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Full text of "Histoire de la restauration du protentantisme en France au 18e siècle d'après des documents inédits"

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in  2012  with  funding  from 

University  of  Toronto 


Iittp://www.archive.org/details/histoiredelarest01hugu 


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ANTOINE    COURT 


HISTOIRE 


DE 


LA  RESTAURATION 


DU 


PROTESTANTISME  EN  FRANCE 

AU   XYIII-^   SIÈCLE 

d'après  des  documents  inédits 


EDMOND    HUGUES 

TOME   PREMIER 


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PARIS 

MICHEL  LÉVY  FRÈRES,    ÉDITEURS 
RUE    AUBER,    3,     PLAGE     DE     l'OPÉRA 

LIBRAIBIE   NOUVELLE         ^^^^^^^^^\^ 


1872 


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V.  ( 


En  1685,  Louis  XTV  révoque  l'Edit  de  Nantes;  en 
1715,  il  proclame  la  disparition  du  protestantisme 
français.  —  Trois  quarts  de  siècle  s'écoulent  à  peine, 
et  ces  mêmes  protestants,  dont  on  croyait  avoir  déli- 
vré le  royaume,  appuyés  par  l'opinion  publique,  sou- 
tenus par  les  philosophes  et  les  parlements,  finissent 
par  arracher  à  Louis  XVI  un  édit  de  tolérance. 

Que  s'est-il  donc  passé?  Et  par  quelle  suite  d'évé- 
nements, les  fils  de  ces  huguenots,  contraints  à  la 
fuite,  à  la  guerre  ou  à  l'abjuration,  se  retrouvent-ils, 
soixante-quinze  ans  plus  tard,  sur  le  sol  de  la  patrie  ? 

C'est  ce  que  j'ai  essayé  de  raconter. 

Une  heureuse  fortune  m'a  permis  d'étudier  à  loisir 
la  vaste  collection  des  papiers  inédits  qu'ont  laissés  à 
Genève  ceux  qui  furent  les  principaux  personnages 
de  cette  restauration,  et  celui  surtout  qui  en  fut  le 


II  PRÉFACE 

héros  :  Antoine  Court.  Papiers  de  toutes  sortes  :  let- 
tres, notes,  mémoires,  plans  d'ouvragées  ;  collection 
d'une  inépuisable  richesse,  qui  ne  compte  pas  moins 
de  cent  dix-huit  volumes  manuscrits  \  Pendant  deux 
années,  j'en  ai  exploré  les  trésors.  Je  l'ai  fait  sans 
relâche,  avec  amour,  à  peu  près  comme  un  homme 
qui  serait  transporté  dans  un  monde  original,  étrang'e, 
magnifique  pourtant,  qu'il  serait  un  des  premiers  à 
parcourir  et  à  admirer.  Les  hommes  qui  passaient  de- 
vant mes  yeux  n'avaient  aucune  célébrité;  deux  ou 
trois  exceptés,  c'étaient  des  inconnus.  Ils  n'avaient 
point  joué  de  rôle  dans  l'histoire,  ils  n'étaient  ni 
hommes  de  guerre  ni  hommes  d'Etat;  c'étaient  des 
paysans,  des  cardeurs  de  laine,  des  ouvriers.  Peu  à 
peu,  leur  figure  m'a  frappé.  Des  fêtes  de  la  Régence, 
des  salons  de  Madame  du  Deffand,  des  réunions  des 
Encyclopédistes,  je  suis  descendu  à  eux.  Je  me  suis 
laissé  prendre  à  tant  de  mâles  vertus.  Page  après 
page,  je  les  ai  suivis,  j'ai  marqué  leurs  succès  et 
leurs  revers,  indiqué  leurs  efforts,  compté  leurs  victi- 
mes; —  et  c'est  ainsi,  avec  leurs  récits,  leurs  notes, 
leur  correspondance,  qu'a  été  écrite  cette  histoire. 

Si  riche  cependant  que  fût  la  collection  de  la  biblio- 
thèque de  Genève,  elle  laissait  bien  des  points  à  éclair- 
cir,  bien  des  lacunes   à   combler.    Elle   faisait   con- 

1  V.  plus  loin,  p;  357,  notre  Notice  sur  les  manuscrits  d'Antoine 
Court. 


PRÉFACE  1 1 1 

naître  dans  le  détail  l'histoire  intime  du  protestan- 
tisme, mais  elle  en  laissait  trop  dans  l'ombre  le  côté 
extérieur  et  les  événements  qui  eurent  sur  sa  marche 
et  sur  son  développement  une  si  puissante  influence. 
Cette  histoire  n'est  à  vrai  dire  qu'une  longue  bataille. 
Deux  adversaires  sont  en  présence ,  les  protestants 
d'un  côté,  le  clergé  et  la  cour  de  l'autre.  J'avais 
pénétré  dans  les  rangs  des  premiers;  il  me  restait  à 
étudier  les  vues,  les  plans  et  la  tactique  des  seconds. 
Les  Archives  de  l'Intendance  du  Languedoc,  à  Mont- 
pellier, m'ont  été,  sous  ce  rapport,  très-utiles  ;  celles 
de  Bordeaux  m'ont  donné  aussi  quelques  renseigne- 
ments. Mais  c'est  à  Paris  que  j'ai  fait  la  plus  ample 
moisson  de  documents.  Si  le  dépôt  du  Ministère  de  la 
Guerre  m'en  a  peu  fourni,  que  n'ai-je  pas  trouvé  à  la 
section  des  manuscrits  français  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale et  surtout  dans  cette  belle  collection  de  papiers 
relatifs  au  protestantisme  qu'une  heureuse  initiative  a 
formée  à  nos  Archives  nationales  ^' 

1  Nous  avons  puisé  aussi  h  des  sources  particulières  et  c'est  un  devoir 
pour  nous  de  les  citer  ici.  MM.  Levade  et  Dufournet,  de  Lausanne,  ont 
mis  à  notre  disposition  leurs  papiers  de  famille.  MM.  Arnaud  et 
Auzière  nous  ont  communiqué  de  curieux  documents.  M.  Athanase 
Coquerel  nous  a  permis  de  parcourir  sa  belle  collection  des  manuscrits 
de  Paul  Rabaut.  M.  J,-P.  Hugues  enfin  nous  a  ouvert  sa  bibliothèque, 
si  riche  en  ouvrages  concernant  l'histoire  du  protestantisme.  Il  est 
inutile  d'ajouter  combien  nous  avons  emprunté  au  savant  recueil 
que  publie  la  Société  de  VHlstoire  du  Protestantisme  français.  — 
Que  tous  ceux  qui,  de  près  ou  de  loin,  nous  ont  aidé  dans  nos  recher- 
ches, veuillent  recevoir  i(;i  nos  remercîments. 


IV  PRÉFACE 

Bien  des  faits,  sans  doute,  bien  des  détails  m'ont 
échappé;  d'autres,  plus  heureux  que  moi,  les  réuni- 
ront. Arrivé  aujourd'hui  à  la  fin  de  mes  recherches, 
je  me  décide  à  en  publier  les  résultats. 

Le  moment  est-il  favorable?  Je  ne  sais.  Le  pro- 
testantisme n'a  jamais  obtenu  en  France  ses  droits 
de  cité,  et  par  plus  d'un  côté  nous  ressemblons  à 
ces  Athéniens  qui  appelaient  tout  étranger  :  Barbare. 
Le  mot  est  dur,  injuste,  un  peu  org-ueilleux ;  il 
nous  plaît  cependant  et  nous  y  tenons  :  en  bien  des 
choses,  il  nous  sert  d'excuse. 

Deux  choses  cependant  me  rassurent  et  m'encou- 
rag-ent. 

Il  ne  s'ag-it  pas  seulement  ici  du  protestantisme,  il 
s'agit  de  la  France.  Le  dix-huitième  siècle,  quoique 
étudié  avec  amour  et  en  bien  des  sens,  est  encore  diver- 
sement jugé.  Pour  beaucoup,  il  est  resté  le  siècle  de  la 
frivolité  et  de  l'irréligion...  Mais  un  siècle  ne  tient  pas 
tout  entier  dans  la  chronique  des  salons  et  l'histoire 
scandaleuse  d'un  règne.  Comment  expliquer  le  grand 
dénoùment  de  1789?  D'où  sont  venus  ces  grands 
désintéressés,  ces  immortels  volontaires  du  droit?  A 
quelle  école  se  sont-ils  formés  à  la  vertu,  au  courage 
stoïque? —  Le  dix-huitième  siècle,  malgré  de  fâcheuses 
apparences  et  des  torts  trop  réels,  est  un  siècle  de 
douloureux  enfantement.  Si,  pour  le  bien  juger,  il  le 
faut  étudier  dans  l'histoire  de  la  libre  pensée  et  dans 


PRÉFACE  V 

celle  du  peuple,  il  ne  faut  pas  moins  l'étudier  dans 
l'histoire  du  protestantisme. 

Peut-être  enfin,  au  lendemain  de  nos  désastres,  ne 
paraîtra-t-il  pas  inutile  de  montrer  par  un  frappant 
exemple  comment  un  peuple,  si  profonde  qu'ait  été 
sa  chute,  parvient  à  se  relever  à  force  de  discipline, 
de  constance,  d'austérité  et  de  dévouement  à  la  chose 
commune. 

Paris,  15  juin  1872. 


INTRODUCTION 


SITUATION    DU    PROTES    AN    ISME    EN    1715 


La  g'uerre  des  Camisards  était  depuis  longtemps 
terminée.  Coste  et  Abraham  Mazel  avaient  été  tués 
en  1710,  Claris  était  mort  sur  la  roue,  et  les  derniers 
prédicants  effrayés  n'osaient  plus  paraître  aux  assem- 
blées du  Désert.  Un  calme  profond  régnait  dans  le 
royaume.  Nul  bruit,  nul  cri,  nulle  protestation  :  tout 
avait  été  étouffé.  C'est  alors  que  parut  en  1715  une 
Déclaration  royale  qui  affirmait  la  disparition  du  pro- 
testantisme français,  et  condamnait  à  la  peine  des 
relaps  tous  ceux  qui  en  feraient  encore  profession. 
Louis  XIV  était  vainqueur  de  l'hérésie  *. 

Ce  dénoùment  était  inévitable. 

x\u  lendemain  de  la  Révocation,  les  religionnaires 
s'étaient  partagés  en  trois  groupes  :  le  premier,  le 
plus  riche,  avait  pris  la  route  de  l'exil;  le  second, 
moins  nombreux,  mais  plus  ardent,  s'était  jeté  dans 
l'insurrection;  le  troisième,  le  plus  considérable,  n'avait 
point  adopté  de  parti  et  s'était  résigné  à  attendre  patiem- 

'  V.  Pièces  et  documents  n"'  I  et  H. 


vin  INTRODUCTION 

ment  que  la  marche  des  événements  vînt  modifier  sa 
cruelle  position.  —  C'est  à  ce  dernier  que  la  cour  s'était 
attaqué,  depuis  la  défaite  des  Camisards.  Et  il  était  bien 
facile  de  prévoir  qu'une  persécution  savante,  continue, 
de  chaque  jour  et  de  chaque  heure,  finirait  par  le  désa- 
grég-er,  le  réduire  en  détail,  et  aurait  certainement 
raison  de  sa  constance  ou  de  sa  force  d'inertie. 

Un  système  complet  d'ordonnances,  d'édits  et  de  dé- 
clarations, renfermait  les  protestants  qui  étaient  restés 
en  France  comme  dans  un  cercle  d'où  ils  ne  pouvaient 
sortir,  sans  se  heurter  à  la  prison  ou  au  gibet.  La  per- 
sécution les  saisissait  le  jour  de  leur  naissance  ;  elle 
ne  les  relâchait  qu'à  leur  mort.  Nouveau  -  nés,  ils  de- 
vaient être  baptisés  à  l'église  qui  seule  leur  donnait 
l'état  civil  ;  enfants,  ils  devaient  être  envoyés  à  l'école 
catholique  qui  seule  avait  le  droit  de  les  instruire  ; 
hommes  faits,  ils  ne  pouvaient  devenir  ni  greffier,  ni 
sergent,  ni  libraire,  ni  imprimeur,  apothicaire,  méde- 
cin, chirurgien,  avocat,  procureur,  notaire,  pas  même 
domestique;  moribonds,  ils  étaient  obligés  de  recevoir 
à  leur  chevet  les  moines  et  les  curés  ;  et  s'ils  venaient  à 
mourir  relaps,  leur  cadavre,  par  un  dernier  châtiment, 
était  traîné  sur  la  claie  et  leur  mémoire  condamnée. 
Pour  toutes  les  infractions,  il  y  avait  le  couvent,  l'a- 
mende, les  galères  ou  la  mort^ 

On  ne  connaissait  pas  de  moyen  d'échapper.  Chaque 
paroisse  avait  son  curé  et  ses  missionnaires  ;  les  plus 
petites  villes  avaient  une  garnison. 

Tl  fallait  fréquenter  l'église  et  vivre  en  catholique. 

1  Histoire  des  Eglises  du  Désert,   par  Charles  Coquerel.  Pièces 
justificatives  n"  1.  Paris.  (1841). 


INTRODUCTION  i  x 

«  J'apprends  que  vos  principaux  habitants,  Messieurs  les 
Consuls,  ni  les  femmes,  ne  paraissent  point  à  l'église  pour 
entendre  le  missionnaire  que  le  Roi  a  bien  voulu  envoyer  dans 
votre  paroisse.  Je  vous  déclare  que  l'intention  du  Roi  est  que, 
s'ils  n'y  vont,  ceux  qui  manqueront  au  devoir  s'en  trouveront 
mal.  Yous  n'avez  qu'à  le  leur  dire  de  ma  part. 

«  n  faut  qu'ils  soient  bien  déraisonnables  pour  ne  pas  vou- 
loir entendre  ce  qu'on  a  à  leur  dire  ;  informez -moi  bien  exac- 
tement de  ce  qui  se  passera  là-dessus  ^  » 

Pour  prévenir  l'intendant,  il  y  avait  l'espion.  L'espion 
c'était  tout  le  monde  :  les  envieux,  les  méchants,  les 
voisins,  qui  dénonçaient  gratuitement  et  par  plaisir, 
lorsqu'ils  n'étaient  pas  soudoyés  par  les  gouverneurs. 
Parmi  mille  faits  semblables,  en  voici  trois,  pris  à  des- 
sein dans  une  province  éloignée  qui  comptait  peu  de 
religionnaires,  et  où  les  intendants  pouvaient  user  de 
quelque  tolérance.  En  1714,  à  Nantes,  un  nommé 
Royer,  marchand  raiïineur,  et  sa  femme  sont  dénoncés. 
c(  Ils  mangent  de  la  viande,  les  jours  défendus  ;  ils  se 
renferment  dans  leurs  maisons,  les  jours  de  fêtes,  où 
ils  n'ont  d'autre  commerce  qu'avec  d'autres  négociants 
flamands  qui  sont  infestés  de  pareilles  erreurs.  »  Il  se- 
rait bon,  écrit-on  à  l'intendant  Feydau  de  Brou,  défaire 
arrêter  la  jeune  fille  de  Royer  et  de  l'enfermer  au  cou- 
vent des  Ursulines;  «  lesdits  Royer  et  sa  femme  pour- 
ront faire  des  réflexions  utiles  sur  leur  conduite  par  cet 
exemple.» — La  même  année,  une  jeune  fille  va  voir  son 
père  qui  est  en  prison,  et  prie  avec  lui.  Phelypeaux  or- 
donne aussitôt  de  la  jeter  dans  la  maison  des  Nouvelles- 


1  Histoire  de  VEglise  réformée  d'Anditze,  par  M.  J.-P.  Hugues, 
p.  753.  Paris.  (1864). 


X  INTRODUCTION 

Catholiques.- — En  1715,  un  nommé  Eicliard  Rousseau 
de  la  Bouvetière  est  accusé  de  ne  faire  «  aucunement 
son  devoir;  »  une  ordonnance  est  aussitôt  envoyée 
pour  le  faire  arrêter.  Sa  fille,  qui  a  quinze  ans,  mais 
c(  qui  est  prévenue  des  raisons  et  des  arg-uments  ordi- 
naires des  calvinistes  »  est  sollicitée  vainement  de  se 
convertir  ;  comme  elle  résiste,  on  propose  de  la  faire 
mettre  au  couvent  des  Bénédictines  ^ . 

Les  curés  entraient  à  toute  heure  dans  les  maisons, 
et  quand  ils  voulaient.  Nulle  possibilité  de  fermer  sa 
porte.  Il  fallait  écouter  leurs  exhortations,  leurs  me- 
naces, faire  des  promesses  et  mentir,  ou  rompre  en  vi- 
sière et  s'exposera  la  persécution.  Enfin,  si  par  hasard, 
dans  quelque  endroit  retiré,  une  assemblée  parvenait 
à  se  réunir ,  les  bourgeois  accouraient,  et  les  soldats 
donnaient  «  la  chasse.  »  Un  jugement  était  sommaire- 
ment dressé,  et  les  hommes  envoyés  aux  galères,  les 
femmes  emprisonnées. 

Cette  sombre  vie  n'était  éclairée  par  nul  rayon  d'es- 
poir. Depuis  la  paix  d'Utrecht,  les  réfugiés  et  les  per- 
sonnages s^^mpathiques  de  l'étranger  désespéraient 
d'obtenir  quelque  adoucissement  et  se  tenaient  à  l'écart. 
Les  intendants  étaient  impitoyables,  et  les  tracasseries 
de  leurs  officiers  croissaient  chaque  jour.  Les  provinces 
étaient  dans  la  terreur.  Il  faut  lire  les  mémoires  du 
temps,  ceux  de  Bombonnoux,  de  Corteiz,  de  leurs  com^ 
pagnons  :  ils  sont  effrayants.  Et  qu'on  n'accusepas  leurs 

1  Essai  sur  VHistolre  des  Eglises  réformées  de  Bretagne,  par 
M.  Vaurigaud,  t.  III,  p.  194  et  suiv.  Paris  (1870).  —  Nous  n'insistons 
pas.  V.  cependant  pour  la  Normandie  un  «  Etat  des  jeunes  personnes 
envoyées  par  les  ordres  du  Roi  et  l'intendant  k  la  maison  des  Nou- 
velles-Converties de  Rouen.  »  Archives  nationales,  TT,  261.  (1715) 


INTRODUCTION  xi 

auteurs  d'aller  au  delà  de  la  vérité  ;  ils  sont  en  deçà.  Ils 
font  soupçonner  l'état  des  choses  plutôt  qu'ils  ne  le 
montrent.  C'étaient  de  pauvres  paysans,  des  ouvriers 
sans  instruction,  qui  ne  racontaient  que  ce  qu'ils 
avaient  vu  avec  une  simplicité  et  une  candeur  qui  les 
peint  tout  entiers. 

«Je  fus  d'abord  voir  mon  père  et  ma  mère,  qui  me  reprochè- 
rent mon  retour  comme  la  dernière  de  toutes  les  imprudences, 
m'exhortant  de  m'en  retourner  au  plus  vite,  si  je  ne  voulais  être 
conduit  à  un  cruel  supplice.  Cette  voix  nous  consterna  tout  d'a- 
bord; mais,  un  moment  après,  nous  reprîmes  courage,  et,  après 
avoir  embrassé  mon  père  et  ma  mère,  nous  descendîmes  à  An- 
duze.  Là  nous  trouvâmes  trois  garçons  qui  savaient  quelques 
sermons  par  mémoire  qu'ils  avaient  heureusement  appris,  l'un 
desquels  a  été  papiste.  Mais,  hélas  !  à  peine  trouvions-nous  quel- 
que maison  de  confiance,  nous  mangions  dans  le  Désert,  et  nous 
couchions  dans  les  montagnes,  sous  les  arbres  '.  » 

Un  autre  ajoute  : 

«  La  terreuravait  tellement  établi  son  empire  chez  l'esprit  de 
ceux  qui  pouvaient  nous  accorder  leur  secours,  qu'ils  n'osaient 
pas  même  nous  ouvrir  la  porte  de  leurs  maisons  pour  nous  re- 
mettre leurs  petites  libéralités,  et,  plus  d'une  fois,  ils  nous  les 
ont  remises  précipitamment  par  la  chattière  ou  par  d'autres 
ouvertures... 

«  Pour  apaiser  notre  soif,  nous  avions  notre  ressource  à  des 
creux  de  rochers  qui  assemblaient  de  l'eau  pendant  les  pluies... 
J'étais  si  peu  accoutumé  à  me  déshabiller  et  à  coucher  molle- 
ment, que  je  me  souviens  qu'à  Montpellier  je  ne  pus  pas  dor- 
mir, parce  qu'on  m'avait  placé  sur  un  matelas,  et  qu'il  me  fallut, 
pour  goûter  les  doux  fruits  du  sommeil,  le  quitter  et  le  chan- 
ger pour  le  pavé  de  la  maison  ^.  »> 

»  N"  17  vol.  H,  p.  493. 

2  II  (Ut  encore  :  «  Les  bois  et  les  cavernes  furent  longtemps  nos  re- 


XII  INTRODUCTION 

Tant  de  souffrances  avaient  brisé  les  volontés.  Les  re- 
ligionnaires  s'étaient  résignés  à  fréquenter  les  assem- 
blées, assister  à  la  messe,  faire  bénir  leurs  mariages 
et  baptiser  leurs  enfants  par  le  curé,  pour  tout  dire,  à 
donner  des  signes  manifestes  de  leurs  nouveaux  senti- 
ments. c(  Le  diable,  est-il  dit  quelque  part,  s'est  pré- 
valu tellement  de  leurs  prêtres,  de  leur  ignorance  et  de 
leurs  vices,  qu'aujourd'hui,  dans  les  endroits,  on  n'y 
connaît  que  très  peu  le  christianisme  * .  »  Par  christia- 
nisme, il  faut  entendre  protestantisme. 

Quelques-uns,  il  est  vrai,  résistaient  dans  le  Langue- 
doc. Au  milieu  de  tant  de  ruines,  ils  levaient  la  tête  et 
restaient  debout.  Tls  narguaient  le  pouvoir,  ces  rudes 
montagnards,  et  la  Bible  à  la  main,  ils  osaient  résister  à 
cette  triple  menace  :  le  curé,  l'intendant,  le  bourreau. 
((  Je  sais  bien  qu'il  y  a  parmi  vous  un  grand  nombre 
de  belles  âmes  qui  sont  encore  vierges,  et  qui  ont  gardé 
à  Jésus-Christ  la  foi  qu'elles  lui  avaient  juré  dans  leur 
baptême,  qui  errent  dans  les  bois  et  dans  les  mon- 
tagnes pour  ne  pas  se  souiller  d'idolâtrie,  aimant  mieux 
être  dans  la  compagnie  des  bêtes  sauvages  qu'en  celles 
des  ennemis  de  la  vérité,  qui  voudraient  forcer  leurs 
consciences.  Que  vous  êtes  heureux  ,  dignes  confes- 
seurs du  Seigneur  ^  !  » 

traites  ordinaires.  Les  antres  des  rochers  nous  étaient  aussi  fort  favo- 
rables; mais,  pour  nous  y  conserver,  nous  usions  de  beaucoup  de 
ménagements  et  de  prudence.  La  nuit  était  le  seul  temps  que  nous  y 
entrions,  et  lorsque  nous  les  abandonnions,  nous  avions  soin  d'en 
boucher  les  ouvertures,  afin  que  les  bergers  ni  autres  personnes  n'y 
pussent  apercevoir  nos  traces.  »  Les  Insurgés  protestants  sons 
Louis  XIV,  par  M.  Frostérus.  Pièces  justificatives.  Paris  (1868). 

IN"  17,  vol.  O,  p.  1. 

2  N»  17,  vol.  H. 


INTRODUCTION  xiii 

Mais  ces  hommes  étaient  rares  ;  on  les  comptait. 
Les  religionnaires  passaient  pour  s'être  convertis,  et 
tous,  à  vrai  dire,  avaient  réellement  abjuré  sous  la 
pression  des  événements  :  les  uns  sans  arrière-pensée, 
les  autres  conservant  encore  au  fond  du  cœur  l'amour 
de  leur  religion,  tous  fatigués  de  souffrir,  brisés,  dés- 
espérés. Louis  XIV  ne  se  trompait  ni  ne  trompait.  A 
voir  la  situation  de  haut  et  dans  son  ensemble,  il  disait 
vrai  quand  il  affirmait,  en  1715,  la  disparition  du  pro- 
testantisme français. 

Il  se  faisait  cependant  un  travail  souterrain. 

Dans  les  rangs  du  peuple,  chez  les  paysans,  les 
ouvriers,  on  commençait  à  rougir  de  cette  apostasie. 
On  était  las  de  se  faire  marier  par  les  prêtres,  d'en- 
voyer ses  enfants  à  l'école  catholique ,  d'assister  à  la 
messe,  de  plier  les  genoux  à  toutes  les  cérémonies 
d'une  religion  exécrée.  On  eût  voulu  jeter  le  masque, 
crier  bien  haut  qu'on  mentait,  qu'on  était  et  qu'on  res- 
terait protestant.  La  peur  retenait  la  foule,  mais  non  les 
hommes  courageux.  «Ne  vous  réjouissez  pas,  ennemis 
de  la  vérité,  comme  si  vous  aviez  remporté  la  victoire. 
Il  est  vrai,  vous  avez  triomphé  de  nos  faiblesses  en 
arrachant  par  violence  une  abjuration  criminelle,  mais 
à  quoi  servait-il  de  nous  faire  signer  que  nous  renon- 
cions à  notre  religion  et  que  nous  voulions  désormais 
vivre  et  mourir  dans  celle  de  TEglise  romaine  ?  La 
tristesse  qui  était  peinte  sûr  notre  visage,  les  larmes 
qui  coulèrent  de  nos  yeux,  et  les  soupirs  qui  partirent 
du  profond  de  nos  cœurs,  n'étaient-ils  pas  des  témoins 
plus  fidèles  de  notre  foi  et  de  nos  sentiments  ! ...  » 
I  b 


XIV  INTRODUCTION 

Les  événements  politiques  favorisaient  beaucoup  ce 
travail.  Si  pesante  que  fût  la  main  sous  laquelle  le  pro- 
testantisme courbait,  on  sentait  à  mille  symptômes 
qu'elle  devenait  moins  lourde,  et  que  les  préoccupa- 
tions de  la  cour  se  portaient  ailleurs.  Joly  de  Fleury, 
qui  fut  plus  tard  procureur  général  du  parlement  de 
Paris  ,  indique  ce  point  avec  beaucoup  de  justesse. 
«  La  guerre  de  1701  qui  a  duré  jusqu'en  1713  et  1714, 
et  les  disgrâces  que  nos  armées  essuyèrent,  releva  le 
courage  des  religionnaires.  Nos  ennemis  y  envoyèrent 
des  prédicants  ^ .  » 

Il  y  avait  quelques  hommes  et  quelques  femmes 
qui,  en  grand  secret,  dans  les  villages  et  les  fermes 
isolées,  se  mêlaient  de  prêcher.  On  les  connaissait,  on 
savait  leur  nom,  et  plus  d'un,  la  nuit  venue,  allait  les 
écouter.  Lesautres  moins  imprudents  restaient  chez  eux, 
et  dans  le  silence  de  leurs  demeures  demandaient  pardon 
à  Dieu  des  impiétés  qu'ils  croyaient  avoir  commises,  en 
assistant  à  la  célébration  des  cérémonies  catholiques. 
«  Ils  tenaient  d'une  main  l'Evangile  et  de  l'autre  l'i- 
dole. Pendant  la  nuit,  ils  rendaient  à  Dieu  dans  leurs 
maisons  un  culte  secret,  et  pendant  le  jour,  ils  allaient 
publiquement  à  la  messe.  » 

Cela,  dans  toutes  les  provinces  protestantes.  En 
Poitou,  il  y  avait  des  prédicants,  pauvres  laboureurs, 
qui  allaient  prêcher  de  maison  en  maison.  Ils  pous- 
saient l'audace  jusqu'à  convoquer  de  petites  assemblées. 
Ils  ranimaient  le  zèle,  relevaient  les  courages,  aidaient 
à  supporter  les  maux  de  la  persécution.  Ils  excitèrent 

I  Bibliothèque  nationale,  Mss.  n"  7U4(J,  f>.  212. 


INTRODUCTION  x  v 

même  une  telle  agitation  que  la  cour  s'en  effraya.  On 
mit  des  détachements  à  leur  poursuite  et  plusieurs 
furent  pris  ;  l'un  d'entre  eux  fut  pendu  ^ 

En  Daupliiné,  en  Picardie,  en  Normandie,  en  Bre- 
tagne, les  mêmes  symptômes  se  manifestaient  \ 

Mais  c'est  dans  le  Languedoc  surtout  qu'ils  étaient 
apparents.  Les  Monteil,  les  Ccuillot,  les  Bernard,  les  Bru- 
nel,lesVesson,lesMazel,lesBombonnoux,lesRouvière, 
essayaient  chaque  jour  de  réunir  au  Désert  les  reli- 
gionnaires.  Des  prophétesses  couraient  le  pays.  Elles 
seréfugiaient,lesoir,  dans  des  maisons  amies  etpayaient 
leur  hospitalité  en  récitant  des  psaumes  et  des  passages 
de  la  Bible.  Un  prédicant  encore,  qui  devait  jouer  plus 
tard  un  grand  rôle,  Pierre  Corteiz,  s'efforçait  en  ce  mo- 
ment de  relever  les  courages  et  de  grouper  autour  de 
lui  les  quelques  hommes  qui  frémissaient  sous  le  joug. 
Il  était  arrivé  en  Languedoc,  au  mois  de  juin  1709, 


*  Bulletin  de  la  Société  de  V Histoire  dic  Protestantisme,  t.  IV, 
p.  229. 

2  Voici  quelques  lignes,  par  exemple,  qui  regardent  un  petit  village 
du  Loir-et-Cher,  et  que  nous  trouvons  dans  une  histoire  inédite,  dont 
M.  A.  de  Kerpezdron  a  bien  voulu  nous  communiquer  le  manuscrit. 

«  ...  Après  la  Révocation,  il  ne  resta  que  quelques  familles  pauvres, 
mais  fidèles  à  la  foi  de  leurs  pères,  et  malgré  la  grande  tribulation, 
ce  petit  troupeau  n'a  jamais  cessé  de  se  réunir  toutes  les  fois  que 
Toccasion  s'est  présentée. 

«Ils  s'assemblaientnuitammentdansde  vieilles  carrières  que  Tonvoit 
encore  aujourd'hui  dans  le  terrain  du  presbytère  protestant.  Leur  culte 
était  souvent  interrompu  par  l'arrivée  des  dragons  qui  ne  se  faisaient 
aucun  scrupule  d'en  massacrer  quelques-uns  et  traînaient  ensuite 
ceux  qu'ils  croyaient  être  les  conducteurs  devant  les  magistrats  qui 
leur  infligeaient  des  peines  sévères  et  souvent  infamantes.  Plusieurs 
ont  été  enfermés  à  Bicêtre,  pour  avoir  chanté  des  psaumes,  ou  pour 
avoir  chez  eux  le  N.  T.,  ou  même  quelque  livre  de  piété  composé  par 
quelque  pasteur  protestant.  » 


XVI  INTRODUCTION 

accompagné  de  deux  amis  :  Salomon  Sabatier  et 
Etiemie  Arnaud.  Pendant  trois  ans,  il  avait  sillonné  la 
province. 

«  Environ  ce  temps-là,  je  tombai  malade...  Joint  les  afflic- 
tions et  les  chagrins  que  je  recevais  tous  les  jours  de  voir  mes 
chers  frères  enlevés  de  devant  mes  yeux,  les  mauvais  aliments 
que  je  mangeais,  l'humidité  de  la  terre  sur  laquelle  je  couchais, 
les  sérénités  de  la  nuit  que  j'endurais,  m'offencèrent  le  sang  et 
gâtèrent  l'estomac,  de  sorte  que  j'étais  faible  et  languissant.  » 

Obligé  de  partir  pour  Genève ,  il  en  était  bientôt  re- 
venu. «Dieu  fit  naître  de  nouvelles  afflictions,  (si  bien) 
qu'au  milieu  de  mon  innocence  j'avais  des  chagrins  qui 
m'étaient  un  espèce  de  martyr.  Je  connus  bien  que  la 
divine  Providence  disposait  toutes  ces  cbosespour  m'en- 
gager  à  retourner  en  France,  ce  que  je  fis  heureuse- 
ment. »  Et  depuis  lors,  il  tenait  de  petites  réunions, 
prêchait,  se  mettait  en  rapport  avec  les  rares  prédicants 
dont  il  entendait  parler,  et  s'efforçait  dans  un  petit  coin 
du  royaume  de  retirer  le  protestantisme  de  l'abîme 
dans  lequel  il  avait  roulé. 

Quelque  temps  après  la  soumission  des  Camisards, 
Claris,  rencontrant  Bombonnoux  :  «  Tous  nos  prédica- 
teurs sont  morts  ou  rendus,  lui  dit-il  ;  que  ferons-nous  ?  » 
'c  Dieu  y  pourvoira  !  répliqua  Bombonnoux.  Et  quand 
je  n'entendrai  aucune  prédication  d'ici  à  dix  années,  je 
me  sens  assez  de  courag'e,  avec  le  secours  du  ciel,  pour 
résister  à  toutes  les  tentations  qui  pourraient  m'ètre 
suscitées  par  les  ennemis  de  l'Evangile  !  »  Cette  fière 
réponse  était  vers  1715  dans  la  bouche  de  beaucoup 
d'hommes.  Ils  ne  la  faisaient  pas  à  haute  voix;  mais 
il   semble  qu'ils   la  redisaient   volontiers    entre  eux 


INTRODUCTION 


XVII 


comme  un  mot  d'ordre  et  comme  un  encourag-ement. 
Tous  les  documents  sont  unanimes  sur  ce  fait.  Ils  en 
exag'èrent  même  l'importance.  A  Paris,  le  curé  de  Saint- 
Sulpice  écrit  :  «  L'ambassadeur  de  Hollande  a  chez  lui 
un  ministre  qui  fait  le  prêclie  en  français,  et  il  y  va  tou- 
jours une  g'rande  quantité  de  monde  pour  l'entendre  ^  » 
— A  Poitiers,  l'évêque  se  plaint  que  les  Nouveaux  Con- 
vertis n'assistent  pas  à  la  messe  et  au  service  divin; 
qu'ils  meurent  sans  que  le  curé  soit  averti  ou  qu'il 
n'est  averti  que  lorsqu'ils  sont  à  l'ag-onie  et  ne  parlent 
plus;  enfin  qu'ils  n'envoient  leurs  enfants  ni  à  l'église 
ni  au  catécliisme  -.  —  C'est  enfin  Cliamilly  lui-même, 
le  terrible  maréchal  de  Cliamilly^  qui  dit  à  la  cour  : 

«  A  juger  les  choses  par  les  seules  apparences,  rien  ne  paraît 
plus  surprenant  que  de  voir  encore  des  religionnaires  en  France. 
La  révocation  de  l'Edit  de  Nantes  obligea  de  sortir  du  royaume 
les  ministres  qui  les  confirmaient  dans  leurs  erreurs.  Les  sages 
et  louables  mesures,  que  le  Roi  prit  ensuite  pour  réunir  tous  ses 
sujets  dans  une  même  croyance,  les  personnes  qui  furent  en- 
voyées dans  les  provinces  pour  faire  des  conférences  de  con- 
troverse, les  bons  livres  qu'on  prit  le  soin  de  distribuer  dans 
les  diocèses,  les  maîtres  et  maîtresses  d'école  qu'on  établit  dans 
chaque  paroisse  pour  l'instruction  de  la  jeunesse,  —  tous  ces 
moyens,  joints  à  j)lusieurs  édits  et  déclarations  qu'a  faits  Sa 
Majesté,  tant  pour  empêcher  l'accroissement  de  l'hérésie  que 
pour  la  détruire  dans  ses  fondements,  devaient  produire  des 
effets  tels  qu'on  les  pouvait  désirer.— Et  nous  eussions  vu  sans 
doute  l'accompUssement  de  tant  de  pieux  desseins,  sans  les 
malheurs  qu'entraîne  nécessairement  après  soi  une  guerre  qui 
n'a  presque  point  eu  d'interruption  depuis  environ  trente  ans^.  » 

1  Bibliothèque  nationale,  Mss.  n"  704G,  p.  36.  (Mars  1715.) 

2  Ihid.,  p.  14.  (Janvier  1712.) 

3  Ibcd.,  p.  19.  (Juillet  1713.) 


XVIII  INTRODUCTION 

Mais  rignorance  de  ces  prédicants  improvisés,  l'é- 
pouvante g-énérale,  la  crainte  des  surprises,  la  menace 
des  châtiments,  tout  cela,  accru  par  les  précautions  à 
prendre  et  le  mystère  de  la  nuit,  devait  avoir  une  fâ- 
cheuse influence  sur  les  esprits.  Dans  ces  petits  conci- 
liabules, on  c(  fanatisait  »  déjà,  et  les  Inspirés  étaient 
en  honneur. 

On  se  montrait  surtout  très-intolérant.  On  était  dis- 
posé à  s'attribuer  toute  vertu,  tout  courage,  toute  foi, 
on  formait  de  petits  groupes,  et  l'on  méprisait  les  Nou- 
veaux Convertis  qui,  moins  téméraires,  s'enfermaient 
dans  leurs  demeures.  Ceux-là,  c'étaient  les  apostats; 
nulle  différence  n'était  établie  entre  ceux  qui,  soit  fai- 
blesse, soit  intérêt,  avaient  abjuré,  n'espérant  plus 
voir  le  rétablissement  du  protestantisme,  et  ceux  qui, 
plus  prudents,  vivaient  à  l'écart,  mais  restaient  fidèles 
à  leur  foi.  Lorsqu'un  pasteur,  qui  devait  plus  tard  se 
rendre  célèbre,  vint  en  Dauphiné,  il  rencontra  les  plus 
grandes  oppositions  et  dut  renverser  mille  obstacles 
pour  se  faire  accepter.  «  Il  lui  fallut  non-seulement  dis- 
puter avec  eux,  mais  encore  s'insinuer  dans  leur  esprit, 
faisant  semblant  d'admirer  que  des  gens  sans  lettres, 
pour  la  plupart,  des  femmes  même,  eussent  eu  le  zèle 
et  le  courage  de  prêcher  la  repentance,  en  leur  fai- 
sant toujours  voir  par  des  raisons  très-convaincantes 
qu'on  ne  devait  pas  les  regarder  comme  inspirés  * .  » 

Il  se  passait  alors  ce  qu'on  avait  déjà  vu  au  seizième 
siècle,  pendant  la  persécution. 

"  De  ceux-ci,  les  uns  (mais  en  petit  nombre)  se  tiennent  cois 
*  N"  17,  vol.  B.  Relation  sur  h)  Dauphiné,  par  Vouland. 


INTRODUCTION 


XIX 


et  couverts  en  leurs  maisons,  prient  Dieu  un  chacun  chez  soi, 
bien  secrètement  toutefois,  de  peur  d'être  surpris,  attendant 
qu'on  les  accommode.  (C'est  le  mot  dont  usent  des  tueurs.) 

«  Les  autres  s'en  vont  à  la  messe,  de  gaieté  de  cœur  et 
comme  à  l'envi  l'un  de  l'autre,  blasphèment,  disputent  et  re- 
nient mille  fois  le  jour,  pour  montrer  qu'ils  n'en  sont  plus,  faisant 
en  tout  le  surplus  des  voleries  et  des  maux,  plus  que  je  ne  t'en 
saurai  réciter  :  une  grande  partie  de  ceux-ci  porte  des  armes 
contre  les  autres  huguenots,  mais  le  Roi  ne  s'y  fie  pas  beaucoup. 

«  Et  les  autres  vont  aussi  à  la  messe,  mais  contre  leur  gré  et 
par  force,  comme  il  est  aisé  à  juger  à  leur  mine  et  contenance, 
tant  ils  sont  abattus  et  contristés,  et  si  n'osent  bonnement  par- 
ler l'un  et  l'autre,  ni  se  laisser  rencontrer  par  les  rues  ou  en 
leurs  maisons,  deux  à  la  fois  K  » 

Tout  cela  cependant  indiquait  la  vie.  De  haut  et  de 
loin,  on  pouvait  croire  comme  Louis  XIV  que  la  Ré- 
forme française  n'existait  plus  ;  de  près,  il  était  évident 
qu'elle  vivait  encore.  Elle  traversait  une  dernière  crise. 
En  sortirait-elle  victorieuse  ou  vaincue  ?  La  question 
était  là. 

Qui  allait  la  sauver,  et  comment?  Les  intendants 
l'accablaient,  les  soldats  la  surveillaient,  le  clerg'é 
l'épiait.  Une  armée  de  convertisseurs  préparait  ses  fu- 
nérailles. Au  moindre  mouvement,  tous  allaient  se  pré- 
cipiter sur  elle.  Un  voyageur  qui  parcourut  le  Lan- 
g'uedoc,  deux  ans  après  la  mort  de  Louis  XIV,  écrivait  : 
«  Permettez-moi  de  vous  le  dire,  il  serait  nécessaire  que 
les  bons  pasteurs  fissent  des  efforts  dans  cette  circon- 
stance pour  procurer  des  remèdes...  et  qu'on  fit  con- 
naître à  tous  ces  frères  leurs  oblig-ations  par  de  bonnes 

1  Le  Réveille-Matin  des  François  et  de  leurs  voisins,  par  Kusèbe 
Pluladel])lie,  p.  83.   Edimbourg.  (1574.) 


XX  INTRODUCTION 

lettres  pastorales  ^  »  Des  lettres  pastorales  et  des  pas- 
teurs, q'est-à-dire,  la  parole  vivante  et  la  parole  écrite, 
pour  consoler,  affermir,  relever  !  C'était  bien  en  effet  le 
secours  nécessaire.  Mais  qui  voudrait  s'exposer  à  une 
mort  imminente?  Qui  comprendrait  la  situation,  l'em- 
brasserait d'un  coup  d'oeil,  verrait  le  salut  et  le  dan- 
ger, et,  après  avoir  fixé  la  route,  aurait  le  courage  d'y 
marcher  résolument  ? 

Il  existe  une  vieille  prière  que  les  religionnaires 
aimaient  à  cette  date  à  répéter  :  elle  marque  dans  un 
puissant  langag'e  combien  ils  sentaient  l'horreur  de 
leur  situation  et  les  difficultés  d'y  échapper. 

«  Des  abîmes  profonds  d'une  noire  tristesse 

A  toi  seul,  Dieu  puissant,  nous  adressons  nos  vœux! 

Que  nos  gémissements  excitent  ta  tendresse, 

Et  l'excès  de  nos  maux  un  regard  de  tes  yeux^  !...>» 

C'est  à  cette  heure  critique,  qu'un  jeune  prédicant 
inconnu,  Antoine  Court,  résolut  de  restaurer  le  protes- 
tantisme en  France,  et  se  consacra  tout  entier  à  cette 
grande  entreprise. 


1  N"  17,  vol.  H.  (1717.) 

2  V.  Pièces  et  documents,  n"  III    (1715.) 


ANTOINE  COURT 


HISTOIRE 

DE  LA  RESTAURATION 


DU 


PROTESTANTISME  EN  FRANCE 

AU  DIX-HUITIÈME   SIÈCLE 


CHAPITRE  PREMIER 

KNFANCE    ET    JEUNESSE    d'aNTOINE    COURT 
1(396-1715 

Antoine  Court  naquit  le  17  mai  1696  à  Villeneuve 
de  Berg-,  petite  ville  du  Vivarais  \  Ses  parents,  g-ens 
de  peu,  avaient  quelque  fortune  ;  la  mère,  Marie  Gé- 
belin,  sortait  d'une  famille  aisée  du  bas  Languedoc. 
On  ignore  ce  que  faisait  et  ce  qu'était  le  père  ;  mais  on 
sait  que  tous  deux  étaient  des  protestants  très-zélés. 
Pendant  la  grossesse  de  la  mère,  s'entretenant  un  jour 

1  1695  ou  1696?  Court  déclare  ne  l'avoir  jamais  su.  Cependant,  dana 
un  second  manuscrit,  il  écrit  1696,  et  nous  adoptons  cette  date  qui 
nous  paraît  dénouer  plus  d'une  difficulté. 

I  1 


2  LES  PARENTS  D'ANTOINE  COURT 

de  l'état  qu'ils  pourraient  donner  à  l'enfant  qui  allait 
naître,  ils  se  disaient    «  que  ce  serait  un  bien  grand 
bonlieur  pour  eux  de  le  consacrer  au  service  de  Dieu.  » 
Cette  parole  les  peint.  A  cette  époque  en  effet,  la  persé- 
cution, encore  dans  sa  première  ardeur,  était  terrible. 
«  On  forçait,  dit  naïvement  Antoine  Court,  lesprotes- 
tants  d'assister  au  culte  de  l'Eg-lise  romaine  ;  personne 
n'en  était  exempt,  et  si  quelques-uns  avaient  assez  de 
courag-epour  le  refuser  et  pour  s'en  défendre,  bientôt 
des  estafiers  se  saisissaient  de  leurs  personnes  et  les 
traînaient  dans  les  couvents,  les  autres  dans  des  pri- 
sons, et  les  autres  on  les  transportait  dans  un  nouveau 
monde.    Il  n'était  pas  permis  d'envoyer  les  enfants 
dans  les  pays  étrangers  pour  les  y  faire  étudier,  et  on 
ne  le  pouvait  dans  le  royaume  que  cbez  des  maîtres 
catholiques,  à  qui  il  était  ordonné,  sous  les  peines  les 
plus  sévères,  de  faire  assister  régulièrement  tous  les 
écoliers  à   la  messe  et  à  tous  les  autres  services  de 
l'Eglise  catliolique\  »  Les  assemblées  étaient  traquées, 
les  galères  remplies,  et  les  prédicants  mis  à  mort.  Cette 
année  même  on  venait  d'exécuter  La  Porte  et  Henri 
Guérin;  Pierre  Plans  devait  l'être  en  1697,  Claude 
Brousson  en  1698.  —  Ne  fallait-il  pas  une  force  de 
convictions  peu  commune  pour  destiner  son  fils  au  pé- 
rilleux honneur  du  ministère  sous  la  croix  ? 

En  1700,  tandis  que  la  persécution  sévissait,  Jean 

1  V  Mémoires  sur  sa  vie.  N"  46,  cahier  h  «  Les  sept  cahiers  ici 
contenus,  dit  Court,  c'est  ce  qu'il  y  a  de  composé  de  mes  mémoires. 
Pour  les  continuer,  il  faut  non-seulement  consulter  les  volumes  de 
mémoires  manuscrits  que  j'ai  rassemblés  et  qui  sont  indiques  sous 
des  lettres  de  l'alphabet  comme  T.  A.  pour  dire  volume  A,  mais 
aussi  les  liasses  de  lettres  des  années  1732,  jusqu'en  1744.  » 


MARIE  GEBELIN  8 

Court  vint  à  mourir  et  avec  lui  périt  la  majeure  partie 
de  sa  petite  fortune.  Sa  femme  restait  seule,  à  trente - 
deux  ans,  avec  son  jeune  fils  et  deux  autres  enfants  en 
bas  âg-e.  C'était  une  huguenote  tendre  et  bonne,  mais 
austère  et  ferme  \  Elle  aimait  virilement,  partageant 
son  amour  entre  Dieu  et  sa  famille.  Veuve  jeune  encore, 
et  réduite  à  un  état  de  fortune  plus  que  médiocre, 
elle  ne  perdit  point  courag'e  et  se  consacra  tout  en- 
tière à  l'éducation  de  ses  enfants.  A  sept  ans,  elle  mit 
à  l'école  son  fils  Antoine.  Elle  l'y  conduisit  par  la  main, 
et  la  première  recommandation  qu'elle  fit  au  maître 
fut  de  n'éparg^ner  point  le  fouet  à  son  nouvel  écolier, 
si  celui-ci  manquait  à  son  devoir. 

Antoine  fit  des  progrès  rapides.  En  trois  ans,  il  eut 
atteint  la  science  de  son  maître.  —  Mince  science  ! 
«Lire,  dit-il,  écrire,  un  peu  d'arithmétique,  les  pre- 
miers éléments  de  la  grammaire,  voilà  en  quoi  con- 
sistait toute  l'instruction  du  maître  et  de  l'élève.  »  îl 
le  regrettait  fort.  Sans  doute  il  y  avait  à  Aubenas^  un 
collège  de  Jésuites,  il  y  avait  aussi  à  Villeneuve  un 
régent  qui  enseignait  le  latin,  mais  ils  étaient  «  si 
bigots,»  qu'ils  n'auraient  voulu  violer  les  règlements 
en  faveur  de  personne,  et  qu'ils  l'auraient  obligé ,  en 
l'admettant  au  nombre  de  leurs  élèves,  à  se  rendre  à 
l'église  et  assister  à  la  messe.  L'enfant,  plutôt  que  de 
se  plier  à  cette  règle,  préférait  rester  dans  son  igno- 
rance. Son  caractère   droit,  loyal,  un  peu   sauvage, 

1  V.  ses  lettres,  malheureusement  trop  rares.  N"  1,  t.  II  et  III, 
passim.  —  L'écriture  est  comme  le  caractère,  claire,  nette,  hardie ,; 
écriture  virile. 

2  A  deux  lieues  de  Villeneuve  de  Berg. 


4  ENFANCE  D'ANTOINE  COURT 

avait  déjà  eu  horreur  les  ruses,  et  les  apostasies  feintes. 
Il  abhorrait  la  messe.  Dans  ses  mémoires,  exami- 
nant si  c'était  counaissance  ou  préjugé  de  sa  part,^  il 
convient  «  que  ses  connaissances  et  ses  lumières  n'é- 
taient encore   ni  assez  développées,  ni  assez   éten- 
dues pour  pénétrer  jusqu'au  fond  de  ce  mystère  d'une 
invention  humaine.  »  La  messe,  aux  yeux  de  la  foule 
des  protestants,   était  le  symbole  même  du  cathoh- 
cisme    Et  cette  religion  redoutée  qu'on  entrevoyait 
à  travers  un  nuage  de  sang,  qui  avait  fait  révoquer 
l'Edit  de  Nantes,  qui  avait  inventé  les  dragonnades, 
fait  jeter  à  la  tour  de  Constance  les  mères,  aux  ga- 
lères les  pères  et  les  maris,  et  qui  dans  ce  pays  dé- 
solé du  Vivarais  et  des  hautes  Gévennes  promenait 
encore  son  impitoyable  cruauté,  était  pour  tous,  mais 
surtout  pour  l'enfant,  une  manière  d'épouvantail  fan- 

tastique. 

Mystérieux  et  austère  pays  que  le  Vivarais.  La  terre 
n'y  porte  guère  que  des  seigles  et  des  châtaigniers,  les 
montagnes  plus  hautes  que  dans  les  Gévennes  s'y  dres- 
sent plus  sombres  dans  le  ciel,  les  bois  de  chênes  verts 
abondent.  C'est  une  contrée  tourmentée  et  bouleversée 
qui  porte  au  recueillement  et  aux  pensées  solitaires'. 
Là,  dans  les  villages  isolés,  auprès  du  foyer,  le  soir, 
la  mère  après  avoir  lu  la  Bible  disait  des  histoires  lu- 
gubres; les  voisins,  portes  closes,  parlaient  de  l'msur- 
rection  des  Camisards  non  encore  étouffée,  des  com- 
bats,  de  l'Esprit-Saint,  des  miracles.  A  voix  basse 
ensuite,  craignant  toujours  l'oreille  des  espions,  on 

1  V.  la  description  qu'en  faisait  Brneys  :  Histoire  du  fanatisme,  eto 


ENFANCE  D'ANTOINE  CODRT  5 

priait  ensemble,  on  répétait  les  vieilles  lég'endes,  on 
racontait  les  supplices  des  martyrs,  celui  de  Claude 
Brousson,  de  Fulcrand  Eey,  et  comment  Isaac  Homel 
était  resté  deux  heures  sur  la  roue  avant  de  recevoir  le 
coup  de  grâce,  tenant  de  merveilleux  discours  et  chan- 
tant des  psaumes  ^ .  On  murmurait  des  chants  tels  que 
ceux-ci  : 

Nos  filles  dans  les  monastères, 

Nos  prisonniers  dans  les  cachots, 
Nos  martyrs  dont  le  sang  se  répand  à  grands  flots, 

Nos  confesseurs  sur  les  galères, 

Nos  malades  persécutés, 
Nos  mourants  exposés  à  plus  d'une  furie, 

Nos  morts  traînés  à  la  voierie. 
Te  disent  (ô  Dieu  !)  nos  calamités  ^. 

Les  enfants  silencieusement  écoutaient.  Peu  à  peu, 
songeant  à  ces  récits,  se  voyant  entourés  de  périls,  ils 
remontaient  à  la  source  de  tant  de  maux,  et  se  sen- 
taient pris  d'une  horreur  invincible  pour,  tout  ce  qui 
rappelait  une  forme  quelconque  du  catholicisme.  Ce 
n'était  pas  affaire  de  jugement,  mais  d'effroi,  de  haine 
héréditaire. 

A  l'école  de  son  premier  maître,  Antoine  Court  avait 
été  déjà  inquiété  par  ses  camarades.  On  savait  qu'il 
était  protestant,  —  car  il  le  disait  très-haut,  —  et  il 
n'était  point  de  méchancetés  qu'on  ne  lui  fît.  Un  petit 
huguenot,  c'était  un  être  curieux  et  endurant.  On  lui 
jetait  des  pierres,  on  le  raillait,  conspuait,  houspillait. 


1  N»  17,  vol.  F,  p.  181. 

2  N"  17,  vol.  T,  p.  557.  Complainte  de  l'Ef^iise  persécutée, 


6  HORREUR  DU  CATHOLICISME 

Au  sortir  de  l'école,  les  enfants  criaient  après  lui  : 
c(  Hé  !  hé  !  le  fils  aîné  de  Calvin  !  »  Ils  le  poursuivaient 
de  ces  clameurs  jusque  cliez  lui,  ameutant  sur  son  pas- 
sage tous  les  catholiques  de  la  ville  ^  Un  jour,  on 
voulut  le  mener  de  force  à  l'église.  Quatre  de  ses 
condisciples,  les  plus  robustes,  avaient  pénétré  dans  sa 
demeure,  et  comme  il  avait  eu  le  temps  de  saisir  les 
premières  marches  de  l'escalier  et  qu'il  s'y  crampon- 
nait, ils  luttaient  pour  l'en  arracher.  Les  habitants  du 
log'is  s'assemblèrent  et  conseillèrent  à  l'enfant  de  se 
rendre  à  l'église  ^.  Mais  lui,  indigné,  opposa  une  telle 
résistance  qu'il  oblig-ea  ses  adversaires  à  s'enfuir. 

Ainsi  malmené,  tracassé,  persécuté  pour  une  reli- 
gion qu'il  connaissait  à  peine  de  nom,  victime  encore 
enfant  et  participant  déjà  aux  souffrances  qu'enduraient 
les  siens,  le  jeune  Antoine  grandit  dans  la  haine  et 
l'horreur  du  catholicisme. 

Il  fallait  cependant  prendre  une  résolution.  Puisqu'il 
ne  voulait  point  poursuivre  chez  les  Jésuites  son  in- 
struction commencée,  il  n'avait  plus  qu'à  suivre  le  con- 
seil donné  à  sa  mère  par  un  de  ses  parents,  M.  Gébe- 
lin.  Il  essaya  donc  de  faire  du  commerce. 

L'essai  ne  réussit  pas.  Le  jeune  Antoine  n'avait  aucun 
goût  pour  le  négoce.  Ses  pensées,  ses  souvenirs,  ses 
parents,  la  persécution  dont  il  était  témoin,  tout  le 
poussait  vers  une  autre  voie.  Il  s'informait  des  choses 
religieuses,  il  se  plaisait  à  interroger  les  uns  et  les 


1  N°  4G,  cah.  I. 

2  Ibid.,  1  .  3.  «  De  peur,  dit  Antoine  Court,  que  sa  résistance  n'eût 
pour  eux  de  fâcheuses  suites.  »C'étaient  les  politiques  qui,  Tout  en  res- 
tant protestants  de  cœur,  allaient  h  la  messe. 


PREMIERES  LECTURES  7 

autres  ;  malheureusement  l'ig'norance  était  g-rande  et 
l'on  ne  pouvait  répondre  à  ses  questions.  Il  chercliait 
alors  des  livres,  mais  «  l'inquisition  avait  été  si  exacte 
contre  ces  moyens  efficaces  de  perpétuer  la  religion, 
qu'on  les  avait  tous  enlevés  aux  protestants,  et  fait  du 
plus  g-rand  nombre  la  proie  des  flammes.  Il  ne  restait 
dans  la  maison  que  quelques  feuillets  séparés  d'une 
Bible ,  tristes  débris  d'un  livre  que  la  piété  avait  ra- 
massés et  qu'un  illustre  fugitif  avait  cousu  à  la  suite 
l'un  de  l'autre.  »  Court  s'en  empara,  les  lut  et  relut.  La 
mort  d'une  demoiselle  de  Radel  le  mit  bientôt  en  pos- 
session des  Consolations  de  Vâme  fidèle  contre  les 
craintes  de  la  mort  par  Drelincourt  et  de  la  Voix  de 
Dieu  par  Baxter.  Presque  en  même  temps,  le  clerc 
d'un  curé  lui  laissa  un  vieil  ouvrage  datant  de  la  ré- 
forme et  intitulé  :  la  Dispute  d'un  herger  avec  son  curé. 
Sa  jeune  imagination  fut  cliarmée  par  cette  lecture  in- 
terdite et  sa  haine  contre  le  catholicisme  y  puisa  de  nou- 
velles forces.  c(  En  ce  moment,  dit-il,  il  eût  préféré  per- 
dre mille  vies  que  d'abandonner  la  religion  pour  laquelle 
il  avait  tant  d'amour.  » 

Tout  étonne  dans  la  jeunesse  de  Court.  Bien  qu'enfant 
il  montre  une  force  de  volonté,  un  courage,  une  pro- 
fondeur de  sentiments,  un  sérieux  tel  pour  cet  âge, 
qu'on  serait  tenté  de  ne  point  y  croire,  si  on  ne  se  re- 
portait par  la  pensée  à  ces  temps  héroïques  où  l'extra- 
ordinaire était  devenu  l'ordinaire.  Court  s'était  aperçu 
que  la  nuit  venue,  sa  mère  s'absentait  quelquefois  du 
logis.  Ne  se  rendait-elle  pas  à  ces  assemblées  nocturnes 
dont  il  avait  entendu  parfois  parler  à  l'oreille  et  à  mots 
couverts?  Cette  pensée  entrevue  se  fixa  dans  son  esprit. 


8  IL  ASSISTE  A  UNE  ASSEMBLEE 

et  il  résolut  d'épier  les  démarches  de  sa  mère.  Un  soir, 
il  la  voit  s'échapper  de  la  maison.  Il  la  suit  et  finit  par 
l'atteindre  à  une  assez  gTande  distance  de  Villeneuve. 
Mais  dès  qu'elle  le  voit,  la  sévère  huguenote  l'arrête  et 
lui  demande  où  il  va.  —  «  Je  vous  suis,  ma  mère,  et  vous 
permettrez  que  je  le  fasse  jusqu'où  vous  allez.  Je  con- 
nais que  vous  allez  prier  Dieu,  mais  voudriez-vous 
me  refuser  la  grâce  de  l'aller  faire  avec  vous  ?  »  Elle 
se  laisse  toucher,  non  sans  verser  des  larmes.  Elle  fait 
sentir  à  son  fils  les  conséquences  de  leur  entreprise  et 
après  l'avoir  fortement  exhorté  au  secret  :  «  Je  vais  si 
loin,  mon  cher  enfant,  que  je  crains  hien  que  tu  ne 
succomhes  à  la  fatigue,  mais  puisque  tu  le  veux,  viens, 
suis-moi,  allons  prier  Dieu.  »  —  Qu'importait  la  fa- 
tigue ?  La  permission  de  sa  mère  le  comblait  de  joie. 
Il  part  avec  elle ,  et  après  avoir  rencontré  quelques 
jeunes  femmes  et  quelques  hommes,  qui,  le  voyant 
harassé,  le  portent  sur  leurs  épaules,  il  arrive  au  mi- 
lieu de  l'assemblée.  C'était  une  femme  qui  faisait  le 
service  ce  soir-là  ^ . 

Antoine  Court,  depuis  lors,  assista  régulièrement  à 
toutes  les  assemblées  du  Désert.  Il  en  devint  un  audi- 
teur assidu  et- se  plut  même  à  les  provoquer.  C'est  lui 
qui  pria  les  prophétesses  et  les  prédicants  du  Vivarais 
de  descendre  jusqu'à  Villeneuve  pour  y  prêcher,  leur 
offrant  son  logis  et  promettant  de  veiller  à  leur  sécu- 
rité ;  c'est  lui  encore  qui  réorganisa  la  petite  église 
de  Villeneuve  et  parvint  à  la  rendre  prospère,  presque 
florissante. 

1  N"  46,  cah.  I,  p.  4. 


SON  ACTIVITE  ET  SON  ZELE  9 

Qu'on  se  garde  surtout  de  croire  qu'un  aussi  jeune 
homme  ne  pouvait  exercer  une  influence  réelle  sur  ses 
coreligionnaires.  Ceci  se  passait  presque  au  lendemain 
delà  guerre  des  Camisards  ^  Le  duel  n'était  point 
terminé.  Les  esprits  exaltés  par  la  persécution  étaient 
loin  d'être  calmés,  les  prédicantes, —  des  femmes,  des 
jeunes  filles^, —  couraient  le  pays  et  faisaient  vibrer 
les  âmes  au  bruit  de  leurs  ardentes  prophéties.  Abra- 
ham Mazel ,  le  seul  chef  qui  survécut  des  trois  chefs 
camisards  envoyés  par  la  reine  Anne  en  France  pour 
y  soulever  les  protestants,  parcourait  encore  les  hautes 
Cévennes  ^ .  Antoine  Court  passait  pour  un  de  ces  en- 
fants qui,  d'après  la  croyance  populaire,  étaient  ani- 
més «de  l'esprit  de  Dieu.»  Déjà,  dans  les  assemblées 
au  Désert,  il  faisait  l'office  de  lecteur^  et  l'ardeur  que 
cette  jeune  âme  mettait  dans  toutes  ses  entreprises 
était  bien  propre  à  frapper  d'étonnement,  presque  d'une 
certaine  superstition,  ses  rudes  auditeurs.  Pour  lui, 

1  1710-1711. 

-  Elles  n'étaient  guère  plus  âgées  qu'Antoine  Court. — YÀeThéâtre 
sacré  des  Cévennes  par  Misson,  etc.  Londres,  R.  Roger.  (1707.) 

^  En  1711,  quand  Abraham  Mazel  lui-même  fut  mort,  quelques  pré- 
dicants  du  Languedoc, —  les  Durand,  les  Rouvière,  les  Bombonnoux, — 
avaient  délibéré  sur  la  conduite  à  tenir,  et  résolu  de  courir  encore 
une  fois  -les  chances  d'un  soulèvement.  «  Nous  avons  en  Lan- 
guedoc, écrivaient-ils,  quelques  petites  provisions  de  munitions  et 
d'armes  que  nos  chers  martyrs,  Abraham  et  Claris,  ont  faites.  Nous 
avons  parmi  nous  Bombonnoux,  homme  prudent  et  courageux,  qui  a 
toujours  été  le  compagnon  de  Claris.  Vous  connaissez  son  mérite. 
Pourtant,  il  nous  serait  fort  nécessaire  de  nous  envoyer  quelque 
homme  expert  et  entendu.  »  (N"  31,  p.  512,  juin  1711.)  Et  peu  de 
temps  après  :  «  On  nous  écrit  que  le  zèle  du  peuple  y  est  si  grand 
(il  Montauban)  qu'en  Cévennes  en  1702.  Le  peuple  est  tout  disposé  h 
sacrifier  tout  pour  sa  liberté,  pourvu  qu'on  le  veuille  aider,  car  je 
m'oblige  à  avoir  mille  hommes  dans  deux  mois.  Envoyez-nous  un 
chef.  »  N"  31,  p.  512.  (Août  1711.) 


10  PREMIÈRES  COURSES  AVEC  BRUNEL 

il  n'hésitait  plus  sur  la  voie  qu'il  devait  prendre.  Les 
^spectacles  dont  il  était  témoin,  les  prédications  aux- 
quelles il  avait  assisté ,  les  livres  qu'il  avait  lus,  les 
espérances  qu'on  fondait  sur  lui,  tout  le  poussait  vers 
le  ministère. 

Une  circonstance  particulière  l'affermit  dans  sa  déci- 
sion. En  1713,  au  mois  de  mai,  un  pauvre  prédicant 
nommé  Brunel  \  qui  courait  le  Languedoc,  étant  venu 
par  hasard  à  Villeneuve,  communiqua  au  jeune  homme 
le  dessein  qu'il  avait  de  passer  à  l'étranger,  et  l'en- 
gagea à  le  suivre.  C'était  prévenir  un  désir  de  Court  : 
l'offre  fut  accueillie  avec  joie.  Mais  comme  ce  départ 
qui  ressemblait  fort  à  une  fuite,  ne  pouvait  avoir 
lieu  qu'au  mois  de  septembre,  il  résolut  en  attendant 
d'accompagner  Brunel  dans  le  haut  Vivarais. 

Il  quitta  Villeneuve  à  la  Pentecôte  ;  sur  sa  route,  il 
rencontra  des  prophétesses  qui  lui  prédirent  un  bril- 
lant avenir  et  le  conjurèrent  de  ne  point  aller  en  Suisse. 
Une  d'elles  tombant  en  extase,  s'écria  ;  «  L'épée  que 
tu  as  vue  sur  le  côté  de  mon  serviteur  est  ma  parole 
qui  sera  en  sa  bouche  comme  une  épée  à  deux  tran- 
chants ;  cette  rosée  abondante  que  tu  as  vue  tomber 
sur  sa  tète  est  la  même  parole  qui  habitera  plantureu- 
sement  sur  lui  ^  »  Cette  scène  fit  une  profonde  impres- 
sion sur  l'esprit  de  Court.  Un  jour,  dans  une  de  ces 
mystérieuses  assemblées  où  les  assistants  pleuraient 
et  priaient  à  l'envi,  dans  un  moment  d'exaltation  su- 
bite, il  prit  la  parole  et  prêcha.  L'auditoire  était  peu 
nombreux,  —  trente  personnes,  — et  composé  exclusi- 

1  Son  vrai  nom  était  Pierre  Cha))rier. 

2  N"  46,  cah.  I. 


IL  PRECHE  DANS  UNE  ASSEMBLEE  11 

vement  de  femmes.  On  le  loua  et  on  l'applaudit  fort  ; 
peu  s'en  fallut  qu'on  ne  ne  le  regardât  comme  «  un 
ang^e  envoyé  expressément  du  ciel  pour  prêcher.  »  De 
cette  époque  date  vraiment  son  ministère. 

«  Les  heureux  résultats  de  mon  ministère  naissant,  dit-il, 
ne  laissèrent  pas  que  de  me  persuader  bientôt  que  Dieu  ap- 
prouvait le  désir  que  j'avais  de  me  consacrer  à  sa  gloire  et  au 
service  de  son  Eglise,  et  que  ma  vocation  était  céleste  et  divine. 
Quoique  jeune,  je  prévoyais  toutes  les  effrayantes  suites  qu'en- 
traînait après  elle  cette  résolution  de  me  consacrer  au  service 
des  Eglises  sous  la  croix  Mais  la  ferme  persuasion  où  j'étais 
que  Dieu  approuvait  mon  dessein,  qu'il  veillerait  pour  ma  con- 
servation, qu'il  m'accorderait  toujours  sa  protection,  pourvu 
que  je  ne  m'en  rendisse  pas  indigne,  et  que  sa  providence  ne 
manquerait  pas  de  me  faire  sortir  heureusement  de  toutes  les 
épreuves  par  oià  elle  voudrait  bien  me  faire  passer,  m'aflermi- 
rent  dans  ma  résolution.  Je  conclus  plus  d'une  fois  que  je  ne 
devais  rien  avoir  d'assez  cher  dont  je  ne  fisse  le  sacrifice  pour 
une  Eglise  en  faveur  de  laquelle  le  propre  fils  de  Dieu  avait 
bien  voulu  perdre  la  vie  sur  un  infâme  bois,  et  que  rien  ne  se- 
rait plus  glorieux  pour  moi  que  de  perdre  la  mienne,  si  le  Sei- 
gneur m'appelait  pour  une  cause  qui  m'avait  paru  si  digne  do 
l'amour  le  plus  parfait  *.  » 

Dans  ces  dispositions  d'esprit,  il  continua  sa  course 
à  travers  le  Vivarais.  Son  jeune  âge,  sa  prédication 
chaleureuse,  son  désintéressement,  son infatig*able  acti- 
vité et  cette  sorte  d'auréole  qui  entoure  l'homme  des- 
tiné à  accomplir  de  grandes  choses,  lui  avaient  g-agné 
les  montagnards  et  lui  donnaient  une  véritable  popu- 
larité. La  paix  d'Utrecht  venait  d'être  conclue.  Cette 
paix  impatiemment  attendue  par  les  religionnaires , 

1  N"  46,  cah.  1. 


12  PAIX  D'UTRECHT 

parce  qu'ils  pensaient  qu'elle  serait  l'occasion  de  me- 
sures plus  douces  à  leur  égard,  avait  déçu  toutes  leurs 
espérances.  On  avait  rendu  à  la  liberté  quelques  for- 
çats ;  mais  les  édits  et  les  déclarations  royales  subsis- 
taient, comme  par  le  passé,  dans  toute  leur  sévérité  \ 
L'irritation  fut  grande.  Prophètes  et  propliétesses  écla- 
tèrent en  menaces  contre  les  prêtres  catholiques;  et 
Court  reçut  l'ordre  d'aller  sur  les  places  publiques 
prêcher  la  pénitence  et  reprocher  aux  ecclésiastiques 

1  C'est  le  marquis  de  Rocliegude  (Sur  le  marquis  de  Rocliegude 
V.  n"  48,  n"  2)  qui  s'était  chargé  de  représenter  les  intérêts  des  pro- 
testants devant  les  plénipotentiaires.  Déjîi,  en  1712,  à  Utrecht,  le 
marquis  avait  défendu  ses  coreligionnaires  :«  Vos  Ex'cellences  savent 
de  quoi  il  s'agit,  savoir  de  procurer  l'élargissement  des  confesseurs 
sur  les  galères,  dans  les  prisons  et  ailleurs,  comme  aussi  la  liberté 
d'une  infinité  de  nos  frères  en  France  qui  gémissent  sous  l'oppression 
du  papisme  :  deux  ordres  de  personnes  qu'on  ne  saurait  séparer,  car 
si  l'on  délivre  les  galériens  sans  délivrer  les  autres,  les  galères  se- 
ront bientôt  remplies  de  Réformés  sous  de  vains  prétextes  de  contra- 
vention. Voici  la  contravention  :  vouloir  sortir  du  royaume  pour  évi- 
ter la  persécution,  n'aller  point  à  la  messe,  empêcher  ses  enfants  d'y 
aller,  les  refusera  un  prêtre  pour  les  instruire,  c'est  ce  qu'on  appelle 
contrevenir  aux  ordres  du  Roi,  et  c'est  aussi  sur  cela  qu'on  renou- 
velle, aujourd'hui  plus  que  jamais,  la  persécution  en  France.  Cela 
paraît  par  la  lettre  circulaire  du  Roi  aux  Intendants  des  Provinces. 
Que  ne  feront-ils  pas  après  la  paix,  si  l'on  ne  prévient  ces  persécu- 
tions par  le  rétablissement  de  la  religion  en  France!  —  Le  roi  objecte 
que  cela  ne  vous  regarde  pas  et  qu'il  est  maître  chez  lui.  C'est  faux. 
La  religion  unit  tous  les  protestants  en  un  corps....  »  (N"  17,  vol. 
N,  p.  122,  26  avril  1712.)  Eu  1713,  ses  paroles  n'ayant  éveillé  au- 
cun écho,  Rocliegude  passa  en  Angleterre.  Il  remit  un  long  mémoire 
h  la  reine,  la  priant  au  nom  de  ses  frères  sous  la  croix  de  ne  point 
les  abandonner,  mais  de  prendre  leurs  intérêts,  comme  jadis  la  reine 
Elisabeth.  (N°  17,  vol.  N,  p.  126.)  La  reine  promit  son  concours 
ef  la  paix  se  signa.  Cent  trente-six  galériens  furent  mis  en  liberté. 
«  Mais,  monseigneur,  dit  le  marquis  a  l'ambassadeur  de  France,  le 
duc  d'Aumont,  on  a  oublié  le  plus  grand  nombre.  »  Alors  le  duc  : 
«  Il  faut  bien  commencer  par  un  bout.  »  (N°  13,  t.  V,  p.  11.)  Ce  fut 
le  seul  résultat  des  négociations. 


IL  SE  CONSACRE  AU  MINISTÈRE  13 

la  part  qu'ils  avaient  clans  les  rigueurs  royales.  Il  n'o- 
béit pas,  il  est  vrai,  en  tout  point.  Il  se  contenta 
d'envoyer  à  plusieurs  curés  et  au  gouverneur  du  Lan- 
g'uedoc  des  lettres  assez  vives  où  perçait  la  menace.  Il 
leur  disait  qu'ils  ne  devaient  plus  solliciter  la  persécu- 
tion contre  des  innocents,  qu'ils  se  rendaient  coupables 
en  se  faisant  les  ministres  et  les  exécuteurs  des  ordres 
de  la  cour,  et  qu'il  était  à  craindre  que  la  patience  des 
protestants  trop  longtemps  et  trop  cruellement  oppri- 
més ne  finît  par  se  lasser.  Ses  lettres  ne  produisirent 
aucun  effet.  L'effervescence  se  calma  peu  à  peu,  tout 
rentra  dans  l'ordre,  et  l'on  n'attendit  plus  que  du  temps 
et  de  l'immuable  justice  un  remède  à  tant  de  maux\ 
Tel  fut  le  premier  acte  de  la  vie  publique  de  Court. 
L'enfant  devenait  homme.  Il  réunit  encore  quelques 
assemblées,  puis  il  revint  à  Villeneuve  de  Berg.  Il  allait 
annoncer  à  sa  mère  la  résolution  qu'il  avait  prise  d'être 
prédicant. 

«  Ma  mère  m'aimait  tendrement.  J'étais  le  seul  fils  qui  lui 
restait,  et  depuis  la  mort  de  mon  père,  elle  avait  fondé  ses 
espérances  sur  moi.  Mais  elle  aimait  la  religion,  elle  la  connais- 
sait et  la  pratiquait  encore  mieux;  elle  avait  un  véritable  atta- 
chement pour  elle.  Aussi  ne  put  elle  apprendre  ma  résolution, 
sans  en  être  émue.  Elle  prévoyait  tous  les  dangers  auxquels  je 
m'allais  exposer,  elle  se  voyait  pour  toujours  privée  d'un  fils 
qu'elle  aimait  plus  qu'elle-même;  mais  elle  réfléchissait  sur  le 
bonheur  qu'il  y  avait  pour  moi  d'être  un  instrument  dans  la 
main  du  Seigneur  pour  l'instruction  et  la  consolation  de  son 
Eglise  affligée,  et  sur  les  avantages  que  cette  Eglise,  pour  la- 
quelle elle  s'intéressait  chèrement,  pourrait  recueillir  un  jour 
de  mon  ministère.  Ainsi   son  amour  pour  moi  et  son  attache- 

«  N°  46,  cah.  I. 


14  NOUVELLES  COURSES 

ment  pour  la  religion  lui  lircnt  éprouver  tour  à  tour  ce  qu'ils 
peuvent  sur  un  cœur  d'une  mère  tendre  et  d'une  chrétienne 
véritablement  zélée.  Que  de  choses  touchantes  ne  me  dit-elle 
pas  !  Que  de  larmes  ne  versa-t-elle  pas  !  Mais  pour  la  résoudre 
d'autant  plus  à  approuver  le  parti  que  je  venais  de  prendre,  et 
pour  m'y  affermir  moi-même  davantage,  je  voulus  prêcher  de- 
vant elle  et  prendre  pour  texte  ces  paroles  de  l'Evangile  : 
Quiconque  aime  père  et  mère  j)lus  que  rnoi,  n'est  pas  digne  de 
moi.  Tout  ce  que  je  dis  sur  ce  beau  texte,  si  propre  à  nous  ap- 
prendre combien  l'amour  de  Dieu  doit  l'emporter  sur  celui  des 
créatures,  toucha  sensiblement  ma  chère  mère.  Elle  ne  me  vit 
plus  que  comme  une  victime  qu'elle  consacra,  comme  un  autre 
Abraham,  aux  volontés  divines  ^  » 

Lorsqu'il  eut  triomphé  des  craintes  maternelles,  Court 
resta  peu  de  temps  à  Villeneuve.  Désireux  de  connaître 
exactement  l'état  des  réformés,  il  abandonna  son  pro- 
jet d'aller  en  Suisse  et  descendit  vers  le  bas  Lang-ue- 
doc.  Il  passa  par  Uzès  et  vint  à  Nîmes  où  il  rencontra 
un  autre  prédicant,  nommé  Jean  Vesson.  De  là,  il  re- 
tourna dans  le  Vivarais  par  Vais  et  les  Boutières,  con- 
voquant des  assemblées  et  prêchant  ^. 

Le  succès  de  cette  rapide  excursion  le  détermina  à 
visiter  le  Dauphiné.  Il  le  parcourut  avec  Brunel,  le  sac 
sur  le  dos,  toujours  sous  le  coup  d'une  surprise,  évitant 
les  soldats^  les  espions  et  les  bourgeois,  malgré  tout 
plein  d'ardeur,  de  courage  et  de  zèle.  Du  Dauphiné,  il 
se  dirigea  vers  Marseille  où  sur  les  g'alères  royales  se 
trouvaient  alors  cent  cinquante  confesseurs.  Il  pénétra 
dans  ces  horribles  prisons  flottantes,  et  dans  unecham- 


î  N"  46,  cab.  I 
-  Janvier  1714, 


DANS  LE  DAUPHINE,  LE  LANGUEDOC,  ETC.  15 

bre  de  vaisseau,  inalgTé  le  péril,  il  org'anisa  un  culte 
régulier. 

Quelques  mois  après,  Court  quitta  les  «  confes- 
seurs »  et  retourna  à  Nîmes.  Il  avait  reçu  la  lettre 
d'un  prédicant  nommé  Corteiz  qui  l'exhortait  à  venir 
reprendre  son  ministère  au  milieu  des  populations  dont 
il  avait  naguère  satisfait  par  sa  prédication  les  besoins 
religieux.  Dès  son  arrivée,  il  convoqua  les  religion- 
naires,  tint  au  Désert  des  assemblées,  et  excita  un  em- 
pressement si  grand  qu'il  eut  tout  lieu  de  craindre 
le  réveil  de  la  sévérité  des  gouverneurs  et  les  sur- 
prises des  troupes,  toujours  prêtes  à  courir  le  pays. 

Les  religionn aires  regardaient  en  effet  de  plus  en 
plus  Antoine  Court  comme  le  chef  du  parti  et  se  g-rou- 
paient  volontiers  autour  de  sa  personne.  Les  espoirs  si 
affaiblis  commençaient  à  renaître,  et  la  foule  reprenait 
courage,  puisque  la  Providence  avait,  croyait-elle, 
suscité  à  l'Eglise  persécutée  un  tel  apôtre  et  un  tel  dé- 
fenseur. Pour  lui,  rien  ne  le  lassait.  Toujours  en 
marche,  il  apparaissait  chaque  jour  dans  une  nouvelle 
localité  K  C'est  ainsi  qu'il  visita  cette  même  année,  An- 
duze,  Saint-Jean ,  Saint-Germain  de  Calberte,  Saint- 
André  de  Valborg'ue  dans  les  Cévennes,  puis  tous  les 
villag^es  baignés  par  ce  Gardon  que  devait  chanter 
Florian.  Soutenu  par  le  sentiment  de  la  mission  qu'il 
accomplissait,  il  n'avait  nulle  crainte  de  la  mort  et  la 
bravait  avec  une  intrépidité  sereine.  Il  encourageait  les 
forts,  relevait  les  faibles,  pour  tous  il  avait  des  paroles 
de  paix  et  de  consolation.  Aussi  le  mouvement  reli- 

^  «  Un  soir,  dit-il,   que  j'étais  sur  la  plate-forme  de  mon  logis,  ré- 
fléchissant sur  l'état  des  tidèles  du  Languedoc,  me  les  représentant 


16  REPOS  MOMENTANE 

gieux  qu'il  excita  dansées  pays  fut-il  immense.  Depuis 
le  soulèvement  des  Camisards,  beaucoup  de  localités 
fatiguées,  écrasées  par  la  lutte,  n'avaient  pu  former 
aucune  assemblée  religieuse  et  pratiquaient  extérieure- 
ment les  cérémonies  catholiques.  Il  les  visita,  réunit 
leurs  habitants  au  Désert ,  et  déploya  une  si  grande 
activité  qu'il  y  rétablit  le  protestantisme. 

Malheureusement  les  fatigues  d'une  vie  trop  agitée 
avaient  ébranlé  sa  santé.  Il  fut  obligé  de  se  rendre  aux 
eaux  minérales  d'Euzet  et  pendant  quelque  temps  de 
rester  inactif.  Ce  repos  forcé  lui  fut  profitable.  Enfermé 
dans  le  village  de  Saint- Jean  de  Ceyrargues,  le  corps 
souffrant,  la  pensée  toujours  ardente,  préoccupé  avant 
tout  des  maux  de  ses  coreligionnaires,  il  chercha  avec 
passion  les  moyens  par  lesquels  il  relèverait  leur  cause 
jadis  si  prospère,  aujourd'hui  réduite  en  de  si  tristes 
extrémités.  Il  n'avait  encore  que  dix-neuf  ans;  il  était 
peu  instruit;  mais  il  avait  sillonné  le  Vivarais,  les 
Cévennes,  le  bas  Languedoc  et  connaissait  dans  le  dé- 
tail la  situation  de  ces  contrées.  Il  n'était  pas  de  ceux 
qui  voulaient  marcher  au  hasard.  Avant  de  courir  de 
nouveaux  périls,  il  voulait  se  tracer  un  plan  de  con- 
duite. 

Comment  pouvait-on  restaurer  en  France  le  protes- 
tantisme ?  Cette  question,  il  l'avait,  sans  nul  doute, 
récemment  posée  aux  prédicants  ses  collègues,  lorsqu'à 


affamés  de  la  parole  de  vie,  et  courant,  peut-éti'e  ce  soir,  h  la  faveur 
d'une  fort  belle  nuit  qu'il  fesait  et  éclairée  d'une  lune  éclatante,  k 
travers  les  campagnes  pour  chercher  une  parole  qu'ils  ne  trouvaient 
pas,  et  que,  si  j'avais  été  au  milieu  d'eux,  j'aurais  pu  leur  départir, — 
je  formai  le  dessein  de  les  aller  visiter  encore  une  fois.  »  N"  46,  cah,  L 


PLANS  ET  PROJETS  17 

Nîmes,  réunis  dans  une  maison  de  la  ville,  ils  avaient 
ensemble  célébré  la  dernière  fête  de  Pâques.  Là,  s'é- 
taient trouvés  Bombonnoux,  l'ancien  Camisard,  Eou- 
vière  dit  Crotte,  Corteiz,  Brunel,  presque  tous  ceux  qui 
avaient  consacré  leur  vie  au  ministère  et  qui  usaient 
leur  activité  dans  une  entreprise  à  laquelle  ils  ne  voyaient 
pas  d'issue.  Mais  aucun  projet  n'avait  été  élaboré.  La 
fête  terminée,  ils  étaient  partis,  celui-ci  pour  la  Suisse, 
ceux-là  pour  le  Vivarais  ;  Court  était  resté  seul.  La 
question  se  posait  donc  tout  entière  à  ses  méditations. 
Que  faire?  Quelle  résolution  prendre,  et  la  résolution 
prise  comment  l'exécuter  ?  Cette  pensée  n'avait  cessé 
de  l'assaillir  dans  ses  dernières  courses;  il  y  songeait 
tristement  encore  dans  sa  retraite ,  lorsque  voyant 
en  imagination  se  dérouler  le  tableau  des  pays  qu'il 
avait  visités,  il  se  rappelait  combien  de  douleurs  il  avait 
vues,  et  quelles  haines  sous  les  coups  d'une  incessante 
persécution  s'y  amassaient  lentement. 

Depuis  la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes,  les  réfor- 
més s'étaient  jetés  dans  plusieurs  aventures  pour  con- 
quérir la  liberté  de  conscience.  En  1683  déjà,  Claude 
Brousson  leur  avait  proposé  un  héroïque  moyen.  Il 
s'agissait  d'arrêter  Louis  XIV  dans  la  voie  où  il  s'en- 
gageait par  une  démarche  unanime  et  hardie.  Il  ne 
leur  conseillait  pas  de  prendre  les  armes  et  d'organiser 
la  guerre  civile  :  cette  pensée  lui  répugnait  ;  mais  il 
disait  :  partout  où  les  arrêts  de  la  cour  interdiront  le 
culte,  que  l'on  se  réunisse, —  sans  armes, — pour  le  célé- 
brer. Il  y  aura  des  victimes  dans  chaque  assemblée,  on 
emprisonnera,  on  bannira,  on  pendra  peut-être  ;  mais 
les  bourreaux  se  lasseront,  et  fatigué  de  sévir  contre 


18  DISCUSSION  DES  PROJETS 

une  multitude  résig-née,  Louis  XIV  renoncera  à  vain- 
cre l'hérésie  par  la  persécution.  Ce  projet  n'avait  pas 
prévalu.  On  avait  préféré  attendre  silencieusement  les 
violences  que  de  les  reg^arder  en  face  et  leur  présen- 
ter l'attitude  courag'euse  de  l'innocence  qui  se  sacrifie. 
Aussi  arriva-t-il  que  trompée  par  de  faux  rapports, 
croyant  à  la  conversion  des  uns  et  à  l'indifférence  des 
autres,  ne  pouvant  soupçonner  que  ceux  qui  souffraient 
si  patiemment  les  drag'onnades  et  la  suppression  des 
lieux  de  culte  finiraient  par  recourir  à  la  force  pour 
repousser  la  force,  la  cour  brusqua  le  dénoûment  et 
révoqua,  sans  tarder,  l'Edit  de  Nantes.  La  plupart 
cherclièrent  alors  la  liberté  dans  la  fuite,  les  autres 
dans  la  révolte.  Quant  à  ceux  qui  par  une  conversion 
simulée  voulurent  éviter  les  périls  de  la  lutte  et  satis- 
faire leurs  convictions,  ils  ne  trouvèrent  dans  cette 
situation  ambiguë  ni  la  sécurité  vis-à-vis  des  catholi- 
ques, ni  l'estime  auprès  de  leurs  corelig"ionnaires.  Cette 
conduite  avait  eu  des  conséquences  déplorables.  La  ma- 
jeure partie  des  protestants  avait  émigré,  les  Cami- 
sards  avaient  été  soumis,  et  parmi  les  nouveaux  con- 
vertis, combien  perdaient  peu  à  peu  dans  des  pratiques 
journalières  leur  ancienne  haine  contre  le  catholicisme  ! 
Ainsi  la  liberté  de  conscience  n'avait  été  conquise  — 
au  prix  de  quels  sacrifices  !  ~  que  par  les  exilés.  La 
guerre  n'avait  abouti  qu'àla ruine  et  à  l'éditde  1715. 
Fallait-il  donc  une  seconde  fois  recourir  à  la  fuite  '/ 
Fallait-il  se  jeter  dans  une  nouvelle  insurrection  ï 
Ou  bien  se  résignerait-on  à  souffrir,  dans  l'espérance 
que  cette  résignation  muette  toucherait  enfin  les  per- 
sécuteurs ? 


TROIS  CLASSES  DE  PROTESTANTS  19 

La  fuite  n'était  pas  un  expédient,  elle  était  un  aveu 
d'impuissance.  Fuir  !  c'était  désespérer  du  succès  du 
protestantisme  en  France.  Au  surplus,  qui  s'expatrie- 
rait? Seraient-ce  les  derniers  Camisards,  gens  rudes, 
austères,  attachés  au  vieux  sol  natal  ?  Assurément  ceux 
qui  n'avaient  pas  pris  part  à  la  grande  émig-ration  ne 
quitteraient  pas  le  théâtre  de  leurs  anciennes  luttes. 
D'un  autre  côté,  la  guerre  était  insoutenable.  Outre  que 
les  forces  des  relig'ionnaires  par  la  défection  et  par  la 
mort  étaient  singulièrement  amoindries  ,  la  lassitude 
et  le  découragement  avaient  succédé  à  l'enthousiasme 
des  premiers  jours.  Peut-être  se  trouvait -il  encore  dans 
le  Vivarais  et  les  hautes  Cévennes  quelques  hommes 
capables  de  prendre  les  armes;  mais  leur  cri  de  guerre 
ne  serait  pas  entendu,  et  les  troupes  royales  vaincraient 
facilement  une  poignée  de  rebelles.  Le  résultat  de  ce 
soulèvement,  dont  il  était  facile  de  prévoir  l'issue,  serait 
un  redoublement  de  rig-ueurs.  • —  Il  ne  restait  donc  qu'un 
moyen,  un  seul,  et  c'était  celui  qu'avait  proposé  Claude 
Brousson.  Mais  il  offrait  des  difficultés. 

Les  protestants  pouvaient  se  diviser  en  trois  classes  : 
les  nouveaux  convertis,  les  hommes  sages  et  les  exal- 
tés; c'est-à-dire,  ceux  qui  fréquentaient  les  catholiques 
et  suivaient,  extérieurement  du  moins,  les  exercices  de 
l'Eglise  romaine,  —  ils  étaient  les  plus  nombreux,  — 
ceux  qui  malgré  les  menaces,  intraitables,  gardaient 
au  fond  de  leur  cœur,  pure  et  intacte,  l'antique  foi, 
ceux  enfin  qui,  tour  à  tour  passant  d'une  exaltation  ma- 
ladive à  un  abattement  profond,  cherchaient  des  con- 
solations à  leurs  maux  dans  les  discours  des  «  Inspi- 
rés. »  Il  fallait  donc,  avant  d'organiser  le  grand  parti 


20  LES  MOYENS  D'ACTION  SONT  ARRETES 

de  la  résignation,  vaincre  l'indifférence  des  uns,  modé- 
rer l'ardeur  des  autres  et  réunir  dans  une  même  Eglise 
gouvernée  et  unie  les  représentants  épars  et  décou- 
ragés du  protestantisme  français.  Cela  fait,  on  pouvait 
prendre  une  attitude  calme,  digne,  impassible. 

Antoine  Court  était  séduit  par  la  grandeur  et  la  sa- 
gesse de  ce  projet. 

<'  Qui  pourra  dépeindre,  dit-il  quelque  part,  l'état  où  se  trou- 
vaient à  cette  époque  et  cette  Eglise  et  la  religion  en  France  ? 
A  peine  en  connaissait-on  quelques  traces.  La  persécution  d'un 
côté,  l'ignorance  et  le  fanatisme  de  l'autre  l'avaient  entière- 
ment anéantie  et  défigurée.  » 

Il  ne  perdait  cependant  pas  courage. 

«  Quatre  moyens,  ajoute-t-il,  avec  la  bénédiction  du  Seigneur 
que  j'implorais  sans  cesse,  se  présentèrent  à  mon  esprit.  Le 
premier  fut  de  convoquer  les  peuples  et  de  les  instruire  dans 
les  assemblées  religieuses;  le  second,  de  combattre  le  fanatisme 
qui,  comme  un  embrasement,  s'était  répandu  de  tous  côtés,  et 
de  ramener  à  des  idées  plus  saines  ceux  qui  avaient  eu  la  fai- 
blesse ou  le  malheur  de  s'en  laisser  infecter;  le  troisième,  de  ré- 
tablir la  discipline,  l'usage  des  consistoires,  des  anciens,  des 
colloques  et  des  synodes  ;  le  quatrième,  de  former,  autant  qu'il 
serait  en  mon  pouvoir,  de  jeunes  prédicateurs,  d'appeler  des 
ministres  des  pays  étrangers,  et,  s'ils  manquaient  de  vocation 
pour  le  martyre  et  qu'ils  ne  fussent  pas  disposés  à  répondre  à 
mes  pressantes  invitatit)iis,  de  solliciter  auprès  des  puissances 
protestantes  des  secours  en  argent  pour  aider  aux  études  et  à 
l'entretien  des  jeunes  gens  en  qui  se  trouveraient  assez  de  cou- 
rage et  de  bonne  volonté  pour  se  dévouer  au  salut  et  au  service 
de  leurs  frères  ^.  » 

Mais  la  gravité  des  circonstances  réclamait  une  auto- 
1  N"  37.  Mémoire  aux  arbitres. 


JACQUES  ROGER  21 

rite  populaire,  forte,  capable  d'imprimer  au  mouve- 
ment une  direction  unique,  et  de  la  faire  accepter  par 
les  religionnaires.  Il  résolut  de  constituer  cette  auto- 
rité par  le  rétablissement  des  Synodes.  Malg-ré  les  der- 
niers malheurs,  le  souvenir  de  ces  anciennes  assemblées 
ne  s'était  jamais  entièrement  effacé  ;  peut-être  même 
Court  Tavait-il  trouvé  vivant  dans  une  de  ces  familles 
qui  après  la  cessation  officielle  des  Synodes  natio- 
naux avaient  cependant  envoyé  jusqu'à  la  fin  des  dé- 
putés aux  réunions  provinciales.  Peu  importe  du  reste 
que  son  projet  lui  ait  été  inspiré  par  des  amis  ou  par  son 
précoce  bon  sens  :  aussitôt  qu'il  l'eut  conçu,  il  travailla 
à  le  réaliser,  et  l'activité  qu'il  déploj^a  dans  cette  occa- 
sion montre  la  g*randeur  des  espérances  qu'il  attachait 
à  son  succès.  Il  s'agissait  en  effet  de  rétablir  au  milieu 
d'un  peuple  dispersé  une  institution  qui  jadis  avait  été 
entourée  d'un  grand  prestige  ;  il  s'agissait  d'imposer  à 
des  hommes  découragés  ou  exaltés,  mais  conservant 
la  mémoire  des  choses  passées,  un  pouvoir  qui  en  rap- 
pelant les  anciennes  formes  de  la  refigion  proscrite  fût 
capable  de  réunir  tous  les  cœurs  et  toutes  les  énergies 
pour  la  revendication  de  la  liberté  confisquée. 

Le  plan  qu'avait  proposé  en  1683  Claude  Brousson 
allait  donc  être  adopté. 

Tandis  que  dans  un  obscur  villag-e,  un  tout  jeune 
homme  méditait  ainsi  la  restauration  prochaine  du  pro- 
testantisme,—  dans  une  province  étrangère,  en  Wur- 
temberg, un  autre  homme,  un  proscrit,  rêvait  du  même 
sujet  pendant  les  longues  journées  de  l'exil.  Il  s'ap- 
pelait Jacques  Rog'er. 


22  JACQUES  ROGER 

Il  était  né  en  1665  à  Boissières,  en  Languedoc  ^ 
Tout  jeune,  il  avait  quitté  la  France,  et  pendant  près 
de  douze  années,  il  avait  vécu  en  Suisse  ou  en  Alle- 
mag-ne.  En  1708,  il  était  rentré  en  France.  Sa  vie  de- 
puis lors  avait  été  une  od^'^ssée  ^. 

Quoique  émigré  en  Bavière,  il  n'avait  pas  perdu  de 
vue  ses'  frères  sous  la  croix  :  il  vivait  avec  eux  par  la 
pensée,  se  rappelant  sans  cesse  le  triste  état  dans  le- 
quel il  les  avait  laissés,  et  regrettant  d'autant  plus  vi- 


1  N"  17.  Vol.  B.  Relation  sur  le  Daupbiné,  par  Vouland. 

2  Venu  en  France  pour  prêcher,  encore  qu'il  ne  fût  pas  ordonné 
pasteur,  il  s'était  arrêté  dans  le  Dauphiné  et  avait  parcouru  toute 
cette  province,  convoquant  des  assemblées,  consolant,  apaisant.  Sou- 
vent il  avait  vu  la  mort  de  près  Un  jour  enfin,  on  l'avait  fait  pri- 
sonnier, et  il  avait  dû,  pour  sauver  sa  vie,  s'engager  comme  volon- 
taire dans  un  régiment.  Quelque  temps  après,  il  abandonnait  ses 
nouveaux  compagnons  et  revenait  dans  les  églises.  En  1710,  il  pé- 
nétrait dans  le  haut  Dauphiné,  trouvait  un  grand  nombre  de  protes- 
tants, tenait  des  assemblées  de  quatre  h  cinq  mille  personnes,  et  re- 
tournait sur  ses  pas  à  cause  «  du  zèle  presque  immodéré  qu'on  avait.  » 
Là,  mille  dangers  l'attendaient  et  il  échappait  à  la  mort  comme  par  mira- 
cle. Vers  la  fin  de  cette  même  année,  les  protestants  notables  de  la  pro- 
vince l'envoyaient  avec  M.  de  Beaulieu,  gentilhomme  de  Crest,  pour 
supplier  les  puissances  protestantes  de  s'intéresser  à  leur  sort.  Roger 
se  rendait  à  Berne  et  s'acquittait  de  sa  commission.  Il  y  restait  dix- 
huit  mois,  employant  la  plus  grande  partie  de  son  temps  à  l'étude 
de  la  théologie  et  servant  d'intermédiaire  entre  les  protestants  du 
Dauphiné  et  ceux  de  l'étranger.  Il  demandait  aux  pasteurs  de  Berne 
de  le  consacrer,  et  ceux-ci,  pour  des  motifs  de  prudence,  recondui- 
saient. Il  passait  alors  en  Wurtemberg,  se  présentait  devant  le  Synode 
des  Eglises  françaises  tenu  àWirchen,  et,  en  obtenant  l'ordination, 
il  obtenait  aussi  la  permission  de  prêcher  dans  ce  pays.  Mais  le  prince 
trouvant  mauvais  qu'un  homme  qui  ne  connaissait  pas  «  !es  langues» 
parvînt  au  mini.st.ère,  Roger  en  était  réduit  à  porter  sa  requête  à  la 
cour  et  recevait  finalement  la  permission  de  prêcher  dans  tout  le  pays, 
excepté  dans  la  ville  ducale.  Quelques  mois  après,  une  église  de  la 
Hesse-Cassel,  Mériendorf,  lui  adressait  une  lettre  de  vocation,  et  déjà 
il  se  disposait  à  se  rendre  à  cet  appel,  quand  il  apprit  la  mort  de 
Louis  XIV. 


ET  LE  I3AUPHINÉ  23 

vement  de  les  avoir  abandonnés.  Que  fallait-il  faire 
pour  les  sauver  ?  «  Il  fallait,  disait-il,  établir  des  con- 
sistoires, tenir  des  Synodes,  en  un  mot  former  une 
espèce  d'ordre  ;  avec  l'aide  de  Dieu,  cela  pouvait  met- 
tre les  affaires  de  la  religion  dans  un  meilleur  état.  » 
Soins  inutiles  que  de  leur  recommander  la  patience,  la 
résignation  !  En  1710,  quand  il  était  en  Daupbiné,  un 
nommé  Chapon  ayant  essayé  de  soulever  les  religion- 
naires  de  cette  province,  il  n'avait  eu  qu'à  ouvrir  la 
bouche  pour  les  faire  rentrer  dans  le  repos.  Et  ce  n'était 
pas  plus  malaisé  de  leur  inspirer  l'amour  du  martyre  : 
depuis  la  Révocation,  on  ne  craignait  plus  la  mort.  La 
g'rande,  l'unique  difficulté  était  de  réunir  en  un  seul 
faisceau  les  courages  épars,  de  discipliner  les  victimes, 
d'augmenter  leur  nombre,  et  de  lés  organiser  en  pha- 
langes, en  sorte  que  l'agonie  d'une  seule  fût  profitable 
à  toutes  les  autres. 

En  Dauphiné,  comme  en  Languedoc,  la  situation 
était  la  même. 

Dans  cet  ordre  de  sentiments,  à  peine  Roger  eut-il 
appris  en  1715  la  mort  de  Louis  XIV,  que  «  croyant 
que  cela  apporterait  du  changement  aux  affaires,  »  il 
résolut  de  se  rendre  aussitôt  en  France,  dans  sa  chère 
province.  Il  écrivit  à  l'église  de  Mariendorf  pour  faire 
déHer  sa  parole  engagée.  «  Il  fit  sentir  qu'elle  ne  de- 
vait trouver  mauvais  qu'il  préférât  de  venir  prêcher 
sous  la  croix  à  la  vocation  qu'elle  lui  avait  adressée, 
qu'elle  ne  serait  pas  longtemps  sans  pasteur,  au  lieu 
qu'il  n'y  avait  point  d'espérance  qu'il  s'en  trouvât  qui 
voulussent  aller  dans  les  églises  persécutées,  qu'il  les 
priait  de  lui  pardonner.  »  Sans  plus  tarder,  il  partit, 


24  LE  RÉVEIL  EST  DÉCIDÉ 

traversa  la  Suisse,  et  arriva  en  Dauphiné  au  milieu  de 
l'automne.  Il  venait  appliquer  son  programme. 

En  ce  moment  Antoine  Court  commençait  à  exé- 
cuter le  sien. 

Ainsi  inspirés  par  leur  foi,  deux  hommes  inconnus 
l'un  à  l'autre  se  préparaient,  au  lendemain  du  jour  où 
le  vainqueur  de  l'hérésie  était  tramé  à  Saint-Denis  au 
milieu  des  huées  de  la  foule  *,  à  relever  dans  deux 
grandes  provinces  le  drapeau  qu'avaient  abattu  trente 
ans  de  persécutions.  Volontaires  du  devoir,  ils  accou- 
raient, l'un  avec  sa  jeunesse  et  son  génie,  l'autre  avec 
sa  prudence  et  son  activité,  pour  mettre  au  service  de 
la  réforme  française  leur  ardeur  et  leur  dévouement. 
Ils  avaient  vu  simultanément  quel  était  le  mal  et  quel 
était  le  remède.  Le  grand  œuvre  de  restauration  ne 
devait  pas  péricliter  entre  leurs  mains.  A  leur  voix, 
les  nouveaux  convertis  allaient  rougir  de  leur  con- 
duite, les  c(  fanatiques  »  disparaître  et  le  grand  parti  de 
la  stoïque  résignation  s'organiser. 

Mais  le  Languedoc,  plus  riche  en  moyens  et  en  hom- 
mes, devait  dans  cette  voie  devancer  le  Dauphiné  et 
se  mettre  à  la  tête  du  mouvement. 

1  Ses  victimes  ne  Tépargnèrent  pas  non  plus.  V.  entre  autres  choses 
ce  quatrain  que  fit  le  fils  d'un  pasteur  martyr,  en  guise  d'épitaphe  : 
Bullet.,  t.  XIII,  p.  285. 

Ci  gist  le  mari  de  Tlicrèse, 
De  la  Montespan  le  mignon, 
L'e-vclave  de  la  Maiiitenon, 
Le  valet  du  père  Lachaise. 


CHAPITRE  II 

LE    RÉVEIL    EN  LANGUEDOC,   EN  POITOU    ET    EN    DAUPHINE 

1715-1723 

Au  mois  d'août  1715,  Louis  XIV  se  mourait  à  Ver- 
sailles. Le  21  du  même  mois,  près  de  Nîmes,  dans  une 
carrière  abandonnée,  Antoine  Court  convoquait  le  pre- 
mier Synode  destiné  à  rétablir  la  religion  proscrite*. 

Trois  ou  quatre  laïques  et  quelques  prédicants  -  as- 
sistaient à  cette  réunion  ;  on  n'y  comptait  que  neuf 
personnes.  C'était  vers  le  matin,  à  l'aube.  On  se  mit 
en  prières.  Après  avoir  invoqué  Dieu,  Court  nommé 
à  la  fois  ((  modérateur  »  et  secrétaire  de  l'assemblée 
exposa  son  plan  de  conduite.  Dépeignant  à  grands 
traits  l'état  des  choses,  il  montra  la  nécessité  d'y  por- 
ter promptement  remède.  Il  conseilla  d'établir  des  «  An- 
ciens »  dont  les  principales  fonctions  seraient  de  con- 
voquer les  assemblées,  de  collecter  pour  les  pauvres, 
d'être  attentifs  aux  scandales,  de  procurer  aux  prédi- 
cants des  retraites  sûres,  et  de  leur  fournir  des  guides 
pour  les  conduire  d'un  lieu  à  un  autre.  —  Il  proposa 

1  N"  46. 

^  Probablement:  RouvièreditCrotte,  Jean  Hue,  Jean  Vesson,  Etienne 
Arnaud  et  Durand.  —  Bombonnous  et  Corteiz  étaient  en  Suisse 


26  PREMIER  SYNODE 

des  mesures  de  prudence  pour  la  tenue  des  assemblées, 
afin  de  les  mettre  à  l'abri  des  recherches  des  ennemis. 
Il  proposa  encore  d'abolir  l'usag'e  «  déshonorant  et 
dangereux  »  qu'avaient  les  prédicants  d'employer  à 
leurs  besoins  les  deniers  collectés  en  faveur  des  pau- 
vres. 11  s'occupa  enfin  de  l'extinction  du  «  fanatisme  » 
et  des  moyens  dont  on  pourrait  se  servir  pour  réduire 
au  silence  les  prédicantes  et  ceux  qui  parlaient  au  nom 
de  prétendues  révélations  ^  —  Les  membres  du  Sy- 
node, surpris,  écoutaient  avec  étonnement  les  paroles 
du  jeune  homme.  Assis  autour  de  lui  sur  les  pierres, 
ils  recevaient  silencieusement  ces  propositions  avec  des 
signes  d'encouragement. 

Tout  fut  approuvé.  On  commença  par  conférer  la 
charge  «  d'Anciens  »  aux  laïques  présents.  On  dressa 
des  règlements  généraux  et  on  ordonna  de  les  répandre 
dans  la  province  entière  ^    Enfin  les  prédicants  furent 

1  N"  46,  cali.  II,  et  n'»  37,  p.  7.  Mémoire  aux  arbitres. 

2  Nous  n'avons  pas  de  copie  de  ces  règlements  généraux  ;  mais  six 
ans  plus  tard,  en  1721,  le  Vivarais  se  donna  un  règlement.  (V.  Pierre 
Durand,  par  L.  Meynadier,  p.  17.  Valence,  1864).  Il  est  très-probable 
que,  sauf  quelques  additions,  le  Vivarais  copia  celui  du  bas  Langue- 
doc. Cette  seconde  édition  peut  donc  au  besoin  nous  suffire. 

«  Le  vingt-sixième  juillet  mil  sept  cent  vingt-un,  assemblés  sept 
proposans  et  deux  anciens  en  synode  provincial,  a  été  résolu  ce  qui 
s'ensuit  : 

«  I.  —  Que  tous  les  pasteurs,  proposans  et  anciens  signeront  la  con- 
fession de  foi  contenant  quarante  articles,  faite  d'un  commun  accord 
par  les  Eglises  réformées  de  France,  comme  vraie  et  orthodoxe. 

«  II.  —  Que  toutes  les  sociétés  se  soumettront  à  garder  les  règle- 
raens  qui  seront  établis  suivant  la  discipline  ecclésiastique  des  Eglise.s 
réformées  de  France,  autant  que  le  temps  et  le  lieu  pourront  le 
permettre,  et,  pour  cet  effet,  les  pasteurs,  pour  y  porter  les  anciens, 
promettent  de  la  signer  quand  ils  en  seront  requis. 

«  III.  —  Tous  les  pasteurs  et  proposans  se  rendront  sujets  aux  puis- 
sances supérieures  et  y  porteront  le  peuple,  autant  que  leurs  forces 


LE  LANGUEDOC  21 

chargés  d'aller  «  réveiller  »  les  nouveaux  convertis. 
Les  lieux  où  devaient  au  début  se  porter  leurs  pre- 
miers efforts  ne  comprenaient  g'tière  que  six  diocèses 
de  la  province  du  Lang-uedoc.  Quarante  lieues  de  lon- 
gueur et  ving't  de  largeur  en  mesuraient  l'étendue. 

le  leur  pourront  permettre  :  et,  pour  cet  effet,  tous  les  pasteurs  et 
proposans  jurent  par  la  foi  qu'ils  ont  au  nom  de  Jésus-Christ  d'obéir 
au  roi  de  France  en  toutes  choses,  sauf  aux  ordonnances  c^ui  pour- 
roient  être  préjudiciables  à  la  foi  et  à  l'Eglise.  D'ailleurs,  la  véné- 
rable assemblée  a  enjoint  à  tous  de  faire  prières  pour  le  roi  et  ses 
conseillers,  non-seulement  aux  assemblées,  mais  aussi  dans  les  familles 
particulières,  et  principalement  aux  pasteurs. 

«  IV.  —  Que  pour  convoquer  les  assemblées,  on  usera  de  toute  la 
prudence  possible,  pour  ne  donner  aucunes  lumières  ni  porter  aucun 
préjudice,  et  qu'on  ne  fera  pas  traverser  les  auditeurs  d'un  mande- 
ment h  l'autre. 

«  V.  —  Que  la  parole  de  Dieu,  qui  est  l'Ecriture  Sainte  comprise  au 
vieux  et  nouveau  Testament,  sera  tenue  pour  seule  règle  de  notre  foi, 
comme  iJ  est  porté  par  les  articles  III  et  Y  de  la  Confession  de  foi. 

«  VI.  —  Qu'on  lira  aux  assemblées  des  chapitres  de  l'Ecriture  Sainte 
et  les  Commandemens  compris  au  vingtième  chapitre  de  l'Exode, 
avant  la  prédication,  conformément  aux  Eglises  de  Genève. 

«  VII.  —  Que  les  pasteurs  feront  répondre  le  catéchisme  aux  peuples, 
tant  aux  assemblées  que  dans  les  maisons  particulières,  et  expliqueront 
les  termes  les  plus  obscurs,  et,  pour  éviter  toute  confusion,  ils  se  ser- 
viront tous  du  catéchisme  de  Monsieur  Drelincourt,  fait  en  faveur  do 
sa  famille. 

«  VIII.  —  Les  pasteurs  diront  la  prière  trois  fois  le  jour,  et  la  feront 
même  dire  à  ceux  des  maisons  oix  ils  seront.  Ils  reprendront  aussi 
avec  soin  ce  qui  s'y  passe  de  mal  h  propos  :  comme  de  jurer  le  nom 
de  Dieu  et  la  négligence  de  la  dévotion;  et  ils  feront  destiner  trois 
heures  du  jour  du  dimanche  à  la  dévotion  à  tous  ceux  de  la  maison 
ensemble. 

«  IX.  —  Qu'il  sera  nommé  des  anciens,  k  la  pluralité  des  voix,  pour 
surveiller  sur  la  conduite  du  public  et  sur  tout  ce  qui  concerne  les 
affaires  de  l'Eglise. 

«  X.  —  Qu-e  ceux  qui  commettront  des  crimes  dignes  de  censures 
seront  censurés  comme  s'ensuit  :  1"  qu'ils  seront  censurés  par  un  pas- 
teur ou  un  ancien;  2"  s'ils  ne  se  repentent,  on  réitérera  la  censure  en 
présence  de  trois  fidèles  ;  3"  s'il  persévère,  il  sera  encore  censuré  en 
présence  de  trois  fidèles;  4"  s'il  ne  se  repent.  il  sera  déclamé  à  l'as- 
semblée publique,  et  enfin  excommunié. 


28  LES  PREDICANTS 

C'étaient  les  diocèses  de  Mende,  d'Alais,  de  Viviers, 
d'Uzès,  de  Nîmes  et  de  Montpellier.  Quinze  ans  aupa- 
ravant, ils  avaient  été  le  théâtre  de  la  guerre  des 
Camisards.  Selon  le  rapport  de  Bâville,  il  s'y  trouvait 
en  1698  près  de  cent  soixante-six  mille  réformés.  Mais 
en  1715,  combien  la  guerre,  la  fuite  et  les  proscriptions 
avaient  diminué  ce  nombre  ! 

«  XI. —  Que  ceux  qui  font  baptiser  leurs  enfants  et  bénir  leurs  ma- 
riages aux  prêtres  de  l'Eglise  romaine  seront  suspendus  de  la  com- 
munion ;  et  ceux  qui  les  accompagnent  en  ces  actes  seront  censurés 
par  un  pasteur  ou  ancien. 

«  XII.  —  Qu'on  réfutera  toutes  prétendues  révélations  auxquelles  il 
n'y  a  rien  digne  d'y  ajouter  foi;  enjoignant  aux  pasteurs  et  anciens 
d'y  surveiller  avec  soin. 

«  XIII.  —  Que  si  quelque  pasteur  ou  ancien  commet  quelque  crime 
scandaleux  à  la  société,  il  sera  démis  de  sa  charge  pour  le  temps 
qu'il  sera  jugé  à  propos,  selon  la  discipline  ecclésiastique. 

«  XIV.  —  Qu'on  tiendra  un  synode  tous  les  ans,  et  s'il  arrivoit  quel- 
que cas  en  attendant  l'an  révolu,  on  assemblera  un  colloque  de  trois 
pasteurs  et  six  anciens,  pour  délibérer  ce  que  de  droit,  attendant  le 
synode  général,  auquel  colloque  faut  qu'il  soit  le  modérateur  du  der- 
nier synode  ou  le  secrétaire, 

«  XV.  —  Que  les  anciens  payeront  aux  pasteurs  ce  qui  leur  sera 
nécessaire  pour  leur  couverture  et  pour  leur  dépense,  et  cela  d'une 
manière  qui  lève  tout  soupçon. 

«  XVI.  —  Que  les  pasteurs  ne  tiendront  le  peuple  h  leurs  prédica- 
tions qu'une  heure  tout  au  plus,  h  cause  du  danger. 

«  XVII.  —  Que  si  quelque  pasteur  se  rend  familier  avec  quelque 
lille  d'une  manière  malséante,  on  lui  défendra  d'aller  dans  la  maison 
de  cette  fille.  Enjoint  au  pasteur  d'obéir. 

«  XVIII.  —  Que  les  femmes  qui  exposoient  des  prédications  aux 
assemblées  seront  interdites,  vu  que  ce  n'est  pas  au  sexe  féminin  de 
porter  la  main  à  l'encensoir.  Et  c'est  d'autant  que  l'apôtre  saint  Paul 
le  leur  défend  au  quatorzième  chapitre  de  la  première  ,aux  Corinthiens 
et  en  la  pi^emière  à  Timothée,  chapitre  II.  Cependant,  celles  qui 
ont  édifié  l'Eglise  par  une  bonne  doctrine  et  qui  voudront  visiter  ier, 
malades,  instruire  la  jeunesse,  de  maison  en  maison,  elles  seront 
entretenues  comme  pour  le  passé,  mais  la  prédication  leur  est  interdite. 

«  XIX.  —  Qu'on  ne  recevra  aucune  personne  pour  prêcher  qui  ne 
soit  examinée  en  vi.e  et  mœurs  et  doctrine  par  les  pasteurs  et  anciens 
et  les  consistoires  déjà  établis. 


VESSON,  HUC-MAZEL  29 

Là,  dans  des  vallées  ignorées,  au  flanc  des  collines, 
sur  les  montagnes,  au  milieu  des  villes  ennemies,  se 
cachaient,  disséminées  et  comme  honteuses,  les  huttes, 
les  fermes,  les  maisons  des  protestants.  C'est  d'habita- 
tions en  habitations,  toujours  observés,  épiés,  menacés, 
que  les  prédicants  devaient  aller  prêcher,  prier,  réveil- 
ler le  zèle.  Leur  petit  nombre  rendait  la  tâche  encore 
plus  difficile.  Antoine  Court  n'avait  pu  réunir  que  cinq 
d'entre  eux  au  Synode  :  Jean  Hue,  Jean  Vesson,  Etienne 
Arnaud,  Rouvière  et  Durand.  Brunel  non  plus  que  Bom- 
bonnoux  n'y  assistaient.  Corteizse  trouvait  en  Suisse. 

Jean  Vesson  était  orig-inaire  du  Cros,  près  de  Saint- 
Hippolypte.  En  1713,  Court  le  rencontra  à  Nîmes.  Il 
s'était  érigé  en  prédicant  et  se  disait  inspiré.  Il  prê- 
chait au  Désert,  tombait  en  extase  et  tenait  des  assem- 
blées que  son  imprudence  faisait  souvent  surprendre 
par  les  soldats.  Il  avait  trente-six  ou  trente -sept  ans^ 

Huc-Mazel,  dit  Mazelet,  était  presque  un  vieillard. 
Il  était  né  à  Génolhac.  A  l'âge  de  quarante  ans,  il  ne 
savait  encore  ni  lire  ni  écrire^  mais  il  était  célèbre 
parmi  les  Camisards.  Eocayrol  l'entendit  prêcher  avec 
un  grand  succès  devant  les  soldats  de  Roland.  Après 
la  soumission  de  ces  derniers,  il  était  passé  en  Suisse 
et  s'était  arrêté  à  Genève,  où  il  avait  un  peu  étudié. 
Le  désir  de  revoir  la  France  s'étant  emparé  de  lui,  il 
se  rendit  à  Montpellier  ;  là,  des  catholiques,  on  ne  sait 
à  la  suite  de  quelles  aventures,  lui  fournirent  «  son  via- 
tique, »  et  il  resta  quelque  temps  dans  cette  ville. 
Tout  à  coup,  cédant  aux  sollicitations  d'un  Israélite,  il 

1  N-'-lô,  cali.  J,  p.  16.  —  V.  aussi  Histoire  des  Multipliants,  par 
M.  Germain,  p.  14.  Montpellier.  In-4. 


30  BOMBONNOUX,  DURAND 

se  souvint  qu'il  avait  tenu  des  assemblées,  partit  pour 

les  Cévennes  et  recommença  à  prêclier^ 

Bombonnoux  -,  ou  Montbonnoux,  avait  été  briga- 
dier dans  la  troupe  de  Cavalier;  il  avait  résalu,  après 
la  défection  de  son  chef,  de  continuer  la  guerre  jusqu'à 
ce  qu'il  plût  c<  au  Seigneur  d'accorder  la  délivrance  à 
son  Eglise.  »  Il  faillit  être  pris  en  1705.  Deux  de  ses 
amis  furent  roués  à  Montpellier  en  sa  présence  et  jetés 
encore  vivants  dans  le  bùcber.  L'borreur  de  ce  supplice 
ne  l'effraya  pas.  Il  resta  en  France,  courant  le  pays  et 
convoquant  des  assemblées.  Il  se  mit  en  rapport  avec 
les  principales  propbétesses  et  les  prédicants  qui  per- 
sistaient, malgré  la  rigueur  des  édits,  à  prêcher  au 
Désert.   Etienne  Arnaud,  Corteiz,  Abrabam   Mazel, 
Claris  et  les  autres  furent  ses  compagnons.  C'était  un 
vétéran  des  anciennes  luttes,  et  plus  tard  il  disait,  non 
sans  quelque  satisfaction,  qu'il  avait,  pendant  douze 
années  et  avant  le  rétablissement  de  l'ordre,  travaillé 
au  réveil  de   ses  coreligionnaires.   Antoine  Court  le 
connut  en  1714. 

Pierre  Durand  était  né  au  bameau  du  Bouscbet,  en 
1700  ^  Ses  parents  devaient  être  des  nouveaux  conver- 
tis, car  on  voit  qu'il  fut  baptisé  par  le  curé  de  Pranles, 
à  l'église  paroissiale.    Il  assista  au  culte   catholique 

1.  N"  17,  vol.  H,  p.  497. 

2  V.  ses  très-intéressants  mémoires  que  M.  B^rosterus  a  publies  k 
la  suite  de  son  ouvrage  :  Les  Insurgés  protestants  sous  Louis  XIV 

Paris.  (1866.) 

8  V  sa  biographie  par  Meynadier.  -  11  ne  faut  point  confondre  ce 
Durand  avec  eelui  dont  BâviUe  écrivait  en  1710  :  «  Claris  m'a  avoue 
qu'il  y  a  un  ministre  dans  les  Cévennes,  nommé  Durand,  venu  depuis 
peu,  qui  n'est  point  du  pays.  Je  travaille  h  découvrir  qui  il  est,  et 
j'espère  qu'il  sera  bientôt  pris   »  V.  aussi  Les  Insurgés,  etc.,  p.  199, 


BRUNEL,  ROUVIÈRE  31 

jusqu'à  douze  ou  treize  ans.  Mais  à  peine  sorti  de  l'en- 
fance, il  s'éprit  d'enthousiasme  pour  la  religion  pros- 
crite, et,  sans  abandonner  encore  la  maison  paternelle, 
il  se  mit  à  battre  le  pays,  en  compagnie  probablement 
d'un  prédicant. 

On  sait  peu  de  cbose  de  Pierre  Chabrier,  dit  Bru- 
nel,  sinon  qu'il  était  fort  ignorant  et  qu'il  prêçliait  de- 
puis le  commencement  du  siècle  ^ . 

Les  renseignements  manquent  aussi  sur  Rouvière 
dit  Crotte.  Il  était  natif  de  Blaissac,  en  Vivarais.  En 
1713,  il  connut  Vesson.  En  1719,  au  mois  d'octobre, 
fait  prisonnier,  il  répondit  à  ses  gardiens  «  qu'il  était 
enfant  de  Dieu  et  prédicateur  de  l'Evangile  du  Christ.» 
Il  fut  conduit  à  Montpellier  et  condamné  aux  galères. 
Quelques  personnes  s'intéressèrent  à  lui  et  demandè- 
rent son  élargissement.  En  1720,  La  Vrillière  proposa 
à  l'intendant  du  Languedoc  de  le  rendre  à  la  liberté, 
mais  l'intendant  prétendit  que  cette  condescendance 
serait  d'un  mauvais  exemple.  Rouvière  obtint  cepen- 
dant sa  grâce,  car  en  1724  son  nom  se  retrouve  sur 
une  liste  de  proscription,  et  plus  tard  encore  on  voit 
qu'il  continuait  de  prêcher  dans  les  Cévennes  ^ 


i  II  y  avait  plusieurs  prédicants  comme  Brunel  :  Monteil,  âgé  de 
soixante  ans;  Jacques  G-uillot  (soixante-dix  ans);  Jean  Bonnard  (plus 
de  soixante  ans).  C'étaient  de  pauvres  laboureurs,  qui  travaillaient  la 
terre  le  jour,  et  prêchaient  la  nuit.  Ils  avaient  couru  mille  périls  de- 
puis la  Révocation  et  ne  cessaient  encore  de  tenir  des  assemblées. 
Mais  ils  étaient  vieux  et  s'étaient  cantonnés  au  village  natal  :  ils  n'en 
sortaient  plus.  N"  17,  vol.  H,  p.  187. 

En  Poitou,  ou  vit  aussi  prêcher  des  travailleurs  de  terre  et  des 
artisans.  Dans  cette  période  très-obscure  de  1705  à  1715,  ils  furent 
les  sauveurs  du  protestantisme. 

•2  N°  17,  vol.  H,  p.  187,  ec  n°  1,  t.  II,  p.  169,  etc. 


32  ETIENNE  ARNAUD 

Etienne  Arnaud  était  un  tout  jeune  homme.  Il  était 
originaire  de  Saint-Hippolyte  de  la   Planquette.  Ses 
parents  avaient  dû  se  réfugier  en  Suisse  dans  les  der- 
nières années  du  dix-septième  siècle,  ou  après  la  sou- 
mission des  principaux  chefs  camisards;  en  1709  en 
effet,  on  le  trouve  étahli  à  Genève.  A  cette  époque, 
il  fut  pris  du  désir  d'aller  évangéHser  ses  frères  de 
France,  et  il  partit,  sans  hésiter,  avec  un  nommé  Sa- 
batier  et  Corteiz.  Il  arriva  en  pleine  persécution.  Les 
gouverneurs  exécutaient  les  édits  avec  une  rigueur 
inouïe  et  les  protestants  étaient  dans  la  terreur.  Il  vit 
périr  le  premier  de  ses  compagnons  de  route.  Persister 
à  courir  le  pays,  c'était  s'exposer  lui  aussi  aune  mort 
certaine.  Il  le  comprit.  Après  quelque  temps  de  labo- 
rieux efforts,  il  dut  reprendre  le  chemin  de  Genève. 
Mais  les  troupes  le  surprirent  lorsqu'il  cherchait  à  pas- 
ser le  Rhône  au  Pont-Saint-Esprit,  et  il  fut  contraint  de 
s'engager  comme  soldat.  Cela  se  passait  en  1711.  Plus 
tard,  croyant  sans  doute  les  dangers  moindres  et  les 
temps  plus  favorables,  il  abandonna  ses  frères  d'ar- 
mes, et  revint  auprès  de  ses  coreligionnaires  de  la  pro- 
vince. C'est  alors  qu'Antoine  Court  fit  sa  connaissance  ' . 

Corteiz  2  (Pierre -Carrière)  était  né  au  hameau  de 
Nozaret,  paroisse  de  Castanier.  En  1697,  il  lui  était 
tombé  entre  les  mains  U  Boicclier  de  la  foi.,  le  Combat 
clirètien^  dix  décades  de  sermons  excellents^  ouvrage  de 
M,  Pierre  Dv/monlin^  le  Dialogue  entre  un  fere  et  son 

i  N°  17,  vol.  H,  p.  495. —  V.  2m^^s\  Les  Insurgés  protestant,  p.  145. 

"'  «  Taille  un  peu  au-dessus  du  médiocre,  visage  long  et  maigre, 
bouche  bien  fendue,  le  nez  aquilin,  cheveux  châtain  obscurci,  Tair 
doux.  »  Signalement  des  prédicants. 


PIERRE  CORTEIZ  33 

iils  pottr  voir  si  Von.  se  peut  sauver  en  allant  a  la  messe 
y  our  éviter  la 'persécution^  ouvrage  des  plus  convenables 
pour  la  situation  d'une  Eglise  comme  la  France,  et  un 
Catécliisme  de  controverse  de  Dumoulin.  Un  jour,  —  il 
avait  seize  ou  dix- sept  ans,  —  il  parla  par  hasard  dans 
une  assemblée,  et  dès  lors,  jusqu'en  1702,  il  adressa  des 
exhortations  aux  fidèles,  s'élevant  beaucoup  contre  les 
prophètes  qui  couraient  le  pays,  prêchaient  la  g'uerre, 
ordonnaient  de  tuer  les  prêtres  et  de  brûler  les  églises. 
Mais  les  passions  étaient  déchaînées  ;  on  le  traita  d'in- 
crédule. Il  vit  la  terrible  expédition  de  Julien  dans  les 
hautes  Ce  venues,  «  cette  expédition  qui  fut,  dit  Lou- 
vreleuil,  comme  une  tempête  qui  ne  laisse  rien  à  ra- 
vag'er  dans  un  champ  fertile  ;  »  il  vit  allumer  l'incendie 
de  quatre  cent  soixante-six  bourgs,  et  l'âme  encore 
émue  de  ce  spectacle ,  profitant  du  passe-port  que  lui 
fit  offrir  Villars,  il  se  réfugia  en  Suisse.  A  Lausanne, 
il  obtint  un  emploi  de  régnent.  Vers  1709,  les  réfugiés 
jetèrent  les  yeux  sur  lui  pour  aller  réchauffer  la  foi  des 
fidèles  de  France.   Il  n'hésita  pas  et  partit   aussitôt 
pour  le  Languedoc.  Voilà  pourquoi  en  1717  il  écrivait  : 
«  Vous  me  demandez  par  quel  ordre  et  qui  m'a  donné 
charge  de  prêcher,  environ  douze  ans^  dans  le  Désert 
de  France;  je  répondrai  ce  que  j'ai  toujours  dit,  que 
c'est  par  la  force  et  par  les  lumières  du  Saint-Esprit 
(|ui  m'a  fourni  les  connaissances  et  les  dispositions  né- 
cessaires pour  m'employer  dans  cette  noble  et  impor- 
tante chargée  ^  »  En  1709,  Abraham  Mazel,  ancien  ofîi- 
cier  de  cavalerie,  courait  le  Vivarais  et  poussait  les 


i  N"  17,  vol.  a,  p.  10. 

I 


34  PIERRE  CURTEIZ 

protestants  à  une  nouvelle  g'uerre  de  Camisards.  Tl 
réunit  même  en  peu  de  jours  une  centaine  d'hommes, 
enleva  les  armes  d'un  château,  battit  un  régiment 
suisse,  et  déjà  le  pays  commençait  de  s'ag-iter,  lors- 
que le  gouverneur  envoya  des  troupes  qui  dispersèrent 
facilement  la  bande  de  Mazel.  Le  Vivarais  fut  mis  dans 
un  déplorable  état.  Corteiz  vit  Vernoux  rempli  des  ca- 
davres des  jeunes  g*ens  qu'on  avait  pendus  ou  rompus. 
Aussi,  lorsque  Mazel,  guéri  de  ses  blessures ,  essaya 
avec  Claris  de  soulever  encore  une  fois  cette  malheu- 
reuse contrée,  s'interposa- t-il  pour  les  forcer  à  aban- 
donner leur  dessein.  En  1712,  fatigué  de  soutenir  con- 
tre les  siens  et  contre  l'ennemi  une  lutte  de  chaque  jour 
et  presque  sans  succès,  il  revint  à  Genève.  Là,  il  se 
maria  avec  une  tailleuse  d'habits  du  nom  d'Isabeau. 
Mais  il  ne  pouvait  se  résigner  à  vivre  loin  du  théâtre 
où  s'était  exercée  son  activité  fiévreuse.  Il  quitta 
sa  femme,  revint  en  France,  dans  les  Ce  venues.  Il  y 
trouva  Bombonnoux,  Rouvière,  Hue  et  Vesson.  Avec 
les  deux  premiers,  prêchant,  exhortant,  convoquant 
des  assemblées,  il  descendit  jusqu'à  Nîmes.  C'est  dans 
cette  ville  qu'il  entra,  par  l'intermédiaire  de  Brunel, 
en  rapport  avec  Court,  et  que  les  cinq  prédicants  célé- 
brèrent les  fêtes  de  Pâques  \ 

Tels  étaient  les  ministres  auxquels  le  premier  Sy- 
node du  Languedoc  confiait  le  soin  de  ranimer  le  zèle 
et  d'établir  quelque  ordre  dans  la  province.  Tels  allaient 
être  dans  cette  œuvre  de  restauration  les  premiers  com- 
pagnons d'Antoine  Court. 

1  N°  17,  vol.  H,  p.  491.  Relation  historique  des  principaux  événe- 
ments qui  sont  arrivés  à  la  religion  protestante  depuis  la  Révocation 
jusqu'en  1728.  —  Corteiz  en  est  l'auteur. 


PIERRE  CORTEIZ  35 

Hommes  hardis  et  dévoués,  insuffisants  toutefois, 
et  non  à  la  hauteur  de  la  tâche.  Ce  n'était  ni  le 
zèle  ni  le  courage  qui  leur  faisaient  défaut,  mais  le 
savoir,  l'intelligence  et  aussi,  il  faut  le  dire,  le  sacri- 
fice de  leur  personnalité  au  triomphe  d'un  programme 
rigoureux.  Vesson  était  tonnelier.  Hue  travailleur  de 
terre;  Arnaud,  Durand,  Rouvière  étaient  des  enfants. 
Corteiz,  le  plus  instruit  peut-être,  écrivant  à  Court, 
lui  recommandait  de  prendre  garde  aux  fautes  d'or- 
thographe et  de  les  corriger,  s'il  montrait  la  lettre  à 
ses  amis.  Cela  pourtant  eût  été  de  peu  d'importance, 
s'ils  avaient  pu  comprendre  ce  qu'on  réclamait  d'eux. 
Mais  les  plus  âgés  surtout,  les  Hue,  les  Brunel,  les 
Vesson  appartenaient  à  un  autre  temps.  Vieux  Cami- 
sards,  aux  libres  allures,  ils  subissaient  avec  peine  tout 
ce  qui  les  pouvait  contraindre.  Il  ne  fallut  rien  moins 
que  la  fermeté  étonnante  d'Antoine  Court  pour  les 
faire  marcher  sans  trop  de  colères  dans  la  voie  tracée. 
Encore  y  eut-il  bien  des  écarts. 

Deux  hommes  seuls  avaient  de  la  valeur  :  Arnaud 
et  Corteiz.  Arnaud  périt  bientôt  et  avec  lui  les  brillantes 
espérances  qu'il  avait  fait  naître.  Restait  Corteiz. 

Héros  inconnu  que  ce  prédicant  *  !  Il  avait  vu  tour 
à  tour  les  excès  du  fanatisme  religieux  auxquels  s'é- 
taient livrés  les  Camisards  et  les  mesures  d'épouvan- 
table rigueur  qui  avaient  frappé  les  insurgés  ;  il  avait 
ensuite  connu  les  réfugiés  des  pays  étrangers  et  il 
était  resté  en  rapport  avec  quelques-uns  d'entre  eux* 
Une  raison  saine,  le  véritable  sentiment  de  l'état  des 

'  Ses  lettres,  son  journal  mériteraient  bien  d'être  publiés. 


36  PIERRE  CORTEIZ 

choses,  le  désir  de  tracer  et  de  suivre  jusqu'au  bout 
un  programme  clair  et  méthodique,  l'horreur  du  fana- 
tisme et  de  l'emploi  des  moyens  violents,  —  tout  faisait 
de  lui  un  auxiliaire  d'un  rare  mérite.  D'un  courage 
éprouvé,  jouant  depuis  son  enfance  avec  la  mort,  insen- 
sible à  la  fatigue,  il  parcourait  la  France,  passait  en 
Suisse,  franchissant  les  distances  et  bravant  les  dan- 
gers avec  une  insouciance,  une  sérénité  admirable. 
Son  âme  était  aussi  ferme  que  son  corps.  Il  était 
huguenot  et  montagnard.  A  cela,  il  joignait  une 
grande  douceur.  Cet  homme  rigide  et  sévère  avait 
des  tendresses,  des  délicatesses  exquises.  Ses  lettres  à 
sa  femme,  «  à  son  Isabeau,  »  sont  remplies  de  détails 
touchants.  Il  y  parle  de  lui,  d'elle,  de  ses  enfants, 
surtout  de  ses  excursions  périlleuses  et  des  progrès  «  de 
la  relig'ion  »  comme  un  père  et  comme  un  héros.  Point 
de  forfanterie,  point  d'ostentation;  il  écrit  comme  il 
pense.  A  travers  cette  écriture  indécise  et  qui  se  traîne 
bizarrement,  en  boitant,  on  croirait  lire  dans  son  cœur 
comme  dans  les  pages  ouvertes  d'un  livre.  Il  était 
bien  l'homme  qui  convenait  aux  protestants  ;  sa  naïve 
éloquence,  la  rudesse  de  son  langage,  l'austérité  de  sa 
vie,  tout  cela  tempéré  par  une  bonté  sympathique,  de- 
vait lui  assurer  une  immense  influence. 

Aussi,  dès  qu'Antoine  Court  l'eût  rencontré,  en- 
chaîna-t-il  sa  vie  à  la  sienne.  Ce  fut  une  amitié  grave 
et  solide,  que  rien  ne  put  ébranler  et  qui  lia  pour  tou- 
jours ces  deux  hommes  dont  la  foi  s'était  proposé  le 
même  but.  L'un  fut  la  tête  qui  conçut,  l'autre  le  bras 
qui  exécuta.  Non  pas  que  l'un  ordonnât  et  l'autre 
obéît,  —  en  réalité  ils  s'interrogeaient  mutuellement. 


SYNODE  DE  171G  37 

et  aucune  grande  détermination  ne  fut  prise  qu'ils  n'en 
eussent  délibéré  en  commun,  —  mais  il  semble  que 
Court  prit  plutôt  l'initiative  des  projets,  et  que  Corteiz 
s'employa  davantage  à  leur  accomplissement.  Ils  se 
partageaient,  sans  aucune  envie,  le  champ  d'activité, 
et  ce  n'est  pas  sans  quelque  admiration  qu'on  voit  le 
plus  vieux  de  ces  hommes  s'incliner  devant  la  précoce 
maturité  et  l'intelligence  du  plus  jeune.  Court  parlant 
de  son  ami  :  «  Une  chose  essentielle,  dit-il,  manquait, 
c'étaient  des  prédicateurs;  un  seul  de  tous  ceux  qui 
existaient  alors  pouvait  me  seconder,  et  il  le  fît  effica- 
cement :  il  s'appelait  Corteiz.  Il  ne  s'était  point  trouvé 
à  la  première  assemblée  synodale  que  j'avais  convo- 
quée, parce  qu'il  était  alors  dans  les  paj^s  étrang^ers. 
A  son  retour,  il  n'approuva  pas  seulement  ce  que 
j'avais  fait;  il  entra  aussi  dans  toutes  les  vues  que  je 
me  proposais  pour  l'avenir,  et  il  fit  tout  ce  qui  était 
en  son  pouvoir  pour  le  faire  réussir.  » 

Antoine  Court,  dès  que  le  Synode  eut  adopté  ses 
propositions,  reprit  ses  courses  dans  la  province.  Il  se 
dirigea  vers  les  églises  qu'il  avait  déjà  visitées  l'année 
précédente;  il  y  trouva  la  piété  accrue,  les  cœurs  raf- 
fermis. C'étaient  celles  que  baigne  l'Hérault.  Il  encou- 
ragea les  uneS;,  réveilla  celles  qui  étaient  encore  en- 
gourdies, annonçant  partout  les  heureux  événements 
qui  venaient  de  s'accomplir.  A  son  retour,  il  convoqua 
dans  les  Cévennes  un  second  Synode.  Que  s'y  passa- 
t-il,  et  quels  en  furent  les  membres?  On  ne  sait  guère. 
Il  est  certain  cependant  qu'on  s'y  occupa  beaucoup  du 
c(  fanatisme  »  et  que  les  femmes  prédicantes  y  furent 


38  ENTREVUE  DE  COURT  ET  DE  ROGER 

citées  pour  défendre  leur  cause  * .  Des  Cévennes  il  des- 
cendit vers  Saint-Hippolyte,  Sauve,  Monoblet,  et  réunit 
dans  un  cliâteau  bâti  sur  une  hauteur,  entre  ces  trois 
villes,  une  des  assemblées  les  plus  considérables  qu'on 
eut  vues  depuis  longtemps.  Le  nombre  des  fidèles, 
l'attitude  de  cette  foule  étonnée  qui  revenait,  non 
sans  quelque  lionte  peut-être,  à  ses  habitudes  délais- 
sées, les  récits  faits  au  retour,  le  bruit  dont  les  pro- 
testants entourèrent  cette  assemblée  dans  un  but  poli- 
tique, attirèrent  l'attention  des  «  puissances.  »  Le 
g'ouverneur  d'Alais,  prévenu,  se  porta  sur  les  lieux  et 
après  de  vives  remontrances  interdit  aux  nouveaux 
convertis  de  renouveler  leurs  réunions.  Vaine  inter- 
diction !  Elle  ne  pouvait  arrêter  le  zèle  renaissant.  A 
peine  arrivé  de  Saint- HIppoly te,  au  mois  de  mai  1716, 
Court  se  rendit  à  la  Roque-d'Aubay,  près  de  Sommiè- 
res,  mais  l'assemblée  qu'il  y  convoqua  fut  surprise.  Cette 
activité  d'apôtre  commençait  d'inquiéter  l'intendant  qui 
fit  afficher  aux  portes  des  églises  et  sur  les  places  pu- 
bliques un  placard,  où  il  promettait  cinquante  pistoles  à 
qui  lui  livrerait  le  jeune  ministre.  Celui-ci  cependant  ne 
s'effraya  point.  Chassé  de  Sommières,  il  partit  aussitôt 
pour  Cal  visson,  et  se  dirigea  du  côté  delaRouvière.  Ilpar- 
vint  bientôt  à  Nîmes  ^  Là,  il  rencontra  Jacques  Roger. 
Jacques  Roger,  revenu  en  1715  en  Dauphiné,  avait 
eu  hâte  de  parcourir  cette  province,  et  satisfait  «  du 
zèle  que  les  fidèles  fesaient  paraître,  surtout  en  appre- 
nant qu'il  avait  été  reçu  ministre,  »  il  avait  résolu  de 
descendre  en  Languedoc.  En  route  il  avait  couru  de 

1  N°  46,  cah.  IL  (13  janvier  1716.) 

2 Ibid. 


SYNODE  EN  DAUPHINE  39 

grands  périls  et  n'avait  dû  son  salut  qu'à  son  sang'- 
froid.  Il  venait  d'arriver  accompag*né  de  Brunel  ^ 

On  a  peu  de  détails  sur  cette  entrevue.  Ces  deux 
hommes  ne  s'étaient  jamais  vus,  peut-être  même  Court 
ne  connaissait-il  pas  de  nom  son  intrépide  interlocu- 
teur. Ils  eurent  toutefois  plusieurs  conférences.  Le 
jeune  prédicant,  avec  abandon,  avec  chaleur,  raconta 
ce  qu'il  avait  fait  et  ce  qu'il  espérait  faire;  il  montra 
la  nécessité  de  réveiller  les  protestants  et  de  les  disci- 
pliner; il  parla  du  Synode  qu'il  avait  convoqué  récem- 
ment, des  règdements  qu'il  avait  proposés  et  qu'on  avait 
admis,  et  il  supplia  Rog-er  de  suivre  les  mêmes  règles 
'  de  conduite  en  Daupliiné  ^  Eog'er  depuis  longtemps 
était  convaincu.  A  son  tour,  il  communiqua  ses  pen- 
sées, fît  part  de  son  programme,  raconta  sa  vie...  Mais 
il  fallut  s'arracher  aux  douceurs  de  cette  amitié  nais- 
sante. L'Eghse  réclamait  les  soins  de  ces  deux  apôtres. 
Ils  se  séparèrent. 

Eoger  ne  tarda  pas  à  se  rendre  en  Dauphiné.  Il  y 
trouva  Corteiz  qui  revenait  de  Genève  et  décida  avec 
lui  de  réunir  un  Synode.  Le  Synode  se  tint  le  22  août  : 
sept  prédicants  y  assistaient  ^  Voici  quelques-uns  des 
règ"lements  qui  furent  arrêtés  : 

«  Les  pères  de  famille  seront  exhortés  à  faire  trois  fois  le  jour 
la  prière  en  commun  avec  leurs  enfants  et  leurs  domestiques. 
—  On  doit  destiner  au  moins  deux  heures  à  la  dévotion  du  di- 
manche, à  laquelle  tous  ceux  de  la  maison  doivent  se  rendre. 

1  N"  17,  voJ.  B.  Mémoire  sur  le  Dauphiné  par  Vouhuid.  Ce  curieux 
mémoire  est  très-exact. 

2  N»  36. 

3  1716. 


40  ROGER  ET  LE  DAUPHINÉ 

—  On  doit  reprendre  en  public  après  la  première,  la  deuxième 
et  la  troisième  admonition,  tous  ceux  qui  commettent  des  crimes 
noirs  et  scandaleux.  —  Les  pasteurs  doivent  se  rassembler  de 
six  mois  en  six  mois,  pour  voir  si  tous  ont  eu  soin  de  visiter 
les  malades,  d'ordonner  les  collectes  pour  les  secourir,  en  un 
mot,  s'ils  ont  rempli  les  devoirs  de  leur  charge,  sans  reproche. 

—  Les  anciens  exhorteront  les  fidèles  d'avoir  soin  de  tous  les 
pasteurs  que  la  divine  Providence  leur  enverra  tant  pour  leur 
sûreté  que  pour  leur  entretient  » 

Après  la  tenue  du  Synode,  Rog'er  continua  ses  cour- 
ses, allant  de  Die  à  Châtillon,  de  Cliâtillon  à  la  vallée 
de  Bourdeaux.  Il  avait  pour  compagnon  Rouvière. 
«  Par  tous  les  endroits  où  ils  passaient,  ils  engag'eaient, 
autant  qu'ils  pouvaient,  les  chefs  de  famille  et  les 
hommes  les  plus  sensés  à  former  des  consistoires,  et  à 
se  soumettre  à  l'ordre  conformément  à  la  conclusion 
du  Synode.  »  Vers  la  fin  d'octobre,  Bombonnoux  et 
Corteiz  prirent  congé  de  leurs  amis  et  descendirent  en 
Languedoc.  C'est  en  ce  moment  qu'un  nommé  Martel, 
qui  arrivait  de  Suisse,  et  le  jeune  Pierre  Durand  vinrent 
trouver  Roger  et  s'éprirent  d'une  vive  admiration  pour 
lui.  Durand  s'était  cantonné  dans  le  Vivarais;  mais  il 
franchit  dès  lors  plusieurs  fois  le  Rhône  pour  demander 
à  l'expérience  de  son  austère  ami  des  conseils  et  des 
encouragements  ^ . 

Antoine  Court  cependant  avait  visité  les  églises 
qu'il  avait  fondées  sur  les  bords  du  Gardon.  L'hiver 
approchait.  A  Nîmes,  il  s'était  déjà  senti  souffrant. 
Une   fièvre  violente  dont  les  accès  duraient  jusqu'à 


'  V.  Coquerel,  t.  I,  p.  33  et  34. 

2  V.  Pierre  Durand,  etc.,  et  n"  17.  vol.  B. 


COURSES  DANS  LE  BAS  LANGUEDOC  41 

trente  heures  sans  intervalle,  se  déclara  tout  à  coup, 
et  le  retint  immobile  pendant  cinq  semaines.  Dès  qu'il 
se  crut  guéri,  il  reprit  ses  fonctions.  Il  était  encore 
malade;  parfois  il  était  saisi  d'accès  terribles,  sur  la 
route,  en  rase  campagne.  Sa  volonté  était  impuissante 
à  dompter  le  mal.  Il  continuait  cependant  à  marcher, 
s'arrètant  ici  et  là,  par  les  chemins  écartés.  Il  n'avait 
point  de  cheval.  Quand  il  ne  pouvait  plus  avancer,  et 
qu'il  succombait  sous  la  fatigue  et  la  maladie,  il  priait 
deux  hommes  d'entre-croiser  leurs  mains,  et  il  s'asseyait 
sur  ce  fauteuil  improvisé.  Un  gite  lui  était  souvent 
offert  dans  une  demeure  amie.  Mais  que  de  fois,  à 
peine  s'était-il  livré  au  sommeil,  l'alarme  était  donnée  ! 
Il  fallait  partir  aussitôt.  Un  soir  qu'après  un  violent 
accès  de  fièvre,  il  commençait  à  goûter  un  sommeil 
réparateur,  son  hôte  aperçut  un  traître  reconnu  pour 
tel,  qui  rôdait  autour  de  la  maison.  Il  se  précipite  dans 
la  chambre  de  Court,  et  le  supplie  de  s'en  aller.  Nuit 
terrible  !  Il  était  déjà  tard;  au  dehors  tombait  une  pluie 
fine  et  pénétrante.  Il  dut  partir,  et  tout  frissonnant 
errer  à  travers  la  campagne  à  la  recherche  d'un  abri. 
Après  de  longues  souffrances,  une  maison  hospitalière 
s'ouvrit  enfin,  non  sans  peine,  et  il  put  y  terminer 
un  sommeil  si  violemment  interrompu  et  si  nécessaire 
à  sa  santé  K 

De  village  en  village.  Court  arriva  à  Anduze  où  il 
fit  un  petit  séjour.  ïl  y  réveilla  le  zèle,  tint  des  assem- 
blées dans  les  caves  et  multiplia  «  le  nombre  de  ceux 
qui  donnaient  gloire  à  Dieu  par  une  profession  moins 

1  N"  46,  cah.  II  et  III. 


42  SYNODE  DE  1717 

timide  qu'auparavant,  plus  pure  et  plus  publique  de 
leur  foi.  »  Aux  approches  des  fêtes  de  Noël,  toujours 
souffrant,  il  arriva  à  Saint- Jean-du-Gard. 

L'année  1717  le  retrouva  à  Saint-Hippolyte.  Cette 
ville  avait  accueilli  avec  joie  ses  exhortations,  et  chez 
quelques  amis  il  rencontrait  une  hospitahté  toujours 
empressée.   Il  y  revenait  avec  bonheur.  Mais  en  ce 
moment,  soit  que  la  dernière  assemblée,   qu'il  avait 
tenue  en  ce  pays  avec  tant  d'éclat,  eut  redoublé  les 
colères  de  la  cour,  soit  que  son  nom,  autour  duquel 
se  ralliaient  de  plus  en  plus  les  réformés,  fut  devenu 
pour,  l'intendant  une  sorte  d'épouvantail,  il  ne  put  y 
résider  longtemps.  Dès  que  le  g'ouverneur,  prévenu 
par  les  espions,  connut  son  arrivée,  il  fit  informer 
l'hôte,  chez  (Jui  le  jeune  prédicant  était  descendu,  qu'il 
savait  tout  et  qu'il  ferait  veiller  sur  la  maison.  Court 
fut  obligé  de  quitter  cette  demeure;  il  frappa  à  d'au- 
tres portes,   mais  aucune  ne    s'ouvrit.   La  peur  des 
galères  étouffait  les  meilleures  intentions  ^ 

Court  quitta  la  ville,  et  peu  de  temps  après  le  can- 
ton. Il  se  dirigea  vers  Nîmes,  parcourut  les  villages 
voisins,  et  convoqua  quelques  assemblées.  Vers  la  fin 
du  mois  de  février  1717,  il  repartit  pour  les  Cévennes 
où  devait  se  réunir,  le  2  mars,  un  nouveau  Synode. 

Quelles  conférences  sérieuses  et  pleines  de  grandeur 
durent  alors  tenir  sur  les  hommes  et  sur  les  choses 
les  quelques  prédicants  qui  avaient  assisté  à  la  réu- 
nion de  1715!  Où  en  était  l'œuvre?  Quels  obstacles 
avait-on  rencontrés  et  quels  appuis  ?  Quelles  mesures 


1  N"  46,  cah.  III. 


SYNODE  DE  1717  43 

fallait-il  prendre?  Pouvait-on  espérer?  S'était-on  engagé 
dans  une  entreprise  sans  issue  ?  Mille  préoccupations 
absorbantes,  et  qui  ne  laissaient  pas  même  une  place 
aux  récits  des  aventures  personnelles.  L'accomplisse- 
ment de  l'œuvre  commune  occupait  toutes  les  pensées. 
Il  paraît  toutefois  que  les  renseignements  donnés  fu- 
rent bons,  et  que  nul  ne  se  plaignit  d'avoir  en  vain 
lutté  contre  une  tiédeur  invincible,  car  le  Synode,  loin 
de  prendre  des  mesures  pour  exciter  le  zèle  des  nou- 
veaux convertis,  en  prit  plutôt  pour  le  modérer  ^ 

Au  commencement  de  l'année  en  effet,  au  mois  de 
janvier,  Vesson  avait  tenu  une  assemblée  du  côté  d'An- 
duze.  Elle  avait  été  surprise,  et  les  troupes  avaient  fait 
soixante- douze  prisonniers.  Cette  affaire  avait  eu  un 
douloureux  retentissement.  Le  Synode,  sous  le  coup  de 
cet  événement,  décida  «  qu'on  n'accorderait  aucun  se- 
cours dans  leurs  souffrances  à  ceux  qui  se  jetteraient 
aveuglément  dans  le  danger  soit  en  allant,  soit  en  re- 
venant des  assemblées  religieuses  ^  »  Bien  plus,  et 
peut-être  ceci  à  l'adresse  de  Vesson  :  «  S'il  arrive, 
ajouta-t-il,  que  quelque  pasteur,  par  un  zèle  précipité 
et  une  chaleur  inconsidérée,  vienne  à  jeter  téméraire- 
ment ses  frères  dans  le  danger ,  il  sera  démis  de  sa 
charge,  jusqu'à  ce  qu'il  donne  des  preuves  de  senti- 
ments plus  sages,  se  conduisant  selon  la  prudence  chré- 
tienne ^ .  —  Les  pasteurs  ne  convoqueront  les  assem- 


^  Rec^reil  manuscrit   des  Synodes  du  dix-httitième  siècle.  Com- 
muniqué par  M.    le  pasteur  J.-P.  Hugues.  —  Y.  aussi  Coquerel,  t.  I 
p.  35. 

2/6id.,  art.  III. 

3  Ihid  ,  art.  lY, 


44  SUPPLICE  D'ARNAUD 

blées  que  de  huit  jours  eu  huit  jours,  si  ce  u'est  dans  le 
cas  d'une  dévotion  extraordinaire,  comme  en  un  temps  de 
jeûne  ou  de  Cène.»  — Il  semble  donc  qu'on  craignait 
plus  les  fâcheux  effets  d'une  piété  surexcitée  que.  son 
affaissement. 

Le  Synode  cependant  nomma  des  prédicants  pour 
administrer  la  Sainte-Cène.  Ayant  «  réveillé,  »  il  vou- 
lut sanctifier  les  âmes.  Depuis  de  longues  années  cette 
cérémonie  n'avait  pu  s'accomplir  ;  les  dangers  inces- 
sants, la  crainte  des  surprises,  l'instabilité  d'une  passa- 
gère sécurité  avaient  toujours  empêché  de  la  célébrer. 
Beaucoup  de  religionnaires  désiraient  participer  à  cette 
auguste  commémoration.  Il  choisit  donc  Durand,  Crotte 
et  Court  pour  administrer  la  Cène  «  dans  toutes  les 
églises  où  la  prudence  le  permettrait  ^  »  Cette  dernière 
décision  prise,  il  se  sépara.  —  Pour  quelques-uns  cette 
séparation  devait  être  éternelle. 

Au  mois  de  décembre,  Arnaud  ayant  convoqué  près 
d'Alais  une  assemblée  fut  pris  au  retour  par  les  soldats. 
On  le  conduisit  à  Montpellier,  on  le  jug^ea,  condamna,  et 
le  22  janvier  1718,  ce  malheureux  jeune  homme,  au 
milieu  d'une  grande  affluence  de  monde,  fut  pendu  à 
Alais.  La  cour  continuait  son  système  de  répression. 
Mais  à  la  silencieuse  résignation  des  protestants  et  à 
l'héroïque  sérénité  du  martyr,  elle  dut  s'apercevoir 
qu'elle  devenait,  chaque  jour,  de  plus  en  plus  impuis- 
sante à  arrêter  le  mouvement  qui  poussait  les  reli- 
gionnaires à  la  revendication  de  leurs  libertés  con- 
fisquées^. 

1  V.  Coquerel,  t.  I,  p.  35. 

^  N"  46.  — Voici  un  fragment  d'une  complainte  sur  la  mort  d'Ar- 


BÉTRINE  ET  PIERREDON  45 

Cette  mort  attrista  profondément  les  protestants, 
mais  ne  les  déconrag*ea  point.  Quant  aux  compag-nons 
d'Arnaud,  loin  de  se  laisser  effrayer,  ils  redoublèrent 
d'activité.  Court  qui  avait  prévu  de  tels  événements, 
et  qui,  fidèle  à  son  prog*ramme,  ne  cessait  de  chercher 
à  augmenter  le  nombre  des  prédicants,  avait  précisé- 
ment sous  la  main  un  jeune  homme  insensible  à  la 
peur.  Son  nom  était  Bétrine.  Il  l'avait  rencontré  dans 
une  de  ses  courses,  et  le  voyant  plein  d'ardeur,  il  l'a- 
vait décidé  à  partag^er  ses  périls.  Il  le  présenta  au  Sy- 
node du  17  février  1718,1e  fit  examiner  etrecevoir  pro- 
posant :  Etienne  Arnaud  était  remplacé.  Cette  même 
année.  Court  fit  encore  nommer  un  jeune  homme  «  pour 
proposer  la  parole  de  Dieu.  »  On  l'appelait  :  Pierredon  '. 


naud.  Nous  devons  h  l'obligeance  de  M,  le  pasteur  Auzière  la  commu- 
nication de  cette  pièce. 

«  Il  y  a  plus  de  trente  années 
Qu'il  nous  faut  cachei-  dans  les  bois, 
Pour  voir  la  parole  exposée  ; 
Encore  nous  faut  tenir  cois. 

Lorsque  nos  ennemis  nous  trouvent 
Dans  les  sacrés  lieux  assemblés, 
Comme  des  enragés  ils  crient  : 
«  Il  faut  qu'ils  soient  tous  massacrés  !  " 

.  .  .  Cependant,  ô  mes  très-chers  frères, 
Qui  l'Evangile  annoncez 
A  tous  ces  généreux  fidèles, 
Dans  ces  temps  de  calamités, 

Ne  perdez  au  combat  courage  : 
Dieu  de  Jacob  vous  soutiendrai 
Nos  épreuves  et  nos  outrages 
De  son  ciel  il  couronnera!  n  etc. 


•  Synode  du  21  novembre  1718  : 
,  .  «  A  été  en   personne  Jacques  Pierredon,   du  nias  de  Blanas, 
paroisse  de  Saint- Jean-du-Pin,  lequel  s'est   présenté  à  l'assemblée 


46  DEPOSITION  DE  VESSON 

Mais  déjà  quelques-uns,  soit  dépit,  soit  désir  immo- 
déré d'indépendance ,  abandonnaient  l'œuvre  entre- 
prise et  reprenaient  leur  ancien  g'enre  de  vie.  Le 
Synode  de  1718  avait  été  oblig-é,  après  une  troisième 
admonition,  de  «  déposer  »  Vesson  comme  scliismatique 
et  coupable  de  plusieurs  fautes  g-raves.  Jean  Hue  de  son 
côté  n'était  pas  sans  inspirer  de  sérieuses  inquiétudes. 
Heureusement  Corteiz  venait  d'arriver.  La  présence 
de  cet  homme  énergique  releva  le  courag'e  d'Antoine 
Court  un  peu  ébranlé  par  ces  divisions  naissantes,  et 
qui  se  sentait  comme  isolé  au  milieu  de  ses  com- 
pagnons. 

Les  Cévennes  et  le  bas  Languedoc  avaient  été  déjà 
parcourus  ;  deux  fois  même  on  avait  visité  les  églises 
du  diocèse  de  Montpellier.  Court  fit  un  pas  en  avant 
et  s'avança  vers  le  haut  Languedoc.  Il  n'était  plus 
seul;  Corteiz  l'accompagnait.  Les  deux  prédicants  al- 
lèrent à  Cournonteral,  Cournonsec,  Villemane,  Mon- 
tagnac;  ils  arrivèrent  ainsi  jusqu'à  Bédarieux,  dans  le 
diocèse  de  Béziers.   Depuis  longtemps,  ces  pays  n'a- 


pour  recevoir  d'icelle  l'approbation  de  proposer  la  Parole  de  Dieu. 
Laquelle,  après  avoir  béni  Dieu  de  son  bon  zèle  et  souhaité  qu'il  le 
comble  de  grâces,  l'a  reçu  et  lui  donne  permission  de  proposer  dans 
toutes  les  églises  où  la  Providence  l'apellera,  jusqu'à  ce  qu'il  soit 
plus  amplement  examiné  et  installé  dans  la  charge  du  saint  minis- 
tère pour  faire  toutes  les  fonctions  de  cette  sainte  charge.  Ainsi,  la 
compagnie  prie  et  exhorte  toutes  les  églises  où  il  sera  appelé  de  le 
recevoir  pour  proposer  la  Parole  de  Dieu,  et  de  lui  accorder  ce  dont 
il  aura  besoin.  Et  c'est  sur  la  condition  qu'il  acceptera  les  articles  de 
tous  nos  règlements,  et  qu'il  sera  toujours  du  sentiment  unanime  de 
ses  frères.  » 

Signé  :  Corteiz,  pasteur;  —  Court,  pasteur  et  secrétaire; 

ROUVIÈRE,    J.   BÉTRINE,   J.  BoMBuNNOUS. 

(Fièce  communiquée  par  M.  Auzière). 


COURSES  DANS  LE   HAUT  LANGUEDOC  47 

valent  point  entendu   de  pasteurs,   ni  vu  passer  ces 
hommes  que  le  délire  propliéticjue  poussait  à  travers 
le  Vivarais  et  les  Cévennes  ;  ils  étaient  restés  en  dehors 
des  événements.  Quand  tout  fut  accompli,  quand  les 
meilleurs  d'entre   eux  eurent  été  envoyés  aux  g'alères 
ou  se  furent  expatriés,  et  qu'il  parut  ne  plus  rester  la 
moindre  place  à  l'espérance,  ces  nouveaux  convertis 
avaient  désespéré  de  l'avenir.  Ils  avaient  fréquenté  les 
Eg'lises  et  envoyé  leurs  enfants  aux  écoles;  à  peine 
quelques-uns  d'entre  eux,  les  vieillards,  avaient-ils  con- 
servé dans  leur  cœur  l'amour  de  la  relig'ion  proscrite. 
Cette  indifférence  ne  laissa  pas  que  d'effrayer  les  deux 
prédicants.  Plus  d'une  fois  les  portes  auxquelles  ils 
allèrent  frapper  se  fermèrent  devant  eux,  mais  ils  ne  se 
laissèrent  pas  rebuter,  et  quand  les  maisons  leur  furent 
interdites,   ils  se  réfugièrent  à  la  campagne  ou  dans 
les  cabarets.  Un  fâcheux  incident  put  seul  déterminer 
leur  retour.  On  leur  contestait  souvent  l'authenticité  de 
leur  mission  ;  on  leur  demandait  qui  les  avait  établis 
prédicants.  Un  jour  qu'ils  abordaient  le  thème  de  leurs 
exhortations,  on  les  pria  de  montrer  leurs  lettres  de 
créance.  Corteiz  étonné  montra  de  vieux  papiers  que 
lui  avaient  donnés  des  ministres  réfugiés,  mais  Court 
l'arrêtant  montra  la  Bible,  et  se  prévalut  de  la  mission 
qu'il  tenait  du  Synode.  Quel  Synode  ?  On  n'en  avait 
jamais  entendu  parler.  Ils  furent  injuriés  et  chassés. 
Ils  quittèrent  ces  pays  et  s'acheminèrent  tristement 
vers  les  Cévennes  où  devait  se  tenir,  le  3  mai,  une 
nouvelle  réunion  synodale.  En  route,  comme  ils  discu- 
taient la  valeur  des  moyens  qu'ils  pourraient  employer 
pour  obtenir  des  lettres  de  créance,  un  parti  que  Ro- 


48  CORTEIZ  PART  POUR  LA  SUISSE 

ger  leur  avait  d'ailleurs  recommandé  s'offrit  à  leur 
esprit.  Il  fallait  que  l'un  d'eux  quittât  la  France  et  s'al- 
lât fcxire  consacrer  pasteur  dans  une  Eglise  étrangère. 
C'était  périlleux,  mais  nécessaire.  Le  Synode  interrogé 
approuva  ce  dessein,  et  Corteiz  partit  pour  Genève 
cliargé  de  lettres  de  recommandation  pour  Pictet  et 
Lég*er,  pasteurs  et  professeurs  dans  cette  ville.  On  dé- 
cida en  outre  qu'Antoine  Court ,  au  retour  de  son  col- 
lèg'ue,  prendrait  le  même  chemin  dans  le  même  but. 
Corteiz  se  dirigea  donc  vers  la  Suisse,  et  le  jeune  prédi- 
cant  reprit  ses  courses  dans  le  Languedoc. 

Œuvre  ardue  que  de  «  réveiller  »  les  âmes  !  Pour 
obtenir  ce  résultat  on  exhortait,  on  prêchait  au  Désert. 
Ce  n'était  pas  suffisant.  Le  prêche  faisait  naître  l'es- 
poir, mais  encore  cet  espoir  fallait-il  l'aft'ermir,  l'aug- 
menter. Les  prédicants,  dans  les  premiers  temps  sur- 
tout où  il  n'y  avait  aucune  organisation,  ne  pouvaient 
que  rarement  convoquer  les  assemblées,  et  si  pathé- 
tiques que  fussent  leurs  exhortations,  l'impression 
qu'elles  produisaient  était  bientôt  effacée.  Quels  chan- 
gements durables  pouvaient  opérer  des  sermons  pro- 
noncés à  de  si  longs  intervalles?  Les  nouveaux  con- 
vertis, sous  le  coup  de  mille  vexations,  les  oubliaient 
facilement,  et  retombaient  dans  leur  premier  abatte- 
ment. C'était  une  lueur  dans  leur  ciel  sombre.  D'ailleurs, 
tous  ne  pouvaient  et  n'osaient  se  rendre  aux  assem- 
blées. La  classe  bourg-eoise  se  montrait  peu  dispo- 
sée à  braver  pour  le  prêche  des  périls  trop  certains. 
Elle  restait  chez  elle,  se  tenait  à  l'écart.  Seul  le  pau- 
vre peuple  courait  aux  assemblées.  N'ayant  rien  à  per- 


LE  CULTE  DE  FAMILLE  49 

dre  sinon  la  liberté  et  la  vie,  il  exposait  volontiers  ces 
deux  biens  pour  avoir  la  joie  d'écouter  ses  ministres 
proscrits  * . 

Voilà  pourquoi  à  côté  du  culte  public  qu'ils  tinrent 
toujours  en  grand  honneur  les  prédicants  recomman- 
daient sans  cesse  aux  religionnaires  le  cuite  caché  et 
de  famille.  Lisez  vos  saints  livres,  disaient  -  ils  ;  la 
prière  est  agréable  à  Dieu. 

«  Grand  Dieu '^,  que  les  cieux  des  deux  ne  peuvent  com- 
prendre, mais  qui  as  promis  de  te  trouver  où  deux  ou  trois  sont 
assemblés  en  ton  nom,  tu  nous  vois  assemblés  dans  cette  mai- 
son pour  t'y  rendre  nos  hommages  religieux,  pour  y  adorer  ta 
grandeur  et  pour  y  implorer  tes  compassions.  Nous  gémissons 
en  secret  d'être  privés  de  nos  exercices  publics,  et  de  n'enten- 
dre point  dans  nos  temples  la  voix  de  tes  serviteurs.  Mais  bien 
loin  de  murmurer  contre  ta  t*rovidence,  nous  reconnaissons 
que  tu  pouvais  avec  justice  nous  accabler  par  tes  jugements 
les  plus  sévères  ;  ainsi  nous  admirons  ta  bonté  au  milieu  de 
tes  châtiments.  Nous  sommes  sans  temples;  mais  remplis  cette 
maison  de  ta  glorieuse  présence!  Nous  sommes  sans  pasteurs; 
mais  sois  toi-même  notre  pasteur!  Instruis-nous  des  vérités 
de  ton  Evangile.  Nous  allons  lire  et  méditer  ta  parole  :  im- 
prime-la dans  nos  cœurs  !  Fais  que  nous  y  apprenions  à  te  bien 
connaître,  et  ce  que  tu  es  et  ce  que  nous  sommes  ;  ce  que  tu 
as  fait  pour  notre  salut  et  ce  que  nous  devons  faire  pour  ton 
service  ;  les  vertus  qui  te  sont  agréables  et  les  vices  que  tu  dé- 
fends ;  les  peines  dont  tu  menaces  les  impénitents,  les  tièdes, 
les  lâches  et  les  profanes,  et  la  récompense  glorieuse  que  tu 
promets  à  ceux  qui  te  seront  fidèles.  Fais  que  nous  sortions  de 
ce  petit  exercice  plus  saints,  plus  zélés  pour  ta  gloire  et  pour  ta 

*  Antoine  Court  devait  lui  rendre  plus  tard  un  éclatant  hommage. 
2  Les  Armes  de  Sion  ou  Prières  sur  V état  présent  de  V affliction 
de  r Eglise.  Rotterdam,  (1718.) 

