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HISTOIRE
DE LA
RÉPUBLIQUE
D'ANGLETERRE
ET
DE GROMWELL.
IMPRIMERIE DE G. STAI'LEAUX.
HISTOIRE
OE LA.
RÉPUBLIQUE
D'ANGLETERRE
ET
DE CROMWELL
(1649—1658)
|Jar iW. ©utEot»
TOME PREMIER. «o3-^,-^ ^fe
BRUXELLES ET LEIPZIG.
KIESSLLN'G, SCHNÉE ET COJIP., ÉDITEURS.
1, Rue Villa-Hermosa.
1854
^-'■\
AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.
Quand M. Guîzot a publié, en d850, son Discours sir
l'histoire DELA RÉVOLUTION d'Angleteure, il a considéré ce
grand événement dans son ensemble et à travers ses phases
diverses, depuis ravéucment de Charles l", en 1625, jus-
qu'à la chute de Jacques II et à l'élévation de Guillaume III
au trône, en 1688.
Dans le cours de ces soixante-trois années qu'il a rem-
plies, le drame de la Révolution d'Angleterre se divise
naturellement en quatre grands actes : 1° Le règne de
Charles P', sa lutte contre le Long Parlement, sa défaite et
sa mort ; 2" La République, tantôt aux mains du Long Par-
lement, tantôt sous le joug de Cromwell ; 5" Le rétablisse-
ment des Sluart, à la suite d'une courte anarchie parle-
mentaire et militaire; 4° Le règne des deux derniers
RÉPUBIIQUE o'ANGtETEnnE. 1. *
2 AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.
Stuart, Charles II et Jacques II, et la chute définitive de
cette race royale.
Chacune de ces quatre époques est, dans le plan de
M. Guizot, l'objet d'un ouvrage spécial. La réunion des
quatre ouvrages formera l'histoire complète de la Révolu-
lion d'Angleterre, et comme la preuve dramatique du
Discours dans lequel M. Guizot a résum<îli; caractère et le
sens général de cette Révolution.
En 1826 et 1827, M. Guizot a publié le premier de ces
quatre ouvrages, I'Histoire du régne de Charles I""". Il
publie aujourd'hui le second, I'Histoire delà République
d'Angleterre et de Cromwell. Les deux autres paraîtront
successivement et compléteront le tableau de ce laborieux
enfantement du plus grand des gouvernements libres qu'ait
encore connus le monde.
De nombreux Documents historiques, jusqu'ici inédits, et
empruntés aux Archives des affaires étrangères de France,
aux Archives espagnoles de Simancas et à diverses collec-
tions de manuscrits, sont placés à la fin de chaque volume,
et servent de développement et de preuve, soit aux asser-
tipp^^ çoit fiux j^ugcflienls derhistprien. . , ,._ _ .., ,..,,j,
\^i7î?i or: 'i-ri-iî-î!-::; ,7',;! ;;î ';!, '.jn;:-!!; n! Z'>)U\
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REPUBLIQUE D'ANGLETERRE
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LIVRE I. ^J"'i
Organisation du gouvernement républicain. — Formation du conseil d'État.
— Résistance du pays.- Procès et condamnation des cinq chefs royalistes,
les loids Hamillon, ïfolland, Capell, Norwich et sir John Owcn. — Ha-
milton, Uolland et Capell sont exécutés.— Publication de VEUtônBasilikè.
— Poléniique royaliste et républicaine ; Hlillon et Saumaise. — Explosion
et insurrection des Niveleurs. — Lilburne. — Leur défaite. — Procès et
acquittement dé Lilburne. — Tyrannie du Parlement. — Grandeur crois-
: santé" de.Gr'omwçlK- , -••!^M ; :-,.,:.• ■ ,■• , :-, •_']•.',;■,■)■</.■>
' J'ai raconté la chute d'une ancienne monarchie et la
inort violente d'un roi digne de respect, quoiqu'il ail mal et
injustement gouverné ses peuples. J'ai maintenant à racon-
ter les vains efforts d'une assemblée révolutionnaire pour
fonder une république, et le goiivernemcnt toujours chan-
celant, bien que fort et glorieux, d'un despote révolution-
naire, admirable par son hardi et judicieux génie, quoiqu'il
ait attaqué et détruit, dans son pays, d'abord l'ordre légal,
puis la liberté. Les hommes que Dieu prend pour instru-
ments de SCS grands desseins sont pleins de contradiction
et de mystère : il mêle et unit en eux, dans des propor-
Jt ORGANISATION DU GOUVERNEMENT
lions profondément cachées, les qualités et les défauts, les
vertus et les vices, les lumières et les erreurs, les gran-
deurs et les faiblesses ; et après avoir rempli leur temps de
l'éclat de leurs actions et de leur destinée, ils demeurent
eux-mêmes obscurs au sein de leur gloire, encensés et mau-
dits tour à tour par le monde qui ne les connaît pas.
A l'ouverture du Long Parlement, le 3 novembre 1640,
la Chambre des communes élait formée de cinq cent six
membres. En d649, après l'exécution du roi, lorsqu'elle
abolit la monarchie et proclama la République, à peine en
restait-il cent qui prissent part à ses séances et à ses actes.
Dans le cours du mois de février, la Chambre se divisa
huit fois pour voter ; et dans la séance la plus nombreuse,
soixante et dix-sept membres seulement étaient présents '.
Ainsi mutilée et réduite à une coterie victorieuse, cette
assemblée se mit à l'œuvre, avec une ardeur pleine en
même temps de foi et d'inquiétude, pour organiser le gou-
vernement républicain. Le 7 février 1G49, le même jour
où elle abolit expressément la monarchie, elle vota la
création d'un conseil d'État chargé d'exercer le jjouvoir
exécutif; et cinq membres, Ludlow, Scott, Lisle, Holland
ctRobinson, pris parmi les plus fermes républicains, reçu-
rent mission de préparer les instructions de ce conseil et
de proposer au Parlement la liste des membres qui devaient
le former ^.
1 Pari, hist., t. IX, p. 12. — Journals of Ihc Housc of commons, I. VI,
p. 128, 150, 132, 140, 141, 145, 147.
ajournais of the Housc of commons, t. VI, p. 135. Je rappelle que l'An-
gleterre, à celte époque, n'avait pas encore adopté la réforme du calendrier
grégorien, et que sa chronologie élait en relard de dix jours sur celle du
conlinent. Le 7 février, en Angleterre, au wii^^ siècle, eori'e.spond donc au
17 février sur le conlinent. J'ai conservé, en parlant d'événemenis anglais,
les dates anglaises, parce que, si elles étaient changées, il serait très-
difficile de se retrouver dans les documents anglais auxquels je renvoie.
RÉPUBLICAIN (16^9). 8
Six jours après, le 15 février, Scott fit h la Chambre son
rapport. Toutes les fonctions pratiques du gouvernement
furent confiées au conseil d'État. Il reçut pouvoir de dispo-
ser des forces publiques et des revenus publics, de faire la
police, de réprimer toute rébellion, d'arrêter, d'interroger
et d'emprisonner quiconque résisterait à ses ordres, de
conduire les relations de l'Etat avec les puissances étran-
gères, d'administrer les colonies et de veiller aux intérêts
du commerce ; il était ainsi investi d'un pouvoir presque
absolu, sous l'empire et scion les instructions du Parle-
ment, seul dépositaire de la souveraineté nationale '.
Le lendemain et le surlendemain, en votant spécialement
sur chaque nom, la Chambre nomma les quarante et un
conseillers d'État; cinq anciens pairs, cinq magistrats
supérieurs, les trois chefs de l'armée, Fairfax, Cromwcll et
Skippon, et vingt-huit gentilshommes de campagne ou
bourgeois, presque tous membres de la Chambre. La nomi-
nation des anciens pairs rencontra des objections ; les démo-
crates voulaient les exclure, comme la Chambre des lords
elle-même, de toute participation au gouvernement de la
République ; les politiques au contraire accueillirent avec
empressement ces grands seigneurs encore puissants par
leur richesse et par leur nom, et que leur fanatisme ou
leur bassesse livrait au parti qui avait détruit leur ordre.
La liste proposée par les commissaires du Parlement fut
acceptée tout entière, sauf deux noms, Ireton et llarrison,
que probablement on jugea trop attachés à Cromwcll, et
qui furent remplaces par deux républicains méfiants et
roides envers l'armée et ses chefs. Ils étaient tous nommés
pour un an ^
1 Journals oftiic Ilousc'Of commons, t. VI, p. 138.
2 Journals of Ihe Ilouse of commons, l. V!. [>. 140-143. - Mémoires de
% ORGANISATION DU GÔUVÈtlNEMENT
n" Quand ils se réunii'enl pôti^ la première fois^, on leur
demanda de signer un engagemciit portant qu'ils approu-
vaient tout ce qui avait été fait pour le jugement du roi et
pour l'abolition de la monarchie et de la Chambre des
lords. Quatorze conseillers d'Élat seulement assistaient à
cette réunion ; treize souscrivirent sans hésiter la déclara-
tion proposée, et une réunion nouvelle fut convoquée pour
le surlendemain ; trente-quatre membres s'y rendirent, et
le même jour Cromwell rendit compte au Parlement de ec
qui s*y était passé. Six conseillers d'État de plus, en tout
dix-neuf, avaient signé l'engagement ; vingt-deux persis-
taient à le repousser. Ils se disaient résolus a servir fidèle-
ment, dans l'avenir, le gôuvéi*nèmeht delà Chambre des
communes, pouvoir suprême, seul resté debout et néces-
saire pour les libertés et le salut du peuple; mais par des
motifs divers et en teri'nes plus oU moins nets, ils refu-
saient de s'associer à tout le passé. La Chambre émue entra
sur-le-champ en délibération, interdisant à tous les mem-
bres présents de sortir de la salle sans une permission
expresse; mais le bon sens politique réprima la passion;
on ne voulut pas, aux premiers jours de la République,
faire éclater les dissensions des républicains; les régicides
comprirent qu'ils seraient trop faibles s'ils restaient seuls;
la Chambre se borna à ordonner que les conseillers d'Etat
qu'elle avait nommés se réuniraient pour conférer entre
eux sur ce qu'il y avait à faire dans cette circonstance, et
qu'ils viendraient ensuite lui donner leur avis. Uafîaire
fut réglée sans plus de bruit; on se contenta de l'engage-
ment de fidélité que les dissidents offraient pour l'avenir,
Ludlow, t. I, p. 357, dans ma Cullcclion des Mémoires relatifs à la Révolu-
tion d'Angleterre; — Godwin, Hist. of the Conmonwtallh, 1. 111, p. 12.
» Le 17 février 1649.
rir3V'-\y RÉPUBLICAIN (IffiQ). ' -V'o ^
et ils prirent leur place, à côté des régicides, dans le
conseil d'État républicain '.
Ce compromis fut surtout l'œuvre, d'une part, de Crom-
well, de l'autre, de sir Henri Vane, le plus éminent, le
plus sincère, le plus capable et le plus chimérique des répu-
blicains civils. Il était révolutionnaire ardent, et il détes-
tait les violences révolutionnaires. Lorsque, le 6 décem-
bre 1648, l'armée expulsa de la Chambre des communes
tout le parti presbytérien, Vane improuva hautement cet
acte, et cessa de prendre part aux séances de ta Chambre
mutilée. Il s'éleva plus vivement encore contre le procès
du roi, et, depuis cette époque, il vivait dans son château
de Raby, complètement étranger aux affaires. Mais la Repu
blique était l'objet de sa foi et de ses vœux; dès qu'elle
apparut, il lui appartint de cœur. Cromwell, qui s'inquié-
tait peu des embarras que pourraient lui causer plus tard
les alliés dont, pour le moment, il avait besoin, fit sur-le-
champ tous ses efforts pour que Vane revînt donner au
gouvernement républicain l'appui de ses talents, de son
dévouement et de son crédit. Vane résista d'abord, comme
on résiste quand on cédera; puis ce fut lui qui, mettant le
passé à l'écart, suggéra le serment de fidélité pour l'avenir,
et Cromwell, bien sûr que cela suffisait pour que Vane fût
acquis au service du conseil d'État et du Parlement, fut
des plus empressés à s'en contenter ^. ,Unïmr. bning oi
Cromwell avait raison, car à peine installée, ce même
'Vane et cette même majorité du conseil d'État qui avaient
refusé de s'associer à la responsabilité des régicides, élurent
' Jonmals of the House of commons, t. VI, p. 139, l'iG; — Whitclockc,
p. 382; — Godwin, Hitt. of llic Commoinveallh , t, 111, p. 28-51; — Crom-
welUana, p. 52,
* Forster, The Slatesmcn of the Commonweallh of Englaiid, t. IH.p. 123-
127, dans la Vie de sir Henri Vane. — Godwin, Hisl. ofthe Commonweallh,
t, m, p. 31.
8 ORGANISATION DU GOUVERNEMENT
pour leur président ' Bradshaw, le président de la haute
Cour qui avait condamné Charles l"; et trois jours après,
Vane, avec quelques-uns de ses collègues, se rendait dans
une modeste maison de Holbdrne pour offrir la charge de
secrétaire latin du Conseil à un cousin de Bradshaw, qui
venait de soutenir, dans un pamphlet éloquent, " qu'il est
légitime d'appeler à rendre compte un tyran ou un mauvais
roi, et après l'avoir dûment convaincu, de le déposer et de
le mettre à mort. » C'était Milton -.
En même temps que du conseil d'État, la Chambre s'oc-
cupa des tribunaux; question urgente, car on touchait au
jour où leur session trimestrielle devait s'ouvrir, et nul
n'admettait que le cours de la justice pût être interrompu.
Parmi les douze grands juges, dix avaient été nommés par
le Parlement lui-même depuis l'explosion de la guerre
civile : six d'entre eux pourtant refusèrent tout serjucnt
de fidélité à la République ^, et les six autres ne consenti-
rent à continuer leurs fonctions qu'à condition que, par une
déclaration formelle de la Chambre, les anciennes lois du
pays seraient maintenues, et que les juges les prendraient
toujours pour règle de leurs décisions. Tout fut fait comme
ils le demandaient, et les six juges qui avaient donné leur
démission ne furent remplacés que dans le cours de l'été
suivant *.
Le grand amiral, le comte de WarAvick, vivait en inti-
mité avec Cromwell ; mais c'était un presbytérien décidé,
qui n'inspirait aux républicains aucune confiance, et qui
1 Le 10 mars 1649.
^Todd, Life of 3Iilton, p. 63, 70; — Carlyle, Cromwell's Lellcrs, t. I,
p. 420 ; — Goilwin, llist. ofthe Commonweallh, t. 111, p. 36.
' Le8 février 1649.
* Journals of ihe House of commons, t. VI, p. 154-13G; — Wliilelockc,
p. 378, 380 ; — Clarendon, Hist. ofthe Hcbdlion, 1. xr,c,249; t. IV, p. 546,
édit. de 1849.
RÉPUBLICAIN (1649). 9
préférait lui-même son repos à leur service. Sa charge lui
fut retirée * ; les pouvoirs de l'amirauté furent remis au
conseil d'Etat, qui les délégua à un comité de trois mem-
bres, dont Vanc était l'âme; et le commandement de la
flotte passa dans les mains de trois officiers, Popham,
Dean et Robert Ulake, puritain lettré et guerrier, déjà
éprouvé dans l'armée de terre et destiné à faire sur mer la
force et la gloire de la République qu'il servait avec un
austère et hardi dévouement -.
La Chambre avait touché et pourvu à tout ; la législa-
tion, la diplomatie, la justice, la police, les finances, l'ar-
mée, la flotte étaient dans ses mains. Pour paraître aussi
désintéressée qu'elle était active, elle admit les membres
qui s'étaient séparés du parti vainqueur, au moment de sa
rupture définitive avec le roi, à reprendre leur place dans
ses rangs, mais en leur imposant un tel désaveu de leurs
anciens votes que bien peu d'entre eux purent s'y résoudre;
elle autorisa, pour combler les vides, quelques élections
nouvelles, mais en très-petit nombre, sept seulement dans
l'espace de six mois, car elle se méfiait des électeurs; elle
ordonna même la formation d'un comité chargé de préparer
une nouvelle loi électorale et l'avènement d'un parlement
nouveau. Mais c'étaient là de pures démonstrations, non
des résolutions efficaces : « Prenons conseil des saintes Écri-
tures, disait Henri Martyn ; quand Moïse enfant fut trouvé
sur le fleuve et apporté à la fille de Pharaon, elle fit cher-
cher partout sa mère pour en faire sa nourrice, ce qui
réussit à merveille. Notre République aussi est un enfant à
peine né et d'un tempérament très-délicat ; personne n'est
aussi propre à le nourrir que la mère qui l'a mis au monde ;
» Le 20 février 1G49.
* Journals of ihc House of commons, t. VI, p. 147, IW, 150 ; — Godwin,
Ilist. of tite Commonwcallh, t. 111, p. 35.
' iO ORGANISATIOPf DU GOUVERNEMENT
gardons-nous de le laisser passer en d'autres mains avant
qu'fl ait acquis plus d'ége et de vigueur '. »
Henri Martyn ne disait pas assez : non-seulement la
République ne pouvait vivre sans les soins de la Chambre
qui l'avait enfantée; mais quand cette Chambre toute-
puissante voulut mettre la République en Vigueur, elle se
trouva trop faible elle-même pour accomplir cette œu\Te,
et ne put que flotter entre la précipitation et l'ajournement,
l'hésitation et la violence. Les actes votés le 7 février, pour
abolir la royauté et la Chaiîibre des lords, ne furent défi-
nitivement adoptés que les 47 et 19 mars, et quand la
Chambre en ordonna la proclamation officielle dans la Cité
de Londres, le lord maire Reynoldson s'y refusa absolu-
ment. Mandé, dix jours après, à la barre, il allégua pour
sa justification les scrupules de sa conscience. La Chambre
le condamna à 2,000 liv. st. d'amende, à deux mois d'empri-
sonnement, et elle ordonna l'élection d'un autre lord maire.
L'alderman Thomas Andrews, l'un des juges du roi, fut
élu ; mais la Chambre ne crut pas devoir lui imposer im-
médiatement cette proclamation officielle de la République,
à laquelle s'^lait refusé son prédécesseur; elle laissa même
entrevoir, contre la Cité, de plus' rigoureux desseins : « Ils
se croient assurés de la ville, écrivait à M. Servieh le pré-
sident de Bollièvre, ambassiadeur de France en Angleterre,
soit en faisant élire d'autres magistrats qui soient à leur
dévotion, ou en supprimant absolument la forrne de gou-
vernement qui a été Observée jusqu'ici, et y établissant
quelqu'un des officiers de l'armée en qualité de gouver-
neur, comme on croit qu'ils prétehdierit le faire. Mais il y à
' Joitrnals of the House of commons, t. VI, p. 129, 130, 133, 136, 210;
— GodwM); Hist. of the Commonweallh, I. III, p. 33-33; — Forslcr, 5/a/es-
men oflhc Commonweallh, X. III, p. 324 ; dans la Vie de Henri Marlyn; —
Ludiow, Mémoires, I. Il, p. 4-G, dans ma Collection. ■"■"■■'"•>
RÉPUBLICAIN. {IM9). U
de l'apparence, quoiqu'ils puissent avoir le dessein de le
faire dans quelque temps, que, pour le présent, ils se con-
tenteront d'y établir leur autorité, sans témoigner de vio-
lence. » Le 10 mai suivant, plus d'un mois après l'élection
du nouveau lord maire, et plus de trois mois après la mort
de Charles I", l'autorité de la Chambre n'était pas établie
dans la. Cité., car la République n'y avait pas encoz'e été
proclamée. On demanda raison de ce retard, et vingt jours
encore après, le 50 mai seulement, cette proclamation eut
lieu enfin, en l'absence de plusieurs des aldermen de la
Cité qui se dispensèrent d'y assister, et au milieu des mar-
ques de la réprobation populaire : « On avait voulu, écrivit
au cardinal Mazarin M. de Croullé, secrétaire du président
de Bellièvre, faire cet acte dans la forme ordinaire d'une
simple publication, sans que le maire ni les aldermen se
fissent assister d'aucuns soldats, pour témoigner qu'il n'y
était point intervenu de violence; mais quantité de peuple
s'étant assemblé autour d'eux avec des huées et des injures,
les obligèrent d'en envoyer quérir qui d'abord firent écar-
ter tout ce qui y était, et ainsi ils achevèrent leurs publi-
cations '. ))
Les aldermen qui s'étaient absentés furent mandés à la
barre, et ils avouèrent hautement les motifs de leur ab-
sence :. «t Ce qui se faisoit étoit contre ma conscience
et mes serments, » dit sir Thomas Soames, membre aussi
de la Chambre. « Je n'avois pas cœur à cet ouvrage , i»
répondit Richard Chambers. Ils furent tous deux destitués
de leurs fonctions municipales et déclarés incapables de
toute fonction publique. Sir Thomas Soames fut même
1 Journals of thc I/ouse of commons, t. VI, p. 153, IGG, 1G8, 176, 17!),
20C, 221; — Whitelocke, p. 395,594 ; — Lellres du président de Rellièvre
à M.Servien (12 avril 1G49), cl de M. de Croullé ù Mazarin (14 juin 1649);
Arehivei des Affaires étrangères de France i — Leicesler's Journal, p. 75.
12 ORGANISATION DU GOUVERNEMENT
expulsé du Parlement, Mais quand il fallut les remplacer,
on eut grand'peine à leur trouver des successeurs ; sept re-
fus successifs attestèrent le mauvais vouloir des bourgeois;
un dîner, offert à la Chanabre par la faction de la Cité
qui lui était dévouée, couvrit mal ces écbecs ; et, pour
mettre le corps municipal en état de remplir ses fonc-
tions, on fut obligé de donner à quarante, et même, dans
certains cas, à dix de ses membres, le droit d'agir en son
nom '.
Les mêmes obstacles, la même résistance se rencontraient
partout. Le Parlement ordonna, dans tous les lieux publics,
la destruction des emblèmes de la royauté ; et cet ordre,
renouvelé quatre fois % fut si peu obéi que, deux ans après
rétablissement de la République, le Parlement fut obligé
d'en mettre l'exécution sous la responsabilité et à la charge
des paroisses. On demanda aux ecclésiastiques pourvus de
bénéfices, aux membres des Universités d'Oxford et de
Cambridge, à tous les fonctionnaires publics, shérifs, juges
de paix et autres, un engagement de simple fidélité à la
République ; et les refus arrivèrent par milliers, publique-
ment sanctionnés par les autorités les plus graves, entre
autres par l'assemblée du clergé presbytérien, réunie à
Londres en 1650 ^. Ce fut seulement au mois de jan-
vier 1050, un an après la mort du roi, qu'on osa changer,
dans la flotte, les noms de vaisseaux qui rappelaient la
royauté *. Au printemps de cette même année, une frégate
neuve fut lancée à Londres, en présence du conseil d'État
1 Jonrnals of llie lloiise ofcommons, t. VI, p. 221, 222 ; — Wliilelockc,
p. 384, iOi, 403 ; — Godwin, Hist. of the Commomveallli, l. 111, p. 97.
2 Les 13 février el 9 août 1649, 9 avril 1630 el 3 février 1631; — Journals
ofthe House ofcommons, t. VI, p. 142, 276, 594,531.
^ Journals of the House ofcommons, t. VI, p. 506, 427; — Neal, Hisl. of
the Purilans, l. IV, p. 8-10 ; — Heliquiœ Baxtcrianœ, lib. i, pars i, p. 64.
* Journals of ihe House ofcommons, t. VI, p. 340.
RÉPUBLICAIN (16i9). 15
réuni : on avait envie de l'appeler la République d'Angle-
terre : ic Mais on a jugé, écrit M. de CrouUé au cardinal
Mazarin, que, si elle venait à périr, comme tous les vais-
seaux y sont sujets, ce serait un mauvais présage, » et on
se refusa cette hasardeuse satisfaction ^
Rien n'irrite plus le pouvoir, surtout un pouvoir vain-
queur, que le sentiment de son impuissance ; et quand il
l'éprouve, il cherche aussitôt à faire quelque acte de force
pour s'en distraire ou pour s'en venger. Ce gouvernement
républicain, si entravé dans sa marche, avait entre ses
mains quelques-uns des plus éminents parmi les chefs
royalistes, le duc de lîamilton, le comte de Holland, le
comte de Norwich, lord Capell, sir John Owen, vaillants
débris des dernières luttes de la guerre civile, tombés, à
divers jours, au pouvoir du Parlement, et ses prisonniers
depuis plusieurs mois. Un moment, ils avaient pu se croire
délivrés. En novembre 1648, les deux Chambres avaient
voté que le duc de Hamilton payerait une amende de
100,000 liv. st., et que les autres seraient bannis du
royaume ^. Mais avant que ce vote eût reçu son exécution,
les Presbytériens, qui l'avaient fait rendre, étaient expulsés
de la Chambre des communes, et les Indépendants, restés
seuls maîtres, le faisaient formellement révoquer, et rete-
naient les cinq chefs en prison , annonçant l'intention de
leur faire leur procès'. Indifférent à cette périlleuse per-
spective, lorsque, peu de jours après, un procès plus grand,
celui du roi, commença, lord Capell, avec l'entraînement
d'un fier gentilhomme et d'un soldat vertueux, écrivit, du
fond de la Tour, le lu janvier 1049, à Cromwell pour lui
1 Croullé au cardinal Mazariii (2 niai IGUO); Archives des A /f air es étran-
gères de France.
2 Journals of llte Ifouae of commons, t. V i, p. 72.
^ 13 décembre 1648; — lOid., p. 90.
1. 2
U PROCES DES CHEFS
représenter l'cnormité d'un tel attentat et le conjurer de
sauver le roi : « Je vous permets, lui disait-il, et peu m'im-
portent les inconvénients qui pourraient en résulter pour
moi, je vous permets de penser qu'il n'y a point de moyen
honnête de servir mon malheureux maître auquel je ne
fusse, à tout risque, prêt à recourir pour lui, comme il n'y
a point de bonheur ici-bas qui me fût plus cher que celui
d'aller un peu plus loin que tout autre dans le dévouement
que je lui dois. Mais mon sort actuel m'interdit tout autre
pouvoir que celui d'invoquer sur lui la protection de Dieu,
et de m'adresser à vous que je regarde comme le chiffre qui
donne leur sens et leur valeur aux nombreux zéros qui le
suivent. » Il faisait longuement valoir, en termes tantôt
blessants, tantôt flatteurs, tous les motifs de religion, de jus-
tice, de politique, de devoir, d'honneur, d'intérêt, d'orgueil
et d'ambition personnelle qui devaient décider Cromwell,
et il finissait en lui disant : « Ma conclusion sera très-
franche, pour que vous en soyez d'autant plus sûr de ma
sincérité envers vous sur toutes choses. Les anciennes con-
stitutions et .les lois toujours subsistantes de ce royaume
sont mon héritage et mon droit de naissance ; si quelqu'un
prétendait m'imposer ce qui serait pour moi pire que la
mort, je veux dire un lâche abandon de ces lois, je choisi-
rais la mort comme le moindre mal. J'ai aussi droit au
maintien de la royauté, qui est le pouvoir protecteur de
nos lois, et à ce seul titre, elle m'est plus chère que la vie.
Enfin c'est sur la tête du roi aujourd'hui mon maître que
reposent mon droit et aussi mon devoir, à cause des inap-
préciables faveurs que j'ai reçues de lui. Plût à Dieu que le
sacrifice de ma vie pût sauver la sienne ! Si vous pouviez
faire qu'elle fût bonne à quelque chose pour ce dessein,
je vous porterais plus de reconnaissance que vous n'en
attendrez jamais vous-même des gens à qui vous aurez
ROYALISTES (février 16i9). IS
rendu le plus de services, et je mourrais votre affec-
tionne ami '
« Capell. »
Cromwell ne repondit point à cette lettre et ne l'oublia
point. 11 avait cette sagacité impitoyable qui sait recon-
naître la valeur d'un ennemi, et qui n'en conclut que la
nécessite de l'écarter. Le i" février, la Cbambre vota la
formation d'une nouvelle haute cour de justice formée de
soixante membres, dont quinze suffisaient pour prendre une
décision ; Bradsliaw en fut nommé président. Elle reçut
mission de juger divers délinquants, spécialement le duc de
Ilamilton, lord Holland, lord Norwicb, lord Capell et sir
John Owen, et l'ordre fut donné de commencer immédiate-
ment le procès -.
Le lendemain, 2 février, dès que la nuit fut venue, lord
Capell, à qui l'on avait trouvé moyen de faire passer une
corde, se laissa glisser de sa fcnclre dans les fossés de la
Tour. On lui avait indiqué sur quel point il lui serait plus
facile de les traverser; mais soit qu'il se trompât, soit que
l'eau et la vase fussent plus profondes qu'on ne l'avait cru,
il y enfonça jusqu'au menton et fut sur le point de renon-
cer et de crier au secours; sa haute taille et son obstiné
courage le sauvèrent; il atteignit l'autre bord où l'atten-
daient des amis qui l'emmenèrent au Temple. Il y resta
caché deux jours. Le gouvernement , ému de sa fuite, le
faisait chercher avec ardeur. Un de ses i)lus fidèles amis
pensa qu'il ne pouvait rester en sûreté au Temple, où
venaient trop de gens, et qu'il serait mieux caché dans une
' Livcs of Ihe friends and contcmporarics of lord chanccllor Clarendou,
par lady Tliercsa Lewis {Vie de lord Capell), I. Il, p. 102- lOÔ (Londres,
1852).
» 1er février 1649 ; Jotirnals of the Housc of commons, t. VI, p. 128.
16 PROCES DES CHEFS
petite maison du quartier de Lambcth. Le soir même, lord
Capell sortit, accompagne de ce seul ami, pour aller pren-
dre le premier bateau qu'il trouverait sur la Tamise, au bas
de l'escalier du Temple. Il était si tard qu'un seul bateau
restait. Ils y entrèrent et demandèrent au marinier de les
conduire vers l'autre rive du fleuve, à Lambeth. Lord Capell
était déguisé avec soin; mais soit que son compagnon,
comme 'on l'a dit, l'eût par inadvertance appelé milord,
soit à quelque autre signe, le marinier conçut des soup-
çons, suivit de loin les deux passagers débarques, observa
la maison où ils entraient , et allant aussitôt trouver un
officier : « Combien me donnerez-vous, lui dit-il, pour vous
mener à l'endroit où est lord Capell ? » L'officier lui promit
10 liv. st. ; le marinier tint sa promesse; lord Capell fut
pris et ramené le lendemain à la Tour^.
Le 9 février, la Cour entra en séance. Cinquante des
commissaires désignés pour la former étaient présents. Les
cinq accusés furent amenés, divers d'attitude et de langage
comme de condition et de caractère. Le duc de Hamilton
était un grand seigneur, politique de cour, sincèrement atta-
ché au roi qu'il avait toujours désiré servir, mais encore
plus préoccupé de son crédit ou de sa popularité en Ecosse,
sa vraie patrie, attentif à ménager là tous les partis, et s'in-
quiétant peu d'aggraver, pour son maître, les difficultés ou
les périls, quand il pouvait les atténuer ou les ajourner pour
lui-même. Lord Holland, courtisan frivole, mobile, avide de
plaisirs et d'argent; peu de foi, peu de capacité, peu de
mœurs; il avait brigué et obtenu la faveur, d'abord du duc
de Buckingham, puis de la reine Henriette-Marie, puis du
roi lui-même, puis du Parlement ; passant, selon ses besoins
1 Lady Thcrcsa Lewis, Life of lord CapcU, t. II, p. 103 ; — Clarcndon,
Hisl. of thc Rébellion, 1. xi, c. 2;)9, t. IV, p. 255 ; — Wliitelockc, p. 377.
ROYALISTES (février \U9). 17
OU ses craintes, de l'un à l'autre parti ; décrié dans tous ;
entretenant à la cour de France des relations suspectes, et
s'ctant attiré, soit par quelques propos piquants, soit aussi,
dit-on, par une relation de femme, l'inimitié jalouse de
Cromwell. Le comte de Norwich, cavalier jovial, facile,
empressé à faire son devoir envers le roi, à servir ses amis,
et n'inspirant à ses ennemis ni ressentiment, ni crainte. Sir
John Owen, simple gcntilliomnie du pays de Galles, hon-
nête, courageux, sans ambition ni pensée personnelle, mar-
tyr obscur de sa cause et ne songeant pas à se faire un
mérite de son dévouement. Lord Capcll enfin, aussi noble
de cœur que de race, digne héritier d'un grand-père célèbre
dans son comté par ses vieilles et vertueuses mœurs. « Il
tenait, a dit de lui son petit-fils, une maison abondante et
témoignait sa foi par ses œuvres, répandant si largement sa
charité sur les pauvres qu'il était du pain pour ceux qui
avaient faim, de la boisson pour ceux qui avaient soif,
des yeux pour les aveugles, des jambes pour les estro-
piés, et qu'il pouvait justement être appelé le grand au-
mônier du Roi des rois. » Lord Capell avait porté dans le
Parlement, à la cour, dans les camps, les vertus fortes de sa
famille, et Charles I*^"^ avait éprouvé tour à tour, selon le
besoin des temps, son indépendance et sa loyauté. Ces cinq
hommes formaient par leur réunion une image à peu près
complète et fidèle du parti royaliste, dans ses plus nobles
comme dans ses moins honorables éléments ; et le parti sem-
blait représenté et poursuivi tout entier, dans leur personne,
devant la Haute Cour qui venait siéger dans Westminster-
Hall , quelques jours après celle qui avait jugé le roi '.
t Slale-Trials, t. IV, col. H55; — Clarendon, Jlist. ofllie RebcUion, 1. i,
c. 96; 1. ii,c. 46, 87, 99; I. xi, c. 233-258; 1. r, c. 157, 140; 1. iv, c.2, 14;
1. V, c. 415; I. XI, c. 233-262; I. vu, c. 507; 1. xi, c, 252-258; l. xii, c. 255;
— Lady Theresu Lewis, Life of lord Capcll, l. I, p 232.
2.
18 PROCES DES CHEFS
Hamilton garda une contenance sereine et demanda du
temps pour faire venir d'Ecosse des papiers dont il avait
besoin. La Cour lui accorda des délais qui ne suflisaient
pas, et lorsqu'il insista : « Vous avez été longtemps en
prison, lui dit Bradshaw, il fallait préparer vos preuves
pour le procès. " Après sa condamnation, le duc fut vive-
ment sollicité de faire sur le passé des révélations; Cromwell
lui envoya même, à ce sujet, des officiers chargés de lui
offrir, non- seulement la vie sauve, mais le retour à son
ancienne fortune. « Quand j'aurais autant de vies que j'ai
de cheveux sur la tête, répondit Hamilton, je les sacrifie-
rais toutes plutôt que de les racheter par un si honteux
moyen. » Le malheur suprême et irrévocable élève les âmes
qu'il ne dépouille pas de toute vertu ^
Lord Holland et lord Norwich ne s'appliquèrent qu'à
atténuer les faits qui leur étaient imputés, et à faire naître,
dans l'esprit des juges, par la modestie de leur attitude,
quelques dispositions favorables ^
Lord Capcll ne fut pas seulement digne ; il se montra fier
et rude. Sanè faire attention à la cour, il promena autour
de lui, sur les assistants, des regards sévères, comme pour
leur reprocher la complicité de leur présence. Il soutint
qu'aux termes de la capitulation de Colchester et des expli-
cations du général lui-même, Fairfax, la vie sauve lui avait
été garantie : n Je suis prisonnier de guerre, dit-il, il m'a
été fait quartier; toutes les robes du monde n'ont rien à
voir avec moi. » En tout cas, il demandait à être jugé par
ses pairs : «( Quoique le roi et les lords aient été mis de côté,
les lois fondamentales du pays sont encore en vigueur. Je
» Slalc-Trials, I. IV, col. Ho6, 1187, 1188, 1191, liîll : — Wliilelocke,
p. 581.
» Slale-Triah, t, IV, col. 1195 cl siiiv. ; —Wliilelocke, p. 581, 585,
586.
ROYALISTES (février 1649). 19
VOUS rappelle la grande charte et la pétition des droits. Où
est mon jury? Je ne le vois pas ici. Je voudrais voir mon
jury et que mon jury me vît. Je ne crois pas qu'on trouve
aucun exemple d'un homme condamne à mort si ce n'est
par un hill du Parlement ou par un jury. — Vous vous
trompez, lui dit Bradsliaw ; vous êtes en jugement devant
les juges qu'il a plu au Parlement de vous donner, et ils ont
jugé plus grand que vous '. »
Quand le procureur général conclut en demandant qu'il
fût pendu et son corps traîné sur la claie et mis en quar-
tiers, lord Capell tressaillit; mais se reprenant : « Du reste,
dit-il, de quelque façon que je sois traité ici, j'en aurai
ailleurs une meilleure résurrection -. »
Ils furent tous cinq condamnés à avoir la tête tranchée.
Quand le président eut prononcé l'arrêt, sir John Owen fit
à la cour une profonde révérence et la remercia. L'un
des assistants lui ayant demandé pourquoi : " C'est un
grand honneur, dit-il, pour un pauvre gentilhomme du
pays de Galles, de perdre la tête en compagnie de ces nobles
lords, 1) et il ajouta avec un jurement : « J'avais peur que
ces gens-là ne voulussent me faire pendre '. »
La Haute Cour cependant était soucieuse, et soit désir de
quelque clémence, soit qu'elle aimât mieux n'avoir pasàré-
pondre seule de sa rigueur, après avoir condamné les accu-
sés, elle renvoya, quant à l'exécution de la sentence, à la
décision souveraine du Parlement ^. »
Le lendemain, 7 mars, le comte de Warwick, frère de
lord Ilolland, lady Ilolland, lady Capell et plusieurs autres
» Slale-Trials, t. IV, col. 1195 et suiv.; - Wliitclockc, p. 380, 381; -
Lady Tlieresa Lewis, Life of lord Capell, t. II, p. 108-115.
ï Wiiitelocke, p.381.
= Claremlon, Hisl. of Ihe Rébellion, 1. xi, c. 256 ; t. IV, p. 553.
< Slale-Trials, t. IV, col. 1188; - Wliitclockc, p. 386.
20 PROCES DES CFIEFS
hommes et femmes, de leur famille ou tic leurs amis, se
présentèrent à la porte du Parlement, et demandèrent à
implorer en personne la grâce, des condamnés. Ils furent
introduits et remirent leurs pétitions. Mais la Chambre,
après en avoir entendu la lecture, déclara qu'elle n'avait
pointa s'en occuper, et qu'elle s'en remettait ta la justice de
la Cour qui avait prononcé l'arrêt. Les meneurs auraient
voulu, sans intervenir davantage dans cette triste affaire,
profiter de la rigueur des juges qu'ils avaient nommés ;
mais la Cour était résolue à n'en pas porter seule tout
le poids; elle accorda aux condamnés un sursis de deux
jours pour qu'ils pussent recourir de nouveau au Parle-
ment '.
Contraints de décider eux-mêmes, les chefs républicains
ne consultèrent plus que leurs haines et leurs peurs. Le duc
de Hamilton n'inspirait, soit par lui-même, soit comme
Écossais, aucun intérêt ; sa pétition fut écartée sans hésiter.
Lord Holland avait des amis; son frère et sa femme étaient
là ; il était d'un naturel obligeant et doux; en passant à tra-
vers tous les' partis, il avait, dans tous, contracté des rela-
tions et rendu des services ; mais Cromwcll et Ireton le
détestaient et le méprisaient; sa grâce fut rejetée à une
voix de majorité. Sur le compte de lord Norwich, les voix
s'étaient partagées également : l'orateur de la Chambre,
Lcnlhall, dit qu'il lui avait des obligations personnelles,
qu'ayant encouru un jour le déplaisir du roi, il avait dû à
lord Norwich de n'en pas souffrir, et qu'il ne pouvait se
dispenser de voter pour lui ; lord Norwich fut sauvé
comme lord Holland venait d'être perdu, à la majorité d'une
voix. Personne ne disait un mot pour sir John Owen :
' Journals of Ihc Housc of commons, I. VI, p. 15S ; — Stalc-Triah, I. IV,
col. 1216.
ROYALISTES (février 1649). 21
« C'est une pilic, dit le colonel Hutchinson à Ireton assis
près de lui, que tandis que tant de gens travaillent à la
délivrance des lords, personne n'intercède pour ce gentil-
homme qui est condamné comme eux ; si vous voulez me
seconder, je suis résolu de parler pour lui, car je vois qu'il
est étranger ici et sans amis, » Ireton le lui promit : Hut-
chinson alla chercher la pétition du pauvre Gallois qui
était restée entre les mains du clerc de la chambre; il
la fit lire, la recommanda vivement, fut soutenu par
Ireton, et sir John Owen eut la vie sauve, à cinq voix de
majorité ^
Restait lord Capell, objet, pour sa famille et ses amis,
d'une sollicitude passionnée et des démarches les plus acti-
ves; tout fut tenté pour le sauver; on offrit, on donna
même de l'argent à des personnes qui promirent le secours
de leur influence. Un long débat s'engagea ; quelques-uns
parlèrent pour lui, faisant valoir ses vertus et disant qu'il
ne les avait jamais trompés, qu'il s'était toujours montré tel
qu'il était en effet, dévoué au roi. Cromwell prit la parole
et témoigna d'abord, pour lord Capell, plus d'estime et de
bienveillance que personne n'avait fait : « Mais mon zèle
pour l'intérêt public, dit-il, l'emporte sur mes amitiés par-
ticulières, et je ne puis pas ne pas vous dire que vous avez
maintenant à décider la question de savoir si vous voulez
sauver voire plus implacable ennemi; je connais très-bien
lord Capell; ce sera le dernier homme en Angleterre qui
abandonne la cause royale; il a beaucoup de courage,
d'habileté et de générosité, et beaucoup d'amis qui lui
resteront fidèles; tant qu'il vivra, quelle que soit sa situa-
1 Joiirnah of ihc Housc of commons,i. VI, p. 159, IGO ; — Wliilclocko,
p.ô86; — Mémoires de mi slrcss Hutchinson, i. II, p. 199-202; —tic Lutllow,
1. 1, p. 553-557, dans ma Colkclion ; — Clarendon, llisl. of tlie RcbMion,
1. XI, c. 260.
22 PROCES DES CHEFS
tion, il sera une épine dans vos flancs; pour le bien de la
République, je me sens obligé de voter contre sa pétition ; »
et elle fut rejelée, on ne sait pas précisément à quelle
majorité ^.
L'exécution fut fixée au lendemain, 9 mars. Dans la nuit,
lord Capell demanda au docteur Morlcy, son ami^ qui venait
le visiter dans sa prison, de lui donner la communion :
« Je désire la recevoir, dit-il, d'un ministre du parti du roi,
et selon la liturgie de l'Église d'Angleterre... Je crois n'avoir
à m'accuser d'aucun péclié grave commis contre la lumière
de ma conscience, si ce n'est d'avoir voté dans le Parlement
pour la mort de milord Strafford. Cela, je l'ai fait contre ma
conscience, non par aucun mauvais vouloir envers l'homme
lui-même, mais par une lâche crainte et entraîné par la
violence d'une faction dominante. J'en ai été depuis et j'en
suis profondément repentant. J'en ai souvent demandé à
Dieu et, j'espère, obtenu de lui le pardon; si vous le jugez
nécessaire ou seulement convenable, je confesserai publi-
quement mon péché et sa cause sur l'éciiafaud, à la gloire
de Dieu et .à ma honte. » Le prêtre l'encouragea dans cette
vertueuse intention. La famille de lord Capell entra, sa
femme, son fils aîné, deux de ses oncles, son neveu, tous
ensemble; on ne leur avait pas permis de le voir séparé-
ment. 11 les garda une heure, tendre et triste, mais surtout
occupé de soutenir leur courage et de leur donner ses der-
niers conseils : « Je ne voudrais pas, dit-il à son fils, que
vous négligeassiez aucune occasion de servir votre roi et
votre pays, au péril de votre fortune et de votre vie; mais
ne vous engagez dans aucune entreprise, ni par désir de
vengeance, ni par espoir de récompense; ne cherchez que
votre devoir. Je vous enjoins, en vous bénissant, de faire
1 Lady Thcresa Lewis, Life of lord Capell, l. II, p. 119-124.
ROYALISTES (février 16^9). 23
entrer dans vos prières de chaque jour, comme je l'ai tou-
jours fait dans les miennes, ce verset du 27' psaume de
David :« Eternel, enseigne-moi la voie et conduis-moi par
un sentier uni, » car j'ai toujours aime, dans les actions et
dans les paroles, ce qui est uni et droit; je déteste toute
dissimulation et tout artifice, et je désire que vous en fassiez
autant. » Quand vint le moment de la séparation, lady
Capell succomba ; on l'emporta défaillante. « Maintenant,
dit lord Capell au docteur Morley, resté seul avec lui, ce
que j'avais de plus difficile à faire en ce monde est fait, me
séparer de celte pauvre femme; grâce à Dieu, je me sens
bien disposé et prêt ; j'espère qu'au moment de mourir, je
n'aurai plus rien à penser qu'à mourir. » Pourtant il écrivit
encore deux fois à sa femme, dans le court intervalle entre
leur séparation et Téchafaud : n Je t'en conjure, ne te désole
pas démesurément ni étrangement; que je vive longtemps
dans ta chère mémoire; que Dieu soit, pour toi, mieux
qu'un mari, cl pour nos enfants, mieux qu'un père. Je suis
sûr qu'il le peut; j'ai la confiance qu'il le fera '. »
Le due de Hamilton fut amené le premier sur la place de
Westminster, où était dressé l'échafaud. Il mourut digne-
ment, après avoir parlé aux assistants en termes simples et
tranquilles, justifiant modestement sa vie et faisant profes-
sion de son attachement pour le roi mort qu'il avait servi et
pour le roi absent dont il espérait le retour qu'il ne devait
point voir. Comme il parlait, les rayons du soleil tombaient
sur son visage; on l'engagea à changer de position : « Non,
dit- il, j'espère voir bientôt un soleil plus brillant que
celui-ci. 1» Lord Holland avait laissé paraître la veille plus
d'angoisse et de faiblesse; il était malade et inquiet de son
i Statc-Trials, l. IV, col. 1230-1231; — Laily Tlicresa Lewis, Life oflortl
Capell, l. II, p, 156-140.
n PROCES DES CHEFS
âme ; mais au dernier moment, soutenu par deux ministres
presbytériens qui l'avaient accompagné, la fermeté conve-
nable ne lui manqua point. Lord Capell parut le dernier,
et seul, sur récliafaud. « Monsieur, lui dit Tofficier qui
commandait, votre chapelain est-il là? — Non, répondit-il,
j'ai pris congé de lui ; » et voyant quelques-uns de ses ser-
viteurs qui pleuraient : « Contenez-vous, messieurs, conte-
nez-vous. » Puis, se retournant vers l'officier : « Les lords
qui m'ont précédé ont-ils parlé le chapeau sur la tète ou
non ? — Tète nue, monsieur. » Lord Capell ôta son chapeau
et parla brièvement, fermement, également franc et décidé
comme royaliste et comme chrétien. Il fit ce qu'il avait
prorais au docteur Morley ; il s'accusa de son vote contre
lord Strafford : «i Je confesse de nouveau , dit-il , pour la
gloire de Dieu et à la honte de ma propre faiblesse , que ce
fut vraiment une indigne lâcheté de ne pas résister au tor-
rent qui nous emportait dans cette affaire. » Peuple et soldats,
amis et étrangers, tous le regardèrent mourir dans le recueil-
lement de l'admiration et du respect '.
C'est un -devoir pour Thistoire de rendre pleine justice à
ces morts vertueuses et fortes qui agissent puissamment sur
les sentiments des peuples, et qui relèvent au fond des cœurs
les causes perdues sur les champs de bataille. A l'exception
du parti républicain , l'échafaud de lord Capell indigna et
attendrit tout le pays. La guerre était finie ; le sang du roi
avait été versé pour expier, disait-on, tout celui qu'elle avait
fait répandre : pourquoi encore du sang ? Pourquoi , sur
des prisonniers faits dans une guerre qui avait cessé, ces
rigueurs infligées par des juges que les lois ne connaissaient
pas, et soutenues par des subtilités d'école? Le Parlement
1 State-Trials, t. IV, col. H88-H94, 1220-1235; - Liuly Theresa Lewis,
Life of lord Capell, t. Il, p. 140-153.
ROYALISTES (février 1649). 28
lui-même sentit qu'il ne pouvait persister dans cette voie.
Il avait encore à statuer sur plusieurs chefs royalistes,
ecclésiastiques, civils et militaires; contre quinze d'entre
eux, il prononça le bannissement à perpétuité et la confis-
cation de tous leurs biens ; il en renvoya cinq devant des
cours martiales, pour faits de guerre; il décida que deux
autres, le marquis de Winchester et l'évêquc de Norwich,
seraient retenus en prison aussi longtemps que cela serait
jugé nécessaire; deux seulement, sir John Howell et le juge
David Jenkins, furent renvoyés en poursuite capitale, non
plus devant un tribunal extraordinaire, mais devant les cours
d'assises légales; et cette poursuite même n'eut pas lieu : ils
restèrent tous deux en prison, Jenkins jusqu'en 16o6, sir
John Howell jusqu'à la Restauration. Le Parlement ne voulait
plus de bruit ; il interdit la publication des débats et des actes
delà Haute Cour qui avait condamné lord Capell; on saisit
des pamphlets, on gagna des journalistes; un comité fut
chargé de préparer des mesures pour réprimer la liberté de
la presse. Les rigueurs silencieuses remplacèrent les pour-
suites éclatantes et les échafauds ^
Mais le Parlement ne disposait pas seul de l'éclat et du bruit :
peu de jours après la mort du roi, parut VEikôn Basilikè ou
image royale, donnée comme l'ouvrage de Charles I" lui-
même, et qui, sous une forme pieuse, révélait à l'Angleterre
les réflexions, les sentiments, les impressions, les espé-
rances et les angoisses, toute l'âme du roi pendant le cours
de ses épreuves. Avertis, avant mémerexécution de Charles,
qu'on imprimait ce livre, les meneurs républicains pressen-
tirent le coup qu'il devait leur porter, et firent tous leurs
efforts pour en empêcher la publication -. Ils n'y réussirent
1 Journah of the Hoxise of commons, l. VI, p. 104-105, 270, 2'J8; —
Godwin,^t£(. of Ihe Commonwealih, l. 111, p. -43-4/», 343-548.
* Le 16 mars 1G49 ; JournaU of the Ilouse of commons, I. VI, p. 100.
26 PUBLICATION
point : l'ouvrage se répandit rapidement ; quarante-sept
éditions en furent faites , et plus de quarante-huit mille
exemplaires distribués en Angleterre dans le cours de l'an-
née; il fut aussitôt traduit et avidement lu en France et
dans toute l'Europe. Partout l'effet en fut prodigieux ;
l'atachement pour la mémoire du roi devint de la passion
et le respect du culte; ses ennemis furent les bourreaux d'un
saint. C'est surtout à VEikôn Basilikè que Charles P"^ a dû le
nom de roi-marlyr.
L'ouvrage n'était pas de lui ; les témoignages extérieurs
comme les preuves internes ne permettent plus d'en douter :1e
docteur Gauden, évêque d'abord d'Exeter, puis de Worcester,
sous le règne de Charles II, en était le véritable auteur ; mais
le manuscrit avait probablement été connu et approuvé,
peut-être même corrigé par Charles lui-même, pendant son
séjour dans l'ile de Wight. En tout cas, c'était bien l'expres-
sion et vraiment l'image de sa situation, de son caractère et
de son âme tels que les avait faits le malheur : une élévation
à la fois naturelle et tendue; un constant mélange d'aveugle
orgueil royal et de sincère humilité chrétienne; des élans de
cœur h travers les habitudes d'une personnalité obstinée ;
une piété vraie au milieu d'une conduite fausse; un dévoue-
ment invincible, quoique un peu inerte, à sa foi, à son hon-
neur, à son rang ; et tous ces sentiments exprimés dans un
langage monotone et souvent emphatique, mais grave, doux,
onctueux même avec sérénité et tristesse : il y avait là de
quoi remuer profondément les cœurs royalistes et leur per-
suader aisément que c'était le roi lui-même qui leur parlait^
Le parlement sentit qu'il ne pouvait rester muet en pré-
sence d'une émotion publique si forte, et il chargea Milton
1 VEihàn Basilikc est traduit en entier dans ma Collection des Mémoires
relatifs à la Révolution d'Angleterre, el la question de sou autlienlicité est
disculoe dans la nolice placée en lèle de ce volume.
I
DE L'EIKON BASILIKÉ. 27
de la combattre. Ce génie sublime et sévère qui, dès sa jeu-
nesse, avait résisté à ses parents et à ses maîtres pour
s'adonner tout entier à la poésie et aux lettres, était épris
d'une passion ardente pour la liberté : non pour celte
liberté réelle et vraie qui résulte du respect de tous les
droits et des droits de tous, mais pour la liberté idéale et
absolue, religieuse, politique, domestique ; et son puissant
esprit se repaissait, à ce sujet, d'idées fortes, de sentiments
élevés, de grandes images et de belles paroles sans qu'il
s'inquiétât de savoir si, autour de lui, les faits positifs et ses
propres actions même répondaient à ses principes et à ses
espérances. Il pouvait servir et il servit en effet la tyrannie,
tantôt d'une assemblée, tantôt d'un seul bomme, croyant
toujours défendre et servir la liberté. Eclatant et doulou-
reux exemple des illusions peu dignes où l'imagination
rêveuse, le raisonnement abstrait et le beau langage peu-
vent jeter une intelligence supérieure et un noble cœur.
Milton écrivit et publia promplemcnt son Iconoclasles^
longue et froide, bien que violente réfutation de Vlmcuje
royale. Milton ne comprenait point Charles I*"^ et ses senti-
ments, ni ceux que le roi inspirait aux royalistes; il repro-
duisit contre lui, avecl'animosité puritaine et républicaine,
tous les faits connus, toutes les accusations vraies ou fausses
qui, depuis dix ans, retentissaient en Angleterre, sans tenir
compte des idées ni des impressions nouvelles que les évé-
nements avaient suscitées dans les cœurs, et sans que cette
diatribe rétrospective fût relevée par la verve et l'éclat du
langage. Elle ne produisit en Angleterre qu'un médiocre
effet; mais sur le continent, en France surtout, elle excita
une vive colère; et à la demande de Charles H, le célèbre
érudit protestant, Saumaise, réfugié et professeur honoraire
à l'université de Leyde, en entreprit la réfutation. Sau-
maise n'avait pas attendu, pour faire éclater son indigna-
28 POLEMIQUE ENTRE MILTON
lion, que Charles la lui demandât et la lui payât; huit jours
après l'éxecution du roi, il avait, dans une lettre spontanc'e
et soudaine, maudit passionnément ses ennemis devenus
SCS juges '. La Défense rnyale fOur Charles l", adressée à
Charles II, fit grand bruit, plus encore par le nom de l'au-
teur que par le mérite de l'ouvrage : c'était un panégyrique
savant, spirituel et quelquefois éloquent, mais sans mesure
et sans goût, de la monarchie en général, une apologie
enthousiaste de Charles I""^, et une attaque violemment
injurieuse contre les républicains anglais et leur défenseur.
Quand le livre de Saumaise parvint à Londres, le gouver-
nement s'en préoccupa, et dans une séance du conseil d'État
à laquelle, dit-on, Millon assistait, il fut décidé qu'il devait
y répondre. 11 le fit aussitôt, et avec bien plus de talent et
de succès qu'il n'en avait déployé et obtenu en attaquant
Charles I""" lui-même : na première et sa seconde défense du
peuple amjlais, en réponse à la défense royale de Saumaise,
sont des modèles de discussion passionnée, soit générale,
soit personnelle ; la République y est défendue, dans ses
principes comme dans ses actes, avec une fermeté intraita-
ble, et Milton s'y met lui-même en scène, sa personne, sa
vie, sa cécité, contractée dans le cours de ce travail même,
avec une éloquence tour à tour noble et touchante, répan-
dant partout, n)ême sur des idées fausses et sur de mauvaises
actions, cette splendeur de pensée et de langage qui attire
et charme quoique sans convaincre, et quelquefois même en
irritant. Le succès de ces répliques républicaines fut grand,
sur le continent comme en Angleterre ; la reine Christine
de Suède en témoigna, devant Saumaise lui-même, son
admiration ; les États généraux de Hollande crurent devoir
' La letU'c est du 17 février 1C49;— Carte, Ormond's Leticrs, t. 1,
p. 253-258.
ET SAU5IAISE (1619-1050). 29
supprimer la Défense royale du professeur de Leyde. II
s'en indigna, tomba malade et mourut, laissant une
Réponse de Claude Saumaise à Jean 3JiUon qui fut publiée
après sa mort. D'autres écrivains, royalistes et républicains,
français et anglais, se jetèrent dans cette arène; Milton y
reparut encore, par irritation personnelle plus que par
nécessité politique ; et ce grand débat, qui avait commence
avec tant d'éclat par l'apologie d'un roi despotique et d'un
parlement révolutionnaire, finit obscurément par une polé-
mique grossière et vulgaire entre des lettrés acharnés à
s'injurier '.
Quand il prit fin, depuis longtemps déjà le gouvernement
républicain n'y pensait plus : des soins plus pressants et
des ennemis plus dangereux avaient absorbé son attention.
Le 20 janvier 1649, au moment même où le roi compa-
raissait pour la première fois devant la Haute Cour chargée
de le juger, le général en chef et le conseil général des offi-
ciers de l'armée avaient présenté au Parlement, sous le titre
de <c Convention du peuple d'Angleterre pour établir une
paix solide sur les fondements du droit commun, de la
liberté et de la sécurité de tous, » leur plan de gouverne-
ment républicain. Ce plan, rédigé, dit-on, par Ireton, com-
prenait dix articles, dont les dispositions essentielles étaient
celles-ci :
d° Le Parlement actuel se dissoudra le 50 avril 1649.
2" Il y aura une assemblée représentative (ils écartaient
le nom de Parlement) formée de quatre cents membres.
5" L'assemblée représentative sera élue tous les deux ans,
et siégera six mois chaque année.
Seront électeurs et éligibles tous les natifs ou habitants
' Todd, Lifcof MiUon, p. 72-8i ; — MilCoi-il, LifcofMiUon, p. 77-9:5;—
Milton, Frose Works, 1. 1 cl IV (Londres, 181)1).
3.
50 liNSURRECTION DES
jouissant des droits civils en Angleterre, taxés pour le sou-
lagement des pauvres, n'étant au service ni aux gages de
personne, âgés de vingt et un ans au moins, et domiciliés
dans le lieu de l'élection.
Ne pourront être électeurs pendant sept ans, ni élus pen-
dant quatorze ans, tous ceux qui ont adhéré au roi contre
le Parlement dans les dernières guerres, ni ceux qui feront
ou appuieront, par voie de force, opposition à la présente
convention.
Ne pourront être élus à l'assemblée représentative nul
membre du conseil d'Etat, nul officier, commandant des
forces salariées, nul employé dans la perception et l'admi-
nistration du revenu public. Si un avocat est élu membre
de l'assemblée représentative ou du conseil d'État, il ne
pourra pratiquer au barreau tant que durerontses fondions.
4° Cent cinquante membres au moins devront être pré-
sents pour le vote d'une loi : soixante suffiront pour les
débats préparatoires.
5° Chaque assemblée représentative, dans les vingt jours
de sa réunion, nommera un conseil d'État chargé de diriger
les affaires publiques jusqu'au dixième jour de la réunion
de l'assemblée suivante.
6° Dans l'intervalle entre deux assemblées représentati-
ves, et en cas de danger ou de nécessité urgente, le conseil
d'État pourra en faire élire et réunir une qui ne siégera pas
au delà de quatre-vingts jours.
7° Aucun membre de l'assemblée législative ne peut,
pendant sa durée, recevoir aucun emploi public, si ce n'est
celui de conseiller d'État.
80 Le pouvoir souverain et définitif, entre autres celui
d'instituer des cours de justice, est remis à l'assemblée
représentative dans toutes les choses naturelles et civiles,
mais non dans les choses spirituelles ou évangéliqucs.
NIVELEURS (1649). 31
Quelques limitations à ce pouvoir souverain étaient indi-
quées ici, pour la garantie des libertés civiles, des engage-
ments financiers de l'État et des interdictions qui pesaient
sur le parti royaliste.
9° La religion chrétienne est la foi publique de celte
nation : « Nous désirons qu'elle soit, par la grâce de Dieu,
réformée, pour sa plus parfaite pureté dans la doctrine,
le culte et la discipline, conformément à la parole de Dieu,
que le peuple y soit instruit publiquement, mais sans con-
trainte, et que ses ministres soient maintenus aux frais du
trésor publie, et, c'est du moinsnotre vœu, sans recourir aux
dîmes. ))
« Le papisme et l'épiscopat ne seront pas publiquement pro-
fessés au sein de cette nation. » Hors de là, point de pénalité
en matière religieuse; égale liberté et protection pour tous
ceux qui professent la foi en Dieu par Jésus-Christ.
dO° Quiconque résistera, à main armée, aux ordres de
l'assemblée représentative , sera puni de mort comme
ennemi et traître à la nation, excepté dans le cas où l'as-
semblée représentative trahirait ou violerait elle-même les
principes fondamentaux de droit commun, de liberté et de
sûreté publique établis dans la présente convention ^
C'étaient là les vues des républicains politiques, des mo-
dérés, militaires ou civils, qui avaient déjà manié ou vu de
près les affaires; mais elles étaient loin de satisfaire aux
idées et aux passions de tout le parti qui avait îix'û la guerre
au roi et renversé la monarchie : à peine installé, le gou-
vernement réi)ublicain se vit en face d'une opposition ar-
dente, démocratique et mystique; et un homme se trouva
qui, avec un courage et un dévouement indomj)tables,se fit,
non pas le chef, nul n'était chef dans ce camp-là, mais l'in-
1 Parliam. Iliitory, t. XVill, p. 516-536.
S2 INSURRECTION DES
terprète, le défenseur et le martyr populaire de tous les
mécontents : ce fut John Lilburne.
Ce n'était pas pour lui un rôle nouveau ; il en avait déjà,
sous Charles l*"", affronté les souffrances et conquis la popu-
larité. Même contre le Parlement républicain, il avait na-
guère, à l'occasion du procès du roi , commencé une vive
opposition, s'élevant contre l'institution de la Haute Cour
et demandant que le roi fût jugé selon les lois du pays, et
par un jury indépendant. Non qu'il fût possédé du cynisme
démagogique et qu'il voulût humilier la royauté déchue,
mais par un respect strict du droit commun et des garanties
légales promises à tout Anglais. Il renouvela, plus chaude-
ment encore, les mêmes attaques contre la nouvelle Haute
Cour instituée pour juger lord Capell et ses compagnons,
et leur fit même offrir ses services pour leur défense, cher-
chant partout des occasions et des clients à son ardeur de
combat. Il avait, dans la Cité où s'était passée sa jeunesse,
et dans l'armée où il avait vaillamment servi, d'anciennes
relations et de nombreux amis, des bourgeois et des ap-
prentis, des" officiers et des soldats, des sectaires mystiques
ou esprits forts, tous passionnément adoimés, comme lui,
aux idées et aux sentiments les plus démocratiques, tous rai-
sonneurs et querelleurs comme lui , ne s'inquiétant ni des
conditions de l'ordre, ni des nécessités du pouvoir, et tou-
jours prêts à le critiquer et à le combattre dès qu'il blessait
ou les instincts de leur conscience, ou les rêves de leur es-
prit, ou les récentes habitudes de leur indépendance révo-
lutionnaire, ou les prétentions de leur orgueil. Lilburne mit
tous ses soins à faire fermenter ensemble toutes ces hu-
meurs ; il s'appliqua surtout à ranimer, dans les rangs infé-
rieurs de l'armée, la pratique des réunions, des pétitions, et
ce travail des agitateurs délégués par leurs régiments dont
les Indépendants et Cromwell s'étaient si efficacement servis
NIVELEURS (1649). Ô3
pour dompter le Parlement. Dans un conseil d'officiers tenu
à Whitcliall, on résolut de prendre, contre ces menées, des
mesures sévères , et un ordre du jour de Fairfax interdit
dans l'armée toute réunion, toute délibération contraire à la
discipline, admettant encore le droit de pétition des soldats,
mais pourvu qu'ils en informassent d'abord leurs officiers'.
Aussitôt parut un pamphlet de Lilburnc -, les nouvelles
Chaînes de V Angleterre dévoilées, attaquant avec violence
ces excès de pouvoir de ces mêmes chefs qui naguère avaient
si souvent autorisé et poussé leurs subordonnés à tous les
excès de la liberté. En même temps cinq soldats signèrent
et présentèrent à Fairfax une pétition pour se plaindre des
obstacles ainsi apportés à leur droit de pétition : « Veuillez
considérer, lui disaient-ils, que nous sommes des soldats
anglais , volontairement engagés au service des libertés de
l'Angleterre, non des mercenaires étrangers chargés de tuer
les gens pour de l'argent , et que nous n'avons à servir les
ambitieux desseins et les pernicieuses volontés de qui que
ce soit sous le ciel ^. »
Fairfax déféra immédiatement cette pétition au conseil de
guerre qui condamna les cinq soldats à passer, la face tour-
née vers la queue de leur cheval, devant le front de leur
régiment, à avoir leur épée brisée sur leur tête et à être
casses. La sentence fut aussitôt exécutée, le même jour où
la Haute Cour de justice condamnait lord Capell à mort.
Quelques jours après, Lilburnc publia un nouveau pamphlet
» Le 22 février I G49 ; Wliitelocke, p. 383.
» Le 28 février 1G49.
3 Parliam. Hist., t. XIX, p. 49 ; - Journals of thc IIousc of eonmous,
t. VI, p. 130; - Whilelocke, p. 583, 384, 385;— Thc liunling of ihc Foxvs
from Newmarkcl and Triploc-llealh lo WUitehall, bi/ five small Beaglcs,
p. 17; — Godwin, Ilist. of (lie Commontccaltli, t. III, p. 45-59; — mes Étu-
des biographiques sur la Révolution d'Angleterre { Vie de J. Liibnrne),
p. 149-173.
U INSURRECTION DES
intitulé : les Benards chassés de Newmarkel et de Triploe-
Heath à Whitehall, par cinq petits bassets, ou les grands
trompeurs démasqués; récit à la fois burlesque et tragique
de la pétition signée et du châtiment subi par les cinq sol-
dats, et invective brûlante contre les chefs qui le leur avaient
infligé : «i Fut-il jamais une bande d'apostats à ce point faux
et parjures? Jamais hommes ont-ils, plus que ceux-ci, pré-
tendu à la piété, à la sainteté , au zèle pour le service de
Dieu et de leur pays? Ils prêchent , ils jeûnent, ils prient;
ils n'ont à la bouche que des phrases des saintes Ecritures,
le nom de Dieu et de Christ. Parlez à Cromwell de quoi que
ce soit : il mettra sa main sur son cœur, il lèvera les yeux
au ciel, il prendra Dieu à témoin, il pleurera, il gémira, il
se repentira; et ainsi faisant, il vous frappe sous la première
côte. N'est-il pas évident que désormais l'influence des offi-
ciers est directement opposée à celle dos soldats, et que là
où l'une triomphe, l'autre succombe?... Qu'ctes-vous, main-
tenant, soldats anglais? On vous ferme la bouche ; vous ne
pouvez vous plaindre ni demander redressement; vos offi-
ciers sont vos seigneurs et vous êtes des vassaux qu'ils ont
conquis. Vous n'avez à leur résister en rien; s'il leur plaît
de dire que les corbeaux sont blancs, dites comme eux ; ne
vous avisez pas de prononcer un mot sur leurs abus, leurs
fausses revues, leurs volerics ; tout soldat assez présomp-
tueux pour articuler quoi que ce soit contre un officier sera
cassé. )'
Et en même temps qu'il dénonçait ainsi les officiers aux
soldats, Lilburne adressait au Parlement la seconde partie
de ses nouvelles Chaînes de l'Angleterre dévoilées, autre in-
vective aussi ardente et aussi bruyante pour dénoncer au
pouvoir civil les chefs de l'armée qui travaillaient et avaient
toujours travaillé à s'emparer de la tyrannie : u Si la Cham-
bre, disait-il, ne fait pas son devoir en déjouant ce complot,
NIVELEURS (1649). 35
nous avons la confiance que ce que nous venons de dire et
de répandre ouvrira les yeux et relèvera les cœurs de tant
de soldats et de citoyens que ces hommes ne parviendront
jamais à accomplir leurs détestables desseins ^ ji
Le Parlement et le conseil général des officiers s'émurent
d'une même colère et mirent en œuvre à la fois, contre leurs
nouveaux ennemis, et les armes révolutionnaires et les ar-
mes du pouvoir. Des pétitionsarrivèrentde plusieurs comtés,
pleines de blâme contre l'opposition qui éclatait et d'ad-
hésion dévouée au Parlement. Diverses congrégations de
sectaires, anabaptistes et autres, vinrent déclarer que c'était
contre leur gré que le pamphlet de Lilburne , les nouvelles
Chaînes de V Angleterre dévoilées, avait été lu dans quelques-
unes de leurs assemblées, et elles en témoignèrent leur dés-
approbation. Plusieurs régiments, sur le vœu de leurs chefs,
protestèrent formellement contre la rébellion naissante. Le
conseil général de l'armée adressa à la Chambre « une hum-
ble pétition 1) dans laquelle, en demandant le redressement
d'abus administratifs nuisibles aux soldats, il témoignait de
la bonne intelligence qui régnait entre le Parlement et l'ar-
mée; et la Chambre attacha tant de prix à cette démarche
qu'elle en fit aux pétitionnaires des remercîments officiels :
« Ce jour, leur dit en son nom l'orateur, sera un jour de
grand mécompte pour nos communs ennemis; tous les gens
de bien qui se sont engagés avec nous pour le salut du
royaume verront avec une vive joie votre modeste et discrète
pétition ; elle fermera la bouche à nos détracteurs malin-
tentionnés qui seront forcés de reconnaître que l'armée et
le Parlementsont unanimes pour le bien public. La Chambre
• Pari Hisl., l. XIX, p. 51; — Wliilelockc, p. 38;i, Ty'M ; — Ilcalli, A brirf
Chronide, de, p. 430 ; — Lilbunic, The lutnting of tlic Foxes, elc, p. l'i,
13; — England'sNcw CItains, etc. (2= pari.), p 16; - Goilwin, llist. ofthe
Commontvenlth, l. III, p. S9.
56 INSURRECTION DES
regarde comme très- importantes, et elle prendra immédia-
tement en considération les choses que vous lui recomman-
dez; et comme vous vous êtes toujours montrés, dans votre
service, empressés et fidèles, elle m'ordonne de vous remer-
cier de vos discrètes et sérieuses représentations. » Et pour
soutenir, par l'énergie de ses propres résolutions, ces ma-
nifestations publiques de ses partisans, la Chambre vota que
le pamphlet de Lilburne était plein d'assertions fausses,
calomnieuses et séditieuses que les auteurs et distributeurs
étaient coupables de haute trahison et seraient poursuivis
comme traîtres ; et elle enjoignit au conseil d'État de donner
suite à ses déclarations. Le conseil d'Etat, de son côté,
chargea Milton de répondre à Lilburne ; et dès le lendemain
Lilburne lui-même et ses trois principaux associés, William
Walwyn, Thomas Prince et Richard Overton, furent arrêtés
et mis à la Tour ' .
Évidemment, dans le parti républicain, soit de l'armée,
soit du pays, la majorité, plus sensée que conséquente,
désavouait les opposants et voulait soutenir ses chefs et
le Parlement. Mais les factions extrêmes ne se sentent
jamais faibles, car la fièvre fait croire à la force, et l'espé-
rance demeure toujours là où est le courage du martyre.
Du fond de la Tour, Lilburne publia, sous le titre de Por-
trait du conseil d'Élat, le récit de son arrestation et de
celle de ses compagnons, de leur interrogatoire, de leur
défense et de leur emprisonnement : remarquable mélange
de fierté digne et de bravade puérile, d'honnêteté et de va-
nité. Apostrophant Cromwell et Ireton : « Qu'ils fassent du
pire qu'ils pourront, disait-il, je les défie; ils ne peuvent
pas me faire plus que le diable n'a fait à Job. Ils ont une
1 Le 28 mars 1640 ; Journals of the House ofcommons, t. VI, p. i53, 1G8,
174, 177; — Wliitcloeke, p. 593 ; — Godwin, Hist. of the Commonweallh,
t. m, p. 60, 343.
NIVELEURS {{U9). 57
armée à leurs ordres ; mais dût chaque cheveu sur la tête
de chacun de leurs soldats devenir une légion d'hommes,
je ne les craindrais pas plus qu'autant de hrins de paille,
car le Seigneur Jéhovah est mon rocher, et sous ses ailes,
je suis en sûreté ; je chanterai et je serai gai... Ami lecteur
et cher compatriote, excuse-moi, je t'en supplie, si je me
glorifie et me vante ; j'y suis forcé par mes adversaires qui
me calomnient bassement; d'ailleurs Paul et Samuel l'ont
fait avant moi. Si tu tiens pour les justes droits et les li-
bertés du pays où nous sommes nés, je suis à toi, moi John
Lilburne, que la peur n'a jamais pu jeter ni la séduction
attirer hors de mes principes, qui n'ai jamais craint les
riches et les puissants, ni méprisé les pauvres et les faibles,
et qui espère, avec l'aide de la bonté de Dieu, demeu-
rer semperidem '. »
Lilburne ne s'en tint pas à des pamphlets, ni à des in-
vectives contre quelques hommes ; il avait dans l'esprit
certaines idées morales et politiques, peu réduites en sys-
tème, mais fort accréditées dans les classes populaires, et
qu'il aspirait ardemment à faire triompher. Déjà , le 20 fé-
vrier précédent, il les avait rédigées et présentées, sous
forme d'adresse, à la Chambre, jaloux d'opposer, au plan
de gouvernement des meneurs républicains, son propre
plan de gouvernement, et de mettre sa république en face
de la leur. La Chambre avait reçu son adresse comme on
reçoit les vœux d'un ennemi, et sans l'honorer d'aucune
réponse. Blessé dans son amour-propre et dans sa foi poli-
tique, Lilburne publia de sa prison, et de concert avec ses
compagnons de captivité, une nouvelle Convention dn peu-
ple d'Angleterre, résumé de leurs vues en fait d'organisa-
tion sociale, et qui devait, dans leur espérance, frajipcr
1 î. Lilburne, Tlic Piclure of Ihc council ofSlaic, etc., 2'^ édil., p. 1".», 'iO
REPVDIIQUE 1' ANCIETEBRE. 1.
38 INSURRECTION DES
de décri cette autre Convention que, trois mois aupara-
vant, le conseil des officiers avait présentée au Parlement.
Composée de trente articles, la constitution de Lilburne
n'était pas aussi éloignée qu'il se le figurait de celle à la-
quelle il prétendait la substituer; elle en différait cepen-
dant par quelques dispositions, les unes plus justes et plus
libérales, les autres plus impraticables et plus vaines. D'une
part, Lilburne donnait aux droits et aux libertés des indi-
vidus, surtout à la liberté de conscience, plus d'étendue;
de l'autre, il s'inquiétait bien moins encore des moyens
de gouvernement, et prenait contre le pouvoir quelques-
unes de ces prétendues garanties qui désorganisent à la
fois le pouvoir et la société; il interdisait, par exemple,
aux membres de l'assemblée représentative en fonction, le
droit d'être réélus à celle qui devait lui succéder. La répu-
blique du conseil général des officiers ne pouvait pas du-
rer; celle de Lilburne n'eût pu seulement commencer à
vivre \
Au moment même où il la mettait au jour, elle rece-
vait, d'un incident d'abord obscur, un nom qui la frap-
pait de mort. Dans le comte de Surrey parut une bande peu
nombreuse encore, mais qui annonçait qu'elle serait bien-
tôt de quatre mille bommes. Everard et Winslanley, le
premier ancien soldat, en étaient les cliefs ; ils commen-
cèrent à cultiver et à ensemencer çà et là, appelant à eux
le peuple des environs, promettant, à tous ceux qui vien-
draient les joindre, des aliments et des vêtements, et mena-
çant de renverser les clôtures des parcs voisins. Sur la
demande des magistrats du comté, Fairfax envoya deux
escadrons qui les arrêtèrent; les chefs parurent devant
» Jonrncds of Ihe Ifouse of commons. t. VI, p. Vol; — WhUelockc, p. 384;
— J. Lilburne, An agrcemcnt of Ihe frce pcople of ^'«(//«Jirf (F.oudres, 50 avril
11349), pamphlcl de huit pages.
NIVELEURS (1049). 59
lui le chapeau sur la tête; on leur demanda pourquoi:
«t Parce qu'il n'est qu'une créature semblable à nous. »
Everard défendit leur conduite et leur droit :« Nous som-
mes, dit-il, de la race des Juifs; toutes les liberlés du
peuple ont été perdues par la venue de Guillaume le Con-
quérant; le peuple de Dieu a vécu depuis lors sous une
tyrannie pire que celle qu'endurèrent nos pères sous les
Égyptiens. Mais nous touchons au temps de la délivrance;
Dieu veut tirer son peuple de cette servitude et lui rendre
la libre jouissance des biens et des fruits de la terre; une
vision m'a apparu qui m'a dit : n Va, cultive et laboure lu
K terre, et recueillcs-en les fruits pour les distribuer aux
« pauvres, pour nourrir ceux qui ont faim et vêtir ceux qui
« sont nus. » Nous ne voulons attenter à la propriété de per-
sonne, ni détruire aucune clôture ; nous ne prenons que
les terres non cultivées pour les rendre fertiles et profita-
bles aux hommes ; un temps viendra où tous les hommes
donneront volontairement leurs biens et les mettront en
communauté. Nous ne nous défendrons point par les ar-
mes; nous nous soumettrons à l'autorité et nous attendrons
le temps promis, car il est proche '. »
Ces hommes se nommaient eux-mêmes les Piocheurs- ;
mais le public les appela les Niveleurs; et ce nom devint
aussitôt celui de tous les petits groupes qui, soit dans le
pays, soit dans l'armée, poussés par des idées politiques ou
religieuses, et diversement anarchiques, voulaient une ré-
publique autre que celle qui essayait de gouverner l'Angle-
terre, et lui faisaient une opposition ardente. En vain Lil-
burne et ses amis protestèrent contre ce nom; en vain ils
ajoutèrent à leur plan de constitution un article déclarant
' Whilelockc, p. 596, 397; - Carlylc, CromwcU's Lcllcrs anU Spccclics,
i. F, p. iôô; — Godwii), flist. ofthe Commonivcallli, t. III, p. 82.
"^ The Diggers.
^0 INSURRECTION DES
formellement « que les biens ne seraient point partagés, ni
toutes choses mises en commun '. » La qualification avait
une origine naturelle; des faits et des discours épars, mais
frappants, venaient de temps en temps la confirmer; elle
continua de peser sur tout le parti, et les républicains en
possession du pouvoir, dans le Parlement et dans l'armée,
curent cette fortune que leurs ennemis révolutionnaires
s'appelassent les Niveleurs.
Cliaque jour la lutte louchait de plus près à la guerre ; le
mo'ndre incident, sérieux ou frivole, devait la faire éclater.
Par les relations qu'il entretenait, par les lettres qu'il écri-
vait, Lilburnc, de sa prison, continuait de fomenter, dans
la Cité et dans l'armée, une agitation de plus en plus mena-
çante. Le Parlement résolut ^ de lui faire avec éclat son pro-
cès, à lui et à ses trois compagnons ; un comité de conseil-
lers d'Etat et de grands juges, présidé par Bradshaw, fut
chargé de rechercher quelle était, dans cette circonstance,
la procédure la plus convenable; six avocals curent ordre
de se tenir prêts à porter la parole contre les accusés. Des
préparatifs si solennels excitèrent, parmi les partisans de
Lilburne, une émotion passionnée; les pétitions affluèrent
en sa faveur; les unes, signées par dix n)ille citoyens de
Londres et des environs ; les autres, présentées par des mil-
liers de femmes qui se pressaient aux portes de Westmins-
ter; aux premières, le Parlement fit répondre sévèrement
que les quatre accusés seraient juges, et que tout le monde
en Angleterre devait se soumettre à la décision du Parle-
ment. A la seconde pétition on ne fit point de réponse. Les
femmes insistèrent : « Elles savaient, dirent-elles, que Lil-
burne et SCS compagnons devaient être, à minuit, enlevés
* Wliitelocke, p. 599-400.
' Le 11 avril 1649 : Journals of ihc House of votinnons, t. VI, p. 183.
NIVELEURS (1640). l{
de la Tour, menés à Whitchall et fusillés ; le Parlement, en
déclarant traîtres les distributeurs et fauteurs du livre de
Lilburne, avait tendu un piégc au peuple, car on ne pou-
vait parler des affaires du temps sans parler de ce livre; on
voulait donc abolir toute liberté de conversation, ce qui
était la pire des servitudes. » Pour toute réponse, la Cham-
bre fit dire à ces femmes de retourner chez elles laver leurs
assiettes : « Nous n'avons plus d'assieltes, dirent-elles, ni
de viande à y mettre '. »
Au milieu de celte fermentation, huit régiments, quatre
d'infanterie et quatre de cavalerie, furent désignés par le
sort pour se rendre en Irlande, où la guerre civile avait
recommencé -. Les soldats, mal disposés, murmurèrent
violemment : c'était un service rude et déplaisant, dans un
pays détesté et méprisé, et on les y envoyait sans leur avoir
fait justice, sans que leurs arrérages fussent payés ni leurs
droits reconnus, sans que le gouvernement et les libertés de
l'Angleterre fussent assurés. Un court imprimé circula aus-
sitôt dans les casernes et dans les rues, engageant les sol
dats à réclamer cl à ne point partir en attendant. Un esca-
dron du régiment de cavalerie du colonel Whalloy, que le
sort n'avait point désigné pour le service d'Irlande, reçut
l'ordre de quitter Londres : les cavaliers demandèrent des
satisfactions préalables, se saisiront du drapeau et refusèrent
formellement d'obéir. Fairfax et Croinwell accoururent,
réprimèrent la sédition, mirent le régiment en marche, et
traduisirent quinze des mutins devant la cour martiale.
Cinq furent condamnés à mort. Lilburne écrivit sur-le-
champ au général qu'il y prît bien garde, qu'en temps de
• Journals of llie Housc of commom, I. VI, |). f7S, 18!), lOG; — VVliitc-
locke, p. 393, 596, 397, 398; - Clciuciit Walkcr, llisl. of Inclcpcndcnnj,
part. II, p. 1G6; — Godwin, Hisl. of llic Commouwcallli, I. 111, p. 102.
2 Le 20 avril 1049.
4.
4,2 INSURRECTION DES
paix nul Anglais ne pouvait être condamné à mort par une
cour martiale, que la violation de ce principe avait été l'un
des principaux entre les griefs qui avaient coulé la tête à
Strafford. Les généraux républicains n'hésitèrent point.
« Il faut mettre ce parti en pièces, avait dit Cromwell dans
le conseil d'Etat, au moment de l'arrestation de Lilburne;
sans quoi il vous mettra en pièces vous-mêmes, et vous pas-
serez pour les plus sots et les plus plats personnages du
monde d'avoir été vaincus par une si méprisable espèce
d'ennemis. » Cromvv^ell savait à la fois frapper et caresser :
à linstant même, sur les cinq soldats condamnés, quatre
reçurent leur grâce, et le cinquième, Robert Lockyer, fut
immédiatement fusillé au milieu de Londres, dans le cime-
tière de Saint-Paul *. Il était jeune, brave soldat, sectaire
pieux, républicain exalté, aimé de ses camarades; sa mort
fit sur eux et sur leurs amis du peuple une profonde im-
pression de douleur et de colère; on veilla, on pria auprès
de son corps; et deux jours après % un cortège aussi solen-
nel que populaire le conduisit au cimetière de Westminster.
Cent cavaliers, cinq pu six de front, marchaient en tête ;
venait le cercueil entouré de six trompettes qui sonnaient
une marche funèbre, et suivi du cheval de Lockyer, capa-
raçonné en noir ; son épée et des branches de romarin à
moitié teintes de sang étaient posées sur le cercueil; une
grande foule l'accompagnait, portant aux chapeaux des ru-
bans noir et vert de mer ; des femmes fermaient le cortège ;
plusieurs milliers de citoyens, d'une classe plus relevée et
qui n'avaient pas jugé à propos de le suivre à travers les
rues de Londres, l'attendaient à l'entrée du cimetière. Ce
fut le sentiment général que de telles obsèques étaient un
• Le 28 avril \U9.
2 Le 30 avril 16W.
NIVELEURS {)649), 45
grand affront aux chefs de l'armée et au Parlement '.
Six jours après on apprit à Londres qu'à Banbury et à
Salisbury, dans les régiments des colonels Reynolds, Scroop
et Ireton, l'insurrection avait éclaté; les soldats avaient
chassé leurs officiers, sauf un petit nombre qui avaient pris
parti avec eux; l'un de ceux-ci, le capitaine Thompson,
avait publié sous le titre de : VÉlendard de l'Jnglelerre en
avant -, un manifeste réclamant Tabolilion du conseil d'É-
tat, de la Haute Cour de justice, un Parlement nouveau,
l'adoption du plan de gouvernement de Lilburne, sa mise
en liberté immédiate ainsi que celle de ses compagnons de
captivité, et déclarant que, si un cheveu tombait de leur
tête, vengeance en serait prise, Dieu aidant, sur celle de
leurs tyrans. On sut en même temps qu'à Oxford, à Glo-
cester, dans les régiments des colonels Ilarrison, Ingoldsby
et Horton, la fermentation était extrême, et que la plupart
des soldats de ces corps, eu correspondance avec les insur-
gés, se disposaient à se mettre en mouvement pour se join-
dre à eux.
Ce fut, dans cette pressante épreuve, le mérite descliefs
républicains, Parlement et généraux, de ne point s'exagérer
le mal ni le péril, et d'y opposer des remèdes prompts et
fermes, mais mesurés. Ils agirent sans peur et sans colère,
avec foi dans leur droit et dans leur force, comme un gou-
vernement contre des rebelles, non comme un parti contre
des rivaux. Le Parlement vota que toute tentative, par ac-
tion ou par écrit, contre le gouvernement républicain éta-
bli, l'autorité des Communes ou celle du conseil d'État, ou
pour exciter quelque sédition dans l'armée, serait considé-
1 Whitelocke, p. ryj7, 308, 399; — Clcmcnt Wîilkcr, Hisl. of ihc Indcp.,
pari. 11, p. I51;-Carlyle, CromwM's Lcllers, l. I, p. 45^;- CromwcUiam,
p. 53, 56.
3 Le 6 mai 1649.
U TNSURRECTIOiV DES
rée comme un acte de haute trahison; il enjoignit à son
comité de terminer sans délai la loi contre les abus de la
presse; il prit des mesures pour la police intérieure de la
Cité; il ordonna que Lilburne et ses compagnons à la Tour
seraient séparés les uns des autres, et que toute visite, toute
communication avec le dehors leur seraient interdites.
Puis, il resta calme et laissa faire les généraux '.
Fairfax et Cromwell, à leur tour, voulurent d'abord s'as-
surer des troupes qu'ils avaient sous la main, car l'ébranle-
ment avait pénétré partout : ils passèrent dans Hyde-Park
une revue des deux régiments qu'ils commandaient en per-
sonne et qui portaient leur nom. Cromwell parla beaucoup,
tantôt aux troupes réunies, tantôt aux hommes isolés :
<c Qu'avaient-ils de mieux à faire que d'adhérer fidèlement
au Parlement? Il avait fait justice des grands délinquants;
il organisait une forte marine qui protégerait efficacement
le commerce ; il avait garanti le payement de tout ce qui
restait dû à l'armée; il était décidé à mettre bientôt un
terme à sa propre durée et à régler la convocation des
Parlements'nouveaux. Quant à la loi martiale, ceux qui ne
voulaient pas s'y soumettre n'avaient qu'à déposer leurs
armes ; ils recevraient leur congé, et aussi le payement de
leurs arrérages, comme ceux qui resteraient sous le dra-
peau. )> Un seul soldat fit, d'un ton peu convenable, quel-
ques objections; Cromwell le fit arrêter; mais aussitôt,
sur les instances de ses camarades qui en répondirent, il lui
pardonna et le fit rentrer dans les rangs. Quelques-uns
jivaient mis à leur chapeau le ruban vort des Niveleurs ; ils
rotèrent. Les deux corps se montrèrent pleins d'ardeur, et,
la revue terminée, les deux généraux, pleins de confiance,
• Journals of the Housc of commons, t. VI, p. 203, 207, 208, 209;
Whitelocke, p. 401 ; — Pcai. Hisl., t. XIX, p. 122.
NIVELEURS (lf49). 45
les mirent et se mirent eux-mêmes sur-le-champ en mou-
vement '.
Cinq jours après, ayant fait une marche de quinze lieues
en un jour, ils atteignirent à Burford, dans le comté d'Ox-
ford, les insurgés déjà troublés par un échec que le colonel
Reynolds venait de leur faire essuyer à Banbury même, où
le capitaine Thompson avait commencé l'insurrection. Sur-
pris et battu, Thompson avait vu sa troupe dispersée, et ne
s'était sauvé lui-même que par la fuite; un messager, en-
voyé aux insurgés par Fairfax, les avait de plus fait tomber
dans une trompeuse sécurité; ils se flattaient qu'on voulait
négocier avec eux. Cromwell entra tout à coup dans Bur-
ford au milieu de la nuit, avec deux mille hommes, pen-
dant que Reynolds arrivait à l'autre extrémité de la ville
pour fermer aux insurgés la retraite. Ils se défendirent
quelques moments du haut des remparts et par les fenêtres
des maisons ; mais perdant bientôt tout espoir, dénués de
chefs et de munitions, les uns se rendirent, au nombre
d'environ quatre cents; les autres parvinrent à s'échapper.
Fairfax réunit sur-le-champ une cour martiale qui ordonna
que les rebelles seraient décimés. Des le lendemain, dans
le cimetière de Burford, le cornette Thompson, frère du
principal chef de l'insurrection, fut amené et fusillé le pre-
mier. Tous ceux qui devaient subir le même sort étaient
sur les plombs de l'église, assistant à l'exécution de leurs
camarades et attendant leur tour. Après le cornette Thomp-
son vint un caporal, puis un troisième, qui moururent avec
une fermeté indomptable, ne rélraclanl rien de ce qu'ils
avaient fait et commandant eux-mêmes le feu. Le cornette
Dean fut amené le quatrième, ancien et brave soldat (pie
les généraux connaissaient ; il témoigna du repentir, Fair-
î Cromtvclliana, p. SG; — Carlylo, CromwcU's Lcllcrs, 1. 1. p. 436.
m INSURRECTION DES
fax lui fit grâce, et l'exécution n'alla pas plus loin. Crom-
well entra dans l'église, y fit descendre le reste des con-
damnes, les tança, les admonesta, leur reprocha le péril
qu'ils avaient fait courir à la bonne cause, à la cause de
Dieu et du pays. « Ils pleurèrent, dit un journal du temps,
et furent consignés pour quelques mois dans une garnison
voisine, puis rendus à leurs régiments et envoyés en
Irlande, où ils marchèrent de bon cœur '. »
Quelques bandes erraient encore dans les comtés d'Oxford
et de Northampton ; le capitaine Thompson les rallia et les
retint quelques jours ; mais vivement atlaqué par le colonel
Butler, il resta bientôt seul et se réfugia dans un bois; les
soldats de Butler y entrèrent à sa poursuite ; Thompson
sortit du fourre, marcha sur les assaillants, en tua ou blessa
trois, se replia dans le bois blessé lui-même, revint à la
charge, criant qu'il ne voulait ni se rendre ni être pris vi-
vant, et tomba enfin frappé de sept balles 2. La première et
la seule sérieuse insurrection des Niveleurs finit avec lui.
Le Parlement témoigna, de ce succès, une joie où se ré-
vélèrent, pour la première fois, ses craintes. L'orateur eut
ordre d'adresser à Fairfox, à Cromwell et à tous leurs ofli-
ciers , des remcrcîments officiels. Cromwell seul était pré-
sent dans la Chambre, et ce fut à lui que s'adressa l'ora-
teur ^. Trois membres furent chargés d'aller porter à Fairfax
le même hommage. Un jour fut désigné pour rendre à Dieu
des actions de grâces solennelles; deux prédicateurs, célè-
bres parmi les Indépendants, John Owen et Thomas Good-
win, reçurent mission.de prêcher; et ce même jour, 7 juin,
après avoir assisté à leurs sermons, la Chambre entière se
' CromweUiana, p. 56-37 ; — Carlyle, Cromiodl's Lctlers, t. I, p. 137-439;
— Wliitelocke, p. 402; — Healh,i4 brief Chronick, etc., p. 431-432.
2 Le 19 mai l(i49 , Whilclocke, p. 403.
5 Le 26 mai 1649.
NIVELEURS (16^9). i7
rendit dans la Cilé, à un dîner de félicitalion publique
auquel le lord maire et le conseil commun l'avaient invitée.
Tous les officiers présents à Londres, au-dessus du grade
de lieutenant, y assistaient. Quand la Chambre arriva à
Grocers' Hall, le lord maire présenta h l'orateur, qui la lui
remit aussitôt, l'épée qu'on portait devant lui, honneur qui
n'avait jamais été rendu qu'au roi, et au banquet l'orateur
occupa la place royale. Au moment où les convives allaient
s'asseoir, le comte de Pcmbrokc, devenu simple membre
des Communes, mais que, pour récompenser sa bassesse et
par égard pour son ancienne grandeur, on avait placé à côté
du général en chef, appela Whitclocke, disant que c'était
à lui de prendre cette place comme premier commissaire
du grand sceau. Whilelocke déclinait cet honneur : « Com-
ment donc, lui dit le comte à haute voix, et de manière à
être entendu de tous ses voisins, croyez-vous que je m'as-
siérai au-dessus de vous? J'ai cédé jadis celte place à
l'évêque Williams, et à milord Covcnlry, et à milord
Littleton ; vous occupez aujourd'hui les mêmes fonctions
qu'ils occupaient ; certes, ces fonctions ont droit à autant
d'honneur sous une république que sous un roi, et vous
êtes un gentilhomme aussi bien né et aussi bien élevé
qu'aucun d'eux; je ne m'assiérai certainement pas au-dessus
devons. » Whitclocke céda avec une vanité humble et sa-
tisfaite, et lord Pembroke eut les éloges comme le mépris
de tous les assistants ' .
A la fin du banquet, le lord maire, de la part de la Cité,
fit à Fairfax, dans une aiguière de vermeil, un présent de
1,000 liv. st., à Cromwcll de 500 liv., et la Chambre,
charmée d'un accueil si éclatant dans ce même lieu où clic
1 Whilelocke, p. i06; — Cromwclliana, p. M ; — LelU-c de M. de Croullé
au eardinal Mazarin (21 juin 1C40) ; — Archives des Affaires élrangères de
France (voir les Docimenls historiques placés ù la fin de ce volume, n» 1).
48 INSURRECTION DES
avait eu naguère tant de peine à faire proclamer la Répu-
blique, en remercia ofliciellement le lord maire, et chargea
un comité spécial de chercher quelque marque de haute
estime et de faveur que le Parlement pût donner à la Cilé.
Cinq semaines après, un vote du Parlement attribuait « au
lord maire et à la communauté des citoyens de Londres, et
à leurs successeurs à perpétuité, i> la propriété du parc de
Ricbmond, offrant ainsi, comme appât, les dépouilles du roi
pour les plaisirs de la Cité .
Les meneurs ne se faisaient cependant point d'illusion
sur les périls qui les menaçaient encore; ils voyaient de
trop près le peuple et l'armée pour croire que le feu qu'ils
venaient d'étouffer fût réellement éteint ; ils avaient été
fermes et calmes pendant la lutte ; ils furent prudents et
modérés après la victoire. Ils s'appliquèrent à donner ou à
faire espérer satisfaction aux vœux, légitimes ou populaires,
des mécontents. Des mesures furent prises pour assurer
effectivement le payement des troupes, pour mettre la popu-
lation à l'abri de l'abus des logements militaires, pour venir
au secours des soldats blessés et de leurs familles, pour pro-
curer quelque soulagement aux prisonniers pour dettes et
du travail aux pauvres de Londres ^. Des comités eurent
ordre de rechercher ce qu'il y avait à faire à l'égard des
monnaies altérées et comment on pourrait rendre la pro-
cédure civile plus prompte et moins onéreuse '. Une amnis-
tie générale fut proposée ^. La question du terme et du
système à adopter pour l'élection d'un Parlement nouveau
' Wliilelocke, p. 406, 411 ; — Ldcester's Journal, p. 73; — Journals of
the HoHsc of commons, l. VI, p. 227, 263.
2 Les 5 mars, 7 et 12 inai; Journals of Ihe House of commons, l. VI,
p. 155, 202, 208.
s Les 2 mars, 18 mai, i, 22 et 27 juin ; ibid., t. VI, p. 154, 211, 224, 240,
244.
* Le25 avril 1649 ; ibi(t., t. Vi, p. 195 ; - WliUelocke, p. 398.
NIVELEURS (1G49). 49
fut mise fréquemment à l'ordre du jour ^ Des lois furent
rendues d'une part pour abolir les anciennes contraintes
imposées à la foi et au culte des sectes chrétiennes, de l'au-
tre pour réprimer la licence des mœurs, car l'opposition
demandait à la fois plus de liberté et plus de sévérité -. On
ne s'en tint pas aux mesures générales et aux promesses
législatives; on voulut témoigner aux hommes les plus
compromis des dispositions bienveillantes; plusieurs chefs
du Parlement et de Tarmée eurent, avec les principaux Ni-
veleurs, des conférences pour essayer de s'entendre sur les
réformes à accomplir et sur les moyens de gouvernement ^.
L'esprit de conciliation s'étendit jusqu'à Lilburne lui-même :
en les mettant au secret, lui et ses compagnons, on leur
avait retiré l'allocation accordée en général aux prisonniers;
on la leur rendit ^ Un des aflîdés du parti dominant, et
même de Cromwell, le révérend Hugh Peters alla ^, comme
de lui-même et par un pur sentiment d'intérêt affeclueux,
visiter Lilburne à la Tour pour tenter de l'adoucir en lui
ouvrant des perspectives d'accommodement et de liberté.
On ajourna les poursuites commencées contre lui. Son fils
aîné tomba malade; l'anxiété paternelle l'emporta sur la
fierté politique; Lilburne écrivit à Henri Martyn, qui était
resté avec lui en bons rapports, pour demander la permis-
sion de sortir de la Tour et d'aller voir sa femme et ses en-
fants. On la lui accorda, et cette tolérance devint presque
1 Les 1er, H et 15 mai 1649; Journals of Ihe Ifouse ofcovmons, t. VI,
p. 199, 207, 210.
* Les 29 juin cl 13 septembre 1C49, les 8 Wviiei-, 10 mai et 27 septem-
bre 1650 ; Journals of tlie Ilonse, etc., t. VI, p. 245, 295, 359, 410,
474.
8 Whitelocke, p. 424.
* Les 12 et 15 mai 1649 ; Journals of the House ofcommons, t. Vf, p. 208,
210.
« Le 23 mai 1649.
1. 8
50 INSURRECTION DES
habituelle pour lui et pour ses compagnons'. Le Parlement
républicain avait, au fond, un vif désir de faire, avec l'oppo-
sition démocratique et fanatique qu'il avait vaincue, une
paix véritable, et de la voir rentrer dans les rangs du parti
qui, avec toutes ses forces réunies, suffisait à grand'peine à
contenir et à gouverner violemment le pays.
Mais rien n'est plus indomptable qu'un esprit étroit, sub-
til et vain, joint à un cœur honnête et ferme : Lilburne eût
traité peut-être, tout en les détestant, avec des ennemis
qu'il eût crus, comme lui, convaincus et sincères; mais il
méprisait ses vainqueurs comme des ambitieux intéressés,
roues et hypocrites ; leurs faveurs mêmes n'étaient, à ses
yeux, que des concessions de leur faiblesse ou des artifices
de leur perfidie. Il traita Ilugh Pcters, quand celui-ci vint
le voir à la Tour, avec une franchise brutale, et repoussa
ses insinuations comme des insultes ou des pièges. Peters
lui reprochait d'avoir, par ses attaques, causé les malheurs
de la dernière lutte et mis à nu les plaies de la République :
« Quand le soleil brille sur le fumier, répondit Lilburne, si
une odeur infecte en sort, est-ce la faute du soleil ou du
fumier ^? » et dans l'espace de trois mois, quatre nouveaux
pamphlets attestèrent son intarissable hostilité. L'un de ces
pamphlets, adressé au conseiller d'État Cornélius Holland,
était un défi en champ clos de dispute politique : « Que
votre Chambre, écrivait Lilburne, choisisse deux personnes,
et moi deux autres, et si ces quatre personnes ne peuvent
s'accorder, qu'elles en nomment une cinquième pour déci-
der entre nous; nommez, si vous voulez, Cromwell, Ireton,
Bradshaw, tous les orateurs ou plaideurs que vous avez eus
^ Les 18 juillet el 7 septembre IGiO; Journals of the Hottse of commons,
p. 264, 292.
* A discourse beltvixt licut.col. John Lilburne, close prisoncr in the
Tower of London, and M. Hugh Pelcrs, xipon May 2a, 1649, p, ô.
NiVELEURS (16/*H). 51
contre le roi et les lords que vous avez fait décapiter; que
je sois seul à défendre ma cause : pourvu que le débat soit
public et que je puisse parler librement pour moi-mcme, je
consens, si je n'établis pas mon innocence, à perdre tout ce
que je possède, y compris ma vie... Mais si, dans cinq jours,
ma proposition n'est pas adoptée, je me tiendrai pour libre
de disséquer et d'étaler devant le public tout ce que je sais
de vous et de vos associés '; )> et dans deux pamphlets en
effet, l'un dirigé nommément contre Cromwell et Ireton %
l'autre contenant une provocation séditieuse adressée, par
dix apprentis de la Cité, aux soldats de l'armée, en particu-
lier au régiment de Fairfax % Lilburn usa largement du
droit qu'il s'était réservé.
Ces provocations ne demeurèrent point sans effet; une
nouvelle sédition éclata à Oxford '' dans le régiment du co-
lonel Ingoldsby; les soldats arrêlèrent et cmpiùsonnèrcnt
leurs officiers, et leur colonel lui-même envoyé en toute hâte
par le Parlement pour les réprimer ; ils choisirent entre
eux des agitateurs, se fortifièrent dans les bâtiments de
New-College, cl renouvelèrent de là toutes les demandes
des Niveleurs. Ils attendaient, disaient-ils, six mille hommes
du comté de Northampton, autant des comtés de l'ouest et
de Kent. Sur plusieurs points en effet et dans plusieurs
corps l'ébranlement se fit sentir; le cornette Dean, à qui
naguère, dans le cimetière de Burford, Fairfax venait de
faire grâce, reparut à la Icte d'une bande. Mais le mauvais
succès de la première insurrcclion et la fermeté cldnicnte
1 Jvhn Lilburnc to liis honourcd friind M. Cornélius HullanU, p. îi.
- An impiachment of high trcason ugainst Oliver Cromnctl and Henry
Irelon, by John Lilburnc (aoùl ^^^i\)).
^ An oulcry ofllic young min and aiiprcnliees of l.ondon, by J. Lilburnc
(29aoiillf>i;)).
* Le 6 sc'iilcinbrc lGi9.
82 INSURRECTION DES
des généraux avaient laissé, dans l'armée et dans le peuple,
une impression profonde ; le mouvement ne réussit ni à se
propager, ni à se prolonger; les officiers retenus en prison à
Oxford reprirent sans bruit leur autorité, d'abord sur les
sentinelles mêmes qui les gardaient, puis sur les soldats
épars dans les rues ; bientôt le régiment tout entier se sou-
mit à son colonel, et dix jours après son explosion, la ré-
bellion était partout comprimée ou s'abandonnait elle-
même '.
Mais un fait nouveau et grave se produisit alors pour la
première fois. Quand Hugh Pcters était allé voir Lilburne à
la Tour : « Dites à vos maîtres, lui avait dit le i)risonnier,
que si maintenant je pouvais choisir, j'aimerais mieux vivre
sept ans sous le gouvernement du vieux roi Charles, quoi-
qu'ils lui aient coupé la tête comme à un tyran, qu'un an
sous leur tyrannie actuelle ; et je vous dis que, s'ils persis-
tent dans celte tyrannie, ils feront au prince Charles assez
d'amis, non-seulement pour proclamer son nom, mais pour
le ramener s,ur le trône de son ])ère ^ » Deux mois après,
en i>ubliant son Cri des Apprentis aux Soldats, le même Lil-
burne disait à ces derniers : ^ Quand vous êtes accourus au
service des lois du pays, vous ne vous êtes nullement engagés
contre la personne du roi, comme roi ni avec aucune pensée
de le détruire, mais uniquement pour régler la royauté '. »
Ce sentiment et ce langage avaient porté leurs fruits; les
Niveleurs étaient entrés en liaison avec les Cavaliers; au
moment même où éclata la sédition d'Oxford, une lettre fut
interceptée, écrite par un Cavalier en prison à la Tour, à
lord Cottington, l'un des conseillers intimes de Charles II,
' Journals of llie I/ousr of commons, t, VI, p. 293; — Wiiileloclte, p. 424,
428.
2 A discourse bclwixl J . Lilburne und Hugh Pcters, j).8.
' The oulcry of ihe young men of London, p. 4.
NIVELEURS (16^9). ÎÎ3
en France, et qui portait : « Toutes nos espérances ici dé-
pendentdela bienveillance apparente queS. M. témoignera à
Lilburne et au parti niveleur, dont le mécontentement s'ac-
croît chaque jour; il n'y a rien à faire pour nous si les Ni-
veleurs ne marchent avec nous, et les premiers, ce qu'ils
sont, j'espère, bien près d'accomplir. Je demande qu'on
m'aide dans ce travail, car sans un peu d'argent, il n'y a
pas grand'chose à attendre, les gens avec qui je traite étant
très-pauvres et besoigneux '. »
Le Parlement ne pouvait manquer de se prévaloir de
tels faits : il en fit son principal argument dans une longue
déclaration qu'il publia contre les Niveleurs, pour justifier
la conduite plus rigoureuse qu'il se proposait de tenir envers
eux, et pour raffermir ses partisans ^; et joignant l'action
aux paroles, il ordonna que le procès de Lilburne serait
immédiatement poursuivi, et nomma, pour présider au ju-
gement, une commission extraordinaire de quarante mem-
bres, laissant toutefois au jury le droit de prononcer sur les
faits imputés au prévenu ^
Les parents et les amis de Lilburne, sa femme, aussi cou-
rageuse que lui et qui l'aimait tendrement, son frère le co-
lonel Robert Lilburne, officier estimé des généraux et de
l'armée, firent les derniers efforts pour le soustraire à ce
procès. Il laissa percer lui-même quelque désir d'y échap-
per; il offrit (le se retirer en Amérique- mais il publia au
moment mémo un pamphlet pour expliquer les motifs de
son départ et en débattre aigrement les conditions \ On ne
1 Parliamenlary Ilistory, l. XIX, [). 193.
2 Le 28 septembre ItiiO; Parliamenlary l/latory, t. XIX, p. 177-200.
5 Le 11 sepleiubrc )G'i9; JournaU of thc Housc of commons, l. VI,
p. 295.
* Le 22 oclobic \(M. Ce iminplilct est iiilKuIé : Thc innocent mau's
second Pro/f'cr.
5.
m PROCES
lui répondit point. Cédant aux instances de sa femme, il
demanda un délai. On ne lui répondit pas davantage; le
gouvernement républicain était résolu de pousser à bout cet
insupportable ennemi, et se croyait sûr de s'en délivrer.
Le procès commença à Guildhall, le 24 octobre 1G49.
Lilburne y déploya toutes les ressources de son esprit et
toute la vigueur de son caractère pour lutter contre de sa-
vants et subtils magistrats, les uns scrviles et ardents à
entraver sa défense, les autres honnêtes et désirant proléger
l'accusé dans ses justes droits, mais à chaque instant piqués
et irrités par ses brusques saillies et par l'amertume de ses
sarcasmes ou la violence de ses invectives contre le pouvoir
dont ils étaient les représentants. On touchait au terme du
débat qui avait duré deux jours; Lilburne se tournant tout
à coup vers les jurés : « Messieurs du jury, dit-il, vous êtes
mes seuls juges, les gardiens de ma vie ; c'est à vous que le
Seigneur demandera compte de mon sang. Je vous conjure
donc de bien connaître voire pouvoir, de bien considérer
votre devoir envers Dieu, envers moi, envers vous-mêmes,
envers notre pays; et que l'esprit du Seigneur Dieu tout-
puissant, maître du ciel et de la terre, et de toutes les choses
qui y sont contenues, soit avec vous, vous assiste et vous
dirige, et vous enseigne à faire ce qui est juste et pour sa
gloire! »
« Amen ! » s'écria d'une seule voix toute l'assistance qui
était nombreuse. Les juges se regardèrent les uns les autres
avec quelque inquiétude, et demantlèrcnt au major général
Skippon de faire venir trois compagnies de plus. Le procu-
reur général Prideanx et le grand juge Keble,qui présidait
la cour, renouvelèrent leurs efforts pour convaincre le jury
de la justice et de la nécessité de la condamnation. Après
trois quarts d'heure de délibération, le greffier s'adressant
aux jurés ; « Messieurs du jury, cles-vous d'accord de votre
DE LILBURNE (octobre 16i9). S5
verdict? — Oui. — Regardez le prisonnier; esl-il coupable
des trahisons dont il est accusé, ou bien non coupable? —
Non coupable de toutes ces traliisons. — Ni de toutes, ni
d'aucune? — Non coupable, ni de toutes, ni d'aucune. »
A ces mots « non coupable » la salle retentit d'une accla-
mation telle, dit-on, que peut-être on n'en avait jamais ouï
dépareille. Durant une demi-heure, les juges demeurèrent
immobiles sur leurs sièges, exposés à cette explosion de la
joie publique. Le prisonnier était debout à la barre, tran-
quille et plus modeste dans sa contenance qu'il ne l'avait
été auparavant. Le tumulte a])aisé, le greffier reprit la
parole : « Messieurs du jury, faites attention à votre verdict;
la cour l'a entendu ; vous dites que John Lilburne n'est cou-
pable ni de toutes, ni d'aucune des trahisons dont il est
accusé. Vous le dites tous? — Oui, nous le disons tous '. »
Lilburne fut reconduit à la Tour, suivi des acclamations
de la multitude, et toute la nuit des feux de joie furent
allumés dans les rues. Le gouvernement essaya de le rete-
nir encore en prison; mais au bout de quinze jours, le mé-
contentement du peuple et les efforts de quchiues membres
des Communes, prudents et bienveillants, entre autres
de Ludiow et de Henri Martyn, obtinrent enfin son élar-
gissement ".
Le Parlement ressentit vivement cet échec, plus amer
cependant pour son amour-i)ropre que dangereux pour son
j)ouvoir : quoique Lilburne lui échappât, la victoire lui de-
meura sur les Niveleurs qui renoncèrent à soulever le pays
et l'armée, et ne furent plus que des conspirateurs. Mais
cette victoire même était vaine; le gouvernement républi-
cain triomphait sans s'affermir; ses ennemis, le roi, les
1 Statc-Trials, t. IV, col. 1270-IWO.
2 Le 8 novembre 1641».
S6 TYRANNIE DU
Cavaliers, les républicains anarcliiques tombaient sous ses
coups, et il se sentait contraint de maintenir et même d'ag-
graver ses rigueurs. Il ajouta, aux anciens statuts sur la
trahison, des dispositions nouvelles et plus menaçantes,
car elles considéraient les paroles comme des actes et les
érigeaient en crime capital '. En laissant tomber la censure
préalable, il vota une loi de la presse qui portait la sévérité
jusqu'aux interdictions et aux inquisitions les plus tyran-
niques; non-seulement elle condamnait à des peines très-
dures les auteurs, imprimeurs, vendeurs et distributeurs
d'écrits séditieux ; mais les acheteurs mêmes étaient tenus,
sous peine d'amende, d'aller, dans les vingt-quatre heures,
remettre au plus prochain magistrat les exemplaires qu'ils
avaient acquis. Toute imprimerie fut interdite ailleurs que
dans quatre villes, Londres, York, Oxford et Cambridge.
