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Full text of "Histoire de la république d'Angleterre et de Cromwell (1649-1658)"

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HISTOIRE 

DE   LA 

RÉPUBLIQUE 

D'ANGLETERRE 

ET 

DE  GROMWELL. 


IMPRIMERIE    DE    G.    STAI'LEAUX. 


HISTOIRE 

OE    LA. 

RÉPUBLIQUE 

D'ANGLETERRE 

ET 

DE  CROMWELL 

(1649—1658) 

|Jar  iW.  ©utEot» 

TOME    PREMIER.  «o3-^,-^  ^fe 


BRUXELLES  ET  LEIPZIG. 

KIESSLLN'G,  SCHNÉE  ET  COJIP.,  ÉDITEURS. 
1,  Rue  Villa-Hermosa. 

1854 


^-'■\ 


AVERTISSEMENT  DE  L'ÉDITEUR. 


Quand  M.  Guîzot  a  publié,  en  d850,  son  Discours  sir 
l'histoire  DELA  RÉVOLUTION  d'Angleteure,  il  a  considéré  ce 
grand  événement  dans  son  ensemble  et  à  travers  ses  phases 
diverses,  depuis  ravéucment  de  Charles  l",  en  1625,  jus- 
qu'à la  chute  de  Jacques  II  et  à  l'élévation  de  Guillaume  III 
au  trône,  en  1688. 

Dans  le  cours  de  ces  soixante-trois  années  qu'il  a  rem- 
plies, le  drame  de  la  Révolution  d'Angleterre  se  divise 
naturellement  en  quatre  grands  actes  :  1°  Le  règne  de 
Charles  P',  sa  lutte  contre  le  Long  Parlement,  sa  défaite  et 
sa  mort  ;  2"  La  République,  tantôt  aux  mains  du  Long  Par- 
lement, tantôt  sous  le  joug  de  Cromwell  ;  5"  Le  rétablisse- 
ment des  Sluart,  à  la  suite  d'une  courte  anarchie  parle- 
mentaire  et  militaire;  4°   Le   règne   des  deux   derniers 

RÉPUBIIQUE   o'ANGtETEnnE.    1.  * 


2  AVERTISSEMENT  DE  L'ÉDITEUR. 

Stuart,  Charles  II  et  Jacques  II,  et  la  chute  définitive  de 
cette  race  royale. 

Chacune  de  ces  quatre  époques  est,  dans  le  plan  de 
M.  Guizot,  l'objet  d'un  ouvrage  spécial.  La  réunion  des 
quatre  ouvrages  formera  l'histoire  complète  de  la  Révolu- 
lion  d'Angleterre,  et  comme  la  preuve  dramatique  du 
Discours  dans  lequel  M.  Guizot  a  résum<îli;  caractère  et  le 
sens  général  de  cette  Révolution. 

En  1826  et  1827,  M.  Guizot  a  publié  le  premier  de  ces 
quatre  ouvrages,  I'Histoire  du  régne  de  Charles  I""".  Il 
publie  aujourd'hui  le  second,  I'Histoire  delà  République 
d'Angleterre  et  de  Cromwell.  Les  deux  autres  paraîtront 
successivement  et  compléteront  le  tableau  de  ce  laborieux 
enfantement  du  plus  grand  des  gouvernements  libres  qu'ait 
encore  connus  le  monde. 

De  nombreux  Documents  historiques,  jusqu'ici  inédits,  et 
empruntés  aux  Archives  des  affaires  étrangères  de  France, 
aux  Archives  espagnoles  de  Simancas  et  à  diverses  collec- 
tions de  manuscrits,  sont  placés  à  la  fin  de  chaque  volume, 
et  servent  de  développement  et  de  preuve,  soit  aux  asser- 
tipp^^  çoit  fiux  j^ugcflienls  derhistprien.  .  ,     ,._  _    ..,  ,..,,j, 

\^i7î?i    or:    'i-ri-iî-î!-::;  ,7',;!    ;;î    ';!,    '.jn;:-!!;     n!      Z'>)U\ 

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REPUBLIQUE  D'ANGLETERRE 


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LIVRE  I.  ^J"'i 


Organisation  du  gouvernement  républicain.  — Formation  du  conseil  d'État. 

—  Résistance  du  pays.-  Procès  et  condamnation  des  cinq  chefs  royalistes, 
les  loids  Hamillon,  ïfolland,  Capell,  Norwich  et  sir  John  Owcn.  —  Ha- 
milton,  Uolland  et  Capell  sont  exécutés.—  Publication  de  VEUtônBasilikè. 

—  Poléniique  royaliste  et  républicaine  ;  Hlillon  et  Saumaise.  —  Explosion 
et  insurrection  des  Niveleurs.  —  Lilburne.  —  Leur  défaite.  —  Procès  et 
acquittement  dé  Lilburne.  —  Tyrannie  du  Parlement.  —  Grandeur  crois- 

:    santé"  de.Gr'omwçlK-         ,  -••!^M  ;     :-,.,:.• ■  ,■•  ,    :-,    •_']•.',;■,■)■</.■> 


'  J'ai  raconté  la  chute  d'une  ancienne  monarchie  et  la 
inort  violente  d'un  roi  digne  de  respect,  quoiqu'il  ail  mal  et 
injustement  gouverné  ses  peuples.  J'ai  maintenant  à  racon- 
ter les  vains  efforts  d'une  assemblée  révolutionnaire  pour 
fonder  une  république,  et  le  goiivernemcnt  toujours  chan- 
celant, bien  que  fort  et  glorieux,  d'un  despote  révolution- 
naire, admirable  par  son  hardi  et  judicieux  génie,  quoiqu'il 
ait  attaqué  et  détruit,  dans  son  pays,  d'abord  l'ordre  légal, 
puis  la  liberté.  Les  hommes  que  Dieu  prend  pour  instru- 
ments de  SCS  grands  desseins  sont  pleins  de  contradiction 
et  de  mystère  :  il  mêle  et  unit  en  eux,  dans  des  propor- 


Jt  ORGANISATION  DU  GOUVERNEMENT 

lions  profondément  cachées,  les  qualités  et  les  défauts,  les 
vertus  et  les  vices,  les  lumières  et  les  erreurs,  les  gran- 
deurs et  les  faiblesses  ;  et  après  avoir  rempli  leur  temps  de 
l'éclat  de  leurs  actions  et  de  leur  destinée,  ils  demeurent 
eux-mêmes  obscurs  au  sein  de  leur  gloire,  encensés  et  mau- 
dits tour  à  tour  par  le  monde  qui  ne  les  connaît  pas. 

A  l'ouverture  du  Long  Parlement,  le  3  novembre  1640, 
la  Chambre  des  communes  élait  formée  de  cinq  cent  six 
membres.  En  d649,  après  l'exécution  du  roi,  lorsqu'elle 
abolit  la  monarchie  et  proclama  la  République,  à  peine  en 
restait-il  cent  qui  prissent  part  à  ses  séances  et  à  ses  actes. 
Dans  le  cours  du  mois  de  février,  la  Chambre  se  divisa 
huit  fois  pour  voter  ;  et  dans  la  séance  la  plus  nombreuse, 
soixante  et  dix-sept  membres  seulement  étaient  présents  '. 

Ainsi  mutilée  et  réduite  à  une  coterie  victorieuse,  cette 
assemblée  se  mit  à  l'œuvre,  avec  une  ardeur  pleine  en 
même  temps  de  foi  et  d'inquiétude,  pour  organiser  le  gou- 
vernement républicain.  Le  7  février  1G49,  le  même  jour 
où  elle  abolit  expressément  la  monarchie,  elle  vota  la 
création  d'un  conseil  d'État  chargé  d'exercer  le  jjouvoir 
exécutif;  et  cinq  membres,  Ludlow,  Scott,  Lisle,  Holland 
ctRobinson,  pris  parmi  les  plus  fermes  républicains,  reçu- 
rent mission  de  préparer  les  instructions  de  ce  conseil  et 
de  proposer  au  Parlement  la  liste  des  membres  qui  devaient 
le  former  ^. 


1  Pari,  hist.,  t.  IX,  p.  12.  — Journals  of  Ihc  Housc  of  commons,  I.  VI, 
p.  128,  150,  132,  140,  141,  145, 147. 

ajournais  of  the  Housc  of  commons,  t.  VI,  p.  135.  Je  rappelle  que  l'An- 
gleterre, à  celte  époque,  n'avait  pas  encore  adopté  la  réforme  du  calendrier 
grégorien,  et  que  sa  chronologie  élait  en  relard  de  dix  jours  sur  celle  du 
conlinent.  Le  7  février,  en  Angleterre,  au  wii^^  siècle,  eori'e.spond  donc  au 
17  février  sur  le  conlinent.  J'ai  conservé,  en  parlant  d'événemenis  anglais, 
les  dates  anglaises,  parce  que,  si  elles  étaient  changées,  il  serait  très- 
difficile  de  se  retrouver  dans  les  documents  anglais  auxquels  je  renvoie. 


RÉPUBLICAIN  (16^9).  8 

Six  jours  après,  le  15  février,  Scott  fit  h  la  Chambre  son 
rapport.  Toutes  les  fonctions  pratiques  du  gouvernement 
furent  confiées  au  conseil  d'État.  Il  reçut  pouvoir  de  dispo- 
ser des  forces  publiques  et  des  revenus  publics,  de  faire  la 
police,  de  réprimer  toute  rébellion,  d'arrêter,  d'interroger 
et  d'emprisonner  quiconque  résisterait  à  ses  ordres,  de 
conduire  les  relations  de  l'Etat  avec  les  puissances  étran- 
gères, d'administrer  les  colonies  et  de  veiller  aux  intérêts 
du  commerce  ;  il  était  ainsi  investi  d'un  pouvoir  presque 
absolu,  sous  l'empire  et  scion  les  instructions  du  Parle- 
ment, seul  dépositaire  de  la  souveraineté  nationale  '. 

Le  lendemain  et  le  surlendemain,  en  votant  spécialement 
sur  chaque  nom,  la  Chambre  nomma  les  quarante  et  un 
conseillers  d'État;  cinq  anciens  pairs,  cinq  magistrats 
supérieurs,  les  trois  chefs  de  l'armée,  Fairfax,  Cromwcll  et 
Skippon,  et  vingt-huit  gentilshommes  de  campagne  ou 
bourgeois,  presque  tous  membres  de  la  Chambre.  La  nomi- 
nation des  anciens  pairs  rencontra  des  objections  ;  les  démo- 
crates voulaient  les  exclure,  comme  la  Chambre  des  lords 
elle-même,  de  toute  participation  au  gouvernement  de  la 
République  ;  les  politiques  au  contraire  accueillirent  avec 
empressement  ces  grands  seigneurs  encore  puissants  par 
leur  richesse  et  par  leur  nom,  et  que  leur  fanatisme  ou 
leur  bassesse  livrait  au  parti  qui  avait  détruit  leur  ordre. 
La  liste  proposée  par  les  commissaires  du  Parlement  fut 
acceptée  tout  entière,  sauf  deux  noms,  Ireton  et  llarrison, 
que  probablement  on  jugea  trop  attachés  à  Cromwcll,  et 
qui  furent  remplaces  par  deux  républicains  méfiants  et 
roides  envers  l'armée  et  ses  chefs.  Ils  étaient  tous  nommés 
pour  un  an  ^ 


1  Journals  oftiic  Ilousc'Of  commons,  t.  VI,  p.  138. 

2  Journals  of  Ihe  Ilouse  of  commons,  l.  V!.  [>.  140-143.  -  Mémoires  de 


%  ORGANISATION  DU  GÔUVÈtlNEMENT 

n"  Quand  ils  se  réunii'enl  pôti^  la  première  fois^,  on  leur 
demanda  de  signer  un  engagemciit  portant  qu'ils  approu- 
vaient tout  ce  qui  avait  été  fait  pour  le  jugement  du  roi  et 
pour  l'abolition  de  la  monarchie  et  de  la  Chambre  des 
lords.  Quatorze  conseillers  d'Élat  seulement  assistaient  à 
cette  réunion  ;  treize  souscrivirent  sans  hésiter  la  déclara- 
tion proposée,  et  une  réunion  nouvelle  fut  convoquée  pour 
le  surlendemain  ;  trente-quatre  membres  s'y  rendirent,  et 
le  même  jour  Cromwell  rendit  compte  au  Parlement  de  ec 
qui  s*y  était  passé.  Six  conseillers  d'État  de  plus,  en  tout 
dix-neuf,  avaient  signé  l'engagement  ;  vingt-deux  persis- 
taient à  le  repousser.  Ils  se  disaient  résolus  a  servir  fidèle- 
ment, dans  l'avenir,  le  gôuvéi*nèmeht  delà  Chambre  des 
communes,  pouvoir  suprême,  seul  resté  debout  et  néces- 
saire pour  les  libertés  et  le  salut  du  peuple;  mais  par  des 
motifs  divers  et  en  teri'nes  plus  oU  moins  nets,  ils  refu- 
saient de  s'associer  à  tout  le  passé.  La  Chambre  émue  entra 
sur-le-champ  en  délibération,  interdisant  à  tous  les  mem- 
bres présents  de  sortir  de  la  salle  sans  une  permission 
expresse;  mais  le  bon  sens  politique  réprima  la  passion; 
on  ne  voulut  pas,  aux  premiers  jours  de  la  République, 
faire  éclater  les  dissensions  des  républicains;  les  régicides 
comprirent  qu'ils  seraient  trop  faibles  s'ils  restaient  seuls; 
la  Chambre  se  borna  à  ordonner  que  les  conseillers  d'Etat 
qu'elle  avait  nommés  se  réuniraient  pour  conférer  entre 
eux  sur  ce  qu'il  y  avait  à  faire  dans  cette  circonstance,  et 
qu'ils  viendraient  ensuite  lui  donner  leur  avis.  Uafîaire 
fut  réglée  sans  plus  de  bruit;  on  se  contenta  de  l'engage- 
ment de  fidélité  que  les  dissidents  offraient  pour  l'avenir, 


Ludlow,  t.  I,  p.  357,  dans  ma  Cullcclion  des  Mémoires  relatifs  à  la  Révolu- 
tion d'Angleterre;  —  Godwin,  Hist.  of  the  Conmonwtallh,  1. 111,  p.  12. 
»  Le  17  février  1649. 


rir3V'-\y  RÉPUBLICAIN  (IffiQ).     '  -V'o  ^ 

et  ils  prirent  leur  place,  à  côté  des  régicides,  dans  le 
conseil  d'État  républicain  '. 

Ce  compromis  fut  surtout  l'œuvre,  d'une  part,  de  Crom- 
well,  de  l'autre,  de  sir  Henri  Vane,  le  plus  éminent,  le 
plus  sincère,  le  plus  capable  et  le  plus  chimérique  des  répu- 
blicains civils.  Il  était  révolutionnaire  ardent,  et  il  détes- 
tait les  violences  révolutionnaires.  Lorsque,  le  6  décem- 
bre 1648,  l'armée  expulsa  de  la  Chambre  des  communes 
tout  le  parti  presbytérien,  Vane  improuva  hautement  cet 
acte,  et  cessa  de  prendre  part  aux  séances  de  ta  Chambre 
mutilée.  Il  s'éleva  plus  vivement  encore  contre  le  procès 
du  roi,  et,  depuis  cette  époque,  il  vivait  dans  son  château 
de  Raby,  complètement  étranger  aux  affaires.  Mais  la  Repu 
blique  était  l'objet  de  sa  foi  et  de  ses  vœux;  dès  qu'elle 
apparut,  il  lui  appartint  de  cœur.  Cromwell,  qui  s'inquié- 
tait peu  des  embarras  que  pourraient  lui  causer  plus  tard 
les  alliés  dont,  pour  le  moment,  il  avait  besoin,  fit  sur-le- 
champ  tous  ses  efforts  pour  que  Vane  revînt  donner  au 
gouvernement  républicain  l'appui  de  ses  talents,  de  son 
dévouement  et  de  son  crédit.  Vane  résista  d'abord,  comme 
on  résiste  quand  on  cédera;  puis  ce  fut  lui  qui,  mettant  le 
passé  à  l'écart,  suggéra  le  serment  de  fidélité  pour  l'avenir, 
et  Cromwell,  bien  sûr  que  cela  suffisait  pour  que  Vane  fût 
acquis  au  service  du  conseil  d'État  et  du  Parlement,  fut 
des  plus  empressés  à  s'en  contenter  ^.  ,Unïmr.  bning  oi 

Cromwell  avait  raison,  car  à  peine  installée,  ce  même 
'Vane  et  cette  même  majorité  du  conseil  d'État  qui  avaient 
refusé  de  s'associer  à  la  responsabilité  des  régicides,  élurent 

'  Jonmals  of  the  House  of  commons,  t.  VI,  p.  139,  l'iG;  —  Whitclockc, 
p.  382;  —  Godwin,  Hitt.  of  llic  Commoinveallh ,  t,  111,  p.  28-51;  —  Crom- 
welUana,  p.  52, 

*  Forster,  The  Slatesmcn  of  the  Commonweallh  of  Englaiid,  t.  IH.p.  123- 
127,  dans  la  Vie  de  sir  Henri  Vane.  —  Godwin,  Hisl.  ofthe  Commonweallh, 
t,  m,  p.  31. 


8  ORGANISATION  DU  GOUVERNEMENT 

pour  leur  président  '  Bradshaw,  le  président  de  la  haute 
Cour  qui  avait  condamné  Charles  l";  et  trois  jours  après, 
Vane,  avec  quelques-uns  de  ses  collègues,  se  rendait  dans 
une  modeste  maison  de  Holbdrne  pour  offrir  la  charge  de 
secrétaire  latin  du  Conseil  à  un  cousin  de  Bradshaw,  qui 
venait  de  soutenir,  dans  un  pamphlet  éloquent,  "  qu'il  est 
légitime  d'appeler  à  rendre  compte  un  tyran  ou  un  mauvais 
roi,  et  après  l'avoir  dûment  convaincu,  de  le  déposer  et  de 
le  mettre  à  mort.  »  C'était  Milton  -. 

En  même  temps  que  du  conseil  d'État,  la  Chambre  s'oc- 
cupa des  tribunaux;  question  urgente,  car  on  touchait  au 
jour  où  leur  session  trimestrielle  devait  s'ouvrir,  et  nul 
n'admettait  que  le  cours  de  la  justice  pût  être  interrompu. 
Parmi  les  douze  grands  juges,  dix  avaient  été  nommés  par 
le  Parlement  lui-même  depuis  l'explosion  de  la  guerre 
civile  :  six  d'entre  eux  pourtant  refusèrent  tout  serjucnt 
de  fidélité  à  la  République  ^,  et  les  six  autres  ne  consenti- 
rent à  continuer  leurs  fonctions  qu'à  condition  que,  par  une 
déclaration  formelle  de  la  Chambre,  les  anciennes  lois  du 
pays  seraient  maintenues,  et  que  les  juges  les  prendraient 
toujours  pour  règle  de  leurs  décisions.  Tout  fut  fait  comme 
ils  le  demandaient,  et  les  six  juges  qui  avaient  donné  leur 
démission  ne  furent  remplacés  que  dans  le  cours  de  l'été 
suivant  *. 

Le  grand  amiral,  le  comte  de  WarAvick,  vivait  en  inti- 
mité avec  Cromwell  ;  mais  c'était  un  presbytérien  décidé, 
qui  n'inspirait  aux  républicains  aucune  confiance,  et  qui 

1  Le  10  mars  1649. 

^Todd,  Life  of  3Iilton,  p.  63,  70;  —  Carlyle,  Cromwell's  Lellcrs,  t.  I, 
p.  420  ;  —  Goilwin,  llist.  ofthe  Commonweallh,  t.  111,  p.  36. 

'  Le8  février  1649. 

*  Journals  of  ihe  House  of  commons,  t.  VI,  p.  154-13G;  —  Wliilelockc, 
p.  378,  380  ;  —  Clarendon,  Hist.  ofthe  Hcbdlion,  1.  xr,c,249;  t.  IV,  p. 546, 
édit.  de  1849. 


RÉPUBLICAIN  (1649).  9 

préférait  lui-même  son  repos  à  leur  service.  Sa  charge  lui 
fut  retirée  *  ;  les  pouvoirs  de  l'amirauté  furent  remis  au 
conseil  d'Etat,  qui  les  délégua  à  un  comité  de  trois  mem- 
bres, dont  Vanc  était  l'âme;  et  le  commandement  de  la 
flotte  passa  dans  les  mains  de  trois  officiers,  Popham, 
Dean  et  Robert  Ulake,  puritain  lettré  et  guerrier,  déjà 
éprouvé  dans  l'armée  de  terre  et  destiné  à  faire  sur  mer  la 
force  et  la  gloire  de  la  République  qu'il  servait  avec  un 
austère  et  hardi  dévouement  -. 

La  Chambre  avait  touché  et  pourvu  à  tout  ;  la  législa- 
tion, la  diplomatie,  la  justice,  la  police,  les  finances,  l'ar- 
mée, la  flotte  étaient  dans  ses  mains.  Pour  paraître  aussi 
désintéressée  qu'elle  était  active,  elle  admit  les  membres 
qui  s'étaient  séparés  du  parti  vainqueur,  au  moment  de  sa 
rupture  définitive  avec  le  roi,  à  reprendre  leur  place  dans 
ses  rangs,  mais  en  leur  imposant  un  tel  désaveu  de  leurs 
anciens  votes  que  bien  peu  d'entre  eux  purent  s'y  résoudre; 
elle  autorisa,  pour  combler  les  vides,  quelques  élections 
nouvelles,  mais  en  très-petit  nombre,  sept  seulement  dans 
l'espace  de  six  mois,  car  elle  se  méfiait  des  électeurs;  elle 
ordonna  même  la  formation  d'un  comité  chargé  de  préparer 
une  nouvelle  loi  électorale  et  l'avènement  d'un  parlement 
nouveau.  Mais  c'étaient  là  de  pures  démonstrations,  non 
des  résolutions  efficaces  :  «  Prenons  conseil  des  saintes  Écri- 
tures, disait  Henri  Martyn  ;  quand  Moïse  enfant  fut  trouvé 
sur  le  fleuve  et  apporté  à  la  fille  de  Pharaon,  elle  fit  cher- 
cher partout  sa  mère  pour  en  faire  sa  nourrice,  ce  qui 
réussit  à  merveille.  Notre  République  aussi  est  un  enfant  à 
peine  né  et  d'un  tempérament  très-délicat  ;  personne  n'est 
aussi  propre  à  le  nourrir  que  la  mère  qui  l'a  mis  au  monde  ; 

»  Le  20  février  1G49. 

*  Journals  of  ihc  House  of  commons,  t.  VI,  p.  147,  IW,  150  ;  —  Godwin, 
Ilist.  of  tite  Commonwcallh,  t.  111,  p.  35. 


'  iO  ORGANISATIOPf  DU  GOUVERNEMENT 

gardons-nous  de  le  laisser  passer  en  d'autres  mains  avant 
qu'fl  ait  acquis  plus  d'ége  et  de  vigueur  '.  » 

Henri  Martyn  ne  disait  pas  assez  :  non-seulement  la 
République  ne  pouvait  vivre  sans  les  soins  de  la  Chambre 
qui  l'avait  enfantée;  mais  quand  cette  Chambre  toute- 
puissante  voulut  mettre  la  République  en  Vigueur,  elle  se 
trouva  trop  faible  elle-même  pour  accomplir  cette  œu\Te, 
et  ne  put  que  flotter  entre  la  précipitation  et  l'ajournement, 
l'hésitation  et  la  violence.  Les  actes  votés  le  7  février,  pour 
abolir  la  royauté  et  la  Chaiîibre  des  lords,  ne  furent  défi- 
nitivement adoptés  que  les  47  et  19  mars,  et  quand  la 
Chambre  en  ordonna  la  proclamation  officielle  dans  la  Cité 
de  Londres,  le  lord  maire  Reynoldson  s'y  refusa  absolu- 
ment. Mandé,  dix  jours  après,  à  la  barre,  il  allégua  pour 
sa  justification  les  scrupules  de  sa  conscience.  La  Chambre 
le  condamna  à  2,000  liv.  st.  d'amende,  à  deux  mois  d'empri- 
sonnement, et  elle  ordonna  l'élection  d'un  autre  lord  maire. 
L'alderman  Thomas  Andrews,  l'un  des  juges  du  roi,  fut 
élu  ;  mais  la  Chambre  ne  crut  pas  devoir  lui  imposer  im- 
médiatement cette  proclamation  officielle  de  la  République, 
à  laquelle  s'^lait  refusé  son  prédécesseur;  elle  laissa  même 
entrevoir,  contre  la  Cité,  de  plus'  rigoureux  desseins  :  «  Ils 
se  croient  assurés  de  la  ville,  écrivait  à  M.  Servieh  le  pré- 
sident de  Bollièvre,  ambassiadeur  de  France  en  Angleterre, 
soit  en  faisant  élire  d'autres  magistrats  qui  soient  à  leur 
dévotion,  ou  en  supprimant  absolument  la  forrne  de  gou- 
vernement qui  a  été  Observée  jusqu'ici,  et  y  établissant 
quelqu'un  des  officiers  de  l'armée  en  qualité  de  gouver- 
neur, comme  on  croit  qu'ils  prétehdierit  le  faire.  Mais  il  y  à 

'  Joitrnals  of  the  House  of  commons,  t.  VI,  p.  129,  130,  133,  136,  210; 
—  GodwM);  Hist.  of  the  Commonweallh,  I.  III,  p.  33-33;  —  Forslcr,  5/a/es- 
men  oflhc  Commonweallh,  X.  III,  p.  324  ;  dans  la  Vie  de  Henri  Marlyn;  — 
Ludiow,  Mémoires,  I.  Il,  p.  4-G,  dans  ma  Collection.  ■"■"■■'"•> 


RÉPUBLICAIN.  {IM9).  U 

de  l'apparence,  quoiqu'ils  puissent  avoir  le  dessein  de  le 
faire  dans  quelque  temps,  que,  pour  le  présent,  ils  se  con- 
tenteront d'y  établir  leur  autorité,  sans  témoigner  de  vio- 
lence. »  Le  10  mai  suivant,  plus  d'un  mois  après  l'élection 
du  nouveau  lord  maire,  et  plus  de  trois  mois  après  la  mort 
de  Charles  I",  l'autorité  de  la  Chambre  n'était  pas  établie 
dans  la.  Cité.,  car  la  République  n'y  avait  pas  encoz'e  été 
proclamée.  On  demanda  raison  de  ce  retard,  et  vingt  jours 
encore  après,  le  50  mai  seulement,  cette  proclamation  eut 
lieu  enfin,  en  l'absence  de  plusieurs  des  aldermen  de  la 
Cité  qui  se  dispensèrent  d'y  assister,  et  au  milieu  des  mar- 
ques de  la  réprobation  populaire  :  «  On  avait  voulu,  écrivit 
au  cardinal  Mazarin  M.  de  Croullé,  secrétaire  du  président 
de  Bellièvre,  faire  cet  acte  dans  la  forme  ordinaire  d'une 
simple  publication,  sans  que  le  maire  ni  les  aldermen  se 
fissent  assister  d'aucuns  soldats,  pour  témoigner  qu'il  n'y 
était  point  intervenu  de  violence;  mais  quantité  de  peuple 
s'étant  assemblé  autour  d'eux  avec  des  huées  et  des  injures, 
les  obligèrent  d'en  envoyer  quérir  qui  d'abord  firent  écar- 
ter tout  ce  qui  y  était,  et  ainsi  ils  achevèrent  leurs  publi- 
cations '.  )) 

Les  aldermen  qui  s'étaient  absentés  furent  mandés  à  la 
barre,  et  ils  avouèrent  hautement  les  motifs  de  leur  ab- 
sence :.  «t  Ce  qui  se  faisoit  étoit  contre  ma  conscience 
et  mes  serments,  »  dit  sir  Thomas  Soames,  membre  aussi 
de  la  Chambre.  «  Je  n'avois  pas  cœur  à  cet  ouvrage ,  i» 
répondit  Richard  Chambers.  Ils  furent  tous  deux  destitués 
de  leurs  fonctions  municipales  et  déclarés  incapables  de 
toute  fonction  publique.  Sir  Thomas    Soames  fut  même 

1  Journals  of  thc  I/ouse  of  commons,  t.  VI,  p.  153,  IGG,  1G8,  176,  17!), 
20C,  221;  —  Whitelocke,  p.  395,594  ;  —  Lellres  du  président  de  Rellièvre 
à  M.Servien  (12  avril  1G49),  cl  de  M.  de  Croullé  ù  Mazarin  (14  juin  1649); 
Arehivei  des  Affaires  étrangères  de  France  i  —  Leicesler's  Journal,  p.  75. 


12  ORGANISATION  DU  GOUVERNEMENT 

expulsé  du  Parlement,  Mais  quand  il  fallut  les  remplacer, 
on  eut  grand'peine  à  leur  trouver  des  successeurs  ;  sept  re- 
fus successifs  attestèrent  le  mauvais  vouloir  des  bourgeois; 
un  dîner,  offert  à  la  Chanabre  par  la  faction  de  la  Cité 
qui  lui  était  dévouée,  couvrit  mal  ces  écbecs  ;  et,  pour 
mettre  le  corps  municipal  en  état  de  remplir  ses  fonc- 
tions, on  fut  obligé  de  donner  à  quarante,  et  même,  dans 
certains  cas,  à  dix  de  ses  membres,  le  droit  d'agir  en  son 
nom  '. 

Les  mêmes  obstacles,  la  même  résistance  se  rencontraient 
partout.  Le  Parlement  ordonna,  dans  tous  les  lieux  publics, 
la  destruction  des  emblèmes  de  la  royauté  ;  et  cet  ordre, 
renouvelé  quatre  fois  %  fut  si  peu  obéi  que,  deux  ans  après 
rétablissement  de  la  République,  le  Parlement  fut  obligé 
d'en  mettre  l'exécution  sous  la  responsabilité  et  à  la  charge 
des  paroisses.  On  demanda  aux  ecclésiastiques  pourvus  de 
bénéfices,  aux  membres  des  Universités  d'Oxford  et  de 
Cambridge,  à  tous  les  fonctionnaires  publics,  shérifs,  juges 
de  paix  et  autres,  un  engagement  de  simple  fidélité  à  la 
République  ;  et  les  refus  arrivèrent  par  milliers,  publique- 
ment sanctionnés  par  les  autorités  les  plus  graves,  entre 
autres  par  l'assemblée  du  clergé  presbytérien,  réunie  à 
Londres  en  1650  ^.  Ce  fut  seulement  au  mois  de  jan- 
vier 1050,  un  an  après  la  mort  du  roi,  qu'on  osa  changer, 
dans  la  flotte,  les  noms  de  vaisseaux  qui  rappelaient  la 
royauté  *.  Au  printemps  de  cette  même  année,  une  frégate 
neuve  fut  lancée  à  Londres,  en  présence  du  conseil  d'État 

1  Jonrnals  of  llie  lloiise  ofcommons,  t.  VI,  p.  221,  222  ;  —  Wliilelockc, 
p.  384,  iOi,  403  ;  —  Godwin,  Hist.  of  the  Commomveallli,  l.  111,  p.  97. 

2  Les  13  février  el  9  août  1649, 9  avril  1630  el  3  février  1631;  —  Journals 
ofthe  House  ofcommons,  t.  VI, p.  142,  276,  594,531. 

^  Journals  of  the  House  ofcommons,  t.  VI,  p.  506,  427;  —  Neal,  Hisl.  of 
the  Purilans,  l.  IV,  p.  8-10  ;  —  Heliquiœ  Baxtcrianœ,  lib.  i,  pars  i,  p.  64. 
*  Journals  of  ihe  House  ofcommons,  t.  VI,  p.  340. 


RÉPUBLICAIN  (16i9).  15 

réuni  :  on  avait  envie  de  l'appeler  la  République  d'Angle- 
terre :  ic  Mais  on  a  jugé,  écrit  M.  de  CrouUé  au  cardinal 
Mazarin,  que,  si  elle  venait  à  périr,  comme  tous  les  vais- 
seaux y  sont  sujets,  ce  serait  un  mauvais  présage,  »  et  on 
se  refusa  cette  hasardeuse  satisfaction  ^ 

Rien  n'irrite  plus  le  pouvoir,  surtout  un  pouvoir  vain- 
queur, que  le  sentiment  de  son  impuissance  ;  et  quand  il 
l'éprouve,  il  cherche  aussitôt  à  faire  quelque  acte  de  force 
pour  s'en  distraire  ou  pour  s'en  venger.  Ce  gouvernement 
républicain,  si  entravé  dans  sa  marche,  avait  entre  ses 
mains  quelques-uns  des  plus  éminents  parmi  les  chefs 
royalistes,  le  duc  de  lîamilton,  le  comte  de  Holland,  le 
comte  de  Norwich,  lord  Capell,  sir  John  Owen,  vaillants 
débris  des  dernières  luttes  de  la  guerre  civile,  tombés,  à 
divers  jours,  au  pouvoir  du  Parlement,  et  ses  prisonniers 
depuis  plusieurs  mois.  Un  moment,  ils  avaient  pu  se  croire 
délivrés.  En  novembre  1648,  les  deux  Chambres  avaient 
voté  que  le  duc  de  Hamilton  payerait  une  amende  de 
100,000  liv.  st.,  et  que  les  autres  seraient  bannis  du 
royaume  ^.  Mais  avant  que  ce  vote  eût  reçu  son  exécution, 
les  Presbytériens,  qui  l'avaient  fait  rendre,  étaient  expulsés 
de  la  Chambre  des  communes,  et  les  Indépendants,  restés 
seuls  maîtres,  le  faisaient  formellement  révoquer,  et  rete- 
naient les  cinq  chefs  en  prison  ,  annonçant  l'intention  de 
leur  faire  leur  procès'.  Indifférent  à  cette  périlleuse  per- 
spective, lorsque,  peu  de  jours  après,  un  procès  plus  grand, 
celui  du  roi,  commença,  lord  Capell,  avec  l'entraînement 
d'un  fier  gentilhomme  et  d'un  soldat  vertueux,  écrivit,  du 
fond  de  la  Tour,  le  lu  janvier  1049,  à  Cromwell  pour  lui 

1  Croullé  au  cardinal  Mazariii  (2  niai  IGUO);  Archives  des  A /f air  es  étran- 
gères de  France. 

2  Journals  of  llte  Ifouae  of  commons,  t.  V  i,  p.  72. 
^  13 décembre  1648;  —  lOid.,  p.  90. 

1.  2 


U  PROCES  DES  CHEFS 

représenter  l'cnormité  d'un  tel  attentat  et  le  conjurer  de 
sauver  le  roi  :  «  Je  vous  permets,  lui  disait-il,  et  peu  m'im- 
portent les  inconvénients  qui  pourraient  en  résulter  pour 
moi,  je  vous  permets  de  penser  qu'il  n'y  a  point  de  moyen 
honnête  de  servir  mon  malheureux  maître  auquel  je  ne 
fusse,  à  tout  risque,  prêt  à  recourir  pour  lui,  comme  il  n'y 
a  point  de  bonheur  ici-bas  qui  me  fût  plus  cher  que  celui 
d'aller  un  peu  plus  loin  que  tout  autre  dans  le  dévouement 
que  je  lui  dois.  Mais  mon  sort  actuel  m'interdit  tout  autre 
pouvoir  que  celui  d'invoquer  sur  lui  la  protection  de  Dieu, 
et  de  m'adresser  à  vous  que  je  regarde  comme  le  chiffre  qui 
donne  leur  sens  et  leur  valeur  aux  nombreux  zéros  qui  le 
suivent.  »  Il  faisait  longuement  valoir,  en  termes  tantôt 
blessants,  tantôt  flatteurs,  tous  les  motifs  de  religion,  de  jus- 
tice, de  politique,  de  devoir,  d'honneur,  d'intérêt,  d'orgueil 
et  d'ambition  personnelle  qui  devaient  décider  Cromwell, 
et  il  finissait  en  lui  disant  :  «  Ma  conclusion  sera  très- 
franche,  pour  que  vous  en  soyez  d'autant  plus  sûr  de  ma 
sincérité  envers  vous  sur  toutes  choses.  Les  anciennes  con- 
stitutions et  .les  lois  toujours  subsistantes  de  ce  royaume 
sont  mon  héritage  et  mon  droit  de  naissance  ;  si  quelqu'un 
prétendait  m'imposer  ce  qui  serait  pour  moi  pire  que  la 
mort,  je  veux  dire  un  lâche  abandon  de  ces  lois,  je  choisi- 
rais la  mort  comme  le  moindre  mal.  J'ai  aussi  droit  au 
maintien  de  la  royauté,  qui  est  le  pouvoir  protecteur  de 
nos  lois,  et  à  ce  seul  titre,  elle  m'est  plus  chère  que  la  vie. 
Enfin  c'est  sur  la  tête  du  roi  aujourd'hui  mon  maître  que 
reposent  mon  droit  et  aussi  mon  devoir,  à  cause  des  inap- 
préciables faveurs  que  j'ai  reçues  de  lui.  Plût  à  Dieu  que  le 
sacrifice  de  ma  vie  pût  sauver  la  sienne  !  Si  vous  pouviez 
faire  qu'elle  fût  bonne  à  quelque  chose  pour  ce  dessein, 
je  vous  porterais  plus  de  reconnaissance  que  vous  n'en 
attendrez  jamais  vous-même  des  gens  à  qui  vous  aurez 


ROYALISTES  (février  16i9).  IS 

rendu  le  plus  de  services,  et  je  mourrais  votre   affec- 
tionne ami  ' 

«  Capell.  » 

Cromwell  ne  repondit  point  à  cette  lettre  et  ne  l'oublia 
point.  11  avait  cette  sagacité  impitoyable  qui  sait  recon- 
naître la  valeur  d'un  ennemi,  et  qui  n'en  conclut  que  la 
nécessite  de  l'écarter.  Le  i"  février,  la  Cbambre  vota  la 
formation  d'une  nouvelle  haute  cour  de  justice  formée  de 
soixante  membres,  dont  quinze  suffisaient  pour  prendre  une 
décision  ;  Bradsliaw  en  fut  nommé  président.  Elle  reçut 
mission  de  juger  divers  délinquants,  spécialement  le  duc  de 
Ilamilton,  lord  Holland,  lord  Norwicb,  lord  Capell  et  sir 
John  Owen,  et  l'ordre  fut  donné  de  commencer  immédiate- 
ment le  procès  -. 

Le  lendemain,  2  février,  dès  que  la  nuit  fut  venue,  lord 
Capell,  à  qui  l'on  avait  trouvé  moyen  de  faire  passer  une 
corde,  se  laissa  glisser  de  sa  fcnclre  dans  les  fossés  de  la 
Tour.  On  lui  avait  indiqué  sur  quel  point  il  lui  serait  plus 
facile  de  les  traverser;  mais  soit  qu'il  se  trompât,  soit  que 
l'eau  et  la  vase  fussent  plus  profondes  qu'on  ne  l'avait  cru, 
il  y  enfonça  jusqu'au  menton  et  fut  sur  le  point  de  renon- 
cer et  de  crier  au  secours;  sa  haute  taille  et  son  obstiné 
courage  le  sauvèrent;  il  atteignit  l'autre  bord  où  l'atten- 
daient des  amis  qui  l'emmenèrent  au  Temple.  Il  y  resta 
caché  deux  jours.  Le  gouvernement ,  ému  de  sa  fuite,  le 
faisait  chercher  avec  ardeur.  Un  de  ses  i)lus  fidèles  amis 
pensa  qu'il  ne  pouvait  rester  en  sûreté  au  Temple,  où 
venaient  trop  de  gens,  et  qu'il  serait  mieux  caché  dans  une 

'  Livcs  of  Ihe  friends  and  contcmporarics  of  lord  chanccllor  Clarendou, 
par  lady  Tliercsa  Lewis  {Vie  de  lord  Capell),  I.  Il,  p.  102- lOÔ  (Londres, 
1852). 

»  1er  février  1649  ;  Jotirnals  of  the  Housc  of  commons,  t.  VI,  p.  128. 


16  PROCES  DES  CHEFS 

petite  maison  du  quartier  de  Lambcth.  Le  soir  même,  lord 
Capell  sortit,  accompagne  de  ce  seul  ami,  pour  aller  pren- 
dre le  premier  bateau  qu'il  trouverait  sur  la  Tamise,  au  bas 
de  l'escalier  du  Temple.  Il  était  si  tard  qu'un  seul  bateau 
restait.  Ils  y  entrèrent  et  demandèrent  au  marinier  de  les 
conduire  vers  l'autre  rive  du  fleuve,  à  Lambeth.  Lord  Capell 
était  déguisé  avec  soin;  mais  soit  que  son  compagnon, 
comme 'on  l'a  dit,  l'eût  par  inadvertance  appelé  milord, 
soit  à  quelque  autre  signe,  le  marinier  conçut  des  soup- 
çons, suivit  de  loin  les  deux  passagers  débarques,  observa 
la  maison  où  ils  entraient ,  et  allant  aussitôt  trouver  un 
officier  :  «  Combien  me  donnerez-vous,  lui  dit-il,  pour  vous 
mener  à  l'endroit  où  est  lord  Capell  ?  »  L'officier  lui  promit 
10  liv.  st.  ;  le  marinier  tint  sa  promesse;  lord  Capell  fut 
pris  et  ramené  le  lendemain  à  la  Tour^. 

Le  9  février,  la  Cour  entra  en  séance.  Cinquante  des 
commissaires  désignés  pour  la  former  étaient  présents.  Les 
cinq  accusés  furent  amenés,  divers  d'attitude  et  de  langage 
comme  de  condition  et  de  caractère.  Le  duc  de  Hamilton 
était  un  grand  seigneur,  politique  de  cour,  sincèrement  atta- 
ché au  roi  qu'il  avait  toujours  désiré  servir,  mais  encore 
plus  préoccupé  de  son  crédit  ou  de  sa  popularité  en  Ecosse, 
sa  vraie  patrie,  attentif  à  ménager  là  tous  les  partis,  et  s'in- 
quiétant  peu  d'aggraver,  pour  son  maître,  les  difficultés  ou 
les  périls,  quand  il  pouvait  les  atténuer  ou  les  ajourner  pour 
lui-même.  Lord  Holland,  courtisan  frivole,  mobile,  avide  de 
plaisirs  et  d'argent;  peu  de  foi,  peu  de  capacité,  peu  de 
mœurs;  il  avait  brigué  et  obtenu  la  faveur,  d'abord  du  duc 
de  Buckingham,  puis  de  la  reine  Henriette-Marie,  puis  du 
roi  lui-même,  puis  du  Parlement  ;  passant,  selon  ses  besoins 


1  Lady  Thcrcsa  Lewis,  Life  of  lord  CapcU,  t.  II,  p.  103  ;  —  Clarcndon, 
Hisl.  of  thc  Rébellion,  1.  xi,  c.  2;)9,  t.  IV,  p.  255  ;  —  Wliitelockc,  p.  377. 


ROYALISTES  (février  \U9).  17 

OU  ses  craintes,  de  l'un  à  l'autre  parti  ;  décrié  dans  tous  ; 
entretenant  à  la  cour  de  France  des  relations  suspectes,  et 
s'ctant  attiré,  soit  par  quelques  propos  piquants,  soit  aussi, 
dit-on,  par  une  relation  de  femme,  l'inimitié  jalouse  de 
Cromwell.  Le  comte  de  Norwich,  cavalier  jovial,  facile, 
empressé  à  faire  son  devoir  envers  le  roi,  à  servir  ses  amis, 
et  n'inspirant  à  ses  ennemis  ni  ressentiment,  ni  crainte.  Sir 
John  Owen,  simple  gcntilliomnie  du  pays  de  Galles,  hon- 
nête, courageux,  sans  ambition  ni  pensée  personnelle,  mar- 
tyr obscur  de  sa  cause  et  ne  songeant  pas  à  se  faire  un 
mérite  de  son  dévouement.  Lord  Capcll  enfin,  aussi  noble 
de  cœur  que  de  race,  digne  héritier  d'un  grand-père  célèbre 
dans  son  comté  par  ses  vieilles  et  vertueuses  mœurs.  «  Il 
tenait,  a  dit  de  lui  son  petit-fils,  une  maison  abondante  et 
témoignait  sa  foi  par  ses  œuvres,  répandant  si  largement  sa 
charité  sur  les  pauvres  qu'il  était  du  pain  pour  ceux  qui 
avaient  faim,  de  la  boisson  pour  ceux  qui  avaient  soif, 
des  yeux  pour  les  aveugles,  des  jambes  pour  les  estro- 
piés, et  qu'il  pouvait  justement  être  appelé  le  grand  au- 
mônier du  Roi  des  rois.  »  Lord  Capell  avait  porté  dans  le 
Parlement,  à  la  cour,  dans  les  camps,  les  vertus  fortes  de  sa 
famille,  et  Charles  I*^"^  avait  éprouvé  tour  à  tour,  selon  le 
besoin  des  temps,  son  indépendance  et  sa  loyauté.  Ces  cinq 
hommes  formaient  par  leur  réunion  une  image  à  peu  près 
complète  et  fidèle  du  parti  royaliste,  dans  ses  plus  nobles 
comme  dans  ses  moins  honorables  éléments  ;  et  le  parti  sem- 
blait représenté  et  poursuivi  tout  entier,  dans  leur  personne, 
devant  la  Haute  Cour  qui  venait  siéger  dans  Westminster- 
Hall  ,  quelques  jours  après   celle  qui  avait  jugé  le  roi  '. 

t  Slale-Trials,  t.  IV,  col.  H55;  —  Clarendon,  Jlist.  ofllie  RebcUion,  1.  i, 
c.  96;  1.  ii,c.  46,  87,  99;  I.  xi,  c.  233-258;  1.  r,  c.  157,  140;  1.  iv,  c.2, 14; 
1.  V,  c.  415;  I.  XI, c.  233-262;  I.  vu,  c.  507;  1.  xi,  c,  252-258;  l.  xii,  c.  255; 
—  Lady  Theresu  Lewis,  Life  of  lord  Capcll,  l.  I,  p   232. 

2. 


18  PROCES  DES  CHEFS 

Hamilton  garda  une  contenance  sereine  et  demanda  du 
temps  pour  faire  venir  d'Ecosse  des  papiers  dont  il  avait 
besoin.  La  Cour  lui  accorda  des  délais  qui  ne  suflisaient 
pas,  et  lorsqu'il  insista  :  «  Vous  avez  été  longtemps  en 
prison,  lui  dit  Bradshaw,  il  fallait  préparer  vos  preuves 
pour  le  procès.  "  Après  sa  condamnation,  le  duc  fut  vive- 
ment sollicité  de  faire  sur  le  passé  des  révélations;  Cromwell 
lui  envoya  même,  à  ce  sujet,  des  officiers  chargés  de  lui 
offrir,  non- seulement  la  vie  sauve,  mais  le  retour  à  son 
ancienne  fortune.  «  Quand  j'aurais  autant  de  vies  que  j'ai 
de  cheveux  sur  la  tête,  répondit  Hamilton,  je  les  sacrifie- 
rais toutes  plutôt  que  de  les  racheter  par  un  si  honteux 
moyen.  »  Le  malheur  suprême  et  irrévocable  élève  les  âmes 
qu'il  ne  dépouille  pas  de  toute  vertu  ^ 

Lord  Holland  et  lord  Norwich  ne  s'appliquèrent  qu'à 
atténuer  les  faits  qui  leur  étaient  imputés,  et  à  faire  naître, 
dans  l'esprit  des  juges,  par  la  modestie  de  leur  attitude, 
quelques  dispositions  favorables  ^ 

Lord  Capcll  ne  fut  pas  seulement  digne  ;  il  se  montra  fier 
et  rude.  Sanè  faire  attention  à  la  cour,  il  promena  autour 
de  lui,  sur  les  assistants,  des  regards  sévères,  comme  pour 
leur  reprocher  la  complicité  de  leur  présence.  Il  soutint 
qu'aux  termes  de  la  capitulation  de  Colchester  et  des  expli- 
cations du  général  lui-même,  Fairfax,  la  vie  sauve  lui  avait 
été  garantie  :  n  Je  suis  prisonnier  de  guerre,  dit-il,  il  m'a 
été  fait  quartier;  toutes  les  robes  du  monde  n'ont  rien  à 
voir  avec  moi.  »  En  tout  cas,  il  demandait  à  être  jugé  par 
ses  pairs  :  «(  Quoique  le  roi  et  les  lords  aient  été  mis  de  côté, 
les  lois  fondamentales  du  pays  sont  encore  en  vigueur.  Je 

»  Slalc-Trials,  I.  IV,  col.  Ho6,  1187,  1188,  1191,  liîll  :  —  Wliilelocke, 
p.  581. 

»  Slale-Triah,  t,  IV,  col.  1195  cl  siiiv.  ;  —Wliilelocke,  p.  581,  585, 
586. 


ROYALISTES  (février  1649).  19 

VOUS  rappelle  la  grande  charte  et  la  pétition  des  droits.  Où 
est  mon  jury?  Je  ne  le  vois  pas  ici.  Je  voudrais  voir  mon 
jury  et  que  mon  jury  me  vît.  Je  ne  crois  pas  qu'on  trouve 
aucun  exemple  d'un  homme  condamne  à  mort  si  ce  n'est 
par  un  hill  du  Parlement  ou  par  un  jury.  —  Vous  vous 
trompez,  lui  dit  Bradsliaw  ;  vous  êtes  en  jugement  devant 
les  juges  qu'il  a  plu  au  Parlement  de  vous  donner,  et  ils  ont 
jugé  plus  grand  que  vous  '.  » 

Quand  le  procureur  général  conclut  en  demandant  qu'il 
fût  pendu  et  son  corps  traîné  sur  la  claie  et  mis  en  quar- 
tiers, lord  Capell  tressaillit;  mais  se  reprenant  :  «  Du  reste, 
dit-il,  de  quelque  façon  que  je  sois  traité  ici,  j'en  aurai 
ailleurs  une  meilleure  résurrection  -.  » 

Ils  furent  tous  cinq  condamnés  à  avoir  la  tête  tranchée. 
Quand  le  président  eut  prononcé  l'arrêt,  sir  John  Owen  fit 
à  la  cour  une  profonde  révérence  et  la  remercia.  L'un 
des  assistants  lui  ayant  demandé  pourquoi  :  "  C'est  un 
grand  honneur,  dit-il,  pour  un  pauvre  gentilhomme  du 
pays  de  Galles,  de  perdre  la  tête  en  compagnie  de  ces  nobles 
lords,  1)  et  il  ajouta  avec  un  jurement  :  «  J'avais  peur  que 
ces  gens-là  ne  voulussent  me  faire  pendre  '.  » 

La  Haute  Cour  cependant  était  soucieuse,  et  soit  désir  de 
quelque  clémence,  soit  qu'elle  aimât  mieux  n'avoir  pasàré- 
pondre  seule  de  sa  rigueur,  après  avoir  condamné  les  accu- 
sés, elle  renvoya,  quant  à  l'exécution  de  la  sentence,  à  la 
décision  souveraine  du  Parlement  ^.  » 

Le  lendemain,  7  mars,  le  comte  de  Warwick,  frère  de 
lord  Ilolland,  lady  Ilolland,  lady  Capell  et  plusieurs  autres 


»  Slale-Trials,  t.  IV,  col.  1195  et  suiv.;  -  Wliitclockc,  p.  380,  381;   - 
Lady  Tlieresa  Lewis,  Life  of  lord  Capell,  t.  II,  p.  108-115. 
ï  Wiiitelocke,  p.381. 

=  Claremlon,  Hisl.  of  Ihe  Rébellion,  1.  xi,  c.  256  ;  t.  IV,  p.  553. 
<  Slale-Trials,  t.  IV,  col.  1188;  -  Wliitclockc,  p.  386. 


20  PROCES  DES  CFIEFS 

hommes  et  femmes,  de  leur  famille  ou  tic  leurs  amis,  se 
présentèrent  à  la  porte  du  Parlement,  et  demandèrent  à 
implorer  en  personne  la  grâce,  des  condamnés.  Ils  furent 
introduits  et  remirent  leurs  pétitions.  Mais  la  Chambre, 
après  en  avoir  entendu  la  lecture,  déclara  qu'elle  n'avait 
pointa  s'en  occuper,  et  qu'elle  s'en  remettait  ta  la  justice  de 
la  Cour  qui  avait  prononcé  l'arrêt.  Les  meneurs  auraient 
voulu,  sans  intervenir  davantage  dans  cette  triste  affaire, 
profiter  de  la  rigueur  des  juges  qu'ils  avaient  nommés  ; 
mais  la  Cour  était  résolue  à  n'en  pas  porter  seule  tout 
le  poids;  elle  accorda  aux  condamnés  un  sursis  de  deux 
jours  pour  qu'ils  pussent  recourir  de  nouveau  au  Parle- 
ment '. 

Contraints  de  décider  eux-mêmes,  les  chefs  républicains 
ne  consultèrent  plus  que  leurs  haines  et  leurs  peurs.  Le  duc 
de  Hamilton  n'inspirait,  soit  par  lui-même,  soit  comme 
Écossais,  aucun  intérêt  ;  sa  pétition  fut  écartée  sans  hésiter. 
Lord  Holland  avait  des  amis;  son  frère  et  sa  femme  étaient 
là  ;  il  était  d'un  naturel  obligeant  et  doux;  en  passant  à  tra- 
vers tous  les' partis,  il  avait,  dans  tous,  contracté  des  rela- 
tions et  rendu  des  services  ;  mais  Cromwcll  et  Ireton  le 
détestaient  et  le  méprisaient;  sa  grâce  fut  rejetée  à  une 
voix  de  majorité.  Sur  le  compte  de  lord  Norwich,  les  voix 
s'étaient  partagées  également  :  l'orateur  de  la  Chambre, 
Lcnlhall,  dit  qu'il  lui  avait  des  obligations  personnelles, 
qu'ayant  encouru  un  jour  le  déplaisir  du  roi,  il  avait  dû  à 
lord  Norwich  de  n'en  pas  souffrir,  et  qu'il  ne  pouvait  se 
dispenser  de  voter  pour  lui  ;  lord  Norwich  fut  sauvé 
comme  lord  Holland  venait  d'être  perdu,  à  la  majorité  d'une 
voix.  Personne  ne  disait  un  mot  pour  sir  John  Owen  : 


'  Journals  of  Ihc  Housc  of  commons,  I.  VI,  p.  15S  ;  —  Stalc-Triah,  I.  IV, 
col.  1216. 


ROYALISTES  (février  1649).  21 

«  C'est  une  pilic,  dit  le  colonel  Hutchinson  à  Ireton  assis 
près  de  lui,  que  tandis  que  tant  de  gens  travaillent  à  la 
délivrance  des  lords,  personne  n'intercède  pour  ce  gentil- 
homme qui  est  condamné  comme  eux  ;  si  vous  voulez  me 
seconder,  je  suis  résolu  de  parler  pour  lui,  car  je  vois  qu'il 
est  étranger  ici  et  sans  amis,  »  Ireton  le  lui  promit  :  Hut- 
chinson alla  chercher  la  pétition  du  pauvre  Gallois  qui 
était  restée  entre  les  mains  du  clerc  de  la  chambre;  il 
la  fit  lire,  la  recommanda  vivement,  fut  soutenu  par 
Ireton,  et  sir  John  Owen  eut  la  vie  sauve,  à  cinq  voix  de 
majorité  ^ 

Restait  lord  Capell,  objet,  pour  sa  famille  et  ses  amis, 
d'une  sollicitude  passionnée  et  des  démarches  les  plus  acti- 
ves; tout  fut  tenté  pour  le  sauver;  on  offrit,  on  donna 
même  de  l'argent  à  des  personnes  qui  promirent  le  secours 
de  leur  influence.  Un  long  débat  s'engagea  ;  quelques-uns 
parlèrent  pour  lui,  faisant  valoir  ses  vertus  et  disant  qu'il 
ne  les  avait  jamais  trompés,  qu'il  s'était  toujours  montré  tel 
qu'il  était  en  effet,  dévoué  au  roi.  Cromwell  prit  la  parole 
et  témoigna  d'abord,  pour  lord  Capell,  plus  d'estime  et  de 
bienveillance  que  personne  n'avait  fait  :  «  Mais  mon  zèle 
pour  l'intérêt  public,  dit-il,  l'emporte  sur  mes  amitiés  par- 
ticulières, et  je  ne  puis  pas  ne  pas  vous  dire  que  vous  avez 
maintenant  à  décider  la  question  de  savoir  si  vous  voulez 
sauver  voire  plus  implacable  ennemi;  je  connais  très-bien 
lord  Capell;  ce  sera  le  dernier  homme  en  Angleterre  qui 
abandonne  la  cause  royale;  il  a  beaucoup  de  courage, 
d'habileté  et  de  générosité,  et  beaucoup  d'amis  qui  lui 
resteront  fidèles;  tant  qu'il  vivra,  quelle  que  soit  sa  situa- 


1  Joiirnah  of  ihc  Housc  of  commons,i.  VI,  p.  159,  IGO  ;  —  Wliilclocko, 
p.ô86; —  Mémoires  de  mi slrcss  Hutchinson,  i.  II,  p.  199-202;  —tic  Lutllow, 
1. 1,  p.  553-557,  dans  ma  Colkclion  ;  —  Clarendon,  llisl.  of  tlie  RcbMion, 
1.  XI,  c.  260. 


22  PROCES  DES  CHEFS 

tion,  il  sera  une  épine  dans  vos  flancs;  pour  le  bien  de  la 
République,  je  me  sens  obligé  de  voter  contre  sa  pétition  ;  » 
et  elle  fut  rejelée,  on  ne  sait  pas  précisément  à  quelle 
majorité  ^. 

L'exécution  fut  fixée  au  lendemain,  9  mars.  Dans  la  nuit, 
lord  Capell  demanda  au  docteur  Morlcy,  son  ami^  qui  venait 
le  visiter  dans  sa  prison,  de  lui  donner  la  communion  : 
«  Je  désire  la  recevoir,  dit-il,  d'un  ministre  du  parti  du  roi, 
et  selon  la  liturgie  de  l'Église  d'Angleterre...  Je  crois  n'avoir 
à  m'accuser  d'aucun  péclié  grave  commis  contre  la  lumière 
de  ma  conscience,  si  ce  n'est  d'avoir  voté  dans  le  Parlement 
pour  la  mort  de  milord  Strafford.  Cela,  je  l'ai  fait  contre  ma 
conscience,  non  par  aucun  mauvais  vouloir  envers  l'homme 
lui-même,  mais  par  une  lâche  crainte  et  entraîné  par  la 
violence  d'une  faction  dominante.  J'en  ai  été  depuis  et  j'en 
suis  profondément  repentant.  J'en  ai  souvent  demandé  à 
Dieu  et,  j'espère,  obtenu  de  lui  le  pardon;  si  vous  le  jugez 
nécessaire  ou  seulement  convenable,  je  confesserai  publi- 
quement mon  péché  et  sa  cause  sur  l'éciiafaud,  à  la  gloire 
de  Dieu  et  .à  ma  honte.  »  Le  prêtre  l'encouragea  dans  cette 
vertueuse  intention.  La  famille  de  lord  Capell  entra,  sa 
femme,  son  fils  aîné,  deux  de  ses  oncles,  son  neveu,  tous 
ensemble;  on  ne  leur  avait  pas  permis  de  le  voir  séparé- 
ment. 11  les  garda  une  heure,  tendre  et  triste,  mais  surtout 
occupé  de  soutenir  leur  courage  et  de  leur  donner  ses  der- 
niers conseils  :  «  Je  ne  voudrais  pas,  dit-il  à  son  fils,  que 
vous  négligeassiez  aucune  occasion  de  servir  votre  roi  et 
votre  pays,  au  péril  de  votre  fortune  et  de  votre  vie;  mais 
ne  vous  engagez  dans  aucune  entreprise,  ni  par  désir  de 
vengeance,  ni  par  espoir  de  récompense;  ne  cherchez  que 
votre  devoir.  Je  vous  enjoins,  en  vous  bénissant,  de  faire 

1  Lady  Thcresa  Lewis,  Life  of  lord  Capell,  l.  II,  p.  119-124. 


ROYALISTES  (février  16^9).  23 

entrer  dans  vos  prières  de  chaque  jour,  comme  je  l'ai  tou- 
jours fait  dans  les  miennes,  ce  verset  du  27'  psaume  de 
David  :«  Eternel,  enseigne-moi  la  voie  et  conduis-moi  par 
un  sentier  uni,  »  car  j'ai  toujours  aime,  dans  les  actions  et 
dans  les  paroles,  ce  qui  est  uni  et  droit;  je  déteste  toute 
dissimulation  et  tout  artifice,  et  je  désire  que  vous  en  fassiez 
autant.  »  Quand  vint  le  moment  de  la  séparation,  lady 
Capell  succomba  ;  on  l'emporta  défaillante.  «  Maintenant, 
dit  lord  Capell  au  docteur  Morley,  resté  seul  avec  lui,  ce 
que  j'avais  de  plus  difficile  à  faire  en  ce  monde  est  fait,  me 
séparer  de  celte  pauvre  femme;  grâce  à  Dieu,  je  me  sens 
bien  disposé  et  prêt  ;  j'espère  qu'au  moment  de  mourir,  je 
n'aurai  plus  rien  à  penser  qu'à  mourir.  »  Pourtant  il  écrivit 
encore  deux  fois  à  sa  femme,  dans  le  court  intervalle  entre 
leur  séparation  et  Téchafaud  :  n  Je  t'en  conjure,  ne  te  désole 
pas  démesurément  ni  étrangement;  que  je  vive  longtemps 
dans  ta  chère  mémoire;  que  Dieu  soit,  pour  toi,  mieux 
qu'un  mari,  cl  pour  nos  enfants,  mieux  qu'un  père.  Je  suis 
sûr  qu'il  le  peut;  j'ai  la  confiance  qu'il  le  fera  '.  » 

Le  due  de  Hamilton  fut  amené  le  premier  sur  la  place  de 
Westminster,  où  était  dressé  l'échafaud.  Il  mourut  digne- 
ment, après  avoir  parlé  aux  assistants  en  termes  simples  et 
tranquilles,  justifiant  modestement  sa  vie  et  faisant  profes- 
sion de  son  attachement  pour  le  roi  mort  qu'il  avait  servi  et 
pour  le  roi  absent  dont  il  espérait  le  retour  qu'il  ne  devait 
point  voir.  Comme  il  parlait,  les  rayons  du  soleil  tombaient 
sur  son  visage;  on  l'engagea  à  changer  de  position  :  «  Non, 
dit- il,  j'espère  voir  bientôt  un  soleil  plus  brillant  que 
celui-ci.  1»  Lord  Holland  avait  laissé  paraître  la  veille  plus 
d'angoisse  et  de  faiblesse;  il  était  malade  et  inquiet  de  son 


i  Statc-Trials,  l.  IV,  col.  1230-1231;  —  Laily  Tlicresa  Lewis,  Life  oflortl 
Capell,  l.  II,  p,  156-140. 


n  PROCES  DES  CHEFS 

âme  ;  mais  au  dernier  moment,  soutenu  par  deux  ministres 
presbytériens  qui  l'avaient  accompagné,  la  fermeté  conve- 
nable ne  lui  manqua  point.  Lord  Capell  parut  le  dernier, 
et  seul,  sur  récliafaud.  «  Monsieur,  lui  dit  Tofficier  qui 
commandait,  votre  chapelain  est-il  là?  —  Non,  répondit-il, 
j'ai  pris  congé  de  lui  ;  »  et  voyant  quelques-uns  de  ses  ser- 
viteurs qui  pleuraient  :  «  Contenez-vous,  messieurs,  conte- 
nez-vous. »  Puis,  se  retournant  vers  l'officier  :  «  Les  lords 
qui  m'ont  précédé  ont-ils  parlé  le  chapeau  sur  la  tète  ou 
non  ?  —  Tète  nue,  monsieur.  »  Lord  Capell  ôta  son  chapeau 
et  parla  brièvement,  fermement,  également  franc  et  décidé 
comme  royaliste  et  comme  chrétien.  Il  fit  ce  qu'il  avait 
prorais  au  docteur  Morley  ;  il  s'accusa  de  son  vote  contre 
lord  Strafford  :  «i  Je  confesse  de  nouveau  ,  dit-il ,  pour  la 
gloire  de  Dieu  et  à  la  honte  de  ma  propre  faiblesse  ,  que  ce 
fut  vraiment  une  indigne  lâcheté  de  ne  pas  résister  au  tor- 
rent qui  nous  emportait  dans  cette  affaire.  »  Peuple  et  soldats, 
amis  et  étrangers,  tous  le  regardèrent  mourir  dans  le  recueil- 
lement de  l'admiration  et  du  respect  '. 

C'est  un -devoir  pour  Thistoire  de  rendre  pleine  justice  à 
ces  morts  vertueuses  et  fortes  qui  agissent  puissamment  sur 
les  sentiments  des  peuples,  et  qui  relèvent  au  fond  des  cœurs 
les  causes  perdues  sur  les  champs  de  bataille.  A  l'exception 
du  parti  républicain  ,  l'échafaud  de  lord  Capell  indigna  et 
attendrit  tout  le  pays.  La  guerre  était  finie  ;  le  sang  du  roi 
avait  été  versé  pour  expier,  disait-on,  tout  celui  qu'elle  avait 
fait  répandre  :  pourquoi  encore  du  sang  ?  Pourquoi ,  sur 
des  prisonniers  faits  dans  une  guerre  qui  avait  cessé,  ces 
rigueurs  infligées  par  des  juges  que  les  lois  ne  connaissaient 
pas,  et  soutenues  par  des  subtilités  d'école?  Le  Parlement 


1  State-Trials,  t.  IV,  col.  H88-H94,  1220-1235;  -  Liuly  Theresa  Lewis, 
Life  of  lord  Capell,  t.  Il,  p.  140-153. 


ROYALISTES  (février  1649).  28 

lui-même  sentit  qu'il  ne  pouvait  persister  dans  cette  voie. 
Il  avait  encore  à  statuer  sur  plusieurs  chefs  royalistes, 
ecclésiastiques,  civils  et  militaires;  contre  quinze  d'entre 
eux,  il  prononça  le  bannissement  à  perpétuité  et  la  confis- 
cation de  tous  leurs  biens  ;  il  en  renvoya  cinq  devant  des 
cours  martiales,  pour  faits  de  guerre;  il  décida  que  deux 
autres,  le  marquis  de  Winchester  et  l'évêquc  de  Norwich, 
seraient  retenus  en  prison  aussi  longtemps  que  cela  serait 
jugé  nécessaire;  deux  seulement,  sir  John  Howell  et  le  juge 
David  Jenkins,  furent  renvoyés  en  poursuite  capitale,  non 
plus  devant  un  tribunal  extraordinaire,  mais  devant  les  cours 
d'assises  légales;  et  cette  poursuite  même  n'eut  pas  lieu  :  ils 
restèrent  tous  deux  en  prison,  Jenkins  jusqu'en  16o6,  sir 
John  Howell  jusqu'à  la  Restauration.  Le  Parlement  ne  voulait 
plus  de  bruit  ;  il  interdit  la  publication  des  débats  et  des  actes 
delà  Haute  Cour  qui  avait  condamné  lord  Capell;  on  saisit 
des  pamphlets,  on  gagna  des  journalistes;  un  comité  fut 
chargé  de  préparer  des  mesures  pour  réprimer  la  liberté  de 
la  presse.  Les  rigueurs  silencieuses  remplacèrent  les  pour- 
suites éclatantes  et  les  échafauds  ^ 

Mais  le  Parlement  ne  disposait  pas  seul  de  l'éclat  et  du  bruit  : 
peu  de  jours  après  la  mort  du  roi,  parut  VEikôn  Basilikè  ou 
image  royale,  donnée  comme  l'ouvrage  de  Charles  I"  lui- 
même,  et  qui,  sous  une  forme  pieuse,  révélait  à  l'Angleterre 
les  réflexions,  les  sentiments,  les  impressions,  les  espé- 
rances et  les  angoisses,  toute  l'âme  du  roi  pendant  le  cours 
de  ses  épreuves.  Avertis,  avant  mémerexécution  de  Charles, 
qu'on  imprimait  ce  livre,  les  meneurs  républicains  pressen- 
tirent le  coup  qu'il  devait  leur  porter,  et  firent  tous  leurs 
efforts  pour  en  empêcher  la  publication  -.  Ils  n'y  réussirent 

1  Journah  of  the  Hoxise  of  commons,  l.  VI,  p.  104-105,  270,    2'J8;  — 
Godwin,^t£(.  of  Ihe  Commonwealih,  l.  111,  p.  -43-4/»,  343-548. 
*  Le  16  mars  1G49  ;  JournaU  of  the  Ilouse  of  commons,  I.  VI,  p.  100. 


26  PUBLICATION 

point  :  l'ouvrage  se  répandit  rapidement  ;  quarante-sept 
éditions  en  furent  faites ,  et  plus  de  quarante-huit  mille 
exemplaires  distribués  en  Angleterre  dans  le  cours  de  l'an- 
née; il  fut  aussitôt  traduit  et  avidement  lu  en  France  et 
dans  toute  l'Europe.  Partout  l'effet  en  fut  prodigieux  ; 
l'atachement  pour  la  mémoire  du  roi  devint  de  la  passion 
et  le  respect  du  culte;  ses  ennemis  furent  les  bourreaux  d'un 
saint.  C'est  surtout  à  VEikôn  Basilikè  que  Charles  P"^  a  dû  le 
nom  de  roi-marlyr. 

L'ouvrage  n'était  pas  de  lui  ;  les  témoignages  extérieurs 
comme  les  preuves  internes  ne  permettent  plus  d'en  douter  :1e 
docteur  Gauden,  évêque  d'abord  d'Exeter,  puis  de  Worcester, 
sous  le  règne  de  Charles  II,  en  était  le  véritable  auteur  ;  mais 
le  manuscrit  avait  probablement  été  connu  et  approuvé, 
peut-être  même  corrigé  par  Charles  lui-même,  pendant  son 
séjour  dans  l'ile  de  Wight.  En  tout  cas,  c'était  bien  l'expres- 
sion et  vraiment  l'image  de  sa  situation,  de  son  caractère  et 
de  son  âme  tels  que  les  avait  faits  le  malheur  :  une  élévation 
à  la  fois  naturelle  et  tendue;  un  constant  mélange  d'aveugle 
orgueil  royal  et  de  sincère  humilité  chrétienne;  des  élans  de 
cœur  h  travers  les  habitudes  d'une  personnalité  obstinée  ; 
une  piété  vraie  au  milieu  d'une  conduite  fausse;  un  dévoue- 
ment invincible,  quoique  un  peu  inerte,  à  sa  foi,  à  son  hon- 
neur, à  son  rang  ;  et  tous  ces  sentiments  exprimés  dans  un 
langage  monotone  et  souvent  emphatique,  mais  grave,  doux, 
onctueux  même  avec  sérénité  et  tristesse  :  il  y  avait  là  de 
quoi  remuer  profondément  les  cœurs  royalistes  et  leur  per- 
suader aisément  que  c'était  le  roi  lui-même  qui  leur  parlait^ 

Le  parlement  sentit  qu'il  ne  pouvait  rester  muet  en  pré- 
sence d'une  émotion  publique  si  forte,  et  il  chargea  Milton 

1  VEihàn  Basilikc  est  traduit  en  entier  dans  ma  Collection  des  Mémoires 
relatifs  à  la  Révolution  d'Angleterre,  el  la  question  de  sou  autlienlicité  est 
disculoe  dans  la  nolice  placée  en  lèle  de  ce  volume. 


I 


DE  L'EIKON  BASILIKÉ.  27 

de  la  combattre.  Ce  génie  sublime  et  sévère  qui,  dès  sa  jeu- 
nesse, avait  résisté  à  ses  parents  et  à  ses  maîtres  pour 
s'adonner  tout  entier  à  la  poésie  et  aux  lettres,  était  épris 
d'une  passion  ardente  pour  la  liberté  :  non  pour  celte 
liberté  réelle  et  vraie  qui  résulte  du  respect  de  tous  les 
droits  et  des  droits  de  tous,  mais  pour  la  liberté  idéale  et 
absolue,  religieuse,  politique,  domestique  ;  et  son  puissant 
esprit  se  repaissait,  à  ce  sujet,  d'idées  fortes,  de  sentiments 
élevés,  de  grandes  images  et  de  belles  paroles  sans  qu'il 
s'inquiétât  de  savoir  si,  autour  de  lui,  les  faits  positifs  et  ses 
propres  actions  même  répondaient  à  ses  principes  et  à  ses 
espérances.  Il  pouvait  servir  et  il  servit  en  effet  la  tyrannie, 
tantôt  d'une  assemblée,  tantôt  d'un  seul  bomme,  croyant 
toujours  défendre  et  servir  la  liberté.  Eclatant  et  doulou- 
reux exemple  des  illusions  peu  dignes  où  l'imagination 
rêveuse,  le  raisonnement  abstrait  et  le  beau  langage  peu- 
vent jeter  une  intelligence  supérieure  et  un  noble  cœur. 

Milton  écrivit  et  publia  promplemcnt  son  Iconoclasles^ 
longue  et  froide,  bien  que  violente  réfutation  de  Vlmcuje 
royale.  Milton  ne  comprenait  point  Charles  I*"^  et  ses  senti- 
ments, ni  ceux  que  le  roi  inspirait  aux  royalistes;  il  repro- 
duisit contre  lui,  avecl'animosité  puritaine  et  républicaine, 
tous  les  faits  connus,  toutes  les  accusations  vraies  ou  fausses 
qui,  depuis  dix  ans,  retentissaient  en  Angleterre,  sans  tenir 
compte  des  idées  ni  des  impressions  nouvelles  que  les  évé- 
nements avaient  suscitées  dans  les  cœurs,  et  sans  que  cette 
diatribe  rétrospective  fût  relevée  par  la  verve  et  l'éclat  du 
langage.  Elle  ne  produisit  en  Angleterre  qu'un  médiocre 
effet;  mais  sur  le  continent,  en  France  surtout,  elle  excita 
une  vive  colère;  et  à  la  demande  de  Charles  H,  le  célèbre 
érudit  protestant,  Saumaise,  réfugié  et  professeur  honoraire 
à  l'université  de  Leyde,  en  entreprit  la  réfutation.  Sau- 
maise n'avait  pas  attendu,  pour  faire  éclater  son  indigna- 


28  POLEMIQUE  ENTRE  MILTON 

lion,  que  Charles  la  lui  demandât  et  la  lui  payât;  huit  jours 
après  l'éxecution  du  roi,  il  avait,  dans  une  lettre  spontanc'e 
et  soudaine,  maudit  passionnément  ses  ennemis  devenus 
SCS  juges  '.  La  Défense  rnyale  fOur  Charles  l",  adressée  à 
Charles  II,  fit  grand  bruit,  plus  encore  par  le  nom  de  l'au- 
teur que  par  le  mérite  de  l'ouvrage  :  c'était  un  panégyrique 
savant,  spirituel  et  quelquefois  éloquent,  mais  sans  mesure 
et  sans  goût,  de  la  monarchie  en  général,  une  apologie 
enthousiaste  de  Charles  I""^,  et  une  attaque  violemment 
injurieuse  contre  les  républicains  anglais  et  leur  défenseur. 
Quand  le  livre  de  Saumaise  parvint  à  Londres,  le  gouver- 
nement s'en  préoccupa,  et  dans  une  séance  du  conseil  d'État 
à  laquelle,  dit-on,  Millon  assistait,  il  fut  décidé  qu'il  devait 
y  répondre.  11  le  fit  aussitôt,  et  avec  bien  plus  de  talent  et 
de  succès  qu'il  n'en  avait  déployé  et  obtenu  en  attaquant 
Charles  I"""  lui-même  :  na  première  et  sa  seconde  défense  du 
peuple  amjlais,  en  réponse  à  la  défense  royale  de  Saumaise, 
sont  des  modèles  de  discussion  passionnée,  soit  générale, 
soit  personnelle  ;  la  République  y  est  défendue,  dans  ses 
principes  comme  dans  ses  actes,  avec  une  fermeté  intraita- 
ble, et  Milton  s'y  met  lui-même  en  scène,  sa  personne,  sa 
vie,  sa  cécité,  contractée  dans  le  cours  de  ce  travail  même, 
avec  une  éloquence  tour  à  tour  noble  et  touchante,  répan- 
dant partout,  n)ême  sur  des  idées  fausses  et  sur  de  mauvaises 
actions,  cette  splendeur  de  pensée  et  de  langage  qui  attire 
et  charme  quoique  sans  convaincre,  et  quelquefois  même  en 
irritant.  Le  succès  de  ces  répliques  républicaines  fut  grand, 
sur  le  continent  comme  en  Angleterre  ;  la  reine  Christine 
de  Suède  en  témoigna,  devant  Saumaise  lui-même,  son 
admiration  ;  les  États  généraux  de  Hollande  crurent  devoir 


'  La  letU'c  est  du  17  février  1C49;—  Carte,  Ormond's  Leticrs,  t.   1, 
p.  253-258. 


ET  SAU5IAISE  (1619-1050).  29 

supprimer  la  Défense  royale  du  professeur  de  Leyde.  II 
s'en  indigna,  tomba  malade  et  mourut,  laissant  une 
Réponse  de  Claude  Saumaise  à  Jean  3JiUon  qui  fut  publiée 
après  sa  mort.  D'autres  écrivains,  royalistes  et  républicains, 
français  et  anglais,  se  jetèrent  dans  cette  arène;  Milton  y 
reparut  encore,  par  irritation  personnelle  plus  que  par 
nécessité  politique  ;  et  ce  grand  débat,  qui  avait  commence 
avec  tant  d'éclat  par  l'apologie  d'un  roi  despotique  et  d'un 
parlement  révolutionnaire,  finit  obscurément  par  une  polé- 
mique grossière  et  vulgaire  entre  des  lettrés  acharnés  à 
s'injurier  '. 

Quand  il  prit  fin,  depuis  longtemps  déjà  le  gouvernement 
républicain  n'y  pensait  plus  :  des  soins  plus  pressants  et 
des  ennemis  plus  dangereux  avaient  absorbé  son  attention. 

Le  20  janvier  1649,  au  moment  même  où  le  roi  compa- 
raissait pour  la  première  fois  devant  la  Haute  Cour  chargée 
de  le  juger,  le  général  en  chef  et  le  conseil  général  des  offi- 
ciers de  l'armée  avaient  présenté  au  Parlement,  sous  le  titre 
de  <c  Convention  du  peuple  d'Angleterre  pour  établir  une 
paix  solide  sur  les  fondements  du  droit  commun,  de  la 
liberté  et  de  la  sécurité  de  tous,  »  leur  plan  de  gouverne- 
ment républicain.  Ce  plan,  rédigé,  dit-on,  par  Ireton,  com- 
prenait dix  articles,  dont  les  dispositions  essentielles  étaient 
celles-ci  : 

d°  Le  Parlement  actuel  se  dissoudra  le  50  avril  1649. 

2"  Il  y  aura  une  assemblée  représentative  (ils  écartaient 
le  nom  de  Parlement)  formée  de  quatre  cents  membres. 

5"  L'assemblée  représentative  sera  élue  tous  les  deux  ans, 
et  siégera  six  mois  chaque  année. 

Seront  électeurs  et  éligibles  tous  les  natifs  ou  habitants 


'  Todd,  Lifcof  MiUon,  p.  72-8i  ;  —  MilCoi-il,  LifcofMiUon,  p.  77-9:5;— 
Milton,  Frose  Works,  1. 1  cl  IV  (Londres,  181)1). 

3. 


50  liNSURRECTION  DES 

jouissant  des  droits  civils  en  Angleterre,  taxés  pour  le  sou- 
lagement des  pauvres,  n'étant  au  service  ni  aux  gages  de 
personne,  âgés  de  vingt  et  un  ans  au  moins,  et  domiciliés 
dans  le  lieu  de  l'élection. 

Ne  pourront  être  électeurs  pendant  sept  ans,  ni  élus  pen- 
dant quatorze  ans,  tous  ceux  qui  ont  adhéré  au  roi  contre 
le  Parlement  dans  les  dernières  guerres,  ni  ceux  qui  feront 
ou  appuieront,  par  voie  de  force,  opposition  à  la  présente 
convention. 

Ne  pourront  être  élus  à  l'assemblée  représentative  nul 
membre  du  conseil  d'Etat,  nul  officier,  commandant  des 
forces  salariées,  nul  employé  dans  la  perception  et  l'admi- 
nistration du  revenu  public.  Si  un  avocat  est  élu  membre 
de  l'assemblée  représentative  ou  du  conseil  d'État,  il  ne 
pourra  pratiquer  au  barreau  tant  que  durerontses  fondions. 

4°  Cent  cinquante  membres  au  moins  devront  être  pré- 
sents pour  le  vote  d'une  loi  :  soixante  suffiront  pour  les 
débats  préparatoires. 

5°  Chaque  assemblée  représentative,  dans  les  vingt  jours 
de  sa  réunion,  nommera  un  conseil  d'État  chargé  de  diriger 
les  affaires  publiques  jusqu'au  dixième  jour  de  la  réunion 
de  l'assemblée  suivante. 

6°  Dans  l'intervalle  entre  deux  assemblées  représentati- 
ves, et  en  cas  de  danger  ou  de  nécessité  urgente,  le  conseil 
d'État  pourra  en  faire  élire  et  réunir  une  qui  ne  siégera  pas 
au  delà  de  quatre-vingts  jours. 

7°  Aucun  membre  de  l'assemblée  législative  ne  peut, 
pendant  sa  durée,  recevoir  aucun  emploi  public,  si  ce  n'est 
celui  de  conseiller  d'État. 

80  Le  pouvoir  souverain  et  définitif,  entre  autres  celui 
d'instituer  des  cours  de  justice,  est  remis  à  l'assemblée 
représentative  dans  toutes  les  choses  naturelles  et  civiles, 
mais  non  dans  les  choses  spirituelles  ou  évangéliqucs. 


NIVELEURS  (1649).  31 

Quelques  limitations  à  ce  pouvoir  souverain  étaient  indi- 
quées ici,  pour  la  garantie  des  libertés  civiles,  des  engage- 
ments financiers  de  l'État  et  des  interdictions  qui  pesaient 
sur  le  parti  royaliste. 

9°  La  religion  chrétienne  est  la  foi  publique  de  celte 
nation  :  «  Nous  désirons  qu'elle  soit,  par  la  grâce  de  Dieu, 
réformée,  pour  sa  plus  parfaite  pureté  dans  la  doctrine, 
le  culte  et  la  discipline,  conformément  à  la  parole  de  Dieu, 
que  le  peuple  y  soit  instruit  publiquement,  mais  sans  con- 
trainte, et  que  ses  ministres  soient  maintenus  aux  frais  du 
trésor  publie,  et,  c'est  du  moinsnotre  vœu,  sans  recourir  aux 
dîmes.  )) 

«  Le  papisme  et  l'épiscopat  ne  seront  pas  publiquement  pro- 
fessés au  sein  de  cette  nation.  »  Hors  de  là,  point  de  pénalité 
en  matière  religieuse;  égale  liberté  et  protection  pour  tous 
ceux  qui  professent  la  foi  en  Dieu  par  Jésus-Christ. 

dO°  Quiconque  résistera,  à  main  armée,  aux  ordres  de 
l'assemblée  représentative ,  sera  puni  de  mort  comme 
ennemi  et  traître  à  la  nation,  excepté  dans  le  cas  où  l'as- 
semblée représentative  trahirait  ou  violerait  elle-même  les 
principes  fondamentaux  de  droit  commun,  de  liberté  et  de 
sûreté  publique  établis  dans  la  présente  convention  ^ 

C'étaient  là  les  vues  des  républicains  politiques,  des  mo- 
dérés, militaires  ou  civils,  qui  avaient  déjà  manié  ou  vu  de 
près  les  affaires;  mais  elles  étaient  loin  de  satisfaire  aux 
idées  et  aux  passions  de  tout  le  parti  qui  avait  îix'û  la  guerre 
au  roi  et  renversé  la  monarchie  :  à  peine  installé,  le  gou- 
vernement réi)ublicain  se  vit  en  face  d'une  opposition  ar- 
dente, démocratique  et  mystique;  et  un  homme  se  trouva 
qui,  avec  un  courage  et  un  dévouement  indomj)tables,se  fit, 
non  pas  le  chef,  nul  n'était  chef  dans  ce  camp-là,  mais  l'in- 

1  Parliam.  Iliitory,  t.  XVill,  p.  516-536. 


S2  INSURRECTION  DES 

terprète,  le  défenseur  et  le  martyr  populaire  de  tous  les 
mécontents  :  ce  fut  John  Lilburne. 

Ce  n'était  pas  pour  lui  un  rôle  nouveau  ;  il  en  avait  déjà, 
sous  Charles  l*"",  affronté  les  souffrances  et  conquis  la  popu- 
larité. Même  contre  le  Parlement  républicain,  il  avait  na- 
guère, à  l'occasion  du  procès  du  roi ,  commencé  une  vive 
opposition,  s'élevant  contre  l'institution  de  la  Haute  Cour 
et  demandant  que  le  roi  fût  jugé  selon  les  lois  du  pays,  et 
par  un  jury  indépendant.  Non  qu'il  fût  possédé  du  cynisme 
démagogique  et  qu'il  voulût  humilier  la  royauté  déchue, 
mais  par  un  respect  strict  du  droit  commun  et  des  garanties 
légales  promises  à  tout  Anglais.  Il  renouvela,  plus  chaude- 
ment encore,  les  mêmes  attaques  contre  la  nouvelle  Haute 
Cour  instituée  pour  juger  lord  Capell  et  ses  compagnons, 
et  leur  fit  même  offrir  ses  services  pour  leur  défense,  cher- 
chant partout  des  occasions  et  des  clients  à  son  ardeur  de 
combat.  Il  avait,  dans  la  Cité  où  s'était  passée  sa  jeunesse, 
et  dans  l'armée  où  il  avait  vaillamment  servi,  d'anciennes 
relations  et  de  nombreux  amis,  des  bourgeois  et  des  ap- 
prentis, des"  officiers  et  des  soldats,  des  sectaires  mystiques 
ou  esprits  forts,  tous  passionnément  adoimés,  comme  lui, 
aux  idées  et  aux  sentiments  les  plus  démocratiques,  tous  rai- 
sonneurs et  querelleurs  comme  lui ,  ne  s'inquiétant  ni  des 
conditions  de  l'ordre,  ni  des  nécessités  du  pouvoir,  et  tou- 
jours prêts  à  le  critiquer  et  à  le  combattre  dès  qu'il  blessait 
ou  les  instincts  de  leur  conscience,  ou  les  rêves  de  leur  es- 
prit, ou  les  récentes  habitudes  de  leur  indépendance  révo- 
lutionnaire, ou  les  prétentions  de  leur  orgueil.  Lilburne  mit 
tous  ses  soins  à  faire  fermenter  ensemble  toutes  ces  hu- 
meurs ;  il  s'appliqua  surtout  à  ranimer,  dans  les  rangs  infé- 
rieurs de  l'armée,  la  pratique  des  réunions,  des  pétitions,  et 
ce  travail  des  agitateurs  délégués  par  leurs  régiments  dont 
les  Indépendants  et  Cromwell  s'étaient  si  efficacement  servis 


NIVELEURS  (1649).  Ô3 

pour  dompter  le  Parlement.  Dans  un  conseil  d'officiers  tenu 
à  Whitcliall,  on  résolut  de  prendre,  contre  ces  menées,  des 
mesures  sévères  ,  et  un  ordre  du  jour  de  Fairfax  interdit 
dans  l'armée  toute  réunion,  toute  délibération  contraire  à  la 
discipline,  admettant  encore  le  droit  de  pétition  des  soldats, 
mais  pourvu  qu'ils  en  informassent  d'abord  leurs  officiers'. 
Aussitôt  parut  un  pamphlet  de  Lilburnc  -,  les  nouvelles 
Chaînes  de  V Angleterre  dévoilées,  attaquant  avec  violence 
ces  excès  de  pouvoir  de  ces  mêmes  chefs  qui  naguère  avaient 
si  souvent  autorisé  et  poussé  leurs  subordonnés  à  tous  les 
excès  de  la  liberté.  En  même  temps  cinq  soldats  signèrent 
et  présentèrent  à  Fairfax  une  pétition  pour  se  plaindre  des 
obstacles  ainsi  apportés  à  leur  droit  de  pétition  :  «  Veuillez 
considérer,  lui  disaient-ils,  que  nous  sommes  des  soldats 
anglais ,  volontairement  engagés  au  service  des  libertés  de 
l'Angleterre,  non  des  mercenaires  étrangers  chargés  de  tuer 
les  gens  pour  de  l'argent ,  et  que  nous  n'avons  à  servir  les 
ambitieux  desseins  et  les  pernicieuses  volontés  de  qui  que 
ce  soit  sous  le  ciel  ^.  » 

Fairfax  déféra  immédiatement  cette  pétition  au  conseil  de 
guerre  qui  condamna  les  cinq  soldats  à  passer,  la  face  tour- 
née vers  la  queue  de  leur  cheval,  devant  le  front  de  leur 
régiment,  à  avoir  leur  épée  brisée  sur  leur  tête  et  à  être 
casses.  La  sentence  fut  aussitôt  exécutée,  le  même  jour  où 
la  Haute  Cour  de  justice  condamnait  lord  Capell  à  mort. 
Quelques  jours  après,  Lilburnc  publia  un  nouveau  pamphlet 

»  Le  22  février  I G49  ;  Wliitelocke,  p.  383. 

»  Le  28  février  1G49. 

3  Parliam.  Hist.,  t.  XIX,  p.  49  ;  -  Journals  of  thc  IIousc  of  eonmous, 
t.  VI,  p.  130;  -  Whilelocke,  p.  583,  384,  385;—  Thc  liunling  of  ihc  Foxvs 
from  Newmarkcl  and  Triploc-llealh  lo  WUitehall,  bi/  five  small  Beaglcs, 
p.  17;  —  Godwin,  Ilist.  of  (lie  Commontccaltli,  t.  III,  p.  45-59;  —  mes  Étu- 
des biographiques  sur  la  Révolution  d'Angleterre  {  Vie  de  J.  Liibnrne), 
p.  149-173. 


U  INSURRECTION  DES 

intitulé  :  les  Benards  chassés  de  Newmarkel  et  de  Triploe- 
Heath  à  Whitehall,  par  cinq  petits  bassets,  ou  les  grands 
trompeurs  démasqués;  récit  à  la  fois  burlesque  et  tragique 
de  la  pétition  signée  et  du  châtiment  subi  par  les  cinq  sol- 
dats, et  invective  brûlante  contre  les  chefs  qui  le  leur  avaient 
infligé  :  «i  Fut-il  jamais  une  bande  d'apostats  à  ce  point  faux 
et  parjures?  Jamais  hommes  ont-ils,  plus  que  ceux-ci,  pré- 
tendu à  la  piété,  à  la  sainteté ,  au  zèle  pour  le  service  de 
Dieu  et  de  leur  pays?  Ils  prêchent ,  ils  jeûnent,  ils  prient; 
ils  n'ont  à  la  bouche  que  des  phrases  des  saintes  Ecritures, 
le  nom  de  Dieu  et  de  Christ.  Parlez  à  Cromwell  de  quoi  que 
ce  soit  :  il  mettra  sa  main  sur  son  cœur,  il  lèvera  les  yeux 
au  ciel,  il  prendra  Dieu  à  témoin,  il  pleurera,  il  gémira,  il 
se  repentira;  et  ainsi  faisant,  il  vous  frappe  sous  la  première 
côte.  N'est-il  pas  évident  que  désormais  l'influence  des  offi- 
ciers est  directement  opposée  à  celle  dos  soldats,  et  que  là 
où  l'une  triomphe, l'autre  succombe?...  Qu'ctes-vous,  main- 
tenant, soldats  anglais?  On  vous  ferme  la  bouche  ;  vous  ne 
pouvez  vous  plaindre  ni  demander  redressement;  vos  offi- 
ciers sont  vos  seigneurs  et  vous  êtes  des  vassaux  qu'ils  ont 
conquis.  Vous  n'avez  à  leur  résister  en  rien;  s'il  leur  plaît 
de  dire  que  les  corbeaux  sont  blancs,  dites  comme  eux  ;  ne 
vous  avisez  pas  de  prononcer  un  mot  sur  leurs  abus,  leurs 
fausses  revues,  leurs  volerics  ;  tout  soldat  assez  présomp- 
tueux pour  articuler  quoi  que  ce  soit  contre  un  officier  sera 
cassé.  )' 

Et  en  même  temps  qu'il  dénonçait  ainsi  les  officiers  aux 
soldats,  Lilburne  adressait  au  Parlement  la  seconde  partie 
de  ses  nouvelles  Chaînes  de  l'Angleterre  dévoilées,  autre  in- 
vective aussi  ardente  et  aussi  bruyante  pour  dénoncer  au 
pouvoir  civil  les  chefs  de  l'armée  qui  travaillaient  et  avaient 
toujours  travaillé  à  s'emparer  de  la  tyrannie  :  u  Si  la  Cham- 
bre, disait-il,  ne  fait  pas  son  devoir  en  déjouant  ce  complot, 


NIVELEURS  (1649).  35 

nous  avons  la  confiance  que  ce  que  nous  venons  de  dire  et 
de  répandre  ouvrira  les  yeux  et  relèvera  les  cœurs  de  tant 
de  soldats  et  de  citoyens  que  ces  hommes  ne  parviendront 
jamais  à  accomplir  leurs  détestables  desseins  ^  ji 

Le  Parlement  et  le  conseil  général  des  officiers  s'émurent 
d'une  même  colère  et  mirent  en  œuvre  à  la  fois,  contre  leurs 
nouveaux  ennemis,  et  les  armes  révolutionnaires  et  les  ar- 
mes du  pouvoir.  Des  pétitionsarrivèrentde  plusieurs  comtés, 
pleines  de  blâme  contre  l'opposition  qui  éclatait  et  d'ad- 
hésion dévouée  au  Parlement.  Diverses  congrégations  de 
sectaires,  anabaptistes  et  autres,  vinrent  déclarer  que  c'était 
contre  leur  gré  que  le  pamphlet  de  Lilburne ,  les  nouvelles 
Chaînes  de  V Angleterre  dévoilées,  avait  été  lu  dans  quelques- 
unes  de  leurs  assemblées,  et  elles  en  témoignèrent  leur  dés- 
approbation. Plusieurs  régiments,  sur  le  vœu  de  leurs  chefs, 
protestèrent  formellement  contre  la  rébellion  naissante.  Le 
conseil  général  de  l'armée  adressa  à  la  Chambre  «  une  hum- 
ble pétition  1)  dans  laquelle,  en  demandant  le  redressement 
d'abus  administratifs  nuisibles  aux  soldats,  il  témoignait  de 
la  bonne  intelligence  qui  régnait  entre  le  Parlement  et  l'ar- 
mée; et  la  Chambre  attacha  tant  de  prix  à  cette  démarche 
qu'elle  en  fit  aux  pétitionnaires  des  remercîments  officiels  : 
«  Ce  jour,  leur  dit  en  son  nom  l'orateur,  sera  un  jour  de 
grand  mécompte  pour  nos  communs  ennemis;  tous  les  gens 
de  bien  qui  se  sont  engagés  avec  nous  pour  le  salut  du 
royaume  verront  avec  une  vive  joie  votre  modeste  et  discrète 
pétition  ;  elle  fermera  la  bouche  à  nos  détracteurs  malin- 
tentionnés qui  seront  forcés  de  reconnaître  que  l'armée  et 
le  Parlementsont  unanimes  pour  le  bien  public.  La  Chambre 

•  Pari  Hisl.,  l.  XIX,  p.  51;  —  Wliilelockc,  p.  38;i,  Ty'M  ;  —  Ilcalli,  A  brirf 
Chronide,  de,  p.  430  ;  —  Lilbunic,  The  lutnting  of  tlic  Foxes,  elc,  p.  l'i, 
13;  —  England'sNcw  CItains,  etc.  (2=  pari.),  p  16;  -  Goilwin,  llist.  ofthe 
Commontvenlth,  l.  III,  p.  S9. 


56  INSURRECTION  DES 

regarde  comme  très- importantes,  et  elle  prendra  immédia- 
tement en  considération  les  choses  que  vous  lui  recomman- 
dez; et  comme  vous  vous  êtes  toujours  montrés,  dans  votre 
service,  empressés  et  fidèles,  elle  m'ordonne  de  vous  remer- 
cier de  vos  discrètes  et  sérieuses  représentations.  »  Et  pour 
soutenir,  par  l'énergie  de  ses  propres  résolutions,  ces  ma- 
nifestations publiques  de  ses  partisans,  la  Chambre  vota  que 
le  pamphlet  de  Lilburne  était  plein  d'assertions  fausses, 
calomnieuses  et  séditieuses  que  les  auteurs  et  distributeurs 
étaient  coupables  de  haute  trahison  et  seraient  poursuivis 
comme  traîtres  ;  et  elle  enjoignit  au  conseil  d'État  de  donner 
suite  à  ses  déclarations.  Le  conseil  d'Etat,  de  son  côté, 
chargea  Milton  de  répondre  à  Lilburne  ;  et  dès  le  lendemain 
Lilburne  lui-même  et  ses  trois  principaux  associés,  William 
Walwyn,  Thomas  Prince  et  Richard  Overton,  furent  arrêtés 
et  mis  à  la  Tour  ' . 