1  4 


50  MANQUE  ABSOLU  DE  LIVRES 

vérité,  plus  détachés  du  monde,  ot  plus  relii^ioux  observateurs 
de  tes  commandements.  Exauce-nous  par  ton  fils!  » 

Les  protestants  malheureusement  n'avaient  plus  de 
livres.  Bibles  et  psaumes  avaient  été  brûlés.  On  en 
gardait  pieusement  sans  doute  quelques  pages  déta- 
chées, on  récitait  de  mémoire  les  psaumes  les  plus 
connus  et  des  passages  entiers  de  la  Bible,  mais  ces 
compag'nons  amis  et  inséparables  qu'on  rencontrait 
jadis  les  premiers  dans  la  maison,  et  qui  étaient  les 
témoins  mystérieux  de  toutes  les  peines  et  de  toutes 
les  joies,  —  ce  livre  surtout  qui  avait  fait  dire  au 
poëte  : 

Tout  protestant  est  pape  mie  bible  à  la  main. 

cè  livre  manquait,  et  lui  manquant,  au  milieu  de  cette 
désolation  des  choses,  l'espérance  insensiblement  s'é- 
vanouissait. A  cela  s'attachait  surtout  un  grave  péril. 
Les  religionnaires  étaient  des  gens  du  peuple,  gros- 
siers, ignorants,  sans  instruction.  Privés  de  ce  livre 
qu'ils  croyaient  divinement  inspiré  et  auquel  ils  en 
appelaient  comme  au  seul  Maître,  ils  pouvaient  en 
s'abandonnant  aux  rêveries  de  leur  imagination  tom- 
ber dans  un  mysticisme  dangereux.  Ne  conversant 
plus  avec  la  Bible,  il  était  à  redouter  qu'ils  voulussent 
converser  directement  avec  Dieu.  Crainte  nullement 
chimérique  !  Déjà  on  pouvait  entendre  exposer  de 
bizarres  théories  sur  l'Inspiration.  Les  inspirés  étaient 
recherchés,  honorés;  ils  avaient  leurs  partisans.  De 
toutes  façons  il  fallait  donc  remettre  les  protestants  en 
face  de  la  Bible.  «  La  nécessité  des  livres  est  grande,  » 
écrivait  un  jour  Antoine  Court;  cette  affirmation  sous 


LES  RÉFUGIÉS  EN  ENVOIENT  51 

mille  formes  se  reproduit  dans  ses  lettres  et  dans  celles 
de  Corteiz.  Mais  comment  se  les  procurer?  Le  pays 
était  trop  pauvre  pour  les  acheter  de  ses  deniers,  et 
la  surveillance  des  ennemis  trop  active  pour  les  laisser 
pénétrer  librement. 

Les  réfugiés  avaient  souvent  réussi  à  faire  par- 
venir à  leurs  frères  quelques  ouvrages.  On  s'a- 
dressa encore  à  leur  générosité  et  on  les  pria  de  multi- 
plier leurs  dons.  La  Suisse  et  la  Hollande  se  firent 
remarquer  par  leur  empressement  à  répondre  à  cet 
appel.  c(  M.  Basnag'e,  écrivait  le  pasteur  Vial,  m'a 
mandé  qu'il  vous  envoie  des  livres  par  la  voie  de 
Genève  et  d'autres  endroits,  aussi  bien  qu'à  nos  frères 
du  Poitou.  J'ai  même  su  que  les  Etats  de  Hollande  ont 
fait  un  petit  fonds  pour  ce  sujet,  cela  m'a  fait  soup- 
çonner qu'à  l'avenir  vous  aurez  peut-être  moins  besoin 
de  ceux  que  nous  vous  envoyions  ci-devant.  Cependant 
nous  ferons  à  cet  égard-là  tout  ce  que  nous  pourrons, 
et  quand  vous  n'en  pourrez  pas  tirer  d'ailleurs,  vous 
n'aurez  qu'à  m'écrire  V  »  Ces  livres  étaient  des  Tes- 
taments et  des  psautiers,  —  des  Testaments  surtout, 
puis  des  ouvrages  de  morale,  des  traités  sur  la  Cène^ 
les  catéchismes  de  Drelincourt,  d'Osterwald,  de  Super- 
ville ou  de  Saurin,  le  Présewatif  contre  la  corruption 
ou  Traité  des  sources  de  la  coromption^  par  Osterwald; 
\ Indifférence  des  religions,  par  Pictet,  ou  bien  encore 
la  Manne  mystique  du  Désert^  la  Morale  de  Pictet  et 
sa  Théologie^  les  Sermons  de  Claude,  V Exposition  des 
quarante  articles  de  la  confession  de  foi '^.  Quanta 

N-'  1,  t.  ir,  p.  158.  (1719.) 

N"  7,  t.  II,  p.  168,  et  n"  17,  vol.  G,  ii"  VI. 


52  PASSION  DE  LECTURE 

faire  pénétrer  ces  ouvrag-es  en  France,  de  hardis  col- 
porteurs s'en  cliarg-eaient.  Les  difficultés  et  les  périls 
étaient  grands,  mais  ils  en  triomphaient.  Avec  leurs 
ballots,  un  beau  jour,  ils  passaient  la  frontière,  arri- 
vaient, déposaient  leur  précieux  fardeau  en  lieu  sûr  et 
repartaient.  Lorsque  les  prédicants  possédaient  quel- 
ques livres,  après  le  prêche  ou  dans  leurs  courses,  ils 
les  distribuaient  aux  fidèles.  C'était  la  «  manne  divine.  » 
Tous,  pour  en  avoir,  se  précipitaient,  se  ruaient;  ils 
mettaient  de  la  fureur  à  obtenir  une  bible,  des  psautiers, 
des  catéchismes.  «  Il  me  serait  difficile,  écrivait  Cor- 
teiz,  de  vous  dire  où  se  distribuèrent  (ceux)  que  votre 
bonté  me  donna.  J'en  ai  laissé  un  peu  partout,  et  si 
j'eusse  voulu  croire  le  monde,  je  les  aurais  tous  laissés 
à  la  première  paroisse  * .  »  Un  sermon  d'Antoine  Court 
qui  avait  été  imprimé  à  Genève,  fut  distribué  le  jour 
de  sa  consécration  ;  on  se  l'arracha.  Les  livres  malgré 
tous  les  efforts  étaient  cependant  si  rares  qu'en  aurait- 
on  eu  c(  mille  quintaux  »  on  les  aurait  distribués  en 
moins  d'un  mois.  Dans  cette  pénurie,  on  résolut  de 
faire  apprendre  par  cœur  le  plus  court  et  le  plus  im- 
portant de  tous  ces  ouvrages,  celui  qui  résumait  les 
choses  de  la  foi,  et  paraissait  l'asseoir  sur  des  bases 
solides.  Le  Synode  pria  les  pasteurs  d'interroger  les 
fidèles  sur  le  catéchisme,  tant  dans  les  assemblées  que 
dans  les  maisons  particulières.  Le  catéchisme  choisi 
fut  celui  de  Drelincourt  ^. 

Un   autre  moyen  pour   affermir  les  religionnaires 
dans  leur  foi  et  exciter  leur  zèle  fut  de  les  rappeler 

»  N"  17,  vol.  G,  p.  1.  (1716.) 
«  Ihid.,  p.  383.  (1721.) 


JEÛNES  GÉNÉRAUX  53 

tous,  par  une  même  mesure,  au  sentiment  de  leurs 
communs  péchés.  Si  la  persécution  se  décliaînait, 
croyaient-ils,  si  leurs  ennemis  les  attaquaient  sans 
trêve  ni  repos,  c'est  qu'ils  avaient  offensé  Dieu.  11 
fallait  donc  apaiser  la  divinité,  pour  échapper  aux  mains 
des  persécuteurs.  Ce  fut  l'orig-ine  des  jeûnes  g-éné- 
raux.  Dans  les  premiers  jours  de  l'année,  et  toutes  les 
fois  qu'il  y  avait  à  déplorer  un  grand  malheur,  les 
religionnaires  de  la  province  entière  se  mettaient  en 
prières  et  jeûnaient.  C'étaient  des  jours  solennels  de 
deuil  et  de  recueillement.  Les  Synodes  fixaient  la 
date  de  ces  grandes  et  pieuses  fêtes.  Les  prédicants 
couraient  alors  le  pays  et  convoquaient  le  plus  grand 
nombre  d'assemblées  qu'il  leur  était  possible.  Des 
discours  d'exhortations  étaient  écrits  et  distribués  dans 
les  églises  que  les  ministres  n'avaient  pu  visiter. 

«  0  étrange  et  impie  aveuglement!  écrivait  Antoine  Court. 
On  ne  voit  pas  de  changements,  point  de  réformation.  Endurci 
qu'on  est  dans  le  crime,  vendu  au  péché,  on  persévère,  on  per- 
siste à  olfenser  l'Etre  suprême.  Indolent  et  insensible  à  ses 
coups  les  plus  terribles,  on  ne  pense  pas  à  les  détourner  de 
dessus  ses  têtes  criminelles,  mais  plutôt  à  satisfaire  les  pas- 
sions infâmes  qui  les  attirent  et  qui  les  irritent!  Quelles  larmes, 
quelles  lamentations,  quels  gémissements  ne  mérite  pas  une 
conduite  de  cette  nature  !  Mais  quels  nouveaux  sujets  de  lar- 
mes n'est-ce  pas  pour  nous,  M.  F.,  d^  voir  nos  EgUses,  nos 
sanctuaires  dans  la  poudre,  nos  assemblées  dissipées,  nos  mi- 
nistres bannis,  nos  chandehers  éteints,  nos  saintes  Tables  ren- 
versées, nos  exercices  de  dévotion  condamnés  à  un  éternel  si- 
lence, nos  généreux  athlètes  enfermés  dans  d'étroites  prisons 
ou  enchaînés  sur  des  galères,  et  enfin  nos  lumignons  fumants, 
nos  tisons  sauvés  de  la  grande  incendie  menacés  du  fleuve  que 
le  dragon  roux  fait  sortir  de  la  gueule  pour  submerger  l'épouse 


54  LETTRES  D'EXHORTATIONS 

qui  fait  sa  demeure  dans  le  Désert!...  Prosternons-nous...  en 
présence  du  Dieu  fort,  avec  les  larmes  aux  yeux,  la  douleur 
dans  le  cœur  et  Ips  prières  dans  la  bouche  ;  disons  tous  d'une 
voix  :  «0  Dieu!  sois  apaisé  envers  nous  qui  sommes  pécheurs! 
Nous  le  confessons,  nous  l'avouons,  Seigneur,  nous  avons  péché 
contre  toi,  nous  avons  commis  l'iniquité,  nous  avons  été  re- 
belles, nous  avons  fait  méchamment,  nous  nous  sommes  dé- 
tournés de  ta  loi...  »  Si  nous  nous  humilions,  mes  CF.,  de  cette 
manière,  en  la  présence  de  Dieu,  si  nous  sommes  véritable- 
ment repentants  de  nos  fautes,  si  nous  sommes  bien  résolus  de 
garder  désormais  les  ordres  de  sa  justice,  si  nous  exécutons  de 
bonne  foi  les  résolutions  que  nous  aurons  prises,  si  nous  fe- 
sons  du  moins  tous  nos  efforts  pour  conformer  notre  vie  aux 
préceptes  de  l'auteur  de  notre  morale,  je  ne  doute  point  que 
Dieu  ne  se  repente,  pour  me  servir  de  l'expression  d'un  pro- 
phète, du  mal  qu'il  a  projeté  de  nous  faire,  qu'il  ne  détourne 
les  jugements  dont  il  nous  menace  et  qui  semblent  prêts  à  fon- 
dre sur  nous,  qu'il  ne  change  nos  jours  d'amertume  en  des 
jours  de  joie  et  d'allégresse,  qu'il  nous  réjouisse  au  prix  des 
jours  qu'il  nous  a  affligés,  et  que  quand  il  voudrait  bien  nous 
laisser  encore,  pour  des  raisons  de  sagesse,  dans  l'état  où  nous 
sommes  et  nous  rappeler  même  à  la  mort  par  le  fléau  de  la 
peste,  qu'il  ne  nous  donne  toute  la  force  nécessaire  pour  sor- 
tir heureusement  avec  gloire  et  avec  salut  de  ces  terribles 
épreuves  ^  » 

C'est  ainsi,  par  le  prêclie,  par  le  culte  de  famille,  par 
le  livre,  par  les  jeûnes,  qu'Antoine  Court  et  ses  collè- 
gues arrachaient  les  nouveaux  convertis  à  leur  tiédeur 
ou  à  leur  abattement.  En  certains  lieux,  quelques  pro- 
testants leur  ouvraient  les  voies  et  les  aidaient  dans 
leur  tâche.  Il  y  avait  de  ces  hommes  ici  et  là,  dans 
les  Cévennes  surtout.  Mais  ils  étaient  rares  ceux  qui, 
comme  Duplan,  inaccessibles   à  la  peur  et  à  la  fai- 

1  N"  7, 1. 1,  p.  34. 


DUPLAN  55 

blesse,  abandonnaient  le  soin  de  leurs  affaires  privées 
pour  se  consacrer  tout  entiers  à  leurs  coreligionnaires, 
—  Ce  gentilhomme  d'Alais,  instruit,  pieux,  un  peu 
mystique ,  dévoué  au  protestantisme ,  avant  même 
qu'Antoine  Court  eût  commencé  son  œuvre,  avait 
organisé  dans  sa  ville  natale  une  petite  Egalise.  Il 
allait  voir  ses  frères,  les  consolait  et  les  soutenait; 
il  priait  avec  eux,  secourait  leurs  malades,  les  exhor- 
tait, prêchait  devant  eux.  Aussi  son  nom  était-il  en- 
touré de  respect,  et  son  influence  considérable.  Duplan 
entra  vers  1715  en  relations  avec  Court.  Le  jeune  pré- 
dicant  s'inclina  sans  peine  devant  l'autorité  de  cet 
homme  qui  avait  pour  lui  le  talent,  la  fortune  et  la 
piété.  Il  écouta  ses  recommandations,  se  confia  en  son 
expérience,  et,  comme  leurs  projets  étaient  les  mêmes, 
il  ne  prit  aucune  détermination  qu'il  ne  l'eût  consulté. 
Duplan  de  son  côté  l'encouragea,  loua  son  ardeur,  et 
s'employa  tout  entier  à  aplanir  devant  lui  les  diffi- 
cultés. Et  à  vrai  dire,  dans  cette  grande  œuvre  de  res- 
tauration religieuse  entreprise  par  Antoine  Court  avec 
tant  de  vaillance  et  conduite  avec  tant  de  fermeté,  il  ne 
fallait  rien  moins  que  les  chaleureuses  exhortations 
de  tels  hommes,  leur  appui  et  leurs  conseils,  pour  ré- 
conforter sa  volonté  qui  parfois  défaillait  devant  des 
difficultés  pour  tout  autre  insurmontables. 

Corteiz  cependant  était  arrivé  à  Genève.  Il  avait 
remis  ses  lettres  de  recommandation,  mais  les  per- 
sonnes à  qui  elles  étaient  adressées  n'avaient  pu  se 
rendre  à  ses  désirs.  Elles  avaient  craint  que  l'éclat  d'une 
consécration  publique  n'excitât  contre  la  petite  repu- 


56  CONSECRATION  DE  CORTEIZ 

blique  les  colères  du  gouvernement  français  ^ .  Une  con- 
férence secrète  avait  été  tenue,  et  on  y  avait  résolu  d'en- 
voyer Corteiz  à  Zurich.  Les  pasteurs  de  cette  ville  étaient 
en  effet  dévoués  à  la  cause  des  égalises  françaises. 

Il  partit.  Les  lettres  qu'on  lui  avait  remises  pour  les 
Messieurs  de  Zurich  étaient  pressantes  ;  elles  ne  purent 
toutefois  que  difficilement  vaincre  leurs  irrésolutions. 
Pourquoi  l'envoyait-on  de  si  loin  ?  Si  on  le  recevait  pas- 
teur, il  leur  arriverait  de  tous  côtés  des  jeunes  gens 
pour  être  reçus  ;  ils  ne  voulaient  recevoir  que  ceux  qui 
avaient  fait  leur  «  apprentissag-e  »  dans  leur  ville  ; 
les  magistrats  verraient  leur  complaisance  de  mauvais 
œil  ;  ils  avaient  de  méchants  voisins  ;  mille  autres  argu- 
ments ^.  Corteiz  finit  par  triompher  de  leurs  scrupules, 
et  fut  enfin  examiné.  Il  dut  répondre  pendant  trois  jours 
aux  demandes  qu'on  lui  fit  sur  les  textes  les  plus  im- 
portants de  l'Ecriture,  et  prêcha  avec  un  grand  succès. 
Ces  épreuves  terminées,  il  reçut  sa  lettre  d'ordination. 
Le  but  de  son  voyage  était  atteint. 

Dans  cette  ville,  il  avait  fait  imprimer  un  sermon 
d'Antoine  Court  et  sur  la  première  page  du  livre,  en 
manière  de  préface,  il  avait  mis  une  dédicace  à  la  mère 
de  son  jeune  collègue.  Dès  qu'il  fut  de  retour  à  Genève, 
il  le  fit  mettre  en  vente,  et  déjà  quelques  colporteurs 
le  vendaient  dans   les  rues,  lorsque  les  magistrats, 

*  C'avait  été  cette  même  crainte  qui,  en  1712,  avait  empêché  Berne  de 
consacrer  Roger.  «...  On  trouvait  deux  diflicultés  pour  Je  recevoir 
ministre  pour  revenir  en  France  :  l'une  qu'ayant  établi  un  ordre  qui 
porcait  qu'on  ne  pouvait  pas  recevoir  un  ministre  qui  ne  possédât  pas 
les  termes  originaux  (les  langues);  l'autre,  qu'étant  alliés  ou  voisins 
d'une  puissance  aussi  redoutable  que  la  France,  ils  craignaient  de 
s'attirer  des  affaires  en  ordonnant  des  ministres  pour  y  aller  j)rêcher  » 

2  N»  1,  t   II,  p  25.  (1718.) 


RETOUR  EN  FRANCE  57 

rayant  appris,  en  prohibèrent  tout  à  coup  la  vente.  Ce 
fut  pour  lui  comme  une  révélation  ;  il  comprit  alors 
combien  était  illusoire  l'indépendance  de  Genève  en 
face  de  la  France.  Il  resta  néanmoins  quelque  temps 
encore  dans  cette  ville,  et  au  mois  de  novembre  1718, 
après  une  absence  de  cinq  mois,  il  rentra  dans  les  Cé- 
vennes. 

Le  jour  de  son  arrivée  fut  un  jour  de  grande  joie. 
Un  rendez- vous  g'énéral  fut  aussitôt  donné,  et  toutes 
les  églises  officiellement  établies  y  envoyèrent  des 
députés  pour  le  féliciter  de  l'heureux  succès  de  son 
voyage  \  Court  demanda  alors  un  congé.  Il  voulait,  à 
son  tour,  comme  il  avait  été  convenu,  aller  en  paj-s 
étranger  demander  la  consécration.  Mais  le  Synode 
fît  des  objections.  La  saison  était  avancée; —  il  y  avait 
mille  périls  ;  —  s'il  lui  arrivait  un  accident,  quel  dé- 
sastre pour  l'Eglise!  D'ailleurs,  Corteiz  ne  pouvait-il 
présider  cette  cérémonie? 

Cette  dernière  raison  parut  déterminante.  Il  fut 
résolu  qu'on  ferait  consacrer  Court  par  son  collègue. 
Un  vieillard,  homme  distingué  par  sa  piété  et  ses 
lumières,  Colom,  fut  adjohit  à  Corteiz  pour  interroger 
le  jeune  prédicant.  L'examen  roula  sur  divers  articles 
de  théologie  et  sur  quelques-unes  des  matières  con- 
troversées entre  protestants  et  catholiques.  Court  s'en 
tira  avec  honneur  et  fut  admis.  Le  21  novembre  1718, 
eut  lieu  la  consécration  ^ 

Ce  fut  une  imposante  cérémonie.  La  nuit  était  tombée  ; 
dans  la  plaine,  les  protestants  accourus  des   églises 

1  X°  7,  t.  I,  p.  235. 

2  N-  46,  cah.  IV 


58  CONSECRATION  DE  COURT 

environnantes  étaient  assis,  en  prières.  Court  se  leva  et 
fit  lui-même  un  discours  sur  les  devoirs  du  ministère. 
«  Il  V  traita  de  la  nécessité  et  des  avantao^es  de  la 
prédication  ;  il  releva  la  gloire  de  la  Providence  qui, 
touchée  enfin  des  malheurs  de  l'Eglise  en  France,  lui 
suscitait  des  ministres  dans  les  temps  même  que  ses 
ennemis  étaient  le  plus  acharnés  à  sa  ruine  ;  il  demanda 
enfin  le  secours  des  prières  de  toute  l'assemblée  pour 
obtenir  la  grâce  de  remplir  avec  un  nouveau  zèle  le 
grade  dont  il  allait  être  revêtu,  et  toutes  les  vertus 
nécessaires  pour  le  pouvoir  faire  avec  succès.  »  Paroles 
touchantes  qui  faisaient  fondre  en  larmes  l'auditoire. 
Quand  il  eut  achevé  son  exhortation,  il  se  mit  à  genoux; 
Corteiz  s'approcha,  puis  élevant  sur  sa  tête  une  bible, 
au  nom  de  Jésus-Christ  et  par  l'autorité  du  Synode, 
il  lui  donna  le  pouvoir  d'exercer  toutes  les  fonctions 
du  ministère  \  Des  cris  de  joie  éclatèrent  alors  de  tous 
côtés.  Ainsi,  après  tant  d'années  d'oppression  et  de 
souffrances,  une  religion  proscrite  se  relevait  de  ses 

*  «.  L'acte  qui  lui  fut  délivré  par  ordre  du  Synode,  portait  qu'on 
l'avait  entendu  proposer  l'espace  de  trois  ans  et  demi,  avec  beaucoup 
d'édification  (on  voulait  dire  des  Cévennes,  où  le  Synode  se  tenait)  ; 
qu'on  n'avait  rien  trouvé  dans  sa  conduite  et  dans  ses  mœurs  qui  fût 
indigne  d'un  ministre  de  l'Evangiîe;  que  le  Synode,  composé  d'en- 
viron soixante  pasteurs,  proposants  ou  anciens,  avait  souhaité  una- 
nimement qu'il  fut  examiné  sur  la  théologie,  et  qu'il  proposât,  dans 
une  assemblée  publique,  pour  être  ministre;  que  dans  cet  examen  on 
avait  trouvé  qu'il  avait  une  doctrine  très-conforme  h  l'analogie  de  la 
foi  et  aux  règles  que  la  sagesse  de  Dieu  avait  établies  dans  son  Eglise, 
et  que  son  zèle  et  son  affection  pour  la  religion  étaient  tout  à  fait 
singulières.  Ainsi  continuait-on  dans  l'acte  :  Nous  lui  avons  donné 
et  conféré  l'ordination  au  saint  ministère  selon  la  manière  de  l'im- 
position des  mains  ordonnée  dans  la  Parole  de  Dieu,  et  pratiquée 
dans  nos  Eglises  réformées,  pour  prêcher  la  pure  parole  de  Dieu, 
administrer  les  saints  sacrements  de  baptême  et  de  la  sainte  Cène,  et 


CONSECRATION  DE  COURT  59 

ruines,  et  librement,  dans  la  solitude  du  Désert,  con- 
sacrait à  son  service  de  ses  mains  défaillantes  les 
hommes  qui  devaient  lui  rendre  sa  prospérité  pre- 
mière !  Au  milieu  de  ces  transports,  Colom  s'adressant 
à  l'assemblée,  s'écria  :  «  M.  F.,  nous  couronnerons  une 
solennité  qui  met  le  comble  à  nos  vœux,  qui  remplit 
nos  âmes  d'une  joie  si  vive  et  si  juste,  nous  la  couron- 
nerons par  le  chant  des  paroles  du  psalmiste,  tiré  du 
psaume  CIL  » 

En  registre  sera  mise 
Une  si  grande  entreprise, 
Pour  en  faire  souvenir 
A  ceux  qui  sont  à  venir, 

Et  la  gent  à  Dieu  sacrée, 
Gomme  de  nouveau  créée, 
Lui  chantera  la  louange 
De  ce  bienfait  tout  étrange. 

Peu  à  peu  les  derniers  chants  lentement  s'éteigni- 

exercer  la  discipline  ecclésiastique  et  tout  ce  qui  en  dépend.  Cette 
imposition  des  mains,  ajoutait-on,  est  fondée  :  1°  Sur  sa  vie  édifiante; 
2°  Sur  la  sûreté  de  sa  doctrine;  3"  Sur  la  manière  de  bien  exposer  la 
Parole  de  Dieu;  et  enfin  sur  la  demande  générale  qui  en  a  été  faite. 
Ces  rares  qualités,  disait  Corteiz,  se  trouvant  en  lui,  par  un  commun 
consentement  des  préopinants,  des  anciens  et  du  troupeau,  je  lui  ai 
imposé  les  mains  et  donné  la  main  d'association.  On  finissait  par 
des  vœux  qu'il  plût  à  Dieu  de  le  sanctifier  par  son  Saint-Esprit,  de  le 
préserver  de  la  main  cruelle  des  ennemis  ;  de  lui  être  toujours  un 
soleil  et  un  bouclier;  de  faire  réussir  son  ministère  à  la  gloire  dô  son 
grand  nom,  à  l'avancement  du  règne  de  son  Fils,  et  au  salut  des  âmes. 
La  souscription  faite  :  Donné  en  Cévennes,  le  21  novembre  1718. 
L'a -te  n'était  signé  que  par  Pierre  Corteiz,  ministre;  Jacques  Bom- 
bonnoux,  Jean  Rouvière,  Botrine  et  Pierredon,  proposants.  L'usage 
n'était  point  de  faire  signer  les  députés  des  Eglises,  crainte  que  si 
les  pièces  signées  venaient  à  se  perdre  ou  à  tomber  entre  les  mains 
des  ennemis,  on  ne  fît  à  ces  députés  des  affaires  fâcheuses  »  N"  46, 
cah.  IV. 


60  COURSES  ET  SUCCES 

rent,  les  fidèles  se  dispersèrent,  et  la  campagne  re- 
tomba dans  le  silence  de  la  nuit.  Un  nouveau  pasteur 
venait  de  se  vouer  au  service  des  Egalises  sous  la 
croix  *  ! 

Court  presque  aussitôt,  —  c'était  vers  la  fin  de 
l'année  1718,  —  se  mit  à  parcourir  les  Cévennes  et  les 
ég-lises  du  Bas- Languedoc .  Les  premiers  mois  de 
l'année  suivante  furent  consacrés  à  visiter  la  Lussa- 
nenque  et  les  autres  églises  que  Corteiz  avait  momen- 
tanément confiées  à  ses  soins.  Il  trouva  partout  le 
nombre  de  fidèles  accru,  partout  il  vit  les  religion- 
naires  aguerris,  pleins  de  zèle  et  de  dévouement  à  la 
cause  commune  ^ 

Le  liaut  Languedoc  de  son  côté  cédait  aux  efforts 
des  prédicants.  Après  avoir  presque  chassé  Court  et 
son  collègue,  il  appelait  Corteiz  et  réclamait  sa  pré- 
sence. Celui-ci  accompagné  de  Rouvière  allait  «  de 
foires  en  foires,  »  de  Montpellier  à  Montagnac,  de  Mon- 
tagnac  à  Villeneuve;  il  poussait  même  jusqu'à  Béda- 
rieux,  et  parlait  d'aller  jusqu'à  Saint- Affrique. 

«■  Nos  affaires,  éorivait-il.  sont  au  contentement  de  ton!  le 
monde.  » 

Et,  ailleurs  : 

«  Toute  la  montagne  donne  présentement  gloire  à  Dieu. 
Quelques  livres  parsemés  ont  réveillé  un  grand  nombre  d'âmes 
qui  dormaient,  tellement  que  les  noises,  les  discordes,  les  pro- 
cès, les  querelles  commencent  à  perdre  leurs  forces;  mais  sur- 
tout la  jeunesse  travaille  avec  empressement  à  croître  leurs  lu- 
mières et  leurs  connaissances,  tellement  que  le  curé  des  Plan- 

1  NM6,  cah.  V  et  VI. 
2N"  17,  vol,  G,  p.  1. 


LA  PESTE  DE  1720  61 

tiers,  proche  Villeraugues...  un  jour  de  dimanche,  se  prit  à 
pleurer,  disant  que  tout  d'un  coup  son  égUse  était  devenue  dé- 
serte, mais  que  le  seigneur  évêque  en  serait  informé.  Quelques 
lâches  en  furent  intimidés;  mais  la  jeunesse  bénissait  le  ciel 
qui  les  avait  éclairés  ^  » 

Les  livres  avaient  fait  cela,  mais  aussi  la  contagion 
du  succès  et  les  exhortations.  La  double  consécration 
de  Court  et  de  Corteiz  avait  eu  un  grand  retentisse- 
ment. c(  Cette  imposition  des  mains  que  mon  collègue 
et  moi  avions  reçue,  dit  Court,  aida  beaucoup  à  ré- 
veiller le  zèle  des  protestants.  Nos  Eglises  s'augmen- 
taient et  en  nombre  et  en  membres.  Nos  travaux  se 
multipliaient  aussi  ^  »  Ils  se  multiplièrent  tellement 
et  devinrent  si  absorbants,  que  les  deux  hardis  prédi- 
cants  furent  obligées  de  partager  la  province  en  deux 
districts  :  celui  des  hautes  et  celui  des  basses  Cévennes 
et  du  bas  Languedoc.  Corteiz  prit  le  premier  pour 
champ  de  son  activité  et  Court  le  second. 

Une  calamité  vint  augmenter  leurs  travaux.  En 
1720,  la  peste  éclata.  Le  terrible  fléau  pénétra  avec 
une  incroyable  rapidité  en  Provence  et  en  Languedoc, 
et  fît  dans  ces  contrées  d'horribles  ravages.  En  vain 
prit- on  les  plus  minutieuses  mesures  pour  circonscrire 
le  mal.  Les  villes  furent  mises  en  état  de  siège,  portes 
fermées  et  commerce  interdit,  un  cordon  sanitaire  fut 
établi  et  les  soldats  reçurent  l'ordre  de  fusiller  quicon- 
que essayerait  de  le  franchir.  Cependant  en  deux 
jours,  il  y  eut  quinze  cents  morts  à  Marseille;  Toulon 
et  Arles  furent  ravagées  ;  Alais  et  Montpellier  comptè- 

»  N°  17,  vol.  G,  p.  2S.  fl719.) 
2  N"  46,  cah.  V  et  \'l. 


62  REDOUBLEMENT  DE  PIETÉ 

rent  de  nombreuses  victimes,  et  Lyon  même  ne  fut  pas 
à  l'abri  du  fléau  ^ .  Les  religionnaires  du  Languedoc  tirent 
preuve  dans  ces  terribles  mois  d'un  redoublement  de 
piété.  Cette  peste  n'était-elle  pas  un  châtiment  de  Dieu? 
N'avait-elle  pas  été  envoyée  par  l'Eternel  pour  se  venger 
de  l'oubli  coupable  où  son  peuple  l'avait  laissé?  «  Quand 
je  fais  réflexion,  s'écriait  un  protestant,  que  j'ai  em- 
ployé vingt-trois  ans  que  j'ai  passés  sur  la  terre  à 
des  choses  vaines  et  inutiles,  que  mon  état  est  pitoya- 
ble !  —  Oh  !  assistez-moi  de  vos  bonnes  et  pieuses 
prières  ^.  »  Les  prédicants  avaient  conseillé  de  suspen- 
dre momentanément  la  convocation  des  assemblées; 
ils  furent  obligés  de  les  reprendre.  Tel  était  l'élan 
de  la  piété ,  que  tout  le  monde  courait  au  Désert. 
c(  La  crainte  de  la  mort,  dit  Corteiz,  que  la  peste  don- 
nait, servait  beaucoup  à  l'augmentation  du  courage  et 
du  zèle  de  nos  peuples.  » 

Antoine  Court  avait  monentanément  quitté  la 
France  ^  Corteiz  resté  presque  seul  depuis  son  départ, 
ne  pouvait  plus  suffire  à  la  tâche''.  «  J'ai  une  pleine 
poche  de  lettres,  écrivait-il,  qui  toutes  demandent 
réponse;  d'autre  part  je  suis  accablé  tous  les  jours 
par  de  nouvelles  visites;  j'ai  beau  demander  qu'on  ne 
me  fasse  voir  à  personne,  ceux  chez  qui  je  suis  logé 
ne  peuvent  résister  aux  sollicitations  ^  »  Il  se  multi- 


î  Ajoutez  qu'à  Lyon  la  misère  devint  telle  que  les  rues  se  rempli- 
rent de  mendiants.  N°  ],  t.  II,  p.  241.  (1721.) 

^N^J,  t.  II,  p.  625.  (1721.) 

3  V.  plus  loin,  chap.  vu. 

'*  De  fâcheuses  divisions,  dont  on  verra  plus  loin  le  détail  (cliap.  iir 
j).   101,  et  chap.  vi),  avaient  diminué  le  nombre  des  prédicants. 

•'  N"  17,  vol.  G.  Journal  de  Corteiz.  —V.  aussi  n"  1,  t.  II. 


GAUBERT  ET  ROUX  63 

pliait  cependant.  Il  battait  le  pays,  convoquait  les 
assemblées,  org'anisait  les  consistoires  et  célébrait  la 
sainte  Cène. 

Heureusement  il  recruta  en  ce  moment  même  deux 
collègues.  Au  Synode  de  1720,  un  jeune  homme, 
nommé  Gaubert,  fut  reçu  proposant  ' ,  et  l'année  sui- 
vante un  autre  jeune  homme,  nommé  Roux  ^ 

Les  g-ouverneurs  ne  s'occupaient  plus  des  protes- 
tants, et  les  soldats  restaient  jour  et  nuit  dans  leurs 
cantonnements  :  l'œuvre  du  «  réveil  »  continua  avec 
plus  de  succès.  Les  ég'lises  de  la  Lozère,  Florac,  le 
Pont-de-Montvert ,  Saint-Julien-d' Arpaon ,  Cassag'nas, 
«  firent  de  grands  progrès  et  se  relevèrent  par  une 
merveilleuse  assistance  de  Dieu.  »  Les  «  tièdes  »  de 
Saint -Germain  reprirent  courag^e.  On  fut  oblig'é  d'aug- 
menter le  nombre  des  anciens  des  églises  de  Lasalle, 
Saumane  et  Alais.  La  ville  même  de  Ganges,  long- 
temps indifférente,  renaquit  à  la  foi  ^.  Pierre  Durand 
vint  en  Languedoc   pour  prendre   connaissance    des 

*  N"  1,  t.  II,  p.  342.  —  «  Le  13  décembre  de  la  dite  année,  dit  aussi 
Corteiz,  M.  Jean  Gaubert,  natif  d'Arphy,  paroisse  d'Aulas  en  Cévennes, 
fut  reçu  en  plein  Synode,  proposant.  Après  un  sérieux  examen,  il  fut 
admis  pour  prêcher  FEvangile,  comme  les  autres  proposants,  sans 
toucher  aux  sacrements.  » 

2  «  Le  22  mai  1721,  ledit  François  Roux,  natif  de  Cavagnac  (Cavei- 
rac)  en  Vaunage,  se  présenta  pour  être  examiné  en  vie  et  mœurs  et 
doctrine,  afin  d'être  admis  dans  le  corps  des  proposants.  » 

^  «  .  .  .  Sur  les  bords  de  l'Hérault,  écrit  Corteiz,  il  y  a  une  petite 
«  villette  nommée  Ganges,  habitée  depuis  la  Réformation  par  des  pro- 
«<  testants»  mais  qui  s'étaient  si  fort  relâchés  dans  ces  dernières  an- 
«  néeSj  qu'on  n'avait  encore  pu  réveiller  leurs  consciences.  Mais  par 
«  le  secours  céleste,  l'année  1721,  la  prédication  y  a  produit  un  eft'et 
<<  admirable.  On  y  a  vu  le  zèle  s'augmenter,  le  vice  se  ralentir,  les 
«  cabarets  ne  furent  plus  tant  visités,  ni  les  livres  de  piété  tant  né- 
'<  gligés..    »  N"  17,  vol.  H  ,  p.  513.  Relation  historique,  etc. 


64  COURSES  DE  CORTEIZ 

règ'lements  qui  étaient  en  vigueur  et  les  appliquer  en 
Vivarais. 

En  1722,  la  communauté  de  Montaren  et  les  égiises 
de  la  montag'ne  du  Bouquet,  près  d'Uzès,  se  réveil- 
lèrent à  la  voix  de  Corteiz.  Ce  dernier,  infatig*able, 
passa  l'année  à  courir  le  pays.  Il  se  rendit  à  Canaules, 
à  Sommières  «  dont  quelques  Messieurs  blâmaient  les 
assemblées  *,  »  à  Manoblet,  Lasalle,  Saint- Jean-du- 
Gard,  à  Peirolles,  Saint-Roman,  Sadorgues,  Saint- 
Martin-de-Saumane,  à  Saint-André-de-Gabriac,  aux 
Plantiers,  à  Cassagnas,  aux  Beaumes,  à  Saint-Ger- 
main, Saint- Julien,  Saint-Privat,  au  Collet  de  Dèze,  à 
Saint-Hilaire,  Saint-Micliel,  prêchant  partout  où  on 
l'en  priait,  dans  les  bourgs,  dans  les  hameaux,  établis- 
sant des  consistoires  et  administrant  la  Cène.  Au  mois 
de  septembre,  il  revint  à  Nîmes,  et  c'est  à  Boucoiran, 
petit  village  sur  la  route ,  qu'il  rencontra  Antoine 
Court,  de  retour  de  Genève.  Il  s'arrêta  peu  de  temps 
avec  lui  et  continua  sa  course.  Il  visita  Saint-Quentin, 
Saint-Laurent,  Fontamèche,  Lussan,  Vendras... 

«...  Quelques  résidus  des  fidèles  de  la  ville  de  Bagnols, 
proche  Uzès,  ayant  appris  que  les  fidèles  du  Pin  s'étaient  assem- 
blés pour  donner  gloire  à  Dieu,  m'envoyèrent  un  exprès  pour 
me  dire  que  leur  ville  était  autrefois  une  Eglise  considérable, 
mais  qu'à  faute  de  la  prédication  de  l'Evangile  ces  pierres  mys- 
tiques s'étaient  disjointes,  et  qu'elles  servaient  à  former  une 
Eglise  idolâtre.  On  ne  voit,  me  dirent-ils  encore  que  mariages 
bigarés,  que  bénitiers  dans  les  manoirs,  qu'empressement  à  se 
rendre  dans  la  dévotion  romaine.  Quel  remède  à  un  si  grand 


1  N'est-ce  pas  à  cette  date  qu'il   faut  placer  la  lettre  adressée  par 
les  habitants  de  Sommières?  V,  Pièces  et  documents,  n"  IV, 


COURSES  DE  CORTEIZ  65 

malheur?  Je  leur  répondis  que  je  ne  voyais  pas  de  remède  plus 
efficace  et  plus  souverain  que  de  leur  porter  le  flambeau  de 
l'Evangile.,  la  lumière  de  la  Parole  de  Dieu...  » 

Malheureusement  il  ne  put  aller  à  Bagnols,  et  il 
ajoute  :  «  J'ai  appris  avec  douleur  qu'ils  croupissent 
encore  dans  leurs  erreurs.  »  Aux  fêtes  de  Noël,  il  se 
rendit  enfin  à  Nîmes  qui  était  comme  le  rendez-vous 
général,  et  donna  la  Cène  «  dans  une  chambre  secrète 
de  la  ville,  à  environ  quatre- ving^ts  personnes  distin- 
guées. » 

L'année  1723  s'ouvrit  sous  les  plus  favorables  aus- 
pices. Antoine  Court  et  Corteiz  recommencèrent  à  par- 
courir le  Languedoc  avec  un  succès  croissant.  Les 
églises  de  la  Lozère  furent  définitivement  constituées.. 
Le  Vivarais  accepta  les  règlements  du  Languedoc. 

«  Dans  le  mois  de  septembre,  dit  Corteiz,  M.  Rouvière  et 
moi  nous  allâmes  en  Yivarais.  Nous  y  assemblâmes  les  pré- 
dicateurs avec  un  nombre  considérable  de  personnes  distinguées 
qui  ont  du  zèle  et  de  la  piété;  après  avoir  imploré  le  secours 
de  Dieu  et  représenté  la  nécessité  d'un  ordre  dans  l'Eglise,  et 
que  ces  MM.  en  eurent  convenu,  nous  rangeâmes  les  pa- 
roisses en  églises...  La  mémoire  ne  me  fournit  pas  combien  il 
y  a  d'églises  dans  le  Yivarais;  toutefois,  il  me  semble  qu'il  y  en 
a  vingt-quatre  ^..  » 

C'est  ainsi  que  le  protestantisme  se  fortifiait  dans  la 
montagne  «  et  que  les  prêtres  perdaient  toute  espé- 
rance de  voir  jamais  la  religion  protestante  rangée 
dans  l'Eglise  romaine.  » 


1  V.   ))lus  liaut  p.  26  les  règlements  du  Vivarais. 
l 


66  LE  REVEIL  EN  DAUPHINÉ 

Les  nouvelles  du  Daupliiné  étaient  malheureusement 
moins  satisfaisantes.  Roger,  cet  homme  infatigable 
qui  aurait  fait  «  cent  lieues  par  jour  sans  se  lasser,  » 
courait  en  tous  sens  les  vallées  et  les  montagnes  du 
Daupliiné,  réchauffant  la  piété,  rétablissant  l'ordre, 
convoquant  des  assemblées,  cherchant  à  recruter  des 
ouvriers  pour  son  périlleux  labeur.  Il  allait  surtout  des 
frontières  du  Comtat  jusqu'à  l'Isère,  et  depuis  Die 
jusqu'à  Valence.  Il  n'avait  d'autre  auxiliaire  qu'un 
tout  jeune  homme  qui  ne  prêchait  pas  encore  et  ne 
devait  commencer  à  prêcher  qu'en  1718;  son  nom 
était  Ville veyre.  Parfois  Brunel,  quittant  le  Vivarais, 
venait  lui  offrir  son  concours,  mais  rarement  et  pour 
un  espace  de  temps  plus  ou  moins  court.  Roger  était 
seul,  isolé  ;  il  ne  pouvait  suffire  à  la  tâche.  En  certains 
endroits  cependant,  comme  dans  la  vallée  de  Bour- 
deaux,  il  était  parvenu  à  former  de  florissantes  églises. 
Mais  des  imprudences  qu'il  n'avait  pu  empêcher  avaient 
tout  perdu.  Aussitôt  en  effet  que  les  religionnaires  ap- 
prenaient qu'il  était  dans  leurs  quartiers,  ce  n'étaient 
plus  qu'allées  et  venues  ;  ils  disaient  même  hautement 
qu'ils  allaient  aux  assemblées.  Que  fît-on?  On  écrivit  à 
la  cour  qu'il  se  formait  de  gros  attroupements,  et  que 
les  protestants  y  venaient  en  armes.  La  cour  ordonna 
de  sévir  et  le  commandant  de  la  province,  le  comte  de 
Médavid,  envoya  à  Bourdeaux  un  bataillon  du  régi- 
ment de  Navarre.  Le  pays  fut  traité  en  pays  conquis. 
Les  soldats  firent  mille  ravages,  maltraitèrent  le  pau- 
vre peuple,  s'installèrent  dans  les  maisons  et  violèrent 
les  femmes.  C'était  un  souvenir  des  dragonnades. 
Lorsque  le  pays  fut  ruiné,  ils  partirent.   Dans  cette 


PROVENCE,  COMTE  DE  FOIX  67 

expédition  sept  maisons  avaient  été  rasées.  Rog*er  et 
Villeveyre,  effrayés,  avaient  du  se  retirer  dans  des 
lieux  écartés  et  n'osaient  plus  convoquer  des  assem- 
blées. La  province  était  dans  la  terreur.  Cela  se  passait 
en  1719  \ 

Si  tristes  qu'eussent  été  ces  événements,  il  était  néan- 
moins manifeste  que  le  protestantisme  redressait  la 
tête,  non-seulement  en  Dauphiné,  en  Languedoc,  mais 
encore  dans  toutes  les  provinces  du  royaume  ^ 

Les  religionnaires  de  la  Provence,  à  la  voix  de 
Rog'er,  commencèrent  à  donner  des  signes  non  équi- 
voques de  leur  fidélité  à  la  religion.  «  Alors,  la  conta- 
gion affligeant  la  Provence,  le  zèle  des  réformés  se 
réveilla,  et  les  assemblées  furent  plus  nombreuses  ;  on 
chantait  dans  les  bourgs,  et  dans  les  villes  et  villages 
hautement  les  louanges  de  Dieu  ^.  » 

En  1722,  un  jeune  prédicant,  dont  on  ne  sait  que  le 
nom,  Cliapel,  parcourut  le  comté  de  Foix.  Partout  où 
il  passa,  il  trouva  les  protestants  bien  disposés.  Les 
assemblées  qu'il  réunit  comptèrent  jusqu'à  trois  cents 
personnes,  et  chaque  jour  il  vit  augmenter  le  nombre 
des  assistants  ^. 

1  N°  46,  cah.  1.  Nous  retrouverons  plus  loin  Villeveyre.  V.  tome  II, 
chap.  IV,  p,  99.  —  V.  aussi  Les  Guerres  de  religion  et  la  Société 
protestante  dans  les  Hauter- Alpes ^  par  M.  Charonnet,  p.  507.  In-8. 

2  Bien  des  documents  mj; (heureusement  nous  manquent  à  l'appui 
de  ce  que  nous  avançons.  L«  fait  n'en  est  pas  moins  certain.  Le  peu 
de  preuves  que  nous  posséd  ns  montre  avec  évidence  que,  partout  où 
le  protestantisme  comptait  des  adhérents  avant  la  Révocation,  les 
religionnaires,  qui  étaient  restés,  persévérèrent  dans  leur  foi  et  choi- 
sirent Tanjiée  où  Louis  XIV  aiourut  pour  donner  des  signes  éclatants 
de  leur  fidélité. 

3  N"  17,  vol.  B. 

*  N»  1,  t.  II.  (Juin  172^.) 


6S  GUYENNE,  BRETAGNE 

Dans  l'Ag'enais,  après  la  mort  de  Louis  XIV,  la  per- 
sécution sembla  se  ralentir.  Le  culte  de  famille  se  célé- 
bra avec  moins  de  crainte  et  quelques  petites  réunions 
nocturnes  furent  même  tentées.  C'était  le  prélude  des 
grandes  assemblées  du  Désert  ^ 

En  Bretagne,  -plusieurs  nouveaux  convertis  s'em- 
ployèrent courageusement  «  à  ramener  leurs  frères  à 
leurs  anciennes  convictions,  et  à  les  fortifier  en  secret 
par  des  entretiens,  des  lectures,  et  une  sorte  de  culte 
privé,  dans  une  foi  qu'ils  n'avaient  jamais  au  fond 
abandonnée.  »  Chose  curieuse  !  Ce  mouvement  fut  ex- 
clusivement laïque;  ce  furent  des  gentilshommes,  des 
négociants,  des  artisans,  des  femmes  même  qui  s'y 
employèrent.  En  1715  déjà,  un  M.  de  Touvois,  fils  du 
marquis  de  Crux,  fut  accusé  de  prêcher  à  Saffré 
dans  le  château  qu'il  occupait.  «  J'ai  appris,  écrivait- 
on  à  l'intendant  Ferrand,  qu'il  lui  arrive  quelquefois, 
après  le  repas,  d'appeler  dans  sa  chambre  tous  les 
domestiques  et  de  leur  faire  des  prédications.  Le  fait 
est  notoire,  et  j'estime  qu'il  conviendrait  que  vous  pre- 
niez la  peine.  Monsieur,  de  le  mander  pour  lui  défen- 
dre de  prendre  cette  liberté.  »  Quelques  années  plus 
tard,  en  effet,  Touvois  et  d'autres  nouveaux  convertis 
furent  l'objet  de  rigoureuses  mesures.  «  Cet  exemple, 
écrivait  l'intendant,  contiendra  les  nouveaux  convertis 
qui  se  donnent  trop  de  licence  depuis  quelque  temps  ^.  » 

En   Picardie,  depuis  la  fin  de  1714,  des  réunions 


^  Chronique  des  Eglises  réformées  de  V Agenais,  par  M.  A.  La- 
garde.  Toulouse  (1870). 

2  Essai  sur  VHistoire  des  Eglises  réformées  de  Bretagne,  par 
M.  Vaurigaud.  Tome  III,  p.  195,  198.  Parib.  (1870.) 


PICARDIE,  POITOr  69 

se  tinrent  dans  une  caverne  située  près  de  Templeux- 
le-Guérard.  Pour  se  mettre  à  l'abri  du  froid,  disaient 
les  religionnaires.  Pour  prier  Dieu,  assuraient  les 
curés.  Une  nuit  du  mois  de  mai,  tandis  que  le  village 
dormait,  la  maréchaussée  accourut,  les  maisons  furent 
fouillées,  et  quatre  habitants  conduits  en  prison  ^ 

Dans  l'Aisne,  il  est  certain  qu'il  y  avait  encore  des 
relig-ionnaires  et  qu'ils  commençaient  de  s'ag'iter,  car 
on  voit,  en  1725,  qu'un  nombre  considérable  d'entre 
eux  furent  obligés  de  s'expatrier  pour  échapper  aux 
rigueurs  de  l'édit  de  1724  ^ 

Lorsque  Antoine  Court,  en  1715,  convoquait  le  pre- 
mier Synode,  de  nombreuses  assemblées  se  tenaient 
déjà  dans  le  Poitou.  En  vain  Chebroux,  un  des  sub- 
délégués de  l'intendant  faisait  peser  sur  le  pays  «  sa 
lourde  main  de  fer,  »  il  ne  pouvait  accabler  les  Ni- 
vet,  les  Begniers,  les  Marbœuf ,  les  Berthelot,  tant 
d'autres  prédicants  qui  n'avaient  cessé  depuis  la  Ré- 
vocation de  courir  le  pays  ^.  Nivet  fut  pris.  «  Que  fera 
le  petit  troupeau,  lui  dit  Chebroux,  maintenant  que 
nous  tenons  son  pasteur  ?  »  Mais  lui  fièrement  :  «  Ne 
vous  mettez  pas  en  peine  du  petit  troupeau.  Mon- 
sieur, il  a  un  pasteur  qui  est  à  couvert  de  toutes  vos 
recherches  et  qui  ne  l'abandonnera  pas.  »  Et  comme 
Chebroux  riait  :  «  Vous  riez  à  votre  aise,  mais  il  n'en 

1  Histoire  des  protestants  de  Picardie,  part icîdièrement  de  ceti^: 
du  département  de  la,  Somme,  \)2iV  M.  Rossier.  Paris.  (1861.) 

2  Essai  historique  sur  les  Eglises  réformées  du  département  de 
C Aisne,  par  M.  Douen.  p.  126.  Paris.  (1860.) 

3  C'étaient,  comme  dans  le  Languedoc,  de  simples  paysans.  Nivet 
Tétait.  Jean  Marbœuf  était  un  laboureur  d'une  mémoire  prodigieuse, 
qui  avait  appris  un  grand  nombre  de  sermons,  et  les  récitait.  Ber- 
thelot semblablement. 


70  LE  RÉVEIL  EN  POITOU 

sera  pas  toujours  de  même.  Un  jour  nous  paraîtrons 
vous  et  moi  devant  un  tribunal  plus  équitable  que  ce- 
lui que  vous  occupez  maintenant.  Alors  s'accompli- 
ront ces  paroles  :  Vous  êtes  bienheureux,  vous  qui  pleu- 
rez à  présent  parce  que  votre  tristesse  va  se  changer 
en  joie  ;  mais  malheur  sur  vous  qui  riez  maintenant,  car 
Yotrejoie  se  convertira  en  deuiP.  »  Le  subdélégué  conti- 
nua son  œuvre  de  persécution.  Berthelot,  quoique  con- 
damné aux  galères  par  contumace,  continuait  son  minis- 
tère. Il  se  cachait  et  convoquait  des  assemblées  dans  les 
lieux  écartés,  il  tenait  tête  à  Chebroux,  et  remphssait  si 
bien  la  contrée  du  bruit  de  son  nom  qu'on  n'appelait 
plus  le  protestantisme  que  «la  rehgion  Berthelote.  » 
Vers  1718  %  les  rehgionnaires  poussèrent  l'audace 
jusqu'à   s'assembler    publiquement  sur  les  emplace- 
ments des  anciens  temples  démolis.   «  Cette  résolution 
prise,  on  jeta  d'abord  la  vue  sur  l'emplacement  du 
temple  deMougon,  parce  que  ce  bourg  était  presque  en- 
tièrement de  la  religion  et  dix  ou  douze  jours  à  l'avance 
on  avertit  les  protestants  des  environs.  Le  jour  mar- 
qué ,  on  s'assembla,  sur  la  place  même  où  avait  été 
le  temple,  et  dont  on  avait  fait  un  jardin;  l'homme  à 
qui  il  appartenait  voulut  s'y  opposer  ;  les  autres  di- 
saient que  c'était  leur  place  et  qu'on  les  en  avait  pri- 
vés injustem'ent.  La  contestation  fut  de  courte  durée; 
il  ne  voulut  pas  ouvrir  la  porte,  mais  on  l'eut  bientôt 
forcée  ;  on  entra  dans  le  jardin  qui  était  entouré  de 
murs  e\  on  commença  à  faire  la  lecture  en  attendant 


1  N"  17,  voL  R,  p.  193. 

^-  Le  Bulletin  dit,  1718  ;  n"  17,  vol.  R,  p.  193,  dit,  1/19.  Nous  adop- 
tons 1718. 


LE  PROTESTANTISME  EN  1723  71 

que  le  monde  s'assemblât  ;  il  y  eut  environ  deux  mille 
personnes  K  »  Des  assemblées  semblables  se  tinrent  à 
Melle,  à  Lamotlie-Saint-Héraye,  à  Saint-Maixent  ;  il  y 
en  eut  encore  à  Couclié ,  à  Clierveux,  à  Lusignan,  à 
Saint-Cliristoplie,àSaint-GelayprèsFontenay-le-Comte, 
à  Benêt.  Berthelot  poussa  jusqu'à  Angoulême.  «  Il 
serait  à  désirer,  écrivait  Maurepas  à  l'intendant  du 
Poitou,  qu'on  pût  arrêter  le  nommé  Berthelot,  et  que 
ce  prédicant  qui,  après  avoir  été  déjà  pris,  ose  encore 
se  signaler  sans  mesure  et  sans  considération,  pût 
servir,  par  préférence,  d'exemple  à  ceux  qu'il  séduit. 
Nous  comptons  bien  que  vous  y  donnerez  une  attention 
singulière.  »  Quoi  que  fît  l'intendant,  il  y  eut  encore, 
en  1720,  des  assemblées  à  Saint-Maixent  et  à  Niort; 
et  ce  ne  fut  qu'au  mois  de  septembre  que  Bertlielot 
fut  enfin  pris.  Mais  la  capture  du  prédicant  n'empê- 
cha rien.  Le  mouvement  relig-ieux  continua  de  se  pro- 
pager à  Benêt.  Le  mouvement  religieux  se  propageait 
de  bourg  en  bourg,  de  village  en  village.  C'était  comme 
une  résurrection  de  la  religion  proscrite. 

Ainsi,  quelques  années  à  peine  après  la  mort  de 
Louis  XIV,  la  déclaration  de  1715  recevait  le  plus 
complet  démenti.  Du  Poitou,  un  M.  de  Luques  écrivait 
à  l'ambassadeur  hollandais  :  «  Les  assemblées  ont  été 
fort  nombreuses ,  car  elles  ont  passé  trois  mille  per- 
sonnes^. »  Dans  le  Dauphiné,  l'évêque  de  Gap  mandait 
que  les  nouveaux  convertis  de  son  diocèse  «  ne  gar- 
daient plus  de  ménagements  par  rapport  à  la  reli- 

<  V.  Bullet.,  t.  IV,  p.  230. 
2  Ibid.,  p.  238. 


72  RÉSULTATS  OBTENUS 

gion  ^  »  Dans  le  Languedoc,  il  y  avait  une  ardeur,  une 
intensité  de  piété  étonnante.  Un  M.  de  Massane  qui 
avait  été  chargé  par  l'intendant  de  faire  une  tournée 
en  fut  stupéfait. 

«  J'ai  passé,  lui  écrivait-il,  par  le  Vigan,  Aulas,  Anmessas, 
Yalleraugue;  ensuite  je  suis  revenu  par  Moutardier,  Roque- 
dur,  Saint-Julien,  Ganges  et  -Lassalle.  Il  serait  inutile,  Mon- 
sieur, de  vous  détailler  ce  qui  se  passe  à  chaque  endroit,  puis- 
qu'on peut  le  faire  en  général  ;  c'est-à-dire,  Monsieur,  qu'on 
fait  partout  des  assemblées  aux  champs  et  dans  les  maisons  ; 
on  entend  chanter  les  psaumes  ouvertement,  soit  à  la  campagne, 
soit  à  la  ville.  J'ose  vous  assurer  avoir  vu  et  entendu  ces  der- 
niers plusieurs  fois.  Tout  cela  ne  discontinue  pas  2.  » 

Il  y  avait  comme  une  explosion  de  bonheur  autour 
de  cette  restauration  inattendue.  Quelques  proscrits,  à 
Genève,  toujours  hésitants  et  remphs  du  souvenir  de 
la  patrie  absente,  au  bruit  de  ces  succès,  commençaient 
de  revenir  en  France.  Ils  préféraient  à  la  paix  et  à  la 
liberté  qu'ils  goûtaient  à  l'étranger  les  périls  de  la 
lutte  et  les  dangers  de  chaque  heure  dans  la  province 
natale.  Des  serviteurs  même  venaient  s'offrir  sponta- 
nément aux  égHses  sous  la  croix.  Des  jeunes  gens  s'en- 
rôlaient parmi  les  prédicants,  et  n'était-ce  pas  l'un 
d'eux  qui,  en  offrant  son  dévouement  et  son  courage- 
aux  protestants  de  France,  écrivait  : 

«  A  vous  les  pasteurs  et  anciens,  qui  êtes  les  restaurateurs 
«  des  débris  de  nos  pauvres  Eglises  de  France  qui,  comme  par 
«  un  miracle  de  la  divine  Providence  et  contre  l'attente  de  nos 


1  V.  La  Société  protestants  dans  les  Hautes-Alpes,  etc.,  p.  507. 

2  Histoire  de  VEglise  réformée  de  Montpellier,  par  M.  Ph.  Cor 
bière,  p,  353.  Montpellier.  (1861.) 


RÊVES  ET  ESPÉRANCES  73 

«  adversaires  qui  s'imaginaient  follement  d'en  voir  une  fin  to- 
«  taie,  il  y  a  encore  un  petit  lumignon  qui  fume,  et  dans  l'es- 
«  pérance  que  bientôt  cette  fumée  se  changera  en  une  éclatante 
'<  lumière  pour  éclairer  tout  notre  atmosphère,  —  on  pourrait 
«  ici  appliquer  les  paroles  de  saint  Paul  aux  Actes,  chap.  XIV, 
«  V.  16,  17,  que  quoiqu'il  ait  laissé  marcher  toutes  les  nations 
u  dans  leurs  voies  impures,  il  ne  s'est  point  pourtant  laissé 
«  sans  témoignage  en  fesant  du  bien  à  ses  ennemis  même  K  >» 

La  phrase  est  laborieuse  et  paraît  obscure  ;  le  sen- 
timent qui  ranime  brille  de  clarté.  Un  immense 
espoir,  au  milieu  de  toutes  les  craintes,  gonflait  les 
cœurs  2.  Les  assemblées  devenaient  plus  fréquentes,  la 
piété  plus  vive,  les  pasteurs  plus  nombreux  et  la  cour 
même  effrayée  venait  de  traiter  avec  cette  puissance 
naissante.  Les  religionnaires  se  livraient  à  des  rêves  de 
restauration,  et  comme  Gaubert,  ils  se  plaisaient  à 
croire,  que  «  le  lumig-non  »  se  transformerait  bientôt 
en  une  éclatante  lumière. 

1  L'auteur  de  cette  lettre  était  le  proposant  Gaubert, 
'2  V.  Pièces  et  documents,  n"  VII. 


CHAPITRE  III 

l'ordre   :    SYNODES,    PREDICANTS,    MARIAGES 
1715-1723 

Deux  mots  résumaient  le  programme  d'Antoine 
Court  :  Ordre  et  Eéveil  !  Le  réveil  avait  eu  lieu,  il  s'a- 
gissait d'établir  l'ordre. 

Dans  la  pratique,  on  ne  les  séparait  point.  Dès  que 
les  fidèles  d'un  lieu  avaient  entendu  les  exhortations 
du  prédicant,  ils  étaient  aussitôt  priés  de  souscrire  aux 
règlements  qu'avait  dressés  le  premier  Synode  de 
1715.  Alors  seulement  TEgiise  était  fondée.  «  Nous 
avons  travaillé  à  établir  l'ordre,  »  écrit  Corteiz  ;  le  pre- 
mier sujet  dont  parle  Court  à  Roger,  le  jour  de  leur 
entrevue,  c'est  de  l'ordre,  et  les  lettres  de  tous  les  pré- 
dicants  sont,  pendant  de  longues  années,  remplies  de  ce 
mot.  En  rétablissant  l'ordre  en  effet,  on  instituait  un  gou- 
vernement au  milieu  des  églises  de  France  ;  on  mettait 
un  terme  à  l'anarchie  qui  les  précipitait  vers  la  ruine  ; 
on  prévenait  de  nouvelles  discussions;  on  groupait 
enfin  en  corps  d'armée  disciplinée  la  foule  des  reli- 
gionnaires  courant  jusqu'alors  à  l'aventure.  Il  y  avait 
plus.  On  restaurait  un  état  de  choses  disparu  de- 
puis trente  années,  et  c'était  d'une  singulière  impor- 


CONVOCATION  DES  SYNODES  75 

tance.  Le  mot  tradition^  par  une  curieuse  inconsé- 
quence, a  toujours  été  aux  yeux  des  protestants,  même 
les  plus  éclairés,  un  mot  entouré  de  prestige.  Par  là, 
en  même  temps  qu'on  réveillait  la  piété  chez  les  uns, 
on  la  raffermissait  chez  les  autres. 

Tout  le  monde  sait  quelle  était  avant  la  Révocation 
la  discipline  des  églises  réformées  de  France.  Antoine 
Court  la  copia  autant  qu'il  lui  fut  possible. 

Il  était  impossible  de  rétablir  les  Synodes  nationaux, 
mais  il  était  facile  de  tenir  des  Synodes  provinciaux, 
et  le  premier,  on  l'a  vu,  fut  convoqué  en  1715.  Dès  lors, 
chaque  année,  ils  se  réunirent  régulièrement.  Les  prédi- 
cants  s'entendaient  pour  en  déterminer  la  date,  et  quel- 
que temps  avant  l'époque  ^mée.  le  modérateur  du  Sy- 
node précédent  écrivait  : 

«  Je  dois  vous  donner  avis  que  le  temps  de  notre  foire  géné- 
rale est  fixé;  qu'il  faut  se  rendre,  pour  le  plus  tard,  le.   .  .  . 
à Faites-y  attention  et  ne  manquez  pas.  » 

Une  chambre  haute,  une  grotte,  un  bois,  le  lit  d'un 
torrent,  étaient  les  lieux  ordinaires  oii  ils  se  réunis- 
saient. Pour  y  assister,  il  fallait  être  pasteur,  propo- 
sant ou  Ancien.  Plus  tard,  à  propos  de  ces  derniers,  il 
y  eut  quelques  abus,  et  l'on  décida  que  personne  ne 
serait  admis,  s'il  ne  portait  «  un  billet  »  de  son  con- 
sistoire. En  général,  les  Anciens  de  chaque  église  s'as- 
semblaient en  colloque  et  nommaient  deux  députés 
pour  se  rendre  au  Synode.  Lorsque  tous  les  membres 
étaient  arrivés,  on  choisissait  un  modérateur,  un  ad- 
ioint  et  un  greffier.  Il  était  donné  lecture  des  décisions 


76  LES  SYNODES 

prises  par  le  précédent  Synode,  et,  cela  fait,  le  modéra- 
teur exposait  les  différents  sujets  qui  devaient  être  dis- 
cutés par  les  députés.  —  Affaires  de  discipline ,  fixa- 
tion de  règ'lements  ,  lettres  de  recommandation  auprès 
des  Eglises  étrangères,  admission  d'Anciens,  jeûnes 
généraux,  examen  des  proposants,  déposition  des  pas- 
teurs indignes,  propositions  particulières,...  toutes  les 
affaires  qui,  de  près  ou  de  loin,  intéressaient  le  protes- 
tantisme formaient  l'objet  des  délibérations.  Les  déci- 
sions avaient  force  de  loi;  ne  point  s'incliner  devant 
elles,  c'était  se  mettre  hors  la  paix  de  l'Eglise.  Lors- 
qu'on avait  épuisé  la  série  des  questions  à  l'ordre  du 
jour,  pasteurs,  proposants  et  anciens  se  livraient  à  un 
examen  fraternel  de  leur  conduite.  Les  prédicants,  les 
premiers,  sortaient  deux  à  deux,  et  en  leur  absence  on 
donnait  des  détails  sur  leur  conduite  et  leur  genre  de 
vie.  Le  modérateur  recueillait  ce  que  la  Compag'nie 
avait  dit,  et  conformément  à  ce  qui  avait  été  rapporté 
faisait  publiquement  la  louange  ou  la  censure  des  deux 
ministres  qui  rentraient.  Tous  les  assistants  voyaient 
ainsi,  les  uns  après  les  autres,  leurs  paroles  et  leurs 
actes  jugés  et  appréciés.  Le  modérateur  lui-même  et 
son  adjoint  n'échappaient  pas  à  cette  curieuse  investi- 
gation. Ils  sortaient  l'un  après  l'autre ,  et  celui  des 
deux  qui  restait,  après  avoir  recueilli  les  opinions,  pré- 
sentait à  son  collègue,  selon  qu'il  le  méritait,  les  admo- 
nestations ou  les  compliments  de  l'assemblée  entière. 
La  réunion  était  terminée  par  la  lecture  de  la  Bible 
et  par  une  prière  ^ . 

1  N"  7,  t.  I,  p.  9.  (1719.) 


LES  COLLOQUES  77 

Dans  les  premiers  temps,  il  se  tenait  deux  Synodes  par 
an  et  tous  les  députés  de  la  province  devaient  y  assister  ^ . 
Mais  cela  faisait  de  l'éclat.  On  décida  de  convoquer 
tour  à  tour  le  premier  synode  dans  les  hautes  Cévennes, 
et  le  second  dans  le  bas  Languedoc  ^  Quand  l'un  se  te- 
nait dans  les  Cévennes,  le  bas  Languedoc  envoyait 
deux  ou  trois  députés,  et  réciproquement.  Mais  plus 
tard,  le  nombre  des  fidèles  croissant  de  jour  en  jour,  il 
fut  résolu  de  convoquer  chaque  année  trois  Synodes  : 
l'un  dans  le  haut  Languedoc,  l'autre  dans  les  Cévennes, 
le  dernier  au  Pays-Bas.  Cette  mesure  fut  prise  en  1721  ^. 

Malgré  ces  fréquentes  réunions,  il  pouvait  dans  l'in- 
tervalle surgir  des  affaires  qui  exigeaient  une  prompte 
solution.  Cela  méritait  quelque  attention.  En  1716,  on 
avait  déjà  convenu  que  les  pasteurs  se  rassemble- 
raient de  six  en  six  mois,  pour  s'informer  s'ils  avaient 
eu  soin  de  visiter  les  malades,  d'ordonner  les  collectes, 
et  s'ils  avaient  rempli  les  devoirs  de  leur  charge  sans 
reproches  \  La  gravité  des  circonstances  exigeait 
plus.  Aussi  résolut-on  bientôt  d'assembler,  dans  tous 
les  cas  embarrassants,  un  colloque  de  trois  pasteurs  et 
de  six  Anciens  pour  délibérer  sur  la  conduite  à  tenir. 
Il  fallait  toutefois  que  le  modérateur  ou  le  secrétaire 
du  dernier  Synode  assistât  à  ce  colloque  ^. 


1  N»  46.  Lettre  à  Basnage.  (1719.) 

2  N"  7,  t.  I,  p.  8.  (1719.) 

3  N»  17,  vol.  G,  p.  582,  et  n"  17,  vol.  H,  p.  34. 
*  V.  Coquerel,  t.  I,  p.  34. 

^  Il  serait  très-utile  de  publier  les  actes  de  tous  les  Synodes  qui  se 
tinrent  en  France  depuis  1715.  Si  quelque  éditeur  intelligent  se  char- 
geait de  ce  soin,  il  rendrait  un  grand  service  au  protestantisme  et  h 
ses  historiens. 


78  CONSISTOIRES  ET  ANCIENS 

D'après  l'ancienne  discipline,  au-dessous  de  ces  toutes- 
puissantes  assemblées,  il  y  avait  pour  chaque  église 
un  pouvoir  exécutif  particulier  :  c'était  le  Consistoire. 
Le  Consistoire  était  composé  d'Anciens  ;  il  était  chargé 
de  tous  les  soins  de  la  communauté,  il  apaisait  les  dif- 
férends, faisait  les  collectes,  nommait  les  pasteurs, 
avait  mission  de  maintenir  la  paix,  l'ordre  et  la  disci- 
pline. Excellente  institution  et  qui  méritait  bien  dans 
ces  temps  difficiles  d'être  la  première  rétablie.  Elle  fut 
en  effet  un  des  objets  préférés  de  la  sollicitude  de 
Court.  En  1715,  son  premier  soin  fut  de  faire  nommer 
des  Anciens;  dans  la  suite,  partout  où  il  établit  des 
églises ,  il  oblig-ea  les  principaux  protestants  de  s'as- 
sembler en  sa  présence  et  de  choisir  comme  Anciens 
ceux  qui  passaient  pour  avoir  le  plus  de  talent,  de  zèle 
et  de  piété. 

Une  communauté  qui  se  fût  permis  de  n'avoir  point 
d'Anciens  était  abandonnée.  Un  Synode  écrivit  dans 
ses  règlements  :  «  Il  est  délibéré  que  dans  les  villes  et 
lieux  où  il  n'y  avait  point  d'Anciens,  on  en  établira  in- 
cessamment, et  faute  de  le  faire,  s'il  y  a  refus  de  la  part 
des  fidèles,  ils  ne  seront  pas  visités  par  les  pasteurs, 
ni  avertis  pour  aller  aux  assemblées  * .  »  On  voit  de 
quelle  importance  paraissait  l'organisation  des  Con- 
sistoires. Prêcher  en  effet,  exhorter,  réveiller  les  âmes 
craintives  ou  indifférentes,  c'était  bien;  mais  encore 
fallait-il  leur  donner  un  appui,  de  peur  de  chute.  En 
certains  endroits,  où  les  curés  n'étaient  pas  trop  tra- 
cassiers,  les  espions  trop  nombreux,  les  consuls  ou  les 

1  Synode  du  bas  Languedoc.  (1723.) 


CONSISTOIRES  ET  ANCIENS  79 

gouverneurs  trop  sévères,  où  d'ailleurs  les  prédicants 
n'avaient  cessé  depuis  la  Révocation  de  faire  entendre 
leur  voix,  le  réveil  n'était  point  difficile,  et  les  nou- 
veaux convertis  étaient  assez  disposés  à  faire  ce  que 
l'on  réclamait  d'eux.  Mais  en  d'autres  lieux,  —  les  pe- 
tites villes  surtout  et  les  villages, —  où  chaque  voisin 
était  un  espion  et  le  curé  impitoyable,  il  fallait  réitérer 
les  prières,  les  instructions,  les  appels.  Chose  grave 
que  d'obéir  !  car  tous  savaient  à  quelles  vexations  ils 
allaient  s'exposer,  dès  qu'ils  seraient  démasqués.  Que 
réclamait  le  prédicant  ?  De  ne  point  envoyer  les  en- 
fants à  l'école?  Mais  c'était  se  faire  accabler  d'amendes. 
De  ne  point  se  marier  à  l'église?  C'était  se  mettre  hors 
la  loi.  De  ne  point  assister  à  la  messe  ?  C'était  chercher 
sa  ruine.  D'être  assidu  aux  assemblées?  C'était  mériter 
les  galères.  Souvent  dans  le  premier  enthousiasme  et 
sous  l'effet  des  exhortation,  le  nouveau  converti  pou- 
vait donner  des  marques  de  repentance  et  prenait  pour 
l'avenir  les  meilleures  résolutions  ;  mais  lorsque  le  pré- 
dicant était  parti,  que  le  son  de  sa  voix  ne  retentissait 
plus  à  ses  oreilles,  et  que  lentement  la  réflexion  suc- 
cédait à  l'enthousiasme,  peu  à  peu  son  ardeur  se  modé- 
rait et  les  vieilles  habitudes  triomphaient.  L'œuvre 
était  à  recommencer.  Les  Anciens  avaient  pour  charge 
de  remplacer  le  prédicant  absent  et  d'entretenir  la  piété 
qu'il  avait  excitée.  Ils  prévenaient  les  chutes  ,  veil- 
laient sur  les  mœurs,  censuraient  les  scandales  et  les 
fautes  ;  ils  recueillaient  encore  les  deniers  de  l'Eglise 
pour  les  pauvres,  les  malades  et  les  prisonniers;  sur- 
tout ils  groupaient  autour  d'eux  les  protestants  isolés, 
découragés  par  l'abandon  où  ils  se  trouvaient.  Ils  les 


80  CONSISTOIRES  ET  ANCIENS 

voyaient,  reillaient  sur  eux,  les  encourageaient  à  braver 
les  périls  de  leur  nouvelle  position.  Les  collectes  que  de 
porte  en  porte,  en  cachette,  ils  faisaient,  les  conversa- 
tions qu'à  voix  basse  ils  tenaient  sur  la  religion  et  sur 
l'état  des  ég-lises,  —  quand  le  prédicant  reviendrait,  où 
se  tiendrait  l'assemblée ,  si  la  ville  voisine  avait  repris 
courage,  si  au  Désert  il  était  vrai  qu'on  eût  fait  des 
prisonniers, —  tout  les  aidait  dans  cette  espèce  de  minis- 
tère. Au  besoin  ils  étaient  apôtres,  et  par  leurs  paroles 
douces  et  graves  ils  leur  communiquaient  leur  force, 
leur  ferveur,  et  les  entraînaient  avec  eux.  Ainsi  peu  à 
peu  se  recrutait  la  communauté.  Lorsque  le  prédicant 
revenait,  il  la  trouvait  augmentée,  organisée,  pleine  de 
vie;  ses  efforts  n'avaient  pas  été  perdus. 

L'importance  de  la  charge  réclamait  des  hommes 
qui  en  fussent  dignes;  aussi  choisissait-on  des  fidèles 
connus  par  leur  sagesse  et  leur  piété  K  C'étaient  de 
petits  bourgeois,  plus  souvent  des  ouvriers,  des  tra- 
vailleurs. La  classe  riche  fuyait  ces  honneurs  périlleux. 

1  Voici,  d'après  Corteiz,  la  copie  d'une  lettre  que  le  Consistoire 
d'Alais  envoya  à  un  Synode,  en  présentant  trois  Anciens  pour  être 
reçus.  N"  1,  t.  II,  p.  584. 

«  Nous,  soussignés,  nous  étant  assemblés  au  nom  de  J.-C.  pour  la 
propagation  de  la  foi  et  l'édification  de  l'Eglise,  après  avoir  examiné 
ceux  d'entre  nous  ayant  reçu  quelque  capacité  pour  la  charge  d'Ancien, 
pour  veiller  sur  la  conduite  de  l'Eglise,  selon  la. louable  coutume  des 
églises  chrétiennes,  nous  avons  unanimement  donné   notre  voix  et 

notre  approbation  aux  sieurs,  nommés Nous  prions,  au  nom 

de  J.-C,  les  pasteurs  et  Anciens  qui  sont  assemblés  pour  travailler 
heureusement  pour  les  intérêts  de  la  gloire  de  Dieu,  d'examiner  la 
capacité  des  sujets,  et,  s'ils  se  trouvent  dignes  d'exercer  cette  sainte 
charge,  de  leur  donner  votre  vénérable  approbation,  après  les  avoir 
exhortés,  comme  vous  le  jugez  être  nécessaire,  pour  les  porter  à  remplir 
dignement  et  fidèlement  les  fonctions  de  leur  charge,  en  laquelle  ils 
seront  installés,  si  vous  les  en  jugez  dignes.  y> 


LES  PREDICANTS  81 

Lorsqu'à  l'issue  d'une  assemblée,  un  fidèle  se  pré- 
sentait pour  être  reçu  Ancien,  on  réunissait  aussitôt 
quelques  protestants,  —  une  ving'taine,  —  pour  con- 
naître leur  opinion  sur  le  candidat.  On  s'informait  s'il 
était  c(  vicieux,  vindicatif,  avare,  vaniteux,  joueur, 
fainéant,  ivrogne,  si  sa  femme  était  sag-e,  s'il  vivait 
en  paix  avec  ses  voisins,  s'il  instruisait  bien  sa  famille, 
s'il  était  assez  courag'eux  et  prudent  pour  conduire 
l'Eglise  K  »  L'enquête  était-elle  favorable,  le  prédicant 
lui  adressait  une  exhortation  et  l'installait  dans  sa 
cliarg'e.  Au  Synode  suivant,  il  était  rendu  compte  de 
cette  nomination,  et  le  Synode,  après  en  avoir  délibéré, 
lui  accordait  «  sa  vénérable  approbation,  » 

Mais  le  vrai  chef,  celui  qui  présidait  et  convoquait 
les  assemblées,  nommait  les  Anciens,  censurait,  exhor- 
tait, c'était  le  prédicant. 

Graves  fonctions  que  les  siennes,  malheureusement 
exercées  trop  souvent  par  des  personnes  qui  n'en  compre- 
naient pas  la  responsabilité  !  On  avait  vu,  et  on  voyait 
encore  de  tout  jeunes  hommes  tenir  des  assemblées,  et 
gTavement,  au  milieu  de  l'admiration  générale,  faire  des 
prières  et  réciter  des  discours.  Court  lui-même  n'avait- 
il  pas  été  de  ce  nombre  ?  Il  y  avait  encore  dans  quel- 
ques villages,  ou  courant  le  pays,  de  pauvres  igno- 
rants qui  tout  à  coup  s'érigeaient  en  prédicant  s.  I^eur 
prudence  était  loin  d'égaler  leur  zèle;  ils  émettaient 
les  plus  absurdes  idées,  «  corrompaient  la  religion  » 
et  compromettaient  par  leurs  excès  la  cause  qu'ils 
s'étaient  donné  mission  de  défendre. 

î  N"  1,  t.  II,  p.  705.  (1722.) 

I  '  (î 


32  CONDITIONS   D'ADMISSIBILITÉ 

Un  tel  état  de  clioBes  était  dang-ereux,  et  il  fallait 
y  remédier.  Antoine  Conrt  fit  premièrement  décréter 
qu'aucune  femme  ne  pourrait  prèclier;  ensuite,  qu'on 
ne  recevrait  pasteurs  dans  l'Eglise  que  ceux  dont  on 
aurait  examiné  la  doctrine  et  les  mœurs  selon  les  rè- 
gles de  la  discipline  ecclésiastique  \ 

Pour  être  élevé  à  cette  charge,  le  prédicant  de^ 
vait,  de  l'aveu  de  tous,  mener  une  vie  irréprochable  et 
posséder  les  lumières  et  les  connaissances  requises 
pour  s'acquitter  «  d'un  si  glorieux  emploi.  y>  «  Sondez, 
écrivait  Court  à  Corteiz,  examinez  bien  auparavant  les 
sujets  auxquels  vous  voulez  donner  votre  approbation. 
De  là  dépend  la  joie  et  le  bonheur,  ainsi  que  le  repos 
de  l'Eglise,  la  j'oie  et  le  contentement  de  tous  ^  » 
Ailleurs,  il  ajoutait  : 

c.  Nous  n'avons  pas  besoin  de  présomptueux,  d'ignorants  et 
de  volages.  Ainsi,  ne  faites  rien  à  la  hâte.  Pesez  tout  avec  soin, 
examinez  mûrement  les  sujets,  avant  que  de  les  admettre;  de 
là  dépendent  et  les  progrès  de  la  religion  et  le  repos  de  l'Eglise. 
Il  vaut  mieux  que  le  nombre  en  soit  plus  petit  et  que  les  sujets 
soient  meilleurs.  » 

En  1721,  écrivant  à  Pierre  Durand  qui  étabhssait 
à  cette  époque  l'ordre  en  Vivarais  :  «  11  vous  faut,  di- 
sait-il encore,  des  hommes  vertueux  et  pleins  de  zèle. 
Un  lâche  efféminé,  un  esclave  du  vice  n'y  seraient 
point  de  tout  propres.  11  n'y  a  que  la  piété  qui  inspre 
la  noblesse  et  la  grandeur  d'âme  qui  sont  nécessaires. 
La  piété  se  soutient  dans  les  dangers  les  plus  extre- 


1  N°  1,  t.  II,  p.  19.  Synode  de  1717. 
«N<'7,  t.  1,  p.  192.  (1721.) 


LE  PROPOSANT  83 

mes;  elle  triomphe  des  obstacles  les  plus  difficiles.  Une 
bonne  conscience  marche  toujours  la  tête  levée.  » 

Tant  de  recommandations  n'étaient  pas  inutiles.  Il  se 
présentait  sans  cesse  des  inconnus  pour  prêcher,  qui  n'a- 
vaient à  ce  périlleux  honneur  ni  droits  ni  titres.  Aussi 
Antoine  Court  rappelait-il  le  règlement  :  «  Eecomman- 
dez  fortement  à  Messieurs  les  Anciens  de  ne  recevoir  qui 
que  ce  soit  qui  se  présente  pour  prêcher,  quelque  zélé, 
quelque  savant  qu'il  paraisse,  sans  avoir  premièrement 
été  examiné  selon  la  formule  de  nos  règlements.  Mes- 
sieurs de  Nîmes  ont  été  la  dupe  d'un  nommé  Chau- 
méri  qui  leur  dit  être  ministre  ^..  »  C'était  pour  lui 
d'une  importance  extrême.  Dès  qu'il  apprenait  que  le 
règlement  avait  été  éludé,  il  se  plaignait.  «  J'ai  été 
fort  fâché  contre  Messieurs  de  Lasalle  d'avoir  ainsi 
reçu  le  nommé  Bover,  sans  examen.  » 

Prédicant  est  un  mot  vague  qui  servait  à  désigner 
trois  classes  d'hommes  en  réalité  parfaitement  dis- 
tinctes. Sous  ce  nom  générique,  on  comprenait  les  pro- 
posants, les  prédicants  et  enfin  les  pasteurs  ^ 

Le  proposant  était  un  de  ces  jeunes  enthousiastes 
que  le  zèle  pour  la  rehgion  opprimée  et  le  mépris  du 
martyre  poussaient  de  bonne  heure  à  courir  le  pays  en 
prêchant  et  convoquant  des  assemblées.  Quelques 
années  plus  tôt,  ils  eussent  figuré  parmi  les  bandes 
camisardes  et  passé  pour  inspirés.  Mais  Court  avait 
soin  de  modérer  leur  ardeur.  Venait-il  dans  une  de  ses 


1  N»  7,  t.  I,  p.  163.  (1721.) 

*2  Peut-être  ferions-nous  mieux  de  dire  :  les  élèves  proposants,  les 
proposants,  et  enjQn  les  pasteurs;  plus  tard,  en  effet,  il  n'y  eut  guère 
de  prédicant  qui  ne  devînt  pasteur. 


84  VIE  D'UN  PROPOSANT 

courses  à  rencontrer  un  jeune  homme  bien  disposé, 
loin  de  l'abandonner  à  ses  propres  impulsions,  il  se 
rattachait  pour  le  connaître. 

Après  avoir  pénétré  le  caractère  du  jeune  homme, 
s'il  le  croyait  apte  au  ministère,  il  l'emmenait  avec  lui 
et  au  milieu  des  dangers  de  chaque  heure  l'instruisait, 
l'exhortait,  le  préparait  à  ses  futures  fonctions  de  pré- 
dicant.  C'est  ainsi  qu'avant  1723  furent  admis  Betrine, 
Pierredon,  Céphas  Deleuze,  Jean  Gaubert,  Roux. 

Dur  apprentissage  et  plein  d'un  rude  labeur  !  Mille 
périls  à  affronter,  l'ennemi  à  fuir,  les  nuits  passées  à 
la  belle  étoile,  le  gîte  incertain,  les  longues  marches, 
et  pour  toute  joie,  toute  consolation,  l'enseignement 
du  pasteur  et  la  présence  aux  assemblées ,  voilà  quelle 
était  leur  vie. 

«...  Je  fis  dresser,  raconte  Court,  un  lit  de  camp  dans  un 
torrent  et  au-dessous  d'un  rocher.  L'air  nous  servait  de  rideaux 
et  des  branches  feuillées  soutenues  par  des  perches  traversées 
nous  servaient  de  ciel.  C'est  là  que  nous  campâmes  près  de  huit 
jours  ;  c'étaient  là  nos  salles,  nos  parterres  et  nos  cabinets.  Pour 
ne  pas  laisser  écouler  le  temps  inutilement  et  pour  exercer  nos 
proposants,  je  leur  donnai  un  texte  de  l'Ecriture  sainte  pour  y 
faire  des  réflexions.  Ce  fut  les  onze  premiers  versets  du  cin- 
quième chapitre  de  saint  Luc.  Il  ne  leur  était  permis  ni  de  se 
communiquer  leurs  lumières  les  uns  aux  autres,  ni  de  se  servir 
d'autres  secours  que  de  la  Bible.  Aux  heures  de  récréation, 
je  leur  proposais  tantôt  un  point  de  doctrine  à  exphquer,  tantôt 
un  passage  de  l'Ecriture,  tantôt  un  précepte  de  morale,  tantôt 
je  leur  donnais  des  passages  à  concilier.  Et  voici  la  méthode 
dont  je  me  servais.  Dès  avoir  proposé  la  question,  je  demandais 
au  plus  jeune  son  sentiment,  et  par  rang  de  l'un  à  l'autre,  jus- 
qu'au premier.  Après  que  chacun  avait  dit  ce  qu'il  en  pensait, 
je  m'adressais  de  nouveau  au  plus  jeune  pour  lui  demander  s'il 


EXAMENS  80 

n'avait  point  d'objections  à  faire  au  sentiment  des  autres,  et 
ainsi  de  l'un  à  l'autre.  Après  qu'ils  s'étaient  combattus,  je  leur 
donnais  le  sens  que  je  concevais  sur  la  matière  proposée. — 
Quand  leurs  propositions  furent  prêtes,  on  traversa  une  perche 
sur  deux  pieux  forcheux,  qui  dans  cette  occasion  leur  servit  de 
chaire  pour  la  prêcher.  Quand  l'un  l'avait  rendue,  je  demandais 
à  tous  les  remarques  qu'on  y  avait  faites,  observant  la  méthode 
ci-dessus  exprimée  ^..  » 

Le  proposant  ne  restait  pas  toujours  sous  la  tutelle 
du  pasteur.  Au  bout  de  quelque  temps,  on  l'envoyait 
seul  en  mission  dans  les  églises  qu'il  avait  déjà  visi- 
tées.  Alors  il  pouvait  prêclier.  On  le  tenait  toutefois 
encore  en  telle  suspicion,  qu'on  ne  l'autorisait  à  prê- 
cher que  des  sermons  imprimés,  ou,  s'il  en  avait  fait 
de  sa  propre  composition,  examinés  par  des  personnes 
choisies  dans  le  Synode  ^  On  savait  par  expérience 
dans  quels  ég*arements  de  doctrine  et  d'imagination 
étaient  tombées  et  pouvaient  tomber  ces  jeunes  intelli- 
gences. 

Lorsque  le  proposant  avait  en  différentes  occasions 
prouvé  qu'il  était  à  la  hauteur  de  sa  vocation,  s'il  le 
demandait,  il  était  reçuprédicant.  Pour  obtenir  ce  titre, 
il  lai  fallait  subir  un  examen.  A  la  tenue  du  Synode 
il  se  présentait  devant  le  modérateur  et  les  députés.  Il 
avait  à  répondre  à  certaines  questions  de  doctrine  et 
de  morale.  «  Etablissez  l'existence  de  Dieu,  »  lui 
disait-on,  et  en  même  temps  on  lui  faisait  des  objec- 
tions de  ce  genre  :  «  Cette  idée  n'est-elle  pas  le  fruit 
de  l'éducation  que  nous  ont  donnée  nos  pères,  de  l'in- 

'  N"  7,  1. 11,  p.  301. 

2  N"  17,  vol.  G,  p.  34.  Synode  de  1719. 


86  EXAMENS 

vention  de  quelques  politiques,  de  la  crainte  des  hom- 
mes ?  Cette  idée  vient  du  cœur,  mais  le  cœur  est  cor- 
rompu, et  il  ne  sort  rien  de  Lon  du  cœur;  cette  idée 
n'est  donc  pas  bonne?  »  On  l'interrogeait  aussi  sur  la 
création  du  monde,  le  péclié,  la  divinité  de  Jésus- 
Christ,  sa  mort  et  sa  résurrection,  la  Trinité,  la  Pro- 
vidence, l'Eglise,  les  assemblées,  la  divinité  des  Ecri- 
tures \ 

Cependant  on  ne  fit  subir  des  examens  semblables 
que  plus  tard,  vers  1725,  et  quand  les  examinateurs 
commencèrent  eux-mêmes  à  posséder  quelques-unes  de 
ces  questions.  Dans  les  premiers  temps,  on  ne  récla- 
mait que  beaucoup  de  zèle  et  la  connaissance  de  l'E- 
criture sainte'.  On  leur  demandait  particuHèrement  s'ils 
s'engageaient  à  maintenir  les  règlements  et  la  disci- 
pline des  éghses,  et  s'ils  promettaient  de  vivre  et  de 
mourir   pour   la  défense  des   quarante  articles  de  la 
confession  de  foi.  C'était  tout.   L'examen  terminé,  le 
modérateur  s'approchait  et  au  milieu  d'un  profond  si- 
lence faisait  une  exhortation  ^  La  cérémonie  se  termi- 

i  j^o  7^  i  11^  p.  157.—  V.  aussi  Pièces  et  documents,  n"  V,  de  quoi 
se  composa  Texamen  de  Roux. 

2  «  On  ne  recevra  aucun  pasteur  dans  l'Eglise  qu'après  un  sérieux 
examen  de  sa  doctrine  et  de  ses  mœurs,  selon  les  préceptes  de  saint 
Paul,  le  docteur  des  nations,  et  selon  la  règle  de  la  discipline  ecclé- 
siastique des  Eglises  réformées  de  France,  h  laquelle  nous  nous  con- 
formons le  mieux  qu'il  nous  est  possible.  Ainsi,  la  compagnie  des 
pasteurs  a  arrêté  que  ceux  qui  seront  admis  dans  cette  sainte  charge 
doivent  avoir  le  témoignage  de  mener  une  vie  irréprochable,  et  pos- 
séder les  lumières  et  les  connaissances  requises  pour  s'acquitter  d'un 
si  glorieux  emploi,  et  puisque  dans  ce  temps  de  calamité  nous  rece- 
vons des  pasteurs  qui  n'ont  pas  acquis  l'intelligence  des  langues  par 
l'étude,  au  moins  faut-il  qu'ils  aient  les  qualités  ci-dessus  désignées.  » 
Synode  du  7  février  1718, 

s  Voici  un  fragment  d'un  di.scours  de  consécration  prononcé  par  An- 


LE  PRÉDICANT,  LE  PASTEUR  87 

liait  par  la  prière,  par  des  applaudissements,  des  féli- 
citations et  des  embrassements  réciproques. 

Les  fonctions  du  prédicant  se  rapprochaient  beau- 
coup de  celles  du  pasteur.  Comme  eux  ils  prêchaient, 
couraient  le  pays,  convoquaient  les  assemblées,  org-a- 
nisaient  les  Consistoires,  faisaient  respecter  les  règ'le- 
ments.  Ceci  seul  les  disting-uait,  c'est  que  n'ayant  pas 
reçu  l'imposition  des  mains,  il  ne  leur  était  pas  permis 
d'administrer  les  sacrements  et  de  donner  la  Cène.  Un 
des  prédicants, —  Vesson, —  se  permit  un  jour  d'offrir 
la  communion  ;  on  lui  en  fît  un  crime,  et  ce  ne  fut  pas  le 
moindre  des  griefs  qui,  plus  tard,  le  firent  «  déposer.» 
Les  pasteurs,  —  et  pendant  long-temps  on  ne  compta 
dans  ce  corps  que  Corteiz,  Rog*er  et  Court, — avaient  seuls 
le  droit  de  s'acquitter  de  toutes  les  fonctions  pastorales. 

Malgré  ces  degrés,  un  peu  trop  marqués  peut-être, 
et  qui  dans  la  pratique  s'effaçaient  souvent,  il  n'y 
avait  personne  qui  eût  le  droit  de  s'attribuer  une  supé- 
riorité quelconque.  L'égalité  était  absolue.  «  Que  si 
vous  remarquez  quelque  différence  dans  la  conduite 
que  nous  tenons,  disait  Court,  vous  le  savez,  cela  n'ar- 
rive que  par  l'obligation  où  nous  sommes  d'administrer 


toine  Court :«0 Dieu!  que  ton  amour  et  ta  sagesse  sont  incompréhensi- 
bles. Tu  suscites  pour  l'instruction  et  la  consolation  de  tes  Eglises 
affligées  des  jeunes  gens  sans  études,  sans  secours,  sans  moyens,  qui 
nous  éditient  et  qui  nous  charment  par  des  réponses  pleines  d'onction 
et  de  sagesse,  et  qui  sont  tout  prêts,  non-seulement  h  prêcher  ta  pa- 
role au  milieu  des  dangers  et  des  périls  qui  les  menacent  au  milieu 
d'une  violente  et  dure  persécution,  mais  encore  à  sceller  de  leur  sang 
les  vérités  de  ton  Evangile.  Il  ne  faut  pas  moins  que  ta  dextre  pour 
faire  des  choses  si  grandes  et  si  miraculeuses,  et  que  ton  amour  pour 
veiller  d'une  manière  si  distinguée  i\  notre  salut....  »  N°  7,  t.  II, 
p.  164. 


88  TRAITEMENT  DES  PREDICANTS 

la  sainte  Cène.  Plut  au  ciel  que  tous,  autant  que  nous 
sommes,  eussions  reçu  l'entière  ordination  pour  être 
en  état  de  remplir  toutes  les  fonctions  du  ministère 
évang'élique,  et  qu'il  me  soit  permis  de  vous  exhorter 
ici,  mon  clier  frère,  d'aspirer  à  cette  sainte  vocation  ^.y> 
Au  début ,  lorsque  Court  commença  à  prêcher, 
les  prédicants  n'étaient  pas  payés  ;  ils  vivaient  où  le 
hasard  de  leurs  courses  les  conduisait,  chez  les  fidèles 
qui  leur  offraient  un  gîte.  Quelquefois  ils  prenaient 
pour  eux  l'argent  des  collectes  faites  à  l'issue  des  as- 
semblées. Sommes  misérables  !  Que  pouvaient  donner 
les  pauvres  gens  qui  assistaient  à  ces  réunions?  Trois 
assemblées  produisirent  une  fois  un  sol  et  six  deniers. 
Mais  au  Synode  de  1719,  frappé  des  difficultés  de  leur 
position^  Court  proposa  d'assigner  des  émoluments  à 
ceux  des  prédicants  qui  étaient  mariés^.  Vesson  était 
accablé  de  dettes,  et  avait  une  nombreuse  famille  ;  la 
femme  de  Corteiz ,  à  Genève,  vivait  péniblement  un 
peu  à  la  charge  de  tous.  Court  obtint  pour  le  premier 
quelques  sacs  de  blé  et  de  châtaignes  avec  vingt  livres 
en  argent,  pour  le  second  cinquante  écus  qui  devaient 
être  payés  en  argent  et  répartis  sur  toutes  les  églises  ^ . 
11  n'osa  pas  toutefois  réclamer  un  traitement  pour  ses 
autres  collègues;  les  églises  n'étaient  pas  assez  riches. 
Cet  état  de  choses  dura  quelque  temps.  Court  raconte, 
non  sans  orgueil,  que  depuis  1713  jusqu'en  1723,  les 

1  N"  7,  t.  II,  p.  219. 

2  N°46,  cah.  IV. 

'•*  «  II  a  été  accordé  pour  la  subsistance  de  la  famille  de  Vesson,  six 
salmées  de  blé,  touzelle  et  seigle,  deux  salmées  de  châtaignes  blan- 
ches, et  trente  livres  d'argent,  qui  lui  seront  payées  par  quartiers, 
suivant  la  répartition  qui  lui  sera  faite.  » 


TRAITEMENT  DES  PREDICANTS  89 

deux  années  exceptées  qu'il  passa  à  Genève,  il  servit 
les  églises  de  France  sans  en  recevoir  un  denier.  Sa 
famille  et  quelques  particuliers  pourvurent  à  ses  be- 
soins. En  1721  cependant,  on  revint  sur  ce  sujet  et  on 
décida  que  les  Anciens  payeraient  aux  pasteurs  ce  qui 
leur  serait  nécessaire  pour  «  leur  couverture  et  leurs 
dépenses  V  »  Le  Synode  de  1723  précisa  davantage. 
Cent  livres  par  an,  dit-il,  payables  en  deux  payements 
ég'aux  seront  accordées  aux  proposants  qui  battront  la 
campagne,  cinquante  à  ceux  qui  ne  la  battront  point  ^. 
Mais  ce  mince  traitement  n'était  pas  toujours  compté. 
«  Ceux  qui  servent,  lit-on  quelque  part,  ne  furent  pas 
payés.  Ils  ont  perdu  30  pour  100,  et  le  reste  a  été 
payé  en  papier  ^  »  — Les  Anciens,  pour  surcroît,  se 
dispensaient  de  faire  les  collectes,  car  lorsqu'ils  se  pré- 
sentaient, on  leur  faisait  «  de  mauvais  compliments.  » 


S'il  y  avait  des  règlements  pour  les  prédicants  et  les 
Anciens,  il  y  en  avait  aussi  pour  les  fidèles  ;  le  même 
ordre  qui  rég^nait  parmi  les  chefs  devait  régner  dans 
le  troupeau. 

Une  des  questions  vitales  pour  le  protestantisme 
était  la  question  des  baptêmes  et  des  mariages  '• . 

1  N"  17,  vol.  G.  p.  381. 

2  Ihid.  Synode   de  1723. 

3  ^^"7,  t.  II,  p.  297.  Cela  ressemble  bien  peu  à  ce  que  devait  dire 
Fauteur  du  mémoire  de  1738  (V.  tome  II,  p.  427.)  «  Ensuite,  on  Tait 
courir  un  chapeau,  oti  chacun  met  pour  le  prédicant  ce  qu'il  juge  à 
propos.  Ces  sortes  de  quêtes  valent  souvent  plus  de  cent  écus,  et  voilà 
le  vrai  motif  qui  engage  ces  sortes  de  gens  k  hasarder  ce  métier  au 
risque  de  se  faire  pendre.  » 

'■*  Question  vitale  en  eflet,  et   tlont  les  conséquences  devaient  être 


90  BAPTEMES  ET  MARIAGES 

Avant  la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes,  les  reli- 
gionnaires,  on  le  sait,  se  mariaient  devant  leurs  pas- 
teurs; mais  depuis  la  Révocation,  privés  et  dépouillés 
de  leurs  anciens  droits,  ils  étaient  tenus  de  faire  bénir 
leurs  unions  et  de  faire  baptiser  leurs  enfants  à  l' égalise 
et  par  le  prêtre.  L'ordonnance  de  1715  avait  exicore 
aggravé  leur  position.  Convertis  au  catliolicisme  par 
arrêt  royal,  ils  étaient  désormais  obligés  de  se  conduire 
en  bons  et  fidèles  catholiques.  Ils  avaient  pu,  avant 
1715,  tout  en  bravant  les  édits  et  au  risque  d'encourir 
les  peines  édictées  contre  eux,  se  faire  marier  au  Dé- 
sert, dans  les  chapelles  des  ambassadeurs  ou  à  l'étran- 
ger. Ils  ne  le  pouvaient  maintenant.  Légalement  le 
protestantisme  n'existait  plus  en  France.  Tout  homme 
donc  qui  ne  se  mariait  pas  à  l'église  n'était  point 
marié,  partant  ne  mettait  au  monde  que  des  bâtards. 
Il  ne  leur  était  ainsi  permis  de  se  passer  du  prêtre 
qu'à  la  condition  de  perdre  toute  existence  légale  ^ . 

L'horreur  de  cette  situation  était  augmentée  par  les 
cruelles  formalités  qui  étaient  attachées  à  la  bénédiction 
du  mariage.  Le  clergé  avait  remarqué  que  la  grande 
masse  des  religionnaires,  pour  échapper  à  la  sévérité 
des  lois  ou  à  une  note  infamante,  s'étaient  soumis  à 

considéral)les!  (V.  tome  II,  chap.  ix,  p.  278.)  La  question  de  Tétat  civil 
prime  toutes  les  autres  au  dix-huitième  siècle.  Tout  y  aboutit,  tout 
en  découle.  Nous  aurons  occasion  d'y  revenir  plus  d'une  fois. 

'  De  l'excès  du  mal  devait  sortii"  une  amélioration.  Le  clergé  en 
vint  à  regretter  l'ordonnance  de  1715.  «  Auparavant  la  perversion 
était  sévèrement  ])unie,  disait  un  prêtre, on  en  avait  même  ôté  la  prin- 
cipale cause  en  défendant  et  en  déclarant  nuls  les  iiiariages  des  ca- 
tholiques avec  les  prétendus  réformés;  au  lieu  qu'aujourd'hui,  sur  le 
principe  qu'il  n'y  a  qu'une  seule  religion  en  France,  la  perversion  ne 
peut  être  constatée.  »  V,  tome  II,  p.  428. 


CRUELLES  FORMALITÉS  91 

ses  exig'ences  et  avaient  recfouru  à  son  ministère,  bien 
que  leur  abjuration,  conséquence  directe  de  leur  com- 
parution, ne  fut  sincère  en  aucune  façon.  Qu'avait-il 
donc  fait?  Désireux  d'éviter  à  tout  prix  la  profanation 
des  sacrements,  il  avait  résolu  de  ne  conférer  le  ma- 
riage qu'à  ceux  dont  les  sentiments  religieux  ne  lui 
seraient  pas  suspects  et  qui  auraient,  pendant  plusieurs 
mois,  donné  des  preuves  publiques  et  certaines  de 
catholicité.  Ici,  il  imposa  des  «  épreuves  »  de  quatre, 
six  et  douze  mois;  là,  avant  d'inscrire  sur  les  registres 
les  noms  des  conjoints,  il  exig-ea  d'eux  des  professions 
de  foi  écrites  ou  de  vive  voix  * . 

■«  Gomment  donner,  disait  un  prêtre,  un  sacrement  de  l'E- 
glise, et  un  sacrement  qui  suppose  la  grâce  et  une  conscience 
pure,  à  des  gens  qui  font  profession  de  ne  pas  croire  à  l'Eglise 

1  Voici  la  formule  d'abjuration  qui  était  imposée  en  Languedoc  aux 
nouveaux  convertis  :  «  Nous,  susdits...  croyons  de  ferme  foi  et  con- 
fessons tous  et  un  chacun  des  articles  contenus  au  symbole  de  la  foi 
duquel  use  la  sainte  Eglise  romaine...  Je  crois  en  Dieu,  le  Père  tout- 
puissant...  Je  crois  à  une  sainte  Eglise  catholique,  apostolique  et  ro- 
maine; je  confesse  un  seul  baptême  pour  la  rémission  des  péchés,  et 
attends  la  résurrection  des  morts  et  la  vie  des  siècles  à  venir.  Ainsi 
soit-il  !  —  Je  crois  et  embrasse  fortement  la  tradition  des  apôtres  et 
de  la  sainte  Eglise,  avec  toutes  les  constitutions  et  observances  d'i- 
celle.  J'admets  et  reçois  la  sainte  Ecriture  et  au  sens  que  cette  mère 
Eglise  tient  et  a  tenu,  à  laquelle  appartient  de  juger  de  la  vraie  in- 
telligence et  interprétation  de  ladite  Ecriture,  et  jamais  je  ne  la 
prendrai  ni  exposerai  que  selon  le  commun  accord  et  consentement 
unanime  des  Pères.  Je  confesse  qu'il  y  a  sept  sacrements  de  la  loi 
nouvelle,  vraiment  et  proprement  ainsi  appelés,  institués  par  notre 
Seigneur  J.-C,  et  nécessaires,  mais  non  pas  tous  à  chacun,  pour  le 
salut  du  genre  humain,  lesquels  sont  :  le  baptême,  la  confirmation, 
la  sainte  eucharistie,  la  pénitence,  l'extrême-onction,  l'ordre  et  le 
mariage,  et  par  iceux  que  la  grâce  nous  est  conférée,  et  que  d'iceux 
le  baptême,  la  confirmation  et  l'ordre  ne  se  peuvent  réitérer  sans  sa- 
crilège. —  Je  crois  aussi  et  admets  les  cérémonies  approuvées  par 
l'Eglise  catholique  et  usitées  en    l'administration  solennelle   desdits 


92  PROFESSIONS  DE  FOI 

et  qui  ne  donnent  aucune  marque  de  catholicité?...  Aussi  exige- 
t-on  partout  quelque  temps  d'épreuve,  pendant  lequel  on  instruit 
les  fiancés  ;  on  exige  ensuite  une  profession  de  foi  par  laquelle 
ils  disent  qu'ils  croyent  tout  ce  que  l'Eglise  catholique,  apos- 
tolique et  romaine  croit  et  enseigne,  et  qu'ils  condamnent  tout 

sacrements.  —  Je  crois  aussi  et  embrasse  tout  ce  qui  a  été  défini  et 
déterminé  par  le  saint  Concile  de  Trente  touchant  le  péché  originel 
et  la  justification.  —  Je  reconnais  qu'en  la  sainte  messe  l'on  oftre  à 
Dieu  un  vrai,  propre,  propitiatoire  sacrifice  pour  les  vivants  et  pour 
les  morts,  et  que  le  corps  et  le  sang-  avec  l'âme  et  la  divinité  de  J.-C, 
est  vraiment,  réellement,  substantiellement  au  très-saint  sacrement 
de  l'eucharistie,  et  qu'en  icelui  est  faite  une  conversion  de  toute  la 
substance  du  pain  au  corps  et  du  vin  au  sang,  laquelle  conversion 
l'Eglise  romaine  appelle  transsubstantiation.  —  Je  confesse  qu'il  y  a 
un  purgatoire  oti  les  âmes  détenues  peuvent  être  soulagées  par  les 
suffrages  et  les  bienfaits  des  fidèles.  — '  J'avoue  qu'on  doit  honorer 
et  invoquer  les  saints  bienheureux  et  régnants  avec  J.-C,  lesquels 
prient  et  off'rent  à  Dieu  leurs  oraisons  pour  nous,  et  desquels  on  doit 
vénérer  les  saintes  reliques;  comme  aussi  que  l'on  doit  avoir  et  rete- 
nir les  saintes  images  de  J.-C,  et  de  sa  bienheureuse  mère,  perpétuel- 
lement vierge,  et  des  autres  saints  et  saintes,  en  leur  faisant  l'hon- 
neur et  la  révérence  qui  leur  appartient.  —  Je  confesse  que  notre  dit 
rédempteur  J.-C.  a  laissé  à  son  Eglise  la  puissance  des  indulgences 
et  que  l'usage  en  est  très-salutaire  au  peuple  chrétien.  Je  reconnais  la 
sainte  Eglise  catholique,  apostolique  et  romaine,  mère  et  supérieure 
de  toutes  les  Eglises.  Je  promets  une  entière  obéissance  au  pape  et 
saint-père,  à  Rome,  successeur  de  saint  Pierre,  chef  et  prince  des 
apôtres  et  vicaire  de  J.-C.  J'approuve  sans  aucun  doute  et  fais  pro- 
fession de  tout  ce  qui  a  été  décidé,  déterminé,  déclaré  par  les  saints 
canons  et  conciles  généraux,  et  spécialement  par  le  Concile  de  Trente, 
et  rejette  et  réprouve  tout  ce  qui  leur  est  contraire,  et  toutes  hérésies 
condamnées  et  rejetées  et  anathématisées  par  l'Eglise...  — Nous, 
tel...  et  telle...  promettons,  vouons  et  jurons  sur  ces  saints  Evangiles 
de  persister  entièrement  et  inviolablement  jusqu'au  dernier  soupir 
de  notre  vie,  moyennant  la  grâce  de  Dieu,  en  cette  foi  catholique,  hors 
de  laquelle  il  n'y  a  point  de  salut  et  nul  ne  se  peut  sauver,  et  tout 
présentement  nous  faisons,  sans  aucune  contrainte,  profession,  et, 
tant  qu'il  nous  sera  possible,  la  ferons  tenir,  garder,  observer  et  pro- 
fesser par  tous  ceux  desquels  nous  aurons  charge  en  notre  maison  et 
état.  Ainsi,  Dieu  soit  en  notre  aide  et  en  saints  Evangiles,  sur  lesquels 

nous  le  promettons,  en  faisant  serment  entre  les  mains  de  messire 

vicaire  général  et  officiai,  à....,  le » 


INFRACTIONS  A  LA  LOI  93 

ce  qu  elle  condamne,  et  promettent  de  vivre  et  mourir  dans 
cette  foi  K  » 

Voilà  où  en  étaient  réduits  les  religionn aires.  Il  leur 
fallait  ou  mentir  et  se  parjurer,  ou  vivre  sans  exis- 
tence lég'ale  et  comme  en  dehors  de  la  société. 

Si  cruelle  que  fût  cette  dernière  alternative,  plus 
d'un  aima  mieux  s'y  soumettre  que  plier  les  genoux 
devant  les  autels  d'une  religion  qu'il  abhorrait. 

«  Je  crois,  écrivait  déjà  en  1711  le  curé  de  Saint-Jean-d'Angély, 
qu'il  est  de  mon  devoir  de  vous  représenter  qu'il  s'est  fait  dans 
une  paroisse  trois  mariages  de  nouveaux  convertis  qui  scanda- 
lisent les  anciens  catholiques  et  sont  d'un  pernicieux  exemple 
pour  les  N.  G.  Jusqu'ici  retenus,  ils  s'étaient  beaucoup  obser- 
vés se  tenant  dans  la  soumission.  A  présent  ils  ne  gardent 
plus  de  mesure,  s'imaginant,  sur  l'impunité  de  ceux  qui  ont 
contracté  de  semblables  mariages,  qu'ils  ont  toute  sorte  de  li- 
berté, et  qu'on  n'est  plus  en  droit  de  s'embarrasser  s'ils  font 
leur  devoir  ^.  » 

Et  Chamilly  écrivait  encore  de  la  Rochelle,  en  1713  : 

«  Les  prétendus  réformés  se  marient  aujourd'hui  ainsi  qu'a- 
vant la  révocation  de  l'Eclitde  Nantes.  Toute  la  différence  qu'il 
y  a,  c'est  qu'ils  contractaient  validement  autrefois,  quant  aux 
effets  civils,  en  observant  ce  qui  était  prescrit  par  les  ordon- 
nances royales;  au  lieu  qu'aujourd'hui,  le  roi  ayant  abrogé 
ces  ordonnances  par  la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes,  et  ne 
se  mariant  pas  en  présence  de  leurs  ministres,  leurs  mariages 
sont  clandestins  selon  les  lois  de  l'Eglise  et  de  l'Etat  ^.  » 

Ces  infractions  à  la  loi  furent  même  assez  nom- 


1  V.  tome  II,  p.  421. 

2  Bibliothèque  nationale,  Mss.  n"  7046,  p.  12.  (Août  1711.) 
^  Ibid.,  p.  22.  (1713.) 


94  INQUIÉTUDE  DE  LA  COUR 

breuses  pour  que  la  cour  s'en  inquiétât  sérieusement. 
Elle  comprenait  en  effet  que  si  ces  fâcheux  exem- 
ples se  g'énéralisaient ,  c'étaient  d'inextricables  diffi- 
cultés qui  se  préparaient  pour  l'avenir  ;  que  l'Eglise 
ne  regarderait  jamais  ces  mariag-es  comme  valides,  à 
moins  qu'ils  ne  fussent  de  nouveau  célébrés  en  pré- 
sence du  prêtre  et  sous  les  conditions  fixées  par  les 
canons;  et  que,  si  ces  religionnaires  dont  elle  niait 
officiellement  l'existence,  mais  dont  elle  n'ig*norait 
pas  le  nombre,  prenaient  décidément  le  parti  de  se 
passer  des  sacrements  de  l'Eglise,  elle  aurait  un  jour 
devant  elle  une  multitude  d'hommes  dont  les  mariages 
seraient  appelés  concubinages  et  les  enfants  bâtards, 
qui  ne  pourraient  ni  tester  ni  hériter,  et  qui  vivraient 
en  France,  dans  le  royaume,  quoique  Français  et  quoi- 
que sujets,  hors  la  société  et  comme  des  parias  ^ 

Pour  être  fondées,  ses  craintes  étaient  cependant  à 
cette  époque  singulièrement  prématurées.  Si  les  infrac- 
tions à  la  loi  que  Itii  signalaient  ses  intendants  n'étaient 
point  rares,  elles  n'étaient  pas  en  nombre  si  consi- 

1  Le  maréchal  de  Chamilly  posait  très-bien  dans  son  rapport  les 
termes  du  problème  qui  devait  se  débattre  plus  tard  (V.  Bibliothè- 
que nationale,  Mss.  n'^  7046,  p,  22.)',  et  il  n'était  pas  le  seul.  Plusieurs 
mémoires  furent  composés  sur  ce  sujet  et  communiqués  à  d'Aguesseau 
qui,  d'un  trait,  indiqua  résolument  le  remède  : 

«  Le  mariage  est  aussi  le  contrat  le  plus  important  de  tous  ceux 
qui  se  passent  dans  la  société.  Le  Roi  en  est  le  maître,  et  peut  y  éta- 
blir telle  règle  que  Sa  Majesté  jugera  à  propos,  par  rapport  aux  effets 
civils  au  moins;  mais  pour  le  faire  avec  toute  la  circonspection  que  la 
chose  le  mérite,  il  sera  nécessaire  de  demander  l'avis  des  principaux 
magistrats  du  parlement  de  Paris  et  de  ceux  des  provinces,  tant  sur 
les  causes  de  cette  nature  qui  s'y  sont  présentées  et  qui  y  ont  été 
jugées  ou  qui  y  sont  encore  pendantes,  que  sur  les  règles  générales 
qui  y  pourront  être  établies.  »  Bibliothèque  nationale,  Mss.  n"  7046, 
p.  26. 


CRAINTES  PRÉMATURÉES  95 

dérable  qu'elle  dût  en  prendre  déjà  l'alarme.  Elles 
n'étaient  qu'un  symptôme  :  le  mal  n'avait  pas  encore 
de  profondes  racines.  Ce  fut  seulement  vers  1730  que 
les  mariages  se  multiplièrent  au  Désert,  et  que  la 
totalité  des  protestants  prit  la  résolution  de  se  marier 
en  présence  des  prédicants.  L'abbé  de  Caveirac  devait 
même  assigner  «  à  cette  grande  licence  »  une  date 
plus  reculée,  l'année  1743.  «  Avant  ce  temps,  dit-il, 
il  y  avait  bien  quelques  mariages  de  la  même  espèce, 
mais  c'était  dans  les  montagnes  du  Vivarais  et  dans  les 
Ce  venues,  et  en  si  petite  quantité  qu'ils  ne  faisaient 
pas  de  sensations  dans  le  royaume  K  »  La  vérité  est, 
qu'en  1715,  à  la  mort  de  Louis  XIV,  et  sous  laEégence, 
la  plupart  des  religionnaires  reculaient  devant  la  note 
infamante  dont  on  les  menaçait,  qu'ils  se  soumettaient 
à  toutes  les  exigences  du  prêtre,  et  que  c'était  bien  à 
l'église  qu'ils  allaient  faire  bénir  et  légitimer  leurs 
unions.  Chacun,  il  est  vrai,  essayait  d'atténuer  en 
quelque  manière  l'horreur  des  conditions  qui  lui  étaient 
imposées.  Ceux-ci  affectaient  de  railler  les  cérémonies 
auxquelles  ils  assistaient,  et  ceux-là  g^agnaient  un 
prêtre  à  prix  d'argent  pour  qu'il  les  en  dispensât.  «  Ils 
disent,  écrivait  le  Père  Guerrier,  qu'ils  trouvent  des 
curés  qui  à  la  vérité  se  font  bien  payer,  mais  qui  les 
marient  pour  leur  argent.  L'on  m'écrit  qu'ils  se  font 
donner  jusqu'à  quinze  pistoles.  Il  est  triste  qu'il  se 


'  Mémoire  politico-critique^  où  Von  examine  s'il  est  de  Vintérêt 
de  VEglise  et  de  VEtat  d'établir  pour  les  calvinistes  du  royaume 
une  nouvelle  forme  de  se  marier^  et  où  Von  réfute  V écrit  qui  a  pour 
titre  :  Mémoire  théologique  et  politique  au  sujet  des  mariages 
clandestins  des  protestants^  p.  19,  iii-8.  (175G.) 


06  COURT  ET  LES  SYNODES 

trouve  des  curés  qui  fassent  ces  sortes  de  mariages 
qui,  étant  contre  les  dispositions  des  saints  canons,  font 
tort  à  l'Eglise  et  à  l'Etat  i.  »  Et  en  1710  déjà,  n'était- 
ce  pas  un  évêque,  l'évêque  de  Gap,  qui  dénonçait  lui- 
même  trente  mariag'es  de  cette  espèce  bénis  dans  une 
seule  de  ses  paroisses?...  Quoi  qu'il  en  soit,  la  cour 
devait  être  sans  inquiétude.  Il  n'y  avait  guère  que 
«  les  gens  du  menu  »  qui  bravassent  l'autorité  royale, 
et  se  fissent,  au  mépris  des  ordonnances,  marier  au 
Désert.  Tous  ceux  qui  avaient  quelque  soin  de  leur  for- 
tune et  de  leur  établissement  consentaient  encore  aux 
épreuves,  à  l'abjuration,  et  ne  négligeaient  pour  arriver 
à  leurs  fins  aucune  des  formalités  que  le  clerg'é  avait 
prescrites  contre  eux. 

C'est  précisément  contre  cette  condescendance  et 
«  cette  lâcheté  »  fatale  au  protestantisme  qu'Antoine 
Court  et  les  Synodes  s'élevèrent,  dès  la  première  heure, 
avec  une  très-gTande  force.  Quoi  donc!  Etait-ce  tout 
que  de  se  rendre  aux  assemblées  !  Leur  courage  n'al- 
lait-il qu'à  venir  entendre  le  prédicant,  et  leur  vertu 
qu'à  pleurer  publiquement  sur  «  leurs  péchés?  »  Etaient- 
ils  protestants  ou  non?  S'ils  l'étaient,  qu'ils  jetassent 
donc  le  masque  de  nouveaux  convertis  !  A  cette  heure 
terrible  où  se  débattaient  les  destinées  de  la  Réforme 
française,  il  fallait  hardiment  se  rang-er  dans  un  camp 
ou  dans  l'autre,  et  dùt-on  perdre  l'honneur,  la  fortune 
et  la  vie,  marcher  résolument  derrière  le  drapeau  qu'on 
s'était  choisi. 

Il   était    expressément    défendu    aux    religionnai- 

1  Bibliothèque  nationale,  Mss.  n"  7046,  p.  12. 


RÈGLEMENTS  SYNODAUX  97 

res  de  se  marier  à  l'église  et  d'y  faire  baptiser  leurs 
enfants.  Ils  étaient  au  contraire  exhortés  à  se  servir 
«  des  moyens  que  la  Providence  leur  fournissait  par  le 
ministère  de  leurs  pasteurs  légitimement  appelés  dans 
l'église  ^  »  Pour  les  baptêmes,  lorsque  le  prêtre  deman- 
dait aux  parents  si  leur  enfant  était  baptisé,  les  parents 
devaient  répondre  affirmativement  et  s'opposer  à  ce 
qu'il  fut  rebaptisé  par  le  curé  \  Les  mariages  enfin, 
—  et  on  revint  sur  ce  sujet, —  ne  pouvaient  être  bénis 
par  les  prêtres  de  l'Eglise  romaine.  Les  mariages 
mixtes,  «  big-arrés,  »  étaient  également  interdits.  Le 
Synode  de  1722  donna  ordre  à  tous  les  Anciens  d'avoir 
une  attention  particulière  sur  la  jeunesse  pour  empê- 
cher, autant  que  possible,  qu'elle  se  «  polluât  par 
mariage  avec  la  partie  contraire  ^  » 
Les  mariages,  à  cette  époque,  se  faisaient  en  géné- 

1  N"  7,  t.  III,  p.  47.  Synode  de  1719.  —  On  revint  bien  des  fois  sur 
cette  grave  et  importante  question.  «  Le  20  mai  1723,  nous  assem- 
blâmes en  Synode,  dit  Corteiz,  les  prédicateurs  et  les  Anciens  dépen- 
dant des  Synodes  de  la  montagne.  La  question  affligeante  qui  entre- 
tint fort  longtemps  l'assemblée  synodale,  ce  fut  de  ne  point  se  marier 
dans  TEglise  de  Rome.  Le  dessein  est  très-bon,  mais  l'exécution  dif- 
iicile  quand  on  n'est  pas  soutenu  par  le  magistrat,  ou  plutôt  que  le 
magistrat  fait  la  guerre  et  persécute  la  personne  fidèle.  La  chose  fut 
pourtant  décidée  de  ne  point  se  marier  dans  l'Eglise  romaine,  et 
principalement  à  cause  des  abjurations  horribles  exigées  par  icelle.  Il 
faut  donc  se  délibérer  de  faire  la  volonté  de  Dieu  et  de  sortir  de  Ba- 
byione,  et  les  prédicateurs  de  se  faire  devoir  d'y  exhorter  le  peuple, 
montrant  à  la  jeunesse  la  nécessité  de  garder  la  pureté  de  la  foi  et 
l'innocence,  sortir  du  royaume,  ou  bien,  si  l'on  veut  rester,  se  marier 
par  ceux  qu'on  reconnaît  pour  ses  légitimes  pasteurs,  sans  avoir  égard 
ni  à  la  confiscation  des  biens,  ni  aux  misères  de  la  vie,  ni  aux  empri- 
sonnements, ni,  en  un  mot,  à  toutes  les  peines  que  l'Eglise  romaine 
inflige  h  ceux  qui  ne  veulent  pas  encenser  la  Bête.  » 

2  N"  1,  t.  II.  p.  21. 

-^  N"  7,  t,  I,  p.  322. 


9§  CÉRÉMONIES  DU  BAPTÊME 

rai  au  Désert,  les  baptêmes  rarement  ;  le  prédicant 
baptisait  plus  souvent  dans  des  maisons  isolées  et  dans 
des  fermes.  On  sait  peu  de  chose  sur  la  façon  dont  se 
pratiquaient  ces  deux  cérémonies;  pour  en  connaître 
le  détail,  il  faut  voir  ce  qui  eut  lieu  plus  tard,  en  1743. 
Il  est  cependant  à  peu    près   certain   qu'on  agissait 
alors  comme    on    agit   dans    la    suite.    Quand   il   y 
avait  promesse   de  mariage,   le  ministre  l'annonçait 
publiquement  au  Désert  devant  les  fidèles,  et  s'il  n'y 
avait  ni  opposition  ni  protestation,  il  procédait  à  la 
bénédiction,  suivant  la   forme   ordinaire  des  Eglises 
réformées.  Il  marquait  la  date  de  la  cérémonie  sur 
un  registre  qu'il  portait  avec  lui  et  délivrait  un  cer- 
tificat aux  nouveaux  mariés.  Lorsqu'il  s'agissait  d'un 
baptême,  le  ministre  faisait  promettre  au  père  et  à  la 
mère  de  ne  point  consentir  à  ce  que  leur  enfant  fût 
rebaptisé,  afin  d'éviter  la  profanation  c<  du  nom  adora- 
rable  de  la  très-sainte  Trinité,  le  mépris  du  saint  bap- 
tême et  le  scandale  qu'il  y  aurait  dans  la  réitération 
de  ce  saint  sacrement.  »  Cette  promesse  faite,  il  répan- 
dait l'eau  baptismale  sur  le  front  de  l'enfant.  Le  nom 
de  ce  dernier,  ceux  du  parrain  et  de  la  marraine,  ainsi 
que  du  père  et  de  la  mère  étaient  ensuite  inscrits  sur 

son  registre  ^ 

Ce  n'était  pas  sans  danger  que  ces  cérémonies  avaient 
lieu.  En  1720,  la  femme  d'un  Ancien  vint  à  accoucher. 
Son  mari,  craignant  les  espions  et  le  curé,  l'avait  en- 
voyée hors  de  la  maison,  dans  une  ferme  isolée,  pour 
y  faire  ses  couches.  Dès  que  l'enfant  fut  venu  au  monde, 

1  V.  Bullet.,  t.  Xill,  p.  12. 


ET  DU  MARIAGE  99 

Corteiz  le  baptisa  et  huit  jours  après  la  mère,  quoique 
fatiguée  et  encore  souffrante,  rentra  au  log'is.  A  peine 
était-elle  de  retour,  que  le  prêtre  fît  dire  au  mari  qu'il 
savait  tout  et  qu'il  le  priait  de  lui  communiquer  le 
«  baptistoire  »  de  son  enfant.  L'Ancien  demanda  un 
entretien  particulier,  refusa  d'indiquer  en  quel  lieu  sa 
femme  s'était  accouchée,  mais  avoua  que  l'enfant  était 
baptisé  et  qu'un  prédicant  avait  présidé  la  cérémonie. 
Grand  embarras.  Le  curé  répliqua  qu'il  ne  pouvait 
éviter  de  rebaptiser  l'enfant.  Le  père,  homme  rude  et 
zélé,  arg'umenta,  réclama,  et  déclara  finalement  que 
s'il  ne  pouvait  rien  empêcher,  il  ne  livrerait  pas  du 
moins  son  enfant  sans  protester  devant  Dieu  et  de- 
vant les  personnes  présentes  qu'il  était  déjà  baptisé, 
et  qu'il  ne  consentait  pas  qu'on  lui  administrât  un 
second  baptême.  La  journée  se  passa  sans  nouvel  inci- 
dent. Le  lendemain,  le  curé  accompagné  d'une  femme 
arriva  dans  la  maison  paternelle,  s'empara  de  l'enfant, 
et  malgré  les  protestations  de  l'Ancien,  emporta  le 
nouveau-né  et  le  rebaptisa  K 

Cette  misérable  comédie  autour  d'un  berceau  se  re- 
produisit souvent.  Que  de  fois  on  vit  de  scènes  sembla- 
bles !  Il  est  facile  dès  lors  de  comprendre  quelle  inflexi- 
bilité il  fallut  montrer  pour  imposer  ces  règlements 
aux  religionnaires.  On  en  fut  réduit  à  les  placer  dans 
cette  dure  alternative  ou  de  sortir  de  l'Eglise,  ou  de  se 
soumettre  à  la  discipline  qu'elle  avait  instituée. 

Si  malgré  les  défenses  synodales,  quelqu'un  se  ma- 
riait dans  l'Eglise  romaine  ou  y  faisait  baptiser  ses 

1  N°  1,  t.  n,  p.  -^62.  (1720.) 


1(K)  PEIiNl':S  DISCIPLINAIRES 

enfants,  il  était  aussitôt  exclu  de  la  sainte  Cène.  Il 
ne  pouvait  être  réintégré  dans  ses  droits  qu'après  avoir 
témoig*né  publiquement  dans  une  assemblée,  au  pied 
de  la  table  sainte  et  les  g-enoux  en  terre,  son  reg"ret 
d'être  entré  dans  une  église  «  impure,  »  et  de  s'être 
incliné  «  devant  un  prêtre  idolâtre.  »  Si  quelqu'un 
sig-nait  l'abjuration  exigée  par  certains  prêtres,  il  était 
une  première  fois  excommunié  pour  dix  mois.  Si,  par 
un  second  mariage,  il  retombait  dans  la  même  faute, 
il  était  tenu  indigne  d'être  membre  de  l'Egdise  et 
excommunié  dans  les  assemblées  publiques.  Cette 
excommunication  ne  pouvait  être  levée  que  lorsque  le 
coupable  donnait  des  sig'nes  non  équivoques  de  repen- 
tance  et  avait  manifesté  sérieusement  le  désir  de  ren- 
trer c(  dans  la  paix  de  l'Eglise  \  » 

Quelques  fidèles,  indécis,  voulaient  biaiser,  cher- 
cliaient  des  échappatoires.  Ils  disaient  pour  leur  dé- 
fense que  c'était  leur  corps  seulement  qui  fléchissait 
devant  l'idole,  non  leur  âme ,  qu'ils  ne  varieraient 
plus,  que  c'était  une  parenthèse  dans  leur  vie.  «  Pa- 
renthèse !  leur  répondait- on.  Dieu  veut  que  nous  le 
glorifions  en  nos  corps  et  en  nos  esprits.  C'est  le  ten- 
ter que  d'espérer  de  se  relever;  aller  sciemment  dans 
le  péché,  c'est  ignorer  si  on  en  sortira  ^  »  Et,  lorsqu'on 
passait  outre,  l'article  du  règlement  était  sévèrement 
appliqué.  C'est  ainsi  qu'un  jour,  dans  une  grande  as- 
semblée, Corteiz  refusa  de  donner  la  communion  aux 
personnes  qui  s'étaient  mariées  dans  l'Eglise  romaine. 
«  Elles  furent  fort  consternées,  dit-il,  quand  elles  en- 

1  N"  7,  t.  III,  p.  47.  Synode  de  1719 

2  N"  17,  vol.  a.  (1721) 


ZV^'^ 


SCHISME  DE  HUC-MAZEL  loi 

tendirent  que  ceux  qui  avaient  fait  infraction  en  se 
mariant  à  la  messe  devaient  faire  reconnaissance  pu- 
blique. » 

La  sévérité  devait  s'exercer  avec  d'autant  plus 
d'éclat,  que  quelques-uns,  et  ce  n'étaient  pas  les 
■moindres,  faisaient  preuve  d'une  plus  grande  condes- 
cendance. Un  prédicant  qui  avait  collaboré  à  la  rédac- 
tion des  règ'lements,  non-seulement  ne  prohibait  pas 
les  mariages  à  l'Eg'lise,  mais  encore  les  tolérait  et  les 
encourageait.  C'était  Jean  Hue.  Cet  homme  qui  avait, 
à  son  retour  de  Genève,  passé  quelque  temps  à  Mont- 
pellier, avait  été  dans  cette  ville  entretenu  par  des 
catholiques  ;  il  avait  là  probablement  puisé  certaines 
doctrines  sur  la  résurrection  un  peu  hasardées  et  qui 
devaient  plus  tard  inquiéter  ses  collèg'ues.  Mais  c'est 
de  là  sans  aucun  doute  qu'il  avait  rapporté  la  convic- 
tion qu'on  pouvait,  sans  péché,  se  marier  à  l'église  et 
signer  les  abjurations  dont  le  clergé  avait  établi  la 
formule.  Il  disait  que  dans  le  premier  cas  on  ne  com- 
mettait pas  un  péché,  mais  une  simple  pollution,  que 
dans  le  second,  on  pouvait  sans  blesser  sa  conscience, 
sans  trahir  la  religion  et  sans  renier  Jésus-Christ,  ré- 
pondre aux  prêtres  qu'on  abjurait  les  hérésies  de  Calvin, 
parce  qu'ils  ne  demandaient  pas  d'abjurer  la  religion 
de  Jésus-Christ.  Et  Court,  reprenant  ces  derniers  mots, 
s'écriait  naïvement  :  «  Comme  s'il  ne  fallait  pas  en- 
tendre que  sous  cette  expression  d'hérésie  on  veut  et 
on  entend  de  nous  faire  abjurer  la  croyance  de  la  reli- 
gion que  professait  Calvin  qui  nest  autre  que  celle  de 
Jésus-Christ  et  de  ses  apôtres  *.  »  Quoi  qu'il  en  soit, 

»  N"  7,  t.  I,  p.  8.  (1719.) 


102  SCHISME  DE  HUC-MAZEL 

de  telles  paroles  dans  la  bouche  de  Hue  étaient  dan- 
gereuses. Les  fidèles  se  soumettaient  difficilement  à 
la  rigueur  de  la  discipline;  aussi,  voyant  un  prédicant 
subvenir  à  leur  embarras  et  les  soutenir  dans  leurs 
hésitations,  commençaient-ils  à  former  autour  de  lui 
un  parti  très-nombreux.  Heureusement  les  partisans  de 
l'ordre  étaient  décidés  à  ne  point  laisser  échouer  l'œuvre 
qu'ils  avaient  entreprise.  Un  Synode  fut  tenu  en  1719, 
au  mois  de  septembre  ;  soixante  membres  y  assistaient 
et  Corteiz  en  était  le  modérateur  :  «  Vous  me  parlez, 
écrivait-il,  de  Hue,  dit  Mazel,  et  de  l'admonester  dou- 
cement. Ceux  qui  vous  ont  donné  cet  avis  sont  des  per- 
sonnes très-sages;  mais,  hélas!  ce  n'est  pas  moi  qui  l'ai 
démis,  ce  sont  ses  erreurs  ^ .  »  Hue  en  effet  dans  cette  as- 
semblée fut  interdit  et  déposé  pour  avoir  prévariqué  aux 
articles  des  règlements.  Mais  ce  vieillard,  très-ignorant, 
était  d'une  singulière  opiniâtreté.  Loin  de  se  soumettre 
à  la  décision  de  ses  supérieurs,  il  continua,  dans  les 
hautes  Cévennes  où  il  s'était  retiré,  de  propager  ses 
sentiments  sur  les  abjurations  et  les  mariages,  comme 
sur  les  autres  articles  de  la  foi.  Il  eut  bientôt  ses  disci- 
ples. Deux  proposants,  envoyés  par  le  Synode,  vinrent 
le  trouver,  et  dans  une  assemblée  lurent  aux  fidèles 
un  livre  imprimé,  dans  lequel  l'auteur  s'élevait  contre 
ceux  qui  se  faisaient  marier  ou  faisaient  baptiser  leurs 
enfants  par  des  prêtres  romains  ^.  »  Corteiz,  inquiet  de 
cette  opposition,  encore  qu'elle  fut  confinée  dans  une 
seule  contrée,  —  il  l'appelait  la  contrée  de  Mazel,  — 
s'y  rendit  lui  aussi,  pour  ébranler  dans  l'esprit  des 

1  N"  7,  1.  I,  p    8;  et  n"  17,  vol.  G,  p.  38. 
•2N"  17,  vol.  G,  n"  VI.  (1720.) 


SCHISME  DE  VESSON  103 

relig'ionnaires  le  crédit  de  son  collègue.  Pictet  enfin 
écrivit  de  Genève  aux  partisans  de  Mazel  pour  les  rap- 
peler au  sentiment  du  devoir,  au  respect  de  l'ordre  et 
de  la  discipline.  Mais  tous  les  efforts  furent  inutiles.  La 
popularité  de  Hue  était  considérable.  Les  membres  du 
Synode  et  les  prédicants  passèrent  «  pour  des  émis- 
saires du  démon,  )v  et  il  ne  fallut  rien  moins  qu'une 
lutte  incessante,  la  trahison  d'un  faux  frère  et  le 
martyre  de  Jean  Hue,  pour  que  cette  manière  de 
schisme  cessât  définitivement. 

Cette  opposition  n'avait  pas  été  la  première.  Elle 
avait  été  faite  au  nom  des  fidèles  et  soutenue  par  eux  : 
de  là  son  importance.  Mais,  en  1716,  trois  ans  avant 
qu'elle  se  manifestât,  un  prédicant  s'était  déjà  élevé 
contre  la  réorg'anisation  de  l'Eglise.  Jean  Vesson  se 
plaignait  des  obligations  auxquelles  on  l'astreig^nait; 
il  avait  refusé  de  faire  examiner  ses  sermons,  ne  s'était 
point  rendu  aux  Sj^nodes,  avait  donné  la  sainte  Cène, 
quoiqu'il  n'en  eût  pas  le  droit,  et  avait  convoqué  des 
assemblées  avec  une  extrême  imprudence  ;  pour  tout 
dire  «  il  faisait  bande  à  part,  sans  excuse  légitime,  » 
violait  la  discipline  et  calomniait  ses  frères.  Il  luttait, 
malheureusement  pour  lui,  contre  un  pouvoir  trop 
affermi  déjà  pour  qu'il  le  pût  ébranler.  Un  Synode 
tenu  au  mois  de  février  1718,  l'assigna  à  sa  barre  et, 
comme  il  ne  s'était  point  présenté,  le  démit  de  ses 
fonctions  ^  Une   porte  de  salut  lui  était  cependant 

1  «  La  compagnie  examinant  les  mœurs  des  pasteurs  et  ayant  trouvé 
que  malgré  une  première,  une  seconde  et  une  troisième  admonition 
le  S'  Jean  Vesson,  pasteur  extraordinaire,  persiste  dans  une  conduite 


104  ÉTABLISSEMENT  DE  L'oRDRE 

ouverte.  On  décida  qu'il  serait  réintégré  dans  sacharg'e 
de  prédicant,  s'il  donnait  des  marques  de  repentir,  et 
réparait  sa  faute  devant  un  colloque.  Vesson  comprit 
que  les  temps  étaient  changés  et,  en  1718,  au  mois  de 
mars,  il  fit  sa  soumission  entre  les  mains  de  Corteiz, 


de  Rouvière  et  d'Antoine  Court 


Ce  furent  les  seuls  obstacles  que  le  parti  de  l'ordre 
eut  à  vaincre.  Dès  lors,  recrutant  chaque  jour  de 
nouveaux  membres,  fort  de  l'adhésion  de  tous,  modi- 
fiant ou  perfectionnant  ses  règlements  et  le  rouage  de 
sa  discipline,  il  i)rit  par  la  force  des  choses  une  impor- 
tance croissante.  L'ordre  finit  par  s'établir;  et  ce  mot 
qu'Antoine  Court  avait  mis  sur  son  drapeau  à  côté  de 
cet  autre  :  Réveil,  fut  entouré  d'un  tel  prestig-e  aux 
yeux  des  Eglises  étrangères  et  de  l'Eglise  même  de 
France,  qu'il  amena  le  triomphe  de  l'œuvre  à  laquelle 
le  jeune  prédicant  s'était  dévoué. 


ti'ès-repréhensible  k  plusieurs  égards,  elle  l'a,  d'une  voix  unanime  et 
en  vertu  de  l'article  47  de  la  discipline  ecclésiastique  des  Eglises 
réformées  de  France,  déposé  et  démis  comme  coupable  de  plusieurs 
fautes  graves  et  principalement  comme  schismatique,  s'étant  séparé 
de  la  compagnie  de  ses  frères,  sans  excuse  légitime,  et  ayant  rejeté 
les  instances  de  plusieurs  fidèles  qui  le  priaient  de  se  rendre  au  pré- 
sent Synode  pour  entendre  la  censure  qui  lui  serait  faite.  Ainsi  ledit 
S*"  Jean  Vesson  demeurera  interdit  par  défaut,  jusqu'à  ce  qu'il  donne 
des  marques  d'une  sincère  repentance  et  qu'il  ait  édifié  l'Eglise  par 
son  retour,  autant  qu'il  peut  l'avoir  scandalisée  par  sa  mauvaise 
conduire.  » 

1  N"  1.  t    rr,  p.  20  et  23. 


CHAPITRE  IV 


LES    ASSEMBLÉES    AU    DESERT  ' 


1715-1723 

Dans  un  espace  de  temps  relativement  court ,  et  au- 
tant qu'il  était  possible,  le  protestantisme  avait  été 
c(  réveillé  »  et  l'ancien  ordre  de  choses  rétabli.  C'était 
un  grand  résultat.  Mais  que  voulait-on?  Conquérir  la 
liberté  de  conscience.  Il  fallait  donc  montrer  à  la  cour 
qu'il  restait,  en  dépit  de  l'ordonnance  de  1715,  des 
protestants  en  France,  et  que  ces  protestants  étaient 
fermement  décidés,  dussent-ils  payer  leur  résolution 
de  leur  vie,  à  revendiquer  jusqu'à  leur  dernier  souffle 
les  droits  primordiaux  qu'on  leur  avait  ravis. 

C'est  ce  qui  explique  les  eflPorts  et  la  persévérance 
d'Antoine  Court  pour  organiser  régulièrement  les  as- 
semblées au  Désert.  Il  y  voyait  un  moyen,  non  d'intimi- 
dation, mais  en  quelque  sorte  de  parade.  «  Le  but  de  ces 
assemblées,  dit-il  quelque  part,  était,  ainsi  que  je  l'ai 
rapporté,  de  faire  connaître  aux  Puissances  que  le  nom- 
bre des    protestants  était  plus  considérable  qu'on  le 

1  V.  sur  ce  même  sujet,  tome II,  chap.  vi,  p.  158.  —Il  n'est  pas  sans 
une  certaine  importance,  pour  voir   les   choses   sous  leur  vrai  jour 
•  le  préciser  les  dates  et  de  distinguer  les  époques. 


106  CONVOCATION  DES  ASSEMBLEES 

pensait,  et  d'obtenir  par  ce  moyen,  s'il  était  possible, 
quelque  tolérance  en  leur  faveur  * .  y>Les>  protestants  mon- 
traient par  là  en  effet  qu'ils  n'étaient  point  une  poignée 
d'hommes,  mais  presqu'un  peuple;  ils  montraient  en 
même  temps  de  quels  sentiments  ils  étaient  désormais 
animés,  leur  amour  pour  le  roi  et  leur  éloignement  pour 
les  luttes  civiles. 

Il  fallait  toutefois  que  ce  résultat  s'obtînt  sans  trop 
de  souffrances.  Le  moyen  proposé  était  très -périlleux, 
car  les  édits  étaient  inexorables.  On  devait  donc  user 
de  prudence,  si  l'on  ne  voulait  point  s'exposer  à  des 
dangers  trop  certains. 

C'est  aux  Anciens  que  revenait  la  charge  de  convo- 
quer les  assemblées.  Le  matin,  ou  dans  la  journée,  un 
homme  passait.  Il  trouvait  un  frère ,  lui  annonçait 
qu'un  prêche  devait  avoir  lieu,  à  telle  heure  et  en  tel 
lieu,  puis  disparaissait.  Cependant,  portes  closes,  à 
l'oreille,  on  se  communiquait  la  bonne  nouvelle.  Les 
préparatifs  se  faisaient.  Peu  de  chose,  puisqu'on  par- 
tait sans  armes.  Mais  encore  fallait-il  tromper  par  de 
faux  avis  les  voisins,  calmer  les  inquiétudes  des  vieil- 
lards, exhumer  de  la  cachette  un  feuillet  des  Ecritures 
ou  des  psaumes  ;  tout  cela  demandait  des  soins.  Enfin 
la  nuit  venait.  Alors  mille  craintes.  Quelque  espion  ou 
quelque  faux  frère  n'avait-il  pas  appris  la  convocation  de 
l'assemblée  ?  Le  gouverneur  n'était-il  pas  informé  ? 
Les  troupes  n'étaient- elles  pas  sur  pied  ?  Mais  la  foi 
triomphait  de  la  crainte,  et,  vers  dix  heures,  on  partait 
de  la  ville  ou  du  village,  non  par  bande,  — cela  eût  pu 

1  N"  40,  cah.  II. 


FATIGUES  ET  SOT JFFR ANGES  UH 

donner  des  soupçons, —  mais  séparément,  sauf  à  se  réu- 
nir plus  loin,  eh  quelque  endroit  isolé.  On  se  rencon- 
trait, on  parlait  des  premiers  dang'ers  surmontés,  et, 
pleine  d'espérance,  la  petite  troupe  composée  de  cinq 
à  dix  personnes  se  dirigeait  vers  le  lieu  convenu. 

La  course  était  longue  :  une  lieue,  deux  lieues.  Les 
femmes  étaient  harassées  et  les  enfants  avaient  peine 
à  arriver.  Chose  grave!  car  les  abandonner  en  route 
ou  les  renvoyer  à  la  maison,  c'était  les  exposer  à  être 
surpris  par  les  troupes,  les  livrer  aux  interrogatoires, 
partant  faire  surprendre  l'assemblée.  Il  fallait  alors  que 
les  hommes  robustes  de  la  troupe  les  portassent  sur 
leurs  épaules. 

En  hiver,  dans  ces  contrées,  les  nuits  sont  froides, 
en  été,  elles  sont  parfois  pluvieuses  ;  mais  vents,  orages, 
rien  n'arrêtait  ces  intrépides  confesseurs.  A  Nîmes,  en 
1715,  Antoine  Court  avait  convoqué  dans  les  environs 
une  assemblée.  Un  orage  violent  éclata  tout  à  coup. 
Ses  amis  le  retenaient ,  mais  lui ,  quoique  à  pied  et 
qu'il  eût  une  lieue  de  chemin  à  faire,  se  mit  immédia- 
tement en  route,  songeant  à  ceux  qui  avaient  probable- 
ment affronté  le  même  orage  pour  venir  écouter  sapa- 
role^  Sur  la  lisière  d'un  bois,  toutes  tremblantes,  seules, 
il  rencontra  trois  jeunes  filles  qui  avaient  perdu  leur 
chemin  dans  l'obscurité  et  qui  le  prièrent  de  les  con- 
duire à  l'endroit  où,  sous  la  pluie  battante,  l'assemblée 
était  déjà  réunie  \ 

«  Cinq  dimanches  de  suite,  raconte  Gorteiz,  nous  fûmes 
exposés  à  souffrir  la  phiio;  mais,  le  premier  dimanche,  il  plut 

i  N"  46,  cah   II. 


108  SOTJFFRANCES  ET  TONTRE-TEMPS 

très-fort  pendant  le  temps  de  la  dévotion.  Nous  n'avions  d'au- 
tre couvert  que  le  ciel.  Jugez  de  quelle  façon  nous  fûmes 
mouillés!  Au  moins  je  puis  dire  que  je  sentais  couler  l'eau  le 
long  de  l'épine  du  dos  et  de  ma  chemise.  Qui  ne  voit  la  peine 
qu'il  faut  souffrir  pour  trouver  la  Parole  de  Dieu  ;  et  heureux 
encore  si  l'on  était  au  Désert  en  sûreté  !  Cependant  je  n'aper- 
rois  la  dévotion  plus  vive  ni  plus  ardente  que  quand  on  se 
trouve  dans  ces  extrémités.  » 

Et  ailleurs  : 

«  Le  samedi  au  soir,  la  veille  de  l'assemblée,  il  se  leva  un  vent 
si  fort  et  si  froid  que  l'eau  glaçait  sous  les  pieds.  Ce  qui  fit  que 
dans  cette  haute  montagne  où  il  se  fait  des  assemblées  con- 
sidérables, il  ne  se  rendit  qu'environ  mille  âmes  qui  forcè- 
rent contre  le  vent  impétueux.  Je  leur  exposai  la  prédication 
que  j'avais  méditée;  mais,  hélas!  à  tous  moments  le  vent  me 
fermait  la  bouche  et  me  coupait  la  parole.  Ah!  qu'on  est  mal- 
heureux de  se  trouver  dans  un  lieu  où  l'on  ne  peut  prier  Dieu 
qu'au  risque  des  galères  et  de  la  mort  même  ^.  » 

Parfois  la  date  était  fausse,  l'heure  était  mal  indi- 
quée, le  rendez-vous  mal  pris,  et  l'on  ne  trouvait  pas 
le  lieu  de  l'assemblée  ;  parfois  encore  celle-ci  était  con- 
tremandée  et,  au  risque  de  tomber  dans  une  embuscade 
des  troupes,  on  courait  à  la  recherche  d'un  prêche  qui  ne 
pouvait  avoir  lieu.  «  Ceux  qui  devaient  assister  à4'as- 
semblée  étaient  déjà  mandés  pour  cela,  lorsque  quel- 
ques fidèles  étaient  venus  rapporter  qu'elle  ne  pouvait 
pas  se  tenir  sans  danger,  à  cause  que  les  vignes  qui 
étaient  autour  se  trouvaient  g'ardées  par  les  catho- 
hques^.  »   Mais  ceux  qui  n'avaient  pas  été  prévenus 


1  N"  17,  vol.  H.  Relation  historique,  etc. 

2  N°  4f>,  cah.  I. 


LE  DÉSERT  1(»9 

avaient  battu  le  pays  toute  la  nuit.  C'étaient  de  nou- 
veaux dangers  à  affronter  pour  le  prêche  suivant. 

Plus  de  temples  :  ils  avaient  été  démolis  ou  brûlés  ; 
leurs  matériaux  avaient  servi  à  construire  des  églises. 
On  se  réunissait  donc  dans  les  endroits  écartés.  Une 
caverne,  l'enfoncement  d'un  bois,  un  ravin  ignoré,  une 
ferme  abandonnée  étaient  les  sanctuaires  habituels. 
C'est  ce  qu'on  appelait  le  Désert. 

L'assemblée  était  lente  à  se  réunir.  Peu  à  peu  ce- 
pendant, les  groupes  se  formaient.  Au  temps  passé, 
entre  la  soumission  des  Camisards  et  la  venue  de  Court, 
il  n'y  avait  guère  qu'une  centaine  de  personnes,  par- 
fois plus,  souvent  moins.  Avec  Antoine  Court  on  vit 
des  assemblées  qui  comptèrent  jusqu'à  deux  mille  au- 
diteurs. c(  Il  me  souvient,  dit-il,  il  n'y  a  que  quatre  jours 
que  nos  plus  nombreuses  assemblées  n'excédaient 
pas  le  nombre  de  deux  à  trois  cents,  et  quand  nous 
en  voyions  une  qui  allait  à  ce  nombre,  peu  s'en  fallait 
que  nous  ne  criassions  au  miracle.  »  Dès  l'année 
1718,  on  compta  les  assistants  par  milliers,  et  il  est 
parlé  quelque  part  d'une  assemblée  où  il  n'y  avait  pas 
moins  de  quatre  mille  fidèles. 

Il  s'y  trouvait  beaucoup  d'hommes  et  de  jeunes  gens  ; 
les  femmes  pourtant  dominaient,  intrépides,  coura- 
geuses, exaltées. 

Cependant,  on  disposait  les  sentinelles,  choisissant 
les  plus  agiles  et  les  plus  forts  \  Si  l'assemblée  se  te- 

*  N°  46,  cah.  II,  p.  44.— Un  Synode,  tenu  en  1720,  revint  sur  ce  point. 
«  Les  circonstances  lâcheuses  demandant  que  l'on  prenne  de  plus 
i^randes  précautions  pour  Ja  conservation  des  assemblées,  il  a  été  dé- 
cidé que  les  anciens  auront  soin  de  fournir  de  sentinelles  les  lieux 
où  il  y  a  garnison.  •»  Rcaieil  âas  actes  synodaux,  etc. 


110  SENTINELLES,  PANIQUES 

liait  non  loin  d'une  ville,  on  les  échelonnait  de  poste  en 
poste  jusqu'aux  murailles  pour  donner  l'alarme,  au  cas 
qu'un  détachement  sortît  ;  si  elle  se  tenait  en  rase  cam- 
pagne ou  dans  une  caverne,  on  les  établissait  dans  les 
alentours  en  leur  ordonnant  de  se  replier  à  la  première 
apparence  de  péril.  C'était  parfois  la  source  d'épouvan- 
tables paniques.  Un  joui',  Court  était  sur  le  point  de 
donner  la  bénédiction  ;  les  sentinelles  les  plus  voisines 
s'en  étant  aperçues  coururent  en  hâte  pour  avoir  part 
à  ce  dernier  acte  du  culte.  Malheureusement  elles 
avaient  des  boutons  de  cuivre  sur  leur  justaucorps  et 
s'avançaient  rapidement.  Quelques-uns  les  prirent  pour 
des  soldats.  L'alarme  fut  donnée.  Les  derniers  voulant 
prendre  la  fuite  renversèrent  les  premiers,  et  dans  un 
moment  la  confusion  fut  portée  à  son  comble.  Enfin  ou 
reconnut  l'erreur  et  le  service  interrompu  fut  continué 
avec  une  nouvelle  joie  K 

«  Le  25  novembre,  dit  Gorteiz,  l'assemblée  fut  formée  la  nuit, 
dans  une  maisonnette  de  laquelle  on  se  sert  pour  sécher  les 
châtaignes,  dans  uji  ])ois  proche  de  nos  formidables  ennemis = 
Lassemblée  était  formée  en  faveur  des  paroisses  de  Saint- 
Martialj  de  la  Mialouze  et  du  Collet  de  Dèze.  Comme  la  maison 
était  petite,  on  pria  les  Anciens  de  ne  mener  que  des  commu- 
niants ;  mais  bien  qu'on  (  ùt  enjoint  à  ceux  qui  faisaient  la  fonction 
de  cloches  de  n'en  mener  qu'un  petit  nombre,  il  en  vint  beau- 
coup plus  que  la  maison  ne  pouvait  contenir  ;  mais  la  peur  y 
pourvut.  Les  deux  sentinelles  virent  quatre  hommes  avec  cha- 
cun un  flambeau  à  la  main  pour  s'éclairer.  A  la  vérité,  c'étaient 
des  ennemis,  mais  qui  ne  pensaient  point  à  nous.  Nos  senti- 
nelles se  donnèrent  peur.  Il  leur  parut  que  ces  flambeaux  ve- 
naient à  nous,  bien  qu'il  ne  fut  pas  vrai;  ils  vinrent  donner 

1  N°  46,  cah.  II. 


LE  CULTE  111 

l'alarme  à  l'assemblée.  Je  sortis  promptemeiitpour  voir  de  quoi 
il  s'agissait,  j'aperçus  ces  quatre  flambeaux  et  je  dis  aux  An- 
ciens :  «  Ces  flambeaux  suivent  le  ruisseau,  et  ne  croyez  pas  que 
l'ennemi  vienne  avec  de  la  lumière  pour  nous  surprendre;  cal- 
mez-vous et  ne  faites  pas  de  bruit.  »  Cependant  une  partie  de 
l'assemblée  s'enfuit,  et  la  maison  qui  était  trop  petite  fut  assez 
grande.  Le  restant,  nous  achevâmes  heureusement  notre  dévo- 
tion; le  lendemain  les  fuyards  se  reprochèrent  leur  lâcheté^.  » 

Dès  que  le  prédicant  était  arrivé,  le  service  commen- 
çait. C'était  vers  minuit.  Les  assemblées  de  jour  furent 
toujours  très-rares  et  ne  se  tinrent  que  beaucoup  plus 
tard,  vers  1743.  La  lecture  de  la  Bible,  le  chant  des 
psaumes,  les  prières  et  les  exhortations  du  prédicateur 
composaient  les  éléments  du  culte.  Les  fidèles  priaient 
d'abord  en  particulier.  Quand  le  ministre  se  faisait  at- 
tendre, on  lisait  quelques  passages  de  la  Bible.  Un  des 
assistants,  en  g-énéral  un  Ancien,  faisait  l'office  de 
lecteur'^.  «  Avant  que  le  ministre  n'arrivât,  dit  une  re- 
lation du  temps ,  on  a  fait  la  lecture  de  quelques  cha- 
pitres de  l'Ecriture  sainte,  et  chanté  les  psaumes  LXX 
et  LXXX;  ensuite  le  ministre  étant  arrivé,  il  a  com- 
mencé par  la  confession  des  péchés  et  a  fait  chanter  le 
psaume  CXXXVIT.  à  g-enoux  et  il  a  pris  pour  texte  dans 
ledit  psaume  le  verset  7  ^  » 

*  N"  17,  vol.  H.  Relation  historique,  etc. 

■^  «  Sur  ce  qu'il  a  été  dit  que  plusieurs  profanes  et  libertins  s'ingé-= 
raient  à  faire  la  lecture  et  lisaient  le  chant  des  pseaumes  aux  saintes 
assemblées,  et  qu'à  cause  de  cela  les  fidèles  étaient  scandalisés,  —  C'e^st 
pourquoi  il  a  été  délibéré  qu'à  l'avenir,  personne  ne  fera  la  JecLure 
de  la  Parole  de  Dieu  ni  le  chant  des  pseaumes,  qu'il  n'ait  été  élu 
Ancien,  et  là  où  il  n'y  aura  pas  des  Anciens  capables,  ils  seront  obligés 
de  faire  l'élection  de  leur  lecteur  et  de  leur  chantre.  »  Synode  de  1720. 
Recueil  des  actes  synodaux,  etc. 

^NM7,  vol.  0.  (Juin  1719.) 


112  LE  6ERM0N 

Le  prédicaiit,  debout  sur  une  émineiice  commen- 
(;ait  enfin  son  exliortation.  Très-probablement,  dans 
cette  circonstance,  il  avait  un  costume  particulier*. 
Qu'étaient  ces  sermons?  On  ne  sait  guère  ;  il  n'en  reste 
aucun  fragment.  La  plupart  cependant  n'étaient  autres 
que  des  discours  imprimés  à  l'étranger  et  laborieuse- 
ment appris  par  cœur.  Pour  soutenir  le  zèle  de  leurs 
coreligionnaires,  les  réfugiés  leur  faisaient  en  effet 
passer  des  livres,  des  traités  religieux,  des  sermons.  De 
Hollande,  de  Genève  surtout,  on  expédiait  «  aux  défen- 
seurs de  la  foi  »  des  paquets  de  livres  qu'un  correspon- 
dant courageux  se  chargeait  de  faire  parvenir  à  leur 
destination.  Corteiz  reçut  ainsi  huit  douzaines  de  ca- 
téchismes et  dix  sermons  ^.  Ce  fut  l'origine  d'une  cu- 
rieuse habitude.  Quelques  prédicants  incapables  de 
composer  eux-mêmes  leurs  sermons  apprenaient  ceux 
des  orateurs  célèbres ,  et  les  déclamaient  ensuite  aux 
assemblées.  Bombonnoux  récita  ainsi  un  discours  de 
Pierre  Dumoulin,  et  «la  faim  pour  la  parole  faisait 
trouver  bonne  cette  manière  de  prêcher.  »  Habitude 
cependant  fâcheuse,  et  qu'on  abandonna.  Les  prédi- 
cants se  mirent  bientôt  à  composer  et  à  réciter  leurs 
propres  sermons.  Un  professeur  de  Genève,  l'illustre 
Pictet,  loua  même  le  talent  d'Antoine  Court  et  déclara 
que  ce  jeune  homme  avait  «  des  dons  considérables  » 
pour  la  chaire.  Point  de  théologie  d'ailleurs  dans  ces 
exhortations,  ni  de  longs  raisonnements,  point  d'orne- 
ments ni  de  fleurs  de  rhétorique.  Un  des  plus  instruits  et 

i  Cela  paraît  ressuriir  d'une  lettre    de   Duplaii,  en  1730,  et  d'une 
autre  de  Corteiz,  en  1718.  N"  1,  t.  IJ,  p.  42 
2  N"  17,  vo!,  G. 


LE  SERMON  113 

des  plus  intrépides,  Claude  Brousson  s'en  était  déjà 
glorifié.  «  Je  rejette  tous  les  vains  ornements  de  l'élo- 
quence et  de  la  sagesse  du  siècle  qui  consiste  à  mêler 
dans  la  prédication  de  l'Evangile  quelque  trait  de  l'his- 
toire profane  ou  quelque  point  de  philosophie  et  des 
autres  sciences  humaines ,  afin  de  paraître  savant,  ce 
qui  me  paraît  un  pur  abus  du  saint  ministère  ;  car  cet 
impur  mélange,  d'un  côté  fait  juger  que  celui  qui 
parle  cherche  plutôt  la  vaine  gloire  que  la  gloire  de 
son -maître  et  le  salut  de  ses  élus,  et  de  l'autre  cor- 
rompt la  parole  de  Dieu...  »  Que  fallait -il  attendre 
des  autres  ?  Ils  avaient  composé  leurs  discours  sur 
quelque  route ,  en  marchant ,  dans  une  grange,  sous 
un  arbre ,  et  n'avaient  eu  pour  toute  bibliothèque 
c(  qu'une  Bible,  et  pour  table  qu'une  pierre  reposant  sur 
leurs  genoux  \  »  Parlant  d'ordinaire  à  l'improviste,  à  la 
première  occasion,  prédicateurs  ignorants  s'adressant  à 
des  auditeurs  plus  ig*norants  encore,  quelles  quahtés 
oratoires  pouvait-on  exiger  d'eux?  —  Soupçonnaient- 
ils  eux-mêmes  que  l'art  de  la  parole  eût  ses  règles  et 
ses  lois  ? 

Point  de  haine  dans  leurs  discours  :  des  paroles  de 
charité...  quelque  chose  de  véhément  et  de  doux,  de 
ferme  et  d'affectueux, —  le  cœur  s'adressant  au  cœur. 
Grands  et  sublimes  accents  comme  on  en  entend  chez  le 
peuple,  frivolités  et  naïvetés  toucliantes,  répétition  de 
mots  et  d'idées,  citations  diffuses  de  passag-es  bibliques, 
solécismes  et  barbarismes  continuels,  et  malgré  cela,  on 
ne  sait  quel  parfum  inconnu  qui  pénétrait  les  âmes 


N"  40,  cah.  111. 
1 


114  l.E  SERMON 

des  auditeurs.  Court  prêcha,  un  soir,  à  l' improviste.  Il 
s'exprima  avec  onction  et  véhémence,  d'une  manière 
suivie  et  sans  se  «  déférer  nulle  part.  »  «  Parlai -je  avec 
ordre,  ajoute-t-il,  suivis-je  les  règles  de  l'art  oratoire? 
Elles  ne  m'étaient  seulement  pas  connues  ;  mais  mon 
discours  plût  et  édifia  mon  auditoire.  »  Leprédicant  n'é- 
tait que  l'écho  des  sentiments  qui  ag'itaient  les  auditeurs 
pressés  autour  de  lui.  Ag'itée  au  souffle  de  ses  pa- 
roles, l'assemblée,  haletante  et  émue,  écoutait.  Au  mi- 
lieu de  la  nuit ,  il  y  avait  des  silences  étranges  ■  que 
troublait  seule  la  voix  du  ministre.  Cette  parole  grave, 
enflammée,  réchauffait  les  cœurs,  remuait  les  âmes  ; 
chacun  croyait  entendre  la  propre  voix  de  sa  conscience. 
De  là,  ces  émotions  poig*nantes  qu'augmentaient  les 
périls  de  l'heure,  ces  applaudissements  arrachés  par 
la  naïve  éloquence  des  orateurs,  ces  larmes  qui  cou- 
laient au  récit  des  infortunes  subies,  des  persécutions 
à  affronter,  des  souffrances  de  la  primitive  Eglise. 
«  Pendant  la  prédication,  est-il  dit  quelque  part,  tout 
le  pauvre  peuple  fondait  en  larmes.  » 

Le  sermon  était  long ,  trop  long  souvent .  Il  fallut 
remédier  à  cet  abus.  On  décida  que  les  pasteurs  n'em- 
ploieraient pas  plus  d'une  heure,  ou  tout  au  plus  cinq 
quarts  d'heure,  à  leurs  prédications  suivant  en  cela 
l'exemple  des  prédicateurs  de  Genève  *.  Lorsqu'il  avait 
terminé ,  et  que  les  applaudissements,  —  car  souvent 
on  applaudissait, —  avaient  cessé,  il  arrivait  que  le  mi- 
nistre baptisât  un  enfant,  ou  bénît  un  mariage.  Ce  cas 
toutefois,  dans  les  premiers  temps  surtout,  se  présen- 

1  V.  Coquerel,  t  I,  p.  34.  Synode  de  1717, -V.  aussi  n"  17,  vol.  G, 
p.  382.  Synode  de  1721. 


LA  SAINTE  CENE    \  '115 

tait  rarement.  Plus  fréquemment  on  donnait  la  com- 
munion. Cette  cérémonie  ne  pouvait  être  célébrée 
que  par  les  pasteurs,  et  Court  dans  ses  récits  s'étend 
longuement  sur  ce  chapitre.  Il  paraît  qu'aux  jours 
de  communion  on  formait  avec  des  pièces  de  bois  une 
sorte  de  parquet  où  se  tenaient  les  Anciens  pendant 
la  prédication.  Au  moment  où  le  pasteur  se  préparait 
à  célébrer  la  sainte  Cène,  ceux-ci  allaient  se  placer  à 
l'entrée  et  empêchaient  d'approcher  de  la  table  qui- 
conque avait  commis  une  action  scandaleuse,  et  n'en 
avait  pas  encore  fait  pénitence  publique. 

«  Les  Anciens,  écrit  Gorteiz,  se  tiennent  u  la  porte  du  par- 
quet qu'on  fait  avec  des  pièces  de  bois,  dans  lequel  parquet 
ils  se  tiennent  pendant  la  prédication  jusqu'à  la  célébration  de 
la  sainte  Cène.  Ils  se  relèvent  ensuite  pour  laisser  passer  les 
communiants  les  uns  après  les  autres.  Mais  ils  se  tiennent  à  la 
porte  pour  prendre  garde  que  personne  de  ceux  qui  ont  fait 
quelque  action  scandaleuse  ne  s'approche  qu'il  n'ait  fait  pre- 
mièrement réparation.  » 

Les  fidèles  qui  étaient  dans  la  paix  de  l'Eglise  com- 
muniaient les  premiers  ;  quand  le  dernier  avait  accompli 
cet  acte,  les  Anciens  faisaient  approcher  ensemble  les 
coupables.  On  les  voyait  alors  s'avancer  vers  la  table 
sainte,  tremblants  et  comme  honteux  ;  ils  écoutaient 
chacun  selon  leurs  fautes  les  exhortations  et  les  remon- 
trances du  prédicant, — puis  ils  communiaient.  Il  y  avait 
en  ce  moment  de  touchantes  scènes.  Un  jour,  un  homme 
entouré  de  respect,  «dont  le  péché  était  caché  au  monde, 
maisdécouvertaugrandcréateurdescœurs,  »  se  précipita 
tout  à  coup  à  genoux  devant  la  table,  pleurant  et  se  lamen- 
tant. Il  confessait  à  haute  voix  son  péché  de  lâcheté  et 


116  •  LES  ESPIONS 

d'idolâtrie,  et  en  demandait  pardon  à  l'Eglise  et  à  Dieu. 
C'était  Corteiz  qui  présidait.  Toute  l'assemblée,  —  plus 
de  deux  mille  personnes,  —  fondait  en  larmes,  et  lui- 
même  à  cette  vue,  contenait  avec  peine  son  émotion  '. 