La publication des journaux ou recueils de nouvelles et le
commerce, tant extérieur qu'intérieur, des livres étaient
mis à la complète discrétion du gouvernement. Tous les
colporteurs et chanteurs publics furent supprimés, et par-
tout où l'on en rencontrait un, on le saisissait, on l'amenait
dans une maison de correction pour y é(re fouetté comme
un malfaiteur, et une amende était infligée à tout magistrat
qui négligeait d'accomplir cette prescription de la loi ^. 11
fut défendu de rendre compte des procédures et des débats
devant les hautes cours de justice. La Chambre, contre les
lois et les traditions du pays, se fit elle-même, dans jilusieurs
circonstances, cour de justice, et condamna à des peines
graves, au bannissement, à de fortes amenties, au pilori
même, des prévenus qu'elle n'espérait pas atteindre par
' Ce bill, proposé le If'mai 16iO, fut adopic le li; Journah of tlic Home
ofcommons, t. VI, p. 199, 209.
- Ce bill fulpi'0|)osc lc9 août et adoplé le 20 supleiiibre IG49 ; Jonmah of
the House of comnwns, t. VI, p. 270,298.
PARLEMENT (1649-1651). S7
d'autres voies ^ Elle interdit le séjour de Londres aux Cava-
liers, aux catholiques, aux officiers de fortune, à tous ceux
qui lui étaient suspects : (juand elle ne pouvait intenter
aucune poursuite contre des ennemis qu'elle redoutait, elle
les retenait arbitrairement en prison. Au moment où Lil-
burne, acquitté par le jury, sortait de la Tour, un royaliste
presbytérien, Clément Walkcr, membre du Parlement dont
il avait été expulsé en 4648, avec son parti, publia VAnar-
chia anglicana, ou Récils el Observations historiques et poli-
tiques sur le Parlement ouvert en 1640, histoire passionnée,
mais pleine de faits importants et d'anecdotes curieuses, du
parti républicain et de ses chefs. Walker remplaça Lilburne
à la Tour, et y resta sans jugement jusqu'ià sa mort, surve-
nue en 1631 ^. Dans le cours de cette même année, le con-
seil d'État fit transférer dans diverses villes cinq des plus
distingués parmi les anciens chefs presbytériens, sir
William Wallcr, sir William Lewis, sir John Clot-
worthy, le major général Hrowne et le commissaire géné-
ral Copley; et cet ordre révèle qu'ils étaient, depuis l'éta-
blissement de la République, détenus dans le château de
Windsor \
Toutes ces rigueurs ne parvenaient pas à donner au pays,
ni aux républicains eux-mêmes, le sentiment de la force et
de la sécurité de la République : ils étaient en pleine pos-
session du pouvoir ; ils avaient mis hors de toute activité
politique la haute aristocratie et la démocratie radicale de
leur temps, les Cavaliers et les Niveleurs. Leurs angoisses
intérieures les tourmentaient déjà plus que n'eussent pu
• Journals of llie House of commons, t. VI, p. ôoi-356, 591; l. VII,
p. 71-73, 75, 78, 79 ; - Whitelockc, p. UO.
* Godwiii, Ilisl oflhe CommonweuUh, l. III, p. 347.
3 Leur Iraii.slation fui ordonnée le 11 niar.s 1651; — Go(l«in, //i*f. o/" </ic
Commomvcaltlt, l. III, p. 250.
58 PROGRES DE
faire tous leurs ennemis. Vainqueurs et maîtres, il voyaient
s'élever au milieu d'eux un vainqueur et un maître dont ils
ne savaient ni comment se défendre ni comment se passer.
La République , à peine née, sentait déjà Cromwell au-des-
sus d'elle; à chaque crise de péril et d'alarme, elle avait
recours à lui , et elle s'alarmait le lendemain du crédit et
du renom qu'il acquérait en la sauvant. Cromwell , de son
côté, tout en prodiguant à la République les démonstrations
du dévouement le plus humble, laissait à chaque instant
éclater les clans de son ambition et de son orgueil.
Henri Martyn, qui vivait en grande familiarité avec lui ,
s'avisa, un jour, à la Chambre, de le contrarier obstinément
dans quelques-unes de ses volontés à l'égard de l'armée :
Cromwell tira brusquement son poignard , et l'enfonçant
dans le siège placé à côté du sien, il menaça tout haut de sa
colère « Harry et sa bande de Niveleurs. » Un autre jour,
dans une disposition plus amicale et plus gaie, il appela
Henri Martyn « sir Harry; » le républicain se leva, et le
saluant : «Je remercie Votre Majesté, lui dit-il ; j'ai toujours
pensé que, lorsque vous seriez roi, je serais fait chevalier '. »
La première année de la République n'était pasà son terme,
et déjà on saisissait à Covcntry des pamphlets intitulés : Le
caractère du roi Cromivell %• et dès le 14 juin 1G49, M. de
CrouUé écrivait au cardinal Mazarin : « Selon la créance de
plusieurs , Cromwell pousse ses pensées au delà de ce que
l'ambition la plus déréglée le peut porter \ » Les meneurs
républicains ne rencontraient plus aucune résistance ac-
tive ; mais ils étaient seuls, contraints de tendre de plus en
plus les ressorts du pouvoir , au milieu d'ennemis irrécon-
' Mercuriiis pragmalicus, mars 1631 ; — Forster, The Slalesmen of thc
Commonivcaltli (Vie de Henri Marlyn), t. III, p. 528; CromwclUana, p. 53.
2 Whilciockc, p. iôi.
3 Archives des Affaires élrav gères de France.
CROMWELL (iei9). 59
ciliables , et à coté d'eux Cromwell grandissait pour leur
ruine en les servant.
Un fléau sanglant, la guerre civile, vint ajourner l'explo-
sion de ces discordes , et rendre pour quelque temps à la
République l'unité et l'énergie fiévreuse qui pouvaient seules
la faire vivre.
LIVRE IL
Élat des partis en Ecosse et en Irlande. — Charles II y est proclamé roi. —
Commissaires écossais i la Haye. — Guerre d'Irlande. — Cromwell en
prend le commandement. — Ses cruaiilés et ses succès. — Expédition de
Montrose en Ecosse. — Sa défaite, son arrestation, sa condamnai ion et son
exécution. — Charles M se rend en Ecosse. — Cromwell revient d'Irlande
et prend le conunandement de la guerre dÉcosse. —Périls de sa situation.
— Bataille de Dunbar. — Charles II entre en Angleterre. — Cromwell y
rentre après lui. — Bataille de Worcester. — Fuite et aventures de
Charles II. — Il débarque en France. — Cromwell revient à Londres. —
Triomphe complet de la République.
Entre les trois royaumes de Charles I^% l'Angleterre seule
contenait un parti républicain assez fort pour vaincre un
moment et assez hardi pour tenter de gouverner. Par des
causes très-diverses, l'Ecosse et l'Irlande restaient profondé-
ment royalistes, mais avec des dispositions et à des condi-
tions qui les rendaient incapables de soutenir efficacement
le roi dont elles ne pouvaient ni ne voulaient se passer. Ni
dans l'un ni dans l'autre de ces deux royaumes, les royalis-
tes proprement dits ne dominaient : en Ecosse, les presby-
tériens étaient les maîtres; en Irlande, les catholiques:
maîtres inégalement tyranniques, à cause de la diversité de
leur situation, mais également haineux et aveugles, égale-
ment emportés par leurs passions religieuses au delà de leurs
desseins politiques, et ne sachant ni tenir compte des droits
1. '
62 ÉTAT DES PARTIS
et des forces de leurs adversaires, ni mesurer sur leur force
réelle leurs propres prélentions. Les uns et les autres étaient
divisés. En Ecosse les presbytériens violents l'emportaient
dans le Parlement et dans l'Église; mais ils avaient à côté
d'eux une opposition formée des presbytériens modérés
qui, en 1648, avaient fait la guerre au Parlement d'Angle-
terre pour Charles K, et qui comptaient, dans l'aristocratie
et dans l'armée , de nombreux adhérents. En Irlande , une
grande partie de l'aristocratie catholique, par loyauté ou
par prudence, soutenait franchement, de concert avec la
plupart des protestants irlandais, la cause du roi protes-
tant; mais elle était, à chaque pas, entravée par les pas-
sions, les méfiances et les exigences, aussi naturelles que
mal calculées, du peuple catholique qui marchait sous ses
drapeaux. Et dans l'un et l'autre royaume, autour du parti
dominant intérieurement désuni, s'agitaient des partis atta-
chés à des principes contraires, inférieurs en nombre, mais
actifs, braves et obstinés : en Ecosse, d'un côté les royalis-
tes purs, soit par foi anglicane, soit par dévouement mo-
narchique; de l'autre , les sectaires indépendants, en intel-
ligence avec les républicains anglais et leur Parlement : en
Irlande , d'un côté les catholiques intraitables , ennemis de
tout gouvernement protestant , soit qu'il fût monarchique
ou républicain , et qui les combattaient tous tour à tour
selon l'intérêt du moment; de l'autre, un petit nombre
d'Anglais protestants et républicains établis en Irlande, et
un assez grand nombre de catholiques irlandais timides qui
se rangeaient sous la bannière du Parlement parce qu'ils
croyaient à sa force, et uniquement pour se soustraire aux
périls d'une lutte dans laquelle il n'y avait, pour eux, point
de victoire à espérer.
Les rivalités des chefs aggravaient les dissensions des
partis. En Ecosse , à la tête des presbytériens fanatiques ,
EN ECOSSE ET EN IRLANDE (1649). 63
marchait le marquis d'Argyle, prudent, persévérant et
rusé, aimant le pouvoir et craignant le péril , royaliste par
tradition plutôt que par goût, plus fidèle à ses clients qu'à
ses maîtres, préoccupé surlout de son influence ou de sa
sijrcté personnelle, et habile à se ménager, dans le parti
qu'il combattait , des alliés contre ses rivaux dans son pro-
pre parti. L'exécution du duc de Hamilton à Londres fit
perdre aux presbytériens modérés leur ancien chef, mal
remplacé par son frère, lord Lanark, qui hérita de son titre,
non de son crédit, et par lord Lauderdalc, courtisan servile
avec un esprit libre, passionnément haineux quoique pro-
fondément indifférent, et corrompu sans cesser d'être fana-
tique. Monlrose semblait né pour charmeret pour comman-
der les royalistes purs, car il était le plus brillant, le plus
entraînant, le plus hardi, le plus dévoué et le plus présomp-
tueux d'entre eux. Au sein du barreau d'Edimbourg s'était
formé, pour le petit parti des sectaires républicains écossais,
un chef que le Parlement anglais eût pu leur envier, Archi-
bald Johnston, lord Wariston, ardent, inventif, prompt,
infatigable , savant , éloquent , subtil comme un fourbe et
sincère comme un martyr. L'Irlande comptait parmi ses
chefs moins d'hommes émincnts et dont le nom ait survécu
à leur temps. Plus considéré que redouté ou suivi, le mar-
quis d'Ormond, vice-roi pour Charles II comme pour Char-
les I", y présidait avec un dévouement inépuisable, quoique
souvent impuissant , aux efforts et aux discordes du parti
royaliste ; et parmi les Irlandais indépendants qui ne se sou-
ciaient ni du Parlement ni du roi, Owcn Roc O'Ncil est U',
seul qui , par ses heureux coups de main et ses défections
alternatives, ait laissé dans l'histoire quelque souvenir. Mais
une foule de chefs secondaires, importants alors, aujourd'hui
inconnus, s'agitaient soit autour du vice-roi, soit au sein du
peuple, ardents à poursuivre, tantôt contre leurs ennemis,
6^ CHARLES II PROCLAMÉ ROI
tantôt contre leurs rivaux, leur propre élévation ou la déli-
vrance de leur foi et de leur pays.
Après la mort de Charles I«% l'élan royaliste triompha ,
au premier moment, de ces diversités et de ces discordes :
à Edimbourg, dès le 5 février 1649, et en Irlande, partout
où Ormond était le maître , Charles II fut proclamé roi. Le
Parlement d'Ecosse avait contre le Parlement d'Angleterre
un nouveau grief; les commissaires qu'il avait envoyés à Lon-
dres, d'abord pour faire des représentations, puis pour pro-
tester contre le jugement de Charles P% avaient été bruta-
lement arrêtés ' au moment où ils repartaient pour leur
patrie , et reconduits sous escorte jusqu'à la frontière
d'Ecosse, pour empêcher, de leur part, toute publication,
toute communication avec le pays ^ La conscience et l'a-
mour-propre des Écossais étaient également froissés. Leur
Parlement décida que des commissaires seraient immédiate-
ment envoyés au nouveau roi pour l'engager à revenir
parmi eux. Ormond le pressait en même temps d'arriver en
Irlande, où il trouverait les trois quarts de la nation dévoués
à sa cause ; et le plus farouche des chefs irlandais , Owen
Roe O'Neil lui-même, qui n'avait pas voulu traiter avec
Ormond, faisait porter à Charles, par un messager parti-
culier, les assurances de sa fidélité •*.
Tous ces envoyés arrivèrent presque simultanément à la
Haye % où résidait Charles, sous la protection du stathou-
dcr, le prince d'Orange, son beau-frère, et traité parles
t Le 2 mars 1649 ; Journals of ihc House of commons, t. YI, p. 152 ; —
Whilelockc, p. 384, 58Î), 588.
2 Parliam. Hisl., l. XIX, p. 16-5(j, 40-48; — Journals of Ihc Housc of
' comtnotis, t. VI, p. 131, 135, 145.
» Whilelocke, p. 381, 385,589,392;- Malcolm Laing, Hist. ofScolland,
l. m, p. 434; — Clarcndon, Hisl.of Ihe Rchdlion, 1. xii, c. 4, 11-13; 3, 28;
— Carie, Ormond's LcHvrs, l. I, p. 213, 231.
* Vers la fin de mars 1649.
EN ECOSSE ET EN IRLANDE (1649), 6S
États généraux de Hollande avec un respect bienveillant
quoique réservé. II avait là auprès de lui ses plus sages con-
seillers, ceux que le roi son père, avec l'expérience du mal-
heur, lui avait expressément recommandé d'écouter, lord
Cottington, sir John Colepepper, sir Edouard Hydc sur-
tout, monarchique et anglican avec passion, mais sérieux,
habile, et qui demeurait fidèle, dans l'exil comme sur le sol
natal, à la religion, aux lois et aux mœurs de son pays. Ils
avaient fortement insisté pour que Charles ne s'établit pas
en France, où la politique de Mazarin leur était suspecte,
ni auprès de la reine douairière sa mère, qui vivait tantôt à
Saint-Germain, tantôt à Paris, toujours peu aimée des vrais
Anglais qu'elle aimait peu, et entourée de prêtres catholi-
ques et de ces courtisans frivoles et téméraires qui, sous le
feu roi, avaient exercé quelquefois sur la conduite,/ t tou-
jours sur la cause royale, une si funeste influence-.
La perplexité de Charles était grande; les comniissa-fcs
du Parlement et de l'Église d'Ecosse lui faisaient des condi-
tions très-dures : il fallait qu'il se séparât de ses anciens
amis, surtout de Montrose, objet de toutes les haines pres-
bytériennes, qu'il arrivât presque seul en Ecosse, qu'il se
livrât tout entier au parti dominant, qu'il signât leur covc-
nant de 1638, qu'il se fît enfin, que ce fût sincérité ou hy-
pocrisie, presbytérien avec eux et comme eux. Quoique
ennemis des presbytériens fanatiques et tout en déplorant
leurs exigences, les modérés, lord Hamilton et lord Lauder-
dale, conseillaient à Charles de s"y résigner, et ils insistaient
autant que personne pour qu'il reniât absolument Montrose,
refusant eux-mêmes toute communication avec lui et sor-
tant insolemment du cabinet du roi quand il y entrait.
Montrose, à son tour, exhortait Charles à repousser toutes
ces prétentions qui le mettraient en servitude sous prétexte
de le refaire i^oi, et à ne compter, pour remonter sur sou
6.
66 COMMISSAIRES ÉCOSSAIS
trône, que sur l'épée, s'offrant à la tirer le premier et en
.avant-garde, pour lui en ouvrir le clicmin. Charles goûtait
assez les avis de Montrose, sans y croire beaucoup; mais le
prince d'Orange, d'accord en ceci avec les lettres de la reine
mère et avec l'opinion commune de la Hollande, le détour-
nait vivement de s'y confier, l'exhortant, au contraire, à
accepter les propositions des commissaires écossais, et ne
concevant pas qu'il s'obstinât à refuser un royaume qui ve-
nait le chercher, pour soutenir l'Église anglicane elles évê-
ques qui avaient déjà coûté au roi son père la couronne et
la vie '.
On suggéra à Charles, qui n'avait encore rien fait ni rien
dit depuis la mort de son père, l'idée d'adresser, en se ren-
dant en Ecosse, une déclaration à l'Angleterre pour y faire
connaître ses sentiments, ses vues, raffermir ses partisans
et prévenir les fausses interprétations auxquelles ses démar-
ches pourraient donner lieu. Hyde qui, dans le conseil,
n'avait point été d'avis de cet acte, fut chargé de le rédiger;
mais quand il en apporta le projet, avec quelque habileté
qu"il se fût efforcé d'en mesurer les termes, tant d'objections
discordantes s'élevèrent , et l'impossibilité de contenter, en
parlant, les royalistes dAnglcteire sans aliéner ceux d'Ecosse
ou d'Irlande, devint si évidente que, d'un commun accord,
on en revint au silence qui avait d'abord été gardé par
instinct \
Les difficultés lassaient promptemcnt Charles; la perspec-
tive des dégoûts et des mensonges compromettants qui
l'altcndaient en Ecosse le rebuta: il fit aux commissaires
écossais des objections et une réponse dilatoire qui équiva-
laient, pour le moment, à un refus. Il donna en même
1 Carie, Ormond's Lellers, t. I, p. 258 ; — Clarendon, Hist. oflhe Rébel-
lion, 1. XII, c. 29.
» Clarendon. hisl. of ihc RcbMion, I. xir, c. 43-46,
A LA HAYE (mars 16-il»). 67
temps à Monlrose une commission secrète, avec le titre de
lieutenant-gouverneur et de commandant en chef de toutes
les forces royales en Ecosse, l'autorisant à lever en Europe,
partout où il en pourrait obtenir, des hommes et de l'ar-
gent, et à tenter, à tout risque, dans sa patrie, une expé-
dition royaliste. Puis, se disant résolu à se rendre en Irlande
où Ton ne lui demandait rien que d'arriver, Charles fit em-
barquer et partir en effet, sur deux petits bâtiments, une
portion de sa suite et de son bagage; mais alléguant la conve-
nance d'aller, avant de quitter le continent, faire, en
France, une visite à la reine sa mère, il différa son propre
départ ' .
Au fond et quoique, pour le nombre et le dévouement de
ses partisans, son principal espoir fût en Irlande, il était
peu empressé à s'y rendre et à se montrer ainsi, aux yeux
de l'Angleterre et de lÉcosse protestantes , entouré d'un
peuple et d'une armée catholiques pour premier appui. M;iis
précisément par ces mêmes raisons, l'Irlande, aussitôt après
la mort du roi, devint l'objet de l'attention et de l'action
vive du Parlement républicain. C'était là surtout qu'il s'at-
tendait à voir éclater une guerre royaliste, et là aussi qu'il
préférait la rencontrer. La guerre à llrlande excitait tou-
jours en Angleterre une ardeur passionnée , presque dans
tous les partis. On avait exploité contre Charles 1^', avec un
inépuisable succès, cette hostilité de race, de religion, de
politique; on se promit d'en retirer, contre son fils, les
mêmes avantages. Dès qu'on sut à Londres qu'il avait été
proclamé roi en Irlande, et qu'Onnond la ralliait prcs(pie
tout entière sous son drapeau, on résolut d'aller l'y attaquer.
Au même moment où elles abolissaient la royauté de la
1 Cwlc, Ormond's Lellers, t. I, p. 263, 545; — Claicndon, Hisl. of thc
Rébellion, I. xii,c. lu, 17, 59-il ; Wisliarl, Manoirs of Monlrose, p. 318-3G0
(Edimbourg, 181ï>).
68 CROMWELL
Chambre des lords, les Communes votèrent 120,000 livres
stcrlingpar mois pour l'entretien d'une armée de quarante-
quatre mille hommes dont une grande partie serait em-
ployée en Irlande, et le conseil d'État eut ordre d'examiner,
de concert avec le général en chef et ses principaux offi-
ciers, comment la guerre d'Irlande devait être préparée et
conduite '.
Scott vint, cinq jours après, au nom du conseil d'État et
du conseil de guerre réunis, déclarera la Chambre que la
première mesure à prendre pour organiser l'armée et pré-
parer la guerre d'Irlande, c'était de nommer le général qui
la commanderait. La Chambre renvoya au conseil d'État la
proposition de ce choix. On croyait qu'il proposerait Lam-
bert, et la plupart des amis de Cromwell avaient paru l'in-
diquer. Mais quelques-uns, plus habiles ou mieux dressés,
proposèrent inopinément Cromwell lui-même, qui n'assistait
pas à la séance. Informé aussitôt, il se montra surpris et in-
certain , et demanda que deux officiers fussent désignés,
dans chafjue régiment , par le conseil général de l'armée,
pour se joindre à lui dans une réunion pieuse, et invoquer
ensemble, sur une résolution si importante, les lumières
d'en haut. La réunion pensa qu'il devait accepter, et la
Chambre le nomma ^. Il accepta avec trouble et modestie :
« Il était , dit-il , indigne et incapable d'un si grand far-
deau ; mais il se soumettait à leur volonté, comptant sur le
secours de Dieu, dont il avait déjà reçu tant de preuves;
les tristes extrémités auxquelles les récents succès des re-
belles (il appelait ainsi Ormond et les royalistes d'Irlande)
avaient déjà réduit ce royaume , le décidaient à y risquer
sa personne et sa vie; non qu'avec les forces dont il dispose-
' F-es 8 cl 9 mars 1649; Journals of Ihc Ilonso of commons, t. VI, p. 159,
163, 170, 172, 182, 186, 188, 208; -Wliilclocke, p. 385-386, 391-392.
2 Le dO mars 1649.
EN IRLANDE (1649). 00
rait d'abord il espérât étouffer la rébellion; mais la Répu-
blique conserveroitdu moins quelque empirecn Irlande jus-
qu'à ce qu'on y pût envoyer plus de troupes ; en attendant il
conjurait la Chambre de ne pas perdre un moment pour les
préparatifs qu'exigeait une telle entreprise '.
La Chambre repondit à son vœu, et dans les soins qu'elle
prit pour assurer le succès de la guerre, on reconnaît, à
chaque pas, la prévoyante sollicitude et le sens pratique du
chef qu'elle en avait chargé. Pour consoler Fairfax de son
inaction, on l'investit du titre de généralissime de toutes les
forces du Parlement, en Irlande comme en Angleterre ;
Cromwell n'était ni vain, ni susceptible, et nul ne faisait, à
l'amour-propre de ses rivaux, une plus large part, surtout
quand il travaillait à les supplanter. Il se fit donner pour
major général son gendre Ircton dont il avait éprouvé lu
capacité, l'énergie et l'amitié. Les régiments désignés pour
son expédition formaient un corps de douze mille hommes;
ils furent payés de leurs arrérages, bien pourvus d'armes
et de munitions, et des mesures bien combinées en assu-
rèrent le recrutement. On régla les comptes des officiers,
et ils reçurent, à titre d'avance, d'assez fortes sommes.
D'autres officiers, qui avaient abandonné lord Inchiquin
lorsqu'il s'était déclaré royaliste, rentrèrent au service du
Parlement et furent traités avec la même faveur. On pourvut
au service des vivres de l'armée. Un certain nombre de bàli-
menls stationnèrent sur les côtes d'Irlande, à la disposition
du général. Un emprunt de lbO,000 liv. st., spécialement
affecté aux besoins de celte guerre, fut ouvert dans la Cité,
et Cromwell en suivit lui-même la négociation. Le comité
des séquestres fut invité à presser la rentrée des sonnnes
« Whilclockc, i>. 590, 391; — Ciru-ciidoii, Ilisl. of ihe Rébellion, 1. xir,
c. 70-72.
70 CR03IWELL
dues par les royalistes admis à composition pour leurs
biens, et ces rentrées eurent encore llrlande pour destina-
tion. La prévoyance de Cromwell s'étendit au delà de sa
mission spéciale et guerrière ; patron vigilant de ses amis,
il engagea ceux d'entre eux qui avaient des affaires à traiter
dans le Parlementa présenter immédiatement leurs pétitions,
et il insista pour quejusticeleur fût faite avant son départ. Il
se fit faire pleine justice à lui-même pour le payement de ses
arrérages, pour le règlement de sa solde qui était considé-
rable, et pour les diverses allocations supplémentaires dont
il avait besoin. Enfin sa commission lui attribua en Irlande
le pouvoir civil aussi bien que le pouvoir militaire, et elle
lui fut délivrée pour trois ans '.
Assuré de ses forces matérielles, il se préoccupa de ses
moyens d'action morale : la République avait, en Irlande,
peu d'amis ; il fallait lui en faire ; il fallait du moins éclaircir
les rangs de ses ennemis. Cromwell apprit que l'un des bora-
mes les plus considérables et les plus capables de l'Irlande,
lord Broghill , qui, après avoir servi tour à tour le roi et le
Parlement, s'était retiré dans ses terres, venait d'arriver à
Londres avec le dessein de passer en Hollande, pour offrir à
Charles II ses services. Il lui fit dire par un de ses officiers
qu'il irait le voir, désirant s'entretenir avec lui. Lord Brog-
hill s'étonna et parut craindre quelque méprise , n'ayant
pas, disait-il, l'honneur de connaître le général. Cromwell
arriva chez lui peu d'instants après, et en lui témoignant la
plus bienveillante estime, il lui déclara que son dessein était
connu, qu'il avait un passe-port pour les eaux de Spa,sous
prétexte de santé, mais qu'en réalité il se rendait auprès de
Charles Stuart dans des vues hostiles au gouvernement de
» Joumals of the Iloiisc of commons, t. VI, p. 183, 184, 226, 232, 235,
210, 243, 248, 233, 254, 267, 270, 281, 288, 500, 301, 3-21, 528, 351; —
WhiU'lockc, [>. 51)9, 401, 401, 409 , 410, 412, 415, 421, 423, 426, 430.
EN IRLANDE (1649). 71
son pays. Lord Brogliill nia. « N'insistez pas, lui dit Crom-
well; je peux vous montrer vos propres lettres; le conseil
d'État les a déjà examinées et a rendu un ordre pour vous
faire mettre à la Tour; mais j'ai obtenu qu'on différât jusqu'à
ce quej'eusse causé avec vous. )) Lord Brogliill convint de tout,
le remercia et lui demanda conseil. « Je suis autorisé, lui dit
Cromwell , à vous offrir un commandement d'officier géné-
ral dans l'armée d'Irlande ; on n'exigera de vous aucun ser-
ment; vous aurez seulement à servir contre les catholiques
irlandais. » Lord Brogliill témoigna sa répugnance et de-
manda un peu de temps pour se décider. <i Impossible, dit
Cromwell; si je vous quitte, mon offre refusée, vous serez à
l'instant prisonnier d'État. » Ils se séparèrent bons amis, et
trois mois après, ils étaient tous deux en Irlande, servant
ensemble le Parlement '.
Vers ce même temps, on vit arriver à Londres quelques
hommes connus par leur ferveur catholique , sir Kenclm
Digby, sir John Winter, l'abbé Montagne , déjà souvent
mêlés dans les affaires d'Irlande, et qui avaient toujours mis
la cause de leur Église bien au-dessus de celle du roi. On
leur fit espérer la pleine liberté de leur foi et de leur culte
en Irlande, pourvu que les catholiques désavouassent les
prétentions temporelles du pape , et missent dix mille
hommes au service de la République. Des conférences eurent
lieu, par l'entremise de l'ambassadeur d'Espagne; et pour
donner quelque gage des dispositions des catholiques, un
prêtre savant, Thomas White, dans un écrit intitulé : « Lcn
fondements de l'obéissance et dti gouvernement, » soutint
que le peuple pouvait être délié de son serment par la mau-
vaise conduite du magistrat civil, et que, celui-ci une fois
1 Carie, Ormond's Letlcrs, 1. 1, p. 2i9; — Godwiii, Ilisl. of the Common ■
maUh, l. m, p. 153, 159; - C«rlyle, CronwH's LeUcrs, 1. 1, p. <»:>•
72 CROMWELL
déposé, l'intérêt général pouvait commander de se soumet-
tre plutôt que de tenter sîï restauration. Sur le continent,
Charles II et ses conseillers s'alarmèrent et avertirent Or-
mond de se tenir sur ses gardes. Ils avaient raison, car
pendant que cette négociation se suivait secrètement à
Londres, Monk, inspiré par Cromwell, concluait en Irlande
une suspension d'armes avec le grand chef catholique
O'Neil; suspension qui couvrait l'engagement d'O'Neil de
prêter sous main son concours aux opérations de l'armée
et des généraux du Parlement ^. Cromwell avait l'esprit
trop libre pour méconnaître la force des catholiques en
Irlande; et sans plus de scrupule, mais plus discrètement
que ne l'avait fait Charles I", il Iravaillait à se les concilier
si le Parlement et le public protestant voulaient bien le lui
permettre, ou à les compromettre et à les diviser s'il lui
était interdit de s'en servir ".
Il essayait aussi de renouer, avec les presbytériens eux-
mêmes, ses plus récents et ses plus ardents adversaires,
quelques bonnes relations, se défendant de toute inimitié
religieuse contre eux, et leur donnant à entendre qu'à son
avis leur établissement ecclésiastique était celui que l'État
devait adopter et soutenir. Il voulait, au moment de partir
pour l'Irlande, s'y faire d'avance des amis, et conjurer ou
du moins adoucir, en Angleterre, les ennemis qu'il laissait
derrière lui.
Cependant il ne partait point. Voulait-il seulement atten-
dre que ses troupes fussent arrivées et prêtes en Irlande
avant d'y paraître lui-même, ou méditait-il quelque secret
dessein? Le Parlement en concevait quelque inquiétude,
car c'était surtout pour éloigner Cromwell et pour occuper
1 Le 8 mai 1G49.
2 Carie, OrmonU's Leltcrs, t, I, p. 216-222.]
EN IRLANDE {IU9). 73
l'armée qu'il avait entrepris si vivement la guerre d'Irlande,
et qu'il y faisait tant de sacrifices. Les ministres étrangers
résidant à Londres doutaient fort que Cromwell voulût par-
tir : « L'on continue de dire, écrivait M. de Croullé au car-
dinal Mazarin, que Cromwell partira tout au plus tard à la
fin de ce mois. Le sentiment que j'ai eu du contraire est
conforme à celui de trop de personnes intelligentes pour
m'en rétracter, et jusqu'à ce que je sois convaincu par l'avis
de son passage en ce pays-là, j'y persévérerai toujours. Il ne
peut presque tomber sous le sens que Cromwell qui, selon
la créance de plusieurs, pousse ses pensées au delà de ce que
l'ambition la plus déréglée les peut porter, se résolve d'aban-
donner ce royaume à la merci des brigues qui pourraient
être formées en son absence, et que sa présence peut em-
pêcher d'être seulement entreprises '. i>
Mais au commencement de juin, Ormond entra en cam-
pagne ; et malgré les dissensions de son parti et la mauvaise
organisation de son armée, ses succès furent si rapides qu'à
la fin du mois il ne restait plus au Parlement, en Irlande,
que Londonderry et Dublin. Cromwell se décida : le 10 juil-
let, un grand nombre de ses amis se réunirent à Whitehall ;
trois ministres invoquèrent sur ses armes les bénédictions
du Seigneur; Cromwell lui-même, après deux de ses offi-
ciers, Goffe et Harrison, prit la parole et commenta plu-
sieurs textes de l'Écriture sainte analogues à son entreprise.
Puis, à cinq heures du soir, il se mit en route pour Bristol,
« avec une pompe et dans un équipage, dit un journal du
temps, tels qu'on n'en a guère vu. Il était dans un carrosse
traîné par six juments de Flandre gris pommelé; plusieurs
carrosses l'accompagnaient, et beaucoup d'officiers supé-
rieurs de l'armée. Sa garde était formée de quatre-vingts
1 14 juin 1649; — Archives des Affaires étrangères de France.
RÉPDBUQl'E d'aNGIETERRC 1. 7
7* CROMWELL
vaillants hommes dont le moindre était un officier ou un
écuyer, et phisieurs des colonels en grand uniforme. Les
trompettes sonnaient. Et maintenant garde à vous^ railord
d'Ormond ! vous aurez affaire à des braves ; les vaincre sera
pour vous assez d'honneur, et être vaincu j)ar eux ne fera
pas grand tort à votre renom. Si vous dites : César ou rien!
ils disent ; la Eépubliqtie ou lien ' / » ' ob mi
Arrivé à Bristol, et sans qu'on en démêle les motifs,
Cromwell s'y arrêta près d'un mois ; il allait et venait dans
les divers ports de la côte, présidant à l'embarquement de
ses troupes et recevant de nombreux visiteurs. La popula-
tion des environs affluait pour le voir; sa femme et plu-
sieurs personnes de sa famille vinrent passer quelques jours
avec lui ; il semblait hésiter encore et ne se détacher du sol
anglais qu'avec doute et effort ^.
Une nouvelle arriva d'Irlande qui mit un terme à ses len-
teurs. Avant de marcher sur Dublin, Ormond avait écrit
au gouverneur Michel Jones, tenu jusque-là pour un pres-
bytérien modéré, pour le presser d'abandonner « ce pré-
tendu Parlement qui avait égorgé son roi et voulait intro-
duire l'anarchie, et lui pi'omctlre de grandes récompenses
s'il revenait à la cause royale. » — « J'ignore, lui répondit
Jones, de qui Votre Seigneurie tient son pouvoir; le Parle-
ment d'Angleterre n'eût jamais consenti à la paix que Votre
Seigneurie a faite avec les rebelles, sans aucune sûreté pour
la religion protestante; comment peut-elle être établie par
une armée de papistes? J'aime mieux mourir à mon poste
qu'acheter par une honteuse trahison les avantages qui me
sont offerts. » Ormond s'établit devant Dublin, espérant
réduire la place dont la garnison était faible, et dans laquelle
1 Cromwclllana, p. G2; — Whilcloeke, p. 4-13.
^ Carlyle, Cromivell's Lctlers, t. I, p. 445.
EN IRLANDE (16i0). 78
il avait des intelligences. Mais, dans les derniers jours de
juillet, Tavant-garde de Cromwell, amenée par un vent
favorable, entra dans le port de Dublin sans qu'Ormond
pût y mettre obstacle ; la garnison, fortifiée, ravitaillée et
très-animée, demandait à son chef quelque coup hardi ; le
2 août, Jones fit sur un point du camp des assiégeants, au
village de Rathmines, une sortie si inattendue, si vive et si
heureuse que, malgré les elForls désespérés des officiers
supérieurs et d'Ormond lui-même, le désordre gagna toute
l'armée royale qui fut mise en déroute, avec une perte
considérable, et contrainte de lever le siège '.
Quelle que fût la cause de son retard à quitter l'Angle-
terre, il ne convenait pas à Cromwell qu'un autre eût
l'honneur de soumettre l'Irlande. Le lendemain même de
la nouvelle, il partit ; et à peine embarqué, encore dans le
port de Milford-haveii, soigneux de se montrer des plus
empressés à célébrer la victoire de Jones, il écrivit à son
ami Richard Mayor, dont son fils aîné Richard venait
d'épouser la fille : u Le marquis d'Ormond assiége^iit Dublin
avec dix-neuf n)ille hommes ou environ; sept mille Écos-
sais, et puis trois mille devaient venir le rejoindre. Jones
est sorti de Dublin avec quatre mille hommes de pied et
mille deux cents chevaux; il a njis en déroute toute celte
armée, tué sur place quatre mille hommes, et fait deux
mille cinq cent dix-sept prisonniers, dont trois cents offi-
ciers, ([uelquesuns de grande qualité *. C'est une grâce
surprenante si grande et si opportune que vraiment nous
avons l'air de rêver. Que dirons-nous? Dieu veuille remplir
. » Wliilclockc, p. 391, 419, 420; — Journals of ihe Housc of vommons,
t. VI, p. 17;i, 278; - Ckireiulon, Uist. uf tlic Rcbc'liuv, I. xii, c. Gi», l. VII,
Jrcland, c. 74, 7.).
* Tous ces chiffres élaicnt fort exagéré;?; — Carie, Ormond's Lcllcrs, l. Il,
p. 403, 407-411 .
76 CROMWELL
nos âmes de reconnaissance, afin que nos bouches soient
pleines de ses louanges, et nos vies aussi, et qu'il nous
donne de n'oublier jamais sa bonté pour nous. Il y a là de
quoi fortifier notre foi et notre amour pour des temps plus
difficiles. Priez pour moi ; que je marche digne du Seigneur
dans toutes les voies où il m'a appelé ! »
Et cet élan de piété patriotique finit par ce trait de solli-
citude paternelle :
«i Je vous ai confié mon fits; donnez-lui, je vous prie,
vos avis. Je ne lui envie pas ses joies, mais je crains qu'il
ne s'y laisse absorber tout entier. Je voudrais qu'il réfléchît
et qu'il s'appliquât aux affaires, qu'il lût un peu d'histoire,
qu'il étudiât les mathématiques et la cosmographie. Ce sont
là de bonnes connaissances, subordonnées aux choses de
Dieu ; elles valent mieux que l'oisiveté et les seuls plaisirs
mondains. Elles conviennent d'ailleurs au service du pays,
pour lequel tout homme est né *. »
Cromwell fut toujours vivement préoccupé de ses enfants,
de leurs affaires temporelles et de leurs dispositions mora-
les; et il portait dans cet intérêt comme partout sa pré-
voyante et dominante activité.
Arrivé à Dublin, le surlendemain Ib août, il y fut reçu
avec de vives acclamations ; la foule se pressait sur son pas-
sage, curieuse et bienveillante : vers le milieu de la ville, là
où le concours était le plus grand, il s'arrêta, et debout
dans sa voiture, le chapeau à la main ; il parla au peuple :
« Il ne doutait pas que la divine Providence, qui l'avait
amené sain et sauf au milieu d'eux, ne leur rendît à tous
leurs libertés et leurs biens ravagés par la guerre; tous ceux
qui concourraient de cœur à cette grande œuvre, entre-
prise contre les barbares et sanguinaires Irlandais et pour
* Carlyle, Cromwell's Leltcrs andSpecches, t. J, p. 446.
EN IRLANDE (1640). 77
la propagation de rÉvangilc du Christ, trouveraient auprès
de lui, comme auprès du Parlement d'Angleterre, protec-
tion et faveur, et chacun serait récompensé selon ses
mérites. » On lui répondit par le cri : « Nous vivrons et
mourrons avec vous; » et dès le lendemain, une proclama-
tion militaire et puritaine marqua le caractère de son gou-
vernement : il y rappelait « les grâces de Dieu sur cette
ville , signalées surtout dans la défaite qu'avaient subie
naguère les rebelles qui l'assiégeaient;» il s'étonnait < qu'en
présence de tels bienfaits, le saint nom de Dieu fût encore
journellement outragé, parmi eux, par les jurements, les
blasphèmes, l'ivrognerie et tous ces emportements profanes
condamnés par les lois de Dieu, les lois du pays et les lois
des camps; i> il enjoignait au maire et aux magistrats de la
ville, ainsi qu'aux officiers de l'armée, de faire strictement
observer ces lois, déclarant que ceux qui négligeraient de
veiller en ceci à l'exécution de ses ordres encourraient eux-
mêmes toute sa sévérité '.
A peine ses troupes s'étaient reposées quelques jours
qu'il entra en campagne, mais avec des dispositions bien
différentes de celles qu'il avait témoignées de loin, pendant
que son expédition se préparait. Dès qu'il fut en Irlande,
sur le théâtre de la guerre et au milieu des combattants,
Cromwell sentit que les préjugés et les colères des Anglais
contre les Irlandais, des protestants contre les catholiques,
des républicains contre les royalistes, étaient là des passions
farouches et intraitables, qu'on pouvait exploiter puissam-
ment, mais en leur laissant un libre cours, et qui n'admet-
taient ni calculs ni ménagements politiques. Il les accepta
sans hésiter, comme des faits qu'il ne discutait point et des
forces dont il avait besoin. Les instructions et les exemples
1 Carlyle, CromweU's Letlers, elc , t. I, i>. Ud-, — Wliilelockc, p. 423.
7.
78 PRISE DE
qui lui venaient de Londrcsie poussaient sur celle pente, bien
loin de l'y retenir. Les nouvelles d'Irlande , surtout la vic-
toire de Jones devant Dublin, et la confiance quelle inspira,
firent évanouir ces velléités de négociations naguère enta-
mées avec les Irlandais et les catholiques. Le parlement
désavoua la suspension d'armes que Monk avait conclue
avec O'Neil, et les chefs du parti, qui avaient secrètement
poussé Monk dans cette voie, se crurent obligés d'être des
premiers à blâmer son acte pour réussir ensuite à le faire
excuser lui-même sur son intention. Quelques jours après,
la Chambre vota que sir Kenelm Digby, sir John Winter,
ces catholiques ardents qu'on avait laissés venir et presque
appelés à Londres pour s'assurer leur concours en Irlande,
au prix de la liberté de leur culte, étaient des hommes dan-
gereux qu'il fallait se hâter d'éloigner, et ils eurent ordre
de sortir immédiatement d'Angleterre, sous peine de mort
et de confiscation de leurs biens s'ils y rentraient. Tout
esprit de transaction, par justice ou par prudence, avait
disparu, et dans les conseils en Angleterre comme dans les
camps en Irlande, le fanatisme religieux et politique domi-
nait seul \
Ce fut sous ces sombres auspices que Cromwell sortit de
Dublin, le 51 août, à la tête d'environ dix mille hommes,
pour aller assiéger Drogheda, la place la plus importante de
la province de Leinster. Ormond, en se retirant du siège
de Dublin, avait jeté dans cette place une garnison de trois
mille hommes, presque tous Anglais, et commandés par
Arthur Aston, vieil officiera jambe de bois, d'une bravoure
comme d'une fidélité éprouvée, espérant qu'elle arrêterait
longtemps les progrès de l'ennemi. Après six jours employés
* Jonrnals of ihe House of commons, t. VI, p. 277, 289; — Whilclocke,
p. 419, 422, 423.
DROGHEDA (10 septembre 16 i9). 79
aux travaux du siège, Cromwell fit sommer le gouverneur
de se rendre, et sur son refus, le 10 septembre, il fit donner
l'assaut. La première attaque, bien que vigoureuse, écboua
avec une grande perte pour les assaillants ; le colonel Casscl
et plusieurs officiers y furent tués. Cromwell se mit lui-
même à la tête de la seconde attaque, et malgré l'éner-
gique résistance des assiégés, les divers retranchements
furent emportés, puis les tours et les églises de la ville, dans
lesquelles les plus obstinés s'étaient renfermés. « Dans la
chaleur de l'action, écrivit Cromwell au président du con-
seil d'État et à l'orateur du parlement, j'ai défendu qu'on
épargnât aucun de ceux qui seraient trouvés en armes dans
la place. Le gouverneur, sir Arthur Aston, plusieurs offi-
ciers considérables, et je crois environ deux mille hommes
ont été passés, cette nuit-là, au fil de l'épée. Le lendemain
nous avons sommé les deux tours; dans l'une se trouvaient
cent vingt ou cent cinquante hommes qui ont refusé de se
rendre ; nous avons compté sur la faim pour les contraindre,
et nous avons placé des gardes pour les empêcher de s'éva-
der jusqu'à ce que leurs estomacs se fussent rendus. Ils ont
tué ou blessé quelques-uns de nos hommes. Quand ils se
sont soumis, les officiers ont été mis à mort et les soldats
décimés ; le reste a été embarqué pour les Barbadcs. Tous
leurs prêtres et leurs moines ont été mis à mort indistinc-
tement. Je ne crois pas que, de toute la garnison, trente
hommes se soient échappés vivants. Je suis persuadé que
c'est un juste châtiment de Dieu sur ces barbares qui ont
trempé leurs mains dans tant de sang innocent. Cela pré-
viendra, je crois, l'effusion du sang à l'avenir. Ce sont là
les motifs satisfaisants pour de telles actions qui, autre-
ment, ne pourraient pas ne pas inspirer du remords et du
regret. )>
« P. S. Voici la liste des officiers et des soldats tues : le gou-
80 PRISE DE DIVERSES
verneur; dans la cavalerie, deux lieutenants-colonels, un ma-
jor, huit capitaines, huit lieutenants et huit cornettes ; dans
l'infanterie, trois colonels, leurs lieutenants-colonels et leurs
majors, quarante-quatre capitaines, leurs lieutenants et
leurs enseignes; deux cent vingt cavaliers, deux mille cinq
cents fantassins, outre les officiers d'état-raajor, les chirur-
giens et beaucoup d'habitants ^ »
Selon d'autres rapports royalistes et même parlemen-
taires, non-seulement le carnage dura deux jours, mais des
officiers, découverts au bout de cinq ou six jours après avoir
été cachés par l'humanité de quelques soldats, furent égor-
gés de sang-froid ; et au moment du massacre, les femmes
et les enfants ne furent pas plus épargnés que les hommes
armés. « Ce fut , dit un contemporain , panégyriste de
Cromwell, un sacrifice de trois mille Irlandais aux mânes
de dix mille Anglais qu'ils avaient massacrés quelques
années auparavant ^. »
Le sacrifice ne produisit pas l'elTet que Cromwell s'en était
promis pour le justifier; il ne suffit point à prévenir l'effu-
sion du sang ; il fallut recommencer. Wcxford, un mois
après, se défendit comme Drogheda, et subit le même mas-
sacre. D'autres places, il est vrai, intimidées ou trahies, se
rendirent, Corke, Ross, Youghall, Kilkenny; mais d'autres
aussi, comme Cullen, Gowran et Clonmel s'obstinèrent à
résister, quelques-unes, comme Waterford, avec tant de
vigueur que Cromwell fut obligé de lever le siège. Là même
où le succès parut plus facile, il fut encore souillé de grandes
cruautés. A Gowran, les soldats obtinrent la vie sauve en ren-
dant la place , mais à condition de livrer à discrétion leurs
1 Carlyle, CromtoeWs Leilers (16, 17 et 22 sept. 1649), t. I, p. -«57-465; -
Pari. HisU, t. XIX, p. 201-210; — Whilelocke, p. 427-428.
2 Pari. Hist., t. XIX, p. 209; — Clarendon.ffù/. oflhe Rébellion, Ireland,
c. 82; — Mémoires de Ludlow, t. II, p. 2-4, dans ma Collection.
PLACES EN IRLANDE (1649). SI
officiers qui furent tous égorgés. L'évêquede Ross fut pendu,
en habits pontificaux, sous les murs d'un château fort que
ses gens défendaient. Clonmcl résista héroïquement, et
lorsque enfin \a place se rendit, Cromwcll n'y trouva phis
un seul homme de la garnison; pendant qu'il signait avec
les habitants les articles de la capitulation, elle était sorlic
de nuit et en armes, pour aller ailleurs recommencer la
guerre*.
C'est l'artifice ordinaire des mauvaises passions d'impu-
ter les cruelles satisfactions qu'elles se donnent, soit à quel-
que grande idée dont elles poursuivent l'accomplissement,
soit à l'absolue nécessité du succès : l'histoire se déshonore-
rait en acceptant ces excuses mensongères ; c'est son devoir
de renvoyer le mal à sa source et de rendre aux vices des
hommes ce qui leur appartient.
Le fanatisme humain ment, ou s'abuse lui-même par or-
gueil, quand il se prétend l'exécuteur des hautes œuvres de
la justice divine; il n'appartient pas aux hommes de pro-
noncer, sur les peuples, les sentences de Dieu.
Cromwell n'était pas sanguinaire ; mais il voulait réussir
promptement et à tout prix, par nécessité pour sa fortune
bien plus que pour sa cause, et il ne refusait rien aux pas-
sions de ceux qui le servaient. C'était un ambitieux égoïste
avec grandeur, qui avait des fanatiques étroits et durs pour
instruments. Ses grands et vrais moyens de succès n'étaient
pas dans ses massacres, mais dans son génie et dans la haute
idée qu'avaient déjà conçue de lui les peuples. Tantôt par
instinct, tantôt par réflexion, il se conduisit en Irlande,
envers ses amis et envers ses ennemis , avec une habileté
aussi souple que profonde, supérieur dans l'art de traiter
I Carlyle, CromtveU's Lcllers, l. 1, p. 4G6-51G; — Journalsof Ihe Hottsc
of commons, t. VI, p. 314, 323; — Wliilelocke, p. 433, 434, 456; -Godwin,
Hist. oflhe Commonweallh, t. III, p. 151-162.
82 CR03IVVELL
avec les hommes, et de persuader, ou de séduire, ou d'a-
doucir ceux-là mêmes qui devaient lui porter le plus de
méfiance et d'aversion. En même temps qu'il livi'ait au
meurtre et au pillage les villes dont il s'emparait, il main-
tenait, dans son armée, la discipline la plus sévère, ne souf-
frant pas qu'elle fit à la population aucun tort, et soigneux
de faire payer ce qu'elle consommait. Cet homme qui se
vantait d'avoir, à Droglieda, lîiit égorger indistinctement
tous les moines, et qui exceptait toujours avec faste les ca-
tholiques de ses promesses de tolérance chrétienne, ce
même homme entretenait, par des moines irlandais, une
police très-aclive chez ses ennemis, toujours hien instruit
de leurs desseins ou de leurs démarches, et quelquefois assez
influent au milieu d'eux pour les faire échouer par leurs
propres dissensions. Il travaillait incessamment à détacher
de la cause royale les honniies considérables, et ses tenta-
ti\es en ce genre allèrent, sans succès, jusqu'au marquis
d'Ormond lui-même pour qui il exprimait hautement son
estime, ajoutant souvent : u Qu'a donc à faire loi*d Ormond
de Charles Stuart, et quelles obligations en a-t-il jamais re-
çues? » Avec le Parlement, sa conduite était fort indépen-
dante, mais sans vanité et sans bruit ; il portait au contraire
dans son langage la déférence jusqu'à l'humilité; après la
prise de Ross, il écrivit à l'orateur de la Chambre : » Vous
ayant ainsi rendu compte de l'événement, je ne vous fati-
guerai pas de demandes particulières : je les adresserai au
conseil d'État ; mais permettez-moi de vous dire humble-
ment ce qui, à mon sens, est bon pour votre service, me
soumettant d'ailleurs pleinement à votre volonté. Nous dé-
sirons des renforts. Cela n'augmentera pas vos charges si
les sommes que vous avez déjà assignées pour les forces
maintenant sur pied nous arrivent à temps... C'est ce dont
je vous supplie humblement, ainsi que de nous envoyer les
EN IRLANDE (iUÇt). 85
vêtements, les souliers et les bas que j'ai déjà demandes
afin que les pauvres créatures qui sont sous mes oi-dres
aient un peu d'encouragement. Et moyennant la bienheu-
reuse assistance de Celui qui n'a cesse de marcher avec
nous, j'espère qu'avant peu non-seulement l'Irlande ne sera
pas un fardeau pour rAngietcrrc, mais qu'elle deviendra un
membre utile de la République ^. »
Il ne tarda pas à démêler et à metfre en pratique le
moyen le plus efficace pour y réussir. Quand il vit que,
malgré quelques succès partiels, il ne parviendrait pas à
désorganiser le parti royaliste en Irlande en lui enlevant
ses chefs, il tourna ses efforts vers les soldats : ils étaient
nombreux, braves, souvent dénués de tout et découragés;
il fit publier dans tout le pays qu'ils étaient libres d'aller
servir à l'étranger, et qu'il autorisait tous les officiers, et
quiconque voudrait l'entreprendre, à lever autant d'hommes
qu'ils en pourraient trouver, et à les transporter hors d'Ir-
lande pour le service des puissances du continent. Il fit
donner avis aux ministres de France et d'Espagne à Lon-
dres, de l'autorisation qu'il accordait. Beaucoup d'oflicicrs
royalistes. Anglais comme Irlandais, sans emploi et sans
ressources, virent s'ouvrir là, pour eux, un avenir, et s'of-
frirent aux agents étrangers pour lever et transporter en
Espagne ou en France des régiments. Don Alonzo de Car-
denas, ministre d'Espagne en Angleterre, et le cardinal
Mazarin saisirent cette offre avec empressement; environ
vingt-cinq mille Irlandais furent en peu de mois enrôlés
pour l'Espagne, et vingt mille pour la France ; et ce terri-
toire catholique, sur lequel Ormond avait peine à tenir
rassemblé, pour le service du roi, un corps de huit à dix
* Carlyle, Cromwcll's Lcllcrs (14 nov. 1049), l. 1, p. 489 ; — Clarendon,
Hist. of llie Rébellion, 1. xir, c. 147; 1. xiii, c. 111; - Wliitelocke, p. 426; —
Godvvin, Hisl. of the Commonweallh, l. III, p. 1!>1.
U CR03IWELL EST RAPPELÉ
mille hommes, se déchargea, sur l'Espagne et la France,
de plus de quarante mille soldats ennemis du Parlement i.
Tant de succès, militaires et politiques, si rapidement
obtenus et habilement célébrés par de zélés amis, causèrent
bientôt au Parlement presque autant d'alarme qu'ils lui
donnaient de sécurité. Cromwell à Londres était à tout
moment un sujet d'embarras; mais Cromwell, si puissant
et si glorieux en Irlande, menaçait de plus en plus l'avenir.
Le bruit se répandait d'ailleurs que Charles Stuart, par
suite de nouvelles négociations avec les Ecossais, était près
de se rendre en Ecosse; on aurait probablement besoin de
Cromwell; le 8 janvier 4650, on résolut de le rappeler, et le
conseil d'État eut ordre de l'en informer. 11 était alors en
quartiers d'hiver, à peine remis d'une assez grave indispo-
sition. Il rentra soudain en campagne, recommençant vive-
ment, à travers l'Irlande, ses courses et ses sièges. Le 25 fé-
vrier, on lut , dans le Parlement, des lettres de lui qui
annonçaient de nouveaux succès : on vota d'abord qu'il en
serait officiellement remercié, puis, que de retour à Lon-
dres, il aurait à sa disposition, pour s'y loger, le Cockpit,
portion du palais de Whitehall, et le palais de Saint- James,
avec le commandement du Parc. La femme et la famille de
Cromwell firent, bien qu'avec quelque répugnance, leurs
préparatifs pour s'y établir; pour lui, il continua de rester
et de vaincre en Irlande. Le 2 avril enfin, il écrivit au
Parlement :
« J'ai reçu divers avis particuliers de votre intention
que je me rende auprès de vous en Angleterre, ainsi que
la copie des votes du Parlement à cet effet. Mais, ne sachant
cela que par des avis particuliers, et les votes se référant à
^ Clarendon, Hisl. ofthe Rébellion, 1. xii, c. 148-149; — Carlyle, Crom-
xvell's Lelters, t. I, p. 513.
D'IRLANDE (janvier 1630). 85
une lettre qui devait m'êtrc adressée par l'orateur, j'ai
pensé qu'il y aurait témérité de ma part à quitter mon
poste avant d'avoir reçueette lettre; je ne pouvais d'ailleurs
deviner si elle porterait un ordre absolu ou si le Parlement
me laisserait la liberté d'examiner quand et comment je
devais obéir. Voire lettre m'est parvenue le vendredi
22 mars, le jour même où j'arrivais devant la place de
Kilkenny. J"ai appris par le docteur Cartwright, qui me l'a
remise, que les vents contraires et le défaut d'embarcations
dans nos ports de l'ouest l'avaient empêché de partir plus
tôt. Votre lettre porte la date du 8 janvier et je ne l'ai reçue
que le 22 mars. Elle suppose en outre que votre armée est
en quartiers d'hiver, ne pouvant rien faire dans cette saison
de l'année, et c'était là le motif de votre ordre; or vos
troupes ont toujours été en action depuis le 29 janvier. Je
n'ai donc su que faire... J'ai humblement pensé que mon
devoir était de vous demander humblement quelle est pré-
cisément votre volonté ; car, je le dis comme devant Dieu,
je suis prêt et empressé d'obéir à vos ordres ; mon unique
désir est d'accomplir l'œuvre à laquelle je suis appelé par
ceux que Dieu a établis au-dessus de moi, ce que vous êtes
bien certainement à mes yeux ; je vous supplie donc hum-
blement de me dire si votre lettre ne me laisse pas la liberté
de vous demander une expression plus claire de vos com-
mandements; elle me trouvera, quand je l'aurai reçue, tout
prêt à une prompte et facile soumission '. »
Il avait gagné autant de temps qu'il avait voulu, et pen-
dant qu'il tardait, le cours des événements faisait pour lui,
de son retour à Londres, une nouvelle occasion de pouvoir
et de grandeur.
' Carlyle, CromweU's LeUers, t. I, p. 507, 514-316; — yoMOia/» o/" </*«
Houte of commons, t. VI, 344, 371.
i. 8
86 CHARLES 11
Quand Charles II, après avoir quitté la Haye pour aller
faire, à Saint-Germain, une visite à la reine sa mère, apprit
avec certitude que Cromwell prenait le gouvernement de
l'Irlande, il hésita de plus en plus à s'y rendre, se souciant
peu de jouer, sur un terrain si périlleux et contre un si
rude adversaire, son avenir et sa vie. Il passa trois mois à
Saint-Germain, monotone séjour que la cour de France
cherchait peu à lui rendre agréable, et dont les tracasseries
impérieuses de sa mère ne dissipaient pas l'ennui. A la nou-
velle de la défaite d'Ormond devant Dublin, le premier
mouvement du jeune prince fut de partir et de se jeter en
Irlande au milieu de la lutte. A ceux qui lui disaient qu'il
n'y fallait pas aller pour prendre sa part de cette déroute,
il répondit : <i II faut donc y aller pour mourir, car il est
honteux pour moi de vivre ailleurs. » — « Ce discours pa-
raissait procéder d'un grand cœur, dit madame de Motte-
ville, qui vivait presque aussi intimement avec la reine
Henriette-Marie qu'avec Anne d'Autriche; les plus grands
hommes de l'antiquité n'ont pas mieux parlé ; mais de jeunes
gens passent aisément de cette roide vertu au relâchement ;
ils souffrent ensuite "avec indifférence des maux qui leur ont
d'abord paru les plus insupportables de la vie, et le plaisir
qu'ils rencontrent en cette même vie en est cause. C'est ce
qui arriva à ce prince. » Ses propres courtisans ne tardè-
rent pas à s'en apercevoir : « Les princes étrangers, écrivait
l'un d'eux au marquis d'Ormond, commencent à regarder
le roi comme un homme si indolent et si peu soucieux de
ses propres affaires qu'ils ne croient pas sûr pour eux-mêmes
d'irriter, en venant à son aide, des ennemis aussi puissants
que le deviendront probablement ses rebelles sujets. »
Charles ressentit bientôt les effets de cette disposition; le
cardinal Mazarin lui donna clairement à entendre que son
séjour prolongé à Saint-Germain devenait im embarras
A JERSEY (1649). 87
pour la cour de France, qui ne voulait pas se brouiller avec
la République d'Angleterre; la reine Honriclte-Maric elle-
même, qui avait besoin du bon vouloir de Mazarin, engagea
son fils à comprendre, sans explications plus précises, le
désir du cardinal; et vers le milieu de septembre 1049,
Cbarlcs se mit en route à travers la Normandie, pour aller
s'établir dans l'île de Jersey, seul point de ses États dont il
fût encore en possession '.
A peine y étaif-il arrivé qu'il reçut d'Irlande la nouvelle
du désastre de Drogbcda, et presque au même moment le
parlement d'Ecosse lui fit demander de reprendre les négo-
ciations entamées à la Haye, pour le rappeler dans son
royaume. Depuis que cette première tentative avait échoué,
le sentiment général du peuple écossais en faveur du roi
n'avait pas cessé de se manifester ; plusieurs insurrections
royalistes avaient éclaté sur divers points du royaume; et
quoique le Parlement presbytérien les eût prompteraent
réprimées, ses chefs, Argyle entre autres, comprirent qu'ils
ne pouvaient se dispenser de faire de nouveau, auprès de
Charles et pour son retour, un effort sérieux, ou du moins
une éclatante démonstration. Les pi'opositions qu'apporta à
Jersey leur envoyé, Winram de Liberton, étaient au fond
les mêmes, et aussi dures que celles que Charles avait na-
guère repoussées à la Haye ; mais sa situation était affai-
blie ; en Angleterre et en Irlande, ses ennemis triomphaient;
de Paris et de la Haye, sa mère et son beau-frère le |)res-
saient plus vivement que jamais d'accepter les propositions
des Écossais, lui écrivant l'une que la cour de France, l'autre
que le peuple de Hollande étaient décidément de cet avis.
Charles voulut consulter Ormond; Ormond répondit qu'il
' Mémoires de madame de Molleville, t. III , p. ô'd, 553, collection l'clilot ,-
— Carie, Ormohd's Lcllers, l. I, |). 518; — Claiciidun, flint. of Ihc Rébel-
lion, 1. XII, c. 73-77.
88 EXPÉDITION DE 310NTR0SE
n'y avait rien à espérer si l'on ne parvenait pas à susciter la
guerre entre l'Angleterre et l'Ecosse, et à opérer ainsi une
diversion qui permît aux royalistes irlandais de reprendre
haleine et de tenter de nouveaux efforts. A peu près tous
ceux des conseillers intimes de Charles qui se trouvaient
auprès de lui insistaient dans le même sens : il se résigna,
et soit que Jersey parût un lieu incommode pour négocier,
soit pour gagner encore du temps, il donna rendez-vous
aux commissaires écossais à Bréda, ville du domaine pro-
pre de son beau-frère le prince d'Orange, et où il se sentait
parfaitement libre et sûr. Mais ne portant ni goût ni con-
fiance à la négociation qu'il acceptait, il écrivit à Montrose
occupé à chercher en Allemagne de l'argent et des soldats :
<; Je vous conjure de poursuivre vigoureusement, avec vo-
tre courage et vos soins accoutumés, les affaires que je vous
ai confiées ; ne vous laissez pas troubler par ce que vous
pourrez entendre dire que je suis autrement disposé envers
les presbytériens que je ne l'étais quand je vous ai quitté. Je
suis toujours, je vous l'assure, dans les mêmes principes
que vous m'avez vus, et je compte autant que jamais sur vos
entreprises et vos efforts pour mon service ^ »
Montrose n'avait nul besoin d'être excité; passionnément
orgueilleux et dévoué, il avait foi dans sa cause, en lui-même
et dans sa destinée. Une prédiction populaire avait dit qu'il
remettrait le roi sur son trône; il tenait de Charles tous les
pouvoirs dont il avait besoin pour agir. Il parcourut les
Pays-Bas, l'Allemagne, le Danemark, la Suède, cherchant
partout les moyens d'accomplir sa mission, voyant chaque
jour manquer quelqu'un de ceux qu'il s'était promis, et se
» 19 sept. 1649; — Wishart, ^/j/j., 12, 13, 15; — Malcolm Laing, ffjs<. «/"
Scolland, l. III, p. Ul, 581; — Clarendon, Hist. of ihe Rébellion, 1. xii,
c. 118-125; — Carie, Ormond's Lettcrs, l. I, p. 338, 356; — Whilelocke,
p. 428, 429.
EN ECOSSE (1650). 89
remettant chaque jour à l'œuvre avec la même conviction
et la même ardeur. Cette partie de l'Europe, surtout la
Suède, était alors devenue la seconde patrie d'un grand
nombre d'officiers écossais qui, après avoir servi sous
Gustave-Adolphe, dans la guerre de Trente ans, s'y étaient
établis avec la fortune et le renom qu'ils avaient acquis.
Montrose vivait avec eux en bon compagnon de guerre ou
de fête, charmant les uns par l'éclat de ses espérances, atti-
rant les autres par ses libéralités, et ils lui avaient tous
promis, pour sa grande entreprise, l'appui de leur crédit
ou de leur personne, quelques-uns même de leur argent.
Le roi de Danemark et plusieurs petits princes d'Allemagne
lui avaient donné des assurances semblables. Quand il se
crut près d'entrer en action, il publia, de Copenhague ', une
déclaration annonçant et justifiant son entreprise, et invi-
tant tous les fidèles sujets du roi à venir le joindre en Ecosse
pour l'accomplir; puis il assigna Hambourg comme lieu de
rendez-vous à ses recrues, et s'y fixa lui-même, avec plus
de faste qu'il ne convenait à ses ressources, pour les atten-
dre, les organiser et les faire partir ^.
Les recrues vinrent lentement et en petit nombre; la cour
de Danemark était zélée, mais pauvre; la reine Christine
de Suède, qui s'était d'abord montrée favorable, se prit tout
à coup d'admiration pour la République d'Angleterre et
pour Crorawell. Montrose réunit à grand'peine, à Hambourg
et à Golhcmbourg, douze cents hommes assez mal armés;
une première division, qu'il fit partir en septembre 1G49,
périt en mer ; la seconde, sous les ordres du comte de Kin-
1 En décembre 1649 ;— Wisliart, Memoirs of Montrose, Appendix, ii»XIX.
p. 454-^38.
* Clai-endon, Hist. of ihe Rébellion, I. xii, c. 40, 128, 129; - Wishiir(,
Memoirs of Monlrose, p. 561-369 ; - Wliitelocke, p. 42G, 430, 434, 435,
436.
90 EXPEDITION DE MONTROSE
noul , arriva heureusement à Kirkwall, chef-lieu de l'ile de
Pomona, la principaledesOfcad.es, et s'y établit en attendant
son général. lAFontrose allendait, de son rôle, et des recrues
nouvelles, et des soulèvements que lui avaient promis les
royalistes des montagnes d'Ecosse. Mais les premiers essais
d'insurrection, commencés trop tôt, avaient été trop faci-
lement réprimés ' : l'ien n'éclata ; les amis de Monlrose lui
écrivirent que sa présence était indispensable et serait cer-
tainement efficace. Il partit enfin, et débarqua aux Orcades,
dans les premiers jours de mars IGSO, avec cinq cents
hommes et quelques nobles écossais dévoués à sa j)ersonnc
et à sa fortune.
Peu avant son arrivée , et en réj)onsc h sa déclaration,
l'Eglise et le parlement d'Ecosse avaient publié contre lui
deux autres déclarations, siiigulièi'cment violentes, même
dans ce temps de passions déchaînées ^ ; li Non qu'il vaille
la peine, y disait-on, de réfuter les calomnies de James
Graham, celte vipère de la semence de Satan, que depuis
longtemps le Parlement a déclaré traître, que l'Église a
livré aux mains du diable, et que toute la nation abhorre;
niais parce que le silence pourrait être mal interprété, et
que quelques esprits faibles se laisseraient peut-être abuser
par les assertions audacieuses de cet impudent fanfaron qui
se présente au monde comme revelu de l'auloiilé de Sa 3Ia-
jesté, sous le litre de lieutenanl-gouverneur et capitaine
général de ce royaume. » Tous les anciens griefs du parti
dominant, et les variations de conduite imputées à Montrosc
à l'origine des discordes civiles , et les cruautés dont on
l'avait accusé pendant sa campagne de 1G45 pour Charles I",
étaient habilement résumés dans ces deux actes que toutes
i Browne, Hist. of ihc Highlandx, t. II, p. 26, 28.
» Les 2 cl 24 junvicr 1()50 ; — Wishart, Appcndix, ii"s XX cl XXI, p. 458-
491.
EN ECOSSE (16S0). 91
les chaires presbytériennes se chargèrent de commenter;
et au moment où il remettait le pied sur le sol d'Ecosse,
les colères et les terreuis du peuple s'unirent, contre .Mont-
rose, aux haines et aux alarmes de ses rivaux.
En débarquant à l'extrémité septcnlrionale deTÉcossc,
il déploya un peu fastueusement trois bannières, deux au
nom du roi, dont Tune portait Timage de la léte coupée de
Charles I", avec ces mots : « Juge, ô Seigneur, et venge
ma cause ; » sur la troisième, qui était la sienne propre, un
bras nu tenant une épée sanglante, sur un fond noir, et
cette devise : Ail médium. Puis il avança lentement à travers
les comtés dcCaithness et de Sutherland, attendant, du pays
même, des renforts qui ne venaient point , apprenant au
contraire que des chefs, sur qui il avait compté, se ran-
geaient du côté du Parlement, et visiblement surpris et
troublé du peu de bruit que faisaient son nom et ses pas.
Le gouvernement d'Edimbourg, pendant qu'un corps d'ar-
mée considérable se rassemblait sous les ordres de David
Leslie, envoya en avant quebjues escadrons de cavalerie
commandés parle lieutenant-colonel Strachan, sectaire fou-
geux et officier hardi; cinq cents hommes d'infanterie,
qu'avait réunis le comte de Sutherland, se joignirent aux
cavaliers de Slrachan, et ils étaient ensemble à Tain, sur la
côte orientale du comté de Ross, quand ils apprirent que
JMontrose était campé à quelques lieues seulement et se gar-
dait mal, ignorant que l'ennemi fût déjà si près de lui.
C'était le samedi 16 avril ; Strachan hésitait à se mettre en
marche, ne voulant pas courir le risque d'avoir à combattre
le dimanche; mais un mouvement que fit Montrose rappro-
cha encore les deux troupes; Strachan prit son parti et
s'avança jusqu'à une lieue du camp de Montrose établi à
Corbiesdale, toujours sans information et mal gardé. Les
escadrons de Strachan le chargèrent à l'improviste, et suc-
92 DEFAITE ET ARRESTATION
cessivement, comme s'ils eussent été l'avant-garde d'une
armée. Montrose voulut se replier sur un bois voisin ; les
soldais qu'il avait amenés d'Allemagne combattirent vaillam-
ment; mais les recrues faites dans les Orcades se débandè-
rent ; avec sa bravoure accoutumée , il essaya, mais en vain,
de les rallier; son cheval fut tué sous lui , et il eût été pris
sur le champ de bataille si son ami, lord Frendraught, ne
lui eût, à l'instant, donné le sien. Ce ne fut plus qu'une dé-
route et un massacre ; dix officiers et plus de trois cents sol-
dats furent tués; parmi les prisonniers, au nombre de plus
de quatre cents , cent Irlandais furent fusillés. Montrose
s'éloigna à toute bride, et dès qu'il fut hors de vue, il sauta
à bas de cheval, jeta son habit, son Saint-George et son
cordon de la Jarretière, prit les vêtements d'un paysan, et
s'enfonça à travers champs, cherchant un asile. Il erra
quinze jours dans les montagnes des comtés de Ross et de
Sutherland, tantôt accueilli avec ferveur, tantôt repoussé
avec effroi, souvent exténué de fatigue et de faim, ets'ef-
forçant de gagner la côte. Le 3 mai , soit malheur, soit tra-
hison, il fut découvert et arrêté dans une chaumière, sur
les terres de Neil Macleod, seigneur d'Assynt, jadis l'un de
ses partisans, qui le livra, pour quatre cenls balles de farine,
au parlement écossais: et on le conduisit delà dans les
châteaux de Skibo et de Braan, où arriva l'ordre de le trans-
férer immédiatement à Edimbourg '.
Il était dans la pire des situations ; il avait contre lui le
gouvernement et le peuple, les haines profondes de ses
rivaux et les colères brutales de la multitude. Elles s'uni-
rent sur sa route pour l'outrager, sans réussir un moment
à l'abattre. II soutint avec la même force d'âme les injures
I Wishart, p. 572-377; — Balfour, Annals of Scotland, t. 111, p. 432;
t. IV, p. 8-12;— Browne, Ifisl ofllic Highlands, t. Il, p. 30-36; — Malcolm
Laing, Hist. of Scotland, 1. 111, p. 442-444.
DE MONTROSE (avril-mai 16S0). 93
de ses ennemis et les adieux de ses enfants qu'il vit en pas-
sant chez son beau-père, le comte de Soulhesk.Les marques
de sympathie ne lui manquèrent pas absolument: au château
de la Grange, où il logea avec son escorte peu avant d'ar-
river à Dundee, la dame du château fit, pendant la nuit,
pour le faire évader, une tentative qui fut sur le point de
réussir; et à Dundee même qui, en 1645, avait eu à souf-
frir de ses armes, les habitants, loin de le maltraiter, lui
témoignèrent un grand respect , et obtinrent , à force
d'instances, de ses gardes la permission de lui donner des
habits convenables, en rem lacement des vélemenls gros-
siers sous lesquels il avait été arrêté et que, par insulte, on
l'avait jusque-là contraint de garder '.
II arriva le i7 mai à Leilh, près d'Edimbourg. Le Parle-
ment se réunit le même jour et vota que « James Graham,
tête nue et lié par une corde sur une charrette, serait con-
duit par le bourreau, en costume et le chapeau sur la tète,
depuis la porte dite Water Gaie jusqu'à la prison d'Edim-
bourg, et amené de là à la barre du Parlement pour y
recevoir à genoux sa sentence de mort; qu'il serait pendu
à un gibet, à la croix d'Edimbourg, avec le livre qui con-
tenait l'histoire de ses guerres et sa récente déclaration
suspendus à son cou; et qu'après être resté pendu durant
trois heures, son corps serait mis en quartiers par le bour-
reau, sa tête plantée sur une pique et placée sur la tour à
l'extrémité de la prison, ses mains et ses jambes sur les
portes de Perth et de Stirling, d'Aberdcen et de Glascow;
que si, à sa mort, il montrait quelques signes de repcn-
tance et pouvait être ainsi relevé de l'excommunication pro-
noncée contre lui par l'Église, le tronc de son corps serait
enseveli par les fossoyeurs, dans le cimetière de Gray-
» Wisharl, p. 379-382.
U PROCES
Friars ; sinon, il serait enterré au lieu ordinaire des exécu-
tions, sous l'cchafaud, pjir les valets du bourreau ^ » Les
mœurs de ce temps étaient encore assez dures pour que la
haine des ennemis prît plaisir à un tel spectacle, et que les
spectateurs indifférents en fussent plus intimidés que ré-
voltés.
Le lendemain, en effet, à quatre heures après midi,
Montrose fut conduit, sur un vieux cheval ércinté, de Lcith
à la porte d'Edimbourg, où les magistrats municipaux le
reçurent en robes, escortés de leur garde et du bourreau.
On lui remit une copie de la sentence. 11 la lut et la rendit
en disant : « Je suis prêt; je regrette seulement que la ma-
jesté du roi, que je représente, soit si indignement traitée
dans ma personne. » On se mit en marche : Montrose
n'ôtait pas son chapeau , le bourreau le lui abattit ; trente-
quatre de ses officiers, ses compagnons de captivité, mar-
chaient, liés deux à deux, devant la charrette. Sur toute
la route, une grande foule était réunie, venue avec le des-
sein d'assaillir iMontrose de ses outrages; mais la fermeté
tranquille de son maintien, la gravité de ses regards. Tin-
domptable courage qui éclatait en lui, frappèrent si vive-
ment ce peuple que les outrages s'arrêtèrent, le silence
s'établit autour du cortège, et fut même interrompu çà et
là par des signes de compassion et par des prières en faveur
de rillustre prisonnier. Comme le cortège passait devant la
maison du comte de Moray, la charrette s'arrêta un mo-
ment; quelques personnes levèrent la tète; elles purent
apercevoir derrière Une fenêtre enlr'ouvertc le marquis
d'Argyle avec sa famille et plusieurs de ses amis ; il avait
voulu repaître ses yeux de l'abaissement de cet ennemi
devant lequel il avait fui cinq ans auparavant 2. Quoique la
' Bnlfour, Aiwals of Scollaml, I. IV, p. 12, 13.
* Ce fait est coufirmc par une lettre de Tagcnt français Graymond, au
DE MONTROSE (mai ICSO). 9S
distance fût à peine d'une demi-lieue, on mit trois heures
pour aller de la porte de la ville à la prison ; en descen-
dant de charrette, Montrose donna quelque argent au bour-
reau, pour avoir si bien conduit, dit-il, « son char de
triomphe. » Le Parlement était en séance ; cinq commis-
saires vinrent à la prison demander <: à James Graham s'il
avait quelque chose à dire en attendant qu'il fût amené
devant la Chambre pour recevoir sa sentence? » Le Parle-
ment attendait leur retour; ils rapportèrent que Montrose
avait refusé de répondre jusqu'à ce qu'il sût où en était le
Parlement avec le roi, et s'il avait conclu avec lui quelque
arrangement. Sept commissaires lui furent aussitôt ren-
voyés pour l'interroger, en lui disant qu'un arrangement
avait été conclu avec le roi qui était sur le point de venir
en Ecosse. Un peu ému sans doute de cette nouvelle, Mont-
rose s'excusa de répondre, disant que son voyage avait été
long, et qu'après la réception cérémonieuse et un peu fati-
gante qu'on venait de lui faire, il avait besoin de quehpie
repos \
Quand il fut conduit le surlendemain à la barre du Par-
lement, il se donna le plaisir de suivre son naturel et de
paraître devant ses ennemis avec éclat. Il portait un riche
vêtement de soie noire couvert de broderies en argent, et
par-dessus un manteau éearlate orné aussi de galons d'ar-
gent et bordé de taffetas cramoisi. Un chapeau de castor
avec un large rebord en argent couvrait sa tète. Amené h
la place un peu élevée où se tenaient les criminels, il pro-
cardinal Mazarin, dalcc crF.Jimhoiirg le 31 mai iC50: « riusieurs prirent
garde, et en ont bien discouru depuis, tju'uu fil lialle vis-îi-vis la maison du
comte de Moray, où esloit entre autres M. le marquis d'Argyle, qui considé-
roit son ennemi par une fencslrc enlr'oiiverte. » {Archives des A/fuins
clrangvres de France.)
1 Wisharl, p. 3»3-38Gi — Ballour, I. IV, p. H.
m PROCES ET EXECUTION
mena ses regards autour de lui, le visage pâle et fatigué,
mais plein d'une fermeté vraie, quoique préparée. Le chan-
celier, lord Loudon, lui adressa un discours long et amer
qui concluait en disant : « Qu'à raison des meurtres, des
trahisons et des impiétés en si grand nombre dont il s'était
rendu coupable, Dieu le condamnait maintenant à subir
un juste châtiment, n Montrose obtint, non sans peine, la
permission de dire quelques mots pour sa défense ; il le fit
avec une fierté mesurée et qui n'était pas sans adresse,
comme s'il eût attendu de ses paroles quelque résultat ; « Il
considérait, dit-il, le Parlement comme siégeant sous l'au-
torité du roi; c'est pourquoi il paraissait devant eux avec
le respect convenable et en se découvrant, comme il venait
de le faire, ce qu'autrement il n'eût pas fait de plein gré. »
Il se défendit des cruautés qu'on lui avait reprochées pen-
dant la guerre, disant : « Qu'il n'était pas au pouvoir des
plus grands généraux de prévenir, dans leurs armées, tous
les désordres, qu'il y avait toujours fait tous ses efforts, et
qu'il n'avait jamais versé le sang, même de ses plus acharnés
ennemis, ailleurs que sur le champ de bataille..... Je vous
demande à vous tous ici assemblés, dit-il en finissant,
d'écarter toute prévention, toute animosité particulière,
tout désir de vengeance, de ne tenir compte, dans ma
cause, que de la justice, et de voir en moi un sujet obéis-
sant qui a fidèlement exécuté les ordres de son souverain.
J'ai pu, quand j'avais l'autorité, détruire la vie et la for-
tune de plusieurs d'entre vous ; je vous les ai conservées.
Jugez-moi selon les lois de Dieu, les lois de la nature et des
nations, surtout selon les lois du pays. Si vous ne le faites
pas, j'en appellerai au juste Juge du monde, à celui qui nous
jugera tous à la fin, et qui prononcera la vraie sentence. i>
Le chancelier lui répliqua avec colère et invectives. Mont-
rose essaya de reprendre la parole. On la lui interdit, en
DE MONTROSE (21 mai 16K0). 97
lui ordonnant de se mettre à genoux pour entendre sa sen-
tence : <( Je le fais, dit-il, pour rendre honneur au roi mon
maître, et non au Parlement. » L'exécution fut fixée au len-
demain *.
Dans la soirée, les ministres presbytériens et les magis-
trats d'Edimbourg assiégèrent Montrose de leur présence
pour lui arracher quelque parole qui impliquât la recon-
naissance du droit de leur Église et de leur gouvernement.
Leur insistance acharnée ne fit qu'exalter son âme : « Je
vous remercie, leur dit-il, de l'honneur que vous me faites;
je suis plus fier d'avoir ma tète plantée sur la porte de la
prison que je ne le serais de savoir une statue d'or érigée
pour moi sur la place du marché, ou mon portrait placé
dans la chambre du roi. Vous dispersez mon corps dans les
quatre principales villes du royaume; je voudrais qu'on en
pût envoyer un lambeau dans toutes les villes de la chré-
tienté pour attester ma fidélité à mon roi et à mon pays, n
Il passa la nuit à prier et à faire des vers où il exprima en
termes grands, quoique subtils et contournés, les mêmes
sentiments. Dès le matin du 21 mai, les tambours et les
trompettes retentirent dans toute la ville; il en demanda la
raison au capitaine de sa garde qui lui dit qu'on appelait les
soldats et les bourgeois aux armes parce qu'on craignait
une tentative d'une portion du peuple pour le sauver.
«( Comment donc , dit Montrose , ces bonnes gens , qui
avaient si grand'pcur de moi quand je vivais, en ont-ils
encore peur quand je vais mourir? Qu'ils y prennent garde;
c'est quand je serai mort que j'assiégerai leur conscience et
que je serai bien plus redoutable que de mon vivant. » Il
se mit à sa toilette, qu'il fit avec grand soin : pendant qu'il
s'en occupait, sir Archibald Johnston, l'un de ses plus ar-
* Wisharl, p. 386-392 ; - Balfour, t. IV, p. 16.
98 LES COMMISSAIRES ECOSSAIS
dents ennemis et greffier du parlement, s'étonna avec quelque
dérision que, dans une situation pareille, un homme s'occu-
pât si frivolement de sa personne : « Tant que ma tèle est à
moi, lui dit Montrose, je l'arrange comme il me convient;
demain, quand elle sera à vous, vous en ferez ce qu'il vous
plaira. » Il sliabiila magnifiquement, et jeta sur ses épaules
un beau manteau de velours écarlate, brodé en or, que
venaient de lui envoyer ses amis. En allant de la prison au
lieu de l'exécution, son grand air et sa contenance fière et
calme agirent encore plus puissamment que la veille sur les
spectateurs. Il aida lui-même le bourreau à suspendre à son
cou, selon la sentence, l'histoire de ses guerres et le texte
de sa dernière déclaration : «c Je me tiens, dit-il, pour plus
honoré de ceci que de la jarretière que j'ai reçue de mon
roi. " On ne lui permit pas de s'avancer pour parler au
peuple; il adressa à ses voisins quelques paroles très-persé-
vérantes dans les sentiments de sa vie, mais tranquilles et
pieuses. Il demanda la permission de mettre son chapeau
pour mourir ; on le lui refusa : de garder son manteau; on
le lui refusa également : « Si vous pouvez, dit-il aux magis-
trats assistants, inventer encore quelques marques d'igno-
minie, je suis prêt à les endurer. » On dit qu'après avoir
obéi au signal funèbre, le bourreau lui-même pleura, qu'un
murmure douloureux s'éleva au sein de la foule, et qu'Ar-
gylc, en entendant les détails de cette grande mort, se
montra troublé et triste, comme frappé de quelque rogrçt
ou d'un pressentiment de son propre avenir '.
Les commissaires du parlement n'avaient point trompé
Montrose quand ils lui avaient dit qu'ils avaient traité avec
le roi et qu'il était près de revenir au milieu d'eux. Au mo-
1 Wistiarl.p. 392-iOo; - Bftlfoui-, t. IV, p. 22; - Mulcolm Lning, Hist.
of Scollnnd, t. III, p. 441-447, 582.
A BRÉDA (I6S0). 99
ment même où Montrose commençait en Ecosse sa coiirle
ot fatale campagne, Charles recevait à Brëda les commis-
saires écossais et reprenait avec eux la discussion de leurs
dures propositions. 11 y eut, autour de lui, à ce sujel, de
vils dissentiments : ses plus sensés et plus honnêtes con-
seillers Texhorlaient à ne pas subir un tel joug; ils voulu-
rent s'appuyer de l'autorité de Hydc en qui Charles avait
confiance et qu'il venait d'envoyer en ambassade à Madrid :
« Si le roi se met entre les mains des Écossais, répondit
Hydc au sccrélaire d'État Nicholas, on ne pourra pas les
accuser de l'avoir trompé, car certainement ils ne le traite-
ront pas plus mal qu'ils ne le promettent en demandant
tout ce qu'ils lui demandent. Je voudrais que les personnes
qui engagent le roi à y consentir agissent aussi rrauchc-
ment, et qu'elles dissent nettement au roi qu'il doit jurer
le eovcuant et l'imposer à tout le monde, et que tous de-
vront l'observer. Mais dire que le roi doit se mettre entre
les mains des Écossais dans l'espoir qu'il sera dispensé de
jurer le covenant, et qu'il pourra en dispenser ses amis, ou
que, lui et nous, nous devons prêter ce serment et le violer
ensuite comme i! nous ))laira , c'est là une folie et un
athéisme dont nous devrions rougir d'avoir la pensée. Ah !
M. le secrétaire, si j'étais maintenant à Bréda, je m'enfui-
rais aux Indes plutôt que de m'engagcr dans de tels con-
seils \ 1)
Tant qu'il y eut quchpie incertitude sur l'issue de l'ex-
pédition de Montrose, Charles hésita; son bon sens et sa
dignité le rangeaient à l'avis de Hyde; mais lors(|u'on sut, à
Bréda, Montrose battu, fugitif et bientôt prisonnier, les
conseillers légers et de peu de foi remportèrent ; ils avaient
' C]arcndon, Slalc-Fapers, (. IIF, p. li; —Carie, Ormond's Leltcn, I. I,
p. 573j — Clarcndon, liât, ofllie Rébellion, 1. xii, c. 120-127.
100 CHARLES II VA EN ECOSSE (juin 1680).
pour eux la reine mère, le prince d'Orange et cette impa-
tience de l'attente immobile qui est la maladie de l'exil. Les
amis de Hyde ne prirent point de part à la délibération du
conseil, et Charles consentit à tout. Il promit de jui'er le
covenant écossais, de désavouer et d'annuler toute paix con-
clue avec les Irlandais, de ne jamais permettre le libre
exercice de la religion catholique en Irlande, ni dans au-
cune partie de ses États, de reconnaître l'autorité des parle-
ments tenus en Ecosse depuis l'origine de la guerre, enfin
de gouverner, dans les choses civiles, d'après l'avis du Par-
lement, et dans les choses religieuses, d'après celui de
l'Église. Et pour donner à ses promesses la sanction d'un
mensonge éclatant, il écrivit au Parlement qu'ayant défendu
à Montrose de s'engager dans son expédition, il ne pouvait
regretter la défaite d'un homme qui avait osé agir contre
son autorité '.
On dit que Charles espérait sauver par là la vie de Mont-
rose, et que, lorsqu'il aj)prit son exécution, il fut sur le
point de tout rompre. On dit aussi qu'à Edimbourg, quand
l'expédition de Montrose éclata, le parti violent voulait
rappeler deBréda les commissaires du Parlement, et cesser,
avec Charles, toute négociation, et que le prompt supplice
de Montrose fut la satisfaction que les modérés donnèrent
aux fanatiques pour que ceux-ci continuassent de se prêter
au retour du roi. Aucune trace positive n'est restée de ces
capitulations mutuelles ; les partis ont, comme les con-
sciences, des secrets honteux qu'ils emploient tout leur art
à couvrir. Quoi qu'il en soit, on s'en tint, de part et d'au-
tre, aux faits accomplis; les commissaires écossais se décla-
rèrent satisfaits des promesses du roi ; Charles accepta le
» Clarendon, SlatePapers, t. lll, p. 14-19; — Balfour, t. IV, p. 24,
25; — Lingitrd, Hist. of Englund, t. XI, p. 43; - Thurloe, Slale-Papers,
t. I, p. 147.
CROMWELL REVIENT D'IRLANDE (juin 1650). 101
supplice de Montrose comme il avait accepté sa propre hu-
miliation; et le 2 juin 1650, il s'embarqua à Terveere pour
l'Ecosse, sur une flottille que le prince d'Orange mit à sa
disposition '.
Il arriva, trois semaines après, sur les côtes d'Ecosse;
mais avant de lui laisser mettre pied à terre, on vint le
sommer de signer le covenant. Les grands seigneurs écos-
sais qui lui avaient conseillé de consentir à tout, Hamilton
et Lauderdale entre autres, se séparèrent de lui pour se
retirer dans leurs terres ; ils étaient de ceux que, dès le
22 mars 1649,1e Parlement presbytérien avait formellement
exclus de toute participation aux affaires publiques; et leur
présence auprès du roi, compromettante pour lui, était,
pour eux, pleine de danger. Deux jours après son débar-
quement, presque tous les Anglais qui avaient accompagné
Charles furent expressément renvoyés du royaume ; le duc
de Buckingham, lord Wilmot et quelques autres de sa mai-
son, les plus frivoles ou les plus hypocrites, furent seuls
autorisés à rester auprès de lui. Le Parlement avait minu-
tieusement réglé d'avance la route qu'il suivrait pour se
rendre dans son palais de Falkland, à quelques lieues
d'Edimbourg, et il y fut conduit avec de grandes marques
de respect, mais étroitement entouré et surveillé ^.
Au même moment, Cromwell, obéissant enfin au Parle-
ment, revenait d'Irlande en Angleterre, salué, en débar-
quant à Bristol, par le concours et les vivat de la ville
entière. Dès qu'on le sut près de Londres, Fairfax et la plu-
part des officiers de l'armée et des membres du Parlement
' Malcolm Laing, Hist. of Scotland, t. III, p. 449; — Clarendon, Sla(c-
Papers,l. III, p. 22.
* Godwin, Hisl. of tke Commonwealth, t. III, p. 206; — CInrendon, Hisl.
of Ihe Rébellion, 1. xiii, c. 2-i; — Malcolm Laing, Hist. ofScolland, t. IM.
p. ioO.
3
102 CONFÉRENCE AVEC FAIRFAX
allèrent à sa rencontre jusqu'à Hounslow-Heath; il trouva
à Hyde-Park le lord maire et la milice qui rattcndaicnt; et
de là jusqu'au palais de Saint-James, où il devait loger, ce
fut, selon l'expression des journaux du temps, un vaste tu-
multe de salutations, de félicitations, de décharges d'artil-
lerie et d'acclamations humaines. « Quelle foule pour voir
le triomphe de Votre Seigneurie! " dit à Cronîwell l'un des
assistants; à quoi Cromwell répondit avec son libre et bru-
tal bon sens : « H y en aurait bien davantage pour me voir
pendre '. >
Dès qu'on avait eu connaissance à Londres de l'expédition
de Montrose dans la haute Ecosse, et de l'arrangement
conclu à Bréda entre Charles II et les commissaires écos-
sais, le Parlement avait sur-le-champ donné au conseil
d'État tout pouvoir pour repousser toute invasion, et voté
une notable augmentation de l'armée. Dès que Cromwell fut
de retour d'Irlande, Fairfax et lui furent nommés, l'un
comme général en chef, l'autre comme lieutenant général,
pour commander ce qu'on appela vaguement *• l'expédition
du Nord. » Ils acceptèrent tous les deux. Mais peu de jours
après, le conseil d'État ayant décidé qu'au lieu d'attendre
que les Écossais envahissent l'Angleterre, l'armée anglaise
prendrait l'initiative et porterait la guerre en Ecosse, Fair-
fax témoigna des scrupules à se charger d'un tel comman-
dement. Sa femme, presbytérienne zélée, et les ministres
qui l'entouraient, avaient, dit-on , dans ses irrésolutions,
une grande part; peut-être aussi Fairfax commençait-il à
s'apercevoir que les républicains et Cromwell s'étaient servis
et voulaient encore se servir de lui comme d'un manteau
pour couvrir, et d'un instrument pour accomplir des des-
seins fort éloignés de sa volonté. En tout cas, sa résistance
» Carlylc, CromweU's Lelters, 1. 1, p. 519 ; — Whilelocke, p. 45Z.
SUR LA GUERRK D'ECOSSE (juin 1650). 105
était, aux yeux du public, un embarras grave, qu'on ne
pouvait traiter légcreracnt et qu'il fallait s'efforcer de sur-
monter. Cinq eoinmissaires, Cromwcll, Lambert, Harrison,
Saint-John et Wliitelocke, furent charges par le conseil
d'Etat de se rendre auprès de lui pour débattre et lever ses
objections : « Nous avons ordre, lui dit Croniwell, de faire
tous nos efforts pour donner satisfaction à V. E. sur tous
les doutes qui peuvent s'être élevés dans son esprit rela-
tivement à cette résolution du conseil ])our rexj)édilion
d'Ecosse; V. E. aurait-elle la bonté de nous faire connaître
les motifs de sa réprobation? »
Faujfax. « Je le ferai très-librement. Je suis fort aise
d'avoir l'occasion d'en conférer avec ce comité où je vois
tant d'hommes qui sont mes amis particuliers, aussi bien
que de la République; je n'ai pas besoin de vous faire, à
vous ni à aucun de ceux qui me connaissent, aucune pro-
testation de mon dévouement et de mon affection persévé-
rante pour le Parlement, et de ma disposition à le servir
dans tout ce que me permettra ma conscience. »
Harrison. « On ne peut demander ni attendre plus de
V.E. n
« Fairfax. Permettez-moi donc, niilords, de vous dire
en toute franchise (ju'à mon avis il est douteux que nous
ayons un juste motif de faire une invasion en Ecosse; nous
sommes liés envers les Écossais par le coveuant et l'alliance
nationale; et maintenant, en dépit de ce coveuant, el sans
cause suffisante fournie par eux, envahir leur pays et y
poiter la guerre, c'est ce qu'il ne me paraît pas possihlc de
justifier devant Dieu ni devant les homn)es. »
Cromwell. « Je reconnais, milord, que, s'ils ne nous ont
pas donné de raison de les envahir, nous ne saurions être
justifiés de le faire. Mais, milord, ils nous ont envahis,
comme V. S. le sait bien, depuis la signature et malgré
10^ CONFERENCE AVEC FAIRFAX
les dispositions du covenant national, quand le duc de
Hamilton, par ordre du parlement d'Ecosse, est venu
porter chez nous la guerre ; et maintenant ils ne nous don-
nent que trop de motifs de soupçonner qu'ils méditent une
seconde invasion, de concert avec leur roi avec qui ils vien-
nent de s'arranger, à l'insu et sans le consentement de cette
république; c'est pour cela qu'ils lèvent des hommes et de
l'argent; je le soumets humblement au jugement de V. E.;
ne sont-ce pas là des motifs suftîsants de prévenir leur
hostilité et de préserver notre pays des souffrances que
lui apporterait une armée d'Écossais? Qu'il y ait bientôt une
guerre entre eux et nous, je regarde cela comme inévitable;
c'est à V. E. à décider s'il vaut mieux que cette guerre soit
chez nous ou chez eux. »
Faiufax. «c II est probable que la guerre aura lieu; mais
que nous devions commencer cette guerre et être les agres-
seurs au lieu de nous tenir sur la défensive, c'est là mon scru-
pule. Le duc de Hamilton nous a envahis, il est vrai, il y a
trois ans, par l'ordre du Parlement qui siégeait alors en
Ecosse ; mais le Parlement suivant a désavoué cet acte et puni
quelques-uns de ses fauteurs. Si nous étions certains qu'ils
vont entrer en Angleterre avec leur armée, je conviens qu'il
serait prudent de les prévenir; mais nous n'avons pas cette
certitude. »
Harrison. <i Je vous demande pardon ; mais en vérité il
ne saurait y avoir plus de probabilité humaine sur les des-
seins d'un État que nous n'en avons sur leur intention d'en-
vahir notre pays. »
Fairfax. « Des probabilités humaines ne suffisent pas
pour faire la guerre à une nation voisine envers qui on est
lié par un traité. Chacun, en ceci, doit se décider selon sa
conscience; ceux qui sont convaincus de la justice de cette
guerre peuvent s'y engager ; ceux qui ont des doutes à cet
SUR LA GUERRE D'ECOSSE (juin 16!)0). lOS
égard, comme j'en ai, je l'avoue, ne sauraient y prendre de
service. Certainement tout ce qu'on vient de dire a beau-
coup de poids, et personne n'a plus d'autorité sur moi que
ce comité, de même que personne n'est plus disposé que
moi à servir le Parlement dans toutes les occasions où ma
conscience sera satisfaite. Elle ne l'est pas dans celle-ci.
Mais comme je ne veux pas être un obstacle aux desseins du
Parlement, je lui remettrai volontiers ma commission, afin
qu'il puisse choisir un chef plus digne que moi et qui puisse
entreprendre en conscience cette affaire dont je demande à
être dispensé. «
Cromwell. h Je suis désolé que V. S. ait l'idée de re-
mettre sa commission qui lui a fourni, avec la grâce de
Dieu, l'occasion de rendre au Parlement tant d'éminents
services. Je vous en prie, milord, rappelez-vous vos fidèles
officiers, nous tous qui avons servi sous vous et qui ne dé-
sirons servir sous aucun autre général. Ce serait un grand
découragement pour nous tous, et un grand péril pour les
affaires du Parlement que notre noble général pensât à re-
mettre sa commission. J'espère, milord, que V. S. ne don-
nera pas tant d'avantage aux ennemis publics, ni tant de
tristesse à ses amis. »
« Fairfax. Que voulez-vous que je fasse? Tant que ma
conscience me le permettra, je suis prêt à m'unir encore à
vous pour le service du Parlement; mais aucun de vous,
j'en suis sûr, ne voudrait s'engager dans aucun service con-
tre sa conscience; c'est ma situation aujourd'hui, je demande
donc à être excusé '. :>
Les commissaires rendirent aussitôt compte au conseil
d'État de cette conférence. « Le lieutenant général, dit
Ludlow, joua son rôle tellement au naturel que je crus qu'il
» Whilclockc, p. 4C0-4C2 ; - l'arl. IJisl., l. XIX, |). 2G6.
m CR03[\VELL COMMANDE
agissait tout de bon; cela m'obligea d'aller à lui comme il
sortait de la chambre du conseil, pour le prier de ne point
pousser les égards et la modestie jusqu'à un refus qui nui-
rait au service de la nation ; mais la suite fit bien voir que
ce n'était nullement son intention. » Dès le surlendemain,
"Whitelocke et lord Pembroke firent à la Chambre leur rap-
port, et sur le fond même de la question de l'invasion en
Ecosse, et sur ce qui s'élait passé entre le conseil d'État et
Fairfax. La Chambre vota, sans contradicfion, qu'il clait
juste et nécessaire que l'armée anglaise entrât en Ecosse, et
que, sans délai, elle serait mise en mouvement. Une décla-
ration fut lue et adoptée pour justifier cette résolution. Le
greffier informa la Chambre que M. Rushworth, secrétaire
du lord général, était à la porte. On le fit entrer. Il dit que
le lord général lui avait enjoint de remettre, de sa part, au
Parlement la dernière commission qu'il en avait reçue pour
la guerre d'Ecosse, et même son ancienne commission de
général en chef, si le Parlement le lui ordonnait. L'ordre
fut donné aussitôt et tout commandement militaire retiré à
Fairfax. C'était la rupture de la République avec le seul des
chefs presbytériens qui l'eût servie. Cromwell fut immé-
diatement nommé général en chef de toutes les forces d'An-
gleterre. Trois jours après, il avait quitté Londres pour
aller rejoindre son armée, et trois semaines après, le
22 juillet 4G50, il passait la Tweed et entrait en Ecosse à
la tête d'environ quinze mille hommes. En mettant le pied
sur le sol écossais, il harangua ses troupes : «i Comme chré-
tien et comme soldat, voici ce (}ue je vous recommande :
soyez doublement et triplement diligents, prudents et sages,
car certainement nous avons de l'ouvrage devant les mains.
Mais n'avons-nous pas eu jusqu'ici les bénédictions de Dieu?
Marchons dans la foi et espérons encore la même faveur* . »
1 Mémoires de Ludloto, t. II, p. 44, dans ma Collection,- — Journals of
L'EXPÉDITION D'ECOSSE (juin 16tiO). 107
Sil eût bien connu ce qui se passait dans les conseils de
l'Ecosse et dans leurs relations avec le roi qu'ils venaient de
rappeler, Cromwell eût pris, à coup sûr, pleine confiance
dans son succès. Ni les respects publics ni la pompe royale
ne manquaient à la situation de Cbarles : on avait vole
9,000 liv. st. (225,000 fr.) par mois pour l'entretien de sa
maison ; on l'avait entouré de nombreux serviteurs. En l'ab-
sence du Parlement qui s'était ajourné, les membres du co-
mité intermédiaire, dit comité des États, rendaient au roi,
le marquis d'Argyle à leur tète, des hommages assidus.
Argyle était un coiirlisan consommé, soigneux d'observer
toutes les convenances et de saisir toutes les petites occa-
sions de plaire au roi. 11 faisait faire en même temps pour la
guerre de grands préparatifs ; le Parlement avait prescrit
des levées qui devaient donner à l'Ecosse une armée de
trente mille hommes; un général expérimenté, David Les-
ley, la commandait; des fortifications s'élevaient autour de
la capitale. Mais ces apparences monarchiques et zélées cou-
vraient mal la nullité forcée du roi et l'incohérence des
idées comme des actes du parti qui voulait à la fois le sou-
tenir et récarter. Charles n'assistait point au conseil où se
traitaient les affaires, et quand il essayait d'en entretenir
sérieusement Argyle, celui-ci éludait respectueusement la
conversation ; les théologiens en revanche assiégeaient le
jf^une prince que les politiques s'appliquaient à annuler; les
observances, les remontrances, les sermons remplissaient les
loisirs qu'on lui imposait; et quelque effort qu'il fît sur lui-
même pour être hypocrite, il passait toujours, et à bon
droit, pour un libertin. Quoique presbytériens avant tout,
les Ecossais étaient sincèrement royalistes, et Charles, peu
enclin aux illusions, savait parfaitement que, hors d'Ecosse,
ihe HoHse of cnmmons, t. VI, p.-iôl-iS^; — Godwin, Ilisl. ofllic Commun-
weallh, I. m, p. 2'22; — Carlyle, CromivtU's Lelters, t. Il, p. 12.
108 SITUATION DE CHARLES II
il n'y avait pour lui ni royaume, ni armée; mais de part et
d'autre, la méfiance et la déplaisance étaient profondes, et
bien qu'ils se fussent mutuellement nécessaires, ils diffé-
raient trop pour se comprendre et s'unir '.
Quand on sut que Cromweli avait franchi la frontière, on
ne crut pas pouvoir se dispenser de montrer le roi à l'ar-
mée écossaise. Il vint au camp, près de Leith, et les troupes
le reçurent avec une joie qui fut bientôt suspecte aux pré-
dicateurs ardents et aux politiques jaloux. Charles était gai,
spirituel, afTable : sa présence produisit dans le camp un
vif mouvement de conversation libre et de dévouement à sa
personne, et probabrement quelques symptômes d'indisci-
pline et de mauvais vouloir contre ses surveillants. Les
fanatiques saisirent avec empressement l'occasion ; ils se
récrièrent contre la composition de l'armée qui contenait,
dirent-ils, beaucoup de malintentionnés, d'anciens amis du
duc de Hamilton, des royalistes épiscopaux ou libertins.
Une épuration fut ordonnée ; quatre-vingts officiers furent
renvoyés, et même, selon d'autres témoignages, plusieurs
milliers de soldats. Le roi n'eut pas la permission de sé-
journer plus longtemps au camp ; on l'emmena en toute
hâte à Perlh, plus loin quil n'était auparavant. Ce fut en-
core trop peu pour calmer les alarmes ou satisfaire la
passion des fanatiques ; ils voulurent dompter cl compro-
mettre Charles avec plus d'éclat. Ils lui demandèrent de
signer une déclaration expiatoire, dans laquelle il reconnaî-
trait et déplorerait formellement les torts du roi son père,
l'idolâtrie de la reine sa mère, son propre péché dans le
traité qu'il avait conclu avec les rebelles irlandais, et où il
lenouvellerait, contre le papisme et l'hérésie, et en faveur
^ Clarcndon, Hisl. oflhe Rébellion, I. xiii, c. 1-7; — Wtiilelocke, p. iè'2;
■ Malcolm Laing, Hist. ofScollanU, t. III, p. 430.
EN ECOSSE. jOf)
des paricincnts libres et du régime presbytérien dans
l'Église, en Angleterre comme en Ecosse, toutes les pro-
testations et les promesses qu'on avait déjà obtenues de
lui \
De premier mouvement, Charles refusa : « Jamais, dit-
il, je ne pourrais regarder ma mère en face si je signais
une telle pièce. » Puis il demanda du temps pour prendre
l'avis du conseil. Les fanatiques refusèrent d'attendre. Le
comité des États et celui de l'Église déclarèrent qu'ils n'en-
tendaient point s'unir à un parti de malintentionnés, que la
cause du roi était subordonnée à celle de Dieu, et qu'ils
voulaient se laver du reproche de soutenir le roi actuel dans
les procédés et les fautes de son père. La plupart des ofli-
ciers de l'armée envoyèrent au comité des États leur adhé-
sion à cette déclaration. Quelques-uns même, entre autres
le colonel Strachan, le vainqueur de Montrose, curent, à ce
sujet, avec l'armée anglaise et Cromwell, des communica-
tions secrètes dont les royalistes purent , à bon droit ,
s'alarmer. Des ministres dirent en chaire que le roi était la
racine du mauvais parti, et qu'il avait juré le covenant sans
intention de tenir son serment. Les réticences politiques ne
supportent pas le contact des passions sincères. Charles inti-
midé céda et signa la déclaration expiatoire. Ravis de leur
triomphe, les fanatiques, et le peuple et Tarmée avec eux,
célébrèrent, en l'honneur de celte expiation, un jeûne
solennel; et plus d'un prédicateur assura son auditoire que,
« maintenant que la colère du ciel était apaisée, on rem-
porterait une victoire facile sur un général blasphémateur
et sur une armée de sectaires ^. »
' (Jodwin, Hisl. of ihc Commonwealth, l. III, p. 22C ; — Clarcmlon, Flisl.
oflhc Hcbell., 1. XIII, C.20; — Brodie, Ilisl. of llic lirilish Empire, l. IV,
p. 280; — Baillic, Lcllcm, t. Il, p. 1^47.
» Malcolra Laing, Hint. of Scolland, \. \\\, p. 4Î54-457 ; — Wliiteioïkc,
nÉPDBLIQUE D'ANGLKTERr.E. 1. 10
UO SITUATION DE
Peu de jours après cette humiliation, Charles donnait
audience au docteur King, doyen de Tuani, qui retournait
en Irlande auprès du marquis d'Oruiond : « Monsieur King,
lui dit-il, j'ai honne opinion de vous; je n'hésite donc pas
à vous donner l'assurance que, si la nécessité de mes affaires
m'oblige à d'autres apparences, je n'en suis pas moins un
fidèle enfant de TÉglise d'Angleterre et que je reste ferme
dans mes premiers principes. M. King, je suis un vrai Cava-
lier. Vous allez en Irlande; milord d'Ormond est l'homme
du monde sur qui je compte le plus. Je crains bien d^avoir
été forcé de faire certaines choses qui lui seront nuisibles.
Vous avez entendu dire comment on m'a extorqué une dé-
claration, et comment j'aurais été traité si je ne l'avais pas
signée. Mais ce qui concerne l'Irlande n'est pas obligatoire,
car je ne puis rien faire, quant à ce royaume, sans l'avis de
mon conseil irlandais ; ce que j'ai fait n'est donc rien ; je
n'en crains pas moins que cela ne nuise à milord d'Ormond
et à mes amis autour de lui. Si vous pouvez lui donner
satisfaction sjir ce que j'ai été contraint de faire à cet égard,
vous me rendrez un vrai service. Et dites-lui que je regarde,
non-seulement comme faute, mais comme un malheur, de
n'être pas allé en Irlande quand il m'y a appelé K »
Cromwcîl n'ignorait rien de ces dissensions du gouverne-
ment écossais; mais il se trouva bientôt lui-même, avec son
armée, dans une situation si difficile qu'il fut plus occupé
d'échapper à ses propres périls que d'exploiter les faiblesses
de ses ennemis. A mesure qu'il avançait sur le territoire
dÉcosse, entre la frontière et Edimbourg, la population se
retirait devant lui avec ses bestiaux, ses provisions, ses meu-
p. 468-469 ; — Carlyle, CromwcU's Lcllcrs, l. II, p. 26 ; — Lingard, IJisl. of
England, t. XI, p. 49-51 ;— Drodic, Hist. of the Brilish Empire, t. IV, p. 281-
284 ; - Diirnct, ///*/. Je mon temps, 1. 1, p. 1 19-120, dans ma Collection.
1 Carie, OrmonU's Lellcrs, t. I, p. 591.
CROMWELL EN ECOSSE (1650). II l
blcs , laissant à peine dans les villages quelques vieilles
femmes qui refusaient même de cuire du pain ou de brasser
de la bière pour les Anglais. C'était le fruit des ordres de
Lesley et des prédications des ministres presbytériens qui
ne cessaient de tonner contre les sectaires étrangers, annon-
çant qu'ils massacreraient fous les habitants entre seize et
soixante ans, qu'ils couperaient la main droite à tous les
jeunes gens entre six et seize ans, qu'ils brûleraient les seins
des femmes et détruiraient tout sur leur passage. En vain
Cromwell avait publié et faisait répandre sur la route deux
proclamations adressées, l'une «au peuple d'Ecosse, » l'au-
tre «1 à tous les saints qui partagent la foi des élus de Dieu, »
et destinées, l'une à dissiper les terreurs, l'autre à satisfaire
les passions pieuses de la population; en vain il maintenait
dans son armée la plus stricte discipline, et renvoyait à
Edimbourg dans sa propre voiture, pour démentir le renom
de dureté farouche qu'on voulait lui faire, quelques officiers
écossais jtris dans une rencontre : le mouvement d'elfroi et
d'antipathie subsistait et se propageait toujours. Cromwell
ne pouvait nourrir ses troupes qu'en se tenant près des côtes
et avec les vivres qui lui arrivaient par mer d'Angleterre.
Quoiqu'on fût au mois d'août, la saison était mauvaise, les
pluies continuelles; Us maladies s'établissaient dans l'armée
anglaise. Le général écossais tenait la sienne enfermée dans
ses retranchements, entre Edimbourg et Leith, évidemment
décidé à se contenter de couvrir la capitale et à éviter toute
grande action, laissant les Anglais se consuuicr dans la soli-
tude des campagnes et la disette de leur camp. Plusieurs
fois Cromwell tenta d'attirer Lesley hors de ses lignes et
d'en venir aux mains; il s'engageait (piclqucfois si avant,
de sa personne, dans ces escarmouches, qu'un soldat écos-
sais le reconnaissant et ayant tiré sur lui, Cromwell lui cria :
.( Si tu étais des miens, je le ferais casser pour avoir lire de
112 MOUVEMENT DE RETRAITE
si loin. )) Toutes ces tentatives n'aboutirent à aucun résul-
tat ; Lesley restait ou rentrait toujours dans ses lignes. <i Ils
espèrent, écrivait Cromwcll à Bradshaw, de Mnsselburgh,
le 50 juillet, que nous mourrons de faim faute de vivres, ce
qui arrivera très-probablement si nous ne sommes pas
aj)provisionnés avec abondance et à temps '. "
La situation devint si pressante qu'à tout prix Cromwcll
résolut d'en sortir : il fut décidé dans un conseil de guerre
que l'armée se retirerait sur Dunbar pour y allcndre des
vivres et des renforts, et de là, le long de la côte, sur la
frontière d'Angleterre, si les renforts n'arrivaient pas. Dès
le lendemain, cinq cents malades furent embarqués à Mus-
sclburgh, et on se mil en marche. Lesley sortit aussitôt de
son camp, et suivit de près l'armée anglaise, la tracassant et
latlaquant à chaque pas, sans jamais consentira une action
générale. L'une de ces attaques, pendant la nuit, fut si vive
que «t notre cavalerie d'arrière-garde se fût trouvée aux pri-
ses avec toutes les forces écossaises, dit Cromwcll, si la pro-
vidence du Seigneur n'eût étendu sur la lune un nuage qui
permit à nos escadrons de se replier sur le gros de l'armée. »
Les Anglais arrivèrent à Dunbar harassés, et Cromwcll ap-
prit, en y arrivant, que Lesley venait de faire occuper, par
un détachement considérable, le passage ditCockburnspalh,
sur la route entre cette place et la frontière anglaise; défilé
<( si étroit, dit Cromwcll lui-même, que dix hommes y valent
mieux pour arrêter que quarante pour s'ouvrir un chemin.»
