alliez, de
leurs amis ou voisins : Voulons à cet effet qu'avant de passer
outre au contrat et célébration de leur mariage, il soit fait de-
vant le juge royal des lieux où ils ont leur domicile, en pré-
sence de notre procureur, et s'il n'y a point de juge royal , de-
vant le juge royal, devant le juge ordinaire desdits lieux, le
procureur fiscal de la justice présent, une assemblée de six des
plus proches parens ou alliez , tant paternels que maternels,
faisant l'exercice de la R. G. A. et R., outre le tuteur et le cu-
rateur desdits mineurs, et au défaut de parens ou alliez, de six
amis ou voisin de la même qualité, pour donner leur avis ot
consentement, s'il y échet, et seront les actes pour ce néces-
saires expédiez sans aucuns frais, tant de justice que de sceau,
contrôle, insinuations ou autres ; et en cas qu'il n'y ait que le
père ou la mère desdits enl'ans mineurs qui soit sorti du royaume,
il suffira d'assembler trois parens ou alliez du côté de celui qui sera
hors du royaume, ou, à leur défaut, trois voisins et amis, lesquels
404 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
avec le père ou la mère qui se trouvera présent, et le tuteur ou cu-
rateur, s'il y en a autre que le père ou lamère, donneront leuravis
et consentement, s'il y échet, pour le mariage proposé, duquel
consentement, dans les cas ci-dessus marquez, il sera fait men-
tion sommaire dans le contrat de mariage, qui sera signé par
lesdits père ou mère, tuteur ou curateur, parens, alliez, voisins
ou amis, comme aussi sur le registre de la paroisse où se fera
la célébration dudit mariage, le tout sans que lesdits enfans,
audit cas, puissent encourir les peines portées par les ordon-
nances contre les enfans de famille qui se marient sans le con-
sentement de leurs pères et mères, à l'effet de quoi nons avons
dérogé et dérogeons, pour ce regard seulement, ausdites or-
donnances, lesquelles seront au surplus exécutées selon leur
forme et teneur.
XVII. Défendons à tous nos sujets, de quelque qualité et con-
dition qu'ils soient, de consentir ou approuver que leurs enfans,
et ceux dont ils seront tuteurs ou curateurs, se marient en pais
étrangers, soit en signalant les contrats qui pourroient estre faits
pour parvenir ausdits mariages, soit par acte antérieur ou pos-
térieur, pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce puisse
estre, sans notre permission expresse, et par écrit, signée par l'un
de nos secrétaires d'état et de nos commandemens, à peine des
galères à perpétuité contre les hommes, et de bannissement
perpétuel contre les femmes , et en outre de confiscation des
biens des uns et des autres, et; où confiscation n'auroit pas lieu,
d'une amende qui ne pourra estre moinrlre que la moitié de leurs
biens.
XVIII. Voulons que dans tous les arrests et jugemens qui
ordonneront la confiscation des biens de ceux qui l'auront en-
courue, suivant les différentes dispositions de notre présente
déclaration, nos cours et autres, nos juges ordonnent que sur les
biens situez dans les païs où la confiscation n'a pas lieu, ou sur
ceux non sujets à confiscation ou qui ne seront pas confisquez
à notre profit, il sera pris une amende qui ne pourra estre moin-
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 405
dre que la valeur de la moitié desdits biens, laquelle amende
tombera, ainsi que les biens confisquez, dans la régie des biens
des religionnaires absens , pour estre employez avec le revenu des-
dits biens à la subsistance de ceux de nos sujets nouvellement
réunis qui auront besoin de ce secours, ce qui aura lieu pareil-
lement à l'égard de toutes les amendes , de quelque nature
qu'elles soient, qui seront prononcées contre les contrevenans
à notre présente déclaration, sans que les receveurs ou fermiers
de notre domaine y puissent rien prétendre.
Si donnons en mandement , etc. — Donné à Versailles , le
quatorzièmejourde May , l'an de grâce mil sept cent vingt-quatre,
et de nostre Règne le neuvième.
Signé: LOUIS.
Et plus bas : par le Roy, Dauphin, comte de Provence :
Phelypeaux,
Et scellé du grand Sceau de cire jaune.
(Bibliothèque nationale, Mss. n" 7046, p. 53.)
No XIV
INSTRUCTIONS POUR MOI AU SYNODE
l*^"^ nnay 1725.
.l'en feray l'ouverture en adressant à la compagnie un discours
sur l'état présent de nos Eglizes et sur les moyens de les con-
server.
Je remonteray dans ce discours jusques a l'origine de nos
malheurs sur le projet que Louis XIV avait fait de les détruire,
sur les moyens qu'il mit en usage pour en venir a bout, comme
il s'en féHcita d'y être parveneu.
Ce que Dieu lit ensuite. 11 suscita des personnes extraordi-
naires pour les relever, Rey. Brousson etc. Il continue aujour-
d'hui. Je feray voir en peu de mots ce qu'il a fait depuis l'an-
née 1715, et ensuite je r(»presenteray que en quelque bon état
que soient nos Eglizes dans un sens, elles sont dans un autre
406 PIÈCES ET DOCUMENTS INEDITS
bien triste dans un sens différent, que nous devons à cause de
cela faire nos efforts pour leur en procurer un meilleur.
Que les moyens qu'il faut mettre en usage sont 1<* des prières
ardentes, 2^ une conduite pure, 3° une repantance sincère,
4° des intercessions réitérées auxprès des puissances étrangères
protestantes, 5<* l'envoy d'un député auprès d'elles.
Qu'en suite notre subsistance dépend i°de notre union, d'une
correspondance parfaite entre les pasteurs, proposans et An-
ciens. Nous ne saurions subsister si nous étions divizes ; 2° en
prenant soin de ceux qui travaillent au ministère et de ceux qui
souffrent pour l'Evangile. Sur quoy pour réussir, il est impor-
tant d'établir un fond ou tous doivent contribuer; 3° en obser-
vant que le nom de Dieu soit exalté, ses saintes écritures lues
et révérées, ses sacrements respectés et honorés, en bannissant
les scandales etc. en instituant de tems en tems' des jeunes ;
4° en dressant de jeunes hommes qui a l'exemple de Timotée
eussent appris de leur tendres enfance les S^e lettres et qu'ils
ayent le dessein de se consacrer au service de l'Eglize; enfin en
établissant des jeunes. Après cela je regleray l'ordre suivant
les matières qui doivent être mise sur le tapis.
1° Que, s'il y a des personnes pour être receu Anciens, qui se
presantent.
2° Que les députez, s'ils ont des propositions à faire, qu'ils les
fassent, et qu'ils remettent leur taxe entre les mains des com-
missaires ace sujet nommés.
3° Que leDauphiné demandant au Synode deux députez char-
gés d'un double de nos règlements et]d'une attestation, accom-
pagnés d'un ordre exprès du Sinode pour aler établir et dans
le \ivarais et dans les Eglizes du Dauphiné l'ordre qu'on ob-
serve parmi nous, la compagnie doit délibérer la dessus. Je feray
la lecture de M. Roger.
4« Que la compagnie doit délibérer sur la matière et sur la
forme de la lettre qu'on doit écrire aux EgHzes pour les
exhorter a contribuer au fond public, et nommer les trezoriers
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 407
et les secrétaires à ce sujet de la manière que le fond doit être
distribué.
5° Qu'étant important de nommer un député vers les puis-
sances protestantes, il faut examiner qui l'est le plus propre et
sur qui on doit jetter la vue.
6° Procéder a l'examen de M. Clari et Maroger, s'ils persé-
vèrent à vouloir se consacrer au service de l'Eglize.
Enfin finir par une lecture d'amour et de charité réciproque
des pasteurs, des proposans et des Anciens. •
(N" 7, 1. II. p. 151.)
N« XY
PREMIER SYNODE NATIONAL DE 1726
16 niay 1726.
Ce jourd'hui 16 may 1726, assemblés en Synode national au
nombre de trois pasteurs, neuf proposans, et trente-six anciens,
après avoir imploré le secours de Dieu, et les lumières du St-
Esprit, avons délibéré ce qui suit :
Ayant fait lecture de 29 articles généraux pour le main-
tien des églises du Languedoc, Vivarais, et Dauphiné, il a été
approuvé d'une voix unanime de les coucher à chaque livre des
corps Synodaux tels qu'ils sont ci après :
!« Tous les pasteurs, proposants, Anciens, et fidélles rece-
vront la confession de foi dressée autrefois par les églises ré-
formées de ce Royaume, et présentée à nos rois pour justifica-
tion de leur croyance évangélique, comme étant un abrégé de
la doctrine que f Ecriture renferme, et des erreurs capitales que
Ion doit rejetter, et comme nos pères avoient dressé une disci-
pline ecclésiastique pour règle de leur conduite, on s'y con-
formera aussi, autant que les tristes circonstances dans les-
quelles nous sommes })ourront le permettre.
408 PIECES ET DOCUMENTS INEDITS
2° Tous les pasteurs, proposans, anciens, et toutes les per-
sonnes réformées soumises à nos réglemens, demeureront in-
violablement soumises et obéissantes aux puissances supérieures,
dans toutes les choses ou Dieu et la conscience ne sont point
intérréssées, savoir : au Roi Louis XY notre Sire, à ses légitimes
successeurs, à ses gouverneurs, commandants, magistrats, in-
tendans , et autres personnes établies par lui; et feront prières
tant publiques et particulières pour son Auguste personne, pour
les princes, et princesses de la maison Royale et pour tous ceux
qui exercent la police, et la justice en son nom ; et surtout ils
ne favoriseront aucun traître, rebelle, ni perturbateur, et si quel-
qu'un était assez méchant pour refuser de remplir un si impor-
tant devoir d'institution divine, il sera poursuivi par toutes voyes
ecclésiastiques.
3° Les pasteurs et proposans ne prêcheront, et les anciens,
et fidélles n'écouteront que l'écriture Ste et les raisonnemens
qui s'en tirent par une conséquence nécessaire, comme étant la
parole de Dieu, et par conséquent la seule régie de la foy, et ils
doivent réfuter toutes prétendues révélations et inspirations que
plusieurs se sont vantés d'avoir eu en ces temps, et dans les-
quelles il n'y a rien qui puisse appuyer notre foy, et, parceque
sous ce faux prétexte d'être inspiré, ou révélé, plusieurs femmes
ou filles ont voulu mettre la main à l'encensoir, contre l'expresse
défense de St. Paul qui ne veut point que les femmes enseignent
dans l'église, cet exercice divin et pubhc ne doit pas être souf-
fert, et l'expérience ayant appris qu'il est arrivé de grands scan-
dales et des extravagances au sujet de ces prétendues révélations
de l'un et l'autre sexe, les pasteurs, proposans et anciens, ainsi
que tous les vrais fidélles, doivent y veiller avec soin.
4° Dans les exercices publics, avant l'exposition de la parole,
on lira ou faira lire les dix commandemens de la loi de Dieu
contenus au 20 ch. de l'Exode conformément à l'ancienne cou-
tume des églises réformées de France ; et pendant la lecture de
la parole de Dieu et pendant tout le îemps que durera l'exercice
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 409
de piété, chacun doit prendre garde de demeurer dans une con-
tenance qui montre que Ion est pénétré de dévotion, et les pas-
teurs et proposans y porteront leurs soins pour engager les au-
tres à se conformer à ce que prescrit cet article.
5<^ Pour la conduite des particuliers, et ne pas faire trop d'é-
clat dans la con^rocation des assemblées religieuses pendant tout
le temps de la captivité, les pasteurs, proposans, et anciens sont
exhortés de ne pas faire traverser les paroisses ou mandemens
et de choisir pour cet effet les endroits qui soient à la portée de
ceux qui doivent s'y rendre, ou bien s'il y avoit des lieux trop
éloignés, les anciens et les fidelles des dits Heux doivent se
choisir des places et requérir les pasteurs et proposans de pas-
ser chez eux pour y convoquer des assemblées.
6° Dans les convocations des assemblées religieuses, les par-
ticuliers ne marcheront, ni ne feront marcher les autres sans
être avertis par les anciens ou de leur part, et les anciens pren-
dront garde de ne pas faire avertir sans avoir la parole de
celui qui doit prêcher et nul ne pourra faire avertir sans le con-
sentement des anciens, et si quelqu'un l'entreprend, il sera cen-
suré, et s'il persiste, suspendu de la Ste cène.
7» Pendant tout le temps et dans tous les lieux où l'on ne
pourra pas célébrer le service divin le jour du dimanche, les
pasteurs, les proposans, et les anciens, ainsi que les autres
fidélles, auront soin de consacrer ce jour là deux ou trois heures
à la dévotion de leur famille, ou parmi leur voisins, et après
avoir commencé par la confession des péchés ils chanteront des
psaumes, si cela se peut, liront quelques chapitres de l'Ecri-
ture Ste et quelque sermon et liniront par la prière ecclésias-
tique, ou par quelqu' autre, ils prendront bien garde de ne pas
profaner ce saint jour par aucun voyage d'avarice, de ne point
faire la débauche, ivrogner, jouer, chasser, danser, et de s'ab-
stenir des choses défendues en tout temps.
8" Les pasteurs, proposans, et anciens reprendront en public
et en particulier les pécheurs, et ceux qui ne voudront pas se
410 PIECES ET DOCUMENTS INEDITS
corriger, après les avoir exhortés, une, deux, ou trois fois selon
les régies de l'Ecriture Ste, seront suspendus de la Ste cène.
9° Les pasteurs et proposans ne pouvant faire leur résidence
chez un troupeau particulier, et se trouvant dans la nécessité
de visiter plusieurs églises à cause du manque de pasteurs, tous
les fidelles, et particulièrement les anciens, prendront soin de
veiller à leur sûreté ; et les avertiront des vices régnans, afin d'y
apporter les remèdes nécessaires pour en rompre le cours, comme
les censures, les exhortations conformémentà la parole de Dieu
et à la discipline.
10° Les pasteurs, proposans et anciens exhorteront les fidélles
de faire bénir leur mariages, et administrer le sacrement du
baptême à leurs enfants par les pasteurs reconnus établis par
nous, et de ne plus aller vers les prêtres de la Communion ro-
maine , cette communion étant devenue par ses idolâtries et
superstitions entièrement antichrétienne, et étant impossible
d'y faire bénir son mariage et baptiser ses enfants sans com-
mettre apostasie, renier J.-G. et consacrer ses enfants à l'idole;
et ceux qui désormais se porteront à des lâchetés pareilles se-
ront censurés publiquement et privés de la communion, et ils ne
pourront y être admis derechef qu'après avoir demandé pardon
publiquement, et à genoux devant la table sacrée, et avoir pro-
mis de ne plus retomber dans ces péchés.
11° Pour la propagation de la foy réformée, les pasteurs,
proposans, et autres fidélles doivent s'informer des lieux voisins
et éloignez qui n'ont pas été appelés, s'il y a des personnes ou
familles en qui on puisse se confier, et ils agiront de vive voix
et de tout leur pouvoir, en prenant garde de ne choquer per-
sonne, et des qu'il paroitra possible d'y convoquer des assem-
blées religieuses, les pasteurs les proposans, et s'il est besoin
quelques anciens, seront obligés de s'y transporter pour cet effet
et d'y faire recevoir les réglemens.
12° Les pasteurs et proposans sont obligés de dire la prière
publique deux ou trois fois le jour dans les maisons où ils se
PIECES ET DOCUMENTS INEDITS 411
rencontreront et de la faire dire aux particuliers de ces familles
en leur présence autant que faire se pourra, pour les inviter et
leur donner du goût pour ce pieux exercice.
130 Outre le soin que les pasteurs et les proposans doivent
prendre d'instruire les particuliers dans les maisons sur le ca-
téchisme, ils auront encore soin de catéchiser tout le peuple dans
les assemblées publiques, et de donner des éclaircissements
sur les endroits qui paroitront obscurs ; ils pourront se servir
de toutes sortes de bons catéchismes, selon les lieux et les per-
sonnes.
14° Les pasteurs et proposans prendront garde de ne rien dire
ni faire qui choque la dignité du chrétien, ni la sainteté de leur
charge, et les anciens doivent y veiller, en sorte que s'il arrivoit
qu'un pasteur ou un proposant tombât en scandale, il doit être
démis JLisques à ce qu'il l'aura levé par une vive repentance, et
s'il refusait de le faire, il doit être déposé, tout de même que s'il
persistoit dans une vie scandaleuse, sans qu'il lui soit permis
de faire aucune fonction pastorale ; et pour prévenir ces fâcheux
événements, si quelques anciens s'apperçoivent que quelque
pasteur ou proposant se familliarise indécemment avec quelque
femme ou fille, ils seront obligés de leur défendre de loger dé-
sormais dans les maisons ou logent ces femmes ou filles, et de
leur ordonner d'éviter ces conversations particulières ; que si
nonobstant ces défenses ils vouloient persister, les anciens aver-
tiront le Synode qui les poursuivra par toutes voyes ecclésias-
tiques.
15° Nul pasteur et proposant ne sera reçu qu'il ne soit sou-
mis à l'ordre ecclésiastique, et Ion ne conférera ces charges de
pasteur et proposant qu'après avoir subi un examen grave sur
la doctrine et sur les mœurs ; et les proposans peuvent être re-
çus dans des Synodes provinciaux, mais les pasteurs ne le se-
, ront que dans des Synodes nationaux, jusqu'à ce ([ue l'on rccon-
noitra ([u'il y a suftisami des pasteurs ordonnés dans chaque
province pour assister aux examens et aux impositions des
412 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
mains ; et les pasteurs et les prédicateurs prendront garde
de régler leur prédications d'environ une heure et quart pour
prévenir les dangers et ne pas lasser l'attention des audi-
teurs.
16° S'il y avoit quelque pasteur ou proposant qui refusât abso-
lumentde se rangeràl'ordre ecclésiastique pu qui voulutle trou-
bler, ou bien s'il arrivoit que quelque pasteur ou proposant vint
à s'y soustraire en tout ou en partie, les pasteurs, proposans,
anciens ou fidélles, prendront garde de ne le favoriser en aucune
manière dans sa rébellion , le regarderont comme déchu de l'au-
torité de sa charge, et en avertiront le Synode, ou colloque du
quartier pour tacher de le ramener, ou procéder contre lui
comme schismatique.
17° Pour arrêter les coureurs, les consistoires de chaque
corps synodal prendront garde de ne recevoir personne de ceux
qui prêchent, soit que ce soient des étrangers inconnus, ou de
ceux qui ont servi les églises d'un autre corps Synodal, sans
qu'ils soyent munis de bons témoignages, et si quelqu'un s'é-
toit rendu refrac taire envers un Corps synodal, il ne pourra être
reçu que parce corps ou avec son consentement.
18<> A cause de la grande corruption des mœurs et de l'igno-
rance du commun des chrétiens sur la religion, les Anciens, les
pères et mères auront soin de veiller soigneusement sur la con-
duite des jeunes gens : et après s'être instruits eux mêmes
dans la doctrine du salut, ils instruiront les jeunes gens et ainsi
se formeront les uns et les autres dans la crainte de Dieu,
19° Dans ce dernier et fâcheux temps auquel nous vivons, le
paganisme le plus corrompu paroissant s'estre renouvelle par
les parties de débauche, de danse, de jeux que Ion voit établis,
et surtout celle qu'on appelle fêtes votives, ou reynages ; les
pasteurs, proposans, et anciens doivent les reprimer, et tous
les chrétiens réformés les éviter avec soin, et surtout celles qui
se font le jour du repos, puisque par là ce saint jour est profané,
et ceux qui ont accoutumés de se trouver à ces fêtes votives ou
PIECES ET Documents inédits 413
reynages doivent être censurés, et s'ils persistent, suspendus de
la Sainte cène.
20" Les Anciens auront soins de faire cesser toutes divisions,
haines, procès, entre les fidélles, et pour cet effet ils employe-
ront tous les moyens que la prudence leur suggérrera pour por-
ter les parties divisées à un accomodement raisonnable, et ceux
qui par opiniâtreté, ou par un esprit de chicane, refuseront de
se prêter à un accomodement seront suspendus de la Ste cène,
et censurés.
"iîl° Les Anciens d'une paroisse, et s'il est possible de tout un
corps d'Eglises s'assembleront une fois par mois [.our s'encou-
rager à l'œuvre du Seigneur, pour examiner si chacun a soin
de s'acquitterdu devoir de sa charge, et pour aviser aux besoins
de leur quartier et de leur église, ainsi que pour prendre les
mesures les plus propres pour avancer le salut des âmes et ex-
tirper le vice; et si quelqu'un tomboit en faute et qu'il ne voulut
pas se corriger des défauts qu'il pourroit avoir, ou s'il entrete-
noit d(;s divisions ou des vices dans sa famille, il sera démis
de sa charge, et suspendu de la Ste cène, et ne pourra y être
admis qu'après avoir témoigné sa répentance.
22** Les fidélles qui pour s'être conduits avec témérité seront
arrêtés en allant ou en revenant des assemblées de piété, seront
déclarés indignes d'être secourus par les églises ; mais ceux qui
s'étant conduits prudemment seront arrêtés, seront secourus
autant qu'il sera possible ainsi que leur famille, si elles se trou-
vent dans l'indigence dans cette occasion ; ces mêmes personnes
qui auroient le malheur d'être arrêtées se souviendront que sur
les interrogats qui leur seront faits, si ce ne sont pas des ma-
gistrats ou autres personnes revêtues de l'autorité que le Roy
leur donne, il ne leur sera rien répondu, mais si ce sont des
magistrats qui les interrogent, ils diront naïvementla vérité sur
ce qui les concerne personnellement, mais auront soin de ne
dire sur ceux que les persécuteurs voudroient rechercher, parce-
qu'un vrai fidélle. en morne temps (ju'il doit être vrai et sincère.
414 PIÈCES ET DOCURIENTS INÉDITS
doit garder un profond silence sur tout ce ou Dieu n'est glo-
rifié, et le fîdélle édifié , et qui pourroit attirer des persécutions
aux autres fidélles; et si quelqu'un agissoit d'une autre manière
il sera regardé comme lâche et apostat envers l'Eglise, et comme
traître et perturbateur envers fétat, et en cette qualité poursuivi
par toutes les voyes ecclésiastiques.
23° Les corps synodaux se trouvant unis par des actes solen-
nels tiendront tous les ans un Synode national dans chaque
province- tour à tour. Ce sera aux pasteurs et proposans de la
province qui sera de tour, à écrire dans les autres provinces pour
annoncer le temps et le lieu de la tenue du dit Synode natio-
nal, afin que les députés qui doivent s'y trouver puissent être
nommés, et dans les certificats ou lettres de députation, on expri-
mera les qualités sous lesquelles les députés doivent être regar-
dés, savoir des pasteurs, des proposans, et des anciens; les dits
députés seront reçus avec honneur, et on aura soin de les faire
conduire et veiller à leur sûreté ; après la tenue du Synode on
en fera signer les articles à tous les députés, et il sera fait men-
tion dans leur témoignage de la satisfaction qu'on aura eu de
leur députation.
24° Les corps synodaux sont obligés de se secourir mutuelle-
ment de pasteurs et proposans selon le besoin; ils fourniront
aussi de l'argent pour les besoins préssans, comme pour relever
des maisons que la persécution pourroit abattre, pour soulager
les prisonniers et les pauvres pour la religion, surtout quand les
besoins seroient si grands que les églises d'un corps synodal
nepourroientpas y suppléer; et pour cet effet chaque corps sy-
nodal aura soin d'établir des fonds par des collectes, et s'il sur-
vennoit des besoins avant que les fonds fussent faits, les pas-
teurs et les proposans exhorteront les anciens de procéder de
suite à des collectes à ce sujet.
25° Y ayant un député général nommé par tous les corps syno-
daux, chaque corps synodal sera obligé de contribuer selon ses fa-
cultés à l'entretien du ditdéputétant que la députation continuera.
PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS 415
26" Les pasteurs, proposans et députés des églises de chaque
corps synodal, seront obligés de s'assembler en Synode ou en
colloque deux ou trois fois l'année, selon la comodité des lieux
et du temps, pour s'encourager mutuellement et pour examiner
si chacun a soin de visiter les malades, de secourir les pauvres,
d'ordonner les collectes et de s'acquitter du devoir de la charge
en véritable ministre de J.-G et sans reproche.
27° Pour éviter tout soupçon à l'égard des deniers des pau-
vres, et collectes, chaque corps consistorial s'établira des bour-
siers, des secrétaires et autres personnes pour examiner à qui
cet argent doit être distribué; et pour empêcher aussi que les
églises ne soient pillées par des eflronteurs, on doit aussi em-
pêcher de faire des collectes sans un ordre d'un Synode ou d'un
colloque, à moins que Ion ne montre des lettres de quelque
corps synodal pour un besoin pressant.
28° Les corps consistoriaux se taxeront, et leur députés as-
semblés en Synode assigneront aux pasteurs et aux proposans
une pension pour marque d'une reconnaissance honnorable,
et on ne leur donnera cet argent que dans un Synode ou collo-
que selon qu'il sera arrêté dans chaque corps synodal; et si quel-
qu'ancien donnoit autrement cet argent, il en sera responsable.
29° Il sera permis à chaque corps synodal de faire des régle-
mens particuliers, selon qu'ils se trouveront nécessaires pour le
bien et l'édification de leurs églises, pourvu que l'on prenne
garde de ne pas s'écarter des statuts généraux.
Et se sont signés en l'original conservé dans les documens
des Eglise du Vivarais savoir: Roqer, pasteur-député des Eglises
duDauphiné et modérateur; A. Court, pasteur-député du Lan-
guedoc et Cévennes,modérateur-adjt.; Pierre Gorteiz, pasteur-
député des églises du Languedoc et Cévennes; Pierre Durand,
pasteur; Rouvièrk, proposant; Boyer, proposant des églises du
Languedoc, secrétaire.