Évidemment,  dans  le  parti  républicain,  soit  de  l'armée, 
soit  du  pays,  la  majorité,  plus  sensée  que  conséquente, 
désavouait  les  opposants  et  voulait  soutenir  ses  chefs  et 
le  Parlement.  Mais  les  factions  extrêmes  ne  se  sentent 
jamais  faibles,  car  la  fièvre  fait  croire  à  la  force,  et  l'espé- 
rance demeure  toujours  là  où  est  le  courage  du  martyre. 
Du  fond  de  la  Tour,  Lilburne  publia,  sous  le  titre  de  Por- 
trait du  conseil  d'Élat,  le  récit  de  son  arrestation  et  de 
celle  de  ses  compagnons,  de  leur  interrogatoire,  de  leur 
défense  et  de  leur  emprisonnement  :  remarquable  mélange 
de  fierté  digne  et  de  bravade  puérile,  d'honnêteté  et  de  va- 
nité. Apostrophant  Cromwell  et  Ireton  :  «  Qu'ils  fassent  du 
pire  qu'ils  pourront,  disait-il,  je  les  défie;  ils  ne  peuvent 
pas  me  faire  plus  que  le  diable  n'a  fait  à  Job.  Ils  ont  une 

1  Le  28  mars  1640  ;  Journals  of  the  House  ofcommons,  t.  VI,  p.  i53, 1G8, 
174, 177;  —  Wliitcloeke,  p.  593  ;  —  Godwin,  Hist.  of  the  Commonweallh, 
t.  m,  p.  60,  343. 


NIVELEURS  {{U9).  57 

armée  à  leurs  ordres  ;  mais  dût  chaque  cheveu  sur  la  tête 
de  chacun  de  leurs  soldats  devenir  une  légion  d'hommes, 
je  ne  les  craindrais  pas  plus  qu'autant  de  hrins  de  paille, 
car  le  Seigneur  Jéhovah  est  mon  rocher,  et  sous  ses  ailes, 
je  suis  en  sûreté  ;  je  chanterai  et  je  serai  gai...  Ami  lecteur 
et  cher  compatriote,  excuse-moi,  je  t'en  supplie,  si  je  me 
glorifie  et  me  vante  ;  j'y  suis  forcé  par  mes  adversaires  qui 
me  calomnient  bassement;  d'ailleurs  Paul  et  Samuel  l'ont 
fait  avant  moi.  Si  tu  tiens  pour  les  justes  droits  et  les  li- 
bertés du  pays  où  nous  sommes  nés,  je  suis  à  toi,  moi  John 
Lilburne,  que  la  peur  n'a  jamais  pu  jeter  ni  la  séduction 
attirer  hors  de  mes  principes,  qui  n'ai  jamais  craint  les 
riches  et  les  puissants,  ni  méprisé  les  pauvres  et  les  faibles, 
et  qui  espère,  avec  l'aide  de  la  bonté  de  Dieu,  demeu- 
rer semperidem  '.  » 

Lilburne  ne  s'en  tint  pas  à  des  pamphlets,  ni  à  des  in- 
vectives contre  quelques  hommes  ;  il  avait  dans  l'esprit 
certaines  idées  morales  et  politiques,  peu  réduites  en  sys- 
tème, mais  fort  accréditées  dans  les  classes  populaires,  et 
qu'il  aspirait  ardemment  à  faire  triompher.  Déjà ,  le  20  fé- 
vrier précédent,  il  les  avait  rédigées  et  présentées,  sous 
forme  d'adresse,  à  la  Chambre,  jaloux  d'opposer,  au  plan 
de  gouvernement  des  meneurs  républicains,  son  propre 
plan  de  gouvernement,  et  de  mettre  sa  république  en  face 
de  la  leur.  La  Chambre  avait  reçu  son  adresse  comme  on 
reçoit  les  vœux  d'un  ennemi,  et  sans  l'honorer  d'aucune 
réponse.  Blessé  dans  son  amour-propre  et  dans  sa  foi  poli- 
tique, Lilburne  publia  de  sa  prison,  et  de  concert  avec  ses 
compagnons  de  captivité,  une  nouvelle  Convention  dn  peu- 
ple d'Angleterre,  résumé  de  leurs  vues  en  fait  d'organisa- 
tion sociale,  et  qui  devait,  dans  leur  espérance,  frajipcr 

1  î.  Lilburne,  Tlic  Piclure  of  Ihc  council  ofSlaic,  etc.,  2'^  édil.,  p.  1".»,  'iO 
REPVDIIQUE  1'  ANCIETEBRE.    1. 


38  INSURRECTION  DES 

de  décri  cette  autre  Convention  que,  trois  mois  aupara- 
vant, le  conseil  des  officiers  avait  présentée  au  Parlement. 
Composée  de  trente  articles,  la  constitution  de  Lilburne 
n'était  pas  aussi  éloignée  qu'il  se  le  figurait  de  celle  à  la- 
quelle il  prétendait  la  substituer;  elle  en  différait  cepen- 
dant par  quelques  dispositions,  les  unes  plus  justes  et  plus 
libérales,  les  autres  plus  impraticables  et  plus  vaines.  D'une 
part,  Lilburne  donnait  aux  droits  et  aux  libertés  des  indi- 
vidus, surtout  à  la  liberté  de  conscience,  plus  d'étendue; 
de  l'autre,  il  s'inquiétait  bien  moins  encore  des  moyens 
de  gouvernement,  et  prenait  contre  le  pouvoir  quelques- 
unes  de  ces  prétendues  garanties  qui  désorganisent  à  la 
fois  le  pouvoir  et  la  société;  il  interdisait,  par  exemple, 
aux  membres  de  l'assemblée  représentative  en  fonction,  le 
droit  d'être  réélus  à  celle  qui  devait  lui  succéder.  La  répu- 
blique du  conseil  général  des  officiers  ne  pouvait  pas  du- 
rer; celle  de  Lilburne  n'eût  pu  seulement  commencer  à 
vivre  \ 

Au  moment  même  où  il  la  mettait  au  jour,  elle  rece- 
vait, d'un  incident  d'abord  obscur,  un  nom  qui  la  frap- 
pait de  mort.  Dans  le  comte  de  Surrey  parut  une  bande  peu 
nombreuse  encore,  mais  qui  annonçait  qu'elle  serait  bien- 
tôt de  quatre  mille  bommes.  Everard  et  Winslanley,  le 
premier  ancien  soldat,  en  étaient  les  cliefs  ;  ils  commen- 
cèrent à  cultiver  et  à  ensemencer  çà  et  là,  appelant  à  eux 
le  peuple  des  environs,  promettant,  à  tous  ceux  qui  vien- 
draient les  joindre,  des  aliments  et  des  vêtements,  et  mena- 
çant de  renverser  les  clôtures  des  parcs  voisins.  Sur  la 
demande  des  magistrats  du  comté,  Fairfax  envoya  deux 
escadrons  qui  les  arrêtèrent;  les   chefs  parurent  devant 

»  Jonrncds  of  Ihe  Ifouse  of  commons.  t.  VI,  p.  Vol;  —  WhUelockc,  p.  384; 
— J.  Lilburne,  An  agrcemcnt  of  Ihe  frce  pcople  of  ^'«(//«Jirf  (F.oudres,  50  avril 
11349),  pamphlcl  de  huit  pages. 


NIVELEURS  (1049).  59 

lui  le  chapeau  sur  la  tête;  on  leur  demanda  pourquoi: 
«t  Parce  qu'il  n'est  qu'une  créature  semblable  à  nous.  » 
Everard  défendit  leur  conduite  et  leur  droit  :«  Nous  som- 
mes, dit-il,  de  la  race  des  Juifs;  toutes  les  liberlés  du 
peuple  ont  été  perdues  par  la  venue  de  Guillaume  le  Con- 
quérant; le  peuple  de  Dieu  a  vécu  depuis  lors  sous  une 
tyrannie  pire  que  celle  qu'endurèrent  nos  pères  sous  les 
Égyptiens.  Mais  nous  touchons  au  temps  de  la  délivrance; 
Dieu  veut  tirer  son  peuple  de  cette  servitude  et  lui  rendre 
la  libre  jouissance  des  biens  et  des  fruits  de  la  terre;  une 
vision  m'a  apparu  qui  m'a  dit  :  n  Va,  cultive  et  laboure  lu 
K  terre,  et  recueillcs-en  les  fruits  pour  les  distribuer  aux 
«  pauvres,  pour  nourrir  ceux  qui  ont  faim  et  vêtir  ceux  qui 
«  sont  nus.  »  Nous  ne  voulons  attenter  à  la  propriété  de  per- 
sonne, ni  détruire  aucune  clôture  ;  nous  ne  prenons  que 
les  terres  non  cultivées  pour  les  rendre  fertiles  et  profita- 
bles aux  hommes  ;  un  temps  viendra  où  tous  les  hommes 
donneront  volontairement  leurs  biens  et  les  mettront  en 
communauté.  Nous  ne  nous  défendrons  point  par  les  ar- 
mes; nous  nous  soumettrons  à  l'autorité  et  nous  attendrons 
le  temps  promis,  car  il  est  proche  '.  » 

Ces  hommes  se  nommaient  eux-mêmes  les  Piocheurs-  ; 
mais  le  public  les  appela  les  Niveleurs;  et  ce  nom  devint 
aussitôt  celui  de  tous  les  petits  groupes  qui,  soit  dans  le 
pays,  soit  dans  l'armée,  poussés  par  des  idées  politiques  ou 
religieuses,  et  diversement  anarchiques,  voulaient  une  ré- 
publique autre  que  celle  qui  essayait  de  gouverner  l'Angle- 
terre, et  lui  faisaient  une  opposition  ardente.  En  vain  Lil- 
burne  et  ses  amis  protestèrent  contre  ce  nom;  en  vain  ils 
ajoutèrent  à  leur  plan  de  constitution  un  article  déclarant 

'  Whilelockc,  p.  596,  397;  -  Carlylc,  CromwcU's  Lcllcrs  anU  Spccclics, 
i.  F,  p.  iôô;  —  Godwii),  flist.  ofthe  Commonivcallli,  t.  III,  p.  82. 
"^  The  Diggers. 


^0  INSURRECTION  DES 

formellement  «  que  les  biens  ne  seraient  point  partagés,  ni 
toutes  choses  mises  en  commun  '.  »  La  qualification  avait 
une  origine  naturelle;  des  faits  et  des  discours  épars,  mais 
frappants,  venaient  de  temps  en  temps  la  confirmer;  elle 
continua  de  peser  sur  tout  le  parti,  et  les  républicains  en 
possession  du  pouvoir,  dans  le  Parlement  et  dans  l'armée, 
curent  cette  fortune  que  leurs  ennemis  révolutionnaires 
s'appelassent  les  Niveleurs. 

Cliaque  jour  la  lutte  louchait  de  plus  près  à  la  guerre  ;  le 
mo'ndre  incident,  sérieux  ou  frivole,  devait  la  faire  éclater. 
Par  les  relations  qu'il  entretenait,  par  les  lettres  qu'il  écri- 
vait, Lilburnc,  de  sa  prison,  continuait  de  fomenter,  dans 
la  Cité  et  dans  l'armée,  une  agitation  de  plus  en  plus  mena- 
çante. Le  Parlement  résolut  ^  de  lui  faire  avec  éclat  son  pro- 
cès, à  lui  et  à  ses  trois  compagnons  ;  un  comité  de  conseil- 
lers d'Etat  et  de  grands  juges,  présidé  par  Bradshaw,  fut 
chargé  de  rechercher  quelle  était,  dans  cette  circonstance, 
la  procédure  la  plus  convenable;  six  avocals  curent  ordre 
de  se  tenir  prêts  à  porter  la  parole  contre  les  accusés.  Des 
préparatifs  si  solennels  excitèrent,  parmi  les  partisans  de 
Lilburne,  une  émotion  passionnée;  les  pétitions  affluèrent 
en  sa  faveur;  les  unes,  signées  par  dix  n)ille  citoyens  de 
Londres  et  des  environs  ;  les  autres,  présentées  par  des  mil- 
liers de  femmes  qui  se  pressaient  aux  portes  de  Westmins- 
ter; aux  premières,  le  Parlement  fit  répondre  sévèrement 
que  les  quatre  accusés  seraient  juges,  et  que  tout  le  monde 
en  Angleterre  devait  se  soumettre  à  la  décision  du  Parle- 
ment. A  la  seconde  pétition  on  ne  fit  point  de  réponse.  Les 
femmes  insistèrent  :  «  Elles  savaient,  dirent-elles,  que  Lil- 
burne et  SCS  compagnons  devaient  être,  à  minuit,  enlevés 


*  Wliitelocke,  p.  599-400. 

'  Le  11  avril  1649  :  Journals  of  ihc  House  of  votinnons,  t.  VI,  p.  183. 


NIVELEURS  (1640).  l{ 

de  la  Tour,  menés  à  Whitchall  et  fusillés  ;  le  Parlement,  en 
déclarant  traîtres  les  distributeurs  et  fauteurs  du  livre  de 
Lilburne,  avait  tendu  un  piégc  au  peuple,  car  on  ne  pou- 
vait parler  des  affaires  du  temps  sans  parler  de  ce  livre;  on 
voulait  donc  abolir  toute  liberté  de  conversation,  ce  qui 
était  la  pire  des  servitudes.  »  Pour  toute  réponse,  la  Cham- 
bre fit  dire  à  ces  femmes  de  retourner  chez  elles  laver  leurs 
assiettes  :  «  Nous  n'avons  plus  d'assieltes,  dirent-elles,  ni 
de  viande  à  y  mettre  '.  » 

Au  milieu  de  celte  fermentation,  huit  régiments,  quatre 
d'infanterie  et  quatre  de  cavalerie,  furent  désignés  par  le 
sort  pour  se  rendre  en  Irlande,  où  la  guerre  civile  avait 
recommencé  -.  Les  soldats,  mal  disposés,  murmurèrent 
violemment  :  c'était  un  service  rude  et  déplaisant,  dans  un 
pays  détesté  et  méprisé,  et  on  les  y  envoyait  sans  leur  avoir 
fait  justice,  sans  que  leurs  arrérages  fussent  payés  ni  leurs 
droits  reconnus,  sans  que  le  gouvernement  et  les  libertés  de 
l'Angleterre  fussent  assurés.  Un  court  imprimé  circula  aus- 
sitôt dans  les  casernes  et  dans  les  rues,  engageant  les  sol 
dats  à  réclamer  cl  à  ne  point  partir  en  attendant.  Un  esca- 
dron du  régiment  de  cavalerie  du  colonel  Whalloy,  que  le 
sort  n'avait  point  désigné  pour  le  service  d'Irlande,  reçut 
l'ordre  de  quitter  Londres  :  les  cavaliers  demandèrent  des 
satisfactions  préalables,  se  saisiront  du  drapeau  et  refusèrent 
formellement  d'obéir.  Fairfax  et  Croinwell  accoururent, 
réprimèrent  la  sédition,  mirent  le  régiment  en  marche,  et 
traduisirent  quinze  des  mutins  devant  la  cour  martiale. 
Cinq  furent  condamnés  à  mort.  Lilburne  écrivit  sur-le- 
champ  au  général  qu'il  y  prît  bien  garde,   qu'en  temps  de 

•  Journals  of  llie  Housc  of  commom,  I.  VI,  |).  f7S,  18!),  lOG;  —  VVliitc- 
locke,  p.  393,  596,  397,  398;  -  Clciuciit  Walkcr,  llisl.  of  Inclcpcndcnnj, 
part.  II,  p.  1G6;  —  Godwin,  Hisl.  of  llic  Commouwcallli,  I.  111,  p.  102. 

2  Le  20  avril  1049. 

4. 


4,2  INSURRECTION  DES 

paix  nul  Anglais  ne  pouvait  être  condamné  à  mort  par  une 
cour  martiale,  que  la  violation  de  ce  principe  avait  été  l'un 
des  principaux  entre  les  griefs  qui  avaient  coulé  la  tête  à 
Strafford.  Les  généraux  républicains  n'hésitèrent  point. 
«  Il  faut  mettre  ce  parti  en  pièces,  avait  dit  Cromwell  dans 
le  conseil  d'Etat,  au  moment  de  l'arrestation  de  Lilburne; 
sans  quoi  il  vous  mettra  en  pièces  vous-mêmes,  et  vous  pas- 
serez pour  les  plus  sots  et  les  plus  plats  personnages  du 
monde  d'avoir  été  vaincus  par  une  si  méprisable  espèce 
d'ennemis.  »  Cromvv^ell  savait  à  la  fois  frapper  et  caresser  : 
à  linstant  même,  sur  les  cinq  soldats  condamnés,  quatre 
reçurent  leur  grâce,  et  le  cinquième,  Robert  Lockyer,  fut 
immédiatement  fusillé  au  milieu  de  Londres,  dans  le  cime- 
tière de  Saint-Paul  *.  Il  était  jeune,  brave  soldat,  sectaire 
pieux,  républicain  exalté,  aimé  de  ses  camarades;  sa  mort 
fit  sur  eux  et  sur  leurs  amis  du  peuple  une  profonde  im- 
pression de  douleur  et  de  colère;  on  veilla,  on  pria  auprès 
de  son  corps;  et  deux  jours  après  %  un  cortège  aussi  solen- 
nel que  populaire  le  conduisit  au  cimetière  de  Westminster. 
Cent  cavaliers,  cinq  pu  six  de  front,  marchaient  en  tête  ; 
venait  le  cercueil  entouré  de  six  trompettes  qui  sonnaient 
une  marche  funèbre,  et  suivi  du  cheval  de  Lockyer,  capa- 
raçonné en  noir  ;  son  épée  et  des  branches  de  romarin  à 
moitié  teintes  de  sang  étaient  posées  sur  le  cercueil;  une 
grande  foule  l'accompagnait,  portant  aux  chapeaux  des  ru- 
bans noir  et  vert  de  mer  ;  des  femmes  fermaient  le  cortège  ; 
plusieurs  milliers  de  citoyens,  d'une  classe  plus  relevée  et 
qui  n'avaient  pas  jugé  à  propos  de  le  suivre  à  travers  les 
rues  de  Londres,  l'attendaient  à  l'entrée  du  cimetière.  Ce 
fut  le  sentiment  général  que  de  telles  obsèques  étaient  un 


•  Le  28  avril  \U9. 
2  Le  30  avril  16W. 


NIVELEURS  {)649),  45 

grand  affront  aux  chefs  de  l'armée  et  au  Parlement  '. 

Six  jours  après  on  apprit  à  Londres  qu'à  Banbury  et  à 
Salisbury,  dans  les  régiments  des  colonels  Reynolds,  Scroop 
et  Ireton,  l'insurrection  avait  éclaté;  les  soldats  avaient 
chassé  leurs  officiers,  sauf  un  petit  nombre  qui  avaient  pris 
parti  avec  eux;  l'un  de  ceux-ci,  le  capitaine  Thompson, 
avait  publié  sous  le  titre  de  :  VÉlendard  de  l'Jnglelerre  en 
avant  -,  un  manifeste  réclamant  Tabolilion  du  conseil  d'É- 
tat, de  la  Haute  Cour  de  justice,  un  Parlement  nouveau, 
l'adoption  du  plan  de  gouvernement  de  Lilburne,  sa  mise 
en  liberté  immédiate  ainsi  que  celle  de  ses  compagnons  de 
captivité,  et  déclarant  que,  si  un  cheveu  tombait  de  leur 
tête,  vengeance  en  serait  prise,  Dieu  aidant,  sur  celle  de 
leurs  tyrans.  On  sut  en  même  temps  qu'à  Oxford,  à  Glo- 
cester,  dans  les  régiments  des  colonels  Ilarrison,  Ingoldsby 
et  Horton,  la  fermentation  était  extrême,  et  que  la  plupart 
des  soldats  de  ces  corps,  eu  correspondance  avec  les  insur- 
gés, se  disposaient  à  se  mettre  en  mouvement  pour  se  join- 
dre à  eux. 

Ce  fut,  dans  cette  pressante  épreuve,  le  mérite  descliefs 
républicains,  Parlement  et  généraux,  de  ne  point  s'exagérer 
le  mal  ni  le  péril,  et  d'y  opposer  des  remèdes  prompts  et 
fermes,  mais  mesurés.  Ils  agirent  sans  peur  et  sans  colère, 
avec  foi  dans  leur  droit  et  dans  leur  force,  comme  un  gou- 
vernement contre  des  rebelles,  non  comme  un  parti  contre 
des  rivaux.  Le  Parlement  vota  que  toute  tentative,  par  ac- 
tion ou  par  écrit,  contre  le  gouvernement  républicain  éta- 
bli, l'autorité  des  Communes  ou  celle  du  conseil  d'État,  ou 
pour  exciter  quelque  sédition  dans  l'armée,  serait  considé- 

1  Whitelocke,  p.  ryj7,  308,  399;  —  Clcmcnt  Wîilkcr,  Hisl.  of  ihc  Indcp., 
pari.  11,  p.  I51;-Carlyle,  CromwM's  Lcllers,  l.  I,  p.  45^;-  CromwcUiam, 
p.  53,  56. 

3  Le  6  mai  1649. 


U  TNSURRECTIOiV  DES 

rée  comme  un  acte  de  haute  trahison;  il  enjoignit  à  son 
comité  de  terminer  sans  délai  la  loi  contre  les  abus  de  la 
presse;  il  prit  des  mesures  pour  la  police  intérieure  de  la 
Cité;  il  ordonna  que  Lilburne  et  ses  compagnons  à  la  Tour 
seraient  séparés  les  uns  des  autres,  et  que  toute  visite,  toute 
communication  avec  le  dehors  leur  seraient  interdites. 
Puis,  il  resta  calme  et  laissa  faire  les  généraux  '. 

Fairfax  et  Cromwell,  à  leur  tour,  voulurent  d'abord  s'as- 
surer des  troupes  qu'ils  avaient  sous  la  main,  car  l'ébranle- 
ment avait  pénétré  partout  :  ils  passèrent  dans  Hyde-Park 
une  revue  des  deux  régiments  qu'ils  commandaient  en  per- 
sonne et  qui  portaient  leur  nom.  Cromwell  parla  beaucoup, 
tantôt  aux  troupes  réunies,  tantôt  aux  hommes  isolés  : 
<c  Qu'avaient-ils  de  mieux  à  faire  que  d'adhérer  fidèlement 
au  Parlement?  Il  avait  fait  justice  des  grands  délinquants; 
il  organisait  une  forte  marine  qui  protégerait  efficacement 
le  commerce  ;  il  avait  garanti  le  payement  de  tout  ce  qui 
restait  dû  à  l'armée;  il  était  décidé  à  mettre  bientôt  un 
terme  à  sa  propre  durée  et  à  régler  la  convocation  des 
Parlements'nouveaux.  Quant  à  la  loi  martiale,  ceux  qui  ne 
voulaient  pas  s'y  soumettre  n'avaient  qu'à  déposer  leurs 
armes  ;  ils  recevraient  leur  congé,  et  aussi  le  payement  de 
leurs  arrérages,  comme  ceux  qui  resteraient  sous  le  dra- 
peau. )>  Un  seul  soldat  fit,  d'un  ton  peu  convenable,  quel- 
ques objections;  Cromwell  le  fit  arrêter;  mais  aussitôt, 
sur  les  instances  de  ses  camarades  qui  en  répondirent, il  lui 
pardonna  et  le  fit  rentrer  dans  les  rangs.  Quelques-uns 
jivaient  mis  à  leur  chapeau  le  ruban  vort  des  Niveleurs  ;  ils 
rotèrent.  Les  deux  corps  se  montrèrent  pleins  d'ardeur,  et, 
la  revue  terminée,  les  deux  généraux,  pleins  de  confiance, 


•  Journals  of  the  Housc  of  commons,  t.  VI,   p.  203,  207,  208,  209; 
Whitelocke,  p.  401  ;  —  Pcai.  Hisl.,  t.  XIX,  p.  122. 


NIVELEURS  (lf49).  45 

les  mirent  et  se  mirent  eux-mêmes  sur-le-champ  en  mou- 
vement '. 

Cinq  jours  après,  ayant  fait  une  marche  de  quinze  lieues 
en  un  jour,  ils  atteignirent  à  Burford,  dans  le  comté  d'Ox- 
ford, les  insurgés  déjà  troublés  par  un  échec  que  le  colonel 
Reynolds  venait  de  leur  faire  essuyer  à  Banbury  même,  où 
le  capitaine  Thompson  avait  commencé  l'insurrection.  Sur- 
pris et  battu,  Thompson  avait  vu  sa  troupe  dispersée,  et  ne 
s'était  sauvé  lui-même  que  par  la  fuite;  un  messager,  en- 
voyé aux  insurgés  par  Fairfax,  les  avait  de  plus  fait  tomber 
dans  une  trompeuse  sécurité;  ils  se  flattaient  qu'on  voulait 
négocier  avec  eux.  Cromwell  entra  tout  à  coup  dans  Bur- 
ford au  milieu  de  la  nuit,  avec  deux  mille  hommes,  pen- 
dant que  Reynolds  arrivait  à  l'autre  extrémité  de  la  ville 
pour  fermer  aux  insurgés  la  retraite.  Ils  se  défendirent 
quelques  moments  du  haut  des  remparts  et  par  les  fenêtres 
des  maisons  ;  mais  perdant  bientôt  tout  espoir,  dénués  de 
chefs  et  de  munitions,  les  uns  se  rendirent,  au  nombre 
d'environ  quatre  cents;  les  autres  parvinrent  à  s'échapper. 
Fairfax  réunit  sur-le-champ  une  cour  martiale  qui  ordonna 
que  les  rebelles  seraient  décimés.  Des  le  lendemain,  dans 
le  cimetière  de  Burford,  le  cornette  Thompson,  frère  du 
principal  chef  de  l'insurrection,  fut  amené  et  fusillé  le  pre- 
mier. Tous  ceux  qui  devaient  subir  le  même  sort  étaient 
sur  les  plombs  de  l'église,  assistant  à  l'exécution  de  leurs 
camarades  et  attendant  leur  tour.  Après  le  cornette  Thomp- 
son vint  un  caporal,  puis  un  troisième,  qui  moururent  avec 
une  fermeté  indomptable,  ne  rélraclanl  rien  de  ce  qu'ils 
avaient  fait  et  commandant  eux-mêmes  le  feu.  Le  cornette 
Dean  fut  amené  le  quatrième,  ancien  et  brave  soldat  (pie 
les  généraux  connaissaient  ;  il  témoigna  du  repentir,  Fair- 

î  Cromtvclliana,  p.  SG;  —  Carlylo,  CromwcU's  Lcllcrs,  1.  1.  p.  436. 


m  INSURRECTION  DES 

fax  lui  fit  grâce,  et  l'exécution  n'alla  pas  plus  loin.  Crom- 
well  entra  dans  l'église,  y  fit  descendre  le  reste  des  con- 
damnes, les  tança,  les  admonesta,  leur  reprocha  le  péril 
qu'ils  avaient  fait  courir  à  la  bonne  cause,  à  la  cause  de 
Dieu  et  du  pays.  «  Ils  pleurèrent,  dit  un  journal  du  temps, 
et  furent  consignés  pour  quelques  mois  dans  une  garnison 
voisine,  puis  rendus  à  leurs  régiments  et  envoyés  en 
Irlande,  où  ils  marchèrent  de  bon  cœur  '.  » 

Quelques  bandes  erraient  encore  dans  les  comtés  d'Oxford 
et  de  Northampton  ;  le  capitaine  Thompson  les  rallia  et  les 
retint  quelques  jours  ;  mais  vivement  atlaqué  par  le  colonel 
Butler,  il  resta  bientôt  seul  et  se  réfugia  dans  un  bois;  les 
soldats  de  Butler  y  entrèrent  à  sa  poursuite  ;  Thompson 
sortit  du  fourre,  marcha  sur  les  assaillants,  en  tua  ou  blessa 
trois,  se  replia  dans  le  bois  blessé  lui-même,  revint  à  la 
charge,  criant  qu'il  ne  voulait  ni  se  rendre  ni  être  pris  vi- 
vant, et  tomba  enfin  frappé  de  sept  balles  2.  La  première  et 
la  seule  sérieuse  insurrection  des  Niveleurs  finit  avec  lui. 

Le  Parlement  témoigna,  de  ce  succès,  une  joie  où  se  ré- 
vélèrent, pour  la  première  fois,  ses  craintes.  L'orateur  eut 
ordre  d'adresser  à  Fairfox,  à  Cromwell  et  à  tous  leurs  ofli- 
ciers  ,  des  remcrcîments  officiels.  Cromwell  seul  était  pré- 
sent dans  la  Chambre,  et  ce  fut  à  lui  que  s'adressa  l'ora- 
teur ^.  Trois  membres  furent  chargés  d'aller  porter  à  Fairfax 
le  même  hommage.  Un  jour  fut  désigné  pour  rendre  à  Dieu 
des  actions  de  grâces  solennelles;  deux  prédicateurs,  célè- 
bres parmi  les  Indépendants,  John  Owen  et  Thomas  Good- 
win,  reçurent  mission.de  prêcher;  et  ce  même  jour,  7  juin, 
après  avoir  assisté  à  leurs  sermons,  la  Chambre  entière  se 

'  CromweUiana,  p.  56-37  ;  —  Carlyle,  Cromiodl's  Lctlers,  t.  I,  p.  137-439; 
—  Wliitelocke,  p.  402;  —  Healh,i4  brief  Chronick,  etc.,  p.  431-432. 
2  Le  19  mai  l(i49 ,  Whilclocke,  p.  403. 
5  Le  26  mai  1649. 


NIVELEURS  (16^9).  i7 

rendit  dans  la  Cilé,  à  un  dîner  de  félicitalion  publique 
auquel  le  lord  maire  et  le  conseil  commun  l'avaient  invitée. 
Tous  les  officiers  présents  à  Londres,  au-dessus  du  grade 
de  lieutenant,  y  assistaient.  Quand  la  Chambre  arriva  à 
Grocers'  Hall,  le  lord  maire  présenta  h  l'orateur,  qui  la  lui 
remit  aussitôt,  l'épée  qu'on  portait  devant  lui,  honneur  qui 
n'avait  jamais  été  rendu  qu'au  roi,  et  au  banquet  l'orateur 
occupa  la  place  royale.  Au  moment  où  les  convives  allaient 
s'asseoir,  le  comte  de  Pcmbrokc,  devenu  simple  membre 
des  Communes,  mais  que,  pour  récompenser  sa  bassesse  et 
par  égard  pour  son  ancienne  grandeur,  on  avait  placé  à  côté 
du  général  en  chef,  appela  Whitclocke,  disant  que  c'était 
à  lui  de  prendre  cette  place  comme  premier  commissaire 
du  grand  sceau.  Whilelocke  déclinait  cet  honneur  :  «  Com- 
ment donc,  lui  dit  le  comte  à  haute  voix,  et  de  manière  à 
être  entendu  de  tous  ses  voisins,  croyez-vous  que  je  m'as- 
siérai au-dessus  de  vous?  J'ai  cédé  jadis  celte  place  à 
l'évêque  Williams,  et  à  milord  Covcnlry,  et  à  milord 
Littleton  ;  vous  occupez  aujourd'hui  les  mêmes  fonctions 
qu'ils  occupaient  ;  certes,  ces  fonctions  ont  droit  à  autant 
d'honneur  sous  une  république  que  sous  un  roi,  et  vous 
êtes  un  gentilhomme  aussi  bien  né  et  aussi  bien  élevé 
qu'aucun  d'eux;  je  ne  m'assiérai  certainement  pas  au-dessus 
devons.  »  Whitclocke  céda  avec  une  vanité  humble  et  sa- 
tisfaite, et  lord  Pembroke  eut  les  éloges  comme  le  mépris 
de  tous  les  assistants  ' . 

A  la  fin  du  banquet,  le  lord  maire,  de  la  part  de  la  Cité, 
fit  à  Fairfax,  dans  une  aiguière  de  vermeil,  un  présent  de 
1,000  liv.  st.,  à  Cromwcll  de  500  liv.,  et  la  Chambre, 
charmée  d'un  accueil  si  éclatant  dans  ce  même  lieu  où  clic 

1  Whilelocke,  p.  i06;  —  Cromwclliana,  p.  M  ;  —  LelU-c  de  M.  de  Croullé 
au  eardinal  Mazarin  (21  juin  1C40)  ;  —  Archives  des  Affaires  élrangères  de 
France  (voir  les  Docimenls  historiques  placés  ù  la  fin  de  ce  volume,  n»  1). 


48  INSURRECTION  DES 

avait  eu  naguère  tant  de  peine  à  faire  proclamer  la  Répu- 
blique, en  remercia  ofliciellement  le  lord  maire,  et  chargea 
un  comité  spécial  de  chercher  quelque  marque  de  haute 
estime  et  de  faveur  que  le  Parlement  pût  donner  à  la  Cilé. 
Cinq  semaines  après,  un  vote  du  Parlement  attribuait  «  au 
lord  maire  et  à  la  communauté  des  citoyens  de  Londres,  et 
à  leurs  successeurs  à  perpétuité,  i>  la  propriété  du  parc  de 
Ricbmond,  offrant  ainsi,  comme  appât,  les  dépouilles  du  roi 
pour  les  plaisirs  de  la  Cité   . 

Les  meneurs  ne  se  faisaient  cependant  point  d'illusion 
sur  les  périls  qui  les  menaçaient  encore;  ils  voyaient  de 
trop  près  le  peuple  et  l'armée  pour  croire  que  le  feu  qu'ils 
venaient  d'étouffer  fût  réellement  éteint  ;  ils  avaient  été 
fermes  et  calmes  pendant  la  lutte  ;  ils  furent  prudents  et 
modérés  après  la  victoire.  Ils  s'appliquèrent  à  donner  ou  à 
faire  espérer  satisfaction  aux  vœux,  légitimes  ou  populaires, 
des  mécontents.  Des  mesures  furent  prises  pour  assurer 
effectivement  le  payement  des  troupes,  pour  mettre  la  popu- 
lation à  l'abri  de  l'abus  des  logements  militaires,  pour  venir 
au  secours  des  soldats  blessés  et  de  leurs  familles,  pour  pro- 
curer quelque  soulagement  aux  prisonniers  pour  dettes  et 
du  travail  aux  pauvres  de  Londres  ^.  Des  comités  eurent 
ordre  de  rechercher  ce  qu'il  y  avait  à  faire  à  l'égard  des 
monnaies  altérées  et  comment  on  pourrait  rendre  la  pro- 
cédure civile  plus  prompte  et  moins  onéreuse  '.  Une  amnis- 
tie générale  fut  proposée  ^.  La  question  du  terme  et  du 
système  à  adopter  pour  l'élection  d'un  Parlement  nouveau 

'  Wliilelocke,  p.  406,  411  ;  —  Ldcester's  Journal,  p.  73;  —  Journals  of 
the  HoHsc  of  commons,  l.  VI,  p.  227,  263. 

2  Les  5  mars,  7  et  12  inai;  Journals  of  Ihe  House  of  commons,  l.  VI, 
p.  155,  202,  208. 

s  Les  2  mars,  18  mai,  i,  22  et  27  juin  ;  ibid.,  t.  VI,  p.  154,  211,  224,  240, 
244. 

*  Le25  avril  1649  ;  ibi(t.,  t.  Vi,  p.  195 ;  -  WliUelocke,  p.  398. 


NIVELEURS  (1G49).  49 

fut  mise  fréquemment  à  l'ordre  du  jour  ^  Des  lois  furent 
rendues  d'une  part  pour  abolir  les  anciennes  contraintes 
imposées  à  la  foi  et  au  culte  des  sectes  chrétiennes,  de  l'au- 
tre pour  réprimer  la  licence  des  mœurs,  car  l'opposition 
demandait  à  la  fois  plus  de  liberté  et  plus  de  sévérité  -.  On 
ne  s'en  tint  pas  aux  mesures  générales  et  aux  promesses 
législatives;  on  voulut  témoigner  aux  hommes  les  plus 
compromis  des  dispositions  bienveillantes;  plusieurs  chefs 
du  Parlement  et  de  Tarmée  eurent,  avec  les  principaux  Ni- 
veleurs,  des  conférences  pour  essayer  de  s'entendre  sur  les 
réformes  à  accomplir  et  sur  les  moyens  de  gouvernement  ^. 
L'esprit  de  conciliation  s'étendit  jusqu'à  Lilburne  lui-même  : 
en  les  mettant  au  secret,  lui  et  ses  compagnons,  on  leur 
avait  retiré  l'allocation  accordée  en  général  aux  prisonniers; 
on  la  leur  rendit  ^  Un  des  aflîdés  du  parti  dominant,  et 
même  de  Cromwell,  le  révérend  Hugh  Peters  alla  ^,  comme 
de  lui-même  et  par  un  pur  sentiment  d'intérêt  affeclueux, 
visiter  Lilburne  à  la  Tour  pour  tenter  de  l'adoucir  en  lui 
ouvrant  des  perspectives  d'accommodement  et  de  liberté. 
On  ajourna  les  poursuites  commencées  contre  lui.  Son  fils 
aîné  tomba  malade;  l'anxiété  paternelle  l'emporta  sur  la 
fierté  politique;  Lilburne  écrivit  à  Henri  Martyn,  qui  était 
resté  avec  lui  en  bons  rapports,  pour  demander  la  permis- 
sion de  sortir  de  la  Tour  et  d'aller  voir  sa  femme  et  ses  en- 
fants. On  la  lui  accorda,  et  cette  tolérance  devint  presque 

1  Les  1er,  H  et  15  mai  1649;  Journals  of  Ihe  Ifouse  ofcovmons,  t.  VI, 
p.  199,  207,  210. 

*  Les  29  juin  cl  13  septembre  1C49,  les  8  Wviiei-,  10  mai  et  27  septem- 
bre 1650  ;  Journals  of  tlie  Ilonse,  etc.,  t.  VI,  p.  245,  295,  359,  410, 
474. 

8  Whitelocke,  p.  424. 

*  Les  12  et  15  mai  1649  ;  Journals  of  the  House  ofcommons,  t.  Vf,  p.  208, 
210. 

«  Le  23  mai  1649. 

1.  8 


50  INSURRECTION  DES 

habituelle  pour  lui  et  pour  ses  compagnons'.  Le  Parlement 
républicain  avait,  au  fond,  un  vif  désir  de  faire,  avec  l'oppo- 
sition démocratique  et  fanatique  qu'il  avait  vaincue,  une 
paix  véritable,  et  de  la  voir  rentrer  dans  les  rangs  du  parti 
qui,  avec  toutes  ses  forces  réunies,  suffisait  à  grand'peine  à 
contenir  et  à  gouverner  violemment  le  pays. 

Mais  rien  n'est  plus  indomptable  qu'un  esprit  étroit,  sub- 
til et  vain,  joint  à  un  cœur  honnête  et  ferme  :  Lilburne  eût 
traité  peut-être,  tout  en  les  détestant,  avec  des  ennemis 
qu'il  eût  crus,  comme  lui,  convaincus  et  sincères;  mais  il 
méprisait  ses  vainqueurs  comme  des  ambitieux  intéressés, 
roues  et  hypocrites  ;  leurs  faveurs  mêmes  n'étaient,  à  ses 
yeux,  que  des  concessions  de  leur  faiblesse  ou  des  artifices 
de  leur  perfidie.  Il  traita  Ilugh  Pcters,  quand  celui-ci  vint 
le  voir  à  la  Tour,  avec  une  franchise  brutale,  et  repoussa 
ses  insinuations  comme  des  insultes  ou  des  pièges.  Peters 
lui  reprochait  d'avoir,  par  ses  attaques,  causé  les  malheurs 
de  la  dernière  lutte  et  mis  à  nu  les  plaies  de  la  République  : 
«  Quand  le  soleil  brille  sur  le  fumier,  répondit  Lilburne,  si 
une  odeur  infecte  en  sort,  est-ce  la  faute  du  soleil  ou  du 
fumier  ^?  »  et  dans  l'espace  de  trois  mois,  quatre  nouveaux 
pamphlets  attestèrent  son  intarissable  hostilité.  L'un  de  ces 
pamphlets,  adressé  au  conseiller  d'État  Cornélius  Holland, 
était  un  défi  en  champ  clos  de  dispute  politique  :  «  Que 
votre  Chambre,  écrivait  Lilburne,  choisisse  deux  personnes, 
et  moi  deux  autres,  et  si  ces  quatre  personnes  ne  peuvent 
s'accorder,  qu'elles  en  nomment  une  cinquième  pour  déci- 
der entre  nous;  nommez,  si  vous  voulez,  Cromwell,  Ireton, 
Bradshaw,  tous  les  orateurs  ou  plaideurs  que  vous  avez  eus 

^  Les  18  juillet  el  7  septembre  IGiO;  Journals of  the  Hottse  of  commons, 
p.  264,  292. 

*  A  discourse  beltvixt  licut.col.  John  Lilburne,  close  prisoncr  in  the 
Tower  of  London,  and  M.  Hugh  Pelcrs,  xipon  May  2a,  1649,  p,  ô. 


NiVELEURS  (16/*H).  51 

contre  le  roi  et  les  lords  que  vous  avez  fait  décapiter;  que 
je  sois  seul  à  défendre  ma  cause  :  pourvu  que  le  débat  soit 
public  et  que  je  puisse  parler  librement  pour  moi-mcme,  je 
consens,  si  je  n'établis  pas  mon  innocence,  à  perdre  tout  ce 
que  je  possède,  y  compris  ma  vie...  Mais  si,  dans  cinq  jours, 
ma  proposition  n'est  pas  adoptée,  je  me  tiendrai  pour  libre 
de  disséquer  et  d'étaler  devant  le  public  tout  ce  que  je  sais 
de  vous  et  de  vos  associés  ';  )>  et  dans  deux  pamphlets  en 
effet,  l'un  dirigé  nommément  contre  Cromwell  et  Ireton  % 
l'autre  contenant  une  provocation  séditieuse  adressée,  par 
dix  apprentis  de  la  Cité,  aux  soldats  de  l'armée,  en  particu- 
lier au  régiment  de  Fairfax  %  Lilburn  usa  largement  du 
droit  qu'il  s'était  réservé. 

Ces  provocations  ne  demeurèrent  point  sans  effet;  une 
nouvelle  sédition  éclata  à  Oxford  ''  dans  le  régiment  du  co- 
lonel Ingoldsby;  les  soldats  arrêlèrent  et  cmpiùsonnèrcnt 
leurs  officiers,  et  leur  colonel  lui-même  envoyé  en  toute  hâte 
par  le  Parlement  pour  les  réprimer  ;  ils  choisirent  entre 
eux  des  agitateurs,  se  fortifièrent  dans  les  bâtiments  de 
New-College,  cl  renouvelèrent  de  là  toutes  les  demandes 
des  Niveleurs.  Ils  attendaient,  disaient-ils,  six  mille  hommes 
du  comté  de  Northampton,  autant  des  comtés  de  l'ouest  et 
de  Kent.  Sur  plusieurs  points  en  effet  et  dans  plusieurs 
corps  l'ébranlement  se  fit  sentir;  le  cornette  Dean,  à  qui 
naguère,  dans  le  cimetière  de  Burford,  Fairfax  venait  de 
faire  grâce,  reparut  à  la  Icte  d'une  bande.  Mais  le  mauvais 
succès  de  la  première  insurrcclion  et  la  fermeté  cldnicnte 


1  Jvhn  Lilburnc  to  liis  honourcd  friind  M.  Cornélius  HullanU,  p.  îi. 

-  An  impiachment  of  high  trcason  ugainst  Oliver  Cromnctl  and  Henry 
Irelon,  by  John  Lilburnc  (aoùl  ^^^i\)). 

^  An  oulcry  ofllic  young  min  and  aiiprcnliees  of  l.ondon,  by  J.  Lilburnc 
(29aoiillf>i;)). 

*  Le  6  sc'iilcinbrc  lGi9. 


82  INSURRECTION  DES 

des  généraux  avaient  laissé,  dans  l'armée  et  dans  le  peuple, 
une  impression  profonde  ;  le  mouvement  ne  réussit  ni  à  se 
propager,  ni  à  se  prolonger;  les  officiers  retenus  en  prison  à 
Oxford  reprirent  sans  bruit  leur  autorité,  d'abord  sur  les 
sentinelles  mêmes  qui  les  gardaient,  puis  sur  les  soldats 
épars  dans  les  rues  ;  bientôt  le  régiment  tout  entier  se  sou- 
mit à  son  colonel,  et  dix  jours  après  son  explosion,  la  ré- 
bellion était  partout  comprimée  ou  s'abandonnait  elle- 
même  '. 

Mais  un  fait  nouveau  et  grave  se  produisit  alors  pour  la 
première  fois.  Quand  Hugh  Pcters  était  allé  voir  Lilburne  à 
la  Tour  :  «  Dites  à  vos  maîtres,  lui  avait  dit  le  i)risonnier, 
que  si  maintenant  je  pouvais  choisir,  j'aimerais  mieux  vivre 
sept  ans  sous  le  gouvernement  du  vieux  roi  Charles,  quoi- 
qu'ils lui  aient  coupé  la  tête  comme  à  un  tyran,  qu'un  an 
sous  leur  tyrannie  actuelle  ;  et  je  vous  dis  que,  s'ils  persis- 
tent dans  celte  tyrannie,  ils  feront  au  prince  Charles  assez 
d'amis,  non-seulement  pour  proclamer  son  nom,  mais  pour 
le  ramener  s,ur  le  trône  de  son  ])ère  ^  »  Deux  mois  après, 
en  i>ubliant  son  Cri  des  Apprentis  aux  Soldats,  le  même  Lil- 
burne disait  à  ces  derniers  :  ^  Quand  vous  êtes  accourus  au 
service  des  lois  du  pays,  vous  ne  vous  êtes  nullement  engagés 
contre  la  personne  du  roi,  comme  roi  ni  avec  aucune  pensée 
de  le  détruire,  mais  uniquement  pour  régler  la  royauté  '.  » 
Ce  sentiment  et  ce  langage  avaient  porté  leurs  fruits;  les 
Niveleurs  étaient  entrés  en  liaison  avec  les  Cavaliers;  au 
moment  même  où  éclata  la  sédition  d'Oxford,  une  lettre  fut 
interceptée,  écrite  par  un  Cavalier  en  prison  à  la  Tour,  à 
lord  Cottington,  l'un  des  conseillers  intimes  de  Charles  II, 

'  Journals  of  llie  I/ousr  of  commons,  t,  VI,  p.  293;  —  Wiiileloclte,  p.  424, 
428. 

2  A  discourse  bclwixl  J .  Lilburne  und  Hugh  Pcters,  j).8. 
'  The  oulcry  of  ihe  young  men  of  London,  p.  4. 


NIVELEURS  (16^9).  ÎÎ3 

en  France,  et  qui  portait  :  «  Toutes  nos  espérances  ici  dé- 
pendentdela  bienveillance  apparente  queS.  M.  témoignera  à 
Lilburne  et  au  parti  niveleur,  dont  le  mécontentement  s'ac- 
croît chaque  jour;  il  n'y  a  rien  à  faire  pour  nous  si  les  Ni- 
veleurs  ne  marchent  avec  nous,  et  les  premiers,  ce  qu'ils 
sont,  j'espère,  bien  près  d'accomplir.  Je  demande  qu'on 
m'aide  dans  ce  travail,  car  sans  un  peu  d'argent,  il  n'y  a 
pas  grand'chose  à  attendre,  les  gens  avec  qui  je  traite  étant 
très-pauvres  et  besoigneux  '.  » 

Le  Parlement  ne  pouvait  manquer  de  se  prévaloir  de 
tels  faits  :  il  en  fit  son  principal  argument  dans  une  longue 
déclaration  qu'il  publia  contre  les  Niveleurs,  pour  justifier 
la  conduite  plus  rigoureuse  qu'il  se  proposait  de  tenir  envers 
eux,  et  pour  raffermir  ses  partisans  ^;  et  joignant  l'action 
aux  paroles,  il  ordonna  que  le  procès  de  Lilburne  serait 
immédiatement  poursuivi,  et  nomma,  pour  présider  au  ju- 
gement, une  commission  extraordinaire  de  quarante  mem- 
bres, laissant  toutefois  au  jury  le  droit  de  prononcer  sur  les 
faits  imputés  au  prévenu  ^ 

Les  parents  et  les  amis  de  Lilburne,  sa  femme,  aussi  cou- 
rageuse que  lui  et  qui  l'aimait  tendrement,  son  frère  le  co- 
lonel Robert  Lilburne,  officier  estimé  des  généraux  et  de 
l'armée,  firent  les  derniers  efforts  pour  le  soustraire  à  ce 
procès.  Il  laissa  percer  lui-même  quelque  désir  d'y  échap- 
per; il  offrit  (le  se  retirer  en  Amérique-  mais  il  publia  au 
moment  mémo  un  pamphlet  pour  expliquer  les  motifs  de 
son  départ  et  en  débattre  aigrement  les  conditions  \  On  ne 


1  Parliamenlary  Ilistory,  l.  XIX,  [).  193. 

2  Le  28  septembre  ItiiO;  Parliamenlary  l/latory,  t.  XIX,  p.  177-200. 

5  Le  11   sepleiubrc    )G'i9;  JournaU   of   thc  Housc  of  commons,  l.   VI, 
p.  295. 

*  Le   22  oclobic   \(M.    Ce   iminplilct  est  iiilKuIé  :  Thc  innocent  mau's 
second  Pro/f'cr. 

5. 


m  PROCES 

lui  répondit  point.  Cédant  aux  instances  de  sa  femme,  il 
demanda  un  délai.  On  ne  lui  répondit  pas  davantage;  le 
gouvernement  républicain  était  résolu  de  pousser  à  bout  cet 
insupportable  ennemi,  et  se  croyait  sûr  de  s'en  délivrer. 

Le  procès  commença  à  Guildhall,  le  24  octobre  1G49. 
Lilburne  y  déploya  toutes  les  ressources  de  son  esprit  et 
toute  la  vigueur  de  son  caractère  pour  lutter  contre  de  sa- 
vants et  subtils  magistrats,  les  uns  scrviles  et  ardents  à 
entraver  sa  défense,  les  autres  honnêtes  et  désirant  proléger 
l'accusé  dans  ses  justes  droits,  mais  à  chaque  instant  piqués 
et  irrités  par  ses  brusques  saillies  et  par  l'amertume  de  ses 
sarcasmes  ou  la  violence  de  ses  invectives  contre  le  pouvoir 
dont  ils  étaient  les  représentants.  On  touchait  au  terme  du 
débat  qui  avait  duré  deux  jours;  Lilburne  se  tournant  tout 
à  coup  vers  les  jurés  :  «  Messieurs  du  jury,  dit-il,  vous  êtes 
mes  seuls  juges,  les  gardiens  de  ma  vie  ;  c'est  à  vous  que  le 
Seigneur  demandera  compte  de  mon  sang.  Je  vous  conjure 
donc  de  bien  connaître  voire  pouvoir,  de  bien  considérer 
votre  devoir  envers  Dieu,  envers  moi,  envers  vous-mêmes, 
envers  notre  pays;  et  que  l'esprit  du  Seigneur  Dieu  tout- 
puissant,  maître  du  ciel  et  de  la  terre,  et  de  toutes  les  choses 
qui  y  sont  contenues,  soit  avec  vous,  vous  assiste  et  vous 
dirige,  et  vous  enseigne  à  faire  ce  qui  est  juste  et  pour  sa 
gloire!  » 

«  Amen  !  »  s'écria  d'une  seule  voix  toute  l'assistance  qui 
était  nombreuse.  Les  juges  se  regardèrent  les  uns  les  autres 
avec  quelque  inquiétude,  et  demantlèrcnt  au  major  général 
Skippon  de  faire  venir  trois  compagnies  de  plus.  Le  procu- 
reur général  Prideanx  et  le  grand  juge  Keble,qui  présidait 
la  cour,  renouvelèrent  leurs  efforts  pour  convaincre  le  jury 
de  la  justice  et  de  la  nécessité  de  la  condamnation.  Après 
trois  quarts  d'heure  de  délibération,  le  greffier  s'adressant 
aux  jurés  ;  «  Messieurs  du  jury,  cles-vous  d'accord  de  votre 


DE  LILBURNE  (octobre  16i9).  S5 

verdict?  —  Oui.  —  Regardez  le  prisonnier;  esl-il  coupable 
des  trahisons  dont  il  est  accusé,  ou  bien  non  coupable?  — 
Non  coupable  de  toutes  ces  traliisons.  —  Ni  de  toutes,  ni 
d'aucune?  — Non  coupable,  ni  de  toutes,  ni  d'aucune.  » 

A  ces  mots  «  non  coupable  »  la  salle  retentit  d'une  accla- 
mation telle,  dit-on,  que  peut-être  on  n'en  avait  jamais  ouï 
dépareille.  Durant  une  demi-heure,  les  juges  demeurèrent 
immobiles  sur  leurs  sièges,  exposés  à  cette  explosion  de  la 
joie  publique.  Le  prisonnier  était  debout  à  la  barre,  tran- 
quille et  plus  modeste  dans  sa  contenance  qu'il  ne  l'avait 
été  auparavant.  Le  tumulte  a])aisé,  le  greffier  reprit  la 
parole  :  «  Messieurs  du  jury,  faites  attention  à  votre  verdict; 
la  cour  l'a  entendu  ;  vous  dites  que  John  Lilburne  n'est  cou- 
pable ni  de  toutes,  ni  d'aucune  des  trahisons  dont  il  est 
accusé.  Vous  le  dites  tous?  —  Oui,  nous  le  disons  tous  '.  » 

Lilburne  fut  reconduit  à  la  Tour,  suivi  des  acclamations 
de  la  multitude,  et  toute  la  nuit  des  feux  de  joie  furent 
allumés  dans  les  rues.  Le  gouvernement  essaya  de  le  rete- 
nir encore  en  prison;  mais  au  bout  de  quinze  jours,  le  mé- 
contentement du  peuple  et  les  efforts  de  quchiues  membres 
des  Communes,  prudents  et  bienveillants,  entre  autres 
de  Ludiow  et  de  Henri  Martyn,  obtinrent  enfin  son  élar- 
gissement ". 

Le  Parlement  ressentit  vivement  cet  échec,  plus  amer 
cependant  pour  son  amour-i)ropre  que  dangereux  pour  son 
j)ouvoir  :  quoique  Lilburne  lui  échappât,  la  victoire  lui  de- 
meura sur  les  Niveleurs  qui  renoncèrent  à  soulever  le  pays 
et  l'armée,  et  ne  furent  plus  que  des  conspirateurs.  Mais 
cette  victoire  même  était  vaine;  le  gouvernement  républi- 
cain  triomphait  sans  s'affermir;  ses  ennemis,  le  roi,  les 


1  Statc-Trials,  t.  IV,  col.  1270-IWO. 

2  Le  8  novembre  1641». 


S6  TYRANNIE  DU 

Cavaliers,  les  républicains  anarcliiques  tombaient  sous  ses 
coups,  et  il  se  sentait  contraint  de  maintenir  et  même  d'ag- 
graver ses  rigueurs.  Il  ajouta,  aux  anciens  statuts  sur  la 
trahison,  des  dispositions  nouvelles  et  plus  menaçantes, 
car  elles  considéraient  les  paroles  comme  des  actes  et  les 
érigeaient  en  crime  capital  '.  En  laissant  tomber  la  censure 
préalable,  il  vota  une  loi  de  la  presse  qui  portait  la  sévérité 
jusqu'aux  interdictions  et  aux  inquisitions  les  plus  tyran- 
niques;  non-seulement  elle  condamnait  à  des  peines  très- 
dures  les  auteurs,  imprimeurs,  vendeurs  et  distributeurs 
d'écrits  séditieux  ;  mais  les  acheteurs  mêmes  étaient  tenus, 
sous  peine  d'amende,  d'aller,  dans  les  vingt-quatre  heures, 
remettre  au  plus  prochain  magistrat  les  exemplaires  qu'ils 
avaient  acquis.  Toute  imprimerie  fut  interdite  ailleurs  que 
dans  quatre  villes,  Londres,  York,  Oxford  et  Cambridge. 
La  publication  des  journaux  ou  recueils  de  nouvelles  et  le 
commerce,  tant  extérieur  qu'intérieur,  des  livres  étaient 
mis  à  la  complète  discrétion  du  gouvernement.  Tous  les 
colporteurs  et  chanteurs  publics  furent  supprimés,  et  par- 
tout où  l'on  en  rencontrait  un,  on  le  saisissait,  on  l'amenait 
dans  une  maison  de  correction  pour  y  é(re  fouetté  comme 
un  malfaiteur,  et  une  amende  était  infligée  à  tout  magistrat 
qui  négligeait  d'accomplir  cette  prescription  de  la  loi  ^.  11 
fut  défendu  de  rendre  compte  des  procédures  et  des  débats 
devant  les  hautes  cours  de  justice.  La  Chambre,  contre  les 
lois  et  les  traditions  du  pays,  se  fit  elle-même,  dans  jilusieurs 
circonstances,  cour  de  justice,  et  condamna  à  des  peines 
graves,  au  bannissement,  à  de  fortes  amenties,  au  pilori 
même,   des  prévenus  qu'elle   n'espérait  pas  atteindre  par 

'  Ce  bill,  proposé  le  If'mai  16iO,  fut  adopic  le  li;  Journah  of  tlic  Home 
ofcommons,  t.  VI,  p.  199,  209. 

-  Ce  bill  fulpi'0|)osc  lc9  août  et  adoplé  le  20  supleiiibre  IG49  ;  Jonmah  of 
the  House  of  comnwns,  t.  VI,  p.  270,298. 


PARLEMENT  (1649-1651).  S7 

d'autres  voies  ^  Elle  interdit  le  séjour  de  Londres  aux  Cava- 
liers, aux  catholiques,  aux  officiers  de  fortune,  à  tous  ceux 
qui  lui  étaient  suspects  :  (juand  elle  ne  pouvait  intenter 
aucune  poursuite  contre  des  ennemis  qu'elle  redoutait,  elle 
les  retenait  arbitrairement  en  prison.  Au  moment  où  Lil- 
burne,  acquitté  par  le  jury,  sortait  de  la  Tour,  un  royaliste 
presbytérien,  Clément  Walkcr,  membre  du  Parlement  dont 
il  avait  été  expulsé  en  4648,  avec  son  parti,  publia  VAnar- 
chia  anglicana,  ou  Récils  el  Observations  historiques  et  poli- 
tiques sur  le  Parlement  ouvert  en  1640,  histoire  passionnée, 
mais  pleine  de  faits  importants  et  d'anecdotes  curieuses,  du 
parti  républicain  et  de  ses  chefs.  Walker  remplaça  Lilburne 
à  la  Tour,  et  y  resta  sans  jugement  jusqu'ià  sa  mort,  surve- 
nue en  1631  ^.  Dans  le  cours  de  cette  même  année,  le  con- 
seil d'État  fit  transférer  dans  diverses  villes  cinq  des  plus 
distingués  parmi  les  anciens  chefs  presbytériens,  sir 
William  Wallcr,  sir  William  Lewis,  sir  John  Clot- 
worthy,  le  major  général  Hrowne  et  le  commissaire  géné- 
ral Copley;  et  cet  ordre  révèle  qu'ils  étaient,  depuis  l'éta- 
blissement de  la  République,  détenus  dans  le  château  de 
Windsor  \ 

Toutes  ces  rigueurs  ne  parvenaient  pas  à  donner  au  pays, 
ni  aux  républicains  eux-mêmes,  le  sentiment  de  la  force  et 
de  la  sécurité  de  la  République  :  ils  étaient  en  pleine  pos- 
session du  pouvoir  ;  ils  avaient  mis  hors  de  toute  activité 
politique  la  haute  aristocratie  et  la  démocratie  radicale  de 
leur  temps,  les  Cavaliers  et  les  Niveleurs.  Leurs  angoisses 
intérieures  les  tourmentaient  déjà  plus  que  n'eussent  pu 

•  Journals  of  llie  House  of  commons,  t.  VI,  p.  ôoi-356,  591;  l.  VII, 
p.  71-73,  75,  78,  79  ;  -  Whitelockc,  p.  UO. 

*  Godwiii,  Ilisl  oflhe  CommonweuUh,  l.  III,  p.  347. 

3  Leur  Iraii.slation  fui  ordonnée  le  11  niar.s  1651;  —  Go(l«in, //i*f.  o/"  </ic 
Commomvcaltlt,  l.  III,  p.  250. 


58  PROGRES  DE 

faire  tous  leurs  ennemis.  Vainqueurs  et  maîtres,  il  voyaient 
s'élever  au  milieu  d'eux  un  vainqueur  et  un  maître  dont  ils 
ne  savaient  ni  comment  se  défendre  ni  comment  se  passer. 
La  République ,  à  peine  née,  sentait  déjà  Cromwell  au-des- 
sus d'elle;  à  chaque  crise  de  péril  et  d'alarme,  elle  avait 
recours  à  lui ,  et  elle  s'alarmait  le  lendemain  du  crédit  et 
du  renom  qu'il  acquérait  en  la  sauvant.  Cromwell ,  de  son 
côté,  tout  en  prodiguant  à  la  République  les  démonstrations 
du  dévouement  le  plus  humble,  laissait  à  chaque  instant 
éclater  les  clans  de  son  ambition  et  de  son  orgueil. 
Henri  Martyn,  qui  vivait  en  grande  familiarité  avec  lui , 
s'avisa,  un  jour,  à  la  Chambre,  de  le  contrarier  obstinément 
dans  quelques-unes  de  ses  volontés  à  l'égard  de  l'armée  : 
Cromwell  tira  brusquement  son  poignard ,  et  l'enfonçant 
dans  le  siège  placé  à  côté  du  sien,  il  menaça  tout  haut  de  sa 
colère  «  Harry  et  sa  bande  de  Niveleurs.  »  Un  autre  jour, 
dans  une  disposition  plus  amicale  et  plus  gaie,  il  appela 
Henri  Martyn  «  sir  Harry;  »  le  républicain  se  leva,  et  le 
saluant  :  «Je  remercie  Votre  Majesté,  lui  dit-il  ;  j'ai  toujours 
pensé  que,  lorsque  vous  seriez  roi,  je  serais  fait  chevalier  '.  » 
La  première  année  de  la  République  n'était  pasà  son  terme, 
et  déjà  on  saisissait  à  Covcntry  des  pamphlets  intitulés  :  Le 
caractère  du  roi  Cromivell  %•  et  dès  le  14  juin  1G49,  M.  de 
CrouUé  écrivait  au  cardinal  Mazarin  :  «  Selon  la  créance  de 
plusieurs  ,  Cromwell  pousse  ses  pensées  au  delà  de  ce  que 
l'ambition  la  plus  déréglée  le  peut  porter  \  »  Les  meneurs 
républicains  ne  rencontraient  plus  aucune  résistance  ac- 
tive ;  mais  ils  étaient  seuls,  contraints  de  tendre  de  plus  en 
plus  les  ressorts  du  pouvoir ,  au  milieu  d'ennemis  irrécon- 

'  Mercuriiis  pragmalicus,  mars   1631  ;  —  Forster,  The  Slalesmen  of  thc 
Commonivcaltli  (Vie  de  Henri  Marlyn),  t.  III,  p.  528;  CromwclUana,  p.  53. 

2  Whilciockc,  p.  iôi. 

3  Archives  des  Affaires  élrav gères  de  France. 


CROMWELL  (iei9).  59 

ciliables ,  et  à  coté  d'eux  Cromwell  grandissait  pour  leur 
ruine  en  les  servant. 

Un  fléau  sanglant,  la  guerre  civile,  vint  ajourner  l'explo- 
sion de  ces  discordes ,  et  rendre  pour  quelque  temps  à  la 
République  l'unité  et  l'énergie  fiévreuse  qui  pouvaient  seules 
la  faire  vivre. 


LIVRE  IL 


Élat  des  partis  en  Ecosse  et  en  Irlande.  —  Charles  II  y  est  proclamé  roi.  — 
Commissaires  écossais  i  la  Haye.  —  Guerre  d'Irlande.  —  Cromwell  en 
prend  le  commandement.  —  Ses  cruaiilés  et  ses  succès.  —  Expédition  de 
Montrose  en  Ecosse.  —  Sa  défaite,  son  arrestation,  sa  condamnai  ion  et  son 
exécution.  —  Charles  M  se  rend  en  Ecosse.  —  Cromwell  revient  d'Irlande 
et  prend  le  conunandement  de  la  guerre  dÉcosse.  —Périls  de  sa  situation. 
—  Bataille  de  Dunbar.  —  Charles  II  entre  en  Angleterre.  —  Cromwell  y 
rentre  après  lui.  —  Bataille  de  Worcester.  —  Fuite  et  aventures  de 
Charles  II.  —  Il  débarque  en  France.  —  Cromwell  revient  à  Londres.  — 
Triomphe  complet  de  la  République. 


Entre  les  trois  royaumes  de  Charles  I^%  l'Angleterre  seule 
contenait  un  parti  républicain  assez  fort  pour  vaincre  un 
moment  et  assez  hardi  pour  tenter  de  gouverner.  Par  des 
causes  très-diverses,  l'Ecosse  et  l'Irlande  restaient  profondé- 
ment royalistes,  mais  avec  des  dispositions  et  à  des  condi- 
tions qui  les  rendaient  incapables  de  soutenir  efficacement 
le  roi  dont  elles  ne  pouvaient  ni  ne  voulaient  se  passer.  Ni 
dans  l'un  ni  dans  l'autre  de  ces  deux  royaumes,  les  royalis- 
tes proprement  dits  ne  dominaient  :  en  Ecosse,  les  presby- 
tériens étaient  les  maîtres;  en  Irlande,  les  catholiques: 
maîtres  inégalement  tyranniques,  à  cause  de  la  diversité  de 
leur  situation,  mais  également  haineux  et  aveugles,  égale- 
ment emportés  par  leurs  passions  religieuses  au  delà  de  leurs 
desseins  politiques,  et  ne  sachant  ni  tenir  compte  des  droits 
1.  ' 


62  ÉTAT  DES  PARTIS 

et  des  forces  de  leurs  adversaires,  ni  mesurer  sur  leur  force 
réelle  leurs  propres  prélentions.  Les  uns  et  les  autres  étaient 
divisés.  En  Ecosse  les  presbytériens  violents  l'emportaient 
dans  le  Parlement  et  dans  l'Église;  mais  ils  avaient  à  côté 
d'eux  une  opposition  formée  des  presbytériens  modérés 
qui,  en  1648,  avaient  fait  la  guerre  au  Parlement  d'Angle- 
terre pour  Charles  K,  et  qui  comptaient,  dans  l'aristocratie 
et  dans  l'armée  ,  de  nombreux  adhérents.  En  Irlande ,  une 
grande  partie  de  l'aristocratie  catholique,  par  loyauté  ou 
par  prudence,  soutenait  franchement,  de  concert  avec  la 
plupart  des  protestants  irlandais,  la  cause  du  roi  protes- 
tant; mais  elle  était,  à  chaque  pas,  entravée  par  les  pas- 
sions, les  méfiances  et  les  exigences,  aussi  naturelles  que 
mal  calculées,  du  peuple  catholique  qui  marchait  sous  ses 
drapeaux.  Et  dans  l'un  et  l'autre  royaume,  autour  du  parti 
dominant  intérieurement  désuni,  s'agitaient  des  partis  atta- 
chés à  des  principes  contraires,  inférieurs  en  nombre,  mais 
actifs,  braves  et  obstinés  :  en  Ecosse,  d'un  côté  les  royalis- 
tes purs,  soit  par  foi  anglicane,  soit  par  dévouement  mo- 
narchique; de  l'autre  ,  les  sectaires  indépendants,  en  intel- 
ligence avec  les  républicains  anglais  et  leur  Parlement  :  en 
Irlande ,  d'un  côté  les  catholiques  intraitables  ,  ennemis  de 
tout  gouvernement  protestant ,  soit  qu'il  fût  monarchique 
ou  républicain ,  et  qui  les  combattaient  tous  tour  à  tour 
selon  l'intérêt  du  moment;  de  l'autre,  un  petit  nombre 
d'Anglais  protestants  et  républicains  établis  en  Irlande,  et 
un  assez  grand  nombre  de  catholiques  irlandais  timides  qui 
se  rangeaient  sous  la  bannière  du  Parlement  parce  qu'ils 
croyaient  à  sa  force,  et  uniquement  pour  se  soustraire  aux 
périls  d'une  lutte  dans  laquelle  il  n'y  avait,  pour  eux,  point 
de  victoire  à  espérer. 

Les  rivalités  des  chefs  aggravaient  les  dissensions  des 
partis.  En  Ecosse ,  à  la  tête  des  presbytériens  fanatiques , 


EN  ECOSSE  ET  EN  IRLANDE  (1649).  63 

marchait  le  marquis  d'Argyle,  prudent,  persévérant  et 
rusé,  aimant  le  pouvoir  et  craignant  le  péril ,  royaliste  par 
tradition  plutôt  que  par  goût,  plus  fidèle  à  ses  clients  qu'à 
ses  maîtres,  préoccupé  surlout  de  son  influence  ou  de  sa 
sijrcté  personnelle,  et  habile  à  se  ménager,  dans  le  parti 
qu'il  combattait ,  des  alliés  contre  ses  rivaux  dans  son  pro- 
pre parti.  L'exécution  du  duc  de  Hamilton  à  Londres  fit 
perdre  aux  presbytériens  modérés  leur  ancien  chef,  mal 
remplacé  par  son  frère,  lord  Lanark,  qui  hérita  de  son  titre, 
non  de  son  crédit,  et  par  lord  Lauderdalc,  courtisan  servile 
avec  un  esprit  libre,  passionnément  haineux  quoique  pro- 
fondément indifférent,  et  corrompu  sans  cesser  d'être  fana- 
tique. Monlrose  semblait  né  pour  charmeret  pour  comman- 
der les  royalistes  purs,  car  il  était  le  plus  brillant,  le  plus 
entraînant,  le  plus  hardi,  le  plus  dévoué  et  le  plus  présomp- 
tueux d'entre  eux.  Au  sein  du  barreau  d'Edimbourg  s'était 
formé,  pour  le  petit  parti  des  sectaires  républicains  écossais, 
un  chef  que  le  Parlement  anglais  eût  pu  leur  envier,  Archi- 
bald  Johnston,  lord  Wariston,  ardent,  inventif,  prompt, 
infatigable ,  savant ,  éloquent ,  subtil  comme  un  fourbe  et 
sincère  comme  un  martyr.  L'Irlande  comptait  parmi  ses 
chefs  moins  d'hommes  émincnts  et  dont  le  nom  ait  survécu 
à  leur  temps.  Plus  considéré  que  redouté  ou  suivi,  le  mar- 
quis d'Ormond,  vice-roi  pour  Charles  II  comme  pour  Char- 
les I",  y  présidait  avec  un  dévouement  inépuisable,  quoique 
souvent  impuissant ,  aux  efforts  et  aux  discordes  du  parti 
royaliste  ;  et  parmi  les  Irlandais  indépendants  qui  ne  se  sou- 
ciaient ni  du  Parlement  ni  du  roi,  Owcn  Roc  O'Ncil  est  U', 
seul  qui ,  par  ses  heureux  coups  de  main  et  ses  défections 
alternatives,  ait  laissé  dans  l'histoire  quelque  souvenir.  Mais 
une  foule  de  chefs  secondaires,  importants  alors,  aujourd'hui 
inconnus,  s'agitaient  soit  autour  du  vice-roi,  soit  au  sein  du 
peuple,  ardents  à  poursuivre,  tantôt  contre  leurs  ennemis, 


6^  CHARLES  II  PROCLAMÉ  ROI 

tantôt  contre  leurs  rivaux,  leur  propre  élévation  ou  la  déli- 
vrance de  leur  foi  et  de  leur  pays. 

Après  la  mort  de  Charles  I«%  l'élan  royaliste  triompha  , 
au  premier  moment,  de  ces  diversités  et  de  ces  discordes  : 
à  Edimbourg,  dès  le  5  février  1649,  et  en  Irlande,  partout 
où  Ormond  était  le  maître  ,  Charles  II  fut  proclamé  roi.  Le 
Parlement  d'Ecosse  avait  contre  le  Parlement  d'Angleterre 
un  nouveau  grief;  les  commissaires  qu'il  avait  envoyés  à  Lon- 
dres, d'abord  pour  faire  des  représentations,  puis  pour  pro- 
tester contre  le  jugement  de  Charles  P%  avaient  été  bruta- 
lement arrêtés  '  au  moment  où  ils  repartaient  pour  leur 
patrie  ,  et  reconduits  sous  escorte  jusqu'à  la  frontière 
d'Ecosse,  pour  empêcher,  de  leur  part,  toute  publication, 
toute  communication  avec  le  pays  ^  La  conscience  et  l'a- 
mour-propre  des  Écossais  étaient  également  froissés.  Leur 
Parlement  décida  que  des  commissaires  seraient  immédiate- 
ment envoyés  au  nouveau  roi  pour  l'engager  à  revenir 
parmi  eux.  Ormond  le  pressait  en  même  temps  d'arriver  en 
Irlande,  où  il  trouverait  les  trois  quarts  de  la  nation  dévoués 
à  sa  cause  ;  et  le  plus  farouche  des  chefs  irlandais ,  Owen 
Roe  O'Neil  lui-même,  qui  n'avait  pas  voulu  traiter  avec 
Ormond,  faisait  porter  à  Charles,  par  un  messager  parti- 
culier, les  assurances  de  sa  fidélité  •*. 

Tous  ces  envoyés  arrivèrent  presque  simultanément  à  la 
Haye  %  où  résidait  Charles,  sous  la  protection  du  stathou- 
dcr,  le  prince  d'Orange,  son  beau-frère,  et  traité  parles 

t  Le  2  mars  1649  ;  Journals  of  ihc  House  of  commons,  t.  YI,  p.  152  ;  — 
Whilelockc,  p.  384,  58Î),  588. 

2  Parliam.  Hisl.,  l.  XIX,  p.  16-5(j,  40-48;  —  Journals  of  Ihc  Housc  of 
'  comtnotis,  t.  VI,  p.  131,  135,  145. 

»  Whilelocke,  p.  381,  385,589,392;-  Malcolm  Laing,  Hist.  ofScolland, 
l.  m,  p.  434;  —  Clarcndon,  Hisl.of  Ihe  Rchdlion,  1.  xii,  c.  4,  11-13;  3,  28; 
—  Carie,  Ormond's  LcHvrs,  l.  I,  p.  213,  231. 

*  Vers  la  fin  de  mars  1649. 


EN  ECOSSE  ET  EN  IRLANDE  (1649),  6S 

États  généraux  de  Hollande  avec  un  respect  bienveillant 
quoique  réservé.  II  avait  là  auprès  de  lui  ses  plus  sages  con- 
seillers, ceux  que  le  roi  son  père,  avec  l'expérience  du  mal- 
heur, lui  avait  expressément  recommandé  d'écouter,  lord 
Cottington,  sir  John  Colepepper,  sir  Edouard  Hydc  sur- 
tout, monarchique  et  anglican  avec  passion,  mais  sérieux, 
habile,  et  qui  demeurait  fidèle,  dans  l'exil  comme  sur  le  sol 
natal,  à  la  religion,  aux  lois  et  aux  mœurs  de  son  pays.  Ils 
avaient  fortement  insisté  pour  que  Charles  ne  s'établit  pas 
en  France,  où  la  politique  de  Mazarin  leur  était  suspecte, 
ni  auprès  de  la  reine  douairière  sa  mère,  qui  vivait  tantôt  à 
Saint-Germain,  tantôt  à  Paris,  toujours  peu  aimée  des  vrais 
Anglais  qu'elle  aimait  peu,  et  entourée  de  prêtres  catholi- 
ques et  de  ces  courtisans  frivoles  et  téméraires  qui,  sous  le 
feu  roi,  avaient  exercé  quelquefois  sur  la  conduite,/  t  tou- 
jours sur  la  cause  royale,  une  si  funeste  influence-. 

La  perplexité  de  Charles  était  grande;  les  comniissa-fcs 
du  Parlement  et  de  l'Église  d'Ecosse  lui  faisaient  des  condi- 
tions très-dures  :  il  fallait  qu'il  se  séparât  de  ses  anciens 
amis,  surtout  de  Montrose,  objet  de  toutes  les  haines  pres- 
bytériennes, qu'il  arrivât  presque  seul  en  Ecosse,  qu'il  se 
livrât  tout  entier  au  parti  dominant,  qu'il  signât  leur  covc- 
nant  de  1638,  qu'il  se  fît  enfin,  que  ce  fût  sincérité  ou  hy- 
pocrisie, presbytérien  avec  eux  et  comme  eux.  Quoique 
ennemis  des  presbytériens  fanatiques  et  tout  en  déplorant 
leurs  exigences,  les  modérés,  lord  Hamilton  et  lord  Lauder- 
dale,  conseillaient  à  Charles  de  s"y  résigner,  et  ils  insistaient 
autant  que  personne  pour  qu'il  reniât  absolument  Montrose, 
refusant  eux-mêmes  toute  communication  avec  lui  et  sor- 
tant insolemment  du  cabinet  du  roi  quand  il  y  entrait. 
Montrose,  à  son  tour,  exhortait  Charles  à  repousser  toutes 
ces  prétentions  qui  le  mettraient  en  servitude  sous  prétexte 
de  le  refaire  i^oi,  et  à  ne  compter,  pour  remonter  sur  sou 

6. 


66  COMMISSAIRES  ÉCOSSAIS 

trône,  que  sur  l'épée,  s'offrant  à  la  tirer  le  premier  et  en 
.avant-garde,  pour  lui  en  ouvrir  le  clicmin.  Charles  goûtait 
assez  les  avis  de  Montrose,  sans  y  croire  beaucoup;  mais  le 
prince  d'Orange,  d'accord  en  ceci  avec  les  lettres  de  la  reine 
mère  et  avec  l'opinion  commune  de  la  Hollande,  le  détour- 
nait vivement  de  s'y  confier,  l'exhortant,  au  contraire,  à 
accepter  les  propositions  des  commissaires  écossais,  et  ne 
concevant  pas  qu'il  s'obstinât  à  refuser  un  royaume  qui  ve- 
nait le  chercher,  pour  soutenir  l'Église  anglicane  elles  évê- 
ques  qui  avaient  déjà  coûté  au  roi  son  père  la  couronne  et 
la  vie  '. 

On  suggéra  à  Charles,  qui  n'avait  encore  rien  fait  ni  rien 
dit  depuis  la  mort  de  son  père,  l'idée  d'adresser,  en  se  ren- 
dant en  Ecosse,  une  déclaration  à  l'Angleterre  pour  y  faire 
connaître  ses  sentiments,  ses  vues,  raffermir  ses  partisans 
et  prévenir  les  fausses  interprétations  auxquelles  ses  démar- 
ches pourraient  donner  lieu.  Hyde  qui,  dans  le  conseil, 
n'avait  point  été  d'avis  de  cet  acte,  fut  chargé  de  le  rédiger; 
mais  quand  il  en  apporta  le  projet,  avec  quelque  habileté 
qu"il  se  fût  efforcé  d'en  mesurer  les  termes,  tant  d'objections 
discordantes  s'élevèrent ,  et  l'impossibilité  de  contenter,  en 
parlant, les  royalistes  dAnglcteire  sans  aliéner  ceux  d'Ecosse 
ou  d'Irlande,  devint  si  évidente  que,  d'un  commun  accord, 
on  en  revint  au  silence  qui  avait  d'abord  été  gardé  par 
instinct  \ 

Les  difficultés  lassaient  promptemcnt  Charles;  la  perspec- 
tive des  dégoûts  et  des  mensonges  compromettants  qui 
l'altcndaient  en  Ecosse  le  rebuta:  il  fit  aux  commissaires 
écossais  des  objections  et  une  réponse  dilatoire  qui  équiva- 
laient, pour  le  moment,  à  un  refus.  Il  donna  en  même 

1  Carie,  Ormond's  Lellers,  t.  I,  p.  258  ;  —  Clarendon,  Hist.  oflhe  Rébel- 
lion, 1.  XII,  c.  29. 
»  Clarendon.  hisl.  of  ihc  RcbMion,  I.  xir,  c.  43-46, 


A  LA  HAYE  (mars  16-il»).  67 

temps  à  Monlrose  une  commission  secrète,  avec  le  titre  de 
lieutenant-gouverneur  et  de  commandant  en  chef  de  toutes 
les  forces  royales  en  Ecosse,  l'autorisant  à  lever  en  Europe, 
partout  où  il  en  pourrait  obtenir,  des  hommes  et  de  l'ar- 
gent, et  à  tenter,  à  tout  risque,  dans  sa  patrie,  une  expé- 
dition royaliste.  Puis,  se  disant  résolu  à  se  rendre  en  Irlande 
où  Ton  ne  lui  demandait  rien  que  d'arriver,  Charles  fit  em- 
barquer et  partir  en  effet,  sur  deux  petits  bâtiments,  une 
portion  de  sa  suite  et  de  son  bagage;  mais  alléguant  la  conve- 
nance d'aller,  avant  de  quitter  le  continent,  faire,  en 
France,  une  visite  à  la  reine  sa  mère,  il  différa  son  propre 
départ  ' . 

Au  fond  et  quoique,  pour  le  nombre  et  le  dévouement  de 
ses  partisans,  son  principal  espoir  fût  en  Irlande,  il  était 
peu  empressé  à  s'y  rendre  et  à  se  montrer  ainsi,  aux  yeux 
de  l'Angleterre  et  de  lÉcosse  protestantes ,  entouré  d'un 
peuple  et  d'une  armée  catholiques  pour  premier  appui.  M;iis 
précisément  par  ces  mêmes  raisons,  l'Irlande,  aussitôt  après 
la  mort  du  roi,  devint  l'objet  de  l'attention  et  de  l'action 
vive  du  Parlement  républicain.  C'était  là  surtout  qu'il  s'at- 
tendait à  voir  éclater  une  guerre  royaliste,  et  là  aussi  qu'il 
préférait  la  rencontrer.  La  guerre  à  llrlande  excitait  tou- 
jours en  Angleterre  une  ardeur  passionnée  ,  presque  dans 
tous  les  partis.  On  avait  exploité  contre  Charles  1^',  avec  un 
inépuisable  succès,  cette  hostilité  de  race,  de  religion,  de 
politique;  on  se  promit  d'en  retirer,  contre  son  fils,  les 
mêmes  avantages.  Dès  qu'on  sut  à  Londres  qu'il  avait  été 
proclamé  roi  en  Irlande,  et  qu'Onnond  la  ralliait  prcs(pie 
tout  entière  sous  son  drapeau,  on  résolut  d'aller  l'y  attaquer. 
Au   même  moment  où  elles  abolissaient  la  royauté  de  la 

1  Cwlc,  Ormond's  Lellers,  t.  I,  p.  263,  545;  —  Claicndon,  Hisl.  of  thc 
Rébellion,  I.  xii,c.  lu,  17,  59-il  ;  Wisliarl,  Manoirs  of  Monlrose,  p.  318-3G0 
(Edimbourg,  181ï>). 


68  CROMWELL 

Chambre  des  lords,  les  Communes  votèrent  120,000  livres 
stcrlingpar  mois  pour  l'entretien  d'une  armée  de  quarante- 
quatre  mille  hommes  dont  une  grande  partie  serait  em- 
ployée en  Irlande,  et  le  conseil  d'État  eut  ordre  d'examiner, 
de  concert  avec  le  général  en  chef  et  ses  principaux  offi- 
ciers, comment  la  guerre  d'Irlande  devait  être  préparée  et 
conduite  '. 

Scott  vint,  cinq  jours  après,  au  nom  du  conseil  d'État  et 
du  conseil  de  guerre  réunis,  déclarera  la  Chambre  que  la 
première  mesure  à  prendre  pour  organiser  l'armée  et  pré- 
parer la  guerre  d'Irlande,  c'était  de  nommer  le  général  qui 
la  commanderait.  La  Chambre  renvoya  au  conseil  d'État  la 
proposition  de  ce  choix.  On  croyait  qu'il  proposerait  Lam- 
bert, et  la  plupart  des  amis  de  Cromwell  avaient  paru  l'in- 
diquer. Mais  quelques-uns,  plus  habiles  ou  mieux  dressés, 
proposèrent  inopinément  Cromwell  lui-même,  qui  n'assistait 
pas  à  la  séance.  Informé  aussitôt,  il  se  montra  surpris  et  in- 
certain ,  et  demanda  que  deux  officiers  fussent  désignés, 
dans  chafjue  régiment ,  par  le  conseil  général  de  l'armée, 
pour  se  joindre  à  lui  dans  une  réunion  pieuse,  et  invoquer 
ensemble,  sur  une  résolution  si  importante,  les  lumières 
d'en  haut.  La  réunion  pensa  qu'il  devait  accepter,  et  la 
Chambre  le  nomma  ^.  Il  accepta  avec  trouble  et  modestie  : 
«  Il  était  ,  dit-il ,  indigne  et  incapable  d'un  si  grand  far- 
deau ;  mais  il  se  soumettait  à  leur  volonté,  comptant  sur  le 
secours  de  Dieu,  dont  il  avait  déjà  reçu  tant  de  preuves; 
les  tristes  extrémités  auxquelles  les  récents  succès  des  re- 
belles (il  appelait  ainsi  Ormond  et  les  royalistes  d'Irlande) 
avaient  déjà  réduit  ce  royaume ,  le  décidaient  à  y  risquer 
sa  personne  et  sa  vie;  non  qu'avec  les  forces  dont  il  dispose- 

'  F-es  8  cl  9  mars  1649;  Journals  of  Ihc  Ilonso  of  commons,  t.  VI,  p.  159, 
163,  170,  172,  182, 186, 188,  208;  -Wliilclocke,  p.  385-386,  391-392. 
2  Le  dO  mars  1649. 


EN  IRLANDE  (1649).  00 

rait  d'abord  il  espérât  étouffer  la  rébellion;  mais  la  Répu- 
blique conserveroitdu  moins  quelque  empirecn  Irlande  jus- 
qu'à ce  qu'on  y  pût  envoyer  plus  de  troupes  ;  en  attendant  il 
conjurait  la  Chambre  de  ne  pas  perdre  un  moment  pour  les 
préparatifs  qu'exigeait  une  telle  entreprise  '. 

La  Chambre  repondit  à  son  vœu,  et  dans  les  soins  qu'elle 
prit  pour  assurer  le  succès  de  la  guerre,  on  reconnaît,  à 
chaque  pas,  la  prévoyante  sollicitude  et  le  sens  pratique  du 
chef  qu'elle  en  avait  chargé.  Pour  consoler  Fairfax  de  son 
inaction,  on  l'investit  du  titre  de  généralissime  de  toutes  les 
forces  du  Parlement,  en  Irlande  comme  en  Angleterre  ; 
Cromwell  n'était  ni  vain, ni  susceptible,  et  nul  ne  faisait,  à 
l'amour-propre  de  ses  rivaux,  une  plus  large  part,  surtout 
quand  il  travaillait  à  les  supplanter.  Il  se  fit  donner  pour 
major  général  son  gendre  Ircton  dont  il  avait  éprouvé  lu 
capacité,  l'énergie  et  l'amitié.  Les  régiments  désignés  pour 
son  expédition  formaient  un  corps  de  douze  mille  hommes; 
ils  furent  payés  de  leurs  arrérages,  bien  pourvus  d'armes 
et  de  munitions,  et  des  mesures  bien  combinées  en  assu- 
rèrent le  recrutement.  On  régla  les  comptes  des  officiers, 
et  ils  reçurent,  à  titre  d'avance,  d'assez  fortes  sommes. 
D'autres  officiers,  qui  avaient  abandonné  lord  Inchiquin 
lorsqu'il  s'était  déclaré  royaliste,  rentrèrent  au  service  du 
Parlement  et  furent  traités  avec  la  même  faveur.  On  pourvut 
au  service  des  vivres  de  l'armée.  Un  certain  nombre  de  bàli- 
menls  stationnèrent  sur  les  côtes  d'Irlande,  à  la  disposition 
du  général.  Un  emprunt  de  lbO,000  liv.  st.,  spécialement 
affecté  aux  besoins  de  celte  guerre,  fut  ouvert  dans  la  Cité, 
et  Cromwell  en  suivit  lui-même  la  négociation.  Le  comité 
des  séquestres  fut  invité  à  presser  la  rentrée  des  sonnnes 


«  Whilclockc,  i>.   590,  391;  —  Ciru-ciidoii,  Ilisl.  of  ihe  Rébellion,  1.  xir, 
c.  70-72. 


70  CR03IWELL 

dues  par  les  royalistes  admis  à  composition  pour  leurs 
biens,  et  ces  rentrées  eurent  encore  llrlande  pour  destina- 
tion. La  prévoyance  de  Cromwell  s'étendit  au  delà  de  sa 
mission  spéciale  et  guerrière  ;  patron  vigilant  de  ses  amis, 
il  engagea  ceux  d'entre  eux  qui  avaient  des  affaires  à  traiter 
dans  le  Parlementa  présenter  immédiatement  leurs  pétitions, 
et  il  insista  pour  quejusticeleur  fût  faite  avant  son  départ.  Il 
se  fit  faire  pleine  justice  à  lui-même  pour  le  payement  de  ses 
arrérages,  pour  le  règlement  de  sa  solde  qui  était  considé- 
rable, et  pour  les  diverses  allocations  supplémentaires  dont 
il  avait  besoin.  Enfin  sa  commission  lui  attribua  en  Irlande 
le  pouvoir  civil  aussi  bien  que  le  pouvoir  militaire,  et  elle 
lui  fut  délivrée  pour  trois  ans  '. 

Assuré  de  ses  forces  matérielles,  il  se  préoccupa  de  ses 
moyens  d'action  morale  :  la  République  avait,  en  Irlande, 
peu  d'amis  ;  il  fallait  lui  en  faire  ;  il  fallait  du  moins  éclaircir 
les  rangs  de  ses  ennemis.  Cromwell  apprit  que  l'un  des  bora- 
mes  les  plus  considérables  et  les  plus  capables  de  l'Irlande, 
lord  Broghill ,  qui,  après  avoir  servi  tour  à  tour  le  roi  et  le 
Parlement,  s'était  retiré  dans  ses  terres,  venait  d'arriver  à 
Londres  avec  le  dessein  de  passer  en  Hollande,  pour  offrir  à 
Charles  II  ses  services.  Il  lui  fit  dire  par  un  de  ses  officiers 
qu'il  irait  le  voir,  désirant  s'entretenir  avec  lui.  Lord  Brog- 
hill s'étonna  et  parut  craindre  quelque  méprise ,  n'ayant 
pas,  disait-il,  l'honneur  de  connaître  le  général.  Cromwell 
arriva  chez  lui  peu  d'instants  après,  et  en  lui  témoignant  la 
plus  bienveillante  estime,  il  lui  déclara  que  son  dessein  était 
connu,  qu'il  avait  un  passe-port  pour  les  eaux  de  Spa,sous 
prétexte  de  santé,  mais  qu'en  réalité  il  se  rendait  auprès  de 
Charles  Stuart  dans  des  vues  hostiles  au  gouvernement  de 

»  Joumals  of  the  Iloiisc  of  commons,  t.  VI,  p.  183,  184,  226,  232,  235, 
210,  243,  248,  233,  254,  267,  270,  281,  288,  500,  301,  3-21,  528,  351; — 
WhiU'lockc,  [>.  51)9,  401,  401,  409  ,  410,  412,  415,  421,  423,  426,  430. 


EN  IRLANDE  (1649).  71 

son  pays.  Lord  Brogliill  nia.  «  N'insistez  pas,  lui  dit  Crom- 
well;  je  peux  vous  montrer  vos  propres  lettres;  le  conseil 
d'État  les  a  déjà  examinées  et  a  rendu  un  ordre  pour  vous 
faire  mettre  à  la  Tour;  mais  j'ai  obtenu  qu'on  différât  jusqu'à 
ce  quej'eusse  causé  avec  vous.  ))  Lord  Brogliill  convint  de  tout, 
le  remercia  et  lui  demanda  conseil.  «  Je  suis  autorisé,  lui  dit 
Cromwell ,  à  vous  offrir  un  commandement  d'officier  géné- 
ral dans  l'armée  d'Irlande  ;  on  n'exigera  de  vous  aucun  ser- 
ment; vous  aurez  seulement  à  servir  contre  les  catholiques 
irlandais.  »  Lord  Brogliill  témoigna  sa  répugnance  et  de- 
manda un  peu  de  temps  pour  se  décider.  <i  Impossible,  dit 
Cromwell;  si  je  vous  quitte,  mon  offre  refusée,  vous  serez  à 
l'instant  prisonnier  d'État.  »  Ils  se  séparèrent  bons  amis,  et 
trois  mois  après,  ils  étaient  tous  deux  en  Irlande,  servant 
ensemble  le  Parlement  '. 

Vers  ce  même  temps,  on  vit  arriver  à  Londres  quelques 
hommes  connus  par  leur  ferveur  catholique ,  sir  Kenclm 
Digby,  sir  John  Winter,  l'abbé  Montagne  ,  déjà  souvent 
mêlés  dans  les  affaires  d'Irlande,  et  qui  avaient  toujours  mis 
la  cause  de  leur  Église  bien  au-dessus  de  celle  du  roi.  On 
leur  fit  espérer  la  pleine  liberté  de  leur  foi  et  de  leur  culte 
en  Irlande,  pourvu  que  les  catholiques  désavouassent  les 
prétentions  temporelles  du  pape ,  et  missent  dix  mille 
hommes  au  service  de  la  République.  Des  conférences  eurent 
lieu,  par  l'entremise  de  l'ambassadeur  d'Espagne;  et  pour 
donner  quelque  gage  des  dispositions  des  catholiques,  un 
prêtre  savant,  Thomas  White,  dans  un  écrit  intitulé  :  «  Lcn 
fondements  de  l'obéissance  et  dti  gouvernement,  »  soutint 
que  le  peuple  pouvait  être  délié  de  son  serment  par  la  mau- 
vaise conduite  du  magistrat  civil,  et  que,  celui-ci  une  fois 


1  Carie,  Ormond's  Letlcrs,  1. 1,  p.  2i9;  —  Godwiii,  Ilisl.  of  the  Common  ■ 
maUh,  l.  m, p.  153, 159;  -  C«rlyle,  CronwH's  LeUcrs,  1. 1,  p.  <»:>• 


72  CROMWELL 

déposé,  l'intérêt  général  pouvait  commander  de  se  soumet- 
tre plutôt  que  de  tenter  sîï  restauration.  Sur  le  continent, 
Charles  II  et  ses  conseillers  s'alarmèrent  et  avertirent  Or- 
mond  de  se  tenir  sur  ses  gardes.  Ils  avaient  raison,  car 
pendant  que  cette  négociation  se  suivait  secrètement  à 
Londres,  Monk,  inspiré  par  Cromwell,  concluait  en  Irlande 
une  suspension  d'armes  avec  le  grand  chef  catholique 
O'Neil;  suspension  qui  couvrait  l'engagement  d'O'Neil  de 
prêter  sous  main  son  concours  aux  opérations  de  l'armée 
et  des  généraux  du  Parlement  ^.  Cromwell  avait  l'esprit 
trop  libre  pour  méconnaître  la  force  des  catholiques  en 
Irlande;  et  sans  plus  de  scrupule,  mais  plus  discrètement 
que  ne  l'avait  fait  Charles  I",  il  Iravaillait  à  se  les  concilier 
si  le  Parlement  et  le  public  protestant  voulaient  bien  le  lui 
permettre,  ou  à  les  compromettre  et  à  les  diviser  s'il  lui 
était  interdit  de  s'en  servir  ". 

Il  essayait  aussi  de  renouer,  avec  les  presbytériens  eux- 
mêmes,  ses  plus  récents  et  ses  plus  ardents  adversaires, 
quelques  bonnes  relations,  se  défendant  de  toute  inimitié 
religieuse  contre  eux,  et  leur  donnant  à  entendre  qu'à  son 
avis  leur  établissement  ecclésiastique  était  celui  que  l'État 
devait  adopter  et  soutenir.  Il  voulait,  au  moment  de  partir 
pour  l'Irlande,  s'y  faire  d'avance  des  amis,  et  conjurer  ou 
du  moins  adoucir,  en  Angleterre,  les  ennemis  qu'il  laissait 
derrière  lui. 

Cependant  il  ne  partait  point.  Voulait-il  seulement  atten- 
dre que  ses  troupes  fussent  arrivées  et  prêtes  en  Irlande 
avant  d'y  paraître  lui-même,  ou  méditait-il  quelque  secret 
dessein?  Le  Parlement  en  concevait  quelque  inquiétude, 
car  c'était  surtout  pour  éloigner  Cromwell  et  pour  occuper 


1  Le  8  mai  1G49. 

2  Carie,  OrmonU's  Leltcrs,  t,  I,  p.  216-222.] 


EN  IRLANDE  {IU9).  73 

l'armée  qu'il  avait  entrepris  si  vivement  la  guerre  d'Irlande, 
et  qu'il  y  faisait  tant  de  sacrifices.  Les  ministres  étrangers 
résidant  à  Londres  doutaient  fort  que  Cromwell  voulût  par- 
tir :  «  L'on  continue  de  dire,  écrivait  M.  de  Croullé  au  car- 
dinal Mazarin,  que  Cromwell  partira  tout  au  plus  tard  à  la 
fin  de  ce  mois.  Le  sentiment  que  j'ai  eu  du  contraire  est 
conforme  à  celui  de  trop  de  personnes  intelligentes  pour 
m'en  rétracter,  et  jusqu'à  ce  que  je  sois  convaincu  par  l'avis 
de  son  passage  en  ce  pays-là,  j'y  persévérerai  toujours.  Il  ne 
peut  presque  tomber  sous  le  sens  que  Cromwell  qui,  selon 
la  créance  de  plusieurs,  pousse  ses  pensées  au  delà  de  ce  que 
l'ambition  la  plus  déréglée  les  peut  porter,  se  résolve  d'aban- 
donner ce  royaume  à  la  merci  des  brigues  qui  pourraient 
être  formées  en  son  absence,  et  que  sa  présence  peut  em- 
pêcher d'être  seulement  entreprises  '.  i> 

Mais  au  commencement  de  juin,  Ormond  entra  en  cam- 
pagne ;  et  malgré  les  dissensions  de  son  parti  et  la  mauvaise 
organisation  de  son  armée,  ses  succès  furent  si  rapides  qu'à 
la  fin  du  mois  il  ne  restait  plus  au  Parlement,  en  Irlande, 
que  Londonderry  et  Dublin.  Cromwell  se  décida  :  le  10  juil- 
let, un  grand  nombre  de  ses  amis  se  réunirent  à  Whitehall  ; 
trois  ministres  invoquèrent  sur  ses  armes  les  bénédictions 
du  Seigneur;  Cromwell  lui-même,  après  deux  de  ses  offi- 
ciers, Goffe  et  Harrison,  prit  la  parole  et  commenta  plu- 
sieurs textes  de  l'Écriture  sainte  analogues  à  son  entreprise. 
Puis,  à  cinq  heures  du  soir,  il  se  mit  en  route  pour  Bristol, 
«  avec  une  pompe  et  dans  un  équipage,  dit  un  journal  du 
temps,  tels  qu'on  n'en  a  guère  vu.  Il  était  dans  un  carrosse 
traîné  par  six  juments  de  Flandre  gris  pommelé;  plusieurs 
carrosses  l'accompagnaient,  et  beaucoup  d'officiers  supé- 
rieurs de  l'armée.  Sa  garde  était  formée  de  quatre-vingts 

1   14  juin  1649;  —  Archives  des  Affaires  étrangères  de  France. 