Aussi incapable d'illusion que de découragement, Cromwcll
écrivit sur-le-champ à sir Arthur Haslcrig, gouverneur de
Newcaslle : « Nous sommes dans une situation très-difficile.
1 Carlyle, Cromwdl's Letlers, t. Il, p. 14-17, 22; - Wliitelocke, p. 466;
— Pari. Hisl., t. XIX, p. 298-512; — Brodie, Hist. of Ihc Uritish Empire,
l. IV, p. 278, 284-287; — Goihvin, Hist. of thc Commoinvcallh, t. III,
p. 228.
DE CROMWELL (aodt 16S0). il3
L'ennemi a coupe notre route à Cockburnspalli, et nous ne
saurions traverser ce passage presque sans un miracle. Il
occupe autour de nous les collines, si bien que nous ne pou-
vons qu'à grancl'pcine sortir d'ici, et, en y restant, nous
consumons nos soldats, qui tombent malades au delà de ce
qu'on peut imaginer. Je vois bien que vous n'avez pas sous
la main assez de forces pour venir promptement à notre
aide. Quoi qu'il arrive de nous, vous ferez bien de rassem-
bler autant de troupes que vous le pourrez; qu'on vous en-
voie du midi tout ce dont on pourra disposer. Il y va de
l'intérêt de tous les gens de bien. Si vous aviez été en me-
sure de tomber par derrière sur le détachement ennemi qui
occupe Cockburnspalb , vos renforts auraient pu venir jus-
qu'à nous. Mais Dieu seul (st sage et sait ce qui vaut le
mieux. Nous ferons tous pour le mieux. Nos cœurs sont en
bon état , grâce à Dieu, quoique notre situation ne le soit
guère. Nous espérons dans le Seigneur, dont nous avons si
souvent éprouvé la bonté. Mais encore une fois, réuiu'sscz
autant de forces que vous le pourrez. Faites dire à nos amis
du midi de vous en envoyer. Que Henri Vane sache ce que
je vous écris. Je ne voudrais pas que ce fût public, de peur
d'accroître le danger. Vous sauiezquel usngc il convient d'en
faire \ »
Une vive agitation , bien différente, celle de la joie et de
l'orgueil, régnait aussi dans le camp des Kcossais : ils
voyaient se retirer devant eux « cet antechrist, cet arrogant
Cromwell qui avait attiré sur sa tête la malédiction de Dieu
en égorgeant le roi et en violant le covcnant, (jui appelait
ses canons les douze apôtres, et plaçait en eux toute sa con-
fiance. )> Ils le tenaient, lui et son aimée, enfermés entre
> W hilelocke, p 470; — Brodie , Hisl. of Ihe Urilish Empire, l. IV.
p. 284-289 ; — 6Vo»in)f«iVj»ia, p. 87-8!);^ Carte, Ormond's l.cHers, t. !•
p. 380 ; — Carlylc, CromweU's Lctlcrx, I. II, p. 53.
10.
Ui MOUVEMENT DE RETRAITE
leurs montagnes, leur océan et leurs bataillons. Lesley réu-
nit son conseil ; sa propre situation n'était pas exempte de
difficultés; il ne trouvait, sur les collines qu'occupaient ses
troupes, ni eau, ni fourrages; il n'y pouvait qu'à grand'-
peine prolonger son séjour. Il persista pourtant dans son
avis; il fallait, dit-il, continuer à éviter toute action et
pousser de jour en jour l'armée anglaise vers la frontière;
quelle plus grande victoire que de la contraindre à la re-
passer malade, humiliée, vaincue sans combat? Presque tous
les militaires furent du même sentiment. Mais le conseil de
Lesley n'était pas un simple conseil de guerre ; des délégués
du comité des États et de celui de l'Eglise l'accompagnaient ;
beaucoup de minisires, et les plus ardents, vivaient et prê-
chaient dans son camp; ils le taxèrent de mollesse, ils le
sommèrent de ne pas laisser échapper ces ennemis que Dieu'
livrait entre leurs mains, n Ils avaient dis[)osé de nous, dit
Cromwell, et réglé leurs affaires comme il convenait à leurs
sentiments de colère et de vengeance contre nos personnes;
le pauvre pouvoir de l'Angleterre disparaissait devant eux,
et ils croyaient que leur armée et leur roi marcheraient
di'oit à Londres sans obstacles. » Quoique peu convaincu ,
Lesley ne résista pas fortement; il avait sans doute, lui aussi,
ses illusions et ses tentations d'orgueil ; dans une affaire
d'avant-poste, un soldat anglais qui, n'ayant qu'un bras,
s'était fait remai^pier par sa bravoure acharnée, fut pris et
amené devant Lesley qui lui demanda : « Est-ce que votre
armée veut combattre? — Que croyez -vous donc que nous
avons à faire ici? répondit le soldat. Nous ne sommes venus
que pour cela. — Mais comment combattrez-vous? Vous avez
embarqué la moitié de vos hommes et tous vos gros canons.
— Général , ayez seulement la bonté de descendre avec vos
troupes au pied de la colline ; vous y trouverez encore des
hommes et de gros canons. » Lesley, plus touché de la fer-
DE CROMWELL (août IGaO). 115
metc du soldat que de son avertissement, le renvoya libre
et se décida à aller chercher la bataille que jusque-là il
avait évitée avec tant de soin : » Demain, à sept heures du
matin, dit-il à ses officiers, l'armée anglaise sera à nous,
morte ou vive'. »
Le même jour, dans la matinée, Cromwell, perplexe mal-
gré sa fermeté, avait engagé ses plus fidèles amis à se réunir
à lui pour prier et invoquer ensemble, dans leur péril, le
secours de Dieu : « Nous étions, dit-il, bien près de l'en-
nemi, et nous sentions bien les désavantages de noire posi-
tion ; la chair avait bien quelques faiblesses ; nous de-
mandâmes au Seigneur son appui pour notre pauvre foi
chancelante ; et plusieurs d'entre nous se dirent que, préci-
sément à raison du nombre de nos ennemis, à raison de leurs
avantages , de leur confiance , de notre faiblesse , de notre
détresse, nous étions, comme les Israélites, au pied de la
montagne, et que le Seigneur se manifesterait sur la mon-
tagne et nous ouvrirait une voie de délivrance et de salut;
et en effet nous eûmes nos consolations et nos espérances. »
Au sortir de cette réunion , vers quatre heures de l'après-
midi , Cromwell monta à cheval avec Lambert , son major
général, et alla se promener aux environs de Dunbar, dans
le parc de Broxmoulh-House, château du comte de Rox-
burgh. Delà, dirigeant sa lunette vers les positions de l'ar-
mée écossaise, il fut frappé du mouvement qui s'y opérait;
une portion , d'abord de leur cavalerie, puis de leur infan-
terie, se portait de leur aile gauche à leur aile droite, et des-
cendait du haut des collines vers la mer comme pour couper
plus sûrement toute retraite à l'armée anglaise et la combat-
tre dès qu'elle se mettrait en marche. « Le Seigneur les livre
I Brodie, Hist.ofthc Drilish Empire, I. IV, p. 286-292 ;- I-ingard, IJist.
of England, l. XI, p. 52; — Carlylc, CromweU's LeUcrs, t. Il, p. 44, M,
31; — Carie, Omond's LcUcrs, l. I, p. 581-581.
116 BATAILLE DE
entre nos mains ; les voilà qui viennent ! » s'écria Cromwell ;
et faisant remarquer ce mouvement à Lambert, il lui de-
manda s'il n'en recevait pas la même impression. Lambert
fut de son avis ; ils envoyèrent chcrcber Monk qui en fut
également. Le conseil de guerre se réunit ; Cromwell y pro-
posa que, dès le point du jour, l'armée se mît en marche et
allât attaquer les Écossais qui paraissaient décidés à livrer
bataille pour lui disputer partout le passage. Monk l'appuya
énergiquemcnt, s'offrant à marcher le premier, en tête de
l'infanterie d'avant-garde. La résolution fut adoptée, et les
Anglais passèrent la nuit à se préparer sans bruit pour le
combat^.
Une nuit orageuse, et, vers le point du jour, un épais
brouillard le firent commencer un peu plus lard que ne
l'avait projeté Cromwell, et il ne commença pas heureu-
sement pour les Anglais; leur avant-garde de cavalerie
fut vigoureusement reçue et repoussée par l'artillerie et
les lanciers écossais ; les premiers régiments d'infanterie
anglaise rétflblirent l'action, mais sans la décider; la mê-
lée dura quelque temps, aux cris : ]c Seigneur des armées!
parmi les Anglais; le (7oi;e«anf/ parmi les Ecossais. Vers
sept heures, le régiment d'infanterie de Cromwell chargea
brusquement, et sur ce point les Écossais furent ébran-
lés. A ce moment le brouillard se dissipa; le soleil brilla
sur l'Océan et sur les colhnes : «' Maintenant que Dieu se
lève, s'écria Cromwell, ses ennemis seront dispersés; «et
ses paroles retentirent au loin, répétées par tous ceux qui
l'entouraient. « C'était un homme puissant dans les périls
de la guerre et sur les champs de bataille, dit un de ses
» Carlyle, CromwtU's Leltcrs, t. H, j). i^ ; — Barnei, Histoire de mon
temps, t. I, p. 114, dans ma Collection,- — Carie, Ormonds Letters, t. I,
p. 382; — Malcolm Laing, Hist. of Scotland, t. III, p. 459; — Monk, étude
historique (IB^\),\>. 38,
DUJNBAR (3 SEPTEMBRE 16S0). il7
contemporains; l'espérance brillait en lui comme une co-
lonne de feu quand elle s'était éteinte dans tous les autres • »
l'enthousiasme est contagieux comme le trouble; les An-
glais redoublèrent leur choc; la cavalerie écossaise plia-
un corps d'infanterie, qui résistait fermement, fut rompu
et traversé par quelques escadrons ; on entendit le cri :
« Ils fuient, ils fuient! » Le désordre gagna rapidement
toute l'armée écossaise; elle s'enfuit en tous sens. « Ils ne
furent plus, dit Cromwcll, que du chaume pour nos épces.»
A neuf heures, la bataille avait cessé; trois mille Écossais
avaient été tués ; plus de dix mille prisonniers, toute l'ar-
tillerie, tout le bagage, deux cents drapeaux étaient au
pouvoir des Anglais. « Je crois que je puis le dire sans
partialité, écrivit Cromwell le lendemain au Parlement ;
vos principaux commandants et officiers, chacun à son
poste, et vos soldats aussi, se sont conduits avec autant de
courage que dans aucune autre action de cette guerre. Je
sais qu'ils ne l'ont pas fait pour être nommés ; c'est pour-
quoi je m'abstiens des détails '. »
Dès le surlendemain, 5 septembre, Cromwell reprit l'of-
fensive, et quatre jours après il était maître de Leith, de
tout le pays aux environs d'Edimbourg, et dÉdimbourg
même, sauf le château occupe par une forte garnison. (,har-
les II et tout le gouvernement écossais se retirèrent vers le
nord, à Pcrlh; Lcsley, avec les débris de son armée, vers
l'ouest, à Stirling. Le Parlement républicain avait atteint
son but; l'Ecosse était envahie et ne songeait plus (ju'à se
défendre sur son territoire.
Au milieu de l'alarme générale, Charles se réjouit, dans
* Ciirlyle, Crontweirs Lvltcrs, t. II, p. -{ 1-1)2; — Cnrif, Onnond's Lcllnx,
1. !, p. 380-384; — Mémoires de Lutllow, t. Il, p. «1»; — Wliilclockc, p. 470-
471;— Brodie, Ilisl. of ihe British h'inpire, t. IV, p. 'iO^-JOi ; - l'oisltr,
Statesmen of tlic Commonwccdlh, l. IV, p. !28G-200.
118 CHARLES II S'EVADE
son cœur, de la défaite des fanatiques dont il portait impa-
tiemment le joug. C'était à eux, à leurs exclusions haineu-
ses, à leurs exigences aveugles que l'opinion commençait
à s'en prendre de ces revers inattendus. En vain les six
ministres qui formaient le comité de l'Église essayèrent,
dans un sombre manifeste, d'en rejeter la responsabilité
sur les pécliés obstinés de leurs adversaires, soutenant que
Dieu aurait donné à Lesley la victoire si l'armée et la cour
avaient été purgées de tous les profanes. Il y a, même sous
l'empire du plus ardent fanatisme, un degré d'absurdité
qui, en présence d'événements puissants, tristes et clairs,
n'obtient pas facilement créance. Charles jugea le moment
favorable pour échapper à ses maîtres; par l'entremise do
quelques-uns de ses officiers, surtout du docteur Frazier,
son médecin, ennemi d'Argylc , qui l'avait naguère fait
éloigner, il entra secrètement en négociation avec les chefs
royalistes de la haute Ecosse, entre autres avec les lords
Huntley, Middleton, Ogilvy, Dudhojje, qui lui promet-
taient de se lever en armes dès qu'il serait au milieu d'eux.
Mais au moment même où l'évasion se préparait, le secret
fut livré à Argyle, elle comité des Etats ordonna sui'-lc-
chaui)) à tous les Cavaliers qui étaient encore auprès du
roi de quitter la cour dans vingt-quatre heurtes et le
royaume dans vingt jours. Trois seulement furent excep-
tés, entre autres le duc de Buckingham, qui fut soupçonné
d'être le révélateur. Charles demanda pour ses amis neuf
exceptions de plus; on les lui refusa. Il n'insista point;
mais huit jours après, il sortit de Perth, vers une heure
après midi, en habit de chasse, suivi seulement de cinq
domesticiues, et dès qu'il fut hors de vue, il prit le galop,
rejoignit lord Dudhope, puis lord Buchan , qui l'atten-
daient, et arriva dans la nuit, escorté de quelques monta-
gnards, chez le laird de Clova, pauvre maison à dix-sept
DE PERTH (ocTOBnE IfihO). 119
lieues de Perlh. Il se reposait, sur un matelas lorsque, à
l'aube du jour, entrèrent le colonel Montgomery et trois
autres officiers envoyés de l'erlli par le comité des États
qui avait découvert presque en même temps la fuite du roi
et le lieu de sa retraite. Charles parlementa avec eux ; il
ne s'était évadé, leur dit-il, que parce qu'il avait su que le
comité des Ktats voulait le livrer aux Anglais, et faire pen-
dre ses serviteurs. Montgomery se récria contre cette ca-
lomnie. Les chefs qui avaient escorté le roi dans son éva-
sion l'engageaient à repartir avec eux, l'assurant qu'à deux
ou trois lieues de là, il trouverait un corps nombreux de
montagnards prêts à exécuter ses ordres. Mais la promesse
paraissait légère, et Charles, comme son père, avait \)cm
de goût pour les aventures hasardeuses. Pendant (ju'il
avait l'air d'hésiter, deux escadrons de cavalerie écos-
saise arrivèrent à l'appui des représentations de Montgo-
mery. Ils entouraient la maison. Charles céda, et fut aus-
sitôt ramené à Perlh '.
Cette frivole échaufîourée ne fut cependant pas perdue
pour lui : Argyle et le comité des États s'alarmèrent de
l'antipathie qu'ils lui inspiraient et des facilités qu'il pou-
vait trouver pour leur échapper. Dans l'Église presbyté-
rienne aussi, il ne manquait pas de ministres plus sensés
que leurs fougueux confrères, et qui disaient qu'on traitait
mal le roi, qu'on était injuste et dur envers les royalistes
modérés, qu'il fallait s'efforcer de rallier les partis au lieu
de perpétuer et d'envenimer les dissensions. Ces dispositions
influèrent sur le Parlement qui se réunit h Perth; il se
montra zélé pour la cause du roi et plus tolérant envers les
royalistes de diverses nuances. On vota tout ce qui était
' Malcolra Laing, Hisl. of Scolland, I. Ili, p. 4.04; — Baillic, Lvtlcrs, I. Il,
p. 356j— Clarendon, Uisl. oflhe I{cbcUion,\. xiii, c. 47-^9;— Lingard, Hitt
of England,\.. XI, p. 53-55.
420 RÉACTION EN FAVEUR
nécessaire pour la réorganisation de l'armée; deux résolu-
lions, vivement combattues par les fanatiques, furent adop-
tées; elles déclaraient, l'une que les expressions de repentir
des partisans du feu duc de Ilamilton devaient être accep-
tées; l'autre que, cela fiiit, ils devaient être admis à servir
le roi et à défendre le royaume. Un grand nombre de pres-
bytériens modérés, et même de Cavaliers, se bâtèrent de
})rofiter de celte autorisation ; Hamilton et Laudcrdale
revinrent à la cour. Cbarles présida le conseil et s'occupa
sans obstacle des affaires du Parlement et de l'armée. On
annonça enfin qu'il serait bientôt, selon l'ancien usage,
solennellement couronné à Scone, et on commença les pré-
paratifs. Argyle n'était pas sans quelque inquiétude de ce
mouvement qui rappelait auprès du roi ses adversaires et
irritait les fanatiques, babiluellement ses amis; mais il sen-
tait la nécessité d'y céder, et Cbarles s'appliquait avec bonne
grâce à calmer ses méfiances ou ses déplaisirs. Il alla même
jusqu'à lui laisser entrevoir qu'il pourrait bien épouser sa
fille, et le capitaine Titus, presbytérien agréable à Argyle,
fut envoyé en France à la reine mère, comme pour obtenir
son consentement '.
Cromwell, libre du grand souci qui l'avait un moment
absorbé, observait attentivement ces évolutions politiques
de ses ennemis, se promettant bien d'en profiter. 11 savait
également parler aux masses et aux individus, faire appel
aux croyances et traiter avec les intérêts. La déclaration
qu'en mettant le pied en Ecosse il avait adressée «t à tous les
saints qui partagent la foi des élus de Dieu » fut, de la part
de l'Eglise écossaise, l'objet d'une vive réponse : Cromwell
saisit à l'instant cette occasion pour entrer, avec les presby-
1 CInreniloii, Hisl. of Ihe Rébellion, 1. xni, c. 49-50 ; — Malcolni Laing,
Hist. ofScoUand, t. Il(, p. 461-465; — Biirne(, Histoire de won temps, l. I,
p. 121, dans ma Collection.
DE CHARLES II (octodre IfiaO). 121
tériens écossais, en correspondance et en controverse, dis-
cutant leurs arguments et leurs actes, les renvoyant à tels
ou tels passages des livres saints, et provoquant, entre eux
et lui, le jugement populaire des fidèles : » Vous leur
cachez, dit-il, les papiers que nous vous envoyons; ils y
verraient quels sentiments d'affection sont pour eux dans
notre âme. Envoyez au milieu de nous autant de vos papiers
qu'il vous plaira ; ils y ont libre passage. Je ne les crains
pas. » Dès qu'il fut maître d'Edimbourg, il fit écrire au gou-
verneur du château, où la plupart des ministres presbyté-
riens s'étaient réfugies, «t qu'ils pouvaient rentrer dans la
ville et venir prêcher librement dans leurs églises, qu'ils
n'avaient ni insulte ni désagrément à redouter, car il avait
donné, dans son armée, des ordres formels à cet égard. »
Ils s'y refusèrent, « ne trouvant pas, dirent-ils. dans ses
paroles, des garanties suffisantes pour la sécurité de leur
personne et la liberté de leur retour. » Il les tanea de leur
pusillanimité, disant que >< s'ils avaient surtout à cœur le
service de leur maître (comme ils rappellent), ils n'auraient
pas l'imagination si alarmée sur leur propre compte, » et
affirmant hardiment que personne, en Angleterre ou en
Irlande, n'était inquiété pour prêcher l'Évangile, «à moins
qu'on ne prétendît, sous ce prétexte, dominer ou humilier
le pouvoir civil. » Il se préoccupait peu de l'exactitude de
ses assertions, pourvu qu'elles fissent, au moment où il par-
lait et sur le public auquel il s'adressait, l'impression dont
il avait besoin '.
Quelques mois plus lard, pendant un séjour qu'il fit à
Glascow, il assista souvent à des sermons presbytériens,
soigneux de protéger la liberté des prédicateurs, même
1 Carlylc, Cromwell's T.cticrs, t. Il, p. 18-22, 5C-7.T ; - Purl. llisl., I. XIX,
p. 320-323 ; - Tl.uiloc, Slule-Pupers, l. I, p. 158-162.
i. Il
122 SUCCES DE CROMWELL
quand ils l'attaquaient, et toujours empresse d'entrer en
discussion avec eux. «( Il leur demanda un jour, dit l'un de
ses officiers, de se rendre à une conférence amicale et chré-
tienne, pour nous entretenir des choses qu'ils nous repro-
chaient, et afin de faire cesser, s'il était possible, tous les
malentendus. Ils y consentirent mercredi dernier. Il n'y
eut là, d'aucun côté, point d'amertume ni de passion ; tout
se passa avec modération et douceur. Milord général et le
major général Lambert soutinrent presque seuls, pour nous,
la discussion; de l'autre part, M. JamesGuthriect M.Patrick
Giilespie. Nous ne savons pas s'ils se tinrent pour satisfaits;
ce dont je suis sûr, c'est qu'il n'y avait pas, dans leurs ar-
guments, de quoi nous décourager de ce que nous avons
entrepris ^. »
Cromwell apportait à se concilier les personnes, autant
de soin qu'à ménager ou à ramener les sentiments popu-
laires. Il trouva, parmi ses prisonniers, Alexandre Jaffray,
prévôt d'Aberdeen, et M. Carstairs, ministre presbytérien
de Glascow, tous deux intelligents et influents; il s'entre-
tint familièrement avec eux et les traita si bien qu'il s'em-
para de leur esprit ; il s'empressa alors de les échanger contre
quelques prisonniers anglais retenus dans le château de
Dunbarton, et ils devinrent pour lui, dans le pays, d'utiles
agents. Il ne laissait échapper aucune occasion de se mon-
trer prévenant et confiant envers les hommes qu'il savait
plus favorables à la République qu'à Charles Stuart, envers
sir Archibald Johnston, entre autres, dont il se fit dès lors
un ami secret, et plus tard un énergique allié. Dans les cir-
constances même les plus insignifiantes, par caraclcrè ou
par calcul, il prenait soin de plaire aux indifférents ou à
ses ennemis. Faisant un jour, avec quelques officiers, une
' Carlyle, CromtveU's Letlers, t. Il, p. 120-121.
EN ECOSSE. 123
reconnaissance dans le comté de Lanark, il eut besoin d'un
guide, et n'en put trouver d'autre qu'un jeune homme ma-
lade, fils de sir Waller Stcwart d'Allerlon, j^entilhommc
royaliste qui avait un autre de ses fils capitaine dans l'ar-
mée écossaise, à la bataille de Dunbar : la reconnaissance
faite, Cromwell entra au château; sir Waltcr s'était caché;
sa femme, aussi royaliste que lui, reçut seule le général ré-
publicain; Cromwell causa avec elle, lui parla avec intérêt
de son mari, de ses parents, de ses enfants, lui dit qu'elle
devrait faire changer de climat à son fils malade, et que
Montpellier, dans le midi de la France, serait pour lui le
meilleur séjour. Un autre fils , enfant de dix ans, s'appro-
cha de Cromwell et toucha la poignée de son épée : « C'est
bien, lui dit Cromwell en lui frappant sur l'épaule, vous
êtes mon petit capitaine. » Il se leva de table, fit à haute
voix sa prière accoutumée, en priant pour la famille dans
laquelle il se trouvait, et partit laissant la maîtresse du châ-
teau émue de sa bonté et de sa piété : « Elle était sûre,
dit-elle, que Cromwell était un homme craignant Dieu et
qui avait à cœur le véritable intérêt de la religion '. »
Ainsi fomentée par l'habileté de Cromwell, la scission
éclata parmi les Écossais : plus les chefs presbytériens de-
venaient modérés et témoignaient de déférence au roi et de
tolérance àsesamis, plus les fanatiques s'échauffaient et s'é-
loignaient de lui. Ils étaient surtout irrités des résolutions
du Parlement qui, moyennant quelques expressions de re-
pentir, avaient rouvert aux anciens royalistes la cour et
l'armée; ils adressèrent, à ce sujet, au comité des Étals
une remontrance violente, attaquant ouvertement le roi,
déplorant qu'on l'eût rappelé, demandant qu'il fût écarté,
du moins pour un temps, de toute participation au gouver-
» Cai-iylc, CromtveU'i Letters, t. Il, p. 104-i0;>, 118-124.
\U DISSENSIONS EN ECOSSE.
nement ; que ses ministres, Argyle et Loudon entre autres,
fussent changes • et protestant contre toute idée d'invasion
en Angleterre, même contre la guerre, comme essentielle-
ment illégitime si elle était conduite dans l'intérêt et par
les mains des royalistes libertins ou Iiypocrites. Après la
défaite de Dunbar, cinq comtés du sud-ouest de l'Ecosse,
dans lesquels ces sentiments dominaient, s'étaient formés
en association particulière et avaient demandé à lever des
ti^oupes pour leur compte, déclarant qu'ils résisteraient
toujours aux sectaires anglais, mais qu'ils ne voulaient plus
servir sous Lesley. Le parlement de Pcrth avait eu la fai-
blesse d'y consentir; trois ou quatre mille hommes avaient
en effet été levés dans ces comtés, et ils étaient sous les
ordres des colonels Kerr et Strachan, les deux officiers les
plus fougueux de l'armée, et tous les deux, Strachan du
moins, en relation intime avec Cromwell. Les fanatiques
avaient donc là des troupes et des chefs. L'émotion fut
grande dans le gouvernement écossais ; on vota que la re-
montrance ét«it calomnieuse, factieuse et dangereuse ; et le
colonel Montgomcry eut ordre d'aller, avec deux régiments
de cavalerie, prendre le commandement de toutes les
forces dans l'ouest. Mais la discussion avait été longue ;
l'exécution fut lente ; avant qucl'aulorité du gouvernement
eût pu être rétablie dans les comtés confédérés, Cromwell
y envoya Lambert avec un corps de troupes; puis, il s'y
porta lui-même ; soit par les armes, soit par la connivence
de ceux qui la commandaient, la petite armée des fana-
tiques fut battue et dispersée ; et de ses deux chefs, Fun, le
colonel Kerr, fut blessé et pris sans grande résistance,
l'autre, le colonel Strachan, passa ouvertement à Crom-
well avec plusieurs officiers. « Il y a ici, écrivait Cromwell
après cette expédition, une grande désorganisation et de
puissants effets de la main de Dieu sur bien des gens, mi-
CHARLES II COURONNÉ A SCONE (1" janvier.) 123
iiistres et peuple ; il y a beaucoup à en attendre pour la
justification de notre cause. Quelques-uns sont aussi mau-
vais que jamais 5 ils rusent hypocritement avec leur con-
science et a\ ec le covenant pour faire croire qu'il est légi-
time de s'unir aux anciens malintentionnés, comme ils le
font en ce moment, et comme ils l'ont fait depuis longtemps
en adoptant pour chef le chef même des malintentionnés ;
mais d'autres s'arrêtent devant de tels actes ; quelques-uns
même ont été contraints, par l'action de Dieu sur leur con-
science, à s'accuser tristement eux-mêmes, se reconnais-
sant coupables du sang versé dans cctle guerre par leur
participation au traite de Bréda et le retour du roi au mi-
lieu d'eux. C'est ce qu'a fait un lord de la cour de session,
qui s'était retiré du comité des Étals ; et dernièrement
M, James Livingston, homme très-eslimé pour sa piété et
son savoir, qui avait été, à Bréda, l'un des commissaires de
l'Eglise, s'est reproché solennellement cette faute devant
leur assemblée , et en est sorti pour rentrer dans sa
maison ^. »
Charles se félicitait autant que Cromwell de cette désor-
ganisation du parti presbytérien; car en même temps, et
par une correspondance naturelle, le parti royaliste se re-
formait ; les hommes modérés s'engageaient de plus en plus
dans ses rangs pour échapper au joug des sectaires ; ceux-ci
se décriaient, aux yeux de la population tranquille, et par
leurs violences et par leurs revers ; les grands seigneurs
royalistes reprenaient de rinfluence. Le couronnement eut
lieu dans l'église de Scone, le l"J!invier iGJ)l, avec l'an-
cienne pompe royale; et malgré la rudesse presbytérienne
du sermon prononcé à cette occasion par Robert Douglas,
' Carlylc, Cronuvcll's Lcticrs, I. II, |). 82-84; — Kuillie, Lctiers, t. II,
p. 348-369; - Biiiiitl, Hist. de mon temps, l. I, p. IIG-II'J; — Makoliii
Laing, Hist. of Scolkind, l. III, p. 401-460.
11.
126 C031PL0TS ROYALISTES
modérateur de l'Assemblée générale de l'Église, malgré la
rigueur inintelligente des serments exigés de Charles, un
sentiment de loyauté sérieuse et dévouée animait toute la
cérémonie ; les assistants, laïques ou ecclésiastiques, nobles
ou peuple, quelque mal assorties que fussent leurs idées en
fait de gouvernement, voulaient sincèrement la royauté
pour leur pays et Charles Sluart pour roi. Par respect pour
son droit, ils affrontaient, en le couronnant, une lutte bien
inégale : heureux s'ils avaient pu compter, de sa part, sur
un juste retour de sincérité et d'affection M
Presque au même moment où Charles était couronné à
Seone, le Parlement républicain d'Angleterre envoyait à
Edimbourg un graveur célèbre, M. Simon, pour faire le
portrait de Cromwell, destiné à passer sur une médaille
frappée en souvenir de la victoire de Dunbar. u Je n'ai pas
été peu surpris, répondit Cromwell, que vous ayez fait faire
à M. Simon un si grand voyage pour une chose si peu im-
portante, du moins en ce qui me touche : autant que mon
humble opinion peut avoir quelque poids auprès de vous,
je pense que ce qu'il conviendrait le mieux de consacrer
ainsi, ce serait le souvenir de cette grande grâce de Dunbar
et votre reconnaissance envers l'armée ; ce qui serait très-
bien exprimé sur la médaille si elle portait d'un côté le Par-
lement, comme on en a, dit-on, et avec grande raison, le
dessein, de l'autre, une armée avec cette inscription : le Sei-
gneur des armées, qui était notre mot d'ordre ce jour-là. Je
vous conjure donc sérieusement, si je le puis faire sans
vous offenser, qu'il en soit ainsi. Si vous ne trouvez pas
mon idée convenable , vous pouvez la modifier comme il
vous plaira ; je puis dire seulement avec vérité que je serai
pénétré de reconnaissance si vous voulez bien me dispenser
> Somers, Tracts, t. VI, p. 117-143.
EN ANGLETERRE (lOgO-Kiol). 127
d'avoir, sur celte médaille, mon effigie. » La médaille fut
frappée sans égard à ce désir et comme elle avait été proje-
tée d'abord. Nul grand homme n'a poussé aussi loin que
Cromwell l'hypocrisie delà modestie, ni si facilement subor-
donné sa vanité à son ambition '.
Deux incidents vinrent imprimer aux affaires et à la
guerre une direction nouvelle et inattendue. Cromwell
tomba gravement malade. Des complots royalistes éclatè-
rent en Angleterre.
Depuis que Charles était en Ecosse, les royalistes anglais
s'agitaient de tous côtés pour lui venir en aide. Il avait en-
voyé à plusieurs d'entre eux des commissions signées eu
blanc pour leur donner pouvoir de lever des hommes, de
conférer des fonctions, de faire des promesses, d'agir enfin
pour lui et en son nom. Parmi les Cavaliers qui vivaient en
Angleterre, beaucoup étaient indiscrets, par témérité ou
par vanité; ceux qui étaient en sûreté sur le continent, en
Hollande ou à Paris auprès de la reine mère, compromet-
taient souvent, par leurs correspondances ou par leurs con-
versations, leurs amis dans leur patrie; la jalousie et la mé-
fiance étaient grandes entre les divers groupes de ces
proscrits qui se disputaient ou l'influence dans les ennuis
de l'exil, ou les espérances de l'avenir ; tantôt ils refusaient
de se communiquer et de s'entendre; tantôt ils se livraient
les uns les autres, par haine ou par légèreté. Le conseil
d'État républicain avait organisé, contre eux et parmi eux,
une police très-activc; un de ses membres, Scott, en était
spécialement chargé, et ne manquait, pour s'en acquitter,
ni d'adresse ni d'argent. Dans les années 4050 et 1651,
quatre complots royalistes furent ourdis, soit par d'anciens
' Car\y\c, CromwcU s Lellcrs, l. Il, p. 109-H3i-II;irris, Lifv ofOl. Crom-
mil (Londres, 1814), l. 111, p. 241, îilS.
128 CROMWI'LL TOMBE MALADE
Cavaliers, soit par des presbytériens d'autant plus zélés que
leur conversion était à la fois récente et sincère : ils échouè-
rent tous, et dans l'espace de treize mois, vingt-sept roya-
listes, militaires ou civils, laïques ou ccclésiasliques, con-
nus ou obscurs, montèrent sur l'ëcliafaud, condamnés
quelques-uns par des cours martiales, la plupart par ces
hautes cours de justice chargées non de juger les prévenus
selon les lois, mais de défendre la République contre les
sentiments du peuple et les entreprises de ses ennemis.
Tant d'échecs ne découragèrent pas les royalistes anglais;
ils étaient dévoués, tracassés et oisifs; leur roi était en
Ecosse; là on se battait pour lui ; de là leur arrivaient, sur
ses périls, sur ses forces, sur ses desseins, des notions vagues
qui entretenaient leurs colères ou leurs espérances; ils ne
pouvaient se résoudre à rester immobiles dans leui" cause
si vivement débattue à leurs portes; et ils renvoyaient à leur
tour en Ecosse le bruit de leurs tentatives de soulèvement,
leurs illusions et leurs promesses '.
Pendant qîie l'esprit royaliste se relevait ainsi en Ecosse
et fermentait en Angleterre, Cromwcll, au retour d'une
longue marche d'hiver à la tète de ses troupes, sous une
pluie et une neige glacées, fut saisi à Edimbourg d'une
fièvre violente. Le mal devint grave; le Parlement elle
conseil d'État s'en inquiétèrent et envoyèrent à Cromwcll,
par un exj)rcs, de vifs témoignages de leur sollicitude ; il
répondit à Bradshaw : « Je vous exprimé mon humble re-
connaissance de votre haute faveur et de vos tendres égards
pour moi, indigne ([ue j'en suis. Vos affaires n'ont pas be-
soin de moi, milord; je suis une pauvre créature; je n'étais
* Millon, Stalc-Paiicru, p. 33, 34, 37; — Jonrnals of llic //ousc of coin-
vions, t. VI, p. '.'M, 906 ; — Wliilclockc, p. iSI, /»8G ; — Carie, Ormond's
Lellers, l. I, p. 411 ; — Clarendon, IJist. of ihc Hebcllion, 1. xni, C 117, 118,
119.
EN ECOSSE (1651). 129
naguère que des osseuients dessécliés, et je suis encore un
serviteur bien inutile pour mon njciîtrc cl pour vous. J'ai
cru que je mourrais <Jc celte maladie ; le Seigneur semble
vouloir en disposer autrement ; mais en vérité, milord, je
ne désire pas de vivre, à moins qu'il ne me fasse la grâce
d'employer mon cœur et ma vie à lui témoigner plus de re-
connaissance et de foi et à être plus actif et plus utile pour
ceux que je sers. » Il se trouva mieux et reprit sou train de
vie ordinaire. " Le lord général est maintenant rétabli,
écrivait-on d'Edimbourg à Londres; il a dîné aujouidbui
avec ses officiers; il y était animé et gai; nous n'avons plus
de crainte; avec la grâce de Dieu, il sera bientôt en état de
rentrer en campagne. » Il y rentra en effet ; mois la maladie
recommença, et trois rcebutes successives en attestèrent
l'opiniâtreté. Le Parlement fit partir pour Edimbourg deux
médecins célèbres, les docteurs Bâtes et Wrigbt, et Fairfax
leur donna sa propre voiture pour leur voyage. Enfin la
Cbarabre vota que u vu l'indisposition du lord général et
l'âpreté du climat où il se trouvait, on l'engageait, à raison
de sa santé, à venir dans quelque partie de l'Angleterre, où,
par la grâce de Dieu et à l'aide de remèdes efficaces, il pût
retrouver assez de santé et de force pour retourner à l'ar-
mée, dont, en attendant, il était le maître de placer le com-
mandement entre telles mains qu'il jugerait convena-
ble \ »
Quand ces votes ari-ivèrent en Ecosse, un fait imj)ortant
venait de s'y accomplir, et faisait presscnlir, dans le parti
royaliste, de nouvelles résolutions. Les modérés, Ilauiiltou
et Ladderdalc à leur tête, avaient décidément pris l'ascen-
dant dans le Parlement écossais ; Argyle laisait de vains
• Journals of Ihe I/ouscof commons, t. VI, p. 579; — Carlylc, CromwcU's
Lcllcrs, l. H,]). 113, 12ii ; - Wliitelocke, \iJiU.
130 CHARLES II SE DÉCIDE
efforts pour s'y opposer; Charles, tout en le ménageant, lui
et ses amis, employait avec succès sa bonne grâce et son
adresse à faire prévaloir leurs adversaires ; l'armée fut réor-
ganisée selon ses désirs ; malgré de vifs débals et la protes-
tation formelle du chancelier lord Loudon , beaucoup d'an-
ciens royalistes, et des plus prononcés, furent nommés co-
lonels. Enfin le Parlement invita le roi à prendre lui-même
le commandement, et Charles devint elTcclivemcnt le chef
de ses troupes comme de ses conseils, au moment même où
le Parlement d'Angleterre engageait Cromwell malade à
quitter l'Ecosse où il semblait près de mourir '.
Un mois s'était à peine écoulé, et soit vigueur de son
tempérament, soit énergie de sa volonté, Cromvi^ell guéri
rentrait vivement en campagne, manœuvrait autour de
l'armée écossaise de nouveau enfermée, à Slirling, dans ses
retranchements, soumettait les comtés d'alentour, faisait
tomber, par assaut ou par trahison, la plupart des châteaux
forts qui tenaient encore, battait, soit en personne, soit par
ses lieutenants, les corps détachés qui essayaient de l'arrêter
dans ses mouvements, et mettait enfin le siège devant Perth,
menaçant ainsi Charles, campé à Slirling avec son armée,
de lui enlever, sur ses derrières, le chef-lieu de son gou-
vernement.
Charles prit brusquement alors la résolution qu'il médi-
tait depuis longtemps : il annonça à son conseil son inten-
tion de lever le camp et de porter la guerre en Angleterre
où ses partisans n'attendaient que sa présence pour éclater.
Bien des chefs écossais, à coup sûr, quoique fermement
royalistes, étaient loin d'approuver, dans leur cœur, un tel
dessein; ils avaient peu de goût à se compromettre à ce
' Malcolm Laing, Ilht. of Scollund, t. 111, p. 466 ; — Brownc, lUsl. of
Ihc I/ir/hlandx, l. Il, p. 69; - Godwin, Hisl. of ihe Cornmonweallh, t. 111,
p. 240.
A ENTRF.R EN ANGLETERE. I3l
point avec leurs redoulables voisins; quelquefois même ils
avaient insinue à Charles qu'il ferait bien de se contenter
de la couronne d'Ecosse, et de laisser l'Angleterre se dé-
battre, tant qu'il lui plairait, sous le joug de sa Republique
et des factions révolutionnaires. Le souvenir de l'invasion
tentée en 1647 par le feu duc de Hamilton, et de son mou-
vais succès, était encore présent aux esprits. Cependant la
plupart se turent et adhérèrent, intimidés par la volonté du
roi ou entraînés par l'empire qu'exerce toujours sur les âmes
une résolution hardie dans une situation pressante. Argylc
presque seul fit tous ses efTorts pour en dissuader le roi;
par jalousie de pouvoir, car c'était le triomphe de la faction
des Hamilton, ses rivaux; mais aussi par prudence et saga-
cité politique; il appréciait mieux que la petite cour de
Charles Tétat des esprits en Angleterre, l'ardeur du parti
républicain encore jeune et le peu de chance des soulè-
vements royalistes; pourquoi courir de tels hasards et
laisser ainsi, sans son armée et sans son roi , l'Ecosse qui
lui avait montré tant de dévouement? Pourquoi se lancer,
avec la petite armée écossaise, au milieu de ses ennemis,
quand on pouvait, en restant en Ecosse sur la défensive,
user et détruire l'armée anglaise , et Cromwell lui-même,
dans les rigueurs d'un second hiver? Charles ne tint nul
compte de cet avis. Argyle insista, déclarant que, pour lui ,
il ne saurait participer à une telle entreprise, et qu'il de-
manderait In permission de se retirer dans ses terres. Quel-
ques personnes conseillèrent à Charles de le faire immédia-
tement arrêter; il y avait péril, disaient-elles, à laisser
derrière soi, en Ecosse, ce puissant mécontent. (Charles s'y
refusa, soit égard pour son intimité si récente avec Argyle,
soit crainte de l'éclat d'une rupture. Argylc partit pour son
château d'Inverary. Le roi annonça publiquement, par une
proclamation, sa résolution de se mettre en marche le Icii-
1S2 LETTRE DE CROMWELL
demain pour l'Angleterre, accompagné de ceux de ses sujets
qui voudraient lui prouver leur loyauté en partageant sa
fortune; et dès le lendemain, en effet, 51 juillet 1651, il
était sur la roule de Carlislc, à la tète d'une armée de onze
mille, et, selon quelques-uns, de quatorze mille hommes,
avec David Lcsiey pour lieutenant général '.
Cromwell était devant Pcrtli, dont il venait de s'emparer,
lorsqu'il apprit cette nouvelle. On peut douter qu'il en fût
surpris ou fâché : il était vivement frappé des difficultés et
des périls, pour son armée et pour lui-même, de la prolon-
gation de celte guerre peu efficace qu'il faisait, depuis un
an, en Ecosse; il se croyait bien plus sûr, en Angleterre,
d'un succès prompt et décisif. Dès le mois de janvier précé-
dent, il avait fait entrevoir au Parlement que les Écossais
pourraient bien tenter uue invasion; et ses récentes ma-
nœuvres, en le jetant sur les derrières de l'armée écossaise,
ouvraient si clairement au roi la route de l'Angleterre
qu'elles semblaient presque l'y provoquer. Il ne se dissimula
point l'impression d'effroi, de colère et de méfiance qu'on
en ressentirait à Londres; d'autant que, huit jours aupara-
vant, au moment où il se portait sur Perth, il avait écrit :
« Je laisse derrière moi des forces suffisantes pour combattre
l'ennemi, s'il se décidait à s'engager, et pour s'opposer à
toute tentative de pénétrer en Angleterre. » Il alla sur-le-
champ, avec une fermeté digne et adroite, au-devant des
reproches et des soupçons qu'il pressentait ;ilécrivitlc4août
au Parlement : « Nous avons eu quelque nouvelle de la mar-
che de l'ennemi vers le midi, bien qu'avec des contradictions
' Claremloii, Hist. of Ihc Rébellion, 1. xiii, c. 35 ; — Wliilclocke, p. SOI;
— Malcolni Laiug, llist. ofScolland, t. III, p. 4G8; — Godwiii, Hisl. of ihe
Commonweallh, t. Ml, p. 235, 260; — Biodie, Hisl. of Ihe Brilish Empire,
I. IV, p. 504; — Biowne, Hist. of tlie Highiands, l. Il, p. 71 ; — le Père
d'Orléans, Hist. des Rf'volutions d'Anglelerre, l. lY, p. SO.
AU PARLEMENT (i août 16JH). 133
qui rendaient le fait douteux. Présumnnt que ce pouvait
être vrai, nous sommes en toute hâte revenus sur nos pas;
notre infanterie et la plus grande partie de notre cavalerie
ont passé aujourd'hui le détroit ; nous marchons aussi rapi-
dement que nous le pourrons sur lennemi qui, dans sa
crainte et son désespoir, et poussé par une impérieuse né-
cessité, s'est décidé à tenter la fortune dans cette voie. J'aji-
préhende que, s'il marche sur l'Angleterre, comme il a sur
nous quelques jours d'avance, cela ne trouble l'esprit de
quelques personnes et n'entraîne quelques inconvénients. Je
les sens profondément, et j'ai été, et je serai aussi vigilant
que qui que ce soit pour les prévenir. Ce qui me console,
c'est que j'ai agi pour le mieux, selon mon jugement et en
toute simplicité de cœur devant Dieu ; j'étais convaincu que,
si nous ne mettions pas fin à cette affaire-ci, elle entraîne-
rait un autre hiver de guerre, à la ruine de nos troupes qui
ne sont pas aussi endurcies que les Écossais aux rigueurs
de ce climat, et avec des dépenses infinies pour le trésor
publie de l'Angleterre. On pensera que nous pouvions em-
pêcher ce mouvement de l'ennemi en nous interposant entre
lui et notre pays. Je crois vraiment que nous le pouvions;
mais comment nous aurions pu, sans faire ce que nous avons
fait, faire abandonner à l'ennemi la position qu'il occupait,
c'est ce que je ne sais pas ; à moins que nous n'eussions eu
une forte armée sur l'une et l'autre rive du Forlh, ce que
nous n'avions pas. Comme il est possible que l'ennemi vous
cause quelque embarras, je vous prie de vouloir bien, avec
le même courage et la même confiance en Dieu qui vous ont
soutenus dans les grandes choses que Dieu a jusqu'ici faitc-^
par vos mains, mettre en mouvement toutes les forces que
vous pourrez rassembler, afin d'arrêter un peu l'ennemi,
jusqu'à ce que nous puissions l'atteindre, ce qu'avec l'aide de
Dieu nous nous efforcerons de faire pron)ptement. Nous
i. ii
iU MESURES DU PARLEMENT
avons celte rassurante expérience que Dieu glace les cœurs
de nos ennemis ; quand nous Içs rencontrerons face à liicc,
nous espérons que le Seigneur fera éclater la folie de ce des-
sein désespéré. L'Angleterre étaitnagucrc bien plus troublée
qu'elle ne l'est maintenant ; une armée écossaise bien plus
considérable que celle-ci , et qui n'avait jamais été battue,
nous envahit; nous n'avions que bien peu de forces pour
lui i^ésister h Preslon; nous n'hésitâmes cependant pas à
nous jeter entre elle et l'Ecosse, et comment Dieu nous fit
réussir, c'est ce qu'il ne faut pas oublier. Le mouvement
que vient de faire l'ennemi n'est pas de notre fait, et n'ar-
rive que par une sorte de nécessité; espérons qu'il aura la
même issue. Ce sera la fin tant désirée de votre œuvre; nous
devons compter sur le Seigneur, sur les expériences que
nous avons déjà faites de son appui, et espérer dans sa pré-
sence qui est la vie de notre cause ^. »
Cromwell ne s'était pas trompé ; le trouble fut grand dans
Londres; la j)cur se cachait sous la colère; dans le Parle-
ment commedans la Cité, et jusque dans l'intérieurdu con-
seil d'État, on s'en prenait à lui, on déclamait contre lui ;
on se demandait s'il n'avait pas traité avec Charles Stuart.
« Il y eut des hommes, dit mistress Hutchinson, qui témoi-
gnèrent d'indignes et ridicules frayeurs , et Bradshaw lui-
même, tout ferme de cœur qu'il était, ne pouvait s'empê-
cher, en particulier, de manifester ses craintes. «Mais, parmi
les chefs du moins, l'ébranlement fut court; Vane, Scott,
Robinson, Henri Martyn, étaient des hommes d'un courage
aelif et obstiné, passionnément dévoués à leur cause, et
compromis d'ailleurs à ce point où le courage, sans cesser
d'être une vertu , devient une nécessité. Ils prirent sur-le-
champ des mesures pour faire face aux événements et pour
' Pari Hist., l. XIX, p. -455, 498;— Godwin, Hist. of thc Common-
waKh, t. Iir, p. 253; — Carlyle, Cromwell's Letlcrs, t. IF, p. 153-137.
CONTRE L'INVASION DE CHARLES II. 133
raffermir les esprits. L'armée, à laquelle ils avaient ajoute
trois mille chevaux et mille dragons, reçut une nouvelle
augmentation de quatre mille fantassins. La nn'lice fut re-
mise en vigueur dans tout le territoire. Trois régiments de
volontaires furent formés dans Londres et aux environs,
spécialement affectés au service et à la garde du Parlement.
Des hommes ardents et influents, entre autres le colonel
Hutchinson et John Cleypole, gendre de Cromwell, levèrent
cux-mèmcs des escadrons semblables, et le Parlement vota
les sonmics nécessaires pour pourvoir à toutes ces dépenses.
Charles, en entrant en Angleterre, avait |)ublié une procla-
mation d'amnistie générale dont trois hommes seulement,
Cromwell, Bradshaw ctCook, les trois grands acteurs dans
le procès du roi son père, étaient exceptés. Le Parlement y
répondit en la faisant brûler à Londres par la main du
bourreau, en déclarant Charles Stuart et les fauteurs de son
entreprise coupables de haute trahison, en volant contre
quiconque, par une voie quelconque, entretiendrait, avec
lui, quelque corres])ondance, la peine de mort, en empri-
sonnant, exilant ou eonlinant dans leurs terres les anciens
royalistes, en exerçant enfin une police rigoureuse et minu-
tieuse à ce point qu'entre autres prcsciiptions il fut enjoint
à tous les chefs de famille, dans certaines parties du terri-
toire, de tenir leurs enfants et leurs domestiques étroite-
ment renfermés chez eux, sauf à des heures déterminées,
et de les signaler au comité de la milice du lieu, s'ils étaient,
pendant plus de douze heures, absents de leur maison '.
Charles cependant avançait, avec son armée, à travers les
comtés du nord-ouest de l'Angleterre, sans rencontrer au-
cun obstacle. Cromwell, en apprenant son départ, avait aus-
' Mémoires de niislrcss l/iilckinson, dans ma Collccliun, l. Il, p. 231; —
Journulsof Ihe llouse of commons, t. Vi, p. 557,614, 619-622; l. VII, p. 3,
6.7,9, 10,
156 MARCHE DE CHARLES II
sitôt détaché Lambert et Harrison, avec deux corps de troupes
légères, en leur ordonnant de le suivre et de le harceler,
soit séparément, soit ensemble, sur ses flancs et sur ses der-
rières, de manière à le gcner et à le resserrer dans sa mar-
che, sans engager contre lui une grande action qu'ils n'au-
raient pu soutenir et que Cromwell voulait se réserver. « Sa
Majesté, écrivait de Penrilh lord Lauderdale à sa femme,
s'avance en Angleterre à la tête d'une très-bonne armée,
presque double, si ce n'est plus, de celle avec laquelle le feu
roi de Suède, Gustave-Adolphe, entra en Allemagne. Dès
que nous avons mis le pied en Angleterre, S. M. a été pi'o-
elaméc roi d'Angleterre , par un Anglais qu'Ellc a fait roi
d'armes pour ce jour-là, à la Icte de l'armée, au bruit de
ses acclamations et de ses canons. Hier, le roi a été proclamé
à Penrith, et il le sera ainsi dans toutes les villes de marché
où nous passerons. Jamais armée n'a été plus disciplinée
que nous ne le sommes depuis notre entrée en Angleterre;
j'ose dire que nous n'avons pas pris la valeur de six sous.
Croyez-moi, ceci est la meilleure armée écossaise que j'aie
jamais vue, et j'espère qu'elle le prouvera. Tous ceux qui
n'étaient pas disposés à tout risquer dans celte affaire avec
leur roi nous ont abandonnés sous quelque spécieux pré-
texte. C'est une purgalion naturelle qui nous fera grand
bien. Point d'action encore, si ce n'est qu'on a repoussé
quelques petits détachements qui ne valent pas la peine
qu'on en parle. Je ne veux pas oublier une chose ; ce ma-
tin, le fils de milord Howard dEscrick est venu à nous de
l'ennemi, amenant tout son escadron 5 S. M. l'a reçu gra-
cieusement et l'a aussitôt fait chevalier. Il est le premier,
mais j'ai la confiance que, sous peu de jours, bien d'autres
reviendront à leur devoir '. >
1 Carlyle, Cromwcll'ii Letlers, l. Il, p. 157; — Whilelockc, p. 501; — Cary,
McmoriaU of ihe greal civil war in Entjland, t. H, p. 507.
EN ANGLETERRE (août ICol). 137
La confiance de lord Lauderdale fut trompée ; peu d'An-
glais vinrent joindre Charles dans sa marche; il envahissait
l'Angleterre à la tête d'une armée d'Écossais et de presbylé-
riens, des étrangers et des sectaires ; Torgueil national était
blessé; les partisans de l'Église épiscopale étaient mécon-
tents et inquiets ; ces sentiments venaient en aide à la
crainte qu'inspiraient le Parlement et ses rigueurs. Charles
ne rencontrait pas plus d'appui que de résistance; dans la
plupart des villes qu'il traversait, il était accueilli par des
acclamations ; mais les populations ne se levaient pas ; les
chefs royalistes eux-mêmes n'arrivaient qu'en très-petit
nombre et très-peu suivis. Charles, en partant d'Ecosse,
avait fait prévenir de son mouvement l'un des plus dévoués
et des plus braves, le comte de Derby, qui, depuis la fin de
la guerre civile, vivait retiré dans son île de Man, avec
Charlotte de la ïrémouille, sa femme, aussi royaliste et aussi
héroïque que lui. Derby se hâta de rejoindre le roi , avec
une petite troupe d'amis et de serviteurs d'élite, et Charles
le chargea de parcourir le comté de Lancaster pour y exci-
ter et rassembler ses partisans. Mais pendant que le comte
s'efforçait de remplir cette mission, il fut surpris et défait à
Wigan, par le colonel Robert Lilburne, que Cromwcll, dans
sa prévoyance, avait envoyé vers les comtés de l'ouest pour
y étouffer les mouvements royalistes ; et Derby, un moment
prisonnier, s'échappa à grand'peine pour aller presque seul
et en fugitif retrouver le roi à Worcester. Un autre des
lieutenants de Charles, d'une autre nuance religieuse et po-
litique, le général Masscy, bon oflicier, jadis presbytérien
et parlementaire, reçut ordre aussi de rallier les royalistes
dans ces comtés de Lancaster et de Chester où il passait
pour avoir du crédit; il y réussissait assez bien lorsque les
ministres écossais, qui suivaient toujours l'armée, s'aperçu-
rent qu'il ralliait indifféremment des épiscopaux et des ca-
12.
Ï58 MARCHE DE CHARLES II
tholiqucs aussi bien que des presbytériens; ils lui adressè-
rent, sans en rien dire au roi^ une déclaration portant que
nul ne devait être admis dans l'armée s'il ne prêtait serment
au covenant, et lui enjoignirent de la publier. Charles
averti écrivit aussitôt à Massey pour interdire cette publi-
cation; mais sa lettre, interceptée et publiée par le Parle-
ment, révéla une fois de plus le peu de sincérité du roi et
les troubles intérieurs de son parti. En même temps que les
royalistes se montraient timides, les républicains se mon-
traient obstinés : le commandant de la petite place de Big-
ger, sommé de la rendre, répondit qu'il la gardait pour la
République de qui il la tenait. Charles avait compté faire,
de la ville de Shrewsbury, le centre de ses opérations dans
l'ouest, et il se flattait que le gouverneur, le colonel Mack-
worth, homme de loi devenu militaire, lui en ouvrirait les
portes ; Mackworth les lui ferma rudement, et reçut aussitôt
du Parlement une chaîne d'or, en remercîment de sa fidé-
lité. En arrivant à Warrington,sur la Mersey, l'armée royale
aperçut sur la gauche un corps de troupes considérable ;
c'était Lambert et Harrison réunis qui voulaient lui barrer
le passage en coupant le pont sur le fleuve ; ils n'y réussi-
rent pas ; l'armée passa, et quelques escadrons de Cavaliers
chargèrent vivement l'avant-garde de Lambert, en criant :
«t Ah ! coquins, nous serons sur vous avant que votre Crom-
well arrive. » Lambert refusa l'action et se replia un peu en
désordre. Charles ne jugea pas à propos de le poursuivre;
il était pressé d'avancer : mais au moment même où l'en-
nemi se retirait, le roi vit son lieutenant général David Les-
ley, marchant à l'écart, l'air mélancolique et abattu ; Charles
poussa vers lui son cheval et lui dit vivement : « Comment
pouvez-vous être triste, général, à la tête d'une si bra^ e ar-
mée? Voyez comme elle a bonne mine! — Sire, lui répondit
Lesley à loreille, je suis triste parce que je sais, quelque
EN ANGLETERRE (agit 16bl). 13!)
bonne mine qu'elle ait, que celle armée ne se battra pas '. »
Le 22 août, Charles arriva à Worceslcr où il avait promis
à ses troupes fatiguées, de bons quartiers et quelque repos.
Un moment il fut tenté de repartir immédiatement et de
marcher, sans s'arrêter, sur Londres ; mais il était de ceux
qui ont assez d'esprit pour entrevoir les grands desseins cl
l'càme trop faible pour les exécuter. Worceslcr était une ville
importante et bien située; le conseil d'État en avait lait un
lieu d'exil pour un certain nombre degcntilshommesdes en-
virons qui s'y trouvaient ainsi réunis à l'arrivée du roi, et
qui le reçurent avec transport; le maire et toutes les auto-
rités locales lui témoignèrent le même dévouement ; elles
prirent aussitôt dos mesures pour l'approvisionnement de
son armée. Charles résolut d'établir là son quartier général ;
et le 25 août 1651, précisément neuf ans , jour pour jour ,
après celui où le roi son père avait planté l'étendard royal à
Noltinghain pour commencer la guerre civile , Charles
planta le sien à Worceslcr, et appela, par une proclamation
solennelle , tous ses sujets entre seize et soixante ans à s'y
rallier pour la grande revue qu'il voulait passer dans les
prairies situées entre la ville et la Saverne qui l'arrose.
Trente ou quarante gentilshorâmes seulement, avec deux
cents hommes à leur suite, vinrent à ce rendez-vous.
L'armée royale se trouva là forte d'environ douze mille
hommes , dont dix mille Écossais et à peine deux mille An-
glais^. »
Un mouvement très-vif, au contraire, éclalait dans le
' Clnrcndon, Hist. of tlic RrbcUion, 1. xiii, c. Îiô-C4 ; — Wliilclocko,
p. 301-503, 2GG; — Godwin, llist. of ihe Commonweatlh, t. III. p. 2(!0-t!(;7;
— Lingaid, Hist. of England, I. XI, p. C4-G7 ; - Tlw lioacobH TrucU
(I830j, p. 27-29.
* Wliilelocke, p. 505, 5504; - Cliii-cndoii, llhl. of the RcbclUon, I. xiii,
c. 70; — The Ihscobd Tracts, p. 27, 175-180; - Carijle, Cromuclls l.it-
icrs, t. Il, p. 158 ; — Lingard, Jlisl. ofEmjhnU, t. XI, p. ('Ji.
UO CHARLES II A WORCESTER.
parti républicain, et même dans le pays, contre ces voisins
arrogants qui venaient imposer par la force un roi à l'An-
gleterre, et ces presbytériens lyranniqucs qui prétendaient
fonder leur culte sur l'oppression des consciences chrétien-
nes. La diversité des idées et des vœux politiques se taisait
presque devant ce sentiment national. Les milices d'un
grand nombre de villes, Londres, Bristol , York, Coventry,
Glocester , Hereford , se levaient avec ardeur pour défendre
leurs foyers, ou méaic pour aller rejoindre l'armée qui dé-
fendait le pays. Des régiments de volontaires se formaient
dans plusieurs comtés avec le même dessein. Fairfax, qui
s'était refusé à envahir l'Ecosse, se mettait, dans le comté
d'York, à la tète de ses voisins, et offrait lui-même à Crom-
well ses services pour repousser ceux qui osaient envahir
l'Angleterre. Le Parlement par ses mesures et ses récom-
penses, et Cromwell par ses commandements et ses exem-
ples sur toute sa route du nord-est au sud-ouest de l'Angle-
terre, fomentaient sans relâche ce mouvement; cl lorsque,
après vingt et un jours de marche, Cromwell, parti d'Ecosse
avec dix mille hommes, arriva le 28 août devant Worcestcr,
il réunit sous ses murs une armée de ti^ente-quatre mille
quatre cents hommes, dont vingt-quatre mille fantassins et
dix mille quatre cents chevaux '.
L'armée royale était beaucoup moins nombreuse , moins
animée et moins bien commandée. On ne savait même pas
avec certitude qui la commanderait. Au moment où elle
était entrée en Angleterre, le duc de Buckingham, ambi-
tieux, présomptueux et remuant, avait dit au roi qu'elle ne
pouvait plus rester sous les ordres d'un Écossais, et il s'était,
1 Whilelocke, p. 497, 502, 50i; — Journals of Ihe Home of commons,
t. VII, p. 6, 8 ; — Godwin, Hist. of thc Commonweallh, l .MF, p. 265, 268,
407; — Brodie, Uist, of ihc Briti^h Empire, l. IV, p. 307; — The Boscobci
Tracts, p. 180.
CR03IWELL SE RÉSOUT A L'ATTAQUER. Ul
à la grande surprise de Charles, proposé lui-même pour
remplacer Lesley. A Worcester, quand l'action décisive ap-
procha, il renouvela sa demande avec tant d'insistance que
le roi impatienté lui dit : « Vous ne parlez pas sérieusement;
vous n'êtes pas propre à cette charge. — Pourquoi donc ,
sire ? — Parce que vous êtes trop jeune. — Mais , sire , le
roi de France, Henri IV, a commandé une armée et gagné
une bataille, étant plus jeune que moi. — Je n'aurai point
d'autre généralissime que moi-même, » répondit le roi (]ui
renvoya Buckingham plein d'humeur , à ce point qu'il ne
parut plus au conseil et se tint à l'écart, adressant à peine lu
parole au roi. La mésintelligence régnait parmi les autres
généraux ; Lesley, triste et impopulaire, détestait Middle-
ton, confiant et aimé des soldats; Massey, grièvement blessé
dans une rencontre où il avait voulu empêcher l'ennemi de
passer la Saverne et de s'établir sur les deux rives du fleuve,
était dans son lit, hors d'état de servir. Charles s'employait
tantôt à réconcilier, tantôt à suppléer ses lieutenants; mais
il était lui-même léger et insouciant ; il avait peu d'autorité,
peu de foi dans son propre succès ; et les traîtres ne man-
quaient])as dans les murs de Worcester pour faire connaître
à CromwcU le mauvais état intérieur de l'armée royale, ses
dissensions, ses hésitations, ses mouvements et ses projets '.
Cromwcll n'hésita point : sans s'arrêter aux lenteurs d'un
siège, il résolut d'assaillir sur-le-champ Worcester, sur les
deux rives de la Saverne, par les deux extrémités de la
place, et de l'enlever à tout prix. Campé sur la rive gauche
du fleuve, il fit, le jour même de son arrivée, et malgré la
vive résistance des royalistes, passer un corps de troupes
sur la rive droite où Lambert les établit, et cinq jours
■ Clarenilon, Ilisl. of llie JtcbclL, 1. xiii, c. 71; — Doscobcl Trarls, p. 30,
125, 180, 220; — Wliitclockc, p. W6 ; — C;irlylc, CromwcH's Lcllcrs, t. II,
p. UO.
14.2 BATAILLE
après, le 2 septembre au soir et le 3 au matin, de nombreux
renforts commandés par Fleelvood firent le même mouve-
ment, avec ordre d'aller attaquer, à Touest, le faubourg de
Woreester, tandis qu"à l'est Cromwell dirigerait lui-mcmc,
contre la ville, l'attaque principale. Charles, mal informé,
ne s'attendait ce jour-là à aucune affaire sérieuse et se repo-
sait sans inquiétude; mais un peu avant midi il monta,
avec son état-major, au baut du clocher de la calhédralc
de Woreester, et vit de là plusieurs régiments de Cromwell
passant le fleuve sur un pont de bateaux et marcbant
contre le corps écossais cbargé de défendre la ville à l'ouest
sous les ordres du major général Montgomery. Presque au
même moment, on entendit, du côté de l'est, les décbarges
de l'artillerie républicaine qui commençait à ballre les ap-
proches de la place. Charles descendit en hâte du clocher,
monta à cheval et se porta sur le faubourg de l'ouest pour
soutenir Montgomery. Cromwell y était déjà en personne et
poussait vivement l'attaque; il avait voulu, avant d'agir
lui-même sur- la rive gauche, s'assurer que les ordres qu'il
avait donnés sur la rive droite seraient bien exécutés. Les
Écossais résistaient fermement. Charles pensa que le gros
de l'armée parlementaire était engagé de ce côté, et rentrant
aussitôt dans la ville, il se mit à la tête de sa meilleure in-
fanterie et de ses escadrons de Cavaliers anglais, sortit par
la porte de l'est, et alla attaquer le camp de Cromwell, dans
l'espoir de le trouver très-affaibli et de l'emporter. Mais
Cromwell aussi repassa rapidement sur la rive gauche du
fleuve, et reparut à la tête des troupes qu'il y avait laissées.
La bataille, ainsi engagée aux deux extrémités de Wor-
eester, dura quatre ou cinq heures, « aussi rude que j'en
aie jamais vu, » écrivit Cromwell, mais commencée et sou-
tenue, par les royalistes, au milieu d'une grande confusion.
Le corps conduit par Charles lui-même chargea si vivement
DE WORCESTER (3 septembre IGSl). \13
les républicains qu'ils fléchirent d'abord, abandonnant une
partie de leurs canons; trois raille hommes de cavalerie
écossaise, commandés par Lcsley, étaient sous les armes en
arrière du roi qui leur fit donner l'ordre de suivre son
mouvement et de charger à leur tour : « Une heure de
Montrosc! » criaient les Cavaliers anglais; mais Lesley resta
immobile. Cromwell cependant ralliait ses troupes et re-
prenait l'olTonsivc; l'infanterie royale, manquant de muni-
lions, se replia; le due de Hamilton et sir John Douglas
furent blessés à mort. Cromwell, partout présent et con-
fiant, poussa de sa personne jusqu'au pied des retranche-
mcnls du fort royal qui couvrait de ce côté la place, et fit
sommer le commandant, qui l'occupait avec quinze cents
hommes, de se rendre; on lui répondit à coups de canon;
le fort fut emporté et la garnison passée au fil de l'épée.
Royalistes et républicains arrivèrent en combattant à la
porte de la ville; là, le désordre fut extrême; des chariots
renversés obstruaient le passage; Charles fut obligé de des-
cendre de cheval et de rentrer à pied dans Worcester; les
républicains s'y précipitèrent après lui. Pendant ce temps,
la lutte avait, à l'ouest, la même issue; les Ecossais de
Montgomery, après avoir é|)uisé leurs munitions, se reti-
raient sur la ville, poursuivis par les troupes de Flectwood
qui y entraient avec eux. Le combat recommença dans les
rues, transformé en rencontres particulières, et mêlé de
pillage et d'héroïsme, de fuite et de dévouement. Charles,
remonté à cheval, s'efforçait de rallier les siens, disant :
« Tirez sur moi plutôt que de me laisser vivre pour voir les
suites de ce jour fatal. » Mais bientôt il ne fallut plus songer
qu'à ne pas tomber aux mains de l'ennemi; une cinquan-
taine de royalistes, conduits par lord Clevcland, le colonel
Wogan, sir James Hamilton, le major Careless, se formè-
rent en un petit corps, et , avec un ardent courage , char-
iU DEFAITE ET FUITE
gèrent çà et là les troupes républicaines, pour couvrir la
retraite du roi qui sortit enfin de Worcester par )a porte
Saint-Martin, et se jeta sur la route du nord. Il y retrouva,
à peu de distance, une partie de la cavalerie de Lesley qui
fuyait sans avoir combattu : il eut un moment quelque
envie de tenter encore, sur eux, un effort pour revenir sur
ses pas et rengager l'action. « Mais non, dit-il ; des hommes
(jui m'ont abandonné quand ils étaient en bon ordre, ne
me soutiendront pas quand ils sont battus. » Il laissa Lesley
et les Écossais opérer comme ils voulaient leur retraite, et
ne s'inquiéta plus que de sa propre sûreté. L'idée lui vint
d'aller chercher un asile dans Londres , le meilleur lieu
peut-être, et pour se cacher, et pour éclater dans l'occa-
sion; mais il n'en parla qu'à lord Wilmot, son plus intime
confident, et suivi d'une soixantaine de Cavaliers dévoués,
il poursuivit sa route vers le nord, protégé, pour le mo-
ment, par la nuit, et cherchant, avec ses compagnons, des
moyens de salut pour le lendemain '.
Au même moment, à dix heures du soir, Cromwell, à
peine entré dans Worcester encore en proie à la confusion
et au pillage, annonçait en peu de mots au Parlement sa
victoire 5 et plus libre le lendemain : « La bataille, écri-
vit-il, a été livrée avec des succès divers, quoique toujours
avec bonne espérance pour nous, et elle est enfin devenue
une victoire complète, si complète que c'est la ruine totale
de l'armée ennemie... Nous avons pris tout leur bagage et
leur artillerie. Je ne saurais vous dire encore le nombre
des morts, mais il y en a eu beaucoup, car la lutte a été
» Bûscobel Tracts, p. 30-38, 123-130, 134 ; - ClareiiJon, Hist. of ihe Ré-
bellion, I. XIII, c. 72-81; — Clareiulon, Stale-Papcrs, t. IH, p. 30;— White-
lockc, p. 507 ; — Carlyle, Crotmvcll's Lclters, t. Il ; — Godwin, p. 140 ; —
Baies, Elcnchns moluiun nuperorum, part. 11, p. 219-223; — Hist. of llie
Commonweulth, l. III, p. 271 274; — Liiigaicl, Hist. of England,l XI,
p. G7-70; — Crumwelliana, p. 115; — Parliam. History, t. XX, p. 59-68.
DE CHARLES II. 145
longue et soutenue de très-près, souvent i\ coups de pique.
Nous avons six ou sept mille prisonniers, l)c.iucoup d'ofïi-
ciers et de nobles, le duc de Hamilton, le comte de Rothcs,
on dit aussi le comte de Lauderdale, et bien d'autres
hommes de grand nom dont quelques-uns seront, à bon
droit, les objets de votre justice... Vraiment les dimensions
de cette grâce de Dieu surpassent mes pensées; c'est, si je
ne me trompe, une grâce suprême et qui couronne vos
travaux.... pourvu qu'elle porte tous ceux qui y sont inté-
ressés à la reconnaissance envers Celui dont le bon plaisir
est de consolider notre changement de gouvernement, en
disposant si bien le peuple h le défendre et en bénissant
les efforts de ses serviteurs dans cette grande œuvre '. »
A la lecture de cette lettre, le Parlement fit entrer le
major Cobbett qui l'avait apportée; et voulut entendre de
sa bouche un récit circonstancié de la bataille. Cobbett
déposa en même temps le collier et la jarretière du roi,
trouvés à Worcester dans la maison qu'il occupait. Deux
membres de la Chambre, Scott et le major Salloway, reve-
nus du camp où ils avaient été envoyés, satisfirent aussi
par de nombreux détails la curiosité de leurs collègues.
Chaque jour apportait les noms de nouveaux et importants
prisonniers; les comtes de Derby, de Cleveland, de Lau-
derdale, de Shrewsbury, de Kelly, Massey, Middleton,
Lesley lui-même, presque tous les chefs royalistes tombè-
rent, dans leur fuite, entre les mains des autorités républi-
caines. C'était vraiment, selon l'expression de Cromwell,
une victoire suprême et le couronnement de la guerre. Le
Parlement voulut en témoigner, par toutes sortes de mar-
ques, sa joie reconnaissante. Il ordonna un service solen-
nel d'actions de grâces dans les trois royaumes et un grand
* Cai'Iyle, CromweU's Lelters, t. H, p. 143-14G.
RÉPUBLIQUE D'ANOLETEnnE. 1. "
U6 RIGUEURS DU PARLEMENT
banquet dans Whitehall. Quatre membres, Wbifelockc,
Lisle, Saint-John et Pickering, ftircnt désignes pour aller
au-devant de Cromwell, el lui exprimer, en termes offi-
ciellement voles, les sentiments qu'inspiraient à la Cham-
bre ses glorieux services. Le palais de Ilamploncourt lui
fut assigné comme résidence, avec une dotation en terres
de 4,000 liv. sterl. de revenu. Ses principaux officiers, et
jusqu'aux obscurs messagers qui avaient apporté les nou-
velles, reçurent de riches récompenses. Les rigueurs tom-
bèrent sur les vaincus en même temps que les grâces sur
les vainqueurs. Parmi les principaux prisonniers, neuf fu-
rent choisis pour être traduits devant des cours martiales,
comme coupables de haute trahison ; l'un d'entre eux, le
duc de Hamilton, mourut de ses blessures avant le juge-
ment; trois, le comte de Derby, sir Timothée Feathers-
tonhaugh et le capitaine Benbow, jugés et condamnés à
Chesler, subirent leur sort en martyrs d'élite. » Je ne sens
dans ma conscience, dit le comte de Derby sur l'échafaud,
aucun scrupule sur la cause dans laquelle je me suis engagé;
c'est au nom des principes de la loi et de la religion que je
l'ai soutenue ; mon jugement est satisfait, et j'en bénis Dieu.
Je n'ai point la présomption de prononcer dans ces con-
troverses ; je prie Dieu de faire prospérer, pour sa gloire,
ceux qui ont le bon droit; et je vous souhaite autant de
prospérité et de paix que j'en vais trouver au delà de tout
ce que vous possédez ici. » Soit que de tels discours des
vaincus parussent, au Parlement, plus dangereux que le
châtiment n'était utile, soit que la grandeur du triomphe
l'inclinât à la modération, il ne multiplia point ces sanglants
spectacles ; les autres prisonniers de marque restèrent
détenus à la Tour. La multitude fut traitée durement, mais
sans bruit ; on vendit ou l'on donna par railbers les soldais
royalistes à des négociants et à des planteurs, pour les Ira-
CONTRE LES VAINCUS. 1^7
vaux des colonies ou des mines d'Afrique. Enfin ilfutdccrélc
et solennellement proclamé partout qu'une récompense de
mille livres sterling serait donnée « à quiconque amènerait
au Parlement Charles Stuart, fds du dernier tyran '. »
Pendant que le Parlement rendait à Londres ce décret,
ses soldats parcouraient en tous sens les comtés de l'ouest,
cherchant partout le roi et trouvant sa trace partout, mais
lui nulle part. Cinq jours après la bataille, un détachement
d'infanterie arriva brusquement à White-Ladies, ancien
monastère devenu la demeure de M. GifFard, gentilhomme
catholique, et le somma, le pistolet sur la gorge, de décla-
rer où était maintenant le roi que naguère, lui dit-on, il
avait caché chez lui. M. Giffard nia résolument, demandant
qu'avant de mourir on lui donnât le temps de faire ses
prières. « Si vous ne nous donnez pas des nouvelles de
Charles Stuart, point de prières. » 11 persista dans son
silence, et les soldats, après avoir rudement fouillé toute sa
maison, s'éloignèrent sans lui faire plus de mal. >\"hitc-
Ladies avait été en effet le premier asile de Charles ; arrivé
là, le 4 septembre, au point du jour, douze heures à peine
après s'être échappé de Worccstcr, il avait aussitôt coupé
ses cheveux, teint ses mains et son visage, pris un grossier
habit de paysan, et cinq paysans, les frères Penderell, tous
laboureurs, bûcherons ou domestiques au service de M. Gif-
fard, s'élaient chargés de sa sûreté. « Voici le roi, avait dit
M. Giffard à W^illiam Penderell; tu auras soin de lui, et tu
le défendras comme tu me défendrais. » Ils emmenèrent
Charles à Boscobcl-Housc, leur chaumière, et le cachèrent
dans les bois. Il pleuvait violemment : Richard Penderell se
' Journals of thc House of commons, t. VII, p. 12-16; — Parliam.lliitl.,
t. XX, p. 72 ; — Slalc-Trials, l. V, p. 294-3'23 ; — Doscobd Tracts, \^. 187,
193-198 ; — Wliilflockc, p. «08 ; — Clurcndoii, Ilisl. of tin- ItchclL, 1. xiii,
c. 76 82; — Godwin, Hist. of thc Commonwcallh, t. lH, p- 275-27G.
148 AVENTURES DE CHARLES II
procura une couverture et l'ctendit au pied d'un arbre; sa
soeur, misfrcss Yates, apporta du pain, du lait, desœufs, du
beurre. « N'est-ce pas, bonne femme, lui dit Charles, vous
serez fidèle à un Cavalier malheureux? — Oui, monsieur, je
mourrai plutôt que de vous découvrir. )> Des soldats [tas-
sèrent sur la lisière du bois, mais sans y entrer, à cause de
l'orage qui éclatait plus violemment sur le bois même qu'au
dehors. Le lendemain, ce fut dans les branches touffues d'un
grand chêne que le roi se tint caché, et de là il voyait rôder
dans la campagne des pelotons de soldats ardents à sa re-
cherche. Une nuit, il quitta son asile pour essayer de tra-
verser la Saverne et de se réfugier dans le pays de Galles ;
mais comme il passait avec Richard Penderell, son guide,
auprès d'un moulin : « Qui va là? cria le meunier. — Des
voisins qui rentrent chez eux, répondit Penderell. — Si vous
êtes des voisins, arrêtez-vous; sinon, je vous assomme. » Ils
s'enfuirent à toutes jambes, poursuivis par plusieurs hommes
sortis du moulin avec le meunier. Dnns une de leurs tenta-
tives d'évasion, ce fut le roi, nageur habile, qui soutint, au
passage d'une petite rivière, son guide hors d'état de nager.
Il erra ainsi sept jours dans cette contrée, changeant presque
chaque jour d'asile, tantôt enfoui sous le foin d'une grange,
tantôt enfermé dans quelqu'un des réduits obscurs qui ser-
vaient de retraite aux prêtres catholiques proscrits, enten-
dant ou voyant, à chaque instant, les soldats républicains
près de le découvrir. De concert avec ses fidèles gardiens et
avec lord Wilmot qui l'avait rejoint, il résolut de gagner le
rivage de la mer, du côté de Bristol, dans l'espoir de fréter
là un bâtiment pour passer en France. 11 changea de dégui-
sement, prit une livrée de domestique au lieu de son habit
de paysan, et partit à cheval, sous le nom de William Jack-
son, portant en croupe sa maîtresse, miss Jane Lane, soeur
du colonel Lane, de Bentley, son dernier refuge dans le
APRES LA BATAILLE DE WORCESÏER. iiO
comté de Stafford. «( William, lui dit le colonel au moment
du départ, donne la main à ma sœur pour l'aider à mon-
ter, n Le roi, peu expérimente, se trompa sur la main qu'il
fallait donner : n Qu'est-ce donc que ce beau cavalier (ju'a
là ma fille pour la porter en croupe? » demanda en riant la
vieille mistress Lane,mère du colonel, qui assistaitau départ
sans en savoir le secret. Us partirent ; mais à peine avaient-ils
marché deux heures que le cheval du roi perdit un de ses
fers ; ils s'arrêtèrent dans un petit village pour en faire re-
mettre un; Charles tenait lui-même le pied de son cheval.
«1 Quelles nouvelles? dit-il au maréchal. ■ — Je n'en sais
point, sinon que ces coquins d'Ecossais ont été bien battus.
— N'a-t-on pris aucun des Anglais qui se sont joints aux
Écossais? — On en a pris quelques-uns, mais je n'ai pas
entendu dire que le coquin de Charles Stuart ait été pris.
— Ce coquin-là, dit le roi, mériterait plus que tous les autres
d'être pendu pour avoir amené ici les Écossais. — C'est par-
ler en honnête homme,» dit le maréchal, et Charles remonta
à cheval et reprit sa route '.
Arrivé le 12 septembre à Abbotsleigh, près de Bristol,
chez M. Norton, cousin du colonel Lane, il acquit bientôt
la triste assurance qu'il n'y avait, dans le port de Bristol,
aucun navire sur lequel il pût s'embarquer, et il fut obligé
de rester là quatre jours, passant pour un jeune domestique
n)alade, cl enfermé, à ce tilre, dans une petite chambre où,
sur la recommandation de miss Lane, on prenait de lui des
soins particuliers. Il était cffeclivemcnt harassé cl défait,
mais peu disposé à supporter patiemment la faim ou l'ennui ;
le lendemain de son arrivée, il quitta de bonne heure sa
chambre pour aller chercher à l'oflice son déjeuner ; le som-
1 Boscobd Tracts, y. \U, 190, 192, 218, <0-i6; lôG-UC; - 225 220 ;
239-241 .
13.
150 AVENTURES DE CHARLES II
melier de la maison, Pope, et deux ou trois autres domes-
tiques s'y trouvaient, et Charles y resta, mangeant et buvant
avec eux : >i J'avais là, dit-il lui-même, à côté de moi, un
grand garçon, vrai campagnard, qui se mit à raconter aux
autres la bataille de Worccster avec des détails tels que j'en
conclus qu'il était un des soldats de Cromwell. Je voulus
savoir comment il était si bien instruit de ce qui s'était
passé là ; il me dit qu'il servait dans le régiment du roi, et
je reconnus, en le questionnant, qu'en effet il avait été dans
le régiment de mes gardes. Je lui demandai alors quelle
espèce d'homme j'étais; il décrivit exactement mon costume
et mon cheval, et me regardant il ajouta que le roi était de
trois doigts plus grand que moi. Je jugeai prudent de sortir
de l'office, de peur qu'il ne me reconnût, car j'étais plus
inquiet, le sachant un de mes soldats, que lorsque je le pre-
nais pour un de mes ennemis. )> Charles était à peine ren-
tré dans sa chambre qu'un de ses compagnons y vint fort
troublé, disanX : « J'ai peur que le sommelier Pope ne vous
ait reconnu ; il m'a affirmé que vous étiez le roi ; j'ai nie
absolument; que faut-il faire? » Charles avait déjà appris
que, dans les situations périlleuses, la confiance hardie est
souvent une sûreté aussi bien qu'une nécessité ; il fit venir
le sommelier, lui dit tout, et reçut de lui, pendant son séjour
chez iM. Norton, les soins les plus intelligents et les plus
dévoués '.
Mais les soins même les plus discrets sont des indices
compromettants; au bout de quelques jours, il fallut chan-
ger d'asile; Charles partit d'Abbotsleigh le 14 septembre
pour aller, dans le même comté de Somerset , à Trent-
House , chez le colonel Wyndham , royaliste éprouvé.
En 1656, six ans avant l'explosion de la guerre entre
> Boscobrl Tracts, p. 54, 108-tiO, U6-l'i0, 2i3,
APRES LA BATAILLE DE WORCESTER.- loi
Charles 1«' et le Parlement, sir Thomas Wyndham, père du
colonel, avait, sur le point de mourir, dit à ses cinq fils :
« Mes enfants, nous avons vécu jusqu'ici dans des temps
sereins et tranquilles ; mais préparez-vous à des jours d'o-
rage ; je vous ordonne d'honorer et de servir notre glorieux
souverain et d'adhérer toujours à la couronne : fût-elle
suspendue à un buisson, ne l'abandonnez jamais. » Les pa-
roles du mourant furent obéies; trois de ses fils et un de
ses petits-fils se firent tuer pour Charles I" sur les champs
de bataille ; et le colonel Wyndham, qui avait aussi servi
avec honneur dans l'armée royale, était, en 1651, prison-
nier chez lui sur sa parole. Il reçut le roi avec un dévoue-
ment absolu, et se mit sur-le-champ à l'œuvre pour lui
procurer, dans quelqu'un des ports voisins, un moyen
d'embarquement. Il crut y avoir réussi à Southamjjton ;
mais le bâtiment qu'il avait arrêté fut requis, par les agents
du Parlement, pour transporter des troupes à Jersey. Un
patron de Lyme, nommé Limbry, s'engagea, non sans hé-
sitation, à transporter à Saint-Malo quelques gentilshommes
royalistes compromis à Worcester; tout fut convenu, le
prix, le jour, l'heure, le lieu d'embarquement; le bâtiment
devait mettre à la voile le 23 septembre, de Charmouth,
petit port voisin de Lyme, et une chaloupe devait aller,
pendant la nuit, prendre, sur un point de la côte, les roya-
listes fugitifs. Charles, guidé parle colonel Wyndham, se
rendit au point déterminé, oîilord Wilmot vint le rejoindre;
ils attendirent là toute la nuit ; la chaloupe ne vint pas. Le
patron Limbry, au moment d'embarquer ses effets pour
partir, avait vu éclater le désespoir et la colère de sa femme;
on avait, ce jour-là même, à la foire de Lyme, proclamé
l'acte du Parlement qui promettait 1,000 livres sterl. de
récompense à quiconque arrêterait Charles Stuart, et qui
menaçait en même temps des peines les plus graves qui-
JS2 AVENTURES DE CHARLES II
conque lui donnerait asile. La femme de Limbry, sans se
douter qu'il s'agissait du roi lui-même, déclara à son mari
qu'elle ne souffrirait pas qu'il prît à son bord aucun royaliste,
ni qu'il l'exposât, elle et ses enfants, à une ruine complète
pour aucun de ces seigneurs, n'importe lequel ; et avec
l'aide de ses deux filles elle enferma son mari chez lui, le
menaçant, s'il persistait, d'aller sur-le-champ tout dénon-
cer au capitaine Macy qui commandait, à Lyme, une com-
pagnie de troupes du Parlement. Limbry céda aux craintes
et aux violences de sa femme. La situation du roi devenait
dangereuse ; la présence et les allées et venues de plusieurs
étrangers à Charmouth avaient été remarquées ; le cheval
de lord Wilmot eut besoin d'être ferré ; le maréchal chez
lequel on le conduisit dit en l'examinant: « Voilà trois fers
qui ont été mis dans trois comtés différents, et il y en a un
qui vient du comté de Worccstcr. » Des soupçons se répan-
dirent; le ministre puritain du lieu, républicain ardent,
alla trouver Ihôtesse de l'auberge où s'était arrêté Charles ;
.c Eh bien ! Marguerite, lui dit-il, vous voilà donc fille
d'honneur? — Que voulez-vous dire, M. le curé? — Oui,
Charles Stuart a couché chez vous la nuit dernière et vous
a embrassée en parlant; vous ne pouvez manquer d'être
fille d'honneur. » L'hôtesse se fâcha. « C'est une indignité
à vous, M. le curé, de me mettre, par vos propos, moi et
ma maison, dans une telle peine; mais si c'était le roi,
comme vous le dites, je penserais avec plaisir à mes lèvres
tous les jours de ma vie. Sortez de chez moi, je vous prie ;
sans quoi, j'appellerai des gens qui vous en feront vite dé-
guerpir. » Charles quitta Charmouth en toute hâte ; mais
en arrivant à Bridport, petite ville voisine, il trouva les
rues encombrées de soldats; c'était le régiment que le Par-
lement faisait partir pour aller s'emparer de Jersey.
« Qu'allons-nous faire? » dit le colonel Wyndham un peu
APRES LA BATAILLE DE WORCESTER. [nz
troublé ; Charles avec sa présence d'esprit accoutumée, et
jouant toujours son rôle de domestique, mit pied à terre,
prit par la bride son cheval et ceux de ses compagnons, et
passant hardiment à travers les soldats, rudoyé par eux et
les rudoyant à son tour, il alla droit à la meilleure auberge
du lieu, et ils n'en repartirent qu'après y avoir tranquille-
ment dîné. Pendant ce temps, à Charmouth et dans les en-
virons, le bruit que Charles Stuart était là avait pris de la
consistance; le capitaine Macy monta à cheval avec quelques
hommes de sa troupe, arriva à toute bride à Bridport, et,
ayant pris là quelques informations, se remit sur-le-champ à
la poursuite des fugitifs; mais à peu de distance de la ville,
Charles et ses compagnons avaient quitté la route pour sejeter
dans des chemins de traverse. Macy perdit leur trace; et de
village en village, ils regagnèrent le comté de Somerset et
la maison du colonel Wyndham, partagés entre une per-
plexité croissante et le plaisir du repos après le danger'.
Charles passa encore onze jours à Trent-House, cher-
chant toujours, mais sans succès, un moyen d'embarque-
ment ; la nécessité de changer de résidence se fît de nouveau
sentir; le colonel Wyndham fut averti que sa maison deve-
nait déplus en plus suspecte; quelques troupes arrivèrent
dans les environs. Le roi quitta Trent-House le 6 octobre,
pour aller prendre refuge à Ileale-IIouse , chez mistress
Ilydc, dans le Wiltshire, et se trouver ainsi plus près des
petits ports du comté de Susscx, où ses amis se flattaient de
lui procurer un bâtiment. Ils y réussirent enfin, et le 13 oc-
tobre au matin, Charles sortit de son dernier refuge, escorté
de quelques royalistes du pays qui emmenaient leurs chiens,
comme pour une partie de chasse dans les dunes. Ils cou-
chèrent à Ilambledon, dans le Ilampshire, chez un beau-
frère du colonel Gunter, l'un des guides du roi ; et le maître
1 Boscobd Tracts, p. 57-67, 112-119,151-153, 2U-248, 278-295.
lU AVENTURES DE CHARLES II
de la maison, en rentrant chez lui, s'étonna d'y trouver à
table des hôtes inconnus dont la gaieté allait, dit-on, un
peu au delà d'une hilarité décente. Les cheveux rasés de
Charles et quelques paroles que le roi prononça en l'enten-
dant jurer redoublèrent sa surprise; il se pencha vers son
beau-frère, lui demandant si cet homme ne serait pas le fils
de quelque coquin de tête-ronde. Le colonel le rassura ; il
prit place à table avec ses hôtes, et porta gaiement une
santé au roi en lui disant: « A vous, frère tête-ronde! »
Ils se rendirent le lendemain, 14 octobre, à Briglilhelm-
stone, près de Shoreham, où devaient se trouver le patron
du bâtiment et le négociant royaliste qui l'avait engagé. Ils
étaient tous à table dans une auberge du lieu ; le patron,
Antoine Teltersall, portait et reportait à chaque instant ses
regards sur le roi ; après le souper, il tira à part le négo-
ciant : a V^ous n'avez pas agi loyalement avec moi ; vous
m'avez donné un très-bon prix pour emmener ce gentil-
homme; mais vous ne m'avez pas tout dit ; c'est le roi ; je
le connais bien. » Le négociant l'assura qu'il se trompait.
« Je ne me trompe pas ; en 4648, il a pris mon bâtiment à
Brighthelmstone, avec beaucoup d'autres bateaux pêcheurs,
quand il commandait la flotte du roi son père ; mais ne
vous inquiétez pas ; je sais que je sers Dieu et mon pays en
sauvant le roi; avec la grâce de Dieu, je risquerai ma vie
pour lui, et je l'amènerai sain et sauf sur la côte de France. »
Au même moment, dans un autre coin de la salle, le maitre
de l'auberge s'approcha du roi qui était debout auprès du
feu, la main appuyée sur une chaise, et lui baisant brusque-
ment la main : « Que Dieu vous protège partout où vous
irez! lui dit-il; je ne doute pas maintenant qu'avant de
mourir, je ne devienne un lord et ma femme une lady. >■
Charles sourit, passa dans une autre chambre, se confia
pleinement à l'aubergiste; et le lendemain, io octobre,
APRES LA BATAILLE DE WORCESTER. im
h cinq heures du matin, le roi et lord Wilmot étaient à bord
d'un petit bâtiment de soixante tonneaux qui n'attendait
que la marée pour sortir du port de Sborebam. Dès qu'ils
furent en pleine mer, le patron Tettersall entra dans la ca-
bine où se tenait le roi, se jeta à ses genoux, lui baisa U
main, et, protestant de son dévouement, lui demanda, pour
prévenir toute difficulté, d'engager lui-même les hommes
de son équipage, qui ne se croyaient embarqués que pour
le port anglais de Pool, à faire voile vers la côte de France,
en se donnant à eux pour un négociant endette qui crai-
gnait d'être arrêté en Angleterre et allait chercher de l'ar-
gent à Rouen. Charles sy prêta volontiers, et sut plaire aux
matelots qui insistèrent eux-mêmes auprès du patron pour
qu'il se détournât de sa course en faveur de ses passagers.
Le temps était beau, le vent favorable, et le 16 octobre, à
une lieure après midi, la chaloupe du bâtiment jeta le roi
et lord Wilmot dans le port de Fécamp. Ils se rendirent le
lendemain à Rouen, si mal vêtus et de si mauvaise mine
que, dans l'auberge où ils se présentèrent, on hésita à les
recevoir, les prenant pour des malfaiteurs. Charles envoya
chercher un négociant anglais établi à Rouen, et écrivit
sur-le-champ à la reine sa mère qui était, à son sujet, dans
la plus vive angoisse; les bruits les plus contradictoires
avaient circulé ; on l'avait dit tantôt pris par les soldats de
Cromwell, tantôt débarqué en Hollande. Dès qu'on le sut à
Rouen, les réfugiés anglais affluèrent vers lui ; il en partit
le 29 octobre, et le 30 il rencontra d'abord, à Magny, le
duc d'York son frère, puis à Monceaux, près Paris, la reine
sa mère, le duc d'Orléans son oncle, avec un grand nom-
bre de gentilshommes anglais et français, venus achevai
au-devant de lui, et il rentra le soir même au Louvre,
sauvé de tout péril et vaincu sans espoir '.
1 Boscobel Tracts, p. 67-73; 119-122; 1S6-163; 231-259; - Claren
1S6 RETOUR DE CROMWELL
Il avait erré pendant quarante-deux jours à travers l'An-
gleterre, successivement caché dans huit asiles différents;
quarante-cinq personnes de toute condition, dont les noms
sont connus, et sans doute plusieurs autres qu'on ignore,
avaient su qui il était et où il était. Pas une ne trahit,
même par une indiscrétion, le secret de sa présence ou de
ses mouvements. Un dévouement sincère donne aux plus
simples de l'habileté et aux plus faibles de la vertu.
Pendant que Charles éprouvait ainsi à la fois les rigueurs
de sa destinée et la fidélité de ses amis, Cromwell rentrait
triomphalement dans Londres, précédé des prisonniers qu'il
avait faits et entouré des officiers qui avaient vaincu avec
lui. Les quatre commissaires délégués par le Parlement
allèrent, le il septembre, à sa rencontre jusqu'au delà
d'Aylesbury : u Nous venons, lui dirent-ils, au nom du
Parlement, féliciter V. S. de l'heureux rétablissement de
sa santé après sa dangereuse maladie; vos infatigables efforts
en Ecosse pour le service de la République, votre zèle à
poursuivre l'ennemi quand il s'est enfui en Angleterre, les
périls auxquels vous vous êtes exposé, notamment dans la
récente bataille de Worcester, l'habileté et la fidélité avec
lesquelles vous avez conduit cette grande affaire que le
Seigneur a couronnée d'un si glorieux succès, tous ces mé-
rites de V. S. ont déterminé le Parlement à vous en témoi-
gner par notre bouche, à vous et aux officiers et soldats qui
ont servi sous vos ordres, sa profonde satisfaction et sa cor-
diale reconnaissance. Maintenant que, par les bénédictions
de Dieu sur V. S. et sur l'armée, l'ennemi est si complète-
ment défait, et que l'état des affaires, en Angleterre comme
en Ecosse, dispense V. S. de tenir plus longtemps la cam-
pagne, le Parlement désire que, pour l'entier affermisse-
don, State-Papert, t. III, p. 30, 31; —Bâtes, Eletichus motuitm nuperorim,
p. 226-26C.
A LONDRES (Il septembre [6n[). ili7
ment de votre santé, vous preniez tout le repos que vous
jugerez nécessaire, et qu'à cet effet vous fixiez votre rési-
dence à peu de distance de Londres, afin que, dans les im-
portantes délibérations auxquelles il a à se livrer pour l'éta-
blissement définitif de celte République, le Parlement puisse
avoir le secours de votre présence et de vos conseils. » A
l'entrée de Londres, Cromwell trouva réunis l'orateur du
Parlement avec un grand nombre de membres, le président
du conseil d'État, le lord maire et les aldermcn de la Cité,
et plusieurs milliers de citoyens notables qui l'accompa-
gnèrent à Whiteball, au bruit des décharges d'artillerie et
des acclamations populaires ; et lorsque, quatre jours après,
il reparut pour la première fois à la Chambre, l'orateur lui
renouvela les remercîments solennels du Parlement et du
pays \
Cromwell recevait tous ces honneurs avec une modestie
pieuse, parlant peu de lui-même et reportant à Dieu d'abord,
puis à ses soldats, le mérite de ses succès. Cependant, à
travers son humilité, perçaient les élans d'une joie orgueil-
leuse et mal réprimée; son affabilité avec les commissaires
que le Parlement avait envoyés à sa rencontre fut empreinte
de magnificence et de grandeur; il fit présent à chacun
d'eux de très-beaux chevaux et de quelques-uns des prison-
niers de marque qu'il menait à sa suite, et qui ne pouvaient
manquer de se racheter à haut prix. Whilelocke en eut
deux pour sa part et les renvoya sans rançon. Cromwell
cheminait lentement, recueillant sur sa route les hommages
de la population, s'arrétant même quelquefois pour prendre
part aux chasses des gentilshommes qu'il rencontrait. A
Aylesbury, on remarqua qu'il s'entretint longtemps à part
avec le grand juge Saint-John, l'un des commissaires et
1 Journah of ihe Ilouse of commons, I. VII, p. 13, 18 ; — Wliilelocke,
p. 309.
1, **
1S8 TRIOMPHE COMPLET
aussi l'un de ses plus intimes aflidcs. Son air, ses manières,
son langage, semblaient subir une transformation naturelle;
et Hugli Peters, sectaire sagace, déjà accoutumé à le com-
prendre et à le servir, dit en le regardant : « Cet bomme-là
se fera roi *. i»
La fortune de Cromwell s'étendait sur ses lieutenants :
en quittant l'Irlande d'abord, puis rÉcossc, il avait laisse
dans l'une Ireton, dans l'autre Monk, l'un républicain,
l'autre royaliste au fond de l'âme, mais tous deux sensés,
liabiles et rudes, très-propres à poursuivre une œuvre de
guerre et de gouvernement par l'épée après la victoire. Ils
obtinrent l'un et l'autre un plein succès. Monk rencontra
sur quelques points, entre autres au siège de Dundee, une
résistance aebarnée; Ireton continua le système de rigueurs
cruelles que Cromwell avait pratiqué, et mourut du typhus^,
après le siège et la prise de Liraerick. Mais, à la fin de
l'année 1651 , l'Irlande et l'Ecosse étaient soumises;Ormond,
dès l'année précédente, avait repassé sur le continent'; les
montagnards -écossais, bors d'état de rien entreprendre,
défendaient à grand'peine, dans leurs âpres retraites, un
reste d'indépendance. En même temps, les vaisseaux et les
troupes du Parlement avaient fait rentrer sous son pouvoir
les îles de Jersey, de Guernesey, de Scilly, de Man, derniers
refuges de la domination royale ; les principales colonies
lointaines, la Nouvelle-Angleterre, la Virginie, les Barbades,
s'étaient empressées ou avaient été contraintes d'accepter le
nouveau régime de la métropole ; et peu de mois après la
bataille qui avait consommé, en Angleterre, la défaite de la
royauté, le Parlement républicain, dans le nouveau comme
' Whilelocke, p. 509; — Mémoires de Ludhw, I. II, p. 183, dans ma
Collection; — Carlyle, Cromwcll's Lctlcrs, t. Il, p. 148.
* Le 27 novembre 1651.
' Le 11 décembre 16^0,
DE LA RÉPUBLIQUE. 1.^9
dans l'ancien monde, était maître de tous les territoires
anglais \
I Journals of (lie House of couinions, t. VII, p. 31, 55, 62, 90, 124;
172; — Wliitelocke, \>. 525, 527; — Clarendoii, His(. of ihe Rtbell , 1. xiii,
c. 170-173.
LIVRE III.
Impressions produites, sur le contineiil, par le procès et rexéculiori de
Charles I". — Assassinai de Dorislaus à la Haj e cl d'AscIiam à Madrid. —
Altitude réciproque des Étals du continent et de la République d'Angle-
terre. — Développement et succès de la marine anglaise. — Mauvaise
politique extérieure du Parlement républicain. — Rivalité de la France
cl de l'Espagne dans leurs relations avec l'Angleterre. — L"Espagne
reconnaît la République d'Angleterre. — Relations de l'Angleterre avec
les Provinces-Unies. — Ambassadeurs anglais à la Haye. — Ambassadeurs
hollandais à Londres. — Leur mauvais succès. — Négociations de Mazarin
à Londres. — Louis XIV reconnaît la République d'Angleterre. — Guerre
entre l'Angleterre et les Provinces-Unies. — Blake, Tronip et Ruytcr. —
Succès alternatifs. — Effets de la guerre à l'intérieur.
Victorieuse, chez elle, de ses ennemis, la République
n'était encore, avec les États étrangers, ni en paix, ni en
guerre.
Le procès et l'exécution de Charles I" émurent fortement
l'Europe. Cétait la seconde fois, dans le cours de soixante
ans, que la royauté tombait, en Angleterre, sous la liaclie
du bourreau. C'était la première fois que la souveraineté
populaire et la République étaient proclamées et mises en
pratique dans un grand État chrétien. La surprise, la curiosité
inquiète, la pitié, Tiiidigtiation furent générales. Dans les
pays protestants, on sentit le besoin de laver la Réforme du
reproche d'avoir poussé ou contribué h un tel attentat. En
Allemagne, en Dancmaïkj en Suède, en Hollande surtout,
14.
162 EFFETS DU PROCES DE CHARLES I"
les prédicateurs s'empressèrent de témoigner avec éclat leur
réprobation ; les chaires retentirent de malédictions contre
les sectaires anarcliiques et sacrilèges ; le clergé de la Haye
se rendit en corps auprès de Charles II, et lui exprima solen-
nellement sa douleur et son horreur. Le sentiment du peu-
ple répondait à ces manifestations de l'Église ; les détails du
procès et de la mort de Charics I*' étaient recueillis et pro-
pagés avec un pieux respect ; une femme de la Haye accou-
cha et mourut, saisie d'effroi, en les entendant raconter. Les
représentants ou les partisans des meurtriers royaux ren-
contraient, dans les rues, l'aversion et Tinsultc; par instinct
populaire, par conscience chrétienne, par sagesse politique,
la Hollande protestante et républicaine repoussait toute
apparence d'indulgence pour cet acte inouï, plein de péril
social comme d'iniquité '.
Dans les pays catholiques, en Espagne, en Portugal, en
Italie, dans l'Allemagne méridionale, l'impression fut de
nature différente, mais non pas moins forte. Le clergé et
le peuple virent, dans le sort de Charles P', la conséquence
naturelle de l'hérésie, et un coup de la justice de Dieu qui
punit les uns par les autres, quand ils se séparent de son
Église, les peuples et les rois. L'attentat excita une aversion
profonde, avec moins de surprise que dans l'Europe pro-
testante, et peut-être aussi avec moins de sympathie et de
douleur.
Eu France, les impressions étaient plus mêlées : au mo-
ment même où la monarchie pure était près d"y prévaloir,
l'esprit de réforme et de liberté politique tentait un effort
sincère et vif, quoique superficiel et vain. Le Parlement
d'Angleterre trouva, dans la Fronde, bien des admirateurs;
' Clarendoi),//i»7. of Ihc RcbclUon, I. xii, c. 1 ;— WicqueforI, Hiatoirc des
Provinces-Unies, l. IV, ]>. 135 ; — VVliilclocke, p. 586-390.
SUR LE COiXTLNEiNT. 163
on accueillait ses maximes, on observait ses actes avec une
complaisance empressée, et plus d"un pamphlet proposa la
Chambre des communes et la Cite de Londres pour exemple
au Parlement et aux bourgeois de Paris. Mais le procès de
Charles I", la mutilation violente de la Chambre des com-
munes, l'abolition de la Chambre des lords et l'établisse-
ment tyraunique de la République donnèrent en France,
au sentiment royaliste sur les affaires d'Angleterre, un
ascendant en harmonie dailleurs avec le cours des affaires
françaises, et que les désordres prolongés de la Fronde et
les relations de ses chefs avec les républicains anglais affer-
mirent, au lieu de lébranlor. La révolution d'Angleterre,
loin de séduire, excita dès lors une réprobation mêlée d'a-
larme; elle fut attaquée dans une multitude de pamphlets ;
Jeanne d'Arc fut remise en scène exhortant les Français à
prendre les armes pour aller venger, sur les parricides An-
glais, la cause des rois; et le public de France, toujours spec-
tateur avide des événements, ne ressentit, pour ceux qui se
passaient en Angleterre, qu'une curiosité sans sympathie.
Deux incidents tragiques donnèrent, de cet état de l'opi-
nion européenne, une éclatante démonstration.
Le 5 mai 1G49, le docteur Isaac Dorislaus, natif de Hol-
lande, mais établi depuis longtemps en Angleterre, et l'un
des jurisconsultes employés à dresser l'acte d'accusation de
Charles 1'% arriva à la Haye, envoyé par le Parlement en
qualité d'adjoint à Walter Strickland, résident de la Répu-
blique auprès des Provinces- Unies. Il soupait tranquil-
lement ce jour-là même, avec plusieurs personnes, à
l'auberge du Cijyne, lorsque six hommes masqués arrivè-
rent devant la maison; deux en gardèrent la porte; les
autres entrèrent, éteignirent la chandelle allumée dans le
vestibule, et, paraissant tout à coup dans la salle à manger,
ils ensai'crcnt les assistants à n'avoir aucune crainte, car
16i ASSASSINAT DE DORISLAUS A L\ HAYE
ils n'en voulaient, dirent-ils, qu'au représentant et au com-
plice des assassins du roi ; ils arrachèrent Dorislaùs de la
table, le tuèrent à coups d'cpce, et remettant froidement
leurs épces dans le fourreau, ils rejoignirent leurs compa-
gnons dans la rue, et sortirent de la Haye sans que personne
eût le temps ou la volonté de les arrêter ^
Environ un an après, dans les premiers jours de mai
1650, Antoine Ascliam, écrivain assez obscur, qui avait
poussé au renversement de la monarchie et au procès du
roi, débarquait à Cadix, envoyé auprès du roi d'Espagne
par le Parlement. Il avait, en partant de Londres, l'esprit
frappé du sort de Dorislaùs, et il laissa voir au charge d'af-
faires de France, Croullé, toute son inquiétude. A son
arrivée à Cadix, le gouverneur, le duc de 3Iédina-Cœli, le
plaça sous la garde du colonel don Diego de Moreda et de
deux capitaines qui furent chargés de l'escorter jusqu'à
Madrid et de ne le quitter qu'après l'y avoir établi en toute
sûrelc. Ils y arrivèrent le 5 juin, et soit négligence, soit
mauvais vouloir, les officiers espagnols, après avoir conduit
Ascham dans une petite auberge, l'y laissèrent seul et allè-
rentse loger ailleurs. Le lendemain, versmidi, Ascham étaità
table avec son secrétaire Rivas, moine franciscain renégat;
un homme entra; Ascham alla à sa rencontre, le prenant pour
un ami ; mais à la vue détruis autres inconnus qui entraient
aussi, il se rejetait vivement en arrière pour saisir des pis-
tolets placés sur une table, quand le premier venu, l'appe-
lant traître, le retint par les cheveux et le frappa à mort de
plusieurs coups de stylet. Son secrétaire Rivas, essayant de
se sauver et criant au secours, fut aussi tué à l'instant; un
' Wicqucfort, Histoire des Provinces-Unies, t. IV, p. 157; — Le Clerc,
Histoire des Frovinces-Unies, t. 1 1, p. 271 , — Clarcndon, Hist. of ihe Rébel-
lion, 1. xri, c. 23-26; — Wliilelocke, p. ô08, 401 ; — Journals of tlie Housc
of commons, t. Yl> P- 20G,
ET D'ASCHAM A MADRID. 16')
domestique anglais s'échappa seul et répandit l'alarme; les
quatre meurtriers sortirent de la chambre, rejoignirent
deux de leurs compagnons qui les allendaienl à la porte, et
s'éloignèrent sans obstacle pour aller se réfugier, l'un dans
l'hôtel de l'ambassadeur de Venise, les cinq autres dans
l'église voisine de l'hôpital de Saint-André '.
A Madrid comme à la Haye , la rumeur publique et l'in-
quiétude des deux gouvernements hollandais et espagnol
furent très-vives ; le Parlement républicain ressentit, comme
on devait s'y attendre, ces sanglants outrages; il témoigna,
par des honneurs publics , sa sympathie pour les deux vic-
times ; Vane fit, sur l'assassinat de Dorislaiis , un rapport
solennel^; le corps fut transporté à Londres, et enseveli
dans l'église de Westminster, le Parlement tout entier as-
sistant aux obsèques ^. Des témoignages analogues, quoique
moins éclatants, furent rendus à Ascham : on donna aux deux
familles des pensions et des emplois. On fit en même temps,
et l'on renouvela à plusieurs reprises, à la Haye et à Madrid,
des démarches pressantes et quelquefois menaçantes , pour
obtenir justice des assassins. Les deux gouvernements la
promirent et essayèrent de la rendre ; les meurtriers étaient
connus ; ceux de Dorislaiis étaient des compagnons de Mont-
rose; ceux d'Ascham , des Cavaliers anglais réfugiés à Ma-
drid, et parmi eux se trouvait un domestique de la maison
de lord Cottington et de Hyde qui résidaient alors à Madrid,
comme ambassadeurs de Charles IL Mais à la Haye, on n'ar-
rêta personne; à Madrid, quoique l'autorité civile eût fait
» Tliurloe, Slale-Fapers, t. I, p. 148-202 ; - Clareiidoii, Uisl. of Ihc
Rébellion, 1. xiii, c. 8-H; — Croullé ù Mazarin (30 juin 1650); — Archives
des Affaires étrangères de Franvc {Documenls historiques , ii" 11); —
Pari. Hist., t. XIX, p. 285 ; — Journals of thc IJoiue of lommons, t. VI,
p. i07,i28.
* Le 14 mai 1649.
» Le 14 juin 1649.
166 ATTITUDE DE LA COUR DE FRANCE
enlever les meurtriers de leur asile , l'Église réclama ses
privilèges, et le conflit prolongé entre les deux juridictions
aboutit à l'impunité des assassins; un seul, qui se trouva
protestant, fut abandonne au bras séculier et pendu. En
Hollande et en Espagne , le sentiment populaire les proté-
geait; ils avaient, disait-on, puni par le meurtre de bien
plus grands meurtriers ; loin de témoigner, de leur action ,
aucun repentir, ils s'en faisaient gloire j ceux qui avaient
tué Ascham répondirent aux magistrats de Madrid qu'ils
l'auraient tué en présence du roi d'Espagne s'ils n'en avaient
pas trouve une plus prompte occasion. Et l'indulgence ca-
chée des gouvernements connivait avec le sentiment popu-
laire; ils poursuivaient le crime par convenance ou par
crainte, mais sans désir sérieux d'atteindre les criminels :
quelques semaines après l'assassinat d'Ascham, dans une
conversation avec lord Cottington et Hyde, le premier mi-
nistre espagnol, don Louis de Haro, n'hésitait pas à leur
dire : n Je porte envie aux gentilshommes qui ont fait une
si noble aclion ; quoi qu'il puisse leur en arriver , ils ont
vengé le sang de leur roi : si le roi mon maître avait des
sujets aussi résolus, il n'aurait pas perdu son royaume de
PortugaP. )•
Mais bien plus encore au xvn« siècle que de nos jours, les
politiques s'inquiétaient peu que leurs actes fussent en ac-
cord avec leurs senlinicnls réels et leurs paroles intimes :
autant le public, sur le continent, laissait éclater, envers les
' Journals of llie Housc of conniwns, l. VI, p. 209, 211,215 ; — Parliam.
Hisl., t. XIX, p. 286-287; — Le Cltrc, Hisl. des Provinces- Unies, l. Il,
p. 272 ; — Wicquefoil, Hist. des Procinces-Uiiics, l. IV, p. 158 ; — Chireu-
don, Hist. of tlie Rébellion, 1. xiii, c. 11-IG; — Délibérations du conseil
d'État de Madrid sur les procédures à l'occasion du meurtre d'Ascham
(juin et octobre 1650); — Lettre de Cardenas à don Geronimo de la Torre,
sur le même sujet, 26 décenibie IG'Ji) {Archives de Siinancas) {Documents
historiques, ii" III).