Pour  courir  à  ces  assemblées  nocturnes,  à  quels 
dangers  ne  s'exposaient  pas  les  fidèles  !  Dangers  mul- 
tiples et  qui  font  frémir.  Il  y  avait  d'abord  les  espions. 
Le  duc  de  Roquelaure  écrivant  à  un  de  ces  personna- 
ges, lui  disait  en  manière  de  conclusion  : 

«  Enfin,  je  ne  puis  trop  vous  recommander  de  faire  de  fré- 
quents détachements  des  troupes  que  vous  commandez,  et  que 
vous  enverrez  de  jour  ou  de  nuit...  visiter  les  lieux  suspects  et 
où  vous  aurez  lieu  de  croire  qu'il  se  pourra  tenir  des  assemblées 
suivant  les  avis  qui  vous  en  seront  donnés  par  les  personnes  de 
confiance  que  vous  devrez  vous  ménager  dans  chacun  des  lieux 
de  votre  commandement^...  » 

Aussi  les  espions  ne  manquaient-ils  pas.  Un  d'eux 
très-bien  intentionné  et  très-propre  à  réussir  s'offrait 
à  veiller  jour  et  nuit  pour  faire  surprendre  les  prédi- 
cants  dispersés  dans  le  pays.  Il  ne  demandait  que 
deux  pistolets  pour  se  défendre,  s'il  était  attaqué  pour 
le  service  du  roi  ^  Puis  il  y  avait  les  faux  frères,  g'ens 
bien  pensants,  bien  vus  du  pouvoir,  gens  de  toutes  con- 
ditions, qui,  pour  peu  de  cliose^ —  une  place  ou  les  dé- 
pouilles de  la  victime, —  s'engageaient  à  dénoncer  les 
assemblées.  En  1720,  le  parlement  de  Bordeaux  ap- 
prit que  les  religionnaires  de  la  Eochelle  se  réunis- 

^  N"  17,  vol.  H,  p.  523.  Relation  historique,  etc. 

2  Y.  Histoire  de  VEgllse  d'Anduze,  etc.,  p.  688  et  755. 

3  N"  17,  vol.  H.  (1718.) 


LES  FAUX  FRERES,  LES  SOLDATS  117 

saient  au  Désert.  On  cherclia  un  commissaire  pour 
s'informer  de  ce  qui  se  passait  ;  on  ne  trouva  per- 
sonne. Mais  un  conseiller  au  parlement,  qui  avait 
j^hangé  de  religion  pour  occuper  cette  charg-e,  se  pré- 
senta, se  rendit  au  Désert,  fît  son  rapport,  et  accusa 
deux  femmes  ' .  —  Enfin  c'étaient  les  soldats,  entre 
tous  les  moins  odieux,  qui,  à  toute  heure  du  jour  et 
de  la  nuit,  aux  approches  surtout  des  grandes  fêtes, 
battaient  le  pays,  chercliaient  les  assemblées,  tra- 
•  quaient  les  hérétiques,  arrêtaient  les  suspects,  et  se  ven- 
geaient sur  leurs  captifs  de  toutes  les  courses  vaines 
et  de  tous  les  dérang'ements  nocturnes,  dont  ceux-ci 
avaient  été  les  causes  involontaires. 

Les  ordres  du  roi  étaient  formels.  Il  était  interdit 
aux  protestants  «  de  faire  aucun  exercice  de  religion 
autre  que  de  la  catholique,  et  de  s'assembler  pour  cet 
effet  en  aucun  lieu  et  sous  quelque  prétexte  que  ce 
puisse  être,  à  peine  contre  les  hommes  des  galères 
perpétuelles,  et  contre  les  femmes  d'être  rasées  et  en- 
fermées pour  toujours,  avec  confiscation  des  biens  des 
uns  et  des  autres,  même  à  peine  de  mort  contre  les 
pasteurs  ^  »  Ni  repos  ni  tranquillité  :  alerte  conti- 
nuelle. Se  rendre  au  Désert,  c'était  courir  l'aventure 
d'en  revenir  au  milieu  d'une  escorte  de  soldats  pour 
aller  ramer  à  Marseille,  ou  prier  à  la  tour  de  Con- 
stance; prêcher  au  Désert,  c'était  faire  à  l'avance  le 
sacrifice  de  sa  vie. 

Il  y  eut  des  châtiments  terribles.  Malgré  tout,  la  foi 

1  N°  17,  vol.  U. 

'^  V.  encore  chap.  v,  p.  133,  les  ordonnances  que  puMia  le  régent 
contre  les  assemljlées. 


118  LES  CHATIMENTS 

eut  toujours  ses  disciples,  et  dans  ce  duel  inég-al  la  fai- 
blesse qui  était  le  droit,  finit  par  vaincre  la  force  qui 
était  l'injustice.  Prison,  galères,  mort,  on  affrontait  tout 
avec  un  sang-froid,  une  sérénité  merveilleuse.  L'assem-. 
blée  est,  unjour,réuniedansune  caverne  et  «leprêche» 
commence,  quand  les  sentinelles  avertissent  que  les  sol- 
dats approchent.  On  en  doute  d'abord,  et  on  continue. 
Mais  les  troupes  avancent.  Alors  on  fait  sortir  les  fem- 
mes, les  enfants,  ensuite  les  liommes;  cependant  les  mi- 
nistres, se  tenant  à  l'ouverture,  donnent  la  bénédiction 
au  peuple  qui  sort  sans  confusion,  et  malgré  le  danger 
restent  les  derniers  h  penser  à  leur  sécurité  '.  Les  fem- 
mes étaient  admirables.  Si  grand  que  fût  le  péril,  tou- 
jours ardentes,  toujours  les  premières  aux  assemblées, 
elles  lassaient  la  sévérité  de  leurs  persécuteurs.  Prisons 
terribles  cependant  que  les  hôpitaux,  les  couvents  et 
les  tours  de  Constance  !  Le  chevalier  de  Boufflers  en 
fut  effrayé.  Mais  elles  bravaient  tout,  même  jeunes,  et 
presque  encore  dans  l'enfance.  La  sœur  d'un  prédicant 
décapité  à  Montpellier  fut  prise  et  enfermée  à  Aigues- 
Mortes  :  elle  avait  quinze  ans.  Pour  toutes,  l'horreur 
d'une  réclusion  imminente  s'évanouissait  devant  la  joie 
d'assister  h  une  assemblée. 

Il  y  eut  de  1715  à  1723,  dans  le  Languedoc  seule- 
ment et  sans  compter  celles  qui  passèrent  inaperçues, 
sept  surprises  d'assemblées  ^  Chaque  année,  on  enten- 
dit le  bruit  des  fusillades,  et  l'on  vit,  en  longs  convois, 
passer  les  prisonniers. 

1  N"  46.  .     ,  ,, 

'-  En  Languedoc  seulement.  Eu  1715,  assemblée  surprise  a  Vauvert; 
en  1716,  h  Mandagout;  en  1717,  à  Anduze  :  en  1720.  à  Nîmes,  etc..  etc. 


SURPRISES  D'ASSEMBLEES  119 

«...  Pendant  mon  séjour  du  côté  d'Uzès,  dit  Court,  je  vis 
deux  de  mes  parents,  nommés  Hugous,  de  qui  l'on  venait  de 
raser  la  maison,  par  ordre  de  Dumolard,  subdélégué  de  Bâ- 
ville  dans  le  Vivarais.  Cette  maison  était  située  à  la  campagne, 
a  une  petite  demi-lieue  de  Villeneuve-de-Berg.  Un  jour  de  di- 
manche, Joffre  qui  dans  la  suite  épousa  ma  sœur  cadette,  Ladet, 
mon  cousin  germain,  et  Flavier,  un  de  mes  amis,  se  rendirent 
dans  cette  maison  pour  y  faire  quelques  exercices  religieux. 
Leur  marche  fut  aperçue;  on  vit  dans  le  moment  toute  la  bour- 
geoisie sous  les  armes,  qui  se  mit  en  devoir  d'aller  fondre  sur 
cette  maison.  La  petite  troupe,  en  étant  avertie,  démaraauplus 
vite,  et  comme  elle  n'était  composée  que  de  trois  personnes, 
il  fut  facile  de  dérober  à  leur  ennemi  cette  évasion.  Aussi  ne 
s'en  aperçut-il  point;  mais  sur  le  simple  soupçon  qu'ils  y  avaient 
été,  et  parce  que  dans  sa  perquisition  il  trouva  dans  la  maison 
une  Bible  et  quelques  autres  livres  de  piété,  il  se  saisit  du 
maître  qu'il  amena  prisonnier.  11  (Dumolard)  ordonna  que  la 
maison  fut  rasée,  et  que  tous  les  effets  mobiliaires  fussent  con- 
fisqués. L'exécution  suivit  de  près  l'ordonnance.  La  maison  fut 
démohe  et  tous  les  effets  portés  à  Villeneuve  où  ils  furent  ven- 
dus publiquement  au  plus  enchérisseur*.  » 

Voilà  une  exécution  inconnue  et  dont  on  ne  parla 
point.  Combien  d'autres  de  ce  genre  !  «  La  nuit  du  6  au 
7  du  mois  de  mai,  Court  avait  convoqué  une  assemblée 
dans  un  Désert  appelé  les  Roques  d'Aubay,  proche 
de  Sommières.  Il  n'avait  pas  manqué  de  précautions 
pour  la  garantir  de  toutes  surprises.  Aussi  se  tint-elle 
avec  beaucoup  de  tranquillité.  Mais  malheureusement 
les  protestants  duGrand-Gallargues,  qui  faisaient  partie 
de  ceux  qui  s'étaient  rendus  dans  cette  assemblée, 
furent  aperçus  par  deux  faux  frères  qui  avaient  quelque 
autorité  dans  le  lieu,  et  qui,  dans  le  dessein  de  les  faire 

1  N"  40,  cah.  1 


120  SURPRISES  D'ASSEMBLÉES 

arrêter  au  retour,  firent  mettre  la  bourgeoisie  sous  les 
armes  et  garder  les  portes.  La  chose  fut  conduite  avec 
tant  de  secret  qu'on  n'en  fut  informé  que  lorsque  les 
fidèles  de  ce  lieu  donnèrent  à  leur  retour  dans  l'em- 
buscade. Un  des  bourg'eois  armés,  touché  sans  doute 
du  triste  sort  qui  menaçait  ses  concitoyens  s'ils  étaient 
arrêtés,  tira  en  l'air  son  fusil  pour  faire  comprendre 
ce  qu'il  y  avait  à  craindre  pour  eux,  s'ils  approchaient. 
A  ce  sig'nal,  ceux  qui  étaient  encore  éloig^nés  de  la 
porte  prirent  la  fuite.  »  Mais  quelques-uns  furent  pris. 
On  fit  g"rand  bruit  à  Montpellier  de  l'affaire.  Un  captif 
fut  condamné  aux  g^alères,  sept  à  la  même  peine  par 
contumace,  et  le  bourreau  vint  inscrire  à  Gallarg-ues 
leurs  noms  sur  un  poteau,  au  milieu  de  la  place 
publique  ^ . 

Telles  étaient  les  assemblées  qu'annonçait  à  ses 
frères  l'homme  qui,  le  matin,  venait  convoquer  pour 
le  Désert  les  survivants  des  dernières  persécutions.  Nul 
ne  manquait  à  l'appel  :  tous  y  allaient ,  enfants , 
femmes  et  vieillards.  Les  temples  démolis,  le  culte 
. supprimé j  la  foi  proscrite,  on  continuait  ainsi  la  tra- 
dition interrompue,  on  affirmait  l'existence  de  la  Eé- 
forme.  Non  pas  qu'on  voulût  former  un  Etat  dans 
l'Etat,  et  qu'on  méconnût  l'obéissance  due  aux  Puis- 
sances. Les  Puissances,  aux  yeux  de  tous,  étaient  or- 
données de  Dieu,  et  nul  ne  cherchait  à  le  contester  ^. 
La  politique  était  exclue  de  ces  assemblées,  et,  pour 
dire  le  vrai,  song-eant  à  Dieu,   avait-on  le  temps  de 


1  N"  46,  cah.  II. 

2  V    plus  loin,  chap.  v. 


ATTAQUES  CONTRE  LES  ASSEMBLÉES  121 

songer  au  Roi?  C'était  beaucoup  plus  simple  et  beau- 
coup plus  grand.  Louis  XIV  avait  exilé  les  protestants, 
rempli  les  galères,  élevé  les  potences,  et  décidé  som- 
mairement qu'il  ne  pouvait  désormais  et  qu'il  ne  devait 
plus  y  avoir  de  réformés  en  France  \  on  protestait 
contre  cette  dernière  décision.  Le  lieu  de  la  protes- 
tation, c'était  le  Désert. 

Chose  curieuse!  Ces  assemblées  où  l'on  n'entendait 
que  des  prières  et  le  cbant  des  psaumes  furent  appelées 
séditieuses  et  attaquées  comme  telles.  Par  qui?  Par 
les  catholiques  peut-être?  Xon,  par  des  protestants. 

A  peine  le  bruit  de  cette  résurrection  du  protestan- 
tisme était-il  parvenu  à  l'étranger,  que  les  pasteurs 
s'en  étaient  profondément  émus.  Etait-ce  la  restau- 
ration de  l'ancien  ordre  de  choses  ?  Etaient-ce  les  pré- 
paratifs d'une  nouvelle  guerre  de  Camisards?  Ils  ne 
savaient.  Ils  avaient  peu  de  confiance  danslamodération 
des  religionnaires,  ils  se  les  représentaient  volontiers 
toujours  prêts  au  combat  et  n'attendant  qu'un  chef 
pour  se  jeter  dans  la  révolte.  Depuis  1710,  malgré  leur 
attachement  aux  églises  françaises,  ils  les  avaient  un 
peu  oubliées;  ils  ignoraient  ce  qui  s'y  était  passé,  et 
les  efforts  d'Antoine  Court  pour  rétablir  l'ordre  et  ceux 
de  ses  collègues  pour  comprimer  toute  tentative  d'in- 
surrection. 

Au  surplus,  si  l'on  en  croit  Corteiz,  ils  étaient  mal 
informés  !  Ils  imaginaient  que  ces  assemblées,  où  des 
prédicants  inconnus  convoquaient  les  fidèles,  étaient 
semblables  à  celles  où  les  Camisards  avaient  autrefois 
prêché  la  guerre  sainte.  Fanatiques  alors,  anabaptistes 


122  ATTAQUES  DES  PASTEURS  ETRANGERS 

et  inspirés  s'y  donnaient  carrière.  On  jeûnait,  on  chan- 
tait, on  faisait  des  miracles.  Les  enfants  prophétisaient, 
les  hommes  tombaient  en  extase,  le  frère  Clary  faisait 
allumer  des  bûchers  et  les  traversait  à  pas  lents. 
Assemblées  étranges,  pleines  de  fantastiques  visions, 
dont  le  résultat  avait  été  une  guerre  meurtrière  et 
l'écrasement  des  insurgés. 

Les  pasteurs  étrangers  se  rappelaient  ces  événements 
récents  encore,  et  la  crainte  de  les  voir  se  renouveler 
les  avait  immédiatement  saisis.  Dans  cette  situation 
d'esprit,  ils  écrivirent  sans  différer  en  France  contre 
les  assemblées  du  Désert. 

Les  religionnaire^  fort  étonnés  se  défendirent.  «  Nous 
ne  souffrons,  disait  Corteiz,  ni  fanatiques,  ni  piétistes, 
ni  anabaptistes  ;  la  Parole  de  Dieu  est  seule  reconnue 
pour  règle,  et  plût  à  Dieu  que  vous  vissiez  régner 
l'ordre  et  la  règle  que  nous  y  tenons  \  »  Vaines  pro- 
testations. Corteiz  plaidait  une  cause  qu'il  ne  pouvait 
gagner  encore. 

Pourquoi,  disaient-ils,  des  assemblées  publiques?  Les 
protestants  ne  pouvaient-ils  pas  sortir  à  leur  gré  du 
royaume,  s'ils  voulaient  prier  Dieu  en  commun?  En 
admettant  même  que  cette  extrémité  leur  répugnât,  ne 
pouvaient-ils  pas  se  livrer  en  particulier  à  des  exer- 
cices domestiques  de  piété  ?  Ils  voulaient  se  réunir  au 
Désert  et  en  gTand  nombre.  Or,  pour  chanter  en  com- 
mun les  psaumes  de  Marot  et  écouter  des  sermons  qui 
ne  produisaient  aucun  effet,  ils  excitaient  la  cour  à  de 
nouvelles  rigueurs,  ils  dépeuplaient  les  familles,  ils 

1  N"  17,  vol.  a,  p.  3.  (171G.) 


LEUR  ARGUMENTATION  123 

exposaient  aux  g-alères  une  multitude  d'hommes  inof- 
fensifs. Et  de  quel  droit?  Les  assemblées  relevaient 
évidemment  de  la  juridiction  du  souverain.  Les  con- 
voquer malgré  ses  ordres,  c'était  se  mettre  hors  la  loi 
et  mériter  le  nom  de  rebelles.  Au  surplus,  non-seulement 
les  princes  interdisaient  ces  sortes  de  réunions,  mais 
encore  la  religion.  Jésus  et  ses  apôtres  n'avaient  jamais 
prêché  au  Désert  qu'accidentellement  ;  ils  allaient  en 
g'énéral  de  maisons  en  maisons  pour  annoncer  la  bonne 
nouvelle;  et  la  plus  grande  de  leurs  assemblées  se 
tint  dans  une  chambre  haute.  Ainsi,  il  n'était  pas 
certain  que  Dieu  eut  prescrit  les  assemblées,  il  était 
même  probable  qu'il  ne  les  avait  point  comman- 
dées. Il  était  évident  d'un  autre  côté  que  Dieu  avait 
ordonné  d'obéir  aux  souverains  dans  toutes  les  choses 
qu'il  n'avait  pas  défendues.  Donc,  dans  le  cas  proposé, 
le  plus  sûr  était  d'obéir  au  roi,  parce  que  dans  la 
concurrence  de  deux  devoirs  dont  l'un  est  obscur  et 
l'autre  clair,  il  faut  préférer  le  certain  au  probable.  — 
Tel  était  le  thème  ordinaire  sur  lequel,  avec  preuves  à 
l'appui,  arguments  historiques  et  nombreuses  citations 
bibliques,  s'exerçait  l'éloquence  des  adversaires  ^ . 

Un  événement  vint  augmenter  les  appréhensions. 
En  1719,  il  y  eut  des  troubles  dans  le  Poitou.  Le  bruit 
courut  qu'ils  avaient  pour  auteurs  les  religionnaires 
de  ce  pays,  et  qu'ils  avaient  été  suscités  par  le  brillant 


*  N"  13,  t.  III.  Réflexions  sur  les  assemblées  que  nos  frères  les  ré- 
formés font  en  France  contre  les  ordres  du  roi.  —  Il  n'y  a  ni  date  ni 
nom  d'auteur.  Peut-être  furent-elles  imprimées  en  1719,  peut-être 
en  1726;  car,  à  cette  époque,  parut  un  écrit  dont  Court  se  plaignit 
amèrement.  Mais  rien  de  moins  sûr 


124       LETTRES  DE  BASNAGE  ET  DE  PICTET 

et  remuant  ministre  d'Espag'ne,  Albéroni.  Cette  nou- 
velle arriva  en  Suisse  et  dans  les  Pays-Bas.  Personne 
n'osa  en  contester  l'authenticité,  la  cour  en  ayant  écrit 
à  deux  illustres  pasteurs  de  ces  pays,  à  Basnag-e,  le 
célèbre  réfugié,  et  à  Pictet.  Ce  fut  alors  comme  une 
explosion  de  reproches.  Ne  Tavaient-ils  pas  assuré? 
Les  assemblées  avaient  produit  leur  effet  naturel  ;  les 
protestants  de  France  allaient  reprendre  les  armes; 
non-seulement  le  Poitou,  mais  encore  le  Dauphiné,  le 
Languedoc  étaient  en  armes.  «  J'ai  appris,  écrivait 
l'un  d'eux,  par  une  personne  de  considération  et  d'une 
fort  grande  piété,  que  le  Roi  d'Espagme  ou  le  cardinal 
Albéroni  fait  prêcher,  de  nuit,  dans  le  bas  et  haut  Lan- 
guedoc, de  ces  voleurs  du  saint  nom  de  Jésus  qu'on 
appelle  Jésuites,  pour  tâcher  par  leurs  représentations 
et  leurs  belles  promesses  de  tourner  le  cœur  des  ré- 
formés du  côté  du  Roi  d'Espagne  et  trahir  notre  bon 
Roi^)) 

Basnage  écrivit  une  première  lettre  à  propos  des 
assemblées  et  les  condamna.  Cette  condamnation  éma- 
nant d'un  tel  personnage  pouvait  avoir  un  fâcheux 
retentissement.  Antoine  Court  le  comprit  et,  encore 
ému  par  ces  injustes  attaques,  il  prit  la  plume  et  ré- 
pondit. Dans  un  rapide  abrégé  des  événements  qui 
s'étaient  succédé  depuis  la  révocation  de  l'Edit  de  Nan- 
tes, il  lui  parlait  de  l'état  misérable  où  cet  édit  avait 
jeté  les  protestants,  des  violences,  des  persécutions,  de 
la  guerre  des  Camisards  et  de  la  profonde  détresse  qui 
en  avait  été  le  résultat;  il  lui  parlait  encore  de  ses 

1  N"  1,  t.  II,  p.  83.  (1719.) 


REPONSE  D'ANTOINE  COURT  125 

efforts,  de  ceux  de  ses  collègues,  «  lumig-nons  fumants,  » 
pour  éclairer  les  cœurs,  ranimer  la  foi,  éveiller  l'es- 
pérance; il  lui  pariait  de  Tordre  qu'ils  avaient  établi, 
de  la  discipline, —  et  arrivant  enfin  aux  assemblées  : 

«  Nous  ne  nous  arrêterons  pas  longtemps  à  réfuter  ceux  qui 
annoncent  l'Evangile  et  qui  cependant  réprouvent  nos  assem- 
blées. Supposons  pour  un  moment  que  cinq  ou  six  bergers 
eussent  trente  ou  quarante  mille  brebis  dispersées  dans  un 
vaste  pays,  séparées  par  des  cloisons,  serait-il  possible  que  ces 
bergers  pussent  nourrir  tant  de  brebis,  s'ils  ne  formaient  de 
petits  troupeaux  pour  leur  donner  tour  à  tour  les  choses  néces- 
saires ?  Nous  ne  croyons  pas  même  qu'il  fût  difficile  de  prouver 
que  les  chrétiens  des  premiers  siècles  et  nos  frères  du  temps 
de  la  réformation  aient  fait  des  assemblées,  quoique  les  prin- 
ces les  eussent  défendues.  Nous  n'ignorons  pas  qu'il  ne  faille 
de  la  prudence  et  des  lieux  à  l'abri  des  persécuteurs,  et  nous 
avons  si  bien  suivi  cette  méthode,  que  pour  une  assemblée  qui 
est  découverte,  il  s'en  fait  cent  à  l'insu  des  ennemis.  Il  est 
vrai  que  quelques  maisons  ou  granges  ont  été  dévastées,  quel- 
ques personnes  ont  été  condamnées  aux  galères,  plusieurs 
mises  en  prison  ;  très-peu  ont  souffert  la  mort.  Mais  ignore-t-on 
qu'il  y  a  des  croix  attachées  à  la  profession  de  l'Evangile?  On 
a  remarqué  quelquefois  que  lorsqu'une  assemblée  avait  été 
vendue,  les  détachements  roulaient  autour  du  lieu  oii  elle  se 
faisait  comme  les  habitants  de  Sodome  et  de  Gomorrhe  autour 
de  la  maison  de  Loth,  et  il  est  arrivé  que  des  brebis  qui  ve- 
naient de  paître  ont  servi  de  garde  pour  reconduire  chez  eux 
des  loups  qui  étaient  venus  pour  les  dévorer.  Nous  protestons 
encore  contre  tous  ceux  à  qui  il  appartiendra,  que  nous  vou- 
ions rendre  à  notre  prince  ce  qui  lui  est  dû  ;  mais  nous  croyons 
qu'il  ne  nous  est  pas  permis  de  négliger  pour  un  peu  de  temps 
notre  salut,  ni  celui  de  nos  frères.  » 

Ailleurs,  il  ajoutait  :  «  Nos  assemblées  ne  sont  point 
tumultueuses  ;  on  n'y  porte  point  d'armes.  Nous  n'a- 


126  NOUVELLES  ATTAQUES 

VOUS  rien  à  nous  reproclier  de  ce  côté-là,  puiî^que  nous 
blâmons  tous  ceux  qui  sont  sortis  de  nos  rangs  pour 
suivre  d'autres  maximes  que  celles  de  l'Evang-ile  ' .  » 

Basnage  se  montra  satisfait  de  ces  déclarations.  Mais 
d'autres  lettres  arrivaient  de  Genève  ;  il  fallut  encore 
y  répondre.  Court  fit  copier  l'apologie  qu'il  venait 
d'adresser  au  pasteur  de  la  Haye,  et  l'envoya.  Le  même 
résultat  fut  atteint  ;  il  y  eut  quelque  apaisement  dans 
les  colères.  Le  pasteur  Vial  écrivit  que  tous  les  gens 
de  bien  avaient  appris  avec  joie  les  lieureux  résultats 
qu'obtenaient  Antoine  Court  et  ses  collègues  par  les 
assemblées  au  Désert,  qu'il  déplorait  l'envoi  des  lettres 
injurieuses  adressées  au  jeune  prédicant,  et  que,  pour 
lui,  son  seul  but  avait  été  de  montrer  au  Roi  de  France 
que  la  relig'ion  protestante  n'autorisait  pas  la  désobéis- 
sance aux  princes  légitimes,  encore  moins  la  rébellion. 

On  se  tromperait' cependant  si  l'on  croyait  que  tous 
les  esprits  s'étaient  rendus  aux  arguments  du  jeune 
pasteur;  il  avait  défendu  la  cause  des  assemblées, 
mais  ne  l'avait  point  encore  gagnée.  Quelque  temps 
après  ces  événements,  Pictet  revenait  sur  ce  sujet  et 
accumulait  les  griefs  ^.  Toutefois,  après  avoir  déclaré 
qu'il  n'était  point  le  seul  de  ce  sentiment,  il  avouait 
qu'il  ne  prétendait  rien  imposer,  et  que,  si  les  pasteurs 
de  France  se  trouvaient  bien  de  leurs  assemblées,  il  en 
bénirait  Dieu  avec  ardeur  ^  Plus  tard  encore,  lorsque 
l'édit  de  1724  eut  été  promulgué,  de  nouvelles  atta- 


1  N"  46.  Lettre  pastorale  à  Basnage.  (1719.) 

2  V.  Pièces  et  documents,  n"  VI. 

3  II  y  eut  encore,  vers  cette  époque,  la  lettre  d'un  prosélyte  «  de 
réputation  »  contre  les  assemblées. 


TRISTESSE  ET  JOIE  DE  COURT  127 

ques,  et  non  les  moins  violentes,  furent  dirigées  contre 
ces  inoffensives  réunions  du  Désert.  «  Ah  !  s'écriait 
Court,  on  fait  plus  de  mal  qu'on  ne.  pense,  quand 
on  décrie  nos  assemblées  ou  qu'on  ne  les  approuve 
pas  ^  » 

Il  était  en  effet  convaincu  qu'elles  offraient  le 
moyen  le  plus  sûr  pour  affermir  les  courages  et  en- 
tretenir la  piété,  qu'elles  étaient  surtout  la  protestation 
la  plus  simple  et  la  plus  concluante  contre  la  décla- 
ration de  1715.  Aussi  quelle  joie  lorsqu'il  annonce  que 
les  assemblées  continuent  avec  régularité  et  que  leur 
nombre  est  de  jour  en  jour  plus  considérable  !  Il  est 
presque  tenté  cl,e  s'en  attribuer  l'bonneur,  et  assu- 
rément il  n'y  est  pas  sans  droit.  Ce  fut  sa  fermeté 
qui  maintint  les  assemblées  au  Désert.  —  Quant  aux 
avantages  politiques  qu'il  prétendait  en  retirer,  il  ne 
s'en  exagérait  pas  l'importance.  La  convocation  des 
assemblées,  le  nombre  des  assistants,  l'ordre  qui  y 
rég'nait,  ne  furent  pas  sans  exercer  une  grande  in- 
fluence sur  les  conseils  de  la  cour.  Elles  n'eurent  d'a- 
bord, il  est  vrai ,  d'autre  résultat  que  de  faire  multi- 
plier les  mesures  de  rigueur  ;  mais  peu  à  peu  les  soldats 
se  lassèrent  de  courir  le  pays  pour  les  surprendre,  et 
les  intendants  d'envoyer  aux  galères  les  prisonniers. 
Cette  héroïque  obstination  à  affirmer  au  grand  jour 
l'existence  du  protestantisme  sauva  le  protestantisme 
français. 


'  N"  7,  t.  III,  p.  25.  (1726.)  —  Ce  ne  devaient  pas  être  les  dernières 
attaques.  On  verra,  dans  la  suite  de. cette  histoire,  que  les  assemblées 
au  Désert  continuèrent  d'avoir  des  détracteurs  nombreux  et  d'autant 
plus  violents  qu'elles  se  tinrent  avec  plus  d'éclat 


12S  SUCCÈS  DES  ASSEMBLÉES 

Elle  ne  contribua  pas  peu  en  attendant  à  lui  valou' 
son  premier  succès. 

Jusqu'alors,  l'ingénieux  système  mis  à  la  mode  par 
la  déclaration  de  1715  était  resté  en  vigueur,  et  la 
cour,  s'abritant  derrière  la  loi,  continuait  de  nier  qu'il 
y   eût   encore  des  protestants   en    France.   Elle    dut 
rompre,  sinon  officiellement,  officieusement  du  moins, 
avec  ce  système.  Cela  se  passa  en  1719,  en  pleine  Ré- 
gence, à  propos  d'une  aventure  curieuse  qui  se  noua 
et  se  dénoua  au  moment  même  où  les  religionnaires 
commençaient  à  s'agiter,  et  où  Albéroni  conspirait 
contre  la  France. 


CHAPITRE  V 

LE    PROTESTANTISME   ET    LA   REGENCE  ^ 
1715-1723 

C'est  avec  une  entière  confiance,  avec  joie,  que  les 
protestants  avaient  salué  à  la  mort  de  Louis  XIV  l' avè- 
nement du  duc  d'Orléans.  Ils  avaient  pensé  qu'une  ère 
de  tolérance  allait  désormais  s'ouvrir,  et  que  tous  les 
édits  qui  pesaient  sur  eux  disparaîtraient  en  même 
temps  que  celui  qui  les  avait  signés  ^' 

Une  première  déclaration  troubla  leurs  illusions.  Le 
Régent  signifia  hautement  c(  qu'il  maintiendrait  les 
édits  contre  les  religionn aires.  »  Il  ajoutait  toutefois 
«  qu'il  espérait  trouver  dans  leur  bonne  conduite  l'oc- 
casion d'user  de  ménagements  conformes  à  sa  clé- 
mence ^.  »  Cette  seconde  phrase  raviva  et  raffermit 

1  On  dit  généralement  que  la  Régence  fut  pour  le  protestantisme 
un  temps  de  tolérance,  presque  de  liberté  religieuse.  Rien  n'est  moins 
fondé;  ce  chapitre  et  le  chapitre  viii  en  fourniront  la  preuve. 

*  Joly  de  Fleury  en  convient  aussi  :  «  Les  nouveaux  convertis  se 
sont  persuadés,  depuis  la  mort  du  feu  Roi,  que  Vindulgence  dont  ou 
a  usé  pendant  les  premières  années  du  règne  de  Louis  XV {\)  pou- 
vait leur  faire  espérer  le  rétablissement  de  l'exercice  de  leur  reli- 
gion. »  Extrait  d'un  rapport  deLaFare.  Bibliothèque  nationale,  Mss. 
n»  7046,  p.  213. 

3  Histoire  de  la  Régence^  par  Lemontey.  Paris,  (1832.) 
I  9 


130  CONFIANCE  DES  PROTESTANTS 

leurs  espérances.  Le  maintien  des  édits,  pensèrent- 
ils,  n'était  qu'un  acte  de  pure  politique,  et  ils  coururent 
en  foule  aux  assemblées  qu'Antoine  Court  et  ses  collè- 
gues commençaient  de  convoquera  — De  cruels  évé- 
nements ne  devaient  pas  tarder  à  leur  montrer  sous 
leur  vrai  jour  les  intentions  du  pouvoir. 

Le  duc  d'Orléans  n'avait  personnellement  aucune 
haine  contre  «  les  huguenots,  »  comme  il  les  appelait  ; 


*  K'est-ce  pas  sous  l'empire  de  cette  pensée  que  fut  écrite  cette  re- 
quête naïve  et  charmante  dans  son  embarras,  envoyée  au  Régent,  en 
1716,  par  les  religionnaires  duDaupliiné?—  Ah!  pour  rien  au  monde, 
ils  n'auraient  voulu  le  compromettre. 

«  Monseigneur,  quatre  ou  cinq  personnes  du  nombre  des  religion- 
naires du  Dauphiné,  osent  prendre  la  liberté  d'écrire  à  Votre  Altesse 
Royale,  sans  oser  cependant  signer  leur  lettre,  pour  l'assurer  pre- 
mièrement de  leur  soumission  profonde  et  leur  fidélité  inviolable  et 
lui  donner  avis  en  même  temps  que  quelques-uns  des  leurs,  qui  habi- 
tent dans  les  hameaux  et  villages  de  la  campagne,  se  sont  émancipés 
depuis  quelques  semaines  de  faire  des  assemblées,  dans  la  seule  vue 
toutefois  de  prier  Dieu  et  se  consoler  ensemble,  sans  le  moindre  port 
d'armes,  quel  que  ce  puisse  être,  en  secret,  autant  qu'il  leur  a  été 
possible,  et  sans  aucun  tumulte,  désordre  ni  sédition. —  Dès  que  nous 
avons  été  informé  de  la  chose,  nous  pouvons.  Monseigneur,  assurer 
Votre  Altesse  Royale,  avec  la  dernière  sincérité,  que  nous  n'avons 
rien  négligé  de  ce  qui  peut  être  en  notre  pouvoir  pour  l'empêcher 
et  pour  réprimer  ce  zèle  hors  de  saison.  Comme  la  prudence  ne  nous 
a  pas  permis  de  nous  transporter  dans  les  endroits  où  ces  assemblées 
peuvent  se  former,  de  peur  que  quelques  catholiques  d'un  zèle  outré 
et  trop  ardent  n'eussent  pu  imputer  nos  démarches  à  un  motif  direc- 
tement opposé  à  celui  qui  nous  les  aurait  fait  entreprendre,  nous 
n'avons  cessé  d'être  aux  aguets  les  jours  de  marché  pour  avertir  les 
paysans  de  notre  connaissance  d'être  sages,  de  demeurer  tranquilles, 
de  discontinuer  ces  sortes  d'assemblées  et  de  se  contenter  de  prier 
Dieu  chacun  chez  soi  et  dans  sa  famille.  Nous  leur  avons  recommandé 
fortement  de  donner  le  même  avis,  de  main  en  main,  à  tous  leurs 
voisins;  en  un  mot,  d'être  fidèles  au  Roi,  et  de  ne  rien  faire  contre 
les  lois  d'un  gouvernement  aussi  équitable  que  celui  de  Votre  Altesse 
Royale,  sous  lequel  nous  avons  tous  le  bonheur  de  vivre.  »  Archives 
nationales,  TT.  463.  (Avril  1716.) 


LE  RÉGENT  ET  SAINT-SIMON  131 

il  était  même  animé  d'intentions  bienveillantes  à  leur 
égard,  et  un  jour,  en  1716,  il  les  manifesta  claire- 
ment. 

Les  religionnaires  ajoutaient  à  tous  les  embarras  que 
lui  avait  légués  le  feu  roi  ;  ils  s'adressaient  à  lui  pour 
mille  procès,  et  la  difficulté  de  concilier  les  édits  et  dé- 
clarations de  Louis  XIV  le  jetaient  dans  de  grandes 
perplexités.  Ce  jour-là,  il  se  prit  donc  de  pitié  pour  ses 
sujets  huguenots.  «  Louis  XIV  les  avait  traités  avec 
cruauté;  l'Etat  avait  souffert  de  la  révocation  de  l'Edit 
de  Nantes  ;  cette  mesure  avait  ruiné  le  pays  et  excité 
des  haines  mortelles  :  pourquoi  ne  rappellerait-on  pas 
les  réfugiés  dans  leur  patrie  ?»  — ^11  parlait  ainsi  de- 
vant Saint-Simon.  Le  noble  duc  fut  d'abord  stupéfait. 
Mais  reprenant  quelque  calme ,  il  se  hâta  de  ramener 
f?on  royal  interlocuteur  à  de  plus  justes  sentiments.  Il 
lui  rappela  les  désordres  et  les  guerres  civiles  dont  les 
huguenots  avaient  été  les  instigateurs  depuis  Henri  II 
jusqu'à  Louis  XIII.  11  parla  de  leurs  prétentions  et  des 
embarras  qu'ils  avaient  donnés  à  Henri  IV.  Louis  XIV 
avait  abattu  l'hydre;  pourquoi,  au  lieu  de  jouir  en  paix 
d'un  si  grand  repos  domestique,  irait-il  de  son  gré 
faire  ce  que  le  feu  Roi  avait  eu  le  courage  et  la  force 
de  rejeter  avec  indignation,  «  quand,  épuisé  du  blé,  d'ar- 
gent, de  ressources  et  presque  de  troupes,  et  à  la  veille 
des  plus  calamiteuses  extrémités,  ses  nombreux  enne- 
mis voulurent  exiger  le  retour  des  huguenots  en  France, 
comme  l'une  des  conditions  sans  lesquelles  ils  ne  vou- 
laient point  mettre  de  bornes  à  leurs  conquêtes  ni  à 
leurs  prétentions  ?  »  —  Le  Régent  fut  déconcerté.  11 
rompit  brusquement  l'entretien,  et  ne  parla  plus  désor- 


132  LES  HOMMES  DE  L'ANCIEN  RÈGNE 

mais  ni  de  tolérance  ni  du  rappel  des  protestants  * . 

Cette  anecdote  que  raconte  Saint-Simon  peint  assez 
bien  le  duc  d'Orléans.  Ses  intentions  pour  les  relig-ion- 
naires  étaient  excellentes,  mais  il  n'avait  ni  la  volonté 
ni  le  temps  de  les  exécuter.  Il  avait  à  liquider  la  suc- 
cession d'un  règ-ne,  il  avait  le  duc  du  Maine,  Law,  la 
banque,  les  intrigues  d'Espag*ne;  accablé  d'affaires, 
comment  s'occuper  sérieusement  des  nouveaux  con- 
vertis ?  . . . . 

S'il  n'essaya  point  de  s'occuper  de  leur  condition, 
ceux  qui  depuis  si  long-temps  poursuivaient  en  France 
la  disparition  du  protestantisme  et  qui  avaient  su  mettre 
à  leur  dévotion  l'esprit,  la  volonté  et  la  puissance  de 
Louis  XIV,  se  gardèrent  bien  d'imiter  sa  réserve  et  de 
partager  son  indifférence.  Ils  étaient  restés  au  pouvoir, 
et  ils  n'entendaient  point  perdre  par  un  changement 
de  règne  le  fruit  de  leurs  longs  et  patients  travaux.  Le 
vieil  ordre  de  choses  n'avait  pas  encore  été  aboli,  les 
anciens  conseils  de  conscience  et  de  Yintérieur  fonc- 
tionnaient toujours  à  Paris  :  la  persécution  devait  donc 
suivre  son  cours. 

Les  premières  assemblés  du  Désert  qu'Antoine  Court, 
au  lendemain  de  la  mort  de  Louis  XIV,  avait  con- 
voquées en  Languedoc,  avaient  excité  une  assez  vive 
émotion.  Bâville  et  Roquelaure,  à  Montpellier,  dans 
le  premier  moment  de  colère,  en  avaient  immédiate- 
ment écrit  à  la  cour.  • —  Ici,  il  faut  tout  citer  : 

«  M.  le  duc  de  Roquelaure  et  M.  de  Bâville  donnent  avis 
de  quelques  petites  assemblées  qui  se  sont  tenues  en  Langue- 

*  Œuvres  de  Saint-Simon,  édition  Chéruel,  t.  XIV,  chap.  i. 


DÉCLARATION  DE  1716  133 

doc,  et  proposent  de  rendre  une  ordonnance  pour  les  empê- 
cher. 

«  Il  faut  répondre  à  M.  de  Bâville  et  à  M.  de  Roquelaure 
qu'ayant  rendu  compte  à  Mgr  le  duc  d'Orléans  des  lettres  qu'il 
nous  écrit  au  sujet  de...,  et  de  l'ordonnance  en  forme  de  placard 
que  M.  de  Bâville  a  proposé  qu'il  fut  rendu  pour  défendre  les 
assemblées  ;  Son  Altesse  Royale  a  jugé  à  propos  de  m' ordonner 
de  rendre  compte  au  conseil  de  Régence  de  ce  qu'ils  proposent, 
et  il  a  été  décidé  d'expédier  l'ordonnance  que  je  lui  envoie, 
pour  qu'il  la  fasse  imprimer  et  afficher  incessamment  ^  » 

En  effet,  au  mois  de  mai  ou  de  juin  1716,  parut  et 
fut  affichée  dans  tous  les  bourgs  et  villag-es  du  Lan- 
o^uedoc  une  ordonnance  royale  qui,  après  avoir  énu- 
méré  toutes  les  lois  restrictives  promulguées  sous 
l'ancien  règ-ne  pour  empêcher  les  assemblées,  conti- 
nuait ainsi  :  ...  «  Cependant  toutes  ces  lois  ne  pouvant 
contenir  l'endurcissement  des  nouveaux  convertis  qui 
continuent  de  faire  des  assemblées  prohibées  et  défen- 
dues par  des  ordonnances ,  il  était  nécessaire  d'y  pour- 
voir et  de  renouveler  les  mêmes  défenses  pour  l'en- 
tière exécution  des  intentions  de  Sa  Majesté.  Ainsi  le 
procureur  général  du  Roi  a  requis  être  ordonné  que  les 
ordonnances,  édits  et  déclarations  du  Roi  prohibitives 
des  dites  assemblées,  seront  exécutées  suivant  leur 

»  Archives  nationales,  ÏT.  322.  (17  mai  1716.)  C'est  la  minute  pro- 
bablement de  la  réponse  du  conseil  de  Régence.  —  Malgré  d'activés 
et  de  patientes  recherches  au  ministère  de  la  guerre,  aux  Archives 
nationales,  aux  Archives  des  départements,  nous  n'avons  pu  retrou- 
ver la  correspondance  échangée  entre  les  intendants  et  la  cour  au 
sujet  des  religionnaires,  pendant  les  années  1715-1723.  Il  a  fallu  nous 
contenter  de  quelques  rares  pièces  égarées  et  trouvées  ici  et  là.  Les 
Archives  du  secrétariat  de  la  maison  du  roi  ont  une  déplorable  lacune 
de  1706  îi  1719;  et  h  cette  dernière  date,  elles  ne  contiennenr  guère 
que  des  lettres  de  Maurepas  sur  les  affaires  du  Poitou. 


134  CONSTERNATION  DES  PROTESTANTS 

forme  et  teneur,  conformément  à  la  volonté  du  Roi  ;  et 
ce  faisant,  être  faites  itératives  inhibitions  et  défenses 
à  tous  les  nouveaux  convertis  du  ressort  de  la  cour,  de 
quelque  qualité  et  quelque  condition  qu'ils  soient,  de 
faire  aucun  exercice  de  la  relig-ion  prétendue  réformée, 
ni  de  s'assembler  pour  cet  effet,  sous  prétexte  de 
prières  ou  culte  de  la  dite  religion  de  quelque  nature 
qu'il  soit,  en  aucun  lieu,  en  quelque  nombre,  ni  sous 
quelque  prétexte  que  ce  puisse  être,  ni  de  faire  des 
assemblées  ou  quelque  exercice  de  la  religion  autre 
que  la  catholique,  apostolique,  romaine,  et,  sous  quel- 
que prétexte  que  ce  soit,  de  recevoir  aucuns  ministres  et 
prédicants,  ni  d'avoir  aucun  commerce  avec  eux,  di- 
rectement ou  indirectement  *...  i> 

Le  5  août  de  la  même  année,  parut  encore  une  lettre 
du  duc  d'Antin  aux  évêques,  oii  il  les  priait  d'envoyer 
la  liste  des  écoles  de  leurs  diocèses  et  des  lieux  qui  en 
manquaient ,  afin  que  les  enfants  des  nouveaux  con- 
vertis ne  pussent  pas  retomber  dans  les  égarements 
de  leurs  pères,  faute  d'éducation  ^. 

Rien  n'était  donc  changé.  Ce  nouveau  règne  que  les 
religionnaires  avaient  salué  avec  tant  de  joie,  dont  ils 
attendaient  avec  certitude  la  fin  de  leurs  maux,  comp- 
tait à  peine  une  année  d'existence,  et  déjà  il  avait 
promulgué  une  ordonnance  terrible  qui  rappelait  les 
plus  terribles  du  règne  précédent  et  qui  montrait  clai- 
rement l'intention  de  la  cour  de  ne  point  se  dépar- 
tir de  cette  inflexibilité   et  de  cette  rigueur  dont  le 

1  Archives  nationales,  TT.  463. 

2  N"  17,  vol.  G,  p.   505.  —  V.  aussi  Recueil  des  Edits,  Déclara- 
tions et  Arrêts  d'à  Conseil  concernant  la  R.  P.  R  A  Rouen  (1729) 


PLAINTES  ET  REQUETES  135 

feu  Roi  avait  donné,  pendant  de  si  longues  années, 
de  si  éclatants  et  si  nombreux  exemples.  La  stupeur 
fut  immense.  Et  la  consternation  qui  suivit  fut  d'au- 
tant plus  profonde  que  les  espérances  avaient  été  plus 
hautes. 

«  La  plupart  de  ceux  qui  sont  restés,  écrivait  un  protestant, 
s'étaient  flattés  qu'après  la  mort  de  Sa  Majesté,  qui  était  obsé- 
dée par  les  Jésuites,  leurs  grands  ennemis,  ils  pourraient  jouir 
de  quelque  liberté,  puisque  Votre  Altesse  Royale  sait  très-bien 
que  la  religion  doit  se  persuader  et  non  se  forcer.  Mais  ils  sont 
bien  loin  de  leur  compte,  puisqu'ils  voient  revivre  les  mêmes 
rigueurs,  et  qu'ils  sont  comme  l'oiseau  sur  la  branche,  prêts  à 
tout  moment  d'être  exterminés*...  » 

De  leur  côté,  les  religionnaires  de  Guyenne  ajou- 
taient à  propos  d'une  assemblée  surprise  : 

«  Hélas!  combien  de  maux  ne  leur  a-t-on  pas  fait  souffrir 
pour  leur  religion,  depuis  trente-deux  ans  que  l'on  les  persécute 
à  outrance,  que  l'on  a  ruiné  et  réduit  un  nombre  infini  de  gens 
à  la  mendicité,  que  l'on  a  gardés  en  prison,  renfermés  depuis 
vingt-cinq  et  trente  ans,  (d'autres  ont  été  mis  dans  les  couvents 
pour  avoir  des  prétextes  de  leur  avoir  leurs  biens),  que  l'on  a 
exécutés  plusieurs  fois,  et  que  l'on  a  enfin  réduits  à  la  dernière 
extrémité 2...  » 

Antoine  Court  prit  lui  aussi  la  plume  et  dans  une 
lettre  à  Roquelaure  qui  commandait  en  Languedoc  : 
Le  clergé,  disait-il  en  substance,  continuait  donc  de 
les  peindre  sous  de  fausses  couleurs,  puisqu'après 
trente  années  de  disgrâces,  on  renouvelait  contre  eux 
les  plus  sévères  édits   du    temps  passé.  Malgré  leur 

•  Archives  nationales,  TT.  46^).  (17J6.) 

«  IhùL.  TT,  363  —V.  aussi  Vif^e^  et  documents,  n"  VIII 


136  LETTRE  D'ANTOINE  COURT 

fidélité,  ils  se  voyaient  exposés  sous  la  Rég*ence  aux 
mêmes  rigueurs  qui  les  avaient  frappés  sous  Louis  XIV. 
De  quel  crime  cependant  pouvait-on  les  charg-er?  D'être 
attachés  à  leur  religion  et  d'en  faire  profession  au  Dé- 
sert? Mais  était-ce  un  crime  !  Etaient-ils  des  factieux? 
On  savait  bien  que  non.  En  vain  avait-on  surpris 
leurs  assemblées,  fait  des  prisonniers,  tiré  sur  une 
foule  inoffensive,  ils  n'avaient  jamais  eu  recours  à  des 
représailles  :  ils  s'étaient  laissé  emprisonner,  tuer 
((  comme  des  agneaux  sans  défense.  »  Ils  demandaient 
peu.  Us  ne  réclamaient  ni  le  droit  de  s'assembler  dans 
les  villes,  ni  la  permission  d'élever  des  temples  ;  ils 
sollicitaient  simplement  la  permission  d'aller  dans  les 
bois,  au  Désert,  invoquer  en  pleine  liberté  le  Dieu  de 
leurs  pères...  Au  surplus,  continuait-il,  quel  que  fût 
l'accueil  fait  à  leur  demande,  ils  étaient  trop  convaincus 
de  la  nécessité  de  leurs  assemblées  pour  y  renoncer  ; 
et  depuis  longtemps  ils  avaient  fait  le  sacrifice  de  leur 
vie  au  triomphe  de  leur  foi.  Mais  ils  mourraient  sans 
murmurer,  et  quelles  que  fussent  les  souffrances  qu'on 
leur  réservât,  rien  n'arracherait  de  leur  cœur  les  sen- 
timents d'amour  qu'ils  nourrissaient  pour  le  roi  et 
pour  la  monarchie  *. 

Ces  protestations  et  ces  prières  demeurèrent  sans  ré- 
sultat. La  cour,  menée  déjà,  poussée  et  dirigée  par  le 
clergé,  avait  résolu  de  poursuivre  jusqu'à  son  accom- 
plissement l'œuvre  entreprise  par  Louis  XIV.  Rien  ne 
pouvait,  en  ce  moment  du  moins,  la  faire  dévier  de  la 
ligne  de  conduite  qu'on  lui  avait  tracée.  Quelques  mois 

1  NM6,  cah    IL  (1716.) 


MESURES  CONTRE  LES  RÉFUGIÉS        137 

après  l'ordonnance  contre  les  assemblées,  elle  prit  des 
mesures  contre  les  réfugiés  qui,  sur  le  faux  espoir  de 
jours  meilleurs,  s'étaient  hâtés  de  revenir  dans  leur 
patrie.  Elle  leur  interdit  l'accès  du  sol  natal,  et  leur 
défendit  de  passer  la  frontière,  s'ils  n'abjuraient  pu- 
bliquement le  protestantisme  * .  Bien  décidée  à  en  finir, 
elle  voulait  ainsi  circonscrire  le  mal  pour  le  mieux 
étouffer. 

«  Le  l'eu  roi,  écrivait  l'intendant  de  Bretagne,  a  donné  des 
ordres  pour  empêcher  que  les  religionnaires  réfugiés  dans  les 
pays  étrangers  rentrassent  dans  le  royaume,  sans  faire  dans  la 
première  ville  frontière  un  nouveau  serment  de  fidélité,  et  sans 
promettre,  s'ils  ne  font  pas  en  même  temps  abjuration  de  la 
R.  P.  R.,  de  la  faire  incessamment.  Et  comme  quelques-uns 
pourraient  tenter  d'y  revenir  à  l'occasion  des  changements  qui 
viennent  d'arriver,  j'ai  reçu  l'ordre  de  Sa  Majesté  de  faire  arrê- 
ter ceux  qui  pourraient  rentrer  dans  cette  province,  sans  avoir 
dessein  de  satisfaire  à  ces  conditions...  » 

Et  plus  loin  : 

<'....  C'est  afin  que  vous  teniez  la  main  à  l'exécution  de  ce 
règlement,  sans  vous  en  départir  en  aucune  manière,  que  nous 
vous  faisons  savoir  que  telle  est  la  volonté  de  la  Régence^...  » 

En  Daupliiné,  Médavid  accentua  la  pensée  de  la 
cour,  et  mit  dans  l'exécution  de  ses  ordres  une  rigueur 
militaire  : 

«...  Je  vous  supplie,  Monseigneur,  de  donner  ordre  à  Mes 

1  La  cour  dut  envoyer  aux  intendants  et  aux  commandants  militaires 
une  lettre  circulaire  écrite  dans  ce  sens.  Malheureusement  nous  ne 
la  possédons  pas.  Mais  le  fait  n'est  pas  douteux,  et  si  nous  ne  con- 
naissons pas  le  texte  de  cette  circulaire,  nous  en  connaissons  certai- 
nement l'esprit  par  les  lettres  des  intendants  et  des  commandants  k 
leurs  subdélégués. 

*  V.  Histoire  des  Eglises  de  Bretagne,  etc.,  t.  III,  p.  213. 


138  MESURES  CONTRE  LES  RÉFUGIÉS 

sieurs  les  curés  de  votre  diocèse  de  vous  envoyer  un  état  exact 
de  ceux  qui  sont  revenus  dans  leurs  paroisses,  qui  n'ont  pas 
fait  abjuration,  et  de  vouloir  bien  m'en  informer,  afm  qu'en  y 
envoyant  des  troupes,  je  puisse  la  leur  faire  faire  ou  les  faire 
sortir  de  la  province  *...  »  • 

Quant  au  Lang'uedoc,  Roquelaure  terminait  ses  in- 
structions par  ces  lignes  :  «  ...  Si  après  cela,  il  ne  laisse 
pas  d'en  revenir  quelqu'un,  ne  manquez  pas,  s'il  vous 
plaît,  de  le  faire  arrêter  et  de  me  l'envoyer  en  sûreté  ^.  » 

Ces  vieux  commandants,  ces  intendants  choisis  par 
Louis  XIV  pour  donner  les  derniers  coups  au  pro- 
testantisme expirant  n'étaient  pas  hommes  en  effet  à 
abandonner  le  système  de  terreur  qu'ils  avaient  pra- 
tiqué avec  tant  de  succès.  Aussi,  dès  que  les  volontés 

1  V.  La  société  'protestante  dans  les  Hautes-Alpes,  etc.,  p.  425. 
494,  505   (Août  1716.) 

*  Voici  la  lettre  tout  entière  : 

«  A  Montpellier,  ce  14"  septembre  1717. 

«  Quoi  que  je  ne  doute  pas,  Monsieur,  que  vous  n'ayez  toute  l'at- 
tention que  vous  devez  à  ce  qu'il  n'arrive  rien  dans  votre  départe- 
ment contre  le  bien  du  service  du  Roi  et  de  la  tranquilité  publique; 
je  dois  néanmoins  vous  faire  savoir  qu'il  est  nécessaire  que  dans  la 
conjoncture  présente,  vous  ayez  une  aplication  particulière  à  veiller 
sur  ce  qui  se  passe,  observant  surtout  d'être  informé  bien  réguliè- 
rement de  tous  les  étrangers,  gens  inconnus  et  suspects  qui  pourront 
arriver  ou  même  passer  dans  les  lieux  de  vôtre  inspection,  afin  que 
vous  soyez  en  état  de  les  faire  arrêter,  s'il  y  a  lieu,  et  donner  avis 
conformément  aux  instructions  qui  vous  ont  été  remises.  Il  est  bon 
de  vous  faire  remarquer  que  vous  ne  devez  point  avoir  égard  aux 
passeports  que  les  réfugiés  français  prennent  à  Genève,  en  Suisse, 
ou  en  différens  endroits,  des  ministres  des  puissances  étrangères,  et 
que  les  réfugiés  ne  peuvent  revenir  en  cette  province,  sans  qu'ils  en 
ayent  une  permission  du  Roi,  ou  une  de  moi  ;  si  après  cela  il  ne 
laisse  pas  d'en  revenir  quelqu'un,  ne  manquez  pas,  s'il  vous  plait,  de 
le  faire  arrêter  et  de  me  l'envoyer  en  sûreté.  Je  suis.  Monsieur,  très 

parfaitement  à  vous. 

«  Signé  ■'  Le  Duc  de  Roquelaure.  > 
NM7,  vol.  H,  p.  286. 


PERSÉCUTION  EN  FRANCE  139 

du  pouvoir  se  furent  nettement  manifestées,  la  persécu- 
tion, quelque  temps  interrompue,  reprit-elle  son  cours 
ordinaire. 

En  Picardie,  Bernage  fit  battre  le  pays  par  les 
troupes,  et  se  donna  le  plaisir  de  courir,  de  nuit,  sus 
aux  assemblées  * .  • 

En  Bretagne,  des  mariag'es  furent  annulés  et  des 
enfants  séquestrés  ^. 

En  Saintonge,  Chamilly  brûla  les  maisons  de  ceux 
qui  allaient  au  Désert. 

En  Guyenne,  Berwick  écrivit  un  jour  que  les  nou- 
veaux convertis  tenaient  des  assemblées  et  qu'il  serait 
d'avis  d'ordonner  aux  troupes  de  charger  celles  qui  se 
tenaient  dans  le  voisinage  de  leurs  quartiers.  Le  Régent 
approuva  aussitôt  le  dessein,  et  ajouta  que  les  pré- 
dicants  devaient  être  punis  de  mort  ^.  Une  assemblée 
ayant  été  convoquée,  les  soldats  marchèrent  contre  les 
fidèles  et  les  dispersèrent  ^. 

En  Dauphiné,  Médavid  disait  avec  un  sourire,  à 
propos  d'une  exécution  qu'il  venait  de  faire  :  «  J'espère 
que  le  châtiment  que  je  viens  d'infliger  à  ceux  de  la 
vallée  de  Bourdeaux  servira  d'exemple  à  ceux  de  la 
province,  et  qu'ils  se  comporteront  de  manière  à  ne 
pas  attirer  chez  eux  mes  missionnaires  '^...  » 

Dans  le  Poitou,  on  se  livra  à  la  chasse  des  prédicants  ; 
vingt-cinq  hommes,  —  gens  de  rien,  laboureurs,  tisse- 
rants,  valets  de  ferme,  —  furent  obligés  de  se  réfu- 

1  V.  Histoire  de  Picardie,  etc.,  p.  276. 

*  V.  Histoire  des  Eglises  de  Bretagne,  etc.,  t.  III,  p.  215.  (1715-1718.) 

3  V.  Histoire  de  la  Régence,  etc.,  t.  II,  p.  145  et  146. 

'*  V.  Œuvres  de  Saint-Si/non,  etc.,  I.  XIV,  cliap,  i. 

î»  P'êvrier  1719. 


140  PERSECUTION  EN  LANGUEDOC 

^ier  en  Angleterre,  envoj^és  aux  galères  ou  pendus  ^ 
Bâville,  en  Languedoc,  et  Eoquelaure  ne  pouvaient 
se  laisser  dépasser.  Ce  dernier  écrivait  au  gouverneur 
d'une  ville  :  «  Outre  l'attention  que  vous  devez  avoir 
à  exécuter  bien  régulièrement  le  contenu  de  votre 
instruction,  je  vous  dirai  encore  que  vous  devez  vous 
attacher  particulièrement  1°  à  empêcher  qu'il  ne  se 
tienne  des  assemblées,  2°  à  faire  arrêter  sans  mena- 
gement  ni  complaisance  tous  les  étrangers,  les  incon- 
nus et  les  suspects  ^.  »  Recommandation  inutile!  Nul 
n'était  disposé  à  ménager  des  séditieux  que  l'on  croyait 
domptés,  et  qui  donnaient  de  nouveau  des  signes  de 
leur  indomptable  esprit  de  résistance.  En  1715,  Roque- 
laure  avait  cru  pouvoir  désarmer  vingt-cinq  mille  hom- 
mes des  milices  bourgeoises,  mais  ce  qu'il  en  restait, 
joint  aux  troupes  régulières,  était  suffisant  pour  con- 
tenir les  religionnaires.  De  tous  côtés,  il  envoya  des 
détachem^ents  et  mit  les  soldats  en  campagne  ;  le  nom- 
bre des  espions  fut  augmenté,  les  têtes  des  prédicants 
mises  à  prix,  et  les  traîtres  encouragés  à  découvrir  les 
assemblées.  Un  prédicant  fut  arrêté  et  pendu;  plu- 
sieurs réunions  du  Désert  furent  surprises  et  disper- 
sées. Au  commencement  de  l'année  1717,  on  apprit 
qu'une  assemblée  devait  se  tenir  dans  les  Ce  venues, 
près  d'Anduze,  au  Désert.  Les  dragons  accoururent 
pour  donner  «  la  chasse.  »  Ils  saisirent  soixante-qua- 
torze personnes  et  les  conduisirent  à  Montpellier.  Ro- 
quelaure  condamna  vingt-deux  hommes  aux  galères 


1  V.  BvUet.,  t.  IV,  p.  224,  et  n"  17,  vol.  R. 

2  N»  17,  vol.  H,  p.  2m  et  290. 


PERSECUTION  EN  LANGUEDOC  141 

perpétuelles,  les  femmes  à  la  prison,  et  le  bourreau  re- 
çut l'ordre  d'aller  planter  au  milieu  de  la  place  d'An- 
duze  un  poteau  où  seraient  inscrits  les  noms  des  con- 
damnés. La  punition  ne  parut  même  pas  assez  sévère. 
Il  n'y  avait  dans  cette  ville  que  trois  compagnies  du 
régiment  de  Brie  ;  on  y  envoya  dix  nouvelles  compa- 
gnies avec  leur  état-major.  Où  log'er  tous  ces  gens  de 
guerre  et  comment  les  nourrir?  Le  conseil  de  la  ville 
dut  pourvoir  à  tout;  il  emprunta,  réquisitionna,  et 
plaça  les  soldats  chez  les  habitants.  La  cour  alors  se 
déclara  satisfaite  ^  —  La  même  année,  une  assemblée 
se  tint  aux  environs  d'Uzès.  Plusieurs  personnes  furent 
prises  et  frappées'  de  différentes  peines.  Duvillar , 
commandant  dans  le  diocèse,  écrivit  aux  Consuls,  en 
envoyant  un  exemplaire  du  jugement  : 

«  Il  faut  que  vous  avertissiez  tous  les  habitants  qu'il  y  a  pré- 
sentement des  ordres  plus  rigoureux  que  par  le  passé,  pour  pu- 
nir sévèrement  ces  sortes  d'assemblées.  Les  communes  sont 
chargées  de  tous  les  frais  qui  se  font  pour  le  jugement  des 
coupables  et  pour  la  nourriture  des  femmes  qui  sont  prises  aux 
dites  assemblées,  qui  sont  condamnées  à  une  prison  perpétuelle, 
et  entretenues  aux  dépens  de  la  paroisse  d'oiî  elles  sont.  Outre 
cela,  la  paroisse  où  l'assemblée  s'est  tenue  est  encore  accablée 
par  un  logement  de  troupes  qui  n'en  sortiront  point  qu'ils  ne 
l'aient  entièrement  ruinée^.  » 


Les  religionn aires  cependant,  pillés,  traqués,  con- 

*  V.  Histoire  de  l'Eglise  d'Anditze,  etc.,  p.  758. 

2  V.  Bullet.j  t.  IX,  p.  138.  —  Duvillar  ne  faisait  qu'exécuter  les  or- 
dres de  la  cour.  Voici  deux  fragments  de  lettres  du  conseil,  à  la  date 
de  1718,  qui  ne  peuvent  laisser  aucun  doute  sur  l'esprit  qui  l'animait  : 

«  Le  Régent  approuve    fort,  Monsieur,   le  jugement    que   vous 


142  RÉSIGNATION  DES  PROTESTANTS 

damnés,  jetés  aux  galères,  n'avaient  de  prières  que 
pour  le  Eoi.  En  toutes  occasions,  ils  s'appelaient  «  les 
très-humbles  et  fidèles  sujets  de  sa  Majesté.  »  Ils  al- 
laient au  Désert,  il  est  vrai,  malgré  les  édits,  mais  s'ils 
continuaient  de  fréquenter  les  assemblées,  ce  n'était 
nullement  pour  faire  acte  d'opposition  :  ils  croyaient 
accomplir  un  devoir.  «  Nous  protestons,  écrivait  Court, 
contre  tous  ceux  à  qui  il  appartiendra,  que  nous  vou- 
lons rendre  à  notre  prince  ce  qui  lui  est  dû  ;  mais  nous 
croyons  qu'il  ne  nous  est  pas  permis  de  négliger  pour 
un  peu  de  temps  notre  salut  et  celui  de  nos  frères  * .  » 
Ce  point  excepté,  ils  s'inclinaient  devant  le  pouvoir  qui 
les  frappait  et  subissaient  ses  arrêts  sans  murmures, 
patiemment,  presque  avec  respect,  comme  un  châti- 
ment envoyé  par  Dieu. 

C'est  Antoine  Court  qui  avait  mis  au  cœur  des  an- 
ciens Camisards  ces  sentiments  de  patience,  et  chaque 


avez  rendu  en  condamnant  aux  galères  les  deux  hommes  qui  ont  été 
pris  dans  l'assemblée  de  nouveaux  convertis  tenue  dans  le  champ  de 
Rouvière,  et  la  détention  de  quatre  femmes,  comme  aussi  de  faire 
payer  les  frais  de  la  procédure  et  la  gratification  du  dénonciateur  par 
la  communauté  de  Florac  et  une  communauté  voisine,  en  punition 
de  ce  que  quelques-uns  y  ont  assisté,  ce  petit  châtiment  devant  pro- 
duire un  bon  effet  pour  l'avenir.  Il  ne  restait  que  pouvoir  attraper  le 
prédicant  pour  en  faire  un  exemple.  »  Histoire  de  VEglise  de  Mont- 
pellier, etc.,  p.  367.  (1718.) 

«  On  me  donne  avis  qu'il  y  a,  dans  les  Cévennes  et  dans  le  diocèse 
de  Mende,  un  grand  nortibre  de  prédicants  qui  ne  se  cachent  presque 
plus,  et  qui  pervertissent  tellement  les  peuples  qu'il  ne  reste  presque 
plus  de  traces  de  religion  dans  certaines  paroisses.  J'ai  eu  l'honneur 
d'en  rendre  compte  à  Son  Altesse  Royale,  qui  m'a  parue  touchée  de 
ces  désordres...  Elle  a  ajouté  qu'il  y  avait  deux  bataillons  dont  vous 
pouvez  disposer  pour  les  répandre  dans  les  lieux  infectés  par  ces  pré- 
dicants  »  Ihid.,  p.  550. 

1  N°  46.  Lettre  à  Basnage.  (1719.) 


RESIGNATION  DES  PROTESTANTS  143 

jour,  il  en  entretenait  l'énergie  faiblissante  par  ses 
exhortations.  Avec  la  même  force  qu'il  avait  prêché  le 
Réveil  et  la  nécessité  de  l'Ordre,  il  leur  recommandait 
maintenant  la  paix,  la  douceur,  la  charité  ;  il  leur  parlait 
des  malheurs  qu'ils  s'étaient  jadis  attirés  par  leurs  vio- 
lences et  par  la  g-uerre  ;  il  les  suppliait  de  se  soumettre 
religieusement  aux  rig'ueurs  de  la  persécution.  Au 
commencement  de  son  ministère,  il  avait  trouvé  le  pays 
frémissant.  Le  souffle  g'uerrier  qui  avait  animé  les 
compagnons  de  Cavalier  animait  encore  quelques 
hommes  hardis  et  supportant  difficilement  les  exactions 
des  intendants  ' .  Il  n'eût  fallu  qu'une  étincelle  pour  ral- 
lumer l'incendie.  A  force  d'efforts,  par  ses  prédications, 
par  les  synodes,  par  le  réveil  de  la  piété,  il  était  par- 
venu à  comprimer  ce  penchant  à  la  révolte.  Et  cepen- 
dant, en  1719  encore,  il  était  obligé  de  reconnaître 
que  s'il  cessait  d'exhorter  le  peuple,  il  s'élèverait  aus- 
sitôt «  des  séducteurs  et  des  scélérats  qui  feraient  des 
ravages  effroyables  ^.  »  Cette  crainte  le  rendait  attentif 
et  pressant.  Si  pareil  malheur  fût  en  ejffet  arrivé,  il 
savait  que  la  cause  du  protestantisme  français  était 
définitivement  perdue.  Le  but  qu'il  voulait  atteindre, 
c'était  la  liberté;  mais  pour  y  parvenir,  il  n'avait  vu, 
il  ne  voyait  encore  qu'un  seul  moyen  :  la  résig'nation. 
En  1718,  les  troupes  arrêtèrent  Etienne  Arnaud,  et 
un  détachement  le  conduisit  d'Alais  à  Montpellier.  Le 
détachement  ne  comptait  que  quarante  soldats  ;  il  était 
facile  à  quelques  hommes  résolus  de  se  mettre  en 
embuscade  sur  la  route,  de  l'attaquer  et  de  délivrer  le 

*  V.  Histoire  des  Camisards^  etc.,  préface. 
«  N"  46,  cah.  IV. 


144  FRANCE  ET  ESPAGNE 

jeune  prédicant.  La  chose  fut  décidée.  Mais,  avant 
d'accomplir  ce  dessein,  on  consulta  Court.  Celui-ci  était 
le  collègue  d'Arnaud;  il  l'aimait  comme  un  ami, 
comme  un  frère;  il  se  fût  dévoué  pour  l'arracher  à 
la  mort.  Cependant,  lorsque  les  conjurés  lui  confièrent 
leur  projet,  il  leur  défendit  de  le  mettre  en  exécution 
«  préférant  ne  pas  risquer  de  mettre  tout  le  pays 
en  feu,  et  voir  un  frère  sceller  de  son  sang  les  vérités 
qu'il  avait  prêchées,  que  de  lui  rendre  la  liberté 
pour  édifier  encore  le  peuple  ^  »  Et  comme  il  avait 
agi  pour  Arnaud,  il  e\\t  ordonné  qu'on  agît  pour  lui- 
même. 

Un  très-curieux  événement  survint  bientôt  qui  per- 
mit aux  religionnaires  de  donner  au  Régent  de  nou- 
velles assurances  de  leur  fidélité  à  la  monarchie. 

Le  duc  d'Orléans  voyait  depuis  1715  l'Espagne 
conspirer  contre  la  France.  Il  avait,  il  est  vrai,  conclu 
contre  elle  la  triple  et  quadruple  alliance,  fait  marcher 
ses  soldats  vers  les  Pyrénées,  vu  Byng  anéantir  la 
flotte  espagnole  et  déjoué  la  conspiration  de  Cellamare. 
Mais  rien  ne  pouvait  accabler  celui  qui  était  l'âme 
de  ces  complots  :  Albéroni.  Ce  premier  ministre  de 
Philippe  V,  toujours  vaincu,  jamais  abattu,  ne  cessait 
de  lui  susciter  des  embarras.  Après  l'insuccès  de  Cella- 
mare, loin  de  désespérer,  il  préparait  aussitôt  un  grand 
coup  pour  une  époque  prochaine.  Il  forcerait,  disait-il, 
l'empereur  par  une  lointaine  diversion  de  Ragotzi  à  lui 
lâcher  l'armée  de  Sicile,  il  paralyserait  l'Angleterre  par 
une  petite  flotte  jacobite,  et  il  soulèverait  enfin   la 

1  N°  46,  cah.  III. 


LA  COUR  CRAINT  UN  SOULEVEMENT  145 

France  en  faveur  de  son  maître  Philippe  V.  Projets  peu 
sérieux,  mais  qui  préoccupaient  le  Régent. 

Au  printemps  de  1719^  une  étrange  nouvelle  arriva 
tout  à  coup  à  Paris.  Les  protestants,  séduits  par  des 
émissaires  espagnols,  étaient  en  armes;  ceux  du  Poitou 
s'étaient  déjà  mis  en  révolte,  ceux  du  Languedoc 
allaient  se  soulever.  Le  duc  d'Orléans  s'effraya.  Une 
nouvelle  guerre  de  Camisards  l'obligeait  en  effet  à 
détacher  une  partie  de  ses  forces,  et  toutes  lui  étaient 
nécessaires  pour  faire  face  à  l'armée  espagnole.  Com- 
bien de  temps  d*ailleurs  faudrait-il  pour  vaincre  ces 
rebelles?  Louis  XIV  en  était  venu  difficilement  à  bout. 
Ne  serait-ce  pas  comme  jadis  une  long'ue  guerre  de 
partisans  qui  ajouterait  à  ses  embarras  présents  ?  N'é- 
tait-il pas  à  craindre  que  ce  soulèvenient  soutenu  par 
Albéroni  ne  devînt  l'origine  d'un  soulèvement  général 
en  faveur  de  Philippe  V  ? —  Peut-être  alors  le  Régent  se 
souvint-il  de  la  conversation  qu'il  avait  eue  avec  Saint- 
Simon,  et  lui  vint-il  comme  un  repentir  de  n'avoir  pas 
enlevé  aux  religiormaires  par  sa  clémence  le  droit  de 
s'insurger  contre  ses  rigueurs. 

Cependant  il  fallait  agir,  et  sans  tarder  * .  Le  comte 
de  Morville,  ambassadeur  de  France  en  Hollande,  fut 
chargé  par  le  duc  d'Orléans  d'engager  Basnage  à 
écrire  à  ses  coreligionnaires  pour  leur  recommander  la 
soumission.  Le  professeur  Pictet  reçut  de  son  côté  à 
Genève  de  semblables  ouvertures.  Pictet  et  Basnage 
écrivirent  aussitôt.  L'opuscule  de  ce  dernier  avait 
pour  titre  :  Listruction  et  lettre  pastorale  aux  Réfor- 


1  N"  46,  cah.  IV.  —  Cette  aventure  y  est  tout  au  long  racontée. 
I  10 


146  LETTRES  DE  PICTET,  DE  BA8NAGE 

onés  de  France  sur  la  persévérance  dans  la  foi  et  la 
fidélité  pour  le  Souverain  \  La  cour  de  France  le  fit 
imprimer  et  répandre  à  prcîfusion  :  on  en  remplit 
le  Poitou  et  le  Lang'uedoc.  Les  prédicants  étonnés 
se  concertèrent  aussitôt,  et,  le  30  juillet  1719,  ils  firent 
par  la  plume  de  Court  une  longue  et  belle  réponse 
au  célèbre  pasteur  de  la  Haye.  Les  Camisards,  disaient- 
ils  entre  autres  choses,  n'étaient  ni  des  leurs,  ni 
leurs  chefs  ;  ils  les  répudiaient.  L'esprit  de  révolte  ne 
les  animait  point,  mais  un  esprit  de  paix.  «  Nous  vou- 
lons, avec  la  grâce  de  notre  Seigneur,  jusqu'au  dernier 
soupir  de  notre  vie,  en  rendant  à  César  ce  qui  est  à 
César,  rendre  aussi  à  Dieu  ce  qui  appartient  à  Dieu.  » 
C'est  du  ciel  seulement  qu'ils  attendaient  leur  déli- 
vrance, et  ils  laissaient  à  Dieu  le  soin  de  faire  éclater 
sa  miséricorde  et  sa  sagesse  dans  leurs  misères  et  leurs 
perplexités  ^. 

Antoine  Court,  ne  sachant  rien  de  ce  qui  se  passait  à 
Paris  )  prenait  vers  cette  époque  les  eaux  minérales  à 
Euzet^.  Un  jour,  il  reçut  deux  courriers.  Le  premier 
lui  demandait  un  rendez-vous,  le  second  lui  en  mar- 
quait un  pour  affaires  importantes.  Ig*norant  si 
ces  deux  hommes  étaient  mandés  par  la  même  per- 
sonne, il  indiqua  pour  lieu  de  l'entrevue  une  petite 
ville,  Durfort.  Là,  il  rencontra  deux  protestants  de 
Nîmes  qui  se  disaient  envoyés  par  un  député  de  la 
cour,  M.  Génac  de  Beaulieu,  et  qui  lui  remirent  divers 
papiers.  Dans  une  lettre,  M.  de  Beaulieu  invitait  Court 

1  A  Rotterdam,  chez  Abraham  Acher.  (15  juin  1719.) 

2  V,  Bullet.,  t.  V,  p.  54.  (1719.) 
8  N"  46,  cah.  IV. 


DEPUTATION  EN  LANGUEDOC  147 

à  ne  plus  convoquer  d'assemblées  et  à  prémunir  les 
religionnaires  contre  les  insinuations  des  émissaires 
de  l'Espagne.  «  Soyez  assuré,  ajoutait-il,  que  celui  qui 
prend  la  liberté  de  vous  écrire  est  peut-être  plus  au 
fait  de  toutes  les  affaires  qu'aucun  de  vous,  et  qu'il 
vous  souhaite  de  toute  son  âme  toutes  les  bénédictions 
du  ciel  et  de  la  terre  *.  »  T.1  l'exhortait  en  finissant  à 
suivre  les  sag^es  avis  de  M.  Pictet.  Court  trouva  en 
effet  une  lettre  de  Pictet  et  une  autre  du  marquis  de 
Duquesne.  Le  dernier  demandait  des  détails  sur  un 
nommé  Scipion  Soulan,  le  premier  exhortait  les  pro- 
testants à  la  fidélité,  comme  Basnage  et  comme  le  pas- 
teur Vial  l'avaient  fait  encore  tout  récemment  : 

«  Au  nom  de  Dieu,  mes  chers  frères,  tenez -vous  sur  vos 
gardes  contre  tous  ceux  qui  cherchent  à  vous  perdre;  regardez 
comme  vos  ennemis  tous  ceux  qui  vous  parlent  de  secouer  le 
joug  du  prince  qui  vous  gouverne,  quelque  prétexte  qu'ils  pren- 
nent pour  ce  sujet;  souvenez-vous  surtout  qu'on  ne  peut  vous 
faire  de  semblables  propositions,  sans  déshonorer  notre  reli- 
gion... D'ailleurs,  mes  très-chers  frères,  que  pouvez-vous  atten- 
dre de  l'Espagne,  qui  s'est  toujours  déclarée  l'ennemie  capitale 
de  notre  sainte  religion  et  qui,  dans  les  siècles  précédents,  n'a 
pu  s'assouvir  du  sang  de  nos  pères?  Vous  devez  surtout  consi- 
dérer que  le  cardinal  qui  gouverne  cette  puissante  monarchie 
ne  pourra  jamais  être  de  vos  amis,  et  que,  quelque  caresse  qu'il 
vous  fasse  aujourd'hui,  il  ne  laissera  pas  de  vous  tourner  le 
dos  ^.  » 

Cela  se  passait  dans  les  premiers  jours  d'août.  Le 
Régent  en  eft'et  très-inquiet,  et  n'osant  trop  compter  sur 
l'effet  de  la  lettre  de  Basnage ,  avait  envoyé  M.  de 

1  N"  1.  t.  II.  p.  107.  (13  août  1719.) 

2  Ibid.,  p.  73.  (Avril  1719.) 


148  STUPEFACTION  DES  RELIGIONN AIRES 

Beaulieu  en  Laiig-uedoc,  et  un  M.  de  la  Bouchetière  dans 
le  Poitou  pour  se  mettre  directement  en  rapport  avec 
les  principaux  protestants  et  les  tenir  en  garde  contre 
les  intrigues  étrangères. 

Court  stupéfait  fît  aussitôt  chercher  Duplan  dont  les 
conseils  lui  étaient  précieux.  —  Dès  le  lendemain,  il 
répondit  à  ces  diverses  lettres.  Il  écrivit  à  M.  de  Beau- 
lieu  c(  que  la  révolte,  les  massacres,  et  tous  les  hor- 
ribles excès  qui  s'étaient  commis  au  commencement  du 
siècle,  avaient  apparemment  fait  présumer  aux  amis  et 
aux  ennemis  de  la  France  que  les  protestants  de  cette 
province  seraient  plus  disposés  que  les  autres  du 
royaume  à  écouter  les  promesses  et  à  se  laisser  séduire 
aux  flatteuses  espérances  que  les  loups  travestis  en 
brebis  voudraient  leur  donner  pour  les  engager  dans 
une  guerre  qui  favoriserait  leurs  pernicieux  desseins  ; 
mais  qu'ils  pouvaient  l'assurer  que  les  prédicateurs 
avaient  soin  de  répandre  parmi  le  peuple  les  mêmes 
maximes  de  piété  envers  Dieu,  de  charité  envers  le 
prochain  et  de  fidélité  envers  le  Roi,  que  Jésus-Christ 
et  les  apôtres  avaient  enseignées  dans  leurs  écrits; 
qu'ils  faisaient  leurs  assemblées  sans  armes,  sans  tu- 
multe, et  uniquement  dans  les  vues  de  glorifier  Dieu 
et  de  travailler  au  salut  du  prochain  ;  qu'on  y  priait 
Dieu  pour  le  Eoi  et  son  Altesse  ;  que  ceux  qui  prési- 
daient à  ces  assemblées  étaient  tous  gens  connus; 
qu'on  n'en  recevait  point  qui  n'eussent  été  examinés 
et  approuvés  par  des  gens  capables;  que  ce  n'était 
plus  de  ces  Eolan  furieux,  ni  de  ces  Cavalier  qui  se 
servaient  du  glaive  de  fer  pour  faire  la  guerre  à  leurs 
ennemis;  —  que  c'étaient  aujourd'hui  des  soldats  qui 


RÉPONSE  D'ANTOINE  COURT  149 

n'employaient  que  l'épée  de  l'esprit,  des  agneaux  tou- 
jours prêts  à  répandre  leur  sang  pour  le  salut  de  leur 
prochain,  bien  loin  de  penser  à  sacrifier  les  peuples  à 
des  passions  criminelles  ;  —  et  que  si  le  duc  Régent 
pouvait  lire  dans  leurs  cœurs,  il  y  verrait  écrit  en  let- 
tres d'or  ineffaçables  la  fidélité  et  le  dévouement  de 
leur  cœur  pour  le  Eoi  et  le  service  de  son  Altesse  ^ .  » 

M.  de  Beaulieu  était  un  gentilhomme  du  Dauphiné 
animé  d'excellentes  intentions.  En  arrivant  dans  le  Lan- 
guedoc, il  s'était  lui-même  facilement  convaincu  de  la 
fausseté  des  bruits  qui  avaient  effrayé  la  cour.  Les  as- 
semblées étaient  fréquentes  sans  doute,  mais  la  pro- 
vince était  tranquille.  La  lettre  d'Antoine  Court  le  ras- 
sura complètement.  Il  répondit  aussitôt  «  qu'il  avait 
lu  avec  un  singulier  plaisir  et  une  très-grande  édifica- 
tion les  réponses  qu'il  leur  avait  plu  de  lui  faire,  qu'il 
louait  leur  zèle ,  et  qu'il  priait  le  Seigneur  de  tout  son 
cœur  qu'il  continuât  à  leur  inspirer  toute  la  prudence 
nécessaire  dans  des  occasions  aussi  périlleuses  et  aussi 
délicates.» —  Une  chose  cependant  piquait  vivement  sa 
curiosité.  Le  Régent  avait  été  certainement  informé  d'un 
soulèvement  dans  le  Poitou  et  dans  le  Languedoc .  Qui  l'a- 
vait pu  ainsi  tromper?  Court  ne  tarda  pas  à  lui  répondre. 

«  J'ai  reconnu,  Monsieur,  que  vous  souhaitiez  une  informa- 
tion plus  exacte  de  la  disposition  des  esprits  et  des  cœurs  des 
protestants  de  ce  pays.  Vous  voudriez  aussi  nous  persuader 
toujours  à  suspendre  nos  assemblées  pour  quelque  temps,  et 
vous  nous  dites  qu'il  serait  de  notre  intérêt  de  découvrir  ceux 
qui  ont  la  malice  de  prévenir  la  cour  contre  nous  en  donnant 
de  faux  avis...  —  Outre  que  je  crois  presque  impossible  de  dé- 

1  N°  1,  t.  II,  p.  125.  (20  août.) 


150  REPONSE  D'ANTOINE  COURT 

couvrir  ceux  qui  ont  donné  de  faux  avis  à  la  cour  sur  notre 
fidélité,  il  me  semble  qu'il  n'est  pas  fort  nécessaire,  attendu 
que  nous  ne  doutons  pas  que  ce  soit  nos  ennemis,  —  ces  per- 
sonnes qui  regardent  le  pape  comme  infaillible,  maître  absolu 
du  droit  divin,  du  temporel  des  rois  et  de  la  vie  comme  de  la 
conscience  des  peuples,  et  qui,  sous  un  voile  de  piété,  un  mas- 
que de  religion  et  des  intentions  bien  dirigées,  se  croient  tout 
permis,  et  croient  rendre  service  à  Dieu  en  employant  la  fraude,  la 
calomnie  et  la  violence  pour  nous  rendre  odieux  et  nous  faire 
périr  entièrement,  s'il  leur  était  possible*.  » 

Les  protestants  en  effet  ignoraient  les  projets  d'Albé- 
roni  et  n'avaient  jamais  réfléchi  aux  cliances  d'un  sou- 
lèvement dans  une  guerre  générale^.  Les  religionnaires 
du  Poitou  s'étaient  rendus  à  des  assemblées,  il  est  vrai, 
mais  n'ayant  d'autre  dessein  que  d'implorer  Dieu. 

«Il  est  certain,  écrivait  M.  de  la  Bouchetière,  qu'on  a  fait  très- 
grand  tort  à  tous  ces  pauvres  gens  de  dire  que  leurs  assemblées 
étaient  fomentées  par  les  ennemis  de  l'Etat.  Ils  n'ont  jamais 
eu  d'autre  dessein  que  de  prier  Dieu,  et,  lorsqu'ils  l'ont  fait,  ils 
ont  toujours  prié  pour  la  conservation  du  Roi  et  pour  la  pros- 
périté de  M.  le  Régent.  Ils  n'ont  jamais  eu  de  ministres.  C'a 
toujours  été  l'un  d'entre  eux,  qui  après  avoir  appris  quelques  ser- 
mons, le  leur  a  récité,  et  cela  sans  aucun  tumulte  et  sans  armes  ^.» 

Un  ennemi  acharné,  —  probablement  un  prêtre  du 
diocèse  de  Nîmes,  —  avait  donc,  sans  nulle  preuve, 
dénoncé  les  protestants. 

Les  avis  qu'il  donnait  devaient  être  cependant  précis. 

1  N"  1,  t.  II. 

2  Court  de  Gébelin  affirme  cependant  que  l'Espagne  avait  réellement 
envoyé  des  émissaires,  mais  qu'ils  avaient  été  éconduits...  Monde 
'primitif,  t.  VIII,  p.  5  et  suiv. 

'  N°  1,  t.  II.  Cette  lettre  est  aussi  confirmée  par  celle  de  M.  de  La- 
ques. Biillet.,i.  IV,  p.  237.  * 


SCIPION  SOTILAN  151 

Il  y  parlait  d'un  certain  Scipion,  dit  Soulan,  comme  de 
l'instig'ateur  du  soulèvement.  Le  marquis  de  Duquesne 
priait  en  effet  Antoine  Court  dans  une  lettre  remise 
par  M.  de  Beaulieu  de  prendre  des  renseignements  sur 
ce  mystérieux  personnage. 

Le  jeune  prédicant  ne  le  connaissait  pas.  Il  mit 
néanmoins  quelques  hommes  en  campagne  et  par- 
vint bientôt  à  réunir  quelques  informations.  Sci- 
pion  Soulan  était  né  à  Saint-Hilaire,  dans  le  diocèse 
d'Alais  ;  sa  mère  tenait  un  cabaret  sur  le  chemin  qui 
conduisait  d'Alais  à  Nîmes.  C'était  un  jeune  homme 
de  vingt -cinq  ans,  inquiet,  joueur,  libertin,  aimant 
la  bonne  chère.  Il  avait  combattu  de  bonne  heure, 
étant  encore  berger,  avec  les  Camisards,  et  avait  été 
pris  et  enrôlé  dans  le  régiment  de  M.  de  la  Fare  qui, 
lui  voyant  quelque  talent,  l'avait  nommé  ofïfîcier.  Après 
avoir  commis  un  vol,  Soulan  était  parti  pour  Venise, 
où  on  assurait  qu'il  avait  été  capitaine.  Peut-être  de 
Venise  était-il  passé  en  Espagne',  et  là,  pour  gagner 
quelques  pistoles,  avait-il  promis  à  Albéroni  de  faire 
soulever  les  protestants  du  Languedoc.  Mais  il  avait 
dissipé  l'argent  et  n'avait  point  soulevé  les  religion- 
naires.  Peut-être  encore  avait-il  essayé  d'enrôler  quel- 
ques hommes  et  de  les  pousser  à  la  révolte,  mais 
ses  tentatives  avaient  été  apparemment  si  faibles  et  les 
oppositions  qu'il  avait  rencontrées  si  grandes  ,  qu'il 
avait  dû  abandonner  son  projet.  En  tous  cas,  son  entre- 
prise n'avait  pas  même  été  connue.  «  Sans  doute,  di- 
sait Court,  le  fameux  Cavalier  a  été  berger;  mais  les 
temps  sont  changés,  car  encore  qu'on  laisse  peser  sur 
les  réformés  les  édits  excroqués  par  les  faux  dévots  à 


152  ESPOIR  DES  PROTESTANTS 

son  bisaïeul,  ils  ne  se  révolteront  pas,  quand  même  on 
leur  assurerait  la  liberté  de  conscience  et  d'exercer  pu- 
bliquement leur  religion  K  » 

Court  cependant  concevait  les  espérances  les  plus 
grandes,  et  son  cœur  s'ouvrait  à  la  joie.  L'héroïque  con- 
duite qu'il  avait  conseillée  allait  donc  porter  ses  fruits  ! 
Le  Régent  allait  connaître  quels  sentiments  d'amour 
et  de  dévouement  animait  les  réformés  !  Il  n'était  point 
douteux  que  les  mesures  rigoureuses  que,  malgré  lui, 
il  avait  maintenues,  ne  fussent  aussitôt  retirées  ! . . .  Pre- 
nant les  protestants  pour  des  rebelles,  il  les  avait  jus- 
qu'alors laissé  traiter  comme  tels  ;  les  voyant  en  réalité 
paisibles  et  soumis,  il  reviendrait  à  la  clémence.  L'oc- 
casion était  solennelle.  Il  venait  de  déchirer  l'édit  de 
1715,  en  reconnaissant  officiellement  l'existence  des 
protestants  ;  il  allait  déchirer  les  autres,  par  justice  et 
par  reconnaissance,  et  arrêter  la  persécution  contre 
des  sujets  fidèles  et  dévoués. 

Ces  espérances  étaient  partagées  par  les  meilleurs 
esprits.  Une  des  personnes  que  M.  de  Beaulieu  avait 
envoyées  à  Court  pour  lui  porter  ses  lettres,  lui  écrivait  : 
«  Depuis  que  je  vous  ai  quitté,  mille  réflexions  m'ont 
roulé  dans  l'esprit.  La  situation  où  paraissent  les  af- 
faires fait  concevoir  les  plus  grandes  espérances  pour 
le  rétablissement  de  l'Eglise.  »  Et  il  conseillait  d'écrire 
au  député  gentilhomme,  afin  qu'il  employât  son  crédit 
auprès  du  Régent  en  faveur  des  protestants. 

Un  colloque  où  assistaient  les  collègues  d'Antoine 
Court  fut  aussitôt  tenu.  Le  jeune  prédicant  aimait  les 

1  N"  1,  t.  II,  p.  216.  (1719) 


ESPOIR  DES  PROTESTANTS  153 

choses  simples  et  claires;  il  proposa  d'écrire  directe- 
ment au  duc  d'Orléans.  Mais  on  fit  des  objections 
et  on  résolut  de  n'écrire  qu'à  M.  de  Beaulieu.  Deux 
lettres  furent  composées  :  l'une  traitait  des  assem- 
blées, l'autre  du  dévouement  des  protestants  au  Roi. 
Tout  ce  qui  avait  été  déjà  dit  sur  ces  deux  sujets  y 
était  répété  en  des  termes  à  peu  près^'  semblables. 

Ces  grandes  nouvelles  colportées  par  les  fidèles,  par 
les  prédicants,  couraient  cependant  la  province  et  la 
remplissaient  de  joie.  Duplan  profita  de  ce  moment 
pour  recommander  encore  une  fois  la  patience  et  la 
résignation  ' .  Soin  bien  inutile  !  Ce  n'était  plus  ni  la 
colère  ni  la  haine  qui  agitaient  les  âmes,  mais  un  senti- 
ment d'incroyable  bonheur.  A  peine  pouvait-on  croire 
à  la  réalité  de  ces  événements.  «  0  abîme,  s'écriait 
Court,  des  richesses  de  la  sagesse  et  de  la  providence 
de  Dieu  en  la  conduite  de  son  Eglise  !  Que  ses  voies 
en  cet  égard,  comme  dans  les  autres,  sont  incompré- 
hensibles et  difficiles  à  trouver  !  Qui  aurait,  je  vous 
prie,  imaginé  que  la  Providence  nous  eût  fait  naître, 
il  y  a  quelque  temps  où  on  ne  nous  regardait  que 
comme  des  malheureux  abandonnés  de  Dieu  et 
des  hommes,  une  pareille  occasion,  qui  nous  donne 
tant  de  jour  à  donner  des  marques  incontestables  de 


^  «  Il  est  bon  que  je  vous  informe  que  les  Puissances  n'ignorent  pas 
vos  noms  ;  elles  savent  tout  ce  qui  se  fait  dans  ce  pays.  C'est  pour- 
quoi il  est  plus  nécessaire  qup  jamais  de  redoubler  nos  prières  envers 
Dieu,  afin  qu'il  change  le  cœur  de  nos  ennemis  en  notre  faveur.  Le 
frère  Court  sait  que  nous  avons  informé  la  cour  de  notre  innocence 
et  de  notre  fidélité  pour  le  Roi;  mais  cela  ne  suffit  pas.  Il  faut  que 
nous  n'ayons  dans  toutes  nos  actions  pour  l)ut  que  sa  gloire  et  le  salut 
de  nos  prochains...  »  N"  12,  p.  15.  (1719  ) 


154  LA  PERSÉCUTION  RECOMMENCE 

notre  fidélité   et  de  notre  obéissance  envers  Sa  Ma- 
jesté \  » 

Les  mois  s'écoulaient.  Fontarabie,  Saint-Sébastien 
avaient  été  pris  et  les  vaisseaux  de  Philippe  avaient 
été  brûlés  ;  l'Espagne  était  vaincue.  Aucun  cliang'ement 
ne  s'était  encore  produit  dans  la  condition  des  protes- 
tants; mais  l'espérance  d''un  état  de  choses  meilleur 
vivait  toujours,  et  l'on  continuait,  sans  être  trop  inquiété 
par  les  troupes,  à  fréquenter  les  assemblées.  Cette 
espèce  de  liberté  entretenait  les  illusions. 

Ni  les  édits  cependant,  ni  les  ordonnances  n'avaient 
été  abrogés.  La  cour  n'avait  point  dévié  de  sa  ligne  de 
conduite,  et  si,  quelques  mois  durant,  elle  s'était  relâ- 
chée de  la  sévérité  dont  elle  avait  déjà  donné  tant  de 
preuves,  elle  n'avait  nullement  songé  à  promulguer 
un  édit  de  tolérance.  Les  événements  l'avaient  momen- 
tanément oblig'ée  de  suspendre  l'application  des  ordon- 
nances, mais  elle  entendait  bien  la  reprendre,  dès  que 
la  prudence  et  la  politique  lui  en  donneraient  le  loi- 
sir et  la  permission. 

Elle  le  prouva  bientôt. 

En  Bretagne,  en  1720,  le  substitut  du  procureur 
général  se  plaignit  que  plusieurs  religionnaires  né- 
gligeaient ou  refusaient  d'envoyer  leurs  enfants 
aux  écoles  catholiques.  Le  parlement  ordonna  aussi- 
tôt à  tous  les  pères,  mères,  tuteurs,  de  les  y  en- 
voyer, «  et  nommément  ceux  issus  de  parents  qui 
ont  fait  profession  de  la  R.  P.  R.,  »  —  sous  peine  de 

*  N"  1,  t,  II,  p.  134.  Page  détachée,  sans  date  ni  signature.  Ce  doii 
être  un  fragment  de  sermon  ou  de  lettre  pastorale. 


EN  BRETAGNE,  EN  DAUPHINÉ  155 

cent  livres  d'amende.  La  Vrillière  écrivait  de  son  côté 
à  l'intendant  : 

«  Son  Altesse  Royale  ayant  appris  que  les  déclarations  du 
Roi  sur  l'instruction  des  enfants  des  nouveaux  convertis, 
étaient  fort  négligées,  m'a  ordonné  de  vous  écrire  que  son  in- 
tention est  que,  dans  l'étendue  de  votre  département,  vous  te- 
niez la  main  à  ce  que  les  instructions  publiques  se  fassent 
régulièrement  par  ceux  qui  en  sont  chargés,  et  que  les  pères  et 
mères,  tuteurs  et  curateurs  y  envoient  leurs  enfants  sous  les 
peines  y  portées.  » 

La  même  année,  un  marchand  de  Saint-Saturnin  fut 
accusé  d'empêcher  ses  enfants  d'aller  aux  offices  et 
aux  instructions  de  l'église.  Quelques  mois  se  passè- 
rent; l'ordre  arriva  un  jour  d'enfermer  ses  deux  filles 
an  couvent  des  Ursulines  et  son  fils  au  couvent  des 
Mathurins  ^ 

En  Dauphiné,  les  protestants  continuaient  de  passer 
la  frontière  pour  aller  faire  bénir  leurs  mariag'es  à 
Genève.  «  Je  les  ferai  arrêter,  écrivit  Médavid,  et 
traduire  à  leurs  frais  dans  la  tour  de  Crest  ou  dans  les 
prisons  les  plus  prochaines,  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  fait 
réhabiliter  leurs  mariages  aux  formes  ordinaires  de 
l'Eglise...  C'est  de  cette  manière  que  j'en  use  dans 
les  autres  diocèses  de  l'étendue  de  mon  gouvernement, 
où  l'on  s'aperçoit  que  ce  châtiment  a  beaucoup  rebuté 
leur  ardeur  à  cet  égards  » 

Dans  le  Poitou,  les  assemblées  se  multipliaient,  de- 
venaient de  plus  en  plus  nombreuses  à  Niort,  à  Saint- 

*  V.  Histoire  des  Eglises  de  Bretagne^  etc.,  p.  219  et  suiv. 
2  V.  La  Socicti'  protestante  dans  les  Ila-xtes-Alpes,  etc.,  p.  425 
41>5,  505.   (1720.) 


156  LA  PERSÉCUTION  DANS  LE  POITOU 

Maixent  et  dans  les  autres  lieux  «  infectés.  »  De  la 
Tour,  l'intendant,  ne  savait  à  quelles  mesures  recourir 
pour  arrêter  le  mal,  et  Chamilly  s'adressait  chaque 
jour  à  Paris  pour  demander  des  instructions.  Les  in- 
structions ne  tardèrent  pas  à  arriver  :  «  J'ai  trouvé, 
lui  manda-t-on,  S.  A.  E.  dans  les  mêmes  sentiments 
que  je  vous  ai  marqués  par  ma  précédente,  savoir  qu'on 
ne  fasse  encore  autre  chose  qu'arrêter  les  prédicants, 
les  lecteurs,  ceux  qui  prêteront  leurs  maisons  pour 
tenir  les  assemblées  et  quelques-uns  des  principaux 
qui  les  composent  '.  »  Et  quelques  jours  plus  tard  : 
c(  J'apprends  avec  plaisir  l'emprisonnement  du  prédi- 
cant  de  Niort.  S.  A.  R.  est  persuadée  qu'en  s'attachant, 
comme  vous  le  faites,  à  faire  suivre  et  arrêter  ses  sem- 
blables, on  parviendra  facilement  à  dissiper  les  assem- 
blées dont  ils  sont  les  mobiles^...  »  Rien  n'empêcha 
cependant  la  continuation  des  assemblées,  ni  la  prise 
du  prédicant,  ni  les  courses  de  la  maréchaussée.  - — Que 
faire  ?  On  afficha  dans  toutes  les  villes  et  tous  les  vil- 
lages l'ordonnance  déjà  vieille  de  1716. 

«  Comme  ces  gens,  Monsieur,  qui  s'assemblent  au  préjudice 
des  défenses  portées  par  les  déclarations  dii  Roi  se  laissent  sé- 
duire de  la  fausse  idée  que,  n'ayant  point  été  renouvelées  dans 
ce  règne,  ils  peuvent  se  dispenser  d'y  obéir,  je  vous  adresse, 
par  ordre  de  S.  A.  R.,  une  ordonnance  qui,  sans  rien  prescrire 
de  nouveau,  déclare  nettement  l'intention  de  Sa  Majesté  sur 
l'entière  observation  des  anciennes  déclarations.  Vous  aurez 
agréable  de  la  faire  publier,  afficher  et  exécuter,  de  concert 
avec  M.  le   comte    de  Chamilly   auquel  j'en  envoie   autant 


i  Archives  nationales  O  i  368,  p.  32.  (Mars  1719.) 
^Ihid  ,  p.  39. 


LA  PERSÉCUTION  DANS  LE  POITOU  157 

pour  en  user  de  concert  avec  vous  ^  Mgr  le  duc  d'Orléans,  qui 
ne  fait  aujourd'hui  que  ce  qu'il  fit  il  y  a  quelque  temps  en  pa- 
reille occasion  pour  la  Guyenne  et  pour  le  Languedoc,  s'en  pro- 
met, et  de  votre  attention,  le  même  succès  ^.  » 

L'effet  produit  par  cette  publication  et  par  les  arres- 
tations qui  la  suivirent  de  près  fut,  paraît-il,  consi- 
dérable ,  car  les  religionnaires  frappés  d'épouvante 
quittèrent  leurs  demeures  et  prirent  la  fuite.  Il  fallut 
les  rassurer.  «  S.  A.  E.  m'a  ordonné  de  vous  faire 
savoir  que  son  intention  est  que  vous  disiez  et  fassiez 
dire  aux  principaux  d'entre  eux  que  le  Roi  leur  par- 
donne à  condition  de  tenir  à  l'avenir  une  conduite 
plus  régulière,  et  qu'ils  peuvent  librement  et  sûre- 
ment se  rendre  à  leurs  maisons  et  à  leurs  affaires  ;  et, 
pour  leur  en  ôter  tout  lieu  d'en  douter,  que  vous  fassiez 

1        «  De  par  le  Roi, 

«  Sa  Majesté  informée  que  quelques  particuliers,  nouveaux  con- 
vertis, s'étant  imaginés  sans  fondement  que  les  assemblées  pouvaient 
être  permises  entr'eux  pourvu  que  l'on  n'y  portât  point  d'armes,  en 
ont  tenu  quelques-unes  au  préjudice  des  Ordonnances  rendues  à  cet 
égard,  et  voulant  sur  cela  faire  savoir  ses  intentions  et  les  détrom- 
per des  idées  chimériques  que  des  esprits  mal  intentionnés  leur  ont 
suggérées,  Sa  Majesté,  de  l'avis  de  Monsieur  le  Duc  d'Orléans,  a  dé- 
claré et  ordonné,  veut  et  entend  que  les  Ordonnances  et  Déclarations, 
rendues  sur  le  fait  des  assemblées  des  nouveaux  convertis,  soient 
ponctuellement  exécutées  ;  fait  défense  à  toutes  personnes  de  se  trou- 
ver à  aucune,  sous  peine  d'être  punis,  aux  termes  desdites  Ordon- 
nances, Edits  et  Déclarations.  Mande  et  ordonne  Sa  Majesté  au  Gou- 
verneur, Lieutenants  Généraux,  Commandant  et  Intendant  de  Poitou, 
Baillis,  Sénéchaux,  Prévôts,  Juges,  leurs  Lieutenans  et  tous  autres 
ses  Justiciers  et  Officiers  qu'il  appartiendra,  de  tenir  la  main  chacun 
à  son  égard,  à  l'exacte  observation  de  la  présente  Ordonnance,  la- 
quelle Sa  Majesté  veut  être  publiée  et  affichée  partout  où  besoin  sera, 
à  ce  qu'aucun  n'en  prétende  cause  d'ignorance. 

«  Fait  à  Paris,  le  vingt-unième  mars  mil  sept  cent  dix-neuf. 

«  Signé  :  Louis.  Et  plus  bas  :  Phélypeaux.  » 

»  Archives  nationales,  OS  368,  p.  43.  (Mars  1719.) 


158  LA  PERSECUTION  EN  LANGUEDOC 

mettre  en  liberté  ceux  qui  ont  été  arrêtés  ^..  »  Mais 
à  peine  revenus  de  leur  panique,  ils  reprirent  la  route 
du  Désert,  prudemment  d'abord,  avec  éclat  bientôt.  En 
vain  Maurepas  écrivait-il  de  Paris  :  «  S.  A.  R.  a  paru 
très-satisfaite  de  votre  attention  aux  démarches  qu'on 
a  faites  pour  déconcerter  les  assemblées.  Il  j  a  lieu  de 
croire  qu'elles  cesseront  par  la  manière  sérieuse  dont 
ces  mallieureux  voient  qu'on  s'y  prend  ^.  »  Aucune 
menace  ne  put  les  arrêter.  Les  prédicants  ne  se  lassè- 
rent pas  de  convoquer  des  assemblées,  et  les  religion - 
naires  de  s'y  rendre,  quelles  que  fussent  les  peines 
dont  la  cour  les  frappât. 

En  Lang^uedoc,  Bâville  était  récemment  parti  ^, —  en 
1718,  —  mais  son  successeur,  Bernage,  intendant  de 
Picardie,  avait  déjà  donné  trop  de  preuves  de  sévérité 
pour  que  les  religionnaires  pussent  se  flatter  de  trouver 
en  lui  sinon  un  défenseur,  un  protecteur  du  moins 
de  leurs  droits.  Ayant  appris  que  les  assemblées  se 
multipliaient  rapidement,  il  en  écrivit  à  la  cour,  et  la 
cour  mit  aussitôt  à  sa  disposition  de  nouvelles  troupes 
pour  parcourir  «  les  lieux  infectés  par  les  prédicants.  » 
La  persécution  recommença  ''.  Bernage  accompagné  du 


1  Archives  nationales,  01,368,  p.  67.  (Mai  1719.) 

2  Ihid.,  0  1,  369,  p.  110,  174,  184.  (1720.) 

"  Voici  la  liste  des  intendants  du  Languedoc  dans  les  soixante  pre^ 
mières  années  du  dix-huitième  siècle  :  Avril  1718,  Bernage;  —  Jan- 
vier 1725,  Louis-Basile  de  Bernage  fils,  conseiller  du  roi,  maître  des 
requêtes;' —  Septembre  1743,  Le  Nain; —  Janvier  1751,  Jean-Emma- 
nuel de  Saint- Priest. 

*  On  continua  aussi  d'enlever  les  enfants  :  c'était  une  vieille  habi- 
tude. Nous  ne  mentionnons  ici  le  fait  que  pour  mémoire,  car  on  rem- 
plirait plusieurs  volumes  de  faits  semblables. 

«  Versailles,  ce  13  avril  1720.  —  M.  l'Evêque  deLavaur  m*a  écrit  1^ 


LA  PERSECUTION  EN  LANGUEDOC  L59 

duc  de  Roquelaure  entreprit  un  voyage  dans  la  pro- 
vince, fît  comparaître  devant  lui  les  principaux  pro- 
testants de  chaque  ville,  et  après  leur  avoir  défendu 
de  tenir  des  assemblées,  il  leur  déclara  qu'ils  avaient 
tout  à  espérer  de  la  bonté  du  Régent,  mais  tout  à 
craindre  de  sa  sévérité,  s'ils  persistaient  à  enfreindre 
ses  ordres.  Et  en  même  temps,  il  demandait  à  la  cour 
qu'elle  voulût  bien  mettre  aux  ordres  du  duc  de  Roque- 
laure  le  commandant  d'Alais,  M.  d'Yverni.  «  Il  fallait, 
disait-il,  un  officier  de  caractère  dans  le  pays,  avec 
des  pouvoirs  suffisants.  »  Cela  se  passait  une  année  à 
peine  après  la  députation  de  M.  de  Beaulieu  K  En 

lettre  ci-jointe,  sur  ce  que  le  sieur  Chomel  de  Saint-Laurent,  reli- 
gionnaire  très-opiniâtre,  n'envoie  pas  sa  fille  aux  instructions  ;  et 
sur  le  compte  que  j'en  ai  rendu  au  Roi,  Sa  Majesté  m'a  expédié  l'ordre 
que  vous  trouverez  ci-joint  pour  faire  mettre  cette  fille  dans  le  cou- 
vent de  Sainte-Claire  de  \?i,  ville  deLavaur;  et  il  sera  à  propos  que 
vous  teniez  les  mains  h  ce  qu'il  paye  la  pension  et  les  frais  de  l'exé- 
cution. On  ne  peut,  Monsieur,  vous  honorer  plus  parfaitement  que  je 
le  fais.  » 

«  Signé  :  Saint-Florentin.  » 

—  Le  25  septembre  1720,  l'archevêque  de  Narbonne  faisait  encore 
demander  au  marquis  de  la  Vrillière  qu'on  voulût  bien  enfermer  au 
collège  des  Jésuites  de  Toulouse  un  jeune  protestant  de  cette  ville. 
«  D'ailleurs,  ajoutait-il,  il  a  du  bien  suffisamment  pour  être  entretenu.» 

Nous  ne  mentionnons  aussi  que  pour  mémoire  les  lettres  de  ce 
genre-ci  : 

«  A  Monsieur  Azaïs.  J'ai  reçu,  Monsieur,  avec  votre  lettre  du  25  du 
mois  dernier,  un  mémoire  qui  contient  vos  raisons  sur  les  plaintes 
que  l'on  m'avait  portées  contre  vous.  Vous  ne  pouvez  disconvenir 
qu'elles  avaient  quelque  fondement,  puisqu'il  est  certain  que  vous 
avez  fait,  un  jour  maigre,  un  repas  en  maigre  et  en  gras,  publique- 
ment, dans  un  pré,  ce  qui  a  causé  du  scandale.  Soyez  donc  plus  cir- 
conspect à  l'avenir,  sans  quoi  on  ne  pourrait  s'empêcher  de  sévir  con- 
tre vous.  » 

«Signe  :  La  Vrillière.  » 

BuUef.,  t.  VII,  p.  38. 

'  V.  Histoire  de  V Eglise  de  Montpellier^  etc.,  p.  265. 


160  DECOURAGEMENT  DES  PROTESTANTS 

1720,  une  assemblée  fut  surprise  et  dissipée  à  Fou- 
gères, près  de  Bédarieux  %  et  une  autre  près  de  Nîmes, 
dans  la  caverne  de  la  Beaume-de-Fades  ^.  Il  y  eut 
plusieurs  condamnations.  Un  grand  nombre  de  femmes 
et  de  filles  furent  dirigées  sur  les  ports  de  mer,  pour 
être  transportées  en  Amérique.  En  1721,  de  nouvelles 
assemblées  furent  dispersées  à  Nîmes  et  à  Saint-Hip- 
polyte,  et  les  prisonniers  furent  envoyés  à  Alais  pour 
enterrer  les  victimes  qu'y  faisait  la  peste. 

Les  religionnaires  découragés  comprirent  bien  alors 
qu'il  ne  serait  fait  aucun  changement  dans  leur  situa- 
tion, et  que  rien,  ni  leur  fidélité,  ni  leur  soumission, 
ni  leurs  protestations  de  dévouement,  ne  pourrait 
ébranler  l'inexorable  volonté  qui  les  avait  voués  à  la 
persécution. 

Un  proposant  s'adressa  au  duc  de  Roquelaure  et  à 
Bernage.  Il  croyait  les  protestants  calomniés;  il  ne 
pouvait  imaginer  que  ces  rigueurs  fussent  exercées 
sans  motif  et  sans  cause. 

«  Il  est  certain  que,  si  quelque  scélérat  venait  dans  quelque 
ville  du  royaume  voler,  blasphémer  le  saint  nom  de  Dieu,  pail- 
larder,  chanter  des  chansons  infâmes,  on  ne  lui  dirait  rien,  ou 
du  moins  trouverait-il  des  amis  et  d'indulgence.  Mais  si  quel- 
que personne  craignant  Dieu  y  venait  faire  une  prière  ou  chan- 
ter quelque  psaume,  ce  serait  un  scélérat,  un  rebelle,  un  crimi- 
nel de  l'Etat...  Il  semble  que  nous  ne  soyons  pas  des  chrétiens, 
mais  de  monstres  de  nature  indignes  de  vivre,  et,  dans  cette 
ignorante  fureur,  on  nous  déchirerait  avec  les  dents.  » 


1  V.  Histoire  de  V Eglise  de  Montpellier,  etc.,  p.  549. 

2  V.  plus  loin,  chap.  vu,  p.  224. 


LETTRE  A  BERNAGE  161 

L'auteur  protestait  de  nouveau  du  dévouement  des 
réformés,  et,  prenant  l'offensive,  il  prouvait  que  le 
catholicisme  qui  les  accusait  de  rébellion  avait  été 
lui-même  le  plus  grand  ennemi  de  l'Etat.  Il  s'inclinait 
néanmoins,  sans  murmure  ni  colère,  devant  la  force 
qui  les  opprimait,  il  prenait  Dieu  à  témoin  de  l'inno- 
cence des  religionnaires  et  le  priait  de  bénir  leurs 
persécuteurs.  «  Nous  continuerons  à  demander  votre 
protection  par  des  prières  et  des  vœux,  et  demander 
au  ciel  votre  prospérité  et  celle  du  Roi,  et  celle  des 
dignitaires  *.  » 

Ces  derniers  mots  n'étaient  ni  une  amplification 
oratoire  ni  dans  un  but  politique;  un  sentiment  vrai 
les  avait  inspirés.  «  Dans  tous  nos  sermons,  écrivait-on, 
dans  toutes  nos  lettres,  nous  exhortons  le  peuple  à  la 
soumission  et  fidélité  au  Roi  ^.  »  Et  le  Synode  de  1721, 
tenu  en  Vivarais,  disait  dans  un  de  ses  règlements  : 

«  Tous  les  pasteurs  et  proposants  se  rendront  sujets  aux  puis- 
sances supérieures,  et  y  porteront  le  peuple  autant  que  leurs 
forces  le  leur  pourront  permettre.  Et,  pour  cet  effet,  tous  les 
pasteurs  et  proposants  jurent  par  la  foi  qu'ils  ont  au  nom  de 
Jésus-Christ  d'obéir  au  Roi  de  France  en  toutes  choses,  sauf  aux 
ordonnances  quipourraient  être  préjudiciables  à  la  foi  et  à  l'E- 
glise. D'ailleurs,  la  vénérable  assemblée  enjoint  à  tous  de  faire 
prière  pour  le  Roi  et  pour  ses  conseillers,  non-seulement  aux 
assemblées,  mais  aussi  dans  les  familles  particulières,  et  prin- 
cipalement aux  pasteurs  ^.  » 

Une  si  grande  soumission  et  des  preuves  si  écla- 

t  N"  17,  vol.  F,  p.  2Ô2.  (1721.)  Gaubert  était  l'auteur  de  cette  apo- 
logie. 
8  Ibid.,  p.  382.  (1721.) 
3  N'-  17,  vol.  G.  p.  382.  (1721.) 

I  11 


162  CONTINUATION  DE  LA  PERSÉCUTION 

tantes  de  dévouement  ne  trouvèrent  pas  grâce  cepen- 
dant devant  les  persécuteurs.  Les  mesures  de  rigueur 
furent  maintenues,  bien  plus,  multipliées.  En  1720, 
la  cour  prorog'ea  pour  trois  années  les  défenses  aux 
nouveaux  catholiques  de  disposer  de  leurs  biens  ^ 
On  continua  de  poursuivre  les  assemblées  et  de  les 
dissiper-,  les  prisonniers  furent  condamnés  aux  galères, 
et  les  prédicants  mis  à  mort;  bientôt  même  on  vit  à 
Montpellier  se  dresser  le  gibet.  C'était  comme  une 
préparation  à  la  déclaration  de  1724. 

Claude  Brousson,  Antoine  Court,  Jacques  Roger, 
avaient  tour  à  tour  pensé  que  la  patience  et  la  rési- 
gnation désarmeraient  la  cour.  Les  faits  semblaient 
donner  à  leurs  prévisions  un  cruel  démenti. 

♦  V.  Recueil  des  Edits^  Déclarations^  etc. 


CHAPITRE  VI 

LES    INSPIRÉS    ET    LES    MULTIPLIANTS 
1715-1723 

Antoine  Court  et  ses  collègues  s'épuisaient  en  efforts. 
Depuis  1720  cependant,  l'œuvre  de  réorg-anisation 
rencontrant  des  obstacles  imprévus  progressait  lente- 
ment. Sous  les  coups  d'une  persécution  croissante,  un 
parti  grossissait  chaque  jour,  qui  se  séparait  du  reste 
des  protestants  et  s'opposait  à  toute  tentative  d'orga- 
nisation. «  J'apprends  avec  douleur,  écrivait-on  de 
Genève,  qu'entre  tous  les  obstacles  que  vous  rencon- 
trez tous  les  jours  à  l'établissement  de  la  gloire  de 
Dieu  et  du  règ*ne  de  son  cher  fils,  vous  avez  des  gens 
parmi  vous  qui  paraissent  de  troubler  l'ordre  *.  »  — 
Ces  g*ens  étaient  les  «  fanatiques,  »  et  ce  parti  celui 
des  Inspirés. 

Le  parti  des  Inspirés  avait  des  racines  profondes,  quoi- 
que cachées,  parmi  les  protestants. C'étaient  les  Inspirés, 
prophètes  ou  prophétesses,  qui  avaient  au  lendemain  de 
la  Révocation  couru  le  Languedoc  et  soutenu  les  reli- 
gionnaires  ;  c'étaient  eux  qui  avaient  ani  aie  au  combat  les 

»  N"  17,  vol.  G.  Lettre  de  Pictet. 


164  LES  PETITS  PROPHÈTES 

bandes  camisardes,  réchauffé  leur  courage  et  souvent 
décidé  la  victoire  ;  c'étaient  enfin  les  Inspirés  qui  de- 
puis ce  soulèvement,  indomptables,  et  à  travers  mille 
périls  ,  avaient  entretenu  le  foyer  de  la  foi.  Circon- 
stances importantes  et  qu'on  ne  doit  pas  oublier  î  Si 
on  les  négligeait,  on  s'expliquerait  mal  l'opiniâtreté 
de  la  résistance  des  uns  et  celle  des  attaques  des  autres. 
Il  faut  donc  revenir  sur  cette  histoire,  et  avant  d'abor- 
der le  présent  remonter  au  passé. 

Les  premiers  prophètes,  on  le  sait,  avaient  paru  dans 
le  Dauphiné,  presque  au  lendemain  de  la  Révocation. 
C'étaient  des  enfants ,  des  garçons,  des  filles,  surtout 
des  filles;  les  plus  âgés  pouvaient  avoir  dix  ans*.  Ils 
avaient  parcouru  les  villages  et  les  hameaux,  récitant 
des  psaumes,  des  cantiques,  faisant  aux  montagnards 
qui  les  écoutaient  de  tristes  prédictions.  Leur  nombre 
s'était  bientôt  accru,  et,  l'enthousiasme  prophétique  se 
propageant,  on  en  avait  bientôt  compté  jusqu'à  huit 
mille  ^.  Ces  pauvres  enfants  avaient  soulevé  le  Viva- 
rais,  le  Dauphiné,  le  bas  Languedoc.  Ils  avaient  d'a- 
bord étonné,  ils  avaient  ensuite  profondément  remué 
les  âmes.  Leur  sérieux,  leurs  cris,  leurs  souffrances 
leur  avaient  gagné  les  sympathies  de  ceux  qui  les  écou- 
taient. Ils  étaient  sujets  à  de  singulières  agitations,  se 
roulaient  par  terre,  se  tordaient  dans  des  convulsions 
horribles.  Ils  éclataient  en  imprécations  avec  des  ho- 
quets terribles  :  «Mon  enfant,  jeté  dis,  je  t'assure. 
Miséricorde  !  Miséricorde  !  »  Ailleurs,  présageant   la 

1  N"  30,  p  7.  Manuscrit  de  l'histoire  des  fanatiques,  par  de  la  Beaume. 

2  Misson  l'assure  dans  son  Théâtre  sacré. — V.  aussi  n"  17,  vol.  G. 
p.  413. 


ASTIER,  ISABEAU  VINCENT  165 

ruine  de  Babylone,  ils  s'écriaient  «  que  Ton  était  dans 
les  derniers  temps,  qu'il  fallait  combattre  vaillamment 
pour  la  foi  et  le  repentir  de  ses  péchés,  que  Babylone 
serait  détruite  dans  peu  de  temps,  qu'il  fallait  s'amen- 
der, qu'une  partie  de  la  grande  Babylone  serait  dé- 
truite l'an  1708,  que  la  délivrance  de  l'Eglise  serait 
prochaine...  »  Tout  cela  était  dit  en  français.  «  Servez- 
vous  de  vos  faux  et  moissonnez  :  la  moisson  de  la 
terre  est  prête.  Coupons  les  grappes  des  vignes  :  les 
raisins  sont  mûrs;  —  que  vos  mains  s'arment  de 
force  M...  »  La  plupart  de  ces  petits  prophètes  s'é- 
taient arrêtés  dans  les  hameaux  voisins  et  s'étaient 
vite  fait  oublier.  Seuls,  Gabriel  Astier  et  la  belle  ber- 
gère du  Cret,  Isabeau  Vincent,  s'étaient  rendus  célè- 
bres. Astier  était  passé  dans  les  Boutières  et  dans  le 
Vivarais,  où  s'étaient  tenues  d'immenses  assemblées. 
Isabeau  était  descendue  à  Grenoble,  et  elle  y  avait  ob- 
tenu de  grands  succès.  Mais  de  Broglie  et  Bâville 
avaient  bientôt  dispersé  les  fidèles  d'Astier  et  enfermé 
la  belle  Isabeau  dans  un  couvent.  Dès  lors,  tout  était 
rentré  dans  l'ordre. 

Quelle  était  la  cause  de  ce  mouvement  ?  On  a  pré- 
tendu qu'un  gentilhomme  du  Dauphiné,  calviniste  fer- 
vent, Du  Serre,  avait  réuni  chez  lui  un  certain  nom- 
bre d'enfants ,  de  filles,  leur  avait  inspiré  l'horreur  de 
l'Eglise,  la  haine  du  pape,  et  leur  avait  appris  à  trem- 
bloter, battre  des  mains,  se  jeter  par  terre,  baver, 
écumer,  fermer  les  yeux,  et  demeurer  assoupis  ^  C'est 

*  Histoire  de  quinze  ans  sous  Louis  XIV,  par  Moret,  t.  I,  p.  299, 
Paris.  (1859.) 

2  V.  Fléchier,  Brueys,  de  la  Beaume  et  tant  d'autres  ;  récemment 
Moret  :  Histoire  de  quinze  ans,  etc. 


166  DU  SERRE  ET  LES  PETITS  PROPHÈTES 

ridicule  et  odieux.  Court  qui  n'était  pas  partisan  des 
prophètes  le  dément  en  termes  fort  nets  \  L'assertion 
d'ailleurs  ne  peut  soutenir  l'examen .  On  dit  que  Du  Serre 
s'était  concerté  à  Genève  avec  les  ministres  réfugiés 
et  qu'il  était  poussé  par  eux  à  «  cette  machiavélique 
jonglerie.  »  Or,  on  sait  que  les  ministres  voyaient  avec 
un  vif  déplaisir  les  prophètes,  qu'en  Angleterre,  lors- 
que ces  derniers  s'y  réfugièrent,  ils  furent  fort  mal 
reçus,  et  qu'en  Suisse,  depuis  Trélat  jusqu'à  Pictet,  les 
pasteurs  ne  cessèrent  de  les  combattre.  Et  d'ailleurs,  si 
Du  Serre  fut  le  promoteur  de  ce  mouvement  en  1689, 
comment  expliquer  l'apparition  des  toutes  jeunes  In- 
spirées qui  se  firent  entendre  en    1688,  bien  loin  du 
Peyra ,  dans  les  montagnes  du  Castrois  '^  ?  Y  avait -il 
là  un  autre    Du  Serre?  Non,  la  chose  est  beaucoup 
plus  simple  et  toute  naturelle.  La  seule  cause  du  mou- 
vement prophétique  fut  l'excès  du  mal.  Traqués,  pillés, 
dénoncés,  ruinés  par  le  gouverneur,  par  les  espions, 
par  les  dragons,  toujours  en  méfiance,  toujours  sous  le 
coup  d'une  surprise  et  la  menace  des  galères  et  du  gi- 
bet, les  réformés  avaient  mis  toute  leur  confiance  en 
Dieu:  n'espérant  plus  rien  sur  la  terre,  ils  avaient 
tout  espéré  du  ciel.  Qu'on  ajoute  à  cela  les  exhorta- 
tions continuelles    «  à  tout  quitter  »  pour  se  trouver 
dans  les  assemblées,  les  courses  de  paroisse  en  paroisse 
à  travers  les  montagnes,  les  dangers,  les  jeûnes  ordon- 
nés pour  fléchir  la  colère  de  Dieu,  et  l'on  pourra  me- 
surer le  degré  d'exaltation  auquel  purent  monter  ces 
hommes  impressionnables.  Or,  les  enfants,  —  caria 

*  V.  Histoire  des  troubles  des  Céi'eriiies^  etc.  t.  II,  p.  5. 
2  V.  Bvllet.,  t.  XIV,  j).  158. 


LES  INSPIREES  DU  CASTROIS  167 

famille  protestante  était  austère,  unie,  liée,  —  les  en- 
fants, le  soir,  après  la  lecture  de  la  Bible,  écoutaient 
les  sombres  récits  du  père  :  .comme  quoi,  la  veille,  une 
assemblée  avait  été  surprise,  qu'un  voisin  avait  été 
pendu  par  les  soldats,  que  les  dragons  avançaient, 
et  qu'on  était  perdu.  Ils  étaient  émus,  effrayés.  Puis, 
on  lisait  une  page  de  l'Apocalyse,  une  lettre  du  fou- 
gueux Jurieu  *  ;  on  parlait  de  relèvement,  de  victoire  ; 
on  maudissait  le  papisme  ;  on  le  regardait  comme  la 
bête  de  l'Apocalypse  ;  —  et  le  cerveau  agité  par  ces 
sombres  visions,  la  nuit,  les  enfants  avaient  des  songes 
affreux,  se  réveillaient  en  sursaut,  croyaient  voir  des 
anges,  criaient,  pleursiient,  répétaient  les  phrases  qu'ils 
avaient  entendues.  Un  d'eux,  probablement  plus  exalté, 
dut  raconter  ses  visions  à  ses  camarades;  ce  fut  le 
commencement  du  mouvement  prophétique.  Les  bandes 
de  petits  prophètes  se  formèrent. 

Si  étrange  qu'elle  puisse  paraître,  l'explication  n'est 
point  hasardée.  En  1688,  il  y  eut  des  assemblées 
fort  nombreuses  dans  les  montagnes  du  Castrois. 
On  l'apprit ,  l'intendant  arriva,  fît  trois  prisonniers  et 
les  condamna  au  gibet.  Le  reste  des  habitants  fut  ac- 
cablé d'amendes  et  de  charges  de  toute  espèce.  Dès  lors, 
on  n'entendit  plus  parler  «  de  prêches.  »Tout  paraissait 
calme  et  tranquille,  lorsque  subitement  de  nouvelles 
réunions  se  tinrent  avec  affluence  de  nouveaux  con- 
vertis. Que  s'était-il  passé?  Deux  jeunes  filles,  dont 
l'une  avait  à  peine  douze  ans,  passaient  pour  avoir 

*  Les  lettres  de  Jurieu  parurent  en  1688.  Lettres  pastorales  adres- 
sées aux  fidèles  de  France  qui  gcnilssent  sous  la  captivité  de  Bahy- 
lone.  Rotterdam,  chez  Abraham  Acher.  (1688.) 


168  LES  PROPHETES  CAMISAKDS 

eu  des  visions  d'anges  venus,  disait-on,  tout  exprès  de 
la  part  du  Seigneur  Jésus,  prophétisaient  et  convo- 
quaient des  assemblées  \  L'exécution  de  l'intendant  et 
les  souffrances  des  fidèles  les  avaient  seules  inspirées. 

Personne  ne  met  en  doute  la  bonne  foi  de  ces  pe- 
tits prophètes,  mais  on  prétend  qu'ils  furent  les  dupes 
d'une  odieuse  supercherie.  Il  n'y  eut,  on  le  voit,  ni 
violence,  ni  jonglerie,  ni  école  de  prophétie  ;  il  y  eut 
excès  de  souffrances.  Qu'un  gentilhomme  calviniste  ait 
possédé  une  verrerie  sur  la  montagne  du  Peyra,  qu'il  ait 
été  à  Genève,  que  lui  même  se  soit  cru  inspiré;  c'est 
très-probable.  Mais  qu'il  ait  appelé  chez  lui  déjeunes 
enfants  pour  leur  apprendre  à  prophétiser,  qu'il  ait  été 
poussé  à  cette  machination  par  les  ministres  de  Genève, 
et  qu'il  soit  ainsi  le  promoteur  du  mouvement  prophéti- 
que, c'est  ce  que  tout  dément.  Il  y  eut  un  Du  Serre  dans 
toutes  les  familles  :  ce  furent  la  Bible  et  le  malheur. 

Cependant  Bâville  et  de  Broglie,  dès  qu'ils  avaient 
vu  cette  éclosion  de  prophètes  et  le  mal  qu'ils  faisaient 
dans  le  Vivarais ,  les  Cévennes  et  le  bas  Languedoc, 
s'étaient  immédiatement  portés  sur  les  lieux.  Ils  avaient 
dispersé  les  assemblées,  pendu  les  récalcitrants,  et  en 
peu  de  temps  les  prisons  s'étaient  trouvées  «  si  rem- 
plies de  ces  pauvres  gens  et  particulièrement  d'enfants, 
qu'on  n'avait  plus  su  qu'en  faire.  »  Mais  pour  avoir 
disparu,  les  prophètes  n'étaient  point  morts.  En  1700, 
«  le  renouvellement  du  fanatisme  avait  commencé  de 
faire  du  bruit ^.))  Une  vieille  du  Vivarais,  tailleuse 
d'habits,  «  qui  roulait  le  diocèse  d'Uzès,  »  s'était  fait 

1  V.  Bull,  t.  XIV,  p.  158. 

2  N"  30,  p.  15. 


LES  PROPHÈTES  GAMISARDS  169 

entendre  dans  les  assemblées  ;  bientôt  étaient  survenus 
Daniel  Eaoul,  Marguerite  Arnaud,  Françoise  Bez, 
Etienne  Goût,  tous  pauvres  gens,  ignorants,  domes- 
tiques. Ils  disaient  «  qu'un  temple  de  marbre  blanc, 
orné  de  filets  d'or,  avec  des  tables  où  les  préceptes  de 
la  loi  seraient  gravés ,  tomberait  du  ciel  au  milieu  du 
Talon  de  Saint-Privat  pour  la  consolation  des  fidèles 
des  hautes  Ce  venues.  »  Mais  surtout  ils  poussaient  à 
la  révolte  et  prêchaient  la  guerre  sainte  :  c'est  à  leurs 
ordres  que  les  Camisards  avaient  pris  les  armes.  La 
prophétie  devenait  guerrière.  Après  avoir  poussé  à  l'a- 
mendement et  à  l'espérance,  elle  excitait  à  la  lutte,  à 
la  guerre  et  au  combat.  Quelques  années  auparavant, 
c'étaient  les  enfants  qui  prophétisaient,  c'étaient  main- 
tenant les  pères,  arrachés  par  la  persécution  à  leurs 
travaux  et  devenus  tout  à  la  fois  soldats  et  prophètes. 
Leur  nombre  n'était  pas  grand.  Abraham  Mazel,  Elie 
Marion,  Coste,  Claris,  Durand  Fage,  Jean  Cavalier, 
étaient  les  plus  illustres.  Quelques  femmes,  mais  rares. 
Placés  au  milieu  des  bandes  camisardes  qu'ils  diri- 
geaient, ils  en  étaient  véritablement  l'âme  et  la  princi- 
pale force.  Si  les  généraux  de  Louis  XIV  avaient  pu  les 
faire  enlever,  les  révoltés  se  fussent  immédiatement 
dispersés.  Au  fait,  non  :  la  persécution  en  eût  fait  sur- 
gir de  nouveaux.  Ils  étaient  comme  les  rameaux  de  cet 
arbre  dont  parle  le  poëte  :  l'un  coupé,  l'autre  renais- 
sait. Uno  avulso^  non  déficit  alter  aureus.  «Tout  ce 
que  nous  faisions,  dit  Durand  Fage,  soit  pour  le  géné- 
ral, soit  pour  notre  conduite  particulière,  c'était  tou- 
jours par  ordre  de  l'Esprit*.  »  Les  prophètes  en  effet 

*  V.  le  Théâtre  sacré ,  etc.,  p.  117. 


no  LES  PROPHETES  CAMISARDS 

commandaient,  les  soldats  obéissaient.  Aucun  mur- 
mure, aucun  doute  ;  obéissance  aveugle.  Devaient-ils 
attaquer  l'ennemi?  Craignaient-ils  quelque  embuscade? 
Etaient-ils  poursuivis?  «  Seigneur,  s'écriaient-ils,  fais- 
nous  connaître  ce  qu'il  te  plait  que  nous  fassions  pour 
ta  gloire  et  pour  ton  bien!  )>  Les  prophètes  ordonnaient 
la  bataille,  les  retraites ,  les  courses,  promettaient  la 
victoire,  encourageaient  les  faibles,  démasquaient  les 
traîtres,  fortifiaient  et  exaltaient  jusqu'à  la  démence. 
Car  il  y  eut  dans  la  guerre  des  Camisards  des  actes 
d'héroïsme  touchant  à  la  folie.  Quand  «l'Esprit»  avait 
parlé,  ces  hommes  étaient  transfigurés.  Sans  armes, 
ou  n'ayant  que  des  fusils  et  des  sabres  hors  d'usage,  ils 
affrontaient  la  g*rêle  des  mousquetades  et  les  coups  des 
ti'oupes  disciplinées  de  LouisXIV,  comme  s'ils  eussent 
été  revêtus  de  fer,  ou  comme  si  les  ennemis  n'eussent 
eu  que  «  des  bras  de  laine.  y>  L'Esprit  n'avait-il  pas  dit 
en  effet  :  «  N'appréhendez  rien,  mes  enfants,  je  vous 
conduirai,  je  vous  assisterai  ?  »  Les  Camisards  étaient 
tous,  plus  ou  moins,  des  hallucinés.  Un  enthousiasme 
ordinaire  n'eût  point  suffi  à  l'effort  de  ce  soulèvement. 
Ce  fut  en  effet  la  défection  seule  des  chefs  qui  put  faire 
déposer  les  armes  aux  deux  mille  Ccimisards  qui  pen- 
dant trois  ans  avaient  tenu  en  échec  les  meilleurs 
généraux  de  Louis  XIV,  vingt  mille  hommes  d'armée 
régulière  et  cinquante-deux  régiments  des  milices  de 
la  province.  En  tout  autre  temps,  en  tout  autre  pays, 
les  prophètes  —  cela  leur  arriva  en  Angleterre  et  en 
Suisse — eussent  passé  pour  des  fous  ou  des  imposteurs; 
sur  le  sombre  théâtre  des  Cévennes,  au  milieu  de  cette 
contrée  dont  ils  semblaient  être  le  symbole  vivant,  ils 


LES  PROPHÈTES  CAMISARDS  171 

étaient  les  hommes  inspirés  et  les  chefs  invincibles  qui 
conduisaient  les  révoltés  à  la  victoire.  Pour  les  com- 
prendre, il  ne  faut  pas  les  détacher  de  leur  cadre;  par- 
tout ailleurs,  ils  sont  impossibles.  Nulle  fraude  surtout 
et  nulle  supercherie.  Ces  gens-là  se  croyaient  les  instru- 
ments de  Dieu.  Quoi  qu'en  pense  Court,  venu  dix  ans 
plus  tard,  et  peu  porté  par  les  abus  dont  il  fut  le  témoin 
à  croire  inspirés  ceux  qui  prétendaient  l'être,  ils  étaient 
bien  les  prophètes  de  combat,  suscités  «  par  l'Esprit  de 
Dieu  »  pour  conduire  et  diriger  son  peuple.  Tout  ce 
qu'ils  disaient  ressentir,  éprouver,  entendre,  voir,  ils  le 
ressentaient,  l'entendaient,  le  voyaient.  En  1704,  près 
de  Sérignan,  Claris  ayant  démasqué  deux  traîtres,  on 
osa,  quoique  ceux-ci  eussent  avoué  leur  crime,  sou- 
tenir qu'il  était  d'intellig*ence  avec  ces  deux  hommes 
pour  faire  croire  à  un  miracle.  Alors  «  l'Esprit  »  s'ex- 
primant  par  la  bouche  de  Claris  : 

«  0  gens  de  petite  foi,  est-ce  que  vous  doutez  encore  de  ma 
puissance  après  tant  de  merveilles  que  je  vous  ai  fait  voir? 
Je  veux  qu'on  allume  tout  présentement  un  feu,  et  je  te  dis, 
mon  enfant,  que  je  permettrai  que  tu  te  mettes  au  milieu  des 
flammes,  sans  qu  elles  aient  pouvoir  sur  toi.  » 

Malgré  les  cris,  on  porta  des  sarments,  et  on  alluma 
le  bûcher.  Claris  y  entra  résolument  et  n'en  sortit  que 
lorsque  tout  le  bois  fut  consumé.  Il  était  intact.  —  Un 
fourbe  se  fut-il  exposé  aux  railleries  de  la  foule  et  à 
une  mort  certaine  ? 

Ces  faits,  et  bien  d'autres,  paraissent  extraordinaires. 
La  science  en  donne  une  explication  fort  naturelle  K 

*  Des  maladies  mentales  considérées  sovs  les  rapports  médical^ 


172  LES  PROPHÈTES  CAMISARDS 

Peut-être  néglig"e-t-elle  le  haut  spiritualisme  de  ces 
phénomènes,  mais  il  est  facile  par  la  compréhension  de 
l'histoire  de  lui  rendre  le  rang  qu'il  doit  occuper. 

C'était  la  seule  souffrance  qui  avait  fait  les  prophè- 
tes. Persécutés,  ils  avaient  répondu  à  la  persécution  par 
un  cri  de  guerre;  ils  avaient  poussé  à  la  révolte,  armé 
les  paysans,  enrégimenté  quelques  ouvriers,  et,  mal- 
gré tout,  quoique  la  guerre  fût  le  thème  de  leurs 
ardentes  prédications,  ils  étaient  restés  bons,  affec- 
tueux, humains.  Il  faut  en  effet  les  distinguer  des 
rares  Camisards  qui,  affolés  par  le  désespoir,  assassi- 
naient l'abbé  du  Cayla  et  Madame  de  Miraman, 
brûlaient  les  églises ,  tuaient  les  prêtres  et  usaient  de 
terribles  représailles  contre  leurs  ennemis  vaincus.  Les 
prophètes  conseillaient  toujours  après  le  combat  de  re- 
lâcher ceux  qui  ne  leur  avaient  point  fait  de  mal,  prê- 
chaient la  clémence,  la  repentance,  l'amendement  des 
mœurs ,  et  transformaient  les  camps ,  théâtre  de  leurs 
extases,  en  vrais  camps  de  Dieu,  où  jamais  on  n'en- 
tendit ni  jurements,  ni  bruit  de  querelles  et  de  dis- 
cordes, mais  le  seul  murmure  des  prières  et  le  chant 
des  psaumes  ^ 

Tous  leurs  efforts  cependant  avaient  été  vains.  Ca- 
valier avait  traité  avec  le  maréchal  de  Villars,  Roland 
était  mort,  et  les  bandes  camisardes ,  privées  de  leurs 
chefs,   s'étaient  dispersées  dans  la  montagne.  De  la 

hygiénique  et  médico-légal,  par  Esquirol.  Paris.  (1838.)  —  De  la 
folie,  considérée  sous  le  point  de  vue  pathologique,  philosophique, 
historique  et  judiciaire,  par  M.  Calmeil.  Paris.  (1845.)  —  Histoire 
du  merveilleux  dans  les  temps  modernes,  par  M.  Figuier.  Paris. 
(1860.)  —  La  Magie  et  les  Magiciens,  par  M.  Maury.  Paris.  (1860.) 
1  Les  Prophètes  Cévenols,  par  M,  Dubois.  Strasbourg  (1861). 


PRÉDICANTES  ET  PROPHETESSES  173 

terrible  insurrection  qui  avait  un  moment  effrayé  Ver- 
sailles, il  ne  restait  plus  qu'un  douloureux  souvenir  et 
un  immense  écrasement. 

Plus  de  chefs,  plus  de  pasteurs,  plus  de  prophètes. 
Les  chefs  étaient  morts  ou  réfugiés,  les  pasteurs  étaient 
bannis,  les  prophètes  avaient  cherché  un  asile  dans 
les  pays  étrang'ers. 

Peu  à  peu  cependant,  les  choses  avaient  repris  leur 
cours  naturel.  Quelques  femmes  avaient  été  les  hé- 
roïnes de  cette  restauration.  Quand  tout  paraissait  dé- 
sespéré, elles  avaient  pris  en  main  la  cause  vaincue , 
et  avec  leur  foi,  leur  dévouement,  leur  abnégation  et  la 
puissance  invincible  de  leurs  espérances,  elles  avaient 
résolu  de  la  rendre  victorieuse. 

Elles  s'érigèrent  en  prédicantes  ;  elles  tinrent  au  Dé- 
sert des  assemblées,  et  dans  ces  mystérieuses  réunions, 
composées  presque  exclusivement  de  femmes,  elles  ra- 
nimèrent les  esprits  abattus,  fortifièrent  les  volontés 
chancelantes.  La  première  fois  qu'Antoine  Court,  jeune 
encore,  accompagna  sa  mère  au  «  prêche,  »  il  entendit 
les  exhortations  d'une  prédicante  et  en  fut  édifié.  C'é- 
tait la  veuve  Bancel,  de  Vallon,  qui,  cette  nuit,  ofiiciait. 
Elles  couraient  ainsi  de  pays  en  pays,  du  Vivarais 
dans  les  Cévennes,  des  Cévennes  dans  le  bas  Langue- 
doc, à  travers  les  villes  et  les  villages,  s'arrêtant  ici, 
prêchant  là,  lorsqu'on  les  en  priait,  et  que  l'Esprit  les 
y  poussait.  C'est  ainsi  qu'en  1709  passèrent  à  Ville- 
neuve-de-Berg  Balastière  et  Isabeau  Chalençon;  elles 
descendirent  vers  Nîmes  et  furent  faites  prisonnières 
dans  cette  ville.  A  quelque  temps  de  là,  Antoine  Court 
pria  Martine  et  Suzanne  Rouge  dont  il  venait  d'appren- 


174  PRÉDICANTES  ET  PROPHETESSKS 

dre  l'arrivée  à  Vais  de  donner  une  prédication  à  ses 
coreligionnaires.  Plus  tard  survinrent  la  veuve  Caton, 
la  fameuse  Claire  et  surtout  Isabeau  Dubois,  cette  cou- 
rageuse et  charmante  femme,  qui  fit  sur  l'âme  de  l'en- 
fant une  profonde  impression  et  dont  Tliomme  fait 
aimait  à  vanter  la  haute  sagesse  et  la  modestie. 

Ces  femmes  ne  se  contentaient  pas  de  prêcher  ;  elles 
prophétisaient.  Lorsque  Court,  en  1713,  quitta  la  mai- 
son paternelle  ,  il  rencontra  sur  son  chemin  Claire  et 
Caton  qui  tombèrent  en  extase  et  lui  présagèrent  une 
brillante  destinée.  Elles  étaient  les  héritières  des  pro- 
phètes camisards  exilés  et  s'en  gdorifiaient.  Mais  quel- 
que chose  de  profondément  humain,  d'affectueux,  ani- 
mait leurs  discours.  Nul  cri,  nulle  fureur;  des  paroles 
tendres,  des  larmes.  Ces  prédications  et  ces  prophéties 
leur  donnaient  une  immeiise  influence.  Dans  chaque 
village ,  dans  chaque  ferme ,  elles  avaient  leurs  parti- 
sans. Là,  dans  un  langage  bizarre  mêlé  de  citations 
bibliques  et  du  récit  naïf  de  leurs  visions,  elles  leur 
prêchaient  la  repentance,  et  leur  faisaient  concevoir, 
au  delà  des  malheurs  présents,  l'espérance  d'un  état 
meilleur.  Parfois  elles  poussaient  à  la  révolte,  sur  les 
indications  des  chefs.  Ainsi,  quoique  rien  ne  l'assure, 
il  n'est  pas  douteux  qu'elles  n'aient  été  les  agents  de 
Coste  et  de  Claris,  quand  ces  derniers  essayèrent  en 
1710  d'exciter  dans  les  Cévennes  un  second  soulève- 
ment. Et  plus  tard,  après  la  paix  d'Utrecht,  lorsque 
la  cour  maintint  ses  mesures  de  rig'ueur,  ce  furent  elles 
qui  éclatèrent  en  menaces,  se  rendirent  dans  les  as- 
semblées, ordonnèrent  à  Court  de  paraître  sur  les  places 
publiques,  et  qui  poussèrent  de  toutes  façons  à  une 


I 


TROIS  PHASES  JUSQU'EN  1715  175 

g'uerre  nouvelle.  Heureusement  elles  ne  parvinrent 
à  provoquer  qu'une  agitation  passagère.  Mais  ces 
belliqueux  discours,  héritage  d'un  temps  qui  n'était 
plus,  étaient  rares.  Les  prophétesses,  avant  tout^ 
prêchaient  la  repen tance,  relevaient  les  courages, 
g'ourmandaient  les  faibles.  Elles  arrêtaient  le  protes- 
tantisme dans  sa  décadence,  elles  tenaient  le  drapeau 
autour  duquel  leurs  exhortations  appelaient  les  vic- 
times de  ces  temps  malheureux.  Le  jour  de  la  gTande 
réparation,  imaginaient-elles,  ne  devait  pas  tarder  ave- 
nir, et  toutes,  dans  le  haut  et  le  bas  Vivarais,  aimaient 
à  répéter  cette  promesse  que  l'Esprit  leur  avait  faite  : 
((  Il  se  tiendra  une  assemblée  célèbre  dans  un  pré 
nommé  Lacour,  proche  Chalançon.  Des  Anglais  y  as- 
sisteront ;  un  arbre  merveilleux  croîtra  et  fleurira  dans 
une  nuit;  sous  son  ombrag'e,  on  distribuera  la  Cène  K  » 
Les  prophétesses  croyaient  à  la  réalisation  de  cette  pré- 
diction. Elles  l'attendaient  avec  joie,  elles  aimaient  à 
la  regarder  comme  le  commencement  des  temps  meil- 
leurs à  l'établissement  desquels  elles  consacraient  leurs 
efforts  et  leur  vie. 

Tels  avaient  été  jusqu'en  1715  les  trois  phases  du 
mouvement  prophétique.  Né,  on  l'a  vu,  de  l'excès 
de  la  souffrance,  entretenu  par  la  souffrance,  il  avait 
sans  doute  entraîné  les  protestants  à  de  graves  ex- 
trémités, mais  il  les  avait  arrachés  à  une  ruine  cer- 
taine. Petits  prophètes,  prophètes,  prophétesses, 
tous  avaient  travaillé  à  raviver  les  dernières  lueurs 
de  la  foi.   Ils  avaient ,   par   leur  héroïque   activité, 

1  N"  46,  cah.  I. 


176  LE  PROPHÉTISME  EN  1715 

groupé  les  fuyards,  prêché  l'espérance,  et  donné  pour 
but  à  tous  les  efforts,  la  restauration  prochaine  de 
l'Eglise  persécutée.  Si,  à  la  mort  de  Louis  XIV,  les 
protestants  existaient  encore,  si  vingt  ans  de  persécu- 
tions n'avaient  pu  les  lasser,  si  l'édit  de  1715  n'était 
qu'un  mensonge,  c'était  grâce  aux  prophètes,  depuis 
le  jour  où  ils  s'étaient  fait  entendre  sur  les  montagnes 
du  Peyra  et  du  Castrois,  jusqu'au  jour  où,  Louis  XIV 
mourant,  ils  continuaient  à  exhorter  dans  leurs  assem  • 
blées  nocturnes  les  survivants  de  la  grande  persécution . 

En  1715,  lorsque  Court  commença  son  ministère,  de 
tous  côtés,  en  tous  lieux,  surgissaient  prophètes  etpré- 
dicants.  «  La  licence  de  s'ériger  en  prédicateurs  était 
telle,  que  quiconque  en  formait  le  dessein  pouvait 
l'exécuter  sans  obstacle,  qu'hommes  et  femmes  se 
mêlaient  du  métier,  et  qu'il  n'était  pas  rare  de  voir 
dans  les  assemblées,  si  peu  nombreuses  qu'elles  fus- 
sent, deux,  trois  femmes  et  quelquefois  des  hommes 
tomber  en  extase  et  parler  tous  à  la  fois.  »  Le  Viva- 
rais,  les  Cévennes,  la  Vannage,  étaient  remplis  d'In- 
spirés \  On  en  rencontrait  surtout  dans  cette  partie  de 
la  province  qui  avait  été  le  principal  théâtre  de  la 
guerre  des  Camisards.  Brenoux,  Alais,  Congeniès, 
Nîmes,  Ganges,  Loriol,  Lunel,  étaient  les  lieux  ordi- 
naires de  leurs  prédications.  Duplan  a  laissé  le  récit 

'  N"  17,  vol.  G.  —  Non-seulement  cette  partie  du  Languedoc,  mais 
encore  le  Daupliiné  tout  entier  avait  des  Inspirés.  (N°  17,  vol.  B. 
Mémoire  sur  le  Dauphiné.)  Roger  s'en  expliqua  fort  bien  la  cause. 
«  M.  R.,  dit  son  biographe,  reconnut  d'abord  que  ce  qui  attirait  la 
plupart  des  protestants  dans  les  assemblées  des  fanatiques,  c'était  la 
famine  de  la  Parole  de  Dieu.  » 


MULTITUDE  DTNSPIRÉS  177 

d'un  voyage  qu'il  fît  du  côté  de  Ganges;  dans  cha- 
que lieu  qu'il  traversa,  il  trouva  des  femmes  ou  des 
hommes  qui  tombaient  en  extase,  racontaient  leurs 
visions,  priaient  Dieu  en  public,  prêchaient  et  pro- 
phétisaient. On  n'entreprenait  plus  rien  sans  consulter 
l'Esprit.  Devait-on  faire  une  course,  aller  à  une 
assemblée,  accomplir  l'acte  le  plus  ordinaire  de  la  vie, 
aussitôt  l'Inspiré  de  l'endroit  était  interrogé  :  sa  ré- 
ponse devenait  ordre  de  Dieu.  Les  Inspirés  allaient 
plus  loin;  ils  se  vantaient  d'exorciser  et  de  guérir  les 
malades.  A  Nîmes,  une  jeune  fille  de  vingt  ans  était 
soufîrante.  Claire  et  la  veuve  Caton,  la  croyant  pos- 
sédée du  démon,  voulurent  l'en  délivrer;  elles  appe- 
lèrent Court  à  la  séance,  et  se  mirent  à  questionner 
le  démon.  Celui-ci  répondit  qu'il  s'appelait  «  Belle 
Oreille.  »  On  lui  ordonna  de  quitter  le  corps  de  la  pau- 
vre malade.  On  pria,  jeûna,  mais  le  démon  ne  voulut 
point  obéir,  et  la  jeune  fîUe  resta  dans  le  même  état 
où  elle  se  trouvait  précédemment.  A  Ganges,  dans  une 
réunion,  arriva  un  homme  qui  avait  le  corps  enflé. 
L'Inspirée  lui  imposa  les  mains,  «  et,  après  l'avoir  cen- 
suré de  ses  défauts  et  l'avoir  exhorté  à  la  repentance, 
lui  ordonna  de  prier  Dieu  pendant  trois  jours,  après 
quoi  il  se  trouverait  guéri.  »  Il  faut  croire  que  la  pro- 
messe de  l'Esprit  ne  se  réalisa  point,  car  l'auteur 
ajoute  :  «  Depuis,  il  a  été  inspiré  à  cette  femme  qui 
lui  avait  imposé  les  mains,  que  ces  trois  jours  vou- 
laient dire  trois  semaines  à  Dieu,  le  maître  de  ces 
événements  \  » 


1  Airiiivy.>  .le  rUcrauit,  G,  13l>,  u"  2'J4. 

I  U 


178  LEUR  AUTORITÉ  ET  LEUR  CRÉDIT 

Ces  insuccès  étaient  nombreux.  Plus  d'un  malade 
ne  guérit  point,  plus  d'une  asseml3lée  qui  devait  être 
surprise  se  termina  dans  le  plus  grand  calme,  et  plus 
d'une  qui  devait  se  tenir  en  toute  sécurité  fut  surprise  ; 
mais  si  éclatants  que  fussent  les  démentis  donnés  par 
les  faits  aux  prédictions  de  l'Esprit,  rien  ne  pouvait 
ébranler  les  convictions,  ni  dissiper  les  illusions  des  re- 
ligionnaires.  Que  de  fois  d'ailleurs  les  Inspirés  avaient 
dit  vrai,  et  que  de  pliénomènes  étonnants! 

«  Il  y  a  des  fois  que  nous  sommes  fort  effrayés,  écrivait-on 
à  Court,  et  d'une  tristesse  qui  nous  ôte  fenvie  de  rien  faire, 
parce  que  bien  souvent  ils  prononcent  des  choses  si  fortes  et 
avec  tant  de  pénétration,  qu'il  nous  semble  que  le  jugement  de 
Dieu  pend  sur  nos  têtes.  Il  y  a  des  fois  que  celle  que  vous  con- 
naissez qui  est  chez  nous,  nous  met  dans  des  alarmes  terribles. 
Elle  fait  de  grands  cris  des  douleurs  qu'elle  souffre,  dans  le 
temps  que  cela  la  prend.  D'autre  fois,  il  lui  semble  de  voir 
quantité  de  morts,  de  sang  répandu  par  les  rues.  Gela  lui  donne 
de  grandes  frayeurs,  aussi  bien  qu'à  nous,  et  puis  elle  dit  :  «  Je 
te  dis,  mon  enfant,  que  ce  que  je  te  fais  voir  devant  tes  yeux 
arrivera  bientôt  en  plusieurs  endroits;  il  y  en  a  qui  le  verront, 
d'autres  qui  ne  le  verront  pas,  mais  ils  l'entendront  dire  bientôt, 
bientôt,  mon  enfant*.  » 

Cette  crédulité  faisait  la  puissance  des  Inspirés. 
Ils  jouissaient  d'une  autorité  incontestée.  De  là  des 
impostures.  Que  la  plupart  d'entre  eux  fussent  de 
bonne  foi,  surtout  les  femmes,  et  elles  dominaient,  la 
chose  n'est  point  douteuse.  Mais  que  quelques-uns, 
profitant  de  la  créance  accordée  depuis  de  nombreuses 
années  aux  prophètes,  en  aient  abusé  pour  en  imposer, 
c'est  ce  qui  n'est  pas  moins  certain* 

»  N"  1,  t.  II,  p.  373. 


THÉORIE  DE  L'INSPIRATION  179 

«  Ma  ])atience  à  examiner,  dit  Court,  avant  que  de  condam- 
ner fut  des  plus  grandes.  Mais  la  fourbe  parut  avec  tant  d'éclat, 
qu'il  aurait  fallu  se  remplir  d'illusions  soi-même  et  se  rendre 
peu  sensible  à  l'iionneur  de  la  religion  qui  était  en  grande 
souffrance,  et  vouloir  se  repaître  d'erreur  et  de  mensonge^  que 
de  ne  pas  crier  à  haute  voix  *.  » 

Au  surplus,  un  fait  très-curieux  se  passait  en  ce 
moment.  Après  cette  douloureuse  période  de  trou- 
bles, de  persécutions,  de  malheurs  domestiques,  les 
protestants  privés  de  pasteurs,  privés  de  livres,  et 
même  de  la  Bible  dont  ils  n'avaient  que  quelques 
pag*es — l'Apocalypse,  appartenant  surtout  à  la  classe 
pauvre  et  peu  instruite  qui  n'avait  pu  s'expatrier, 
avaient  perdu  la  grande  tradition  calviniste.  Peu  à 
peu,  se  débarrassant  de  tout  bag'age  théologique,  ils  en 
étaient  arrivés  à  ne  plus  croire  qu'aux  ordres  de  l'Es- 
prit, aux  révélations  directes  de  Dieu.  Or,  vers  1715, 
au  commencement  de  la  Régence,  quelques  hommes 
partageant  les  mêmes  idées,  et  fort  ignorants  pour  la 
plupart,  donnèrent  un  corps  à  cette  croyance  géné- 
rale, la  précisèrent,  la  formulèrent  en  système.  Il  se 
produisit  en  France  le  même  phénomène  qu'on  avait 
déjà  remarqué  aux  premiers  jours  de  la  Réforme,  sous 
Luther  ;  «  A  quoi  bon ,  disaient  les  prophètes  de 
Zwichau,  s'attacher  si  étroitement  à  la  Bible  !  Toujours 
la  Bible  !  La  Bible  peut-elle  nous  parler,  n'est-elle 
pas  insuffisante  pour  nous  instruire  ?  Si  Dieu  eut  voulu 
nous  enseigner  par  un  livre,  ne  nous  eut-il  pas  envoyé 
du  ciel  une  Bible  ?  C'est  par  l'Esprit  seul  que  nous 
pouvons  être  illuminés.    Dieu  lui-même  nous  parle. 

»  N"  7i  t.  XIII,  p.  57. 


180  THÉORIE  DE  L'INSPIRATION 

Dieu  lui-même  nous  révèle  ce  que  nous  devons  faire 
et  ce  que  nous  devons  dire  *.  »  On  vit  en  effet  courir 
et  se  lire  de  plus  en  plus  dans  le  bas  Languedoc  les 
feuilles  d'un  manuscrit  que  l'on  appelait  le  «  Livre  de 
l'Esprit.  »  Il  y  était  dit  que  Dieu  avait  fait  son  ouvrage, 
que  Christ  avait  accompli  le  sien  et  que  c'était  main- 
tenant le  tour  du  Saint-Esprit  ^.  Les  Inspirés  affir- 
maient que  le  règ'ne  du  Saint-Esprit  allait  arriver  et 
qu'une  nouvelle  création  devait  être  son  œuvre.  «  On 
dit  qu'il  n'y  a  pas  d'Inspirés,  disait  l'un  d'eux,  moi,  je 
soutiens  qu'il  y  en  a.  On  dit  qu'il  n'y  a  pas  de  pro- 
phètes, mais  moi-même  qui  vous  parle,  vous  pouvez 
dire  qu'un  prophète  vous  parle,  car  j'ai  été  comme 
Saint  deux  fois  aux  cieux  ^.  »  Si  quelques-uns,  peu 
convaincus,  se  permettaient  de  douter,  les  Inspirés  en 
appelaient  à  la  Bible,  invoquaient  les  déclarations  de 
l'Ancien  Testament  et  se  réclamaient  des  prophéties  de 
Joël.  Ils  ajoutaient  que  de  tout  temps  l'Esj^rit  s'était 
révélé,  qu'aux  premiers  jours  du  christianisme  il  avait 
fait  des  miracles,  et  que  jusqu'à  la  fin  des  siècles  il 
inspirerait  les  siens.  Et  en  quel  temps,  disaient-ils,  en 
pouvait-il  être  plus  besoin  que  dans  le  temps  présent'/ 
Lorsque  des  prédicants  orgaieilleux  tombaient  dans 
des  erreurs  ou  des  vices  capitaux,  ne  fallait-il  pas  les 
reprendre?  Lorsqu'ils  n'étaient  capables  de  donner  leurs 
soins  qu'à  la  forme  extérieure  de  leurs  discours,  ne 
fallait-il  pas  par  les  paroles  mêmes  de  l'Esprit  remettre 


*  Histoire   de  la  Réformatioii  de  seizième  siècle,  par  M.  Merle 
crAubigné,  t.  III,  p.  57(1860). 

2  N"  1,  t.  II,  p.  309.  (1720.) 

3  Jhid.,  p.  57    (1722.) 


THÉORIE  DE  I/INSPIRATION  isl 

riioinme  en  rapport  avec  son  Dieu?  Tout  croulait.  Les 
fidèles  étaient  plongés  clans  le  mal,  le  protestantisme  était 
en  pleine  décadence  morale  :  il  n'y  avait  d'autre  remède 
que  de  détruire  le  péché.  Les  prédicants  n'étaient  plus  à 
la  hauteur  de  la  tâche;  seul,  l'Esprit  de  Dieu  qui  jadis 
avait  opéré  de  si  grands  miracles  et  qui  dans  ces  der- 
niers temps  avait  permis  à  tant  «  de  menu  peuple  »  de 
résister  aux  royales  persécutions,  seul  l'Esprit,  par  ses 
interprètes,  pouvait  sauver  les  hommes  et  arrêter  le 
protestantisme  dans  sa  chute  imminente  *. 

Ceux  qui  parlaient  ainsi  étaient  les  théoriciens  ;  leurs 
partisans  appuyaient  ces  affirmations  par  des  arguments 
tirés  de  leur  expérience.  Ils  disaient  qu'après  avoir 
entendu  la  prédication  des  Inspirés,  ils  se  sentaient 
détachés  du  monde  et  pleins  de  zèle  pour  Dieu  ;  qu'ils 
n'avaient  jamais  tant  pensé  à  lui  que  depuis  la  con- 
naissance de  toutes  ces  choses,  et  que  s'ils  restaient 
seulement  quelques  jours,  sans  assister  à  ces  petites 
assemblées,  ils  n'avaient  plus  le  même  zèle  pour  Dieu  ; 
que  l'Ecriture  n'avait  pas  la  même  force  pour  les  faire 
penser  au  jugement  à  venir;  que  rien  ne  leur  faisait 
faire  de  si  sérieuses  réflexions  que  d'entendre  parler 
ces  g'ens  dans  leur  inspiration  ;  pour  tout  dire,  que 
chacune  de  leurs  paroles  leur  donnait  l'horreur  du  péché 
et  les  détachait  entièrement  du  monde  ^. 

Bonnes  gens,  après  tout,  et  de  bonne  foi  !  Ils  cou- 
raient dans  leurs  réunions  et  ils  écoutaient  avec  des 
cœurs  remplis  de  zèle  ces  Inspirés  qui  de  moins  en 
moins  leur  parlaient  de  rébellion,  mais  leur  prêchaient 

1  N"  17,  vol.  G.  (1122). 

2  N"  l,t.  Il,  p.  899.  (1721.) 


182  EXTRAVAGANCES  ET  EXCÈS 

la  repentance,  la  sainteté,  le  pardon  et  l'amonr.  Ren- 
trés chez  eux,  au  soir,  ils  s'entretenaient  de  ces  tou- 
chantes choses,  jeûnaient,  priaient,  interrog'eaient  Dieu 
et  lui  confessaient  leurs  fautes.  Dieu  répondait,  répri- 
mandait, donnait  de  nouveaux  ordres,  et  ces  hommes, 
à  qui  l'Esprit  permettait  de  nouer  ainsi  avec  l'Etre 
suprême  une  muette  conversation,  doux,  calmes,  rési- 
gnés, reposaient  dans  la  tranquillité  de  leur  conscience. 
Que  de  choses  malheureusement  d'une  extravagance 
risible  !  Dans  un  de  ses  sermons,  un  Inspiré  disait  : 
c(  J'ai  parlé  avec  Dieu,  et  j'ai  vu  les  chérubins  et  séra- 
phins qui  allaient  et  venaient  et  se  prosternaient  devant 
Dieu.  »  Et  ailleurs  :  «  Ah!  mon  Dieu!  il  me  semble 
que  je  te  vois  au-dessous  de  cette  voûte!  je  te  vois! 
ah  !  que  tu  es  beau  et  que  tu  es  noir  !  Tu  as  des  che- 
veux crépus  *  !  »  Dans  la  Vannage,  une  femme,  au 
milieu  d'une  assemblée,  se  déshabillait,  et,  toute  nue, 
se  faisait  traîner  par  les  cheveux  dans  la  salle  -.  — 
A  Nîmes,  une  nommée  Tibaude,  tenait  de  petites  réu- 
nions. Un  jour  qu'il  s'y  trouvait  dix-sept  personnes. 
Court  y  assista.  La  prophétesse  entra,  tomba  en  extase, 
chanta,  parla  un  langage  qu'on  n'entendait  pas,  ver- 
sifia et  pour  chacun  des  assistants  tourna  un  couplet. 
A  son  mari,  elle  dit  : 

Et  toi,  mon  pauvre  grison, 

Je  m'adresse  à  toi,  tout  de  bon. 

A  une  autre  personne  : 

Pour  toi,  avec  tes  cheveux  tortus, 
Tu  auras  toujours  l'esprit  bossu. 

1  N°  1,  t.  II,  p.  57. 
«  Ibid.,  p.  350. 


ANTOINE  COURT  ET  LES  INSPIRÉS  183 

Paroles  bizarres  qui  étonnaient  !  Pour  les  auditeurs, 
tremblants  et  attentifs,  ils  applaudissaient  \  —  Et  ces 
scènes  n'étaient  pas  rares;  chaque  secte  avait  les  sien- 
nes. Les  choses  les  plus  extraordinaires  se  faisaient 
au  nom  de  l'Esprit.  «  Tous  les  jours,  écrivait  Corteiz, 
nous  apprenons  des  choses  tout  à  fait  indignes  de 
l'Esprit  de  Dieu.  » 

La  foule  cependant  se  tournait  de  plus  en  plus  vers  les 
Inspirés.  A  Nimes,  la  femme  Tibaude  avait  son  égdise; 
Vesson  comptait  un  grand  nombre  d'adhérents  à  Con- 
géniès  et  dans  la  Vannage;  à  Brenoux,  se  trouvaient 
«  les  grands  piliers  »  de  Mazel  ;  dans  le  Vivarais,  Mon- 
teil  g'ouvernait  sans  rivaJ.  Pais,  chaque  ville,  chaque 
village  avait  ses  prophètes.  Les  sectes  se  multipliaient. 
Et,  chose  plus  grave!  elles  avaient  chacune  la  préten- 
tion  de  composer  l'Eglise  ;  elles  cherchaient  à  s'isoler, 
à  avoir  leurs  rites  spéciaux,  leur  culte  particulier.  Le 
protestantisme,  qu'aucun  lien,  ni  celui  d'une  révolte 
commune  ni  celui  de  la  foi,  ne  réunissait,  tendait  ainsi 
à  se  diviser  en  une  infinité  de  petites  communautés, 

Antoine  Court,  comme  tous  ses  coreligionnaires,  avait 
longtemps  ajouté  foi  aux  discours  des  Inspirés.  Il  en 
vint  cependant  à  soupçonner  que  «  tout  ce  qu'on  appelait 
révélation  n'avait  pas  la  source  dans  l'Esprit  divin,  et 
(pie,  si  on  n'en  pouvait  pas  accuser  la  fraude,  on  pou- 
vait penser  du  moins  que  la  plupart  de  ceux  qu'on 
appelait  Inspirés,  étaient  la  dupe  de  leur  zèle  et  de 
leur  crédulité  ^.  » 

*  N»  46,  cah.  I,  p.  31. 
2  Ibid. 