RÉPDBUQl'E  d'aNGIETERRC   1.  7 


7*  CROMWELL 

vaillants  hommes  dont  le  moindre  était  un  officier  ou  un 
écuyer,  et  phisieurs  des  colonels  en  grand  uniforme.  Les 
trompettes  sonnaient.  Et  maintenant  garde  à  vous^  railord 
d'Ormond  !  vous  aurez  affaire  à  des  braves  ;  les  vaincre  sera 
pour  vous  assez  d'honneur,  et  être  vaincu  j)ar  eux  ne  fera 
pas  grand  tort  à  votre  renom.  Si  vous  dites  :  César  ou  rien! 
ils  disent  ;  la  Eépubliqtie  ou  lien  '  /  »  '  ob  mi 

Arrivé  à  Bristol,  et  sans  qu'on  en  démêle  les  motifs, 
Cromwell  s'y  arrêta  près  d'un  mois  ;  il  allait  et  venait  dans 
les  divers  ports  de  la  côte,  présidant  à  l'embarquement  de 
ses  troupes  et  recevant  de  nombreux  visiteurs.  La  popula- 
tion des  environs  affluait  pour  le  voir;  sa  femme  et  plu- 
sieurs personnes  de  sa  famille  vinrent  passer  quelques  jours 
avec  lui  ;  il  semblait  hésiter  encore  et  ne  se  détacher  du  sol 
anglais  qu'avec  doute  et  effort  ^. 

Une  nouvelle  arriva  d'Irlande  qui  mit  un  terme  à  ses  len- 
teurs. Avant  de  marcher  sur  Dublin,  Ormond  avait  écrit 
au  gouverneur  Michel  Jones,  tenu  jusque-là  pour  un  pres- 
bytérien modéré,  pour  le  presser  d'abandonner  «  ce  pré- 
tendu Parlement  qui  avait  égorgé  son  roi  et  voulait  intro- 
duire l'anarchie,  et  lui  pi'omctlre  de  grandes  récompenses 
s'il  revenait  à  la  cause  royale.  »  —  «  J'ignore,  lui  répondit 
Jones,  de  qui  Votre  Seigneurie  tient  son  pouvoir;  le  Parle- 
ment d'Angleterre  n'eût  jamais  consenti  à  la  paix  que  Votre 
Seigneurie  a  faite  avec  les  rebelles,  sans  aucune  sûreté  pour 
la  religion  protestante;  comment  peut-elle  être  établie  par 
une  armée  de  papistes?  J'aime  mieux  mourir  à  mon  poste 
qu'acheter  par  une  honteuse  trahison  les  avantages  qui  me 
sont  offerts.  »  Ormond  s'établit  devant  Dublin,  espérant 
réduire  la  place  dont  la  garnison  était  faible,  et  dans  laquelle 


1  Cromwclllana,  p.  G2;  —  Whilcloeke,  p.  4-13. 
^  Carlyle,  Cromivell's  Lctlers,  t.  I,  p.  445. 


EN  IRLANDE  (16i0).  78 

il  avait  des  intelligences.  Mais,  dans  les  derniers  jours  de 
juillet,  Tavant-garde  de  Cromwell,  amenée  par  un  vent 
favorable,  entra  dans  le  port  de  Dublin  sans  qu'Ormond 
pût  y  mettre  obstacle  ;  la  garnison,  fortifiée,  ravitaillée  et 
très-animée,  demandait  à  son  chef  quelque  coup  hardi  ;  le 
2  août,  Jones  fit  sur  un  point  du  camp  des  assiégeants,  au 
village  de  Rathmines,  une  sortie  si  inattendue,  si  vive  et  si 
heureuse  que,  malgré  les  elForls  désespérés  des  officiers 
supérieurs  et  d'Ormond  lui-même,  le  désordre  gagna  toute 
l'armée  royale  qui  fut  mise  en  déroute,  avec  une  perte 
considérable,  et  contrainte  de  lever  le  siège  '. 

Quelle  que  fût  la  cause  de  son  retard  à  quitter  l'Angle- 
terre, il  ne  convenait  pas  à  Cromwell  qu'un  autre  eût 
l'honneur  de  soumettre  l'Irlande.  Le  lendemain  même  de 
la  nouvelle,  il  partit  ;  et  à  peine  embarqué,  encore  dans  le 
port  de  Milford-haveii,  soigneux  de  se  montrer  des  plus 
empressés  à  célébrer  la  victoire  de  Jones,  il  écrivit  à  son 
ami  Richard  Mayor,  dont  son  fils  aîné  Richard  venait 
d'épouser  la  fille  :  u  Le  marquis  d'Ormond  assiége^iit  Dublin 
avec  dix-neuf  n)ille  hommes  ou  environ;  sept  mille  Écos- 
sais, et  puis  trois  mille  devaient  venir  le  rejoindre.  Jones 
est  sorti  de  Dublin  avec  quatre  mille  hommes  de  pied  et 
mille  deux  cents  chevaux;  il  a  njis  en  déroute  toute  celte 
armée,  tué  sur  place  quatre  mille  hommes,  et  fait  deux 
mille  cinq  cent  dix-sept  prisonniers,  dont  trois  cents  offi- 
ciers, ([uelquesuns  de  grande  qualité  *.  C'est  une  grâce 
surprenante  si  grande  et  si  opportune  que  vraiment  nous 
avons  l'air  de  rêver.  Que  dirons-nous?  Dieu  veuille  remplir 


.  »  Wliilclockc,  p.  391,  419,  420;  —  Journals  of  ihe  Housc  of  vommons, 
t.  VI,  p.  17;i,  278;  -  Ckireiulon,  Uist.  uf  tlic  Rcbc'liuv,  I.  xii,  c.  Gi»,  l.  VII, 
Jrcland,  c.  74,  7.). 

*  Tous  ces  chiffres  élaicnt  fort  exagéré;?;  —  Carie,  Ormond's  Lcllcrs,  l.  Il, 
p.  403,  407-411 . 


76  CROMWELL 

nos  âmes  de  reconnaissance,  afin  que  nos  bouches  soient 
pleines  de  ses  louanges,  et  nos  vies  aussi,  et  qu'il  nous 
donne  de  n'oublier  jamais  sa  bonté  pour  nous.  Il  y  a  là  de 
quoi  fortifier  notre  foi  et  notre  amour  pour  des  temps  plus 
difficiles.  Priez  pour  moi  ;  que  je  marche  digne  du  Seigneur 
dans  toutes  les  voies  où  il  m'a  appelé  !  » 

Et  cet  élan  de  piété  patriotique  finit  par  ce  trait  de  solli- 
citude paternelle  : 

«i  Je  vous  ai  confié  mon  fits;  donnez-lui,  je  vous  prie, 
vos  avis.  Je  ne  lui  envie  pas  ses  joies,  mais  je  crains  qu'il 
ne  s'y  laisse  absorber  tout  entier.  Je  voudrais  qu'il  réfléchît 
et  qu'il  s'appliquât  aux  affaires,  qu'il  lût  un  peu  d'histoire, 
qu'il  étudiât  les  mathématiques  et  la  cosmographie.  Ce  sont 
là  de  bonnes  connaissances,  subordonnées  aux  choses  de 
Dieu  ;  elles  valent  mieux  que  l'oisiveté  et  les  seuls  plaisirs 
mondains.  Elles  conviennent  d'ailleurs  au  service  du  pays, 
pour  lequel  tout  homme  est  né  *.  » 

Cromwell  fut  toujours  vivement  préoccupé  de  ses  enfants, 
de  leurs  affaires  temporelles  et  de  leurs  dispositions  mora- 
les; et  il  portait  dans  cet  intérêt  comme  partout  sa  pré- 
voyante et  dominante  activité. 

Arrivé  à  Dublin,  le  surlendemain  Ib  août,  il  y  fut  reçu 
avec  de  vives  acclamations  ;  la  foule  se  pressait  sur  son  pas- 
sage, curieuse  et  bienveillante  :  vers  le  milieu  de  la  ville,  là 
où  le  concours  était  le  plus  grand,  il  s'arrêta,  et  debout 
dans  sa  voiture,  le  chapeau  à  la  main  ;  il  parla  au  peuple  : 
«  Il  ne  doutait  pas  que  la  divine  Providence,  qui  l'avait 
amené  sain  et  sauf  au  milieu  d'eux,  ne  leur  rendît  à  tous 
leurs  libertés  et  leurs  biens  ravagés  par  la  guerre;  tous  ceux 
qui  concourraient  de  cœur  à  cette  grande  œuvre,  entre- 
prise contre  les  barbares  et  sanguinaires  Irlandais  et  pour 

*  Carlyle,  Cromwell's  Leltcrs  andSpecches,  t.  J,  p.  446. 


EN  IRLANDE  (1640).  77 

la  propagation  de  rÉvangilc  du  Christ,  trouveraient  auprès 
de  lui,  comme  auprès  du  Parlement  d'Angleterre,  protec- 
tion et  faveur,  et  chacun  serait  récompensé  selon  ses 
mérites.  »  On  lui  répondit  par  le  cri  :  «  Nous  vivrons  et 
mourrons  avec  vous;  »  et  dès  le  lendemain,  une  proclama- 
tion militaire  et  puritaine  marqua  le  caractère  de  son  gou- 
vernement :  il  y  rappelait  «  les  grâces  de  Dieu  sur  cette 
ville  ,  signalées  surtout  dans  la  défaite  qu'avaient  subie 
naguère  les  rebelles  qui  l'assiégeaient;»  il  s'étonnait  <  qu'en 
présence  de  tels  bienfaits,  le  saint  nom  de  Dieu  fût  encore 
journellement  outragé,  parmi  eux,  par  les  jurements,  les 
blasphèmes,  l'ivrognerie  et  tous  ces  emportements  profanes 
condamnés  par  les  lois  de  Dieu,  les  lois  du  pays  et  les  lois 
des  camps;  i>  il  enjoignait  au  maire  et  aux  magistrats  de  la 
ville,  ainsi  qu'aux  officiers  de  l'armée,  de  faire  strictement 
observer  ces  lois,  déclarant  que  ceux  qui  négligeraient  de 
veiller  en  ceci  à  l'exécution  de  ses  ordres  encourraient  eux- 
mêmes  toute  sa  sévérité  '. 

A  peine  ses  troupes  s'étaient  reposées  quelques  jours 
qu'il  entra  en  campagne,  mais  avec  des  dispositions  bien 
différentes  de  celles  qu'il  avait  témoignées  de  loin,  pendant 
que  son  expédition  se  préparait.  Dès  qu'il  fut  en  Irlande, 
sur  le  théâtre  de  la  guerre  et  au  milieu  des  combattants, 
Cromwell  sentit  que  les  préjugés  et  les  colères  des  Anglais 
contre  les  Irlandais,  des  protestants  contre  les  catholiques, 
des  républicains  contre  les  royalistes,  étaient  là  des  passions 
farouches  et  intraitables,  qu'on  pouvait  exploiter  puissam- 
ment, mais  en  leur  laissant  un  libre  cours,  et  qui  n'admet- 
taient ni  calculs  ni  ménagements  politiques.  Il  les  accepta 
sans  hésiter,  comme  des  faits  qu'il  ne  discutait  point  et  des 
forces  dont  il  avait  besoin.  Les  instructions  et  les  exemples 


1  Carlyle,  CromweU's  Letlers,  elc  ,  t.  I,  i>.  Ud-,  —  Wliilelockc,  p.  423. 

7. 


78  PRISE  DE 

qui  lui  venaient  de  Londrcsie  poussaient  sur  celle  pente,  bien 
loin  de  l'y  retenir.  Les  nouvelles  d'Irlande  ,  surtout  la  vic- 
toire de  Jones  devant  Dublin,  et  la  confiance  quelle  inspira, 
firent  évanouir  ces  velléités  de  négociations  naguère  enta- 
mées avec  les  Irlandais  et  les  catholiques.  Le  parlement 
désavoua  la  suspension  d'armes  que  Monk  avait  conclue 
avec  O'Neil,  et  les  chefs  du  parti,  qui  avaient  secrètement 
poussé  Monk  dans  cette  voie,  se  crurent  obligés  d'être  des 
premiers  à  blâmer  son  acte  pour  réussir  ensuite  à  le  faire 
excuser  lui-même  sur  son  intention.  Quelques  jours  après, 
la  Chambre  vota  que  sir  Kenelm  Digby,  sir  John  Winter, 
ces  catholiques  ardents  qu'on  avait  laissés  venir  et  presque 
appelés  à  Londres  pour  s'assurer  leur  concours  en  Irlande, 
au  prix  de  la  liberté  de  leur  culte,  étaient  des  hommes  dan- 
gereux qu'il  fallait  se  hâter  d'éloigner,  et  ils  eurent  ordre 
de  sortir  immédiatement  d'Angleterre,  sous  peine  de  mort 
et  de  confiscation  de  leurs  biens  s'ils  y  rentraient.  Tout 
esprit  de  transaction,  par  justice  ou  par  prudence,  avait 
disparu,  et  dans  les  conseils  en  Angleterre  comme  dans  les 
camps  en  Irlande,  le  fanatisme  religieux  et  politique  domi- 
nait seul  \ 

Ce  fut  sous  ces  sombres  auspices  que  Cromwell  sortit  de 
Dublin,  le  51  août,  à  la  tête  d'environ  dix  mille  hommes, 
pour  aller  assiéger  Drogheda,  la  place  la  plus  importante  de 
la  province  de  Leinster.  Ormond,  en  se  retirant  du  siège 
de  Dublin,  avait  jeté  dans  cette  place  une  garnison  de  trois 
mille  hommes,  presque  tous  Anglais,  et  commandés  par 
Arthur  Aston,  vieil  officiera  jambe  de  bois,  d'une  bravoure 
comme  d'une  fidélité  éprouvée,  espérant  qu'elle  arrêterait 
longtemps  les  progrès  de  l'ennemi.  Après  six  jours  employés 

*  Jonrnals  of  ihe  House  of  commons,  t.  VI,  p.  277,  289;  —  Whilclocke, 
p.  419,  422,  423. 


DROGHEDA  (10  septembre  16 i9).  79 

aux  travaux  du  siège,  Cromwell  fit  sommer  le  gouverneur 
de  se  rendre,  et  sur  son  refus,  le  10  septembre,  il  fit  donner 
l'assaut.  La  première  attaque,  bien  que  vigoureuse,  écboua 
avec  une  grande  perte  pour  les  assaillants  ;  le  colonel  Casscl 
et  plusieurs  officiers  y  furent  tués.  Cromwell  se  mit  lui- 
même  à  la  tête  de  la  seconde  attaque,  et  malgré  l'éner- 
gique résistance  des  assiégés,  les  divers  retranchements 
furent  emportés,  puis  les  tours  et  les  églises  de  la  ville,  dans 
lesquelles  les  plus  obstinés  s'étaient  renfermés.  «  Dans  la 
chaleur  de  l'action,  écrivit  Cromwell  au  président  du  con- 
seil d'État  et  à  l'orateur  du  parlement,  j'ai  défendu  qu'on 
épargnât  aucun  de  ceux  qui  seraient  trouvés  en  armes  dans 
la  place.  Le  gouverneur,  sir  Arthur  Aston,  plusieurs  offi- 
ciers considérables,  et  je  crois  environ  deux  mille  hommes 
ont  été  passés,  cette  nuit-là,  au  fil  de  l'épée.  Le  lendemain 
nous  avons  sommé  les  deux  tours;  dans  l'une  se  trouvaient 
cent  vingt  ou  cent  cinquante  hommes  qui  ont  refusé  de  se 
rendre  ;  nous  avons  compté  sur  la  faim  pour  les  contraindre, 
et  nous  avons  placé  des  gardes  pour  les  empêcher  de  s'éva- 
der jusqu'à  ce  que  leurs  estomacs  se  fussent  rendus.  Ils  ont 
tué  ou  blessé  quelques-uns  de  nos  hommes.  Quand  ils  se 
sont  soumis,  les  officiers  ont  été  mis  à  mort  et  les  soldats 
décimés  ;  le  reste  a  été  embarqué  pour  les  Barbadcs.  Tous 
leurs  prêtres  et  leurs  moines  ont  été  mis  à  mort  indistinc- 
tement. Je  ne  crois  pas  que,  de  toute  la  garnison,  trente 
hommes  se  soient  échappés  vivants.  Je  suis  persuadé  que 
c'est  un  juste  châtiment  de  Dieu  sur  ces  barbares  qui  ont 
trempé  leurs  mains  dans  tant  de  sang  innocent.  Cela  pré- 
viendra, je  crois,  l'effusion  du  sang  à  l'avenir.  Ce  sont  là 
les  motifs  satisfaisants  pour  de  telles  actions  qui,  autre- 
ment, ne  pourraient  pas  ne  pas  inspirer  du  remords  et  du 
regret.  )> 

«  P.  S.  Voici  la  liste  des  officiers  et  des  soldats  tues  :  le  gou- 


80  PRISE  DE  DIVERSES 

verneur;  dans  la  cavalerie,  deux  lieutenants-colonels,  un  ma- 
jor, huit  capitaines,  huit  lieutenants  et  huit  cornettes  ;  dans 
l'infanterie,  trois  colonels,  leurs  lieutenants-colonels  et  leurs 
majors,  quarante-quatre  capitaines,  leurs  lieutenants  et 
leurs  enseignes;  deux  cent  vingt  cavaliers,  deux  mille  cinq 
cents  fantassins,  outre  les  officiers  d'état-raajor,  les  chirur- 
giens et  beaucoup  d'habitants  ^  » 

Selon  d'autres  rapports  royalistes  et  même  parlemen- 
taires, non-seulement  le  carnage  dura  deux  jours,  mais  des 
officiers,  découverts  au  bout  de  cinq  ou  six  jours  après  avoir 
été  cachés  par  l'humanité  de  quelques  soldats,  furent  égor- 
gés de  sang-froid  ;  et  au  moment  du  massacre,  les  femmes 
et  les  enfants  ne  furent  pas  plus  épargnés  que  les  hommes 
armés.  «  Ce  fut ,  dit  un  contemporain  ,  panégyriste  de 
Cromwell,  un  sacrifice  de  trois  mille  Irlandais  aux  mânes 
de  dix  mille  Anglais  qu'ils  avaient  massacrés  quelques 
années  auparavant  ^.  » 

Le  sacrifice  ne  produisit  pas  l'elTet  que  Cromwell  s'en  était 
promis  pour  le  justifier;  il  ne  suffit  point  à  prévenir  l'effu- 
sion du  sang  ;  il  fallut  recommencer.  Wcxford,  un  mois 
après,  se  défendit  comme  Drogheda,  et  subit  le  même  mas- 
sacre. D'autres  places,  il  est  vrai,  intimidées  ou  trahies,  se 
rendirent,  Corke,  Ross,  Youghall,  Kilkenny;  mais  d'autres 
aussi,  comme  Cullen,  Gowran  et  Clonmel  s'obstinèrent  à 
résister,  quelques-unes,  comme  Waterford,  avec  tant  de 
vigueur  que  Cromwell  fut  obligé  de  lever  le  siège.  Là  même 
où  le  succès  parut  plus  facile,  il  fut  encore  souillé  de  grandes 
cruautés.  A  Gowran,  les  soldats  obtinrent  la  vie  sauve  en  ren- 
dant la  place ,  mais  à  condition  de  livrer  à  discrétion  leurs 

1  Carlyle,  CromtoeWs  Leilers  (16, 17  et  22  sept.  1649),  t.  I,  p.  -«57-465;  - 
Pari.  HisU,  t.  XIX,  p.  201-210;  —  Whilelocke,  p.  427-428. 

2  Pari.  Hist.,  t.  XIX,  p.  209;  —  Clarendon.ffù/.  oflhe  Rébellion,  Ireland, 
c.  82;  —  Mémoires  de  Ludlow,  t.  II,  p.  2-4,  dans  ma  Collection. 


PLACES  EN  IRLANDE  (1649).  SI 

officiers  qui  furent  tous  égorgés.  L'évêquede  Ross  fut  pendu, 
en  habits  pontificaux,  sous  les  murs  d'un  château  fort  que 
ses  gens  défendaient.  Clonmcl  résista  héroïquement,  et 
lorsque  enfin  \a  place  se  rendit,  Cromwcll  n'y  trouva  phis 
un  seul  homme  de  la  garnison;  pendant  qu'il  signait  avec 
les  habitants  les  articles  de  la  capitulation,  elle  était  sorlic 
de  nuit  et  en  armes,  pour  aller  ailleurs  recommencer  la 
guerre*. 

C'est  l'artifice  ordinaire  des  mauvaises  passions  d'impu- 
ter les  cruelles  satisfactions  qu'elles  se  donnent,  soit  à  quel- 
que grande  idée  dont  elles  poursuivent  l'accomplissement, 
soit  à  l'absolue  nécessité  du  succès  :  l'histoire  se  déshonore- 
rait en  acceptant  ces  excuses  mensongères  ;  c'est  son  devoir 
de  renvoyer  le  mal  à  sa  source  et  de  rendre  aux  vices  des 
hommes  ce  qui  leur  appartient. 

Le  fanatisme  humain  ment,  ou  s'abuse  lui-même  par  or- 
gueil, quand  il  se  prétend  l'exécuteur  des  hautes  œuvres  de 
la  justice  divine;  il  n'appartient  pas  aux  hommes  de  pro- 
noncer, sur  les  peuples,  les  sentences  de  Dieu. 

Cromwell  n'était  pas  sanguinaire  ;  mais  il  voulait  réussir 
promptement  et  à  tout  prix,  par  nécessité  pour  sa  fortune 
bien  plus  que  pour  sa  cause,  et  il  ne  refusait  rien  aux  pas- 
sions de  ceux  qui  le  servaient.  C'était  un  ambitieux  égoïste 
avec  grandeur,  qui  avait  des  fanatiques  étroits  et  durs  pour 
instruments.  Ses  grands  et  vrais  moyens  de  succès  n'étaient 
pas  dans  ses  massacres,  mais  dans  son  génie  et  dans  la  haute 
idée  qu'avaient  déjà  conçue  de  lui  les  peuples.  Tantôt  par 
instinct,  tantôt  par  réflexion,  il  se  conduisit  en  Irlande, 
envers  ses  amis  et  envers  ses  ennemis ,  avec  une  habileté 
aussi  souple  que  profonde,  supérieur  dans  l'art  de  traiter 

I  Carlyle,  CromtveU's  Lcllers,  l.  1,  p.  4G6-51G;  —  Journalsof  Ihe  Hottsc 
of  commons,  t.  VI,  p.  314,  323;  —  Wliilelocke,  p.  433,  434,  456;  -Godwin, 
Hist.  oflhe  Commonweallh,  t.  III,  p.  151-162. 


82  CR03IVVELL 

avec  les  hommes,  et  de  persuader,  ou  de  séduire,  ou  d'a- 
doucir ceux-là  mêmes  qui  devaient  lui  porter  le  plus  de 
méfiance  et  d'aversion.  En  même  temps  qu'il  livi'ait  au 
meurtre  et  au  pillage  les  villes  dont  il  s'emparait,  il  main- 
tenait, dans  son  armée,  la  discipline  la  plus  sévère,  ne  souf- 
frant pas  qu'elle  fit  à  la  population  aucun  tort,  et  soigneux 
de  faire  payer  ce  qu'elle  consommait.  Cet  homme  qui  se 
vantait  d'avoir,  à  Droglieda,  lîiit  égorger  indistinctement 
tous  les  moines,  et  qui  exceptait  toujours  avec  faste  les  ca- 
tholiques de  ses  promesses  de  tolérance  chrétienne,  ce 
même  homme  entretenait,  par  des  moines  irlandais,  une 
police  très-aclive  chez  ses  ennemis,  toujours  hien  instruit 
de  leurs  desseins  ou  de  leurs  démarches,  et  quelquefois  assez 
influent  au  milieu  d'eux  pour  les  faire  échouer  par  leurs 
propres  dissensions.  Il  travaillait  incessamment  à  détacher 
de  la  cause  royale  les  honniies  considérables,  et  ses  tenta- 
ti\es  en  ce  genre  allèrent,  sans  succès,  jusqu'au  marquis 
d'Ormond  lui-même  pour  qui  il  exprimait  hautement  son 
estime,  ajoutant  souvent  :  u  Qu'a  donc  à  faire  loi*d  Ormond 
de  Charles  Stuart,  et  quelles  obligations  en  a-t-il  jamais  re- 
çues? »  Avec  le  Parlement,  sa  conduite  était  fort  indépen- 
dante, mais  sans  vanité  et  sans  bruit  ;  il  portait  au  contraire 
dans  son  langage  la  déférence  jusqu'à  l'humilité;  après  la 
prise  de  Ross,  il  écrivit  à  l'orateur  de  la  Chambre  :  »  Vous 
ayant  ainsi  rendu  compte  de  l'événement,  je  ne  vous  fati- 
guerai pas  de  demandes  particulières  :  je  les  adresserai  au 
conseil  d'État  ;  mais  permettez-moi  de  vous  dire  humble- 
ment ce  qui,  à  mon  sens,  est  bon  pour  votre  service,  me 
soumettant  d'ailleurs  pleinement  à  votre  volonté.  Nous  dé- 
sirons des  renforts.  Cela  n'augmentera  pas  vos  charges  si 
les  sommes  que  vous  avez  déjà  assignées  pour  les  forces 
maintenant  sur  pied  nous  arrivent  à  temps...  C'est  ce  dont 
je  vous  supplie  humblement,  ainsi  que  de  nous  envoyer  les 


EN  IRLANDE  (iUÇt).  85 

vêtements,  les  souliers  et  les  bas  que  j'ai  déjà  demandes 
afin  que  les  pauvres  créatures  qui  sont  sous  mes  oi-dres 
aient  un  peu  d'encouragement.  Et  moyennant  la  bienheu- 
reuse assistance  de  Celui  qui  n'a  cesse  de  marcher  avec 
nous,  j'espère  qu'avant  peu  non-seulement  l'Irlande  ne  sera 
pas  un  fardeau  pour  rAngietcrrc,  mais  qu'elle  deviendra  un 
membre  utile  de  la  République  ^.  » 

Il  ne  tarda  pas  à  démêler  et  à  metfre  en  pratique  le 
moyen  le  plus  efficace  pour  y  réussir.  Quand  il  vit  que, 
malgré  quelques  succès  partiels,  il  ne  parviendrait  pas  à 
désorganiser  le  parti  royaliste  en  Irlande  en  lui  enlevant 
ses  chefs,  il  tourna  ses  efforts  vers  les  soldats  :  ils  étaient 
nombreux,  braves,  souvent  dénués  de  tout  et  découragés; 
il  fit  publier  dans  tout  le  pays  qu'ils  étaient  libres  d'aller 
servir  à  l'étranger,  et  qu'il  autorisait  tous  les  officiers,  et 
quiconque  voudrait  l'entreprendre,  à  lever  autant  d'hommes 
qu'ils  en  pourraient  trouver,  et  à  les  transporter  hors  d'Ir- 
lande pour  le  service  des  puissances  du  continent.  Il  fit 
donner  avis  aux  ministres  de  France  et  d'Espagne  à  Lon- 
dres, de  l'autorisation  qu'il  accordait.  Beaucoup  d'oflicicrs 
royalistes.  Anglais  comme  Irlandais,  sans  emploi  et  sans 
ressources,  virent  s'ouvrir  là,  pour  eux,  un  avenir,  et  s'of- 
frirent aux  agents  étrangers  pour  lever  et  transporter  en 
Espagne  ou  en  France  des  régiments.  Don  Alonzo  de  Car- 
denas,  ministre  d'Espagne  en  Angleterre,  et  le  cardinal 
Mazarin  saisirent  cette  offre  avec  empressement;  environ 
vingt-cinq  mille  Irlandais  furent  en  peu  de  mois  enrôlés 
pour  l'Espagne,  et  vingt  mille  pour  la  France  ;  et  ce  terri- 
toire catholique,  sur  lequel  Ormond  avait  peine  à  tenir 
rassemblé,  pour  le  service  du  roi,  un  corps  de  huit  à  dix 

*  Carlyle,  Cromwcll's  Lcllcrs  (14  nov.  1049),  l.  1,  p.  489  ;  —  Clarendon, 
Hist.  of  llie  Rébellion,  1.  xir,  c.  147;  1.  xiii,  c.  111;  -  Wliitelocke,  p.  426;  — 
Godvvin,  Hisl.  of  the  Commonweallh,  l.  III,  p.  1!>1. 


U  CR03IWELL  EST  RAPPELÉ 

mille  hommes,  se  déchargea,  sur  l'Espagne  et  la  France, 
de  plus  de  quarante  mille  soldats  ennemis  du  Parlement  i. 

Tant  de  succès,  militaires  et  politiques,  si  rapidement 
obtenus  et  habilement  célébrés  par  de  zélés  amis,  causèrent 
bientôt  au  Parlement  presque  autant  d'alarme  qu'ils  lui 
donnaient  de  sécurité.  Cromwell  à  Londres  était  à  tout 
moment  un  sujet  d'embarras;  mais  Cromwell,  si  puissant 
et  si  glorieux  en  Irlande,  menaçait  de  plus  en  plus  l'avenir. 
Le  bruit  se  répandait  d'ailleurs  que  Charles  Stuart,  par 
suite  de  nouvelles  négociations  avec  les  Ecossais,  était  près 
de  se  rendre  en  Ecosse;  on  aurait  probablement  besoin  de 
Cromwell;  le  8  janvier  4650,  on  résolut  de  le  rappeler,  et  le 
conseil  d'État  eut  ordre  de  l'en  informer.  11  était  alors  en 
quartiers  d'hiver,  à  peine  remis  d'une  assez  grave  indispo- 
sition. Il  rentra  soudain  en  campagne,  recommençant  vive- 
ment, à  travers  l'Irlande,  ses  courses  et  ses  sièges.  Le  25  fé- 
vrier, on  lut ,  dans  le  Parlement,  des  lettres  de  lui  qui 
annonçaient  de  nouveaux  succès  :  on  vota  d'abord  qu'il  en 
serait  officiellement  remercié,  puis,  que  de  retour  à  Lon- 
dres, il  aurait  à  sa  disposition,  pour  s'y  loger,  le  Cockpit, 
portion  du  palais  de  Whitehall,  et  le  palais  de  Saint- James, 
avec  le  commandement  du  Parc.  La  femme  et  la  famille  de 
Cromwell  firent,  bien  qu'avec  quelque  répugnance,  leurs 
préparatifs  pour  s'y  établir;  pour  lui,  il  continua  de  rester 
et  de  vaincre  en  Irlande.  Le  2  avril  enfin,  il  écrivit  au 
Parlement  : 

«  J'ai  reçu  divers  avis  particuliers  de  votre  intention 
que  je  me  rende  auprès  de  vous  en  Angleterre,  ainsi  que 
la  copie  des  votes  du  Parlement  à  cet  effet.  Mais,  ne  sachant 
cela  que  par  des  avis  particuliers,  et  les  votes  se  référant  à 


^  Clarendon,  Hisl.  ofthe  Rébellion,  1.  xii,  c.  148-149;  —  Carlyle,  Crom- 
xvell's  Lelters,  t.  I,  p.  513. 


D'IRLANDE  (janvier  1630).  85 

une  lettre  qui  devait  m'êtrc  adressée  par  l'orateur,  j'ai 
pensé  qu'il  y  aurait  témérité  de  ma  part  à  quitter  mon 
poste  avant  d'avoir  reçueette  lettre;  je  ne  pouvais  d'ailleurs 
deviner  si  elle  porterait  un  ordre  absolu  ou  si  le  Parlement 
me  laisserait  la  liberté  d'examiner  quand  et  comment  je 
devais  obéir.  Voire  lettre  m'est  parvenue  le  vendredi 
22  mars,  le  jour  même  où  j'arrivais  devant  la  place  de 
Kilkenny.  J"ai  appris  par  le  docteur  Cartwright,  qui  me  l'a 
remise,  que  les  vents  contraires  et  le  défaut  d'embarcations 
dans  nos  ports  de  l'ouest  l'avaient  empêché  de  partir  plus 
tôt.  Votre  lettre  porte  la  date  du  8  janvier  et  je  ne  l'ai  reçue 
que  le  22  mars.  Elle  suppose  en  outre  que  votre  armée  est 
en  quartiers  d'hiver,  ne  pouvant  rien  faire  dans  cette  saison 
de  l'année,  et  c'était  là  le  motif  de  votre  ordre;  or  vos 
troupes  ont  toujours  été  en  action  depuis  le  29  janvier.  Je 
n'ai  donc  su  que  faire...  J'ai  humblement  pensé  que  mon 
devoir  était  de  vous  demander  humblement  quelle  est  pré- 
cisément votre  volonté  ;  car,  je  le  dis  comme  devant  Dieu, 
je  suis  prêt  et  empressé  d'obéir  à  vos  ordres  ;  mon  unique 
désir  est  d'accomplir  l'œuvre  à  laquelle  je  suis  appelé  par 
ceux  que  Dieu  a  établis  au-dessus  de  moi,  ce  que  vous  êtes 
bien  certainement  à  mes  yeux  ;  je  vous  supplie  donc  hum- 
blement de  me  dire  si  votre  lettre  ne  me  laisse  pas  la  liberté 
de  vous  demander  une  expression  plus  claire  de  vos  com- 
mandements; elle  me  trouvera,  quand  je  l'aurai  reçue,  tout 
prêt  à  une  prompte  et  facile  soumission  '.  » 

Il  avait  gagné  autant  de  temps  qu'il  avait  voulu,  et  pen- 
dant qu'il  tardait,  le  cours  des  événements  faisait  pour  lui, 
de  son  retour  à  Londres,  une  nouvelle  occasion  de  pouvoir 
et  de  grandeur. 


'  Carlyle,  CromweU's  LeUers,  t.   I,  p.  507,  514-316;  —  yoMOia/»  o/"  </*« 
Houte  of  commons,  t.  VI,  344,  371. 

i.  8 


86  CHARLES  11 

Quand  Charles  II,  après  avoir  quitté  la  Haye  pour  aller 
faire,  à  Saint-Germain,  une  visite  à  la  reine  sa  mère,  apprit 
avec  certitude  que  Cromwell  prenait  le  gouvernement  de 
l'Irlande,  il  hésita  de  plus  en  plus  à  s'y  rendre,  se  souciant 
peu  de  jouer,  sur  un  terrain  si  périlleux  et  contre  un  si 
rude  adversaire,  son  avenir  et  sa  vie.  Il  passa  trois  mois  à 
Saint-Germain,  monotone  séjour  que  la  cour  de  France 
cherchait  peu  à  lui  rendre  agréable,  et  dont  les  tracasseries 
impérieuses  de  sa  mère  ne  dissipaient  pas  l'ennui.  A  la  nou- 
velle de  la  défaite  d'Ormond  devant  Dublin,  le  premier 
mouvement  du  jeune  prince  fut  de  partir  et  de  se  jeter  en 
Irlande  au  milieu  de  la  lutte.  A  ceux  qui  lui  disaient  qu'il 
n'y  fallait  pas  aller  pour  prendre  sa  part  de  cette  déroute, 
il  répondit  :  <i  II  faut  donc  y  aller  pour  mourir,  car  il  est 
honteux  pour  moi  de  vivre  ailleurs.  » —  «  Ce  discours  pa- 
raissait procéder  d'un  grand  cœur,  dit  madame  de  Motte- 
ville,  qui  vivait  presque  aussi  intimement  avec  la  reine 
Henriette-Marie  qu'avec  Anne  d'Autriche;  les  plus  grands 
hommes  de  l'antiquité  n'ont  pas  mieux  parlé  ;  mais  de  jeunes 
gens  passent  aisément  de  cette  roide  vertu  au  relâchement  ; 
ils  souffrent  ensuite  "avec  indifférence  des  maux  qui  leur  ont 
d'abord  paru  les  plus  insupportables  de  la  vie,  et  le  plaisir 
qu'ils  rencontrent  en  cette  même  vie  en  est  cause.  C'est  ce 
qui  arriva  à  ce  prince.  »  Ses  propres  courtisans  ne  tardè- 
rent pas  à  s'en  apercevoir  :  «  Les  princes  étrangers,  écrivait 
l'un  d'eux  au  marquis  d'Ormond,  commencent  à  regarder 
le  roi  comme  un  homme  si  indolent  et  si  peu  soucieux  de 
ses  propres  affaires  qu'ils  ne  croient  pas  sûr  pour  eux-mêmes 
d'irriter,  en  venant  à  son  aide,  des  ennemis  aussi  puissants 
que  le  deviendront  probablement  ses  rebelles  sujets.  » 
Charles  ressentit  bientôt  les  effets  de  cette  disposition;  le 
cardinal  Mazarin  lui  donna  clairement  à  entendre  que  son 
séjour  prolongé  à   Saint-Germain  devenait   im  embarras 


A  JERSEY  (1649).  87 

pour  la  cour  de  France,  qui  ne  voulait  pas  se  brouiller  avec 
la  République  d'Angleterre;  la  reine  Honriclte-Maric  elle- 
même,  qui  avait  besoin  du  bon  vouloir  de  Mazarin,  engagea 
son  fils  à  comprendre,  sans  explications  plus  précises,  le 
désir  du  cardinal;  et  vers  le  milieu  de  septembre  1049, 
Cbarlcs  se  mit  en  route  à  travers  la  Normandie,  pour  aller 
s'établir  dans  l'île  de  Jersey,  seul  point  de  ses  États  dont  il 
fût  encore  en  possession  '. 

A  peine  y  étaif-il  arrivé  qu'il  reçut  d'Irlande  la  nouvelle 
du  désastre  de  Drogbcda,  et  presque  au  même  moment  le 
parlement  d'Ecosse  lui  fit  demander  de  reprendre  les  négo- 
ciations entamées  à  la  Haye,  pour  le  rappeler  dans  son 
royaume.  Depuis  que  cette  première  tentative  avait  échoué, 
le  sentiment  général  du  peuple  écossais  en  faveur  du  roi 
n'avait  pas  cessé  de  se  manifester  ;  plusieurs  insurrections 
royalistes  avaient  éclaté  sur  divers  points  du  royaume;  et 
quoique  le  Parlement  presbytérien  les  eût  prompteraent 
réprimées,  ses  chefs,  Argyle  entre  autres,  comprirent  qu'ils 
ne  pouvaient  se  dispenser  de  faire  de  nouveau,  auprès  de 
Charles  et  pour  son  retour,  un  effort  sérieux,  ou  du  moins 
une  éclatante  démonstration.  Les  pi'opositions  qu'apporta  à 
Jersey  leur  envoyé,  Winram  de  Liberton,  étaient  au  fond 
les  mêmes,  et  aussi  dures  que  celles  que  Charles  avait  na- 
guère repoussées  à  la  Haye  ;  mais  sa  situation  était  affai- 
blie ;  en  Angleterre  et  en  Irlande,  ses  ennemis  triomphaient; 
de  Paris  et  de  la  Haye,  sa  mère  et  son  beau-frère  le  |)res- 
saient  plus  vivement  que  jamais  d'accepter  les  propositions 
des  Écossais,  lui  écrivant  l'une  que  la  cour  de  France,  l'autre 
que  le  peuple  de  Hollande  étaient  décidément  de  cet  avis. 
Charles  voulut  consulter  Ormond;  Ormond  répondit  qu'il 

'  Mémoires  de  madame  de  Molleville,  t.  III  ,  p.  ô'd,  553,  collection  l'clilot  ,- 
—  Carie,  Ormohd's  Lcllers,  l.  I,  |).  518;  —  Claiciidun,  flint.  of  Ihc  Rébel- 
lion, 1.  XII,  c.  73-77. 


88  EXPÉDITION  DE  310NTR0SE 

n'y  avait  rien  à  espérer  si  l'on  ne  parvenait  pas  à  susciter  la 
guerre  entre  l'Angleterre  et  l'Ecosse,  et  à  opérer  ainsi  une 
diversion  qui  permît  aux  royalistes  irlandais  de  reprendre 
haleine  et  de  tenter  de  nouveaux  efforts.  A  peu  près  tous 
ceux  des  conseillers  intimes  de  Charles  qui  se  trouvaient 
auprès  de  lui  insistaient  dans  le  même  sens  :  il  se  résigna, 
et  soit  que  Jersey  parût  un  lieu  incommode  pour  négocier, 
soit  pour  gagner  encore  du  temps,  il  donna  rendez-vous 
aux  commissaires  écossais  à  Bréda,  ville  du  domaine  pro- 
pre de  son  beau-frère  le  prince  d'Orange,  et  où  il  se  sentait 
parfaitement  libre  et  sûr.  Mais  ne  portant  ni  goût  ni  con- 
fiance à  la  négociation  qu'il  acceptait,  il  écrivit  à  Montrose 
occupé  à  chercher  en  Allemagne  de  l'argent  et  des  soldats  : 
<;  Je  vous  conjure  de  poursuivre  vigoureusement,  avec  vo- 
tre courage  et  vos  soins  accoutumés,  les  affaires  que  je  vous 
ai  confiées  ;  ne  vous  laissez  pas  troubler  par  ce  que  vous 
pourrez  entendre  dire  que  je  suis  autrement  disposé  envers 
les  presbytériens  que  je  ne  l'étais  quand  je  vous  ai  quitté.  Je 
suis  toujours,  je  vous  l'assure,  dans  les  mêmes  principes 
que  vous  m'avez  vus,  et  je  compte  autant  que  jamais  sur  vos 
entreprises  et  vos  efforts  pour  mon  service  ^  » 

Montrose  n'avait  nul  besoin  d'être  excité;  passionnément 
orgueilleux  et  dévoué,  il  avait  foi  dans  sa  cause,  en  lui-même 
et  dans  sa  destinée.  Une  prédiction  populaire  avait  dit  qu'il 
remettrait  le  roi  sur  son  trône;  il  tenait  de  Charles  tous  les 
pouvoirs  dont  il  avait  besoin  pour  agir.  Il  parcourut  les 
Pays-Bas,  l'Allemagne,  le  Danemark,  la  Suède,  cherchant 
partout  les  moyens  d'accomplir  sa  mission,  voyant  chaque 
jour  manquer  quelqu'un  de  ceux  qu'il  s'était  promis,  et  se 

»  19  sept.  1649;  —  Wishart,  ^/j/j.,  12,  13, 15;  —  Malcolm  Laing,  ffjs<.  «/" 
Scolland,  l.  III,  p.  Ul,  581;  —  Clarendon,  Hist.  of  ihe  Rébellion,  1.  xii, 
c.  118-125;  —  Carie,  Ormond's  Lettcrs,  l.  I,  p.  338,  356;  —  Whilelocke, 
p.  428,  429. 


EN  ECOSSE  (1650).  89 

remettant  chaque  jour  à  l'œuvre  avec  la  même  conviction 
et  la  même  ardeur.  Cette  partie  de  l'Europe,  surtout  la 
Suède,  était  alors  devenue  la  seconde  patrie  d'un  grand 
nombre  d'officiers  écossais  qui,  après  avoir  servi  sous 
Gustave-Adolphe,  dans  la  guerre  de  Trente  ans,  s'y  étaient 
établis  avec  la  fortune  et  le  renom  qu'ils  avaient  acquis. 
Montrose  vivait  avec  eux  en  bon  compagnon  de  guerre  ou 
de  fête,  charmant  les  uns  par  l'éclat  de  ses  espérances,  atti- 
rant les  autres  par  ses  libéralités,  et  ils  lui  avaient  tous 
promis,  pour  sa  grande  entreprise,  l'appui  de  leur  crédit 
ou  de  leur  personne,  quelques-uns  même  de  leur  argent. 
Le  roi  de  Danemark  et  plusieurs  petits  princes  d'Allemagne 
lui  avaient  donné  des  assurances  semblables.  Quand  il  se 
crut  près  d'entrer  en  action,  il  publia,  de  Copenhague  ',  une 
déclaration  annonçant  et  justifiant  son  entreprise,  et  invi- 
tant tous  les  fidèles  sujets  du  roi  à  venir  le  joindre  en  Ecosse 
pour  l'accomplir;  puis  il  assigna  Hambourg  comme  lieu  de 
rendez-vous  à  ses  recrues,  et  s'y  fixa  lui-même,  avec  plus 
de  faste  qu'il  ne  convenait  à  ses  ressources,  pour  les  atten- 
dre, les  organiser  et  les  faire  partir  ^. 

Les  recrues  vinrent  lentement  et  en  petit  nombre;  la  cour 
de  Danemark  était  zélée,  mais  pauvre;  la  reine  Christine 
de  Suède,  qui  s'était  d'abord  montrée  favorable,  se  prit  tout 
à  coup  d'admiration  pour  la  République  d'Angleterre  et 
pour  Crorawell.  Montrose  réunit  à  grand'peine,  à  Hambourg 
et  à  Golhcmbourg,  douze  cents  hommes  assez  mal  armés; 
une  première  division,  qu'il  fit  partir  en  septembre  1G49, 
périt  en  mer  ;  la  seconde,  sous  les  ordres  du  comte  de  Kin- 


1  En  décembre  1649  ;— Wisliart,  Memoirs  of  Montrose, Appendix,  ii»XIX. 
p.  454-^38. 

*  Clai-endon,  Hist.  of  ihe  Rébellion,  I.  xii,  c.  40,  128,  129;  -  Wishiir(, 
Memoirs  of  Monlrose,  p.  561-369  ;  -  Wliitelocke,  p.  42G,  430,  434,  435, 
436. 


90  EXPEDITION  DE  MONTROSE 

noul ,  arriva  heureusement  à  Kirkwall,  chef-lieu  de  l'ile  de 
Pomona,  la  principaledesOfcad.es,  et  s'y  établit  en  attendant 
son  général.  lAFontrose  allendait,  de  son  rôle,  et  des  recrues 
nouvelles,  et  des  soulèvements  que  lui  avaient  promis  les 
royalistes  des  montagnes  d'Ecosse.  Mais  les  premiers  essais 
d'insurrection,  commencés  trop  tôt,  avaient  été  trop  faci- 
lement réprimés  '  :  l'ien  n'éclata  ;  les  amis  de  Monlrose  lui 
écrivirent  que  sa  présence  était  indispensable  et  serait  cer- 
tainement efficace.  Il  partit  enfin,  et  débarqua  aux  Orcades, 
dans  les  premiers  jours  de  mars  IGSO,  avec  cinq  cents 
hommes  et  quelques  nobles  écossais  dévoués  à  sa  j)ersonnc 
et  à  sa  fortune. 

Peu  avant  son  arrivée ,  et  en  réj)onsc  h  sa  déclaration, 
l'Eglise  et  le  parlement  d'Ecosse  avaient  publié  contre  lui 
deux  autres  déclarations,  siiigulièi'cment  violentes,  même 
dans  ce  temps  de  passions  déchaînées  ^  ;  li  Non  qu'il  vaille 
la  peine,  y  disait-on,  de  réfuter  les  calomnies  de  James 
Graham,  celte  vipère  de  la  semence  de  Satan,  que  depuis 
longtemps  le  Parlement  a  déclaré  traître,  que  l'Église  a 
livré  aux  mains  du  diable,  et  que  toute  la  nation  abhorre; 
niais  parce  que  le  silence  pourrait  être  mal  interprété,  et 
que  quelques  esprits  faibles  se  laisseraient  peut-être  abuser 
par  les  assertions  audacieuses  de  cet  impudent  fanfaron  qui 
se  présente  au  monde  comme  revelu  de  l'auloiilé  de  Sa  3Ia- 
jesté,  sous  le  litre  de  lieutenanl-gouverneur  et  capitaine 
général  de  ce  royaume.  »  Tous  les  anciens  griefs  du  parti 
dominant,  et  les  variations  de  conduite  imputées  à  Montrosc 
à  l'origine  des  discordes  civiles ,  et  les  cruautés  dont  on 
l'avait  accusé  pendant  sa  campagne  de  1G45  pour  Charles  I", 
étaient  habilement  résumés  dans  ces  deux  actes  que  toutes 

i  Browne,  Hist.  of  ihc  Highlandx,  t.  II,  p.  26,  28. 
»  Les  2  cl  24  junvicr  1()50  ;  —  Wishart,  Appcndix,  ii"s  XX  cl  XXI,  p.  458- 
491. 


EN  ECOSSE  (16S0).  91 

les  chaires  presbytériennes  se  chargèrent  de  commenter; 
et  au  moment  où  il  remettait  le  pied  sur  le  sol  d'Ecosse, 
les  colères  et  les  terreuis  du  peuple  s'unirent,  contre  .Mont- 
rose,  aux  haines  et  aux  alarmes  de  ses  rivaux. 

En  débarquant  à  l'extrémité  septcnlrionale  deTÉcossc, 
il  déploya  un  peu  fastueusement  trois  bannières,  deux  au 
nom  du  roi,  dont  Tune  portait  Timage  de  la  léte  coupée  de 
Charles  I",  avec  ces  mots  :  «  Juge,  ô  Seigneur,  et  venge 
ma  cause  ;  »  sur  la  troisième,  qui  était  la  sienne  propre,  un 
bras  nu  tenant  une  épée  sanglante,  sur  un  fond  noir,  et 
cette  devise  :  Ail  médium.  Puis  il  avança  lentement  à  travers 
les  comtés  dcCaithness  et  de  Sutherland,  attendant,  du  pays 
même,  des  renforts  qui  ne  venaient  point ,  apprenant  au 
contraire  que  des  chefs,  sur  qui  il  avait  compté,  se  ran- 
geaient du  côté  du  Parlement,  et  visiblement  surpris  et 
troublé  du  peu  de  bruit  que  faisaient  son  nom  et  ses  pas. 
Le  gouvernement  d'Edimbourg,  pendant  qu'un  corps  d'ar- 
mée considérable  se  rassemblait  sous  les  ordres  de  David 
Leslie,  envoya  en  avant  quebjues  escadrons  de  cavalerie 
commandés  parle  lieutenant-colonel  Strachan,  sectaire  fou- 
geux  et  officier  hardi;  cinq  cents  hommes  d'infanterie, 
qu'avait  réunis  le  comte  de  Sutherland,  se  joignirent  aux 
cavaliers  de  Slrachan,  et  ils  étaient  ensemble  à  Tain,  sur  la 
côte  orientale  du  comté  de  Ross,  quand  ils  apprirent  que 
JMontrose  était  campé  à  quelques  lieues  seulement  et  se  gar- 
dait mal,  ignorant  que  l'ennemi  fût  déjà  si  près  de  lui. 
C'était  le  samedi  16  avril  ;  Strachan  hésitait  à  se  mettre  en 
marche,  ne  voulant  pas  courir  le  risque  d'avoir  à  combattre 
le  dimanche;  mais  un  mouvement  que  fit  Montrose  rappro- 
cha encore  les  deux  troupes;  Strachan  prit  son  parti  et 
s'avança  jusqu'à  une  lieue  du  camp  de  Montrose  établi  à 
Corbiesdale,  toujours  sans  information  et  mal  gardé.  Les 
escadrons  de  Strachan  le  chargèrent  à  l'improviste,  et  suc- 


92  DEFAITE  ET  ARRESTATION 

cessivement,  comme  s'ils  eussent  été  l'avant-garde  d'une 
armée.  Montrose  voulut  se  replier  sur  un  bois  voisin  ;  les 
soldais  qu'il  avait  amenés  d'Allemagne  combattirent  vaillam- 
ment; mais  les  recrues  faites  dans  les  Orcades  se  débandè- 
rent ;  avec  sa  bravoure  accoutumée ,  il  essaya,  mais  en  vain, 
de  les  rallier;  son  cheval  fut  tué  sous  lui ,  et  il  eût  été  pris 
sur  le  champ  de  bataille  si  son  ami,  lord  Frendraught,  ne 
lui  eût,  à  l'instant,  donné  le  sien.  Ce  ne  fut  plus  qu'une  dé- 
route et  un  massacre  ;  dix  officiers  et  plus  de  trois  cents  sol- 
dats furent  tués;  parmi  les  prisonniers,  au  nombre  de  plus 
de  quatre  cents ,  cent  Irlandais  furent  fusillés.  Montrose 
s'éloigna  à  toute  bride,  et  dès  qu'il  fut  hors  de  vue,  il  sauta 
à  bas  de  cheval,  jeta  son  habit,  son  Saint-George  et  son 
cordon  de  la  Jarretière,  prit  les  vêtements  d'un  paysan,  et 
s'enfonça  à  travers  champs,  cherchant  un  asile.  Il  erra 
quinze  jours  dans  les  montagnes  des  comtés  de  Ross  et  de 
Sutherland,  tantôt  accueilli  avec  ferveur,  tantôt  repoussé 
avec  effroi,  souvent  exténué  de  fatigue  et  de  faim,  ets'ef- 
forçant  de  gagner  la  côte.  Le  3  mai ,  soit  malheur,  soit  tra- 
hison, il  fut  découvert  et  arrêté  dans  une  chaumière,  sur 
les  terres  de  Neil  Macleod,  seigneur  d'Assynt,  jadis  l'un  de 
ses  partisans,  qui  le  livra,  pour  quatre  cenls  balles  de  farine, 
au  parlement  écossais:  et  on  le  conduisit  delà  dans  les 
châteaux  de  Skibo  et  de  Braan,  où  arriva  l'ordre  de  le  trans- 
férer immédiatement  à  Edimbourg  '. 

Il  était  dans  la  pire  des  situations  ;  il  avait  contre  lui  le 
gouvernement  et  le  peuple,  les  haines  profondes  de  ses 
rivaux  et  les  colères  brutales  de  la  multitude.  Elles  s'uni- 
rent sur  sa  route  pour  l'outrager,  sans  réussir  un  moment 
à  l'abattre.  II  soutint  avec  la  même  force  d'âme  les  injures 

I  Wishart,  p.  572-377;  —  Balfour,  Annals  of  Scotland,  t.  111,  p.  432; 
t.  IV,  p.  8-12;—  Browne,  Ifisl  ofllic  Highlands,  t.  Il,  p.  30-36;  —  Malcolm 
Laing,  Hist.  of  Scotland,  1. 111,  p.  442-444. 


DE  MONTROSE  (avril-mai  16S0).  93 

de  ses  ennemis  et  les  adieux  de  ses  enfants  qu'il  vit  en  pas- 
sant chez  son  beau-père,  le  comte  de  Soulhesk.Les  marques 
de  sympathie  ne  lui  manquèrent  pas  absolument:  au  château 
de  la  Grange,  où  il  logea  avec  son  escorte  peu  avant  d'ar- 
river à  Dundee,  la  dame  du  château  fit,  pendant  la  nuit, 
pour  le  faire  évader,  une  tentative  qui  fut  sur  le  point  de 
réussir;  et  à  Dundee  même  qui,  en  1645,  avait  eu  à  souf- 
frir de  ses  armes,  les  habitants,  loin  de  le  maltraiter,  lui 
témoignèrent  un  grand  respect ,  et  obtinrent ,  à  force 
d'instances,  de  ses  gardes  la  permission  de  lui  donner  des 
habits  convenables,  en  rem  lacement  des  vélemenls  gros- 
siers sous  lesquels  il  avait  été  arrêté  et  que,  par  insulte,  on 
l'avait  jusque-là  contraint  de  garder  '. 

II  arriva  le  i7  mai  à  Leilh,  près  d'Edimbourg.  Le  Parle- 
ment se  réunit  le  même  jour  et  vota  que  «  James  Graham, 
tête  nue  et  lié  par  une  corde  sur  une  charrette,  serait  con- 
duit par  le  bourreau,  en  costume  et  le  chapeau  sur  la  tète, 
depuis  la  porte  dite  Water  Gaie  jusqu'à  la  prison  d'Edim- 
bourg, et  amené  de  là  à  la  barre  du  Parlement  pour  y 
recevoir  à  genoux  sa  sentence  de  mort;  qu'il  serait  pendu 
à  un  gibet,  à  la  croix  d'Edimbourg,  avec  le  livre  qui  con- 
tenait l'histoire  de  ses  guerres  et  sa  récente  déclaration 
suspendus  à  son  cou;  et  qu'après  être  resté  pendu  durant 
trois  heures,  son  corps  serait  mis  en  quartiers  par  le  bour- 
reau, sa  tête  plantée  sur  une  pique  et  placée  sur  la  tour  à 
l'extrémité  de  la  prison,  ses  mains  et  ses  jambes  sur  les 
portes  de  Perth  et  de  Stirling,  d'Aberdcen  et  de  Glascow; 
que  si,  à  sa  mort,  il  montrait  quelques  signes  de  repcn- 
tance  et  pouvait  être  ainsi  relevé  de  l'excommunication  pro- 
noncée contre  lui  par  l'Église,  le  tronc  de  son  corps  serait 
enseveli  par   les  fossoyeurs,  dans   le   cimetière  de  Gray- 

»  Wisharl,  p.  379-382. 


U  PROCES 

Friars  ;  sinon,  il  serait  enterré  au  lieu  ordinaire  des  exécu- 
tions, sous  l'cchafaud,  pjir  les  valets  du  bourreau  ^  »  Les 
mœurs  de  ce  temps  étaient  encore  assez  dures  pour  que  la 
haine  des  ennemis  prît  plaisir  à  un  tel  spectacle,  et  que  les 
spectateurs  indifférents  en  fussent  plus  intimidés  que  ré- 
voltés. 

Le  lendemain,  en  effet,  à  quatre  heures  après  midi, 
Montrose  fut  conduit,  sur  un  vieux  cheval  ércinté,  de  Lcith 
à  la  porte  d'Edimbourg,  où  les  magistrats  municipaux  le 
reçurent  en  robes,  escortés  de  leur  garde  et  du  bourreau. 
On  lui  remit  une  copie  de  la  sentence.  11  la  lut  et  la  rendit 
en  disant  :  «  Je  suis  prêt;  je  regrette  seulement  que  la  ma- 
jesté du  roi,  que  je  représente,  soit  si  indignement  traitée 
dans  ma  personne.  »  On  se  mit  en  marche  :  Montrose 
n'ôtait  pas  son  chapeau  ,  le  bourreau  le  lui  abattit  ;  trente- 
quatre  de  ses  officiers,  ses  compagnons  de  captivité,  mar- 
chaient, liés  deux  à  deux,  devant  la  charrette.  Sur  toute 
la  route,  une  grande  foule  était  réunie,  venue  avec  le  des- 
sein d'assaillir  iMontrose  de  ses  outrages;  mais  la  fermeté 
tranquille  de  son  maintien,  la  gravité  de  ses  regards.  Tin- 
domptable  courage  qui  éclatait  en  lui,  frappèrent  si  vive- 
ment ce  peuple  que  les  outrages  s'arrêtèrent,  le  silence 
s'établit  autour  du  cortège,  et  fut  même  interrompu  çà  et 
là  par  des  signes  de  compassion  et  par  des  prières  en  faveur 
de  rillustre  prisonnier.  Comme  le  cortège  passait  devant  la 
maison  du  comte  de  Moray,  la  charrette  s'arrêta  un  mo- 
ment; quelques  personnes  levèrent  la  tète;  elles  purent 
apercevoir  derrière  Une  fenêtre  enlr'ouvertc  le  marquis 
d'Argyle  avec  sa  famille  et  plusieurs  de  ses  amis  ;  il  avait 
voulu  repaître  ses  yeux  de  l'abaissement  de  cet  ennemi 
devant  lequel  il  avait  fui  cinq  ans  auparavant  2.  Quoique  la 

'   Bnlfour,  Aiwals  of  Scollaml,  I.  IV,  p.  12,  13. 

*  Ce  fait  est  coufirmc  par  une  lettre  de  Tagcnt  français  Graymond,  au 


DE  MONTROSE  (mai  ICSO).  9S 

distance  fût  à  peine  d'une  demi-lieue,  on  mit  trois  heures 
pour  aller  de  la  porte  de  la  ville  à  la  prison  ;  en  descen- 
dant de  charrette,  Montrose  donna  quelque  argent  au  bour- 
reau, pour  avoir  si  bien  conduit,  dit-il,  «  son  char  de 
triomphe.  »  Le  Parlement  était  en  séance  ;  cinq  commis- 
saires vinrent  à  la  prison  demander  <:  à  James  Graham  s'il 
avait  quelque  chose  à  dire  en  attendant  qu'il  fût  amené 
devant  la  Chambre  pour  recevoir  sa  sentence?  »  Le  Parle- 
ment attendait  leur  retour;  ils  rapportèrent  que  Montrose 
avait  refusé  de  répondre  jusqu'à  ce  qu'il  sût  où  en  était  le 
Parlement  avec  le  roi,  et  s'il  avait  conclu  avec  lui  quelque 
arrangement.  Sept  commissaires  lui  furent  aussitôt  ren- 
voyés pour  l'interroger,  en  lui  disant  qu'un  arrangement 
avait  été  conclu  avec  le  roi  qui  était  sur  le  point  de  venir 
en  Ecosse.  Un  peu  ému  sans  doute  de  cette  nouvelle,  Mont- 
rose s'excusa  de  répondre,  disant  que  son  voyage  avait  été 
long,  et  qu'après  la  réception  cérémonieuse  et  un  peu  fati- 
gante qu'on  venait  de  lui  faire,  il  avait  besoin  de  quehpie 
repos  \ 

Quand  il  fut  conduit  le  surlendemain  à  la  barre  du  Par- 
lement, il  se  donna  le  plaisir  de  suivre  son  naturel  et  de 
paraître  devant  ses  ennemis  avec  éclat.  Il  portait  un  riche 
vêtement  de  soie  noire  couvert  de  broderies  en  argent,  et 
par-dessus  un  manteau  éearlate  orné  aussi  de  galons  d'ar- 
gent et  bordé  de  taffetas  cramoisi.  Un  chapeau  de  castor 
avec  un  large  rebord  en  argent  couvrait  sa  tète.  Amené  h 
la  place  un  peu  élevée  où  se  tenaient  les  criminels,  il  pro- 

cardinal  Mazarin,  dalcc  crF.Jimhoiirg  le  31  mai  iC50:  «  riusieurs  prirent 
garde,  et  en  ont  bien  discouru  depuis,  tju'uu  fil  lialle  vis-îi-vis  la  maison  du 
comte  de  Moray,  où  esloit  entre  autres  M.  le  marquis  d'Argyle,  qui  considé- 
roit  son  ennemi  par  une  fencslrc  enlr'oiiverte.  »  {Archives  des  A/fuins 
clrangvres  de  France.) 

1  Wisharl,  p.  3»3-38Gi  —  Ballour,  I.  IV,  p.  H. 


m  PROCES  ET  EXECUTION 

mena  ses  regards  autour  de  lui,  le  visage  pâle  et  fatigué, 
mais  plein  d'une  fermeté  vraie,  quoique  préparée.  Le  chan- 
celier, lord  Loudon,  lui  adressa  un  discours  long  et  amer 
qui  concluait  en  disant  :  «  Qu'à  raison  des  meurtres,  des 
trahisons  et  des  impiétés  en  si  grand  nombre  dont  il  s'était 
rendu  coupable,  Dieu  le  condamnait  maintenant  à  subir 
un  juste  châtiment,  n  Montrose  obtint,  non  sans  peine,  la 
permission  de  dire  quelques  mots  pour  sa  défense  ;  il  le  fit 
avec  une  fierté  mesurée  et  qui  n'était  pas  sans  adresse, 
comme  s'il  eût  attendu  de  ses  paroles  quelque  résultat  ;  «  Il 
considérait,  dit-il,  le  Parlement  comme  siégeant  sous  l'au- 
torité du  roi;  c'est  pourquoi  il  paraissait  devant  eux  avec 
le  respect  convenable  et  en  se  découvrant,  comme  il  venait 
de  le  faire,  ce  qu'autrement  il  n'eût  pas  fait  de  plein  gré.  » 
Il  se  défendit  des  cruautés  qu'on  lui  avait  reprochées  pen- 
dant la  guerre,  disant  :  «  Qu'il  n'était  pas  au  pouvoir  des 
plus  grands  généraux  de  prévenir,  dans  leurs  armées,  tous 
les  désordres,  qu'il  y  avait  toujours  fait  tous  ses  efforts,  et 
qu'il  n'avait  jamais  versé  le  sang,  même  de  ses  plus  acharnés 
ennemis,  ailleurs  que  sur  le  champ  de  bataille.....  Je  vous 
demande  à  vous  tous  ici  assemblés,  dit-il  en  finissant, 
d'écarter  toute  prévention,  toute  animosité  particulière, 
tout  désir  de  vengeance,  de  ne  tenir  compte,  dans  ma 
cause,  que  de  la  justice,  et  de  voir  en  moi  un  sujet  obéis- 
sant qui  a  fidèlement  exécuté  les  ordres  de  son  souverain. 
J'ai  pu,  quand  j'avais  l'autorité,  détruire  la  vie  et  la  for- 
tune de  plusieurs  d'entre  vous  ;  je  vous  les  ai  conservées. 
Jugez-moi  selon  les  lois  de  Dieu,  les  lois  de  la  nature  et  des 
nations,  surtout  selon  les  lois  du  pays.  Si  vous  ne  le  faites 
pas,  j'en  appellerai  au  juste  Juge  du  monde,  à  celui  qui  nous 
jugera  tous  à  la  fin,  et  qui  prononcera  la  vraie  sentence.  i> 
Le  chancelier  lui  répliqua  avec  colère  et  invectives.  Mont- 
rose  essaya  de  reprendre  la  parole.  On  la  lui  interdit,  en 


DE  MONTROSE  (21  mai  16K0).  97 

lui  ordonnant  de  se  mettre  à  genoux  pour  entendre  sa  sen- 
tence :  <(  Je  le  fais,  dit-il,  pour  rendre  honneur  au  roi  mon 
maître,  et  non  au  Parlement.  »  L'exécution  fut  fixée  au  len- 
demain *. 

Dans  la  soirée,  les  ministres  presbytériens  et  les  magis- 
trats d'Edimbourg  assiégèrent  Montrose  de  leur  présence 
pour  lui  arracher  quelque  parole  qui  impliquât  la  recon- 
naissance du  droit  de  leur  Église  et  de  leur  gouvernement. 
Leur  insistance  acharnée  ne  fit  qu'exalter  son  âme  :  «  Je 
vous  remercie,  leur  dit-il,  de  l'honneur  que  vous  me  faites; 
je  suis  plus  fier  d'avoir  ma  tète  plantée  sur  la  porte  de  la 
prison  que  je  ne  le  serais  de  savoir  une  statue  d'or  érigée 
pour  moi  sur  la  place  du  marché,  ou  mon  portrait  placé 
dans  la  chambre  du  roi.  Vous  dispersez  mon  corps  dans  les 
quatre  principales  villes  du  royaume;  je  voudrais  qu'on  en 
pût  envoyer  un  lambeau  dans  toutes  les  villes  de  la  chré- 
tienté pour  attester  ma  fidélité  à  mon  roi  et  à  mon  pays,  n 
Il  passa  la  nuit  à  prier  et  à  faire  des  vers  où  il  exprima  en 
termes  grands,  quoique  subtils  et  contournés,  les  mêmes 
sentiments.  Dès  le  matin  du  21  mai,  les  tambours  et  les 
trompettes  retentirent  dans  toute  la  ville;  il  en  demanda  la 
raison  au  capitaine  de  sa  garde  qui  lui  dit  qu'on  appelait  les 
soldats  et  les  bourgeois  aux  armes  parce  qu'on  craignait 
une  tentative  d'une  portion  du  peuple  pour  le  sauver. 
«(  Comment  donc  ,  dit  Montrose  ,  ces  bonnes  gens  ,  qui 
avaient  si  grand'pcur  de  moi  quand  je  vivais,  en  ont-ils 
encore  peur  quand  je  vais  mourir? Qu'ils  y  prennent  garde; 
c'est  quand  je  serai  mort  que  j'assiégerai  leur  conscience  et 
que  je  serai  bien  plus  redoutable  que  de  mon  vivant.  »  Il 
se  mit  à  sa  toilette,  qu'il  fit  avec  grand  soin  :  pendant  qu'il 
s'en  occupait,  sir  Archibald  Johnston,  l'un  de  ses  plus  ar- 

*  Wisharl,  p.  386-392  ;  -  Balfour,  t.  IV,  p.  16. 


98  LES  COMMISSAIRES  ECOSSAIS 

dents  ennemis  et  greffier  du  parlement,  s'étonna  avec  quelque 
dérision  que,  dans  une  situation  pareille,  un  homme  s'occu- 
pât si  frivolement  de  sa  personne  :  «  Tant  que  ma  tèle  est  à 
moi,  lui  dit  Montrose,  je  l'arrange  comme  il  me  convient; 
demain,  quand  elle  sera  à  vous,  vous  en  ferez  ce  qu'il  vous 
plaira.  »  Il  sliabiila  magnifiquement,  et  jeta  sur  ses  épaules 
un  beau  manteau  de  velours  écarlate,  brodé  en  or,  que 
venaient  de  lui  envoyer  ses  amis.  En  allant  de  la  prison  au 
lieu  de  l'exécution,  son  grand  air  et  sa  contenance  fière  et 
calme  agirent  encore  plus  puissamment  que  la  veille  sur  les 
spectateurs.  Il  aida  lui-même  le  bourreau  à  suspendre  à  son 
cou,  selon  la  sentence,  l'histoire  de  ses  guerres  et  le  texte 
de  sa  dernière  déclaration  :  «c  Je  me  tiens,  dit-il,  pour  plus 
honoré  de  ceci  que  de  la  jarretière  que  j'ai  reçue  de  mon 
roi.  "  On  ne  lui  permit  pas  de  s'avancer  pour  parler  au 
peuple;  il  adressa  à  ses  voisins  quelques  paroles  très-persé- 
vérantes dans  les  sentiments  de  sa  vie,  mais  tranquilles  et 
pieuses.  Il  demanda  la  permission  de  mettre  son  chapeau 
pour  mourir  ;  on  le  lui  refusa  :  de  garder  son  manteau;  on 
le  lui  refusa  également  :  «  Si  vous  pouvez,  dit-il  aux  magis- 
trats assistants,  inventer  encore  quelques  marques  d'igno- 
minie, je  suis  prêt  à  les  endurer.  »  On  dit  qu'après  avoir 
obéi  au  signal  funèbre,  le  bourreau  lui-même  pleura,  qu'un 
murmure  douloureux  s'éleva  au  sein  de  la  foule,  et  qu'Ar- 
gylc,  en  entendant  les  détails  de  cette  grande  mort,  se 
montra  troublé  et  triste,  comme  frappé  de  quelque  rogrçt 
ou  d'un  pressentiment  de  son  propre  avenir  '. 

Les  commissaires  du  parlement  n'avaient  point  trompé 
Montrose  quand  ils  lui  avaient  dit  qu'ils  avaient  traité  avec 
le  roi  et  qu'il  était  près  de  revenir  au  milieu  d'eux.  Au  mo- 


1  Wistiarl.p.  392-iOo;  -  Bftlfoui-,  t.  IV,  p.  22;  -  Mulcolm  Lning,  Hist. 
of  Scollnnd,  t.  III,  p.  441-447,  582. 


A  BRÉDA  (I6S0).  99 

ment  même  où  Montrose  commençait  en  Ecosse  sa  coiirle 
ot  fatale  campagne,  Charles  recevait  à  Brëda  les  commis- 
saires écossais  et  reprenait  avec  eux  la  discussion  de  leurs 
dures  propositions.  11  y  eut,  autour  de  lui,  à  ce  sujel,  de 
vils  dissentiments  :  ses  plus  sensés  et  plus  honnêtes  con- 
seillers Texhorlaient  à  ne  pas  subir  un  tel  joug;  ils  voulu- 
rent s'appuyer  de  l'autorité  de  Hydc  en  qui  Charles  avait 
confiance  et  qu'il  venait  d'envoyer  en  ambassade  à  Madrid  : 
«  Si  le  roi  se  met  entre  les  mains  des  Écossais,  répondit 
Hydc  au  sccrélaire  d'État  Nicholas,  on  ne  pourra  pas  les 
accuser  de  l'avoir  trompé,  car  certainement  ils  ne  le  traite- 
ront pas  plus  mal  qu'ils  ne  le  promettent  en  demandant 
tout  ce  qu'ils  lui  demandent.  Je  voudrais  que  les  personnes 
qui  engagent  le  roi  à  y  consentir  agissent  aussi  rrauchc- 
ment,  et  qu'elles  dissent  nettement  au  roi  qu'il  doit  jurer 
le  eovcuant  et  l'imposer  à  tout  le  monde,  et  que  tous  de- 
vront l'observer.  Mais  dire  que  le  roi  doit  se  mettre  entre 
les  mains  des  Écossais  dans  l'espoir  qu'il  sera  dispensé  de 
jurer  le  covenant,  et  qu'il  pourra  en  dispenser  ses  amis,  ou 
que,  lui  et  nous,  nous  devons  prêter  ce  serment  et  le  violer 
ensuite  comme  i!  nous  ))laira  ,  c'est  là  une  folie  et  un 
athéisme  dont  nous  devrions  rougir  d'avoir  la  pensée.  Ah  ! 
M.  le  secrétaire,  si  j'étais  maintenant  à  Bréda,  je  m'enfui- 
rais aux  Indes  plutôt  que  de  m'engagcr  dans  de  tels  con- 
seils \  1) 

Tant  qu'il  y  eut  quchpie  incertitude  sur  l'issue  de  l'ex- 
pédition de  Montrose,  Charles  hésita;  son  bon  sens  et  sa 
dignité  le  rangeaient  à  l'avis  de  Hyde;  mais  lors(|u'on  sut,  à 
Bréda,  Montrose  battu,  fugitif  et  bientôt  prisonnier,  les 
conseillers  légers  et  de  peu  de  foi  remportèrent  ;  ils  avaient 


'  C]arcndon,  Slalc-Fapers,  (.  IIF,  p.  li;  —Carie,  Ormond's  Leltcn,  I.  I, 
p.  573j  —  Clarcndon,  liât,  ofllie  Rébellion,  1.  xii,  c.  120-127. 


100  CHARLES  II  VA  EN  ECOSSE  (juin  1680). 

pour  eux  la  reine  mère,  le  prince  d'Orange  et  cette  impa- 
tience de  l'attente  immobile  qui  est  la  maladie  de  l'exil.  Les 
amis  de  Hyde  ne  prirent  point  de  part  à  la  délibération  du 
conseil,  et  Charles  consentit  à  tout.  Il  promit  de  jui'er  le 
covenant  écossais,  de  désavouer  et  d'annuler  toute  paix  con- 
clue avec  les  Irlandais,  de  ne  jamais  permettre  le  libre 
exercice  de  la  religion  catholique  en  Irlande,  ni  dans  au- 
cune partie  de  ses  États,  de  reconnaître  l'autorité  des  parle- 
ments tenus  en  Ecosse  depuis  l'origine  de  la  guerre,  enfin 
de  gouverner,  dans  les  choses  civiles,  d'après  l'avis  du  Par- 
lement, et  dans  les  choses  religieuses,  d'après  celui  de 
l'Église.  Et  pour  donner  à  ses  promesses  la  sanction  d'un 
mensonge  éclatant,  il  écrivit  au  Parlement  qu'ayant  défendu 
à  Montrose  de  s'engager  dans  son  expédition,  il  ne  pouvait 
regretter  la  défaite  d'un  homme  qui  avait  osé  agir  contre 
son  autorité  '. 

On  dit  que  Charles  espérait  sauver  par  là  la  vie  de  Mont- 
rose,  et  que,  lorsqu'il  aj)prit  son  exécution,  il  fut  sur  le 
point  de  tout  rompre.  On  dit  aussi  qu'à  Edimbourg,  quand 
l'expédition  de  Montrose  éclata,  le  parti  violent  voulait 
rappeler  deBréda  les  commissaires  du  Parlement,  et  cesser, 
avec  Charles,  toute  négociation,  et  que  le  prompt  supplice 
de  Montrose  fut  la  satisfaction  que  les  modérés  donnèrent 
aux  fanatiques  pour  que  ceux-ci  continuassent  de  se  prêter 
au  retour  du  roi.  Aucune  trace  positive  n'est  restée  de  ces 
capitulations  mutuelles  ;  les  partis  ont,  comme  les  con- 
sciences, des  secrets  honteux  qu'ils  emploient  tout  leur  art 
à  couvrir.  Quoi  qu'il  en  soit,  on  s'en  tint,  de  part  et  d'au- 
tre, aux  faits  accomplis;  les  commissaires  écossais  se  décla- 
rèrent satisfaits  des  promesses  du  roi  ;  Charles  accepta  le 

»  Clarendon,  SlatePapers,  t.  lll,  p.  14-19;  —  Balfour,  t.  IV,  p.  24, 
25;  —  Lingitrd,  Hist.  of  Englund,  t.  XI,  p.  43;  -  Thurloe,  Slale-Papers, 
t.  I,  p.  147. 


CROMWELL  REVIENT  D'IRLANDE  (juin  1650).  101 
supplice  de  Montrose  comme  il  avait  accepté  sa  propre  hu- 
miliation; et  le  2  juin  1650,  il  s'embarqua  à  Terveere  pour 
l'Ecosse,  sur  une  flottille  que  le  prince  d'Orange  mit  à  sa 
disposition  '. 

Il  arriva,  trois  semaines  après,  sur  les  côtes  d'Ecosse; 
mais  avant  de  lui  laisser  mettre  pied  à  terre,  on  vint  le 
sommer  de  signer  le  covenant.  Les  grands  seigneurs  écos- 
sais qui  lui  avaient  conseillé  de  consentir  à  tout,  Hamilton 
et  Lauderdale  entre  autres,  se  séparèrent  de  lui  pour  se 
retirer  dans  leurs  terres  ;  ils  étaient  de  ceux  que,  dès  le 
22  mars  1649,1e  Parlement  presbytérien  avait  formellement 
exclus  de  toute  participation  aux  affaires  publiques;  et  leur 
présence  auprès  du  roi,  compromettante  pour  lui,  était, 
pour  eux,  pleine  de  danger.  Deux  jours  après  son  débar- 
quement, presque  tous  les  Anglais  qui  avaient  accompagné 
Charles  furent  expressément  renvoyés  du  royaume  ;  le  duc 
de  Buckingham,  lord  Wilmot  et  quelques  autres  de  sa  mai- 
son, les  plus  frivoles  ou  les  plus  hypocrites,  furent  seuls 
autorisés  à  rester  auprès  de  lui.  Le  Parlement  avait  minu- 
tieusement réglé  d'avance  la  route  qu'il  suivrait  pour  se 
rendre  dans  son  palais  de  Falkland,  à  quelques  lieues 
d'Edimbourg,  et  il  y  fut  conduit  avec  de  grandes  marques 
de  respect,  mais  étroitement  entouré  et  surveillé  ^. 

Au  même  moment,  Cromwell,  obéissant  enfin  au  Parle- 
ment, revenait  d'Irlande  en  Angleterre,  salué,  en  débar- 
quant à  Bristol,  par  le  concours  et  les  vivat  de  la  ville 
entière.  Dès  qu'on  le  sut  près  de  Londres,  Fairfax  et  la  plu- 
part des  officiers  de  l'armée  et  des  membres  du  Parlement 


'  Malcolm  Laing,  Hist.  of  Scotland,  t.  III,  p.  449;  —  Clarendon,  Sla(c- 
Papers,l.  III,  p.  22. 

*  Godwin,  Hisl.  of  tke  Commonwealth,  t.  III,  p.  206;  —  CInrendon,  Hisl. 
of  Ihe  Rébellion,  1.  xiii,  c.  2-i;  —  Malcolm  Laing,  Hist.  ofScolland,  t.  IM. 
p.  ioO. 

3 


102  CONFÉRENCE  AVEC  FAIRFAX 

allèrent  à  sa  rencontre  jusqu'à  Hounslow-Heath;  il  trouva 
à  Hyde-Park  le  lord  maire  et  la  milice  qui  rattcndaicnt;  et 
de  là  jusqu'au  palais  de  Saint-James,  où  il  devait  loger,  ce 
fut,  selon  l'expression  des  journaux  du  temps,  un  vaste  tu- 
multe de  salutations,  de  félicitations,  de  décharges  d'artil- 
lerie et  d'acclamations  humaines.  «  Quelle  foule  pour  voir 
le  triomphe  de  Votre  Seigneurie!  "  dit  à  Cronîwell  l'un  des 
assistants;  à  quoi  Cromwell  répondit  avec  son  libre  et  bru- 
tal bon  sens  :  «  H  y  en  aurait  bien  davantage  pour  me  voir 
pendre  '.  > 

Dès  qu'on  avait  eu  connaissance  à  Londres  de  l'expédition 
de  Montrose  dans  la   haute   Ecosse,   et  de  l'arrangement 
conclu  à  Bréda  entre  Charles  II  et  les  commissaires  écos- 
sais, le   Parlement  avait  sur-le-champ   donné  au   conseil 
d'État  tout  pouvoir  pour  repousser  toute  invasion,  et  voté 
une  notable  augmentation  de  l'armée.  Dès  que  Cromwell  fut 
de  retour  d'Irlande,  Fairfax  et  lui  furent  nommés,  l'un 
comme  général  en  chef,  l'autre  comme  lieutenant  général, 
pour  commander  ce  qu'on  appela  vaguement  *•  l'expédition 
du  Nord.  »  Ils  acceptèrent  tous  les  deux.  Mais  peu  de  jours 
après,  le  conseil   d'État  ayant  décidé  qu'au  lieu  d'attendre 
que  les  Écossais  envahissent  l'Angleterre,  l'armée  anglaise 
prendrait  l'initiative  et  porterait  la  guerre  en  Ecosse,  Fair- 
fax témoigna  des  scrupules  à  se  charger  d'un  tel  comman- 
dement. Sa  femme,  presbytérienne  zélée,  et  les  ministres 
qui  l'entouraient,  avaient,  dit-on  ,  dans  ses  irrésolutions, 
une  grande  part;  peut-être  aussi  Fairfax  commençait-il  à 
s'apercevoir  que  les  républicains  et  Cromwell  s'étaient  servis 
et  voulaient  encore  se  servir  de  lui  comme  d'un  manteau 
pour  couvrir,  et  d'un  instrument  pour  accomplir  des  des- 
seins fort  éloignés  de  sa  volonté.  En  tout  cas,  sa  résistance 

»  Carlylc,  CromweU's  Lelters,  1. 1,  p.  519  ;  —  Whilelocke,  p.  45Z. 


SUR  LA  GUERRK  D'ECOSSE  (juin  1650).  105 

était,  aux  yeux  du  public,  un  embarras  grave,  qu'on  ne 
pouvait  traiter  légcreracnt  et  qu'il  fallait  s'efforcer  de  sur- 
monter. Cinq  eoinmissaires,  Cromwcll,  Lambert,  Harrison, 
Saint-John  et  Wliitelocke,  furent  charges  par  le  conseil 
d'Etat  de  se  rendre  auprès  de  lui  pour  débattre  et  lever  ses 
objections  :  «  Nous  avons  ordre,  lui  dit  Croniwell,  de  faire 
tous  nos  efforts  pour  donner  satisfaction  à  V.  E.  sur  tous 
les  doutes  qui  peuvent  s'être  élevés  dans  son  esprit  rela- 
tivement à  cette  résolution  du  conseil  ])our  rexj)édilion 
d'Ecosse;  V.  E.  aurait-elle  la  bonté  de  nous  faire  connaître 
les  motifs  de  sa  réprobation?  » 

Faujfax.  «  Je  le  ferai  très-librement.  Je  suis  fort  aise 
d'avoir  l'occasion  d'en  conférer  avec  ce  comité  où  je  vois 
tant  d'hommes  qui  sont  mes  amis  particuliers,  aussi  bien 
que  de  la  République;  je  n'ai  pas  besoin  de  vous  faire,  à 
vous  ni  à  aucun  de  ceux  qui  me  connaissent,  aucune  pro- 
testation de  mon  dévouement  et  de  mon  affection  persévé- 
rante pour  le  Parlement,  et  de  ma  disposition  à  le  servir 
dans  tout  ce  que  me  permettra  ma  conscience.  » 

Harrison.  «  On  ne  peut  demander  ni  attendre  plus  de 

V.E.  n 

«  Fairfax.  Permettez-moi  donc,  niilords,  de  vous  dire 
en  toute  franchise  (ju'à  mon  avis  il  est  douteux  que  nous 
ayons  un  juste  motif  de  faire  une  invasion  en  Ecosse;  nous 
sommes  liés  envers  les  Écossais  par  le  coveuant  et  l'alliance 
nationale;  et  maintenant,  en  dépit  de  ce  coveuant,  el  sans 
cause  suffisante  fournie  par  eux,  envahir  leur  pays  et  y 
poiter  la  guerre,  c'est  ce  qu'il  ne  me  paraît  pas  possihlc  de 
justifier  devant  Dieu  ni  devant  les  homn)es.  » 

Cromwell.  «  Je  reconnais,  milord,  que,  s'ils  ne  nous  ont 
pas  donné  de  raison  de  les  envahir,  nous  ne  saurions  être 
justifiés  de  le  faire.  Mais,  milord,  ils  nous  ont  envahis, 
comme  V.  S.  le  sait  bien,  depuis  la  signature  et  malgré 


10^  CONFERENCE  AVEC  FAIRFAX 

les  dispositions  du  covenant  national,  quand  le  duc  de 
Hamilton,  par  ordre  du  parlement  d'Ecosse,  est  venu 
porter  chez  nous  la  guerre  ;  et  maintenant  ils  ne  nous  don- 
nent que  trop  de  motifs  de  soupçonner  qu'ils  méditent  une 
seconde  invasion,  de  concert  avec  leur  roi  avec  qui  ils  vien- 
nent de  s'arranger,  à  l'insu  et  sans  le  consentement  de  cette 
république;  c'est  pour  cela  qu'ils  lèvent  des  hommes  et  de 
l'argent;  je  le  soumets  humblement  au  jugement  de  V.  E.; 
ne  sont-ce  pas  là  des  motifs  suftîsants  de  prévenir  leur 
hostilité  et  de  préserver  notre  pays  des  souffrances  que 
lui  apporterait  une  armée  d'Écossais?  Qu'il  y  ait  bientôt  une 
guerre  entre  eux  et  nous,  je  regarde  cela  comme  inévitable; 
c'est  à  V.  E.  à  décider  s'il  vaut  mieux  que  cette  guerre  soit 
chez  nous  ou  chez  eux.  » 

Faiufax.  «c  II  est  probable  que  la  guerre  aura  lieu;  mais 
que  nous  devions  commencer  cette  guerre  et  être  les  agres- 
seurs au  lieu  de  nous  tenir  sur  la  défensive,  c'est  là  mon  scru- 
pule. Le  duc  de  Hamilton  nous  a  envahis,  il  est  vrai,  il  y  a 
trois  ans,  par  l'ordre  du  Parlement  qui  siégeait  alors  en 
Ecosse  ;  mais  le  Parlement  suivant  a  désavoué  cet  acte  et  puni 
quelques-uns  de  ses  fauteurs.  Si  nous  étions  certains  qu'ils 
vont  entrer  en  Angleterre  avec  leur  armée,  je  conviens  qu'il 
serait  prudent  de  les  prévenir;  mais  nous  n'avons  pas  cette 
certitude.  » 

Harrison.  <i  Je  vous  demande  pardon  ;  mais  en  vérité  il 
ne  saurait  y  avoir  plus  de  probabilité  humaine  sur  les  des- 
seins d'un  État  que  nous  n'en  avons  sur  leur  intention  d'en- 
vahir notre  pays.  » 

Fairfax.  «  Des  probabilités  humaines  ne  suffisent  pas 
pour  faire  la  guerre  à  une  nation  voisine  envers  qui  on  est 
lié  par  un  traité.  Chacun,  en  ceci,  doit  se  décider  selon  sa 
conscience;  ceux  qui  sont  convaincus  de  la  justice  de  cette 
guerre  peuvent  s'y  engager  ;  ceux  qui  ont  des  doutes  à  cet 


SUR  LA  GUERRE  D'ECOSSE  (juin  16!)0).  lOS 

égard,  comme  j'en  ai,  je  l'avoue,  ne  sauraient  y  prendre  de 
service.  Certainement  tout  ce  qu'on  vient  de  dire  a  beau- 
coup de  poids,  et  personne  n'a  plus  d'autorité  sur  moi  que 
ce  comité,  de  même  que  personne  n'est  plus  disposé  que 
moi  à  servir  le  Parlement  dans  toutes  les  occasions  où  ma 
conscience  sera  satisfaite.  Elle  ne  l'est  pas  dans  celle-ci. 
Mais  comme  je  ne  veux  pas  être  un  obstacle  aux  desseins  du 
Parlement,  je  lui  remettrai  volontiers  ma  commission,  afin 
qu'il  puisse  choisir  un  chef  plus  digne  que  moi  et  qui  puisse 
entreprendre  en  conscience  cette  affaire  dont  je  demande  à 
être  dispensé.  « 

Cromwell.  h  Je  suis  désolé  que  V.  S.  ait  l'idée  de  re- 
mettre sa  commission  qui  lui  a  fourni,  avec  la  grâce  de 
Dieu,  l'occasion  de  rendre  au  Parlement  tant  d'éminents 
services.  Je  vous  en  prie,  milord,  rappelez-vous  vos  fidèles 
officiers,  nous  tous  qui  avons  servi  sous  vous  et  qui  ne  dé- 
sirons servir  sous  aucun  autre  général.  Ce  serait  un  grand 
découragement  pour  nous  tous,  et  un  grand  péril  pour  les 
affaires  du  Parlement  que  notre  noble  général  pensât  à  re- 
mettre sa  commission.  J'espère,  milord,  que  V.  S.  ne  don- 
nera pas  tant  d'avantage  aux  ennemis  publics,  ni  tant  de 
tristesse  à  ses  amis.  » 

«  Fairfax.  Que  voulez-vous  que  je  fasse?  Tant  que  ma 
conscience  me  le  permettra,  je  suis  prêt  à  m'unir  encore  à 
vous  pour  le  service  du  Parlement;  mais  aucun  de  vous, 
j'en  suis  sûr,  ne  voudrait  s'engager  dans  aucun  service  con- 
tre sa  conscience;  c'est  ma  situation  aujourd'hui,  je  demande 
donc  à  être  excusé  '.  :> 

Les  commissaires  rendirent  aussitôt  compte  au  conseil 
d'État  de  cette  conférence.  «  Le  lieutenant  général,  dit 
Ludlow,  joua  son  rôle  tellement  au  naturel  que  je  crus  qu'il 

»  Whilclockc,  p.  4C0-4C2  ;  -  l'arl.  IJisl.,  l.  XIX,  |).  2G6. 


m  CR03[\VELL  COMMANDE 

agissait  tout  de  bon;  cela  m'obligea  d'aller  à  lui  comme  il 
sortait  de  la  chambre  du  conseil,  pour  le  prier  de  ne  point 
pousser  les  égards  et  la  modestie  jusqu'à  un  refus  qui  nui- 
rait au  service  de  la  nation  ;  mais  la  suite  fit  bien  voir  que 
ce  n'était  nullement  son  intention.  »   Dès  le  surlendemain, 
"Whitelocke  et  lord  Pembroke  firent  à  la  Chambre  leur  rap- 
port, et  sur  le  fond  même  de  la  question  de  l'invasion  en 
Ecosse,  et  sur  ce  qui  s'élait  passé  entre  le  conseil  d'État  et 
Fairfax.  La  Chambre  vota,  sans  contradicfion,  qu'il  clait 
juste  et  nécessaire  que  l'armée  anglaise  entrât  en  Ecosse,  et 
que,  sans  délai,  elle  serait  mise  en  mouvement.  Une  décla- 
ration fut  lue  et  adoptée  pour  justifier  cette  résolution.  Le 
greffier  informa  la  Chambre  que  M.  Rushworth,  secrétaire 
du  lord  général,  était  à  la  porte.  On  le  fit  entrer.  Il  dit  que 
le  lord  général  lui  avait  enjoint  de  remettre,  de  sa  part,  au 
Parlement  la  dernière  commission  qu'il  en  avait  reçue  pour 
la  guerre  d'Ecosse,  et  même  son  ancienne  commission  de 
général  en  chef,  si  le  Parlement  le  lui  ordonnait.  L'ordre 
fut  donné  aussitôt  et  tout  commandement  militaire  retiré  à 
Fairfax.  C'était  la  rupture  de  la  République  avec  le  seul  des 
chefs  presbytériens  qui  l'eût  servie.  Cromwell  fut  immé- 
diatement nommé  général  en  chef  de  toutes  les  forces  d'An- 
gleterre. Trois  jours  après,  il   avait   quitté  Londres  pour 
aller  rejoindre   son   armée,  et   trois  semaines  après,   le 
22  juillet  4G50,  il  passait  la  Tweed  et  entrait  en  Ecosse  à 
la  tête  d'environ  quinze  mille  hommes.  En  mettant  le  pied 
sur  le  sol  écossais,  il  harangua  ses  troupes  :  «i  Comme  chré- 
tien et  comme  soldat,  voici  ce  (}ue  je  vous  recommande  : 
soyez  doublement  et  triplement  diligents,  prudents  et  sages, 
car  certainement  nous  avons  de  l'ouvrage  devant  les  mains. 
Mais  n'avons-nous  pas  eu  jusqu'ici  les  bénédictions  de  Dieu? 
Marchons  dans  la  foi  et  espérons  encore  la  même  faveur*  .  » 
1  Mémoires  de  Ludloto,  t.  II,  p.  44,  dans  ma  Collection,-  —  Journals  of 


L'EXPÉDITION  D'ECOSSE  (juin  16tiO).  107 

Sil  eût  bien  connu  ce  qui  se  passait  dans  les  conseils  de 
l'Ecosse  et  dans  leurs  relations  avec  le  roi  qu'ils  venaient  de 
rappeler,  Cromwell  eût  pris,  à  coup  sûr,  pleine  confiance 
dans  son  succès.  Ni  les  respects  publics  ni  la  pompe  royale 
ne  manquaient  à  la  situation  de  Cbarles  :  on  avait  vole 
9,000  liv.  st.  (225,000  fr.)  par  mois  pour  l'entretien  de  sa 
maison  ;  on  l'avait  entouré  de  nombreux  serviteurs.  En  l'ab- 
sence du  Parlement  qui  s'était  ajourné,  les  membres  du  co- 
mité intermédiaire,  dit  comité  des  États,  rendaient  au  roi, 
le  marquis  d'Argyle  à  leur  tète,  des  hommages  assidus. 
Argyle  était  un  coiirlisan  consommé,  soigneux  d'observer 
toutes  les  convenances  et  de  saisir  toutes  les  petites  occa- 
sions de  plaire  au  roi.  11  faisait  faire  en  même  temps  pour  la 
guerre  de  grands  préparatifs  ;  le  Parlement  avait  prescrit 
des  levées  qui  devaient  donner  à  l'Ecosse  une  armée  de 
trente  mille  hommes;  un  général  expérimenté,  David  Les- 
ley,  la  commandait;  des  fortifications  s'élevaient  autour  de 
la  capitale.  Mais  ces  apparences  monarchiques  et  zélées  cou- 
vraient mal  la  nullité  forcée  du  roi  et  l'incohérence  des 
idées  comme  des  actes  du  parti  qui  voulait  à  la  fois  le  sou- 
tenir et  récarter.  Charles  n'assistait  point  au  conseil  où  se 
traitaient  les  affaires,  et  quand  il  essayait  d'en  entretenir 
sérieusement  Argyle,  celui-ci  éludait  respectueusement  la 
conversation  ;  les  théologiens  en  revanche  assiégeaient  le 
jf^une  prince  que  les  politiques  s'appliquaient  à  annuler;  les 
observances,  les  remontrances,  les  sermons  remplissaient  les 
loisirs  qu'on  lui  imposait;  et  quelque  effort  qu'il  fît  sur  lui- 
même  pour  être  hypocrite,  il  passait  toujours,  et  à  bon 
droit,  pour  un  libertin.  Quoique  presbytériens  avant  tout, 
les  Ecossais  étaient  sincèrement  royalistes,  et  Charles,  peu 
enclin  aux  illusions,  savait  parfaitement  que,  hors  d'Ecosse, 

ihe  HoHse  of  cnmmons,  t.  VI,  p.-iôl-iS^;  —  Godwin,  Ilisl.  ofllic  Commun- 
weallh,  I.  m,  p.  2'22;  —  Carlyle,  CromivtU's  Lelters,  t.  Il,  p.  12. 