ENVERS LA RÉPUBLIQUE. 167
républicains juges de Charles I", son mauvais vouloir, au-
tant les gouvernements, par calcul ou par crainte, se mon-
trèrent indifférents et réservés. Les ambassadeurs hollan-
dais qui avaient été envoyés à Londres pour tenter de sauver
le roi, demandèrent, après sa mort, qu'on ne publiât rien
de leurs démarches auprès du Parlement; et si l'un d'eux,
Adrien Pauw, quitta sur-le-champ l'Angleterre, l'autre,
Albert Joachira, continua d'y résider. Anne d'Autriche et
Mazarin avaient jugé convenable que le jeune roi de France
fît, pour la vie du roi son oncle, quelque effort; Louis XIV
écrivit à Cromwell et à Fairfax deux lettres solennelles' ;
mais avant même que M. de Varennes, clrargé de les porter,
eût quitté Paris, Charles I'"'' était exécuté. I\I. de Bellièvre,
alors ambassadeur de France à Londres, ne tenta rien en sa
faveur ; il ne demanda pas même à le voir : on en témoigna
quelque surprise à Paris, dans le conseil du roi ; mais Belliè-
vre y fut défendu et approuvé. « Je vois le besoin que j'ai
eu devotre protection, écrivait-il le 24 février d649 à M. Ser-
vicn , et la bonté avec laquelle vous me l'avez départie... Je
crus qu'il valait mieux être blâmé pour n'avoir point rendu
un office que chacun pouvait juger ne devoir produire au-
cun effet pour le roi d'Angleterre, que d'être coupable du
mal que cet office aurait pu causer aux affaires du roi; car,
comme vous le connaissez très-bien, monsieur, on est ici si
soupçonneux pour ce qui est de la France, que ce qui serait
indifférent en d'autres est déclaré criminel quand il vient
de notre part; et comme, des étrangers, ils ne craignent
que nous, ils prennent tellement garde à nos actions et à
nos paroles, que le moindre témoignage du ressentiment
qu'on doit avoir de ce qu'ils ont fait serait capable de faire
faire l'alliance avec l'Espagne; et c'est cette connaissance,
' Le 2 février lCi9. {Documents historiques, n» IV.)
168 ATTITUDE DES COURS DÉ L'EUROPE
jointe aux ordres généraux que j'ai toujours reçus de ne
point irriter ces gens-ci, qui m'a fait résoudre à en agir
comme j'ai fait Je ne saurais me repentir d'avoir été
trop circonspect, me trouvant maintenant fortifié de votre
avis ' . »
Après l'exécution de Charles I", Bellièvre persista dans
sa circonspection : « S'il y avait ici une cour, écrivait-il, il
ne me faudrait point d'autre règle pour le temps de pren-
dre le deuil et la manière de le porter ; mais cela n'étant pas,
je crois devoir attendre ce qu'il vous plaira m'en ordon-
ner-. » On lui ordonna de prendre le deuil et de partir;
on ne voulait pas -plus reconnaître la République dAngle-
terre que l'irriter. Bellièvre partit, mais seulement au bout
de trois mois', et en laissant à Londres son secrétaire
CrouUé, chargé de veiller, quoique sans caractère officiel,
aux intérêts de la France. Les dernières relations de l'am-
bassadeur avec le Parlement furent difficiles; il essaya,
mais en vain, d'obtenir ses passc-porls sans prendre congé;
il fut obligé de faire une visite à l'orateur, qui en rendit
compte à la Chambre. « Il n'y a point ici, écrivait Belliè-
vre, de petites affaires ni de promptes expéditions, surtout
quand il se parle de la France, et en ce temps où ceux qui
gouvernent sont si jaloux de cette nouvelle autorité et peu
entendus en ce qui leur en peut acquérir ou conserver à
l'égard des étrangers, que toutes choses leur font ombrage,
et qu'ils oublient ce qui est dû , de crainte d'en trop faire. . .
De plus, si incertains dans leurs résolutions qu'ils sont ca-
» Wicquefort, Histoire des Provinces-Unies, t. IV, p. IG^ ; — Manuscrits
de ftwjine, àla Bibliothèque impériale; — Archives des Affaires étrangères
de France.
â Le président de Bellièvre à M. Servien, 8 février 16i9. {archives des
Affaires étrangères de France.)
5 En mai 1649.
ENVERS LA RÉPUBLIQUE. 169
pables de passer en un instant d'un compliment à une in-
jure, comme de l'offense à un excès de civilité '. )•
La cour de Madrid témoigna à la nouvelle République
plus de ménagements encore que celle de Paris, car elle
laissa à Londres son ambassadeur, don Alonzo deCardcnas,
sans renouveler d'abord ses lettres de créance , mais en
l'autorisant confidentiellement à continuer ses relations
avec le Parlement républicain. C'était, pour don Alonzo,
une situation moins difficile que pour tout autre , car de-
puis longtemps déjà, froid ou même malveillant pour Char-
les P% il avait cultivé la faveur des meneurs révolutionnai-
res, et il s'était établi, entre eux et lui, un échange de
bonnes dispositions dont la politique espagnole se promet-
lait de profiter ^.
L'Empereur et les princes d'Allemagne, le roi de Dane-
mark, la reine de Suède manifestèrent avec moins de réserve
les sentiments que le Parlement républicain et ses actes leur
inspiraient; mais, seul entre les souverains de l'Europe, le
czar de Russie, Alexis Michaelowitz, père de Pierre le Grand,
rompit tout lien avec la République révolutionnaire, et
chassa les négociants anglais de ses Etats ^
Tout n'était pas fait, pour les puissances du continent,
quand elles avaient pris ainsi, envers le Parlement républi-
cain, une attitude incertaine et expectante; elles avaient
aussi à régler leurs relations avec le roi proscrit ; et ici leurs
perplexités et les faiblesses incohérentes de leur conduite
furent encore plus grandes. Charles II vivait au milieu des
^ Le 8 avril 1649. {Archives des Affaires étrangères de France.)
« Lellres de Cardenas au roi Philippe / K (1 3 janvier et 18 février 1C49) ;
— Délibcralion du conseil d'Élal de Madrid, sur les Lettres de Cardenas
(13 mars 1649); — Archives de Simancas [Documents historiques, n" V) ; —
Clarendon, Hist. of ihe Rébellion, 1. xii, c. 108.
* Wicquefort, Histoire des Provinces-Unies, t. IV, p. 136 ; — Clarendon,
IJist. ofihe Rébellion, I. xi, c. 250-231; - Whilelocke, p. 466.
1. *3
170 ATTITUDE DES COURS DU CONTINENT
souverains de l'Europe , ttanlôt auprès du prince d'Orange,
son beau- frère, tantôt h la cour du roi de France, son cou-
sin germain ; la reine d'Espagne, Elisabeth de France, était
sa tante; il pouvait invoquer, et il invoquait en effet par-
tout les liens du sang aussi bien que l'intérêt et l'honneur
communs des rois. Ils envoya à Madrid lord Cottington et
Hyde, à Moscou lord Colepcppcr, à Ratisbonne lord Wil-
mot, en Pologne M. Crofts. Les souverains et leurs minis-
tres se trouvaient sans cesse en présence de ses droits, de
ses espérances, de ses demandes, de ses plaintes, de ses
agents. Rien ne pèse plus à la puissance que l'aspect des in-
fortunes qu'elle ne veut pas secourir et qu'elle est tenue de
respecter; mais elle est habile à se délivrer, à peu de frais,
de ce fardeau. Guillaume d'Orange seul fut, pour Charles
Stuart, un ami chaud et actif; c'était un jeune prince am-
bitieux, impérieux, enclin aux entreprises violentes et au
pouvoir absolu, mais d'un cœur noble et sincère ; pour re-
lever la fortune de son beau-frère, il se consuma en efforts
et en sacrifices trop bornés pour être efficaces et que sa mort
inattendue vint bientôt arrêter. Excités par leur stathou-
der et par le sentiment populaire en Hollande, les Etats gé-
néraux des Provinces-Unies donnèrent à Charles de grandes
marques d'intérêt et de respect ; à la nouvelle de la mort du
roi son père, il se rendirent en corps auprès de lui pour lui
offrir leurs condoléances, et le grand pensionnaire Van
Ghent, dans sa harangue, l'appela Sire et Votre Majesté ;
mais ces mots furent prononcés avec quelque embarras et à
voix basse, comme ne voulant pas se trop compromettre
avec la République naissante en reconnaissant avec éclat le
nouveau roi. La cour de France jugea que c'était bien assez
de donner, à la veuve et aux enfants de Charles l", un asile
et une pension; elle s'abstint de toute autre démarche, et
Charles II n'en reçut, à la mort du roi son père, ni lettre.
ENVERS CHARLES II DANS L'EXIL. 171
ni message, aucune marque de sympatliie ou d'appui. Le roi
d'Espagne, qui n'avait pas à répondre de la présence des
Stuart dans ses États, crut devoir écrire à Charles II une
lettre de condoléance amicale où il lui donna le titre de roi ;
mais elle se fit longtemps attendre; cl lorsque Charles, en
quittant la Haye pour se rendre à Paris, traversa les Pays-
Bas espagnols, il fut reçu à Anvers et à Bruxelles avec de
grands honneurs ; on lui fit présent d'un beau carrosse et de
six beaux chevaux; on lui prêta quelque argent; l'archiduc
Léopold et l'ambassadeur d'Espagne en Hollande, Antoine
Brun, lui tinrent, dans leurs conversations intimes, des
propos encourageants ; mais ils prenaient en même temps
des précautions minutieuses pour enlever à ces démonstra-
tions toute valeur politique et pour les représenter comme
de simples actes de convenance. La cour de Madrid leur in-
terdit absolument toute démarche, toute parole qui pour-
raient être considérées à Londres comme une déclaration
positive en faveur du roi ; on leur enjoignit même d'antida-
ter quelques lettres qui semblaient offrir ce caractère. On
voulait bien rendre à Charles II des égards et des services,
pourvu qu'ils fussent vains et qu'on gardât, entre lui et le
Parlement républicain, une stricte neutralité '.
A cettefroideur politique se joignirent, dans la vie privée,
' Clarendon, Hist. of Ihe Rébellion, 1. xii, c. ôj-40, 49-53, 57, 77-85 ;
1. XIII, c. 129; — Le Clerc, Histoire des Provinces-Unic.i, l II, p. 270 ; —
Lettre de l'archiduc Lcopold, gouverneur des Pays-Bas, au roi Philippe I V
(4 mars IGi9) ; — Lettre de condoléance du roi Philippe I V'à S. M. le roi
Charles d' Angleterre (5 avril 1649) ; iiiie première miniilc av;iil clé préparée
le 10 mars précédent; — Délibérations du conseil d'État de Madrid sur la
politique à suivre envers l' /Ingklcrre (29 mars et 2 août 1(519) ; — Lettres de
Cardenas ait comte de Penaranda (20 juin 1649) ; — Du comte de Pcnaranda
à Cardenas (ô juillet 1649j ; — Du comte de Penaranda au secrétaire Augus-
tin Navarre (5 juillet 1649) ; — Lettres du comte de Penaranda et de Carchi-
duc Léopold au roi Philippe I V (6 et 8 juillet 1649) ;— {Archives de Siman-
cas) {Documents historiques, a° VI)-
172 IRRITATION DES ROYALISTES D'ANGLETERRE
des actes d'une cynique indifférence : on vendit à Londres
les meubles et les tableaux de. Charles 1" qui aimait les arts
et les avait protégés avec goût. Cardeîïas et Croullé en in-
formèrent avec soin don Louis de Haro et Mazarin qui, soit
pour leurs souverains, soit pour eux-mêmes, s'empressèrent
d'acheter, quelquefois à vil prix, ces dépouilles du roi mar-
tyr. « Si les tableaux se vendent au prix porté par le mé-
moire que vous m'avez envoyé, je les trouve bien chers,
écrivait 3Iazarin à Croullé; cela n'empêchera pas néan-
moins que je ne songe à envoyer dès delà quelque personne
intelligente pour m'en acheter '. » La reine Christine de
Suède, l'archiduc Léopold, gouverneur des Pays-Bas, en
acquirent aussi plusieurs; et lorsque en 1651, au milieu de
l'hiver, le roi d'Espagne fît inviter lord Cottington et Hyde
à sortir de ses États, un des motifs secrets de cette résolution
si dure était la prochaine arrivée de dix-huit mules qui ve-
naient de la Corogne chargées des tableaux et des médailles
de Charles 1"^ que Philippe IV avait fait acheter à Londres,
et qu'il ne croyait pas pouvoir décemment faire entrer dans
son palais tant que les ambassadeurs de Charles II seraient
à Madrid.
(irands ou petits, dans leur patrie ou dans leur exil, les
royalistes anglais s'offensaient et s'indignaient de cet avide
empressement à profiter de leurs désastres quand on leur
prêtait si peu d'appui: «^ Les princes voisins, dit Clarendon,
fournissaient ainsi à Cromwell de grosses sommes d'argent
qui le mettaient en état d'accomplir sa détestable victoire,
et ils s'enrichissaient et se paraient eux-mêmes des dépouilles
de l'héritier de notre trône, sans en appliquer la moindre
' Clarendon, Hisl. of ihe Rébellion, 1. xi, c. 251j 1. xiii, c. 23 ; — Letlres
de Croullé à Mazarin (21 février et 23 mai 1650), et de Mazarin à Croullé
(17 juin liiSO) (^Archives des Affaires étrangères de France) {Documents his-
toriques, n» Vil).
CONTRE LES COURS DU CONTINENT. 173
partie à lui venir en aide dans les plus pressantes nécessilés
où jamais roi se soit trouve réduit. » Et Graymond, agent
du cardinal Mazarin en Ecosse, lui écrivait le 25 octobre 1 649 ;
« Les serviteurs du roi de la Grande-Bretagne font ici des
imprécations contre les rois et souverains de la terre, et
principalement contre Sa Majesté si elle n'assiste pas leur
roi, après la perte duquel ils souhaitent celle de tous les
autres; et ils ne feignent point de dire qu'ils contribueront
de tout leur pouvoir à leur destruction, qui sera, comme ils
disent, fort facile à causer, les peuples ayant une fois ha-
leine, par l'exemple de l'Angleterre, la douceur de l'état po-
pulaire. Ils désignent déjà Cromwell pour l'auteur de ce
grand dessein et le réformateur de l'univers et ils di-
sent qu'il commencera par nous, et que nous le méritons
bien puisque nous ne songeons pas au rétablissement du roi
d'Angleterre, y étant les plus obligés '. »
Colère bien naturelle dans des proscrits convaincus et
dévoués ! Mais ils comprenaient mal l'état politique de
l'Europe, et ne démêlaient pas les causes générales qui
rendaient les rois du continent si froids et si inertes en
présence d'événements qui semblaient les toucher de ei
près.
Ce qui se passait en Angleterre préoccupait les gouver-
nements européens, mais sans leur inspirer un effroi sé-
rieux. Quoique pleins d'antipathie pour les révolutionnaires
anglais, ils ne se sentaient pas vraiment menaces par eux,
et ils ne trouvaient^ dans leur propre situation, aucune
nécessité d'engager contre eux une lutte directe et avouée.
Précisément à la même époque où la royauté chancelait et
tombait en Angleterre, elle s'affermissait sur le continent ;
1 Clarcndon, Hist. of tlic Hcbcllion, 1. xi, c. 251; — Lcllrc de Graymond
à Mazarin (23 oclobrc 1649; [Archiva des Affaires étrangères de France).
i5.
m CAUSES DE L'INDIFFERENCE
dans tous les grands États, les libertés féodales et munici-
pales, l'aristocratie indépendante et la démocratie turbu-
lente du moyen âge disparaissaient devant elle; le besoin
d'ordre dans la société et d'unité dans le pouvoir dominait ;
le cours général des idées était monarchique comme celui
des faits. La République d'Angleterre parut un fait singu-
lier, purement local, et dont, même dans les États encore
travaillés par des dissensions civiles, on n'avait pas, sur le
continent, à redouter beaucoup la contagion..
Le nom de République, d'ailleurs, n'était pas nécessaire-
ment alors un sujet de défiance et d'alarme ; quoique cette
forme de gouvernement n'eût prévalu que dans des États
secondaires, elle avait tenu sa place en Europe sans que
l'ordre européen en fût troublé; les grandes monarchies
européennes avaient vécu en bons et tranquilles rapports
avec les républiques d'Italie, de Suisse, d'Allemagne, des
Pays-Bas ; l'Europe n'avait pas encore contracté l'habitude
de considérer le gouvernement républicain comme le pré-
curseur et le fauteur des révolutions et de Tanarchie.
La révolution d'Angleterre se présentait en outre comme
religieuse autant que politique : or les grandes guerres de
religion étaient terminées; le traité de Westphalie venait
de poser les bases du nouvel ordre européen; les Etats ca-
tholiques et les États protestants s'étaient mutuellement
acceptés ; parmi ces derniers, le plus récent et le plus con-
testé, les Provinces-Unies avaient enfin conquis leur repos
et leur rang. Le régime de la paix entre les diverses com-
munions chrétiennes, sinon dans le sein de chaque Etat,
du moins dans les rapports extérieurs des États, avait défi-
nitivement prévalu ; et quoique les préventions et les haines
religieuses fussent loin d'être éteintes, personne, ni les
gouvernements, ni les peuples, ne voulait rengager une
lutte dont tous avaient cruellement souffert, et dans laquelle
DES COURS DU CONTINENT. 175
ni l'un ni l'autre parti ne se flattait plus d'écraser son rival.
C'est par la fatigue et la nécessité que Dieu impose aux na-
tions la justice et le bon sens.
La paix de religion rendit la politique à sa nature propre
et à sa liberté; les croyances et les passions religieuses ne
.décidèrent plus des desseins ni des alliances des Étals ; l'es-
prit d'ambition ou de résistance à l'ambition, de prépondé-
rance ou d'indépendance, d'agrandissement ou d'équilibre,
devint le principal mobile de la conduite des gouverne-
ments dans les relations internationales; ce fut là surtout
qu'ils cherchèrent des moyens d'attaque ou de défense dans
leurs espérances ou dans leurs craintes temporelles, et des
armes dans leurs rivalités. La révolution d'Angleterre pro-
fita de ce nouveau caractère, essentiellement laïque, de la
politique continentale : des deux grandes puissances , la
France et l'Espagne, qui se disputaient alors l'ascendant en
Europe, ni l'une ni l'autre ne voulut se brouiller avec la
République naissante; elles s'appliquèrent l'une et l'autre
soit à l'attirer dans leur camp, soit à la retenir loin du
camp ennemi; et deux systèmes d'alliance plus ou moins
complète, plus ou moins avouée, d'une part la France,
l'Angleterre et les Provinces-Unies, de l'autre l'Espagne,
l'Angleterre et les Provinces-Unies, furent, à Paris et à
Madrid, la pensée constante de Mazarin et de don Louis
de Haro, et à Londres l'objet du travail assidu de leurs
agents '.
Le Parlement républicain eut, de celle silualion, un sen-
timent juste, bien que confus et incomplet : il comprit qu'il
était déteslé des grandes monarchies européennes, mais
nullement menacé, et il se conduisit, envers elles, avec
' Lettres de Croullé à Mazarin (10 jitnvier IGiiO); — de Servicn à Croulli'
(28 janvier 1C50). Archives des Affaires élravjères de France {fJoeumenls
historiques, a» VIH).
176 ATTITUDE DU PARLEMENT RÉPUBLICAIN
méfiance et fierté, mais sans inquiétude ni emportement.
11 ne se montra point pressé d'être reconnu par elles, ni
empressé d'établir, auprès d'elles, les représentants de la
République. Non qu'il ne ressentit à cet égard aucune im-
patience; il lit sonder plusieurs fois les agents étrangers
qui restaient encore en Angleterre, Croullé, Cardenas,
Joachim, tantôt pour savoir d'eux comment seraient reçus,
à leurs cours, les ministres que la République pourrait y
envoyer, tantôt pour leur faire entendre qu'ils ne pouvaient
continuer eux-mêmes de résider à Londres s'ils ne rece-
vaient, de leurs gouvernements, de nouvelles lettres de
créance qui les accréditassent auprès du Parlement ^ Le
vif désir d'être reconnu perçait de temps en temps par des
voies indirectes. « On a imprimé ici, écrivait Croullé à
Mazarin, que les conseillers d'État de France avaient traité
avec les marchands anglais sur le sujet des affaires qu'ils
poursuivent, et avaient par là reconnu le Parlement comme
représentatif de la République. Je souhaite qu'ils se veuil-
lent contenter de cette reconnaissance imaginaire ^ » Le
Parlement ne s'en contenta point, il continua au contraire
de se montrer, à cet égard, exigeant et patient à la fois,
décidé à attendre la reconnaissance de la République aussi
longtemps qu'elle ne serait pas complète, et délibérant à
diverses reprises, et avec une susceptibilité jalouse, sur les
formes qui devaient êlre observées dans ses relations avec
les gouvernements étrangers '. Mais son attitude était tran-
» Lettres de Croullé à Mazarin (15 novembre et 6 décembre 1649, 7 no-
vembre 1650); — de Scrvien à Croullé (6 novembre 1649) {Archives des Af-
faires étrangères de France); — de Cardenas à Philippe I V (20 juin et
13 août 1649); — Z)c7(6cra;jo)t c/it conseil d'Étal de Madrid sur la recon-
naissance de la République d'Angleterre (9 octobre 1649) {Archives de
Simancaâ) {Documents histoaiques, n"» VI et IX).
2 Le 25 août 1649 {Archives des Affaires étrangères de France).
3 Les 24 mai 1650, l" janvier et 7 août 1651, 8 janvier 1652 ; — Journals
of the llousc of commons, t. YI, p. 416, 517, 618 ; t. YII, p. C4.
ENVERS LES COURS DU CONTINENT. 1/7
quille autant que fière; il déclara publiquement son inten-
tion de maintenir tous les traités existants entre l'Angle-
terre et les autres États ' ; il recommanda au conseil d"£tat
d'enlretenir partout des consuls afin que les bonnes rela-
tions d'affaires ne fussent pas interrompues - 5 il conserva
en France un agent officieux, nommé Augier, qui veillait
aclivemenl aux intérêts anglais '; il resta en rapports fré-
quents et bienveillants, à Londres, avec quelques-uns des
ministres étrangers, tels que l'Espagnol Cardeiïas et le
Hollandais Joacliim, qui n'avaient pas encore reçu de nou-
velles lettres de créance, mais dont il connaissait les bonnes
dispositions. A travers de nombreuses marques d'inexpé-
rience et quelques velléités d'arrogance, la conduite des
meneurs républicains, en fait de politique extérieure, indi-
quait autant de réserve que de fierté, une prudence intel-
ligente, et le désir de rester en paix au dehors pour ne pas
aggraver, au dedans, les difficultés et les charges de leur
gouvernement.
Sur un seul point ils entrèrent, sans ménagement et à
tout risque, dans une action forte et même violente. Des le
mois dejuin 1648, une portion considérable de la flotte, onze
vaisseaux s'étaient soulevés contre le Parlement et étaient
allés en Hollande se mettre aux ordres du prince de Galles
pour servir la cause du roi prisonnier. Au mois d'octobre
suivant, le prince Robert fut nonmié amiral de cette flotte
royale; étranger jusque-là à la mer, il était d'une bravoure
populaire, ardent aux aventures, sans crainte de la vie dure
et incertaine, familier et libéral avec ses inférieurs; il plut
' Le 17 avril 164'J; — Tliurloe, Slalv-J'apcrs, t. I, p. lô.ï.
* Le 14 décembre IG-iO ; — Journals of llw IIuusc of commoiis, t. VI,
p. 353.
' Le 5 février 1649; — Journals of tke Housc of commons, t. VI, [>. 152,
cl 494.
f78 LE PRl.XCE ROBERT
aux matelots comme aux soldats, et il continua sur mer,
contre la République, la mé-me guerre acharnée, errante et
pillarde qu'il avait faite sur terre au Parlement. Charles II
vivait dans une détresse profonde; l'argent lui manquait
pour aider son parti, pour payer ses serviteurs, pour en-
voyer un messager à la reine sa mère, pour se mettre lui-
même en voyage. Son beau-frère, le prince d'Orange, ne
pouvait, malgré la plus généreuse amitié, suffire à tous ses
besoins; quelques-uns des princes du continent, le duc de
Lorraine, la reine de Suède, le roi de Pologne, le czar de
Russie, lui firent quelques prêts ou quelques présents; ses
fidèles amis d'Angleterre lui envoyaient une part de ce que
leur laissaient les confiscations ou les séquestres; mais ces
secours étaient promptcment épuisés ; Charles n'avait aucun
revenu permanent ni assuré. Il chercha et trouva, dans la
flotte commandée par le prince Robert, des ressources pré-
caires, mais quelquefois abondantes ; elle se promena dans
la Manche, dans la mer du >'ord, tout autour de l'Angle-
terre, faisant sur le commerce de la République, et souvent
au hasard sur le commerce de tous les peuples, des prises
nombreuses et riches ; ce fut une flotte de corsaires sous
pavillon royal, chargés de pourvoir aux dépenses du roi
proscrit. Des armateurs particuliers, anglais, écossais, fran-
çais, hollandais, demandèrent à s'associer, en armant à
leurs frais des bâtiments, à celte vie d'aventures et de pro-
fits; l'autorisation leur fut aisément accordée, ou vendue;
des ordres de Charles II réglèrent ce service et le partage
de ses produits ; un quinzième de la valeur de toutes les
prises fut attribué au roi, un dixième à l'amiral ; le restant
fut divisé en trois parts, une pour les propriétaires du bâti-
ment, une pour les fournisseurs des vivres et objets d'en-
tretien, la troisième pour l'équipage, selon le rang et l'em-
ploi de chaque homme, depuis l'amiral jusqu'au simple
COMMANDE LA FLOTTE ROYALE. 179
matelot. Toute sùrelé commerciale et personnelle disparut
de ces mers; elles devinrent une arène de déprédations in-
cessantes, véritable guerre privée à laquelle les vaisseaux
mêmes du roi de France et des États généraux de Hollande,
en déguisant leurs pavillons, ne laissaient pas quelquefois
de prendre part i.
Contre ce péril ruineux et insultant, le Parlement répu-
blicain prit sur-le-champ les mesures les plus vigoureuses.
A peine installé, il réorganisa et augmenta, par tous les
moyens, la flotte qui lui restait; dès le 2 février 4649,
trente bâtiments marchands furent requis pour le compte
de l'Etat et armés en guerre ; les forces navales votées en
mars 1650, pour la campagne de l'été suivant, s'élevèrent à
soixante-cinq bâtiments montés par huit mille cent cin-
quante hommes; et dans Thiver de d6oOà 1651, trente-
neuf bâtiments montés par quatre mille cent quatre-vingt-
dix hommes, et portant neuf cent cinquante-quatre canons,
furent spécialement affectés à la protection des côtes
d'Angleterre. La presse des marins s'exerça avec rigueur.
Il fut largement pourvu à toutes les dépenses de l'établisse-
ment maritime, au traitement et à l'avancement des olli-
ciers, à la solde, à l'entretien et aux récompenses des
matelots. Vanc présidait le comité de la marine, et faisait
pénétrer dans toutes les parties de ce service son activité
aussi intelligente que passionnée. Biake, Dean, Popham,
Ayscough, Penn, Baddelcy, furent mis à la tète des diverses
escadres et envoyés dans la 3Linche, dans la mer du Nord,
sur les côtes d'Irlande, de France, de Hollande, de Portu-
gal, d'Espagne, dans la Méditerranée, dans le Levant, aux
1 Clarendon, Ilhl. of ihc RcbcUio», 1. xi, c. 21, 30, 142-i:>2; — Giaii-
ville Penn, Mcmorials of ihc life of sir William Penn, t I, p. 260, 2(10 ; -
Robcrl Blake,by Ilepworlh Dixon, p. lli-118;— Mcittoirs of prince Itu-
perl.published by Elliotl Tfarburlon, t. III, p. 2uO, 2GG, 280-297; — Wliili-
locke, p. 308, 347, 549.
180 MESURES DU PARLEMENT
Antilles ; la plupart officiers de l'armée de terre, sans expé-
rience de la mer, mais d'une hardiesse comme d'une capa-
cité éprouvées, dévoues à la République, avides, pour leur
pays comme pour eux-mêmes, de succès et de gloire, peu
soucieux de ce qu'il en pourrait coûter à eux-mêmes ou à
leur pays, et fermement résolus de maintenir partout, et à
tout prix, l'honneur et la sûreté du nom et du pavillon
anglais ^.
A ces forces matérielles ainsi bien entretenues et bien
commandées, le Parlement joignit, pour la protection du
commerce national, des mesures législatives non moins effi-
caces. Il régla la législation des prises maritimes de la façon
la plus propre à exciter l'ardeur et à récompenser les efforts
des marins anglais ^. Il rappela dans leur patrie tous ceux
qui servaient dans des marines étrangères. Aux négociants
anglais qui auraient essuyé en mer des pertes graves, par
le fait de vaisseaux élrangei's et sous prétexte de visite, il
assura les moyens d'en poursuivre la réparation '. Une dé-
claration de Louis XIV "* avait naguère interdit l'entrée en
France de toute étoffe de laine ou de soie fabriquée en An-
gleterre ; le Parlement se fît faire, par le conseil d'État, un
rapport sur les divers traités qui avaient réglé les relations
commerciales des deux nations, et soutenant que la prohi-
bition récente était illégitime, il interdit à son tour l'entrée
en Angleterre des vins et des étoffes de laine ou de soie de
France ^. «i Et à ceux qui leur ont dit que cette défense ne
1 Journals ofthe Noitsc of commons, t. VI, p. 129, 134, US, 149, 156, 37S,
407; — Memorials of sir William Penn, t. I, p. 291-297, .102-304.
* Les 7 et 8 mai 1G49; — Journals of ihe House of commons, t. Vf,
p. 202, 204.
s Les 9 mars 1649 et 13 avril 1630; — Ibid., p. 379, 397.
* Du 24 oclobre 1648.
^ Le 23 aoijl 1649; — Journals of the House of commons, t. VI, p. 284
cl 285.
POUR LA GUERRE MARITIME. ISl
tiendrait pas et qu'ils ne pourraient se passer de nos vins,
écrit Croullë à Mazarin, ils ont répondu par manière de
raillerie que les hommes s'accoutumaient à tout, et que, se
passant bien de roi, contre la créance que l'on en avait eue,
ils se pourraient bien aussi passer de vins de France ^ »
Le succès répondit à cet ensemble de mesures fortes,
ordonnée par un pouvoir hautain, et exécutées par des
agents habiles et hardis. La marine républicaine parcourut
toutes les mers, tantôt convoyant le commerce anglais,
tantôt faisant , sur le commerce étranger, de riches prises,
poursuivant partout à outrance le pavillon de Charles II, et
répandant partout où elle pénétrait celte crainte mêlée de
respect qu'inspire la force rapide et intraitable. Le prince
Robert, à la fin de l'hiver de 1649, s'était établi en croisière
sur la côte orientale et méridionale d'Irlande, pour seconder
les opérations de l'armée royale dans Tile, et pour saisir les
navires marchands toujours nombreux dans ces parages.
Blake vint l'y chercher et le bloqua dans le port dcKinsale.
Robert s'en échappa avec sa flotte % en perdant trois bâti-
ments, et se rendit sur les côtes de Portugal pour reprendre
librement sa vie de courses et d'aventures. Blake l'y suivit
par ordre du Parlement ', emmenant à son bord Charles
Vane, frère de sir Henri Va ne, chargé de présenter au loi
de Portugal les plaintes et les demandes de la République
Les deux flottes stationnaient l'une en face de l'autre à l'em-
bouchure du Tage, négociant l'une et l'antre avec la cour
de Lisbonne, Robert pour (lu'clle lui maintînt son a|)pui,
Rlake pour qu'elle le lui rclirat. Robert trouvait grande
faveur et à la cour et parmi le peuple portugais ; au mo-
ment de son arrivée, le roi Jean IV avait envoyé au-devant
* Le 4 octobre 1649 ; — Archives des Affaires vtnoKjvres ilc France.
» Vers la fin d'oclobre 1G49.
' Vers la fin de janvier 1G50.
nâPUBLIQUE B'AIVGtETEnRE. 1. '^
182 CAMPAGNE DE L'AMIRAL BLAKE
de lui plusieurs de ses officiers pour le conduire en pompe
au palais, et toutes les fois qu'il venait à lerre, la popula-
tion de Lisbonne se pressait sur ses pas avec de bruyantes
acclamations. Blake au contraire était, pour la cour et pour
le peuple, ardemment royalistes et catholiques, un objet de
profonde antipathie; quand des hommes de sa flotte quit-
taient leur bord, ils étaient insultés et quelquefois maltrai-
tés, soit par les gens du prince Robert, soit par les Portu-
gais eux-mêmes. Ne prenant, de ces mauvaises dispositions,
que peu de souci, Blake demanda au roi Jean d'éloigner de
ses États des pirates qui avaient dérobé à la République
d'Angleterre une parlie de sa flotte en lui débauchant ses
matelots, et qu'il avait ordre de poursuivre et de détruire
comme des ennemis de tout commerce régulier entre les
nations civilisées; si le roi de Portugal ne voulait pas se
charger lui-même de renvoyer les pirates de ses ports, que
du moins il ne trouvât pas mauvais que l'amiral anglais y
entrât avec son escadre, et s'acquittât de la mission qu'il
avait reçue de son gouvernement. L'indignation fut grande
à Lisbonne; la reine et le prince royal soutinrent le courage
un peu chancelant du roi que quehiues-uns de ses ministres
engageaient h céder. On répondit à Blake en lui adressant
des com[)liments et des présents, mais en repoussant ses
prétentions et en lui refusant l'entrée du port. Il tenta,
mais sans succès, de la forcer ; les forts firent feu sur ses
vaisseaux. Il tourna dès lors, contre le commerce portugais,
ses menaces et ses coups; les navires, royaux ou marchands,
ne purent plus entrer à Lisbonne ni en sortir; Blake en
saisit d'abord cinq, puis neuf; puis il détruisit une riche
flotte de vingt-trois bâtiments qui venaient du Brésil, dé-
clarant qu'il ne cesserait pas tant que les pirates royalistes
ne seraient pas livrés ou renvoyés. La cour de Lisbonne
flottait entre la colère et la crainte ; elle fit arrêter et empri-
SUR LES COTES DE PORTUGAL (1650). Ïb3
sonner, par voie de représailles, les marchands anglais
établis à Lisbonne, el Charles Vane, ne pouvant obtenir
qu'on leur rendit la liberté et leurs biens, se rembarqua et
retourna en Angleterre \ Mais en même temps le roi de
Portugal pressait le prince Robert de s'éloigner s'il ne se
croyait pas en élat d'attaquer la flotte de Blake et d'en dé-
livrer Je royaume. Robert parut un jour disposé à engager
le combat; mais Blake avait reçu un renfort de huit vais-
seaux amenés par l'amiral Popham, el il se montra si em-
pressé à attaquer lui-même que Robert se setira sous la
protection des forts, et prit enfin le parti de s'échapper, à
grand'peine, du port de Lisbonne, pour aller chercher,
dans la Méditerranée, sûreté et fortune '^ Blake le pour-
suivit sur les côtes d'Espagne comme sur celles de Portugal,
et les mêmes hésitations de faveur et de défaveur, les
mêmes alternatives de colère et de crainte qui avaient agité
la cour de Lisbonne en présence de ces deux flottes rivales,
troublèrent, quoique de plus loin, celle de 3L\drid. Dès que
le prince Robert parut devant Malaga, les deux ambassa-
deurs de Charles II en Espagne, Cottington et Ilyde, en in-
formèrent le gouvernement espagnol en réclamant, pour le
cousin et les vaisseaux de leur roi, un bienveillant accueil^.
Don Louis de Haro le promit avec empressement, autant
par inquiétude devant une force étrangère que par faveur
pour une flotte royale. Mais on apprit peu après à Madrid
que la flotte républicaine était aussi sur les côlcsd'Espagne,
poursuivant celle du roi Charles, et réclamant, comme à
Lisbonne, l'entrée des ports espagnols pour l'attaquer et la
détruire. Les prétentions arrivaient des deux parts, égale-
ment violentes et hautaines; Robert, après avoir coulé à
> EnjuiiilGIiO.
^ Kii sc()lcnibrc IGîiO.
2 Eu octobre IGtiO.
iU ATTITUDE DU PARLEMENT REPUBLICAIN
fond devant Malaga plusieurs navires marchands anglais,
demanda au gouvernement de faire arrêter à terre et de
remettre entre ses mains le capitaine de l'un de ces navires,
« qui avait, disait-il, furieusement conspiré contre le feu
roi Charles, et qu'en revanche il voulait faire bouillir dans
la poix. 1) Blake, de son côté, apprenant que le prince Ro-
bert était descendu à terre, fit presser les autorités espa-
gnoles de le lui livrer, comme un chef de pirates ennemi de
toutes les nations. La cour de Madrid se défendit, par les
délais et l'inertie, contre ces instances fougueuses. La guerre
des deux flottes continua plusieurs mois encore sur ses
côtes : enfin Blake détruisit devant Malaga la plus grande
partie de celle de Robert qui, resté avec deux vaisseaux seu-
lement, erra quelque temps dans la Méditerranée, puis,
repassant le détroit, alla chercher, dans l'Atlantique et le
long de la côte occidentale d'Afrique, de nouvelles prises à
faire sans avoir à combattre la marine du Parlement. Elle
resta dominante dans les mers du sud-ouest de l'Europe;
Penn et Lawson furent chargés dy poursuivre encore
Robert, dont on ne savait ce qu'il élait devenu; Blake fut
rappelé en Angleterre ' pour reprendre, avec Dean et
Popham, le commandement de la flotte dans la Manche et
la mer du Nord : la marine républicaine élait là en pré-
sence de rivaux plus redoutables; mais là aussi elle avait
déjà fait ses preuves de vigueur et d'audace; le commerce
français surtout avait payé cher les prises qu'avaient d'abord
faites sur les Anglais ses armateurs; au mois de scj)lem-
bre dG51, le Parlement déclara que, ne pouvant obtenir
justice du roi de France, il était décidé à se faire justice
lui-même; six navires français, arrêtés par des capitaines de
bâtiments de l'État, furent définitivement confisqués, et
1 Le 2 novembre 1650.
ENTRE LA FRANCE ET L'ESPAGNE. 18S
l'on n'accorda rien aux réclamations venues de Paris à ce
sujet. Sur mer, le Parlement républicain sentait et avait
fait sentir sa force; son pavillon flottait fièrement, redoute
de ses ennemis et respecté de ses rivaux '.
Mais là se bornèrent, en fait de politique extérieure,
son babiletéct ses succès : autant dans ses affaires mari-
times il déploya de savoir-faire et d'énergie, autant, dans
ses relations et ses entreprises diplon)ati(|ues sur le conti-
nent, il manqua de sagacité et de bon sens, de mesure et
de résolution.
Il était en présence de deux puissances ardemment
rivales, mais placées dans des situations et animées de dis-
positions très-diverses. L'Espagne, encore superbe de sa
grandeur récente dont l'Europe restait encore effrayée, dé-
clinait rapidement : l'empire d'Allemagne ne lui apparte-
nait plus; malgré ses longs et sanglants efforts, elle avait
perdu les Provinces-Unies; sa domination en Italie s'était
restreinte ; une conspiration \enait de lui ravir en un jour
le Portugal ; au loin et dans le nouveau monde seulement,
ses possessions demeuraient inniicnses; c'était, selon la
belle expression de Sully, « un de ces États qui ont les bras
et les jambes fortes et puissantes et le cœur infiniment
faible et débile . » Au milieu des splendeurs de sa cour et
de son langage, le gouvernement espagnol se sentait faible
en effet et cbercJiait à cacber sa faiblesse sous son immobi-
lité, Pbilippe IV et don Louis de Haro, tons deux sensés et
modérés, l'un par mollesse, l'autre par prudence, et las de
1 Mcmoriuls of prince liupcrt, l. 111, j). 288-588 ; - Claiemloii, tJisl. of
the RcbvUioii, l. xii, c. ô, 110-114; 1. xiv, c. G8; — Tliurloi-, i7«^c-/'(i;«»-4,
l. I, p. \U. 137, 138, liO-142, 154-158; — Wliilelockc, p. 410, 42'J, illi,
449, 458, 4()3, 470, 471, 473, 476, 484-48(j, 515, 520; — ItoOcil lUakc,
p. 122-165.
1 Sully au prcsideiil .Icaiiniii (26 lévrier 16()8j, iluiis les !\'éijoci<itions du
f résident Jcanniu, t. III, p. 201); CollccUon Pititvl.
IG.
186 ATTITUDE D\] PARLE3IENT REPUBLICAIN
lutlcr pour être vaincus, n'aspiraient plus qu'à la sécurité
de la paix, et niellaient tous leurs soins à écarter toutes les
questions, toutes les affaires qui leur auiaicnl imposé des
efforts dont ils ne se sentaient plus capables. Divisée et
énervée, la maison d'Autriche gardait encore moins d'am-
bition que de puissance, et hors le cas de nécessite absolue,
une pompeuse inertie devenait la politique des successeurs
de Charles-Quint.
La France, au contraire, et la maison de Bourbon mar-
chaient ensemble dans une voie de progrès rapide et hardi :
un puissant esprit d'activité et d'ambition animait les con-
seils de la couronne et les diverses classes, surtout les
classes supérieures, de citoyens; partout régnait le goût
des grands desseins et des entreprises éclatantes , sans
crainte des efforts et de la responsabilité qui les accompa-
gnent. Aussi malgré les dissensions civiles et d'infructueux
désirs de liberté politique, l'État s'affermissait et s'étendait;
l'unité nationale et l'aulorilc royale se développaient en
même temps. Persévérant autant que souple, et tour à tour
vainqueur ou fugitif, mais toujours favori et premier mi-
nistre, dans l'exil comme à Paris, Mazarin poursuivait, à
travers ses succès et ses échecs de guerre cl de cour, l'œuvre
de Henri IV et de Richelieu. C'était un gouvernement et
un pays à la fois anciens cl jeunes, guides par des traditions
puissantes dans un mouvement uou\ eau, pleins de force et
avides de grandeur.
Entre ces deux |)uissances, l'Angleterre pouvait ou choi-
sir à son gré son allié, ou uiainlenir fermement la balance;
malgré leur répugnance pour la Ré[)ubliquc régicide, elles
étaient si passionnément jalouses et inquiètes l'une de l'au-
tre qu'elles subordonnaient tout au désir de s'enlever mu-
tuellement un si important appui. Le Parlement républicain
ne prit ni l'un ni l'autre parti ; appréciant mal les forces et
ENTRE LA F1\A^CE ET L'ESPAGNE- 187
les chances d'avenii* des deux puissances, et dominé par des
routines passionnées, il resta flottant, mais non impartial,
entre l'Espagne et la France, affectant la neutralité sans
savoir ni en sortir à propos, ni la garder réellement.
L'Espagne avait ses préférences : ce n'était pas de Madrid
qu'était venue la reine Henriette-Marie, objet constant de
l'antipatliie et de lliostilité des parlementaires; ce n'était
pas à Madrid qu'elle trouvait encore asile et appui. Au
moment du |»rocès du roi, don Alonzo de Cardonas, pressé
parles royalistes de faire en sa faveur quelque démarche,
s'y était formellement refusé, disant qu'il n'avait point
d'instructions de sa cour ^. La République proclamée, il
était resté à Londres, en bonne intelligence avec les chefs
républicains, et il avait sollicité de sa cour le renouvelle-
ment de ses lettres de créance, donnant à entendre qu'il
en tirerait bon parti, et pour les intérêts politiques de
l'Espagne, et pour les intérêts religieux des catholiques
d'Angleterre ^- Philippe IV et don Louis de Haro étaient
moins empressés que Cardeiias : ils auraient voulu ne se
prononcer ni pour ni contre la République ou Charles II,
profiter sous main des velléités favorables de l'une, donner
sans bruit à l'autre quelques témoignages royalistes, et se
tenir dans une complète inaction en attendant les événe-
ments. Ce fut en ce sens qu'opina constamment le conseil
d'État espagnol, consulté par son roi tantôt sur les dépêches
de Cardehas, tantôt sur celles de Charles II et de ses ambas-
sadeurs. Pendant plus d'un an on mit en pratique à Madrid
celte politique d'indifférence et d'inertie : on n'envoya à
Cardenas ni instructions ni pouvoirs nouveaux; on essaya
» Cardenas au roi Philippe /K (15 janvier 1649). (Archives de Siviancai)
(Documcnls historiques, n" V).
2 Cardenas au roi Philippe /K (18 février 1649). [Archives de Simancas)
{Documenls hisloricfucs, n» V).
<88 LA COUR DE MADRID
d'empêcher que ColUngfon et Ilyde ne vinssent à Madrid,
et n'nyant pu y réussir, on ne tint nul compte de leur pré-
sence ^ Quand ils apprirent qu'Antoine Aschani allait arri-
ver en Espagne, au nom du Parlement, ils en témoignèrent
une douloureuse surprise : « Nous ne saurions croire,
dirent-ils, que Sa Majesté Catholique, qui a été le premier et
le seul prince auquel le roi notre maître ait offert, par ses
ambassadeurs, toute son amitié, soit le premier et le seul
prince qui donne crédit au gouvernement de ces rebelles en
recevant leur envoyé ^ » Le conseil dEtat délibéra sur leur
plainte; puis, quelques mois après, sur leur demande pour
que le prince Robert et sa flotte fussent bien reçus dans tous
les ports du royaume '. On éluda de répondre à leurs de-
mandes comme à leurs plaintes : soit qu'il s'agît du gou-
vernement républicain ou du roi proscrit, la cour de
Madrid n'aspirait qu'à ne rien dire et à ne point agir.
* Mais les situations se développaient ; le Parlement se
montrait plus exigeant; Cardcnas écrivit qu'on ne voulait
plus traiter avec lui et qu'il serait contraint de partir s'il
n'avait pas de nouvelles lettres de créance où la République
fût expressément reconnue ■*. L'assassinat d'Ascham et l'in-
sistance du Parlement pour en obtenir justice mettaient la
cour de Madrid dans un grand embarras. Charles II de son
côté lui donnait de Ihumeur ; il allait à Paris sous prétexte
devoir la reine sa mère, mais en réalité, disait-on, pour
1 Délibérations du conseil il' État de Madrid (15 cl 29 mars, 6 juin
cl 2 aoûl 1G4!)}. [Archives de Simancas) {Pocumcnls historiques, n"> V
cl VI).
^ Note de lord Collinglon et de Hxjde à Philippe lY (10 mai 1650). {Ar-
chives de Siviancas){Dociuncnls historiques, 11» X).— Clarcndon, Hisl. of thc
Rébellion, 1. xiii,c. 8, 10-14.
^ Détiljérations du conseil d'Étal de Madrid (10 mai cl 22 oclobrc 1650).
(Archives de Siviancas) {Documents historiques, n» XI).
* Le 20 juin 16i9. {Archives de Simancas) [Documents historiques ,
n» VI).
RECONNAIT LA REPUBLIQUE. 189
recevoir les conseils et les directions de Mazarin ; il traitait
de frère le roi de Portugal toujours qualifié en Espagne du
nom de tyran usurpateur^. Le Parlement républicain au
contraire menait rudement la maison de Bragancc et lui fai-
sait presque la guerre à cause de l'appui qu'elle avait prêté
au prince Robert. Après vingt et un mois d'bésitation, la
cour de Madrid se décida enfin; elle congédia d'Espagne les
deux ambassadeurs de Cbnries II, et envoya à Cardennsde
nouvelles lettres qui l'accréditaient auprès du Parlement de
la République^. En même temps arrivait en Angleterre Jean
de Guimaraes envoyé par le roi de Portugal pour mettre fin
à la mésintelligence des deux États. Le Parlement fit atten-
dre quinze jours à Guimaraes l'autorisation de venir à Lon-
dres ^ ; elle ne lui fut accordée qu'à la majorité d'une voix,
et on décida qu'il serait reçu sans apjtareil, par un comité
de onze membres *. Mais le surlendemain même du jour où
Cardcnas avait annoncé ses nouvelles lettres de créance, il
fut reçu par le Parlement tout entier en audience solen-
nelle^. Trois commissaires, parmi lesquels était le comte de
Salisbury, l'allèrent prendre cbcz lui dans les carrosses de
lÉtat ; trente ou quarante voilures l'accompagnaient, pleines
de gentilshommes espagnols et anglais ; deux régiments de
cavalerie étaient rangés devant Wbiteball, sur son passage;
un régiment d'infanterie lui faisait escorte. Entré dans la
salle du Parlement, il s'assit dans un fauteuil préparé pour
1 Antoine Brun à CarJchas {Va Iliiye, 29 iiovfml)re 1649); — Cardehus
à Philippe I V (14 dcceaibre lGi9). {Archives de Simaiicas) {Doeumcnh his-
toriques, no XII).
2 En (léccnibi-e IC50.
' Du 3 au 18 décembre 1650.
* LclO janvier 1C51; — Journuls of thc llousc uf comiiwns, l. VI, p. 504,
510,511, 516,319, 522,529,550.
* Le 26 iléccmbrc 1650; — Jounuds vf thc lluusc of comvwm, l. VI,
p. 513,513.
190 LE CHARGÉ D'AFFAIRES DE FRANCE
lui, remit à Toralcur ses Icllres de créance écrites en latin,
et prononça en espagnol un long discours, se félicitant de
venir le premier, au nom du plus grand prince de la chré-
lienté, reconnaître cette Chambre comme le pouvoir suprême
de la nation, et retraçant avec détail ce qu'avait fait le roi
son maître pour assurer le châtimentdcs meurtriers d'Ascham
et pour éloigner des ports d'Espagne le prince Robert. L'or-
gueil républicain prenait plaisir à recevoir avec cette pompe
cet éclatant hommage monarchique ; quelques puritains
austères en étaient seuls mécontents : « Je crains, écrivait
Bradshaw à l'un des ofiiciers de Cromwell ', que notre im-
puissant empressement à nous mettre en faveur auprès des
nations voisines ne nous fasse ni honneur ni profit. Dieu
nous fasse la grâce de compter sur lui , de ne rechercher
que lui, et d'être indépendants de tous les autres! Mais, sur
ce point, beaucoup de nos frères pensent autrement que
moi, et j'écris à quelqu'un qui est bien plus capable que moi
d'en juger. Je m'arrête donc ^. i>
Au même moment où le Parlement donnait à l'ambassa-
deur d'Espagne et recevait de lui ces éclatantes marques de
bon vouloir mutuel, le chargé d'afTaires de France, Croullé,
voyait sa maison envahie par des soldats, et était lui-même
arrêté, conduit devant le conseil d'État, et renvoyé d'Angle-
terre sous dix jours, -t Bien que ces messieurs les Espagnols
aient attendu à l'extrémité, écrivit-il sur-le-champ au car-
dinal Mazarin , ils n'ont pas laissé d'être bien reçus ; et
comme ce n'aura pas été sans conditions qu'ils se sont réso-
lus d'en venir là, entre lesquelles la principale sera d'être
mal avec la France, l'on a voulu faire précéder, à cette céré-
monie, une action qui témoigne que l'on veut la bien
1 l.c 24 décembre 1650.
2 Millon, SlaU-Papers, p. 39-40, 42.
EST RENVOYÉ DE LONDRES. 191
désobliger. Hier, lorsque , suivant l'approbation que j'ai
reçue de la cour de tenir un prêtre pour mon usage, il était
à dire la messe où assistaient plusieurs Français et fort peu
d'Anglais, une compagnie de soldats vinrent en mon logis
dont ils surprirent les portos, et étant entrés, frappèrent et
maltraitèrent d'abord tous ceux qu'ils rencontrèrent, dont
je fus du nombre: un gentilbomme français et moi, nou^
étant opposés aux violences qu'ils allaient faire à l'autel,
nous donnâmes assez de temps à celui qui y célébrait pour
se dévêtir de ses ornements et se ranger parmi la foule, d'où
je trouvai moyen de le tirer et de l'enfermer dans mon cabi-
net, en sorte qu'il ne fut point vu. Les soldats s'étant rendus
maîtres absolus de tout, je fus, avec un seigneur anglais et
deux gentilsbommes français, pour en porter ma plainte au
président du conseil qui, sans me vouloir entendre, me fit
mener et garder dans le corps de garde et dans un méchant
cabaret jusque sur la nuit. Environ sur les six heures, je fus
appelé au conseil d'État où, ayant fait une déduction simple
et véritable de l'action, il fut résolu de m'ordonner de me
retirer; ce qui m'ayant été dit par le président, je lui dis
que j'étais ici par le commandement du roi mon maître
auquel je ferais savoir ce qu'il m'avait dit, et qu'ayant reçu
les commandements de S. M., j'y obéirais sans remise; à
quoi le président m'ayant réplique que ce que je disais alors
était plus au mépris du conseil que tout ce que j'avais dit,
qu'il n'y avait point de rois qui eussent autorité de donner
des ordres en leur pays, et que si je n'obéissais pas, ils pro-
céderaient contre moi comme ils devraient, je lui répondis
que, lorsque j'avais parlé des commandements de S. M.,
je ne les avais entendus qu'à mon égard à moi qui partout
n'en recevais point d'autres, qu'ils avaient on main le pou-
voir et la force de faire ce qu'ils voudraient, mais non pas
de me faire rien faire contre mon devoir, sur quoi je nie re-
192 POLITIQUE DE LA COUR DE FRANCE
tirai. Ce matin, un messager du conseil d'Élat m'en a
apporté les ordres, avec passe-port pour me retirer dans dix
jours, à quoi il faudra que je satisfasse. J'attendrai pourtant
les commandements quil plaira à Votre Éminence de me
faire donner^. »
Mazarin ressentit , de cet incident, un vif déplaisir ; de-
puis longtemps déjà il s'inquiétait des menées de Cardenas
à Londres et de la préférence que l'Espagne y rencontrait;
le G août 1649, il faisait écrire à Croullé par Servien : « Je
vous prie de ne perdre aucune conjoncture pour donner au
Parlement les dernières défiances des Espagnols, ce que je
ne doute pas que vous ne fassiez fortement et adroitement
en toutes sortes de rencontres; » et quelques mois plus
lard* : « Il faudrait que le Parlement d'Angleterre nous
fournît sous main quelques assistances d'hommes ou d'argent
pour nous donner moyen de nous défendre des grands pré-
paratifs que les Espagnols font pour nous attaquer de tous
côtés la campagne prochaine Il faut au moins que vous
ayez toujours pour but d'empêcher qu'ils n'en donnent aux
ennemis, sur les fausses suppositions que Cardeîïas leur
fera. » Les informations que Croullé transmettait à Mazarin
n'avaient jamais été propres à le rassurer : c'était tantôt le
récit des marques de faveur que donnait à Cardenas le Par-
lement, tantôt l'annonce, bien ou mal fondée, que cent mille
livres sterling avaient été expédiées de Londres à Madrid
pour aider l'Espagne dans sa guerre contre la France.
MM. de Bouillon et de Turenne, alors chefs de la Fronde,
avaient, disait-on, écrit à Cromwcll pour demander son ap-
pui ; le conseil d'État républicain méditait d'envoyer une
partie de la flotte, qui croisait devant Lisbonne, au secours
1 Croullé à Mazarin (6 janvier 1631). {Archives des Affaires étrangères de
France).
* Le 28 janvier IU'ÔO {Archives des Affaires éirunghres de France).
ENVERS LA RÉPUBLIQUE (I650-1G3I). 193
des Frondeurs insurges à Bordeaux ^ Le bruit se répandit
que Cromwell, après avoir soumis l'Irlande, irait faire un
voyage en France; par une méprise singulière, Mazarin ne
vit d'abord là qu'une intention amicale, et Servien écrivit
sur-lc-cbamp à CrouUé : « Si, après Texpédition d'Irlande,
M. Cromwell vient en France, étant, comme il est, per-
sonne de mérite, il y sera bien reçu, car assurément tout le
monde Tira recevoir au lieu où il débarquera ^ ; » mais les
lettres de Croullé ne lardèrent pas à désabuser le cardinal.
« Je ne sache point de persuasion assez forte, lui écrivit
Croullé, pour ôtcr de l'esprit de tout le monde qu'aussitôt
que Cromwell aura fait en Irlande , il passera en France
avec son armée; ce qui se dit de son dessein procède de
ceux qui le désirent pour de différents intérêts ; et pour ce,
on lui fait dire quantité de choses que j'ai toujours négligé
d'écrire comme étant sans certitude et sans apparence , et
entre autres que regardant ses cheveux déjà blanchis, il a dit
que, s'il avait dix ans de moins, il n'y a point de roi dans
l'Europe qu'il ne fit trembler, et qu'ayant un meilleur
motif que le défunt roi de Suède, il se croyait encore capa-
ble de faire plus pour le bien des peuples que n'a jamais
fait l'autre pour son ambition '. »
Vrais ou faux, ces propos , ces bruits préoccupaient for-
tement Mazarin; l'hostilité déclarée de TAngleterre eût fort
aggravé les embarras de sa situation intérieure, toujours si
chancelante, et les difficultés de sa politique extérieure qu'il
poursuivait obstinément, quels que fussent ses embarras
personnels. A côté de lui, Colbert, encore simple conseiller
' Croullé à Mazarin, les 10 janvier, 16 mai, 4 juillet et 12 seplenibreKi.'iO
{Archives des Affaires étrangères de Fratice) (Documenls historiques, ir^ VIII
ctXllt).
2 Le 6 août 1649 {Archives des Affaires étrangères de France).
^ Les 23 oclobrc el 13 novembre 1649 (Archives des Affaires étrangères
de France).
1. 17
iU OUVERTURES DE MAZARIN
d'État, et intendant de la maison du cardinal, mais déjà
passionnément appliqué au soin de la prospérité nationale,
dénonçait sans relâche ses souffrances et les pertes que cau-
saient au commerce français les mesures prohibitives du
Parlement républicain et la guerre sourde et déréglée que
se faisaient les marines des deux États. Il fallait absolument
à Mazarin des alliés puissants en Europe , à Colbert de la
sécurité pour le commerce de France, sur terre et sur mer.
Un moment Mazarin se flatta de conclure, avec les Provin-
ces-Unies, contre l'Espagne et l'Angleterre, une alliance
efficace : le comte d'Estrades, longtemps ambassadeur en Hol-
lande, était, en 16S2, gouverneur de Dunkerquc; le prince
d'Orange lui écrivit le 2 septembre: « La confiance que j'ai
en votre amitié, et en celle que vous aviez pour feu monsieur
mon père, me fait espérer que vous ne me refuserez pas
la prière que je vous fais de venir me trouver à la Haye au
plus tôt, ayant à vous communiquer des affaires très-impor-
tantes.» Il s'agissait dun projet de traité par lequel Louis XIV
et le prince d'Orange se seraient engagés « à faire en com-
mun la guerre à l'Espagne et à rompre en même temps
avec Crorawell, en tâchant, par toutes sortes de voies, de
rétablir le roi d'Angleterre dans ses royaumes. » D'Estrades
en rendit compte h Mazarin qui lui répondit sur-le-champ :
«1 La reine m'a commandé de vous donner ordre de passer
incontinent en Hollande, près M. le prince d'Orange; et
afin que vous soyez en état de traiter avec lui, si vous le
trouvez disposé à rompre avec l'Espagne, je vous envoie le
pouvoir du roi pour conclure le traité , et ce sera le plus
grand service que vous sauriez jamais rendre au roi. En
mon particulier, je vous saurai très-bon gré si vous portez
ce prince à rompre avec l'Espagne ; ce qui romprait toutes
les mesures de mes ennemis, et dissiperait les cabales et fac-
tions qui paraissent à la cour et dans le Parlement contrç
AU PARLEMENT RÉPUBLICAIN, 195
moi. Je vous prie de ne rien négliger pour faire réussir
celte affaire qui est très-importante ^ »
L'affaire ne réussit pas ; leprince d'Orange mourut ^^ et vers
la fin de cette même année, Mazarin se trouva seul, en facede
lEspagnc toujours ennemie, de la République britannique
officiellement reconnue par l'Espagne , des Provinces-Unies
détachées, par la mort de leur stalliouder, de la cause mo-
narchique , et sans relations, même oflicieuses, avec l'An-
gleterre d'où son agent était chassé.
Par caractère autant que par politique, il ne pouvait res-
ter dans cette situation : aussi impatient que fourbe, et re-
doutant peu les dégoûts, il était de ceux qui se pressent
d"agir pour sortir d'embarras et qui s'exposent à un nouvel
cchee plutôt que de ne rien faire pour réparer celui qu'ils
ont subi. Les négociants français insistaient fortement pour
qu'on renouât, avec l'Angleterre, des relations pacifiques;
ils essayèrent d'entrer eux-mêmes en correspondance directe
avec le Parlement républicain, et un M. Salomon, vicomte
de Virelade, écrivit en leur nom, de Paris, au conseil d'État
bi'itannique, demandant un sauf-conduit pour aller à Lon-
dres négocier dans leur intérêt. « Il n'y a ici personne, lui
répondit Walter Frost, secrétaire du conseil d'État, ([ui
puisse traiter avec vous de ces affaires, sinon la puissance
souveraine ou ceux qu'elle députerait ; et celte puissance-là
ne voudra recevoir d'adresse de personne que de la puis-
sance souveraine de France, laquelle seule fieut donner les
pouvoirs nécessaires pour Irai ter de telles afl';iires. Je ne puis
donc vous procurer un sauf-conduit pour venir en la qualité
que vous marquez Mais si l'État de France veut faire,
par vous, ouverture d'adresse publique à cette République
' Letlrcf, mémoires cl négociations de M . le comte d't'siradcs (Londres,
1753), t. I, |) 99-103.
* Le 6 novembre 1G50.
196 OUVERTURES DE MAZARIN
sur CCS affaires, et en la forme usitée entre États souverains,
je ne doute point que cet Élai-ci ne soit content de recevoir
les propositions honnêtes et justes qui seront pour terminer
les différends et rétablir le commerce en sa liberté pour le
bien commun '. »
Colbert vint en aide aux négociants : il rédigea un mé-
moire où, posant en i)rincipe que « pour remettre le com-
merce il y a deux choses nécessaires, la sûreté et la liberté.»
il rappela les faits qui détruisaient, pour le commerce de la
France avec l'Angleterre, ces deux conditions de salut, et
indiqua, sans hésitation, par quels moyens on pouvait les
retrouver : « Le point où les Anglais s'attachent le plus,
dit-il en finissant, est la reconnaissance de leur République,
en quoi les Espagnols nous ont précédés. On a à craindre
une plus étroite union par suite des négociations de l'am-
bassadeur d'Espagne en Angleterre. C'est à nos seigneurs
les ministres à prescrire la l'orme de celte reconnaissance,
jusqu'où elle doit aller, en quoi la France sera excusable
devant Dieu et les hommes si elle est contrainte de venir à
la reconnaissance de cette République pour prévenir les
ligues et mauvais desseins des Espagnols qui font toutes
les injustices et se soumettent à toutes les bassesses imagi-
nables pour nous nuire ^. j>
S'il eût décidé seul, Mazarin eût probablement pris un
parti prompt et complet; mais il avait à décider Anne
d'Autriche, son conseil et ses entours; il lui présenta un
mémoire où la question de la reconnaissance de la Répu-
blique d'Angleterre était soigneusement débattue : " Il
1 Le 11 décembre 1G50; — Documents inédits sur l'histoire dijAomaliqtie
de France; —Revue nouvelle, t. V, p. 413 41 G (^Documents historiques,
11" XIV).
'^ Documents inédits sur l'histoire diplomatique de France;— Revue nou-
velle, t. V, p. WJ -HZ {Documents historiques, uoXV).
AU PARLEMENT RÉPliBLICAIN. 197
semble d'abord, dit-il, que, si on se règle por les lois de
l'honneur ou de la justice, on ne doit point rcconuiiUre
cette République, puisque le roi ne saurait rien faire de
plus préjudiciable à sa réputation que cette reconnaissance
par laquelle il abandonne l'intérêt du roi légitime, son
proche parent, voisin et allié, ni rien de plus injuste que
de reconnaître des usurpateurs qui ont souillé leurs mains
du sang de leur souverain Mais comme les lois de l'hon-
iieur ou de la justice ne doivent jamais rien faire faire qui
soit contraire à celles de la prudence, il faut considérer que
toutes les dcmonslraliuns que l'on pourrait faire présente-
ment en faveur du roi d'Angleterre n'amèneraient pas son
rétablissement ; qu'un plus long refus de reconnaître la
République ne servira de rien pour augmenter ou confirmer
les droits du roi; que ce que la nécessité du temps et
des afTaires obligera de faire en faveur de la République
n'empêchera pas que ci-après on ne puisse se i>rcvaloir des
conjonctures favorables qui se présenteront quand on sera
en meilleur état pour faire quelque grande entreprise
Que d'ailleurs il va sujet de craindre que, si les Espagnols
sont une fois plus étroitement liés avec les Anglais, comme
ils y travaillent avec chaleur, ils ne les empêchent de s'ac-
commoder avec nous, et ne les engagent, sinon à nous faire
une guerre ouverte, au moins à leur donner de puissantes
assistances contre nous. Il ne reste donc pas lieu de douter
que l'on ne doive sans délai entrer en négociation avec la
Républiijue d'Angleterre et lui donner le titre qu'elle de-
sire. Il y a néanmoins une condition absolument nécessaire
et sans laquelle il serait inutile de s'engager à faire celte
reconnaissance, qui est d'être assure auparavant qu'on en
retirera quehpie utilité capable dcmporler, en la b;ilance,
le préjudice qu'on pourra en recevoir en la réputation
II serait doublement préjudiciable de faire une bassesse si,
17.
198 EiNYOI DE 31. DE GENTILLOT
après l'avoir faite, les Anglais demeuraient dans Tindiffé-
rencc et la froideur, et si ces avances ne servaient qu'à les
rendre plus orgueilleux et plus difficiles d;insles conditions
du traité qui devra être fuit avec eux pour accommoder les
différends que nous avons ensemble ^ »
Pour échapper à ce danger et ne pas « s'exposer à une
honte publique sans aucun profit, » on résolut d'envoyer
d'abord à Londres un agent secret, M. de Gentillot, homme
d'esprit, connaissant bien l'Angleterre et déjà employé plu-
sieurs fois dans des missions semblables : «' Sa Majesté, di-
saient ses instructions, a trouvé bon que le sieur de Gentil-
lot, s'en allant en Angleterre, travaille adroitement et sans
éclat, par le moyen des amis elhabitudes qu'il a en ce peu-
ple-là, à se bien informer s'il y a une véritable disposition
à faire cesser, par un bon accommodement, les différends
qui sont entre les deux nations et à rétablir entre elles une
bonne correspondance. II doit cire assuré avant toutes
choses que le Parlement d'Angleterre n'a point fait de traite
particulier avec les Espagnols contre la France, et qu'il
n'est point tellement engagé avec eux qu'il ne puisse faire
tous les accommodements et confédérations qui seront jugés
utiles pour les deux royaumes Les Anglais ne manque-
ront pas de demander que le roi reconnaisse apparemment
leur République par des lettres etautres démonstrations pu-
bliques ; sur quoi le sieur de Gcnlillot représentera qu'il n'y
aura point de difficulté sur cet article, et que c'est un point
que le Parlement peut tenir pour accordé selon son désir,
mais qu'il nous importe d'être assurés qu'après la recon-
naissance faite nous ne rentrions pas en rupture ou en mau-
vaise intelligence, et que les hostilités cesseront entièrement.
> Janvier i&^l;— Documents inédits sur l'histoire diplomatique de France;
Bévue nouvelle, t. V, p. 41G-4I9 {JUanuscrils de Brienuc, à la Bibliolhc(juc
impérial?) {Doamcnls historiques, n« XVI).
A LOxNDRES (jvrvieh ICxil). 199
L'assurance ne peut être aiilre ({ue de convenir en même
temps d'un projet d'accommodement pour les différends
qui sont entre les deux nations. » Ici venait l'exposition de
ces différends ainsi que des conditions du traité qui devait
y mettre un terme, et les instructions finissaient en disant:
V Le sieur de Geiitillot pourra même laisser entendre que, si
la République d'Angleterre désire quelque engogenicnt plus
étroit avec la France, principalement contre l'Espagne, l'on
y est entièrement disposé de cccôté-ci... En cas que ledit sieur
de Gentiliot y trouve disposition du côté des Anglais, sur
les avis qu'il en donnera, Tambassadeur qui passera en An-
gleterre sera chargé et aura pouvoir suflisanl den traiter'.»
Mazarin, dans cette démarche, avait oublié de prévoir
deux choses, la faiblesse de sa propre situation et la fierté
des républicains anglais : au moment où M. de Gentiliot
arrivait à Londres, les Frondeurs trionqjhaient à Paris; le
cardinal, obligé de lïiir *, trouvait à grand'peine un asile
d'abord au Havre, puis à Sedan ; et le Parlement britan-
nique de son côté, voulant être reconnu parla France comme
il venait de l'être par l'Espagne, hautement et sans plus de
délai, refusait d'écouter et même d'admettre à Londres au-
cun agent officieux et secret. « J'ai eu tous les regrets du
monde, écrivit M. de Gentillet à M. Servien, que je n'aie
pas su au vrai les clioses avant de me charger de ce voyage ;
ces gens- ci ont trop de sujet de se plaindre; ils veulent
qu'on parle à eux par les formes et que l'on vienne a
compte J'ai fait tout ce qu'il m'a été possible; tout
cela n'a servi de rien. L'on a cru que vous ne m'aviez envoyé
ici que pour faire office d'espion dans leurs affaires. Soit
• Le 20 janvier IGol ; — Documcnls incilits sur ihistoirc diplomatique
de France {Revue nouvelle, I. V, p. 419-4:22) {Documcnls Itistoriqucs ,
nXVII).
* En ftviicr IGjI.
200 MORT DU PRINCE
cela ou quelque autre raison, ou pour nous montrer qu'ils
ne peuvent s'accommoder à celte façon de traiter qui s'éloi-
gne de leur reconnaître la puissance, tant il y a que fort
brusquement ils m'ont envoyé chercher vendredi, comme
particulier, pour venir auprès d'eux ; six députés du conseil
d'État m'examinèrent peu, s'en allèrent faire leur rapport,
et peu de temps après me firent donner, par un secrétaire,
uu acte qui porte que je sortirai dans trois jours de Lon-
dres; à quoi obéissant, je sors d'ici aujourd'hui qui est mon
troisième jour; je passerai à Calais pour attendre réponse à
cette dépêche ^. » On n'ordonna rien de plus à M. de
Gcntillot ; il rentra à Paris, et le reste de l'année 1651 s'é-
coula sans qu'aucun nouvel essai de rapprochement fût tenté
entre la cour de France et le Parlement républicain.
On s'en inquiéta peu à Londres, car la République et ses
chefs étaient dans l'un de ces accès de fortune et d'espérance
qui trompent les gouvernements, surtout les gouverne-
ments nouveaux, sur leur force réelle, et font éclater les
rêves de leur orgueil. En même temps que la reconnais-
sance de l'Espagne faisait entrer la jeune République dans
la société des États européens, la mort de Guillaume, prince
d'Orange, livrait à l'influence de l'Angleterre les Provinces-
Unies, celui de ces Étals auquel l'unissaient les liens les
plus naturels de situation et d'intérêt. Toutes deux protes-
tantes et républicaines, l'une à peine victorieuse, l'autre
encore engagée dans la lutte pour la défense de leur foi et
de leurs libertés, les deux nations avaient, au nom d'idées
analosues, la même cause à soutenir, souvent contre les
mêmes ennemis. Tout les invitait à une alliance intime. Un
obstacle grave s'y opposa d'abord : deux grands partis, d'un
' Le () mars IG.'jl; — Munusirils de Uricnnc ; - Docimicnls inédils sur
l'histoire diplomatique de France.
D'ORANGE (G ^ovEMBRE 1650), 201
côté le palriciat bourgeois des villes, de l'autre la maison
de Nassau soutenue par les restes de la noblesse féodale et
par la niultilude, se disputaient !e gouvernement des Pro-
TÎnces-Unies : tous deux puissants et respectables, car ils
avaient tous deux glorieusement cond)atlu et souffert pour
conquérir lindépendance de leur patrie. Vainqueurs, ils
entrèrent aussitôt en lutte sourde ou déclarée, l'un aspirant
à fonder une République aristocraticpieitfédérative, l'autre
tendant à transformer, sous le nom de slatlioudérat, la
confédération des Provinces -Unies en une souveraineté
unique et héréditaire. Desunion déplorable, dans lacjuclle
l'un et l'autre parti, obéissant à des sentiments nobles et
soutenant des intérêts légitimes, aggravaient outre mesure,
par leurs passions, l'importance de leurs dissentiments, et
méconnaissaient également tour à tour la limite de leur
force et le vœu de leur pays. Tant (|ue le prince d'Orange
vécut, il fit prévaloir, dans les conseils des Provinces-Unies,
une politique hostile à la Rcpubli(iue britannique : non pas.
sans effort ni complètement; il eût voulu, même au prix
de la guerre, engager la Confédération dans la cause de
Charles 11 ; c'était plus que ne comportaient évidemment
le bien et le sentiment public; la province de Hollande, où
dominaient les intérêts cominerciaux et les patriciens bour-
geois, soutint énergiquement la politique de la paix et de
la neutralité; elle avait, pour son propre compte, avec le
Parlement anglais, des relations bienveillantes; il prenait
soin de ménager ses négociants et de lui témoigner des
égards particuliers; elle envoya même et entretint quelque
temps à Londres un agent spécial, Gérard Schaep, que le
Parlement reçut et traita avec distinction K La rupture
1 Le 11 juin 1G50; - Jonrnulu of lltc Housc uf coininon^, t. VI, !>• 41*.
42l,4'i2, 425.
202 LE PARLEMENT EKVOLE DES
entre les deux États fut ainsi prévenue : mais là se borna
l'influence de la province de Hollande et de ses magistrats;
ils ne purent empêcher que, dans la conduite générale des
affaires, le prince d'Orange, secondé par les jalousies des
autres provinces et par le sentiment populaire, ne fît préva-
loir la politique royaliste. Non-seulement les États généraux
donnèrent à Charles II toutes les marques d'intérêt et tout
l'appui indirect qui ne les compromettaient pas absolument
à son service ; mais ils l'admirent à conféi'er aveceux, à leur
exposer sa situation et ses vues, à réclamer leurs conseils ;
et au même moment ils refusaient toute audience au rési-
dent de la République d'Angleterre , Waltcr Strickland,
resté à la Haye après le meurtre de son compagnon Doris-
laiis ; et ni ses instances répétées, ni la protestation formelle
des États particuliers de la province de Hollande ne purent
surmonter ce relus K Strickland retourna à Londres et fit
connaître au Parlement, en lui rendant compte de sa mis-
sion avec l'amertume d'un agent offensé, l'inimilié profonde
que lui portaient et le prince dOrange et les États généraux
qu'il dominait ^.
A la mort du prince dOrange, cet état de choses changea
complètement; maigre de grandes marques de respect et
d'affection envers sa famille, ni ses dignités ni son pouvoir
ne passèrent à l'enfant dont sa veuve, la princesse Marie
Stuart, accoucha une semaine après sa mort, cl qui devait
être un Jour Guillaume 111. Les magistrats des principales
villes, les de Wilt, Bickcr, de Waal, Ruyl, Voorhout, repri-
rent partout les (onctions dont le prince les avait violem-
ment écartés ; l'aristocratie municipale et la })rovince de
1 Le clerc, Hialoirc des Provinces-Unies, t. Il, p. 272; — Journals of ihc
Housc ofcommons, I. VI, p. 295, 315 ;— Tliurloe, State-Papas, t. I, p. 115-
115; — Clnreinioii, Hist. oflliv Rébellion, 1. xii, c. 27.
3 Le 7 août 1650 ; — Journals oflhc llousc ofcommons, t. VI, p. 452.
AMBASSADEURS A LA HAYE (janvier 16S1). 205
Hollande, où résidait surtout sa force, ressaisirent leur
ascendant dans le gouvernement central; une assemblée
extraordinaire des États généraux remit en vigueur les tra-
ditions républicaines de la confédération; tout annonçait
qu'une politique pacifique, et même bienveillante, envers
la République d'Angleterre, remplacerait la politique roya-
liste et hostile du prince d'Orange. Jamais une occasion
plus favorable ne pouvait se présenter pour conclure, entre
les deux républiques protestantes, cette alliance intime que
leur indiquait leur situation ^
Le Parlement s'empressa de la saisir; il décréta que des
ambassadeurs extraordinaires seraient envoyés à la Haye
pour accommoder les différends et traiter de l'alliance des
deux États ^. Afin de donnera cette ambassade plus d'au-
torité, on en chargea le grand juge Olivier Saint-John, l'un
des plus habiles meneurs du Parlement pendant la guerre
civile et de la République depuis la victoire, ami d'ailleurs
et conseiller intime de Cromwell '\ Saint-John refusa
d'abord, alléguant sa mauvaise santé. C'était un révolu-
tionnaire égoïste, hautain et craintif, content de sa fortune
judiciaire, de son influence indirecte dans le gouvernement,
et peu empressé à compromettre, dans une mission difiicile
et peut-être périlleuse, son amoui'-propre ou sa sûreté. La
Chambre repoussa son refus ^ lui adjoignit Walter Strick-
land, leur remit en séance leurs instructions ^, et les fit
partir en entourant leur mission d'un éclat inaccoutumé.
Quarante gentilshommes et une suite d'environ deux cents
' I.e Clerc, Histoire des Provinees-Unies, t. Il, p. 2S8-303 ; — W'icque-
fort, Histoire des Provinces- Unies, t. IV, p. 200-22(1 ; — Wagenaar, Vader-
landsehc hisloric (en hollandais, Amsterdam, 1753), t. XII, p. 18 et stiiv.
* Le 21 janvier 1631.
* Le 23 janvier IGSl.
* Le 28 janvier.
« Le 25 février.
20/* DESSEIN DU PARLEMENT D'ANGLETERRE
domestiques les accompagnaient. Saint-John emmena
Thurloe comme son secrétaire. A leur arrivée en Hollande,
d'abord à Rotterdam, puis à la Haye, ils furent reçus avec
non moins d'empressement et de solennité; une députation
des États généraux vint à leur rencontre, suivie de vingt-
sept carrosses- on leur exprima le regret de ne pouvoir les
conduire à l'iiôtcl consacré par l'État aux ambassadeurs
étrangers, et qu'occupait déjà l'ambassadeur de France,
M. de Bellicvrc; on les établit dans un hôtel particulier, et
la plupart des gens de leur suite se logèrent aux environs,
allant et venant sans cesse dans les rues, toujours plusieurs
ensemble et portant leurs épées à la main ou sous le bras,
comme se croyant en pays ennemi et entourés des meur-
triers de Dorislaiis. Les royalistes anglais étaient en effet
nombreux à la Haye, autour de la princesse d'Orange et du
duc d'York, et fort enclins à insulter les ambassadeurs de
la République. La multitude hollandaise elle-même leur
était malveillante et les suivait avec curiosité, se moquant
de leur attitude et disant que sans doute ils avaient peur '.
Les dispositions des hommes placés alors à la tête du
gouvernement hollandais étaient différentes ; par situation
comme par prudence, pour eux-mêmes comme pour leur
pays, ils désiraient sincèrement les bons rapports et même
une alliance véritable avec la République d'Angleterre.
Trois jours après leur arrivée à la Haye -, Saint-John et
Strickland furent reçus par les États généraux en audience
solennelle avec les plus éclatantes marques de considération
amicale, et sept commissaires furent désignés pour entrer
1 Joiirnals of ihe House of commom, t. VI, p. 525, 527, 528, 541, 543 ;
— Wliilelocke, p. 487, 488, 490; — Claremton, /iù*. of llte Rebdlion, I.Mif,
c. 154 ; — Wicqueforl, Histoire des Proinnces- Unies, t. IV, p. 287; — Le
C\ere, Histoire des Provinces- Unies, t. Il,p- 307-308.
' Le 50 mars 1651.
SUR LES PROVINCES-UNIES. 20!i
en conférence avec eux. Ils avaient mission de déclarer aux
ambassadeurs <t que les Provinces-Unies offraient leur
amitié à la République d'Angleterre, et qu'elles étaient por-
tées non-seulement à renouveler et entretenir inviolable-
ment l'affection et les bonnes relations qui avaient existé de
tout temps entre la nation anglaise et elles, mais aussi h
faire avec la République un traité d'intérêts communs. »
Les premières paroles des deux ambassadeurs firent claire-
ment entrevoir que de telles offres ne leur sufiîsaient pas :
«I Nous proposons, dirent-ils, que l'amitié et les bonnes re-
lations qui ont eu lieu anciennement entre la nation anglaise
et les Provinces-Unies, ne soient pas seulement renouvelées
et inviolablement maintenues; mais qu'elles entrent dans
une alliance et une union plus étroite et plus intime, de
telle sorte que, pour le bien de toutes les deux, il y ait
entre elles un intérêt mutuel plus substantiel et plus effi-
cace '. 1)
Que devait être « celte union plus étroite et plus in-
time? )> Que signifiait « cet intérêt mutuel plus substantiel
et plus efficace? x Pendant six semaines, Saint-John et
Strickland refusèrent de s'expliquer à cet égard ; c'était,
disaient-ils, aux États généraux à faire connaître, avec pré-
cision et détail, leurs vues dans cette négociation ; quanl ^
eux, ils ne jugeaient point satisfaisante la première offre
qui leur avait été faite ; et comme le Parlement avait assi-
gné à la durée de leur ambassade un terme fixe et prochain,
ils insistaient pour qu'on donnât promptement à leur pro-
position générale une réponse claire et péremptoire -.
Un dessein d'ambition vaste et cliimériquc, un de ces
desseins qu'on n'avoue pas en travaillant à les accomplir,
1 Wicquefort, Histoire des P ravinées- Unie s , Preuves, l. II, P- 3<!>-
390.
• Wicquefort, Histoire des Provinces-Unies, t. II, p. 392-394.
1. 18
20G DESSEIN DU PARLEMENT D'ANGLETERRE
était au fond de l'àmede Saint-John et des meneurs du Par-
lement qui l'avait envoyé. Présomplueux et inquiets à la
fois, ils étaient en proie à cette exubérance d'activité témé-
raire, à ce besoin de grandir pour s'affermir qui s'emparent
des pouvoirs nouveaux enivrés de leurs premiers succès.
Les bruits répandus sur les projets d'expédition de Crom-
well en France n'avaient pas d'autre origine; sensé, même
au sein de la fermentation révolutionnaire, Cromwell n'y
pensa probablement jamais; mais dans l'armée, dans le
Parlement, partout dans l'Angleterre républicaine, des idées
de ce genre préoccupaient passionnément des esprits hardis
et sans mesure, à qui. pour leur patrie et pour eux-mêmes,
tout semblait possible après ce qu'ils avaient déjà fait. Les
Provinces-Unies n'étaient pas la France; il ne s'agissait
point de les conquérir par la guerre; l'œuvre était déjà à
moitié accomplie; tous les liens moraux et matériels, la
religion, les institutions, la politique, le commerce, ratta-
chaient et assimilaient les Provinces-Unies à l'Angleterre.
Pourquoi l'assimilation n'irait-elle pas jusqu'à l'union?
Pourquoi deux républiques si semblables et si voisines res-
teraient-elles séparées? u Faciamiis eos in unam gentem ;
faisons-en une seule nation, » telle était la pensée des chefs
républicains de l'Angleterre ;Strickland, dans sa première
mission à la Haye, l'exprimait déjà ^ en écrivant à Walter
Frost, secrétaire du conseil d'État ; elle inspira l'ambassade
de Saint-John et domina toute sa négociation ^.
C'était un rêve plein d'imprévoyance autant que d'or-
gueil. La réunion en un seul État, et sous le méraegouver-
nement, des deux grandes républiques prolestantes eût, à
' Le 27 septembre 1649.
» Tilurloe, Stalc-Pupcrs, l. I, p. 150; — Clarcndon, Hial. of ihe Rébel-
lion, 1. xiri, c. 154; — Godwiii, Hist. of Ihe CommonweaUh, t. IIJ, p. 372;
— Le Clerc, Histoire des Provinces-Unies, t. Il, p. 309.
SUR LES PROVINCES-UNIES. 207
coup sûr, renconlrc en Europe des résistances acharnces,
et rallumé peul-êlrc les guerres de religion. La population
hollandaise l'aurait passionnément repoussée ; c'était la
perte de son existence nationale et son absorption dans le
sein de la puissante Angleterre , déjà très-impopulaire dans
les Provinces-Unies, comme un ancien protecteur, mainte-
nant un rival et bien près de devenir un ennemi. Déjà cir-
culaient parmi le peuple des satires, des chansons, de petits
écrits, en prose ou en vers, pleins de haine et de menaces
contre les Anglais. Les chefs mêmes du gouvernement hol-
landais, les hommes les plus décidés à la bonne intelligence
avec l'Angleterre avaient le cœur trop fier pour ne pas met-
tre au-dessus de toutes choses i'indé])endance de leur patrie,
et leur bon vouloir dans la négociation se glaçait dès qu'ils
voyaient percer l'ambitieux dessein des négociateurs étran-
gers. Déplorant, quelques années plus tard, les menées
orangistes et les passions populaires qui avaient poussé à la
rupture, Jean de Wittdisait avec une patriotique amertume:
« A cela il faut ajouter l'humeur insupportable de la nation
anglaise, sa continuelle jalousie de notre prospérité , et la
haine mortelle de Croravvcli contre le jeune piince d'Orange,
lils de la sœur de ce roi banni qui était, au monde, ce qu'il
craignait le plus '. »
Divers incidents, les uns naturels et pres(|ue inévitables,
les autres suscités à dessein, vinrent encore aggraver les
embarras delà négociation. La j)opulaee de la Haye témoi-
gnait fréquemment aux ambassadeurs sa grossière malveil-
lance; dans les rues et aux environs de la ville, leurs gens
furent insultés et maltraités par les gens de la princesse
d'Orange ou par les Cavaliers attachés au duc d'York (jiil
' Lcevcn en Dood dcr Gcbrocdcrs Corndis en Johun de WiU (Ani'-lcrtiiiiii,
1705), p. 26, 27, 33 ; traduit en français sons le lilie tic : Histoire de Cor-
neille et Jeun de WiU i^Ulreclit, 1709), t. I, p. 04.
208 LES A3IBASSADEURS ANGLAIS
résidait en ce moment auprès de sa sœur. Le prince et la
princesse eux -mêmes passaient et repassaient souvent, en
grand corlége et lentement, devant l'hôlel des ambassadeurs,
comme pour les braver; plaisirs puérils que se donnent les
haines et les humeurs de parti pour se consoler ou se dis-
traire un moment de leur impuissance. Un jour, le prince
Edouard, jeune frère du prince Robert, voyant passer les
ambassadeurs en carrosse, les apostropba des noms de :
« Coquins, misérables cbiens! » Saint-John, se promenant
dans le parc de la Haye, y rencontra le duc dTork, à pied
comme lui, et ils ne se reconnurent qu'en se voyant face à
face. L'ambassadeur de la République ne cédant point le
pas, le prince lui abattit son chapeau en lui disant : « Ap-
prenez, parricide, à respecter le frère de votre roi. — Je
ne vous reconnais, vous et celui dont vous parlez, que
comme une race de vagabonds, » répondit Saint-John : ils
mirent l'un et l'autre la main sur leur épée ; mais les gen-
tilshommes qui les accompagnaient les enlourèrent et les
emmenèrent. Un colonel Apsley se vanta, dit-on, qu'il irait
étrangler Saint-John dans sa maison. Les ambassadeurs [)or-
taicnt plainte aux États généraux de ces offenses; les ma-
gistrats entamaient des poursuites, prenaient des mesures
de police, plaçaient des gardes tout autour de l'hôtel. Les
satisfactions officielles ne manquaient point; mais les ani-
mosités royalistes ou populaires persistaient et trouvaient
toujours, pour éclater, quelque nouvelle forme et quelque
nouvelle occasion ' .
' Journals of ihe House of cotnmons, t. VI, p. 560; — Whitclocke, p. i91,
493,494; — Clarendon, flist. of ihc Rébellion, 1. xiii, c. 153; — Pari.
Hisl., t. XIX, p. 473; — Carie, Ormond's Letters, t. I, p. 427; t. H, p. 2;
— Raguencl, Histoire d'Olivier Cromwell ^Ulreclit, 1692), t. II, p. 27; — Le
Clerc, Histoire des Provinces-Unies, t. Il, p. 308, 310 ; — Wicquefort, His-
toire des Provinces- Unies, t. IV, p. 289;— Tliurloe, Stutc-Papers, t. I,
p. 179.
SONT INSULTES A LA HAYE. 209
Les ambassadeurs rendirent compte à Londres de celte
situation prcsfjue aussi [)crillciise que diflîcilc; ils y envoyè-
rent même Thurloc pour l'expliquer avec détail et demander
s'ile devaient négocier encore ou partir '. Le Parlement,
qui tenait fortement à son espérance, les autorisa à prolon-
ger leur séjour : mais en même temps, pour donner aux
États généraux une marque de son mécontentement et de
son pouvoir, il fit arrêter en mer neuf navires marchands
d'Amsterdam destinés pour le Portugal, et demanda raison
à la Haye de laltitudc de l'amiral Tromp qui stationnait
avec son escadre dans les eaux des îles Scilly comme s'il eût
voulu s'en emparer. Les États généraux expliquèrent les in-
structions données à Tromp et réclamèrent contre la saisie
des neuf navires. Nul ne voulait prendre lïnitiative de la
rupture, mais de part et d'autre Thumeur devenait chaque
jour plus amère, et perçait jusque dans les démarches ou
les paroles de courtoisie destinées à la couvrir -.
Après plus de deux mois de conférences vaines, consu-
mées par les négociateurs anglais à ne pas dire ce qu'ils ten-
taient de faire, et par les Hollandais à ne pas répondre ,
quoiqu'ils le comprissent fort bien, à ce qu'on leur deman-
dait sans le leur dire, Saint-John et Strickland se décidèrent
enfin à énoncer avec précision, en sept articles, quelques-
unes de leurs prétentions '. Celles-là seules auraient eu
pour résultat de lier complètement, en fait de paix ou de
guerre et d'alliances , la politique et le sort des Provinces-
Unies à la politique et au sort de la République d'Anglc-
i Le 29 avril IGoI; — Journals of tlie Hoitse ofcominons, l. VI, p. îiC8.
2 Tlmrloc, Slalc-Papers, t. l, p. 177; — Wliilclockc, p. 491, 492; —Wic-
queforl, //is/oiVc des Provivccs- Unies, I. Il, Preuves, p. 597-402;— Le
Clerc, Histoire des Provinces Unies, t. II, p. 311.
' Le 10 mai 1651. Tiiurloc, S(ale-Fapers, l. 1, p. 182; — Wicfiucforl,
Histoire des Provinces-Unies, l. II, p. 410-411.
18.
210 LES A31BASSAUËU1\S ANGLAIS ÉCHOUENT.
terre 5 elles obligeaient en outre les États généraux à abdi-
quer, dans certains cas, sur leur propre territoire, les droits
et le libre arbitre de la souveraineté. Et pour indiquer que
leur mission était loin de se renfermer dansées termes déjà
si extrêmes, les deux aujbassadcurs se hâtèrent d'ajouter
que, si leurs premières demandes étaient agréées, « le Par-
lement leur avait donné pouvoir de proposer et de mettre à
effet, de sa part, des choses de plus grande et de plus haute
conséquence pour le bien des deux républiques '. »
Évidemment, avec de telles arrière-pensées, rien n'était
possible : on se comprit sans s'expliquer -, par convenance,
la négociation se prolongea encore quelques jours; mais le
29 juin 1631, Saint-John et Strickland déclarèrent que le
Parlement les rappelait et demandèrent leur audience de
congé ; elle leur fut donnée le lendemain. Devant les États
généraux, les paroles ofliciclles de Saint-John furent mo-
dérées et courtoises; mais en se séparant des commissaires
hollandais avec lesquels il négociait depuis trois mois, il
leur dit : « Messieurs, vous avez les yeux fixés sur l'issue
de nos affaires en Ecosse, et à cause de cela vous avez dédai-
gné l'amitié que nous vous offrions. Je puis vous assurer
que plusieurs membres du Parlement étaient d'avis que
nous ne devions point venir ici, ni vous envoyer aucun
ambassadeur, qu'il fallait d'abord mettre fin à nos atfaires
avec le roi d'Ecosse , et attendre ensuite vos ambassadeins
chez nous. Je reconnais maintenant ma faute : les membres
du Parlement qui étaient de cet avis avaient raison; vous
verrez, sous peu, nos affaires avec le roi d'Ecosse terminées ;
et alors vous viendrez rechercher par vos envoyés ce que
nous sommes venus vous offrir cordialement. Croyez moi ;
' Le IG juin 1631. — Thurloc, Slalc-Papcrs, t. F, p. 188; — Wicqucfort,
Histoire des rrovinccs-Unies, Preuves, 1. 11, p. -415-418.
ACTE DE NAVIGATION (9 oCTOnnE 1651). 211
vous VOUS repentirez d'avoir rejeté nos offres '. .. Deux
jours après, les ambassadeurs quittèrent la Hollande, en
refusant, selon l'ordre l'oruicl du Parlement, les riches pré-
sents que leur offrirent les Étals généraux, et le 7 juillet
Whitelocke annonça à la Chambre qu'ils étaient de retour
à Londres prêts à rendre compte de leur mission ^.
Deux mesures décisives suivirent promptcinent le compte
qu'ils en rendirent en effet : Whitelocke proposa, le 5 août,
au Parlement le fameux bill connu sous le nom d'ac(e de
navigation, qui interdisait à tous les navires étrangers
d'importer en Angleterre aucune denrée autie que les pro-
duits du sol et de l'industrie de leur propre pays. C'était le
coup le plus rude qu'on pût porter à la Hollande, dont le
commerce de transport faisait la prospérité. Avant la fin de
l'année, le bill fut définitivement adopté elmis en vigueur'.
En même ten)ps des lettres de représailles furent données
aux négociants anglais pour les mettre, dit-on, en mesure
de s'indemniser eux-mêmes des perles (jue la marine hol-
landaise leur avait fait subir. Les Provinces-Unies n'avaient
pas voulu se laisser conquérir par les négociations ; on pré-
para contre elles la guerre.
La victoire de Worcesler porta au comble la confiance
orgueilleuse du Parlement républicain, et les Étals du con-
tinent, par leur altitude et leurs démarches après ce grand
revers du parti royaliste, vinrent la justifier et laccroître.
De toutes parts affluèrent à Londres les déclarations de
1 Histoire Je Corneille el Jean de WiH, t. I, |>.G3; — Wiciiueforl, Ilis-
loire des Provinces-Unies, p. 428; — Htalti, A brief Chronicle, etc., p. t)2i4-
527; — Tluirloe, Slale-Papers, t. I, p. 1S9-I!W.
* Journals of Ihe JJoiise of commons, t. VI, p. 593, î)9!>; — Wliilflocku,
p. 496 ; — Le Clerc, Histoire des Provinces- Unies, l. Il, i'. 513.
• Le 9 oclobre 1C51. — Journals of ihc Hanse of commons, I. VI,
p. 617; t. VII, p. 27; — Le Clerc, Histoire des Provinces Unie^, I. Il,
p. 313, 314.
212 RELATIONS DE CR03IWELL
reconnaissance de la République, les ouvertures de relations
officielles, presque les félicitations et les flatteries diploma-
tiques. La Toscane, Venise, Gcnes, les villes hanséatiques,
les cantons suisses, les petits princes d'Allemagne envoyè-
rent et reçurent des agents '. De Suède, de Danemark et
de Portugal, des ambassadeurs extraordinaires apportèrent
au Parleuient des lettres de leurs souverains, lui furent pré-
sentées en audience solennelle, et entamèrent avec lui, soit
pour mettre fin atout différend, soit pour entrer en alliance,
des négociations empressées ^ Frappée des succès de la
République, l'Europe prenait partout ses mesures pour
bien vivre avec elle, soit qu'elle crût ou non à son avenir.
Mazarin ne pouvait rester étranger à un tel mouvement,
car nul n'était plus prompt à s'incliner devant la force, soit
pour l'atlirer et l'exploiter à son profit, soit pour lui dissi-
muler SCS vrais sentiments. Il recommença ses tentatives
pour rentrer, avec la République d'Angleterre, en bons rap-
ports ; M. de Gcntillot fit un nouveau voyage à Londres ';
Mazarin y entretenait de nombreux agents secrets, français
et anglais, tantôt pour recueillir des informations, tantôt
pour nouer des fils dont il espérait tirer un jour quelque parti.
Son empressement devint bien plus vif quand il sut que sir
Henri Vane était venu à Paris, et avait eu, avec le cardinal
de Retz, un entretien. « En retournant chez moi sur les
1 Les IG septembre et i 3 octobre 1651 ; les 25 février et 15 juin 1652; les
8 février cl 15 avril 1653 ; — Journals of ihe Housc of commons, t. Vil,
p. 19,28, 96, 142, 256.
2 Les 23 janvier, 10 et 12 mars, 6, 25, 26 cl 28 mai, 2 et 28 juillet, 17 août,
10, U, 15, 17, 28, 29 cl 50 septembre, 12, 14, 22 cl 29 octobre, 50 novem-
bre, 15, 16 et 25 iléccmbie 1652; les 5 cl 11 janvier, 1" cl 22 lévrier,
2-2, 23 et 30 mars, 7 cl 8 avril et 17 mai 1655. — Journalu of ihc Home of
iommons, t. Vil, p. 77, 103, 104, 150, 155, 156, 157, 149, 159, 165, 177, 178,
182, 185, 186, 1B7, 190,191, 194, 205, 2-23, 229, 250, 234, 243, 245, 252, 261,
269, 270, 275, 276, 277.
3 En novembre et décembre 1651.
AVEC LE CARDINAL DE UEIZ. 215
onze heures du soir, dit le cardinal, je Irouvai un certain
Fielding, Anglais, que j'avais connu aulrefois à Rome, qui
me dit que Vane, grand parlementaire et très-conlidcnt de
Croinwell, venait d'arriver à Paris, et qu'il avait ordre de
me voir. Je me Irouvai un peu embarrassé; je ne crus pas
toutefois devoir refuser celte cnlrevue, dans une conjonc-
ture où nous n'avions point de guerre avec l'Angleterre, et
dans la(iuollc même le cardinal faisait des avances et basses
et continuelles au Protecteur. Vane me donna une petite
lettre de sa part, qui n'était que sa créance. La substance
du discours fut que les scntiraenfs que j'avais lait paraître
j)our la défense de la liberté publique, joints à ma réputa-
tion, avaient donné à Cromwell le désir de faire une amilié
avec moi. Ce fond fut orné de toutes les honnêtetés, de
toutes les offres, de toutes les vues que vous pouvez imagi-
ner. Vane me parut d'une capacité surprenante. Je répon-
dis avec tout le respect possible; mais je ne dis ni ne fis
assurément quoi que ce soit qui ne fût digne et d'un vérita-
ble catholique et d'un bon Français ^ » Mazarin en jugeait
autrement, et du sein de son exil, il écrivait à la reine : « Le
coadjuteur a toujours parlé avec vénération de Cromwell,
comme d'un homme envoyé de Dieu en Angleterre, disant
qu'il en susciterait aussi en d'autres royaumes; et une fois,
en bonne compagnie où Ménage était, entendant relever le
courage de M. de Beaufort, il dit en termes exprès : « Si
« M. de Beaufort est Fairfax, je suis Cromwell ^.
Mazarin excellait à envenimer, pour perdre ses ennemis,
leurs actions ou leurs paroles, et à s'approprier aussitôt
effrontément leurs exemples et leurs armes. Pendant qu'il
faisait ainsi un crime au coadjuteur, aui)rcs de la reine,
1 Mémoires du curdinal de Rclz, p. 2H (édil. iii-S", Paris, 1837).
^ Lcllres du cardinal Mazarin àla reine Anne d'AutrivIic '^MiiM, lOiivril
1651), iiubliées par M. Kavciiul, p. 5, 6 (l'aris, 1850),
21i OUVERTURES DE CR031WELL
de ses sentiments sur Cromwell, il travaillait à entrer lui-
même, avec Cromwell, en relation intime ; trop sagace pour
ne pas reconnaître que là étaient, en Angleterre, l'habileté
et le pouvoir, c'était au maître futur de la République, non
plus au Parlement républicain, qu'il adressait ses avances.
Cromwell s'y prêta volontiers : lui aussi, il était incessam-
ment ap])liqué à se faire partout de puissants amis. « 11 laisse
adroilcmenl aux autres la conduite et le soin de ce qui fait
crier, disait, des 1C50, Croullé à M. Servien, et se réserve
à lui-même les clioses qui obligent; dont au moins il fait
courir le bruit, afin que, si elles réussissent, elles lui soient
attribuées, et sinon, que l'on voie qu'il en a eu la volonté,
et que l'effet en a été empêché par d'autres ^. >» Le 3 fé-
vrier 16S2, le comte d'Estrades, toujours gouverneur de
Duukerquc, écrivit à Mazarin alors rentré en France, et
qui venait de rejoindre la reine à Poitiers : « Le Protec-
teur ' Cromwell m'a envoyé M. de Fitz-Jamcs, son colonel
des gardes, pour me proposer de traiter de Dunkerque,
qu'il m'en donnerait deux millions, et qu'il s'engagerait de
fournir cinquante vaisseaux et quinze mille hommes de
pied pour se déclarer contre l'Espagne cl contre les enne-
mis du roi et de Votre Excellence, avec qu^ il voulait faire
une étroite amitié. Je répondis à M. deFitz-Jaines que, si les
troubles et la guerre civile qui étaient en France ne m'obli-
geaient pas d'envoyer vers la reine et Votre Excellence, je
l'aurais fait jeter dans la mer pour m'avoir cru capable de
* Le 20 juin 1G50 {Archives des Affaires ctrungères de France).
s J'ai clé surpris de liouver le (itre de Proiccleur déjà donné à Cromwell,
le 5 février 1G;j~2. L'aullieiiticilé el la date de la Icllre du eunile d'Estrades
ne sont pas douteuses. Je suppose, ou que les étrangers, des celte époque,
qualifiaient Cromwell de Proiccleur de la réjiubliquc d'Angleterre, ou plutôt
que ce titre, devenu, en décembre IG53, le titre oflicicl de Cromwell, a élc
intercalé dans le texte des lellres du comte d'Estrades, au moment de leur
|)ublicalion.
A MAZARIN (février 16S2). 2i:>
trahir mon roi, mais que la conjoncture présente m'obli-
geait à le retenir chez moi en attendant la réponse de la
cour. » Mazarin répondit à d'Estrades : n Mon sentiment
était qu'on acceptât la proposition de Cromwcll; mais
M. deChàteauneuf s'y est opposé, et l'a emporté près de la
reine qui n'a pas voulu y consentir Je me remets au
sieur de Las à vous dire les sentiments que j'ai pour vous ;
vos intérêts me sont aussi chers que les miens. i> D'Estra-
des comprit, et ne perdit pas un moment ; cinq jours après,
il écrivait à Mazarin : « Dès que j'eus reçu de M. de Las la
lettre qui me faisait savoir les intentions de Votre Émi-
nence touchant la proposition d'Angleterre, je le fis savoir
à mon ami à Londres, et le priai de me faire réponse sur
les points de ma lettre au plus tôt. Il est arrivé lui-même
ce matin en celte ville, et m'a dit, de la part de M. Crom-
wcll, que ce que la République demande est que le roi les
reconnaisse et envoie au plus tôt un ambassadeur, et qu'on
paye à leurs sujets ce qui leur a été pris sur mer Il m'a
dit ensuite que M. Cromwell l'avait chargé de me dire que,
si Votre Éminencc ne pouvait rester en France, et que ses
ennemis l'obligeassent d'en sortir, il m'assurait qu'elle
serait bien reçue en Angleterre s'il s'y voulait retirer, et
traité de la République avec toute sorte d'honneur ; qu'on
lui donnerait une bonne maison pour retraite, une sûreté
entière et l'exercice de sa religion libre, et que, quand il
voudrait s'en aller à Rome, il lui sera fourni des vaisseaux
pour lui et tout son équipage, pour le porter où il vou-
dra ^ i>
Mazarin se crut au but de ses vœux : des pouvoirs furent
aussitôt envoyés à d'Estrades « pour traiter d'une nouvelle
' LeUres, Mémoires el Négocialions du comte U'Eslrudcii, l. I, p. lOiî-IO";
— le comte d'Eslrades nu cardinal Mazarin (7 mars 1C52) [Archives dis
Affaires étrangères de France).
21G AVANCES DE MAZARIX
alliance avec la République d'Angleterre... Et jugeant,
faisait-on dire à Louis XIV, que le sieur Croinwell pourrait
envoyer vers nous quelqu'un pour cire davantage celai rci
de mes bonnes intentions, vous aurez à les lui faire con-
naître et vous ouvrir en toute confiance, non-seulement sur
ce qui s'y peut traiter avec la Republique, mais encore avec
la personne dudit sieur Cromwell, tant pour le bien com-
mun des deux royaumes que pour ses intérêts particuliers,
vous donnant, par la présente, pouvoir d'agir, négocier,
traiter et promettre en mon nom tout ce que vous jugerez à
propos audit Cromwell, et je ratifierai et exécuterai tout ce.
que vous aurez promis en mon nom \ » Cependant d'Es-
trades ne quitta point Dunkerquc ; un mois seulement après
la date de ses pouvoirs, il reçut des instructions précises et
une lettre de Mazarin qui les commentait. Le cardinal vou-
lait vendre cber la reconnaissance de la République, et ne
l'accorder qu'en échange d'un traité immédiat qui non-seu-
lement mît fin aux différends des deux États, mais qui assu-
rât à la France l'alliance, ou du moins l'appui caché de
rAnglelerre contre l'Espagne. Dans cet espoir, il autorisait
même d'Estrades à reprendre l'affaire de la cession de Dun-
kerquc aux Anglais ^ Averti sans doute par ses amis de
Londres qu'il aurait peu de chances de succès, d'Estrades
ne partit pas davantage. A sa place, des instructions à peu
près semblables furent données à M. de Genlillot qui eut
ordre en outre de remettre à Cromwell une lettre de
Louis XIV lui-même portant : « Monsieur Cromwell, en-
voyant exprès à Londres le sieur de Gcntillot, gentilhomme
de ma chambre, avec lettre de créance au Parlement de la
République d'Angleterre et au conseil d'État pour leur faire
* louisXIV an comle d'Eslradcs (24 mars 163;2; Bibliotlièque impériale;
Manuscrits de Brienne.
' 23 avril Ki^S; — Ibid. (Pocumcnls historiques, n»XVin).
A CROMWELL (mars-avril 1CS2.) 217
entendre mes bonnes intentions, et comme il est avantageux
à l'un et à l'autre État de vivre en bonne voisinance, paix
et amitié, je l'ai charge de cette lettre pour vous, pour vous
assurer de ma bonne volonté et disposition entière à faire
ce qui servira à la sûreté et liberté du commerce, bien et
utilité réciproque des deux nations ; et m'assurant que vous
contribuerez volontiers à un si bon effet, je me remets audit
sieur de Gentillot de vous en dire davantage, vous priant de
lui donner créance comme à une personne en qui je prends
une confiance entière i. » Soit qu'elle ne s'accomplit point,
soit qu'elle échouât obscurément, la mission de Gentillot
n'eut pas plus de suite que celle de d'Estrades. De part et
d'autre, on tâtonnait sans avancer. Cependant Mazarin était
de plus en plus inquiet et pressé : quelques mois auparavant,
au même moment où il entamait ces négociations, le prince
de Condé et les Frondeurs de Bordeaux avaient aussi en-
voyé à Londres deux agents, MM. Barrière et de Cugnae,
chargés de solliciter l'appui de la République et d'offrir en
retour le libre conmicrce avec la Guyenne, certaines faveurs
pour les protestants français, et même la cession de l'ile
d'Oleron. Ces agents n'eurent d'abord aucun caractère pu-
blic; ils s'adressaient à tous les hommes considérables, à
Cromwell surtout', colportant partout dans Londres leurs
demandes et leurs offres. Mais le 51 mars 1GI)2, l'orateur
informa le Parlement qu'il avait reçu une lettre signée Louis
de Bourbon, et adressée « au Parlement de la République
d'Angleterre, w pour accréditer M. Barrière. La lettre fut
lue et renvoyée au conseil d'État qui reçut Barrière et en-
tendit ses propositions. Whitclocke en rendit compte au
Parlement. Cette mission semblait prendre de la consistance ;
l'ambassadeur d'Espagne l'appuyait chaudement; le comte
' 1" mai 1652 ; — Ibid.
RÉPUBLIQUE n'ANCLETEnRE. i. 19
218 MENÉES DE CONDÉ ET DES
du Daugnon, gouverneur du Brouage, qui s'était allié avec
le prince de Condé, envoya aussi à Londres des agents et des
promesses. Enfin la ville de Bordeaux, elle-même et en son
propre nom, fit partir deux députes spéciaux, MM. de Bla-
rut et de Trancars, chargés de u demander à la République
d'Angleterre, comme à un État puissant et juste, des secours
d'hommes, dargent et de vaisseaux, pour soutenir la ville
et commune de Bordeaux , unie avec messeigneiirs les
princes; et non-seulement pour les mettre à couvert de
l'oppression et des ci-uelles vengeances qu'on leur prépare,
mais encore pour les faire rétablir dans leurs anciens pri-
vilèges et leur faire respirer un air plus libre qu'auparavant.
Et sur ce que lesdits sieurs du Parlement de la République
d'Angleterre leur pourront demander de convenances réci-
])roques, ils les laisseront s'expliquer sur leurs prétentions,
et après, s'il le faut, pourront leur accorder un port dans la
rivière de Bordeaux, pour la retraite et sûreté de leurs vais-
seaux, comme Castillon, Royan, Talmont, ou Paulhac, ou
celui d'Arcachon, s'ils le veulent, lequel ils pourront forti-
fier à leurs frais. On pourra même leur permettre d'assiéger
et prendre Blaye, à quoi nos troupes les aideront en tout ce
qui sera possible. Ils pourront encore faire une descente à
la Rochelle et s'en emparera »
L'alarme fut grande à la cour et dans le conseil : pendant
que, dans les provinces du midi, la guerre civile appelait
ainsi en France l'étranger, la guerre étrangère continuait
dans les provinces du nord ; les Espagnols poussaient vive-
ment le siège de Gravelines; Dunkerque était près de suc-
comber; on apprit tout à coup que sept vaisseaux, partis de
1 Journals of the Ilouse of commons, l Vil, p. 112, 117, 129,133; —
Documents inédils sur l'kisloire diplomalique de France, dans la Hevue
7iouvellc, t. V, p. 381-593; — Tluiiloe, State-Papers, l. !, p. 216, 224,
226, 230.
FRONDEURS A LONDRES (1652). 219
Calais pour y porter des vivres et des renforts, avaient clé
arrêtés et pris en mer par l'escadre anglaise sous les ordres
de l'amiral Blake. En vain toutes les autorités françaises éle-
vèrent les plus instantes réclamations; en vain le duc de
Vendôme, grand amiral, écrivit à l'amiral Blake, au conseil
d'État républicain, au Parlement même'; ils répondirent
que les lettres de marque données par le gouvernement
français avaient causé et causaient encore au commerce an-
glais les plus grands dommages, qu'ils avaient résolu d'en
obtenir ou d'en prendre réparation, et ils refusèrent de
relàcber les bâtiments saisis ^ Évidemment le Parlement ne
voulait pas acheter la reconnaissance de la République au
prix que Mazarin voulait lui en faire payer ; il était décidé
à maintenir, entre la France et l'Espagne, sa flottante neu-
tralité, et penchant toujours vers l'Espagne, il saisissait
volontiers les occasions de faire senlir à la France son pou-
voir de lui nuire. Don Alonzo de Cardenas entretenait avec
soin, à Londres, cette disposition ; les démarches et les en-
voyés de Mazarin lui avaient causé de vives inquiétudes; il
en avait exactement informé sa cour en la pressant de Aure,
de son côté, au Parlement les avances et les concessions
nécessaires pour prévenir, entre l'Angleterre et la France,
tout rapprochement. Tantôl il travaillait à faire entrer
l'Espagne dans une alliance intime avec les deux réj)ubli-
ques prolestantes de Londres et de la Haye contre la France
et le Portugal; tantôt il demandait à sa cour de seconder
les Anglais dans une entreprise sur Calais, à charge par eux
d'aider les Espagnols dans les sièges de Graveliiics, Dunker-
que et Mardick. Enfin il entreprit de conclure, entre l'Es-
» Le 23 seplcmbrc 165'i. — Manuscrits de Hrlennc {Uibliothique impé-
riale).