[Recueil des Synodes du dix-huilièm^ iiècle, communiqué par M. le pasteur
J,-P. Hugues, d'Anduze.)
416 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
N« XYl
LETTRE IMPRIiVlÉE DE M. l' INTENDANT, TOUCHANT l' ÉDUCATION DES
ENFANS, DU ¥ AOUST 1727, POUfl LE CURÉ
A Montpellier, ce 4 août 1727.
M. le comte de S^ Florentin m'ayant adressé, Monsieur, des
ordres du Roy sur l'éducation des enfans des nouveaux catho-
liques, il m'a paru nécessaire d'en composer une instruction,
dont vous trouverez ci-joint deux exemplaires; vous en garderez
un, et remettrez, s'il vous plaît, l'autre au Maître ou à la Maî-
tresse d'école de votre Communauté; vous verrez qu'il doit être
établi des Maîtres ou Maîtresses d'école dans les Gommunautez
où il n'y en a pas; mais cet établissement ne doit être fait
qu'autant que Messieurs les Archevêques ou Evêques diocé-
sains le jugeront nécessaire; si vous êtiés dans le cas, vous de-
vez vous adresser à votre Prélat, qui aura la bonté de me le
proposer.
Les Maîtres et Maîtresses d'écoles doivent être approuvez
par Messieurs les Archevêques ou Evêques, ou par leurs Grands-
Vicaires ; à la réception de l'Instruction, ils sont ohhgez de dresser
un Rolle, conjointement avec vous et avec les Consuls, de tous
les enfans depuis l'âge de sept jusqu'à quatorze ans , conte-
nant les noms, âges, et sexes desdits enfans, et ceux de leurs
Pères, Mères, Tuteurs ou autres, chargez de leur éducation, dont
ils enverront copie à mon subdelegué, signée d'eux, de vous,
des Consuls ou du Greffier de la Communauté; ce Rolle doit
être renouvelle dans les huit premiers jours du mois de janvier
prochain, et successivement d'année à autre, pour être ensuite
envoyé à mon Subdélégué. J'espère de votre zèle, pour le bien
de la Rehgion, que vous tiendrez la main à ce qu'aucun enfant
ne soit obmis sur le Rolle; que vous voudrez bien recommander
PIÈCES ET DOCUMENTS INEDITS 417
au Maitre ou à la Maîtresse d'école de no rien oublier de tout
ce qui leur est prescrit; et s'il y avoit de la négligence de leur
part, ou qu'il se passât quelque chose qui tendît à éloigner l'exé-
cution des intentions de Sa Majesté, que vous voudrez bien
aussi m'en faire part.
Je suis, Monsieur, entièrement à vous, etc.
No XVII
LETTRE IMPRIMÉE DE M. l'iNTENDANT, TOUCHANT LES AMENDES QU'oN
DOIT FAIRE PAYER POUR LES ENFANS QUI NE VONT PAS A LA MESSE,
DU 4« AOUST 1727, AU JUGE.
0
A Montpellier, ce h aoust 1727.
L'instruction ci-jointe que j'ai dressée, Monsieur, en confor-
mité des ordres du Roy, pour l'éducation des enfans des NoU'
veaux Catholiques, vous fera connoître que vous ne devez pas
différer de prononcer des condamnations d'amendes contre les
Pères, Mères, Tuteurs ou autres chargez de l'éducation de ces
enfans, sur les réquisitions du Procureur du Roy, ou du Pro-
cureur jurisdictionnel de votre Siège, et la peine qui vous est
imposée, en cas de retardement ou de négligence de votre part.
Ne pensez pas que cette disposition soit comminatoire ; elle aura
lieu, et vous l'éprouveriez jiar la suspension de vos fonctions, si
vous tombiez dans le cas. Vous avez déjà appris que Sa Ma-
jesté veutsçavoir si vous remplissez vos devoirs de Catholique;
mon Subdélégué a dû vous en demander un certificat de vôtre
curé; si vous ne lui avez pas encore adressé, ne manquez pas,
je vous prie, de le faire sans perdre de tems, et de m'accuser
la réception de cette lettre.
Je suis. Monsieur, entièrement ù vous, etc.
I ^ ri
418 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
No XVlll
LETTPxE IMPRIMEE DU SUBDELEGUE DE L LNTENDAiNT, POUR INFORMER
LE DIOCÈSE d'UZÈS QUON n'y VEUT AUCUN OFFICIER DE JUSTICE QUI
NE SOIT CATHOLIQUE ^
A Usez, 8 aoust 1727.
M. le comte de Saint-Florentin, Ministre et Secrétaire d'Etat,
Messieurs, ayant mandé à M. l'Intendant que l'intention du
Roy est que tous les Juges et Procureurs du Roy des Justices
de cette province , tant Royaux que des Seigneurs , (|ui sont la
plupart Nouveaux-Convertis, fassent leur devoir de Catholiques:
et de l'iiiiormer de ceux qui ne s'y conformeront pas, alin (jue
sur le compte qu'il lui en rendra. Sa Majesté puisse donner ses
ordres jjour faire interdire les premiers, et destituer les autres. —
Je suis chargé de M»" l'Intendant de lui envoyer dans un brief
délai un Etat de tous les Officiers de Justice qui sont dans ce
Diocèse, contenant leurs noms, âge, et qualité, s'ils sont an-
ciens ou nouveaux Catholiques , et parmi ces derniers , ceux
qui remplissent leur devoir ou qui ne le font pas, et de leur
écrire à tous de m'envoyer des certificats, signez de leur curé,
qu'ils sont Anciens-Cathohques, ou qu'estant Nouveaux-Con-
verlis, ils remi>lissent le devoir de catholicité. Je vous prie donc
Messieurs, de m'envoyer d'ici au vingt de ce mois un Etat, en
conformité, de tous les Ofliciers de Justice de vôtre lieu, soit
qu'il y ait une ou plusieurs juridictions, avec ledit certiiicat.
Je dois vous avertir, Messieurs, que suivant les ordres (|ue
j'ai de M. l'Intendant, je conqirendrai dans le nombre de ceux
qqi ne font j)Hs leur devoir, ceux de qui je n'aurai point eu de
réponse ou qui ne m'auront point envoyé le certificat de leur
1 Cette lettre fut en particulier obtenue contre M^..., qui auoit été fait Juge
Mage d'Uzèb, par M' le Duc. 8^ d'aousl 1727, (Note de Court.;
I
PIECES ET DOCUMENTS INEDITS 419
Curé audit jour vingtième de ce mois. Je suis très purfuiLe-
ment, Messieurs,
Vôtre très-humble et tres-obéissant serviteur,
Prag,
Subdélégué.
DIVISION niL LA PROVINCE DE LANGUEDOC EN QUARTIERS
Le -26 avril 1726.
Pour Monsieur Housse!.
Il aura pour servir jusqu'à nouvel ordre les Eglises des pa-
roisses de Ribautes, St Cristols, Generargues, do Saint Sebas-
tien, de S. Paul, d'Alais, de Brennoux, de Sourtelle, de la
Mialouse, de S. Martin, du Gastannet, Du ('ollest S. Michels,
de St Ylhaire, de St Privât, de St Fraisai, de StEndéol.
CORTEIZ.
Ce premier uiay de raiinéc courante.
Au verso de la page on lisait, écrit de la rrain de Roussel :
Le 2 septembre 1720^ il m'a été donné jtour cartier celui do
Nismes, et celui de Canne, conjointement avec M. Boyer, et il
a été aussi convenu que nous irions l'aire tjuebjue visite au car-
tier du Vigan, qui est celui de M; Gaubert*
Le 25 avril 1727, on m'a donné le quartier du Vigan, et je n ai
conmiencé a cause d'une indis[)ositioii ([ue j'avais, (juele l'J nuiy;
j'en suis sorti le 26 août 1727
Le 12 septembre 1727, on m'a donné le cartier de de Cannes
en haut.
(N"7, t. II, p.4i03.3
420 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
N« XX
RELATION DU MAUTYllE d'aLEXANDIŒ ROUSt^EL
Monsieur et très cher amy,
Je viens de receuoir une lettre de M"* Court ({ui est un des^
pasteurs que la Prouidence a suscitté depuis plusieurs années
en France pour rallumer le chandelier de sa parole dans le
Languedoc ; il me fait un détail asses long et circonstantié de
la prise et de la mort glorieuse de M'' Roussel. Quoy que le
bruit de cette mort ait fait beaucoup d'éclat et qu'on en ait
mesme rependù certaines relations, vous ne seres pas fâché de
receuoir celle icy qui ma paru la plus fidèle aussi bien que la
plus longue.
Notre glorieux martyr sappelloit i\lexandre Roussel. Jl etoit
natif d'Uzez en Languedoc. Ses Parens sont Protestans et il
pouuoit auoir enuiron 2G a 27 ans, lorsqu'il a fini sa course.
Son père qui etoit boulenger n'auoit rien épargné au commen-
cement pour lui donner une bonne éducation selon son état;
Mais comme les Gathobques Romains se sont empares de
touttes les écoles pour pouvoir inspirer leurs sentimens avec
plus de facilité a la jeunesse Protestante, il se contenta de le
faire bien apprendre à lire, à écrire, et a chiffrer. Son père étant
mort, sa mère l'enuoja à Nismes dens une boutique de mar-
chand. Cest la quil ajjprit qu'on fesoit des assemblées de piété
et quon lui procura le mojen d'y assister; c'est là que son zèle
pour Dieu et son amour pour la vérité s'alluma. Il sapplica en-
suitte à lire les Saintes Ecritures et dautresbons liures de notre
Religion qui avec la grâce de Dieu le mirent dans peu de temps
en état daler dans plusieurs maisons de Protestans faire des
prières aux malades et ensuite des exhortations aux assistans.
Dieu bénissant de plus en plus son étude dans la i)iété et les
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 421
soins qu'il se donnoit en faveur de ses frères malades, affligez
et priuez de la liherU* de conscience, il n'attendit, sinon que
son temps fut fini pour quitter la boutique de marchand où sa
mère l'auoit mis, pour aller joindre ceux qui prèchoient dans
le désert et auec qui il auoit déjà fait connoissance. Gomme on
connoissoit ses lumières et sa piété, on l'aggrégea bientôt au
nombre de ceux qu'on appelle proposans qui font des pré-
dications et des prières, mais qui n'administrent pas les Sa-
cremens. 11 s'aquitta exactement et fidèlement de son minis-
tère pendant deux ans et demy. 11 étoit aimé et estimé de
tous ses frères, et par tout où il passoit il repandoit la bonne
odeur de l'Evangile; mais son heure de glorifier Dieu par sa
mort étant venue, il falut quil subit son destin. M^ Roussel
venoit de quitter le quartier duA'igan, petitte ville dans le Ge-
vennes, on lui en auoit donné un autre, selon que cela se pratique
dans tous les Sinodes de faire rouler les prédicateurs dans tous
les lieux où on a formé des Eglises ; il ne laissa pas que de vou-
loir encore aller faire une tournée dans le quartier qu'il auoit
quitté. On s'y opposa, mais ce fut en vain. Il se sentoit comme
hé et entraîné dans un lieu où Dieu auoit permis qu'il se ren-
contrât un autre Judas qui auoit promis pour un salaire d'ini-
quité de le liurer entre les mains des méchans. 11 partit un sa-
medy matin, le 9 octobre 1728, malgré les nouvelles oppositions
de M»" Gourt. Il arriua le Dimanche au Vigan et il conuoqua une
assemblée pour le lundy. L'assemblée se forma à la cam-
pagne. Tous les fidèles s'y étoient déjà rendus sans trouble.
M»" Roussel partit le dernier, accompagné d'un seul homme de
confidence; a un quart de lieue du Vigan, il tomba dans une
ambuscade qui étoit postée dans un lieu couvert, à coté du
grand chemin. Il ne parut dabord que quatre cavaliers, mais
il y en auoit plusieurs autres cachez a une certaine distance
pour les soutenir en cas de besoin. Le traître qui fauoit vendu
étoit caché derrière un arbre; d'abord qu'il le reconnut, il cria :
Le voilà! Un des quatre cavaliers qui étoit religionnaire, cria
422 PIECES ET DOCUMENTS INEDITS
aussi dans hi moment : A gauche, sauve de ce coté là ou il n'est
personne pour vous arrêter! Mais soit qu'on crut que ces cris
vinsent de mauvaise part, ou qu'on fut surpris de telle sorte
qu'on ne fut ])as en état d'en proûtter, M»' Roussel et celui qui
l'accompagnoit se laissèrent arrêter par les trois caualiers. Il
étoit déjà plus de huit heures du soir lorsqu'on les conduisit à
Aulas, qui est un vilage de ces quartiers oii on met touttes les
années des cavaliers et des dragons en quartiers d'hiver à
cause des pâturages. On enferma M'" Roussel dans une Eglise
bien gardée par une grosse troupe de cavaliers, jusqu'à ce qu'il
fut jour pour le conduire dans un autre lieu.
Cependant les fidèles qui étoient assemblez, ignoroient ce
triste événement, et, après avoir longtemps et inutilement at-
tendu le prédicateur, en lisant la parole de Dieu et en chantant
des Pseaumes, comme c'est la coutume, quelqu'un étant venu
les avertir qu'il y auoit un détachement en campagne, l'assem-
blée se dispersa, et chacun en usant de prudence regagna le plu-
tôt qu'il put sa maison. M^ Roussel fut mené le lendemain au
Vigan, où le S"" Baudé subdélégué de l'intendant de la Prouince
linterogea juridiquement. Il sembloit que ce subdélégué auoit
enuie de fauoriser M'" Roussel lui laissant une porte ouuerte
pour cacher sa profession. Mais M"" Roussel confessa hardi-
ment tout ce qui le regardoit et ne garda d'autres mesures que
celles qu'il conuenoit pour ne pas mettre en peine ses frères qui
l'auoient logé et assisté. Le subdelegué ne put point sempe-
cher dinformer l'intendent de la prise et des réponses de
M»" Roussel. Mr Diverny qui commandoit la Prouince en l'ab-
sence de M^ le Marquis de la Farre, qui étoit alors en cour, en
fut aussi informé. Ils ordonnèrent tous deux quil fut conduit
a Montpeher. On assembla pour cela toutte la garnison de
St-Hypolite, de Ganges, du Sumene, du Yigan et d' Au-
las poui- preuenir un enleuement. M'' Roussel fut lié sur un
cheval et conduit par cette puissante escorte à Montpelier où
on le mit dans un cul de basse fosse. Auant que cette escorte
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 423
partit, la nouvelle de la prise de M"" Roussel setoit répandue
dans tout le pais. Les Papistes sen réjouirent et les Protestans
sen affligèrent beaucoup. Ces derniers consultèrent sil ni au-
roit pas de moyen pour arracher le prisonnier d'entre les mains
de ses ennemis, plusieurs pretendoient que comme le Pasteur
donne sa vie pour ses l)rel»is, les Brebis doiuent aussi donner
la leur pour leur Pasteur, et par conséquent l'exposer pour Ten-
leuer par force de ceux qui le gardoient, ou qui deuoiont le
conduire. Il y en eut plus de deux cens qui se trouuerent de ce
sentiment et qui s'assemblèrent bien résolus dexecuter leur des-
sein. Mais, comme il y a des reglemens qui ne permettent pas
que des particuliers exécutent rien qui regarde laReligion,sans
lapprobation des pasteurs et des Anciens, et qu'ils setoient
flattez auec trop de facilité quon la leur accorderoit d'abord, leur
projet s'en alla en fumée. Ils eurent ordre de se retirer chacun
dans leur maison, parce que les Pasteurs que Dieu a suscitté
dans le pais aiment mieux donner des martyrs à l'Eglise que de
causer des troubles dans les Prouinces et attirer des blâmes
sur la Religion qui n'a d'autres armes que la foy, la prière et la
patience. Il y eut d'autres Protestans qui, vojant que ce projet
n'auoit pas été approuué, crurent en auoir decouuert un plus fa-
cile et moins dangereux. Ils auoient dessein de se saisir d'un
Evêque qui se diuertissoit dans une campagne : rien n'etoit
plus aisé que d'exécuter ce projet. 11 ni auoit pas la du sang a
répandre. On ne vouloit pas faire du mal au prélat. On vouloir
seulement lobliger d'écrire aux commandans de la Prouince ou
a la Cour, sil le faloit, qu'on deliurat au plutôt le prisonnier, car
sans cela, il etoit lui mesme dans un extrême danger. Ceux qui
auoient inuente ce projet, disoint que les solUcitations du prélat
produiroint letïet quon souhaittoit ou seroint inutiles si elles
auoint produit leflet quon souhaittoit. Voila un homme sauvé
de la mort et un prédicateur redonné à l'église et a des trou-
peaux qui en auoint un si grand besoin ; que, si elles etoint inu-
tiles, on nauroit pas répandu du sang pour cela : on auroit de-
4^4 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
liuiv \e prélat o( on auroit eu la consolation dauoir fait des
tlemarches pour deliurer M»" Roussel et de donner des preuues
a nos ennemis que nous ne sommes ni sanguinaires ni vaindi-
catifs. Ceux qui vouloint exécuter ce projet ne doutoint point
que les pasteurs et les Anciens ne l'approuvassent. Ils se felici-
toint déjà de linuention et de Vexecution; mais ajant enuojé un
exprès pour auoir lapprobation, ils furent bien surpris quon
ne la leur voulut pas donner; par conséquent leur projet sen
alla aussi en fumëe. Il ne restoit plus de ressource aux Pro-
testans pour la deliurance de M»" Roussel,, après la prière qu'on
ne manque pas de faire à Dieu dans touttes les Eglises dans
pareille occasion, que d'emplojer les sollicitations auprès des
Grands; ce moyen n'auoit rien d'odieux ni qui pût tirer à des
mauvaises conséquences; il auroit été mesme presque infail-
lible, sil se fut agi de vol ou de quelque autre crime, parce que
la famille de M»' le Duc d'Uzez s'intéressa beaucoup à l'élar-
gissement de notre prisonnier, non seulement parce quil etoit
natif d'Uzez, mais encore parce que ce jeune homme auoit
écrit longtemps dans les Archives de cette maison, et qu'une de
ses sœurs auoit serui de nourrice a un fils de M'' le Duc, ap-
pelle le Comte Daché. La sœur de M»' Roussel seroit allée
jetter aux pieds de Messieurs les Ducs D'Usez et de Crussol et
deMad'"*^ la Duchesse pour les engagera s'intéresser plus viue-
ment en faueur de son frère. M»" le Duc de Crussol ecriuit for-
tement a Ml" Diverny qui commandoit alors dans la Prouince
et à M^ le Marquis de La Farre et à Mad™" son épouse qui étoit
à la Cour; Mad™c la Duchesse écriuit aussi à M^" l'intendant;
mais tout cela fut en vain parce quil s'agissoit de deliurer un
jeune homme qui auoit prêché le pur Evangile qui découvre les
erreurs et les abus de l'Eglise Romaine qui ne se soutient que
par les richesses et les dignitez d'un coté, par les violences et
les persécutions d'un autre.
Madame la Duchesse de Crussol donnoit cependant de
grandes espérances, parce que par politesse ou par honnêteté
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 425
on lui promef-toit beaucoup, mais lexpérience a fait voir que
tout cela netoit que des complimens de cour. M'" De la Farre et
M'" Diverny, bien informez de tout ce qui deuoit arriver, parlè-
rent plus clairement à M"" le Duc de Grussol. Ils lui dirent quils
auoient reçu les lettres quil leur auoit ecrittes au sujet du
nommé Roussel, que linstruction de sonprocez ne les regardoit
pas, que cetoitM"" l'intendant qui le deuoit juger, et que, suiuant
ce qui leur en etoit revenu, jusqua présent il sen faloit bien que
le S'' Roussel fut taxé d'aliénation desprit. (Il faut remarquer
qu'un certain Genouillac qui auoit soin de faire passer en Lan-
guedoc quelques balots de liures de piété, ajant eu le malheur
detre arrêté en Viuarais, contrefit si bien le fol, que cela joint a
des sollicitations quon fit en sa faueur le garantit de la corde
ou du moins de la galère. Cet homme se trouue a présent a
Genève bien résolu de ne retourner jamais en France, portant
encore des marques sur son corps de la cruauté de ses ennemis.)
Pour revenir à M'" Roussel, Mess>"s les Ducs d'Usez et de Grus-
sol setoint flattez de pouuoir obtenir la deliurance de ce jeune
homme ne doutant pas quil ne contrefit le fol, selon le conseil
quon lui auoit fait donner; mais M'" Roussel crut qu'il se feroit
tort à lui-même et à la Religion sil contiefaisoit le fol. G'est
pourquoy. Ion dit que, lorsque M^ le Duc d'Usez s'en fut à la
prison pour le presser à cela, il repondit avec modestie et avec
fermeté : « Monseigneur, je vous suis très obhgé de vos bonnes
intentions en ma faveur, mais permettez moy de dire a votre
Grandeur que je n'ai jamais été de meilleur sens que je suis
présentement et que ma conscience ne me permet pas de con-
trefaire le fol. » M'' Diverny écrivant à M»" le Duc d'Usez ajoutoit
que laffaire du nommé Roussel lui paroissoit fort mauvaise,
parce quil étoit reconnu pour un véritable prédicant et que la
cour étoit informée de cette capture; pour engager M»" le Duc à
ne sintéresser plus dans cette affaire, il disoit encore qu'il se-
roit fort à souhaitter, pour Unteret du Roy et pour la tranqui-
lité de la Prouince, que tous ceux qui font de pareilles manœu-
426 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
vres tussent arrêtés. Il finissoit sa lettre en lassurant quil étoi!
bien mortifié de ne pouvoir pas dans cette occasion lui faire
côimoître lattention sincère pour tout ce qui venoit de sa pari.
Voila tout ce que dos Ducs et premiers Pairs du Royaume peu-
vent, lorsqu'il s'agit de Religion! Le Clergé Romain a si bien
seu ennyvrer les grands de la terre du vin empoisonné de ses
superstitions, quils ne vojent point lesveritez les plus évidentes
et ce qui seroit le plus utile pour le salut et pour la prospérité
des Etats. Vous vous trompez, o Diverny, lorsque vous croyez
quil seroit à souhaitter que tous ceux qui prêchent notre Reli-
gion en France fussent arrêtez! 11 conaiendroit iniiniment
mieux quon chassât ou quon fit trauailler un infinité d'ecclé-
siastiques ou de moines qui vivent dans le luxe ou dans la fé-
néantise et qui sous prétexte de Religion consument inutile-
ment la meilleure partie du reuenù des Etats, ou ils ont établi
leur empire sur les consciences. — Gomme on se flatte toujours
que ce quon désire avec ardeur arriuera , les parens de
M»" Roussel ne se lassèrent point de continuer leurs soUicita-
tions, quoy quon leur eut déclaré quil ni auoit point desperance ;
Us crurent que M'" le Marquis de la Farre, venant de la cour et
deuant passer à Usez ou il deuoit prendre un rafraichissement
dans le Palais ducal, et M^ Lin tendant aussi bien que M»" Di-
verny sy deuant trouver, on pourroit par des prières réitérées
toucher le cœur de ces Seigneurs pour obtenir la deliurance
du prisonnier ou du moins un adoucissement à ses peines. Mais
M'' l'intendant, qui sauoit parfaitement par quel acte deuoit
finir la scène, pressoit toujours le procez, et, pour mieux joiier
son rolle, il fut joindre M'" De la Farre au St. Esprit, ou ils dé-
libérèrent sans doute que M''De la Farre s' excuseroit toujours sur
ce que cetoit à M'' fintendant a juger cette affaire. Gelui-cy sen re-
tournaà Montpellier, assembla quelques juges vendus au Papisme
-et à laCourpreuenùe contre notre Religion, etquoy que M'" Rous-
sel neut pas été dénoncé, quoy quil ni "eut aucun témoignage
qui déposât contre lui, sur}a simple çonfrontaiign çles çê^vç^liers
PIECES ET DOCUMENTS INEDITS 427
qui larrptèrent et sur sa déposition, il fut condamné ù être pendu.
Et pourquoy ? pour auoir prêché TEuangile et pour auoir
assisté a quelque synode où on ne parle (|ue de ee qui re-
garde lavancemcnt du règne de notre Seigneur J.-(î. La sen-
terxe rendue, on ne pense plus qu'a lexeeution; mais le jour
du jugement, le l»ourreau ne se trouvant pas en ville, on fut
obligé dattendre au lendemain. L'heure de l'exécution étant ve-
nue, notre fidèle martyr vit entrer dans sa prison le bourreau
et un archer; ce dernier connoissant M'" Roussel l'embrassa ef
pleura; mais M^ Roussel ne paru pas émù; il se contenta de
témoigner sa reconnoissance a cet archer attendri et il se mit
ensuite à genoux pour prier Dieu. 11 le lit à haute voix, et sa
])rière fut accompagnée de tant d'onction et de zèle quelle ra-
vit en admiration l'archer et le ])Ourreau (|ui n'etoient pas ac-
coutumez d'en entendre de pareilles. Après cela, on vit entrer
(rois ou quatre moines qui étoint venus a la citadele, soit pour
disposer M'' Roussel à la mort, soit pour le séduire à changei-
de Religion ])arles motifs les plus capables d'ébranler un lidèle
qui n'auroit pas posé sa foy sur un solide fondement. Mais ce
fut en vain que les moines deplojerent leur éloquence:
jM'' Roussel leur repondit toujours avec beaucoup de douceur,
de sagesse, et de fermeté touchant sa Religion et son espérance.
11 leur témoigna que, bien loiiig de craindre la mort, il la re-
gardoit comme la lin de ses peines et son entrée dans le séjour
des bienheureux; c'est pourquoy il les prioit instamment de
le laisser en repos, n'ajant aucun besoin de leur ministère.