181  MESURES  CONTRE  LES  INSPIRES 

Néanmoins,  avant  de  les  juger  définitivement,  il 
crut  devoir  les  examiner  avec  soin.  Ce  qui  le  surprenait 
surtout,  c'est  que  les  propliéties  qu'il  avait  entendues 
se  réalisassent  si  rarement.  Il  pensait  que  l'Esprit  de 
Dieu  ne  pouvait  ni  tromper  ni  se  tromper,  et  il  n'ima- 
ginait point  que  ses  interprètes  pussent  faire  des  pré- 
dictions auxquelles  les  événements  donnaient  un  com- 
plet démenti.  Long-temps  il  hésita,  mais  en  1715  son 
opinion  fut  fixée.  Il  divisa  les  Inspirés  en  deux  classes  : 
les  fourbes  et  les  fous.  Puis,  voyant  combien  ils  dis- 
créditaient la  cause  du  protestantisme,  et  indisposaient 
les  esprits  sages  et  prudents  «  qui  étaient  venus  jusqu'à 
envisager  les  prédicants  et  les  assemblées  avec  une 
espèce  d'horreur,  »  il  prit  contre  eux  d'énergiques 
mesures.  Il  établit  l'ordre,  fit  venir  des  livres,  déve- 
loppa l'instruction. 

Mais  l'entreprise  était  difficile.  Les  Inspirés  «  reg^ar- 
daient  comme  blasphémateurs  ceux  qui  osaient  s'éman- 
ciper d'attaquer  la  production  de  leur  cerveau  dé- 
rangé, et,  croyant  Dieu  lui-même  intéressé  dans  leur 
propre  cause,  prédisaient  en  son  nom  contre  les  auda- 
cieux téméraires  les  malheurs  les  plus  funestes.  »  La 
résistance  qu'on  lui  opposa,  les  obstacles  à  vaincre,  la 
crédulité  des  uns  et  la  ténacité  des  autres,  le  décou- 
ragèrent. Désespérant  de  conduire  son  entreprise  à 
bonne  fin,  il  crut  que  «  le  meilleur  pour  lui  était  d'a- 
bandonner les  malades  encore  à  eux-mêmes  K  » 

Il  fut  bientôt  oblig'é  de  rompre  le  silence.  Lorsqu'il 
vit  à  quelles  extrémités  se  portaient  les  Inspirés ,  lors- 

1  N"  4G,  cah.  I. 


MESURES  CONTRE  LES  INSPIRÉS  185 

que  dans  tous  ses  efforts  il  se  sentit  entravé,  dans  son 
œuvre  de  réorganisation  empêché,  dans  ses  projets 
d'ordre  et  de  discipline  combattu,  il  n'hésita  pas  à  faire 
entendre  de  nouveau  sa  voix  et  à  eng-ag-er  la  lutte. 
Pour  lui,  il  n'avait  que  son  inébranlable  volonté  et  son 
g-rand  bon  sens;  contre  lui  se  rangeaient  les  Inspirés 
et  leurs  partisans  qui  formaient  après  tout  la  partie 
vivante  du  protestantisme.  Convaincre  et  ramener  les 
imposteurs,  c'était  difficile  ;  mais  on  pouvait  par  le 
raisonnement,  par  l'instruction  et  par  l'influence  des 
théologiens  étrang-ers,  détacher  d'eux  leurs  adhérents; 
c'est  ce  qu'il  essaya.  Un  jour,  il  se  rendit  à  une  assem- 
blée que  la  femme  Tibaude  tenait  à  Nîmes.  Il  écouta, 
et  lorsque,  le  discours  terminé,  les  assistants  se  levèrent 
pour  applaudir,  il  s'écria,  à  l'étonnement  de  tous,  que 
de  pareilles  choses  ne  pouvaient  avoir  Dieu  pour  au- 
teur. La  prophétesse  indignée,  sans  mot  dire,  quitta 
la  réunion  et  ses  partisans  la  suivirent.  Il  resta  seul, 
stupéfait.  Le  lendemain,  il  trouva  les  assistants  de  la 
veille  et  parvint  à  les  convaincre  des  mensonges  de 
Tibaude.  Ce  fut  un  de  ses  premiers  et  de  ses  plus 
éclatants  succès  ^ .  L'échec  de  cette  prophétesse  en  dis- 
crédita bien  d'autres  qui,  pour  n'avoir  pas  la  même  ré- 
putation ,  n'en  avaient  pas  moins  leurs  ardents  défen- 
seurs. Antoine  Court  travailla  ainsi  à  faire  le  vide 
autour  des  Inspirés.  Il  convoqua  des  assemblées,  mul- 
tiplia ses  exhortations,  montra  la  fausseté  des  prophé- 
ties ;  surtout  il  s'efforça  de  ramener  les  esprits  sincères 
aune  conception  de  la  religion  plus  saine  et  plus  vraie. 

1  N"  46,  cah.  I,  p.  31. 


186  MESURES  CONTRE  LES  INSPIRÉS 

Point  de  repos.  S'il  avait  appris  qu'en  quelque  en- 
droit avait  surgi  une  Inspirée  dont  les  extases  et  les 
paroles  jetaient  le  trouble,  il  accourait;  s'il  ne  pouvait 
se  rendre  lui-même  sur  les  lieux,  il  écrivait.  On  lui 
manda  qu'à  Loriol  une  servante,  ancienne  catho- 
lique, tombait  en  extase,  se  prétendait  animée  de 
l'Esprit  et  par  ses  tristes  prédictions  épouvantait  tous 
ceux  qui  l'entouraient.  Aussitôt  il  écrivit  une  longue 
lettre  où  il  combattait  les  Inspirés,  et,  pour  frapper  un 
plus  grand  coup,  il  fît  même  écrire  par  l'illustre  Pictet 
de  Genève  ^ . 

Malgré  tout,  il  était  difficile  de  désabuser  des  gens  qui 
s'opiniâtraient  dans  leur  erreur.  En  vaindisait-il  que  des 
hommes  véritablement  animés  par  le  Saint-Esprit  ne  se 
pouvaient  tromper,  qu'en  tout  temps  on  avait  vu  faire 
mille  choses  surprenantes,  que,  si  les  Inspirés  disaient 
de  bonnes  paroles,  ils  les  avaient  lues  dans  la  Bible, 
et  qu'ils  ne  donnaient  qu'une  preuve  d'heureuse  mé- 
moire. On  lui  répondait  que  ces  personnes  «  n'étaient 
capables  ni  de  folies,  ni  d'imagination,  non  plus  que 
de  bonne  mémoire,  pour  débiter  tant  de  choses  surpre- 
nantes en  des  termes  que  des  savants  ne  sauraient 
trouver  pour  s'en  servir  dans  leurs  discours,  que  Dieu 
dit  qu'il  cacherait  ces  choses  aux  sages  et  entendus  et 
les  révélerait  aux  plus  petits,  et  que,  si  ceux-là  se  tai- 
saient, les  pierres  même  parleraient  ^  » 

Contre  des  convictions  si  profondes,  la  parole  mal- 
habile encore  d'un  jeune  prédicant  ne  pouvait  préva- 
loir; il  fallait  qu'elle  reçût  une  consécration.  A  l'insti- 

*  N"  17,  vol.  G,  p.  259.  —  V.  aussi  Pièces  et  documents,  ii"*  IX. 
«N^l,  t.  II,  p.  399. 


DECISIONS  DES  SYNODES  187 

g-ation  de  Court,  le  Synode  de  1715  établit  :  P  que, 
selon  l'ordre  de  saint  Paul,  il  serait  défendu  aux  femmes 
de  prêcher  à  l'avenir;  2°  qu'il  serait  ordonné  de  s'en 
tenir  uniquement  à  l'Ecriture  sainte  comme  à  la  seule 
règle  de  foi,  et  qu'en  conséquence  on  rejetterait  toutes 
les  prétendues  révélations  qui  avaient  vogue  parmi  les 
protestants,  non- seulement  parce  qu'elles  n'avaient  au- 
cun fondement  dans  l'Ecriture ,  mais  encore  à  cause 
des  grands  abus  qu'elles  avaient  produits.  —  Le  se- 
cond Synode,  tenu  en  1716,  s'occupa  de  nouveau  de  ce 
triste  sujet  : 

«  On  doit  écouter  la  Parole  do  Dieu  comme  la  seule  règle  de 
foi,  et  en  même  temps  refuser  toute  prétendue  révélation  dans 
laquelle  nous  n'avons  rien  qui  puisse  soutenir  notre  foi  ;  et,  à 
cause  des  grands  scandales  qui  sont  arrivés  de  notre  temps, 
les  pasteurs  sont  obligés  d'y  veiller  avec  soin  ^  » 

Malheureusement  deux  des  pasteurs  qui  avaient 
signé  ces  règ'lements  furent  les  premiers  à  les  violer, 
et  devinrent  les  chefs  de  ces  mêmes  Inspirés  qu'ils 
avaient  promis  de  combattre.  C'étaient  Jean  Hue  et 
Jean  Vesson.  Le  succès  que  l'on  attendait  de  ces  me- 
sures fut  singulièrement  amoindri. 

Singulier  homme  que  Vesson  !  On  a  vu  qu'il  avait 
été  déjà  déposé  par  les  Synodes  et  réintégré  peu  de 
temps  après,  en  1718,  dans  sa  chargée  ^.  Des  signes  de 
mésintelligence  ne  tardèrent  pas  à  se  manifester.  Ves- 
son, qui  avait  jadis  été  un  des  Inspirés  les  plus  popu- 
laires, devint-il  jaloux  de  la  prépondérance  croissante 

»  Synode  de  1716. 
«  V.  cliap.  III,  p.  103. 


188  JEAN   VIvSSON 

d'Antoine  Court?  Son  parti  que  les  règlements  syno- 
daux tendaient  à  ruiner  lui  reprocha-t-il  sa  désertion  ? 
Ou  plutôt,  sa  foug'ue  naturelle,  son  amour  d'indépen- 
dance, son  impatience  de  tout  frein,  l'empêcliaient- 
ils  de  se  plier  à  la  discipline  récemment  instituée  ?  On 
ne  sait.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  reprit  bientôt  ses  habi- 
tudes, prêchant  à  sa  guise,  administrant  la  Cène  et  n'as- 
sistant pas  aux  Synodes.  En  1719,  il  reçut  une  lettre  de 
Court  qui  le  rappelait  au  devoir.  Ses  sentiments  n'étaient 
pas  encore  hostiles,  car,  dans  une  lettre  à  l'un  de  ses 
partisans,  il  protestait  de  son  dévouement  à  l'Eglise  et 
de  son  amour  pour  l'union.  «  Sans  doute,  il  n'avait  pas 
assisté  au  Synode ,  mais  quel  besoin  l'y  eût  conduit, 
puisqu'il  annonçait  la  parole  de  Dieu  ?  »  Il  parlait  d'ail- 
leurs en  termes  excellents  de  Court  et  se  plaisait  à  l'ap- 
peler «  son  frère  \  »  On  n'osa  point  lui  susciter  de  nou- 
veaux embarras,  et  il  continua  à  mener  sa  libre  vie. 
((  Comment  faire  de  l'interdire  !  Nous  craignons  plus 
qu'il  ne  se  rang'e  entièrement  du  parti  des  Inspirés 
qui  sont  encore  en  grand  nombre  dans  la  Vannage, 
ce  qui  formerait  une  autre  secte  qui  serait  très  dan- 
gereuse ^.  »  On  lui  donna  cependant  pour  compagnon 
le  proposant  Deleuze,  homme  sage,  éclairé,  pour  sur- 
veiller les  discours  qu'il  tiendrait  et  les  explications 
de  la  Bible  qu'il  pourrait  donner.  Vesson  ne  tint  compte 
de  lui.  Les  choses  suivirent  leur  cours.  Vesson  viola 
les  règlements  établis  et  inclina  probablement  de  plus 
en  plus  vers  le  parti  des  Inspirés.  Les  Synodes  se  déci- 
dèrent alors  à  prendre  de  vigoureuses  mesures,  et  ils 

1  N"  1,  t.  II,  p.  61.  (1719.) 

2  N"  7,  t.  I,  p.  2.  (1719.; 


DÉPOSITION  DE  VESSON  189 

l'assignèrent  devant  nne  de  leurs  assemblées.  Les  co- 
lères longtemps  contenues  éclatèrent.  Vesson  qui  se 
sentait  appuyé  ,  entouré,  à  la  tête  d'un  parti,  n'hésita 
pas  à  calomnier  les  Anciens  ;  il  supposa  des  lettres  dif- 
famatoires, affecta  de  ne  point  paraître  à  la  réunion 
synodale,  et  surtout  soutint  et  enseigna  des  doctrines 
désapprouvées. 

Un  Synode  fut  convoqué  en  1720  pour  le  juger. 

«  Que  fera-t-on  de  Vesson  qui  s'oppose  à  l'ordre,  qui  ne  veut 
point  de  discipline,  qui  insulte  les  Anciens,  qui  calomnie  ses 
frères?  Et  à  l'instant^  on  prouva  comme  à  Meyrueis  (Vj  il  avait  lu 
une  lettre  supposée  et  dillamatoire  contre  tous  ses  frères  qui 
prêchent  au  Désert;  on  prouva  comment  il  avait  baptisé  des 
enfants  depuis  que  l'assemblée  l'avait  défendu  à  tous  les  propo- 
sants ;  on  a  mené  un  très-grand  nombre  de  preuves  comme  (quoi) 
il  a  violé  à  tous  égards  ce  qu'il  avait  promis  à  la  grotte  du  château 

deFraisac Après  que  la  vénérable  compagnie  a  eu  entendu 

toutes  les  fautes,  ils  ont  dit  qu'il  ne  fallait  plus  qu'il  prêchât. 
Quelques-uns  de  la  compagnie  ont  dit  :  Mais  le  moyen  de 
l'empêcher?  Tous  les  autres  de  l'assemblée  se  sont  pris  à  crier  : 
Il  ne  le  faut  point  écouter,  et  exhorter  le  peuple  à  ne  point  le 
recevoir.  M.  Baldy,  qui  est  plein  de  bons  conseils,  dit  :  Parce 
que  cet  homme  est  un  flatteur  et  que  le  monde  ne  le  connaît 
pas  tel  qu'il  est,  on  pourrait  regarder  cette  démission  comme 
injuste.  Il  y  faut  ajouter  que  le  sieur  Vesson  peut  revenir  dans 
la  paix  de  l'Eglise  lorsqu'il  composera  un  Synode  général  dans 
lequel  il  donnera  une  pleine  satisfaction  en  se  justifiant  des 
crimes  qu'on  lui  impute  \  » 

C'était  un  acte  hardi  que  de  banni i*  de  la  paix  de 
l'Eglise  un  homme  tel  que  Vesson  ;  un  schisme  pou- 
vait en  résulter.  Mais  encore  qu'ils  redoutassent  une 

»  X"  1,  t.  II,  p,  30P.  (1720.) 


190  IRRITATION  DU  PARTI  DES  INSPIRES 

scission  funeste,  les  membres  du  Synode  la  croyaient 
moins  périlleuse  pour  le  protestantisme  que  le  fana- 
tisme et  le  désordre.  Convaincus  par  Antoine  Court 
et  par  une  lettre  récente  de  Pictet  de  la  nécessité  de  la 
discipline,  ils  voulaient  avant  toutes  choses  et  à  tous 
risques  la  faire  respecter.  Ce  fut  donc  avec  un  profond 
sentiment  deleurdevoir  que,  le  13septembre  1720,  usant 
encore  une  fois  du  pouvoir  dictatorial  dont  ils  avaient  été 
investis,  ils  imposèrent  silence  àVesson  et  lui  ordon- 
nèrent c(  d'obéir  à  la  voix  de  l'Ecriture  qui  dit  que  l'es- 
prit des  prophètes  est  soumis  aux  prophètes  ^  » 

Cette  décision  combla  l'irritation  des  Inspirés.  Jus- 
qu'à ce  moment  Hue  et  Vesson  avaient  exercé  une  in- 
contestable influence  sur  ce  parti  ;  dès  ce  jour,  ils  en 
devinrent  ràme,le  personnifièrent.  Vesson  se  jeta  dans 
le  bas  Lang-uedoc ,  Hue  dans  les  Cévennes.  Hue,  on 
l'a  vu,  s'était  séparé  depuis  longtemps  de  ses  collègues  ; 
la  démission  de  Vesson  réveilla  son  ardeur.  Il  se  trou- 
vait dans  les  hautes  Cévennes,  où  depuis  longtemps 
déjà,  grâce  à  ses  opinions  hardies  sur  la  messe,  sur  les 
mariages  et  sur  l'Inspiration,  il  s'était  g*agné  des  parti- 
sans. Corteiz  s'eng-agea  dans  la  montag-ne  pour  ébran- 
ler son  crédit  ;  il  ne  réussit  pas.  En  1722,  un  jeune 
proposant.  Combes,  fut  envoyé  de  nouveau  par  le 
Synode  pour  dissiper  dans  l'esprit  de  ses  adhérents  le 
jDrestige  dont  était  encore  entouré  le  vieux  Camisard. 
Cette' mission  eut  un  peu  plus  de  succès.  Combes  agit 
avec  habileté  et  finit  par  s'attirer,  non  sans  peine,  la 
confiance  des  protestants. 

*  V.  Pièces  et  documents,  n°  X. 


ACCUEIL  QU'IL  FAIT  A  VESSON  191 

La  résistance  de  Vesson  fut  encore  plus  long-ue.  Dès 
qu'il  apprit  la  mesure  qui  le  frappait,  il  parcourut  les 
villag'es  dont  il  connaissait  les  sympathies,  et  s'efforça 
d'exciter  en  sa  faveur  par  ses  pressantes  exhortations  leur 
zèle  et  leur  dévouement.  Il  se  posa  en  victime,  se  préten- 
dit calomnié,  méprisé,  injustement  condamné.  Il  rejeta 
l'autorité  des  Synodes,  accusa  d'hérésie  ses  persécu- 
teurs, exalta  surtout  la  puissance  de  l'Esprit.  Un  jour 
que  Corteiz  le  poussait  à  bout,  il  répondit  :  «  Vous 
vous  opposez  aux  conseils  de  Dieu  ,  en  vous  opposant 
aux  révélations,  et  je  ne  veux  me  réunir  qu'à  la  condi- 
tion que  vous  ne  parlerez  ni  contre  les  révélations,  ni 
contre  ceux  qui  les  croient.  » 

Ainsi  banni  de  l'Eglise,  il  fut  accueilli  par  les  fidèles 
avec  enthousiasme.  Tous  ceux  qui  voyaient  avec  peine 
le  nouvel  état  de  choses,  tous  ceux  qui  ajoutaient  foi  aux 
discours  des  Inspirés  et  qui  sentaient  leurs  convictions 
opprimées  par  les  règ*lements  nouveaux ,  firent  cause 
commune  avec  lui.  Durfort,  Cong'éniès,  toute  la  Vaunag'e 
tint  pour  lui  :  il  devint  «  le  grand  timon  * .  »  Une  chose 
aggravait  la  situation.  Si  le  parti  de  l'ordre,  dont  An- 
toine Court  était  le  chef,  se  composait  d'hommes  sages 
et  instruits,  et  si  celui  des  Inspirés  se  recrutait  surtout 
parmi  les  ig*norants,  on  ne  peut  nier  qu'il  n'y  eut  parmi 
ces  derniers  des  religionnaires  éclairés  et  de  mérite. 
Ils  pouvaient  ne  point  soutenir  Vesson,  mais  toutes 
leurs  sympathies  appartenaient  au  parti  et  aux  idées 
dont  il  était  le  représentant.  Parmi  ces  derniers  se  trou- 
vait Duplan.  Il  n'aimait  ni  Vesson  ni  Hue,  «  ces  re- 

1  N»  1,  t.  II,  p.  348.  (4721.) 


192  DUPLAN 

belles ,  ces  org-ueilleux ,  ces  hérétiques ,  ces  schisma- 
tiques,  »  mais  il  croyait  aux  communications  du  Saint- 
Esprit,  il  croyait  aux  révélations.  Ni  les  fourbes  ni 
les  fanatiques  n'avaient  pu  ébranler  sa  conviction.  Il 
détestait  les  impostures  et  les  superstitions,  mais  ayant 
été  témoin,  jeune  encore,  de  faits  touchants  et  qui  l'a- 
vaient profondément  ému,  lisant  la  Bible  avec  piété  et 
avec  foi,  voyant  à  chacune  de  ses  pages  l'intervention 
miraculeuse  de  la  divinité,  il  était  fermement  persuadé 
de  la  possibilité  et  de  la  réalité  de  certaines  prophéties. 
Aussi  disait-il  hautement  qu'il  n'aimait  pas  «  les  ju- 
gements téméraires,  ni  les  voix  aigres  qui  sous  appa- 
rence de  piété  et  de  zèle,  criaient  sans  connaissance 
et  sans  intelligence  :  Ote  !  ôte  !  crucifie ,  crucifie  !  » 
Il  n'avait  jamais  sur  ce  sujet  partagé  l'opinion  d'An- 
toine Court.  «  Nos  sentiments,  lui  écrivait  un  jour 
son  jeune  ami,  ont  toujours  été  sur  ce  chapitre  les 
antipodes  les  uns  des  autres ,  votre  expérience  vous 
persuadant  qu'il  y  a  des  Inspirés,  et  la  mienne  qu'il 
n'y  en  a  pas.  »  Le  pieux  gentilhomme  d'Alais  fré- 
quentait donc  les  Inspirés  et  assistait  à  leurs  assem- 
blées ;  leurs  réunions  lui  étaient  chères,  et  leur  mys- 
ticisme plaisait  à  sa  sensible  imagination  ;  il  en  était 
l'hôta  assidu  et  le  principal  personnag*e^ 

Il  fallait  prendre  des  mesures  énergiques.  Ce  péril 
devait  être  définitivement  écarté,  et  l'on  devait  attaquer 
sans  hésitation  un  parti  qui  compromettait  chaque  jour 
la  cause  du  protestantime.  —  Les  Synodes,  les  prédi- 
cants  et  les  pasteurs  étrangers  furent  chargés  de  ce  soin. 

>  K-  1^,  p.  19.  -  V.  au^^i  u^  7,  t.  II,  p.  81  et  311. 


RÉSISTANCE  1)K  \  ESSOX  193 

Les  Synodes  de  1721  déclarèrent  que  l'Eciiture  sainte 
devait  être  tenue  pour  seule  règ-le  de  foi,  et  que  ceux 
qui  soutiendraient  Vesson  dans  son  schisme  ne  seraient 
pas  admis  à  la  sainte  Cène  \  Ils  censurèrent  en  outre 
Duplan  qui  encourag*eait  et  autorisait  les  visions  et  les 
songes  de  «  ces  femmelettes  ^  » 

On  résolut  en  même  temps  de  faire  suivre  Vesson  de 
villag'e  en  village  ^.  Le  Synode  de  1721  confia  cette 
mission  à  Bétrine  et  à  Pierredon,  et  bientôt  Corteiz  et 
Rouvière  vinrent  les  rejoindre.  «  Nous  avons  résolu, 
écrivait  Corteiz,  de  faire  quelque  séjour  à  la  Vannage. 
Je  crois  qu'il  nous  y  faudra  tenir  un  colloque  à  cause  de 
Vesson.  »  Ils  poursuivirent  ainsi  leur  adversaire,  eux  le 
cherchant,  lui  les  évitant.  Parfois  ils  parvinrent  à  le  ren- 
contrer ;  ils  lui  parlèrent  d'ordre,  d'union,  de  discipline  ; 
mais  celui-ci  se  plaçant  toujours  sur  le  terrain  de  l'inspi- 
ration évita  de  répondre  à  leurs  exhortations  sentimen- 
tales. Ils  s'adressèrent  alors  à  ses  partisans  ;  ces  derniers 
se  montrèrent  intraitables  et  menaçants.  Un  jour  qu'ils 
se  trouvaient  dans  un  village,  ils  virent  deux  hommes  ar- 
més de  bâtons  leur  demander  ce  qu'ils  voulaient  de  Ves- 
son. Jamais  d'ailleurs  la  vraie  question  ne  fut  traitée  : 
ils  firent  appel  à  l'union.  C'était  habile,  car  ils  se  sen- 
taient incapables  de  réfuter  certains  arguments  ;  mais 
ils  répandirent  en  grand  nombre  des  traités  et  des  dis- 
cours où  le  sujet  était  élucidé.  Vécni  contre  les  fana- 
tiques du  pasteur  suisse,  Merlat,  courut  ainsi  tout  le 
bas  LangnuMloc. 

t  N"  1,  (.  U,  p.  477.  (Mai  1721.) 

2  Ibid.,  p.  581.  (Octobre  1721.) 

3  Thid.,  p.  288.  (1720.) 

I  13 


194  l.K'l  TRE  DE  PlcriÉT 

Court  s'était  absenté  ;  il  se  trouvait  en  ce  moment  à 
Genève.  C'est  de  là  qu'il  encoumg'eait  les  pasteurs  étran- 
gers, ses  amis,  à  s'occuper  de  cette  g'rave  affaire.  En 
attendant,  il  écrivait  contre  les  femmes  qui  se  mêlaient 
de  prêcher.  Saint  Paul,  disait-il,  n'a  jamais  permis  aux 
femmes  d'enseigner.  Et  après  avoir  établi  cette  thèse  : 

«  Si  quelqu'une  de  nos  prédicantes,  ajoutait-il,  a  assez  de 
savoir  et  de  zèle  pour  convertir  certain  pécheur  ou  pour  riiain- 
tenir  la  religion  là  où  elle  est  établie,  quand  il  n'y  aura  point  de 
ministre  en  cet  endroit  là,  qu'elle  s'attache  par  des  représen- 
tations à  ramener  ce  pécheur,  à  consoler  l'aflliiçé,  à  visiter  le 
malade,  à  instruire  la  jeunesse,  à  fortifier  le  faible  ;  mais  qu'elle 
fasse  tout  cela  par  des  entretiens  charitables,  par  des  visites 
particulières:  quelle  ne  s'émancipe  jamais  à  prêcher,  ni  à 
paraître  un  docteur  dans  une  assemblée  dûment  convoquée.  » 

Et  ailleurs  : 

«  Peut-on  injurier  davantage  lEsprit  de  Dieu  qu'en  le  faisant 
auteur  des  rêveries  et  des  singeries  d'une Tibaude,  d'une  Valen- 
tine,  d'une  Boureille de  Grand-Gallargues,  et  de  tantd' autres  M  » 

Cédant  enfin  aux  pressantes  sollicitations  de  Corteiz 
et  de  Court ,  Pictet  publia  sa  fameuse  Lettre  sut  ceux 
qui  se  croient  inspirés  ^. 

Ce  n'était  pas  la  première  fois  que  l'on  s'adres- 
sait dans  ce  but  à  Genève.  En  1714  déjà,  des  fana- 
tiques ayant  paru  à  Erhm,  on  avait  demandé  à  la  vé- 
nérable Compagnie  quelle  était  la  conduite  qu'il  fallait 
tenir  à  leur  égard.  En  1717,  le  modérateur  avait  prié 

1  N"  7,  t.  I,  p.  181  (1720.)  et  p.  -18.  (1721.) 

*  Lettre  sur  ceux  qui  se  cruient  inspirés.  Bihliotliéque  de  Genève. 
(Recueil  de  diverses  pièces,  i.XXY.)  Celte  lettre  parut  probablement 
au  mois  de  juin  1721.  —  V.  aussi  Pièces  et  documents,  n"  IX. 


SUCCÈS  QU*ELLE  OBTIENT  ÎÔ5 

les  pasteurs,  à  cause  du  nombre  croissant  des  préten- 
dus Inspirés,  de  donner  une  explication  publique  de 
l'inspiration  *.  On  voit  encore  que  Samuel  Turrétin  fît 
soutenir  plusieurs  thèses  sur  ce  sujet  par  les  étudiants 
de  l'Académie  ^. 

Pictet  avait  une  g'rande  autorité  sur  les  feligion- 
naires.  Aussi,  dès  1720,  Corteiz  mandait-il  à  Court  : 
«  Dites  à  M.  Pictet  d'écrire  contre;  il  le  faut  prier  de 
se  signer,  car  ces  prétendus  Inspirés  seraient  capables 
de  dire  que  c'est  nous  qui  l'avons  faite.  »  La  lettre 
parut.  Cet  opuscule  ne  reproduisait  guère  qUe  les 
sentiments  bien  connus  de  l'auteur  sur  ces  matières, 
mais  il  était  imprimé,  signé  et  appuyé  parla  vénérable 
Compagnie  de  Genève.  Il  produisit  une  immense  émo- 
tion. ^  Nos  fanatiques  sont  pour  ainsi  dire  aiix  abois,  » 
écrivait  Durand,  et  Corteiz  réclamait  des  exemplaires 
pour  les  distribuer  : 

«  J'ai  déjà  appris  que  le  li\re  contre  les  prétendus  Inspirés 
en  a  ébranlé  plusieurs  et  affermi  un  bon  nombre  d'autres  t[ui 
variaient,  et  a  donné,  comme  vous  êtes  tout  persuadé,  une  véri- 
table joie  à  j)lusieurs  autres  qui  étaient  affligés  de  voir  tant  de 
personnes  chanceler  et  entrer  dans  des  sentiments  justement 
improuvés.  Mais  il  n'y  a  pas  assez  en  France  de  ces  livres;  il 
on  faudrait  trois  ou  quatre  cents.  S'il  se  découvre  quelque  moyen 
pour  en  faire  passer,  profitez- en  pour  la  guérison  de  ces  pau- 
vres Uialades.  » 

Le  vide  commença  de  se  faire  autour  de  Vesson.  Il 
comprit  que  le  seul  mb^^eli  de  relever  son  autorité  était 

1  Archives  de  la  vénérable  Compagnie  de  Genève,  p.  334,  335.  (1714.) 
*  Préservatif  contre  le  Fanatisme,  on  Réfutation  des  prétendus 
Inspirés  des  derniers  sirclcs,  par  S.  Turrétin.  Genève,  chez  Du  Vil- 
lard  et  Jacquier   (1753.) 


196  DISCRÉDIT  DE  \  KSSUN 

de  la  faire  consacrer  d'une  manière  solennelle.  Il  écri- 
vit à  Pictet  et,  peu  de  temps  après,  il  montra  une  lettre 
du  savant  professeur  où  celui-ci  lui  disait  que  «  sans 
exception,  un  troupeau  pouvait  élire  un  pasteur,  et  lui 
donner  le  pouvoir  de  faire  toutes  les  fonctions  du  mi- 
nistère. »  Aussitôt  il  assembla  ses  partisans,  et  leur  fit 
entendre  qu'ils  pouvaient  légitimement  lui  donner  l'or- 
dination. Ces  gens,  prévenus  en  sa  faveur,  ne  regar- 
dèrent pas  si,  dans  le  cas  actuel,  la  chose  pouvait  se 
faire,  si  Vesson  avait  les  qualités  requises,  s'il  avait 
été  déposé,  ni  si  son  renvoi  était  juste.  Ils  le  reconnu- 
rent comme  pasteur  et  promirent  de  le  soutenir  jusqu'à 
la  mort. —Vesson,  rassuré,  convoquaavec  une  nouvelle 
ardeur  les  assemblées,  administra  les  sacrements  et 
annonça  hautement  qu'il  ne  voulait  plus  se  laisser  gou- 
verner par  tous  c(  les  réformateurs  et  docteurs,  car  il 
avait  reçu  plus  de  Dieu  que  tous  ces  bons  person- 
nages. »  Il  signa  :  Jean  Vesson,  berger  du  Christs 

Il  y  avait  eu  cependant  une  supercherie  ou  un  faux  : 
Pictet  n'avait  jamais  écrit  au  fougueux  Inspiré. 

"  J'apprends  encore,  écrivit-il,  que  le  sieur  Vesson  montre 
une  lettre,  qu'il  dit  venir  de  ma  part,  qui  porte  qu'on  peut  et  qu'on 
doit  le  recevoir  ministre  et  lui  donner  plein  pouvoir  d'en  faire 
les  fonctions,  sans  recevoir  l'imposition  des  mains.  Je  crois  qu'il 
serait  embarrassé  de  montrer  cette  lettre,  ou  quelqu'un  l'aura 
écrite  en  mon  nom  ^.  » 

Le  grand  crédit  dont  jouissait  Vesson  s'évanouit 
subitement.  On  l'abandonna;  seuls,  quelques  amis  lui 


1  N°  1,  t.  II,  p.  553.  (Décembre  1721.) 

3  N"  7,  t.  I,  p.  260. 


LES  MULTIPLIANTS  107 

restèrent.  Désespéré,  il  courut  de  tous  côtés,  parla,  se 
justifia,  montra  des  lettres  supposées.  Vains  efforts  :  il 
était  perdu.  Un  jour,  du  côté  de  Sommières,  il  tint  une 
assemblée  ;  quelques  fidèles  seulement  s'y  rendirent. 
c(  Qu'est-ce  que  je  vous  ai  fait,  mes  frères,  s'écria-t-il, 
ne  vous  ai-je  pas  prêché  l'évangile  du  Christ?  Pour- 
quoi voulez-vous  m'abandonnera?  »  Pressé  de  toutes 
parts  par  le  parti  de  l'ordre,  délaissé  par  les  siens, 
chargé  en  outre  d'une  nombreuse  famille  qu'il  ne  pou- 
vait plus  entretenir,  poursuivi  par  les  huissiers  et  les 
sergents  qui  faisaient  des  exécutions  dans  sa  maison,  il 
commença  de  désespérer  de  la  fortune.  Tout  à  coup, 
au  mois  de  juin  17.22,  il  disparut  avec  plusieurs  de  ses 
partisans.  Un  profond  silence  se  fit  autour  de  son  nom. 
Le  parti  des  Inspirés  était  bien  ébranlé.  Hue  commen- 
çait de  perdre  toute  autorité  ;  Vesson  venait  de  quitter  la 
Vannage,  les  prophètes  étaient  en  discrédit;  Monteil  se 
maintenait  seul  dans  le  Vivarais.  Les  principaux  chefs 
disparus,  leurs  adhérents,  s'il  en  restait  encore,  ne  de- 
vaient pas  tarder  à  rentrer  dans  l'ordre,  à  revenir  aux 
doctrines  officielles  de  l'Eglise.  Mais  il  fallait,  avant  que 
le  parti  ne  reçût  les  derniers  coups,  qu'il  comptât,  lui 
aussi,  ses  martvrs. 

Le  6  mars  1723,  on  eut  à  Montpellier  un  curieux 
spectacle  ^  Une  centaine  de  soldats  du  régiment  d'Au- 
vergne conduisaient  à  la  citadelle  deux  chaises  à  por- 

»  N"  I,  t.  II,  p.  57.  (Mai  1122.) 

*  N"  30.  —  V.  aussi  Novodles  recherches  sitr  ht  secte  des  Multi' 
pliants,  par  M.  Germain,  professeur  d'histoire  à  la  Faculté  des  let- 
tres de  Montpellier.  Montpellier  (1857). 


198  LES  MULTIPLIANTS 

teur,  et,  vêtues  de  costumes  étranges,  treize  personnes 
armées  de  bâtons  chargés  de  lauriers.  Il  y  avait  six 
hommes,  six  femmes  et  un  jeune  garçon.  Trois  de  ces 
hommes  étaient  coiffés  d'un  bonnet  de  papier  doré  en 
forme  de  casque  ;  ils  tenaient  à  la  main  un  roseau  d'où 
pendait  un  étendard  de  taffetas;  ils  étaient  revêtus 
d'une  aube  sur  laquelle  tombait  en  guise  d'étole  une 
espèce  de  baudrier.  Deux  de  ces  femmes  étaient  elles 
aussi  vêtues  d'une  aube  et  portaient  un  bonnet  de 
moire  d'argent,  bordé  de  taffetas  blanc,  avec  une  ai- 
grette attachée  par  un  ruban  vert.  Derrière  eux  mar- 
chait la  maréchaussée.  —  Les  habitants  étonnés , 
croyant  voir  une  bande  de  masques  surpris  dans  une 
orgie,  se  pressaient  sur  les  portes;  quelques-uns  ima- 
ginaient que  c'était  la  suite  du  Chevalet  que  l'on  me- 
nait en  prison  K 

Parmi  ces  prisonniers  se  trouvait  Vesson. 

Montpellier  comptait  peu  de  protestants.  Le  spectacle 
des  exécutions  capitales,  la  vue  des  placards  chaque 
jour  affichés  contre  les  religionnaires,  la  multitude  des 
prêtres  et  des  confréries  en  avaient  singulièrement 
diminué  le  nombre.  Un  an  plus  tard,  en  1724,  Cor- 
teiz  écrivait  : 

«  Gomme  il  n'y  a  ni  ministres,  ni  proposants,  ni  assem- 
blées, ni  sacrements,  ni  discipline,  la  corruption  y  est  grande, 
les  préjugés  funestes  ;  autant  de  personnes  à  qui  je  parlais, 
autant  de  religions  je  trouvais.  Il  y  a  une  crasse  ignorance; 
quelques-uns  sont  de  la  religion  parce  que  seulement  leur  père 
et  mère  en  étaient  ^.  » 

»  N»  30,  p.  175. 

*  N»  17,  vol.  H,  p.  534.  Relation  historique,  etc. 


MADEMOISELLE  A'ERCHANl)  \W 

Villes  peu  sûres  en  effet  pour  les  réformés,  (telles  où 
résidaient  à  la  fois  les  jésuites,  le  g-ouverneur  et  l'in- 
tendant! C'est  cependant  à  Montpellier  que  les  ^ev- 
niers  Inspirés  avaient  cherché  un  asile. 

Au  temps  où  leparti  jouissait  de  son  plus  grand  crédit, 
et  où  les  mesures  prises  par  le  Synode  de  1720  ii'a- 
vaient  fait  qu'accroître  sa  popularité,  une  demoiselle 
Verchand,  habitant  cette  ville,  mais  originaire  de  Som- 
mières,  avait  eu  pendant  un  voyage  dans  les  Céven- 
nes  une  étrange  vision.  Elle  avait  vu  le  ciel  s'ouvrir 
et  Dieu  lui  apparaître.  Bientôt  la  peste  avait  éclaté,  et 
le  souvenir  de  ce  qu'elle  avait  contemplé  n'avait  plus 
quitté  son  esprit.  De  retour  à  Montpellier,  elle  s'était 
mise  en  relations  avec  Duplan.  Celui-ci  lui  avait  écrit 
plusieurs  lettres.  Il  lui  parlait  «  de  la  grande  affaire 
du  règne  de  Dieu,  et  de  la  délivrance  de  son  Eglise;  » 
il  demandait  à  l'Eternel  de  lui  accorder  de  plus  en  plus 
c(  les  lumières  et  les  vertus  de  son  esprit  pour  lui  faire 
connaître  les  grands  mystères  de  son  amour,  »  mille 
autres  choses  semblables  \  Mademoiselle  Verchand,  à 
son  instigation  et  sous  le  coup  des  derniers  événements, 
avait  aussiôt  réuni  chez  elle  quelques  coreligionnaires 
pour  prier  Dieu  en  commun.  Une  secte  s'était  ainsi 
formée. 

On  connaît  les  extravag*ances  des  Inspirés  et  l'on  sait 
(jue  ceux  du  bas  Languedoc  se  disting'uaient  parmi  les 
plus  exalté  A.  Il  a  été  parlé  plus  haut  du  «  Livre  de 
l'Esprit.  »  Mais  à  L\mel,  la  folie  avait  atteint  son  plus 
haut  degré.    Un   nommé  Delord   réunissait   dans   sa 

»  N»  30,  jj.  1H2,  1«3. 


^^00  AN'J'OINK  KT  ANDRÉ  COMTE 

demeure  quelques  religionnaires,  et  deux  fils  de  cor- 
donnier, Antoine  et  André  Comte,  y  faisaient  les 
fonctions  de  prédicants  et  de  prophètes.  La  chambre 
où  ils  s'assemblaient  était  tapissée  de  feuilles  de 
papier  sur  lesquelles  ils  avaient  écrit  des  versets  de  la 
Bible  et  dessiné  maladroitement  la  figure  de  saint  Paul, 
d'Elie  et  d'autres.  Un  bâton  portait  en  guise  d'éten- 
dard une  vieille  serviette  sur  laquelle  on  lisait  les 
commandements.  Dans  le  fond  se  trouvait  la  chaire. 
Or,  vers  1721,  Antoine  et  André  Comte  quittèrent 
Lunel  et  se  rendirent  à  Montpellier  dans  le  but  pro- 
bablement de  répandre  leurs  doctrines  et  de  recruter 
des  partisans.  Ils  réussirent  au  delà  de  leurs  espé- 
rances. Mademoiselle  Verchand  était  naturellement  dé- 
signée à  leurs  visites;  ils  se  présentèrent  chez  elle,  lui 
firent  accroire  que  la  peste  n'éclaterait  pas  dans  la  ville, 
et,  comme  celle-ci  cherchait  à  échapper  à  leurs  instan- 
ces, «  ils  lui  arrantèrent  sa  maison  par  ordre  de  Dieu.  » 
Mademoiselle  Verchand  se  laissa  persuader  ;  les  frè- 
res Comte  s'établirent  dans  sa  maison  et  devinrent 
les  grands  directeurs  de  la  secte  qu'elle  avait  fondée. 
Quelque  temps  après,  un  commis  de  Montpellier,  natif 
du  Pont-de -Mont vert,  fort  ignorant  et  fort  exalté, 
Jacob  Bonicel,  fut  admis  parmi  les  membres  de  la 
société.  D'autres  personnes,  inquiétées  probablement 
par  les  progrès  du  parti  de  l'ordre,  vinrent  accroître 
ce  petit  noyau  ;  la  nouvelle  Eglise  prit  de  jour  en  jour 
une  importance  croissante. 

C'est  alors  que  Vesson  arriva.  Il  avait  sans  doute 
entendu  parler  à  Sommières  de  Mademoiselle  Verchand  ; 
il  savait  qu'elle  possédait  quelque  fortuné  et  que  les 


ARRIVÉE  DE  VESSON  201 

chefs  de  la  secte  touchaient  des  émoluments.  Aussi, 
lorsqu'il  se  vit  traqué  par  ses  créanciers,  abandonné 
par  ses  adhérents,  poursuivi  par  les  Synodes,  il  partit 
pour  Montpellier.  La  petite  communauté  le  reçut  avec 
de  grands  honneurs.  Elle  le  nomma  ministre  et  pasteur 
en  titre.  Par  son  intermédiaire,  elle  entra  aussitôt  en 
correspondance  avec  les  villes  où  Vesson  avait  compté 
ses  plus  chauds  partisans.  Elle  fît  même  écrire  à 
Duplan  pour  l'engager  à  venir,  lui  offrant  la  prési- 
dence de  l'Eglise.  Duplan  refusa.  On  employa  menaces 
et  promesses  ;  il  resta  inexorable.  Il  ne  voulut  jamais 
se  renfermer  «  dans  ce  résidu,  »  soit  que  les  pratiques 
auxquelles  on  s'y  livrait  lui  parussent  ridicules,  soit 
qu'il  ne  voulût  point  faire  cause  commune  avec  Vesson 
«  que  l'orgueil  et  quelque  autre  passion  criminelle 
avaient  séparé  du  corps  de  l'Eglise  K  » 

La  secte  ne  perdit  point  courage.  Elle  travailla  non- 
seulement  à  grouper  autour  d'elle  les  débris  du  parti 
des  Inspirés,  mais  elle  prétendit  encore  tenir  entre  ses 
mains  les  seules  chances  de  salut  du  protestantisme. 
Un  de  ses  membres  écrivait  : 

«  Jésus-Christ  est  venu  à  présent  en  esprit  et  en  vérité 

pour  montrer  la  lumière  au  peuple  nouveau  de  la  Ghanaan 
céleste  par  les  opérations  du  Saint-Esprit.  Nous  sommes  ici  pos- 
tés pour  recevoir  toute  nation  qui  voudra  être  du  parti  de  la  fille 
de  Sion.  Elle  fera  voir  la  délivrance  à  tous  les  élus  qui  seront 
dans  la  France,  et  aux  autres  aussi,  s'ils  partent  promptement 
pour  venir  voir  la  gloire  qui  va  arriver  sur  la  terre  avec  le  triom- 
phement.  C'est  à  présent  le  rappellement  des  enfants  de  Dieu  *.  » 


1  N"  12,  p.  23. 

-  V.  Nouvelles  recherches  sur  la  secte  des  M/flf/p/in/ils,  etc.,  p.  GO. 


202  SYSTÈME  THÉOLOGIQUE 

La  réunion  de  ces  visionnaires,  tous  Inspirés  et  pro- 
phètes à  divers  deg'rés,  devait  nécessairement  faire 
éclore  quelque  système  bizarre,  étrange.  C'est  ce  qui 
arriva.  Un  des  membres,  Bonicel,  en  fut  le  théoricien. 

Dieu,  disait-il,  ^vait  envoyé  une  première  fois  Jésus 
au  monde  pour  le  s^iuver;  mais  le  monde,  sous  l'in- 
fluence de  s^  nature  perverse,  ne  l'avait  p^i^  écouté  et 
avait  persisté  dans  ses  errements,  Il  fallait  donc  une 
nouvelle  création  du  règne  de  Jésus-Christ;  cette  créa- 
tion, le  Saint-Esprit  en  pouvait  seul  être  l'auteur.  Voilà 
pourquoi  Dieu  avait  institué  dans  son  ciel  et  baptisé  de 
son  Saint-Esprit  trois  mages  pour  instruire  et  repren- 
dre de  sa  part  les  peuples,  les  avait  appelé?^  Paul, 
Jean,  Moïse,  leur  avait  donné  le  bau4ner,  la  robe 
blanche  et  Je  casque  coiume  marque  de  leur  charge, 
et  leur  avait  confié  le  sqin  de  faire  entrer  les  u§tions 
dans  le  temple  saint,  où  il  avait  placé  une  nouvelle 
arche  mystique.  Qii'cin  i^e  gardât  surtout  cle  fermer 
l'oreille  aux  prophéties  dç  ces  mages  suscités  par  Dieu  ; 
la  coupe  de  malédiction  était  pleine,  la  chaudière  brû- 
lait et  allait  consumer  ceux  qui  les  auraient  méprisées. 
Il  fallait,  à  moins  de  périr,  devenir  hommes  de  la  nou- 
velle création  et  entrer  dans  le  royaume  que  le  Saint- 
Esprit  allait  fonder. 

Mais  comment  y  entrer  et  par  quels  moyens?  Par 
le  baptême  du  Saint-Esprit.  Un  des  trois  mages,  le 
mage  Jean,  —  Bonicel,  —  appelé  par  Dieu  à  adminis- 
trer le  baptême  de  la  repentance,  avait  été  chargé  de 
répandre  sur  les  élus  «  les  eaux  de  la  grâce  divine.  » 
Bienheureux  qui  recevait  le  billet  de  ce  baptême  et 
possédait  «  le  numéro  de  ce  jour  de  bienveillanqç.  »  Il 


('KREMONŒS  ET  PRATIQUES  20;{ 

participait  aux  bienfaits  du  nouveau  règ*ae.  Ce  règ'ne 
ne  devait  pas  tarder  à  venir  ;  il  était  même  déjà  venu,  et 
ft  l'année  de  bienveillance  »  en  était  le  commencement. 
La  maison  de  la  Glanitino  —  Mademoiselle  Verchand 
—  était  le  temple  de  Salomon,  et  Montpellier  allait 
devenir  une  nouvelle  Jérusalem,  où  de  tous  côtés  on 
apporterait  les  trésors  du  monde  et  où  arriveraient  des 
pays  étrangers  les  plus  magnifiques  offrandes. 

Tel  était  en  quelques  mots  le  système.  C'est  dans  le 
détail  des  pratiques  que  s'étaient  surtout  donné  car- 
rière les  imaginations. 

Devenus  par  le  baptême  enfants  d'une  nouvelle  créa- 
tion, les  élus  cliangeaient  leurs  noms  contre  de  nou- 
veaux noms.  Ainsi  Bonicel  s'appelait  Jean  ;  Antoine 
Comte,  Moïse;  Bourely,  Paul;  Mademoiselle  Verchand, 
la  Glanitino;  la  pro2)liétesse  Blayne,  Marie-Madeleine; 
Vesson,  Solmifa.  Dès  qu'un  nouveau  disciple  avait 
reçu  le  baptême,  il  recevait  un  billet  où  se  trouvait 
son  nouveau  nom  en  hébreu,  —  hébreu,  comme  le 
reste,  de  récente  invention. 

Le  baptême  avait  des  rites  particuliers.  Le  néophyte 
avait  la  main  et  le  visage  lavés,  recevait  ensuite  sur  la 
tête  trois  gouttes  d'eau,  et  était  peigné,  afin  que  les 
mauvaises  pensées  qui  se  trouvaient  dans  ses  cheveux 
disparussent.  Il  écrivait  sur  un  papier  :  «  Je  promets  à 
mon  Dieu  de  ne  lui  être  plus  rebelle  et  de  ne  plus  mur- 
murer envers  ses  effets.  »  Ensuite,  pieds  nus  et  à  genoux, 
il  s'avançait  vers  le  «  résidu,  »  mangeait  à  la  porte  un 
peu  de  miel  pour  se  rendre  doux,  humble  et  patient,  et 
s'avançait  dans  le  sanctuaire  où  il  buvait  trois  gouttes 
d'eau-de-vie  ;  puis  on  lui  coupait  une  mèche  de  cheveux. 


204  LE   CULTE 

De  là,  il  était  mené  au  «  pavillon  de  la  gloire  »  où  des 
mains  de  Moïse,  il  recevait  de  l'eau-de-vie  qu'il  buvait 
au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit. 

La  sainte  Cène  était  célébrée  assez  simplement. 
«  Prends,  disait-on,  en  offrant  le  pain;  ceci  est  mon 
corps  que  je  te  donne  à  mang-er,  »  et,  présentant  la 
coupe  :  <(  Prends  ceci  et  bois  ;  ceci  est  mon  sang*  que 
j'ai  versé  sur  l'arbre  de  la  croix  pour  vous  tous.  »  Jésus 
était  censé  parler  par  la  bouche  de  ses  ministres. 

Les  enfants  de  la  nouvelle  création  pouvaient  se 
marier  entre  eux.  Bonicel  et  Mademoiselle  Vercliand 
furent  ainsi  mariés.  Mais  il  paraît  que  ces  mariag*es 
pouvaient  être  rompus,  quand  les  deux  contractants  le 
demandaient,  et  qu'en  outre  quelques-uns  étaient 
purement  spirituels,  «  pour  le  ciel,  et  non  pas  pour  la 
terre.  » 

Le  culte  de  la  secte  n'avait  rien  de  curieux.  On  don- 
nait la  communion,  et  l'on  prêchait. 

Mais  surtout  on  racontait  les  visions,  on  prophétisait 
et  l'on  conversait  avec  Dieu  par  le  Saint-Esprit.  Dieu 
se  manifestait  en  toutes  occasions  à  son  nouveau  peuple 
et  lui  faisait  part  de  sa  volonté.  Les  trois  mag'es  étaient 
les  interprètes  de  ses  commandements.  De  là,  d'étran- 
g'es  cérémonies.  Il  faut  lire  les  procès-verbaux  où  sont 
consig-nés  les  actes  des  Multipliants,  —  tel  était  le  nom 
de  ces  sectaires,  —  c'est  le  comble  de  la  folie.  Il  fut 
un  jour  question  de  faire  dans  les  rues  de  Montpellier 
une  procession.  Mademoiselle  Verchand  représentait  la 
veuve  de  Sarepta;  Marie -Madeleine  fîg-urait  Sion  et 
deux  femmes  les  filles  d'Israël.  Soixante  enfants  ha- 
billés de  blanc  avec  des  bonnets  en  carton  enrubannés 


LE  SANCTUAIRE  205 

frappaient  sur  des  tambours  et  jouaient  du  violon; 
quelques  veuves  suivaient  le  cortège  une  palme  à  la 
main  et  des  couronnes  sur  la  tête  ;  plus  loin  marchaient 
les  anciens  et  les  patriarches  en  culottes  noires  et  en 
bas  noirs. 

Quant  aux  salles  où  se  réunissaient  les  sectaires,  la 
première  contenait  ving*t-quatre  bancs  ;  elle  était  ornée 
de  lauriers  auxquels  étaient  attachés  des  pommes,  des 
oranges,  des  citrons,  des  pains  de  grosseur  différente, 
des  bouteilles  de  vin  et  d'eau-de-vie.  Sur  la  porte  se 
lisait  cette  inscription  :  «  Personne  ne  peut  entrer  dans 
le  lieu  saint, sans  être  fouillé.  »  La  seconde,  «  le  résidu, 
le  sanctuaire,  »  était  plus  vaste.  Au  milieu  se  dressait 
une  chaire  élevée  de  quatre  marches,  ornée  de  lauriers, 
de  rubans  avec  des  inscriptions  hébraïques.  Aux  murs 
s'adossaient  de  gros  lauriers.  Le  plafond  était  tendu 
de  blanc  et  au  milieu  brillait  un  cartouche  avec  ces 
mots  en  grosses  lettres  rouges  :  H  sec  est  ma  veritatis. 
Dans  la  salle  ou  voyait  une  lampe  à  sept  becs,  des 
tambours,  des  sacs  remplis  de  fruits,  des  balances,  des 
compas,  des  pains  moisis,  un  plat  entouré  d'une  ser- 
viette dont  les  quatre  bouts  étaient  liés  avec  des  rubans 
de  différentes  couleurs;  tout  cela  en  bon  ordre,  bien 
disposé,  arrangé.  Chaque  objet  avait  en  effet  sa  signi- 
fication. Les  lauriers  représentaient  la  délivrance  de 
l'Egiise  et  le  triomphe  de  Jésus-Christ  en  esprit  ;  les 
oranges  fig'uraient  les  biens  qui  devaient  abonder  pen- 
dant le  règne  du  Christ  ;  le  taffetas  blanc  tendu  sur  le 
plafond  et  les  ganses  de  rubans  aux  quatre  couleurs 
n'étaient  autres  que  les  livrées  des  noces  du  Saint- 
Esprit  ;  la  chaire  représentait  la  montagne  d'Oreb  ;  la 


M  LE  PÀËTI  t)E  L'okDRE 

lampe  les  chandeliers  de  Salomon  ;  les  trois  drapeaux 
le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit...  Il  faut  passer 
outre  ;  on  risquerait  fort  de  se  perdre  dans  cette  multi- 
tude de  symboles. 

Voilà  où  en  étaient  venus  les  successeurs  des  pre- 
miers Inspirés,  et  comment,  à  la  suite  de  l'évolution 
qui  commença  à  s'opérer  dans  le  prophétisme  vers  1715, 
les  esprits  et  les  cerveaux  malades  se  laissèrent  peu 
à  peu  séduire  par  des  spéculations  dont  le  résultat 
apparut  bientôt  cliez  les  sectaires  de  Montpellier.  Court 
et  ses  collègues  l'avaient  pressenti.  Aussi  avaient-ils 
déployé  une  ardeur  infatigable  à  ruiner  ce  parti.  Mais 
lorsqu'ils  espéraient  voir  triompher  leur  cause,  leur 
])rincipal  adversaire  avait  fui,  s'était  dérobé  à  leurs 
poursuites.  Où  s'était-il  réfugié?  Ils  l'avaient  bientôt 
appris.  Vesson  établi  à  Montpellier  cherchait  de  là  à 
entraver  les  efforts  de  ceux  qu'il  considérait  connue 
ses  J)lùs  g-rands  ennemis. 

«  Monsieur,  écrivait  Corteiz  à  un  tidèiO;  on  nous  a  dit  que 
Jean  A^esson  du  lieu  du  Cios  en  Cévennes,  prédicant,  venait 
dans  vos  quartiers.  Nous  sommes  obligés  en  bonne  conscience 
de  vous  en  avertir  selon  le  Synode  de  Yitré,  tenu  en  l'an  1583, 
et  du  Synode  de  Lyon  en  Tan  15(33,  et  du  Synode  de  Yerteuil, 
tenu  en  1567,  comme  vous  pouvez  lire  dans  la  discipline 
ecdésiastique,  chap.  I'^^',  art.  'i5,  et  55  et  56.  Voici  l'article  : 
(I  Les  coureurs,  c'est-à-dire  ceux  qui  n'ont  aucune  vocation  et 
s'ingèrent  dans  le  saint  ministère,  seront  réprimés  et  interdits, 
et  ceux  qui  seront  déclarés  scliismatiques  seront  dénoncés  par 
toutes  les  églises,  afin  qu'elles  s'en  donnent  garde.  »....  Vesson 

se   trouve  dans  ce  cas Il   fait  environ  huit  ans  qu'il  est  le 

sujet  de  nos  larmes,  de  nos  maux.  Il  a  été  toujours  rebelle, 
inflexible,    il    nous   fuit,  il  s'éloigne  de  nous.  Apparemment 


AllRESTATluN  DES  MULTIPLIANTS  ^Oi 

l'horreur  de  ses  crimes  répouvante,  et  il  n'ose  se  produire.  Il 
abuse  de  quelque  peu  de  personnes,  de  leur  crédulité,  de  leur 
faiblesse.  On  nous  a  dit  qu'il  venait  dans  vos  contrées.  Notre 
conscience  nous  engage  à  vous  prévenir  que  Vesson  ,  étant  un 
menteur  de  profession  ,  il  pourrait  avec  quelque  homme  ou 
femme  vous  montrer  ])lusieurs  lettres  et  papiers  supposés,  et 
sous  apparence  de  zèle  et  de  piété  vous  séduire;  mais  surtout, 
comme  c'est  un  avare,  il  ne  manquera  pas  de  faire  agir  pour 
faire  ramasser  tout  ce  qu'il  pourra  exiger  ^  » 

Il  fallait  donc  recommencer  la  lutte,  couper  les  rami- 
fications de  la  secte  et  circonscrire  le  mal  dans  Mont- 
pellier. Bernag-e  épai'g'na  à  Court  cette  lutte,  mais  par 
quelle  terrible  mesure  de  rigueur  !  Il  avait  appris  par 
ses  espions  que  l'on  voyait  entrer  depuis  quelque 
temps  dans  la  maison  de  Mademoiselle  Vercliand  un 
nombre  considérable  de  personnes,  et  que  des  cérémonies 
bizarres  s'y  accomplissaient.  A  son  retour  des  Etats 
tenus  à  Nîmes,  il  fît  envahir  la  maison  par  un  déta- 
chement de  soldats,  et  treize  personnes  furent  prises. 
—  C'étaient  ces  prisonniers  que,  le  6  mars  1723,  on 
avait  vu  passer  dans  les  rues  de  Montpellier,  escortés 
par  quelques  hommes  de  la  maréchaussée  et  du  régi- 
ment d'Auvergne. 

Le  procès  de  ces  malheureux  s'instruisit  rapidement. 
Convaincus  d'avoir  désobéi  aux  ordres  du  Koi  qui  dé- 
fendait de  professer  la  religion  protestante  et  de  s'as- 
sembler pour  prêcher,  ils  furent  tous  condamnés.  Ves- 
son, pour  échapper  à  la  peine  qui  le  menaçait,  commit 
dans  le  cours  de  l'instruction  une  triste  action.  Il  écri- 
vit à  Bernage  pour  se  mettre  à  ses  gages  et  lui  livrer 

1  V    JJfdlet  s  t.  XIll,  p.  160. 


208  SUPPLICE  DE  BONICEL,  COMTE,  TESSON 

ses  coreligionnaires.  D'ailleurs,  il  demandait  peu  :  la 
liberté,  le  secret,  cinq  cents  écus  et  les  biens  qu'on  lui 
retenait.  La  chose  se  ferait  fort  convenablement;  aux 
fêtes  de  Pâques,  tandis  que  les  réformés  seraient  assem- 
blés au  Synode,  il  se  présenterait  devant  eux  bénis- 
sant le  ciel  de  sa  miraculeuse  délivrance,  et  livrerait 
aux  soldats  ceux  qu'il  désignerait,  —  apparemment 
Court,  Corteiz  et  les  autres  prédicants.  Mais  Bernage 
n'accueillit  pas  la  proposition.  Vesson  fut  condamné  à 
la  peine  de  mort  K 

Le  22  avril,  Bonicel  et  Antoine  Comte,  les  deux  ma- 
ges, Vesson  le  ministre,  furent  extraits  de  la  citadelle, 
en  chemise,  la  corde  au  cou,  tenant  chacun  une  torche 
de  cire  ardente.  Conduits  devant  la  croix  de  la  place 
de  l'Esplanade,  ils  firent  amende  honorable,  et  pendus 
ensuite  aux  gibets  élevés  sur  la  place.  Derrière  eux, 
tremblants  et  pâles,  les  autres  membres  de  la  petite 
communauté  assistaient  à  l'exécution. 

Il  a  été  parlé  plus  haut  des  prophètes  de  Lunel.  Sur 
la  dénonciation  de  l'un  des  captifs,  les  soldats  se 
portèrent  dans  cette  ville  et  s'emparèrent  des  deux 
filles  de  Delord  et  de  deux  hommes  ^  On  instruisit  leur 
procès  avec  celui  des  prisonniers  faits  chez  Mademoi- 
selle Verchand.  Les  uns  furent  condamnés  à  ramer  sur 
les  g'alères  du  roi,  les  autres  à  être  enfermés  dans  la 
tour  de  Constance.  Ils  étaient  treize,  cinq  hommes  et 
huit  femmes;  parmi  ces  dernières  se  trouvait  Made- 
moiselle Verchand  :  elle  eut  la  tête  rasée,  et,  après  avoir 

i  V.  Bidlet.^  t.  III,  p.  12.  — Le  texte  de  la  condamnation  fut  affiché 
dans  tout  le  J^anguedoc. 

2  V.  Pièces  et  documents,  n"  XI. 


SUPPLICE  DE  HUC-MAZEL  201) 

assisté  au  supplice  de  ses  amis,  elle  fut  enfermée  avec 
ses  compag-nes  de  captivité  dans  cette  tour  de  Con- 
stance, où  depuis  de  si  long-ues  années  étaient  jetées 
sans  aucune  distinction  d'âg"e  les  plus  touchantes  vic- 
times de  la  persécution  K 

Quelques  semaines  après  l'exécution  de  Vesson,  le 
gibet  se  dressa  une  seconde  fois.  Dans  les  Cévennes, 
dans  une  maison  écartée  de  Saint-Paul-Lacoste,  les  sol- 
dats avaient  arrêté  le  vieux  Hue,  et  l'avaient  conduit  à 
la  citadelle  de  Montpellier  où  Vesson  se  trouvait  en- 
core. Le  vieillard  fut  confronté  avec  son  ancien  ami. 
On  l'accusa  d'avoir  présidé  des  assemblées  et  d'avoir 
prêché.  Convaincu  de  ce  double  crime,  il  fut  condamné 
à  être  pendu.  Hue  avait  soixante  ans.  Il  avait  déjà 
inquiété  le  Synode  par  ses  opinions,  et  pour  le  détour- 
ner de  certaines  idées  catholiques,  on  avait  prié  un 
pasteur  suisse  de  lui  écrire.  Eien  ne  l'avait  touché. 
Sous  le  coup  de  sa  condamnation  et  de  sollicitations 
pressantes,  il  finit  par  abjurer.  Mais  cette  abjuration 
sincère  ne  le  sauva  pas,  et,  le  5  mai,  au  milieu  d'une 
affluence  extraordinaire,  il  souffrit  le  dernier  supplice 
avec  une  grande  résignation.  Les  catholiques  firent  à  leur 
victime  de  pompeuses  funérailles.  Deux  cents  pénitents 
marchaient  à  la  tête  du  convoi,  les  cordeliers  y  assis- 
taient, et  six  d'entre  eux  portaient  la  bière.  Sur  les 
ailes  du  cortège,  trente-six  ecclésiastiques  ramassaient 
les  aumônes  des  fidèles.  Enfin,  pour  rendre  cette  céré- 


'  La  fille  de  Mademoiselle  Verchaud  luL  mise  dans  un  couvent.  Ou 
voit  (Archives  de  THérault,  G,  392)  qu'il  lui  fut  accordé  sur  le  fonds 
des  amendes  une  pension  de  150  livrer  ;  elle  se  trouvait  alors  au  cou- 
vent des  religieuses  d'Agde, 

I  14 


210  FUITE  DE  DUPLAN 

nioiiie  plus  ►solennelle,  le  corps  du  vieux  prédicant  fut 
déposé  dans  un  caveau  de  Notre-l)ame-des-Tables  ^ 

Ces  supplices,  les  extravagances  de  la  secte,  et  le 
gTand  éclat  dont  furent  entourés  ces  événements,  por- 
tèrent un  coup  fatal  au  parti  des  Inspirés.  Peut-être 
Duplan  aurait-il  pu  retarder  par  le  prestige  de  son 
nom  un  dénoùment  inévitable,  mais  il  fut  bientôt 
obligé  de  s'enfuir  à  l'étrang'er.  On  avait  trouvé  à  Mont- 
pellier, parmi  les  papiers  des  Multipliants,  les  lettres 
qu'il  avait  adressées  à  Mademoiselle  Vercliand.  Pour- 
suivi pendant  un  an,  découragé  et  désespéré,  il  se  dé- 
cida, après  avoir  erré  au  Désert,  à  quitter  la  France  . 
On  n'entendit  plus  dès  lors  parler  sérieusement  de 
prophètes  ni  d'Inspirés  ^. 

Un  Synode  décréta  que  ceux  (}ui  avaient  soutenu 
Vesson  seraient  oblig'és  j)our  rentrer  dans  l'Eglise  de 
faire  devant  les  pasteurs,  Anciens  et  fidèles,  la  décla- 
ration suivante  : 

u  Nous  confessons  et  déclarons  en  présence  de  Dieu  et  de 
l'Eglise  que,  si  nous  avons  soutenu  Vesson,  ça  a  été  dans  un 
temps  qu'il  ne  })rèchait  que  la  Parole  de  Dieu  et  que  nous 
ignorions  s'il  avait  droit  ou  tort  dans  le  schisme  qui  décliirait 

1  N»  30,  p.  191,  193,  198. 

2  N"  5,  11''  XI,  p.  4. 

3  N"  17,  vol.  G, }).  349. —  «  SeuiiiueiUs  -sur  la  fin  niallieureus>e  de  Ves- 
son et  Mazelet  :  Ces  personnes  étaient  séparées  de  notre  corps.  Nous 
les  avions  excommuniées  comme  des  hérétiques  et  des  rebelles.  Ce- 
pendant leur  chute  entre  vos  mains  n'a  pas  resté  de  nous  pénétrer 
d'affliction,  car  nous  aurions  beaucoup  plus  souhaité,  comme  nous 
en  faisions  souvent  le  sujet  de  nos  prières,  qu'ils  eussent  glorifié  Dieu 
et  édifié  l'Eglise  par  leur  retour  dans  leurs  devoirs  que  de  leur  voir 
finir  (leurs)  jours  d'une  manière  si  misérable  et  si  peu  édifiante.  Mais 
comme  Dieu  ne  fait  rien  que  sagement,  nous  avons  mis  le  doigt  sur 
la  bouche  en  admirant  les  effets  de  sa  providence...  » 


DISPARITION  DES  INSPIRES  211 

l'Eglise.  Nous  demandons  pardon  à  Dieu  de  n'avoir  pas  donné 
assez  de  soins  et  fait  de  prières  pour  connaître  notre  devoir 
dans  cette  affaire,  et  nous  promettons  désormais  d'être  attacliés 
au  corps  des  pasteurs  et  des  Anciens  qui  composent  l'Eglise  et 
de  nous  opposer  de  toutes  nos  forces  à  ceux  qui  voudront  prê- 
cher sans  vocation,  ou  qui  n'observeront  pas  l'ordre  et  la  disci- 
pline ecclésiastique  que  nos  pères  ont  sagement  établie,  pour 
l'édification  de  l'Eglise  ^  » 

Le  parti  de  l'ordre  ne  voulait  point  laisser  perdre 
les  fruits  de  son  triomphe.  Il  redoutait  les  écarts  d'ima- 
gination et  le  retour  d'un  mal  qui  avait  trop  long-temps 
duré. 

On  vit  bien  encore  à  Nîmes  et  dans  les  villages  envi- 
ronnants de  nouveaux  fanatiques  ;  Monteil  se  maintint 
assez  longtemps  dans  le  Vivarais,  et  même  un  nommé 
Dortial,  avec  les  prophétesses  Claire  et  Veyrenclie, 
essaya  plus  tard  de  fonder  une  secte  semblable  à  celle 
des  Multipliants  de  Montpellier.  Mais  c'étaient  les  der- 
nières agitations  d'un  soulèvement  qui  avait  ébranlé 
jusque  dans  ses  bases  le  protestantisme,  les  derniers 
vestiges  d'un  état  de  choses  qui  était  à  tout  jamais 
renversé. 

«  A  l'égard  des  fanatiques  ou  des  prétendus  Inspirés,  écrivait 
Court,  il  n'y  en  a  plus  beaucoup  au  milieu  de  nous.  Autrefois 
c'était  une  espèce  de  contagion  qui  s'était  communiquée  pres- 
que dans  tous  les  lieux  et  dans  toutes  les  familles.  A  peine, 
aujourd'hui,  nous  en  connaissons  une  douzaine  continés  pres- 
que tous  dans  un  même  lieu  '^.  >> 

Ainsi    les  Inspirés   avaient  disparu.  Leur   doctrine 

IN"  17,  vol.  G,  ]).  357.  (Seplembiv  1723.) 
«  N»  7,  t.  III,  p.  128.  (1726.) 


212  DISPARITION  DES  INSPIRES 

tomba  bientôt  dans  un  tel  discrédit  que  ce  devint  un 
crime  à  ravenir  de  l'avoir  partagée.  Duplan  fut  même 
très- vivement  combattu,  parce  qu'il  avait  fréquenté 
les  assemblées  des  f^matiques.  Tl  ne  fallut  rien  moins 
que  l'autorité  de  son  nom  et  l'éclat  de  ses  servi- 
ces pour  arrêter  les  attaques  de  quelques  adversaires 
acharnés. 

La  cause  de  l'ordre  et  du  bon  sens  était  définitive- 
ment g'agnée. 


CHAPITRE  VII 

VOYAGE    d'aNTOINE    COURT    A    GENÈVE 
1720  - 1722 

Il  faut  revenir  un  peu  en  arrière,  aux  derniers  jours 
de  1720. 

La  nouvelle  inattendue  de  la  restauration  du  pro- 
testantisme en  France  était  parvenue  jusqu'en  Hol- 
lande et  en  Suisse.  Mais  quelle  était  cette  restau- 
ration? Par  quels  moyens  se  faisait-elle,  et  par  quels 
ouvriers?  —  On  ne  savait.  Les  détails  donnés  par  les 
voyageurs  étaient  rares ,  peu  précis  ;  ils  n'avaient 
rien  de  sur  et  n'expliquaient  rien.  Les  nouvellistes 
étaient  d'ailleurs  mal  informés,  souvent  mal  intention- 
nés. Les  pasteurs,  disait-on,  étaient  des  fanatiques  qui 
exposaient  les  protestants  sans  nécessité  ;  il  n'y  avait 
point  d'ordre  ;  les  Inspirés  se  multipliaient  ;  les  pro- 
testants voulaient  se  révolter  contre  le  Roi. 

On  a  déjà  vu  qu'Antoine  Court  et  ses  collègues  avaient 
été  obligés  d'écrire  à  Basnage  et  à  Pictet  pour  les  in- 
struire de  l'état  réel  des  choses  K  Ces  personnages  s'é- 
taient facilement  rassurés.  Mais  la  foule  des  réfugiés 

*  V.  chap.  IV,  p.  124. 


214  PRÉVENTIONS  DES  PAYS  PROTESTANTS 

et  l)eaucoiip  d'hommes  éclairés  restaient  inquiets, 
indécis,  peu  sympathiques  à  la  cause  desreligionnaires. 
En  Suisse,  et  à  Genève  surtout,  on  se  livrait  aux  plus 
fâcheuses  suppositions.  La  conduite  des  protestants, 
pendant  les  dernières  affaires  d'Espag'ue,  n'avait  été 
comprise  ni  approuvée  de  personne,  et  les  préventions, 
loin  de  disparaître,  s'étaient  au  contraire  fortifiées, 
(^ue  voulaient-ils?  où  allaient-ils?  Autant  de  questions 
auxquelles  on  répondait  toujours  avec  défaveur. 

Ces  préventions  injustes  décourag-eaient  Antoine 
Court.  Pictet  l'exhortait  en  vain  à  continuer  l'œuvre 
si  heureusement  commencée,  lui  disant  de  rester  su- 
périeur aux  calomnies,  car  «  Dieu  seul  est  celui  qui 
connaît  nos  plus  secrètes  pensées  \  »  Si  ces  exhorta- 
tions relevaient  un  moment  son  courage,  elles  ne 
l'arrachaient  point  à  son  ahattement.  Ce  qu'il  désirait, 
c'est  que  tous  les  protestants  de  l'étranger  connussent 
ses  véritables  desseins,  qu'il  n'y  eut  ni  obscurité  ni 
malentendu,  car  il  voulait  compter  sur  leur  aide  et 
sur  leur  appui.  Or,  toutes  ses  intentions  étaient  mécon- 
nues, tous  ses  actes  dénaturés... 

Ce  fut  précisément  dans  une  de  ces  heures  de  dé- 
faillance que,  de  Genève,  quelques  amis  lui  écrivi- 
rent de  venir  en  Suisse.  Il  ne  pouvait,  disaient-ils, 
concevoir  le  désir  que  ses  frères  avaient  de  le  con- 
naître, et  il  ferait  un  grand  bien  à  sa  cause  ^.  Antoine 
Court  se  rendit  en  hâte  à  l'invitation.  Il  se  montrerait, 
pensa-t-il,il  exposerait  ses  besoins,  ce  qu'il  avait  achevé, 
ce  qu'il  projetait,  ses  espérances  et  ses  craintes.  Les 

1  N*  1,  t.  II,  p.  135.  (Août  1719.) 

2  Ihid.,  p.  153.  (Octobre  1719.) 


GENÈVE  ET  LA  FRANCE  215 

ég'lises  ne  souffriraient  pas  d'ailleurs  de  son  absence. 
Un  mois,  six  semaines  au  plus  suffiraient  au  voyag-e;  il 
n'avait  même  pas  besoin  de  demander  un  cong*é  au 
Synode  \ 

Il  partit. 

Genève,  depuis  la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes, 
était  devenue  le  g-rand  asile  des  fugitifs.  Elle  leur  avait 
généreusement  ouvert  à  tous  ses  maisons  et  sa  bourse. 
Elle  n'affichait  pas  trop  cependant  son  hospitalité,  et 
elle  agissait  avec  prudence.  La  cour  de  France  n'en- 
tendait point  qu'on  la  bravât,  et  les  mêmes  menaces  que 
Louis  XIV  avait  proférées  contre  son  indépendance, 
la  Régence  les  avait  répétées.  C'est  ainsi  que  la  véné- 
rable Compagnie  de  cette  ville  avait  reçu  la  défense  ex- 
presse de  se  mêler  en  quoi  que  ce  fut  des  prédicants 
français  %  que  Corteiz  n'avait  pu  être  solennellement 
consacré  dans  ses  temples,  ni  le  sermon  de  Court  se 
vendre  publiquement  dans  ses  rues.  Mais  Genève  se 
résignait  et  travaillait  silencieusement.  C'est  de  cette 
ville  qu'étaient  envoyés  les  livres  en  Languedoc  et  que 
partait  l'argent  pour  la  délivrance  des  galériens  ;  c'est 
encore  dans  cette  ville  qu'on  jetait  à  cette  heure  les 
fondements  d'une  maison  où  devaient  être  reçus  les  ré- 
fugiés français  nécessiteux.  Chacun  s'était  partagé  la 
tache.  Le  pasteur  Calandrin  s'occupait  des  prisonniers: 
le  comité  de  la  bourse  française ,  des  malheureux  ; 
Vial,  Pictet,  des  frères  sous  la  croix. 

Antoine  Court  avait  quitté  le  Languedoc,  en  grand 
secret,  vers  la  fin  de  l'année  1720.  Lorsqu'il  entra  dans 

*  N»  46,  cah.  V. 

*  N«  17,  vol.  G,  p.  y. 


,'IG  ARRIVEE  D'ANTOINE  COURT 

la  vieille  cité,  .son  arrivée  produisit  une  telle  émotion 
(|ue,  malgTé  le  mystère  dont  elle  fut  entourée,  le  ré- 
sident de  France  en  fut  informé.  Les  pasteurs  l'ac- 
cueillirent avec  joie,  les  habitants  avec  empressement, 
tous  avec  une  cordiale  et  touchante  sympathie. 

«  Vos  lettres,  lui  écrivait-on  du  Languedoc,  nous  ont  donné 
aussi  bien  de  la  joie,  nous  apprenant  que  vous  avez  été  gracieu- 
sement reçu  de  Messieurs  les  pasteurs,  et  que,  vous  étant  trouvé 
dans  des  honorables  compagnies  composées  de  gens  distin- 
gués par  leur  naissance  et  par  leur  piété,  vous  les  avez  satis- 
faits et  édifiés  par  la  solidité  de  vos  raisonnements,  et  que,  pour 
marque  de  leur  approbation,  ils  vous  ont  encouragé  à  répandre 
de  plus  en  plus  la  bonne  odeur  de  nos  Eglises  ^  » 

Un  homme  surtout  se  montra  plein  de  bonté,  d'af- 
fection; ce  fut  Pictet.  Non-seulement  il  le  reçut  chez 
lui  comme  un  frère,  mais  encore  il  aplanit  devant  lui 
les  difficultés,  l'aidant  en  toutes  occasions  de  son  expé- 
rience et  de  ses  conseils.  Antoine  Court  était  pauvre; 
Pictet  s'adressa  à  la  vénérable  Compagnie,  et  obtint 
pour  son  collègue  de  l'arg-ent  et  des  secours^.  Ce  fut 
l'origine  d'une  amitié  touchante  que  malheureusement 
la  mort  rompit  trop  tôt.  Le  vieillard  s'était  pris  d'une 
véritable  affection  pour  le  jeune  homme,  et  plus  tard 


1  N.°  1,  t.  II,  p.  347. —  Et  encore  :«  Vous  me  marquez  que  Messieurs 
nos  très-honorés  pères  et  frères  vous  font  beaucoup  d'honneur  et  d'a- 
mitié, de  quoi  je  leur  suis,  avec  tout  notre  Consistoire,  fort  obligé...  » 

2  Archives  de  la  vénérable  Compagnie  de  Grenève,  p.  50.  (20  décem- 
bre 1720.) «...M.  Pictet  a  dit  qu'un  nommé  M.  Court,  prédicateur  des 
protestants  persécutés  en  France,  est  dans  cette  ville,  qu'étant  dans  la 
nécessité,  il  conviendrait  de  leur  faire  quelque  libéralité.  Opiné,  l'avis 
a  été  que  la  Compagnie  lui  donnera  deux  écus,  et  le  recommandera 
au  pasteur  qui  présidera  h  la  bourse  française.  » 


THALEUREUX  ACCUEIL  217 

il  aimait  à  lui  écrire  :    «  Votre  santé  ine  mettait  eu 

peine  et  je  craignais  les  suites  de  votre  maladie 

Ce  que  j'ai  fait  pour  vous  est  si  peu  de  chose  auprès 
de  ce  que  j'aurais  souhaité,  que  cela  ne  mérite  pas 
que  vous  en  conserviez  même  le  souvenir...  Nous 
prions  Dieu  pour  vous  et  pour  ceux  qui  vous  ressem- 
blent ^  »  Un  tel  accueil,  si  charmant  et  si  chaleureux, 
était  plein  de  promesses  pour  l'heureuse  issue  de  ce 
voyage. 

Antoine  Court  se  hâta  de  dissiper  les  préventions  et 
de  montrer  quelle  était  la  situation  réelle  du  protes- 
tantisme français.  Il  parla  de  l'ordre  qui  régnait,  des 
progrès  accomplis,  de  la  piété  des  fidèles  et  de  leur 
soumission  à  la  cour.  Il  parla  surtout  des  assemblées. 
C'était  une  question  sur  laquelle  on  s'expliquait  peu 
favorablement;  Pictet  lui-même  paraissait  médiocre- 
ment convaincu  de  la  nécessité  de  ces  réunions  publi- 
ques au  Désert.  Mais,  disait  le  jeune  pasteur,  tout  le 
monde  convient  que  la  prédication  de  l'Evangile  et  la 
participation  aux  sacrements  sont  les  deux  voies  ordi- 
naires dont  la  Providence  se  sert  pour  amener  les 
hommes  au  salut.  Je  vous  demande  donc  si  on  doit 
s'interdire  l'une  ou  l'autre  de  ces  voies  sans  qu'il  y  ait 
contrainte  absolue.  Les  protestants  ne  peuvent  et  ne 
veulent  point  abandonner  la  France  ;  ils  sont  trop 
vieux,  d'ailleurs  trop  surveillés.  Faut-il  donc  qu'ils 
n'aient  point  de  culte,  parce  que  ce  culte  se  tient  au 
Désert  et  qu'il  est  défendu  ?  Que  craint-on  ?  Que  les 
assemblées  soient  surprises  et  que  la  cour  redouble 

1  N"  17,  vol.  G,  p.  319.  (1723.) 


218  DEFENSE  DES  ASSEMBLÉES 

ses  rigueurs?  Mais  les  Synodes,  mais  les  pasteurs  re- 
commandent la  plus  grande  prudence,  et  pour  une  ou 
deux  personnes  qui  sont  arrêtées,  on  ne  peut  empêcher 
d'en  consoler  des  milliers  qui  ne  le  seront  pas.  Il  n'y  a 
qu'une  seule  chose  déplorable,  c'est  le  manque  de  pas- 
teurs. Loin  de  détourner  de  leur  œuvre  ceux  qui  s'ex- 
posent chaque  jour  au  péril  de  leur  vie  pour  le  bien 
de  leurs  frères,  vous  devriez  envoyer  des  ministres 
dans  ces  malheureuses  contrées  qui  en  ont  un  si  grand 
besoin.  —  S'élevant  ensuite  à  des  considérations  plus 
hautes,  il  prétendait  qu'on  devait,  à  l'exemple  «  des 
hérauts  évangéliques,  aller  dans  les  Athènes  et  dans 
les  Eome,  malgré  les  oppositions  des  philosophes  et 
des  magistrats,  pour  les  convaincre  par  des  discours 
puissants  et  démonstratifs.  Pour  moi,  j'ai  toujours  eu 
honte  pour  le  parti  protestant,  quand  j'ai  fait  réflexion 
que  le  parti  papiste  avait  eu  à  cœur  la  conversion  des 
infidèles,  jusqu'à  leur  envoyer  de  temps  en  temps  un 
nombre  infini  de  missionnaires,  sans  que  le  parti  pro- 
testant ait  témoigné  jusqu'ici  beaucoup  d'empresse- 
ment pour  cette  conversion  qui  devrait  d'ailleurs  lui 
être  si  chère  \  » 

Antoine  Court,  qui  voulait  si  g-énéreusement  con- 
vertir les  magistrats  et  les  païens,  réussit  à  convertir 
ses  adversaires.  C'était  un  premier  résultat. 

«  Un  temps  était,  qui  n'est  plus,  qu'on  blâmait  les  assemblées 
(lu  Désert;  un  temps  plus  heureux  et  plus  éclairé  a  succédé  à 
ce  temps  fâcheux  mêlé  de  sombres  nuages  qui  empêchait  de 
connaître  la  nécessité  et  l'utihté  de  ces  assemblées...  Ce  qu'on 

1  N"  7,  t.  I,  p.  133. 


DEMANDE  DE  PASTEURS  219 

blâmait,  ce  qu'on  condamnait  avec  hauteur,  on  le  loue,  ou  du 
moins  on  demeure  dans  un  respectueux  silence  ^  » 

Le  succès  l'avait  enhardi.  Après  avoir  défendu  les 
protestants  et  leur  conduite,  il  exposa  franchement  leurs 
besoins.  Il  n'y  avait  dans  le  Languedoc  que  deux  pas- 
teurs, et  le  nombre  des  proposants  était  encore  petit. 
Etienne  Arnaud  était  mort ,  Hue  s'était  séparé  de  ses 
collègues,  et  Vesson  venait  d'être  déposé  par  le  Sy- 
node. Les  recrues,  —  «  des  cardeurs  de  laine,  des  tail- 
leurs d'habits,  des  garçons  de  boutique,  des  jeunes 
gens  sans  étude,  »  —  étaient  rares  et  malhabiles  ;  ne 
fallait-il  point  d'ailleurs  prévoir  le  moment  où  cette 
petite  troupe  serait  diminuée  par  l'ennemi  et  par  les 
supplices?  Cependant  le  protestantisme  français  se  ré- 
veillait de  son  sommeil.  Non-seulement  le  Languedoc 
renaissait  à  la  foi  et  à  la  vie,  mais  encore  toutes  les 
provinces  du  royaume.  Il  fcillait  donc  des  hommes 
pour  encourager  et  soutenir  ce  réveil  religieux.  Il  fal- 
lait que  les  pasteurs  chassés  par  la  révocation  de  l'Edit 
de  Nantes  revinssent  dans  leur  patrie,  comme  le  vieux 
Roger  du  Dauphiné,  ou  que  les  églises  étrangères, 
qui  avaient  attiré  et  gardé  chez  elles  la  plupart  des 
ministres  français,  consentissent,  en  manière  de  re- 
tour, à  envoyer  leurs  pasteurs  pour  prêcher  sous  la 
croix. 

Antoine  Court  revint  souvent  sur  ce  sujet.  Mais  on 
accueillit  ses  ouvertures  sinon  avec  peu  de  Inenveil- 
lance,  du  moins  avec  froideur.  Personne  ne  se  sentait 
c<  de  vocation  pour  le  martyre.  »  Cependant  dans  les 

1  N"  7,  t.  1,  p.  21.  (1721.) 


220  DE  LA  FONDATION  jri'N  8ÉMINA1RK 

longues  causeries,  le  soir,  chez  Pictet  ou  chez  une  de 
ces  grandes  familles  que  leur  dévouement  au  protes- 
tantisme avait  illustrées,  tandis  qu'il  parlait  et  qu'à 
ses  chaleureuses  paroles  on  opposait  les  objections,  peu 
à  peu  on  conçut  et  on  développa  un  projet  qu'Antoine 
Court  caressait  depuis  longtemps,  mais  dont  il  n'osait 
espérer  la  réalisation.  Puisque  les  églises  étrangères 
ne  voulaient  point  envoyer  leurs  pasteurs  en  France, 
pourquoi  ne  fonderaient-elles  pas  un  établissement,  un 
séminaire,  où  seraient  placés,  pour  y  acquérir  les  con- 
naissances nécessaires  et  s'y  mettre  en  état  de  servir 
les  églises,  les  jeunes  Français  qui  voudraient  se  con- 
sacrer au  ministère  ï  II  n'y  avait  que  deux  difficultés  à 
résoudre  et  le  projet  s'exécutait  :  trouver  de  l'argent 
pour  le  séminaire,  trouver  des  étudiants  pour  le  mi- 
nistère. Le  jeune  prédicant  promit  des  étudiants  ;  il  ne 
restait  donc  plus  que  la  difficulté  pécuniaire.  A  vrai 
dire,  ce  n'était  pas  la  moindre. 

Court  s'adressa  aussitôt  à  Basnage  et  à  tous  ceux 
qu'il  croyait  capables  de  l'aider  dans  son  dessein.  Il 
n'hésita  point  à  écrire  encore  au  premier  prélat  de 
l'Eglise  anglicane,  l'archevêque  de  Cantorbéry,  Wil- 
liam Wake.  Les  consistoires  sont  établis,  lui  disait-il, 
l'ordre  règ^ne,  les  Synodes  fonctionnent,  les  églises  se 
multiplient,  mais  la  moisson  est  abondante  et  les  ou- 
vriers manquent.  Georges  II  doit  honorer  de  sa  protec- 
tion le  protestantisme  français ,  et  lui  accorder  des 
preuves  royales  de  sa  munificence.  Wake  communi- 
qua la  lettre  au  Roi,  et  le  Roi,  si  l'on  en  croit  la  ré- 
ponse de  l'archevêque,  ne  dissimula  point  sa  joie  à  ces 
nouvelles.  Il  promit  de  s'intéresser  aux  églises,  quand 


LETTRES  A  WAKE,  A  SAURIN  221 

roccasion  se  présenterait,  et  témoigna  son  déplaisir 
de  ne  pouvoir  leur  donner  autant  de  marques  de  sa 
protection    qu'il   en   donnait  à  celles  du  Palatinat  * . 

Le  projet  cependant  était  encore  loin  de  se  réaliser, 
et  Court  ne  l'ignorait  point.  Ce  n'était  qu'un  dessein, 
conçu  non  certes  à  l'aventure,  mais  qui  avait  encore 
besoin  d'être  longuement  examiné,  avant  qu'on  passât 
à  son  exécution.  Quand  le  rêve  deviendrait-il  une 
réalité  ?  On  ne  savait.  Il  fallait  en  attendant  subvenir 
aux  besoins  les  plus  pressants. 

Court  écrivit  au  grand  orateur  de  la  Haye,  à  Sau- 
rin,  pour  le  prier  d'envoyer  des  prédicateurs  en  France. 

«  Il  y  a  une  abondante  moisson  à  faire,  disait-il;  les  cam- 
pagnes sont  blanchies.  La  Normandie,  le  Poitou,  le  pays  d"Au- 
nis,  la  Saintonge,  le  Béarn,  le  Languedoc  et  le  Dauphiné,  n'at- 
tendent que  des  ouvriers  armés  de  leurs  faucilles  °^.  » 

.  Mais  Saurin  ne  se  laissa  pas  toucher  par  cet  appel  ; 
comme  ses  collègues  de  Genève,  comme  tous  ceux  que 
la  Révocation  avait  chassés  et  qui  avaient  trouvé  à 
l'étranger  une  seconde  patrie,  il  répondit  évasivement 
et  ne  promit  rien.  Les  églises  de  France  étaient  de- 
puis longtemps  oubliées. 

Antoine  Court  cependant  ne  désespérait  pas  de  l'a- 
venir. Il  s'était  trouvé  des  hommes  pour  relever  une 
cause  qui  paraissait  perdue,  il  s'en  trouverait  bien, 
pensait-il,  pour  la  faire  triompher. 

La  peste,  on  le  sait,  avait  éclaté  vers  cette  époque. 

'  N"  37,  p.  9.  Mémoire  aux  arbitres.  —  V.  ausbi  n"  7,  1. 1,  p.  276. 
SX' 7,  t.  I,  p.  415.  (Août  1722.) 


222  MADEMOISELLE  CORTEIZ 

Court  n'osait  point,  quel  qu'en  fût  son  désir,  rentrer 
en  France.  Les  bulletins  qu'on  lui  adressait  sur  les 
progrès  du  fléau,  l'étroite  surveillance  qui  faisait  gar- 
der toutes  les  routes,  étaient  bien  propres  à  le  faire 
rester  à  Genève.  Ses  amis  d'ailleurs,  non  ses  collègues 
cependant,  l'engageaient  à  ne  point  s'exposer  aux 
périls  d'un  semblable  voyage.  Il  prolongea  donc  son 
séjour  dans  la  vieille  cité. 

Il  était  d'abord  descendu  au  logis  du  Lion  cVor;  de 
là,  il  s'était  transporté  dans  la  maison  de  Mademoi- 
selle Corteiz,  la  femme  de  son  collègue.  Sa  pension 
était  de  cinq  écus  ^ .  Il  vivait  de  cette  somme  modeste- 
ment, simplement,  au  milieu  de  ses  amis,  des  réfugiés 
et  de  tous  ceux  qui  lui  avaient  ouvert  si  amicalement 
la  porte  de  leurs  demeures.  Son  temps  se  passait  à  ser- 
vir ses  frères ,  à  parler  d'eux ,  à  chercher  des  sou- 
lag'ements  à  leurs  maux.  La  France  l'occupait  tout 
entier. 

Quelles  longues  conversations  n'avait-il  pas  avec 
Mademoiselle  Corteiz  !  Cette  pauvre  femme  inquiète, 
seule,  isolée,  l'accablait  de  questions  sur  l'Eglise  qu'elle 
considérait  ijn  peu  comme  sienne,  sur  son  mari  sur- 
tout, sur  ses  travaux.  Souvent  une  profonde  tris- 
tesse l'envahissait  et  la  crainte  des  dangers  que  cou- 
rait chaque  jour  Corteiz  triomphait  de  sa  virile  fer- 
meté. Alors  celui  dont  la  tète  était  mise  à  prix  essayait 
de  consoler  celle  qui  pouvait  à  chaque  courrier  ap- 
prendre la  mort  de  l'homme  dévoué  qui  était  sa  vie  ^. 


*  C'est  le  Synode  de  1721  qui  le«  lui  avait  alloués. 
2  N"7,  t.  I,  p.  195.  (Novembre  1721.) 


ANTOINE  COUR'T  ET  PICTET  223 

Mais  le  jeune  prédicant  oubliait  ces  discours  en 
allant  chez  Pictet.  Dès  qu'il  pénétrait  dans  cette 
maison,  il  s'arrachait  à  ses  lug-ubres  pensées,  et  quit- 
tant les  tristesses  présentes,  il  s'abandonnait  à  la  joie 
du  triomphe  à  venir.  Là,  dans  le  cercle  de  la  famille, 
il  aimait  à  lire  les  lettres  qui  venaient  de  France.  On 
se  félicitait  mutuellement  des  progrès  que  faisait  le  pro- 
testantisme, on  déplorait  les  erreurs  de  ceux  qui  sus- 
citaient des  obstacles,  on  travaillait  à  remédier  aux 
maux,  on  remerciait  Dieu  des  merveilles  qu'il  faisait  en 
faveur  des  religiomiaires  ' .  Dans  cette  maison,  Court 
trouvait  toutes  choses  :  des  consolations,  des  conseils, 
des  secours. 

C'est  là  probablement  que  le  modérateur  de  la  véné- 
rable Compag'nie  forma  le  projet  d'inviter  les  pasteurs 
de  Genève,  ses  collègues,  à  adresser  des  prières  pu- 
bliques à  Dieu  pour  qu'il  fît  cesser  le  fléau  qui  rava- 
geait la  France  ^.  C'est  de  là  certainement  que  par- 
tirent les  diverses  lettres  destinées  à  mettre  fin  au 
schisme  qui  divisait  les  protestants.  L'adversaire 
le  plus  redoutable  que  rencontrèrent  Vesson  et  les 
Inspirés  fut,  on  s'en  souvient,  Pictet,  et  les  coups  les 
plus  terribles  qui  frappèrent  leur  parti  furent  portés 
par  la  main  du  savant  professeur.  C'est  Genève  qui  tua 
les  Inspirés  de  France. 

Un  triste  événement,  dont  Court  racontait  souvent 
les  péripéties,  était  surtout  l'objet  de  la  curiosité  et  de 
la  pitié  de  tous.  En  1720,  un  peu  avant  son  départ, 


1  N-  7,  t.  I,  p.  219.  (Novembre  1721.) 

2  Archives  de  la  vénérable  Compagnie,  j).  43.  (Octobre  1726.) 


224  RELATION  HISTORIQUE,  ETC. 

on  sait  qu'une  assemblée  qu'il  présidait  près  de  Nîmes 
avait  été  surprise.  Les  troupes  avaient  fait  un  grand 
nombre  de  prisonniers.  On  avait  jeté  trois  des  captives 
à  la  tour  de  Constance,  et  les  autres  condamnés  avaient 
été  bientôt  dirigés  sur  la  Eocbelle.  Un  jour,  on  avait 
revu  ces  malheureux,  le  carcan  au  cou,  passant  lente- 
ment dans  les  rues  de  Nîmes.  D'étape  en  étape,  ils 
allaient  jusqu'au  port  de  mer.  Quand  ils  avaient  tra- 
versé Nîmes,  il  pleuvait;  ils  étaient  mouillés  jusqu'aux 
os  et  couverts  de  boue.  En  entrant  cependant  dans  les 
faubourg's,  ils  avaient  eu  la  force  d'ôter  leurs  bonnets 
et  d'entonner  un  psaume.  Le  lendemain,  ils  étaient 
repartis,  et  pendant  trente-neuf  jours  ces  malheureux 
avaient  ainsi  marché,  tombant  à  chaque  instant  sous 
la  fatigue  et  sous  les  coups.  Arrivés  à  Lyon,  on  leur 
avait  enfin  accordé  un  repos  de  deux  semaines.  De 
là,  ils  avaient  été  incorporés  à  la  chaîne  des  forçats 
de  Bourgogne,  et  par  Roanne  et  Saumur  dirigés  sur 
la  Eochelle.  Ils  devaient  être  transportés  sur  les  bords 
du  Mississipi  pour  peupler  la  colonie  de  la  Nouvelle- 
Orléans  ^ . 

Cette  histoire  lugubre  avait  fait  frémir  Genève.  Ne 
pouvait-on  pas  leur  procurer  des  secours  ?  N'obtien- 
drait-on pas  leur  grâce  ?  —  Court  fît  une  collecte  pour 
les  galériens  de  Nîmes.  Pictet  s'inscrivit  parmi  les  do- 
nateurs. Madame  Vial,  Alphonse  Turrétin  et  plusieurs 
autres  personnag^esde  Zurich;  on  recueillit  440  livres. 

On  écrivit  ensuite,  on  pria  les  Puissances  étrangères 

^  Y.  pour  le  détail   de  cette   affaire,  Bullet.^  t.  IV,  p.  134  et  suiv. 
— V,  aussi  la  complainte  qui  fut  faite  sur  ces  malheureux.  Ballet. 
t.  IV,  p.  180. 


RELATION  HISTORIQUP:,  ETC.  225 

de  s'intéresser  aux  prisonniers,  et  Court  eut  bientôt 
la  joie  d'apprendre  que  le  Régent,  sur  la  demande  de 
l'ambassadeur  d'Ang-leterre,  venait  de  commuer  leur 
peine  en  un  bannissement  perpétuel^ 

Le  jeune  prédicant  fit  plus.  Mettant  à  profit  l'atten- 
tion que  cette  affaire  avait  excitée,  il  écrivit  l'histoire 
des  prisonniers  de  la  Rochelle.  Le  manuscrit  courut 
Genève  sous  le  manteau.  Il  produisit  une  grande  émo- 
tion, et  quelques  personnes  souhaitèrent  qu'il  fût  im- 
primé. Les  amis  de  Court  appuyèrent  ce  vœu,  et  les 
pasteurs  de  Zurich  se  charg'èrent  de  le  réaliser.  Mais 
quand  il  s'agit  de  savoir  quelle  préface  on  pourrait 
ajouter  au  volume,  il  y  eut  quelque  embarras.  Court  avait 
d'abord  écrit  une  épître  dédicatoire  aux  pasteurs  sous 
la  croix,  malheureusement  l'épître  était  vive,  et  on 
s'en  effraya.  Il  se  décida  alors  à  publier  la  même  lettre 
apologétique  qu'il  avait  envoyée  à  Basnage  et  à  Pictet, 
lorsque  Albéroni  et  la  prétendue  révolte  des  protes- 
tants avaient  fait  tant  de  bruit  à  l'étrang'er.  Cet  écrit 
d'un  côté  qui  marquait  tant  de  modération  et  de  ré- 
signation ,  cette  histoire  de  l'autre  qui  témoignait  de 
tant  de  sévérité,  formaient  une  antithèse  qui  devait 
douloureusement  émouvoir  le  lecteur^. 


'  N*»!,  t.  II,  p.  343,  351,  360,  453,  459.  (1721.) 

^  Relation  historique  des  horribles  crxtautéz  qic  on  a  exercées  envers 
quelques  protestans  en  France,  2'>oï'r  avoir  assiste  à  une  assonhlée 
tenue  dans  le  Désert^  près  de  Nismes,  en  Languedoc.  On  y  (t  ajouté 
un  Abrégé  d'histoire  apologétique,  ou  Défense  des  Réformés  de 
France^  qui  sert  de  réponse  à  V instruction  pastorale  sur  la  persé- 
vérance en  la  foy  et  la  fidélité  pour  le  souverain  de  M.  Basnage. 
datée  du  19  avril  1719.  (In-12.)  Bibliothèque  de  l'Arsenal.  Cet  opus- 
cule très-rare  et  curieux  mériterait  bien  d'être  réimprimé. 

«  Une  seconde  raison,  dit  Antoine  Courtdans  sa  préface,  quiest entrée 
I  15 


Î2Û  L'ACADÉMIE  DE  GENÈVE 

Tels  étaient  les  soins  auxquels  Antoine  Court  con- 
sacrait son  temps  et  ses  loisirs.  Ils- n'étaient  point  si 
absorbants  qu'il  ne  pût  dans  l'intervalle  se  livrer  à  son 
goût  pour  l'étude.  Son  éducation  avait  été  fort  négligée, 
il  le  sentait  lui-même,  et  s'en  affligeait.  En  France, 
il  avait  essayé  d'y  suppléer  par  la  lecture.  Parmi  les 
ouvrag-es  qu'il  s'était  fait  envoyer  de  l'étranger  pour 
l'édification  des  fidèles,  il  y  en  avait  beaucoup  pour  sa 
propre  instruction  et  celle  des  proposants.  Mais  lorsqu'il 
se  trouva  à  Genève  reçu  dans  l'intimité  des  Pictet,  des 
Turrétin,  lorsqu'il  se  vit  dans  cette  ville  qui  passait 
pour  la  capitale  du  protestantisme  et  pour  un  foyer  de 
lumières,  quel  ne  dut  pas  être  son  désir  d'apprendre! 
En  1721,  le  recteur  de  l'Académie  était  Antoine  Mau- 
rice. A  la  Faculté  de  théologie  professaient  Samuel 
Turrétin,  Bénédict  Pictet  et  cet  Alphonse  Turrétin, 
l'illustre  représentant  des  doctrines  de  l'Ecole  de  Sau- 
mur,  qui  avait  pris  si  brillamment  possession  de  la 
chaire  d'histoire  récemment  créée.  Depuis  longtemps 
l'Académie  n'avait  jeté  un  aussi  vif  éclat.  Antoine 
Court  pendant  son  séjour  à  Genève  fut  donc  assuré- 
dans  notre  dessein,  a  été  défaire  connaître  d'un  côté  jusqu'où  les  excè.s 
de  nos  ennemis  étaient  capables  de  les  porter  contre  les  fidèles  qu'on  pou- 
vait  surprendre  occupés  des  exercices  divins,  et,  de  l'autre,  la  fermeté 
et  la  constance  que  ces  fidèles  témoignaient  au  milieu  de  toutes  les 
souffrances  auxquelles  ils  étaient  exposés,  fermeté  et  constance  qui 
n'édifiera  pas  moins  les  fidèles  des  siècles  à  venir,  qu'elle  affermira 
dans  la  véritable  foi  ceux  qui  vivent  aujourd'hui.  » 

Ailleurs,  il  ajoutait  : 

«  Au  reste  l'auteur,  étant  sans  étude  et  sans  beaucoup  d'expérience, 
élevé  d'ailleurs  dans  une  .province  où  la  langue  française  est  très- 
éloignée  de  son  élégance  et  de  sa  pureté,  prie  les  lecteurs  de  par- 
donner la  rudesse  de  son  style  e\  son  irrégularité^  et  d'y  suppléer 
par  leurs  lumières.  » 


1 


L'ACADEMIE  DE  GENEVE  227 

ment  étudiant.  On  ne  trouve  pas,  il  est  vrai,  son  nom 
dans  le  Livre  du  J^ecteur^  ^mai^  il  était  permis  aux  étran- 
gers de  suivre  les  cours  de  l'Académie  sans  prendre  d'in- 
scriptions et  sans  laisser  ainsi  de  traces  de  leur  passage. 
Le  jeune  prédicant,  préoccupé  de  g*raves  affaii^es,  tou- 
jours prêt  d'ailleurs  à  partir  pour  la  France,  ne  put  se 
décider  à  devenir  un  des  élèves  réguliers  de  l'Aca- 
démie. Il  suivit  cependant  les  cours  avec  soin,  avec  la 
ferme  volonté  de  s'instruire.  C'est  ce  qui  expliquerait 
comment  ses  correspondants  de  Suisse  lui  donnaient 
dans  leurs  lettres  le  titre  d'étudiant. 

Dès  cette  époque  aussi  bien,  un  grand  changement 
se  manifeste  dans  son  style,  et  ses  lettres  diffèrent  sin- 
g'ulièrement  des  précédentes.  Il  y  a  abus  d'épithètes, 
de  périphrases,  de  métaphores.  La  phrase  marche  dans 
une  harmonieuse  cadence  et  couverte  de  fleurs.  Ainsi 
il  écrit  : 

«  L'onde  bouillante  poussée  d'un  doux  zéphire  qui  environne 
et  qui  assiège  votre  cœur,  fait  naître  dans  mon  âme  de  grandes 
espérances.  » 

Et  encore,  à  propos  de  son  départ  de  Genève  : 

«  Qu'il  est  affligeant  de  voir  par  trois  fois  échouer  ses  des- 
seins, lorsqu'on  était  le  plus  près  de  les  remplir  I  L'équipage 
prêt  et  en  bon  ordre,  la  route  marquée,  les  vaisseaux  prêts  à 
partir,  déjà  les  voiles  entlées,  tout  cela  échoue,  tout  cela  est 
arrêté.  Se  peut-il  quelque  chose  de  plus  accal)iant!  Quelle  peut 
être  la  source  d'un  si  trisio  sort?  O  Dieu,  dissi})c  tous  les  som- 
bres nuages,  apaise  la  tcMiipête,  ramène  le  calme,  produis  la 
bonasse,  dissipe  les  obstacles,  et  porte  sur  les  ailes  du  vent  de 

^  V.  la  belle  et  savante  édition  qu'en  a  donné  récemment  M  G. 
Révilliodj  de  Genève. 


228  COURT  SE  PROPOSE  D'ÉCRIRE 

ta  bonne  Providence  celui  qui  gémit  et  soupire  depuis  si  long- 
temps dans  un  port  si  éloigné  de  sa  chère  patrie.  » 

En  même  temps,  dans  ses  lettres,  il  devient  plus 
prodigue  de  recommandations;  il  s'érige  même  en 
professeur  de  rhétorique.  «  Appliquez-vous  à  lire  de 
bons  livres  pour  la  pureté  de  la  langue  française, 
tâchez  de  rendre  vos  idées  aussi  nettes  que  possible, 
à  bien  exposer  ensuite  vos  pensées,  toujours  avec  le 
moins  de  paroles  que  vous  pourrez  ;  les  longs  discours 
ennuient  ^ .  »  C'est  un  sujet  sur  lequel  il  aime  à  reve- 
nir; il  s'y  étend  avec  complaisance,  avec  tendresse.  On 
voit  qu'il  répète  ce  qu'il  vient  d'apprendre. 

Antoine  Court  ne  dut  pas  chercher  seulement  à 
apprendre  la  langue  et  à  former  son  style,  il  étudia 
probablement  encore  les  questions  théologiques  et 
l'histoire.  Il  priait  ainsi  ses  amis  de  France  de  lire  avec 
soin  l'Ecriture  sainte,  «  ce  magasin  d'où  ils  pouvaient 
tirer  les  armes  nécessaires  pour  combattre  l'erreur  et 
le  vice.  »  11  donnait  des  explications  des  passages 
bibliques  et  cherchait  avec  Pictet  à  dissiper  l'obscurité 
des  mots  et  des  phrases  dont  le  sens  lui  échappait. 
L'histoire  paraissait  surtout  le  captiver.  Il  parcourait 
l'ancienne  et  la  moderne,  citait  Trajan  et  commentait 
de  Bèze. 

Peut-être  cédait-il  à  ce  goût  naissant,  quand  il  réso- 
lut, se  trouvant  encore  à  Genève,  d'écrire  l'histoire  des 
Eglises  de  France.  Il  est  vrai  que  Basnag'e,  charmé 
par  l'ardeur  juvénile  de  cette  belle  intelligence,  l'avait 
exhorté  à  recueillir  les  matériaux  nécessaires  à  ce  tra- 

1  N.  7,  t.  I.  (1721  ) 


L'HISTOIRE  DES  EGLISES  DE  FRANCE  229 

vail.  Mais  la  joie  qu'il  témoigne,  en  remerciant  l'il- 
lustre pasteur  de  ses  encouragements,  montre  qu'ils 
avaient  été  adressés  à  un  liomme  déjà  bien  disposé  : 

(i  Je  suis  ravi  que  M.  Benoît  vive  encore,  et  qu'il  soit  dans 
le  dessein  de  continuer  l'histoire  de  l'Edit  de  Nantes.  Cette 
nouvelle  m'a  fait  un  plaisir  inexprimable.  A  Dieu  ne  plaise  que 
je  le  croise  dans  son  projet!  Je  continuerai  cependant,  selon 
votre  désir,  l'histoire  de  nos  Eglises  et  je  ne  manquerai  de  pro- 
fiter des  sages  et  judicieux  avis  que  vous  me  faites  l'honneur  de 
me  donner  là-dessus  *.  » 

Dans  ce  commerce  avec  des  hommes  de  goût  et  de 
savoir,  il  s'était  épris  d'amour  pour  les  choses  de  l'es- 
prit. Peut-être  n'était-ce  encore  qu'un  amour  un  peu 
vague,  mal  défini,  mais  il  devait  devenir  une  passion 
et  inspirer  toute  sa  conduite  dans  la  seconde  partie  de 
sa  vie.  En  attendant,  il  écoutait,  il  étudiait,  surtout  il 
rêvait.  La  gloire  de  l'historien  Benoît  l'éblouissait. 
On  disait  déjà  de  lui  que  sa  piété,  son  zèle  et  ses  lumiè- 
res «  édifiaient  »  beaucoup,  et  on  ajoutait  qu'il  avait 
reçu  c(  de  beaux  dons  pour  l'édification  des  églises  ".» 
Le  jeune  homme  faisait  en  effet  pressentir  l'homme  fait. 
Genève  annonçait  Lausanne. 

La  peste  cependant  avait  cessé  de  sévir  et  les  nou- 
velles de  France  devenaient  de  plus  en  plus  rassurantes. 
Les  protestants  réclamaient  leur  pasteur.  Les  oubliait-il  ? 
Ne  savait-il  point  que  l'Eglise  avait  besoin  de  son  acti- 
vité et  de  son  dévouement  ?  Il  fallut  se  décidera  partir. 

On  était  au  milieu  de  l'année  1722. 


AN»  7,  t.  I,  p.  334.  (1722.) 
*  Ibid.,  p.  73. 


230  COUR  EST  INVITÉ  A  REVENIR  EN  FRANCE 

Déjà,  dès  la  fin  de  l'année  précédente,  ses  collègues, 
et  Corteiz  surtout,  l'avaient  instamment  prié  de  revenir 
au  milieu  d'eux. 

u  Vous  voyez  comme  je  me  trouve  seul.  —  Hormis  le  frère 
Rouvière,  le  frère  Deleuze,  le  frère  Bétrine,  le  frère  Combes, 

les  autres  ne  me  donnent  pas  grand  secours Si  nous  étions 

deux,  l'un  se  tiendrait  en  Gévennes,  l'autre  en  bas  Languedoc. 
Mais  il  faut  avouer  que  je  suis  dans  un  triste  état^  aussi  suis-je 
le  plus  souvent  pour  perdre  courage  et  sur  le  point  de  me 
retirer  dans  un  endroit*.  » 

MalgTé  ces  prières,  il  était  resté. 

te  .  .  .  Les  pressantes  sollicitations  qui  m'ont  été  faites  à 
divers  temps  et  par  différentes  personnes  sur  mon  retour  sont 
inutiles.  Jé  n'en  ai  pas  besoin  pour  m'y  exciter.  Mon  inclination 
naturelle,  la  passion  violente  que  j'ai  pour  l'intérêt  de  nos 
Eglises  et  le  désir  ardent  de  me  consacrer  au  service  de  mon 
Sauveur  sont  des  raisons  assez  fortes  et  assez  puissantes  pour 

m'entraîner Cependant  que  les  principaux  d'entre  vous  et 

des  Anciens  s'assemblent,  et  qu'après  avoir  jeûné  et  prié,  il 
soit  délibéré  à  la  pluralité  des  voix  si  je  dois  partir.  Je  regar- 
derai votre  délibération  comme  une  vocation  céleste,  que  je 
me  ferai  un  devoir  de  suivre,  dès  que  vous  m'en  aurez  donné 
avis,  fallùt-il  perdre  la  vie.  Car  elle  ne  m'est  point  pré- 
cieuse, pourvu  que  j'achève  heureusement  ma  course,  que  je 
m'acquitte  du  devoir  de  ma  charge,  et  que  je  semelle  par  mes 
soulTrances  ou  de  mon  sang,  si  la  Providence  m'y  appelle,  les 
vérités  que  Dieu  m'a  fait  la  grâce  de  prêcher  à  son  Eglise  ^.  » 

Tl  n'oubliait  pas  les  relig-ionnaires,  mais  il  croyait 
mieux  servir  leurs  intérêts  en  prolongeant  son  séjour  à 
Genève.  Il  voulait  fortifier  entre  la  France  et  la  Suisse 


t  N"  L  t.  II,  p.  634.  (1721.) 
2N"7,  t.  I,  p.  221.  (1721.) 


\ 


HÉSITATIONS,  RETARDS  231 

des  liens  que  le  malheur  avait  établis ,  mais  dont  cer- 
taines préventions  avaient  amoindri  la  force.  D'ailleurs 
ne  s'intéressait-il  pas  directement  aux  affaires  de  la  reli- 
gion ?  Il  avait  écrit  contre  les  partisans  de  Vesson  et 
de  Hue;  il  avait  envoyé  des  livres  aux  proposants;  il 
avait  ordonné  de  maintenir  l'ordre  soit  parmi  les  fidèles, 
soit  parmi  les  pasteurs;  il  avait,  pour  soutenir  le  zèle, 
multiplié  ses  exhortations  et  adressé  à  toutes  les  épo- 
ques mémorables  de  chaleureux  appels  aux  Eglises. 
Sa  correspondance  était  énorme  :  il  y  avait  dépensé 
400  francs  de  port,  argent  de  France  *. 

Peut-être  cela  même,  —  tant  d'agitation,  l'impor- 
tance qu'on  attachait  à  sa  personne,  son  goût  pour 
l'étude,  —  le  tetenait-il  à  Genève  plutôt  que  d'autres 
soins.  On  lui  écrivait  de  tous  côtés,  il  vivait  dans 
l'intimité  des  grandes  familles,  il  correspondait  avec 
des  hommes  tels  que  Basnage,  William  Wake,  Saurin. 
Il  jouait  un  rôle,  il  était  un  personnage. 

Au  mois  d'août  cependant,  il  comprit  qu'il  n'y  avait 
plus  place  à  de  nouveaux  retards,  et  qu'il  fallait  quit- 
ter la  Suisse.  Il  s'arracha  aux  sollicitations  de  Pictet 
qui  le  pressait  de  se  fixer  à  Genève,  et  abandonna  son 
dessein  d'aller  remercier  à  Zurich  les  pasteurs  qui 
avaient  donné  tant  de  preuves  de  sympathie  aux  pro- 
testants de  France  ^ 

Le  9  août,  il  prit  la  routé  de  France. 

La  route  ordinaire  était  bien  connue.  On  allait  de 
Genève  à  Lyon,  de  Lyon  à  Saint-Etienne-en-Forez,  de 
Saint-Etienne  à  Mont  faucon  en  suivant  la  route  du 

1  N"  4(>,  cah.  V,  et  ii"  1,  t.  II,  p.  325. 

2  X"  7,  t.  I,  p.  380. 


232  DÉPART  DE  GENÈVE 

Puy  jusqu'à  Saint- Jean,  puis  on  prenait  à  gauche,  on 
gagnait  Saint-Agrève  qui  n'était  éloigné  de  Saint- 
Jean  que  de  trois  ou  quatre  lieues.  Corteiz  avait  bien 
des  fois  fait  le  voyage  à  pied,  soit  pour  aller  en  Suisse, 
soit  pour  en  revenir. —  Mais  le  Résident  de  France  était 
informé  de  la  présence  de  Court  à  Genève,  et  la  tête 
du  prédicant  était  mise  à  prix.  Il  fallait  prendre  des 
précautions.  On  tint  conseil  et  on  résolut  que  le  proscrit 
passerait  par  Paris,  où  il  prendrait  un  certificat  de 
santé.  Le  départ  eut  lieu  dans  le  plus  grand  secret. 
Malgré  tout,  le  Résident  en  fut  bientôt  averti  par  ses 
espions  ;  il  annonça  la  nouvelle  à  la  cour  qui  fit  aus- 
sitôt écbelonner  des  troupes  pour  arrêter  le  voyageur 
depuis  Lyon  jusqu'au  Pont-Saint-Esprit.  Ce  déploie- 
ment de  forces  était  inutile.  Le  jeune  prédicant  venait 
d'entrer  en  Provence,  en  passant  par  Toulouse.  Il  avait 
encore  une  fois  mis  en  défaut  l'habileté  des  gouver- 
neurs et  des  intendants  ^ . 

Un  jour,  écrivant  de  Genève  à  son  collègue  Roger, 
Antoine  Court  lui  disait  :  c<  Je  me  suis  occupé  à  déra- 
ciner de  l'esprit  d'une  infinité  de  personnes  la  fausse 
idée  qu'ils  se  formaient  des  protestants.  J'ai  tâché  de 
les  leur  faire  envisager  dans  leur  véritable  point  de 
vue  ^  »  Il  avait  fait  plus,  il  avait  excité  en  leur  faveur 
une  très-vive  sympathie.  Calandrin,  le  père  des  con- 
fesseurs, était  mort  en  1721 ,  et  Corteiz,  en  apprenant 
cette  douloureuse  nouvelle,  s'était  écrié  :  «  Dieu  veuille 
par  son  infinie  miséricorde  en  susciter  d'autres  qui 
l'égalent    en    charité  !    »    Ces  personnes    charitables 

1  N"  46,  cab.  V. 

aN»  7,  t.  I,  p.  276.  (1722.) 


RESULTATS  DE  CE  VOYAGE  233 

avaient  été  trouvées.  C'étaient  les  Pictet,  les  Vial,  les 
Maurice  Turrétin,  et  les  principaux  réfugiés;  c'était 
l'archevêque  de  Cantorbéry,  c'était  encore  le  roi 
d'Angleterre.  Désormais  les  Eglises  sous  la  croix  ne 
seraient  plus  aba^ndonnées  à  leurs  seules  ressources  : 
elles  comptaient  à  l'étranger  des  amis  et  des  défen- 
seurs. En  attendant  le  jour  où  la  grande  voix  du  dix- 
liuitième  siècle  ferait  entendre  les  premières  paroles 
de  tolérance,  des  hommes  inconnus,  placés  en  tous 
pa^^s  et  de  toutes  conditions,  allaient  employer  leur 
influence  et  leur  fortune  à  soutenir  les  victimes  de 
la  persécution. 


CHAPITRE  Vlli 

LA    DÉCLARATION    DE    1724 
1723-1725 

En  1723,  vers  la  fin  de  l'année,  la  situation  du  pro- 
testantisme paraissait  assez  rassurante. 

Bien  que  la  politique  de  la  cour  inspirât  de  sé- 
rieuses inquiétudes  et  que  les  dernières  condamnations 
des  Multipliants  indiquassent  clairement  la  voie  dans 
laquelle  elle  entendait  marcher,  on  détournait  volon- 
tiers les  yeux  des  gibets  de  Montpellier  pour  les  re- 
poser sur  le  spectacle  inattendu  et  consolant  que  don- 
naient les  religionnaires.  Les  résultats  obtenus  en  huit 
années  à  peine  remplissaient  de  joie  les  meilleurs  es- 
prits. On  regardait  donc  avec  confiance  vers  l'avenir. 
On  prenait  courage.  On  aimait  à  croire  que  la  persé- 
cution s'arrêterait  d'elle-même,  dès  que  réorganisée, 
relevée,  mise  sur  pied,  la  Réforme  française  pour- 
rait montrer  et  opposer  à  la  cour  le  nombre  de  ses 
adhérents,  leur  fidélité  et  leurs  vertus. 

Il  faut  le  dire  :  l'œuvre  de  la  restauration  avait  un 
plein  succès.  Lorsqu'à  son  retour  de  Genève,  après 
une  absence  de  deux  années,  Antoine  Court  se  mit  à 
parcourir  le  théâtre  de  ses  derniers  travaux,  il  fut  en- 


SOUMISSION  DE  BOYER  gg& 

core  plus  étonné  de  ce  qu'il  vit  que  charmé.  Sans 
doute  bien  des  points  laissaient  encore  à  désirer,  les 
règlements  étaient  violés  parfois,  des  difficultés  et  des 
embarras  se  présentaient  chaque  jour,  mais  il  n'y  avait 
plus  de  sérieux  obstacles  à  redouter.  Il  était  déjà  pos- 
sible de  fixer  la  date  prochaine  où  tous  les  anciens  con- 
vertis marcheraient  d'un  pas  égal  sous  le  même  dra- 
peau et  obéiraient  au  même  commandement. 

Les  deux  dernières  difiicultés  venaient  d'être  dé- 
nouées cette  année  même. 

Corteiz  avait,  en  1721,  rencontré  dans  les  Céventies 
un  ancien  dragon  qui  s'était  fait  prédicant.  Ce  dragon 
était  natif  de  Lausanne  et  s'appelait  Boyer.  Corteiz  lui 
avait  défendu  de  prêcher,  s'il  ne  s'y  faisait  autoriser  par 
les  Synodes  ;  mais  celui-ci  soutenu  par  quelques  reli- 
gionnaires  avait  refusé  d'obéir  aux  règlements,  et  il 
avait  fallu  porter  l'affaire  devant  Antoine  Court. 

«  11  est  de  l'intérêt  de  l'Eglise  et  du  devoir  de  ma  charge,  lui 
écrivit  ce  dernier,  que  tout  se  passe  dans  l'ordre,  et  que  je  prenne 
garde  qu'il  ne  se  fourre  parmi  nous,  sous  prétexte  de  piété,  de 
zèle  et  de  religion,  des  esprits  vain  s /libertins  et  téméraires. 
J'espère,  Monsieur,  que  vous  aurez  de  tout  autres  caractères, 
que  l'humilité,  la  jjiété,  la  prudence  et  le  zèle,  l'amour  de  l'or- 
dre et  la  charité  seront  vos  vertus  ordinaires  ^  » 

Il  avait  ainsi  obtenu  que  Boyer  fût  attaché  à  Boni- 
bonnoux,  comme  proposant.  Boyer  cependant  n^avait 
pas  tardé  à  enfreindre  de  nouveau  les  règlements.  Il 
avait  des  partisans  dévoués,  et  l'on  devait  craindre  une 
scission  dans  l'Eglise,  si  on  usait  contre  lui  de  mesures 

1  N'  7,  t.  1,  p   297. 


236  SOUMISSION  DES  VESSONIENS 

trop  rig-oureuses.  Antoine  Court  convoqua  un  colloque 
où  il  réunit  les  mécontents,  et,  en  leur  présence,  il  fit 
promettre  à  Boyer  de  se  soumettre  à  la  discipline  éta- 
blie. Il  lui  permit  en  même  temps  de  visiter  quelques 
églises  dont  il  lui  donna  la  liste  et  lui  annonça  qu'il 
serait  examiné  au  prochain  Synode  pour  être  officielle- 
ment reçu  proposant  * . 

La  seconde  affaire  était  plus  grave.  Au  commence- 
ment de  l'année,  on  avait  appris  la  condamnation  des 
Multipliants  et  le  supplice  de  Vesson.  Mais  quoique  le 
parti  des  Inspirés  eiit  singulièrement  diminué  depuis  la 
fuite  et  la  mort  de  leur  chef,  il  s'en  trouvait  cependant 
encore  qui  vivaient  à  l'écart,  en  dehors  de  l'Eglise. 
Un  Synode  fut  assemblé  où  se  trouvaient  tous  les  pré- 
dicants,  un  seul  excepté,  et  près  de  cinquante  Anciens. 
Duplan,  soupçonné  par  les  fidèles  de  soutenir  les  In- 
spirés, s'y  était  rendu,  sur  la  prière  de  Court.  Après 
les  préliminaires  d'usage,  on  parla  de  Vesson.  Le  fa- 
meux prédicant  avait  des  défenseurs  parmi  les  assis- 
tants et  son  innocence  fut  chaleureusement  soutenue. 
Mais  si  l'on  pouvait  vanter  la  pureté  de  ses  intentions, 
et  se  faire  l'avocat  de  ses  doctrines,  il  était  malaisé  de 
prétendre  qu'il  n'eût  point  troublé  l'ordre,  rempli  d'agi- 
tation les  Ce  venues  et  le  bas  Languedoc,  refusé  de  se 
soumettre  aux  règlements,  et  occasionné  un  véritable 
schisme.  Le  débat  se  termina  heureusement  à  la  sa- 
tisfaction de  tous.  Les  «  Vessoniens,  »  comme  on  les 
appelait,  s'engagèrent  à  signer  et  à  faire  signer  une 
déclaration  par  laquelle  ils  avouaient  leurs  torts  et 

»  N"  7,  t.  I,  p.  438. 


PROGRES  DU  PROTESTANTISME  237 

promettaient  de  n'y  plus  retomber.  Le  Synode  les  réin- 
tégTa  alors  dans  la  paix  de  l'Eg-lise  ^ . 

Ainsi  toutes  les  difficultés  sérieuses  étaient  résolues, 
tous  les  obstacles  renversés.  Le  parti  des  Inspirés 
était  ruiné,  l'ordre  régnait,  une  piété  croissante  ani- 
mait les  protestants,  et  la  religion  proscrite,  relevant 
peu  à  peu  la  tète,  faisait  chaque  jour  en  Languedoc  et 
dans  le  reste  de  la  France  des  conquêtes  nouvelles. 

«  Le  12  mars  1724,  écrit  Gorteiz,  deux  réformés  de  la  paroisse 
de  Vais,  en  Yivarais,  nous  furent  trouver  pour  nous  exposer 
que  leur  paroisse  était  environnée  de  paroisses  papistes,  mais 
qu'autrefois  leur  paroisse  formait  une  belle  église,  qu'elle  avait 
son  temple  et  entretenait  son  pasteur;  mais  se  trouvant  depuis 
longtemps  sans  exercice  de  religion,  et  les  jeunes  et  les  vieux 
étant  corrompus,  si  vous.  Messieurs,  nous  faisiez  la  grâce  de 
passer  chez  nous,  vous  ne  sauriez  jamais  faire  une  plus  grande 
charité.  Ce  raisonnement  nous  toucha,  et  nous  partîmes  ce 
jour-là  avec  eux.  Etant  arrivés  audit  Vais,  ces  deux  bons  fidèles 
se  donnèrent  mille  soins  pour  former  une  assemblée;  mais, 
hélas  !  à  peine  purent-ils  trouver  quarante  personnes  de  con- 
fiance. L'acte  de  dévotion  fini,  ils  me  prièrent  de  leur  donner 
encore  un  sermon,  que  le  nombre  des  auditeurs  augmenterait; 
mais  l'expérience  nous  ayant  appris  diverses  fois  que  les  en- 
trées sont  difficiles,  nous  craignîmes  et  pour  nos  personnes  et 
qu'on  fit  des  prisonniers,  et  nous  écrivîmes  à  nos  frères  du  Yi- 
varais, comme  étant  plus  proches  que  nous,  d'y  faire  quelques 
visites.  Depuis,  nous  avons  appris  avec  une  grande  joie  que 
cette  grande  paroisse  a  pris  courage  et  donne  lieu  aux  minis- 
tres du  Vivarais  de  les  visiter  ^  » 

L'exemple  de  Vais  n'était  pas  un  exemple  isolé.  Que 
d'autres  villes  donnaient  en  ce  moment  même  de  sem- 

«  N°  7,  1. 1,  p.  423.  (1723.) 

'  N"  17,  vol.  H.  Relation  historique,  etc. 


238  ÉCOLES,  MARIAGES,  ASSEMBLEES 

blables  «  marques  de  véritable  repentir  '  !  »  Les  con- 
sistoires n'étaient  déjà  plus  en  nombre  suffisant,  et 
il  avait  fallu  nommer  de  nouveaux  Anciens.  On  avait 
même  décidé  que  les  colloques  se  tiendraient  désor- 
mais deux  fois  par  an,  dans  chaque  quartier,  pour 
examiner  à  la  fois  la  conduite  des  Anciens  qui  s'acquit- 
teraient mal  de  leur  charge,  et  se  concerter  sur  les 
mesures  les  plus  efficaces  «  pour  l'extirpation  des 
vices  et  la  propagation  de  la  foi  ".  » 

Et  c'était  par  des  faits,  par  des  actes  quotidiens,  que 
se  montrait  et  se  prouvait  ce  réveil  du  protestantisme. 

Les  religionnaires  n'envoyaient  plus  leurs  enfants 
à  l'école.  Un  curé  ordonna  un  jour  au  maître  d'école 
de  sa  paroisse  de  conduire  tous  ses  élèves  à  l'église  ;  le 
niaître  d'école  promit  d'obéir.  Mais  quel  ne  fut  pas 
son  embarras,  lorsqu'il  voulut  tenir  sa  promesse  !  Dès 
que  les  petits  huguenots  entendaient  le  son  de  la  cloche, 
ils  se  sauvaient  et  laissaient  leur  maître  seul  avec  le 
curé  ^ . 

Les  baptêmes  et  les  mariages  au  Désert  devenaient 
de  jour  en  jour  plus  nombreux.  Quoi  qu'il  en  coûtât,  on 
prenait  l'habitude  de  confier  aux  mains  du  prédicant 
les  actes  de  l'état  civil. 

Quant  aux  assemblées,  elles  se  multipliaient.  «  On 
me  donne  avis,  écrivait  Saint-Florentin,  qu'il  ne  reste 
plus  de  traces  de  religion  dans  certaines  provinces  ou 
les  curés  se  trouvent  quelquefois  seuls  dans  leurs 
églises;  que  les  assemblées  des  religionnaires  sont  fré- 

1  K°  7,  t.  I,  p.  425.  (1723.) 

2  Ihid. 

^  Ihiil.,  p.  189.  (i72h) 


MORALITÉ,  AUSTÉRITÉ  239 

quentes  et  publiques  ;  que  le  signal  de  la  cloche  pour 
la  messe,  le  jour  du  dimanche,  sert  pour  convoquer  les 
assemblées  des  prédicants,  et  que  souvent  le  prêtre, 
sortant  de  l'autel,  eiitend  de  la  porte  de  son  église 
chanter  les  psaumes  de  Marot  * .  » 

Que  dire  de  cette  vie  intime,  toute  de  patience,  de 
dévouement  et  d'austérité,  dont  le  touchant  spectacle 
était  bien  propre  à  fortifier  le  courage  et  la  confiance 
des  prédicants.  Ici  les  détails  abondent,  et  il  faut  choi- 
sir. «  Nous  l'avons  déjà  dit,  écrit  Corteiz,  on  ne  laisse 
communier  personne  de  ceux  qu'on  est  informé  qu'ils 
sont  brouillés  ensemble  ou  avec  quelqu'un  (^ui  est  à 
l'assemblée,  sans  être  réconcilié.  Et  en  cas  qu'il  n'y 
en  ait  qu'un  à  l'assemblée,  on  l'engag'e  par  de  bonnes 
et  fortes  raisons  de  prendre  avec  lui  un  ou  deux  An- 
ciens et  d'aller  se  réconcilier.  Que  s'il  s'agit  de  par- 
tage de  terres,  de  maisons,  ou  connaissance  de  papiers 
ou  actes,  chacune  des  parties  intéressées  prend  un 
homme  impartial  et  connaissable  et  on  s'entretient 
pour  la  réconciliation  de  ces  deux  hommes.  »  «  On  vit 
dans  cette  assemblée,  ajoute-t-il  plus  loin,  un  nombre 
considérable  de  réconciliations,  et  l'on  put  heureuse- 
ment calmer  les  procès  ^.  »  C'est  un  Sjaiode  qui,  en 
pleine  Régence,  édicté  les  pviines  suivantes  : 

«  Ceux  qui  auront  juré,  l)lasphcmé  le  nom  de  Dieu,  seront 
condamnés  à  donner  cinq  sols  pour  les  pauvres;  ceux  qui  au- 
ront violé,  profané  le  jour  du  dimanche  par  jeux,  dél)auches. 
payeront  aussi  cinq  sols  pour  les  pauvres;  pour  toutes  les  pa- 
roles sales  ot  deshonnètes,  six  deniers;  pour  chaque  faute, 

'  Archives  de  l'Hérault,  2«  division,  paquet  89.  (1721.) 
2  N"  17,  vol,  H.  Relation  historique,  etc. 


240  PROSPERITE  DE  LA  SITUATION 

mensonge,  médisance,  moqueries  et  autres  paroles  condamnées 
dans  l'Ecriture  sainte,  six  deniers  ^  » 

On  apprit  un  jour  que  quelques  jeunes  g^ens  avaient 
assisté  à  «  des  fêtes  votives.  »  Grand  émoi.  On  s'as- 
semble aussitôt,  et  pour  arrêter  le  cours  d'un  mal  aussi 
dang'ereux,  on  ordonne  de  lire  dans  toutes  les  assem- 
blées du  Désert  cet  article  de  la  discipline  :  «  Les 
danses  et  jeux  seront  réprimés;  et  surtout  ceux  qui 
font  état  de  danser  ou  d'assister  aux  fêtes  votives, 
après  avoir  été  admonestés  plusieurs  fois,  seront 
excommuniés  ^  »  Plus  tard,  on  connut  qu'une  de- 
moiselle s'était  permis  d'aller  à  la  comédie.  «  Aurait- 
elle  insulté  de  cette  manière,  s'écrie  Court,  les 
souffrances  de  nos  confesseurs  et  les  cendres  de  nos 
martyrs?  Aurait-elle  fait  cette  injure  à  notre  Eglise  af- 
fligée? Aurait-elle  donné  un  si  mauvais  exemple  à 
tant  de  personnes  qui  ont  les  yeux  sur  elle  et  qui  jus- 
qu'ici l'avaient  reg-ardée  comme  un  exemple  de  piété 
et  de  sagesse  ?  Ha  !  si  cela  était,  que  le  ciel  s'en  étonne 
et  que  la  terre  frémisse  ^  !  » 

Tant  d'activité  et  tant  de  zèle,  une  piété  si  intense, 
une  telle  austérité  dans  les  mœurs,  tout  cela  rapproché, 
groupé,  devait  naturellement  encourager  les  espérances 
et  faire  voir  sous  un  jour  favorable  la  situation  du 
protestantisme.  Antoine  Court  et  ses  collègues,  ras- 
surés par  ce  spectacle,  se  laissaient  séduire  par  son 
charme.  Ils  redoutaient  la  cour,  sans  doute;  mais  ils  se 
reposaient  sur  la  fermeté  des  religionnaires.  Si  malgré 

1  N»  17,  vol.  G,  p.  372.  Synode  de  1721. 

2  N»  7,  t.  I,  p.  424.  Synode  de  1723. 

3  N°  7,  t.  II,  p.  345. 


COLERE  DU  CLERGE  ET  DE  LA  COUR       241 

les  édits,  pensaient-ils,  malgré  les  espions,  les  soldats 
et  les  intendants,  ils  avaient  pu  en  moins  de  huit  an- 
nées relever  une  religion  tombée  si  bas  qu'on  la  croyait 
perdue,  —  que  ne  pouvaient-ils  pas  entreprendre, 
faire  et  achever,  aujourd'hui  que  tout  était  en  voie  de 
réorganisation  et  que  plusieurs  éléments  de  succès 
étaient  déjà  solidement  constitués! 


Cette  restauration  du  protestantisme  ne  pouvait  ce- 
pendant passer  inaperçue;  elle  ne  pouvait  surtout 
s'accomplir  sans  que  le  clerg'é  n'employât  toute  son 
énergie  à  l'entraver  et  à  l'empêcher.  En  1716  déjà, 
au  commencement  de  la  Régence,  il  avait  fait  pro- 
mulguer un  édit  pour  prohiber  les  assemblées  ;  depuis 
lors,  il  n'avait  cessé  de  pousser  le  pouvoir  à  une  impi- 
toyable répression  ;  et  quoique  ses  efforts  n'eussent  en- 
core obtenu  aucun  succès,  il  n'était  pas  plus  disposé 
en  1723  qu'en  1715  à  abandonner  la  cause  pour  le 
triomphe  de  laquelle  il  luttait  depuis  tant  d'années. 

On  a  vu  qu'en  1723  les  assemblées  tenues  à  Mont- 
pellier chez  Mademoiselle  Verchand  avaient  été  surpri- 
ses ;  on  avait  pendu,  le  même  jour,  trois  prisonniers,  et 
bientôt  après  Huc-Mazel  subissait  le  dernier  supplice  *. 
La  cour  fatiguée  et  exaspérée  espéra  c<  que  cet  exemple 
contiendrait  les  nouveaux  convertis  ^.  »  Elle  était  dé- 

*  «  Je  joins,  Monsieur,  à.  rette  lettre  une  ordonnance  de  mille  livres 
avec  l'état  de  la  distribution  pour  le  remboursennent  de  pareille 
somme  qui  a  été  payée  à  celui  qui  a  fait  prendre  le  nommé  Mazelet, 
le  Roi  voulant  que  cela  soit  remboursé  sur-le-champ.  »  Histoire  de 
V Eglise  de  Montpellier,  etc.,  p.  369.  (Mars  1723.) 

■^  V.  Nouvelles  recherches  sur  la  secte  des  MidtipUants^  etc.,  p.  75 
I  16 


242  FUITE  DE  DUPLAN 

cidée  d'ailleurs  à  user  de  mesures  rigoureuses,  et  elle 
avait  ordonné  qu'on  agit  sans  liésitation,  prompte- 
nient. 

Bernage  avait  trouvé  dans  les  papiers  des  Multi- 
pliants des  pièces  compromettantes.  Tl  connaissait  les 
noms  des  prédicants  et  des  hommes  qui  avaient  quel- 
que influence  parmi  les  religionnaires.  Duplan  fut 
aussitôt  poursuivi  et  obligée  de  quitter  la  maison  pater- 
nelle. Les  prédicants  furent  en  même  temps  prévenus 
par  les  subdélégués  de  l'intendant  que  le  roi  vou- 
lait bien  leur  faire  gTâce  de  la  vie,  mais  qu'ils  de- 
vaient se  rendre  «  aux  conditions  d'être  envoj^és  aux 
pays  étrangers,  dont  ils  ne  pourraient  revenir,  sans 
être  punis  de  mort.  »  Dès  que  ces  nouvelles  furent 
connues,  Corteiz  répondit  :  «  J'apprends  qu'on  nous 
offre  or  et  argent  pour  nous  accompagner  hors  de 
France;  soyez  persuadé  que  ce  n'est  ni  or  ni  arg*ent 
qui  nous  fait  agir,  mais  le  pur  mouvement  de  notre 
conscience,  la  seule  connaissance  de  la  vérité,  et  la 
nécessité  indispensable  de  réveiller  les  consciences  qui 
dorment  dans  une  malheureuse  léthargie  et  dans  une 
criminelle  sécurité  \  »  Lorsque  le  subdélégué  .fît  prier 

1  V.  Bullet.,  t.  XIII,  p.  286.  —  Ces  quelques  lignes  étaient  en  post- 
scriptuni  à  une  belle  et  longue  lettre  que  Corteiz  envoya  a  M.  Campre- 
don,  commandant  en  Cévennes.  Voici  la  lettre. 

«Monsieur,  on  m'a  dit  que  vous  promettez  à  tous  ceux  auxquels 
vous  parlez  de  mettre  tout  en  usage  pour  nous  livrer  entre  les  mains 
des  bourreaux;  mais  je  ne  le  crois  pas,  selon  le  témoignage  que  d'ail- 
leurs on  rend  à  votre  douceur,  bonté,  équité  naturelle.  Je  crois  qu'on 
vous  fait  tort  de  dire  que  vous  êtes  animé  d'un  esprit  meurtrier  et 
sanguinaire.  Il  est  vrai  que  quelques  pasteurs  de  l'Eglise  romaine,  qui 
sont  nature'lement  méchants  et  qui  liaïsssent  mortellement  les  pro- 
testants, pourraient  bien  surprendre  votre  bonté  (et  votre)  équité 
Car,  au  fond,  je  ne  puis  pas  comprendre  que  pourrait-il  (y)  avoir  en 


MENACES  CONTRE  LES  PREDICANTS       243 

Court  de  sortir  du  royaume  et  lui  offrit  la  permission 
de  faire  vendre  ses  biens,  le  jeune  prédicant  repoussa 
la  proposition  avec  la  même  fierté.  «  S'il  était  bien 
connu  de  la  cour,  disait-il  dans  sa  lettre,  elle  travaille- 
rait au  contraire  à  le  retenir,  —  persuadée  qu'il  lui 

nous  qui  fut  capable  d'attirer  sur  nous  votre  juste  indignation » 

Venait  ici  l'apologie  des  protestants. 

«...   Messieurs    les  prêtres,    pour  nous  noircir  auprès  de  votre 
personne,  vous  disent  que  nous  assemblons  les  fidèles  au  Désert  con- 
tre les  ordres  du  Roi;  mais,  si  c'est  un  crime  d'assem!)ler  les  fidèles 
dans  le  Désert  pour  y  venir  entendre  la  parole  de  vérité,  les  premiers 
chrétiens  qui  s'assemblèrent  contre  les  édits  des  Rois  ont  donc  été 
coujjabjes?  Les  Prophètes,  les  Apôtres,  et  le  Fils  de  Dieu  iui-mêm(? 
serait  digne  de  blâme  en  assemblant  les  fidèles  dans  les  déserts  con- 
tre  la  volonté  des   gouverneurs  et  des  magistrats?...  Monsieur,  ceci 
demande  bien  d'attention;  il  s'agit  de  la  gloire  de  Dieu  et  du  salut 
des  âmes  ;  il  serait  ban  de  ne  plus  écouter  ces  sortes  de  prêtres  qui 
ne  donnent  que  des  conseils  de  violence  et  de  cruauté,  et  examiner 
en  même  temps  quel  dommage   porterait  la   religion  protestante  en 
PVance.  Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  homme  sage  et  prudent  qui,  pariant 
sincèrement,  y- puisse  découvrir  aucun  mal;  il  est  évident  que  bien 
loin  que  la  religion  protestante  portât  coup  à  la  splendeur  du  royaume 
de  France,  elle  servirait   certainement  à  le  rendre  plus  fort  en  peu- 
ples, en  or,  en  argent,  plus  pompeux  et  plus  florissant.  Monsieur, 
vous  vous  êtes  acquis,  aussi  bien    que  M.  de  Celestot,  la  louange  et 
l'estime  de  tout  ce  qu'il  y  a  d'honnêtes  gens  dans  votre  voisinage;  le 
peuple  vous  aime  et  vous  chérit;  ils  disent  à  votre  digne  louange  que 
vous   travaillez  heureusement  à  soutenir  le   droit  de  la  veuve  et  la 
cause  de  l'orphelin,  que  vous  excitez  le  monde  h  vider  leurs  procès  à 
l'amiable.  Toutes  ces  belles  vertus   seraient-elles  chassées  en  cher- 
chant à  répandre  le  sang  des  fidèles?  Non,  je  ne  puis  me  le  persua- 
der..   Nous  espérons.  Monsieur,  que  vous  serez  touché  des  gens  qui 
croient  sincèrement  ce  qu'ils  soutiennent,  et,  quand  notre  créance 
serait  autant  fausse  comme  elle  est  véritable,  nous  serions  toujours 
plus  dignes  de  compassion  que  de  haine.  Soyez  persuadé  qjie  notre 
religion  est  de  Dieu,  que  tant  que  durera  (le)  soleil,  tant  aussi  durera 
notre  religion.  L'expérience  montre  que  dans  ce  royaume  les  massa- 
cres exercés  environ    deux  cent  cinquante  ans  n'ont  pu  ctoufter  du 
tout  la  religion  protestante,  mais  bien  que  ceux  qui  ont  été  les  instru- 
ments de  la  violence  ont  fait  une  fin  misérable.  Aujourd'hui,  nous  bé- 
nissons Dieu  de  ce  que  nos  princes  sont  radoucis;  nous  espéron-  (]n<^ 


244  MENACES  CONTRE  LES  PRÉDICANTS 

rendait  d'utiles  services  en  lui  donnant  de  bons  su- 
jets \  » 

Grands  dangers  cependant.  Les  prédicants  étaient 
prévenus  que,  s'ils  étaient  arrêtés  après  le  temps  fixé 
pour  leur  reddition,  leur  mort  était  certaine  et  le  der- 
nier supplice  les  attendait.  Bernage  avait  fait  publier 
au  son  de  trompe  leurs  noms  et  ceux  de  leurs  collè- 
gues ;  mille  livres  étaient  offertes  à  qui  les  ferait  pren- 
dre. Sur  cette  liste  fatale  étaient  inscrits  Corteiz,  Du- 
rand, Rouvière,  Court,  Bombonnoux,  Gaubert  et  un 
autre  prédicant;  les  autres  n'étaient  point  connus 
ou  ne  paraissaient  pas  encore  dignes  du  gibet  ^.  On 
faisait  cependant  quelque  différence  entre  ces  futurs 
martyrs.  La  tète  de  Corteiz  «le  plus  dangereux  de 
tous  »  valait  deux  mille  livres^.  Celle  de  Court  depuis 
quelque  temps  avait  renchéri.  Autrefois  on  n'en  offrait 

le  grand  Dieu  qui  a  fait  le  ciel  et  la  terre,  lequel  nous  adorons,  ma- 
nifestera notre  innocence,  nous  donnera  des  jours  de  paix  et  de  rafraî- 
chissement. Alors  nous  éclaterons  en  actions  de  grâces,  nous  oublie- 
rons tous  les  maux  que  nous  avons  soufferts,  nous  donnerons  des  vœux 
et  des  supplications  au  ciel  en  faveur  de  tous  nos  bienfaiteurs  du 
nombre  desquels  nous  vous  tenons. 

Je  suis,  Monsieur,  votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

«  Signé  :  Corteiz.  » 

Campredon  communiqua  cette  lettre  à  Bernage,  et  Bernage  à  La 
Vrillière.  Celui-ci  répondit  : 

«...  Son  Altesse  Royale,  qui  est  plus  persuadée  que  jamais  de  la 
nécessité  de  s'assurer  de  cet  homme,  a  très-fort  approuvé  la  promesse 
qui  a  été  faite  de  donner  trois  mille  livres  à  celui  qui  en  procurera 
la  capture.  Ainsi,  vous  pouvez  faire  agir  en  conformité.  Je  mande  la 
même  chose  à  M.  de  Rothe,  qui  m'en  avait  aussi  écrit. 

«  Signé  :  La  Vrillière.  » 

Meudon,  le  12  août  1723.  —  JBullet.,  t.  XIII,  p.  154  et  286. 

1  N°  46,  cah.  V. 

2  N°  17,  vol.  G,  p.  353. 

3  V.  Pièces  et  documents,  n  "  Xll. 


MENACES  CONTRE  LA  SUISSE  245 

que  mille  francs;  la  somme  avait  paru  minime  :  on 
l'avait  portée  à  mille  écus.  M.  d'Yverni  d'ailleurs, 
pour  empêcher  les  erreurs  et  exciter  le  zèle,  avait  pris 
le  soin  de  répandre  son  signalement  et  de  promettre 
lui-même  la  récompense  ^ 

A  la  même  époque  ^,  à  Genève,  se  passait  une  cu- 
rieuse aventure.  Bernage  était  convaincu  que  l'obsti- 
nation des  religionnaires  à  fréquenter  les  assemblées 
était  entretenue  par  les  ministres  étrangers.  Il  en 
écrivit  à  la  cour.  La  cour  chargea  aussitôt  le  Résident 
de  France  de  faire  des  remontrances  aux  MM.  de  Ge- 
nève. «  Il  y  avait  des  preuves  certaines  que  M.  Pictet 
avait  des  correspondances  avec  les  Réformés,  qu'il  leur 
donnait  des  instructions  et  des  conseils,  qu'entre  autres 
choses  il  leur  faisait  entendre  qu'ils  pouvaient  se  choi- 
sir des  pasteurs  pour  prêcher  et  administrer  les  sacre- 
ments dans  leurs  assemblées,  ce  qui  était  contraire  aux 
ordres  du  Roi.  »  Le  Résident  s'acquitta  de  l'ordre,  et  le 
syndic  fît  comparaître  Pictet  devant  lui.  Pictet  répon- 
dit qu'il  n'avait  jamais  écrit  aux  religionnaires,  sinon 
en  réponse  aux  lettres  qu'il  avait  reçues  d'eux,  que, 
bien  loin  de  les  avoir  exhortés  à  faire  des  assemblées, 
il  les  en  avait  dissuadés,  qu'il  avait  écrit  au  temps 
d'Albéroni  une  lettre  bien  vue  par  la  cour  pour  les 
détourner  de  toute  idée  de  révolte,  et  qu'au  reste  on 
avait  pu  lui  attribuer  de  fausses  lettres.  Le  syndic  était 
convaincu.  Mais,  comme  il  fallait  ménager  les  suscep- 
tibilités de  la  France,  il  porta  l'affaire  devant  son  con- 
seil, et  pria  la  compagnie  des  pasteurs  de  lui  envoyer 

1  N'  46,  cah.  V. 

2  Juillet  1723. 


24G  ASSEMBLÉE  GÉNÉRALE  DU  CLERGÉ 

quatre  députés.  Alors,  solennellement,  de  manière  à 
ce  qu'on  n'en  ignorât,  il  les  engagea  à  se  conduire  à 
l'égard  des  protestants  français  avec  toute  la  modéra- 
tion et  la  prudence  possibles  ^ . 

Toutes  ces  mesures ,  la  condamnation  des  Multi- 
pliants, les  menaces  contre  les  prédicants,  les  obser- 
vations du  Résident  de  France  devaient  rassurer  le 
clergé  sur  les  intentions  de  la  cour.  Il  se  rassura  en 
effet.  On  le  vit  bien  lorsque,  le  2  juin,  réuni  à  Paris 
en  assemblée  générale,  et  Louis  XV  ayant  atteint  sa 
majorité,  il  fut  admis  en  présence  du  jeune  Roi.  Il  ne 
dit  pas  une  seule  phrase  sur  les  religionnaires.  Il  n'en 
parla  pas,  n'y  fît  même  pas  allusion  :  son  discours  roula 
en  entier  sur  la  piété  du  feu  Roi,  sur  celle  de  Louis  XV 
et  la  grosse  querelle  théologique  qui  divisait  le  ca- 
tholicisme français  ^. 

Deux  mois  cependant  ne  s'étaient  pas  écoulés  depuis 
la  dernière  harangue,  que  l'on  reçut  à  Paris,  de  l'évê- 
que  d'Alais,  un  long  mémoire  sur  l'état  de  la  religion 
dans  les  Cévennes  ^  Il  était  navrant. 

«  Quelques  soins  que  l'on  ait  pris  depuis  la  révocation  de 
TEdit  de  Nantes  pour  détruire  l'hérésie  et  le  fanatisme  dans  les 
Cévennes,  quelques  efforts  qu'ayent  fait,  au  risque  même  de 
leur  vie,  les  personnes  qui  étaient  chargées  de  l'autorité  du 
Roi  en  Languedoc  pour  y  étouffer  l'esprit  de  rébellion,  et  quel- 
que dépense  que  l'on  ait  été  obligé  de  faire  pour  tâcher  d'y  par- 

1  Archives  de  la  vénérable  Compagnie  de  Genève,  p.  303,  304. 
(Juillet  1723.) 

2  V.  Procès-verbal  de  rassemblée  générale  du  clergé  de  France 
en  1723. 

3  Réflexions  sur  l'état  présent  de  la  religion  dans  les  Cévennes 
(19  août  1723.) 


MÉMOIRE  DE  L'ÉVÊQUE  D'ALAIS  247 

venir,  soit  en  construisant  de  nouveaux  chemins  dans  ces 
montagnes  auparavant  inaccessibles,  soit  en  y  établissant  des 
postes  garnis  de  troupes  et  des  commandans  pour  les  conduire, 
ou  en  y  répandant  des  missionnaires  zélés  et  en  grand  nombre, 
soit  enfin  pour  les  frais  que  la  guerre  des  Camisards  a  occa- 
sionnés, il  semble  que  tout  cela  n'a  servi  jusqu'à  présent  qu'à 
diminuer  ou  suspendre  dans  les  temps  les  progrès  du  mal  sans 
en  attaquer  la  source,  qu'il  prend  de  nouvelles  racines  et  devient 
tous  les  jours  plus  à  craindre.  En  sorte  que  l'on  reconnaît  avec 
douleur  que,  dans  les  trois  premières  années,  ou  pour  garantir 
le  royaume  de  la  peste,  on  a  été  obligé  de  se  relâcher  à  l'égard 
des  nouveaux  convertis  des  mesures  qui  les  tenaient  dans  le 
devoir.  11  s'est  commis  plus  de  désordres,  et  l'hérésie  a  fait  plus 
de  progrès  que  l'on  n'en  avoit  vu  jusque  là  depuis  35  ans. 

«  En  effet,  les  assemblées  qui  étaient  auparavant  très  rares  et 
très  secrètes  sont  devenues  si  fréquentes,  si  publiques  et  si  nom- 
breuses, qu'il  s'en  est  fait  de  plus  de  3,000  personnes,  qu'il  s'y  est 
trouvé  jusqu'à  400  chevaux,  que  l'on  y  administrait  le  baptême 
et  la  Cène,  que  l'on  y  donnait  la  mission  aux  prédicans,  et  que 
le  chant  des  psaumes  se  faisait  entendre  jusque  dans  les  villa- 
ges voisins,  et,  quoiqu'ils  sussent  que  le  port  des  armes  rendait 
leurs  assemblées  encore  plus  criminelles,  il  ne  s'en  est  presque 
presque  point  fait  où  il  ne  se  soit  trouvé  un  nombre  de  gens 
armés  pour  favoriser  la  retraite  en  cas  de  surprise. 

«  Nos  églises  qu'ils  fréquentoient  autrefois,  du  moins  par 
respect  humain,  sont  maintenant  abandonnées  ;  il  y  a  de  gros- 
ses paroisses  où  à  peine  se  trouve- t-il  un  catholique  pour  servir 
les  curés  dans  leur  ministère.  Les  pères  et  mères  cessent  d'en- 
voyer leurs  enfans  à  nos  écoles,  aimant  mieux  les  laisser  vivre 
dans  l'ignorance  absolue  de  la  religion  et  de  tout  devoir  que  de 
les  livrer  quelques  mois  à  nos  instructions.  Ceux  que  nous 
avons  élevés  avec  grand  soin  dans  la  doctrine  de  l'Eghse  tom- 
bent bientôt  dans  l'erreur  et  succombent  aux  caresses  ou  aux 
mauvais  traitemens  de  leurs  parens.  Il  y  a  parmi  eux  des  zélés 
uniquement  occupés  à  détruire  le  bien  que  nous  tachons  d'éta- 
blir. Go  sont  eux  qui  arrangent  les  mariages  pour  éviter  les 
alliances  avec  les  familles  des  anciens  catholiques,  qui  vont 


248  MÉMOIRE  DE  L'ÉVÊQUE  D'ALAIS 

dans  les  maisons  expliquer  l'Ecriture  sainte  dont  ils  font  sou- 
vent des  applications  très  dangereuses  ;  ils  y  font  la  prière  et 
récitent  les  sermons  de  leurs  ministres;  ce  sont  les  mêmes 
gens  qui  s'emparent  de  la  chambre  des  mourants,  et  souvent 
de  ceux  qui  nous  avaient  donné  quelque  espérance  de  retour  et 
qui  nous  en  font  refuser  l'entrée. 

«  Il  commence  même  à  se  trouver  des  familles  qui  se  dis- 
pensent d'envoyer  baptiser  leurs  enfans  à  l'église;  il  y  en  a 
déjà  eu  des  exemples  dans  le  diocèse  d'Alais  ;  et  il  a  paru  dans 
les  papiers  de  Mazelet  que  le  sentiment  de  ne  plus  recevoir  le 
baptême  à  l'église  ni  la  bénédiction  du  mariage  s'accréditait 
parmi  eux  et  devenait  celui  du  plus  grand  nombre  de  leurs  pré- 
dicants.  La  facilité  avec  laquelle  ils  reçoivent  dans  leurs  assem- 
blées et  à  leurs  prières  ceux  qui  vivent  dans  un  concubinage 
public  en  est  une  forte  preuve. 

«  On  s'est  aperçu  depuis  peu  d'années  qu'un  grand  nombre 
de  nouveaux  convertis,  qui  avaient  paru  revenir  sincèrement  et 
avaient  persévéré  très  longtemps  dans  la  foi  catholique,  ont 
tout  d'un  coup  cessé  de  fréquenter  nos  églises  et  se  sont  replon- 
gés dans  l'erreur  et  dans  le  désordre. 

«  Mais  ce  qui  nous  touche  le  plus  vivement  et  qui  peut  avoir 
de  très  fâcheuses  suites,  c'est  la  chute  d'anciens  catholiques 
qui  se  pervertissent.  11  n'y  a  presque  point  de  ville,  ni  de  vil- 
lage, où  on  n'en  voye  de  tristes  exemples,  et  le  nombre  en 
augmente  tous  les  jours. 

«  Quoique  la  levée  des  lignes  ait  ôté  aux  huguenots  les  moyens 
de  faire  impunément  des  assemblées  aussi  nombreuses  que 
celles  qu'ils  ont  faites  dans  le  temps  de  la  peste,  ils  ne  laissent 
pas  d'en  former  tous  les  jours  qui  tiennent  sans  cesse  les  trou- 
pes en  haleine,  le  supplice  des  fanatiques  de  Montpellier  et 
celui  de  Mazelet  n'ayant  fait  sur  eux  qu'une  faible  impression. 

«  Tant  de  désordres,  après  quarante  ans  de  travaux  et  de 
soins  des  plus  habiles  hommes  du  dernier  règne  et  au  milieu 
d'une  paix  solide  et  générale,  font  craindre  avec  justice  de  très 
grands  maux  par  la  suite,  et  font  sentir  la  nécessité  de  prendre 
des  partis  décidés. 

a  Gomme  il  n'est  point  de  notre  ministère  de  les  proposer, 


MÉMOIRE  DE  L'ÉVÊQUE  D'ALAIS  249 

nous  nous  contenterons  d'indiquer  ce  qui  nous  paraît  mériter 
le  plus  d'attention  de  la  part  de  la  cour. 

«  Les  prédicants  sont  sans  doute  le  premier  objet;  mais  comme 
ils  prennent  de  grandes  précautions  pour  n'être  pas  reconnus 
et  qu'il  est  rare  que  ces  gens  là  les  trahissent,  ce  n'est  guères 
que  par  ceux  qui  ont  coutume  de  les  loger  que  l'on  peut  être 
instruit  de  leurs  marches.  C'est  donc  à  ces  receleurs,  à  leurs 
familles,  et  à  tout  ce  qui  les  fréquente  que  l'on  doit  prendre 
garde  de  préférence. 

«  Les  livres  de  Genève  contre  la  religion  cathohque  se  sont 
multipliés  à  l'infini;  il  s'en  débite  une  grande  quantité  dans 
les  foires;  il  y  a  partout  des  gens  qui  font  métier  d'en  répandre 
dans  les  maisons  ;  il  est  important  d'arrêter  ce  débit  et  de  tâcher 
même  de  retirer  ceux  qui  sont  entre  leurs  mains,  quoique  les 
moyens  en  soient  difficiles. 

«  11  est  notoire  qu'ils  ont  travaillé  à  établir  dans  chaque  lieu 
une  sorte  de  ministère  public,  par  la  considération  où  paraissent 
être  parmi  eux  ceux  qui  se  mêlent  d'instruire  dans  les  maisons. 
Ils  sont  plus  à  craindre  que  les  prédicants,  parce  que  ce  sont  eux 
qui  sont  reçus  chez  les  riches  et  qui  entretiennent  les  gens  aisés 
dans  l'éloignement  de  notre  religion.  Ils  sont  l'âme  de  toute  l'in- 
trigue et  ont  des  relations  partout,  même  dans  les  pays  étran- 
gers. Il  y  en  a  d'autres  qui  travaillent  sous  leurs  ordres  et  leur 
obéissent  aveuglément;  rien  n'est  si  dangereux  que  ces  deux 
espèces  de  gens,  étonne  craindra  pas  de  dire  qu'il  paraîtnécessaire 
d'éloigner  ceux  que  l'on  connaît  pour  toujours  de  la  province. 

«  Les  anciens  catholiques  nouvellement  pervertis  sont  d'un 
trop  pernicieux  exemple  pour  n'y  pas  faire  une  attention  parti- 
culière; il  y  en  a  peu  d'aisés  dans  ce  cas,  si  ce  n'est  quelques 
femmes  qui  ont  passé  dans  des  familles  huguenotes,  mais  il  y 
a  beaucoup  de  domestiques,  d'ouvriers  et  de  pauvres  qui  ont  eu 
le  malheur  de  succomber. 

«<  Il  parait  encore  absolument  nécessaire  d'obliger  les  pères  et 
mères,  sous  des  peines  considérables,  d'envoyer  leurs  enfans 
à  nos  écoles  et  à  nos  catéchismes. 

«  Il  est  également  important  d'obliger  tous  les  nouveaux  con- 
vertis d'assister  aux  prières,  et  aux  sermons,  et  aux  instructions 


250  CONDUITE  DE  LA  COUR  DEPUIS  1715 

publiques.  Il  y  a  beaucoup  de  familles,  même  des  plus  appa- 
rentes, qui  depuis  plusieurs  années  n'ont  pas  mis  une  seule 
fois  le  pied  à  l'église  ;  cette  contrainte,  (juil  ne  faut  cependant 
pas  étendre  plus  loin,  serait  salutaire  à  un  grand  nombre;  et 
nous  sommes  presque  sûrs  de  les  ramener,  lorsque  nous  aurons 
gagné  sur  eux  de  nous  entendre  et  de  surmonter  la  crainte  des 
reprocbes  et  des  menaces  de  la  part  de  ceux  de  leur  religion  V  » 

Tous  ces  détails  que  donnait  l'évèque  d'Alais  sur  la 
situation  du  protestantisme  dans  les  Cévennes  étaient 
déjàconnus  de  la cour\  Bâville,Eoquelaure  et  Bernag-e 
l'en  avaient  depuis  long'temps  informée.  Et  si  elle  sa- 
vait quel  était  le  mal,  elle  savait  aussi  quelle  en  était 
l'étendue.  Ce  n'était  pas  dans  les  Cévennes  seulement 
que  les  protestants  s'agitaient,  c'était  dans  le  Langue- 
doc entier,  en  Dauphiné,  en  Guyenne,  en  Saintonge, 
=  dans  le  Poitou,  en   Picardie,  et  jusqu'en  Bretagne. 
Comme  l'évèque  d'Alais,  elle  était  vivement  préoccupée 
parleurs  mouvements;  comme  lui,  elle  chercliait  les 
moyens  de  les  faire  définitivement  cesser.  Depuis  1715, 
elle  y  travaillait  sans  relâche.  Emprisonnements,  amen- 
des, galères,  elle  avait  tout  employé  ;  n'était-ce  point 
hier  qu'elle  avait  fait  mettre  à  mort  à  Montpelher  les 
malheureux  qui  s'étaient  permis  de  braver  ses  dernières 
ordonnances.  Le  protestantisme  cependant  continuait 
dans  l'ombre,  avec  opiniâtreté,  son  œuvre;  et  c'était 


1  Bibliothèque  nationale,  Mss  n"  7046,  p.  40.  (Août  1723.) 
"^  On  y  prêta  cependant  grande  attention.  On  lit  à  la  fin  du  manus- 
crit :  «  Il  a  été  délibéré,  dans  le  conseil  des  affaires  ecclésiastiques 
du  19  août  1723,  que  le  présent  mémoire  serait  envoyé  à  M.  le  pro- 
cureur général  du  parlement  de  Paris  pour  avoir  son  avis. 

«  Signé  :  l'Evêque  de  Nantes. 
«  Eci'it  et  envoyé  au  double  dudit  mémoire,  le  25  août  1723.  » 


ELLE  PRÉPARE  UNE  DÉCLARATION  251 

MU  lendemain  d'une  quadruple  exécution  capitale,  au 
moment  même  où  elle  le  croyait  dans  la  terreur,  qu'un 
évêque  venait  à  elle  et  lui  dénonçait  l'inanité  de  ses 
mesures  et  la  vanité  de  sa  répression!...  Engag-ée 
malgré  tout,  autant  par  honneur  que  par  intérêt,  à  ter- 
miner glorieusement  l'entreprise  qu'avait  commencée 
Louis  XIV,  poussée  par  le  clergé  qui  avait  la  direction 
des  affaires  religieuses,  elle  ne  pouvait  ni  ne  voulait 
revenir  sur  ses  actes  ;  elle  se  proposait  bien  plutôt  d'ap- 
pliquer avec  une  fermeté  et  une  sévérité  croissante  ce 
qu'elle  avait  décidé.  Le  moment  était  décisif. 

«  La  mort  du  feu  Roi,  dit  Joly  de  Fleury,  suivit  de  trop  près 
les  traités  de  paix  de  1713  et  1714,  pour  réprimer  les  excès  des 
religionnaires  du  Languedoc.  Les  liaisons  que  M.  le  Régent 
prit  avec  les  Anglais,  releva  leur  courage.  Ils  publiaient  dans 
tout  le  royaume  que  l'exercice  de  la  R.  P.  R.  allait  être  per- 
mis... On  songea  alors  à  y  remédier  par  une  loi  qui  renferme- 
rait la  disposition  de  plus  de  deux  cents  édits,  déclarations  ou 
arrêts  qui  étaient  presque  ignorés.  M.  le  chancelier  d'Agues- 
seau  y  travailla.  Son  séjour  à  Fresne  suspendit  l'ouvrage  :  on 
en  reparla  à  son  retour. 

«  Pendant  le  ministère  du  cardinal  Dubois,  on  reçut  des  nou- 
velles de  la  Guyenne,  de  la  Saintonge,  du  Languedoc  où  les 
religionnaires  s'asseml)laient  et  méprisaient  les  lois  du  royaume 
surtout  relativement  aux  baptêmes  ou  aux  mariages  ^  » 

La  Régence  avait  en  effet  ordonné,  depuis  1716,  une 
enquête  générale  sur  la  situation  du  protestantisme  et 
s'était  fait  adresser,  sur  les  questions  dont  la  solution  la 
préoccupait,  des  rapports  détaillés  par  les  hommes  les 
plus  compétents  en  cette  matière  '.  On  en  possède  en- 

*  Bibliothèque  nationale.  Mss.  n«  7046,  p.  212. 