2 Le 12 décembre 1652. - Journats of llic llunu of communs, I. VII,
p. 173, 193, 224 ; - Robert Blake, [>. 208-210.
220 M. DE BORDEAUX EST ENVOYE
pagne et la République d'Angleterre , un traité formel
d'amitié qui liât sûrement les deux États; et le 20 septem-
bre 1652 il envoya à Madrid un projet en vingt-quatre
articles, déjà présenté par lui, le 12, au conseil d'État répu-
blicain, qui se montrait assez enclin à l'acceptera
Pressé par ces périls, Mazarin se décida enfin à recon-
naître la République sans en recueillir, à l'heure même, le
fruit : le 2 décembre 1632, M. de Bordeaux, conseiller
d'État et intendant de Picardie, reçut la mission de porter
au Parlement une lettre du roi et de rétablir les relations
officielles des deux États. La résolution fut prise et exécu-
tée sans hardiesse ni bonne grâce, d'un air à la fois hautain
et embarrassé. Les instructions de M. de Bordeaux por-
taient formellement qu'il n'était point ambassadeur, et il
avait ordre de le déclarer en arrivant; elles semblaient faire,
des intérêts commerciaux des deux pays et de la restitution
des sept vaisseaux pris en allant à Dunkcrquc, l'objet pres-
que unique dcsa mission ; elles lui recommandaient, à la
vérité, tt de ne rien dire qui fasse rupture ni qui offense les
Anglais, pour ne leur donner aucun prétexte de se déclarer
ennemis de cette couronne, paraissant à S. M. quil vaut
mieux, pour un temps, qu'ils courent les mers et exercent
la piraterie qu'ils reprochent aux autres, que s'ils entrepre-
naient quelque chose de pis, ce serait de joindre leurs forces
aux Espagnols et prendre en protection les rebelles ; )> mais
en même temps on enjoignait à Bordeaux, « s'il ne pouvait
rien obtenir sur l'affaire spéciale dont il était chargé, de
repasser en France sans attendre aucun ordre; » tandis
que, s'il trouvaille Parlement bien disposé et prêt à désigner
* Lettres de Cardcnas à Philippe IV (23 janvier, 5, 15 et 25 février,
19 juillet, 12 et 20 seplembre 1652; — Délibérations du conseil d'État de
Madrid, sur les dépêches de Curdcuas (li aoùl). {Archives de Simancas
{Documents historiques, n» XXI).
A LONDRES (2 décembre 1652). 221
des commissaires pour revoir avec lui les anciens traités, il
devait attendre « et dépêcher vers S. M. pour recevoir ses
commandements avec les pouvoirs et instructions néces-
saires. » Au fond, la démarche était décisive et emportait la
reconnaissance de la République ; mais soit hésitation natu-
relle, soit complaisance pour les scrupules de la reine et de
la cour, Mazarin avait voulu lui donner encore l'apparence
d'une mission d'essai, limitée et conditionnelle, et dans la-
quelle on se réservait la faculté de revenir sur ses pas ',
La fierté républicaine déjoua promplemcnt ce petit ar-
tifice : quand l'oï'ateur annonça au Parlement ^ qu'il avait
reçu une lettre du roi de France, on en examina d'abord la
suscription ; elle était adressée : «i A nos très-chers et grands
amis les gens du Parlement de la République d'Angleterre;»
on fit dire à M. de Bordeaux, pnr le maître des cérémonies,
sir Olivier Fleming, que ce n'était pas dans cette forme
qu'écrivaient au Parlement les princes étrangers, et qu'on
ne pouvait recevoir une lettre ainsi adressée. Deux jours
après, Bordeaux envoya la lettre avec celte nouvelle adresse:
« Au Parlement de la République d'Angleterre; » elle fut
aussitôt admise, et on fixa au 21 décembre suivant la récep-
tion de M. de Bordeaux ; mais on le prévint que « n'étant
point ambassadeur, il n'aurait audience ni dans le Parle-
ment, ni dans le conseil d'État, mais dans un comité. ■>
Admis en effet devant ce comité: <i Le roi de France, mon
maître, dit-il, ayant jugé à propos, pour le bien de son ser-
vice, de m'envoycr devers le Parlement de la République
d'Angleterre, il m'a commandé de le saluer de sa part et de
l'assurer de son amitié, sur la confiance (|u'il a d'y trouver
une mutuelle correspondance à ses bonnes intentions. L'u-
1 Archites des Affaires étrangères de France; — Alamiscrits de liriinnv
{Bibliothèque impériale) (Docwncnts historiques, n» XXXII).
2 Le 14. décembre 1652.
19.
222 RÉCEPTION DE M. DE BORDEAUX,
nion qui doit être entre les États voisins ne se règle pas sur
la forme de leur gouvernemenl ; c'est pourquoi, encore qu'il
ait plu à Dieu, par sa providence, de changer celle qui était
ci-devant établie dans ce pays, il ne laisse pas d'y avoir une
nécessité de commerce et intelligence entre la France et
l'Angleterre; ce royaume a pu changer de face, et de mo-
narchie devenir république; mais la situation des lieux ne
change point ; les peuples demeurent toujours voisins et in-
téressés l'un avec l'autre par le commerce, et les traités qui
sont enlre les nations n'obligent pas tant les princes que les
peuples, puisqu'ils ont pour principal objet leur utilité
commune. ■> La République ainsi formellement reconnue,
Bordeaux rentra aussitôt dans lobjet spécial de sa mission,
et jetant çà et là quelques phrases contre les menées de
l'Espagne et sur la puissance de la France, il conclut par
demander la restitution des sept vaisseaux en donnant au
Parlement l'assurance que « Sa Majesté, qui regarde la jus-
tice comme le principal appui de son sceptre et le solide
fondement des empires légitimes, ne manquera pas de faire
faire raison à tous ceux de cet État qui auront de justes
prétentions contre ses sujets, et que, rapportant !a satisfac-
tion qui lui est due, elle embrassera tous les moyens qui
pourront entretenir une parAute correspondance entre les
deux États '. »
En apprenant la démarche du roi de France auprès du
Parlement républicain, la reine d'Angleterre, Henriette-
Marie, écrivit à son second fils, le duc d'York : « Mon fils,
cette lettre est pour vous faire savoir que, comme Ion a
envoyé d'ici en Angleterre pour reconnaître ces infâmes
traîtres, nonobstant toutes les raisons que nous ayons pu
« Journalsof tke House ofcommons, l. Vil, p. 228, 230, 2'5Z;- Archives
étrangères de France { — Manuscrit de Bricnne {Bibliotlicque impériale).
EMBARRAS DE CHARLES II. 223
donner contre et sur cela, le roi votre frère a résolu de s'en
aller et a déjà fait parler à la reine. Il n'a pas encore pris
de résolution pour vous. C'est pourquoi vous devez loujoui-s
faire comme si vous ignoriez cet envoi, et en cas que l'on
vous en parlât, dire que vous ne le pouvez croire Je
vous avoue que, depuis mon grand malheur, je n'ai rien
ressenti à l'égal de ceci. Dieu nous prenne dans sa sainte
protection et nous donne la patience qu'il faut avoir pour
supporter ce coup ^ ! » Charles II ne quitta point Paris; on
ne lui demanda point de le quitter, et la pension de 6,000 li-
vres par mois qu'il y recevait lui fut continuée ; mais su
situation y devint de plus en plus isolée et triste, et ses plus
fidèles conseillers l'engagèrent dès lors à chercher un asile
ailleurs.
La République semblait triomphante au dehors comme
au dedans et dans la diplomatie européenne comme dans la
guerre civile; mais les funestes effets de sa politique aussi
imprudente qu'arrogante envers les Provmces-Unies avaient
éclaté, et surpassaient infiniment les avantages que sa re-
connaissance par Louis XIV et son imparfaite neutralité
entre la France et l'Espagne pouvaient lui procurer.
Lorsque les chefs hollandais s'étaient refusés aux propo-
sitions des ambassadeurs d'Angleterre, et n'avaient pas voulu
lier le sort de leur patrie à celui d'une république à ce point
hasardeuse et chancelante, ils avaient fait acte de patrio-
tisme autant que de courage, et acquitté leur devoir envers
la dignité de l'État qu'ils gouvernaient aussi bien qu'envers
sa sûreté. Mais ils désiraient vraiment la paix, et même une
alliance avec l'Angleterre; la victoire du Parlement à Wor-
ccster et son acte de navigation, en leur montrant la guerre
1 Chaillot, ISiléccmbie i0a2; flianuscrils de liricnnc {Bibliolhcqnc impi-
rialc); - Clarendoii, IJist. of Ihe licbcllion, 1. xiii, c. lil); 1. xiv, c. 54.
22^^ ORIGINES DE LA GUERRE ENTRE
à la fois comme plus probable et plus périlleuse, les décidè-
rent à tenter, pour l'éviter, iin dernier effort. Dès qu'ils
apprirent la fuite de Charles II après sa défaite, un décret
fut proposé dans les États généraux, portant qu'aucun prince
étranger ne pourrait entrer sur leur territoire sans leur con-
sentement formel, et peu après ils envoyèrent à Londres
ti'ois ambassadeurs avec ordre de reprendre les négociations
que Saint-John et Strickland, en quittant la Haye, avaient
brusquement interrompues. A leur première audience',
le principal des trois ambassadeurs, Jacques Ctits, naguère
grand pensionnaire des Provinces-Unies, s'efforça dans un
long discours, trop flatteur pour être habile, de se concilier
la bienveillance du Parlement. On avait mis à leur récep-
tion un grand apparat; le maître des cérémonies avait eu
ordre d'aller les prendre sur la Tamise, àGravcsend,dansdcs
barques officiellement décorées; trois membres du Parle-
ment étaient allés au-devant d'eux jusqu'à Greenwich, et
les avaient, dès le lendemain, conduits à Westminster. A
leur entrée dans la salle, l'orateur et tous les membres se
levèrent et se découvrirent. Les républicains anglais vou-
laient traiter avec grandeur la République des Provinces-
Unies, et répandre parmi les deux nations la conviction qu'ils
lui portaient une sympathie sincère. Mais en même temps,
dominés par un orgueil mêlé de rancune, ils écoutèrent et
débattirent ses propositions avec rcntêlemcnt hautain d'un
pouvoir confiant dans sa force et ardent à se venger d'un
mécompte qu'il prend pour une injure. Dans l'un et l'autre
pays, les sentiments populaires concouraient avec cette dis-
position du gouvernement anglais : en Hollande, soit esprit
orangiste, soit rivalité nationale, le peuple s'attendait à la
guerre et se montrait plus porté à la désirer qu'à la crain-
» Le 19 décembre 1631.
L'ANGLETERRE ET LES PROVINCES-UMES. 225
dre ; les pêcheurs des bouches de la Meuse racontaient, avec
une patriotique confiance, leurs visions de grandes armées
navales qui avaient apparu dans l'air, au-dessus de leurs
côtes, se livrant de grands combats, d'où ils pronostiquaient
le triomphe du pavillon hollandais. A Londres, la multi-
tude était encore plus animée : elle entendait parler tous
les jours de procédés hostiles, sur mer, entre des bâtiments
anglais et des bâtiments hollandais; c'étaient tantôt des
affronts et des pertes que le commerce anglais avait subis,
tantôt des réparations hardies qu'il s'était données lui-
même, aux dépens de ses rivaux ; et plus d'une fois, sur le
bruit de ces nouvelles vraies ou fausses, la populace se porta
vers la maison que les ambassadeurs hollandais occupaient à
Chelsea, si disposée à les insulter que le Parlement se crut
oblige d'y envoyer une garde pour leur sûreté '.
Entre les négociateurs eux-mêmes les difficultés s'aggra-
vaient tous les jours; des questions inattendues s'élevaient;
on manifestait, de part et d'autre, soit d'anciennes, soit de
nouvelles prétentions. Les Hollandais, devenus naguère un
État puissant, voulaient fonder aussi sur mer leur cntièi'C
indépendance, et s'affranchir des marques d'infériorité que
l'Angleterre avait été ou se disait en dro't de leur imposer.
Les Anglaisaccusaientleursroisdela maison dcStuartd'avoir
abandonné ou laissé tomber en désuétude ces gages exté-
rieurs de leur emj)ire de la mer que jadis, et surtout sous le
glorieux règne d'Elisabeth, leur marine avait possédés ou
réclamés. Le salut du pavillon, le droit de \ isite, le droit de
pêche, devinrent l'objet de vifs débals; |)lus ils se jtrolon-
geaient, plus les désirs et le ton des Anglais se montraient
1 Journalsof ihe House of commons, t. VII, p. 45, !)3-5l, ;)6, 58, G4 ; —
Wtiilelocke, p. 512, fjl8, ^21, 533; — Le Clerc, Histoire des Provinces-
Unies, t. Il, p. 314; — Wicqucforl, Histoire des Provinces- Unies, t. IV,
p. 307-310.
226 ORIGINES DE LA GUEllRE ENTRE
hautains; ils en vinrent à parler sans détour de leur souve-
raineté sur les mers qui entouraient leur île. Les ambassa-
deurs hollandais, par loyauté comme par prudence, décla-
rèrent que leur gouvernement armait une grande flotte pour
protéger, dans ces parages . la sûreté de son commerce; les
commissaires anglais leur contestèrent presque ce droit,
disant qu'ils feraient cux-mcmes la police de la mer, au pro-
fit de tous. Pendant que les querelles de principes s'enve-
nimaient ainsi, les hostilités de fait commençaient sponta-
nément entre les deux nations; leurs bâtiments ne se ren-
contraient guère sans se donner quelque marque d'inimitié;
on apprenait tantôt qu'un embargo avait été mis, dans les
ports de Hollande, sur les navires anglais, tantôt qu'une
flotte marchande hollandaise, revenant de la Méditerranée,
avait refusé de baisser pavillon devant l'escadre anglaise, et
que le commodore Young l'avait attaquée pour l'y contri.in-
dre.Dcs explications étaient, de part et dautre, réclamées
et données; l'embargo de Hollande était levé; mais Thu-
meur qu'il avait excitée en Angleterre demeurait. Les né-
gociateurs hollandais s'efforçaient d'atténuer les griefs et de
résoudre pacifiquement les questions; mais ils n'étaient pas,
tous les trois, animés au même degré de ce désir ; on remar-
quait leurs dissidences; on les appelait ironiquement « les
ambassadeurs désunis des Provinces-Unies. » Ils insistaient
en vain sur l'abolition, ou du moins sur la suspension pro-
visoire de l'acte de navigation ; le Parlement se montrait, à
cet égard, intraitable ; tt soit par les incidents extérieurs,
soit par le tour des négociations mêmes, le maintien de la
paix devenait chaque jour plus douteux et plus difficile ^
> Journals of Ihc Ilouse of commom, t. VII, p. 103, 133, 159 ; — Wliile-
locke, p. MU, 517, 522, 529, 550 ; -Robert Blake, p. 189-191;— Wicquefort,
Histoire des Provinces- Unies, t. IV, |). 510-518; — Le Clerc, Histoire des
Proiinecs- Unies, l. il, p. 314-516 ; - llcatli, CItroniclc, p. 585.
L'ANGLETERRE ET LES PROVINCES-UNIES. 227
Au milieu de ces agitations diplomatiques, on api)rit
tout à coup que, le 12 mai, dans les Dunes, aux approches
de Douvres, la flotte hollandaise commandée par Tromp , et
la flotte anglaise, sous les ordres de Blake, s'étaient rencon-
trées et combattues. Averti que Tromp naviguait dans ces
parages, et craignant de sa part quelque dessein hostile,
Blake s'y était porté aussitôt, et en arrivant, il avait, par
trois coups de canon successifs, sommé l'amiral hollandais
d'abaisser, devant l'escadre anglaise, son pavillon. Tromp
avait pris le large sans répondre. Il rencontra en mer un
aviso venant de Hollande et qui lui apportait sans doute des
ordres, car soudain il vira de bord et fit voile vers Blake
qui, se dirigeant aussi sur lui, renouvela sa sommation.
Tromp y répondit, tel fut du moins le récit de l'amiral an-
glais, en lâchant sur le vaisseau le James, que montait
Blake, une bordée qui y causa d'assez grands dommages.
« Ce n'est pas poli à Van Tromp, dit Blake, de prendre mon
vaisseau pour un mauvais lieu et de casser ainsi mes vitres; »
et à son tour, il canonna vivement le Brederode, vaisseau
amiral de Tromp. L'action ainsi engagée dura plus de quatre
heures ; Tromp avait quarante-deux bâtiments et Blake seu-
lement vingt-trois. L'amiral anglais eut, à son bord, plus de
cinquante hommes tues ou blessés ; l'escadre hollandaise
perdit un de ses bâtiments. Le soir venu , Tromp fit voile
vers les côtes de Hollande; et le lendemain, au point du
jour, Blake ne vit devant lui plus d'ennemis ^
Deux impressions très-diverses, à Londres la colère, j\
la Haye l'inquiétude, s'élevèrent à cette nouvelle. « Tromp
est venu nous braver dans nos eaux, disaient les Anglais ;
MVliitelocke, p. 333-534; - Robert Blake, p. 191-195; — Mcmoriah of
sir William Pcnn, l. I, p. 419-421; — Le Clerc, Histoire des Provinces-
Unies, l. II, p. 315-317; — WicquelorI, Histoire des Provinces- Unies, t. IV,
p. 318-320.
228 AMBASSADE HOLLANDAISE A LONDRES.
il a voulu surprendre notre flotte pour l'attaquer et la dé-
truire.— Tromp a été poussé vers la côte par le mauvais
temps, répondaient les Hollandais; il s'éloignait, disposé
à saluer la flotte anglaise, quand il a été violemment sommé
et attaqué ; il n'a fait que *se défendre, et il s'est relire dès
qu'il l'a pu honorablement; avec ses forces supérieures, il
eût aisément détruit la flotte anglaise s'il en eût eu le des-
sein. H Ces réponses, la dernière surtout, étaient accueil-
lies, à Londres, avec ironie, comme des mensonges et pres-
que comme une nouvelle insulte. La populace témoigna
plus vivement que jamais, aux ambassadeurs, son grossier
mauvais vouloir. Un quatrième ambassadeur extraordinaire
arriva soudainement de la Haye S Adrien de Pauw, pen-
sionnaire de la province de Hollande, déjà connu et estimé
en Angleterre, attaché à la politique pacifique et d'un carac-
tère prudent et conciliant; il apportait, de la part de son
gouvernement, les plus vives dénégations de toute inten-
tion hostile ou offensante pour l'Angleterre; il déclarait
que Tromp n'avait reçu aucune instruction, ni médité au-
cune attaque contre la flotte anglaise, et que ce qui était
arrivé n'avait été que le fruit de malentendus et de hasards
malheureux ; il demandait une enquête sur les faits et sur
la conduite des deux amiraux, offrant la révocation de Tromp
si les torts qu'on lui imputait étaient reconnus; et en atten-
dant, il insistait pour que les négociations fussent suivies et
menées à leur terme. Pauw fut reçu avec beaucoup de con-
sidération; mais dans leurs soupçons comme dans leurs
volontés, le Parlement et le conseil d'État se montrèrent in-
traitables; et après plusieurs conférences, un peu embar-
rassés des instances des négociateurs hollandais, ils éle-
vèrent tout à coup, comme condition préliminaire, la
1 Le 8 juin 165-2.
DÉCLARATION DE GUERRE (7 juillet 1632). 229
prétention que les Provinces-Unies eussent à les indemniser
des dépenses que la perspective de la guerre leur avait déjà
imposées; après quoi, on poursuivrait les négociations. On
ne saurait examiner de près ces faits et ces documents sans
demeurer convaincu que, malgré les menées du parti oran-
giste, les chefs des Provinces- Unies désiraient sincèrement
la paix, tandis que, soit passion, soit dessein, les républi-
cains anglais, Parlement et peuple, s'attachaient obstiné-
ment aux causes de guerre, espérant établir, sur mer, leur
suprématie, ou même accomplir, par la force, sur les Pro-
vinces-Unies, ces vues ambitieuses que les négociations
n'avaient pu faire réussir. Reconnaissant la vanité de leurs
efforts, Pauw et ses collègues demandèrent enfin leur au-
dience de congé ; ils furent reçus dès le lendemain avec de
grands égards officiels, et partirent en remettant au Par-
lement des pièces où leurs propositions et leur conduite
étaient, à leur sens, fidèlement retracées et pleinement jus-
tifiées. Cinq jours après, le 7 juilletd 652, le Parlement pu-
blia, avec ses motifs, sa déclaration de guerre; et quinze
jours après, parut aussi le manifeste des États généraux
acceptant avec fierté, bien qu'à regret, le défi qui leur était
porté *.
Quoique avec des forces, au fond, très-inégales, les deux
peuples entrèrent dans la lutte avec la même ardeur et pres-
que avec la même confiance; la marine des Provinces-Unies
était alors, en renommée comme en habileté, supérieure à
celle de l'Angleterre; elle s'était formée, depuis près d'un
siècle, dans le commerce de long cours, dans la conquête
et l'exploitation de possessions lointaines, en Amérique et
1 Jotirnals of Ihe Iloiise of commons, t. VII, p. 140, 141, 14-2-147, 149-
laO, 152; — Wliilelocke, p. «37; — Robert Uluke, p. 195-197; — Wicque-
fort, Histoire des Provinces-Unies-, t. IV, p. 022-524; — Le Clerc, Histoire
des Provinces- Unies, t. Il, p. 318-320.
1. 20
230 GUERRE ENTRE L'ANGLETERRE
aux Indes, dans les pêches difficiles el périlleuses; ses ma-
telots étaient nombreux et exercés; ses amiraux avaient
commencé à pratiquer dans les commandement des gran-
des flottes l'art (les manœuvres savantes et combinées, pres-
que ignoré à cette époque, selon leurs propres historiens,
des meilleurs marins anglais. Ceux-ci en revanche avaient
des vaisseaux en général plus grands, montés par des équi-
pages et munis de canons plus nombreux ; ils étaient en
proie à un violent accès des plus énergiques passions humai-
nes, le patriotisme, l'orgueil, l'ambition et la jalousie; et ils
avaient, pour les soutenir, un pays bien plus pcuj)lé et plus
riche que les Provinces-Unies, et placé, non sous la direc-
tion faible et changeante d'une confédération d'États, mais
sous l'autorité unique d'une assemblée révolutionnaire,
fière de ses triomphes intérieurs, et accoutumée à prodi-
guer les hommes et les ressources pour le succès de ses des-
seins. Un mois après sa rencontre avec Tromp, devant
Douvres, BlaLe avait sous son pavillon cent cinq bâti-
ments de guerre, portant trois mille neuf cent soixante et
une pièces de canon, et ayant à bord, outre leurs équipages,
deux régiments d'infanterie. Les Hollandais n'avaient pas
été moins vigilants dans leurs préparatifs ; ils avaient loué,
pour le compte de l'État, tous les navires marchands d'un
fort tonnage, mis en construction soixante gros bâtiments,
appelé à leur service , par l'attrait d'un large salaire, une
multitude de bons matelols étrangers; et lorsque Tromp
entra en campagne, il avait sous ses ordres une flotte de
cent vingt vaisseaux, capable, dans la conviction des pa-
triotes hollandais, de balayer la marine anglaise sur toute
la face des mers ^
Le 2i juin, avant même que les ambassadeurs hollandais
1 Robert Blake, p. 197-202; — Penn's Mcmorlals, l. 1, p. 395-432.
ET LES PROVLN CES-UNIES (I6S2). 231
eussent quitté Londres et que la guerre fût officiellement
déclarée , Blake mit à la voile , de Douvres , avec soixante
vaisseaux , laissant son lieutenant , sir George Ayscougli ,
chargé de la défense de la Manche, et se portant lui-même
vers le nord , soit pour protéger les nombreux navires de
commerce anglais qui revenaient de la Baltique, soit pour
aller détruire les pêcheurs hollandais attirés en foule sur
les côles d'Ecosse et des iles voisines par la pèche du hareng.
Celte pêche avait pris, dans la marine hollandaise, un grand
développement ; une multitude de barques s'y rendaient ,
montées chacune par une famille de pêcheurs; les femmes
même et les enfants y prenaient part. C'était, pour les clas-
ses pauvres, un moyen de subsistance, et pour l'État la
source dun commerce important et une pépinière de mate-
lots. Plus de six cents barques de toute grandeur étaient
réunies au nord de l'Ecosse quand Blake y arriva ; douze
bâtiments de guerre hollandais les protégeaient. Fondant
brusquement sur eux avec des forces infiniment supérieu-
res, Blake, malgré leur courageuse résistance, en coula
trois, prit les neuf autres, s'empara des six cents barques
de pêcheurs, leur imposa le tribut d'un dixième sur les \)vo-
duits de leur pêche, et, par un sentiment d'humanité géné-
reuse, les renvoya chez eux avec le reste, en leur enjoignant
de ne plus venir pêcher dans ces parages sans en avoir ob-
tenu , du conseil d'État, l'autorisation. Cependant Tromp ,
informé par les ambassadeurs hollandais, à leur retour, du
plan de campagne de l'amiral anglais , sortit du Tcxcl dès
qu'il sut Blake en mouvement vers le nord, et se porta ra-
pidement vers le pas de Calais avec soixante et dix-neuf bâti-
ments de guerre et dix brûlots dans l'espoir de détruire la
flotte très-inférieure d'Ayseough, et d'opérer ensuite, le
long des côtes d'Angleterre, soit quelque débarquement,
soit de grands ravages. L'alarme fut vive à Londres et dans
232 GUERRE ENTRE L'ANGLETERRE
les comtés voisins; les milices du comié de Kent se levè-
rent; sur plusieurs points de. la côte, on dressa en hâte des
batteries ; on envoya à Blake courrier sur courrier pour
l'informer de ce qui se passait dans la Manche et pour pres-
ser son retour. La nature prêta au Parlement un secours
que Blake n'aurait pas eu le temps de lui apporter : au
milieu du pas de Calais, l'escadre de Tromp fut arrêtée par
un calme plat qui lui interdit tout mouvement; et lorsque
le calme cessa, un vent de terre s'éleva, si violent que, mal-
gré l'habileté et l'obstination des marins hollandais, il leur
fut impossible d'approcher de la côte d'Angleleri^e et d'aller
attaquer Ayscough à l'abri dans ses rades et sous ses falaises.
Renonçant aussitôt à ce qu'il ne pouvait accomplir, Tromp
se mit avec toute sa flotte en route vers le nord, sûr de
trouver là Blake séparé d'Ayscough, loin des lieux d'où au-
raient pu lui venir des renforts, et se promettant d'infliger,
à l'amiral anglais lui-même, réclicc auquel avait échappé
son lieutenant. Le 5 août en effet, la flotte hollandaise et la
flotte anglaise se rencontrèrent entre les Orcades et les îles
Shetland : les Anglais étaient affaiblis, car, sur les avis
venus de Londi-es, Blake avait détaché huit de ses vaisseaux
vers le sud, pour aller renforcer Ayscough ; cependant il ne
chercha point à éviter le combat, et il faisait, sur son vais-
seau amiral la Résolution, ses préparatifs pour attaquer
Tromp lorsqu'il vit apparaître les signes précurseurs d'une
tempête; prévoyant que, ce jour-là, toute bataille serait
impossible, il ordonna à ses capitaines de mettre, de leur
mieux, leurs bâtiments à l'abri dans le petit archipel des
lies Shetland, et d'attendre ainsi le lendemain. La tempête
éclata et dura toute la nuit avec une violence rare, même
dans ces parages ; le vent, la pluie, le tonnerre, l'obscurité
rendaient, entre les vaisseaux, toute manœuvre concertée et
presque toute communication impossibles; la flotte hoUan-
ET LES PROVINCES-UNIES (16S2). 233
daisc fut dispersée et cruellement maltraitcc ; plusieurs
bâtiments périrent en mer ou sur les côtes ; d'autres se réfu-
gièrent jusqu'en Norvège ; les brûlots furent mis en pièces ;
et lorsque le jour parut, Tromp, au lieu de la belle escadre
qu'il avait amenée, ne vit plus, du pont de son vaisseau
amiral, le Brederode, que des bâtiments errant au hasard,
démâtés, leurs voiles en lambeaux, et luttant encore à
grand'peine contre une mer couverte de débris. Il ne par-
vint à rallier que quarante-deux bâtiments avec lesquels il
retourna désespéré en Hollande , où il fut accueilli par la
surprise, la douleur et l'injuste colère de la population.
Blake,dont la flotte avait beaucoup moins souffert, poursui-
vit les Hollandais dans leur retraite, el n'ayant pu les join-
dre pour les combattre, il parcourut avec insulte les côtes
occidentales des Provinces-Unies , et rentra à Yarmouth
avec les bâtiments dont il s'était emparé et neuf cents pri-
sonniers '.
ïromp était fier et susceptible : blessé et dégoûté par les
clameurs qui l'assaillaient parce que le calme et la tempête
tour à tour l'avaient empêché de joindre l'ennemi, il se démit
de son commandement. 11 inclinait d'ailleurs au parti oran-
gislc, et les chefs de l'aristocratie républicaine, alors domi-
nante, ne firent point d'efforts pour le retenir ; ils croyaient
pouvoir lui donner un successeur digne de le remplacer.
Hs avaient, peu auparavant, rappelé au commandcmant
d'une partie de leurs forces navales Michel Ruyter, d'origine
obscure, de renom populaire, cher aux matelots, étranger
aux partis politiques, et toujours prêt à servir son pays aussi
modestement qu'héroïquement. A peine monté sur son vais-
' Robert Blakc, p. 202-207; — Penn's Mcmoriah, t. I, p. 432-435; —
Wbilclocke, p. ;i38-ii42 ; — Hcalh, Chronicle, \>. 589-597 ; — Le Clerc,
Histoire des Provinccs-Uuics,l.\\, p. '520-'ô2l; - Wicqucforl, Histoire dcn
Provinces-Unies, l. IV, p. 531-3iï3.
20.
2.34 GUERRE ENTRE L'ANGLETERRE
seau le Neptune^ , Ruyter entra dans la Manche avec trente
bâtiments , rencontra à la hauteur de Plymouth une flotte
anglaise sous les ordres d'Ayscough, forte de quarante bâti-
ments plus grands et mieux armés que les siens, l'attaqua
brusquement ^, et la contraignit à se retirer dans le port de
Plymouth, laissant les Hollandais maîtres de la pleine mer.
Ruyter s'étonna lui-même humblement de son succès : « Ce
n'est, dit-il, que lorsqu'il plaît à Dieu d'inspirer du courage
qu'on remporte la victoire; c'est ici une œuvre de la Provi-
dence dont les hommes ne sauraient rendre raison. )• Le
Parlement, mécontent d'Ayscough qu'il soupçonnait de
royalisme, lui relira son commandement, mais sans ru-
desse, en lui donnant 300 liv, slerl. et un revenu de même
valeur en terres, en Irlande; son escadre fut mise sous les
ordres de Blake. Les États généraux, de leur côté, résolus
à pousser énergiquement la guerre, avaient, aussitôt après
la retraite de Tromp, armé une escadre nouvelle, et l'un
des plus bardais entre les chefs du parti aristocratique,
Corneille de Wilt, en avait été nommé amiral. 11 était brave
à outrance et très-exercé à la mer, mais dur, emporté,
obstiné en même temps quimprcvoyant, et peu aimé des
matelots qui craignaient sa rigueur sans avoir confiance
dans sa fortune. Ce choix fut considéré comme plus politi-
que que militaire, et donna aux amis de Tjomp, nombreux
dans la flotte, beaucoup d'humeur. Avant de prendre la
mer, au moment même de s'embarquer, Corneille de Witt
eut déjà à sévir contre quelques mutins. Ruyter reçut ordre
de venir le rejoindre et de servir sous lui. Leurs forces réu-
nies le 2 octobre 1052, entre Dunkerque et Nieuport, s'éle-
vaient à soixante-quatre voiles. Blake croisait depuis quel-
1 Le 10 août 1652.
a Le 26 août 1652.
ET LES PROVINCES-UNIES (1632). 233
ques jours non loin de ces parages , à la tête d'une escadre
de soixante-huit voiles, cherchant l'ennemi et le comhat.
Averti le 8 octobre que la flotte hollandaise était en vue au
nord-est de Douvres, il se porta rapidement en avant de la
sienne, fît à tous ses vaisseaux le signal de ralliement , et
donna sur le sien cet ordre : « Dès que quelques-uns des
nôtres nous auront rejoints, portez-vous droit au milieu des
ennemis. i> Dans un conseil de guerre tenu la veille à bord
de l'amiral hollandais, Ruyter avait été d'avis d'éviter plu-
tôt que de chercher la bataille ; il trouvait plusieurs des
vaisseaux de l'escadre en mauvais état, mal pourvus de mu-
nitions; peut-être aussi n'avait-il pas une entière confiance
dans les dispositions de tous les équipages, et même de tous
les officiers. Corneille de Witt insista absolument pour
combattre; et quoique, dans la nuit précédente, une tem-
pête eût éloigné de lui plusieurs bâtiments qui tardèrent à
le rejoindre , il accepta l'attaque de Blake avec une ardeur
que cinq heures de lutte malheureuse ne refroidirent pas un
instant. Deux des vaisseaux hollandais coulèrent au pre-
mier choc; deux autres furent pris à l'abordage; plusieurs
capitaines exécutèrent lentement et avec mollesse les ordres
de l'amiral. Au début de l'affaire, il avait voulu porter son
pavillon sur le Bredcrode, naguère le vaisseau amiral de
ïromp; mais le mauvais vouloir de l'équipage parut tel
qu'il y renonça et resta sur son bâtiment, innnense et lourd
navire de la Compagnie des Indes. Ruyter fit, avec la divi-
sion d'avant-garde qu'il commandait, des prodiges de bra-
voure habile et dévouée; de Witt, par son indomptable
courage, se fit admirer, même de ses ennemis. Mais leurs
efforts furent vains; l'avantage resta partout aux Anglais,
et quand la nuit descendit sur les deux escadres, des senti-
ments très-divers s'y déployèrent ; à bord des vaisseaux
anglais régnait l'activité de la satisfaction et de rcspcrancc j
256 GUERRE ENTRE L'ANGLETERRE
officiers et matelots travaillaient avec ardeur à réparer leurs
avaries, à recueillir leurs munitions, à se préparer pour la
lutte du lendemain : chez les Hollandais, au contraire, le
raécontenlenicnt et le trouble étaient extrêmes; de Witt
rassembla de nouveau son conseil de guerre ; il voulait re-
commencer au point du jour le combat; mais on apprit suc-
cessivement que vingt capitaines, sans attendre aucun ordre,
ni donner aucun avertissement, s'étaient, à la faveur de
l'obscurité, séparés du gros de la flotte, se portant on ne
savait sur quel point. Ruyler et tous les membres du conseil
déclarèrent qu'une seconde action était impossible; il fallut
y renoncer et se décider à faire voile vers la Hollande pour
réparer, dans ses ports , l'escadre et recevoir, des États gé-
néraux, de nouvelles instructions, Blake suivit les Hollan-
dais dans leur retraite, sans les serrer de trop près, et se
promena quelques jours le long de leurs côtes, fier de sa vic-
toire et jaloux de la bien constater \
Le malheur et l'inquiétude enseignent aux peuples la jus-
tice : les regards de toute la Hollande se reportèrent vers
Tromp; il n'avait pas fait tout ce qu'on attendait de lui,
mais il n'avait point été battu ; il avait cédé à la tempête,
non aux Anglais. C'était lui qui, pendant vingt ans, avait
commandé les flottes hollandaises contre celles de l'Espagne,
et conquis sur mer rindépendance de sa patrie. On le savait
ennemi fervent de la marine anglaise dont un croiseur l'a-
vait fait prisonnier dans son enfance, et l'avait retenu plus
de deux ans à son bord. La voix publique pressa les États
généraux de lui rendre son commandement. Le roi de Da-
1 Robert Blake, p. 208-215 ; — Penn's Memorials, t. I, p. 435 ; — Jour-
nais oflhc Ilouseofcommons, t. Vil, p. 166; — Wliilelocke. p. 542-543; —
Le Clerc, Histoire des Provinces-Unies, 1. II, p. 321-344 ;— Wicqiicfort,
Histoire des Provinces-Unies, t. IV, p. 333-336 ; — Vie de Ruyler, par Gé-
rard Brandi (Aiiiileidam, 1698), p. 18-25.
ET LES PROVINCES-UNIES (1632). 237
nemark, alarmé de la prépondérance raarilirae de l'Angle-
terre, employa son influence à la lUje pour les y décider.
Tromp fut rappelé; toutes les forces navales de l'État furent
replacées sous ses ordres; Corneille de Witt, Ruyter, Eweriz
et Florilz, les plus glorieux marins de la Hollande, lui fu-
rent donnés pour vice-amiraux. De Witt s'excusa, alléguant
sa santé ; il était réellement malade de fatigue , de chagrin
et de colère ; Ruyter accepta sans hésiter. Un allié plus bril-
lant que puissant, Charles II, fit offrir aux États généraux
de servir, comme simple volontaire, à Lord de leur escadre;
il était sûr, dit-il, que plusieurs capitaines de l'escadre an-
glaise n'attendaient qu'une occasion de venir à lui, et la
saisiraient dès qu'ils le verraient devant eux. Sur le conseil
de Jean de Witt, alors pensionnaire de la province de Hol-
lande, les États généraux déclinèrent celte offre; ils n'a-
vaient pas voulu mettre leur destinée à la suite de la Répu-
blique régicide; ils ne devaient pas davantage lier leur cause
à celle du roi proscrit. L'état-niajor ainsi formé, Tromp se
mit à l'œuvre, avec une ardeur puissante, pour refaire
prompteraent l'escadre; tous les ports, tous les arsenaux
des Provinces-Unies déployèrent toutes leurs ressources.
Le Parlement et Blake se croyaient, pour quelques mois,
dispensés de nouveaux efforts : une campagne navale d'hi-
ver semblait alors, aux plus braves marins, à peu près im-
jjossible; plusieurs divisions de la flotte anglaise avaient
été envoyées à leurs stations spéciales, vers la Baltique, au
nord de l'Ecosse, à l'entrée occidentale delà Manche. Blake,
modeste même dans le succès, et toujours inquiet de sa res-
ponsabilité, avait demandé au Parlement de lui adjoindre,
pour le commandement naval, deux généraux éprouvés qui
l'aidassent à en porter le poids: Monk et Doan avaient été
désignés pour ce service; mais ils étaient encore occupés à
achever la soumission de l'Ecosse ; et en attendant leur arri-
238 GUERRE ENTRE L'ANGLETERRE
vée, Blake croisait, avec sa division, entre le comté d'Essex
et le Hampshire quand le bruit lui parvint qu'une grande
escadre hollandaise s'était mise en mouvement sous les
ordres de Troinp ; et peu de jours après, de la dunette de
son vaisseau le Triomphe, il reconnut cette escadre voguant
à pleines voiles entre Douvres et Calais. Elle était forte de
soixante et treize bâtiments, et Blake n'en avait que trente -
sept. Il convoqua à son bord un conseil de guerre, pour
donner à ses capitaines ses instructions plutôt que pour les
consulter, car il était décidé à combattre ; il leur commu-
niqua sa confiante ardeur, et la bataille s'engagea le lende-
main, avec un acharnement égal des deux parts. Ce fut
une série de combats particuliers dont Ruyter, Ewertz et
Tromp pour les Hollandais, et Blake pour les Anglais, por-
tèrent surtout le poids. Blake fut quelque temps entouré
par plusieurs vaisseaux ennemis qui l'abordèrent trois fois,
et furent trois fois repoussés; sans la fidèle opiniâtreté de
deux de ses t>àtiments, le Saphir et le Vunguard, qui ac-
coururent et se dévouèrent à son secours, l'amiral anglais
aurait succombé sous le nombre de ses ennemis. Le brouil-
lard et la nuit séparèrent enfin les deux escadres; mais
celle de Blake était hors de combat ; deux de ses vaisseaux,
la Guirlande et la Bonne- Aventure , après la plus énergique
résistance, étaient tombes au pouvoir des Hollandais; plu-
sieurs autres, ravagés dans leur mâture, leurs agrès, leur
équipage, ne pouvaient plus tenir la mer; Blake se relira
dans les eaux de la Tamise pour remettre ses bâtiments en
état, rappeler à lui les divisions éparses de la flotte, et at-
tendre en sûreté leur retour. Tromp se promena en vain-
queur dans toute la Manche, portant un balai à la cime de
son grand mât, et bravant ainsi la marine anglaise dans ces
' Le 50 noveiiibre 16^2.
ET LES PROVINCES-UNIES (1652). 239
mêmes eaux où elle se prétendait souveraine; les États gé-
néraux, plus enorgueillis encore que leur amiral, informè-
rent officiellement de leur victoire les puissances étrangères,
et interdirent toute correspondance, toute communication
avec les Iles Britanniques, se croyant assez forts pour les
mettre ainsi en état de blocus '.
Blake déclara son échec sans réserve, avec un désinté-
ressement ferme et triste : « Je suis obligé, écrivit-il au con-
seil d'État ^, de faire connaître à Vos Honneurs qu'il y a eu
beaucoup de lâchetés, non-seulement parmi les bâtiments
marchands, mais aussi dans plusieurs des vaisseaux de
l'État. Je vous demande instamment d'envoyer quelques
personnes pour faire une enquête impartiale et sévère sur
la conduite de plusieurs commandants, afin que vous sa-
chiez quels sont ceux à qui l'on peut et ceux à qui l'on ne
peut pas se confier. Il sera temps ensuite de porter remède
à quelques autres causes du mal, notamment au petit nom-
bre et au découragement des matelots... J'espère que, pour
mon propre compte, Vos Honneurs ne trouveront pas inop-
portun que je les prie de vouloir bien penser à me déchar-
ger, moi votre serviteur indigne, d'un fardeau trop grand
pour moi... de telle sorte que je puisse passer le reste de
mes jours dans la retraite, en priant le Seigneur de répan-
dre ses bénédictions sur vous et sur cette nation. » Le con-
seil d'État fit tout ce que demandait Blake, excepté ce qu'il
demandait pour lui-même ; trois membres du conseil furent
envoyés à bord de la flotte, et soumirent à un examen
1 Robert Blake, p. 216-223; — Penn's Meviorlnb, I. I, p. -iiiO-WO ; —
Whitelocke, p. 531; — Clareiuloii, Hisl. o/lhc Hebellion, I. xiii, c. IM-ltiti;
— Lt i^Xtrc, Histoire des Provinces- Unies, I. Il, p. 324; — Wlcqucloil,
Histoire des Provinces- Unies, t. IV, p. 350; — Vie de Ruyter, p. 24 ; —
Heatli, Chronicle, p. 61 1 .
* Le 1" décembre 1632.
240 GUERRE ENTRE L'ANGLETERRE
rigoureux la conduite des officiers ; plusieurs furent congé-
diés, quelques-uns même arrêtés ; le propre frère de l'ami-
ral, Benjamin Blake, soupçonné de quelque négligence dans
son devoir, fut cassé et mis à terre. En même temps tous
les bâtiments disponibles dans les ports voisins furent re-
quis de rejoindre la flotte; on décida que les équipages et
les troupes de mer seraient portés à trente mille hommes ;
on saisit partout les matériaux nécessaires pour l'armement
et la réparation des agrès ; Monk et Dean reçurent ordre
de se tenir prêts à s'embarquer pour aller prendre leur
part de la responsabilité comme du péril. Quant à Blake
lui-même, le conseil d'État lui écrivit que, « loin d'ac-
cueillir son vœu de retraite, il lui donnait toutes les forces
qu'il avait demandées, et le laissait libre de les employer,
dans des affaires qu'il connaissait si bien, comme il le juge-
rait utile pour sa propre défense et pour le service de la
République ^ »
Deux mois après son échec, Blake faisait voile, des bou-
ches de la Tamise, avec soixante bâtiments de guerre ; les
deux marins les plus expérimentés de son pays, Penn et
Lawson, commandaient ses divisions d'avant-garde et d'ar-
rière-garde ; il avait à bord deux des plus vaillants géné-
raux de l'armée de terre, Monk et Dean , avec douze cents
hommes de troupes éprouvées ; vingt autres bâtiments,
venus de Portsmouth, le rejoignirent dans le pas de Calais.
C'était la flotte la plus nombreuse, la mieux armée et la mieux
commandée qu'eût mise en mer la République. Blake se di-
rigea vers l'ouest de la Manche, plein d'impatience et d'es-
poir de rencontrer bientôt l'ennemi; il savait que Tromp
devait, vers cette époque, revenir de la côte occidentale de
France, où il était allé chercher un riche convoi de navires
1 Penn's Memorials, l. I, p. 436-466 ; - Robert Blake, p. 225-228; -
W'Iiilelockc, p. 351; — Jourmls of llie Housc ofcommons, t. VII, p. 222.
ET LES PROVlNCES-UiXIES (1632). 241
marchands rassemblés dans les eaux de l'île de Ré, et qu'il
était chargé de ramener en Hollande. Le 18 février 1655,
en effet, au point du jour, entre le cap de la Hague et la
presqu'île de Portland, la flotte hollandaise fut signalée,
et Blake lui-même , de son vaisseau amiral le Triom-
phe, fut l'un des premiers à la voir s'avancer. Soixante et
quinze bâtiments de guerre et deux cent cinquante navires
de commerce, voguant sous leur escorte, couvraient au loin
la mer. Blake avait, en ce moment, à portée de lui ses deux
vice-amiraux Penn et Lawson, mais non pas toute son es-
cadre ; Monk entre autres était en arrière avec une division.
Tromp reconnut la supériorité momentanée de ses forces, et
donnant l'ordre à son convoi de se mettre à l'écart, il réso-
lut d'engager sur-le-champ le combat. Blake, à cet instant
même, se portait sur lui, et le Triomphe envoyait au Bre-
derodessi bordée. Tromp essuya le feu sans répondre; mais
lorsque les deux vaisseaux furent à portée de mousquet, le
liollandais lâcha à l'anglais sa première bordée, puis, virant
de bord, la seconde, et tout à coup , rechargeant ses batte-
ries et tournant autour de son ennemi, il lui envoya, sur
l'autre bord, une troisième bordée qui fit, dans les agrès et
l'équipage du Triomphe, les plus grands ravages. A la vue
du vaisseau amiral couvert de feu et de débris, le vice-ami-
ral Penn se porta rapidement à son aide et attaqua Tromp à
son tour. Toute l'escadre anglaise arriva successivement, et
une bataille furieuse s'engagea de toutes parts. Elle dura
tout le jour, avec des alternatives de succès et de revers qui
redoublaient d'heure en heure l'ardeur des combatlauls, fai-
sant tour à tour espérer de part et d'autre la victoire.
Tromp, Ruyter, de Wildt, Kruik, Swers, du côté des Hol-
landais, Blake, Penn, Lawson, Barker, du côté des Anglais,
firent des prodiges de bravoure et d'obstination. Ruyter,
entouré par les Anglais au moment où il venait de prendre
i. 21
2i2 GUERRE ENTRE L'ANGLETERRE
à l'abordage un de leurs vaisseaux, fut sur le point de tom-
ber à son tour entre leurs mains. Aucun des vaisseaux an-
glais ne souffrit autant que celui de l'amiral lui-même ; son
capitaine de pavillon, André Bail, et son secrétaire, Sparrow,
furent tués à côté de lui ; plus de la moitié de son équipage
tomba sous le feu des Hollandais. Blake lui-même, enfin,
fut grièvement blessé à la cuisse, d'une balle qui alla tou-
clier encore, derrière lui, le général Dean. A l'approcbe du
soir cependant, Blake, se croyant en possession de l'avan-
tage, donna ordre à quelques-uns de ses bâtiments de se
porter vers le convoi hollandais et d'empêcher qu'il ne
s'échappât; Trorap s'aperçut de cette manœuvre, et se re-
plia aussitôt, avec le gros de son escadre , pour couvrir son
convoi. La nuit vint et suspendit toute action. Le lende-
main, dès que le jour parut, Tromp, disposant son escadre
de façon à mettre son convoi à l'abri, fit voile vers le pas de
Calais; Blake le suivit avec tontes ses forces, le rejoignit
vers midi, et la bataille recommença avec la même fureur.
Ruyter, toujours le plus hardi et le plus opiniâtre des Hol-
landais, fut encore ce jour-là près de tomber au pouvoir
des Anglais, et ne dut son salut qu'à la vigilance de Trorap
qui, le voyant en grand péril, le fit à Tinstant soutenir et
dégager. Mais les efforts de l'amiral hollandais étaient par-
tagés et divers; il fallait qu'en combattant, il protégeât in-
cessamment son convoi, et se rapprochât peu à peu des côtes
de Hollande pour le mettre enfin en sûreté. La seconde
journée lui fut moins heureuse que la première; quatre ou
cinq de ses bâtiments furent pris ou détruits; soit animosité
de parti, soit faiblesse, quelques-uns de ses capitaines lui
firent dire, vers le soir, qu'ils n'avaient plus de poudre et
ne pouvaient plus prendre part au combat; il leur donna
ordre de s'éloigner pendant la nuit, craignant pour le len-
demain une trahison ou quelque exemple de contagieuse
ET LES PROVINCES-UNIES (1652). 243
lâcheté. Blake s'apercevant, le lendemain, que l'escadre hol-
landaise était réduite en nombre , reprit aussitôt, avec une
ardeur nouvelle, et l'attaque contre Tromp et la poursuite
du convoi. Ni l'habileté ni l'énergie de l'amiral hollandais
ne faiblirent un instant ; il combattait toujours, ralliant à
grand'peine son convoi en désordre , et se retirant succes-
sivement le long des côlcs de France pour regagner celles
de son pays. Il y réussit enfin le quatrième jour, k force de
persévérance intelligente et courageuse, mais après avoir
perdu, selon les rapports hollandais, neuf vaisseaux de
guerre et vingt-quatre navires marchands ; selon les rap-
ports anglais, dix-sept bâtiments de la première classe et
plus de quarante de la seconde. Les États généraux , dans
cette épreuve, se montrèrent dignes d'être si bien servis,
car ils furent justes : non-seulement ils témoignèrent à
Tromp, Ruyter, Ewcrtz et Fioritz leur reconnaissance;
mais, pour leur en donner une marque éclatante, ils leur
firent des présents auxquels les États particuliers de la Pro-
vince de Hollande joignirent aussi les leurs. Le Parlement,
de son côté, se livra , un peu bruyamment |)eut-être, aux
transports de sa joie ; non-seulement il adressa aux com-
mandants de l'escadre des remercîments officiels, et prit des
mesures, d'abord par voie de souscription, puis au nom de
l'État, en laveur des familles des marins et des soldats qui
avaient succombé dans l'action ; mais il ordonna, dans toute
la République, la célébration d'un service solennel d'actions
de grâces; partout où les prisonniers hollandais débarcpifiicnl ,
on les mettait en marchesur Londres, escortés par des déta-
chements de cavalerie, et dans toutes les villes qu'ils traver-
saient, les eloehes sonnaient au moment de leur passage,
pour célébrer une victoire qu'avait précédée une inquiétude
si vive et qui avait coûté tant d'efforts '.
» Wlijlelocke, p. 551; — Robert Blake, p. 2ùO-2H; — Parliam. Jlist.,
2U EFFETS POLITIQUES
Elle était à la fois réelle et vaine ; c'était une vicissitude
de plus dans une lutte déjà pleine de vicissitudes, mais
non l'un de ces triomphes qui vident les questions et déci-
dent du sort des États. Victorieuses naguère, les Provinces-
Unies étaient maintenant vaincues, mais point abattues; on
apprit bientôt que, dans leurs ports, une nouvelle escadre
se préparait; quel que fût le vainqueur, la guerre ressor-
tait, de chaque bataille, plus ruineuse et plus acharnée.
Les puissances catholiques du continent, la France et
l'Espagne surtout, assistaient avec une secrète satisfaction
à cette lutte ardente des deux Républiques protestantes
auxquelles, malgré leurs empressements, elles ne portaient,
au fond, que méfiance et mauvais vouloir. Le Parlement
anglais n'avait su ni rester vraiment neutre entre les cours
de Paris et de Madrid, ni s'assurer, par un choix décidé,
l'une des deux alliances; il avait, dans son indécision,
penché toujours vers l'Espagne dont la politique inerte et
en déclin ne lui pouvait porter aucune aide efficace, et il
n'avait témoigné qu'une froideur hostile à la France dont
l'activité ambitieuse et la force ascendante auraient pu
faire, pour lui, un utile allié. Les deux cours restaient im-
mobiles, cherchant bien plutôt à envenimer la guerre qu'à
la calmer. De leur côté, les cours protestantes du Nord, le
Danemark et la Suède entre autres, se divisaient entre les
deux Republiques rivales ; le roi de Danemark, Frédéric III,
après avoir fait d'abord à Londres des avances marquées,
prenait parti pour les Provinces-Unies auxquelles le liaient
ses intérêts commerciaux et de premiers traités; la reine
Christine de Suède montrait plutôt quelque faveur pour la
République britannique, mais sans se prononcer, ni lui
t. XX, p. HG-121; — Penn's Mémorial s, t. I, p. 4.72-î8o ; — Wicquefort,
Histoire des Provinces-Unies, t. IV, p. 356-53!»;— Le Clerc, Histoire des
Provinces -Unies, l. II, p 528-331; — Vie de Riiyter, p. 28-32.
DE CETTE GUERRE. 245
prêter aucun appui. L'arrogance ambitieuse et impré-
voyante du Parlement républicain avait porté le trouble
dans toutes les relations extérieures de l'Angleterre, pour
la jeter dans une politique qui la mettait aux prises avec
ses amis naturels sans lui donner nulle part des alliés '.
Au dedans, cette politique imposait à la nation des
cbarges énormes, et au gouvernement nouveau un redou-
blement de tyrannie. Il fallait maintenir constamment l'ar-
mée sur le pied de guerre pour défendre la République
contre le mauvais vouloir du pays, et accroître incessam-
ment la flotte pour défendre le pays contre l'étranger. En
décembre 1652, le Parlement vota, pour cette double
dépense pendant l'année suivante, 120,000 liv. sterl. (trois
millions de francs) par mois, dont 80,000 liv. sterl. pour
l'armée, et 40,000 pour la flotte; cl de nouveaux votes
spéciaux vinrent, à plusieurs reprises, dans le cours
de 1653, élever ce budget reconnu insuflisant. Et comme
les taxes publiques, bien que fort aggravées, ne répondaient
pas à de telles nécessités, on avait sans cesse recours soit à
de nouvelles ventes des domaines de la couronne et de
l'Eglise, soit à de nouvelles confiscations tantôt du revenu,
tantôt du fonds même des biens des royalistes délinquants.
En novembre 1652, le Parlement vota que les parcs et les
châteaux de Windsor et de Hampton-Court, Hyde-Park, le
parc de Greenwich, et Somerset-House seraient vendus, et
que le produit en serait affecté aux dépenses de la marine ;
des bills furent aussi proposés pour la vente des forêts
royales et même de quelques cathédrales qu'on se proposait
de démolir. Plusieurs de ces mesures n'eurent pas de suite
' Le Clerc, Histoire des Provinces-Unies, t. IF, p. 326^327; — Wicqucforl,
Histoire des Provinces-Unies, t. IV, |). 3o3-3Gi; — Journals of the Hou.sc
ofcomtnons, l. VII, p. 103, lOi, 119, 133, 155, 157, 140, 182, 190, 191, 19i,
203, 234.
21.
2^6 EFFETS POLITIQUES DE CETTE GUERRE.
ou furent plus tard révoquées ; mais les confiscations ou les
amendes infligées aux royalistes étaient toujours perçues
avec rigueur ; en 1651 , au moment où les négociations avec
les Provinces-Unies furent rompues, soixante et dix Cava-
liers riches se virent condamnés à la confiscation de tous
leurs biens, réels et personnels; dans le cours de l'année
suivante, au milieu des exigences de la guerre, vingt-neuf
autres subirent le même sort, et six cent quatre-vingt-deux
autres ne furent admis à racheter leurs biens séquestrés
qu'en payant à la République, dans l'espace de quatre mois,
le tiers de la valeur. La tyrannie civile se chargeait de
pourvoir aux besoins qu'une mauvaise politique étrangère
avait créés ' .
Un gouvernement uni et incontesté aurait eu grand'-
peine à porter longtemps un tel fardeau. Le Parlement ré-
publicain, au milieu de son exaltation fiévreuse, était faible
et chancelant, car de violentes dissensions intérieures le
travaillaient, et Cromwell, à la fois puissant et oisif, ne
s'appliquait plus qu'à exploiter ses fautes et à miner le sol
sous ses pas.
' Journals of the House of commons, l. VI, p. 60i; t. VII, p. 160, 2H,
212, 216, 222, 224 ; - Parliam. Hisl., t. XX, p. 103, 113; — Scobell, A
collection of acts and ordinances, etc., p. 136, 210.
LIVRE IV.
Lutte entre le Parlement et Cromwell. — Tentatives pour la réduction
de l'armée. — Proposition d'une amnistie générale et d'une nouvelle loi
électorale. — Projets de réformes civiles et religieuses. — Conver.'^aliou
de Cromwell avec les principaux chefs du l'arlemenl et de l'armée. —
Pétition de l'armée en faveur des réformes et pour la dissolution du
Parlement. — Accusations de corruption contre le Parlement. — Le
Parlement essaye de se perpétuer en se complétant par de» élections
nouvelles. — Urgence de la situation. — Cromwell chasse le Parlement.
Le 9 septembre 1 651 , au moment même où le Parlement
envoyait au-devant de Cromwell quatre de ses membres
pour lui offrir, sur la victoire de Worcesler, les plus écla-
tantes félicitations, il votait que les charges de la Républi-
que seraient promptement allégées, et donnait au conseil
d'État et au comité de l'armée l'ordre de lui présenter le
tableau de toutes les forces actuellement sur pied, pour
qu'il en pût apprécier la nécessité et le fardeau. Dès le len-
demain, quatre mille hommes de cavalerie et quatre mille
d'infanterie furent licenciés. Six jours après , Cromwell,
reprenant son siège dans la Chambre, y recevait les remer-
cîments solennels de l'orateur, un don en terres de
4,000 liv. sterl. de rente, et le palais de Hiimpton-Court
pour résidence ; mais en même temj)s la Chambre renvoyait
au conseil d'État la question de savoir quelles forces de-
vaient être maintenues, et quinze jours après, clic ordon-
2^8 LUTTE ENTRE LE PAULEMENT
nait le licenciement de cinq régiments d'infanterie et de
trois régiments de cavalerie, la réduction d'un grand nom-
bre de garnisons, et la fixation de l'armée au chiffre total
de vingt-cinq mille hommes, ce qui procurait une économie
de 55,000 liv. sterl. par mois \
Ces mesures étaient évidemment commandées par l'inté-
rêt public; le pays succombait sous le poids des impôts, et
la victoire devait emporter au moins une partie des charges
de la guerre. Mais à côté de l'intérêt public, l'attitude du
Parlement laissait percer d'autres sentiments et d'autres
motifs; dans son empressement à licencier des soldats,
c'était surtout un rival qu'il voulait abattre. Tentative pé-
rilleuse, quelque nécessaire et légitime qu'elle pût être :
les gouvernements révolutionnaires sont mal venus à briser
l'épée qui leur a sauvé la vie; le service est si grand qu'ils
ne peuvent ni le payer ni l'oublier, et leur prévoyance con-
tre une ambition mal satisfaite passe pour de l'ingratitude
et de la peur.. Aux seuls pouvoirs fondés par le droit et le
temps il appartient de récompenser et de désarmer les
grands vainqueurs sans crainte d'en faire des maîtres.
Cromwell ne fit aucune résistance, ni même aucune
objection; la mesure était trop naturelle et d'une nécessité
trop incontestable. Il était d'ailleurs bien aise du licencie-
ment des régiments de milice dont les habitudes indépen-
dantes et l'esprit plus patriotique que militaire lui conve-
naient peu. Mais trop clairvoyant pour se méprendre sur
les vues du Parlement, il se hâta de prendre à son tour,
contre lui, ses précautions et sa revanche. A son instigation
et avec son appui, deux propositions, toutes deux popu-
laires dans le pays quoique auprès de partis différents,
furent sur-le-champ reprises et vivement poussées dans la
' Journals ofthçUousc ofcommon^,i. VM, p. It», 18, 19,
ET CROMWELL (1681-1635). 24î)
Chambre : une amnistie générale et une loi d'élections
destinée à régler l'époque de la dissolution du Parlement et
la nomination de ses successeurs. Ni Tune ni l'autre de ces
propositions n'était nouvelle ; depuis plus de deux ans, elles
figuraient au nombre des questions que le Parlement an-
nonçait l'intention de résoudre et dont il avait l'air de
s'occuper. Dès le 25 avril 1649, il avait décidé, sur le rap-
port direton. qu'un acte d'amnistie serait préparé; on en
avait même indiqué les bases; et cet acte rédigé en effet, lu
même deux fois le 5 juillet suivant, avait été renvoyé à un
comité qui devait se réunir le lendemain, et où, depuis
lors, il était resté enseveli. Vers la même époque, le
•15 mai 16i9, un comité avait été chargé de préparer une
loi pour l'élection des Parlements futurs. Vane fit, à ce
sujet, le 9 janvier 16o0, un long rapport où les bases du
nouveau système électoral étaient posées ; la Chambredécida
qu'elle se réunirait une fois par semaine pour le discuter,
et dans le cours des années 1650 et 1631, quarante-huit
séances furent en effet tenues, ou du moins convoquées,
dans ce dessein. Mais ni l'amnistie ni la loi électorale ne
firent, en réalité, aucun progrès; le Parlement n'était sé-
rieusement occupé qu'à se maintenir et à se défendre contre
ses ennemis. Dès que, par rinlluence de Cromwell, les deux
mesures eurent été remises h l'ordre du jour, leurs parti-
sans ne laissèrent à la Chambre point de relâche. Repris le
17 septembre 1651 et rapporté le 27 novembre suivant,
l'acle d'amnistie fut vivement débattu dans seize séances, et
adopté enfin le 24 février 1652, avec quelques restrictions.
On en était, dans le pays, si vivement préoccupé qu'en en
ordonnant la publication, la Chambre chargea le conseil
d'État de veiller à ce qu'il ne fût pas abusivement et fauti-
vement réimprimé, de telle sorte qu'il en pût résulter quel-
que inconvénient. La discussion de la loi électorale fut
250 LUTTE ENTRE LE PARLEMENT ET CROMWELL.
encore plus pressée et plus chaude; elle occupa, soit le
comité chargé de rédiger le. projet, soit la Chambre elle-
même, du 17 septembre 1651 au 18 novembre suivant ; des
convocations expresses, des divisions fréquentes et des ma-
jorités très-disputées attestèrent l'ardeur des esprits comme
la gravité de la question ; quarante-neuf voix seulement
contre quarante-sept décidèrent que le moment était venu
de fixer un terme à la durée du Parlement actuel; et dans
tous ces votes, on rencontre Cromwell à la tète des plus vifs
partisans de la dissolution. Ils l'emportèrent enfin; mais
leur triomphe effectif fut renvoyé à une longue échéance ;
le Parlement vota le 18 novembre 1651 qu'il ne siégerait
pas au delà du 3 novembre 1654. Grâce aux victoires de
Cromwell, la guerre civile entre le Parlement et le roi avait
cessé ; on prétendit assigner une durée de trois ans au duel
qui s'engageait entre Cromwell et le Parlement '.
Par bon sens, non par modération ou patience dons le
caractère, Cromwell savait attendre; il appréciait saine-
ment, dans chaque circonstance, ce qui était possible, et il
s'arrêtait là, quoique ses désirs et ses menées portassent
bien plus loin. Il avait réussi à faire fixer un terme à la
vie du Parlement; il ne tenta point de le faire rapprocher
selon son gré. Mais des moyens détournés s'offraient à lui
pour harasser et user plus vite le pouvoir auquel il avait
affaire : il les mit en œuvre, tantôt avec un emportement
passionné, tantôt avec une astuce profonde, selon ce qu'in-
diquait ou permetlait l'occasion.
L'esprit d'innovation ne se bornait pas, à celte époque,
en Angleterre, aux seules questions de gouvernement cl
d'ordre politique; il pénétrait aussi dans l'ordre civil, et
» Journals ofthe Housc of commons, t. VI, p. 195, 250, 210, ôii ; t. VII,
p. 19, 44, 96, 36, 37; — Mémoires de Ludlow, t. II, p. 101.
PROJETS DE RÉFORMES (I6SM6S3). 2a I
sollicitait, dans les lois et la procédure, des réformes où les
intérêts quotidiens de toute la population étaient engagés.
Beaucoup d'idées fermentaient à cet égard, encore obscu-
res, vagues et incohérentes, mais toujours puissantes par
les rudes besoins auxquels elles répondent et les perspecti-
ves illimitées qu'elles entr'ouvrent. Il s'agissait d'abolir de
lourds impôts, de rendre la justice prompte et peu coû-
teuse, de simplifier le régime de la propriété, d'alléger le
poids des dettes, de lever les entraves qui gênaient l'état
des personnes ou les relations communes, de satisfaire, à
meilleur marché et avec moins d'embarras, aux nécessités
de la vie. Dans les classes élevées et éclairées, soit égoïsme,
soit esprit d'ordre et juste intelligence des conditions de
rétat social, ces idées obtenaient peu de crédit; les juris-
consultes surtout les repoussaient obstinément et ralliaient
à leur résistance des intérêts nombreux et respectables.
Mais au sein des classes inférieures, les niveleurs, les mys-
tiques, les esprits honnêtement rêveurs ou méchamment
déréglés, et toute cette portion du peuple en qui se tien-
nent de si près les sentiments justes et les mauvaises pas-
sions, les instincts pratiques et les absurdes chimères,
accueillaient avec transport l'espoir de telles réformes et en
réclamaient à grands cris l'accomplissement.
En matière religieuse, des désirs à la fois ardents et con-
fus, des souffrances vives et des désordres graves susci-
taient aussi une fermentation continue. L'Église anglicane
était tombée ; plus d'évêques, plus de chapitres, plus d'éta-
blissement ecclésiastique officiel et exclusif. Mais la nation
anglaise restait passionnément chrétienne; il lui fallait un
culte assuré, des pratiques régulières, une prédication assi-
due de l'Évangile. Les sectes satisfaisaient, pour leurs
adhérents, à ces besoins des âmes ; mais les sectes ne for-
maient qu'une petite minorité ; en dehors des sectaires, des
2S2 PROJETS DE RÉFORMES CIVILES
catholiques proscrits et des incrédules plus nombreux à
cette époque qu'on ne le croiL communément, était la masse
de la population désolée et indignée tanlôt de manquer,
pour sa foi, de ministres, tantôt de se voir privée de ceux
en qui elle avait confiance, et obligée, par dénûment sinon
par contrainte, d'en écouter d'autres auxquels elle ne
croyait pas. Les presbytériens s'étaient offerts, et vers la
fin de iG49, le Parlement les avait admis à organiser leur
établissement ecclésiastique, à titre d'Eglise nationale ' ;
mais ils n'avaient que très-incomplétement réussi, car ils
passaient pour aussi exclusifs, aussi lyranniques qu'avait
pu l'être l'Église anglicane, et les autres sectes dissidentes
les repoussaient aussi vivement que les anglicans eux-
mêmes. De tout cela résultait, en fait de religion, un état
tantôt d'abandon et de disette, tantôt de persécution et
d'anarchie qui donnait lieu à des clameurs, à des récrimi-
nations, à des contestations, à des plaintes, toujours adres-
sées au Parlement comme à la source de tous les maux et
de tous les remèdes, et qu'il ne savait ni comment étouffer,
ni comment satisfaire.
Sur toutes ces questions d'organisation, civile ou reli-
gieuse, Cromwell n'avait point de principes arrêtés, ni de
parti pris; nul esprit n'était moins systématique, ni moins
gouverné par des idées générales et conçues d'avance; mais
il avait un vif instinct des sentiments et des vœux popu-
laires ; et sans s'inquiéter beaucoup de savoir jusqu'à quel
j)oint ils étaient légitimes ou possibles à satisfaire, il se fai-
sait hardiment leur patron pour s'en faire des alliés. Depuis
longtemps déjà il avait entrevu quelle faveur pouvait s'at-
tacher aux idées de réforme de la procédure civile, et il
1 Neal, Hisl. of ihe Puritans, l. III, p. 2i8-250; t. IV, p. 12-li; —
Gninl, A summary of Ihe hislory of the English Cliurch, elc, l. il ,
p. 413,
ET RELIGIEUSES (16SI-1635). 253
leur avait prêté son appui. En 1650, écrivant au Parle-
ment après la victoire de Dunbar, il lui disait: » Soulagez
« les opprimés; écoutez les gémissenients des pauvres gens
Il qui sont en prison ; consentez à réformer les abus de
« toutes les professions; s'il y en a une qui fasse beaucoup
Il de pauvres pour faire quehiues riches, cela ne convient
«c pas à une république '. » Lorsque, la guerre civile ter-
minée, il vécut oisif à Londres, n'ayant plus à s'occuper
i|ue de ce qui se passait dans le public ou au Parlement, il
devint le centre de tous les projets de ce genre et l'espoir
de leurs fauteurs : le 27 octobre 1651, des détenus dans
les prisons de Londres s'adressaient à lui, disant : « La
ti loi est le sceau de la servitude normande; les prisons sont
u des sanctuaires pour les riches et des lieux de torture
«t pour les pauvres qui ne peuvent payer les avocats ni les
« geôliers : nous prions le général, aux mains duquel l'épée
« a été mise, de nous délivrer de l'oppression, de rendre
« à la nation ses lois et ses libertés fondamentales, de lui
<i procurer une représentation nouvelle, et de faire en
«i sorte que les pauvres puissent obtenir justice et que les
u arrestations et les emprisonnements soient abolis. » Six
semaines après, de nombreuses pétitions arrivaient des
comtés, adressées aussi au général et à ses olTiciers, et leur
demandant « l'abolition des dîmes, de l'excise, et de tous
« les abus introduits dans l'administration de la loi et de
<' la justice parla multitude, l'orgueil, l'astuce et l'avidité
« des avocats, des procureurs et des grefïiers, ce qui fait
<i que les |jauvres habitants des canjpagncs trouvent le
« remède pire que le mal. » Le mouvement du peuple, à
ce sujet, vers l'armée et ses chefs était tel que, sur plusieurs
points, des officiers reçurent de leur général l'autorisation
* 4 sseplembre 1630 : Carlyle, CromweWs l.elkrs, t, II, \>. 48.
^U CROMWELL COiNFERE AVEC LES CHEFS
de siéger comme juges, et de prononcer sur des procès, ce
qu'ils firent « à la grande satisfaclion des parties, à cause
« de la promptitude de leurs jugements *. »
Quand il s'agissait de religion et d'Église, Cromwell était
un peu peu plus embarrasse, car il avait à cet égard, non
des résolutions intraitables, mais des engagements et des
alliés dont il ne voulait pas se séparer. Les sectaires pas-
sionnés de l'armée, les soldats de la cinquième monarchie,
qui devait être celle de Jésus-Christ, avaient fait sa force
d'abord contre le roi, puis contre le parti presbytérien dans
le Parlement; il savait tout ce qu'on pouvait en craindre ou
en attendre; par leur fidélité militaire et leur fanatisme
mystique, ils étaient, dans un moment de crise, ses plus
nécessaires et plus sûrs instruments. Il maintint soigneuse-
ment avec eux son intimité. Mais il lui fallait, dans l'ordre
religieux, une influence plus élevée et plus étendue; il la
chercha et la puisa à deux sources, la prédication régulière
de l'Évangile, et la liberté de conscience ; il se fit le protec-
teur déclaré de ces deux intérêts: par le premier, il se rat-
tachait les presbytériens qui, dans la ruine de l'Église an-
glicane, pouvaient seuls offrir, en grand nombre, au pays
des ministres instruits, pieux et honorés ; au nom de la
liberté de conscience, il devenait l'homme nécessaire à tous
les persécutés, même aux épiscopaux et aux catholiques à
qui la libre pratique de leur foi était refusée, mais qui se
promettaient de lui une tolérance tacite et un secret appui.
Dans tous les rangs et sous tous les drapeaux chrétiens, il
avait ainsi des relations, et inspirait des espérances qui lui
fournissaient tantôt des griefs, tantôt des armes contre le
Parlement.
11 ne s'en tint pas à cette guerre sourde et aux progrès
1 Wliitelocke,p. 312, 317,519.
DU PARLE3IENT ET DE L'ARJIEE. 2aj
lents qu'il y pouvait fture ; il était plein de passion autant
que lie ruse, et pressé de porter les grands coups, dès qu'ils
étaient possibles, aussi bien qu'obstiné à poursuivre obscu-
rément son dessein, s'il fallait attendre du temps les occa-
sions de succès. Il voubit savoir avec quelque certitude ce
que pensaient les hommes dont le concours lui était néces-
saire, et jusqu'à quel point il pouvait compter sur leurs dis-
positions. Le 10 décembre 1651 , il provoqua, chez l'orateur
de la Chambre, Lenlhall, une réunion de quelques chefs de
l'armée et du Parlement; d'un côté, Fleetwood, Desbo-
rough, Harrison, \Yhalley, ses compagnons de guerre et de
victoire ;de l'autre, Whitelocke, Widdrington, Saint-John,
Lenthall, les meneurs civils de la révolution :
<t Maintenant que l'ancien roi est mort et son fils défait,
«i je crois nécessaire, » ditCromwcll, « d'en venir à fonder
ti un gouvernement stable pour la nation. J'ai demandé
« cette réunion pour que nous considérions ensemble ce
<i qu'il convient de faire et ce qu'il faudra proposer au Par-
ti lement. »
l'orateuk lenthall : « Jlilord, cette réunion s'est em-
«1 pressée de se rendre au vœu de V. E., et il est très-néces-
«! saire d'examiner l'affaire dont vous voulez l'entretenir.
K Dieu a donné à nos troupes, sous votre commandement,
«( un merveilleux succès, et nous serons très-dignes de
<t blâme si nous ne faisons pas servir tant de grâces à
<( quelque solide établissement, pour la gloire de Dieu elle
<i bien de cette République. »
HAURisoN : «Ce que propose le lord général, c'est, je
<i pense, d'établir une forme de gouvernement qui assure
« nos libertés civiles et religieuses, en telle sorte que les
« miséricordes dont le Seigneur nous a comblés ne soient
« pas rejetées. Comment cela peut être fait, là est la grande
« question. »
256 CROMWELL CONFERE AVEC LES CHEFS
WHiTELOCKE : «i C'cst Une grande question, en effet, cl qui
«I ne doit pas cire brusquement résolue : ce serait pitié
« qu'une réunion de tant de personnes capables et dignes
« demeurât sans résultat. Je demanderai d'abord huinble-
« ment sur quelle base on veut établir cette forme de gon-
« vernement, et si l'on veut faire une républiciue absolue,
« ou bien y introduire quelque mélange de monarcbic. )>
CROMWELL : « Milord Wbitelocke a touché le vrai point
«I de la question; c'est en effet ma pensée que nous consi-
« dérions ce qu'il vaut le mieux établir, une république ou
« un gouvernement monarchique mixte, et, si l'on y fait
« entrer quelque chose de monarchique, en qui sera placé
«1 ce pouvoir. "
SIR THOMAS wiDDRiNGTON : « Je crois qu'un gouvernement
«i monarchiquemixtc convient mieux aux lois cl aux mœurs
«I de cette nation ; et si nous rétablissions quelque chose
«1 de monarchique, je crois qu'il serait juste de remettre ce
« pouvoir à l'.un des fils du feu roi. »
LE COLONEL FLEETwooD : « La qucstiou de savoir si c'est
« une république absolue ou une monarchie mixte qui con-
«1 vient le mieux à cette nation, ne sera pas facile à
«< décider. »
SAINT-JOHN : « Le gouvernement de cette nation, sans
<i aucun pouvoir monarchiciuc, sera très-diflicile à établir,
« de façon du moins à ne pas ébranler les fondements de
« nos lois et des libertés du peuple. »
LENTHALL : u On tombcra dans une étrange confusion si
•c on ne met, dans le gouvernement de cette nation, rien de
«1 monarchique. »
LE COLONEL DESBOROUGH : « Jc VOUS prie,milord, pourquoi
« cette nation-ci ne pourrait-elle pas, aussi bien que d'au-
« très, se gouverner en république? >^
WHITELOCKE : « 11 y a, dans le tissu des lois d'Angleterre,
DU PARLEMENT ET DE L'ARMÉE. 2S7
« tant de pouvoir et de pratiques monarchiques que, pour
« fonder ici un gouvernement sans quelque mélange de
<i monarchie, il faudrait faire, dans nos lois et nosprocé-
« dures, des changements tels qu'à grand'peine en aurait-
« on le temps et qu'on ne saurait prévoir les inconvénients
«( qui en résulteraient. »
LE COLONEL WHALLEY : •< J'cntcuds mal les questions de
<i lois; Riais, à mon avis, il nous convient mieux de
« n'avoir, dans notre gouvernement, rien de monaichiqiic ;
<i si nous nous décidions à avoir un monarque, lequel
« prendrions-nous? Le fils aîné du roi nous a fait la guerre,
(f et son second fils est également noire ennemi. »
SIR T. wiDDRiNGTON : »' Mais le troisième fils du feu roi ,
«I le duc de Glocesler, est toujours entre nos mains, et il
« est trop jeune pour avoir porté les armes contre nous,
Il ou pour être imbu des principes de nos ennemis. »
wiiiTELOCKE : « On pourrait assigner au fils aîné du feu
« roi , ou à son frère le duc d'York, un cerlain temps pour
« qu'ils vinssent se réunir au Parlement; cl on pourrait
«1 alors, aux conditions qu'on jugerait convenables et effi-
« eaces pour assurer nos libertés civiles cl religieuses ,
<i instituer avec eux une forme de gouvernement. »
CROMWELL : « Ceci serait une affaire d'une difficullé plus
•1 qu'ordinaire ; mais je pense vraiment que, si nous pou-
« vous le faire avec sûreté pour nos droits d'Anglais et de
« chrétiens, une forme de gouvernement avec un peu de
« pouvoir monarcliiquc serait bien utile '. »
La conversation se prolongea sans autre résultat que de
faire entrevoir, aux hommes importants du Parlement et
de l'armée, les desseins de Cromwell, et à lui-même leurs
dispositions. 11 vit aussi de quel danger pouvait être, pour
' Whilelociic, p. 516.
22.
238 REFORMES TENTEES
lui, le jeune duc de Glocester, présent sur le sol anglais et
sous la main du Parlement. Quelques mois après, le gouver-
neur du prince, M. Lovel, reçut secrètement l'avis qu'il
pouvait demander que le duc de Glocester sortît de prison,
et fût envoyé en Hollande à la princesse d'Orange, sa sœur.
Il l'obtint en effet sans peine, avec 500 liv. sterl. pour les
frais du voyage, à la condition que le prince s'embarque-
rait dans l'île de Wight où il était détenu, et ne toucherait
à aucun point de la côte d'Angleterre. C'était un concurrent
royal éloigné, sous une apparence de générosité et de dou-
ceur *.
Les chefs républicains du Parlement n'ignoraient pas des
vues et des menées que Cromwell cachait si peu, et ils fai-
saient, pour les déjouer, tous leurs efforts. Depuis longtemps
déjà, ils avaient essayé de donner ou de faire espérer, aux
désirs de réforme qui s'élevaient de toutes parts, quelque
satisfaction. Un comité avait été chargé de rechercher quels
changements devaient être apportés dans les lois civiles, et
plusieurs fois le Parlement avait recommandé à ce comité,
dont le travail languissait, une assiduité plus efficace ^.
3Iais ces recommandations, probablement un peu molles,
avaient eu peu d'effet, et un seul résultat important était
sorti des délibérations du comité; il avait proposé et le
Parlement avait adopté ' un acte ordonnant qu'à l'avenir
toutes les lois et toutes les procédures devant toutes les
cours de justice seraient rédigées en anglais, non plus en
français, ni en latin; et pour assurer l'exécution de cette
mesure vraiment populaire, le Parlement était entré dans
les détails les plus minutieux *. Quelques abus avaient aussi
' Claiendon, Hisl. of Ihe Rébellion, 1. xiv, c. 8o-87 ; — Healh, A bricf
Chronicle, etc., p. 614.
* Journals of the Ilouscof commons, t. VI, p. 280, 528, 485.
' Le 22 novembre 1650.
* Journals oflhe Uouse of commons, t. VI, p. 487, 488, 490, 493, 500.
PAR LE PARLEMENT. 23»
été réformés dans les pratiques de la cour de chancellerie,
et quelque allégement apporté aux frais de justice '. Mais
soit entêtement de profession, soit juste crainte des entraî-
nements d'innovation, les jurisconsultes, qui dominaient
dans le comité, y avaient combattu presque tous les plans
des novateurs, et il était retombé dans sa langueur quand
la lutte entre le Parlement et Cromwell vint le ranimer.
Dès qu'il vit Cromwell rccbcrcher cette sorte de popularité,
le Parlement ordonna que « le comité pour la réforme des
« lois serait remis en vigueur, qu'il siégerait assidûment,
«< avec pouvoir de faire venir devant lui toutes personnes
«( et apporter tous documents dont il aurait besoin pour
« accomplir son œuvre, et qu'il en rendrait compte à la
« Chambre aussi souvent qu'il le jugerait à propos -. i>
Mais ce n'était encore là qu'une promesse déjà renouvelée
plusieurs fois et toujours demeurée vaine; on sentit le be-
soin de faire quelque chose de plus nouveau et qui inspirât,
aux partisans des réformes, plus de confiance. On décida
qu'une commission serait formée de personnes étrangères
à la Chambre, qui auraient mission de rechercher quels
défauts existaient dans les lois civiles, quels inconvénients
en résultaient, quels étaient les plus prompts moyens d'y
porter reiiièdo, et qui feraient ensuite connaître leur avis
et leurs propositions à un comité du Parlement désigne
pour les recevoir ^. Vingt et une personnes, presque toutes
considérables par la qualité ou la science, furent en eflet
choisies pour former cette commission, et le célèbre juris-
consulte Matthieu Haie y fut appelé le premier ^ Elle s'oe-
' Journals of ihe House of commons, t. VI, p. 509, 523.
* Le 8 octobre 1651; — ibid., t. VII, p. 26.
» Le 26 décembre 1651 ; ibid., t. VII, p. 58 ; - Whitclocke, p. 519.
* Les U et 17 janvier 1652; — Journals of ihc IIuusc of commons, t. VII,
p. 71,94.
260 PROJET D'UNION DE L'ECOSSE
cupa des plus importantes questions de la législation civile,
des mariages, des naissances et des décès, de la transmission
des propriétés et de la tenue des registres publics destinés
à la constater, des droits perçus à l'occasion de certaines
transactions ou de certains actes; et sur ces divers sujets,
elle prépara des projets de réformes réservés à la délibéra-
tion du Parlement, et dont plusieurs lui furent effective-
ment soumis par Whitelocke qui, selon sa prévoyance des
chances de succès, se faisait tour à tour l'adversaire ou le
rapporteur des innovations ^ Un travail général où était
résumée toute la loi civile, c'est-à-dire une sorte de code
civil, fut même préparé par cette commission et présenté à
la Chambre, qui en entendit la lecture et en ordonna l'im-
pression, au nombre de trois cents exemplaires distribués
aux seuls membres du Parlement ^.
En matière religieuse aussi, le Parlement eût bien voulu
obtenir quelque popularité, et, comme Cromwell, se faire,
dans les croyances diverses, des clients et des amis. Dans le
cours de l'année 1650, il avait aboli les lois rendues sous
la reine Elisabeth pour prescrire l'uniforniité de foi et de
culte ^ ; mais en même temps il avait maintenu cl même
aggravé la proscription des catholiques, ajouté à la pro-
scription des catholiques celle des épiscopaux, et promul-
gué des lois nouvelles contre « les mauvaises mœurs,
« les pratiques licencieuses et les opinions athées, blasphé-
« matoires et exécrables * ; » voulant ainsi donner à la
fois satisfaction aux haines religieuses , à la liberté de
conscience, et à l'austérité des âmes. Tâche impossible pour
1 Les 19 el 25 mars 1652; — Journals of llic IIousc of commons, t. VII,
p. 107, 110.
2 Les 19 cl 21 janvier 1633 ; — ibid., l. Vil. p. 2/<9, 250.
s Le 27 septembre t650 ; — ibiU-, t. VI, p. 474.
* Les 10 mai, 14 el 24 juin, el 9 août 1650 ; — ibid., l. VI, p. 410, 423,
430, 453.
A L'ANGLETERRE (1651-1632). 261
le pouvoir chargé d'appliquer tous les jours toutes les lois,
cl qui, même aux yeux du peuple dont elles ont adopté les
liassions, porte la peine de leurs inconséquences et de leurs
iniquités. Cromwell, attentif à se tenir en dehors du gou-
vernement, pouvait protéger tour à tour, avec plus ou
moins de réserve, les sectaires de toute sorte, les épisco-
paux, les catholiques, même les esprits libres jusqu'à la
licence; le Parlement, chargé degouvcrncr, se faisait taxer
tantôt de dureté en les réprimant, tantôt de mollesse en les
tolérant, et ne créait ainsi que des mécontents là où Crom-
well recrutait des partisans.
Les esprits élevés et fiers, Vanc surtout, supportaient
impatiemment celte situation et cherchaient à s'en relever.
Quelque événement ou quelque acte considérable pouvait
seul y suffire; il leur fallait un grand succès qui ne leur
vint pas de Cromwell. Ce fut probablcmentlà une des causes
qui, soit réflexion, soil instinct, les poussèrent dans leur
projet d'union intime de l'Angleterre avec la Hollande, et
dans la guerre que cette tentative, en échouant, fit éclater
entre les deux États. Précisément, vers cette époque, une
autre perspective s'offrit à eux qui ne manquait pas de
grandeur. L'Ecosse était soumise. Monk la gouvernait eu
soldat rude, mais juste et sensé. Argyle seul gardait encore,
dans ses domaines, un reste d'indépendance, sans danger
pour les vainqueurs. Pourquoi ne pas incorporer l'Ecosse à
l'Angleterre? La Grande-JJretagne ne formerait plus qu'un
seul État connue une scide île, et la Républitiue aurait la
gloire d'acc()mj)lir ce (juc les plus grands rois d'Angleterre
avaient vainement tenté. Le 9 septembre iObl, six jours à
peine après la victoire de Worcester, ce dessein apparut
dans le Parlement; et avant que l'année eût atteint son
ternie, il était transformé en une déchwation expresse de
l'entière union des deux pays, et huit commissaires, Vane
262 PROJET D'UNION DE L'ECOSSE
et Saint-John à leur tète, partaient pour l'Ecosse, avec des
instructions détaillées pour l'accomplir. Ils y arrivèrent le
20 janvier 1652, et établirent leur résidence près d'Edim-
bourg, à Dalkeith, où ils convoquèrent des délégués de
tous les comtés et bourgs d'Ecosse, pour les faire consentir
à l'union. L'entreprise était difficile, et sans l'autorité de
Monk et de ses garnisons, tout le savoir-faire éloquent de
Vane n'y eût probablement pas réussi. Le peuple écossais
s'indignait à l'idée de perdre sa nationalité ; le clergé pres-
bytérien protestait contre toute atteinte à l'indépendance
de son Église et toute acceptation du pouvoir spirituel du
Parlement. Les vassaux d"Argyle n'obéirent pas aux ordres
des commissaires anglais. Le prévôt d'Edimbourg essaya
vainement d'engager les ministres de la ville à prêcher en
faveur de l'union ; il n'en obtint que cette réponse : « Nous
« savons mieux que le prévôt ce que nous devons prêcher.»
Les comtés et les bourgs qui se refusaient à envoyer des
délégués, ou dont les délégués refusaient d'accéder à l'union,
perdaient leurs franchises; et pourtant, selon le calcul le
plus favorable aux Anglais, vingt comtés et trente-cinq
bourgs seulement, sur quatre-vingt-dix, donnèrent leur
adhésion. Mais il n'en faut pas tant à la force victorieuse
pour proclamer que son droit est reconnu. Argyle, sur la
promesse que ses domaines seraient protégés, et qu'on lui
payerait ce qui lui était dû, consentit enfin à traiter. Vane
retourna à Londres \ au nom des commissaires, pour rendre
compte au Parlement de leur succès ; il fut convenu que
vingt et un délégués d'Ecosse y viendraient plus tard pour
débattre les termes définitifs de l'union, et, le 15 avriH6D2,
sur le rapport de 'Whitelocke, au nom du conseil d'Etat, un
acte fut proposé pour décréter l'abolition de la royauté en
1 En mars 1652.
A L'ANGLETERRE (t6ol-16S2). 265
Ecosse, et l'union des deux pays sous la seule autorité du
Parlement, dans le sein duquel un certain nombre de députés
écossais seraient admis \
Peu de semaines après ^, soit que ce succès, bien qu'ina-
chevé, donnât au Parlement plus de confiance, soit que la
nécessité de pourvoir aux dépenses de la guerre maritime
avec la Hollande lui parût une occasion favorable, la ques-
tion de la réduction de l'armée fut reprise ; la Chambre
ordonna que « le conseil d'État conférerait avec le lord
« général et toute aulre personne qu'il voudrait appeler,
« pour examiner l'état des garnisons et des forces sur pied
« en Angleterre et en Ecosse, rechercher comment des re-
« tranchements considérables y pourraient être apportés
« sans compromettre la sûreté de la République, et en faire,
« dans huit jours, son rapport au Parlement. » A peine
celte décision était rendue que l'orateur reçut une lettre de
Cromwell qui fut lue dans la Chambre ; elle n'est point restée
inscrite dans ses registres ; mais évidemment elle avait trait
aux désirs de réduction que la Chambre venait de témoi-
gner, et douze jours après, les dépenses de l'armée
d'Angleterre et dÉcosse furent votées sans aucune ré-
duction '.
Le Parlement se promit et parut en effet obtenir, quant
à l'armée d'Irlande, un meilleur succès. Quoique certains
points de l'île fussent encore dans un éfat d'insurrection ou
du moins d'insoumission, la guerre y était, à vrai dire,
terminée ; toutes les places de quelque importance s'étaient
1 Carlyle, Cromivcll's Lettcrs, t. II, p. i:iO-(D2 ; — Burnet, Ilisl. de mon
temps, t. I, p. t23, 129 ; — Monk, élude liislorique, p. 39-42 ; — Joumals
oflhe Houseofcommons, l. VII, p. 14,21,30, 31, 53, 85,96, 105, 110, 118,
229 ; - Whilelocke, p. 519, 521, 522, 5-25, 528, 529 ; - Balfour, Annals of
Scotland,l. IV, p. 350 ; — Ludlow, Mémoires, t. II, p. 139.
» Les2G mai el 2 Juin 1632.
2 JournaU oflhe Houseofcommons, l. VII, p. 13C, I3S, 130, U2.
264 CHOMWELL S'EMPARE DE
rendues, et les ennemis de la Republique n'y tenaient plus
nulle part devant ses soldats. Une autre opération, plus
cruelle que la guerre, commençait; l'exjlropriation et la
transplantation, complètes ou partielles, de toute la popu-
lation catholique irlandaise, pour payer d'abord les prê-
teurs de l'emprunt contracté en 1642 avec les confiscations
d'Irlande pour gage, ensuite les arrérages dus aux soldats
licenciés. Une telle perspective ne pouvait manquer de
rendre la réduction de celte partie de l'armée plus fiicile.
Cet effroyable remaniement de la propriété et de la popu-
lation une fois accompli, le PaVlement se proposait d'in-
corporer l'Irlande à l'Angleterre, comme TÉcossc, en lui
faisant aussi, dans l'assemblée générale investie du gouver-
nement de la République, une petite part; et il espérait
exercer, dans un pays où il disposait ainsi de toutes choses,
une prépondérance décisive ^.
Mais Cromwell, toujours habile à ne rien laisser échapper
de ce que lui offrait la fortune, avait trouvé, dans un inci-
dent frivole, une occasion d'étendre à l'Irlande son influence,
et s'était empressé de la saisir. Après la mort d'Ireton qui,
sous le nom de lorJ député, commandait en Irlande comme
lieutenant de Cromwell, encore investi du titre de gouver-
neur général de ce royaume, Lambert, qui servait alors en
Ecosse, fut nommé pour le remplacer, sous le même nom et
avec les mêmes prérogatives. Vain et fastueux, il quitta
rÉcosse en toute hâte pour jouir de ses nouveaux honneurs,
et fît son entrée à Londres dans un équipage magnifique
qui lui avait coûté, dit-on, 5,000 liv. st. Peu de jours après,
lady Lambert, sa femme, aussi vaine que lui, rencontra
dans le parc de Saint-James la veuve d'Ireton, Bridget, fille
1 Journals of Ihe House of commons, l. VU, p. 79, 123, 161, 229 ; —
Mémoires de Ludiow, t. Il, passim ; — Lelaiid, hist. of Ireland, I. III,
p. 387-597.
L'INFLUENCE EN IHLANDE (1652). 2C!i
aînée de Cromwell, et prit avec éclat le pas sur elle. Mal-
gré sa piété et sa douleur, lady Treton ressentit amèrement
cet affront. Fleetwood, lieutenant général de Cromwell dans
le commandement de toutes les forces de la République, se
trouvait par hasard présent ;i cette scène ; veuf lui-même,
il offrit à lady Ireton d'abord ses condoléances et sa sym-
pathie, et bientôt sa main. Elle l'accepta sans hésiter; la
femme du lieutenant du général en chef devait passer par-
tout avant celle du lord député d'Irlande. Ce mariage con-
venait à Cromwell ; FleetwooJ appartenait à une famille
considérable et no pouvait manquer d'être un gendre utile.
L'occasion se présenta aussitôt de mettre ce nouveau lien à
profit : le brevet de Cromwell comme gouverneur général
d'Irlande était près d"expirer ; on en proposa à la Chambre
le renouvellement; il déclina lui-même cette faveur : « Il
avait déjà, » dit-il, « trop de pouvoir et d'honneurs. » La
charge de lord lieutenant ou gouverneur général d'Irlande
fut supprimée. Celle de lord député, c'est-à-dire délégué du
lord lieutenant, se trouvait dès lors sans base; on offrit à
Lambert un autre titre et diverses compensations : mais il
ne voulut point accepter ce qu'il regardait comme une dé-
chéance, et il se démit de son office. On décida alors que le
général en chef des forces de la République nommerait lui-
même au commandement des forces d'Irlande, et Cromwell
y nomma Fleetwood. Mais, soigneux de panser la plaie
qu'il avait faite, il s'appliqua en même temps et il réussit à
persuader à Lambert que le mauvais vouloir du Parlement
lui avait seul fait enlever ce titre de lord député qu'il eût
été, lui Cromwell, charmé de lui conserver; et avec une
intelligence profonde de la bassesse qui peut se cacher sous
la vanité, il exprima aussi à Lambert son regret des dé-
penses énormes auxquelles cette courte dignité l'avait
entraîné, et lui demanda la permission de s'en charger ; à
1. 23
2f.G PÉTITION DE L'ARMÉE
quoi Lambert consentit, devenant ainsi, dans sa mésaven-
ture, l'obligé de Cromwell, qui, du même coup, fit de son
gendre le commandant de l'Irlande, et de l'homme qu'on
avait quelquefois essayé de lui donner pour rival dans l'ar-
mée, un ennemi ardent du Parlement '.
Il excellait à pousser vivement ses avantages. La Chambre,
malgré l'échec qu'elle venait de subir, persistait dans son
dessein de réduire l'armée. Cromwell se résolut à engager
ouvertement la lutte entre l'armée et la Chambre, au nom
de tous les griefs, réels ou imaginaires, de tous les vœux,
praticables ou chimériques, qui éclataient dans le pays, et
auxquels la Chambre promettait sans cesse et ne donnait
jamais satisfaction. Le 12 août 1652, la Chambre ordonna
au conseil d'État de lui rendre compte sans retard de ce
qu'il avait fait pour préparer la réduction des divers corps
de troupes, spécialement des garnisons de Glocester,
d'Exeter et de Bristol. Ce même jour, un conseil général
des officiers se réunit à Whitehall; et dès le lendemain,
six des principaux, le commissaire général Whalley, les
colonels Hacker, Barkstcad, Okey et GotTe, et le lieutenant-
colonel Worsley se présentèrent au Parlement porteurs
d'une pétition où tous ces griefs, tous ces vœux, religieux
et civils, étaient résumés en douze articles, sans violence,
mais en termes péremptoires, et finissant par insister sur
la convocation des Parlements futurs, « réglée de telle sorte
« que des hommes pieux et fidèles aux intérêts de la Répu-
« blique fussent seuls élus ^. »
La Chambre ressentit quelque surprise : ou avait naguère
employé de tels procédés contre la Couronne; mais depuis
1 Liidlow, Mémoires, t. II, p. 181,- Mislress ttulchlnson, Mémoires, t. If,
p. 240-245; — Whitelocke, p. 523, 533, 536.
* Journals of Ihe House ofcommons, t. Vil, p. 164 ; —Whitelocke, p. 941;
— Carlyle, Cromwell's LvUers, t. H, p. 174.
AU PAULEiJlEiM (12 août 1652). 267
que la République était fondée, l'armée n'était plus inter-
venue ainsi dans le gouvernement. Crorawell lui-même avait
contribué à rassurer le Parlement, car sans nul souci de se
contredire et de se démentir, au moment même où il exci-
tait sous main les officiers à le presser de se dissoudre, il
avait paru vouloir les détourner de cette démarche, et s'était
porté garant à la Chambre que, si elle leur ordonnait de
briser leurs épées et de les jeter à la mer, ils lui obéiraient
sur-le-champ '. La pétition fut reçue avec de grands égards;
on la renvoya à un comité spécial qui eut ordre d'en exami-
ner les divers points et de rechercher ce qui avait déjà été
fait et ce qu'il y avait encore à faire pour y donner satisfac-
tion. L'orateur, au nom du Parlement, remercia les offi-
ciers des sentiments qu'ils y exprimaient et de leurs soins
vigilants pour les intérêls publics. Mais après ces démonstra-
tions officielles, les principaux membres de la Chambre
témoignèrent sans réserve leur mécontentement d'une dé-
marche et d'un langage « si inconvenants, pour ne pas dire si
Il arrogants, de la part des chefs de l'armée envers le Par-
u lement, leur maître. » — « Prenez garde, » dit White-
locke à Croniwell, <t à cette façon de faire ainsi pétitionner
te les officiers, l'épée à la main ; quelque jour, cela pourrait
<i bien s'adresser à vous. » Mais Cronnvell traita légèrement
celte inquiétude; nul ne se préoccupait moins des embar-
ras que pourrait lui attirer un jour le succès ^.
Environ six semaines après, rencontrant un soir Wbitc-
locke qui se pronienait dans le parc de Saint-James, Croin-
well l'aborda « avec une courtoisie plus qu'ordinaire, >• et
l'emmenant à l'écart :
« Milord Whilelocke, » lui dit-il, «' je sais votre fidélité à
' LuJIow, Mémoires, i.l\, p. 191-193.
2 Journals of Ihv llouse of communs, t. VII, p. Itii ; - Wliilclockc,
p. 541.
268 CONVERSATION DE CRORIWELL
« la bonne cause dans laquelle je suis engage, ainsi que nos
« autres amis ; je connais aussi voire excellent jugement et
•t votre amitié particulière pour moi; je désire m'entendre
«c avec vous sur les importantes affaires de notre situation
«i actuelle. »
WHiTELOCKE : « V. E. mc connaît depuis longtemps, et ne
« dira pas, j'espère, qu'Elle niait jamais trouvé manquant
« de fidélité ou d'affection pour sa personne. Vos faveurs
(t envers moi et vos services publics méritent bien plus
M que je ne saurais faire. Vous ne vous trompez, per-
K mettez-moi de le dire, que sur un seul point, sur mon
« faible jugement qui n'est pas en état de rendre aucun
« service considérable, soit à vous, soit à celte Répu-
u bliquc. Cependant je suis prêt à faire tout ce qui sera
« en mon pouvoir pour vous servir promptement et fidè-
«1 lement. »
CROMWELL : " Je ne puis avoir et je n'ai aucun doute sur
« voire fidélité ; je connais votre bienveillance poui- moi, et
« vos talents pour le service de la République; assez d'au-
.1 Ires pourraient les attester. Je crois que nous sommes,
Il vous et moi, aussi engagés que nuls autres envers cette
« République, et certes jamais elle n'eut plus besoin de
Il bons, fermes cl sincères conseils. »
WHITELOCK.E : 'i Pcrsounc, jc pense, ne pcul parler de ce
Il qu'il a fait i)0ur cette cause au moment où Ton parle de
(( ce qu'a fait V. E. Cependant peu d'iiorames s'y sont cnga-
«1 gés plus que je ne l'ai fait à mon [)oste et dans la mesure
<i de ma capacité ; et même à part votre bon naturel et la
.1 connaissance que vous avez de moi, il y a là de quoi
u mettre ma fidélité à l'abri de tout soupçon. »
CROMWELL : >t Je voudrais qu'il n'y eût pas plus de soup-
« çons à concevoir sur d'autres que sur vous; je vous con-
<( fierais volontiers ma vie et nos plus secrètes affaires. C'est
AVEC WHITELOCKE (^ovEMBUE 16o2). 269
«i pour cela que j'ai dcsirc m'enlretcnir en particulier avec
« vous. El vraiment, niilord, nous avons lieu de réfléchir
tt sur la dangereuse condition où nous sommes tous et sur
«1 les moyens de mettre à profit les grâces et les succès que
ti Dieu nous a accordés. Au lieu de nous en laisser dépouil-
« 1er comme des sots , et de nous mettre nous-mêmes en
»i pièces par nos discordes intérieures et nos animosités
«1 mutuelles, il faut que nous unissions nos conseils, nos
<i bras et nos cœurs pour faire fructifier ce que nous avons
«t si chèrement acheté par tant de hasards, de trésors et de
«i sang; le Seigneur ne nous a pas donné une victoire com-
« plète sur nos ennemis pour que nous nous perdions par
« nos querelles particulières, et pour que nous nous fas-
te sions nous-mêmes le mal que n'ont pu nous faire nos
« ennemis. »
WHITELOCKE : « Il cst vrai, milord; je regarde nos dan-
« gers actuels comme plus grands que ceux (lue nous avons
« jamais courus sur le champ de bataille; comme le dit
« V. E., nous travaillons à nous détruire nous-mêmes, ce
a que n'ont jamais pu faire nos ennemis. Il n'est pas
« étoimant qu'une vaillante armée comme la vôtre, après
« avoir pleinement dompté ses ennemis, se livre à des fac-
« tiens et à des desseins ambitieux ; je m'étonne bien ]>lutôt
« que des officiers d'un esprit si actif, maintenant oisifs, et
a qui souvent croient leurs services mal récompensés ,
« n'éclatent pas en rébellion ouverte. Les soldats aussi,
o n'ayant rien à faire , doivent tomber aisément dans le
« désordre. C'est, après Dieu, votre excellente conduite,
« milord, qui les a si longtemps contenus dans la disci|)line
« et les a empêchés de se mutiner. »
CROMWELL : « J'ai employé et j'emploierai foui ce que
a peuvent mes pauvres elforts pour les maintenir dans
tt l'ordre et l'obéissance. »
23.
270 COiNVEUSATlOK DE CUOMWELL
WHITELOCRE : « V. E. l'a fait jusqu'ici d'une manière ad-
« mirable. »
CROMWELL : « Vraiment Dieu m'a abondamment béni en
a ceci, et j'espère qu'il continuera. Comme V. E. la très-
« bien observé, les officiers de l'armée sont enclins aux fac-
« tions et aux murmures quand ils voient qu'ils n'obtien-
« nentni les profits, ni l'avancement, ni les emplois qu'on
« accorde à des gens qui n'ont rien souffert ni rien risqué
a pour la République. En cela ils n'ont que trop raison, et
« leur irritation est très-grande, et leur influence sur les
« soldats pousse ceux-ci à des mécontentements et à des
« murmures semblables. Quant aux membres du Parle-
« ment, l'armée commence à les prendre en grand dégoût;
« je voudrais qu'elle en eût moins de motifs; mais vérita-
« blemcnt leur orgueil, leur ambition, leur ardeur avide
« à envahir, pour eux et pour leurs amis, toutes les places
« honorables et lucratives, les retards qu'ils apportent aux
« affaires, leur dessein évident de se perpétuer au pouvoir,
« leur intervention continuelle dans des questions d'intérêts
« privés, ce qui est contraire à l'institution des parlements,
ic leur injustice et leur partialité dans ces matières, et la
« vie scandaleuse de quelques-uns des principaux d'entre
« eux, tout cela, milord, donne aux gens troj) juste sujet
« de mal parler d'eux et de les prendre en dégoût. Et
« comme ils sont le pouvoir suprême de la nation, n'ayant
« aucun compte à rendre à personne, et ne rencontrant
« aucune autorité supérieure ou égale à la leur, pour con-
« trôier ou régler leur conduite, ils ne peuvent être contc-
« nus dans les limites de la justice, de la loi et de la raison,
« en sorte que, s'il ne s'établit quelque pouvoir assez fort
« et assez haut pour mettre un terme à ces excès, et tenir
« toutes choses en meilleur ordre, il sera humainement
« impossible de prévenir notre ruine. »
AVEC WHITELOCKE (novembre 16a2). 271
WHiTELOCKE : « Je reconnais que le péril où nous mettent
«i ces pouvoirs excessifs et désordonnés est plus grand
« qu'on ne l'appréhende communément. Cependant, en ce
« qui louche les soldais, l'auloi ilé de V. E. suffit pour les
« maintenir dans l'obéissaiicc, et Dieu merci, vous l'avez
•( fait jusqu'à présent, et je ne doute pas que, par votre sa-
« gesse, vous ne le fassiez encore. Quant aux membres du
« Parlement, la grande difficulté est là, j'en conviens; c'est
a d'eux que vous tenez votre commission ; ils sont reconnus
« comme le pouvoir suprême de la nation, sans contrôle et
« sans appel. Il en est trop parmi eux, je l'avoue, qui
« méritent les reproches que vous leur adressez, et beau-
«( coup de choses très-inconvenantes se sont passées là ;
« pourtant je suis sûr que V. E. ne les regarde pas tous
« comme dépravés, et j'espère bien de la plupart d'entre
« eux quand les choses en viendront à une crise. »
CBOMWELL : « Milord, il y a bien peu à espérer d'eux pour
ti un bon établissement de gou\cniement. Non, vraiment,
•1 il n'y a rien à espérer; il y a bien plutôt à craindre qu'ils
« ne détruisent te que Dieu a fait pour nous et pour eux.
« Nous oublions Dieu; Dieu nous oubliera et nous livrera
« à la confusion; et ces gens-là nous y jetteront, si on
«( les laisse suivre leurs propres voies ; il faut aviser à
« quelque moyen de les réj)rimer, ou bien ils nous per-
" dront. »
WHITELOCKE : « C'cst nous mèmcs qui les avons reconnus
>( pour pouvoir suprcuie ; nous tenons d'eux nos commis-
« sions et nos fonctions les plus élevées; il est malaisé,
« après cela, de trouver un moyen de les réprimer. >«
CROMWEi.L : « Eh quoi donc? si un homme prenait sur lui
«I d'être roi ? »
WHITELOCKE : « Jc crois que le remède serait pire que le
Il mal. »
272 CONVERSATION DE CttOMVVELL
ciiOMWtLL : Il Pourquoi le croyez- vous? i
WHiTELOCivE : « Pour vous personnellement, milord, le
« tilre de roi ne vous serait d'aucun avantage. En ce qui
" louche raniicc et la milice, ^ous avez, comme gênerai,
« la plénitude du pouvoir royal. Quant à la nomination des
<i officiers civils, ceux que vous désignez sont bien rare-
•1 ment refusés. Vous n'avez pas, il est vrai, en matière de
« lois, le vole négatif ; mais il ne serait pas aisé de faire
>( passer ce qui vous déplairait. Les inipôts sont établis, et
<i vous disposez de l'argent qu'ils produisent. Quant aux
<( affaires étrangères, bien que pour la forjne on s'adresse
Il au Pailement, c'est de V. E. seule qu'on attend le bon ou
« le mauvais succès des négociations, et les sollicitations
« des ministres étrangers ne vont qu'à vous. Selon moi,
B vous êtes donc, comme général, avec moins de haine, de
«I danger et de pompe, aussi puissant et aussi bien placé
i' pour faire le bien que si vous aviez pris le titre de
Il roi. i>
CROMWELL : « J'ai entendu dire à quelques personnes de
« votre profession que, si un homme est effectivement roi,
« soit par élection, soit par droit de naissance, tous les
<i actes qu'il fait comme roi sont légaux et justifiés en droit,
u comme s'ils émanaient d'un roi qui aurait reçu la cou-
«1 ronne de ses frères; et cela en vertu d'un acte du Parle-
«I ment du temps de Henri VII ; il y a donc plus de sûreté
«( pour ceux qui agissent au nom d'un roi, quelle que soit
(i l'origine de son tilre, que pour ceux qui agissent au nom
v de tout autre pouvoir. Le pouvoir d'un roi esi d'ailleurs
»( si grand et si élevé, et si universellement compris et res-
« peclé de toute cette nation, que non-seulement il couvre
« ceux qui agissent en son nom, mais que, dans des temps
« comme les nôtres, il est d'un usage et d'un avantage im-
« menses pour dompter les insolences et les extravagances
AVEC WHITELOCKE (NovEMBac 16b2). 273
« de gens que les pouvoirs actuels ne sauraient contenir,
<i surtout quand ils sont eux-mêmes les extravagants et les
« insolents. »
WHITELOCKE : «i Je conviens qu'en principe ce que V. E.
« vient de rappeler, quant au litre de roi, est vrai ; niais,
•' malgré l'acte du Parlement de la onzième année de
« Henri VII, je doute beaucoup que, dans l'état actuel des
«i choses, il y ait, soit pour V. E. elle-même et ses amis,
«1 soit pour la République, aucun avantage à prendre ce
u litre; nos ennemis, s'ils l'cmporlaicnt sur nous, feraient
« peu de cas de l'acte de Henri VII. »
CROMWELL : u Quel danger voyez-vous donc à prendre ce
u titre? i>
WHITELOCKE c « Le voici. Un des principaux sujets de dé-
ti bat entre nous et nos adversaires, c'est de savoir si le
«1 gouvernement de cette nation sera établi en monarcbie
« ou en république. La plupart de nos amis se sont engagés
«1 avec nous dans l'espérance d'arriver à l'établissement de
«c la République, et c'est pour cela qu'ils ont affronté tant
Il de difficultés et de périls. Ils sont persuades (bien qu'à
«i mon avis ils se trompeni) que, sous une république, ils
«i jouiront de plus de droits et de libertés, civiles et spiri-
ti tuelles , qu'ils ne feraient sous une monarchie dont les
>i pratiques oppressives sont encore fraîches dans leur nié-
« moire. Si, maintenant, V. E. prend le titre de roi, il n'y
«I aura jjIus d'incertitude sur la nature de notre cause : la
ti monarchie sera établie dans votre personne, et la qucs-
« lion ne sera plus de savoir si notre gouvernement sera
«t républicain ou monarclii(iue, mais si noire monarque
•( sera CromAvcll ou Stuart. La question, qui était nalio-
«I nale, deviendra purement personnelle ; le parti de la
<i République, qui est très-considérable, voyant ses espé-
« rances frustrées, vous abandonnera ; vous vous trouverez
•ili COiN VERSAT JON DE CUOMWELL
« affaibli, votre influence restrcinle, et votre cause en dan-
<i ger évident de ruine. »
CROMWELL : ic Vous dites vrai en ceci ; mais quel autre
« moyen avez -vous à proposer pour remédier à nos embar-
<i ras et à nos dangers ? »
WHITELOCKE : <i C'cst bien difficile. Cependant il m'est venu
« à ce sujet bien des idées, dont quelques-unes ne pour-
« raient guère être communiquées, du moins avec sûreté
« pour moi. »
CUOMWELL : «'Je vous prie, railord, quelles sont ces idées?
u Vous pouvez me les confier : il n'en résultera pour vous
ti aucun inconvénient. Je ne Irabirai jamais mon ami; vous
»i pouvez être aussi libre avec moi qu'avec votre propre
« cœur. )>
WHITELOCKE : «i Je n'hésite pas à mettre ma fortune et ma
« vie entre les mains de V. E., et c'est en effet ce que je
« ferai si je vous couimunique ces idées qui ont peu deva-
« leur et pourraient bien vous déplaire. Vraiment, ce que
« j'ai de mieux à faire, c'est de les supprimer. »
CROMWELL : ti Non, je vous en prie, milord Whitelocke;
«i quelles qu'elles soient, ces idées ne peuvent m'offenser et
t' je les prendrai bien de vous : ne les cachez pas à votre
'i fidèle ami. »
WHITELOCKE : « V. E. m'honorc là d'un titre qui est bien
« au-dessus de moi; puisque vous me l'ordonnez, je vous
« dirai ce que je pense; mais je vous supplie humblement
« de ne pas le prendre en mauvaise part. »
CROMWELL : <i Soyez tranquille, je le prendrai en bonne
« part. »
WHITELOCKE : <( Permettcz-moi donc de considérer d'a-
<i bord la situation de V. E. Vous êtes entouré d'ennemis
«secrets; depuis que vous avez vaincu l'ennemi public,
R les officiers de votre armée se tiennent tous pour des
AVEC WIIITELOCKE (novembue 1032). 27:i
«t vainqueurs et veulent avoir une égale part avec vous
«( dans la victoire. Le succès que Dieu nous a donne a enflé
«i leurs cœurs ; il y a, parmi eux, des esprits turbulents,
«( qui ne sont pas sans nourrir le dessein de jeter bas V. E.,
« et de se mettre eux-mêmes en selle h sa place. Le conseil
« et rencouragcment ne leur manqueront pas de la part de
« certains membres du Parlement jaloux de votre grandeur
« et qui, craignant que vous ne deveniez leur maître, com-
«1 ploieront pour vous renverser, ou du moins pour vous
« rogner les ailes »
CROMWELL : (i Je vous remercie d'examiner avec tant de
« soin ma situation : c'est une preuve de votre amitié pour
« moi, et vous Tavez très-bien décrite. Mais je puis dire
« sans vanité que dans ma situation est enveloppée aussi la
<( vôtre, et celle de tous nos amis, et que les gens qui com-
« plotent ma ruine ne seraient guère disposés à vous main-
« tenir dans une fortune digne de vous. La cause publique
<i d'ailleurs peut avoir elle-même à souffrir de nos disscn-
<i sions intérieures. Mais, enfin, quelles sont vos vues,
«1 monsieur, pour prévenir les maux suspendus sur nos
« têtes ? n
WHiTELOCKE : '( Pardouncz-moi , monsieur, si j'en viens
•1 à considérer la situation du roi des Écossais. Par votre
« valeur, par les succès que Dieu a donnés au Parlement et
« à votre armée, ce prince est maintenant réduit très-bas.