M>' le Major de la place qui étoit près de là, ayant entendu ces
dernières paroles, entra dans la ])rison, et dit à M'' Roussel quil
ne faloit pas m(q:»riser ces Révérends Pères, puis quilsetoint la
pour le disj)oser à bien mourir. M'' Roussel lui repondit (juil ne
meprisoit ni navoit jamais méprisé personne; mais que n'ajant
aucun besoin du secours de ces Reuerends Perep, il les prioit
instamment de le laisser en repos. Apres ces paroles, notre
Martyr tira en particulier M" le Major, Il le chargea de quelque
428 PIECES ET DOCTJMENTS INEDITS
chose qui regardoit sa famille, et après auoir reçu la promesse
qu'il souliaittoit, il le remercia, et ensuitte il se dépouilla et se
remit entre les mains du bourreau. On sortit ensuitte de la ci-
tadele. On auoit eu soin de ranger depuis la porte de la place
jusque au gibet deux fortes hayes de soldats, le fusil monté et
la bajonnete au bout. Notre martyr étoit accompagné par le
bourreau, une trouppe d'archers, une autre de soldats, et une
autre de tambours qui battoint la caisse, et par les moynes qui
ne le voulurent pas quitter, quoy qu'il les eut pries instamment
de le laisser en repos et quil les rebuttat ensuitte auec les bras
lorsqu'ils s'approchoint trop de ses oreilles dans un temps ou
il étoit uniquement occupé de Dieu. Mais notre martyr, en al-
lant offrir à Dieu le sacrifice de son corps, auoit affaire à des
oiseaux plus opiniâtres et plus mauvais (jue le patriarche
Abraam lorsqu'il offrit le sien, comme il est raconté en la Ge-
nèse. Malgré le bruit des tambours, il y eut des personnes qui
s'etant approchées, soit par faveur ou par quelque argent qu'on
donne aux soldats pour pouvoir rendre témoignage de tout ce
qui se passe dans les derniers momens de ceux qui scélent la
vérité de leur sang, entendirent que notre martyr chanta une
partie du Pseaume 51 et la fm du 34, qui finit le dernier acte
de sa deuotion. On ne remarqua point dans sa route quil eut
un visage triste ou effrajé, au contraire on remarqua un air
tranquile, doux et modeste; il sembloit quil alloit plutôt à une
feste qu'a un suplice ; ses yeux etoint souvent fixez vers le
Ciel qu'il regardoit comme sa patrie et le lieu de son repos, après
auoir soutenu les combats et les épreuves qui sont attachées
à la profession de L'Evangile. Il se mit à genoux où il fit en-
core une prière ; après quoy, il monta l'échelle auec beaucoup de
courage et de fermeté. Le bourreau attendri, voulut encore le
solliciter de sauver sa vie en changeant de Rehgion ; mais
comme c'etoit une aveugle tendresse, ce furent aussi des pa-
roles fort inutiles. Le bourreau fit son office. L'àme de notre
martyr fut bientôt séparée de son corps; elle s'envola dans le
PIÈCES ET DOCUMENTS INEDITS 429
Ciel accompagnée des anges qui sont les administrateurs de la
miséricorde de Dieu. Le corps fut inhumé dans une fosse qui
n'étoit pas éloignée du lieu du supplice. Quatre filles setoint
présentées auec des siiaires pour l'enueloper, pendant qu'on
vojoit un très grand nombre de personnes fondre en larmes,
plusieurs Catholiques Romains qui n'ont pas perdu les idées
de l'équité naturelle et les sentimensde l'humanité furent atten-
dris aussi.
Touttesles Eglises de cepaïsontétéédihées du zèle, de la pa-
tience et de la fidéhté de M'" Roussel, qui a glorifié Dieu jusqu'au
dernier soupir de sa vie. Tous ses collègues dans l'œuvre du Sei-
gneur, bien loing detre intimidez parce supplice, ontpris un nou-
veau courage et aspirent avec ardeur a la mesme couronne de
martyr, si la Divine Providence les y appelle. Ce futunmardy, le
dernier de novembre de l'année 1728, queM'" Roussel finit ses glo-
rieux combats pour entendre de la bouche de son Divin Maitre ces
douces et ravissantes paroles: «Viens, bon et fidèle serviteur entre
dansla joye de tonSeigneur; viens prendre part à la gloire que je
possède et que je t'avois préparée avant la fondation du monde. «
11 faut notter que les ennemis de notre Religion, jusqu'aux
moines, aux archers et au bourreau, ont rendu de fort bons
témoignages à notre martyr; Dieu l'a permis ainsi pour con-
firmer notre foy, comme il voulut que le centenier et un bri-
gand qui étoit attaché à une Croix auprès de notre Divin Sau-
veur lui rendissent un témoignage digne de lui.
Lors que la mère de M»" Roussel apprit la nouvelle comme
on avoit exécuté son fils, et de quelle manière son fils avoit
souffert la mort, bien loin d'être affligée , elle témoigna de la
joye de ce que Dieu lui avoit fait la grâce de triompher de tous
ses ennemis visibles et invisibles. M'" Court fut la voir pour
la consoler, mais elle lui répondit avec une fermeté chrétienne :
«Si mon fils auoit témoigné quelque foiblesse : je ne m'en se-
rois jamais consolée, mais puisqu'il est mort constamment,
que de grâces n'ai-jo pas à rendre à Dieu ([ui la fortifié. »
430 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
11 ne sera pas hors de propos de faire attention à unf3 cir-
constance qui arriva le mesme jour qu'on exécuta M"" Roussel.
Le dessein de nos ennemis est d'abolir entièrement notre Re-
ligion. C'est pour cela qu'ils font mourir les pasteurs et prédica-
teurs qu'ils peuvent attraper, et qu'ils ont mis encore leur teste
à prix, mais cest en vain qu'ils font tous leurs efforts. Gomme
cest ici une œuvre de Dieu, ils ne sauroint la détruire. On void
accomplir dans notre pais ce qu'un ancien Père disait autre-
fois, que le sang des martyrs denenoit la semence de l'Eglise.
Le jour mésme que les Ministres de la superstition immoloint
une de ces innocentes victimes a leur zèle aveugle ou a leurs
passions criminelles, une autre de ces victimes, qui s'est dé-
voilée au service du Dieu de vérité et a ledification de ces
Eglises, conuo({ua une assemblée dans un lieu qui netoit pas
loing de celui où on auoit faitlexecution. Une de ces personnes
qui auoit assisté a l'ensevelissement de M»" Roussel raconta a
M'" Court, qui deuoit prêcher ce soir la, de (juelle manière tout
setoit passé; il en loua le Seigneur, et au lieu detre intimidé il
sentit que son courage et son zèle sentlammoint, quoy que sa
teste ait été mise au plus haut prix que celle des autres (on dit
jusqu'à dix mille liures}, parce qu'on croit quil adressé et quil
dresse tous les jours des esleves pour répandre à ce que disent •
nos ennemis une hérésie damnable. La dernière accusation est
une calomnie, mais la première est assez bien fondée. C'est pour-
(|uoy on se donne des grands mouvemens pour attraper ce ser-
uiteur de Dieu. La veille des Rois, cent soldats et cinq offi-
ciers a la teste se donnèrent la peine de partir à onze du soir
de Nisme et de laller chercher a une campagne ou l'on auoit
dit sans doute quil etoit. L'avis étoit faux et bien lui en valut.
Car on fouilla fort exactement la maison. On y alla avec tant de
feu que quelques officiers en ont été malades ou du froid ou de la
fatigue, et ceux de la maison en pensèrent mourir de frayeur.
Ces recherches qui arriuent assez fréquemment donnent
beaucoup dinquietude aux Brebis de ce Pasteur; elles craignent
Pièces et documents inédits 431
toujours quelque catastrophe fâcheuse; ce qui redouble ces
craintes, cest que les ennemis et les Protestans l'ont toujours à
la bouche; les ennemis pour le dépeindre, et pour promettre
tant à qui l'aura, ou pour dire à quelque Protestant: Nous l'au-
rons votre M*" Court; les Protestants pour dire: il a passé là; il a
risqué en tel endroit ; il a ecliapé un tel péril ; un tel la voulu livrer,
et la dessus il se débite quelquefois des fables qui passent pour les
iiistoires les plus certaines. Celle d'un certain Minot qui a été
soupçonné dauoir vendu autrefois un certain Moyse qui fesoit
des assemldées, est de cette espèce. Je ne ferai point un détail
de ce ({ue M'' Court mecrit sur ce sujet et que Ton dejjitte
connue vray. Il sufiit de dire que M"" Court justifie parfaitement
le susdit Minot de la dernière accusation qu'on a dressée contre
lui; mais la chose est si répandue dans le pays que ce mise-
raljle, qui est devenu en quelque manière l'horreur de tout le
monde, aura bien de la peine à s'en lauer. Les hommes sont
souvent injustes et téméraires dans leurs jugements. Mais Dieu
({ui connoît les cœurs rend à chacun selon ses œuvres ou selon
ses dispositions intérieures ; c'est à nous a adorer les voyes in-
compréhensibles de la Providence. La maison de Minot a été
iuUrefois une retraitte de prédicateurs; mais depuis qu'il a
clé accuse d'avoir vendu Moyse, il a été fort suspect. C'est en
vain qu'il a taché de rétablir sa réputation et d'attirer chez lui
des prédicateurs, on la toujours craint, et la fausse histoire
([u'on a répandu nouvellement sur son sujet a achevé de le
faire regarder comme un autre Judas. C'est (encore une fois) à
Dieu (jui seul connoit les cœurs à décider de linnocence ou de
lintidélité de ce Minot dont Dieu n'a i)as béni les alVaires tem-
poral les d(»j»uis })lusieurs années. Ce (jue le commun ])euple re-
garde à son esgard comme un jugement de Dieu et un signe de
réprobation. Pour revenir n M. Court, la pluspart de ses amys,
vojantles soins extraordinaires que nos ennemis se donnent pour
latrapper, la grandeur de la recompense quon a promis à celui
qui le liviera, et l'ecès de la misère qui règne dans le païs, ce
432 PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS
qui est une grande tentation pour des misérables en qui la vé-
rité n'a pas jette de profTondes racines dans le cœur, lui con-
seillent de s'absenter pour quelque temps et de sortir hors du
Royaume, jusqu'à ce que l'orage, qui semble le menacer encore
plus que tous les autres, fut un peu passé. Qu'en pense-t-il
Lui-mesme? Il croit qu'avec un peu plus de précaution, il n'en
doit rien faire. Il a reçu tant de marques de la protection Di-
vine, il sent son Ministère si. nécessaire à L'Eglise, il fait tant
d'attention à ces paroles Evangéliques : Le Berger qui voit le
loup et qui s'enfiiit est un mercenaire, qu'il croiroit pécher et
contre la bonté Divine qui la protégé si souvent et en tant d'oc-
casions différentes et contre L'Eglise à laquelle son ministère
paroit si utile, et se rendre coupable d'une extrême lâcheté, s'il
abandonnoit aujourd'huy son troupeau. Il croit qu'un pasteur
n'en doit venir là, que lorsque le danger est extrême et quil pa-
roit moralement innévitable, sil ne prend ce parti; que lorsqu'il
y a lieu de présumer que lorage ne sera pas long et que son
absence le calmera; que lorsque lexercice de son ministère fe-
roit plus de mal à son troupeau, en lexposant au danger de
perdre un pasteur utile, qu'il n'en recuilliroit davantage pour
sa sanctification , et qu'en se conservant, il se réseruera pour
déplus grands biens. Si les choses en viennent jamais la, ce
qua Dieu ne plaise ! il est apparent quil se resoudroit a prendre
ce parti. Mais il s'en faut encore quelque chose que les affaires
sojent sur ce pied la quil faille déserter le pais. Depuis la prise
et la mort de M»' Roussel, il a fait un tour dans touttes les
Eglises de son département. Il a trouué par tout autant ou plus
de zèle ; les assemblées ont été pour le moins aussi nom-
breuses qu'auparauant. Il a passé par tout avec la mesme tran-
quilité, la Providance ajant détourné les orages qui le mena-
çoint dans des heux ou il netoit pas, et ce qui fait encore plus de
plaisir que tout, Dieu a béni son ministère par tout il a passé.
Il s'est caché pendant quelque temps, a cause du grand froid plu-
tôt que par la crainte de ses ennemis, et il se prépare pour le
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 433
beau temps, pendant lequel il espère de faire une abondante
moisson pour son Divin Maître. Voila la situation des affaires
de notre religion en Languedoc, selon la relation de M»" Court
que jai copiée presque mot à mot. Mr Gortez travaille dans les
Gevennes avec le mesme succez, et ces Messieurs sont secon-
dez par quelques proposants qui aspirent à la mesme gloire.
Nous deuons prier pour leur conseruation et pour la bénédic-
tion de leurs trauaux. J'aurai soin de vous informer de tout ce
qui se passera de considérable dans ce pais.
Je suis cependant toujours, Monsieur et cher amy, votre F. H.
NoXXI
COPIE d'une lettre de m. court, ministre en frange
DU SAINT ÉVANGILE
Le 30 avril 1729.
Monsieur et cher amy.
Depuis ma lettre ecritte, il est arriué d'autres événemens que
j'ay cru(dignes de) meritter votre attention .La nui t du i^i'uiars 1 729
et sur le matin du mercredy matin, le commandant d'une ville
de cette province, à la teste de la garnison et accompagné d'un
officier, fit comprendre que je n'étois pas encore oublié. Il fut
me chercher exactement dans deux maisons de la ditte viUe.
Lallarme fut chaude pour bien des gens et la mienne, pendant un
moment ne fut pas des plus petittes. Le mouuement que les
troupes se donnoint ayant été apperçu par une des personnes
([ui me savoint en ville, et cette personne, ayant sçu qu'on en
avoit déjà fouillé une maison et qu'on on auoit inuesti une autre,
courut sur le champ pour m'en donner avis, et, comme elle me
pnrloit encor(% nous ontendimos heurter à coups redoul)lez la
I 28
434 PIECES ET DOCUMENTS INEDITS
porte de la maison ou j'otois. Ce qui nous fit craindre dabord
que ce ne lut le détachement; mais mieux informez nous en
fumes, grâces au Seigneur, quittes pour la peur. Du depuis,
dans le mois d'auril, le mesme commandant suivi d'une partie
de sa garnison a été me chercher avec la mesme exactitude
dans une autre maison. Cest ce qui arriua à deux heures après
midy, le 2° du mesme mois. On voit par tous ces mouvemens
(ju'on ne manque pas d'espions, que je fais beaucoup de la
peine à l'ennemi, et qu'on ne néglige rien pour me surprendre ;
mais on voit on mesme temps que les soins de la Prouidence
ne se lassent pas en ma faveur ; qu elle veille pour ma conser-
uation; que les ennemis et les espions quelques rusez qu'ils
j)uissentètre sont souvent confondus dans leur mahgne sagesse.
Mais un seul projet ne roule pas dans l'esprit de l'ennemi poli-
tique; il n'est pas seulement attentif à la destruction du pas-
teur, il ne néglige rien de tout ce qui peut contribuer à la dissi-
pation du troupeau. Vous auez sans doute ouï parler des
arrondissemens qu'on a faits de tous les lieux ou on a fait des
assemblées, par lesquels chaque quartier doit repondre de tout
ce qui s'y fait et payer, quand mesme ils n'auroint pas assisté
aux assemblées, des amendes arbitraires. Vous n'ignorez pas
non plus l'ordonnance qu'on a surpris de nouueau à la Cour
contre nos assemblées; mais les peines afflictives, soit qu'elles
regardent les corps ou les biens, ne sont pas asses efiicaces
pour détourner un peuple conuaincu de l'excellence et de la né-
cessité de ses deuoirs envers Dieu et de la pratique de nos as-
semblées qui intriguent tant l'aduersaire. C'est le grand article
qui lui tient à cœur. Cest pourquoy sa politique embrasse avec
avidité les mesmes occasions pour ruiner les protestants en con-
fondant l'innocent avec le coupable. On vient aussi de renou-
ueller les ordres qui condamnent à l'amende les pères et les
mères, qui n'enuojeront pas leurs enfans à la messe et aux in-
structions cathohques, et on voit les prêtres, les officiers des
troupes et ceux de justice, commencer avec beaucoup d'appli-
PIÈCES ET DOCUMENTS INEDITS ^135
cation, se donner des mouuemons pour que cet article soit
observé.
Voicy un événement de fraîche datte, une ville, appellée An-
duze, vient d'éprouver ce que peut la haine catholique. Dei)uis
la contai^ion, M^' Diverny auoit conru beaucoup de ressentinient
contre cette ville, qui est presque toutte de j)rotestans, et cela
au sujet de quelque prétendu mépris; mais il n'auoit pas trouvé
jusques icy aucune occasion d'exercer sa vengeance, quelque
attention quil se fut donné pour cela. Enfin il a cru l'auoir
trouvée dans un événement que voicy. Quelques jeunes garçons,
pro tes tans de théorie ou de naissance, mais mal reformez de
pratique et de réalité, se trouvant à une heure fort avancée
dans la nuit sur le pavé; la veille de Noël, rencontrèrent sur
leurs pas quelques bergers qui reuenoint de la deuotiou que les
catholiques célèbrent cette nuit-là; ils les insultèrent par des
paroles peu conformes sans doute au respect que les catholi-
ques apportent à ces dévotions. Les bergers insultez se recriè-
rent, hrent du jjruit; le bruit entendu parle corps de garde
attira une troupe de soldats au secours des insultez, ce (jui
étant apparçu par ces jeunes garnemens, qui auoint apparem-
ment bù, les obhgea à faire voler des pierres en Tan- pour les
empêcher dajjrocher. Une de ces pierres porta coup et blessa
un soldat, ce qui irrita tellement les autres qu'ils poursuiuirent
avec ardeur la téméraire et criminelle troupe. On arrêta un des
coupables; on le mit en prison; les bergers portèrent leurs
plaintes; ces plaintes arriuèrent aux oreilles de M'" Diverny,
qui se tenoit dans une autre ville; ce conmiandant des Ce-
uennes s'irrita si fort qu'il courut sur le champ vers la ville ou
la scène s'etoit passée 11 ht arrêter un autre des mutins, et dé-
nonça de seueres chatimens contre tous les habitans reformez.
L'action étoit particulière, il ni auoit tout au plus que trois ou
quatre jeunes drôles qui étoint coupables; n'importe, la peine
deuoit rejaillir sur tous les reformez qui etoint renfeimez dans
le sein des mesmes murailles. Une chose manquoit pourtant,
436 PIECES ET DOCUMENTS INEDITS
c'étoit une apparence de justice; elle se présenta. Les drôles,
quietoint prisonniers a loccasion de cette affaire s'étant apper-
çus qu'un tambour de la garnison, qui étoit prisonnier avec
eux, descendoit touttes les nuits par le mojen de quelques draps
de lict quil auoit attachez à la fenêtre, voulurent proffiter un
soir du même mojen; ils se sauvèrent et emportèrent en mesme
temps les draps. Le tambour, qui auoit accoutumé de se re-
mettre en prison par le mesme artifice quil en descendoit, ne
trouvant plus sa commode machine, fut fort surpris et embar-
rassé ; mais la crainte du mauvais sort qui lattendoit lui ajant
fait inventer un nouveau mojen pour se remettre en prison, il
fit fracture de la serrure de la prison, et, des quil y fut rentré,
il se mit à crier : Au secours, Au secours, les prisonniers se
sauvent, ce quil soutint par lelïronterie suiuante : Des protes-
tans masquez ont forcé la prison et ont enlevé les prisonniers.
Là dessus on verbalise, le juge et quelques autres donnèrent
leur seing, le procez de mensonge futenuoyé à M" de la Farre,
Lintendant, et Diverny ; voila tous les Reformez de cette ville
coupables. Vous les allez voir aussi condamnez au mesme châ-
timent. A peine cet inique verbal eut été porté à Montpelierque
M^ Diverny arriva dans Anduze à la teste de deux compagnies
de soldats, le fusil monté et la bajonnette au bout, comme sil
étoit entré dans une ville prise dassaut. 11 joignit les deux
compagnies de la garnison quil mena auec les siennes dans
une des places de la ville, c'est là quil les prépara à bien faire
leur devoir, pendant que linfortuné habitant reformé se pamoit
de frayeur ne sachant comment se termineroit un si terrible
appareil. M"" Diverny ne les laissa pas longtemps en suspens.
11 decoupla à chaque reformé deux soldats avec ordre de payer
à chacun dix sols par jour avec les ustencilles; et les officiers
deuoint auoir à proportion. Le croiriez-vous? cette rongeante
vermine a eu le bonheur de loger 22 jours chez ces infortunées
victimes immolées à. la passion du S'' Diverny. N'est-ce pas un
homme bien vengé? Il y a apparence quil l'auroif été encore
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 437
dauantage si quelques catholiques plus pitojables, et d'une autre
équité que ne l'est l'ennemi déclaré, n'auoint secondé les pro-
testans de cette ville qui trauaillérent à faire de nouvelles in-
formations par lesquelles il a été aueré que les prisonniers n'a-
uoint eu d'autre secours que la machine du soldat tambour, ce
qui a esté mesme déclaré et confessé par ce dernier. L'injustice
étoit donc grande et toutte visible. Mais vous vous tromperiez
néanmoins, infortunés habitans! Vous vous attendiez d'en re-
cevoir quelque dédomagement ; on connoitra votre innocence;
on verra linjustice que vous avez soufferte; on sera persuadé
que ce n'est que l'elfet d'un caprice violent et emporté, celui
d'une vengeance qui se sent delà fureur; mais vous n'en serez
pas moins malheureux; vous n'en perdrez pas moins les taxes
ruineuses que vous auez été contrains de pajer, heureux en-
core d'en échaper à si bon marché et de n'auoir pas été passez
au fil de l'épée. Je conte que, si la chose n'auoit tenu qu'à
M"" Diverny, l'afiaire étoit faite. Il falloit y passer.
Vous apprîtes par notre cher frère, M''Betrines, comme nous
auions tenu notre assemblée synodale du pais bas, le 8*^ du cou-
rant, et les délibérations qui y ont été prises; c'est pourquoy je
ne vous en parlerai pas. Depuis la tenue de cette assemblée
130 soldats, deux officiers à la teste, ont été me chercher dans
une maison de Nismes auec la dernière exactitude. G'étoit le
24e Avril. Ces recherches fréquentes et inutiles servent à nous
faire admirerer la Providence, à ranimer notre zèle et à re-
doubler de précautions pour ne pas tomber entre les mains de
l'ennemi.
Tous les vrais fidèles qui s'intéressent à l'avancement du
règne de Notre Seigneur J. G., et qui prennent part à la frois-
sure de Joseph, sont priez de se souvenir dans leurs oraisons
de leurs frères qui gémissent sous la croix et de leur fournir
les secours spirituels qui dépendront deux, afin de supléer en
quelque manière à la rareté des pasteurs que Dieu a suscitté
en France pour y ralumer la chandelier de sa Parole. Le Sei-
438 PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS
gneur qui est la source de tout bien a.qréera leurs offrandes et
leurs prières, et leur communiquera ses grâces les plus pré-
cieuses.
(Archives de l'Hérault, 2'' division, paquet 90.)
N« XXII
RELATION HISTORIQUE DES PRINCIPAUX ÉVÉNEMENTS QUI SONT ARRIVÉS
A LA RELIGION PROTESTANTE DEPUIS LA RÉVOCATION DES ÉDITS DK
NANTES, l'an 1685, JUSQUES A l'aN PRÉSENT 1728, PAR CORTEIZ.
Je ne rapporteray pas ici toutes les cruautés qu on a exercées
contre les Réformés, n'y le nom des personnes qui ont souffert
le martire pour la déffence de la vraye foi; je me propose seu-
lement de rapporter icy, comme Dieu, justement irrité pour le
mépris fait à sa parole, a voulu transporter son chandelier hors
de la France, — mais pour la gloire de son grand nom, et pour
le bonh3ur de ses élus, Dieu a conservé dans le cœur d'un
nombre de fidelles, comme un feu caché sous les cendres ; et
lorsque le temps précis a été accompli. Dieu* a fait naître des
moyens pour ralumer ce feu caché. — Je ne doute pas que quel-
ques pieux Reformés n'ayent fait une narration exatte de
toutes les choses qui se sont passées durant le cours de cette
horrible persécution : mais en attendant que cette pièce soit
mise aux yeux du public, les personnes qui sont touchées de
la froissure de Joseph, liront avec quelque plaisir cette briève
relation.
Tout le monde est assés informé que l'Eglise romaine est
fort ingénieuse a engager les Roy s a la persécution. Ayant
malicieusement prévu que la lumière de l'Evangile, qui éclaire
la religion protestante, leur étoit nuisible, ils commencèrent en
l'an 1685 par un Edit de Louis XIV, Roy de France, d'interdire les
ministres de l'Evangile, dedemohr des temples, de brûler l'Ecri-
ture Ste et touttes sortes de livres de controverse et de pieté qui
PIÈCES ET DOCUMENTS INEDITS 439
pouvoient servir aux Reformés ; ils firent en même temps des
églises partout, et établirent a chaque paroisses des prêtres
pour y chanter Messe, et des régents d'école qui leurs fussent
favorables, pour enseigner à la jeunesse leurs dogmes et leurs
principes. Voila les enfans de ce siècle plus prudents dans leurs
génération que les enfans de lumière; voila de beaux maximes
pour détruire entièrement la religion reformée, et pour établir
avantageusement le papisme. Mais Dieu, qui veille pour la
conservation de ses élus et qui ne permet pas que leur foy
manque et que ses voyes ne sont pas les voyes des hommes,
Dieu donc ne permit pas que la plus part des protestants aban-
donnassent la vérité pour une abjuration que l'Eglise romaine
exigeoit, laquelle abjuration fesoit même horreur a la plus part
de ceux de leur communion. Et comme les émiçaires de la
bête trouvèrent des conciences qui leurs resistoient, ils n'épar-
gnèrent n'y le fer n'y le feu pour les faire sucomber, comme
toute la terre en est imformée. Ce qui obligeât une quantité
considérable de Reformés a former une constante résolution
de tout- abandonner, maisons, biens, parents, et amis, pour
sauver la vie spirituelle de l'ame. Alors les émiçaires du fils de
perdiction y formèrent de nouvelles précautions; ils obtinrent
un ordre du Roy d'empêcher les Reformés de sortir du royaume,
et bloquèrent, autant qu'il dépendit deux, toutes sortes de pas-
sages, pour empêcher les protestants de quitter leurs biens et
de sortir l'argent de France.