2  Nous  insistons  ]\  dessein  et  nous  tenons  à  donner  toutes  les  preu- 


252  ENQUÊTE  GÉNÉRALE 

core  un  résumé  ;  et  ce  résumé,  bien  qu'incomplet,  ne 
laisse  pas  d'offrir  quelque  intérêt  ^ . 

Quatre  sujets  y  sont  traités  :  les  relaps,  le  retour 
des  réfugiés  en  France,  l'éducation  des  enfants,  la  cé- 
lébration des  mariages. 

Des  relaps  et  du  retour  des  réfugiés,  il  est  inutile  de 
parler  ici  :  le  rapporteur  ne  disait  rien  qui  n'eût  été 
déjà  dit.  —  Quant  à  l'éducation  des  enfants  : 

«  11  est  très-bon,  écrivait-il,  de  renouveler  les  dispositions  de 
la  déclaration -du  13  décembre  1698,  mais  il  semble  qu'il  faut 
aller  plus  loin  et  trouver  les  moyens  de  la  faire  exécuter.  Rien 
n'est  si  important  que  l'éducation  de  ces  enfants,  et,  l'on  peut 
dire,  rien  de  plus  négligé.  Ceux  qui  ne  veulent  pas  les  envoyer 
demeurent  dans  l'impunité;  les  curés  n'ont  aucune  attention 
pour  déclarer  aux  juges  ceux  qui  y  manquent  :  ils  ont  sur  cela 
le  même  principe  que  sur  les  relaps,  que  pareille  dénonciation  qui 
doit  produire  une  amende  les  rend  haïssables  et  les  mettent  hors 
d'état  de  pouvoir  convertir  les  pères.  Il  y  a  beaucoup  de  négli- 
gence dans  la  plupart,  et  peu  de  zèle  dans  les  juges  et  les  pro- 
cureurs du  Roi.  11  semble  même  que  cet  article  est  un  peu  trop 
négligé  de  la  part  des  évêques  qui  n'entrent  sur  cela  dans  au- 
cun détail.  Il  arrive  décela  que  tous  les  enfants,  sans  éducation 
pour  aucune  religion,  deviendront  les  plus  méchantes  gens  du 
monde,  et  également  pernicieux  pour  la  religion  et  pour  l'Etat.  » 


ves  que  nous  avons  entre  les  mains.  Il  importe  que  la  responsabilité 
de  la  déclaration  de  1724  remonte  à  qui  de  droit. 

1  Bibliothèque  nationale,  Mss.  n°7046,  p.  44.— En  tête  du  mémoire 
Rulhière  a  écrit  :  «Une  lecture  attentive  de  cette  pièce  prouve  qu'elle 
contient  un  résumé  des  différents  mémoires  composés  pour  rendre  la 
déclaration  de  1724.  (J'en  ai  trouvé  l'original  dans  le  manuscrit  de 
M.  le  chancelier  d'Aguesseau.)  Cependant  le  premier  mémoire  ici  à 
côté,  concernant  les  relaps,  paraît  fait  avant  1715,  puisque  dans  l'é- 
numération  des  lois  sur  ce  sujet,  il  ne  cite  que  les  trois  précédentes 
et  ne  fait  pas  mention  de  celle-là.— Ce  mémoire  m'a  paru  de  la  même 
main  dont  le  sont  presque  tous  ceux  de  M.  de  Bâville.  » 


MORT  DU  DUC  D'ORLÉANS  253 

Et  sur  la  grosse  question  des  mariages,  le  rappor- 
teur, après  avoir  constaté  les  fâcheuses  proportions 
que  le  mal  tendait  à  prendre,  après  avoir  reg-retté  que 
les-  évêques  ne  voulussent  pas  fixer  sur  la  durée  et  la 
forme  des  épreuves  des  mesures  uniformes  : 

«  Gomme  cette  décision,  ajoutait-il,  pourrait  durer  longtemps 
par  la  diversité  d'avis,  et  même  par  la  difficulté  que  plusieurs 
forment  de  se  soumettre  à  la  décision,  chacun  prétendant  devoir 
suivre  en  ce  point  ses  lumières  particulières,  il  serait  bon  de 
leur  en  écrire;  mais  il  ne  faudrait  pas  diffère?'  la  Déclaration 
sur  ce  prétexte,  qui  ne  peut  paraître  trop  tôt.  On  pourrait  ré- 
server la  décision  de  ces  questions  pour  une  autre  Déclaration 
ou  en  faire  la  matière  d'une  instruction,  sans  en  faire  une  loi.  » 

îl  est  ainsi  manifeste  que  la  Régence  s'était  proposé 
et  avait  décidé  de  promulguer  une  nouvelle  Décla- 
ration contre  le  protestantisme,  qu'elle  en  avait  préparé 
les  matériaux,  et  qu'elle  était  prête  vers  la  fin  de 
l'année  1723  à  la  faire  enregistrer  par  le  parlement. 
Mais  Dubois  et  le  duc  d'Orléans  moururent  subite- 
ment l'uii  après  l'autre,  dans  l'intervalle  de  quelques 
mois  ;  tout  fut  renvoyé. 

«  Après  la  mort  de  Louis  XIV,  dit  l'auteur  anonyme  d'un 
mémoire  important  S  les  religionnaires  répandirent  le  bruit 
qu'on  devait  leur  permettre  l'exercice  public  de  leur  religion. 
S.  A.  R.  Mgr  le  duc  d'Orléans  ,  pour  faire  cesser  la  vaine 
espérance  dont  se  flattaient  les  religionnaires  et  faire  exécu- 
ter les  Déclarations  du  feu  Roi  concernant  la  révocation  de 
l'Edit  de  Nantes,  fit  travailler  par  des  personnes  habiles  et 

1  Bibliothèque  nationale,  Mss.  n"  7046,  p.  43.  —  On  lit  en  tête  du 
mémoire  :  «  .  .  .  Extrait  d'un  mémoire  intitulé  :  Mémoire  histori- 
que des  Edits  et  Déclarations^  etc..  Ce  mémoire  est  bien  fait,  mais 
on  en  ignore  l'auteur...  » 


254        LE  DUC  DE  BOURBON  ET  FLEURY 

éclairées  un  projet  d'une  nouvelle  Déclaration.  Ce  prince  mou 
rut  avant  que  d'avoir  pu  exécuter  ce  qu'il  avait  projeté  sur  cette 
importante  aftaire...  « 

La  mort  du  duc  d'Orléans  ne  devait  pas  arrêter  le 
clergé  dans  la  poursuite  et  l'application  de  ses  des- 
seins. Au  mois  de  janvier,  le  gouverneur  d'une  petite 
place  des  Cévennes,  rencontrant  par  hasard  un  reli- 
gionnaire,  lui  dit  «  que  les  affaires  allaient  clianger 
de  face,  et  qu'on  ne  devait  plus  s'attendre  à  autant 
de  douceur  qu'on  en  avait  goûtée  sous  la  Rég*ence  ^» 
Antoine  Court  connut  le  propos  et  ne  s'en  émut  pas. 
C'était,  pensa-t-il,  pour  intimider  les  protestants.  Ce 
gouverneur  cependant  ne  faisait  pas  de  vaines  me- 
naces. S'il  n'avait  pas  encore  reçu  des  ordres  de  la 
cour,  il  connaissait  les  événements  qui  s'y  étaient  suc- 
cédé, et  prévoyait  bien  quelles  en  seraient  les  con- 
séquences pour  les  religionnaires. 

Le  duc  de  Bourbon,  «  cette  g-lorieuse  nullité,  »  avait 
été  nommé  premier  ministre,  et  l'évêque  de  Fréjus, 
Fleury,  qui  l'avait  fait  nommer,  lui  laissant  les  appa- 
rences du  pouvoir,  s'était  emparé  sous  son  nom  de  la 
complète  direction  des  affaires.  Fleury  avait  fait  ses 
études  cliez  les  Jésuites  ;  et  les  Jésuites  avaient  fait 
de  lui  un  personnage.  Malgré  Louis  XIV,  ils  l'avaient 
fait  précepteur  du  futur  roi.  Ils  n'avaient  attaché  à 
cette  subite  élévation  qu'une  condition  :  c'était  de  re- 
cevoir pour  confesseur  Pollet.  Ce  confesseur  «  était  un 
cuistre,  un  mouchard,  et  un  saint,  fort  sincère,  zélé 
jusqu'au    crime.    Quand  on    viola  Port-Royal ,  qu'on 

1  N"?,  t,  I,  |v  439.  (1724.) 


i 


REPRISE  DU  PROJET  DE  DECLARATION  255 

brisa  les  cercueils,  la  police  frémit  elle-même,  mais 
n'osa  reculer,  se  voyant  reg'ardée  par  une  autre  police, 
ce  sauvag-e  et  cruel  Pollet^))  Les  Jésuites  gouver- 
naient Pollet,  PoUet  Fleury,  et  Fleur}^  le  duc  de  Bour- 
bon. Louis  XV  n'était  qu'un  enfant.  Comme  sous  le 
feu  Roi,  la  France  était  tombée  entre  les  mains  du 
clerg'é^. 

«  On  suivit  le  plan,  dit  l'auteur  anonyme  de  l'important  mé- 
moire déjà  cité,  sur  lequel  (le  duc  d'Orléans)  avait  fait  travailler. 
Le  projet  de  déclaration  contenait  ce  qui  regardait  l'exercice 
de  la  religion  et  l'administration  des  biens  des  religionnaires. 
Ce  projet  fut  communiqué  à  M.  de  Bdville,  conseiller  d'Etat. 
M.  de  Tressan,  archevêque  de  Rouen,  eut  ordre  de  le  lui  porter  et 
d'en  conférer  avec  lui.  Les  lumières  de  ce  magistrat  et  sa  grande 
capacité,  la  part  qu'il  avait  eue  à  tout  ce  qui  s'était  passé  depuis 
la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes,  le  mettaient  en  état  de  pren- 
dre une  décision  juste  par  rapport  à  ce  qui  pouvait  regarder 
ceux  de  la  R.  P.  R.  Il  fut  d'avis  d'ôter  de  la  Déclaration  tout  ce 
qui  pouvait  avoir  rapport  à  l'administration  des  biens  des  reli- 
gionnaires réfugiés.  C'est  donc  par  sa  main  et  quasi  sous  ses 
yeuxqu'aété  rédigée  et  dressée  la  Déclaration  de  1724,  laquelle 
n'a  fait  que  rappeler  les  articles  des  précédents  édits  et  a  dimi- 
nué même,  dans  l'article  des  relaps,  la  sévérité  des  peines  pro- 
noncées contre  eux^.  » 

-  Histoire  de  France  :  Loiila  X  T',  par  M.  Michelet,  p.  5  et  G. 

^  Deux  ans  plus  tard,  en  1726,  un  abbé  Robert,  de  Nîmes,  dont  il 
sera  question  plus  loin,  écrivant  directement  à  Fleury,  lui  disait  : 

«...  Il  semble  qu'il  est  temps  de  désabuser  les  N.  C.  de  pouvoir 
perpétuer  le  calvinisme  en  France,  que  Je  feu  Roi  avait  interdit  par 
la  révocation  de  PEdit  de  Nantes,  et  dont  le  Roi  régnant  a  maintenu 
les  déclarations  par  celle  qu'il  a  fait  publier  au  commencement  de 
son  règne...  Le  cœur  du  Roi  est  entre  iws  mains^  comme  dans  les 
mains  de  Dieu,  et  Ton  ne  saurait  douter  qu'il  ne  se  porte  à  tout  le 
bien  que  vous  voudrez  lui  in5j»irer...  »  Bibliothèque  nationale,.  Mss. 
n"  7046,  p.  54. 

8  Bibliothèque  nationale,  Mss.  n"  7046,  p.  43. 


256  DÉCLARATION  DE  1724 

Joly  de  Fleury  confirme  ces  lignes  dans  son  fa- 
meux mémoire  de  1752  :  «  On  reprit  le  système  d'une 
nouvelle  loi  après  la  mort  de  M.  le  duc  d'Orléans.  Le 
projet  fut  consommé  par' la  déclaration  de   1724  \  » 

Donc,  au  mois  de  mai  1724,  tandis  que  les  reli- 
gionnaires  du  Languedoc  et  des  autres  provinces  du 
royaume ,  tout  entiers  aux  rêves  d'une  restaura- 
tion prochaine,  aimaient  à  se  persuader  et  à  dire 
qu'une  ère  de  paix  allait  s'ouvrir  et  que  le  nouveau 
Roi  se  disposait,  comme  don  de  joyeux  avènement,  à 
promulguer  un  édit  de  tolérance,  —  tout  à  coup, 
dans  toutes  les  villes,  bourgs  et  villages,  on  entendit 
et  l'on  vit  crier  et  afficher  une  Déclaration,  en  date  du 
14,  qui  commençait  par  ces  mots  : 

«  De  tous  les  grands  desseins  que  le  feu  Roi,  notre  très  ho- 
noré seigneur  et  bisaïeul  a  formés  dans  le  cours  de  son  règne, 
il  n'y  en  a  point  que  nous  ayons  plus  à  cœur  de  suivre  et  d'exé- 
cuter que  celui  qu'il  avait  conçu  d'éteindre  entièrement  l'hérésie 
dans  son  royaume,  à  quoi  il  a  donné  une  application  infatiga- 
ble jusqu'au  dernier  moment  de  sa  vie.  Dans  la  vue  de  soutenir 
un  ouvrage  si  digne  de  son  zèle  et  de  sa  piété,  aussitôt  que 
nous  sommes  parvenu  à  la  majorité,  notre  premier  soin  a  été 
de  nous  faire  représenter  les  édits,  déclarations  et  arrêts  du 
conseil  qui  ont  été  rendus  sur  ce  sujet,  pour  en  renouveler  les 
dispositions  et  enjoindre  à  tous  nos  officiers  de  les  faire  obser- 
ver avec  la  dernière  exactitude  ^. . .  « 

Défense   était  faite,   sous  peine  de  galères  perpé- 

1  Bibliothèque  nationale,  Mss.  n°  7046,  p.  212.  Dans  le  même  mé- 
moire (p.  227)  Joly  de  Fleury  précise  :«  Quand  on  commença,  en  1716, 
de  formerun  projet  pour  renfermer  les  dispositions  des  précédents  édits 
dans  une  même  loi,  on  fit  un  mémoire  de  questions  qui  furent  com- 
muniquées à  M.  de  Bâville  sur  le  sujet  des  mariages.  » 

*  V.  Pièces  et  documents,  n°  XIIL. 


DÉCLARATION  DE  1724  257 

tuelles  contre  les  hommes,  de  prison  contre  les  femmes, 
et  (le  confiscation  des  biens,  de  faire  profession  d'aucune 
autre  religion  que  de  la  religion  catholique.  —  Ordre 
était  donné  de  livrer  et  de  mettre  à  mort  les  prédi- 
cants. — Ordre,  sous  peine  d'amende  ou  de  plus  grandes 
])eines,  de  faire  baptiser  dans  les  vingt-quatre  heures 
les  enfants  par  les  curés.  —  Défense  d'envoyer  les  en- 
fants hors  du  royaume,  sous  peine  de  six  mille  livres 
d'amende  par  an.  — Ordre  d'établir  des  maîtres  et  des 
maîtresses  d'école   dans  toutes  les  paroisses  qui  en 
étaient  privées,  de  conduire  les  écoliers  à  la  messe,  et 
de  leur  enseigner  les  principaux  mystères  de  la  reli- 
gion catholique.  —  Ordre  d'envoyer  les  enfants  aux 
écoles  et  aux  catéchismes  jusqu'à  l'âge  de  quatorze 
ans,  sous  peine  d'amende.  — Ordre  aux  médecins,  apo- 
thicaires et  chirurgiens  de  prévenir  les  curés,  lorsque 
leurs  malades  seraient  en  danger  de  mort,  et  aux  pa- 
rents d'introduire  les  curés —  seuls —  auprès  des  ma- 
lades. —  Ordre  de  faire  le  procès  à  la  mémoire  de  ceux 
({ui,  pendant  leur  maladie,    auraient  déclaré   vouloir 
mourir  dans  la  religion  prétendue  réformée,  et,  s'ils  ve- 
naient à  recouvrer  la  santé,  de  les  bannir  à  perpétuité, 
en  confîscant  leurs  biens. — Défense  aux  religionnaires^ 
sous  peine  de  galères  ou  de  prison,  d'exhorter  leurs 
frères  malades  et  en  danger  de  mort.  —  Interdiction 
des  charges  publiques  aux  hérétiques.  —  Ordre  d'ob- 
server dans  les  mariages  les  solennités  prescrites  par 
les   saints  canons.  —  Défense  de  se  marier  en  pays 
étrangers,  et  peine  des  galères  contre  les  parents,  tu- 
teurs ou   curateurs  (|ui  permettraient  à  leurs  enfants 
d'enfreindre  la  défense.  —  Ordre  enfin  d'employer  les 
I  17 


258  QUEL  EST  L'AUTEUR  DE  LA  DECLARATION  ? 

amendes  et  les  biens  confisqués  à  l'entretien  des  nou- 
veaux convertis  nécessiteux  ^ 

Tel  était  le  contenu  de  cette  fameuse  Déclaration  '. 

Qui  en  avait  été  l'instigateur,  et  qui  l'avait  rédigée? 
Etait-ce  le  duc  d'Orléans,  Bâville,  Lavergne  de  Tres- 
san;  était-ce  encore  Fleury,  le  duc  de  Bourbon  ou 
Pollet?  Le  clergé,  comme  on  l'affirme,  n'y  avait-il  eu 
nulle  part,  non  plus  que  les  intendants  ^  ?  Etait-elle 
une  manœuvre  de  parti,  ou  réellement  une  machine 
de  guerre  contre  le  protestantisme?...  L'exposé  des 
faits,  qui  précédèrent  la  Déclaration,  ne  peut  laisser 
subsister  aucun  doute. 

Malesherbes,  cependant,  est  assez  tenté  d'affirmer 
qu'elle  avait  été  conçue  exclusivement  dans  un  but 
politique,  et  que  le  principal  auteur  en  était  un  pro- 
cureur général  du  parlement  de  Paris,  le  célèbre  Joly 
de  Fleury  \  D'après  lui,  la  question  des  mariages  en 
eut  été  l'occasion  et  la  principale  cause  ^* 

*  Recueil  des  Edits^  Déclarations,  etc.  (14  mai  1724.) 

2  «  Le  dernier  état  de  la  législation  et  des  règlements  sur  laR.  P.  H. 
et  sur  les  religionnaires,  devait  dire  Gilbert  des  Voisins,  se  trouve 
dans  la  déclaration  du  14  mai,  qui  en  a  été  comme  la  consommation.  » 
(Bibliothèque  nationale,  Mss.  n°  7047,  p.  393.)  L'abbé  de  Caveirac  de- 
vait rappeler«]e  chef-d'œuvre  de  la  politique  chrétienne  et  humaine,  i^ 
Apologie  de  Louis  XIV  et  de  son  conseil  sur  la  ^'évocation  de  l'E^ 
dit  de  Nantes,  p.  448.  (1758.) 

*  Eclaircissements  historiques  sur  les  causes  de  la  révocation 
de  VEdit  de  Nantes  et  sur  Vctat  des  protestants  de  France,  par 
Rulhière,  p.  154.  (1788.) 

*  Joly  de  Fleury  était  né  en  1675;  il  mourut  en  1756.  Il  avait  été 
nommé  procureur  général  du  parlement  de  Paris  en  1717,  en  rem- 
placement de  d'Aguesseau. 

^  De  fait,  un  auteur  anonyme  remarque  que  la  déclaration  de  1724  fu! 
lapremière  qui  attaqua  les  religionnaires  dans  leur  état  civil,  et  qui, 
outre  les  prohibitions  et  les  peines,  s'expliqua  bien  clairement  sur  l'illé- 
gitimité de  leurs  unions.—  Bibliothèque  nationale,  Mss.  n"  7047,  p.  638. 


EXPLICATIONS  DE  MALESHERBES  ^59 

«  Rappelons-nous  l'époque  de  1724,  où  le  ministère,  d'après 
l'impulsion  dos  règnes  do  Louis  XIII  et  de  Louis  XIV  voulait 
faire  montre,  en  apparence,  de  protéger  la  religion,  mais  où  le 
ministre,  M.  le  Duc,  n'était  rien  moins  que  dévot,  et  où  on 
prévoyait  le  règne  d'un  jeune  Roi  qui  vraisemblablement,  ainsi 
que  les  autres,  serait  pendant  longtemps  plus  conduit  par  des 
maîtresses  que  par  des  confesseurs... 

«  La  déclaration  de  I72'i  étant  rendue,  enregistrée  sans  ré- 
clamation, ainsi  devenue  loi  de  l'Etat,  et  les  protestants  se  sou- 
mettant à  se  marier  dans  l'Eglise,  pourvu  que  l'Eglise  voulût 
Itien  les  y  admettre  sans  les  tourmenter,  il  est  certain  que  le 
malheur  de  la  bâtardise  ne  pouvait  arriver  que  parce  qu'il  y 
aurait  quelques  évoques  qui  les  tourmenteraient,  ou  par  le  refus 
définitif  de  marier  ceux  qui  seraient  notamment  reconnus  polir 
protestants,  ou  par  la  tyrannie  des  longues  épreuves. 

((  L'auteur  de  la  déclaration  de  1724  n'ignorait  pas  qu'il  y  avait 
(juelques  évoques,  soit  ceux  de  l'ancien  système  du  cardinal  de 
Noailles,  soit  ceux  qui  par  une  politique  abominable  voulaient 
fonder  leur  despotisme  sur  le  refus  du  mariage,  qui  dès  lors  se 
disposaient  à  se  l'endre  les  maîtres  d'accorder  ou  de  refuser 
C(Hto  faveur. 

«  L'auteur  de  la  déclaration  le  savait  et  en  était  enchanté. 

«  Il  se  préparait  à  prouver  que  les  évêques  étaient  l'unique 
cause  des  troubles,  qu'ils  étaient  réfractaires  à  une  déclaration 
rendue  par  le  Roi,  approuvée  par  le  clergé  entier,  enregistrée 
dans  tous  les  parlements,  et  à  proposer,  pour  forcer  les  évêques 
TiUiatiques,  factieux  et  rebelles,  tout  ce  que  vous  voyez  proposé 
|)ar  M.  J(oly)  de  F(leury),  dans  son  mémoire  de  1752.  Voilà  le 
vrai  secret  de  la  politique  de  l'auteur  de  la  déclaration  de  1724, 
qui  était  un  homme  très-conséquent,  quoique  sa  déclaration  fût 
inconséquente. 

u  Malheureusement,  il  n'avait  pas  prévu  que,  deux  ans  après, 
d  y  aurait  un  premitn'  ministre  cardinal,  pendant  seize  ou  dix- 
sept  ans,  ([ui  ne  consentirait  jamais  que  la  justice  temporelle  fit 
la  loi  au  clergé  sur  l'administration  des  sacrements,  et  que,  de- 


260  EXI'LICATIUNS  DE  MALESHERBES 

puis  ce  j)remier  ministre,  le  Roi  serait  toujours  fidèle  à  ses  pro- 
messes sur  cet  objets..  » 

Ces  lignes  étaient  adressées  à  Rulliière,  et  le  sens 
eu  est  bien  clair  ^  Maleslierbes  croit  que  la  Déclara- 

^  Bibliothèque  nationale,  Mss.  u"  7047,  p.  650.  Développement  du 
système  politique  de  l'auteur  de  la  déclaration  de  1724. 

2  A  ce  mémoire  était  jointe  une  lettre  contidentielle  ti'ès-cui'ieuse 
de  Maleslierbes  à  Rulhière,  oii  il  insistait  de  nouveau,  revenait  à 
la  charge.  La  voici  : 

«  Lettre  de  M.  de  Maleslierbes,  servant  d'envoi  au  mémoire  ci-joint 
sur  la  déclaration  de  1724,  qu'il  a  composé  à  la  suite  d'une  discus- 
sion que  j'eus  avec  lui  sur  cette  déclaration.  J'ai  dit  mon  avis  sur  ce 
sujet  dans  mes  Eclaircissements  historiques.  »  (Note  de  Rulhière.) 

«  Je  suis  parfaitement  de  votre  avis,  Monsieur,  sur  ce  que  la  per- 
sécution proprement  dite,  c'est-à-dire  les  procédures  criminelles,  n'é- 
taient pas  du  goût  du  cardinal  de  Fleury.  Mais  votre  observation, 
que  je  trouve  très-juste,  me  prouve  encore  plus  que  la  déclaration 
de  1724  n'a  pas  été  rendue  dans  l'intention  de  rendre  ces  procédures 
communes.  Le  cardinal  de  FJeury  était  au  conseil  en  1724.  M.  le  Duc 
ne  travaillait  avec  le  Roi  qu'en  sa  présence,  nous  l'avons  vu  dans  les 
mémoires  de  Villars. 

«  Avec  sa  modestie  politique,  il  évitait  de  paraître  influer  sur  les 
grandes  affaires  d'Etat;  mais  sur  celles  de  la  religion,  auxquelles  il 
croyait  devoir  être  attaché  en  sa  qualité  d'évêque,  on  se  concertait 
sûrement  avec  lui. 

«  Je  crois  qu  à  i)résent  que  vous  avez  vu  le  mémoire  de  M.  Joly  de 
Fleury,  vous  ne  doutez  pas  que  ce  ne  soit  fort  de  son  gré  que  cette 
déclaration  fut  rendue. 

«  Les  dispositions  menaçantes  de  la  déclaration  furent  regardées 
comme  ce  que  nous  nommons  lois  comminatoires.  M.  de  Fleury  et  en 
général  tous  les  procureurs  généraux  et  tous  les  magistrats  intrigants 
sont  grands  partisans  des  lois  comminatoires.  Il  n'y  a  que  celles-là 
qui  leur  donnent  de  la  puissance,  parce  qu'ils  sont  maîtres  de  Jes  faire 
exécuter  ou  non.  Il  n'y  a  aucun  plaisir  pour  eux  d'être  juges,  quand 
ils  sont  obligés  de  rendre  une  loi  stricte,  au  lieu  qu'il  y  a  à  négocier 
tous  les  jours  avec  eux  pour  l'exécution  d'une  loi  comminatoire.  C'est 
ce  qui  fait  d'un  procureur  général  du  parlement  de  Paris  une  puis- 
sance aussi  redoutable  que  celle  d'un  ministre.  Il  y  a  longtemps  que 
je  le  sais,  et  j'ai  eu  sur  les  lois  comminatoires  plus  d'une  dispute 
surtout  avec  M.  Pasquier  qui,  de  tous  les  magistrats  despotes,  était 
celui  qui  se  déboutonnait  le  plus. 

«  Je  voudrais  que  tous  les  ministres  qui  ont  à  se  mêler  de  législation 


EXPLICATIONS  DE  MALESIIERBES  261 

tion  couvrait  c(  une  embûche,  »  et  «  qu'elle  n'était  qu'une 
espèce  d'arsenal  pour  foudroyer  quelque  jour  tout  le 
corps  du  clerg'é.  »  Le  but  réel,  immédiat,  de  la  Décla- 
ration n'était  pas,  d'après  lui,  la  conversion  plus  ou 
moins  sincère  des  religionnaires  ;  elle  cachait  sous  ses 
inconséquences  apparentes  le  projet  de  soumettre  un 
jour  le  clergé  aux  parlements,  et  de  l'y  soumettre  dans 

fassent  l)ien  pénétrés  de  cette  vérité  qui  doit  les  mettre  en  garde  contre 
toute  la  classe  des  magistrats  qui  conspirent  (?)  eavec  le  gouvernement, 

«  M.  Joly  deFleury  remplit  ou  crut  remjjlir  plusieursvues  à  lafois  jiar 
la  déclaration  de  1724  : 1"  cellede  tenir  tous  les  protestants  du  ressort  du 
parlement  de  Paris  sous  la  main  du  procureur  général,  par  la  crainte 
des  dispositions  comminatoires,  qu'on  lérnit  seulement  exécuter 
(comme  on  l'a  fait)  une  jurisprudence  tous  les  dix  ans,  pour  qu'on  les 
craignît  toujours;  2"  son  système,  qui  était  celui  de  tous  les  dévots 
ou  de  ceux  qui  se  donnaient  i)0ur  tels  depuis  1685,  qui  était  de  laisser 
oublier  le  nom  de  protestants  en  ne  laissant  aucune  différence  avec 
eux  et  les  catholiques  dans  les  actes  extérieurs;  3"  l'espérance  secrète 
que,  si  quelqu'un  des  évêques,  qui  consentiraient  à  adopter  le  nouveau 
système,  imaginaient  de  refuser  le  sacrement  de  mariage,  ce  serait 
une  heureuse  occasion  de  les  y  contraindre  par  la  puissance  séculière. 

«  Je  crois  qu'il  ne  fit  pas  confidence  de  cette  troisième  vue  au  car- 
dinal de  Fieury,  le  champion  du  clergé;  mais  vous  la  voyez  claire- 
ment dans  son  mémoire  de  1752,  et  vous  voyez  toutes  ses  recherches 
faites  d'avance,  car  il  n'eut  pas  sûrement  le  temps  de  les  faire, 
quand  on  lui  demanda  son  mémoire.  Vous  y  voyez  que,  comme  le  roi 
de  Prusse  et  l'empereur,  il  tenait  (?)  ses  forces  sur  pied  pour  les  faire 
marcher  dans  le  moment  de  la  guerre,  et  en  effet,  cette  artillerie 
qui  ne  servit  pns  eu  1752,  pour  l'affaire  des  protestants,  est  celle  qu'on 
employa,  deux  ans  après,  dans  l'affaire  des  jansénistes. 

«  Je  n'écrirai  pas  cela  en  termes  tout  aussi  clairs  dans  le  mémoire, 
mais,  entre  vous  et  moi,  c'est  là  tout  le  secret  de  la  déclaration  de 
1724. 

«  (Nota.)  Dans  le  passage  que  vous  avez  remarqué,  il  ne  parle  pas 
de  révoquer  la  loi  contre  les  relaps,  mais  d'employer  la  prudence  à 
ne  la  pas  faire  exécuter. 

«  Il  .s'oppose  aux  actes  de  violence,  c'est-à-dire  à  ceux  dont 

Je  crois  qu'ils  lui  répugnaient,  et  il  n'est  pas  possible  qu'ils  ne  répu- 
gnent à  tout  homme  élevé  dans  la  loi La  grande  persécution 

n'est  pns  favorable  :i  la  puissance  de  la  magistrature,  elle  entraîne  la 


2(52  RÉFUTATION  DE  RULHIÈRE 

le  point  le  plus  sensible  :  T administration  des  sacre- 
ments, espérant  bien,  par  nne  extension  du  même  prin- 
cipe, forcer  les  deux  partis  qui  divisaient  l'Eglise  de 
France,  l'un  à  marier  les  protestants,  sans  épreuves,  et 
l'autre  à  donner  la  commnnion  aux  jansénistes,  sans 

examen. 

L'explication  est  curieuse,  mais  il  est  impossible 
de  l'accepter.  Rulhière,  qui  eut  bien  des  documents 
entre  les  mains,  la  repousse  énergiquement. 

ce  Lavergnecle  Tressan,  dit-il,  issu  cV aïeux  calvinistes  etaumù- 
nier  du  Régent,  était  devenu,  par  la  faveur  de  ce  prince,  évêque 
de  Nantes  et  secrétaire  du  conseil  de  conscience...  Dès  qu'il  se 
vit  membre  d'un  conseil,  la  vanité  de  faire,  l'ambition  de  parve- 
nir et  l'exemple  de  Bissy  qiii  avait  conquis  la  pourpre  par  la 
ouerre  du  jansénisme,  le  décidèrent  à  tenter  la  fortune  dans 
k  persécution  des  protestants;  et  il  s'y  porta  sans  ordre,  sans 
piété,  sans  passion,  avec  le  calme  d'un  entrepreneur  qm  re- 
prend les  travaux  d'une  mine  délaissée. 

u  Mais  il  lui  fut  plus  facile  de  compiler  quelques  lois  anciennes 
que  de  les  faire  consacrer  de  nouveau  par  l'autorité.  Dubois  re- 
poussa son  plan  avec  le  brusque  mépris  dont  il  payait  tous  les 
novateurs.  Après  la  mort  de  ce  ministre,  Tressan  sollicita  sans 

révolte,  et,  quand  il  y  a  révolte  (?),  les  exécutions  militaires  et  com- 
missions du  conseil  pour  juger  prévôtalement  les  coupables  ;  mais  c  est 
ia  petite  persécution,  celle  de  menacer  les  parents  d'un  protestant  qui 
est  mort  en  déclarant  qu'il  persiste,  de  faire  poursuivre  sa  mémoire 
et  de  confisquer  ses  biens  pour  se  laisser  ensuite  fléchir  aux  prières 
de  la  famille  et  ne  pas  poursuivre,  celle  de  forcer  ceux  qui  ont  fait  un 
mariage  caché  k  venir  le  réhabiliter  dans  l'église,  h  quoi  il  n'est  pas 
impossible  de  les  amener,  quand  on  est  sûr  que  l'Eglise  les  recevra,  et 
aujourd'hui  celle  de  pouvoir  demander  aux  enfants  de  produire  l'acte 
de  célébration  de  mariage  de  leur  père,  en  se  réservant  de  n'user  de 
ce  droit  que  quand  on  le  voudra,- c'est,  dis-je,  cette  petite  persécution 
qui  ne  produit  pas  tout  à  fait  la  révolte  et  amuse  le  magistrat. 

«  Je  vous  prie  de  jeter  cette  lettre  au  feu.  » 

l3il)liothèquo  nationale,  Mss.  u"  7047,  p.  04."). 


RÉFUTATION  DE  EULHIÈRE]  ^63 

fruit  lo  duc  d'Orléans.  La  paresse  et  la  bonté  de  ce  prince  répu- 
gnèrent également  au  rôle  de  persécuteur  que  lui  proposait  son 
aumônier,  c'est-à-dire  l'homme  qu'il  avait  coutume  de  regarder 
comme  le  plus  inutile  de  ses  serviteurs. 

u  Mais  quand  sous  le  gouvernement  de  M.  lo  Duc,  la  puis- 
sance législative  fut  mise  au  pillage,  l'obstiné  prélat  fit  adopter 
ce  rebut  de  la  Régence,  sans  mémoire,  sans  examen,  comme 
un  hommage  au  feu  Roi  et  une  simple  formule  d'exécution.  La 
foudre  étant  ainsi  allumée,  il  engagea  M.  de  Bdville  à  en  diri- 
ger les  coups.  Le  vieillard  expirait;  mais  sa  force  sembla  re- 
naître pour  une  tiiche  si  conforme  aux  passions  de  sa  vie.  L'in- 
struction secrète  qu'il  dressa  pour  les  intendants  est  un  chef- 
d'œuvre  de  ruse  et  d'oppression.  Sa  mort  surprit  M.  de  Bâville 
achevant  cet  ouvrage. 

«  L'étonnement  que  causa  la  déclaration  de  1724,  est  attesté 
par  tous  les  contemporains.  Le  clergé,  les  intendants,  les 
tril)unaux  ne  l'avaient  ni  demandée  ni  prévue  ^  » 

Ces  derniers  mots  exceptés,  Rulliière  dit  vrai. 

Ne  fait-il  pas  cependant  peser  sur  Tressan  une 
trop  lourde  responsabilité?  Tressan  est-il  le  seul,  l'u- 
nique auteur  de  la  Déclaration? — -Vraiment  Rulliière 
laisse  échapper  avec  trop  de  facilité  la  foule  de  ceux 
qui  doivent  assumer  leur  part  de  cet  acte,  si  petite 
qu'elle  soit. 

Il  faut  revenir  à  la  vérité.  L'évêque  de  Nantes,  — 
aidé  d'ailleurs  de  Bâville,  —  fut  le  rédacteur  de  la  Dé- 
claration, sans  doute;  mais  celui  qui  en  fut  l'instig'a- 
teur,  ce  fut  le  clergé  tout  entier.  On  ne  peut  en 
douter,  lorsqu'on  a  suivi  ses  démarches  depuis  1715, 
année  par  année,  presque  jour  par  jour.  Abbés,  curés, 
évèques,  ils  ne  cessaient  tous  d'écrire  à  la  cour,  aux 

•  \'    l'Jc/itirciase/tieiits  Jiistoriques,  etc.,  p.  15*^. 


26A  CONCLUSION 

intendants,  se  plaignant  d'être  abandonnés,  réclamant 
une  prompte  répression.  N'était-ce  pas  encore  en  1723 
que  l'évêque  d'Alais  exposait  d'une  si  lamentable  fa- 
çon la  situation  du  protestantisme  dans  les  Cévennes  '  ? 
— Les  intendants  de  leur  côté,fatig-uésde  lutter  contre 
des  adversaires  que  rien  ne  pouvait  réduire,  s'adres- 
saient à  la  cour,  demandaient  des  ordres,  de  nouvelles 
instructions.  Pour  satisfaire  les  uns  et  les  autres,  la 
cour  avait,  en  1716  déjà,  fait  connaître  ses  intentions. 
Mais  depuis  lors,  se  perdant  dans  le  dédale  des  édits 
et  des  ordonnances,  excédée,  lassée,  elle  essayait, 
comme  le  dit  Joly  de  Fleury,  de  les  coordonner  et  de 
les  fondre  en  une  seule  loi.  — C'est  ainsi  qu'après  Luit 
années  d'études,  de  reclierches  et  de  remaniements,  fut 
faite  et  fut  promulguée  la  Déclaration  de  1724.  Sans 
doute  Tressan  y  eut  une  large  part.  Il  visait  au  cha- 
peau de  cardinal,  et,  comme  le  cardinal  de  Bissy,  il 
espérait  l'obtenir  par  son  zèle  et  par  son  concours.  11 
ne  fut  toutefois  qu'un  instrument.  C'est  au  clerg-é 
tout  entier  que  doit  remonter  la  responsabilité  de  cette 
loi,  dignie  couronnement  de  toutes  celles  qui  avaient 
été  dirigées  depuis  Louis  XIV  contre  le  protestantisme. 

Cependant  les  religionnaires  entendaient  dire  que  de 
nouvelles  mesures  venaient  d'être  prises  contre  eux  ; 
et  ils  se  refusaient  à  y  croire. 

Mais  lorsqu'ils  apprirent  que  les  parlements  avaient 
enregistré  la  Déclaration,  et  qu'elle  avait  été  lue  dans 
une  assemblée  du   Présidial  à  Nîmes,  ils  tombèrent 

>  V.  plus  haut,  p.  240. 


STUPEUR  DES  RELIGIONN AIRES  265 

dans  la  stupeur  ^  Ensuite,  mesurant  par  la  réflexion 
l'abîme  du  mal,  ils  s'abandonnèrent  à  des  pensées 
de  révolte.  Puisque  la  résignation,  le  dévouement  au 
Roi,  les  protestations  de  fidélité,  n'avaient  servi  qu'à 
appeler  sur  eux  de  nouvelles  rigueurs,  il  ne  leur  restait 
plus  qu'à  tenter  encore  une  fois  les  chances  d'un  sou- 
lèvement général. 

Antoine  Court  était  atterré. 

Tous  les  malheurs  fondaient  à  la  fois  sur  lui.  Pictet, 
son  maître  et  son  ami,  venait  de  mourir.  Au  mois  d'avril 
1722,  il  l'avait  quitté  à  Genève  souffrant^,  mais  la  ma- 
ladie, —  agg*ravée  peut-être  parles  ennuis,  —  avait  em- 
piré et  l'avait  bientôt  enlevé  à  sa  famille  et  au  protestan- 
tisme. «Vous  me  parlez  de  la  chose  la  plus  accablante 
qui  eut  pu  m'arriver,  de  la  mort  de  l'illustre  Pictet,  de 
cet  homme  incomparable,  de  cet  homme  si  tendre  et 
si  bon  qu'il  eut  pour  moi  tant  de  bonté  que  de  me 
mettre  comme  au  rang  de  ses  enfants.  Ha!  quel  coup, 
mes  chers  amis,  quel  funeste  coup^!  » 

Pour  comble  de  tristesse,  en  même  temps  qu'il  pre- 
nait'connaissance  de  la  Déclaration,  il  apprenait  les 
projets  révolutionnaires  que  les  protestants  avaient 
formés  dans  leur  première  indignation.  Il  se  hâta  de 
parcourir  la  province  pour  les  combattre,  et  les  pro- 
testants promirent  heureusement  de  rester  calmes  ''. 

Tl  fallait  cependant  prévenir  des  maux  plus  grands, 
et,  s'il  était  possible,  obtenir  de  la  cour  quelque  adou- 

'  N"  7,  t.  II,  p.  67. 
a  N»  7,  t,  I,  p.  305. 
3  Ibid.,  (.  II,  p.  65. 
'•  N"  40,  l'.'ih.  ^■. 


266     LETTRE  DE  DUPLAN  AU  ROI  DE  PRUSSE 

cissement  à  de  si  cruelles  mesuies.  Il  était  superflu  cle 
s'adresser  au  duc  de  Bourbon  et  à  Louis  XV  ;  on  écri- 
vit  aux  Puissances  étrangères  pour  les  intéresser 
aux  malheurs  des  protestants.  Antoine  Court  envoya 
au  chapelain  de  l'ambassadeur  de  Hollande  et  aux 
c(  hautes  Puissances  »  de  ce  pays,  une  requête,  respec- 
tueuse entre  toutes,  où  il  ne  réclamait  point  le  se- 
cours de  leurs  armes,  mais  seulement  leur  protection, 
leurs  prières  à  Dieu,  et  leurs  bons  offices  auprès  du  Roi 
de  France.  —  Duplan  s'adressa  au  Roi  d'Angleterre, 
à  l'archevêque  de  Cantorbéry  et  au  Roi  de  Prusse.  Il 
disait  à  ce  dernier  : 

«Sire,Votro  Majesté  a  été  sans  doute  informée  qu'on  apultlié 
depuis  peu  une  déclaration  en  France  qui  renouvelle  et  qui  ag- 
grave celles  que  Louis  XIV  a  fait  exécuter  autrefois  contre  les 
protestants  de  son  royaume. 

«  Le  poste  suprême  que  Votre  Majesté  occupe,  les  vertus 
héroïques  qui  éclatent  en  sa  personne,  la  profession  qu'elle  fait 
du  pur  christianisme,  les  fortes  marques  de  protection  qu  elle  a 
données  et  qu'elle  donne  actuellement  aux  réformés,  à  quoi  Ion 
peut  ajouter  l'exemple  de  ses  ancêtres,  de  glorieuse  mémoire, 
—  tout  cela  nous  donne  de  vives  espérances,  Sire,  que  vous 
écouterez  favorablement  les  plaintes  et  les  gémissements  d'une 
inflnité  de  bonnes  âmes  qu'on  n'a  pas  seulement  privées  de- 
puis longtemps  du  culte  public,  de  la  vraie  religion,  mais  qu'on 
se  met  en  devoir  de  forcer,  par  les  voies  les  plus  illicites  et  les 
plus  dures,  à  pratiquer  un  culte  idolâtre  et  superstitieux. 

<c  Notre  Roi  ne  peut  pas  se  plaindre  de  notre  fidélité  pour 
son  service.  Nous  n'avons  garde  aussi  de  nous  plaindre  de  Sa 
Majesté.  Nous  savons  qu'on  a  surpris  sa  jeunesse,  sa  piété  et 
sa  justice,  nous  ne  nous  plaignons  pas  non  plus  des  grands  sei- 
gneurs, ni  des  magistrats,  ni  des  officiers  de  guerre;  au  con- 

1  N»  17,  vol.  G,  p.  307.(1724.) 


LETTRE  DE  CxAUBERT  A  LuUlS  X^'  207 

traire,  nuur;  nous  louons  de  leur  probité  et  de  leur  douceur  ; 
c'est  uniquement  contre  le  papisme,  c'est  contre  quelques  per- 
sonnes vendues  à  la  cour  de  Rome  que  nous  implorons,  Sire, 
votre  royale  et  puissante  protection. 

«  Vous  connaissez,  grand  Roi,  ce  que  vous  devez  à  Dieu  et  ce 
que  vous  pouvez  faire  en  faveur  des  Eglises  qui  sont  sous  la 
croix.  Ainsi  nous  nous  contentons  de  vous  exposer  nos  misères. 
Toutes  les  Puissances  protestantes  se  feront  un  devoir  et  un 
plaisir  do  concourir  à  cette  bonne  œuvre  avec  Votre  Majesté. 

«  A  Dieu  ne  plaise  qu'il  soit  dit  que  tant  de  puissants  et  d'il- 
lustres princes  chrétiens  fassent  paraître  moins  de  zèle  pour 
soutenir  la  vérité,  que  quelque  petit  nombre  de  prélats  ambi- 
tieux et  quelques  prêtres  et  moines,  avares  ou  passionnés,  font 
paraître  d'ardeur  pour  faire  triompher  la  superstition. 

«  Nous  sommes  persuadés,  Sire,  que  Votre  Majesté,  pénétrée 
d'amour  pour  Dieu  et  de  charité  peur  l'Eglise,  et  aspirant  à  une 
gloire  immortelle  sur  la  terre  et  à  un  l)onheur  infini  dans  le 
ciel,  nous  sommes  persuadés,  dis-je,  qu'elle  jettera  les  yeux  sur 
notre  triste  état,  et  qu'elle  emploiera  les  moyens  les  plus  effi- 
caces et  en  même  temps  les  plus  justes  et  les  plus  doux  poui' 
arrêter  les  funestes  eflets  de  la  persécution.  Cependant,  Sire, 
nous  ne  cesserons  point  de  faire  les  vieux  les  plus  ardents  eu 
faveur  de  Votre  Majesté  et  de  la  famille  royale.  Dieu  veuille, 
grand  prince,  bénir  tous  vos  justes  desseins  et  répandre  la  ter- 
reur de  vos  armes  sur  tous  vos  ennemis.  Dieu  veuille  vous 
conserver  longtemps  pour  être  les  délices  de  votre  peuple  et  le 
protecteur  de  l'Eglise.  Dieu  veuille  enfin,  après  que  vous  serez 
rassasié  de  jours  et  de  gloire  sur  la  terre,  vous  couronner  d'une 
immortalité  bienheureuse  dans  le  cieP.  » 

Un  proposant  osa  s'adresser  directement  à  Louis  XV. 
Il  se  faisait  petit,  liumhle,  il  en  appelait  au  Roi  et  à  son 
bon  cœur  :  «  Sire,  pour  l'amour  de  Celui  qui  vous  a  mis 
le  sceptre  en  mains  et  qui  vous  a  fait  heureusement 

5  N"U^  1-  !>4.  fl724) 


268  SYNODE  DE  1724 

monter  sur  cet  auguste  trône  pour  rendre  la  justice  au 
peuple  qu'il  a  confié  à  votre  sag-e  prudence  et  qui  sont 
ses  enfants  et  vos  sujets,  ayez  compassion  de  ces  pau- 
vres innocents  opprimés  sans  cause,  faites  qu'ils  ne 
soient  plus  violentés  en  leur  conscience.  Ils  attendent 
de  votre  bonté  et  douceur  quelque  adoucissement  à 
leurs  maux  * .  » 

Apologies,  requêtes,  suppliques,  rien  n'ébranla  la 
volonté  de  ceux  qui  avaient  fait  signer  la  Déclaration . 
Elle  resta  intacte,  nullement  modifiée,  dans  son  impi- 
toyable rigueur,  a  Notre  âme  est  agitée,  écrivait  Cor- 
teiz,  nous  sommes  dans  l'affliction  et  dans  la  tristesse, 
mais  nous  espérons  que  Dieu  mettra  un  jour  fin  à  tous 
nos  maux,  qu'il  essuyera  toutes  larmes  de  nos  yeux,  et 
c'est  ce  qui  me  console  ^.  » 

Cependant,  sous  le  coup  des  derniers  événements,  un 
Synode  avait  été 'immédiatement  convoqué^.  Quelle 
conduite  allait-on  tenir?  A  quoi  fallait-il  se  résoudre? 
C'est  ce  qu'il  allait  débattre.  «  En  examinant  l'état  dans 
lequel  les  réformés  se  trouvent  aujourd'hui  en  France, 
disait  l'auteur  des  Lettres  stcr  la  Déclaration  de  1724,  il 
me  semble  qu'ils  n'ont  que  l'un  de  ces  trois  partis  à 
prendre  :  Celui  de  la  révolte,  ou  celui  de  la  dissimula- 
tion, ou  celui  de  la  fuite.  Je  n'en  connais  point  d'au- 
tres... »  Beaucoup  pensaient  comme  lui.  Mais  l'auteur 
en  négligeait  un  :  celui  de  la  résignation. 

Les  circonstances  étaient  graves.  Depuis  longtemps, 


1  N"  17,  vol.  G,  p.  294.  (Août  1724. 

2  Ihid,,  p.  m.  (Juillet  1724.) 

3  N"  7,  t.  II.  (Octobre  1724.) 


«YNODE  DK  1724  269 

aucun  Synode  ne  s'était  réuni  dans  un  moment  aussi 
solennel.  On  expédia  d'abord  quelques  affaires  cou- 
rantes, et  on  reçut  Boyer  au  nombre  des  proposants, 
encore  qu'il  eût  fait  preuve  d'une  singulière  ignorance 
à  son  examen.  Cela  fait,  deux  g-raves  questions  furent 
posées.  Les  protestants  devaient-ils  émigrer?  ou  de- 
vaient-ils rester  en  France  malgré  la  persécution  ?  On 
en  délibéra  longuement,  mais  sans  aboutir  à  une  dé- 
cision. Les  religionnaires  furent  maîtres  comme  aupa- 
ravant de  fuir  ou  de  rester,  d'affirmer  solennellement 
leur  foi ,  ou  d'aller  à  l'étranger  adorer  librement 
leur  Dieu.  On  décida  néanmoins  que  les  prédicants 
les  encourageraient  à  rester  et  à  souffrir  patiemment 
les  maux  dont  ils  étaient  menacés  \  Le  Synode  dé- 
clara ensuite  que,  dans  les  tristes  conjonctures  où 
l'on  se  trouvait,  les  colères  devaient  s'éteindre,  les 
procès  s'arranger,  la  liaine  faire  place  à  l'amour. 
Plus  de  dissensions,  plus  de  luttes  :  un  sentiment 
commun  de  respect  et  de  soumission  devant  la  main 
(pli  les  frappait.   Il  se   sépara,   après  avoir  ordonné 

*  Il  y  eut  des  éiiiigrants,  malgré  les  exhortations  du  Synode. 
On  voit  ainsi  que  des  religionnaires  de  l'Aisne  passèrent  la  frontière. 

«  On  a  fait  lecture  d'une  lettre  de  Tournay,  adressée  au  Synode, 
j)ar  laquelle  elle  nous  marque  que  depuis  la  dernière  déclaration  du 
Roi  de  P'raiice  contre  ses  sujets  réformés,  il  sort  tous  les  jours  de 
Picardie  et  des  frontières  de  cette  province,  des  familles  entières  qui 
se  retirent  dans  des  Etats  protestants,  sans  compter  celles  de  la  dé- 
pendance de  Saint-Amand,  qui  sont  vivement  persécutées,  et  que 
la  plupart  de  ces  familles  passant  par  Tournay,  et  se  trouvant  dé- 
nuées de  tout,  les  charités  qu'elle  est  obligée  de  faire  l'ont  tellement 
épuisée  qu'elle  sera  bientôt  hors  d'état  de  les  continuer  si  nous  ne  les 
aidons  à  soutenir  le  fardeau.  »  Synode  de  Lewaerde.  (Août  1725.) 
Essai  .sur  les  Eglises  de  V Aisne,  etc.,  j).  126. —  V.  aussi  la  cor- 
respondance de  de  Brou  et  de  Mellier,  Histoire  des  Eglises  de  Bre- 
tagne^ etc.,  t.  III,  p.  228. 


210  LETTRES  DE  LONDRES 

un  jeûne  général  pour  apaiser  la  colère  de  Dieu,  et 
arrêter  «  le  torrent  de  vices  qui  étaient  la  honte  de  la 
Réforme  * .  » 

Une  chose  étonne.  Ces  nouvelles  rigueurs  ne  pro- 
duisirent au  dehors  qu'une  très-petite  émotion.  Quel- 
ques pasteurs  de  Berlin  saisirent  cette  occasion  pour 
eng'ag'er  leurs  frères  sous  la  Croix  à  ne  plus  fré- 
quenter les  assemblées  du  Désert.  De  Suisse  et  de 
Genève  arrivèrent  aussi  de  stériles  marques  de  sympa- 
thie. Les  protestants  déploraient  le  triste  sort  de  leurs 
coreligionnaires,  mais  quelle  aide  pouvaient-ils  leur  of- 
frir, quels  secours  leur  donner?  Il  ne  leur  était  per- 
mis que  de  prier  le  ciel  de  faire  cesser  ce  douloureux 
état  de  choses  et  d'intercéder  auprès  des  Puissances  ^ 

Enfin  en  1725,  parurent  à  Londres,  imprimées,  les 
Lettres  à  un  protestant  français  touchant  la  Dèdara'- 
tionduRoP. 

L'auteur  s'y  montrait  très-rnodéré.  Il  condamnait  Tat- 
titjLide  de  la  cour,  blâmait  les  mesures,  admonestait 
les  protestants  et  leur  donnait  des  conseils.  Point  de 
colère  d'ailleurs,  ni  d'indignation.  «  Il  y  a  déjà  quel- 
ques mois  qu'il  s'était  répandu  un  bruit  confus,  que 
l'on  minutait  en  France  lui  nouvel  arrêt  contre  les  re- 
ligionnaires,  mais  la  plupart  ne  pouvaient  se  le  per- 
suader... L'événement  nous  a  désabusé.  11  n'y  a  pres- 
que personne  ici  qui  n'ait  lu  la  nouvelle  Déclaration,  et 
vous  jugez  bien  qu'elle  a  été  pendant  plusieurs  jours 

1  N"  7,  t.  IL  (Octobre  1724.) 

2N"  1,  t.  III,  p.  154.(1725.) 

^  2  vol.^  chez  Thomas  Li tonne.  Londres.   (1725) 


LA  HENRIADE  271 

le  sujet  ordinaire  des  conversations.  Je  vous  avoue  que, 
selon  notre  manière  de  penser,  elle  ne  fait  guère  d'hon- 
neur à  ceux  qui  sont  présentement  à  la  tète  du  g'ouver- 
nement  de  votre  royaume  '.  » 

Quant  à  la  France,  elle  vit  promulguer  sans  étoii- 
nement  le  nouveau  décret.  Elle  fut  vraiment  com- 
plice de  la  cour.  Peut-être  n'était-elle  plus  disposée 
à  rire,  comme  Madame  de  Sévig'né,  des  pendaisons  des 
huguenots,  mais  comme  Racine,  La  Fontaine,  Bossuet, 
elle  accordait  toujours  au  Roi  le  droit  de  poursuivre  et 
de  condamner  les  hérétiques  de  son  royaume.  La  tolé- 
l'ance  en  matière  de  religion  n'avait  encore  ni  preneurs 
ni  défenseurs. 

En  1723  cependant,  venue  de  Rouen  par  fraude, 
avait  paru  dans  les  salons  de  Paris  la  Henriade.  Vol- 
taire y  faisait  l'éloge  de  Coligny ,  s'y  montrait  sévère 
aux  catholiques  et  favorable  aux  réformés  ;  il  recom- 
mandait surtout  l'esprit  de  paix  et  de  tolérance.  Mais 
le  nonce  Maifei  avait  dénoncé  à  la  cour  de  Rome  le 
poète  et  le  poëme.  On  avait  dit  à  Fleury  qu'il  était 
indécent  et  même  criminel  de  louer  Colig'ny  et  la  reine 
Elisabeth;  et  peu  s'en  était  fallu  que  le  cardinal  de 
Bissy,  président  de  l'assemblée  du  clergé,  ne  censurât 
juridiquement  l'ouvrag'e  ^ 

En  dénonçant,  en  condamnant,  en  proscrivant,  ou 

'  V.  Lettres  à  un  protestant  franrais,  etc.,  tome  I,  p  1  et  2. 

'''Dans  \x\\  Recueil  jncauiscrît  de  pièces  concey^aant  Vhistoirc  de 
France,(\vn  se  trouve  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal  (V.  tome  II,  n"  151), 
un  critique  anonyme,  qui  rendait  compte  de  la  Henriade,  et  qui  se 
disait  Anglais,  écrivait  : 

«  Qu'on  dise  tout  ce  qu'on  voudra,  les  Français  l'ont  peut-être  Ja 
révérence  aux  étrangers  mieux  que  nous,  mais  nous  les  recevons  mieux. 


272  INDIFFÉRENCE  DE  LA  FRANCE 

croyait  arrêter  l'essor  de  ropiiiion  naissante.  On  l'exci- 
tait. Peu  à  peu,  devait  se  former  en  France,  inoins 
par  conviction  que  par  haine  de  l'oppression,  un 
parti  ([ui  revendiquerait  hautement,  sinon  la  liberté 
religieuse,  du  moins  la  tolérance.  En  1724,  après  la 
Henriade^  les  protestants  n'avaient  pas  eu  de  défen- 
seurs ;  Calas  devait  avoir  \'oltaire. 

Nous  ne  nous  embarrassons  pas  de  quelle  religion  est  un  homme; 
nous  le  chérissons  et  encourageons,  secourons,  dès  qu'il  a  du  mérite. 
Depuis  la  persécution  injuste  et  encore  plus  mal  avisée  excitée  contre 
notre  religion  en  France  en  1686,  environ  dix  mille  familles  fran- 
çaises ont  fait  fortune  chez  nous,  et  aujourd'hui  encore  nous  nous 
taxons  volontairement  pour  faire  subsister  tous  les  pauvres  Français 
réfugiés!...  Il  faut  rendre  justice  à  M.  de  Voltaire,  la  Henriade  est 
pleine  des  plus  beaux  morceaux  et  des  plus  forts  qu'on  ait  jamais 
écrits  contre  la  persécution;  en  cela  nous  louons  la  noblesse  de  son 
âme;  mais  en  cela  aussi,  nous  nous  plaignons  qu'il  n'ait  pas  assez 
distingué  les  protestants  qui  tolèrent  tout  d'avec  les  papistes  qui  per- 
sécutent tout.  » 


CHAPITRE  IX 

FONDATION   DU    SEMINAIRE   DE    LAUSANNE  * 
1725-1729 

Quelques  mois  s'étaient  écoulés  depuis  la  promul- 
gation de  la  Déclaration  de  1724,  et  Corteiz  écrivait  : 
«  Tous  les  lieux  où  je  viens  de  passer  sont  tranquil- 
les; le  zèle  est  considérable,  les  assemblées  sont  nom- 
breuses ^.  » 

Circonstances  critiques  cependant.  On  avait  tout  à  re- 
douter, et  le  calme  dont  on  jouissait,  non  sans  étonne- 
ment,  paraissait  aux  meilleurs  esprits  le  présage  de 
prochaines  tempêtes. 

C'était  contre  les  prédicants  surtout  qu'était  dirigée 
la  Déclaration  de  1724,  et  c'était  sur  eux  que  les 
premiers  coups  devaient  être  frappés.  Antoine  Court 
et  ses  collègues  ne  l'ignoraient  pas  ;  de  là,  leur  in- 
quiétude et  leurs  angoisses.  Non  pas  qu'ils  craignissent 
pour  eux  :  depuis  longtemps,  ils  avaient  fait  le  sacrifice 
de  leur  vie.  Ils  craignaient  pour  le  protestantisme  re- 
naissant, pour  ses  églises  à  peine  reconstituées.  Eux 

1  V.  aussi  tome  II,  p.  31,  le  chapitre  consacré  au  séminaire  de  Lau- 
sanne. 

2  N"  I,  t.  IIL  p.  286.  (Mars  1725.) 

I  18 


274  LETTRE  A  SAURIN 

morts  en  effet,  ils  comprenaient  b^en  que  les  églises, 
sans  chefs  et  sans  soutiens,  se  désorganiseraient, 
retomberaient  dans  l'anarcliie,  et  que  le  travail  de  dix 
ans  serait  en  un  jour  perdu. 

A  peine  la  Déclaration  venait-elle  d'être  publiée, 
qu'Antoine  Court,  sous  le  poids  de  cette  terrible  préoc- 
cupation, écrivit  à  Saurin,  le  suppliant  de  venir  en 
France  ou  d'envoyer  des  prédicateurs.  Saurin  répondit, 
comme  autrefois,  que  le  retour  des  pasteurs  ne  lui 
paraissait  point  nécessaire,  bien  plutôt  dangereux. 

«  Le  retour  des  ministres  redoublerait  la  persécution,  s'écria 
Antoine  Court,  et  on  doit  prévenir  par  charité  ces  malheurs  ! 
Il  vaut  donc  mieux,  selon  ce  nouveau  et  inouï  système  de  cha- 
rité, s'exposer  à  perdre  le  ciel,  le  salut,  la  gloire,  son  âme,  son 
Dieu,  à  souffrir  les  peines  des  damnés,  ces  tourments  éternels, 
ce  feu  qui  ne  s'éteint  point,  cet  étang  ardent  de  feu  et  de  sou- 
fre, ces  tortures,  ces  géhennes,  ces  grincement:^  de  dents  dont 
parle  l'Ecriture,  que  de  risquer  sa  Uberté,  son  repos,  quelque 
peu  de  bien,  que  de  s'exposer  à  souffrir  quelques  mois,  quel- 
ques jours,  quelques  heures  dans  une  prison,  sur  une  galère, 
ou  la  mort  sur  une  potence,  sur  un  échafaud!  « 

Et  plus  loin  : 

(c  Yoici  une  vocation  qu'un  peuple  nombreux  parlant  par  \d 
l)0uche  de  ses  conducteurs  vous  adresse,  qu'un  peuple  affamé, 
altéré  de  justice,  vous  adresse  depuis  si  longtemps,  qui  vous 
sollicite  par  ce  qu'il  y  a  de  plus  sacré,  de  plus  tendre  et  de  plus 
révéré  dans  la  rehgion,  par  les  compassions  divines,  par  le  pré- 
cieux sang  de  Jésus-Christ,  par  Tintérèt  que  les  fidèles  minis- 
tres doivent  prendre  à  la  gloire  de  leur  Maître,  au  bonheur  de 
son  EgUse,  au  salut  d'un  peuple  :qui  appartient  à  son  alhance, 
et  qui  se  trouve  abandonné  et  dispersé  dans  un  vaste  désert, 
sans  pasteur,  sans  pâture,  pressé  de  la  faim  et  de  la  soif,  envi- 
ronné d'un  ennemi  fier,  puissant  et  dangereux,  —  par  l'intérêt 


DIFFICULTES  DE  LA  SITUATION  ^5 

que  vous  devez  prendre  à  vos  propres  âmes  de  ne  diiïérer  plus 
îi  le  secourir,  à  lui  tendre  les  douces  mamelles  de  vos  consola- 
tions, à  le  retirer  du  bourbier  ai'freux,  du  fatal  bourbier  où  ses 
péchés  Tont  malheureusement  plongé,  à  le  garantir  enfm  des 
malheurs  où  Terreur  et  le  vice  l'entraîneraient  infaiUiblement, 
si  vous  faisiez  tant  que  de  lui  refuser  le  secours  qu'il  vous  de- 
mande*. » 

Ce  qui  rendait  Antoine  Court  si  pressant,  c'est  qu'il 
se  sentait  seul  et  isolé,  que  tous  ses  collègaies  récla- 
maient son  concours,  que  les  églises  manquaient  de 
prédicants,  et  que  ceux  qu'elles  avaient  ne  pouvaient 
suffire  à  la  tâche.  Du  Daupliiné,  Roger  lui  écrivait  qu'il 
était  accablé  de  travail  et  qu'il  avait  besoin  d'auxiliaires  ; 
d'autres  provinces,  lui  arrivaient  les  mêmes  demandes. 
Mais  lui  :  «  Ils  s'adressent  à  nous,  nous  qui  pouvons 
à  peine  faire  un  centième  de  l'ouvrage  qui  se  trouve 
sous  notre  faucille  !  »  Et  aussitôt  :  «  Quand  est-ce  que 
notre  voix  sera  entendue?  Quand  est-ce  que  les  églises 
étrangères,  libres  et  abondantes  en  pasteurs,  en  four- 
niront à  celles  qui  en  manquent  et  qui  en  ont  plus 
que  de  besoin?  Ecoutez,  Eglises  du  grand  Dieu,  écoutez 
la  voix  faible  et  mourante  de  quelques-unes  de  vos 
sœurs  ^  !  »  Cette  indifférence  des  protestants  l'étonnait 
et  l'attristait.  Quoi  !  dans  un  tel  moment  un  tel  oubli  ! 
Qu'importait  une  sympathie  stérile,  des  vœux  et  des 
conseils  !  Tl  était  temps  d'agir  et  l'on  n'agissait  point  ! 

Pensées  fiévreuses  et  qui  le  tourmentaient.  C'est 
alors  qu'il  s'arrêta  à  un  projet  depuis  longtemps  conçu, 
et  qu'il  travailla  à  son  exécution. 

»N"  7,  t.  II.  p.  41.  (Juillel  17:^4.) 
2  Ibicl.,  1».  133.  (Murs  1725,) 


216  PROPOSITION  DE  DUPLAN 

Lorsque  Duplan,  poursuivi  par  les  espions  et  les  sol- 
dats, avait  été  obligé  de  quitter  la  France  \  il  s'était 
adressé  aux  Puissances  étrang-ères  pour  réclamer  leur 
appui.  En  même  temps,  il  écrivait  à  Court  :  «  Dans  les 
lettres  que  j'écris  à  leurs  hautes  Puissances,  je  leur 
mande  que  je  crois  qu'on  leur  enverra  quelque  député 
pour  les  informer  de  toutes  clioses.  Je  crois  que  la 
chose  est  importante.  Vous  pourrez  communiquer  cette 
affaire  aux  personnes  que  vous  croirez  les  plus  propres 
pour  un  bon  conseil  ^.  »  Et  il  se  proposait  comme  dé- 
puté. Antoine  Court,  à  son  retour  de  Genève,  s'était 
déjà  entretenu  de  cette  question  avec  son  ami.  Il  pen- 
sait qu'un  député  actif,  intelligent  et  pieux,  pourrait, 
mieux  que  les  lettres  et  les  requêtes,  intéresser  les 
princes  protestants  en  faveur  des  religionnaires.  Il 
les  engagerait,  disait-il,  à  subvenir  aux  besoins  des 
ég'lises,  et  surtout  à  leur  procurer  de  l'argent  pour 
l'instruction  des  jeunes  gens  qui  voudraient  se  consa- 
crer  au  ministère  ^.  Aussi  accepta-t-il  avec  joie  la  pro- 
position que  lui  faisait  Duplan.  Il  connaissait  d'ail- 
leurs son  zèle,  son  désintéressement  et  surtout  son 
opiniâtre  intrépidité  ^ .  Pour  son  talent,  il  le  tenait  en 
liante  estime. 

Voici  quel  était  son  projet.  Repoussé  par  tous  les  pas- 
teurs étrangers,  et  n'ayant  pu  obtenir  qu'ils  vinssent 
prêcher  en  France,  il  ferait  frapper  à  leur  porte,   à 


i  N»  12,  p.  31.  (Juillet  1724).  V.  aussi  cliap.  viii,  p.  242. 

2  Ibid.,  p.  32.  (Juillet  1724.) 

3  N"  5,  n»  11. 

*N°37,  p.  9.  Mémoire  aux  arbitres.—  Nous  insistons  sur  ces  dé- 
tails, car  il  y  eut  rupture  plus  tard  entre  les  deux  amis. 


DUPLAN  EST  NOMMÉ  DÉPUTÉ  GÉNÉRAL      277 

celle  des  réfugiés,  des  hommes  pieux  et  des  princes  de 
tous  pays,  afin  qu'ils  secourussent  de  leur  arg-ent 
ceux  qu'ils  avaient  refusé  de  secourir  de  leur  parole. 
Plus  d'appel  au  dévouement  et  au  martyre  ;  appel  à  la 
piété  et  à  la  charité.  Dans  la  suite,  lorsqu'une  somme 
suffisante  serait  réunie,  il  chercherait,  parmi  les  rudes 
et  austères  paysans  qu'il  connaissait,  de  jeunes  hommes 
de  talent  que  le  martyre  n'effrayerait  pas,  et  il  les 
enverrait  dans  une  académie  étrangère  pour  les  initier 
aux  connaissances  exigées  par  le  ministère  ^ . 

Antoine  Court  s'ouvrit  de  son  dessein  au  Synode  de 
1724.  La  proposition  parut  excellente,  mais  la  personne 
de  Duplan  déplaisait  :  on  avait  encore  en  suspicion 
ses  sentiments  à  l'égard  des  Inspirés  ^.  Quelques  mois 
s'écoulèrent  en  négociations.  Enfin,  en  1725,  l'entente 
s'établit.  c(  Le  Synode,  écrivait  Court  à  Duplan,  se 
tiendra,  s'il  plaît  au  Seigneur,  après  les  fêtes  de  Pâ- 
ques; vous  serez  nommé  par  lui  député  g'énéral  des 
églises  du  Languedoc  vers  les  Puissances  protestantes. 
J'ai  déjà  le  suffrage  d'un  colloque  pour  cela.  Dieu 
veuille  rendre  votre  députation  efficace  ^.  »  Le  Synode 
s'ouvrit  le  T'  mai  1725.  Parmi  les  assistants,  se  trou- 
vaient trois  députés  choisis  par  les  membres  du  Synode 
précédent  tenu  dans  les  Ce  venues,  et  deux  députés 
envoyés  par  chaque  église  du  bas  Languedoc.  Court, 
prenant  la  parole,  montra  la  nécessité  de  se  faire  repré- 
senter auprès  des  cours  étrangères,  et,  sa  proposition 


*  On  se  rappelle  qu'il  avait  déjà  été  question  de  ce  projet  pendant 
son  séjour  h  Genève.  V.  chap.  vu,  p.  220. 
2  N°  5,  n»  XI. 
^N"?,  t.  II,  p.  135.  (Mars  1725.) 


278  ATTRIBUTIONS  DU  DÉPUTÉ  G?]NERAL 

faite,  comme  on  ne  faisait  aucune  objection,  il  invita 
l'assemblée  à  choisir  un  homme  capable  de  remplir 
cette  fonction  importante.  L'assemblée,  sans  hésiter, 
arrêta  son  choix  sur  le  jeune  prédicant.  Sa  surprise 
fut  extrême.  Quoi!  Lui  revêtu  de  cette  charge!  Mais 
les  pasteurs  n'étaient -ils  pas  assez  rares?  Fallait -il 
encore  en  diminuer  le  nombre?  Court  se  hâta  de  dé- 
cliner cet  honneur,  et,  faisant  l'éloge  de  son  ami,  il  le 
proposa  aux  suffrag-es  du  Synode.  Les  assistants,  bien 
qu'indécis,  finirent  par  se  ranger  à  l'avis  de  leur  modé- 
rateur et  se  décidèrent  à  nommer  Duplan  K 

Quelles  étaient  les  attributions  du  député  générale 
Court  déclara  dans  son  discours  au  Synode  qu'elles 
consisteraient  à  implorer  la  protection  des  Puissances 
en  faveur  des  églises,  et  à  les  solliciter  d'agir  auprès 
de  Louis  XV  pour  obtenir  la  révocation  des  édits  ^. 
Elles  étaient  donc  plus  étendues  que  dans  le  premier 
projet.  A  vrai  dire  cependant,  le  député  avait  surtout 
pour  mission  de  demander  des  secours  pécuniaires.  C'é- 
tait un  quêteur  qui  devait  aller  collecter  l'argent  néces- 
saire pour  combattre  le  découragement  par  la  prédica- 
tion, l'ignorance  par  le  livre,  la  misère  par  l'aumône.  En 
réalité  même,  il  ne  devait  demander  des  secours  que 
pour  la  prédication.  Réunir  un  fonds  assez  considérable 
pour  fonder  un  séminaire,  tel  était  le  but  immédiat  de 
sa  mission^. 

Pour  lui,  il  eut  droit  à  cinquante  pistoles  ;  c'est  le 
traitement  que  lui  alloua  le  Synode.  Il  fallait  qu'avec 

1  N'>  7,  t.  ir,  p.  161.  (Mars  1725.)  —  V.  aussi  n"  37.  p.  12, 

2  Ihid. 

3  N"  37,  p.  9. 


DTJPLAN  ENTRE  EN  FONCTIONS  279 

cette  somme  il  suffit  à  ses  frais  de  correspondance,  à 
ses  voyages  et  à  toutes  les  dépenses  qu'il  serait  obligé 
de  faire.  Telle  était  encore  la  pauvreté  des  religion - 
naires,  qu'il  ne  toucha  jamais  ces  cinquantes  pistoles. 
«  Je  ne  les  ai  pas  encore,  lui  écrivait  Court,  mais  on 
travaillera  incessamment  à  les  lever  ^ .  »  Duplan,  d'ail- 
leurs, ne  demandait  pas  d'émoluments  ^  «  Dieu,  avait- 
il  dit,  sera  mon  pourvoyeur  et  ma  récompense  en 
même  temps.  » 

Duplan  s'était  fixé  depuis  une  année  à  Genève.  Dès 
qu'il  eut  reçu  ses  lettres  de  créance  et  qu'un  Synode 
tenu  en  Daupliiné  l'eut  confirmé  dans  sa  charge,  il 
s'occupa,  sans  tarder,  de  sa  délicate  mission  ^ 

La  plupart  des  grandes  familles  genevoises  étaient 
bien  disposées  pour  les  églises  de  France.  Antoine  Court 
avait  réveillé  pendant  son  séjour  les  anciennes  sympa- 
thies et  les  anciens  dévouements.  Calendrin,  il  est  vrai, 
et  Pictet  étaient  morts.  Mais,  pleins  d'ardeur  et  d'iné- 
puisable charité,  vivaient  encore  les  Maurice,  les  Vial, 
les  Turrétin.  Duplan  espérait  trouver,  auprès  de  ces 

1  N"  7,  t.  II,  p.  297. 

2  Au  mois  de  juillet  1725,  il  réclama  cependant  quelque  argent;  mais, 
(K's  (lomêlés  étant  survenus,  il  retira  sa  demande. 

^  Ici,  malheureusement,  nous  n'avons  pas  les  documents  qui  i)our- 
l'aient  nous  faire  en  quelque  sorte  assister  h  la  fondation  du  sémi- 
naire de  Lausanne.  Ils  existent  cependant,  ils  sont  entre  les  mains  du 
Comité  de  la  Bourse  française  de  Genève;  mais  le  Comité  les  tient 
secrets.  M.  Munier,  ancien  recteur  de  l'Académie  de  Genève,  a  bien 
voulu  nous  donner  quelques  renseignements;  il  nous  a  été  toutefois 
impossible  de  rien  savoir  de  précis.  Il  faut  marcher  dans  l'obscurité, 
en  tâtonnant,  n'ayant  pour  guide  que  quelques  lettres  trop  rares.  Nous 
croyons  malgré  tout  être  dans  le  vrai  chemin,  et  n'avoir  rien  affirmé 
qui  ne  trouve  sa  confirmation  dans  les  papiers  secrets  du  Comité. 


280  FROIDEUR  DE  GENÈVE 

hommes  et  des  grandes  familles  dont  ils  étaient  les  amis 
et  comme  les  directeurs,  un  accueil  sympathique  et 
même  chaleureux.  Au  surplus,  le  dessein  pour  l'exécu- 
tion duquel  il  demandait  des  secours  n'était  point 
nouveau.  Antoine  Court  s'en  était  souvent  entretenu, 
et  peut-être  même  était-il  né  de  quelques  conversa- 
tions avec  Pictet.  Tout  semblait  donc  assurer  le  succès 
des  premières  démarches  du  député.  —  Quel  ne  fut  pas 
son  étonnement,  lorsqu'il  se  heurta  à  des  froideurs 
mal  déguisées  ou  à  des  refus  catégoriques  ! 

«  Cette  ville,  écrivait- il  bientôt,  ne  peut  ou  ne  veut  plus 
fournir  à  une  quantité  extraordinaire  de  pauvres  qui  augmente 
tous  les  jours,  soit  à  cause  du  dérangement  du  commerce, 
soit  à  cause  de  la  vanité  ou  de  l'avarice  qui  régnent  chez  les 
plus  riches.  Je  n'ai  pu  recueillir  de  la  charité  que  quelques 
vieux  livres  et  environ  vingt  écus.  Je  me  suis  épuisé  pour  ne 
point  laisser  l'occasion  de  fournir  à  ma  patrie  des  secours  pour 
l'instruction  et  pour  le  salut  des  pasteurs  et  du  peuple  ^  » 

Aussi  attristé  que  surpris  de  cette  réception,  il 
s'adressa  à  l'archevêque  de  Cantorbéry.  Il  lui  parlait 
de  la  miraculeuse  conservation  du  protestantisme  fran- 
çais, du  nombre  et  du  zèle  des  religionnaires,  des 
secours  dont  ils  avaient  besoin  et  de  l'appui  qu'ils 
lui  demandaient  auprès  de  Sa  Majesté  Britannique  ^ 
Le  prélat  répondit-il  favorablement?  On  ne  sait.  Mais 
plus  tard  l'Angleterre  se  fit  remarquer  entre  les  divers 
pays  protestants  par  sa  générosité.  Duplan  enfin  en- 
treprit un  assez  long  voyage  en  Suisse  pour  quêter 
des  subsides.  On  le  reçut  partout  avec  une  respectueuse 

1  N"  12,  p.  75.  (Septembre  1725.) 
^  Ibid.,  p.  95. 


VOYAGE  EN  SUISSE  281 

admiration.  Lorsqu'il  racontait,  clans  ces  villes  encore 
attachées  aux  vieilles  traditions  calvinistes,  les  souf- 
frances subies,  la  persécution  incessante,  les  martyres 
et  les  succès  de  dix  ans  de  lutte,  il  y  avait  d'immenses 
étonnements.  Cet  homme,  qui  était  envoyé  par  ses 
frères  de  France  aux  ég'lises  de  Suisse  et  qui  lui-même 
avait  été  le  témoin  de  tant  d'événements  extraordi- 
naires, devenait  un  personnage,  presqu'un  héros.  Il  ne 
put  cependant  décider  aucun  pasteur  à  braver  le  péril, 
quitter  la  Suisse  et  franchir  la  frontière.  «  C'est  au  ciel 
à  nous  fournir  des  prédicateurs  ;  personne  ne  veut  en- 
tendre la  voix  qui  en  appelle  au  Désert.  »  Mais  il  reçut 
des  présents  et  des  dons;  c'était  le  but  de  son  voyage 
et  il  était  en  partie  atteint  ^ 

A  la  fin  de  l'année  1725,  les  sommes  collectées  de- 
vaient être  minimes  ;  elles  étaient  toutefois  suffisantes 
pour  l'entretien  d'un  proposant.  «  C'est  par  les  soins 
(de  Duplan),  dit  Antoine  Court,  qu'en  1726  on  obtint 
quelques  petits  secours  qui  furent  employés  aux  études 
de  M.  Bétrine  ^.  » 

Bétrine,  en  effet,  ce  tout  jeune  homme  qu'Antoine 
Court  avait  autrefois  rencontré  dans  ses  courses  et  qu'il 
avait  consacré  au  ministère,  quitta  le  Languedoc  en 
1726,  et  passa  en  Suisse. 

«  Ce  sont  nos  Messieurs,  vous  m'entendez  bien,  écrivait-il 
en  arrivant,  ce  sont  eux  (|ui  m'ont  procuré  cette  abondance  de 
livres.  J'ai  fait  vos  civilités  à  deux  ou  trois  d'eux.  Je  ne  man- 
(fuerai  pas  de  les  présenter  à  tous  ceux  que  j'aurai  l'honneur 


«  N°  12,  p.  79.  (Novembre  1729.) 

2  N"  7,  t.  IX,  p.  284.  Court  fait  erreur  :  c'est  en  1725 


282  LE  PREMIER  ÉTUDIANT  :  BETRINE 

de  voir  pour  m'acquitter  de  ma  commission.  Soyez  persuadé 
qu'ils  ont  fait  un  fort  bon  accueil  à  vos  humbles  respects  ^  >> 

Mais  où  étudierait-il?  Dans  quelle  Académie?  C'est 
ce  qu'il  importait  de  décider. 

Depuis  Louis  XIV,  Genève  était  observée,  me- 
nacée par  la  France.  En  1723,  le  Résident  lui  avait 
'durement  rappelé  sa  faiblesse  et  sa  dépendance,  et  elle 
s'était  inclinée.  Admettre  dans  son  Académie,  soutenir 
de  son  argent  ou  de  celui  de  la  Suisse,  un  jeune 
liomme  qui  se  disposait,  malgré  la  récente  Déclaration, 
à  violer  les  ordres  du  Roi,  c'était  montrer  beaucoup 
de  témérité.  Sans  doute  elle  comptait  parmi  ses  étu- 
diants quelques  jeunes  gens  envoyés  par  les  églises 
vaudoises,  —  ces  malheureuses  églises  non  moins  per- 
sécutées que  celles  de  France,  —  et  son  conseil  leur 
allouait  même  une  pension,  les  instruisait  et  les  entre- 
tenait à  ses  frais  pendant  îe  cours  de  leurs  études  ". 
Mais,  du  côté  des  Alpes,  elle  ne  se  sentait  point  mena- 
cée et  n'avait  aucune  colère  à  redouter.  Il  y  avait  tout 
à  craindre  de  la  France.  La  braver,  et  cela  après  des 
remontrances  si  récentes,  c'était  s'exposer  à  de  nou- 
velles représentations,  peut-être  même  à  la  perte  de 
son  indépendance. 

Lorsque  Corteiz  était  venu,  quelques  années  aupa- 
ravant, demander  l'ordination  aux  pasteurs  de  Genève, 
ceux-ci,  déclinant  cet  honneur,  l'avaient  envoyé  dans 
une  autre  ville.  On  agit  de  même  avec  Bétrine.  Sur 
la  prière  de  Duplan,  quelques  pasteurs  se  réunirent 


i  N"  1,  t.  III,  p.  443.  (Octobre  1725.) 

■2  Archives  de  la  ville  Genève,  n"  4527.  (Février  112G.) 


BÉTRINE  ÉTUDIE  A  LAUSANNE  283 

en  ûTand  secret  pour  délibérer  dans  quelle  Académie  il 
conviendrait  d'envoyer  le  jeune  proposant.  Berne  était 
peu  sympathique,  Zurich  était  allemande  et  trop  éloi- 
gnée; on  jeta  les  yeux  sur  Lausanne.  Bétrine  partit 
en  effet  pour  cette  ville. 

Ce  ne  fut  pas  cependant  à  l'Académie  même  qu'il 
étudia.  Il  était  en  effet,  comme  tous  les  prédicants, 
fort  ig'norant,  et  comme  il  ne  savait  ni  le  latin  ni  le 
grec,  il  aurait  suivi  sans  profit  les  cours  qui  se  don- 
naient à  l'Académie  \  Son  séjour  était  d'ailleurs  limité  ; 
il  fallait  que  dans  l'espace  d'un  an  il  acquît  toute 
son  instruction  théologique.  C'était  trop  peu.  Aussi 
Duplan  : 

«  Il  faut  qu'il  prolonge  son  temps,  si  Ton  veut  qu'il  soit  digne 
(le  recevoir  rimposition  des  mains  ;  d'ailleurs  plusieurs  de  nos 
amis  et  des  plus  prudents  seraient  d'avis  qu'on  le  reçut  dans  ce 
pays,  afui  de  fermer  la  bouche  à  nos  calomniateurs,  et  pour  le- 
ver aussi  le  scrupule  de  certains  esprits  faibles  et  ignorants 
que  nous  devons  ménager.  Vous  savez  qu'on  fait  passer  nos 
prédicateurs  pour  des  ignorants,  des  batteurs  de  pavé,  sans 
aveu,  sans  vocation.  C'est  pourquoi,  il  est  expédient  qu'il  y  en 
ait  parmi  nous  qui  aient  reçu  leur  ordination  par  des  églises 
étrangères  ^.  » 

Mais  ces  paroles,  si  sensées  qu'elles  fussent,  ne  pou- 
vaient point  ébranler  la  détermination  des  églises  ;  la 
France  réclamait  ses  pasteurs.  Bétrine  fut  donc  confié 
h  quelques  hommes  de  cœur  et  de  talent,  —  le  profes- 
seur Polier  peut-être, — qui  se  chargèrent  de  compléter 

*  Aussi  son  nom  ne  se  trouve-t-il  pas  dans  les  Archives  de  l'Aca- 
démie (le  Lausanne. 
«N-  1,  t  IV,  p.  80.  (172G.) 


284  CABALE  CONTRE  DUPLAN 

en  quelques  mois  son  éducation.  Quant  aux  frais  de 
son  entretien,  —  frais  bien  petits,  —  ce  fut  sans  doute 
Duplan  qui  les  paya  directement,  avec  le  produit  des 
collectes  qu'il  venait  de  faire. 

Rien  n'était  encore  précisé,  fixé,  arrêté.  Il  n'y 
avait  ni  comité  organisé,  ni  fonds,  ni  règ'lements.  Ce 
n'était  point  le  séminaire  qu'Antoine  Court  avait  rêvé 
d'établir,  et  qui  devait  s'élever  plus  tard.  C'en  était 
à  peine  l'ébauche. 

En  France  cependant,  les  protestants  attaquaient 
leur  député;  une  cabale  même  se  formait  contre  lui. 
Le  bruit  avait  couru  que  Duplan  fréquentait  les  Inspi- 
rés de  Genève,  et  on  l'avait  appris  avec  un  vif  mécon- 
tentement. Court  en  écrivit  à  son  ami  : 

«  Si  vous  n'observez  mieux  votre  conduite  sur  l'article  en 
question  et  si  vous  négligez  de  pratiquer  ce  que  je  viens  de  vous 
dire,  vous  vous  mettrez  hors  d'état  de  remplir  vos  engagements 
et  vos  promesses  ;  vous  rendrez  par  cela  même  votre  zèle  infruc- 
tueux et  inutile.  Quelle  conséquence  !  Elle  est  pourtant  natu- 
relle, puisqu'il  est  certain  que  vous  perdrez  la  confiance  qu'on  a 
sur  vous,  que  vous  forcez  en  quelque  sorte  l'Eglise  de  retirer 
l'auguste  emploi  qu'elle  vous  donne  et  que  vous  perdez  le  cré- 
dit que  vous  auriez  pu  acquérir  chez  l'étranger,  crédit  qui  est 
pourtant  si  nécessaire  et  si  important  à  l'exécution  des  desseins 
dont  vous  êtes  chargé  ^  » 

Duplan  répondit  aussitôt,  mais  d'une  manière  éva- 
sive,  qui  justifiait  les  craintes.  Les  colères  s'accrurent. 
Duplan  surpris  par  cette  opposition  envoya  au  Synode 
de  1726  une  lettre  qu'avaient  signée  les  pasteurs  de 

1  N"  7,  t.  II,  p,  211.  (Novembre  1725.) 


CABALE  CONTRE  DUPLAN  285 

Genève  et  qui  témoignait  de  la  pureté  de  sa  vie  et  de 
ses  sentiments  ;  Court  présenta  en  même  temps  sa  dé- 
fense. Les  murmures  cessèrent  momentanément.  Mais, 
bientôt,  on  prétendit  que  les  attestations  soumises  au 
Synode  étaient  fausses,  qu'aucun  pasteur  ne  les  avait 
signées.  Corteiz,  avec  deux  proposants,  —  le  triolet^ 
suivant  le  mot  de  Court,  —  résolut  de  faire  retirer  par 
les  protestants  les  lettres  de  créance  qu'ils  avaient 
données  à  leur  député.  Un  Synode  s'étant  réuni  en 
1727,  il  présenta  plusieurs  délibérations  prises  en  diffé- 
rents colloques  et  réclama  la  déposition  de  Duplan. 
La  séance  fut  vive.  Court,  prié  une  seconde  fois  d'ac- 
cepter la  charge  de  député  général  «  pour  le  bien  de  la 
paix,  »  refusa  énerg'iquement  d'accéder  à  cette  prière  ^ . 
Il  s'indigna,  tint  un  long  discours  où  il  vanta  les 
services  de  Duplan,  et  déclara  qu'il  abandonnerait  son 
ministère,  si  l'assemblée  ne  maintenait  pas  dans  ses 
fonctions  le  député  qu'elle  avait  récemment  élu  ^.  Le 
Synode  s'inclina  devant  cette  ferme  attitude,  et  la 
proposition  de  Corteiz  fut  rejetée.  L'irritation  des  es- 
prits cependant  n'était  pas  encore  calmée.  Quoique 
Duplan  eût  écrit  qu'il  «  consentait  pour  l'amour  de.  la 
paix  à  ne  plus  se  trouver  dans  les  assemblées  des 
Lispirés  et  même  à  fuir  leur  commerce,  autant  que  la 
cliaritéle  pouvait  permettre,  »  —  le  Mo/^^  était  encore 
debout,  s'agitait,  recrutait  des  partisans,  et  préparait 
une  nouvelle  campagne.  Court  résolut  de  terminer 
définitivement  cette  affaire.  Un  Synode  national  fut 
convoqué  dans  le  Dauphiné  vers  la  fin  de  cette  même 

*  N"  37,  p.  12.  Mémoire  aux  ai-biti-es. 
2  N"  7,  t.  III,  p.  233.  (1727.) 


2S6  NOUVP^AUX  SUCCÈS  DE   DUPLAN 

année,   et  là,  solennellement,  les   membres  de  l'as- 
semblée confirmèrent  Duplan  dans  sa  charge  * . 

Antoine  Court  désirait  d'autant  plus  apaiser  cette 
querelle,  que  Duplan  rendait  en  ce  moment  au  protes- 
tantisme de  plus  importants  services.  Il  l'avait  déjà  dit  : 
c(  On  ne  pouvait  rien  trouver  dans  la  conduite  de  son  ami 
qui  méritât  l'affront  qu'on  lui  voulait  faire;  tout  mé- 
ritait des  louanges.  »  Duplan  en  effet  ne  s'était  point 
laissé  rebuter  par  les  obstacles.  Bien  que  Genève  se  fut 
montrée  peu  libérale  et  que  la  Suisse  ne  lui  eût  accordé 
que  quelques  petits  présents,  il  ne  s'était  point  lassé  de 
frapper  aux  portes,  d'envoyer  des  suppliques,  de  de- 
mander des  secours.  «  J'ai  porté,  disait-il,  la  charrue 
sur  des  terres  en  friche,  ou  peu  s'en  faut.  Il  y  a  des 
pierres  et  des  ronces  qu'il  faut  ôter  et  arracher,  avant 
que  de  se  flatter  de  recueillir  des  fruits  ^.  »  Les  fruits, 
pour  continuer  la  comparaison,  ne  tardèrent  pas 
à  mûrir.  Quelques  mois  après,  en  17,27,  tandis  qu'en 
France  de  vifs  débats  s'engageaient  sur  sa  personne, 
il  obtint  de  quelques  amis  la  promesse  d'entrete- 
nir deux  proposants,  à  leurs  frais,  dans  la  ville  de 
Lausanne,  jusqu'au  jour  où  ces  derniers  seraient 
consacrés  pasteurs  ^.  Ces  amis  demandaient  peu  de 

1  N''  5,  n"  XI.  L'affaire  y  est  tout  au  long  exposée. 

2  N"  12,  p.  167.  (Janvier  1727.) 

3  Ibîd.,  p.  173.  (Mars  1727.) 

«...  Au  mois  de  mars  1727,  dit  Court  (N°  7,  t.  IX,  p.  294),  de 
nouvelles  sollicitations  obtinrent  de  plus  grands  secours;  il  y  en  eut 
d'assez  suffisants  pour  fournir  à  l'entretien  de  deux  étudiants.  »  Et 
ailleurs  :  «  .  .  .  Cette  communion  eut  tout  l'effet  que  l'on  pouvait  en 
espérer,  puisque  par  les  soins  infatigables  du  député  et  la  libéralité 
de  divers  souverains  et  députés,  l'on  eut,  dès  l'an  1727,  de  quoi  four- 
nir h  l'entretien  de  deux  jeunes  proposants  hors  du  royaume...  » 


LE  SECOND  ETUDIANT  :  ROUX  287 

chose  :  le  secret,  mais  ils  l'exig'eaieiit.  «  Nous  sommes 
très-sensibles,  écrivit  aussitôt  Court,  aux  bontés  de  ces 
pieux  et  charitables  personnages  qui  veulent  bien  se 
donner  le  soin  et  faire  la  dépense  de  l'entretien  de 
deux  de  nos  proposants.  Remerciez-les-en  bien  de  notre 
part.  Des  secours  de  cette  nature  nous  sont  si  avan- 
tag'eux,  que  les  soins  que  vous  vous  êtes  donnés  pour 
les  obtenir  méritent  plus  que  des  louanges  \  »  Un 
jeune  homme  fut  aussitôt  choisi  pour  aller  étudier  à 
Lausanne,  et  s'achemina  vers  la  Suisse.  C'était  le  pro- 
posant Roux,  originaire  de  Caveirac,  dans  le  diocèse 
de  Nîmes. 

Ainsi  le  principal  objet  de  la  députation  de  Dupîan 
était  presque  réalisé.  Quelques  hommes  «  pieux  et 
charitables  »  s'étaient  engagés  à  subvenir  aux  dépenses 
de  deux  étudiants,  et  non-seulement  des  deux  premiers, 
mais  encore  de  ceux  par  lesquels  ils  seraient  successi- 
vement remplacés.  Ils  entretiendraient,  disaient-ils, 
deux  jeunes  g'ens,  et  après  «  ces  deux,  deux  autres.  y> 
Certaines  difficultés,  il  est  vrai,  surgirent,  mais  elles 
furent  bientôt  résolues. 

Quels  furent  ces  bienfaiteurs?  On  ne  peut  se  livrer 
qu'à  des  suppositions.  Ils  habitaient  la  Suisse,  voilà 
tout  ce  que  l'on  sait.  Les  protestants  de  Hollande, 
d'Angleterre  ou  d'Allemag'ue,  ne  contribuèrent  que 
plus  tard  aux  dépenses  du  séminaire. 

Aucun  fonds  d'ailleurs  n'était  réuni.  Ce  devait  être 
une  cotisation  annuelle  que  le  député  prélevait  selon 
les  besoins,  et  les  besoins  étaient  petits.  «  Tout  ce  que 

»  N"  I,  t.  111,  p.  186.  (Avril  1727,) 


288  INACTION  FORCEE  DE  DUPLAN 

je  puis  VOUS  dire,  écrivait-il  plus  tard,  c'est  que  nos 
revenus  sont  petits  et  fort  casuels,  et  qu'à  mesure 
qu'on  reçoit,  on  distribue  pour  l'entretien  des  propo- 
sants \  »  Il  faut  remarquer  toutefois  que,  dès  cette 
année  1727,  un  comité  choisi  par  les  bienfaiteurs  fut 
probablement  constitué  à  Genève  pour  recevoir  et 
distribuer  les  sommes  collectées.  On  l'appela,  dans  la 
suite,  l'hoirie. 

Les  ég-lises  n'allouaient  à  Duplan  aucune  indemnité, 
et  celui-ci,  trop  pauvre  pour  voyager  à  ses  frais,  ne 
pouvait  aug'menter  le  nombre  des  bienfaiteurs,  ni 
accroître  les  ressources  nécessaires  à  la  fondation  du 
séminaire.  Cette  inaction  le  chagrinait.  Il  disait  volon- 
tiers que,  s'il  avait  trouvé  une  pistole  en  Suisse,  il  en 
trouverait  dix,  vingt,  trente,  en  Allemagne,  en  Hol- 
lande et  en  Angleterre^.  Ailleurs,  il  ajoutait  que  certai- 
nement il  rencontrerait  dans  les  pays  protestants  «  des 
personnes  pieuses  qui  contribueraient  avec  plaisir  pour 
le  tabernacle  du  P'ils  de  Dieu  dans  notre  chère  patrie  ^ .  )> 
Mais  l'arg'ent  manquait,  et,  malgré  ses  pressantes  sol- 
licitations, on  ne  pouvait  fournir  à  une  si  dispendieuse 
entreprise. 

Duplan  se  résigna  à  rester  en  Suisse. 

Ne  pouvant  aller  lui-même  exposer  les  besoins  des 
religionnaires,  il  se  décida  à  les  exposer  par  écrit.  Les 
réponses  qu'il  reçut  furent  toutefois  peu  favorables, 
et  les  secours  rares  ou  insignifiants.  On  restait  froid. 
c(  Je  vous  le  dis  avec  regret  et  avec  douleur,  à  la 

i  No  12,  p.  247.  (1729.) 

2  Ibid.,  p.  196.  (1728.) 

3  Ibid.,  p.  210.  (Mars  1728.) 


AMIS  ET  BIENFAITEURS  289 

réserve  de  quelques  petits  secours  des  particuliers  qui 
ont  une  véritable  piété,  nous  ne  devons  pas  nous 
appuyer  sur  les  Puissances  protestantes.  Ce  sont  des 
roseaux  cassés  qui  nous  perceraient  les  mains,  à  moins 
que  Dieu  ne  les  anime  d'un  nouveau  zèle  ^  » 

Il  se  borna  donc,  en  attendant  des  jours  meilleurs,  à 
solliciter  les  dons  des  gouvernements  et  des  principaux 
personnages  de  la  Suisse.  Berne  ^  qui,  à  l'époque  de  la 
Révocation,  avait  offert  une  si  large  hospitalité  aux 
réfugiés,  Zuricli,  Lausanne,  se  firent  remarquer  par 
leur  générosité.  Elles  augmentèrent  les  petits  revenus 
dont  on  jouissait  déjà,  et  même,  en  certaines  occa- 
sions, elles  accordèrent  des  secours  soit  à  des  misères 
pressantes,  soit  à  de  grandes  infortunes.  LL.  EE. 
de  Berne  firent  ainsi  sur  les  sollicitations  de  Duplan, 
une  pension  à  vie  à  un  nommé  Martel  ^.  Quelque  temps 
après,  comme  les  églises  étaient  trop  pauvres  pour 
payer  leurs  pasteurs,  deux  cents  livres  furent  recueillies 
et  envoyées  en  France^.  Les  revenus  pour  l'entretien 
des  proposants  s'accrurent  aussi  et  l'on  put  enfin  rece- 
voir à  Lausanne  un  certain  nombre  d'étudiants.  «  liCS 
années  suivantes,  dit  Court,  furent  plus  fructueuses  '*.  » 
De  1725  à  1730,  le  Daupliiné,  le  Languedoc  et  les 
Ce  venues  envoyèrent  en  Suisse  six  proposants  ^ 

Un  comité,  composé  de  personnes  «  hors  de   tout 

1  N"  12   (Déceiubre  1728.) 

2  N''12,  p.  200.  (1728.) 
»  Ihid  ,  p.  243.  (1729.) 

*■  N"  8.  —  En  1728,  il  obtint  1900  livres  de  Berne. 

—  —  _  776     —      de  Schaffouze. 

—  _  _  {;580     —       de  Zurich. 

—  -  —  500     —      de  Bàle. 
»  N''12,  p.  255.(1729.) 

I  19 


290  COMITE  DE  GENEVE 

soupçon  d'imprudence  et  d'infidélité,  »  fut  en  outre 
définitivement  établi.  Il  eut  mission,  non-seulement  de 
recevoir  et  de  répartir  les  sommes  reçues,  mais  encore 
de  surveiller  à  Lausanne  les  études  des  jeunes  gens  qui 
s'y  trouvaient.  C'est  en  son  nom  ainsi  que  le  pasteur 
Vial,  un  de  ses  membres  probablement,  invita  les 
ég-lises  de  France  à  accorder  deux  années  pour  l'édu- 
cation de  leurs  étudiants,  disant  au  surplus  que  «  les 
amis  et  bienfaiteurs  »  l'exig'eaient  * . 

Duplan  cependant  courait  la  Suisse  en  tous  sens  et 
sans  se  lasser.  Il  ne  se  contentait  plus  de  demander  des 
secours  pour  l'entretien  des  étudiants,  il  en  demandait 
encore  pour  l'achat  de  livres,  pour  les  galériens,  pour 
toutes  les  victimes  de  la  persécution.  Il  appelait  cela 
«  son  négoce.  »  Tout  d'ailleurs  se  faisait  dans  le  plus 
grand  secret  ;  les  églises  de  France  n'étaient  pas  même 
informées  des  négociations  et  des  démarches  dont  elles 
étaient  l'objet.  Un  jour,  elles  s'adressèrent  à  leur  dé- 
puté et  le  prièrent  de  les  instruire  du  résultat  de  ses 
travaux  et  du  nom  de  leurs  bienfaiteurs.  Duplan  ré- 
pondit aussitôt  :  «  Il  n'est  ni  juste,  ni  possible,  ni 
convenable  que  je  vous  rende  compte  de  ce  qui  est 
donné.  Comme  c'est  ici  une  affaire  de  charité,  on  doit 
être  satisfait  que  les  choses  soient  bien  administrées, 
sans  savoir  d'où  elles  viennent  et  à  quoi  elles  se  mon- 
tent ^.  »  Le  mystère  enveloppait  cette  œuvre. 

1  N"  I,  t.  »  p.  292.  (1729.)  —  Le  Synode  national  de  1730  prit  la 
mesure  suivante  :  «  Sur  la  demande  qui  a  été  faite,  si  on  devait  limiter 
un  temps  aux  prédicateurs  qui  vont  étudier  dans  les  académies  étran- 
gères protestantes,  il  a  été  répondu  qu'on  laissera  la  chose  à  la  pru- 
dence de  MM.  nos  amis  des  pays  étrangers.  »  Recueil  de  Synodes,  etc. 

a  N"  12,  p.  247.  (1729.) 


LE  SEMINAIRE  EST  FONDE  291 

Qu'importait  !  On  toucliait  au  but.  Les  fondements 
d'un  établissement,  qui  devait  pendant  quatre-ving-ts 
ans  donner  des  pasteurs  aux  réformés,  étaient  soli- 
dement assis.  Il  suffisait  qu'un  homme  actif,  dévoué 
et  persévérant,  se  mît  maintenant  à  la  tâche  :  l'ou- 
vrage serait  bientôt  achevé. 


CHAPITRE  X 

QUATRE   ANNÉES   DE   LUTTES 
1725-1729 

A  l'étranger,  se  fondait  mystérieusement  pour  les 
églises  de  France  un  séminaire,  pépinière  de  prédicants 
hardis  et  forts.  C'était  bien.  La  Déclaration  de  1724  pou- 
vait être  désormais  appliquée  dans  toute  sa  rigueur  ;  il 
faudrait  bien  des  fois  dresser  l'écliafaud  avant  d'épui- 
ser la  liste  de  tous  ceux  qui  se  disposaient  à  le  braver. 
Deux  choses  restaient  maintenant  à  faire  :  retenir  les 
protestants  «  dans  la  foi;  »  augmenter  leur  nombre,  s'il 
était  possible.  La  persécution  allait  en  effet  sévir  :  il 
fallait  craindre  les  faiblesses  et  redouter  les  apostasies. 

Antoine  Court,  au  Synode  1725,  n'avait  pas  seu- 
lement proposé  d'élire  un  député  général  ;  il  avait  for- 
mulé d'autres  propositions  K 

Au  commencement  de  l'année,  il  avait  failli  être 
pris.  Tandis  qu'il  prêchait  dans  une  maison,  les  soldats 
avaient  fait  irruption,  et  il  n'avait  du  son  salut  qu'à 
un  heureux  hasard  et  à  son  sang -froid.  Mais  plu- 
sieurs assistants  avaient  été  faits  prisonniers.  Un  d'eux 

^  N"  7,  t.  II,  p.  161.  —  V.  audsi  Pièces  et  (Jocumeiits,  ii"  XIV. 


CRÉATION  D'UNE  CAISSE  DE  SECOURS  293 

avait  été  relâché,  quatre  avaient  été  retenus,  jug'és  et 
condamnés  aux  g'alères  par  le  sénéchal  de  Nîmes  K  On 
voulait  les  retirer  de  prison,  et  le  seul  moyen,  c'était 
de  racheter  leur  liberté.  Le  prix  était  élevé.  Court 
avait  essayé  de  faire  une  collecte  pour  la  rançon  des 
g^alériens  ;  il  n'avait  pas  réussi  :  la  misère  était  trop 
g'rande.  Cas  grave,  et  qui  allait  souvent  se  reproduire. 
Il  invita  donc  le  Synode  à  créer  un  fonds  public 
destiné  à  secourir  a  ceux  qui  souffraient  pour  l'Evaii- 
gnle  ;  et,  ajouta-t-il,  —  car  sa  pensée  embrassait  tout, 
—  «  et  ceux  aussi  qui  travaillaient  au  ministère.  »  Une 
collecte  g'énérale  et  extraordinaire  se  ferait,  et  les 
ég'lises  seraient  invitées  à  y  contribuer  dans  la  limite 
de  leurs  moyens.  Cela,  «  tant  par  donations  entre  vifs 
que  par  legs  testamentaires  %  »  conformément  à  la  déli- 
bération qu'avait  prise  autrefois  le  Synode  national  de 
1620.  On  établirait  dans  chaque  q^iarlier  un  trésorier 
pour  recueillir  les  dons;  quand  le  fonds  serait  con- 
stitué, un  colloque  aurait  charge  de  distribuer  les  se- 
cours, suivant  les  besoins  et  les  infortunes^.  Le  Svnode 
accueillit  avec  faveur  cette  proposition  et  pria  Antoine 
Court  d'écrire  sur  ce  sujet  une  lettre  pastorale  aux 
églises.  c(  J'y  travaillerai,  s'il  plaît  au  Seig*neur,  disait 
Court  quelques  jours  après,  mais  hélas!  que  de  sujets 
indigents  ou  peu  zélés  ma  lettre  va  rencontrer  '*  !  » 
Le  Synode  décida  en  second  lieu  qu'un  prédicant 

'  Le  Parlement  de  Toulouse  cassa  plus  lard  l'arrêt. 

*  Legs  testamentaires,  mais  faits  oralement.  Le  protestant  n'existait 
pas  devant  la  loi;  il  ne  pouvait  légalement  ni  tester  ni  disposer  de 
ses  biens. 

8  N»  7.  t.  II,  p.  161.  (Mai  1725.) 

*  Ibid. 


294  CONFÉDÉRATION  DES  ÉGLISES 

serait  député  vers  les  églises  du  Vivarais  pour  y  con- 
solider l'ordre,  et  vers  celles  duDauphiné  pour  engager 
ces  dernières  à  s'unir  «  à  leurs  sœurs  du  Languedoc.  )> 
Court  avait  résolu  de  faire  entrer  toutes  les  églises 
du  royaume  dans  une  espèce  de  confédération.  Contre 
les  persécutions  prochaines,  il  fallait,  en  effet,  gTOu- 
per  en  faisceau  les  forces  disséminées*. 

Le  proposant  Bouvière  fut  chargé  de  s'entendre 
avec  Roger  sur  l'union  des  églises  du  Dauphiné  et  du 
Lang'uedoc.  La  mission  n'était  point  difficile;  Roger 
qui  l'avait  provoquée  était  incapable  de  susciter  des 
obstacles  ^  Rouvière  passa  dans  le  Vivarais  qu'évan- 
gélisait  le  courag'eux  Pierre  Durand,  en  visita  les 
églises,  établit  des  Anciens,  et  après  avoir  rencontré 
Roger,  le  pria  de  convoquer  un  Synode  où  serait 
exposée  la  mission  dont  il  était  investi  ^ . 

Le  Synode  se  réunit  bientôt  *.  Roger,  qui  en  était  le 
modérateur,  proposa  de  recevoir  la  «  sommation  des 
églises  sœurs,  comme  un  effet  de  leur  soin  charitable, 
et  de  sig-ner  leurs  règ'lements  en  signe  de  parfaite  et 
éternelle  union.  »  Il  fît  toutefois  observer  que  cette  dé- 
férence n'impliquait  aucun  aveu  d'infériorité,  et  que 

1  N"  7,  t.  II,  p.  161.  (1725.) 

2  Roger,  de  son  côté,  demandait  que  le  Dauphiné  s'unît  au  Langue- 
doc. «  Alors  M,  R.,  dit  son  biographe  (N"  17,  vol.  B),  crut  que,  pour 
mieux  faire  recevoir  l'ordre  aux  protestants  de  cette  province,  il  n'a- 
vait pas  un  meilleur  moyen  que  de  demander  une  lettre  de  sommation 
auxMessieurs  du  Languedoc  pour  le  Dauphiné  et  le  Vivarais,  pour  les 
engager  à  se  soumettre  à  l'ordre,  parce  qu'un  corps  mieux  rangé  se- 
rait mieux  en  état  de  se  soutenir;  sur  quoi  les  Messieurs  du  Langue- 
doc ayant  répondu,  ils  réunirent,  avec  le  secours  de  Dieu,  et  rangè- 
rent les  choses  dans  Tordre  qui  règne  à  présent.  » 

3  N''7,  t.  II.  V   aussi  n"  1,  t.  III,  p.  379  (Juin  1725.) 
*  Juin  1725. 


DU  DAUPHINÉ  ET  DU  LANGUEDOC  295 

le  Lang'uedoc,  en  prenant  l'initiative  de  cette  mesure, 
ne  pourrait  en  aucune  façon  aspirer  à  une  forme  quel- 
conque de  domination^;  il  insista  même  sur  ce  point. 
Domination!  s'écria  Court.  «  Nous  ne  sommes  pas  as- 
sez amis  du  superbe  et  aveug^le  Vatican  pour  adopter 
ses  maximes,  ni  pour  imiter  sa  conduite  ^.  »  Toutes 
les  conditions  furent  acceptées. 

«  On  traita,  dit  Gorteiz,  une  alliance  fort  étroite  entre  les 
églises  du  Languedoc  et  celles  du  Vivarais  et  du  Dauphiné,  et 
on  dressa  quelques  articles  pour  serrer  plus  étroitement  cette 
union;  en  voici  la  copie  : 

«  En  premier  lieu,  que  le  Languedoc  ne  recevra  point  dans 
ses  Synodes,  ou  autrement,  des  ministres  sans  le  consentement 
des  Synodes  du  Vivarais  et  du  Dauphiné;  et  réciproquement,  le 
Dauphiné  et  le  Vivarais  ne  recevront  point  de  proposants  dans 
le  saint  ministère,  sans  le  consentement  et  l'approbation  des 
Synodes  du  Languedoc.  Ce  qui  donna  lieu  à  cet  article  fut  la 
crainte  que  quelque  proposant  délinquant  ne  fût  surprendre  les 
pasteurs  de  ces  Synodes,  et  que  le  saint  ministère  ne  fût  exercé 
par  des  personnes  indignes. 

«  Le  deuxième  article,  que  nous  recevrions  tous  les  quarante 
articles  de  la  confession  de  foi  dressés  et  reçus  par  les  égUses 
réformées  de  France  :  que  nous  aurions  mêmes  doctrines  à  l'é- 
gard des  dogmes,  mômes  règlements  à  l'égard  de  la  discipline, 
et  que  nous  nous  donnerions  mutuellement  les  secours  néces- 
saires dans  tous  les  cas,  sans  qu'il  y  eût  jamais  rien  qui  pût 
avoir  le  moindre  air  de  rébellion  contre  la  couronne  de  notre 
Roi  \  » 

Curieuse  préoccupation,  et  d'autant  plus  digne  de 
remarque,  qu'il  se  passa  dans  cette  même  assemblée 

i  N"  1,  t.  III,  p.  383. 

2  N"  7,  t.  II.  (Juillet  1725.) 

3  N»  17,  vol.  H,  p.  538    Relation  historicfe,  etc. 


296  DAUPHINÉ  ET  LANGUEDOC 

un  fait  qui  a  sa  valeur.  Antoine  Court  avait  souhaité 
que,  pour  sceller  solennellement  leur  union,  les  Sy- 
nodes et  les  pasteurs  des  deux  provinces  signassent 
le  formulaire  que  les  pasteurs  français  avaient  l'ha- 
bitude de  signer  avant  la  Révocation.  Roger  s'y  op- 
posa. Soit  que  le  bruit  des  disputes  que  le  Consensus 
occasionnait  en  ce  moment  en  Suisse  fût  parvenu  à  ses 
oreilles,  soit  qu'il  cédât  à  un  noble  sentiment  de 
libéralisme,  il  prétendit  qu'un  pareil  acte  pourrait 
avoir  de  dangereuses  conséquences  pour  l'union  des 
protestants.  Mais  Antoine  Court  : 

(i  Je  ne  dis  pas  qu'il  n'y  ait  bien  des  choses  dans  cette  dis- 
cipline que  le  temps  et  les  circonstances  ont  rendues  inutiles 
ou  impraticables...  Mais  tout  ce  qui  concerne  la  classe  intéres- 
sante dont  j'ai  parlé  doit  être  reçu  à  pratique.  D'ailleurs,  le  for- 
mulaire ne  s'arrête  pointa  la  discipline,  il. s'étend  jusqu'aux 
dogmes  qui  doivent  être  crus.  Je  sais  bien  qu'on  ne  commande 
pas  la  foi,  mais  je  sais  aussi  qu'il  est  d'une  dangereuse  consé- 
quence que  ceux  qui  enseignent  ne  sentent  pas  une  même 
chose  du  Seigneur,  et  qu'il  faut,  autant  qu'on  le  peut,  éviter  de 
recevoir  dans  le  ministère  ceux  qui  sentent  mal  en  la  foi.  Si 
on  a  des  sentiments  purs  et  orthodoxes,  on  ne  doit  point  se 
faire  de  la  peine  à  signer  une  confession  de  foi  qui  a  passé 
jusqu'ici  pour  être  orthodoxe  et  qui  a  été  signée  par  les  plus 
célèbres  compagnies  qu'il  y  ait  eu  peut-être  depuis  le  temps  des 
apôtres^...  » 

Roger,  peu  convaincu  par  ces  arguments,  resta  iné- 
branlable, et  le  formulaire  ne  fut  pas  sig*né.  Cette  op- 
position cependant,  il  faut  le  remarquer,  n'excita  ni 
luttes  ni  dissensions.  Il  ne  s'agissait  plus  en  effet  de 

1  N"  7,  t,  II,  p.  281.  (Juillet  1725.) 


PREMIER  SYNODE  NATIONAL  291 

querelles  tliéolog'iques.  Quelle  place,  en  ces  temps  de 
persécutions,  pouvait-on  donner  aux  discussions  qui 
avaient  ag^ité  pendant  le  dix-septième  siècle  le  monde 
protestant,  et  dont  on  entendait  encore  en  Suisse  les 
derniers  échos?  Une  seule  chose  importait  :  la  res- 
tauration du  protestantisme. 

Lorsque  Antoine  Court  connut  le  résultat  de  la  dé- 
putation  de  Rouvière  :  «  Nous  hénissons  Dieu,  lui  écri- 
vit-il, de  l'heureux  succès  de  votre  importante  com- 
mission. »  Heureux  événement  en  effet  et  de  g*rande 
importance!  Mais  ce  n'était  qu'un  commencement.  Du- 
plan,  conseillé  par  quelques  personnages  de  la  Suisse, 
venait  d'écrire  qu'il  serait  nécessaire  de  tenir  un  Synode 
général  oii  se  réuniraient  les  députés  du  Vivarais,  du 
Dauphiné,  du  Languedoc  et  des  Cévennes^  On  pour- 
rait ainsi,  disait-il,  prendre  des  mesures  communes 
((  pour  la  propagation  de  l'Evangile.  »  Court  trouva 
le  conseil  judicieux  ;  la  convocation  d'un  Synode  gé- 
néral fut  décidée  ^. 

Une  première  assemblée  se  tint  vers  la  fin  de  cette 
même  année  %  mais,  soit  que  les  députés  n'y  eussent 
pas  été  en  nombre  suffisant,  soit  qu'on  y  eut  résolu 
de  se  réunir  une  seconde  fois,  d'une  façon  plus  solen- 
nelle, ce  ne  fut  que  le  16  mai  1726,  au  fond  d'une 
vallée  du  Vivarais,  que  s'ouvrit  après  une  interruption 
de  soixante-six  ans  le  premier  Synode  général  des 
églises  réformées  de  France. 

On  l'appela  Synode  national. 

1  Duplan  séparait  toujours  les  Cévennes  et  le  Vivarais  du  Languedoc. 

«  N»  7,  t.  II,  p.  18L  (Juillet  1725.) 

3  N°7,  t.  IIL  p.  127.  (Septembre  1725.; 


298  PREMIER  SYNODE  NATIONAL 

Quarante-sept  membres  y  assistaient  :  trois  pasteurs, 
huit  proposants,  trente -six  Anciens. 

Que  d'événements  s'étaient  succédé  depuis  le  jour 
où,  près  de  Nîmes,  obscurément  et  misérablement,  s'é- 
tait tenue  la  première  assemblée  de  ce  genre  !  Ni  les 
rig-ueurs  n'avaient  été  suspendues,  ni  la  persécution 
ne  s'était  arrêtée  :  une  déclaration  terrible  venait 
de  couronner  ce  sombre  échafîxudag-e  de  cruelles  me- 
sures. Cependant,  après  onze  années  de  maux  et  de 
souffrances,  les  religionnaires ,  loin  de  succomber, 
relevaient  plus  fièrement  la  tête.  Leur  sang  avait  jailli 
sous  les  coups  des  soldats  au  Désert  et  sous  la  corde 
des  gardes  aux  galères;  mais  telle  en  avait  été  la 
puissance  fécondante  que  chaque  goutte  avait  été  un 
germe  de  vie.  Leur  nombre  augmentait  de  jour  en 
jour,  et  avec  leur  nombre,  leur  courage,  leur  fermeté 
et  leur  audace.  Ils  n'étaient  plus  comme  autrefois 
rares,  tremblants  et  pâles  ;  ils  étaient  hardis  et  puissants, 
et  ils  formaient  déjà  presque  un  peuple.  Les  despotes, 
depuis  l'origine  du  monde,  s'obstinent  follement  à 
vouloir  étouffer  la  liberté.  C'est  une  hydre  qui  a  plus 
de  cent  têtes,  et  qui,  comme  le  géant  de  la  fable,  re- 
prend sans  cesse  des  forces,  en  se  plong'eant  au  sein 
de  l'humanité. 

Une  des  premières  mesures  du  Synode  fut  de  pres- 
crire la  soumission  aux  Puissances  supérieures  :  au  Roi, 
aux  gouverneurs,  commandants  et  magistrats,  et  d'or- 
donner des  prières  publiques  en  leur  faveur. 

On  débattit  ensuite  et  on  accepta  les  règlements  qui 
depuis  longtemps  déjà  étaient  observés  dans  les  églises 
du  Languedoc  :  rétablissement  du  culte  public,  en  res- 


PREMIER  SYNODE  NATIONAL  299 

pectant  les  usagées  traditionnels;  —  injonction  aux  pas- 
teurs de  ne  prêcher  que  l'Ecriture,  seule  règ"le  de  foi, 
«  et  ce  qui  en  sort  par  des  raisons  claires  et  simples  ;  » 
prudence  et  réserve  dans  la  convocation  des  assem- 
blées :  nul  éclat,  ni  bruit,  ni  bandes  trop  nombreuses; 
exercice  du  culte  de  famille  ;  recommandation  aux 
fidèles  de  fournir  des  guides  à  leurs  pasteurs,  de  veil- 
ler à  leur  sûreté  et  de  les  recevoir  dans  leur  logis  ; 
censure  de  ceux  qui  feraient  bénir  leur  mariag^e  ou 
1)aptiser  leurs  enfants  à  l'Eg-lise  romaine  ;  exercices 
catécliétiques  dans  les  familles  ;  soumission  des  pas- 
teurs et  proposants  à  la  discipline  ecclésiastique  ;  pureté 
et  sévérité  des  mœurs  ;  règles  de  prudence  pour  les 
personnes  qui  auraient  le  malheur  d'être  arrêtées  ;  réu- 
nion annuelle  des  Synodes  nationaux  ;  caisse  de  réserve 
alimentée  par  les  collectes  pour  soulager  les  malheu- 
reux ;  établissement  de  secrétaires  dans  les  consistoires 
pour  recevoir,  distribuer  et  examiner  l'emploi  de  l'ar- 
gent; ordre  enfin  aux  corps  synodaux  de  se  taxer 
et  de  payer  aux  pasteurs  une  pension,  comme  marque 
de  reconnaissance*. 

Mais  les  troupes  «  roulaient  ;  »  après  avoir  délibéré 
pendant   quelques  jours,  l'assemblée  dut   se  séparer. 

Avant  que  les  députés  regagnassent  leurs  églises, 
Pierre  Durand,  un  des  rares  survivants  du  Synode  de 
1715,*  demanda  à  être  consacré  au  ministère.  C'était 
un  homme  courag*eux  et  patient,  qui  dans  le  Vivarais 
s'était  dévoué  à  l' œuvre  de  la  restauration  et,  seul, 
l'avait  terminée.  L'assemblée  lui  donna  l'ordination  et 

*  V  Pièoes  et  dooiiments,  n"  XV. 


;¥)0  CONSECRATION  DE  PIERRE  DURAND 

la  France  protestante  compta  un  nouveau  pasteur  :  c'é- 
tait le  quatrième  ' . 

Tandis  qu'Antoine  Court  faisait  prendre  ces  mesures 
d'intérêt  g'énéral,  il  n'oubliait  pas  de  quelle  sollicitude 
particulière  il  devait  entourer  en  ce  moment  les  égli- 
ses et  les  fidèles.  Jusqu'alors,  les  prédicants  avaient 

*  «  Aux  lecteurs,  paix  et  bénédiction  de  Dieu. 

«  Pierre  Durand,  du  lieu  du  Bouschet,  paroisse  de  Pranles,  en  Vi- 
varais,  ayant  proposé  l'espace  d'environ  sept  ans  dans  les  églises  qui 
s'assemblent  sous  la  croix  en  Yivarais,  h  la  grande  édification  de  tous 
les  fidèles,  avec  beaucoup  d'érudition,  de  piété  et  de  zèle,  et  lui  ayant 
été  adressée  la  vocation  au  saint  ministère  par  une  assemblée  syno- 
dale, le  11  novembre  1724,  continuée  aux  assemblées  synodales  du 
21  juin  et  du  29  août  1725,  s'est  enfin  présenté,  par  l'ordre  du  Synode 
national  tenu  en  Yivarais,  le  16  mai  1726,  pour  être  examiné  et  reçu 
dans  le  saint  ministère,  h  quoi  nous,  les  soussignés,  ayant  acquiescé, 
il  a  été  examiné  dans  la  vie  et  dans  les  mœurs,  et  par  un  examen  en 
théologie,  en  présence  des  députés  à  ce  nommés,  et,  après  avoir  heu- 
reusement proposé  la  Parole  de  Dieu  en  notre  présence,  nous  avons 
demeuré  très-satisfaits  de  l'un  et  de  l'autre,  et  avons  reconnu  que  le 
Seigneur  lui  avait  départi  des  talents  considérables  pour  l'édification 
de  son  Eglise.  C'est  pourquoi  nous  lui  avons  conféré,  h  la  face  d'une 
assemblée  publique,  l'ordination,  selon  la  manière  de  l'imposition  des 
mains  reçue  dans  nos  églises,  pour  remplir  toutes  les  fonctions  du 
saint  ministère,  soit  dans  la  prédication  de  la  Parole  de  Dieu,  l'ad- 
ministration des  saints  sacrements,  soit  dans  l'exercice  de  la  disci- 
pline ecclésiastique  et  dans  tout  ce  qui  en  dépend,  et  nous  lui  avons 
donné  la  main  d'association. 

«  Qu'il  plaise  à  Dieu  que  par  son  Saint-Esprit  il  le  fortifie  et  sanc- 
tifie dans  la  vérité,  qu'il  le  remplisse  de  ses  grâces,  et  qu'il  fasse 
réussir  son  ministère  è  la  gloire  de  son  saint  nom,  à  l'avancement 
du  règne  de  Jésus-Christ. 

«  Au  Désert,  le  dix-septième  mai,  mil  sept  cent  vingt-six, 

«  En  foi  de  quoi,  nous  nous  sommes  signés  : 

«  Jacques  Roger,  pasteur,  modérateur;  AntoineCourt,  pasteur, 
modérateur  adjoint;  Corteiz,  pasteur. 

«  Je  rends  témoignage  au  présent  certificat: 
«Boyer,  proposant  du  Languedoc  et  secrétaire  du  Synode  national  : 
Roux,    proposant   du    Languedoc;  Jean  Rouvier,  proposant: 
Bernard,  proposant;  Guilhot,  proposant:  Fauriel,  proposant.  » 

Pierre  Dnrand^  etc.,  p.  22. 


DIVISION  DL  LANGUEDOC  EN  QUARTIERS  301 

couru  un  peu  à  raventure  le  Lang'uedoc.  Missionnaires 
toujours  prêts  à  partir,  ils  allaient  où  les  fidèles  les 
appelaient.  De  là,  un  fâcheux  état  de  choses.  Certaines 
ég-lises  étaient  trop  visitées  ;  d'autres  étaient  trop  né- 
g'iig'ées  et  n'entendaient  qu'à  de  longs  intervalles  les 
exhortations  des  pasteurs  * .  Or,  quelle  que  fût  l'ardeur 
de  la  piété,  le  contact  incessant  des  prédicants  avec 
les  fidèles  pouvait  seul  désormais  empêcher  qu'elle 
ne  s'éteignît.  Le  Languedoc  fut  donc  divisé  en  sept 
quartiers^  et  à  chacun  de  ces  quartiers  fut  attaché 
un  proposant.  Outre  les  assemblées  publiques  que 
celui-ci  convoquait,  il  devait  instruire  les  familles  où 
il  logerait,  réunir  de  petites  sociétés  particulières,  y 
faire  des  exercices  de  piété,  et  interroger  les  fidèles 
sur  le  catéchisme.  Dans  ses  courses,  il  assemblait  en 
colloque  les  Anciens,  leur  faisait  rendre  compte  de 
leur  conduite,  et  leur  adressait  censures  ou  éloges, 
publiquement,  selon  qu'ils  le  méritaient.  Il  ne  restait 
enfin  que  six  mois  dans  un  même  qîiartier;  deux 
fois  par  an,  les  Synodes  assignaient  un  champ  diffé- 
rent à  son  activité  ■\ 

Quant  à  Court  et  à  Corteiz,  les  deux  seuls  pasteurs 
du  Languedoc,  ils  s'étaient  partagé  la  province  entière. 
Sans  poste  fixe,  ils  couraient  le  pays.  Ils  entreprenaient 
de  longues  courses  à  travers  les  églises,  baptisant, 
mariant,  donnant  la  communion.  Voilà  le  seul  moyen, 
disait  Court,  de  «  fournir  à  l'instruction  d'un  grand 
peuple  ^ .  » 

1  N"  7,  t.  Il,  p.  ;>00.  (17:>5.) 

2  V.  Pièces  et  documents  n"  XIX. 
3N"  7,  t.  III,  p.  127.  (I7?r,.) 


30;^  DISCUSSIONS  AVEC  GAUBERÏ 

Cette  dernière  mesure  ne  fut  pourtant  pas  appliquée 
sans  difficulté.  Les  prédicants  se  voyaient  avec  peine 
soumis  à  la  décision  arbitraire  des  Synodes.  L'obliga- 
tion de  quitter,  deux  fois  par  an,  leur  quartief  leur 
était  à  charge.  Les  uns  trouvaient  les  quartiers  assi- 
gnés trop  peu  importants,  et  y  croyaient  leur  talent 
déplacé*;  les  autres,  avec  plus  de  raison,  prétendaient 
qu'on  avilissait  par  là  leur  ministère  dont  la  liberté 
seule  faisait  la  grandeur  ^.  Le  proposant  Gaubert  refusa 
d'obéir  aux  ordres  du  Synode.  Il  s'ensuivit  une  polémi- 
que avec  Court,  et  ce  fut  une  occasion  offerte  à  ce  der- 
nier de  placer  la  question  sur  son  véritable  terrain  : 

«  Les  vues  qu'on  s'est  proposé  en  établissant  cet  article  ont 
été  doubles.  La  première,  afni  que  toutes  les  églises  fussent 
visitées  exactement,  et  que  chacune  eût  tour  à  tour  les  prédica- 
tions nécessaires,  ce  qu'elles  n'avaient  point  avant  l'établisse- 
ment de  cet  article;  les  prédicateurs,  se  trouvant  presque  tous 
à  la  fois  dans  un  même  endroit  ou  se  plaisant  plus  dans  quoi- 
qu'un, négUgeaient  absolument  les  autres.  L'autre  raison,  qu'on 
a  eue  en  vue,  a  été  que  toutes  les  églises  eussent  part  aux  grâ- 
ces et  aux  talents  qu'il  a  plu  à  Dieu  de  départir  à  ses  servi- 
teurs. Les  talents  pouvant  être  plus  ou  moins  considérables 
selon  la  divine  grâce  de  Dieu,  l'édification  de  l'Eglise  s'en  trouve 
aussi  plus  ou  moins  grande,  et  chacune  d'elles  peut  et  doit 
souhaiter  d'en  être  participante.  Ces  vues  me  paraissent  nobles 
et  n'ont  rien>  selon  moi,  de  condamnable.  Ajoutez  que  le  mi- 
nistère peut  acquérir  par  ce  changement  plus  de  poids  et  d'effi- 
cace, les  choses  perdant  de  leur  goût  pour  être  trop  communes, 
les  peuples  se  familiarisant  trop  avec  les  prédicateurs  pour  les 
avoir  vus  et  fréquentés  longtemps,  —  familiarité  qui  est  d'un 
grand  préjudice  au  ministère,  les  exhortations  et  les  censures 

»  N"  7,  t.  II,  p.  475. 
«  Ibid.,  p.  231. 


HEUREUX  RÉSULTATS  DE  CETTE  xAIESURE  303 

perdant  par  là  leur  principale  force.  S'il  était  praticable,  un 
même  prédicateur  devrait  être  moins  vu  d'un  même  troupeau 
que  l'était  un  Roi  de  Perse  de  son  peuple  *...  » 

La  querelle  dura  quelque  temps,  alimentée  par  des 
lettres,  des  répliques  et  des  mémoires.  Gaubert  finit 
par  se  rendre  aux  raisons  de  Court,  et  cette  sag'e  me- 
sure, qui  mettait  les  ég'lises  en  communication  directe 
et  incessante  avec  le  prédicant,  fut  adoptée  par  tous. 

Le  prédicant  parcourait  ainsi  son  quartier^  hameau 
par  hameau,  maison  par  maison.  De  là,  un  zèle  crois- 
sant parmi  les  fidèles.  Leur  piété  était  sans  cesse 
tenue  en  éveil,  et  le  chang*ement  même  de  leurs  visi- 
teurs donnait  du  charme  à  la  persévérance  et  du  prix 
à  la  foi.  Pour  le  prédicant,  marchant  de  nuit  plutôt 
que  de  jour,  tantôt  sous  un  déguisement,  tantôt  sous 
un  autre,  il  mettait  en  défaut  par  des  déplacements 
continuels  les  espions  et  les  soldats.  Son  œuvre  s'ac- 
complissait lentement,  sûrement.  De  plus,  au  chef- 
lieu  du  quartier^  on  avait  réuni  quelques  ouvrages  en- 
voyés de  l'étranger.  Ces  ouvrages  ne  pouvaient  être 
ni  aliénés  ni  déplacés;  ils  étaient  destinés  à  ceux-là 
seuls  qui  prêchaient  ^.  Aux  heures  de  tristesse,  de 
découragement  ou  de  repos,  le  prédicant  pouvait 
puiser  dans  ces  livres,  choisis  avec  soin,  le  courage  et 
l'instruction  nécessaires  pour  s'acquitter  de  la  mission 
que  les  Synodes  lui  confiaient. 

Ainsi,  rien  n'avait  été  épargné  pour  conjurer  les 
effets  de  la  Déclaration.  L'union  des  églises  était  un 


1  N"  7,  t.  Il,  p.  ;eoo. 
^N"  12,  p.  31.  (1725.) 


304  LA  SITUATION  EN  1726 

fait  accompli,  la  piété  des  religionnaires  était  entre- 
tenue par  de  quotidiennes  exhortations,  leur  charité  ve- 
nait enfin  d'être  mise  à  l'épreuve.  Court  avait  terminé 
le  mémoire  qu'il  s'était  chargé  d'écrire  «  sur  l'établis- 
sement d'une  bourse  publique  pour  l'entretien  du 
ministère,  des  pauvres,  des  prisonniers  et  d'un  député 
dans  les  pays  étrang'ers.  »  Une  collecte  avait  été  faite, 
et  les  résultats  avaient  heureusement  trompé  ses  appré- 
hensions *. 

«  Le  zèle  parmi  nous  ne  se  dément  pas,  écrivait  Antoine 
Court  au  retour  d'un  voyage  fait,  en  1726,  dans  la  province  ; 
il  semble,  au  contraire,  à  tous  moments  brûler  de  nouvelles 
flammes...  J'ai  administré  dans  toutes  les  églises  la  sainte 
Gène;  le  nombre  des  communiants  y  a  été  considérable,  dans 
quelques-unes  il  a  monté  au  delà  de  mille.  Partie  de  ces  assem- 
blées ont  été  faites  de  jour  et  les  autres  de  nuit;  presque  dans 
toutes,  on  y  a  vu  paraître  des  personnes  de  marque  et  dont  le 
zèle,  après  avoir  été  longtemps  endormi,  se  réveille^...  Dans  le 
cours  de  ma  visite,  j'ai  béni  quelques  mariages  et  baptisé  quel- 
ques enfants  ^...  » 

Il  faut  ajouter,  pour  compléter  le  tableau,  que  le 
petit  corps  des  prédicants  venait  de  faire  deux  nou- 
velles recrues  :  c'était  Maroger,  originaire  de  Nîmes  % 


1  N"  7,  t.  II,  p.  405. 

2  Ce  zèle  parmi  les  personnes  «  démarque  »  était-il  le  résultat  d'une 
lettre  récente  que  Court  avait  écrite  :  «...  J'en  ai  une  autre  (lettre) 
contre  la  noblesse  et  les  gens  riches...  qui  n'assistent  pas  aux  assem- 
blées... Je  sais  que  les  résolutions  vigoureuses  ne  sont  pas  a])prou- 
vées  de  tout  le  monde;  mais  je  sais  aussi  que,  lorsqu'elles  ne  s'éloi- 
gnent pas  d'une  prudence  bien  entendue,  elles  sont  d'un  grand  usage.  » 
N"  7,  t.  III,  p.  50.  (1726.; 

3  N"  7,  t.  II,  p.  385.  (Avril  1126.) 

*  «  A  mon  retour  de  Montpellier  (1724),  dit  Corteiz,  M.  Maroger, 
natif  de  Nîmes,  nous  vint  trouver  pour  nous  déclarer  qu'il  voulait  se 


AVÈNEMENT  DE  FLEURY  AU  MINISTÈRE  305 

et  Claris,  de  Lézan,  dans  le  diocèse  d'Alais.  Ces  deux 
jeunes  hommes  avaient  sollicité  du  Synode  la  permis- 
sion de  prêcher  sous  la  croix,  au  lendemain  même  de 
la  Déclaration. 


La  situation  ne  s'était  pas  sensiblement  aggravée. 
Une  assemblée  avait  été  surprise  à  Alais  et  les  soldats 
avaient  fait  quelques  prisonniers.  C'était  tout. 

Il  semblait  que  l'attention  de  la  cour,  occupée  par 
les  questions  politiques  et  le  mariag-e  de  Louis  XV,  se 
fût  détournée  de  la  question  religieuse  \ 

Mais,  en  1726,  le  duc  de  Bourbon  fut  exilé,  etFleury 
devint  officiellement  premier  ministre.  Quelque  temps 
après,  l'évèque  de  Fréjus,  arrivant  au  comble  des  hon- 
neurs, fut  préconisé  à  Rome  dans  un  consistoire  et 
nommé  cardinal.  Dès  lors,  tout  chang'ea. 

Duplan,  qui  par  ses  relations  en  Suisse  était  informé 
de  ce  qui  se  tramait  à  Paris,  avait  prévenu  Antoine 
Court.  «  L'évèque  de  Fréjus,  lui  disait-il,  depuis  son 

consacrer  au  service  de  l'Eglise  sous  la  croix.  Je  l'exhortai  d'augmen- 
ter ses  lumières  pour  être  en  état  de  soutenir  un  examen  de  la  part 
de  MM.  les  ministres,  proposants  et  Anciens;  je  lui  démontrai  les 
peines,  fatigues,  duretés,  mépris,  et  enfin  le  martyre  auquel  il  fallait 
s'e.xposer  en  embrassant  ce  parti.  Il  me  répondit  qu'il  avait  réfléchi 
sur  toutes  ces  choses,  mais  qu'il  sentait  en  lui  un  courage  qui  ne 
pouvait  venir  que  de  Dieu:  ce  qui  nous  donna  h.  croire  qu'il  était 
appelé  de  Dieu.  Quelque  temps  après,  il  vint  rester  quelques  mois 
avec  moi  ;  sa  piété,  son  zèle,  sa  mémoire  et  sa  grande  facilité  à  s'é- 
noncer dans  les  sermons,  nous  fit  un  véritable  plaisir;  ensuite  il  fut 
reçu  dans  le  corps  des  {)roposants.  »  N°  17,  vol.  H.  Relation  histo- 
rique, etc. 

'  Au  désespoir  des  évèques.  V.  la  curieuse  correspondance  de  de 
Brou  à  Melli(.'r.  Histoire  des  Eglises  de  Bretagne,  etc.,  p.  22S. 
(Octobre  1724.) 

I  20 


306  MÉMOIRE  DE  L'ABBÉ  ROBERT 

élévation  au  cardinalat,  n'attend  que  d'avoir  réglé  ses 
intérêts  avec  quelques  puissances  «  pour  abolir  le 
nom  des  protestants  en  France.  »  C'est  une  créature 
des  jésuites.  Il  a  demandé  la  fameuse  Déclaration 
de  1724,  et  il  va  la  faire  exécuter.  Veillez  !  » 

Duplan  ne  se  trompait  pas.  A  peine  Fleury  était-il 
revenu  au  pouvoir  que  le  clergé,  qui  connaissait  ses 
sentiments  intimes  et  le  regardait  volontiers  comme 
«  son  champion,  »  suivant  le  mot  de  Maleslierbes,  l'ac- 
cablait de  ses  demandes,  de  ses  mémoires,  de  ses  priè- 
res, et  le  suppliait  de  prendre  enfin  des  mesures  éner- 
giques contre  le  protestantisme.  On  possède  la  lettre 
et  le  mémoire  d'un  abbé  Robert,  prévôt  de  l'église 
cathédrale  de  Nîmes,  homme,  paraît-il,  modéré  et  pru- 
dent; le  document  est  curieux. 

«  Le  non  usage  de  leur  religion,  pendant  quarante  ans,  n'en  a 
point  détaché  (les  religionnaires)  ;  les  pères  et  mères  l'impriment 
dans  le  cœur  de  leurs  enfants,  et  n'ont  pas  de  peine  à  détruire  en 
eux  les  premières  teintures  qu'on  tâche  de  leur  donner  dans 
leur  éducation.  Plusieurs,  même  de  ceux  qui  avaient  été  dociles 
à  Dieu  et  goûté  le  don  céleste,  se  sont  retirés  de  la  foi  qu'ils 
avaient  reçue,  et  ont  été  d'un  exemple  très-pernicieux  à  ceux 
qu'on  travaillait  à  faire  rentrer  dans  le  sein  de  l'Eglise;  ils  ont 
même  entraîné  des  cathoUques  dans  l'erreur.  Ils  ne  sont  plus 
intimidés  par  les  ordres  qui  émanent  de  l'autorité  royale.  Gomme 
ils  sont  sans  effet,  ils  n'en  font  aucun  sur  leur  esprit;  ils  les 
regardent  comme  des  coups  de  foudre  qui  s'évanouissent  avec 
leur  hruit,  et,  n'en  étant  point  intimidés,  ils  ne  deviennent  que 
plus  opiniâtres.  Aussi  doit-on  se  persuader  qu'il  n'y  a  pas  moins 
de  calvinistes  en  France  qu'avant  la  conversion  générale. 

a  II  est  douloureux  qu'un  si  grand  œuvre  n'ait  eu  aucun 
fruit  général  et  qu'on  puisse  dire  qu'il  est  plus  reculé  qu'a- 
vancé; la  cour  paraît  même  l'avoir  perdu  de  vue  et  n'a  montré 


MÉMOIRE  DE  L'ABBÉ  ROBERT  307 

ses  intentions  que  par  des  actes  de  loin  en  loin  qui,  quoique  pu- 
bliés dans  tout  le  royaume,  n'ont  eu  aucune  force  et  sont  de  nul 
effet.  Tout  ce  qu'a  produit  jusqu'à  présent  la  prétendue  con- 
version générale,  n'a  été  que  d'ôter  à  une  partie  des  sujets  du 
Roi  tout  exercice  réglé  dans  leur  religion,  presque  tout  senti- 
ment de  véritable  christianisme,  et  que  de  les  mettre  en  occa- 
sion de  tomber  d'une  apostasie  dans  une  autre,  et  de  forcer  les 
ministres  du  Seigneur  à  une  profanation  continuelle  des  sacre- 
ments de  l'Eglise*.  >» 

Et  il  indiquait  les  moyens  propres,  selon  lui,  à  re- 
médier à  ce  c(  pitoyable  état  de  la  religion.  »  Fleury  te- 
nait l'abbé  Robert  en  haute  considération;  plus  d'une 
fois  il  lui  emprunta  ses  vues,  et  il  adopta  même  plus 
tard  son  projet  sur  la  question  des  mariages  ;  il  n'est 
donc  pas  inutile  d'indiquer  les  moyens  que  l'abbé  pro- 
posait. Ce  dernier  avouait  volontiers,  quoiqu'il  n'ap- 
prouvât pas  complètement  la  conduite  de  Louis  XIV, 
que,  c(  si  les  hommes  se  roidissent  quelque  temps  contre 
l'autorité,  à  la  fin  ils  se  rendent.  »  Tout  son  système  se 
réduisait  précisément  à  un  mélange  de  tolérance  et  de 
sévérité.  Il  fallait,  disait-il  :  P  Faire  composer  un  livre 
clair,  substantiel,  méthodique,  qui  serait  un  résumé 
des  choses  de  la  foi  et  qu'on  appellerait  le  «  Livre  de  la 
religion,  »  puis,  le  distribuer  dans  tout  le  royaume  ; 
2"  Maintenir  l'interdiction  de  tout  exercice  du  protes- 
tantism-e  ^  ;  3'*  Former  et  placer  dans  les  paroisses  des 

1  N»  17,  vol.  H,  p.  651.  (Novembre  1726.)  V.  aussi  Bibliothèque  na- 
tionale, Mss.  n»  7046,  p.  58.  Mémoire  sur  les  moyens  que  l'on  doit 
mettre  en  usage  pour  convertir  les  protestants. 

2  II  serait  à  souhaiter,  ajoutait-ij,  qu'il  fût  possible  de  purger  les 
villes  et  les  campagnes  de  ces  zélés  brouillons  et  de  ces  fameux  ha'* 
rangueurs  qui  croient  devoir  être  en  droit  de  faire  les  fonctions  de 
ministres  et  qui  se  font  écouter  comme  des  oracles,  quoiqu'ils  n'aient 
pas  même  les  preuves  de  leur  religion. 


308  MÉMOIRE  DE  L'ABBÉ  ROBERT 

ouvriers  évangéliques  dig-nes  de  leur  nom  et  de  leur 
charge  ;  4°  Créer  des  écoles,  choisir  des  maîtres  avec 
soin,  et  obliger  les  religionnaires  à  leur  confier  leurs 
entants  ;  5"  Interdire  aux  protestants  toutes  les  charges 
publiques;  6"  Leur  défendre  d'émigrer  ou  de  rentrer  en 
France.  Enfin  sur  la  question  des  mariages: 

«<  Les  pères  et  mères,  ajoutait-il,  n'ayant  d'autres  vues  que 
leur  établissement,  consentent  au  dehors  qu'ils  satisfassent 
aux  épreuves  qu'on  leur  demande,  et  ces  jeunes  personnes  s'y 
livrent  avec  plaisir,  poussés  par  des  motifs  purement  temporels. 
11  n'y  a  nulle  uniformité  dans  ces  épreuves  :  elles  sont  arbi- 
traires à  MM.  les  évêques.  Les  uns  les  exigent  de  quatre  mois, 
d'autres  de  six,  et  d'autres  d'un  an  :  on  les  oblige  d'aller  à  la 
messe  les  fêtes  et  les  dimanches.  Il  y  a  même  des  paroisses 
où  les  curés,  qui  en  ont  le  catalogue,  les  appellent  par  leur 
nom,  comme  des  écoliers  dans  une  classe,  ce  qui  semble  inté- 
resser la  dignité  de  la  religion  et  la  décence  du  service  divin. 

«  Et  comme  ils  veulent  venir  à  leur  fin,  ils  y  sont  assez  régu- 
liers, et,  le  temps  de  l'épreuve  fini,  on  les  marie  en  face  de  l'E- 
glise, de  sorte  qu'après  avoir  professé  le  sacrement  qui  les  unit 
ensemble,  ils  sont  également  enracinés  dans  leurs  premières 
erreurs,  et  ils  ne  font  plus  aucunes  fonctions  de  catholiques. 
—  Ce  qui  est  si  infaillible,  qu'à  peine,  depuis  quarante  ans,  en 
a-t-on  vu  qui  ayent  été  fidèles  aux  promesses  solennelles  qu'on 
avait  exigées  d'eux  avant  leur  mariage  ;  ce  qui  est  une  désola- 
tion pour  les  ministres  qui  les  reçoivent  aux  sacrements,  pour 
peu  qu'ils  aient  de  zèle  et  qu'ils  soient  prévenus  de  la  sainteté 
de  leur  ministère.  » 

Pour  faire  cesser  ce  scandale,  il  conseillait  d'établir 
deux  sortes  de  mariages  :  l'un,  pour  les  catholiques, 
avec  les  termes  :  Ego  'vos  in  7naôrimo7iium  conjungo 
in  nomine  Patris^  et  Filii,  et  Spiritus  Sancti  et  qu'on 
regarderait  comme  sacrement;  l'autre,  pour  les  pro- 


NOUVEL  ÉDIT  DE  1726  309 

testants,  dont  le  contrat  ou,  si  l'on  veut,  l'engag-e- 
ment,  serait  béni  par  le  prêtre,  mais  simplement  avec 
l'eau  et  le  signe  de  la  croix,  et  n'aurait  que  des  effets 
civils  ' . 

Tel  était  le  système  de  l'abbé  Eobert  ;  en  plus  d'un 
point  il  fut  exactement  suivi. 

Un  mois  avant,  au  mois  de  septembre  de  cette 
même  année,  avait  été  déjà  sig'né  à  Fontainebleau, 
confirmé  à  Montpellier  et  affiché  dans  la  province,  un 
nouvel  édit  par  lequel  Louis  XV  ordonnait  de  sévir  con- 
tre toute  personne  qui  aurait  assisté  ou  qui  aurait 
même  été  «  soupçonnée  »  d'avoir  assisté  aux  assem- 
blées. Les  hommes,  «  sans  autre  forme  ou  figure  de 
procès,  »  devaient  être  envoyés  aux  g'alères,  les  fem- 
mes recluses  à  perpétuité  dans  les  prisons  habituelles  - - 

La  rigueur  de  cet  ordre  n'empêcha  point  de  continuer 
les  assemblées  ;  on  se  borna  à  recommander  la  plus 
gTande  prudence".  Deux  assemblées  furent  cependant 
surprises,  l'une  à  Valleraugue,  l'autre  à  Castres,  dans 
le  haut  Languedoc.  Plusieurs  prisonniers  furent  faits, 
et  La  Fare,  sommairement,  les  condamna  aux  galères  et 
à  la  tour  de  Constance  "'.  Il  obéissait  aux  ordres  qu'il 
avait  reçus. 


'  «  Ce  projet,  dit  Joly  de  Fleury,  fut  communiqué  (en  1728  ou  1729) 
au  cardinal  de  Rolian  qui  ne  s'en  éloignait  pas;  le  cardinal  de  Bissy 
seul  s'y  opposa.  » 

2  N»  7,  t.  III,  p.  61.  (11  septembre  1726.) 

■^  Ihid. 

'*  N"  1,  t.  IV,  p.  100,  145,  155.  «  Tous  ces  événements  fâcheux,  man- 
dait Court,  ces  rigueurs,  ces  ordonnances,  joint  au  sourd  murmure 
qu'il  se  trame  quelque  chose  de  fort  mauvais  contre  nous,  intimident 
les  lâches,  mais  n'effrayent  pas  les  gens  fermes  et  courageux.  »  N"  7, 
t    m,  p.  61. 


310  ÉCOLES,  AMENDES 

Bientôt  furent  prescrites  de  nouvelles  mesures.  La 
cour  ordonna  d'ouvrir  des  écoles  dans  chaque  commu- 
nauté. Les  maîtres  et  les  maîtresses  furent  obligés  de 
dresser  une  liste  de  tous  les  enfants  des  nouveaux  con- 
vertis, âgés  de  sept  à  quatorze  ans;  le  curé  et  les  évê- 
ques  furent  priés  d'en  vérifier  l'exactitude.  Pour  les 
protestants,  ils  durent  envoyer  leurs  fils  et  leurs  filles 
dans  les  écoles.  S'ils  n'obéissaient  pas,  ils  payaient. 
Corteiz  rencontra  dans  une  de  ses  courses  un  homme 
qui  se  lamentait  ;  il  avait  plusieurs  enfants,  ceux-ci 
ne  voulaient  point,  après  l'école,  aller  à  la  messe,  et  on 
l'accablait  d'amendes,  —  amendes  peu  élevées  d'ail- 
leurs, mais  prélevées  méthodiquement,  avec  persévé- 
rance. Sur  cette  matière,  les  ordres  étaient  précis,  et  les 
juges  chargés  de  les  faire  exécuter  étaient  suspendus  de 
leurs  fonctions,  s'ils  y  mettaient  quelque  nég'ligence  * . 

Cependant ,  quoique  fréquemment  surprises ,  les 
assemblées  se  réunissaient  toujours.  Les  g^alères,  la 
prison,  le  gibet...  sinistre  perspective!  mais  qui  n'ef- 
frayait pas.  On  eut  de  nouveau  recours  aux  amendes. 
Le  Languedoc,  en  1728,  fut  par  un  ordre  de  la  cour 
divisé  en  cent  cinquante-six  arrondissements.  Chaque 
arrondissement  comprenait  un  certain  nombre  de  com- 
munautés. Cela  fait,  on  décréta  que  les  nouveaux  con- 
vertis, habitant  dans  l'étendue  d'un  arrondissement, 
seraient  responsables  des  assemblées  qui  s'y  pourraient 
tenir,  qu'ils  seraient  condamnés  sans  forme  de  procès  à 
des  amendes  arbitraires  et  aux  frais  des  procédures, 
qu'ils  seraient  enfin  astreints,  en  cas  de  récidive,  à  con- 

1  V.  Pièces  et  documeuts,  n"^  XVI,  XVII  et  XVIII. 


ARRONDISSEMENTS,  AMENDES  311 

tribuer  à  l'établissement  de  garnisons  effectives.  On  fît 
plus.  C'étaient  les  prédicants  qui  convoquaient  et  pré- 
sidaient les  assemblées;  la  cour  ordonna,  lorsqu'ils  se- 
raient pris,  que  l'arrondissement,  dans  lequel  aurait  eu 
lieu  la  capture,  payerait  une  somme  de  3,000  livres. 
Les  dénonciateurs  seuls  étaient  exemptés  de  ces  char- 
ges, et  ceux  des  nouveaux  convertis  qui  remplissaient 
leurs  devoirs  de  catholiques  et  pouvaient  le  prouver 
par  un  certificat  del'évêque.  «  L'ennemi,  écrivait  Court, 
n'est  pas  seulement  attentif  à  la  destruction  du  pas- 
teur, il  ne  néglige  rien  de  ce  qui  peut  contribuer  à  la 
destruction  du  troupeau  ^  »  On  le  dissipait,  en  effet, 
par  la  famine. 

Le  système  était  ingénieux.  Dans  une  ville  du  dio- 
cèse d'Alais,  quelques  jeunes  protestants,  pris  de  vin, 
maltraitèrent  des  bergers  qui  revenaient  de  la  messe.  Ils 
furent  enfermés  en  prison.  Peu  de  temps  après,  ils  par- 
vinrent à  s'évader.  Cela  fit  grand  bruit.  On  prétendit 
que  des  protestants  masqués,  pénétrant  dans  la  prison, 
en  avaient  forcé  les  portes  et  avaient  mis  en  liberté 
leurs  coreligionnaires.  D'Yverny,  qui  commandait  à 
Alais,  arriva  aussitôt  à  la  tête  de  deux  compag^nies  de 
soldats.  Il  réunit  ces  derniers  à  ceux  qui  se  trouvaient 
déjà  en  garnison  dans  la  ville,  et  de  deux  en  deux  les 
envoya  chez  les  nouveaux  convertis.  Ceux-ci  durent 
payer  à  chaque  homme  «  dix  sols  par  jour  avec  les  usten- 
siles, »  cela  pendant  vingt-deux  jours  '\  La  punition 
était  suffisante. 

(Quelque  temps  avant  cette  expédition,  un  tragique 

»  V.  Pièces  et  documents,  ir  XXI   (1729.) 

5  V.  Histoire  de  VEglise  d'Andnze,  etc.,  p.  784  et  suiv. 


312  SUPPLICE  DE  ROUSSEL 

événement  avait  profondément  ému  les  protestants. 
Un  de  leurs  collègues,  Alexandre  Roussel,  prêt  à  quitter 
]eqicartier  qu'il  avait,  suivant  l'usag-e,  évangélisé  pen- 
dant six  mois,  voulut  convoquer  une  dernière  assem- 
blée. Il  s'y  rendait,  accompagné  d'un  homme  de  con- 
fiance, lorsque,  tout  à  coup,  sur  la  route,  il  sévit  entouré 
de  quatre  cavaliers  :  il  était  tombé  dans  une  embuscade. 
Il  fut  garrotté  aussitôt,  et,  après  avoir  subi  un  premier 
interrogatoire,  conduit  à  Montpellier  sous  bonne 
escorte.  Son  procès  s'instruisit  rapidement,  et  encore 
qu'un  puissant  personnage  eût  intercédé  pour  lui,  il 
fut  condamné  à  mort.  L'échafaud  se  dressa  sur  l'espla- 
nade de  Montpellier ,  et  le  jeune  prédicant  subit  avec 
une  héroïque  fermeté  le  dernier  supplice.  C'était  en 
1728,  au  mois  de  novembre  \ 

La  reprise  de  la  persécution  n'avait  étonné  ni  les  pré- 
dicants  ni. Antoine  Court;  depuis  1724,  ils  s'y  atten- 
daient -. 

^  A'.  Pièces  et  documents,  n"*  XX. 

2  Comme  Malesherbes,  nous  entendons,  par  persécution,  la  grande 
persécution,  celle  qui  consistait  à  surprendre  les  assemblées,  fusiller, 
condamner  aux  galères  et  pendre  les  prédicants;  l'autre,  la  petite, 
n'avait  point  cessé  depuis  1724;  il  suffit,  pour  s'en  assurer,  de  parcourir 
les  registres  du  secrétariat  de  la  maison  du  roi.  Bien  que  très- 
incomplets,  ils  sont  instructifs.  Ainsi  pour  l'année  1725  : 

Lettre  l.  l'évêque  de  Poitiers  et  k  l'intendant  de  Limoges.  (Mars 
1725.)  Paudin  du  Treuil,  gentilhomme  d'Angoumois.  «  L'inten- 
tion du  roi,  informé  de  sa  conduite,  est  qu'il  mette  incessamment 
hors  de  chez  lui  cette  prédicante,  et  que,  s'il  ne  se  dispose  à  faire  in- 
struire ses  enfants  d'une  manière  convenable,  S.  M.  y  mettra  ordre.  » 
Cette  prédicante  était  une  gouvernante.  —  A  M.  de  Bouville,  inten- 
dant d'Orléans.  (Avril.)  Ordre  «  de  mettre  aux  N.  C.  d'Orléans  la 
nommée  Couvret,  que  son  père,  religionnaire,  empêche  de  suivre  les 
instructions  de  son  curé.  »  —  A  l'évêque  de  Soissons.  Un  père  est 
mort  relaps.  Ordre  de  mettre  en  liberté  sa  fille  qui  était  au  couvent. 


LE  CONSEIL  EXTRAORDINAIRE  313 

Les  circonstances  devenaient  cependant  assez  criti- 
ques pour  s'en  préoccuper.  Dès  que  les  premières  me- 
sures de  répression  furent  appliquées,  Court  essaya  de 
constituer  un  corps,  investi  d'une  puissance  illimitée, 
composé  d'un  petit  nombre  de  membres,  et  qu'il  serait 
facile  de  convoquer  pour  faire  face  aux  événements  et 
prendre  les  décisions  nécessaires.  Il  proposa  son  des- 
sein à  l'un  des  Synodes  de  1726,  et  le  Synode  l'ap- 
prouva ^  Telle  fut  l'origine  du  Conseil  extraordinaire. 
Cq  conseil  se  recrutait  parmi  les  hommes  de  talent  et 
«tV énergie  choisis  dans  les  colloques  %  et  devait  être 
présidé  par  un  pasteur  ^  Il  se  tint  pour  la  première 
fois,  en  1726,  vers  la  fin  de  l'année.  Neuf  articles  y 
furent  mis  en  délibération  et  adoptés.  Les  uns  regar- 
daient les  prédicateurs  et  les  Anciens,  les  bons  exemples 


—  A  de  Bouville,  intendant  (Forléans.  Prière  de  relâcher  une  fille 
Babault  qui  était  au  couvent.  — A  l'intendant  de  la  Rochelle.  Ordre  de 
séparer  un  nommé  Bechet,  marié  sans  les  formalités,  avec  une  nommée 
Goribau.  —  A  l'intendant  d'Orléans.  Ordre  de  mettre  au  couvent  du 
Saint-Sépulcre  de  Vierzon  les  nommées  Pichery  et  du  Plain,  et  h 
celui  des  Hospitaliers  d'Aubigny,  la  nommée  Babault.  —  A  l'ambas- 
sadeur du  roi  d'Angleterre.  (Septembre.)  Louis  Moquet  et  Suzanne 
Chateigner,  de  Pouzanges,  en  Poitou,  sont  allés  se  marier  k  Jersey. 
Prière  de  faire  défendre  aux  recteurs  des  paroisses  de  Jersey  et  Quer- 
nesey  de  marier  les  sujets  du  roi.  —  A  l'intendant  de  la  Rochelle. 
Une  veuve  Boutiron  s'est  refaite  protestante.  Ses  tîls  demandent  qu'on 
la  fasse  mettre  au  couvent.  Prière  d'informer.  —  A  l'iniendant  de 
Poitiers.  Transférer  Mlle  Brouard  aux  N.  Conv.  de  Poitiers,  et  de 
Parthenay  Mlle  de  la  Darroterie.  —  Archives  nationales,  0*372, 
p.  139,  141,  164,  230,  247,  260,  391. 

1  N"  7,  t.  II,  p.  61  et  247.  (1727.) 

2  Ibid.  On  venait  en  effet  de  décider  que  le  bas  Languedoc  et  les 
Cévennes  seraient  divisés  en  sept  quartiers  et  seize  colloques  où  l'on 
ne  résoudrait  que  les  moindres  affaires,  celles  qui  concernera i(Mit  les 
églises  comprises  dans  lesdits  colloques. 

8N»7.  t.  III.  p   202. 


314  ATTITUDE  DES  RELIGIONNAIRES 

qu'ils  devaient  donner,  et  la  manière  dont  ils  de- 
vaient se  conduire  dans  l'exercice  de  leur  charg-e  ;  les  au- 
tres réprimaient  les  jeux,  les  danses,  les  débauches, 
c(  les  masquarades,  »  et  indiquaient  les  mesures  qu'on 
devait  prendre  contre  ceux  qui  persévéraient  «  dans 
ces  licences  effrénées  ;  »  d'autres  encore  déclaraient  que 
les  assemblées  continueraient  malgré  les  édits,  mais 
qu'on  les  tiendrait  avec  la  plus  grande  prudence.  Ces 
articles  se  terminaient  enfin  par  la  prescription  d'un 
jeûne  solennel  \ 

Une  chose  heureusement  rassurait  les  prédicants, 
c'était  l'attitude  résolue  et  calme  des  relig-ionnaires. 
La  persécution  ne  les  avait  ni  effrayés  ni  abattus;  et 
les  idées  de  révolte  semblaient  même  avoir  perdu  tout 
empire  sur  leur  esprit.  Ils  attendaient  avec  résig*na- 
tion  des  jours  meilleurs.  Si,  douze  ans  après  la  mort 
de  Louis  XIV,  le  régime  de  terreur  qu'il  avait  adopté 
était  encore  une  fois  rétabli,  et  si  l'on  voyait  reparaître 
les  plus  mauvais  jours  du  règne  précédent,  la  cour  ce- 
pendant avait  beau  multiplier  les  amendes, —  on  citait 
tel  village  dont  les  amendes  d'un  seul  mois  s'élevaient 
à  mille  livres,  — élever  les  gibets,  et,  pour  combler  la 
mesure,  ordonner  de  remettre  entre  les  mains  des  con- 
suls tous  les  livres  de  religion  %  elle  s'acharnait  en  vain 
contre  des  hommes  endurcis  à  la  souffrance,  qui  dès  le 
premier  jour  de  leur  naissance  avaient  appris  à  faire 
peu  de  cas  de  la  mort,  quand  il  s'agissait  de  leur  vie 
à  venir.  «  Les  peines  afflictives,  écrivait  Court,  soit 

1  N°  7,  t.  III,  p.  172.  (1727.)  —  V.  aussi  Bullet.,  t.  II,  p.  240 
^  Il  y  eut,  en  avril  1729,  une  ordonnance   royale  qui  défendait  de 
])0sséder  des  livres  de  religion,  sous  peine  d'amende,  et,  en  cas  de  ré- 
cidive, de  bannissement.  Archives  de  l'Hérault,  C.  234. 


COURSES  DANS  LE  LANGUEDOC  315 

qu'elles  regardent  les  corps  et  les  biens,  ne  sont  pas 
assez  efficaces  pour  détourner  un  peuple  convaincu  de 
l'excellence  et  de  la  nécessité  de  ses  devoirs  envers 
Dieu  ^  »  Et  ailleurs,  parlant  de  la  mort  de  Roussel  : 
«  Votis  avez  raison  de  vous  persuader  que  la  mort  édi- 
fiante de  notre  clier  frère  M.  Roussel  n'aura  point  in- 
timidé nos  autres  frères  qui  prêchent  sous  la  croix.  J'en 
ai  vu  quelqu'un,  et  pendant  la  prison,  et  depuis  la  mort 
de  ce  martyr,  qui  nous  parut  toujours  avoir  le  même 
zèle  et  le  même  courage.  Je  n'ai  aucun  lieu  de  croire 
qu'il  n'en  soit  de  même  des  autres.  Ils  agissent  tous 
pour  une  bonne  cause  et  sont  tous  persuadés  qu'il  y  a 
une  Providence  qui  veille  sur  les  événements,  et  qu'il 
n'en  arrive  aucun,  que  ceux  qui  en  sont  les  objets  n'en 
recueillent  de  grands  avantages  ^.  » 

Une  telle  attitude  autorisait  la  confiance  et  l'es- 
poir. On  pouvait  voir  se  dérouler,  sans  trop  d'appréhen- 
sions, la  suite  des  événements,  et  poursuivre  l'œuvre 
commencée  en  1715. 

Les  prédicants  continuèrent  de  courir  le  Languedoc. 
Antoine  Court  consacra  les  premiers  mois  de  1727  à 
battre  une  partie  de  la  province.  Il  visita  successivement 
les  Garrig'ues,  Foissac,  Lédignan,  Boucoiran,  Saint- 
Geniès,  Nîmes,  laCalmette,  Lunel,  Marsillargues,  Cal- 
visson.  Nages,  Sommières,  Anduze,  Lasalle,  Saint- 
Jean-du-Gard.  «  Notre  temple  dans  ce  jour,  dit-il,  fut 
un  enfoncement  entre  des  montagnes.  Pour  nous  y 
rendre,  nous  fumes  obligés  de  traverser  un  demi  pan 
de  neige.  »  Il  se  rendit  encore  à  Durfort,  Manoblet, 

1  V.  Pièces  et  documents  n"  XXL 
«N"?,  t.  III,  p.  333.  (1729.) 


316  COURSES  DANS  LE  LANGUEDOC 

Saint-Hippolyle,  Milhaud,  Caveirac,  Vergéze,  Beau- 
voisin  ^..  Corteiz,  de  son  côté,  parcourait  les  ég'lises 
des  Cévennes  et  du  haut  Lang'uedoc. 

«  Le  29  juin  1727,  ayant  prié  les  Anciens  de  la  montagne  de 
la  Lusette,  ou  du  moins  de  la  paroisse  de  Mandagout  (les  plus 
proches  de  cette  montagne)  de  convoquer  l'assemblée  à  une 
place  qui  favorisât  les  réformés  des  paroisses  et  villes  du  Vigan, 
de  Molières,  de  Bréau,  d'Aulas,  de  Mendagout  et  de  Vallerau- 
gue,  —  comme  il  fut  un  beau  jour  de  dimanche,  l'assemblée 
était  fort  nombreuse.  Quelques  messieurs  soutenaient  qu'elle 
passait  deux  mille  âmes.  M.  Court,  les  ministres  Bombonnoux 
et  Roussel  s'y  rendirent.  11  se  trouva  aussi  dans  cette  assem- 
blée des  fidèles  de  Saint- Jean-du-Bruel  et  de  Cornus,  environ 
sept  lieues  de  la  place  de  l'assemblée. 

«  Après  avoir  embrassé  les  frères  MM.  Court,  Bombonnoux 
et  Roussel,  je  m'en  fus  avec  ceux  de  Saint- Jean-du-Bruel,  et 
après  avoir  annoncé  la  bonne  Parole  de  Dieu  à  Saint-Jean,  je 
me  rendis  à  Cornus,  ensuite  à  Saint-Afïrique.  Après  avoir  ex- 
posé la  prédication  de  l'Evangile  dans  ces  endroits,  je  serais 
volontiers  allé  jusqu'au  Pont  de  Camarès,  si  l'on  ne  m'avait  in- 
formé que  les  fidèles  de  ce  lieu  m'attendaient  avec  une  grande 
impatience  et  par  là  faisaient  voir  qu'ils  en  avaient  connais- 
sance, et  que  les  ennemis  en  pouvaient  avoir  aussi,  et  que  la 
prudence  demandait  de  différer  ^.  » 

Loin  de  s'éteindre,  le  zèle,  comme  un  incendie, 
aug-mentait,  g-ag-naitde  proche  en  proche.  Les  bornes 
du  Lang'uedoc  étaient  déjà  franchies.  Les  protestants 
commençaient  de  s'agiter  sérieusement  en  Rouerg-ue,  en 
Guyenne,  dans  le  comté  de  Foix,  dans  l'Orléanais,  eu 
Bretagne,  en  Saintonge,  dans  le  Poitou. 