«( Lui-même et tous ceux qui l'entourent ne peuvent être
« que très-disposés à prêter l'oreille à tout ce qui leur
« rendra quelque espoir de retrouver, lui sa couronne, eux
.1 leurs biens et leur patrie. Vous pouvez, par un traité
<( particulier, vous mettre en parfaite sûreté, vous, vos
« amis et leur fortune ; vous pouvez vous rendre, vous et
«c votre postérité, aussi grands, selon toutes les probabilités
.1 humaines, que l'ait jamais été aucun sujet. Vous pouvez
276 3IENEES DE CROMWELL
« assigner au pouvoir monarchique des limites qui garan-
« tissent nos libertés civiles et religieuses; vous pouvez
<i mettre notre cause à l'abri de tout péril en retenant, pour
« vous et pour la personne que vous désignerez après vous,
« le commandement de l'armée. Je propose donc à V. E.
u d'envoyer vers le roi des Écossais, et d'entrer avec lui
« dans un traité particulier. Je vous demande pardon de
<( ce que je viens de vous dire ; c'est un pur effet de mon
Il attachement et de mon désir de servir V. E., ainsi que
« tous les honnêtes gens, et je vous prie très-humblement
« de n'en concevoir aucune méfiance sur ma fidélité éprou-
« vée envers V. E. et cette République. »
CROMWELL : « Je n'ai, je vous assure, pas la moindre
« méfiance de votre fidélité et de votre attachement
ti pour moi et pour cette République. II y a beaucoup
« de bonnes raisons en faveur de ce que vous proposez :
Il mais c'est une affaire si grave et si difficile qu'il y faut
<i plus d'examen et de discussion que nous ne pouvons
Il y en apporter aujourd'hui. Nous en reparlerons plus
<! tard ^ . »
Cromwell pouvait, à son gré, quand le tour ne lui en
plaisait pas, ajourner une conversation avec Whitelocke,
jnais non pas la situation même que révélaient et qu'aggra-
vaient, entre le Parlement et lui, de telles confidences: c'é-
tait la guerre, et l'une de ces guerres qui n'admettent plus
de paix. Malgré l'hypocrisie des relations personnelles et du
langage, elle fut, de ce jour, déclarée et active. Irrité et pa-
ralysé à la fois par les menées de son ennemi, le Parlement
portait, dans les affaires publicpies, le sentiment de son
propre péril et les précautions de sa défense personnelle.
Jamais il n'avait montré tant d'empressement à donner sa-
» Wliilclocke, p, Ul-US.
CONTRE LE PARLEMENT. 277
tisfaction aux vœux du pays ; la réforme des lois, le souln-
gemcnt des pauvres, les mesures nécessaires pour assurer
partout la prédication de l'Évangile et le sort de ses minis-
tres, toutes les questions populaires, civiles ou religieuses,
furent l'objet de discussions et de délibérations répétées;
les grands actes politiques propres à relever le pouvoir,
comme l'union de l'Ecosse avec l'Angleterre, le règlement
des affaires d'Irlande , les nécessités de la guerre avec les
Provinces-Unies, étaient incessamment à l'ordre du jour;
le Gouvernement cherchait partout un peu de faveur ou
d'éclat. Mais la plupart de ces tentatives n'aboutissaient
point ; les débats se prolongeaient ou se renouvelaient in-
définiment ; les conférences et les rapports des comités se
multipliaient sans résultat; des résolutions qui semblaient
définitives étaient révoquées ou remises en doute. Le Par-
lement était évidemment en proie à une perplexité continue
qui en même temps le poussait à redoubler en tous sens ses -
efforts et les frappait de stérilité.
Cromwell, de son côté, n'était pas exempt de trouble et
d'hésitation : il avait, tantôt avec ses officiers seuls, tantôt
avec eux et des membres du Parlement, ou même avec des
ecclésiastiques, presbytériens ou autres, qu'il consultait
comme sur un cas de conscience, de fréquents entretiens
où il s'efforçait de les amener à ses vues; mais il rencontrait
quelquefois des résistances aussi franches que ses propres
paroles étaient indiscrètes et emportées. Dans l'une de ces
conférences, le docteur Edward Calamy, prédicateur cher à
la Cité, combattit vivement le système d'un pouvoir unique
comme illégitime et impraticable : « Pour illégitime, non,»
dit Cromwell, « car le salut du peuple est la suprême loi ;
« et pourquoi impraticable, je vous prie?— Parce que c'est
« contre le vœu de la nation, » répondit Calamy; « neuf
« hommes sur dix seront contre vous. —Mais si je désarme
1. 2i
278 MAUVAISE SITUATION
« les neuf, et si je mets lYpée dans la main du dixième, est-
« ce que l'affaire ne sera pas faite ^ ? » Ces hardiesses d'un
vainqueur tant de fois éprouvé entraînaient la plupart des
assistants, mais, en effrayaient aussi quelques-uns. Les sec-
taires passionnément mystiques, Hnrrison à leur tête, appar-
tenaient à Cromwell ; le Parlement n'était, à leurs yeux,
qu'un pouvoir profane qui tenait la place du gouvernement
de Christ, seul roi légitime, et ils attendaient, de la piété
(le Cromwell, l'avènement du règne des saints, et de sa
vaillance, la chute de l'Anteclirist, c'est-à-dire du pape et
des Turcs. Les esprits libres, les politiques mondains com-
prenaient que la lutte entre leur général et le Parlement ne
pouvait se prolonger et que le moment approchait d'en
finir. De nombreuses lettres arrivèrent des officiers de
l'armée d'Ecosse, promettant à l'armée d'Angleterre leur
adhésion. Dans l'armée d'Irlande, les dispositions étaient
moins unanimes ; Ludlow, qui n'avait pas cessé d'y servir
avec éclat, y exerçait une grande influence, tout employée
à entretenir l'esprit républicain. Trois officiers, le colonel
Venables, le quartier-maître général Downing et le major
Streater, se rendirent à Londres pour s'opposer aux des-
seins qu'ils entrevoyaient. Cromwell gagna ou fit taire Ve-
nables et Downing; mais Streater tint bon, et alla jusqu'à
dire, dans une conférence « que le général cherchait sa
« propre grandeur, ce qui était trahir leur glorieuse cause
« pour laquelle tant de sang avait été répandu. » Harrison
repoussa cette accusation, disant « qu'il était sûr que le
«c général ne sccherchait point lui-même et nevoulaitqu'ou-
u vrir la voie au règne de Christ. )> — « Eh bien ! )> reprit
» Forsler, Slalesmen of the Commonwealth , l. V, p. 52 ; — fJfe of Oliver
Cromtvelli^': édil., Londres, 1743), p. 223; - Neal, Hisl. of the Purilani,
t IV, p. 374.
DU PAHLEMEPST. £79
Streater, »' que Christ vienne avant Noël, sans quoi il vien-
<i dra trop tard ' . »
Le péril n'était pas si pressant que Streater le pensait;
Cromwell savait sentir les obstacles et prendre du temps
pour les surmonter : au milieu de cette lutte si chaudement
engagée, et sans doute pour la ralentir en calmant un peu
les soupçons, il cessa tout à coup de s'opposer à la nouvelle
réduction de l'armée qu'il avait fait repousser cinq mois
auparavant; et le 1^"' janvier 1635, de concert entre le Par-
lement et le général, cette réduction fut en effet ordonnée,
licenciant environ trois mille hommes d'infanterie, mille
cavaliers, une partie de quelques garnisons, et retranchant,
sur les charges de la République, 10,000 liv. sterl. par
mois ^.
Cromwell pouvait faire à la Chambre ce sacrifice; elle
avait déjà reçu de lui, et surtout d'elle-même et du temps,
les coups sous lesquels elle devait succomber. Depuis plus
de douze ans, entier ou mutilé, ce Parlement gouvernait,
responsable, aux yeux de l'Angleterre, des événements
comme de ses actes, de ce qu'il n'avait pas prévu comme
de ce qu'il avait voulu , de ce qu'il n'avait pas empê-
ché comme de ce qu'il avait fait. Non-seulement, dej)uis
/ douze ans, le Parlement gouvernait, mais il avait at-
tiré à lui tous les pouvoirs ; il traitait et décidait seul
d'une multitude de questions qui, avant lui, auraient appar-
tenu à la couronne ou à ses agents, aux magistrats, aux
autorités locales ; les confiscations, les séquestres, les ventes
des domaines royaux ou ecclésiastiques, les contestations
qui s'élevaient à ce sujet, les nominations aux emplois, la
conduite de la guerre de terre et de mer, toute l'adminis-
' Forster, Staksmcn of Ihc CommonwcaUh, t. V, p. 44 ; — The Life of
01. Cromioell, p. 228 ; — Whitelockc, p. 553.
* Journals of ihc I/ouse ofcommons, l. Vil, p. 211.
280 ACCUSATIONS DE CORRUPTION
tration comme tout le gouvernement révolutionnaire étaient
dans les mains du Parlement, chargé ainsi d'un nombre
infini d'intérêts privés aussi bien que des intérêts publics.
Les journaux de la Chnmbre font foi, à chaque page, de
cette monstrueuse concentration d'affaires de tout genre
débattues et résolues chaque jour soit par la Chambre elle-
même, soit par ses comités : à tel point que, de temps en
temps, la Chambre était obligée de décider que, pendant
une ou deux semaines, clic laisserait de côté toutes les
affaires particulières pour ne s'occuper que de celles du
pays '. Confusion déplorable, où le Parlement perdait non-
seulement son temps, mais sa vertu : ni le bon sens, ni
rhoimêteté de la plupart des hommes ne résistent à cette
épreuve prolongée du pouvoir au sein du chaos ; les abus,
les vexations, les malversations, les transactions illégitimes
naissaient et se multipliaient, comme un fruit naturel d'une
telle situation; et le Parlement, maître absolu de la for-
lune et du sort de l'État, [)assa bientôt pour un foyer d'ini-
quité et de corruption.
Adressée aux régions hautes de la Chambre, l'accusation
était injuste : ses chefs politiques, Vane, Sidney, Ludlow,
Hulchinson, Harrington, étaient des hommes d'une haute
intégrité, passionnés pour leur cause, mais dégagés de tout
autre intérêt que le triomphe de leur cause et de leur pas-
sion. La cause même, quoique peu sensée et antipathique
au pays, était noble et morale; les principes qui y prési-
daient étaient la foi dans la vérité, l'estime affectueuse de
l'humanité, le respect de ses droits, le désir de son déve-
loppement libre et glorieux. Mais dans les rangs secondai-
res, et pourtant actifs, du parti, chez un grand nombre de
' Journals of ihe IIousc of commons, I. V[ el VII , passim ; — Whitelocke,
p. 5i)i.
CONTRE LE PARLE3IE1NT. 281
membres soit du Parlement, soit des comités locaux qui le
servaient, et sous l'empire soit des mécomptes politiques
soit des tentations personnelles, l'cgoïsme avide, l'esprit de
licence ou d'indifférence, le dédain ou le doute pour la jus-
tice et la probité, avaient fait de tristes progrès, et susci-
taient des désordres qui attiraient, sur le parti et sur le
Parlement tout entier, une grande déconsidération.
Plusieurs scandales éclatants vinrent justifier et enveni-
mer ce sentiment public. Lilburne, toujours acharné à sou-
tenir ses droits et à satisfaire ses haines, avait, au nom de
l'un de ses oncles, réclamé la propriété de certaines mines,
dans le comté de Durham, contre sir Arthur Haslerig, aussi
remuant et aussi populaire dans le Parlement que Lilburne
dans la Cité. La réclamation fut deux fois rejetée par les
comités charges de la juger '. Lilburne publia, contre ses
juges, un pamphlet où illes appelait « des hommes iniques
« et indignes, que toute société humaine devait vomir de son
« sein, et qui méritaient bien mieux que d'être pendus ^ 5 »
puis, il adressa au Parlement même une pétition non moins
injurieuse pour Haslerig •'. Le Parlement la fit examiner
par un comité de cinquante membres; et après une longue
instruction, Lilburne fut condamné à payer 3,000 liv. st.
d'amende à la République, 2,000 à Haslerig comme domma-
ges-intérêts, 500 à chacun des quatre membres du comité
qui avait statué sur sa réclamation, et de plus à être banni
d'Angleterre pour sa vie *. Que la demande de Lilburne fût
ou non fondée, et quelle que fût la violence de sa plainte.
1 En 1649 et 16SI.
^ Ce pamphlet intitulé : Juste plainte contre le comité d'Haberdashers'-
Halt, fut publié en août 1651.
' En décembre lôîil.
♦ Les 15 et 20 janvier 16iJ2 ; JournaU of thc Hanse of commons, t. VU,
p. 71,72, 74.
24.
282 LE PARLEMENT SE DECIDE
une telle sentence, prononcée non par des juges, mais par
des ennemis politiques, révolta le public par son excessive
rigueur. Ce l'ut bien pis lorsqu'on eut à la comparer avec
une indulgence encore plus choquante. Lord Howard d'Es-
crick, membre de la Chambre, avait été chassé de son siège,
emprisonne à la Tour, et condamné à une amende de
40,000 liv. sterl. pour un fait de corruption notoire ^; l'a-
mende lui fut remise, et il obtint sa mise en liberté 2. A l'oc-
cation d'une affaire de prise maritime, un négociant, Jacob
Slaincr, fut amené devant la Chambre et interrogé sur des
lettres où, faisant allusion soit au Parlement, soit au conseil
d'État, il disait à ses correspondants d'Anvers : « Nous nous
« sommes fait ici des amis parmi de grands personnages
« qui parleront pour nous quand l'affaire viendra devant
« eux. »I1 s'expliqua assez confusément, et au bout de quinze
jours il fut mis en liberté sous caution ^. Un membre de la
Chambre, M. Blagrave, fut formellement accusé, par un
plaignant qui se nommait et offrait de prouver son dire,
d'avoir reçu de l'argent pour certaines nominations, et l'af-
faire, renvoyée à un comité spécial, y demeura ensevelie *.
L'àpreté grossière des intérêts privés, et quelquefois même
l'improbité de certains membres, étaient ainsi couvertes,
sinon par la complicité, du moins par la complaisance
inquiète du Parlement.
C'était trop de rigueurs et trop de faveurs également
odieuses de la part d'une assemblée usée par sa longue vie
autant que par ses fautes, mutilée de ses propres mains,
ï Le 25 juin 1651; — Journal* of the House of eommom, t. VI, p. 591.
* Journals of Ihe House of commons, t. V, p. 618; l. VU, p. 274.
^ Lesl«rct15 décembre 1652; - Journals of the llouse of commons,
l. Vil, p. 223, 229.
* Les 9 cl 10 février 1653 ; — Journals of the llouse of commons, t. VII,
p. 257.
A PROPOSER DES ÉLECTIONS NOUVELLES. 283
pleine encore de discordes dans son petit nombre, que la
défaite même de ses ennemis du dedans n'avait pas affermie,
et qui, au dehors, engageait de plus en plus le pays dans
une guerre obstinée contre la seule nation protestante et
républicaine parmi ses voisins. La lassitude et le dégoût
publics éclataient de toutes paris; une mullilude de pam-
phlets circulaient, chaque jour plus injurieux ; le mépris s'y
mêlait à la haine; on réfutait ironiquement les déclarations
« du Parlement imaginaire de la République inconnue
« d'Angleterre ' ; » on le sommait de faire place à un Par-
lement véritable. La Chambre courroucée enjoignit au
conseil dEtat « de supprimer ces écrits, hebdomadaires ou
« autres, publiés pour le déshonneur du Parlement et la
« ruine de la République, » et lui donna pouvoir « d'em-
V prison uer les offenseurs et de leur infliger tel autre chà-
« liment qu'il jugerait à propos ^. » Mais ni les colères de
la Chambre, ni les pouvoirs du conseil d'État ne suffisaient
plus à réprimer l'hostilité d'un public ([ui se sentait Crom-
wcll pour allié; le Parlement s'acharnait vainement à vivre;
la force morale et la force matérielle lui manquaient à la
fois ; unis enfin dans une antipathie commune, ni le peuple,
ni l'armée n'en voulaient plus.
Pressés par celte situation, les chefs républicains prépa-
raient, en se débattant, le bill de dissolution qu'on leur
demandait : un événement survint qui modifia tout à coup
leurs sentiments; la grande victoire que, vers le milieu de
février dC53, RIake remporta sur Tromp, dans la Manche,
leur parut une circonstance favorable ; c'était de l'éclat
pour leur gouvernement; quchiues ouverttu-es de paix vin-
rent de Hollande. Dans les conseils intimes du parti, Vane
' Journals of Ihc House of commons, t. VII, p. 193.
* Les 28 décembre lCo2 el 7 janvier I6S53 ; Jourmls of llie llouse of com-
mons, t. VU, p. 236, 244.
28i HYPOCRISIE DE L'ACTE PREPARE
insista fortement pour qu'on renonçât à de dangereuses len-
teurs : « Il y a ici, » écrivait de chez lui l'un de ses amis,
« de grandes préoccupations et préparations pour un Par-
« lement nouveau ; quelques-uns de nos amis sont disposés
« à croire qu'il nous servira, nous et notre cause, mieux
« que n'a fait celui-ci. » On décida que le Parlement actuel
se retirerait le 5 novembre de cette année même, c'est-à-
dire un an plus tôt qu'on ne l'avait jusque-là résolu; on
commença à discuter sérieusement l'acte qui devait régler
l'élection de ses successeurs '.
Cet acte a été perdu; il n'existe pas sur les registres de la
Chambre, et on ne l'a retrouvé nulle part : cependant ses
dispositions essentielles sont connues. Il établissait un sys-
tème à peu près conforme à celui que, le 20 janvier 1649,
le conseil général des officiers de l'armée avait présenté au
Parlement une assemblée de quatre cents membres, élus
dans les comtés par tous les possesseurs d'une fortune, réelle
ou personnelle, de 200 liv. sterl., et dans les bourgs par
tous les habitants payant un certain loyer dontlc taux n'était
pas encoi'e déterminé. Le tableau des bourgs investis du
droit électoral fut minutieusement débattu, et supprimait
beaucoup d'anciens privilèges. Mais les électeurs n'étaient
appelés qu'à compléter le Parlement existant, non à le re-
nouveler tout entier; les membres actuellement siégeants, au
nombre d'environ cent cinquante, restaient de droit mem-
bres du Parlement nouveau, pour les comtés ou les bourgs
qu'ils avaient jusque-là représentés. Us formaient même
seuls le comité investi du pouvoir de prononcer sur la vali-
dité des élections et la capacité des élus; en sorte que, loin
de courir aucune chance d'être écartés du Parlement futur,
* For&lcr, Slatesmen of Ihe Commonweallh, l. II, p. 149 («ic de sir Henri
Vane); — Joitruals of ihe Uouse ofcommons, l. VII, p. 244, 261, 263, 2G5,
268, 270, 273, 277.
POUR DES ÉLECTIONS NOUVELLES. 28o
ils continuaient d'en être le noyau permanent et domi-
nante
Ce n'était point là, à coup sûr, la dissolution qu'atten-
daient le pays et l'armée ; le mensonge était grossier et pal-
pable. Cependant Cromwell s'en inquiéta et résolut en
lui-même de ne pas souffrir qu'un tel acte fût converti en
loi. Il connaissait l'empire de la légalité, les faiblesses des
partis, et savait combien de gens, quand la crise approche,
sont disposés à se contenter à bon luarclié. Ses intimes
confidents, les prédicateurs dévoués à sa personne dirent
et redirent partout, du haut même de la chaire, que déci-
dément le Parlement ne voulait pas se dissoudre, et que,
de manière ou d'autre, il faudrait l'y contraindre. Croni-
well lui-mcme se montrait plus que jamais indécis et per-
plexe : 't Deux partis, » dit-il un jour au quartier-maître
général Vcrnon, « me poussent à faire une chose au dénoîi-
it ment de laquelle je ne puis songer que mes cheveux ne;
ic se dressent sur ma tête; l'un est celui du major général
u Lambert qui , dans son ressentiment de l'affront que le
ti Parlement lui a fait en ne lui permettant pas d'aller en
" Irlande avec un caractère conforme à son mérite, ne sera
<i jamais content qu'il ne le voie dissous : le major général
<i Harrison est à la tête de l'autre parti ; c'est un honnête
«i homme, et qui a d'excellentes intentions, mais tant d'im-
« patience qu'il ne veut pas attendre le temps du Seigneur,
«I et qu'il me presse de faire un acte dont lui et tous les
>i honnêtes gens se repentiront. » Il recherchait tous les
liommes de quelque importance, militaires ou civils, tantôt
les réunissant chez lui en conférence, tantôt les sondant en
> Carlyie, Cromivell's Lcllcrs and Specches, l. II , p. 177, I9Ô-I9G; — Goil-
win, Hist. of Ihc Commonivcallh, t. III, p. U8 ; - Forsier, Slatcsmen of thc
Commonwenllh, l. IH, p. i:)7-l(;2; — Juurmtls o/llif House of commoiis;
l. VII, p. 273, 275.
2S6 RÉUNION DES MÉCONTENTS
particulier, et variant ses confidences selon qu'il voulait
détourner les soupçons de ses interlocuteurs ou qu'il espé-
rait les attirer dans son dessein ^.
Le 19 avril 1653, une réunion, plus nombreuse que de
coutume, se forma à Whitehall; tous les officiers impor-
tants, les jurisconsultes, Whitelocke, Widdrington, Saint-
John, et une vingtaine d'autres membres de la Chambre, sir
Arthur Ilaslerig, sir Gilbert Pickering, appelés ou venus là
pour se concerter sur ce qui s'y ferait, ou pour le découvrir.
On avait appris que les chefs du Parlement, Vane surtout,
voulaient presser l'adoption du bi!l proposé. Croniwell invita
la réunion à chercher quelque moyen de mettre un terme au
Parlement actuel et de pourvoir, jusqu'à la convocation d'un
Parlement nouveau, au gouvernement de la République. Il
proposa que, le Parlement une fois dissous, quarante per-
sonnes, prises dans la Chambre et dans le conseil d'État,
fussent provisoirement chargées de la conduite des affaires.
Il avait souvent dit que « ce serait tenter Dieu que de s'en
<c remettre uniquement au peuple et à l'élection d'un nou-
<i veau parlement selon l'ancienne constitution ; Dieu, il en
« avait la confiance, voulait sauver cette génération ; mais
« il le ferait comme il l'avait fait jadis, par les mains de
« quelques hommes. Cinq ou six hommes, ou quelques-
«t uns de plus, se mettant à l'œuvre, en feraient plus en un
« jour que le Parlement n'en avait fait ou n'en ferait eu
« cent; quelques hommes, sans préjugés, pouvaient seuls
« être les instruments du salut du peuple. » La discussion
fut vive et longue; on attaqua le bill dont la Chambre s'oc-
cupait ; comme mensonger et destiné, non à dissoudre, mais
à perpétuer le Parlement ; comme dangereux pour la Répu^
blique, car il ouvrait la porte des élections aux Presbyté-
' Ludlow, Mémoires, t. II, p. 189 ; — Whilelocke, p. 553.
CHEZ CROMWELL (10 et 20 avril 1CS3). 2S7
riens, ses ennemis cachés. Widdrington et Whîlelocke
s'élevèrent cependant contre tout dessein de dissoudre le
Parlement malgré lui , et d'instituer à sa place un pouvoir
provisoire; selon eux, la conscience et !a prudence s'y op-
posaient également. « Ce serait une œuvre maudite, i> s'écria
Ilaslerig, u notre mission ne peut être transmise à per-
« sonne. » Saint-John soutint, au contraire, que, de manière
ou d'autre, il fallait en finir, et que le pouvoir du Parle-
ment ne pouvait se prolonger. Presque tous les officiers
furent de cet avis. Cromwell blâma ceux qui s'exprimaient
violemment, et la conférence se sépara vers minuit sans
qu'aucune résolution eût été adoptée. Mais on convint
qu'on se reverrait le lendemain et que les memhres de la
Chambre feraient en sorle que rien ne fût brusquement
décidé sur le bill en question, afin qu'on eût encore le temps
de s'entendre et d'aviser en commun ^.
Le lendemain, la réunion fut moins nombreuse : irrités
ou effrayés, quelques-uns de ceux qui étaient venus la veille
ne revinrent point ; d'autres allèrent à la Chambre pour
veiller à ce qui s'y passerait et en informer Cromwell.
Whitelocke retourna chez le général et reproduisit ses ob-
jections contre la dissolution du Parlement et la formation
d'un gouvernement provisoire, prévoyant qu'il serait appelé
à en faire partie et que, n'osant pas refuser, il se trouverait
compromis. Comme la discussion continuait entre eux à ce
sujet, on vint avertir Cromwell que la Chambre était en
séance, et que Vane, Marlyn, Sidney, poussaient à l'adop-
tion immédiate de ce qu'ils appelaient le bill de dissolution.
Les membres de la Chambre qui se trouvaient à Whitehall
' Whilelocke, p. 55î ; — Hcatli, Flagellum, or Ihe lifc and dculh, birlli
and burial of 0. Cromivell l^Z' édit., Londres, \&(i''>], p. 130 ; — Cnilyli-,
CromweU's Ltllers and Speeches, t. Il, p. 177, 198-202.
288 CROMWELL CHASSE
en partirent aussitôt pour se rendre à Westminster ; mais
Cromwcll resta avec ses officrers, voulant encore attendre
et n'agir que sous la vocation de l'exlrême nécessité. Bientôt
accourut le colonel Ingoldsby, disant : u Si vous voulez
« faire quelque chose de décisif, vous n'avez pas de temps
«t à perdre. » La Chambre était près de prendre une réso-
lution ; Vane avait énergiquement insisté pour faire voter
le bill; HaiTison embarrassé avait engagé, en termes doux
et humbles, ses collègues à ne rien précipiter dans un cas si
grave. Cromwell quitta sur-le-champ Whitehall, suivi de
Lambert et de cinq ou six officiers ; il prit, en passant, un
détachement qui se tenait prêt, et, arrivé à Westminster,
il plaça des soldats à la porte du Parlement, d'autres dans
le vestibule, d'autres encore tout près de la salle des séances,
et y entra seulj sans aucun bruit, en habit noir et en bas
de laine gris, selon sa coutume lorsqu'il n'était pas en uni-
forme de guerre. Vane avait repris la parole et démontrait
avec passion L'urgence du bill. Cromwell alla s'asseoir à sa
place accoutumée. Saint-John s'approcha de lui : » Je viens
« faire, » lui dit Cromwell, « ce qui me navre jusqu'au fond
« de l'âme, ce dont j'ai prié Dieu avec larmes de me dis-
<i penser; j'aimerais mille fois mieux être mis en pièces
« que de le faire; mais il y a une nécessité qui pèse sur
ti moi, pour la gloire de Dieu et le bien de la nation. — Je
«i ne sais ce que vous voulez dire, » répondit Saint-John,
ti mais Dieu veuille que ce que vous ferez, quoi que ce soit,
« ait une issue conforme au bien public. » Et il retourna à
sa place. Vane parlait toujours; Cromwell Técoutait. Vane
demanda à la Chambre d'affranchir le bill des formalités
qui, selon l'usage, devaient précéder l'adoption. Cromwell
fit un signe à Harrison, disant : « C'est le moment; il faut
«1 que je le fasse. — Monsieur, » lui dit Harrison un peu
troublé, ti pensez-y bieu;^ l'œuvre est grande et dangereuse.
LE LONG PARLEMENT (20 avril 16Sô). 289
'i — Vous avez raison, » reprit Crorawell, et il resta immo-
bile. Un quart d'heure s'écoula encore: Vane avait cessé de
parler ; l'orateur se disposait à mettre la question aux voix;
Cromwell se leva, ôta son chapeau et, prenant la parole, il
s'exprima d'abord en termes pleins d'égards pour le Parle-
ment et ses membres, rendant justice à leurs travaux, à
leur zèle ; mais peu à peu son ton changea; son accent et
ses gestes s'irritèrent; il reprocha aux membres de la Cham-
bre leurs lenteurs, leur avidité, leur attachement à leurs
intérêts personnels, leur peu de soin de la justice : « Vous
" n'avez pas le cœur de rien faire pour le bien publie; vous
« ne voulez que vous perpétuer dans le pouvoir; votre
« heure est venue; le Seigneur en a fini avec vous; il a
ic choisi pour son œuvre des instruments plus dignes ; c'est
«1 le Seigneur qui m'a pris par la main et qui me fait faire
» ce que je fais. » Vane, Wenlworth, Martyn, se levèrent
vivement pour lui répondre : « Vous trouvez peut-être, »
dit-il, <i que ceci n'est pas un langage parlementaire; j'en
<i conviens; mais n'en attendez pas un autre de moi. »
Wenlworlh parvint à prononcer quelques phrases : " Jamais
« le Parlement n'a entendu de telles paroles, d'autant plus
«1 horribles qu'elles viennent de son serviteur, d'un servi-
« teur que le Parlement, dans sa bonté sans exemple, a
« élevé si haut, et qu'il a fait ce qu'il est. i« Cromwell s'é-
lança de sa place au milieu de la salle, et mettant son
chapeau sur sa tête : "Venez, venez,» dit-il, «ge vais mettre
« fin à votre bavardage. » Il fit un signe à Harrison, la
porte s'ouvrit; vingt ou trente fusiliers entrèrent, comman-
dés par le lieutenant-colonel Worsley : « Vous n'êtes plus
« un parlement; sortez, faites place à de plus honnêtes
« gens. » Il se promenait en long et en largo, frappant du
pied et donnant ses ordres : « Faites-le descendre, » dit-il
à Harrison en lui montrant l'orateur dans son fauteuil ;
RÉPUBLIQUE D'ANGLETERRE. 1. *'*
290 CROMWELL RENVOIE
Harrison engagea l'orateur à descendre ; Lenthall s'y refusa :
«1 Descendez-le vous-même, » dit Cromwell ; Harrison mit
la main sur la robe de l'orateur qui se soumit aussitôt.
Algernon Sidney était assis près de l'orateur. « Faites-le
« sortir, » dit Cromwell à Harrison ; Sidney ne sortait
point : «Mettez-le à la porte ; » Harrison et Worsicy en firent
le geste, et Sidney s'éloigna. « C'est une indignité, " s'écria
Vane; « c'est contre tout droit et tout honneur. — Ah!
« sir Henri Vane, sir Henri Vane, » reprit Cromwell,
«I vous auriez pu prévenir tout ceci ; mais vous êtes un
«i jongleur ; vous n'avez pas même l'honnêteté commune ;
« le Seigneur me délivre de sir Henri Vane ! » Et au milieu
du trouble général, il adressait aux membres qui pas-
saient devant lui des apostrophes semblables; à Challoner :
<t Ivrogne! » à Wentworth : « Adultère! » à Henri Martyn :
«t Est-ce qu'un coureur de filles est fait pour siéger ici et
«I pour gouverner? » H s'approcha de la table où était placée
la masse qu'où portait devant l'orateur, et appelant ses
soldats : « Qu'avons-nous à faire de cette babiole ? Qu'on
•I l'emporte. » H répétait fréquemment : « C'est vous qui
«c m'avez forcé de faire cela. — Vous n'êtes pas encore allé
«t si loin que les choses ne puissent se rétablir, » lui dit l'al-
dcrman Allen ; « ordonnez à vos soldats de sortir de laChani-
«i bre, et faites rapporter la masse ; les affaires reprendront
« leur cours. » Cromwell s'emporta contre Allen, et lui de-
manda compte de quelque cent mille livres sterling dont,
comme trésorier de l'armée, il avait fraudé la République.
m Ce n'est pas ma faute, n répondit Allen, « si mon compte
n'est pas soldé depuis longtemps; je l'ai plusieurs fois pré-
senté à la Chambre. » Cromwell le fit arrêter et emmener
par ses soldats. La salle était vide ; il en fit saisir tous les
papiers, s'approcha du clerc de service, lui prit des mains .
l'acte de dissolution qui était près de passer, le mit sous son
LE CONSEIL D'ETAT REPUBLICALN. 291
liabit, sortit le dernier, fît fermer les portes, et retourna à
WhitehalP.
Il y trouva plusieurs de ses officiers qui y étaient restés,
attendant l'événement; après leur avoir raconté ce qui ve-
nait de se passer : « Quand je suis allé à la Chambre,» leur
dit-il, « je ne croyais pas que je fisse cela; mais j'ai senti
ic l'esprit de Dieu si puissant sur moi que je n'ai plus écoulé
« la chair ni le sang. i> Quelques heures plus tard, dans
l'après-midi, on l'informa que le conseil d'État venait de se
réunir dans la salle ordinaire de ses séances, à Whilehall
même, sous la présidence de Bradshaw; il s'y rendit aussi-
tôt,suivi seulement dcHarrison et dcLarabert: «Messieurs,»
leur dit-il, « si vous êtes ici comme de siuiples particulici's,
u on ne vous dérangera point ; mais si vous siégez comme
«i conseil d'État, ce n'est pas ici votre place ; vous ne pou-
«( vez ignorer ce qui s'est l'ait à la Chambre ce matin ; prc-
« nez donc garde que le Parlement est dissous. — Mon-
te sieur, » lui répondit Bradshaw, « nous avons appris ce
« que vous avez fait ce matin à la Chambre, et dans quel-
.1 ques heures toute l'Angleterre l'apprendra; mais vous
« vous méprenez, monsieur, si vous croyez que le Parle-
1 Wliitelockc, p. 354; — Lcicesler's Jotirnals, p. lôO-lAI; — Liidlow,
Mémoires, t. II. p. 200-207; — Parliam. History, t. XX, p. 128; — Henlli,
A bricf Chronirle, etc., p. G28 ; — B;ilcs, EkncUus moluum nupcrorum in
Anglia, part. II, p. 284 ; — Ecliurd, Hisl. of England, l. II, p. 7U ; —
Pcck, Mcmoirs of ihclife and actions of Oliver Cromwell [Préface), p. 3i-3fi;
— Clarcndon, Hisl. of the Rébellion, I. xiv, c. 1-9; — Burton, Parliamcn-
lary Diary, t. 111, p. 98, 209.
En iciulaiit compte de rcxpulsion du Long Parlement à M. Scrvicii
(3 mai 1633), M. de Bordeaux donne quelques ddlails qup je n"ai pas fait
entrer dans le récit même, ne les ayant trouvés dans aucun des écrivains
anglais conlemporains. Ils me paraissent d'ailleurs assez peu vraisem-
blables, étant en contradiction avec le caractère général de révéneuient ;
Jiiais ils ne laissent pas d'être curieux et la lettre qui les conlient mérite
d'èlre publiée.
[Documents historiques, noXXllI.)
292 CROMWELL RENVOIE, ETC.
M ment est dissous ; aucun pouvoir sous le ciel ne peut le
« dissoudre que lui-même; prenez donc garde à cela \ »
Tous se levèrent et sortirent. Le lendemain, 21 avril, on lut
dans le Mercurivs PoUliciis, devenu le journal de Crom-
well : «i Le lord général a exposé hier au Parlement diverses
«( raisons qui devaient faire suspendre actuellement ses
« séances, ce qui a été fait. L'orateur et les membres se
«1 sont retirés. Il est probable que les motifs- de cet acte
« seront, sous peu, rendus publies. » Et ce même jour, à la
porte de la Chambre, les passants s'arrêtaient devant une
grande affiche, probablement l'œuvre nocturne de quelque
Cavalier ravi de se voir vengé des républicains par un
régicide :
« Chambre non meublée, à louer. »
1 Ludlow, Mémoires, l. II, p. 209-211; — Mercurins Polidcus, ii" IbO,
p. 238 ; — Forsioi- Slalcsmvn ofllir Commonweallh, l. V, |i. OG-68 ; — God-
win, Hist. of llic Commonweallh, t. III, p. 4Î)G-13'J.
DOCUMENTS HISTORIQUES.
(Page 47.;
M. de Croullé au cardinal Mazarin.
Londres, 21 juin 1(149.
Il s'était proposé de conférer quelques dignités dans le festin
qui a été fait par la ville au Parlement et aux oflicicrs de l'armée, ce
qui a été remis à un autre temps. Lorsque le sjicukcr- y arriva, le
m;iire de Londres ^int au-devant de lui, et comme reconnaissant la
souveraineté de l'Etat en sa personne, en qualité de chef du Parle-
ment, lui remit la masse et l'épée, ainsi qu'il s'est toujours ci-devant
pratiqué au.\ rois
(Archives des affaires êtrangtires de France.)
85.
294 DOCUMENTS
II
(Page 165.)
M • de Croxdlé au cardinal Mazarîn.
LoDdres, 50 juin ]6S0.
(Après avoir rendu compte de l'assassinai d'Ascham à Madrid, il
ajoute :)
La nouvelle en fut sue dès hier matin ; et; ce jourd'hui l'ambassa-
deur d'Espagne en a reçu un exprès dont il a donné avis au conseil
d'État, qui lui a envoyé le maître des cérémouies pour en savoir le
détail et remercier le roi Catholique de la diligence dont il a usé pour
trouver les coupables, et de la justice que l'on mande qu'il on fera
faire. Si ledit roi eût fait autant d'état de l'envoyé de ces messieurs
ici qu'eux-mêmes en ont fuit de celui de la province de Hollande, il
n'eût pas été logé dans une misérable hôtellerie, ni abandonné de
sorte que, si le remords d'une mauvaise action n'eût aveuglé ceux qui
l'ont commise, il n'y en aurait point eu de témoins. Je le rencontrai
un peu avant qu'il partit d'ici, et parce que je le connaissais assez
familièrement, lui dis que j'avais regret de ce que nous l'allions per-
dre, qui est un terme assez ordinaire à notre langue en pareil cas ;
ce ([u'il expliqua comme si je lui eusse prédit la même destinée qu'à
Dorishiiis, qui lui est arrivée; dont il fut tout échauffé, jusqu'à ce
que je lui eus fait entendre ma pensée Cet accident ne saurait
rien altérer de la bouue intelligence que l'on suppose être entre cet
État et l'Espagne, mais plutôt fournir moyen de la cimenter dans les
remercîments et les compliments qui se feront réciproquement sur
ce sujet. Je sais qu'en toutes choses ces gens-ci la favorisent au pré-
judice de la France...
(Arc/iives des Affaires étrangèî'cs deFi'ance.)
HISTORIQUES. 295
m
(Page 166.)
1» Délibération du conseil d' El ut d'Espagne siii' les conséquences de
l'assassinat du résident d'Angleterre, Antoine Ascham.
Madrid, 29 juin tCSO.
Sire,
Le conseil d'État auquel ont pris part le duc de Jlédina de las
Torres, don Francisco de Melo et les marquis de Castel-Rodrigo et de
Valparaiso, a longuement discuté les mauvais effets qui pourraient
avoir lieu i)our les intérêts de V. BI. par suite de la mort du résident
envoyé à cette cour par le Parlement d'Angleterre, et de la personne
qui lui servait d'interprète. Quoique cet événement ait été tel qu'il
était impossible soit à V. M., soit à ses ministres, de le prévenir, car
on ne pouvait croire qu'il pût avoir lieu à la cour de V. M. et sous ses
yeu.x, et il n'y avait pas à s'en douter par quelque indice que ce fût,
néanmoins, le conseil d'État pense que le crime est de la plus haute
gravité à cause des circonstances qui l'ont accompagné, le résident
étant venu ici à la faveur de la sécurité et sous la protection de V. M.
Si un tel crime restait impuni ou ne recevait pas un châtiment exem-
plaire, personne ne se croirait en sûreté à la cour de V. M. En outre,
le Parlement d'Angleterre pourrait en concevoir un grand ressenti-
ment et prendre quelque mesure grave, comme il est à craindre qu'il
ne le fasse. Quoique V. M. ait déjà envoyé des ordres à la Cour des
Alcaldcs pour qu'elle procède aussi promplement que possible dans
celte affaire et pour qu'il soit fait iiromptc justice, le conseil (rouvc
qu'on agit avec plus de lenteur que le cas ne l'exige, car c'est «ne
affaire dans laquelle l'autorité de V. M. et son service sont grande-
ment intéressés, une de ces affaires qui devraient, sans manquer aux
exigences de la justice, être expédiées jtlus prompte ment ([u'(in ne le
fait, car il ne peut y avoir lieu à des négociations quclconfiues. Par
tous ces motifs, le conseil croit de son devoir de représenter tout cela
à V. M. et de dire qu'il est nécessaire d'envoyer, aussi promptcmcnt
296 DOCUMENTS
que possible, un nouvel ordre au président du Conseil en lui déclarant
que le service de V. M. exige qu'on procède en celte affaire dans les
strictes limites de la justice et avec. autant de hâte et de vigueur qu'il
est possible d'en mettre. On devra rendre compte à V. 31. de ce qui
sera fait, car l'affaire demande à être pressée et décidée. V. M. vou-
dra bien ordonner ce qui lui plaira.
2" RcsohUions prises par S. M. le roi sur les avis donnes par le conseil
d'État à l'occasion de l'arrivée du résident du l'arleincnt d'Ajigle-
tcrre et du châtiment de ses assassins.
Madrid, octobre 1650.
1. D'après la délibération du 3 avril, à l'occasion des lettres du duc
de Médina Celi dans lesquelles il rendait compte de l'arrivée du rési-
dent du Parlement dans le port de Cadix, Sa Majesté a ordonné que
le duc le fit partir pour Madrid en prenant toutes les mesures de
sûreté et en le faisant voyager par les routes non infestées de brigands.
On a écrit dans ce sens au duc qui a fait accompagner le résident par
le mcstre de camp don Diego de 3Ioreda.
2. Dans une autre délibération, du 7 juin, on a rendu compte à
S. 31. de l'arrivée à 3Iadrid du résident et de sa mort, ainsi que de
celle de son interprète. Le même jour on a examiné les lellres de
créance dont le résident était porteur pour S. 31., et on a su l'arres-
tation des cinq Anglais qui l'ont assassiné. Sa Majesté a ordonné
d'écrire à don Alonzo de Cardeiïas pour l'informer de l'événement et
de la promptitude avec laquelle on poursuivrait les assassins, et pour
lui dire de déclarer au Parlement que, s'il voulait envoyer une autre
personne pour remplacer le résident assassiné, il pouvait le faire. En
même temps S. 31. a décidé qu'on répondît au Parlement à l'occasion
de cet événement, et que cette réponse servît à don Alonzo de lettres
de créance pour d'autres occasions. Tout cela a été exécuté conformé-
ment aux résolutions de S. 31.
o. Dans une autre délibération, du 8 du même mois de juin, le con-
seil s'est réuni inpleno pour discuter la formule de l'adresse que l'on
mettrait sur les lettres destinées au Parlement. S. 31. s'est rangée à
cet égard à l'avis du marquis de Caslel Rodrigo.
/t.Le IS juin, il y eut une autre délibération présentée à S. 31., à l'occa-
sion d'un rapport du président du conseil d'après lequel les agresseurs
demandaient que dans leur procès on produisit j'écusson et les insignes
HISTORIQUES. 297
trouvés sur le mort, sous son vêtement, ainsi que les livres qu'il avait
chez lui. A ce sujet le conseil représenta à S. M. qu'on ne devait pas
faire cela avant que lesdils objets n'eussent d'aliord été remis au sc-
crélaire qui accompagnait le résident, car ce n'était que de cette ma-
nière qu'on observerait la foi publique. Le conseil fut d'avis que le
proct'-s des coupables se poursuivît régulièrement, mais en abrégeant
autant que possible la procédure j quant aux papiers qui pourraient
être livrés à la publicité et produits dans ce procès, c'était au tribunal
du crime qu'il appartenait d'en décider, sans aucune action su|>rènie
de S. 31. ni aucune intervention cacbée. Ce sont là les principes
d'après lesquels on a jugé convenable de procéder dans cette affaire,
et c'est ce que S. M. a bien voulu confirmer.
U. Dans une autre délibération, du bi août, le conseil, de son projirc
mouvement, a entretenu S. M. des actes de guerre maritime du l'ar-
lemcnt; il a fait observer'combien les forces maritimes du Parlement
étaient puissantes et irrésistibles ; à cette occasion le conseil a fait re-
marquer qu'il n'avait reçu aucune information sur l'état où se trou-
vait l'afl'aire des assassins qui ont tué le résident du Parlement. Il a
j)aru au conseil qu'on tardait beaucoup à se prononcer à ce sujet et à
exécuter les ordres de S. 31.; c'était une affaire qu'il ne fallait pas per-
dre de vue par les raisons qui ont di'jà été exposées duns plusieurs
délibérations : le conseil a pensé que ces retards pourraient inspirer
au Parlement quelque résolution qui obligerait S. 31. à prendre plus
tard des mesures qu'elle pourrait prendre dès à présent sans aucun
embarras. Le conseil est d'avis que S. 31. ordonne au président du
conseil de terminer cette affaire sans plus de délais. A quoi S. 31. a
daigné répondre en ces ternies : « On f;iit diligence et l'affaire
marclie. »
6. Une autre délibération a eu lieu le 5 septembre au sujet des let-
tres reeues de don Alonzo de Cardenns, en date des mois de juin et de
juillet, ainsi que de celle que le Parlement a écrite à S. 31. pour exprimer
ses sentiments à l'occasion de l'assassinat du résident et l'espoir (pi'il
avait dans la loyauté de S. 31. qui ferait bonne justice des coupables,
car, disait-il, si de pareils crimes se coinmetlaicnt impunément, sous
quelque prétexte que ce soit, dans les Etats de S. 31., il serait inévi-
tablement forcé de rompre toute relation entre les deux pays. Ces
lettres ont été lues en conseil in plcnu, et après avoir léflécbi sur ce
que don Alonzo dit des forces du Parlement et de la faible situation
où se trouve le parti du roi d'Angleterre, le conseil, entre autres
cboses qu'il a dites au sujet du cliàtiment à infliger aux Anglais arrê-
tes comme coupables de l'assassinat, a représenté à S. 31. que la lettre
du Parlement lui paraissait une déclaration bonnêlc et respectueuse
298 DOCUMENTS
que là guerre s'ensuivrait si, d'une façon quelconque, on ne lui don-
nait pas satisfaction par un châtiment exemplaire du crime commis.
Cette lettre a paru mériter de la part du conseil une attention toute
particulière, car elle était évidemment écrite d'après des notions
extrajudiciaires et incomplètes de l'affaire, don Alonzo n'ayant pas
encore pris des mesures pour mettre entre les mains du Parlement la
lettre que S. M. lui avait adressée à ce sujet. Le conseil a donc jugé
à propos de rappeler à S. M. ce qu'il avait déjà exprime à plusieurs
reprises, à savoir que par cet assassinat l'autorité royale et la dignité
de S. M. avaient reçu une grave atteinte, attendu que le résident était
venu en Espagne sous la sauvegarde de la foi publique et de la pro-
tection de S. M.; ce qui fait qu'on serait sans excuse de laisser les
coupables impunis.
7. Une autre délibération a eu lieu le 7 septembre au sujet d'une
lettre de don Alonzo de Cardenas du ^août dans laquelle il informait
leroi qu'à Londres on avait publié la nouvelle que les assassins du ré-
sident du Parlement avaient été restituésàl'Eglise; dans cette lettre don
Alonzo disait que le gouvernement anglais en était grandement indi-
gné, et qu'il se plaignait tout haut, menaçant de se taire donner une
satisfaction si on ne la lui donnait pas. A cette occasion le conseil
d'État a de nouveau représenté à S. M. combien il importait, par
toute sorte de motifs exposés dans la délibération, de punir les assas-
sins du résident; il ne peut que répéter à S. 3L qu'il serait bon que
S. M. daignât décider au plus tôt dans celte affaire en envoyant la
lettre que don Alonzo vient d'écrire à ce sujet, au tribunal devant
lequel s'est poursuivie et se poursuit cette affaire.
8. Le 9 septembre il y a eu une autre délibération du conseil in
pleno. et on a transmis à S. M. les deux délibérations dont il a été
question plus haut, ainsi qu'une autre prise à la suite d'une réunion
spéciale. Le conseil a discuté la question de savoir s'il fallait accuser
à don Alonzo réception doses dépêches, particulièrement de celle dans
laquelle il rend compte des demandes que fait le Parlement au sujet
des titres et du protocole dont on doit se servir à son égard. Le con-
seil a été d'avis qu'il serait convenable que la punition des coupables
de l'assassinat du résident eût lieu avant qu'on répondît à don Alonzo.
A cela S. M. a répondu ainsi qu'il suit : « Qu'on agisse conformément
à l'avis du conseil, mais qu'on ne réponde pas à don Alonzo avant que
je donne des ordres à cet égard. «
9. En dernier lieu, après la délibération du 13 octobre, présent
mois, en conseil in pleno au sujet des dépêches reçues dernièrement
de don Alonzo, à cette fin que S. M. réponde au Parlement en lui
donnant les titres qu'il lui demande, ou qu'Ellc permette audit sei-
HISTORIQUES. 299
gneur son ambassadeur de s'éloigner de son poste, ainsi que pour
presser l'expédition du procès des assassins du résident d'Angleterre,
S. M. a daigné décider ce qui suit:
» En ce qui touche l'afifaire de ceux qui ont assassiné le résident
du Parlement, j'ai donné les ordres nécessaires pour qu'on procédât
avec toute l'attention possible et aussi piomptement que cela se peut,
sans contrevenir en rien aux règles de la justice ; car en même temps
j'ai recommandé que tout se fit selon les lois, qu'on ne pressât rien
et qu'on n'allât point, par aucune raison d'Etat (juclconque, au delà
de ce qui se doit. Je perdrais plutôt tous mes Etats que de manquer
à ce qui est mon premier devoir, et le conseil d'Etat ne me conseillera
jamais autre chose. Si, comme cela est probable, le prononcé de la
sentence éprouve quelque délai, on rendra compte à don Alonzo de
l'état où se trouve l'affaire et on lui en enverra une relation dans la
forme que propose le conseil. «
3° Don Alonzo de Cardenas à don Geronîmo de la Torre.
Londres, 20 décembre IGSO.
Cher Monsieur,
J'avais bien besoin de la faveur que vous m'avez faite en m'écrivant
ce que vous m'écrivez dans votre lettre du 23 octobre qui m'est par-
venue avec la dépêche de Sa Majesté du 2^, car, d'après ce que j'y
vois, il me faudra encore bien attendre et bien souffrir. Les gens
d'ici s'impatientent de voir tant de délais dans la satisfaction qu'ils
ont exigée, et je n'ai aucun moyen humain de les apaiser.... Ce qui
me fait le plus de peine, c'est de voir que tous mes efforts auront été
en pure perte, que les intérêts de S. M. seront compromis et que nous
perdrons le grand avantage d'entretenir la désunion entre ce gouver-
nement-ci et nos ennemis; quand on cherchera à remédier au mal,
on s'apercevra que l'occasion a écha|)pé et que les ordres sont venus
trop tard. Je crains beaucoup que ce malheureux événement de l'as-
sassinat d'Ascham ne soit la cause de beaucoup d'embarras et de désa-
grément, à moins qu'on ne punisse les coupables qui se sont si
volontairement et si aveuglément exposés à un danger si évident et
nous ont enlevé tous les avantages que nous pouvions retirer de l'An-
gleterre. C'est vraiment extraordinaire que, dans un cas si atroce, on
n'ait pas encore trouvé moyen d'en finir, et qu'il y ait on Espagne
ûOO DOCUMENTS
des membres du clergé qui justifient le crime, sans faire aucune dis-
tinction entre des cas particuliers et un crime aussi public et aussi
grave, un crime par lequel l'autorité de S. M. se trouve outragée, les
intérêts de l'Etat compromis et dont il peut résulter d'immenses
inconvénients.
Quant à la guerre d'Ecosse, je puis vous dire qu'indépendamment
du siège de la citadelle d'Edimbourg qui est déjà très-avancé, on a
reçu ici la nouvelle d'une autre défaite que le général Cromwell a fait
subir aux Ecossais qui ont perdu trois mille hommes en morts, bles-
sés et prisonniers. Les nouvelles d'Irlande portent que les catholi-
ques, voj-ant qu'il leur est impossible de se maintenir, se proposent
d'envoyer des délégués au Parlement pour tenter avec lui un accom-
modement et obtenir les meilleures conditions possible.
{Archives de Simancas.)
HISTORIQUES. 301
IV
(Page 167.)
lo Louis XI r à Cromwell.
Saint-Germain, 2 février 10i9.
Monsieur Cromwell, j'ai le cœur si touche' du mauvais état auquel
est réduit mon frère, oncle et cousin, le roi delà Grande-Bretagne,
que je ne puis plus longtemps dissimuler sans être éclairé des véri-
tables intentions de ceux qui ont sa personne royale en leur pouvoir,
ne pouvant pas m'imaginer que ce qui s'est dit ici puisse avoir autre
fin que de justifier son innocence, afin de faire honte à tous ses accu-
sateurs; et comme vous êtes un de ceux qui y pouvez beaucoup con-
tribuer, je vous écris celle-ci en particulier, de l'avis de la reine régente
notre dame et mère, qui vous sera rendue par le sieur de Varenne,
conseiller de mon conseil d'Etat et l'un de mes gentilshommes ordi-
naires, que j'envoie exprès pour vous faire connaître que vous avez
en main une occasion de vous signaler, en faisant une action juste en
faveur de votre souverain , en usant bien du pouvoir que les armes
vous ont donné sur lui, pour le remettre dans sa dignité et dans ses
droits, ce qui vous serait avantageux par la récompense que vous auriez
méritée et par le bien qui en reviendrait à votre patrie, le repos de
laquelle vous devriez procurer : et ce faisant , je vous en serai obligé
et vous donnerai de solides effets de ma bonne volonté. Je veux bien
juger de votre intérieur, et croire que vous vous servirez de l'occasion
pour redonner à votre prince les marques de la grandeur et l'autorilé
qui lui appartiennent, faisant une chose fort glorieuse et qui vous
rendra digne de toutes les grâces et faveurs, particulièrement de la
royauté, et qui vous seront assurées par la parole que je vous ai don-
née, et parce que mes intentions vous seront plus particulièrement
expliquées par M. de Bellièvre, mon ambassadeur, et par ledit sieur
de Varenne, en qui vous prendrez toute créance. Je m'en renicls îx
eux de s'étendre davantage sur ce sujet, et cependant je prierai Dieu
qu'il vous ait, etc.
1. 30
302 DOCUMENTS
2° Louis XIV à Fairfax.
2 février 16i9.
Monsieur le général Fairfax, nous avons toujours cru que vous aviez
pris le commandement (les armées d'Angleterre avec celte seule inten-
tion d'assurer le repos des peuples sous la juste cl légitime domination
de leur roi, et nous ne pouvons pas nous ima[îiner que sa personne
royale, étant tombée sous voire pouvoir, puisse davantage être mal-
traitée, et que, si vous avez quelques raisons qui vous aient engagé
d'en venir si avant, vous serez maintenant plus éclairé, et, après avoir
reconnu ce qui est seul de sa dignité, ne perdrez pas l'occasion d'à
grandir votre fortune en rétablissant la sienne. En quoi, si mes prières
peuvent être elïlcaces et qu'il se traite quelque accommodement en
conjoncture présente, non-seulement je vous en saurai gré, mais je
veux être le garant de l'exécution des promesses qui vous seront faites
par ledit roi, mon frère, oncle et cousin; et faisant réflexion sur ce
qui vous sera plus particulièrement exposé par M. de Bellièvre et par
le sieur de Varenne, je prends sujet de bien espérer de votre humeur
généreuse, qui dpnnera beaucoup d'éclat à sa réputation, si l'inno-
cence du roi est manifestée; et ne pouvant m'imaginer qu'on voulût
mépriser mes instances en une chose si juste et si raisonnable, et qui
me tient au cœur par le lien du sang et de la fraternité, aussi je me
persuade qu'après avoir oui ce que j'ai mis en créance sur mon ambas-
sadeur et sur ledit sieur de Varenne, vous prendrez des résolutions
conformes à l'honneur de votre profession et à ce que doit un sujet à
son roi et à sa patrie. Sur vos assurances, je prierai Dieu qu'il vous
ait, etc.
(Manuscrits de Bi'ienne. — liibliolhèque impériale.)
d'à- À
ères /
n la /
HISTORIQUES. 303
V
(Page 169 )
1" D. Al. de Cardenas au roi d'Espagne (Philippe IV).
Londres, 15 janvier 1649.
Sire,
Dans ma dépêche du 18 décembre, j'ai rendu compte à V. M. de ce
que l'armée des Indépendants avait fait jusqu'à ce jour depuis son
arrivée à Londres; les choses ont marché depuis avec une grande ra-
pidité pour aliotitir à l'état où se trouvent dans ce raoment-ci les
affaires du roi (Charles I>"') que l'on a transféré du château de Hurst à
celui de Windsor, éloigné de vingt milles d'ici; c'est là qu'on le tient
renfermé sous bonne et siire garde ; il n'est permis à personne de lui
parler ; on lui i efuse les objets nécessaires pour écrire, et on a défendu,
au petit nombre de domestiques qu'on lui a laissés , de s'agenouiller
en le servant et d'observer à sou égard le cérémonial d'usage et les
formes de respect qu'on lui rendait autrefois; dans les publications
imprimées, faites ces jours-ci, on le nomme simplement Charles Stuart,
sans autres titres. A part l'insolence de ce procédé, il y a là une lésion
de ses droits, car lors même qu'on le dépouillerait de la couronne de
ce royaume, il lui resterait toujours celle d'Ecosse et celle d'Irlande
dont le Parlement ne peut pas le priver...
.... La reine de la Grande-Bretagne a écrit au Parlement et au gé-
néral Fairfax, et l'ambassadeur de France a reçu des lettres adressées
au Parlement. Ou dit qu'il (le Parlement) ne les a pas ouvertes
attendu (jue l'adresse n'était pas réiiigée d;ins la forme voulue; on rap-
porte qu'elles contenaient la demande d'un sauf-conduit pour pren-
dre congé du roi avant qu'on ne juge Sa Mnjesté.
Depuis quelques jours le bruit court ici (|u'un ambassadeur de
France arrivera pour intervenir en faveur du roi; mais jusqu'à pré-
sent on ne dit pas qui sera cet ambassadeur, car le prince de Condé,
dequion parlait, aurabien delà besogne là-bas (en France). Selon les
dernières nouvelles arrivées ici, il y a eu des troubles à Paris qui ont
forcé LL. MM. Très- Chrétiennes de se sauver, dans la nuit de la veille
304 DOCUMENTS
de l'Epiphanie, de celte capitale. De même il a couru ici le bruit, pro-
pagé, à ce que je crois, par des personnes amies du roi, que Votre
Myjestë enverrait un ambassadeur extraordinaire dans le but de faire
des démarches du même genre, et, il y a deux jours, lorsqu'on a vu
que la cause du roi était de plus en plus désespérée, une personne,
envoyée par d'autres personnes du parti du roi et du parti presbyté-
rien, est venue chez moi pour me persuader que, puisqu'il s'agissait
de la cause de tous les rois et qu'il importait que la monarchie fût con-
servée dans la personne de ce roi (Charles l*^'), je devais, dans l'intérêt
de Votre Majesté, et pour acquitter les devoirs de l'amitié que Votre
Blajesté a toujours témoignée au roi Charles, que je devais, dis-je, de-
mander une audience des deux Chambres du Parlement et du conseil
de guerre, et employer mes bons ofliccs avec la promptitude que les
circonstances exigeaient, en déclarant que Votre Majesté ressentirait
vivement les procédés dont on use à l'égard du roi, et même en me
servant de paroles de menaces ; on njoutait qu'une telle démarche
serait plus tard appréciée par les fils du roi, la probabilité étant que
la couronne retournerait à l'un d'eux. En exprimant le chagrin de
voir les choses réduites à cette extrémité, et en appuyant beaucoup
sur l'impression que la nouvelle (d'une catastrophe) causerait à Votre
Majesté, j'ai répondu que je ne doutais pas que Votre 3Iajesté ne
nommât, s'il le fajlait, un ambassadeur extraordinaire pour la repré-
senter ici, ou qu'elle ne daignât me donner, à moi, des ordres spé-
ciaux pour faire des démarches de cette nature, mais que sans de tels
ordres, je n'osais pas me charger d'une affaire de ce genre et d'une
telle gravité. Cette même personne m'a dit qu'on croyait que la reine
de la Grande-Bretagne m'écrirait pour me prier d'employer mes bons
offices; mais je doute qu'elle le fasse, car il est probable qu'elle aura
compris que mes excuses pouvant s'appuyer sur le manque d'instruc-
tions, je ne manquerais pas de m'en servir auprès d'elle, surtout la
reine ne pouvant pas ignorer que, quel que soit l'empressement
qu'on y mette, il n'empêchera pas le Parlement et l'armée de pour-
suivre la marche qu'ils ont adoptée à l'égard du roi. Les Indépendants
soit pour se concilier les catholiques d'Angleterre et les empêcher de
faire aucune démonstration en faveur du roi, soit parce qu'une telle
conduite est d'accord avec le principe de cette secte, la liberté de
conscience, ont fait espérer cette liberté aux catholiques, et ceux-ci
ont grand espoir de l'obtenir, ou au moins d'obtenir la permission
d'exercer leur culte et de voir abroger les lois pénales qui sont en
vigueur à leur égard. Voilà tout ce que j'en puis dire à Votre Jlajesté.
Que Dieu, etc.
HISTORIQUES. 308
2" Don Jlauzo de Cardcnas au mi d'Espagne.
Londres, 18 février lGi9.
Sire,
Dans ma dépêche du 12 de ce mois, j'ai rendu compte à Votre
Jlajcsté de la triste fin du roi de la Grande-Bretagne; j'ai réservé àja
présente un expose du tour que vont prendre les affaires de ce pays.
J^'opinion générale est que le gouvernement monarchique va faire
place à un gouvernement populaire par l'ctahlissenient d'une répu-
blique dont le pian, à ce (ju'on m'a assuré, a été fait il y a déjà quel-
que temps et sera publié sous peu. On dit aussi que le Parlement
actuel ne durera que jusqu'à la fin du mois d'avril prochain, qu'alors
il se dissoudra en laissant un comité composé de vingt-cinq person-
nes, ou davantage, investi de l'autorité suprême, jusqu'au premier
jeudi du mois de juin, époque à laquelle entrera en fonction un nou-
veau gouvernement composé d'une représentation nationale de quatre
cents personnes nommées par les comtes et les villes de l'Angleterre,
chaque circonscription électorale étant chargée d'élire un certain
nombre de délégués, conformément à l'acte que le Parlement votera
avant de se dissoudre j ces délégués seront, comme qui dirait, des
procureurs du comté ou de la \ille qui les choisirait, comme l'étaient
ceux qui formaient jusqu'ici la Chambre des communes. De cette
manière il n'y aurait plus de Parlement, et le corps qu'on se propose
de créer différerait des parlements en ce qu'il serait en permanence ;
seulement ceux qui le composeraient ne seraient élus que pour deux
ans. On croit qu'on a imaginé ce plan pour exclure du gouvernement
du pays la noblesse et tous les personnages titrés, à moins qu'ils ne
soient élus par quelque comté ou ville. Les Indépendants ne trouvant
pas que ce lût assez, la Chambre des communes a décidé, par un vote
du 16 de ce mois, qu'à l'avenir il n'y aurait plus de Chambre haute
ou Chambre des barons. C'est un sysièmc qu'elle a aJoplé pour effa-
cer dans l'esprit d'un grand nombre la douleur causée par l'exécution
du roi, en faisant voir que, la Chambre des lords une fois écartée de
tout gouvernement, les affaires du pays resteront sans partage au
peuple et (jueson pouvoir et son autorité s'en accroîtront. A la suite
de ces résolutions, il y aura de grands changements dans les lois qui
étaient conçues jusqu'ici dans l'esprit de la constitution monarchique
du pays; aussi s'occupc-t-on déjà de les changer, et de faire des sla-
26.
306 D0CU3IENTS
tuls abrogeant les lois anciennes. On espère que, parmi ces lois
destinées à être abrogées, seront comprises les lois pénales concer-
nant les catholiques; chose qui, si elle a réellement lieu, devra être
attribuée aux arrêts particuliers de Dieu qui aura voulu manifester
combien ses décrets sont immuables, puisqu'il aura, par des voies si
mystérieuses et si inespérées, apporté un soulagement à ces pauvres
catholiques qui ont souffert une persécution si terrible. Aujourd'hui
déjà, grâce aux Indépendants, les catholiques peuvent circuler libre-
ment dans cette capitale et dans tout le pays, sans que personne leur
fasse du mal; bien qu'on puisse craindre que ce ne soit une ruse de
ces gens (les Indépendants), dans le but de se concilier le parti catho-
lique en adoucissant les rigueurs dont il a été l'objet de la part des
presbytériens.
Le roi n'étant plus en vie et ses descendants se trouvant exclus du
trône, il paraît (juc les lettres de créance de tous les ambassadeurs
sont expirées et qu'il faudra que chaque souverain les renouvelle à
son envoyé, pour l'accréditer non-seulement auprès du Parlement
actuel tant qu'il durera, mais encore auprès du gouvernement qu'on
se propose d'introduire. Il paraît que ces lettres de créance devront
être précédées d'une reconnaissance de ce gouvernement comme pou-
voir légitime, et qu'il faudra se servir de formules convenables on
lui écrivant et le traiter de souverain, litre auquel il prétendra. Ceci
étant un point d'urte grande importance, j'ai cru devoir appeler à ce
sujet l'attention de Votre Majesté afin qu'Elle daigne m'ordonncr
telle résolution qui lui paraîtra convenable. C'est pour avoir prévu
ces inconvénients que j'ai cru devoir représenter à Votre Majesté,
dans ma dépêche du 20 août de l'année passée transmise par le secré-
taire Geronimo de la Torrc, qu'il serait dans rinlérèt du service de
Votre Majesté qu'il n'y eût pas ici d'ambassadeur de Votre Majesté,
mais seulement un agent chargé de rendre compte dc.cc qui se passe-
rait, jusqu'au moment où les choses reprendraient leur assiette et où
l'on pourrait voir à quoi aboutira ce gouvernement-ci. Aujourd'iiui
je serais porté à croire que, si Voire Majesté prenait cette résolution,
on éviterait des embarras qui ne manqueraient pas de surgir dans le
cas où Votre 31ajesté ne daignerait pas reconnaître le gouvernement
qu'on se propose de créer, ni me renouveler mes lettres de créance ;
si ce gouvernement me les demandait sans que je pusse les lui pré-
senter, il cesserait de me regarder comme un personnage revêtu d'un
caractère public et ambassadeur de Votre Majesté.
Les Etats de Hollande avaient envoyé deux ambassadeurs au Paie-
ment pour intercéder en faveur du feu roi; ils étaient venus ici le
5^ de ce mois, dans la nuit qui a précédé le jour où la sentençç a été
HISTORIQUES. 5(^
prononcée contre le roi. Le 8, ils ont eu une audience du Parlement
et ont proposé différentes combinaisons; ils offraient leur médiation
en faveur du roi qui comparaîtrait en jugement dès qu'on le deman-
derait, et les États s'engageaient à donner des garanties de l'accom-
plissement de cette promesse ; mais cette combinaison n'étant pas
agréée, les ambassadeurs ont prié le Parlement de se borner à déposer
le roi en lui conservant la vie et d'accepter pour roi le prince de Galles-
ils ont offert la même médiation et les mêmes garanties relativement
à l'accomplissement de ce qui serait convenu avec le prince. Mais le
Parlement, avant même de répondre aux ambassadeurs, a fait exécu-
ter la sentence et a défendu à qui que ce soit de nommer le prince de
Galles roi d'Angleterre et d'Irlande. Les ambassadeurs en ont conçu
beaucoup de mécontentement et de dépit; l'un d'eux est Adrien de
Pauw; c'est noire ami de Hollande, le même qui était plénipotentiaire
pour la Hollande, à 3Iunstcr, lors de la conclusion delà paix générale.
Je les ai déjà vus et j'ai eu avec eux des rapports d'amitié et de cor-
respondance; bler ils m'ont fait une visite et se sont montrés affec-
tueux et satisfaits.
L'archiduc m'a écrit une lettre le 6 de ce mois; je l'ai reçue le 10,
le lendemain de l'exécution du roi; il m'y ordonnait d'employer mes
bons offices avec tout l'empressement nécessaire, à l'effet de demander
un sursis dans l'affaire du roi, jusqu'au moment où arriverait un per-
sonnage que son souverain avait résolu d'envoyer dans ce but. Mais
quand même la lettre de l'archiduc ne serait pas arrivée trop tard, il
est certain qu'aucun empressement humain n'aurait empêché les
Indépendants de poursuivre, à l'égard du roi, la marche qu'ils avaient
une fois adoptée; leur opiniâtreté à le faire mourir était incroyable;
elle était fondée sur leurs craintes, car sa mort seule pouvait les
garantir contre les effets de l'offense dont ils se sont rendus coupa-
bles envers lui, et son existence était un obstacle aux plans (ju'ils
\ont mettre à exécution. On l'a bien vu, non-seulement à la manière
étrange et violente avec laquelle on a conduit son procès, mais encore
à la promptitude avec lacjuclle on en a pressé la conclusion. Le
25 janvier, le roi était arrivé dans la nuit i\ Londres; le lendemain on
le mit en jugement; le (5 du présent mois de féviier, on le condamna,
et le 9 on l'exécuta, sans avoir perdu une seule heure ni ponr le juger,
ni pour l'exécuter. Et en effet on ne devait p:is s'attendre à moins de
la part de ses juges, car, outre qu'ils étaient parfaitement illégaux et
sans aucune autorité qui les autorisât à le juger, ils étaient ses enne-
mis, et les plus intéressés à le perdre. Aucun des personnages titrés
ou barons n'a pris part à ce jugement; au contraire la plupart d'entre
eux ont quitte Londres j un grand nombre ne sont pas encore rcvC'
508 DOCUMENTS
nus, d'au 1res ne se laissent pas voir. Les ambassadeurs de France et
de Hollande ont pris le deuil et Ton fait prendre à leur maison; j'en
ai fait autant : c'est une manifestation duc à la mémoire du roi;
d'ailleurs on serait mal vu ici si on négligeait de la faire. Que Dieu
garde Votre Majesté, etc., etc.
3o Délibéralioii du conseil d'Etat d'Espagne sur les affaires
d'Angleterre.
Madrid, 43 mars 1049.
( A celte séance du conseil d'Etat ont pris part le comte de
Castrillo et les marquis de Castcl Rodrigo et de Valparaiso. )
Résume. — Le Conseil exprime son opinion sur le contenu des
dépêches dedonAlonzo deCardenas au sujet des affaires d'Angleterre
et des projets des Français sur l'Irlande. Vient ensuite une décision
parafée de la main du roi, et de la teneur suivante : On ne ré-
pondra rien ( à don Alonzo ) relativement à l'excuse dont il s'est
servi pour ne pas intercéder en faveur du roi Charles I«f auprès du
Parlement ; mais on approuvera sa conduite dans la négociation
avec l'abbé.... et, dans ses efforts pour faire une diversion aux
projets des Français ; on ne lui donnera cependant point de nou-
veaux pouvoirs, car après un événement aussi grave et aussi ex-
traordinaire que celui dont il est question, il faut, avant de prendre
une résolution, voir le changement qui surviendra dans les affaires
d'Angleterre, et examiner ce qu'il nous conviendra de faire. » —
Exécuté le 15 mars. — Geronimo de la Torrc.
Sire,
Les lettres de don Alonzo de Cardcnas apportées par le dernier
courrier à Votre Majesté et au secrétaire Geronimo de la Torre, ont
été mises sous les yeux du Conseil, comme V. 31. l'avait ordonné.
Ces lettres rendent, en détail, compte à Votre Majesté de l'état des
choses en Angleterre, du danger dans lequel le roi se trouvait par
suite de la nomination des juges qui devaient examiner les accusa-
tions portées contre lui, et des craintes qu'on avait de lui voir ôter
la vie. Elles rapportent le bruit qui courait de l'arrivée d'un ambas-
sadeur extraordinaire de France pour intercéder en faveur du roi
auprès du Parlement ; et elles disent qu'à l'occasion de ce bruit
quelques personnes du parti du roi cl de celui des presbytériens ont
HISTORIQUES. 309
parlé à don Alonzo pour l'engager, puisqu'il importait à la cause de
tous les rois que la monarchie fût conservée dans la personne du
roi d'Angleterre et que c'était un devoir de l'amitié que V. M. a
toujours témoignée à ce prince, à demander une audience du Par-
lement et à employer ses bons odices au nom de V. M., en disant
que V. M. serait offensée si l'on intentait un ])roccs au roi ; à quoi
don Alonzo a répondu qu'il déplorait le danger auquel le roi élait
exposé, que V. M. éprouverait un grand chagrin en apprenant tout
cela, et qu'il ne doutait pas qu'Elle n'envoyât, s'il le fallait, uu
ambassadeur extraordinaire pour employer ses bons offices, ou
qu'Elle ne lui envoyât, à lui, l'ordre de faire les représentations
qu'on lui demandait, mais que sans cet ordre il n'osait pas s'engager
dans une affaire de cette nature et d'une telle importance. Les dé-
pèches de don Alonzo disent encore que les Indépendants ont donné
des espérances aux catholiques relativement à la liberté do con-
science, dans le but de s'assurer leur appui et de les empéthcr de
faire une démonstration en faveur du roi.
Don Alonzo rend compte ensuite de la manière dont il s'y est pris
])Our mettre l'abbé , Irlandais arrivé de Paris, en rapport avec
le Parlement ; cet abbé a donné à entendre, dans quelques confé-
rences qu'il a eues avec un comité de cinq personnes chargées spé-
cialement de traiter cette question, que les Français avaient des
projets sur l'Irlande, chose dont les personnes du comité avaient
déjà eu quelque connaissance ; il leur a communiqué aussi quelques
papiers concernant cette affaire et leur en a laissé copie
Dans cette conférence on a discuté les moyens de conclure
une alliance avec V. ftl, soit pour une guerre offensive et défensive,
soit pour une guerre défensive seulement; et les membres de la confé-
rence n'ont vu de difficultés que dans les embarras de leurs affaires
intérieures qui ne leur permettaient pas d'agir au dehors comme
ils désireraient
Don Alonzo fait observer que, pour le cas d'une convention à
conclure, il serait nécessaire que V. M. envoyât les pleins jiouvoirs
suffisants et de l'argent qui est Indisjjensable, surtout quiind on a
affaire à une nation aussi intéressée que le sont les Anglais.
Don Alonzo rapporte ensuite qu'il s'est eni|)!oyé à faire en sorte
que le Parlement anglais entretienne de bons rapports avec le Parle-
ment de France et encouiage ses résolutions ; on lui a dit qu'on
écrirait au lésidcnt anglais à Paris poui' offrir l'assistance de la flotte
ainsi que d'autres secours; enfin don Alonzo finit en disant qu'il
serait convenable que V. M. envoyât quelipuvs secours d'argent au
parti du clergé irlandais, que par ce moyen on gagnerait certaines
510 D0CU5IENTS
personnes dans ce pays, et il ajoute que Tabbé cherche avec le
plus grand zèle à amener un accord entre le Parlement anglais
et le royaume d'Irlande, afin que leurs forces réunies chassent de là
les Ecossais et les Irlandais qui marchent ensemble sous la protec-
tion de la France. Don Alonzo dit qu'il prêtera son concours à ce
plan si avantageux pour les intérêts de Dieu et de Votre Majesté. Il
s'étend à ce sujet dans ses dépêches que le Conseil renvoie à V. M.
avec la présente délibération.
Le Conseil, après avoir conféré sur le contenu de ces dépêches, a
émis les opinions suivantes :
Le comie de Castrillo : La première partie de la dépêche qui a été
mise sous les yeux du Conseil, et qui a été envoyée par don Alonzo,
contient des rapports sur ce qui se passe en Angleterre, surtout au
sujet de l'emprisonnement et du procès du roi ainsi que de l'événe-
ment auquel on s'attend ; c'est là une affaire qui, par plusieurs
motifs, peut et doit donner lieu à de profondes considérations, bien
qu'elle n'exige plus ni ordre ni résolution quelconque de la part de
V. M., car il parait qu'une intervention ou des démarches quelconques
auprès du l'arlement ou auprès du tribunal institué en vue de ce
procès, seraient inopportunes si l'on a déjà accompli ce qui était à
prévoir ; on dit même qu'on a déjà tranché la tête au roi d'Angle-
terre. Les efforts de V. M. seraient donc sans résultat, et le comte
de Castrillo ne croit pas que l'Espagne ait fait une pareille démarche
dans d'autres occasions semblables, c'esl-à-dire lorsque d'autres rois
d'Angleterre ont été déposés. D'ailleurs, l'affaire une fois placée sur
le terrain judiciaire, il était facile d'éluder toute démarche. Seule-
ment le comte de Castrillo aurait voulu que don Alonzo n'eût pas dit
qu'il n'avait point d'ordre de V. 31., mais plutôt qu'il eût donné à
entendre qu'il en attendait. Il y aurait fort à réfléchir sur ce qu'on
devrait lui répondre ; mais pour ne pas tomber ni duns l'un ni dans
l'autre extrême, on pourrait, en donnant pour motifs les bruits qui
courent et les conjectures au sujet de ce quedon Alonzo rapporte, lui
répondre que ses démarches seraient inopportunes, ou bien passer
entièrement ce point sous silence. C'est ce qui ne serait pas le plus
mauvais parti à prendre.
L'autre partie de ladépêche.concerne les machinationsdes Français,
ainsi que les pourparlers, les négociations et les partis du royaume
d'Irlande, le voyage que l'abbé a fait, les démarches de don
Alonzo pour le faire entrer à Londres et le compte rendu de cette
affaire ainsi que la conduite qu'il a tenue. En premier lieu il faut
l'approuver ; et comme il importe de faire échouer autant que pos-
sible les projets des Français, on pourrait répondre à don Alonzo
HISTORIQUES. Si I
qu'il faut qu'il agisse dans ce sens, et qu'il entretienne, ainsi qu'il y
paraît décidé, dans l'intérêt de V. M., ses bons rapports avec les
membres du clergé et avec les anciens Irlandais, ainsi qu'avec ceux
qui sont de leur parti en tout ce qui louche à la religion, car c'est
là l'intérêt principal de V. M.
Dans le reste de sa dépêche, don Alonzo demande à V. M. des pleins
pouvoirs pour le cas où une alliance pourrait être conclue en An-
gleterre. Mettant de côté que Votre Majesté n'est pas trop disposée à
conclure des traités avec des hérétiques (car ce point mérite bien
d'être considéré), le comte de Caslrillo ne pense pas que V^otre
Majesté doive maintenant envoyer les pleins pouvoirs qui lui sont
demandés par don Alonzo. L'ordre de choses en Angleterre n'est
pas bien établi ; les affaires sont encore dans un moment de crise ;
il peut encore survenir des causes de grand trouble ; à quoi l'on doit
ajouter les affaires de France. Il paraît donc plus convenable de ne
pas décider ce point dansée moment et de répondre à don Alonzo
que les pleins pouvoirs ne lui manqueront pas dès que les circon-
stances les rendront nécessaires. Qu'il cherche toujours à frayer la
voie aux négociations avantageuses pour V. M. en examinant bien le
fond des choses, et qu'il rende compte de tout.
Le marquis de Caslel Rodrigo : Bien que le roi d'Angleterre
(Charles 1er) ait si mal agi envers V. M. lors des affaires du Por-
tugal, et dans d'autres circonstances, tous les princes ne peuvent
que ressentir vivement ce qui lui est arrivé, à cause de l'affront
qu'en a reçu la dignité royale. D'un autre côté, le marquis pense
qu'il résultera de là de grands avantages pour V. BI., par suite
de la haine et de la méfiance qui doivent nécessairement surgir
entre les Indépendants et la France ; non-seulement à cause des
biens de parenté de la veuve du roi avec la France, mais encore à
cause de la chute des Presbytériens qui étaient du parti français.
Les hommes maintenant au pouvoir chercheront toujours à abais-
ser les patrons des Presbytériens; et comme la puissance de la
France est grande, ils doivent s'appliquer à lui susciter des em-
barras et à y semer des divisions ; ils le pourront mieux que qui
que ce soit à cause du voisinage et des rapports ipi'ils ont avec les
huguenots. De cette manière et par ce moyen, on pourra faire beau-
coup sans paraître, comme l'a déjà proposé le marquis à don Louis
de Haro. Et même le marquis n'éprouve aucun scrupule à ce que
V. M. favorise les huguenots de France, car la guerre que leur roi
leur a faite n'était pas une guerre de religion, mais de politique;
il ne la faisait qu'aux murailles des villes qu'il a détruites en leur
laissant l'exercice de leur religion : d'ailleurs la liberté de conscience
312 DOCUMENTS
est admise dans toute la France. A cela il faut ajouter le grand pré-
judice que la tranquillité intérieure de la France a causé à toute la
chrétienté, car c'est ainsi que la religion catholique a péri en Alle-
magne et que l'ile de Candie est tombée au pouvoir des Turcs : de
sorte que tout ce qu'on pourrait faire pour susciter des embarras aux
Français paraît au marquis absolument nécessaire...
Selon l'opinion du marquis, il faut donc savoir gré à don Alonzo
de ce qu'il a fait à ce sujet et lui ordonner expressément de conti-
nuer à agir ainsi et à fomenter ces désaccords par tous les moyens en
son pouvoir, en s'entcndant toujours avec le comte de Peiïaranda,
car lors même que la paix serait faite, il faudrait agir ainsi pour la
conserver....
Lorsque les circonstances seront favorables, on pourra en-
voyer des pleins pouvoirs à don Alonzo. Pour le moment on lui dira
qu'on ne les îui envoie pas par les raisons qui viennent d'être expli-
quées, à moins que V. M, ne juge convenable de les transmettre au
comte de Penaranda pour les expédier à don Alonzo dès que le mo-
ment sera opportun.
Le marquis pense, comme le comte de Castrilio, que, dans la ré-
ponse qu'on fera à don Alonzo, il faudra passer sous silence tout ce
qui concerne l'intervention qu'on lui a demandée en faveur du roi
(Charles I").
Le marquis de f'alparaiso partage l'opinion des membres pré-
cédents....
.... Quant à ce que dit don Alonzo que le Parlement d'Angleterre
a l'intention d'offrir des secours à celui de France, il faut l'y encou-
rager en cherchant ensuite, par tous les moyens possibles, à faire en
sorte que cela échoue, quand même il faudrait y dépenser quelque
argent. On recommandera aussi à don Alonzo que, puisqu'il a des
renseignements si détaillés et de source certaine sur les mouvements
et les démarches de la France, il continue à informer V. M. de tout
sans manquer aucune occasion de le faire. Du reste V. M. ordon-
nera ce qui lui semblera bon.
HISTORIQUES. 315
VI
(Page 171.)
1° L'urc/iidiir Loopold {youverneur des Pays-Iios) an roi d'Esjnajtte
{Philippe IV).
Bruxelles, l mars 1049.
Henri de Vie, résident du feu roi d'Angleterre, élant sur le point
de retourner à la Haye, m'a prié d'écrire à sou maître pour lui ex-
primer mes sentiments de condoléance à l'occasion de la mort de son
père (Charles I") et de répondre ainsi à deux lettres qu'il m'avait
écrites lorsqu'il s'appelait prince de Galles. Il n'y avait aucune
difficulté à traiter avec ce prince jusqu'au moment où l'Angleterre,
après avoir ôtc la vie à son roi et souverain légitime, a statué qu'à
l'avenir elle ne serait plus gouvernée par un roi, en dépouillant en
même temps les descendants du roi défunt de leur héritage légitime.
Comme il se trouve dans ce moment-ci à Londres un ambassadeur de
V. M. qui n'a pas encore reçu d'instructions au sujet de la manière
dont il doit agir avec les parlementaires, je n'ai pas voulu être le
premier à décider la question de savoir comment doit être traité le
prince dépouillé, si injustement et contre tout droit, de son royaume
et de ses États. J'ai entendu dire que les Hollandais ont envoyé des
délégués pour exprimer leurs condoléances au prince, et que ceux-ci
l'ont appelé Sire en français, et que même une fois ils l'ont traité de
Majesté, quoique en prononçant indistinctement ce mot, et sans vou-
loir mettre par écrit ce qu'ils avaient dit de vive voix. C'est pour-
quoi j'ai chargé le secrétaire d'Etat d'exposer au résident anglais les
raisons qui m'empêchaient de répondre aux lettres du prince, et me
décidaient à attendre que l'empereur mon maître et Votre Majesté
eussent arrangé d'abord cette affaire avec son maître ; j'ai ajouté que,
si je ne me trouvais pas ici comme gouverneur de ces |)rovinces, je
ne refuserais point au prince, en ma qualité de fils d'empereur et
d'archiduc, un titre que lui donnent sa naissance et une si longue
succession de rois. Le résident a paru satisfait de ma réponse et a
envoyé chez moi en me demandant d'écrire oniciclleincnt à S. M.
l'empereur et à Votre .Majesté pour les prier de ne pas manquer à
i. 27
.TU DOCUMENTS
ce devoir de piété envers son maître, attendu que toute l'Europe
est en suspens relativement à la résolution que prendront à cet égard
les deux plus grands souverains du monde. Votre Majesté daignera
me faire connaître ses ordres au sujet de la manière dont je devrai
agir dans cette circonstance. Jusqu'à ce moment je différerai d'a-
voir des rapports avec ce prince infortuné à tant d'égards. Que
Dieu, etc.
2° Premier projet de lettre du roi d'Espagne {Philippe IV) au nouveau
roi d'Angleterre.
Madrid, 10 mars 16i9.
Des nouvelles de la mort du loi Charles, père de Votre Majesté,
sont arrivées ici de divers côtés. J'en ai éprouvé un profond senti-
ment de chagrin à cause de la parenté et de l'étroite amitié qui nous
unissaient; j'en témoigne ma grande douleur à V. M., et je vous fais
part, ainsi qu'il est juste, de la peine que m'a causée cet événement,
comme V. 31. le comprendra aisément, par le conseiller Antoine
Brun, mon ambassadeur dans les Provinces-Unies, qui remettra la
présente à V. M, que Dieu garde, etc.
{Ce projet fut modifié et envoyé dans les termes suivants .)
Le roi d'Espagne au roi {Charles II) d' Angleterre ; Condoléances à
l'occasion de la mort du roi son père.
s avril 1Ci9.
(On lit dans l'intérieur de la lettre : Au nouveau roi d'Angleterre.)
Les nouvelles du triste événement de la mort de Sa Majesté le roi
Charles, père de V. M., sont arrivées ici par différentes voies; j'en ai
éprouvé un chagrin et une peine que devaient nécessairement provo-
quer des circonstances aussi extraordinaires et déplorables; car lors
même qu'il n'y aurait eu, pour faire naître ces sentiments, ni les
liens de parenté ni l'intime amitié qui nous unissaient, j'en aurais
trouvé des motifs bien puissants dans les excellentes qualités qui se
trouvaient réunies dans la personne du roi et dont Dieu, dans sa
bonté, avait bien voulu la doter. Je conçois quelle aftlietion V. M.
aura ressentie à raison et de la perle et de la manière dont elle est
HISTORIQUES. SIS
arrivée; je puis assurer V. M. que celle que m'ont fait éprouver, à
moi, et révénemcnt lui-même et toutes ses circonslances, n'est pas
peu considérable. J'en exprime mes condoléances à V. M., et je suis
persuadé que V. M., grâce à sa sagesse et à sa fermeté, se sera rési-
gnée à la volonté de Dieu qui dis(J0se de tout pour le mieux, et c'est
ce que je prie V. M. de faire. Je m'en rapporte, pour ceci et pour
tout le reste, à ce que V. M. entendra de la bouche du conseiller
Antoine Brun qui remettra cette lettre à V. M .
3" Délibération du Conseil d'État d'Espagne sur les dépêches de l'am-
bassadeur d'Espagne à Londres et sur la politique à suivre h
l'égard de l'Avrjileterre.
Sire,
Votre Majesté avait daigné ordonner de convoquer pour dimanche
soir une séance du conseil d'Etat inpleno, afin qu'il iiùt prendre con-
naissance des lettres de don Alonzo de Cardenas en date des 12, 18,
et 26 février, ainsi que d'une lettre de l'archiduc Léopold du i de ce
mois (mars). Dans ces lettres il est rendu compte de ce qui est arrivé
au roi d'Angleterre, de toutes les circonslances survenues jusqu'au
moment de sa mort, du tour que les choses vont prendre en Angle-
terre, de la résolution que les Anglais ont prise de ne plus se laisser
gouverner par un roi, de l'exclusion des fils du feu roi, et de leurs
délibérations sur la forme do gouvernement à adopter à l'avenir...
Don Alonzo prie qu'on l'informe comment il doit agir dans ces cir-
constances, attendu que sa mission est expirée; il explitpie aussi dans
ses lettres pourquoi il n'a pas employé ses bons ollices en faveur du
roi auprès du Parlement, comme on le lui avait demandé ; il dit avoir
pris le deuil parce que les ministres de France et de Hollande l'a-
vaient fait; il parle de la proclamation du prince de Galles comnieioi
par les Ecossais. Monseigneur l'archiduc piie aussi qu'on l'informe
de quelle manière il doit traiter le prince de Galles, attendu (|ue lo
1 ésident de ce prince l'a prié de répondre à deux lettres qu'il lui avait
remises de sa part, et de lui adresser quelques paroles de consolation
dans une conjoncture aussi triste et déplorable.
Ont pris part au Conseil le comte de Monterey, le duc de Médina
de las Torres et les marquis de Castel Rodrigo et de Valparaiso; le
comte de Castrillo s'est excusé pour cause de mauvaise sunté. Le Con-
316 DOCUMENTS
seil, après avoir longuement disculé le contenu desdites dépêches,
expose à V. M. ce qui suit :
L'affaire du roi d'Angleterre est un événement très-extraordinaire
et digne d'une mûre considération, attendu que ce sont les sujets
mêmes du roi d'Angleterre qui lui ont ôté la vie par de si détestables
moyens, et sans autres motifs que ceux que donne dans ses dépêches
don Alonzo. Le Conseil estime que cet événement est d'un si mau-
vais exemple qu'il serait juste que tous les princes s'unissent pour
infliger un châtiment exemplaire au l'arlemeut d'Angleterre. Toute-
fois le Conseil pense, d'un autre côté, que V. M. ne pourrait s'en
occuper à cause de tant d'affaires et d'embarras dont Elle est enlou-
rce, et à cause de tant de guerres si pressantes qu'Elle a en Espagne
et au dehors ; les autres princes, qui devraient également le faire, se
trouvent occupés chez eux, surtout le roi de France qui est embar-
rassé dans des guerres qu'il a lui-même suscitées, et dans des dis-
cordes et dissensions de ses propres sujets, comme tout le monde le
sait; le Parlement d'Angleterre est tellement puissant que personne
aujourd'hui ne pourrait défaire ce qu'il a fait; ce même Parlement a
témoigné l'intention de rester avec V. M dans de bons rapports; en
quoi, loin de manquer à Votre HLijcsté, il lui a rendu service; de
plus, il conviendrait de fomenter la mauvaise intelligence entre le
Parlement et les Français, et de suivre l'ancienne maxime d'après
laquelle il est toujours du plus grand avantage pour l'Espagne de
vivre en paix avec l'Angleterre et de conserver son amitié. — Par ces
motifs le Conseil est d'avis que, pour le moment et jusqu'à ce que le
temps révèle quelque autre combinaison, il ne convient pas que
V. M. introduise aucun changement dans sa politique, qu'au con-
traire il convient d'entretenir des bons rapports avec le Parlement.
Le Conseil ajoute que V. M. devait fort peu au feu roi d'Angleterre
qui, aussitôt après l'insurrection du Portugal, avait reçu l'ambassa-
deur du tvran, oubliant l'intime amitié qui l'unissait à Votre Ma-
jesté. Tout ce qu'on peut faire pour le moment (selon l'avis du Con-
seil), c'est de répondre à l'archiduc en lui dismt qu'il peut faire une
réponse aux lettres que liii a adressées le prince de Galles, en lui
donnant le titre de « Foire Majesté f^ et tous ses autres titres ; le
Conseil est aussi d'avis que, pour agir avec prudence à l'égard du
Parlement qui pourrait en prendre de l'ombrage, il serait bon que la
lettre (de l'archiduc) fût antidatée, afin qu'on pût dire qu'elle a été
écrite avant qu'on eût reçu la nouvelle que le Parlement avait exclu
du trône la postérité du feu roi.
Le Conseil pense que, de même, Votre Majesté pourrait adresser
une lettre antidatée au prince de Galles, en lui exprimant la peine
HISTORIQUES. 517
que la mort de son père a causée à V. 31., et eu lui disant que celte
nouvelle est ariivce à V. M. de divers côtés, cl qu'elle n'a pas voulu
perdre un seul moment pour lui témoigner ses sentiments; le Conseil
pense qu'il serait bon d'envoyer cette lettre à rarchiduc alin qu'il la
confie, avec celle que Son Altesse écrira elle-même, au conseiller
Brun qui doit cire déjà en Hollande ou Jjien près de s'y rendre; il
conviendrait que, de la part de Votre Majesté ainsi que de la part de
l'empereur, il y eût une expression de sentiments de condoléance en
forme convenable, et que l'archiduc rendît compte à V. 31. de ce qui
en résulterait et de tout ce qui se passerait.
Le Conseil estime qu'il conviendrait de ne faire aucune déclaration
formelle ni en faveur du prince de Galles, ni en faveur du Parlement,
jusqu'à ce que l'on sache avec plus de certitude comment les choses
tourneront; il conviendrait de faire connaître ces motifs à l'archiduc,
afin que, dans les événements qui pourront surgir, il s'y conforme.
Les mêmes instructions devraient être données à don Alonzo, tout
en l'approuvant d'avoir pris le deuil pour le roi d'Angleterre; on lui
dirait également que pour le moment il n'y aura aucun changement,
et que, si on lui faisait, de la part du Parlement, (juelques propo-
sitions de négociation, il devrait les écouter avec plaisir et répondre
qu'il rendra compte de tout à V. 31. Le Conseil pense, que, pour tout
le reste, il convient que les choses aillent comme par le passé, car il
n'y a aucun motif de croire que les parlementaires désirent un chan-
gement dans leurs relations avec l'Espagne, ni qu'ils élèvent des
doutes sur l'intention de don Alonzo de traiter avec eux, vu que le
Parlement n'en est qu'au début de sa carrière, et qu'il lui convient
plutôt de raffermir ses affaires par la continuation du séjour des mi-
nistres des souverains étrangers. Si le contraire arrivait, don Alonzo
demandera du temps pour pouvoir en informer V. 31. On devra re-
commander à don Alonzo de mettre un soin tout particulier à infor-
mer V. 31. par toutes les voies, et jour par jour, de tout ce qui se
se passera en Angleterre ; il faudrait écrire la même chose à l'ar-
chiduc.
Le Conseil, étant d'avis qu'il conviendrait à V. 31. de faire quelque
manifestation à l'occasion de la mort du roi Charles, pense que le
moyen le plus convenable serait que V. 31. prît le deuil dans la
même forme qu'elle l'avait pris à l'occasion du feu roi Louis do
France.
Votre 3Iajesté ordonnera ce qu'il lui plaira d'oidonncr.
27.
518 DOCUMEINTS
-i" Dèlihrralion du Conseil d'Etal d'Espagne au sujet de plusieurs
leUres de don Alonzo de Lardenas traitant de divers sujets.
Madrid, 6 juin 1619.
{Ecrit de la main du roi : » Qu'il soil fait conforméineiil à l'avis du
Conseil. » — « Exéculcù midi. » — Geroiiimo de la Tol-re.)
Sire,
Le comte de Monterey, le duc de Médina de las Torrcs et les mar-
quis de Castel Rodrigo, de Valparaiso et de Velada assistant au Con-
seil, on a pris connaissance, conformément aux ordres de \. M., des
lettres de don Alonzo de Cardenas portant les dates des 13 et
27 avril et du 3 mai, et dans lesquelles, entie autres choses,
don Alonzo rend compte à V. M., d'une manière délaillée, de
l'état dans lequel se trouvaient à celte époque les affaires d'Angle-
terre, de la conversation qu'il a eue avec un agent du Parleuient
relativement au désir que le Parlement avait d'clre en bonnes rela-
tions avec V. 31., et pour savoir si un ambassadeur envoyé par le
Parlement serait bien reçu en Espagne. Doa Alonzo informe aussi
V. M. qu'il a reç<i une lettre de don Francisco Cottington, datée de
la Haye, dans laquelle celui-ci annonce à don Alonzo la résolution
que son maître, le prince de Galles, a prise de l'envoyer (lui Cot-
tington) en Es])agnc, accompagné d'une autre personne, dans le but
d'exposer à V. BI. l'étal de ses affaires et de lui demander des
secours 5 il a dit qu'il partirait dans le courant du mois de mai et
passerait par Bruxelles. Don Alonzo rend compte de ce qu'il lui a
répondu.
Le Conseil, après avoir examiné ce sujet avec une attention toute
particulicie, estime que c'est une des plus graves questions qui
puissent se présenter, et que dans son opinion il y a lieu aux plus
prudentes réflexions de V. 3L, car l'arrivée de Cottiiigton en Espagne
ne peut manquer d'entraîner à sa suite de grands inconvénients;
d'abord parce (ju'on ne sait pas encore quelles résolutions on prendra
en France, par rapport à la même proposition qui a déjà été ou qui
allait être faite par un personnage ([ue le même prince (de Galles) y
envoyait; ensuite à cause de l'état où les affaires de V. M, se trouvent
au milieu de tant d'épreuves qu'il a plu à Dieu de lui envoyer. La
circonstance que le Parlement d'Angleterre se propose d'envoyer
aussi une personne en Espagne a également beaucoup d'inconvé-
nients; il ne conviendrait pas de faire aucune déclaration avant que
HISTORIQUES. 319
le Parlement ail l)ien raffermi ses affaires el offre plus de garanties
de durée. Tous ces points réclament un examen mûr et approfondi
avant qu'on arrive à une résolution, el il est certain qu'il y auiait
beaucoup à dire soit dans un sens, soit dans l'autre. Le Conseil, eu
s'abstenant de le faire dans ce moment et jusqu'à ce que les circon-
stances l'exigent, représente à V. M. qu'il regarde comme important
(d'après l'avis donné du départ de don F. Cottinglon el de son com-
pagnon pour l'Espagne) (ju'il soit expédié en toute hâte un courrier à
l'archiduc pour l'informer du contenu des lettres de don Alonzo de
Cardenas au sujet de ces deux points, c'est-à-dire l'arrivée de Cot-
tinglon et la question faite relativement à la manière dont une per-
sonne envoyée par le Parlement serait reçue en Espagne; on dirait à
l'archiduc que, si Cottington arrive à Bruxelles ou passe par la
Flandre, Son Altesse doit chercher, avec toute l'adresse imaginable
et en secret, à l'entretenir et à savoir (comme si cela venait de S. A.
seulement) dans quel but il veut se rendre en Espagne et de quelle
mission il est chargé; S. A. lui dira en conversation que, vu l'état
des choses, il serait plus à propos, pour lui, de s'arrêter à Bruxelles,
de se metlre en communication avec S. A. avant d'aller plus loin, et
de lui faire part du but de sa négociation, afin que S. A. puisse en
informer V. M., et avoir la réponse de V. M. avant qu'il (Cottinglon)
s'engage trop dans son voyage. En prenant des détours et sans lui
ôter loute espérance, au contraire, en lui témoignant beaucoup de
bon vouloir et en l'assurant de la bienveillance de V. M. et de ce qu'il
peut en espérer, Son Altesse pourrait lui dire combien il serait utile,
pour le rétablissement du prince de Galles, que la paix pût être con-
clue entre la France et l'Espagne, car ce serait le moyen le plus sur
d'obtenir les avanlages que l'on désire cl (juc l'on se propose d'obte-
nir. Afin qu'on puisse délibérer avec plus de certitude, l'arcliiduc
devra faire connaître à V. 31. coiomcnt les événements d'Angleterre
ont été accueillis en France, ce qu'on se propose d'y faire et (|uelle
réponse on y a faile à l'envoyé du prince de Galles. On fera sentir à
S. A. combien il importe que Cottington cl son compagnon ne per-
sistent pas dans leur intention de venir en Espagne, et si c'est pos-
sible, qu'ils ne viennent pas du tout, toutefois en leur disant des
paroles d'amitié et de bon vouloir; et si, malgré tous les efforts de
Son Altesse, Cottington, voulait absolument venir, (|ue Son Altesse
le laisse faire en informant V. M. de te qui aurail lieu à cet égard.
Il faudra accuser à don Alonzo réception de ses lettres, et lui dire
qu'il eût été plus convenable de s'cxplitiucr moins positivement avec
l'agent du Parlement qui lui a demandé si une personne envoyée par
le Parlement serait bien reçue (en Espagne) : dans le cas où on lui en
520 DOCUMENTS
reparlerait directement, qu'il réponde qu'il en rendra compte à
V. M. ; mais qu'il ne dise pas qu'il. Ta déjà fait et qu'il cherche, avec
toute l'adresse et toute la prudence possibles, à éviter ce sujet; pour
tout le reste on peut dire à don Alonzo qu'on s'en ra|)porte à sa discré-
tion, et que c'est une question qu'on doit laisser en suspens jusqu'à
ce qu'on sache comment le Parlement aura assuré ses affaires et raffermi
son pouvoir.
Dans le cas oîi Coltington se serait déjà mis en route, et où le
courrier (expédié d'ici) n'arriverait pas à temps (auprès de l'archiduc),
il faudra envoyer aux autorités d'Irun et de Saint-Sébastien des ordres
])ortanl que, si Cottington y arrivait, on le retînt, qu'on en informât
aussitôt V. M., et qu'on fît attendre à Coltington la réponse. On de-
vra envoyer ce rapport par un exprès et traiter en attendant Cot-
tington avec toute sorte de politesse.
Votre Majesté ordonnera du reste ce qui lui plaira.
b" Don Alonzo de Cardenus au comte de Penaranda.
Londres, 20 juin 16-i9.
Les dépèches envoyées à Sa Majesté avec la présente informeront
Votre Seigneurie des affaires de ce pays-ci et de la manière dont le
gouvernement (anglais) a résolu de me déclarer le 16 de ce mois que,
si je ne lui présentais pas de nouvelles lettres de créance, il ne traite-
rait plus avec moi ; cette résolution a été prise, non qu'aucune consi-
dération d'un intérêt quelconque ou de convenance cnpêchât le Par-
lement (le continuer ses relations avec moi, mais parce que l'orgueil
naturel, accru par le succès, remplit ces hommes d'une arrogance
qui ne tient compte de rien.
Cet incident paraît rendre mon départ d'ici nécessaire, en suppo-
sant que Sa Majesté ait pris la résolution de ne faire aucune décla-
ration formelle, ni en faveur du prince de Galles, ni en faveur du
Parlement, car dans ce cas il n'y aurait pas lieu de présent.?r de nou-
velles lettres de créance. D'ailleurs quand même il serait utile de le
faire, le fait seul que les gens du Parlement ont voulu forcer Sa Ma-
jesté à celte démarche, d'une façon si contraire aux égards et au res-
pect qui lui sont dus, exige qu'on n'Ucchissc s'il serait convenable de
présenter des lettres de créance, du moins aussi promptement. Ainsi
je ne doute pas que Sa Majesté ne donne des ordres pour me faire
partir d'ici, et dans ce cas j'espère qu'on m'accordera la permission
de retourner en Espagne. Ma santé a grandement besoin de l'air natal ;
HISTORIQUES. 521
c'est pourquoi j'ai cru devoir prier Votre Seigneurie d'en dire quel-
ques mois, s'il le faut, pour m'obteiiir ce dont j'ai tant besoin, et eu
même temps de me faire payer mou traileiiienl échu et les frais de
voyage sullisanls pour la roule. Que Dieu, etc.
6" Do)i Jlonzo de Card»nas au roi d'Espagne.
Londres, 13 août lCi9.
Sire,
Dans ma dépèche du 2^ juillet, j'ai informe V. M. que le gouver-
nement de ce pays se proposait d'envoyer à son agent, qui depuis
deux ans réside en Flandre.de nouvelles lettres de créance (jui l'ac-
créditent auprès de l'arcliiduc. J'ai ég;demcut informé V. BI. (hi mé-
contentement qu'avait causé ici la nouvelle des rapports que le con-
seiller Brun, comme ambassadeur de V. M., a eus avec le prince de
Galles ; on a publié la copie de la lettre que V. M. a écrite au prince
pour lui exprimer ses condoléances à l'occasion de la mort de son
père; on a relevé le litre de roi de la Grande-Bretagne dont V. M.
s'était servie, et les manifestations et l'accueil solennel qui ont été
faits au prince en Flandre. Ce que j'ai à dire dans ce moment à \ . M.,
c'est qu'aussitôt que ces nouvelles sont arrivées ici, le Parlement a
repris le piojct d'envoyer des agents en Espagne, en France, et auprès
d'autres répuliliqucs et cours souveraines ; mais comme je n'ai pas
entendu dire, jusqu'à ce moment, qu'on ait encore envoyé des lettres
de créance à l'agent qui est à Bruxelles, et comme je n'ai pas été in-
formé, par des avis de Flandre, que l'agent les ait présentées, il esta
croire que le Parlement a changé d'avis ou suspendu sa décision. On
me dit (|ue depuis dix jours on discute dans le conseil d'Etat la ques-
tion desavoir si l'on doit envoyer ces personnes comme de simples
agents du Parlement ou comme ambassadeurs; on ajoute que la pre-
mière qui doit être cnvoyéelcscraen Espagne, dans riijpollièsequ'elle
sera reçue plutôt là que ])artou( ailleurs : ce qu'on infère de mon sé-
jour ici, car on ne peut pas admettre qu'il en soit autrement du mo-
mentqueV.M.a iciunainbassadeur. Dans le cas où celui du Parlement
ne serait |)as reçu en Espagne, ou me ferait sortir d'ici dans le plus
bref délai. On m'assure (ju'il en a été décidé ninsi et qu'on fera la
même chose à l'égard de l'ambassadeui' de Hollande à qui l'on s'est
plaint amcrementde coque les Étals génér;iux(à l'exception de la pro-
vince de la Hollande) n'ont pas voulu rcconnaitre la nouvelle repu-
522 DOCUMEIVTS
blique, ni recevoir comme son ambassadeur un personnage du Parle-
Tiienl qui se trouvait à la Haye et à qui le Parlement avait envoyé des
Ictlres de créance après la mort de Dorislaus, bien que l'ambassadeur
des Etats, lorsqu'il vint avec Adrien de Pauw intercéder en faveur du
l'eu roi, fût porteur des lettres de créance des Étals généraux au-
])rcs du Parlement. Il est vrai qu'alors on supposait qu'il était accré-
dité auprès de la couronne (d'Angleterre) et que le Parlement ne s'é-
tait pas encore érigé en pouvoir souverain et n'avait pas encorechangé
le gouvernement monarchique en républicain. Le Parlement demande
que cet ambassadeur lui présente maintenant de nouvelles lettres de
créance ; un mécontentement à ce sujet commence à se faire jour en-
tre le Parlement et les Etats généraux, et il s'accroît surtout depuis
«|ue les bâtiments du Parlement se sont emparés d'un navire d'Ams-
terdam qui se rendait en Irlande avec une cargaison d'une valeur
considérable, lequel navire sera considéré, dit-on, comme de bonne
])rise malgré les démarches et les menaces^ que fait l'ambassadeur des
Etats généraux pour en obtenir la restitution. On peut juger par ce
fait de l'orgueil de ces gens et de leurs procédés envers leurs voisins,
quoiqu'ils aient besoin d'eux.
J'ai commencé à faire des démarches, |)ar l'entremise de quelques
membres du Parlement qui se montrent nos amis, pour faire com-
jucndre à ces gens-ci, comme si cela venait de moi seul, qu'il ne leur
est d'aucun avantage de presser leur résolution d'envoyer quelqu'un
en Espagne, et que si les envoyés du prince de Galles ne se renileiil
j)as en Espagne (les gens du Parlement avaient entendu dire comme
l)robable qu'ils s'y rendraient par suite des relations que les ministres
de Flandre ont eues avec le résident de Vie), ce que j'ai interprété
comme un acte de neutralité, je regarderais comme une résolution
prudente de la part du Pailement de ne pas presser l'envoi de ses
agents jusqu'à ce que la question soit bien mûrie et jusqu'à ce que le
raricmeut ait bien établi son pouvoir et raffermi ses affaires. Je ne
sais quel sera le résultat de ma dcmarcbe, mais quel qu'il soit, j'en
rendrai compte à Votre 3Iajesté. Que Dieu garde V. Bl., etc.
7" Le comte de Penaranda à dvn Alonzo de Cardenas.
Biuxelies, 3 juillet 1649.
.... J'ai lu avec une attention toute particulière les deux copies de
A'os dépêches à Sa Majesté, et mon opinion est que tout ce cjui est ar-
rivé était fort naturel cl nécessaire, car du moment que le Parlement
HISTORIQUES. 32"
a pris la résolution d'exiler le roi et d'en finir avec la royauté, quelle
probabilité ya-t-il qu'il veuille traiter avec un ministre accrédité au-
près du roi? V. Exe. l'a fait connaître à temps en Espagne; mais
comme V. Exe. a reçu de Sa Majesté l'ordre (dont une copie m'a été
également envoyée) de rendre compte de tout et de ne rien clianger
dans sa position, il n'y a pas lieu de discuter ni de donner des conseils.
Hier un courrier est arrivé ici en toute hâte d'Espagne avec une dé-
pêche pour V. Exe. ; je ne l'ai pas encore vue, mais le secrétaire Na-
varre m'écrit quelques mots sur son contenu; le résumé en est que
nous cherchions à empêcher Cottinglon d'aller là-bas (en Espagne) de
la part du roi (d'Angleterre) et que V. Exe. agisse également de ma-
nière à empêcher un ambassadeur du Parlement d'y aller. Le but
qu'on se propose en agissant ainsi est facile à comprendre : on désire
rester indifférent et neutre à l'égard des deux partis ; mais il y a
grande probabilité qu'il nous arrivera ce qui arrive d'ordinaire en pa-
reil cas, c'est de laisser échapper les deux partis, et en peu de temps;
toutefois je ne vois pas quel moyen reste, à V. Exe. on à nous, pour
faire changer d'avis aux gens du Parlement qui voudraient envoyer
des ambassadeurs ou des ministres en Espagne, à moins de déclarer
que le roi ne veut pas les recevoir, ce qui serait une ruptureformelle.