Et comme Dieu ne se laisse jamais sans témoignage en nous
bienfaisant. Dieu suscitât de fidelles témoins pour testilier de
sa vérité, car, environ ce temps la, se trouva les nommés
Mess*"* Rey, Brousson avocat au parlement, Vivent, Lapierre
qui avoit fait des progrets considérables dans les études, Ro-
man, les trois frères Plants, l'Aleman, Laporte, Dauphiné, La-
jeunesse, Holivier et Guest, lesquels, après avoir convoqué pen-
dant quelque temps des assemblées pour confirmer la foy des
fidelles dans la vérité, eux-mêmes ont signé cette vérité de leur
440 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
propre sang. Excepté Mess. Lapierre, Roman et Lajeunesse,
tous les autres ont souffert courageusement le martire a la
gloire de Dieu et a l'honeur de la religion.
L'Eglise romaine ayant aperçu que la religion protestante
se conservoit en France par le moyen des assemblées , elle
redoubla la persécution pour éteindre la religion , en éloi-
gnant tous les moyens qui auroient put la soutenir; elle prit
même de nouvelles précautions, a savoir elle enleva les en fans
d'entre les mains des pères et mères, les faisants conduire dans
les couvants, pour y être instruits selon les préceptes de
l'Eglise romaine. Les pères et mères étoient contraints de
payer 4 écus le mois pour chacun de leurs enfants qui étoient
dans les couvants ; et, lorsqu'on n'avait pas de quoy payer, on
envoyoit un détachement de soldats pour emporter ce qu'on
trouvoit de meilleur dans la maison.
Mons*" l'abé Du Chailas, grand favoris de l'Antéchrist, faisoit
tous ses efforts dans le diocèse de Mande pour entraîner la jeu-
nesse dans les couvents, et faire exatement payer les pensions.
Ce fut alors que les pauvres pères et mères, se voyant privés de
leurs biens et de leurs enfants, ne purent plus se retenir. Ce fut
alors que la patience fit place à l'impatience et que la violence
triompha du silence. Tous les Réformés ne pouvoient presque
plus se soutenir, étoient comme dans le désespoir; les choses se
trouvant dans cette situation, quelques fidelles qui sortoient du
royaume, pour pouvoir jouïr librement de la religion, furent
pris et enfermés dans une prison au Pont de Monvert, diocèse
de Mande. Mons^' l'abé Du Chailas qui leurs faisoit souffrir des
peines dures et insupportables, les pauvres Réformés infor-
tunés, qui étoient las de supporter la cruauté de ce Pharaon,
crurent qu'ils feroient un acte de la dernière charité d'aller dé-
livrer leur frères prisonniers ^ Ils se rendirent à la prison de
nuit. Ils enfoncèrent la porte de la prison. Mons^" l'abé Du
1 Kn marge, on lit : la naissance des Camisards.
PIECES ET DOCUMENTS INEDITS 441
Ghailas crut qu'il devoit déffandre la porte de la prison, les
Réformés qui étoient déjà las de supporter sa malignité se vou-
lurent jette sur luy, mais M^ l'abé leurs fit feu dessus. Alors
les questeurs des prisonniers ne gardèrent plus de mesures : ils
mirent le feu à la maison ou étoit M^" l'abé ; M"* l'abé voyant que
la maison allait être embrasée, sauta par une fenêtre, mais il
fut pris, et, pour tout dire en un mot, il fut tué sur le pont*.
Voilà cet inexorable persécuteur mort, voilà aussi les prison-
niers mis en liberté; mais pour cela les Reformés ne furent pas
délivrés de leur maux, bien loin de la, ce malbeur en attira un
autre, même plusieurs autres maux. Car c'est événement irrita
si fortement les éclésiastiques Romains, qu'ils crurent qu'il n'y
avait point de peines suffisantes pour expiers le crime de
ceux qui avoient tué M»" l'abé. Ceux qui avoient fait le meurtre,
se voyant avec les prisonniers en quelque manière découverts,
crurent quils se pouvoient deffendres contre leurs persécuteurs ;
ils formèrent une cabale, ils sacquirent deux prédiseurs qui leurs
étoient favorables, savoir les nommés Mathieu, natif de Geno-
Ihaac, qui fut tué peu de jours après a Pierremalle d'un coup
de fuzil, et Salomon Goudert, de la paroisse de St André de
Lamsulcre : ce dernier, après avoir régné quelque temps, sortit
de France environ l'an 1704, et ensuitte, s'en retournant en
France environ l'an 1706, fut pris à Livron en Dauphiné, et
puis conduit et brûlé à Montpelier.
Consécutivement après la mort de M»" l'abé, Nicolas Jeanni
Gony natif des Plos, proche de Genolhaac, s'erigeat*en chef de
cette troupe, qui tenoit la campagne, sagrossisoit tout les jours
comme un pelotton de nége qui dessant d'une montagne ; ces per-
sonnes érantes cherchent a se munir des armes; ils furent avec
violence au château de la Devex, et étant repoussés avec perte,
ils se riièrent comme des lions, sans épargner ny hommes ny
femmes. Le dit Salomon Goudert, qui faisoit déjà le prophète e
Kn marge, ou lit : le pont de Montvcrt.
442 PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS
le prédicateur, sâmassa une troupe fort considérable de son
côté animés tous de l'esprit de cruauté.
En ce même temps la, y parût un nommé Gastagnet, de Mas-
sevague, paroisse de Fraissinet de Fourgues, proche la mon-
tagne de I^egoual, qui fit aussy le prophète et le prédicateur; il
fut suivit d'un nombre considérable de personnes. 11 se porta
aussi de son côté a tuer les prêtres et a brûler les églises. 11
est bien vray que la jeunesse qui suivoit ce dernier ne le voulut
pas suivre fort longtemps, mais se rendirent sous la conduitte
d'un nomme La Rose, qui s'étoit aussy lui même établit capi-
taine. 11 faut observer que ce dernier ne se disoit point pro-
phète. Ceux cy, c'est adiré ces attrouppés, se tenoient dans les
hautes Gévenes ; mais ils furent en même temps secondés par
de nouveaux attroupés, assavoir par M»" Gavaillé et par M"" La-
porte dit Roland; le premier de ces deux se tenoit du cote de
Nisme avec sa bande, le second se tenoit dans les basses Gé-
venes, avec les Gamisards qui le suivoit. Tous deux, recuts pro-
phètes par les fols jugements du peuple, tous deux bruloient les
églises, et tuoient les prêtres. Mons'' Gavaillé et les siens,
poussés par leurs prétendues inspirations, firent tuer dos
femmes et des petits enfans a Sansceries et a Solororgues, pro-
che Lunel. Nicolas Gony en fit de même a Ghambourigeau par
lavis et conseil de ces prétendus inspirés. Je passe sous silence
les actions indignes et cruelles qui furent exercées par lavis du
même esprit a Malataverne, proche Alais, en Gévenes.
Tous ces Gamisards, après avoir régné quelque temps et
s'être vus souvent dispercé, finalement Mons^ le maréchal Du-
villard, par une douceur digne de lui et par une prudence très-
louable, appaisa ces factions et ces désordres. Mais, avant que
de calmer cette furieuse tempête, il y eut quarante-deux pa-
roisses brûlées du diocèse de Mande ou d'Usés et la plus grande
partie du monde tués on dispercés. Dieu, qui dirige de tous les
événements, disposa ainsi des choses afin de punir et de châ-
tier un peuple qui avoit profané son saint et grand nom. et
PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS 443
foulé aux pieds les exortations et les remontrances de ses ser-
viteurs. L'Eglise romaine a pêche contre Dieu d'engager le Roy
a persécuter et détruire des gens que, dans le fond de la doc-
trine et de la créance, ils ne reçoivent que ce que la parole di-
vinement inspirée nous enseigne. Les protestants sont très
criminels devant Dieu de ne profitter pas des châtiments de
Dieu, et d'avoir plus de crainte des hommes qui ne peuvent
tuer que le corps, que de Dieu qui a la puissance d'envoyer le
corps et l'âme tout ensemble dans la gène du feu. Aincy Dieu
a justement permis que les persécutés et les persécuteurs, tous
ensemble, ayent senti la pesanteur de sa main.
Après tous ces fatals événements, il se passa quelques an-
nées que les Réformés se trouvèrent sans pasteurs, sans
livres, sans libertés, hormis un petit reste de Camisards, sa-
voir les nommés Pierre Glary, Jaque Bonbounous, Mathieu
Mazet, Laveille, Salomon Sabatier de la paroisse de Gros,
Etienne Arneau et quelques autres dont la plupart iliterats. Et
pourtant ils s'apliquerent a aprendre a lire; quelqu'uns d'en-
treux apprît même quelques sermons par cœur faits par quel-
ques hal)illes hommes et qu'ensuite ils anonçoient aux lldelles
qui les venoient écouter, mais, comme les voisins savoient que
c'étoit des novices a lire, ne faisoient pas beaucoup d'atention
a leurs prédications.
Alors les recherches ètoient très exates, les sùplices étoient
enVoyables, on ne parloit que de rompre, que de brûler, c'est
aincy qu'on traittoit le reste des Camisards. Alors reignoit
M'Debaville, intendant de la province du Languedoc, hommes
cruel et impitoyable, s'il y en a jamais ùt dans le monde. La
haine et l'aversion que les jésuites lui inspiroient contre la
religion reformée, la cruauté qui lui étoit naturellement en
inclination, produisoit une grande joie dans son ame, lorsquil
trouvoit occation de condamner quelque protestant a un affreux
suplice. Laissons ce tiran au jugement de Dieu.
Environ ce temps la, M"" le marquis de Vllolande. (jui étoit
444 PIECES ET DOCUMENTS INEDITS
alors a Alais, en Gévenes, donna un passeport a Salomon Sa-
batier, de la paroisse de Gros, et a Etienne Arneau, de St Hi~
polite de la Planquette, pour s'en aller a Genève.
Pour revenir a moy et au moyens que Dieu s'est servit pour
m'apeller à sa connoissance, en l'an 1697, il me tomba entre
les mains, le Bouclier de la foy, le Combat chrétien, dix dé-
cades de sermons, excelents ouvrages de Monsi" Pierre Dumou-
lin , Le Dialogue entre son père et son fils pour voir si Von se
peut sauver en allant a la Messe, pour éviter la persécu-
tion, ouvrage des plus convenables pour la situation d'une
Eglise comme celle de France, et enfin un Catéchisme de
controverse par Dumoulin. Je lu tous ces livres avec une sé-
rieuse attention ; Dieu me donna la lumière d'entendement
pour pouvoir discerner la vraye religion d'avec la fauce. Ce
fût alors que je conçu un souverain mépris pour les erreurs
de l'Eglise romaine, ce fut alors que j'aima et que je m'atta-
cha fortement à la vérité de la religion reformée. J'étois âgé
d'environ 16 a 17 ans. Environ deux ans après, 1699, Jean Fe-
geroles, d'Alicce de Rhunes, paroisse de Frésinet de Losére,
diocèse de Mande, avoit fait convoquer une assemblée dans le
lieu de ma naissance, qui est Nozaret, paroisse de ^ialas, an-
cienne de Gartagnol, diocèse d'Usés, en Gevenes ; le dit Jean
Felgerole n'étant pas venu a l'assemblée qui étoit convo-
quée en son nom, quelques personnes qui étoient à l'assem-
blée, avec lesquelles javois eu de fréquentes conversations, me
prièrent de ne pas laisser partir l'assemblée sans leurs donner
quelque consolation; tout d'un coup je me trouva rempli de
courage et de zèle, et je parla avec beaucoup de fermeté et d'ar-
deur de la parole de Dieu. Alors je fus ardemment requis par
mes voisins, tous les dimanches, de leur donner quelque exhor-
tation. Gela éclata dans toute la paroise qui est composée de
14 villages; tout le monde me fit caresse etme donna connoitre
qu'il avoit de l'estime pour moi et pour mes exhortations, ce qui
ne contribua pas peu a l'augmentation de mon courage. Je con-
PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS 445
tinua ainsy a faire quelques exhortations jusqu'à lan 1702 que
les Gamisards commencèrent a faire leurs estratagêmes, et que
tout le Languedoc et \ivarès formilloit de prétendus pro-
phètes, disant dans leurs imaginaires révélations qu'il faloit
tueries prêtres, brûler les autels. Par l'avis de quelques amis
qui regardoient leurs rêveries comme un zèle précité, je voulus
aller reprimer par quelques exhortations et bonnes remon-
trances leurs cruautés. Je pris donc la liberté de parler a ces
Camisards et en particulier a Nicolas Jony, capitaine de la bande,
qui battoit nos montagnes, leurs représentant que tuer les prê-
tres, brûler les églises, ce n'etoit ny de la doctrine de l'Evangile,
ny de la pratique des premiers chrétiens, d'ailleur que cela ne
fesoit qu'allumer la fureur des ennemis et ruiner entièrement
le pais. Mais helas ! mon conseil fut très mal reçut. Les pré-
tenduts inspirés commencèrent a se détacher contre moy, me
traitant d'incrédule et de murmurateur, me menaçant de me faire
subir le même sort des prêtres de l'Eghse romaine, et je n'ùtpour
ma deffence qu'un grand silence. Cependant je continua a exhor-
ter mes frères de la paroisse de ma naissance jusqu'à l'an 1703.
Alors je ne put rester d'avantage a la maison de mon père,
Mons"^ le coronel Du Yilard étant venut avec un ordre de la
cour, et avec une puissante armée pour bruller notre paroisse,
qui se trouvoit du nombre des 42 qui dévoient être brûlées.
Mons»" de Juilhen, qui avoit reçut le même ordre que Mons»" Du-
vilard, faisoit exattement son devoir dans le diocèse de Mande
avec une puissante armée pour brûler et tuer tous ceux qu'on
trouveroit a la campagne, et qui ne s'étoient pas retirés dans
les lieux qui leurs avoient été marqués.
En l'an 1704, Mons^ le maréchal Duvilard* qui se tenoit tan-
tôt à Nimes, tantôt a Montpelier, calma ce feu immodéré des
Camisards, comme il a été dit, et donna des passeports dassu-
i Nous copions lexluellcmenl. Il y a, comme on le verra, plusieurs orthogra-
phes pour le nièmc mot ou le même nom.
440 PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS
ranco pour aller à Genève, atin d'affoiblir la force desCamisards.
Ainsi, après avoir reste un an voltigeant dans les déserts, hors
de la maison de mon père, je profita enfin des passeports de
M*" Duvilard pour aller a Genève.
Je sortis donc de France en l'an 1704, dans le mois de
novembre. Je me rendis a Lauzane, en Suisse, et je fis connais-
sance de Mons»" Jean I^ierre Secretan ministre et pasteur de
l'église de Monts, qui me lit placé pour maitre d'école dans une
de ces églises ou je resta environ 15mois,aubout duquel temps
Monsi" Sobretan gentilhomme des Gévenes, réfugié a Lauzane,
ayant parlé avec quelques personnes, soient pasteurs, qui poii-
roit-on envoyer en France pour soutenir les Réformés dans la
vraye foy, et ayant jette les yeux sur moy, on m'en lit la pro-
position, et je faccepta. Je m'en fus jusqu'à Genève, mais les
passages eloient si exattement blocc^ués, qu'il étoit non seule-
ment difticile, mais impossible de passer jusqu'en Languedoc,
sans être arrêté. Aincy mon voyage de France fut renvoyé jus-
qu'à lan 1709, que, me trouvant a Genève, les nommés Salomon
Sabatier et Etienne Arneau, tous deux des Cevenes, ayant tous
deux un ardant désir d'aller exhorter leurs frères, me commu-
niquèrent leur dessin et me montrèrent une route qu'on leurs
avoit donné, qui me parût fort sure, mais aussi fort longue par
le grand détour quelle faisoit. Je fis dabord communiquer cette
pensée à M»" le marquis d'Argilliés, alors ambassadeur d'Angle-
terre à Genève; j'en donna aussi avis à M^" Sobretan; les uns
et les autres trouvèrent fort bon de faire ce voyage. Je me dis-
posa a partir avec les susnommés.
Le jour de notre départ fut le 5 juin 1709. Etant heureuse-
ment arrivés en Gevenes, nous étions tous pénétrés de joie;
mais notre joye fut bientôt changée en tristesse. Je fus dabord
voir mon père et ma mère, qui me reprochèrent mon retour
comme la dernière de toutes les imprudences, m'exhortant de
m'en retourner au plus vite, si je ne voulois être conduit a
un cruel suplice.
PIJ^XES ET DOCUiMENTS INEDITS 447
Gettt* voix nous consterna d'abord tous trois ; mais un mo-
ment aprèS; nous reprmies courage, et après avoir emijrassé
mon père et ma mère, nous descendimes a Enduze. Là, nous
trouvâmes trois garçons qui savoient quelques sermons par mé-
moire qu'ils avoient heureusement apris, l'un desquels a été
papiste. Mais hélas! a peine trouvions nous quelque maisons
de conliance; nous mangions dans les déserts et nous couchions
dans les montagnes, sous les arbres. Quelques semaines après
nôtre arrivée, nous entendîmes dire la funeste nouvelle que les
trois jeunes garçons, que nous avions vus a Enduse, étoient
pris a Milhieau proche Nimes dans la maison de maitre Page t.
Tous trois furent pendus a Montpellier ^
Mons'' Plantier de Nimes étoit alors prisonnier avec les trois
garçons, savoir: Antoine Cordese de St Daunis, proche Nage,
Jean Abric, — il etoit du coté de Gange, — et le prosélite
nommé Janot. Ce dernier, le matin, quand on fût leurs annon-
cer qu'ils seroient penduts,il témoigna une joie, qui nepouvoit
procéder que de l'esprit de Dieu, confirmant le courage de ses
frères. Peu de temps après, on prit aussi Claris à Usés qui fut
aussi pendu a Montpellier. A peine eu-je resté un an avec mes
compagnons de voyage et d'œuvre au Seigneur, que Salomon
Sabatier fut arrêté a Sery au pont vieux d'Alais et conduit au
fort de la dite ville, et de la a Montpelier ou il fut pendu. Je ne
dois pas obmettre que la mort de ce dernier fut très édifiante ;
nos propres ennemis ne purent se retenir de dire que, si un
verre de leurs sang le pouvoit garantir, ils le verseroient volon-
tiers; ils dirent cela après lavoir entendu prêcher dans une
chambre du fort, que Mons»' de Lolande lavoit fait montrer du
cachot pour satisfaire la curiosité de quelques Messieurs et
Dames. Ce fatal événement ne fut pas plutôt passé, en voicy
un autre. Un jeune garçon nommé Mathieu Mazel, de Sador-
J « Ils furent trahis par un nommé Janot de Caveirac. Celui qui avait été
papiste fut celuy qui brava le plus la mort et souffrit courageusement le mar-
tyre. f> (Note de Corteiz).
448 PIECES ET DOCUMENTS INEDITS
gués, ayant formé une assemblée la nuit dans une maisonnette
que Ion se sert pour sécher les châtaignes, les ennemis les sur-
prirent dans la nuit, ayant négligé de mettre les sentinelles né-
cessaires; ils firent des prisonniers, ils tuèrent des hommes et
des femmes, entre lesquels se trouva, le dit Mathieu Mazel. Le
lieu ou ce catastrophe arriva, est le terroir de Milierrine, par-
roisse de St Martin, en Gevenes.
Toutes ces choses jettèrent si fortement la terreur dans
l'âme d'Etienne Arneaux qu'il prit son chemin pour s'en re-
tourner à Genève; mais il fut arèté au pont de St Esprit. Et
dabordil demanda un capitaine, dissimulant sa route de Genève
et qu'il eut été Gamisard et prédicateur, mais toutes ces pré-
cautions furent inutiles, puis qu'environ sept ans après il fut
appelé au martire, ayant déserté des troupes et ayant prêché
quelque temps dans le désert : il fut pris a Alais et ensuite con-
duit a Montpelier, de là à Nimes ou le presidial le jugeât et le
condamna a être pendu a Alais, — ce qui fut exécuté le 22 jan-
vier 1718, — ville a laquelle il avoit été pris. La constance, la
patience, et l'humlUté de ce dernier martir, ne fut pas moins
édifiante que celle des précédents, puisque ses juges le grand
prévôt et son propre boureau, émus parles propres mouvements
de leurs conscience, ne purent s'empêcher de dire que si la re-
ligion protestante est une bonne religion, certainement Arneaux
est un saint.
Me voila donc tout seul a prêcher dans toutes les Gévenes et
bas Languedoc, me voila seul echapé de la gueule du lion. Il
est vray que Jaques Bonbounous, et Jean Rouvière étoients
avecmoy; mais ils ne faisoient point de fonctions de prédica-
teurs.
Environ ce temps la, je tomba malade. Ge genre de vie dura
environ trois ans. Joint les affictions et les chagrains que jere-
cevois tous les jours de voir mes chers frères enlevés de devant
mes yeux, les mauvais aUimens que je mangeois, lumidité de
la terre sur laquelle couchois,, les sérénités de la nuit que j'en-
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 449
durois,m'ofFencèrentle sang et gâtèrent l'estomac, de sorte que
j'etois foible et languissant. Je crû que je devois aller prendre
un peu de repos a Genève pour recouvrer la santé ; je party donc
le mois de may 1712, ou j'ariva heureusement à Genève et en
Suisse pour trouver quelque repos, ou je me maria, mais je n'y
trouva pas tout le repos que je m'etois attendu. Dieu fit naître
de nouvelles afflictions qu'au millieu de mon innocence j'avois
des chagrains qui m'êtoient un espèce de martire. Je connus
bien que la divine Providence disposoit toutes ces choses pour
m'engager a retourner en France, ce que je fis heureusement.
A mon arrivée, je trouva mes deux confrères savoir M^^ Bon-
bounous et Rouvière; ces deux m' ap rirent comme Jean Vesson,
de la paroisse de Gros, et Jean Hue, de la paroisse de Genolhac,
faisoient des assemblées, mais qu'ils trouvoient beaucoup d'ir-
régularité dans leurs conduittes. Le dernier avoit déjà prêché
du temps des Camisards ; le premier se disoit prophète, le se-
cond s'etoit volontairement rendu entre les mains des ennemis
à Montpelier, après son retour de Genève : là, les ennemis lui
fournissoit son viatique; mais ledit Jean Hue, étant solicité
par un bon Israélite, qui fesoit tout a bonne intention, sortit
de Montpelier et monta dans les Gévenes pour y former des
assemblées. J'ai un peu existé sur ces deux personnages, parce
que l'un et fautre nous ont été de grands obstacles et des
pierres d'achopement. Pour ramener ces deux hommes a leur
devoir, je leurs donna un rendes-vous dans lequel ils se rendi-
rent ; après leurs avoir fait d'agréables accueils, et la lecture
d'un chapitre, et dit la prière, je voulu leur parler en frère, mais,
lorsque je voulus un tant soit peu toucher a leur vices, ils ne
furent pas du goût de m'écouter; cependant je les embrassa et
les recommanda a Dieu ot a la parole de sa grâce.
Mons'" Jean Rouvière, natif de Blaisaac, paroisse de Joug,
en Vivares, ne me quitta point pendant fespace de neuf ans;
nous dessendimes du coté de Nimes, ou je trouva un prédica-
teur dii Vivares. En parlant ensembles des affaires par rapport
1 29
450 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
a l'etàt présent de la religion, ce dit prédicateur, nommé
M'" Pierre Brunel, me dit ([u il y avoit un jeune garçon à Mar-
ceille, natif de Villeneuve de Bert, nommé M»" Antoine Court,
qui avoit des talans pour la prédication. Je lui écrivis dabord a
l'adresse que le S'" Brunel m' avoit indiquée, A peine croyois-je
que M'" Court eut reçût ma lettre, qu'il fut a Nimes pour me
joindre, et nous fumes quelques jours ensembles. Je trouva en
lui des dispositions propres pour la prédication.
Comme j'avois ma femme a Genève et que le S»" Brunel me
faisoit bon de m' introduire en connoissance environ 30 lieues
par une voye sure, je me détermina a m'en aller avec luy ; mes
confrères Bonbounous et Bouvière me voulurent accompagner
pendant ces 30 lieues. Nous quittâmes M"" Court a Usés, entre
bonnes mains.
Apres avoir resté quelque temps avec ma femme, je m'en re-
tourna de nouveau avec mes frères. A mon retour, je passa en
Dauphiné, ou je fis des assemblées presque partout ou il y a des
Reformés; j'en fis de même dans le Vivares, dans toutes les par-
roisses et communautés ou il y a des fidelles disposez a rece-
voir la Parole de Dieu. Ensuitte je dessandis en Languedoc ou
je trouva que mes frères collègues avoient considérablement
augmente leur connoissances. La persécution commença a se
ralentir un peu; les trouppes espagnoles, qu'on appeloit mique-
lets, se retirèrent; le zèle du peuple augmenta tous les jours ;
les Cevennes qui etoient presque toutes tombées dans rindilTc-
rence de religion commencèrent a se reveiller par le moyen de
la prédication de fEvangille, à la reserve des paroisses de St
Etienne, de St Germain, et de Ste Croix qui vivent encorre
dans une extrême tiédeur, Dieu veuille reveiller leurs conscience
endormies !