108  SITUATION  DE  CHARLES  II 

il  n'y  avait  pour  lui  ni  royaume,  ni  armée;  mais  de  part  et 
d'autre,  la  méfiance  et  la  déplaisance  étaient  profondes,  et 
bien  qu'ils  se  fussent  mutuellement  nécessaires,  ils  diffé- 
raient trop  pour  se  comprendre  et  s'unir  '. 

Quand  on  sut  que  Cromweli  avait  franchi  la  frontière,  on 
ne  crut  pas  pouvoir  se  dispenser  de  montrer  le  roi  à  l'ar- 
mée écossaise.  Il  vint  au  camp,  près  de  Leith,  et  les  troupes 
le  reçurent  avec  une  joie  qui  fut  bientôt  suspecte  aux  pré- 
dicateurs ardents  et  aux  politiques  jaloux.  Charles  était  gai, 
spirituel,  afTable  :  sa  présence  produisit  dans  le  camp  un 
vif  mouvement  de  conversation  libre  et  de  dévouement  à  sa 
personne,  et  probabrement  quelques  symptômes  d'indisci- 
pline et  de  mauvais  vouloir  contre  ses  surveillants.  Les 
fanatiques  saisirent  avec  empressement  l'occasion  ;  ils  se 
récrièrent  contre  la  composition  de  l'armée  qui  contenait, 
dirent-ils,  beaucoup  de  malintentionnés,  d'anciens  amis  du 
duc  de  Hamilton,  des  royalistes  épiscopaux  ou  libertins. 
Une  épuration  fut  ordonnée  ;  quatre-vingts  officiers  furent 
renvoyés,  et  même,  selon  d'autres  témoignages,  plusieurs 
milliers  de  soldats.  Le  roi  n'eut  pas  la  permission  de  sé- 
journer plus  longtemps  au  camp  ;  on  l'emmena  en  toute 
hâte  à  Perlh,  plus  loin  quil  n'était  auparavant.  Ce  fut  en- 
core trop  peu  pour  calmer  les  alarmes  ou  satisfaire  la 
passion  des  fanatiques  ;  ils  voulurent  dompter  cl  compro- 
mettre Charles  avec  plus  d'éclat.  Ils  lui  demandèrent  de 
signer  une  déclaration  expiatoire,  dans  laquelle  il  reconnaî- 
trait et  déplorerait  formellement  les  torts  du  roi  son  père, 
l'idolâtrie  de  la  reine  sa  mère,  son  propre  péché  dans  le 
traité  qu'il  avait  conclu  avec  les  rebelles  irlandais,  et  où  il 
lenouvellerait,  contre  le  papisme  et  l'hérésie,  et  en  faveur 


^  Clarcndon,  Hisl.  oflhe  Rébellion,  I.  xiii,  c.  1-7;  —  Wtiilelocke,  p.  iè'2; 
■  Malcolm  Laing,  Hist.  ofScollanU,  t.  III,  p.  430. 


EN  ECOSSE.  jOf) 

des  paricincnts  libres  et  du  régime  presbytérien  dans 
l'Église,  en  Angleterre  comme  en  Ecosse,  toutes  les  pro- 
testations et  les  promesses  qu'on  avait  déjà  obtenues  de 
lui  \ 

De  premier  mouvement,  Charles  refusa  :  «  Jamais,  dit- 
il,  je  ne  pourrais  regarder  ma  mère  en  face  si  je  signais 
une  telle  pièce.  »  Puis  il  demanda  du  temps  pour  prendre 
l'avis  du  conseil.  Les  fanatiques  refusèrent  d'attendre.  Le 
comité  des  États  et  celui  de  l'Église  déclarèrent  qu'ils  n'en- 
tendaient point  s'unir  à  un  parti  de  malintentionnés,  que  la 
cause  du  roi  était  subordonnée  à  celle  de  Dieu,  et  qu'ils 
voulaient  se  laver  du  reproche  de  soutenir  le  roi  actuel  dans 
les  procédés  et  les  fautes  de  son  père.  La  plupart  des  ofli- 
ciers  de  l'armée  envoyèrent  au  comité  des  États  leur  adhé- 
sion à  cette  déclaration.  Quelques-uns  même,  entre  autres 
le  colonel  Strachan,  le  vainqueur  de  Montrose,  curent,  à  ce 
sujet,  avec  l'armée  anglaise  et  Cromwell,  des  communica- 
tions secrètes  dont  les  royalistes  purent ,  à  bon  droit , 
s'alarmer.  Des  ministres  dirent  en  chaire  que  le  roi  était  la 
racine  du  mauvais  parti,  et  qu'il  avait  juré  le  covenant  sans 
intention  de  tenir  son  serment.  Les  réticences  politiques  ne 
supportent  pas  le  contact  des  passions  sincères.  Charles  inti- 
midé céda  et  signa  la  déclaration  expiatoire.  Ravis  de  leur 
triomphe,  les  fanatiques,  et  le  peuple  et  Tarmée  avec  eux, 
célébrèrent,  en  l'honneur  de  celte  expiation,  un  jeûne 
solennel;  et  plus  d'un  prédicateur  assura  son  auditoire  que, 
«  maintenant  que  la  colère  du  ciel  était  apaisée,  on  rem- 
porterait une  victoire  facile  sur  un  général  blasphémateur 
et  sur  une  armée  de  sectaires  ^.  » 

'  (Jodwin,  Hisl.  of  ihc  Commonwealth,  l.  III,  p.  22C  ;  —  Clarcmlon,  Flisl. 
oflhc  Hcbell.,  1.  XIII,  C.20;  —  Brodie,  Ilisl.  of  llic  lirilish  Empire,  l.  IV, 
p.  280;  —  Baillic,  Lcllcm,  t.  Il,  p.  1^47. 

»  Malcolra   Laing,  Hint.   of  Scolland,  \.  \\\,  p.  4Î54-457  ;  —  Wliiteioïkc, 

nÉPDBLIQUE   D'ANGLKTERr.E.    1.  10 


UO  SITUATION  DE 

Peu  de  jours  après  cette  humiliation,  Charles  donnait 
audience  au  docteur  King,  doyen  de  Tuani,  qui  retournait 
en  Irlande  auprès  du  marquis  d'Oruiond  :  «  Monsieur  King, 
lui  dit-il,  j'ai  honne  opinion  de  vous;  je  n'hésite  donc  pas 
à  vous  donner  l'assurance  que,  si  la  nécessité  de  mes  affaires 
m'oblige  à  d'autres  apparences,  je  n'en  suis  pas  moins  un 
fidèle  enfant  de  TÉglise  d'Angleterre  et  que  je  reste  ferme 
dans  mes  premiers  principes.  M.  King,  je  suis  un  vrai  Cava- 
lier. Vous  allez  en  Irlande;  milord  d'Ormond  est  l'homme 
du  monde  sur  qui  je  compte  le  plus.  Je  crains  bien  d^avoir 
été  forcé  de  faire  certaines  choses  qui  lui  seront  nuisibles. 
Vous  avez  entendu  dire  comment  on  m'a  extorqué  une  dé- 
claration, et  comment  j'aurais  été  traité  si  je  ne  l'avais  pas 
signée.  Mais  ce  qui  concerne  l'Irlande  n'est  pas  obligatoire, 
car  je  ne  puis  rien  faire,  quant  à  ce  royaume,  sans  l'avis  de 
mon  conseil  irlandais  ;  ce  que  j'ai  fait  n'est  donc  rien  ;  je 
n'en  crains  pas  moins  que  cela  ne  nuise  à  milord  d'Ormond 
et  à  mes  amis  autour  de  lui.  Si  vous  pouvez  lui  donner 
satisfaction  sjir  ce  que  j'ai  été  contraint  de  faire  à  cet  égard, 
vous  me  rendrez  un  vrai  service.  Et  dites-lui  que  je  regarde, 
non-seulement  comme  faute,  mais  comme  un  malheur,  de 
n'être  pas  allé  en  Irlande  quand  il  m'y  a  appelé  K  » 

Cromwcîl  n'ignorait  rien  de  ces  dissensions  du  gouverne- 
ment écossais;  mais  il  se  trouva  bientôt  lui-même,  avec  son 
armée,  dans  une  situation  si  difficile  qu'il  fut  plus  occupé 
d'échapper  à  ses  propres  périls  que  d'exploiter  les  faiblesses 
de  ses  ennemis.  A  mesure  qu'il  avançait  sur  le  territoire 
dÉcosse,  entre  la  frontière  et  Edimbourg,  la  population  se 
retirait  devant  lui  avec  ses  bestiaux,  ses  provisions,  ses  meu- 

p.  468-469  ;  —  Carlyle,  CromwcU's  Lcllcrs,  l.  II,  p.  26  ;  —  Lingard,  IJisl.  of 
England,  t.  XI,  p.  49-51  ;— Drodic,  Hist.  of  the  Brilish  Empire,  t.  IV,  p.  281- 
284  ;  -  Diirnct,  ///*/.  Je  mon  temps,  1. 1,  p.  1 19-120,  dans  ma  Collection. 
1  Carie,  OrmonU's  Lellcrs,  t.  I,  p.  591. 


CROMWELL  EN  ECOSSE  (1650).  II l 

blcs ,  laissant  à  peine  dans  les  villages  quelques  vieilles 
femmes  qui  refusaient  même  de  cuire  du  pain  ou  de  brasser 
de  la  bière  pour  les  Anglais.  C'était  le  fruit  des  ordres  de 
Lesley  et  des  prédications  des  ministres  presbytériens  qui 
ne  cessaient  de  tonner  contre  les  sectaires  étrangers,  annon- 
çant qu'ils  massacreraient  fous  les  habitants  entre  seize  et 
soixante  ans,  qu'ils  couperaient  la  main  droite  à  tous  les 
jeunes  gens  entre  six  et  seize  ans,  qu'ils  brûleraient  les  seins 
des  femmes  et  détruiraient  tout  sur  leur  passage.  En  vain 
Cromwell  avait  publié  et  faisait  répandre  sur  la  route  deux 
proclamations  adressées,  l'une  «au  peuple  d'Ecosse,  »  l'au- 
tre «1  à  tous  les  saints  qui  partagent  la  foi  des  élus  de  Dieu,  » 
et  destinées,  l'une  à  dissiper  les  terreurs,  l'autre  à  satisfaire 
les  passions  pieuses  de  la  population;  en  vain  il  maintenait 
dans  son  armée  la  plus  stricte  discipline,  et  renvoyait  à 
Edimbourg  dans  sa  propre  voiture,  pour  démentir  le  renom 
de  dureté  farouche  qu'on  voulait  lui  faire,  quelques  officiers 
écossais  jtris  dans  une  rencontre  :  le  mouvement  d'elfroi  et 
d'antipathie  subsistait  et  se  propageait  toujours.  Cromwell 
ne  pouvait  nourrir  ses  troupes  qu'en  se  tenant  près  des  côtes 
et  avec  les  vivres  qui  lui  arrivaient  par  mer  d'Angleterre. 
Quoiqu'on  fût  au  mois  d'août,  la  saison  était  mauvaise,  les 
pluies  continuelles;  Us  maladies  s'établissaient  dans  l'armée 
anglaise.  Le  général  écossais  tenait  la  sienne  enfermée  dans 
ses  retranchements,  entre  Edimbourg  et  Leith,  évidemment 
décidé  à  se  contenter  de  couvrir  la  capitale  et  à  éviter  toute 
grande  action,  laissant  les  Anglais  se  consuuicr  dans  la  soli- 
tude des  campagnes  et  la  disette  de  leur  camp.  Plusieurs 
fois  Cromwell  tenta  d'attirer  Lesley  hors  de  ses  lignes  et 
d'en  venir  aux  mains;  il  s'engageait  (piclqucfois  si  avant, 
de  sa  personne,  dans  ces  escarmouches,  qu'un  soldat  écos- 
sais le  reconnaissant  et  ayant  tiré  sur  lui,  Cromwell  lui  cria  : 
.(  Si  tu  étais  des  miens,  je  le  ferais  casser  pour  avoir  lire  de 


112  MOUVEMENT  DE  RETRAITE 

si  loin.  ))  Toutes  ces  tentatives  n'aboutirent  à  aucun  résul- 
tat ;  Lesley  restait  ou  rentrait  toujours  dans  ses  lignes.  <i  Ils 
espèrent,  écrivait  Cromwcll  à  Bradshaw,  de  Mnsselburgh, 
le  50  juillet,  que  nous  mourrons  de  faim  faute  de  vivres,  ce 
qui  arrivera  très-probablement  si  nous  ne  sommes  pas 
aj)provisionnés  avec  abondance  et  à  temps  '.  " 

La  situation  devint  si  pressante  qu'à  tout  prix  Cromwcll 
résolut  d'en  sortir  :  il  fut  décidé  dans  un  conseil  de  guerre 
que  l'armée  se  retirerait  sur  Dunbar  pour  y  allcndre  des 
vivres  et  des  renforts,  et  de  là,  le  long  de  la  côte,  sur  la 
frontière  d'Angleterre,  si  les  renforts  n'arrivaient  pas.  Dès 
le  lendemain,  cinq  cents  malades  furent  embarqués  à  Mus- 
sclburgh,  et  on  se  mil  en  marche.  Lesley  sortit  aussitôt  de 
son  camp,  et  suivit  de  près  l'armée  anglaise,  la  tracassant  et 
latlaquant  à  chaque  pas,  sans  jamais  consentira  une  action 
générale.  L'une  de  ces  attaques,  pendant  la  nuit,  fut  si  vive 
que  «t  notre  cavalerie  d'arrière-garde  se  fût  trouvée  aux  pri- 
ses avec  toutes  les  forces  écossaises,  dit  Cromwcll,  si  la  pro- 
vidence du  Seigneur  n'eût  étendu  sur  la  lune  un  nuage  qui 
permit  à  nos  escadrons  de  se  replier  sur  le  gros  de  l'armée.  » 
Les  Anglais  arrivèrent  à  Dunbar  harassés,  et  Cromwcll  ap- 
prit, en  y  arrivant,  que  Lesley  venait  de  faire  occuper,  par 
un  détachement  considérable,  le  passage  ditCockburnspalh, 
sur  la  route  entre  cette  place  et  la  frontière  anglaise;  défilé 
<(  si  étroit,  dit  Cromwcll  lui-même,  que  dix  hommes  y  valent 
mieux  pour  arrêter  que  quarante  pour  s'ouvrir  un  chemin.» 
Aussi  incapable  d'illusion  que  de  découragement,  Cromwcll 
écrivit  sur-le-champ  à  sir  Arthur  Haslcrig,  gouverneur  de 
Newcaslle  :  «  Nous  sommes  dans  une  situation  très-difficile. 

1  Carlyle,  Cromwdl's  Letlers,  t.  Il,  p.  14-17,  22;  -  Wliitelocke,  p.  466; 
—  Pari.  Hisl.,  t.  XIX,  p.  298-512;  —  Brodie,  Hist.  of  Ihc  Uritish  Empire, 
l.  IV,  p.  278,  284-287;  —  Goihvin,  Hist.  of  thc  Commoinvcallh,  t.  III, 
p.  228. 


DE  CROMWELL  (aodt  16S0).  il3 

L'ennemi  a  coupe  notre  route  à  Cockburnspalli,  et  nous  ne 
saurions  traverser  ce  passage  presque  sans  un  miracle.  Il 
occupe  autour  de  nous  les  collines,  si  bien  que  nous  ne  pou- 
vons qu'à  grancl'pcine  sortir  d'ici,  et,  en  y  restant,  nous 
consumons  nos  soldats,  qui  tombent  malades  au  delà  de  ce 
qu'on  peut  imaginer.  Je  vois  bien  que  vous  n'avez  pas  sous 
la  main  assez  de  forces  pour  venir  promptement  à  notre 
aide.  Quoi  qu'il  arrive  de  nous,  vous  ferez  bien  de  rassem- 
bler autant  de  troupes  que  vous  le  pourrez;  qu'on  vous  en- 
voie du  midi  tout  ce  dont  on  pourra  disposer.  Il  y  va  de 
l'intérêt  de  tous  les  gens  de  bien.  Si  vous  aviez  été  en  me- 
sure de  tomber  par  derrière  sur  le  détachement  ennemi  qui 
occupe  Cockburnspalb  ,  vos  renforts  auraient  pu  venir  jus- 
qu'à nous.  Mais  Dieu  seul  (st  sage  et  sait  ce  qui  vaut  le 
mieux.  Nous  ferons  tous  pour  le  mieux.  Nos  cœurs  sont  en 
bon  état ,  grâce  à  Dieu,  quoique  notre  situation  ne  le  soit 
guère.  Nous  espérons  dans  le  Seigneur,  dont  nous  avons  si 
souvent  éprouvé  la  bonté.  Mais  encore  une  fois,  réuiu'sscz 
autant  de  forces  que  vous  le  pourrez.  Faites  dire  à  nos  amis 
du  midi  de  vous  en  envoyer.  Que  Henri  Vane  sache  ce  que 
je  vous  écris.  Je  ne  voudrais  pas  que  ce  fût  public,  de  peur 
d'accroître  le  danger.  Vous  sauiezquel  usngc  il  convient  d'en 
faire \  » 

Une  vive  agitation  ,  bien  différente,  celle  de  la  joie  et  de 
l'orgueil,  régnait  aussi  dans  le  camp  des  Kcossais  :  ils 
voyaient  se  retirer  devant  eux  «  cet  antechrist,  cet  arrogant 
Cromwell  qui  avait  attiré  sur  sa  tête  la  malédiction  de  Dieu 
en  égorgeant  le  roi  et  en  violant  le  covcnant,  (jui  appelait 
ses  canons  les  douze  apôtres,  et  plaçait  en  eux  toute  sa  con- 
fiance. )>  Ils  le  tenaient,  lui  et  son  aimée,  enfermés  entre 

>  W  hilelocke,  p  470;  —  Brodie  ,  Hisl.  of  Ihe  Urilish  Empire,  l.  IV. 
p.  284-289  ;  — 6Vo»in)f«iVj»ia,  p.  87-8!);^  Carte,  Ormond's  l.cHers,  t.  !• 
p.  380  ;  —  Carlylc,  CromweU's  Lctlcrx,  I.  II,  p.  53. 

10. 


Ui  MOUVEMENT  DE  RETRAITE 

leurs  montagnes,  leur  océan  et  leurs  bataillons.  Lesley  réu- 
nit son  conseil  ;  sa  propre  situation  n'était  pas  exempte  de 
difficultés;  il  ne  trouvait,  sur  les  collines  qu'occupaient  ses 
troupes,  ni  eau,  ni  fourrages;  il  n'y  pouvait  qu'à  grand'- 
peine  prolonger  son  séjour.  Il  persista  pourtant  dans  son 
avis;  il  fallait,  dit-il,  continuer  à  éviter  toute  action  et 
pousser  de  jour  en  jour  l'armée  anglaise  vers  la  frontière; 
quelle  plus  grande  victoire  que  de  la  contraindre  à  la  re- 
passer malade,  humiliée,  vaincue  sans  combat?  Presque  tous 
les  militaires  furent  du  même  sentiment.  Mais  le  conseil  de 
Lesley  n'était  pas  un  simple  conseil  de  guerre  ;  des  délégués 
du  comité  des  États  et  de  celui  de  l'Eglise  l'accompagnaient  ; 
beaucoup  de  minisires,  et  les  plus  ardents,  vivaient  et  prê- 
chaient dans  son  camp;  ils  le  taxèrent  de  mollesse,  ils  le 
sommèrent  de  ne  pas  laisser  échapper  ces  ennemis  que  Dieu' 
livrait  entre  leurs  mains,  n  Ils  avaient  dis[)osé  de  nous,  dit 
Cromwell,  et  réglé  leurs  affaires  comme  il  convenait  à  leurs 
sentiments  de  colère  et  de  vengeance  contre  nos  personnes; 
le  pauvre  pouvoir  de  l'Angleterre  disparaissait  devant  eux, 
et  ils  croyaient  que  leur  armée  et  leur  roi  marcheraient 
di'oit  à  Londres  sans  obstacles.  »  Quoique  peu  convaincu , 
Lesley  ne  résista  pas  fortement;  il  avait  sans  doute,  lui  aussi, 
ses  illusions  et  ses  tentations  d'orgueil  ;  dans  une  affaire 
d'avant-poste,  un  soldat  anglais  qui,  n'ayant  qu'un  bras, 
s'était  fait  remai^pier  par  sa  bravoure  acharnée,  fut  pris  et 
amené  devant  Lesley  qui  lui  demanda  :  «  Est-ce  que  votre 
armée  veut  combattre?  —  Que  croyez -vous  donc  que  nous 
avons  à  faire  ici?  répondit  le  soldat.  Nous  ne  sommes  venus 
que  pour  cela.  —  Mais  comment  combattrez-vous?  Vous  avez 
embarqué  la  moitié  de  vos  hommes  et  tous  vos  gros  canons. 
—  Général ,  ayez  seulement  la  bonté  de  descendre  avec  vos 
troupes  au  pied  de  la  colline  ;  vous  y  trouverez  encore  des 
hommes  et  de  gros  canons.  »  Lesley,  plus  touché  de  la  fer- 


DE  CROMWELL  (août  IGaO).  115 

metc  du  soldat  que  de  son  avertissement,  le  renvoya  libre 
et  se  décida  à  aller  chercher  la  bataille  que  jusque-là  il 
avait  évitée  avec  tant  de  soin  :  »  Demain,  à  sept  heures  du 
matin,  dit-il  à  ses  officiers,  l'armée  anglaise  sera  à  nous, 
morte  ou  vive'.  » 

Le  même  jour,  dans  la  matinée,  Cromwell,  perplexe  mal- 
gré sa  fermeté,  avait  engagé  ses  plus  fidèles  amis  à  se  réunir 
à  lui  pour  prier  et  invoquer  ensemble,  dans  leur  péril,  le 
secours  de  Dieu  :  «  Nous  étions,  dit-il,  bien  près  de  l'en- 
nemi, et  nous  sentions  bien  les  désavantages  de  noire  posi- 
tion ;  la  chair  avait  bien  quelques  faiblesses  ;  nous  de- 
mandâmes au  Seigneur  son  appui  pour  notre  pauvre  foi 
chancelante  ;  et  plusieurs  d'entre  nous  se  dirent  que,  préci- 
sément à  raison  du  nombre  de  nos  ennemis,  à  raison  de  leurs 
avantages ,  de  leur  confiance  ,  de  notre  faiblesse ,  de  notre 
détresse,  nous  étions,  comme  les  Israélites,  au  pied  de  la 
montagne,  et  que  le  Seigneur  se  manifesterait  sur  la  mon- 
tagne et  nous  ouvrirait  une  voie  de  délivrance  et  de  salut; 
et  en  effet  nous  eûmes  nos  consolations  et  nos  espérances.  » 
Au  sortir  de  cette  réunion  ,  vers  quatre  heures  de  l'après- 
midi  ,  Cromwell  monta  à  cheval  avec  Lambert ,  son  major 
général,  et  alla  se  promener  aux  environs  de  Dunbar,  dans 
le  parc  de  Broxmoulh-House,  château  du  comte  de  Rox- 
burgh.  Delà,  dirigeant  sa  lunette  vers  les  positions  de  l'ar- 
mée écossaise,  il  fut  frappé  du  mouvement  qui  s'y  opérait; 
une  portion  ,  d'abord  de  leur  cavalerie,  puis  de  leur  infan- 
terie, se  portait  de  leur  aile  gauche  à  leur  aile  droite,  et  des- 
cendait du  haut  des  collines  vers  la  mer  comme  pour  couper 
plus  sûrement  toute  retraite  à  l'armée  anglaise  et  la  combat- 
tre dès  qu'elle  se  mettrait  en  marche.  «  Le  Seigneur  les  livre 

I  Brodie,  Hist.ofthc  Drilish  Empire,  I.  IV,  p. 286-292  ;-  I-ingard,  IJist. 
of  England,  l.  XI,  p.  52;  —  Carlylc,  CromweU's  LeUcrs,  t.  Il,  p.  44,  M, 
31;  — Carie,  Omond's  LcUcrs,  l.  I,  p.  581-581. 


116  BATAILLE  DE 

entre  nos  mains  ;  les  voilà  qui  viennent  !  »  s'écria  Cromwell  ; 
et  faisant  remarquer  ce  mouvement  à  Lambert,  il  lui  de- 
manda s'il  n'en  recevait  pas  la  même  impression.  Lambert 
fut  de  son  avis  ;  ils  envoyèrent  chcrcber  Monk  qui  en  fut 
également.  Le  conseil  de  guerre  se  réunit  ;  Cromwell  y  pro- 
posa que,  dès  le  point  du  jour,  l'armée  se  mît  en  marche  et 
allât  attaquer  les  Écossais  qui  paraissaient  décidés  à  livrer 
bataille  pour  lui  disputer  partout  le  passage.  Monk  l'appuya 
énergiquemcnt,  s'offrant  à  marcher  le  premier,  en  tête  de 
l'infanterie  d'avant-garde.  La  résolution  fut  adoptée,  et  les 
Anglais  passèrent  la  nuit  à  se  préparer  sans  bruit  pour  le 
combat^. 

Une  nuit  orageuse,  et,  vers  le  point  du  jour,  un  épais 
brouillard  le  firent  commencer  un  peu  plus  lard  que  ne 
l'avait  projeté  Cromwell,  et  il  ne  commença  pas  heureu- 
sement pour  les  Anglais;  leur  avant-garde  de  cavalerie 
fut  vigoureusement  reçue  et  repoussée  par  l'artillerie  et 
les  lanciers  écossais  ;  les  premiers  régiments  d'infanterie 
anglaise  rétflblirent  l'action,  mais  sans  la  décider;  la  mê- 
lée dura  quelque  temps,  aux  cris  :  ]c  Seigneur  des  armées! 
parmi  les  Anglais;  le  (7oi;e«anf/ parmi  les  Ecossais.  Vers 
sept  heures,  le  régiment  d'infanterie  de  Cromwell  chargea 
brusquement,  et  sur  ce  point  les  Écossais  furent  ébran- 
lés. A  ce  moment  le  brouillard  se  dissipa;  le  soleil  brilla 
sur  l'Océan  et  sur  les  colhnes  :  «'  Maintenant  que  Dieu  se 
lève,  s'écria  Cromwell,  ses  ennemis  seront  dispersés;  «et 
ses  paroles  retentirent  au  loin,  répétées  par  tous  ceux  qui 
l'entouraient.  «  C'était  un  homme  puissant  dans  les  périls 
de  la  guerre  et  sur  les  champs  de  bataille,  dit  un  de  ses 

»  Carlyle,  CromwtU's  Leltcrs,  t.  H,  j).  i^  ; —  Barnei,  Histoire  de  mon 
temps,  t.  I,  p.  114,  dans  ma  Collection,-  —  Carie,  Ormonds  Letters,  t.  I, 
p.  382;  —  Malcolm  Laing,  Hist.  of  Scotland,  t.  III,  p.  459;  —  Monk,  étude 
historique  (IB^\),\>.  38, 


DUJNBAR  (3  SEPTEMBRE  16S0).  il7 

contemporains;  l'espérance  brillait  en  lui  comme  une  co- 
lonne de  feu  quand  elle  s'était  éteinte  dans  tous  les  autres  •  » 
l'enthousiasme  est  contagieux  comme  le  trouble;  les  An- 
glais redoublèrent  leur  choc;  la  cavalerie  écossaise  plia- 
un  corps  d'infanterie,  qui  résistait  fermement,  fut  rompu 
et  traversé  par  quelques  escadrons  ;  on  entendit  le  cri  : 
«  Ils  fuient,  ils  fuient!  »  Le  désordre  gagna  rapidement 
toute  l'armée  écossaise;  elle  s'enfuit  en  tous  sens.  «  Ils  ne 
furent  plus,  dit  Cromwcll,  que  du  chaume  pour  nos  épces.» 
A  neuf  heures,  la  bataille  avait  cessé;  trois  mille  Écossais 
avaient  été  tués  ;  plus  de  dix  mille  prisonniers,  toute  l'ar- 
tillerie, tout  le  bagage,  deux  cents  drapeaux  étaient  au 
pouvoir  des  Anglais.  «  Je  crois  que  je  puis  le  dire  sans 
partialité,  écrivit  Cromwell  le  lendemain  au  Parlement  ; 
vos  principaux  commandants  et  officiers,  chacun  à  son 
poste,  et  vos  soldats  aussi,  se  sont  conduits  avec  autant  de 
courage  que  dans  aucune  autre  action  de  cette  guerre.  Je 
sais  qu'ils  ne  l'ont  pas  fait  pour  être  nommés  ;  c'est  pour- 
quoi je  m'abstiens  des  détails  '.  » 

Dès  le  surlendemain,  5  septembre,  Cromwell  reprit  l'of- 
fensive, et  quatre  jours  après  il  était  maître  de  Leith,  de 
tout  le  pays  aux  environs  d'Edimbourg,  et  dÉdimbourg 
même,  sauf  le  château  occupe  par  une  forte  garnison.  (,har- 
les  II  et  tout  le  gouvernement  écossais  se  retirèrent  vers  le 
nord,  à  Pcrlh;  Lcsley,  avec  les  débris  de  son  armée,  vers 
l'ouest,  à  Stirling.  Le  Parlement  républicain  avait  atteint 
son  but;  l'Ecosse  était  envahie  et  ne  songeait  plus  (ju'à  se 
défendre  sur  son  territoire. 

Au  milieu  de  l'alarme  générale,  Charles  se  réjouit,  dans 

*  Ciirlyle,  Crontweirs  Lvltcrs,  t.  II,  p.  -{ 1-1)2;  —  Cnrif,  Onnond's  Lcllnx, 
1.  !,  p.  380-384;  —  Mémoires  de  Lutllow,  t.  Il,  p.  «1»;  — Wliilclockc,  p.  470- 
471;—  Brodie,  Ilisl.  of  ihe  British  h'inpire,  t.  IV,  p. 'iO^-JOi  ;  -  l'oisltr, 
Statesmen  of  tlic  Commonwccdlh,  l.  IV,  p.  !28G-200. 


118  CHARLES  II  S'EVADE 

son  cœur,  de  la  défaite  des  fanatiques  dont  il  portait  impa- 
tiemment le  joug.  C'était  à  eux,  à  leurs  exclusions  haineu- 
ses, à  leurs  exigences  aveugles  que  l'opinion  commençait 
à  s'en  prendre  de  ces  revers  inattendus.  En  vain  les  six 
ministres  qui  formaient  le  comité  de  l'Église  essayèrent, 
dans  un  sombre  manifeste,  d'en  rejeter  la  responsabilité 
sur  les  pécliés  obstinés  de  leurs  adversaires,  soutenant  que 
Dieu  aurait  donné  à  Lesley  la  victoire  si  l'armée  et  la  cour 
avaient  été  purgées  de  tous  les  profanes.  Il  y  a,  même  sous 
l'empire  du  plus  ardent  fanatisme,  un  degré  d'absurdité 
qui,  en  présence  d'événements  puissants,  tristes  et  clairs, 
n'obtient  pas  facilement  créance.  Charles  jugea  le  moment 
favorable  pour  échapper  à  ses  maîtres;  par  l'entremise  do 
quelques-uns  de  ses  officiers,  surtout  du  docteur  Frazier, 
son  médecin,  ennemi  d'Argylc ,  qui  l'avait  naguère  fait 
éloigner,  il  entra  secrètement  en  négociation  avec  les  chefs 
royalistes  de  la  haute  Ecosse,  entre  autres  avec  les  lords 
Huntley,  Middleton,  Ogilvy,  Dudhojje,  qui  lui  promet- 
taient de  se  lever  en  armes  dès  qu'il  serait  au  milieu  d'eux. 
Mais  au  moment  même  où  l'évasion  se  préparait,  le  secret 
fut  livré  à  Argyle,  elle  comité  des  Etats  ordonna  sui'-lc- 
chaui))  à  tous  les  Cavaliers  qui  étaient  encore  auprès  du 
roi  de  quitter  la  cour  dans  vingt-quatre  heurtes  et  le 
royaume  dans  vingt  jours.  Trois  seulement  furent  excep- 
tés, entre  autres  le  duc  de  Buckingham,  qui  fut  soupçonné 
d'être  le  révélateur.  Charles  demanda  pour  ses  amis  neuf 
exceptions  de  plus;  on  les  lui  refusa.  Il  n'insista  point; 
mais  huit  jours  après,  il  sortit  de  Perth,  vers  une  heure 
après  midi,  en  habit  de  chasse,  suivi  seulement  de  cinq 
domesticiues,  et  dès  qu'il  fut  hors  de  vue,  il  prit  le  galop, 
rejoignit  lord  Dudhope,  puis  lord  Buchan ,  qui  l'atten- 
daient, et  arriva  dans  la  nuit,  escorté  de  quelques  monta- 
gnards, chez  le  laird  de  Clova,  pauvre  maison  à  dix-sept 


DE  PERTH  (ocTOBnE  IfihO).  119 

lieues  de  Perlh.  Il  se  reposait,  sur  un  matelas  lorsque,  à 
l'aube  du  jour,  entrèrent  le  colonel  Montgomery  et  trois 
autres  officiers  envoyés  de  l'erlli  par  le  comité  des  États 
qui  avait  découvert  presque  en  même  temps  la  fuite  du  roi 
et  le  lieu  de  sa  retraite.  Charles  parlementa  avec  eux  ;  il 
ne  s'était  évadé,  leur  dit-il,  que  parce  qu'il  avait  su  que  le 
comité  des  Ktats  voulait  le  livrer  aux  Anglais,  et  faire  pen- 
dre ses  serviteurs.  Montgomery  se  récria  contre  cette  ca- 
lomnie. Les  chefs  qui  avaient  escorté  le  roi  dans  son  éva- 
sion l'engageaient  à  repartir  avec  eux,  l'assurant  qu'à  deux 
ou  trois  lieues  de  là,  il  trouverait  un  corps  nombreux  de 
montagnards  prêts  à  exécuter  ses  ordres.  Mais  la  promesse 
paraissait  légère,  et  Charles,  comme  son  père,  avait  \)cm 
de  goût  pour  les  aventures  hasardeuses.  Pendant  (ju'il 
avait  l'air  d'hésiter,  deux  escadrons  de  cavalerie  écos- 
saise arrivèrent  à  l'appui  des  représentations  de  Montgo- 
mery. Ils  entouraient  la  maison.  Charles  céda,  et  fut  aus- 
sitôt ramené  à  Perlh  '. 

Cette  frivole  échaufîourée  ne  fut  cependant  pas  perdue 
pour  lui  :  Argyle  et  le  comité  des  États  s'alarmèrent  de 
l'antipathie  qu'ils  lui  inspiraient  et  des  facilités  qu'il  pou- 
vait trouver  pour  leur  échapper.  Dans  l'Église  presbyté- 
rienne aussi,  il  ne  manquait  pas  de  ministres  plus  sensés 
que  leurs  fougueux  confrères,  et  qui  disaient  qu'on  traitait 
mal  le  roi,  qu'on  était  injuste  et  dur  envers  les  royalistes 
modérés,  qu'il  fallait  s'efforcer  de  rallier  les  partis  au  lieu 
de  perpétuer  et  d'envenimer  les  dissensions.  Ces  dispositions 
influèrent  sur  le  Parlement  qui  se  réunit  h  Perth;  il  se 
montra  zélé  pour  la  cause  du  roi  et  plus  tolérant  envers  les 
royalistes  de  diverses  nuances.  On  vota    tout  ce  qui  était 

'  Malcolra  Laing,  Hisl.  of  Scolland,  I.  Ili,  p.  4.04;  —  Baillic,  Lvtlcrs,  I.  Il, 
p.  356j— Clarendon,  Uisl.  oflhe  I{cbcUion,\.  xiii,  c.  47-^9;—  Lingard,  Hitt 
of  England,\..  XI,  p.  53-55. 


420  RÉACTION  EN  FAVEUR 

nécessaire  pour  la  réorganisation  de  l'armée;  deux  résolu- 
lions,  vivement  combattues  par  les  fanatiques,  furent  adop- 
tées; elles  déclaraient,  l'une  que  les  expressions  de  repentir 
des  partisans  du  feu  duc  de  Ilamilton  devaient  être  accep- 
tées; l'autre  que,  cela  fiiit,  ils  devaient  être  admis  à  servir 
le  roi  et  à  défendre  le  royaume.  Un  grand  nombre  de  pres- 
bytériens modérés,  et  même  de  Cavaliers,  se  bâtèrent  de 
})rofiter  de  celte  autorisation  ;  Hamilton  et  Laudcrdale 
revinrent  à  la  cour.  Cbarles  présida  le  conseil  et  s'occupa 
sans  obstacle  des  affaires  du  Parlement  et  de  l'armée.  On 
annonça  enfin  qu'il  serait  bientôt,  selon  l'ancien  usage, 
solennellement  couronné  à  Scone,  et  on  commença  les  pré- 
paratifs. Argyle  n'était  pas  sans  quelque  inquiétude  de  ce 
mouvement  qui  rappelait  auprès  du  roi  ses  adversaires  et 
irritait  les  fanatiques,  babiluellement  ses  amis;  mais  il  sen- 
tait la  nécessité  d'y  céder,  et  Cbarles  s'appliquait  avec  bonne 
grâce  à  calmer  ses  méfiances  ou  ses  déplaisirs.  Il  alla  même 
jusqu'à  lui  laisser  entrevoir  qu'il  pourrait  bien  épouser  sa 
fille,  et  le  capitaine  Titus,  presbytérien  agréable  à  Argyle, 
fut  envoyé  en  France  à  la  reine  mère,  comme  pour  obtenir 
son  consentement  '. 

Cromwell,  libre  du  grand  souci  qui  l'avait  un  moment 
absorbé,  observait  attentivement  ces  évolutions  politiques 
de  ses  ennemis,  se  promettant  bien  d'en  profiter.  11  savait 
également  parler  aux  masses  et  aux  individus,  faire  appel 
aux  croyances  et  traiter  avec  les  intérêts.  La  déclaration 
qu'en  mettant  le  pied  en  Ecosse  il  avait  adressée  «t  à  tous  les 
saints  qui  partagent  la  foi  des  élus  de  Dieu  »  fut,  de  la  part 
de  l'Eglise  écossaise,  l'objet  d'une  vive  réponse  :  Cromwell 
saisit  à  l'instant  cette  occasion  pour  entrer,  avec  les  presby- 

1  CInreniloii,  Hisl.  of  Ihe  Rébellion,  1.  xni,  c.  49-50  ;  —  Malcolni  Laing, 
Hist.  ofScoUand,  t.  Il(,  p.  461-465;  —  Biirne(,  Histoire  de  won  temps,  l.  I, 
p.  121,  dans  ma  Collection. 


DE  CHARLES  II  (octodre   IfiaO).  121 

tériens  écossais,  en  correspondance  et  en  controverse,  dis- 
cutant leurs  arguments  et  leurs  actes,  les  renvoyant  à  tels 
ou  tels  passages  des  livres  saints,  et  provoquant,  entre  eux 
et  lui,  le  jugement  populaire  des  fidèles  :  »  Vous  leur 
cachez,  dit-il,  les  papiers  que  nous  vous  envoyons;  ils  y 
verraient  quels  sentiments  d'affection  sont  pour  eux  dans 
notre  âme.  Envoyez  au  milieu  de  nous  autant  de  vos  papiers 
qu'il  vous  plaira  ;  ils  y  ont  libre  passage.  Je  ne  les  crains 
pas.  »  Dès  qu'il  fut  maître  d'Edimbourg,  il  fit  écrire  au  gou- 
verneur du  château,  où  la  plupart  des  ministres  presbyté- 
riens s'étaient  réfugies,  «t  qu'ils  pouvaient  rentrer  dans  la 
ville  et  venir  prêcher  librement  dans  leurs  églises,  qu'ils 
n'avaient  ni  insulte  ni  désagrément  à  redouter,  car  il  avait 
donné,  dans  son  armée,  des  ordres  formels  à  cet  égard.  » 
Ils  s'y  refusèrent,  «  ne  trouvant  pas,  dirent-ils.  dans  ses 
paroles,  des  garanties  suffisantes  pour  la  sécurité  de  leur 
personne  et  la  liberté  de  leur  retour.  »  Il  les  tanea  de  leur 
pusillanimité,  disant  que  ><  s'ils  avaient  surtout  à  cœur  le 
service  de  leur  maître  (comme  ils  rappellent),  ils  n'auraient 
pas  l'imagination  si  alarmée  sur  leur  propre  compte,  »  et 
affirmant  hardiment  que  personne,  en  Angleterre  ou  en 
Irlande,  n'était  inquiété  pour  prêcher  l'Évangile,  «à  moins 
qu'on  ne  prétendît,  sous  ce  prétexte,  dominer  ou  humilier 
le  pouvoir  civil.  »  Il  se  préoccupait  peu  de  l'exactitude  de 
ses  assertions,  pourvu  qu'elles  fissent,  au  moment  où  il  par- 
lait et  sur  le  public  auquel  il  s'adressait,  l'impression  dont 
il  avait  besoin  '. 

Quelques  mois  plus  lard,  pendant  un  séjour  qu'il  fit  à 
Glascow,  il  assista  souvent  à  des  sermons  presbytériens, 
soigneux  de  protéger  la  liberté  des  prédicateurs,   même 


1  Carlylc,  Cromwell's  T.cticrs,  t.  Il,  p.  18-22,  5C-7.T  ;  -  Purl.  llisl.,  I.  XIX, 
p.  320-323  ;  -  Tl.uiloc,  Slule-Pupers,  l.  I,  p.  158-162. 

i.  Il 


122  SUCCES  DE  CROMWELL 

quand  ils  l'attaquaient,  et  toujours  empresse  d'entrer  en 
discussion  avec  eux.  «(  Il  leur  demanda  un  jour,  dit  l'un  de 
ses  officiers,  de  se  rendre  à  une  conférence  amicale  et  chré- 
tienne, pour  nous  entretenir  des  choses  qu'ils  nous  repro- 
chaient, et  afin  de  faire  cesser,  s'il  était  possible,  tous  les 
malentendus.  Ils  y  consentirent  mercredi  dernier.  Il  n'y 
eut  là,  d'aucun  côté,  point  d'amertume  ni  de  passion  ;  tout 
se  passa  avec  modération  et  douceur.  Milord  général  et  le 
major  général  Lambert  soutinrent  presque  seuls,  pour  nous, 
la  discussion;  de  l'autre  part,  M.  JamesGuthriect  M.Patrick 
Giilespie.  Nous  ne  savons  pas  s'ils  se  tinrent  pour  satisfaits; 
ce  dont  je  suis  sûr,  c'est  qu'il  n'y  avait  pas,  dans  leurs  ar- 
guments, de  quoi  nous  décourager  de  ce  que  nous  avons 
entrepris  ^.  » 

Cromwell  apportait  à  se  concilier  les  personnes,  autant 
de  soin  qu'à  ménager  ou  à  ramener  les  sentiments  popu- 
laires. Il  trouva,  parmi  ses  prisonniers,  Alexandre  Jaffray, 
prévôt  d'Aberdeen,  et  M.  Carstairs,  ministre  presbytérien 
de  Glascow,  tous  deux  intelligents  et  influents;  il  s'entre- 
tint familièrement  avec  eux  et  les  traita  si  bien  qu'il  s'em- 
para de  leur  esprit  ;  il  s'empressa  alors  de  les  échanger  contre 
quelques  prisonniers  anglais  retenus  dans  le  château  de 
Dunbarton,  et  ils  devinrent  pour  lui,  dans  le  pays,  d'utiles 
agents.  Il  ne  laissait  échapper  aucune  occasion  de  se  mon- 
trer prévenant  et  confiant  envers  les  hommes  qu'il  savait 
plus  favorables  à  la  République  qu'à  Charles  Stuart,  envers 
sir  Archibald  Johnston,  entre  autres,  dont  il  se  fit  dès  lors 
un  ami  secret,  et  plus  tard  un  énergique  allié.  Dans  les  cir- 
constances même  les  plus  insignifiantes,  par  caraclcrè  ou 
par  calcul,  il  prenait  soin  de  plaire  aux  indifférents  ou  à 
ses  ennemis.  Faisant  un  jour,  avec  quelques  officiers,  une 

'  Carlyle,  CromtveU's  Letlers,  t.  Il,  p.  120-121. 


EN  ECOSSE.  123 

reconnaissance  dans  le  comté  de  Lanark,  il  eut  besoin  d'un 
guide,  et  n'en  put  trouver  d'autre  qu'un  jeune  homme  ma- 
lade, fils  de  sir  Waller  Stcwart  d'Allerlon,  j^entilhommc 
royaliste  qui  avait  un  autre  de  ses  fils  capitaine  dans  l'ar- 
mée écossaise,  à  la  bataille  de  Dunbar  :  la  reconnaissance 
faite,  Cromwell  entra  au  château;  sir  Waltcr  s'était  caché; 
sa  femme,  aussi  royaliste  que  lui,  reçut  seule  le  général  ré- 
publicain; Cromwell  causa  avec  elle,  lui  parla  avec  intérêt 
de  son  mari,  de  ses  parents,  de  ses  enfants,  lui  dit  qu'elle 
devrait  faire  changer  de  climat  à  son  fils  malade,  et  que 
Montpellier,  dans  le  midi  de  la  France,  serait  pour  lui  le 
meilleur  séjour.  Un  autre  fils ,  enfant  de  dix  ans,  s'appro- 
cha de  Cromwell  et  toucha  la  poignée  de  son  épée  :  «  C'est 
bien,  lui  dit  Cromwell  en  lui  frappant  sur  l'épaule,  vous 
êtes  mon  petit  capitaine.  »  Il  se  leva  de  table,  fit  à  haute 
voix  sa  prière  accoutumée,  en  priant  pour  la  famille  dans 
laquelle  il  se  trouvait,  et  partit  laissant  la  maîtresse  du  châ- 
teau émue  de  sa  bonté  et  de  sa  piété  :  «  Elle  était  sûre, 
dit-elle,  que  Cromwell  était  un  homme  craignant  Dieu  et 
qui  avait  à  cœur  le  véritable  intérêt  de  la  religion  '.  » 

Ainsi  fomentée  par  l'habileté  de  Cromwell,  la  scission 
éclata  parmi  les  Écossais  :  plus  les  chefs  presbytériens  de- 
venaient modérés  et  témoignaient  de  déférence  au  roi  et  de 
tolérance  àsesamis,  plus  les  fanatiques  s'échauffaient  et  s'é- 
loignaient de  lui.  Ils  étaient  surtout  irrités  des  résolutions 
du  Parlement  qui,  moyennant  quelques  expressions  de  re- 
pentir, avaient  rouvert  aux  anciens  royalistes  la  cour  et 
l'armée;  ils  adressèrent,  à  ce  sujet,  au  comité  des  Étals 
une  remontrance  violente,  attaquant  ouvertement  le  roi, 
déplorant  qu'on  l'eût  rappelé,  demandant  qu'il  fût  écarté, 
du  moins  pour  un  temps,  de  toute  participation  au  gouver- 

»  Cai-iylc,  CromtveU'i  Letters,  t.  Il,  p.  104-i0;>,  118-124. 


\U  DISSENSIONS  EN  ECOSSE. 

nement  ;  que  ses  ministres,  Argyle  et  Loudon  entre  autres, 
fussent  changes  •  et  protestant  contre  toute  idée  d'invasion 
en  Angleterre,  même  contre  la  guerre,  comme  essentielle- 
ment illégitime  si  elle  était  conduite  dans  l'intérêt  et  par 
les  mains  des  royalistes  libertins  ou   Iiypocrites.  Après  la 
défaite  de  Dunbar,  cinq  comtés  du  sud-ouest  de  l'Ecosse, 
dans  lesquels  ces  sentiments  dominaient,  s'étaient   formés 
en  association  particulière  et  avaient  demandé  à  lever  des 
ti^oupes  pour  leur  compte,  déclarant   qu'ils   résisteraient 
toujours  aux  sectaires  anglais,  mais  qu'ils  ne  voulaient  plus 
servir  sous  Lesley.  Le  parlement  de  Pcrth  avait  eu  la  fai- 
blesse d'y  consentir;  trois  ou  quatre  mille  hommes  avaient 
en  effet  été  levés  dans  ces  comtés,  et  ils  étaient  sous  les 
ordres  des  colonels  Kerr  et  Strachan,  les  deux  officiers  les 
plus  fougueux  de  l'armée,  et  tous  les  deux,  Strachan  du 
moins,  en  relation  intime  avec  Cromwell.   Les  fanatiques 
avaient  donc  là  des  troupes  et  des  chefs.    L'émotion   fut 
grande  dans  le  gouvernement  écossais  ;  on  vota  que  la  re- 
montrance ét«it  calomnieuse,  factieuse  et  dangereuse  ;  et  le 
colonel  Montgomcry  eut  ordre  d'aller,  avec  deux  régiments 
de   cavalerie,   prendre  le   commandement  de    toutes  les 
forces  dans  l'ouest.  Mais  la  discussion  avait  été  longue  ; 
l'exécution  fut  lente  ;  avant  qucl'aulorité  du  gouvernement 
eût  pu  être  rétablie  dans  les  comtés  confédérés,  Cromwell 
y  envoya  Lambert  avec  un  corps  de  troupes;  puis,  il  s'y 
porta  lui-même  ;  soit  par  les  armes,  soit  par  la  connivence 
de  ceux  qui  la  commandaient,   la  petite  armée  des  fana- 
tiques fut  battue  et  dispersée  ;  et  de  ses  deux  chefs,  Fun,  le 
colonel   Kerr,   fut  blessé  et  pris  sans    grande  résistance, 
l'autre,  le  colonel  Strachan,  passa  ouvertement  à  Crom- 
well avec  plusieurs  officiers.    «  Il  y  a  ici,  écrivait  Cromwell 
après  cette  expédition,  une  grande  désorganisation  et  de 
puissants  effets  de  la  main  de  Dieu  sur  bien  des  gens,  mi- 


CHARLES  II  COURONNÉ  A  SCONE  (1"  janvier.)  123 
iiistres  et  peuple  ;  il  y  a  beaucoup  à  en  attendre  pour  la 
justification  de  notre  cause.  Quelques-uns  sont  aussi  mau- 
vais que  jamais  5  ils  rusent  hypocritement  avec  leur  con- 
science et  a\  ec  le  covenant  pour  faire  croire  qu'il  est  légi- 
time de  s'unir  aux  anciens  malintentionnés,  comme  ils  le 
font  en  ce  moment,  et  comme  ils  l'ont  fait  depuis  longtemps 
en  adoptant  pour  chef  le  chef  même  des  malintentionnés  ; 
mais  d'autres  s'arrêtent  devant  de  tels  actes  ;  quelques-uns 
même  ont  été  contraints,  par  l'action  de  Dieu  sur  leur  con- 
science, à  s'accuser  tristement  eux-mêmes,  se  reconnais- 
sant coupables  du  sang  versé  dans  cctle  guerre  par  leur 
participation  au  traite  de  Bréda  et  le  retour  du  roi  au  mi- 
lieu d'eux.  C'est  ce  qu'a  fait  un  lord  de  la  cour  de  session, 
qui  s'était  retiré  du  comité  des  Étals  ;  et  dernièrement 
M,  James  Livingston,  homme  très-eslimé  pour  sa  piété  et 
son  savoir,  qui  avait  été,  à  Bréda,  l'un  des  commissaires  de 
l'Eglise,  s'est  reproché  solennellement  cette  faute  devant 
leur  assemblée ,  et  en  est  sorti  pour  rentrer  dans  sa 
maison  ^.   » 

Charles  se  félicitait  autant  que  Cromwell  de  cette  désor- 
ganisation du  parti  presbytérien;  car  en  même  temps,  et 
par  une  correspondance  naturelle,  le  parti  royaliste  se  re- 
formait ;  les  hommes  modérés  s'engageaient  de  plus  en  plus 
dans  ses  rangs  pour  échapper  au  joug  des  sectaires  ;  ceux-ci 
se  décriaient,  aux  yeux  de  la  population  tranquille,  et  par 
leurs  violences  et  par  leurs  revers  ;  les  grands  seigneurs 
royalistes  reprenaient  de  rinfluence.  Le  couronnement  eut 
lieu  dans  l'église  de  Scone,  le  l"J!invier  iGJ)l,  avec  l'an- 
cienne pompe  royale;  et  malgré  la  rudesse  presbytérienne 
du  sermon  prononcé  à  cette  occasion  par  Robert  Douglas, 

'  Carlylc,  Cronuvcll's  Lcticrs,  I.  II,  |).  82-84;  —  Kuillie,  Lctiers,  t.  II, 
p.  348-369;  -  Biiiiitl,  Hist.  de  mon  temps,  l.  I,  p.  IIG-II'J;  —  Makoliii 
Laing,  Hist.  of  Scolkind,  l.  III,  p.  401-460. 

11. 


126  C031PL0TS  ROYALISTES 

modérateur  de  l'Assemblée  générale  de  l'Église,  malgré  la 
rigueur  inintelligente  des  serments  exigés  de  Charles,  un 
sentiment  de  loyauté  sérieuse  et  dévouée  animait  toute  la 
cérémonie  ;  les  assistants,  laïques  ou  ecclésiastiques,  nobles 
ou  peuple,  quelque  mal  assorties  que  fussent  leurs  idées  en 
fait  de  gouvernement,  voulaient  sincèrement  la  royauté 
pour  leur  pays  et  Charles  Sluart  pour  roi.  Par  respect  pour 
son  droit,  ils  affrontaient,  en  le  couronnant,  une  lutte  bien 
inégale  :  heureux  s'ils  avaient  pu  compter,  de  sa  part,  sur 
un  juste  retour  de  sincérité  et  d'affection  M 

Presque  au  même  moment  où  Charles  était  couronné  à 
Seone,  le  Parlement  républicain  d'Angleterre  envoyait  à 
Edimbourg  un  graveur  célèbre,  M.  Simon,  pour  faire  le 
portrait  de  Cromwell,  destiné  à  passer  sur  une  médaille 
frappée  en  souvenir  de  la  victoire  de  Dunbar.  u  Je  n'ai  pas 
été  peu  surpris,  répondit  Cromwell,  que  vous  ayez  fait  faire 
à  M.  Simon  un  si  grand  voyage  pour  une  chose  si  peu  im- 
portante, du  moins  en  ce  qui  me  touche  :  autant  que  mon 
humble  opinion  peut  avoir  quelque  poids  auprès  de  vous, 
je  pense  que  ce  qu'il  conviendrait  le  mieux  de  consacrer 
ainsi,  ce  serait  le  souvenir  de  cette  grande  grâce  de  Dunbar 
et  votre  reconnaissance  envers  l'armée  ;  ce  qui  serait  très- 
bien  exprimé  sur  la  médaille  si  elle  portait  d'un  côté  le  Par- 
lement, comme  on  en  a,  dit-on,  et  avec  grande  raison,  le 
dessein,  de  l'autre,  une  armée  avec  cette  inscription  :  le  Sei- 
gneur des  armées,  qui  était  notre  mot  d'ordre  ce  jour-là.  Je 
vous  conjure  donc  sérieusement,  si  je  le  puis  faire  sans 
vous  offenser,  qu'il  en  soit  ainsi.  Si  vous  ne  trouvez  pas 
mon  idée  convenable ,  vous  pouvez  la  modifier  comme  il 
vous  plaira  ;  je  puis  dire  seulement  avec  vérité  que  je  serai 
pénétré  de  reconnaissance  si  vous  voulez  bien  me  dispenser 

>  Somers,  Tracts,  t.  VI,  p.  117-143. 


EN  ANGLETERRE  (lOgO-Kiol).  127 

d'avoir,  sur  celte  médaille,  mon  effigie.  »  La  médaille  fut 
frappée  sans  égard  à  ce  désir  et  comme  elle  avait  été  proje- 
tée d'abord.  Nul  grand  homme  n'a  poussé  aussi  loin  que 
Cromwell  l'hypocrisie  delà  modestie,  ni  si  facilement  subor- 
donné sa  vanité  à  son  ambition  '. 

Deux  incidents  vinrent  imprimer  aux  affaires  et  à  la 
guerre  une  direction  nouvelle  et  inattendue.  Cromwell 
tomba  gravement  malade.  Des  complots  royalistes  éclatè- 
rent en  Angleterre. 

Depuis  que  Charles  était  en  Ecosse,  les  royalistes  anglais 
s'agitaient  de  tous  côtés  pour  lui  venir  en  aide.  Il  avait  en- 
voyé à  plusieurs  d'entre  eux  des  commissions  signées  eu 
blanc  pour  leur  donner  pouvoir  de  lever  des  hommes,  de 
conférer  des  fonctions,  de  faire  des  promesses,  d'agir  enfin 
pour  lui  et  en  son  nom.  Parmi  les  Cavaliers  qui  vivaient  en 
Angleterre,  beaucoup  étaient  indiscrets,  par  témérité  ou 
par  vanité;  ceux  qui  étaient  en  sûreté  sur  le  continent,  en 
Hollande  ou  à  Paris  auprès  de  la  reine  mère,  compromet- 
taient souvent,  par  leurs  correspondances  ou  par  leurs  con- 
versations, leurs  amis  dans  leur  patrie;  la  jalousie  et  la  mé- 
fiance étaient  grandes  entre  les  divers  groupes  de  ces 
proscrits  qui  se  disputaient  ou  l'influence  dans  les  ennuis 
de  l'exil,  ou  les  espérances  de  l'avenir  ;  tantôt  ils  refusaient 
de  se  communiquer  et  de  s'entendre;  tantôt  ils  se  livraient 
les  uns  les  autres,  par  haine  ou  par  légèreté.  Le  conseil 
d'État  républicain  avait  organisé,  contre  eux  et  parmi  eux, 
une  police  très-activc;  un  de  ses  membres,  Scott,  en  était 
spécialement  chargé,  et  ne  manquait,  pour  s'en  acquitter, 
ni  d'adresse  ni  d'argent.  Dans  les  années  4050  et  1651, 
quatre  complots  royalistes  furent  ourdis,  soit  par  d'anciens 


'  Car\y\c,  CromwcU  s  Lellcrs,  l.  Il,  p.  109-H3i-II;irris,  Lifv  ofOl.  Crom- 
mil  (Londres,  1814),  l.  111,  p.  241,  îilS. 


128  CROMWI'LL  TOMBE  MALADE 

Cavaliers,  soit  par  des  presbytériens  d'autant  plus  zélés  que 
leur  conversion  était  à  la  fois  récente  et  sincère  :  ils  échouè- 
rent tous,  et  dans  l'espace  de  treize  mois,  vingt-sept  roya- 
listes, militaires  ou  civils,  laïques  ou  ccclésiasliques,  con- 
nus ou  obscurs,  montèrent  sur  l'ëcliafaud,  condamnés 
quelques-uns  par  des  cours  martiales,  la  plupart  par  ces 
hautes  cours  de  justice  chargées  non  de  juger  les  prévenus 
selon  les  lois,  mais  de  défendre  la  République  contre  les 
sentiments  du  peuple  et  les  entreprises  de  ses  ennemis. 
Tant  d'échecs  ne  découragèrent  pas  les  royalistes  anglais; 
ils  étaient  dévoués,  tracassés  et  oisifs;  leur  roi  était  en 
Ecosse;  là  on  se  battait  pour  lui  ;  de  là  leur  arrivaient,  sur 
ses  périls,  sur  ses  forces,  sur  ses  desseins,  des  notions  vagues 
qui  entretenaient  leurs  colères  ou  leurs  espérances;  ils  ne 
pouvaient  se  résoudre  à  rester  immobiles  dans  leui"  cause 
si  vivement  débattue  à  leurs  portes;  et  ils  renvoyaient  à  leur 
tour  en  Ecosse  le  bruit  de  leurs  tentatives  de  soulèvement, 
leurs  illusions  et  leurs  promesses  '. 

Pendant  qîie  l'esprit  royaliste  se  relevait  ainsi  en  Ecosse 
et  fermentait  en  Angleterre,  Cromwcll,  au  retour  d'une 
longue  marche  d'hiver  à  la  tète  de  ses  troupes,  sous  une 
pluie  et  une  neige  glacées,  fut  saisi  à  Edimbourg  d'une 
fièvre  violente.  Le  mal  devint  grave;  le  Parlement  elle 
conseil  d'État  s'en  inquiétèrent  et  envoyèrent  à  Cromwcll, 
par  un  exj)rcs,  de  vifs  témoignages  de  leur  sollicitude  ;  il 
répondit  à  Bradshaw  :  «  Je  vous  exprimé  mon  humble  re- 
connaissance de  votre  haute  faveur  et  de  vos  tendres  égards 
pour  moi,  indigne  ([ue  j'en  suis.  Vos  affaires  n'ont  pas  be- 
soin de  moi,  milord;  je  suis  une  pauvre  créature;  je  n'étais 

*  Millon,  Stalc-Paiicru,  p.  33,  34,  37; — Jonrnals  of  llic //ousc  of  coin- 
vions,  t.  VI,  p.  '.'M,  906  ;  —  Wliilclockc,  p.  iSI,  /»8G  ;  —  Carie,  Ormond's 
Lellers,  l.  I,  p.  411  ;  —  Clarendon,  IJist.  of  ihc  Hebcllion,  1.  xni,  C  117,  118, 
119. 


EN  ECOSSE  (1651).  129 

naguère  que  des  osseuients  dessécliés,  et  je  suis  encore  un 
serviteur  bien  inutile  pour  mon  njciîtrc  cl  pour  vous.  J'ai 
cru  que  je  mourrais  <Jc  celte  maladie  ;  le  Seigneur  semble 
vouloir  en  disposer  autrement  ;  mais  en  vérité,  milord,  je 
ne  désire  pas  de  vivre,  à  moins  qu'il  ne  me  fasse  la  grâce 
d'employer  mon  cœur  et  ma  vie  à  lui  témoigner  plus  de  re- 
connaissance et  de  foi  et  à  être  plus  actif  et  plus  utile  pour 
ceux  que  je  sers.  »  Il  se  trouva  mieux  et  reprit  sou  train  de 
vie  ordinaire.  "  Le  lord  général  est  maintenant  rétabli, 
écrivait-on  d'Edimbourg  à  Londres;  il  a  dîné  aujouidbui 
avec  ses  officiers;  il  y  était  animé  et  gai;  nous  n'avons  plus 
de  crainte;  avec  la  grâce  de  Dieu,  il  sera  bientôt  en  état  de 
rentrer  en  campagne.  »  Il  y  rentra  en  effet  ;  mois  la  maladie 
recommença,  et  trois  rcebutes  successives  en  attestèrent 
l'opiniâtreté.  Le  Parlement  fit  partir  pour  Edimbourg  deux 
médecins  célèbres,  les  docteurs  Bâtes  et  Wrigbt,  et  Fairfax 
leur  donna  sa  propre  voiture  pour  leur  voyage.  Enfin  la 
Cbarabre  vota  que  u  vu  l'indisposition  du  lord  général  et 
l'âpreté  du  climat  où  il  se  trouvait,  on  l'engageait,  à  raison 
de  sa  santé,  à  venir  dans  quelque  partie  de  l'Angleterre,  où, 
par  la  grâce  de  Dieu  et  à  l'aide  de  remèdes  efficaces,  il  pût 
retrouver  assez  de  santé  et  de  force  pour  retourner  à  l'ar- 
mée, dont,  en  attendant,  il  était  le  maître  de  placer  le  com- 
mandement entre  telles  mains  qu'il  jugerait  convena- 
ble \  » 

Quand  ces  votes  ari-ivèrent  en  Ecosse,  un  fait  imj)ortant 
venait  de  s'y  accomplir,  et  faisait  presscnlir,  dans  le  parti 
royaliste,  de  nouvelles  résolutions.  Les  modérés,  Ilauiiltou 
et  Ladderdalc  à  leur  tête,  avaient  décidément  pris  l'ascen- 
dant dans  le  Parlement  écossais  ;  Argyle  laisait  de  vains 


•  Journals  of  Ihe  I/ouscof  commons,  t.  VI,  p.  579;  —  Carlylc,  CromwcU's 
Lcllcrs,  l.  H,]).  113,  12ii  ;  -  Wliitelocke,  \iJiU. 


130  CHARLES  II  SE  DÉCIDE 

efforts  pour  s'y  opposer;  Charles,  tout  en  le  ménageant,  lui 
et  ses  amis,  employait  avec  succès  sa  bonne  grâce  et  son 
adresse  à  faire  prévaloir  leurs  adversaires  ;  l'armée  fut  réor- 
ganisée selon  ses  désirs  ;  malgré  de  vifs  débals  et  la  protes- 
tation formelle  du  chancelier  lord  Loudon  ,  beaucoup  d'an- 
ciens royalistes,  et  des  plus  prononcés,  furent  nommés  co- 
lonels. Enfin  le  Parlement  invita  le  roi  à  prendre  lui-même 
le  commandement,  et  Charles  devint  elTcclivemcnt  le  chef 
de  ses  troupes  comme  de  ses  conseils,  au  moment  même  où 
le  Parlement  d'Angleterre  engageait  Cromwell  malade  à 
quitter  l'Ecosse  où  il  semblait  près  de  mourir  '. 

Un  mois  s'était  à  peine  écoulé,  et  soit  vigueur  de  son 
tempérament,  soit  énergie  de  sa  volonté,  Cromvi^ell  guéri 
rentrait  vivement  en  campagne,  manœuvrait  autour  de 
l'armée  écossaise  de  nouveau  enfermée,  à  Slirling,  dans  ses 
retranchements,  soumettait  les  comtés  d'alentour,  faisait 
tomber,  par  assaut  ou  par  trahison,  la  plupart  des  châteaux 
forts  qui  tenaient  encore,  battait,  soit  en  personne,  soit  par 
ses  lieutenants,  les  corps  détachés  qui  essayaient  de  l'arrêter 
dans  ses  mouvements,  et  mettait  enfin  le  siège  devant  Perth, 
menaçant  ainsi  Charles,  campé  à  Slirling  avec  son  armée, 
de  lui  enlever,  sur  ses  derrières,  le  chef-lieu  de  son  gou- 
vernement. 

Charles  prit  brusquement  alors  la  résolution  qu'il  médi- 
tait depuis  longtemps  :  il  annonça  à  son  conseil  son  inten- 
tion de  lever  le  camp  et  de  porter  la  guerre  en  Angleterre 
où  ses  partisans  n'attendaient  que  sa  présence  pour  éclater. 
Bien  des  chefs  écossais,  à  coup  sûr,  quoique  fermement 
royalistes,  étaient  loin  d'approuver,  dans  leur  cœur,  un  tel 
dessein;  ils  avaient  peu  de  goût  à  se  compromettre  à  ce 

'  Malcolm  Laing,  Ilht.  of  Scollund,  t.  111,  p.  466  ;  —  Brownc,  lUsl.  of 
Ihc  I/ir/hlandx,  l.  Il,  p.  69;  -  Godwin,  Hisl.  of  ihe  Cornmonweallh,  t.  111, 
p.  240. 


A  ENTRF.R  EN  ANGLETERE.  I3l 

point  avec  leurs  redoulables  voisins;  quelquefois  même  ils 
avaient  insinue  à  Charles  qu'il  ferait  bien  de  se  contenter 
de  la  couronne  d'Ecosse,  et  de  laisser  l'Angleterre  se  dé- 
battre, tant  qu'il  lui  plairait,  sous  le  joug  de  sa  Republique 
et  des  factions  révolutionnaires.  Le  souvenir  de  l'invasion 
tentée  en  1647  par  le  feu  duc  de  Hamilton,  et  de  son  mou- 
vais succès,  était  encore  présent  aux  esprits.  Cependant  la 
plupart  se  turent  et  adhérèrent,  intimidés  par  la  volonté  du 
roi  ou  entraînés  par  l'empire  qu'exerce  toujours  sur  les  âmes 
une  résolution  hardie  dans  une  situation  pressante.  Argylc 
presque  seul  fit  tous  ses  efTorts  pour  en  dissuader  le  roi; 
par  jalousie  de  pouvoir,  car  c'était  le  triomphe  de  la  faction 
des  Hamilton,  ses  rivaux;  mais  aussi  par  prudence  et  saga- 
cité politique;  il  appréciait  mieux  que  la  petite  cour  de 
Charles  Tétat  des  esprits  en  Angleterre,  l'ardeur  du  parti 
républicain  encore  jeune  et  le  peu  de  chance  des  soulè- 
vements royalistes;  pourquoi  courir  de  tels  hasards  et 
laisser  ainsi,  sans  son  armée  et  sans  son  roi ,  l'Ecosse  qui 
lui  avait  montré  tant  de  dévouement?  Pourquoi  se  lancer, 
avec  la  petite  armée  écossaise,  au  milieu  de  ses  ennemis, 
quand  on  pouvait,  en  restant  en  Ecosse  sur  la  défensive, 
user  et  détruire  l'armée  anglaise ,  et  Cromwell  lui-même, 
dans  les  rigueurs  d'un  second  hiver?  Charles  ne  tint  nul 
compte  de  cet  avis.  Argyle  insista,  déclarant  que,  pour  lui , 
il  ne  saurait  participer  à  une  telle  entreprise,  et  qu'il  de- 
manderait In  permission  de  se  retirer  dans  ses  terres.  Quel- 
ques personnes  conseillèrent  à  Charles  de  le  faire  immédia- 
tement arrêter;  il  y  avait  péril,  disaient-elles,  à  laisser 
derrière  soi,  en  Ecosse,  ce  puissant  mécontent.  (Charles  s'y 
refusa,  soit  égard  pour  son  intimité  si  récente  avec  Argyle, 
soit  crainte  de  l'éclat  d'une  rupture.  Argylc  partit  pour  son 
château  d'Inverary.  Le  roi  annonça  publiquement,  par  une 
proclamation,  sa  résolution  de  se  mettre  en  marche  le  Icii- 


1S2  LETTRE  DE  CROMWELL 

demain  pour  l'Angleterre,  accompagné  de  ceux  de  ses  sujets 
qui  voudraient  lui  prouver  leur  loyauté  en  partageant  sa 
fortune;  et  dès  le  lendemain,  en  effet,  51  juillet  1651,  il 
était  sur  la  roule  de  Carlislc,  à  la  tète  d'une  armée  de  onze 
mille,  et,  selon  quelques-uns,  de  quatorze  mille  hommes, 
avec  David  Lcsiey  pour  lieutenant  général  '. 

Cromwell  était  devant  Pcrtli,  dont  il  venait  de  s'emparer, 
lorsqu'il  apprit  cette  nouvelle.  On  peut  douter  qu'il  en  fût 
surpris  ou  fâché  :  il  était  vivement  frappé  des  difficultés  et 
des  périls,  pour  son  armée  et  pour  lui-même,  de  la  prolon- 
gation de  celte  guerre  peu  efficace  qu'il  faisait,  depuis  un 
an,  en  Ecosse;  il  se  croyait  bien  plus  sûr,  en  Angleterre, 
d'un  succès  prompt  et  décisif.  Dès  le  mois  de  janvier  précé- 
dent, il  avait  fait  entrevoir  au  Parlement  que  les  Écossais 
pourraient  bien  tenter  uue  invasion;  et  ses  récentes  ma- 
nœuvres, en  le  jetant  sur  les  derrières  de  l'armée  écossaise, 
ouvraient  si  clairement  au  roi  la  route  de  l'Angleterre 
qu'elles  semblaient  presque  l'y  provoquer.  Il  ne  se  dissimula 
point  l'impression  d'effroi,  de  colère  et  de  méfiance  qu'on 
en  ressentirait  à  Londres;  d'autant  que,  huit  jours  aupara- 
vant, au  moment  où  il  se  portait  sur  Perth,  il  avait  écrit  : 
«  Je  laisse  derrière  moi  des  forces  suffisantes  pour  combattre 
l'ennemi,  s'il  se  décidait  à  s'engager,  et  pour  s'opposer  à 
toute  tentative  de  pénétrer  en  Angleterre.  »  Il  alla  sur-le- 
champ,  avec  une  fermeté  digne  et  adroite,  au-devant  des 
reproches  et  des  soupçons  qu'il  pressentait  ;ilécrivitlc4août 
au  Parlement  :  «  Nous  avons  eu  quelque  nouvelle  de  la  mar- 
che de  l'ennemi  vers  le  midi,  bien  qu'avec  des  contradictions 

'  Claremloii,  Hist.  of  Ihc  Rébellion,  1.  xiii,  c.  35  ;  —  Wliilclocke,  p.  SOI; 
—  Malcolni  Laiug,  llist.  ofScolland,  t.  III,  p.  4G8;  —  Godwiii,  Hisl.  of  ihe 
Commonweallh,  t.  Ml,  p.  235,  260;  —  Biodie,  Hisl.  of  Ihe  Brilish  Empire, 
I.  IV,  p.  504;  —  Biowne,  Hist.  of  tlie  Highiands,  l.  Il,  p.  71  ;  —  le  Père 
d'Orléans,  Hist.  des  Rf'volutions  d'Anglelerre,  l.  lY,  p.  SO. 


AU  PARLEMENT  (i  août  16JH).  133 

qui  rendaient  le  fait  douteux.  Présumnnt  que  ce  pouvait 
être  vrai,  nous  sommes  en  toute  hâte  revenus  sur  nos  pas; 
notre  infanterie  et  la  plus  grande  partie  de  notre  cavalerie 
ont  passé  aujourd'hui  le  détroit  ;  nous  marchons  aussi  rapi- 
dement que  nous  le  pourrons  sur  lennemi  qui,  dans  sa 
crainte  et  son  désespoir,  et  poussé  par  une  impérieuse  né- 
cessité, s'est  décidé  à  tenter  la  fortune  dans  cette  voie.  J'aji- 
préhende  que,  s'il  marche  sur  l'Angleterre,  comme  il  a  sur 
nous  quelques  jours  d'avance,  cela  ne  trouble  l'esprit  de 
quelques  personnes  et  n'entraîne  quelques  inconvénients.  Je 
les  sens  profondément,  et  j'ai  été,  et  je  serai  aussi  vigilant 
que  qui  que  ce  soit  pour  les  prévenir.  Ce  qui  me  console, 
c'est  que  j'ai  agi  pour  le  mieux,  selon  mon  jugement  et  en 
toute  simplicité  de  cœur  devant  Dieu  ;  j'étais  convaincu  que, 
si  nous  ne  mettions  pas  fin  à  cette  affaire-ci,  elle  entraîne- 
rait un  autre  hiver  de  guerre,  à  la  ruine  de  nos  troupes  qui 
ne  sont  pas  aussi  endurcies  que  les  Écossais  aux  rigueurs 
de  ce  climat,  et  avec  des  dépenses  infinies  pour  le  trésor 
publie  de  l'Angleterre.  On  pensera  que  nous  pouvions  em- 
pêcher ce  mouvement  de  l'ennemi  en  nous  interposant  entre 
lui  et  notre  pays.  Je  crois  vraiment  que  nous  le  pouvions; 
mais  comment  nous  aurions  pu,  sans  faire  ce  que  nous  avons 
fait,  faire  abandonner  à  l'ennemi  la  position  qu'il  occupait, 
c'est  ce  que  je  ne  sais  pas  ;  à  moins  que  nous  n'eussions  eu 
une  forte  armée  sur  l'une  et  l'autre  rive  du  Forlh,  ce  que 
nous  n'avions  pas.  Comme  il  est  possible  que  l'ennemi  vous 
cause  quelque  embarras,  je  vous  prie  de  vouloir  bien,  avec 
le  même  courage  et  la  même  confiance  en  Dieu  qui  vous  ont 
soutenus  dans  les  grandes  choses  que  Dieu  a  jusqu'ici  faitc-^ 
par  vos  mains,  mettre  en  mouvement  toutes  les  forces  que 
vous  pourrez  rassembler,  afin  d'arrêter  un  peu  l'ennemi, 
jusqu'à  ce  que  nous  puissions  l'atteindre,  ce  qu'avec  l'aide  de 
Dieu  nous  nous  efforcerons  de  faire  pron)ptement.  Nous 
i.  ii 


iU  MESURES  DU  PARLEMENT 

avons  celte  rassurante  expérience  que  Dieu  glace  les  cœurs 
de  nos  ennemis  ;  quand  nous  Içs  rencontrerons  face  à  liicc, 
nous  espérons  que  le  Seigneur  fera  éclater  la  folie  de  ce  des- 
sein désespéré.  L'Angleterre  étaitnagucrc  bien  plus  troublée 
qu'elle  ne  l'est  maintenant  ;  une  armée  écossaise  bien  plus 
considérable  que  celle-ci ,  et  qui  n'avait  jamais  été  battue, 
nous  envahit;  nous  n'avions  que  bien  peu  de  forces  pour 
lui  i^ésister  h  Preslon;  nous  n'hésitâmes  cependant  pas  à 
nous  jeter  entre  elle  et  l'Ecosse,  et  comment  Dieu  nous  fit 
réussir,  c'est  ce  qu'il  ne  faut  pas  oublier.  Le  mouvement 
que  vient  de  faire  l'ennemi  n'est  pas  de  notre  fait,  et  n'ar- 
rive que  par  une  sorte  de  nécessité;  espérons  qu'il  aura  la 
même  issue.  Ce  sera  la  fin  tant  désirée  de  votre  œuvre;  nous 
devons  compter  sur  le  Seigneur,  sur  les  expériences  que 
nous  avons  déjà  faites  de  son  appui,  et  espérer  dans  sa  pré- 
sence qui  est  la  vie  de  notre  cause  ^.  » 

Cromwell  ne  s'était  pas  trompé  ;  le  trouble  fut  grand  dans 
Londres;  la  j)cur  se  cachait  sous  la  colère;  dans  le  Parle- 
ment commedans  la  Cité,  et  jusque  dans  l'intérieurdu  con- 
seil d'État,  on  s'en  prenait  à  lui,  on  déclamait  contre  lui  ; 
on  se  demandait  s'il  n'avait  pas  traité  avec  Charles  Stuart. 
«  Il  y  eut  des  hommes,  dit  mistress  Hutchinson,  qui  témoi- 
gnèrent d'indignes  et  ridicules  frayeurs ,  et  Bradshaw  lui- 
même,  tout  ferme  de  cœur  qu'il  était,  ne  pouvait  s'empê- 
cher, en  particulier,  de  manifester  ses  craintes.  «Mais,  parmi 
les  chefs  du  moins,  l'ébranlement  fut  court;  Vane,  Scott, 
Robinson,  Henri  Martyn,  étaient  des  hommes  d'un  courage 
aelif  et  obstiné,  passionnément  dévoués  à  leur  cause,  et 
compromis  d'ailleurs  à  ce  point  où  le  courage,  sans  cesser 
d'être  une  vertu ,  devient  une  nécessité.  Ils  prirent  sur-le- 
champ  des  mesures  pour  faire  face  aux  événements  et  pour 

'  Pari  Hist.,  l.  XIX,  p.  -455,  498;—  Godwin,  Hist.  of  thc  Common- 
waKh,  t.  Iir,  p.  253;  —  Carlyle,  Cromwell's  Letlcrs,  t.  IF,  p.  153-137. 


CONTRE  L'INVASION  DE  CHARLES  II.  133 

raffermir  les  esprits.  L'armée,  à  laquelle  ils  avaient  ajoute 
trois  mille  chevaux  et  mille  dragons,  reçut  une  nouvelle 
augmentation  de  quatre  mille  fantassins.  La  nn'lice  fut  re- 
mise en  vigueur  dans  tout  le  territoire.  Trois  régiments  de 
volontaires  furent  formés  dans  Londres  et  aux  environs, 
spécialement  affectés  au  service  et  à  la  garde  du  Parlement. 
Des  hommes  ardents  et  influents,  entre  autres  le  colonel 
Hutchinson  et  John  Cleypole,  gendre  de  Cromwell,  levèrent 
cux-mèmcs  des  escadrons  semblables,  et  le  Parlement  vota 
les  sonmics  nécessaires  pour  pourvoir  à  toutes  ces  dépenses. 
Charles,  en  entrant  en  Angleterre,  avait  |)ublié  une  procla- 
mation d'amnistie  générale  dont  trois  hommes  seulement, 
Cromwell,  Bradshaw  ctCook,  les  trois  grands  acteurs  dans 
le  procès  du  roi  son  père,  étaient  exceptés.  Le  Parlement  y 
répondit  en  la  faisant  brûler  à  Londres  par  la  main  du 
bourreau,  en  déclarant  Charles  Stuart  et  les  fauteurs  de  son 
entreprise  coupables  de  haute  trahison,  en  volant  contre 
quiconque,  par  une  voie  quelconque,  entretiendrait,  avec 
lui,  quelque  corres])ondance,  la  peine  de  mort,  en  empri- 
sonnant, exilant  ou  eonlinant  dans  leurs  terres  les  anciens 
royalistes,  en  exerçant  enfin  une  police  rigoureuse  et  minu- 
tieuse à  ce  point  qu'entre  autres  prcsciiptions  il  fut  enjoint 
à  tous  les  chefs  de  famille,  dans  certaines  parties  du  terri- 
toire, de  tenir  leurs  enfants  et  leurs  domestiques  étroite- 
ment renfermés  chez  eux,  sauf  à  des  heures  déterminées, 
et  de  les  signaler  au  comité  de  la  milice  du  lieu,  s'ils  étaient, 
pendant  plus  de  douze  heures,  absents  de  leur  maison  '. 

Charles  cependant  avançait,  avec  son  armée,  à  travers  les 
comtés  du  nord-ouest  de  l'Angleterre,  sans  rencontrer  au- 
cun obstacle.  Cromwell, en  apprenant  son  départ,  avait  aus- 

'  Mémoires  de  niislrcss  l/iilckinson,  dans  ma  Collccliun,  l.  Il,  p.  231;  — 
Journulsof  Ihe  llouse  of  commons,  t.  Vi,  p.  557,614,  619-622;  l.  VII,  p.  3, 
6.7,9,  10, 


156  MARCHE  DE  CHARLES  II 

sitôt  détaché  Lambert  et  Harrison, avec  deux  corps  de  troupes 
légères,  en  leur  ordonnant  de  le  suivre  et  de  le  harceler, 
soit  séparément,  soit  ensemble,  sur  ses  flancs  et  sur  ses  der- 
rières, de  manière  à  le  gcner  et  à  le  resserrer  dans  sa  mar- 
che, sans  engager  contre  lui  une  grande  action  qu'ils  n'au- 
raient pu  soutenir  et  que  Cromwell  voulait  se  réserver.  «  Sa 
Majesté,  écrivait  de  Penrilh  lord  Lauderdale  à  sa  femme, 
s'avance  en  Angleterre  à  la  tête  d'une  très-bonne  armée, 
presque  double,  si  ce  n'est  plus,  de  celle  avec  laquelle  le  feu 
roi  de  Suède,  Gustave-Adolphe,  entra  en  Allemagne.  Dès 
que  nous  avons  mis  le  pied  en  Angleterre,  S.  M.  a  été  pi'o- 
elaméc  roi  d'Angleterre  ,  par  un  Anglais  qu'Ellc  a  fait  roi 
d'armes  pour  ce  jour-là,  à  la  Icte  de  l'armée,  au  bruit  de 
ses  acclamations  et  de  ses  canons.  Hier,  le  roi  a  été  proclamé 
à  Penrith,  et  il  le  sera  ainsi  dans  toutes  les  villes  de  marché 
où  nous  passerons.  Jamais  armée  n'a  été  plus  disciplinée 
que  nous  ne  le  sommes  depuis  notre  entrée  en  Angleterre; 
j'ose  dire  que  nous  n'avons  pas  pris  la  valeur  de  six  sous. 
Croyez-moi,  ceci  est  la  meilleure  armée  écossaise  que  j'aie 
jamais  vue,  et  j'espère  qu'elle  le  prouvera.  Tous  ceux  qui 
n'étaient  pas  disposés  à  tout  risquer  dans  celte  affaire  avec 
leur  roi  nous  ont  abandonnés  sous  quelque  spécieux  pré- 
texte. C'est  une  purgalion  naturelle  qui  nous  fera  grand 
bien.  Point  d'action  encore,  si  ce  n'est  qu'on  a  repoussé 
quelques  petits  détachements  qui  ne  valent  pas  la  peine 
qu'on  en  parle.  Je  ne  veux  pas  oublier  une  chose  ;  ce  ma- 
tin, le  fils  de  milord  Howard  dEscrick  est  venu  à  nous  de 
l'ennemi,  amenant  tout  son  escadron  5  S.  M.  l'a  reçu  gra- 
cieusement et  l'a  aussitôt  fait  chevalier.  Il  est  le  premier, 
mais  j'ai  la  confiance  que,  sous  peu  de  jours,  bien  d'autres 
reviendront  à  leur  devoir  '.  > 

1  Carlyle,  Cromwcll'ii  Letlers,  l.  Il,  p.  157;  — Whilelockc,  p.  501;  —  Cary, 
McmoriaU  of  ihe  greal  civil  war  in  Entjland,  t.  H,  p.  507. 


EN  ANGLETERRE  (août  ICol).  137 

La  confiance  de  lord  Lauderdale  fut  trompée  ;  peu  d'An- 
glais vinrent  joindre  Charles  dans  sa  marche;  il  envahissait 
l'Angleterre  à  la  tête  d'une  armée  d'Écossais  et  de  presbylé- 
riens,  des  étrangers  et  des  sectaires  ;  Torgueil  national  était 
blessé;  les  partisans  de  l'Église  épiscopale  étaient  mécon- 
tents et  inquiets  ;  ces  sentiments  venaient  en  aide  à  la 
crainte  qu'inspiraient  le  Parlement  et  ses  rigueurs.  Charles 
ne  rencontrait  pas  plus  d'appui  que  de  résistance;  dans  la 
plupart  des  villes  qu'il  traversait,  il  était  accueilli  par  des 
acclamations  ;  mais  les  populations  ne  se  levaient  pas  ;  les 
chefs  royalistes  eux-mêmes  n'arrivaient  qu'en  très-petit 
nombre  et  très-peu  suivis.  Charles,  en  partant  d'Ecosse, 
avait  fait  prévenir  de  son  mouvement  l'un  des  plus  dévoués 
et  des  plus  braves,  le  comte  de  Derby,  qui,  depuis  la  fin  de 
la  guerre  civile,  vivait  retiré  dans  son  île  de  Man,  avec 
Charlotte  de  la  ïrémouille,  sa  femme,  aussi  royaliste  et  aussi 
héroïque  que  lui.  Derby  se  hâta  de  rejoindre  le  roi ,  avec 
une  petite  troupe  d'amis  et  de  serviteurs  d'élite,  et  Charles 
le  chargea  de  parcourir  le  comté  de  Lancaster  pour  y  exci- 
ter et  rassembler  ses  partisans.  Mais  pendant  que  le  comte 
s'efforçait  de  remplir  cette  mission,  il  fut  surpris  et  défait  à 
Wigan,  par  le  colonel  Robert  Lilburne,  que  Cromwcll,  dans 
sa  prévoyance,  avait  envoyé  vers  les  comtés  de  l'ouest  pour 
y  étouffer  les  mouvements  royalistes  ;  et  Derby,  un  moment 
prisonnier,  s'échappa  à  grand'peine  pour  aller  presque  seul 
et  en  fugitif  retrouver  le  roi  à  Worcester.  Un  autre  des 
lieutenants  de  Charles,  d'une  autre  nuance  religieuse  et  po- 
litique, le  général  Masscy,  bon  oflicier,  jadis  presbytérien 
et  parlementaire,  reçut  ordre  aussi  de  rallier  les  royalistes 
dans  ces  comtés  de  Lancaster  et  de  Chester  où  il  passait 
pour  avoir  du  crédit;  il  y  réussissait  assez  bien  lorsque  les 
ministres  écossais,  qui  suivaient  toujours  l'armée,  s'aperçu- 
rent qu'il  ralliait  indifféremment  des  épiscopaux  et  des  ca- 

12. 


Ï58  MARCHE  DE  CHARLES  II 

tholiqucs  aussi  bien  que  des  presbytériens;  ils  lui  adressè- 
rent, sans  en  rien  dire  au  roi^  une  déclaration  portant  que 
nul  ne  devait  être  admis  dans  l'armée  s'il  ne  prêtait  serment 
au  covenant,  et  lui  enjoignirent  de  la  publier.  Charles 
averti  écrivit  aussitôt  à  Massey  pour  interdire  cette  publi- 
cation; mais  sa  lettre,  interceptée  et  publiée  par  le  Parle- 
ment, révéla  une  fois  de  plus  le  peu  de  sincérité  du  roi  et 
les  troubles  intérieurs  de  son  parti.  En  même  temps  que  les 
royalistes  se  montraient  timides,  les  républicains  se  mon- 
traient obstinés  :  le  commandant  de  la  petite  place  de  Big- 
ger,  sommé  de  la  rendre,  répondit  qu'il  la  gardait  pour  la 
République  de  qui  il  la  tenait.  Charles  avait  compté  faire, 
de  la  ville  de  Shrewsbury,  le  centre  de  ses  opérations  dans 
l'ouest,  et  il  se  flattait  que  le  gouverneur,  le  colonel  Mack- 
worth,  homme  de  loi  devenu  militaire,  lui  en  ouvrirait  les 
portes  ;  Mackworth  les  lui  ferma  rudement,  et  reçut  aussitôt 
du  Parlement  une  chaîne  d'or,  en  remercîment  de  sa  fidé- 
lité. En  arrivant  à  Warrington,sur  la  Mersey,  l'armée  royale 
aperçut  sur  la  gauche  un  corps  de  troupes  considérable  ; 
c'était  Lambert  et  Harrison  réunis  qui  voulaient  lui  barrer 
le  passage  en  coupant  le  pont  sur  le  fleuve  ;  ils  n'y  réussi- 
rent pas  ;  l'armée  passa,  et  quelques  escadrons  de  Cavaliers 
chargèrent  vivement  l'avant-garde  de  Lambert,  en  criant  : 
«t  Ah  !  coquins,  nous  serons  sur  vous  avant  que  votre  Crom- 
well  arrive.  »  Lambert  refusa  l'action  et  se  replia  un  peu  en 
désordre.  Charles  ne  jugea  pas  à  propos  de  le  poursuivre; 
il  était  pressé  d'avancer  :  mais  au  moment  même  où  l'en- 
nemi se  retirait,  le  roi  vit  son  lieutenant  général  David  Les- 
ley,  marchant  à  l'écart,  l'air  mélancolique  et  abattu  ;  Charles 
poussa  vers  lui  son  cheval  et  lui  dit  vivement  :  «  Comment 
pouvez-vous  être  triste,  général,  à  la  tête  d'une  si  bra^  e  ar- 
mée? Voyez  comme  elle  a  bonne  mine! — Sire,  lui  répondit 
Lesley  à  loreille,  je  suis  triste  parce  que  je  sais,  quelque 


EN  ANGLETERRE  (agit  16bl).  13!) 

bonne  mine  qu'elle  ait,  que  celle  armée  ne  se  battra  pas  '.  » 
Le  22  août,  Charles  arriva  à  Worceslcr  où  il  avait  promis 
à  ses  troupes  fatiguées,  de  bons  quartiers  et  quelque  repos. 
Un  moment  il  fut  tenté  de  repartir  immédiatement  et  de 
marcher,  sans  s'arrêter,  sur  Londres  ;  mais  il  était  de  ceux 
qui  ont  assez  d'esprit  pour  entrevoir  les  grands  desseins  cl 
l'càme  trop  faible  pour  les  exécuter.  Worceslcr  était  une  ville 
importante  et  bien  située;  le  conseil  d'État  en  avait  lait  un 
lieu  d'exil  pour  un  certain  nombre  degcntilshommesdes  en- 
virons qui  s'y  trouvaient  ainsi  réunis  à  l'arrivée  du  roi,  et 
qui  le  reçurent  avec  transport;  le  maire  et  toutes  les  auto- 
rités locales  lui  témoignèrent  le  même  dévouement  ;  elles 
prirent  aussitôt  dos  mesures  pour  l'approvisionnement  de 
son  armée.  Charles  résolut  d'établir  là  son  quartier  général  ; 
et  le  25  août  1651,  précisément  neuf  ans  ,  jour  pour  jour , 
après  celui  où  le  roi  son  père  avait  planté  l'étendard  royal  à 
Noltinghain  pour  commencer  la  guerre  civile  ,  Charles 
planta  le  sien  à  Worceslcr,  et  appela,  par  une  proclamation 
solennelle  ,  tous  ses  sujets  entre  seize  et  soixante  ans  à  s'y 
rallier  pour  la  grande  revue  qu'il  voulait  passer  dans  les 
prairies  situées  entre  la  ville  et  la  Saverne  qui  l'arrose. 
Trente  ou  quarante  gentilshorâmes  seulement,  avec  deux 
cents  hommes  à  leur  suite,  vinrent  à  ce  rendez-vous. 
L'armée  royale  se  trouva  là  forte  d'environ  douze  mille 
hommes ,  dont  dix  mille  Écossais  et  à  peine  deux  mille  An- 
glais^. » 

Un  mouvement   très-vif,  au  contraire,  éclalait  dans  le 

'  Clnrcndon,  Hist.  of  tlic  RrbcUion,  1.  xiii,  c.  Îiô-C4  ;  —  Wliilclocko, 
p.  301-503,  2GG;  —  Godwin,  llist.  of  ihe  Commonweatlh,  t.  III.  p.  2(!0-t!(;7; 
—  Lingaid,  Hist.  of  England,  I.  XI,  p.  C4-G7  ;  -  Tlw  lioacobH  TrucU 
(I830j,  p.  27-29. 

*  Wliilelocke,  p.  505,  5504;  -  Cliii-cndoii,  llhl.  of  the  RcbclUon,  I.  xiii, 
c.  70;  —  The  Ihscobd  Tracts,  p.  27,  175-180;  -  Carijle,  Cromuclls  l.it- 
icrs,  t.  Il,  p.  158  ;  —  Lingard,  Jlisl.  ofEmjhnU,  t.  XI,  p.  ('Ji. 


UO  CHARLES  II  A  WORCESTER. 

parti  républicain,  et  même  dans  le  pays,  contre  ces  voisins 
arrogants  qui  venaient  imposer  par  la  force  un  roi  à  l'An- 
gleterre, et  ces  presbytériens  lyranniqucs  qui  prétendaient 
fonder  leur  culte  sur  l'oppression  des  consciences  chrétien- 
nes. La  diversité  des  idées  et  des  vœux  politiques  se  taisait 
presque  devant  ce  sentiment  national.  Les  milices  d'un 
grand  nombre  de  villes,  Londres,  Bristol ,  York,  Coventry, 
Glocester  ,  Hereford  ,  se  levaient  avec  ardeur  pour  défendre 
leurs  foyers,  ou  méaic  pour  aller  rejoindre  l'armée  qui  dé- 
fendait le  pays.  Des  régiments  de  volontaires  se  formaient 
dans  plusieurs  comtés  avec  le  même  dessein.  Fairfax,  qui 
s'était  refusé  à  envahir  l'Ecosse,  se  mettait,  dans  le  comté 
d'York,  à  la  tète  de  ses  voisins,  et  offrait  lui-même  à  Crom- 
well  ses  services  pour  repousser  ceux  qui  osaient  envahir 
l'Angleterre.  Le  Parlement  par  ses  mesures  et  ses  récom- 
penses, et  Cromwell  par  ses  commandements  et  ses  exem- 
ples sur  toute  sa  route  du  nord-est  au  sud-ouest  de  l'Angle- 
terre, fomentaient  sans  relâche  ce  mouvement;  cl  lorsque, 
après  vingt  et  un  jours  de  marche,  Cromwell,  parti  d'Ecosse 
avec  dix  mille  hommes,  arriva  le  28  août  devant  Worcestcr, 
il  réunit  sous  ses  murs  une  armée  de  ti^ente-quatre  mille 
quatre  cents  hommes,  dont  vingt-quatre  mille  fantassins  et 
dix  mille  quatre  cents  chevaux  '. 

L'armée  royale  était  beaucoup  moins  nombreuse ,  moins 
animée  et  moins  bien  commandée.  On  ne  savait  même  pas 
avec  certitude  qui  la  commanderait.  Au  moment  où  elle 
était  entrée  en  Angleterre,  le  duc  de  Buckingham,  ambi- 
tieux, présomptueux  et  remuant,  avait  dit  au  roi  qu'elle  ne 
pouvait  plus  rester  sous  les  ordres  d'un  Écossais,  et  il  s'était, 

1  Whilelocke,  p.  497,  502,  50i;  —  Journals  of  Ihe  Home  of  commons, 
t.  VII,  p.  6,  8  ;  —  Godwin,  Hist.  of  thc  Commonweallh,  l  .MF,  p.  265,  268, 
407;  —  Brodie,  Uist,  of  ihc  Briti^h  Empire,  l.  IV,  p.  307;  —  The  Boscobci 
Tracts,  p.  180. 