1  N»  7,  t.  II,  p.  365.  (Avril  1727.) 

■2N°  17.  vol.  H.  Relation  historique,  etc. 


ROUERGUE,  GUYENNE  ET  POITOU  317 

On  sait  que  les  religionnaires  de  cette  dernière 
province  avaient,  en  1718  et  1719,  tenu  des  assemblées 
publiques  et  poussé  l'audace  jusqu'à  se  réunir  sur 
l'emplacement  de  leurs  temples  détruits  ^  Mais  un  des 
subdélégués  de  l'intendant  s'était  immédiatement  porté 
sur  les  lieux,  et  par  une  prompte  répression  avait  bien- 
tôt fait  tout  rentrer  dans  l'ordre.  Les  chaires  avaient 
été  brûlées,  les  fidèles  dispersés  et  Bertlielot  pendu. 
«  Tout  est  présentement  tranquille,  écrivait-on  ;  ils  ne 
laissent  pourtant  pas  de  s'assembler,  mais  sans  éclat.  » 
En  1720,  le  lieutenant  g-ouverneur  du  Poitou,  M.  de 
Cliâtillon,  avait  de  nouveau  multiplié  les  expéditions 
de  dragons  et  les  condamnations.  On  avait  bientôt  vu 
les  prisons  de  Niort  remplies  de  protestants.  C'est 
après  ces  terribles  événements  que  le  jeune  prédicant, 
dont  il  a  été  parlé,  Cliapel,  avait  parcouru  ce  mal- 
heureux pays  ^.  11  avait  convoqué  plusieurs  assem- 
blées et  distribué  près  de  neuf  cents  catéchismes  de 
Drelincourt.  De  tous  côtés,  on  l'avait  prié  de  rester, 
mais  il  avait  refusé,  était  partie  Cette  courte  appari- 
tion avait  été  comme  une  lueur  dans  un  ciel  sombre,  et 
les  protestants  du  Poitou  en  avaient  longtemps  vu  de- 
vant leurs  yeux  briller  l'éclat.  L'éblouissement  durait 
encore  en  1726. 

Cette  année,  au  mois  d'octobre,  le  Synode  venait 
(le  s'ouvrir  en  Languedoc,  au  Désert,  lorsqu'on  y  vit 
arriver  des  hommes  inconnus.  C'étaient  des  députés 
de  la  basse  Guyenne,  du  Rouerg'ue  et  du  Poitou.   Ils 

*  V.  chap.  IL,  \u  GU. 

2  N-17,  vol.  R,  p.  193. 

3  0)1  a  vu  qu'il  •s'était  roinlu  dans  le  comté  tle  Foix,  en  il22> 


318  .     DÉPUTATION  DU  ROUERGUE,  ETC. 

présentèrent  un  long*  mémoire  portant  la  signature  de 
plusieurs  «  bons  bourg'eois  et  bons  marchands  du 
pays,  »  qui  priaient  le  Synode  de  leur  envoyer  des  pro- 
posants et  des  pasteurs.  Ils  furent  pressants ,  ils 
montrèrent  tout  un  peuple  «  affamé  et  altéré,  sans 
pain,  sans  eau,  privé  de  tout  secours,  et  de  toute  con- 
solation. » 

Le  bruit  en  effet  de  la  restauration  du  protestan- 
tisme avait  couru  la  France,  comme  il  avait  couru  l'é- 
tranger, et  les  espoirs  longtemps  déçus  aimaient  à 
se  reposer  sur  le  Languedoc,  dont  la  situation  était 
relativement  prospère. 

Le  Synode  ému  envoya  le  proposant  Maroger  * . 

Celui-ci  écrivit  bientôt  qu'il  avait  trouvé  les  religion- 
naires  de  ces  contrées  remplis  d'ardeur,  qu'ils  avaient 
un  vif  désir  «  de  s'avancer  dans  la  piété,  »  et  qu'ils 
commençaient  «de  faire  des  sociétés  religieuses,  le 
saint  jour  du  repos.  »  Ils  savaient,  ajoutait-il,  le  ca- 
téchisme, mais  ils  n'avaient  pas  de  livres;  ils  étaient 
disposés  aussi  à  chanter  les  psaumes  de  la  nouvelle 
version,  mais  ils  n'avaient  pas  de  psautiers.  On  de- 
vait donc  envoyer  «  six  douzaines  de  catéchismes,  au- 
tant de  psaumes,  deux  ou  trois  douzaines  de  Nouveaux 

1  «  Nous  avons  été  obligé,  écrivait  Court,  de  faire  une  députation 
de  l'un  de  nos  proposants  et  du  sieur  La  Rivière  qui  l'accompagne 
dans  le  haut  Languedoc,  la  basse  Guyenne  et  le  Poitou.  Les  fidèles 
de  ces  cantons  firent  une  députation  dans  notre  Synode  la  plus  tou- 
chante. Ils  sont  représentés  par  leur  mémoire  comme  un  peuple  af- 
famé, sans  pain  et  sans  eau,  privé  de  tout  secours  et  de  toute  conso- 
lation. Ils  n'oublient  rien  de  tout  ce  qui  est  capable  de  toucher  pour 
en  obtenir.  Ce  mémoire  est  signé  d'une  trentaine  de  bons  bourgeois 
et  bons  marchands  du  pays.  Nos  affaires,  grâce  au  Seigneur,  parais- 
sent aller  de  mieux  en  mieux.  »  N°  7,  t.  III,  p,  5L  (Octobre  1726.) 


COURSES  DE  MAROGER  319 

Testaments  et  autant  d'Armes  de  Sio7i.  »  —  Marog-er 
continua  ses  courses,  prêchant,  convoquant  des  assem- 
blées partout  où  c'était  possible.  Une  assemblée  avait 
été  récemment  surprise  à  Castres  :  les  religionnaires 
ne  s'effrayèrent  pas  et  continuèrent  d'aller  au  Désert. 
Au  mois  de  février  1727,  Maroger  se  trouvait  à  G  rais- 
sessac  oii  «  tout  allait  bien  * .  » 

L'année  suivante,  au  Synode,  les  fidèles  de  Guyenne 
et  du  Rouergue  envoyèrent  encore  des  députés.  Ils 
remerciaient  l'assemblée  de  leur  avoir  délégué  un  pro- 
posant, mais  la  suppliaient  de  vouloir  bien  leur  donner 
un  pasteur  et  un  second  proposant  pour  le  service  de 
leurs  églises.  Le  Synode  leur  eût  volontiers  accordé  ce 
qu'ils  réclamaient,  mais  les  circonstances  étaient  trop 
graves  pour  se  priver  du  secours  d'un  pasteur.  Il  se 
contenta  d'envoyer  un  proposant  et  choisit  Maroger 
pour  cette  mission  ^ 

«  Le  Synode  des  Cévennes,  dit  Gorteiz,  fut  convoqué  le  12  sep- 
tembre. Les  réformés  de  la  Guyenne  et  de  la  Rouergue  y  envoyè- 
rent deux  députés  avec  une  lettre  de  remercîments,  de  ce  que 
notre  corps  leur  avait  envoyé  un  proposant;  secondement,  ils 
présentèrent  une  requête  par  laquelle  ils  priaient  l'assemblée 
synodale  de  vouloir  bien  leur  donner  un  pasteur  et  un  proposant 
pour  le  service  des  églises.  Le  Synode  leur  témoigna  d'abord  la 
joie  qu'il  ressentait  de  leur  demande,  et  la  douleur  de  ne  pouvoir 
leur  accorder  un  pasteur,  leur  démontrent  que  le  Languedoc 
n'en  avait  que  deux,  et  que  ces  deux  pasteurs  avaient  bien  de 
la  peine  de  pouvoir  subvenir,  et  que  les  églises  du  Languedoc 
et  des  Cévennes  ne  sauraient  s'en  passer  sans  perte.  Mais  le 


1  N»  7,  t.  IV,  p.  170  et  209.  (Décembre  1726  -  février  1727.) 
«  N"  17,  vol.  H.,  p.  545. 


320  COURSES  DE  GAUBERT,  CORTEIZ,  ETC. 

Synode  leur  accorda  notre  cher  frère  Maroger,  proposant,  et 
qu'un  des  pasteurs  leur  ferait  visite  de  temps  en  temps.  » 

Maroger  partit  aussitôt.  Il  trouva  les  choses  en  voie 
de  prospérité  et  le  zèle  accru.  Dans  l'intervalle  qui  avait 
séparé  ses  deux  voyages,  Gaubert  avait  en  effet  péné- 
tré dans  le  liaut  Languedoc,  affermi  l'ordre  et  même 
réuni  un  colloque  \  Corteiz  de  son  côté  avait  visité  la 
Guyenne  ;  il  avait  prêché  quatre  fois  au  Désert  et  cé- 
lébré trois  fois  la  Cène.  Malheureusement  les  dangers 
se  multipliaient,  et  il  s'était  retiré  -.  Quelques  difficul- 
tés avaient  donc  disparu  et  l'œuvre  devenait  plus  facile. 
Maroger  parcourut  le  haut  Languedoc  et  le  Eouergue, 
établissant  partout  des  Anciens  et  des  consistoires. 
On  voit  par  ses  lettres  trop  rares  qu'il  passa  à  Millau, 
à  Camarès,  Saint-Aftrique,  Faugères,  Bédarieux,  Mon- 
tagnac ^ .  Bientôt  il  pria  Antoine  Court  devenir  baptiser 
quelques  enfants,  et  bénir  près  de  quarante  mariages  \ 

En  1729,  le  Synode  heureux  des  résultats  obtenus  ré- 
solut d'envoyer  un  second  prédicant  dans  ces  contrées. 
«  Une  nouvelle  députation,  écrivait  Court,  a  été  faite 
vers  les  églises  du  Rouergue  et  de  la  haute  Guyenne. 
Cette  petite  mission  s'étendra,  s'il  est  possible,  jusqu'au 
pied  des  monts  Pyrénées  ^.  »  Bétrine,  (j^ui  venait  d'arriver 
de  Lausanne,  et  un  jeune  ])roposant,  nommé  Grail, 
furent  désignés  pour  aller  rejoindre  Maroger  ^. 

1  N»  1,  t.  IV,  p.  243  et  299.  (1727.) 

'i  Ihid.  (Juillet  1727.) 

3  Ihid.  (Novembre  1727.) 

*  Ihid. ,  p.  367.  (Janvier  1728.) 

s  N"  7,  t.  III,  p.  359.  (Août  1729.) 

^  Voici  leur  lettre  de  créance  : 

«  Nous,  les  pasteurs,  prédicateurs  et  Anciens,  députés  des  églises 


COURSES  DE  CHAPEL  DANS  LE  POITOU  321 

Les  prédicants  du  Languedoc,  on  le  voit,  n'avaient 
encore  pénétré  ni  en  Saintonge  ni  en  Poitou.  Mais 
Chapel  y  avait  reparu.  Cet  liomme  hardi,  qui  avait 
sillonné  vers  1722  ces  deux  provinces  et  s'était  ensuite 
dirigé  vers  le  comté  de  Foix,  était  revenu  au  milieu 
de  l'année  1728,  et  avait  convoqué  en  peu  de  temps 
jusqu'à  quarante  assemblées*.  A  la  fin  de  1729,  il 
se  trouvait  encore  dans  le  Poitou,  et  l'influence  dont 
il  y  jouissait  peut  se  mesurer  au  degré  d'inquiétude 
qu'il   inspirait  à  la  cour.    «  Quoique  vous   n'ayez  pu 

du  bas  Languedoc  et  des  Cévennes,  aux  fidèles  du  haut  Languedoc, 
Rouergue,  Guyenne  Saintonge,  Poitou,  etc.  Salut. 

«  Messieurs  nos  très-chers  et  très-honorés  frères,  connaissant  l'uti- 
lité de  la  prédication  de  l'Evangile  et  le  pressant  besoin  que  vous 
avez  qu'elle  s'établisse  parmi  vous,  informés,  d'autre  part,  de  vos  bon- 
nes dispositions  à  la  recevoir,  assemblés  en  Synode,  nous  avons  dé- 
puté vers  vous  notre  très-cher  et  bien-aimé  frère,  Monsieur  Betrine, 
l'un  de  nos  prédicateurs,  accompagné  du  sieur  Grail,  aspirant  à  la 
charge  de  prédicateur,  dans  le  dessein  qu'il  s'emploie  ncn-seulement 
k  vous  prêcher  l'Evangile,  mais  de  plus  à  affermir  ou  à  établir  l'ordre, 
selon  la  discipline  ecclésiastique,  comme  à  toutes  les  autres  choses 
nécessaires.  Recevez-le,  chers  frères,  non-seulement  comme  une  per- 
sonne qui  nous  est  précisément  chère,  non-seulement  comme  une 
victime  qui  va  s'immoler  pour  votre  service,  mais  encore  comme  une 
personne  qui  mérite  par  soi-même,  par  sa  piété,  par  son  zèle,  par  sa 
sagesse,  toutes  sortes  de  déférence.  Obéissez  à  ses  exhortations,  sui- 
vez ses  sages  et  judicieux  avis,  rendez-vous  à  ses  conseils,  marchez 
selon  la  règle  qu'il  vous  indiquera.  Du  reste,  nous  ne  vous  parlons 
pas  de  son  entretien  et  de  sa  conservation,  persuadés  que  vous  ne 
négligerez  rien  de  tout  ce  qui  pourra  contribuer  h  l'un  et  ?i  l'autre. 
Que  le  ciel  accompagne  de  ses  bénédictions  les  plus  abondantes  et 
de  sa  grâce  la  plus  efficace  sa  députation  au  milieu  de  vous!  Qu'il 
rende  son  ministère  heureux  et  florissant!  Qu'il  bénisse  et  le  prédi- 
cateur et  le  peuple!  Qu'il  couvre  tous  de  sa  puissante  protection  et 
vous  conserve  tous  ensemble  chèrement  ! 

«  Du  Désert,  et  de  notre  assemblée  synodale,  le  neuvième  août  mil- 
sept  cent  vingt  et  neuf.  Signé  et  scellé  du  sceau  de  nos  églises. 

«  A. Court,  pasteur;  M.  Maroger,  prédicateur;  Corteiz,  pasteur;  Claris.  >» 

«  N"  1,  t.  IV,  p.   tl5   (1728.) 

I  21 


322  I.E  PROTESTANTISME  DANS  L'ORLÉANAIS 

parvenir  à  faire  arrêter  le  nommé  Cliapel,  écrivait-on 
à  l'intendant  de  Poitiers,  la  reclierclie  (pi'on  a  faite  de 
ce  prédicant  produira  un  bon  effet,  et  intimidera  les  re- 
ligionnaires  qui  favorisent  les  assemblées  (|ui  sont  de- 
venues depuis  quelque  temps  plus  fréquentes,  mais 
qui  seront  bientôt  interrompues  par  les  ordres  que  vous 
me  marquez  que  vous  venez  de  donner  et  par  l'arrivée 
des  troupes  qui  doivent  hiverner  dans  la  province'.  » 
Et  plus  loin  :  «  Il  y  a  lieu  de  supposer  qu'en  continuant 
de  traiter  sévèrement,  comme  vous  vous  le  proposez, 
ceux  que  vous  soupçonnez  encore  d'entretenir  ou  d'ex- 
citer le  trouble,  les  mouvements  des  religionnaires  de- 
viendront moins  fréquents  -.  » 

Les  documents  manquent  à  cette  date  sur  les  autres 
provinces  du  royaume,  mais  il  est  très-probable  que 
les  relifj-ionnaires  commençaient  de  s'v  remuer  à  la  ^oix 
deprédicants  inconnus,  et  que  leur  conduite  était  assez 
audacieuse  pour  qu'ils  ne  passassent  déjà  plus  inaperçus. 

L'Orléanais  en  est  un  curieux  exemple.  Cette  province 
comptait  peu  de  protestants  à  la  Révocation,  cepen- 
dant, en  1729  déjà,  les  rares  descendants  de  ces  der- 
niers ne  craignaient  pas  de  jeter  le  masque  et  s'a- 
vouaient hautement  hug'uenots.  L'évêque  d'Orléans, 
tout  ému,  s'en  plaignait,  l'intendant  s'en  préoccupait 
sérieusement,  et  la  cour  était  oblig*ée  de  prendre  des 
mesures  pour  arrêter  le  mal. 

tt  M.  le  cardinal  de  Fleury  m'a  remis  la  lettre  que  vous  lui 
avez  écrite  au  sujet  du  grand  nombre  de  familles  protestantes 


1  Archives  nationales.  0'  376,  p.  400.  (1729.) 

2  Ibid.,  p.  414.  (Novembre  1729.) 


EN  N()Ri\IANDIE,  BRETAGNE,  ETC.  328 

(juo  vous  avez  dans  votre  diocèse,  et  qui  se  perpétuent,  faute  de 
pourvoir  à  l'éducation  des  enfants,  et  par  les  mariages  «[ue  l'ont 
des  prêtres  étrangers.  A  l'égard  du  premier  article,  si  vous 
voulez  bien  envoyer  un  état  des  jeunes  personnes  des  deux 
sexes  que  vous  croirez  devoir  être  mises  dans  les  couvents, 
collèges  ou  pensions,  je  vous  enverrai  les  ordres  du  Roi  à  cet 
effet.  Quant  aux  prêtres  ([ui  font  des  mariages  entre  gens  de  lii 
religion,  lorsque  vous  ferez  procéder  contre  eux,  soit  à  votre 
oflicialité,  s'ils  sont  de  votre  diocèse,  soit  à  la  requête  du  sieur 
procureur  du  Roi  du  Chàtelet,  s'ils  sont  étrangers,  un  seul  ju- 
gement de  rigueur  qui  interviendrait  ferait  cesser  ces  abus  ^  » 

Et  encore  : 

«<  «le  vous  envoie  plusieurs  ordres  du  Roi  que  M.  révê(|U(' 
d'Orléans  m'a  demandés  pour  faire  mettre  dans  les  couvents, 
collèges  et  hôpitaux,  plusieurs  enfants  des  protestants  pour  être 
instruits.  Vous  tiendrez,  s'il  vous  plaît,  la  main  à  ce  que  leurs 
pensions  soient  exactement  payées  par  leurs  familles  ^.  » 

L'exemple  des  religionnaires  de  l'Orléanais  n'était 
assurément  pas  isolé.  Dans  l'Tle  de  France,  où  le 
clerg-é,  en  1715  déjà,  se  plaignait  des  protestants;  en 
Picardie,  où  plusieurs  familles  émigraient  en  1724  •'  ; 
en  Normandie,  où  les  religionnaires  se  signalèrent  plus 
tard  par  leur  zèle  ;  en  Bretagne,  où  depuis  1715  ne 
cessaient  de  s'agiter  quelques  hommes  dévoués,  — 
les  protestants  devaient  certainement  commencer  de  se 
voir,  se  groupaient,  reprenaient  courage,  et^  quoique 
épiés,  surveillés,   menacés,   tendaient  à  s'isoler  pour 

1  Archives  nationales,  O^  376,  p.  346.  (Octobre  1729.) 

2  Ibid.,  (Novembre  IT2V.) 

3  V.  aussi  un  «  Etat  de  ceux  qui  font  profession  de  la  R.  P.  li.  en 
rélection  de  Péronne,  et  qui  vont  au  prêche  k  Tournay  par  la  route 
de  Cambrai,  Vicogne  et  Saint-Amand.  »  (1731.)  Esscdsur  les  Eglises 
de  VAisne,  p.  127. 


324       PROSPÉRITÉ  DU  LANGUEDOC  ET  DU  DAUPHINÉ 

la  pratique  des  choses  religieuses ,  se  faisaient  une 
place  à  part,  et  transformaient,  à  défaut  de  temples, 
leurs  demeures  en  sanctuaires. 

Ainsi,  au  Nord  comme  au  Midi,  le  protestantisme 
s'org'anisait,  se  reconstituait. 

Antoine  Court,  bien  que  la  persécution,  loin  de  ces- 
ser, redoublât  en  ce  moment,  s'abandonnait  à  la  joie, 
en  apprenant  ces  nouvelles.  Volontiers  il  eût  répété  ce 
qu'il  avait  récemment  écrit  à  Duplan  :  «  Nos  affaires, 
grâce  au  Seigneur,  paraissent  aller  de  mieux  en 
mieux  * .  » 

Si  le  protestantisme  en  effet  se  consolidait  dans  l'Est 
et  dans  le  Nord,  que  dire  de  la  situation  du  Dauphiné 
et  surtout  du  Languedoc  ?  En  1728,  Court  entreprit  un 
long  voyage  dans  cette  dernière  province  ;  il  en  revint 
rempli  d'espérance.  «  Les  diff'érentes  assemblées,  prises 
dans  leur  total,  pouvaient  monter  au  delà  de  trois 
mille  personnes.  Dans  toutes,  nous  avons  administré  la 
sainte  Cène;  dans  aucune,  nous  n'avons  eu  aucune 
alarme;  dans  presque  toutes,  nous  avons  reçu  des  gens 
à  la  paix  de  l'Eg'lise^.  » 

Le  ministre  et  l'ambassadeur  de  Hollande  ayant 
demandé  que  l'on  fît  le  dénombrement  des  protestants 
du  Dauphiné  et  du  Lang'uedoc,  on  y  travailla  aussitôt^. 
Il  fut  alors  prouvé  que  depuis  la  révocation  de  l'Edit  de 
Nantes  le  nombre  des  réformés  n'y  avait  pas  sensible- 
ment diminué.  On  y  trouva  deux  cent  mille  protestants. 


î  N"  7,  t.  m,  p.  51.  (1726.) 

2  N°  7,  t.  III.  —  Coquerel  a  publié  rintéressant  récit  de  ce  voya^'e. 
V.  tome  I.,  p.  176. 

3  N"  17,  vol.  G.  ■ 


ÉGLISES  DU  LANGUEDOC  325 

Encore  ceux  qui  se  disaient  protestants,  «  et  qui  as- 
sistaient à  la  messe,  »  n'étaient-ils  pas  compris  dans  ce 
nombre.  Il  y  avait  cent  vingt  églises,  et  chacune  de  ces 
églises  comprenait  plusieurs  villag*es  ou  hameaux. 
Corteiz  en  comptait  pour  le  Synode  du  bas  Languedoc 
vingt-neuf,  dix-huit  pour  celui  des  Cévennes,  et  douze 
pour  celui  de  Lozère*;  le  Vivarais  en  contenait  quarante- 
deux,  le  Rouergue  huit,  le  haut  Languedoc  onze. 
A  la  tète  de  ces  églises  se  trouvait  un  Synode  natio- 

1  Voici  les  églises  qui,  vers  la  lin  de  1728,  existaient  en  Languedoc  ; 
Synode  du  Payf<-Bas. 

\.  Vauvert,  le  Cayla,  Saint-Gille,  Générac,  Beauvoisin. 

2.  Caissargues,  Saint-Cézaire,  Nîmes. 

3.  Caveirac,  Langlade,  Clarensac. 

4.  Bernis,  Uchaud,  Milhaud. 

5.  Calvisson,  Saint-Dionizy,  Saint-Cosme,  Nages. 

6.  Congéniés  et  les  hameaux  voisins, 

7.  Saint-Laurent,  Aimargues,  Marsillargues,  Lunel,  Gallargues. 

8.  Aigues-Vives  et  ses  hameaux. 

9.  Aubay,  Junas,  VilJevielle,  Sommières. 

10.  Au  delà  du  Vidourle,  Montredon,  Favas.  Aspères  avec  Aujar- 

gues,  Saint-Bauzille. 

11.  Combas,  Fontanès,  Souvigniargues. 

12.  Saint-Félix,  Vie,  Cannes. 

13.  Sauve,  Quissac. 

14.  Saint-Hippolyte,  La  Cadière. 

15.  Lézan,  Lédignan,  Cassagnoles,  Massane,  Maruejols 

16.  Boucoiran,  Ners,  Lascours. 

17.  Sauzet,  Saint-Geniès,  Saint-Bauzély. 

18.  La  Rouvière,  Saint-Mamert.  Dions,  la  Calmette,  Carignargues. 

19.  Blauzac,  Sanilhac. 

20.  Uzès,  Pail 

21.  Montaren,  La  Beaume,  Puisargue. 

22.  Garrigues,  Coulorgues,  Aurillac. 

23.  Foissac,  Aigaliers,  Gatigues,  Barron. 

2A.  Saint-Hipolyte,  Saint-Jean,  Saint-Just,  Euget. 

25.  Saussines,  Bouquet,  Mailaivargues  (?),  Seynes. 

26.  Lussan,  Vendras,  Rochegoude.  Fond-les-Tavernes  (?) 


326  ORGANISATION 

liai,  et  plus  bas  le  Conseil  extraordinaire  qui  se  réu- 
nissait dans  les  circonstances  graves;  trois  Synodes 
étaient  en  outre,  chaque  année,  rég-ulièrement  convo- 
qués et  s'occupaient  des  choses  d'intérêt  général;  seize 
colloques  résolvaient  les  affaires  courantes. 

Pour  l'évangélisation  du  Languedoc,  on  comptait 
dix  proposants  et  deux  pasteurs  :  Corteiz  et  Court; 

27.  Saint-Laurent,  Fontaines,  Saint-Quentin. 

28.  Saint-Ambroix,  les  Mages  (?),  Miltenn  (?) 

29.  Saint-Jean-des-Anneaux,  Barjac,  Salavas,  Vallon,  Lagorce. 

N"  17,  vol.  H,  p.  506. 

Synode  des  Cévennes. 

1.  Ganges. 

2.  Sumène. 

3.  La  Rivière,  Saint-Laurens,  Montdardier. 

4.  Saint-Julien,  Roquedur. 

5.  Le  Vigan. 

6.  Bréau,  Molières,  Aveze,  Aumessas,  Arigas. 

7.  Aulas,  Mendagout. 

8.  Valleraugue. 

9.  Meyrueis,. 

10.  Durfort. 

11.  Anduze. 

12.  Lasalle,  Saint-Bonnet,  Soudorgues. 

13.  Sainte-Croix,  Toiras,  Saint-Jean,  Corbes. 

14.  Mialet,  Générargues,  Saint-Sébastien. 

15.  Peyroles,  Saint-Martin,  Saumane. 

16.  Saint-Jean  de  Gabriac,  Le  Pompidou,  Sainte-Croix. 
16.  Saint-Etienne,  Saint-Roman. 

18.  Les  Plantiers,  Saint-André. 

Synode  de  Lozère. 

1.  Les  paroisses  de  Fraissinet  (?)  le  mandement  des  Rousses. 

2.  Vebron,  Saint-Laurent  de  Trêves. 

3.  Barre  et  ses  hameaux. 

4.  Florac,  Montez,  Lasalle-de-Montvaillant. 

5.  Saint-Julien,  Bedouez,  Grizac. 

6.  Recouliez  (?),  Fressinet,  Labrousse  (?) 

7.  Pont  de  Montvert,  Frugères. 

8.  Cassagnas,  Saint-Germain,  Saint-Martin. 

9.  Saint-Privat  de  Vallongre,  Saint-Frezal 


PROPOSANTS  ET  PASTEUPvS  327 

Bétrine ,  Combe  ,  Rouvière ,  Bombonnoux,  Gaubert, 
Roux,  Boyer,  Claris,  Maroger  et  Rivière.  Le  Vivarais, 
qui  se  dirigeait  comme  une  province  à  part,  avait 
pour  son  service  un  pasteur  :  Pierre  Durand,  et  cinq 
proposants  :  Lassagne  ,  Clerqné  ,  Brunel ,  Bernard, 
Guilbot. 

Dans  le  Dauphiné  enfin,  Roger  était  l'unique  pas- 

10.  Vialas,  Genolhac,  Chamborigaud. 

11.  Saint-Martin  de  Boubos,  la  Melouse,  Blannares. 

12.  Castagnet,  Saint-Andéol,  le  Collet  deDézes. — N"  17,  vol. H,  p. 552. 

Vw  cirais. 

Le  Pouzin,  Baix  et  Saint-Vincent-des-Barres. 

Chomérac,  Saint-Simphorien,  Rochesauve. 

Creyssac,  Rompon,  Saint-Juillien,  Flaviac. 

La  Voulte. 

Privas,  Saint-André-de-Crei  sel  Iles. 

Saint-Cierge. 

Saint-Vincent-d'Urfort. 

Pranles. 

Saint-Sauveur. 

Serres. 

Ajou. 

Issamoullenc. 

Vais. 

Gluiras. 

Marcols. 

Saint-Christol. 

Le  Champ,  Saint-Prix  et  Saint-Cierge. 

Saint-Maurice. 

Silliac. 

Chalançon. 

Saint-Julien,  la  Crou:>se, 

Saint-Jean,  Charmes 

Vernoux.  • 

Châteauneuf. 

Boffre. 

Bruzac  et  Toulaud 

Saint-Didier. 

Gilhoc. 


328  ECOLES  DE  CHANT 

teur;  il  était  accompag'iié  de  trois  proposants  :  Ville- 
veyre,  Fauriel  et  Faure*. 

Il  faut  ajouter  que  trois  écoles  de  chant  pour  les  psau- 
mes avaient  été  établies,  l'une  dans  les  montag'nes  delà 
Lozère,  l'autre  à  Peyroles,  et  la  dernière  à  Anduze  ^ 

La  cour  cependant  était  persuadée  qu'il  ne  restait  en 
France  qu'une  poignée  de   protestants,  vieilles  gens 

2.  La  Mastre. 

L  Mounens  et  Saiut-Bazile. 

L  Saint-Julien-des-Boiitièi'es. 

2.  Saint-Agrève. 

2.  Chambon. 

2.  Saint-Voy. 

1.  Champelause?—  N"  17,  vol.  0,  p.  3L"j.  Tableau  dressé  en  1731 

Hniit  Languedoc. 

1    Lacaune,  Roquesier. 

2.  La  Case. 

3.  Esperausses,  Gigoiiet. 

4.  Vabres. 

5.  Vabres  de  Senegats. 

6.  La  Palastrier  (?) 

7.  Castres. 

8.  Réalmont. 

9.  Puylaurens. 

10.  Négrepelisse. 

11.  Montauban, — N"  17,  vol.  0.  p.  323.  Tableau  dressé  en  1731 

Rouergue. 

1.  Saint-Jean-de-Bruel. 

2.  Cornus. 

3.  Fondamente,  Montfranc  (\) 

4.  Saint-Félix-de-Sorgue,  Le  Cviyiar  (?) 

5.  Saint-AÔrique, 

6."  Le  Pont  de  Camarès. 

7.  Brusque,  La  Mouline,  Saint-Ronie. 

8.  Millau  de  Rouergue.  —  N"  17,  vol.  0,  p.  324.  (1730.) 

1  Pour  le  tableau  des   églises   du   Dauphiné  ,  ngus  renvoyons    au 
tome  II,  thap.  vi,  p.  156. 

2  N"  17.  vol.  H,  p.  555. 


CONGRÈS  DE  SOISSONS  329 

obstinés,  qui  allaient  bientôt  mourir.  Ne  fallait-il  pas 
la  tirer  de  cette  erreur  ?  On  écrivit  de  Paris  qu'un  con- 
grès allait  s'ouvrir  à  Soissons,  et  qu'il  serait  à  propos 
de  lui  envoyer  un  mémoire  où  seraient  inscrits  le  nom, 
l'âg'e  et  la  demeure  de  tous  les  relig'ionnaires  du 
royaume  * .  C'était  un  moyen  en  effet  de  percer  publique- 
ment à  jour  le  mensonge  juridique  par  lequel  on  trom- 
pait à  la  fois  la  cour  et  l'opinion  publique.  Le  conseil 
fut-il  suivi,  et  le  mémoire  envoyé  ?  On  ne  sait.  Il  est 
cependant  intéressant  de  constater  ce  premier  réveil  de 
l'opinion. 

Les  Lettres  de  Voltaire  sur  les  Anglais  n'avaient  point 
encore  paru,  mais  elles  étaient  depuis  longtemps  déjà 
composées  :  quelques-unes  couraient  sous  le  manteau. 
«C'est  ici  le  pays  des  sectes,  y  était-il  dit;  un  Anglais, 
comme  un  homme  libre,  va  au  ciel  par  le  chemin  qui 
lui  plaît.  y>  Et  ailleurs  :  «  (>)uand  ils  apprennent  qu'en 
France  des  jeunes  gens,  connus  par  leurs  débauches  et 
élevés  à  la  prélature  par  des  intrigues  de  femmes,  font 
publiquement  l'amour,  s'égayent  à  composer  des  chan- 
sons tendres,  donnent,  tous  les  jours,  des  soupers  déli- 
cats et  long's,  et  de  là  vont  implorer  les  lumières  du 
Saint-Esprit  et  se  nomment  hardiment  les  successeurs 
des  apôtres,  ils  remercient  Dieu  d'être  protestants; 
mais  ce  sont  de  vilains  hérétiques  à  brûler  à  tous  les 
diables ,  comme  dit  maître  François  Rabelais.  C'est 
pourquoi  je  ne  me  mêle  point  de  leurs  affaires  2.  »    . 

Quelques  années  plus  tard,  les  Lettres  parurent  et 
furent  brûlées  par  la  main  du  bourreau.   Mais  que  de 

'  N»  7,  t.  III,  p.  21s.  —  V.  aussi  il"  1,  (.  IV,  p.  401.  (1728.) 
'  Lettres  sur  les  .iûfflais,^).  ;{2  et  ^').  Amsterdam.  (17o5.) 


330  LETTRES  SUR  LES  ANGLAIS 

lecteurs,  venant  à  se  rappeler  la  Déclaration  de  1724, 
les  persécutions  des  jansénistes  et  celles  des  protes- 
tants, durent  s'arrêter  pensifs  devant  cette  affirmation 
que,  dans  cette  étrang:e  nation  anglaise,  chacun  pou- 
vait prier  Dieu  à  sa  mode. 

Antoine  Court,  cependant,  prédicant  inconnu  dont 
le  nom  n'était  répété  que  par  les  espions  et  par  les  gou- 
verneurs, continuait  avec  ses  collègues,  patiemment, 
lentement^  son  œuvre.  Mais  aux  révoltes  de  sa  con- 
science et  de  sa  raison,  il  pressentait  que  des  temps 
meilleurs  approchaient.  Plus  d'hésitations  seulement. 
Il  fallait  déchirer  le  voile.  Il  fallait  faire  connaître  à 
la  France  et  à  l'Europe  quel  terrible  et  inégal  duel  se 
livraient  depuis  quinze  années  un  pouvoir  despotique 
et  un  peuple  résigné. 


CHAPITRE  XI 

LA    VIE     d'un     PRÉDICANT 
1715-1729 

Cent  viug't  églises  fondées,  l'ancienne  discipline  réta- 
blie, le  nomljre  des  protestants  du  Lang-uedoc  porté  à 
deux  cent  mille,  le  corps  des  prédicants  aug-menté,  le 
séminaire  fondé,  l'attention  des  pays  étrangers  éveillée, 
tels  étaient,  après  quinze  ans,  les  résultats  obtenus. 
Mais  à  quel  prix  !  Lorsque  le  prédicant  Claris  fut  arrêté, 
le  subdélég-ué  de  l'intendant  lui  demanda  en  quel  lieu 
il  était  resté,  depuis  qu'il  avait  quitté  la  maison  pater- 
nelle ;  Claris  répondit  :  «  Tantôt  dans  les  villes,  tan- 
tôt dans  les  bourgs  et  les  villages.  »  Ensuite  il 
ajouta  :  «  Pour  ma  sûreté,  j'errais  de  campagne  en 
campagne,  et  je  couchais  dans  les  forêts,  dans  les  ca- 
vernes. »  —  Tous  les  ouvriers  du  grand  œuvre  auraient 
eu  le  droit  de  faire  la  même  réponse.  C'était  bien  au 
prix  de  leur  santé,  de  leur  vie,  qu'ils  avaient  restauré 
le  protestantisme  en  France. 

Parcourez  le  pays,  à  pied,  aux  premiers  jours  d'au- 
tomne ;  évitez  les  grandes  routes,  mais  demandez 
au  paysan  les  vieux  chemins,  les  chemins  du  temps 
jadis,  abandonnés  aujourd'hui.  C'est  là  qu'ils  ont  passé. 


332  COURSES  ET  TOURNÉES 

La  trace  de  leurs  pas  est  encore  marquée  sur  le  sol, 
et  la  contrée  est  si  pleine  de  leur  souvenir ,  qu'ils 
apparaîtront  devant  vous,  comme  au  temps  où,  soli- 
taires, ils  allaient  de  paroisse  en  paroisse  glorifier  et 
prêcher  la  foi  de  leurs  pères.  Dans  le  bas  Lan- 
g-uedoc,  le  pays  est  plat,  et  les  chemins,  à  travers  les 
vignes  rampantes  et  les  oliviers,  s'étendent  couverts 
de  poussière  en  longs  rubans  blancs.  C'est  une  con- 
trée riche  et  fertile,  la  contrée  «  de  Chanaam,  »  comme 
on  l'appelait.  Mais  lorsqu'on  s'avance  vers  les  Cé- 
vennes,  ou  que  peu  à  peu  on  s'engage  dans  le  haut 
Lang'uedoc,  la  nature  change  d'aspect.  Voici  la  mon- 
tagne. Peu  de  vignes,  plus  d'oliviers.  Des  seigles,  des 
mûriers  rabougris.  Les  châtaigniers  centenaires  se 
tordent  aux  flancs  des  monts  ;  les  torrents  grondent  au 
fond  des  vallées;  les  villag*es  deviennent  rares;  les 
routes  s'ouvrent  tristement  dans  le  roc;  au-dessus, 
s'étend  le  ciel  d'un  bleu  intense. 

C'est  bien  là  (ju'ils  ont  passé.  Comme  ces  pâtres 
qui,  encore  aujourd'hui,  descendent  des  hautes  Cé- 
vennes  vers  la  plaine,  aux  jours  de  marché,  ainsi  ils 
battaient  le  pays.  C'était  ce  qu'ils  appelaient  «  aller 
de  foire  en  foire.  »  Ils  cheminaient  à  pied,  le  bâton  à 
la  main,  vêtus  grossièrement.  A  les  voir,  on  les  eut 
pris  pour  de  rudes  montagnards.  Parfois  ils  allaient  à 
cheval,  couverts  de  leur  manteau,  le  chapeau  rabattu 
sur  le  front,  en  gens  qui  craignent  d'être  reconnus. 
Mais  le  cas  était  rare.  Ils  n'étaient  pas  assez  riches  pour 
acheter  des  chevaux,  et  les  paysans  leur  prêtaient  dif- 
ficilement les  leurs.  «  Pour  moi  qui  suis  toujours  valé- 
tudinaire, écrivait  (.xaubert,  je  ne  puis  guère  marcher. 


UNE  TOURNÉE  DE  C'URTEIZ  333 

et  le  monde  devient  mal  obligeant.  Ceux  qui  ont  de 
bonnes  montures,  ne  leur  manque  pas  de  bonnes  rai- 
sons pour  se-  dispenser  de  les  prêter  * .  »  Ils  allaient 
ainsi  presque  toujours  à  pied,  s'arrêtant  ici  et  là,  prê- 
chant, exhortant. 

«<  Et  parce  que  M.  Court  se  trouvait  à  Genève  du  temps  de  la 
peste,  et  tous  les  passages  bloqués  à  ne  pouvoir  entrer  en  Lan- 
guedoc pour  me  soulager,  je  priai  l'assemblée  synodale  de  me 
donner  M.  Rouvière,  proposant,  pour  m'assister  sans  cepen- 
dant qu'il  touchât  aux  sacrements.  Ce  qui  me  fut  gracieuse- 
ment accordé. 

«  Ainsi  nous  partîmes,  le  10  avril,  de  Nîmes  pour  aller  ad- 
ministrer la  sainte  Gène  à  l'église  de  Canaules...  —  Le  23,  nous 
allâmes  administrer  la  sainte  Gène  à  l'église  de  Manoblet; 
le  27,  nous  allâmes  rendre  le  même  office  à  celle  de  Gros.  Le 
5  mai,  nous  donnâmes  la  même  consolation  à  l'église  de  La* 
salle;  le  8,  nous  fîmes  de  même  à  l'église  de  Saint-Jean  de Gardon- 
nenque...  En  sortant  de  cette  assemblée,  on  établit  quelques  An- 
ciens pour  les  églises  de  Lasalle  et  de  Saint-Jean. — Le  10,  nous 
fîmes  l'assemblée  en  faveur  de  paroisses  de  Peyroles,  de  Saint- 
Roman,  de  Soudorgues,  de  Saint-Martin,  de  Saumane.  Il  ne  se 
passa  rien  d'important  dans  cette  vocation.  Le  17,  l'assemblée 
fut  formée  en  faveur  des  paroisses  de  Saint-André  de  Gabriac,  de 
Moleson,  des  Plantiers.  Il  ne  se  passa  rien  de  remarquable,  si  ce 
n'estque  quelques  familles  divisées  furent  heureusement  récon- 
ciliées. Le  24,  l'assemblée  fut  convoquée  en  faveur  de  Gassa- 
gnac  et  des  quatre  paroisses  voisines,  savoir  :  les  Baumes. 
Saint-Germain,  Saint-Martin,  et  partie  de  Saint-Julien  et  de 
Saint-Privat.  L'assemblée  était  environ  de  deux  mille  âmes  ; 
car,  bien  que  l'assemblée  ne  fùl  convoquée  qu'en  faveur  de 
quatre  à  cinq  paroisses,  il  en  vint  de  plus  de  six.  Plusieurs  firent 
réparation  devant  la  table  du  Seigneur,  étant  surtout  coupables 
du  crime  de  lâcheté  d'avoir  assisté  au  prétendu  sacritice  de  la 

1  N'  1,  t.  IV,  p.  117.  (17;>(i.) 


334  Î'NE  TOURNÉE  D" ANTOINE  CoTJRT 

Messe.  Beaucoup  de  personnes  furent  heureusement  réconci- 
liées. Le  27,  nous  allâmes  au  bourg  Saint-Germain,  Nous  ébran- 
lâmes un  peu  les  consciences  de  ces  temporisateurs  ;  mais 
n'ayant  pas  continué  à  les  fréquenter,  ils  sont  restés  dans  leur 
crinnnelle  tiédeur*...  » 

En  1728,  Antoine  Court  fit  nue  tournée  dans  le  bas 
Languedoc  et  dans  les  Cévennes,  seul  d'abord,  plus 
tard  accompagné  d'un  proposant.  Dans  l'espace  de 
deux  mois  et  quelques  jours,  il  visita  trente  et  une 
églises,  y  tint  des  assemblées,  prêcha,  donna  la  com  - 
munion,  et  parcourut  près  de  cent  lieues. 

«  Je  men-emis  en  campagne  le  jeudi,  vingtième  mai.  Sur  mon 
chemin,  j'appris  que  M.  Bétrine  convoquait  ce  soir-là  une  as- 
semblée. Je  m'y  rendis.  Je  partis  de  là  pour  Saint-Hippolyte 
de  Gaton  où  j'assemblai,  le  vendredi  21,  l'église  de  ce  lieu  et 
celles  des  environs...  Le  dimanche  23,  je  convoquai  les  églises 
de  Vendras  et  de  Lussan;  le  lundi  24,  celles  de  Saint-Laurent  et 
de  Saint-Quentin  ;  le  mercredi  26,  celles  d'Uzès  et  de  Montaren  ; 
le  jeudi  27,  celles  de  Garrigues  et  de  Foissac.  Il  ne  se  passa 
rien  de  particulier  dans  ces  assemblées.  On  y  vit  seulement, 
comme  en  bien  d'autres,  plusieurs  personnes  qui  n'avaient  ja- 
mais paru  à  nos  sociétés  religieuses.  Tout  y  fut  tranquille. 

«  M'étant  rendu  à  Nîmes  pour  une  affaire  particulière,  j'en 
partis  le  lundi  dernier  mai,  et  j'assemblai,  ce  soir  même,  l'é- 
glise de  cette  ville,  celle  de  la  Galmette  et  de  Saint-Geniès, 
Avant  que  de  sortir  de  la  ville,  on  vint  me  dire  que  l'assemblée 
était  vendue.  Je* ne  laissai  pas  de  partir.  Sur  la  porte  de  la 
Bouquerie,  je  vis  une  troupe  de  soldats,  et,  un  peu  plus  loin., 
une  troupe  d'officiers  qui  fixèrent  un  moment  les  yeux  sur  un 
cavalier  que  j'avais  avec  moi.  Ces  deux  troupes  me  firent  crain- 
dre qu'on  n'eût  accusé  juste,  sur  l'avis  qu'on  venait  de  me  don- 

'  N"  17,  vol.  H.  Relation  historique,  etc.  V.  cette  curieuse  et  émou- 
vante relation  dont  Corteiz  est  l'auteur.  Pièces  et  documents,  n°  XXIL 


UNE  TOURNÉE  D'ANTOINE  COURT  335 

nor.  Mais  je  n'en  continiuii  pas  moins  mon  chemin,  porsuatlé 
que  l'assemblée  se  .tenait  un  peu  Irop  loin  de  la  ville  pour  être 
suivie,  et  que,  s'il  y  avait  quelque  chose  à  craindre,  ce  ne  se- 
rait qu'en  revenant,  et  qu'alors  il  ne  manquerait  pas  de  moyens 
pour  rendre  inutiles  les  soins  des  soldats.  Nous  eûmes  un  au- 
tre obstacle.  Ce  fut  une  nuit  sombre  et  obscure,  accompagnée 
de  pluie  :  obstacle  qui  lit  que  plusieurs  errèrent  pendant  la 
nuit,  sans  trouver  l'assemblée.  Je  rencontrai  sur  mes  pas  une 
de  ces  troupes  errantes  à  laquelle  il  fallut  que  je  servisse  de 
iiuide.  11  cessa  ce  revers,  et  la  pluie  nous  laissa  assez  tranquil- 
lement achever  notre  exercice.  Il  n'en  fut  pas  de  même  à  notre 
retour.  Elle  se  renforça.  Heureuse  encore  l'assemblée  de  n'a- 
voir à  se  défendre  que  contre  la  i)luie  !  Les  soldats  ne  firent 
pas  de  sortie. 

«  Le  mardi  1^»'  juin,  je  convoquai  les  églises  de  Lédignan, 
Boucoiran,  de  Lascours,  de  Gruviès.  M.  Claris,  qui  devait  m'ac- 
compagner  dans  les  hautes  Gévennes  et  dans  la  montagne,  me 
vint  y  joindre.  L'assemblée  congédiée,  nous  partîmes  et  nous 
nous  rendîmes  du  côte  de  Brenoux  où  nous  assemblâmes, 
le  jeudi  3  juin,  cette  église  avec  une  de  ses  voisines.  Quel(iucs 
personnes  de  votre  ville  voulaient  être  de  la  partie,  mais  une 
pluie  très-forte,  qui  nous  surprit  en  chemin,  lit  décamper  tous 
ceux  qui  s'étaient  rendus  sur  la  place  à  bonne  heure.  Les  fidèles 
(|ui  étaient  avec  moi  et  qui  n'étaient  pas  en  nombre  ne  perdi- 
rent pas  courage.  Nous  nous  rendîmes,  malgré  la  pluie,  sur 
les  lieux.  Avant  (jue  d'y  arriver,  nous  trouvâmes  sur  nos  pas 
une  troupe  de  gens  qui  s'en  retournaient  chez  eux  et  qui  nous 
apprirent  que  tous  avaient  déserté*  Nous  ramenâmes  ceux-là 
et  rappelâmes  par  le  chant  des  psaumes  les  moins  éloignés  des 
autres.  La  prédication  fut  ouïe,  et  la  sainte  Gène  célébrée  tout 
de  même  ({ue  si  le  temps  avait  été  beau  ou  moins  mauvais. 

«  Le  samedi  matin,  cinquième  juin,  j'assemblai  les  églises  de 
Ghamborigaud  et  de  G...  Gette  dernière  église,  qui  se  distingue 
de  bien  d'autres  par  son  zèle  et  par  son  courage,  me  fournit 
l'occasion  d'exercer  les  principales  fonctions  de  mon  ministère. 
Ge  jour  même,  me  furent  présentés  cinq  enfants  pour  être 
baptisés,  et  autant  de  mariages  pour  être  bénis. 


336  INTEMPÉRIES,  SOUFFRANCES 

«Le  leiidemaiu  matin,  jour  de  dimanche,  lurent  convoquées 
les  églises  de  Genolliac,  Frugères,  et  du  Pont  de  Montvert,  et 
où  assista  encore  Téglise  de  G...  L'assemblée  fut  très-nom- 
breuse. On  y  vit  ce  qu'on  n'avait  peut-être  point  vu  depuis  la  Ré- 
vocation, cinq  enfants  baptisés  à  la  tête  de  l'assemblée.  Cette  cé- 
rémonie attendrit  le  cœur  de  tous  les  assistants.  Que  de  larmes 
furent  répandues  pendant  la  prédication  !  La  pluie  nous  incom- 
moda, non-seulement  pendant  cette  cérémonie,  mais  encore 
après.  L'exercice  achevé,  la  pluie  ayant  cessé,  les  uns  se  reti- 
l'èrent  et  les  autres  prirent  une  réfection  sur  le  lieu.  Là,  se  virent 
un  grand  nombre  de  cercles  de  personnes  assises  sur  le  gazon 
qui  avec  simplicité  prirent  un  sobre  et  simple  repas  composé 
des  aliments  que  chacun  a  soin  de  porter  de  chez  soi,  et  qui  se 
termina  par  un  chant  d'un  sacré  cantique.  C'est  ainsi  qu'on  en 
use  ordinairement  dans  les  assemblées  de  ce  pays.  Avant  de 
([uitter  la  place  je  bénis  cinq  mariages.  » 

riuie  ou  vent^  clialeur  ou  froid,  ils  bravaient  tout. 
La  maladie  ne  les  arrêtait  pas.  On  se  rappelle  qu'An- 
toine Court  tomba  malade  dans  les  premières  années 
de  son  ministère  ;  malg-ré  la  fièvre,  il  persista  à  courir  le 
pays,  se  faisant  porter  par  deux  hommes,  quand  il  ne 
pouvait  plus  marclier.  «  Mon  compagnon  de  voyage, 
écrivait  Corteiz,  le  frère  Rouvière  a  été  malade  envi- 
ron cinquante  jours  dans  un  village;  il  m'est  venu 
joindre,  mais  il  est  encore  fort  malade,  bien  qu'il 
marclie  un  peu  \  »  La  souffrance  pouvait  les  étreindre, 
non  les  terrasser. 

Si  du  moins,  le  soir,  ils  avaient  toujours  trouvé  un 
accueil  sympathique  et  un  abri  !  Mais  combien  de  fois 
ils  n'avaient  pour  dormir  «  que  la  rase  campag-ne,  le 
dessous  des  arbres  ou  les  antres  des  rochers.»  Ils  étaient 

1  N«  17,  vol.  G,  p.  128. 


L*H0SP1TALITÉ  337 

encore,  comme  les  prédicants  de  la  première  heure, 
obligées  de  chercher  un  asile  au  Désert  «  entre  des 
rochers,  des  buissons  coupés  qui  couvraient  partie 
d'une  heaume  ou  caverne.  »  C'est  là  qu'ils  se  barrica- 
daient pour  passer  la  nuit  ' .  Une  maison  inconnue  leur 
oiFrait-elle  l'hospitalité,  il  fallait  encore  qu'ils  s'en  dé- 
fiassent. Peut-être  le  maître  du  logis  était-il  un  traître. 
Ne  les  avait-il  point  reçus,  gagné  par  l'appât  de  la 
récompense,  pour  les  livrer  aux  soldats  pendant  leur 
sommeil  ?  On  répétait  volontiers  qu'un  nommé  Minot 
avait  ainsi  livré  un  prédicant. 

Cependant,  on  doit  le  dire,  les  religionnaires  aimaient 
assez  à  recevoir  les  prédicants  ;  ils  y  mettaient  même 
de  l'émailation.  Depuis  le  «  réveil,  »  ils  ouvraient  fa- 
cilement leurs  maisons  aux  ministres  qui  venaient  y 
frapper;  ils  les -ouvraient  au  premier  appel,  sans  hési- 
ter, avec  joie.  C'était  faire  preuve  de  courag'e.  Ces  mai- 
sons hospitalières  étaient  connues  des  espions;  les 
gouverneurs  savaient  tous  quels  en  étaient  les  maî- 
tres et  on  possédait  à  l'Intendance  la  liste  des  familles 
chez  lesquelles  venaient  habituellement  loger  les  pré- 
dicants ^  Si  ces  derniers  étaient  capturés  chez  eux,  les 
fidèles  savaient  quelle  peine  ils  encouraient. 

«  Déiendons  à  tous  nos  sujets,  avait  dit  le  Roi  en  1724,  de  re- 
cevoir les  ministres  ou  prédicants,  de  leur  donner  retraite,  se- 

ï  «  ,  .  .  Dieu,  nicoiite  Court,  hénissait  visiblement  mon  ministère^ 
malgré  mes  dangers,  mes  fatigues,  et  tout  ce  qu'il  y  avait  à  souflVir 
pour  la  nourriture  et  pour  les  gîtes,  qui  étaient  le  plus  souvent  la 
rase  campagne,  le  dessous  des  arbres  ou  les  antres  des  rochers.  »  N"  46, 
cah.  I. 

2  Cette  liste  fort  curieuse  existe.  Le  Bulletin  Ta  publiée  et  nous  en 
avons  eu  l'original  entre  les  mains. 

1  22 


338  LES  DANGERS 

cours  et  assistance,  d'avoir  directemenL  ou  indirectement  aucun 
commerce  avec  eux  ;  enjoignons  à  ceux  qui  en  auront  connais- 
sance de  les  dénoncer  aux  officiers  des  lieux,  le  tout  à  peine,  en 
cas  de  contravention,  contre  les  hommes  de  galères  à  perpétuité, 
et  contre  les  femmes  d'être  rasées  etenfermées  pour  le  reste  de 
leurs  jours  dans  les  lieux  que  nos  juges  estimeront  à  propos,  et 
de  confiscation  des  biens  des  uns  et  des  autres.  » 

Mais  que  pouvaient  faire  ces  menaces  et  ces  peines, 
lorsqu'il  s'agissait  de  donner  asile  à  un  de  ces  hom- 
mes qui  couraient  la  province  pour  le  triomphe  de  la 
commune  foi,  et  qui,  dans  les  longues  soirées  d'hiver, 
passaient  les  veillées  à  raconter  à  leurs  hôtes  les  souf- 
frances subies,  les  succès  remportés,  et  de  quel  poids 
dans  la  balance  de  leurs  destinées  pouvaient  être  leur 
zèle  et  leur  persévérance. 

«  Le  moment  que  le  pasteur  arrive  à  rassemblée,  écrivait 
Court,  est  épié  par  mille  personnes  qui  chacune  a  un  mot  à  lui 
dire,  ou  un  cas  de  conscience  à  lui  exposer.  Quatre  heures  en- 
tières l'attendent  ensuite  pour  le  voir  debout  et  bien  occupé  ;  il 
est  trop  aimé,  il  est  trop  rare  pour  trouver  là  la  lin  de  son  tra- 
vail. 11  faut  qu'il  essuie  les  compliments  d'une  foule  de  gens  qui 
se  jettent  sur  lui,  dont  il  n'y  a  aucun  qui  ne  lui  baise  la  main  et 
ne  lui  demande  fétat  de  sa  santé.  » 

Les  fatigues  du  voyage  étaient  grandes,  les  périls 
plus  grands  encore.  On  avait  mis  à  prix  la  tête  de  tous 
les  prédicants,  et  de  fortes  sommes  étaient  offertes  à  qui 
les  livrerait.  On  avait  en  outre  répandu  leur  signale- 
ment, et  certains  gouverneurs  n'avaient  pas  hésité 
à  le  donner  à  la  populace.  Ainsi,  marchant  au  ha- 
sard, par  les  routes  détournées,  prêchant  dans  les  as- 
semblées, reposant  sous  le  toit  de  son  hôte,  le  prédi- 
cant  était   toujours  sous   le  coup   d'une  surprise   et 


ESPIONS  KT  SOLDATS  339 

pouvait  être  traîné  à  la  mort.  Les  espions,  soit  misère, 
soit  cupidité,  abondaient.  Chaque  jour,  les  gouver- 
neurs recevaient  des  offres  de  service  : 

«  J'ai  l'honneur  de  vous  informer  qu'un  homme  s'est  offert  à 
nous  pour  veiller,  jour  et  nuit,  [lour  faire  surprendre  les  prédi- 
cants  qui  courent  le  pays  et  les  assemblées  qui  se  feront.  Il  me 
paraît  sage  et  de  bonne  volonté,  et  son  ancien  curé,  homme  de 
bon  sens,  qui  me  le  procure,  veut  m'en  répondre.  " 

Aussi  la  police  était-elle  bien  informée. 

u  J'ai  l'honneur  de  vous  informer  que  Durand  a  commencé 
à  paraître  aux  environs  d'Anduze,  depuis  quelques  jours.  Je  ne 
sais  d'oii  il  vient,  ni  où  il  a  resté  plus  de  deux  mois.  Un  autre 
prédicant  a  paru  en  même  temps  que  lui  ;  vous  trouverez  son 
portrait  ci-inclus.  » 

Antoine  Court  et  Duplan  couraient  le  paj^s,  dé- 
guisés en  officiers.  La  Fare  en  fut  averti;  il  ordonna 
aussitôt  qu'on  les  arrêtât,  indiquant  la  ville  et  la 
maison  où  l'on  aurait  le  plus  de  chances  de  les  sur- 
prendre ^ 

Que  de  périlleuses  aventures!  Un  jour,  près  de 
Nîmes,  Court  composait  un  sermon,  assis  au  pied  d'un 
arbre.  Tout  à  coup  les  soldats,  qui  le  croyaient  ré- 
fugié dans  une  maison  des  environs,  apparurent.  A 
cette  vue,  il  grimpa  sur  l'arbre,  et,  caché  par  le  feuil- 
lage, il  assista,  témoin  prudent,  aux  recherches  qu'on 
faisait  pour  s'emparer  de  sa  personne^.  Une  seconde 
fois,  il  se  trouvait  chez  un  coreligionnaire  qui  lui  avait 
offert    l'hospitalité    pour  la    nuit  ;  il  dormait    déjà , 


«  N°  7,  t.  II.  (1724.) 
«  N»  46,  cah.  I. 


340  RÉCITS  D'AVENTURES 

quand  un  détachement  de  troupes  arriva  et  un  ofEcier  fit 
frapper  à  la  porte.  Le  péril  était  grand.  Court  pria  son 
hôte  de  faire  le  malade  et  d'envoyer  aussitôt  sa  femme 
ouvrir  aux  soldats  ;  pour  lui,  il  se  blottit  dans  la  ruelle  du 
lit  où  était  couché  son  ami.  La  femme  tira  les  verrous, 
les  soldats  entrèrent,  l'officier  pénétra  dans  la  chambre, 
fouilla  les  armoires,  sonda  les  murs;  il  ne  découvrit 
rien.  L'hôte  cependant,  entr'ouvrant  les  rideaux,  et 
pâle  de  peur,  lui  témoignait  son  déplaisir  de  ne  pou- 
voir se  lever,  pour  l'aider  dans  ses  recherches,  malade 
qu'il  était,  et  jurait  bien  haut  que  jamais  prédicant 
ne  s'était  caché  dans  sa  maison;  les  soldats  se  décidè- 
rent à  partira  — En  1725,  le  dang-er  fut  plus  grand. 
Court  avait  été  prié  par  «  des  personnes  de  distinction  » 
de  présider  une  assemblée  à  Alais.  C'était  un  piég*e  que 
lui  avait  dressé  un  gentilhomme  qui,  pour  prix  de 
sa  trahison,  devait  obtenir  une  compag'nie  de  dra- 
g'ons.  L'assemblée  fut  surprise  et  Court  obligé  de  vse 
cacher  pendant  ving't  et  une  heures  sous  un  tas  d'im- 
mondices ^.  C'est  à  ce  propos  que  Duplan  lui  écrivait  : 

«  Je  vous  vois  surpris  dans  une  maison  par  vos  ennemis,  ne 
connaissant  pas  la  carte  du  pays,  courant  pendant  l'obscurité 
sur  des  toits  qui  glissent  à  cause  de  la  neige  et  de  la  pluie;  je 
vous  vois  repoussé  du  premier  asile  qui  se  présente  à  votre 
fuite,  je  vous  vois  abandonné  de  tout  le  monde,  presque  saisi 
par  deux  soldats  qui  se  contentent  de  vous  faire  rentrer  dans 
votre  réduit,  comme  dans  une  cage  ou  dans  une  prison  dont  ils 
ferment  la  porte;  je  vous  vois  monter  de  hautes  murailles  qui 
épuisent   vos  forces;    je  vous  vois   environné  d'ennemis  de 


»  N°  46,  cah.  I  et  V. 
«  Ibid. 


RÉCITS  D'AVENTURES  341 

toutes  parts  et  hors  d'espérance  de  vous  sauver,  à  cause  de  la 
clarté  des  flambeaux  qui  environnent  toute  l'île.  Je  vous  vois  enfin 
ramassant  le  bois  de  votre  caisse,  creusant  votre  tombeau  dans 
du  fumier,  et  Dieu  lui-même  qui  vous  couvre,  afin  que  les  mé- 
chants ne  touchent  point  à  son  oint^  » 

Voilà  bien  du  liant  style.  — Court  raconte  ses  aven- 
tures avec  infiniment  plus  de  bonhomie  et  de  naïveté . 
Il  avait,  comme  ses  collègues,  fait  depuis  longtemps 
le  sacrifice  de  sa  vie,  et  il  parle  de  la  mort  sans  proso- 
popée  ni  rhétorique,  en  homme  qui  ne  la  craint  plus  et 
la  brave  en  se  jouant.  Il  n'insiste  que  sur  une  chose  ; 
son  sang'-froid. 

En  1715,  en  revenant  de  Nîmes,  il  aperçut  à  l'en- 
trée des  garrigues  deux  capucins.  Il  alla  à  leur  ren- 
contre, fit  route  avec  eux,  et  mit  bientôt  la  conversa- 
tion sur  le  purgatoire,  l'invocation  des  saints,  la  défense 
de  lire  l'Ecriture  et  surtout  la  transsubstantiation.  Les 
capucins  étaient  fort  intrigués;  enfin  l'un  deux  :  «Vous 
fiiites  le  fin,  vous  avez  été  aux  assemblées.  »  Court  ne 
se  déconcerta  pas,  et  souriant,  avec  calme  :  «  Je  vois 
par  là  que  vous  avez  une  idée  plus  avantageuse  de  ces 
religieuses  convocations  que  je  ne  m'étais  imaginé. 
\'ous  avez  raison.  On  y  acquiert  des  connaissances  sa- 
lutaires, et  elles  sont  formées  pour  l'instruction  et  non 
pour  y  tramer  des  projets  de  révolte,  comme  vous  avez 
accoutumé  de  les  en  accuser  calomnieusement.  »  Là- 
dessus,  comme  on  approchait  du  couvent  Saint-Nicolas 
et  que  l'aventure  pouvait  avoir  une  fin  désagréable,  il 
abandonna  en  riant  ses  deiix  compag-nons  de  routée 

»  N»  12,  p.  51.  (1725.) 
*  N"  46,  cah.  I  et  III. 


34«  RÉCITS  D'AVENTURES 

—  Deux  ans  plus  tard,  harassé  de  fatigue,  il  entra 
dans  un  cabaret  sur  le  bord  d'une  route.  Survint  un 
personnage  qui  n'était  autre  que  le  commandant  de  la 
g'arnison  d'un  villag*e  voisin.  Le  personnage  l'inter- 
rogea, et  lui  demanda  avec  autorité  qui  il  était  et  où 
il  allait.  Court  répondit  qu'il  allait  à  Nîmes,  et  que, 
s'il  avait  quelque  chose  à  lui  ordonner,  il  se  mettait  à 
sa  disposition.  Le  commandant  de  s'adoucir  aussitôt, 
d'assurer  qu'il  était  très-sensible  à  ses  obligeantes  offres 
de  service,  qu'il  avait  deux  lettres  à  faire  jeter  au  cour- 
rier, mais  qu'elles  n'étaient  pas  cachetées  et  qu'il 
craindrait  de  le  trop  retarder,  s'il  le  priait  de  les  atten- 
dre. Court  insista,  entra  dans  le  cabinet  du  comman- 
dant, donna  un  faux  nom,  le  lieu  de  son  logis,  et  prit 
les  deux  lettres  dont  l'une  était  pour  Roquelaure  et 
l'autre  pour  Bâville.  «  Ainsi  se  tira-t-il  d'une  aven- 
ture qui  pouvait  lui  être  des  plus  funestes,  et  des  mains 
d'un  homme  dont  le  principal  emploi  était  de  le  faire 
arrêter  et  qui  vraisemblablement  avait  son  signale- 
ment \  » 

Toutes  les  aventures  n'avaient  pas  malheureuse- 
ment un  dénoùment  aussi  inattendu.  On  avait  beau 
prendre  des  noms  supposés,  se  vêtir  de  costumes  d'em- 
prunt, et  organiser  pour  déjouer  les  espions  une  contre- 
police;  trop  souvent  les  soins  étaient  inutiles.  Les 
fidèles  ne  se  ménageaient  pas  cependant;  ils  condui- 
saient le  prédicant  aux  assemblées,  le  prévenaient  du 
péril  et  le  cachaient.  Mais  que  pouvaient  des  efforts 
isolés  contre  des  espions  sans  cesse  aux  écoutes,  âpres 

i  N"  46,  cah.  1  et  III. 


.  FERMETÉ  DES  MARTYRS  543 

au  g-ain,  et  contre  des  gouverneurs  qui  mettaient  leur 
émulation  à  arrêter  les  prédicants  !  Une  seule  chose 
étonne,  c'est  que  le  nombre  des  victimes  ait  été  en  réa- 
lité si  petit.  Dans  l espace  de  quinze  ans,  on  ne  pendit 
que  quatre  prédicants  :  Arnaud ,  Hue ,  Vesson  et 
Alexandre  Roussel.  C'était  peu. 

On  sait  comment  ils  furent  pris,  mais  avec  quelle 
merveilleuse  fermeté  d'âme  ils  subirent  leur  supplice, 
c'est  ce  qu'on  ne  saurait  assez  admirer.  «  Jamais  on  n'a 
vu  une  personne  plus  tranquille,  écrivait  Duplan  à  la 
mère  d'Arnaud,  et  plus  résignée  à  la  mort  que  ce  pau- 
vre agneau.  Ses  ennemis  les  plus  cruels  en  ont  été 
touchés...  Je  ne  doute  pas,  ma  chère  sœur,  que  vous  ne 
vous  soumettiez  avec  joie  aux  ordres  du  ciel  qui 
avait  prédestiné  votre  cher  fils  à  être  du  nombre  des 
martyrs  ;  les  hommes  n'ont  fait  qu'exécuter  les  décrets 
de  Dieu.  Il  faut  adorer  avec  un  religieux  respect  cette 
main  invisible  qui  règle  avec  une  souveraine  sagesse 
tous  les  événements  qui  arrivent  dans  ce  monde*.» — 
Lorsque  Roussel  fut  pris  et  enfermé  dans  la  citadelle 
de  Montpellier,  le  duc  d'Uzès,  qui  le  voulait  sauver,  lui 
conseilla  de  contrefaire  le  fou.  Mais  lui,  avec  fermeté  : 
«  Monseigneur,  je  vous  suis  très-obligé  de  vos  bonnes 
intentions  en  ma  faveur,  mais  permettez-moi  de  dire 
à  votre  Grandeur  que  je  n'ai  jamais  été  de  meilleur 
sens  que  je  suis  présentement,  et  que  ma  conscience  ne 
me  permet  pas  de  contrefaire  le  fol.  »  Il  fut  condamné 
à  être  pendu, et  l'exécution  suivit  de  près  lejug-ement. 

iN»  I,  t.  II,  p   15.  (1718.) 


344  SUPPLICE  DE  ROUSSEL  . 

u  L'heure  de  l'exécution  étant  venue,  dit  une  relation  du 
temps,  notre  fidèle  martyr  vit  entrer  dans  sa  prison  le  bourreau 
et  un  archer;  ce  dernier  connaissant  M.  Roussel  l'embrassa  et 
pleura;  mais  M.  Roussel  ne  parut  pas  ému.  Il  se  contenta  de 
témoigner  sa  reconnaissance  à  cet  archer  attendri,  et  il  se  mit 
ensuite  à  genoux  pour  prier  Dieu.  Il  le  fit  à  haute  voix,  et  sa 
prière  fut  accompagnée  de  tant  d'onction  et  de  zèle,  qu'elle  ravit 
en  admiration  Farcher  et  le  bourreau  qui  n'étaient  pas  accou- 
tumés d'en  entendre  de  pareilles.  Après  cela,  on  vit  entrer  trois 
ou  quatre  moines  qui  étaient  venus  à  la  citadelle,  soit  pour  dis- 
poser M.  Roussel  à  la  mort,  soit  pour  le  séduire  à  changer  de 
religion  par  les  motifs  capables  d'ébranler  un  fidèle  qui  n'aurait 
pas  posé  sa  foi  sur  un  solide  fondement  ;  mais  ce  fut  en  vain 
que  les  moines  déployèrent  leur  éloquence.  M.  Roussel  leur 
répondit  toujours  avec  beaucoup  de  douceur,  de  sagesse  et  de 
fermeté  touchant  sa  religion  et  son  espérance.  Il  leur  témoigna 
que,  bien  loin  de  craindre  la  mort,  il  la  regardait  comme  la  lin  de 
.ses  peines  et  son  entrée  dans  le  séjour  des  liienheureux;  c'est 
pourquoi  il  les  priait  instamment  de  le  laisser  en  repos,  n'ayani 
aucun  besoin  de  leur  ministère.  M.  le  major  de  la  place  qui 
était  près  de  là,  ayant  en  tendu  ces  dernières  paroles,  entra  dans 
la  prison,  et  dit  à  M.  Roussel  qu'il  ne  fallait  pas  mépriser  ces 
révérends  pères,  puisqu'ils  étaient  là  pour  le  disposer  à  bien 
mourir.  M.  Roussel  lui  répondit  qu'il  ne  méprisait,  ni  n'avait 
jamais  méprisé  personne;  mais  que,  n'ayant  aucun  besoin  du  se- 
cours de  ces  révérends  pères,  il  les  priait  instamment  de  le 
laisser  en  repos.  Après  ces  paroles,  notre  martyr  tira  en  parti- 
culier M.  le  major,  il  le  chargea  de  quelque  chose  qui  regar- 
dait sa  famille,  et,  après  avoir  reçu  la  promesse  qu'il  souhaitait, 
il  le  remercia,  et  ensuite  il  se  dépouilla,  et  se  remit  entre  les 
mains  du  bourreau.  On  sortit  ensuite  de  la  citadelle.  On  avait 
eu  soin  de  ranger  depuis  la  porte  de  la  place  jusqu'au  gibet  deux 
fortes  haies  de  soldats,  le  fusil  monté  et  la  bayonnette  au  bouL. 
Notre  martyr  était  accompagné  par  le  bourreau,  une  troupe 
d'archers,  une  autre  de  soldats,  et  une  autre  de  tambours  qui 
battaient  la  caisse,  et  par  les  moines  qui  ne  le  voulurent  pas 
quitter,  quoiqu'il  les  eût  priés  instamment  de  le  laisser  en  re- 


SUPPLICE  DE  ROUSSEL  345 

pos,  et  qu'il  les  rebutât  ensuite  avec  les  bras,  lorsqu'ils  s'ap- 
prochaient trop  de  ses  oreilles  dans  un  temps  oîi  il  était  uni- 
quement occupé  de  Dieu.  Mais  notre  martyr,  en  allant  offrir  à 
Dieu  le  sacrifice  de  son  corps,  avait  affaire  à  des  oiseaux  plus 
opiniâtre?  et  ])lus  mauvais  que  le  patriarche  Abraham,  lorsqu'il 
offrit  le  sien,  comme  il  est  raconté  en  la  Genèse.  Malgré  le 
bruit  des  tambours,  il  y  eut  des  personnes  qui  s' étant  appro- 
chées, soit  par  faveur,  ou  par  quelque  argent  qu'on  donne  aux 
soldats  pour  pouvoir  rendre  témoignage  de  tout  ce  qui  se  passe 
dans  les  derniers  moments  de  ceux  qui  scellent  la  vérité  de  leur 
sang,  entendirent  que  notre  martyr  chanta  une  partie  du 
psaume  Ll«  et  la  fm  du  XXXiV®  qui  finit  le  dernier  acte  de  sa 
dévotion.  On  ne  remarqua  point  dans  sa  route  qu'il  eût  un  vi- 
sage triste  ou  effrayé,  on  remarqua,  au  contraire,  un  air  tran- 
quille, doux  et  modeste.  11  semblait  qu'il  allait  plutôt  à  une 
fête  qu'à  un  martyre.  Ses  yeux  étaient  souvent  fixés  vers  le  ciel 
qu'il  regardait  comme  sa  patrie  et  le  lieu  de  son  repos,  après 
avoir  soutenu  les  combats  et  les  épreuves  qui  sont  attachées  à 
la  profession  de  l'Evangile.  J^orsqu'on  fut  arrivé  au  pied  de  la 
potence,  il  se  mit  à  genoux  où  il  lit  encore  une  pi'ière  ;  après 
(juoi,  il  monta  l'échelle  avec  beaucoup  de  courage  et  de  fermeté. 
Le  bourreau  attendri  voulut  encore  le  solliciter  de  sauver  sa  vie 
en  changeant  de  religion,  mais  comme  c'était  une  aveugle  ten- 
dresse, ce  furent  aussi  des  paroles  inutiles.  Le  bourreau  fit  son 
office;  fâme  de  notre  martyr  fut  bientôt  séparée  de  son  corps  ; 
elle  s'envola  dans  le  ciel  accompagnée  des  anges  qui  sont  les 
administrateurs  de  la  parole  de  Dieu^  >> 

Alexandre  Roussel  avait  vin g't- six  ans. 

Antoine  Court  avaitréussi  jusqu'alors  à  échapper  aux 
poursuites.  Quoiqu'il  eût  traversé  les  plus  g'rands  périls, 
il  avait  toujours  déjoué  les  efforts  de  ses  ennemis  «  par 
un  effet,  disait-il,  de  la  Providence  divine.  »   Depuis 

'  V.  Piècesi  et  clocumeiits,  n"  XX. 


346  ANTOINE  COURT  EST  POURSUIVI 

le  supplice  de  Roussel  cependant,  les  espions  étaient 
en  campagne  et  les  troupes  en  mouvement  pour  le 
surprendre.  «Nous  l'aurons  votre  M.  Court,»  disait-on 
sans  cesse  aux  religionnaires.  Le  P'  mars  1729,  la  nuit, 
le  commandant  de  la  ville,  où  il  était  caché,  fit  faire 
des  perquisitions  dans  deux  maisons  ;  il  ne  le  trouva 
point.  Le  2  avril,  le  même  commandant,  suivi  d'une 
partie  de  la  garnison,  alla  le  rechercher  dans  une 
autre  maison;  ses  recherches  furent  encore  vaines, 
a On  voit  par  tous  ces  mouvements,  qu'on  ne  man- 
que pas  d'espions,  que  je  fais  beaucoup  de  la  peine  à 
l'ennemi  et  qu'on  ne  néglige  rien  pour  me  surprendre  ; 
mais  on  voit  en  même  temps  que  les  soins  de  la  Pro- 
vidence ne  se  lassent  pas  en  ma  faveur;  qu'elle  veille 
pour  ma  conservation  ;  que  les  ennemis  et  les  espions, 
quelque  rusés  qu'ils  puissent  être,  sont  souvent  con- 
fondus dans  leur  maligne  sagesse.  »  —  Le  24  avril,  un 
détachement  de  soldats  pénétra  dans  une  maison  de 
Nîmes  où  on  le  croyait  caché,  et  la  fouilla  eu  tous 
sens.  Ce  fut  encore  en  vain.  Mais  l'intendant  avait 
résolu  de  s'emparer  de  ce  prédicant  qui,  depuis  quinze 
ans,  reconstruisait  avec  opiniâtreté  ce  qu'il  renversait, 
et  tenait  tête,  seul,  sans  armes  et  sans  appui,  à  la 
cour,  au  clergé,  aux  espions  et  aux  soldats.  Sa  tète 
était  mise  au  prix  de  dix  mille  livres,  et  la  chasse  était 
ouverte.  Court  ne  pouvait  assurément  tarder  à  succom- 
ber sous  la  triple  attaque  du  faux  frère,  du  soldat  et 
du  gouverneur  * . 

Les  protestants  étaient  inquiets  :  ((  Il  a  passé  là  ;  il 

'  y    Pièces  et  documents,  n"  XXI. 


SA  VIE,  SES  TRAVAUX  'Ml 

a  ris(^ué  en  tel  endroit;  il  a  échappé  à  tel  péril;  un 
tel  l'a  voulu  livrer*.  »  Quelques-uns  lui  conseillaient 
de  quitter  la  France  et  d'attendre  à  l'étranger  que 
l'orage  fut  passé.  Mais  il  n'écoutait  aucun  conseil.  «  Il 
avait  reçu,  disait-il,  tant  de  marques  de  la  protection 
divine,  il  sentait  son  ministère  si  nécessaire  à  l'Eg-lise, 
qu'il  aurait  cru  pécher,  et  contre  la  bonté  divine  ([ui 
l'avait  protégé  si  souvent  et  en  tant  d'occasions  diffé- 
rentes, et  contre  l'Eglise  à  laquelle  son  ministère  pa- 
raissait si  utile,  et  se  rendre  coupable  d'une  extrême 
lâcheté,  s'il  avait  abandonné  son  troupeau.  »  Il  se  fît 
humble,  inaperçu,  prit  des  précautions  et  continua 
son  ministère. 

Sa  vie,  comme  celle  de  ses  collègues,  était  toute 
d'action,  mais  combien  plus  laborieuse!  Il  écrivait 
non- seulement  des  apologies  et  des  mémoires,  lisait, 
s'instruisait,  composait  des  sermons  et  des  lettres  pas- 
torales, mais  encore  il  entretenait  une  active  corres- 
pondance avec  les  protestants  de  l'étranger  et  ceux 
de  sa  patrie,  Il  ne  lui  suffisait  point  de  s'occuper  du 
présent,  il  voulait  encore  préparer  l'avenir.  Le  présent 
même  était  plein  de  doutes,  d'incertitudes  ;  que  de 
soins  n'exig'eait-il  pas  !  La  convocation  des  Synodes, 
les  rivalités  et  les  colères  à  apaiser,  les  conseils  adonner, 
les  malheureux  à  visiter,  les  améliorations  à  introduire, 
les  projets  à  débattre,  la  discipline  à  faire  respecter, 
—  il  fallait  qu'il  s'employât  à  tout,  qu'il  dirig'eat  tout, 
qu'il  se  donnât  tout  à  tous.  C'étaient  des  lettres  aux 
galériens    pour  les  inviter  à  la    patience,    aux   mères 

*  V.  Pièces  et  documents,  n"  XXL 


•MS  VISITES  PASTORALES 

dont  on  avait  enfermé  les  filles  dans  les  couvents,  aux 
familles  affligées  par  les  mille  douleurs  de  l'existence 
augmentées  de  celles  de  la  persécution,  —  lettres 
pleines  de  tendresse,  de  sévérité  et  de  mâles  conso- 
lations.— C'étaient  des  visites  aux  malheureux,  et  quels 
malheureux!  Les  amendes  multipliées,  la  misère — une 
misère  hideuse,  croissante,  —  la  faim  déchirant  les 
entrailles,  les  soldats  s'installant  dans  les  maisons  et 
les  ruinant,  voilà  les  souffrances  qu'il  fallait  voir  et  qu'il 
fallait  faire  patiemment  supporter.  Tous  en  effet  n'a- 
vaient pas  l'héroïque  gTandeur  d'âme  de  cette  femme  pro- 
testante, la  mère  de  Roussel.  Lorsqu'elle  apprit  la  mort 
de  son  fils  et  la  sérénité  avec  laquelle  il  avait  subi  le  der- 
nier supplice,  loin  de  montrer  de  l'affliction,  elle  ne 
témoig'na  que  de  la  joie.  Antoine  Court  alla  lui  offrir 
ses  consolations  ;  mais  elle  :  «  Si  mon  fils  avait  montré 
quelque  faiblesse,  je  ne  m'en  serais  jamais  consolée, 
mais,  ptiisqu'il  est  mort  constamment,  que  de  g'râces 
n'ai-je  pas  à  rendre  à  Dieu  qui  l'a  fortifié*.  » 

Ce  n'était  pas  tout.  Avait-on  élu  les  Anciens,  et  les 
consistoires  fonctionnaient-ils  bien?  —  Où  en  était 
l'œuvre,  et  n'y  avait-il  point  de  reproches  à  adresser 
aux  prédicants?  —  Quand  se  tiendrait  le  Synode?  en 
quel  lieu?  Ne  serait-il  pas  préférable  de  le  convoquer 
plus  tard  et  dans  un  endroit  moins  exposé  aux  recher- 
ches des  troupes?  — Mille  autres  choses.  Court  ne  ta- 
rissait point. 

Les  prédicants  recevaient  chaque  jour  des  lettres  de 
lui,  et  répondaient.  C'était  un  continuel  échange  de  de- 

^  V.  Pièces  et  documents,  n°  XX. 


LETTRES  ET  CORRESPONDANCE  3-49 

mandes  et  de  nouvelles.  Des  hommes  sûrs  et  le  courrier 
parfois  portaient  les  lettres.  Celles-ci  étaient  adressées  à 
des  personnes  tierces  qui  étaient  dans  la  confidence  et 
se  cliarg'eaient  de  les  remettre  à  leurs  vrais  destina- 
taires, ou  bien  elles  portaient  des  noms  d'emprunt. 
Lorsque  Durand  écrivait  à  Court,  il  mettait  sur  l'en- 
veloppe le  nom  de  Deling*èbe.  Les  autres  proposants 
se  livraient  en  cette  matière  aux  caprices  de  leur 
fantaisie.  «  A  Monsieur  Court,  écrivaient-ils,  vicaire 
de  l'Eg-lise  sous  la  f  ;  à  Monsieur  Ax,  Cx  bon  berg'er 
en  son  logement  ;  à  Monsieur  Court,  avocat  pour  le 
g-rand  Roi  en  son  conseil  spirituel  en  Languedoc'.  » 
—  Chose  touchante  que  les  sentiments  de  m^utuelle 
affection  et  de  support  qui  se  manifestaient  dans  ces 
lettres!  Lorsqu'il  ne  s'agissait  plus  d'aff'aires  ecclésias- 
tiques, ces  hommes  écrivaient  des  pages  d'un  charme 
infini,  d'une  délicatesse  exquise.  Il  faut  lire  surtout  la 
correspondance  de  Duplan,  deCorteiz  et  de  Court;  on 
trouverait  difficilement,  malgré  les  g*rossiers  défauts  de 
la  forme,  quelque  chose  de  plus  simple,  de  plus  noble. Ce 
ne  sont  que  des  conseils,  des  exhortations,  des  appels, 
mais  qui  rappellent  les  épîtres  des  Pères  par  l'énergie 
et  par  la  tendresse.  Avec  les  proposants  surtout,  qu'il 
regardait  un  peu  comme  ses  fils.  Court  entretenait  une 
correspondance  suivie.  Il  leur  traçait  leurconduite,  leur 
donnait  des  conseils,  leur  indiquait  des  livres  à  lire; 
il  les  réprimandait  parfois  et  réparait  leurs  fautes.  En 
1725,  quelques  plaintes  s'étaient  élevées  contre  le  pro- 
posant Gaubert.  Court  lui  ordonna  aussitôt  de  quitter 

*  N"  1,  t.  II,  m,  IV,  passitH. 


3o0  LETTRES  ET  CORRESPONDANCK 

son  Eglise  et  d'aller  porter  son  ministère  dans  un  autre 
qîiartier\  L'ordre  déplut  et  Gaubert  s'insurgea.  Plu- 
sieurs lettres  furent  échangées.  «  Vous  vous  mettrez 
en  colère,  dites-vous,  répondit  Court.  Il  ne  faut  pas  le 
faire  ;  Dieu  le  défend,  et  cela  vous  ferait  mal.  »  Légère 
ironie,  conseils,  tendresse  paternelle,  rien  ne  man- 
quait à  ces  épîtres.  Et  cependant,  malgré  cette  affec- 
tueuse sollicitude,  un-  sentiment  de  jalousie  germait 
déjà  chez  quelques-uns.  On  supportait  difficilement  sa 
supériorité;  elle  commençait  h  devenir  à  charge;  et, 
bien  qu'on  n'en  voulût  pas  convenir,  elle  paraissait  fa- 
tigante. Il  y  avait  paru  dans  les  démêlés  qui  suivi- 
rent la  nomination  de  Duplan  à  la  députation.  Il  y 
parut  encore.  On  lui  suscita  mille  ennuis,  en  identi- 
fiant la  cause  de  Duplan  à  la  sienne  ^ 

Combien  l'horreur  de  cette  vie  vagabonde  devenait 
épouvantable,  quand  le  prédicant  avait,  comme  lui, 
comme  Corteiz,  une  femme,  une  famille.  Corteiz  était 
marié  à  Genève.  Depuis  longtemps,  il  n'avait  pas  reçu 
de  nouvelles  de  sa  femme,  et  il  errait  tristement,  de- 
mandant à  ses  correspondants  habituels  s'ils  n'avaient 
point  reçu  de  lettre  à  son  adresse.  On  avait  partout  ré- 
pondu négativement.  Alors,  à  bout  de  courage,  il 
écrivit  à  un  marchand  de  Genève,  son  compère  :  «  Si 
ma  femme  est  vivante,  je  la  prie  de  m'écrire,  et  si  elle 
ne  peut  pas,  vous  aurez  la  bonté  de  le  faire,  et  m'ap- 
prendrez son  état  et  celui  de  ma  petite.  Si  ma  femme 
n'a  pas  d'argent  pour  payer  la  nourrice,  vous  lui  en 
donnerez,  et  nous  serons  toujours  en  bon  compte.  »  En- 

î  N-'  7,  t.  II,  p.  147. 

9  N»  7,  t    III,  p.  218.  (1727.) 


TRISTESSES  ET  DOULEURS  351 

fin,  il  reçut  les  lettres  de  sa  femme;  elles  étaient  res- 
tées un  mois  à  Montpellier.  Quelle  joie  !  «  Je  g'iorifie 
de  tout  mon  cœur  le  grand  Dieu  de  ce  qu'il  vous  a  dé- 
livré des  maladies,  des  peines;...  qu'il  plaise  à  la 
bonté  divine  de  vous  rétablir  vos  forces,  et  vous  donner 
toute  la  patience  dont  vous  avez  besoin  !  »  Un  autre 
jour,  il  apprit  que  sa  mère  était  morte,  et  que  le  prêtre 
avait  refusé  de  la  recevoir  dans  son  cimetière,  «  parce 
qu'elle  n'avait  pas  voulu  porter  les  marques  de  la 
bête  \  ))  —  Un  autre  jour,  que  son  enfant,  une  petite 
fille,  \'enait  de  s'éteindre  dans  les  bras  de  sa  mère,  loin  de 
lui  :  «  Je  n'ai  jamais  pu  l'embrasser  sur  la  terre,  écrivait- 
il;  j'espère  de  la  miséricorde  de  Dieu  qu'elle  jouit  d'une 
parfaite  paix  dans  le  ciel  avec  notre  divin  époux  ^.  » 

Ainsi,  fuir  sans  cesse,  avoir  l'oreille  aux  écoutes, 
craindre  le  passant,  voir  sans  cesse  se  projeter  sur  la 
route  l'ombre  de  l'écliafaud,  et  avec  cela  se  sentir  l'âme 
torturée  par  cet  épouvantable  supplice  :  l'anxiété  !  Que 
faisaient-il ?  Vivaient-ils  encore?  Fallait-il  craindre,  fal- 
lait-il espérer?  Plus  tard  une  lettre  arrivait,  long-temps 
attendue  :  elle  apprenait  la  mort  de  la  mère,  de  la  fille. 
Brisé,  on  s'arrêtait  sur  le  bord  du  chemin,  on  pleurait. 
Mais  quoi  !  était-on  excusable  de  se  livrer  à  sa  douleur, 
quand  la  voix  de  Dieu  vous  appelait  à  consoler  des 
douleurs  bien  plus  grandes,  celles  des  persécutés  et 
celles  des  victimes  !  On  reprenait  sa  route  et  on  con- 
voquait une  assemblée.  C'était  la  vie. 

Antoine  Court,  s'était  marié  en  1722,  à  son  retour  de 

1  N"  17,  vol.  G,  p.  28. 
«N»  1,  t    II,  p.  431.  (1721  ) 


352  MARIAGE  D'ANTOINE  COURT 

Genève.  Il  avait  épousé  une  jeune  fille  d'Uzès,  dont  il 
avait  probablement  fait  la  connaissance  dans  ses  courses 
à  travers  le  Languedoc.  On  la  nommait  Etiennette  Pa- 
ges, mais  lui  et  ses  amis  l'appelaient  simplement  Ra- 
cliel. 

Sa  jeune  femme  avait  quelque  fortune,  mais  surtout 
une  ferme  piété.  «  Je  vous  marquerai  très-volontiers,  lui 
écrivait  un  Ancien,  l'état  de  Mademoiselle  Pag(ès),  car 
je  n'ai  rien  à  en  dire  qui  ne  doive  vous  satisfaire  et  édi- 
fier. Je  vous  dirai  donc  qu'elle  édifie  fort  l'Eg'lise  par  son 
zèle  et  sa  débomiaireté  ^  »  C'est  de  cela  qu'il  s'était  épris. 

De  ce  mariag'o  il  avait  eu  trois  enfants.  En  1727, 
sa  femme  habitait  Uzès,  et  elle  n'y  avait  pas  été  en- 
core inquiétée,  lorsqu'un  jour  le  nouveau  comman- 
dant de  la  ville,  venant  à  passer  devant  sa  maison, 
s'arrêta,  fit  quelques  questions  aux  voisins,  et  con- 
tinua son  chemin.  Grande  peur!  Court  se  rappela 
ce  qu'avait  récemment  écrit  Duplan  à  sa  femme  ; 
((  Je  crains  à  tout  moment  qu'on  ne  vous  enlève^.  » 
Il  courut  au-devant  d'elle,  et  la  pria  de  partir  pour 
Genève.  Au  commencement  de  l'année  1728,  il  di- 
sait :  «  Ma  Rachel  est  errante,  elle  n'habite  plus  la 
maison;  une  vente  a  été  passée  sur  partie  de  ses 
biens,  en  faveur  d'une  permission  que  nous  avons  ob- 

*  N"  1,  t.  II,  p.  450.  (1721)  —  Quelle  était  cette  iemiiie  douce,  dé- 
vouée, courageuse,  dont  son  fils,  Court  de  Gébelin,  devait  dire  plu^ 
tard  :  «  Une  épouse  d'une  force  d'âme  peu  commune,  et  qui  ne  vivait 
que  pour  sa  famille?...»  (V.  Monde  jpriml'Jf,  t.  A'III,  p.  9.)  Court 
se  montre  très-discret  à  l'égard  de  sa  femme;  son  nom  est  mémo 
effacé  dans  quelques  lettres.  Il  l'aimait  beaucoup  et  on  le  lui  reprocha 
souvent.  On  verra  plus  loin  (V.  tome  II,  chap.  xiii,  p.  380)  quelle  fut 
sa  douleur,  lorsqu'il  la  perdit.  Il  en  mourut 

a  N"  12,  p.  161. 


COURT  SE  DÉCIDE  A  QUITTER  LA  EllAXCl-:  o53 

tenue  de  la  cour.  La  permission  a  été  jug'ée  bonne,  la 
vente  l'est  aussi.  Ma  Eacliel  n'attend  que  ce  prix,  ou 
d'avoir  mis  quelqu'autre  arrangement  à  cette  affaire, 
pour  faire  voile  vers  l'heureuse  cité\  »  Elle  ne  partit 
cependant  qu'en  1729,  avec  deux  de  ses  enfants,  et 
arriva  à  Genève  dans  le  mois  d'avril. 

Cette  séparation  fut  très-sensible  àx\ntoine  Court.  Il 
aimait  tendrement  sa  femme,  et  se  voyait  désormais 
séparé  d'elle  et  par  la  iong'ueur  du  trajet  et  par  l'im- 
minence du  dang-er.  D'ailleurs,  il  la  savait  malade, 
et  sa  douleur  était  d'autant  plus  vive. 

Il  conçut  le  dessein  d'aller  la  rejoindre.  «  Ces  fré- 
quentes indispositions,  et  un  grand  nombre  d'autres 
choses,  augmentent  le  désir  que  j'aurais  de  vous  voir  -.  » 
Il  prépara  donc  son  départ,  et  se  disposa  à  quitter  la 
France. 

Cette  détermination  presque  subite,  dans  la  situation 
surtout  où  se  trouvait  le  protestantisme,  étonne  et  elle 
étonna  ses  coreligionnaires.  Il  est  nécessaire  de  l'expli- 
(p.ier.  Depuis  son  séjour  à  Genève,  Court  avait  sou- 
vent souhaité  d'aller  se  fixer  à  l'étranger.  L'amour 
de  l'étude,  le  désir  de  déployer  son  acti^■ité  sur  un 
plus  grand  théâtre,  le  soin  des  églises,  tout  l'y  pous- 
sait. Il  avait  cependant  résisté  à  la  tentation.  Au  com- 
mencement de  1729,  encore  qu'il  fut  traqué  de  tous  les 
côtés  et  que  beaucoup  le  sollicitassent  à  fuir,  il  s'était 
décidé,  on  le  sait,  à  rester  en  France.  «  Le  Berger,  qui 
voit  le  loup  et  qui  s'enfuit,  est  un  mercenaire,  »  avait-il 
dit  à  Du])lau.  Mais  le  départ  de  sa  femme  fut  pour  lui 

1  N"  7,  t.  111.  p.  274.  (Août  l',20.) 

2  Ihid.,  p.  453. 

I  23 


354  PLANS  ET  PROJETS 

comme  un  coup  de  foudre.  Dans  sa  solitude,  tous  ses 
projets,  tous  ses  desseins,  tous  les  rêves  qu'il  avait  ja- 
dis formés,  apparurent  subitement  à  la  lumière  de 
son  amour. 

La  situation  du  protestantisme,  prospère  sans  doute, 
n'était  point  florissante  encore.  Comment  la  ren- 
dre plus  satisfaisante?  Quel  moyen  })our  arriver  à  ce 
but?  —  Continuerait-il  de  courir  la  province  et  d'or- 
g'aniser  la  discipline?  Il  l'avait  fait  depuis  sa  plus  ten- 
dre enfance,  et  les  résultats  obtenus  étaient  excellents, 
La  limite  du  possible  était  atteinte;  on  ne  pouvait 
guère  la  dépasser.  Mais  éveiller  l'attention  de  la 
France  et  la  piété  des  Puissances  étran<^-ères,  former 
et  préparer  au  ministère  des  jeunes  gens  dévoués  et 
instruits,  faire  entendre  dans  la  grande  mêlée  du  dix- 
liuitième  siècle  la  voix  de  la  tolérance,  demander 
hautement  réparation  et  justice,  c'était  la  seconde  et 
la  plus  importante  partie  de  l'œuvre,  et  voilà  ce  qui 
restait  à  faire. 

Court  le  dit  quelque  part.  Expliquant  les  motifs  qui 
le  poussèrent  à  se  réfugier  en  Suisse  : 

«  .Je  voulais,  dit-il,  contribuer  de  tout  mon  jjouvoir,  en  pre- 
nant soin  de  ma  famille  qui  était  depuis  six  mois  à  Genève,  à 
l'étaldissement  d'un  séminaire  ;  aider  aux  études  des  jeunes  gens 
qui  y  seraient  envoyés,  les  diriger  sur  la  manière  de  gouverner 
l'Eglise  et  sur  les  moyens  qu'il  y  aurait  à  suivre  pour  les  pro- 
grès de  la  religion;  faire  ce  qui  dépendrait  de  moi  pour  faire 
consacrer  ces  jeunes  gens  dans  les  académies  étrangères;  éta- 
blir des  correspondances  avec  toutes  les  églises  du  royaume  ; 
contribuer  à  ce  que  le  nombre  de  ces  églises  augmentât  tous  les 
jours  ;  les  aider  toutes,  autant  que  j'en  serais  capable,  par  mes 
lumières  et  par  mes  conseils  ;  rassembler  les  matériaux  pour  la 


r)KPART  D'ANTOINE  COURT  355 

composition  d'une  histoire  destinée  à  transmettre  a  la  postérité 
les  miracles  qu'une  Providence,  aussi  magnifique  dans  Si's  voles 
(|u'impénétrabie  dans  ses  vues,  avait  opérés  en  faveur  d'une 
Eglise  dont  un  puissant  Roi  avait  résoluja  perte,  et  s'était  féli- 
cité d'avoir  éteinte;  et  mettre  ensuite  les  matériaux  en  œuvre  ; 
faire  enfin  tout  ce  qui  dépendrait  de  moi  en  faveur  de  ceux  que 
la  persécution  chasserait  de  leur  patrie  et  les  forcerai  ta  cliercher 
des  asiles  dans  des  bords  étrangers.» 

Vers  la  liu  du  mois  d'août  1729  \  Aiituiiie  Court  se 
décida  donc  à  partir.  Accompagné  de  Claris,  jeune  pro- 
posant qu'il  affectionnait  entre  tous,  il  se  dirigea  vers 
la  Suisse  où  devait  s'écouler  la  seconde  partie  de  sa  vie. 

Tl  avait  alors  trente-trois  ans.  Depuis  quatorze  ans, 
il  évangélisait  le  Languedoc. 

Au  début  de  son  ministère,  quand  il  accompagnait 
Brunel,  il  avait  trouvé  cette  province  dans  une  bien 
triste  situation.  Le  jjrotestantisme  y  était  défiguré,  la 
discipline  inconnue,  les  religionnaires  rares  et  découra- 
gés, les  populations  misérables  et  ignorantes,  les  prédi- 
cants  erraient  à  l'aventure,  les  Lispirés  étaient  honorés. 
On  sait  quel  était  l'état  dans  lequel  il  la  laissait.  Et  c'est 
à  quoi  assurément  il  songeait  avec  orgueil,  lorscpi'il 
traversait  une  dernière  fois  ces  contrées  qu'il  avait  si 
souvent  parcourues ,  et  où  il  avait  marqué  la  forte 
empreinte  de  ses  pas.  Oui,  certes,  il  avait  le  droit  de 
se  glorifier  de  son  œuvre.  Cette  province  lui  apparte- 
nait, c'était  son  ouvrage,   c'était  son  bien;  il  l'avait 

1  N"  o7,  p.  H.Mémoii'e  aux  arl)itre5. 

*  Court  dit  (N"  o7,  p.  14)  qu'il  quiua  la  France  en  septembre;  cepen- 
dant il  arriva  à  Lyon,  le  2  septembre  (N"  7,  t.  II,  p.  363).  11  est  pro- 
bable que  ses  souvenirs  le  trompent  et  qu'il  partit  dans  les  derniers 
jours  d'août. 


356  CONCLUSION 

faite  ce  qu'elle  était.  De  tous  côtés,  les  religionnaires 
effrayés  lui  disaient  :  «  Vous  nous  abandonnez  !  »  Mais 
lui  :  «  Oui,  Jérusalem,  si  je  t'oublie,  (jue  ma  dextre 
s'oublie  elle-même,' que  ma  langue  s'attaclie  à  mon  pa- 
lais ^  »  Il  n'abandonnait  pas  ce  qui  avait  été  l'objet 
de  ses  soins  et  le  but  de  sa  vie;  il  allait  lui  clierclier 
au  loin  de  nouveaux  appuis  et  de  nouveaux  soutiens. 
En  1729,  les  églises  sous  la  croix  avaient  pris  pour 
devise:  «  Sauve-nous,  Seigneur,  nous  périssons!  »  Dé- 
sormais, elles  allaient  graver  sur  leurs  sceaux  :  «  Sous 
la  croix,  le  triomplie  !  »   • 

*  N"  46,  cah.  V. 


FIN    DU     PREMIER     VOLUME. 


NOTICE 


STTR    LES 


MANUSCRITS   D'ANTOINE   COURT 


Les  manuscrits  d'Antoine  Court  n'étaient  pas  incon- 
]ius.  On  savait  que  cette  belle  collection  se  trouvait  à 
la  bibliothèque  de  Genève,  et  plus  d'un  auteur,  qui 
l'avait  rapidement  parcourue,  en  avait  déjà  vanté  Tin- 
térèt  et  la  richesse.  On  y  puisait  peu  cependant.  Il 
semblait  qu'on  la  louait  d'autant  plus  qu'on  en  con- 
naissait moins  les  détails.  Ce  fut  la  Société  de  V His- 
foire  du  Protestantisme  finançais  qui,  dès  ses  débuts, 
appela  sérieusement  sur  ces  manuscrits  l'attention  du 
monde  savant  V  En  1854,  sur  sa  demande,  Eug'ène 
Haag'  donna  dans  le  Bulletin  des  renseio:nements  cu- 
rieux sur  (pielques  points  obscurs  -.  En  18()1  enfin, 
M.  Francis  ^\'adino*ton  ])ublia  l'inventaire  sommaire 
de  tous  les  papiers  d'Antoine  Court  conservés  à  Ge- 
nève ■\    Depuis   lors,  plusieurs  écrivains   se  sont  en- 


1  y.  ]h>U('tin,  t    I,  p.  133  et  237. 

2  Ihid.,  t.  U,  p.  225. 

^  Ibid.,  1.  X,  i>.  SO.  —  Nous  renvoyons  ;\  c(\  travail  sérieux,  bien 
l'ait,  et  au'^si  complet  qu'il  peut  l'être  dans  ses  minces  proportions, 
ceux  de  nos  lecteurs  qui  voudraient  se  rendre  compte  de  la  richesse 
et  de  la  variété  de  cette  collection. 


'^'^S  NOTICE 

g-agés  dans  la  lecture  de  cette  vaste  collection,  ceux-ci 
pour  Y  élucider  quelque  épisode  obscur  de  l'histoire  du 
protestantisme,  ceux-là  pour  rechercher  quelque  cu- 
rieux mémoire,  et  aucun  n'en  est  revenu  sans  rapporter 
une  riche  moisson  de  découvertes  ^ 

Nous  avons  dit  ailleurs  comment  Antoine  Court  avait 
peu  h  peu  ramassé  et  réuni  cette  innombrable  quantité  de 
documents^  ;  il  nous  reste  à  en  faire  un  relevé  succinct. 

La  collection  des  «  papiers  Court  »  comprend  cent 
seize  volumes  rehés  (gros  in-é"),  deux  paquets  de  pièces 
non  classées,  un  cahier  assez  épais  et  un  carton  rempli 
de  papiers  ayant  appartenu  à  Court  de  Gébehn.  Elle 
est  divisée  en  cinquante  séries. 

N"  1.  —  Lettres  adressées  à  Antoine  Court.  (1718- 
1755.)  28  vol.  in-4"  marqués    L 

AC. 

N"  2.  —  Lettres  d'Antoine  Court  et  de  son  fils  à 
M.  de  Vég-obre.  (1750-1783.)  1  vol.  in-4'\ 

W  3.  —Lettres  adressées  à  Court  deGébelin,  (1735- 
1755.)  1  vol.  in-4\ 

NO  4  _  Minutes  de  lettres  de  Court  de  Gébelin. 
(1749-1754.)  1  vol.  in-4". 

N°  5.  —  Mémoires  divers  d'Antoine  Court.  (1731- 
1746.)  1  vol.  in-4\ 

N'  6.  —  Indice  pour  les  28  volumes  de  lettres  adres- 
sées à  Antoine  Court.  1  vol.  in-4". 

^  Pour^  ne  citer  que  deux  faits,  c"ef?t  de  là,  par  exemple,  qu'ont 
été  extraits  le  récit  des  souffrances  de  Blanche  Gamond,  publié  par 
M.  Th.  Claparède,  et  les  mémoires  de  Borabonnoux  et  du  baron  d'Ayga- 
liers,  publiés  par  M.  Frostérus..  Nous  ne  parlons  pas  naturellement 
de  toutes  les  pièces  qu'en  a  tirées  le  Bulletin,  et  qu'il  a  disséminées 
dans  ses  vingt  et  un  volumes  de  documents  inédits. 

2  V.  tome  I,  chap.  vu,  p.  225  et 228:  tome  II,  chap.  i,  p.  22  et  suiv.. 
et  chap.  xrii,  p.  386  et  suiv. 


NOTICE  359 

N"  7.  —  Minutes  des  lettres  d'Antoine  Gonrt.  (1720- 
1755.)  13  vol.  in-4%  marqués  LDC. 

N°  8.  —  Table  g-énérale  des  matières  contenues 
dans  les  28  volumes  de  la  correspondance  (série  n°  1). 

1  vol.  in -4". 

N"9.  — Copies  de  lettres  et  divers  procès-ver])aux. 
(1745-1748.)  1  vol.  in-4. 

N"  10.  —  Lettres  des  amis  de  Court  et  actes  des 
conférences.  1  vol.  in-4". 

N"  11.  —Lettres  diverses.  1  vol.  in-4". 

N°  12.  —Lettres  diverses.  1  vol.  in-4". 

N"  13.  —  Lettres  et  mémoires  divers.  3  vol.  iQ-4". 

N"  14.  —  Lettres  de  Sallet,  ou  mémoires  recueillis 
par  lui.  1  vol.  in-4°. 

N"  15.  —  Lettres  et  autres  pièces. 

N"  16.  —  Traité  sur  les  assemblées.  2  vol.  in-4". 

N°  17.  —  Recueils  et  mémoires.  22  vol.  in-4",  mar- 
qués par  les  lettres  de  l'alphabet  A.  B.  C,  etc. 

N°  18.  —  Recueils  et  mémoires.  2  vol.  in-4.  AA.  BB. 

N°  19.  —  Pièces  diverses.  1  vol.  in-4". 

N"  20.  —  Pièces  diverses.  1  vol.  in-4''. 

N"21.  —  Extraits  et  mélanges.  1  vol.  in-4^ 

N"  22.  —  Recueils  et  extraits  divers.  1  vol.  in-4''. 

N"  23.  —  Cours  de  théolog-ie.  1  vol.  in-4". 

N"  24.  -^  Commentaires  et  controverses.  1  vol.  in-4". 

N"  25.  —  Traductions  et  sermons.  1  vol.  in-4". 

N"  26.  —  Morale  en  latin  et  en  français.  1  vol.  in-4". 

N"  27.  —  Mélang-es.  3  vol.  in-4". 

N"  28.  —  Histoire  des  ég'lises  réformées  de  France, 
ou  mémoires  pour  servir  à  l'histoire  des  ég'lises  ré- 
formées de  France  et  de  leur  dispersion  depuis  la 
révocation    de    l'Edit    de    Nantes     jusqu'à    présent. 

2  vol.  in-4. 


000  XOTICK 

N"  29.  —  Pièces  sur  les  Camisards.  1  vol.  in-4". 

N"  30.  —  Eecneil  de  mémoires  sur  les   Camisards. 

1  vol.  in-folio. 

N''  31.  —  Lettres  sur  les  Camisards.  1  vol.  in-4". 

N"  32.  —  Histoire  des  Camisards.  1  vol.  in-4". 

N"  33.  —  Mémoire  sur  les  Camisards.  1  vol.  iD-4^ 

N"  34.  —  Mémoire  sur  les  démêlés  de  quelques 
séminaristes  et  de  deux  ministres  de  Poitou.  1  vol. 
in-4\ 

N"  35.  —  Traduction  des  mémoires  de  Cavalier. 
1  vol.  in-4". 

N"  36.  —  Recueil  des  pièces  du  voyag'e  fait  en 
France  par  Antoine  Cuurt,  en  1744.  1  vol.  in-4". 

N"  37.  —  Papiers  concernant  les  démêlés  avec  Du- 
plan.  1  vol.  in-4". 

N"  38.  —  Liste  des  galériens.  1  vol.  in-4". 

N""  39.  —  Histoire  des  martyrs.  1  vol.  in-4". 

N"  40.  —  Mémoire  de  Boyer.  1  vol.  in-4'. 

N"  41.  —  Jugement  de  Boyer.  1  cahier  in-4'. 

N°  42.  —  Histoire  des  ministres  de  France,  tome  I. 
marqué  A.  1  vol.  in-4\ 

N"  43.  —  Papiers  de  famille.  1  vol.  in-4". 

N"  44.  — Papiers  divers.  1  portefeuille. 

N"45.  — Comptes.  2  cahiers  in-folio. 

N"  4() .  —  Mémoires  de  Court,  banque  profestante,  etc . 

N"  47.  —  Sermons,  écrits  d'édification. 

N"  48.  —  Recueil  de  mémoires  sur  les  protestants  de 
France.  1  vol.  in-folio,  marqué  B.  B. 

N"  49.  —  Mélanges.  1  vol.  in-folio,  marqué  B. 

N"  50.  ' —  Supplément  à  l'Histoire  de  l'Edit  de 
Nantes,  par  Benoît.  1  vol.  in-folio,  marqué  A. 

Ces  cent  dix-huit  volumes  sont  assez  bien  classés  et 


NOTICE  361 

dans  un  ordre  conveDable.  Us  contiennent  l'iiistoire 
complète  et  intime  du  protestantisme  français  au  dix- 
huitième  siècle,  et  il  en  est  peu  qui  n'offrent  un  réel 
intérêt.  Parmi  les  plus  importants,  nous  citerons  ceux 
qui  sont  compris  dans  les  séries  5,  12,  13,  17,  29, 
30,  31,  32,  46,  48  et  50,  —  mais  surtout  et  avant 
tout;  les  séries  1  et  7.  C'est  là  que  sont  déposées  par 
ordre  de  date  et  conservées  dans  un  ordre  parfiiit  les 
minutes  de  toutes  les  lettres  d'Antoine  Court  ;  c'est  là 
(jue  sont  réunies  les  réponses  de  tous  ses  correspon- 
dants depuis  1718  jusqu'à  1755.  Antoine  Court,  on  le 
sait,  classait  avec  beaucoup  de  soin  toutes  les  lettres 
qu'il  recevait,  et  prenait  copie  de  toutes  les  siennes. 
Telles  il  les  avait  arrang*ées,  telles  elles  sont  encore. 
Tl  y  a  peu  de  lacunes  dans  cette  vaste  correspondance, 
et  c'est,  presque  jour  par  jour,  qu'on  peut  y  suivre  les 
('vénements  de  sa  vie,  et  l'histoire  des  ég-lises  réformées 
de  France. 

Un  petit  problème  se  pose  ici  cependant.  Dans  la 
série  n"  1,  le  volume  I,  le  volume  XVIII  et  l'année 
1752  manquent  complètement.  Perte  très-malheureuse î 
car  ce  dernier  volume  contenait  certainement  de  pré- 
cieux détails  sur  la  g-rande  émig-ration.  Il  y  a  plus. 
Les  lettres  adressées  à  Antoine  Court  ne  vont  que  de 
1718  à  1755,  et  ses  réponses  de  1720  à  la  même  date. 
Or,  il  a  commencé  son  ministère  en  1715,  et  il  n'est 
mort  qu'en  1760.  Que  sont  donc  devenus  1"  les  lettres 
où  se  trouvaient  relatés  les  faits  de  1715  à  1718,  2"  les 
lettres  de  1752,  3"  celles  de  1755  à  1760, 4"  les  volumes 
I  et  XVIII  de  la  série  n"  1  ? 

Il  est  aisé  de  répondre  à  la  première  question.  Dans 
les  premiers  temps,  Antoine  Court,  jeune  encore  et  au 
début  de  son  ministère,  ne   conservait  ni   les  lettres 


.%2  NOTICE 

qu'il  recevait  ni  celles  qu'il  écrivait,  lettres  d'ailleurs 
en  petit  nombre.  Il  n'y  ajoutait  aucune  importance.  Il 
ne  gardait,  et  sans  beaucoup  de  soin,  que  les  papiers 
auxquels  l'intérêt  du  moment  donnait  quelque  valeur. 
On  les  possède  encore.  Il  les  réunit  plus  tard  et  les 
plaça  sans  ordre  dans  le  reste  de  sa  collection.  Ce  ne 
fut  que  trois  années  après,  en  1718,  qu'il  comprit  l'im- 
portance de  ces  lettres  écrites  au  jour  le  jour  et  qu'il  les 
conserva.  On  ne  peut  donc  rechercher  ce  qui  n'a  ja- 
mais existé. 

Il  n'en  est  pas  de  même  des  volumes  I  et  XVIII,  des 
deux  volumes  où  sont  relatés  les  événements  de  1752, 
et  de  ceux  enfin  qui  allaient  de  1755  à  1760. 

Pour  les  quatre  premiers,  nous  sommes  disposé  à 
croire  qu'ils  furent  égarés,  après  la  mort  d'Antoine 
Court,  de  la  façon  suivante.  Lorsque  Court  de  Gébelin 
partit  pour  Paris,  il  mit  en  dépôt  à  la  Bibliothèque  de 
Genève,  par  l'entremise  de  M.  de  Végobre,  la  plupart 
des  manuscrits  de  son  père,  mais  il  en  laissa  quelques- 
uns  à  son  ami  Charles  de  Lois  (Louis  de  Chéseaux?). 
A  sa  mort,  la  Bibliothèque  acheta  bien  les  manuscrits 
laissés  en  dépôt,  mais  elle  ne  put  probablement,  mal- 
gré les  stipulations  de  l'achat,  entrer  en  possession  de 
ceux  que  Charles  de  Lois  possédait  ^  C'est  ainsi  que 
furent  distraits  de  la  collection  ces  quatre  volumes, 

1  Le  19  mars  1785,  deux  mois  après  la  mort  de  Court  de  Gébelin, 
les  directeurs  de  la  Bibliothèque  proposèrent  «  d'acquérir  ceux  des 
manuscrits  de  feu  M.  Court  père,  qui  se  sont  trouvés  dans  l'hoirie  de 
M.  Court  de  Gébelin  son  fils.  Comme  ces  manuscrits  contiennent 
beaucoup  de  choses  relatives  à  l'histoire  des  églises  réformées  de 
France,  l'avis  fut  de  consacrer  15  louis  d'or  à  cette  acquisition.  >>  Assis- 
taient à  cette  séance  :  Binet,  Scholarque,  deLescale,  Vernet,Perdriau, 
Sarrasin,  Diodati,  Sénebier,  de  Lubières,  de  Tournes.  —  La  sœur  de 
Court  de  Gébelin,  Pauline  Solier,  (V,  tome  II,  chap.  xiir,  p.  396)  ac- 
cepta l'offre  des  directeurs,  et  voici  son  reçu  :  <.<  Je  soussigné,  ai  reçu 
de  M.  le  pasteur  de  Lescale,  en  sa  qualité  de   recteur   de  l'Académie 


NOTICE  36:r 

égarés  aujourd'hui,  qui  laissent  une  déplora "hle  lacune 
dans  la  correspondance. 

Quant  aux  autres,  voici  ce  que  nous  supposons.  En 
1755,  Court  vit  subitement  mourir  sa  femme  et  cette 
mort  lui  causa  une  vive  douleur.  Découragé,  il  remit 
peu  à  peu  à  son  fils  Court  de  Gébelin  le  soin  des  églises 
de  France.  Court  de  Gébelin  dépouilla  l'immense  cor- 
respondance, fit  les  réponses,  remplaça  insensible- 
ment son  père,  mais  il  était  lui-même  accablé  de  tra- 
vaux, étant  professeur  au  séminaire  de  Lausanne  et 
ramassant  déjà  des  matériaux  pour  son  grand  ou- 
vrage :  le  Monde  primitif  \  Selon  toutes  les  probabi- 
lités, il  ne  classa  plus  les  lettres  qu'il  recevait,  et 
ne  prit  pas  copie  de  celles  qu'il  envoyait.  D'un  côté, 
les  unes  s'entassèrent,  de  l'autre,  il  ne  resta  pas  trace 
des  siennes.  En  1760,  son  père  mourut.  Il  lui  suc- 
céda comme  représentant  des  églises  et  vint  bientôt 
s'établir  à  Paris.  Il  quitta  à  Genève  tous  les  papiers 
classés  de  son  père;  il  emporta  ceux  qui  n'étaient  pas 
en  ordre,  et  dont  il  pouvait  avoir  besoin,  puisqu'ils 
concernaient  les  dernières  années.  Mais  il  avait  à  me- 
ner de  front  ses  intérêts  propres  et  ceux  des  églises, 


(le  Genève,  quinze  louis  neufs,  que  messieurs  les  directeurs  de  la  Bi- 
bliothèque publique  de  cette  ville  ont  bien  voulu  me  donner  pour 
acquérir  à  laiiite  Bibliothèque  la  propriété  des  divers  livres,  mémoires 
et  manuscrits  relatifs  principalement  aux  protestants  de  France  et 
provenant  de  feu  mon  père  et  de  feu  mon  frère,  lesquels  livres,  mé- 
moires et  manuscrits  avaient  été  mis  en  dépôt  par  mon  dit  frère  et 
par  M.  de  Végobre  dans  ladite  Bibliothèque,  à  laquelle  je  m'engage 
de  faire  parvenir,  s'il  m'est  possible,  les  deux  volumes  que  mon  frère 
retira  à  Paris,  ainsi  que  ceux  qui  peuvent  être  restés  entre  les  mains 
de  M.  Charles  de  Lois,  k  qui  mon  frère  avait  contié  tous  ses  effets  en 
quittant  Lausanne.  En  foi  de  quoi,  j'ai  signé  à  Genève,  le  l'^juin  1785. 

«  Pauline  Solier.  » 
1  C'est  ainsi  que  les  lettres  de  Court  qu'il  nous  a  conservées  pour 
les  années  1753,  1754,  1755,  sont  très-rares.  Elles  ne  forment  qu'un 
seul  volume! 


364  NOTICE 

i^on  J/onde  primitif  et  les  délicates  nég-ociatioiis  jjoiir 
obtenir  la  tolérance.  Pouvant  à  peine  suffire  à  la  tâche, 
il  laissa  les  lettres  de  ses  correspondants  s'amonceler, 
et  continua  à  ne  pas  écrire  les  minutes  des  siennes.  Le 
désordre  s'accrut.  C'est  au  milieu  de  ses  mille  affaires, 
de  ses  soucis  et  de  ses  embarras  pécuniaires,  que  la 
mort  vint  le  surprendre.  La  Bibliothèque  de  Genève  ne 
put  ainsi  acheter  ni  les  lettres  de  1755  à  1760  qu'il 
avait  emportées,  ni  celles  qu'il  avait  reçues  pendant 
son  séjour  à  Paris.  Or,  que  devinrent-elles?  Rabaut 
Saint-Etienne,  dans  une  lettre  du  8  août  1784,  écrit  : 
«  M.  de  Beaulieu,  président  du  Musée,  travaillant  à 
rang-er  les  papiers  de  M.  de  (lébelin,  a  mis  de  côté 
ceux  des  pasteurs  du  royaume;  ils  seront  adressés  à 
M.  Moulinié  à  Lyon,  pour  les  distribuer  ;  sans  cette 
précaution,  ils  auraient  passé  dans  les  mains  du  mi- 
nistère. y>  On  ne  sait  si  Moulinié  les  reçut.  Peut-être  fu- 
rent-ils classés  par  liasses  et  expédiés  aux  provinces 
d'où  ils  étaient  venus*.  Peut-être  encore  furent-ils  ven- 
dus et  dispersés.  Quoi  qu'il  en  ait  été,  les  lettres  de 
1755  à  1760  furent  ég^arées  avec  les  autres  papiers  de 
l'ag-ence  protestante. 

Cette  perte  est  très-g-rande  et  irréparable.  Là,  pour 
ne  citer  que  deux  faits,  devaient  se  trouver  tous  les 
renseig-nements  relatifs  au  premier  agent  des  ég'lises, 
Lecointe  de  Marcillac,  et  les  lettres  assurément  échan- 
g-ées  entre  Antoine  Court  et  Voltaire,  pendant  le  séjour 
de  ce  dernier  à  Lausanne. 

*  Ne  serait-ce  pas  une  de  ces  liasses  qu'a  découverte  récemment 
M.  Arnaud  ?  (V.  Bnllct..  t.  XXI,  p.  151.)  Nous  serions  assez  disposé 
à  le  croire. 


PIECES 


ET 


DOCUM?]NTS   INEDITS 


N«  1 


DECLARATION  DU  ROV,  QUI  ORDONiNE  QUE  (JEUX  QUI  AURONT  DECLARE 
qu'ils  VEULENT  PERSISTER  ET  MOURIR  DANS  LA  RELIGION  PRÉ- 
TENDUE REFORMÉE,  SOIT  Qu'iLS  AYENT  FAIT  ABJURATION,  OU  NON, 
SERONT    REPUTEZ    RELAPS. 

Donnée  à  Versailh  s,  le  8  mars  IT13. 

Louis,  par  la  ji,i'ace  de  Dieu  Roy  de  France  et  de  Navarre  : 
A  tous  ceux  qui  ces  présentes  Lettres  verront,  salut.  Depuis  la 
révocation  de  l'Edit  de  Nantes,  Nous  n'avons  rien  oublié  de  ce  qui 
pouvoit  dépendre  de  Nous,  pour  retirer  des  erreurs  de  la  R.P.  H. 
ceux  de  nos  sujets  qui  y  estoient  nez,  et  pour  procurer  l'éduca- 
tion de  leurs  enfans  dans  la  véritable,  et  Nous  avons  eu  la  satis- 
l'actioii  de  voir  que  Dieu  a  béni  en  cela  nos  pieuses  intentions, 
par  le  grand  nombre  de  personnes  qui  ont  l'ait  abjuration;  sur 
ce  qui  Nous  revint  cependant  que  ([uelques  uns,  ajtrès  s'estri^ 
convertis,  refusoient  dans  l'extrémité  de  leurs  maladies,  de 
recevoir  les  Sacremens,  et  mouroient  après  avoir  déclarez  qu'ils 
persistoient  dans  la  R.  P.  R.  faisant  voir  par-la  qu'ils  estoient 
retombez  dans  leurs  premiers  égaremens  ;  Nous  ordonnâmes 


366  PIÈGES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

par  Nostre  Déclaration  du  29  avril  1686,  (j[u  en  ce  cas  le  procez 
seroit  fait  à  leur  mémoire  et  prescrivîmes  à  nos  juges  la  ma- 
nière dont  ils  dévoient  punir  un  tel  crime,  et  les  peines  que  nous 
estimions  à  propos  d'estre  prononcées  contre  les  coupables. 
Nous  apprenons  néantmoins  que,  les  abjurations  s' estant  faites 
souvent  dans  des  provinces  éloignées  de  celles  où  décèdent  nos 
dits  sujets,  ou  par  un  si  grand  nombre  à  la  fois  qu'il  n  auroit 
pas  esté  possible  d'en  tenir  des  registres  exacts  ;  nos  juges, 
ausquels  ceux  qui  meurent  relaps  sont  dénoncez,  trouvent  de 
la  difficulté  de  les  condamner  aux  termes  de  nostre  dite  Décla- 
ration du  29  avril  1686,  faute  de  preuves  existantes  de  leur  ab- 
juration, et  d'autant  que  le  séjour  que  ceux  qui  ont  esté  de  la 
R.  P.  R.  ou  qui  sont  nez  de  parens  religionnaires,  ont  fait  dans 
nostre  Royaume,  depuis  (jue  INous  y  avons  aboly  tout  exercice 
de  ladite  religion,  est  une  preuve  plus  ([ue  suflisante  qu'ils  ont 
embrassé  la  religion  Catholique,  Apostolique  et  Romaine,  sans 
(|uoy,  ils  n'y  auroient  pas  esté  souflerts  ny  tolérez,  voulant  sur 
ce  faire  sçavoir  nos  intentions  ;  a  ces  causes  et  autres,  à  ce 
Nous  mouvant,  en  interprétant,  en  tant  que  de  besoin,  nostre 
Déclaration  du  29  avril  1686  et  y  ajoustant,  Nous  avons  dit, 
déclaré  et  ordonné,  et  par  ces  Présentes  signées  de  nostre  main^ 
disons,  déclarons,  et  ordonnons,  voulons  et  Nous  plaist,  que 
tous  nos  sujets,  nez  de  parens  qui  ont  esté  de  la  R.  P.  R,  avant 
ou  depuis  la  revocation  de  l'Edit  de  Nantes,  qui  dans  leurs  ma- 
ladies, auront  refusé  aux  Curez,  Vicaires  ou  autres  Prêtres  de 
recevoir  les  Sacremens  de  l'Eglise,  et  auront  déclaré  qu'ils 
veulent  persister  dans  la  R.  P.  R.  soit  (juils  ayent  fait  abju- 
ration, ou  non,  ou  ([ue  les  actes  n'en  puissent  estre  rapportez, 
soient  reputez  relaps,  et  sujets  aux  peines  prononcées  par  nostre 
dite  Déclaration  du  29  avril  1686,  que  nous  voulons  au  surplus 
et  entendons  estre  exécutée  selon  la  forme  et  teneur.  Si  don- 
nons EN  MANDEMi^NT  à  nos  aiiicz  et  féaux  Conseillers,  les  Gens 
tenans  nogtre  Cour  de  Parjeiiient  à  Paris,  que  ces  Présentes  ils 
ayent  à  ênregistrei,  et  le  contenu  en  iceiles  exécuter  et  faire 


PIÈCKS  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  367 

exécuter,  garder  et  observer  selon  leur  forme  et  teneur,  nonob- 
stant tous  Edits,  Déclarations  et  autres  choses  à  ce  contraires  : 
car  tel  est  nostre  plaisir;  en  témoin  de  quoy,  Nous  y  avons  fait 
mettre  nostre  scel.  Donné  à  Versailles,  le  huitième  jour  de 
Mars,  l'an  de  grâce  mil  sept  cent  quinze,  et  de  nostre  Règne 

le  soixante-douzième. 

Signé  :  LOUIS. 

Et  sur  le  reply  ;  Par  le  Roy  Phelypeacx,  et  scellé  du  grand 
Sceau  de  cire  jaune. 

(Bibliothèque  nationale,  Mss.   n"  70^6,  p.  'lO). 


N"  Il 

LETTIUC     DK     .M.     1)' A(iU  i:SSEAU .      l'IlOCUHKUR     (iENÉRAL 
DU    PArvLKMEXT    DK    PARIS. 

Du  26  mars  1713. 

Monsieur, 

J'ai  reru  ce  matin  une  déclaration  du  Roy  que  vous  m'avez 
adressée,  par  laquelle  Sa  Majesté  ordonne  que  tous  les  religion- 
naires,  qui  auront  refusé  de  recevoir  les  sacrements  de  l'Eglise 
dans  leur  maladie  et  auront  déclaré  qu'ils  veulent  mourir  dans 
la  R.  P.  R.,  soient  réputés  rela])S,  soit  qu'ils  ayent  fait  abjura- 
tion ou  non,  ou  que  les  actes  n'en  puissent  être  raportés,  et 
sujets  aux  peines  portées  par  la  déclaration  du  29  avril  16(SC). 

Je  prends  la  liberté  do  vous  ri'présenler  lu  dilTiculté  que  ces 
mots  :  soit  qu'ils  ayent  l'ait  altjuration  ou  non,  etc.,  présentent 
d'abord  naturellement  à  l'esprit.  La  justice  ne  })unit  point  des 
accusés  sur  de  simples  présomptions  ;  et  ce  n'est  point  assez 
qu'un  accusé  soit  réputé  coupable  :  il  faut  qu'il  le  soit  en  effet 
pour  être  condamné.  Ces  sortes  de  présomptions  peuvent  bien 
avoir  lieu  dans  les  matières  civiles  oîi  la  vraisemblance  est 
reçue  au  défaut  de  la  vérité,  mais  elles  n'ont  jamais  lieu  en 
matière  crimmelle  oià  il  faut  que  le  crime  soit  prouvé  pour  pou- 


368  PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

voir  prononcer  une  condamnation.  Si  Ton  y  admet  quelcjuefois 
des  présomptions,  c'est  lorsqu'elles  sont  nécessaires  et  qu'elles 
renferment  par  conséquent  une  preuve  sufiisanle  du  lait;  mais 
comme  il  n'y  a  jamais  eu  de  loy  qui  ait  imposé  aux  religion- 
naires  la  nécessité  de  changer  de  religion,  on  ne  peut  pas  dire 
qu'il  y  ait  une  présomption  nécessaire  de  ce  changement.  Le 
Roy  a  bien  aboli  l'exercice  de  la  R.  P.  R.  par  ses  édits,  mais  il 
n'a  point  ordonné  précisément  aux  religionnaires  de  faire  ab- 
juration et  d'embrasser  la  relligion  catholique.  Toute  la  rigueur 
de  la  loy  est  tombée  sur  les  relaps,  c'est  à  dh'e  sur  ceux  ijui 
après  avoir  abjuré  leur  mauvaise  relligion  sont  retombés  dans 
leurs  anciennes  erreurs.  Mais  pour  cela,  il  faut  nécessairomeni 
|)rouver  qu'ils  en  sont  sortis,  parce  que  pour  tomber  il  faut  s'être 
relevé,  et  l'on  aura  toujours  bien  de  la  peine  à  comprendre 
([u'un  homme  qui  ne  paroit  point  s'être  jamais  converti  soil 
cependant  retombé,  dans  l'hérésie  et  qu'on  puisse  le  condamner 
comme  si  le  fait  étoit  prouvé.  Il  semble  donc  que,  pour  ne  pas 
donner  atteinte  aux  règles  de  la  justice  qui  ne  doivent  jamais 
être  observées  plus  exactement  que  quand  il  s'agit  de  religion, 
et  pour  aiîermir  cependant  l'exécution  de  la  déclaration  de 
1686,  il  sufhroit  d'ordonner  qu'au  défaut  de  preuves  d'une  ab- 
juration en  forme,  la  partie  pul>li([ue  feroit  preuve  de  l'exercice 
de  la  religion  catholique  fait  par  ceux  qui  auroient  refusé  de 
recevoir  les  sacrements  à  la  mort.  Cet  exercice  une  fois  piouvé 
tiendroit  lieu  de  ral)juration,  parce  qu'il  feroit  voir  ({ue  les 
accusés  seroient  rentrés  de  fait  dans  le  sein  de  l'Eglise  el, 
qu'étant  retournés  ensuite  à  leurs  premiers  égarements,  .ils 
inéritent  d'être  punis  comme  relaps.  Si  le  Roy  approuve  cette 
pensée,  on  pourroit  l'expliquer  en  ces  termes  :  Voulons,  qu'en 
cas  qu'on  ne  puisse  rapporter  les  actes  de  V abj wallon  faitte 
par  ceux  de  nos  sujets  nés  de  jjarens  faisant  profession  de  la 
R.  P.  R.  ou  qui  en  ont  fait  profession  eux-mêmes,  avant  ou 
depuis  la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes,  qu'il  ij  soit  suppléé 
parles  preuves  qui  seront  rapportées  pour  établir  qu  ils  ont 


PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  369 

exerce  la  religion  catholique  et  en  ont  fait  les  actes  ordinaires , 
et  que  sur  lesd.  preuves,  ceux  qui  dans  leurs  maladies  auront 
refusé  aux  curés,  vicaires,  ou  autres  personnes  de  recevoir  les 
sacremens  de  VEglise  et  déclaré  qu'ils  veulent  persister  et 
mourir  dans  la  R.  P.  R.,  soient  poursuivis  comme  relaps  et 
condamnés  aux  peines  2')rononcées  par  nôtre  déclaration,  du 
29  avril  1G8G,  que  nous  voulons  au  surplus  être  exécutée  selon 
sa  forme  et  teneur. 

Il  me  semble  que  ce  tempéramment  satisfait  à  toutes  les  vues 
que  Ton  peut  avoir  sur  ce  sujet  sans  blesser  les  principes  ordi- 
naires de  la  justice.  Je  vous  supplie  de  vouloir  bien  le  proposer 
au  Roy  et  de  me  faire  savoir  ensuite  les  intentions  de  Sa  Ma- 
jesté, afm  que  je  m'y  conforme  comme  je  le  dois. 

Je  suis  avec  respect,  M.  votre,  etc. 

Signé  :  d'Aguesseau. 

A  Paris,  ce  26  mars  1715. 

(Bibliothèque  nationale,  Mss.  u°  7046,  p.  38.) 


N<'  m 


I7li 


Des  abymes  profonds  d'une  noire  tristesse 

A  toy  seul,  Dieu  puissant,  nous  adressons  nos  vœux. 

Que  nos  gémissements  excitent  ta  tendresse, 

Et  l'excès  de  nos  maux  un  regard  de  tes  yeux  ! 

Accablés  sous  les  coups  do  ta  juste  colère, 
Veux-tu  donc  avec  nous  compter  à  la  rigueur? 
N'es-tu  plus  notre  Dieu,  n'es-tu  plus  notre  père? 
Nous  feras-ta  toujours  sentir  ton  bras  vengeur? 

Que  le  sang  de  ton  Fils,  notre  unique  rossoar(^e, 

Toujours  frais  et  vivant  intercède  pour  nous  : 

I  24 


370  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

Qu'il  fléchisse  ton  cœur,  et  nous  ouvre  la  source 
Uoù  découle  ta  grâce  et  tes  biens  les  plus  doux  ! 

A  ton  égard,  Seigneur,  nous  l'avouons  sans  feinte, 
Nous  méritons  des  maux  iniiniment  plus  grands  : 
Mais  c'est  pour  n'adorer  que  ta  Majesté  Sainte 
Que  nous  sommes  en  proye  à  nos  cruels  tirans. 

Leur  rage  contre  nous,  à  son  coml)le  montée. 
Ravage  sans  pitié  tes  fidèles  troupeaux. 
Tout  paraît  seconder  leur  fureur  indomptée. 
Tout  flatte  leur  orgueil  par  des  succès  nouveaux. 

Nous  te  le  redisons,  à  Dieu,  pour  ta  querelle, 
Pour  soutenir  tes  Droits  nous  sommes  accablez  : 
Peux- tu  voir  d'un  œil  sec  notre  peine  mortelle, 
Et,  sans  en  être  ému,  tes  troupeaux  désole/.? 

Regarde  nous  plutôt  d'un  œuil  plein  de  teiulresse. 
Que  ta  compassion  se  réveille  en  ce  jour  ! 
Pour  nos  cruels  malheurs  ta  gloire  t'intéresse  ; 
Pais-nous  donc  ressentir  ton  paternel  amour  ! 

Que  nos  tendres  enfants,  dont  l'extrême  faiblesse 
Les  expose  sans  cesse  aux  pièges  de  l'erreur, 
Puissent,  par  tes  bontés,  de  tous  ceux  qu'on  leur  dresse 
Eviter  les  détours  et  fuir  Tappas  trompeur. 

()  souverain  pasteur,  et  le  seul  ([ui  nous  reste, 
Du  vice  et  de  l'erreur  démasque  tous  les  traits, 
Et  détourne  nos  pas  de  leur  route  funeste 
De  peur  que  ton  flambeau  ne  s^éteigne  à  jamais! 

Tiens-toi  près  des  mourants,  Dieu  tout  bon  et  tout  sage 
Que  ton  divin  esprit  soit  leur  consolateur  ; 
Dans  ces  derniers  moments  redouble  leur  courage 
Contre  la  chair,  le  monde,  et  l'esprit  tentateur  ! 


PIJCCES  K'ï  DUCUMICNTS  INEDITS  3tl 

Que  kl  |)ertc  dos  biens,  riiorroiir  et  rinfamic. 
Dont  le  zèle  en  fureur  s'arme  contre  leur  iby. 
Réveillent  leur  ardeur  par  le  calme  endormie 
Et  les  fassent  toujours  plus  espérer  en  toy  î 

Toy,  qui  des  plus  grands  Ro)s  es  le  souverain  maître, 
Qui  diriges  leurs  cœurs  comme  le  cours  des  eaux. 
Fléchi  le,  cœur  du  nôtre,  et  lui  fay  reconnaître 
L'innocence  et  le  droit  de  tes  pauvres  troupeaux! 

Que  les  princes,  chez  (jui  l'on  prêche  ta  parole 
Et  qui  n'ignorent  pas  ({uelle  est  ta  volonté, 
La  fassent  retentir  de  l'un  à  l'autre  pôle, 
Et  qu'ainsi  ton  grand  nom  soit  partout  exalté! 

Eclaire  les  esprits  de  ceux  qui  nous  haïssent, 
Ou  leur  inspire  au  moins  ({uelque  ombre  d'équité, 
Et  ne  permets  jamais  que  nos  langues  trahissent, 
Même  dans  les  tourments,  ta  sainte  vérité  ! 

(N^  17,  vol.  G,  p.  431). 

N"  IV 

tlHQUHTE    DE    l'kGLISL;    DK    SOMMIÈRKS    A   UN    SYNODE    rUOVINGlAL. 

(Sans  tialo). 

Aux  très  illustres,  les  vénérables  Messieurs,  les  pasteurs  et 
deputtés  des  Eglises,  quy  composent  le  synode  provincial  des 
Basses  Gevenes. 
Messieurs, 

La  désolation  extrême  où  sont  réduits  depuis  trois  années  les 
lidelles  de  cette  Eglise,  désolation  qu'on  ne  peut  l'enuisager 
sans  frémir,  depuis  l'époque  fatalle  quelle  ce  vit  priuée  des 
pasteurs  selon  son  cœur,  nous  a  déterminés  des  aujourd'hui > 


372  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

dans  une  conjoncture  aussy  critique  quy  nous  doit  faire  craindre 
avec  justice  que  la  miséricorde  et  la  patience  de  Dieu  ne  vienne 
enfin  a  cesser,  veu  les  crimes  scandaleux  quy  y  ont  empiré,  de 
vous  supplier  très  instemment  d'auoir  compassion  d'un  état  sy 
triste;  nous  l'espérons  de  votre  charitté.  Les  intérêts  de  la 
gloire  de  Dieu  et  le  salut  des  âmes  qu'il  a  rachettees  par  son 
sang  précieux,  vous  doiuent  engager  a  y  apporter  un  remède 
convenable.  Ce  remède  serait,  messieurs,  de  nous  faire  la  grâce 
de  nous  enuoyer  de  vos  pasteurs  et  prédicateurs  pour  desseruir 
notre  église,  sans  quoy  elle  va  perrir.  Ne  soyez  pas  msensibles 
à  nos  représentations,  veu  qu'elle  ne  tend  qu'à  un  but  juste  et 
équitable.  Autorises  d"autre  part  par  les  loix  de  l'Eglise  et  par 
la  discipline  eclesiastique,  lequel  selon  elle  l'on  ne  peut  forcer 
des  fidelles  a  receuoir  un  pasteur  contre  leur  gré,  persuades 
comme  nous  sommes  que  vous  aures  égard  à  notre  très  humble 
représentation,  nous  prions  du  profond  de  nos  cœurs  l'Estre 
Suprême  qu'il  répande  sur  vous  touttes  les  lumières  de  son 
St.  Esprit,  affm  que  touttes  vos  délibérations  tournent  au  salut 
des  fidelles  et  a  l'auancement  de  son  Eglise.  Nous  sommes 
avec  une  parfaite  soumission  et  respect, 

Messieurs, 

Vos  très  humbles  et  très  obéissants  serviteurs 

Nicol.  Griolet,  Gilly,  Irmejais(?),  Romieux,  Beaucourt,  Peyre, 
Penicaud,  Olivier,  A.  S.  Aran  (?),  Albaret,  Pacadan,  Berte- 
zenes,  A.  Gausse,  Griolet,  Peyre,  Duinas,  Fesquet,  Banc, 
P.  Lanet,  Audoyer,  Bancel....  Pantourtior  (?). 

(N"  13,  t.  m.) 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  373 


No  V 


ARTICLES    DES    DEMANDES    QU  ON    A    FAITES    A    M.    ROUX 

En  promiorlieu,  êtes  vous  porté  de  ])onne  volonté  a  signer  la 
confession  de  foy,  tant  de  votre  sang  que  de  votre  nom,  et  de 
vous  soumaitre  avec  humilitté  et  de  suivre  avec  exattidude  la 
discipline  ecclésiastique  et  les  règlements  qne  nous  avons  éta- 
blis? 

La  2^^,  qu'antandez-vous  par  la  confession  de  foy  et  la  dissi- 
pline  ecclésiastique? 

La  3",  croiez-vous  qu'il  y  ait  2  natures  en  J. -Christ,  une  na- 
ture divine  et  une  nature  humaine? 

Le  4'*,  que  tenez  vous  pour  le  chef  de  la  vraye  Eglise? 

Le  5e,  vous  ne  croiez  pas  donc  que  le  pape  soit  le  chef  de  l'E- 
glise et  le  viquaire  de  J.-G.  en  terre? 

Le  G*',  que  vous  semble-t-il  donc  du  pape  de  Rome.  —  Re- 
ponce. Je  le  regarde,  repont-il,  comme  l'antechrist  prédit  par  les 
Sts  hommes. 

Le  5",  nalés  pas  tant  vitte,  lui  repliqua-je.  S.  Jean  nous  dit  au 
chap.  I  de  sa  première  epitre  que  celuy  qui  nie  que  J.  Ch.  soit 
venu  en  chair,  celuy  la  et  l'antechrist;  or  l'Eglise  romaine  ne  nie 
})oint  l'humanité  de  J.-C,  au  contraire  la  confesse. 

Le  8^,  mes  dans  notre  religion  n'y  a-t-il  point  do  ce  nombre 
de  ceux  quy  renient  Dieu  par  leurs  œuvres?  —  Reponce.  Il  y 
en  a  nombre,  aussi  seront-ils  mis  du  rang  des  blasphémateurs, 
et  recompancez  comme  les  entichretiens.  —  Mes  l'église  ro- 
maine renie  d'une  manière  efroiable  en  soposant  à  la  gloire  de 
Dieu  père.  Fils  et  S.  Esprit,  etc. 


374  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

Le  9^,  vous  croies  donc  que  le  pape  et  tout  ce  qui  découle  de 
sa  doctrine  et  lantechrist  et  lantecbristianisme? 

La  10«,  dou  vien  que  lantechrist  étant  sy  visible,  sy  palpable,  en 
ce  que  T esprit  de  Dieu  nous  a  marqué  sy  clairement  le  temps 
de  sa  naissance^,  le  lieu  de  sa  demeure,  la  couleur  de  ses  abis,  la 
qualité  de  sa  doctrine,  jusqu'aux  moindres  sircons tances,  et 
néammoins  il  y  ait  tant  de  peuples  aveuglés  ? 

La  11«,  que  croies  vous  de  la  charge  des  pasteurs?  En  quoi 
consiste  celle  des  diacres  et  anciens  et  diaconesse  ? 

La  12^,  tous  ceux  quy  ont  charge  de  l'Eglise  peuvent-il  exer- 
cer les  mêmes  fonctions? 

La  \3^,  que  croies  vous  donc  du  batème  des  sages  femmes  qui 
batisent  les  petis  enfans  et  autres  qui  n'ont  point  ressu  de  légi- 
times vocations  dans  l'Eglise  parles  voyes  égglesiastiques? 

La  14%  donnez  nous  une  courte  paraphrase  du  verset  4  du 
20  chap.  des  Actes  rendant  témoignage  tant  au  Juif  comme  aux 
Grecs  de  la  repentance  envers  Dieu  et  de  la  foy  en  .T.  C.  notre 

Seigneur. 

La  16'%  enfin  êtes  vous  en  état  de  souffrir  tous  les  maux  que 
la  sirconstance  du  temps  vous  menasse,  comme  les  roues,  les 
gibets,  les  potances,  les  injures,  les  duretés,  les  soufrances,  les 
calonies,  en  un  mot  tous  les  maux  auquel  s  sont  esposez  ceux 
qui  prêchent  sous  la  croix  de  Christ. 

Yoilà  mot  a  mot  les  chefs  ou  principe  des  demandes  faittes  a 
M.  Roux  dont  il  a  répondu  nu  grnnd  contentement  de  toute 
l'assemblée. 

(N"  17,  vol,  0.} 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  375 


N«  VI 

LETTRE   DE   PIGTET    A    CORTEIZ    SUR    LES   ASSEMBLÉES 

Janvier  17'20  1. 

Monsipnr  ot  très  chor  frèro, 

Jo  vous  avouo  qun  j'ai  toujours  condamné  \es  p;randes  assom- 
blées,  soit  parce  que  je  scay  qu'il  y  a  eu  très  souvent  de  la  con- 
fusion et  du  désordre,  soit  parce  que  je  scay  de  très  l)onne  part 
qu'il  s'en  est  tenu  contre  toutes  les  repjles  de  la  prudence  chré- 
tienne, dans  le  temps  que  les  Catholiques  Romains,  qui  ne  nous 
voulaient  pas  de  mal,  faisaient  dire  ou  qu'on  ne  fit  pas  d'as- 
semblée ou  qu'on  la  finit  avant  midi,  —  car  ils  me  l'on  dit  eux 
mêmes,  —  soit  parce  que  j'ay  appris  que  plusieurs  fois  des  gens 
s'y  mêlaient  de  prêcher  qui  ne  sca valent  pas  ce  qu'ils  disaient, 
en  sorte  que  des  personnes  de  bon  sens  en  étaient  scandalisées, 
soit  parce  que  dans  ces  grandes  assemblées  il  se  mêle  souvent 
de  faux  frères  qui  reconnaissent  ceux  qui  y  sont  et  qui  les  dé- 
férent, soit  parce  que  je  suis  persuadé  qu'on  instruit  mieux  dans 
de  petites  assemblées  que  dans  des  grandes,  soit  parce  qu'on 
m'a  assuré  plusieurs  fois  que  ce  serait  le  moyen  de  vous  rendre 
favorables  les  Puissances,  soit  parce  qu'il  y  a  eu  des  massacres, 
des  meurtres,  plusieurs  envoyés  aux  galères,  ou  confinés  dans 
des  cachots,  soit  parce  qu'il  y  a  des  temps  où  il  vaut  mieux  in- 
struire les  gens  dans  leur  particulier,  lorsqu'on  y  a  plus  à  risquer 
en  le  faisant  en  public  que  d'utilité,  soit  enfin  pour  des  raisons 
que  je  ne  puis  confier  au  papier.  On  m'a  même  rapporté  que 
plusieurs  ])Oussèrent  à  faire  de  grandes  assemblées  pour  avoir 
plus  d'argent  et  qu'il  y  en  a  eu  nui  ont  osé  desbaguer  les  doigts 
des  femmes  qui  n'avaient  point  d'argent  à  leur  donner. 

1  Note  (le  Court. 


376  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

Vous  dites  que  la  plus  part  des  maisons  ne  sont  pas  com- 
modes, mais  il  y  en  a  qui  le  sont,  où  Ton  peut  s'assembler, 

Vous  dites  qu'il  y  a  des  apprentifs  et  des  domestiques  pa- 
pistes qui  révéleraient  ce  qu'on  ferait.  Mais  croyez-vous  qu'ils 
ne  le  tairaient  pas,  et  peut-être  on  en  convertirait  quelques  uns. 

Vous  dites  que  l'un  se  garde  de  sa  belle  fille,  l'autre  de  sa 
belle  mère;  mais  pensez-vous  que  ces  gens  ignorent  ce  qui  se 
fait,  et  de  plus  on  peut,  comme  j'ây  dit,  choisir  les  maisons. 

D'ailleurs  ces  dangers  ne  sont  pas  à  craindre  à  présent  où 
l'on  permet  de  se  tenir  dans  les  maisons  et  d'y  faire  des  exer- 
cices; du  moins  on  fait  semblant  de  n'en  rien  scavoir. 

Vous  dites  que  les  uns  ont  de  la  dévotion  dans  une  maison  et 
d'autres  n'en  ont  point,  Gela  ne  serait-il  pas  dans  les  assem- 
blées? 

Vous  dites  qu'une  prédication  en  rase  campagne  touche  da- 
vantage. Je  conviens  que  le  prédicateur  crie  plus  haut,  mais  la 
crainte  où  l'on  est  d'être  surpris,  les  incommodités  que  l'on 
souffre,  en  allant  ou  venant  dans  l'assemblée  même  doucement, 
ralentissent  et  troublent  bien  la  dévotion. 

Vous  dites  que  10  a  12  prédicateurs  ne  suffiraient  pas.  A  cela 
je  n'ay  rien  a  dire,  sinon  qu'il  s'en  trouverait  plusieurs  qui  iraient 
volontiers  dans  les  maisons,  mais  qui  ne  veulent  pas  s'exposer 
aux  assemblées. 

Je  ne  doute  pas  que  ce  soit  une  grande  consolation  d'entendre 
parler  de  Dieu  à  des  gens  qui  ne  font  jamais  oui.  Mais  ce  n'est 
pas  là  de  la  question.  Est-ce  qu'il  n'y  a  pas  de  certaines  conjonc- 
tures où  Ton  ne  doit  pas  faire  tout  ce  qu'on  pourrait  à  cause  du 
danger,  où  l'on  s'expose  de  se  faire  massacrer,  de  changer  de 
nouveau  de  religion,  et  parce  qu'on  espère  de  se  rendre  les  Puis- 
sances favorables,  au  lieu  qu'en  se  raidissant  contre  elles,  on  les 
oblige  quelquefois  malgré  elles  à  faire  des  choses  qu'elles  ne 
voudraient  pas.  Je  ne  suis  pas  le  seul  de  ce  sentiment;  mais  je 
ne  prétends  pas  que  mon  sentiment  prevaille.  Si  vous  vous  trou- 
vez   bien  de   vos  assemblées,  j'en   béniray  Dieu  avec   autant 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INEDITS  377 

d'ardeur  que  vous,  et  je  le  prie  de  tout  cœur  que  ce  zélé  que 
vous  témoignez  produise  tous  les  bons  effets  que  vous  en  atten- 
dez. 

Je  scay  fort  bien  que  lorsque  la  parole  de  Dieu  n'est  plus 
prechée,  c'est  le  plus  grand  de  tous  les  malheurs,  mais  elle  peut 
être  prechée  en  particulier  et  en  public. 

Je  seray  toujours  prêt  de  vous  donner  les  avis  que  je  jugeray 
vous  être  nécessaire,  et  je  l'ay  fait  diverses  fois,  selon  qu'on  me 
les  a  demandés.  Vous  n'avez  qu'a  me  marquer  en  quoi  je  puis 
vous  être  utile,  et  je  le  feray  incessamment. 

Je  n'ay  point  vu  la  lettre  que  vous  m'aves  écrite.  M.  Dul  (?) 
m'en  a  parlé  et  me  l'a  promise,  mais  ne  me  l'a  jamais  donnée. 

J'ay  vu  la  lettre  que  M.  Court  a  écrite  a  M.  Rey,  d'ontj'ay  été 
très  satisfait.  11  n'y  a  que  deux  jours  qu'il  me  l'a  montrée,  quoi- 
qu'il l'aye  reçue  le  12  d'octobre.  J'avais  appris  par  diverses  per- 
sonnes qu'il  y  avait  des  choses  dans  cette  lettre  qui  me  regar- 
daient; mais  il  ne  me  l'apportait  point.  Etant  venu  me  deman- 
der un  témoignage  pour  aller  a  Paris,  je  lui  en  parlay,  et  il  me 
la  tira  de  sa  poche,  sans  quoy  je  ne  l'aurais  point  vue.  J'ay  bénit 
Dieu  d'apprendre  tout  ce  qu'on  a  fait  chez- vous,  les  bons  règle- 
ments qu'on  y  a  établis;  j'approuve  fort  que  ceux,  qui  ne  sont 
pas  en  état  de  faire  des  sermons,  se  servent  de  ceux  qu'on  a, 
plutôt  que  de  débiter  des  discours  sans  ordre  et  s'écartant  du 
vray  sens  de  l'Ecriture.  J'ay  parcouru  avec  plaisir  le  sermon  de 
M.  Court  sur  la  nouvelle  créature.  J'ay  vu  qu'il  a  rassemblé  avec 
beaucoup  de  jugement  tout  ce  qu'on  a  fait  sur  ce  beau  texte  ;  et 
je'voy  avec  joye  qu'il  a  des  dons  considérables  pour  la  chaire.  Je 
croy  qu'on  fait  fort  bien  de  se  servir  des  sermons  qui  ont  été  im- 
primés, d'en  tirer  la  matière  de  ceux  qu'on  fait  parce  qu'on  ne 
craindra  pas  de  s'écarter  et  qu'on  s'évitera  beaucoup  de  peine  ; 
mais  je  suis  d'avis  : 

1»  que  les  sermons  fussent  moins  longs  ;  les  prédicateurs  se- 
raient moins  fatigués  et  les  auditeurs  en  rapporteraient  plus. 

2°  qu'on  donnât  en  peu  de  mots  le  sens  du  texte  et  qu'on  en 


378  PIECES  ET  DOCUxMENTS  INEDITS 

tirât  ensuite  les  vérités  qu'il  renferme  d'une  manière  simple  et 
instructive. 

3"  que  les  applications  fussent  vives  et  tirées  du  texte,  mais 
appliquées  aux  besoins  présents. 

4"  que  l'on  fit  plus  de  catéchismes  que  de  sermons,  parce  qu'on 
en  tire  beaucoup  plus  de  fruit. 

5°  que  l'on  choisit  les  textes  les  plus  ])eaux,  les  plus  aisés  a  re- 
tenir, les  plus  instructifs  et  les  plus  consolants. 

J'avais  dit  à  M.  Rey  d'écrire  que  j'avais  dessein,  si  je  pouvais 
me  procurer  un  imprimeur,  de  vous  envoyer  de  tems  en  tems  des 
lettres  qui  .....  l'exposition  de  l'Ecriture  moins  étendue  que 
dans  les  sermons,  maïs  plus  que  dans  les  notes  qui  sont  dans  la 
Bible;  ce  qui  vous  pourrait  servir  de  commentaire,  comme  vous 
n'avez  pas  tous  les  livres  dont  vous  avez  besoin,  et  ce  qui  pour- 
rait servir  à  ceux  qui  vous  entendraient,  soit  pour  en  profiter 
mieux  et  les  retenir,  soit  pour  les  mieux  comprendre. 

J'attendray  votre  réponse  sur  ce  sujet;  et  j'aurais  déjà  fait 
quelque  chose,  si  j'avais  scu  que  vous  le  souhaitassiez. 

J'ay  fait  des  dialogues  qui  sont  des  entretiens  du  pasteur  avec 
le  hdéle,  oii  j'expliquais  ainsi  des  passages,  je  traitais  des  cas 
de  cpnscience  et  j'y  mêlais  des  histoires  de  confesseurs.  H.  y  en 
a  déjà  2  tomes.  Mais  on  n'en  trouve  plus  du  2^*  où  j'avais  com- 
mencé fexplication  du  V.  et  N.  T.  Pour  cela  vous mieux 

que  des  lettres,  je  les  continuerai  pourvu  que  je  trouve  un  im- 
primeur, et  je  réfute  de  tems  en  tems  les  livres  qui  parlent  con- 
tre nous. 

^'ous  n'apprendrez  que  ce  qui  vous  conviendra  le  mieux,  et  je 
vous  aideray  par  mes  livres  autant  qu'il  me  sera  possible.  J'en 
ay  fait  un  depuis  peu  ppurla  consolation  des  malades  qu'on  vous 
doit  envoyer. 

J'ay  fait  une  lettre  contre  ceux  qui  se  marient  avec  des  Ca- 
tholiques, mais  elle  est  manuscrite,  et  je  l'ay  remise  a  ceux  qui 
me  l'ont  demandée;  peut-être  la  ferai-je  imjirimer. 

(N"  17,  vol.  G,  p.  189.) 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  319 

No  YIl 

CHANSON   NOUVELLE 
Sur  l'air  :  S*  vous  payez,  vnu.t  damerez;  point  (Vargenl,  point  de  branle, 

1710, 

Aujourd'hui  on  parle  do  paix  : 

0  la  bonne  nouvelle  ! 

Le  bon  Dieu,  veuille  qu'il  soit  vrav  ! 

Qu'elle  soit  banie  à  jamais 

Cette  guerre  cruelle! 

Des  aujourd'hui,  qu'il  soit  permis 

Liberté  aux  fidelles  ! 

Les  protestants  du  temps  présent 
Qui  sont  dedans  la  France 
Demandent  tous  bien  humblement 
A  ce  grand  Dieu  tout  puissant 
L'ouverture  des  temples. 
Donnés  nous,  grand  Dieu  tout  puissant. 
Liberté  de  conscience! 

('ar,  depuis  trente  un  an 
Que  nous  sommes  en  misère, 
Que  nous  sommes  tristes  et  dolens 
D'avoir  souffert  tant  de  tourmens 
Donnés  nous,  ô  grand  Dieu  puissant. 
Liberté  des  prières. 


Tous  les  dragons  et  cavaliers 
Avec  grande  violence 
Nous  ont  partout  traînés 
A  la  messe,  et  tous  forcés 


380  PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

Et  forcent  les  consciences. 
Ils  attirent  pour  le  sûr 
La  misère  à  la  France. 

Faut  oublier  le  temps  passé 

Et  vivre  comme  frères. 

Nous  voyons  le  ciel  irrité 

Par  les  orages  qu'il  a  fait 

Et  tremblements  de  terre. 

Faut  s'assembler  tous  de  bon  cœur 

Et  dire  nos  prières. 

La  grande  troupe  des  protestants 

Faut  qu'il  se  multiplie. 

Faut  bâtir  des  temples  au  levant 

Et  même  dedans  l'occident 

Et  dans  la  Barbarie 

Dans  le  pays  mahométan 

Et  dedans  la  Turquie. 

Yenez  promptement,  les  maçons 
Et  les  tailleurs  de  pierre, 
Venez  battir  cette  maison 
Qui  est  tombée  de  Sion 
Par  la  fureur  des  guerres. 
Venez  promptement,  menuisiers. 
Pour  y  poser  la  chaire. 


Yenez  promptement,  chers  pasteurs, 
Pressés  dedans  les  isles. 
Venez  y  comme  ambassadeurs 
De  Jesus-Ghrist,  notre  Sauveur. 
Sans  qu'aucun  vous  chagrine, 
Yenez  prêcher  la  vérité 
De  son  St  Evangile  ! 


(Archives  nationales,  TT,  322.) 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INEDITS  381 

N«  Vlll 

REQUÊTE    DES   RELIGIONNAIRES   AU   RÉGENT 

Ecrite  d'Alais  en  Sévaines,  ce  16  juillet  1716. 

Monseigneur  et  Souuerain  Prince, 

On  se  flatoit  en  France  qu'après  la  mort  du  Roi  les  Religion- 
naires  trouueroient  du  soulagement  tant  sur  ce  qui  concerne  la 
Religion  que  sur  bien  d'autres  pésents  fardeaux  a  eux  imposés. 
En  effet,  il  sembloit  paroitre  un  grand  soulagement  par  raport 
aux  réclamations  du  puple  qui  ne  sauoit  par  ou  exprimer  la  joye 
excessiue  qu'il  auoitet  qu'il  a  en  effet  de  voir  un  si  digne  Prince, 
couronné  de  hautes  vertus  et  d'une  sy  grande  naissence,  qui 
aloit  être  leur  m(aitre)  absolu  et  leur  père  commun  par  le  pouuoft* 
de  la  Régence  a  luy  légitimement  due.  G'étoit  alors  que  presque 
tout  le  monde  croyoit  avoir  liberté  de  leur  religion,  ou  du  moins 
que,  s'ils  n'avoient  un  exercice  public  et  permis  de  l'ordre  du 
souuerain,  qu'à  tout  le  moins  on  les  laisseroit  libres  entre  eux  de 
prier  a  leur  manière,  de  s'assembler  ou  de  ne  pas  s'assembler 
en  ne  fesant  tort  ny  mal  à  quy  que  ce  soit. 

Cette  espérance  avoit  noury  plusieurs  personnes  pendant  tout 
le  temps  que  V.  A.  R.  a  gardé  le  silence,  mais  lorsquelle  a  bien 
voulu  s'en  expliquer,  et  qu'on  a  vu  que  c'étoit  tout  autrement, 
(î'est  alors  qu'on  a  cessé  de  se  flatter,  et  malgré  le  penchant  que 
chacun  a  a  aimer  et  a  vouloir  professer  la  Rehgion,  ils  vous 
ont  voué  une  prompte  obéissance;  je  suis  très  assuré  qu'on  ne 
vous  dira  pas  autrement.  Mais,  Monseigneur,  qu'il  vous  plaise 
de  considérer  la  perte  commune  du  Royaume  par  rapport  à  la 
désertion  des  Religionnaires  aux  pays  étrangers,  les  sommes 
d'argent  qu'ils  y  ont  fait  passer,  et  le  nombre  des  familles  qui 
l'a  suivi.  11  y  a  longtemps  que  personne  n'avoit  daigné  sortir  de 
France  a  cause  de  leurs  belles  espérances,  mais  a  présent  qu'on 


382  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

vous  voit  expliquer  différemment  de  leurs  prétentions,  on  n'a 
plus  rien  a  espérer,  on  ne  se  flate  plus.  Ainsi,  Monseigneur, 
chacun  fait  son  possible  pour  sortir  sa  conscience  de  prison  ; 
l'un  s'en  va  aujourd'huy  et  l'autre  demain.  Depuis  que  l'on  sait 
votre  intention,  plusieurs  ont  formé  leur  dessein.  Ce  pauvre 
puple  affligé  ne  trauaille  pour  la  plus  part  qu'a  chercher  de 
moyens  pour  ramasser  de  l'argent  pour  se  retirer.  Chacun  joue 
son  rôle,  le  mieux  qu'il  peut,  pour  en  auoir.  Les  uns  atendent 
d'être  payés  de  certaines  dettes,  les  autres  atendent  la  récolte 
des  denrées,  et  les  autres  vont  chercher  à  faire  un  établisse- 
ment attendant  l'occasion  de  venir  quérir  leurs  familles.  J'ai 
résolu  d'en  avertir  V.  A.  R.  non  par  autre  motif  que  celui  de  la 
charité  et  du  zèle  que  j'ai  toujours  eu  pour  le  bien  de  l'Etat, 
étant  bien  persuadé  qu'on  ne  vous  auertit  pas  de  cela,  a  cause 
que  ceci  n'eclatte  que  fort  peu,  parce  que  rarement  s'en  va-t-il 
cTeux  familles  à  la  fois  du  même  endroit.  Cependant,  ces  fré- 
quentes saignées,  quoi  que  douces  et  légères,  ne  laissent  pas 
d'aObiblir  le  malade,  an  lieu  (|ue  selon  toute  aparence  il  ne  tar- 
dera pas  longtemps  a  le  nombre  en  venir  plus  grand. 

L'exactitude  que  Mgr  le  Duc  de  Roquelaure  et  Mgr  de  Bouille 
ont  fait  paroitre  a  exécutter  vos  ordres  et  les  porter  eux  mêmes 
presque  dans  toutes  nos  villes  et  en  plusieurs  villages,  les  pu- 
bliant au  peuple,  avec  cette  belle  éloquence  si  ordinaire  a  ces 
Seigneurs,  nous  ote  tout  espoir  de  jamais  \Aus  recouurer  Hberté. 
Nous  n'avons  pu  que  le  croire,  et  en  étant  entièrement  persuadés 
plusieurs  ont  formé  le  dessein  de  chercher  leur  liberté  ailleurs, 
excepté  de  ceux  qui,  par  un  pur  attachement  aux  biens  de  cette 
viej  font  la  résolution  de  rester  en  France  et  prendi'e  l'habit  de 
temporiseur.  Mais  de  quelle  manière  qu'on  se  l'imagine,  ces  pre- 
miers sont  avec  eux,  et  ces  derniers  aussi  raporta  leur  hipocrisie. 

Enfin,  Monseigneur,  je  me  regarderois  comme  le  plus  heu- 
reux du  monde  si  je  pouvois  être  sur  de  vous  représenter  ces 
choses,  sans  motiver  votre  mépris  ni  votre  colère.  Je  prie 
V.  A.  R.  de  me  rendre  justice  et  de  vouloir  connoitre  mon  in- 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  383 

tention  tonte  vouée  au  bien  public.  Je  ne  suis  pas  si  stupide  que 
je  ne  connoisse  bien  en  moi  une  eifronterie  trop  grande,  mais 
l'éloge  de  V.  1.  et  R.  P.  par  ceux  qui  en  savent  faire  le  portrait, 
m'obligea  passer  pardessus  toutes  sortes  de  raisonnements. 

L'on  vous  représente  comme  le  Hercule  de  lumières,  comme 
la  verta  et  la  justice  même,  doué  de  toutes  sortes  de  grandes 
(jualités;  l'on  ne  fait  pas  difficulté  de  croire  que  vous  pardonne- 
rez les  défauts  d'un  infirme,  et  (jue  vous  écouterez  les  raisons  de 
tous  vos  sujets,  et  que  en  temps  et  en  lieux  Y.  A.  R.  leur  rendia 
la  justice  qui  leur  est  due.  Sur  ces  considérations,  j'ai  cru  pou- 
voir vous  prier  de  la  jiart  de  plusieurs  de  vos  peuples,  f|ue  puis- 
qu'il n'est  pas  vôtre  plaisir  qu'ils  fassent  profession  de  leur  re- 
ligion sous  quel  prétexte  que  ce  soit,  que  du  moins  vous  ayez  la 
charité  de  les  regarder  comme  des  fidèles  sujets,  sans  les  diffé- 
rencier des  Catholiques,  et  sans  les  charger  de  logements  de 
troupes,  et  de  toute  sorte  de  contributions,  ainsi  qu'on  a  accou- 
tumé de  faire  depuis  plus  de  trente  ans. 

Nous  sommes  tous  nés  dans  un  même  climat,  nous  auoii? 
tous  humé  le  même  air,  nous  avons  le  cœur  également  fran- 
çais; prenez  donc  a  pitié.  Monseigneur,  notre  longue  souffrance. 
Jetez  vos  yeux  de  compassion  sur  tant  de  misérables  qui  plutôt 
se  feroient  traîner  sur  la  clée  que  de  vous  être  infidèles.  La 
souffrance  a  été  assez  rude  et  assez  longue;  il  est  temps  de  nous 
regarder  a  pitié  pour  ne  pas  nous  charger  plus  que  les  autres 
sujets;  et  d'ailleurs  que,  par  se  bienfait  (j[ui  ne  vous  put  jiroduire 
que  mille  louanges  et  mille  bénédictions,  plusieurs  et  peut-être 
tous  ceux  qui  ont  projette  de  se  retirer  de  France,  voyant  cette 
généreuse  libéralité,  changeront  de  sentiments,  tout  ira  mieux 
dans  Tordre,  plusieurs  murmures  liniront,  tous  les  gens  un  peu 
eleués  feront  leurs  eiforts  pour  faire  connoitre  a  la  petite  jjopu- 
lace  la  force  de  leur  deuoir.  Tout  le  monde  est  persuadé  que  s'il 
vous  étoit  bien  connu  de  la  manière  (ju  on  nous  a  traités  et  (ju'on 
nous  traite  encore,  que  V.  A.  R.  y  remédieroit.  L'on  vous  en  prie, 
Monseigneur,  d'une  manière  a  fendre  le  cœur  le  plus  dur.  lia  ! 