Avant que de passer plus avant, je crois qu'il ne sera pas
inutile de dire que Messes Bilard, Dupon, et Abram, — ces
deux premiers étoient officiers dans le régiment de M»" Gavailler,
et le dernier se disoit prophète^ — le régiment du dit M^'Cavail-
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 451
1er étant dissipé, et n'étant plus remis sur pied, voila Mess. Bi-
lard et Dupon sans employ. Ils formèrent le dessin de se pro-
curer du travail par le moyen de leur prophète nommé A])ram
Mazel, natif de Faugière, parroisse de St Jean de Gardonnengue,
qui leurpromettoit des victoires infaillibles. Ils s'en vont donc
en Vivares sous la conduitte de leur prophète, qui leur faisoit
espérer par ses révélations des victoires certaines ; ils s'amas-
sèrent en peu de jours environ cent hommes de la jeunesse du
Yivares, ils enlevèrent les armes d'un château, ils battirent
quelquefois leurs ennemis, et en particulier un régiment
suisse qui venoitles assaillir à l'aurore du jour. Le gouverneur
de la province, ayant aperçu que ces nouveaux attroupés devc-
noient très dangereux, les alla visiter avec un-e forte armée; ils
ne manquèrent pas ces nouveaux Gamisards, les battirent et les
mirent en ruine, tuèrent leurs deux chefs, les uns sur le champ et
les autres après les avoir dispersés. Le prétendu prophète fut
blessé, cette innovation n'eut pas un grand succès, on vit
d'abord le pais dans un état déplorable. Unepartie de la jeunesse
fut pendiie ou rompiie, le lieu de Vernoux etoit tout environné
de cadavres de cette infortunée jeunesse, qu'on avoit pendus ou
rompus. Il est digne de nôtre attention que les fidelles du Yivares
jouissoient d'un grand calme, lorsque ces trois fauteurs y furent
allumer par leur faction le feu du désordre, un fidelle propo-
sant y faisoit des progrès admirables, lorsque ces fanatiques y
arrivèrent, mais il se retira et s'en alla marier a Genève, lors-
qu'il apperçu la naissance du malheur. Le nom de ce proposant
est Jean Ebruy, dit Jean Paul a présent, régent d'école dans les
terres de Genève. Ges malheurs et désordres commencèrent
environ le mois davril 1709, et Unirent dans le mois de septem-
bre de la môme année, he S'" Abram Mazel, qui avoit été
blessé a la bataille, finalement guérit etdessandit euLenguedoc
dans le dessin de se former une nouvelle armée plus nom-
breuse ([ue la précédante, pour etal)lir, disoit il, la leligioii pro-
testante. Ses révélations promettoient par tout un heuieux
452 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
succès. 11 fut joindre Glary dont il a été déjà parlé, ils se con-
seillèrent ensembles et formèrent la. resolution de lever de nou-
veau des Camisards, de s'établir chefs d'une armée nombreuse
et formidable ; et pour encourager le public a donner dans leur
sentiments, ils leurs disoient que les Puissances étrangères,
ayant guerre avec la France, leur donneroit le secours néces-
saire. Il est a notter qu'ils etoient tous fortement confirmés
dans leurs résolutions par le moyen de leur prétendues révéla-
tions. Ils s'etoient déjà ramassés une quinzaine de jeunes gens
qu'ils avoient fait entrer dans leurs idées. Après leur complot
formé et arrêté, ils m'envoyèrent chercher pour me communi-
quer tout ce qu'ils avoient déjà déterminé. Je fus consterné
d'une telle entreprise et je sentis bien les maux qui s'en alloit
résulter. Je les proposa a ces Mess»'^ mais ils ne voulurent point
se désister de leurs résolutions, disant que l'esprit de Dieu
n'étoitpas menteur, qu'il leur promettoit de très heureux succès.
Alors voyant que je ne pouvois rien gagner de 'leur coté, je
parla aux personnes qui êtoient capables de les détourner de ce
pernicieux sentiment, et je leurs représentât qu'on alloit faire
revivre tous les malheurs précédents, qu'ils voyoient bien aquoy
avoit abouty l'entreprise de Mess. La Porte, Cavailler, la
Rose, et Jony; et «vous voyés, dis-je encore, ce qu'on vien de
faire en Vivarés ; nous avons un peu de calme, on ne nous
constraint point d'aller a la messe, ne nous faisons pas massa-
crer et n'exposons jamais nos frères aveuglement et témérai-
rement dans le danger. » Cette proposition trouva heureusement
(lieu) dans leurs cœur, et furent favorablement tournés de mon
coté. Alors ils me répondirent, et me dirent : «Tout ce que vous
nous dittes est vray; mais on ne saurait interrompre le dessin
decesMess''^ savoir Abram, et Glary.» Alors je leurs donna pour
avis de gagner du temps, leurs faisant entendre qu'on ne peut
rien entreprendre durant la rigueur de l'hiver, mais qu'il faut
attendre l'arrivée du beau temps. Mon conseil fut reçu, et, pour
tout dire en un mot, les Camisards qu'on avoit déjà ramassés,
PIPXES ET DOCUMENTS INEDITS 453
mais qui n'etoient pas connus des ennemis, furent renvoyés
chacun chés soy. Le printemps arrivé, Abram fut tué, au Mas
de Couteau proche Usés, Glary fut pris et blessé au dit mas de
Couteau et ensuitte justicifié à MontpeUer. Voila le progrés
rompu, et la fin de ces vaillans guerriers.
Poursuivons les événements arrivés a la religion, en France.
Je fis un troisième voyage a Genève, pour voir ma famille et
pour parler aux personnes sencibles des maux de la chère Sion.
Après avoir resté quelque tems a Genève, je m'achemina pour
aller en Languedoc; mais, en passant en Dauphiné, je fus arrêté
par nos frères, qui me prièrent de leur donner quelques prédi-
cations. Messes Bonbounous et Rouviere, dont le premier m'a-
voit accompagné jusqu'à Genève; le second nous attendoit en
Dauphiné. Nous fîmes avantageusement rencontre de Mons*" Ro-
ger qui etoit nouvellement de retour en Dauphiné. Nous lui
proposâmes la nescésité d'un ordre dans nos Eglises oppri-
mées, nous lui montrâmes quelques articles des règlements que
nous avions déjà dressés en Lenguedoc. M^ Jaques Roger ap-
prouva fort ce procédé et dit que, avant se séparer, il faloit ajou-
ter quelques articles aux règlements de la discipline selon
l'obcurence du temp aux règlements précédents, ce que nous
fîmes heureusement le 22« août de l'année 1716; articles que
nous avons encore dans nos règlements. Mess^^s Rouviere, Bon-
bounous, et moy, après avoir embrassé M. Roger, nous nous
rendîmes en Lenguedoc et nous montrâmes a Mess^'^ nos
colégues et aux Anciens, dans un sinode qui se tint, ou les ar-
ticles dressés en Dauphiné furent reçus. Gomme le nombre des
assemblées et prédicateurs s'augmentoient tous les jours, on
commença de former des églises. Mons^ Rouviere, proposant,
et moy, qui savions mieux le terain, nous fumes employés a
faire cette œuvre, et voicy de la manière qu'on forma les Eglises :
Vauver, le Caila, St Gille, Genairhac, Beauvoisin ; une
église.
Gaisargues, St ("esarié, Nimes; une église.
454 PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS
Quavairac, l'Anglade, Glarensac; une église.
Bernis au bord Ucheau, Milheau; une église.
Galvison, Cinq sens, St Daunise, St Gosme, Manèges ; une
église.
Gongénies et les ameaux voisin; une église.
St Lauran, les Aymargues, Massiliargues, Lunel, Galargues;
une église.
Aiguës Yives et ses ameaux; une église.
Aubay, Junas, Villevielle, Saumiere ; une grande église avec
Auj argues.
Au de la de Vidourle, et Monredon, Favas, Espère, St Baus-
sille; mais helas tous les protestants de ces cartiers sont de-
venus fanatiques jusqu'aux Garigues.
Gonbas, Fontanés, Savaniargues; une église.
Ganne, Vise, St Félix; une église.
Sauve, Quisac ; une église.
St Hipolite, la Gadière; une église.
Lésant, Ladignant font une église.
Mariege, Massane, Gassagnole; une église.
Bouquairan, Ners, Lascours; une église.
St Gincy, Sausel, St Gausille; une église.
La Rouviere, la Galmette, Dion ; une église.
Periniargues, St Mamert; une église.
Blausac, Senilhac; une église.
Usés, Pailardgue ; une église.
Montaren, Labeaume, Fuisargues ; une église.
Garrigues, Goulorgues, Aurilhiac; une église.
Fuisac, Gatigues, Banon, Aigailiiés ; une église.
St Hipolite, St Jean, Yausset, St Geux ; une église.
Saine, Sausine, Bouquest, Mailairargues; une église.
Lussant, Vendras, Fonds; les Tavernes, Rochegoude; une
église.
St Laurens, Fontagnés, St Quintin; une église.
St Embrois, les Mages, Milieu; une église.
PIECES ET DOCUMENTS INEDITS 455
St Jean des Aiieaux. Barjat, Salavas, Yalon, la Gorre; une
graïide église.
Toutes ces églises sont du resord du Sinode du païs bas :
nous avons ensuitte les églises des Cevennes, Toutes ces
églises n'ont pas êtées établies a la fois, et il n'y a pas plus
d'un an qu'on a reveillé les consciences de la ville Dëvalon et
du vilage de Salavas; on a établit des Anciens a chaque endroit
a proportion qu'on y a trouvé de personnes de piété pour s'y
pouvoir confier; les commencements, dit-on, sont très difficiles,
mais surtout dans un ouvrage de cette nature.
Gomme les fidelles savent que Dieu a joint les sacrements
a la prédication de l'Evangille, ils requièrent l'un et l'autre.
Pour faire cette fonction fût élu M»" Gourt et moy, mais parce que
plusieurs personnes etoient escandalisés de voir administrer les
sacrements par des gens qui n'avoient pas reçu l'imposition
des mains, a cause de quoy il fut délibéré dans le sinode, tenu
le mois de mars en l'an 1718, qu'un prédicateur d'entre les pro-
posants s'en allât auprès des pasteui-s qui exercent légitime-
ment la charge du St ministère, pour être examiné dans la
doctrine, laccompagnant de bonnes et valables atestations,
'pour leurs represanter la nécessité qui d'essigneroit sa vie et
ses mœurs pour recevoir l'imposition des mains pour la conso-
lation des personnes requérantes.
Alors l'assemblée sinodale jetta les yeux sur moy, et me
prièrent de faire ce voyage. Que je partis donc pour aller voir
les pasteurs qui ont droit de conpherrer l'ordination, étant
muni de bonnes attestations, pour leurs représanter la nescé-
sité du saint ministère en France.
Mon premier abord fut a Genève, oiî jeu diverses confé-
rences avec feu M*" le professeur Léger qui, après avoir pris la
peine d'examiner ma connoissance et ma créance, ils m'en-
voyèrent à Mess""» les pasteurs de la République de Zurich, —
première de la bienheureuse Reformation, — et ce fut la que je
■reçus, le 15^ aoust 1718, l'inposition dos mains, a la grande
456 PIECES ET DOCUMENTS INEDITS
joie et consolation des fidelles protestants de France, eschapés
de la grande tribulation.
Ces bienfaits reçuts, je party environ le mois de septembre,
pour aller voir mes frères. En descendant par le Daupliiné, je
fus voir les fidelles de ma connoissance ; je forma quelques as-
semblées, après quoy, je passa le Rôneetjefù donner quelques
prédications en Yivares. J'assembla même les prédicateurs du
dit Vivares, pour leurs représenter la nescésité d'un ordre pour
éviter les confusions et les désordres qui etoient arrivés diverses
fois parmi eux, par faute d'un bon ordre ; et enfin je descendit
sur la fin d'octobre en Lenguedoc. Y étant heureusement arrivé,
j'y fus le très bien venu. Lorsque je fis la relation a mes colé-
gues, aux Anciens, et fidelles, de toutes les choses qui setoient
passées par rapport a la reUgion, ils furent pénétrés de joye et
glorifièrent Dieu.
On fit dabord assembler un sinode, dans lequel se rendirent
les prédicateurs et les Anciens. Les églises etoient alors en-
corre fort foibles et les Anciens en petit nombre ; la première
proposition qui fût apportée dans ce sinode fut celle-cy : puis-
que la bonté de Dieu a fait parvenir le saint ministère parmi
nous, il est expédiant, pour la conservation du dit ministère au
milieu de nous, de compherrer le dit ministère a un autre pré-
dicateur des plus dignes et des plus capables; et, comme
M^* Court avoit déjà eteelu pour l'administration des sacrements
dans un autre sinode, comme il a été dit, il fût prié de se pre-
santer pour être examiné en vie, mœurs et doctrine. Ayant ré-
pondii d'une manière fort satisfaisante, je lui donna dans une
assemblée assés nombreuse la main dassociation, selon la ma-
nière de l'imposition des mains reciie dans les églises refor-
mées. Voila deux ministres en Lenguedoc que Dieu a conservés
jusqu'à aujourd'huy, a la grande joye et consolation des fidelles,
voila la vérité qui a commencé a triompher de l'erreur; le zélé
du peuple se ranime, la religion se reveille, la foy se fortifie,
la discipline prend un peu de force, et toutes choses commen-
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 457
cent de prendre un bon train. On vit en peu de temps augmen-
ter le nombre des prédicateurs et des Anciens, la persécution
étant un peu relâchée par une agréable tolérance de feu
Mons^ le duc d'Orléans, alors Régent de la couronne de France.
Ce fut l'an 1719, le 30« septembre, que Jean Hue dit Mazel,
de la paroisse de Genolhaac, dioceze d'Usés, fût déposé, et de-
mis de la charge de proposant, pour avoir trouvé en lui des er-
reurs capitales, savoir : 1° qu'il enseignoit qu'on pouvoit cacher la
vérité de la religion devant les juges, lorsqu'on ne pouvoit la
confesser sans danger, que la dissimulation et l'hipocrysie n'est
pas un grand mal; 2° qu'on peut hbrement assister a une dé-
votion idolâtre, lorsqu'on n'y aporte point la foy; 3° et enfin
que c'est en vain que l'on attend la resurection de la chair : il
avait encorre quelque autre erreurs que la pudeur et bien séance
ne permettent pas de nommer. 11 est a notter que, avant que
d'en venir a cette extrémité, on employa toute sorte de moyens
pour guérir les erreurs détestables du d* Jean Hue. On lui pro-
cura des bons et excellents livres, les précis de Théologie de
Mons"" Sezard Pégouried, V examen des Religions, par Mons^'Pi-
tect, des bons catéchismes ; mais tout ces remèdes etoients
inutiles : sa maladie etoit incurable et ce pernicieu ignorant
nous fut une pesante croix après son interdition. Il se glissa
dans les hautes Gevennes, et avec sa morale favorable a la
chair et qui s'accomodait a la mode des tiedes, il fut favora-
blement reçut et enseignoit là ses pernicieuses erreurs ; il se
détacha de notre corps et se moqua de notre disciphne, jusqu'à
ce qu'il fut abandonné peu a peu du peuple, et enfin pris par
les ennemis et pendu a Montpelier, après avoir déclaré qu'il
mouroit bon papiste, ce qui obligea les eclesiastiques romain
de l'enterrer dans l'église de saint Pierre , avec toute la
ponpe ceremonielle pratiquée dans l'Eglise romaine. Si l'on me
demande pourquoy fit-on mourir Jean Hue, puis qu'il obeïs-
soit a tout ce que l'Eglise romaine exige? il faut savoir qu'il
avait déjà trompé deux fois les puissances; ainsy, on ne s'en
458 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
tenoiL pas a son dire ; pourquoy l'ensevelir avec pompe dans
une église d'une si grande remarque que celle de St Pierre?
pour ébranler la foi des protestants et affermir les papistes,
comme disant qu'un prédicateur même du Désert n'avoit pas
crû se pouvoir sauver dans sa religion, puisque a ses dernières
heures il avoit abandonné la Reformation et avoit embrassé
l'église romaine. D'ailleur, la colectte que l'onfitpour tirrer son
ame du purgatoire fut fort considérable.
La même année, Mons^ Rouviere etmoy nous fîmes des pro-
grés fort considérables, a Faugerre, a Bedarrieux, a Larnac, a
Abrusque, a Montagnac, a Villemanne, et a Gornouteral. Il est
bien vray que j'y avois déjà fait un voyage avec Mon»* Court,
mais la der*' visite fut beaucoup plus fructueuse que la pre-
mière. Et surtout a l'égard de la jeunesse par l'introduction des
catéchismes.
Lan 1720, le 15 janvier, les prisonniers de l'assemblée de
Nimes furent pris, les uns condamnés a la tour de Constance,
les autres traînés de prison en prison, jusqu'à Londre en Angle-
terre, comme il est emplement dit dans la relation imprimée.
La même année, la peste parut a Marceille et parcourut quel-
ques villes de la Provance, la peste parut aussi en Lenguedoc,
comme a Alais et a Genolhaac. Elle parut aussi en Auvergne,
comme a la ville de Mande. Le 13^ de décembre de la ditte an-
née, Mons»" Jean Gaubert, natif Darphy, paroisse Daulas en Ge-
venes, fut reçu en plain sinode proposant; après un sérieux
examen, il fut admis pour prêcher l'Evangille comme les autres
proposant, sans toucher aux sacrements. La même année, les
églises de Lozère, du pont de Monvert, de Castagnol, de St Jui-
Ihan, de Florac firent de grands progrés et se relevèrent par une
merveilleuse assistance de Dieu, étant favorisées par la conta-
gion, qui avoit fait retirer toutes les trouppes de nos monta-
gnes et des Cevenes. Lan 1721, la peste continua a faire l)eau-
coup de mal dans la Provance et dans le Gevaudan, et en
Languedoc : la crainte de la mort, que la peste donnoit, servoit
PIECES ET DOCUiMENTS INEDITS 459
beaucoup a laugmentation du courage et du zelle de nos peu-
ples.
Javois obmis de dire que, l'an 1720, Jean Vesson (qui)s'etoit
ingéré dans la charge de proposant environ Tan 1713, fut inter-
dit le 13 décembre 1720, pour se dire prophète, et avoir été
convaincu de mensonge, pour mépriser l'ordre politique et ec-
clésiastique et avoir refusé de se rendre aux sinodes lorsqu'il
en etoit prié, et pour s'être servi de mensonges pour s'en dis-
penser, pour avoir calomnié les Anciens et méprise les prédi-
cateurs, et enfin pour avoir enseigné que Jésus Christ avoit
menti, fondé sur un passage mal entendu de l'Evangile. Ce sont
la ces griefs sur lesquels il persévéra avec obstination. Ce mé-
chant garnement nous causa divers troubles pendant quelques
années, après quoy, il se retira a Montpeher, dans la maison
de Mad'^ Deverchant, avec quelques femmes qui se disoient
prophetesses. Vesson de son coté se disoit prophète infaillible,
et promettoit de grands avantages a tous ceux qui le suivroit.
Se voyant abandonné du peuple qui le reconnut pour un véri-
table fourbe, se laissa conduire par ces femmes, ils faisoient
jouer toutes sortes d'estratagemes pour agrandir leurs secte,
mais enfin ils furent pris le 1*^ mars 1723, conduits a la cita-
delle et ensuitte pendus. Un femme subit le même sort. Le
pauvre Bonnissel, du pont de Monvert, qu'on avoit fait étudier
pour être abé, mais qu' ensuitte prit le party de marchand, étant
garçon de boutique à Montpelier, se laissa aussi entraîner dans
la secte de Vesson, fût aussi condamné a la corde, quelques
uns des hommes en galères, quelques femmes a la tour d'Ai-
guë Morte. Yoila nos prophètes prétendus, mais très dange-
reux, dissipés.
Sur le bord de Lereau, il y a une petite vilette nommée Gange,
habitée depuis la reformation par des protestants, mais qui s'e.
toient si fort relâchés dags ces dernières années, qu'on n' avoit
encorre pu reveiller leurs consciences. Mais par le secours ce-
leste, l'année 1721, la prédication y a produit un elfet admira-
460 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
ble, on y a yù le zelle s'augmenter, le vice se ralentir, les caba-
rets ne furent plus tant visités, ni les livres de piété tant
négligés. Cette église s'est mainteniie jusqu'à aujourd'huy, a la
grande gloire de Dieu et à l'honneur de la religion. Je ne dois
pas oublier de dire dans cette année les plaintes de plusieurs
prêtres dans les Gevenes contre les maîtres d'écoles, de ce qu'ils
ne faisoient pas leurs devoirs, a leur gré, de mener les enfants
a la messe. Les maîtres d'écoles repondirent aux prêtres que,
depuis quelque temps, les enfants avoient conçu une si grande
horreur pour le sacrifice de la messe, que lorsqu'ils entendoient
le son de la cloche pour aller à la messe les enfants disparois-
sent de part et d'autre. On les a fouêtés diverses fois, mais
pour cela en ne les sauroit y faire aller. Il est a notter que les
catéchismes de feu Mons"" Drelincour ont produit un effet mer-
veilleux pour donnera la jeunesse des idées claires et des vé-
rités importantes de la religion.
Dans le mois de septembre de la ditte année 1721, on vit de
nouveau accroître les églises des Gevenes dans un sinode qui
fût tenu. On fût obligé d'augmenter le nombre des Anciens des
églises de Lassalle, de Saumanne, de Sadorgue, d'Alais, de
Mouleron.
Il faut observer que les Anciens sont premièrement choisis,
par la pluralité de voix de leurs voisins, secondement examinés
en présence de tous les Anciens de l'Eglise assemblés (en) col-
loque, pour cette énomination, etensuitte anoncés aux sinodes,
afin que les autres Anciens des autres églises les regardent
pour leurs collègues.
Dans ce dernier sinode, il se dressa trois articles, savoir : que
puis que le nombre des fidelles, des églises, des Anciens, s'augmen-
toit, il faloit aussi augmenter le nombre des sinodes pour la sûreté
et la facilité du public et écrire a M'" Court qui etoit a Genève de
venir. Il fut donc convenu et arrêté que jusqu'à nouvel ordre on
tiendrait trois synodes l'année, le premier dans le bas Langue-
doc, le second a Losere, le troisième dans les basses Cevenes.
PIECES ET DOCUMENTS INEDITS 461
Le second article qu'on dressa (fut) que désormais on donnera la
route que doit tenir chaque prédicateur des églises qu'il doit
servir, en les rechangeant tout les sinodes, afin que les églises
soient mieux servies et qu'on ne voye point de confusion. Le
3"2 article est qu'a l'avenir on ne recevra aucun Ancien dans le
sinode, s'il ne porte un billiet du colloque de sa deputation.
Le 21® septembre, M»" Roux, proposant, ayant convoqué une
assemblée à St Hipolite de la PlanqueUe, l'assemblée fut dé-
couverte par le moyen de Mons* Daudé, juge criminel du Vi-
gan, que, en sen retournant d'Alais au Vigan, il trouva, a l'em-
bouchure de la nuit, les fidelles qui alloient a l'assemblée dans
un Désert. Mons"- Daudé en informa Mons' de Rambion le
gouverneur de St Hipolite. Mess^'s Daudé, et le gouverneur ne
savoient pas ou l'assemblée êtoit formée. Ainsy pour les sur-
prendre, ils s'avisèrent d'investir le matin toutes les avenues
afm de surprendre les fidelles le matin a leurs arrivée. Les sen-
tinelles des fidelles, qui etoient a la ville, ne manquèrent pas de
donner avis a l'assemblée par les flambeaux qu'on devoit sortir
a la fenêtre au cas de nescésité, mais quelques uns, malgré l'a-
vertissement, se voulurent retirer le matin; pour tout dire en
un mot, onze furent pris, tant hommes que femmes, et après
les avoir gardés quelque temps dans la citadelle de Montpelier,
finalement, ou les laissa aller, excepté deux qui furent envoyés
a Alaix du temps de la peste pour ensevelir les corps morts.
Le 22« may 1721, le dit François Roux, natif de Cavaignac,
en \aunage, se présenta pour être examiné en vie, mœurs, et
doctrine, afin d'être admis dans le corps des proposants. Le
dit Roux avoit déjà proposé dans quelques endroits, sous les
yeux des proposans, je dis des Anciens, lorsqu'il fut examiné,
et reçut dans le dit corps.
La même année, un des prédicateurs du Vivares, nommé
Mr Pierre Durand, vint en Languedoc pour assister au Sinode,
et voir le livre de nos règlements. 11 en fut si édiffié qu'il se
promit d'établir même ordre, mêmes règles et mêmes maximes
462 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
dans les églises du Vivarcs ; ce qu'il auroit fait facillement, si
les prétendus Inspirés ne si fussent opposés malicieusement.
Ayant trouvé des obstacles du côté de ces prétendus prophètes,
le dit M»' Durand auroit prié par une lettre le Sinode d'envoyer
quelqu'un de notre corps en Yivarés, pour lui donner le secour
nécessaire.