CR03IWELL  SE  RÉSOUT   A  L'ATTAQUER.  Ul 

à  la  grande  surprise  de  Charles,  proposé  lui-même  pour 
remplacer  Lesley.  A  Worcester,  quand  l'action  décisive  ap- 
procha, il  renouvela  sa  demande  avec  tant  d'insistance  que 
le  roi  impatienté  lui  dit  :  «  Vous  ne  parlez  pas  sérieusement; 
vous  n'êtes  pas  propre  à  cette  charge.  —  Pourquoi  donc  , 
sire  ?  —  Parce  que  vous  êtes  trop  jeune.  —  Mais  ,  sire ,  le 
roi  de  France,  Henri  IV,  a  commandé  une  armée  et  gagné 
une  bataille,  étant  plus  jeune  que  moi.  —  Je  n'aurai  point 
d'autre  généralissime  que  moi-même,  »  répondit  le  roi  (]ui 
renvoya  Buckingham  plein  d'humeur ,  à  ce  point  qu'il  ne 
parut  plus  au  conseil  et  se  tint  à  l'écart,  adressant  à  peine  lu 
parole  au  roi.  La  mésintelligence  régnait  parmi  les  autres 
généraux  ;  Lesley,  triste  et  impopulaire,  détestait  Middle- 
ton,  confiant  et  aimé  des  soldats;  Massey,  grièvement  blessé 
dans  une  rencontre  où  il  avait  voulu  empêcher  l'ennemi  de 
passer  la  Saverne  et  de  s'établir  sur  les  deux  rives  du  fleuve, 
était  dans  son  lit,  hors  d'état  de  servir.  Charles  s'employait 
tantôt  à  réconcilier,  tantôt  à  suppléer  ses  lieutenants;  mais 
il  était  lui-même  léger  et  insouciant  ;  il  avait  peu  d'autorité, 
peu  de  foi  dans  son  propre  succès  ;  et  les  traîtres  ne  man- 
quaient])as  dans  les  murs  de  Worcester  pour  faire  connaître 
à  CromwcU  le  mauvais  état  intérieur  de  l'armée  royale,  ses 
dissensions,  ses  hésitations,  ses  mouvements  et  ses  projets  '. 
Cromwcll  n'hésita  point  :  sans  s'arrêter  aux  lenteurs  d'un 
siège,  il  résolut  d'assaillir  sur-le-champ  Worcester,  sur  les 
deux  rives  de  la  Saverne,  par  les  deux  extrémités  de  la 
place,  et  de  l'enlever  à  tout  prix.  Campé  sur  la  rive  gauche 
du  fleuve,  il  fit,  le  jour  même  de  son  arrivée,  et  malgré  la 
vive  résistance  des  royalistes,  passer  un  corps  de  troupes 
sur  la  rive  droite  où  Lambert  les  établit,  et  cinq  jours 

■  Clarenilon,  Ilisl.  of  llie  JtcbclL,  1.  xiii,  c.  71;  —  Doscobcl  Trarls,  p.  30, 
125,  180,  220;  —  Wliitclockc,  p.  W6  ;  —  C;irlylc,  CromwcH's  Lcllcrs,  t.  II, 
p.  UO. 


14.2  BATAILLE 

après,  le  2  septembre  au  soir  et  le  3  au  matin,  de  nombreux 
renforts  commandés  par  Fleelvood  firent  le  même  mouve- 
ment, avec  ordre  d'aller  attaquer,  à  Touest,  le  faubourg  de 
Woreester,  tandis  qu"à  l'est  Cromwell  dirigerait  lui-mcmc, 
contre  la  ville,  l'attaque  principale.  Charles,  mal  informé, 
ne  s'attendait  ce  jour-là  à  aucune  affaire  sérieuse  et  se  repo- 
sait sans  inquiétude;   mais  un  peu  avant   midi  il  monta, 
avec  son  état-major,  au  baut  du  clocher  de  la  calhédralc 
de  Woreester,  et  vit  de  là  plusieurs  régiments  de  Cromwell 
passant   le  fleuve  sur  un  pont  de    bateaux   et  marcbant 
contre  le  corps  écossais  cbargé  de  défendre  la  ville  à  l'ouest 
sous  les  ordres  du  major  général  Montgomery.  Presque  au 
même  moment,  on  entendit,  du  côté  de  l'est,  les  décbarges 
de  l'artillerie  républicaine  qui  commençait  à  ballre  les  ap- 
proches de  la  place.  Charles  descendit  en  hâte  du  clocher, 
monta  à  cheval  et  se  porta  sur  le  faubourg  de  l'ouest  pour 
soutenir  Montgomery.  Cromwell  y  était  déjà  en  personne  et 
poussait  vivement  l'attaque;  il  avait  voulu,    avant  d'agir 
lui-même  sur- la  rive  gauche,  s'assurer  que  les  ordres  qu'il 
avait  donnés  sur  la  rive  droite  seraient  bien  exécutés.  Les 
Écossais  résistaient  fermement.  Charles  pensa  que  le  gros 
de  l'armée  parlementaire  était  engagé  de  ce  côté,  et  rentrant 
aussitôt  dans  la  ville,  il  se  mit  à  la  tête  de  sa  meilleure  in- 
fanterie et  de  ses  escadrons  de  Cavaliers  anglais,  sortit  par 
la  porte  de  l'est,  et  alla  attaquer  le  camp  de  Cromwell,  dans 
l'espoir  de  le  trouver  très-affaibli  et  de  l'emporter.  Mais 
Cromwell  aussi  repassa  rapidement  sur  la  rive  gauche  du 
fleuve,  et  reparut  à  la  tête  des  troupes  qu'il  y  avait  laissées. 
La  bataille,  ainsi    engagée  aux  deux  extrémités  de  Wor- 
eester, dura  quatre  ou  cinq  heures,  «  aussi  rude  que  j'en 
aie  jamais  vu,  »  écrivit  Cromwell,  mais  commencée  et  sou- 
tenue, par  les  royalistes,  au  milieu  d'une  grande  confusion. 
Le  corps  conduit  par  Charles  lui-même  chargea  si  vivement 


DE  WORCESTER  (3  septembre  IGSl).  \13 

les  républicains  qu'ils  fléchirent  d'abord,  abandonnant  une 
partie  de  leurs  canons;  trois  raille  hommes  de  cavalerie 
écossaise,  commandés  par  Lcsley,  étaient  sous  les  armes  en 
arrière  du  roi  qui  leur  fit  donner  l'ordre  de  suivre  son 
mouvement  et  de  charger  à  leur  tour  :  «  Une  heure  de 
Montrosc!  »  criaient  les  Cavaliers  anglais;  mais  Lesley  resta 
immobile.  Cromwell  cependant  ralliait  ses  troupes  et  re- 
prenait l'olTonsivc;  l'infanterie  royale,  manquant  de  muni- 
lions,  se  replia;  le  due  de  Hamilton  et  sir  John  Douglas 
furent  blessés  à  mort.  Cromwell,  partout  présent  et  con- 
fiant, poussa  de  sa  personne  jusqu'au  pied  des  retranche- 
mcnls  du  fort  royal  qui  couvrait  de  ce  côté  la  place,  et  fit 
sommer  le  commandant,  qui  l'occupait  avec  quinze  cents 
hommes,  de  se  rendre;  on  lui  répondit  à  coups  de  canon; 
le  fort  fut  emporté  et  la  garnison  passée  au  fil  de  l'épée. 
Royalistes  et  républicains  arrivèrent  en  combattant  à  la 
porte  de  la  ville;  là,  le  désordre  fut  extrême;  des  chariots 
renversés  obstruaient  le  passage;  Charles  fut  obligé  de  des- 
cendre de  cheval  et  de  rentrer  à  pied  dans  Worcester;  les 
républicains  s'y  précipitèrent  après  lui.  Pendant  ce  temps, 
la  lutte  avait,  à  l'ouest,  la  même  issue;  les  Ecossais  de 
Montgomery,  après  avoir  é|)uisé  leurs  munitions,  se  reti- 
raient sur  la  ville,  poursuivis  par  les  troupes  de  Flectwood 
qui  y  entraient  avec  eux.  Le  combat  recommença  dans  les 
rues,  transformé  en  rencontres  particulières,  et  mêlé  de 
pillage  et  d'héroïsme,  de  fuite  et  de  dévouement.  Charles, 
remonté  à  cheval,  s'efforçait  de  rallier  les  siens,  disant  : 
«  Tirez  sur  moi  plutôt  que  de  me  laisser  vivre  pour  voir  les 
suites  de  ce  jour  fatal.  »  Mais  bientôt  il  ne  fallut  plus  songer 
qu'à  ne  pas  tomber  aux  mains  de  l'ennemi;  une  cinquan- 
taine de  royalistes,  conduits  par  lord  Clevcland,  le  colonel 
Wogan,  sir  James  Hamilton,  le  major  Careless,  se  formè- 
rent en  un  petit  corps,  et ,  avec  un  ardent  courage  ,  char- 


iU  DEFAITE  ET  FUITE 

gèrent  çà  et  là  les  troupes  républicaines,  pour  couvrir  la 
retraite  du  roi  qui  sortit  enfin  de  Worcester  par  )a  porte 
Saint-Martin,  et  se  jeta  sur  la  route  du  nord.  Il  y  retrouva, 
à  peu  de  distance,  une  partie  de  la  cavalerie  de  Lesley  qui 
fuyait  sans  avoir  combattu  :  il  eut  un  moment  quelque 
envie  de  tenter  encore,  sur  eux,  un  effort  pour  revenir  sur 
ses  pas  et  rengager  l'action.  «  Mais  non,  dit-il  ;  des  hommes 
(jui  m'ont  abandonné  quand  ils  étaient  en  bon  ordre,  ne 
me  soutiendront  pas  quand  ils  sont  battus.  »  Il  laissa  Lesley 
et  les  Écossais  opérer  comme  ils  voulaient  leur  retraite,  et 
ne  s'inquiéta  plus  que  de  sa  propre  sûreté.  L'idée  lui  vint 
d'aller  chercher  un  asile  dans  Londres  ,  le  meilleur  lieu 
peut-être,  et  pour  se  cacher,  et  pour  éclater  dans  l'occa- 
sion; mais  il  n'en  parla  qu'à  lord  Wilmot,  son  plus  intime 
confident,  et  suivi  d'une  soixantaine  de  Cavaliers  dévoués, 
il  poursuivit  sa  route  vers  le  nord,  protégé,  pour  le  mo- 
ment, par  la  nuit,  et  cherchant,  avec  ses  compagnons,  des 
moyens  de  salut  pour  le  lendemain  '. 

Au  même  moment,  à  dix  heures  du  soir,  Cromwell,  à 
peine  entré  dans  Worcester  encore  en  proie  à  la  confusion 
et  au  pillage,  annonçait  en  peu  de  mots  au  Parlement  sa 
victoire  5  et  plus  libre  le  lendemain  :  «  La  bataille,  écri- 
vit-il, a  été  livrée  avec  des  succès  divers,  quoique  toujours 
avec  bonne  espérance  pour  nous,  et  elle  est  enfin  devenue 
une  victoire  complète,  si  complète  que  c'est  la  ruine  totale 
de  l'armée  ennemie...  Nous  avons  pris  tout  leur  bagage  et 
leur  artillerie.  Je  ne  saurais  vous  dire  encore  le  nombre 
des  morts,  mais  il  y  en  a  eu  beaucoup,  car  la  lutte  a  été 

»  Bûscobel  Tracts,  p.  30-38,  123-130,  134  ;  -  ClareiiJon,  Hist.  of  ihe  Ré- 
bellion, I.  XIII,  c.  72-81;  —  Clareiulon,  Stale-Papcrs,  t.  IH,  p.  30;— White- 
lockc,  p.  507  ;  —  Carlyle,  Crotmvcll's  Lclters,  t.  Il  ;  —  Godwin,  p.  140  ;  — 
Baies,  Elcnchns  moluiun  nuperorum,  part.  11,  p.  219-223;  —  Hist.  of  llie 
Commonweulth,  l.  III,  p.  271  274;  —  Liiigaicl,  Hist.  of  England,l  XI, 
p.  G7-70;  —  Crumwelliana,  p.  115;  —  Parliam.  History,  t.  XX,  p. 59-68. 


DE  CHARLES  II.  145 

longue  et  soutenue  de  très-près,  souvent  i\  coups  de  pique. 
Nous  avons  six  ou  sept  mille  prisonniers,  l)c.iucoup  d'ofïi- 
ciers  et  de  nobles,  le  duc  de  Hamilton,  le  comte  de  Rothcs, 
on  dit  aussi  le  comte  de  Lauderdale,  et  bien  d'autres 
hommes  de  grand  nom  dont  quelques-uns  seront,  à  bon 
droit,  les  objets  de  votre  justice...  Vraiment  les  dimensions 
de  cette  grâce  de  Dieu  surpassent  mes  pensées;  c'est,  si  je 
ne  me  trompe,  une  grâce  suprême  et  qui  couronne  vos 
travaux....  pourvu  qu'elle  porte  tous  ceux  qui  y  sont  inté- 
ressés à  la  reconnaissance  envers  Celui  dont  le  bon  plaisir 
est  de  consolider  notre  changement  de  gouvernement,  en 
disposant  si  bien  le  peuple  h  le  défendre  et  en  bénissant 
les  efforts  de  ses  serviteurs  dans  cette  grande  œuvre  '.  » 

A  la  lecture  de  cette  lettre,  le  Parlement  fit  entrer  le 
major  Cobbett  qui  l'avait  apportée;  et  voulut  entendre  de 
sa  bouche  un  récit  circonstancié  de  la  bataille.  Cobbett 
déposa  en  même  temps  le  collier  et  la  jarretière  du  roi, 
trouvés  à  Worcester  dans  la  maison  qu'il  occupait.  Deux 
membres  de  la  Chambre,  Scott  et  le  major  Salloway,  reve- 
nus du  camp  où  ils  avaient  été  envoyés,  satisfirent  aussi 
par  de  nombreux  détails  la  curiosité  de  leurs  collègues. 
Chaque  jour  apportait  les  noms  de  nouveaux  et  importants 
prisonniers;  les  comtes  de  Derby,  de  Cleveland,  de  Lau- 
derdale, de  Shrewsbury,  de  Kelly,  Massey,  Middleton, 
Lesley  lui-même,  presque  tous  les  chefs  royalistes  tombè- 
rent, dans  leur  fuite,  entre  les  mains  des  autorités  républi- 
caines. C'était  vraiment,  selon  l'expression  de  Cromwell, 
une  victoire  suprême  et  le  couronnement  de  la  guerre.  Le 
Parlement  voulut  en  témoigner,  par  toutes  sortes  de  mar- 
ques, sa  joie  reconnaissante.  Il  ordonna  un  service  solen- 
nel d'actions  de  grâces  dans  les  trois  royaumes  et  un  grand 

*  Cai'Iyle,  CromweU's  Lelters,  t.  H,  p.  143-14G. 

RÉPUBLIQUE    D'ANOLETEnnE.    1.  " 


U6  RIGUEURS  DU  PARLEMENT 

banquet  dans  Whitehall.  Quatre  membres,  Wbifelockc, 
Lisle,  Saint-John  et  Pickering,  ftircnt  désignes  pour  aller 
au-devant  de  Cromwell,  el  lui  exprimer,  en  termes  offi- 
ciellement voles,  les  sentiments  qu'inspiraient  à  la  Cham- 
bre ses  glorieux  services.  Le  palais  de  Ilamploncourt  lui 
fut  assigné  comme  résidence,  avec  une  dotation  en  terres 
de  4,000  liv.  sterl.  de  revenu.  Ses  principaux  officiers,  et 
jusqu'aux  obscurs  messagers  qui  avaient  apporté  les  nou- 
velles, reçurent  de  riches  récompenses.  Les  rigueurs  tom- 
bèrent sur  les  vaincus  en  même  temps  que  les  grâces  sur 
les  vainqueurs.  Parmi  les  principaux  prisonniers,  neuf  fu- 
rent choisis  pour  être  traduits  devant  des  cours  martiales, 
comme  coupables  de  haute  trahison  ;  l'un  d'entre  eux,  le 
duc  de  Hamilton,  mourut  de  ses  blessures  avant  le  juge- 
ment; trois,  le  comte  de  Derby,  sir  Timothée  Feathers- 
tonhaugh  et  le  capitaine  Benbow,  jugés  et  condamnés  à 
Chesler,  subirent  leur  sort  en  martyrs  d'élite.  »  Je  ne  sens 
dans  ma  conscience,  dit  le  comte  de  Derby  sur  l'échafaud, 
aucun  scrupule  sur  la  cause  dans  laquelle  je  me  suis  engagé; 
c'est  au  nom  des  principes  de  la  loi  et  de  la  religion  que  je 
l'ai  soutenue  ;  mon  jugement  est  satisfait,  et  j'en  bénis  Dieu. 
Je  n'ai  point  la  présomption  de  prononcer  dans  ces  con- 
troverses ;  je  prie  Dieu  de  faire  prospérer,  pour  sa  gloire, 
ceux  qui  ont  le  bon  droit;  et  je  vous  souhaite  autant  de 
prospérité  et  de  paix  que  j'en  vais  trouver  au  delà  de  tout 
ce  que  vous  possédez  ici.  »  Soit  que  de  tels  discours  des 
vaincus  parussent,  au  Parlement,  plus  dangereux  que  le 
châtiment  n'était  utile,  soit  que  la  grandeur  du  triomphe 
l'inclinât  à  la  modération,  il  ne  multiplia  point  ces  sanglants 
spectacles  ;  les  autres  prisonniers  de  marque  restèrent 
détenus  à  la  Tour.  La  multitude  fut  traitée  durement,  mais 
sans  bruit  ;  on  vendit  ou  l'on  donna  par  railbers  les  soldais 
royalistes  à  des  négociants  et  à  des  planteurs,  pour  les  Ira- 


CONTRE  LES  VAINCUS.  1^7 

vaux  des  colonies  ou  des  mines  d'Afrique.  Enfin  ilfutdccrélc 
et  solennellement  proclamé  partout  qu'une  récompense  de 
mille  livres  sterling  serait  donnée  «  à  quiconque  amènerait 
au  Parlement  Charles  Stuart,  fds  du  dernier  tyran  '.  » 

Pendant  que  le  Parlement  rendait  à  Londres  ce  décret, 
ses  soldats  parcouraient  en  tous  sens  les  comtés  de  l'ouest, 
cherchant  partout  le  roi  et  trouvant  sa  trace  partout,  mais 
lui  nulle  part.  Cinq  jours  après  la  bataille,  un  détachement 
d'infanterie  arriva  brusquement  à  White-Ladies,  ancien 
monastère  devenu  la  demeure  de  M.  GifFard,  gentilhomme 
catholique,  et  le  somma,  le  pistolet  sur  la  gorge,  de  décla- 
rer où  était  maintenant  le  roi  que  naguère,  lui  dit-on,  il 
avait  caché  chez  lui.  M.  Giffard  nia  résolument,  demandant 
qu'avant  de  mourir  on  lui  donnât  le  temps  de  faire  ses 
prières.  «  Si  vous  ne  nous  donnez  pas  des  nouvelles  de 
Charles  Stuart,  point  de  prières.  »  11  persista  dans  son 
silence,  et  les  soldats,  après  avoir  rudement  fouillé  toute  sa 
maison,  s'éloignèrent  sans  lui  faire  plus  de  mal.  >\"hitc- 
Ladies  avait  été  en  effet  le  premier  asile  de  Charles  ;  arrivé 
là,  le  4  septembre,  au  point  du  jour,  douze  heures  à  peine 
après  s'être  échappé  de  Worccstcr,  il  avait  aussitôt  coupé 
ses  cheveux,  teint  ses  mains  et  son  visage,  pris  un  grossier 
habit  de  paysan,  et  cinq  paysans,  les  frères  Penderell,  tous 
laboureurs,  bûcherons  ou  domestiques  au  service  de  M.  Gif- 
fard, s'élaient  chargés  de  sa  sûreté.  «  Voici  le  roi,  avait  dit 
M.  Giffard  à  W^illiam  Penderell;  tu  auras  soin  de  lui,  et  tu 
le  défendras  comme  tu  me  défendrais.  »  Ils  emmenèrent 
Charles  à  Boscobcl-Housc,  leur  chaumière,  et  le  cachèrent 
dans  les  bois.  Il  pleuvait  violemment  :  Richard  Penderell  se 

'  Journals  of  thc  House  of  commons,  t.  VII,  p.  12-16;  —  Parliam.lliitl., 
t.  XX,  p.  72  ;  —  Slalc-Trials,  l.  V,  p.  294-3'23  ;  —  Doscobd  Tracts,  \^.  187, 
193-198  ;  —  Wliilflockc,  p.  «08  ;  —  Clurcndoii,  Ilisl.  of  tin-  ItchclL,  1.  xiii, 
c.  76  82;  —  Godwin,  Hist.  of  thc  Commonwcallh,  t.  lH,  p-  275-27G. 


148  AVENTURES  DE  CHARLES  II 

procura  une  couverture  et  l'ctendit  au  pied  d'un  arbre;  sa 
soeur,  misfrcss  Yates,  apporta  du  pain,  du  lait,  desœufs,  du 
beurre.  «  N'est-ce  pas,  bonne  femme,  lui  dit  Charles,  vous 
serez  fidèle  à  un  Cavalier  malheureux? —  Oui,  monsieur,  je 
mourrai  plutôt  que  de  vous  découvrir.  )>  Des  soldats  [tas- 
sèrent sur  la  lisière  du  bois,  mais  sans  y  entrer,  à  cause  de 
l'orage  qui  éclatait  plus  violemment  sur  le  bois  même  qu'au 
dehors.  Le  lendemain,  ce  fut  dans  les  branches  touffues  d'un 
grand  chêne  que  le  roi  se  tint  caché,  et  de  là  il  voyait  rôder 
dans  la  campagne  des  pelotons  de  soldats  ardents  à  sa  re- 
cherche. Une  nuit,  il  quitta  son  asile  pour  essayer  de  tra- 
verser la  Saverne  et  de  se  réfugier  dans  le  pays  de  Galles  ; 
mais  comme  il  passait  avec  Richard  Penderell,  son  guide, 
auprès  d'un  moulin  :  «  Qui  va  là?  cria  le  meunier.  —  Des 
voisins  qui  rentrent  chez  eux,  répondit  Penderell.  —  Si  vous 
êtes  des  voisins,  arrêtez-vous;  sinon,  je  vous  assomme.  »  Ils 
s'enfuirent  à  toutes  jambes,  poursuivis  par  plusieurs  hommes 
sortis  du  moulin  avec  le  meunier.  Dnns  une  de  leurs  tenta- 
tives d'évasion,  ce  fut  le  roi,  nageur  habile,  qui  soutint,  au 
passage  d'une  petite  rivière,  son  guide  hors  d'état  de  nager. 
Il  erra  ainsi  sept  jours  dans  cette  contrée,  changeant  presque 
chaque  jour  d'asile,  tantôt  enfoui  sous  le  foin  d'une  grange, 
tantôt  enfermé  dans  quelqu'un  des  réduits  obscurs  qui  ser- 
vaient de  retraite  aux  prêtres  catholiques  proscrits,  enten- 
dant ou  voyant,  à  chaque  instant,  les  soldats  républicains 
près  de  le  découvrir.  De  concert  avec  ses  fidèles  gardiens  et 
avec  lord  Wilmot  qui  l'avait  rejoint,  il  résolut  de  gagner  le 
rivage  de  la  mer,  du  côté  de  Bristol,  dans  l'espoir  de  fréter 
là  un  bâtiment  pour  passer  en  France.  11  changea  de  dégui- 
sement, prit  une  livrée  de  domestique  au  lieu  de  son  habit 
de  paysan,  et  partit  à  cheval,  sous  le  nom  de  William  Jack- 
son, portant  en  croupe  sa  maîtresse,  miss  Jane  Lane,  soeur 
du  colonel  Lane,  de  Bentley,  son  dernier  refuge  dans  le 


APRES  LA  BATAILLE  DE  WORCESÏER.  iiO 

comté  de  Stafford.  «(  William,  lui  dit  le  colonel  au  moment 
du  départ,  donne  la  main  à  ma  sœur  pour  l'aider  à  mon- 
ter, n  Le  roi,  peu  expérimente,  se  trompa  sur  la  main  qu'il 
fallait  donner  :  n  Qu'est-ce  donc  que  ce  beau  cavalier  (ju'a 
là  ma  fille  pour  la  porter  en  croupe?  »  demanda  en  riant  la 
vieille  mistress  Lane,mère  du  colonel,  qui  assistaitau  départ 
sans  en  savoir  le  secret.  Us  partirent  ;  mais  à  peine  avaient-ils 
marché  deux  heures  que  le  cheval  du  roi  perdit  un  de  ses 
fers  ;  ils  s'arrêtèrent  dans  un  petit  village  pour  en  faire  re- 
mettre un;  Charles  tenait  lui-même  le  pied  de  son  cheval. 
«1  Quelles  nouvelles?  dit-il  au  maréchal.  ■ —  Je  n'en  sais 
point,  sinon  que  ces  coquins  d'Ecossais  ont  été  bien  battus. 

—  N'a-t-on  pris  aucun  des  Anglais  qui  se  sont  joints  aux 
Écossais?  —  On  en  a  pris  quelques-uns,  mais  je  n'ai  pas 
entendu  dire  que  le  coquin  de  Charles  Stuart  ait  été  pris. 

—  Ce  coquin-là,  dit  le  roi,  mériterait  plus  que  tous  les  autres 
d'être  pendu  pour  avoir  amené  ici  les  Écossais. —  C'est  par- 
ler en  honnête  homme,»  dit  le  maréchal, et  Charles  remonta 
à  cheval  et  reprit  sa  route  '. 

Arrivé  le  12  septembre  à  Abbotsleigh,  près  de  Bristol, 
chez  M.  Norton,  cousin  du  colonel  Lane,  il  acquit  bientôt 
la  triste  assurance  qu'il  n'y  avait,  dans  le  port  de  Bristol, 
aucun  navire  sur  lequel  il  pût  s'embarquer,  et  il  fut  obligé 
de  rester  là  quatre  jours,  passant  pour  un  jeune  domestique 
n)alade,  cl  enfermé,  à  ce  tilre,  dans  une  petite  chambre  où, 
sur  la  recommandation  de  miss  Lane,  on  prenait  de  lui  des 
soins  particuliers.  Il  était  cffeclivemcnt  harassé  cl  défait, 
mais  peu  disposé  à  supporter  patiemment  la  faim  ou  l'ennui  ; 
le  lendemain  de  son  arrivée,  il  quitta  de  bonne  heure  sa 
chambre  pour  aller  chercher  à  l'oflice  son  déjeuner  ;  le  som- 

1  Boscobd  Tracts,  y.  \U,  190,  192,  218,  <0-i6;  lôG-UC;  -  225  220  ; 
239-241 . 

13. 


150  AVENTURES  DE  CHARLES  II 

melier  de  la  maison,  Pope,  et  deux  ou  trois  autres  domes- 
tiques s'y  trouvaient,  et  Charles  y  resta,  mangeant  et  buvant 
avec  eux  :  >i  J'avais  là,  dit-il  lui-même,  à  côté  de  moi,  un 
grand  garçon,  vrai  campagnard,  qui  se  mit  à  raconter  aux 
autres  la  bataille  de  Worccster  avec  des  détails  tels  que  j'en 
conclus  qu'il  était  un  des  soldats  de  Cromwell.  Je  voulus 
savoir  comment  il  était  si  bien  instruit  de  ce  qui  s'était 
passé  là  ;  il  me  dit  qu'il  servait  dans  le  régiment  du  roi,  et 
je  reconnus,  en  le  questionnant,  qu'en  effet  il  avait  été  dans 
le  régiment  de  mes  gardes.  Je  lui  demandai  alors  quelle 
espèce  d'homme  j'étais;  il  décrivit  exactement  mon  costume 
et  mon  cheval,  et  me  regardant  il  ajouta  que  le  roi  était  de 
trois  doigts  plus  grand  que  moi.  Je  jugeai  prudent  de  sortir 
de  l'office,  de  peur  qu'il  ne  me  reconnût,  car  j'étais  plus 
inquiet,  le  sachant  un  de  mes  soldats,  que  lorsque  je  le  pre- 
nais pour  un  de  mes  ennemis.  )>  Charles  était  à  peine  ren- 
tré dans  sa  chambre  qu'un  de  ses  compagnons  y  vint  fort 
troublé,  disanX  :  «  J'ai  peur  que  le  sommelier  Pope  ne  vous 
ait  reconnu  ;  il  m'a  affirmé  que  vous  étiez  le  roi  ;  j'ai  nie 
absolument;  que  faut-il  faire?  »  Charles  avait  déjà  appris 
que,  dans  les  situations  périlleuses,  la  confiance  hardie  est 
souvent  une  sûreté  aussi  bien  qu'une  nécessité  ;  il  fit  venir 
le  sommelier,  lui  dit  tout,  et  reçut  de  lui,  pendant  son  séjour 
chez  iM.  Norton,  les  soins  les  plus  intelligents  et  les  plus 
dévoués  '. 

Mais  les  soins  même  les  plus  discrets  sont  des  indices 
compromettants;  au  bout  de  quelques  jours,  il  fallut  chan- 
ger d'asile;  Charles  partit  d'Abbotsleigh  le  14  septembre 
pour  aller,  dans  le  même  comté  de  Somerset ,  à  Trent- 
House ,  chez  le  colonel  Wyndham ,  royaliste  éprouvé. 
En   1656,  six  ans  avant  l'explosion  de  la  guerre  entre 

>  Boscobrl  Tracts,  p.  54,  108-tiO,  U6-l'i0,  2i3, 


APRES  LA  BATAILLE  DE  WORCESTER.-  loi 

Charles  1«'  et  le  Parlement,  sir  Thomas  Wyndham,  père  du 
colonel,  avait,  sur  le  point  de  mourir,  dit  à  ses  cinq  fils  : 
«  Mes  enfants,  nous  avons  vécu  jusqu'ici  dans  des  temps 
sereins  et  tranquilles  ;  mais  préparez-vous  à  des  jours  d'o- 
rage ;  je  vous  ordonne  d'honorer  et  de  servir  notre  glorieux 
souverain  et  d'adhérer  toujours  à  la  couronne  :  fût-elle 
suspendue  à  un  buisson,  ne  l'abandonnez  jamais.  »  Les  pa- 
roles du  mourant  furent  obéies;  trois  de  ses  fils  et  un  de 
ses  petits-fils  se  firent  tuer  pour  Charles  I"  sur  les  champs 
de  bataille  ;  et  le  colonel  Wyndham,  qui  avait  aussi  servi 
avec  honneur  dans  l'armée  royale,  était,  en  1651,  prison- 
nier chez  lui  sur  sa  parole.  Il  reçut  le  roi  avec  un  dévoue- 
ment absolu,  et  se  mit  sur-le-champ  à  l'œuvre  pour  lui 
procurer,  dans  quelqu'un  des  ports  voisins,  un  moyen 
d'embarquement.  Il  crut  y  avoir  réussi  à  Southamjjton  ; 
mais  le  bâtiment  qu'il  avait  arrêté  fut  requis,  par  les  agents 
du  Parlement,  pour  transporter  des  troupes  à  Jersey.  Un 
patron  de  Lyme,  nommé  Limbry,  s'engagea,  non  sans  hé- 
sitation, à  transporter  à  Saint-Malo  quelques  gentilshommes 
royalistes  compromis  à  Worcester;  tout  fut  convenu,  le 
prix,  le  jour,  l'heure,  le  lieu  d'embarquement;  le  bâtiment 
devait  mettre  à  la  voile  le  23  septembre,  de  Charmouth, 
petit  port  voisin  de  Lyme,  et  une  chaloupe  devait  aller, 
pendant  la  nuit,  prendre,  sur  un  point  de  la  côte,  les  roya- 
listes fugitifs.  Charles,  guidé  parle  colonel  Wyndham,  se 
rendit  au  point  déterminé,  oîilord  Wilmot  vint  le  rejoindre; 
ils  attendirent  là  toute  la  nuit  ;  la  chaloupe  ne  vint  pas.  Le 
patron  Limbry,  au  moment  d'embarquer  ses  effets  pour 
partir,  avait  vu  éclater  le  désespoir  et  la  colère  de  sa  femme; 
on  avait,  ce  jour-là  même,  à  la  foire  de  Lyme,  proclamé 
l'acte  du  Parlement  qui  promettait  1,000  livres  sterl.  de 
récompense  à  quiconque  arrêterait  Charles  Stuart,  et  qui 
menaçait  en  même  temps  des  peines  les  plus  graves  qui- 


JS2  AVENTURES  DE  CHARLES  II 

conque  lui  donnerait  asile.  La  femme  de  Limbry,  sans  se 
douter  qu'il  s'agissait  du  roi  lui-même,  déclara  à  son  mari 
qu'elle  ne  souffrirait  pas  qu'il  prît  à  son  bord  aucun  royaliste, 
ni  qu'il  l'exposât,  elle  et  ses  enfants,  à  une  ruine  complète 
pour  aucun  de  ces  seigneurs,   n'importe  lequel  ;   et  avec 
l'aide  de  ses  deux  filles  elle  enferma  son  mari  chez  lui,  le 
menaçant,  s'il  persistait,  d'aller  sur-le-champ  tout  dénon- 
cer au  capitaine  Macy  qui  commandait,  à  Lyme,  une  com- 
pagnie de  troupes  du  Parlement.  Limbry  céda  aux  craintes 
et  aux  violences  de  sa  femme.  La  situation  du  roi  devenait 
dangereuse  ;  la  présence  et  les  allées  et  venues  de  plusieurs 
étrangers  à  Charmouth  avaient  été  remarquées  ;  le  cheval 
de  lord  Wilmot  eut  besoin  d'être  ferré  ;  le  maréchal  chez 
lequel  on  le  conduisit  dit  en  l'examinant:  «  Voilà  trois  fers 
qui  ont  été  mis  dans  trois  comtés  différents,  et  il  y  en  a  un 
qui  vient  du  comté  de  Worccstcr.  »  Des  soupçons  se  répan- 
dirent; le  ministre  puritain  du  lieu,  républicain  ardent, 
alla  trouver  Ihôtesse  de  l'auberge  où  s'était  arrêté  Charles  ; 
.c  Eh  bien  !    Marguerite,  lui  dit-il,  vous  voilà    donc  fille 
d'honneur?  —  Que  voulez-vous  dire,  M.   le  curé?  — Oui, 
Charles  Stuart  a  couché  chez  vous  la  nuit  dernière  et  vous 
a  embrassée  en  parlant;   vous  ne  pouvez  manquer  d'être 
fille  d'honneur.  »  L'hôtesse  se  fâcha.   «  C'est  une  indignité 
à  vous,  M.  le  curé,  de  me  mettre,  par  vos  propos,  moi  et 
ma  maison,  dans  une  telle  peine;  mais  si  c'était  le  roi, 
comme  vous  le  dites,  je  penserais  avec  plaisir  à  mes  lèvres 
tous  les  jours  de  ma  vie.  Sortez  de  chez  moi,  je  vous  prie  ; 
sans  quoi,  j'appellerai  des  gens  qui  vous  en  feront  vite  dé- 
guerpir. »  Charles  quitta  Charmouth  en  toute  hâte  ;  mais 
en  arrivant  à  Bridport,  petite  ville  voisine,  il  trouva  les 
rues  encombrées  de  soldats;  c'était  le  régiment  que  le  Par- 
lement  faisait   partir    pour    aller   s'emparer  de   Jersey. 
«  Qu'allons-nous  faire?  »  dit  le  colonel  Wyndham  un  peu 


APRES  LA  BATAILLE  DE  WORCESTER.  [nz 

troublé  ;  Charles  avec  sa  présence  d'esprit  accoutumée,  et 
jouant  toujours  son  rôle  de  domestique,  mit  pied  à  terre, 
prit  par  la  bride  son  cheval  et  ceux  de  ses  compagnons,  et 
passant  hardiment  à  travers  les  soldats,  rudoyé  par  eux  et 
les  rudoyant  à  son  tour,  il  alla  droit  à  la  meilleure  auberge 
du  lieu,  et  ils  n'en  repartirent  qu'après  y  avoir  tranquille- 
ment dîné.  Pendant  ce  temps,  à  Charmouth  et  dans  les  en- 
virons, le  bruit  que  Charles  Stuart  était  là  avait  pris  de  la 
consistance;  le  capitaine  Macy  monta  à  cheval  avec  quelques 
hommes  de  sa  troupe,  arriva  à  toute  bride  à  Bridport,  et, 
ayant  pris  là  quelques  informations,  se  remit  sur-le-champ  à 
la  poursuite  des  fugitifs;  mais  à  peu  de  distance  de  la  ville, 
Charles  et  ses  compagnons  avaient  quitté  la  route  pour  sejeter 
dans  des  chemins  de  traverse.  Macy  perdit  leur  trace;  et  de 
village  en  village,  ils  regagnèrent  le  comté  de  Somerset  et 
la  maison  du  colonel  Wyndham,  partagés  entre  une  per- 
plexité croissante  et  le  plaisir  du  repos  après  le  danger'. 

Charles  passa  encore  onze  jours  à  Trent-House,  cher- 
chant toujours,  mais  sans  succès,  un  moyen  d'embarque- 
ment ;  la  nécessité  de  changer  de  résidence  se  fît  de  nouveau 
sentir;  le  colonel  Wyndham  fut  averti  que  sa  maison  deve- 
nait déplus  en  plus  suspecte;  quelques  troupes  arrivèrent 
dans  les  environs.  Le  roi  quitta  Trent-House  le  6  octobre, 
pour  aller  prendre  refuge  à  Ileale-IIouse ,  chez  mistress 
Ilydc,  dans  le  Wiltshire,  et  se  trouver  ainsi  plus  près  des 
petits  ports  du  comté  de  Susscx,  où  ses  amis  se  flattaient  de 
lui  procurer  un  bâtiment.  Ils  y  réussirent  enfin,  et  le  13  oc- 
tobre au  matin,  Charles  sortit  de  son  dernier  refuge,  escorté 
de  quelques  royalistes  du  pays  qui  emmenaient  leurs  chiens, 
comme  pour  une  partie  de  chasse  dans  les  dunes.  Ils  cou- 
chèrent à  Ilambledon,  dans  le  Ilampshire,  chez  un  beau- 
frère  du  colonel  Gunter,  l'un  des  guides  du  roi  ;  et  le  maître 

1  Boscobd  Tracts,  p.  57-67, 112-119,151-153,  2U-248, 278-295. 


lU  AVENTURES  DE  CHARLES  II 

de  la  maison,  en  rentrant  chez  lui,  s'étonna  d'y  trouver  à 
table  des  hôtes  inconnus  dont  la  gaieté  allait,  dit-on,  un 
peu  au  delà  d'une  hilarité  décente.  Les  cheveux  rasés  de 
Charles  et  quelques  paroles  que  le  roi  prononça  en  l'enten- 
dant jurer  redoublèrent  sa  surprise;  il  se  pencha  vers  son 
beau-frère,  lui  demandant  si  cet  homme  ne  serait  pas  le  fils 
de  quelque  coquin  de  tête-ronde.  Le  colonel  le  rassura  ;  il 
prit  place  à  table  avec  ses  hôtes,  et  porta  gaiement  une 
santé  au  roi  en  lui  disant:  «  A  vous,  frère  tête-ronde!  » 
Ils  se  rendirent  le  lendemain,  14  octobre,  à  Briglilhelm- 
stone,  près  de  Shoreham,  où  devaient  se  trouver  le  patron 
du  bâtiment  et  le  négociant  royaliste  qui  l'avait  engagé.  Ils 
étaient  tous  à  table  dans  une  auberge  du  lieu  ;  le  patron, 
Antoine  Teltersall,  portait  et  reportait  à  chaque  instant  ses 
regards  sur  le  roi  ;  après  le  souper,  il  tira  à  part  le  négo- 
ciant :  a  V^ous  n'avez  pas  agi  loyalement  avec  moi  ;  vous 
m'avez  donné  un  très-bon  prix  pour  emmener  ce  gentil- 
homme; mais  vous  ne  m'avez  pas  tout  dit  ;  c'est  le  roi  ;  je 
le  connais  bien.  »  Le  négociant  l'assura  qu'il  se  trompait. 
«  Je  ne  me  trompe  pas  ;  en  4648,  il  a  pris  mon  bâtiment  à 
Brighthelmstone,  avec  beaucoup  d'autres  bateaux  pêcheurs, 
quand  il  commandait  la  flotte  du  roi  son  père  ;  mais  ne 
vous  inquiétez  pas  ;  je  sais  que  je  sers  Dieu  et  mon  pays  en 
sauvant  le  roi;  avec  la  grâce  de  Dieu,  je  risquerai  ma  vie 
pour  lui,  et  je  l'amènerai  sain  et  sauf  sur  la  côte  de  France.  » 
Au  même  moment,  dans  un  autre  coin  de  la  salle,  le  maitre 
de  l'auberge  s'approcha  du  roi  qui  était  debout  auprès  du 
feu,  la  main  appuyée  sur  une  chaise,  et  lui  baisant  brusque- 
ment la  main  :  «  Que  Dieu  vous  protège  partout  où  vous 
irez!  lui  dit-il;  je  ne  doute  pas  maintenant  qu'avant  de 
mourir,  je  ne  devienne  un  lord  et  ma  femme  une  lady.  >■ 
Charles  sourit,  passa  dans  une  autre  chambre,  se  confia 
pleinement  à  l'aubergiste;  et  le  lendemain,  io  octobre, 


APRES  LA  BATAILLE  DE  WORCESTER.  im 

h  cinq  heures  du  matin,  le  roi  et  lord  Wilmot  étaient  à  bord 
d'un  petit  bâtiment  de  soixante  tonneaux  qui  n'attendait 
que  la  marée  pour  sortir  du  port  de  Sborebam.  Dès  qu'ils 
furent  en  pleine  mer,  le  patron  Tettersall  entra  dans  la  ca- 
bine où  se  tenait  le  roi,  se  jeta  à  ses  genoux,  lui  baisa  U 
main,  et,  protestant  de  son  dévouement,  lui  demanda,  pour 
prévenir  toute  difficulté,  d'engager  lui-même  les  hommes 
de  son  équipage,  qui  ne  se  croyaient  embarqués  que  pour 
le  port  anglais  de  Pool,  à  faire  voile  vers  la  côte  de  France, 
en  se  donnant  à  eux  pour  un  négociant  endette  qui  crai- 
gnait d'être  arrêté  en  Angleterre  et  allait  chercher  de  l'ar- 
gent à  Rouen.  Charles  sy  prêta  volontiers,  et  sut  plaire  aux 
matelots  qui  insistèrent  eux-mêmes  auprès  du  patron  pour 
qu'il  se  détournât  de  sa  course  en  faveur  de  ses  passagers. 
Le  temps  était  beau,  le  vent  favorable,  et  le  16  octobre,  à 
une  lieure  après  midi,  la  chaloupe  du  bâtiment  jeta  le  roi 
et  lord  Wilmot  dans  le  port  de  Fécamp.  Ils  se  rendirent  le 
lendemain  à  Rouen,  si  mal  vêtus  et  de  si  mauvaise  mine 
que,  dans  l'auberge  où  ils  se  présentèrent,  on  hésita  à  les 
recevoir,  les  prenant  pour  des  malfaiteurs.  Charles  envoya 
chercher  un  négociant  anglais  établi  à  Rouen,  et  écrivit 
sur-le-champ  à  la  reine  sa  mère  qui  était,  à  son  sujet,  dans 
la  plus  vive  angoisse;  les  bruits  les  plus  contradictoires 
avaient  circulé  ;  on  l'avait  dit  tantôt  pris  par  les  soldats  de 
Cromwell,  tantôt  débarqué  en  Hollande.  Dès  qu'on  le  sut  à 
Rouen,  les  réfugiés  anglais  affluèrent  vers  lui  ;  il  en  partit 
le  29  octobre,  et  le  30  il  rencontra  d'abord,  à  Magny,  le 
duc  d'York  son  frère,  puis  à  Monceaux,  près  Paris,  la  reine 
sa  mère,  le  duc  d'Orléans  son  oncle,  avec  un  grand  nom- 
bre de  gentilshommes  anglais  et  français,  venus  achevai 
au-devant  de  lui,  et  il  rentra  le  soir  même  au  Louvre, 
sauvé  de  tout  péril  et  vaincu  sans  espoir  '. 
1  Boscobel  Tracts,  p.  67-73;  119-122;  1S6-163;  231-259;  -  Claren 


1S6  RETOUR  DE  CROMWELL 

Il  avait  erré  pendant  quarante-deux  jours  à  travers  l'An- 
gleterre, successivement  caché  dans  huit  asiles  différents; 
quarante-cinq  personnes  de  toute  condition,  dont  les  noms 
sont  connus,  et  sans  doute  plusieurs  autres  qu'on  ignore, 
avaient  su  qui  il  était  et  où  il  était.  Pas  une  ne  trahit, 
même  par  une  indiscrétion,  le  secret  de  sa  présence  ou  de 
ses  mouvements.  Un  dévouement  sincère  donne  aux  plus 
simples  de  l'habileté  et  aux  plus  faibles  de  la  vertu. 

Pendant  que  Charles  éprouvait  ainsi  à  la  fois  les  rigueurs 
de  sa  destinée  et  la  fidélité  de  ses  amis,  Cromwell  rentrait 
triomphalement  dans  Londres,  précédé  des  prisonniers  qu'il 
avait  faits  et  entouré  des  officiers  qui  avaient  vaincu  avec 
lui.  Les  quatre  commissaires  délégués  par  le  Parlement 
allèrent,  le  il  septembre,  à  sa  rencontre  jusqu'au  delà 
d'Aylesbury  :  u  Nous  venons,  lui  dirent-ils,  au  nom  du 
Parlement,  féliciter  V.  S.  de  l'heureux  rétablissement  de 
sa  santé  après  sa  dangereuse  maladie;  vos  infatigables  efforts 
en  Ecosse  pour  le  service  de  la  République,  votre  zèle  à 
poursuivre  l'ennemi  quand  il  s'est  enfui  en  Angleterre,  les 
périls  auxquels  vous  vous  êtes  exposé,  notamment  dans  la 
récente  bataille  de  Worcester,  l'habileté  et  la  fidélité  avec 
lesquelles  vous  avez  conduit  cette  grande  affaire  que  le 
Seigneur  a  couronnée  d'un  si  glorieux  succès,  tous  ces  mé- 
rites de  V.  S.  ont  déterminé  le  Parlement  à  vous  en  témoi- 
gner par  notre  bouche,  à  vous  et  aux  officiers  et  soldats  qui 
ont  servi  sous  vos  ordres,  sa  profonde  satisfaction  et  sa  cor- 
diale reconnaissance.  Maintenant  que,  par  les  bénédictions 
de  Dieu  sur  V.  S.  et  sur  l'armée,  l'ennemi  est  si  complète- 
ment défait,  et  que  l'état  des  affaires,  en  Angleterre  comme 
en  Ecosse,  dispense  V.  S.  de  tenir  plus  longtemps  la  cam- 
pagne, le  Parlement  désire  que,  pour  l'entier  affermisse- 
don,  State-Papert,  t.  III,  p.  30,  31;  —Bâtes,  Eletichus  motuitm nuperorim, 
p.  226-26C. 


A  LONDRES  (Il  septembre   [6n[).  ili7 

ment  de  votre  santé,  vous  preniez  tout  le  repos  que  vous 
jugerez  nécessaire,  et  qu'à  cet  effet  vous  fixiez  votre  rési- 
dence à  peu  de  distance  de  Londres,  afin  que,  dans  les  im- 
portantes délibérations  auxquelles  il  a  à  se  livrer  pour  l'éta- 
blissement définitif  de  celte  République,  le  Parlement  puisse 
avoir  le  secours  de  votre  présence  et  de  vos  conseils.  »  A 
l'entrée  de  Londres,  Cromwell  trouva  réunis  l'orateur  du 
Parlement  avec  un  grand  nombre  de  membres,  le  président 
du  conseil  d'État,  le  lord  maire  et  les  aldermcn  de  la  Cité, 
et  plusieurs  milliers  de  citoyens  notables  qui  l'accompa- 
gnèrent à  Whiteball,  au  bruit  des  décharges  d'artillerie  et 
des  acclamations  populaires  ;  et  lorsque,  quatre  jours  après, 
il  reparut  pour  la  première  fois  à  la  Chambre,  l'orateur  lui 
renouvela  les  remercîments  solennels  du  Parlement  et  du 
pays  \ 

Cromwell  recevait  tous  ces  honneurs  avec  une  modestie 
pieuse,  parlant  peu  de  lui-même  et  reportant  à  Dieu  d'abord, 
puis  à  ses  soldats,  le  mérite  de  ses  succès.  Cependant,  à 
travers  son  humilité,  perçaient  les  élans  d'une  joie  orgueil- 
leuse et  mal  réprimée;  son  affabilité  avec  les  commissaires 
que  le  Parlement  avait  envoyés  à  sa  rencontre  fut  empreinte 
de  magnificence  et  de  grandeur;  il  fit  présent  à  chacun 
d'eux  de  très-beaux  chevaux  et  de  quelques-uns  des  prison- 
niers de  marque  qu'il  menait  à  sa  suite,  et  qui  ne  pouvaient 
manquer  de  se  racheter  à  haut  prix.  Whilelocke  en  eut 
deux  pour  sa  part  et  les  renvoya  sans  rançon.  Cromwell 
cheminait  lentement,  recueillant  sur  sa  route  les  hommages 
de  la  population,  s'arrétant  même  quelquefois  pour  prendre 
part  aux  chasses  des  gentilshommes  qu'il  rencontrait.  A 
Aylesbury,  on  remarqua  qu'il  s'entretint  longtemps  à  part 
avec  le  grand  juge  Saint-John,  l'un  des  commissaires  et 

1  Journah  of  ihe  Ilouse  of  commons,  I.  VII,  p.  13,  18  ;  —  Wliilelocke, 
p.  309. 

1,  ** 


1S8  TRIOMPHE  COMPLET 

aussi  l'un  de  ses  plus  intimes  aflidcs.  Son  air,  ses  manières, 
son  langage,  semblaient  subir  une  transformation  naturelle; 
et  Hugli  Peters,  sectaire  sagace,  déjà  accoutumé  à  le  com- 
prendre et  à  le  servir,  dit  en  le  regardant  :  «  Cet  bomme-là 
se  fera  roi  *.  i» 

La  fortune  de  Cromwell  s'étendait  sur  ses  lieutenants  : 
en  quittant  l'Irlande  d'abord,  puis  rÉcossc,  il  avait  laisse 
dans  l'une  Ireton,  dans  l'autre  Monk,  l'un  républicain, 
l'autre  royaliste  au  fond  de  l'âme,  mais  tous  deux  sensés, 
liabiles  et  rudes,  très-propres  à  poursuivre  une  œuvre  de 
guerre  et  de  gouvernement  par  l'épée  après  la  victoire.  Ils 
obtinrent  l'un  et  l'autre  un  plein  succès.  Monk  rencontra 
sur  quelques  points,  entre  autres  au  siège  de  Dundee,  une 
résistance  aebarnée;  Ireton  continua  le  système  de  rigueurs 
cruelles  que  Cromwell  avait  pratiqué,  et  mourut  du  typhus^, 
après  le  siège  et  la  prise  de  Liraerick.  Mais,  à  la  fin  de 
l'année  1651 ,  l'Irlande  et  l'Ecosse  étaient  soumises;Ormond, 
dès  l'année  précédente,  avait  repassé  sur  le  continent';  les 
montagnards  -écossais,  bors  d'état  de  rien  entreprendre, 
défendaient  à  grand'peine,  dans  leurs  âpres  retraites,  un 
reste  d'indépendance.  En  même  temps,  les  vaisseaux  et  les 
troupes  du  Parlement  avaient  fait  rentrer  sous  son  pouvoir 
les  îles  de  Jersey,  de  Guernesey,  de  Scilly,  de  Man,  derniers 
refuges  de  la  domination  royale  ;  les  principales  colonies 
lointaines,  la  Nouvelle-Angleterre,  la  Virginie,  les  Barbades, 
s'étaient  empressées  ou  avaient  été  contraintes  d'accepter  le 
nouveau  régime  de  la  métropole  ;  et  peu  de  mois  après  la 
bataille  qui  avait  consommé,  en  Angleterre,  la  défaite  de  la 
royauté,  le  Parlement  républicain,  dans  le  nouveau  comme 

'  Whilelocke,  p.  509;  —  Mémoires  de  Ludhw,   I.  II,  p.  183,  dans  ma 
Collection;  —  Carlyle,  Cromwcll's  Lctlcrs,  t.  Il,  p.  148. 
*  Le  27  novembre  1651. 
'  Le  11  décembre  16^0, 


DE  LA  RÉPUBLIQUE.  1.^9 

dans  l'ancien  monde,  était  maître  de  tous  les  territoires 
anglais  \ 

I  Journals  of  (lie  House  of  couinions,  t.  VII,  p.  31,  55,  62,  90,  124; 
172;  —  Wliitelocke,  \>.  525,  527;  —  Clarendoii,  His(.  of  ihe  Rtbell ,  1.  xiii, 
c.  170-173. 


LIVRE  III. 


Impressions  produites,  sur  le  contineiil,  par  le  procès  et  rexéculiori  de 
Charles  I".  —  Assassinai  de  Dorislaus  à  la  Haj  e  cl  d'AscIiam  à  Madrid.  — 
Altitude  réciproque  des  Étals  du  continent  et  de  la  République  d'Angle- 
terre. —  Développement  et  succès  de  la  marine  anglaise.  —  Mauvaise 
politique  extérieure  du  Parlement  républicain.  —  Rivalité  de  la  France 
cl  de  l'Espagne  dans  leurs  relations  avec  l'Angleterre.  —  L"Espagne 
reconnaît  la  République  d'Angleterre.  —  Relations  de  l'Angleterre  avec 
les  Provinces-Unies.  —  Ambassadeurs  anglais  à  la  Haye.  —  Ambassadeurs 
hollandais  à  Londres.  —  Leur  mauvais  succès.  —  Négociations  de  Mazarin 
à  Londres.  —  Louis  XIV  reconnaît  la  République  d'Angleterre.  —  Guerre 
entre  l'Angleterre  et  les  Provinces-Unies.  —  Blake,  Tronip  et  Ruytcr.  — 
Succès  alternatifs.  —  Effets  de  la  guerre  à  l'intérieur. 


Victorieuse,  chez  elle,  de  ses  ennemis,  la  République 
n'était  encore,  avec  les  États  étrangers,  ni  en  paix,  ni  en 
guerre. 

Le  procès  et  l'exécution  de  Charles  I"  émurent  fortement 
l'Europe.  Cétait  la  seconde  fois,  dans  le  cours  de  soixante 
ans,  que  la  royauté  tombait,  en  Angleterre,  sous  la  liaclie 
du  bourreau.  C'était  la  première  fois  que  la  souveraineté 
populaire  et  la  République  étaient  proclamées  et  mises  en 
pratique  dans  un  grand  État  chrétien.  La  surprise,  la  curiosité 
inquiète,  la  pitié,  Tiiidigtiation  furent  générales.  Dans  les 
pays  protestants,  on  sentit  le  besoin  de  laver  la  Réforme  du 
reproche  d'avoir  poussé  ou  contribué  h  un  tel  attentat.  En 
Allemagne,  en  Dancmaïkj  en  Suède,  en  Hollande  surtout, 

14. 


162       EFFETS  DU  PROCES  DE  CHARLES  I" 

les  prédicateurs  s'empressèrent  de  témoigner  avec  éclat  leur 
réprobation  ;  les  chaires  retentirent  de  malédictions  contre 
les  sectaires  anarcliiques  et  sacrilèges  ;  le  clergé  de  la  Haye 
se  rendit  en  corps  auprès  de  Charles  II,  et  lui  exprima  solen- 
nellement sa  douleur  et  son  horreur.  Le  sentiment  du  peu- 
ple répondait  à  ces  manifestations  de  l'Église  ;  les  détails  du 
procès  et  de  la  mort  de  Charics  I*'  étaient  recueillis  et  pro- 
pagés avec  un  pieux  respect  ;  une  femme  de  la  Haye  accou- 
cha et  mourut,  saisie  d'effroi,  en  les  entendant  raconter.  Les 
représentants  ou  les  partisans  des  meurtriers  royaux  ren- 
contraient, dans  les  rues,  l'aversion  et  Tinsultc;  par  instinct 
populaire,  par  conscience  chrétienne,  par  sagesse  politique, 
la  Hollande  protestante  et  républicaine  repoussait  toute 
apparence  d'indulgence  pour  cet  acte  inouï,  plein  de  péril 
social  comme  d'iniquité  '. 

Dans  les  pays  catholiques,  en  Espagne,  en  Portugal,  en 
Italie,  dans  l'Allemagne  méridionale,  l'impression  fut  de 
nature  différente,  mais  non  pas  moins  forte.  Le  clergé  et 
le  peuple  virent,  dans  le  sort  de  Charles  P',  la  conséquence 
naturelle  de  l'hérésie,  et  un  coup  de  la  justice  de  Dieu  qui 
punit  les  uns  par  les  autres,  quand  ils  se  séparent  de  son 
Église,  les  peuples  et  les  rois.  L'attentat  excita  une  aversion 
profonde,  avec  moins  de  surprise  que  dans  l'Europe  pro- 
testante, et  peut-être  aussi  avec  moins  de  sympathie  et  de 
douleur. 

Eu  France,  les  impressions  étaient  plus  mêlées  :  au  mo- 
ment même  où  la  monarchie  pure  était  près  d"y  prévaloir, 
l'esprit  de  réforme  et  de  liberté  politique  tentait  un  effort 
sincère  et  vif,  quoique  superficiel  et  vain.  Le  Parlement 
d'Angleterre  trouva,  dans  la  Fronde,  bien  des  admirateurs; 


'  Clarendoi),//i»7.  of  Ihc  RcbclUon,  I.  xii,  c.  1  ;— WicqueforI,  Hiatoirc  des 
Provinces-Unies,  l.  IV,  ]>.  135  ;  —  VVliilclocke,  p.  586-390. 


SUR  LE  COiXTLNEiNT.  163 

on  accueillait  ses  maximes,  on  observait  ses  actes  avec  une 
complaisance  empressée,  et  plus  d"un  pamphlet  proposa  la 
Chambre  des  communes  et  la  Cite  de  Londres  pour  exemple 
au  Parlement  et  aux  bourgeois  de  Paris.  Mais  le  procès  de 
Charles  I",  la  mutilation  violente  de  la  Chambre  des  com- 
munes, l'abolition  de  la  Chambre  des  lords  et  l'établisse- 
ment tyraunique  de  la  République  donnèrent  en  France, 
au  sentiment  royaliste  sur  les  affaires  d'Angleterre,  un 
ascendant  en  harmonie  dailleurs  avec  le  cours  des  affaires 
françaises,  et  que  les  désordres  prolongés  de  la  Fronde  et 
les  relations  de  ses  chefs  avec  les  républicains  anglais  affer- 
mirent, au  lieu  de  lébranlor.  La  révolution  d'Angleterre, 
loin  de  séduire,  excita  dès  lors  une  réprobation  mêlée  d'a- 
larme; elle  fut  attaquée  dans  une  multitude  de  pamphlets  ; 
Jeanne  d'Arc  fut  remise  en  scène  exhortant  les  Français  à 
prendre  les  armes  pour  aller  venger,  sur  les  parricides  An- 
glais, la  cause  des  rois;  et  le  public  de  France,  toujours  spec- 
tateur avide  des  événements,  ne  ressentit,  pour  ceux  qui  se 
passaient  en  Angleterre,  qu'une  curiosité  sans  sympathie. 

Deux  incidents  tragiques  donnèrent,  de  cet  état  de  l'opi- 
nion européenne,  une  éclatante  démonstration. 

Le  5  mai  1G49,  le  docteur  Isaac  Dorislaus,  natif  de  Hol- 
lande, mais  établi  depuis  longtemps  en  Angleterre,  et  l'un 
des  jurisconsultes  employés  à  dresser  l'acte  d'accusation  de 
Charles  1'%  arriva  à  la  Haye,  envoyé  par  le  Parlement  en 
qualité  d'adjoint  à  Walter  Strickland,  résident  de  la  Répu- 
blique auprès  des  Provinces- Unies.  Il  soupait  tranquil- 
lement ce  jour-là  même,  avec  plusieurs  personnes,  à 
l'auberge  du  Cijyne,  lorsque  six  hommes  masqués  arrivè- 
rent devant  la  maison;  deux  en  gardèrent  la  porte;  les 
autres  entrèrent,  éteignirent  la  chandelle  allumée  dans  le 
vestibule,  et,  paraissant  tout  à  coup  dans  la  salle  à  manger, 
ils  ensai'crcnt  les  assistants  à  n'avoir  aucune  crainte,  car 


16i  ASSASSINAT  DE  DORISLAUS  A  L\  HAYE 

ils  n'en  voulaient,  dirent-ils,  qu'au  représentant  et  au  com- 
plice des  assassins  du  roi  ;  ils  arrachèrent  Dorislaùs  de  la 
table,  le  tuèrent  à  coups  d'cpce,  et  remettant  froidement 
leurs  épces  dans  le  fourreau,  ils  rejoignirent  leurs  compa- 
gnons dans  la  rue,  et  sortirent  de  la  Haye  sans  que  personne 
eût  le  temps  ou  la  volonté  de  les  arrêter  ^ 

Environ  un  an  après,  dans  les  premiers  jours  de  mai 
1650,  Antoine  Ascliam,  écrivain  assez  obscur,  qui  avait 
poussé  au  renversement  de  la  monarchie  et  au  procès  du 
roi,  débarquait  à  Cadix,  envoyé  auprès  du  roi  d'Espagne 
par  le  Parlement.  Il  avait,  en  partant  de  Londres,  l'esprit 
frappé  du  sort  de  Dorislaùs,  et  il  laissa  voir  au  charge  d'af- 
faires de  France,  Croullé,  toute  son  inquiétude.  A  son 
arrivée  à  Cadix,  le  gouverneur,  le  duc  de  3Iédina-Cœli,  le 
plaça  sous  la  garde  du  colonel  don  Diego  de  Moreda  et  de 
deux  capitaines  qui  furent  chargés  de  l'escorter  jusqu'à 
Madrid  et  de  ne  le  quitter  qu'après  l'y  avoir  établi  en  toute 
sûrelc.  Ils  y  arrivèrent  le  5  juin,  et  soit  négligence,  soit 
mauvais  vouloir,  les  officiers  espagnols,  après  avoir  conduit 
Ascham  dans  une  petite  auberge,  l'y  laissèrent  seul  et  allè- 
rentse  loger  ailleurs.  Le  lendemain,  versmidi,  Ascham  étaità 
table  avec  son  secrétaire  Rivas,  moine  franciscain  renégat; 
un  homme  entra;  Ascham  alla  à  sa  rencontre,  le  prenant  pour 
un  ami  ;  mais  à  la  vue  détruis  autres  inconnus  qui  entraient 
aussi,  il  se  rejetait  vivement  en  arrière  pour  saisir  des  pis- 
tolets placés  sur  une  table,  quand  le  premier  venu,  l'appe- 
lant traître,  le  retint  par  les  cheveux  et  le  frappa  à  mort  de 
plusieurs  coups  de  stylet.  Son  secrétaire  Rivas,  essayant  de 
se  sauver  et  criant  au  secours,  fut  aussi  tué  à  l'instant;  un 

'  Wicqucfort,  Histoire  des  Provinces-Unies,  t.  IV,  p.  157;  —  Le  Clerc, 
Histoire  des  Frovinces-Unies,  t.  1 1,  p.  271 ,  —  Clarcndon,  Hist.  of  ihe  Rébel- 
lion, 1.  xri,  c.  23-26;  —  Wliilelocke,  p.  ô08,  401  ;  —  Journals  of  tlie  Housc 
of  commons,  t.  Yl>  P-  20G, 


ET  D'ASCHAM  A  MADRID.  16') 

domestique  anglais  s'échappa  seul  et  répandit  l'alarme;  les 
quatre  meurtriers  sortirent  de  la  chambre,  rejoignirent 
deux  de  leurs  compagnons  qui  les  allendaienl  à  la  porte,  et 
s'éloignèrent  sans  obstacle  pour  aller  se  réfugier,  l'un  dans 
l'hôtel  de  l'ambassadeur  de  Venise,  les  cinq  autres  dans 
l'église  voisine  de  l'hôpital  de  Saint-André  '. 

A  Madrid  comme  à  la  Haye  ,  la  rumeur  publique  et  l'in- 
quiétude des  deux  gouvernements  hollandais  et  espagnol 
furent  très-vives  ;  le  Parlement  républicain  ressentit,  comme 
on  devait  s'y  attendre,  ces  sanglants  outrages;  il  témoigna, 
par  des  honneurs  publics ,  sa  sympathie  pour  les  deux  vic- 
times ;  Vane  fit,  sur  l'assassinat  de  Dorislaiis ,  un  rapport 
solennel^;  le  corps  fut  transporté  à  Londres,  et  enseveli 
dans  l'église  de  Westminster,  le  Parlement  tout  entier  as- 
sistant aux  obsèques  ^.  Des  témoignages  analogues,  quoique 
moins  éclatants,  furent  rendus  à  Ascham  :  on  donna  aux  deux 
familles  des  pensions  et  des  emplois.  On  fit  en  même  temps, 
et  l'on  renouvela  à  plusieurs  reprises,  à  la  Haye  et  à  Madrid, 
des  démarches  pressantes  et  quelquefois  menaçantes ,  pour 
obtenir  justice  des  assassins.  Les  deux  gouvernements  la 
promirent  et  essayèrent  de  la  rendre  ;  les  meurtriers  étaient 
connus  ;  ceux  de  Dorislaiis  étaient  des  compagnons  de  Mont- 
rose;  ceux  d'Ascham ,  des  Cavaliers  anglais  réfugiés  à  Ma- 
drid, et  parmi  eux  se  trouvait  un  domestique  de  la  maison 
de  lord  Cottington  et  de  Hyde  qui  résidaient  alors  à  Madrid, 
comme  ambassadeurs  de  Charles  IL  Mais  à  la  Haye,  on  n'ar- 
rêta personne;  à  Madrid,  quoique  l'autorité  civile  eût  fait 

»  Tliurloe,  Slale-Fapers,  t.  I,  p.  148-202  ;  -  Clareiidoii,  Uisl.  of  Ihc 
Rébellion,  1.  xiii,  c.  8-H;  —  Croullé  ù  Mazarin  (30  juin  1650);  —  Archives 
des  Affaires  étrangères  de  Franvc  {Documenls  historiques ,  ii"  11);  — 
Pari.  Hist.,  t.  XIX,  p.  285  ;  —  Journals  of  thc  IJoiue  of  lommons,  t.  VI, 
p.  i07,i28. 

*  Le  14  mai  1649. 

»  Le  14  juin  1649. 


166      ATTITUDE  DE  LA  COUR  DE  FRANCE 

enlever  les  meurtriers  de  leur  asile ,  l'Église  réclama  ses 
privilèges,  et  le  conflit  prolongé  entre  les  deux  juridictions 
aboutit  à  l'impunité  des  assassins;  un  seul,  qui  se  trouva 
protestant,  fut  abandonne  au  bras  séculier  et  pendu.  En 
Hollande  et  en  Espagne ,  le  sentiment  populaire  les  proté- 
geait; ils  avaient,  disait-on,  puni  par  le  meurtre  de  bien 
plus  grands  meurtriers  ;  loin  de  témoigner,  de  leur  action , 
aucun  repentir,  ils  s'en  faisaient  gloire j  ceux  qui  avaient 
tué  Ascham  répondirent  aux  magistrats  de  Madrid  qu'ils 
l'auraient  tué  en  présence  du  roi  d'Espagne  s'ils  n'en  avaient 
pas  trouve  une  plus  prompte  occasion.  Et  l'indulgence  ca- 
chée des  gouvernements  connivait  avec  le  sentiment  popu- 
laire; ils  poursuivaient  le  crime  par  convenance  ou  par 
crainte,  mais  sans  désir  sérieux  d'atteindre  les  criminels  : 
quelques  semaines  après  l'assassinat  d'Ascham,  dans  une 
conversation  avec  lord  Cottington  et  Hyde,  le  premier  mi- 
nistre espagnol,  don  Louis  de  Haro,  n'hésitait  pas  à  leur 
dire  :  n  Je  porte  envie  aux  gentilshommes  qui  ont  fait  une 
si  noble  aclion  ;  quoi  qu'il  puisse  leur  en  arriver ,  ils  ont 
vengé  le  sang  de  leur  roi  :  si  le  roi  mon  maître  avait  des 
sujets  aussi  résolus,  il  n'aurait  pas  perdu  son  royaume  de 
PortugaP.  )• 

Mais  bien  plus  encore  au  xvn«  siècle  que  de  nos  jours,  les 
politiques  s'inquiétaient  peu  que  leurs  actes  fussent  en  ac- 
cord avec  leurs  senlinicnls  réels  et  leurs  paroles  intimes  : 
autant  le  public,  sur  le  continent,  laissait  éclater,  envers  les 

'  Journals  of  llie  Housc  of  conniwns,  l.  VI,  p.  209,  211,215  ;  —  Parliam. 
Hisl.,  t.  XIX,  p.  286-287;  —  Le  Cltrc,  Hisl.  des  Provinces- Unies,  l.  Il, 
p.  272  ;  —  Wicquefoil,  Hist.  des  Procinces-Uiiics,  l.  IV,  p.  158  ;  —  Chireu- 
don,  Hist.  of  tlie  Rébellion,  1.  xiii,  c.  11-IG;  —  Délibérations  du  conseil 
d'État  de  Madrid  sur  les  procédures  à  l'occasion  du  meurtre  d'Ascham 
(juin  et  octobre  1650);  —  Lettre  de  Cardenas  à  don  Geronimo  de  la  Torre, 
sur  le  même  sujet,  26  décenibie  IG'Ji)  {Archives  de  Siinancas)  {Documents 
historiques,  ii"  III). 


ENVERS  LA  RÉPUBLIQUE.  167 

républicains  juges  de  Charles  I",  son  mauvais  vouloir,  au- 
tant les  gouvernements,  par  calcul  ou  par  crainte,  se  mon- 
trèrent indifférents  et  réservés.  Les  ambassadeurs  hollan- 
dais qui  avaient  été  envoyés  à  Londres  pour  tenter  de  sauver 
le  roi,  demandèrent,  après  sa  mort,  qu'on  ne  publiât  rien 
de  leurs  démarches  auprès  du  Parlement;  et  si  l'un  d'eux, 
Adrien  Pauw,  quitta  sur-le-champ  l'Angleterre,  l'autre, 
Albert  Joachira,  continua  d'y  résider.  Anne  d'Autriche  et 
Mazarin  avaient  jugé  convenable  que  le  jeune  roi  de  France 
fît,  pour  la  vie  du  roi  son  oncle,  quelque  effort;  Louis  XIV 
écrivit  à  Cromwell  et  à  Fairfax  deux  lettres  solennelles'  ; 
mais  avant  même  que  M.  de  Varennes,  clrargé  de  les  porter, 
eût  quitté  Paris,  Charles  I'"''  était  exécuté.  I\I.  de  Bellièvre, 
alors  ambassadeur  de  France  à  Londres,  ne  tenta  rien  en  sa 
faveur  ;  il  ne  demanda  pas  même  à  le  voir  :  on  en  témoigna 
quelque  surprise  à  Paris,  dans  le  conseil  du  roi  ;  mais  Belliè- 
vre y  fut  défendu  et  approuvé.  «  Je  vois  le  besoin  que  j'ai 
eu  devotre  protection,  écrivait-il  le  24 février  d649  à  M.  Ser- 
vicn ,  et  la  bonté  avec  laquelle  vous  me  l'avez  départie...  Je 
crus  qu'il  valait  mieux  être  blâmé  pour  n'avoir  point  rendu 
un  office  que  chacun  pouvait  juger  ne  devoir  produire  au- 
cun effet  pour  le  roi  d'Angleterre,  que  d'être  coupable  du 
mal  que  cet  office  aurait  pu  causer  aux  affaires  du  roi;  car, 
comme  vous  le  connaissez  très-bien,  monsieur,  on  est  ici  si 
soupçonneux  pour  ce  qui  est  de  la  France,  que  ce  qui  serait 
indifférent  en  d'autres  est  déclaré  criminel  quand  il  vient 
de  notre  part;  et  comme,  des  étrangers,  ils  ne  craignent 
que  nous,  ils  prennent  tellement  garde  à  nos  actions  et  à 
nos  paroles,  que  le  moindre  témoignage  du  ressentiment 
qu'on  doit  avoir  de  ce  qu'ils  ont  fait  serait  capable  de  faire 
faire  l'alliance  avec  l'Espagne;  et  c'est  cette  connaissance, 

'  Le  2  février  lCi9.  {Documents  historiques,  n»  IV.) 


168  ATTITUDE  DES  COURS  DÉ  L'EUROPE 

jointe  aux  ordres  généraux  que  j'ai  toujours  reçus  de  ne 

point  irriter  ces  gens-ci,  qui   m'a  fait  résoudre  à  en  agir 

comme  j'ai  fait Je  ne  saurais  me  repentir  d'avoir  été 

trop  circonspect,  me  trouvant  maintenant  fortifié  de  votre 
avis  ' .  » 

Après  l'exécution  de  Charles  I",  Bellièvre  persista  dans 
sa  circonspection  :  «  S'il  y  avait  ici  une  cour,  écrivait-il,  il 
ne  me  faudrait  point  d'autre  règle  pour  le  temps  de  pren- 
dre le  deuil  et  la  manière  de  le  porter  ;  mais  cela  n'étant  pas, 
je  crois  devoir  attendre  ce  qu'il  vous  plaira  m'en  ordon- 
ner-. »  On  lui  ordonna  de  prendre  le  deuil  et  de  partir; 
on  ne  voulait  pas -plus  reconnaître  la  République  dAngle- 
terre  que  l'irriter.  Bellièvre  partit,  mais  seulement  au  bout 
de  trois  mois',  et  en  laissant  à  Londres  son  secrétaire 
CrouUé,  chargé  de  veiller,  quoique  sans  caractère  officiel, 
aux  intérêts  de  la  France.  Les  dernières  relations  de  l'am- 
bassadeur avec  le  Parlement  furent  difficiles;  il  essaya, 
mais  en  vain,  d'obtenir  ses  passc-porls  sans  prendre  congé; 
il  fut  obligé  de  faire  une  visite  à  l'orateur,  qui  en  rendit 
compte  à  la  Chambre.  «  Il  n'y  a  point  ici,  écrivait  Belliè- 
vre, de  petites  affaires  ni  de  promptes  expéditions,  surtout 
quand  il  se  parle  de  la  France,  et  en  ce  temps  où  ceux  qui 
gouvernent  sont  si  jaloux  de  cette  nouvelle  autorité  et  peu 
entendus  en  ce  qui  leur  en  peut  acquérir  ou  conserver  à 
l'égard  des  étrangers,  que  toutes  choses  leur  font  ombrage, 
et  qu'ils  oublient  ce  qui  est  dû ,  de  crainte  d'en  trop  faire. . . 
De  plus,  si  incertains  dans  leurs  résolutions  qu'ils  sont  ca- 


»  Wicquefort,  Histoire  des  Provinces-Unies,  t.  IV,  p.  IG^  ;  — Manuscrits 
de  ftwjine,  àla  Bibliothèque  impériale;  —  Archives  des  Affaires  étrangères 
de  France. 

â  Le  président  de  Bellièvre  à  M.  Servien,  8  février  16i9.  {archives  des 
Affaires  étrangères  de  France.) 

5  En  mai  1649. 


ENVERS  LA  RÉPUBLIQUE.  169 

pables  de  passer  en  un  instant  d'un  compliment  à  une  in- 
jure, comme  de  l'offense  à  un  excès  de  civilité  '.  )• 

La  cour  de  Madrid  témoigna  à  la  nouvelle  République 
plus  de  ménagements  encore  que  celle  de  Paris,  car  elle 
laissa  à  Londres  son  ambassadeur,  don  Alonzo  deCardcnas, 
sans  renouveler  d'abord  ses  lettres  de  créance  ,  mais  en 
l'autorisant  confidentiellement  à  continuer  ses  relations 
avec  le  Parlement  républicain.  C'était,  pour  don  Alonzo, 
une  situation  moins  difficile  que  pour  tout  autre  ,  car  de- 
puis longtemps  déjà,  froid  ou  même  malveillant  pour  Char- 
les P%  il  avait  cultivé  la  faveur  des  meneurs  révolutionnai- 
res, et  il  s'était  établi,  entre  eux  et  lui,  un  échange  de 
bonnes  dispositions  dont  la  politique  espagnole  se  promet- 
lait  de  profiter  ^. 

L'Empereur  et  les  princes  d'Allemagne,  le  roi  de  Dane- 
mark, la  reine  de  Suède  manifestèrent  avec  moins  de  réserve 
les  sentiments  que  le  Parlement  républicain  et  ses  actes  leur 
inspiraient;  mais,  seul  entre  les  souverains  de  l'Europe,  le 
czar  de  Russie,  Alexis  Michaelowitz,  père  de  Pierre  le  Grand, 
rompit  tout  lien  avec  la  République  révolutionnaire,  et 
chassa  les  négociants  anglais  de  ses  Etats  ^ 

Tout  n'était  pas  fait,  pour  les  puissances  du  continent, 
quand  elles  avaient  pris  ainsi,  envers  le  Parlement  républi- 
cain, une  attitude  incertaine  et  expectante;  elles  avaient 
aussi  à  régler  leurs  relations  avec  le  roi  proscrit  ;  et  ici  leurs 
perplexités  et  les  faiblesses  incohérentes  de  leur  conduite 
furent  encore  plus  grandes.  Charles  II  vivait  au  milieu  des 

^   Le  8  avril  1649.  {Archives  des  Affaires  étrangères  de  France.) 

«  Lellres  de  Cardenas  au  roi  Philippe  /  K  (1 3  janvier  et  18  février  1C49)  ; 

—  Délibcralion  du  conseil  d'Élal  de  Madrid,  sur  les  Lettres  de  Cardenas 

(13  mars  1649);  —  Archives  de  Simancas  [Documents  historiques,  n"  V)  ;  — 

Clarendon,  Hist.  of  ihe  Rébellion,  1.  xii,  c.  108. 

*  Wicquefort,  Histoire  des  Provinces-Unies,  t.  IV,  p.  136  ;  —  Clarendon, 

IJist.  ofihe  Rébellion,  I.  xi,  c.  250-231;  -  Whilelocke,  p.  466. 

1.  *3 


170  ATTITUDE  DES  COURS  DU  CONTINENT 

souverains  de  l'Europe  ,  ttanlôt  auprès  du  prince  d'Orange, 
son  beau- frère,  tantôt  h  la  cour  du  roi  de  France,  son  cou- 
sin germain  ;  la  reine  d'Espagne,  Elisabeth  de  France,  était 
sa  tante;  il  pouvait  invoquer,  et  il  invoquait  en  effet  par- 
tout les  liens  du  sang  aussi  bien  que  l'intérêt  et  l'honneur 
communs  des  rois.  Ils  envoya  à  Madrid  lord  Cottington  et 
Hyde,  à  Moscou  lord  Colepcppcr,  à  Ratisbonne  lord  Wil- 
mot,  en  Pologne  M.  Crofts.  Les  souverains  et  leurs  minis- 
tres se  trouvaient  sans  cesse  en  présence  de  ses  droits,  de 
ses  espérances,  de  ses  demandes,  de  ses  plaintes,  de  ses 
agents.  Rien  ne  pèse  plus  à  la  puissance  que  l'aspect  des  in- 
fortunes qu'elle  ne  veut  pas  secourir  et  qu'elle  est  tenue  de 
respecter;  mais  elle  est  habile  à  se  délivrer,  à  peu  de  frais, 
de  ce  fardeau.  Guillaume  d'Orange  seul  fut,  pour  Charles 
Stuart,  un  ami  chaud  et  actif;  c'était  un  jeune  prince  am- 
bitieux, impérieux,  enclin  aux  entreprises  violentes  et  au 
pouvoir  absolu,  mais  d'un  cœur  noble  et  sincère  ;  pour  re- 
lever la  fortune  de  son  beau-frère,  il  se  consuma  en  efforts 
et  en  sacrifices  trop  bornés  pour  être  efficaces  et  que  sa  mort 
inattendue  vint  bientôt  arrêter.  Excités  par  leur  stathou- 
der  et  par  le  sentiment  populaire  en  Hollande,  les  Etats  gé- 
néraux des  Provinces-Unies  donnèrent  à  Charles  de  grandes 
marques  d'intérêt  et  de  respect  ;  à  la  nouvelle  de  la  mort  du 
roi  son  père,  il  se  rendirent  en  corps  auprès  de  lui  pour  lui 
offrir  leurs  condoléances,  et  le  grand  pensionnaire  Van 
Ghent,  dans  sa  harangue,  l'appela  Sire  et  Votre  Majesté  ; 
mais  ces  mots  furent  prononcés  avec  quelque  embarras  et  à 
voix  basse,  comme   ne  voulant  pas  se  trop  compromettre 
avec  la  République  naissante  en  reconnaissant  avec  éclat  le 
nouveau  roi.  La  cour  de  France  jugea  que  c'était  bien  assez 
de  donner,  à  la  veuve  et  aux  enfants  de  Charles  l",  un  asile 
et  une  pension;  elle  s'abstint  de  toute  autre  démarche,  et 
Charles  II  n'en  reçut,  à  la  mort  du  roi  son  père,  ni  lettre. 


ENVERS  CHARLES  II  DANS  L'EXIL.  171 

ni  message,  aucune  marque  de  sympatliie  ou  d'appui.  Le  roi 
d'Espagne,  qui  n'avait  pas  à  répondre  de  la  présence  des 
Stuart  dans  ses  États,  crut  devoir  écrire  à  Charles  II  une 
lettre  de  condoléance  amicale  où  il  lui  donna  le  titre  de  roi  ; 
mais  elle  se  fit  longtemps  attendre;  cl  lorsque  Charles,  en 
quittant  la  Haye  pour  se  rendre  à  Paris,  traversa  les  Pays- 
Bas  espagnols,  il  fut  reçu  à  Anvers  et  à  Bruxelles  avec  de 
grands  honneurs  ;  on  lui  fit  présent  d'un  beau  carrosse  et  de 
six  beaux  chevaux;  on  lui  prêta  quelque  argent;  l'archiduc 
Léopold  et  l'ambassadeur  d'Espagne  en  Hollande,  Antoine 
Brun,  lui  tinrent,  dans  leurs  conversations  intimes,  des 
propos  encourageants  ;  mais  ils  prenaient  en  même  temps 
des  précautions  minutieuses  pour  enlever  à  ces  démonstra- 
tions toute  valeur  politique  et  pour  les  représenter  comme 
de  simples  actes  de  convenance.  La  cour  de  Madrid  leur  in- 
terdit absolument  toute  démarche,  toute  parole  qui  pour- 
raient être  considérées  à  Londres  comme  une  déclaration 
positive  en  faveur  du  roi  ;  on  leur  enjoignit  même  d'antida- 
ter quelques  lettres  qui  semblaient  offrir  ce  caractère.  On 
voulait  bien  rendre  à  Charles  II  des  égards  et  des  services, 
pourvu  qu'ils  fussent  vains  et  qu'on  gardât,  entre  lui  et  le 
Parlement  républicain,  une  stricte  neutralité  '. 

A  cettefroideur  politique  se  joignirent,  dans  la  vie  privée, 

'  Clarendon,  Hist.  of  Ihe  Rébellion,  1.  xii,  c.  ôj-40,  49-53,  57,  77-85  ; 
1.  XIII,  c.  129;  —  Le  Clerc,  Histoire  des  Provinces-Unic.i,  l  II,  p.  270  ;  — 
Lettre  de  l'archiduc  Lcopold,  gouverneur  des  Pays-Bas,  au  roi  Philippe  I  V 
(4  mars  IGi9)  ;  —  Lettre  de  condoléance  du  roi  Philippe  I  V'à  S.  M.  le  roi 
Charles  d' Angleterre  (5  avril  1649)  ;  iiiie  première  miniilc  av;iil  clé  préparée 
le  10  mars  précédent;  —  Délibérations  du  conseil  d'État  de  Madrid  sur  la 
politique  à  suivre  envers  l' /Ingklcrre  (29  mars  et  2  août  1(519)  ;  —  Lettres  de 
Cardenas  ait  comte  de  Penaranda  (20  juin  1649)  ;  —  Du  comte  de Pcnaranda 
à  Cardenas  (ô  juillet  1649j  ;  —  Du  comte  de  Penaranda  au  secrétaire  Augus- 
tin Navarre  (5  juillet  1649)  ;  —  Lettres  du  comte  de  Penaranda  et  de  Carchi- 
duc  Léopold  au  roi  Philippe  I V  (6  et  8  juillet  1649)  ;—  {Archives  de  Siman- 
cas)  {Documents  historiques,  a°  VI)- 


172        IRRITATION  DES  ROYALISTES  D'ANGLETERRE 

des  actes  d'une  cynique  indifférence  :  on  vendit  à  Londres 
les  meubles  et  les  tableaux  de.  Charles  1"  qui  aimait  les  arts 
et  les  avait  protégés  avec  goût.  Cardeîïas  et  Croullé  en  in- 
formèrent avec  soin  don  Louis  de  Haro  et  Mazarin  qui,  soit 
pour  leurs  souverains,  soit  pour  eux-mêmes,  s'empressèrent 
d'acheter,  quelquefois  à  vil  prix,  ces  dépouilles  du  roi  mar- 
tyr. «  Si  les  tableaux  se  vendent  au  prix  porté  par  le  mé- 
moire que  vous  m'avez  envoyé,  je  les  trouve  bien  chers, 
écrivait  3Iazarin  à  Croullé;  cela  n'empêchera  pas  néan- 
moins que  je  ne  songe  à  envoyer  dès  delà  quelque  personne 
intelligente  pour  m'en  acheter  '.  »  La  reine  Christine  de 
Suède,  l'archiduc  Léopold,  gouverneur  des  Pays-Bas,  en 
acquirent  aussi  plusieurs;  et  lorsque  en  1651,  au  milieu  de 
l'hiver,  le  roi  d'Espagne  fît  inviter  lord  Cottington  et  Hyde 
à  sortir  de  ses  États,  un  des  motifs  secrets  de  cette  résolution 
si  dure  était  la  prochaine  arrivée  de  dix-huit  mules  qui  ve- 
naient de  la  Corogne  chargées  des  tableaux  et  des  médailles 
de  Charles  1"^  que  Philippe  IV  avait  fait  acheter  à  Londres, 
et  qu'il  ne  croyait  pas  pouvoir  décemment  faire  entrer  dans 
son  palais  tant  que  les  ambassadeurs  de  Charles  II  seraient 
à  Madrid. 

(irands  ou  petits,  dans  leur  patrie  ou  dans  leur  exil,  les 
royalistes  anglais  s'offensaient  et  s'indignaient  de  cet  avide 
empressement  à  profiter  de  leurs  désastres  quand  on  leur 
prêtait  si  peu  d'appui:  «^  Les  princes  voisins,  dit  Clarendon, 
fournissaient  ainsi  à  Cromwell  de  grosses  sommes  d'argent 
qui  le  mettaient  en  état  d'accomplir  sa  détestable  victoire, 
et  ils  s'enrichissaient  et  se  paraient  eux-mêmes  des  dépouilles 
de  l'héritier  de  notre  trône,  sans  en  appliquer  la  moindre 


'  Clarendon,  Hisl.  of  ihe  Rébellion,  1.  xi,  c.  251j  1.  xiii,  c.  23  ;  —  Letlres 
de  Croullé  à  Mazarin  (21  février  et  23  mai  1650),  et  de  Mazarin  à  Croullé 
(17  juin  liiSO)  (^Archives des  Affaires  étrangères  de  France)  {Documents  his- 
toriques, n»  Vil). 


CONTRE  LES  COURS  DU  CONTINENT.  173 

partie  à  lui  venir  en  aide  dans  les  plus  pressantes  nécessilés 
où  jamais  roi  se  soit  trouve  réduit.  »  Et  Graymond,  agent 
du  cardinal  Mazarin  en  Ecosse,  lui  écrivait  le  25  octobre  1 649  ; 
«  Les  serviteurs  du  roi  de  la  Grande-Bretagne  font  ici  des 
imprécations  contre  les  rois  et  souverains  de  la  terre,  et 
principalement  contre  Sa  Majesté  si  elle  n'assiste  pas  leur 
roi,  après  la  perte  duquel  ils  souhaitent  celle  de  tous  les 
autres;  et  ils  ne  feignent  point  de  dire  qu'ils  contribueront 
de  tout  leur  pouvoir  à  leur  destruction,  qui  sera,  comme  ils 
disent,  fort  facile  à  causer,  les  peuples  ayant  une  fois  ha- 
leine, par  l'exemple  de  l'Angleterre,  la  douceur  de  l'état  po- 
pulaire. Ils  désignent  déjà  Cromwell  pour  l'auteur  de  ce 
grand  dessein  et  le  réformateur  de  l'univers et  ils  di- 
sent qu'il  commencera  par  nous,  et  que  nous  le  méritons 
bien  puisque  nous  ne  songeons  pas  au  rétablissement  du  roi 
d'Angleterre,  y  étant  les  plus  obligés  '.  » 

Colère  bien  naturelle  dans  des  proscrits  convaincus  et 
dévoués  !  Mais  ils  comprenaient  mal  l'état  politique  de 
l'Europe,  et  ne  démêlaient  pas  les  causes  générales  qui 
rendaient  les  rois  du  continent  si  froids  et  si  inertes  en 
présence  d'événements  qui  semblaient  les  toucher  de  ei 
près. 

Ce  qui  se  passait  en  Angleterre  préoccupait  les  gouver- 
nements européens,  mais  sans  leur  inspirer  un  effroi  sé- 
rieux. Quoique  pleins  d'antipathie  pour  les  révolutionnaires 
anglais,  ils  ne  se  sentaient  pas  vraiment  menaces  par  eux, 
et  ils  ne  trouvaient^  dans  leur  propre  situation,  aucune 
nécessité  d'engager  contre  eux  une  lutte  directe  et  avouée. 
Précisément  à  la  même  époque  où  la  royauté  chancelait  et 
tombait  en  Angleterre,  elle  s'affermissait  sur  le  continent  ; 


1  Clarcndon,  Hist.  of  tlic  Hcbcllion,  1.  xi,  c.  251;  —  Lcllrc  de  Graymond 
à  Mazarin  (23  oclobrc  1649;  [Archiva  des  Affaires  étrangères  de  France). 

i5. 


m  CAUSES  DE  L'INDIFFERENCE 

dans  tous  les  grands  États,  les  libertés  féodales  et  munici- 
pales, l'aristocratie  indépendante  et  la  démocratie  turbu- 
lente du  moyen  âge  disparaissaient  devant  elle;  le  besoin 
d'ordre  dans  la  société  et  d'unité  dans  le  pouvoir  dominait  ; 
le  cours  général  des  idées  était  monarchique  comme  celui 
des  faits.  La  République  d'Angleterre  parut  un  fait  singu- 
lier, purement  local,  et  dont,  même  dans  les  États  encore 
travaillés  par  des  dissensions  civiles,  on  n'avait  pas,  sur  le 
continent,  à  redouter  beaucoup  la  contagion.. 

Le  nom  de  République,  d'ailleurs,  n'était  pas  nécessaire- 
ment alors  un  sujet  de  défiance  et  d'alarme  ;  quoique  cette 
forme  de  gouvernement  n'eût  prévalu  que  dans  des  États 
secondaires,  elle  avait  tenu  sa  place  en  Europe  sans  que 
l'ordre  européen  en  fût  troublé;  les  grandes  monarchies 
européennes  avaient  vécu  en  bons  et  tranquilles  rapports 
avec  les  républiques  d'Italie,  de  Suisse,  d'Allemagne,  des 
Pays-Bas  ;  l'Europe  n'avait  pas  encore  contracté  l'habitude 
de  considérer  le  gouvernement  républicain  comme  le  pré- 
curseur et  le  fauteur  des  révolutions  et  de  Tanarchie. 

La  révolution  d'Angleterre  se  présentait  en  outre  comme 
religieuse  autant  que  politique  :  or  les  grandes  guerres  de 
religion  étaient  terminées;  le  traité  de  Westphalie  venait 
de  poser  les  bases  du  nouvel  ordre  européen;  les  Etats  ca- 
tholiques et  les  États  protestants  s'étaient  mutuellement 
acceptés  ;  parmi  ces  derniers,  le  plus  récent  et  le  plus  con- 
testé, les  Provinces-Unies  avaient  enfin  conquis  leur  repos 
et  leur  rang.  Le  régime  de  la  paix  entre  les  diverses  com- 
munions chrétiennes,  sinon  dans  le  sein  de  chaque  Etat, 
du  moins  dans  les  rapports  extérieurs  des  États,  avait  défi- 
nitivement prévalu  ;  et  quoique  les  préventions  et  les  haines 
religieuses  fussent  loin  d'être  éteintes,  personne,  ni  les 
gouvernements,  ni  les  peuples,  ne  voulait  rengager  une 
lutte  dont  tous  avaient  cruellement  souffert,  et  dans  laquelle 


DES  COURS  DU  CONTINENT.  175 

ni  l'un  ni  l'autre  parti  ne  se  flattait  plus  d'écraser  son  rival. 
C'est  par  la  fatigue  et  la  nécessité  que  Dieu  impose  aux  na- 
tions la  justice  et  le  bon  sens. 

La  paix  de  religion  rendit  la  politique  à  sa  nature  propre 
et  à  sa  liberté;  les  croyances  et  les  passions  religieuses  ne 
.décidèrent  plus  des  desseins  ni  des  alliances  des  Étals  ;  l'es- 
prit d'ambition  ou  de  résistance  à  l'ambition,  de  prépondé- 
rance ou  d'indépendance,  d'agrandissement  ou  d'équilibre, 
devint  le  principal  mobile  de  la  conduite  des  gouverne- 
ments dans  les  relations  internationales;  ce  fut  là  surtout 
qu'ils  cherchèrent  des  moyens  d'attaque  ou  de  défense  dans 
leurs  espérances  ou  dans  leurs  craintes  temporelles,  et  des 
armes  dans  leurs  rivalités.  La  révolution  d'Angleterre  pro- 
fita de  ce  nouveau  caractère,  essentiellement  laïque,  de  la 
politique  continentale  :  des  deux  grandes  puissances ,  la 
France  et  l'Espagne,  qui  se  disputaient  alors  l'ascendant  en 
Europe,  ni  l'une  ni  l'autre  ne  voulut  se  brouiller  avec  la 
République  naissante;  elles  s'appliquèrent  l'une  et  l'autre 
soit  à  l'attirer  dans  leur  camp,  soit  à  la  retenir  loin  du 
camp  ennemi;  et  deux  systèmes  d'alliance  plus  ou  moins 
complète,  plus  ou  moins  avouée,  d'une  part  la  France, 
l'Angleterre  et  les  Provinces-Unies,  de  l'autre  l'Espagne, 
l'Angleterre  et  les  Provinces-Unies,  furent,  à  Paris  et  à 
Madrid,  la  pensée  constante  de  Mazarin  et  de  don  Louis 
de  Haro,  et  à  Londres  l'objet  du  travail  assidu  de  leurs 
agents  '. 

Le  Parlement  républicain  eut,  de  celle  silualion,  un  sen- 
timent juste,  bien  que  confus  et  incomplet  :  il  comprit  qu'il 
était  déteslé  des  grandes  monarchies  européennes,  mais 
nullement  menacé,  et  il  se  conduisit,  envers  elles,  avec 

'  Lettres  de  Croullé  à  Mazarin  (10  jitnvier  IGiiO);  —  de  Servicn  à  Croulli' 
(28  janvier  1C50).  Archives  des  Affaires  élravjères  de  France  {fJoeumenls 
historiques,  a»  VIH). 


176  ATTITUDE  DU  PARLEMENT  RÉPUBLICAIN 

méfiance  et  fierté,  mais  sans  inquiétude  ni  emportement. 
11  ne  se  montra  point  pressé  d'être  reconnu  par  elles,  ni 
empressé  d'établir,  auprès  d'elles,  les  représentants  de  la 
République.  Non  qu'il  ne  ressentit  à  cet  égard  aucune  im- 
patience; il  lit  sonder  plusieurs  fois  les  agents  étrangers 
qui  restaient  encore  en  Angleterre,  Croullé,  Cardenas, 
Joachim,  tantôt  pour  savoir  d'eux  comment  seraient  reçus, 
à  leurs  cours,  les  ministres  que  la  République  pourrait  y 
envoyer,  tantôt  pour  leur  faire  entendre  qu'ils  ne  pouvaient 
continuer  eux-mêmes  de  résider  à  Londres  s'ils  ne  rece- 
vaient, de  leurs  gouvernements,  de  nouvelles  lettres  de 
créance  qui  les  accréditassent  auprès  du  Parlement  ^  Le 
vif  désir  d'être  reconnu  perçait  de  temps  en  temps  par  des 
voies  indirectes.  «  On  a  imprimé  ici,  écrivait  Croullé  à 
Mazarin,  que  les  conseillers  d'État  de  France  avaient  traité 
avec  les  marchands  anglais  sur  le  sujet  des  affaires  qu'ils 
poursuivent,  et  avaient  par  là  reconnu  le  Parlement  comme 
représentatif  de  la  République.  Je  souhaite  qu'ils  se  veuil- 
lent contenter  de  cette  reconnaissance  imaginaire  ^  »  Le 
Parlement  ne  s'en  contenta  point,  il  continua  au  contraire 
de  se  montrer,  à  cet  égard,  exigeant  et  patient  à  la  fois, 
décidé  à  attendre  la  reconnaissance  de  la  République  aussi 
longtemps  qu'elle  ne  serait  pas  complète,  et  délibérant  à 
diverses  reprises,  et  avec  une  susceptibilité  jalouse,  sur  les 
formes  qui  devaient  êlre  observées  dans  ses  relations  avec 
les  gouvernements  étrangers  '.  Mais  son  attitude  était  tran- 

»  Lettres  de  Croullé  à  Mazarin  (15  novembre  et  6  décembre  1649,  7  no- 
vembre 1650);  —  de  Scrvien  à  Croullé  (6  novembre  1649)  {Archives  des  Af- 
faires étrangères  de  France);  —  de  Cardenas  à  Philippe  I  V  (20  juin  et 
13  août  1649);  —  Z)c7(6cra;jo)t  c/it  conseil  d'Étal  de  Madrid  sur  la  recon- 
naissance de  la  République  d'Angleterre  (9  octobre  1649)  {Archives  de 
Simancaâ)  {Documents  histoaiques,  n"»  VI  et  IX). 