Je lirai la dépêche, s'il plaît à Dieu, et je ne manquerai pas de dire à
V. Exe. ce qui me paraîtra. Ceci vient fort à propos, car ce pauvre
diable a fait hier son entrée à Bruxelles avec une pompe égale à celle
qu'on aurait pu mettre à recevoir son père s'il lui avait |)ris fantaisie
de venir ici pour passer en Espagne. Là-dessus je crois devoir faire
connaître à V. Exe. tout ce qui s'est passé.
L'archidue se trouvait avec l'armée en France, près de Guise ; voila
qu'un jour le résident d'Angleterre se présente au ([uarticr général et
expose deux choses : d'abord la nécessité où se trouve son niailrc de
demander six raille doublons de charité, puis le désir d'une entrevue
amicale de son roi avec l'archiduc (il est vrai de dire qu'il ne m'a parlé
à moi ni de l'un ni de l'autre). La première condition de cette entre-
vue était qu'il viendrait incognito avec vingt domestiques, sans céré-
monial ni réception nulle part; mais petit à petit la chose a pris des
proportions qui en ont changé le caractère; le résident a désiré que
le roi fût reçu formellement à Anvers, ici, et partout, avec le céré-
monial le plus rigoureux et avec autant de salves d'artillerie qu'on en
pût faire. Je n'en ai rien su, car les ordres ont dû être envoyés après
que Son Altesse (l'archidue) s'était mise en campagne; eei)cndant
comme l'affaire me parut devenir démesurément sérieuse et ipie je
pensais que le roi pourrait n'être pas content (ju'on fit ici des démon-
strations aussi désagréables au Parlement, j'écrivis au secrélauc Na-
324 DOCUMENTS
varro quelques mots là-dessus, bien avant d'avoir lu les dernières dé-
pêches du roi; mais comme l'affaire devait être déjà grandement en
train, on n'a pas lait grande attention à ce que je disais. Il est vrai de
dire que les Anglais, surtout ce farceur {picarillo) de résident, se sont
insinués chez nous à la sourdine; et je commence à m'apcrcevoir
qu'ils ont pu avoir deux buts : d'abord d'éveiller la jalousie du Par-
lement et de l'obliger à se méfier du roi notre maître, ensuite de don-
ner un avertissement au cardinal Mazarin en lui faisant voir que
nous autres Espagnols avons fait cela ici, sans avoir les mêmes obli-
gations que les Français et sans être unis par des liens de parente
aussi intimes. V. Exe. pourra se servir de ce renseignement comme
elle le jugera convenable, car enfin il n'est pas raisonnable que, con-
trairement aux intentions du roi, et de notre fait à nous qui sommes
si loin de ses communications, ces messieurs nous croient déjà tout
à fait engagés au rétablissement de ce pauvre roi d'Angleterre ; en vé-
rité, ayant tant d'affaires sur les bras nous-mêmes, ce serait une cha-
rité bien étrange que de nous attirer de nouveaux ennemis. Voilà ce
que je puis dire dans ce moment à ce sujet; je me réserve d'en dire
davantage lorsque j'aurai pris connaissance de la dépêche de Sa Ma-
jesté.
On m'annonce que le roi d'Angleterre partira d'ici dans deuxjours
pour aller trouver Son Altesse; je viens de le voir tout à l'heure j il
a une physionomie qui ressemble on ne peut pas plus à celle de son
père.
80 Le comte de Penaranda au secrétaire Aug. Navarro.
Bruxelles, S jiiillcl 1G49.
Je vous avoue que ces Anglais me fatiguent; je vois qu'ils abusent
de notre courtoisie, et que c'est à dessein et tout à fait en opp,:si-
tion avec les intentions du roi noire maître et avec ses intérêts. C'est
pourquoi il m'a paru nécessaire d'expédier ce courrier pour prévenir
S. A. et M.M. les ministres de ce qui m'arrive avec eux, afin qu'ils
puissent, là-bas, agir comme il paraîtra le plus convenable, et afin
qu'on en vienne à ce que le roi désire, si c'est faisable.
En premier lieu, il faut savoir, comme je m'en suis assuré, que
toute celte intrigue est dirigée par le grand écuyer de la reine; il
s'appelle M. Jermyn, favori intime de la reine d'Angleterre qui suit
exactement ses conseils. Ce Jei inyn est de la clique du cardinal; et
toutes ces macliinalions, qui tendaient à faire accepter à l'Irlande la
HISTORIQUES. 32S
protection de la France (ce que nous savons du reste par les dépêches
de don Alonzo) ont été conduites d'après les inspirations de Jermyn
et par lui-même. C'est un hérétique de la pire espèce qui ne pense
pas tant aux intérêts de son maître qu'à se maintenir dans ses bonnes
grâces et à conserver la faveur du cardinal qui lui fournit les moyens
d'existence et d'entretien. J'ai eu avec lui deux conversations; la
première a été assez impertinente de sa part; il faisait voir avec fort
peu de réserve sa rancune contre nous, ainsi que les inspirations et
les principes du cardinal dont il est imbu; mais le second entretien,
celui que j'ai eu avec lui hier soir, a été plus impertinent; il était
impudent et même imprudent ; pour ne parler que de sa moindre
faute, toutes les fois qu'il parlait des deux rois, il nommait en pre-
mier lieu le roi de France et ensuite le nôtre, chose que son maître
lui-même ne faisait pas. Cottington et le résident ne cachent pas le
mécontentement que leur cause cet homme, et ne se gênent pas de
donner à entendre que le roi, père du jeune prince de Galles, s'est
perdu pour avoir suivi les conseils de la cour de Paris et que le fils
fera de même.
Je vous ai déjà dit ce qui s'est passé hier entre moi et Cottington ;
aujourd'hui le résident est venu chez moi, et, dans la conversation,
j'ai trouvé une occasion, fort à propos, de lui dire ceci même : «3Ion-
sieur le résident, le roi mon maître n'a pas besoin de nouveaux en-
nemis, il en a déjà assez; vous connaissez la bienveillance et la cour-
toisie avec lesquelles le roi et Son Altesse vous ont traité et accueilli
ici ; je vois et nous voyons tous que ce jeune roi va à l'école des
Français, qu'il est guidé par une mère aussi française que vous la
savez, et qu'il suit les conseils de monsieur de Jermyn dont vous con-
naissez bien les intentions et les dispositions ; je vous le dis avec fran-
chise et sincérité; le roi fera très-mal s'il envoie des ambassadeurs
auprès du roi mon maître, étant lui-même en France, et les ambassa-
deurs feraient bien de ne pas se charger de cette mission. Les rois
d'Espagne ont cultivé, avec les rois d'Angleterre, des rapports d'ami-
tié, de fraternité et de bonne intelligence, comme vous le savez; mais
il est tout à fait impossible (jue le roi d'Angleteirc, courlisan de la
France et du cardinal, ne soit pas suspect au roi mon maître pendant
que celui-ci est engagé dans une guerre aussi acbainée avec la France;
quand même cela ne serait pas. il vaudrait mieux que le roi (d'An-
glclcrre) s'établît dans un lieu où il pût avoir une coiiià lui, qui se
fît aider par les Français comme ils le veulent laire, et comme les
liens de parenté et d'alliance qui l'unissent à la couronne de France
les y obligent, et qu'il cherchât à amener cette couronne à faire, par
égard pour lui, une paix avantageuse; sans vouloir qu'elle soit inique.
ntPUBLIQUE D'ANGLETERRE, i. 2S
326 DOCUMENTS
Mais tant qu'il ne le fait pas, je vous le répète, il suivra un mauvais
conseil s'il envoie en Espagne de5 ambassadeurs, et ceux-ci ne s'en
trouveront pas bien. Je vous parle avec toute franchise et de mon
propre chef, car vous voyez bien que je n'ai pas pu rendre compte au
roi de ce que j'ai observé ici, ni recevoir encore des ordres de Sa Ma-
jesté à ce sujet. »
La réponse a été de me remercier et deme dire que je disais lavérilé
toute pure, et de m'assurer que, si un ministre du roi se trouvait pré-
sent, il dirait la même chose. Tel a été notre entretien dans lequel j'ai
commencé à préparer ce que le roi notre maître désire, d'après la
lettre que vous m'avez écrite, et ils ne peuvent pas soupçonner que
celaviennedeSaMajesté, ouqueS.M. ouS. A. s'en fussent déjàpréoc-
cupées. Je pense que mes paroles ont produit quelque effet, et qu'on
pourra accomplir facilement ce que le roi désire en suivant la roule
que j'ai frayée. Dans ma conscience, je vous avoue que je crains
qu'il n'y ait des personnes qui pensent que nous nous sommes trop
avancés dans les politesses faites au prince, et qu'il faudra bien re-
commander à don Alonzo de ne pas permettre que le Parlement con-
çoive du ressentiment à ce sujet. Que peut-on répondre quand on
voit que le roi de France n'a pas encore écrit une seule lettre à ce
pauvre diable (le prince de Galles), ni fait la moindre manifestation
depuis six mois qu'on a tranché la tête à son père, et quand en même
temps il (le prince de Galles) nous demande et obtient de nous tout
ce que le roi de France n'a pas faitPOn est parfaitement sûr quec'est
la reine qui commande à son fils ce qu'il fait, et qu'elle même reçoit
des instructions de ce Jermyn, lequel reçoit des ordres du cardinal.
Quant à la paix, il a élé très-impertinent; il voulait savoir en dé-
tail tout ce qui se passait et discuter avec moi tous les points, comme
s'il était quelque grand médiateur ou un personnage d'une grande
autorité dans ce monde. Je lui ai communiqué les copies des deux
dernières lettres du nonce et de l'ambassadeur de Venise, ainsi que
les réponses qu'on y a faites ; il écoute ce qu'on lui dit, mais encore
plus ce qu'il dit lui-même ; il parle très-lentement. En somme, c'est
un des plus ennuyeux personnages quej'aie connus de ma vie. Le ré-
sident m'a dit qu'il allait voir S. A. de la part de son maître; aussi
voudrais-je que le courrier qui emporte la présente y arrivât avant
lui.
HISTORIQUES. 327
9" Le comte de Peimrunda au roi d'Espagne (Philippe) IF.
Bruxelles, 6 juillet 16i9.
Sire,
Pendant que S. A. l'arcliidnc se trouvait avec l'armée en France,
près de Guise, le résident d'Angleterre arriva au quartier général;
il veut que nous le regardions comme l'homme le plus digne de con-
fiance en ce qui touche au service de V. M., et il a parlé à S. A. de
l'extrême désir que son mailrc avait de s'entendre avec V. 31. pour
qui il assurait avoir le plus grand respect; il a annoncé que son maître
se proposait de se rendre en Irlande, mais en passant par la France,
tant pour la commodité du voyage que pour s'aboucher avec sa mère,
qu'il viendrait au camp incognito, accompagne seulement de vingt
personnes, sans prétendre à être reçu avec le céiémonial d'usage ni
aucun bruit, et uniquement pour voir Son Altesse soit au camp, soit
là où S. A. se trouverait; le résident a en outre demandé qu'on lui
donnât six mille doublons à titre d'aumône et de commisération, el.
pour mettre son maître à même de faire le voyage. Son Altesse a
communi(|ué cette proposition dans une réunion à laquelle j'ai assisté;
et bien qu'on ait représenté les embarras et les inconvénients qui
pourraient en résulter, surtout comme on ne savait pas quelles étaient
les intentions de V. M. touchant les intérêts- de ce prince, cependant,
vu la forme dans laquelle cette affaire devait avoir lieu d'après les
propositions du résident, on a pensé qu'on ne pouvait, sans s'attirer
un grand hlàmc, refuser ni l'entrevue ni lesecotirsd'argenl. Le résident
ne m'a parlé à ce sujet que lorsque la chose a été résolue; mais, quand
il m'en parla, je lui dis que c'était une résolution grave (lue prenait
son maître, d'aller en Fi ance étant si jeune, et de recevoir, pour sa
gouverne, les instructions des ministres d'une cour dont les conseils
ont conduit le feu roi à l'échafaud, ce que le résident lui-même recon-
naissait. Je lui ai aussi donné à entendre que cette démarche du prince
ne pouvait que donner lieu à des soupçons, à cause de toutes les con-
sidérations qu'il ne pouvait ignorer; il se borna à répondre en ter-
mes généraux, ayant déjà atteint le but de sa mission. Son Altesse
arriva ici après la prise d'Yprcs; don Francisco Cottinglon et d'au
très personnes nommées comme envoyés extraordinaires du nouveau
roi auprès de V. M., arrivèrent également. On discuta la réception
que S. A. devait faire à ce prince, cl on décida qu'elle aurait lieu
dans le parc et sans aucun cérémonial. Le roi arriva à..., où S. A,
528 DOCUMENTS
devait l'attendre; mais l'ennemi ayant commencé un mouvement sur
la ligne de S. A. elle sortit d'ici pour marcher du côté de la flotte,
en laissant la réception du roi préparée dans les conditions conve-
nues, savoir qu'elle devait avoir lieu incognito et sans aucun cérémo-
nial ni publicité; mais les Anglais changèrent entièrement ce qui
avait été convenu en déclarant à S. A. qu'ils voulaient que le roi fût
reçu publiquement, la bourgeoisie sous les armes et avec des salves et
autres cérémonies d'une grande pompe. Ceci a élé résolu pendant
que S. A. était au camp, et on l'a exécuté ainsi.
Le roi est accompagné d'un certain M. Jermyn, grand écuyer et
favori de la reine, envoyé de Paris par Amiens pour recevoir et accom-
pagner le roi. Cet homme est un confident du cardinal Mazarin, et ce
u'est pas faire une conjecture téméraire que de croire que ce change-
ment d'avis touchant la réception du roi a été suggéré et diiigé par
le cardinal Mazarin. Je ne savais rien de ces manifestations publiques
que les Anglais avaient demandées ; mais après avoir réfléchi là-des-
sus, je trouvai la chose digne de beaucoup d'attention, vu qu'on n'a
pas encore appris que les Français aient envoyé un ambassadeur pour
exprimer leurs condoléances au roi d'Angleterre, bien que tant de
mois se soient déjà écoulés depuis la mort de son père, bien qu'il soit
lui-même si près, et bien que leurs devoirs soient plus grands que
ceux que V. M. peut avoir. C'est une intrigue de vouloir que V. M.
soit le premier souverain qui cherche à rétablir le roi d'Angleterre
sur sou trône, et qu'EUe s'expose ainsi, hors de saison, à avoir pour
ennemi le Parlement anglais. C'est sous cette triste impression que je
me suis décidé à parler hier à Cottington dans les termes que V. M.
voudra bien lire dans la copie de la lettre que j'ai écrile le même jour
au secrétaire Navarro; et puis, hier, le résident étant venu me voir,
je lui dis tout ce que contient la copie de la seconde lettre que j'ai
écrite au secrétaire Navarro...
J'ai rendu également compte à don Alonzo de Cardenas, dans la
forme que V. 31. voudra bien voir dans la lettre ci-incluse, de toute
cette aff"aire, afin qu'il cherche à empêcher le Parlement d'en pren-
dre de l'ombrage et qu'il l'entretienne dans la confiance jusqu'au
moment où il plaira à V. M. d'exprimer ses volontés. V^oilà tout ce
qu'il m'a paru nécessaire de dire à V. M. Que Dieu garde V. M.
HISTORIQUES. 329
JO" L'arcliiduc {Léojiold) au Toi d'Espagne.
Cambray, 8 juillet 1649.
Par le courrier que V. M. m'a envoyé avec des dépêches relatives
aux affaires d'Anglelerrc, j'ai reçu la ieltre de V. M. du 10 du mois
passé daus laquelle V. M. m'oidounc de cheichcr à empêcher don
Francisco Cotlington de se rcndi-e dans ses Etiits en qualité d'ambas-
sadeur du roi de la Grande-Bretagne, et dans le cas où l'on ne pour-
rait pas l'en détourner, de lui permettre de continuer sou voyage, en
réduisant les choses au point qui a été adopté dès le commencement.
Je crois devoir rappeler à V. M. (jue j'avais refusé au prince de Galles
le titre de Roi avant d'en informer V. M. Votre Majesté m'a répondu
en m'ordonnant de lui donner ce titre, sauf à antidater la lettre, ce
qui ne pouvait se faire d'ici (de Bru.xelles), d'où les lettres vont en
deux jours à la Haye où le roi (d'Angleterre) se trouvait alors. Kn
même temps, V. M. a écrit au roi pour lui exprimer ses condoléances
à l'occasion de la mort de son père, et Elle a ordonné au conseiller
Brum de présenter (de vive voix) les mêmes condoléances ; c'est ce
que le conseiller a fait à Bréda, et il en aura rendu compte à V. JI.
Pour éviter de traiter le prince de Galles de Roi, comme V. M. l'a
fait et comme Elle m'ordonne de le faire, je lui ai envo)é le passe-
port qu'il m'avait demandé pour se rendre par ses Elafs en France ;
de 11, comme m'a dit le résident qui est ici depuis le temps du roi
Charles bf son père, il doit se rendre en Irlande. Quand je lui ai
demandé pourquoi il ne partait pas de Hollande même, il m'a répondu
que c'était parce qu'il n'avait pas de forces maritimes sulfisantes pour
traverser le canal de l'Angleterre, et aussi parce qu'il désirait voir sa
mère qui est encore à Paris. De Hollande, il a envoyé près de moi
don Francisco Cottington en qualité d'amhassadeur accrédité auprès
de V. 31. J'ai suivi à son égard l'étiquette qu'avait suivie l'archiduc
Albert à l'égard des autres ambassadeurs d'Angleterre, d'après les
renseignements que m'ont donnés à ce sujet d'anciens ministres de
Votre Majesté dans ces provinces.
Le roi est entré à Anvers, d'où il s'est rendu à Bruxelles; je le ver-
rai après-demain à Valencicnnes ; de là il passera par Cambray à
Péronne dans les États de V. M. On lui a rendu les honneurs dus au
rang de roi, ce <|u'il était impossible d'éviter du moment que V. M.
lui a écrit en lui donnant ce titre. Je lendrai compte à V. M., à h
première occasiouj de ce qu'il me dira.
28.
350 DOCUMENTS
Quant à Cottington, qu'il s'agit de retenir ici, je n'ai rien à ajouter
à ce que le comte de Pcnaranda dit dans ses lettres à Augustin
Navarro, dont les copies sont jointes à la présente, si ce n'est que le
résident d'Angleterre, étant venu aujourd'hui ici, a demandé à
Navarro un passe-port pour Cottington; je lui ai demandé pourquoi
il en voulait avoir un, puisque son maître allait entrer en France ; je
lui ai dit qu'il en aurait besoin pour envoyer des ambassadeurs à
V. M. s'il se trouvait hors du territoire de la France et dans quelque
Etat de V. M , mais non pas lorsqu'il était sur le point d'entrer en
France; le résident a paru satisfait de celte observation. Je cherche-
rai à avoir des renseignements sur la manière dont on accueillera le
roi d'Angleterre en France, et je les transmettrai à V. M.
Don Alonzo de Cardenas rendra compte à V. M. de la manière dont
le gouvernement anglais commence à agir envers lui à Londres. Il
m'écrit qu'on lui demande que je prenne sous ma protection un ageut
du Parlement qui se trouve ici. Don Alonzo ne voit aucun inconvé-
nient à ce que je le protège ; quant à moi, j'hésite à le faire, de peur
que de cela on ne fasse un acte d'adhésion au Parlement; l'agent est
du reste sulTIisamment en sûreté, car ceux qui ont assassiné le docteur
Dorislaùs l'ont assassiné, non parce qu'il était un agent du Parlement,
mais parce qu'il avait été accusateur public du feu roi Charles. D'ail-
leurs je n'ai pas encore pris de résolution au sujet de la réponse à
faire à don Alonzo ; les deux parties cherchent à provoquer des décla-
rations qui donnent la sanction qu'elles désirent, le Roi à sa succes-
sion au trône et le Parlement à son gouvernement. Que Dieu, etc.
1 lo Délibération du Conseil d'Etat d'Espagne au sujet des deux dépê-
ches précédentes du comte de Penaranda et de l'archiduc Léopold.
Madrid, 2 août 1649.
Sire,
Le conseil d'État, auquel ont pris part le duc de Médina de las
Torres et les marquis de Casiel-Rodrigo et de Valparaiso, a pris con-
naissance, conformément aux ordres de V. 3L, des deux lettres ci-
incluses, l'une de l'archiduc Léopold en date du 8 juillet, et l'autre du
comte de Penaranda du 6 du même mois, ainsi que des documents
dont ils parlent. Les deux letties sont une réponse à ce que V. M.
avait daigné écrii e au sujet de l'étiquette que l'archiduc devait obser-
ver, à l'égard du roi d'Angleterre, dans les occasions qui se présente-
HISTORIQUES. 331
raient. Ce que S. A. a jugé à propos de faire a été de suivre l'étiquette
qui avait été adoptée par l'arcliiduc Albert. Ces lettres rendent compte
aussi de la résolution qu'on a prise en faisant entrer le nouveau roi
d'Ani»leterre dans les Etats de V. M., et de son passage en France. Le
comte de Penaranda en parle longuement, et expose les inconvénients
qui pourraient en résulter pour le service de V. M.; il parle aussi des
démarches qui avaient été faites et qui se faisaient encore pour empê-
cher Cottington et un autre personnage envoyés par le nouveau roi de
se rendre en Espagne; il rend compte enfin des conversations qu'il a
eues à ce sujet avec Cottington et avec le résident du roi d'Angleterre
à Bruxelles, et de la franchise avec la(|uelle il leur a parlé.
Le Conseil, après avoir longuement délibéré sur ces points, et avec
toute l'attention possible, rei)résente à V. M. que, dans la lettre
écrite le 10 avril à l'archiduc, on lui avait recommandé de ne faire
aucune déclaration formelle ni en faveur du nouveau roi d'Angleterre,
ni en faveur du Parlement, jusqu'à ce que l'on sût avec plus de cer-
titude quelle tournure prendraient les affaires, afin que S. A. pût
agir, dans les circonstances qui se présenteraient, de la manière qui
serait la plus convenable. On avait écrit à l'archiduc qu'il pouvait
répondre aux lettres du roi d'Angleterre en lui donnant le litre de roi,
de Majesté, et tous ses autres titres; mais on ajoutait que, pour
prendre à ce sujet des précautions euveis le Parlement, c'est-à-dire
pour ne pas lui donner de l'ombrage, il fallait que la lettre fût anti-
datée afin qu'on pût dire qu'on avait fait cela avant d'avoir reçu la
nouvelle que la postérité du roi défunt avait été exclue du trône par
le Pai'lement. Depuis, don Alonzo de Cardenas a annoncé que don
Francisco Cottington et un autre personnage devaient venir en Espa-
gne comme envoyés du nouveau roi d'Angleterre, et là-dessus on a
écrit à l'archiduc pour lui recommander d'abord de chercher, avec
toute l'adresse et tout le secret possibles, à retenir Cottington et à
savoir quelles étaient ses propositions, ensuite d'attendre la réponse
après avoir rendu compte de tout à V. M.
Bien que l'ordre de V. M. n'ait pas été cxécutéen Flandre, etquel'af-
faire ait changé d'aspect relativement au passage du roi d'Angleterre
dans cette province, on ne peut cependant désap|)rouvcr ce qui s'y
est fait de démonstrations publiques en faveur du roi, car, quoique
V. M. ait résolu, et que les ordres envoyés en Flandre et en Angle-
terre eussent pour objet de rester en expectative et de ne faire aucune
déclaration ni pour le roi ni pour le Parlement, vu (ju'il est dans l'in-
térêt de V. M. d'être en bons termes avec le Parlement et de ne lui
causer aucun déplaisir, cependant, si le Parlement témoignait du mé-
conlentemenldecc qui a été fait en faveur du roi en Flandre, on pourra
332 DOCUMENTS
toujours dire, pour s'en excuser, que les dites manifestations étaient
dues à ce prince en sa qualité de roi proclamé, déclaré et reconnu sous
serment roi d'Ecosse et d'Irlande, et qu'il était impossible de les évi-
ter sans manquer à toutes les règles d'urbanité. Quand même d'ail-
leurs ce prince ne porterait pas ces titres, on ne pouvait s'empéciier
de faire ce qu'on a fait pour lui, attendu que c'était un prince qui
passait par les Etats de V. M., et qu'il est de l'étiquette de faire de
telles démonstrations, dans les voyages de ce genre, à l'égard de tout
prince étranger, quand même il n'y a pas le concours de circonstances
et de titres qui se réunissaient dans la personne du roi d'Angleterre.
Le Conseil est d'avis qu'au moment où l'on prenait la résolution de
recevoir le prince de Galles comme on l'a reçu d'après le rapport con-
tenu dans ces lettres, on eût bien fait d'écrire à don Alonzo de Carde-
iïas pour lui expliquer les mol ifs de ces procédés, afin qu'il pût s'en
servir auprès du Parlement dans la forme qui lui eût paru le plus
convenable. On pourrait même écrire à l'archiduc que, dans le cas où
il n'aurait pas encore fait cela, il ait à le faire maintenant. H faudrait
écrire d'ici la même chose à don Alonzo, et lui recommander, sans
qu'il fasse ni déclaration ni démarche positive, de donnera entendre,
comme si cela venait de lui-même, au Farlement, combien son bon
vouloir cause de satisfaction à V. 51.
De même il fau.t dire à S. A. l'archiduc que ce qui conviendrait le
mieux, ce serait qu'il s'en tînt aux ordres qui lui ont été envoyés
d'ici à ce sujet, et que, si quelque autre voyage ou passage se présen-
tait, la chose se fît sans éclat et avec prudence. On écrirait dans le
même sens au comte de Penaranda.
HISTORIQUES. - 335
Vil
(Page 172.)
M . de Croullc au cardinal iMazarin.
23 mai 16S0.
J'envoie à V. E. des mémoiics des tapisseries et principnux
tableaux qui sont en vente à Somerset, avec les prix qu'ils sont esti-
més, plus haut néanmoins, à ce que j'ai su, de dix schellings par aune
de tapisseries. Il a déjà été vendu plusieurs tableaux et entre autres
une grande Vénus de Tissian qui était estimée quinze cents livres
sterling, qu'un colonel du Parlement a achetée sept cents livres ster-
ling seulement; c'est elle qui fut donnée par le roi d'Espagne au roi
d'Angleterre, lors prince de Galles, en son voyage d'Espagne, que l'on
dit être une des plus belles i)ièccs du monde ; celui qui Ta achetée dit
qu'elle est trop grande pour sa chambre, et qu'il s'en dcferail s'il tiou-
vait quelqu'un qui en fût amoureux : mais je sais que ce qui lui en
donne envie est qu'elle paraît écaillée et qu'il appréhende qu'elle se
gâte, à quoi ceux qui s'y connaissent disent qu'il n'y a point de dan-
ger pourvu qu'elle soit maniée a\ec soin, et de plus qu'il est bien
aise, en cas de révolution, de n'avoir point de si giandes pièces qui
ne sont ])as aisément transportées : on l'aurait, sinon pour le [irix,
pour peu plus qu'elle ne coûte
Eslat de quelques tableaux exposés en vente à la maison de Somerset
{may 1630.)
209 tableaux estimés en tout : 20,307 scliclliiigs, ou 24,582 liv. 8 s.
Savoir les principaux :
8 Raphaël ;
21 Tilicii;
9 Corrégc ;
.') Tinloret ;
6 Ilolbeiii ;
S Riibens ;
15 Van Dyck ;
9 Jules Roinuiii, etc.
3U DOCUMENTS
Sepl poitrails du feu roi Charles l", de sa femme et de ses enfants, par
Van Dyck, estimés : 150, 60, 200, 25, 60, 30, 120 schellings.
Deux satyres ccorchés, du Corrége, estimés chacun 1000 sch.
Les douze Césars, du Titien, 1200 »
Une petite Notre-Dame, de Raphaël, 800 »
Le Voyage d'Emmaûs, du Titien, 600 »
L'Enterrement du Christ, par le même, 600 »
Une Notre-Dame, de Raphaël, 200O -.
La Maîtresse du Titien, par lui, 100 »
Un Mercure qui montre à lire à Cupidon, du Coi rége, 800 »
Les cartons de Raphaël des Actes des Apôtres, 300 »
Une grande Nativité, par Jules Romain, 500 »
Charles V, empereur, et l'impératrice, sa femme, du Titien, 30 »
Une Vierge, Christ et saint Jean, du Corrége, 50 »
Vénus et Adonis, du Titien, 80 »
Cinq Ducs de Venise, du Tiuloret, 25 »
Le duc de Mantoue, par Rubens, 30 »
Van Dyck, par lui-même, 15 »
Plus 169 pièces de tapisseries, formant diverses séries de tableaux de
THistoire sainte, de la Mythologie et de THistoire romaine, estimées en
tout 49,953 liv. st. 15 sch.
Environ 1,248,841 liv. 5 sous.
HISTORIQUES. 33S
VIII
(Page 175.)
1° M. de Croullé au cardinal Alazarin.
Londres, iO janvier 16g0.
Aussitôt que les ordres pour le retour de l'ambassadeur d'Es-
pagne ont été divulgués, le lord Ascham a été nommé par le conseil
d'Etat pour aller résident en Espagne ; il fut peu de temps après voir
ledit ambassadeur, et lui faire une simple civilité, qui n'ayant, à ce
que l'on dit, été reçue que fort froidement avec témoignage qu'il dou-
tait que le roi son maître reçût bien un envoyé de ceux qui persécu-
tent sans relâche ceux de sa religion, le maître des cérémonies y a
depuis été, par ordre du conseil d'État, sur la plainte faite par ledit
ambassadeur de ce qu'une compagnie de soldats, sous prétexte du
payement de quelques taxes, a été dans sa maison, où elle a fait plu-
sieurs insolences, et lui porta un résultat du Conseil, signé du Parle-
ment, dans lequel il est qualifié ambassadeur, qui désavoue l'action
dont il lui promet toute satisfaction, et de plus qu'ayant su les termes
sur lesquels il en est de son retour, bien qu'il ne leur ait rendu aucu-
nes lettres de créance, voulant reconnaître les témoignages d'affection
qu'il a montrés à cet Etat, ils désirent, en étant avertis, lui faire
toutes les civilités qu'ils pourront et qu'ils savent être dues au minis-
tre d'un si puissant prince. Le général, le jour précédent, sur le même
sujet de sa plainte, lui envoya l'adjudant général de son armée pour
lui donner les mêmes témoignages de satisfaction, et le pria d'envoyer
quelques uns des siens à leur conseil de guerre pour en faire enten-
dre le détail ; à quoi l'ambassadeur dit que tout consiste à l'insolence
que des gens ont eue d'entrer dans sa maison et en violer le respect;
et sur ce que l'adjudantse déchargea sur ce qui concerne ceux qui les
ont conduits, comme n'étant point sujets à leur juridiction, l'ambas-
sadeur lui dit que c'était un alderman qu'il lui nomma, qui a le dépar-
tement du quartier où est sa maison, et se laissant sans doute empor-
ter à son ressentiment, ajouta que ce gouvernement n'a point de
plus passionnés ennemis que cet alderman et autres de la faction
presbytérienne.
336 DOCUMENTS
Cette résolution prise d'envoyer ledit lord Ascham en Espagne,
justement au moment de la retraite dudit ambassadeur, qui, ce semlile,
la devait plutôt empêcher, jointe à ce que ces messieurs-ey ont dit
plusieurs fois qu'ils ne hasarderont jamais d'envoyer qui que ce soit
sans être assurés de son admission, fait croire qu'ils le sont déjà, ou du
moins qu'il y a tant de disposition qu'ils n'en doutent point....
2° M. Scrvien à M. de Croullé.
28 janvier 1650.
Monsieur,
J'ai reçu votre du 17« du courant. Les avis que j'ai de Madrid
ne se trouvent pas fort conformes à ce qui s'est publié à Londres de
la réponse que le roi d'Espagne a faite au milord Cottiiiglon. Vous
marquez que ledit roi a répondu qu'il ne se mêlait point des différends
entre les rois et leurs parlements, et que, sur celte présupposition, le
maître des cérémonies avait été chez l'ambassadeur Cardenas lui té-
moigner, par ordre du Parlement, quelque gratitude de cette réponse.
Cependant la vérité de la chose est que Cottinglon ayant demandé
assistance de la part de son maître au roi Catholique, on lui avait ré-
pondu que Sa Majesté n'avait pas au monde une plus grande passion
que de pouvoir lui témoigner, par des effets solides, combien elle dé-
testait l'exécrable action de la mort violente du roi, son père; que
c'était la cause commune de tous les rois; qu'il fallait que tous eus-
sent continuellement dans l'esprit le dessein d'en prendre la ven-
geance; que pour lui il y contribuerait avec plaisir plus que nul
autre; mais que l'état de ses affaires présentement ne lui pouvait
permettre de donner les assistances qu'il souhaiterait qu'après la con-
clusion de la paix avec la France ; qu'il avait contribué et continuerait
encore de contribuer toutes les facilités qui dépendraient de lui pour
l'avancement de celle paix ; mais qu'il fallait que S. M. B. tournât ses
olTices du côté de la France, pour la presser de se relâcher sur divers
points essentiels du traité, et parliculièrement sur la restitution de la
Catalogne; et que, s'il obtenait cela de nous, il pouvait être assuré
que, quand même la France ne concourrait point à son rétablisse-
ment, il lui donnerait de belles assistances d'argent, d'hommes et de
vaisseaux, qu'il ne serait pas longtemps sans avoir mis tous ses sujets
à la raison, et sans se voir avec autant de puissance et d'autorité que
ses prédécesseurs en aient jamais eu.
HISTORIQUES. 537
Voilà la pure vérité des négociations qu'a eues jiisques ici lemilord
Cottington, que je sais d'un lieu à n'en pouvoir douter. J'ai été bien
aise de vous en informer afin que vous vous en prévaliez dès delà pour
le service du roi; d'autant plus que je suis averti par la même per-
sonne que le roi d'Espagne envoie ordre à Cardenas de déguiser le fait
de toute autre façon, et d'insinuer aux principaux du Parlement que
la France s'est relâchée depuis peu de beaucoup de points essentiels
de la paix générale, afin d'être bientôt en état de travailler de toutes
ses forces au rétablissement du roi de la Grande-Bretagne ; que, pour
lui, il était résolu de continuer la guerre jusqu'à ce qu'il eût recouvré
tout ce qu'il avait perdu, mais qu'il fallait en échange que le Parle-
ment d'Angleterre lui eu donnât le moyen en fomentant la sédition
de Bordeaux, et lui donnant des assistances sous main, parce qu'au-
trement il serait contraint de prendre son parti, et d'accepter les con-
ditions avantageuses que la France lui offrait.
Maintenant que vous serez informé de ce que Cardenas a charge
d'insinuer dans les esprits de delà, vous aurez beau champ de faire
une contre-batterie en publiant la vérité du fait, qui est tout autre
que ce qu'il dira, et faisant connaître que cette couronne est résolue
de tenir ferme sur les points du traité qui sont encore contentieux, et
notamment sur la restitution de la Catalogne ; mais que, pour nous
fortifier dans cette résolution, il faudrait que le Parlement d'.\ngle-
terre nous fournît sous main qucl(|ues assistances d'hommes ou d'ar-
gent, pour nous donner moyen de nous défendre des grands prépa-
ratifs que les Espagnols font pour nous attaquer de tous côtés la
campagne prochaine.
Cependant qu'il serait assez difficile, dans la disposition où sont les
esprits de delà, d'en tirer ces soi'tes d'assistances, il faut au moins
que vous ayez toujours pour but d'empêcher qu'ils n'en donnent aux
ennemis, sur les (âusses suppositions que Cardenas leur fera. Je ne
m'étendrai pas davantage sur ce sujet, remettant à votre prudence et
à votre adresse d'en tirer le fruit (|ui se pourra, et, comme je dis, en
tous cas nous garantir des préjudices que les artifices de Cardenas nous
pourraient faire.
La même personne me marque que le Roi d'Espagne a donné ordre
à Cardenas de se garder bien de donner aucun écrit, ni de tiaiter tout
ceci (|ue, comme il ledit, exlrajadicialnicntc, se contentant de parier
en secret aux principaux du Parlement, sans faire aucun acte |)osilif;
et vous venez en efl'et rpi'il se conduira de cette soi te, ce (|ui vous fera
juger combien a eu peu de fondement la question de ceux qui vous
ont demandé si vous aviez ordre, aussitôt ([ue l'ambassadeur il'Es-
pague aurait présenté des lettres de créance et demande audience, de
i. W
338 DOCUMENTS
faire de même. II ne se peut rien de plus avisé que la réponse q»ie
vous avez faite à cette question ; cependant leurs MM. désirent que
vous vous conduisiez avec la même circonspection que le roi d'Espagne
ordonne à son ministre.
On me marque encore que Cardenas a ordre d'unir, autant qu'il le
pourra, le Parlement d'Angleterre avec la province de Hollande en
particulier : ce qui vous doit obliger à une conduite contraire, sans
pourtant paraître ; me remettant, sur ce point, à ce qui vous aura élé
mandé par le sieur Brasset, en conséquence des dépêches que je lui
ai écrites.
HISTORIQUES. ggÔ
IX
(Page 176.)
1» J'y. Ser vieil à M. de Croullé.
6 novembre 1649.
Monsieur, j'ai reçu vos lettres auxquelles pour réponse je vous dinii
qu'il faut que vous insinuiez toujours de delà qu'on ne songe ici qu'à
entretenir une bonne correspondance avec l'Angleterre, et à remédier
à tout ce qui pourrait avoir apporté de la difficulté au commerce, et
causé mauvaise satisfaction. Mais pendant qu'on travaille ici à donner
bon ordre à tout, il est juste qu'on fasse de même à Londres, el on
verra s'il y a de l'artifice et de la dissimulation en nos paroles lors-
qu'elles portent assurance qu'on veut vivre en une parfaite intelli-
gence avec l'Angleterre.
On a renouvelé avec tant de rigueur les ordres pour toute la navi-
gation, et pour réparer les dommages que M. Augier a représenté que
divers marchands avaient reçus, que je suis assuré que les plus criti-
ques et mal afTectionnés à cette couronne seront obligés d'avouer
qu'on veut entièrement remédier à tout ce qui peut altérer la bonne
correspondance qui est entre les deux royaumes.
Si, après l'expédition d'Irlande, M. Cromwcll vient en France,
étant, comme il est, personne de mérite, il y sera bien reçu, car assu-
rément tout le monde l'ira recevoir au lieu où il débarquera ; mais je
ne crois pas qu'on lui conseille d'entreprendre un semblable voyage.
On m'assure de Bruxelles que l'ambassadeur d'Espagne, qui est à
Londres, sera rappelé sous prétexte que l'aicbiiluc a des affaires à
conférer avec lui. Je vous prie de ne perdre aucune conjoncture pour
donner au Parlement les dernières défiances des Espajjnols, ce que je
ne doute [tas que vous fassiez fortement et adroitement en toutes
sortes de rencontres.
2" M. de Croullé au cardinal Muzarin.
Londres, 15 notemhre 16J'.l.
Ainsi, monseifjneur, j'ai lieu de per.';é\érer dans ma créance
que l'on ne traitera d'aucune chose, je ne dis pas sans reconnaissaucc,
MO DOCUMENTS
mais du moins sans une adresse particulière au parlement d'Angle-
terre, qui de cette sorte, ayant été ci-devant faite du vivant du défunt
roi d'Angleterre, pourrait être prise comme une suite et non pas
comme une nouveauté, leur reconnaissance ne pouvant être inférée
que de l'admission de leurs ambassadeurs, s'ils en envoyaient, et non
pas d'une simple lettre du roi, qui, portant dans cette mauvaise con-
joncture de temps les affaires dans l'adoucissement, pourrait être d'un
plus grand avantage au roi d'Angleterre même que ne saurait être la
mauvaise intelligence avec la France, à laquelle on n'a ici que trop de
disposition ; la suite qui en pourrait être appréhendée est que bientôt
après ils n'envoyassent, et que par là on ne tombât dans l'embarras
que l'on veut éviter
(Et plus bas, clans la même lettre :)
Ce qui se dit du dessein de Cromwell de passer en France pro-
cède de ceux qui le désirent pour de différents intérêts ; et pour ce
on lui fait dii e quantité de clioses que j'ai toujours négligé d'écrire
comme étant sans certitude et sans apparence, et entre autres que,
regardant ses cheveux déjà blanchis, il a dit que, s'il avait dix ans de
moins, il n'y a point de roi dans l'Europe qu'il ne fit trembler, et
qu'aj'ant un meilleur motif que le défunt roi de Suède, il se croyait
encore capable dç faire plus pour le bien des peuples que n'a jamais
fait l'autre pour son ambition
3° Le même cm même.
Londres, 0 décembre 1649.
Monseigneur,
Je reçus samedi au soir la lettre dont il a plu à Votre Eminence de
m'honorer du 26 du passé, qui me fut apporléede la poste tout ou-
verte, où elle avait été reportée au conseil d'Etat, après y avoir de-
meuré depuis le mercredi au soir. Le respect n'ayant pas été gardé
pour ce qui venait de Votre Éminenee, je ne dois pas trouver à redire
que toutes mes autres lettres aient eu la même destinée; mais bien
que, quelques ombrages que ces messieurs ici puissent avoir, ils se
soient oubliés jusqu'à en user de telle sorte, après avoir bien examiné
en moi-même de quelle sorte je devais me comporter, j'ai jugé que le
meilleur était de le passer sous silence, ayant su que le conseil d'Etat
n'aurait pas mieux aimé sinon que j'en eusse fait bruit, afin d'avoir
HISTORIQUES. Ul
prétexte à me demander en vertu de qtioi et de quelle autorité je
suis ici, et de là prendic occasion de faire querelle, que j'éviterai avec
autant de soin que j'apporterais de résolution si j'étais daus un temps
où l'on dût témoigner tous ses ressentiments, ou qu'il me lût com-
mandé de le faire. Votre Eminence, monseigneur, jugera bien que
c'est leur but de ce qu'ayant jiroposé moi-même à quelqu'un qu'en
cas que mes lettres eussent été ouvertes, on les fît recacbeter et que
je les prendrais comme sans m'en apercevoir, ils n'ont pas seulement
voulu se servir de cet expédient, mais qu'elles m'aient été rendues
toutes ouvertes, afin que je ne pusse douter qu'ils l'ont ainsi voulu...
Je passe plus avant que je n'ai fait ci-devant, et dis que non-
seulement nous ne pouvons espérer aucune correspondance avec ces
messieurs ici, s'il ne leur est rendu une lettre du roi qui autorise de
traiter avec eux, mais que sans cela nous ne devons presque pas dou-
ter d'une prompte rupture. Les causes qui les y obligent sont assez
connues, il me serait superflu d'en faire une déduction ; mais, pour
les cacber d'un prétexte spécieux, ils ne manqueront pas de se servir
de celui de la religion, et pour ce de ne rien omettre pour obliger ceux
de la leur de remuer en France, afin de pouvoir aussitôt accourir à
leur secours. Pour cet effet, l'on m'assure qu'il y a quantité d'émis-
saires, plusieurs de Jersey et Guerncsey, qui passent pour Normands,
et quelques autres encore, entre lesquels on dit être un médecin alle-
mand dont je tàcberai d'apprendre le nom et de quelle façon il est
fait, qui ne travaillent qu'à les pousser à se soulever par la promesse
d'un grand secours dont ils les assurent. De ce côté ici, outre que l'on
soupçonne fort qu'ils ont reçu des lettres de Bordeaux qui les appel-
lent, et quoiqu'il n'en soit venu personne exprès, c'est une cliose
assez facile à négocier parce qu'il y a ici quantité de marchands de ce
pays-là qui sont de la religion, et même des catholiciues, par le moyen
desquels la cliose peut être aussi adroitement et ])lus secrètement
faite que par un envoyé. Un gentilhomme m'a assuré que l'on lui a
offert emploi pour ce pays-là, et qu'il y en a plusieurs de sa connais-
sance qui y sont engagés, et qui avaient été arrêtes par Cromwell, dès
auparavant son départ, par la promesse de cet emploi. Autant que
ma faible lumière peut me donner de jour, je ne vois pas que \\m
puisse éviter en France ou de s'accommoder ou de rompre avec ces
gens ici dans fort peu de temps, si ce n'est que l'on leur ])uisse pro-
curer d'ailleurs tant d'affaires qu'ils n'aient pas le loisir de penser à
celles des autres. Cet accommodement, si l'on en prenait la résolu-
tion, serait un moyen de divertir l'orage qui se forme, et comme la
nécessité l'aurait fait faire dans un temps, la raison dans un autre
serait assez forte pour s'en départir. Si cela était, je pourrais pcut-
2'.».
342 DOCUMENTS
être tirer assurance que l'on n'enverrait point sitôt d'ambassadeur
en France, ou du moins qu'ils n'en eussent auparavant dépêché un
en Espagne, dont la proposition peut être assez appujée de l'honnêtetc
publique qui y répugnerait, la reine de la Grande-Bretagne étant
présente et en étant fille. Sur ce que plusieurs leur ont objecté, mais
non pas moi, qu'il faut, avant que de pouvoir être reconnus par les
princes et Étals, qu'ils leur fassent savoir par des ambassadeurs ce
qu'ils sont, deux des plus considérables du conseil d'Etat, avec les-
quels j'étais en discours il y a quelques jours, me dirent que ce qu'ils
avaient fait étant public, personne ne le pouvait ignorer, et qu'encore
qu'ils n'en aient pas averti les princes par des ambassadeurs, ce n'est
pas qu'ils ne le voulussent bien, et que pour ce, si l'on les veut as-
surer qu'ils seront admis, ils en enverront partout avant qu'il soit
huit jours, mais que de les hasarder dans l'incertitude, c'est ce qu'ils
ne feront jamais; que dès lors qu'ils seront recherchés par la France,
ou que l'on y voudra recevoir leurs ambassadeurs, ils seront tout
prêts de renouveler tous les traités d'alliance d'entre les nations, mais
que de se tenir toujours dans l'incertitude, et d'attendre notre temps
pour cependant perdre le leur, c'est ce qu'ils ne feront point, et qu'il
leur faut nécessairement être uns ou autres ; que pour témoigner
que leur intention est telle, aussitôt que les défenses de ce qui con-
cerne le négoce auront été révoquées en France, ils feront le même,
dont ils me donnaient leur parole; que leur intérêt, disent-ils, les
y porte assez ; mais que néanmoins celui de l'observation de leurs ré-
solutions prévaudra à tout autre.
4" Le même au même.
Londres, 7 novembre 1650.
Ce que m'écrit M. le comte de Brienne m'ap-
prend qu'en cas que ces gens-ci envoient en France, l'on est résolu
d'écouter cl de recevoir leur envoyé, mais non pas assurément con-
naître si, pour prévenir l'union que l'on croit toujours qui se conclura
bientôt entre eux et l'Espagne, on désirerait qu'ils le fissent; en ce
cas, je pense que, si la crainte de n'être pas bien reçus les a jusqu'ici
retenus, quand ils seront assurés du contraire, ce qui se pourrait faire
adroitement et sans qu'il parût que la recherche en vînt du côté de la
France, il serait aisé de les y porter et de faire choisir quelqu'un qui,
s'il n'était pas des plus affectionnés, du moins aurait la disposition de
le devenir; et lors j'ose presque assurer qu'en leur ôtant cette jalousie
HISTORIQUES. 343
qu'ils ont, il serait fort facile d'accommoder tout cela, cl qu'ils se
contenteraient, pour la satisfaction des demandes qui ser\ iraient de
prétextes à leur envoi, de faire compensation pour partie avec les
prises qu'ils ont faites, et pour le surplus de prendre des assurances
plutôt pour la forme que pour le retirer, ne faisant point de doute
que, bien qu'ils affectent l'indifférence sur la reconnaissance de tous
les princes, ils achèteraient pourtant celle de France avec une amitié
ferme beaucoup plus que tout cela
Ainsi, monseigneur, par la connaissance que
V. E. a des intérêts des Etats et la particulière de celui-ci, à laquelle
tout ce que je puis lui mander n'ajoute aucune lumière dans la bonne
posture oii il se trouve, elle jugera, s'il lui plaît, s'il est ou non du
bien de la France de s'accommoder avec eux. Leur nouvelle républi-
que se fortifie de tous côtés; l'Angleterre est toute paisible, sans qu'il
y ait un seul pouce de terre qui ne les reconnaisse, et ne soit bien
assuré; l'Irlande est presque toute assujettie, et outre les intelli-
gences qu'ils ont en Ecosse, elle a reçu de si grandes pertes qu'il ne
se peut qu'elle n'en soit très-affaiblie. Les Ecossais de plus sont
divisés entre eux, et il semble que toutes choses ensemble concourent
à raffermissement de ces gens ci et à la perte tant du roi de la Grande-
Bretagne que de ceux qui se joignent à lui. De plus ils sont puissants
par mer et par terre; ils vivent sans ostentation et sans faste, sans
émulation entre eux, épargnent pour leur particulier et prodiguent
pour leurs affaires publiques auxquelles chacun travaille comme dans
les siennes propres; ils ont grande quantité d'argent qu'ils adminis-
trent bien, observent une très-sévère discipline, récompensent bien
et punissent sévèrement. Je sais bien que, dans le dessein dont ils ne
se cachent point de vouloir détruire toutes les monarchies, tous les
princes sont intéressés à les perdre, à quoi leurs crimes obligent tout
le monde en général de contribuer; mais je pense que, n'étant pas
encore en état de le faire, il est meilleur de conniver pour un temps
et les retenir, qu'en se tenant trop fermes les porter à faire ce dont
les ennemis de la France ne manqueraient de se prévaloir. Pour
ajouter à mon sentiment et à celui de beaucoup d'honnêtes gens celui
que l'on public, je vous dirai que l'on tient ici la guerre avec la
France si infaillible que, si l'on voulait y faire des gageures sur ce
sujet, on le pourrait pour de grandes sommes, qu'avant qu'il soit la
fin du printemps, les Anglais auront une armée de France. . . .
sa DOCUMENTS
5° Duti Alonzo de Cardends au roi Philippe IV.
Londres, dS août iC49.
Sire,
Dans ma dépcclic du 2'î juillet, j'ai informe V. M. que le gouverne-
ment de ce pnys se proposait d'envoyer à son agent, qui depuis deux
ans réside en Flandre, de nouvelles letlres de créance qui l'accrédi-
(ent auprès de rarcliiduc. J'ai également informé V. ]M. du mécon-
tentement qu'avait cause ici la nouvelle des rapports que le conseiller
Brun, comme amhassadenr de V. 31., a eus avec le |)rince de Galles;
on a publié la copie de la lettre que V. M. a écrite au prince pour lui
exprimer ses condoléances à l'occasion de la mort de son père ; on a
relevé le titre de roi de la Grande-Bretagne dont V. M. s'était servie
cl les manifestations et l'accueil solennel qui ont été faits au prince en
Flandre. Ce que j'ai à dire dans ce moment à V. M., c'est qu'aussitôt
que ces nouvelles sont arrivées ici, le Parlement a repris le projet
d'envoyer des agents en Espagne, en France et auprès d'autres répu-
bliques et cours souveraines; mais comme je n'ai pas entendu dire,
jusqu'à ce moment, qu'on ait encore envoyé des lettres de créance à
l'agent qui est à Bruxelles, et comme je n'ai pas été informé par des
avis de Flandre que l'agent les ait présentées, il est à croire que le
Parlement a changé d'avis ou suspendu sa décision. On me dit que
depuis dix jours on discute dans le conseil d'Etat la question de savoir
si l'on doit envoyer ces personnes comme simples agents du Parle-
ment ou comme ambassadeurs : on ajoute que la première qui doit
être envoyée le sera en Espagne, dans rii3'potbèse qu'elle y sera
reçue plutôt que parlout ailleurs ; ce qu'on infère de mon séjour ici,
car on ne peut pas admettre qu'il en soit autrement du moment que
V. Bl. a ici un ambassadeur. Dans le cas où celui du Parlement ne
serait pas reçu en Espagne, on me ferait sortir d'ici dans le plus bref
délai. On m'assure qu'il en a été décidé ainsi, et qu'on fera la même
chose à l'égard de l'ambassadeur de Hollande à qui l'on s'est plaint
amèrement de ce que les Etals généraux (à l'exception de la province
de Hollande) n'ont pas voulu reconnaître la nouvelle République, ni
reconnaître comme son ambassadeur un personnage du Parlement
qui se trouvait à la Haye, à qui le Parlement avait cn^ oyé des lettres
de créance après la nmrt de Dorislaiis, bien que l'ambassadeur des
États, lorsqu'il vint avec Adrien Pauw intercéder en faveur du feu
roi, fût porteur des lettres de créance des Etats généraux auprès du
HISTORIQUES. 54îJ
Parlement. Il est vrai qu'alors on supposait qu'il clail accrédite au-
près de la couronne (d'Angleterre) et que le Parlement ne s'clait pas
encore érigé en pouvoir souverain et n'avait pas encore cliangc le
gouvernement monarchique en républicain. Le Parlement demande
que cet ambassadeur lui présente maintenant de nouvelles lettres de
créance; un mécontentement à ce sujet commence à se faire jour
entre le Parlement et les Étals généraux, et il s'accroît surtout de-
puis que les bâtiments du Parlement se sont emparés d'un navire
dWmsterdam qui se rendait en Irlande avec une cargaison d'une va-
leur considérable, lequel navire sera considéré, dil-on, comme de
bonne prise, malgré les démarches et les menaces que l'ambassadeur
des Etals généraux fait pour en obtenir la restitution. On peut juger
par ce fait de l'orgueil de ces gens et de leurs procédés envers leurs
voisins, quoiqu'ils aient besoin d'eux.
J'ai commencé à faire des démarches par l'entremise de quelques
membres du Parlement qui se montrent nos amis, pour faire com-
prendre à ces gens-ci, comme si cela venait de moi seul, qu'il ne leur
est d'aucun avantage de presser leur résolution d'envoyer quelqu'un
en Espagne, et que si les envoyés du prince de Galles ne se rendent
pas en Espagne (les gens du Parlement avaient entendu dire comme
probable qu'ils s'y rendraient, par suite des relations que les minis-
tres de Flandre ont eues avec le résident Vie, ce que j'ai interprété
commeun acte de neutralité),jc regarderais comme une résolulion pru-
dente de la part du Parlement de ne pas presser l'envoi de ses agents
jusqu'à ce que la question soit bien mûrie etjusqu'à ce que le Parle-
ment ait bien établi sou pouvoir et raffermi ses affaires. Je ne sais
quel sera le résultat de ma démarche; mais quel qu'il soit, j'en ren-
drai compte à V. 31.
Que Dieu garde V. M., etc.
6° Délibération du Conseil d'Etal d'Espagne sur tes a/ftiirrs
d'Angleterre,
Madrid, le 'J oclobio 1019.
Ont pris part au Conseil le comte de Monleiey, don Frimcisco de
Welo et le marquis de Valparaiso.
Sire,
Conformément aux ordres de V. M., le Conseil a jiris connaissance
des deux lettres de don Alonzo de Cardciîas en date du 15 aoiit dans
346 DOCUMEJVTS
lesquelles, entre autres choses, il parle de la résolution que le Parle-
ment avait prise d'envoyer en Espagne, en France et auprèsdesautres
Etats , des résidents ou ambassadeurs. Il dit aussi que Cromwell
n'était pas encore parti pour l'Irlande, et qu'on croyait que s'il y al-
lait, les presbytériens profiteraient de son absence pour recouvrer ce
qu'ils ont perdu, et qu'ils se mettraient en rapport avec Ormond; il
dit aussi que les troupes du prince de Galles commandées par Inchi-
quin avaient pris d'assaut Tredagh et qu'Ormond se trouvait devant
Dublin. Le Conseil, après avoir examiné ces divers points, a émis
l'avis suivant :
Le comte de Monterey pense que ce qu'il y a de plus utile pour le
service du roi relativement à l'Angleterre, c'est de ne point se pro-
noncer ni pour le roi ni pour le Parlement, jusqu'à ce que l'on voie
quelle tournure prendront les affaires et quel parti aura le dessus; et
qu'il vaudrait même mieux que le parti du Parlement l'emportât sur
celui du roi, tant à cause du peu d'obligations qu'on doit à son père,
que parce qu'on pourrait obtenir du Parlement plus d'avantages. On
avait déjà appris que le nouveau roi d'Angleterre allait envoyer à
cette cour don Francisco Cottington et un autre ambassadeur, et
V. M. a résolu qu'on écrirait à S. A. l'archiduc (c'est ce qu'on a fait
déjà) que, si ces personnes passaient i)ar les Flandres, il cherchât à
s'informer quelles étaient leurs instructions et rendît compte de tout;
qu'en outre, l'archiduc cherchât à les retenir jusqu'à ce qu'il eût reçu
une réponse d'ici ; mais que, s'ils voulaient absolument continuer
leur route, il les laissât faire. D'un autre côte, on a ordonné aux fonc-
tionnaires qui sont dans le Guipuzcoa que, si ces personnages y ve-
naient, ils eussent à les y retenir en leur faisant toute sorte de poli-
tesses, et qu'ils attendissent également la réponse de V. M. Le comte
pense que l'on pourrait tenir la même conduite à l'égard des person-
nes que le Parlement enverrait ici, en expédiant des ordres dans les
Flandres, pour le cas oîi ces ambassadeurs viendraient à passer par là,
ainsi qu'à don Alonzo de Cardcnas et dans les ports d'Espagne. Lors-
qu'il s'agira ensuite de prendre une résolution définitive, V.3I. vou-
dra bien ordonner à don Alonzo de Cardenas de lui faire exactement
connaître quelles sont les forces dont le Parlement dispose et jusqu'à
quel point il est bien établi ; don Alonzo devra aussi informer V. M.
des forces du roi, et de ce qu'il peut en avoir en Angleterre, en Ir-
lande et en Ecosse, ainsi que de la part de ses alliés.
Don Francisco de 3Ielo est du même avis que le comte de Monterey ;
il ajoute qu'il croit que les affaires d'Angleterre doivent être traitées
sans aucun piincipc arrêté et sans aucune détermination de la part de
V. M. Sur la question de savoir s'il lui conviendrait d'y voir le roi
HISTORIQUES. Zil
rétabli ou un gouvernement républicain fondé, ou bien que la lutte
entre les deux se prolonge, il pense que c'est le moment de tirer de
là quelque fruit contre la révolte du Portugal et les conquêtes de
l'Angleterre; il désirerait savoir ce que V. M. voudra bien ordonner
pour qu'on puisse atteindre ce but.
Le marquis de Valparaiso exprime le même avis que le comte de
Monterey. V. M. ordonnera ce qui lui paraîtra le plus convenable.
(Il y a un parafe de la main du roi portant : « Qu'il soit fait selon
l'avis du Conseil. »)
3iS DOCUMENTS
(Page 188.)
M(hnoi7'e présenté au roi Philippe IV par lord Coifingfon
et sir Edouard Hyde, amijassadeurs de Charles II.
Sire,
Nous sommes persuadés que V. M. est bien convaincue de noire
entier dévouement à son service et que, depuis que nous avons eu
l'honneur d'être reçus à cette cour, nous avons, comme il convient à
des serviteurs fidèles de V. Bl., joint au zèle pour le service du roi
notre maître le respect et la considération dus à V. 31., prenant soin
de ne rien proposer qui pût causer des embarras à V. BI., ni être à
l'avantage de ses ennemis. Nous avons toutefois le ferme espoir que,
lorsque Dieu, dans sa grande miséricorde, aura fait incliner les cœurs
des ennemis de V. Bf. à une juste paix et l'aura dégagée des guerres
qu'Elle a maintenant à soutenir, V. M. ne manquera pas de prendre
à cœur la cause si juste du roi de la Grande-Bretagne, qu'Elle s'y
portera avec une vigueur qui répondra à ses nobles dispositions de
roi et de chrétien, et qu'en attendant V. BI. prêtera au roi notre
maître autant d'assistance que ses propres affaires le lui permettront,
et qu'Elle l'encouragera à conserver la confiance qu'il a eue en se je-
tant entre les bras de V. M. avec la résolution de ne contracter point
d'autres amitiés que celles qui s'accorderont avec la sympathie qu'il
professe pour la religion catholique et pour les intérêts de Y. Bl.
Ce dévouement pour le service de V. BI., qui s'unit chez nous au
zèle et à la sollicitude pour l'honneur et les intérêts du roi notre maî-
tre, nous oblige à dire à V. BI. que nous avons appris qu'il a débarqué
dans l'Andalousie un individu employé comme agent des cruels et
sat)guinaires rebelles d'Angleterre, et ([u'il se rend auprès de cette
cour avec des lettres pour V. BI. que lui adressent ces assassins. Nous
sommes informés qu'il a pour mission principale de corrompre les
Anglais qui, en vertu des traités, résident dans les Etals de V. M.,ct
HISTORIQUES. 349
de les faire renoncer à l'obcissance et à la fidélité dues à leur roi, en
leur proposant certains serments dont il apporte la formule,'ct à l'aide
des menaces et autres moyens. Il est lort naturel de croire qu'il aura
aussi reçu, parmi ses instructions, celle de travailler à répandre dans
l'esprit des sujets de V. M. le même venin, cette doctrine si conta-
gieuse qui enseigne la haine de tout gouvernement, de toute autorité,
surtout de l'autorité monarchique, et de chercher à leur inoculer
l'esprit d'égalité et d'anarchie. Cet individu ne prétend pas en effet
être envoyé par quelque usurpateur armé contre son roi légitime; il
vient au nom de cette populace infâme qui a livré la dignité et les
saintes fonctions des rois au mépris et à la tyrannie populaire, et qui
a baigné ses mains dans le sang de son roi oint et couronné, sans au-
cune autre raison ni prétexte sinon parce qu'il était roi ; ces gens-là
se déclarent publiquement ennemis de tout gouvernement monar-
chique; et dans ce statut, ou acte du Parlement, comme ils l'appel-
lent, par lequel ils veulent annuler et détruire le gouvernement
monarchique de l'Angleterre, ils attaquent tous les autres, mais par-
ticulièrement et avec une insigne méchanceté et insolence la personne
sacrée de V. M.; et ils critiquent avec une grande arrogance la con-
duite si juste et si prudente de V. M. dans son royaume de Naples,
cherchant ainsi à exciter les sujets de V. 31. dans ce royaume. Dans
le cas où V. M. n'aurait pas été suffisamment informée de tout cela,
nous lui présenterons, si Elle l'ordonne, une copie de l'acte dont nous
parlons.
Nous sommes trop bien informés et trop persuadés de l'horreur
dont le cœur de V. 31. est rempli envers ces rebelles et régicides pour
craindre qu'Elle consente à faire à cet individu un accueil de nature
à donner quelque crédit à ceux qui l'ont envoyé j et nous ne pouvons
imaginer que V. 31. Très-Catholique, étant le premier et le seul prince
à qui le roi notre maître ait offert non-seulement une amitié perpé-
tuelle, mais encore tout ce qu'il a et tout ce qu'il peut espérer, soit
le premier et le seul souverain qui, par .ses faveurs, donne du crédit
et du poids au nouveau gouvernement et à l'autorité de ces rebelles
qui ont si odieusement mis à mort le père du roi. C'est pourquoi nous
représentons humblement à V. 31. et nous portons à sa connaissance,
comme ses serviteurs dévoués, que tant que cet individu restera dans
les États de V. 31., il serait nécessaire qu'une surveillance fût exercée
sur sa conduite, ses intrigues et ses discours, de peur qu'il ne prenne
lui-même une influence funeste à la paix et à la tran(|uillilé de V. M.
et de ses Étals. Nous prions donc V. 31., de la pat t de notre maître cl
au nom de son honneur, que cet individu ne jouisse, dans cette cour,
d'aucun accès ni d'aucune faveur qui attirent vers lui les Anglais ré-
1. iîO
SSO DOCUMENTS
sidant dans les Étals de V. M. et à l'aide desquelles faveurs il puisse
les corrompre et les détourner de la fiJélité due à leur souverain légi-
time, ce qui pourrait bien arriver si ces Anglais trouvaient ici protec-
tion par une autre intervention que celle du roi notre maître.
Que Dieu garde et fasse prospérer votre personne Très-Catholique,
comme nous le désirons et comme le monde entier en a besoin.
COTUNGTON. HyDE.
HISTORIQUES. 3S1
XI
(Page 188.)
i" Première délibérât ion du Conseil d' Étal d'Espagne stir les demandes
des amOussadeiirs de Charles II.
Madrid, 10 mai I6S0.
Le conseil d'Etal, auquel ont pris part don Francisco de Melo et le
marquis de Valparaiso, exprime son avis sur le contenu du mémoire
présente par les envoyés du roi d'Angleterre.
Sire,
Conformément aux ordres de V. M. du 21 avril dernier, on a pris,
dans le Conseil auquel ont pris purt don Francisco de JIclo et le mar-
quis de Valparaiso, connaissance du mémoire p^é^enté à V. .M. par
les ambassadeurs du roi de la Grande-Bretagne. Ils y expriment leur
ferme espoir queV. M. appuiera sérieusement la cause de leur maître;
ils disent ensuite que, mus par le zèle sincère de servir V. M., ils se
sont vus forcés, en apprenant l'arrivée d'un ministre envoyé par le
Parlement auprès de cette cour, d'informer V. M. que ce ministre est
chargé par ses instructions d'exciter les Anglais qui sont au service
de V. 31. à renoncera l'obéissance due à leur roi ; ils en infèrent aussi
qu'il cherchera à répandre, dans l'esprit des sujets de V. M., de la
haine et de l'aversion pour le gouvernement monarchique dont les
hommes du Parlement se sont proclamés ennemis mortels; ils signa-
lent aussi ce que le parlement d'Angleterre a fait contre V. M dans
ce statut ou acte oii il exprime un blâme sur la conduite de V. SI. à
Naples, tentant ainsi de soulever les sujets de ce pays contre V. M.;
ils déclarent que, si V. M. l'ordonnait, ils lui communiqueraient une
copie de cet acte, et prient V. M. de faire veiller à ce (|uc l'envoyédu
Parlement ne puisse, par ses intrigues, nuire au service de V. M.,
comme aussi à ce qu'on ne lui accorde pas trop d'accès et de faveur à
cette cour, ce qui pourrait porter les Anglais résidant dans les Etals
de V. BI. à manquer de fidélité à leur roi.
Le conseil d'Etat expose à V. M. qu'on pourrait répondre à ces
envoyés, si V. M. l'ordouiic, que, comme ils le savent très bleu eux-
332 DOCUMENTS
mêmes, on ne peut pas refuser d'entendre même les plus grands cri-
minels j que du reste V. M. les remercie des informations qu'ils vien-
nent de lui donner, qu'on en profitera en temps et lieu, qu'ils peuvent
fournir toutes les autres informations qui leur seraient parvenues,
qu'on les prie de communiiiucr la copie de l'acte du Parlement dont
ils ont parlé, et tout ce qui aurait trait aux intérêts de V. M., parti-
culièrement en ce qui concerne le royaume de Naples. V. M. ordon-
nera ce qui lui plaira.
(Ecrit en marge de la main du roi : « On fera selon l'avis du
Conseil. »)
2" Seconde dclibcralioti du Conseil d'État d'Espagne sur
le môme sujet.
Madrid, 22 octobre 1G50.
Le conseil d'Etat, auquel ont pris part don Francisco de Melo et le
comte de Penaranda, donne son avis sur le contenu du mémoire pré-
senté par les envoyés du roi d'Angleterre et dans lequel ils demandent
que les navires d^'leur maître soient bien accueillis tant dans les ports
de Flandre que dans ceux d'Espagne.
Par décret du ii de ce mois,'V. M. a ordonné au Conseil de prendre
connaissance, et c'est ce qui a eu lieu, d'un mémoire des envoyés du
roi d'Angleterre dans lequel ils représentent, au nom de leur roi, que
quelques-uns de ses bâtiments de guerre , étant entrés dans le port
d'Ostcnde pour s'y réparer et pour acheter des vivres, n'y ont pas
trouvé l'accueil conforme aux ordres que V. M. avait daigné donner
à ce sujet, et qu'ils ont été soumis à l'embargo, aux taxes et autres
avanies; ils supplient V. M. de faire écrire à S. A. l'archiduc afin que
tous les bâtiments de leur roi soient bien accueillis tant dans le port
d'Ostcnde que dans tous les autres auxquels ils arriveraient, et qu'il
leur soit permis d'exécuter leurs manœuvres et de s'approvisionner en
tout ce dont ils auraient besoin, conformément aux articles du traité.
Ils prient que les mêmes ordres soient donnés à tous les corrégidors
et juges de tous les autres ports, afin que lesdits navires puissent
entrer dans ces ports et en sortir librement et sans obstacle. Les en-
voyés font ressortir la grande obligation que leur maitre contracterait
envers V. M. si ces bâtiments jouissaient , dans les ports de Flandre
HISTORIQUES. 5S3
et dans les autres États de V. M., de la liberté dont ils jouissent dans
ceux de France.
Le Conseil, auciuel ont pris part don Francisco de Mclo et le comte
de Penaranda, est d'avis que V. M. pourrait faire écrire;» S. A. l'ar-
cliiduc en lui recommandant de faire bon accueil aux navires du roi
d'Angleterre dans les ports de ses États, et d'observer h leur égard
les stipulations du traité de paix, ainsi que cela s'est toujours fait.
Quant aux envoyés durci d'Angleterre, on pourra leur faire connaître
les ordres qu'on envoie à l'archiduc, mais leur dire en même temps
qu'on n'enverra pas les mêmes ordres aux autres ports avant d'avoir
appris qu'on y ait manqué aux dispositions déjà prescrites à ce sujet,
et que, si l'on apprenait (pielque chose de pareil, on ne manquerait
pas de donner des ordres convenables. V. M. ordonnera ce qui lui
plaira.
(Éciil de la main du roi : « C'est bien. »)
30.
3S4 DOCUMENTS
XII
(Page 189.)
1° Don A lonxo de Cardenas an roi Philippe IV.
Londres, 14 décembre 1649.
Sire,
J'ai appris qu'on admettait dans les ports portugais les prises que
les vaisseaux du nouveau roi d'Angleterre et les frégates d'Irlande
allant en course faisaient sur les navires et les marchandises de ce
royaume pour le compte du prince palatin Robert, que ces prises y
étaient reconnues bonnes et qu'on en permettait la vente. J'ai soup-
çonné que cette permission pouvait venir de ce que le nouveau roi
d'Angleterre, aussitôt après la mort de son père, aurait reconnu le
tyran de Portugal et admis auprès de lui, en qualité d'ambassadeurs,
des personnes quij en cette même qualité, se trouvent à la Haye et à
Paris où le nouveau roi a résidé depuis qu'il a succédé à son père.
Ayant jugé à propos de m'en assurer , j'ai écrit à ce sujet au comte
de Penaranda , lequel en ayant informé le chevalier Brun afin qu'il
s'en assurât aussi, celui-ci l'a fait comme il m'en donne avis dans sa
lettre du 29 novembre dont je joins ici copie pour V. M. En même
temps, après avoir fait des questions en France par un canal et une
main sûre quoique anglaise, j'ai obtenu par cet agent la relation ci-
incluse. Votre Majesté verra par là combien peu le nouveau roi d'An-
gleterre a profité de la fin tragique du roi son père que ses maximes
et ses fautes ont conduit au comble des malheurs. Son fils les suit
comme si le succès leur avait donné quelque autorité et comme si lui-
même n'en subissait pas maintenant les tristes conséquences. Tant
que la reine sa mère exercera, comme elle le fait, son influence sur
les résolutions du roi, et tant que les conseillers qui l'accompagnent,
pour diriger toutes ses actions, seront dans la dépendance de la reine,
ce prince, il faut le croire, suivra la conduite et l'exemple de son
père; et si maintenant qu'il est dépouillé de la couronne d'Angleterre
et qu'il risque évidemment de perdre les royaumes d'Ecosse et d'Ir-
lande, si maintenant qu'il a tant besoin du secours de V. M. pour re-
couvrer l'une et assurer l'autre, il manque à ce qu'il doit à V. M.
HISTORIQUES. 355
ce qui est juste et loyal, puisque V. M. l'a reconnu pour roi de la
Grande-Bretagne et a fait faire en sa faveur en Flandre toutes les dé-
monstrations et toutes les politesses qu'il eût pu désirer s'il eût été
possesseur tranquille de la couronne, s'il en est, dis je, ainsi main-
tenant, peut-on espérer que ce prince change d'opinion lorsqu'il se
verra en possession de tout ce qui lui appartient et qu'il n'aura besoin
de personne ?
Il m'a paru nécessaire de rendre un compte particulier à V. M. de
tout ce qui s'est passé et de tout ce que j'ai appris. La connaissance
de tout cela pourra être utile dans le cas où l'on jugerait à propos de
se plaindre de ce prince. Ces motifs de plainte, ajoutés à ceux qu'avait
déjà donnes la conduite de son père, justifieront aux yeux du monde
ce que la convenance et la raison d'Etat conseiUeronl de faire en faveur
de ce gouvernement-ci (de la république d'Angleterre), soit pour la
reconnaitre et accueillir ses ambassadeurs, soit pour entrer en alliance
avec lui si les circonstances et l'intérêt de V. M. le commandaient.
2" Le chevalier Antoine Brun à don Alonzo de Cardenas.
La Haye, le 29 novembre 1649.
A en juger parle tour que prennent ici les affaires, on peut dire
que le pauvre roi (d'Angleterre) court à sa perte sous tous les rap-
ports, à moins que Dieu ne fasse quelque miracle en sa faveur. Je me
suis assuré qu'il a reçu l'envoyé du tyran de Portugal en qualité d'am-
bassadeur, et son résident n'a pas pu me nier la chose, mais il l'excuse
en disant que, ce Portugais ayant ce titre auprès des États généraux
d'ici, son maître n'a pas pu le tiaiter autrement, car sansceia il aurait
perdu l'appui du prince d'Orange, son beau-frère. Je lui ai répondu
que déjà feu son père avait fait la même chose quoiqu'il fût à Londres,
à quoi le résident m'a dit qu'à cette époque le feu roi .son père rece-
vait la loi du Parlement, à tel point qu'il se vit forcé de signer l'arrêt
de mort prononcé contre le vice-roi d'Iilandc, son grand ami. Cela
étant, si nous avions quelque bonne alliance avec les grands du l'ar-
lemcnt d'Angleterre contre la France, nous pourrions faire ce qu'ils
désirent; mais que nous soyons les premiers à faire gratuitement un
tel acte, et seulement dans l'espoir de ce (jui peut en arriver, cela inc
parait très-dur.
336 DOCUMENTS
3o Happurl envoyé de Paris par la personne, chargée de s'assurer si
l'envoyé de Porlugal qui se trouve à cette cour, en qualité d'ambassa-
deur, a eu une entr'evue avec le roi d'Angleterre et s'il a traité «Dec
lui quelque affaire.
L'ambassadeur de Portugal a été chez le roi d'Ecosse plusieurs fois,
ainsi (|ue chez la reine d'Angleterre; il a eu avec la mère et avec le fils
plusieurs conférences et entrevues secrètes. Cet ambassadeur, ayant
quitté la France, a laissé à Paris un résident uonmié Suarez, créature
de Caialrava; ce Suarez est allé plusieurs fois chez le roi d'Ecosse; Sa
Majesté l'a reçu et a traité a\cc lui de diverses affaires, et elle a écrit
en Portugal plusieurs lettres depuis son retour de Flandre en France;
sur ces lettres elle a mis l'adresse suivante : « Au Roi de Portugal »
et » monsieur mou frère. » La reine d'Angleterre, en écrivant à la
reine de Portugal, s'est servie de celte formule: « A Madame, Madame
la Reine de Portugal, ma sœur. » Dans ces correspondances le Portu-
gais a promis au roi d'Ecosse de l'assister et de recevoir dans les ports
de ses Etats les navires du roi et les prises qu'ils pourraient faire sur
des navires du Parlement d'Angleterre, et c'est ce qui se fait.
HISTORIQUES. 357
XIII
(Page 192.)
1° 717. de Croullc au cardmal Mazuria.
Londres, 16 mai 1650.
... . Ledit ambassadeur (d'Espagne) a plusieur.s fois envoyé des
écritssignésde lui au conseil d'État, qui y oiitétc reçus et considérés,
sinon comme venant d'un ambassadeur, du moins d'une personne qui
appartient à un prince avec lequel on se veut bien entretenir.
2" Le même au même.
Londres, i juillet ICKO.
Il se dit aujourd'hui que le général Fairfax, sur le point de
partir pourrEcosse,aremis sa commission. J'eus l'iionncurde mander
à V. E., il y a quelque temps, que le Parlement avait ordonné que
tant lui que le lieutenant général remettraient leurs ancier)nes pour
en prendre de nouvelles, et que je croyais que c'était une cliosc déjà
faite. C'est, dit-on, sur l'instance de satisfaire à cet ordre qu'il a mieux
aimé remettre; à quoi il a encore été porté pai- la méfiance qu'il con-
naît que l'on a de lui, et pnr le déplaisir de ce qu'il ne lui restait que
le nom de cette charge dont Cromwell a toute l'autorité. Possible que,
quand il ne s'y serait pas porte, l'on eût trouvéquel(|ueautrc prétexte
de la lui demander, parce qu'il se dit tout baut(|ue les presbytériens,
au parti desquels sa femme le pousse toujours, irallcndcnt que de
voir l'armée engagée avec les Ecossais pour les seconder i)ar des sou-
lèvements de deçà, et que, pour cet effet, ils ont inl(>liigence avec une
partie de l'armée qui se déclarerait aussitôt, quoicpae la cliose soit
assez dilîicile |)ar le bon ordre que l'on y a mis en établissant la mi-
lice dos provinces en des mains assurées, et laissant outre cela qui'l-
ques troupes trcs-anidées en chacune. Elle n'est pouitant pas impos-
sible, nique Cronnveil n'cntrctiennelui-niême ce dessein pour donner
jour à ses ennemis de se déclarer et avoir sujet de les perdre ainsi
qu'il a fait plusieurs fois par de semblables voies...
358 DOCUMENTS
L'on m'a fait donner avis que Cromwell a reçu des lettres de
messieurs de Bouillon et de Turenne : mais je pense qu'on ne l'a dit
en confidence à ceux dont je le tiens qu'afin qu'ils me le rapportassent
et que je l'écrive, ce que, tout faux qu'il peut être et que je le crois,
j'ai jugé devoir faire, puisqu'il pourrait être que, sur la moindre re-
cherche jointe à ce que l'on mande que les brouilleries de Bordeaux
se renouvellent, ces gens-ci se porteraient à les assister d'une partie
de leur flotte qui est à Lisbonne.
3" Le même au même.
Londres, 12 septembre 1650.
Un homme de ma connaissance m'a dit avoir reçu lettres d'Al-
lemagne d'un de ses correspondants, qui est homme intelligent, qui
lui mande que, s'étonnant de voir au lieu où il est tant de monnaie
d'Angleterre entre les mains des officiers et soldats, il avait eu la cu-
riosité de savoir d'où elle pouvait venir, et qu'ayant fait étroite ami-
tié avec le gouverneur de la place, il a su qu'il a été envoyé d'ici
100.000 livres sterling suivant le traité fait entre l'Espagne et ces
gens-ci, par lequel l'Espagne s'engage de continuer la guerre avec la
France et de ne faire jamais la paix sans les y comprendre en qualité
d'alliés , moyennant quoi ceux-ci doivent fournir tous les mois à
Bruxelles une somme considérable. L'on ne m'a jamais voulu dire le
nom de la place, mais seulement que le gouverneur y a été mis, ou a
appartenu à M. le maréchal de Turenne.
HISTORIQUES.
XIV
(Page 196.)
1° Note du vicomte Salomon de Virelade adressée nu cardinal
Mazarin.
4650.
Il est si difficile de réussir aux affaires qui sont entreprises avec té-
mérité et sans avoir pris les précautions nécessaires, qu'on ne saurait
blâmer ceuxqui usentde circonspection avant les commencer, surtout
les négociations si délicates que celles d'Angleterre où j'ai demandé
passe-port, bien qu'il n'y ait point de guerre entre les deux nations,
parce que n'agissant que pour les marchands ils pouvaient me rendre
responsable, parlant au nom des communautés, de ce que tous les
jours ils demandent aux particuliers et prennent sur eux à main ar-
mée par droit de représailles. Comme particulier, jen'aurais pas craint
ces violences qui eussent été honteuses à notre nation si elles eussent
été exercées sur moi comme personne publique.
J'avais aussi deux fins en écrivant, ou d'engager le régime d'Angle-
terre à traiter en me faisant réponse, ou en me donnant sauf-conduit,
à se contenter de la reconnaissance des marchands sans en exiger une
plus formelle de la part du roi que sa permission ; ou en me refusant
le passe-port que jedemandais, j'éviterais l'affront qui m'eût été très-
sensible parce qu'il eût intéressé toute la France, si on m'cM'it chassé
comme on a fait l'ambassadeur de Hollande et le sieur de Croulié, et
estime qu'il vaut mieux avoir cette déclaration par écrit; avant avoir
mis le pied en leur pays, que de la recevoir plus injurieuscment de
leur bouche.
J'avais encore une autre considération ; c'est que les Anglais, étant
extrêmement fiers et glorieux, ont néanmoins complaisance et se lais-
sent gagner par civilités, qui est la raison qui les porte à aimer sur
toutes les nations les Italiens qui ont l'avantage de l'adresse et cour-
toisie sur tous les autres peuples de l'Europe; et par celle raison
j'ai estimé que, leur écrivant avec grand respect et compliment, ils se
porteraient à avoir ma négociation plus agréable. J'ai réussi en ce
point de les obliger à me faire réponse, ce qu'ils n'avaient fuit, ni di-
recteracnt ni indirectement, auparavant à toutes les IctUcs qui leur
360 DOCUMENTS
ont été écrites et aux témoignages plus exprès et plus formels des in-
tentions qu'on avait de les satisfaire, desquelles ma lettre, qui n'é-
tait qu'un simple compliment, ne faisait aucune mention. Il est vrai
que celte réponse est conçue en ternies un peu aigres, mais qu'on
dit être fort familiers à cette nation impérieuse, et desquels pourtant
j'infère qu'ils affectent quelque forme de justice en leur procédé :
mais quand ils prennent un prétexte faux qui est le déni de justice
de la part de la France, ils nous donnent lieu de nous servir d'une
défense véritable fondée en l'injustice qu'ils ont faite aux vaisseaux
français; et ainsi ils se convainquent eux-mêmes du reproche qu'ils
nous imputent, et s'ôtent le moyen de nous rien demander des prises
faites sur eux parce que les pertes de nos marchands excèdent beau-
coup si on venait à compensation. Pour la liberté du commerce, ils
offrent de la rendre pour toutes nos denrées, soudain qu'en France on
le leur permettrait de même ; mais tout ce que nous pouvions dési-
rer d'eux ils le mettent à un prix qui est ou bien haut, ou bien con-
sidérable, suivant les diverses réflexions politiques qu'on fera sur
cette matière; c'est la reconnaissance de leur Etat nouveau de la part
du roi, dont ils prétendent aussi bien qu'il n'est pas le juge au fond.
2o Mémoire sommaire des instructions nécessaires au sieur Salomon
pour la négociation d'Angleterre.
Premièrement demande très-humblement résolution à savoir si, re-
présentant les intérêts des marchands et qu'un comité soit appointé
pour l'ouïr, ou qu'il soit même admis au conseil d'Elat ou au Parle-
ment, dans ses requêtes ou autres actes il doit qualifier le régime
d'Angleterre d'É(at de République, ou autres tels titres et qualités
que les Anglais désireront;
2» S'il ne pourra pas renouveler les offres faites au sieur Augier,
agent des affaires d'Angleterre dès l'an \Qi7, et acceptées dès lors par
ledit Parlement d'Angleterre, ponrlcs prises faites jusques audit temps,
à condition que ledit régime d'Angleterre fasse la même justice aux
marchands français ; ou si ayant représenté les diligences faites en
France par l'autorité du roi et de ses ministres pour donner aux An-
glais satisfaction en justice, il ne doit point protester du déni de jus-
tice en Angleterre aux marchands français;
3o Demande si venant à demeurer d'accord de l'amnistie réciproque
et générale pour toutes les prises faites sur mer respectivement entre
les deux nations, et que pour parvenir à ladite amnistie, il y eùtquel-
que membre du Parlement ou personnes puissantes dans ledit État
HISTORIQUES. 561
intéressées aiixJitcs prises, il ne peut pas leur en promettre dédom-
magement pour les attirer et les mettre dans les intérêts ou dépen-
dances de la France, par forme de pension qui les engage au service
de S. M. ; et pour cet effet il supplie S. 31. de faire un fonds que les
marchands es villes maritimes du royaume souffriront volontiers être
pris par augmentation dans les bureaux des entrées et douanes éta-
blis dans les ports, pour gagner les plus puissants d'Angleterre qui
se trouveront disposés, moyennant telles gratifications, à se porter
au service de la Fiance et à favoriser la liberté du commerce;
/{" Demande que, pour le rétablissement et sûreté du commerce à
l'avenir, il lui soit permis, en continuant les offres faites par M. le
comte de Brienne, de promettre aux Anglais que dorénavant il n'y
aura |)lus de rcpicsailles accordées, et que les commissions données,
s'il y en a, seront révoquées, pourvu qu'ils en usent de même, fassent
cesser toutes hostilités et déprédations sur mer et révoquent toutes
leurs lettres de représailles ;
3° Demande que les ordonnances des 10 juillet 1643 et 20 mai 1647
soient renouvelées et que copies de semblables ordonnances lui soient
délivrées, portant itératives défenses aux sujets du roi de prendre ou
acheter aucuns effets sur lesdits Anglais et de les molester en façon
quelconque; laquelle ordonnance on puisse faire publier au même
temps que les Anglais en accorderont une semblable en faveur des su-
jets du roi;
6" Demande si les Anglais, venant à un traité, désirent que les
vaisseaux marchands de leur nation ne soient point visites sous pré-
texte de robe d'ennemis cachée quand ils seront rencontrés par des
vaisseaux de guerre du roi, et prétendent qu'ils ne sont tenus que de
baisser les voiles et faire honneur à la bannière et pavillon de France,
ledit privilège de n'être point visité ne leur peut pas être permis, un
semblable étant accordé par eux aux vaisseaux français (|ui trafique-
ront en Ecosse ou autres lieux qui seront en guerre déclarée .ivec
lesdits Anglais, l'inconvénient n'étant point plus grand que les Espa-
gnols leçoivent leurs marchandises par des vaisseaux anglais que par
les vaisseaux français qui les leur portent tous les jours;
7° Demande s'il ne doit pas faire instance pour obtenir une dé-
charge des droits et impositions qu'on exige en Angleterre des Fran-
çais, auxquelles impositions les naturels du pays ni les autres étran-
gers ne sont point sujets, et si, obtenant ledit privilège cl décharge, il
ne peut pas promettre quelque gratification à ceux qui la moyenne-
ront ;
8° Demande qu'il plaise à S. M. promettre lever les défenses de
l'entrée des draperies et autres manufactures de soie et laine, à con-
nÉpuBLiODE d'akguetbrre. J. 31
362 DOCUMENTS
dition que les Anglais permettent Tcntiée des vins et manufactures'
de France en Angleterre, et révoquent l'acte de ladite prohihition du
28 août (7 septembre) lQi9;
9" Demande qu'il puisse promettre, suivant les offres de M. le comte
de Brienne, par ordre de monseigneur le cardinal, que le traité qui
sera projeté et concerté entre lesdits Anglais et lui, suivant les ordres
qu'il recevra tous les jours, sera confirmé, approuvé et autorisé de
S. M., si, après l'avoir communiqué à son Conseil, Elle le trouve
agréable;
10° Demande que, ne pouvant obtenir le réiablissement entier du
commerce, il lui soit permis pour le moins de tâcher à le remettre en
quelque partie et dans quelque province s'il ne se peut pour tout le
royaume; comme, si la Normandie s'oppose à l'entrée des draperies,
qu'au moins elles puissent être reçues en Guyenne, la Rochelle et Bre-
tagne, pourvu que les Anglais permettent l'entrée des vins desditos
provinces ;
H° Demande de quelle sorte se doit traiter avec le général Crom-
vvell, et s'il ne doit pas lui faire concevoir, par l'exemple du prince
d'Orange, de 3Iansfeld, du duc de Weimar et autres, que c'est avan-
tage, honneur et sùrelé, aux hommes de sa valeur et de son poids,
d'avoir l'amitié et protection de France dont les inclinations nobles et
belliqueuses se portent toujours à estimer et favoriser les persounes
de courage et mérite extraordinaire ;
i2o Demande que le sieur CrouUé, qui a les cachets du roi en An-
gleterre, ne puisse agir sans sa participation et consentement, bien
que ledit sieur Salomon ne prétende point engager le nom ni l'auto-
rité du roi en sa négociation.
3° Waller Front à M. Salomon, vicomte de Virelade.
Whileball, le ll-îl décembre 1650.
Monsieur, j'ai reçu votre lettre de Paris du lOdécembre (style nou-
veau), laquelle, selon que je suis obligé par le devoir de ma charge,
j'ai présentée au conseil d'Etat, où je dois produire tout ce que je re-
çois de dehors, où aussi plusieurs lettres ont été lues par d'autres,
écrites à quelques-uns du Conseil, et une écrite à un marchand ; d'au-
cune desquelles le Conseil ne peut prendre connaissance, élantlettres
de particuliers touchant une affaire publique. Biais afin que celle que
vous m'avez écrite pleine de civilités ne soit pas tout à fait sans ré-
ponse, je vous donne la peine de lire ce peu de lignes, pour vous faire
HISTORIQUES. 363
savoir que vous ne pouvez pas ê(re plus sensible que je le suis du
grand bien que ce serait aux deux nations que le trafic et le com-
merce de l'une et de l'autre fût liiire et sans interruption. Je m'assure
bien que vous n'èles pas ignorant de quel côté la première infraction
a été, ne se pouvant faire que vous n'ayez ouï parler des grandes in-
jures que le peuple de celle République a sonlTerles de l'État de la
France par les pirateries qu'ont faites les Fiançais sur nos navires os
mers du Levant, pour passer sous silence les autres torlsfailsà la Ré-
publique, dont nous ne sommes pas insensii)les; et bien que l'on ait
fait longues instances audit Etat pour avoir justice, si est-ce qu'on ne
l'a jamais pu obtenir, soit pour les pirateries ou autres torts en trop
grand nombre pour les déduire ici au long : aussi ne veux-je pas vous
en importuner. C'est pourquoi nous avons, selon la loi des nations,
donné des lettres de représailles à ceux qui ont souffert des pertes,
po<ir qu'ils aient le moyen de se faire droit à eux-mêmes, étant en ef-
fetune chose d'observation fortvulgaire que la justice nette et prompte
ne se pratique pas ordinairement par delà. Quant aux défenses des
vins de France, en quoi nous savons que les villes de Bordeaux et de
Nantes sont les plus intéressées, nous ne les avons faites qu'après que
lesFrançais ont défendu nos manufactures de laine et de soie; et je me
j)ersuade assez que, s'ils se peuvent bien passer de nos manufactures,
nous le pouvons aussi bien des vins de France, el que nous aurons le
moyen de leur faire savoir que le commerce doit être réciproque. Le
temps pourra aussi nous apprendre que nous pourrons pareillement
nous passer d'aulres choses manufacturées en France. Jlais comme
votre envoi i)ar deçà, avec les procuiations de Bordeaux et de Nantes
et autres communautés, pourrait être avec l'approbation do votre roi,
je ne puis pas vous y porter, parce qu'il n'y a personne ici (jui puisse
traiter avec vous de ces affaires, si ce n'est la puissance souveraine
ou ceux qu'elle députerait; et cette puissance-là ne voudra recevoir
d'adresse de personne (pie de la puissance souvciaine de France, la-
quelle seule peut donner les pouvoirs nécessaires poui' traiter de telles
allaires. Je ne puis donc vous procurer un sauf-conduit pour venir
en la qualité et avec le pouvoir que vous manpiez; et (jnand vous se-
riez ici, aucun de nos marciiands ne pourrait traiter avec vous de
telles choses, étant affaire d'Etat et non de la nature de leurs allaires
particulières. Mais si l'Etat de France veut considcier les torts elles
dénis de justice qu'il a faits, el nous sauver la peine de nous faire
droit à nous-mêmes, et faire par vous ouverture de sa part d'adresse
publique à cette répuliliciue sur ces affaires et en la forme usitée en-
tre Etats souverains, je ne doute point (jue cel Elat ne soit content
de recevoir les propositions honnêtes cl justes qui seront pour 1er-
56/* DOCUMENTS
miner les différends et rétablir le commerce en sa liberté pour le bien
commun. Et comme j'espère que, par la présence de Dieu avec nous,
la force et la puissance de celte république ne seront jamais em-
ployées à faire tort à autrui, ainsi l'état auquel elle se trouve à pré-
sent, par la même présence et jjéncdiction, est tel que nous pouvons
faire justice à nos peuples contre ceux qui la refusent. Toutefois,
nous serons désireux de vivre paisiblement avec tous, et aimerons
mieux recevoir ceux qui nous ont fait des injures à nous faire vo-
lontairement raison que la tirer d'eux par la l'orce, au prix des souf-
frances présentes de ceux qui peuvent en leur particulier être inno-
cents, et desquels c'est le malheur, et non la faute, qu'ils dépen-
dent d'un Etat qui aime mieux exposer ses peuples innocents à des
représailles que de faire justice aux justes instances qui se font pour
l'obtenir. J'ajouterai seulement que je souhaite un heureux accom-
modement des affaires, et que pour y parvenir par les voies justes et
honorables, je contribuerai tout ce qui est du pouvoir de votre affec-
tionné serviteur.
Walter Frost.
HISTORIQUES. 568
XV
(Page 196.)
Mémoire touchant le commerce avec l'Angleterre (rédiyé par
Colberl).
Bien que l'aLoïKlance dont il a plu à Dieu de douer la plupart dus
provinces de ce royaume semble le pouvoir mellrc en état de se pou-
voir suffire à lui-même, néanmoins la Piovidencc a pose la France en
telle situation que sa propre fertilité lui serait inutile et souvent à
charge et incommode sans le bénéfice du commerce qui porte d'une
province à l'autre et chez les étrangers ce dont les uns et les autres
peuvent avoir besoin pour en attirer à soi toute l'utilité.
Nous avons laissé perdre l'usage et le bien du commerce, soit par
la nonchalunce avec laquelle nos peuples s'appliquent à cet lionnète
exercice, soit aussi par Tinterruplion que les étrangers y causent.
Le remède du premier mal, qui vient de nous-mêmes, des humeurs
et inclinations turbulentes contraires à un légitime trafic, est |dus
diflicile à tiouvcr après les troubles qui ont agité la France et (|ui
ont ôté aux marchands la liiierlé et sûieté de transporter leuis dén-
iées ; et la confiance nécessaire au négoce ne pouvant s'établir dans
la confusion et la violence des factions dont chacun veut mettre à cou-
vert ses elfcts, la crainte survenue du péril qui iirocèdc des hostilités
étrangères a achevé notre ruine, ôtant h- courage aux marchands
d'envoyer ou demander rien aux étrangers pour ne pas exposer à une
visible perte tout ce qu'ils risqueraient.
Tant que nous n'avons eu affaire qu'à l'Espagne nous nous en sommes
garantis assez heureusement; mais depuis que, par un surcroit de
malheurs, les Anglais nous ont déclaré une guerre (jui n'est pas nioiiis
fâcheuse qu'imprévue, cette surprise en l'état où nous nous ti ouvons,
sans armée navale pour résister aux leurs très-puissantes, cl dans
l'abattement des peuples des villes frondères , et le |)eu de secours
que reçoivent les finances du roi dcjiuis la cessation du (onunerec, et
les troubles qui empêchent de faire un fonds suilisant pour armer
une flollc telle qu'elle serait nécessaire, il est difficile (|ue le coiiuncrce
puisse se rétai)lir tant que ce désordre continuera et (]u'on souffrira
r.i.
566 DOCUiMENTS
les représailles que les Anglais donnent, fondées sur diverses prises
faites par des vaisseaux français ou vendues dans les porls de France.
Pour obvier aux suites de cet inconvénient qui nous pourrait enfin
causer une guerre fâcheuse, il semble qu'il n'y a que deux moyens
qui se réduisent enfin à un, c'est de traiter avec eux; ou par un traité
particulier, avec les intéressés qui demandent, disent-ils, justice et
r(!stitution des choses prises et confisquées sur eux, ce qui se réduit
à un long examen ou discussion oîi il faut apporter beaucoup de con-
sidération et faire comparaison des prises faites par les Anglais sur nos
marchands avec plus d'injustice; ou il faut venir à un traité général
avec le régime présent d'Angleterre , qui ayant lenversé la
forme de l'État ancien, nous oblige par cette mutation à prendre
nos sûretés avec eux par de nouvelles conventions, ou au moins à
renouveler et confirmer les anciens traités entre la France et
l'Angleterre, arec cette différence néanmoins que les préten-
tions des rois d'Angleterre (qui n'ont point été transmises à
leur peuple et dont la République ne peut avoir succédé) ayant
rendu nos rois moins exacts à demander diverses conditions pour le
commerce avec iesdils Anglais, dont les autres nations, et particulic-
lement les Espagnols, se sont prévalus, nous pouvons à présent tirer
divers avantages en ce changement pour l'égalité du commerce sur
lequel ils nous traitaient très-iniquement, tant par les impositions sur
les marchandises que nos marchands en tiraient ou y transportaient,
qu'ils appellent d'esd;ivache , de cajade , du survoyeur et du coquet,
qui étaient des impôts que les rois augmentaient tous les jours aussi
par des licences particulières et privilèges à des compagnies, exclusi-
vement à tous autres, du transport de diverses marchandises, par le
choix qu'en avait le pourvoyeur du roi d'Angleterre qui décriait et
mettait à vil prix le résidu de nos denrées où il n'aurait pas mis sa
marque, comme aussi par l'inégalité des poids et mesures, si fort con-
damnée dans l'Ecriture et par laquelle néanmoins ils ne donnent qu'au
poids particulier et ne reçoivent aucune marchandise que dans des
balances publiques beaucoup plus fortes.
Pour remettre le commerce , il y a deux choses nécessaires, la
sûreté et la liberté. La sûreté dépend d'une mutuelle correspondance
à empêcher les pirates et courses des particuliers qui, au lieu de
s'appliquer en leur navigation à l'honnéle exercice du commerce, rom-
pent avec violence le lien de la société civile par lequel les nations se
secourent les unes les autres en leurs nécessités. Cette sûreté ne se
peut établir que par des défenses respectives dans les deux États de
faire des prises sur les marchands des deux nations; et parce que le
prétexte du commerce que nos alliés font avec nos ennemis portant
HISTORIQUES. 367
leurs effets dans nos vaisseaux , a donné occasion à des vaisseaux
français d'attaquer les Anglais, et que les confisations ont clé fondées
sur cette raison par une explication qu'on a donnée à l'ordonnance de
François I'^^'' en l'an i'ài^îi sur le fait de l'amirauté, art. 45, néanmoins
il semble qu'il vaut mieux consentir <[ue les Espagnols et autres nos
ennemis tirent cette connnodité par le moyen de nos alliés, pourvu
que les Anglais s'obligent à obtenir le même privilège pour nos mar-
chands quand ils passeront, devant les armées d'Espagne, leurs ed'cts
dans des vaisseaux anglais, pour ne pas, pour causer un dommage de
peu de conséquence au.\ Espagnols, donner occasion à la conlinualiou
d'une piraterie qui ruine le conunerce, étant certain que jamais des
vaisseaux de guerre ne visitent des marchantliscs sans laisser des
marques de la rapine des soldats qui n'ont pas la modestie de se rete-
nir, trouvant facilité à prendre; l'inconvénient qu'on peut trouver
que, sous la couverture de nos alliés, les sujets de nos ennemis fassent
quelque profit, se pouvant remarquer tous les jours encore plus grand
par la facilité que les propres sujets du roi y prêtent sans qu'on les en
puisse empêcher.
Cette déclaration réciproque aux vaisseaux de guerre des deux
nations interdirait d'arrêter , sous quelque prétexte que ce soit, les
vaisseaux marchands, et défendrait aussi l'entrée des ports aux
forbans et corsaires pour vendre leurs marchandises, avec injonction
d'un sévère châtiment à ceux qui en achèteraient. A quoi les gouver-
neurs des places et des ports, capitaines et olliciers de la marine seront
obligés de tenir la inain, car on ne doute point que la cessation des
hostilités ne remette en peu de temps le commerce et par conséquent
l'abondance publique et la richesse des particuliers, et notablement
les droits du roi par la réception des marchandises étrangères qui ne
viennent point et la sortie des denrées du pays qu'on n'ose exposer à
la mer.
Pour ce qui est du passé et prises faites sur des marchands anglais,
elles sont de deux natures et conditions : ou bien elles sont faites sur
les commissions du roi d'Angleterre dont nous ne saurions répondre,
ni avoir empêché que les sujets du roi , et même commamiant ses
vaisseaux, n'aient pris commission d'un autre prince cousin du roi
et dont la reine sa mère est présente et si considérée en France
qu'au milieu de la guerre civile le parlement de Paris la gratifia d'une
pension notable, puisqu'on voit tous les jours que divers Fiançais et
même des chefs de troupes du roi suivent le maréchal de Turenuc et
servent l'archiduc et les ennemis de la France. Mais tout ce que pou-
vait faire le roi avec son conseil était de faire défense à tous les ports
de recevoir les prises laites par les vaisseaux et au nom du roi d'Angle-
568 DOCUMENTS
terre, qui n'ont point de ports si commodes qu'en France pour reti-
rer leurs prises, au lieu que ledit Pai>lcment et République possède
tous les ports d'Angleterre qui leur servent de retraite. Ou bien les
prises ont été faites par des vaisseaux du roi avec sa commission et
bannière de France. 11 se trouvera que les vaisseaux anglais étaient
charges de robe d'ennemi, ou qu'ils n'ont pas voulu amener cl obéir
aux lois de la mer -. aucontraireonttiré sur les vaisseaux français; que
s'il se trouve quelques abus commis par les capitaines des vaisseaux
du roi, on en peut demander la justice qui ne sera jamais déniée, au
lieu de représailles sur de pauvres marchands qui n'ont point parti-
cipé auxdites prises, en quoi l'injustice est évidente.
El d'autant que les pertes faites par nos marchands, qui ne se plain-
draient pas peut-être s'ils avaient été pris de la même sorte que les
Anglais, excèdent ou pour le moins égalent les leurs, il y a de Va[}-
parence qu'il faudra venir à consentir que chacun garilera ce qu'il a
pris , vu l'impossibilité de la restitution que les Anglais même ne
demanderaient pas après une guerre ouverte, ainsi qu'il a élé prati-
qué en tous les traités faits avec leur nation. Il nous serait désavan-
tageux d'avoir été leurs amis et alliés s'ils nous traitaient si rude-
ment et avec des conditions onéreuses, après avoir observé si religieu-
sement une ponctuelle et exacte neutralité pendant les guerres
civiles où le roi d'Angleterre même s'est plaint diverses fois que la
France favorisait ouvertement le Parlement.
Pour la liberté du commerce, il y a deux choses à désirer : l'une
la décharge des impositions et de celles que les Anglais lèvent sur les
marchands français et où les Espagnols même ne sont sujets en vertu
de leurs traités ; nous avons raison de demander pour le moins des
conditions égales, le commerce de la France ayant été toujours plus
utile à l'Angleterre, et l'entrée de ceux de notre nation n'y étant
point si dangereuse que celle de ce pcui)le méridional, avare et ambi-
tieux : l'autre, qui regarde particulièrement la |)rovince de Guyenne,
la Rochelle et Nantes, est qu'ils laissent entrer les vins de France en
Angleterre, en leur permettant l'entrée de leurs draps directement
sui^antles traités faits avec leurs rois pour le commerce, au lieu que
nous recevons tous les jours leurs draps par les Hollandais qui leur
portent aussi nos vins transvasés dans d'autres futailles. L'intérêt des
fermes du roi est visible en cette permission réciproque, les douanes
ne pouvant subsister si toutes les marchandises n'y sont reçues indif-
féremment avec liberté et n'en sortent de même.
Le point où les Anglais s'attachent le plus et pour lequel ils veulent
relâcher et condescendre à tout ce qu'on leur peut demander est la
reconnaissance de leur République, en quoi les Espagnols nous ont
HISTORIQUES. 569
précédés et obtenu en conséquence Tadjonclion de la flolle anglaise
pour attaquer celle des Portugais qui vient du Brésil. On a à craindre
une plus étroite union dos négociations de Tanibassadeur d'Espagne
en Angleterre. C'est à nosseigneurs les ministres à prescrire la forme
de cette reconnaissance, jusqu'où elle doit aller, en quoi la France
sera excusable devant Dieu et les hommes si elle est contrainte de
venir à la reconnaissance de cette république pour prévenir les li-ues
et mauvais desseins des Espagnols, qui font toutes les injustices et se
soumettent à toutes les bassesses imaginables pour nous nuiie. Il
semble que cette affaire, bien que délicate, se peut traiter de telle
sorte que cette nation orgueilleuse s'en peut contenter, sans préjudice
au roi d'Angleterre, ou favoriser le mauvais exemple de la dégradation
de la royauté, après ce que la France a fait en faveur des Hollandais
qui ne se contentaient pas, comme les Anglais, d'un compliment, cl
on fait voir enfin que la foi germanique, ou plutôt bataviquc, n'était
pas plus solide que l'anglaise.
370 DOCUMENTS
XVI
(Page J98.)
Touchant la République d'Angleterre {Mémoire présenté à la reine
Anne d'Autriche et à son conseil par le cardinal Mazai^in).
Janvier 16S(.
Sur la question proposée, il semble d'abord que, si on se règle par
les lois de l'honneur ou de la justice, l'on ne doit point reconnaître la
République d'Angleterre, puisque le roi ne saurait rien faire de plus
préjudiciable à sa réputation que celle reconnaissance par laquelle
non-seulement il abandonne l'intérêt du roi légitime, son proche
parent, voisin et allié, mais lui fait une offense publique, et qu'Elle
ne saurait rien faire de plus injuste que de reconnaître des usurpa-
teurs qui ont souillé leurs mains du sang de leur souverain, et qui se
sont violemment attribué le droit de le condamner à mort par une
entreprise barbare, de dangereux exemple dans toutes les monar-
chies, et qui fait horreur à tous les gens de bien. Le roi d'Angleterre
en fera des plaintes et en témoignera sans doute des ressentiments
qui feront de la (peine). La raison d'État obligerait plutôt de secou-
rir le roi son fils en Ecosse et en Irlande, étant extrêmement à craindre
que, si les remuements de ces deux roj^^aumes sont une fois apaisés,
la République d'Angleterre ne devienne plus orgueilleuse par ces
heureux succès, voyant son autorité établie au dedans, ne fasse des
entreprises au dehors, et n'emploie la grande force qu'elle a sur pied
plulôt contre la France que contre les autres Étals, à cause de l'ani-
mosité naturelle et grande jalousie qui a été de tout temps entre les
deux nations, et qui se trouve aujourd'hui extrêmement augmentée
parles hostilités qui ont éléexcitées depuis peu surla merentreles su-
jets des deux royaumes.
Mais comme les lois de l'honneur et de la justice ne doivent ja-
mais rien faire faire qui soit contraire à celles de la prudence, il
faut considérer que toutes les démonstrations que l'on pourrait
faire présentement en faveur du roi d'Angleterre n'amèneraient pas
son rétablissement ; qu'un plus long refus de reconnaître la Répu-
blique, qui est en possession de l'autorité souveraine, ne servira de
HISTORIQUES. 57I
rien pour augmenter ou confirmer les droits du roi : que ce que nous
pourrions faire maintenant pour lui ne servirait qu'à nous rendre
incapables de l'assister un jour plus ulilement dans une conjonc-
ture plus favorable ; que l'état des affaires de France ne permet pas
de lui donner aucune sorte d'assistance pour lui aidera rélablir ses
affaires ; ou même que les Anglais étant les maîtres de la mer,
ôtent tous les moyens de lui en envoyer, et que la part que Pou
prendrait maintenant dans sa querelle, ou les ressentiments qu'on
voudrait témoigner ( de nouveau ?) pour les Anglais no serviraient
qu'à leur acquérir de nouveaux avantages ; que la France, à cause
de la grande guerre dont elle se trouve chargée au dehors, et des
diverses factions dont elle est agitée au dedans, qui la jetteraient
dans un péril extrême si les Anglais venaient à se déclarer en faveur
d'une des factions, et qu'ils pussent y engager, comme il serait à
craindre avec le temps, les religionnaires de ce royaume ; surtout
ce que la nécessité du temps et des affaires obligera de faire en
faveur de la République, n'empêchera pas que ci-après on ne puisse
se prévaloir des conjonctures favorables qui se présenteront quand
on sera en meilleur état pour faire quelque grande entreprise, et
qu'il y aura plus d'apparence d'y pouvoir réussir heureusement ; et
que d'ailleurs il y a sujet de craindre que, si les Espagnols sont une
fois plus étroitement liés avec les Anglais, comme ils y travaillent
avec chaleur, ils ne les empêchent de s'accommoder avec nous, et ne
les engagent, sinon à nous faire une guerre ouverte, du moins à leur
donner de puissantes assistances contre nous; il ne reste pas lieu
de douter que l'on ne doive sans délai entrer en négociation avec la
République d'Angleterre, et lui donner le titre qu'elle désire.
Il Y a néanmoins une condition absolument nécessaire, et sans
laquelle il serait inutile de s'engager à faire cette reconnaissance,
qui est d'être assuré auparavant qu'on en retirera quelque utilité
capable d'emporter à la balance le préjudice qu'on pourra recevoir
en la réputation ; car présupposé qu'on puisse avec quelque certi-
tude se promettre quelque avantage de ce qu'on fera, je n'esti-
merai pas qu'il se fallût beaucoup arrêter aux formalités ; mais il
serait doublement préjudiciable de faire une bassesse si, après l'avoir
faite, les Anglais demeuraient dans l'indifférence et la froideur, et
si ces avances ne servaient qu'à les ren<lre plus orgueilleux et
plus difficiles dans les conditions du traité qui devra être fait avec
eux pour accommoder les différends que nous avons ensemble.
La voie la plus honorable pour entrer en négociation avec eux
serait qu'ils envoyassent ici un ambassadeur qui sera reçu et ho-
noré comme ministre d'une république libre. Le roi de Portugal eu
372 DOCUMENTS
a usé de cette sorte après sa proclamation, ayant envoyé, vers tous
les princes qui n'étaient point obéissants d'Espagne, des ambassa-
deurs pour en donner part et pour se mettre en possession de sa
nouvelle souveraineté par la réception qui leur serait faite.
Si les Anglais ont une véritable disposition à s'accommoder avec
nous, ils recevront favorablement cet expédient et ne feront pas
difficulté de renouveler la communication qui a été interrompue
depuis le changement arrivé en Angleterre, puisqu'elle doit pro-
duire d'abord un effet qui leur est avantageux et qu'ils souhaitent si
fort, que l'exemple de ce qui aura été fait par le roi, qui tient le
premier rang parmi les rois de l'Europe, servira comme de règle à
tous les autres, et qu'ils ne peuvent pas refuser avec raison de faire
pour nous ce qu'ils ont voulu faire pour l'Espagne où leur envoyé a
été tué. On pourrait même leur faire valoir qu'ayant commencé leur
compliment par le lieu qu'ils ne devaient pas, ils nous ont donné
sujet de plainte qu'on veut oublier pour le bien des deux nations.
Ce qu'il y aurait de plus à craindre et qu'il faut soigneusement
éviter est que les Anglais, qui visiblement penchent plus du côté
d'Espagne que de France, n'aient l'intention de nous engager en
leur faveur afin de s'en servir comme d'un éperon pour hâter les
Espagnols à les reconnaître ouvertement et à s'unir avec eux.
La précaution dont on pourrait user serait d'exiger d'eux, s'il est
possible, de ne point traiter avec l'Espagne pendant quelque temps,
jusqu'à ce que la négociation que nous conduirons avec eux soit ter-
minée ou rompue, ou bien d'ébaucher ou arrêter tellement les condi-
tions de l'accommodement avant que de venir à aucune reconnais-
sance, qu'il n'y ait pas lieu d'appréhender que l'accommodement se
puisse rompre après que la reconnaissance aura été faite.