Le 22« may, fut tenu un sinode dans lequel il fût arrêté que
les pasteurs, proposans et Anciens servant les églises, exhor-
teront le peuple d'être fidelle a la couronne, de ne rien faire qui
ait le moindre soupçon de rébellion^ de ne souffrir point des
ai:mes dans nos assemblées de pieté, de prier Dieu pour le Roi
et pour tous les officiers de la couronne. Cet article fut con-
firmé dans le Sinode suivant, dans lequel on dressa les ar-
ticles suivants : le l'^'", que désormais tant ministres que propo-
sans signeront la confession de foy, dressée d'un commun
accord par les Eglises protestantes du royaume de France, et
nôtre dicipline, — le 2*^, qu'on doit faire peu d'assemblées dans
un même endroit, a cause de la triste circonstance du temps,
comme aussy de pouvoir avec plus grande facilité visiter toutes
les églises, — le 3^, que ceux qui suivronts un prédicateur
après sa démission ne seront point admis à la Ste Cène, — le
quatrième, que les Anciens s'appliqueronts davoir toujour quel-
que chose de prest dans leurs consistoires pour secourrir les
familles désolées, ou qui le pourroient être, au sujet des assem-
blées, — le 5«, que Messï's Betrine et Pierredon proposans ne
quitteroient point la Vannage de quelque temps, afin que l'he-
resie de Yesson ne passe plus avant, — le 6^, que les- fidelles
seroient priés de jeûner le premier de juin de la ditte année
1721, pour émouvoir les entrailles de la miséricorde, afin qu'il
abrège nos jour d'affliction, et qu'il nous préserve du fléau de la
peste, et qu'il soulage ceux qui en sont attaqués, et qu'enfin il
fléchisse le cœur de nos schimatiques et les ramener a leur
juste devoir, leurs faisant connoitre le tord qu'ils causent a la
religion, — le 7'% que les Anriens et tous les fidelles seront
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 463
exhortés de ne laisser point communier ceux qui seront
allés a la messe jusqu'à ce qu'ils auront donné des marques
d'une sérieuse repentance, — le 8*^ article, que ceux qui auront
juré, blasphémé le nom de Dieu, seront condamnés a donner
5 sols pour les pauvres, ceux qui auront violé, prophané le jour
du dimanche par jeux et débauches, payeront aussi 5 sols pour
les pauvres, pour toutes les paroles sales et deshonnête six de-
niers, pour chaque faute, mensonge, médisance, mocqueries, et
autres paroles condamnées dans l'Ecriture Ste six deniers. On
avoit déjà parlé dans le Sinode précédent*, mais la chose avoit
demeuré sans décision. On ètoit fort exat a faire payer ces
amandes, jusqu'à la personne d'un prêtre, savoir a la parroisse
de Vialas, ancienne de Gastagnols. M'" François Guin se trou-
vant en conversation avec M*" Bulin curé du dit Vialas, jurant
et blasphémant, Mons''Guin lui dit : « M"" Bulin, nous protestant,
avons arrêté que, pour interrompre le cours des paroles malhon-
nêtes, il faut se condamner soi même a donner quelque chose
pour les pauvres, on ne sauroit moins donner d'une piastre,
c'est a dire une pièce de six deniers. » Mons'' Bulin, curé, répon-
dit, et dit : «Cela est bon, voila la piastre. «C'est ainsy queM^^le
curé eut part a c'est article, et que ce remède fût très favorable
contre les blasphémateurs et insolants, et contre les paroles
sales et deshonnette qui n'avoient que trop de cours dans la
bouche d'un peuple qui s'etoit nourri sans pasteur, sans correc-
tion et sans dicipline.
Venons a l'an 1722. Tout ce qui se passa de plus remarquable
cette année là, est que les fidelles d'Alais, assiégés de la peste,
s'assembloient pour prier et jeûner tous les dimanches et les
jeudy, jusqu'à ce quon deffendit toutte communiquation d'une
maison a l'autre, comme ils nous en informèrent par une lettre
qui me parvint le 5" janvier de l'an 1722. Aussi deffence fut
faitte a l'ange destructeur de toucher aucune personne tle la
maison de nos Anciens.
i En marge on lit : le 7 de spptembie 1720.
464 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
Le mois de janvier, la communauté de Montaren, proche
Usés, qui avoit vécu dans une extrême tiédeur, commença a
prendre un peu de zélé : on y établit quelques Anciens qui ont
bien fait honneur a la religion. Le mois de mars, les églises de
la montagne de Bouquest furent ornées des Anciens. Sur la fm
d'avril, je fû attiré a Galvison pour la célébration de la SteCène
a des personnes qui avoient faim et soif de justice, mais dont
la conscience avoit été fort longtemps dormante, et pour l'éta-
blissement de quelques Anciens, qui furent joints aux précé-
dents.
Mons*" Puchagut se présenta pour être reçu dans la charge
de proposant, dans un Sinode qui se tint le W*^ mars; mais
ayant vu delà manière qu'on y procedoit, les peines, les fatigues,
voire même le martire qu'il falloit supporter, il se retira. Ceci
soit dit pour aprendre le lecteur qu'on ne fait pas les choses en
France avec autant de négligence qu'on pourroit se le persuader.
Dans ce dernier Sinode, il fut conclu qu'il faloit se séparer
entièrement de l'Eglise romaine et ceux qui ne se feroit pas
devoir d'y renoncer, et qui se souïUeroientdans ces idolâtries, ne
seroients points admis a la Ste Gène ; on y reçut aussi un nombre
considérable d'Anciens. Et parce que Mons»" Court se trou-
voit a Genève du temps de la peste, et tous les passages blo-
qués a ne pouvoir entrer en Lenguedoc pour me soulager, me
trouvant seul a faire les entières fonctions du ministère, je pria
l'assemblée sinodale de me donner Mons*" Rouviere proposant
pour m'assister, sans cependant qu'il touchât aux sacrements.
Ce qui me fut gracieusement accordé.
Ainsy nous partimes, le 16 avril, deNimes pour aller adminis-
trer la Ste Cène a l'église de CanauUes. Quelques Mess" de Sau-
mière blamoit les assemblées, mais ayant entendu la prédica-
tion de l'Evangile, ils voulurent aussy participer a la Ste Cène,
tant il est vray que, quand on ne voit que de loin ou parles yeux
d'autruy, ou qu'on est aveugle par un sordide interest, on n'y
sauroit voir clair; mais lorsqu'on envisage les choses de prés.
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 465
que Dieu ouvre les yeux de l'entendement, qu'on se laisse flé-
chir a la vérité, et qu'on n'y résiste pas : on juge et on parle
plus sainement. — Le 23^, nous allâmes administrerai Ste Cène
à l'Eglise de Manoblet. — Le 27^, nous allâmes rendre le même
office à celle de Gros. — Le 5^ may, nous donnâmes la même
consolation a l'Eglise de Lassale. — Le 8«, nous fîmes de même
a l'Eglise de St. Jean de Gardonnengue.
Ce qui se passa de singulier dans cette assemblée, est que
les Anciens qui se tiennent a la porte du parquet, qu'on fait
avec des pièces de bois, dans lequel parquet ils se tiennent pen-
dant la prédication, jusqu'à la célébration de la Ste Cène qu'ils
se retirent pour laisser passer les communiants les uns après
les autres ; mes ils se tiennent a la porte pour prendre garde
que personne de ceux, qui ont fait quelque actions escandaleuse,
ne s'aprochent,qu'il n'ayent fait premièrement réparation, selon
l'exigence du cas. Ceux qui se trouvent avoir fait quelque action
digne de reconnoissance publique, les Anciens les font tous
rester les derniers et venir ensembles devant la table du Sei-
gneur; la on leur dresse les exhortations et les remontrances,
selon leurs faute. Quelquefois la faute requiert de se mettre a
genoux devant la table sacrée pour demander pardon a Dieu et a
l'assemblée qu'ils ont escandalisée. Dans le temps que jefaisois
la censure a ceux que les Anciens m' avoient amenés, un homme
dont le péché étoit caché au monde, mais découvert au grand
Créateur des cœurs, sa conscience se reveilla tout d'un coup,
qui poussa cet homme a se venir mettre a genoux devant la table
du Seigneur pleurant et lamentant, confessant son péché de lâ-
cheté et d'idolâtrie. Toute l'assemblée (qui etoit d'environ deux
mille âmes) pleura. On n'entendoit que sanglots de tous cotés.
Mess's Betrine, Bonbounous, Bouvière, proposans qui etoient
avec moy, étoient de leurs côtés extrêmement émus, et pleu-
roient; j'êtois fort attendry, et certe il auroit fallu être bien in-
cencible pour n'en être pas touche de voir la repentance de cet
homme, qui de lui même vient se mettre a genoux devant la
I 30
4(36 PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS
table sacrée tout couvert de larmes que ses sanglots étoulîoienl
ses paroles, suppliant la vénérable assemblée de prier Dieu en
^sa faveur, qu'il ètoit indigne d'être admis a la table du Seigneur
et a la communion de l'Eglise.
En sortant de cette assemblée, on établit quelque Anciens
pour les Eglises de Lassalle et de St Jean. — Le lOs nous
fimes l'assemblée en faveur des parroisses de Pairolles, de
St Roman, de Sadorgues, de St Martin de Saumanne. Il ne se
passa rien d'important dans cette vocation. — Le IT*', l'assem-
j)lée fut formée en faveur des parroisses de St André de Gra-
biac, de Mouleson, des Plantiers. Il ne si passa rien de particu-
lier, si ce n'est que quelques familles divisées furent heureusement
reconciliées. — Le 24<^, l'assemblée fut convoquée en faveur de
Cassagnacetdes 4 parroisses voisines, savoirles Beaumes.St Ger-
main, St Martin et partie de St Juilban et de St Priva : l'as-
semblée etoit d'environ deux mille âmes, car bien que l'assem-
blée ne fusse convoquée qu'on faveur de 4 a 5 parroisse, il en
vint de plus de 6. Plusieurs firent réparation devant la table du
Seigneur, étant sur tout coupables du crime de lâcheté d'avoir
assisté au prétendu sacriffice de la messe ; beaucoup de per-
sonnes furent heureusement reconcilliées, — Le 27'-', nous al-
lâmes au bourg St Germain, nous ébranlâmes un peu les con-
sciences de ces temporisateurs; mais enfin n'ayant pas continué
a les frequenters, ils sont restés dans leurs criminelle tiédeur,
— Le 30*=, nous nous rendîmes au champ Domergues et l'assem-
blée fut faite, en faveur des parroisses de St Endiols, de St Frai-
sai, du Collet de Dose, de St llhaire, de St Priva, de St Michel.
Jean Hue dit Mazel, méchant schimatique, faisoit son séjour
dans ces communautés, étant soutenu par quelques ignorants.
Le 13^ juin, je fù bénir un mariage, batiser six enfans dan.-
un village qui m'attendoient depuis longtemps. Je fis encorro
une assemblée proche le Collet de Dese. — Le 24«, nous for-
mâmes une assemblée dans une grande forest, nommée le Faux
des Armes. L'assemblée etoit très nombreuse, la Cène du Sel-
PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS 46^
i^neiir y l'ut administn'e, un mariai^e béni, un enlunt l)atiz('.
jiluisieurs personnes reconcilliées. Je ne dois pas obmettre que
les Rét'orinés de la ville de Vans m'écrivirent qu'ils vouloient
donner gloire a Dieu, et que je leurs prescrivis les régies qu'ils
doivent établir. Je leurs repondis qu'ils dévoient s'établir des
Anciens qui fissent honneur a la religion par une sainte vie, et
se former un consistoire, ce (|ue ces Mess'=* firent sagement.
Ayant jterdu les mémoires du mois de juillet et d'aoust jus-
qu'au 5fi^' que nous fimes convoquer une assemblée dans une
grande forest proche Ladignant, dans la(|uelle je batisa une
lille âgée de dix huit ans qu'on avoit dérobée aux erreurs de
l'Eglise romaine, le jour précédant, j'assistat a un colo(|ue as-
semblé en faveur de l'église de Boucoiran, à loccation de quel-
ques affaires qui étoient survenues.
Et ce fut la ou je parla premièrement a M'' Court, a son ^'etour
de Genève. Mais comme il etoit malade de la fièvre, il ne me
pou voit donner grand secours.
Le 30'' septeml)re, nous assemljlames l'Eglise do Lascours. Le
jour suivant, nous assemblame l'Eglise de St Hypolite de Ca-
tau. Il ne se passa rien de singulier, cy ce n'est que deux
lionimes furent heureusement reconciliés ; il est bon d(; dire
que nous ne laissons communier jicrsonnes de ceux qu'on sait
qui sont brouilliés avec (|uel(|u'un, qu'ils ne soient première-
ment reconciliés, et nous leurs annonçons avec l' Apôtre que,
si leurs reconcilliation n'est pas sincère, ils communient a leurs
condamnation : c'est jiar la que nous disposons ceux, qui ont
quelque désirs de se sauver, a une heureuse reconciliation. —
Le \^ novembre (1722) M'" Rouvicre et moy, nous nous ren-
dîmes a la ville d'Usés ; le 8'^ du même mois, nous y assem-
blâmes les iidelles dans cette assemblée, on vit un nombre
considérable de reconciliations et heureusement calmer les pro-
cès. — Le 11'-', nous allâmes à St Laurens, i)roche St Quintin
(fort renommée par la belle vaisselle qu'il sy fait). Cette Eglise
ètoit tellerneni îombée dans les erreurs de l'Eglise romaine
468 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
qu'on desesperoit de leurs retour; cette Eglise renferme trois
parroisse très considérables, savoir : StLaurens, St Quintin, et
Fontaneche. 11 a fallu bien de peine pour les ramener des ténè-
bres a la merveilleuse lumière. Mons*" le baron de Fontaneche,
bon protestant, nous a donné des secours très considérables
pour y avoir entrée. Dieu nous a suscité ce moyen sans lequel a
peine en serions nous venus a bout. Cependant par un mer-
veilleux effet de la grâce de Dieu, on vit en peu de jours la
jeunesse instruite dans la vraye connoissance de Dieu par le
moyen des catéchismes. — Le 14®, nous assemblâmes l'Eglise
de Lussan; la dévotion finie, on augmenta considérablement
le nombre des Anciens des parroisses dépendantes du ressort
de cette Eglise. — Le 16«, on assembla tous les Anciens pour
quelques affaires surveniies, qui derangeoint cette Eglise,
comipe aussi a loccation des deniers des pauvres ; le même
jour j'envoya une lettre a St Ambrois pour voir si l'on ne pour-
roit pas établir des Anciens dans cette ville et y établir un con-
sistoire. Le Mons''a qaij'avois addressé cette lettre me repondit
que le temps et les affaires ne le permettoient pas encorre; ce-
pendant je dois dire a mon pieux lecteur que du depuis on y a
formé un bon consistoire, qui subsiste jusqu'à ce jour, le maire du
lieu ayant une femme protestante, quoy qu'il soit papiste de
naissance et gouverneur du dit lieu : il n'est pas loin du
royaume des cieux. — Le 22*^, nous assemblâmes l'Eglise de
Vendras, mais il ne sy passa rien de singuher. — Le 23^, (jueb
.ques résidus de fidelle de la ville de Bagnols, proche Usés, ayant
apris que les hdelles du Pin s'etoient assemblés pour donner
gloire a Dieu, m'envoyèrent un exprès pour me dire que leur
ville étoit autre fois une Eglise considérable, mais qu'a faute
de la prédication de l'Evangile, ces pierres mistiques s'etoient
dejointes, et qu'elles servoient a former une Eglise idolâtre. On
ne voit, médirent ils encorre, que mariages bigarés, que béni-
tiers dans les maisons, qu'empressement a se rendre dans la.
dévotion romaine. Quel remède a un si grand malheur? Je leur
PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS 469
répondit que je ne voyois point de remède plus efficace et
plus souverain, que de leur porter le flambeau de l'Evan-
gile, la lumière de la parole de Dieu; mais, comme je n'eu ni
le courage ni le loisir d'y aller, j'ay apris avec douleur qu'ils
croupissent dans leurs erreurs. — Le 29^, lassemblée fut con-
voquée en faveur de l'Eglise de Foisaac, de nuit, dans une ber-
gerie; lassemblée est la ordinairement fort nombreuse. Plusieurs
se mirent a genoux devant la table sacrée; deux hommes qui
plaidoient furent accommodés.
Gomme j'ay perdu la plus grande partie des papiers qui me
pouvoient servir de mémoires, je ne saurois suivre, mois par
mois, et décrire toutes les assemblées; d'ailleurs quilneme par-
roit pas fort nescesaire. Et je ne l'aurois pas fait,, n'etoit que
j'ay cru de faire quelque plaisir a ceux qui ont a cœur l'avan-
tage de la religion, de voir la vaste etendiie du païs ou il se con-
voque des assemblées.
Nous descendîmes a Nimes environ les fêtes de Noël. Nous
administrâmes la Ste Gène dans une chambre secrette de la
ville a environ quatre vingts personnes distinguées, et, comme
toutes les âmes afamées ne pouvoient se rendre dans un même
endroit, a cause de l'ennemy, aincy les Anciens cherchèrent
un lieu pour la consolation de ces fidelles : ils trouvèrent une
cave fort propre dans laquelle les Anciens y firent prudemment
assembler dans la nuit environ cent personnes de Mess^^s et des
dames et des personnes incommodées, qui ne sauroient aller à la
campagne sans de grandes difficultés. Les larmes que ces
âmes pieuses et dévotes versèrent a l'ouïe de la prédication, et
auprès de la table sacrée, etoient capables de toucher les cœurs
les plus endurcis.
Le 2e janvier, (1723) l'assemblée fut convoquée en faveur de
fEglise de Vauver, et des lieux dépendant du resort de cette
Eglise; l'assemblée etoit composée d'environ mille personnes.
Le 5« avril, les Anciens assemblèrent, de nuit, dans une
chambre particulière, les personnes distinguées de la ville
470 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
(VUsHS qui no sauroinnt grimper, la nuil, dnns los Desort, et, la.
nous leurs administrâmes la Ste Cène, les Anciens faisant le
j^uet a la porte des cazernes et du commendant, afin que. si les
soldats fassent sortis, de nous pouvoir ôter de devant. — Le
15®, nous nous rendîmes a Bagard.— Le 10', nous finies une as-
semblée en faveur de trois Eglises, savoir: d'Enduze, de St Sa-
batian, et d'Alais. D'ordinaire les assemblées sont fort grandes
dans cette place. Si c'est le dimanche, (en) plain jour, il y a
2,000 âmes. — Le 5" may, nous allâmes aBrenous. Le 9e,nous
fîmes assembler les fidelles des communautés de cette Eglise, la
nuit, dans un ruisseau. — Le 20^ may, nous assemblâmes en
Sinode les prédicateurs et les Anciens dépendant des Sinodes
de la montagne.
La question affligente qui entretint un fort longtemps l'as-
semblée sinodale, ce fut de ne pomt se marier dans l'Eglise de
Rome. Le dessin est très bon, mais lexecution difficille, lors-
qu'on n'est pas soutenu par le magistra, ou plutôt que le ma-
gistra fait la guerre et persécute la personne lidelle. La chose
fut pourtant décidée de ne point se marier dans l'Eglise romaine,
et principalement a cause des abjurations horibles exigées par
icelle. Il faut donc se delil)erer de faire la volonté de Dieu do
sortir de la Baljilonne, et les prédicateurs de se faire devoir d'y
exhorter le peuple, montrant a la jeunesse la nécessité de gar-
der la pureté de la foy et l'innocence, sortir du royaume, ou bien,
si l'on veut rester, se marier par ceux qu'on reconnoit pour ses lé-
gitimes pasteurs, sans avoir égard ni a la confiscation des biens,
ni aux misères de la vie, ni aux emprisonnements, ni en un
mot a toutes les peines que l'Eglise romaine indigent a ceux
qui ne veulent pas ansencer a la bete.
Le 24*^ may, nous assemblâmes les fidelles a la haute monta-
gne du Bougés. Lassemblée fut fort nom])reuse, deux familles y
furent reconcilhées. Après qu'elle fut congédiée, Monsi' Court,
qui se rencontra dans cette assemblée, en consultant ensembles,
nous jugeâmes que, pour éveiller les consciences endormies
PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS 471
d« Laiisèro, il nous falloif, preiidro, l'an \i\ rouKo du ]ionl, do
Montvert,de Racoullés, do Fraissinot, do Laljrousse^ ot l'aulre du
coté de Cassagnias, de Si Privât, de St Fraisai et de Gastagnol,
Mons'' Court prit avec luy M'" Rouvière ayant la connoissance
du terrein, et moy je pris Mons^ Bonljounous ; le rendes vous
. fut donné, en nous quittant, de nous trouver tous dans une as-
semblée que je me chargeât de convoquer au Feau des Armes, qui
est une forestimpenetraljle, le dimanche procliaui. Chacun de-
voit faire deux assemblées dans la semaine étant assisté par le
secour céleste. Ce que nous fimes grâce a Dieu. Le diman-
che 31*^, nous fumes tous au rendés-vous ; l'assemblée fut
formée, elle etoit d'environ 2,000 âmes, quatre mariages furent
bénis, un garçon batisé; après que l'exercice de piété fut achevé
et le peuple congédié, Mons^^ Rouvière et moy nous embras-
sâmes les frères M'^ Court et Bonbounoux, qui partirent pour le
Lenguedoc, et Mons^ Rouvière et moy, nous allâmes batizer quel-
ques enfans qui m'attendoient, et bénir quelques mariages dans
les Gevenes du cotédeGenolhac. — C'est ainsy que nos Eghsesse
for tifioient dan s nos montagnes, et que les prêtres perdoient toutes
espérances de voirjamais la religion protestante rangée dans l'E-
glise romaine, comme ils se l'etoient promis en l'an 1685.
Dans le mois de septembre, M. Rouvière et moy nous allâmes
en Vivarés, nous y assemblâmes les prédicateurs, avec un nom-
bre considérable de personnes distinguées qui ont du zelle et
de la pieté ; après avoir imploré le secours de Dieu, et repré-
senté la nécessité d'un ordre dans l'Eglise et que ces Mess''''
en urent convenus, nous rengeames les parroises en Eglise,
comme en Languedoc, savoir : la paroisse d'Agoù, la paroisse
du Gag, et sa voisine, font une Eglise, ainsi des autres. La mé-
moire ne me fournit pas combien il y a d'Eglises dans le Yi-
varés ; toutefois il me semble qu'il y en a 24. Après les Eglises
formçes, Mess''** les prédicateurs du Vivarés prièrent M. Rou-
vière et moy de faire une assemblée dans toutes leurs Eglises
pour établir des Anciens dans tous les vilages et paroisses qui
412 PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS
formoient leurs Eglises, ce que nous fîmes heureusement. C'est
ainsy que Dieu forma les Eglises du Yivares qui se fortifient
tous les jours. Nous avons dit qu'on a pratiqué les mêmes
maximes à rétablissement des Eglises du Languedoc, je ne
suis pas bien informé comment M. Roger a réglé celles du
Dauphiné, et s'il aura suivi le modelle que nous avons poséen
Yivarés et en Gevenes.
On ne trouvera pas mauvais que je marque icy que, le
l^'' mars 1724, quelques fidelles de la parroisse de Vais (ou les
sources d'eaux minérales sont si renommées) étant informés par
leurs parents qu'on faisoit des assemblées dans les Boutières,
ils s'y rendirent un samedy au soir (et c'est endroit est trois
grandes lieues du dit Yals). Ces pauvres fidelles se trouvèrent
dans lassemblée que nous avions convoquée, et à la fin de la
dévotion, ils me tirèrent à part et me dirent en pleurant : « Nous
sommes de trois lieues d'icy, de la parroisse de Vais, paroisse
où autrefois il y avoit un temple et environ trois milles commu-
niants, mais étant depuis si longtemps sans pasteur et sans
sacrements et tout environnés de papistes , tout le monde
tombe dans l'idolâtrie et dans le dérèglement; si vous vouliés,
cher pasteur, nous faire la grâce de passer chés nous, vous ne
pouriés jamais faire une plus grande charité. » Ce résonnement
me toucha, je me rendit le lundy, et lemardy je les pria de for-
mer une assemblée. A peine purent ils trouver 40 personnes de
confiance. Lacté de dévotion fini, on me pria de leurs donner
une seconde prédication, que le nombre s'augmenteroit; mais
je me douta que l'ennemi s'en aperçu et qu'on ne fît des prison-
niers, ainsy je me contenta d'écrire aux prédicateurs du Vivarés
d'y faire quelques visites, comme plus proche que ceux du Len-
guedoc. Du depuis, j'ay appris avec joye que cette communauté
commence a se reveiller et de donner lieu aux prédicateurs d'y
faire quelques visites.
Pour abréger, le mois de may je fus à Montpelier, pour com-
battre la tiédeur, mais comme il n'y a ny ministres, ny propo-
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 473
sants, ny assemblées, ny sacrements, ny discipline, la corrup-
tion y est grande, les préjugés funestes, autant de personnes a
qui je parlois, autant de religion je trouvois; il y a une crasse
ignorance, quelques uns sont de la religion parce seulement
que leur père et mère en étoient; dailleur, la jeunesse élevée
dans l'Eglise romaine n'ont pas de grandes lumières pour di-
cerner le vray d'avec le féaux, les préjugés de l'enfance sont
ordinairement très dangereux, et fort succeptibles en fait de re-
ligion; aincy l'intérêt, l'amour, l'amlfition sont des motifs assés
capables de les faire tomber dans l'erreur; mais grâce à Dieu, il
n'en est pas de même dans les lieux ou les assemblées sont fré-
quentes, et les catéchismes en usage, et la discipline établie : la
connoissance est beaucoup plus considérable, et les mœurs in-
finiment plus sages et mieux réglés, et la religion établie.
A mon retour de Montpellier, Mons»" Maroger, natif de
Nimes, me vint trouver pour me déclarer son sentiment sur le
dessin qu'il avoit de se consacrer pour le service des Eglises. Je
l'exhorta d'augmenter ses lumières et ses connoissances pour
être capable de pouvoir soutenir lexamen en présence des An-
ciens, et des prédicateurs; je lui représentai les peines, les du-
retés, les contradictions, et le martire, auquels on sexposoit en
embrassant ce party : rien m'intimida Mons'' Maroger, ce qui
me donna lieu de croire qu'il étoit apellé de Dieu. Il resta quel-
ques jours avec moy, dont l'humilité et la pieté m'étoit fort
agréable. Il est âgé d'environ 24 ans, et il fut reçu dans la
charge de proposant environ un an après, à la grande joye et
consolation des fidelles.