2  Le  25  août  1649  {Archives  des  Affaires  étrangères  de  France). 

3  Les  24  mai  1650,  l"  janvier  et  7  août  1651,  8  janvier  1652  ;  —  Journals 
of  the  llousc  of  commons,  t.  YI,  p.  416,  517,  618  ;  t.  YII,  p.  C4. 


ENVERS  LES  COURS  DU  CONTINENT.  1/7 

quille  autant  que  fière;  il  déclara  publiquement  son  inten- 
tion de  maintenir  tous  les  traités  existants  entre  l'Angle- 
terre et  les  autres  États  '  ;  il  recommanda  au  conseil  d"£tat 
d'enlretenir  partout  des  consuls  afin  que  les  bonnes  rela- 
tions d'affaires  ne  fussent  pas  interrompues  -  5  il  conserva 
en  France  un  agent  officieux,  nommé  Augier,  qui  veillait 
aclivemenl  aux  intérêts  anglais  ';  il  resta  en  rapports  fré- 
quents et  bienveillants,  à  Londres,  avec  quelques-uns  des 
ministres  étrangers,  tels  que  l'Espagnol  Cardeiïas  et  le 
Hollandais  Joacliim,  qui  n'avaient  pas  encore  reçu  de  nou- 
velles lettres  de  créance,  mais  dont  il  connaissait  les  bonnes 
dispositions.  A  travers  de  nombreuses  marques  d'inexpé- 
rience et  quelques  velléités  d'arrogance,  la  conduite  des 
meneurs  républicains,  en  fait  de  politique  extérieure,  indi- 
quait autant  de  réserve  que  de  fierté,  une  prudence  intel- 
ligente, et  le  désir  de  rester  en  paix  au  dehors  pour  ne  pas 
aggraver,  au  dedans,  les  difficultés  et  les  charges  de  leur 
gouvernement. 

Sur  un  seul  point  ils  entrèrent,  sans  ménagement  et  à 
tout  risque,  dans  une  action  forte  et  même  violente.  Des  le 
mois  dejuin  1648,  une  portion  considérable  de  la  flotte,  onze 
vaisseaux  s'étaient  soulevés  contre  le  Parlement  et  étaient 
allés  en  Hollande  se  mettre  aux  ordres  du  prince  de  Galles 
pour  servir  la  cause  du  roi  prisonnier.  Au  mois  d'octobre 
suivant,  le  prince  Robert  fut  nonmié  amiral  de  cette  flotte 
royale;  étranger  jusque-là  à  la  mer,  il  était  d'une  bravoure 
populaire,  ardent  aux  aventures,  sans  crainte  de  la  vie  dure 
et  incertaine,  familier  et  libéral  avec  ses  inférieurs;  il  plut 


'  Le  17  avril  164'J;  —  Tliurloe,  Slalv-J'apcrs,  t.  I,  p.  lô.ï. 

*  Le  14  décembre  IG-iO  ;  —  Journals  of  llw  IIuusc  of  commoiis,  t.  VI, 
p.  353. 

'  Le  5  février  1649;  — Journals  of  tke  Housc  of  commons,  t.  VI,  [>.  152, 
cl  494. 


f78  LE  PRl.XCE  ROBERT 

aux  matelots  comme  aux  soldats,  et  il  continua  sur  mer, 
contre  la  République,  la  mé-me  guerre  acharnée,  errante  et 
pillarde  qu'il  avait  faite  sur  terre  au  Parlement.  Charles  II 
vivait  dans  une   détresse  profonde;  l'argent  lui  manquait 
pour  aider  son  parti,  pour  payer  ses  serviteurs,  pour  en- 
voyer un  messager  à  la  reine  sa  mère,  pour  se  mettre  lui- 
même  en  voyage.  Son  beau-frère,  le  prince  d'Orange,  ne 
pouvait,  malgré  la  plus  généreuse  amitié,  suffire  à  tous  ses 
besoins;  quelques-uns  des  princes  du  continent,  le  duc  de 
Lorraine,  la  reine  de  Suède,  le  roi  de  Pologne,  le  czar  de 
Russie,  lui  firent  quelques  prêts  ou  quelques  présents;  ses 
fidèles  amis  d'Angleterre  lui  envoyaient  une  part  de  ce  que 
leur  laissaient  les  confiscations  ou  les  séquestres;  mais  ces 
secours  étaient  promptcment  épuisés  ;  Charles  n'avait  aucun 
revenu  permanent  ni  assuré.  Il  chercha  et  trouva,  dans  la 
flotte  commandée  par  le  prince  Robert,  des  ressources  pré- 
caires, mais  quelquefois  abondantes  ;  elle  se  promena  dans 
la  Manche,  dans  la  mer  du  >'ord,  tout  autour  de  l'Angle- 
terre, faisant  sur  le  commerce  de  la  République,  et  souvent 
au  hasard  sur  le  commerce  de  tous  les  peuples,  des  prises 
nombreuses  et  riches  ;  ce  fut  une  flotte  de  corsaires  sous 
pavillon  royal,   chargés  de  pourvoir  aux  dépenses  du  roi 
proscrit.  Des  armateurs  particuliers,  anglais,  écossais,  fran- 
çais,  hollandais,   demandèrent  à   s'associer,   en  armant  à 
leurs  frais  des  bâtiments,  à  celte  vie  d'aventures  et  de  pro- 
fits; l'autorisation  leur  fut  aisément  accordée,  ou  vendue; 
des  ordres  de  Charles  II  réglèrent  ce  service  et  le  partage 
de  ses  produits  ;  un  quinzième  de  la  valeur  de  toutes  les 
prises  fut  attribué  au  roi,  un  dixième  à  l'amiral  ;  le  restant 
fut  divisé  en  trois  parts,  une  pour  les  propriétaires  du  bâti- 
ment, une  pour  les  fournisseurs  des  vivres  et  objets  d'en- 
tretien, la  troisième  pour  l'équipage,  selon  le  rang  et  l'em- 
ploi de  chaque  homme,  depuis  l'amiral  jusqu'au  simple 


COMMANDE  LA  FLOTTE  ROYALE.  179 

matelot.  Toute  sùrelé  commerciale  et  personnelle  disparut 
de  ces  mers;  elles  devinrent  une  arène  de  déprédations  in- 
cessantes, véritable  guerre  privée  à  laquelle  les  vaisseaux 
mêmes  du  roi  de  France  et  des  États  généraux  de  Hollande, 
en  déguisant  leurs  pavillons,  ne  laissaient  pas  quelquefois 
de  prendre  part  i. 

Contre  ce  péril  ruineux  et  insultant,  le  Parlement  répu- 
blicain prit  sur-le-champ  les  mesures  les  plus  vigoureuses. 
A  peine  installé,  il  réorganisa  et  augmenta,  par  tous  les 
moyens,  la  flotte  qui  lui  restait;  dès  le  2  février  4649, 
trente  bâtiments  marchands  furent  requis  pour  le  compte 
de  l'Etat  et  armés  en  guerre  ;  les  forces  navales  votées  en 
mars  1650,  pour  la  campagne  de  l'été  suivant,  s'élevèrent  à 
soixante-cinq  bâtiments  montés  par  huit  mille  cent  cin- 
quante hommes;  et  dans  Thiver  de  d6oOà  1651,  trente- 
neuf  bâtiments  montés  par  quatre  mille  cent  quatre-vingt- 
dix  hommes,  et  portant  neuf  cent  cinquante-quatre  canons, 
furent  spécialement  affectés  à  la  protection  des  côtes 
d'Angleterre.  La  presse  des  marins  s'exerça  avec  rigueur. 
Il  fut  largement  pourvu  à  toutes  les  dépenses  de  l'établisse- 
ment maritime,  au  traitement  et  à  l'avancement  des  olli- 
ciers,  à  la  solde,  à  l'entretien  et  aux  récompenses  des 
matelots.  Vanc  présidait  le  comité  de  la  marine,  et  faisait 
pénétrer  dans  toutes  les  parties  de  ce  service  son  activité 
aussi  intelligente  que  passionnée.  Biake,  Dean,  Popham, 
Ayscough,  Penn,  Baddelcy,  furent  mis  à  la  tète  des  diverses 
escadres  et  envoyés  dans  la  3Linche,  dans  la  mer  du  Nord, 
sur  les  côtes  d'Irlande,  de  France,  de  Hollande,  de  Portu- 
gal, d'Espagne,  dans  la  Méditerranée,  dans  le  Levant,  aux 

1  Clarendon,  Ilhl.  of  ihc  RcbcUio»,  1.  xi,  c.  21,  30,  142-i:>2;  —  Giaii- 
ville  Penn,  Mcmorials  of  ihc  life  of  sir  William  Penn,  t  I,  p.  260,  2(10  ;  - 
Robcrl  Blake,by  Ilepworlh  Dixon,  p.  lli-118;—  Mcittoirs  of  prince  Itu- 
perl.published  by Elliotl  Tfarburlon,  t.  III,  p.  2uO,  2GG,  280-297;  —  Wliili- 
locke,  p.  308,  347,  549. 


180  MESURES  DU  PARLEMENT 

Antilles  ;  la  plupart  officiers  de  l'armée  de  terre,  sans  expé- 
rience de  la  mer,  mais  d'une  hardiesse  comme  d'une  capa- 
cité éprouvées,  dévoues  à  la  République,  avides,  pour  leur 
pays  comme  pour  eux-mêmes,  de  succès  et  de  gloire,  peu 
soucieux  de  ce  qu'il  en  pourrait  coûter  à  eux-mêmes  ou  à 
leur  pays,  et  fermement  résolus  de  maintenir  partout,  et  à 
tout  prix,  l'honneur  et  la  sûreté  du  nom  et  du  pavillon 
anglais  ^. 

A  ces  forces  matérielles  ainsi  bien  entretenues  et  bien 
commandées,  le  Parlement  joignit,  pour  la  protection  du 
commerce  national,  des  mesures  législatives  non  moins  effi- 
caces. Il  régla  la  législation  des  prises  maritimes  de  la  façon 
la  plus  propre  à  exciter  l'ardeur  et  à  récompenser  les  efforts 
des  marins  anglais  ^.  Il  rappela  dans  leur  patrie  tous  ceux 
qui  servaient  dans  des  marines  étrangères.  Aux  négociants 
anglais  qui  auraient  essuyé  en  mer  des  pertes  graves,  par 
le  fait  de  vaisseaux  élrangei's  et  sous  prétexte  de  visite,  il 
assura  les  moyens  d'en  poursuivre  la  réparation  '.  Une  dé- 
claration de  Louis  XIV  "*  avait  naguère  interdit  l'entrée  en 
France  de  toute  étoffe  de  laine  ou  de  soie  fabriquée  en  An- 
gleterre ;  le  Parlement  se  fît  faire,  par  le  conseil  d'État,  un 
rapport  sur  les  divers  traités  qui  avaient  réglé  les  relations 
commerciales  des  deux  nations,  et  soutenant  que  la  prohi- 
bition récente  était  illégitime,  il  interdit  à  son  tour  l'entrée 
en  Angleterre  des  vins  et  des  étoffes  de  laine  ou  de  soie  de 
France  ^.  «i  Et  à  ceux  qui  leur  ont  dit  que  cette  défense  ne 

1  Journals  ofthe  Noitsc  of  commons,  t.  VI,  p.  129,  134,  US,  149, 156,  37S, 
407;  —  Memorials  of  sir  William  Penn,  t.  I,  p.  291-297,  .102-304. 

*  Les  7  et  8  mai  1G49;  —  Journals  of  ihe  House  of  commons,  t.  Vf, 
p.  202,  204. 

s  Les  9  mars  1649  et  13  avril  1630;  —  Ibid.,  p.  379,  397. 

*  Du  24  oclobre  1648. 

^  Le  23  aoijl  1649;  —  Journals  of  the  House  of  commons,  t.  VI,  p.  284 
cl  285. 


POUR  LA  GUERRE  MARITIME.  ISl 

tiendrait  pas  et  qu'ils  ne  pourraient  se  passer  de  nos  vins, 
écrit  Croullë  à  Mazarin,  ils  ont  répondu  par  manière  de 
raillerie  que  les  hommes  s'accoutumaient  à  tout,  et  que,  se 
passant  bien  de  roi,  contre  la  créance  que  l'on  en  avait  eue, 
ils  se  pourraient  bien  aussi  passer  de  vins  de  France  ^  » 

Le  succès  répondit  à  cet  ensemble  de  mesures  fortes, 
ordonnée  par  un  pouvoir  hautain,  et  exécutées  par  des 
agents  habiles  et  hardis.  La  marine  républicaine  parcourut 
toutes  les  mers,  tantôt  convoyant  le  commerce  anglais, 
tantôt  faisant ,  sur  le  commerce  étranger,  de  riches  prises, 
poursuivant  partout  à  outrance  le  pavillon  de  Charles  II,  et 
répandant  partout  où  elle  pénétrait  celte  crainte  mêlée  de 
respect  qu'inspire  la  force  rapide  et  intraitable.  Le  prince 
Robert,  à  la  fin  de  l'hiver  de  1649,  s'était  établi  en  croisière 
sur  la  côte  orientale  et  méridionale  d'Irlande,  pour  seconder 
les  opérations  de  l'armée  royale  dans  Tile,  et  pour  saisir  les 
navires  marchands  toujours  nombreux  dans  ces  parages. 
Blake  vint  l'y  chercher  et  le  bloqua  dans  le  port  dcKinsale. 
Robert  s'en  échappa  avec  sa  flotte  %  en  perdant  trois  bâti- 
ments, et  se  rendit  sur  les  côtes  de  Portugal  pour  reprendre 
librement  sa  vie  de  courses  et  d'aventures.  Blake  l'y  suivit 
par  ordre  du  Parlement  ',  emmenant  à  son  bord  Charles 
Vane,  frère  de  sir  Henri  Va  ne,  chargé  de  présenter  au  loi 
de  Portugal  les  plaintes  et  les  demandes  de  la  République 
Les  deux  flottes  stationnaient  l'une  en  face  de  l'autre  à  l'em- 
bouchure du  Tage,  négociant  l'une  et  l'antre  avec  la  cour 
de  Lisbonne,  Robert  pour  (lu'clle  lui  maintînt  son  a|)pui, 
Rlake  pour  qu'elle  le  lui  rclirat.  Robert  trouvait  grande 
faveur  et  à  la  cour  et  parmi  le  peuple  portugais  ;  au  mo- 
ment de  son  arrivée,  le  roi  Jean  IV  avait  envoyé  au-devant 

*  Le  4  octobre  1649  ;  —  Archives  des  Affaires  vtnoKjvres  ilc  France. 
»  Vers  la  fin  d'oclobre  1G49. 
'  Vers  la  fin  de  janvier  1G50. 

nâPUBLIQUE   B'AIVGtETEnRE.    1.  '^ 


182  CAMPAGNE  DE  L'AMIRAL   BLAKE 

de  lui  plusieurs  de  ses  officiers  pour  le  conduire  en  pompe 
au  palais,  et  toutes  les  fois  qu'il  venait  à  lerre,  la  popula- 
tion de  Lisbonne  se  pressait  sur  ses  pas  avec  de  bruyantes 
acclamations.  Blake  au  contraire  était,  pour  la  cour  et  pour 
le  peuple,  ardemment  royalistes  et  catholiques,  un  objet  de 
profonde  antipathie;  quand  des  hommes  de  sa  flotte  quit- 
taient leur  bord,  ils  étaient  insultés  et  quelquefois  maltrai- 
tés, soit  par  les  gens  du  prince  Robert,  soit  par  les  Portu- 
gais eux-mêmes.  Ne  prenant,  de  ces  mauvaises  dispositions, 
que  peu  de  souci,  Blake  demanda  au  roi  Jean  d'éloigner  de 
ses  États  des  pirates  qui  avaient  dérobé  à  la  République 
d'Angleterre  une  parlie  de  sa  flotte  en  lui  débauchant  ses 
matelots,  et  qu'il  avait  ordre  de  poursuivre  et  de  détruire 
comme  des  ennemis  de  tout  commerce  régulier  entre  les 
nations  civilisées;  si  le  roi  de  Portugal  ne  voulait  pas  se 
charger  lui-même  de  renvoyer  les  pirates  de  ses  ports,  que 
du  moins  il  ne  trouvât  pas  mauvais  que  l'amiral  anglais  y 
entrât  avec  son  escadre,  et  s'acquittât  de  la  mission  qu'il 
avait  reçue  de  son  gouvernement.  L'indignation  fut  grande 
à  Lisbonne;  la  reine  et  le  prince  royal  soutinrent  le  courage 
un  peu  chancelant  du  roi  que  quehiues-uns  de  ses  ministres 
engageaient  h  céder.  On  répondit  à  Blake  en  lui  adressant 
des  com[)liments  et  des  présents,  mais  en  repoussant  ses 
prétentions  et  en  lui  refusant  l'entrée  du  port.  Il  tenta, 
mais  sans  succès,  de  la  forcer  ;  les  forts  firent  feu  sur  ses 
vaisseaux.  Il  tourna  dès  lors,  contre  le  commerce  portugais, 
ses  menaces  et  ses  coups;  les  navires,  royaux  ou  marchands, 
ne  purent  plus  entrer  à  Lisbonne  ni  en  sortir;  Blake  en 
saisit  d'abord  cinq,  puis  neuf;  puis  il  détruisit  une  riche 
flotte  de  vingt-trois  bâtiments  qui  venaient  du  Brésil,  dé- 
clarant qu'il  ne  cesserait  pas  tant  que  les  pirates  royalistes 
ne  seraient  pas  livrés  ou  renvoyés.  La  cour  de  Lisbonne 
flottait  entre  la  colère  et  la  crainte  ;  elle  fit  arrêter  et  empri- 


SUR  LES  COTES  DE  PORTUGAL  (1650).  Ïb3 

sonner,  par  voie  de  représailles,  les  marchands  anglais 
établis  à  Lisbonne,  el  Charles  Vane,  ne  pouvant  obtenir 
qu'on  leur  rendit  la  liberté  et  leurs  biens,  se  rembarqua  et 
retourna  en  Angleterre  \  Mais  en  même  temps  le  roi  de 
Portugal  pressait  le  prince  Robert  de  s'éloigner  s'il  ne  se 
croyait  pas  en  élat  d'attaquer  la  flotte  de  Blake  et  d'en  dé- 
livrer Je  royaume.  Robert  parut  un  jour  disposé  à  engager 
le  combat;  mais  Blake  avait  reçu  un  renfort  de  huit  vais- 
seaux amenés  par  l'amiral  Popham,  el  il  se  montra  si  em- 
pressé à  attaquer  lui-même  que  Robert  se  setira  sous  la 
protection  des  forts,  et  prit  enfin  le  parti  de  s'échapper,  à 
grand'peine,  du  port  de  Lisbonne,  pour  aller  chercher, 
dans  la  Méditerranée,  sûreté  et  fortune  '^  Blake  le  pour- 
suivit sur  les  côtes  d'Espagne  comme  sur  celles  de  Portugal, 
et  les  mêmes  hésitations  de  faveur  et  de  défaveur,  les 
mêmes  alternatives  de  colère  et  de  crainte  qui  avaient  agité 
la  cour  de  Lisbonne  en  présence  de  ces  deux  flottes  rivales, 
troublèrent,  quoique  de  plus  loin,  celle  de  3L\drid.  Dès  que 
le  prince  Robert  parut  devant  Malaga,  les  deux  ambassa- 
deurs de  Charles  II  en  Espagne,  Cottington  et  Ilyde,  en  in- 
formèrent le  gouvernement  espagnol  en  réclamant,  pour  le 
cousin  et  les  vaisseaux  de  leur  roi,  un  bienveillant  accueil^. 
Don  Louis  de  Haro  le  promit  avec  empressement,  autant 
par  inquiétude  devant  une  force  étrangère  que  par  faveur 
pour  une  flotte  royale.  Mais  on  apprit  peu  après  à  Madrid 
que  la  flotte  républicaine  était  aussi  sur  les  côlcsd'Espagne, 
poursuivant  celle  du  roi  Charles,  et  réclamant,  comme  à 
Lisbonne,  l'entrée  des  ports  espagnols  pour  l'attaquer  et  la 
détruire.  Les  prétentions  arrivaient  des  deux  parts,  égale- 
ment violentes  et  hautaines;   Robert,  après  avoir  coulé  à 

>  EnjuiiilGIiO. 

^  Kii  sc()lcnibrc  IGîiO. 

2  Eu  octobre  IGtiO. 


iU  ATTITUDE  DU  PARLEMENT  REPUBLICAIN 

fond  devant  Malaga  plusieurs  navires  marchands  anglais, 
demanda  au  gouvernement  de  faire  arrêter  à  terre  et  de 
remettre  entre  ses  mains  le  capitaine  de  l'un  de  ces  navires, 
«  qui  avait,  disait-il,  furieusement  conspiré  contre  le  feu 
roi  Charles,  et  qu'en  revanche  il  voulait  faire  bouillir  dans 
la  poix.  1)  Blake,  de  son  côté,  apprenant  que  le  prince  Ro- 
bert était  descendu  à  terre,  fit  presser  les  autorités  espa- 
gnoles de  le  lui  livrer,  comme  un  chef  de  pirates  ennemi  de 
toutes  les  nations.  La  cour  de  Madrid  se  défendit,  par  les 
délais  et  l'inertie, contre  ces  instances  fougueuses.  La  guerre 
des  deux  flottes  continua  plusieurs  mois  encore  sur  ses 
côtes  :  enfin  Blake  détruisit  devant  Malaga  la  plus  grande 
partie  de  celle  de  Robert  qui,  resté  avec  deux  vaisseaux  seu- 
lement, erra  quelque  temps  dans  la  Méditerranée,  puis, 
repassant  le  détroit,  alla  chercher,  dans  l'Atlantique  et  le 
long  de  la  côte  occidentale  d'Afrique,  de  nouvelles  prises  à 
faire  sans  avoir  à  combattre  la  marine  du  Parlement.  Elle 
resta  dominante  dans  les  mers  du  sud-ouest  de  l'Europe; 
Penn  et  Lawson  furent  chargés  dy  poursuivre  encore 
Robert,  dont  on  ne  savait  ce  qu'il  élait  devenu;  Blake  fut 
rappelé  en  Angleterre  '  pour  reprendre,  avec  Dean  et 
Popham,  le  commandement  de  la  flotte  dans  la  Manche  et 
la  mer  du  Nord  :  la  marine  républicaine  élait  là  en  pré- 
sence de  rivaux  plus  redoutables;  mais  là  aussi  elle  avait 
déjà  fait  ses  preuves  de  vigueur  et  d'audace;  le  commerce 
français  surtout  avait  payé  cher  les  prises  qu'avaient  d'abord 
faites  sur  les  Anglais  ses  armateurs;  au  mois  de  scj)lem- 
bre  dG51,  le  Parlement  déclara  que,  ne  pouvant  obtenir 
justice  du  roi  de  France,  il  était  décidé  à  se  faire  justice 
lui-même;  six  navires  français,  arrêtés  par  des  capitaines  de 
bâtiments    de  l'État,  furent  définitivement  confisqués,  et 

1  Le  2  novembre  1650. 


ENTRE  LA  FRANCE  ET  L'ESPAGNE.  18S 

l'on  n'accorda  rien  aux  réclamations  venues  de  Paris  à  ce 
sujet.  Sur  mer,  le  Parlement  républicain  sentait  et  avait 
fait  sentir  sa  force;  son  pavillon  flottait  fièrement,  redoute 
de  ses  ennemis  et  respecté  de  ses  rivaux  '. 

Mais  là  se  bornèrent,  en  fait  de  politique  extérieure, 
son  babiletéct  ses  succès  :  autant  dans  ses  affaires  mari- 
times il  déploya  de  savoir-faire  et  d'énergie,  autant,  dans 
ses  relations  et  ses  entreprises  diplon)ati(|ues  sur  le  conti- 
nent, il  manqua  de  sagacité  et  de  bon  sens,  de  mesure  et 
de  résolution. 

Il  était  en  présence  de  deux  puissances  ardemment 
rivales,  mais  placées  dans  des  situations  et  animées  de  dis- 
positions très-diverses.  L'Espagne,  encore  superbe  de  sa 
grandeur  récente  dont  l'Europe  restait  encore  effrayée,  dé- 
clinait rapidement  :  l'empire  d'Allemagne  ne  lui  apparte- 
nait plus;  malgré  ses  longs  et  sanglants  efforts,  elle  avait 
perdu  les  Provinces-Unies;  sa  domination  en  Italie  s'était 
restreinte  ;  une  conspiration  \enait  de  lui  ravir  en  un  jour 
le  Portugal  ;  au  loin  et  dans  le  nouveau  monde  seulement, 
ses  possessions  demeuraient  inniicnses;  c'était,  selon  la 
belle  expression  de  Sully,  «  un  de  ces  États  qui  ont  les  bras 
et  les  jambes  fortes  et  puissantes  et  le  cœur  infiniment 
faible  et  débile  .  »  Au  milieu  des  splendeurs  de  sa  cour  et 
de  son  langage,  le  gouvernement  espagnol  se  sentait  faible 
en  effet  et  cbercJiait  à  cacber  sa  faiblesse  sous  son  immobi- 
lité, Pbilippe  IV  et  don  Louis  de  Haro,  tons  deux  sensés  et 
modérés,  l'un  par  mollesse,  l'autre  par  prudence,  et  las  de 

1  Mcmoriuls  of  prince  liupcrt,  l.  111,  j).  288-588  ;  -  Claiemloii,  tJisl.  of 
the  RcbvUioii,  l.  xii,  c.  ô,  110-114;  1.  xiv,  c.  G8;  —  Tliurloi-,  i7«^c-/'(i;«»-4, 
l.  I,  p.  \U.  137,  138,  liO-142,  154-158;  —  Wliilelockc,  p.  410,  42'J,  illi, 
449,  458,  4()3,  470,  471,  473,  476,  484-48(j,  515,  520;  —  ItoOcil  lUakc, 
p.  122-165. 

1  Sully  au  prcsideiil  .Icaiiniii  (26  lévrier  16()8j,  iluiis  les  !\'éijoci<itions  du 
f  résident  Jcanniu,  t.  III,  p.  201);  CollccUon  Pititvl. 

IG. 


186  ATTITUDE  D\]  PARLE3IENT  REPUBLICAIN 

lutlcr  pour  être  vaincus,  n'aspiraient  plus  qu'à  la  sécurité 
de  la  paix,  et  niellaient  tous  leurs  soins  à  écarter  toutes  les 
questions,  toutes  les  affaires  qui  leur  auiaicnl  imposé  des 
efforts  dont  ils  ne  se  sentaient  plus  capables.  Divisée  et 
énervée,  la  maison  d'Autriche  gardait  encore  moins  d'am- 
bition que  de  puissance,  et  hors  le  cas  de  nécessite  absolue, 
une  pompeuse  inertie  devenait  la  politique  des  successeurs 
de  Charles-Quint. 

La  France,  au  contraire,  et  la  maison  de  Bourbon  mar- 
chaient ensemble  dans  une  voie  de  progrès  rapide  et  hardi  : 
un  puissant  esprit  d'activité  et  d'ambition  animait  les  con- 
seils de  la  couronne  et  les  diverses  classes,  surtout  les 
classes  supérieures,  de  citoyens;  partout  régnait  le  goût 
des  grands  desseins  et  des  entreprises  éclatantes  ,  sans 
crainte  des  efforts  et  de  la  responsabilité  qui  les  accompa- 
gnent. Aussi  malgré  les  dissensions  civiles  et  d'infructueux 
désirs  de  liberté  politique,  l'État  s'affermissait  et  s'étendait; 
l'unité  nationale  et  l'aulorilc  royale  se  développaient  en 
même  temps.  Persévérant  autant  que  souple,  et  tour  à  tour 
vainqueur  ou  fugitif,  mais  toujours  favori  et  premier  mi- 
nistre, dans  l'exil  comme  à  Paris,  Mazarin  poursuivait,  à 
travers  ses  succès  et  ses  échecs  de  guerre  cl  de  cour,  l'œuvre 
de  Henri  IV  et  de  Richelieu.  C'était  un  gouvernement  et 
un  pays  à  la  fois  anciens  cl  jeunes,  guides  par  des  traditions 
puissantes  dans  un  mouvement  uou\  eau,  pleins  de  force  et 
avides  de  grandeur. 

Entre  ces  deux  |)uissances,  l'Angleterre  pouvait  ou  choi- 
sir à  son  gré  son  allié,  ou  uiainlenir  fermement  la  balance; 
malgré  leur  répugnance  pour  la  Ré[)ubliquc  régicide,  elles 
étaient  si  passionnément  jalouses  et  inquiètes  l'une  de  l'au- 
tre qu'elles  subordonnaient  tout  au  désir  de  s'enlever  mu- 
tuellement un  si  important  appui.  Le  Parlement  républicain 
ne  prit  ni  l'un  ni  l'autre  parti  ;  appréciant  mal  les  forces  et 


ENTRE  LA  F1\A^CE  ET  L'ESPAGNE-  187 

les  chances  d'avenii*  des  deux  puissances,  et  dominé  par  des 
routines  passionnées,  il  resta  flottant,  mais  non  impartial, 
entre  l'Espagne  et  la  France,  affectant  la  neutralité  sans 
savoir  ni  en  sortir  à  propos,  ni  la  garder  réellement. 

L'Espagne  avait  ses  préférences  :  ce  n'était  pas  de  Madrid 
qu'était  venue  la  reine  Henriette-Marie,  objet  constant  de 
l'antipatliie  et  de  lliostilité  des  parlementaires;  ce  n'était 
pas  à  Madrid  qu'elle  trouvait  encore  asile  et  appui.  Au 
moment  du  |»rocès  du  roi,  don  Alonzo  de  Cardonas,  pressé 
parles  royalistes  de  faire  en  sa  faveur  quelque  démarche, 
s'y  était  formellement  refusé,  disant  qu'il  n'avait  point 
d'instructions  de  sa  cour  ^.  La  République  proclamée,  il 
était  resté  à  Londres,  en  bonne  intelligence  avec  les  chefs 
républicains,  et  il  avait  sollicité  de  sa  cour  le  renouvelle- 
ment de  ses  lettres  de  créance,  donnant  à  entendre  qu'il 
en  tirerait  bon  parti,  et  pour  les  intérêts  politiques  de 
l'Espagne,  et  pour  les  intérêts  religieux  des  catholiques 
d'Angleterre  ^-  Philippe  IV  et  don  Louis  de  Haro  étaient 
moins  empressés  que  Cardeiias  :  ils  auraient  voulu  ne  se 
prononcer  ni  pour  ni  contre  la  République  ou  Charles  II, 
profiter  sous  main  des  velléités  favorables  de  l'une,  donner 
sans  bruit  à  l'autre  quelques  témoignages  royalistes,  et  se 
tenir  dans  une  complète  inaction  en  attendant  les  événe- 
ments. Ce  fut  en  ce  sens  qu'opina  constamment  le  conseil 
d'État  espagnol,  consulté  par  son  roi  tantôt  sur  les  dépêches 
de  Cardehas,  tantôt  sur  celles  de  Charles  II  et  de  ses  ambas- 
sadeurs. Pendant  plus  d'un  an  on  mit  en  pratique  à  Madrid 
celte  politique  d'indifférence  et  d'inertie  :  on  n'envoya  à 
Cardenas  ni  instructions  ni  pouvoirs  nouveaux;  on  essaya 

»  Cardenas  au  roi  Philippe  /K  (15  janvier  1649).  (Archives  de  Siviancai) 
(Documcnls  historiques,  n"  V). 

2  Cardenas  au  roi  Philippe  /K  (18  février  1649).  [Archives  de  Simancas) 
{Documenls  hisloricfucs,  n»  V). 


<88  LA  COUR  DE  MADRID 

d'empêcher  que  ColUngfon  et  Ilyde  ne  vinssent  à  Madrid, 
et  n'nyant  pu  y  réussir,  on  ne  tint  nul  compte  de  leur  pré- 
sence ^  Quand  ils  apprirent  qu'Antoine  Aschani  allait  arri- 
ver en  Espagne,  au  nom  du  Parlement,  ils  en  témoignèrent 
une  douloureuse  surprise  :  «  Nous  ne  saurions  croire, 
dirent-ils,  que  Sa  Majesté  Catholique,  qui  a  été  le  premier  et 
le  seul  prince  auquel  le  roi  notre  maître  ait  offert,  par  ses 
ambassadeurs,  toute  son  amitié,  soit  le  premier  et  le  seul 
prince  qui  donne  crédit  au  gouvernement  de  ces  rebelles  en 
recevant  leur  envoyé  ^  »  Le  conseil  dEtat  délibéra  sur  leur 
plainte;  puis,  quelques  mois  après,  sur  leur  demande  pour 
que  le  prince  Robert  et  sa  flotte  fussent  bien  reçus  dans  tous 
les  ports  du  royaume  '.  On  éluda  de  répondre  à  leurs  de- 
mandes comme  à  leurs  plaintes  :  soit  qu'il  s'agît  du  gou- 
vernement républicain  ou  du  roi  proscrit,  la  cour  de 
Madrid  n'aspirait  qu'à  ne  rien  dire  et  à  ne  point  agir. 
*  Mais  les  situations  se  développaient  ;  le  Parlement  se 
montrait  plus  exigeant;  Cardcnas  écrivit  qu'on  ne  voulait 
plus  traiter  avec  lui  et  qu'il  serait  contraint  de  partir  s'il 
n'avait  pas  de  nouvelles  lettres  de  créance  où  la  République 
fût  expressément  reconnue  ■*.  L'assassinat  d'Ascham  et  l'in- 
sistance du  Parlement  pour  en  obtenir  justice  mettaient  la 
cour  de  Madrid  dans  un  grand  embarras.  Charles  II  de  son 
côté  lui  donnait  de  Ihumeur  ;  il  allait  à  Paris  sous  prétexte 
devoir  la  reine  sa  mère,  mais  en  réalité,  disait-on,  pour 

1  Délibérations  du  conseil  il' État  de  Madrid  (15  cl  29  mars,  6  juin 
cl  2  aoûl  1G4!)}.  [Archives  de  Simancas)  {Pocumcnls  historiques,  n">  V 
cl  VI). 

^  Note  de  lord  Collinglon  et  de  Hxjde  à  Philippe  lY  (10  mai  1650).  {Ar- 
chives de  Siviancas){Dociuncnls  historiques,  11»  X).— Clarcndon,  Hisl.  of  thc 
Rébellion,  1.  xiii,c.  8,  10-14. 

^  Détiljérations  du  conseil  d'Étal  de  Madrid  (10  mai  cl  22  oclobrc  1650). 
(Archives  de  Siviancas)  {Documents  historiques,  n»  XI). 

*  Le  20  juin  16i9.  {Archives  de  Simancas)  [Documents  historiques , 
n»  VI). 


RECONNAIT  LA  REPUBLIQUE.  189 

recevoir  les  conseils  et  les  directions  de  Mazarin  ;  il  traitait 
de  frère  le  roi  de  Portugal  toujours  qualifié  en  Espagne  du 
nom  de  tyran  usurpateur^.  Le  Parlement  républicain  au 
contraire  menait  rudement  la  maison  de  Bragancc  et  lui  fai- 
sait presque  la  guerre  à  cause  de  l'appui  qu'elle  avait  prêté 
au  prince  Robert.  Après  vingt  et  un  mois  d'bésitation,  la 
cour  de  Madrid  se  décida  enfin;  elle  congédia  d'Espagne  les 
deux  ambassadeurs  de  Cbnries  II,  et  envoya  à  Cardennsde 
nouvelles  lettres  qui  l'accréditaient  auprès  du  Parlement  de 
la  République^.  En  même  temps  arrivait  en  Angleterre  Jean 
de  Guimaraes  envoyé  par  le  roi  de  Portugal  pour  mettre  fin 
à  la  mésintelligence  des  deux  États.  Le  Parlement  fit  atten- 
dre quinze  jours  à  Guimaraes  l'autorisation  de  venir  à  Lon- 
dres ^  ;  elle  ne  lui  fut  accordée  qu'à  la  majorité  d'une  voix, 
et  on  décida  qu'il  serait  reçu  sans  apjtareil,  par  un  comité 
de  onze  membres  *.  Mais  le  surlendemain  même  du  jour  où 
Cardcnas  avait  annoncé  ses  nouvelles  lettres  de  créance,  il 
fut  reçu  par  le  Parlement  tout  entier  en  audience  solen- 
nelle^. Trois  commissaires,  parmi  lesquels  était  le  comte  de 
Salisbury,  l'allèrent  prendre  cbcz  lui  dans  les  carrosses  de 
lÉtat  ;  trente  ou  quarante  voilures  l'accompagnaient,  pleines 
de  gentilshommes  espagnols  et  anglais  ;  deux  régiments  de 
cavalerie  étaient  rangés  devant  Wbiteball,  sur  son  passage; 
un  régiment  d'infanterie  lui  faisait  escorte.  Entré  dans  la 
salle  du  Parlement,  il  s'assit  dans  un  fauteuil  préparé  pour 

1  Antoine  Brun  à  CarJchas  {Va  Iliiye,  29  iiovfml)re  1649);  —  Cardehus 
à  Philippe  I  V  (14  dcceaibre  lGi9).  {Archives  de  Simaiicas)  {Doeumcnh  his- 
toriques, no  XII). 

2  En  (léccnibi-e  IC50. 

'  Du  3  au  18  décembre  1650. 

*  LclO  janvier  1C51;  —  Journuls  of  thc  llousc  uf  comiiwns,  l.  VI,  p.  504, 
510,511,  516,319,  522,529,550. 

*  Le  26  iléccmbrc  1650;  —  Jounuds  vf  thc  lluusc  of  comvwm,  l.  VI, 
p.  513,513. 


190  LE  CHARGÉ  D'AFFAIRES  DE  FRANCE 

lui,  remit  à  Toralcur  ses  Icllres  de  créance  écrites  en  latin, 
et  prononça  en  espagnol  un  long  discours,  se  félicitant  de 
venir  le  premier,  au  nom  du  plus  grand  prince  de  la  chré- 
lienté,  reconnaître  cette  Chambre  comme  le  pouvoir  suprême 
de  la  nation,  et  retraçant  avec  détail  ce  qu'avait  fait  le  roi 
son  maître  pour  assurer  le  châtimentdcs  meurtriers  d'Ascham 
et  pour  éloigner  des  ports  d'Espagne  le  prince  Robert.  L'or- 
gueil républicain  prenait  plaisir  à  recevoir  avec  cette  pompe 
cet  éclatant  hommage  monarchique  ;  quelques  puritains 
austères  en  étaient  seuls  mécontents  :  «  Je  crains,  écrivait 
Bradshaw  à  l'un  des  ofiiciers  de  Cromwell  ',  que  notre  im- 
puissant empressement  à  nous  mettre  en  faveur  auprès  des 
nations  voisines  ne  nous  fasse  ni  honneur  ni  profit.  Dieu 
nous  fasse  la  grâce  de  compter  sur  lui ,  de  ne  rechercher 
que  lui,  et  d'être  indépendants  de  tous  les  autres!  Mais,  sur 
ce  point,  beaucoup  de  nos  frères  pensent  autrement  que 
moi,  et  j'écris  à  quelqu'un  qui  est  bien  plus  capable  que  moi 
d'en  juger.  Je  m'arrête  donc  ^.  i> 

Au  même  moment  où  le  Parlement  donnait  à  l'ambassa- 
deur d'Espagne  et  recevait  de  lui  ces  éclatantes  marques  de 
bon  vouloir  mutuel,  le  chargé  d'afTaires  de  France,  Croullé, 
voyait  sa  maison  envahie  par  des  soldats,  et  était  lui-même 
arrêté,  conduit  devant  le  conseil  d'État,  et  renvoyé  d'Angle- 
terre sous  dix  jours,  -t  Bien  que  ces  messieurs  les  Espagnols 
aient  attendu  à  l'extrémité,  écrivit-il  sur-le-champ  au  car- 
dinal Mazarin ,  ils  n'ont  pas  laissé  d'être  bien  reçus  ;  et 
comme  ce  n'aura  pas  été  sans  conditions  qu'ils  se  sont  réso- 
lus d'en  venir  là,  entre  lesquelles  la  principale  sera  d'être 
mal  avec  la  France,  l'on  a  voulu  faire  précéder,  à  cette  céré- 
monie, une  action  qui  témoigne  que   l'on  veut  la  bien 


1  l.c  24  décembre  1650. 

2  Millon,  SlaU-Papers,  p.  39-40, 42. 


EST  RENVOYÉ  DE  LONDRES.  191 

désobliger.  Hier,  lorsque ,  suivant  l'approbation  que  j'ai 
reçue  de  la  cour  de  tenir  un  prêtre  pour  mon  usage,  il  était 
à  dire  la  messe  où  assistaient  plusieurs  Français  et  fort  peu 
d'Anglais,  une  compagnie  de  soldats  vinrent  en  mon  logis 
dont  ils  surprirent  les  portos,  et  étant  entrés,  frappèrent  et 
maltraitèrent  d'abord  tous  ceux  qu'ils  rencontrèrent,  dont 
je  fus  du  nombre:  un  gentilbomme  français  et  moi,  nou^ 
étant  opposés  aux  violences  qu'ils  allaient  faire  à  l'autel, 
nous  donnâmes  assez  de  temps  à  celui  qui  y  célébrait  pour 
se  dévêtir  de  ses  ornements  et  se  ranger  parmi  la  foule,  d'où 
je  trouvai  moyen  de  le  tirer  et  de  l'enfermer  dans  mon  cabi- 
net, en  sorte  qu'il  ne  fut  point  vu.  Les  soldats  s'étant  rendus 
maîtres  absolus  de  tout,  je  fus,  avec  un  seigneur  anglais  et 
deux  gentilsbommes  français,  pour  en  porter  ma  plainte  au 
président  du  conseil  qui,  sans  me  vouloir  entendre,  me  fit 
mener  et  garder  dans  le  corps  de  garde  et  dans  un  méchant 
cabaret  jusque  sur  la  nuit.  Environ  sur  les  six  heures,  je  fus 
appelé  au  conseil  d'État  où,  ayant  fait  une  déduction  simple 
et  véritable  de  l'action,  il  fut  résolu  de  m'ordonner  de  me 
retirer;  ce  qui  m'ayant  été  dit  par  le  président,  je  lui  dis 
que  j'étais  ici  par  le  commandement  du  roi  mon  maître 
auquel  je  ferais  savoir  ce  qu'il  m'avait  dit,  et  qu'ayant  reçu 
les  commandements  de  S.  M.,  j'y  obéirais  sans  remise;  à 
quoi  le  président  m'ayant  réplique  que  ce  que  je  disais  alors 
était  plus  au  mépris  du  conseil  que  tout  ce  que  j'avais  dit, 
qu'il  n'y  avait  point  de  rois  qui  eussent  autorité  de  donner 
des  ordres  en  leur  pays,  et  que  si  je  n'obéissais  pas,  ils  pro- 
céderaient contre  moi  comme  ils  devraient,  je  lui  répondis 
que,  lorsque  j'avais  parlé  des  commandements  de  S.  M., 
je  ne  les  avais  entendus  qu'à  mon  égard  à  moi  qui  partout 
n'en  recevais  point  d'autres,  qu'ils  avaient  on  main  le  pou- 
voir et  la  force  de  faire  ce  qu'ils  voudraient,  mais  non  pas 
de  me  faire  rien  faire  contre  mon  devoir,  sur  quoi  je  nie  re- 


192      POLITIQUE  DE  LA  COUR  DE  FRANCE 

tirai.  Ce  matin,  un  messager  du  conseil  d'Élat  m'en  a 
apporté  les  ordres,  avec  passe-port  pour  me  retirer  dans  dix 
jours,  à  quoi  il  faudra  que  je  satisfasse.  J'attendrai  pourtant 
les  commandements  quil  plaira  à  Votre  Éminence  de  me 
faire  donner^.  » 

Mazarin  ressentit ,  de  cet  incident,  un  vif  déplaisir  ;  de- 
puis longtemps  déjà  il  s'inquiétait  des  menées  de  Cardenas 
à  Londres  et  de  la  préférence  que  l'Espagne  y  rencontrait; 
le  G  août  1649,  il  faisait  écrire  à  Croullé  par  Servien  :  «  Je 
vous  prie  de  ne  perdre  aucune  conjoncture  pour  donner  au 
Parlement  les  dernières  défiances  des  Espagnols,  ce  que  je 
ne  doute  pas  que  vous  ne  fassiez  fortement  et  adroitement 
en  toutes  sortes  de  rencontres;  »  et  quelques  mois  plus 
lard*  :  «  Il  faudrait  que  le  Parlement  d'Angleterre  nous 
fournît  sous  main  quelques  assistances  d'hommes  ou  d'argent 
pour  nous  donner  moyen  de  nous  défendre  des  grands  pré- 
paratifs que  les  Espagnols  font  pour  nous  attaquer  de  tous 

côtés  la  campagne  prochaine Il  faut  au  moins  que  vous 

ayez  toujours  pour  but  d'empêcher  qu'ils  n'en  donnent  aux 
ennemis,  sur  les  fausses  suppositions  que  Cardeîïas  leur 
fera.  »  Les  informations  que  Croullé  transmettait  à  Mazarin 
n'avaient  jamais  été  propres  à  le  rassurer  :  c'était  tantôt  le 
récit  des  marques  de  faveur  que  donnait  à  Cardenas  le  Par- 
lement, tantôt  l'annonce,  bien  ou  mal  fondée,  que  cent  mille 
livres  sterling  avaient  été  expédiées  de  Londres  à  Madrid 
pour  aider  l'Espagne  dans  sa  guerre  contre  la  France. 
MM.  de  Bouillon  et  de  Turenne,  alors  chefs  de  la  Fronde, 
avaient,  disait-on,  écrit  à  Cromwcll  pour  demander  son  ap- 
pui ;  le  conseil  d'État  républicain  méditait  d'envoyer  une 
partie  de  la  flotte,  qui  croisait  devant  Lisbonne,  au  secours 

1  Croullé  à  Mazarin  (6  janvier  1631).  {Archives  des  Affaires  étrangères  de 
France). 

*  Le  28  janvier  IU'ÔO  {Archives  des  Affaires  éirunghres  de  France). 


ENVERS  LA  RÉPUBLIQUE  (I650-1G3I).  193 

des  Frondeurs  insurges  à  Bordeaux ^  Le  bruit  se  répandit 
que  Cromwell,  après  avoir  soumis  l'Irlande,  irait  faire  un 
voyage  en  France;  par  une  méprise  singulière,  Mazarin  ne 
vit  d'abord  là  qu'une  intention  amicale,  et  Servien  écrivit 
sur-lc-cbamp  à  CrouUé  :  «  Si,  après  Texpédition  d'Irlande, 
M.  Cromwell  vient  en  France,  étant,  comme  il  est,  per- 
sonne de  mérite,  il  y  sera  bien  reçu,  car  assurément  tout  le 
monde  Tira  recevoir  au  lieu  où  il  débarquera  ^  ;  »  mais  les 
lettres  de  Croullé  ne  lardèrent  pas  à  désabuser  le  cardinal. 
«  Je  ne  sache  point  de  persuasion  assez  forte,  lui  écrivit 
Croullé,  pour  ôtcr  de  l'esprit  de  tout  le  monde  qu'aussitôt 
que  Cromwell  aura  fait  en  Irlande  ,  il  passera  en  France 

avec  son  armée; ce  qui  se  dit  de  son  dessein  procède  de 

ceux  qui  le  désirent  pour  de  différents  intérêts  ;  et  pour  ce, 
on  lui  fait  dire  quantité  de  choses  que  j'ai  toujours  négligé 
d'écrire  comme  étant  sans  certitude  et  sans  apparence ,  et 
entre  autres  que  regardant  ses  cheveux  déjà  blanchis,  il  a  dit 
que,  s'il  avait  dix  ans  de  moins,  il  n'y  a  point  de  roi  dans 
l'Europe  qu'il  ne  fit  trembler,  et  qu'ayant  un  meilleur 
motif  que  le  défunt  roi  de  Suède,  il  se  croyait  encore  capa- 
ble de  faire  plus  pour  le  bien  des  peuples  que  n'a  jamais 
fait  l'autre  pour  son  ambition  '.  » 

Vrais  ou  faux,  ces  propos  ,  ces  bruits  préoccupaient  for- 
tement Mazarin;  l'hostilité  déclarée  de  TAngleterre  eût  fort 
aggravé  les  embarras  de  sa  situation  intérieure,  toujours  si 
chancelante,  et  les  difficultés  de  sa  politique  extérieure  qu'il 
poursuivait  obstinément,  quels  que  fussent  ses  embarras 
personnels.  A  côté  de  lui,  Colbert,  encore  simple  conseiller 

'  Croullé  à  Mazarin,  les  10  janvier,  16  mai,  4  juillet  et  12  seplenibreKi.'iO 
{Archives  des  Affaires  étrangères  de  Fratice)  (Documenls  historiques, ir^  VIII 
ctXllt). 

2  Le  6  août  1649  {Archives  des  Affaires  étrangères  de  France). 

^  Les  23  oclobrc  el  13  novembre  1649  (Archives  des  Affaires  étrangères 
de  France). 

1.  17 


iU  OUVERTURES  DE  MAZARIN 

d'État,  et  intendant  de  la  maison  du  cardinal,  mais  déjà 
passionnément  appliqué  au  soin  de  la  prospérité  nationale, 
dénonçait  sans  relâche  ses  souffrances  et  les  pertes  que  cau- 
saient au  commerce  français  les  mesures  prohibitives  du 
Parlement  républicain  et  la  guerre  sourde  et  déréglée  que 
se  faisaient  les  marines  des  deux  États.  Il  fallait  absolument 
à  Mazarin  des  alliés  puissants  en  Europe ,  à  Colbert  de  la 
sécurité  pour  le  commerce  de  France,  sur  terre  et  sur  mer. 
Un  moment  Mazarin  se  flatta  de  conclure,  avec  les  Provin- 
ces-Unies, contre  l'Espagne  et  l'Angleterre,  une  alliance 
efficace  :  le  comte  d'Estrades,  longtemps  ambassadeur  en  Hol- 
lande, était,  en  16S2,  gouverneur  de  Dunkerquc;  le  prince 
d'Orange  lui  écrivit  le  2  septembre:  «  La  confiance  que  j'ai 
en  votre  amitié,  et  en  celle  que  vous  aviez  pour  feu  monsieur 
mon  père,  me  fait  espérer  que  vous  ne  me  refuserez  pas 
la  prière  que  je  vous  fais  de  venir  me  trouver  à  la  Haye  au 
plus  tôt,  ayant  à  vous  communiquer  des  affaires  très-impor- 
tantes.» Il  s'agissait  dun  projet  de  traité  par  lequel  Louis  XIV 
et  le  prince  d'Orange  se  seraient  engagés  «  à  faire  en  com- 
mun la  guerre  à  l'Espagne  et  à  rompre  en  même  temps 
avec  Crorawell,  en  tâchant,  par  toutes  sortes  de  voies,  de 
rétablir  le  roi  d'Angleterre  dans  ses  royaumes.  »  D'Estrades 
en  rendit  compte  h  Mazarin  qui  lui  répondit  sur-le-champ  : 
«1  La  reine  m'a  commandé  de  vous  donner  ordre  de  passer 
incontinent  en  Hollande,  près  M.  le  prince  d'Orange;  et 
afin  que  vous  soyez  en  état  de  traiter  avec  lui,  si  vous  le 
trouvez  disposé  à  rompre  avec  l'Espagne,  je  vous  envoie  le 
pouvoir  du  roi  pour  conclure  le  traité ,  et  ce  sera  le  plus 
grand  service  que  vous  sauriez  jamais  rendre  au  roi.  En 
mon  particulier,  je  vous  saurai  très-bon  gré  si  vous  portez 
ce  prince  à  rompre  avec  l'Espagne  ;  ce  qui  romprait  toutes 
les  mesures  de  mes  ennemis,  et  dissiperait  les  cabales  et  fac- 
tions qui  paraissent  à  la  cour  et  dans  le  Parlement  contrç 


AU  PARLEMENT  RÉPUBLICAIN,  195 

moi.  Je  vous  prie  de  ne  rien  négliger  pour  faire  réussir 
celte  affaire  qui  est  très-importante  ^  » 

L'affaire  ne  réussit  pas  ;  leprince  d'Orange  mourut  ^^  et  vers 
la  fin  de  cette  même  année,  Mazarin  se  trouva  seul,  en  facede 
lEspagnc  toujours  ennemie,  de  la  République  britannique 
officiellement  reconnue  par  l'Espagne  ,  des  Provinces-Unies 
détachées,  par  la  mort  de  leur  stalliouder,  de  la  cause  mo- 
narchique ,  et  sans  relations,  même  oflicieuses,  avec  l'An- 
gleterre d'où  son  agent  était  chassé. 

Par  caractère  autant  que  par  politique,  il  ne  pouvait  res- 
ter dans  cette  situation  :  aussi  impatient  que  fourbe,  et  re- 
doutant peu  les  dégoûts,  il  était  de  ceux  qui  se  pressent 
d"agir  pour  sortir  d'embarras  et  qui  s'exposent  à  un  nouvel 
cchee  plutôt  que  de  ne  rien  faire  pour  réparer  celui  qu'ils 
ont  subi.  Les  négociants  français  insistaient  fortement  pour 
qu'on  renouât,  avec  l'Angleterre,  des  relations  pacifiques; 
ils  essayèrent  d'entrer  eux-mêmes  en  correspondance  directe 
avec  le  Parlement  républicain,  et  un  M.  Salomon,  vicomte 
de  Virelade,  écrivit  en  leur  nom,  de  Paris,  au  conseil  d'État 
bi'itannique,  demandant  un  sauf-conduit  pour  aller  à  Lon- 
dres négocier  dans  leur  intérêt.  «  Il  n'y  a  ici  personne,  lui 
répondit  Walter  Frost,  secrétaire  du  conseil  d'État,  ([ui 
puisse  traiter  avec  vous  de  ces  affaires,  sinon  la  puissance 
souveraine  ou  ceux  qu'elle  députerait  ;  et  celte  puissance-là 
ne  voudra  recevoir  d'adresse  de  personne  que  de  la  puis- 
sance souveraine  de  France,  laquelle  seule  fieut  donner  les 
pouvoirs  nécessaires  pour  Irai  ter  de  telles  afl';iires.  Je  ne  puis 
donc  vous  procurer  un  sauf-conduit  pour  venir  en  la  qualité 

que  vous  marquez Mais  si  l'État  de  France  veut  faire, 

par  vous,  ouverture  d'adresse  publique  à  cette  République 

'  Letlrcf,  mémoires  cl  négociations  de  M .  le  comte  d't'siradcs  (Londres, 
1753),  t.  I,  |)   99-103. 
*  Le  6  novembre  1G50. 


196  OUVERTURES  DE  MAZARIN 

sur  CCS  affaires,  et  en  la  forme  usitée  entre  États  souverains, 
je  ne  doute  point  que  cet  Élai-ci  ne  soit  content  de  recevoir 
les  propositions  honnêtes  et  justes  qui  seront  pour  terminer 
les  différends  et  rétablir  le  commerce  en  sa  liberté  pour  le 
bien  commun  '.  » 

Colbert  vint  en  aide  aux  négociants  :  il  rédigea  un  mé- 
moire où,  posant  en  i)rincipe  que  «  pour  remettre  le  com- 
merce il  y  a  deux  choses  nécessaires,  la  sûreté  et  la  liberté.» 
il  rappela  les  faits  qui  détruisaient,  pour  le  commerce  de  la 
France  avec  l'Angleterre,  ces  deux  conditions  de  salut,  et 
indiqua,  sans  hésitation,  par  quels  moyens  on  pouvait  les 
retrouver  :  «  Le  point  où  les  Anglais  s'attachent  le  plus, 
dit-il  en  finissant,  est  la  reconnaissance  de  leur  République, 
en  quoi  les  Espagnols  nous  ont  précédés.  On  a  à  craindre 
une  plus  étroite  union  par  suite  des  négociations  de  l'am- 
bassadeur d'Espagne  en  Angleterre.  C'est  à  nos  seigneurs 
les  ministres  à  prescrire  la  l'orme  de  celte  reconnaissance, 
jusqu'où  elle  doit  aller,  en  quoi  la  France  sera  excusable 
devant  Dieu  et  les  hommes  si  elle  est  contrainte  de  venir  à 
la  reconnaissance  de  cette  République  pour  prévenir  les 
ligues  et  mauvais  desseins  des  Espagnols  qui  font  toutes 
les  injustices  et  se  soumettent  à  toutes  les  bassesses  imagi- 
nables pour  nous  nuire  ^.  j> 

S'il  eût  décidé  seul,  Mazarin  eût  probablement  pris  un 
parti  prompt  et  complet;  mais  il  avait  à  décider  Anne 
d'Autriche,  son  conseil  et  ses  entours;  il  lui  présenta  un 
mémoire  où  la  question  de  la  reconnaissance  de  la  Répu- 
blique d'Angleterre   était   soigneusement  débattue  :    "  Il 

1  Le  11  décembre  1G50;  —  Documents  inédits  sur  l'histoire  dijAomaliqtie 
de  France;  —Revue  nouvelle,  t.  V,  p.  413  41 G  (^Documents  historiques, 
11"  XIV). 

'^  Documents  inédits  sur  l'histoire  diplomatique  de  France;—  Revue  nou- 
velle, t.  V,  p.  WJ -HZ  {Documents historiques,  uoXV). 


AU  PARLEMENT  RÉPliBLICAIN.  197 

semble  d'abord,  dit-il,  que,  si  on  se  règle  por  les  lois  de 
l'honneur  ou  de  la  justice,  on  ne  doit  point  rcconuiiUre 
cette  République,  puisque  le  roi  ne  saurait  rien  faire  de 
plus  préjudiciable  à  sa  réputation  que  cette  reconnaissance 
par  laquelle  il  abandonne  l'intérêt  du  roi  légitime,  son 
proche  parent,  voisin  et  allié,  ni  rien  de  plus  injuste  que 
de  reconnaître  des  usurpateurs  qui  ont  souillé  leurs  mains 

du  sang  de  leur  souverain Mais  comme  les  lois  de  l'hon- 

iieur  ou  de  la  justice  ne  doivent  jamais  rien  faire  faire  qui 
soit  contraire  à  celles  de  la  prudence,  il  faut  considérer  que 
toutes  les  dcmonslraliuns  que  l'on  pourrait  faire  présente- 
ment en  faveur  du  roi  d'Angleterre  n'amèneraient  pas  son 
rétablissement  ;  qu'un  plus  long  refus  de  reconnaître  la 
République  ne  servira  de  rien  pour  augmenter  ou  confirmer 

les  droits  du  roi; que  ce  que  la  nécessité  du  temps  et 

des  afTaires  obligera  de  faire  en  faveur  de  la  République 
n'empêchera  pas  que  ci-après  on  ne  puisse  se  i>rcvaloir  des 
conjonctures  favorables  qui  se  présenteront  quand  on  sera 

en  meilleur  état  pour  faire  quelque  grande  entreprise 

Que  d'ailleurs  il  va  sujet  de  craindre  que,  si  les  Espagnols 
sont  une  fois  plus  étroitement  liés  avec  les  Anglais,  comme 
ils  y  travaillent  avec  chaleur,  ils  ne  les  empêchent  de  s'ac- 
commoder avec  nous,  et  ne  les  engagent,  sinon  à  nous  faire 
une  guerre  ouverte,  au  moins  à  leur  donner  de  puissantes 
assistances  contre  nous.  Il  ne  reste  donc  pas  lieu  de  douter 
que  l'on  ne  doive  sans  délai  entrer  en  négociation  avec  la 
Républiijue  d'Angleterre  et  lui  donner  le  titre  qu'elle  de- 
sire.  Il  y  a  néanmoins  une  condition  absolument  nécessaire 
et  sans  laquelle  il  serait  inutile  de  s'engager  à  faire  celte 
reconnaissance,  qui  est  d'être  assure  auparavant  qu'on  en 
retirera  quehpie  utilité  capable   dcmporler,  en  la  b;ilance, 

le  préjudice  qu'on  pourra  en  recevoir  en  la  réputation 

II  serait  doublement  préjudiciable  de  faire  une  bassesse  si, 

17. 


198  EiNYOI  DE  31.  DE  GENTILLOT 

après  l'avoir  faite,  les  Anglais  demeuraient  dans  Tindiffé- 
rencc  et  la  froideur,  et  si  ces  avances  ne  servaient  qu'à  les 
rendre  plus  orgueilleux  et  plus  difficiles  d;insles  conditions 
du  traité  qui  devra  être  fuit  avec  eux  pour  accommoder  les 
différends  que  nous  avons  ensemble  ^  » 

Pour  échapper  à  ce  danger  et  ne  pas  «  s'exposer  à  une 
honte  publique  sans  aucun  profit,  »  on  résolut  d'envoyer 
d'abord  à  Londres  un  agent  secret,  M.  de  Gentillot,  homme 
d'esprit,  connaissant  bien  l'Angleterre  et  déjà  employé  plu- 
sieurs  fois  dans  des  missions  semblables  :  «'  Sa  Majesté,  di- 
saient ses  instructions,  a  trouvé  bon  que  le  sieur  de  Gentil- 
lot,  s'en  allant  en  Angleterre,  travaille  adroitement  et  sans 
éclat,  par  le  moyen  des  amis  elhabitudes  qu'il  a  en  ce  peu- 
ple-là, à  se  bien  informer  s'il  y  a  une  véritable  disposition 
à  faire  cesser,  par  un  bon  accommodement,  les  différends 
qui  sont  entre  les  deux  nations  et  à  rétablir  entre  elles  une 
bonne  correspondance.  II  doit  cire  assuré  avant  toutes 
choses  que  le  Parlement  d'Angleterre  n'a  point  fait  de  traite 
particulier  avec  les  Espagnols  contre  la  France,  et  qu'il 
n'est  point  tellement  engagé  avec  eux  qu'il  ne  puisse  faire 
tous  les  accommodements  et  confédérations  qui  seront  jugés 
utiles  pour  les  deux  royaumes Les  Anglais  ne  manque- 
ront pas  de  demander  que  le  roi  reconnaisse  apparemment 
leur  République  par  des  lettres  etautres  démonstrations  pu- 
bliques ;  sur  quoi  le  sieur  de  Gcnlillot  représentera  qu'il  n'y 
aura  point  de  difficulté  sur  cet  article,  et  que  c'est  un  point 
que  le  Parlement  peut  tenir  pour  accordé  selon  son  désir, 
mais  qu'il  nous  importe  d'être  assurés  qu'après  la  recon- 
naissance faite  nous  ne  rentrions  pas  en  rupture  ou  en  mau- 
vaise intelligence,  et  que  les  hostilités  cesseront  entièrement. 

>  Janvier  i&^l;— Documents  inédits  sur  l'histoire  diplomatique  de  France; 
Bévue  nouvelle,  t.  V,  p.  41G-4I9  {JUanuscrils  de  Brienuc,  à  la  Bibliolhc(juc 
impérial?)  {Doamcnls  historiques,  n«  XVI). 


A  LOxNDRES  (jvrvieh  ICxil).  199 

L'assurance  ne  peut  être  aiilre  ({ue  de  convenir  en  même 
temps  d'un  projet  d'accommodement  pour  les  différends 
qui  sont  entre  les  deux  nations.  »  Ici  venait  l'exposition  de 
ces  différends  ainsi  que  des  conditions  du  traité  qui  devait 
y  mettre  un  terme,  et  les  instructions  finissaient  en  disant: 
V  Le  sieur  de  Geiitillot  pourra  même  laisser  entendre  que,  si 
la  République  d'Angleterre  désire  quelque  engogenicnt  plus 
étroit  avec  la  France,  principalement  contre  l'Espagne,  l'on 
y  est  entièrement  disposé  de cccôté-ci...  En  cas  que  ledit  sieur 
de  Gentiliot  y  trouve  disposition  du  côté  des  Anglais,  sur 
les  avis  qu'il  en  donnera,  Tambassadeur  qui  passera  en  An- 
gleterre sera  chargé  et  aura  pouvoir  suflisanl  den  traiter'.» 
Mazarin,  dans  cette  démarche,  avait  oublié  de  prévoir 
deux  choses,  la  faiblesse  de  sa  propre  situation  et  la  fierté 
des  républicains  anglais  :  au  moment  où  M.  de  Gentiliot 
arrivait  à  Londres,  les  Frondeurs  trionqjhaient  à  Paris;  le 
cardinal,  obligé  de  lïiir  *,  trouvait  à  grand'peine  un  asile 
d'abord  au  Havre,  puis  à  Sedan  ;  et  le  Parlement  britan- 
nique de  son  côté,  voulant  être  reconnu  parla  France  comme 
il  venait  de  l'être  par  l'Espagne,  hautement  et  sans  plus  de 
délai,  refusait  d'écouter  et  même  d'admettre  à  Londres  au- 
cun agent  officieux  et  secret.  «  J'ai  eu  tous  les  regrets  du 
monde,  écrivit  M.  de  Gentillet  à  M.  Servien,  que  je  n'aie 
pas  su  au  vrai  les  clioses  avant  de  me  charger  de  ce  voyage  ; 
ces  gens- ci  ont  trop  de  sujet  de  se  plaindre;  ils  veulent 
qu'on   parle  à  eux  par  les  formes  et  que  l'on  vienne  a 

compte J'ai  fait   tout  ce  qu'il  m'a  été  possible;  tout 

cela  n'a  servi  de  rien.  L'on  a  cru  que  vous  ne  m'aviez  envoyé 
ici   que  pour  faire  office  d'espion  dans  leurs  affaires.  Soit 

•  Le  20  janvier  IGol  ;  —  Documcnls  incilits  sur  ihistoirc  diplomatique 
de  France  {Revue  nouvelle,  I.  V,  p.  419-4:22)  {Documcnls  Itistoriqucs , 
nXVII). 

*  En  ftviicr  IGjI. 


200  MORT  DU  PRINCE 

cela  ou  quelque  autre  raison,  ou  pour  nous  montrer  qu'ils 
ne  peuvent  s'accommoder  à  celte  façon  de  traiter  qui  s'éloi- 
gne de  leur  reconnaître  la  puissance,  tant  il  y  a  que  fort 
brusquement  ils  m'ont  envoyé  chercher  vendredi,  comme 
particulier,  pour  venir  auprès  d'eux  ;  six  députés  du  conseil 
d'État  m'examinèrent  peu,  s'en  allèrent  faire  leur  rapport, 
et  peu  de  temps  après  me  firent  donner,  par  un  secrétaire, 
uu  acte  qui  porte  que  je  sortirai  dans  trois  jours  de  Lon- 
dres; à  quoi  obéissant,  je  sors  d'ici  aujourd'hui  qui  est  mon 
troisième  jour;  je  passerai  à  Calais  pour  attendre  réponse  à 
cette  dépêche  ^.  »  On  n'ordonna  rien  de  plus  à  M.  de 
Gcntillot  ;  il  rentra  à  Paris,  et  le  reste  de  l'année  1651  s'é- 
coula sans  qu'aucun  nouvel  essai  de  rapprochement  fût  tenté 
entre  la  cour  de  France  et  le  Parlement  républicain. 

On  s'en  inquiéta  peu  à  Londres,  car  la  République  et  ses 
chefs  étaient  dans  l'un  de  ces  accès  de  fortune  et  d'espérance 
qui  trompent  les  gouvernements,  surtout  les  gouverne- 
ments nouveaux,  sur  leur  force  réelle,  et  font  éclater  les 
rêves  de  leur  orgueil.  En  même  temps  que  la  reconnais- 
sance de  l'Espagne  faisait  entrer  la  jeune  République  dans 
la  société  des  États  européens,  la  mort  de  Guillaume,  prince 
d'Orange,  livrait  à  l'influence  de  l'Angleterre  les  Provinces- 
Unies,  celui  de  ces  Étals  auquel  l'unissaient  les  liens  les 
plus  naturels  de  situation  et  d'intérêt.  Toutes  deux  protes- 
tantes et  républicaines,  l'une  à  peine  victorieuse,  l'autre 
encore  engagée  dans  la  lutte  pour  la  défense  de  leur  foi  et 
de  leurs  libertés,  les  deux  nations  avaient,  au  nom  d'idées 
analosues,  la  même  cause  à  soutenir,  souvent  contre  les 
mêmes  ennemis.  Tout  les  invitait  à  une  alliance  intime.  Un 
obstacle  grave  s'y  opposa  d'abord  :  deux  grands  partis,  d'un 


'  Le  ()  mars  IG.'jl;  —  Munusirils  de  Uricnnc  ;  -   Docimicnls  inédils  sur 
l'histoire  diplomatique  de  France. 


D'ORANGE  (G  ^ovEMBRE  1650),  201 

côté  le  palriciat  bourgeois  des  villes,  de  l'autre  la  maison 
de  Nassau  soutenue  par  les  restes  de  la  noblesse  féodale  et 
par  la  niultilude,  se  disputaient  !e  gouvernement  des  Pro- 
TÎnces-Unies  :  tous  deux  puissants  et  respectables,  car  ils 
avaient  tous  deux  glorieusement  cond)atlu  et  souffert  pour 
conquérir  lindépendance  de  leur  patrie.  Vainqueurs,  ils 
entrèrent  aussitôt  en  lutte  sourde  ou  déclarée,  l'un  aspirant 
à  fonder  une  République  aristocraticpieitfédérative,  l'autre 
tendant  à  transformer,  sous  le  nom  de  slatlioudérat,  la 
confédération  des  Provinces -Unies  en  une  souveraineté 
unique  et  héréditaire.  Desunion  déplorable,  dans  lacjuclle 
l'un  et  l'autre  parti,  obéissant  à  des  sentiments  nobles  et 
soutenant  des  intérêts  légitimes,  aggravaient  outre  mesure, 
par  leurs  passions,  l'importance  de  leurs  dissentiments,  et 
méconnaissaient  également  tour  à  tour  la  limite  de  leur 
force  et  le  vœu  de  leur  pays.  Tant  (|ue  le  prince  d'Orange 
vécut,  il  fit  prévaloir,  dans  les  conseils  des  Provinces-Unies, 
une  politique  hostile  à  la  Rcpubli(iue  britannique  :  non  pas. 
sans  effort  ni  complètement;  il  eût  voulu,  même  au  prix 
de  la  guerre,  engager  la  Confédération  dans  la  cause  de 
Charles  11  ;  c'était  plus  que  ne  comportaient  évidemment 
le  bien  et  le  sentiment  public;  la  province  de  Hollande, où 
dominaient  les  intérêts  cominerciaux  et  les  patriciens  bour- 
geois, soutint  énergiquement  la  politique  de  la  paix  et  de 
la  neutralité;  elle  avait,  pour  son  propre  compte,  avec  le 
Parlement  anglais,  des  relations  bienveillantes;  il  prenait 
soin  de  ménager  ses  négociants  et  de  lui  témoigner  des 
égards  particuliers;  elle  envoya  même  et  entretint  quelque 
temps  à  Londres  un  agent  spécial,  Gérard  Schaep,  que  le 
Parlement  reçut  et  traita  avec  distinction  K  La  rupture 


1  Le  11  juin  1G50;    -  Jonrnulu  of  lltc  Housc  uf  coininon^,  t.  VI,  !>•  41*. 
42l,4'i2,  425. 


202  LE  PARLEMENT  EKVOLE  DES 

entre  les  deux  États  fut  ainsi  prévenue  :  mais  là  se  borna 
l'influence  de  la  province  de  Hollande  et  de  ses  magistrats; 
ils  ne  purent  empêcher  que,  dans  la  conduite  générale  des 
affaires,  le  prince  d'Orange,  secondé  par  les  jalousies  des 
autres  provinces  et  par  le  sentiment  populaire,  ne  fît  préva- 
loir la  politique  royaliste.  Non-seulement  les  États  généraux 
donnèrent  à  Charles  II  toutes  les  marques  d'intérêt  et  tout 
l'appui  indirect  qui  ne  les  compromettaient  pas  absolument 
à  son  service  ;  mais  ils  l'admirent  à  conféi'er  aveceux,  à  leur 
exposer  sa  situation  et  ses  vues,  à  réclamer  leurs  conseils  ; 
et  au  même  moment  ils  refusaient  toute  audience  au  rési- 
dent de  la  République  d'Angleterre  ,  Waltcr  Strickland, 
resté  à  la  Haye  après  le  meurtre  de  son  compagnon  Doris- 
laiis  ;  et  ni  ses  instances  répétées,  ni  la  protestation  formelle 
des  États  particuliers  de  la  province  de  Hollande  ne  purent 
surmonter  ce  relus  K  Strickland  retourna  à  Londres  et  fit 
connaître  au  Parlement,  en  lui  rendant  compte  de  sa  mis- 
sion avec  l'amertume  d'un  agent  offensé,  l'inimilié  profonde 
que  lui  portaient  et  le  prince  dOrange  et  les  États  généraux 
qu'il  dominait  ^. 

A  la  mort  du  prince  dOrange,  cet  état  de  choses  changea 
complètement;  maigre  de  grandes  marques  de  respect  et 
d'affection  envers  sa  famille,  ni  ses  dignités  ni  son  pouvoir 
ne  passèrent  à  l'enfant  dont  sa  veuve,  la  princesse  Marie 
Stuart,  accoucha  une  semaine  après  sa  mort,  cl  qui  devait 
être  un  Jour  Guillaume  111.  Les  magistrats  des  principales 
villes,  les  de  Wilt,  Bickcr,  de  Waal,  Ruyl,  Voorhout,  repri- 
rent partout  les  (onctions  dont  le  prince  les  avait  violem- 
ment écartés  ;  l'aristocratie  municipale  et  la  })rovince  de 

1  Le  clerc,  Hialoirc  des  Provinces-Unies,  t.  Il,  p.  272;  —  Journals of  ihc 
Housc  ofcommons,  I.  VI,  p.  295,  315  ;—  Tliurloe,  State-Papas,  t.  I,  p.  115- 
115;  —  Clnreinioii,  Hist.  oflliv  Rébellion,  1.  xii,  c.  27. 

3  Le  7  août  1650  ;  —  Journals  oflhc  llousc  ofcommons,  t.  VI,  p.  452. 


AMBASSADEURS  A  LA  HAYE  (janvier  16S1).  205 

Hollande,  où  résidait  surtout  sa  force,  ressaisirent  leur 
ascendant  dans  le  gouvernement  central;  une  assemblée 
extraordinaire  des  États  généraux  remit  en  vigueur  les  tra- 
ditions républicaines  de  la  confédération;  tout  annonçait 
qu'une  politique  pacifique,  et  même  bienveillante,  envers 
la  République  d'Angleterre,  remplacerait  la  politique  roya- 
liste et  hostile  du  prince  d'Orange.  Jamais  une  occasion 
plus  favorable  ne  pouvait  se  présenter  pour  conclure,  entre 
les  deux  républiques  protestantes,  cette  alliance  intime  que 
leur  indiquait  leur  situation  ^ 

Le  Parlement  s'empressa  de  la  saisir;  il  décréta  que  des 
ambassadeurs  extraordinaires  seraient  envoyés  à  la  Haye 
pour  accommoder  les  différends  et  traiter  de  l'alliance  des 
deux  États  ^.  Afin  de  donnera  cette  ambassade  plus  d'au- 
torité, on  en  chargea  le  grand  juge  Olivier  Saint-John,  l'un 
des  plus  habiles  meneurs  du  Parlement  pendant  la  guerre 
civile  et  de  la  République  depuis  la  victoire,  ami  d'ailleurs 
et  conseiller  intime  de  Cromwell  '\  Saint-John  refusa 
d'abord,  alléguant  sa  mauvaise  santé.  C'était  un  révolu- 
tionnaire égoïste,  hautain  et  craintif,  content  de  sa  fortune 
judiciaire,  de  son  influence  indirecte  dans  le  gouvernement, 
et  peu  empressé  à  compromettre,  dans  une  mission  difiicile 
et  peut-être  périlleuse,  son  amoui'-propre  ou  sa  sûreté.  La 
Chambre  repoussa  son  refus  ^  lui  adjoignit  Walter  Strick- 
land,  leur  remit  en  séance  leurs  instructions  ^,  et  les  fit 
partir  en  entourant  leur  mission  d'un  éclat  inaccoutumé. 
Quarante  gentilshommes  et  une  suite  d'environ  deux  cents 

'  I.e  Clerc,  Histoire  des  Provinees-Unies,  t.  Il,  p.  2S8-303  ;  —  W'icque- 
fort,  Histoire  des  Provinces- Unies,  t.  IV,  p.  200-22(1  ;  —  Wagenaar,  Vader- 
landsehc  hisloric  (en  hollandais,  Amsterdam,  1753),  t.  XII,  p.  18  et  stiiv. 

*  Le  21  janvier  1631. 

*  Le  23  janvier  IGSl. 

*  Le  28  janvier. 
«  Le  25  février. 


20/*  DESSEIN  DU  PARLEMENT  D'ANGLETERRE 

domestiques  les  accompagnaient.  Saint-John  emmena 
Thurloe  comme  son  secrétaire.  A  leur  arrivée  en  Hollande, 
d'abord  à  Rotterdam,  puis  à  la  Haye,  ils  furent  reçus  avec 
non  moins  d'empressement  et  de  solennité;  une  députation 
des  États  généraux  vint  à  leur  rencontre,  suivie  de  vingt- 
sept  carrosses-  on  leur  exprima  le  regret  de  ne  pouvoir  les 
conduire  à  l'iiôtcl  consacré  par  l'État  aux  ambassadeurs 
étrangers,  et  qu'occupait  déjà  l'ambassadeur  de  France, 
M.  de  Bellicvrc;  on  les  établit  dans  un  hôtel  particulier,  et 
la  plupart  des  gens  de  leur  suite  se  logèrent  aux  environs, 
allant  et  venant  sans  cesse  dans  les  rues,  toujours  plusieurs 
ensemble  et  portant  leurs  épées  à  la  main  ou  sous  le  bras, 
comme  se  croyant  en  pays  ennemi  et  entourés  des  meur- 
triers de  Dorislaiis.  Les  royalistes  anglais  étaient  en  effet 
nombreux  à  la  Haye,  autour  de  la  princesse  d'Orange  et  du 
duc  d'York,  et  fort  enclins  à  insulter  les  ambassadeurs  de 
la  République.  La  multitude  hollandaise  elle-même  leur 
était  malveillante  et  les  suivait  avec  curiosité,  se  moquant 
de  leur  attitude  et  disant  que  sans  doute  ils  avaient  peur  '. 
Les  dispositions  des  hommes  placés  alors  à  la  tête  du 
gouvernement  hollandais  étaient  différentes  ;  par  situation 
comme  par  prudence,  pour  eux-mêmes  comme  pour  leur 
pays,  ils  désiraient  sincèrement  les  bons  rapports  et  même 
une  alliance  véritable  avec  la  République  d'Angleterre. 
Trois  jours  après  leur  arrivée  à  la  Haye  -,  Saint-John  et 
Strickland  furent  reçus  par  les  États  généraux  en  audience 
solennelle  avec  les  plus  éclatantes  marques  de  considération 
amicale,  et  sept  commissaires  furent  désignés  pour  entrer 

1  Joiirnals  of  ihe  House  of  commom,  t.  VI,  p.  525,  527,  528,  541,  543  ; 
— Wliilelocke,  p.  487,  488,  490;  —  Claremton, /iù*.  of  llte  Rebdlion,  I.Mif, 
c.  154  ;  —  Wicqueforl,  Histoire  des  Proinnces- Unies,  t.  IV,  p.  287;  —  Le 
C\ere, Histoire  des  Provinces- Unies,  t.  Il,p-  307-308. 

'  Le  50  mars  1651. 


SUR  LES  PROVINCES-UNIES.  20!i 

en  conférence  avec  eux.  Ils  avaient  mission  de  déclarer  aux 
ambassadeurs  <t  que  les  Provinces-Unies  offraient  leur 
amitié  à  la  République  d'Angleterre,  et  qu'elles  étaient  por- 
tées non-seulement  à  renouveler  et  entretenir  inviolable- 
ment  l'affection  et  les  bonnes  relations  qui  avaient  existé  de 
tout  temps  entre  la  nation  anglaise  et  elles,  mais  aussi  h 
faire  avec  la  République  un  traité  d'intérêts  communs.  » 
Les  premières  paroles  des  deux  ambassadeurs  firent  claire- 
ment entrevoir  que  de  telles  offres  ne  leur  sufiîsaient  pas  : 
«I  Nous  proposons,  dirent-ils,  que  l'amitié  et  les  bonnes  re- 
lations qui  ont  eu  lieu  anciennement  entre  la  nation  anglaise 
et  les  Provinces-Unies,  ne  soient  pas  seulement  renouvelées 
et  inviolablement  maintenues;  mais  qu'elles  entrent  dans 
une  alliance  et  une  union  plus  étroite  et  plus  intime,  de 
telle  sorte  que,  pour  le  bien  de  toutes  les  deux,  il  y  ait 
entre  elles  un  intérêt  mutuel  plus  substantiel  et  plus  effi- 
cace '.  1) 

Que  devait  être  «  celte  union  plus  étroite  et  plus  in- 
time? )>  Que  signifiait  «  cet  intérêt  mutuel  plus  substantiel 
et  plus  efficace?  x  Pendant  six  semaines,  Saint-John  et 
Strickland  refusèrent  de  s'expliquer  à  cet  égard  ;  c'était, 
disaient-ils,  aux  États  généraux  à  faire  connaître,  avec  pré- 
cision et  détail,  leurs  vues  dans  cette  négociation  ;  quanl  ^ 
eux,  ils  ne  jugeaient  point  satisfaisante  la  première  offre 
qui  leur  avait  été  faite  ;  et  comme  le  Parlement  avait  assi- 
gné à  la  durée  de  leur  ambassade  un  terme  fixe  et  prochain, 
ils  insistaient  pour  qu'on  donnât  promptement  à  leur  pro- 
position générale  une  réponse  claire  et  péremptoire  -. 

Un  dessein  d'ambition  vaste  et  cliimériquc,  un  de  ces 
desseins  qu'on  n'avoue  pas  en  travaillant  à  les  accomplir, 

1  Wicquefort,  Histoire  des  P  ravinées- Unie  s ,  Preuves,   l.  II,    P-   3<!>- 
390. 
•  Wicquefort,  Histoire  des  Provinces-Unies,  t.  II,  p.  392-394. 
1.  18 


20G  DESSEIN  DU  PARLEMENT  D'ANGLETERRE 

était  au  fond  de  l'àmede  Saint-John  et  des  meneurs  du  Par- 
lement qui  l'avait  envoyé.  Présomplueux  et  inquiets  à  la 
fois,  ils  étaient  en  proie  à  cette  exubérance  d'activité  témé- 
raire, à  ce  besoin  de  grandir  pour  s'affermir  qui  s'emparent 
des  pouvoirs  nouveaux  enivrés  de  leurs  premiers  succès. 
Les  bruits  répandus  sur  les  projets  d'expédition  de  Crom- 
well  en  France  n'avaient  pas  d'autre  origine;  sensé,  même 
au  sein  de  la  fermentation  révolutionnaire,  Cromwell  n'y 
pensa  probablement  jamais;  mais  dans  l'armée,  dans  le 
Parlement,  partout  dans  l'Angleterre  républicaine,  des  idées 
de  ce  genre  préoccupaient  passionnément  des  esprits  hardis 
et  sans  mesure,  à  qui.  pour  leur  patrie  et  pour  eux-mêmes, 
tout  semblait  possible  après  ce  qu'ils  avaient  déjà  fait.  Les 
Provinces-Unies  n'étaient  pas  la  France;  il  ne  s'agissait 
point  de  les  conquérir  par  la  guerre;  l'œuvre  était  déjà  à 
moitié  accomplie;  tous  les  liens  moraux  et  matériels,  la 
religion,  les  institutions,  la  politique,  le  commerce,  ratta- 
chaient et  assimilaient  les  Provinces-Unies  à  l'Angleterre. 
Pourquoi  l'assimilation  n'irait-elle  pas  jusqu'à  l'union? 
Pourquoi  deux  républiques  si  semblables  et  si  voisines  res- 
teraient-elles séparées?  u  Faciamiis  eos  in  unam  gentem  ; 
faisons-en  une  seule  nation,  »  telle  était  la  pensée  des  chefs 
républicains  de  l'Angleterre  ;Strickland,  dans  sa  première 
mission  à  la  Haye,  l'exprimait  déjà  ^  en  écrivant  à  Walter 
Frost,  secrétaire  du  conseil  d'État  ;  elle  inspira  l'ambassade 
de  Saint-John  et  domina  toute  sa  négociation  ^. 

C'était  un  rêve  plein  d'imprévoyance  autant  que  d'or- 
gueil. La  réunion  en  un  seul  État,  et  sous  le  méraegouver- 
nement,  des  deux  grandes  républiques  prolestantes  eût,  à 

'  Le  27  septembre  1649. 

»  Tilurloe,  Stalc-Pupcrs,  l.  I,  p.  150;  —  Clarcndon,  Hial.  of  ihe  Rébel- 
lion, 1.  xiri,  c.  154;  —  Godwiii,  Hist.  of  Ihe  CommonweaUh,  t.  IIJ,  p.  372; 
—  Le  Clerc,  Histoire  des  Provinces-Unies,  t.  Il,  p.  309. 


SUR  LES  PROVINCES-UNIES.  207 

coup  sûr,  renconlrc  en  Europe  des  résistances  acharnces, 
et  rallumé  peul-êlrc  les  guerres  de  religion.  La  population 
hollandaise  l'aurait  passionnément  repoussée  ;  c'était  la 
perte  de  son  existence  nationale  et  son  absorption  dans  le 
sein  de  la  puissante  Angleterre  ,  déjà  très-impopulaire  dans 
les  Provinces-Unies,  comme  un  ancien  protecteur,  mainte- 
nant un  rival  et  bien  près  de  devenir  un  ennemi.  Déjà  cir- 
culaient parmi  le  peuple  des  satires,  des  chansons,  de  petits 
écrits,  en  prose  ou  en  vers,  pleins  de  haine  et  de  menaces 
contre  les  Anglais.  Les  chefs  mêmes  du  gouvernement  hol- 
landais, les  hommes  les  plus  décidés  à  la  bonne  intelligence 
avec  l'Angleterre  avaient  le  cœur  trop  fier  pour  ne  pas  met- 
tre au-dessus  de  toutes  choses  i'indé])endance  de  leur  patrie, 
et  leur  bon  vouloir  dans  la  négociation  se  glaçait  dès  qu'ils 
voyaient  percer  l'ambitieux  dessein  des  négociateurs  étran- 
gers. Déplorant,  quelques  années  plus  tard,  les  menées 
orangistes  et  les  passions  populaires  qui  avaient  poussé  à  la 
rupture,  Jean  de  Wittdisait  avec  une  patriotique  amertume: 
«  A  cela  il  faut  ajouter  l'humeur  insupportable  de  la  nation 
anglaise,  sa  continuelle  jalousie  de  notre  prospérité ,  et  la 
haine  mortelle  de  Croravvcli  contre  le  jeune  piince  d'Orange, 
lils  de  la  sœur  de  ce  roi  banni  qui  était,  au  monde,  ce  qu'il 
craignait  le  plus  '.  » 

Divers  incidents,  les  uns  naturels  et  pres(|ue  inévitables, 
les  autres  suscités  à  dessein,  vinrent  encore  aggraver  les 
embarras  delà  négociation.  La  j)opulaee  de  la  Haye  témoi- 
gnait fréquemment  aux  ambassadeurs  sa  grossière  malveil- 
lance; dans  les  rues  et  aux  environs  de  la  ville,  leurs  gens 
furent  insultés  et  maltraités  par  les  gens  de  la  princesse 
d'Orange  ou  par  les  Cavaliers  attachés  au  duc  d'York  (jiil 

'  Lcevcn  en  Dood  dcr  Gcbrocdcrs  Corndis  en  Johun  de  WiU  (Ani'-lcrtiiiiii, 
1705),  p.  26,  27,  33  ;  traduit  en  français  sons  le  lilie  tic  :  Histoire  de  Cor- 
neille et  Jeun  de  WiU  i^Ulreclit,  1709),  t.  I,  p.  04. 


208  LES  A3IBASSADEURS  ANGLAIS 

résidait  en  ce  moment  auprès  de  sa  sœur.  Le  prince  et  la 
princesse  eux -mêmes  passaient  et  repassaient  souvent,  en 
grand  corlége  et  lentement,  devant  l'hôlel  des  ambassadeurs, 
comme  pour  les  braver;  plaisirs  puérils  que  se  donnent  les 
haines  et  les  humeurs  de  parti  pour  se  consoler  ou  se  dis- 
traire un  moment  de  leur  impuissance.  Un  jour,  le  prince 
Edouard,  jeune  frère  du  prince  Robert,  voyant  passer  les 
ambassadeurs  en  carrosse,  les  apostropba  des  noms  de  : 
«  Coquins,  misérables  cbiens!  »  Saint-John,  se  promenant 
dans  le  parc  de  la  Haye,  y  rencontra  le  duc  dTork,  à  pied 
comme  lui,  et  ils  ne  se  reconnurent  qu'en  se  voyant  face  à 
face.  L'ambassadeur  de  la  République  ne  cédant  point  le 
pas,  le  prince  lui  abattit  son  chapeau  en  lui  disant  :  «  Ap- 
prenez, parricide,  à  respecter  le  frère  de  votre  roi.  —  Je 
ne  vous  reconnais,  vous  et  celui  dont  vous  parlez,  que 
comme  une  race  de  vagabonds,  »  répondit  Saint-John  :  ils 
mirent  l'un  et  l'autre  la  main  sur  leur  épée  ;  mais  les  gen- 
tilshommes qui  les  accompagnaient  les  enlourèrent  et  les 
emmenèrent.  Un  colonel  Apsley  se  vanta,  dit-on,  qu'il  irait 
étrangler  Saint-John  dans  sa  maison.  Les  ambassadeurs  [)or- 
taicnt  plainte  aux  États  généraux  de  ces  offenses;  les  ma- 
gistrats entamaient  des  poursuites,  prenaient  des  mesures 
de  police,  plaçaient  des  gardes  tout  autour  de  l'hôtel.  Les 
satisfactions  officielles  ne  manquaient  point;  mais  les  ani- 
mosités  royalistes  ou  populaires  persistaient  et  trouvaient 
toujours,  pour  éclater,  quelque  nouvelle  forme  et  quelque 
nouvelle  occasion  ' . 

'  Journals  of  ihe  House  of  cotnmons,  t.  VI,  p.  560;  —  Whitclocke,  p.  i91, 
493,494;  —  Clarendon,  flist.  of  ihc  Rébellion,  1.  xiii,  c.  153;  —  Pari. 
Hisl.,  t.  XIX,  p.  473;  —  Carie,  Ormond's  Letters,  t.  I,  p.  427;  t.  H,  p.  2; 
—  Raguencl,  Histoire  d'Olivier  Cromwell  ^Ulreclit,  1692),  t.  II,  p.  27;  —  Le 
Clerc,  Histoire  des  Provinces-Unies,  t.  Il,  p.  308,  310  ;  —  Wicquefort,  His- 
toire des  Provinces- Unies,  t.  IV,  p.  289;—  Tliurloe,  Stutc-Papers,  t.  I, 
p.  179. 


SONT  INSULTES  A  LA  HAYE.  209 

Les  ambassadeurs  rendirent  compte  à  Londres  de  celte 
situation  prcsfjue  aussi  [)crillciise  que  diflîcilc;  ils  y  envoyè- 
rent même  Thurloc  pour  l'expliquer  avec  détail  et  demander 
s'ile  devaient  négocier  encore  ou  partir  '.  Le  Parlement, 
qui  tenait  fortement  à  son  espérance,  les  autorisa  à  prolon- 
ger leur  séjour  :  mais  en  même  temps,  pour  donner  aux 
États  généraux  une  marque  de  son  mécontentement  et  de 
son  pouvoir,  il  fit  arrêter  en  mer  neuf  navires  marchands 
d'Amsterdam  destinés  pour  le  Portugal,  et  demanda  raison 
à  la  Haye  de  laltitudc  de  l'amiral  Tromp  qui  stationnait 
avec  son  escadre  dans  les  eaux  des  îles  Scilly  comme  s'il  eût 
voulu  s'en  emparer.  Les  États  généraux  expliquèrent  les  in- 
structions données  à  Tromp  et  réclamèrent  contre  la  saisie 
des  neuf  navires.  Nul  ne  voulait  prendre  lïnitiative  de  la 
rupture,  mais  de  part  et  d'autre  Thumeur  devenait  chaque 
jour  plus  amère,  et  perçait  jusque  dans  les  démarches  ou 
les  paroles  de  courtoisie  destinées  à  la  couvrir  -. 

Après  plus  de  deux  mois  de  conférences  vaines,  consu- 
mées par  les  négociateurs  anglais  à  ne  pas  dire  ce  qu'ils  ten- 
taient de  faire,  et  par  les  Hollandais  à  ne  pas  répondre , 
quoiqu'ils  le  comprissent  fort  bien,  à  ce  qu'on  leur  deman- 
dait sans  le  leur  dire,  Saint-John  et  Strickland  se  décidèrent 
enfin  à  énoncer  avec  précision,  en  sept  articles,  quelques- 
unes  de  leurs  prétentions  '.  Celles-là  seules  auraient  eu 
pour  résultat  de  lier  complètement,  en  fait  de  paix  ou  de 
guerre  et  d'alliances ,  la  politique  et  le  sort  des  Provinces- 
Unies  à  la  politique  et  au  sort  de  la  République  d'Anglc- 


i  Le  29  avril  IGoI;  —  Journals  of  tlie Hoitse  ofcominons,  l.  VI,  p.  îiC8. 

2  Tlmrloc,  Slalc-Papers,  t.  l,  p.  177;  —  Wliilclockc,  p.  491,  492;  —Wic- 
queforl, //is/oiVc  des  Provivccs- Unies,  I.  Il,  Preuves,  p.  597-402;— Le 
Clerc,  Histoire  des  Provinces  Unies,  t.  II,  p.  311. 

'  Le  10  mai  1651.  Tiiurloc,  S(ale-Fapers,  l.  1,  p.  182;  —  Wicfiucforl, 
Histoire  des  Provinces-Unies,  l.  II,  p.  410-411. 

18. 


210  LES  A31BASSAUËU1\S  ANGLAIS  ÉCHOUENT. 

terre  5  elles  obligeaient  en  outre  les  États  généraux  à  abdi- 
quer, dans  certains  cas,  sur  leur  propre  territoire,  les  droits 
et  le  libre  arbitre  de  la  souveraineté.  Et  pour  indiquer  que 
leur  mission  était  loin  de  se  renfermer  dansées  termes  déjà 
si  extrêmes,  les  deux  aujbassadcurs  se  hâtèrent  d'ajouter 
que,  si  leurs  premières  demandes  étaient  agréées,  «  le  Par- 
lement leur  avait  donné  pouvoir  de  proposer  et  de  mettre  à 
effet,  de  sa  part,  des  choses  de  plus  grande  et  de  plus  haute 
conséquence  pour  le  bien  des  deux  républiques  '.  » 

Évidemment,  avec  de  telles  arrière-pensées,  rien  n'était 
possible  :  on  se  comprit  sans  s'expliquer  -,  par  convenance, 
la  négociation  se  prolongea  encore  quelques  jours;  mais  le 
29  juin  1631,  Saint-John  et  Strickland  déclarèrent  que  le 
Parlement  les  rappelait  et  demandèrent  leur  audience  de 
congé  ;  elle  leur  fut  donnée  le  lendemain.  Devant  les  États 
généraux,  les  paroles  ofliciclles  de  Saint-John  furent  mo- 
dérées et  courtoises;  mais  en  se  séparant  des  commissaires 
hollandais  avec  lesquels  il  négociait  depuis  trois  mois,  il 
leur  dit  :  «  Messieurs,  vous  avez  les  yeux  fixés  sur  l'issue 
de  nos  affaires  en  Ecosse,  et  à  cause  de  cela  vous  avez  dédai- 
gné l'amitié  que  nous  vous  offrions.  Je  puis  vous  assurer 
que  plusieurs  membres  du  Parlement  étaient  d'avis  que 
nous  ne  devions  point  venir  ici,  ni  vous  envoyer  aucun 
ambassadeur,  qu'il  fallait  d'abord  mettre  fin  à  nos  atfaires 
avec  le  roi  d'Ecosse ,  et  attendre  ensuite  vos  ambassadeins 
chez  nous.  Je  reconnais  maintenant  ma  faute  :  les  membres 
du  Parlement  qui  étaient  de  cet  avis  avaient  raison;  vous 
verrez,  sous  peu,  nos  affaires  avec  le  roi  d'Ecosse  terminées  ; 
et  alors  vous  viendrez  rechercher  par  vos  envoyés  ce  que 
nous  sommes  venus  vous  offrir  cordialement.  Croyez  moi  ; 


'  Le  IG  juin  1631.  —  Thurloc,  Slalc-Papcrs,  t.  F,  p.  188;  —  Wicqucfort, 
Histoire  des  rrovinccs-Unies,  Preuves,  1. 11,  p.  -415-418. 