En un mot, comme les Anglais ne voudront peut-être pas acheter
notre reconnaissance par les conditions d'un traité éventuel, nous
devons aussi éviter de reconnaître la République sans être déjà
assurés que l'accommodement entre les deux nations s'en ensuivra.
car autrement on s'exposerait à une honte publique sans aucun
profit.
HISTORIQUES. 373
XVIl
(Page 199.)
Projet d'inKtrttctinn pour M. de Gnili/lot. envoyé en Anrjlelerre.
Janvier-février IGSl.
Le roi est enticrcmenl persuadé que les cliiïerends et hostilités,
arrivés depuis quelque temps sur la mer entre les Français et les
Anglais, procèdent plutôt de quelque désordre et malentendu entre
ceux qui ont commandé jusqu'ici les vaisseaux de {guerre ([ue d'au-
cun dessein qui ait été formé de part ni d'autre d'entrer en rupture,
ni même d'interrompre la bonne intelligence qui avait élé enlrete-
nue jusqu'aux dernières années entre les deux nations, et dont la
confirmation semble également nécessaire pour le bien et commo-
dité de l'un et de l'autre.
Sur cette présupposition, Sa Majesté a trouvé bon que le sieur de
Gentillot s'en allant en Angleterre travaille adroitement et sans
éclat, par le moyen des amis et habitudes qu'il a en ce pays-là, à se
bien informer s'il y a une véritable disposition à faire cesser par un
bon accommodement les différends qui sont entre les deux nations et
à rétablir entre elles une bonne correspondance.
Le sieur de Gentillot, pour agir utilement dans l'exécution do ce
dessein, doit être assuré avant toutes choses que le Parlement d'An-
gleterre n'a point fait de traité parliculier avec les Espagnols contre
la France, et qu'il n'est point tellement engagé avec eux qu'il ne
puisse faire tous les accommodements et confédérations (jui sciont
jugés utiles pour les deux royaumes...
L'exemple de ce qui est pratiqué envers l'ambassadeur de Por-
tugal oblige doublement d'user de cette circonspection avant (|u'en-
trer en aucun traité avec le Parlement, puisipie, pour favoriser les
Espagnols, on a longtemps maltraité ledit ambassadeur, et (|ue sous
prétexte d'examiner son pouvoir ou par îles démarches; inusitées, ou
a différé l'audience qui lui doit être donnée, (|uoi(|u'il n'ait élé
envoyé que pour faire honneur audit parlement et |)our teiniincr
amiabicment les différends que le Poi lugal peut avoir avec l'Angle-
terre, ce qui a donné lieu de soupçonner (pie le traitement cpi'it
recevait était une condition secrèlcau traité fait avec les Espagnols.
1. 1%
S74 DOCUMENTS
D'ailleurs, nous avons sujet de nous plaindre que les discours
obligeanls qui ont été faits ici au sieur Morrell et les bonnes disposi-
tions qu'on lui a témoignôos n'aient encore rien profile pour faire
cesser les hostilités que les vaisseaux anglais exercent contre les
sujets du roi, et que l'on s'en soit seulement servi en Angleterre pour
avancer les affiiires des Espagnols. Au moins ce procédé, joint au
traitement que reçoit l'ambassadeur de Portugal, nous doit donner
sujet de craindre qu'après que nous aurons fait ce que ledit Parle-
ment désire de nous, il ne deviciir.e dès le ler>demain pins difficile
dans les intcrêls que nous avons à démêler avec lui. lesquels demeu-
rant indécis, et causant la continuation des iiostilités qui s'exer-
cent sur la mer, donneraient lieu aux Espagnols de se prévaloir de
notre peu de prévoyance et de triompher de notre fucililé qui ne
nous aurait servi de rien.
Il est donc absolument nécessaire, pour ne rien faire qui puisse
exposer la réputation d'un grand royaume, de s'assurer avant toutes
choses, non-seulement que le Parlement d'Angleterre est en pleine
liberté de traiter avec nous et n'a point d'engagement avec les Es-
pagnols qui les en empêche ou qui nous soit préjudiciable, mais que
l'on convienne présentement et en termes généraux des moyens
d'accommoder tous les différends qui pourraient faire durer ou re-
nouveler ci-après quelque sorte de mauvaise intelligence entre les
sujets des deux royaumes.
Les Anglais ne manqueront pas de demander que le roi recon-
naisse apparemment leur République par des lettres et autres dé-
monstrations publiques. Sur quoi le sieur de Gentillot représenteia
qu'il n'y aura point de difficulté sur cet article, que Sa Majesté est
disposée de faire ce qu'on désire d'elle sur ce sujet, et que c'est un
point que le Parlement peut se tenir pour accordé selon son désir ;
mais que, pour les considérations touchées ci-dessus, il nous im-
porte d'être assurés qu'après la reconnaissance faite nous ne ren-
trions pus en rupture ou en mauvaise intelligence pour les diffé-
rends qui sont aujourd'hui entre les deux nations, et que les
hostilités cesseront entièrement.
L'assurance ne peut être autre que de convenir en même temps
d'un projet d'accommodement pour les différends qui sont entre les
deux nations et qui semblent a\ oir procédé principalement de deux
causes : la première, de la prohibition des marchandises d'Angle-
terre faite à l'instance du Parlement de Paris ; la seconde, de la
prise de quelques vaisseaux anglais faite par ceux du roi équipés
en guerre contre l'Espagne...
Touchant la première cause, l'on n'ignore pas en Angleterre que
HISTORIQUES. 37{t
S. M., pour la pacification des troubles de son royaume, a élc obli-
gée d'accorder celte défense aux instantes su|.pli'cations qui lui en
ont été faites par son Parlement de Pi.ris en f.iveur de ladite ville, et
que S. M., qui a toujours fait traiter favorablement les étrangers
dans son royaume, et particulièrement les mnicliands anglais,' ne
s'est portée qu'avec déplaisir à ce qui a clé désiré d'Elle en c'elle
rencontre par quelques-uns de ses sujets, en même temps qu'il y
en a d'autres qui tu reçoivent du préjudice. Or Sa Jlaje^té est
même lésolue de faire tout ce qui dépendra d'elle pour mettre les
choses dans l'état qu'elles étaient avant celte défense.
Si on veut examiner sans passion la seconde cause des différends,
il se trouvera que tout le sujet de plijinte est de notre côté : qimique
S. M. n'ait jamais donné commission ni à ses sujets, ni à aucun autre
pour agir contre l'Angleterre, qu'elle ait fait observer par tous ses
Etats une si exacte neuti alité entre les deux partis d'Angleterre que
même elle a refuse la retraite dans ses ports aux vaisseaux du roi de
la Grande-Bretagne, qu'elle a défendu l'entrée cl vente dans son
royaume de toutes les prises qu'ils auraient faites et pouri.iienl faire
ci-après sur les marcbands et autres tenant le pai li du l'arlemcnt,
qu'elle a depuis fait publier des défenses très-rigoureuses à ses sujets
d'armer ou qu'on reçoive la commission de qnelijue pouvoir étrau-er
que ce soit, et qu'elle a toujours oHért de fa re prononcer, selon la
justice et les lois observées de tout temps entre les deux nations, sur
toutes les plaintes qui lui ont été portées des prises faites par ses
vaisseaux où les Anglais se sont trouvés intéres.>-és; nonobstant toutes
ces favorables déclarations et piocéilures, le Parlement d'Angletcirc
n'a pas laissé d'interdire le commerce avec la Fraïuc et d'accorder
des lettres de marque ou de représiiillcs contie les sujets du roi, et
ensuite ne fyire pas seulement altaquei- et prendre tous les vaisseaux
marchands qu'ils ont rcncontiés sans aucune raison ni prétexte, mais
même de faire attaquer les vaisseaux de guerre de S. ^1. parles siens,
témoin le combat contre l'escadre de Tureiuie qui vemut dans la ri-
vière de Bordeaux servir Sa Majesté et où la frégate lu C/iaritr lui
prise, l'attaque que les Auilais firent aussi sur quatie vaisseaux du
roi aux côtes du Portugal, où celui du chevaliei' de lonleny fut piis
et lui tué réellement après la prise, cl témoin entin la jiiise du vais-
seau le Jules qu'ils n'ont pas laissé de prendre (ploiciu'il ait baissé le
pavillon et n'ait rendu aucun combi.l, ce qui est lonuueiicer une
esj)ècc de guerre sans l'avoir dénoncée auparavant et sans en avoir au-
cun sujet légitime.
Il serait bien à piopos (pie le sieur de Genlillot, ayant lejnésenlé
ce que dessus à ceux du Parlement avec lesquels il a quelque h^bi-
376 DOCUMENTS
tude, qu'il reconnaîtra mieux disposés à la réconciliation des deux
nations et capables de la procurer, essayât de les engager à faire
quelque ouverture d'accommodement pour découvrir en quels termes
ils estiment qu'il se puisse faire promptement, en donnant assurance
(jue de ce côté-ci on est entièrement disposé à toutes les choses rai-
sonnables qui pourraient être faites avec honneur. Cependant on a
déjà donné charge à une personne de qualité de se tenir prête pour
aller à Londres de la part du roi pour la reconnaissance ci-dessus, et
puis ajuster les autres choses pour le rétablissement de la bonne
intelligence entre les deux nations aussitôt qu'on aura eu des nou-
velles dudit Gcntillof.
Il semblerait surtout nécessaire, l'accommodement étant résolu et
projeté, que la Républiijue envoyât en cette cour quelqu'un de sa
part pour donner avis du changement qu'elle a fait en la forme du
gouvernement d'Angleterre, comme elle a fait en Espagne, aux Pays-
Bas, à Hambourg et autres endroits où on a voulu recevoir ses mi-
nistres. Néanmoins, comme ils pourront dire d'avoir déjà envoyé le
sieur Augier qui n'est pas encore venu, s'ils apportent trop de dif-
ficultés à consentir à cet envoi, le sieur de Gentillot pourra ne pas
s'y arrêter.
Le projet dudit traité pourrait être aux termes suivants :
Qu'il y aura à l'avenir bonne correspondance et amitié entre le roi
Très-Chrétien de France et de Navarre, ses pays et sujets d'une
part, et la République d'Angleterre, ses pays et sujets d'autre
part.
Que les traités ci-devant faits entre les rois de France et d'Angle-
terre pour régler la façon de vivre et la forme du commerce entre les
deux nations demeureront en leur force et vertu, et seront inviola-
blcment observés entre S. M. et ladite République.
En conséquence de quoi les hostilités cesseront, dès le jour du
traité, entre les sujets des deux États, et toutes lettres de marque et
de représailles seront révoquées dès ledit jour, et sera le commerce
rétabli en la même liberté et aux mêmes conditions qu'il était fait
avant le changement arrivé en Angleterre, moyennant que les dé-
fenses qui ont été faites de part et d'autre seront aussi i évoquées, Sa
Majesté et ladite République se réservant chacun le pouvoir qui leur
appartient d'établir, dans les lieux de leur obéissance, tels droits,
péages et impositions qu'elles jugeront à propos sur les marchandises
et denrées venant de l'un ou l'autre pays.
Toutes actions et demandes des vaisseaux et autres choses prises
de part et d'autre sur la mer avant le jour du traité, demeureront
éteintes et abolies pour ôter tout sujet de nouveau trouble à l'avenir
HISTORIQUES. 377
enlre les deux nations, et nénnmoins le Jules et autres vaisseaux de
guerre qui se trouveront avoir clé pris appartenant immédialeinent à
Sa Majesté ou à ladite République, seront restitués de bonne loi en
l'état qu'ils étaient lorsque la prise a été faite.
Les vaisseaux de guerre de Sa Majesté seront reçus dans les ports
d'Angielerrc et ceux de ladite République dans les poris de France,
aux conditions et précautions tenues aux traités précédents, et l'en-
trée desdits ports sera interdite aux vaisseaux de guerre des ennemis
de SaJIajcsté en Angleterre, et à ceux des ennemis de la Ré[iubliquc
dans les ports de France.
Le roi et ladite République ne pourront donner à l'avenir aucune
sorte d'assistance aux ennemis l'un de l'autre.
S'il reste quelque sujet de didérend entie les deux Etats ou leurs
sujets, il sera terminé amiablcment et selon la justice, sans que pour
raison de ce l'amitié et bonne intelligence de Sa Jlajesté et de ladite
République puisse être altérée.
Toutes ces conditions sont si raisonnables et si avantageuses pour
l'Anglclcrre qu'il n'y a pas lieu de croire que ledit Parlement y fasse
dilïiculté, vu même que le droit de faire les traités et confédérations
est une plus «olide marque de souveraineté, et que celui qui sera fait
présentement sera un acte plus authentique que celle dont ladite
République est en possession, que toutes les lettres et compliments
qui peuvent être faits pour la reconnaître, lesquels sont plus sujets à
être révoqués ou changés qu'un traité signé de ])ai't et d'autre qui doit
servir de loi aux deux nations pour leur négO( e et forme de vivre
ensemble; ce que le sieur de Gcntiliot saura très-bien faire valoir
afin d'augmenter la disposition que les Anglais peuvent avoir déjà de
traiter avec nous.
Il pourra même laisser entendre que si ladite République désire
quelque engagement plus étroit avec la France, princi|>alement contre
l'Espagne, l'on y est cntièremcut disposé de ce côté-ci. Il lui sera
très-facile de faire connaître l'avantage que les Anglais y trouveraient,
cl les moyens que nous pourrions leur fournir <le se prévaloir, soit
du côté des Indes ou ailleurs, de l'état où se trouve à présent réduite
la monarchie d'Espagne à laquelle ils ont grand intérêt de ne pas
laisser reprendre les avantages qu'elle a eus ci-devant lois«iu'elle a
formé des entreprises sur l'Angleterre. Et en cas que ledit sieur de
Gentillot y trouve disposition du côte des Anglais, sur les avis <iu'il
en donnera, l'ambassadeur qui passera en Angleterre sera chargé et
aura pouvoir sullisant d'en traiter.
Le sieur de Ceiilillot pourra sur ce sujet les faire adroitement sou-
venir de la ma.ximc qui a toujours été tenue par les plus sages mi-
378 D0CU3IENTS
njstres de leur nation, qu'il est plus avantageux à l'Angleterre d'être
en guerre ouverte avecl'Espagne que d'avoir la paix avec elle, et
qu'iiu contraire en ce qui regarde la France, soit par le voisinage,
soit par la puissance de notre gouvernement, et par l'avantage que
l'Angleterre tire de noire commerce, l'amitié lui en doit être très-eon-
sidcrable ; d'autant plus que quelque mai et quelque incommodité
que nous peut apporter la rupture, la France est toujours le royaume
dont l'Angleterre a le plus à espérer on à craindre ; et même dans le
trafic, la prise que nous faisons d'un seul vaisseau anglais nous fait
le plus souvent dcdomm;igés de la perte que nous aurions de trois des
nôtres, pour la valeur des marchandises dont ils sont ordinairement
chargés
On remet au sieur de Gentillot de s'adresser, pour le bon succès
de sa négociation, aux personnes qu'il croira les mieux intentionnées
et les plus capables de la faire réussir.
Le sieur Augicr a témoigné que la Fiance se portant à la lecon-
naissance ci-dessus, il ferait favoriser le plus possible celle couronne
en contribuant avec cli;deur ce qui peut dépendie de lui pour la
bonne intelligence des deux nations. Le sieur de Gentillot le verra et
lui dira la confiance que Leurs Majestés ont en sa parole, et qu'elles
lui en demandent mauitenant les effets.
Il verra aussi le sieur Fleming, et lui rendra la lettre de M. de
Bellièvrc. C'est une personne qui en tout temps a témoigné affection
pour cette coiiionne et a lendu tous les services (ju'il a pu aux
ministres de S. M., et on ne doute point cju'il ne conlinue à le
faire en celle conjoncture qui a tant d'impoi tance au bien el au repos
des deux nations.
Sur toutes choses, il est absolument nécessaire que ledit sieur
de Gentillet tienne le secret de son voy;ige bien seciet, de crainte
que, s'il était découvert par les Anglais, il ne rencontrât des obstacles
à entrer en négociation avec eux, pareils à ceux qui se sont formés
quand l'on a su que le sieur Salomon y allait être envoyé.
HISTORIQUES. 579
WJll
(Page 216.)
i» Insiruction pour le cumtc d' Estrades envoyé en Angleterre.
Montereau,25 avril 1652.
M. d'Estrades, pour traiter avec les Anglais et disposer les choses
à un bon accommodenient avec eux, doit être informé que nous
avons |)résentcnicnt trois différends principaux avec la République
dWnj^leteiTe.
Le premier est sur la forme de (railer avec elle, puistiu'clle ne veut
entrer eu aucune sorte de négociation ni de conférence que le roi ne
la reconnaisse pour Rcpubliciue libre et souveraine, et ne lui écrive
aux mêmes termes que bn ont écrit les antres souverains qui ont déjà
fait cette reconnaissance.
Le second est loucliant les prises faites sur la mer de part et d'anlrc
par représailles ou autrement, loucbfinl les moyens de rétablir le
commerce entre les deux nations, loucbant la forme de vivre et de se
saluer quand les vaisseaux de guerre ou autres des deux Elats se ren-
contreront à la mer, et toucliant l'observation des anciennes alliances
et précédents traités.
Le troisième est (oucliant les hostilités ou représailles ([ui s'exer-
cent présentement de part et d'autre.
Pour le i)remier, nous demeurons d'accor.l (ju'il précède les autres
dans la négociiilion et dans l'exécution. Pour cet effet, le sieur d'Es-
trades peut promettre, à ceux qui ont charge de traiter ou conférer
aveclui, que le roi est prêt de reconnaître la République et de lui
écrire une lettre avec les mêmes titres qui lui ont été donnés jusqu'ici
par les autres rois, de faire rendre cette lettre p;ir un gentilhomme
qui sera envoyé exprès en Angleterre, et de le faire suivre, si on le
désire, pai' une ambassade solennelle.
Mais cet article ne peut être accordé ni exécuté que l'on ne soit en
même temps d'accord du troisième avec les Anglais, car il ne sei ait ni
honorable pour le roi, ni juste pour les Anglais, (|ue Sa Majesté leur
eiivoyâl faire un compliment en la forme qu'ils désirent, si elle n'est
assurée ([ue la lettre ayant été rendue et la reconnaissance faite, les
380 DOCUMENTS
hostilités et les représailles cesseront de part et d'antre. Sans cola, il
semblerait que les Anglais vondraient njouter le mépris à l'olTense,
si en même temps que nous leur faisons des civilités, ils continuaient
d'attaquer les vaisseaux des sujets du roi sur la mer.
Pour le second article, comme il contient la matière de tous les
traités précédents, il faudra nécessairement le renvoyer par-devant
des commissaires qui seront nommés de pnrt et d'autre, parce qu'ils
auront besoin d'un plus long délai pour examiner et résoudre les dif-
férends qui sont entre les deux nations pour raison des prises, du
commerce, de la forme de vivre en se rencontrant sur la mer et de l'ob-
servation des anciennes alliances, qu'il n'en faudra pour les deux
antres articles qui peuvent être accordés et conclus en un moment.
Lesdits commissaires auront pouvoir d'arrêter ce qui se ti'ouvera rai-
sonnable de pa)t et d'antre, et d'en assurer le payement, selon ce que
ledit sieur d'Estrades a témoigné par ses lettres que c'était l'intention
des Anglais.
L'on ne doit pas craindre que ce second article soit capable d'em-
pêcher l'accommodement, puisque dès à présent l'on est piêt, de la
j>art du roi, de rétablir les choses au même état qu'elles étaient avant
l'interruption du commerce entre les deux nations si les Anglais le
désirent; ou s'ils souhaitent d'introduire quelque nouveau règlement,
l'on est prêt d'en convenir pourvu qu'il soit égal pour les uns et pour
les autres.
Quant aux premier et troisième articles, les Anglais ne pouvant pas
refuser de les traiter conjointement, il sera nécessaire que ledit sieur
d'Estrades les ajuste en même temps, c'est-à-dire qu'il ne s'engage
point à l'envoi d'un gentilhomme chargé d'une lettre du roi pour re-
connaître la République d'.-Vngleterre, qu'il n'ait parole et ne soit
assuré que, dès le jour même ou le lenilemain de l'arrivée dndit gen-
tilhomme, quelqu'un du corps du Parlement d'Angleterre aura pou-
voir de signer une convention avec lui par laquelle il sera porté que
toutes les hostilités et représailles cesseront de ce jour-là, et cpie dans
deux mois, ou plus tôt si faire se peut, on enverra de part et d'autre
des commissaires, avec pouvoir suflisant, an lieu dont il cera convenu
pour traiter et s'accorder ensemble de tous les autres différends.
Si les Anglais font dilllculté de révoquer ou faire cesser les hosti-
lités et représailles pour toujours, à quoi pourtant on ne voit aucune
apparence, il faudra ménager que la cessation dure pour deux ou trois
ans tout au moins.
Le roi, désirant d'avancer celte négociation autant (|u'il se pourra,
a envoyé au sieur d'l''slra(les la lettre (jue Sa ftlajesté écrit au Pai le-
nicnt de la République d'Angleterre, et au cas qu'il y ait quelque dif-
HISTORIQUES. ' 381
ficultc sur les termes, il n'aura qu'à la rcnvojcr à Sa Majesté et faire
savoir ce qu'on désire afin qu'elle y fasse pourvoir promplcment.
Le sieur d'Estrades choisira, parmi les oniiicr.s (jui .-ont près de lui
ou ailleurs, telle autre pcrsoniic qu'il reconnaîtra plus propre pour
être chargée de cet emploi, lui dclivrera ladite lettre et la commission
durci qui lui donne pouvoir de traiter, et le fera partir sans délai
pour se rendre à Londres en diligence, après néanmoins avoir tiré
assurance de ce qui est porté ci-dessus.
Sa Majesté a déjà commandé qu'on envoyât au sieur d'Estrades
toutes les expéditions nécessaires, à quoi M. le comte de Brienne n'a
pas manqué de satisfaire; de sorte que ledit sieur d'Estrades les ayant
reçues, il ne reste qu'à lui recommander que, si en avançant cette
négociation, comme on le désire par deçà, il engage Sa Majesté à
quelque chose, il n'oublie pas de prendre garde que ceux qui traite-
ront avec lui soient sullisamincnt autorisés pour faire tenir en Angle-
terre les choses qu'ils lui auront promises. Il n'oubliera pas aussi de
remercier de ma part M. Cromwell des offres obligeantes qu'il me fait
faire, dont je me sens extrêmement son redevable, et de lui faire sur
ce sujet toutes les civilités qu'il jugera à propos.
2° Le cardinal Mazarin au comte d'Estrades,
Montcrcau, 25 avril lGo2.
Monsieur, vous apprendrez de nouveau les intentions du loi lou-
chant ce que l'on peut faire avec les Anglais par la lettre (jue M. de
lîrienne vous écrit. Celle-ci ne seia qu'un abrégé des principaux
points que l'autre contient qui vous servira peut-être à la mieux com-
prendre.
L'attaque de Gravelines nous met dans une pressante nécessité de
savoir les intentions des Anglais, parce que la place ne pouvant cire
secourue que par mer, la chose peut être entreprise avec espérance du
succès, pourvu quelcs Anglais nes'cn mêlent jiointjmais étanlconjme
impossible s'ils sont joints à l'Espagne et obligés de favoriser ses des-
seins contre nous, il est de la deinière importance de découvrir promp-
tement leuivs résolutions en traitant avec eux du diflérend cjuc nous
avons ensemble.
Si le traité que nous devons faire avec eux peut èlre conclu bientôt,
ce sera le meilleur et il réglera tout. Vous savez en ce cas ()ue nous
sommes prêts : en picmier lieu, de reconnaîlre la Uépubli(|ue d'An-
gleterre et de lui écrire aux termes qu'elle peut raisonnablement dé-
382 DOCUMENTS
sirer ; en second lieu, de nommer présenlcment des commissaires pour
examiner, avec ceux que la République nommera, les prises qui ont
été faites de part et d'aulre sur la mer, et pourvoir avec sûrelé à la
salisfaclion de ceux à qui elle se trouvera due, à la charge néanmoins
que d'abord , en rendant la lettre du roi avec la suscriplion que la
République a désirée, on conviendra de surseoir toutes hostilités et
représailles de part et d'autre.
Si cet article est accordé, nous serons assurés pour les secours que
nous entreprendrons d'envoyer à Gravelines; et toutefois pour plus
de précaution, il sera bon d'en toucher un mot à M. Cromwell pour
avoir sa parole s'il est possible, ce qu'on pourra faire en demandant
(juelque chose de plus, comme par exemple la liberté, pour les vais-
seaux du roi destinés pour ce secours, de relâcher en sûreté dans les
ports d'Angleterre si le vent contraire ou quelque autre considéra-
tion les y oblige.
Pour obliger les Anglais à désirer davantage de se réunir avec nous,
il ne sera pas mal à propos d'entrer avec eux en traité de la cession
de Dui kerque; et en effet le roi leur remettra volontiers cette im-
portante place, pourvu, en premier lieu, qu'ils se joignent avec nous
contre l'Espagne etqu'ilsy demeurent unis tantque la guerre durera,
a\ ec ol.'ligalion de nous assister de leurs forces de mer pour la défense
de nos places maritimes; en second lieu, qu'ils nous donnent une
somme d'argent considérable, comme pourrait être un million d'or
ou huit cent mille écus ; en troisième lieu, qu'ils commencent leur
assistance présentement pour le secours de Gravelines, pour lequel
ils nous prêtent de leurs vaisseaux; en quatrième lieu, qu'ils s'obli-
gent de laisser la religion catholique en l'état oii elle esta présent dans
Dunkcrque, et, s'il est possible, de ne mettre dans la place qu'une
garnison calholi(iue.
S'ils faisiiient difficulté de se déclarer ouvertement contre l'Espa-
gne par le secours de Gravelines, en nous fournissant un bon nombre
de vaisseaux pour liansporler en France (lorsqu'on leur rcmettia
Dunkcrtiue) la garnison qui est maintenant dans la place, ils pour-
raient donner ordre seciètement, à ceux qui auraient soin de votre
conduite, de faire ce que vous leur ordonnerez, et vous les pourriez
engager à vous mettre dans Giave'.ines avec toute votre garnison.
Dans l'état présent des alfaires, nous aurons sujet de nous consoler
de la perte de Dunkeiciue si elle proiluil la conservation de Grave-
lines et la jonction des Anglais avec nous contre l'Espagne aux con-
ditions marquées ci-dessus.
Si toutefois toutes lesdites conditions étaient trop malaisées à ob-
tenir, le roi vous permet de partir par degrés de quelques-unes des
HISTORIQUES. S85
moins impoitanlcs, estimant plus utile, dans la conjoncture présente,
de conclure promptement un Imité d'alliance avec les Anglais qui
sauve Graveliiies, que de le différer pour l'espérance d'obtenir quel-
que condition filus avantageuse pour laquelle il faudra renvoyer par
deçà et employer plus de temps, à cause que, pendant celte longueur,
Gravelines se pourrait perdre.
Enfin tout est remis à votre prudence et à l'affection que vous avez
pour le service du roi. Je vous dirai seulement qu'il importe mer-
veilleusement que vous envoyiez en diligence à M. Cromwell une
personne intelligente qui puisse, étant sur les lieux, s'éclairer dos
desseins qu'il peut avoir Car s'il est vrai, comme les nouvelles pu-
bliques de Londres le portent, ([ue la République d'Angleterre soit
en termes de s'accommoder avec 3Iessieurs les Etats, et que voire
accommodement avec elle soit incertain ou tiré de longueur, il y au-
rait sujet de croire que les propositions d'accommodement dont
M. Cromwell vous a fait parler n'ont élé faites que pour nous amuser;
et il serait à craindre que ladite République, pour profiter de la dé-
pense qu'elle a faite en composant une si puissante flotte, ne se portât
à faire quelque entreprise contre cet Etat, dont nous savons qu'elle
est extrêmement sollicitée par les envoyés de M. le prince.
En ce cas, il faudrait promptement en donner avis i»M. Brassct ' et
agir de concert avec lui pour voir s'il n'y aurait pas moyen d'engager
Messieurs les États, qui ont de puissantes forces sur la mer, à nous
donner quelque assistance, leur intérêt les obligeant à empê<'ber les
Anglais de prendre des avantagessur nous qui leur donneraient moyen,
étant les plus forts sur la mer, de se rendre enfin les maîtres du com-
merce de France ; mais il ne faudra faire cette tentative qu'après
avoir perdu toute espérance de notre accommodement avec les Anglais
et avoir reconnu qu'ils ont résolu de nous attaquer.
* Envoyé de la cour de France h la Haye.
38^ DOCUMENTS
XIX
(Page 2IG )
Don Ahiizo de Cardcnas à don Geronimo de la Torre.
Londres, 19 juillet 1652.
Le Parlement a résolu depiiblier un manifeste contre les Hollandiiis,
dans lequel il expose les griefs de celte République contre eux. On dit
que le manifeste paraîtra dans deux jours et qu'il sera suivi d'hosti-
lités. Ces jours-ci, une escadre de bâtiments du Parlement, qui croi-
sait à l'entrée de la Manche, a fait subir une grande défaite aux bâti-
ments hollandais qui venaient de l'ouest au nombre de quarante voiles.
Les Anglais en ont pris sept, en ont brûlé quatre et en ont forcé vingt
de se jeter sur les sarblos de Calais : c'était comme s'ils avaient donné
contre unrécif,car les Français de la côte les ont pilléscomplctemcnt.
Lacargaisonde l'un des bâtiments qui ont été brûlés valait4'00,OOÛdu-
cals, au dire des gens qui se trouvaient à bord.
On a fait ici subir de grands affronts à Gentillet, envoyé du roi de
France. Avant d'entrer à Londres, il avait écrit au maître des céré-
monies qu'il venait de la part du roi Très-Chrétien auprès du Parle-
ment, avec des lettres de créance pour reconnaître la Républi(|ue
d'Angleterre dans le cas où elle révoquerait les lettres de marque dé-
livrées contre la France, ainsi que l'avait offert, delà part de l'Angle-
terre, Guillaume Villicrs, frère du duc de Buckingham, au roi de
France, ce dont il avait ordre de rendre compte au Parlement. Le
maître des cérémonies porta cette lettre au conseil d'État où, après
en avoir délibéré, on décida d'appeler Villlers, on lui fit voir la lettre
de Gentillot et on l'interrogea là-dessus. Mal lui en aurait pris s'il
n'avait pas absolument nié la chose, et même demandé au Parlement
la permission de provoquer Gentillot en duel. Le conseil d'Etat se
borna cependant à lui ordonner d'écrire une déclaration dans laquelle
il désavouait l'offre faite, disait-on, par lui, à la cour de France. Le
maître des cérémonies a répondu à Gentillot d'une manière très-
brusque, en lui disant qu'on avait vu, par la déclaration de Villiers
qu'il lui communiquait, que ses dires étaient une imposture. C'est à
HISTORIQUES. 383
la suite de cela que ce Frauçais vint à Londres; le Conseil le fit venir,
et le faisant rester debout et découvert, il l'interrogea au sujet de
divers points en commençant par lui demander qui il était, de quel
pays, comment il s'appelait, pourquoi il venait et qui l'envoyait. Il
répondit qu'il était Français, qu'il se nommait Gentillot, qu'il venait
comme envoyé du roi de France et qu'il trouvait qu'on ne le traitait
pas selon sa qualité d'envoyé. On lui demanda s'il apportait des let-
tres de créance, à quoi il répondit que oui: alors on lui demanda
pourquoi il ne les avait pas apportées pour les présenter; à quoi il
répondit en donnant toute sorte d'excuses fondées sur des ordres dont
il se disait porteur. Alors on le fit sortir de la salle et attendre ; au
bout d'un quart d'heure, on l'appela de nouveau et on lui dit de pré-
senter ses lettres de créance dans trois jours et de venir en rendre
compte, avec menace de lui assigner un bref délai pour sortir de
Londres et du pays dans le cas où il ne le ferait pas.
55
386 DOCUMENTS
XX
(Page 219.)
1° M. de GeniiUol à M. Servicn.
Calais, 17 septembre 1652.
Voici des nouvelles non moins fâcheuses que véritables. Les An-
glais ont pris les vaisseaux que Ton avait préparés pour le secours de
Dunkerque, après les avoir guettes plus de dix jours, à ce que rap-
porte le capitaine d'un vaisseau brûlot.
M. le commandeur de Boismorand, qui commandait un vaisseau
nomme le Bergrrjd'd que M. de Vendôme ayant commandé sept vais-
seaux et autant de brûlots pour aller à Calais charger les vivres, gens
et munitions que Ton devait jeter dans Dunkerque, l'amiral ayant
retenu seulement six ou sept brûlots avec VAnna et un autre grand
vaisseau, cette petite escadre prit la route vers Calais où eiiearriva sur le
soir et mouilla l'ancre. Ce qu'à peine elle avait fait quand cinquante-
quatre voiles anglaises lui fondirent sus à pleines voiles. Dans le com-
mencement elle crut que les Anglais la prenaient pour anglaise, si
bien que pour les desabuser elle arbora ses pavillons. Les Français,
voyant que les parlementaires ne laissaient pas de les joindre, appa-
reillèrent dans le dessein de gagner la Hollande, et pour cet effet le-
vèrent l'ancre; mais ils ne firent pas grand chemin sans être enveloppés
par les Anglais qui les ont tous pris, à la réserve du commandeur de
Boismorand qui, à la faveur de la nuit et du feu des ennemis, trouva
moyen d'éviter leur rencontre et de se sauver. Ce fut samedi au soir.
II est arrivé ici environ les six ou sept heures de cematin.
Le capitaine du brûlot, qui est arrivé un peu après l'autre, dit
qu'ayant été pris et reconnu par le général Blake qu'il avait servi
autrefois, et ledit général ayant cru que son vaisseau n'était que frété
et n'appartenait pas au roi par ce que ledit capitaine lui en dit, le lui
avait rendu, et qu'ayant été parmi les ennemis il avait vu quelque
chose du mauvais traitement que messieurs les chevaliers avaient
reçu par les Anglais avec menace d'un plus rigoureux, en haine des
prises que les autres chevaliers ont faites sur eux en Provence. Ils
HISTORIQUES. 387
sont venus, je dis les Anglais, jusqu'auprès de nous chercher notre
amiral l'Arma et les autres vaisseaux qu'ils ont grand rogiet de n'avoir
pas pu surprendre. Ils disent qu'ils les saisiront en quelque part
qu'ils aillent; mais tout le monde croit que le vent a clé si favo-
rable à leur retraite à Brest, que ces perfides perdront leur temps el
leur peine à les chercher.
2° Le duc de l'etidùme à l'amiral Blakc.
Dioppe, 23 septembre l6o2.
J'ai été extrêmement surpris d'une nouvelle que je viens d'a|ipien-
dre. Quelques matelols qui étaient sur les vaisseaux du roi, mon
maître, m'ont rapporté qu'une escadre de son armée, que j'avais
envoyée pour le secours de Dunkercjue, a été attaquée et presque
toute prise vers la rade de Calais par la flotte de la liépuliliqiie
d'Angleterre que vous commandez. J'envoie ce gentilhomme vers
vous pour eu savoir la vérité, et ne puis croire, n'y ayant point
de guerre déclarée entre les deux nations, ni aucun juste sujet
d'exercer des hostilités entre l'une et l'autre, que ce qui a été
entrepris contre les vaisseaux de Sa Majesté ait été fait par l'ordre
de la République. Vous aurez pu voir par ceux que j'a\ais donnés au
sieur de Menillet. qui commandait l'escadre, qu'il était expressément
chargé de ne se point mêler- des différends d'entre l'Angleterre et les
Provinces-Unies, et d'entretenir toute sorte de bonne correspondance
avec Icssujets de votre État. Cela me lait espérer (|ue la République,
étant informée de ce qui s'est passé, donnera les ordres nécessaires
pour la restitution des vaisseaux qui ont été menés en Angleterre, et
que vous ne refuserez pas d'y contribuer ce qui dépendra de vous.
J'attendrai votre réponse avant qu'en écrire à Sa Slajesté; ne dou-
tant point qu'elle ne soit conforme a. la raison et telle que j'ai sujet
de la désirer, je demeurerai, monsieur, votre très-affectionné, etc.
3» Le rnèmc à la népubUipte d'AïujlelciTc.
Dieppe, 25 septembre I6!)i.
Très-illustres seigneurs.
Envoyant ce genlilliomme à M. l'auiiial Hlake, <|ui commande \otre
flotte, pour lui demander la restitution de quelques vaisseaux du roi,
388 DOCUMENTS
mon maître, que j'avais envoyés au secours de Dunkerque, avec
ordre exprès à celui qui les commandait d'entretenir toute sorte de
bonne correspondance avec vos sujets, je l'ai voulu charger de cette
lettre pour supplier bien bumblement Vos Seigneuries d'ordonner
ladite restitution, puisqu'il n'y a point eu jusqu'à présent de guerre
déclarée entre les deux nations, et que Sa Jlajesté n'a point cru qu'il
y eût aucun juste sujet d'exercer des hostilités entre elles. Je me pro-
mets cet effet de la bonne justice de Vos Seigneuries, et sur cette assu-
rance elles me feront la faveur de me croire,
Très-illustres seigneurs, de Vos Seigneuries,
Le très-humble serviteur.
i" M. de Gentillot à M. Servien.
Calais, 24 septembre 16S2.
Depuis mes précédentes, il n'est rien arrivé, sinon que le Parle-
ment d'Angleterre a envoyé vendredi un commissaire à Douvres pour
faire donner du pain et passage aux matelots des navires du roi, et
déclarer aux officiers que l'ordre et l'intention du Parlement étaient
qu'ils fussent traités civilement. Cependant ils ont pris, sans rien
restituer aux uns et autres, leurs nippes. Ils ont retenu Menillet et
quelques autres officiers, jusques au retour des vaisseaux qui les ont
portés. Ils en ont envoyé à Dieppe. Qnel(|ues-uns ont pris parti parmi
eux. Ils disent que ce n'est que par représailles. Us ont fort examiné
s'il n'y avait pas de ces chevaliers qui ont pris de leurs navires sur la
mer Méditerranée.
L'on me mande de Londres qu'ils ont fait un grand bruit de réjouis-
sance, parmi les Communes, de la prise de ces navires, et que les plus
sensés et tous les marchands et citoyens ont été très-fâchés, les uns
croyant que cela excédait l'ordre des représailles et laisserait un sujet
aux Anglais de méfiance plus forte qu'auparavant de notre amitié,
qui pourrait faire passer les choses trop avant; les marchands de peur
qu'on ne saisît leurs effets en France et que tout espoir de bonne in-
telligence ne fût ôlé, à laquelle on avait espéré de bons tempéraments.
L'on me mande que les agents de M. le Prince et de M. du Doignon
n'ont pas plus d'audience qu'auparavant, c'est-à-dire rien, et que
leurs instructions ou affaires n'ont d'organe que l'ambassadeur d'Es-
pagne; mais si votre ressentiment pour cette dernière insulte paraît
trop, que le Parlement prendra de plus confidentes mesures avec eux.
HISTORIQUES. 389
5° Le Conseil d'État d'Angleterre au duc de Vendôme.
12 décembre 1CS2.
Monseigneur, le Parlement de la République d'Angleterre ayant,
le 20 d'octobre dernier, reçu une lettre de la part de Votre Altesse,
datée de Dieppe du 8 de septembre 1632, demandant certains vais-
seaux appartenant au roi de France, pris depuis peu par le colonel
Robert Clake, général de leur flotte, ont commandé à nous, auxquels
ils ont confié et commis les affaires de leur amirauté, d'y faire réponse.
Le conseil d'Etat sait fort bien l'inclination du Parlement de la
République d'Angleterre à maintenir amitié et correspondance aussi
bien avec le roi. votre maître, qu'avec leurs autres voisins. Mais trou-
vant que depuis quelques années les personnes, vaisseaux et biens
des marchands anglais trafiquant es mers Méditerranées , ont été
pillés et pris non-seulement par les sujets de France, mais par les
navires propres du roi, et qu'on ne peut obtenir satisfaction par
aucune adresse qui ait été faite en la cour de France, il a autorisé
ledit général pour tàclier d'avoir réparation de ces dommages sur les
navires et biens de la nation française; et aussitôt que la restitution
sera faite, et que la satisfaction se donnera pour cesdits torts et griefs,
le Conseil sera prêt, au nom du Parlement, de satisfaire aux désirs
de V. A. exprimés en votre lettre.
Whitehall, 2 décembre 16S2 (v. st.).
TiiunLOE, Clerc du Conseil.
Signé au nom et par l'ordre du conseil d'Etat
établi par l'autorité du Parlement
B. Whitelocke, président.
390 DOCUMENTS
XXI
(Page 220.)
1° L'archiduc Léopold au roi Philippe IV.
Bruxelles, le 6 février 1652.
Don Alonzo de Cardenas se trouvant sans autres pleins pouvoirs
de V. 31. que les premières lettres de cré;incc qui raccréditaient au-
près du Parlement d'Angleterre, et prévoyant qu'il se pourrait offrir
une occasion pour entraîner les Anglais dans une guerre contre la
France et le Portugal, m'a demandé qu'en attendant les ordres (|ue
V. M. lui donnerait au sujet de ce qu'il a expose dans ses dépêches,
je lui en donnasse de mon côté par rapport à ce qu'il devrait faire.
Don Alonzo pense qti'il serait lion de chercher dès à présent à faire
en sorte que les Anglais rompent avec la France. Il dit que ce qui
les engagerait le plus à cela, ce serait de pouvoir occuper Calais qui
est la plus proche conquête à faire. Il ajoute que, comme la guene
avec le Portugal dépend du recouvrement de la Catalogne, on pour-
rait remettre à plus tard la conclusion de ce second traité.
Au premier coup d'œil, en considérant combien il serait utile
d'opérer dans le sein de la France une si puissante diversion et de
la priver de Calais, ville si importante et d'oîi elle a fait par mer tant
de conquêtes dans ces provinces-ci; considérant en outre de quel
avantage il serait pour le service de V. M. de mettre la France aux
prises avec un ennemi aussi puissant et aussi hautain depuis ses der-
nières victoires, j'avoue à V. M. que je serais porté à penser que don
Alonzo devrait chercher à pousser les Anglais à la conquête de Calais,
si je n'étais retenu par d'autres considérations qui sont celles ci.
Les Anglais sont de leur nature peu constants dans leur amitié
avec les étrangers, et si un jour ils devenaient ennemis de V. M.,
étant maîtres de Calais, ils auraient avec Douvres les deux portes de
la Manche à l'aide desquelles ils fermeraient cette mer à tous, et
intercepteraient par leurs puissants bâtiments de guerre la commu-
nication entre l'Espagne et ces provinces-ci, d'où résulterait pour
nous le danger de les perdre.
Bien que les Français soient divisés en différents partis, aucun
HlSTOftlQUES. 391
d'eux ne consentirait à perdre la moindre parcelle du royaume de
France. Les dissensions qui y existent aujourd'hui, du moins aux
yeux de tout le monde, ont leur source uniquement dans le désir de
satisfaire des passions individuelles; mais si les Français voyaient
une place si importante occupée par les Anglais qui pourraient de là
poursuivre leurs conquêtes comme ils l'ont fait dans d'aulrcs temps,
ils no prendraient prohablenient plus conseil que de leurs apprélicMi-
sions et ils s'uniraient dans l'inlérêt commun ; et alors les avantages
que nous recueillons de leurs discordes cesseraient aussitôt.
Il est également à croire que les Hollandais, qui ne sont pas déjà
très-bien avec le Parlement d'Angleterre, en lui voyant faire de telles
conquêtes, s'allieraient avec la France, car il ne leur serait pas moins
sensible qu'à nous de voir leurs bâtiments livrés, dans la traversée de
la Manche, à la merci de la courtoisie des Anglais.
Dans ce cas il serait à craindre que les Hollandais ne cherchassent
avec ardeur à aciieter nos places maritimes possédées actuellement
par les Français, ce qui nous obligerait de nouveau à déclarer la
guerre, car c'est pour les empêcher d'iiccepter la vente de ces place»',
que les Français leur offraient, qu'on leur a fait entendre que V. M.
était décidée à recouvrer ses places, d;ins quelques mains qu'elles se
trouvassent.
Voilà ce que j'ai fiit répondre à don Alonzo de Cardenas, on lui
recommandant d'entretenir des pourparlers au sujet des deux points,
la rupture avec la France et la rupture avec le Portugal, jusqu'à ce
qu'il ait reçu réponse aux dépêches qu'il a adressées à V. M., et je lui
ai dit que si les Anglais étaient décidés à ron)pre avec la France, ce
qui viiudrait le mieux, ce serait qu'ils le fissent du côté de la Breta-
gne ou de la Normandie. Que Dieu, etc.
2° Dun Alonzo de Cardenas au roi Philippe IV.
Londres, 25 janvier 16S2.
Sire,
Après la balaiilç de Worccslcr, les affaires ont pris ici une telle
assiette qu'on ne voit aucuu mouvement qui puisse affecter la paix et
la tranquillité publique; d'uulant plus que les iionimes du gouverne-
ment s'appliquent à améliorer l'élat de la Uépubliiiue, et sont d'ail-
leurs tellement enflés d'orgueil (pi'ils n'ont pas l'air de se soia-ier du
concours des ambassadeurs et des nnnisties étrangers (|ui, dil-oii,
négocient de tous cùlés pour venir reconnaître la Uépubliquc el se
592 DOCUMENTS
concilier son amitié. C'est ainsi que trois ambassadeurs extraordinai-
res de la Hollande sont venus ici le 29 décembre dernier, regrettant
vivement de ne l'avoir pas fait lorsque cette République avait envoyé
à la Hollande une ambassade solennelle pour solliciter son alliance.
Aussitôt après leur arrivée, ils firent des démarches très-empressées
pour avoir une audience du Parlement; elle leur a été accordée le 29
du mois susdit; et à cette occasion M. Catz, qui occupe le premier
rang parmi les trois envoyés et qui dirige les négociations qu'ils sont
venus ouvrir, a fait un discours en latin dont il a laissé copie par
écrit et dont je joins une copie à V. M. J'en ai également envoyé une
en Flandre à l'archiduc, et à la Haye au conseiller Brun, en rendant
compte, à l'un et à l'autre, des mauvaises dispositions que ces gens-
là commencent à manifester à l'égard de l'Espagne, comme on peut le
voir par divers points contenus dans le document. La chose n'est pas
nouvelle pour moi, car j'ai observé les mauvaises dispositions de l'un
d'entre eux qui se nomme Schaep quand il était venu à Londres, il y
a plus de deux ans, comme commissaire envoyé par sa province, la
Hollande, pour faire des propositions qu'il a en effet adressées au
gouvernement anglais. Ayant considéré combien d'inconvénients pour
le service de V. M. ajurait l'union des intérêts de ces deux républi-
ques, j'avais commencé, avant l'arrivée de ces envoyés, à m'occuper
des moyens de faire entrer V. M. dans leur accord, s'il n'était pas
possible d'empêcher ledit accord, ainsi qu'à prendre soin qu'il ne se
fît aucune stipulation ni convention qui fût au préjudice des intérêts
de V. M. ; c'est pour(|uoi, après avoir conféré sur cette matière avec
nos amis du Parlement par le seul intermédiaire qui fût resté pour
communiquer avec eux, j'avais résolu d'introduire la proposition de
quelque traité. J'ai reconnu cependant qu'il y avait des difficultés à
le faire; le ressentiment qu'on conserve ici de l'impunité des assas-
sins du résident a été un obstacle, et ces jours-ci, ce ressentiment a
été fomenté par les presbytériens, partisans des Hollandais. Un autre
obstacle s'est rencontré dans la résolution que le Parlement a prise
de ne point envoyer d'ambassadeur en Espagne et de ne conclure
aucun traité avec aucun ministre de V. 31. avant d'avoir obtenu la
satisfaction à laquelle ils prétendent avoir droit. A cela il faut ajouter
le désir que j'avais d'amener les hommes du Parlement à faire les
premiers quelques propositions ; mais je n'ai jamais pu les y amener,
bien que j'aie cherchée le faire par de différentes voies déguisées,
et bien que j'aie fait moi-même des ouvertures à une personne
appartenant à ce gouvernement, avant qu'on eût défendu aux mem-
bres du gouvernement de se laisser visiter par les ministres étran-
gers ou d'aller eux-mêmes les visiter. Même après cette défense, j'ai
HISTORIQUES. 393
tenté de le faire par l'entremise d'une personne de confiance. Un des
membres du gouvernement, ayant appris que j'hésitais à faire au
Parlement des propositions d'alliance, dans la crainte de les voir
écartées à cause de l'affaire des assassins du résident Ascham, a dit
à mon homme de confiance qu'il lui semblait que. si j'avais toujours
cette intention, il n'y avait pas d'occasion plus favorable que la
présente, attendu que le Parlement se trouvait précisément peu
satisfait des Hollandais, des Français et des Portugais, et qu'il croyait;
que c'était à nous à parler les premiers d'une alliance avec la Ré-
publique d'Angleterre contre la France et le Portugal avec qui
V.M. était en guerre ouverte, de même que ce serait au Parlement à
faire des ouvertures s'il s'agissait pour lui de s'unir à V. M. pour
conquérir l'I-^cosse ou l'Irlande, ou de reconquérir quelques autres
provinces. Il m'a été impossible de les amener à autre chose. Voyant
l'avantage qui résulterait pour le service de V. M. d'un traité quel-
conque avec ces gens-ci, et trouvant une occasion favorable pour le
faire dans l'absence de Henri Vane qui venait de partir comme com-
missaire en Ecosse, homme trèsinducnt et très-hostile à l'Espagne,
je me suis décidé à demander au conseil d'Etat une audience avant
l'arrivée des envoyés de la Hollande, ne voulant pas leur donner lieu
de soupçonner, en demandant une audience après cette arrivée, que
c'était pour contrecarrer leur négociation. Le conseil d'Etat tarda
pendant trois ou (juatre jours à me fixer le jour de l'audience, attendu
que le maître des cérémonies était absent de Londres d'où il était
parti pour préparer à Gravesend et à Greenwicli des logements pour
les envoyés hollandais ; on avait été averti qu'ils attendaient seu-
lement un vent favorable j)our s'embarquer. Le 2C décembre on me
fixa le jour du 29. Les Hollandais eurent ce joui-lti l'audience du
Parlement dans la matinée, et moi j'obtins celle du conseil d'Etal à
cinq heures du soir du même jour. Il m'a paru convenable de com-
mencer par l'affaire des assassins d'Ascham, et j'ai parlé dos droits
d'imnmnité de l'Eglise avec plus de force que je ne l'avais encore
fait ; comme il fallait leur dire quelque chose de l'état de cette affaire,
bien que je n'aie reçu aucun a\'is là-dessus, j'ai cherché à les enli'c-
tenir dans l'espérance qu'il leur sera donné satisfaction ; puis j'ai
parlé de la nécessité de rendre l'amitié entre les deux Etals plus
étroite, et j'ai clos mon audience en j)riant qu'on rendit justice aux
Espagnols propriétaires de l'argent qui se trouvait sur le navire lu
Santa Clara. Le président du conseil d'Elat nie répondit en (pielques
mots en disant que le Conseil prendrait en considération ce que jo
venais de dire de vive voix et ce que je laissais par écrit, et qu'il me
transmettrait sa réponse le lendemain. J'ai su ensuite qu'après ma
oU DOCUMENTS
sortie les quatre pièces que j'avais laissées ont été lues et qu'on a pris
jour pour les discuter. Ce jour-là on les a relues, et quoique la pièce
n» 1 leur ait paru bien (c'était celle qui traitait de l'affaire des ac-
cusés de l'assassinat du résident), le président et quatre ou cinq au-
tres membres qui ont parlé après lui ont insisté avec chaleur potir
qu'on me fit dire que la réponse définitive me serait envoyée lorsque
la satisfaction aurait été accordée ; mais les autres membres ont été
d'un avis opposé en faisant observer que ma note expliquait la procé-
dure suivie en Espagne dans cette affaire, qu'elle donnait des espé-
rances du châtiment des coupables, et qu'elle exprimait les senti-
ments de V. BI. et son désir de donner satisfaction, ce qui constituait
déjà un commencement de satisfaction. A la suite de cette délihéia-
tion, on a résolu de rendre compte au Parlement du contenu de
toutes mes notes. Le Conseil reconnaissait la nécessité d'être autorisé
d'une manière spéciale par le Parlementa conclure avec moi un traité,
et on en fit un rapport. Le Parlement, conformément au rapport du
Conseil, lui renvoya les notes qui traitaient des lettres de marque et
du navire laSanla Clara, en lui lecommantlant de prendre à ce su-
jet une résolution. Quant à la pièce qui traitait de ralfairc des assas-
sins d'Aschan), on la remit à un comité du Parlement avec ordre de
répondre en insistant sur la nécessité de punir ces hommes. Lu trci-
sicmc pièce, celle qui avait trait à un traité à conclure avec la Képu-
blique, fut discutée longuement ; les presbytériens s'efforçaient de
persuader aux autres qu'on ne devait traiter avec moi d'aucune al-
liance avant qu'on eût reçu satisfaction dans l'affaire des assassins;
mais les indépendants l'emportèrent et on décida qu'on traiterait
avec moi. Alors un presbytérien, ne sachant plus aucun autre moyen
de nuire, dit qu'il serait bon que le Conseil, avant de me donner une
réponse, m'ordonnât d'exhiber les pleins pouvoirs de V. M. pour trai-
ter avec cette République. Une résolution ayant élé prise dans ce
sens, le maître des cérémonies vint chez moi, le 19 de ce mois, et me
remit la copie de l'ordre du Parlement ainsi que celle de l'oidre que
le conseil d'Etat lui avait donné de me remettre la première. J'ai ré-
pondu que V. M. m'enverrait sa réponse quand elle aurait vu ces
deux pièces. Nos amis ici ne pouvaient croire que je me trouvasse
sans pleins pouvoirs de V. BI., et ils insistaient pour que je les exhi-
basse. Je les assurai que je n'en avais pas, mais qu'ils me seraient
envoyés sous peu; ils ont cherché alors à engager le Parlement à se
contenter du caractère officiel et de l'autorité que me donnaient mes
lettres de créance, et à commencer les négociations en vertu de ces
lettres. Il m'a paru nécessaire de rendre compte à \ . M. de tout ceci,
avant même qu'on me donne une réponse, afin que, si la chose parait
HISTORIQUES. 30S
convenable à V. M., il me soit transmis des pleins pouvoirs généraux
qui me permettent de suivre une négociation quelconque avec le Par-
lement de cette République et de la conclure ; ou bien afin que des
pleins pouvoirs soient donnes à la personne qui me remplacera ici,
s'il y a lieu. Les instructions devraient cire très-détaillées afin qu'on
sache bien ce qu'on doit demander. J'entretiendrai des pourparlers
jusqu'à l'arrivée des ordres de V. M. et de sa réponse à la présente
dépêche. Je prie V. 31. de me la faire expédier aussi promptement
que possible et par diverses voies avec des instructions très-détaillées
pour savoir sur quelles bases je devrai négocier, en cas qu'il en soit
question, ce qui est très-probable.
Je crois devoir rendre également compte à V. M. de ce que j'ai
entendu dire, savoir que les presbytériens et d'autres membres du
Parlement, qui ne nous sont pas favorables, disent dans leurs con-
versations particulières qu'aujourd'hui il n'existe aucun traité de paix
entre l'Espagne et l'Angleterre, attendu qu'il n'y a aucune obligation
de considérer comme en vigueur le traité conclu avec le roi Charles !<■' ;
que par conséquent ce ne serait pas le rompre si la République d'An-
gleterre prenait telle résolution qui lui j)lairait, et dès que cela lui
conviendrait. Ceci méiite une mûre considération, et je regarderais
comme un grand mal si les assassins du résident n'étaient pas enfin
punis, et si le gouvernement de ce pays-ci tardait à envoyer des am-
bassadeurs auprès de V. 31. Alors l'ancien traité de paix serait très-
précaire tanlqu'il n'aurait pas été renouvelé formellement entre V.3I.
et cette République.
30 Extrait d'une lettre du même au même {l^ février 16S2).
Dans une autre lettre du l'i février 1632, don Alonzo développe ce
qu'il avait dit, dans celle du 23 janvier, relativement au projet de coa-
lition entre l'Espagne et le Parlement d'Angleterre à qui il proposait
une expédition en commun contre Calais, à condition ([ue les .\nglais
aideraient l'Espagne dans celle de Gravelines, de Dunkerciue et île
Mardick. Il rend compte des raisons qui lui ont fait différer d'avoir
à ce sujet des pourparlers, et sollicite vivement une ré|)onsc à sa dé-
pêche du 23 janvier avec des pleins pouvoirs cl des ojdres relatils à
son caractère olficiel, dans le cas où quehjue occasion viendrait à s'of-
frir pour entreprendre quelque chose, tant contre les Français que
contre les Portusiais.
396 DOCUMENTS
4" Don Alonzo de Curdenas à don Geronimo de la To7're.
Londres, 25 février J6S3..
Cher Monsieur,
11 y a environ quatre jours, j'ai envoyé un pli adressé à S. M., par
la voie de Flandre ; pour le cas où le courrier ordinaire qui se rend
en Espagne n'arriverait pas à sa destination, comme cela se rencontre
quelquefois, il m'a paru nécessaire d'envoyer les duplicata de ce pli
par un navire qui se rend à Bilbao. Je les envoie donc ci-joints avec
la dépêche qui parle de la question de Calais et avec un extrait de la
lettre du docteur Augustin Navarro, du 3 février, dans laquelle on
parle des motifs qu'on a eus en Flandre pour différer la proposition
jusqu'à ce qu'on ait reçu les ordres de S. 31. 11 m'a paru à propos de
joindre ici la réponse que j'y ai faite, pensant qu'elle pourrait arriver
à temps, avant qu'on prenne une résolution à ce sujet. Je n'ai rien à
ajouter à cela, sinon que je vous baise les mains et que Dieu vous
garde longues années, comme je le désire.
S" Aug. Navarro Btirena à don Alonzo de Cardenas.
Bruxelles, 3 février 16S2.
J'ai rendu compte à S. A. (l'archiduc) de ce que vous m'avez écrit
en désirant connaître son avis sur ce qu'il vous conviendrait de dire
aux commissaires anglais lorsqu'ils s'ouvriraient, comme vouslesup-
posez, au sujet des deux points, savoir, la rupture de l'Angleterre
avec la France dans le cas oii l'on faciliterait à l'Angleterre la prise de
Calais, la guerre avec le Portugal qui serait plus avantageuse pour le
Parlement. Vous avez jugé, comme on juge ici, qu'il y aurait des
avantages incomparables pour S. M. si le gouvernement anglais fai-
sait la guerre à la France. La question du Portugal, que devrait pré-
céder le recouvrement de la Catalogne, admettrait plus de délai.
On désire ici beaucoup que vous receviez des instructions sur des
questions aussi délicates; or, il n'est pas facile d'expédier à S. M. un
courrier en la priant qu'Elle veuille faire connaître ses volontés à ce
sujet ; cela dépendra beaucoup du temps que mettra le courrier ordi-
naire qui part d'ici le 6 de ce mois ; on lui remettra le pli que vous
adressez à Madrid.
HISTORIQUES. 597
La semaine passée je vous ai écrit relativement aux inconvénients
que l'on appréiiendait de l'occupation de Calais par les Anglais; car
étant maîtres de Douvres, par conséquent des deux côtés de la Man-
che, le jour oîi il y aurait rupture entre S. M. et eux, la Manche se-
rait fermée à nos navires, et la communication avec les autres États
de S. M. serait rendue impossible.
On a considéré aussi que les Hollandais en viendraient peut-être à
former quelque nouvelle alliance avec les Français pour la même
cause; et on pourrait craindre qu'ils ne cherchassent à acheter les
places maritimes, moyen par lequel les Français espèrent les engager
contre nous.
Si le gouvernement anglais voulait rompre avec la France, et qu'il
fît quelque expédition en Bretagne ou en Normandie, on y gagne-
rait d'opérer en France une utile diversion ; mais peut-être aussi que
cela obligerait les deux partis en France de s'unir lorsqu'ils verraient
que les étrangers profitent de leurs dissensions. Voilà ce que S. A. me
recommande de vous dire, en ajoutant que vous devez chercher adroi-
tement à amener une rupture entre l'Angleterre et la France, ou à en-
tretenir les deux pourparlers, tant celui dont je viens de parler que
celui qui est relatif au Portugal, jusqu'à ce que les ordres de S. M.
vous arrivent.
ii° Don Alonzo de Cardenas à Aug. Navarro Burena.
Londres, 9 février 1652,
J'ai lu ce que vous avez bien voulu me dire sur les deux points au
sujet desquels j'avais consulté S. A. l'archiduc, et vos réflexions sur
les inconvénients qui résulteraient de l'occupation de Calais par les
Anglais; elles sont certainement pleines de prudence; mais ce qui
doit faire hésiter à les admettre, c'est (jue le mal qu'on paraît craindre
ne s'est cependant jamais produit dans tout l'espace de deux cents
ans pendant lesquels l'Angleterre a possédé cette ville (époque dans
laquelle s'est trouvé placé le règne de l'empereur Charles-Quint et
de son père) jusqu'au moment où elle l'a perdue, du temps de la
reine Marie. D'un autre côte il faudrait tenir compte des avantages
qui en résulteraient pour S. M. et du préjudice qu'en recevraient nos
ennemis, avec les(|uels nous sommes en guerre flagrante. Il me sem-
ble qu'on devrait préférer un grand avantage certain et actuel A des
éventualités, et abandonner quelque choseà l'avenir et au sort; d'ail-
leurs la ville étant une fois aux mains des Anglais, clic serait une se-
RÉFUDLKJUE D'ASGLETEnRE. 1, 31
398 DOCUiMENTS
mence de discorde entre la France et l'Angleterre, et les haines na-
tionales qui ont toujours existé entre les deux pays en seraient sans
cesse attisées. Quant au danger de la perte de nos provinces flamandes,
cela ne serait possible que dans le cas où l'Espagne serait en guerre
avec l'Angleterre, et alors la France, pour recouvrer la ville de Calais,
s'unirait à l'Espagne, ce qui rendrait facile de chasser les Anglais dès
qu'on le voudrait.
Quant aux conquêtes que le Parlement pourrait faire en Bretagne
et en Normandie, ce n'est pas un plan qu'il puisse être tente de mettre
à exécution, car les Anglais ne poui raient se promettre là, par terre,
le secours de nos armées, et ils ne sont pas portes à rompre seuls avec
la France. Quant au risque de coalition entre la Hollande et la France,
il serait le même si la République d'Angleterre s'unissait à nous pour
prendre, soit Calais, soit d'autres villes de Bretagne ou de Norman-
die. En ce qui touche l'achat par les Provinces-Unies des places ma-
ritimes, on ne croit pas ici qu'elles le fissent, car ce gouvernement-ci
s'y opposerait, et il le ferait avec d'autant plus de raison que ce serait
sa conduite qui aurait déterminé, de la part des Hollandais, une telle
résolution.
Quoi qu'il en soit Je ne presserai pas la négociation à ce sujet, et je
me bornerai à entretenir des pourparlers sur cette question ainsi que
sur celle du Portugal, jusqu'à ce qu'il m'arrive de la part de S. M. des
ordres conformes aux idées de S. A. Mais je crains que le temps d'agir,
qui serait dans le printemps, ne se passe; à cette époque-là les Anglais
auront leur flotte prêle; elle se prépare déjà et on dit qu'elle comp-
tera cent cinquante navires, dont cent vingt de l'Etat et trente na-
vires marchands frétés pour l'Etat.
7» Don Alonzo de Cardenas au roi Philippe IV.
Londres, 20 septembre 1652.
Sire,
Dans diverses dépêches j'ai déjà rendu compte à V. M. de la pro-
position que j'avais faite aux commissaires du Parlement pour le re-
nouvellement du traité de paix entre V. M. et la République d'Angle-
terre, conformément aux ordres de V. M.; j'ai aussi parlé à V. M. du
contenu d'une note que je leur avais remise et dont je lui ai envoyé
copie. Ensuite j'ai rendu compte des démarches que j'ai faites pour
obtenir une réponse et de celle qui m'a été donnée en dernier lieu le
22 août, de tout quoi j'ai également envoyé les copies à V. M. Dans
HISTORIQUES. 399
cette réponse on me disait que le conseil d'État attendait que je rédi-
geasse les articles que je lui devais proposer; j'ai donc signé et pré-
senté à ces mêmes commissaires, le 12 de ce mois, les articles contenus
dans le cahier joint à la présente ; ils sont extraits du dernier traité
qui avait été conclu avec le feu roi, sauf les changements nécessairesà
raison de l'état actuel des choses. Dans l'article HI» se trouve la clause
que V. M. m'avait particulièrement recommande d'insérer; elle porte
qu'aucune des parties contractantes ne pourra donner aucun appui
ni secours direct ou indiiect aux rebelles et aux ennemis de l'autre
partie. Le dernier article a été ajouté par moi à raison de la prohihi-
tion qui a été faite ici de transporter en Angleterre des marchandises
dans des navires non anglais ou qui n'appartiennent pas à la nation
d'où proviennent les produits, ou au pays de leur fahricalion. Il m'a
paru juste etconvenablequetous lessujets, quels qu'ilssoicut, dcV.M.
pussent transporter, des divers États appartenant à V. 31., tous pro-
duits et marchandises, bien qu'ils ne soient pas eux-mêmes originaires
du pays où lesdits produits se fabriquent. J'ai appris que le même jour
(le 12 septembre) ces articles ont été lus en Conseil ainsi que la note qui
les accompajjnait et dont j'envoie copie avec la présente. De même je
joins ici copie de la note dans laquelle j'ai répondu à ce qui legarde
les prévenus du meurtre d'Ascbam qui sont encore en prison, car
j'avais appris que le Conseil aurait trouvé mauvais si j'avais né-
gligé de le faire. Tout cela a été rcnvov'é à la Commission des
affaires élrangf'ires. Je rendrai compte à V. M. de la réponse qu'on
y fera.
8" Nnle et Propositions présentées au Conseil d'Etat d'Angleterre le
12 septembre 1652, par don Alonzo de Cardenas
Don Alonzo de Cardenas, du Conseil de S. M. Catholique et son
ambassadeur auprès du Parlement de la l{épubli(]ue d'Angleterre, dit
qu'après îjvoir vu la réponse que l'honorable conseil d'Etat a faite
en dernier lieu, le 12-22 août, à ses notes des 6 juin (:27 mai) et du
6-1 G août, dans lequel document il est dit d'abord que le l'arleinent
persiste dans sa résolution de continuer et maintenir l'amitié et les
l)ons rapports avec le roi son maître, comme cela avait été déjà ex-
primé dans d'autres occasions et notes iirécédenles, particulièrement
dans celle du 10-20 avril, et ensuite que le conseil d'Etat attend que
le susdit ambassadeur lui présente quelques articles pour le renou-
vellement du traité de paix ainsi qu'il a été proposé par lui, il a paru
convenable au susdit ambassadeur do rédiger des articles qu'il a Thon-
400 DOCUMENTS
neur <le pFesenter, avec la présenté, afin que le Conseil les fasse exa-
miner, et que, dans le cas où il les trouverait convenables et con-
formes aux intérêts des deux Etats, il en ordonne l'expédition. Le
susdit ambassadeur se réserve la faculté d'ajouter, de changer ou de
supprimer, avant la conclusion définitive du traité, ce qui lui parai-
trait exigé par les circonstances qui se présenteraient dans le cours de
la discussion.
Articles proposés par don Alonzo de Cardcnas du Conseil de S. M. Catho-
lique et son ambassadetir auprès du Parlement de la République
d'Anijkterre, pour le renouvellement du traité do paix, d'alliance
et d'amitié entre le roi son mailre cl Iv Parlement de ladite Répu^
blique.
I
Premièrement, à partir de ce jour il y aura une bonne, générale,
sincère, vraie, constante et parfaite amitié, alliance et paix de durée
perpétuelle, et réciproquement inviolable, tant sur terre que sur mer
et eaux douces, entre le sérénissimc roi d'Espagne et ses héritiers et
successeurs, et la République d'Angleterre, et entre les royaumes,
États, territoires, pays et sujets quelconques des deux puissances,
tant à présent qu'à l'avenir, de quelque rang et dignité qu'ils soient,
de manière que les susdits sujets et peuples se secondent et s'en-
tr'aident réciproquement et entreticnncut des relations et des com-
munications de bon vouloir.
II
IVi le sérénissime roi d'Espagne ni ses héritiers et successeurs, ni
le Parlement de ladite République ne feront et n'entreprendront,
tant par eux-mêmes que par d'autres, aucune chose qui soit au pré-
judice de l'autre partie contractante, ou de ses royaumes, possessions
ou territoires quelconques situés en quelque partie que ce soit de la
terre ou de la mer, de ports ou d'eaux douces, sous aucun prétexte
ni dans aucune occasion que ce soit ; et aucune des deux parties ne
donnera appui et ne consentira à aucune guerre ou dessein qui soit
ou puisse être au préjudice de l'une ou de l'autre.
III
Aucune des deux parties ne consentira que, par aucun de ses
sujets, vassaux, peuples ou habitants respectifs, il soit prêté secours,
HISTORIQUES, <f01
ou assistance, ou faveur, ou conseil, dircclcment ou indirectement,
par terre, par mer ou sur eaux douces, aux ennemis ou aux rebelles
de l'autre partie, de quelque genre qu'ils soient ; ni que, par lesdits
sujets ou vassaux, il soit fourni, à ceux qui attaqueraient ou qui ont
attaqué les possessions, territoires et Etals dudit roi et de ladite
République, ou à ceux qui se soustrairaient ou se seraient soustraits
à l'obéissance et à l'autorilc de l'une ou de l'autre des deux parties,
des soldats, des vivres, de l'aji^cnt, des armes, des chevaux, des instru-
ments de guerre, des numitions, ou tout autre secours servant à
fomenter ou à entretenir la guerre.
IV
En outre le sércnissime roi d'Espagne et le Parlement de ladite
Republique d'Angleterre renonceront, comme ils renoncent en effet
par le présent traité, à toutes ligues, confédéralions, alliances, capi-
tulations et accords, conclus, de quebjue manièie que ce soit, au
préjudice de l'autre partie, et contraires ou cjui pourraient devenir
contraires à ce traite de paix et à la bonne entente des deux parties,
ou à quoi que ce soit qui est contenu dans ce traite. Les deux i)arties
annuleront et déclareront de nulle valeur Icsdilcs ligues et promet-
tent de ne point en faire de pareilles.
Le sérénissime loi d'Espagne et le Parlement de la République
d'Angleterre s'efforceront de faire en sorte (|ue leurs sujets respec-
tifs ne se fassent à l'avenir aucun mal; et ils révoqueront toute
espèce de lettres de représailles ou de marque ainsi que toutes autres
commissions qui emi)orteraient la permission de faire aucune sorte
de prises, au préjudice duilit roi ou de ladite République, ou de leurs
sujets respectifs, cl qui auraient été données à leurs propres sujets
ou à des étrangers; les deux parties les déclareront nulles, comme
elles les déclarent eu effet nulles par le présent traité ; et ceux qui y
contreviendraient seraient punis; et in(lé|)cndamnicnl de la peine
qu'ils subiraient, ils seraient obligés de restituer les donuuages à
ceux qui seraient lésés et (pii demanderaient une indemnité.
A l'avenir il ne sera point délivré de lettres de représailles ou de
marque par aucune des deux [jarlics à leurs sujets ou habitants res-
pectifs, ni à des élrangers, sans qu'on ait auparavant fait connaîlro
les griefs et communiqué coi>ic des rcclamalions, à l'ambassadour du
3i.
^02 DOCUMENTS
sérénissimc roi, ou de la République, qui résiderait àla cour de l'Etat
contre les sujets duquel on demanderait lesdites lettres de représailles
et de marque, et sans qu'on ait connaissance de la chose, excepté les
cas permis par le droit des gens relatif aux représailles et selon les
règles prescrites par le droit.
VI
Entre ledit sérénissime roi d'Espagne et ladite République d'Angle-
terre, ainsi qu'entre leurs sujets et habitants de leurs Etats respec-
tifs tant sur terre que sur mer et sur eaux douces, dans tous les
royaumes, États, domaines, villes, ports, villages et localités dudit
roi et de ladite République, il y aura et il devra y avoir libre com-
merce, comme il l'était avant la guerre entre le roi Philippe II, roi
des Espagnes, et Elisabeth, reine d'Angleterre, de la manière convenue
dans le traité de paix de ibOi, article IX, et conformément aux usages
consacrés par les anciennes alliances et traités conclus avant ladite
époque; de telle sorte que, sans aucuns sauf-conduits ni autre per-
mission générale ou particulière, tant par terre que par mer ou eaux
douces, les sujets dudit roi d'Espagne et ceux de ladite République
d'Angleterre puissent mutuellement venir, entrer, naviguer, aller
aux villes, localités, ports, rivières, golfes et s'arrêter dans n'importe
quels ports où, avant la susdite époque, il y avait commerce récipro-
que selon les usages consacres par les anciennes alliances et traites;
qu'ils puissent conduire des marchandises dans des charrettes à dos
de cheval, dans des sacs, sur des bateaux chargés ou à charger; qu'ils
puissent acheter et vendre toutes choses qu'il leur plaira et s'appro-
visionner en choses nécessaires pour la vie et le voyage, à des prix
modérés; qu'ils puissent vaquer à leurs affaires d'argent et au radoub
de leurs bâtiments ou voitures tant à eux propres que de louage ou
empruntés, et qu'ils puissent s'éloigner desdits ports avec leurs biens,
marchandises et autres choses quelconques, après avoir acquitté, se-
lon les lois locales, seulement les droits et péages en vigueur; et enfin
qu'ils puissent s'éloigner et retourner librement dans leur propre
pays ou dans des pays étrangers sans empêchement aucun et comme
ils voudront.
VII
Il sera permis d'arriver, de séjourner et de retourner dans les
ports dudit sérénissime roi d'Espagne et de ladite République d'An-
HISTORIQUES. -fOS
gleterre respectivement avec la même liberté; non-seulement avec
des navires de commerce destinés au transport des marchandises,
mais encore avec d'autres bâtiments propres armés et appareillés pour
réprimer les ennemis ; soit que ces bâtiments entrent dans Icsdils
ports par suite du mauvais temps ou spontanément, dans le but de
s'approvisionner; à condition toutefois que, si ces bâtiments arrivent
spontanément et non pas forcés par la tempête, leur nombre n'ex-
cède pas six ou huit, et qu'ils ne séjournent pas dans les ports ou
dans le voisinage au delà du temps nécessaire pourréparer leurs ava-
ries ou pour s'approvisionner en choses nécessaires, afin qu'ils ne
soient d'aucun obstacle au passage et au libre commerce des autres
nations amies. Dans le cas cependant où il s'agirait d'un nombre plus
considérable de navires de guerre, il ne leur sera pas permis d'en-
trer avant d'en avoir prévenu ledit roi ou ladite République, ni sans
leurs permissions respectives; et encore pourvu qu'il ne soit commis
dans les ports dudit roi ou de ladite République aucun acte hostile
au préjudice dudit roi ou de ladite République, mais que lesdits bâti-
ments restent tranquilles et paisibles comme amis et alliés, en faisant
attention à ce que, sous prétexte de commerce, il ne soit fourni par
les sujets, vassaux ou habitants desdits royaumes ou de ladite Ré-
publique respectivement, ni appui, ni secours en vivres, armes ou in-
struments de guerre ou quelque autre faveur ou appui militaire, au
profit des rebelles ou ennemis de l'une ou de l'autre des deux parties,
et que tout individu qui chercherait à le faire soit puni des peines
les plus sévères portées contre les séditieux et perturbateurs de la
paix publique et de la foi des traités. Les sujets respectifs de l'un
des deux États ne seront pas traités sur les territoires de l'autre plus
rigoureusement que ne le seront les nationaux quant aux ventes et
transactions commerciales, tant sous le rapport du prix que sous tout
autre rapport ; sous tous ces rapports la position des étrangers devra
être égale à celle des nationaux, sans que des lois ou coutumes quel-
conques aient un effet contraire.
VIII
Aussitôt après la signature des articles du présent traité, le Parle-
ment de la République d'Angleterre défendra et publiera par un
édit la défense qu'aucun sujet, habitant ou vassal de ladite Répu-
blique puisse porter, transporter en aucune manièie directe ou indi-
recte, en son nom ou au nom de qui (|uc ce soit, d'aucun navire ou
bateau, ni qu'il puisse donner ou i)rèler son nom à un autre i)0uj
iOi DOCUMENTS
transporter, des navires ou embarcations, aucunes marchandises,
produits manufacturés ou autres objets quelconques, du Portugal ou
de ses possessions conquises, en Espagne ou aux autres royaumes
et possessions du scrcnissime roi d'Espagne, ni porter sur ses
navires dans lesdits pays aucun négociant ou marchand portugais,
sous peine d'encourir l'indignation du Parlement et d'autres peines
établies contre ceux qui ne tiennent aucun compte des ordres supé-
rieurs. A cet effet, et pour mieux prévenir toute espèce de fraude qui
pourrait résulter de la ressemblance des marchandises d'Angleterre,
d'Ecosse et d'Irlande, il est convenu, par le présent article, que les
marchandises qui devront cire transportées aux royaumes et Etats
dudit roi d'Espagne seront pourvues du registre et du sceau de la
ville où elles auront été prises, et ainsi enregistrées et marquées, elles
seront considérées comme anglaises, écossaises et irlandaises, sans
qu'il soit soulevé aucunes difficultés ni doutes; et elles seront regar-
dées comme légitimes, sous réserve de prouver la fraude, mais sans
qu'il soit apporté, au moment même, aucun obstacle au passage de
ces marchandises. Celles qui ne seraient ni enregistrées, ni pour-
vues de sceaux seront confisquées et regardées comme étant de bonne
prise, de même que tous les Portugais qui se trouveraient sur lesdits
bâtiments seront arrêtés et emprisonnés.
IX
Les marchandises d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande pourront
venir librement des États de la République d'Angleterre en Espagne
et dans les autres royaumes et États du séiénissime roi d'Espagne,
comme il a été stipulé plus haut en payant les droits et redevances
d'usage.
X
A l'égard des marchandises que les marchands anglais, écossais et
irlandais achèteront en Espagne ou dans d'autres royaumes ou Etats
du sérénissime roi d'Espagne, et qu'ils emporteront sur des bâti-
ments, soit à eux propres, soit loués ou empruntés à cet usage,
excepté toutefois, comme il a été dit plus haut, les bâtiments du Por-
tugal, on n'augmentera point les droits ni redevances, à condition que
lesditcs marchandises soient conduites et j)orlces dans les Etals de la
Répuhlique d'Angleterre ou dans les ports des provinces amies du
roi d'Espagne, cl non pas en Portugal ni dans aucun des Elats ou
HISTORIQUES. ^05
territoires du Portugal. Et afin qu'il n'y ait point de fraude à cet
égard et que lesdites marchandises ne soient point portées dans
d'autres lieux ou royaumes, ni transportées dans le Portugal ni dans
aucune de ses conquêtes, il est convenu que les susdits marchands,
au moment où ils chargeront leurs bâtiments soit en Espagne, soit
dans d'autres royaumes ou États dudit sérénissime roi d'Espa-ne,
déclareront devant l'autorité judiciaire de l'endroit où ils prendront
lesdites marchandises, qu'en cas où ils les porteraient dans d'autres
pays que ceux qui ont été spécifiés, ils payeront au sérénissime roi
d'Espagne un droit de 50 pour 100. Si ensuite, dans l'espace d'un an,
ils représentent un certificat délivré par des magistrats de l'endroit
prouvant qu'ils ont déchargé lesdites marchandises dans les États ou
territoires de la République de l'Angleterre, ou dans les ports des
pays appartenant au roi d'Espagne ou des pays amis, il leur sera
restitué les taxes qu'ils auront payées.
XI
Aussitôt que le présent traité aura été signé par le Parlement de la
République d'Angleterre, celui-ci défendra à qui que ce soit de por-
ter des marchandises d'Espagne, ou des autres royaumes ou Étals du
sérénissime roi d'Espagne, dans d';iutres pays que ceux de la Répu-
blique d'Angleterre ou ceux qui relèvent du roi d'Espagne ; sous
peine de confiscation de toutes ces marchandises au profit du trésor
du Parlement de ladite République d'Angleterre, en accordant la
moitié de la marchandise ou de sa valeur au dénonciateur de la fraude,
après avoir d'abord prélevé un droit de 50 pour 100 qui devra être
payé aux délégués du sérénissime roi d'Espagne. Dans ce cas il sera
ajouté foi aux preuves reçues en Espagne et (jui seront envoyées en
Angleterre en forme authentique. Il est en même temps déclaré (|uc
cette défense de por ter des marchandises d'Espagne dans d'autres
Etats que les États cl territoires de la Républi(]ue d'Angleterre et ses
autres provinces, ne s'applicjuera en aucune façon aux royaumes ou
États qui cnlretiennenl avec l'Espagne des relations commerciales
libres, car il sera permis aux sujets de la Ré|iubliquc d',\ngletcrrc
d'y porter des marchandises des Etals d'Espagne en observant les
conditions et les précautions ci-dessus mentionnées. Les peines j>or-
tées contre les transgrcsscurs dans les articles précédents rcslcut en
vigueur.
406 DOCUMENTS
XU
Aucun magistrat ou fonctionnaire des villes et cités des Etats et
terriloires de la République (rAngloleire, charge de délivrer des cer-
tificats de la décharge des navires et de viser les registres de mar-
chandises, ne devra consentir ni permettre qu'il y ait la moindre fraude
à cet égard, sous peine d'encourir l'indignation du Parlement de la
République d'Angleterre, la perle de son emploi et autres peines que
le Parlement jugera à propos d'infliger.
XIII
De même que ledit roi et le Parlement promellent solennellement
de ne prêter en aucun temps aucun secours militaire aux rebelles ou
ennemis de l'une ou de l'autre partie, de même il est défendu à leurs
sujets respectifs et habitants de leurs royaumes et Etats, de quelque
nation et de quelque qualité ou rang qu'ils soient, de fournir, sous
prétexte de commerce ou sous tout autre prétexte et par aucun motif,
des secours aux ennemis ou rebelles dudil roi et de ladileRépublique ;
il est défendu de leur fournir de l'argent, des subsistances, des armes,
des chevaux, des machines de guerre, des munitions, de l'artillerie ou
autres instruments de guerre, ni aucun appareil de guerre quelcon-
que. Ceux qui y contreviendraient seraient punis des peines les plus
sévères portées contre les séditieux et les perturbateurs de la paix et
de la foi publique.
XIV
Afin qu'il résulte de ce traité de paix des fruits abondants pour les
sujets et populations du sérénissime roi d'Espagne dans ses provinces
et États, ainsi que pour les sujets et populations de la République
d'Angleterre dans ses provinces et États, les deux parties contrac-
tantes, tant ensemble que séparément, s'appliqueront à ne point leur
fermer la circulation et le passage entre les ports de leurs Etats res-
pectifs, comme cela a été dit plus haut, afin que les uns et les autres
puissent librement y aller avec leurs navires, marchandises ou voi-
tures, en acquittant seulement les péages et droits ordinaires, et en
sortir avec la même liberté, emportant d'autres marchandises, dès
que cela leur plaira.
HISTORIQUES. i07
XV
Quant aux divers anciens traités et conventions de commerce con-
clus entre les anciens rois d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande et les
Etats des ducs de Bourgogne et princes de la Belgique, traités et con-
ventions tantôt interrompus, tantôt éludés de difTérentes manières
pendant les bouleversements pas>és, il est convenu par le présent
traité, et par manière de réserve, qu'ils reprendront leur ancienne
valeur et autorité, et que les deux parties contractantes les pratique-
ront de la même manière que cela se faisait avant la guerre entre la
reine Elisabeth d'Angleterre et le roi Philippe II des Espagncs, con-
formément aux stipulations à cet égard du traité de paix de I(j(U,
art. 22.
Et dans le cas oîi l'une des deux parties contractantes aurait ù se
plaindre de quelque infraction, ou si leurs sujets respectifs se plai-
gnaient de l'inexécution du traité ou de ce qu'on leur ferait supporter
des charges non consacrées par l'usage, alors les deux parties nom-
meront des délégués qui s'entendront à ce sujet et appelleront devant
eux, s'il le faut, des négociants expérimentés et ex|)erts pour en trai-
ter à l'amiable et de bonne foi, et pour réparer les torts et rétablir
les choses changées par le laps du temps ou par des abus qu'on y
découvrirait.
XVI
Et afin que les relations commerciales qui découleront de ce traité
«le paix ne restent pas stériles, ce qui ariiverail si les sujets de la
République d'Angleterre, dans les voyages qu'ils feront dans les
royaumes et Etals du scrénissime roi d'Espagne ou pendant leur
séjour dans ces États pour affaires commerciales ou autres, étaient
inquiétés à raison de leur religion, ledit sérénissime roi , voulant
garantir la sécurité du commerce sur terre et sur mer, pourvoira à ce
que lesdits sujets ne soient aucunement molestés ni inquiétés con-
trairement au droit commercial des peuples,;» raison de leur religion,
aussi longtemps qu'ils ne donneront pas de scandale à d'autres.
Et ledit Parlement de son côté pourvoira à ce t|ue, dans aucun des
Etats de ladite République, les sujets du sérénissime roi d'Espagne ne
soient molestés ni inquiétés à raison de leur religion, eontraiiement
au droit commercial des peuples, tant qu'ils ne donneront pas de scan-
m DOCUMENTS
dale à d'autres, et ce nonobslanl les lois, statuts ou usages en vigueur
chez les deux parties contractantes qui y seraient contraires.
XVII
S'il arrivait que des sujets de l'une ou de l'autre partie transpor-
tassent des marchandises prohibées des royaumes, Etals ou territoires
respectifs dudit sérénissime roi et de ladite Republique d'Angleterre,
dans ce cas les personnes contrevenantes seules encourront des peines,
et les marchandises prohibées seules subiront la confiscation.
XVIII
Les biens des sujets de l'une des parties contractantes qui vien-
draient à mourir dans les Etals de l'autre, seront conservés pour leurs
héritiers et successeurs, les droits des tiers réservés.
XIX
Les concessions et privilèges accordés par les rois d'Espagne et
d'Angleterre aux négociants des deux parties contractantes qui se
rendaient dans leurs Etats respectifs, s'ils ont cessé d'être exercés par
quelque raison que ce soit, seront renouvelés et reprendront leur
force et leur validité entière.
XX
Si un jour, ce qu'à Dieu ne plaise, il s'élevait quelque mésintelli-
gence entre le sérénissime roi d'Espagne et la République d'Angleterre,
de nature à interrompre les relations commerciales, alors les sujets
respectifs des deux parties auront, à partir du jour où ils auront été
avertis de cet état de choses, un délai de six mois pour emporter leurs
marchandises, sans que dans cet intervalle on leur fasse subir aucune
arrestation, interruption ni dommage dans leurs affaires ou dans
leurs personnes.
HISTORÎOUES. ,(09
XXI
îf î le roi d'Espagne ni le Parlement d'Angleterre ne reliendront les
navires des snjets respeelifs de leurs Élals dan? lears ports on eaox.
ni ne les feront retenir soit pour le service mUitaire. soit poar tout
autre service, an préjudice de leurs patron? ; à moins que ledit roi on
le Parlement de ladite République n'en donnent ftréalablcment avis
l'an à Taulre, selon que les navires appartiendront aux sujets de Fane
on de l'autre partie, et n'en obtiennent le consentement.
XXII
Dans le cas où. pendant la durée de celle paix et amitié, il stnli
tenté quelque entreprise contre sa validité et ses effets sur terre, sur
mer ou eaux douces, par des snjets. vassaux ou populations dodit sé-
rénissime roi d'Espagne, ses héritiers ou successeurs, ou par des sujets
dudit Parlement de la République d'Angleterre, ou par des alliés com-
pris dans ce traité ou leurs héritiers, ou successeurs, ou par des su-
jets de ces alliés, le présent traité de pais et d'amitié n'en continuera
pas moins d'avoir sa force, et les coupables seuls, et non pas d'autres,
seront punis de tonte tentative de ce genre.
xxni
S'il s'élevait, dans les États dudit roi d'Espagne on de ladite Répu-
blique d'Angleterre, une réclamation de la part d'une personne qui
ne serait pas un sujet dudit roi ou de ladite République pour cause de
prise ou d'épaves, la cause sera portée devant lejug;e propre des Etats
du roi ou de la République, selon que ce seront des sujets ou un sujet
do roi ou de la République qui seront poursuivis.
XXIV
Les sujets dudit roi d'Espagne pourront, quand il leur plaira,
librement et en toute sécurité, porter dans les ports ou Etats de la
République d'Angleterre toute espèce de marchandises, produites ou
fabriquées dans n'importe quelle partie des Etals, royaumes et l«r-
T\\oittî do roi d'Espagne, n'imporle fur quels Htuneoti »pp»rtço*iH
t. * W
UO DOCUMENTS
à des sujets dudit roi, ot dans quelle partie de ses Etats ils habite-
ront.
Les navires appartenant aux royaumes, îles, provinces, villes, ou à
des sujets dudit roi habilantn'importedans quelle partie de ses Etats,
pourront porter librement des marchandises, et propriétés ou pro-
duits naturels ou manufacturés dans tout autre endroit que celui
auquel ils appartiendraient eux-mêmes, mais obéissant au roi d'Es-
pagne.
Si des marchandises ou propriétés étaient portées en Espagne de
n'importe quelle partie des Etats appartenant à sa couronne, il sera
permis à tout sujet dudit roi de porter ces mêmes marchandises ou
propriétés du terriloire de l'Espagne dans n'importe quelle province
appartenant à la Répulilique d'Angleterre en quelque navire que ce
soit appartenant à un sujet du roi de quelque province que ce soit,
sans que des lois, statuts ou usages contraires puissent y déroger.
HISTORIQUES. m
XXII
(Page 221.)
1° Inslruclion au sieur de Bordeaux, conseiller du roi en son Conseil
d'Etal, maître des requêtes ordinaires de son liôlel , intendant de
justice, police et finances de la province de Picardie, s'en allant en
Angleterre,
2 décembre 165t.
Bien que le sieur de Bordeaux soil, en lelle sorte instruits de l'état
des choses et ait une si particulière connaissance de ce que Sa Majesté
désire de son service qu'il est assez inutile de dresser un mémoire de
ce qu'il aura à faire, néanmoins, afin qu'il s'y porte avec plus de fer-
meté, Sa Mrijesté est résolue do lui donner celui-ci.
Il sait Lien que les Anglais ont non-seulement décerné des lettres
de marque contre les sujets de Sa Majesté, mais même qti'ils ont pro-
cédé avec une telle arrogance qu'ils ont fait attaquer les vaisseaux de
la couronne, et comme ennemis déclarés fait servir leurs forces à
procurer aux Espagnols divers avantages que, sans leur aide, ils
n'eussent osé se promettre de remporter.
Il n'ignore pas aussi que Sa Majesté a fait passer en Angleterre par
diverses fois le sieur Gentillot pour reconnaître le nouveau régime,
mais avec ordre de ne le point faire que premièrement ceux du Parle-
ment n'eussent engagé leur foi à surseoir rcxéculion des lettres de
représailles, et ensuite à députer des commissaires |)our, avec ceux de
Sa Majesté, prendre connaissance des dommages soulferts par les
sujets des deux États, en intention de chercher les moyens de les sou-
lager en leurs pertes. IMais ceux du icginie n'ayant pas approuvé
(ju'on leur lit acheter la reconnaissajue qu'on en faisait comme d'une
lépuhlique fondée et qui avait une entière et légitime autorité dans
l'Angleterre, firent entendre au sieur Gejitillot (|u'il eut à soi'lir de
leurs Etats.
Cela avait été exécuté devant que les vaisseaux de ce nouveau ré-
gime eussent attaqué ceux de S. M. cl qu'il eut déclaré que les lettres
de marque ne faisaient point de rupture enlieles alliés, soutenant son
dire par une raison tirée des traités qui les permettent, mais avec
cette restriction et précaution de ne pouvoir être délivrées qu'après
412 DOCUMENTS
un déni de justice à rintércssé; et cela pourrait être excusé si cette
République était demeurée es termes accoutumés d'accorder la per-
mission à un eomplaignant de prendre, saisir et arrêter les effets et
navires de la nation dont il se plaint; mais il est inouï et c'est une
chose qui répugne aux droits des gens que, sans avoir déclaré la
guerre à un roi, on attaque ses vaisseaux.
Néanmoins S. M. demeure persuadée que l'équité, la raison et le
respect qui lui est dû, ne sont point entièrement effacésde l'esprit de
ceux qui exercent présentement l'autorité du gouvernement en An-
gleterre, espérant même que la reconnaissance qu'elle fera de leur
République les satisfera, en sorte que ne se laissant plus emporter à
leurs passions, ils se soumettront à la droite raison et condescendront
aux choses justes qui leur seront demandées, S. M. s'est résolue d'en-
voyer vers eux.
Aussitôt que le sieur de Bordeaux sera arrivé à Londres, il en fera
avertir le maitre des cérémonies, et après lui avoir déclaré qu'il n'est
pas ambassadeur, lui fera entendre qu'il est chargé de lettres pour le
Parlement de la Ré|)ul»li(jue et le priera de le dire à celui qui préside
à cette assemblée et de lui faire avoir auilience. Y étant admis, il re-
présentera à ceux dudit Parlement l'avantage que la bonne intelligence
qui sera entre les nations leur apportera, et que c'est l'intention de
S. M. de la garder entière et sincère, et avec autant de soin et d'exac-
titude qu'elle faisait avec les rois d'Anglelerre ; que se ressouvenant
bien que les traités étaient de nation à nation, comme de roi à roi, et
ayant exalté l'honneur qui leur est rendu par S. ftl. d'envoyer vers
eux, il leur fera entendre le vrai sujet de son voyage, appuyant les
demandes qu'il est chargé de leur faire de toutes les raisons que lui
pourra fournir son expéiience et sa capacité, en sorte, s'il est possible,
qu'il obtienne d'eux la restitution des vaisseaux de S. M., de leurs
canons et apparaux comme des munitionsdeguerrect de bouche dont
ils étaient chargés.
Qui mesurerait les choses par la droiture et qui serait assuré que
ceux dudit régime l'eussent en telle considération qu'ils fussent inca-
pables de rien faire qui y fût opposé, on ne mettrait point en doute
que le sieur de Bordeaux n'obtînt de leur équité et de leur prudence
ce qu'il leur demandera.
Mais soit l'emportement qu'ils ont fait paraître en diverses ren-
contres, soit que bien souvent les hommes préoccupés de leurs pas-
sions s'y laissent en telle sorte entraîner qu'ils ne voient que ce
qu'elles leur présentent, il est à craindre qu'il aura un refus et qu'il
lui sera parlé en des termes dont un nouvel Etat se devrait abstenir
traitant avec le miuislie d'un grand roi.
HISTORIQUES. 413
Si cela leur arrive, S. M. désire que le sieur de Bordeaux leur ré-
ponde en sorte <|u'ils s'aperçoivent (|ue la France n'ignore pas ce qui
lui peut être dû par une république naissante; mais il évitera de rien
dire qui fasse rupture ni qui les offense, pour ne leur donner aucun
prétexte de se déclarer ennemis de cette couronne, paraissant à S. 31.
qu'il vaut mieux pour un temps qu'ils courent les mers et exercent la
piraterie qu'ils reprochent aux autres, que s'ils entreprenaient quel-
que chose de pis, ce serait de joindre leurs forces aux Espagnols et
prendre en protection les rebelles.
Que si la fortune de cet Etat était telle que, mieux conseillés qu'on
n'ose se le promettre, ils accordent la restitution desdits navires et de
l'équipage, lors ledit sieur de Bordeaux, ou en une seconde audience,
cela étant remis à sa prudence, leur proposera de députer des commis-
saires pour aviser à ce qui sera à faire pour les particuliers intéressés
es prises qui ont été faites de part et d'autre, et leur déclarera ijue Sa
Majesté y est disposée, afin que sans y apporter aucune difliculté ni
longueur, ils fassent choix et nomination de députés.
Ce qu'il évitera de mettre en avant si ceux du Parlement d'Angle-
terre faisaient difficulté de consentir à l'entière et prompte restitution
des navires du roi, de crainte qu'ils ne publiassent que son envoi
n'avait point eu d'autre fin que de terminer les différends des parti-
culiers, étant de l'avantage de Sa Majesté qu'Ellc a dépêché vers eux
pour demander le sien et que la reconnaissance qu'il aura faite de leur
État ne lui puisse être imputée à bassesse, comme l'on a fait à plu-
sieurs autres princes qui sont allés au-devant des désirs des Anglais,
et nouvellement le Roi Catholique sous espérance d'en être assisté
en la guerre qu'il fait durer à la ruine de la chrétienté et qu'il aurait
souvent pu finir s'il y eût été aussi disposé que ceux qui le servent
l'ont osé publier.
Et n'ayant ledit sieur de Bordeaux rien su obtenir d'eux, repassera
en ce royaume sans attendre aucun ordre, si ce n'est qu'il jugeât que,
leur faisant honte de leur dureté et de leur injustice et ((ue ménageant
avec adresse quelques-uns des phis accrédités parmi eux, il peut con-
duire à bon port l'affaire dont il est chargé.
Que si, au contraire, ils se rendent à la raison et qu'ils se dispo-
sassent à faire choix de plusieurs pour aviser aux moyens de régler
les affaires de mer, ajouter ou diminuer aux précédents tiaités ce ipii
peut bonifier le commerce, pour ensuite faire que les nations l'exer-
cent avec profit et repos, en ce cas ledit sieur de Bordeaux dépêchera
vers Sa Majesté pour recevoir ses commandcmrnts et les pouvoirs et
instructions nécessaires pour travailler à une affaire si importante.
m DOCUMENTS
2» Louis XIV au Parlement d'Angleterre.
2 décembre 16bî,
Très-chers et grands amis , nous envoyons vers vous le sieur de
Bordeaux, l'un des conseillers en notre conseil d'Etat, maître des re-
quêtes ordinaires de notre hôtel et président en notre grand conseil,
que nous avons destiné notre ambassadeur en Savoie, |iour vous faire
entendre la bonne volonté que nous vous portons, et le désir que
nous avons de continuer avec votre république la bonne correspon-
dance qui a de tout temps été observée entre les deux nations. Nous
l'avons aussi chargé de vous dire que, comme nous n'avons rien en-
trepris qui vous ait pu faire croire que nous n'étions pas en cette
disposition ni qui ait pu causer du préjudice à votre Etat, nous avons
été surpris de voir nos vaisseaux attaqués par les vôtres. Car bien
que vous ayez fait expédier à aucuns de vos marchands des lettres de
marque, si est-ce qu'il est inouï qu'on les ait exécutées contre les
vaisseaux du prince. Et ce n'est point une chose extraordinaire et qui
ne soit pas prévue parles traités d'accorder ces sortes de lettres ; au
contraire, bien loin d'être défendues, elles sont permises : mais c'est
après un déni formel de justice qui ne nous peut être reproché ; et
qui aura connaissance de tous les soins que nous avons apportés pour
être bien informés des perles souffertes par nos sujets et des prises
qu'aucuns d'eux pouvaient avoir faites sur les vôtres qui étaient
obligés de les satisfaire, jugerait et avouerait sans doute que notre
intention n'a jamais été autre que de faire observer les traités qui ont
été passés entre les nations pour la sûreté et commodité de leur com-
merce, et le faire fleurir au commun avantage des deux Etats. Ledit
sieur de Bordeaux, selon la charge que nous lui en avons donnée,
vous fera plus particulièrement connaître les résolutions que nous
avons prises de vivre en étroite union avec vous. Espérant que vous
ajouterez entière créance à tout ce qu'il vous dira de notre part,
ainsi que nous vous en conjurons, nous prierons Dieu qu'il vous ait,
très-chers et grands amis, en sa sainte et digne garde. Ecrit à Paris,
le deuxième jour de décembre l<îb2.
Votre bon ami et confédéré,
Louis.
HISTORIQUES. ilS
XXIII
(Page 291.)
M de Bordeaux à M. Servien.
Londres, 5 mai i6SS.
Avant-hier, qui était mardi dernier, le généra! Cromwell alla au
Parlement après en avoir été absent trois semaines, et s'assit au plus
bas bout du Parlement, et ne dit jamais mot tout le temps que le Par-
lement se tint. Hier il vint de même au Parlement ; cl comme environ
midi on y déballait touchant un nouveau Parlement, et quand celui-
ci prendrait fin, et qu'il serait l)on de lui donner pour terme le a no-
vembre prochain, ledit général Cromwell se leva tête nue et fit une
petite harangue en ces termes :
« Messieurs, vous n'avez (jue faire de vous mettre tant en peine
« louchant les affaires qui sont maintenant sur le tapis; car a)ant
0 mûrement considéré que le gouvernement de tant de personnes
« était méchant, tyrannique et plein d'oppression, et voyant qu'on y
« avait employé des sommes immenses sans que jamais on en ait
« donné aucun compte, c'est pourquoi j'aircsolu de mettre legouver-
0 nement de celle nation entre les mains de peu de gens , mais gens
y de bien ; et partant, dès à présent je déclare qu'il n'y a plus de
K Parlement, et n'en reconnais plus. >^
Ayant achevé son petit discours, il se couvrit et se promena deu.\
ou trois tours dans la chambre du Parlement ; et voyant que le Par-
lement ne bougeait, ledit général commanda au major llarrison de
faire entrer les soldats qui étaient en garde : ils enlièrcnl sans dire
aucun mot; et pour lors ledit major, le chapeau à la main avec tout
respect, s'en alla à la chaire du speaker, et lui baisant la main le prit
par la sienne et le conduisit hors du Parlement comme un gentil-
homme ferait une demoiselle, et tout le Parlement le sui\ il. Le général
Cromwell prit la masse et la donna aux soldats.
Hier après diner on devait choisir un nouveau président au conseil
d'Etat; mais ledit général Cromwell y étant venu leur déclara qu'ils
ne se missent plus en peine de s'assembler en ce lieu, cl que leur
pouvoir était expiré.
Ensuite de cela le conseil de guerre s'y tint, et on y appela le maire
i\Q DOCUMENTS HISTORIQUES.
de Londres qui présenta son épéc, marque de justice, au général qui
la lui rendit, et lui dit qu'il devait exercer la justice de même comme
si rien n'était advenu.
Hier au soir les soldats allèrent prendre les sceaux au logis de ceux
qui les gardaient; et au matin ce jour d'huy on a envoyé deux bar-
ques remplies de soldats pour garder une partie de l'argent espagnol
qui est encore dans ses vaisseaux, le reste étant dans la tour. L'armée
fait une déclaration pour justifier ses actions.
Avant-hier arriva un messager de Hollande apportant réponse des
États au Parlement ; le messager a donné la lettre au chevalier Guil-
laume Strickland, et lui l'a mise en mains propres du général Crom-
well.
Tout le peuple universellement se réjouit, et pareillement la no-
blesse, de la généreuse action du général Cromwell, et de la chute du
Parlement qui est fort vilipendé en la bouche d'un chacun. On a
écrit sur la maison du Parlement :
Tliis lioasc is now lo bc Ici unfurnishcd ;
et on chante des chansons partout contre eux. Il s'en vendait une
publiquement que le général Cromwell, par sa grande modération, a
commande de n'être plus chantée, et en a fait supprimer quarante
mille exemplaires qui ont été pris chez l'imprimeur. On ne laisse pas
d'en vendre sous main.
Ledit général Cromwell a changé tous les principaux officiers de
l'armée navale.
TABLE DES MATIERES
DU TOME PREMIER.
Averlissemenl de l'Edileui-. Page !
LIVRE PREMIER.
Organisulion du gouverncmcnl républicain. — Fornialion du conseil d'Élul.
— Résistance du pays.— Procès et condamnation de cinij cliefsroyalistcj,
les lords Ilamilton, Holland, Capell, NorwicL et sir Julin Owen. — Ha-
n)ilton,Hollandet CapcUsont exécutés.— ruMiratioii de VEiLùnDasiUhb.
— Polémique royaliste et républicaine ; .Milton cl Sauraaise. — Ex|)losi()H
et insurrection îles Nivcleurs. — Lilburne. — Leur défaite. — Procès et
acquiltcoienl de Lilburne. — Tyrannie du Parlement. — Grandeur crois-
sanle de Cromwcll. 3
LIVRE DEUXIÈME.
État des partis en Ecosse cl en Irlande. — Charles II y est proclamé roi. —
Commissaires écossais .'i la Haye. — Guerre d'Iilande. — Croniwell en
prend le commandement. — Ses cruautés et ses succès. - Expédition de
Montrose en Ecosse. — Sa défaite, son arrestation, sa condamnation et son
exécution. — Charles II se rend en Ecosse. — Cromwell revient d'Irlande
et prend le comniandcment de la guerre d Écos.se. — Périls de .sa situation.
— Bataille de Dunbar. — Charles II entre en Angleterre. Croinwell y
rentre après lui. — Bataille de Worcestcr. — Fuite et aventures de
Charles II. — Il débarque en France. — Croui«cll revient ù Londres. —
Trieuphe complet de la Républi(iue. 01
^18 TABLE DES MATIERES.
LIVRE TROISIÈME.
Impressions produiles, sur le continent, par le procès et l'exéculion de
Charles l*"". — Assassinat de Dorislaus à la Haye et d'Ascliam à Madrid. —
Attitude réciproque des Etats du continent et de la Républiiiuc d'Angle-
terre. — Développement et succès de la marine anglaise. — Mauvaise
politique extérieure du gouvernement républicain.— Rivalité de laFrance
cl de l'Espagne dans leurs relations avec l'Angleterre. — L'Espagne
reconnaît la République d'Angleterre. — Relations de l'Angleterre avec
les Provinces-Unies. — Ambassadeurs anglais à la Haye. — Ambassadeurs
hollandais à Londres. — Leur mauvais succès. — Négociations de Mazarin
à Londres. — Louis XIV reconnaît la République d'Angleterre. — Guerre
entre l'Angleterre et les Provinces-Unies. — Blake, Tronip et Ruyier. —
Succès alternatifs. — Effets de la guerre à l'intérieur. 161
LIVRE QUATRIÈME.
Lutte entre le Parlemeht et Cromwell. — Tentatives pour la réduction
de l'armée. — Proposition d'une amnistie générale et d'une nouvelle loi
électorale. — Projets de réformes civiles et religieuses. — Conver.^ation
de Cromwell avec les principaux chefs du Parlement et de Parmée. —
Pétition de l'armée en faveur des réformes et pour la dissolution du
Parlement. — Accusations de corruption contre le Parlement. — Le
Parlement essaye de se perpétuer en se complétant par des élections
nouvelles. — Urgence de la situation. — Cromwell chasse le Parle-
ment. 247
DOCUMENTS HISTORIQUES.
I. M. de Croullé au cardinal Mazarin. 295
II. Le même au même. 294
III. lo Délibération du Conseil d'État d'Espagne sur les conséquences
de l'assassinat du résident d'Angleterre, Antoine Ascham. 295
2» Résolutions prises par le roi d'Espagne sur les avis donnés par
le Conseil d'Etal à l'occasion de l'arrivée du résident du Parle-
ment d'Angleterre et du chàtimenl de ses assassins. 296
5" Don Alonzo de Cardcnas à don Gcronimo de la Torre. 299
IV. 1- Louis XIV à Cromwell. 501
2» Louis XIV à Fairfax. 302
TABLE DES MATIERES. 4!9
V. 1» Don Alonzo de Cnrdenas au roi d'Espagne (Philippe IV). 303
2» Le même au même. 303
S» Délibération du Conseil d'Élal d'Espagne sur les affaires d'Angle-
terre. 508
VI. 1» L'arcbidue Léopold (gouverneur des Pays-Bas) au roi d'Espagne
(Philippe IV). 315
2o Premier )irojet de lettre du roi dEspagnc (Philippe IV) au nou-
veau roi d'Angleterre. 514
5» Délibéralion du Conseil d'État d'Espagne sur les dépêches de
l'ambassadeur d'Espagne à Londres et sur la politique à suivre à
l'égiird (le l'Angleterre. 515
4" Délibénition du Conseil d'État d'Espagne au sujet de plusieurs
lettres de don Alonzo de Cardenas traitant de divers sujets. 31 S
5» Don Alonzo de Cardenas au comte de Penaranda. 520
6o Don Alonzo de Cardenas au roi d'Espagne. 321
7" Le comte de Penaranda à don Alonzo de Cardenas. ^ 522
8o Le comte de Penaranda au secrétaire Aug Navarro. 524
9o Le comte de Penaranda au roi d'Espagne (Philippe IV). 327
lOo L'archiduc (Léopold) au roi d'Espagne. 329
11» Délibération du Conseil d'Étal d'Espagne au sujet des deux
dépèches précédentes du comte de Penaranda et de larchiduc
Léopold. 530
VII. M. de Croullé au cardinal Mazarin. 333
VIII. l" Le même au même. 335
2» M. Servien à M. de Croullé. 33G
IX. lo Le même au même. 339
20 M. de Croullé au cardinal Mazarin. »6-
5o Le même au même. 340
i» Le même au même. 3*2
5" Don Alonzo de Cardenas au roi Philippe IV. 344
C" Délibéralion du Conseil d'État d'Espagne sur les affaires d'An-
gleterre. •^**
X. Mémoire présenté au roi d'Espagne Philippe IV par lord Colling^ou
et sir Edouard Hyde, ambassadeurs de Charles II. 348
XI. 1" Première délibération du Conseil d'Étal d'Espagne sur les de-
mandes des ambassadeurs de Charles II. ">^'
2» Seconde délibéralion du Conseil d'État d'Espagne sur le même
sujet. ^
XII. 1" Don Alonzo de Cardenas au roi d'Espagne Philippe IV. 354
2» Le chevalier Antoine Hrun ù don Alonzo de Cardenas. o-'>.>
3o Rapport envoyé de Paris par la personne chargée de s'assurer si
l'envoyé de Portugal qui se trouve ù cette cour, en (|ualilé d'uni-
bassadcur, a eu une enlrevue avec le roi d'Angleterre cl s'U u
trailé avec lui (juclquc affaire. "^''^
iW TABLE DES MATIERES.
XIII. 1» M. de GroiiHié a« cardinal Mazarin. 357
2» Le même au même. ib,
5o Le même au même. 358
XIV. 1" Noie du vicomte Salomon de Virelade adressée au cardinal Ma-
zarin. 359
2» Mémoire sommaire des insUuclions nécessaires au sieur Salomon
pour la négociation d'Angleterre. 360
3" Waller Frost à M. Salomon, vicomte de Virelade. 562
XV. Mémoire touclianl le commerce avec l'Angleterre (rédigé par Col-
bcrl). 365
XVI. Touchant la République d'Angleterre (Mémoire présenté à la reine
Anne d'Autriche et à son Conseil par le cardinal Mazarin). 370
XVII. Projet d'instruction pour M, de Gentillot , envoyé en Angle-
terre. 373
XVllI. 1» Instruction pour le comte d'Estrades, envoyé en Angleterre. 379
2o Le cardinal Mazarin au comte d'Estrades. 381
XIX. Don Alonzo de Cardenas à don Geronimo de la Torre. 384
XX. lo M. de Gentillot à M. Servien. 586
2° Le duc de Vendôme à l'amiral Blake. 387
5" Le même à la République d'Angleterre. ib.
io M. de Gentillot à M. Servien. 388
Ko Le Conseil d'Élat d'Angleterre au duc de Vendôme. 389
XXI. 1" L'archiduc Léopold au roi d'Espagne (Philippe IV). 390
2o Don .\ionzo de Cardenas au roi d'Espagne Philippe IV. 391
S» Extrait dune lettre du même au même. 395
A" Don Alonzo de Cardenas à don Geronimo de la Torre. 396
f>o Aug. Navarro Burena à don Alonzo de Cardenas. ib.
G" Don Alonzo de Cardenas ù Aug- Navarro Burena. 397
7o Don Alonzo de Cardenas au roi d'Espagne Philippe IV. 398
8» Note et propositions présentées au Conseil d'État d'Angleterre,
le 12 sej>tenibre 1652, par don Alonzo de Cardenas. 399
XXIl. 1» Instruction au sieur de Bordeaux, conseiller du roi en son Conseil
d Étal, maîlre desrequêles ordinaires de son hôtel, intendant de
justice, police et linances de la province de Picardie, s'en allant
en Angleterre. 411
20 Louis XIV au Parlement d'Angleterre. 414
XXIII. M. de Bordeaux à M. Servien. ■'IS
]FIN DU TOME PREMtEtt.
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Da Guizot, François Pierre
4.25 Guillaume
G85 Histoire de la république
I854 d'Angleterre et de Cromwell
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