Je n'ay point de mémoires qui fassent mention des choses re-
marquables de cette année 1725, et de la suivante, si ce n'est que,
le 28« juillet, ayant convoqué une assemblée dans le bois de Sour-
lieres, montagne de Legoual, le matin à l'aurore du jour, un
détachement de soldats de la garnison de St André y parut au
Golsaly des environ, un quart de lieuë de l'assemblée ; mais une
montagne et un bois nous mettoient à couvert. Notre assem-
474 PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS
hlno, sachant ronnemi si près, commençoil de s'allarmer. Les
anciens, qui faisoient guet, observoient toutes les démarches dos
soldats, nous envoyèrent de nous rassurer, (ju'ils voyoient lùon
que les soldats étoient incertains d'une assemblée, que cela
parroissoit par la démarche qu'ils tenoient, et en eiïet, un mo-
ment après, on nous raporta que les soldats s'étoient retirés.
Ainsi notre dévotion se fit avec des ardantes actions de grâce;
cecy soit dit pour nous rappeler un vif souvenir, combien on
est heureux de trouver dans un lieu ou lont peut servir Dieu
sans crainte de l'ennemi.
Le 13e septembre, le Sinode des Cevenes se tint. Mons»' Rou-
viere que nous avions député dans le Dauphiné et dans le Vi-
varés, pour assister au Sinode de ce pais la, il fut de retour avec
les députés de ce Sinode, qui dévoient se rendre au nôtre des
Gevennes, savoir : Mons'" Roger ministre, député du Sinode de
Dauphiné, et M^ Durand, alors proposant, député du "Vivarais.
Ce fut dans ce Sinode qu'on traita une étroitte alliance, et qu'on
dressa des règlements pour serrer d'avantage cette étroitte
union. Yoicy quelques uns des règlements qui furent unani-
mement dressés. En premier lieu , que le Languedoc ne
recevroit point de proposants dans le plain ministère, sans le
consentement des ministres du Dauphiné et du Vivares, et, quoy
réciproquement le Dauphinés et Yivarés ne recevront point de
ministres sans laprobation du Lenguedoc, Ce qui a donné la
naissance a cet article, cest qu'on a douté que la nescésité et la
complaisance ne mit le sacré ministère entre les mains de
personnes indignes de la manier. Secondement, que nous se-
rions tous attachés aux 40 articles de la confession de foy, en un
mot, que nous aurions même doctrine a l'égard des dogmes,
même discipline, et que nous nous donnerions mutuellement le
secours nescesaire dans tous les cas de nescésité, sans qu'il y
ait jamais rien qui put avoir le moindre air de rébellion contre
le Roy.
Yoicy un événement, singulier qui arriva le T)'" mars 17'25.
inÈCES ET DOCUMENTS INEDITS 475
.Tavois faif, convoquer une assemblée, proche de Coulougnac,
dans la nuit. Nous fumes découverts par un soldat qui derohoit
dos choux dans un jardin, lequel connut par la démarche du
peuple, qu'on faisoit une assemblée. Ce soldat crut que cette
dernière proye seroit plus considérable que la ])remiere ; il se
rendit avec avidité chés son officier pour lui reveller ce mistere.
L'officier, ravit d'aprendre un tel gibier, fit promptement armer
tous les chasseurs pour courrir dilllgement a la suitte. Notre
sentinelle qui les guettoit ne man({iui pas de nous en prévenir,
et nous finies dilligence pour nous ôter de devant, ce qui nous
servit d'un fidelle garant. Cet événement marque bien quelle
est la faveur d'un peu]de qui peut aler en triomphe a la maison
de Dieu et les divers moyens dont Dieu se sert pour conserver
ceux qui sont sous la croix.
On ne trouvera pas étrange que je rapporte icy que je fus
appelé par les Anciens de l'Eglise de St-Hipolite de la Plan-
quette pour y administrer la Ste Cène a 40 Mess^^s et Dames;
mais les Anciens furent fort trompés, puisqu'au lieu de 40,
nous fumes passé six vingts personnes, ce qui nous apprend
que ceux qui convoquent des assemblées, ne sont pas toujours
les maitres, et qu'il n'est pas fort facille de conduire un peuple
composé de bons et de mauvais. Lyvroye fait toujour beaucoup
de mal au bon grain, comme cela parroit par un événement ar-
rivé le 22*^ avril 1727. Mons'' Roussel proposant, me pria de me
rendre dans un colloque tenu le même mois, pour calmer quel-
ques divisions, survenues aloccation de quelques prétendus In-
spirés. Je m'y rendis et j'employa tous mes soins; le bon Dieu
me fit réussir et bénit mon charitable travail. Mais je puis pro-
tester qu'on ne sauroit trouver des personnes plus inraison-
nables que ces prétendus Inspirés; ils se servent des Ecritures,
mais ils les explifiuent et appliquent si mal, (|ue cela fait pitié
de voir comme ils ont l'audace de profaner les misteres sacrés.
Voicy une autre chose admirable arrivée au Faux des Armes,
montagne de Lozère, dans une assemblée convoquée pour la
476 PIECES ET DOCUMENTS INEDITS
célébration de la Ste Gène. Une Dem"e marchande se présenta
a la table sacrée. Un Ancien lui dit qu'elle avoit assisté, il n'y
avoit pas beaucoup de temps, au prétendu sacriffice de la messe ;
alors je lui demanda si elle y vouloit renoncer pour jamais, a
quoy elle me repondit quelques paroles basses, ce qui me rendit
comme Elle extrêmement jaloux pour la gloire de l'Eternel. Et je
parla à ladite demoiselle d'une manière forte, en sorte qu'elle
fut fort consternée, et demeura la comme immobile. Quelques
Anciens me dirent de la consoler, quelle etoit déjà fort humiliée,
et de la recevoir à la Ste Gène. Je répondis qu'il s'agissoit de la
gloire de Dieu, et qu'on ne pouvoit point lâcher ses interest, et
que cy la dite Dem'i<^ nerenonçoitala Babilonne mistique, l'en-
tichretienne, elle ne pouvoit pas être reçiieàla Ste table du Sei-
gneur. La Demoiselle saprochant de la table sacrée, dit qu'elle
n'y retourneroit jamais, et de prier Dieu en sa faveur qu'il ne
l'exposa point aux tentations. Ainsy elle fut reçiie à la Ste Gène,
en faisant entendre a toute lassemblée qu'on ne peut joindre
Ghrist avec Belïat, et le temple de Dieu avec le temple des
idoles.
Dans une autre assemblée, se présenta aussi une Demoiselle
inconnue aux Anciens de l'Eglise qui président a l'assemblée,
et l'arrêtèrent, parcequ'il y a un article dans nôtre dicipline
que chacun doit communier dans son Eghse ou porter un bilhet
du consistoire de son Eglise. Les Anciens arrêtèrent donc au-
près de la Ste table cette Dem"e^ lui demandant de quelle Eglise
elle étoit. LaDem"*' toute tremblante repondit quelle étoit native
de St Juilhan, en Gevene, et mariée au Port St Marie, environ
60 lieues du dit St Juilhan, avec un papiste, mais qu'elle avoit
toujours conservé dans son cœur la pureté de la religion refor-
mée, qu'il y avoit fort longtemps qu'elle n'avoit point souillé
son ame dans l'idolâtrie, qu'elle avoit des excellens livres de nos
docteurs, anciens et modernes, et, qu'ayant apris qu'on faisoit
des assemblées en Gévenes, elle y étoit venue pour communier.
Gomme elle finissoit ces paroUes, voila l'Ancien de l'Eglise de
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 477
StJuilhan, a qui étoit recommandée, qui s'aprochaet qui confirma
ce qu elle avoit dit; ainsi elle fut reçue a la Cène du Seigneur,
après avoir promis qu'elle n'iroit jamais plus à la messe, car
nul serviteur ne peut servir deux maîtres. On peut aisément
conclure de ces deux dernières aventures dequelle manière se
conduisent les Eglises qui sont sous la croix, et comme Dieu
conserve quelquefois la foy de ses élus au millieu des infi-
delles, comme est arrivé a cette dernière Dem'^<^ nommée
Gabrielle Castaide.
Une assemblée étant convoquée proche Gange, en Gevene, la
nuit, dans un ruisseau, les niies se brouillèrent, de sorte que la
pluye, les éclairs et les tonnerres, étoient si forts qu'il sembloit que
le ciel se fendoit. Pareil cas nous arriva le premier juin 1727 a la
montagne de Losere:ilestvray quela seconde fois c'é toit de jour;
cinq dimanches de suite nous fumes exposés a souffrir la pluie,
mais le dernier dimanche il pleuvoit si fort, pendant le temps de
la dévotion, et n'ayant autre couvert que le ciel, jugés, lecteur,
de quelle façon nous fumes moiiillés. Au moins je puis dire que
je sentois couUer l'eau, le long de lépine du dos et de ma che-
mise. Qui ne voit la peine qu'il faut souffrir pour trouver la pa-
role de Dieu, et heureux encorre si Ion etoit dans un Désert en
sûreté ! Cependant, je n'aperçois jamais la dévotion plus vivo et
plus ardente, que quand on se trouve dans ces extrémités.
Voicy la découverte de quelque lieux qui nous étoient incon-
nus. Le 29^ de juin de lan 1727, en sortant d'une assemblée que
j'avois fait convoquer a la haute montagne de la Lusette, d'en-
viron 2,000 personnes, dans laquelle Mons^' Court, Mons»" Bon-
bounoux etM>* Roussel proposants de ces Eglises se trouvèrent,
— je fus a Cornus, à St Jean de Bruel, et St Félix, jusqu'à St
Afrique. A ce dernier lieu, je n'étois pas inconû, puisque j'y
avois été autrefois. Je serois passé volontiers jusqu'au pont de
Camarès si l'on ne m'eut pas dit que les fidelles du pont du dit
Camarès m'attendoient avec impatience. Je me doutta d'abord
qu'un zélc inconsidéré pourroit jetter ces fidelles dans un dan-
478 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
ger inévitable, que les ennemis s'en apercevroient , cL qu'ils
feroient beaucoup de prisonniers; ainsi je m'en retourna sur
mes pas. Il est bien vray que M'" Maroger y ètoit passé quel-
(]ues mois devant moy, et quemème y avoit établit des Anciens,
mais ce ne fût (]u après avoir souffert l)eaucoup de iieines et
beaucoup de duretés et de refus. Ce qui se passa deremarqua])le
dans cette nouvelle découverte, se fut de voir des gens (|ui
avoient refusé méchamment toute voye de reconciliation, tant
la haine et l'animosité étoient implacable, qu'ils vinrent eux-
mêmes s'humilier devant la table sacrée et se reconcilier heu-
reusement. Yoilà l'excellent fruit delà prédication de l'Evangille,
comme dit l'Apotre; le bon plaisir de Dieu est de sauver les
âmes pour la prédication de l'Evangile.
Les Sinodes des Gévenes de cette année la se tint le 1"2'' sep-
tembre 1727. Les députés de la Guienne et du Rouergue s'y
rendirent avec une lettre de remerciements, de ce que nôtre
corps leurs avoit envoyé un proposant ; secondement, ils présen-
tèrent une requête a l'assemblée sinodale, pour la prier de vou-
loir bien leur donner un pasteur et un proposant pour le service
de leurs Eglises; ce que nôtre assemblée leurs auroit volon-
tiers accordé, si les Eglises du Lenguedoc ne se trouvoient
dans une si grande nécessité ; mais n'ayant pour le présent que
deux pasteurs, elles ne sauroient s'en passer, sans grande jjerte.
Ainsi lut délibéré, a la requête de Mess, de Rouergue et de la
Guîene, de leurs envoyer nôtre très cher frère Mons^ Maroger
proposant, et que les pasteur leurs rendroient quel(|ues vii-ites.
Il fut lu une lettre de Mons*". Rogert, ministre en Dauphiné,
de leurs envoyé un député de notre Sinode, selon nos règle-
ments, pour se rendre a leurs Sinode. Comme le nombre des
pasteurs est a presant fort petit, l'assemblée sinodale jugeât
])on d'en dispencer les pasteurs par des grandes raisons, mais
d'y envoyer un proposant avec un Ancien. — Voila tout ce
que la mémoire me fournit de la tenue de ce dernier Sinode.
Le 52*^ octobre de la même année 1727. j'ui-sista à un roloque
PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS 479
que M. Combe, natif de St-Germain de Galberte, proi);)sant
dans nos Eglises, avoit convoqué, et qui m'avoit écrit de m'y
rendre. Tous les Anciens de l'Eglise de Losère s'y transpor-
tèrent. Après la lecture de l'Ecriture sainte et la prière , j'in-
terrogeat les Anciens , ce qu'ils avoient a dire touchant leurs
villages, soit a l'égard de l'Eglise en gênerai; cela fait, on vint
a parler des galériens et prisonniers et fût délibéré d'envoyer
a nos pauvres frères de Marceille 121(ivres) et a nos sœurs de la
tour de Constance a Aiguës Morte 41(ivres).Onconnoitaiséement
par cette petite somme, quelles sont les forces et les moyens de
nos pauvres Eglises, leurs forces ne s'étendent pas l)ien loin et
leurs moyens sont fort bornés, il y a bien plus de volonté a
secourir les frères que de moyens a le pouvoir faire.
Voicy une avanture de remarque et qui nous aprend de quoy
est capa])le la peur et surtout lorsqu'elle est emparée de nos
cœurs. Le 15^ novembre 1727, l'assemblée fut formée la nuit
dans une maisonnette de laquelle on se sert pour sécher les
chatagnes, dans un bois proche de nos formidables ennemis.
L'Assemblée étoit formée en faveur des i)aroisses de St-Mar-
tin, et de la Mialouze, du Castagnet, de Déze. Comme la mai-
son étoit petite on pria les Anciens de ne mener que des com-
muniants; mais bien qu'on eut enjoint à ceux qui faisoient la
fonction des cloches de ne mener qu'un petit nombre, il en vint
beaucoup plus que la maison ne pouvoit contenir. Mais la peur
y pourvu. C'est que les deux sentinelles virent 4 hommes, avec,
chacun, un flaml)(>au a la main pour s'éclairer : à la vérité c'è-
toit des ennemis, mais qui ne pensoient point à nous. Nos sen-
tinelles se donnèrent peur; ils leurs parût que ces flambeaux
venoient à nous; bien qu'il ne fut pas vray, ils vinrent donner
l'alarme a l'assemblée; je sortis promptementpour voir de quoy
il s'agissoit, j'aperçu ces quatre flambeaux, et je dis aux An-
ciens : ces flambeaux suivent le ruisseau, et ne croyés pas que
l'ennemi vint avec de la lumière pour nous surprendre, calmés
vous et ne faittes pas du bruit. Si cependant une partie de Tassem-
480 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
blée s'enfuit, et la maison qui étoit trop petite fut assés grande :
ainsi les restans nous achevâmes heureusement nôtre dévo-
tion; le lendemain les fuyards se reprochoient leur lâcheté.
Le 30^ du dit mois de novembre, nous célébrâmes le jeune
dans une assemblée d'environ trois mille âmes. Ce qui donna
lieu a rendre cette assemblée si nombreuse, fut trois choses : la
première que Mons*" Boyer proposant fit venir les fidelles d'en-
viron deux lieiies , la seconde que la place, ou l'assemblée étoit
convoquée, favorise divers endroits et des bourgs considé-
rables, comme Enduze, la Salle, St-Jean; la 3« c'étoit un di-
manche, et jour de jeune, par aincy une dévotion extraor-
dinaire.
Pour faire mieux sentir la misère des Eglises persécutées
dans les lieux ou règne le fils de perdiction, il faut raporter icy
ce qu'arriva le 14« mars de l'année 1728. Je fis convoquer
une assemblée a la haute montagne de la Lusette, lieu qui favo-
rise divers fidelles, ou il se fait des assemblées de deux mille
âmes. Le samedy au soir, la veille de l'assemblée, il se leva un
vent, si fort et si froid que l'eau glaçoit sous les pieds, ce qui
fit que dans cette haute montagne, ou il se fait des assemblées
si considérables, il ne se rendit qu'environ mille âmes qui for-
cèrent contre le vent impétueux. Je leurs exposa la prédication
que j'avois méditée, mes hélas ! a tous moments le vent me fer-
moit la bouche, et me coupoit la parole. Ah! qu'on est malheu-
reux de se trouver dans un lieu ou l'on ne peut prier Dieu,
qu'au risques des galères et de la mort même, — ce qui jette les
réformés des Eglises qui sont sous la croix dans la terreur et
dans la crainte, comme cela paroit par un événement que je va
rapporter. Le 21® mars de la même année 1728, après avoir fait
une assemblée pour la communauté de la ville et paroisse de
Mairaix dans un Désert, je fus attiré par les Anciens dans la
ville, pour la reconcilliation de quelques familles distinguées
qui étoient fort divisées. Estimant que mes paroles feroient plus
d'impression dans l'esprit de ces personnes, le 24® du dit mois
PIECES ET DOCUMENTS INÉDITS 481
les Anciens requirent que j' administrât laSte Gène aux Mess^^^
et Dames de cette ville qui le demandoient ardemment et que
c'étoit le grand moyen pour les reconcillier, ce que nous fimes
la nuit dans une chambre de leur ville ; les personnes divisées
se reconcilièrent heureusement, a la grande consolation des
Anciens, et a la salutaire édification de l'Eglise. Voila nos
Mess" et nos Dames pénétrés d'une grande joye, mais cette
joye fut deux jours après interrompiie par une terreur panique,
en ce que le 26« mars du susdit mois, le fils de Mons»" De Jean,
commandant d'une petite garnison de St André, fut a Mairaix
étant venu accompagner le curé de la ditte ville. Ces Mess",
Dames et Demoiselles se mirent dans fesprit que mon Dejean
étoit la pour faire des perquisitions de l'assemblée qu'on ve-
noit de faire, ils m'envoyèrent trois exprés consécutifs pour
m' en gager a fuir pour aincy dire tout le pais. J'aurois en effet
pris la fuite, n'étoit que, deux jours média tement après, je de-
vois me trouver a la grande forest de la haute montagne de
Lagoual, dans une assemblée qu'un proposant et les Anciens de
trois ou quatre parroisse nous avoient donné rendes -vous de
faire pour la célébration delà Paqiie chrétienne. Ors la commu-
nauté de Mairaix sont terres touchantes avec celles de la Vale-
raugue, de St André, du Bassorez; en un mot la grande forest
de Lagoual dépend de plusieurs paroisses, et de plusieurs di-
rectes. Lalarme de Mess^^^ de Mairaix ne se donna point dans
mes cartiers et n'entra point dans mon cœur; ainsi je ne quitta
point leurs terres, mais je me retira dans un désert ou je me
sentois bien que j' étoit, avec le secours de Dieu, en toute sû-
reté : quelques jours après, les Mess" et Dames de Mairaix
avoient douleur dâvoir manqué de venir a l'assemblée du di-
manche et honte de s'etres épouvantés sans sujet.
Apres cette assemblée de l'Egoual, je m'achemina pour me
rendre du coté de Nimes parce que le temps du Sinode alloit
tomber, que nous avoins arrêté M"" Court et moy de le tenir
le6avrill728.MaisquandjefusprocheEnduze,endessendant,je
I 31
432 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
trouva uiilidellequime dit : «Ne passés pas dans la ville, car on a
fait la nuit passée une exatte recherche a deux maisons, croyant
de trouver quelqu'un de nos chers frères, nos ennemis mar-
choient avec un air furieux et un aparel cruel, la bayonnette
au l)ut du fuzil. » Ce qui me donna lieu de passer hors la ville.
Mons^ Combe proposant qui se trouva dans la ville, mais non
pas a la maison qu'on cherchoit, ne fit pas le paresseux à sortir
de la ville. Le Sinode se tint donc le 6 avril 1728. Il ne s'y
passa rien qui mérite d'être inserré dans cette Ijriève relation,
si ce n'est que Mons»' Betrine avoit demandé congé pour six
mois et puis il en prit dix-huit pour aller étudier à Genève, au
bout d'un an on le pria de venir, mais il crut que ses études le
dispençoit d'un si prompt retour, cependant M'' Betrine fut
rendu le 6^ avril, il se présenta au Sinode et reçut les sençures
que lassemblée sinodale crut être en devoir de lui faire : ainsi
il continua dans sa charge de proposant. Par ce dernier événe-
ment on conçoit aisément qu'il y a une discipline qu'on exerce
contre les deliquants et les rebelles. Ainsi je finis mon histoire,
en laissant diverses choses arrivées dans les assemblées, dans
les coloques, dans les Sinodes , dans lesquelles on poarroit
aiséement voir la sagesse de Dieu dans la conduitte de son
E"-lise et en tirer des conséquences admirables; mais cela
auroit rendu l'histoire extrêmement longue, ce qui auroit été
contraire à mon dessin qui est de faire un petit abrégé des
choses passées en Lenguedoc, ne parlant que très peu du Dau-
phiné et de la Guienne.
Si quelqu'un souhaite une relation moins circonstanciée, jc
le prie de me le faire savoir, on pouroit les satisfaire tant de la
Guienne, du Daupliiné, que du Lenguedoc, et surtout me trou-
vant porté sur le lieu. Le Seigneur veuille avoir pitié de son
EgUse affiigéje et mettre fin a nos tribulations, et nous donner
la précieuse liberté de le servir, sans crainte de nos ennemis, tous
les jours de notre vie. Amen.
Le 14^^ juin 1728.
PIEGES ET DOCUMENTS INÉDITS 483
APPENDICE
Si quelqu'un souhaittedc savoir lo noml)re des parroisst^s (jui
ibrmont les Eglises des Gevenes de la montagne de Losere, les
voicy : 1 Gange, 2 Sumaine, 3 la Rivière de Vis, etc., etc. Ces
douzes dernières Eglises forment le Sinode de Losére, savoir :
les Anciens de chaques Eglises étant asemblées en colloque y
font deux deputtés pour se rendre au Sinode, pour y rapporter
les choses et y être décidées.
Voicy une aventure railleuse.
Environ lan 172G, le prêtre de Gardet chantant dans une mai-
son, un soldat de la garnison de Ladignant, layant entendu, il
crut que c'étoit une assemblée, il s'encourut promptement a son
capitaine qui ne manqua pas d'y aller incessamment avec un fort
détachement. Y trouvant le prêtre, le prennent et le conduisent
en prison a Ladignant, se forgeant dans la tête (|ue c'étoit un
ministre déguisé en prêtre, le pauvre prêtre bien affligé de se voir
lié et attaché, et surtout de le prendre pour un calviniste, lofficier
qui ne se vouloit pas détromper. Gomment faire? il falut avoir
recours au témoignage des consuls et habitants de Gardet, qui
sont tous des reformés, pour desabuser l'officier, et lassurer
que le prêtre est bon serviteur du pape.
On n'a pas rapporté ici la recejjtion des ])roposants dans la li-
berté de prêcher sans toucher aux sacrements, dont l'examen est
fort cdiiiant, de même que l'exhortation qu'on leurs dresse, qui
est en particulier de ne point embrasser ce party, s'ils ne sont
disposés a soulTrir toutes les duretés, toutes les peines, voire la
mort même, non seulement avec patience, mais aussi avec
»1 0 n'ai rien dit de la réception au St ministère de M*" I)urand,
du Vivares, environ l'entrée du mois de may 1720. Pour faire
cette réception, après un examen de deux jours en présence des
proposants et d'un nombre d'Anciens des itlus experimantés,
on avoit donné a Mons'' Durand deux textes, un de théoioaic
484 PIECES ET DOCUMENTS INEDITS
et l'autre de morale. Le premier jour, il exposa un sermon qu'il
avoit fait sur un de ces textes et fit la lecture de l'autre qu'il
avoit aussi fait sur le texte qu'on lui avoit donné, le reste de ce
jour avec le second fut employé à l'examen de la doctrine, a lui
faire des questions sur la créance et sur les dogmes de la reli-
gion. Ayant répondùt d'une manière satisfaisante, il fut reçu, le
soir, dans une assemblée fort nombreuse.
Je n'ay pas non plus parlé comme dans le Lenguedoc, il y a
des écoles pour la science de la musique. L'hyver dernier 1727,
il y avoit une école a Losere, une a la parroisse de Yialas, an-
cienne de Cartagnol, une a Sadorgues^ une a Pairoles proche
St. Jean, une a Anduze, Mons^" Fauché a présent réfugié a Zu-
rich a fait aussi quelque temps cette pieuse fonction, avec beau-
coup dedification, a la ville de Nimes, et a rendu de charitables
visites aux malades , lors qu'il y a été employé, le tout a lab-
sence et a lincu des catholiques romains.
Je crois de pouvoir dire icy que le chantre et les ecolliers de
la parroisse de Pairolles,en sortant de dire leur leçons, se ren-
dirent dans une chambre, dans laquelle Mons»" le prieur de la dite
parroisse êtoit dans un lit pour se reposer, mais mcomïo. Les mu-
siciens parloient de leurs musique, de leurs psaumes, de leurs
prédicateurs, de leurs assemblées, enfin la matière de leurs en-
tretient rouloit sur ce sujet, n'apercevant pas Mons»' le prieur,
caché dans les rideaux du lit. Gomme cette jeunesse étoit sur
le point de partir, voila Mons'' le prieur qui sortit du lit et leur
dit : «Hé bien! Mess^'^, vous aprenés la musique des psaumes. »
Cette pauvre jeunesse fut bien consternée. Mons'' le prieur prit
encore la parole etleurdit: «Etmème parce que j'en ai entendu,
vous ne la savés pas a fond la musique, » Et se mit a chanter
avec eux queques versets, disant que c'est ainsi qu'il faut chan-
ter. Alors la jeunesse lui dit : « Mons^' le prieur, vous nous fériés
bien plaisir de nous l'aprendre, a quoy il répondit: «Je m'en
garderai bien, vous vous vanteriés que vous l'avés aprise de
moy. »
PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 485
Je ne crois pas faire un mal de raporter un aventure arrivée
environ le mois de septembre 1726, entre Briou et Moulhiere.