ACTE  DE  NAVIGATION  (9  oCTOnnE  1651).  211 

vous  VOUS  repentirez  d'avoir  rejeté  nos  offres  '.  ..  Deux 
jours  après,  les  ambassadeurs  quittèrent  la  Hollande,  en 
refusant,  selon  l'ordre  l'oruicl  du  Parlement,  les  riches  pré- 
sents que  leur  offrirent  les  Étals  généraux,  et  le  7  juillet 
Whitelocke  annonça  à  la  Chambre  qu'ils  étaient  de  retour 
à  Londres  prêts  à  rendre  compte  de  leur  mission  ^. 

Deux  mesures  décisives  suivirent  promptcinent  le  compte 
qu'ils  en  rendirent  en  effet  :  Whitelocke  proposa,  le  5  août, 
au  Parlement  le  fameux  bill  connu  sous  le  nom  d'ac(e  de 
navigation,  qui  interdisait  à  tous  les  navires  étrangers 
d'importer  en  Angleterre  aucune  denrée  autie  que  les  pro- 
duits du  sol  et  de  l'industrie  de  leur  propre  pays.  C'était  le 
coup  le  plus  rude  qu'on  pût  porter  à  la  Hollande,  dont  le 
commerce  de  transport  faisait  la  prospérité.  Avant  la  fin  de 
l'année,  le  bill  fut  définitivement  adopté  elmis  en  vigueur'. 
En  même  ten)ps  des  lettres  de  représailles  furent  données 
aux  négociants  anglais  pour  les  mettre,  dit-on,  en  mesure 
de  s'indemniser  eux-mêmes  des  perles  (jue  la  marine  hol- 
landaise leur  avait  fait  subir.  Les  Provinces-Unies  n'avaient 
pas  voulu  se  laisser  conquérir  par  les  négociations  ;  on  pré- 
para contre  elles  la  guerre. 

La  victoire  de  Worcesler  porta  au  comble  la  confiance 
orgueilleuse  du  Parlement  républicain,  et  les  Étals  du  con- 
tinent, par  leur  altitude  et  leurs  démarches  après  ce  grand 
revers  du  parti  royaliste,  vinrent  la  justifier  et  laccroître. 
De  toutes  parts  affluèrent  à   Londres  les  déclarations  de 

1  Histoire  Je  Corneille  el  Jean  de  WiH,  t.  I,  |>.G3;  —  Wiciiueforl,  Ilis- 
loire  des  Provinces-Unies,  p.  428;  —  Htalti,  A  brief  Chronicle,  etc.,  p.  t)2i4- 
527;  —  Tluirloe,  Slale-Papers,  t.  I,  p.  1S9-I!W. 

*  Journals  of  Ihe  JJoiise  of  commons,  t.  VI,  p.  593,  î)9!>;  —  Wliilflocku, 
p.  496  ;  —  Le  Clerc,  Histoire  des  Provinces- Unies,  l.  Il,  i'.  513. 

•  Le  9  oclobre  1C51.  —  Journals  of  ihc  Hanse  of  commons,  I.  VI, 
p.  617;  t.  VII,  p.  27;  —  Le  Clerc,  Histoire  des  Provinces  Unie^,  I.  Il, 
p.  313,  314. 


212  RELATIONS  DE  CR03IWELL 

reconnaissance  de  la  République,  les  ouvertures  de  relations 
officielles,  presque  les  félicitations  et  les  flatteries  diploma- 
tiques. La  Toscane,  Venise,  Gcnes,  les  villes  hanséatiques, 
les  cantons  suisses,  les  petits  princes  d'Allemagne  envoyè- 
rent et  reçurent  des  agents  '.  De  Suède,  de  Danemark  et 
de  Portugal,  des  ambassadeurs  extraordinaires  apportèrent 
au  Parleuient  des  lettres  de  leurs  souverains,  lui  furent  pré- 
sentées en  audience  solennelle,  et  entamèrent  avec  lui,  soit 
pour  mettre  fin  atout  différend,  soit  pour  entrer  en  alliance, 
des  négociations  empressées  ^  Frappée  des  succès  de  la 
République,  l'Europe  prenait  partout  ses  mesures  pour 
bien  vivre  avec  elle,  soit  qu'elle  crût  ou  non  à  son  avenir. 
Mazarin  ne  pouvait  rester  étranger  à  un  tel  mouvement, 
car  nul  n'était  plus  prompt  à  s'incliner  devant  la  force,  soit 
pour  l'atlirer  et  l'exploiter  à  son  profit,  soit  pour  lui  dissi- 
muler SCS  vrais  sentiments.  Il  recommença  ses  tentatives 
pour  rentrer,  avec  la  République  d'Angleterre,  en  bons  rap- 
ports ;  M.  de  Gcntillot  fit  un  nouveau  voyage  à  Londres  '; 
Mazarin  y  entretenait  de  nombreux  agents  secrets,  français 
et  anglais,  tantôt  pour  recueillir  des  informations,  tantôt 
pour  nouer  des  fils  dont  il  espérait  tirer  un  jour  quelque  parti. 
Son  empressement  devint  bien  plus  vif  quand  il  sut  que  sir 
Henri  Vane  était  venu  à  Paris,  et  avait  eu,  avec  le  cardinal 
de  Retz,  un  entretien.    «  En  retournant  chez  moi  sur  les 

1  Les  IG  septembre  et  i 3  octobre  1651  ;  les  25  février  et  15  juin  1652;  les 
8  février  cl  15  avril  1653  ;  —  Journals  of  ihe  Housc  of  commons,  t.  Vil, 
p.  19,28,  96,  142,  256. 

2  Les  23  janvier,  10  et  12  mars,  6,  25,  26  cl  28  mai,  2  et  28  juillet,  17  août, 
10,  U,  15,  17,  28,  29  cl  50  septembre,  12,  14,  22  cl  29  octobre,  50  novem- 
bre, 15,  16  et  25  iléccmbie  1652;  les  5  cl  11  janvier,  1"  cl  22  lévrier, 
2-2,  23  et  30  mars,  7  cl  8  avril  et  17  mai  1655.  —  Journalu  of  ihc  Home  of 
iommons,  t.  Vil,  p. 77,  103,  104,  150,  155, 156,  157,  149,  159,  165,  177,  178, 
182,  185,  186,  1B7, 190,191,  194,  205,  2-23,  229,  250,  234,  243,  245,  252,  261, 
269,  270,  275,  276,  277. 

3  En  novembre  et  décembre  1651. 


AVEC  LE  CARDINAL  DE  UEIZ.  215 

onze  heures  du  soir,  dit  le  cardinal,  je  Irouvai  un  certain 
Fielding,  Anglais,  que  j'avais  connu  aulrefois  à  Rome,  qui 
me  dit  que  Vane,  grand  parlementaire  et  très-conlidcnt  de 
Croinwell,  venait  d'arriver  à  Paris,  et  qu'il  avait  ordre  de 
me  voir.  Je  me  Irouvai  un  peu  embarrassé;  je  ne  crus  pas 
toutefois  devoir  refuser  celte  cnlrevue,  dans  une  conjonc- 
ture où  nous  n'avions  point  de  guerre  avec  l'Angleterre,  et 
dans  la(iuollc  même  le  cardinal  faisait  des  avances  et  basses 
et  continuelles  au  Protecteur.  Vane  me  donna  une  petite 
lettre  de  sa  part,  qui  n'était  que  sa  créance.  La  substance 
du  discours  fut  que  les  scntiraenfs  que  j'avais  lait  paraître 
j)our  la  défense  de  la  liberté  publique,  joints  à  ma  réputa- 
tion, avaient  donné  à  Cromwell  le  désir  de  faire  une  amilié 
avec  moi.  Ce  fond  fut  orné  de  toutes  les  honnêtetés,  de 
toutes  les  offres,  de  toutes  les  vues  que  vous  pouvez  imagi- 
ner. Vane  me  parut  d'une  capacité  surprenante.  Je  répon- 
dis avec  tout  le  respect  possible;  mais  je  ne  dis  ni  ne  fis 
assurément  quoi  que  ce  soit  qui  ne  fût  digne  et  d'un  vérita- 
ble catholique  et  d'un  bon  Français  ^  »  Mazarin  en  jugeait 
autrement,  et  du  sein  de  son  exil,  il  écrivait  à  la  reine  :  «  Le 
coadjuteur  a  toujours  parlé  avec  vénération  de  Cromwell, 
comme  d'un  homme  envoyé  de  Dieu  en  Angleterre,  disant 
qu'il  en  susciterait  aussi  en  d'autres  royaumes;  et  une  fois, 
en  bonne  compagnie  où  Ménage  était,  entendant  relever  le 
courage  de  M.  de  Beaufort,  il  dit  en  termes  exprès  :  «  Si 
«  M.  de  Beaufort  est  Fairfax,  je  suis  Cromwell  ^. 

Mazarin  excellait  à  envenimer,  pour  perdre  ses  ennemis, 
leurs  actions  ou  leurs  paroles,  et  à  s'approprier  aussitôt 
effrontément  leurs  exemples  et  leurs  armes.  Pendant  qu'il 
faisait  ainsi  un  crime   au  coadjuteur,  aui)rcs  de  la  reine, 

1  Mémoires  du  curdinal  de  Rclz,  p.  2H  (édil.  iii-S",  Paris,  1837). 
^  Lcllres  du  cardinal  Mazarin  àla  reine  Anne  d'AutrivIic '^MiiM,  lOiivril 
1651),  iiubliées  par  M.  Kavciiul,  p.  5,  6  (l'aris,  1850), 


21i  OUVERTURES  DE  CR031WELL 

de  ses  sentiments  sur  Cromwell,  il  travaillait  à  entrer  lui- 
même,  avec  Cromwell,  en  relation  intime  ;  trop  sagace  pour 
ne  pas  reconnaître  que  là  étaient,  en  Angleterre,  l'habileté 
et  le  pouvoir,  c'était  au  maître  futur  de  la  République,  non 
plus  au  Parlement  républicain,  qu'il  adressait  ses  avances. 
Cromwell  s'y  prêta  volontiers  :  lui  aussi,  il  était  incessam- 
ment ap])liqué  à  se  faire  partout  de  puissants  amis.  «  11  laisse 
adroilcmenl  aux  autres  la  conduite  et  le  soin  de  ce  qui  fait 
crier,  disait,  des  1C50,  Croullé  à  M.  Servien,  et  se  réserve 
à  lui-même  les  clioses  qui  obligent;  dont  au  moins  il  fait 
courir  le  bruit,  afin  que,  si  elles  réussissent,  elles  lui  soient 
attribuées,  et  sinon,  que  l'on  voie  qu'il  en  a  eu  la  volonté, 
et  que  l'effet  en  a  été  empêché  par  d'autres  ^.  >»  Le  3  fé- 
vrier 16S2,  le  comte  d'Estrades,  toujours  gouverneur  de 
Duukerquc,  écrivit  à  Mazarin  alors  rentré  en  France,  et 
qui  venait  de  rejoindre  la  reine  à  Poitiers  :  «  Le  Protec- 
teur '  Cromwell  m'a  envoyé  M.  de  Fitz-Jamcs,  son  colonel 
des  gardes,  pour  me  proposer  de  traiter  de  Dunkerque, 
qu'il  m'en  donnerait  deux  millions,  et  qu'il  s'engagerait  de 
fournir  cinquante  vaisseaux  et  quinze  mille  hommes  de 
pied  pour  se  déclarer  contre  l'Espagne  cl  contre  les  enne- 
mis du  roi  et  de  Votre  Excellence,  avec  qu^  il  voulait  faire 
une  étroite  amitié.  Je  répondis  à  M.  deFitz-Jaines  que,  si  les 
troubles  et  la  guerre  civile  qui  étaient  en  France  ne  m'obli- 
geaient pas  d'envoyer  vers  la  reine  et  Votre  Excellence,  je 
l'aurais  fait  jeter  dans  la  mer  pour  m'avoir  cru  capable  de 

*  Le  20  juin  1G50  {Archives  des  Affaires  ctrungères  de  France). 

s  J'ai  clé  surpris  de  liouver  le  (itre  de  Proiccleur  déjà  donné  à  Cromwell, 
le  5  février  1G;j~2.  L'aullieiiticilé  el  la  date  de  la  Icllre  du  eunile  d'Estrades 
ne  sont  pas  douteuses.  Je  suppose,  ou  que  les  étrangers,  des  celte  époque, 
qualifiaient  Cromwell  de  Proiccleur  de  la  réjiubliquc  d'Angleterre,  ou  plutôt 
que  ce  titre,  devenu,  en  décembre  IG53,  le  titre  oflicicl  de  Cromwell,  a  élc 
intercalé  dans  le  texte  des  lellres  du  comte  d'Estrades,  au  moment  de  leur 
|)ublicalion. 


A  MAZARIN  (février  16S2).  2i:> 

trahir  mon  roi,  mais  que  la  conjoncture  présente  m'obli- 
geait à  le  retenir  chez  moi  en  attendant  la  réponse  de  la 
cour.  »  Mazarin  répondit  à  d'Estrades  :  n  Mon  sentiment 
était  qu'on  acceptât  la  proposition  de  Cromwcll;  mais 
M.  deChàteauneuf  s'y  est  opposé,  et  l'a  emporté  près  de  la 

reine  qui  n'a  pas  voulu  y  consentir Je  me  remets  au 

sieur  de  Las  à  vous  dire  les  sentiments  que  j'ai  pour  vous  ; 
vos  intérêts  me  sont  aussi  chers  que  les  miens.  i>  D'Estra- 
des comprit,  et  ne  perdit  pas  un  moment  ;  cinq  jours  après, 
il  écrivait  à  Mazarin  :  «  Dès  que  j'eus  reçu  de  M.  de  Las  la 
lettre  qui  me  faisait  savoir  les  intentions  de  Votre  Émi- 
nence  touchant  la  proposition  d'Angleterre,  je  le  fis  savoir 
à  mon  ami  à  Londres,  et  le  priai  de  me  faire  réponse  sur 
les  points  de  ma  lettre  au  plus  tôt.  Il  est  arrivé  lui-même 
ce  matin  en  celte  ville,  et  m'a  dit,  de  la  part  de  M.  Crom- 
wcll, que  ce  que  la  République  demande  est  que  le  roi  les 
reconnaisse  et  envoie  au  plus  tôt  un  ambassadeur,  et  qu'on 

paye  à  leurs  sujets  ce  qui  leur  a  été  pris  sur  mer Il  m'a 

dit  ensuite  que  M.  Cromwell  l'avait  chargé  de  me  dire  que, 
si  Votre  Éminencc  ne  pouvait  rester  en  France,  et  que  ses 
ennemis  l'obligeassent  d'en  sortir,  il  m'assurait  qu'elle 
serait  bien  reçue  en  Angleterre  s'il  s'y  voulait  retirer,  et 
traité  de  la  République  avec  toute  sorte  d'honneur  ;  qu'on 
lui  donnerait  une  bonne  maison  pour  retraite,  une  sûreté 
entière  et  l'exercice  de  sa  religion  libre,  et  que,  quand  il 
voudrait  s'en  aller  à  Rome,  il  lui  sera  fourni  des  vaisseaux 
pour  lui  et  tout  son  équipage,  pour  le  porter  où  il  vou- 
dra ^  i> 

Mazarin  se  crut  au  but  de  ses  vœux  :  des  pouvoirs  furent 
aussitôt  envoyés  à  d'Estrades  «  pour  traiter  d'une  nouvelle 

'  LeUres,  Mémoires  el  Négocialions  du  comte  U'Eslrudcii,  l.  I,  p.  lOiî-IO"; 
—  le  comte  d'Eslrades  nu  cardinal  Mazarin  (7  mars  1C52)  [Archives  dis 
Affaires  étrangères  de  France). 


21G  AVANCES  DE  MAZARIX 

alliance  avec  la  République  d'Angleterre...  Et  jugeant, 
faisait-on  dire  à  Louis  XIV,  que  le  sieur  Croinwell  pourrait 
envoyer  vers  nous  quelqu'un  pour  cire  davantage  celai rci 
de  mes  bonnes  intentions,  vous  aurez  à  les  lui  faire  con- 
naître et  vous  ouvrir  en  toute  confiance,  non-seulement  sur 
ce  qui  s'y  peut  traiter  avec  la  Republique,  mais  encore  avec 
la  personne  dudit  sieur  Cromwell,  tant  pour  le  bien  com- 
mun des  deux  royaumes  que  pour  ses  intérêts  particuliers, 
vous  donnant,  par  la  présente,  pouvoir  d'agir,  négocier, 
traiter  et  promettre  en  mon  nom  tout  ce  que  vous  jugerez  à 
propos  audit  Cromwell,  et  je  ratifierai  et  exécuterai  tout  ce. 
que  vous  aurez  promis  en  mon  nom  \  »  Cependant  d'Es- 
trades ne  quitta  point  Dunkerquc  ;  un  mois  seulement  après 
la  date  de  ses  pouvoirs,  il  reçut  des  instructions  précises  et 
une  lettre  de  Mazarin  qui  les  commentait.  Le  cardinal  vou- 
lait vendre  cber  la  reconnaissance  de  la  République,  et  ne 
l'accorder  qu'en  échange  d'un  traité  immédiat  qui  non-seu- 
lement mît  fin  aux  différends  des  deux  États,  mais  qui  assu- 
rât à  la  France  l'alliance,  ou  du  moins  l'appui  caché  de 
rAnglelerre  contre  l'Espagne.  Dans  cet  espoir,  il  autorisait 
même  d'Estrades  à  reprendre  l'affaire  de  la  cession  de  Dun- 
kerquc aux  Anglais  ^  Averti  sans  doute  par  ses  amis  de 
Londres  qu'il  aurait  peu  de  chances  de  succès,  d'Estrades 
ne  partit  pas  davantage.  A  sa  place,  des  instructions  à  peu 
près  semblables  furent  données  à  M.  de  Genlillot  qui  eut 
ordre  en  outre  de  remettre  à  Cromwell  une  lettre  de 
Louis  XIV  lui-même  portant  :  «  Monsieur  Cromwell,  en- 
voyant exprès  à  Londres  le  sieur  de  Gcntillot,  gentilhomme 
de  ma  chambre,  avec  lettre  de  créance  au  Parlement  de  la 
République  d'Angleterre  et  au  conseil  d'État  pour  leur  faire 

*  louisXIV  an  comle  d'Eslradcs  (24  mars  163;2;  Bibliotlièque  impériale; 
Manuscrits  de  Brienne. 

'  23  avril  Ki^S;  —  Ibid.  (Pocumcnls  historiques,  n»XVin). 


A  CROMWELL  (mars-avril  1CS2.)  217 

entendre  mes  bonnes  intentions,  et  comme  il  est  avantageux 
à  l'un  et  à  l'autre  État  de  vivre  en  bonne  voisinance,  paix 
et  amitié,  je  l'ai  charge  de  cette  lettre  pour  vous,  pour  vous 
assurer  de  ma  bonne  volonté  et  disposition  entière  à  faire 
ce  qui  servira  à  la  sûreté  et  liberté  du  commerce,  bien  et 
utilité  réciproque  des  deux  nations  ;  et  m'assurant  que  vous 
contribuerez  volontiers  à  un  si  bon  effet,  je  me  remets  audit 
sieur  de  Gentillot  de  vous  en  dire  davantage,  vous  priant  de 
lui  donner  créance  comme  à  une  personne  en  qui  je  prends 
une  confiance  entière  i.  »  Soit  qu'elle  ne  s'accomplit  point, 
soit  qu'elle  échouât  obscurément,  la  mission  de  Gentillot 
n'eut  pas  plus  de  suite  que  celle  de  d'Estrades.  De  part  et 
d'autre,  on  tâtonnait  sans  avancer.  Cependant  Mazarin  était 
de  plus  en  plus  inquiet  et  pressé  :  quelques  mois  auparavant, 
au  même  moment  où  il  entamait  ces  négociations,  le  prince 
de  Condé  et  les  Frondeurs  de  Bordeaux  avaient  aussi  en- 
voyé à  Londres  deux  agents,  MM.  Barrière  et  de  Cugnae, 
chargés  de  solliciter  l'appui  de  la  République  et  d'offrir  en 
retour  le  libre  conmicrce  avec  la  Guyenne,  certaines  faveurs 
pour  les  protestants  français,  et  même  la  cession  de  l'ile 
d'Oleron.  Ces  agents  n'eurent  d'abord  aucun  caractère  pu- 
blic; ils  s'adressaient  à  tous  les  hommes  considérables,  à 
Cromwell  surtout',  colportant  partout  dans  Londres  leurs 
demandes  et  leurs  offres.  Mais  le  51  mars  1GI)2,  l'orateur 
informa  le  Parlement  qu'il  avait  reçu  une  lettre  signée  Louis 
de  Bourbon,  et  adressée  «  au  Parlement  de  la  République 
d'Angleterre,  w  pour  accréditer  M.  Barrière.  La  lettre  fut 
lue  et  renvoyée  au  conseil  d'État  qui  reçut  Barrière  et  en- 
tendit ses  propositions.  Whitclocke  en  rendit  compte  au 
Parlement.  Cette  mission  semblait  prendre  de  la  consistance  ; 
l'ambassadeur  d'Espagne  l'appuyait  chaudement;  le  comte 

'  1"  mai  1652  ;  —  Ibid. 

RÉPUBLIQUE  n'ANCLETEnRE.  i.  19 


218  MENÉES  DE  CONDÉ  ET  DES 

du  Daugnon,  gouverneur  du  Brouage,  qui  s'était  allié  avec 
le  prince  de  Condé,  envoya  aussi  à  Londres  des  agents  et  des 
promesses.  Enfin  la  ville  de  Bordeaux,  elle-même  et  en  son 
propre  nom,  fit  partir  deux  députes  spéciaux,  MM.  de  Bla- 
rut  et  de  Trancars,  chargés  de  u  demander  à  la  République 
d'Angleterre,  comme  à  un  État  puissant  et  juste,  des  secours 
d'hommes,  dargent  et  de  vaisseaux,  pour  soutenir  la  ville 
et  commune  de  Bordeaux  ,  unie  avec  messeigneiirs  les 
princes;  et  non-seulement  pour  les  mettre  à  couvert  de 
l'oppression  et  des  ci-uelles  vengeances  qu'on  leur  prépare, 
mais  encore  pour  les  faire  rétablir  dans  leurs  anciens  pri- 
vilèges et  leur  faire  respirer  un  air  plus  libre  qu'auparavant. 
Et  sur  ce  que  lesdits  sieurs  du  Parlement  de  la  République 
d'Angleterre  leur  pourront  demander  de  convenances  réci- 
])roques,  ils  les  laisseront  s'expliquer  sur  leurs  prétentions, 
et  après,  s'il  le  faut,  pourront  leur  accorder  un  port  dans  la 
rivière  de  Bordeaux,  pour  la  retraite  et  sûreté  de  leurs  vais- 
seaux, comme  Castillon,  Royan,  Talmont,  ou  Paulhac,  ou 
celui  d'Arcachon,  s'ils  le  veulent,  lequel  ils  pourront  forti- 
fier à  leurs  frais.  On  pourra  même  leur  permettre  d'assiéger 
et  prendre  Blaye,  à  quoi  nos  troupes  les  aideront  en  tout  ce 
qui  sera  possible.  Ils  pourront  encore  faire  une  descente  à 
la  Rochelle  et  s'en  emparera  » 

L'alarme  fut  grande  à  la  cour  et  dans  le  conseil  :  pendant 
que,  dans  les  provinces  du  midi,  la  guerre  civile  appelait 
ainsi  en  France  l'étranger,  la  guerre  étrangère  continuait 
dans  les  provinces  du  nord  ;  les  Espagnols  poussaient  vive- 
ment le  siège  de  Gravelines;  Dunkerque  était  près  de  suc- 
comber; on  apprit  tout  à  coup  que  sept  vaisseaux,  partis  de 

1  Journals  of  the  Ilouse  of  commons,  l  Vil,  p.  112,  117,  129,133;  — 
Documents  inédils  sur  l'kisloire  diplomalique  de  France,  dans  la  Hevue 
7iouvellc,  t.  V,  p.  381-593;  —  Tluiiloe,  State-Papers,  l.  !,  p.  216,  224, 
226,  230. 


FRONDEURS  A  LONDRES  (1652).  219 

Calais  pour  y  porter  des  vivres  et  des  renforts,  avaient  clé 
arrêtés  et  pris  en  mer  par  l'escadre  anglaise  sous  les  ordres 
de  l'amiral  Blake.  En  vain  toutes  les  autorités  françaises  éle- 
vèrent les  plus  instantes  réclamations;  en  vain  le  duc  de 
Vendôme,  grand  amiral,  écrivit  à  l'amiral  Blake,  au  conseil 
d'État  républicain,  au  Parlement  même';  ils  répondirent 
que  les  lettres  de  marque  données  par  le  gouvernement 
français  avaient  causé  et  causaient  encore  au  commerce  an- 
glais les  plus  grands  dommages,  qu'ils  avaient  résolu  d'en 
obtenir  ou  d'en  prendre  réparation,  et  ils  refusèrent  de 
relàcber  les  bâtiments  saisis  ^  Évidemment  le  Parlement  ne 
voulait  pas  acheter  la  reconnaissance  de  la  République  au 
prix  que  Mazarin  voulait  lui  en  faire  payer  ;  il  était  décidé 
à  maintenir,  entre  la  France  et  l'Espagne,  sa  flottante  neu- 
tralité, et  penchant  toujours  vers  l'Espagne,  il  saisissait 
volontiers  les  occasions  de  faire  senlir  à  la  France  son  pou- 
voir de  lui  nuire.  Don  Alonzo  de  Cardenas  entretenait  avec 
soin,  à  Londres,  cette  disposition  ;  les  démarches  et  les  en- 
voyés de  Mazarin  lui  avaient  causé  de  vives  inquiétudes;  il 
en  avait  exactement  informé  sa  cour  en  la  pressant  de  Aure, 
de  son  côté,  au  Parlement  les  avances  et  les  concessions 
nécessaires  pour  prévenir,  entre  l'Angleterre  et  la  France, 
tout  rapprochement.  Tantôl  il  travaillait  à  faire  entrer 
l'Espagne  dans  une  alliance  intime  avec  les  deux  réj)ubli- 
ques  prolestantes  de  Londres  et  de  la  Haye  contre  la  France 
et  le  Portugal;  tantôt  il  demandait  à  sa  cour  de  seconder 
les  Anglais  dans  une  entreprise  sur  Calais,  à  charge  par  eux 
d'aider  les  Espagnols  dans  les  sièges  de  Graveliiics,  Dunker- 
que  et  Mardick.  Enfin  il  entreprit  de  conclure,  entre  l'Es- 

»  Le  23  seplcmbrc  165'i.  —  Manuscrits  de  Hrlennc  {Uibliothique  impé- 
riale). 

2  Le  12  décembre  1652.  -  Journats  of  llic  llunu  of  communs,  I.  VII, 
p.  173, 193,  224  ;  -  Robert  Blake,  [>.  208-210. 


220  M.  DE  BORDEAUX  EST  ENVOYE 

pagne  et  la  République  d'Angleterre  ,  un  traité  formel 
d'amitié  qui  liât  sûrement  les  deux  États;  et  le  20  septem- 
bre 1652  il  envoya  à  Madrid  un  projet  en  vingt-quatre 
articles,  déjà  présenté  par  lui,  le  12,  au  conseil  d'État  répu- 
blicain, qui  se  montrait  assez  enclin  à  l'acceptera 

Pressé  par  ces  périls,  Mazarin  se  décida  enfin  à  recon- 
naître la  République  sans  en  recueillir,  à  l'heure  même,  le 
fruit  :  le  2  décembre  1632,  M.  de  Bordeaux,  conseiller 
d'État  et  intendant  de  Picardie,  reçut  la  mission  de  porter 
au  Parlement  une  lettre  du  roi  et  de  rétablir  les  relations 
officielles  des  deux  États.  La  résolution  fut  prise  et  exécu- 
tée sans  hardiesse  ni  bonne  grâce,  d'un  air  à  la  fois  hautain 
et  embarrassé.  Les  instructions  de  M.  de  Bordeaux  por- 
taient formellement  qu'il  n'était  point  ambassadeur,  et  il 
avait  ordre  de  le  déclarer  en  arrivant;  elles  semblaient  faire, 
des  intérêts  commerciaux  des  deux  pays  et  de  la  restitution 
des  sept  vaisseaux  pris  en  allant  à  Dunkcrquc,  l'objet  pres- 
que unique  dcsa  mission  ;  elles  lui  recommandaient,  à  la 
vérité,  tt  de  ne  rien  dire  qui  fasse  rupture  ni  qui  offense  les 
Anglais,  pour  ne  leur  donner  aucun  prétexte  de  se  déclarer 
ennemis  de  cette  couronne,  paraissant  à  S.  M.  quil  vaut 
mieux,  pour  un  temps,  qu'ils  courent  les  mers  et  exercent 
la  piraterie  qu'ils  reprochent  aux  autres,  que  s'ils  entrepre- 
naient quelque  chose  de  pis,  ce  serait  de  joindre  leurs  forces 
aux  Espagnols  et  prendre  en  protection  les  rebelles  ;  )>  mais 
en  même  temps  on  enjoignait  à  Bordeaux,  «  s'il  ne  pouvait 
rien  obtenir  sur  l'affaire  spéciale  dont  il  était  chargé,  de 
repasser  en  France  sans  attendre  aucun  ordre;  »  tandis 
que,  s'il  trouvaille  Parlement  bien  disposé  et  prêt  à  désigner 

*  Lettres  de  Cardcnas  à  Philippe  IV  (23  janvier,  5,  15  et  25  février, 
19  juillet,  12  et  20  seplembre  1652;  —  Délibérations  du  conseil  d'État  de 
Madrid,  sur  les  dépêches  de  Curdcuas  (li  aoùl).  {Archives  de  Simancas 
{Documents  historiques,  n»  XXI). 


A  LONDRES  (2  décembre  1652).  221 

des  commissaires  pour  revoir  avec  lui  les  anciens  traités,  il 
devait  attendre  «  et  dépêcher  vers  S.  M.  pour  recevoir  ses 
commandements  avec  les  pouvoirs  et  instructions  néces- 
saires. »  Au  fond,  la  démarche  était  décisive  et  emportait  la 
reconnaissance  de  la  République  ;  mais  soit  hésitation  natu- 
relle, soit  complaisance  pour  les  scrupules  de  la  reine  et  de 
la  cour,  Mazarin  avait  voulu  lui  donner  encore  l'apparence 
d'une  mission  d'essai,  limitée  et  conditionnelle,  et  dans  la- 
quelle on  se  réservait  la  faculté  de  revenir  sur  ses  pas  ', 

La  fierté  républicaine  déjoua  promplemcnt  ce  petit  ar- 
tifice :  quand  l'oï'ateur  annonça  au  Parlement  ^  qu'il  avait 
reçu  une  lettre  du  roi  de  France,  on  en  examina  d'abord  la 
suscription  ;  elle  était  adressée  :  «i  A  nos  très-chers  et  grands 
amis  les  gens  du  Parlement  de  la  République  d'Angleterre;» 
on  fit  dire  à  M.  de  Bordeaux,  pnr  le  maître  des  cérémonies, 
sir  Olivier  Fleming,  que  ce  n'était  pas  dans  cette  forme 
qu'écrivaient  au  Parlement  les  princes  étrangers,  et  qu'on 
ne  pouvait  recevoir  une  lettre  ainsi  adressée.  Deux  jours 
après,  Bordeaux  envoya  la  lettre  avec  celte  nouvelle  adresse: 
«  Au  Parlement  de  la  République  d'Angleterre;  »  elle  fut 
aussitôt  admise,  et  on  fixa  au  21  décembre  suivant  la  récep- 
tion de  M.  de  Bordeaux  ;  mais  on  le  prévint  que  «  n'étant 
point  ambassadeur,  il  n'aurait  audience  ni  dans  le  Parle- 
ment, ni  dans  le  conseil  d'État,  mais  dans  un  comité.  ■> 
Admis  en  effet  devant  ce  comité:  <i  Le  roi  de  France,  mon 
maître,  dit-il,  ayant  jugé  à  propos,  pour  le  bien  de  son  ser- 
vice, de  m'envoycr  devers  le  Parlement  de  la  République 
d'Angleterre,  il  m'a  commandé  de  le  saluer  de  sa  part  et  de 
l'assurer  de  son  amitié,  sur  la  confiance  (|u'il  a  d'y  trouver 
une  mutuelle  correspondance  à  ses  bonnes  intentions.  L'u- 

1  Archites  des  Affaires  étrangères  de  France;  —  Alamiscrits  de  liriinnv 
{Bibliothèque  impériale)  (Docwncnts  historiques,  n»  XXXII). 

2  Le  14. décembre  1652. 

19. 


222  RÉCEPTION  DE  M.  DE  BORDEAUX, 

nion  qui  doit  être  entre  les  États  voisins  ne  se  règle  pas  sur 
la  forme  de  leur  gouvernemenl  ;  c'est  pourquoi,  encore  qu'il 
ait  plu  à  Dieu,  par  sa  providence,  de  changer  celle  qui  était 
ci-devant  établie  dans  ce  pays,  il  ne  laisse  pas  d'y  avoir  une 
nécessité  de  commerce  et  intelligence  entre  la  France  et 
l'Angleterre;  ce  royaume  a  pu  changer  de  face,  et  de  mo- 
narchie devenir  république;  mais  la  situation  des  lieux  ne 
change  point  ;  les  peuples  demeurent  toujours  voisins  et  in- 
téressés l'un  avec  l'autre  par  le  commerce,  et  les  traités  qui 
sont  enlre  les  nations  n'obligent  pas  tant  les  princes  que  les 
peuples,   puisqu'ils  ont  pour  principal  objet  leur  utilité 
commune.  ■>  La  République  ainsi  formellement  reconnue, 
Bordeaux  rentra  aussitôt  dans  lobjet  spécial  de  sa  mission, 
et  jetant  çà  et  là  quelques  phrases  contre  les  menées  de 
l'Espagne  et  sur  la  puissance  de  la  France,  il  conclut  par 
demander  la  restitution  des  sept  vaisseaux  en  donnant  au 
Parlement  l'assurance  que  «  Sa  Majesté,  qui  regarde  la  jus- 
tice comme  le  principal  appui  de  son  sceptre  et  le  solide 
fondement  des  empires  légitimes,  ne  manquera  pas  de  faire 
faire  raison  à  tous  ceux  de  cet  État  qui  auront  de  justes 
prétentions  contre  ses  sujets,  et  que,  rapportant  !a  satisfac- 
tion qui  lui  est  due,  elle  embrassera  tous  les  moyens  qui 
pourront  entretenir  une  parAute  correspondance  entre  les 
deux  États  '.  » 

En  apprenant  la  démarche  du  roi  de  France  auprès  du 
Parlement  républicain,  la  reine  d'Angleterre,  Henriette- 
Marie,  écrivit  à  son  second  fils,  le  duc  d'York  :  «  Mon  fils, 
cette  lettre  est  pour  vous  faire  savoir  que,  comme  Ion  a 
envoyé  d'ici  en  Angleterre  pour  reconnaître  ces  infâmes 
traîtres,  nonobstant  toutes  les  raisons  que  nous  ayons  pu 

«  Journalsof  tke  House  ofcommons,  l.  Vil,  p.  228,  230,  2'5Z;- Archives 
étrangères  de  France  {  —  Manuscrit  de  Bricnne  {Bibliotlicque  impériale). 


EMBARRAS  DE  CHARLES  II.  223 

donner  contre  et  sur  cela,  le  roi  votre  frère  a  résolu  de  s'en 
aller  et  a  déjà  fait  parler  à  la  reine.  Il  n'a  pas  encore  pris 
de  résolution  pour  vous.  C'est  pourquoi  vous  devez  loujoui-s 
faire  comme  si  vous  ignoriez  cet  envoi,  et  en  cas  que  l'on 

vous  en  parlât,  dire  que  vous  ne  le  pouvez  croire Je 

vous  avoue  que,  depuis  mon  grand  malheur,  je  n'ai  rien 
ressenti  à  l'égal  de  ceci.  Dieu  nous  prenne  dans  sa  sainte 
protection  et  nous  donne  la  patience  qu'il  faut  avoir  pour 
supporter  ce  coup  ^  !  »  Charles  II  ne  quitta  point  Paris;  on 
ne  lui  demanda  point  de  le  quitter,  et  la  pension  de  6,000  li- 
vres par  mois  qu'il  y  recevait  lui  fut  continuée  ;  mais  su 
situation  y  devint  de  plus  en  plus  isolée  et  triste,  et  ses  plus 
fidèles  conseillers  l'engagèrent  dès  lors  à  chercher  un  asile 
ailleurs. 

La  République  semblait  triomphante  au  dehors  comme 
au  dedans  et  dans  la  diplomatie  européenne  comme  dans  la 
guerre  civile;  mais  les  funestes  effets  de  sa  politique  aussi 
imprudente  qu'arrogante  envers  les  Provmces-Unies  avaient 
éclaté,  et  surpassaient  infiniment  les  avantages  que  sa  re- 
connaissance par  Louis  XIV  et  son  imparfaite  neutralité 
entre  la  France  et  l'Espagne  pouvaient  lui  procurer. 

Lorsque  les  chefs  hollandais  s'étaient  refusés  aux  propo- 
sitions des  ambassadeurs  d'Angleterre,  et  n'avaient  pas  voulu 
lier  le  sort  de  leur  patrie  à  celui  d'une  république  à  ce  point 
hasardeuse  et  chancelante,  ils  avaient  fait  acte  de  patrio- 
tisme autant  que  de  courage,  et  acquitté  leur  devoir  envers 
la  dignité  de  l'État  qu'ils  gouvernaient  aussi  bien  qu'envers 
sa  sûreté.  Mais  ils  désiraient  vraiment  la  paix,  et  même  une 
alliance  avec  l'Angleterre;  la  victoire  du  Parlement  à  Wor- 
ccster  et  son  acte  de  navigation,  en  leur  montrant  la  guerre 


1  Chaillot,  ISiléccmbie  i0a2;  flianuscrils  de  liricnnc  {Bibliolhcqnc  impi- 
rialc);  -  Clarendoii,  IJist.  of  Ihe  licbcllion,  1.  xiii,  c.  lil);  1.  xiv,  c.  54. 


22^^  ORIGINES  DE  LA  GUERRE  ENTRE 

à  la  fois  comme  plus  probable  et  plus  périlleuse,  les  décidè- 
rent à  tenter,  pour  l'éviter,  iin  dernier  effort.  Dès  qu'ils 
apprirent  la  fuite  de  Charles  II  après  sa  défaite,  un  décret 
fut  proposé  dans  les  États  généraux,  portant  qu'aucun  prince 
étranger  ne  pourrait  entrer  sur  leur  territoire  sans  leur  con- 
sentement formel,  et  peu  après  ils  envoyèrent  à  Londres 
ti'ois  ambassadeurs  avec  ordre  de  reprendre  les  négociations 
que  Saint-John  et  Strickland,  en  quittant  la  Haye,  avaient 
brusquement  interrompues.  A  leur  première  audience', 
le  principal  des  trois  ambassadeurs,  Jacques  Ctits,  naguère 
grand  pensionnaire  des  Provinces-Unies,  s'efforça  dans  un 
long  discours,  trop  flatteur  pour  être  habile,  de  se  concilier 
la  bienveillance  du  Parlement.  On  avait  mis  à  leur  récep- 
tion un  grand  apparat;  le  maître  des  cérémonies  avait  eu 
ordre  d'aller  les  prendre  sur  la  Tamise,  àGravcsend,dansdcs 
barques  officiellement  décorées;  trois  membres  du  Parle- 
ment étaient  allés  au-devant  d'eux  jusqu'à  Greenwich,  et 
les  avaient,  dès  le  lendemain,  conduits  à  Westminster.  A 
leur  entrée  dans  la  salle,  l'orateur  et  tous  les  membres  se 
levèrent  et  se  découvrirent.  Les  républicains  anglais  vou- 
laient traiter  avec  grandeur  la  République  des  Provinces- 
Unies,  et  répandre  parmi  les  deux  nations  la  conviction  qu'ils 
lui  portaient  une  sympathie  sincère.  Mais  en  même  temps, 
dominés  par  un  orgueil  mêlé  de  rancune,  ils  écoutèrent  et 
débattirent  ses  propositions  avec  rcntêlemcnt  hautain  d'un 
pouvoir  confiant  dans  sa  force  et  ardent  à  se  venger  d'un 
mécompte  qu'il  prend  pour  une  injure.  Dans  l'un  et  l'autre 
pays,  les  sentiments  populaires  concouraient  avec  cette  dis- 
position du  gouvernement  anglais  :  en  Hollande,  soit  esprit 
orangiste,  soit  rivalité  nationale,  le  peuple  s'attendait  à  la 
guerre  et  se  montrait  plus  porté  à  la  désirer  qu'à  la  crain- 

»  Le  19  décembre  1631. 


L'ANGLETERRE  ET  LES  PROVINCES-UMES.  225 

dre  ;  les  pêcheurs  des  bouches  de  la  Meuse  racontaient,  avec 
une  patriotique  confiance,  leurs  visions  de  grandes  armées 
navales  qui  avaient  apparu  dans  l'air,  au-dessus  de  leurs 
côtes,  se  livrant  de  grands  combats,  d'où  ils  pronostiquaient 
le  triomphe  du  pavillon  hollandais.  A  Londres,  la  multi- 
tude était  encore  plus  animée  :  elle  entendait  parler  tous 
les  jours  de  procédés  hostiles,  sur  mer,  entre  des  bâtiments 
anglais  et  des  bâtiments  hollandais;  c'étaient  tantôt  des 
affronts  et  des  pertes  que  le  commerce  anglais  avait  subis, 
tantôt  des  réparations  hardies  qu'il  s'était  données  lui- 
même,  aux  dépens  de  ses  rivaux  ;  et  plus  d'une  fois,  sur  le 
bruit  de  ces  nouvelles  vraies  ou  fausses,  la  populace  se  porta 
vers  la  maison  que  les  ambassadeurs  hollandais  occupaient  à 
Chelsea,  si  disposée  à  les  insulter  que  le  Parlement  se  crut 
oblige  d'y  envoyer  une  garde  pour  leur  sûreté  '. 

Entre  les  négociateurs  eux-mêmes  les  difficultés  s'aggra- 
vaient tous  les  jours;  des  questions  inattendues  s'élevaient; 
on  manifestait,  de  part  et  d'autre,  soit  d'anciennes,  soit  de 
nouvelles  prétentions.  Les  Hollandais,  devenus  naguère  un 
État  puissant,  voulaient  fonder  aussi  sur  mer  leur  cntièi'C 
indépendance,  et  s'affranchir  des  marques  d'infériorité  que 
l'Angleterre  avait  été  ou  se  disait  en  dro't  de  leur  imposer. 
Les  Anglaisaccusaientleursroisdela  maison dcStuartd'avoir 
abandonné  ou  laissé  tomber  en  désuétude  ces  gages  exté- 
rieurs de  leur  emj)ire  de  la  mer  que  jadis,  et  surtout  sous  le 
glorieux  règne  d'Elisabeth,  leur  marine  avait  possédés  ou 
réclamés.  Le  salut  du  pavillon,  le  droit  de  \  isite,  le  droit  de 
pêche,  devinrent  l'objet  de  vifs  débals;  |)lus  ils  se  jtrolon- 
geaient,  plus  les  désirs  et  le  ton  des  Anglais  se  montraient 

1  Journalsof  ihe  House  of  commons,  t.  VII,  p.  45,  !)3-5l,  ;)6,  58,  G4  ;  — 
Wtiilelocke,  p.  512,  fjl8,  ^21,  533;  —  Le  Clerc,  Histoire  des  Provinces- 
Unies,  t.  Il,  p.  314;  —  Wicqucforl,  Histoire  des  Provinces- Unies,  t.  IV, 
p.  307-310. 


226  ORIGINES  DE  LA  GUEllRE  ENTRE 

hautains;  ils  en  vinrent  à  parler  sans  détour  de  leur  souve- 
raineté sur  les  mers  qui  entouraient  leur  île.  Les  ambassa- 
deurs hollandais,  par  loyauté  comme  par  prudence,  décla- 
rèrent que  leur  gouvernement  armait  une  grande  flotte  pour 
protéger,  dans  ces  parages  .  la  sûreté  de  son  commerce;  les 
commissaires  anglais  leur  contestèrent  presque  ce  droit, 
disant  qu'ils  feraient  cux-mcmes  la  police  de  la  mer,  au  pro- 
fit de  tous.  Pendant  que  les  querelles  de  principes  s'enve- 
nimaient ainsi,  les  hostilités  de  fait  commençaient  sponta- 
nément entre  les  deux  nations;  leurs  bâtiments  ne  se  ren- 
contraient guère  sans  se  donner  quelque  marque  d'inimitié; 
on  apprenait  tantôt  qu'un  embargo  avait  été  mis,  dans  les 
ports  de  Hollande,  sur  les  navires  anglais,  tantôt  qu'une 
flotte  marchande  hollandaise,  revenant  de  la  Méditerranée, 
avait  refusé  de  baisser  pavillon  devant  l'escadre  anglaise,  et 
que  le  commodore  Young  l'avait  attaquée  pour  l'y  contri.in- 
dre.Dcs  explications  étaient,  de  part  et  dautre,  réclamées 
et  données;  l'embargo  de  Hollande  était  levé;  mais  Thu- 
meur  qu'il  avait  excitée  en  Angleterre  demeurait.  Les  né- 
gociateurs hollandais  s'efforçaient  d'atténuer  les  griefs  et  de 
résoudre  pacifiquement  les  questions;  mais  ils  n'étaient  pas, 
tous  les  trois,  animés  au  même  degré  de  ce  désir  ;  on  remar- 
quait leurs  dissidences;  on  les  appelait  ironiquement  «  les 
ambassadeurs  désunis  des  Provinces-Unies.  »  Ils  insistaient 
en  vain  sur  l'abolition,  ou  du  moins  sur  la  suspension  pro- 
visoire de  l'acte  de  navigation  ;  le  Parlement  se  montrait,  à 
cet  égard,  intraitable  ;  tt  soit  par  les  incidents  extérieurs, 
soit  par  le  tour  des  négociations  mêmes,  le  maintien  de  la 
paix  devenait  chaque  jour  plus  douteux  et  plus  difficile  ^ 

>  Journals  of  Ihc  Ilouse  of  commom,  t.  VII,  p.  103,  133,  159  ;  —  Wliile- 
locke,  p.  MU,  517,  522,  529,  550  ;  -Robert  Blake,  p.  189-191;— Wicquefort, 
Histoire  des  Provinces- Unies,  t.  IV,  |).  510-518;  —  Le  Clerc,  Histoire  des 
Proiinecs- Unies,  l.  il,  p.  314-516  ;  -  llcatli,  CItroniclc,  p.  585. 


L'ANGLETERRE  ET  LES  PROVINCES-UNIES.         227 

Au  milieu  de  ces  agitations  diplomatiques,  on  api)rit 
tout  à  coup  que,  le  12  mai,  dans  les  Dunes,  aux  approches 
de  Douvres,  la  flotte  hollandaise  commandée  par  Tromp  ,  et 
la  flotte  anglaise,  sous  les  ordres  de  Blake,  s'étaient  rencon- 
trées et  combattues.  Averti  que  Tromp  naviguait  dans  ces 
parages,  et  craignant  de  sa  part  quelque  dessein  hostile, 
Blake  s'y  était  porté  aussitôt,  et  en  arrivant,  il  avait,  par 
trois  coups  de  canon  successifs,  sommé  l'amiral  hollandais 
d'abaisser,  devant  l'escadre  anglaise,  son  pavillon.  Tromp 
avait  pris  le  large  sans  répondre.  Il  rencontra  en  mer  un 
aviso  venant  de  Hollande  et  qui  lui  apportait  sans  doute  des 
ordres,  car  soudain  il  vira  de  bord  et  fit  voile  vers  Blake 
qui,  se  dirigeant  aussi  sur  lui,  renouvela  sa  sommation. 
Tromp  y  répondit,  tel  fut  du  moins  le  récit  de  l'amiral  an- 
glais, en  lâchant  sur  le  vaisseau  le  James,  que  montait 
Blake,  une  bordée  qui  y  causa  d'assez  grands  dommages. 
«  Ce  n'est  pas  poli  à  Van  Tromp,  dit  Blake,  de  prendre  mon 
vaisseau  pour  un  mauvais  lieu  et  de  casser  ainsi  mes  vitres;  » 
et  à  son  tour,  il  canonna  vivement  le  Brederode,  vaisseau 
amiral  de  Tromp.  L'action  ainsi  engagée  dura  plus  de  quatre 
heures  ;  Tromp  avait  quarante-deux  bâtiments  et  Blake  seu- 
lement vingt-trois.  L'amiral  anglais  eut,  à  son  bord,  plus  de 
cinquante  hommes  tues  ou  blessés  ;  l'escadre  hollandaise 
perdit  un  de  ses  bâtiments.  Le  soir  venu  ,  Tromp  fit  voile 
vers  les  côtes  de  Hollande;  et  le  lendemain,  au  point  du 
jour,  Blake  ne  vit  devant  lui  plus  d'ennemis  ^ 

Deux  impressions  très-diverses,  à  Londres  la  colère,  j\ 
la  Haye  l'inquiétude,  s'élevèrent  à  cette  nouvelle.  «  Tromp 
est  venu  nous  braver  dans  nos  eaux,  disaient  les  Anglais  ; 

MVliitelocke,  p.  333-534;  -  Robert  Blake,  p.  191-195;  —  Mcmoriah  of 
sir  William  Pcnn,  l.  I,  p.  419-421;  —  Le  Clerc,  Histoire  des  Provinces- 
Unies,  l.  II,  p.  315-317;  —  WicquelorI,  Histoire  des  Provinces- Unies,  t.  IV, 
p.  318-320. 


228  AMBASSADE  HOLLANDAISE  A  LONDRES. 

il  a  voulu  surprendre  notre  flotte  pour  l'attaquer  et  la  dé- 
truire.—  Tromp  a  été  poussé  vers  la  côte  par  le  mauvais 
temps,  répondaient  les  Hollandais;  il  s'éloignait,  disposé 
à  saluer  la  flotte  anglaise,  quand  il  a  été  violemment  sommé 
et  attaqué  ;  il  n'a  fait  que  *se  défendre,  et  il  s'est  relire  dès 
qu'il  l'a  pu  honorablement;  avec  ses  forces  supérieures,  il 
eût  aisément  détruit  la  flotte  anglaise  s'il  en  eût  eu  le  des- 
sein. H  Ces  réponses,  la  dernière  surtout,  étaient  accueil- 
lies, à  Londres,  avec  ironie,  comme  des  mensonges  et  pres- 
que comme  une  nouvelle  insulte.  La  populace  témoigna 
plus  vivement  que  jamais,  aux  ambassadeurs,  son  grossier 
mauvais  vouloir.  Un  quatrième  ambassadeur  extraordinaire 
arriva  soudainement  de  la  Haye  S  Adrien  de  Pauw,  pen- 
sionnaire de  la  province  de  Hollande,  déjà  connu  et  estimé 
en  Angleterre,  attaché  à  la  politique  pacifique  et  d'un  carac- 
tère prudent  et  conciliant;  il  apportait,  de  la  part  de  son 
gouvernement,  les  plus  vives  dénégations  de  toute  inten- 
tion hostile  ou  offensante  pour  l'Angleterre;  il  déclarait 
que  Tromp  n'avait  reçu  aucune  instruction,  ni  médité  au- 
cune attaque  contre  la  flotte  anglaise,  et  que  ce  qui  était 
arrivé  n'avait  été  que  le  fruit  de  malentendus  et  de  hasards 
malheureux  ;  il  demandait  une  enquête  sur  les  faits  et  sur 
la  conduite  des  deux  amiraux,  offrant  la  révocation  de  Tromp 
si  les  torts  qu'on  lui  imputait  étaient  reconnus;  et  en  atten- 
dant, il  insistait  pour  que  les  négociations  fussent  suivies  et 
menées  à  leur  terme.  Pauw  fut  reçu  avec  beaucoup  de  con- 
sidération; mais  dans  leurs  soupçons  comme  dans  leurs 
volontés,  le  Parlement  et  le  conseil  d'État  se  montrèrent  in- 
traitables; et  après  plusieurs  conférences,  un  peu  embar- 
rassés des  instances  des  négociateurs  hollandais,  ils  éle- 
vèrent tout  à  coup,   comme  condition   préliminaire,    la 

1  Le  8  juin  165-2. 


DÉCLARATION  DE  GUERRE  (7  juillet  1632).  229 

prétention  que  les  Provinces-Unies  eussent  à  les  indemniser 
des  dépenses  que  la  perspective  de  la  guerre  leur  avait  déjà 
imposées;  après  quoi,  on  poursuivrait  les  négociations.  On 
ne  saurait  examiner  de  près  ces  faits  et  ces  documents  sans 
demeurer  convaincu  que,  malgré  les  menées  du  parti  oran- 
giste,  les  chefs  des  Provinces- Unies  désiraient  sincèrement 
la  paix,  tandis  que,  soit  passion,  soit  dessein,  les  républi- 
cains anglais,  Parlement  et  peuple,  s'attachaient  obstiné- 
ment aux  causes  de  guerre,  espérant  établir,  sur  mer,  leur 
suprématie,  ou  même  accomplir,  par  la  force,  sur  les  Pro- 
vinces-Unies, ces  vues  ambitieuses  que  les  négociations 
n'avaient  pu  faire  réussir.  Reconnaissant  la  vanité  de  leurs 
efforts,  Pauw  et  ses  collègues  demandèrent  enfin  leur  au- 
dience de  congé  ;  ils  furent  reçus  dès  le  lendemain  avec  de 
grands  égards  officiels,  et  partirent  en  remettant  au  Par- 
lement des  pièces  où  leurs  propositions  et  leur  conduite 
étaient,  à  leur  sens,  fidèlement  retracées  et  pleinement  jus- 
tifiées. Cinq  jours  après,  le  7  juilletd  652,  le  Parlement  pu- 
blia, avec  ses  motifs,  sa  déclaration  de  guerre;  et  quinze 
jours  après,  parut  aussi  le  manifeste  des  États  généraux 
acceptant  avec  fierté,  bien  qu'à  regret,  le  défi  qui  leur  était 
porté  *. 

Quoique  avec  des  forces,  au  fond,  très-inégales,  les  deux 
peuples  entrèrent  dans  la  lutte  avec  la  même  ardeur  et  pres- 
que avec  la  même  confiance;  la  marine  des  Provinces-Unies 
était  alors,  en  renommée  comme  en  habileté,  supérieure  à 
celle  de  l'Angleterre;  elle  s'était  formée,  depuis  près  d'un 
siècle,  dans  le  commerce  de  long  cours,  dans  la  conquête 
et  l'exploitation  de  possessions  lointaines,  en  Amérique  et 

1  Jotirnals  of  Ihe  Iloiise  of  commons,  t.  VII,  p.  140,  141,  14-2-147,  149- 
laO,  152;  —  Wliilelocke,  p.  «37;  —  Robert  Uluke,  p.  195-197;  —  Wicque- 
fort,  Histoire  des  Provinces-Unies-,  t.  IV,  p.  022-524;  —  Le  Clerc,  Histoire 
des  Provinces- Unies,  t.  Il,  p.  318-320. 

1.  20 


230  GUERRE  ENTRE  L'ANGLETERRE 

aux  Indes,  dans  les  pêches  difficiles  el  périlleuses;  ses  ma- 
telots étaient  nombreux  et  exercés;  ses  amiraux  avaient 
commencé  à  pratiquer  dans  les  commandement  des  gran- 
des flottes  l'art  (les  manœuvres  savantes  et  combinées,  pres- 
que ignoré  à  cette  époque,  selon  leurs  propres  historiens, 
des  meilleurs  marins  anglais.  Ceux-ci  en  revanche  avaient 
des  vaisseaux  en  général  plus  grands,  montés  par  des  équi- 
pages et  munis  de  canons  plus  nombreux  ;  ils  étaient  en 
proie  à  un  violent  accès  des  plus  énergiques  passions  humai- 
nes, le  patriotisme,  l'orgueil,  l'ambition  et  la  jalousie;  et  ils 
avaient,  pour  les  soutenir,  un  pays  bien  plus  pcuj)lé  et  plus 
riche  que  les  Provinces-Unies,  et  placé,  non  sous  la  direc- 
tion faible  et  changeante  d'une  confédération  d'États,  mais 
sous  l'autorité  unique  d'une  assemblée  révolutionnaire, 
fière  de  ses  triomphes  intérieurs,  et  accoutumée  à  prodi- 
guer les  hommes  et  les  ressources  pour  le  succès  de  ses  des- 
seins. Un  mois  après  sa  rencontre  avec  Tromp,  devant 
Douvres,  BlaLe  avait  sous  son  pavillon  cent  cinq  bâti- 
ments de  guerre,  portant  trois  mille  neuf  cent  soixante  et 
une  pièces  de  canon,  et  ayant  à  bord,  outre  leurs  équipages, 
deux  régiments  d'infanterie.  Les  Hollandais  n'avaient  pas 
été  moins  vigilants  dans  leurs  préparatifs  ;  ils  avaient  loué, 
pour  le  compte  de  l'État,  tous  les  navires  marchands  d'un 
fort  tonnage,  mis  en  construction  soixante  gros  bâtiments, 
appelé  à  leur  service ,  par  l'attrait  d'un  large  salaire,  une 
multitude  de  bons  matelols  étrangers;  et  lorsque  Tromp 
entra  en  campagne,  il  avait  sous  ses  ordres  une  flotte  de 
cent  vingt  vaisseaux,  capable,  dans  la  conviction  des  pa- 
triotes hollandais,  de  balayer  la  marine  anglaise  sur  toute 
la  face  des  mers  ^ 

Le  2i  juin,  avant  même  que  les  ambassadeurs  hollandais 

1  Robert  Blake,  p.  197-202;  —  Penn's  Mcmorlals,  l.  1,  p.  395-432. 


ET  LES  PROVLN CES-UNIES  (I6S2).  231 

eussent  quitté  Londres  et  que  la  guerre  fût  officiellement 
déclarée  ,  Blake  mit  à  la  voile ,  de  Douvres ,  avec  soixante 
vaisseaux ,  laissant  son  lieutenant ,  sir  George  Ayscougli , 
chargé  de  la  défense  de  la  Manche,  et  se  portant  lui-même 
vers  le  nord  ,  soit  pour  protéger  les  nombreux  navires  de 
commerce  anglais  qui  revenaient  de  la  Baltique,  soit  pour 
aller  détruire  les  pêcheurs  hollandais  attirés  en  foule  sur 
les  côles  d'Ecosse  et  des  iles  voisines  par  la  pèche  du  hareng. 
Celte  pêche  avait  pris,  dans  la  marine  hollandaise,  un  grand 
développement  ;  une  multitude  de  barques  s'y  rendaient , 
montées  chacune  par  une  famille  de  pêcheurs;  les  femmes 
même  et  les  enfants  y  prenaient  part.  C'était,  pour  les  clas- 
ses pauvres,  un  moyen  de  subsistance,  et  pour  l'État  la 
source  dun  commerce  important  et  une  pépinière  de  mate- 
lots. Plus  de  six  cents  barques  de  toute  grandeur  étaient 
réunies  au  nord  de  l'Ecosse  quand  Blake  y  arriva  ;  douze 
bâtiments  de  guerre  hollandais  les  protégeaient.  Fondant 
brusquement  sur  eux  avec  des  forces  infiniment  supérieu- 
res, Blake,  malgré  leur  courageuse  résistance,  en  coula 
trois,  prit  les  neuf  autres,  s'empara  des  six  cents  barques 
de  pêcheurs,  leur  imposa  le  tribut  d'un  dixième  sur  les  \)vo- 
duits  de  leur  pêche,  et,  par  un  sentiment  d'humanité  géné- 
reuse, les  renvoya  chez  eux  avec  le  reste,  en  leur  enjoignant 
de  ne  plus  venir  pêcher  dans  ces  parages  sans  en  avoir  ob- 
tenu ,  du  conseil  d'État,  l'autorisation.  Cependant  Tromp  , 
informé  par  les  ambassadeurs  hollandais,  à  leur  retour,  du 
plan  de  campagne  de  l'amiral  anglais ,  sortit  du  Tcxcl  dès 
qu'il  sut  Blake  en  mouvement  vers  le  nord,  et  se  porta  ra- 
pidement vers  le  pas  de  Calais  avec  soixante  et  dix-neuf  bâti- 
ments de  guerre  et  dix  brûlots  dans  l'espoir  de  détruire  la 
flotte  très-inférieure  d'Ayseough,  et  d'opérer  ensuite,  le 
long  des  côtes  d'Angleterre,  soit  quelque  débarquement, 
soit  de  grands  ravages.  L'alarme  fut  vive  à  Londres  et  dans 


232  GUERRE  ENTRE  L'ANGLETERRE 

les  comtés  voisins;  les  milices  du  comié  de  Kent  se  levè- 
rent; sur  plusieurs  points  de. la  côte,  on  dressa  en  hâte  des 
batteries  ;  on  envoya  à  Blake  courrier  sur  courrier  pour 
l'informer  de  ce  qui  se  passait  dans  la  Manche  et  pour  pres- 
ser son  retour.  La  nature  prêta  au  Parlement  un  secours 
que  Blake  n'aurait  pas  eu  le  temps  de  lui  apporter  :  au 
milieu  du  pas  de  Calais,  l'escadre  de  Tromp  fut  arrêtée  par 
un  calme  plat  qui  lui  interdit  tout  mouvement;  et  lorsque 
le  calme  cessa,  un  vent  de  terre  s'éleva,  si  violent  que,  mal- 
gré l'habileté  et  l'obstination  des  marins  hollandais,  il  leur 
fut  impossible  d'approcher  de  la  côte  d'Angleleri^e  et  d'aller 
attaquer  Ayscough  à  l'abri  dans  ses  rades  et  sous  ses  falaises. 
Renonçant  aussitôt  à  ce  qu'il  ne  pouvait  accomplir,  Tromp 
se  mit  avec  toute  sa  flotte  en  route  vers  le  nord,  sûr  de 
trouver  là  Blake  séparé  d'Ayscough,  loin  des  lieux  d'où  au- 
raient pu  lui  venir  des  renforts,  et  se  promettant  d'infliger, 
à  l'amiral  anglais  lui-même,  réclicc  auquel  avait  échappé 
son  lieutenant.  Le  5  août  en  effet,  la  flotte  hollandaise  et  la 
flotte  anglaise  se  rencontrèrent  entre  les  Orcades  et  les  îles 
Shetland  :  les  Anglais  étaient  affaiblis,  car,  sur  les  avis 
venus  de  Londi-es,  Blake  avait  détaché  huit  de  ses  vaisseaux 
vers  le  sud,  pour  aller  renforcer  Ayscough  ;  cependant  il  ne 
chercha  point  à  éviter  le  combat,  et  il  faisait,  sur  son  vais- 
seau amiral  la  Résolution,  ses  préparatifs  pour  attaquer 
Tromp  lorsqu'il  vit  apparaître  les  signes  précurseurs  d'une 
tempête;  prévoyant  que,  ce  jour-là,  toute  bataille  serait 
impossible,  il  ordonna  à  ses  capitaines  de  mettre,  de  leur 
mieux,  leurs  bâtiments  à  l'abri  dans  le  petit  archipel  des 
lies  Shetland,  et  d'attendre  ainsi  le  lendemain.  La  tempête 
éclata  et  dura  toute  la  nuit  avec  une  violence  rare,  même 
dans  ces  parages  ;  le  vent,  la  pluie,  le  tonnerre,  l'obscurité 
rendaient,  entre  les  vaisseaux,  toute  manœuvre  concertée  et 
presque  toute  communication  impossibles;  la  flotte  hoUan- 


ET  LES  PROVINCES-UNIES  (16S2).  233 

daisc  fut  dispersée  et  cruellement  maltraitcc  ;  plusieurs 
bâtiments  périrent  en  mer  ou  sur  les  côtes  ;  d'autres  se  réfu- 
gièrent jusqu'en  Norvège  ;  les  brûlots  furent  mis  en  pièces  ; 
et  lorsque  le  jour  parut,  Tromp,  au  lieu  de  la  belle  escadre 
qu'il  avait  amenée,  ne  vit  plus,  du  pont  de  son  vaisseau 
amiral,  le  Brederode,  que  des  bâtiments  errant  au  hasard, 
démâtés,  leurs  voiles  en  lambeaux,  et  luttant  encore  à 
grand'peine  contre  une  mer  couverte  de  débris.  Il  ne  par- 
vint à  rallier  que  quarante-deux  bâtiments  avec  lesquels  il 
retourna  désespéré  en  Hollande  ,  où  il  fut  accueilli  par  la 
surprise,  la  douleur  et  l'injuste  colère  de  la  population. 
Blake,dont  la  flotte  avait  beaucoup  moins  souffert,  poursui- 
vit les  Hollandais  dans  leur  retraite,  el  n'ayant  pu  les  join- 
dre pour  les  combattre,  il  parcourut  avec  insulte  les  côtes 
occidentales  des  Provinces-Unies  ,  et  rentra  à  Yarmouth 
avec  les  bâtiments  dont  il  s'était  emparé  et  neuf  cents  pri- 
sonniers '. 

ïromp  était  fier  et  susceptible  :  blessé  et  dégoûté  par  les 
clameurs  qui  l'assaillaient  parce  que  le  calme  et  la  tempête 
tour  à  tour  l'avaient  empêché  de  joindre  l'ennemi,  il  se  démit 
de  son  commandement.  11  inclinait  d'ailleurs  au  parti  oran- 
gislc,  et  les  chefs  de  l'aristocratie  républicaine,  alors  domi- 
nante, ne  firent  point  d'efforts  pour  le  retenir  ;  ils  croyaient 
pouvoir  lui  donner  un  successeur  digne  de  le  remplacer. 
Hs  avaient,  peu  auparavant,  rappelé  au  commandcmant 
d'une  partie  de  leurs  forces  navales  Michel  Ruyter,  d'origine 
obscure,  de  renom  populaire,  cher  aux  matelots,  étranger 
aux  partis  politiques,  et  toujours  prêt  à  servir  son  pays  aussi 
modestement  qu'héroïquement.  A  peine  monté  sur  son  vais- 

'  Robert  Blakc,  p.  202-207;  —  Penn's  Mcmoriah,  t.  I,  p.  432-435;  — 
Wbilclocke,  p.  ;i38-ii42  ;  —  Hcalh,  Chronicle,  \>.  589-597  ;  —  Le  Clerc, 
Histoire  des  Provinccs-Uuics,l.\\,  p. '520-'ô2l;  -  Wicqucforl,  Histoire  dcn 
Provinces-Unies,  l.  IV,  p.  531-3iï3. 

20. 


2.34  GUERRE  ENTRE  L'ANGLETERRE 

seau  le  Neptune^ ,  Ruyter  entra  dans  la  Manche  avec  trente 
bâtiments  ,  rencontra  à  la  hauteur  de  Plymouth  une  flotte 
anglaise  sous  les  ordres  d'Ayscough,  forte  de  quarante  bâti- 
ments plus  grands  et  mieux  armés  que  les  siens,  l'attaqua 
brusquement  ^,  et  la  contraignit  à  se  retirer  dans  le  port  de 
Plymouth,  laissant  les  Hollandais  maîtres  de  la  pleine  mer. 
Ruyter  s'étonna  lui-même  humblement  de  son  succès  :  «  Ce 
n'est,  dit-il,  que  lorsqu'il  plaît  à  Dieu  d'inspirer  du  courage 
qu'on  remporte  la  victoire;  c'est  ici  une  œuvre  de  la  Provi- 
dence dont  les  hommes  ne  sauraient  rendre  raison.  )•  Le 
Parlement,  mécontent  d'Ayscough  qu'il  soupçonnait  de 
royalisme,  lui  relira  son  commandement,  mais  sans  ru- 
desse, en  lui  donnant  300  liv,  slerl.  et  un  revenu  de  même 
valeur  en  terres,  en  Irlande;  son  escadre  fut  mise  sous  les 
ordres  de  Blake.  Les  États  généraux,  de  leur  côté,  résolus 
à  pousser  énergiquement  la  guerre,  avaient,  aussitôt  après 
la  retraite  de  Tromp,  armé  une  escadre  nouvelle,  et  l'un 
des  plus  bardais  entre  les  chefs  du  parti  aristocratique, 
Corneille  de  Wilt,  en  avait  été  nommé  amiral.  11  était  brave 
à  outrance  et  très-exercé  à  la  mer,  mais  dur,  emporté, 
obstiné  en  même  temps  quimprcvoyant,  et  peu  aimé  des 
matelots  qui  craignaient  sa  rigueur  sans  avoir  confiance 
dans  sa  fortune.  Ce  choix  fut  considéré  comme  plus  politi- 
que que  militaire,  et  donna  aux  amis  de  Tjomp,  nombreux 
dans  la  flotte,  beaucoup  d'humeur.  Avant  de  prendre  la 
mer,  au  moment  même  de  s'embarquer,  Corneille  de  Witt 
eut  déjà  à  sévir  contre  quelques  mutins.  Ruyter  reçut  ordre 
de  venir  le  rejoindre  et  de  servir  sous  lui.  Leurs  forces  réu- 
nies le  2  octobre  1052,  entre  Dunkerque  et  Nieuport,  s'éle- 
vaient à  soixante-quatre  voiles.  Blake  croisait  depuis  quel- 


1  Le  10  août  1652. 
a  Le  26  août  1652. 


ET  LES  PROVINCES-UNIES  (1632).  233 

ques  jours  non  loin  de  ces  parages ,  à  la  tête  d'une  escadre 
de  soixante-huit  voiles,  cherchant  l'ennemi  et  le  comhat. 
Averti  le  8  octobre  que  la  flotte  hollandaise  était  en  vue  au 
nord-est  de  Douvres,  il  se  porta  rapidement  en  avant  de  la 
sienne,  fît  à  tous  ses  vaisseaux  le  signal  de  ralliement ,  et 
donna  sur  le  sien  cet  ordre  :  «  Dès  que  quelques-uns  des 
nôtres  nous  auront  rejoints,  portez-vous  droit  au  milieu  des 
ennemis.  i>  Dans  un  conseil  de  guerre  tenu  la  veille  à  bord 
de  l'amiral  hollandais,  Ruyter  avait  été  d'avis  d'éviter  plu- 
tôt que  de  chercher  la  bataille  ;  il  trouvait  plusieurs  des 
vaisseaux  de  l'escadre  en  mauvais  état,  mal  pourvus  de  mu- 
nitions; peut-être  aussi  n'avait-il  pas  une  entière  confiance 
dans  les  dispositions  de  tous  les  équipages,  et  même  de  tous 
les  officiers.  Corneille  de  Witt  insista  absolument  pour 
combattre;  et  quoique,  dans  la  nuit  précédente,  une  tem- 
pête eût  éloigné  de  lui  plusieurs  bâtiments  qui  tardèrent  à 
le  rejoindre ,  il  accepta  l'attaque  de  Blake  avec  une  ardeur 
que  cinq  heures  de  lutte  malheureuse  ne  refroidirent  pas  un 
instant.  Deux  des  vaisseaux  hollandais  coulèrent  au  pre- 
mier choc;  deux  autres  furent  pris  à  l'abordage;  plusieurs 
capitaines  exécutèrent  lentement  et  avec  mollesse  les  ordres 
de  l'amiral.  Au  début  de  l'affaire,  il  avait  voulu  porter  son 
pavillon  sur  le  Bredcrode,  naguère  le  vaisseau  amiral  de 
ïromp;  mais  le  mauvais  vouloir  de  l'équipage  parut  tel 
qu'il  y  renonça  et  resta  sur  son  bâtiment,  innnense  et  lourd 
navire  de  la  Compagnie  des  Indes.  Ruyter  fit,  avec  la  divi- 
sion d'avant-garde  qu'il  commandait,  des  prodiges  de  bra- 
voure habile  et  dévouée;  de  Witt,  par  son  indomptable 
courage,  se  fit  admirer,  même  de  ses  ennemis.  Mais  leurs 
efforts  furent  vains;  l'avantage  resta  partout  aux  Anglais, 
et  quand  la  nuit  descendit  sur  les  deux  escadres,  des  senti- 
ments très-divers  s'y  déployèrent  ;  à  bord  des  vaisseaux 
anglais  régnait  l'activité  de  la  satisfaction  et  de  rcspcrancc  j 


256  GUERRE  ENTRE  L'ANGLETERRE 

officiers  et  matelots  travaillaient  avec  ardeur  à  réparer  leurs 
avaries,  à  recueillir  leurs  munitions,  à  se  préparer  pour  la 
lutte  du  lendemain  :  chez  les  Hollandais,  au  contraire,  le 
raécontenlenicnt  et  le  trouble  étaient  extrêmes;  de  Witt 
rassembla  de  nouveau  son  conseil  de  guerre  ;  il  voulait  re- 
commencer au  point  du  jour  le  combat;  mais  on  apprit  suc- 
cessivement que  vingt  capitaines,  sans  attendre  aucun  ordre, 
ni  donner  aucun  avertissement,  s'étaient,  à  la  faveur  de 
l'obscurité,  séparés  du  gros  de  la  flotte,  se  portant  on  ne 
savait  sur  quel  point.  Ruyler  et  tous  les  membres  du  conseil 
déclarèrent  qu'une  seconde  action  était  impossible;  il  fallut 
y  renoncer  et  se  décider  à  faire  voile  vers  la  Hollande  pour 
réparer,  dans  ses  ports ,  l'escadre  et  recevoir,  des  États  gé- 
néraux, de  nouvelles  instructions,  Blake  suivit  les  Hollan- 
dais dans  leur  retraite,  sans  les  serrer  de  trop  près,  et  se 
promena  quelques  jours  le  long  de  leurs  côtes,  fier  de  sa  vic- 
toire et  jaloux  de  la  bien  constater  \ 

Le  malheur  et  l'inquiétude  enseignent  aux  peuples  la  jus- 
tice :  les  regards  de  toute  la  Hollande  se  reportèrent  vers 
Tromp;  il  n'avait  pas  fait  tout  ce  qu'on  attendait  de  lui, 
mais  il  n'avait  point  été  battu  ;  il  avait  cédé  à  la  tempête, 
non  aux  Anglais.  C'était  lui  qui,  pendant  vingt  ans,  avait 
commandé  les  flottes  hollandaises  contre  celles  de  l'Espagne, 
et  conquis  sur  mer  rindépendance  de  sa  patrie.  On  le  savait 
ennemi  fervent  de  la  marine  anglaise  dont  un  croiseur  l'a- 
vait fait  prisonnier  dans  son  enfance,  et  l'avait  retenu  plus 
de  deux  ans  à  son  bord.  La  voix  publique  pressa  les  États 
généraux  de  lui  rendre  son  commandement.  Le  roi  de  Da- 

1  Robert  Blake,  p.  208-215  ;  —  Penn's  Memorials,  t.  I,  p.  435  ;  —  Jour- 
nais  oflhc  Ilouseofcommons,  t.  Vil,  p.  166;  —  Wliilelocke.  p.  542-543;  — 
Le  Clerc,  Histoire  des  Provinces-Unies,  1.  II,  p.  321-344  ;— Wicqiicfort, 
Histoire  des  Provinces-Unies,  t.  IV,  p.  333-336  ;  —  Vie  de  Ruyler,  par  Gé- 
rard Brandi  (Aiiiileidam,  1698),  p.  18-25. 


ET  LES  PROVINCES-UNIES  (1632).  237 

nemark,  alarmé  de  la  prépondérance  raarilirae  de  l'Angle- 
terre, employa  son  influence  à  la  lUje  pour  les  y  décider. 
Tromp  fut  rappelé;  toutes  les  forces  navales  de  l'État  furent 
replacées  sous  ses  ordres;  Corneille  de  Witt,  Ruyter,  Eweriz 
et  Florilz,  les  plus  glorieux  marins  de  la  Hollande,  lui  fu- 
rent donnés  pour  vice-amiraux.  De  Witt  s'excusa,  alléguant 
sa  santé  ;  il  était  réellement  malade  de  fatigue  ,  de  chagrin 
et  de  colère  ;  Ruyter  accepta  sans  hésiter.  Un  allié  plus  bril- 
lant que  puissant,  Charles  II,  fit  offrir  aux  États  généraux 
de  servir, comme  simple  volontaire,  à  Lord  de  leur  escadre; 
il  était  sûr,  dit-il,  que  plusieurs  capitaines  de  l'escadre  an- 
glaise n'attendaient  qu'une  occasion  de  venir  à  lui,  et  la 
saisiraient  dès  qu'ils  le  verraient  devant  eux.  Sur  le  conseil 
de  Jean  de  Witt,  alors  pensionnaire  de  la  province  de  Hol- 
lande, les  États  généraux  déclinèrent  celte  offre;  ils  n'a- 
vaient pas  voulu  mettre  leur  destinée  à  la  suite  de  la  Répu- 
blique régicide;  ils  ne  devaient  pas  davantage  lier  leur  cause 
à  celle  du  roi  proscrit.  L'état-niajor  ainsi  formé,  Tromp  se 
mit  à  l'œuvre,  avec  une  ardeur  puissante,  pour  refaire 
prompteraent  l'escadre;  tous  les  ports,  tous  les  arsenaux 
des  Provinces-Unies  déployèrent  toutes  leurs  ressources. 
Le  Parlement  et  Blake  se  croyaient,  pour  quelques  mois, 
dispensés  de  nouveaux  efforts  :  une  campagne  navale  d'hi- 
ver semblait  alors,  aux  plus  braves  marins,  à  peu  près  im- 
jjossible;  plusieurs  divisions  de  la  flotte  anglaise  avaient 
été  envoyées  à  leurs  stations  spéciales,  vers  la  Baltique,  au 
nord  de  l'Ecosse,  à  l'entrée  occidentale  delà  Manche.  Blake, 
modeste  même  dans  le  succès,  et  toujours  inquiet  de  sa  res- 
ponsabilité, avait  demandé  au  Parlement  de  lui  adjoindre, 
pour  le  commandement  naval,  deux  généraux  éprouvés  qui 
l'aidassent  à  en  porter  le  poids:  Monk  et  Doan  avaient  été 
désignés  pour  ce  service;  mais  ils  étaient  encore  occupés  à 
achever  la  soumission  de  l'Ecosse  ;  et  en  attendant  leur  arri- 


238  GUERRE  ENTRE  L'ANGLETERRE 

vée,  Blake  croisait,  avec  sa  division,  entre  le  comté  d'Essex 
et  le  Hampshire  quand  le  bruit  lui  parvint  qu'une  grande 
escadre  hollandaise  s'était  mise  en  mouvement  sous  les 
ordres  de  Troinp  ;  et  peu  de  jours  après,  de  la  dunette  de 
son  vaisseau  le  Triomphe,  il  reconnut  cette  escadre  voguant 
à  pleines  voiles  entre  Douvres  et  Calais.  Elle  était  forte  de 
soixante  et  treize  bâtiments,  et  Blake  n'en  avait  que  trente - 
sept.  Il  convoqua  à  son  bord  un  conseil  de  guerre,  pour 
donner  à  ses  capitaines  ses  instructions  plutôt  que  pour  les 
consulter,  car  il  était  décidé  à  combattre  ;  il  leur  commu- 
niqua sa  confiante  ardeur,  et  la  bataille  s'engagea  le  lende- 
main, avec  un  acharnement  égal  des  deux  parts.  Ce  fut 
une  série  de  combats  particuliers  dont  Ruyter,  Ewertz  et 
Tromp  pour  les  Hollandais,  et  Blake  pour  les  Anglais,  por- 
tèrent surtout  le  poids.  Blake  fut  quelque  temps  entouré 
par  plusieurs  vaisseaux  ennemis  qui  l'abordèrent  trois  fois, 
et  furent  trois  fois  repoussés;  sans  la  fidèle  opiniâtreté  de 
deux  de  ses  t>àtiments,  le  Saphir  et  le  Vunguard,  qui  ac- 
coururent et  se  dévouèrent  à  son  secours,  l'amiral  anglais 
aurait  succombé  sous  le  nombre  de  ses  ennemis.  Le  brouil- 
lard et  la  nuit  séparèrent  enfin  les  deux  escadres;  mais 
celle  de  Blake  était  hors  de  combat  ;  deux  de  ses  vaisseaux, 
la  Guirlande  et  la  Bonne- Aventure ,  après  la  plus  énergique 
résistance,  étaient  tombes  au  pouvoir  des  Hollandais;  plu- 
sieurs autres,  ravagés  dans  leur  mâture,  leurs  agrès,  leur 
équipage,  ne  pouvaient  plus  tenir  la  mer;  Blake  se  relira 
dans  les  eaux  de  la  Tamise  pour  remettre  ses  bâtiments  en 
état,  rappeler  à  lui  les  divisions  éparses  de  la  flotte,  et  at- 
tendre en  sûreté  leur  retour.  Tromp  se  promena  en  vain- 
queur dans  toute  la  Manche,  portant  un  balai  à  la  cime  de 
son  grand  mât,  et  bravant  ainsi  la  marine  anglaise  dans  ces 

'  Le  50  noveiiibre  16^2. 


ET  LES  PROVINCES-UNIES  (1652).  239 

mêmes  eaux  où  elle  se  prétendait  souveraine;  les  États  gé- 
néraux, plus  enorgueillis  encore  que  leur  amiral,  informè- 
rent officiellement  de  leur  victoire  les  puissances  étrangères, 
et  interdirent  toute  correspondance,  toute  communication 
avec  les  Iles  Britanniques,  se  croyant  assez  forts  pour  les 
mettre  ainsi  en  état  de  blocus  '. 

Blake  déclara  son  échec  sans  réserve,  avec  un  désinté- 
ressement ferme  et  triste  :  «  Je  suis  obligé,  écrivit-il  au  con- 
seil d'État  ^,  de  faire  connaître  à  Vos  Honneurs  qu'il  y  a  eu 
beaucoup  de  lâchetés,  non-seulement  parmi  les  bâtiments 
marchands,  mais  aussi  dans  plusieurs  des  vaisseaux  de 
l'État.  Je  vous  demande  instamment  d'envoyer  quelques 
personnes  pour  faire  une  enquête  impartiale  et  sévère  sur 
la  conduite  de  plusieurs  commandants,  afin  que  vous  sa- 
chiez quels  sont  ceux  à  qui  l'on  peut  et  ceux  à  qui  l'on  ne 
peut  pas  se  confier.  Il  sera  temps  ensuite  de  porter  remède 
à  quelques  autres  causes  du  mal,  notamment  au  petit  nom- 
bre et  au  découragement  des  matelots...  J'espère  que,  pour 
mon  propre  compte,  Vos  Honneurs  ne  trouveront  pas  inop- 
portun que  je  les  prie  de  vouloir  bien  penser  à  me  déchar- 
ger, moi  votre  serviteur  indigne,  d'un  fardeau  trop  grand 
pour  moi...  de  telle  sorte  que  je  puisse  passer  le  reste  de 
mes  jours  dans  la  retraite,  en  priant  le  Seigneur  de  répan- 
dre ses  bénédictions  sur  vous  et  sur  cette  nation.  »  Le  con- 
seil d'État  fit  tout  ce  que  demandait  Blake,  excepté  ce  qu'il 
demandait  pour  lui-même  ;  trois  membres  du  conseil  furent 
envoyés  à   bord  de  la  flotte,  et  soumirent  à  un  examen 


1  Robert  Blake,  p.  216-223;  —  Penn's  Meviorlnb,  I.  I,  p.  -iiiO-WO  ;  — 
Whitelocke,  p.  531;  —  Clareiuloii,  Hisl.  o/lhc  Hebellion,  I.  xiii,  c.  IM-ltiti; 
—  Lt  i^Xtrc,  Histoire  des  Provinces- Unies,  I.  Il,  p.  324;  —  Wlcqucloil, 
Histoire  des  Provinces- Unies,  t.  IV,  p.  350;  —  Vie  de  Ruyter,  p.  24  ;  — 
Heatli,  Chronicle,  p.  61 1 . 

*  Le  1"  décembre  1632. 


240  GUERRE  ENTRE  L'ANGLETERRE 

rigoureux  la  conduite  des  officiers  ;  plusieurs  furent  congé- 
diés, quelques-uns  même  arrêtés  ;  le  propre  frère  de  l'ami- 
ral, Benjamin  Blake,  soupçonné  de  quelque  négligence  dans 
son  devoir,  fut  cassé  et  mis  à  terre.  En  même  temps  tous 
les  bâtiments  disponibles  dans  les  ports  voisins  furent  re- 
quis de  rejoindre  la  flotte;  on  décida  que  les  équipages  et 
les  troupes  de  mer  seraient  portés  à  trente  mille  hommes  ; 
on  saisit  partout  les  matériaux  nécessaires  pour  l'armement 
et  la  réparation  des  agrès  ;  Monk  et  Dean  reçurent  ordre 
de  se  tenir  prêts  à  s'embarquer  pour  aller  prendre  leur 
part  de  la  responsabilité  comme  du  péril.  Quant  à  Blake 
lui-même,  le  conseil  d'État  lui  écrivit  que,  «  loin  d'ac- 
cueillir son  vœu  de  retraite,  il  lui  donnait  toutes  les  forces 
qu'il  avait  demandées,  et  le  laissait  libre  de  les  employer, 
dans  des  affaires  qu'il  connaissait  si  bien,  comme  il  le  juge- 
rait utile  pour  sa  propre  défense  et  pour  le  service  de  la 
République  ^  » 

Deux  mois  après  son  échec,  Blake  faisait  voile,  des  bou- 
ches de  la  Tamise,  avec  soixante  bâtiments  de  guerre  ;  les 
deux  marins  les  plus  expérimentés  de  son  pays,  Penn  et 
Lawson,  commandaient  ses  divisions  d'avant-garde  et  d'ar- 
rière-garde ;  il  avait  à  bord  deux  des  plus  vaillants  géné- 
raux de  l'armée  de  terre,  Monk  et  Dean  ,  avec  douze  cents 
hommes  de  troupes  éprouvées  ;  vingt  autres  bâtiments, 
venus  de  Portsmouth,  le  rejoignirent  dans  le  pas  de  Calais. 
C'était  la  flotte  la  plus  nombreuse,  la  mieux  armée  et  la  mieux 
commandée  qu'eût  mise  en  mer  la  République.  Blake  se  di- 
rigea vers  l'ouest  de  la  Manche,  plein  d'impatience  et  d'es- 
poir de  rencontrer  bientôt  l'ennemi;  il  savait  que  Tromp 
devait,  vers  cette  époque,  revenir  de  la  côte  occidentale  de 
France,  où  il  était  allé  chercher  un  riche  convoi  de  navires 

1  Penn's  Memorials,  l.  I,  p.  436-466  ;  -  Robert  Blake,  p.  225-228;  - 
W'Iiilelockc,  p.  351;  —  Jourmls  of  llie  Housc  ofcommons,  t.  VII,  p.  222. 


ET  LES  PROVlNCES-UiXIES  (1632).  241 

marchands  rassemblés  dans  les  eaux  de  l'île  de  Ré,  et  qu'il 
était  chargé  de  ramener  en  Hollande.  Le  18  février  1655, 
en  effet,  au  point  du  jour,  entre  le  cap  de  la  Hague  et  la 
presqu'île  de  Portland,  la  flotte  hollandaise  fut  signalée, 
et  Blake  lui-même  ,  de  son  vaisseau  amiral  le  Triom- 
phe, fut  l'un  des  premiers  à  la  voir  s'avancer.  Soixante  et 
quinze  bâtiments  de  guerre  et  deux  cent  cinquante  navires 
de  commerce,  voguant  sous  leur  escorte,  couvraient  au  loin 
la  mer.  Blake  avait,  en  ce  moment,  à  portée  de  lui  ses  deux 
vice-amiraux  Penn  et  Lawson,  mais  non  pas  toute  son  es- 
cadre ;  Monk  entre  autres  était  en  arrière  avec  une  division. 
Tromp  reconnut  la  supériorité  momentanée  de  ses  forces,  et 
donnant  l'ordre  à  son  convoi  de  se  mettre  à  l'écart,  il  réso- 
lut d'engager  sur-le-champ  le  combat.  Blake,  à  cet  instant 
même,  se  portait  sur  lui,  et  le  Triomphe  envoyait  au  Bre- 
derodessi  bordée.  Tromp  essuya  le  feu  sans  répondre;  mais 
lorsque  les  deux  vaisseaux  furent  à  portée  de  mousquet,  le 
liollandais  lâcha  à  l'anglais  sa  première  bordée,  puis,  virant 
de  bord,  la  seconde,  et  tout  à  coup  ,  rechargeant  ses  batte- 
ries et  tournant  autour  de  son  ennemi,  il  lui  envoya,  sur 
l'autre  bord,  une  troisième  bordée  qui  fit,  dans  les  agrès  et 
l'équipage  du  Triomphe,  les  plus  grands  ravages.  A  la  vue 
du  vaisseau  amiral  couvert  de  feu  et  de  débris,  le  vice-ami- 
ral Penn  se  porta  rapidement  à  son  aide  et  attaqua  Tromp  à 
son  tour.  Toute  l'escadre  anglaise  arriva  successivement,  et 
une  bataille  furieuse  s'engagea  de  toutes  parts.  Elle  dura 
tout  le  jour,  avec  des  alternatives  de  succès  et  de  revers  qui 
redoublaient  d'heure  en  heure  l'ardeur  des  combatlauls,  fai- 
sant tour  à  tour  espérer  de  part  et  d'autre  la  victoire. 
Tromp,  Ruyter,  de  Wildt,  Kruik,  Swers,  du  côté  des  Hol- 
landais, Blake,  Penn,  Lawson,  Barker,  du  côté  des  Anglais, 
firent  des  prodiges  de  bravoure  et  d'obstination.  Ruyter, 
entouré  par  les  Anglais  au  moment  où  il  venait  de  prendre 
i.  21 


2i2  GUERRE  ENTRE  L'ANGLETERRE 

à  l'abordage  un  de  leurs  vaisseaux,  fut  sur  le  point  de  tom- 
ber à  son  tour  entre  leurs  mains.  Aucun  des  vaisseaux  an- 
glais ne  souffrit  autant  que  celui  de  l'amiral  lui-même  ;  son 
capitaine  de  pavillon,  André  Bail,  et  son  secrétaire,  Sparrow, 
furent  tués  à  côté  de  lui  ;  plus  de  la  moitié  de  son  équipage 
tomba  sous  le  feu  des  Hollandais.  Blake  lui-même,  enfin, 
fut  grièvement  blessé  à  la  cuisse,  d'une  balle  qui  alla  tou- 
clier  encore,  derrière  lui,  le  général  Dean.  A  l'approcbe  du 
soir  cependant,  Blake,  se  croyant  en  possession  de  l'avan- 
tage, donna  ordre  à  quelques-uns  de  ses  bâtiments  de  se 
porter  vers  le  convoi  hollandais  et  d'empêcher  qu'il  ne 
s'échappât;  Trorap  s'aperçut  de  cette  manœuvre,  et  se  re- 
plia aussitôt,  avec  le  gros  de  son  escadre  ,  pour  couvrir  son 
convoi.  La  nuit  vint  et  suspendit  toute  action.  Le  lende- 
main, dès  que  le  jour  parut,  Tromp,  disposant  son  escadre 
de  façon  à  mettre  son  convoi  à  l'abri,  fit  voile  vers  le  pas  de 
Calais;  Blake  le  suivit  avec  tontes  ses  forces,  le  rejoignit 
vers  midi,  et  la  bataille  recommença  avec  la  même  fureur. 
Ruyter,  toujours  le  plus  hardi  et  le  plus  opiniâtre  des  Hol- 
landais, fut  encore  ce  jour-là  près  de  tomber  au  pouvoir 
des  Anglais,  et  ne  dut  son  salut  qu'à  la  vigilance  de  Trorap 
qui,  le  voyant  en  grand  péril,  le  fit  à  Tinstant  soutenir  et 
dégager.  Mais  les  efforts  de  l'amiral  hollandais  étaient  par- 
tagés et  divers;  il  fallait  qu'en  combattant,  il  protégeât  in- 
cessamment son  convoi,  et  se  rapprochât  peu  à  peu  des  côtes 
de  Hollande  pour  le  mettre  enfin  en  sûreté.  La  seconde 
journée  lui  fut  moins  heureuse  que  la  première;  quatre  ou 
cinq  de  ses  bâtiments  furent  pris  ou  détruits;  soit  animosité 
de  parti,  soit  faiblesse,  quelques-uns  de  ses  capitaines  lui 
firent  dire,  vers  le  soir,  qu'ils  n'avaient  plus  de  poudre  et 
ne  pouvaient  plus  prendre  part  au  combat;  il  leur  donna 
ordre  de  s'éloigner  pendant  la  nuit,  craignant  pour  le  len- 
demain une  trahison  ou  quelque  exemple  de  contagieuse 


ET  LES  PROVINCES-UNIES  (1652).  243 

lâcheté.  Blake  s'apercevant,  le  lendemain,  que  l'escadre  hol- 
landaise était  réduite  en  nombre  ,  reprit  aussitôt,  avec  une 
ardeur  nouvelle,  et  l'attaque  contre  Tromp  et  la  poursuite 
du  convoi.  Ni  l'habileté  ni  l'énergie  de  l'amiral  hollandais 
ne  faiblirent  un  instant  ;  il  combattait  toujours,  ralliant  à 
grand'peine  son  convoi  en  désordre  ,  et  se  retirant  succes- 
sivement le  long  des  côlcs  de  France  pour  regagner  celles 
de  son  pays.  Il  y  réussit  enfin  le  quatrième  jour,  k  force  de 
persévérance  intelligente  et  courageuse,  mais  après  avoir 
perdu,  selon  les  rapports  hollandais,  neuf  vaisseaux  de 
guerre  et  vingt-quatre  navires  marchands  ;  selon  les  rap- 
ports anglais,  dix-sept  bâtiments  de  la  première  classe  et 
plus  de  quarante  de  la  seconde.  Les  États  généraux ,  dans 
cette  épreuve,  se  montrèrent  dignes  d'être  si  bien  servis, 
car  ils  furent  justes  :  non-seulement  ils  témoignèrent  à 
Tromp,  Ruyter,  Ewcrtz  et  Fioritz  leur  reconnaissance; 
mais,  pour  leur  en  donner  une  marque  éclatante,  ils  leur 
firent  des  présents  auxquels  les  États  particuliers  de  la  Pro- 
vince de  Hollande  joignirent  aussi  les  leurs.  Le  Parlement, 
de  son  côté,  se  livra  ,  un  peu  bruyamment  |)eut-être,  aux 
transports  de  sa  joie  ;  non-seulement  il  adressa  aux  com- 
mandants de  l'escadre  des  remercîments  officiels,  et  prit  des 
mesures,  d'abord  par  voie  de  souscription,  puis  au  nom  de 
l'État,  en  laveur  des  familles  des  marins  et  des  soldats  qui 
avaient  succombé  dans  l'action  ;  mais  il  ordonna,  dans  toute 
la  République,  la  célébration  d'un  service  solennel  d'actions 
de  grâces;  partout  où  les  prisonniers  hollandais  débarcpifiicnl , 
on  les  mettait  en  marchesur  Londres,  escortés  par  des  déta- 
chements de  cavalerie,  et  dans  toutes  les  villes  qu'ils  traver- 
saient, les  eloehes  sonnaient  au  moment  de  leur  passage, 
pour  célébrer  une  victoire  qu'avait  précédée  une  inquiétude 
si  vive  et  qui  avait  coûté  tant  d'efforts  '. 
»  Wlijlelocke,  p.  551;  —  Robert  Blake,  p.  2ùO-2H;  — Parliam.  Jlist., 


2U  EFFETS  POLITIQUES 

Elle  était  à  la  fois  réelle  et  vaine  ;  c'était  une  vicissitude 
de  plus  dans  une  lutte  déjà  pleine  de  vicissitudes,  mais 
non  l'un  de  ces  triomphes  qui  vident  les  questions  et  déci- 
dent du  sort  des  États.  Victorieuses  naguère,  les  Provinces- 
Unies  étaient  maintenant  vaincues,  mais  point  abattues;  on 
apprit  bientôt  que,  dans  leurs  ports,  une  nouvelle  escadre 
se  préparait;  quel  que  fût  le  vainqueur,  la  guerre  ressor- 
tait, de  chaque  bataille,  plus  ruineuse  et  plus  acharnée. 

Les  puissances  catholiques  du  continent,  la  France  et 
l'Espagne  surtout,  assistaient  avec  une  secrète  satisfaction 
à  cette  lutte  ardente  des  deux  Républiques  protestantes 
auxquelles,  malgré  leurs  empressements,  elles  ne  portaient, 
au  fond,  que  méfiance  et  mauvais  vouloir.  Le  Parlement 
anglais  n'avait  su  ni  rester  vraiment  neutre  entre  les  cours 
de  Paris  et  de  Madrid,  ni  s'assurer,  par  un  choix  décidé, 
l'une  des  deux  alliances;  il  avait,  dans  son  indécision, 
penché  toujours  vers  l'Espagne  dont  la  politique  inerte  et 
en  déclin  ne  lui  pouvait  porter  aucune  aide  efficace,  et  il 
n'avait  témoigné  qu'une  froideur  hostile  à  la  France  dont 
l'activité  ambitieuse  et  la  force  ascendante  auraient  pu 
faire,  pour  lui,  un  utile  allié.  Les  deux  cours  restaient  im- 
mobiles, cherchant  bien  plutôt  à  envenimer  la  guerre  qu'à 
la  calmer.  De  leur  côté,  les  cours  protestantes  du  Nord,  le 
Danemark  et  la  Suède  entre  autres,  se  divisaient  entre  les 
deux  Republiques  rivales  ;  le  roi  de  Danemark,  Frédéric  III, 
après  avoir  fait  d'abord  à  Londres  des  avances  marquées, 
prenait  parti  pour  les  Provinces-Unies  auxquelles  le  liaient 
ses  intérêts  commerciaux  et  de  premiers  traités;  la  reine 
Christine  de  Suède  montrait  plutôt  quelque  faveur  pour  la 
République  britannique,  mais  sans  se  prononcer,  ni    lui 

t.  XX,  p.  HG-121;  —  Penn's  Mémorial  s,  t.  I,  p.  4.72-î8o  ;  —  Wicquefort, 
Histoire  des  Provinces-Unies,  t.  IV,  p.  356-53!»;—  Le  Clerc,  Histoire  des 
Provinces -Unies,  l.  II,  p  528-331;  —  Vie  de  Riiyter,  p.  28-32. 