384  PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

plut  à  Dieu  que  l'echo  de  la  Providence  lit  retentir  les  plaintes 
de  ces  panures  gens  jusques  a  vos  oreilles,  avec  les  bénédictions 
qu'on  vous  souhaite  et  que  toutes  leurs  intentions  vous  fussent 
bien  connues!  Personne  ne  douteroit  nullement  de  votre  protec- 
tion, nous  ne  serions  plus  regardés  d'œil  d'iniquité,  en  un  mot, 
nous  ne  serions  plus  en  abomination  aux  Puissances,  nous 
n'aurions  plus  besoin  de  lamanter  ny  de  vous  crier  grâce  et  mi- 
séricorde, vous  sauriez  nos  desseins  et  notre  bonne  volonté,  et, 
connaissant  nos  bons  cœurs,  vous  n  auriez  nulle  peine  a  nous 
accorder  vos  faneurs,  Y.  A.  R.  ne  nous  ne  regarderoit  plus  in- 
digne. Nous  prions  le  Seigneur  qu'il  vous  en  veuille  éclaircir  par 
sa  grâce,  et  qu'il  vous  fasse  toucher  au  vif  le  tort  qu'on  nous  a 
fait.  C'est  une  grâce  toute  parti cuhère  que  je  demande  a  mon 
créateur,  et  a  V.  A.  R.  celle  de  me  permettre  de  lui  souhaiter 
toutes  les  bénédictions  du  ciel  et  le  plaisir  de  voir  ses  desseins 
accomplir  et  qu'elle  ne  soit  point  fâchée  qu'avec  un  profond  res- 
pect et  une  entière  soumission  à  sa  volonté,  je  me  dise  d'un 
cœur  le  plus  sincère  du  monde,  de  votre  Haute  et  Royale  Gran- 
deur le  plus  humble,  fidèle  seruiteur  et  sujet. 

P.  S.  J'ai  omis  de  dire  qu'à  mes  précédentes  j'avois  employé 
tous  mes  soins  pour  déguiser  mon  caractère,  j'ai  agi  a  celleci  sans 
aucun  fard,  et  je  voudrois  du  fonds  de  mon  ame  avoir  le  bien 
d'être  propre  pour  donner  ma  vie,  s'il  étoit  besoin,  pour  l'honneur 
de  votre  seruice,  que,  après  ce  que  je  dois  à  mon  Dieu,  seroit  le 
plus  grand  de  mes  désirs,  non  pas  pour  la  gloire  ni  par  aucune 
vanité  mondaine,  a  dessein  de  me  tirer  de  la  poussière,  mais 
pour  vous  offrir  un  seruiteur  qui  sans  doute  est  l'un  des  plus  sin- 
cères et  des  plus  iidèles  homme  du  monde.  Les  suites  vous  en 
convaincroit,  si  vous  ordonnez  la  moindre  perquisition  ])our  sa- 
voir qui  vous  a  adressé  celle  ici  dattée  du  jour  cy  dessus,  en  m'as- 
surant  de  votre  part  de  ne  rien  craindre. 

(Archives  nationales,  1T,  463.) 


PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  385 


N«  IX 

LETTRE    DE   PIGTET   A   MADEMOISELLE    SLMART 
SUR   LES    INSPIRÉS 

Gomme  j'ai  fait,  Mademoiselle,  un  petit  ouvrage  sur  ces  pré- 
tendus Inspirés,  qui  s'imprime  actuellement,  ma  lettre  ne  sera 
pas  aussi  longue  quelle  l'aurait  été,  parce  que  vous  verrez  dans 
mon  petit  livre  ce  que  je  pense  sur  cette  matière.  Je  serai  bien 
fâché  qu'on  put  me  reprocher  de  ne  pas  reconnaître  l'esprit  de 
Dieu  quand  il  se  manifeste,  mais  je  ne  veux  pas  aussi  attribuer 
à  l'esprit  de  Dieu  ce  qui  ne  me  parait  pas  digne  de  lui.  Je 
conviens  que  ce  que  vous  voyez  est  extraordinaire,  mais  il  ne 
faut  pas  croire  que  tout  ce  qui  est  extraordinaire  procède  de 
l'esprit  de  Dieu.  Il  y  a  eu  des  temps  ou  une  certaine  folie  sai- 
sissait certaine  personne  qui  leur  faisait  faire  mille  choses 
surprenantes.  Je  conviens  que  toutes  les  bonnes  choses  que  ces 
gens  disent  sont  tirées  de  la  parole  de  Dieu,  qui  est  l'ouvrage 
du  S.  Esprit,  mais  il  ne  s'ensuit  pas  que  ceux  qui  les  disent 
soient  inspirés  ;  cela  signifie  seulement  qu'ils  ont  une  heureuse 
mémoire  pour  retenir  ce  qu'ils  ont  apris.  Aussi  vous  avez  sage- 
ment remarqué  qu'ils  disent  bien  quand  ils  scavent  bien,  qu'ils 
disent  mal  quand  ils  ne  le  scavent  pas,  preuve  évidente  que 
c'est  là  l'effet  de  leur  mémoire  et  non  du  S.  Esprit,  car  si  c'était 
le  S.  Esprit,  ils  diraient  toujours  bien.  Il  n'est  pas  surprenant 
qu'il  y  ait  des  gens  qui  se  plaisent  à  entendre  la  parole  de  Dieu 
et  a  la  lire;  c'est  une  grâce  de  l'esprit  de  Dieu  qui  fait  qu'ils 
trouvent  leur  délice  dans  ces  livres  sacrés,  mais  il  ne  s'ensuit 
pas  que  ces  gens  soient  inspirés. 

On  peut  aisément  concevoir   que  de  gens  qui  ont  entendu 

parler  d'Inspirés,  qui  ont  regardé  comme  de  personnes  inspirées 
I  25 


3S6  PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

ceux  qui  exhortaient  les  autres  à  la  repentance,  s'imaginent  être 
inspirés  eux  même  et  que  leur  imagination  échauffée  a  pu  causer 
(les  mouvements  extraordinaires,  semblables  a  une  extase,  on 
a  bien  veu  d'autres  effets  de  l'imagination  aussi  étranges. 

Je  conçois  aisément  qu'une  ])apiste,  qui  entendit  dire  de  belles 
(jt  bonnes  choses  dans  une  assemblée  ([u  elle  ne  crovait  }ioint 
entendre,  aye  couru  de  riiorreur  jiour  ki  religion  Roin"^'.  Dieu 
avant  donné  l'efticace  à  la  parole  qu'elle  avait  entendue  dans 
l'assemblée,  c'est  un  effet  de  la  grâce  de  Dieu,  mais  il  ne  s'en- 
suit pas  qu'elle  aye  été  inspirée  ;  plusieurs  papistes  ont  été  ainsy 
convertis  sans  être  inspirés,  comme  l'on  prétend  qu'il  y  en  ait. 
Quand  on  entend  la  pure  parole  de  Dieu  et  qu'on  va  ensuite  à 
la  messe  on  y  trouve  une  grande  différence,  on  est  étonné  (juc 
les  hommes  ayent  si  fort  corrompu  les  vérités  célestes. 

11  ne  faut  pas  s'étonner  si  cette  lille,  qui  avait  entendu  ces 
prétendus  Inspirés,  jiarle  comme  si  c'était  Dieu  qui  leur  disait  : 
mon  enfant!  ou  a  (|ui  l'on  l'avait  dit,  ait  eu  l'imagination  frapée 
et  ainsi  échauffée. 

Cette  fille  avait  pu  entendre  de  gens  qui  disaient  que  c'était 
une  grande  folie  de  courrir  après  les  richesses,  que  Dieu  ferait 
bien  voir  la  vanité  de  ces  choses  et  qu'il  châtierait  les  hommes, 
mais  il  ne  fallait  pas  être  inspiré  pour  deviner  cela.  Plusieurs 
jiersonnes  qui  ne  se  croyent  pas  inspirées  ont  tenu  le  même 
langage.  Dieu  fait  si  souvent  de  telles  menasses  aux  hommes 
qu'on  n'en  scaurait  douter.  On  peut  prédire  des  malheurs  aux 
pécheurs  aussi  corrompus  qu'il  y  en  a  aujourd'hui,  et  être  assuré 
qu'ils  arriveront.  11  y  a  longtemps  que  nous  dénonçons  le  juge- 
ment de  ce  Dieu  aux  hommes  et  nous  voyons  avec  douleur 
l'accomplissement  de  ces  menasses. 

Tout  ce  que  cette  lille  dit  de  bon  a  été  dit  plusieurs  fois. 

Ces  grands  mouvements,  ces  convulsions  peuvent  être  l'effet 
d'une  imagination  trop  émue  qui  cause  de  grands  bouleverse- 
ments dans  le  corps. 

Pour  juger  si  ce  qu'elle  dit  des  peuples  de  langages  mconnus  qui 


PIÈCES  ET  DUGUiMENTS  INÉDITS  387 

doivent  arriver  et  massacrer  tout  procède  do  l'esprit,  il  I'ulU  ;U- 
tendre  l'événement.  Ainsi,  Mademoiselle,  pour  ne  faire  aucune 
démarche  dans  cette  affaire,  ne  vous  hâtez  pas  d'attribuer  au 
S.  Esprit  ce  qui  peut  être  de  cause  naturelle. 

Ne  dites  pas  non  plus  que  ces  gens  sont  poussés  par  le  Dé- 
mon, car  quoique  le  Démon  pourrait  faire  toutes  ces  choses, 
a  lin  de  tourner  en  ridicule  notre  religion,  cependant  il  n'est  }»as 
toujours  nécessaire  de  le  faire  intervenir  i)artout. 

Deliez-Yous  un  peu  de  ce  qu'on  yous  dit,  car  on  j)Ourrait  vous 
tromixu',  et  même  de  votre  jugement,  car  quand  on  est  avec  des 
gens  qui  ont  ces  pensées  d'inspiration,  tout  ce  qu'on  voit  faire 
surprend  et  étonne. 

Profiitez  de  toutes  les  exhortations  qu  ou  fait  à  la  rei»entance. 
Elles  sont  toujours  salutaires.  Mais  ne  croyez  pas  légèrement 
que  ceux,  qui  font  des  choses  que  vous  n'avez  point  vues,  sont 
inspirés. 

Je  ne  vois  pas  ])ourquoy  Dieu  inspirerait  (plutôt)  une  servante 
papiste  autrefois  Ijigotte  quv,  d'autres  personnes  pieuses. 

Je  ne  vois  pas  non  plus  pourquoy  des  gens,  qui  vous  an- 
noncent la  })arole  de  Dieu,  comme  vous  l'a  annoncée  M.  Court 
qui  m'a  remis  votre  lettre,  ne  seraient  pas  plutôt  des  Inspirés 
que  des  gens  qui  parlent  a  batton  rompu.  Rien  n'est  si  dange- 
reux que  de  donner  dans  ces  visions.  Dès  qu'on  se  croit  inspiré, 
on  prend  tout  ce  (^u'on  débite  pour  des  doctrines  du  S.  Esprit. 
Quels  desordres  n'ont  pas  causé  en  tout  temps  ces  sortes  dv 
gens,  mais  vous  verrez  cela  dans  mon  livre  d'une  manière 
plus  étendue. 

Je  suis  de  tout  mon  cœur  et  avec  une  parfaite  estime,  Madc 
moiselle,  votre  très  humble  et  obéissant  serviteur. 

(N"  17,  vol.  G,  p*  264.) 


388  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 


N°  X 


LETTRE  DE  GORTEIZ  A  VESSON  LUI  AÎSiNONÇANT   SA  DEPOSITION 

l'6  décembre  1720. 

Monsieur,  vous  serez  informé  comme  nous  nous  sommes 
assemblezen  colloque,  le  13  du  courant,  au  nombrede25  anciens, 
entre  lesquels  il  y  avait  un  ministre  et  deux  proposans.  Après  avoir 
invoqué  le  saint  nom  de  Dieu  pour  luy  demander  sa  protection, 
son  amour,  sa  grâce,  son  esprit  de  lumière,  de  sagesse  et  de  san- 
tiiication,  nous  avons  celon  les  règles  de  ladissipline  exclesias- 
tique  étably  un  modérateur,  après  quoy  les  députés  du  sinode 
du  20  Tbre  ont  informé  «  la  vénérable  compagnie  de  tout  ce  que 
s'y  étaient  proposé  et  délibéré.  Après  quoy  ont  et  venu  a  parler 
de  vous  et  de  la  letre  par  laquelle  vous  étiez  prié  de  vous  rendre 
au  présent  sinode.  Un  Encien  a  dit  que  peu  être  vous  ne  l'aviez 
pas  reçue.  Pandant  cette  intervalle,  il  et  arrivé  deux  hommes  de 
chez  vous  scavoir  un  ilustre  Encien  et  un  bon  fidelle  qui  ont 
témoigné  comme  vous  aviez  vrayement  reçu  la  letre  et  déclaré 
en  même  temps  que  vous  netiez  pas  dans  le  santim^  de  venir 
n'y  dans  les  colloques,  n'y  dans  les  sinodes.  Alors  la  vénérable 
assemblée  a  été  priée  d' examiner  meurem^  et  en  bonne  consience 
s'il  et  fort  hutille  qu'il  y  ait  dans  l'Eglise  de  consistoires  et  un 
ordre.  Dans  ce  même  instan,  a  été  produit  une  lettre  de  M.  le 
célèbre  P.  prouvant  Fhutilitté  et  la  nécessité  de  la  dissipline, 
disant  que  le  fils  de  Dieu,  ny  les  apôtres,  ny  les  prophètes,  non 
jamais  combatu  lordre.  Us  travaillaient  à  destruire  les  erreurs 
et  les  préjugez,  mais  non  jamais  touché  à  l'ordre,  bien  que  la 
doctrine  fut  corrompue,  qu'on  ne  peut  jamais  établir  une  bonne 
doctrine  sans  établir  en  même  tems  un  ordre  et  une  bonne 
dissipline  pour  la  soutenir.  Les  apôtres  premiers  fondateurs  de 
la  religion  Chrétienne  ont  etably  des  reglemi»  et  esprecement 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  389 

recommande  l'exatte  observation  de  l'ordre.  S.  Paul  dit  a 
l'Eglise  de  Gorinthe(l  Corinth.  14,  v.  40)  que  Dieu  et  un  Dieu 
d'ordre  et  de  paix  et  non  pas  de  confussions,  de  même  les  en- 
fans  de  Dieu  sont  des  enfans  de  paix  et  d'ordre  et  non  pas  de 
trouble.  Le  même  apôtre  dit  a  son  dissiple  Titte  (chap.  1,  v.  5), 
qu'il  lavait  laisse  en  Crète  afin  qu'il  continue  ametre  toutes 
choses  en  bon  ordre  et  qu'il  établisse  des  enciens  de  lieu  en 
lieu.  S.  Gyprien,  nonostonant  les  cruelles  persécutions,  ont  voit 
dans  ces  lettres  apologiques,  que  quelques  uns  appellent  apos- 
toliques, qu'ils  établissent  partout  où  il  passait  des  Enciens  et 
un  ordre.  La  même  chose  ont  lit  dans  les  écrits  de  Beze.  Helas  ! 
que  serait  un  corps,  une  société,  une  Republique,  un  royaume, 
une  armée,  sans  un  ordre,  sans  une  dissipbne.  L'ordre  a  de 
grandes  hutillitez.  Il  est  bon  pour  reunir  les  esprits,  pour  re- 
conseiller les  affections,  banir  les  esquandalles,  humilier  les 
pécheurs,  corriger  les  vicieux  ;  trez  bon  pour  conduire  les  as- 
semblées duement  convoquées,  pour  secourir  les  pauvres,  pour 
dissiper  l'erreur;  en  un  mot,  l'ordre  donne  une  double  force  pour 
combattre  les  ennemis  de  la  piété,  les  averssaires  de  la  paix  et 
de  la  concorde;  ce  n'est  pas  sans  de  grandes  raisons  que  l'ordre 
et  appelé  lame  de  l'Eghse  et  le  nerdt  de  la  religion. 

Après  que  la  vénérable  compagnie  a  leu  reconnu  la  nécessité 
de  l'ordre,  tant  par  les  livres  des  Pères  que  par  lecriture  Sainte, 
comme  aussy  par  les  lettres  de  nos  très  et  honores  frères  des 
pais  étrangers,  l'assemblée  a  unanimement  convenu  que  chi- 
matiques  et  sectateres  soient  bannys  de  la  paix  de  l'Eglise,  qui 
soients  ministres,  qui  soients  proposants,  qui  soients  Enciens, 
qui  soients  lahiques  de  quelque  ordre  qu'ils  soients,  après  la 
\^^,  la  2,  la  3  admonition,  qu'on  le  tienne  pour  hérétique.  Cela 
et  la  santance  de  S.  Paul,  et  le  fils  de  Dieu  veut  qu'on  les  regarde 
comme  des  payents  et  comme  des  inlidelles  ceux  qui  ce  rai- 
dissent contre  les  Enciens  et  contre  l'Eglise.  Il  faut  dont  con- 
venir que  celuy  qui  refuse  de  ce  soumettre  à  f  ordre  et  aux 
bons    règlements  que  la   sagesse  de  Dieu  a  eîably    pour  la 


:m  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

conduitte  et  goiivernemt  de  son  Eglise  ne  sont  pas  les  pins 
humbles  ny  les  meilleurs  cretiens.  Là  dessus,  un  de  la  com- 
pagnie a  raporté  en  belles  paroUes  de  S.  Paul  aux  Romains 
cbap.  16  V.  17  prenez  garde  a  ceux  qui  font  des  partialitez  et 
qui  causent  du  esquandalle.  En  effet  une  personne,  qui  fait  secte 
a  part,  cause  des  oribles  exquandalles,  il  ce  cepare  de  la  paix  de 
l'Eglise,  il  ront  le  sacré  ugnioii  de  l'Eulise  par  son  injuste 
ceparation . 

La  vénéral)le  compagnie,  au  nombre  de  laquelle  il  n'y  a  per- 
sonne qui  vous  puisse  être  suspecte,  vous  a  trouvé  coupable  de 
tous  ces  crimes.  Prouvant  que  vous  aviez  refusé  cette  fois  de 
vous  randre  dans  le  présent  sinode  ou  colloque,  la  compagnie 
a  justemt  dit  que,  sy  vous  étiez  innossant  des  crimes  dont  Ion 
vous  impute,  vous  seriez  venu  pour  maniffester  votre  innossance, 
mais  vous  seriez  encore  venu  tant  plus  volontiers  parce  que 
vous  pouviez  venir  e  parler  sans  craintes  .Mais  ce  n'est  pas  la 
M.  le  seul  crime  dont  vous  étiez  coupable,  quoy  que  cela  suffirait 
pour  mettre  en  prison  et  entieremi  de  mettre  tan  un  ministre 
que  un  prêtre  quy  refuserait  de  ce  rendre  dans  un  lieu  qui 
serait  appelle  et  ou  il  pourraient  parler  sans  danger. 

En  2  lieu,  vous  êtes  coupable  d'avoir  baptizé  des  enfans  dans 
le  tems  que,  bien  loin  qu'on  vous  leut  commandé,  ont  vous  l'avait 
defandut,  et  qui  y  a  de  ministres  qui  ont  reçeu  toutes  les  forma- 
lités requisses  pour  faire  cette  Stt"  fonction;  c'est  encore  un 
grand  crime,  car  c'est  faire  revivre  lerreur  des  Marcionites  et 
autoriser  celle  de  l'Eglise  Romaine  qui  simagine  que  la  néces- 
sité autorise  hommes  et  femmes,  sans  produire  de  sollides  mi- 
sons. Mais  ceux  qui  sont  heureusement  instruits  dans  la  rehgion 
Chrétienne  croient  avec  tous  les  ortodoxes  qu'il  n'est  permy 
d'aministrer  les  sacrements  qu'a  ceux  qui  ont  reçu  une  légitime 
vocation,  dans  un  temps  do  paix,  par  une  assemblée  des  pas- 
teurs et  prophesseurs.  Alors  il  est  permis  a  des  Enciens  helus  a 
la  pluralité  des  voix  detablir  un  homme  en  qui  ils  connnisseni 
des  qualitez  requises  au  8.  Ministère,  de  luy  donner  la   puis- 


f>IÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  391 

sance  et  laïUorité  de  faire  toutes  les  fonctions  d'un  pasteur;  et 
vous  n'êtes  etably  ny  dans  un  consistoire  de  ministres,  ny  dans 
un  consistoire  d'Enciens.A^'ous  pouvez  donc  lire  votre  condam- 
nation au  25  article  de  la  confession  de  foy  dressée  d'un  com- 
mun acord  de  toutes  les  églises  reformT'es  de  France,  qu(^ 
l'Eglise  ne  [sent  su1)sister,  s'il  n'y  a  un  ordre  sacré,  iiiviolaltle,  et 
au  ;]!  article  que  nul  ne  ce  doit  ingérer  de  sou  autorité  propre. 
Vous  eles  encore  condamné  au  25  article  de  la  disci])line  ex- 
clésiastique  que,  quand  un  pasteur  serait  approuvé  de  soni 
troupeau  et  du  ministre  prochain,  il  faut  que  la  chose  soit  au- 
torisée par  le  sinode. 

En  3^  lieu,  vous  êtes  coupable  d'avoir  leu(a  Meyrueis)  une  lettre 
disphamatoire  et  supposée,  disant  faussement  que  M.  Elgaire 
l'avait  envoyée  a  Durand  et  aux  autres,  et  d'avoir  méprisse  et 
calonnié  les  Enciens  helus  a  la  pluralité  des  voix  les  appelans 
ivrognes,  couquins,  voUeurs. 

En  4  lieu,  vous  êtes  coupable  de  parjurre  n'ayant  pas  obtenu 
ce  que  vous  aviez  promis  a  la  crote  du  château  de  Presac  et  de 
n'être  pas  aie  avec  le  frère  Deleuze,  comme  vous  l'aviez  promis 
en  plain  sinode. 

En  5  lieu,  vous  êtes  coupable  de  soutenir  .enseigner  des 
sentiments  improuvés,. 

En  6  lieu,  vous  êtes  coupable  de  ne  vouloir  vous  rendre  dans 
les  asseml)lées  de  vos  frères,  lors  qu'ils  sont  assemblez  avec  que 
les  fidelles  pour  rendre  à  Dieu  leurs  omages  religieux.  Des 
ilustres  fidelles  ont  témoigné  en  plaine  assemblée  que  vous 
aviez  refussé  sans  sujet  de  vous  y  rendre  dans  le  tems  même 
qu'ils  vous  epriaient,  et  sertainem^  vous  n'avez  jamais  fait  voir 
aucun  amour  pour  vos  frères. 

En  7  lieu,  vous  êtes  coupables  de  n'avoir  pas  travailliez  a 
établir  de  reglemts  pour  la  conduite  et  bienseence  des  as- 
semblées, conformemi  à  vos  frères  et  celon  l'exhortation  de 
S.  Paul  (Philip.  3  v.  \i))  suivant  tous  une  même  règle,  ayant  un 
même  senlim*.  Tout  cela   lait  qiw  vous  vous   rendez   du    lout 


392  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS? 

indigne  d'occuper  la  charge  dans  laquelle  vous  vous  êtes  ingérf'». 
A  raison  de  quoy,  la  compagnie  vous  impose  silence  par  une 
liatte  de  honne  consience  et  vous  ascigne  devant  Dieu  d'obéir 
à  la  voix  de  lecriture  Sie ,  qui  vous  dit  que  Tesprit  de  pro- 
phétie est  soumis  aux  prophètes  (1  Gorinth.,  14,  v.  32).  Cepen- 
dant, par  une  charité  incomparable,  la  compagnie,  a  unanime- 
ment convenu  et  arrêté  que  vous  pouvez  revenir  dans  la  paix 
de  l'Eglise  en  composant  vous  même  un  sinode  général  a  la  face 
du  quel  vous  vous  justifierez,  sy  vous  croyez  le  pouvoir  faire, 
et  fairez  voir  votre  innocence,  sy  vous  croyez  en  avoir. 

Fait  ce  13  Dessembre  1720.  Dieu  veuille  avoir  pitié  des  errans 
et  ramener  ceux  qui  ce  garent,  amen. 

(N»  17,  vol.  0,  IV  10.^ 

No  XI 

ARRESTATION    DES    INSPIRÉS   DE   LUNEL 

A  Luuel,  ce  21  mars  1723. 

On  a  arrêté  hier  entre  10  et  11  heures  du  soir,  dans  la  maison 
du  nomme  Delort,  deux  filles  du  dit  Delort,  âgées  d'environ  22 
ou  23  ans,  avec  deux  fils  du  nommé  Comte.  L'un  était  prédicant 
et  avait  déserté  au  Regim^  de  Limousin,  il  y  a  4  ans.  Ces  fana- 
tiques suivaient  la  même  secte  que  ceux  qui  ont  été  arrêtés  dans 
la  maison  de  M^^^  Yerchaud  à  Montpellier.  La  maison  dans  la- 
quelle ils  ont  été  arrêtés  était  tapissée  de  feuilles  de  papier, 
sur  laquelle  il  y  avait  des  figures  mal  dessignées  de  St  Paul,  du 
prophette  Elle,  et  autres  prophettes,  et  chargées  de  versets  de  la 
Bible.  Ils  avaient  à  l'imitation  de  ceux  de  Montpellier  un  dra- 
peau ou  étendard  fait  d'une  vieille  serviette  attachée  à  un  bâ- 
ton avec  un  papier  collé  dessus  contenant  les  commandements 
de  Dieu,  ils  avaient  une  couronne  de  laurier  garnie  de  rubans, 
et  la  chaire  qu'ils  avaient  dans  le  temple  était  composée  de 
3  chaires,  qui  en  soutenaient  une  4'"^  tout  entourées  d'une  nape; 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  393 

il  y  a  l'Empreinte  de  l'Eternel  sur  un  carreau  du  temple,  on 
leur  a  trouvé  des  registres  conformes  à  ceux  de  Montpellier  par 
raport  aux  cérémonies  qu'ils  faisaient  pour  les  baptêmes  et  les 
mariages ,  ce  qui  prouve  qu'ils  avaient  correspondce  avec  ceux 
de  Montpe",  plusieurs  papiers  contenant  des  infamies. 

J'ai  vu  de  mes  propres  yeuxunpapenard  où  il  y  avait  4  figures, 
l'une  du  prophète  Elie,  une  de  Si  Paul,  une  de  l'Eternel,  une 
autre  qui  n'était  point  nommée,  où,  après  plus^s  (demandes  qu'ils 
faisaient  faire  du  prophète  Elie  à  St  Paul,  l'Eternel  repondit 
qu'il  f... 

iN'^  30,  p.  182  et  183.) 

N«  XU 

COPTE  DE  LA  LETTRE  ESCRITTE  PAR  M.  DE  BERNaGE  A  SES  SUBDÉLÉGUÉS 
ET   DANS    LES   PAYS   OU    ïh    Y   A    DES   RELIGIONNAIRES 

Le  21  may  1723. 

Le  Roy  et  son  Altesse  Royale  ayant  jugé.  M*",  que  l'exemple 
des  châtiments  qui  viennent  d'estre  faicts,  en  execuîon  de  mes 
jugements,  à  Vesson,  Mazellet  et  autres  prédicants,  épouvan- 
terait assez  les  autres  pour  les  porter  à  renoncer  à  leur  métier, 
ont  bien  voulu  m'authoriser  à  faire  grâce  de  la  vie  à  ceux  qui 
viendraient  se  rendre,  aux  conditions  d'estre  envoyés  aux  pays 
étrangers,  dont  ils  ne  pourraient  revenir  sans  estre  punis  de  mort. 
,1e  vous  envoyé  un  état  de  ceux  qui  sont  reconnus  pour  prédi- 
cants tant  par  réputation  que  par  les  preuves  que  j'ay  trouvées 
dans  le  procès  des  autres  que  j'ay  jugés.  Si  vous  pouvez  con- 
naître ,  comme  il  n'est  pas  bien  difficille,  des  personnes  qui 
les  ayent  veu,  et  qu'ils  ayent  eu  quelques  relations  avec  eux, 
vous  pourez  les  faire  avertir  de  cette  grâce  dont  il  leur  importe 
de  proffiter  promptement,  car  en  même  temps  vous  leur  ferez 
sçavoir  que  tous  ceux  qui  seront  arrestés,  avant  de  s'estre  ren- 


394  PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

dus,  seront  punis  de  mort  sans  miséricorde,  comme  les  derniers 
qui  ont  esté  condamnés,  et  que  non  seulement  je  t'eray  donner  à 
ceux  qui  les  auront  indiqués  et  fait  arrester  la  même  somme  de 
1000  1.  que  j'ay  fait  donner  pour  la  capture  deMazellet;  mais  je 
feray  payer  le  double,  et  peut  estre  plus,  à  celluy  qui  ferait  ar- 
rêter Courtes,  qu'on  regarde  comme  le  plus  dangereux  de  tous, 
et  c'est  de  quoy  vous  pouvez  assurer  ceux  que  vous  pouriés 
connaître  capable  de  rendre  un  aussy  bon  service,  car  on  ne  peut 
trop  détromper  les  N.  G.,  qui  conservent  les  principes  de  leur 
ancienne  religion,  de  Tydée  que  leur  donnent  ces  malheureux 
prédicants  soutenus  par  les  impostures  de  quelques  ministres 
étrangers,  avec  qui  ils  se  sont  procures  de»  relations,  qu'on  tolé- 
rait l'exercice  de  cette  religion,  et  même  les  assemblées,  et 
c'est  ce  qu'on  faira  par  la  continuâion  des  sévères  punitions 
dont  ils  viennent  voir  l'exemple,  toutes  les  fois  qu'on  arrestera 
des  prédicants  et  ceux  qui  assistent  dans  des  assemblées. 

(N«  17,  vol.  G,  p.  35!.) 


N«  XIII 

DÉCLARATION    DU    ROV    CONCERNANT    LA    RELIGION. 
Donnée  à  Versailles,  le  14  mai  1724. 

Louis,  etc.  De  tous  les  grands  desseins  que  le  feu  Roy,  notre 
très-honoré  seigneur  et  bisayeul,  a  formez  dans  le  cours  de  son 
règne,  il  n'y  en  a  point  que  nous  ayons  plus  à  cœur  de  suivre 
et  d'exécuter,  que  celuy  qu'il  avoit  conçu  d'éteindre  entièrement 
l'hérésie  dans  son  royaume,  à  quoy  il  a  donné  une  application 
infatigable  jusqu'au  dernier  moment  de  sa  vie.  Dans  la  vue  de 
soutenir  un  ouvrage  si  digne  de  son  zèle  et  de  sa  piété,  aussi- 
tôt que  nous  sommes  parvenus  à  la  majorité,  notw  premier  soin 
a  été  de  nous  faire  représenter  les  édits,  déclarations  et  arrests 
du  Conseil  qui  ont  été  rendus  sur  ce  sujet,  pour  en  renouveller 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  395 

les  dispositions  et  enjoindre  à  tous  nos  officiers  de  les  faire  ob- 
server avec  la  dernière  exactitude  ;  mais  nous  avons  été  informé 
que  l'exécution  en  a  été  ralentie  depuis  plusieurs  années,  sur- 
tout dans  les  provinces  qui  ont  été  affligées  d(^  la  conta ijion,  et 
dans  lesquelles  il  se  trouve  un  grand  nombre  de  nos  sujets  qui- 
ont  ci-devant  fait  profession  de  la  li.  P.  H.,  par  les  f.iusses  et 
dangereuses  impressions  que  quelques-uns  d'entre  eux,  j)eu  sin- 
cèrement réunis  à  la  R.  G.  A.  et  R.,  et  excitez  par  des  mouve- 
mens  étrangers,  ont  voulu  insinuer  secrètement,  pendant  notre 
minorité  ;  ce  qui  nous  ayant  engagé  à  donner  une  nouvelle  atten- 
tion à  un  objet  si  important,  nous  avons  reconnu  que  les  prin- 
cipaux abus,  qui  se  sont  glissez  et  qui  demandent  un  plus  prompt 
remède,  regardent  principalement  les  assemblées  illicites,  l'édu- 
cation des  enfans,  l'obligation,  pour  tous  ceux  qui  exercent 
quebjues  fonctions  publiques,  de  professer  la  R.  G.  A.  et  R., 
les  peines  ordonnées  contre  les  relaps,  et  la  célébration  des  ma- 
riages; sur  quoy  nous  avons  résolu  d'ex})liquer  bien  disertement 
nos  intentions.  A  ces  causes,  de  l'avis  de  notre  Conseil,  et  de 
notre  grâce  spéciale,  pleine  puissance  et  autorité  royale,  nous 
avonsdit  et  ordonné,  et  par  ces  présentes  signées  de  notre  main, 
disons  et  ordonnons,  voulons  et  nous  plaîst: 

I.  Que  la  R.  G.  A.etR.  soit  seule  exercée  dans  notre  royaume, 
pays  et  terres  de  notre  obéissance  ;  défendons  à  tous  nos  sujets, 
de  quelque  état,  qualité  et  condition  qu'ils  soient,  de  faire  aucun 
exercice  de  religion,  autre  que  ladite  R.  G.,  et  de  s'assemblerpour 
cet  effet  en  aucun  lieu  et  sous  quelque  prétexte  que  ce  puisse 
être,  à  peine,  contre  les  bommes,  des  galères  perpétuelles,  et 
contre  les  femmes,  d'être  rasées  et  enfermées  pour  toujours 
dans  les  lieux  que  nos  juges  estimeront  à  propos,  avec  confisca- 
tion des  biens  des  uns  et  des  autres  ;  même  à,  peine  de  mort 
contre  ceux  rpii  seront  assemblez  en  armes. 

II.  Estant  informez  qu'il  s'est  élevé  et  s'élève  journellement 
dans  notre  royaume  plusieurs  predicans,  qui  ne  sont  occupez 
((u'à  exciter  les  i)euples  à  la  révolte,  et  à  les  détourner  des  exer- 


396  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

cices  de  la  R.  C.  A.  et  R.,  ordonnons  que  tous  les  prédicans 
qui  auront  convoqué  des  assemblées,  qui  y  auront  prêché,  ou 
fait  aucunes  fonctions,  soient  punis  de  mort,  ainsi  que  la  décla- 
ration du  mois  de  juillet  1686  l'ordonne  pour  les  ministres  de  la 
Religion  prétendue  réformée,  sans  que  ladite  peine  de  mort 
puisse  à  l'avenir  estre  réputée  comminatoire.  Défendons  à  tous 
nos  sujets  de  recevoir  lesdits  ministres  ou  prédicans,  de  leur 
donner  retraite,  secours  et  assistance,  d'avoir  directement  ou 
indirectementaucun  commerce  avec  eux  :  enjoignons  a  ceux  qui 
en  auront  connoissance,  de  les  dénoncer  aux  officiers  des  lieux, 
le  tout  à  peine,  en  cas  de  contravention,  contre  les  hommes, 
des  galères  à  perpétuité,  et  contre  les  femmes,  d'être  rasées  ei 
enfermées  pour  le  reste  de  leurs  jours  dans  les  lieux  que  nos 
juges  estimeront  à  propos,  et  de  confiscation  de  Ijiens  des  uns 
et  des  autres. 

m.  Ordonons  à  tous  nos  sujets,  et  notamment  à  ceux  qui  ont 
ci-devant  professé  la  R.  P.  R.,  ou  qui  sont  nez  de  parens  qui 
en  on  fait  profession,  de  faire  baptiser  leurs  enfans  dans  les 
églises  des  paroisses  où  ils  demeurent,  dans  les  vingt-quatre 
heures  après  leur  naissance,  si  ce  n'est  qu'ils  ayent  obtenu  la 
permission  des  archevêques  ou  des  évêques  diocésains  de  différer 
les  cérémonies  du  baptême  pour  des  raisons  considérables  ;  en- 
joignons aux  sages-femmes  et  autres  personnes  qui  assistent 
les  femmes  dans  leurs  accouchemens,  d'avertir  les  curés  des 
lieux  de  la  naissance  des  enfans,  et  à  nos  officiers  et  à  ceux  des 
sieurs  qui  ont  la  haute-justice,  d'y  tenir  la  main  et  do  punir  les 
contrevenans  par  des  condamnations  d'amendes,  même  par  do 
plus  grandes  peines,  suivant  l'exigence  des  cas. 

IV.  Qant  à  féducation  des  enfans  de  ceux  qui  ont  cy-devant 
professé  la  R.  P.  R.,  ou  qui  sont  nez  de  parens  qui  en  ont  fait 
profession,  voulons  que  l'édit  du  mois  de  janvier  1686  et  les  dé- 
clarations du  13  décembre  1698  et  16  octobre  1700  soient  exécu- 
tées en  tout  ce  qu'elles  contiennent;  et  en  y  ajoutant,  nous 
défendons  à  tous  nosdits  sujets  d'envoyer  élever  leurs  enfans 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  397 

hors  du  royaume,  à  moins  qu'ils  n'en  ayent  obtenu  de  nous 
une  permission  par  écrit,  signée  de  l'un  de  nos  secrétaires  d'E- 
tat, laquelle  nous  n'accorderons  qu'après  que  nous  aurons  esté 
suffisamment  informez  de  la  catholicité  des  pères  et  mères,  et 
ce  à  peine,  en  cas  de  contravention,  d'une  amende,  laquelle  sera 
réglée  à  proportion  des  biens  et  facultez  des  pères  et  mères  des- 
dits enfans,  et  néanmoins  ne  pourra  être  moindre  que  la  somme 
de  six  mille  livres ,  et  sera  continuée  par  chaque  année  que 
leursdits  enfans  demeureroient  en  pays  étrangers  au  préjudice 
de  nos  défenses  ;  à  quoy  nous  enjoignons  à  nos  juges  de  tenir 
exactement  la  main. 

V.  Voulons  qu'il  soit  étably,  autant  qu'il  sera  possible,  des 
maîtres  et  des  maîtresses  d'école  dans  toutes  les  paroisses  où 
il  n'y  en  a  point,  pour  instruire  tous  les  enfans  de  l'un  et 
l'autre  sexe,  des  principaux  mystères  et  devoirs  de  la  R.  G.  A. 
et  R.,  les  conduire  à  la  messe  tous  les  jours  ouvriers,  autant 
qu'il  sera  possible,  leur  donner  des  instructions  dont  ils  ont  be- 
soin sur  ce  sujet,  et  avoir  soin  qu'ils  assistent  au  service  divin 
les  dimanches  et  fêtes,  comme  aussi  pour  y  apprendre  à  lire 
et  même  écrire  à  ceux  qui  pourront  en  avoir  besoin,  le  tout 
ainsi  qu'il  sera  ordonné  par  les  archevêques  et  évêques,  en  con- 
formité de  l'article  xxv  de  l'édit  de  1695,  concernant  la  juridic- 
tion ecclésiastique  :  voulons,  à  cet  effet,  ({ue  dans  les  lieux  où 
il  n'y  aura  pas  d'autres  fonds,  il  puisse  être  imposé  sur  tous  les 
liabitans  la  somme  qui  manquera  pour  l'établissement  desdits 
maîtres  et  maîtresses,  jusqu'à  celle  de  cent  cinquante  livres  par 
an  pour  les  maîtres  et  cent  livres  pour  les  maîtresses,  et  (jue 
les  lettres  sur  ce  nécessaires,  soient  expédiées  sans  frais,  sur 
les  avis  que  les  archevêques  et  évêques  diocésains;  et  les  com- 
missaires départis  dans  nos  provinces  pour  l'exécution  de  nos 
ordres,  nous  en  donneront. 

VI.  Enjoignons  à  tous  les  pères,  mères,  tuteurs  etautres  person- 
nes qui  sont  chargées  de  l'éducation  des  enfans,  et  nommément 
de  ceux  dont  les  pères  ou  les  mores  ont  fait  profession  du  la 


398  PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

R.  P.  R.,  ou  sont  nez  de  parents  religionnaires,  de  les  envoyer 
aux  écoles  et  aux  catéchismes  juscju'à  l'âge  de  quatorze  ans, 
même  pour  ceux  qui  sont  au-dessus  de  cet  âge  jusqu'à  celuy  de 
vingt  ans,  aux  instructions  qui  se  font  les  dimanches  et  les 
festes,  si  ce  n'est  que  ce  soient  des  personnes  de  telle  condition 
qu'elles  puissent  etqu'(dles  doivent  les  faire  instruire  chez  elles, 
ou  les  envoyer  au  collège,  ou  les  mettre  dans  des  monastères 
ou  communautez  réguhères  ;  enjoignons  aux  curez  de  veiller  avec 
une  attention  ])articulière  sur  l'instruction  desdits  enfans  dans 
leurs  paroisses ,  même  à  l'égard  de  ceux  qui  n'iront  pas  aux 
écoles  ;  exhortons  et  néanmoins  enjoignons  aux  archevêques  et 
évêques  de  s'en  informer  soigneusement;  ordonnons  aux  pères 
etautres  qui  en  ont  l'éducation,  etparticuhèrement  aux  personnes 
les  plus  considérables  par  leur  naissance  ou  par  leurs  emplois, 
de  leur  représenter  les  enfans  qu'ils  ont  chez  eux,  lorsque  les 
archevêques  ou  évêques  l'ordonneront  dans  le  cours  de  leurs  vi- 
sites, pour  leur  rendre  compte  de  l'instruction  qu'ils  auront  re- 
çue touchant  la  religion,  et  à  nos  juges,  procureurs  et  à  ceux 
des  sieurs  qui  ont  la  haute-justice,  de  faire  toutes  les  diligences, 
perquisitions  et  ordonnances  nécessaires  pour  l'exécution  de 
notre  volonté  à  cet  égard,  et  de  punir  ceux  qui  seroient  négh- 
geans  d'y  satisfaire,  ou  qui  auroient  la  témérité  d'y  contrevenir 
de  quelque  manière  que  ce  puisse  être,  par  des  condamnations 
d'amende  qui  seront  exécutées  par  provision,  nonobstant  l'appel, 
à  telles  sommes  qu'elles  puissent  monter. 

VII.  Pour  assurer  encore  plus  l'exécution  de  l'article  précédent, 
voulons  que  nos  i)rocureurs  et  ceux  des  sieurs  hauts-justiciers 
se  fassent  remettre  tous  les  mois  par  les  curez,  vicaires,  maîtres 
ou  maîtresses  d'écoles,  ou  autres  qu'ils  chargeront  de  ce  soin, 
un  état  exact  de  tous  les  enfans  qui  n'iront  pas  aux  écoles  ou 
aux  catéchismes  et  instructions,  de  leur  noms,  âges,  sexes,  et 
des  noms  de  leurs  pères  et  mères,  pour  faire  ensuite  les  pour- 
suites nécessaires  contre  les  pères  et  mères,  tuteurs  ou  cura- 
teurs, ou  autres  chargez  de  leur  éducation,  et  (juils  aient  soin  de 


PIEGES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  399 

rendre  compte,  au  moins  tous  les  six  mois,  à  nos  procureurs 
généraux,  chacun  dans  leur  ressort,  des  diligences  qu'ils  auront 
faites  à  cet  égard,  pour  recevoir  d'eux  les  ordres  et  les  instruc- 
tions nécessaires. 

VIII.  Les  secours  spirituels  n'étant  en  aucun  temps  plus  né- 
cessaires, surtout  à  ceux  de  nos  sujets  qui  se  sont  nouvelle- 
ment réunis  à  l'Eglise,  que  dans  les  occasions  de  maladies,  où 
leur  vie  et  leur  salut  sont  également  en  danger,  voulant  que  les 
médecins  et  à  leur  défaut  les  apotiquaires  et  chirurgiens  qui  se- 
ront appeliez  pour  visiter  les  malades,  soient  tenus  d'en  donner 
avis  aux  curez  ou  vicaires  des  paroisses  dans  lesquelles  lesdits 
malades  demeureront,  aussi- tôt  qu'ils  jugeront  que  la  maladie 
pourroit  être  dangereuse,  s'ils  ne  \oyent  qu'on  les  y  ait  appel- 
iez d'ailleurs,  afin  que  lesdits  malades,  et  nommément  nos  su- 
jets nouvellement  réunis  àl'Eglise,  puissent  en  recevoir  les  avis  et 
les  consolations  spirituelles  dont  ils  auront  besoin:  et  le  secours 
des  sacremens,  lorsque  lesdits  curez  ou  vicaires  trouveront  les- 
dits malades  en  état  de  les  recevoir;  enjoignons  aux  parens, 
serviteurs  et  autres  ])ersonnes  qui  seront  auprès  desdits  ma- 
lades, de  les  faire  entrer  auprès  d'eux,  et  de  les  recevoir  avec 
la  bienséance  convenable  à  leur  caractère  ;  et  voulons  que  ceux 
desdits  médecins,  apotiquaires  et  chirurgiens  qui  auront  né- 
ghgé  ce  qui  est  leur  devoir  à  cet  égard,  et  pareillement  les  pa-  " 
rens,  serviteurs  et  autres  qui  sont  auprès  desdits  malades,  qui 
auront  refusé  ausdits  curez  ou  vicaires,  ou  prêtres  envoyez  par 
eux,  de  faire  voir  lesdits  malades,  soient  condamnez  en  telle 
amende  qu'il  appartiendra,  même  les  médecins,  apotiquaires, 
chirurgiens,  interdits  en  cas  de  récidive,  le  tout  suivant  l'exi- 
gence des  cas. 

IX.  Enjoignons  pareillement  à  tous  curez,  vicaires  et  autres 
({ui  ont  la  charge  des  âmes  ,  de  visiter  soigneusement  les  nia- 
kules,  de  (juehpie  état  et  qualité  qu'ils  soient,  notamment  ceux 
rjui  ont  ci-devant  professé  la  U.  P.  H.,  ou  (jui  sont  nez  de  pa- 
ïens qui  en  ont  fait  profession,  de  les  exhorter  en  particuliei  et 


400  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

sans  témoins  à  recevoir  les  sacremens  de  l'Eglise,  en  leur  don- 
nant à  cet  eftet  toutes  les  instructions  nécessaires  avec  la  pru- 
dence et  la  charité  qui  convient  à  leur  ministère,  et  en  cas  qu'au 
mépris  de  leurs  exhortations  et  avis  salutaires,  lesdits  malades 
refusent  de  recevoir  les  sacremens  qui  leur  seront  par  eux  offerts, 
et  déclarent  ensuite  publiquement  qu'ils  veulent  mourir  dans  la 
R.  P.  R.,  et  qu'ils  persistent  dans  la  déclaration  qu'ils  en  auront 
faite  pendant  leur  maladie,  voulons  que,  s'ils  viennent  à  recou- 
vrir la  santé,  le  procez  leur  soit  fait  et  parfait  par  nos  baillifs 
et  sénéchaux,  à  la  requête  de  nos  procureurs,  et  qu'ils  soient 
condamnez  au  bannissement  à  perpétuité,  avec  confiscation  de 
leurs  biens,  et  dans  les  pais  où  la  confiscation  n'a  lieu,  en  une 
amende  qui  ne  pourra  être  moindre  que  la  valeur  de  la  moitié 
de  leurs  biens;  si,  au  contraire,  ils  meurent  dans  cette  malheu- 
reuse disposition,  nous  ordonnons  que  le  procez  sera  fait  à  leur 
mémoire  par  nosdits  baillifs  et  sénéchaux,  à  la  requeste  de  nos 
procureurs,  en  la  forme  prescrite  par  les  articles  du  titre  xxn  de 
notre  ordonnance  du  mois  d'aoust  1670,  pour  estre  leur  dite  mé- 
moire condamnée,  avec  confiscation  de  leurs  biens,  dérogeant 
aux  autres  peines  portées  par  les  déclarations  des  29  avril  1686 
et  8  mars  1715,  lesquelles  seront  au  surplus  exécutées  en  ce  qui 
ne  se  trouvera  contraire  au  présent  article;  et  en  cas  qu'il  n'y 
ait  point  de  bailhage  royal  dans  le  lieu  où  le  fait  sera  arrivé, 
nos  prévôts  et  juges  royaux,  et  s'il  n'y  en  a  pas,  les  juges  des 
sieurs  qui  y  ont  la  haute-justice,  en  informeront  et  envoyeront 
les  informations  par  eux  faites  aux  greffes  de  nos  bailliages  et 
sénéchaussées  d'où  ressortissent  lesdits  juges,  ou  qui  ont  la 
connoissance  des  cas  royaux  dans  l'étendue  desdites  justices, 
pour  y  être  procédé  à  l'instruction  et  au  jugement  du  procez,  à 
la  charge  de  l'appel  en  nos  cours  de  parlement. 

X.  Voulons  que  le  contenu  au  précédent  article  soit  exécuté 
sans  qu'il  soit  besoin  dautre  preuve,  pour  étabhr le  crime  de  re- 
laps, que  le  refus  qui  aura  esté  fait  par  le  malade  des  sacremens  de 
l'Eglise  otVerts  par  les  curez,  vicaires  ou  autres  ayans  la  charge 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  401 

des  âmes,  et  la  déclaration  qu'il  aura  faite  publiquement  comme 
ci-dessus,  et  sera  la  preuve  dudit  refus  et  de  ladite  déclaration 
publique,  establie  par  la  déposition  desdîts  curez  ou  vicaires  ou 
autres  ayans  la  charge  des  âmes,  et  de  ceux  qui  auront  esté  pré- 
sens lors  de  ladite  déclaration,  sans  qu'il  soit  nécessaire  que  les 
juges  du  lieu  se  soient  transportez  dans  la  maison  desdits  ma- 
lades, pour  y  dreser  procez-verbal  de  leur  refus  et  déclaration, 
et  sans  que  lesdits  curez  ou  vicaires  qui  auront  visité  les  ma- 
lades soient  tenus  de  requérir  le -transport  desdits  officiers,  ni 
de  leur  dénoncer  le  refus  et  la  déclaration  qui  leur  aura  esté  faite, 
dérogeant  à  cet  égard  aux  déclarations  des  29  avril  1686  et 
8  mars  1715,  en  ce  qui  pourra  estre  contraire  au  présent  article 
et  au  précédent. 

XI.  Et  attendu  que,  nous  sommes  informez  que  ce  qui  con- 
tribue le  plus  à  confirmer  ou  à  faire  retomber  lesdits  malades 
dans  leurs  anciennes  erreurs,  est  la  présence  et  les  exhortations 
de  quelques  religionnaires  cachez  qui  les  assistent  secrètement 
en  cet  état,  et  abusent  des  préventions  de  leur  enfance  et  de  la 
foiblesse  où  la  maladie  les  réduit,  pour  les  faire  mourir  hors  du 
sein  de  l'Eglise,  nous  ordonnons  que  le  procez  soit  fait  et  parfait 
par  nos  bailUfs  et  sénéchaux,  ainsi  qu'il  est  dit  ci-dessus,  à  ceux 
qui  se  trouveront  coupables  de  ce  crime,  dent  nos  prévôts  ou 
autres  juges  royaux  pourront  informer,  même  les  juges  des 
sieurs  qui  auroient  la  haute-justice  dans  les  lieux  où  le  fait  se- 
roit  arrivé,  s'il  n'y  a  point  de  bailliage  ou  sénéchaussée  royale 
dans  lesdits  lieux;  à  la  charge  d'envoyer  les  informations  au 
bailliage  royal  comme  dessus,  pour  estre  le  procez  continué  par 
nos  baillifs  et  sénéchaux,  et  les  coupables  condamnez,  sçavoir, 
les  hommes  aux  galères  perpétuelles  ou  à  temps,  selon  que  les 
juges  l'estimeront  à  propos,  et  les  femmes  à  estre  rasées  et  en- 
fermées dans  les  lieux  que  nos  juges  ordonneront,  à  perpétuité 
ou  à  temps,  ce  que  nous  laissons  pareillement  à  leur  prudence. 

XII.  Ordonnons  que  suivant  les  anciennes  ordonnances  des 

Rois  nos  prédécesseurs,  et  l'usage  observé  dans  notre  royaume, 
I  26* 


402  PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

nul  de  nos  sujets  ne  pourra  estre  reçu  en  aucune  charge  de  judi- 
cature  dans  nos  cours,  bailliages,  sénéchaussées,  prévôtez  et 
justices,  ni  dans  celles  des  hauts-justiciers,  même  dans  les. 
places  de  maires  et  échevins,  et  autres  officiers  des  hôtels=-de- 
ville,  soit  qu'ils  soient  érigez  en  titre  d'office,  ou  qu'il  y  soit 
pourvu  par  élection  ou  autrement,  ensemble  dans  celle  de  gref  • 
fiers,  procureurs,  notaires,  huissiers  et  sergens,  de  quelque  ju- 
risdiction  que  ce  puisse  être,  et  généralement  dans  aucun  office 
ou  fonction  publique,  soit  en  titre  ou  par  commission,  même 
dans  les  offices  de  notre  maison  et  maisons  royales,  sans  avoir 
une  attestation  du  curé  ou,  en  son  absence,  du  vicaire  de  la 
paroisse  dans  laquelle  ils  demeurent,  de  leur  bonne  vie  et  mœurs, 
ensemble  de  fexercice  actuel  qu'ils  font  de  la  R.  C.  A.  et  R. 

XIII.  Voulons  pareillement  que  les  licences  ne  puissent  estre 
accordées  dans  les  universitez  du  royaume,  à  ceux  qui  auront 
étudié  en  droit  ou  en  médecine,  que  sur  des  attestations  sem- 
blables que  les  curez  leur  donneront,  et  seront  par  eux  repré- 
sentées à  ceux  qui  leur  doivent  donner  lesdites  licences;  des- 
quelles attestations  il  sera  fait  mention  dans  les  lettres  de 
licence  qui  leur  seront  expédiées,  à  peine  de  nullité;  n'enten- 
dons néanmoins  assujettir  à  cette  règle  les  étrangers  qui  vien- 
dront étudier  et  prendre  des  degrez  dans  les  universitez  de 
notre  royaume,  à  la  charge  que,  conformément  à  la  déclaration 
du  26  février  1680  et  à  l'édit  du  mois  de  mars  1707,  les  degrez 
par  eux  obtenus  ne  pourront  leur  servir  dans  notre  royaume. 

XIV.  Les  médecins,  chirurgiens,  apoticaires  et  sages-femmes, 
ensemble  les  libraires  et  imprimeurs  ne  pourront  estre  aussi  ad- 
mis à  exercer  leur  état  et  profession  dans  aucun  lieu  de  notre 
royaume,  sans  rapporter  une  pareille  attestation,  <ie  laquelle  il 
sera  fait  mention  dans  les  lettres  qui  leur  seront  expédiées,  même 
dans  la  sentence  des  juges,  à  l'égard  de  ceux  qui  doivent  prêter 
serment  devant  eux,  le  tout  à  peine  de  nullité. 

XV.  Voulons  que  les  ordonnances,  édits  et  déclarations  des 
Rois  nos  prédécesseurs  sur  le  fait  des  mariages,  et  nommément 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  403 

redit  du  mois  de  mars  1697  et  la  déclaration  du  15  juin  de  la 
même  année,  soient  exécutez,  selon  leur  forme  et  teneur,  par 
nos  sujets  nouvellement  réunis  à  la  foy  catholique,  comme  par 
tous  nos  autres  sujets  ;  leur  enjoignons  d'observer  dans  les  ma- 
riages qu'ils  voudront  contracter,  les  solemnitez  prescrites  tant 
par  les  saints  canons  reçus  et  observez  dans  ce  royaume,  que 
lesdites  ordonnances,  édits  et  déclarations,  le  tout  sous  les 
peines  qui  y  sont  portées,  et  même  de  punition  exemplaire,  sui- 
vant l'exigence  des  cas. 

XYI.  Les  enfans  mineurs,  dont  les  pères  et  mères,  tuteurs 
ou  curateurs  sont  sortis  de  notre  royaume  et  se  sont  retirez 
dans  les  païs  étrangers  pour  cause  de  religion,  pourront  vala- 
blement contracter  mariage,  sans  attendre  ni  demander  le  con- 
sentement de  leursdits  pères  et  mères,  tuteurs  ou  curateurs  ab- 
sens,  à  condition  néanmoins  de  prendre  le  consentement  et 
avis  de  leurs  tuteurs  ou  curateurs,  s'ils  en  ont  dans  le  royaume, 
sinon  il  leur  en  sera  créé  à  cet  effet,  ensemble  de  leurs  parens 
ou  alliez,  s'ils  en  ont,  ou  au  défaut  des  parens  et  alliez,  de 
leurs  amis  ou  voisins  :  Voulons  à  cet  effet  qu'avant  de  passer 
outre  au  contrat  et  célébration  de  leur  mariage,  il  soit  fait  de- 
vant le  juge  royal  des  lieux  où  ils  ont  leur  domicile,  en  pré- 
sence de  notre  procureur,  et  s'il  n'y  a  point  de  juge  royal ,  de- 
vant le  juge  royal,  devant  le  juge  ordinaire  desdits  lieux,  le 
procureur  fiscal  de  la  justice  présent,  une  assemblée  de  six  des 
plus  proches  parens  ou  alliez ,  tant  paternels  que  maternels, 
faisant  l'exercice  de  la  R.  G.  A.  et  R.,  outre  le  tuteur  et  le  cu- 
rateur desdits  mineurs,  et  au  défaut  de  parens  ou  alliez,  de  six 
amis  ou  voisin  de  la  même  qualité,  pour  donner  leur  avis  ot 
consentement,  s'il  y  échet,  et  seront  les  actes  pour  ce  néces- 
saires expédiez  sans  aucuns  frais,  tant  de  justice  que  de  sceau, 
contrôle,  insinuations  ou  autres  ;  et  en  cas  qu'il  n'y  ait  que  le 
père  ou  la  mère  desdits  enl'ans  mineurs  qui  soit  sorti  du  royaume, 
il  suffira  d'assembler  trois  parens  ou  alliez  du  côté  de  celui  qui  sera 
hors  du  royaume,  ou,  à  leur  défaut,  trois  voisins  et  amis,  lesquels 


404  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

avec  le  père  ou  la  mère  qui  se  trouvera  présent,  et  le  tuteur  ou  cu- 
rateur, s'il  y  en  a  autre  que  le  père  ou  lamère,  donneront  leuravis 
et  consentement,  s'il  y  échet,  pour  le  mariage  proposé,  duquel 
consentement,  dans  les  cas  ci-dessus  marquez,  il  sera  fait  men- 
tion sommaire  dans  le  contrat  de  mariage,  qui  sera  signé  par 
lesdits  père  ou  mère,  tuteur  ou  curateur,  parens,  alliez,  voisins 
ou  amis,  comme  aussi  sur  le  registre  de  la  paroisse  où  se  fera 
la  célébration  dudit  mariage,  le  tout  sans  que  lesdits  enfans, 
audit  cas,  puissent  encourir  les  peines  portées  par  les  ordon- 
nances contre  les  enfans  de  famille  qui  se  marient  sans  le  con- 
sentement de  leurs  pères  et  mères,  à  l'effet  de  quoi  nons  avons 
dérogé  et  dérogeons,  pour  ce  regard  seulement,  ausdites  or- 
donnances, lesquelles  seront  au  surplus  exécutées  selon  leur 
forme  et  teneur. 

XVII.  Défendons  à  tous  nos  sujets,  de  quelque  qualité  et  con- 
dition qu'ils  soient,  de  consentir  ou  approuver  que  leurs  enfans, 
et  ceux  dont  ils  seront  tuteurs  ou  curateurs,  se  marient  en  pais 
étrangers,  soit  en  signalant  les  contrats  qui  pourroient  estre  faits 
pour  parvenir  ausdits  mariages,  soit  par  acte  antérieur  ou  pos- 
térieur, pour  quelque  cause  et  sous  quelque  prétexte  que  ce  puisse 
estre,  sans  notre  permission  expresse,  et  par  écrit,  signée  par  l'un 
de  nos  secrétaires  d'état  et  de  nos  commandemens,  à  peine  des 
galères  à  perpétuité  contre  les  hommes,  et  de  bannissement 
perpétuel  contre  les  femmes ,  et  en  outre  de  confiscation  des 
biens  des  uns  et  des  autres,  et;  où  confiscation  n'auroit  pas  lieu, 
d'une  amende  qui  ne  pourra  estre  moinrlre  que  la  moitié  de  leurs 
biens. 

XVIII.  Voulons  que  dans  tous  les  arrests  et  jugemens  qui 
ordonneront  la  confiscation  des  biens  de  ceux  qui  l'auront  en- 
courue, suivant  les  différentes  dispositions  de  notre  présente 
déclaration,  nos  cours  et  autres,  nos  juges  ordonnent  que  sur  les 
biens  situez  dans  les  païs  où  la  confiscation  n'a  pas  lieu,  ou  sur 
ceux  non  sujets  à  confiscation  ou  qui  ne  seront  pas  confisquez 
à  notre  profit,  il  sera  pris  une  amende  qui  ne  pourra  estre  moin- 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  405 

dre  que  la  valeur  de  la  moitié  desdits  biens,  laquelle  amende 
tombera,  ainsi  que  les  biens  confisquez,  dans  la  régie  des  biens 
des  religionnaires  absens ,  pour  estre  employez  avec  le  revenu  des- 
dits biens  à  la  subsistance  de  ceux  de  nos  sujets  nouvellement 
réunis  qui  auront  besoin  de  ce  secours,  ce  qui  aura  lieu  pareil- 
lement à  l'égard  de  toutes  les  amendes  ,  de  quelque  nature 
qu'elles  soient,  qui  seront  prononcées  contre  les  contrevenans 
à  notre  présente  déclaration,  sans  que  les  receveurs  ou  fermiers 
de  notre  domaine  y  puissent  rien  prétendre. 

Si  donnons  en  mandement  ,  etc.  —  Donné  à  Versailles ,  le 
quatorzièmejourde  May ,  l'an  de  grâce  mil  sept  cent  vingt-quatre, 

et  de  nostre  Règne  le  neuvième. 

Signé:  LOUIS. 

Et  plus  bas  :  par  le  Roy,  Dauphin,  comte  de  Provence  : 

Phelypeaux, 

Et  scellé  du  grand  Sceau  de  cire  jaune. 

(Bibliothèque  nationale,  Mss.  n"  7046,  p.  53.) 

No  XIV 

INSTRUCTIONS    POUR    MOI    AU    SYNODE 

l*^"^  nnay  1725. 

.l'en  feray  l'ouverture  en  adressant  à  la  compagnie  un  discours 
sur  l'état  présent  de  nos  Eglizes  et  sur  les  moyens  de  les  con- 
server. 

Je  remonteray  dans  ce  discours  jusques  a  l'origine  de  nos 
malheurs  sur  le  projet  que  Louis  XIV  avait  fait  de  les  détruire, 
sur  les  moyens  qu'il  mit  en  usage  pour  en  venir  a  bout,  comme 
il  s'en  féHcita  d'y  être  parveneu. 

Ce  que  Dieu  lit  ensuite.  11  suscita  des  personnes  extraordi- 
naires pour  les  relever,  Rey.  Brousson  etc.  Il  continue  aujour- 
d'hui. Je  feray  voir  en  peu  de  mots  ce  qu'il  a  fait  depuis  l'an- 
née 1715,  et  ensuite  je  r(»presenteray  que  en  quelque  bon  état 
que  soient  nos  Eglizes  dans  un  sens,  elles  sont  dans  un  autre 


406  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

bien  triste  dans  un  sens  différent,  que  nous  devons  à  cause  de 
cela  faire  nos  efforts  pour  leur  en  procurer  un  meilleur. 

Que  les  moyens  qu'il  faut  mettre  en  usage  sont  1<*  des  prières 
ardentes,  2^  une  conduite  pure,  3°  une  repantance  sincère, 
4°  des  intercessions  réitérées  auxprès  des  puissances  étrangères 
protestantes,  5<*  l'envoy  d'un  député  auprès  d'elles. 

Qu'en  suite  notre  subsistance  dépend  i°de  notre  union,  d'une 
correspondance  parfaite  entre  les  pasteurs,  proposans  et  An- 
ciens. Nous  ne  saurions  subsister  si  nous  étions  divizes  ;  2°  en 
prenant  soin  de  ceux  qui  travaillent  au  ministère  et  de  ceux  qui 
souffrent  pour  l'Evangile.  Sur  quoy  pour  réussir,  il  est  impor- 
tant d'établir  un  fond  ou  tous  doivent  contribuer;  3°  en  obser- 
vant que  le  nom  de  Dieu  soit  exalté,  ses  saintes  écritures  lues 
et  révérées,  ses  sacrements  respectés  et  honorés,  en  bannissant 
les  scandales  etc.  en  instituant  de  tems  en  tems'  des  jeunes  ; 
4°  en  dressant  de  jeunes  hommes  qui  a  l'exemple  de  Timotée 
eussent  appris  de  leur  tendres  enfance  les  S^e  lettres  et  qu'ils 
ayent  le  dessein  de  se  consacrer  au  service  de  l'Eglize;  enfin  en 
établissant  des  jeunes.  Après  cela  je  regleray  l'ordre  suivant 
les  matières  qui  doivent  être  mise  sur  le  tapis. 

1°  Que,  s'il  y  a  des  personnes  pour  être  receu  Anciens,  qui  se 
presantent. 

2°  Que  les  députez,  s'ils  ont  des  propositions  à  faire,  qu'ils  les 
fassent,  et  qu'ils  remettent  leur  taxe  entre  les  mains  des  com- 
missaires ace  sujet  nommés. 

3°  Que  leDauphiné  demandant  au  Synode  deux  députez  char- 
gés d'un  double  de  nos  règlements  et]d'une  attestation,  accom- 
pagnés d'un  ordre  exprès  du  Sinode  pour  aler  établir  et  dans 
le  \ivarais  et  dans  les  Eglizes  du  Dauphiné  l'ordre  qu'on  ob- 
serve parmi  nous,  la  compagnie  doit  délibérer  la  dessus.  Je  feray 
la  lecture  de  M.  Roger. 

4«  Que  la  compagnie  doit  délibérer  sur  la  matière  et  sur  la 
forme  de  la  lettre  qu'on  doit  écrire  aux  EgHzes  pour  les 
exhorter  a  contribuer  au  fond  public,  et  nommer  les  trezoriers 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  407 

et  les  secrétaires  à  ce  sujet  de  la  manière  que  le  fond  doit  être 
distribué. 

5°  Qu'étant  important  de  nommer  un  député  vers  les  puis- 
sances protestantes,  il  faut  examiner  qui  l'est  le  plus  propre  et 
sur  qui  on  doit  jetter  la  vue. 

6°  Procéder  a  l'examen  de  M.  Clari  et  Maroger,  s'ils  persé- 
vèrent à  vouloir  se  consacrer  au  service  de  l'Eglize. 

Enfin  finir  par  une  lecture  d'amour  et  de  charité  réciproque 
des  pasteurs,  des  proposans  et  des  Anciens.  • 

(N"  7,  1.   II.  p.  151.) 


N«  XY 

PREMIER    SYNODE    NATIONAL    DE    1726 

16  niay  1726. 

Ce  jourd'hui  16  may  1726,  assemblés  en  Synode  national  au 
nombre  de  trois  pasteurs,  neuf  proposans,  et  trente-six  anciens, 
après  avoir  imploré  le  secours  de  Dieu,  et  les  lumières  du  St- 
Esprit,  avons  délibéré  ce  qui  suit  : 

Ayant  fait  lecture  de  29  articles  généraux  pour  le  main- 
tien des  églises  du  Languedoc,  Vivarais,  et  Dauphiné,  il  a  été 
approuvé  d'une  voix  unanime  de  les  coucher  à  chaque  livre  des 
corps  Synodaux  tels  qu'ils  sont  ci  après  : 

!«  Tous  les  pasteurs,  proposants,  Anciens,  et  fidélles  rece- 
vront la  confession  de  foi  dressée  autrefois  par  les  églises  ré- 
formées de  ce  Royaume,  et  présentée  à  nos  rois  pour  justifica- 
tion de  leur  croyance  évangélique,  comme  étant  un  abrégé  de 
la  doctrine  que  f  Ecriture  renferme,  et  des  erreurs  capitales  que 
Ion  doit  rejetter,  et  comme  nos  pères  avoient  dressé  une  disci- 
pline ecclésiastique  pour  règle  de  leur  conduite,  on  s'y  con- 
formera aussi,  autant  que  les  tristes  circonstances  dans  les- 
quelles nous  sommes  })ourront  le  permettre. 


408  PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

2°  Tous  les  pasteurs,  proposans,  anciens,  et  toutes  les  per- 
sonnes réformées  soumises  à  nos  réglemens,  demeureront  in- 
violablement  soumises  et  obéissantes  aux  puissances  supérieures, 
dans  toutes  les  choses  ou  Dieu  et  la  conscience  ne  sont  point 
intérréssées,  savoir  :  au  Roi  Louis  XY  notre  Sire,  à  ses  légitimes 
successeurs,  à  ses  gouverneurs,  commandants,  magistrats,  in- 
tendans  ,  et  autres  personnes  établies  par  lui;  et  feront  prières 
tant  publiques  et  particulières  pour  son  Auguste  personne,  pour 
les  princes,  et  princesses  de  la  maison  Royale  et  pour  tous  ceux 
qui  exercent  la  police,  et  la  justice  en  son  nom  ;  et  surtout  ils 
ne  favoriseront  aucun  traître,  rebelle,  ni  perturbateur,  et  si  quel- 
qu'un était  assez  méchant  pour  refuser  de  remplir  un  si  impor- 
tant devoir  d'institution  divine,  il  sera  poursuivi  par  toutes  voyes 
ecclésiastiques. 

3°  Les  pasteurs  et  proposans  ne  prêcheront,  et  les  anciens, 
et  fidélles  n'écouteront  que  l'écriture  Ste  et  les  raisonnemens 
qui  s'en  tirent  par  une  conséquence  nécessaire,  comme  étant  la 
parole  de  Dieu,  et  par  conséquent  la  seule  régie  de  la  foy,  et  ils 
doivent  réfuter  toutes  prétendues  révélations  et  inspirations  que 
plusieurs  se  sont  vantés  d'avoir  eu  en  ces  temps,  et  dans  les- 
quelles il  n'y  a  rien  qui  puisse  appuyer  notre  foy,  et,  parceque 
sous  ce  faux  prétexte  d'être  inspiré,  ou  révélé,  plusieurs  femmes 
ou  filles  ont  voulu  mettre  la  main  à  l'encensoir,  contre  l'expresse 
défense  de  St.  Paul  qui  ne  veut  point  que  les  femmes  enseignent 
dans  l'église,  cet  exercice  divin  et  pubhc  ne  doit  pas  être  souf- 
fert, et  l'expérience  ayant  appris  qu'il  est  arrivé  de  grands  scan- 
dales et  des  extravagances  au  sujet  de  ces  prétendues  révélations 
de  l'un  et  l'autre  sexe,  les  pasteurs,  proposans  et  anciens,  ainsi 
que  tous  les  vrais  fidélles,  doivent  y  veiller  avec  soin. 

4°  Dans  les  exercices  publics,  avant  l'exposition  de  la  parole, 
on  lira  ou  faira  lire  les  dix  commandemens  de  la  loi  de  Dieu 
contenus  au  20  ch.  de  l'Exode  conformément  à  l'ancienne  cou- 
tume des  églises  réformées  de  France  ;  et  pendant  la  lecture  de 
la  parole  de  Dieu  et  pendant  tout  le  îemps  que  durera  l'exercice 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  409 

de  piété,  chacun  doit  prendre  garde  de  demeurer  dans  une  con- 
tenance qui  montre  que  Ion  est  pénétré  de  dévotion,  et  les  pas- 
teurs et  proposans  y  porteront  leurs  soins  pour  engager  les  au- 
tres à  se  conformer  à  ce  que  prescrit  cet  article. 

5<^  Pour  la  conduite  des  particuliers,  et  ne  pas  faire  trop  d'é- 
clat dans  la  con^rocation  des  assemblées  religieuses  pendant  tout 
le  temps  de  la  captivité,  les  pasteurs,  proposans,  et  anciens  sont 
exhortés  de  ne  pas  faire  traverser  les  paroisses  ou  mandemens 
et  de  choisir  pour  cet  effet  les  endroits  qui  soient  à  la  portée  de 
ceux  qui  doivent  s'y  rendre,  ou  bien  s'il  y  avoit  des  lieux  trop 
éloignés,  les  anciens  et  les  fidelles  des  dits  Heux  doivent  se 
choisir  des  places  et  requérir  les  pasteurs  et  proposans  de  pas- 
ser chez  eux  pour  y  convoquer  des  assemblées. 

6°  Dans  les  convocations  des  assemblées  religieuses,  les  par- 
ticuliers ne  marcheront,  ni  ne  feront  marcher  les  autres  sans 
être  avertis  par  les  anciens  ou  de  leur  part,  et  les  anciens  pren- 
dront garde  de  ne  pas  faire  avertir  sans  avoir  la  parole  de 
celui  qui  doit  prêcher  et  nul  ne  pourra  faire  avertir  sans  le  con- 
sentement des  anciens,  et  si  quelqu'un  l'entreprend,  il  sera  cen- 
suré, et  s'il  persiste, suspendu  de  la  Ste  cène. 

7»  Pendant  tout  le  temps  et  dans  tous  les  lieux  où  l'on  ne 
pourra  pas  célébrer  le  service  divin  le  jour  du  dimanche,  les 
pasteurs,  les  proposans,  et  les  anciens,  ainsi  que  les  autres 
fidélles,  auront  soin  de  consacrer  ce  jour  là  deux  ou  trois  heures 
à  la  dévotion  de  leur  famille,  ou  parmi  leur  voisins,  et  après 
avoir  commencé  par  la  confession  des  péchés  ils  chanteront  des 
psaumes,  si  cela  se  peut,  liront  quelques  chapitres  de  l'Ecri- 
ture Ste  et  quelque  sermon  et  liniront  par  la  prière  ecclésias- 
tique, ou  par  quelqu' autre,  ils  prendront  bien  garde  de  ne  pas 
profaner  ce  saint  jour  par  aucun  voyage  d'avarice,  de  ne  point 
faire  la  débauche,  ivrogner,  jouer,  chasser,  danser,  et  de  s'ab- 
stenir des  choses  défendues  en  tout  temps. 

8"  Les  pasteurs,  proposans,  et  anciens  reprendront  en  public 
et  en  particulier  les  pécheurs,  et  ceux  qui  ne  voudront  pas  se 


410  PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

corriger,  après  les  avoir  exhortés,  une,  deux,  ou  trois  fois  selon 
les  régies  de  l'Ecriture  Ste,  seront  suspendus  de  la  Ste  cène. 

9°  Les  pasteurs  et  proposans  ne  pouvant  faire  leur  résidence 
chez  un  troupeau  particulier,  et  se  trouvant  dans  la  nécessité 
de  visiter  plusieurs  églises  à  cause  du  manque  de  pasteurs,  tous 
les  fidelles,  et  particulièrement  les  anciens,  prendront  soin  de 
veiller  à  leur  sûreté  ;  et  les  avertiront  des  vices  régnans,  afin  d'y 
apporter  les  remèdes  nécessaires  pour  en  rompre  le  cours,  comme 
les  censures,  les  exhortations  conformémentà  la  parole  de  Dieu 
et  à  la  discipline. 

10°  Les  pasteurs,  proposans  et  anciens  exhorteront  les  fidélles 
de  faire  bénir  leur  mariages,  et  administrer  le  sacrement  du 
baptême  à  leurs  enfants  par  les  pasteurs  reconnus  établis  par 
nous,  et  de  ne  plus  aller  vers  les  prêtres  de  la  Communion  ro- 
maine ,  cette  communion  étant  devenue  par  ses  idolâtries  et 
superstitions  entièrement  antichrétienne,  et  étant  impossible 
d'y  faire  bénir  son  mariage  et  baptiser  ses  enfants  sans  com- 
mettre apostasie,  renier  J.-G.  et  consacrer  ses  enfants  à  l'idole; 
et  ceux  qui  désormais  se  porteront  à  des  lâchetés  pareilles  se- 
ront censurés  publiquement  et  privés  de  la  communion,  et  ils  ne 
pourront  y  être  admis  derechef  qu'après  avoir  demandé  pardon 
publiquement,  et  à  genoux  devant  la  table  sacrée,  et  avoir  pro- 
mis de  ne  plus  retomber  dans  ces  péchés. 

11°  Pour  la  propagation  de  la  foy  réformée,  les  pasteurs, 
proposans,  et  autres  fidélles  doivent  s'informer  des  lieux  voisins 
et  éloignez  qui  n'ont  pas  été  appelés,  s'il  y  a  des  personnes  ou 
familles  en  qui  on  puisse  se  confier,  et  ils  agiront  de  vive  voix 
et  de  tout  leur  pouvoir,  en  prenant  garde  de  ne  choquer  per- 
sonne, et  des  qu'il  paroitra  possible  d'y  convoquer  des  assem- 
blées religieuses,  les  pasteurs  les  proposans,  et  s'il  est  besoin 
quelques  anciens,  seront  obligés  de  s'y  transporter  pour  cet  effet 
et  d'y  faire  recevoir  les  réglemens. 

12°  Les  pasteurs  et  proposans  sont  obligés  de  dire  la  prière 
publique  deux  ou  trois  fois  le  jour  dans  les  maisons  où  ils  se 


PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS  411 

rencontreront  et  de  la  faire  dire  aux  particuliers  de  ces  familles 
en  leur  présence  autant  que  faire  se  pourra,  pour  les  inviter  et 
leur  donner  du  goût  pour  ce  pieux  exercice. 

130  Outre  le  soin  que  les  pasteurs  et  les  proposans  doivent 
prendre  d'instruire  les  particuliers  dans  les  maisons  sur  le  ca- 
téchisme, ils  auront  encore  soin  de  catéchiser  tout  le  peuple  dans 
les  assemblées  publiques,  et  de  donner  des  éclaircissements 
sur  les  endroits  qui  paroitront  obscurs  ;  ils  pourront  se  servir 
de  toutes  sortes  de  bons  catéchismes,  selon  les  lieux  et  les  per- 
sonnes. 

14°  Les  pasteurs  et  proposans  prendront  garde  de  ne  rien  dire 
ni  faire  qui  choque  la  dignité  du  chrétien,  ni  la  sainteté  de  leur 
charge,  et  les  anciens  doivent  y  veiller,  en  sorte  que  s'il  arrivoit 
qu'un  pasteur  ou  un  proposant  tombât  en  scandale,  il  doit  être 
démis  JLisques  à  ce  qu'il  l'aura  levé  par  une  vive  repentance,  et 
s'il  refusait  de  le  faire,  il  doit  être  déposé,  tout  de  même  que  s'il 
persistoit  dans  une  vie  scandaleuse,  sans  qu'il  lui  soit  permis 
de  faire  aucune  fonction  pastorale  ;  et  pour  prévenir  ces  fâcheux 
événements,  si  quelques  anciens  s'apperçoivent  que  quelque 
pasteur  ou  proposant  se  familliarise  indécemment  avec  quelque 
femme  ou  fille,  ils  seront  obligés  de  leur  défendre  de  loger  dé- 
sormais dans  les  maisons  ou  logent  ces  femmes  ou  filles,  et  de 
leur  ordonner  d'éviter  ces  conversations  particulières  ;  que  si 
nonobstant  ces  défenses  ils  vouloient  persister,  les  anciens  aver- 
tiront le  Synode  qui  les  poursuivra  par  toutes  voyes  ecclésias- 
tiques. 

15°  Nul  pasteur  et  proposant  ne  sera  reçu  qu'il  ne  soit  sou- 
mis à  l'ordre  ecclésiastique,  et  Ion  ne  conférera  ces  charges  de 
pasteur  et  proposant  qu'après  avoir  subi  un  examen  grave  sur 
la  doctrine  et  sur  les  mœurs  ;  et  les  proposans  peuvent  être  re- 
çus dans  des  Synodes  provinciaux,  mais  les  pasteurs  ne  le  se- 
,  ront  que  dans  des  Synodes  nationaux,  jusqu'à  ce  ([ue  l'on  rccon- 
noitra  ([u'il  y  a  suftisami  des  pasteurs  ordonnés  dans  chaque 
province  pour  assister  aux  examens   et  aux  impositions  des 


412  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

mains  ;  et  les  pasteurs  et  les  prédicateurs  prendront  garde 
de  régler  leur  prédications  d'environ  une  heure  et  quart  pour 
prévenir  les  dangers  et  ne  pas  lasser  l'attention  des  audi- 
teurs. 

16°  S'il  y  avoit  quelque  pasteur  ou  proposant  qui  refusât  abso- 
lumentde  se  rangeràl'ordre  ecclésiastique  pu  qui  voulutle  trou- 
bler, ou  bien  s'il  arrivoit  que  quelque  pasteur  ou  proposant  vint 
à  s'y  soustraire  en  tout  ou  en  partie,  les  pasteurs,  proposans, 
anciens  ou  fidélles,  prendront  garde  de  ne  le  favoriser  en  aucune 
manière  dans  sa  rébellion ,  le  regarderont  comme  déchu  de  l'au- 
torité de  sa  charge,  et  en  avertiront  le  Synode,  ou  colloque  du 
quartier  pour  tacher  de  le  ramener,  ou  procéder  contre  lui 
comme  schismatique. 

17°  Pour  arrêter  les  coureurs,  les  consistoires  de  chaque 
corps  synodal  prendront  garde  de  ne  recevoir  personne  de  ceux 
qui  prêchent,  soit  que  ce  soient  des  étrangers  inconnus,  ou  de 
ceux  qui  ont  servi  les  églises  d'un  autre  corps  Synodal,  sans 
qu'ils  soyent  munis  de  bons  témoignages,  et  si  quelqu'un  s'é- 
toit  rendu  refrac  taire  envers  un  Corps  synodal,  il  ne  pourra  être 
reçu  que  parce  corps  ou  avec  son  consentement. 

18<>  A  cause  de  la  grande  corruption  des  mœurs  et  de  l'igno- 
rance du  commun  des  chrétiens  sur  la  religion,  les  Anciens,  les 
pères  et  mères  auront  soin  de  veiller  soigneusement  sur  la  con- 
duite des  jeunes  gens  :  et  après  s'être  instruits  eux  mêmes 
dans  la  doctrine  du  salut,  ils  instruiront  les  jeunes  gens  et  ainsi 
se  formeront  les  uns  et  les  autres  dans  la  crainte  de  Dieu, 

19°  Dans  ce  dernier  et  fâcheux  temps  auquel  nous  vivons,  le 
paganisme  le  plus  corrompu  paroissant  s'estre  renouvelle  par 
les  parties  de  débauche,  de  danse,  de  jeux  que  Ion  voit  établis, 
et  surtout  celle  qu'on  appelle  fêtes  votives,  ou  reynages  ;  les 
pasteurs,  proposans,  et  anciens  doivent  les  reprimer,  et  tous 
les  chrétiens  réformés  les  éviter  avec  soin,  et  surtout  celles  qui 
se  font  le  jour  du  repos,  puisque  par  là  ce  saint  jour  est  profané, 
et  ceux  qui  ont  accoutumés  de  se  trouver  à  ces  fêtes  votives  ou 


PIECES  ET  Documents  inédits  413 

reynages  doivent  être  censurés,  et  s'ils  persistent,  suspendus  de 
la  Sainte  cène. 

20"  Les  Anciens  auront  soins  de  faire  cesser  toutes  divisions, 
haines,  procès,  entre  les  fidélles,  et  pour  cet  effet  ils  employe- 
ront  tous  les  moyens  que  la  prudence  leur  suggérrera  pour  por- 
ter les  parties  divisées  à  un  accomodement  raisonnable,  et  ceux 
qui  par  opiniâtreté,  ou  par  un  esprit  de  chicane,  refuseront  de 
se  prêter  à  un  accomodement  seront  suspendus  de  la  Ste  cène, 
et  censurés. 

"iîl°  Les  Anciens  d'une  paroisse,  et  s'il  est  possible  de  tout  un 
corps  d'Eglises  s'assembleront  une  fois  par  mois  [.our  s'encou- 
rager à  l'œuvre  du  Seigneur,  pour  examiner  si  chacun  a  soin 
de  s'acquitterdu  devoir  de  sa  charge,  et  pour  aviser  aux  besoins 
de  leur  quartier  et  de  leur  église,  ainsi  que  pour  prendre  les 
mesures  les  plus  propres  pour  avancer  le  salut  des  âmes  et  ex- 
tirper le  vice;  et  si  quelqu'un  tomboit  en  faute  et  qu'il  ne  voulut 
pas  se  corriger  des  défauts  qu'il  pourroit  avoir,  ou  s'il  entrete- 
noit  d(;s  divisions  ou  des  vices  dans  sa  famille,  il  sera  démis 
de  sa  charge,  et  suspendu  de  la  Ste  cène,  et  ne  pourra  y  être 
admis  qu'après  avoir  témoigné  sa  répentance. 

22**  Les  fidélles  qui  pour  s'être  conduits  avec  témérité  seront 
arrêtés  en  allant  ou  en  revenant  des  assemblées  de  piété,  seront 
déclarés  indignes  d'être  secourus  par  les  églises  ;  mais  ceux  qui 
s'étant  conduits  prudemment  seront  arrêtés,  seront  secourus 
autant  qu'il  sera  possible  ainsi  que  leur  famille,  si  elles  se  trou- 
vent dans  l'indigence  dans  cette  occasion  ;  ces  mêmes  personnes 
qui  auroient  le  malheur  d'être  arrêtées  se  souviendront  que  sur 
les  interrogats  qui  leur  seront  faits,  si  ce  ne  sont  pas  des  ma- 
gistrats ou  autres  personnes  revêtues  de  l'autorité  que  le  Roy 
leur  donne,  il  ne  leur  sera  rien  répondu,  mais  si  ce  sont  des 
magistrats  qui  les  interrogent,  ils  diront  naïvementla  vérité  sur 
ce  qui  les  concerne  personnellement,  mais  auront  soin  de  ne 
dire  sur  ceux  que  les  persécuteurs  voudroient  rechercher,  parce- 
qu'un  vrai  fidélle.  en  morne  temps  (ju'il  doit  être  vrai  et  sincère. 


414  PIÈCES  ET  DOCURIENTS  INÉDITS 

doit  garder  un  profond  silence  sur  tout  ce  ou  Dieu  n'est  glo- 
rifié, et  le  fîdélle  édifié ,  et  qui  pourroit  attirer  des  persécutions 
aux  autres  fidélles;  et  si  quelqu'un  agissoit  d'une  autre  manière 
il  sera  regardé  comme  lâche  et  apostat  envers  l'Eglise,  et  comme 
traître  et  perturbateur  envers  fétat,  et  en  cette  qualité  poursuivi 
par  toutes  les  voyes  ecclésiastiques. 

23°  Les  corps  synodaux  se  trouvant  unis  par  des  actes  solen- 
nels tiendront  tous  les  ans  un  Synode  national  dans  chaque 
province-  tour  à  tour.  Ce  sera  aux  pasteurs  et  proposans  de  la 
province  qui  sera  de  tour,  à  écrire  dans  les  autres  provinces  pour 
annoncer  le  temps  et  le  lieu  de  la  tenue  du  dit  Synode  natio- 
nal, afin  que  les  députés  qui  doivent  s'y  trouver  puissent  être 
nommés,  et  dans  les  certificats  ou  lettres  de  députation,  on  expri- 
mera les  qualités  sous  lesquelles  les  députés  doivent  être  regar- 
dés, savoir  des  pasteurs,  des  proposans,  et  des  anciens;  les  dits 
députés  seront  reçus  avec  honneur,  et  on  aura  soin  de  les  faire 
conduire  et  veiller  à  leur  sûreté  ;  après  la  tenue  du  Synode  on 
en  fera  signer  les  articles  à  tous  les  députés,  et  il  sera  fait  men- 
tion dans  leur  témoignage  de  la  satisfaction  qu'on  aura  eu  de 
leur  députation. 

24°  Les  corps  synodaux  sont  obligés  de  se  secourir  mutuelle- 
ment de  pasteurs  et  proposans  selon  le  besoin;  ils  fourniront 
aussi  de  l'argent  pour  les  besoins  préssans,  comme  pour  relever 
des  maisons  que  la  persécution  pourroit  abattre,  pour  soulager 
les  prisonniers  et  les  pauvres  pour  la  religion,  surtout  quand  les 
besoins  seroient  si  grands  que  les  églises  d'un  corps  synodal 
nepourroientpas  y  suppléer;  et  pour  cet  effet  chaque  corps  sy- 
nodal aura  soin  d'établir  des  fonds  par  des  collectes,  et  s'il  sur- 
vennoit  des  besoins  avant  que  les  fonds  fussent  faits,  les  pas- 
teurs et  les  proposans  exhorteront  les  anciens  de  procéder  de 
suite  à  des  collectes  à  ce  sujet. 

25°  Y  ayant  un  député  général  nommé  par  tous  les  corps  syno- 
daux, chaque  corps  synodal  sera  obligé  de  contribuer  selon  ses  fa- 
cultés à  l'entretien  du  ditdéputétant  que  la  députation  continuera. 


PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  415 

26"  Les  pasteurs,  proposans  et  députés  des  églises  de  chaque 
corps  synodal,  seront  obligés  de  s'assembler  en  Synode  ou  en 
colloque  deux  ou  trois  fois  l'année,  selon  la  comodité  des  lieux 
et  du  temps,  pour  s'encourager  mutuellement  et  pour  examiner 
si  chacun  a  soin  de  visiter  les  malades,  de  secourir  les  pauvres, 
d'ordonner  les  collectes  et  de  s'acquitter  du  devoir  de  la  charge 
en  véritable  ministre  de  J.-G   et  sans  reproche. 

27°  Pour  éviter  tout  soupçon  à  l'égard  des  deniers  des  pau- 
vres, et  collectes,  chaque  corps  consistorial  s'établira  des  bour- 
siers, des  secrétaires  et  autres  personnes  pour  examiner  à  qui 
cet  argent  doit  être  distribué;  et  pour  empêcher  aussi  que  les 
églises  ne  soient  pillées  par  des  eflronteurs,  on  doit  aussi  em- 
pêcher de  faire  des  collectes  sans  un  ordre  d'un  Synode  ou  d'un 
colloque,  à  moins  que  Ion  ne  montre  des  lettres  de  quelque 
corps  synodal  pour  un  besoin  pressant. 

28°  Les  corps  consistoriaux  se  taxeront,  et  leur  députés  as- 
semblés en  Synode  assigneront  aux  pasteurs  et  aux  proposans 
une  pension  pour  marque  d'une  reconnaissance  honnorable, 
et  on  ne  leur  donnera  cet  argent  que  dans  un  Synode  ou  collo- 
que selon  qu'il  sera  arrêté  dans  chaque  corps  synodal;  et  si  quel- 
qu'ancien  donnoit  autrement  cet  argent,  il  en  sera  responsable. 

29°  Il  sera  permis  à  chaque  corps  synodal  de  faire  des  régle- 
mens  particuliers,  selon  qu'ils  se  trouveront  nécessaires  pour  le 
bien  et  l'édification  de  leurs  églises,  pourvu  que  l'on  prenne 
garde  de  ne  pas  s'écarter  des  statuts  généraux. 

Et  se  sont  signés  en  l'original  conservé  dans  les  documens 
des  Eglise  du  Vivarais  savoir:  Roqer,  pasteur-député  des  Eglises 
duDauphiné  et  modérateur;  A.  Court,  pasteur-député  du  Lan- 
guedoc et  Cévennes,modérateur-adjt.;  Pierre  Gorteiz,  pasteur- 
député  des  églises  du  Languedoc  et  Cévennes;  Pierre  Durand, 
pasteur;  Rouvièrk,  proposant;  Boyer,  proposant  des  églises  du 
Languedoc,  secrétaire. 

[Recueil  des  Synodes  du  dix-huilièm^  iiècle,  communiqué  par  M.  le  pasteur 
J,-P.  Hugues,  d'Anduze.) 


416  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 


N«  XYl 

LETTRE    IMPRIiVlÉE    DE    M.   l' INTENDANT,  TOUCHANT  l' ÉDUCATION    DES 
ENFANS,    DU    ¥    AOUST    1727,    POUfl    LE    CURÉ 

A  Montpellier,  ce  4  août  1727. 

M.  le  comte  de  S^  Florentin  m'ayant  adressé,  Monsieur,  des 
ordres  du  Roy  sur  l'éducation  des  enfans  des  nouveaux  catho- 
liques, il  m'a  paru  nécessaire  d'en  composer  une  instruction, 
dont  vous  trouverez  ci-joint  deux  exemplaires;  vous  en  garderez 
un,  et  remettrez,  s'il  vous  plaît,  l'autre  au  Maître  ou  à  la  Maî- 
tresse d'école  de  votre  Communauté;  vous  verrez  qu'il  doit  être 
établi  des  Maîtres  ou  Maîtresses  d'école  dans  les  Gommunautez 
où  il  n'y  en  a  pas;  mais  cet  établissement  ne  doit  être  fait 
qu'autant  que  Messieurs  les  Archevêques  ou  Evêques  diocé- 
sains le  jugeront  nécessaire;  si  vous  êtiés  dans  le  cas,  vous  de- 
vez vous  adresser  à  votre  Prélat,  qui  aura  la  bonté  de  me  le 
proposer. 

Les  Maîtres  et  Maîtresses  d'écoles  doivent  être  approuvez 
par  Messieurs  les  Archevêques  ou  Evêques,  ou  par  leurs  Grands- 
Vicaires  ;  à  la  réception  de  l'Instruction,  ils  sont  ohhgez  de  dresser 
un  Rolle,  conjointement  avec  vous  et  avec  les  Consuls,  de  tous 
les  enfans  depuis  l'âge  de  sept  jusqu'à  quatorze  ans ,  conte- 
nant les  noms,  âges,  et  sexes  desdits  enfans,  et  ceux  de  leurs 
Pères,  Mères,  Tuteurs  ou  autres,  chargez  de  leur  éducation,  dont 
ils  enverront  copie  à  mon  subdelegué,  signée  d'eux,  de  vous, 
des  Consuls  ou  du  Greffier  de  la  Communauté;  ce  Rolle  doit 
être  renouvelle  dans  les  huit  premiers  jours  du  mois  de  janvier 
prochain,  et  successivement  d'année  à  autre,  pour  être  ensuite 
envoyé  à  mon  Subdélégué.  J'espère  de  votre  zèle,  pour  le  bien 
de  la  Rehgion,  que  vous  tiendrez  la  main  à  ce  qu'aucun  enfant 
ne  soit  obmis  sur  le  Rolle;  que  vous  voudrez  bien  recommander 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INEDITS  417 

au  Maitre  ou  à  la  Maîtresse  d'école  de  no  rien  oublier  de  tout 
ce  qui  leur  est  prescrit;  et  s'il  y  avoit  de  la  négligence  de  leur 
part,  ou  qu'il  se  passât  quelque  chose  qui  tendît  à  éloigner  l'exé- 
cution des  intentions  de  Sa  Majesté,  que  vous  voudrez  bien 
aussi  m'en  faire  part. 
Je  suis,  Monsieur,  entièrement  à  vous,  etc. 


No  XVII 

LETTRE  IMPRIMÉE  DE  M.  l'iNTENDANT,  TOUCHANT  LES  AMENDES  QU'oN 
DOIT  FAIRE  PAYER  POUR  LES  ENFANS  QUI  NE  VONT  PAS  A  LA  MESSE, 
DU  4«  AOUST  1727,  AU  JUGE. 

0 

A  Montpellier,  ce  h  aoust  1727. 

L'instruction  ci-jointe  que  j'ai  dressée,  Monsieur,  en  confor- 
mité des  ordres  du  Roy,  pour  l'éducation  des  enfans  des  NoU' 
veaux  Catholiques,  vous  fera  connoître  que  vous  ne  devez  pas 
différer  de  prononcer  des  condamnations  d'amendes  contre  les 
Pères,  Mères,  Tuteurs  ou  autres  chargez  de  l'éducation  de  ces 
enfans,  sur  les  réquisitions  du  Procureur  du  Roy,  ou  du  Pro- 
cureur jurisdictionnel  de  votre  Siège,  et  la  peine  qui  vous  est 
imposée,  en  cas  de  retardement  ou  de  négligence  de  votre  part. 
Ne  pensez  pas  que  cette  disposition  soit  comminatoire  ;  elle  aura 
lieu,  et  vous  l'éprouveriez  jiar  la  suspension  de  vos  fonctions,  si 
vous  tombiez  dans  le  cas.  Vous  avez  déjà  appris  que  Sa  Ma- 
jesté veutsçavoir  si  vous  remplissez  vos  devoirs  de  Catholique; 
mon  Subdélégué  a  dû  vous  en  demander  un  certificat  de  vôtre 
curé;  si  vous  ne  lui  avez  pas  encore  adressé,  ne  manquez  pas, 
je  vous  prie,  de  le  faire  sans  perdre  de  tems,  et  de  m'accuser 
la  réception  de  cette  lettre. 

Je  suis.  Monsieur,  entièrement  ù  vous,  etc. 

I  ^        ri 


418  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 


No  XVlll 


LETTPxE    IMPRIMEE    DU    SUBDELEGUE    DE    L  LNTENDAiNT,    POUR    INFORMER 
LE    DIOCÈSE    d'UZÈS  QUON  n'y  VEUT  AUCUN  OFFICIER  DE  JUSTICE  QUI 


NE    SOIT    CATHOLIQUE  ^ 


A  Usez,  8  aoust  1727. 


M.  le  comte  de  Saint-Florentin,  Ministre  et  Secrétaire  d'Etat, 
Messieurs,  ayant  mandé  à  M.  l'Intendant  que  l'intention  du 
Roy  est  que  tous  les  Juges  et  Procureurs  du  Roy  des  Justices 
de  cette  province ,  tant  Royaux  que  des  Seigneurs ,  (|ui  sont  la 
plupart  Nouveaux-Convertis,  fassent  leur  devoir  de  Catholiques: 
et  de  l'iiiiormer  de  ceux  qui  ne  s'y  conformeront  pas,  alin  (jue 
sur  le  compte  qu'il  lui  en  rendra.  Sa  Majesté  puisse  donner  ses 
ordres  jjour  faire  interdire  les  premiers,  et  destituer  les  autres. — 
Je  suis  chargé  de  M»"  l'Intendant  de  lui  envoyer  dans  un  brief 
délai  un  Etat  de  tous  les  Officiers  de  Justice  qui  sont  dans  ce 
Diocèse,  contenant  leurs  noms,  âge,  et  qualité,  s'ils  sont  an- 
ciens ou  nouveaux  Catholiques ,  et  parmi  ces  derniers ,  ceux 
qui  remplissent  leur  devoir  ou  qui  ne  le  font  pas,  et  de  leur 
écrire  à  tous  de  m'envoyer  des  certificats,  signez  de  leur  curé, 
qu'ils  sont  Anciens-Cathohques,  ou  qu'estant  Nouveaux-Con- 
verlis,  ils  remi>lissent  le  devoir  de  catholicité.  Je  vous  prie  donc 
Messieurs,  de  m'envoyer  d'ici  au  vingt  de  ce  mois  un  Etat,  en 
conformité,  de  tous  les  Ofliciers  de  Justice  de  vôtre  lieu,  soit 
qu'il  y  ait  une  ou  plusieurs  juridictions,  avec  ledit  certiiicat. 

Je  dois  vous  avertir,  Messieurs,  que  suivant  les  ordres  (|ue 
j'ai  de  M.  l'Intendant,  je  conqirendrai  dans  le  nombre  de  ceux 
qqi  ne  font  j)Hs  leur  devoir,  ceux  de  qui  je  n'aurai  point  eu  de 
réponse  ou  qui  ne  m'auront  point  envoyé  le  certificat  de  leur 

1  Cette   lettre  fut  en  particulier  obtenue  contre  M^...,  qui  auoit  été  fait  Juge 
Mage  d'Uzèb,  par  M'  le  Duc.  8^  d'aousl  1727,  (Note  de  Court.; 


I 


PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS  419 

Curé  audit  jour  vingtième  de  ce  mois.  Je  suis  très  purfuiLe- 
ment,  Messieurs, 

Vôtre  très-humble  et  tres-obéissant  serviteur, 

Prag, 

Subdélégué. 

DIVISION    niL    LA    PROVINCE    DE    LANGUEDOC    EN    QUARTIERS 

Le  -26  avril  1726. 

Pour  Monsieur  Housse!. 

Il  aura  pour  servir  jusqu'à  nouvel  ordre  les  Eglises  des  pa- 
roisses de  Ribautes,  St  Cristols,  Generargues,  do  Saint  Sebas- 
tien,  de  S.  Paul,  d'Alais,  de  Brennoux,  de  Sourtelle,  de  la 
Mialouse,  de  S.  Martin,  du  Gastannet,  Du  ('ollest  S.  Michels, 
de  St  Ylhaire,  de  St  Privât,  de  St  Fraisai,  de  StEndéol. 

CORTEIZ. 
Ce  premier  uiay  de  raiinéc  courante. 

Au  verso  de  la  page  on  lisait,  écrit  de  la  rrain  de  Roussel  : 

Le  2  septembre  1720^  il  m'a  été  donné  jtour  cartier  celui  do 
Nismes,  et  celui  de  Canne,  conjointement  avec  M.  Boyer,  et  il 
a  été  aussi  convenu  que  nous  irions  l'aire  tjuebjue  visite  au  car- 
tier du  Vigan,  qui  est  celui  de  M;  Gaubert* 

Le  25  avril  1727,  on  m'a  donné  le  quartier  du  Vigan,  et  je  n  ai 
conmiencé  a  cause  d'une  indis[)ositioii  ([ue  j'avais,  (juele  l'J  nuiy; 
j'en  suis  sorti  le  26  août  1727 

Le  12  septembre  1727,  on  m'a  donné  le  cartier  de  de  Cannes 
en  haut. 

(N"7,  t.  II,  p.4i03.3 


420  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 


N«  XX 

RELATION    DU    MAUTYllE    d'aLEXANDIΠ   ROUSt^EL 

Monsieur  et  très  cher  amy, 

Je  viens  de  receuoir  une  lettre  de  M"*  Court  ({ui  est  un  des^ 
pasteurs  que  la  Prouidence  a  suscitté  depuis  plusieurs  années 
en  France  pour  rallumer  le  chandelier  de  sa  parole  dans  le 
Languedoc  ;  il  me  fait  un  détail  asses  long  et  circonstantié  de 
la  prise  et  de  la  mort  glorieuse  de  M''  Roussel.  Quoy  que  le 
bruit  de  cette  mort  ait  fait  beaucoup  d'éclat  et  qu'on  en  ait 
mesme  rependù  certaines  relations,  vous  ne  seres  pas  fâché  de 
receuoir  celle  icy  qui  ma  paru  la  plus  fidèle  aussi  bien  que  la 
plus  longue. 

Notre  glorieux  martyr  sappelloit  i\lexandre  Roussel.  Jl  etoit 
natif  d'Uzez  en  Languedoc.  Ses  Parens  sont  Protestans  et  il 
pouuoit  auoir  enuiron  2G  a  27  ans,  lorsqu'il  a  fini  sa  course. 
Son  père  qui  etoit  boulenger  n'auoit  rien  épargné  au  commen- 
cement pour  lui  donner  une  bonne  éducation  selon  son  état; 
Mais  comme  les  Gathobques  Romains  se  sont  empares  de 
touttes  les  écoles  pour  pouvoir  inspirer  leurs  sentimens  avec 
plus  de  facilité  a  la  jeunesse  Protestante,  il  se  contenta  de  le 
faire  bien  apprendre  à  lire,  à  écrire,  et  a  chiffrer.  Son  père  étant 
mort,  sa  mère  l'enuoja  à  Nismes  dens  une  boutique  de  mar- 
chand. Cest  la  quil  ajjprit  qu'on  fesoit  des  assemblées  de  piété 
et  quon  lui  procura  le  mojen  d'y  assister;  c'est  là  que  son  zèle 
pour  Dieu  et  son  amour  pour  la  vérité  s'alluma.  Il  sapplica  en- 
suitte  à  lire  les  Saintes  Ecritures  et  dautresbons  liures  de  notre 
Religion  qui  avec  la  grâce  de  Dieu  le  mirent  dans  peu  de  temps 
en  état  daler  dans  plusieurs  maisons  de  Protestans  faire  des 
prières  aux  malades  et  ensuite  des  exhortations  aux  assistans. 
Dieu  bénissant  de  plus  en  plus  son  étude  dans   la  i)iété  et  les 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  421 

soins  qu'il  se  donnoit  en  faveur  de  ses  frères  malades,  affligez 
et  priuez  de  la  liherU*  de  conscience,  il  n'attendit,  sinon  que 
son  temps  fut  fini  pour  quitter  la  boutique  de  marchand  où  sa 
mère  l'auoit  mis,  pour  aller  joindre  ceux  qui  prèchoient  dans 
le  désert  et  auec  qui  il  auoit  déjà  fait  connoissance.  Gomme  on 
connoissoit  ses  lumières  et  sa  piété,  on  l'aggrégea  bientôt  au 
nombre  de  ceux  qu'on  appelle  proposans  qui  font  des  pré- 
dications et  des  prières,  mais  qui  n'administrent  pas  les  Sa- 
cremens.  11  s'aquitta  exactement  et  fidèlement  de  son  minis- 
tère pendant  deux  ans  et  demy.  11  étoit  aimé  et  estimé  de 
tous  ses  frères,  et  par  tout  où  il  passoit  il  repandoit  la  bonne 
odeur  de  l'Evangile;  mais  son  heure  de  glorifier  Dieu  par  sa 
mort  étant  venue,  il  falut  quil  subit  son  destin.  M^  Roussel 
venoit  de  quitter  le  quartier  duA'igan,  petitte  ville  dans  le  Ge- 
vennes,  on  lui  en  auoit  donné  un  autre,  selon  que  cela  se  pratique 
dans  tous  les  Sinodes  de  faire  rouler  les  prédicateurs  dans  tous 
les  lieux  où  on  a  formé  des  Eglises  ;  il  ne  laissa  pas  que  de  vou- 
loir encore  aller  faire  une  tournée  dans  le  quartier  qu'il  auoit 
quitté.  On  s'y  opposa,  mais  ce  fut  en  vain.  Il  se  sentoit  comme 
hé  et  entraîné  dans  un  lieu  où  Dieu  auoit  permis  qu'il  se  ren- 
contrât un  autre  Judas  qui  auoit  promis  pour  un  salaire  d'ini- 
quité de  le  liurer  entre  les  mains  des  méchans.  11  partit  un  sa- 
medy  matin,  le  9  octobre  1728,  malgré  les  nouvelles  oppositions 
de  M»"  Gourt.  Il  arriua  le  Dimanche  au  Vigan  et  il  conuoqua  une 
assemblée  pour  le  lundy.  L'assemblée  se  forma  à  la  cam- 
pagne. Tous  les  fidèles  s'y  étoient  déjà  rendus  sans  trouble. 
M»"  Roussel  partit  le  dernier,  accompagné  d'un  seul  homme  de 
confidence;  a  un  quart  de  lieue  du  Vigan,  il  tomba  dans  une 
ambuscade  qui  étoit  postée  dans  un  lieu  couvert,  à  coté  du 
grand  chemin.  Il  ne  parut  dabord  que  quatre  cavaliers,  mais 
il  y  en  auoit  plusieurs  autres  cachez  a  une  certaine  distance 
pour  les  soutenir  en  cas  de  besoin.  Le  traître  qui  fauoit  vendu 
étoit  caché  derrière  un  arbre;  d'abord  qu'il  le  reconnut,  il  cria  : 
Le  voilà!  Un  des  quatre  cavaliers  qui  étoit  religionnaire,  cria 


422  PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

aussi  dans  hi  moment  :  A  gauche,  sauve  de  ce  coté  là  ou  il  n'est 
personne  pour  vous  arrêter!  Mais  soit  qu'on  crut  que  ces  cris 
vinsent  de  mauvaise  part,  ou  qu'on  fut  surpris  de  telle  sorte 
qu'on  ne  fut  ])as  en  état  d'en  proûtter,  M»'  Roussel  et  celui  qui 
l'accompagnoit  se  laissèrent  arrêter  par  les  trois  caualiers.  Il 
étoit  déjà  plus  de  huit  heures  du  soir  lorsqu'on  les  conduisit  à 
Aulas,  qui  est  un  vilage  de  ces  quartiers  oii  on  met  touttes  les 
années  des  cavaliers  et  des  dragons  en  quartiers  d'hiver  à 
cause  des  pâturages.  On  enferma  M'"  Roussel  dans  une  Eglise 
bien  gardée  par  une  grosse  troupe  de  cavaliers,  jusqu'à  ce  qu'il 
fut  jour  pour  le  conduire  dans  un  autre  lieu. 

Cependant  les  fidèles  qui  étoient  assemblez,  ignoroient  ce 
triste  événement,  et,  après  avoir  longtemps  et  inutilement  at- 
tendu le  prédicateur,  en  lisant  la  parole  de  Dieu  et  en  chantant 
des  Pseaumes,  comme  c'est  la  coutume,  quelqu'un  étant  venu 
les  avertir  qu'il  y  auoit  un  détachement  en  campagne,  l'assem- 
blée se  dispersa,  et  chacun  en  usant  de  prudence  regagna  le  plu- 
tôt qu'il  put  sa  maison.  M^  Roussel  fut  mené  le  lendemain  au 
Vigan,  où  le  S""  Baudé  subdélégué  de  l'intendant  de  la  Prouince 
linterogea  juridiquement.  Il  sembloit  que  ce  subdélégué  auoit 
enuie  de  fauoriser  M'"  Roussel  lui  laissant  une  porte  ouuerte 
pour  cacher  sa  profession.  Mais  M""  Roussel  confessa  hardi- 
ment tout  ce  qui  le  regardoit  et  ne  garda  d'autres  mesures  que 
celles  qu'il  conuenoit  pour  ne  pas  mettre  en  peine  ses  frères  qui 
l'auoient  logé  et  assisté.  Le  subdelegué  ne  put  point  sempe- 
cher  dinformer  l'intendent  de  la  prise  et  des  réponses  de 
M»"  Roussel.  Mr  Diverny  qui  commandoit  la  Prouince  en  l'ab- 
sence de  M^  le  Marquis  de  la  Farre,  qui  étoit  alors  en  cour,  en 
fut  aussi  informé.  Ils  ordonnèrent  tous  deux  quil  fut  conduit 
a  Montpeher.  On  assembla  pour  cela  toutte  la  garnison  de 
St-Hypolite,  de  Ganges,  du  Sumene,  du  Yigan  et  d' Au- 
las poui-  preuenir  un  enleuement.  M''  Roussel  fut  lié  sur  un 
cheval  et  conduit  par  cette  puissante  escorte  à  Montpelier  où 
on  le  mit  dans  un  cul  de  basse  fosse.  Auant  que  cette  escorte 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  423 

partit,  la  nouvelle  de  la  prise  de  M""  Roussel  setoit  répandue 
dans  tout  le  pais.  Les  Papistes  sen  réjouirent  et  les  Protestans 
sen  affligèrent  beaucoup.  Ces  derniers  consultèrent  sil  ni  au- 
roit  pas  de  moyen  pour  arracher  le  prisonnier  d'entre  les  mains 
de  ses  ennemis,  plusieurs  pretendoient  que  comme  le  Pasteur 
donne  sa  vie  pour  ses  l)rel»is,  les  Brebis  doiuent  aussi  donner 
la  leur  pour  leur  Pasteur,  et  par  conséquent  l'exposer  pour  Ten- 
leuer  par  force  de  ceux  qui  le  gardoient,  ou  qui  deuoiont  le 
conduire.  Il  y  en  eut  plus  de  deux  cens  qui  se  trouuerent  de  ce 
sentiment  et  qui  s'assemblèrent  bien  résolus  dexecuter  leur  des- 
sein. Mais,  comme  il  y  a  des  reglemens  qui  ne  permettent  pas 
que  des  particuliers  exécutent  rien  qui  regarde  laReligion,sans 
lapprobation  des  pasteurs  et  des  Anciens,  et  qu'ils  setoient 
flattez  auec  trop  de  facilité  quon  la  leur  accorderoit  d'abord,  leur 
projet  s'en  alla  en  fumée.  Ils  eurent  ordre  de  se  retirer  chacun 
dans  leur  maison,  parce  que  les  Pasteurs  que  Dieu  a  suscitté 
dans  le  pais  aiment  mieux  donner  des  martyrs  à  l'Eglise  que  de 
causer  des  troubles  dans  les  Prouinces  et  attirer  des  blâmes 
sur  la  Religion  qui  n'a  d'autres  armes  que  la  foy,  la  prière  et  la 
patience.  Il  y  eut  d'autres  Protestans  qui,  vojant  que  ce  projet 
n'auoit  pas  été  approuué,  crurent  en  auoir  decouuert  un  plus  fa- 
cile et  moins  dangereux.  Ils  auoient  dessein  de  se  saisir  d'un 
Evêque  qui  se  diuertissoit  dans  une  campagne  :  rien  n'etoit 
plus  aisé  que  d'exécuter  ce  projet.  11  ni  auoit  pas  la  du  sang  a 
répandre.  On  ne  vouloit  pas  faire  du  mal  au  prélat.  On  vouloir 
seulement  lobliger  d'écrire  aux  commandans  de  la  Prouince  ou 
a  la  Cour,  sil  le  faloit,  qu'on  deliurat  au  plutôt  le  prisonnier,  car 
sans  cela,  il  etoit  lui  mesme  dans  un  extrême  danger.  Ceux  qui 
auoient  inuente  ce  projet,  disoint  que  les  solUcitations  du  prélat 
produiroint  letïet  quon  souhaittoit  ou  seroint  inutiles  si  elles 
auoint  produit  leflet  quon  souhaittoit.  Voila  un  homme  sauvé 
de  la  mort  et  un  prédicateur  redonné  à  l'église  et  a  des  trou- 
peaux qui  en  auoint  un  si  grand  besoin  ;  que,  si  elles  etoint  inu- 
tiles, on  nauroit  pas  répandu  du  sang  pour  cela  :  on  auroit  de- 


4^4  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

liuiv  \e  prélat  o(  on  auroit  eu  la  consolation   dauoir  fait  des 
tlemarches  pour  deliurer  M»"  Roussel  et  de  donner  des  preuues 
a  nos  ennemis  que  nous  ne  sommes  ni  sanguinaires  ni  vaindi- 
catifs.  Ceux  qui  vouloint  exécuter  ce  projet  ne  doutoint  point 
que  les  pasteurs  et  les  Anciens  ne  l'approuvassent.  Ils  se  felici- 
toint  déjà  de  linuention  et  de  Vexecution;  mais  ajant  enuojé  un 
exprès  pour  auoir  lapprobation,  ils  furent  bien  surpris  quon 
ne  la  leur  voulut  pas  donner;  par  conséquent  leur  projet  sen 
alla  aussi  en  fumëe.  Il  ne  restoit  plus  de  ressource  aux  Pro- 
testans  pour  la  deliurance  de  M»"  Roussel,,  après  la  prière  qu'on 
ne  manque  pas  de  faire  à  Dieu  dans   touttes  les  Eglises  dans 
pareille  occasion,  que  d'emplojer  les  sollicitations  auprès  des 
Grands;  ce  moyen  n'auoit  rien  d'odieux  ni  qui  pût  tirer  à  des 
mauvaises  conséquences;  il  auroit  été  mesme  presque  infail- 
lible, sil  se  fut  agi  de  vol  ou  de  quelque  autre  crime,  parce  que 
la  famille  de  M»'  le  Duc  d'Uzez  s'intéressa  beaucoup  à  l'élar- 
gissement de  notre  prisonnier,  non  seulement  parce  quil  etoit 
natif  d'Uzez,  mais  encore  parce  que   ce  jeune  homme   auoit 
écrit  longtemps  dans  les  Archives  de  cette  maison,  et  qu'une  de 
ses  sœurs  auoit  serui  de  nourrice  a  un  fils  de  M''  le  Duc,  ap- 
pelle le  Comte  Daché.  La  sœur  de  M»'  Roussel    seroit   allée 
jetter  aux  pieds  de  Messieurs  les  Ducs  D'Usez  et  de  Crussol  et 
deMad'"*^  la  Duchesse  pour  les  engagera  s'intéresser  plus  viue- 
ment  en  faueur  de  son  frère.  M»"  le  Duc  de  Crussol  ecriuit  for- 
tement a  Ml"  Diverny  qui  commandoit  alors  dans  la  Prouince 
et  à  M^  le  Marquis  de  La  Farre  et  à  Mad™"  son  épouse  qui  étoit 
à  la  Cour;  Mad™c  la  Duchesse  écriuit  aussi  à  M^"  l'intendant; 
mais  tout  cela  fut  en  vain  parce  quil  s'agissoit  de  deliurer  un 
jeune  homme  qui  auoit  prêché  le  pur  Evangile  qui  découvre  les 
erreurs  et  les  abus  de  l'Eglise  Romaine  qui  ne  se  soutient  que 
par  les  richesses  et  les  dignitez  d'un  coté,  par  les  violences  et 
les  persécutions  d'un  autre. 

Madame  la   Duchesse   de  Crussol    donnoit    cependant   de 
grandes  espérances,  parce  que  par  politesse  ou  par  honnêteté 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  425 

on  lui  promef-toit  beaucoup,  mais  lexpérience  a  fait  voir  que 
tout  cela  netoit  que  des  complimens  de  cour.  M'"  De  la  Farre  et 
M'"  Diverny,  bien  informez  de  tout  ce  qui  deuoit  arriver,  parlè- 
rent plus  clairement  à  M""  le  Duc  de  Grussol.  Ils  lui  dirent  quils 
auoient  reçu  les  lettres  quil  leur  auoit  ecrittes  au  sujet  du 
nommé  Roussel,  que  linstruction  de  sonprocez  ne  les  regardoit 
pas,  que  cetoitM""  l'intendant  qui  le  deuoit  juger,  et  que,  suiuant 
ce  qui  leur  en  etoit  revenu,  jusqua  présent  il  sen  faloit  bien  que 
le  S''  Roussel  fut  taxé  d'aliénation  desprit.  (Il  faut  remarquer 
qu'un  certain  Genouillac  qui  auoit  soin  de  faire  passer  en  Lan- 
guedoc quelques  balots  de  liures  de  piété,  ajant  eu  le  malheur 
detre  arrêté  en  Viuarais,  contrefit  si  bien  le  fol,  que  cela  joint  a 
des  sollicitations  quon  fit  en  sa  faueur  le  garantit  de  la  corde 
ou  du  moins  de  la  galère.  Cet  homme  se  trouue  a  présent  a 
Genève  bien  résolu  de  ne  retourner  jamais  en  France,  portant 
encore  des  marques  sur  son  corps  de  la  cruauté  de  ses  ennemis.) 
Pour  revenir  à  M'"  Roussel,  Mess>"s  les  Ducs  d'Usez  et  de  Grus- 
sol setoint  flattez  de  pouuoir  obtenir  la  deliurance  de  ce  jeune 
homme  ne  doutant  pas  quil  ne  contrefit  le  fol,  selon  le  conseil 
quon  lui  auoit  fait  donner;  mais  M'"  Roussel  crut  qu'il  se  feroit 
tort  à  lui-même  et  à  la  Religion  sil  contiefaisoit  le  fol.  G'est 
pourquoy.  Ion  dit  que,  lorsque  M^  le  Duc  d'Usez  s'en  fut  à  la 
prison  pour  le  presser  à  cela,  il  repondit  avec  modestie  et  avec 
fermeté  :  «  Monseigneur,  je  vous  suis  très  obhgé  de  vos  bonnes 
intentions  en  ma  faveur,  mais  permettez  moy  de  dire  a  votre 
Grandeur  que  je  n'ai  jamais  été  de  meilleur  sens  que  je  suis 
présentement  et  que  ma  conscience  ne  me  permet  pas  de  con- 
trefaire le  fol.  »  M''  Diverny  écrivant  à  M»"  le  Duc  d'Usez  ajoutoit 
que  laffaire  du  nommé  Roussel  lui  paroissoit  fort  mauvaise, 
parce  quil  étoit  reconnu  pour  un  véritable  prédicant  et  que  la 
cour  étoit  informée  de  cette  capture;  pour  engager  M»"  le  Duc  à 
ne  sintéresser  plus  dans  cette  affaire,  il  disoit  encore  qu'il  se- 
roit  fort  à  souhaitter,  pour  Unteret  du  Roy  et  pour  la  tranqui- 
lité  de  la  Prouince,  que  tous  ceux  qui  font  de  pareilles  manœu- 


426  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

vres  tussent  arrêtés.  Il  finissoit  sa  lettre  en  lassurant  quil  étoi! 
bien  mortifié  de  ne  pouvoir  pas  dans  cette  occasion  lui  faire 
côimoître  lattention  sincère  pour  tout  ce  qui  venoit  de  sa  pari. 
Voila  tout  ce  que  dos  Ducs  et  premiers  Pairs  du  Royaume  peu- 
vent, lorsqu'il  s'agit  de  Religion!  Le  Clergé  Romain  a  si  bien 
seu  ennyvrer  les  grands  de  la  terre  du  vin  empoisonné  de  ses 
superstitions,  quils  ne  vojent  point  lesveritez  les  plus  évidentes 
et  ce  qui  seroit  le  plus  utile  pour  le  salut  et  pour  la  prospérité 
des  Etats.  Vous  vous  trompez,  o  Diverny,  lorsque  vous  croyez 
quil  seroit  à  souhaitter  que  tous  ceux  qui  prêchent  notre  Reli- 
gion en  France  fussent  arrêtez!  11  conaiendroit  iniiniment 
mieux  quon  chassât  ou  quon  fit  trauailler  un  infinité  d'ecclé- 
siastiques ou  de  moines  qui  vivent  dans  le  luxe  ou  dans  la  fé- 
néantise  et  qui  sous  prétexte  de  Religion  consument  inutile- 
ment la  meilleure  partie  du  reuenù  des  Etats,  ou  ils  ont  établi 
leur  empire  sur  les  consciences.  —  Gomme  on  se  flatte  toujours 
que  ce  quon  désire  avec  ardeur  arriuera ,  les  parens  de 
M»"  Roussel  ne  se  lassèrent  point  de  continuer  leurs  soUicita- 
tions,  quoy  quon  leur  eut  déclaré  quil  ni  auoit  point  desperance  ; 
Us  crurent  que  M'"  le  Marquis  de  la  Farre,  venant  de  la  cour  et 
deuant  passer  à  Usez  ou  il  deuoit  prendre  un  rafraichissement 
dans  le  Palais  ducal,  et  M^  Lin  tendant  aussi  bien  que  M»"  Di- 
verny sy  deuant  trouver,  on  pourroit  par  des  prières  réitérées 
toucher  le  cœur  de  ces  Seigneurs  pour  obtenir  la  deliurance 
du  prisonnier  ou  du  moins  un  adoucissement  à  ses  peines.  Mais 
M''  l'intendant,  qui  sauoit  parfaitement  par  quel  acte  deuoit 
finir  la  scène,  pressoit  toujours  le  procez,  et,  pour  mieux  joiier 
son  rolle,  il  fut  joindre  M'"  De  la  Farre  au  St.  Esprit,  ou  ils  dé- 
libérèrent sans  doute  que  M''De  la  Farre  s' excuseroit  toujours  sur 
ce  que  cetoit  à  M''  fintendant  a  juger  cette  affaire.  Gelui-cy  sen  re- 
tournaà  Montpellier,  assembla  quelques  juges  vendus  au  Papisme 
-et  à  laCourpreuenùe  contre  notre  Religion,  etquoy  que  M'"  Rous- 
sel neut  pas  été  dénoncé,  quoy  quil  ni  "eut  aucun  témoignage 
qui  déposât  contre  lui,  sur}a  simple  çonfrontaiign  çles  çê^vç^liers 


PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS  427 

qui  larrptèrent  et  sur  sa  déposition,  il  fut  condamné ù  être  pendu. 
Et  pourquoy  ?  pour  auoir  prêché  TEuangile  et  pour  auoir 
assisté  a  quelque  synode  où  on  ne  parle  (|ue  de  ee  qui  re- 
garde lavancemcnt  du  règne  de  notre  Seigneur  J.-(î.  La  sen- 
terxe  rendue,  on  ne  pense  plus  qu'a  lexeeution;  mais  le  jour 
du  jugement,  le  l»ourreau  ne  se  trouvant  pas  en  ville,  on  fut 
obligé  dattendre  au  lendemain.  L'heure  de  l'exécution  étant  ve- 
nue, notre  fidèle  martyr  vit  entrer  dans  sa  prison  le  bourreau 
et  un  archer;  ce  dernier  connoissant  M'"  Roussel  l'embrassa  ef 
pleura;  mais  M^  Roussel  ne  paru  pas  émù;  il  se  contenta  de 
témoigner  sa  reconnoissance  a  cet  archer  attendri  et  il  se  mit 
ensuite  à  genoux  pour  prier  Dieu.  11  le  lit  à  haute  voix,  et  sa 
])rière  fut  accompagnée  de  tant  d'onction  et  de  zèle  quelle  ra- 
vit en  admiration  l'archer  et  le  ])Ourreau  (|ui  n'etoient  pas  ac- 
coutumez d'en  entendre  de  pareilles.  Après  cela,  on  vit  entrer 
(rois  ou  quatre  moines  qui  étoint  venus  a  la  citadele,  soit  pour 
disposer  M''  Roussel  à  la  mort,  soit  pour  le  séduire  à  changei- 
de  Religion  ])arles  motifs  les  plus  capables  d'ébranler  un  lidèle 
qui  n'auroit  pas  posé  sa  foy  sur  un  solide  fondement.  Mais  ce 
fut  en  vain  que  les  moines  deplojerent  leur  éloquence: 
jM''  Roussel  leur  repondit  toujours  avec  beaucoup  de  douceur, 
de  sagesse,  et  de  fermeté  touchant  sa  Religion  et  son  espérance. 
11  leur  témoigna  que,  bien  loiiig  de  craindre  la  mort,  il  la  re- 
gardoit  comme  la  lin  de  ses  peines  et  son  entrée  dans  le  séjour 
des  bienheureux;  c'est  pourquoy  il  les  prioit  instamment  de 
le  laisser  en  repos,  n'ajant  aucun  besoin  de  leur  ministère. 
M>'  le  Major  de  la  place  qui  étoit  près  de  là,  ayant  entendu  ces 
dernières  paroles,  entra  dans  la  ])rison,  et  dit  à  M''  Roussel  quil 
ne  faloit  pas  m(q:»riser  ces  Révérends  Pères, puis  quilsetoint  la 
pour  le  disj)oser  à  bien  mourir.  M''  Roussel  lui  repondit  (juil  ne 
meprisoit  ni  navoit  jamais  méprisé  personne;  mais  que  n'ajant 
aucun  besoin  du  secours  de  ces  Reuerends  Perep,  il  les  prioit 
instamment  de  le  laisser  en  repos.  Apres  ces  paroles,  notre 
Martyr  tira  en  particulier  M"  le  Major,  Il  le  chargea  de  quelque 


428  PIECES  ET  DOCTJMENTS  INEDITS 

chose  qui  regardoit  sa  famille,  et  après  auoir  reçu  la  promesse 
qu'il  souliaittoit,  il  le  remercia,  et  ensuitte  il  se  dépouilla  et  se 
remit  entre  les  mains  du  bourreau.  On  sortit  ensuitte  de  la  ci- 
tadele.  On  auoit  eu  soin  de  ranger  depuis  la  porte  de  la  place 
jusque  au  gibet  deux  fortes  hayes  de  soldats,  le  fusil  monté  et 
la  bajonnete  au  bout.  Notre  martyr  étoit  accompagné  par  le 
bourreau,  une  trouppe  d'archers,  une  autre  de  soldats,  et  une 
autre  de  tambours  qui  battoint  la  caisse,  et  par  les  moynes  qui 
ne  le  voulurent  pas  quitter,  quoy  qu'il  les  eut  pries  instamment 
de  le  laisser  en  repos  et  quil  les  rebuttat  ensuitte  auec  les  bras 
lorsqu'ils  s'approchoint  trop  de  ses  oreilles  dans  un  temps  ou 
il  étoit  uniquement  occupé  de  Dieu.  Mais  notre  martyr,  en  al- 
lant offrir  à  Dieu  le  sacrifice  de  son  corps,  auoit  affaire  à  des 
oiseaux  plus  opiniâtres  et  plus  mauvais  (jue  le  patriarche 
Abraam  lorsqu'il  offrit  le  sien,  comme  il  est  raconté  en  la  Ge- 
nèse. Malgré  le  bruit  des  tambours,  il  y  eut  des  personnes  qui 
s'etant  approchées,  soit  par  faveur  ou  par  quelque  argent  qu'on 
donne  aux  soldats  pour  pouvoir  rendre  témoignage  de  tout  ce 
qui  se  passe  dans  les  derniers  momens  de  ceux  qui  scélent  la 
vérité  de  leur  sang,  entendirent  que  notre  martyr  chanta  une 
partie  du  Pseaume  51  et  la  fm  du  34,  qui  finit  le  dernier  acte 
de  sa  deuotion.  On  ne  remarqua  point  dans  sa  route  quil  eut 
un  visage  triste  ou  effrajé,  au  contraire  on  remarqua  un  air 
tranquile,  doux  et  modeste;  il  sembloit  quil  alloit  plutôt  à  une 
feste  qu'a  un  suplice  ;  ses  yeux  etoint  souvent  fixez  vers  le 
Ciel  qu'il  regardoit  comme  sa  patrie  et  le  lieu  de  son  repos,  après 
auoir  soutenu  les  combats  et  les  épreuves  qui  sont  attachées 
à  la  profession  de  L'Evangile.  Il  se  mit  à  genoux  où  il  fit  en- 
core une  prière  ;  après  quoy,  il  monta  l'échelle  auec  beaucoup  de 
courage  et  de  fermeté.  Le  bourreau  attendri,  voulut  encore  le 
solliciter  de  sauver  sa  vie  en  changeant  de  Rehgion  ;  mais 
comme  c'etoit  une  aveugle  tendresse,  ce  furent  aussi  des  pa- 
roles fort  inutiles.  Le  bourreau  fit  son  office.  L'àme  de  notre 
martyr  fut  bientôt  séparée  de  son  corps;  elle  s'envola  dans  le 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INEDITS  429 

Ciel  accompagnée  des  anges  qui  sont  les  administrateurs  de  la 
miséricorde  de  Dieu.  Le  corps  fut  inhumé  dans  une  fosse  qui 
n'étoit  pas  éloignée  du  lieu  du  supplice.  Quatre  filles  setoint 
présentées  auec  des  siiaires  pour  l'enueloper,  pendant  qu'on 
vojoit  un  très  grand  nombre  de  personnes  fondre  en  larmes, 
plusieurs  Catholiques  Romains  qui  n'ont  pas  perdu  les  idées 
de  l'équité  naturelle  et  les  sentimensde  l'humanité  furent  atten- 
dris aussi. 

Touttesles  Eglises  de  cepaïsontétéédihées  du  zèle,  de  la  pa- 
tience et  de  la  fidéhté  de  M'"  Roussel,  qui  a  glorifié  Dieu  jusqu'au 
dernier  soupir  de  sa  vie.  Tous  ses  collègues  dans  l'œuvre  du  Sei- 
gneur, bien  loing  detre  intimidez  parce  supplice,  ontpris  un  nou- 
veau courage  et  aspirent  avec  ardeur  a  la  mesme  couronne  de 
martyr,  si  la  Divine  Providence  les  y  appelle.  Ce  futunmardy,  le 
dernier  de  novembre  de  l'année  1728,  queM'"  Roussel  finit  ses  glo- 
rieux combats  pour  entendre  de  la  bouche  de  son  Divin  Maitre  ces 
douces  et  ravissantes  paroles:  «Viens,  bon  et  fidèle  serviteur  entre 
dansla  joye  de  tonSeigneur;  viens  prendre  part  à  la  gloire  que  je 
possède  et  que  je  t'avois  préparée  avant  la  fondation  du  monde.  « 
11  faut  notter  que  les  ennemis  de  notre  Religion,  jusqu'aux 
moines,  aux  archers  et  au  bourreau,  ont  rendu  de  fort  bons 
témoignages  à  notre  martyr;  Dieu  l'a  permis  ainsi  pour  con- 
firmer notre  foy,  comme  il  voulut  que  le  centenier  et  un  bri- 
gand qui  étoit  attaché  à  une  Croix  auprès  de  notre  Divin  Sau- 
veur lui  rendissent  un  témoignage  digne  de  lui. 

Lors  que  la  mère  de  M»"  Roussel  apprit  la  nouvelle  comme 
on  avoit  exécuté  son  fils,  et  de  quelle  manière  son  fils  avoit 
souffert  la  mort,  bien  loin  d'être  affligée  ,  elle  témoigna  de  la 
joye  de  ce  que  Dieu  lui  avoit  fait  la  grâce  de  triompher  de  tous 
ses  ennemis  visibles  et  invisibles.  M'"  Court  fut  la  voir  pour 
la  consoler,  mais  elle  lui  répondit  avec  une  fermeté  chrétienne  : 
«Si  mon  fils  auoit  témoigné  quelque  foiblesse  :  je  ne  m'en  se- 
rois  jamais  consolée,  mais  puisqu'il  est  mort  constamment, 
que  de  grâces  n'ai-jo  pas  à  rendre  à  Dieu  ([ui  la  fortifié.  » 


430  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

11  ne  sera  pas  hors  de  propos  de  faire  attention  à  unf3  cir- 
constance qui  arriva  le  mesme  jour  qu'on  exécuta  M""  Roussel. 
Le  dessein  de  nos  ennemis  est  d'abolir  entièrement  notre  Re- 
ligion. C'est  pour  cela  qu'ils  font  mourir  les  pasteurs  et  prédica- 
teurs qu'ils  peuvent  attraper,  et  qu'ils  ont  mis  encore  leur  teste 
à  prix,  mais  cest  en  vain  qu'ils  font  tous  leurs  efforts.  Gomme 
cest  ici  une  œuvre  de  Dieu,  ils  ne  sauroint  la  détruire.  On  void 
accomplir  dans  notre  pais  ce  qu'un  ancien  Père  disait  autre- 
fois, que  le  sang  des  martyrs  denenoit  la  semence  de  l'Eglise. 

Le  jour  mésme  que  les  Ministres  de  la  superstition  immoloint 
une  de  ces  innocentes  victimes  a  leur  zèle  aveugle  ou  a  leurs 
passions  criminelles,  une  autre  de  ces  victimes,  qui  s'est  dé- 
voilée au  service  du  Dieu  de  vérité  et  a  ledification  de  ces 
Eglises,  conuo({ua  une  assemblée  dans  un  lieu  qui  netoit  pas 
loing  de  celui  où  on  auoit  faitlexecution.  Une  de  ces  personnes 
qui  auoit  assisté  a  l'ensevelissement  de  M»"  Roussel  raconta  a 
M'"  Court,  qui  deuoit  prêcher  ce  soir  la,  de  (juelle  manière  tout 
setoit  passé;  il  en  loua  le  Seigneur,  et  au  lieu  detre  intimidé  il 
sentit  que  son  courage  et  son  zèle  sentlammoint,  quoy  que  sa 
teste  ait  été  mise  au  plus  haut  prix  que  celle  des  autres  (on  dit 
jusqu'à  dix  mille  liures},  parce  qu'on  croit  quil  adressé  et  quil 
dresse  tous  les  jours  des  esleves  pour  répandre  à  ce  que  disent  • 
nos  ennemis  une  hérésie  damnable.  La  dernière  accusation  est 
une  calomnie,  mais  la  première  est  assez  bien  fondée.  C'est  pour- 
(|uoy  on  se  donne  des  grands  mouvemens  pour  attraper  ce  ser- 
uiteur  de  Dieu.  La  veille  des  Rois,  cent  soldats  et  cinq  offi- 
ciers a  la  teste  se  donnèrent  la  peine  de  partir  à  onze  du  soir 
de  Nisme  et  de  laller  chercher  a  une  campagne  ou  l'on  auoit 
dit  sans  doute  quil  etoit.  L'avis  étoit  faux  et  bien  lui  en  valut. 
Car  on  fouilla  fort  exactement  la  maison.  On  y  alla  avec  tant  de 
feu  que  quelques  officiers  en  ont  été  malades  ou  du  froid  ou  de  la 
fatigue,  et  ceux  de  la  maison  en  pensèrent  mourir  de  frayeur. 
Ces  recherches  qui  arriuent  assez  fréquemment  donnent 
beaucoup  dinquietude aux  Brebis  de  ce  Pasteur;  elles  craignent 


Pièces  et  documents  inédits  431 

toujours  quelque  catastrophe  fâcheuse;  ce  qui  redouble  ces 
craintes,  cest  que  les  ennemis  et  les  Protestans  l'ont  toujours  à 
la  bouche;  les  ennemis  pour  le  dépeindre,  et  pour  promettre 
tant  à  qui  l'aura,  ou  pour  dire  à  quelque  Protestant:  Nous  l'au- 
rons votre  M*"  Court;  les  Protestants  pour  dire:  il  a  passé  là;  il  a 
risqué  en  tel  endroit  ;  il  a  ecliapé  un  tel  péril  ;  un  tel  la  voulu  livrer, 
et  la  dessus  il  se  débite  quelquefois  des  fables  qui  passent  pour  les 
iiistoires  les  plus  certaines.  Celle  d'un  certain  Minot  qui  a  été 
soupçonné  dauoir  vendu  autrefois  un  certain  Moyse  qui  fesoit 
des  assemldées,  est  de  cette  espèce.  Je  ne  ferai  point  un  détail 
de  ce  ({ue  M''  Court  mecrit  sur  ce  sujet  et  que  Ton  dejjitte 
connue  vray.  Il  sufiit  de  dire  que  M""  Court  justifie  parfaitement 
le  susdit  Minot  de  la  dernière  accusation  qu'on  a  dressée  contre 
lui;  mais  la  chose  est  si  répandue  dans  le  pays  que  ce  mise- 
raljle,  qui  est  devenu  en  quelque  manière  l'horreur  de  tout  le 
monde,  aura  bien  de  la  peine  à  s'en  lauer.  Les  hommes  sont 
souvent  injustes  et  téméraires  dans  leurs  jugements.  Mais  Dieu 
({ui  connoît  les  cœurs  rend  à  chacun  selon  ses  œuvres  ou  selon 
ses  dispositions  intérieures  ;  c'est  à  nous  a  adorer  les  voyes  in- 
compréhensibles de  la  Providence.  La  maison  de  Minot  a  été 
iuUrefois  une  retraitte  de  prédicateurs;  mais  depuis  qu'il  a 
clé  accuse  d'avoir  vendu  Moyse,  il  a  été  fort  suspect.  C'est  en 
vain  qu'il  a  taché  de  rétablir  sa  réputation  et  d'attirer  chez  lui 
des  prédicateurs,  on  la  toujours  craint,  et  la  fausse  histoire 
([u'on  a  répandu  nouvellement  sur  son  sujet  a  achevé  de  le 
faire  regarder  comme  un  autre  Judas.  C'est  (encore  une  fois)  à 
Dieu  (jui  seul  connoit  les  cœurs  à  décider  de  linnocence  ou  de 
lintidélité  de  ce  Minot  dont  Dieu  n'a  i)as  béni  les  alVaires  tem- 
poral les  d(»j»uis  })lusieurs  années.  Ce  (jue  le  commun  ])euple  re- 
garde à  son  esgard  comme  un  jugement  de  Dieu  et  un  signe  de 
réprobation.  Pour  revenir  n  M.  Court,  la  pluspart  de  ses  amys, 
vojantles  soins  extraordinaires  que  nos  ennemis  se  donnent  pour 
latrapper,  la  grandeur  de  la  recompense  quon  a  promis  à  celui 
qui  le  liviera,  et  l'ecès  de  la  misère  qui  règne  dans  le  païs,  ce 


432  PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

qui  est  une  grande  tentation  pour  des  misérables  en  qui  la  vé- 
rité n'a  pas  jette  de  profTondes  racines  dans  le  cœur,  lui  con- 
seillent de  s'absenter  pour  quelque  temps  et  de  sortir  hors  du 
Royaume,  jusqu'à  ce  que  l'orage,  qui  semble  le  menacer  encore 
plus  que  tous  les  autres,  fut  un  peu  passé.  Qu'en  pense-t-il 
Lui-mesme?  Il  croit  qu'avec  un  peu  plus  de  précaution,  il  n'en 
doit  rien  faire.  Il  a  reçu  tant  de  marques  de  la  protection  Di- 
vine, il  sent  son  Ministère  si. nécessaire  à  L'Eglise,  il  fait  tant 
d'attention  à  ces  paroles  Evangéliques  :  Le  Berger  qui  voit  le 
loup  et  qui  s'enfiiit  est  un  mercenaire,  qu'il  croiroit  pécher  et 
contre  la  bonté  Divine  qui  la  protégé  si  souvent  et  en  tant  d'oc- 
casions  différentes  et  contre  L'Eglise  à  laquelle  son  ministère 
paroit  si  utile,  et  se  rendre  coupable  d'une  extrême  lâcheté,  s'il 
abandonnoit  aujourd'huy  son  troupeau.  Il  croit  qu'un  pasteur 
n'en  doit  venir  là,  que  lorsque  le  danger  est  extrême  et  quil  pa- 
roit moralement  innévitable,  sil  ne  prend  ce  parti;  que  lorsqu'il 
y  a  lieu  de  présumer  que  lorage  ne  sera  pas  long  et  que  son 
absence  le  calmera;  que  lorsque  lexercice  de  son  ministère  fe- 
roit  plus  de  mal  à  son  troupeau,  en  lexposant  au  danger   de 
perdre  un  pasteur  utile,  qu'il  n'en  recuilliroit  davantage  pour 
sa  sanctification ,  et  qu'en  se  conservant,  il  se  réseruera  pour 
déplus  grands  biens.  Si  les  choses  en  viennent  jamais  la,  ce 
qua  Dieu  ne  plaise  !  il  est  apparent  quil  se  resoudroit  a  prendre 
ce  parti.  Mais  il  s'en  faut  encore  quelque  chose  que  les  affaires 
sojent  sur  ce  pied  la  quil  faille  déserter  le  pais.  Depuis  la  prise 
et  la  mort  de  M»'  Roussel,  il  a  fait  un  tour  dans  touttes  les 
Eglises  de  son  département.  Il  a  trouué  par  tout  autant  ou  plus 
de  zèle  ;  les  assemblées  ont  été  pour  le  moins  aussi  nom- 
breuses qu'auparauant.  Il  a  passé  par  tout  avec  la  mesme  tran- 
quilité,   la  Providance  ajant  détourné  les  orages  qui  le  mena- 
çoint  dans  des  heux  ou  il  netoit  pas,  et  ce  qui  fait  encore  plus  de 
plaisir  que  tout,  Dieu  a  béni  son  ministère  par  tout  il  a  passé. 
Il  s'est  caché  pendant  quelque  temps,  a  cause  du  grand  froid  plu- 
tôt que  par  la  crainte  de  ses  ennemis,  et  il  se  prépare  pour  le 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  433 

beau  temps,  pendant  lequel  il  espère  de  faire  une  abondante 
moisson  pour  son  Divin  Maître.  Voila  la  situation  des  affaires 
de  notre  religion  en  Languedoc,  selon  la  relation  de  M»"  Court 
que  jai  copiée  presque  mot  à  mot.  Mr  Gortez  travaille  dans  les 
Gevennes  avec  le  mesme  succez,  et  ces  Messieurs  sont  secon- 
dez par  quelques  proposants  qui  aspirent  à  la  mesme  gloire. 
Nous  deuons  prier  pour  leur  conseruation  et  pour  la  bénédic- 
tion de  leurs  trauaux.  J'aurai  soin  de  vous  informer  de  tout  ce 
qui  se  passera  de  considérable  dans  ce  pais. 

Je  suis  cependant  toujours,  Monsieur  et  cher  amy,  votre  F.  H. 


NoXXI 

COPIE  d'une  lettre  de  m.  court,  ministre  en  frange 

DU    SAINT   ÉVANGILE 

Le  30  avril  1729. 

Monsieur  et  cher  amy. 

Depuis  ma  lettre  ecritte,  il  est  arriué  d'autres  événemens  que 
j'ay  cru(dignes  de)  meritter  votre  attention  .La  nui  t  du  i^i'uiars  1 729 
et  sur  le  matin  du  mercredy  matin,  le  commandant  d'une  ville 
de  cette  province,  à  la  teste  de  la  garnison  et  accompagné  d'un 
officier,  fit  comprendre  que  je  n'étois  pas  encore  oublié.  Il  fut 
me  chercher  exactement  dans  deux  maisons  de  la  ditte  viUe. 
Lallarme  fut  chaude  pour  bien  des  gens  et  la  mienne,  pendant  un 
moment  ne  fut  pas  des  plus  petittes.  Le  mouuement  que  les 
troupes  se  donnoint  ayant  été  apperçu  par  une  des  personnes 
([ui  me  savoint  en  ville,  et  cette  personne,  ayant  sçu  qu'on  en 
avoit  déjà  fouillé  une  maison  et  qu'on  on  auoit  inuesti  une  autre, 
courut  sur  le  champ  pour  m'en  donner  avis,  et,  comme  elle  me 

pnrloit  encor(%  nous  ontendimos  heurter  à  coups  redoul)lez  la 

I  28 


434  PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

porte  de  la  maison  ou  j'otois.  Ce  qui  nous  fit  craindre  dabord 
que  ce  ne  lut  le  détachement;  mais  mieux  informez  nous  en 
fumes,  grâces  au  Seigneur,  quittes  pour  la  peur.  Du  depuis, 
dans  le  mois  d'auril,  le  mesme  commandant  suivi  d'une  partie 
de  sa  garnison  a  été  me  chercher  avec  la  mesme  exactitude 
dans  une  autre  maison.  Cest  ce  qui  arriua  à  deux  heures  après 
midy,  le  2°  du  mesme  mois.  On  voit  par  tous  ces  mouvemens 
(ju'on  ne  manque  pas  d'espions,  que  je  fais  beaucoup  de  la 
peine  à  l'ennemi,  et  qu'on  ne  néglige  rien  pour  me  surprendre  ; 
mais  on  voit  on  mesme  temps  que  les  soins  de  la  Prouidence 
ne  se  lassent  pas  en  ma  faveur  ;  qu  elle  veille  pour  ma  conser- 
uation;  que  les  ennemis  et  les  espions  quelques  rusez  qu'ils 
j)uissentètre  sont  souvent  confondus  dans  leur  mahgne  sagesse. 
Mais  un  seul  projet  ne  roule  pas  dans  l'esprit  de  l'ennemi  poli- 
tique; il  n'est  pas  seulement  attentif  à  la  destruction  du  pas- 
teur, il  ne  néglige  rien  de  tout  ce  qui  peut  contribuer  à  la  dissi- 
pation du  troupeau.  Vous  auez  sans  doute  ouï  parler  des 
arrondissemens  qu'on  a  faits  de  tous  les  lieux  ou  on  a  fait  des 
assemblées,  par  lesquels  chaque  quartier  doit  repondre  de  tout 
ce  qui  s'y  fait  et  payer,  quand  mesme  ils  n'auroint  pas  assisté 
aux  assemblées,  des  amendes  arbitraires.  Vous  n'ignorez  pas 
non  plus  l'ordonnance  qu'on  a  surpris  de  nouueau  à  la  Cour 
contre  nos  assemblées;  mais  les  peines  afflictives,  soit  qu'elles 
regardent  les  corps  ou  les  biens,  ne  sont  pas  asses  efiicaces 
pour  détourner  un  peuple  conuaincu  de  l'excellence  et  de  la  né- 
cessité de  ses  deuoirs  envers  Dieu  et  de  la  pratique  de  nos  as- 
semblées qui  intriguent  tant  l'aduersaire.  C'est  le  grand  article 
qui  lui  tient  à  cœur.  Cest  pourquoy  sa  politique  embrasse  avec 
avidité  les  mesmes  occasions  pour  ruiner  les  protestants  en  con- 
fondant l'innocent  avec  le  coupable.  On  vient  aussi  de  renou- 
ueller  les  ordres  qui  condamnent  à  l'amende  les  pères  et  les 
mères,  qui  n'enuojeront  pas  leurs  enfans  à  la  messe  et  aux  in- 
structions cathohques,  et  on  voit  les  prêtres,  les  officiers  des 
troupes  et  ceux  de  justice,  commencer  avec  beaucoup  d'appli- 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INEDITS  ^135 

cation,   se  donner  des  mouuemons  pour  que   cet    article  soit 
observé. 

Voicy  un  événement  de  fraîche  datte,  une  ville,  appellée  An- 
duze,  vient  d'éprouver  ce  que  peut  la  haine  catholique.  Dei)uis 
la  contai^ion,  M^' Diverny  auoit  conru  beaucoup  de  ressentinient 
contre  cette  ville,  qui  est  presque  toutte  de  j)rotestans,  et  cela 
au  sujet  de  quelque  prétendu  mépris;  mais  il  n'auoit  pas  trouvé 
jusques  icy  aucune  occasion  d'exercer  sa  vengeance,  quelque 
attention  quil  se  fut  donné  pour  cela.   Enfin  il  a  cru    l'auoir 
trouvée  dans  un  événement  que  voicy.  Quelques  jeunes  garçons, 
pro  tes  tans  de  théorie  ou  de  naissance,  mais  mal  reformez  de 
pratique  et  de  réalité,  se  trouvant  à  une   heure  fort  avancée 
dans  la  nuit  sur  le  pavé;   la  veille  de  Noël,   rencontrèrent  sur 
leurs  pas  quelques  bergers  qui  reuenoint  de  la  deuotiou  que  les 
catholiques  célèbrent  cette  nuit-là;  ils  les  insultèrent  par  des 
paroles  peu   conformes  sans  doute  au  respect  que  les  catholi- 
ques apportent  à  ces  dévotions.  Les  bergers  insultez  se  recriè- 
rent, hrent  du  jjruit;    le  bruit  entendu  parle  corps  de  garde 
attira  une  troupe  de   soldats   au  secours  des  insultez,  ce  (jui 
étant  apparçu  par  ces  jeunes  garnemens,  qui  auoint  apparem- 
ment bù,  les  obhgea  à  faire  voler  des  pierres  en  Tan-  pour  les 
empêcher  dajjrocher.  Une  de  ces  pierres  porta  coup  et  blessa 
un  soldat,  ce  qui  irrita  tellement  les  autres  qu'ils  poursuiuirent 
avec  ardeur  la  téméraire  et  criminelle  troupe.  On  arrêta  un  des 
coupables;  on  le  mit  en  prison;   les  bergers  portèrent  leurs 
plaintes;  ces  plaintes  arriuèrent  aux  oreilles  de  M'"  Diverny, 
qui  se  tenoit  dans  une  autre   ville;  ce  conmiandant  des  Ce- 
uennes  s'irrita  si  fort  qu'il  courut  sur  le  champ  vers  la  ville  ou 
la  scène  s'etoit  passée   11  ht  arrêter  un  autre  des  mutins,  et  dé- 
nonça de  seueres  chatimens  contre  tous  les  habitans  reformez. 
L'action  étoit  particulière,  il  ni  auoit  tout  au  plus  que  trois  ou 
quatre  jeunes  drôles  qui  étoint  coupables;  n'importe,  la  peine 
deuoit  rejaillir  sur  tous  les  reformez  qui  etoint  renfeimez  dans 
le  sein  des  mesmes  murailles.  Une  chose  manquoit  pourtant, 


436  PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

c'étoit  une  apparence  de  justice;  elle  se  présenta.  Les  drôles, 
quietoint  prisonniers  a  loccasion  de  cette  affaire  s'étant  apper- 
çus  qu'un  tambour  de  la  garnison,  qui  étoit  prisonnier  avec 
eux,  descendoit  touttes  les  nuits  par  le  mojen  de  quelques  draps 
de  lict  quil  auoit  attachez  à  la  fenêtre,  voulurent  proffiter  un 
soir  du  même  mojen;  ils  se  sauvèrent  et  emportèrent  en  mesme 
temps  les  draps.  Le  tambour,  qui  auoit  accoutumé  de  se  re- 
mettre en  prison  par  le  mesme  artifice  quil  en  descendoit,  ne 
trouvant  plus  sa  commode  machine,  fut  fort  surpris  et  embar- 
rassé ;  mais  la  crainte  du  mauvais  sort  qui  lattendoit  lui  ajant 
fait  inventer  un  nouveau  mojen  pour  se  remettre  en  prison,  il 
fit  fracture  de  la  serrure  de  la  prison,  et,  des  quil  y  fut  rentré, 
il  se  mit  à  crier  :  Au  secours,  Au  secours,  les  prisonniers  se 
sauvent,  ce  quil  soutint  par  lelïronterie  suiuante  :  Des  protes- 
tans  masquez  ont  forcé  la  prison  et  ont  enlevé  les  prisonniers. 
Là  dessus  on  verbalise,  le  juge  et  quelques  autres  donnèrent 
leur  seing,  le  procez  de  mensonge  futenuoyé  à  M"  de  la  Farre, 
Lintendant,  et  Diverny  ;  voila  tous  les  Reformez  de  cette  ville 
coupables.  Vous  les  allez  voir  aussi  condamnez  au  mesme  châ- 
timent. A  peine  cet  inique  verbal  eut  été  porté  à  Montpelierque 
M^  Diverny  arriva  dans  Anduze  à  la  teste  de  deux  compagnies 
de  soldats,  le  fusil  monté  et  la  bajonnette  au  bout,  comme  sil 
étoit  entré  dans  une  ville  prise  dassaut.  11  joignit  les  deux 
compagnies  de  la  garnison  quil  mena  auec  les  siennes  dans 
une  des  places  de  la  ville,  c'est  là  quil  les  prépara  à  bien  faire 
leur  devoir,  pendant  que  linfortuné  habitant  reformé  se  pamoit 
de  frayeur  ne  sachant  comment  se  termineroit  un  si  terrible 
appareil.  M""  Diverny  ne  les  laissa  pas  longtemps  en  suspens. 
11  decoupla  à  chaque  reformé  deux  soldats  avec  ordre  de  payer 
à  chacun  dix  sols  par  jour  avec  les  ustencilles;  et  les  officiers 
deuoint  auoir  à  proportion.  Le  croiriez-vous?  cette  rongeante 
vermine  a  eu  le  bonheur  de  loger  22  jours  chez  ces  infortunées 
victimes  immolées  à. la  passion  du  S''  Diverny.  N'est-ce  pas  un 
homme  bien  vengé?  Il  y  a  apparence  quil  l'auroif   été  encore 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  437 

dauantage  si  quelques  catholiques  plus  pitojables,  et  d'une  autre 
équité  que  ne  l'est  l'ennemi  déclaré,  n'auoint  secondé  les  pro- 
testans  de  cette  ville  qui  trauaillérent  à  faire  de  nouvelles  in- 
formations par  lesquelles  il  a  été  aueré  que  les  prisonniers  n'a- 
uoint eu  d'autre  secours  que  la  machine  du  soldat  tambour,  ce 
qui  a  esté  mesme  déclaré  et  confessé  par  ce  dernier.  L'injustice 
étoit  donc  grande  et  toutte  visible.  Mais  vous  vous  tromperiez 
néanmoins,  infortunés  habitans!  Vous  vous  attendiez  d'en  re- 
cevoir quelque  dédomagement ;  on  connoitra  votre  innocence; 
on  verra  linjustice  que  vous  avez  soufferte;  on  sera  persuadé 
que  ce  n'est  que  l'elfet  d'un  caprice  violent  et  emporté,  celui 
d'une  vengeance  qui  se  sent  delà  fureur;  mais  vous  n'en  serez 
pas  moins  malheureux;  vous  n'en  perdrez  pas  moins  les  taxes 
ruineuses  que  vous  auez  été  contrains  de  pajer,  heureux  en- 
core d'en  échaper  à  si  bon  marché  et  de  n'auoir  pas  été  passez 
au  fil  de  l'épée.  Je  conte  que,  si  la  chose  n'auoit  tenu  qu'à 
M""  Diverny,  l'afiaire  étoit  faite.  Il  falloit  y  passer. 

Vous  apprîtes  par  notre  cher  frère,  M''Betrines,  comme  nous 
auions  tenu  notre  assemblée  synodale  du  pais  bas,  le  8*^  du  cou- 
rant, et  les  délibérations  qui  y  ont  été  prises;  c'est  pourquoy  je 
ne  vous  en  parlerai  pas.  Depuis  la  tenue  de  cette  assemblée 
130  soldats,  deux  officiers  à  la  teste,  ont  été  me  chercher  dans 
une  maison  de  Nismes  auec  la  dernière  exactitude.  G'étoit  le 
24e  Avril.  Ces  recherches  fréquentes  et  inutiles  servent  à  nous 
faire  admirerer  la  Providence,  à  ranimer  notre  zèle  et  à  re- 
doubler de  précautions  pour  ne  pas  tomber  entre  les  mains  de 
l'ennemi. 

Tous  les  vrais  fidèles  qui  s'intéressent  à  l'avancement  du 
règne  de  Notre  Seigneur  J.  G.,  et  qui  prennent  part  à  la  frois- 
sure  de  Joseph,  sont  priez  de  se  souvenir  dans  leurs  oraisons 
de  leurs  frères  qui  gémissent  sous  la  croix  et  de  leur  fournir 
les  secours  spirituels  qui  dépendront  deux,  afin  de  supléer  en 
quelque  manière  à  la  rareté  des  pasteurs  que  Dieu  a  suscitté 
en  France  pour  y  ralumer  la  chandelier  de  sa  Parole.  Le  Sei- 


438  PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

gneur  qui  est  la  source  de  tout  bien  a.qréera  leurs  offrandes  et 
leurs  prières,  et  leur  communiquera  ses  grâces  les  plus  pré- 
cieuses. 

(Archives  de  l'Hérault,  2''  division,  paquet  90.) 


N«  XXII 

RELATION  HISTORIQUE  DES  PRINCIPAUX  ÉVÉNEMENTS  QUI  SONT  ARRIVÉS 
A  LA  RELIGION  PROTESTANTE  DEPUIS  LA  RÉVOCATION  DES  ÉDITS  DK 
NANTES,  l'an    1685,    JUSQUES    A    l'aN    PRÉSENT    1728,  PAR  CORTEIZ. 

Je  ne  rapporteray  pas  ici  toutes  les  cruautés  qu  on  a  exercées 
contre  les  Réformés,  n'y  le  nom  des  personnes  qui  ont  souffert 
le  martire  pour  la  déffence  de  la  vraye  foi;  je  me  propose  seu- 
lement de  rapporter  icy,  comme  Dieu,  justement  irrité  pour  le 
mépris  fait  à  sa  parole,  a  voulu  transporter  son  chandelier  hors 
de  la  France, —  mais  pour  la  gloire  de  son  grand  nom,  et  pour 
le  bonh3ur  de  ses  élus,  Dieu  a  conservé  dans  le  cœur  d'un 
nombre  de  fidelles,  comme  un  feu  caché  sous  les  cendres  ;  et 
lorsque  le  temps  précis  a  été  accompli.  Dieu* a  fait  naître  des 
moyens  pour  ralumer  ce  feu  caché.  — Je  ne  doute  pas  que  quel- 
ques pieux  Reformés  n'ayent  fait  une  narration  exatte  de 
toutes  les  choses  qui  se  sont  passées  durant  le  cours  de  cette 
horrible  persécution  :  mais  en  attendant  que  cette  pièce  soit 
mise  aux  yeux  du  public,  les  personnes  qui  sont  touchées  de 
la  froissure  de  Joseph,  liront  avec  quelque  plaisir  cette  briève 
relation. 

Tout  le  monde  est  assés  informé  que  l'Eglise  romaine  est 
fort  ingénieuse  a  engager  les  Roy  s  a  la  persécution.  Ayant 
malicieusement  prévu  que  la  lumière  de  l'Evangile,  qui  éclaire 
la  religion  protestante,  leur  étoit  nuisible,  ils  commencèrent  en 
l'an  1685  par  un  Edit  de  Louis  XIV,  Roy  de  France,  d'interdire  les 
ministres  de  l'Evangile,  dedemohr  des  temples,  de  brûler  l'Ecri- 
ture Ste  et  touttes  sortes  de  livres  de  controverse  et  de  pieté  qui 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INEDITS  439 

pouvoient  servir  aux  Reformés  ;  ils  firent  en  même  temps  des 
églises  partout,  et  établirent  a  chaque  paroisses  des  prêtres 
pour  y  chanter  Messe,  et  des  régents  d'école  qui  leurs  fussent 
favorables,  pour  enseigner  à  la  jeunesse  leurs  dogmes  et  leurs 
principes.  Voila  les  enfans  de  ce  siècle  plus  prudents  dans  leurs 
génération  que  les  enfans  de  lumière;  voila  de  beaux  maximes 
pour  détruire  entièrement  la  religion  reformée,  et  pour  établir 
avantageusement  le  papisme.  Mais  Dieu,  qui  veille  pour  la 
conservation  de  ses  élus  et  qui  ne  permet  pas  que  leur  foy 
manque  et  que  ses  voyes  ne  sont  pas  les  voyes  des  hommes, 
Dieu  donc  ne  permit  pas  que  la  plus  part  des  protestants  aban- 
donnassent la  vérité  pour  une  abjuration  que  l'Eglise  romaine 
exigeoit,  laquelle  abjuration  fesoit  même  horreur  a  la  plus  part 
de  ceux  de  leur  communion.  Et  comme  les  émiçaires  de  la 
bête  trouvèrent  des  conciences  qui  leurs  resistoient,  ils  n'épar- 
gnèrent n'y  le  fer  n'y  le  feu  pour  les  faire  sucomber,  comme 
toute  la  terre  en  est  imformée.  Ce  qui  obligeât  une  quantité 
considérable  de  Reformés  a  former  une  constante  résolution 
de  tout-  abandonner,  maisons,  biens,  parents,  et  amis,  pour 
sauver  la  vie  spirituelle  de  l'ame.  Alors  les  émiçaires  du  fils  de 
perdiction  y  formèrent  de  nouvelles  précautions;  ils  obtinrent 
un  ordre  du  Roy  d'empêcher  les  Reformés  de  sortir  du  royaume, 
et  bloquèrent,  autant  qu'il  dépendit  deux,  toutes  sortes  de  pas- 
sages, pour  empêcher  les  protestants  de  quitter  leurs  biens  et 
de  sortir  l'argent  de  France. 

Et  comme  Dieu  ne  se  laisse  jamais  sans  témoignage  en  nous 
bienfaisant.  Dieu  suscitât  de  fidelles  témoins  pour  testilier  de 
sa  vérité,  car,  environ  ce  temps  la,  se  trouva  les  nommés 
Mess*"*  Rey,  Brousson  avocat  au  parlement,  Vivent,  Lapierre 
qui  avoit  fait  des  progrets  considérables  dans  les  études,  Ro- 
man, les  trois  frères  Plants,  l'Aleman,  Laporte,  Dauphiné,  La- 
jeunesse,  Holivier  et  Guest,  lesquels,  après  avoir  convoqué  pen- 
dant quelque  temps  des  assemblées  pour  confirmer  la  foy  des 
fidelles  dans  la  vérité,  eux-mêmes  ont  signé  cette  vérité  de  leur 


440  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

propre  sang.  Excepté  Mess.  Lapierre,  Roman  et  Lajeunesse, 
tous  les  autres  ont  souffert  courageusement  le  martire  a  la 
gloire  de  Dieu  et  a  l'honeur  de  la  religion. 

L'Eglise  romaine  ayant  aperçu  que  la  religion  protestante 
se  conservoit  en  France  par  le  moyen  des  assemblées  ,  elle 
redoubla  la  persécution  pour  éteindre  la  religion ,  en  éloi- 
gnant tous  les  moyens  qui  auroient  put  la  soutenir;  elle  prit 
même  de  nouvelles  précautions,  a  savoir  elle  enleva  les  en  fans 
d'entre  les  mains  des  pères  et  mères,  les  faisants  conduire  dans 
les  couvants,  pour  y  être  instruits  selon  les  préceptes  de 
l'Eglise  romaine.  Les  pères  et  mères  étoient  contraints  de 
payer  4  écus  le  mois  pour  chacun  de  leurs  enfants  qui  étoient 
dans  les  couvants  ;  et,  lorsqu'on  n'avait  pas  de  quoy  payer,  on 
envoyoit  un  détachement  de  soldats  pour  emporter  ce  qu'on 
trouvoit  de  meilleur  dans  la  maison. 

Mons*"  l'abé  Du  Chailas,  grand  favoris  de  l'Antéchrist,  faisoit 
tous  ses  efforts  dans  le  diocèse  de  Mande  pour  entraîner  la  jeu- 
nesse dans  les  couvents,  et  faire  exatement  payer  les  pensions. 
Ce  fut  alors  que  les  pauvres  pères  et  mères,  se  voyant  privés  de 
leurs  biens  et  de  leurs  enfants,  ne  purent  plus  se  retenir.  Ce  fut 
alors  que  la  patience  fit  place  à  l'impatience  et  que  la  violence 
triompha  du  silence.  Tous  les  Réformés  ne  pouvoient  presque 
plus  se  soutenir,  étoient  comme  dans  le  désespoir;  les  choses  se 
trouvant  dans  cette  situation,  quelques  fidelles  qui  sortoient  du 
royaume,  pour  pouvoir  jouïr  librement  de  la  religion,  furent 
pris  et  enfermés  dans  une  prison  au  Pont  de  Monvert,  diocèse 
de  Mande.  Mons^'  l'abé  Du  Chailas  qui  leurs  faisoit  souffrir  des 
peines  dures  et  insupportables,  les  pauvres  Réformés  infor- 
tunés, qui  étoient  las  de  supporter  la  cruauté  de  ce  Pharaon, 
crurent  qu'ils  feroient  un  acte  de  la  dernière  charité  d'aller  dé- 
livrer leur  frères  prisonniers  ^  Ils  se  rendirent  à  la  prison  de 
nuit.   Ils  enfoncèrent  la  porte  de  la  prison.  Mons^"  l'abé  Du 

1  Kn  marge,  on  lit  :  la  naissance  des  Camisards. 


PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS  441 

Ghailas  crut  qu'il  devoit  déffandre  la  porte  de  la  prison,  les 
Réformés  qui  étoient  déjà  las  de  supporter  sa  malignité  se  vou- 
lurent jette  sur  luy,  mais  M^  l'abé  leurs  fit  feu  dessus.  Alors 
les  questeurs  des  prisonniers  ne  gardèrent  plus  de  mesures  :  ils 
mirent  le  feu  à  la  maison  ou  étoit  M^"  l'abé  ;  M"*  l'abé  voyant  que 
la  maison  allait  être  embrasée,  sauta  par  une  fenêtre,  mais  il 
fut  pris,  et,  pour  tout  dire  en  un  mot,  il  fut  tué  sur  le  pont*. 