Mons^ Maroger et moy nous avions convoqué une assemblée
d'environ 2,000 âmes : la place de l'assemblée favorise 4 a 5 vil-
lettes, savoir Homessas, Moulhiere, Briou, Aulas, le Viguan.
Les fîdelles de cette dernière ville, en venant a kssemblée, trou-
vèrent en leurs chemin, a l'entrée de la nuit, trois de nos enne-
mis qui connurent bien qu'on alloit a lassemblée ; un de ces
trois étoit le frère de M*" Daudé, juge criminel du Yigan, qui ne
manqua pas de l'aller dire a son frère, Mons"" le juge dit cela a
son frère, parce que les Gamisards ont tué leur père, qui étoit
cruel et méchant contre les protestants. Mais cette exhortation
ne fit aucune impression dans l'esprit de M. Daudé qui avoit
trouvé les reformés allant a l'assemblée, de sorte qu'il s'en fût
parler au capitaine des dragons ; le capitaine prit un détache-
ment de dragons et mit Mons^ Daudé a la tète ; ils mar-
chèrent ainsi jusqu'au pont d'Andou, ou le capitaine dit a
Monsr Daudé : « Hé bien ! ou faut il passer pour aller voir et
prendre ces assemblées ?» A quoy il répondit : « Je ne sai pas
positivement ou ils sont. « Alors le capitaine s'emporta et in-
juria M»" Daudé de l'avoir fait sortir avec ses soldats, sans savoir
ou aller; ainsi le détachement s'en retourna au Viguan. Nos
sentinelles ne manquèrent pas de nous informer du départ des
soldats du Viguan, ce qui nous donna lieu de renvoyer l'assem-
blée par un chemin couvert de nos ennemis. Je ne dois pas ob-
mettre que le dit Mons^ Daudé qui avoit conduit le détachement
au pont d'Andou, fut attaqué le jour suivant par une Demoi-
selle avec qui M»" Daudé avoit beaucoup de confiance, qui lui dit
en ces termes : « Monsieur, vous avez découvert une assemblée,
vous avés été a la tête d'un détachement; je ne donnerois pas
six deniers de vôtre vie. Vous savez ce qui a attiré la mort de
Monsieur votre père; vous vives au milieu du même peuple; il
faut certe que vous soyés bien las de vôtre vie; et qu'el avan-
tage vous revient-il de détruire des gens qui ne vous font point de
486 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS
mal?» Alors Mons»'Daudé fut fort épouvanté et tout tremblant; il
(lit : « Mademoiselle, je m'en repent, et je ne Tai fait que par le
conseilde Mons>'Fimel, prieur d'Aulas, mais jamais on n'entendra
plus rien dire de semblable de moy, je vous prie M*i« d'en assu-
rer les réformés. » C'est ainsi que ce formidable ennemi fut
humilié.
Yoicy les noms des proposants du Languedoc : Mess''*^ Jean
Betrine, Jean Combe , .Jean Rouvière, Jacque Bonbounoux,
Jmn Gaubert, Jean Couest, François Roux, Jacques Boyer,
Clary, et Maroger, et Roussel. 11 ne faut pas oublier M. Rivière,
qui, quoy qu'il ne soit pas encorre reçu dans le corps des propo-
sants, il s'est déjà consacré pour cet usage. Le nom des mi-
nistres est P. Corteiz et Antoine Court.
Yoicy les noms de ceux qui servent les Eglises du Vivarés :
Messieurs Pierre Durand, celui-cy est ministre, Lasagne, Cler-
gué, Brunel, Bernât, Guïllot.
Le nombre est fort petit dans la province du Dauphiné savoir :
Monsi- Rogert ministre , Mons^ Yillevaire proposant, et deux
autres dont le nom m'est inconnu.
(N" 17, vol. II.)
FIN DES PIÈCES ET DOCUMENTS.
TABLE DES MATIÈRES
Préface Page i.
Introduction . . r Page vu .
CHAPITRE PREMIER.
ENFANCE ET JEUNESSE d'aNTOINE COURT dÔPÔ-lTlS).
Naissance crAiitoine Court. — Ses parents; leur ferveur religieuse.
— Mort de sou père. — ^ Sa mère, Marie Gébelin. — Il est conduit
à l'école. — Progrès rapides; légère instruction : « lire, écrire,
compter. » — Franchise de son caractère. — Sa haine pour la messe.
— Le Vivarais. — Tracasseries auxquelles il est en butte. — Il es-
saye du commerce; peu de goût. — La tendance de son esprit le
pousse vers l'étude des choses religieuses. — Premières lectures. —
Il assiste à une assemblée. — Il réorganise l'Eglise de Villeneuve-
de-Berg. — Son influence sur les religionnaires. — Premières
courses avec Brunel dans le haut Vivarais. — Il prêche. — De ce
jour date son ministère. — Il continue ses courses dans le Vivarais.
— Paix d'Utrecht. — Court écrit au gouverneur du Languedoc. —
Sa décision est prise; il quitte sa mère et se consacre au ministère.
— Il descend dans le bas Languedoc; visite le Dauphiné; se rend
h Marseille et organise un culte sur les galères. — Répondant à
l'appel de Corteiz, il revient à Nîmes. — Confiance des protestants
en lui. — Son courage. — Son activité. — Repos momentané. —
Elaboration d'un plan de conduite. — Plan de Claude Brousson. —
Discussion du projet. — Trois classes de protestants. — Les moyens
d'action sont arrêtés. — Rétablissement des Synodes. — Jacques
Roger. — Sa vie aventureuse. — Il revient en France en 1715. —
Situation du Dauphiné, — Le « Réveil» est décidé. , Page 1.
488 TABLE DES MATIERES
CHAPITRE IL
LE RÉVEIL EN LANGUEDOC, EN POITOU ET EN DAUPHINÉ (1715-1723).
Court réunit le premier Synode (21 août 1715). — Sa composition. ■—
Nommé modérateur de l'assemblée, il expose son plan. — Tout est
approuvé. — Nomination d'Anciens. — Règlements généraux. —
Les prédicants doivent courir le Languedoc. — Jean Vesson. —
Huc-Mazel. — Bombonnoux.— Pierre Durand. — Brunel. — Rouvière.
— Etienne Arnaud. — Corteiz; jeunesse de cedernier; exilé en Suisse,
il revient en 1709 ; en 1713, désespéré, il retourne à Genève ; il re-
vient à Nîmes et se met en rapports avec Court; sa valeur et son
activité. — Il se lie d'amitié avec Court. — L'un complète l'autre.
— Court reprend ses courses. — Il convoque un second Synode. —
Assemblée de Monoblet, — Le gouverneur d'Alais fait de vives ré-
primandes. — Antoine Court se rencontre k Nîmes avec Roger ac-
compagné de Brunel.— Roger se rend dans le Dauphiné où il ren-
contre Corteiz. — Ils se décident à réunir un Synode. — Divers
règlements. —Roger continue ses courses. — Courses de Court dans
le bas Languedoc. — Maladie de Court. — Court à Anduze. — II
est obligé de quitter Saint-Hippolyte. — Il se dirige sur Nîmes,
puis revient dans les Cévennes où il réunit un nouveau Synode
(2 mars 1717). — On nomme deux pasteurs pour administrer la
sainte Cène. — Arnaud est fait prisonnier et pendu. — Bétrine rem-
place Arnaud. — Déposition de Vesson. — Courses dans le haut
Languedoc. — Les prédicants sont injuriés et chassés. — Nouveau
Synode (3 mai 1718). — Corteiz part pour Genève. — Qu'est-ce que
le « Réveil? » — Le culte de famille. — Manque absolu de livres.
— Les réfugiés en envoient. — Passion de lecture. — Jeûnes géné-
raux. — Lettres d'exhortations. — Antoine Court et ses collègues
trouvent des auxiliaires. — Duplan.— Court se met en relations avec
lui. — Corteiz demande aux pasteurs de Genève l'ordination. — De
Genève, il va à Zurich, — Après beaucoup d'efforts, il obtient de se
faire consacrer pasteur. ■ — Il fait imprimer un sermon de Court. —
Il rentre dans les Cévennes. — Consécration d'Antoine Court. —
Cérémonie. —Court reprend ses courses. — Le haut Languedoc est
réveillé. — Peste de 1720. — Ferveur et piété. — Corteiz redou-
ble d'activité. — Gaubert et Roux. — Le nombre des églises aug-
mente. — Courses de Corteiz et d'Antoine Court. — Les églises de
la Lozère sont reconstituées. — Le Vivarais accepte les règlements
du Languedoc. — Le réveil en Dauphiné. — Activité de Roger. —
On sévit en Dauphiné. — Provence et Comté de Foix. — Guyenne.
— Bretagne; le mouvement y est essentiellement laïque. — Picar-
TABLE DES MATIÈRES 489
die. — Poitou. — Persécutions dans le Poitou. — En 1718, grandes
assemblées. — Etat du protestantisme en 1723.— Résultats obtenus.
— Rêves et espérances Page 25.
CHAPITRE III.
l'ordre : SYNODES, PRÉDICANTS ET MARIAGES (1715-1723),
Programme de Court : Ordre et Réveil. — Importance et avantage de
ce programme. — Il copie l'ancienne discipline des églises réfor-
mées de France. — Les Synodes provinciaux se réunissent réguliè-
rement. — Leur organisation. — Leurs travaux. — Leur nombre
s'accroît. — Colloques. — Consistoires; leur composition; importance
que Court attache à l'institution des Anciens. — Rôle des consis-
toires et des Anciens. — Conditions pour être nommé Ancien. —
Les prédicants; leur rôle et leur importance. — Conditions d'admis-
sibilité. — Recommandations de Court à cet égard. — Qu'entend-on
par prédicants? — Trois catégories. — 1° Le proposant; sa vie; un
récit de Court à ce sujet. — 2° Le prédicant ; pour être nommé, il
faut subir un examen ; sur quoi porte-t-il ? fonctions du prédicant. —
3° Le pasteur; ses fonctions. — L'égalité néanmoins est abso-
lue. — Court fait obtenir un traitement aux prédicants. — Règle-
ment pour les fidèles. — Baptêmes et mariages. — Cruelles forma-
lités. Professions de foi; actes d'abjuration. — Les religionnaires
ne veulent pas se soumettre à ces lois. — Inquiétude de la cour de-
vant ces infractions. — Les craintes sont prématurées. — En 1730
seulement, les mariages au Désert se multiplient. — Il n'y a que les
gens « du menu » qui désobéissent. — Court et les Synodes s'élè-
vent contre cette condescendance aux ordres de la cour. — Règle-
ments synodaux. — Cérémonies du baptême et du mariage. — Danger
de ces cérémonies. — Anecdote. — Peines disciplinaires. — Schisme
de Huc-Mazel. — Ses opinions. — Synode de 1719. — Il interdit
Hue, qui n'en continue pas moins son ministère et qui a des disci-
ples. — Les efforts de Corteiz et de Pictet sont vains. — Mort de
Hue. — Schisme de Vesson (1716). —Déposition et soumission de
Vesson (1718). — Etablissement de l'ordre Page 74.
CHAPITRE IV.
LES ASSEMBLÉES AU DÉSERT (1715-1723).
Antoine Court organise les assemblées du Désert. — Ses vues et son
but.— Les Anciens sont chargés du soin de convoquer les assemblées.
490 TABLE DES MATIERES
— Le départ; longueur du trajet. — Fatigues et souffrances. — In-
tempéries. — Contre-temps. — Sentinelles et paniques. — Le culte,
— Le sermon; dans les commencements, les prédicants récitent les
sermons de pasteurs célèbres. — La sainte Cène; sévérité des pré-
dicants pour y admettre les fidèles, — Dangers des assemblées; les
espions, les faux frères, les soldats. — Défenses formelles du Roi. —
Surprises d'assemblées. — Les châtiments. — Courage inébranlable
des religionnaires. — Attaques dirigées par les protestants de l'é-
tranger contre les assemblées; leur argumentation. — Troubles dans
le Poitou (17i9). — Emoi qu'ils excitent en Suisse et en Hollande.
— Lettre de Basnage et de Pictet; réponse d'Antoine Court. — Nou-
velles attaques; nouvelles lettres de Pictet et de Via! ; réponse d'An^
toine Court. — Les attaques continuent pendant le dix-huitième
siècle. — Leur injustice et leur peu de fondement. — Elles n'arrê-
rent pas l'élan général. — Succès croissant des assemblées. — Joie
qu'en éprouve Antoine Court Page 105
CHAPITRE V.
LE PROTESTANTISME ET LA RÉGENCE (1715-1723).
Confiance des religionnaires à l'avènement du duc d'Orléans. — Une
première déclaration trouble leurs illusions. — Indifférence du Ré-
gent; conversation avec Saint-Simon. ■ — Les affaires religieuses
sont toujours dirigées par les anciens conseils de conscience et de
rintérieicr. — Plaintes de Bàville. — Déclaration de 1716; lettre
du duc d'Antin. — Consternation des religionnaires. — Plaintes
et requêtes; lettre d'Antoine Court à Roquelaure. — Mesures contre
les réfugiés; persécution incessante et générale en France : Picar-
die, Bretagne, Saintonge, Guyenne, Dauphiné, Poitou, Languedoc.
— Résignation des protestants. — Sentiments de patience que leur
inspire Antoine Court et dont il entretient l'énergie; preuves. —
Curieuse aventure : France et Espagne. — La cour craint un soulè-
vement des religionnaires du Languedoc et du Poitou; elle leur fait
écrire par Basnage et par Pictet; elle envoie enfin des députés. —
Etonnement d'Antoine Court; réponses qu'il fait au député de la
cour. — La vérité sur Scipion Soulan. — Espérances que ces évé-
nements font naître chez les protestants. — Paroles d'Antoine Court.
— La persécution recommence en Bretagne, Dauphiné, Poitou, Lan-
guedoc. — Découragement général. — Lettre à Roquelaure. — Pro-
testations de fidélité. — Règlements du Synode de 1721. — Conti-
nuation de la persécution Page 129.
TABLE DES MATIERES 491
CHAPITRE VI.
LK^! JNSPIRKS ET LES MULTIPLIANTS (1715-1723),
Obstacles que rencontre le « Réveil » depuis 1720. — Le parti des In-
spirés ; crédit dont il jouit. — Le prophétisme depuis la Révoca-
tion; trois périodes : — 1"^ Les petits prophètes: Astier, Isaheau
Vincent, etc.; quelle est la cause du mouvement; Du Serre; les In-
s[)irés du Castrois ; dis])ersion des [jetits j)ropliètes. — 2" I^es pro-
phètes Camisards : Mazel, Cosle. Durand, Fage, Cavalier, etc.; pro-
phéties guerrières; enthousiasme, Ijonne foi, douceur; dispersion
des Camisards. — 3° Prédicantes et propliéiesses, Balastière, Cha-
laneon, Suzanne Rouge, Isabeau Dubois, etc. ; leur abnégation et
leur courage; prédications, extases; leur influence. — Le prophé-
tisme en 1715. — Multitude d'Inspirés. — Leur autorité et leur cré-
dit. — Théorie de l'Inspiration. — Extravagances et excès. — An-
toine Court et les Inspirés. — Il croit d'abord en eux; mais il voit
bientôt que ce sont des fous ou des fourbes. — Attaques qu'il dirige
contre eux. — Lettres de Genève. — Mesures des Synodes. — Huc-
Mazel et Vesson prennent ouvertement parti pour les Inspirés. —
Déposition de Vesson. — Irritation que cette mesure excite chez les
Inspirés. — Résistance de Vesson. — Chaleureux accueil des fidèles.
— Duplan. — Décisions des Synodes de 1721. — Courses des pré-
dicants. — Ecrit contre les fanatiques de Merlat. — Lettre de
Pictet sur ceux qui se croient Inspirés-^ succès qu'elle obtient. —
Discrédit de Vesson ; sa fuite (1722). — Les Multipliants. — Made-
moiselle Verchand. — Les Inspirés de Lunel. — Fondation de la
secte à Montpellier (1721). — Arrivée de Vesson. — Duplan refuse
d'y venir. — Propagande active. — Système théologique. — Cérémo-
nies et pratiques. — I^e culte. — Le sanctuaire. — Inquiétudes que
la secte inspire au parti de l'ordre. — Arrestation des Multipliants
(1723). — Supplice de Bonicel, Comte, Vesson, Huc-Mazel. — Con-
damnation de Mademoiselle Verchand et des prisonniers. — Arres-
tation des Insjiirés de Lunel. — Fuite de Duplan. — Décisions des
Synodes (1723). — Disparition des Inspirés .... Page 163.
CHAPITRE VII.
VOYAGE d'aNTOINE COURT A GENÈVE (1720-1722).
L'Etranger et la France. — Fausses idées qui ont cours sur la restau-
ration du protestantisme; froideur et mécontentement; préventions
492 TABLE DES MATIERES
injustes. — Antoine Court part pour Genève (1720). — Genève; son
dévouement à la France. — Arrivée d'Antoine Court. — Chaleureux
accueil qu'il reçoit. — Pictet. — Il expose ses plans et ses projets.
— Défense des assemblées; demande de pasteurs; fondation d'un
séminaire. — Lettres à Basnage, à Wiliam Wake et Saurin. — La
peste éclate; Antoine Court est obligé de prolonger son séjour; vie
intime. — Mademoiselle Corteiz. — Relations avec la famille Pic-
tet et avec la vénérable compagnie des pasteurs. — Relation histo-
rîqne^ etc. — L'Académie de Genève, — Antoine Court fut-il étu-
diant? — Changements dans son style. — Il se propose d'écrire
l'histoire des Eglises de France. — Lettre de Basnage. — Antoine
Court est invité à revenir en France. — Lettre de Corteiz. — Hési-
tations, retards. — Départ (1722) ; mystère dont il est entouré. —
Résultats de ce voyage Page 213.
CHAPITRE VIII.
LA DÉCLARATION DE 1724 (1723-1725).
Prospérité de la situation (1723). — Les dernières difficultés sont dé-
nouées : soumission de Boyer; soumission des Yessoniens. — Pro-
grès du protestantisme. — Ecoles, mariages, assemblées. — Vie in-
time : moralité, austérité, dévouement. — Confiance des prédicants.
— Irritation du clergé et de la cour. — Fuite de Duplan. — Me-
naces contre les prédicants ; réponses de Corteiz et d'Antoine Court.
— Menaces contre la Suisse; le Syndic de Genève et le Résident de
France. — Assemblée générale du clergé. — Mémoire de l'évêque
d'Alais. — Embarras de la cour; sa conduite depuis 1715. — La
cour prépare une Déclaration. — Enquête générale. — Mémoires
qu'elle se fait adresser. — La mort du Régent retarde la publication
de la Déclaration. — Le duc de Bourbon et Fleury. — Reprise du
projet de Déclaration. — Déclaration de 1724. — Quel en est l'au-
teur? — Explication de Malesherbes. — Réfutation de Rulhière.
— Conclusion. — Stupeur des religionnaires ; projets de révolte. —
Mort de Pictet. — Antoine Court calme les esprits. — Lettre de
Duplan à l'archevêque de Cantorbéry et au roi de Prusse. — Lettre
de Gaubert à Louis XV. — Synode de 1724. — Indifférence de l'E-
tranger et de la France. — Lettres à un protestant français tou-
chant la Déclaration du Roi. — La Henriade. . . Page 234.
TABLE DES MATIÈRES 493
CHAPITRE IX.
FONDATION DU SÉMINAIRE DE LAUSANNE. (1725-1729.)
La Déclaration de 1724 est surtout dirigée contre les prédicants; an-
goisses de ces derniers. — Lettre d'Antoine Court à Saurin. — Dif-
ficultés de la situation.' — Proposition deDuplan; accueil qu'elle
reçoit. — Duplan est nommé député général des Eglises. (1725.)
Ses attributions et sa mission. — Duplan se hâte de se présenter
chez les familles de Genève. — Froideur qu'il rencontre et refus
qu'il essuie. — - Il s'adresse à l'archevêque de Cantorbéry et entre-
prend un voyage en Suisse. — Il reçoit quelques dons. — Le premier
étudiant : Bétrine. (1726.) — Ne pouvant étudier à Genève, il se
rend à Lausanne. — Son séjour est limité. — Le professeur Polier.
— Cabale contre Duplan ; on lui reproche de fréquenter les In-
spirés; le triolet ; décision du Synode national. (1726.) — Nouveaux
succès de Duplan. — Quelques bienfaiteurs se chargent d'entretenir
à leurs frais deux étudiants. — Arrivée du second étudiant : Roux.
— Création d'un comité à Genève. — Inaction forcée de Duplan. —
Amis et bienfaiteurs. — Duplan continue son œuvre ; mystère dont
il l'entoure. — Fondation du séminaire Page 273
CHAPITRE X.
QUATRE ANNÉES DE LUTTES. (1725-1729).
Mesures de défense et de conservation. — Synode de 1725. — Création
d'une caisse générale de secours; confédération des Eglises du
Dauphiné et du Languedoc; les confessions de foi et Jacques Ro-
ger. — Premier Synode national. (16 mai 1726.) — Consécration de
Durand. — Division du Languedoc en quartiers. — Discussions avec
Gaubert ; heureux résultats de cette mesure. — Situation du protes-
tantisme en 1726. — Avènement de Fleury au ministère. — Mémoire
de l'abbé Robert. — Nouvel édit de 1726. — Ecoles; division du Lan-
guedoc en arrondissements; amendes; supplice d'Alexandre Rous-
sel. (1728.) —Mesures de défense : fondation du conseil extraordi-
naire. — Attitude des religionnaires. — Courses des prédicants
dans le Languedoc. — Nouveau Synode. (Octobre 1726.) — Députa-
tion des protestants de la basse Guyenne, du Rouergue et du Poitou.
— Courses de Maroger, de Gaubert, de Corteiz, dans le haut Lan-
guedoc.— Nouvelle députation. —Maroger, Bétrine, Grail, partent
pour la haute Guyenne et le Rouergue. — Courses de Chapel dans
494 TABLE DES xMATIERES
le Poitou. — Le protestantisme dans l'Orléanais, en Picardie, Nor-
mandie, Bretagne, Guyenne, etc. — Prospérité du Dauphiné et du
Languedoc. — Tableau des Eglises du Languedoc. — Pasteurs et
proposants. —Organisation. — Ecoles de chant. — Congrès de Sois
sons. — Lettre de Voltaire sur les Anglais .... Page 292
CHAPITRE XL
LA VIE d'un prédicant. (r715-r'î29.)
Belles paroles de Claris. — Le Languedoc. — Courses et tournées; ré-
cits de Corleiz et d'Antoine Court. — Intempéries et souffrances. —
L'hospitalité. — Les dangers; espions et soldats. — Récits d'aven-
tures. — Fermeté des martyrs. — Supplice d'Alexandre Roussel. >—
Antoine Court est vivement poursuivi. (1729.) Sa vie, ses travaux.
— Visites pastorales. — Affaires ecclésiastiques. — Correspondance.
— Antoine Court se marie. (1722.) Il se décide à quitter la France.
(1729.). Plans et projets. —Départ.— Conclusion. . . Page 331.
Notice sur les manuscrits d'Antoine Court .... Page 357,
PIEGES ET DOnUMENTS INEDITS
Pag.
i. Déclaration du Roy contre les relaps. (1715.) .... 365
IL Lettre de M. d'Aguesseau, procureur-général du Parle*
ment de Paris. (1715.) 367
III. Prière. (1715 ) • .... 369
IV. Requête de l'église de Sommières àun Synode provincial. 371
V. Articles des demandes qu'on a faites à M. Roux . . . 373
VI. Lettre de Pictet à Corteiz, sur les assemblées. . . . 375
VII. Chanson nouvelle. (1716.) 379
VIII Requête des religionnaires au Régent. (1716.). . . . 381
IX. Lettre de Pictet à Mademoiselle Simart, sur les Inspirés. 385
X. Lettre de Corteiz à Vesson, lui annonçant sa déposition. 388
XL Arrestation des Inspirés de Lunel, (1723.) 392
XII. Copie de la lettre escritte par M. de Bernage à ses sub-
délégués, et dans les pays où il y a des religionnaires. 393
XIII. Déclaration du Roy concernant la religion. (1724.) . . 294
XIV. Instruction pour moi au Synode. (1725.) 405
XV. Premier Synode national. (1726.) 407
TABLE DP:S MATIERES 495
XVI. Lettre iinprimée de M. rintendaiit, touchant réducatiuii
des enfants. Pour les curés, (1727.) 41()
XVn. Lettre imprimée de M. l'intendant, touchant les amen-
des qu'on doit faire payer pour les enfants qui ne vont
pas à la messe. Au juge. (1727.) 417
XVIII. Lettre imprimée du sul)délégué de l'intendant pour in-
former le diocèse d'Uzès qu'on n'y veut aucun officier
de justice qui ne soit catholique. (1727.) 418
XIX. Division de la province du Languedoc en quartiers.
(1726.) 419
XX. Relation du martyre d'Ale.xandre Roussel. (1728.). . . 420
XXI. Copie d'une lettre de M. Court, ministre du saint Evan-
gile de France. (1729.) 433
XXII. Relation historique des principaux événements qui sont
arrivés h la religion protestante depuis la révocation
des Edits de Nantes, l'an 1685, jusques h l'an pré-
sent 1728, par Corteiz 438
FIN DE LA TABLE DES MATIERES DU PREMIER VOLUME.
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La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Echéance
The Library
Uni ver si ty of Ottawa
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