Voilà  cet  inexorable  persécuteur  mort,  voilà  aussi  les  prison- 
niers mis  en  liberté;  mais  pour  cela  les  Reformés  ne  furent  pas 
délivrés  de  leur  maux,  bien  loin  de  la,  ce  malbeur  en  attira  un 
autre,  même  plusieurs  autres  maux.  Car  c'est  événement  irrita 
si  fortement  les  éclésiastiques  Romains,  qu'ils  crurent  qu'il  n'y 
avait  point  de  peines  suffisantes  pour  expiers  le  crime  de 
ceux  qui  avoient  tué  M»"  l'abé.  Ceux  qui  avoient  fait  le  meurtre, 
se  voyant  avec  les  prisonniers  en  quelque  manière  découverts, 
crurent  quils  se  pouvoient  deffendres  contre  leurs  persécuteurs  ; 
ils  formèrent  une  cabale,  ils  sacquirent  deux  prédiseurs  qui  leurs 
étoient  favorables,  savoir  les  nommés  Mathieu,  natif  de  Geno- 
Ihaac,  qui  fut  tué  peu  de  jours  après  a  Pierremalle  d'un  coup 
de  fuzil,  et  Salomon  Goudert,  de  la  paroisse  de  St  André  de 
Lamsulcre  :  ce  dernier,  après  avoir  régné  quelque  temps,  sortit 
de  France  environ  l'an  1704,  et  ensuitte,  s'en  retournant  en 
France  environ  l'an  1706,  fut  pris  à  Livron  en  Dauphiné,  et 
puis  conduit  et  brûlé  à  Montpelier. 

Consécutivement  après  la  mort  de  M»"  l'abé,  Nicolas  Jeanni 
Gony  natif  des  Plos,  proche  de  Genolhaac,  s'erigeat*en  chef  de 
cette  troupe,  qui  tenoit  la  campagne,  sagrossisoit  tout  les  jours 
comme  un  pelotton  de  nége  qui  dessant  d'une  montagne  ;  ces  per- 
sonnes érantes  cherchent  a  se  munir  des  armes;  ils  furent  avec 
violence  au  château  de  la  Devex,  et  étant  repoussés  avec  perte, 
ils  se  riièrent  comme  des  lions,  sans  épargner  ny  hommes  ny 
femmes.  Le  dit  Salomon  Goudert,  qui  faisoit  déjà  le  prophète  e 


Kn  marge,  ou  lit  :  le  pont  de  Montvcrt. 


442  PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

le  prédicateur,  sâmassa  une  troupe  fort  considérable  de  son 
côté  animés  tous  de  l'esprit  de  cruauté. 

En  ce  même  temps  la,  y  parût  un  nommé  Gastagnet,  de  Mas- 
sevague,  paroisse  de  Fraissinet  de  Fourgues,  proche  la  mon- 
tagne de  I^egoual,  qui  fit  aussy  le  prophète  et  le  prédicateur;  il 
fut  suivit  d'un  nombre  considérable  de  personnes.  11  se  porta 
aussi  de  son  côté  a  tuer  les  prêtres  et  a  brûler  les  églises.  11 
est  bien  vray  que  la  jeunesse  qui  suivoit  ce  dernier  ne  le  voulut 
pas  suivre  fort  longtemps,  mais  se  rendirent  sous  la  conduitte 
d'un  nomme  La  Rose,  qui  s'étoit  aussy  lui  même  établit  capi- 
taine. 11  faut  observer  que  ce  dernier  ne  se  disoit  point  pro- 
phète. Ceux  cy,  c'est  adiré  ces  attrouppés,  se  tenoient  dans  les 
hautes  Gévenes  ;  mais  ils  furent  en  même  temps  secondés  par 
de  nouveaux  attroupés,  assavoir  par  M»"  Gavaillé  et  par  M""  La- 
porte  dit  Roland;  le  premier  de  ces  deux  se  tenoit  du  cote  de 
Nisme  avec  sa  bande,  le  second  se  tenoit  dans  les  basses  Gé- 
venes, avec  les  Gamisards  qui  le  suivoit.  Tous  deux,  recuts  pro- 
phètes par  les  fols  jugements  du  peuple,  tous  deux  bruloient  les 
églises,  et  tuoient  les  prêtres.  Mons''  Gavaillé  et  les  siens, 
poussés  par  leurs  prétendues  inspirations,  firent  tuer  dos 
femmes  et  des  petits  enfans  a  Sansceries  et  a  Solororgues,  pro- 
che Lunel.  Nicolas  Gony  en  fit  de  même  a  Ghambourigeau  par 
lavis  et  conseil  de  ces  prétendus  inspirés.  Je  passe  sous  silence 
les  actions  indignes  et  cruelles  qui  furent  exercées  par  lavis  du 
même  esprit  a  Malataverne,  proche  Alais,  en  Gévenes. 

Tous  ces  Gamisards,  après  avoir  régné  quelque  temps  et 
s'être  vus  souvent  dispercé,  finalement  Mons^  le  maréchal  Du- 
villard,  par  une  douceur  digne  de  lui  et  par  une  prudence  très- 
louable,  appaisa  ces  factions  et  ces  désordres.  Mais,  avant  que 
de  calmer  cette  furieuse  tempête,  il  y  eut  quarante-deux  pa- 
roisses brûlées  du  diocèse  de  Mande  ou  d'Usés  et  la  plus  grande 
partie  du  monde  tués  on  dispercés.  Dieu,  qui  dirige  de  tous  les 
événements,  disposa  ainsi  des  choses  afin  de  punir  et  de  châ- 
tier un  peuple  qui  avoit  profané  son   saint  et  grand  nom.   et 


PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  443 

foulé  aux  pieds  les  exortations  et  les  remontrances  de  ses  ser- 
viteurs. L'Eglise  romaine  a  pêche  contre  Dieu  d'engager  le  Roy 
a  persécuter  et  détruire  des  gens  que,  dans  le  fond  de  la  doc- 
trine et  de  la  créance,  ils  ne  reçoivent  que  ce  que  la  parole  di- 
vinement inspirée  nous  enseigne.  Les  protestants  sont  très 
criminels  devant  Dieu  de  ne  profitter  pas  des  châtiments  de 
Dieu,  et  d'avoir  plus  de  crainte  des  hommes  qui  ne  peuvent 
tuer  que  le  corps,  que  de  Dieu  qui  a  la  puissance  d'envoyer  le 
corps  et  l'âme  tout  ensemble  dans  la  gène  du  feu.  Aincy  Dieu 
a  justement  permis  que  les  persécutés  et  les  persécuteurs,  tous 
ensemble,  ayent  senti  la  pesanteur  de  sa  main. 

Après  tous  ces  fatals  événements,  il  se  passa  quelques  an- 
nées que  les  Réformés  se  trouvèrent  sans  pasteurs,  sans 
livres,  sans  libertés,  hormis  un  petit  reste  de  Camisards,  sa- 
voir les  nommés  Pierre  Glary,  Jaque  Bonbounous,  Mathieu 
Mazet,  Laveille,  Salomon  Sabatier  de  la  paroisse  de  Gros, 
Etienne  Arneau  et  quelques  autres  dont  la  plupart  iliterats.  Et 
pourtant  ils  s'apliquerent  a  aprendre  a  lire;  quelqu'uns  d'en- 
treux  apprît  même  quelques  sermons  par  cœur  faits  par  quel- 
ques hal)illes  hommes  et  qu'ensuite  ils  anonçoient  aux  lldelles 
qui  les  venoient  écouter,  mais,  comme  les  voisins  savoient  que 
c'étoit  des  novices  a  lire,  ne  faisoient  pas  beaucoup  d'atention 
a  leurs  prédications. 

Alors  les  recherches  ètoient  très  exates,  les  sùplices  étoient 
enVoyables,  on  ne  parloit  que  de  rompre,  que  de  brûler,  c'est 
aincy  qu'on  traittoit  le  reste  des  Camisards.  Alors  reignoit 
M'Debaville,  intendant  de  la  province  du  Languedoc,  hommes 
cruel  et  impitoyable,  s'il  y  en  a  jamais  ùt  dans  le  monde.  La 
haine  et  l'aversion  que  les  jésuites  lui  inspiroient  contre  la 
religion  reformée,  la  cruauté  qui  lui  étoit  naturellement  en 
inclination,  produisoit  une  grande  joie  dans  son  ame,  lorsquil 
trouvoit  occation  de  condamner  quelque  protestant  a  un  affreux 
suplice.  Laissons  ce  tiran  au  jugement  de  Dieu. 

Environ  ce  temps  la,  M""  le  marquis  de  Vllolande.  (jui  étoit 


444  PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

alors  a  Alais,  en  Gévenes,  donna  un  passeport  a  Salomon  Sa- 
batier,  de  la  paroisse  de  Gros,  et  a  Etienne  Arneau,  de  St  Hi~ 
polite  de  la  Planquette,  pour  s'en  aller  a  Genève. 

Pour  revenir  a  moy  et  au  moyens  que  Dieu  s'est  servit  pour 
m'apeller  à  sa  connoissance,  en  l'an  1697,  il  me  tomba  entre 
les  mains,  le  Bouclier  de  la  foy,  le  Combat  chrétien,  dix  dé- 
cades de  sermons,  excelents  ouvrages  de  Monsi"  Pierre  Dumou- 
lin ,  Le  Dialogue  entre  son  père  et  son  fils  pour  voir  si  Von  se 
peut  sauver  en  allant  a  la  Messe,  pour  éviter  la  persécu- 
tion, ouvrage  des  plus  convenables  pour  la  situation  d'une 
Eglise  comme  celle  de  France,  et  enfin  un  Catéchisme  de 
controverse  par  Dumoulin.  Je  lu  tous  ces  livres  avec  une  sé- 
rieuse attention  ;  Dieu  me  donna  la  lumière  d'entendement 
pour  pouvoir  discerner  la  vraye  religion  d'avec  la  fauce.  Ce 
fût  alors  que  je  conçu  un  souverain  mépris  pour  les  erreurs 
de  l'Eglise  romaine,  ce  fut  alors  que  j'aima  et  que  je  m'atta- 
cha fortement  à  la  vérité  de  la  religion  reformée.  J'étois  âgé 
d'environ  16  a  17  ans.  Environ  deux  ans  après,  1699,  Jean  Fe- 
geroles,  d'Alicce  de  Rhunes,  paroisse  de  Frésinet  de  Losére, 
diocèse  de  Mande,  avoit  fait  convoquer  une  assemblée  dans  le 
lieu  de  ma  naissance,  qui  est  Nozaret,  paroisse  de  ^ialas,  an- 
cienne de  Gartagnol,  diocèse  d'Usés,  en  Gevenes  ;  le  dit  Jean 
Felgerole  n'étant  pas  venu  a  l'assemblée  qui  étoit  convo- 
quée en  son  nom,  quelques  personnes  qui  étoient  à  l'assem- 
blée, avec  lesquelles  javois  eu  de  fréquentes  conversations,  me 
prièrent  de  ne  pas  laisser  partir  l'assemblée  sans  leurs  donner 
quelque  consolation;  tout  d'un  coup  je  me  trouva  rempli  de 
courage  et  de  zèle,  et  je  parla  avec  beaucoup  de  fermeté  et  d'ar- 
deur de  la  parole  de  Dieu.  Alors  je  fus  ardemment  requis  par 
mes  voisins,  tous  les  dimanches,  de  leur  donner  quelque  exhor- 
tation. Gela  éclata  dans  toute  la  paroise  qui  est  composée  de 
14  villages;  tout  le  monde  me  fit  caresse etme  donna  connoitre 
qu'il  avoit  de  l'estime  pour  moi  et  pour  mes  exhortations,  ce  qui 
ne  contribua  pas  peu  a  l'augmentation  de  mon  courage.  Je  con- 


PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  445 

tinua  ainsy  a  faire  quelques  exhortations  jusqu'à  lan  1702  que 
les  Gamisards  commencèrent  a  faire  leurs  estratagêmes,  et  que 
tout  le  Languedoc  et  \ivarès  formilloit  de  prétendus  pro- 
phètes, disant  dans  leurs  imaginaires  révélations  qu'il  faloit 
tueries  prêtres,  brûler  les  autels.  Par  l'avis  de  quelques  amis 
qui  regardoient  leurs  rêveries  comme  un  zèle  précité,  je  voulus 
aller  reprimer  par  quelques  exhortations  et  bonnes  remon- 
trances leurs  cruautés.  Je  pris  donc  la  liberté  de  parler  a  ces 
Camisards  et  en  particulier  a  Nicolas  Jony,  capitaine  de  la  bande, 
qui  battoit  nos  montagnes,  leurs  représentant  que  tuer  les  prê- 
tres, brûler  les  églises,  ce  n'etoit  ny  de  la  doctrine  de  l'Evangile, 
ny  de  la  pratique  des  premiers  chrétiens,  d'ailleur  que  cela  ne 
fesoit  qu'allumer  la  fureur  des  ennemis  et  ruiner  entièrement 
le  pais.  Mais  helas  !  mon  conseil  fut  très  mal  reçut.  Les  pré- 
tenduts  inspirés  commencèrent  a  se  détacher  contre  moy,  me 
traitant  d'incrédule  et  de  murmurateur,  me  menaçant  de  me  faire 
subir  le  même  sort  des  prêtres  de  l'Eghse  romaine, et  je  n'ùtpour 
ma  deffence  qu'un  grand  silence.  Cependant  je  continua  a  exhor- 
ter mes  frères  de  la  paroisse  de  ma  naissance  jusqu'à  l'an  1703. 

Alors  je  ne  put  rester  d'avantage  a  la  maison  de  mon  père, 
Mons"^  le  coronel  Du  Yilard  étant  venut  avec  un  ordre  de  la 
cour,  et  avec  une  puissante  armée  pour  bruller  notre  paroisse, 
qui  se  trouvoit  du  nombre  des  42  qui  dévoient  être  brûlées. 
Mons»"  de  Juilhen,  qui  avoit  reçut  le  même  ordre  que  Mons»"  Du- 
vilard,  faisoit  exattement  son  devoir  dans  le  diocèse  de  Mande 
avec  une  puissante  armée  pour  brûler  et  tuer  tous  ceux  qu'on 
trouveroit  a  la  campagne,  et  qui  ne  s'étoient  pas  retirés  dans 
les  lieux  qui  leurs  avoient  été  marqués. 

En  l'an  1704, Mons^  le  maréchal  Duvilard*  qui  se  tenoit  tan- 
tôt à  Nimes,  tantôt  a  Montpelier,  calma  ce  feu  immodéré  des 
Camisards,  comme  il  a  été  dit,  et  donna  des  passeports  dassu- 


i  Nous  copions  lexluellcmenl.  Il  y  a,  comme  on  le  verra,  plusieurs  orthogra- 
phes pour  le  nièmc  mot  ou  le  même  nom. 


440  PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

ranco  pour  aller  à  Genève,  atin  d'affoiblir  la  force  desCamisards. 
Ainsi,  après  avoir  reste  un  an  voltigeant  dans  les  déserts,  hors 
de  la  maison  de  mon  père,  je  profita  enfin  des  passeports  de 
M*"  Duvilard  pour  aller  a  Genève. 

Je  sortis  donc  de  France  en  l'an  1704,  dans  le  mois  de 
novembre.  Je  me  rendis  a  Lauzane,  en  Suisse,  et  je  fis  connais- 
sance de  Mons»"  Jean  I^ierre  Secretan  ministre  et  pasteur  de 
l'église  de  Monts,  qui  me  lit  placé  pour  maitre  d'école  dans  une 
de  ces  églises  ou  je  resta  environ  15mois,aubout  duquel  temps 
Monsi"  Sobretan  gentilhomme  des  Gévenes,  réfugié  a  Lauzane, 
ayant  parlé  avec  quelques  personnes,  soient  pasteurs,  qui  poii- 
roit-on  envoyer  en  France  pour  soutenir  les  Réformés  dans  la 
vraye  foy,  et  ayant  jette  les  yeux  sur  moy,  on  m'en  lit  la  pro- 
position, et  je  faccepta.  Je  m'en  fus  jusqu'à  Genève,  mais  les 
passages  eloient  si  exattement  blocc^ués,  qu'il  étoit  non  seule- 
ment difticile,  mais  impossible  de  passer  jusqu'en  Languedoc, 
sans  être  arrêté.  Aincy  mon  voyage  de  France  fut  renvoyé  jus- 
qu'à lan  1709,  que,  me  trouvant  a  Genève,  les  nommés  Salomon 
Sabatier  et  Etienne  Arneau,  tous  deux  des  Cevenes,  ayant  tous 
deux  un  ardant  désir  d'aller  exhorter  leurs  frères,  me  commu- 
niquèrent leur  dessin  et  me  montrèrent  une  route  qu'on  leurs 
avoit  donné,  qui  me  parût  fort  sure,  mais  aussi  fort  longue  par 
le  grand  détour  quelle  faisoit.  Je  fis  dabord  communiquer  cette 
pensée  à  M»"  le  marquis  d'Argilliés,  alors  ambassadeur  d'Angle- 
terre à  Genève;  j'en  donna  aussi  avis  à  M^"  Sobretan;  les  uns 
et  les  autres  trouvèrent  fort  bon  de  faire  ce  voyage.  Je  me  dis- 
posa a  partir  avec  les  susnommés. 

Le  jour  de  notre  départ  fut  le  5  juin  1709.  Etant  heureuse- 
ment arrivés  en  Gevenes,  nous  étions  tous  pénétrés  de  joie; 
mais  notre  joye  fut  bientôt  changée  en  tristesse.  Je  fus  dabord 
voir  mon  père  et  ma  mère,  qui  me  reprochèrent  mon  retour 
comme  la  dernière  de  toutes  les  imprudences,  m'exhortant  de 
m'en  retourner  au  plus  vite,  si  je  ne  voulois  être  conduit  a 
un  cruel  suplice. 


PIJ^XES  ET  DOCUiMENTS  INEDITS  447 

Gettt*  voix  nous  consterna  d'abord  tous  trois  ;  mais  un  mo- 
ment aprèS;  nous  reprmies  courage,  et  après  avoir  emijrassé 
mon  père  et  ma  mère,  nous  descendimes  a  Enduze.  Là,  nous 
trouvâmes  trois  garçons  qui  savoient  quelques  sermons  par  mé- 
moire qu'ils  avoient  heureusement  apris,  l'un  desquels  a  été 
papiste.  Mais  hélas!  a  peine  trouvions  nous  quelque  maisons 
de  conliance;  nous  mangions  dans  les  déserts  et  nous  couchions 
dans  les  montagnes,  sous  les  arbres.  Quelques  semaines  après 
nôtre  arrivée,  nous  entendîmes  dire  la  funeste  nouvelle  que  les 
trois  jeunes  garçons,  que  nous  avions  vus  a  Enduse,  étoient 
pris  a  Milhieau  proche  Nimes  dans  la  maison  de  maitre  Page  t. 
Tous  trois  furent  pendus  a  Montpellier  ^ 

Mons''  Plantier  de  Nimes  étoit  alors  prisonnier  avec  les  trois 
garçons,  savoir:  Antoine  Cordese  de  St  Daunis,  proche  Nage, 
Jean  Abric, —  il  etoit  du  coté  de  Gange, —  et  le  prosélite 
nommé  Janot.  Ce  dernier,  le  matin,  quand  on  fût  leurs  annon- 
cer qu'ils  seroient  penduts,il  témoigna  une  joie,  qui  nepouvoit 
procéder  que  de  l'esprit  de  Dieu,  confirmant  le  courage  de  ses 
frères.  Peu  de  temps  après,  on  prit  aussi  Claris  à  Usés  qui  fut 
aussi  pendu  a  Montpellier.  A  peine  eu-je  resté  un  an  avec  mes 
compagnons  de  voyage  et  d'œuvre  au  Seigneur,  que  Salomon 
Sabatier  fut  arrêté  a  Sery  au  pont  vieux  d'Alais  et  conduit  au 
fort  de  la  dite  ville,  et  de  la  a  Montpelier  ou  il  fut  pendu.  Je  ne 
dois  pas  obmettre  que  la  mort  de  ce  dernier  fut  très  édifiante  ; 
nos  propres  ennemis  ne  purent  se  retenir  de  dire  que,  si  un 
verre  de  leurs  sang  le  pouvoit  garantir,  ils  le  verseroient  volon- 
tiers; ils  dirent  cela  après  lavoir  entendu  prêcher  dans  une 
chambre  du  fort,  que  Mons»'  de  Lolande  lavoit  fait  montrer  du 
cachot  pour  satisfaire  la  curiosité  de  quelques  Messieurs  et 
Dames.  Ce  fatal  événement  ne  fut  pas  plutôt  passé,  en  voicy 
un  autre.  Un  jeune  garçon  nommé  Mathieu  Mazel,  de  Sador- 

J  «  Ils  furent  trahis  par  un  nommé  Janot  de  Caveirac.  Celui  qui  avait  été 
papiste  fut  celuy  qui  brava  le  plus  la  mort  et  souffrit  courageusement  le  mar- 
tyre. f>  (Note  de  Corteiz). 


448  PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

gués,  ayant  formé  une  assemblée  la  nuit  dans  une  maisonnette 
que  Ion  se  sert  pour  sécher  les  châtaignes,  les  ennemis  les  sur- 
prirent dans  la  nuit,  ayant  négligé  de  mettre  les  sentinelles  né- 
cessaires; ils  firent  des  prisonniers,  ils  tuèrent  des  hommes  et 
des  femmes,  entre  lesquels  se  trouva,  le  dit  Mathieu  Mazel.  Le 
lieu  ou  ce  catastrophe  arriva,  est  le  terroir  de  Milierrine,  par- 
roisse  de  St  Martin,  en  Gevenes. 

Toutes  ces  choses  jettèrent  si  fortement  la  terreur  dans 
l'âme  d'Etienne  Arneaux  qu'il  prit  son  chemin  pour  s'en  re- 
tourner à  Genève;  mais  il  fut  arèté  au  pont  de  St  Esprit.  Et 
dabordil  demanda  un  capitaine,  dissimulant  sa  route  de  Genève 
et  qu'il  eut  été  Gamisard  et  prédicateur,  mais  toutes  ces  pré- 
cautions furent  inutiles,  puis  qu'environ  sept  ans  après  il  fut 
appelé  au  martire,  ayant  déserté  des  troupes  et  ayant  prêché 
quelque  temps  dans  le  désert  :  il  fut  pris  a  Alais  et  ensuite  con- 
duit a  Montpelier,  de  là  à  Nimes  ou  le  presidial  le  jugeât  et  le 
condamna  a  être  pendu  a  Alais,  —  ce  qui  fut  exécuté  le  22  jan- 
vier 1718,  —  ville  a  laquelle  il  avoit  été  pris.  La  constance,  la 
patience,  et  l'humlUté  de  ce  dernier  martir,  ne  fut  pas  moins 
édifiante  que  celle  des  précédents,  puisque  ses  juges  le  grand 
prévôt  et  son  propre  boureau,  émus  parles  propres  mouvements 
de  leurs  conscience,  ne  purent  s'empêcher  de  dire  que  si  la  re- 
ligion protestante  est  une  bonne  religion,  certainement  Arneaux 
est  un  saint. 

Me  voila  donc  tout  seul  a  prêcher  dans  toutes  les  Gévenes  et 
bas  Languedoc,  me  voila  seul  echapé  de  la  gueule  du  lion.  Il 
est  vray  que  Jaques  Bonbounous,  et  Jean  Rouvière  étoients 
avecmoy;  mais  ils  ne  faisoient  point  de  fonctions  de  prédica- 
teurs. 

Environ  ce  temps  la,  je  tomba  malade.  Ge  genre  de  vie  dura 
environ  trois  ans.  Joint  les  affictions  et  les  chagrains  que  jere- 
cevois  tous  les  jours  de  voir  mes  chers  frères  enlevés  de  devant 
mes  yeux,  les  mauvais  aUimens  que  je  mangeois,  lumidité  de 
la  terre  sur  laquelle  couchois,,  les  sérénités  de  la  nuit  que  j'en- 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  449 

durois,m'ofFencèrentle  sang  et  gâtèrent  l'estomac,  de  sorte  que 
j'etois  foible  et  languissant.  Je  crû  que  je  devois  aller  prendre 
un  peu  de  repos  a  Genève  pour  recouvrer  la  santé  ;  je  party  donc 
le  mois  de  may  1712,  ou  j'ariva  heureusement  à  Genève  et  en 
Suisse  pour  trouver  quelque  repos,  ou  je  me  maria,  mais  je  n'y 
trouva  pas  tout  le  repos  que  je  m'etois  attendu.  Dieu  fit  naître 
de  nouvelles  afflictions  qu'au  millieu  de  mon  innocence  j'avois 
des  chagrains  qui  m'êtoient  un  espèce  de  martire.  Je  connus 
bien  que  la  divine  Providence  disposoit  toutes  ces  choses  pour 
m'engager  a  retourner  en  France,  ce  que  je  fis  heureusement. 

A  mon  arrivée,  je  trouva  mes  deux  confrères  savoir  M^^  Bon- 
bounous  et  Rouvière;  ces  deux  m' ap rirent  comme  Jean  Vesson, 
de  la  paroisse  de  Gros,  et  Jean  Hue,  de  la  paroisse  de  Genolhac, 
faisoient  des  assemblées,  mais  qu'ils  trouvoient  beaucoup  d'ir- 
régularité dans  leurs  conduittes.  Le  dernier  avoit  déjà  prêché 
du  temps  des  Camisards  ;  le  premier  se  disoit  prophète,  le  se- 
cond s'etoit  volontairement  rendu  entre  les  mains  des  ennemis 
à  Montpelier,  après  son  retour  de  Genève  :  là,  les  ennemis  lui 
fournissoit  son  viatique;  mais  ledit  Jean   Hue,  étant  solicité 
par  un  bon  Israélite,  qui  fesoit  tout  a  bonne  intention,  sortit 
de  Montpelier  et  monta  dans  les  Gévenes  pour  y  former  des 
assemblées.  J'ai  un  peu  existé  sur  ces  deux  personnages,  parce 
que  l'un  et  fautre  nous  ont  été  de  grands  obstacles   et   des 
pierres  d'achopement.  Pour  ramener  ces  deux  hommes  a  leur 
devoir,  je  leurs  donna  un  rendes-vous  dans  lequel  ils  se  rendi- 
rent ;  après  leurs  avoir  fait  d'agréables  accueils,  et  la  lecture 
d'un  chapitre,  et  dit  la  prière,  je  voulu  leur  parler  en  frère,  mais, 
lorsque  je  voulus  un  tant  soit  peu  toucher  a  leur  vices,  ils  ne 
furent  pas  du  goût  de  m'écouter;  cependant  je  les  embrassa  et 
les  recommanda  a  Dieu  ot  a  la  parole  de  sa  grâce. 

Mons'"  Jean  Rouvière,  natif  de  Blaisaac,  paroisse  de  Joug, 
en  Vivares,  ne  me  quitta  point  pendant  fespace  de  neuf  ans; 
nous  dessendimes  du  coté  de  Nimes,  ou  je  trouva  un  prédica- 
teur dii  Vivares.  En  parlant  ensembles  des  affaires  par  rapport 
1  29 


450  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

a  l'etàt  présent  de  la  religion,  ce  dit  prédicateur,  nommé 
M'"  Pierre  Brunel,  me  dit  ([u  il  y  avoit  un  jeune  garçon  à  Mar- 
ceille,  natif  de  Villeneuve  de  Bert,  nommé  M»"  Antoine  Court, 
qui  avoit  des  talans  pour  la  prédication.  Je  lui  écrivis  dabord  a 
l'adresse  que  le  S'"  Brunel  m' avoit  indiquée,  A  peine  croyois-je 
que  M'"  Court  eut  reçût  ma  lettre,  qu'il  fut  a  Nimes  pour  me 
joindre,  et  nous  fumes  quelques  jours  ensembles.  Je  trouva  en 
lui  des  dispositions  propres  pour  la  prédication. 

Comme  j'avois  ma  femme  a  Genève  et  que  le  S»"  Brunel  me 
faisoit  bon  de  m' introduire  en  connoissance  environ  30  lieues 
par  une  voye  sure,  je  me  détermina  a  m'en  aller  avec  luy  ;  mes 
confrères  Bonbounous  et  Bouvière  me  voulurent  accompagner 
pendant  ces  30  lieues.  Nous  quittâmes  M""  Court  a  Usés,  entre 
bonnes  mains. 

Apres  avoir  resté  quelque  temps  avec  ma  femme,  je  m'en  re- 
tourna de  nouveau  avec  mes  frères.  A  mon  retour,  je  passa  en 
Dauphiné,  ou  je  fis  des  assemblées  presque  partout  ou  il  y  a  des 
Reformés;  j'en  fis  de  même  dans  le  Vivares,  dans  toutes  les  par- 
roisses  et  communautés  ou  il  y  a  des  fidelles  disposez  a  rece- 
voir la  Parole  de  Dieu.  Ensuitte  je  dessandis  en  Languedoc  ou 
je  trouva  que  mes  frères  collègues  avoient  considérablement 
augmente  leur  connoissances.  La  persécution  commença  a  se 
ralentir  un  peu;  les  trouppes  espagnoles,  qu'on  appeloit  mique- 
lets,  se  retirèrent;  le  zèle  du  peuple  augmenta  tous  les  jours  ; 
les  Cevennes  qui  etoient  presque  toutes  tombées  dans  rindilTc- 
rence  de  religion  commencèrent  a  se  reveiller  par  le  moyen  de 
la  prédication  de  fEvangille,  à  la  reserve  des  paroisses  de  St 
Etienne,  de  St  Germain,  et  de  Ste  Croix  qui  vivent  encorre 
dans  une  extrême  tiédeur,  Dieu  veuille  reveiller  leurs  conscience 
endormies  ! 

Avant  que  de  passer  plus  avant,  je  crois  qu'il  ne  sera  pas 
inutile  de  dire  que  Messes  Bilard,  Dupon,  et  Abram,  —  ces 
deux  premiers  étoient  officiers  dans  le  régiment  de  M»"  Gavailler, 
et  le  dernier  se  disoit  prophète^  — le  régiment  du  dit  M^'Cavail- 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  451 

1er  étant  dissipé,  et  n'étant  plus  remis  sur  pied,  voila  Mess.  Bi- 
lard  et  Dupon  sans  employ.  Ils  formèrent  le  dessin  de  se  pro- 
curer du  travail  par  le  moyen  de  leur  prophète  nommé  A])ram 
Mazel,  natif  de  Faugière,  parroisse  de  St  Jean  de  Gardonnengue, 
qui  leurpromettoit  des  victoires  infaillibles.  Ils  s'en  vont  donc 
en  Vivares  sous  la  conduitte  de  leur  prophète,  qui  leur  faisoit 
espérer  par  ses  révélations  des  victoires  certaines  ;  ils  s'amas- 
sèrent en  peu  de  jours  environ  cent  hommes  de  la  jeunesse  du 
Yivares,  ils  enlevèrent  les  armes  d'un  château,  ils  battirent 
quelquefois  leurs  ennemis,  et  en  particulier  un  régiment 
suisse  qui  venoitles  assaillir  à  l'aurore  du  jour.  Le  gouverneur 
de  la  province,  ayant  aperçu  que  ces  nouveaux  attroupés  devc- 
noient  très  dangereux,  les  alla  visiter  avec  un-e  forte  armée;  ils 
ne  manquèrent  pas  ces  nouveaux  Gamisards,  les  battirent  et  les 
mirent  en  ruine,  tuèrent  leurs  deux  chefs,  les  uns  sur  le  champ  et 
les  autres  après  les  avoir  dispersés.  Le  prétendu  prophète  fut 
blessé,  cette  innovation  n'eut  pas  un  grand  succès,  on  vit 
d'abord  le  pais  dans  un  état  déplorable.  Unepartie  de  la  jeunesse 
fut  pendiie  ou  rompiie,  le  lieu  de  Vernoux  etoit  tout  environné 
de  cadavres  de  cette  infortunée  jeunesse,  qu'on  avoit  pendus  ou 
rompus.  Il  est  digne  de  nôtre  attention  que  les  fidelles  du  Yivares 
jouissoient  d'un  grand  calme,  lorsque  ces  trois  fauteurs  y  furent 
allumer  par  leur  faction  le  feu  du  désordre,  un  fidelle  propo- 
sant y  faisoit  des  progrès  admirables,  lorsque  ces  fanatiques  y 
arrivèrent,  mais  il  se  retira  et  s'en  alla  marier  a  Genève,  lors- 
qu'il apperçu  la  naissance  du  malheur.  Le  nom  de  ce  proposant 
est  Jean  Ebruy,  dit  Jean  Paul  a  présent,  régent  d'école  dans  les 
terres  de  Genève.  Ges  malheurs  et  désordres  commencèrent 
environ  le  mois  davril  1709,  et  Unirent  dans  le  mois  de  septem- 
bre de  la  môme  année,  he  S'"  Abram  Mazel,  qui  avoit  été 
blessé  a  la  bataille,  finalement  guérit  etdessandit  euLenguedoc 
dans  le  dessin  de  se  former  une  nouvelle  armée  plus  nom- 
breuse ([ue  la  précédante,  pour  etal)lir,  disoit  il,  la  leligioii  pro- 
testante.   Ses    révélations  promettoient   par   tout  un  heuieux 


452  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

succès.  11  fut  joindre  Glary  dont  il  a  été  déjà  parlé,  ils  se  con- 
seillèrent ensembles  et  formèrent  la.  resolution  de  lever  de  nou- 
veau des  Camisards,  de  s'établir  chefs  d'une  armée  nombreuse 
et  formidable  ;  et  pour  encourager  le  public  a  donner  dans  leur 
sentiments,  ils  leurs  disoient  que  les  Puissances  étrangères, 
ayant  guerre  avec  la  France,  leur  donneroit  le  secours  néces- 
saire. Il  est  a  notter  qu'ils  etoient  tous  fortement  confirmés 
dans  leurs  résolutions  par  le  moyen  de  leur  prétendues  révéla- 
tions. Ils  s'etoient  déjà  ramassés  une  quinzaine  de  jeunes  gens 
qu'ils  avoient  fait  entrer  dans  leurs  idées.  Après  leur  complot 
formé  et  arrêté,  ils  m'envoyèrent  chercher  pour  me  communi- 
quer tout  ce  qu'ils  avoient  déjà  déterminé.  Je  fus  consterné 
d'une  telle  entreprise  et  je  sentis  bien  les  maux  qui  s'en  alloit 
résulter.  Je  les  proposa  a  ces  Mess»'^  mais  ils  ne  voulurent  point 
se  désister  de  leurs  résolutions,  disant  que  l'esprit  de  Dieu 
n'étoitpas  menteur,  qu'il  leur  promettoit  de  très  heureux  succès. 
Alors  voyant  que  je  ne  pouvois  rien  gagner  de  'leur  coté,  je 
parla  aux  personnes  qui  êtoient  capables  de  les  détourner  de  ce 
pernicieux  sentiment,  et  je  leurs  représentât  qu'on  alloit  faire 
revivre  tous  les  malheurs  précédents,  qu'ils  voyoient  bien  aquoy 
avoit  abouty  l'entreprise  de  Mess.  La  Porte,  Cavailler,  la 
Rose,  et  Jony;  et  «vous  voyés,  dis-je  encore,  ce  qu'on  vien  de 
faire  en  Vivarés  ;  nous  avons  un  peu  de  calme,  on  ne  nous 
constraint  point  d'aller  a  la  messe,  ne  nous  faisons  pas  massa- 
crer et  n'exposons  jamais  nos  frères  aveuglement  et  témérai- 
rement dans  le  danger.  »  Cette  proposition  trouva  heureusement 
(lieu)  dans  leurs  cœur,  et  furent  favorablement  tournés  de  mon 
coté.  Alors  ils  me  répondirent,  et  me  dirent  :  «Tout  ce  que  vous 
nous  dittes  est  vray;  mais  on  ne  saurait  interrompre  le  dessin 
decesMess''^  savoir  Abram,  et  Glary.»  Alors  je  leurs  donna  pour 
avis  de  gagner  du  temps,  leurs  faisant  entendre  qu'on  ne  peut 
rien  entreprendre  durant  la  rigueur  de  l'hiver,  mais  qu'il  faut 
attendre  l'arrivée  du  beau  temps.  Mon  conseil  fut  reçu,  et,  pour 
tout  dire  en  un  mot,  les  Camisards  qu'on  avoit  déjà  ramassés, 


PIPXES  ET  DOCUMENTS  INEDITS  453 

mais  qui  n'etoient  pas  connus  des  ennemis,  furent  renvoyés 
chacun  chés  soy.  Le  printemps  arrivé,  Abram  fut  tué,  au  Mas 
de  Couteau  proche  Usés,  Glary  fut  pris  et  blessé  au  dit  mas  de 
Couteau  et  ensuitte  justicifié  à  MontpeUer.  Voila  le  progrés 
rompu,  et  la  fin  de  ces  vaillans  guerriers. 

Poursuivons  les  événements  arrivés  a  la  religion,  en  France. 

Je  fis  un  troisième  voyage  a  Genève,  pour  voir  ma  famille  et 
pour  parler  aux  personnes  sencibles  des  maux  de  la  chère  Sion. 
Après  avoir  resté  quelque  tems  a  Genève,  je  m'achemina  pour 
aller  en  Languedoc;  mais,  en  passant  en  Dauphiné,  je  fus  arrêté 
par  nos  frères,  qui  me  prièrent  de  leur  donner  quelques  prédi- 
cations. Messes  Bonbounous  et  Rouviere,  dont  le  premier  m'a- 
voit  accompagné  jusqu'à  Genève;  le  second  nous  attendoit  en 
Dauphiné.  Nous  fîmes  avantageusement  rencontre  de  Mons*"  Ro- 
ger qui  etoit  nouvellement  de  retour  en  Dauphiné.  Nous  lui 
proposâmes  la  nescésité  d'un  ordre  dans  nos  Eglises  oppri- 
mées, nous  lui  montrâmes  quelques  articles  des  règlements  que 
nous  avions  déjà  dressés  en  Lenguedoc.  M^  Jaques  Roger  ap- 
prouva fort  ce  procédé  et  dit  que,  avant  se  séparer,  il  faloit  ajou- 
ter quelques  articles  aux  règlements  de  la  discipline  selon 
l'obcurence  du  temp  aux  règlements  précédents,  ce  que  nous 
fîmes  heureusement  le  22«  août  de  l'année  1716;  articles  que 
nous  avons  encore  dans  nos  règlements.  Mess^^s  Rouviere,  Bon- 
bounous, et  moy,  après  avoir  embrassé  M.  Roger,  nous  nous 
rendîmes  en  Lenguedoc  et  nous  montrâmes  a  Mess^'^  nos 
colégues  et  aux  Anciens,  dans  un  sinode  qui  se  tint,  ou  les  ar- 
ticles dressés  en  Dauphiné  furent  reçus.  Gomme  le  nombre  des 
assemblées  et  prédicateurs  s'augmentoient  tous  les  jours,  on 
commença  de  former  des  églises.  Mons^  Rouviere,  proposant, 
et  moy,  qui  savions  mieux  le  terain,  nous  fumes  employés  a 
faire  cette  œuvre,  et  voicy  de  la  manière  qu'on  forma  les  Eglises  : 

Vauver,   le    Caila,    St    Gille,  Genairhac,   Beauvoisin  ;    une 
église. 

Gaisargues,  St  ("esarié,  Nimes;  une  église. 


454  PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

Quavairac,  l'Anglade,  Glarensac;  une  église. 

Bernis  au  bord  Ucheau,  Milheau;  une  église. 

Galvison,  Cinq  sens,  St  Daunise,  St  Gosme,  Manèges  ;  une 
église. 

Gongénies  et  les  ameaux  voisin;  une  église. 

St  Lauran,  les  Aymargues,  Massiliargues,  Lunel,  Galargues; 
une  église. 

Aiguës  Yives  et  ses  ameaux;  une  église. 

Aubay,  Junas,  Villevielle,  Saumiere  ;  une  grande  église  avec 
Auj  argues. 

Au  de  la  de  Vidourle,  et  Monredon,  Favas,  Espère,  St  Baus- 
sille;  mais  helas  tous  les  protestants  de  ces  cartiers  sont  de- 
venus fanatiques  jusqu'aux  Garigues. 

Gonbas,  Fontanés,  Savaniargues;  une  église. 

Ganne,  Vise,  St  Félix;  une  église. 

Sauve,  Quisac  ;  une  église. 

St  Hipolite,  la  Gadière;  une  église. 

Lésant,  Ladignant  font  une  église. 

Mariege,  Massane,  Gassagnole;  une  église. 

Bouquairan,  Ners,  Lascours;  une  église. 

St  Gincy,  Sausel,  St  Gausille;  une  église. 

La  Rouviere,  la  Galmette,  Dion  ;  une  église. 

Periniargues,  St  Mamert;  une  église. 

Blausac,  Senilhac;  une  église. 

Usés,  Pailardgue  ;  une  église. 

Montaren,  Labeaume,  Fuisargues  ;  une  église. 

Garrigues,  Goulorgues,  Aurilhiac;  une  église. 

Fuisac,  Gatigues,  Banon,  Aigailiiés  ;  une  église. 

St  Hipolite,  St  Jean,  Yausset,  St  Geux  ;  une  église. 

Saine,  Sausine,  Bouquest,  Mailairargues;  une  église. 

Lussant,  Vendras,  Fonds;  les  Tavernes,  Rochegoude;  une 
église. 

St  Laurens,  Fontagnés,  St  Quintin;  une  église. 

St  Embrois,  les  Mages,  Milieu;  une  église. 


PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS  455 

St  Jean  des  Aiieaux.  Barjat,  Salavas,  Yalon,  la  Gorre;  une 
graïide  église. 

Toutes  ces  églises  sont  du  resord  du  Sinode  du  païs  bas  : 
nous  avons  ensuitte  les  églises  des  Cevennes,  Toutes  ces 
églises  n'ont  pas  êtées  établies  a  la  fois,  et  il  n'y  a  pas  plus 
d'un  an  qu'on  a  reveillé  les  consciences  de  la  ville  Dëvalon  et 
du  vilage  de  Salavas;  on  a  établit  des  Anciens  a  chaque  endroit 
a  proportion  qu'on  y  a  trouvé  de  personnes  de  piété  pour  s'y 
pouvoir  confier;  les  commencements,  dit-on,  sont  très  difficiles, 
mais  surtout  dans  un  ouvrage  de  cette  nature. 

Gomme  les  fidelles  savent  que  Dieu  a  joint  les  sacrements 
a  la  prédication  de  l'Evangille,  ils  requièrent  l'un  et  l'autre. 
Pour  faire  cette  fonction  fût  élu  M»"  Gourt  et  moy,  mais  parce  que 
plusieurs  personnes  etoient  escandalisés  de  voir  administrer  les 
sacrements  par  des  gens  qui  n'avoient  pas  reçu  l'imposition 
des  mains,  a  cause  de  quoy  il  fut  délibéré  dans  le  sinode,  tenu 
le  mois  de  mars  en  l'an  1718,  qu'un  prédicateur  d'entre  les  pro- 
posants s'en  allât  auprès  des  pasteui-s  qui  exercent  légitime- 
ment la  charge  du  St  ministère,  pour  être  examiné  dans  la 
doctrine,  laccompagnant  de  bonnes  et  valables  atestations, 
'pour  leurs  represanter  la  nécessité  qui  d'essigneroit  sa  vie  et 
ses  mœurs  pour  recevoir  l'imposition  des  mains  pour  la  conso- 
lation des  personnes  requérantes. 

Alors  l'assemblée  sinodale  jetta  les  yeux  sur  moy,  et  me 
prièrent  de  faire  ce  voyage.  Que  je  partis  donc  pour  aller  voir 
les  pasteurs  qui  ont  droit  de  conpherrer  l'ordination,  étant 
muni  de  bonnes  attestations,  pour  leurs  représanter  la  nescé- 
sité  du  saint  ministère  en  France. 

Mon  premier  abord  fut  a  Genève,  oiî  jeu  diverses  confé- 
rences avec  feu  M*"  le  professeur  Léger  qui,  après  avoir  pris  la 
peine  d'examiner  ma  connoissance  et  ma  créance,  ils  m'en- 
voyèrent à  Mess""»  les  pasteurs  de  la  République  de  Zurich,  — 
première  de  la  bienheureuse  Reformation, —  et  ce  fut  la  que  je 
■reçus,  le   15^  aoust  1718,  l'inposition  dos  mains,  a  la  grande 


456  PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

joie  et  consolation  des  fidelles  protestants  de  France,  eschapés 
de  la  grande  tribulation. 

Ces  bienfaits  reçuts,  je  party  environ  le  mois  de  septembre, 
pour  aller  voir  mes  frères.  En  descendant  par  le  Daupliiné,  je 
fus  voir  les  fidelles  de  ma  connoissance  ;  je  forma  quelques  as- 
semblées, après  quoy,  je  passa  le  Rôneetjefù  donner  quelques 
prédications  en  Yivares.  J'assembla  même  les  prédicateurs  du 
dit  Vivares,  pour  leurs  représenter  la  nescésité  d'un  ordre  pour 
éviter  les  confusions  et  les  désordres  qui  etoient  arrivés  diverses 
fois  parmi  eux,  par  faute  d'un  bon  ordre  ;  et  enfin  je  descendit 
sur  la  fin  d'octobre  en  Lenguedoc.  Y  étant  heureusement  arrivé, 
j'y  fus  le  très  bien  venu.  Lorsque  je  fis  la  relation  a  mes  colé- 
gues,  aux  Anciens,  et  fidelles,  de  toutes  les  choses  qui  setoient 
passées  par  rapport  a  la  reUgion,  ils  furent  pénétrés  de  joye  et 
glorifièrent  Dieu. 

On  fit  dabord  assembler  un  sinode,  dans  lequel  se  rendirent 
les  prédicateurs  et  les  Anciens.  Les  églises  etoient  alors  en- 
corre  fort  foibles  et  les  Anciens  en  petit  nombre  ;  la  première 
proposition  qui  fût  apportée  dans  ce  sinode  fut  celle-cy  :  puis- 
que la  bonté  de  Dieu  a  fait  parvenir  le  saint  ministère  parmi 
nous,  il  est  expédiant,  pour  la  conservation  du  dit  ministère  au 
milieu  de  nous,  de  compherrer  le  dit  ministère  a  un  autre  pré- 
dicateur des  plus  dignes  et  des  plus  capables;  et,  comme 
M^*  Court  avoit  déjà  eteelu  pour  l'administration  des  sacrements 
dans  un  autre  sinode,  comme  il  a  été  dit,  il  fût  prié  de  se  pre- 
santer  pour  être  examiné  en  vie,  mœurs  et  doctrine.  Ayant  ré- 
pondii  d'une  manière  fort  satisfaisante,  je  lui  donna  dans  une 
assemblée  assés  nombreuse  la  main  dassociation,  selon  la  ma- 
nière de  l'imposition  des  mains  reciie  dans  les  églises  refor- 
mées. Voila  deux  ministres  en  Lenguedoc  que  Dieu  a  conservés 
jusqu'à  aujourd'huy,  a  la  grande  joye  et  consolation  des  fidelles, 
voila  la  vérité  qui  a  commencé  a  triompher  de  l'erreur;  le  zélé 
du  peuple  se  ranime,  la  religion  se  reveille,  la  foy  se  fortifie, 
la  discipline  prend  un  peu  de  force,  et  toutes  choses  commen- 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  457 

cent  de  prendre  un  bon  train.  On  vit  en  peu  de  temps  augmen- 
ter le  nombre  des  prédicateurs  et  des  Anciens,  la  persécution 
étant  un  peu  relâchée  par  une  agréable  tolérance  de  feu 
Mons^  le  duc  d'Orléans,  alors  Régent  de  la  couronne  de  France. 
Ce  fut  l'an  1719,  le  30«  septembre,  que  Jean  Hue  dit  Mazel, 
de  la  paroisse  de  Genolhaac,  dioceze  d'Usés,  fût  déposé,  et  de- 
mis de  la  charge  de  proposant,  pour  avoir  trouvé  en  lui  des  er- 
reurs capitales,  savoir  :  1° qu'il  enseignoit  qu'on  pouvoit  cacher  la 
vérité  de  la  religion  devant  les  juges,  lorsqu'on  ne  pouvoit  la 
confesser  sans  danger,  que  la  dissimulation  et  l'hipocrysie  n'est 
pas  un  grand  mal;  2°  qu'on  peut  hbrement  assister  a  une  dé- 
votion idolâtre,  lorsqu'on  n'y  aporte  point  la  foy;  3°  et  enfin 
que  c'est  en  vain  que  l'on  attend  la  resurection  de  la  chair  :  il 
avait  encorre  quelque  autre  erreurs  que  la  pudeur  et  bien  séance 
ne  permettent  pas  de  nommer.  11  est  a  notter  que,  avant  que 
d'en  venir  a  cette  extrémité,  on  employa  toute  sorte  de  moyens 
pour  guérir  les  erreurs  détestables  du  d*  Jean  Hue.  On  lui  pro- 
cura des  bons  et  excellents  livres,  les  précis  de  Théologie  de 
Mons""  Sezard  Pégouried,  V examen  des  Religions,  par  Mons^'Pi- 
tect,  des  bons  catéchismes  ;  mais  tout  ces  remèdes  etoients 
inutiles  :  sa  maladie  etoit  incurable  et  ce  pernicieu  ignorant 
nous  fut  une  pesante  croix  après  son  interdition.  Il  se  glissa 
dans  les  hautes  Gevennes,  et  avec  sa  morale  favorable  a  la 
chair  et  qui  s'accomodait  a  la  mode  des  tiedes,  il  fut  favora- 
blement reçut  et  enseignoit  là  ses  pernicieuses  erreurs  ;  il  se 
détacha  de  notre  corps  et  se  moqua  de  notre  disciphne,  jusqu'à 
ce  qu'il  fut  abandonné  peu  a  peu  du  peuple,  et  enfin  pris  par 
les  ennemis  et  pendu  a  Montpelier,  après  avoir  déclaré  qu'il 
mouroit  bon  papiste,  ce  qui  obligea  les  eclesiastiques  romain 
de  l'enterrer  dans  l'église  de  saint  Pierre ,  avec  toute  la 
ponpe  ceremonielle  pratiquée  dans  l'Eglise  romaine.  Si  l'on  me 
demande  pourquoy  fit-on  mourir  Jean  Hue,  puis  qu'il  obeïs- 
soit  a  tout  ce  que  l'Eglise  romaine  exige?  il  faut  savoir  qu'il 
avait  déjà  trompé  deux  fois  les  puissances;  ainsy,  on  ne  s'en 


458  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

tenoiL  pas  a  son  dire  ;  pourquoy  l'ensevelir  avec  pompe  dans 
une  église  d'une  si  grande  remarque  que  celle  de  St  Pierre? 
pour  ébranler  la  foi  des  protestants  et  affermir  les  papistes, 
comme  disant  qu'un  prédicateur  même  du  Désert  n'avoit  pas 
crû  se  pouvoir  sauver  dans  sa  religion,  puisque  a  ses  dernières 
heures  il  avoit  abandonné  la  Reformation  et  avoit  embrassé 
l'église  romaine.  D'ailleur,  la  colectte  que  l'onfitpour  tirrer  son 
ame  du  purgatoire  fut  fort  considérable. 

La  même  année,  Mons^  Rouviere  etmoy  nous  fîmes  des  pro- 
grés fort  considérables,  a  Faugerre,  a  Bedarrieux,  a  Larnac,  a 
Abrusque,  a  Montagnac,  a  Villemanne,  et  a  Gornouteral.  Il  est 
bien  vray  que  j'y  avois  déjà  fait  un  voyage  avec  Mon»*  Court, 
mais  la  der*'  visite  fut  beaucoup  plus  fructueuse  que  la  pre- 
mière. Et  surtout  a  l'égard  de  la  jeunesse  par  l'introduction  des 
catéchismes. 

Lan  1720,  le  15  janvier,  les  prisonniers  de  l'assemblée  de 
Nimes  furent  pris,  les  uns  condamnés  a  la  tour  de  Constance, 
les  autres  traînés  de  prison  en  prison,  jusqu'à  Londre  en  Angle- 
terre, comme  il  est  emplement  dit  dans  la  relation  imprimée. 

La  même  année,  la  peste  parut  a  Marceille  et  parcourut  quel- 
ques villes  de  la  Provance,  la  peste  parut  aussi  en  Lenguedoc, 
comme  a  Alais  et  a  Genolhaac.  Elle  parut  aussi  en  Auvergne, 
comme  a  la  ville  de  Mande.  Le  13^  de  décembre  de  la  ditte  an- 
née, Mons»"  Jean  Gaubert,  natif  Darphy,  paroisse  Daulas  en  Ge- 
venes,  fut  reçu  en  plain  sinode  proposant;  après  un  sérieux 
examen,  il  fut  admis  pour  prêcher  l'Evangille  comme  les  autres 
proposant,  sans  toucher  aux  sacrements.  La  même  année,  les 
églises  de  Lozère,  du  pont  de  Monvert,  de  Castagnol,  de  St  Jui- 
Ihan,  de  Florac  firent  de  grands  progrés  et  se  relevèrent  par  une 
merveilleuse  assistance  de  Dieu,  étant  favorisées  par  la  conta- 
gion, qui  avoit  fait  retirer  toutes  les  trouppes  de  nos  monta- 
gnes et  des  Cevenes.  Lan  1721,  la  peste  continua  a  faire  l)eau- 
coup  de  mal  dans  la  Provance  et  dans  le  Gevaudan,  et  en 
Languedoc  :  la  crainte  de  la  mort,  que  la  peste  donnoit,  servoit 


PIECES  ET  DOCUiMENTS  INEDITS  459 

beaucoup  a  laugmentation  du  courage  et  du  zelle  de  nos  peu- 
ples. 

Javois  obmis  de  dire  que,  l'an  1720,  Jean  Vesson  (qui)s'etoit 
ingéré  dans  la  charge  de  proposant  environ  Tan  1713,  fut  inter- 
dit le  13  décembre  1720,  pour  se  dire  prophète,  et  avoir  été 
convaincu  de  mensonge,  pour  mépriser  l'ordre  politique  et  ec- 
clésiastique et  avoir  refusé  de  se  rendre  aux  sinodes  lorsqu'il 
en  etoit  prié,  et  pour  s'être  servi  de  mensonges  pour  s'en  dis- 
penser, pour  avoir  calomnié  les  Anciens  et  méprise  les  prédi- 
cateurs, et  enfin  pour  avoir  enseigné  que  Jésus  Christ  avoit 
menti,  fondé  sur  un  passage  mal  entendu  de  l'Evangile.  Ce  sont 
la  ces  griefs  sur  lesquels  il  persévéra  avec  obstination.  Ce  mé- 
chant garnement  nous  causa  divers  troubles  pendant  quelques 
années,  après  quoy,  il  se  retira  a  Montpeher,  dans  la  maison 
de  Mad'^  Deverchant,  avec  quelques  femmes  qui  se  disoient 
prophetesses.  Vesson  de  son  coté  se  disoit  prophète  infaillible, 
et  promettoit  de  grands  avantages  a  tous  ceux  qui  le  suivroit. 
Se  voyant  abandonné  du  peuple  qui  le  reconnut  pour  un  véri- 
table fourbe,  se  laissa  conduire  par  ces  femmes,  ils  faisoient 
jouer  toutes  sortes  d'estratagemes  pour  agrandir  leurs  secte, 
mais  enfin  ils  furent  pris  le  1*^  mars  1723,  conduits  a  la  cita- 
delle et  ensuitte  pendus.  Un  femme  subit  le  même  sort.  Le 
pauvre  Bonnissel,  du  pont  de  Monvert,  qu'on  avoit  fait  étudier 
pour  être  abé,  mais  qu' ensuitte  prit  le  party  de  marchand,  étant 
garçon  de  boutique  à  Montpelier,  se  laissa  aussi  entraîner  dans 
la  secte  de  Vesson,  fût  aussi  condamné  a  la  corde,  quelques 
uns  des  hommes  en  galères,  quelques  femmes  a  la  tour  d'Ai- 
guë Morte.  Yoila  nos  prophètes  prétendus,  mais  très  dange- 
reux, dissipés. 

Sur  le  bord  de  Lereau,  il  y  a  une  petite  vilette  nommée  Gange, 
habitée  depuis  la  reformation  par  des  protestants,  mais  qui  s'e. 
toient  si  fort  relâchés  dags  ces  dernières  années,  qu'on  n' avoit 
encorre  pu  reveiller  leurs  consciences.  Mais  par  le  secours  ce- 
leste,  l'année  1721,  la  prédication  y  a  produit  un  elfet  admira- 


460  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

ble,  on  y  a  yù  le  zelle  s'augmenter,  le  vice  se  ralentir,  les  caba- 
rets ne  furent  plus  tant  visités,  ni  les  livres  de  piété  tant 
négligés.  Cette  église  s'est  mainteniie  jusqu'à  aujourd'huy,  a  la 
grande  gloire  de  Dieu  et  à  l'honneur  de  la  religion.  Je  ne  dois 
pas  oublier  de  dire  dans  cette  année  les  plaintes  de  plusieurs 
prêtres  dans  les  Gevenes  contre  les  maîtres  d'écoles,  de  ce  qu'ils 
ne  faisoient  pas  leurs  devoirs,  a  leur  gré,  de  mener  les  enfants 
a  la  messe.  Les  maîtres  d'écoles  repondirent  aux  prêtres  que, 
depuis  quelque  temps,  les  enfants  avoient  conçu  une  si  grande 
horreur  pour  le  sacrifice  de  la  messe,  que  lorsqu'ils  entendoient 
le  son  de  la  cloche  pour  aller  à  la  messe  les  enfants  disparois- 
sent  de  part  et  d'autre.  On  les  a  fouêtés  diverses  fois,  mais 
pour  cela  en  ne  les  sauroit  y  faire  aller.  Il  est  a  notter  que  les 
catéchismes  de  feu  Mons""  Drelincour  ont  produit  un  effet  mer- 
veilleux pour  donnera  la  jeunesse  des  idées  claires  et  des  vé- 
rités importantes  de  la  religion. 

Dans  le  mois  de  septembre  de  la  ditte  année  1721,  on  vit  de 
nouveau  accroître  les  églises  des  Gevenes  dans  un  sinode  qui 
fût  tenu.  On  fût  obligé  d'augmenter  le  nombre  des  Anciens  des 
églises  de  Lassalle,  de  Saumanne,  de  Sadorgue,  d'Alais,  de 
Mouleron. 

Il  faut  observer  que  les  Anciens  sont  premièrement  choisis, 
par  la  pluralité  de  voix  de  leurs  voisins,  secondement  examinés 
en  présence  de  tous  les  Anciens  de  l'Eglise  assemblés  (en)  col- 
loque, pour  cette  énomination,  etensuitte  anoncés  aux  sinodes, 
afin  que  les  autres  Anciens  des  autres  églises  les  regardent 
pour  leurs  collègues. 

Dans  ce  dernier  sinode,  il  se  dressa  trois  articles,  savoir  :  que 
puis  que  le  nombre  des  fidelles,  des  églises,  des  Anciens,  s'augmen- 
toit,  il  faloit  aussi  augmenter  le  nombre  des  sinodes  pour  la  sûreté 
et  la  facilité  du  public  et  écrire  a  M'"  Court  qui  etoit  a  Genève  de 
venir.  Il  fut  donc  convenu  et  arrêté  que  jusqu'à  nouvel  ordre  on 
tiendrait  trois  synodes  l'année,  le  premier  dans  le  bas  Langue- 
doc, le  second  a  Losere,  le  troisième  dans  les  basses  Cevenes. 


PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS  461 

Le  second  article  qu'on  dressa  (fut)  que  désormais  on  donnera  la 
route  que  doit  tenir  chaque  prédicateur  des  églises  qu'il  doit 
servir,  en  les  rechangeant  tout  les  sinodes,  afin  que  les  églises 
soient  mieux  servies  et  qu'on  ne  voye  point  de  confusion.  Le 
3"2  article  est  qu'a  l'avenir  on  ne  recevra  aucun  Ancien  dans  le 
sinode,  s'il  ne  porte  un  billiet  du  colloque  de  sa  deputation. 

Le  21®  septembre,  M»"  Roux,  proposant,  ayant  convoqué  une 
assemblée  à  St  Hipolite  de  la  PlanqueUe,  l'assemblée  fut  dé- 
couverte par  le  moyen  de  Mons*  Daudé,  juge  criminel  du  Vi- 
gan,  que,  en  sen  retournant  d'Alais  au  Vigan,  il  trouva,  a  l'em- 
bouchure de  la  nuit,  les  fidelles  qui  alloient  a  l'assemblée  dans 
un  Désert.  Mons"-  Daudé  en  informa  Mons'  de  Rambion  le 
gouverneur  de  St  Hipolite.  Mess^'s  Daudé,  et  le  gouverneur  ne 
savoient  pas  ou  l'assemblée  êtoit  formée.  Ainsy  pour  les  sur- 
prendre, ils  s'avisèrent  d'investir  le  matin  toutes  les  avenues 
afm  de  surprendre  les  fidelles  le  matin  a  leurs  arrivée.  Les  sen- 
tinelles des  fidelles,  qui  etoient  a  la  ville,  ne  manquèrent  pas  de 
donner  avis  a  l'assemblée  par  les  flambeaux  qu'on  devoit  sortir 
a  la  fenêtre  au  cas  de  nescésité,  mais  quelques  uns,  malgré  l'a- 
vertissement, se  voulurent  retirer  le  matin;  pour  tout  dire  en 
un  mot,  onze  furent  pris,  tant  hommes  que  femmes,  et  après 
les  avoir  gardés  quelque  temps  dans  la  citadelle  de  Montpelier, 
finalement,  ou  les  laissa  aller,  excepté  deux  qui  furent  envoyés 
a  Alaix  du  temps  de  la  peste  pour  ensevelir  les  corps  morts. 

Le  22«  may  1721,  le  dit  François  Roux,  natif  de  Cavaignac, 
en  \aunage,  se  présenta  pour  être  examiné  en  vie,  mœurs,  et 
doctrine,  afin  d'être  admis  dans  le  corps  des  proposants.  Le 
dit  Roux  avoit  déjà  proposé  dans  quelques  endroits,  sous  les 
yeux  des  proposans,  je  dis  des  Anciens,  lorsqu'il  fut  examiné, 
et  reçut  dans  le  dit  corps. 

La  même  année,  un  des  prédicateurs  du  Vivares,  nommé 
Mr  Pierre  Durand,  vint  en  Languedoc  pour  assister  au  Sinode, 
et  voir  le  livre  de  nos  règlements.  11  en  fut  si  édiffié  qu'il  se 
promit  d'établir  même  ordre,  mêmes  règles  et  mêmes  maximes 


462  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

dans  les  églises  du  Vivarcs  ;  ce  qu'il  auroit  fait  facillement,  si 
les  prétendus  Inspirés  ne  si  fussent  opposés  malicieusement. 
Ayant  trouvé  des  obstacles  du  côté  de  ces  prétendus  prophètes, 
le  dit  M»' Durand  auroit  prié  par  une  lettre  le  Sinode  d'envoyer 
quelqu'un  de  notre  corps  en  Yivarés,  pour  lui  donner  le  secour 
nécessaire. 

Le  22«  may,  fut  tenu  un  sinode  dans  lequel  il  fût  arrêté  que 
les  pasteurs,  proposans  et  Anciens  servant  les  églises,  exhor- 
teront le  peuple  d'être  fidelle  a  la  couronne,  de  ne  rien  faire  qui 
ait  le  moindre  soupçon  de  rébellion^  de  ne  souffrir  point  des 
ai:mes  dans  nos  assemblées  de  pieté,  de  prier  Dieu  pour  le  Roi 
et  pour  tous  les  officiers  de  la  couronne.  Cet  article  fut  con- 
firmé dans  le  Sinode  suivant,  dans  lequel  on  dressa  les  ar- 
ticles suivants  :  le  l'^'",  que  désormais  tant  ministres  que  propo- 
sans signeront  la  confession  de  foy,  dressée  d'un  commun 
accord  par  les  Eglises  protestantes  du  royaume  de  France,  et 
nôtre  dicipline,  —  le  2*^,  qu'on  doit  faire  peu  d'assemblées  dans 
un  même  endroit,  a  cause  de  la  triste  circonstance  du  temps, 
comme  aussy  de  pouvoir  avec  plus  grande  facilité  visiter  toutes 
les  églises,  —  le  3^,  que  ceux  qui  suivronts  un  prédicateur 
après  sa  démission  ne  seront  point  admis  à  la  Ste  Cène,  —  le 
quatrième,  que  les  Anciens  s'appliqueronts  davoir  toujour  quel- 
que chose  de  prest  dans  leurs  consistoires  pour  secourrir  les 
familles  désolées,  ou  qui  le  pourroient  être,  au  sujet  des  assem- 
blées, —  le  5«,  que  Messï's  Betrine  et  Pierredon  proposans  ne 
quitteroient  point  la  Vannage  de  quelque  temps,  afin  que  l'he- 
resie  de  Yesson  ne  passe  plus  avant,  —  le  6^,  que  les-  fidelles 
seroient  priés  de  jeûner  le  premier  de  juin  de  la  ditte  année 
1721,  pour  émouvoir  les  entrailles  de  la  miséricorde,  afin  qu'il 
abrège  nos  jour  d'affliction,  et  qu'il  nous  préserve  du  fléau  de  la 
peste,  et  qu'il  soulage  ceux  qui  en  sont  attaqués,  et  qu'enfin  il 
fléchisse  le  cœur  de  nos  schimatiques  et  les  ramener  a  leur 
juste  devoir,  leurs  faisant  connoitre  le  tord  qu'ils  causent  a  la 
religion,  —  le  7'%  que  les  Anriens  et  tous  les  fidelles   seront 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  463 

exhortés  de  ne  laisser  point  communier  ceux  qui  seront 
allés  a  la  messe  jusqu'à  ce  qu'ils  auront  donné  des  marques 
d'une  sérieuse  repentance,  —  le  8*^  article,  que  ceux  qui  auront 
juré,  blasphémé  le  nom  de  Dieu,  seront  condamnés  a  donner 
5  sols  pour  les  pauvres,  ceux  qui  auront  violé,  prophané  le  jour 
du  dimanche  par  jeux  et  débauches,  payeront  aussi  5  sols  pour 
les  pauvres,  pour  toutes  les  paroles  sales  et  deshonnête  six  de- 
niers, pour  chaque  faute,  mensonge,  médisance,  mocqueries,  et 
autres  paroles  condamnées  dans  l'Ecriture  Ste  six  deniers.  On 
avoit  déjà  parlé  dans  le  Sinode  précédent*,  mais  la  chose  avoit 
demeuré  sans  décision.  On  ètoit  fort  exat  a  faire  payer  ces 
amandes,  jusqu'à  la  personne  d'un  prêtre,  savoir  a  la  parroisse 
de  Vialas,  ancienne  de  Gastagnols.  M'"  François  Guin  se  trou- 
vant en  conversation  avec  M*"  Bulin  curé  du  dit  Vialas,  jurant 
et  blasphémant,  Mons''Guin  lui  dit  :  «  M""  Bulin,  nous  protestant, 
avons  arrêté  que,  pour  interrompre  le  cours  des  paroles  malhon- 
nêtes, il  faut  se  condamner  soi  même  a  donner  quelque  chose 
pour  les  pauvres,  on  ne  sauroit  moins  donner  d'une  piastre, 
c'est  a  dire  une  pièce  de  six  deniers.  »  Mons''  Bulin,  curé,  répon- 
dit, et  dit  :  «Cela est  bon,  voila  la  piastre. «C'est  ainsy  queM^^le 
curé  eut  part  a  c'est  article,  et  que  ce  remède  fût  très  favorable 
contre  les  blasphémateurs  et  insolants,  et  contre  les  paroles 
sales  et  deshonnette  qui  n'avoient  que  trop  de  cours  dans  la 
bouche  d'un  peuple  qui  s'etoit  nourri  sans  pasteur,  sans  correc- 
tion et  sans  dicipline. 

Venons  a  l'an  1722.  Tout  ce  qui  se  passa  de  plus  remarquable 
cette  année  là,  est  que  les  fidelles  d'Alais,  assiégés  de  la  peste, 
s'assembloient  pour  prier  et  jeûner  tous  les  dimanches  et  les 
jeudy,  jusqu'à  ce  quon  deffendit  toutte  communiquation  d'une 
maison  a  l'autre,  comme  ils  nous  en  informèrent  par  une  lettre 
qui  me  parvint  le  5"  janvier  de  l'an  1722.  Aussi  deffence  fut 
faitte  a  l'ange  destructeur  de  toucher  aucune  personne  tle  la 
maison  de  nos  Anciens. 

i  En  marge  on  lit  :  le  7  de  spptembie  1720. 


464  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

Le  mois  de  janvier,  la  communauté  de  Montaren,  proche 
Usés,  qui  avoit  vécu  dans  une  extrême  tiédeur,  commença  a 
prendre  un  peu  de  zélé  :  on  y  établit  quelques  Anciens  qui  ont 
bien  fait  honneur  a  la  religion.  Le  mois  de  mars,  les  églises  de 
la  montagne  de  Bouquest  furent  ornées  des  Anciens.  Sur  la  fm 
d'avril,  je  fû  attiré  a  Galvison  pour  la  célébration  de  la  SteCène 
a  des  personnes  qui  avoient  faim  et  soif  de  justice,  mais  dont 
la  conscience  avoit  été  fort  longtemps  dormante,  et  pour  l'éta- 
blissement de  quelques  Anciens,  qui  furent  joints  aux  précé- 
dents. 

Mons*"  Puchagut  se  présenta  pour  être  reçu  dans  la  charge 
de  proposant,  dans  un  Sinode  qui  se  tint  le  W*^  mars;  mais 
ayant  vu  delà  manière  qu'on  y  procedoit,  les  peines,  les  fatigues, 
voire  même  le  martire  qu'il  falloit  supporter,  il  se  retira.  Ceci 
soit  dit  pour  aprendre  le  lecteur  qu'on  ne  fait  pas  les  choses  en 
France  avec  autant  de  négligence  qu'on  pourroit  se  le  persuader. 

Dans  ce  dernier  Sinode,  il  fut  conclu  qu'il  faloit  se  séparer 
entièrement  de  l'Eglise  romaine  et  ceux  qui  ne  se  feroit  pas 
devoir  d'y  renoncer,  et  qui  se  souïUeroientdans  ces  idolâtries,  ne 
seroients  points  admis  a  la  Ste  Gène  ;  on  y  reçut  aussi  un  nombre 
considérable  d'Anciens.  Et  parce  que  Mons»"  Court  se  trou- 
voit  a  Genève  du  temps  de  la  peste,  et  tous  les  passages  blo- 
qués a  ne  pouvoir  entrer  en  Lenguedoc  pour  me  soulager,  me 
trouvant  seul  a  faire  les  entières  fonctions  du  ministère,  je  pria 
l'assemblée  sinodale  de  me  donner  Mons*"  Rouviere  proposant 
pour  m'assister,  sans  cependant  qu'il  touchât  aux  sacrements. 
Ce  qui  me  fut  gracieusement  accordé. 

Ainsy  nous  partimes,  le  16  avril,  deNimes  pour  aller  adminis- 
trer la  Ste  Cène  a  l'église  de  CanauUes.  Quelques  Mess"  de  Sau- 
mière  blamoit  les  assemblées,  mais  ayant  entendu  la  prédica- 
tion de  l'Evangile,  ils  voulurent  aussy  participer  a  la  Ste  Cène, 
tant  il  est  vray  que,  quand  on  ne  voit  que  de  loin  ou  parles  yeux 
d'autruy,  ou  qu'on  est  aveugle  par  un  sordide  interest,  on  n'y 
sauroit  voir  clair;  mais  lorsqu'on  envisage  les  choses  de  prés. 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  465 

que  Dieu  ouvre  les  yeux  de  l'entendement,  qu'on  se  laisse  flé- 
chir a  la  vérité,  et  qu'on  n'y  résiste  pas  :  on  juge  et  on  parle 
plus  sainement.  —  Le  23^,  nous  allâmes  administrerai  Ste  Cène 
à  l'Eglise  de  Manoblet.  —  Le  27^,  nous  allâmes  rendre  le  même 
office  à  celle  de  Gros.  —  Le  5^  may,  nous  donnâmes  la  même 
consolation  a  l'Eglise  de  Lassale. —  Le  8«,  nous  fîmes  de  même 
a  l'Eglise  de  St.  Jean  de  Gardonnengue. 

Ce  qui  se  passa  de  singulier  dans  cette  assemblée,  est  que 
les  Anciens  qui  se  tiennent  a  la  porte  du  parquet,  qu'on  fait 
avec  des  pièces  de  bois,  dans  lequel  parquet  ils  se  tiennent  pen- 
dant la  prédication,  jusqu'à  la  célébration  de  la  Ste  Cène  qu'ils 
se  retirent  pour  laisser  passer  les  communiants  les  uns  après 
les  autres  ;  mes  ils  se  tiennent  a  la  porte  pour  prendre  garde 
que  personne  de  ceux,  qui  ont  fait  quelque  actions  escandaleuse, 
ne  s'aprochent,qu'il  n'ayent  fait  premièrement  réparation,  selon 
l'exigence  du  cas.  Ceux  qui  se  trouvent  avoir  fait  quelque  action 
digne  de  reconnoissance  publique,  les  Anciens  les  font  tous 
rester  les  derniers  et  venir  ensembles  devant  la  table  du  Sei- 
gneur; la  on  leur  dresse  les  exhortations  et  les  remontrances, 
selon  leurs  faute.  Quelquefois  la  faute  requiert  de  se  mettre  a 
genoux  devant  la  table  sacrée  pour  demander  pardon  a  Dieu  et  a 
l'assemblée  qu'ils  ont  escandalisée.  Dans  le  temps  que  jefaisois 
la  censure  a  ceux  que  les  Anciens  m' avoient  amenés,  un  homme 
dont  le  péché  étoit  caché  au  monde,  mais  découvert  au  grand 
Créateur  des  cœurs,  sa  conscience  se  reveilla  tout  d'un  coup, 
qui  poussa  cet  homme  a  se  venir  mettre  a  genoux  devant  la  table 
du  Seigneur  pleurant  et  lamentant,  confessant  son  péché  de  lâ- 
cheté et  d'idolâtrie.  Toute  l'assemblée  (qui  etoit  d'environ  deux 
mille  âmes)  pleura.  On  n'entendoit  que  sanglots  de  tous  cotés. 
Mess's  Betrine,  Bonbounous,  Bouvière,  proposans  qui  etoient 
avec  moy,  étoient  de  leurs  côtés  extrêmement  émus,  et  pleu- 
roient;  j'êtois  fort  attendry,  et  certe  il  auroit  fallu  être  bien  in- 
cencible  pour  n'en  être  pas  touche  de  voir  la  repentance  de  cet 

homme,  qui  de  lui  même  vient  se  mettre  a  genoux  devant  la 
I  30 


4(36  PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

table  sacrée  tout  couvert  de  larmes  que  ses  sanglots  étoulîoienl 
ses  paroles,  suppliant  la  vénérable  assemblée  de  prier  Dieu  en 
^sa  faveur,  qu'il  ètoit  indigne  d'être  admis  a  la  table  du  Seigneur 
et  a  la  communion  de  l'Eglise. 

En  sortant  de  cette  assemblée,  on  établit  quelque  Anciens 
pour  les  Eglises  de  Lassalle  et  de  St  Jean.  —  Le  lOs  nous 
fimes  l'assemblée  en  faveur  des  parroisses  de  Pairolles,  de 
St  Roman,  de  Sadorgues,  de  St  Martin  de  Saumanne.  Il  ne  se 
passa  rien  d'important  dans  cette  vocation.  —  Le  IT*',  l'assem- 
j)lée  fut  formée  en  faveur  des  parroisses  de  St  André  de  Gra- 
biac,  de  Mouleson,  des  Plantiers.  Il  ne  si  passa  rien  de  particu- 
lier, si  ce  n'est  que  quelques  familles  divisées  furent  heureusement 
reconciliées.  —  Le  24<^,  l'assemblée  fut  convoquée  en  faveur  de 
Cassagnacetdes  4  parroisses  voisines,  savoirles  Beaumes.St  Ger- 
main, St  Martin  et  partie  de  St  Juilban  et  de  St  Priva  :  l'as- 
semblée etoit  d'environ  deux  mille  âmes,  car  bien  que  l'assem- 
blée ne  fusse  convoquée  qu'on  faveur  de  4  a  5  parroisse,  il  en 
vint  de  plus  de  6.  Plusieurs  firent  réparation  devant  la  table  du 
Seigneur,  étant  sur  tout  coupables  du  crime  de  lâcheté  d'avoir 
assisté  au  prétendu  sacriffice  de  la  messe  ;  beaucoup  de  per- 
sonnes furent  heureusement  reconcilliées,  —  Le  27'-',  nous  al- 
lâmes au  bourg  St  Germain,  nous  ébranlâmes  un  peu  les  con- 
sciences de  ces  temporisateurs;  mais  enfin  n'ayant  pas  continué 
a  les  frequenters,  ils  sont  restés  dans  leurs  criminelle  tiédeur, 
—  Le  30*=,  nous  nous  rendîmes  au  champ  Domergues  et  l'assem- 
blée fut  faite,  en  faveur  des  parroisses  de  St  Endiols,  de  St  Frai- 
sai, du  Collet  de  Dose,  de  St  llhaire,  de  St  Priva,  de  St  Michel. 

Jean  Hue  dit  Mazel,  méchant  schimatique,  faisoit  son  séjour 
dans  ces  communautés,  étant  soutenu  par  quelques  ignorants. 

Le  13^  juin,  je  fù  bénir  un  mariage,  batiser  six  enfans  dan.- 
un  village  qui  m'attendoient  depuis  longtemps.  Je  fis  encorro 
une  assemblée  proche  le  Collet  de  Dese.  —  Le  24«,  nous  for- 
mâmes une  assemblée  dans  une  grande  forest,  nommée  le  Faux 
des  Armes.  L'assemblée  etoit  très  nombreuse,  la  Cène  du  Sel- 


PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  46^ 

i^neiir  y  l'ut  administn'e,  un  mariai^e  béni,  un  enlunt  l)atiz('. 
jiluisieurs  personnes  reconcilliées.  Je  ne  dois  pas  obmettre  que 
les  Rét'orinés  de  la  ville  de  Vans  m'écrivirent  qu'ils  vouloient 
donner  gloire  a  Dieu,  et  que  je  leurs  prescrivis  les  régies  qu'ils 
doivent  établir.  Je  leurs  repondis  qu'ils  dévoient  s'établir  des 
Anciens  qui  fissent  honneur  a  la  religion  par  une  sainte  vie,  et 
se  former  un  consistoire,  ce  (|ue  ces  Mess'=*  firent  sagement. 

Ayant  jterdu  les  mémoires  du  mois  de  juillet  et  d'aoust  jus- 
qu'au 5fi^'  que  nous  fimes  convoquer  une  assemblée  dans  une 
grande  forest  proche  Ladignant,  dans  la(|uelle  je  batisa  une 
lille  âgée  de  dix  huit  ans  qu'on  avoit  dérobée  aux  erreurs  de 
l'Eglise  romaine,  le  jour  précédant,  j'assistat  a  un  colo(|ue  as- 
semblé en  faveur  de  l'église  de  Boucoiran,  à  loccation  de  quel- 
ques affaires  qui  étoient  survenues. 

Et  ce  fut  la  ou  je  parla  premièrement  a  M''  Court,  a  son  ^'etour 
de  Genève.  Mais  comme  il  etoit  malade  de  la  fièvre,  il  ne  me 
pou  voit  donner  grand  secours. 

Le  30''  septeml)re,  nous  assemljlames  l'Eglise  do  Lascours.  Le 
jour  suivant,  nous  assemblame  l'Eglise  de  St  Hypolite  de  Ca- 
tau.  Il  ne  se  passa  rien  de  singulier,  cy  ce  n'est  que  deux 
lionimes  furent  heureusement  reconciliés  ;  il  est  bon  d(;  dire 
que  nous  ne  laissons  communier  jicrsonnes  de  ceux  qu'on  sait 
qui  sont  brouilliés  avec  (|uel(|u'un,  qu'ils  ne  soient  première- 
ment reconciliés,  et  nous  leurs  annonçons  avec  l' Apôtre  que, 
si  leurs  reconcilliation  n'est  pas  sincère,  ils  communient  a  leurs 
condamnation  :  c'est  jiar  la  que  nous  disposons  ceux,  qui  ont 
quelque  désirs  de  se  sauver,  a  une  heureuse  reconciliation.  — 
Le  \^  novembre  (1722)  M'"  Rouvicre  et  moy,  nous  nous  ren- 
dîmes a  la  ville  d'Usés  ;  le  8'^  du  même  mois,  nous  y  assem- 
blâmes les  iidelles  dans  cette  assemblée,  on  vit  un  nombre 
considérable  de  reconciliations  et  heureusement  calmer  les  pro- 
cès. —  Le  11'-',  nous  allâmes  à  St  Laurens,  i)roche  St  Quintin 
(fort  renommée  par  la  belle  vaisselle  qu'il  sy  fait).  Cette  Eglise 
ètoit  tellerneni   îombée  dans   les   erreurs  de   l'Eglise  romaine 


468  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

qu'on  desesperoit  de  leurs  retour;  cette  Eglise  renferme  trois 
parroisse  très  considérables,  savoir  :  StLaurens,  St  Quintin,  et 
Fontaneche.  11  a  fallu  bien  de  peine  pour  les  ramener  des  ténè- 
bres a  la  merveilleuse  lumière.  Mons*"  le  baron  de  Fontaneche, 
bon  protestant,  nous  a  donné  des  secours  très  considérables 
pour  y  avoir  entrée.  Dieu  nous  a  suscité  ce  moyen  sans  lequel  a 
peine  en  serions  nous  venus  a  bout.  Cependant  par  un  mer- 
veilleux effet  de  la  grâce  de  Dieu,  on  vit  en  peu  de  jours  la 
jeunesse  instruite  dans  la  vraye  connoissance  de  Dieu  par  le 
moyen  des  catéchismes.  —  Le  14®,  nous  assemblâmes  l'Eglise 
de  Lussan;  la  dévotion  finie,  on  augmenta  considérablement 
le  nombre  des  Anciens  des  parroisses  dépendantes  du  ressort 
de  cette  Eglise.  —  Le  16«,  on  assembla  tous  les  Anciens  pour 
quelques  affaires  surveniies,  qui  derangeoint  cette  Eglise, 
comipe  aussi  a  loccation  des  deniers  des  pauvres  ;  le  même 
jour  j'envoya  une  lettre  a  St  Ambrois  pour  voir  si  l'on  ne  pour- 
roit  pas  établir  des  Anciens  dans  cette  ville  et  y  établir  un  con- 
sistoire. Le  Mons''a  qaij'avois  addressé  cette  lettre  me  repondit 
que  le  temps  et  les  affaires  ne  le  permettoient  pas  encorre;  ce- 
pendant je  dois  dire  a  mon  pieux  lecteur  que  du  depuis  on  y  a 
formé  un  bon  consistoire,  qui  subsiste  jusqu'à  ce  jour,  le  maire  du 
lieu  ayant  une  femme  protestante,  quoy  qu'il  soit  papiste  de 
naissance  et  gouverneur  du  dit  lieu  :  il  n'est  pas  loin  du 
royaume  des  cieux.  —  Le  22*^,  nous  assemblâmes  l'Eglise  de 
Vendras,  mais  il  ne  sy  passa  rien  de  singuher.  —  Le  23^,  (jueb 
.ques  résidus  de  fidelle  de  la  ville  de  Bagnols,  proche  Usés,  ayant 
apris  que  les  hdelles  du  Pin  s'etoient  assemblés  pour  donner 
gloire  a  Dieu,  m'envoyèrent  un  exprès  pour  me  dire  que  leur 
ville  étoit  autre  fois  une  Eglise  considérable,  mais  qu'a  faute 
de  la  prédication  de  l'Evangile,  ces  pierres  mistiques  s'etoient 
dejointes,  et  qu'elles  servoient  a  former  une  Eglise  idolâtre.  On 
ne  voit,  médirent  ils  encorre,  que  mariages  bigarés,  que  béni- 
tiers dans  les  maisons,  qu'empressement  a  se  rendre  dans  la. 
dévotion  romaine.  Quel  remède  a  un  si  grand  malheur?  Je  leur 


PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  469 

répondit  que  je  ne  voyois  point  de  remède  plus  efficace  et 
plus  souverain,  que  de  leur  porter  le  flambeau  de  l'Evan- 
gile, la  lumière  de  la  parole  de  Dieu;  mais,  comme  je  n'eu  ni 
le  courage  ni  le  loisir  d'y  aller,  j'ay  apris  avec  douleur  qu'ils 
croupissent  dans  leurs  erreurs.  —  Le  29^,  lassemblée  fut  con- 
voquée en  faveur  de  l'Eglise  de  Foisaac,  de  nuit,  dans  une  ber- 
gerie; lassemblée  est  la  ordinairement  fort  nombreuse.  Plusieurs 
se  mirent  a  genoux  devant  la  table  sacrée;  deux  hommes  qui 
plaidoient  furent  accommodés. 

Gomme  j'ay  perdu  la  plus  grande  partie  des  papiers  qui  me 
pouvoient  servir  de  mémoires,  je  ne  saurois  suivre,  mois  par 
mois,  et  décrire  toutes  les  assemblées;  d'ailleurs  quilneme  par- 
roit  pas  fort  nescesaire.  Et  je  ne  l'aurois  pas  fait,,  n'etoit  que 
j'ay  cru  de  faire  quelque  plaisir  a  ceux  qui  ont  a  cœur  l'avan- 
tage de  la  religion,  de  voir  la  vaste  etendiie  du  païs  ou  il  se  con- 
voque des  assemblées. 

Nous  descendîmes  a  Nimes  environ  les  fêtes  de  Noël.  Nous 
administrâmes  la  Ste  Gène  dans  une  chambre  secrette  de  la 
ville  a  environ  quatre  vingts  personnes  distinguées,  et,  comme 
toutes  les  âmes  afamées  ne  pouvoient  se  rendre  dans  un  même 
endroit,  a  cause  de  l'ennemy,  aincy  les  Anciens  cherchèrent 
un  lieu  pour  la  consolation  de  ces  fidelles  :  ils  trouvèrent  une 
cave  fort  propre  dans  laquelle  les  Anciens  y  firent  prudemment 
assembler  dans  la  nuit  environ  cent  personnes  de  Mess^^s  et  des 
dames  et  des  personnes  incommodées,  qui  ne  sauroient  aller  à  la 
campagne  sans  de  grandes  difficultés.  Les  larmes  que  ces 
âmes  pieuses  et  dévotes  versèrent  a  l'ouïe  de  la  prédication,  et 
auprès  de  la  table  sacrée,  etoient  capables  de  toucher  les  cœurs 
les  plus  endurcis. 

Le  2e  janvier,  (1723)  l'assemblée  fut  convoquée  en  faveur  de 
fEglise  de  Vauver,  et  des  lieux  dépendant  du  resort  de  cette 
Eglise;  l'assemblée  etoit  composée  d'environ  mille  personnes. 

Le  5«  avril,  les  Anciens  assemblèrent,  de  nuit,  dans  une 
chambre   particulière,  les  personnes   distinguées   de    la   ville 


470  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

(VUsHS  qui  no  sauroinnt  grimper,  la  nuil,  dnns  los  Desort,  et,  la. 
nous  leurs  administrâmes  la  Ste  Cène,  les  Anciens  faisant  le 
j^uet  a  la  porte  des  cazernes  et  du  commendant,  afin  que.  si  les 
soldats  fassent  sortis,  de  nous  pouvoir  ôter  de  devant.  —  Le 
15®,  nous  nous  rendîmes  a  Bagard.— Le  10',  nous  finies  une  as- 
semblée en  faveur  de  trois  Eglises,  savoir:  d'Enduze,  de  St  Sa- 
batian,  et  d'Alais.  D'ordinaire  les  assemblées  sont  fort  grandes 
dans  cette  place.  Si  c'est  le  dimanche,  (en)  plain  jour,  il  y  a 
2,000  âmes.  — Le  5"  may,  nous  allâmes  aBrenous.  Le  9e,nous 
fîmes  assembler  les  fidelles  des  communautés  de  cette  Eglise,  la 
nuit,  dans  un  ruisseau.  —  Le  20^  may,  nous  assemblâmes  en 
Sinode  les  prédicateurs  et  les  Anciens  dépendant  des  Sinodes 
de  la  montagne. 

La  question  affligente  qui  entretint  un  fort  longtemps  l'as- 
semblée sinodale,  ce  fut  de  ne  pomt  se  marier  dans  l'Eglise  de 
Rome.  Le  dessin  est  très  bon,  mais  lexecution  difficille,  lors- 
qu'on n'est  pas  soutenu  par  le  magistra,  ou  plutôt  que  le  ma- 
gistra  fait  la  guerre  et  persécute  la  personne  lidelle.  La  chose 
fut  pourtant  décidée  de  ne  point  se  marier  dans  l'Eglise  romaine, 
et  principalement  a  cause  des  abjurations  horibles  exigées  par 
icelle.  Il  faut  donc  se  delil)erer  de  faire  la  volonté  de  Dieu  do 
sortir  de  la  Baljilonne,  et  les  prédicateurs  de  se  faire  devoir  d'y 
exhorter  le  peuple,  montrant  a  la  jeunesse  la  nécessité  de  gar- 
der la  pureté  de  la  foy  et  l'innocence,  sortir  du  royaume,  ou  bien, 
si  l'on  veut  rester,  se  marier  par  ceux  qu'on  reconnoit  pour  ses  lé- 
gitimes pasteurs,  sans  avoir  égard  ni  a  la  confiscation  des  biens, 
ni  aux  misères  de  la  vie,  ni  aux  emprisonnements,  ni  en  un 
mot  a  toutes  les  peines  que  l'Eglise  romaine  indigent  a  ceux 
qui  ne  veulent  pas  ansencer  a  la  bete. 

Le  24*^  may,  nous  assemblâmes  les  fidelles  a  la  haute  monta- 
gne du  Bougés.  Lassemblée  fut  fort  nom])reuse,  deux  familles  y 
furent  reconcilhées.  Après  qu'elle  fut  congédiée,  Monsi' Court, 
qui  se  rencontra  dans  cette  assemblée,  en  consultant  ensembles, 
nous  jugeâmes  que,  pour  éveiller   les  consciences   endormies 


PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  471 

d«  Laiisèro,  il  nous  falloif,  preiidro,  l'an  \i\  rouKo  du  ]ionl,  do 
Montvert,de  Racoullés,  do  Fraissinot,  do  Laljrousse^  ot  l'aulre  du 
coté  de  Cassagnias,  de  Si  Privât,  de  St  Fraisai  et  de  Gastagnol, 
Mons''  Court  prit  avec  luy  M'"  Rouvière  ayant  la  connoissance 
du  terrein,  et  moy  je  pris  Mons^  Bonljounous  ;  le  rendes  vous 
.  fut  donné,  en  nous  quittant,  de  nous  trouver  tous  dans  une  as- 
semblée que  je  me  chargeât  de  convoquer  au  Feau  des  Armes,  qui 
est  une  forestimpenetraljle,  le  dimanche  procliaui.  Chacun  de- 
voit  faire  deux  assemblées  dans  la  semaine  étant  assisté  par  le 
secour  céleste.  Ce  que  nous  fimes  grâce  a  Dieu.  Le  diman- 
che 31*^,  nous  fumes  tous  au  rendés-vous  ;  l'assemblée  fut 
formée,  elle  etoit  d'environ  2,000  âmes,  quatre  mariages  furent 
bénis,  un  garçon  batisé;  après  que  l'exercice  de  piété  fut  achevé 
et  le  peuple  congédié,  Mons^^  Rouvière  et  moy  nous  embras- 
sâmes les  frères  M'^  Court  et  Bonbounoux,  qui  partirent  pour  le 
Lenguedoc,  et  Mons^  Rouvière  et  moy,  nous  allâmes  batizer  quel- 
ques enfans  qui  m'attendoient,  et  bénir  quelques  mariages  dans 
les  Gevenes  du  cotédeGenolhac. —  C'est  ainsy  que  nos  Eghsesse 
for  tifioient  dan  s  nos  montagnes,  et  que  les  prêtres  perdoient  toutes 
espérances  de  voirjamais  la  religion  protestante  rangée  dans  l'E- 
glise romaine,  comme  ils  se  l'etoient  promis  en  l'an  1685. 

Dans  le  mois  de  septembre,  M.  Rouvière  et  moy  nous  allâmes 
en  Vivarés,  nous  y  assemblâmes  les  prédicateurs,  avec  un  nom- 
bre considérable  de  personnes  distinguées  qui  ont  du  zelle  et 
de  la  pieté  ;  après  avoir  imploré  le  secours  de  Dieu,  et  repré- 
senté la  nécessité  d'un  ordre  dans  l'Eglise  et  que  ces  Mess'''' 
en  urent  convenus,  nous  rengeames  les  parroises  en  Eglise, 
comme  en  Languedoc,  savoir  :  la  paroisse  d'Agoù,  la  paroisse 
du  Gag,  et  sa  voisine,  font  une  Eglise,  ainsi  des  autres.  La  mé- 
moire ne  me  fournit  pas  combien  il  y  a  d'Eglises  dans  le  Yi- 
varés  ;  toutefois  il  me  semble  qu'il  y  en  a  24.  Après  les  Eglises 
formçes,  Mess''**  les  prédicateurs  du  Vivarés  prièrent  M.  Rou- 
vière et  moy  de  faire  une  assemblée  dans  toutes  leurs  Eglises 
pour  établir  des  Anciens  dans  tous  les  vilages  et  paroisses  qui 


412  PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

formoient  leurs  Eglises,  ce  que  nous  fîmes  heureusement.  C'est 
ainsy  que  Dieu  forma  les  Eglises  du  Yivares  qui  se  fortifient 
tous  les  jours.  Nous  avons  dit  qu'on  a  pratiqué  les  mêmes 
maximes  à  rétablissement  des  Eglises  du  Languedoc,  je  ne 
suis  pas  bien  informé  comment  M.  Roger  a  réglé  celles  du 
Dauphiné,  et  s'il  aura  suivi  le  modelle  que  nous  avons  poséen 
Yivarés  et  en  Gevenes. 

On  ne  trouvera  pas  mauvais  que  je  marque  icy  que,  le 
l^''  mars  1724,  quelques  fidelles  de  la  parroisse  de  Vais  (ou  les 
sources  d'eaux  minérales  sont  si  renommées)  étant  informés  par 
leurs  parents  qu'on  faisoit  des  assemblées  dans  les  Boutières, 
ils  s'y  rendirent  un  samedy  au  soir  (et  c'est  endroit  est  trois 
grandes  lieues  du  dit  Yals).  Ces  pauvres  fidelles  se  trouvèrent 
dans  lassemblée  que  nous  avions  convoquée,  et  à  la  fin  de  la 
dévotion,  ils  me  tirèrent  à  part  et  me  dirent  en  pleurant  :  «  Nous 
sommes  de  trois  lieues  d'icy,  de  la  parroisse  de  Vais,  paroisse 
où  autrefois  il  y  avoit  un  temple  et  environ  trois  milles  commu- 
niants, mais  étant  depuis  si  longtemps  sans  pasteur  et  sans 
sacrements  et  tout  environnés  de  papistes  ,  tout  le  monde 
tombe  dans  l'idolâtrie  et  dans  le  dérèglement;  si  vous  vouliés, 
cher  pasteur,  nous  faire  la  grâce  de  passer  chés  nous,  vous  ne 
pouriés  jamais  faire  une  plus  grande  charité.  »  Ce  résonnement 
me  toucha,  je  me  rendit  le  lundy,  et  lemardy  je  les  pria  de  for- 
mer une  assemblée.  A  peine  purent  ils  trouver  40  personnes  de 
confiance.  Lacté  de  dévotion  fini,  on  me  pria  de  leurs  donner 
une  seconde  prédication,  que  le  nombre  s'augmenteroit;  mais 
je  me  douta  que  l'ennemi  s'en  aperçu  et  qu'on  ne  fît  des  prison- 
niers, ainsy  je  me  contenta  d'écrire  aux  prédicateurs  du  Vivarés 
d'y  faire  quelques  visites,  comme  plus  proche  que  ceux  du  Len- 
guedoc.  Du  depuis,  j'ay  appris  avec  joye  que  cette  communauté 
commence  a  se  reveiller  et  de  donner  lieu  aux  prédicateurs  d'y 
faire  quelques  visites. 

Pour  abréger,  le  mois  de  may  je  fus  à  Montpelier,  pour  com- 
battre la  tiédeur,  mais  comme  il  n'y  a  ny  ministres,  ny  propo- 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  473 

sants,  ny  assemblées,  ny  sacrements,  ny  discipline,  la  corrup- 
tion y  est  grande,  les  préjugés  funestes,  autant  de  personnes  a 
qui  je  parlois,  autant  de  religion  je  trouvois;  il  y  a  une  crasse 
ignorance,  quelques  uns  sont  de  la  religion  parce  seulement 
que  leur  père  et  mère  en  étoient;  dailleur,  la  jeunesse  élevée 
dans  l'Eglise  romaine  n'ont  pas  de  grandes  lumières  pour  di- 
cerner  le  vray  d'avec  le  féaux,  les  préjugés  de  l'enfance  sont 
ordinairement  très  dangereux,  et  fort  succeptibles  en  fait  de  re- 
ligion; aincy  l'intérêt,  l'amour,  l'amlfition  sont  des  motifs  assés 
capables  de  les  faire  tomber  dans  l'erreur;  mais  grâce  à  Dieu,  il 
n'en  est  pas  de  même  dans  les  lieux  ou  les  assemblées  sont  fré- 
quentes, et  les  catéchismes  en  usage,  et  la  discipline  établie  :  la 
connoissance  est  beaucoup  plus  considérable,  et  les  mœurs  in- 
finiment plus  sages  et  mieux  réglés,  et  la  religion  établie. 

A  mon  retour  de  Montpellier,  Mons»"  Maroger,  natif  de 
Nimes,  me  vint  trouver  pour  me  déclarer  son  sentiment  sur  le 
dessin  qu'il  avoit  de  se  consacrer  pour  le  service  des  Eglises.  Je 
l'exhorta  d'augmenter  ses  lumières  et  ses  connoissances  pour 
être  capable  de  pouvoir  soutenir  lexamen  en  présence  des  An- 
ciens, et  des  prédicateurs;  je  lui  représentai  les  peines,  les  du- 
retés, les  contradictions,  et  le  martire,  auquels  on  sexposoit  en 
embrassant  ce  party  :  rien  m'intimida  Mons''  Maroger,  ce  qui 
me  donna  lieu  de  croire  qu'il  étoit  apellé  de  Dieu.  Il  resta  quel- 
ques jours  avec  moy,  dont  l'humilité  et  la  pieté  m'étoit  fort 
agréable.  Il  est  âgé  d'environ  24  ans,  et  il  fut  reçu  dans  la 
charge  de  proposant  environ  un  an  après,  à  la  grande  joye  et 
consolation  des  fidelles. 

Je  n'ay  point  de  mémoires  qui  fassent  mention  des  choses  re- 
marquables de  cette  année  1725,  et  de  la  suivante,  si  ce  n'est  que, 
le  28«  juillet,  ayant  convoqué  une  assemblée  dans  le  bois  de  Sour- 
lieres,  montagne  de  Legoual,  le  matin  à  l'aurore  du  jour,  un 
détachement  de  soldats  de  la  garnison  de  St  André  y  parut  au 
Golsaly  des  environ,  un  quart  de  lieuë  de  l'assemblée  ;  mais  une 
montagne  et  un  bois  nous  mettoient  à  couvert.  Notre  assem- 


474  PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

hlno,  sachant  ronnemi  si  près,  commençoil  de  s'allarmer.  Les 
anciens,  qui  faisoient  guet,  observoient  toutes  les  démarches  dos 
soldats,  nous  envoyèrent  de  nous  rassurer,  (ju'ils  voyoient  lùon 
que  les  soldats  étoient  incertains  d'une  assemblée,  que  cela 
parroissoit  par  la  démarche  qu'ils  tenoient,  et  en  eiïet,  un  mo- 
ment après,  on  nous  raporta  que  les  soldats  s'étoient  retirés. 
Ainsi  notre  dévotion  se  fit  avec  des  ardantes  actions  de  grâce; 
cecy  soit  dit  pour  nous  rappeler  un  vif  souvenir,  combien  on 
est  heureux  de  trouver  dans  un  lieu  ou  lont  peut  servir  Dieu 
sans  crainte  de  l'ennemi. 

Le  13e  septembre,  le  Sinode  des  Cevenes  se  tint.  Mons»'  Rou- 
viere  que  nous  avions  député  dans  le  Dauphiné  et  dans  le  Vi- 
varés,  pour  assister  au  Sinode  de  ce  pais  la,  il  fut  de  retour  avec 
les  députés  de  ce  Sinode,  qui  dévoient  se  rendre  au  nôtre  des 
Gevennes,  savoir  :  Mons'"  Roger  ministre,  député  du  Sinode  de 
Dauphiné,  et  M^  Durand,  alors  proposant,  député  du  "Vivarais. 
Ce  fut  dans  ce  Sinode  qu'on  traita  une  étroitte  alliance,  et  qu'on 
dressa  des  règlements  pour  serrer  d'avantage  cette  étroitte 
union.  Yoicy  quelques  uns  des  règlements  qui  furent  unani- 
mement dressés.  En  premier  lieu ,  que  le  Languedoc  ne 
recevroit  point  de  proposants  dans  le  plain  ministère,  sans  le 
consentement  des  ministres  du  Dauphiné  et  du  Vivares,  et,  quoy 
réciproquement  le  Dauphinés  et  Yivarés  ne  recevront  point  de 
ministres  sans  laprobation  du  Lenguedoc,  Ce  qui  a  donné  la 
naissance  a  cet  article,  cest  qu'on  a  douté  que  la  nescésité  et  la 
complaisance  ne  mit  le  sacré  ministère  entre  les  mains  de 
personnes  indignes  de  la  manier.  Secondement,  que  nous  se- 
rions tous  attachés  aux  40  articles  de  la  confession  de  foy,  en  un 
mot,  que  nous  aurions  même  doctrine  a  l'égard  des  dogmes, 
même  discipline,  et  que  nous  nous  donnerions  mutuellement  le 
secours  nescesaire  dans  tous  les  cas  de  nescésité,  sans  qu'il  y 
ait  jamais  rien  qui  put  avoir  le  moindre  air  de  rébellion  contre 
le  Roy. 

Yoicy  un  événement,  singulier  qui  arriva  le   T)'"  mars   17'25. 


inÈCES  ET  DOCUMENTS  INEDITS  475 

.Tavois  faif,  convoquer  une  assemblée,  proche  de  Coulougnac, 
dans  la  nuit.  Nous  fumes  découverts  par  un  soldat  qui  derohoit 
dos  choux  dans  un  jardin,  lequel  connut  par  la  démarche  du 
peuple,  qu'on  faisoit  une  assemblée.  Ce  soldat  crut  que  cette 
dernière  proye  seroit  plus  considérable  que  la  ])remiere  ;  il  se 
rendit  avec  avidité  chés  son  officier  pour  lui  reveller  ce  mistere. 
L'officier,  ravit  d'aprendre  un  tel  gibier,  fit  promptement  armer 
tous  les  chasseurs  pour  courrir  dilllgement  a  la  suitte.  Notre 
sentinelle  qui  les  guettoit  ne  man({iui  pas  de  nous  en  prévenir, 
et  nous  finies  dilligence  pour  nous  ôter  de  devant,  ce  qui  nous 
servit  d'un  fidelle  garant.  Cet  événement  marque  bien  quelle 
est  la  faveur  d'un  peu]de  qui  peut  aler  en  triomphe  a  la  maison 
de  Dieu  et  les  divers  moyens  dont  Dieu  se  sert  pour  conserver 
ceux  qui  sont  sous  la  croix. 

On  ne  trouvera  pas  étrange  que  je  rapporte  icy  que  je  fus 
appelé  par  les  Anciens  de  l'Eglise  de  St-Hipolite  de  la  Plan- 
quette  pour  y  administrer  la  Ste  Cène  a  40  Mess^^s  et  Dames; 
mais  les  Anciens  furent  fort  trompés,  puisqu'au  lieu  de  40, 
nous  fumes  passé  six  vingts  personnes,  ce  qui  nous  apprend 
que  ceux  qui  convoquent  des  assemblées,  ne  sont  pas  toujours 
les  maitres,  et  qu'il  n'est  pas  fort  facille  de  conduire  un  peuple 
composé  de  bons  et  de  mauvais.  Lyvroye  fait  toujour  beaucoup 
de  mal  au  bon  grain,  comme  cela  parroit  par  un  événement  ar- 
rivé le  22*^  avril  1727.  Mons''  Roussel  proposant,  me  pria  de  me 
rendre  dans  un  colloque  tenu  le  même  mois,  pour  calmer  quel- 
ques divisions,  survenues  aloccation  de  quelques  prétendus  In- 
spirés. Je  m'y  rendis  et  j'employa  tous  mes  soins;  le  bon  Dieu 
me  fit  réussir  et  bénit  mon  charitable  travail.  Mais  je  puis  pro- 
tester qu'on  ne  sauroit  trouver  des  personnes  plus  inraison- 
nables  que  ces  prétendus  Inspirés;  ils  se  servent  des  Ecritures, 
mais  ils  les  explifiuent  et  appliquent  si  mal,  (|ue  cela  fait  pitié 
de  voir  comme  ils  ont  l'audace  de  profaner  les  misteres  sacrés. 

Voicy  une  autre  chose  admirable  arrivée  au  Faux  des  Armes, 
montagne  de  Lozère,  dans  une  assemblée  convoquée  pour  la 


476  PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

célébration  de  la  Ste  Gène.  Une  Dem"e  marchande  se  présenta 
a  la  table  sacrée.  Un  Ancien  lui  dit  qu'elle  avoit  assisté,  il  n'y 
avoit  pas  beaucoup  de  temps,  au  prétendu  sacriffice  de  la  messe  ; 
alors  je  lui  demanda  si  elle  y  vouloit  renoncer  pour  jamais,  a 
quoy  elle  me  repondit  quelques  paroles  basses,  ce  qui  me  rendit 
comme  Elle  extrêmement  jaloux  pour  la  gloire  de  l'Eternel.  Et  je 
parla  à  ladite  demoiselle  d'une  manière  forte,  en  sorte  qu'elle 
fut  fort  consternée,  et  demeura  la  comme  immobile.  Quelques 
Anciens  me  dirent  de  la  consoler,  quelle  etoit  déjà  fort  humiliée, 
et  de  la  recevoir  à  la  Ste  Gène.  Je  répondis  qu'il  s'agissoit  de  la 
gloire  de  Dieu,  et  qu'on  ne  pouvoit  point  lâcher  ses  interest,  et 
que  cy  la  dite  Dem'i<^  nerenonçoitala  Babilonne  mistique,  l'en- 
tichretienne,  elle  ne  pouvoit  pas  être  reçiieàla  Ste  table  du  Sei- 
gneur. La  Demoiselle  saprochant  de  la  table  sacrée,  dit  qu'elle 
n'y  retourneroit  jamais,  et  de  prier  Dieu  en  sa  faveur  qu'il  ne 
l'exposa  point  aux  tentations.  Ainsy  elle  fut  reçiie  à  la  Ste  Gène, 
en  faisant  entendre  a  toute  lassemblée  qu'on  ne  peut  joindre 
Ghrist  avec  Belïat,  et  le  temple  de  Dieu  avec  le  temple  des 
idoles. 

Dans  une  autre  assemblée,  se  présenta  aussi  une  Demoiselle 
inconnue  aux  Anciens  de  l'Eglise  qui  président  a  l'assemblée, 
et  l'arrêtèrent,  parcequ'il  y  a  un  article  dans  nôtre  dicipline 
que  chacun  doit  communier  dans  son  Eghse  ou  porter  un  bilhet 
du  consistoire  de  son  Eglise.  Les  Anciens  arrêtèrent  donc  au- 
près de  la  Ste  table  cette  Dem"e^  lui  demandant  de  quelle  Eglise 
elle  étoit.  LaDem"*'  toute  tremblante  repondit  quelle  étoit  native 
de  St  Juilhan,  en  Gevene,  et  mariée  au  Port  St  Marie,  environ 
60  lieues  du  dit  St  Juilhan,  avec  un  papiste,  mais  qu'elle  avoit 
toujours  conservé  dans  son  cœur  la  pureté  de  la  religion  refor- 
mée, qu'il  y  avoit  fort  longtemps  qu'elle  n'avoit  point  souillé 
son  ame  dans  l'idolâtrie,  qu'elle  avoit  des  excellens  livres  de  nos 
docteurs,  anciens  et  modernes,  et,  qu'ayant  apris  qu'on  faisoit 
des  assemblées  en  Gévenes,  elle  y  étoit  venue  pour  communier. 
Gomme  elle  finissoit  ces  paroUes,  voila  l'Ancien  de  l'Eglise  de 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  477 

StJuilhan,  a  qui  étoit  recommandée,  qui  s'aprochaet  qui  confirma 
ce  qu  elle  avoit  dit;  ainsi  elle  fut  reçue  a  la  Cène  du  Seigneur, 
après  avoir  promis  qu'elle  n'iroit  jamais  plus  à  la  messe,  car 
nul  serviteur  ne  peut  servir  deux  maîtres.  On  peut  aisément 
conclure  de  ces  deux  dernières  aventures  dequelle  manière  se 
conduisent  les  Eglises  qui  sont  sous  la  croix,  et  comme  Dieu 
conserve  quelquefois  la  foy  de  ses  élus  au  millieu  des  infi- 
delles,  comme  est  arrivé  a  cette  dernière  Dem'^<^  nommée 
Gabrielle  Castaide. 

Une  assemblée  étant  convoquée  proche  Gange,  en  Gevene,  la 
nuit,  dans  un  ruisseau,  les  niies  se  brouillèrent,  de  sorte  que  la 
pluye,  les  éclairs  et  les  tonnerres,  étoient  si  forts  qu'il  sembloit  que 
le  ciel  se  fendoit.  Pareil  cas  nous  arriva  le  premier  juin  1727  a  la 
montagne  de  Losere:ilestvray  quela  seconde  fois  c'é  toit  de  jour; 
cinq  dimanches  de  suite  nous  fumes  exposés  a  souffrir  la  pluie, 
mais  le  dernier  dimanche  il  pleuvoit  si  fort,  pendant  le  temps  de 
la  dévotion,  et  n'ayant  autre  couvert  que  le  ciel,  jugés,  lecteur, 
de  quelle  façon  nous  fumes  moiiillés.  Au  moins  je  puis  dire  que 
je  sentois  couUer  l'eau,  le  long  de  lépine  du  dos  et  de  ma  che- 
mise. Qui  ne  voit  la  peine  qu'il  faut  souffrir  pour  trouver  la  pa- 
role de  Dieu,  et  heureux  encorre  si  Ion  etoit  dans  un  Désert  en 
sûreté  !  Cependant,  je  n'aperçois  jamais  la  dévotion  plus  vivo  et 
plus  ardente,  que  quand  on  se  trouve  dans  ces  extrémités. 

Voicy  la  découverte  de  quelque  lieux  qui  nous  étoient  incon- 
nus. Le  29^  de  juin  de  lan  1727,  en  sortant  d'une  assemblée  que 
j'avois  fait  convoquer  a  la  haute  montagne  de  la  Lusette,  d'en- 
viron 2,000  personnes,  dans  laquelle  Mons^'  Court,  Mons»"  Bon- 
bounoux  etM>*  Roussel  proposants  de  ces  Eglises  se  trouvèrent, 
—  je  fus  a  Cornus,  à  St  Jean  de  Bruel,  et  St  Félix,  jusqu'à  St 
Afrique.  A  ce  dernier  lieu,  je  n'étois  pas  inconû,  puisque  j'y 
avois  été  autrefois.  Je  serois  passé  volontiers  jusqu'au  pont  de 
Camarès  si  l'on  ne  m'eut  pas  dit  que  les  fidelles  du  pont  du  dit 
Camarès  m'attendoient  avec  impatience.  Je  me  doutta  d'abord 
qu'un  zélc  inconsidéré  pourroit  jetter  ces  fidelles  dans  un  dan- 


478  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

ger  inévitable,  que  les  ennemis  s'en  apercevroient  ,  cL  qu'ils 
feroient  beaucoup  de  prisonniers;  ainsi  je  m'en  retourna  sur 
mes  pas.  Il  est  bien  vray  que  M'"  Maroger  y  ètoit  passé  quel- 
(]ues  mois  devant  moy,  et  quemème  y  avoit  établit  des  Anciens, 
mais  ce  ne  fût  (]u  après  avoir  souffert  l)eaucoup  de  iieines  et 
beaucoup  de  duretés  et  de  refus.  Ce  qui  se  passa  deremarqua])le 
dans  cette  nouvelle  découverte,  se  fut  de  voir  des  gens  (|ui 
avoient  refusé  méchamment  toute  voye  de  reconciliation,  tant 
la  haine  et  l'animosité  étoient  implacable,  qu'ils  vinrent  eux- 
mêmes  s'humilier  devant  la  table  sacrée  et  se  reconcilier  heu- 
reusement. Yoilà  l'excellent  fruit  delà  prédication  de  l'Evangille, 
comme  dit  l'Apotre;  le  bon  plaisir  de  Dieu  est  de  sauver  les 
âmes  pour  la  prédication  de  l'Evangile. 

Les  Sinodes  des  Gévenes  de  cette  année  la  se  tint  le  1"2''  sep- 
tembre 1727.  Les  députés  de  la  Guienne  et  du  Rouergue  s'y 
rendirent  avec  une  lettre  de  remerciements,  de  ce  que  nôtre 
corps  leurs  avoit  envoyé  un  proposant  ;  secondement,  ils  présen- 
tèrent une  requête  a  l'assemblée  sinodale,  pour  la  prier  de  vou- 
loir bien  leur  donner  un  pasteur  et  un  proposant  pour  le  service 
de  leurs  Eglises;  ce  que  nôtre  assemblée  leurs  auroit  volon- 
tiers accordé,  si  les  Eglises  du  Lenguedoc  ne  se  trouvoient 
dans  une  si  grande  nécessité  ;  mais  n'ayant  pour  le  présent  que 
deux  pasteurs,  elles  ne  sauroient  s'en  passer,  sans  grande  jjerte. 
Ainsi  lut  délibéré,  a  la  requête  de  Mess,  de  Rouergue  et  de  la 
Guîene,  de  leurs  envoyer  nôtre  très  cher  frère  Mons^  Maroger 
proposant,  et  que  les  pasteur  leurs  rendroient  quel(|ues  vii-ites. 
Il  fut  lu  une  lettre  de  Mons*".  Rogert,  ministre  en  Dauphiné, 
de  leurs  envoyé  un  député  de  notre  Sinode,  selon  nos  règle- 
ments, pour  se  rendre  a  leurs  Sinode.  Comme  le  nombre  des 
pasteurs  est  a  presant  fort  petit,  l'assemblée  sinodale  jugeât 
])on  d'en  dispencer  les  pasteurs  par  des  grandes  raisons,  mais 
d'y  envoyer  un  proposant  avec  un  Ancien.  —  Voila  tout  ce 
que  la  mémoire  me  fournit  de  la  tenue  de  ce  dernier  Sinode. 

Le  52*^  octobre  de  la  même  année  1727.  j'ui-sista  à  un  roloque 


PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  479 

que  M.  Combe,  natif  de  St-Germain  de  Galberte,  proi);)sant 
dans  nos  Eglises,  avoit  convoqué,  et  qui  m'avoit  écrit  de  m'y 
rendre.  Tous  les  Anciens  de  l'Eglise  de  Losère  s'y  transpor- 
tèrent. Après  la  lecture  de  l'Ecriture  sainte  et  la  prière ,  j'in- 
terrogeat  les  Anciens  ,  ce  qu'ils  avoient  a  dire  touchant  leurs 
villages,  soit  a  l'égard  de  l'Eglise  en  gênerai;  cela  fait,  on  vint 
a  parler  des  galériens  et  prisonniers  et  fût  délibéré  d'envoyer 
a  nos  pauvres  frères  de  Marceille  121(ivres)  et  a  nos  sœurs  de  la 
tour  de  Constance  a  Aiguës  Morte  41(ivres).Onconnoitaiséement 
par  cette  petite  somme,  quelles  sont  les  forces  et  les  moyens  de 
nos  pauvres  Eglises,  leurs  forces  ne  s'étendent  pas  l)ien  loin  et 
leurs  moyens  sont  fort  bornés,  il  y  a  bien  plus  de  volonté  a 
secourir  les  frères  que  de  moyens  a  le  pouvoir  faire. 

Voicy  une  avanture  de  remarque  et  qui  nous  aprend  de  quoy 
est  capa])le  la  peur  et  surtout  lorsqu'elle  est  emparée  de  nos 
cœurs.  Le  15^  novembre  1727,  l'assemblée  fut  formée  la  nuit 
dans  une  maisonnette  de  laquelle  on  se  sert  pour  sécher  les 
chatagnes,  dans  un  bois  proche  de  nos  formidables  ennemis. 
L'Assemblée  étoit  formée  en  faveur  des  i)aroisses  de  St-Mar- 
tin,  et  de  la  Mialouze,  du  Castagnet,  de  Déze.  Comme  la  mai- 
son étoit  petite  on  pria  les  Anciens  de  ne  mener  que  des  com- 
muniants; mais  bien  qu'on  eut  enjoint  à  ceux  qui  faisoient  la 
fonction  des  cloches  de  ne  mener  qu'un  petit  nombre,  il  en  vint 
beaucoup  plus  que  la  maison  ne  pouvoit  contenir.  Mais  la  peur 
y  pourvu.  C'est  que  les  deux  sentinelles  virent  4  hommes,  avec, 
chacun,  un  flaml)(>au  a  la  main  pour  s'éclairer  :  à  la  vérité  c'è- 
toit  des  ennemis,  mais  qui  ne  pensoient  point  à  nous.  Nos  sen- 
tinelles se  donnèrent  peur;  ils  leurs  parût  que  ces  flambeaux 
venoient  à  nous;  bien  qu'il  ne  fut  pas  vray,  ils  vinrent  donner 
l'alarme  a  l'assemblée;  je  sortis  promptementpour  voir  de  quoy 
il  s'agissoit,  j'aperçu  ces  quatre  flambeaux,  et  je  dis  aux  An- 
ciens :  ces  flambeaux  suivent  le  ruisseau,  et  ne  croyés  pas  que 
l'ennemi  vint  avec  de  la  lumière  pour  nous  surprendre,  calmés 
vous  et  ne  faittes  pas  du  bruit.  Si  cependant  une  partie  de  Tassem- 


480  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

blée  s'enfuit,  et  la  maison  qui  étoit  trop  petite  fut  assés  grande  : 
ainsi  les  restans  nous  achevâmes  heureusement  nôtre  dévo- 
tion; le  lendemain  les  fuyards  se  reprochoient  leur  lâcheté. 

Le  30^  du  dit  mois  de  novembre,  nous  célébrâmes  le  jeune 
dans  une  assemblée  d'environ  trois  mille  âmes.  Ce  qui  donna 
lieu  a  rendre  cette  assemblée  si  nombreuse,  fut  trois  choses  :  la 
première  que  Mons*"  Boyer  proposant  fit  venir  les  fidelles  d'en- 
viron deux  lieiies ,  la  seconde  que  la  place,  ou  l'assemblée  étoit 
convoquée,  favorise  divers  endroits  et  des  bourgs  considé- 
rables, comme  Enduze,  la  Salle,  St-Jean;  la  3«  c'étoit  un  di- 
manche, et  jour  de  jeune,  par  aincy  une  dévotion  extraor- 
dinaire. 

Pour  faire  mieux  sentir  la  misère  des  Eglises  persécutées 
dans  les  lieux  ou  règne  le  fils  de  perdiction,  il  faut  raporter  icy 
ce  qu'arriva  le  14«  mars  de  l'année  1728.  Je  fis  convoquer 
une  assemblée  a  la  haute  montagne  de  la  Lusette,  lieu  qui  favo- 
rise divers  fidelles,  ou  il  se  fait  des  assemblées  de  deux  mille 
âmes.  Le  samedy  au  soir,  la  veille  de  l'assemblée,  il  se  leva  un 
vent,  si  fort  et  si  froid  que  l'eau  glaçoit  sous  les  pieds,  ce  qui 
fit  que  dans  cette  haute  montagne,  ou  il  se  fait  des  assemblées 
si  considérables,  il  ne  se  rendit  qu'environ  mille  âmes  qui  for- 
cèrent contre  le  vent  impétueux.  Je  leurs  exposa  la  prédication 
que  j'avois  méditée,  mes  hélas  !  a  tous  moments  le  vent  me  fer- 
moit  la  bouche,  et  me  coupoit  la  parole.  Ah!  qu'on  est  malheu- 
reux de  se  trouver  dans  un  lieu  ou  l'on  ne  peut  prier  Dieu, 
qu'au  risques  des  galères  et  de  la  mort  même,  —  ce  qui  jette  les 
réformés  des  Eglises  qui  sont  sous  la  croix  dans  la  terreur  et 
dans  la  crainte,  comme  cela  paroit  par  un  événement  que  je  va 
rapporter.  Le  21®  mars  de  la  même  année  1728,  après  avoir  fait 
une  assemblée  pour  la  communauté  de  la  ville  et  paroisse  de 
Mairaix  dans  un  Désert,  je  fus  attiré  par  les  Anciens  dans  la 
ville,  pour  la  reconcilliation  de  quelques  familles  distinguées 
qui  étoient  fort  divisées.  Estimant  que  mes  paroles  feroient  plus 
d'impression  dans  l'esprit  de  ces  personnes,  le  24®  du  dit  mois 


PIECES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  481 

les  Anciens  requirent  que  j' administrât  laSte  Gène  aux  Mess^^^ 
et  Dames  de  cette  ville  qui  le  demandoient  ardemment  et  que 
c'étoit  le  grand  moyen  pour  les  reconcillier,  ce  que  nous  fimes 
la  nuit  dans  une  chambre  de  leur  ville  ;  les  personnes  divisées 
se  reconcilièrent  heureusement,  a  la  grande  consolation  des 
Anciens,  et  a  la  salutaire  édification  de  l'Eglise.  Voila  nos 
Mess"  et  nos  Dames  pénétrés  d'une  grande  joye,  mais  cette 
joye  fut  deux  jours  après  interrompiie  par  une  terreur  panique, 
en  ce  que  le  26«  mars  du  susdit  mois,  le  fils  de  Mons»"  De  Jean, 
commandant  d'une  petite  garnison  de  St  André,  fut  a  Mairaix 
étant  venu  accompagner  le  curé  de  la  ditte  ville.  Ces  Mess", 
Dames  et  Demoiselles  se  mirent  dans  fesprit  que  mon  Dejean 
étoit  la  pour  faire  des  perquisitions  de  l'assemblée  qu'on  ve- 
noit  de  faire,  ils  m'envoyèrent  trois  exprés  consécutifs  pour 
m' en  gager  a  fuir  pour  aincy  dire  tout  le  pais.  J'aurois  en  effet 
pris  la  fuite,  n'étoit  que,  deux  jours  média tement  après,  je  de- 
vois  me  trouver  a  la  grande  forest  de  la  haute  montagne  de 
Lagoual,  dans  une  assemblée  qu'un  proposant  et  les  Anciens  de 
trois  ou  quatre  parroisse  nous  avoient  donné  rendes -vous  de 
faire  pour  la  célébration  delà  Paqiie  chrétienne.  Ors  la  commu- 
nauté de  Mairaix  sont  terres  touchantes  avec  celles  de  la  Vale- 
raugue,  de  St  André,  du  Bassorez;  en  un  mot  la  grande  forest 
de  Lagoual  dépend  de  plusieurs  paroisses,  et  de  plusieurs  di- 
rectes.  Lalarme  de  Mess^^^  de  Mairaix  ne  se  donna  point  dans 
mes  cartiers  et  n'entra  point  dans  mon  cœur;  ainsi  je  ne  quitta 
point  leurs  terres,  mais  je  me  retira  dans  un  désert  ou  je  me 
sentois  bien  que  j' étoit,  avec  le  secours  de  Dieu,  en  toute  sû- 
reté :  quelques  jours  après,  les  Mess"  et  Dames  de  Mairaix 
avoient  douleur  dâvoir  manqué  de  venir  a  l'assemblée  du  di- 
manche et  honte  de  s'etres  épouvantés  sans  sujet. 

Apres  cette  assemblée  de  l'Egoual,  je  m'achemina  pour  me 

rendre  du  coté  de  Nimes  parce  que  le  temps  du  Sinode  alloit 

tomber,  que  nous  avoins  arrêté  M""  Court  et  moy  de  le  tenir 

le6avrill728.MaisquandjefusprocheEnduze,endessendant,je 

I  31 


432  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

trouva  uiilidellequime  dit  :  «Ne  passés  pas  dans  la  ville,  car  on  a 
fait  la  nuit  passée  une  exatte  recherche  a  deux  maisons,  croyant 
de  trouver  quelqu'un  de  nos  chers  frères,   nos  ennemis  mar- 
choient  avec  un  air  furieux  et  un  aparel  cruel,  la  bayonnette 
au  l)ut  du  fuzil.  »  Ce  qui  me  donna  lieu  de  passer  hors  la  ville. 
Mons^  Combe  proposant  qui  se  trouva  dans  la  ville,  mais  non 
pas  a  la  maison  qu'on  cherchoit,  ne  fit  pas  le  paresseux  à  sortir 
de  la  ville.  Le  Sinode  se  tint  donc  le  6  avril  1728.  Il  ne  s'y 
passa  rien  qui  mérite  d'être  inserré  dans  cette  Ijriève  relation, 
si  ce  n'est  que  Mons»'  Betrine  avoit  demandé  congé  pour  six 
mois  et  puis  il  en  prit  dix-huit  pour  aller  étudier  à  Genève,  au 
bout  d'un  an  on  le  pria  de  venir,  mais  il  crut  que  ses  études  le 
dispençoit  d'un  si  prompt  retour,  cependant  M''  Betrine  fut 
rendu  le  6^  avril,  il  se  présenta  au  Sinode  et  reçut  les  sençures 
que  lassemblée  sinodale  crut  être  en  devoir  de  lui  faire  :  ainsi 
il  continua  dans  sa  charge  de  proposant.  Par  ce  dernier  événe- 
ment on  conçoit  aisément  qu'il  y  a  une  discipline  qu'on  exerce 
contre  les  deliquants  et  les  rebelles.  Ainsi  je  finis  mon  histoire, 
en  laissant  diverses  choses  arrivées  dans  les  assemblées,  dans 
les  coloques,  dans  les  Sinodes ,   dans  lesquelles  on  poarroit 
aiséement  voir  la  sagesse  de  Dieu  dans  la  conduitte  de  son 
E"-lise    et  en   tirer  des  conséquences  admirables;  mais  cela 
auroit  rendu  l'histoire  extrêmement  longue,  ce  qui  auroit  été 
contraire  à  mon   dessin  qui  est  de  faire  un  petit  abrégé  des 
choses  passées  en  Lenguedoc,  ne  parlant  que  très  peu  du  Dau- 
phiné  et  de  la  Guienne. 

Si  quelqu'un  souhaite  une  relation  moins  circonstanciée,  jc 
le  prie  de  me  le  faire  savoir,  on  pouroit  les  satisfaire  tant  de  la 
Guienne,  du  Daupliiné,  que  du  Lenguedoc,  et  surtout  me  trou- 
vant porté  sur  le  lieu.  Le  Seigneur  veuille  avoir  pitié  de  son 
EgUse  affiigéje  et  mettre  fin  a  nos  tribulations,  et  nous  donner 
la  précieuse  liberté  de  le  servir,  sans  crainte  de  nos  ennemis,  tous 
les  jours  de  notre  vie.  Amen. 

Le  14^^  juin  1728. 


PIEGES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  483 

APPENDICE 

Si  quelqu'un  souhaittedc  savoir  lo  noml)re  des  parroisst^s  (jui 
ibrmont  les  Eglises  des  Gevenes  de  la  montagne  de  Losere,  les 
voicy  :  1  Gange,  2  Sumaine,  3  la  Rivière  de  Vis,  etc.,  etc.  Ces 
douzes  dernières  Eglises  forment  le  Sinode  de  Losére,  savoir  : 
les  Anciens  de  chaques  Eglises  étant  asemblées  en  colloque  y 
font  deux  deputtés  pour  se  rendre  au  Sinode,  pour  y  rapporter 
les  choses  et  y  être  décidées. 

Voicy  une  aventure  railleuse. 

Environ  lan  172G,  le  prêtre  de  Gardet  chantant  dans  une  mai- 
son, un  soldat  de  la  garnison  de  Ladignant,  layant  entendu,  il 
crut  que  c'étoit  une  assemblée,  il  s'encourut  promptement  a  son 
capitaine  qui  ne  manqua  pas  d'y  aller  incessamment  avec  un  fort 
détachement.  Y  trouvant  le  prêtre,  le  prennent  et  le  conduisent 
en  prison  a  Ladignant,  se  forgeant  dans  la  tête  (|ue  c'étoit  un 
ministre  déguisé  en  prêtre,  le  pauvre  prêtre  bien  affligé  de  se  voir 
lié  et  attaché,  et  surtout  de  le  prendre  pour  un  calviniste,  lofficier 
qui  ne  se  vouloit  pas  détromper.  Gomment  faire?  il  falut  avoir 
recours  au  témoignage  des  consuls  et  habitants  de  Gardet,  qui 
sont  tous  des  reformés,  pour  desabuser  l'officier,  et  lassurer 
que  le  prêtre  est  bon  serviteur  du  pape. 

On  n'a  pas  rapporté  ici  la  recejjtion  des  ])roposants  dans  la  li- 
berté de  prêcher  sans  toucher  aux  sacrements,  dont  l'examen  est 
fort  cdiiiant,  de  même  que  l'exhortation  qu'on  leurs  dresse,  qui 
est  en  particulier  de  ne  point  embrasser  ce  party,  s'ils  ne  sont 
disposés  a  soulTrir  toutes  les  duretés,  toutes  les  peines,  voire  la 
mort  même,   non   seulement  avec  patience,  mais  aussi  avec 

»1 0  n'ai  rien  dit  de  la  réception  au  St ministère  de  M*"  I)urand, 
du  Vivares,  environ  l'entrée  du  mois  de  may  1720.  Pour  faire 
cette  réception,  après  un  examen  de  deux  jours  en  présence  des 
proposants  et  d'un  nombre  d'Anciens  des  itlus  experimantés, 
on  avoit  donné  a  Mons''  Durand  deux  textes,  un  de  théoioaic 


484  PIECES  ET  DOCUMENTS  INEDITS 

et  l'autre  de  morale.  Le  premier  jour,  il  exposa  un  sermon  qu'il 
avoit  fait  sur  un  de  ces  textes  et  fit  la  lecture  de  l'autre  qu'il 
avoit  aussi  fait  sur  le  texte  qu'on  lui  avoit  donné,  le  reste  de  ce 
jour  avec  le  second  fut  employé  à  l'examen  de  la  doctrine,  a  lui 
faire  des  questions  sur  la  créance  et  sur  les  dogmes  de  la  reli- 
gion. Ayant  répondùt  d'une  manière  satisfaisante,  il  fut  reçu,  le 
soir,  dans  une  assemblée  fort  nombreuse. 

Je  n'ay  pas  non  plus  parlé  comme  dans  le  Lenguedoc,  il  y  a 
des  écoles  pour  la  science  de  la  musique.  L'hyver  dernier  1727, 
il  y  avoit  une  école  a  Losere,  une  a  la  parroisse  de  Yialas,  an- 
cienne de  Cartagnol,  une  a  Sadorgues^  une  a  Pairoles  proche 
St.  Jean,  une  a  Anduze,  Mons^"  Fauché  a  présent  réfugié  a  Zu- 
rich a  fait  aussi  quelque  temps  cette  pieuse  fonction,  avec  beau- 
coup dedification,  a  la  ville  de  Nimes,  et  a  rendu  de  charitables 
visites  aux  malades ,  lors  qu'il  y  a  été  employé,  le  tout  a  lab- 
sence  et  a  lincu  des  catholiques  romains. 

Je  crois  de  pouvoir  dire  icy  que  le  chantre  et  les  ecolliers  de 
la  parroisse  de  Pairolles,en  sortant  de  dire  leur  leçons,  se  ren- 
dirent dans  une  chambre,  dans  laquelle  Mons»"  le  prieur  de  la  dite 
parroisse  êtoit  dans  un  lit  pour  se  reposer,  mais  mcomïo.  Les  mu- 
siciens parloient  de  leurs  musique,  de  leurs  psaumes,  de  leurs 
prédicateurs,  de  leurs  assemblées,  enfin  la  matière  de  leurs  en- 
tretient rouloit  sur  ce  sujet,  n'apercevant  pas  Mons»'  le  prieur, 
caché  dans  les  rideaux  du  lit.  Gomme  cette  jeunesse  étoit  sur 
le  point  de  partir,  voila  Mons''  le  prieur  qui  sortit  du  lit  et  leur 
dit  :  «Hé  bien!  Mess^'^,  vous  aprenés la  musique  des  psaumes.  » 
Cette  pauvre  jeunesse  fut  bien  consternée.  Mons''  le  prieur  prit 
encore  la  parole  etleurdit:  «Etmème  parce  que  j'en  ai  entendu, 
vous  ne  la  savés  pas  a  fond  la  musique,  »  Et  se  mit  a  chanter 
avec  eux  queques  versets,  disant  que  c'est  ainsi  qu'il  faut  chan- 
ter. Alors  la  jeunesse  lui  dit  :  «  Mons^'  le  prieur,  vous  nous  fériés 
bien  plaisir  de  nous  l'aprendre,  a  quoy  il  répondit:  «Je  m'en 
garderai  bien,  vous  vous  vanteriés  que  vous  l'avés  aprise  de 
moy.  » 


PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS  485 

Je  ne  crois  pas  faire  un  mal  de  raporter  un  aventure  arrivée 
environ  le  mois  de  septembre  1726,  entre  Briou  et  Moulhiere. 
Mons^  Maroger  et  moy  nous  avions  convoqué  une  assemblée 
d'environ  2,000  âmes  :  la  place  de  l'assemblée  favorise  4  a  5  vil- 
lettes,  savoir  Homessas,  Moulhiere,  Briou,  Aulas,  le  Viguan. 
Les  fîdelles  de  cette  dernière  ville,  en  venant  a  kssemblée,  trou- 
vèrent en  leurs  chemin,  a  l'entrée  de  la  nuit,  trois  de  nos  enne- 
mis qui  connurent  bien  qu'on  alloit  a  lassemblée  ;  un  de  ces 
trois  étoit  le  frère  de  M*"  Daudé,  juge  criminel  du  Yigan,  qui  ne 
manqua  pas  de  l'aller  dire  a  son  frère,  Mons""  le  juge  dit  cela  a 
son  frère,  parce  que  les  Gamisards  ont  tué  leur  père,  qui  étoit 
cruel  et  méchant  contre  les  protestants.  Mais  cette  exhortation 
ne  fit  aucune  impression  dans  l'esprit  de  M.  Daudé  qui  avoit 
trouvé  les  reformés  allant  a  l'assemblée,  de  sorte  qu'il  s'en  fût 
parler  au  capitaine  des  dragons  ;  le  capitaine  prit  un  détache- 
ment de  dragons  et  mit  Mons^  Daudé  a  la  tète  ;  ils  mar- 
chèrent ainsi  jusqu'au  pont  d'Andou,  ou  le  capitaine  dit  a 
Monsr  Daudé  :  «  Hé  bien  !  ou  faut  il  passer  pour  aller  voir  et 
prendre  ces  assemblées  ?»  A  quoy  il  répondit  :  «  Je  ne  sai  pas 
positivement  ou  ils  sont.  «  Alors  le  capitaine  s'emporta  et  in- 
juria M»"  Daudé  de  l'avoir  fait  sortir  avec  ses  soldats,  sans  savoir 
ou  aller;  ainsi  le  détachement  s'en  retourna  au  Viguan.  Nos 
sentinelles  ne  manquèrent  pas  de  nous  informer  du  départ  des 
soldats  du  Viguan,  ce  qui  nous  donna  lieu  de  renvoyer  l'assem- 
blée par  un  chemin  couvert  de  nos  ennemis.  Je  ne  dois  pas  ob- 
mettre  que  le  dit  Mons^  Daudé  qui  avoit  conduit  le  détachement 
au  pont  d'Andou,  fut  attaqué  le  jour  suivant  par  une  Demoi- 
selle avec  qui  M»"  Daudé  avoit  beaucoup  de  confiance,  qui  lui  dit 
en  ces  termes  :  «  Monsieur,  vous  avez  découvert  une  assemblée, 
vous  avés  été  a  la  tête  d'un  détachement;  je  ne  donnerois  pas 
six  deniers  de  vôtre  vie.  Vous  savez  ce  qui  a  attiré  la  mort  de 
Monsieur  votre  père;  vous  vives  au  milieu  du  même  peuple;  il 
faut  certe  que  vous  soyés  bien  las  de  vôtre  vie;  et  qu'el  avan- 
tage vous  revient-il  de  détruire  des  gens  qui  ne  vous  font  point  de 


486  PIÈCES  ET  DOCUMENTS  INÉDITS 

mal?»  Alors  Mons»'Daudé  fut  fort  épouvanté  et  tout  tremblant;  il 
(lit  :  «  Mademoiselle,  je  m'en  repent,  et  je  ne  Tai  fait  que  par  le 
conseilde  Mons>'Fimel,  prieur  d'Aulas,  mais  jamais  on  n'entendra 
plus  rien  dire  de  semblable  de  moy,  je  vous  prie  M*i«  d'en  assu- 
rer les  réformés.  »  C'est  ainsi  que  ce  formidable  ennemi  fut 
humilié. 

Yoicy  les  noms  des  proposants  du  Languedoc  :  Mess''*^  Jean 
Betrine,  Jean  Combe  ,  .Jean  Rouvière,  Jacque  Bonbounoux, 
Jmn  Gaubert,  Jean  Couest,  François  Roux,  Jacques  Boyer, 
Clary,  et  Maroger,  et  Roussel.  11  ne  faut  pas  oublier  M.  Rivière, 
qui,  quoy  qu'il  ne  soit  pas  encorre  reçu  dans  le  corps  des  propo- 
sants, il  s'est  déjà  consacré  pour  cet  usage.  Le  nom  des  mi- 
nistres est  P.  Corteiz  et  Antoine  Court. 

Yoicy  les  noms  de  ceux  qui  servent  les  Eglises  du  Vivarés  : 
Messieurs  Pierre  Durand,  celui-cy  est  ministre,  Lasagne,  Cler- 
gué,  Brunel,  Bernât,  Guïllot. 

Le  nombre  est  fort  petit  dans  la  province  du  Dauphiné  savoir  : 
Monsi-  Rogert  ministre ,  Mons^  Yillevaire  proposant,  et  deux 
autres  dont  le  nom  m'est  inconnu. 

(N"  17,  vol.  II.) 


FIN    DES   PIÈCES   ET    DOCUMENTS. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Préface Page  i. 

Introduction  .     .         r Page  vu . 

CHAPITRE  PREMIER. 

ENFANCE    ET   JEUNESSE    d'aNTOINE   COURT  dÔPÔ-lTlS). 

Naissance  crAiitoine  Court.  —  Ses  parents;  leur  ferveur  religieuse. 

—  Mort  de  sou  père.  — ^  Sa  mère,  Marie  Gébelin.  —  Il  est  conduit 
à  l'école.  —  Progrès  rapides;  légère  instruction  :  «  lire,  écrire, 
compter.  »  —  Franchise  de  son  caractère.  —  Sa  haine  pour  la  messe. 

—  Le  Vivarais.  —  Tracasseries  auxquelles  il  est  en  butte.  —  Il  es- 
saye du  commerce;  peu  de  goût.  —  La  tendance  de  son  esprit  le 
pousse  vers  l'étude  des  choses  religieuses.  —  Premières  lectures.  — 
Il  assiste  à  une  assemblée.  —  Il  réorganise  l'Eglise  de  Villeneuve- 
de-Berg.  —  Son  influence  sur  les  religionnaires.  —  Premières 
courses  avec  Brunel  dans  le  haut  Vivarais.  —  Il  prêche.  —  De  ce 
jour  date  son  ministère.  — Il  continue  ses  courses  dans  le  Vivarais. 

—  Paix  d'Utrecht.  —  Court  écrit  au  gouverneur  du  Languedoc.  — 
Sa  décision  est  prise;  il  quitte  sa  mère  et  se  consacre  au  ministère. 

—  Il  descend  dans  le  bas  Languedoc;  visite  le  Dauphiné;  se  rend 
h  Marseille  et  organise  un  culte  sur  les  galères.  —  Répondant  à 
l'appel  de  Corteiz,  il  revient  à  Nîmes.  —  Confiance  des  protestants 
en  lui.  —  Son  courage.  —  Son  activité.  —  Repos  momentané.  — 
Elaboration  d'un  plan  de  conduite.  —  Plan  de  Claude  Brousson.  — 
Discussion  du  projet.  — Trois  classes  de  protestants.  —  Les  moyens 
d'action  sont  arrêtés.  —  Rétablissement  des  Synodes.  —  Jacques 
Roger.  —  Sa  vie  aventureuse.  —  Il  revient  en  France  en  1715.  — 
Situation  du  Dauphiné,  —  Le  «  Réveil»  est  décidé.     ,  Page  1. 


488  TABLE  DES  MATIERES 

CHAPITRE  IL 

LE  RÉVEIL  EN  LANGUEDOC,  EN  POITOU  ET  EN  DAUPHINÉ  (1715-1723). 

Court  réunit  le  premier  Synode  (21  août  1715).  —  Sa  composition.  ■— 
Nommé  modérateur  de  l'assemblée,  il  expose  son  plan.  —  Tout  est 
approuvé.  —  Nomination  d'Anciens.  —  Règlements  généraux.  — 
Les  prédicants  doivent  courir  le  Languedoc.  —  Jean  Vesson.  — 
Huc-Mazel. — Bombonnoux.—  Pierre  Durand.  — Brunel. — Rouvière. 
— Etienne  Arnaud. — Corteiz;  jeunesse  de  cedernier;  exilé  en  Suisse, 
il  revient  en  1709  ;  en  1713,  désespéré,  il  retourne  à  Genève  ;  il  re- 
vient à  Nîmes  et  se  met  en  rapports  avec  Court;  sa  valeur  et  son 
activité.  —  Il  se  lie  d'amitié  avec  Court.  —  L'un  complète  l'autre. 

—  Court  reprend  ses  courses.  —  Il  convoque  un  second  Synode.  — 
Assemblée  de  Monoblet,  —  Le  gouverneur  d'Alais  fait  de  vives  ré- 
primandes. —  Antoine  Court  se  rencontre  k  Nîmes  avec  Roger  ac- 
compagné de  Brunel.—  Roger  se  rend  dans  le  Dauphiné  où  il  ren- 
contre Corteiz.  —  Ils  se  décident  à  réunir  un  Synode.  —  Divers 
règlements.  —Roger  continue  ses  courses.  —  Courses  de  Court  dans 
le  bas  Languedoc.  —  Maladie  de  Court.  —  Court  à  Anduze.  —  II 
est  obligé  de  quitter  Saint-Hippolyte.  —  Il  se  dirige  sur  Nîmes, 
puis  revient  dans  les  Cévennes  où  il  réunit  un  nouveau  Synode 
(2  mars  1717).  —  On  nomme  deux  pasteurs  pour  administrer  la 
sainte  Cène.  —  Arnaud  est  fait  prisonnier  et  pendu.  —  Bétrine  rem- 
place Arnaud.  —  Déposition  de  Vesson.  —  Courses  dans  le  haut 
Languedoc.  —  Les  prédicants  sont  injuriés  et  chassés.  —  Nouveau 
Synode  (3  mai  1718).  —  Corteiz  part  pour  Genève.  —  Qu'est-ce  que 
le  «  Réveil?  »  —  Le  culte  de  famille.  —  Manque  absolu  de  livres. 

—  Les  réfugiés  en  envoient.  —  Passion  de  lecture.  —  Jeûnes  géné- 
raux. —  Lettres  d'exhortations.  —  Antoine  Court  et  ses  collègues 
trouvent  des  auxiliaires. —  Duplan.— Court  se  met  en  relations  avec 
lui.  —  Corteiz  demande  aux  pasteurs  de  Genève  l'ordination.  —  De 
Genève,  il  va  à  Zurich,  —  Après  beaucoup  d'efforts,  il  obtient  de  se 
faire  consacrer  pasteur.  ■ —  Il  fait  imprimer  un  sermon  de  Court. — 
Il  rentre  dans  les  Cévennes.  —  Consécration  d'Antoine  Court.  — 
Cérémonie.  —Court  reprend  ses  courses.  —  Le  haut  Languedoc  est 
réveillé.  —  Peste  de  1720.  —  Ferveur  et  piété.  —  Corteiz  redou- 
ble d'activité.  —  Gaubert  et  Roux.  —  Le  nombre  des  églises  aug- 
mente. —  Courses  de  Corteiz  et  d'Antoine  Court.  —  Les  églises  de 
la  Lozère  sont  reconstituées. —  Le  Vivarais  accepte  les  règlements 
du  Languedoc.  —  Le  réveil  en  Dauphiné.  —  Activité  de  Roger.  — 
On  sévit  en  Dauphiné.  —  Provence  et  Comté  de  Foix.  —  Guyenne. 

—  Bretagne;  le  mouvement  y  est  essentiellement  laïque.  —  Picar- 


TABLE  DES  MATIÈRES  489 

die.  —  Poitou.  —  Persécutions  dans  le  Poitou.  —  En  1718,  grandes 
assemblées.  —  Etat  du  protestantisme  en  1723.— Résultats  obtenus. 
—  Rêves  et  espérances Page  25. 

CHAPITRE  III. 

l'ordre    :    SYNODES,    PRÉDICANTS   ET    MARIAGES   (1715-1723), 

Programme  de  Court  :  Ordre  et  Réveil.  —  Importance  et  avantage  de 
ce  programme.  —  Il  copie  l'ancienne  discipline  des  églises  réfor- 
mées de  France. —  Les  Synodes  provinciaux  se  réunissent  réguliè- 
rement. —  Leur  organisation.  —  Leurs  travaux.  —  Leur  nombre 
s'accroît. —  Colloques. —  Consistoires;  leur  composition;  importance 
que  Court  attache  à  l'institution  des  Anciens.  —  Rôle  des  consis- 
toires et  des  Anciens.  —  Conditions  pour  être  nommé  Ancien. — 
Les  prédicants;  leur  rôle  et  leur  importance. — Conditions  d'admis- 
sibilité. —  Recommandations  de  Court  à  cet  égard.  —  Qu'entend-on 
par  prédicants?  — Trois  catégories.  —  1°  Le  proposant;  sa  vie;  un 
récit  de  Court  à  ce  sujet.  —  2°  Le  prédicant  ;  pour  être  nommé,  il 
faut  subir  un  examen  ;  sur  quoi  porte-t-il  ?  fonctions  du  prédicant. — 
3°  Le  pasteur;  ses  fonctions.  —  L'égalité  néanmoins  est  abso- 
lue. —  Court  fait  obtenir  un  traitement  aux  prédicants.  —  Règle- 
ment pour  les  fidèles.  —  Baptêmes  et  mariages.  —  Cruelles  forma- 
lités. Professions  de  foi;  actes  d'abjuration.  — Les  religionnaires 
ne  veulent  pas  se  soumettre  à  ces  lois.  —  Inquiétude  de  la  cour  de- 
vant ces  infractions.  —  Les  craintes  sont  prématurées.  —  En  1730 
seulement,  les  mariages  au  Désert  se  multiplient. —  Il  n'y  a  que  les 
gens  «  du  menu  »  qui  désobéissent.  —  Court  et  les  Synodes  s'élè- 
vent contre  cette  condescendance  aux  ordres  de  la  cour.  —  Règle- 
ments synodaux. — Cérémonies  du  baptême  et  du  mariage. —  Danger 
de  ces  cérémonies.  —  Anecdote.  — Peines  disciplinaires.  —  Schisme 
de  Huc-Mazel.  —  Ses  opinions.  —  Synode  de  1719.  —  Il  interdit 
Hue,  qui  n'en  continue  pas  moins  son  ministère  et  qui  a  des  disci- 
ples. —  Les  efforts  de  Corteiz  et  de  Pictet  sont  vains.  —  Mort  de 
Hue.  —  Schisme  de  Vesson  (1716).  —Déposition  et  soumission  de 
Vesson  (1718).  — Etablissement  de  l'ordre Page  74. 

CHAPITRE  IV. 

LES  ASSEMBLÉES   AU   DÉSERT    (1715-1723). 

Antoine  Court  organise  les  assemblées  du  Désert.  —  Ses  vues  et  son 
but.— Les  Anciens  sont  chargés  du  soin  de  convoquer  les  assemblées. 


490  TABLE  DES  MATIERES 

—  Le  départ;  longueur  du  trajet.  —  Fatigues  et  souffrances.  —  In- 
tempéries. —  Contre-temps.  — Sentinelles  et  paniques.  —  Le  culte, 

—  Le  sermon;  dans  les  commencements,  les  prédicants  récitent  les 
sermons  de  pasteurs  célèbres.  —  La  sainte  Cène;  sévérité  des  pré- 
dicants pour  y  admettre  les  fidèles,  —  Dangers  des  assemblées;  les 
espions,  les  faux  frères,  les  soldats.  — Défenses  formelles  du  Roi. — 
Surprises  d'assemblées.  —  Les  châtiments.  —  Courage  inébranlable 
des  religionnaires.  —  Attaques  dirigées  par  les  protestants  de  l'é- 
tranger contre  les  assemblées;  leur  argumentation. — Troubles  dans 
le  Poitou  (17i9).  —  Emoi  qu'ils  excitent  en  Suisse  et  en  Hollande. 
— Lettre  de  Basnage  et  de  Pictet;  réponse  d'Antoine  Court. —  Nou- 
velles attaques;  nouvelles  lettres  de  Pictet  et  de  Via!  ;  réponse  d'An^ 
toine  Court.  —  Les  attaques  continuent  pendant  le  dix-huitième 
siècle.  —  Leur  injustice  et  leur  peu  de  fondement.  —  Elles  n'arrê- 
rent  pas  l'élan  général.  —  Succès  croissant  des  assemblées.  — Joie 
qu'en  éprouve  Antoine  Court Page  105 

CHAPITRE  V. 

LE    PROTESTANTISME    ET    LA    RÉGENCE   (1715-1723). 

Confiance  des  religionnaires  à  l'avènement  du  duc  d'Orléans.  —  Une 
première  déclaration  trouble  leurs  illusions.  —  Indifférence  du  Ré- 
gent; conversation  avec  Saint-Simon.  ■ —  Les  affaires  religieuses 
sont  toujours  dirigées  par  les  anciens  conseils  de  conscience  et  de 
rintérieicr.  — Plaintes  de  Bàville.  —  Déclaration  de  1716;  lettre 
du  duc  d'Antin.  —  Consternation  des  religionnaires.  —  Plaintes 
et  requêtes;  lettre  d'Antoine  Court  à  Roquelaure.  —  Mesures  contre 
les  réfugiés;  persécution  incessante  et  générale  en  France  :  Picar- 
die, Bretagne,  Saintonge,  Guyenne,  Dauphiné,  Poitou,  Languedoc. 

—  Résignation  des  protestants.  —  Sentiments  de  patience  que  leur 
inspire  Antoine  Court  et  dont  il  entretient  l'énergie;  preuves. — 
Curieuse  aventure  :  France  et  Espagne.  —  La  cour  craint  un  soulè- 
vement des  religionnaires  du  Languedoc  et  du  Poitou;  elle  leur  fait 
écrire  par  Basnage  et  par  Pictet;  elle  envoie  enfin  des  députés.  — 
Etonnement  d'Antoine  Court;  réponses  qu'il  fait  au  député  de  la 
cour.  —  La  vérité  sur  Scipion  Soulan.  —  Espérances  que  ces  évé- 
nements font  naître  chez  les  protestants. — Paroles  d'Antoine  Court. 

—  La  persécution  recommence  en  Bretagne,  Dauphiné,  Poitou,  Lan- 
guedoc. —  Découragement  général.  —  Lettre  à  Roquelaure.  — Pro- 
testations de  fidélité.  —  Règlements  du  Synode  de  1721.  —  Conti- 
nuation de  la  persécution Page  129. 


TABLE  DES  MATIERES  491 

CHAPITRE  VI. 

LK^!   JNSPIRKS    ET    LES    MULTIPLIANTS   (1715-1723), 

Obstacles  que  rencontre  le  «  Réveil  »  depuis  1720.  —  Le  parti  des  In- 
spirés ;  crédit  dont  il  jouit.  —  Le  prophétisme  depuis  la  Révoca- 
tion; trois  périodes  :  —  1"^  Les  petits  prophètes:  Astier,  Isaheau 
Vincent,  etc.;  quelle  est  la  cause  du  mouvement;  Du  Serre;  les  In- 
s[)irés  du  Castrois  ;  dis])ersion  des  [jetits  j)ropliètes.  —  2"  I^es  pro- 
phètes Camisards  :  Mazel,  Cosle.  Durand,  Fage,  Cavalier,  etc.;  pro- 
phéties guerrières;  enthousiasme,  Ijonne  foi,  douceur;  dispersion 
des  Camisards.  —  3°  Prédicantes  et  propliéiesses,  Balastière,  Cha- 
laneon,  Suzanne  Rouge,  Isabeau  Dubois,  etc.  ;  leur  abnégation  et 
leur  courage;  prédications,  extases;  leur  influence.  —  Le  prophé- 
tisme en  1715.  — Multitude  d'Inspirés.  —  Leur  autorité  et  leur  cré- 
dit. —  Théorie  de  l'Inspiration.  —  Extravagances  et  excès.  —  An- 
toine Court  et  les  Inspirés.  —  Il  croit  d'abord  en  eux;  mais  il  voit 
bientôt  que  ce  sont  des  fous  ou  des  fourbes.  —  Attaques  qu'il  dirige 
contre  eux.  —  Lettres  de  Genève.  —  Mesures  des  Synodes.  —  Huc- 
Mazel  et  Vesson  prennent  ouvertement  parti  pour  les  Inspirés.  — 
Déposition  de  Vesson.  —  Irritation  que  cette  mesure  excite  chez  les 
Inspirés.  —  Résistance  de  Vesson.  — Chaleureux  accueil  des  fidèles. 
—  Duplan.  —  Décisions  des  Synodes  de  1721.  —  Courses  des  pré- 
dicants.  —  Ecrit  contre  les  fanatiques  de  Merlat.  —  Lettre  de 
Pictet  sur  ceux  qui  se  croient  Inspirés-^  succès  qu'elle  obtient.  — 
Discrédit  de  Vesson  ;  sa  fuite  (1722).  —  Les  Multipliants.  —  Made- 
moiselle Verchand.  —  Les  Inspirés  de  Lunel.  —  Fondation  de  la 
secte  à  Montpellier  (1721).  —  Arrivée  de  Vesson.  —  Duplan  refuse 
d'y  venir. —  Propagande  active.  —  Système  théologique.  —  Cérémo- 
nies et  pratiques.  —  I^e  culte.  —  Le  sanctuaire.  —  Inquiétudes  que 
la  secte  inspire  au  parti  de  l'ordre.  —  Arrestation  des  Multipliants 
(1723).  —  Supplice  de  Bonicel,  Comte,  Vesson,  Huc-Mazel.  —  Con- 
damnation de  Mademoiselle  Verchand  et  des  prisonniers.  —  Arres- 
tation des  Insjiirés  de  Lunel.  —  Fuite  de  Duplan.  —  Décisions  des 
Synodes  (1723).  —  Disparition  des  Inspirés     ....      Page  163. 

CHAPITRE  VII. 

VOYAGE   d'aNTOINE   COURT   A  GENÈVE    (1720-1722). 

L'Etranger  et  la  France.  —  Fausses  idées  qui  ont  cours  sur  la  restau- 
ration du  protestantisme;  froideur  et  mécontentement;  préventions 


492  TABLE  DES  MATIERES 

injustes.  —  Antoine  Court  part  pour  Genève  (1720).  —  Genève;  son 
dévouement  à  la  France.  —  Arrivée  d'Antoine  Court.  —  Chaleureux 
accueil  qu'il  reçoit.  —  Pictet.  —  Il  expose  ses  plans  et  ses  projets. 
—  Défense  des  assemblées;  demande  de  pasteurs;  fondation  d'un 
séminaire.  —  Lettres  à  Basnage,  à  Wiliam  Wake  et  Saurin.  — La 
peste  éclate;  Antoine  Court  est  obligé  de  prolonger  son  séjour;  vie 
intime.  —  Mademoiselle  Corteiz.  —  Relations  avec  la  famille  Pic- 
tet et  avec  la  vénérable  compagnie  des  pasteurs.  — Relation  histo- 
rîqne^  etc.  —  L'Académie  de  Genève,  —  Antoine  Court  fut-il  étu- 
diant? —  Changements  dans  son  style.  —  Il  se  propose  d'écrire 
l'histoire  des  Eglises  de  France.  —  Lettre  de  Basnage.  —  Antoine 
Court  est  invité  à  revenir  en  France.  —  Lettre  de  Corteiz.  —  Hési- 
tations, retards.  —  Départ  (1722)  ;  mystère  dont  il  est  entouré.  — 
Résultats  de  ce  voyage Page  213. 


CHAPITRE  VIII. 

LA   DÉCLARATION   DE    1724   (1723-1725). 

Prospérité  de  la  situation  (1723).  —  Les  dernières  difficultés  sont  dé- 
nouées :  soumission  de  Boyer;  soumission  des  Yessoniens. —  Pro- 
grès du  protestantisme.  —  Ecoles,  mariages,  assemblées.  —  Vie  in- 
time :  moralité,  austérité,  dévouement.  —  Confiance  des  prédicants. 

—  Irritation  du  clergé  et  de  la  cour.  —  Fuite  de  Duplan.  —  Me- 
naces contre  les  prédicants  ;  réponses  de  Corteiz  et  d'Antoine  Court. 

—  Menaces  contre  la  Suisse;  le  Syndic  de  Genève  et  le  Résident  de 
France.  —  Assemblée  générale  du  clergé.  —  Mémoire  de  l'évêque 
d'Alais.  —  Embarras  de  la  cour;  sa  conduite  depuis  1715.  —  La 
cour  prépare  une  Déclaration.  —  Enquête  générale.  —  Mémoires 
qu'elle  se  fait  adresser.  —  La  mort  du  Régent  retarde  la  publication 
de  la  Déclaration.  —  Le  duc  de  Bourbon  et  Fleury.  —  Reprise  du 
projet  de  Déclaration.  —  Déclaration  de  1724.  —  Quel  en  est  l'au- 
teur? —  Explication  de  Malesherbes.  —  Réfutation   de  Rulhière. 

—  Conclusion.  —  Stupeur  des  religionnaires  ;  projets  de  révolte. — 
Mort  de  Pictet.  —  Antoine  Court  calme  les  esprits.  —  Lettre  de 
Duplan  à  l'archevêque  de  Cantorbéry  et  au  roi  de  Prusse.  —  Lettre 
de  Gaubert  à  Louis  XV.  —  Synode  de  1724.  —  Indifférence  de  l'E- 
tranger et  de  la  France.  —  Lettres  à  un  protestant  français  tou- 
chant la  Déclaration  du  Roi.  —  La  Henriade.    .     .      Page  234. 


TABLE  DES  MATIÈRES  493 

CHAPITRE  IX. 

FONDATION   DU   SÉMINAIRE   DE   LAUSANNE.    (1725-1729.) 

La  Déclaration  de  1724  est  surtout  dirigée  contre  les  prédicants;  an- 
goisses de  ces  derniers.  —  Lettre  d'Antoine  Court  à  Saurin.  —  Dif- 
ficultés de  la  situation.' — Proposition  deDuplan;  accueil  qu'elle 
reçoit.  —  Duplan  est  nommé  député  général  des  Eglises.  (1725.) 
Ses  attributions  et  sa  mission.  —  Duplan  se  hâte  de  se  présenter 
chez  les  familles  de  Genève.  —  Froideur  qu'il  rencontre  et  refus 
qu'il  essuie.  — -  Il  s'adresse  à  l'archevêque  de  Cantorbéry  et  entre- 
prend un  voyage  en  Suisse. —  Il  reçoit  quelques  dons. —  Le  premier 
étudiant  :  Bétrine.  (1726.)  —  Ne  pouvant  étudier  à  Genève,  il  se 
rend  à  Lausanne.  —  Son  séjour  est  limité.  —  Le  professeur  Polier. 

—  Cabale  contre  Duplan  ;  on  lui  reproche  de  fréquenter  les  In- 
spirés; le  triolet  ;  décision  du  Synode  national.  (1726.) —  Nouveaux 
succès  de  Duplan.  — Quelques  bienfaiteurs  se  chargent  d'entretenir 
à  leurs  frais  deux  étudiants.  —  Arrivée  du  second  étudiant  :  Roux. 

—  Création  d'un  comité  à  Genève.  —  Inaction  forcée  de  Duplan.  — 
Amis  et  bienfaiteurs.  —  Duplan  continue  son  œuvre  ;  mystère  dont 
il  l'entoure.  —  Fondation  du  séminaire Page  273 

CHAPITRE  X. 

QUATRE   ANNÉES   DE  LUTTES.    (1725-1729). 

Mesures  de  défense  et  de  conservation.  —  Synode  de  1725.  —  Création 
d'une  caisse  générale  de  secours;  confédération  des  Eglises  du 
Dauphiné  et  du  Languedoc;  les  confessions  de  foi  et  Jacques  Ro- 
ger. —  Premier  Synode  national.  (16  mai  1726.)  —  Consécration  de 
Durand. —  Division  du  Languedoc  en  quartiers.  —  Discussions  avec 
Gaubert  ;  heureux  résultats  de  cette  mesure.  —  Situation  du  protes- 
tantisme en  1726.  — Avènement  de  Fleury  au  ministère.  — Mémoire 
de  l'abbé  Robert. —  Nouvel  édit  de  1726.  —  Ecoles;  division  du  Lan- 
guedoc en  arrondissements;  amendes;  supplice  d'Alexandre  Rous- 
sel. (1728.)  —Mesures  de  défense  :  fondation  du  conseil  extraordi- 
naire. —  Attitude  des  religionnaires.  —  Courses  des  prédicants 
dans  le  Languedoc.  —  Nouveau  Synode.  (Octobre  1726.)  —  Députa- 
tion  des  protestants  de  la  basse  Guyenne,  du  Rouergue  et  du  Poitou. 

—  Courses  de  Maroger,  de  Gaubert,  de  Corteiz,  dans  le  haut  Lan- 
guedoc.—  Nouvelle  députation.  —Maroger,  Bétrine,  Grail,  partent 
pour  la  haute  Guyenne  et  le  Rouergue.  —  Courses  de  Chapel  dans 


494  TABLE  DES  xMATIERES 

le  Poitou.  —  Le  protestantisme  dans  l'Orléanais,  en  Picardie,  Nor- 
mandie, Bretagne,  Guyenne,  etc.  —  Prospérité  du  Dauphiné  et  du 
Languedoc.  —  Tableau  des  Eglises  du  Languedoc.  —  Pasteurs  et 
proposants.  —Organisation.  —  Ecoles  de  chant. —  Congrès  de  Sois 
sons.  —  Lettre  de  Voltaire  sur  les  Anglais  ....     Page  292 

CHAPITRE  XL 
LA  VIE  d'un  prédicant.    (r715-r'î29.) 

Belles  paroles  de  Claris.  —  Le  Languedoc.  — Courses  et  tournées;  ré- 
cits de  Corleiz  et  d'Antoine  Court.  — Intempéries  et  souffrances. — 
L'hospitalité.  —  Les  dangers;  espions  et  soldats.  —  Récits  d'aven- 
tures. —  Fermeté  des  martyrs.  —  Supplice  d'Alexandre  Roussel.  >— 
Antoine  Court  est  vivement  poursuivi.  (1729.)  Sa  vie,  ses  travaux. 
— Visites  pastorales. —  Affaires  ecclésiastiques.  —  Correspondance. 
—  Antoine  Court  se  marie.  (1722.)  Il  se  décide  à  quitter  la  France. 
(1729.).  Plans  et  projets.  —Départ.— Conclusion.     .     .     Page  331. 

Notice  sur  les  manuscrits  d'Antoine  Court  ....     Page  357, 


PIEGES     ET     DOnUMENTS     INEDITS 

Pag. 

i.             Déclaration  du  Roy  contre  les  relaps.  (1715.)  ....  365 
IL            Lettre  de  M.  d'Aguesseau,  procureur-général  du  Parle* 

ment  de  Paris.  (1715.) 367 

III.  Prière.  (1715  ) •     ....  369 

IV.  Requête  de  l'église  de  Sommières  àun  Synode  provincial.  371 

V.  Articles  des  demandes  qu'on  a  faites  à  M.  Roux    .     .     .  373 

VI.  Lettre  de  Pictet  à  Corteiz,  sur  les  assemblées.     .     .     .  375 

VII.  Chanson  nouvelle.  (1716.) 379 

VIII         Requête  des  religionnaires  au  Régent.  (1716.).     .     .     .  381 

IX.  Lettre  de  Pictet  à  Mademoiselle  Simart,  sur  les  Inspirés.  385 

X.  Lettre  de  Corteiz  à  Vesson, lui  annonçant  sa  déposition.  388 
XL          Arrestation  des  Inspirés  de  Lunel,    (1723.) 392 

XII.  Copie  de  la  lettre  escritte  par  M.  de  Bernage  à  ses  sub- 

délégués, et  dans  les  pays  où  il  y  a  des  religionnaires.  393 

XIII.  Déclaration  du  Roy  concernant  la  religion.  (1724.)  .     .  294 

XIV.  Instruction  pour  moi  au  Synode.  (1725.) 405 

XV.  Premier  Synode  national.  (1726.) 407 


TABLE  DP:S  MATIERES  495 

XVI.        Lettre  iinprimée  de  M.  rintendaiit,  touchant  réducatiuii 

des  enfants.  Pour  les  curés,  (1727.) 41() 

XVn.  Lettre  imprimée  de  M.  l'intendant,  touchant  les  amen- 
des qu'on  doit  faire  payer  pour  les  enfants  qui  ne  vont 
pas  à  la  messe.  Au  juge.  (1727.) 417 

XVIII.  Lettre  imprimée  du  sul)délégué  de  l'intendant  pour  in- 

former le  diocèse  d'Uzès  qu'on  n'y  veut  aucun  officier 

de  justice  qui  ne  soit  catholique.  (1727.) 418 

XIX.  Division   de  la    province   du   Languedoc  en  quartiers. 

(1726.) 419 

XX.  Relation  du  martyre  d'Ale.xandre  Roussel.  (1728.).     .     .     420 

XXI.  Copie  d'une  lettre  de  M.  Court,  ministre  du  saint  Evan- 

gile de  France.  (1729.) 433 

XXII.  Relation  historique  des  principaux  événements  qui  sont 

arrivés  h  la  religion  protestante  depuis  la  révocation 
des  Edits  de  Nantes,  l'an  1685,  jusques  h  l'an  pré- 
sent 1728,  par  Corteiz 438 


FIN    DE    LA    TABLE    DES    MATIERES    DU    PREMIER    VOLUME. 


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HISTOIRE    DE    L«    RESTPUR 


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