DE  CETTE  GUERRE.  245 

prêter  aucun  appui.  L'arrogance  ambitieuse  et  impré- 
voyante du  Parlement  républicain  avait  porté  le  trouble 
dans  toutes  les  relations  extérieures  de  l'Angleterre,  pour 
la  jeter  dans  une  politique  qui  la  mettait  aux  prises  avec 
ses  amis  naturels  sans  lui  donner  nulle  part  des  alliés  '. 

Au  dedans,  cette  politique  imposait  à  la  nation  des 
cbarges  énormes,  et  au  gouvernement  nouveau  un  redou- 
blement de  tyrannie.  Il  fallait  maintenir  constamment  l'ar- 
mée sur  le  pied  de  guerre  pour  défendre  la  République 
contre  le  mauvais  vouloir  du  pays,  et  accroître  incessam- 
ment la  flotte  pour  défendre  le  pays  contre  l'étranger.  En 
décembre  1652,  le  Parlement  vota,  pour  cette  double 
dépense  pendant  l'année  suivante,  120,000  liv.  sterl.  (trois 
millions  de  francs)  par  mois,  dont  80,000  liv.  sterl.  pour 
l'armée,  et  40,000  pour  la  flotte;  cl  de  nouveaux  votes 
spéciaux  vinrent,  à  plusieurs  reprises,  dans  le  cours 
de  1653,  élever  ce  budget  reconnu  insuflisant.  Et  comme 
les  taxes  publiques,  bien  que  fort  aggravées,  ne  répondaient 
pas  à  de  telles  nécessités,  on  avait  sans  cesse  recours  soit  à 
de  nouvelles  ventes  des  domaines  de  la  couronne  et  de 
l'Eglise,  soit  à  de  nouvelles  confiscations  tantôt  du  revenu, 
tantôt  du  fonds  même  des  biens  des  royalistes  délinquants. 
En  novembre  1652,  le  Parlement  vota  que  les  parcs  et  les 
châteaux  de  Windsor  et  de  Hampton-Court,  Hyde-Park,  le 
parc  de  Greenwich,  et  Somerset-House  seraient  vendus,  et 
que  le  produit  en  serait  affecté  aux  dépenses  de  la  marine  ; 
des  bills  furent  aussi  proposés  pour  la  vente  des  forêts 
royales  et  même  de  quelques  cathédrales  qu'on  se  proposait 
de  démolir.  Plusieurs  de  ces  mesures  n'eurent  pas  de  suite 


'  Le  Clerc,  Histoire  des  Provinces-Unies,  t.  IF,  p.  326^327;  —  Wicqucforl, 
Histoire  des  Provinces-Unies,  t.  IV,  |).  3o3-3Gi;  —  Journals  of  the  Hou.sc 
ofcomtnons,  l.  VII,  p.  103,  lOi,  119,  133,  155,  157,  140, 182,  190,  191,  19i, 
203,  234. 

21. 


2^6  EFFETS  POLITIQUES  DE  CETTE  GUERRE. 

ou  furent  plus  tard  révoquées  ;  mais  les  confiscations  ou  les 
amendes  infligées  aux  royalistes  étaient  toujours  perçues 
avec  rigueur  ;  en  1651 ,  au  moment  où  les  négociations  avec 
les  Provinces-Unies  furent  rompues,  soixante  et  dix  Cava- 
liers riches  se  virent  condamnés  à  la  confiscation  de  tous 
leurs  biens,  réels  et  personnels;  dans  le  cours  de  l'année 
suivante,  au  milieu  des  exigences  de  la  guerre,  vingt-neuf 
autres  subirent  le  même  sort,  et  six  cent  quatre-vingt-deux 
autres  ne  furent  admis  à  racheter  leurs  biens  séquestrés 
qu'en  payant  à  la  République,  dans  l'espace  de  quatre  mois, 
le  tiers  de  la  valeur.  La  tyrannie  civile  se  chargeait  de 
pourvoir  aux  besoins  qu'une  mauvaise  politique  étrangère 
avait  créés  ' . 

Un  gouvernement  uni  et  incontesté  aurait  eu  grand'- 
peine  à  porter  longtemps  un  tel  fardeau.  Le  Parlement  ré- 
publicain, au  milieu  de  son  exaltation  fiévreuse,  était  faible 
et  chancelant,  car  de  violentes  dissensions  intérieures  le 
travaillaient,  et  Cromwell,  à  la  fois  puissant  et  oisif,  ne 
s'appliquait  plus  qu'à  exploiter  ses  fautes  et  à  miner  le  sol 
sous  ses  pas. 

'  Journals  of  the  House  of  commons,  l.  VI,  p.  60i;  t.  VII,  p.  160,  2H, 
212,  216,  222,  224  ;  -  Parliam.  Hisl.,  t.  XX,  p.  103,  113;  —  Scobell,  A 
collection  of  acts  and  ordinances,  etc.,  p.  136,  210. 


LIVRE  IV. 


Lutte  entre  le  Parlement  et  Cromwell.  —  Tentatives  pour  la  réduction 
de  l'armée.  —  Proposition  d'une  amnistie  générale  et  d'une  nouvelle  loi 
électorale.  —  Projets  de  réformes  civiles  et  religieuses.  —  Conver.'^aliou 
de  Cromwell  avec  les  principaux  chefs  du  l'arlemenl  et  de  l'armée.  — 
Pétition  de  l'armée  en  faveur  des  réformes  et  pour  la  dissolution  du 
Parlement.  —  Accusations  de  corruption  contre  le  Parlement.  —  Le 
Parlement  essaye  de  se  perpétuer  en  se  complétant  par  de»  élections 
nouvelles.  —  Urgence  de  la  situation.  —  Cromwell  chasse  le  Parlement. 


Le  9  septembre  1 651 ,  au  moment  même  où  le  Parlement 
envoyait  au-devant  de  Cromwell  quatre  de  ses  membres 
pour  lui  offrir,  sur  la  victoire  de  Worcesler,  les  plus  écla- 
tantes félicitations,  il  votait  que  les  charges  de  la  Républi- 
que seraient  promptement  allégées,  et  donnait  au  conseil 
d'État  et  au  comité  de  l'armée  l'ordre  de  lui  présenter  le 
tableau  de  toutes  les  forces  actuellement  sur  pied,  pour 
qu'il  en  pût  apprécier  la  nécessité  et  le  fardeau.  Dès  le  len- 
demain, quatre  mille  hommes  de  cavalerie  et  quatre  mille 
d'infanterie  furent  licenciés.  Six  jours  après ,  Cromwell, 
reprenant  son  siège  dans  la  Chambre,  y  recevait  les  remer- 
cîments  solennels  de  l'orateur,  un  don  en  terres  de 
4,000  liv.  sterl.  de  rente,  et  le  palais  de  Hiimpton-Court 
pour  résidence  ;  mais  en  même  temj)s  la  Chambre  renvoyait 
au  conseil  d'État  la  question  de  savoir  quelles  forces  de- 
vaient être  maintenues,  et  quinze  jours  après,  clic  ordon- 


2^8  LUTTE  ENTRE  LE  PAULEMENT 

nait  le  licenciement  de  cinq  régiments  d'infanterie  et  de 
trois  régiments  de  cavalerie,  la  réduction  d'un  grand  nom- 
bre de  garnisons,  et  la  fixation  de  l'armée  au  chiffre  total 
de  vingt-cinq  mille  hommes,  ce  qui  procurait  une  économie 
de  55,000  liv.  sterl.  par  mois  \ 

Ces  mesures  étaient  évidemment  commandées  par  l'inté- 
rêt public;  le  pays  succombait  sous  le  poids  des  impôts,  et 
la  victoire  devait  emporter  au  moins  une  partie  des  charges 
de  la  guerre.  Mais  à  côté  de  l'intérêt  public,  l'attitude  du 
Parlement  laissait  percer  d'autres  sentiments  et  d'autres 
motifs;  dans  son  empressement  à  licencier  des  soldats, 
c'était  surtout  un  rival  qu'il  voulait  abattre.  Tentative  pé- 
rilleuse, quelque  nécessaire  et  légitime  qu'elle  pût  être  : 
les  gouvernements  révolutionnaires  sont  mal  venus  à  briser 
l'épée  qui  leur  a  sauvé  la  vie;  le  service  est  si  grand  qu'ils 
ne  peuvent  ni  le  payer  ni  l'oublier,  et  leur  prévoyance  con- 
tre une  ambition  mal  satisfaite  passe  pour  de  l'ingratitude 
et  de  la  peur.. Aux  seuls  pouvoirs  fondés  par  le  droit  et  le 
temps  il  appartient  de  récompenser  et  de  désarmer  les 
grands  vainqueurs  sans  crainte  d'en  faire  des  maîtres. 

Cromwell  ne  fit  aucune  résistance,  ni  même  aucune 
objection;  la  mesure  était  trop  naturelle  et  d'une  nécessité 
trop  incontestable.  Il  était  d'ailleurs  bien  aise  du  licencie- 
ment des  régiments  de  milice  dont  les  habitudes  indépen- 
dantes et  l'esprit  plus  patriotique  que  militaire  lui  conve- 
naient peu.  Mais  trop  clairvoyant  pour  se  méprendre  sur 
les  vues  du  Parlement,  il  se  hâta  de  prendre  à  son  tour, 
contre  lui,  ses  précautions  et  sa  revanche.  A  son  instigation 
et  avec  son  appui,  deux  propositions,  toutes  deux  popu- 
laires dans  le  pays  quoique  auprès  de  partis  différents, 
furent  sur-le-champ  reprises  et  vivement  poussées  dans  la 

'  Journals  ofthçUousc  ofcommon^,i.  VM,  p.  It»,  18,  19, 


ET  CROMWELL  (1681-1635).  24î) 

Chambre  :  une  amnistie  générale  et  une  loi  d'élections 
destinée  à  régler  l'époque  de  la  dissolution  du  Parlement  et 
la  nomination  de  ses  successeurs.  Ni  Tune  ni  l'autre  de  ces 
propositions  n'était  nouvelle  ;  depuis  plus  de  deux  ans,  elles 
figuraient  au  nombre  des  questions  que  le  Parlement  an- 
nonçait l'intention  de  résoudre  et  dont  il  avait  l'air  de 
s'occuper.  Dès  le  25  avril  1649,  il  avait  décidé,  sur  le  rap- 
port direton.  qu'un  acte  d'amnistie  serait  préparé;  on  en 
avait  même  indiqué  les  bases;  et  cet  acte  rédigé  en  effet,  lu 
même  deux  fois  le  5  juillet  suivant,  avait  été  renvoyé  à  un 
comité  qui  devait  se  réunir  le  lendemain,  et  où,  depuis 
lors,  il  était  resté  enseveli.  Vers  la  même  époque,  le 
•15  mai  16i9,  un  comité  avait  été  chargé  de  préparer  une 
loi  pour  l'élection  des  Parlements  futurs.  Vane  fit,  à  ce 
sujet,  le  9  janvier  16o0,  un  long  rapport  où  les  bases  du 
nouveau  système  électoral  étaient  posées  ;  la  Chambredécida 
qu'elle  se  réunirait  une  fois  par  semaine  pour  le  discuter, 
et  dans  le  cours  des  années  1650  et  1631,  quarante-huit 
séances  furent  en  effet  tenues,  ou  du  moins  convoquées, 
dans  ce  dessein.  Mais  ni  l'amnistie  ni  la  loi  électorale  ne 
firent,  en  réalité,  aucun  progrès;  le  Parlement  n'était  sé- 
rieusement occupé  qu'à  se  maintenir  et  à  se  défendre  contre 
ses  ennemis.  Dès  que,  par  rinlluence  de  Cromwell,  les  deux 
mesures  eurent  été  remises  h  l'ordre  du  jour,  leurs  parti- 
sans ne  laissèrent  à  la  Chambre  point  de  relâche.  Repris  le 
17  septembre  1651  et  rapporté  le  27  novembre  suivant, 
l'acle  d'amnistie  fut  vivement  débattu  dans  seize  séances,  et 
adopté  enfin  le  24  février  1652,  avec  quelques  restrictions. 
On  en  était,  dans  le  pays,  si  vivement  préoccupé  qu'en  en 
ordonnant  la  publication,  la  Chambre  chargea  le  conseil 
d'État  de  veiller  à  ce  qu'il  ne  fût  pas  abusivement  et  fauti- 
vement réimprimé,  de  telle  sorte  qu'il  en  pût  résulter  quel- 
que inconvénient.  La  discussion  de  la   loi  électorale   fut 


250  LUTTE  ENTRE  LE  PARLEMENT  ET  CROMWELL. 
encore  plus  pressée  et  plus  chaude;  elle  occupa,  soit  le 
comité  chargé  de  rédiger  le. projet,  soit  la  Chambre  elle- 
même,  du  17  septembre  1651  au  18  novembre  suivant  ;  des 
convocations  expresses,  des  divisions  fréquentes  et  des  ma- 
jorités très-disputées  attestèrent  l'ardeur  des  esprits  comme 
la  gravité  de  la  question  ;  quarante-neuf  voix  seulement 
contre  quarante-sept  décidèrent  que  le  moment  était  venu 
de  fixer  un  terme  à  la  durée  du  Parlement  actuel;  et  dans 
tous  ces  votes,  on  rencontre  Cromwell  à  la  tète  des  plus  vifs 
partisans  de  la  dissolution.  Ils  l'emportèrent  enfin;  mais 
leur  triomphe  effectif  fut  renvoyé  à  une  longue  échéance  ; 
le  Parlement  vota  le  18  novembre  1651  qu'il  ne  siégerait 
pas  au  delà  du  3  novembre  1654.  Grâce  aux  victoires  de 
Cromwell,  la  guerre  civile  entre  le  Parlement  et  le  roi  avait 
cessé  ;  on  prétendit  assigner  une  durée  de  trois  ans  au  duel 
qui  s'engageait  entre  Cromwell  et  le  Parlement  '. 

Par  bon  sens,  non  par  modération  ou  patience  dons  le 
caractère,  Cromwell  savait  attendre;  il  appréciait  saine- 
ment, dans  chaque  circonstance,  ce  qui  était  possible,  et  il 
s'arrêtait  là,  quoique  ses  désirs  et  ses  menées  portassent 
bien  plus  loin.  Il  avait  réussi  à  faire  fixer  un  terme  à  la 
vie  du  Parlement;  il  ne  tenta  point  de  le  faire  rapprocher 
selon  son  gré.  Mais  des  moyens  détournés  s'offraient  à  lui 
pour  harasser  et  user  plus  vite  le  pouvoir  auquel  il  avait 
affaire  :  il  les  mit  en  œuvre,  tantôt  avec  un  emportement 
passionné,  tantôt  avec  une  astuce  profonde,  selon  ce  qu'in- 
diquait ou  permetlait  l'occasion. 

L'esprit  d'innovation  ne  se  bornait  pas,  à  celte  époque, 
en  Angleterre,  aux  seules  questions  de  gouvernement  cl 
d'ordre  politique;  il  pénétrait  aussi  dans  l'ordre  civil,  et 

»  Journals  ofthe  Housc  of  commons,  t.  VI,  p.  195,  250,  210,  ôii  ;  t.  VII, 
p.  19,  44,  96,  36,  37;  —  Mémoires  de  Ludlow,  t.  II,  p.  101. 


PROJETS  DE  RÉFORMES  (I6SM6S3).  2a I 

sollicitait,  dans  les  lois  et  la  procédure,  des  réformes  où  les 
intérêts  quotidiens  de  toute  la  population  étaient  engagés. 
Beaucoup  d'idées  fermentaient  à  cet  égard,  encore  obscu- 
res, vagues  et  incohérentes,  mais  toujours  puissantes  par 
les  rudes  besoins  auxquels  elles  répondent  et  les  perspecti- 
ves illimitées  qu'elles  entr'ouvrent.  Il  s'agissait  d'abolir  de 
lourds  impôts,  de  rendre  la  justice  prompte  et  peu  coû- 
teuse, de  simplifier  le  régime  de  la  propriété,  d'alléger  le 
poids  des  dettes,  de  lever  les  entraves  qui  gênaient  l'état 
des  personnes  ou  les  relations  communes,  de  satisfaire,  à 
meilleur  marché  et  avec  moins  d'embarras,  aux  nécessités 
de  la  vie.  Dans  les  classes  élevées  et  éclairées,  soit  égoïsme, 
soit  esprit  d'ordre  et  juste  intelligence  des  conditions  de 
rétat  social,  ces  idées  obtenaient  peu  de  crédit;  les  juris- 
consultes surtout  les  repoussaient  obstinément  et  ralliaient 
à  leur  résistance  des  intérêts  nombreux  et  respectables. 
Mais  au  sein  des  classes  inférieures,  les  niveleurs,  les  mys- 
tiques, les  esprits  honnêtement  rêveurs  ou  méchamment 
déréglés,  et  toute  cette  portion  du  peuple  en  qui  se  tien- 
nent de  si  près  les  sentiments  justes  et  les  mauvaises  pas- 
sions, les  instincts  pratiques  et  les  absurdes  chimères, 
accueillaient  avec  transport  l'espoir  de  telles  réformes  et  en 
réclamaient  à  grands  cris  l'accomplissement. 

En  matière  religieuse,  des  désirs  à  la  fois  ardents  et  con- 
fus, des  souffrances  vives  et  des  désordres  graves  susci- 
taient aussi  une  fermentation  continue.  L'Église  anglicane 
était  tombée  ;  plus  d'évêques,  plus  de  chapitres,  plus  d'éta- 
blissement ecclésiastique  officiel  et  exclusif.  Mais  la  nation 
anglaise  restait  passionnément  chrétienne;  il  lui  fallait  un 
culte  assuré,  des  pratiques  régulières,  une  prédication  assi- 
due de  l'Évangile.  Les  sectes  satisfaisaient,  pour  leurs 
adhérents,  à  ces  besoins  des  âmes  ;  mais  les  sectes  ne  for- 
maient qu'une  petite  minorité  ;  en  dehors  des  sectaires,  des 


2S2  PROJETS  DE  RÉFORMES  CIVILES 

catholiques  proscrits  et  des  incrédules  plus  nombreux  à 
cette  époque  qu'on  ne  le  croiL  communément,  était  la  masse 
de  la  population  désolée  et  indignée  tanlôt  de  manquer, 
pour  sa  foi,  de  ministres,  tantôt  de  se  voir  privée  de  ceux 
en  qui  elle  avait  confiance,  et  obligée,  par  dénûment  sinon 
par  contrainte,  d'en  écouter  d'autres  auxquels  elle  ne 
croyait  pas.  Les  presbytériens  s'étaient  offerts,  et  vers  la 
fin  de  iG49,  le  Parlement  les  avait  admis  à  organiser  leur 
établissement  ecclésiastique,  à  titre  d'Eglise  nationale  '  ; 
mais  ils  n'avaient  que  très-incomplétement  réussi,  car  ils 
passaient  pour  aussi  exclusifs,  aussi  lyranniques  qu'avait 
pu  l'être  l'Église  anglicane,  et  les  autres  sectes  dissidentes 
les  repoussaient  aussi  vivement  que  les  anglicans  eux- 
mêmes.  De  tout  cela  résultait,  en  fait  de  religion,  un  état 
tantôt  d'abandon  et  de  disette,  tantôt  de  persécution  et 
d'anarchie  qui  donnait  lieu  à  des  clameurs,  à  des  récrimi- 
nations, à  des  contestations,  à  des  plaintes,  toujours  adres- 
sées au  Parlement  comme  à  la  source  de  tous  les  maux  et 
de  tous  les  remèdes,  et  qu'il  ne  savait  ni  comment  étouffer, 
ni  comment  satisfaire. 

Sur  toutes  ces  questions  d'organisation,  civile  ou  reli- 
gieuse, Cromwell  n'avait  point  de  principes  arrêtés,  ni  de 
parti  pris;  nul  esprit  n'était  moins  systématique,  ni  moins 
gouverné  par  des  idées  générales  et  conçues  d'avance;  mais 
il  avait  un  vif  instinct  des  sentiments  et  des  vœux  popu- 
laires ;  et  sans  s'inquiéter  beaucoup  de  savoir  jusqu'à  quel 
j)oint  ils  étaient  légitimes  ou  possibles  à  satisfaire,  il  se  fai- 
sait hardiment  leur  patron  pour  s'en  faire  des  alliés.  Depuis 
longtemps  déjà  il  avait  entrevu  quelle  faveur  pouvait  s'at- 
tacher aux  idées  de  réforme  de  la  procédure  civile,  et  il 

1  Neal,  Hisl.  of  ihe  Puritans,  l.  III,  p.  2i8-250;  t.  IV,  p.  12-li; — 
Gninl,  A  summary  of  Ihe  hislory  of  the  English  Cliurch,  elc,  l.  il  , 
p.  413, 


ET  RELIGIEUSES  (16SI-1635).  253 

leur  avait  prêté  son  appui.  En  1650,  écrivant  au  Parle- 
ment après  la  victoire  de  Dunbar,  il  lui  disait:  »  Soulagez 
«  les  opprimés;  écoutez  les  gémissenients  des  pauvres  gens 
Il  qui  sont  en  prison  ;  consentez  à  réformer  les  abus  de 
«  toutes  les  professions;  s'il  y  en  a  une  qui  fasse  beaucoup 
Il  de  pauvres  pour  faire  quehiues  riches,  cela  ne  convient 
«c  pas  à  une  république  '.  »  Lorsque,  la  guerre  civile  ter- 
minée, il  vécut  oisif  à  Londres,  n'ayant  plus  à  s'occuper 
i|ue  de  ce  qui  se  passait  dans  le  public  ou  au  Parlement,  il 
devint  le  centre  de  tous  les  projets  de  ce  genre  et  l'espoir 
de  leurs  fauteurs  :  le  27  octobre  1651,  des  détenus  dans 
les  prisons  de  Londres  s'adressaient  à  lui,  disant  :  «  La 
ti  loi  est  le  sceau  de  la  servitude  normande;  les  prisons  sont 
u  des  sanctuaires  pour  les  riches  et  des  lieux  de  torture 
«t  pour  les  pauvres  qui  ne  peuvent  payer  les  avocats  ni  les 
«  geôliers  :  nous  prions  le  général,  aux  mains  duquel  l'épée 
«  a  été  mise,  de  nous  délivrer  de  l'oppression,  de  rendre 
«  à  la  nation  ses  lois  et  ses  libertés  fondamentales,  de  lui 
<i  procurer  une  représentation  nouvelle,  et  de  faire  en 
«i  sorte  que  les  pauvres  puissent  obtenir  justice  et  que  les 
u  arrestations  et  les  emprisonnements  soient  abolis.  »  Six 
semaines  après,  de  nombreuses  pétitions  arrivaient  des 
comtés,  adressées  aussi  au  général  et  à  ses  olTiciers,  et  leur 
demandant  «  l'abolition  des  dîmes,  de  l'excise,  et  de  tous 
«  les  abus  introduits  dans  l'administration  de  la  loi  et  de 
<'  la  justice  parla  multitude,  l'orgueil,  l'astuce  et  l'avidité 
«  des  avocats,  des  procureurs  et  des  grefïiers,  ce  qui  fait 
<i  que  les  |jauvres  habitants  des  canjpagncs  trouvent  le 
«  remède  pire  que  le  mal.  »  Le  mouvement  du  peuple,  à 
ce  sujet,  vers  l'armée  et  ses  chefs  était  tel  que,  sur  plusieurs 
points,  des  officiers  reçurent  de  leur  général  l'autorisation 

*  4  sseplembre  1630  :  Carlyle,  CromweWs  l.elkrs,  t,  II,  \>.  48. 


^U  CROMWELL  COiNFERE  AVEC  LES  CHEFS 

de  siéger  comme  juges,  et  de  prononcer  sur  des  procès,  ce 
qu'ils  firent  «  à  la  grande  satisfaclion  des  parties,  à  cause 
«  de  la  promptitude  de  leurs  jugements  *.  » 

Quand  il  s'agissait  de  religion  et  d'Église,  Cromwell  était 
un  peu  peu  plus  embarrasse,  car  il  avait  à  cet  égard,  non 
des  résolutions  intraitables,  mais  des  engagements  et  des 
alliés  dont  il  ne  voulait  pas  se  séparer.  Les  sectaires  pas- 
sionnés de  l'armée,  les  soldats  de  la  cinquième  monarchie, 
qui  devait  être  celle  de  Jésus-Christ,  avaient  fait  sa  force 
d'abord  contre  le  roi,  puis  contre  le  parti  presbytérien  dans 
le  Parlement;  il  savait  tout  ce  qu'on  pouvait  en  craindre  ou 
en  attendre;  par  leur  fidélité  militaire  et  leur  fanatisme 
mystique,  ils  étaient,  dans  un  moment  de  crise,  ses  plus 
nécessaires  et  plus  sûrs  instruments.  Il  maintint  soigneuse- 
ment avec  eux  son  intimité.  Mais  il  lui  fallait,  dans  l'ordre 
religieux,  une  influence  plus  élevée  et  plus  étendue;  il  la 
chercha  et  la  puisa  à  deux  sources,  la  prédication  régulière 
de  l'Évangile,  et  la  liberté  de  conscience  ;  il  se  fit  le  protec- 
teur déclaré  de  ces  deux  intérêts:  par  le  premier,  il  se  rat- 
tachait les  presbytériens  qui,  dans  la  ruine  de  l'Église  an- 
glicane, pouvaient  seuls  offrir,  en  grand  nombre,  au  pays 
des  ministres  instruits,  pieux  et  honorés  ;  au  nom  de  la 
liberté  de  conscience,  il  devenait  l'homme  nécessaire  à  tous 
les  persécutés,  même  aux  épiscopaux  et  aux  catholiques  à 
qui  la  libre  pratique  de  leur  foi  était  refusée,  mais  qui  se 
promettaient  de  lui  une  tolérance  tacite  et  un  secret  appui. 
Dans  tous  les  rangs  et  sous  tous  les  drapeaux  chrétiens,  il 
avait  ainsi  des  relations,  et  inspirait  des  espérances  qui  lui 
fournissaient  tantôt  des  griefs,  tantôt  des  armes  contre  le 
Parlement. 

11  ne  s'en  tint  pas  à  cette  guerre  sourde  et  aux  progrès 

1  Wliitelocke,p.  312,  317,519. 


DU  PARLE3IENT  ET  DE  L'ARJIEE.  2aj 

lents  qu'il  y  pouvait  fture  ;  il  était  plein  de  passion  autant 
que  lie  ruse,  et  pressé  de  porter  les  grands  coups,  dès  qu'ils 
étaient  possibles,  aussi  bien  qu'obstiné  à  poursuivre  obscu- 
rément son  dessein,  s'il  fallait  attendre  du  temps  les  occa- 
sions de  succès.  Il  voubit  savoir  avec  quelque  certitude  ce 
que  pensaient  les  hommes  dont  le  concours  lui  était  néces- 
saire, et  jusqu'à  quel  point  il  pouvait  compter  sur  leurs  dis- 
positions. Le  10  décembre  1651 ,  il  provoqua,  chez  l'orateur 
de  la  Chambre,  Lenlhall,  une  réunion  de  quelques  chefs  de 
l'armée  et  du  Parlement;  d'un  côté,  Fleetwood,  Desbo- 
rough,  Harrison,  \Yhalley,  ses  compagnons  de  guerre  et  de 
victoire  ;de  l'autre,  Whitelocke,  Widdrington,  Saint-John, 
Lenthall,  les  meneurs  civils  de  la  révolution  : 

<t  Maintenant  que  l'ancien  roi  est  mort  et  son  fils  défait, 
«i  je  crois  nécessaire,  »  ditCromwcll,  «  d'en  venir  à  fonder 
ti  un  gouvernement  stable  pour  la  nation.  J'ai  demandé 
«  cette  réunion  pour  que  nous  considérions  ensemble  ce 
<i  qu'il  convient  de  faire  et  ce  qu'il  faudra  proposer  au  Par- 
ti lement.  » 

l'orateuk  lenthall  :  «  Jlilord,  cette  réunion  s'est  em- 
«1  pressée  de  se  rendre  au  vœu  de  V.  E.,  et  il  est  très-néces- 
«!  saire  d'examiner  l'affaire  dont  vous  voulez  l'entretenir. 
K  Dieu  a  donné  à  nos  troupes,  sous  votre  commandement, 
«(  un  merveilleux  succès,  et  nous  serons  très-dignes  de 
<t  blâme  si  nous  ne  faisons  pas  servir  tant  de  grâces  à 
<(  quelque  solide  établissement,  pour  la  gloire  de  Dieu  elle 
<i  bien  de  cette  République.  » 

HAURisoN  :  «Ce  que  propose  le  lord  général,  c'est,  je 
<i  pense,  d'établir  une  forme  de  gouvernement  qui  assure 
«  nos  libertés  civiles  et  religieuses,  en  telle  sorte  que  les 
«  miséricordes  dont  le  Seigneur  nous  a  comblés  ne  soient 
«  pas  rejetées.  Comment  cela  peut  être  fait,  là  est  la  grande 
«  question.  » 


256  CROMWELL  CONFERE  AVEC  LES  CHEFS 

WHiTELOCKE  :  «i  C'cst  Une  grande  question,  en  effet,  cl  qui 
«I  ne  doit  pas  cire  brusquement  résolue  :  ce  serait  pitié 
«  qu'une  réunion  de  tant  de  personnes  capables  et  dignes 
«  demeurât  sans  résultat.  Je  demanderai  d'abord  huinble- 
«  ment  sur  quelle  base  on  veut  établir  cette  forme  de  gon- 
«  vernement,  et  si  l'on  veut  faire  une  républiciue  absolue, 
«  ou  bien  y  introduire  quelque  mélange  de  monarcbic.  )> 

CROMWELL  :  «  Milord  Wbitelocke  a  touché  le  vrai  point 
«I  de  la  question;  c'est  en  effet  ma  pensée  que  nous  consi- 
«  dérions  ce  qu'il  vaut  le  mieux  établir,  une  république  ou 
«  un  gouvernement  monarchique  mixte,  et,  si  l'on  y  fait 
«  entrer  quelque  chose  de  monarchique,  en  qui  sera  placé 
«1  ce  pouvoir.  " 

SIR  THOMAS  wiDDRiNGTON  :  «  Je  crois  qu'un  gouvernement 
«i  monarchiquemixtc  convient  mieux  aux  lois  cl  aux  mœurs 
«I  de  cette  nation  ;  et  si  nous  rétablissions  quelque  chose 
«1  de  monarchique,  je  crois  qu'il  serait  juste  de  remettre  ce 
«  pouvoir  à  l'.un  des  fils  du  feu  roi.  » 

LE  COLONEL  FLEETwooD  :  «  La  qucstiou  de  savoir  si  c'est 
«  une  république  absolue  ou  une  monarchie  mixte  qui  con- 
«1  vient  le  mieux  à  cette  nation,  ne  sera  pas  facile  à 
«<  décider.  » 

SAINT-JOHN  :  «  Le  gouvernement  de  cette  nation,  sans 
<i  aucun  pouvoir  monarchiciuc,  sera  très-diflicile  à  établir, 
«  de  façon  du  moins  à  ne  pas  ébranler  les  fondements  de 
«  nos  lois  et  des  libertés  du  peuple.  » 

LENTHALL  :  u  On  tombcra  dans  une  étrange  confusion  si 
•c  on  ne  met,  dans  le  gouvernement  de  cette  nation,  rien  de 
«1  monarchique.  » 

LE  COLONEL  DESBOROUGH  :  «  Jc  VOUS  prie,milord,  pourquoi 
«  cette  nation-ci  ne  pourrait-elle  pas,  aussi  bien  que  d'au- 
«  très,  se  gouverner  en  république?  >^ 

WHITELOCKE  :  «  11  y  a,  dans  le  tissu  des  lois  d'Angleterre, 


DU  PARLEMENT  ET  DE  L'ARMÉE.  2S7 

«  tant  de  pouvoir  et  de  pratiques  monarchiques  que,  pour 
«  fonder  ici  un  gouvernement  sans  quelque  mélange  de 
<i  monarchie,  il  faudrait  faire,  dans  nos  lois  et  nosprocé- 
«  dures,  des  changements  tels  qu'à  grand'peine  en  aurait- 
«  on  le  temps  et  qu'on  ne  saurait  prévoir  les  inconvénients 
«(  qui  en  résulteraient.  » 

LE  COLONEL  WHALLEY  :  •<  J'cntcuds  mal  les  questions  de 
<i  lois;  Riais,  à  mon  avis,  il  nous  convient  mieux  de 
«  n'avoir,  dans  notre  gouvernement,  rien  de  monaichiqiic  ; 
<i  si  nous  nous  décidions  à  avoir  un  monarque,  lequel 
«  prendrions-nous?  Le  fils  aîné  du  roi  nous  a  fait  la  guerre, 
(f  et  son  second  fils  est  également  noire  ennemi.  » 

SIR  T.  wiDDRiNGTON  :  »'  Mais  le  troisième  fils  du  feu  roi , 
«I  le  duc  de  Glocesler,  est  toujours  entre  nos  mains,  et  il 
«  est  trop  jeune  pour  avoir  porté  les  armes  contre  nous, 
Il  ou  pour  être  imbu  des  principes  de  nos  ennemis.  » 

wiiiTELOCKE  :  «  On  pourrait  assigner  au  fils  aîné  du  feu 
«  roi ,  ou  à  son  frère  le  duc  d'York,  un  cerlain  temps  pour 
«  qu'ils  vinssent  se  réunir  au  Parlement;  cl  on  pourrait 
«1  alors,  aux  conditions  qu'on  jugerait  convenables  et  effi- 
«  eaces  pour  assurer  nos  libertés  civiles  cl  religieuses , 
<i  instituer  avec  eux  une  forme  de  gouvernement.  » 

CROMWELL  :  «  Ceci  serait  une  affaire  d'une  difficullé  plus 
•1  qu'ordinaire  ;  mais  je  pense  vraiment  que,  si  nous  pou- 
«  vous  le  faire  avec  sûreté  pour  nos  droits  d'Anglais  et  de 
«  chrétiens,  une  forme  de  gouvernement  avec  un  peu  de 
«  pouvoir  monarcliiquc  serait  bien  utile  '.  » 

La  conversation  se  prolongea  sans  autre  résultat  que  de 
faire  entrevoir,  aux  hommes  importants  du  Parlement  et 
de  l'armée,  les  desseins  de  Cromwell,  et  à  lui-même  leurs 
dispositions.  11  vit  aussi  de  quel  danger  pouvait  être,  pour 

'  Whilelociic,  p.  516. 

22. 


238  REFORMES  TENTEES 

lui,  le  jeune  duc  de  Glocester,  présent  sur  le  sol  anglais  et 
sous  la  main  du  Parlement.  Quelques  mois  après,  le  gouver- 
neur du  prince,  M.  Lovel,  reçut  secrètement  l'avis  qu'il 
pouvait  demander  que  le  duc  de  Glocester  sortît  de  prison, 
et  fût  envoyé  en  Hollande  à  la  princesse  d'Orange,  sa  sœur. 
Il  l'obtint  en  effet  sans  peine,  avec  500  liv.  sterl.  pour  les 
frais  du  voyage,  à  la  condition  que  le  prince  s'embarque- 
rait dans  l'île  de  Wight  où  il  était  détenu,  et  ne  toucherait 
à  aucun  point  de  la  côte  d'Angleterre.  C'était  un  concurrent 
royal  éloigné,  sous  une  apparence  de  générosité  et  de  dou- 
ceur *. 

Les  chefs  républicains  du  Parlement  n'ignoraient  pas  des 
vues  et  des  menées  que  Cromwell  cachait  si  peu,  et  ils  fai- 
saient, pour  les  déjouer,  tous  leurs  efforts.  Depuis  longtemps 
déjà,  ils  avaient  essayé  de  donner  ou  de  faire  espérer,  aux 
désirs  de  réforme  qui  s'élevaient  de  toutes  parts,  quelque 
satisfaction.  Un  comité  avait  été  chargé  de  rechercher  quels 
changements  devaient  être  apportés  dans  les  lois  civiles,  et 
plusieurs  fois  le  Parlement  avait  recommandé  à  ce  comité, 
dont  le  travail  languissait,  une  assiduité  plus  efficace  ^. 
3Iais  ces  recommandations,  probablement  un  peu  molles, 
avaient  eu  peu  d'effet,  et  un  seul  résultat  important  était 
sorti  des  délibérations  du  comité;  il  avait  proposé  et  le 
Parlement  avait  adopté  '  un  acte  ordonnant  qu'à  l'avenir 
toutes  les  lois  et  toutes  les  procédures  devant  toutes  les 
cours  de  justice  seraient  rédigées  en  anglais,  non  plus  en 
français,  ni  en  latin;  et  pour  assurer  l'exécution  de  cette 
mesure  vraiment  populaire,  le  Parlement  était  entré  dans 
les  détails  les  plus  minutieux  *.  Quelques  abus  avaient  aussi 

'  Claiendon,  Hisl.  of  Ihe  Rébellion,  1.  xiv,  c.  8o-87 ;  —  Healh,  A  bricf 
Chronicle,  etc.,  p.  614. 

*  Journals  of  the  Ilouscof  commons,  t.  VI,  p.  280,  528,  485. 
'  Le  22  novembre  1650. 

*  Journals  oflhe  Uouse  of  commons,  t.  VI,  p.  487,  488,  490,  493,  500. 


PAR  LE  PARLEMENT.  23» 

été  réformés  dans  les  pratiques  de  la  cour  de  chancellerie, 
et  quelque  allégement  apporté  aux  frais  de  justice  '.  Mais 
soit  entêtement  de  profession,  soit  juste  crainte  des  entraî- 
nements d'innovation,  les  jurisconsultes,  qui  dominaient 
dans  le  comité,  y  avaient  combattu  presque  tous  les  plans 
des  novateurs,  et  il  était  retombé  dans  sa  langueur  quand 
la  lutte  entre  le  Parlement  et  Cromwell  vint  le  ranimer. 
Dès  qu'il  vit  Cromwell  rccbcrcher  cette  sorte  de  popularité, 
le  Parlement  ordonna  que  «  le  comité  pour  la  réforme  des 
«  lois  serait  remis  en  vigueur,  qu'il  siégerait  assidûment, 
«<  avec  pouvoir  de  faire  venir  devant  lui  toutes  personnes 
«(  et  apporter  tous  documents  dont  il  aurait  besoin  pour 
«  accomplir  son  œuvre,  et  qu'il  en  rendrait  compte  à  la 
«  Chambre  aussi  souvent  qu'il  le  jugerait  à  propos  -.  i> 
Mais  ce  n'était  encore  là  qu'une  promesse  déjà  renouvelée 
plusieurs  fois  et  toujours  demeurée  vaine;  on  sentit  le  be- 
soin de  faire  quelque  chose  de  plus  nouveau  et  qui  inspirât, 
aux  partisans  des  réformes,  plus  de  confiance.  On  décida 
qu'une  commission  serait  formée  de  personnes  étrangères 
à  la  Chambre,  qui  auraient  mission  de  rechercher  quels 
défauts  existaient  dans  les  lois  civiles,  quels  inconvénients 
en  résultaient,  quels  étaient  les  plus  prompts  moyens  d'y 
porter  reiiièdo,  et  qui  feraient  ensuite  connaître  leur  avis 
et  leurs  propositions  à  un  comité  du  Parlement  désigne 
pour  les  recevoir  ^.  Vingt  et  une  personnes,  presque  toutes 
considérables  par  la  qualité  ou  la  science,  furent  en  eflet 
choisies  pour  former  cette  commission,  et  le  célèbre  juris- 
consulte Matthieu  Haie  y  fut  appelé  le  premier  ^  Elle  s'oe- 


'  Journals  of  ihe  House  of  commons,  t.  VI,  p.  509,  523. 

*  Le  8  octobre  1651;  —  ibid.,  t.  VII,  p.  26. 

»  Le  26  décembre  1651  ;  ibid.,  t.  VII,  p.  58  ;  -    Whitclocke,  p.  519. 

*  Les  U  et  17  janvier  1652;  —  Journals  of  ihc  IIuusc  of  commons,  t.  VII, 
p.  71,94. 


260  PROJET  D'UNION  DE  L'ECOSSE 

cupa  des  plus  importantes  questions  de  la  législation  civile, 
des  mariages,  des  naissances  et  des  décès,  de  la  transmission 
des  propriétés  et  de  la  tenue  des  registres  publics  destinés 
à  la  constater,  des  droits  perçus  à  l'occasion  de  certaines 
transactions  ou  de  certains  actes;  et  sur  ces  divers  sujets, 
elle  prépara  des  projets  de  réformes  réservés  à  la  délibéra- 
tion du  Parlement,  et  dont  plusieurs  lui  furent  effective- 
ment soumis  par  Whitelocke  qui,  selon  sa  prévoyance  des 
chances  de  succès,  se  faisait  tour  à  tour  l'adversaire  ou  le 
rapporteur  des  innovations  ^  Un  travail  général  où  était 
résumée  toute  la  loi  civile,  c'est-à-dire  une  sorte  de  code 
civil,  fut  même  préparé  par  cette  commission  et  présenté  à 
la  Chambre,  qui  en  entendit  la  lecture  et  en  ordonna  l'im- 
pression, au  nombre  de  trois  cents  exemplaires  distribués 
aux  seuls  membres  du  Parlement  ^. 

En  matière  religieuse  aussi,  le  Parlement  eût  bien  voulu 
obtenir  quelque  popularité,  et,  comme  Cromwell,  se  faire, 
dans  les  croyances  diverses,  des  clients  et  des  amis.  Dans  le 
cours  de  l'année  1650,  il  avait  aboli  les  lois  rendues  sous 
la  reine  Elisabeth  pour  prescrire  l'uniforniité  de  foi  et  de 
culte  ^  ;  mais  en  même  temps  il  avait  maintenu  cl  même 
aggravé  la  proscription  des  catholiques,  ajouté  à  la  pro- 
scription des  catholiques  celle  des  épiscopaux,  et  promul- 
gué des  lois  nouvelles  contre  «  les  mauvaises  mœurs, 
«  les  pratiques  licencieuses  et  les  opinions  athées,  blasphé- 
«  matoires  et  exécrables  *  ;  »  voulant  ainsi  donner  à  la 
fois  satisfaction  aux  haines  religieuses ,  à  la  liberté  de 
conscience,  et  à  l'austérité  des  âmes.  Tâche  impossible  pour 

1  Les  19  el  25  mars  1652;  —  Journals  of  llic  IIousc  of  commons,  t.  VII, 
p.  107,  110. 

2  Les  19  cl  21  janvier  1633  ;  —  ibid.,  l.  Vil.  p.  2/<9,  250. 
s  Le  27  septembre  t650  ;  —  ibiU-,  t.  VI,  p.  474. 

*  Les  10  mai,  14  el  24  juin,  el  9  août  1650  ;  —  ibid.,  l.  VI,  p.  410,  423, 
430, 453. 


A  L'ANGLETERRE  (1651-1632).  261 

le  pouvoir  chargé  d'appliquer  tous  les  jours  toutes  les  lois, 
cl  qui,  même  aux  yeux  du  peuple  dont  elles  ont  adopté  les 
liassions,  porte  la  peine  de  leurs  inconséquences  et  de  leurs 
iniquités.  Cromwell,  attentif  à  se  tenir  en  dehors  du  gou- 
vernement, pouvait  protéger  tour  à  tour,  avec  plus  ou 
moins  de  réserve,  les  sectaires  de  toute  sorte,  les  épisco- 
paux,  les  catholiques,  même  les  esprits  libres  jusqu'à  la 
licence;  le  Parlement,  chargé  degouvcrncr,  se  faisait  taxer 
tantôt  de  dureté  en  les  réprimant,  tantôt  de  mollesse  en  les 
tolérant,  et  ne  créait  ainsi  que  des  mécontents  là  où  Crom- 
well recrutait  des  partisans. 

Les  esprits  élevés  et  fiers,  Vanc  surtout,  supportaient 
impatiemment  celte  situation  et  cherchaient  à  s'en  relever. 
Quelque  événement  ou  quelque  acte  considérable  pouvait 
seul  y  suffire;  il  leur  fallait  un  grand  succès  qui  ne  leur 
vint  pas  de  Cromwell.  Ce  fut  probablcmentlà  une  des  causes 
qui,  soit  réflexion,  soil  instinct,  les  poussèrent  dans  leur 
projet  d'union  intime  de  l'Angleterre  avec  la  Hollande,  et 
dans  la  guerre  que  cette  tentative,  en  échouant,  fit  éclater 
entre  les  deux  États.  Précisément,  vers  cette  époque,  une 
autre  perspective  s'offrit  à  eux  qui  ne  manquait  pas  de 
grandeur.  L'Ecosse  était  soumise.  Monk  la  gouvernait  eu 
soldat  rude,  mais  juste  et  sensé.  Argyle  seul  gardait  encore, 
dans  ses  domaines,  un  reste  d'indépendance,  sans  danger 
pour  les  vainqueurs.  Pourquoi  ne  pas  incorporer  l'Ecosse  à 
l'Angleterre?  La  Grande-JJretagne  ne  formerait  plus  qu'un 
seul  État  connue  une  scide  île,  et  la  Républitiue  aurait  la 
gloire  d'acc()mj)lir  ce  (juc  les  plus  grands  rois  d'Angleterre 
avaient  vainement  tenté.  Le  9  septembre  iObl,  six  jours  à 
peine  après  la  victoire  de  Worcester,  ce  dessein  apparut 
dans  le  Parlement;  et  avant  que  l'année  eût  atteint  son 
ternie,  il  était  transformé  en  une  déchwation  expresse  de 
l'entière  union  des  deux  pays,  et  huit  commissaires,  Vane 


262  PROJET  D'UNION  DE  L'ECOSSE 

et  Saint-John  à  leur  tète,  partaient  pour  l'Ecosse,  avec  des 
instructions  détaillées  pour  l'accomplir.  Ils  y  arrivèrent  le 
20  janvier  1652,  et  établirent  leur  résidence  près  d'Edim- 
bourg, à  Dalkeith,  où  ils  convoquèrent  des  délégués  de 
tous  les  comtés  et  bourgs  d'Ecosse,  pour  les  faire  consentir 
à  l'union.  L'entreprise  était  difficile,  et  sans  l'autorité  de 
Monk  et  de  ses  garnisons,  tout  le  savoir-faire  éloquent  de 
Vane  n'y  eût  probablement  pas  réussi.  Le  peuple  écossais 
s'indignait  à  l'idée  de  perdre  sa  nationalité  ;  le  clergé  pres- 
bytérien protestait  contre  toute  atteinte  à  l'indépendance 
de  son  Église  et  toute  acceptation  du  pouvoir  spirituel  du 
Parlement.  Les  vassaux  d"Argyle  n'obéirent  pas  aux  ordres 
des  commissaires  anglais.  Le  prévôt  d'Edimbourg  essaya 
vainement  d'engager  les  ministres  de  la  ville  à  prêcher  en 
faveur  de  l'union  ;  il  n'en  obtint  que  cette  réponse  :  «  Nous 
«  savons  mieux  que  le  prévôt  ce  que  nous  devons  prêcher.» 
Les  comtés  et  les  bourgs  qui  se  refusaient  à  envoyer  des 
délégués,  ou  dont  les  délégués  refusaient  d'accéder  à  l'union, 
perdaient  leurs  franchises;  et  pourtant,  selon  le  calcul  le 
plus  favorable  aux  Anglais,  vingt  comtés  et  trente-cinq 
bourgs  seulement,  sur  quatre-vingt-dix,  donnèrent  leur 
adhésion.  Mais  il  n'en  faut  pas  tant  à  la  force  victorieuse 
pour  proclamer  que  son  droit  est  reconnu.  Argyle,  sur  la 
promesse  que  ses  domaines  seraient  protégés,  et  qu'on  lui 
payerait  ce  qui  lui  était  dû,  consentit  enfin  à  traiter.  Vane 
retourna  à  Londres  \  au  nom  des  commissaires,  pour  rendre 
compte  au  Parlement  de  leur  succès  ;  il  fut  convenu  que 
vingt  et  un  délégués  d'Ecosse  y  viendraient  plus  tard  pour 
débattre  les  termes  définitifs  de  l'union,  et,  le  15  avriH6D2, 
sur  le  rapport  de  'Whitelocke,  au  nom  du  conseil  d'Etat,  un 
acte  fut  proposé  pour  décréter  l'abolition  de  la  royauté  en 

1  En  mars  1652. 


A  L'ANGLETERRE  (t6ol-16S2).  265 

Ecosse,  et  l'union  des  deux  pays  sous  la  seule  autorité  du 
Parlement,  dans  le  sein  duquel  un  certain  nombre  de  députés 
écossais  seraient  admis  \ 

Peu  de  semaines  après  ^,  soit  que  ce  succès,  bien  qu'ina- 
chevé, donnât  au  Parlement  plus  de  confiance,  soit  que  la 
nécessité  de  pourvoir  aux  dépenses  de  la  guerre  maritime 
avec  la  Hollande  lui  parût  une  occasion  favorable,  la  ques- 
tion de  la  réduction  de  l'armée  fut  reprise  ;  la  Chambre 
ordonna  que  «  le  conseil  d'État  conférerait  avec  le  lord 
«  général  et  toute  aulre  personne  qu'il  voudrait  appeler, 
«  pour  examiner  l'état  des  garnisons  et  des  forces  sur  pied 
«  en  Angleterre  et  en  Ecosse,  rechercher  comment  des  re- 
«  tranchements  considérables  y  pourraient  être  apportés 
«  sans  compromettre  la  sûreté  de  la  République,  et  en  faire, 
«  dans  huit  jours,  son  rapport  au  Parlement.  »  A  peine 
celte  décision  était  rendue  que  l'orateur  reçut  une  lettre  de 
Cromwell  qui  fut  lue  dans  la  Chambre  ;  elle  n'est  point  restée 
inscrite  dans  ses  registres  ;  mais  évidemment  elle  avait  trait 
aux  désirs  de  réduction  que  la  Chambre  venait  de  témoi- 
gner, et  douze  jours  après,  les  dépenses  de  l'armée 
d'Angleterre  et  dÉcosse  furent  votées  sans  aucune  ré- 
duction '. 

Le  Parlement  se  promit  et  parut  en  effet  obtenir,  quant 
à  l'armée  d'Irlande,  un  meilleur  succès.  Quoique  certains 
points  de  l'île  fussent  encore  dans  un  éfat  d'insurrection  ou 
du  moins  d'insoumission,  la  guerre  y  était,  à  vrai  dire, 
terminée  ;  toutes  les  places  de  quelque  importance  s'étaient 

1  Carlyle,  Cromivcll's  Lettcrs,  t.  II,  p.  i:iO-(D2  ;  —  Burnet,  Ilisl.  de  mon 
temps,  t.  I,  p.  t23,  129  ;  —  Monk,  élude  liislorique,  p.  39-42  ;  —  Joumals 
oflhe  Houseofcommons,  l.  VII,  p.  14,21,30,  31,  53,  85,96,  105,  110,  118, 
229  ;  -  Whilelocke,  p.  519,  521,  522,  5-25,  528,  529  ;  -  Balfour,  Annals  of 
Scotland,l.  IV,  p.  350  ;  —  Ludlow,  Mémoires,  t.  II,  p.  139. 

»  Les2G  mai  el  2  Juin  1632. 

2  JournaU  oflhe  Houseofcommons,  l.  VII,  p.  13C,  I3S,  130,  U2. 


264  CHOMWELL  S'EMPARE  DE 

rendues,  et  les  ennemis  de  la  Republique  n'y  tenaient  plus 
nulle  part  devant  ses  soldats.  Une  autre  opération,  plus 
cruelle  que  la  guerre,  commençait;  l'exjlropriation  et  la 
transplantation,  complètes  ou  partielles,  de  toute  la  popu- 
lation catholique  irlandaise,  pour  payer  d'abord  les  prê- 
teurs de  l'emprunt  contracté  en  1642  avec  les  confiscations 
d'Irlande  pour  gage,  ensuite  les  arrérages  dus  aux  soldats 
licenciés.  Une  telle  perspective  ne  pouvait  manquer  de 
rendre  la  réduction  de  celte  partie  de  l'armée  plus  fiicile. 
Cet  effroyable  remaniement  de  la  propriété  et  de  la  popu- 
lation une  fois  accompli,  le  PaVlement  se  proposait  d'in- 
corporer l'Irlande  à  l'Angleterre,  comme  TÉcossc,  en  lui 
faisant  aussi,  dans  l'assemblée  générale  investie  du  gouver- 
nement de  la  République,  une  petite  part;  et  il  espérait 
exercer,  dans  un  pays  où  il  disposait  ainsi  de  toutes  choses, 
une  prépondérance  décisive  ^. 

Mais  Cromwell,  toujours  habile  à  ne  rien  laisser  échapper 
de  ce  que  lui  offrait  la  fortune,  avait  trouvé,  dans  un  inci- 
dent frivole,  une  occasion  d'étendre  à  l'Irlande  son  influence, 
et  s'était  empressé  de  la  saisir.  Après  la  mort  d'Ireton  qui, 
sous  le  nom  de  lorJ  député,  commandait  en  Irlande  comme 
lieutenant  de  Cromwell,  encore  investi  du  titre  de  gouver- 
neur général  de  ce  royaume,  Lambert,  qui  servait  alors  en 
Ecosse,  fut  nommé  pour  le  remplacer,  sous  le  même  nom  et 
avec  les  mêmes  prérogatives.  Vain  et  fastueux,  il  quitta 
rÉcosse  en  toute  hâte  pour  jouir  de  ses  nouveaux  honneurs, 
et  fît  son  entrée  à  Londres  dans  un  équipage  magnifique 
qui  lui  avait  coûté,  dit-on,  5,000  liv.  st.  Peu  de  jours  après, 
lady  Lambert,  sa  femme,  aussi  vaine  que  lui,  rencontra 
dans  le  parc  de  Saint-James  la  veuve  d'Ireton,  Bridget,  fille 

1  Journals  of  Ihe  House  of  commons,  l.  VU,  p.  79,  123,  161,  229  ;  — 
Mémoires  de  Ludiow,  t.  Il,  passim  ;  —  Lelaiid,  hist.  of  Ireland,  I.  III, 
p.  387-597. 


L'INFLUENCE  EN  IHLANDE  (1652).  2C!i 

aînée  de  Cromwell,  et  prit  avec  éclat  le  pas  sur  elle.  Mal- 
gré sa  piété  et  sa  douleur,  lady  Treton  ressentit  amèrement 
cet  affront.  Fleetwood,  lieutenant  général  de  Cromwell  dans 
le  commandement  de  toutes  les  forces  de  la  République,  se 
trouvait  par  hasard  présent  ;i  cette  scène  ;  veuf  lui-même, 
il  offrit  à  lady  Ireton  d'abord  ses  condoléances  et  sa  sym- 
pathie, et  bientôt  sa  main.  Elle  l'accepta  sans  hésiter;  la 
femme  du  lieutenant  du  général  en  chef  devait  passer  par- 
tout avant  celle  du  lord  député  d'Irlande.  Ce  mariage  con- 
venait à  Cromwell  ;  FleetwooJ  appartenait  à  une  famille 
considérable  et  no  pouvait  manquer  d'être  un  gendre  utile. 
L'occasion  se  présenta  aussitôt  de  mettre  ce  nouveau  lien  à 
profit  :  le  brevet  de  Cromwell  comme  gouverneur  général 
d'Irlande  était  près  d"expirer  ;  on  en  proposa  à  la  Chambre 
le  renouvellement;  il  déclina  lui-même  cette  faveur  :  «  Il 
avait  déjà,  »  dit-il,  «  trop  de  pouvoir  et  d'honneurs.  »  La 
charge  de  lord  lieutenant  ou  gouverneur  général  d'Irlande 
fut  supprimée.  Celle  de  lord  député,  c'est-à-dire  délégué  du 
lord  lieutenant,  se  trouvait  dès  lors  sans  base;  on  offrit  à 
Lambert  un  autre  titre  et  diverses  compensations  :  mais  il 
ne  voulut  point  accepter  ce  qu'il  regardait  comme  une  dé- 
chéance, et  il  se  démit  de  son  office.  On  décida  alors  que  le 
général  en  chef  des  forces  de  la  République  nommerait  lui- 
même  au  commandement  des  forces  d'Irlande,  et  Cromwell 
y  nomma  Fleetwood.  Mais,  soigneux  de  panser  la  plaie 
qu'il  avait  faite,  il  s'appliqua  en  même  temps  et  il  réussit  à 
persuader  à  Lambert  que  le  mauvais  vouloir  du  Parlement 
lui  avait  seul  fait  enlever  ce  titre  de  lord  député  qu'il  eût 
été,  lui  Cromwell,  charmé  de  lui  conserver;  et  avec  une 
intelligence  profonde  de  la  bassesse  qui  peut  se  cacher  sous 
la  vanité,  il  exprima  aussi  à  Lambert  son  regret  des  dé- 
penses énormes  auxquelles  cette  courte  dignité  l'avait 
entraîné,  et  lui  demanda  la  permission  de  s'en  charger  ;  à 
1.  23 


2f.G  PÉTITION  DE  L'ARMÉE 

quoi  Lambert  consentit,  devenant  ainsi,  dans  sa  mésaven- 
ture, l'obligé  de  Cromwell,  qui,  du  même  coup,  fit  de  son 
gendre  le  commandant  de  l'Irlande,  et  de  l'homme  qu'on 
avait  quelquefois  essayé  de  lui  donner  pour  rival  dans  l'ar- 
mée, un  ennemi  ardent  du  Parlement  '. 

Il  excellait  à  pousser  vivement  ses  avantages.  La  Chambre, 
malgré  l'échec  qu'elle  venait  de  subir,  persistait  dans  son 
dessein  de  réduire  l'armée.  Cromwell  se  résolut  à  engager 
ouvertement  la  lutte  entre  l'armée  et  la  Chambre,  au  nom 
de  tous  les  griefs,  réels  ou  imaginaires,  de  tous  les  vœux, 
praticables  ou  chimériques,  qui  éclataient  dans  le  pays,  et 
auxquels  la  Chambre  promettait  sans  cesse  et  ne  donnait 
jamais  satisfaction.  Le  12  août  1652,  la  Chambre  ordonna 
au  conseil  d'État  de  lui  rendre  compte  sans  retard  de  ce 
qu'il  avait  fait  pour  préparer  la  réduction  des  divers  corps 
de  troupes,  spécialement  des  garnisons  de  Glocester, 
d'Exeter  et  de  Bristol.  Ce  même  jour,  un  conseil  général 
des  officiers  se  réunit  à  Whitehall;  et  dès  le  lendemain, 
six  des  principaux,  le  commissaire  général  Whalley,  les 
colonels  Hacker,  Barkstcad,  Okey  et  GotTe,  et  le  lieutenant- 
colonel  Worsley  se  présentèrent  au  Parlement  porteurs 
d'une  pétition  où  tous  ces  griefs,  tous  ces  vœux,  religieux 
et  civils,  étaient  résumés  en  douze  articles,  sans  violence, 
mais  en  termes  péremptoires,  et  finissant  par  insister  sur 
la  convocation  des  Parlements  futurs,  «  réglée  de  telle  sorte 
«  que  des  hommes  pieux  et  fidèles  aux  intérêts  de  la  Répu- 
«  blique  fussent  seuls  élus  ^.  » 

La  Chambre  ressentit  quelque  surprise  :  ou  avait  naguère 
employé  de  tels  procédés  contre  la  Couronne;  mais  depuis 

1  Liidlow,  Mémoires,  t.  II,  p.  181,-  Mislress  ttulchlnson,  Mémoires, t.  If, 
p.  240-245;  —  Whitelocke,  p.  523,  533,  536. 

*  Journals  of  Ihe  House  ofcommons,  t.  Vil,  p.  164  ;  —Whitelocke,  p.  941; 
—  Carlyle,  Cromwell's  LvUers,  t.  H,  p.  174. 


AU  PAULEiJlEiM  (12  août  1652).  267 

que  la  République  était  fondée,  l'armée  n'était  plus  inter- 
venue ainsi  dans  le  gouvernement.  Crorawell  lui-même  avait 
contribué  à  rassurer  le  Parlement,  car  sans  nul  souci  de  se 
contredire  et  de  se  démentir,  au  moment  même  où  il  exci- 
tait sous  main  les  officiers  à  le  presser  de  se  dissoudre,  il 
avait  paru  vouloir  les  détourner  de  cette  démarche,  et  s'était 
porté  garant  à  la  Chambre  que,  si  elle  leur  ordonnait  de 
briser  leurs  épées  et  de  les  jeter  à  la  mer,  ils  lui  obéiraient 
sur-le-champ  '.  La  pétition  fut  reçue  avec  de  grands  égards; 
on  la  renvoya  à  un  comité  spécial  qui  eut  ordre  d'en  exami- 
ner les  divers  points  et  de  rechercher  ce  qui  avait  déjà  été 
fait  et  ce  qu'il  y  avait  encore  à  faire  pour  y  donner  satisfac- 
tion. L'orateur,  au  nom  du  Parlement,  remercia  les  offi- 
ciers des  sentiments  qu'ils  y  exprimaient  et  de  leurs  soins 
vigilants  pour  les  intérêls  publics.  Mais  après  ces  démonstra- 
tions officielles,  les  principaux  membres  de  la  Chambre 
témoignèrent  sans  réserve  leur  mécontentement  d'une  dé- 
marche et  d'un  langage  «  si  inconvenants,  pour  ne  pas  dire  si 
Il  arrogants,  de  la  part  des  chefs  de  l'armée  envers  le  Par- 
u  lement,  leur  maître.  »  —  «  Prenez  garde,  »  dit  White- 
locke  à  Croniwell,  <t  à  cette  façon  de  faire  ainsi  pétitionner 
te  les  officiers,  l'épée  à  la  main  ;  quelque  jour,  cela  pourrait 
<i  bien  s'adresser  à  vous.  »  Mais  Cronnvell  traita  légèrement 
celte  inquiétude;  nul  ne  se  préoccupait  moins  des  embar- 
ras que  pourrait  lui  attirer  un  jour  le  succès  ^. 

Environ  six  semaines  après,  rencontrant  un  soir  Wbitc- 
locke  qui  se  pronienait  dans  le  parc  de  Saint-James,  Croin- 
well  l'aborda  «  avec  une  courtoisie  plus  qu'ordinaire,  >•  et 
l'emmenant  à  l'écart  : 

«  Milord  Whilelocke,  »  lui  dit-il,  «'  je  sais  votre  fidélité  à 

'   LuJIow,  Mémoires,  i.l\,  p.  191-193. 

2  Journals  of  Ihv  llouse  of  communs,  t.  VII,  p.  Itii  ;  -  Wliilclockc, 
p.  541. 


268  CONVERSATION  DE  CRORIWELL 

«  la  bonne  cause  dans  laquelle  je  suis  engage,  ainsi  que  nos 
«  autres  amis  ;  je  connais  aussi  voire  excellent  jugement  et 
•t  votre  amitié  particulière  pour  moi;  je  désire  m'entendre 
«c  avec  vous  sur  les  importantes  affaires  de  notre  situation 
«i  actuelle.  » 

WHiTELOCKE  :  «  V.  E.  mc  connaît  depuis  longtemps,  et  ne 
«  dira  pas,  j'espère,  qu'Elle  niait  jamais  trouvé  manquant 
«  de  fidélité  ou  d'affection  pour  sa  personne.  Vos  faveurs 
(t  envers  moi  et  vos  services  publics  méritent  bien  plus 
M  que  je  ne  saurais  faire.  Vous  ne  vous  trompez,  per- 
K  mettez-moi  de  le  dire,  que  sur  un  seul  point,  sur  mon 
«  faible  jugement  qui  n'est  pas  en  état  de  rendre  aucun 
«  service  considérable,  soit  à  vous,  soit  à  celte  Répu- 
u  bliquc.  Cependant  je  suis  prêt  à  faire  tout  ce  qui  sera 
«  en  mon  pouvoir  pour  vous  servir  promptement  et  fidè- 
«1  lement.  » 

CROMWELL  :  "  Je  ne  puis  avoir  et  je  n'ai  aucun  doute  sur 
«  voire  fidélité  ;  je  connais  votre  bienveillance  poui-  moi,  et 
«  vos  talents  pour  le  service  de  la  République;  assez  d'au- 
.1  Ires  pourraient  les  attester.  Je  crois  que  nous  sommes, 
Il  vous  et  moi,  aussi  engagés  que  nuls  autres  envers  cette 
«  République,  et  certes  jamais  elle  n'eut  plus  besoin  de 
Il  bons,  fermes  cl  sincères  conseils.  » 

WHITELOCK.E  :  'i  Pcrsounc,  jc  pense,  ne  pcul  parler  de  ce 
Il  qu'il  a  fait  i)0ur  cette  cause  au  moment  où  Ton  parle  de 
((  ce  qu'a  fait  V.  E.  Cependant  peu  d'iiorames  s'y  sont  cnga- 
«1  gés  plus  que  je  ne  l'ai  fait  à  mon  [)oste  et  dans  la  mesure 
<i  de  ma  capacité  ;  et  même  à  part  votre  bon  naturel  et  la 
.1  connaissance  que  vous  avez  de  moi,  il  y  a  là  de  quoi 
u  mettre  ma  fidélité  à  l'abri  de  tout  soupçon.  » 

CROMWELL  :  >t  Je  voudrais  qu'il  n'y  eût  pas  plus  de  soup- 
«  çons  à  concevoir  sur  d'autres  que  sur  vous;  je  vous  con- 
<(  fierais  volontiers  ma  vie  et  nos  plus  secrètes  affaires.  C'est 


AVEC  WHITELOCKE  (^ovEMBUE  16o2).  269 

«i  pour  cela  que  j'ai  dcsirc  m'enlretcnir  en  particulier  avec 
«  vous.  El  vraiment,  niilord,  nous  avons  lieu  de  réfléchir 
tt  sur  la  dangereuse  condition  où  nous  sommes  tous  et  sur 
«1  les  moyens  de  mettre  à  profit  les  grâces  et  les  succès  que 
ti  Dieu  nous  a  accordés.  Au  lieu  de  nous  en  laisser  dépouil- 
«  1er  comme  des  sots ,  et  de  nous  mettre  nous-mêmes  en 
»i  pièces  par  nos  discordes  intérieures  et  nos  animosités 
«1  mutuelles,  il  faut  que  nous  unissions  nos  conseils,  nos 
<i  bras  et  nos  cœurs  pour  faire  fructifier  ce  que  nous  avons 
«t  si  chèrement  acheté  par  tant  de  hasards,  de  trésors  et  de 
«i  sang;  le  Seigneur  ne  nous  a  pas  donné  une  victoire  com- 
«  plète  sur  nos  ennemis  pour  que  nous  nous  perdions  par 
«  nos  querelles  particulières,  et  pour  que  nous  nous  fas- 
te sions  nous-mêmes  le  mal  que  n'ont  pu  nous  faire  nos 
«  ennemis.  » 

WHITELOCKE  :  «  Il  cst  vrai,  milord;  je  regarde  nos  dan- 

«  gers  actuels  comme  plus  grands  que  ceux  (lue  nous  avons 

«  jamais  courus  sur  le  champ  de   bataille;  comme  le  dit 

«  V.  E.,  nous  travaillons  à  nous  détruire  nous-mêmes,  ce 

a  que   n'ont  jamais   pu  faire  nos    ennemis.   Il  n'est  pas 

«  étoimant  qu'une  vaillante  armée  comme  la  vôtre,  après 

«  avoir  pleinement  dompté  ses  ennemis,  se  livre  à  des  fac- 

«  tiens  et  à  des  desseins  ambitieux  ;  je  m'étonne  bien  ]>lutôt 

«  que  des  officiers  d'un  esprit  si  actif,  maintenant  oisifs,  et 

a  qui  souvent  croient  leurs    services  mal   récompensés  , 

«  n'éclatent  pas  en   rébellion   ouverte.   Les  soldats  aussi, 

o  n'ayant  rien  à  faire  ,  doivent  tomber  aisément  dans  le 

«  désordre.  C'est,   après  Dieu,  votre  excellente  conduite, 

«  milord,  qui  les  a  si  longtemps  contenus  dans  la  disci|)line 

«  et  les  a  empêchés  de  se  mutiner.  » 

CROMWELL  :  «  J'ai  employé  et  j'emploierai    foui  ce  que 

a  peuvent  mes  pauvres  elforts    pour    les  maintenir   dans 

tt  l'ordre  et  l'obéissance.  » 

23. 


270  COiNVEUSATlOK  DE  CUOMWELL 

WHITELOCRE  :  «  V.  E.  l'a  fait  jusqu'ici  d'une  manière  ad- 
«  mirable.  » 

CROMWELL  :  «  Vraiment  Dieu  m'a  abondamment  béni  en 
a  ceci,  et  j'espère  qu'il  continuera.  Comme  V.  E.  la  très- 
«  bien  observé,  les  officiers  de  l'armée  sont  enclins  aux  fac- 
«  tions  et  aux  murmures  quand  ils  voient  qu'ils  n'obtien- 
«  nentni  les  profits,  ni  l'avancement,  ni  les  emplois  qu'on 
«  accorde  à  des  gens  qui  n'ont  rien  souffert  ni  rien  risqué 
a  pour  la  République.  En  cela  ils  n'ont  que  trop  raison,  et 
«  leur  irritation  est  très-grande,  et  leur  influence  sur  les 
«  soldats  pousse  ceux-ci  à  des  mécontentements  et  à  des 
«  murmures  semblables.  Quant  aux  membres  du  Parle- 
«  ment,  l'armée  commence  à  les  prendre  en  grand  dégoût; 
«  je  voudrais  qu'elle  en  eût  moins  de  motifs;  mais  vérita- 
«  blemcnt  leur  orgueil,  leur  ambition,  leur  ardeur  avide 
«  à  envahir,  pour  eux  et  pour  leurs  amis,  toutes  les  places 
«  honorables  et  lucratives,  les  retards  qu'ils  apportent  aux 
«  affaires,  leur  dessein  évident  de  se  perpétuer  au  pouvoir, 
«  leur  intervention  continuelle  dans  des  questions  d'intérêts 
«  privés,  ce  qui  est  contraire  à  l'institution  des  parlements, 
ic  leur  injustice  et  leur  partialité  dans  ces  matières,  et  la 
«  vie  scandaleuse  de  quelques-uns  des  principaux  d'entre 
«  eux,  tout  cela,  milord,  donne  aux  gens  troj)  juste  sujet 
«  de  mal  parler  d'eux  et  de  les  prendre  en  dégoût.  Et 
«  comme  ils  sont  le  pouvoir  suprême  de  la  nation,  n'ayant 
«  aucun  compte  à  rendre  à  personne,  et  ne  rencontrant 
«  aucune  autorité  supérieure  ou  égale  à  la  leur,  pour  con- 
«  trôier  ou  régler  leur  conduite,  ils  ne  peuvent  être  contc- 
«  nus  dans  les  limites  de  la  justice,  de  la  loi  et  de  la  raison, 
«  en  sorte  que,  s'il  ne  s'établit  quelque  pouvoir  assez  fort 
«  et  assez  haut  pour  mettre  un  terme  à  ces  excès,  et  tenir 
«  toutes  choses  en  meilleur  ordre,  il  sera  humainement 
«  impossible  de  prévenir  notre  ruine.  » 


AVEC  WHITELOCKE  (novembre  16a2).  271 

WHiTELOCKE  :  «  Je  reconnais  que  le  péril  où  nous  mettent 
«i  ces  pouvoirs  excessifs  et  désordonnés  est  plus  grand 
«  qu'on  ne  l'appréhende  communément.  Cependant,  en  ce 
«  qui  louche  les  soldais,  l'auloi  ilé  de  V.  E.  suffit  pour  les 
«  maintenir  dans  l'obéissaiicc,  et  Dieu  merci,  vous  l'avez 
•(  fait  jusqu'à  présent,  et  je  ne  doute  pas  que,  par  votre  sa- 
«  gesse,  vous  ne  le  fassiez  encore.  Quant  aux  membres  du 
«  Parlement,  la  grande  difficulté  est  là,  j'en  conviens;  c'est 
a  d'eux  que  vous  tenez  votre  commission  ;  ils  sont  reconnus 
«  comme  le  pouvoir  suprême  de  la  nation,  sans  contrôle  et 
«  sans  appel.  Il  en  est  trop  parmi  eux,  je  l'avoue,  qui 
«  méritent  les  reproches  que  vous  leur  adressez,  et  beau- 
«(  coup  de  choses  très-inconvenantes  se  sont  passées  là  ; 
«  pourtant  je  suis  sûr  que  V.  E.  ne  les  regarde  pas  tous 
«  comme  dépravés,  et  j'espère  bien  de  la  plupart  d'entre 
«  eux  quand  les  choses  en  viendront  à  une  crise.  » 

CBOMWELL  :  «  Milord,  il  y  a  bien  peu  à  espérer  d'eux  pour 
ti  un  bon  établissement  de  gou\cniement.  Non,  vraiment, 
•1  il  n'y  a  rien  à  espérer;  il  y  a  bien  plutôt  à  craindre  qu'ils 
«  ne  détruisent  te  que  Dieu  a  fait  pour  nous  et  pour  eux. 
«  Nous  oublions  Dieu;  Dieu  nous  oubliera  et  nous  livrera 
«  à  la  confusion;  et  ces  gens-là  nous  y  jetteront,  si  on 
«(  les  laisse  suivre  leurs  propres  voies  ;  il  faut  aviser  à 
«  quelque  moyen  de  les  réj)rimer,  ou  bien  ils  nous  per- 
"  dront.  » 

WHITELOCKE  :  «  C'cst  nous  mèmcs  qui  les  avons  reconnus 
>(  pour  pouvoir  suprcuie  ;  nous  tenons  d'eux  nos  commis- 
«  sions  et  nos  fonctions  les  plus  élevées;  il  est  malaisé, 
«  après  cela,  de  trouver  un  moyen  de  les  réprimer.  >« 

CROMWEi.L  :  «  Eh  quoi  donc?  si  un  homme  prenait  sur  lui 
«I  d'être  roi  ?  » 

WHITELOCKE  :  «  Jc  crois  que  le  remède  serait  pire  que  le 
Il  mal.  » 


272  CONVERSATION  DE  CttOMVVELL 

ciiOMWtLL  :  Il  Pourquoi  le  croyez- vous?  i 

WHiTELOCivE  :  «  Pour  vous  personnellement,  milord,  le 
«  tilre  de  roi  ne  vous  serait  d'aucun  avantage.  En  ce  qui 
"  louche  raniicc  et  la  milice,  ^ous  avez,  comme  gênerai, 
«  la  plénitude  du  pouvoir  royal.  Quant  à  la  nomination  des 
<i  officiers  civils,  ceux  que  vous  désignez  sont  bien  rare- 
•1  ment  refusés.  Vous  n'avez  pas,  il  est  vrai,  en  matière  de 
«  lois,  le  vole  négatif  ;  mais  il  ne  serait  pas  aisé  de  faire 
>(  passer  ce  qui  vous  déplairait.  Les  inipôts  sont  établis,  et 
<i  vous  disposez  de  l'argent  qu'ils  produisent.  Quant  aux 
<(  affaires  étrangères,  bien  que  pour  la  forjne  on  s'adresse 
Il  au  Pailement,  c'est  de  V.  E.  seule  qu'on  attend  le  bon  ou 
«  le  mauvais  succès  des  négociations,  et  les  sollicitations 
«  des  ministres  étrangers  ne  vont  qu'à  vous.  Selon  moi, 
B  vous  êtes  donc,  comme  général,  avec  moins  de  haine,  de 
«I  danger  et  de  pompe,  aussi  puissant  et  aussi  bien  placé 
i'  pour  faire  le  bien  que  si  vous  aviez  pris  le  titre  de 
Il  roi.  i> 

CROMWELL  :  «  J'ai  entendu  dire  à  quelques  personnes  de 
«  votre  profession  que,  si  un  homme  est  effectivement  roi, 
«  soit  par  élection,  soit  par  droit  de  naissance,  tous  les 
<i  actes  qu'il  fait  comme  roi  sont  légaux  et  justifiés  en  droit, 
u  comme  s'ils  émanaient  d'un  roi  qui  aurait  reçu  la  cou- 
«1  ronne  de  ses  frères;  et  cela  en  vertu  d'un  acte  du  Parle- 
«I  ment  du  temps  de  Henri  VII  ;  il  y  a  donc  plus  de  sûreté 
«(  pour  ceux  qui  agissent  au  nom  d'un  roi,  quelle  que  soit 
(i  l'origine  de  son  tilre,  que  pour  ceux  qui  agissent  au  nom 
v  de  tout  autre  pouvoir.  Le  pouvoir  d'un  roi  esi  d'ailleurs 
»(  si  grand  et  si  élevé,  et  si  universellement  compris  et  res- 
«  peclé  de  toute  cette  nation,  que  non-seulement  il  couvre 
«  ceux  qui  agissent  en  son  nom,  mais  que,  dans  des  temps 
«  comme  les  nôtres,  il  est  d'un  usage  et  d'un  avantage  im- 
«  menses  pour  dompter  les  insolences  et  les  extravagances 


AVEC  WHITELOCKE  (NovEMBac  16b2).  273 

«  de  gens  que  les  pouvoirs  actuels  ne  sauraient  contenir, 
<i  surtout  quand  ils  sont  eux-mêmes  les  extravagants  et  les 
«  insolents.  » 

WHITELOCKE  :  «i  Je  conviens  qu'en  principe  ce  que  V.  E. 
«  vient  de  rappeler,  quant  au  litre  de  roi,  est  vrai  ;  niais, 
•'  malgré  l'acte  du  Parlement  de  la  onzième  année  de 
«  Henri  VII,  je  doute  beaucoup  que,  dans  l'état  actuel  des 
«i  choses,  il  y  ait,  soit  pour  V.  E.  elle-même  et  ses  amis, 
«1  soit  pour  la  République,  aucun  avantage  à  prendre  ce 
u  litre;  nos  ennemis,  s'ils  l'cmporlaicnt  sur  nous,  feraient 
«  peu  de  cas  de  l'acte  de  Henri  VII.  » 

CROMWELL  :  u  Quel  danger  voyez-vous  donc  à  prendre  ce 
u  titre?  i> 

WHITELOCKE  c  «  Le  voici.  Un  des  principaux  sujets  de  dé- 
ti  bat  entre  nous  et  nos  adversaires,  c'est  de  savoir  si  le 
«1  gouvernement  de  cette  nation  sera  établi  en  monarcbie 
«  ou  en  république.  La  plupart  de  nos  amis  se  sont  engagés 
«1  avec  nous  dans  l'espérance  d'arriver  à  l'établissement  de 
«c  la  République,  et  c'est  pour  cela  qu'ils  ont  affronté  tant 
Il  de  difficultés  et  de  périls.  Ils  sont  persuades  (bien  qu'à 
«i  mon  avis  ils  se  trompeni)  que,  sous  une  république,  ils 
«i  jouiront  de  plus  de  droits  et  de  libertés,  civiles  et  spiri- 
ti  tuelles  ,  qu'ils  ne  feraient  sous  une  monarchie  dont  les 
>i  pratiques  oppressives  sont  encore  fraîches  dans  leur  nié- 
«  moire.  Si,  maintenant,  V.  E.  prend  le  titre  de  roi,  il  n'y 
«I  aura  jjIus  d'incertitude  sur  la  nature  de  notre  cause  :  la 
ti  monarchie  sera  établie  dans  votre  personne,  et  la  qucs- 
«  lion  ne  sera  plus  de  savoir  si  notre  gouvernement  sera 
«t  républicain  ou  monarclii(iue,  mais  si  noire  monarque 
•(  sera  CromAvcll  ou  Stuart.  La  question,  qui  était  nalio- 
«I  nale,  deviendra  purement  personnelle  ;  le  parti  de  la 
<i  République,  qui  est  très-considérable,  voyant  ses  espé- 
«  rances  frustrées,  vous  abandonnera  ;  vous  vous  trouverez 


•ili  COiN VERSAT JON  DE  CUOMWELL 

«  affaibli,  votre  influence  restrcinle,  et  votre  cause  en  dan- 
<i  ger  évident  de  ruine.  » 

CROMWELL  :  ic  Vous  dites  vrai  en  ceci  ;  mais  quel  autre 
«  moyen  avez -vous  à  proposer  pour  remédier  à  nos  embar- 
<i  ras  et  à  nos  dangers  ?  » 

WHITELOCKE  :  <i  C'cst  bien  difficile.  Cependant  il  m'est  venu 
«  à  ce  sujet  bien  des  idées,  dont  quelques-unes  ne  pour- 
«  raient  guère  être  communiquées,  du  moins  avec  sûreté 
«  pour  moi.  » 

CUOMWELL  :  «'Je  vous  prie,  railord,  quelles  sont  ces  idées? 
u  Vous  pouvez  me  les  confier  :  il  n'en  résultera  pour  vous 
ti  aucun  inconvénient.  Je  ne  Irabirai  jamais  mon  ami;  vous 
»i  pouvez  être  aussi  libre  avec  moi  qu'avec  votre  propre 
«  cœur.  )> 

WHITELOCKE  :  «i  Je  n'hésite  pas  à  mettre  ma  fortune  et  ma 
«  vie  entre  les  mains  de  V.  E.,  et  c'est  en  effet  ce  que  je 
«  ferai  si  je  vous  couimunique  ces  idées  qui  ont  peu  deva- 
«  leur  et  pourraient  bien  vous  déplaire.  Vraiment,  ce  que 
«  j'ai  de  mieux  à  faire,  c'est  de  les  supprimer.  » 

CROMWELL  :  ti  Non,  je  vous  en  prie,  milord  Whitelocke; 
«i  quelles  qu'elles  soient,  ces  idées  ne  peuvent  m'offenser  et 
t'  je  les  prendrai  bien  de  vous  :  ne  les  cachez  pas  à  votre 
'i  fidèle  ami.  » 

WHITELOCKE  :  «  V.  E.  m'honorc  là  d'un  titre  qui  est  bien 
«  au-dessus  de  moi;  puisque  vous  me  l'ordonnez,  je  vous 
«  dirai  ce  que  je  pense;  mais  je  vous  supplie  humblement 
«  de  ne  pas  le  prendre  en  mauvaise  part.  » 

CROMWELL  :  <i  Soyez  tranquille,  je  le  prendrai  en  bonne 
«  part.  » 

WHITELOCKE  :  <(  Permettcz-moi  donc  de  considérer  d'a- 
<i  bord  la  situation  de  V.  E.  Vous  êtes  entouré  d'ennemis 
«secrets;  depuis  que  vous  avez  vaincu  l'ennemi  public, 
R  les  officiers  de  votre  armée  se  tiennent  tous  pour  des 


AVEC  WIIITELOCKE  (novembue  1032).  27:i 

«t  vainqueurs  et  veulent  avoir  une  égale  part  avec  vous 
«(  dans  la  victoire.  Le  succès  que  Dieu  nous  a  donne  a  enflé 
«i  leurs  cœurs  ;  il  y  a,  parmi  eux,  des  esprits  turbulents, 
«(  qui  ne  sont  pas  sans  nourrir  le  dessein  de  jeter  bas  V.  E., 
«  et  de  se  mettre  eux-mêmes  en  selle  h  sa  place.  Le  conseil 
«  et  rencouragcment  ne  leur  manqueront  pas  de  la  part  de 
«  certains  membres  du  Parlement  jaloux  de  votre  grandeur 
«  et  qui,  craignant  que  vous  ne  deveniez  leur  maître,  com- 
«1  ploieront  pour  vous  renverser,  ou  du  moins  pour  vous 
«  rogner  les  ailes  » 

CROMWELL  :  (i  Je  vous  remercie  d'examiner  avec  tant  de 
«  soin  ma  situation  :  c'est  une  preuve  de  votre  amitié  pour 
«  moi,  et  vous  Tavez  très-bien  décrite.  Mais  je  puis  dire 
«  sans  vanité  que  dans  ma  situation  est  enveloppée  aussi  la 
<(  vôtre,  et  celle  de  tous  nos  amis,  et  que  les  gens  qui  com- 
«  plotent  ma  ruine  ne  seraient  guère  disposés  à  vous  main- 
«  tenir  dans  une  fortune  digne  de  vous.  La  cause  publique 
<i  d'ailleurs  peut  avoir  elle-même  à  souffrir  de  nos  disscn- 
<i  sions  intérieures.  Mais,  enfin,  quelles  sont  vos  vues, 
«1  monsieur,  pour  prévenir  les  maux  suspendus  sur  nos 
«  têtes  ?  n 

WHiTELOCKE  :  '(  Pardouncz-moi ,  monsieur,  si  j'en  viens 
•1  à  considérer  la  situation  du  roi  des  Écossais.  Par  votre 
«  valeur,  par  les  succès  que  Dieu  a  donnés  au  Parlement  et 
«  à  votre  armée,  ce  prince  est  maintenant  réduit  très-bas. 
«(  Lui-même  et  tous  ceux  qui  l'entourent  ne  peuvent  être 
«  que  très-disposés  à  prêter  l'oreille  à  tout  ce  qui  leur 
«  rendra  quelque  espoir  de  retrouver,  lui  sa  couronne,  eux 
.1  leurs  biens  et  leur  patrie.  Vous  pouvez,  par  un  traité 
<(  particulier,  vous  mettre  en  parfaite  sûreté,  vous,  vos 
«  amis  et  leur  fortune  ;  vous  pouvez  vous  rendre,  vous  et 
«c  votre  postérité,  aussi  grands,  selon  toutes  les  probabilités 
.1  humaines,  que  l'ait  jamais  été  aucun  sujet.  Vous  pouvez 


276  3IENEES  DE  CROMWELL 

«  assigner  au  pouvoir  monarchique  des  limites  qui  garan- 
«  tissent  nos  libertés  civiles  et  religieuses;  vous  pouvez 
<i  mettre  notre  cause  à  l'abri  de  tout  péril  en  retenant,  pour 
«  vous  et  pour  la  personne  que  vous  désignerez  après  vous, 
«  le  commandement  de  l'armée.  Je  propose  donc  à  V.  E. 
u  d'envoyer  vers  le  roi  des  Écossais,  et  d'entrer  avec  lui 
«  dans  un  traité  particulier.  Je  vous  demande  pardon  de 
<(  ce  que  je  viens  de  vous  dire  ;  c'est  un  pur  effet  de  mon 
Il  attachement  et  de  mon  désir  de  servir  V.  E.,  ainsi  que 
«  tous  les  honnêtes  gens,  et  je  vous  prie  très-humblement 
«  de  n'en  concevoir  aucune  méfiance  sur  ma  fidélité  éprou- 
«  vée  envers  V.  E.  et  cette  République.  » 

CROMWELL  :  «  Je  n'ai,  je  vous  assure,  pas  la  moindre 
«  méfiance  de  votre  fidélité  et  de  votre  attachement 
ti  pour  moi  et  pour  cette  République.  II  y  a  beaucoup 
«  de  bonnes  raisons  en  faveur  de  ce  que  vous  proposez  : 
Il  mais  c'est  une  affaire  si  grave  et  si  difficile  qu'il  y  faut 
<i  plus  d'examen  et  de  discussion  que  nous  ne  pouvons 
Il  y  en  apporter  aujourd'hui.  Nous  en  reparlerons  plus 
<!  tard  ^ .  » 

Cromwell  pouvait,  à  son  gré,  quand  le  tour  ne  lui  en 
plaisait  pas,  ajourner  une  conversation  avec  Whitelocke, 
jnais  non  pas  la  situation  même  que  révélaient  et  qu'aggra- 
vaient, entre  le  Parlement  et  lui,  de  telles  confidences:  c'é- 
tait la  guerre,  et  l'une  de  ces  guerres  qui  n'admettent  plus 
de  paix.  Malgré  l'hypocrisie  des  relations  personnelles  et  du 
langage,  elle  fut,  de  ce  jour,  déclarée  et  active.  Irrité  et  pa- 
ralysé à  la  fois  par  les  menées  de  son  ennemi,  le  Parlement 
portait,  dans  les  affaires  publicpies,  le  sentiment  de  son 
propre  péril  et  les  précautions  de  sa  défense  personnelle. 
Jamais  il  n'avait  montré  tant  d'empressement  à  donner  sa- 

»  Wliilclocke,  p,  Ul-US. 


CONTRE  LE  PARLEMENT.  277 

tisfaction  aux  vœux  du  pays  ;  la  réforme  des  lois,  le  souln- 
gemcnt  des  pauvres,  les  mesures  nécessaires  pour  assurer 
partout  la  prédication  de  l'Évangile  et  le  sort  de  ses  minis- 
tres, toutes  les  questions  populaires,  civiles  ou  religieuses, 
furent  l'objet  de  discussions  et  de  délibérations  répétées; 
les  grands  actes  politiques  propres  à  relever  le  pouvoir, 
comme  l'union  de  l'Ecosse  avec  l'Angleterre,  le  règlement 
des  affaires  d'Irlande ,  les  nécessités  de  la  guerre  avec  les 
Provinces-Unies,  étaient  incessamment  à  l'ordre  du  jour; 
le  Gouvernement  cherchait  partout  un  peu  de  faveur  ou 
d'éclat.  Mais  la  plupart  de  ces  tentatives  n'aboutissaient 
point  ;  les  débats  se  prolongeaient  ou  se  renouvelaient  in- 
définiment ;  les  conférences  et  les  rapports  des  comités  se 
multipliaient  sans  résultat;  des  résolutions  qui  semblaient 
définitives  étaient  révoquées  ou  remises  en  doute.  Le  Par- 
lement était  évidemment  en  proie  à  une  perplexité  continue 
qui  en  même  temps  le  poussait  à  redoubler  en  tous  sens  ses - 
efforts  et  les  frappait  de  stérilité. 

Cromwell,  de  son  côté,  n'était  pas  exempt  de  trouble  et 
d'hésitation  :  il  avait,  tantôt  avec  ses  officiers  seuls,  tantôt 
avec  eux  et  des  membres  du  Parlement,  ou  même  avec  des 
ecclésiastiques,  presbytériens  ou  autres,  qu'il  consultait 
comme  sur  un  cas  de  conscience,  de  fréquents  entretiens 
où  il  s'efforçait  de  les  amener  à  ses  vues;  mais  il  rencontrait 
quelquefois  des  résistances  aussi  franches  que  ses  propres 
paroles  étaient  indiscrètes  et  emportées.  Dans  l'une  de  ces 
conférences,  le  docteur  Edward  Calamy,  prédicateur  cher  à 
la  Cité,  combattit  vivement  le  système  d'un  pouvoir  unique 
comme  illégitime  et  impraticable  :  «  Pour  illégitime,  non,» 
dit  Cromwell,  «  car  le  salut  du  peuple  est  la  suprême  loi  ; 
«  et  pourquoi  impraticable,  je  vous  prie?— Parce  que  c'est 
«  contre  le  vœu  de  la  nation,  »  répondit  Calamy;  «  neuf 
«  hommes  sur  dix  seront  contre  vous. —Mais  si  je  désarme 
1.  2i 


278  MAUVAISE  SITUATION 

«  les  neuf,  et  si  je  mets  lYpée  dans  la  main  du  dixième,  est- 
«  ce  que  l'affaire  ne  sera  pas  faite  ^  ?  »  Ces  hardiesses  d'un 
vainqueur  tant  de  fois  éprouvé  entraînaient  la  plupart  des 
assistants,  mais,  en  effrayaient  aussi  quelques-uns.  Les  sec- 
taires passionnément  mystiques,  Hnrrison  à  leur  tête,  appar- 
tenaient à  Cromwell  ;  le  Parlement  n'était,  à  leurs  yeux, 
qu'un  pouvoir  profane  qui  tenait  la  place  du  gouvernement 
de  Christ,  seul  roi  légitime,  et  ils  attendaient,  de  la  piété 
(le  Cromwell,  l'avènement  du  règne  des  saints,  et  de  sa 
vaillance,  la  chute  de  l'Anteclirist,  c'est-à-dire  du  pape  et 
des  Turcs.  Les  esprits  libres,  les  politiques  mondains  com- 
prenaient que  la  lutte  entre  leur  général  et  le  Parlement  ne 
pouvait  se  prolonger  et  que  le  moment  approchait  d'en 
finir.  De  nombreuses  lettres  arrivèrent  des  officiers  de 
l'armée  d'Ecosse,  promettant  à  l'armée  d'Angleterre  leur 
adhésion.  Dans  l'armée  d'Irlande,  les  dispositions  étaient 
moins  unanimes  ;  Ludlow,  qui  n'avait  pas  cessé  d'y  servir 
avec  éclat,  y  exerçait  une  grande  influence,  tout  employée 
à  entretenir  l'esprit  républicain.  Trois  officiers,  le  colonel 
Venables,  le  quartier-maître  général  Downing  et  le  major 
Streater,  se  rendirent  à  Londres  pour  s'opposer  aux  des- 
seins qu'ils  entrevoyaient.  Cromwell  gagna  ou  fit  taire  Ve- 
nables et  Downing;  mais  Streater  tint  bon,  et  alla  jusqu'à 
dire,  dans  une  conférence  «  que  le  général  cherchait  sa 
«  propre  grandeur,  ce  qui  était  trahir  leur  glorieuse  cause 
«  pour  laquelle  tant  de  sang  avait  été  répandu.  »  Harrison 
repoussa  cette  accusation,  disant  «  qu'il  était  sûr  que  le 
«c  général  ne  sccherchait  point  lui-même  et  nevoulaitqu'ou- 
u  vrir  la  voie  au  règne  de  Christ.  )>  —  «  Eh  bien  !  )>  reprit 


»  Forsler,  Slalesmen  of  the  Commonwealth ,  l.  V,  p.  52  ;  —  fJfe  of  Oliver 
Cromtvelli^':  édil.,  Londres,  1743),  p.  223;  -  Neal,  Hisl.  of  the  Purilani, 


t  IV,  p.  374. 


DU  PAHLEMEPST.  £79 

Streater,  »'  que  Christ  vienne  avant  Noël,  sans  quoi  il  vien- 
<i  dra  trop  tard  ' .  » 

Le  péril  n'était  pas  si  pressant  que  Streater  le  pensait; 
Cromwell  savait  sentir  les  obstacles  et  prendre  du  temps 
pour  les  surmonter  :  au  milieu  de  cette  lutte  si  chaudement 
engagée,  et  sans  doute  pour  la  ralentir  en  calmant  un  peu 
les  soupçons,  il  cessa  tout  à  coup  de  s'opposer  à  la  nouvelle 
réduction  de  l'armée  qu'il  avait  fait  repousser  cinq  mois 
auparavant;  et  le  1^"'  janvier  1635,  de  concert  entre  le  Par- 
lement et  le  général,  cette  réduction  fut  en  effet  ordonnée, 
licenciant  environ  trois  mille  hommes  d'infanterie,  mille 
cavaliers,  une  partie  de  quelques  garnisons,  et  retranchant, 
sur  les  charges  de  la  République,  10,000  liv.  sterl.  par 
mois  ^. 

Cromwell  pouvait  faire  à  la  Chambre  ce  sacrifice;  elle 
avait  déjà  reçu  de  lui,  et  surtout  d'elle-même  et  du  temps, 
les  coups  sous  lesquels  elle  devait  succomber.  Depuis  plus 
de  douze  ans,  entier  ou  mutilé,  ce  Parlement  gouvernait, 
responsable,  aux  yeux  de  l'Angleterre,  des  événements 
comme  de  ses  actes,  de  ce  qu'il  n'avait  pas  prévu  comme 
de  ce  qu'il  avait  voulu ,  de  ce  qu'il  n'avait  pas  empê- 
ché comme  de  ce  qu'il  avait  fait.  Non-seulement,  dej)uis 
/  douze  ans,  le  Parlement  gouvernait,  mais  il  avait  at- 
tiré à  lui  tous  les  pouvoirs  ;  il  traitait  et  décidait  seul 
d'une  multitude  de  questions  qui,  avant  lui,  auraient  appar- 
tenu à  la  couronne  ou  à  ses  agents,  aux  magistrats,  aux 
autorités  locales  ;  les  confiscations,  les  séquestres,  les  ventes 
des  domaines  royaux  ou  ecclésiastiques,  les  contestations 
qui  s'élevaient  à  ce  sujet,  les  nominations  aux  emplois,  la 
conduite  de  la  guerre  de  terre  et  de  mer,  toute  l'adminis- 

'  Forster,   Staksmcn  of  Ihc  CommonwcaUh,  t.  V,  p.  44  ;  —  The  Life  of 
01.  Cromioell,  p.  228  ;  —  Whitelockc,  p.  553. 

*  Journals  of  ihc  I/ouse  ofcommons,  l.  Vil,  p.  211. 


280  ACCUSATIONS  DE  CORRUPTION 

tration  comme  tout  le  gouvernement  révolutionnaire  étaient 
dans  les  mains  du  Parlement,  chargé  ainsi  d'un  nombre 
infini  d'intérêts  privés  aussi  bien  que  des  intérêts  publics. 
Les  journaux  de  la  Chnmbre  font  foi,  à  chaque  page,  de 
cette  monstrueuse  concentration  d'affaires  de  tout  genre 
débattues  et  résolues  chaque  jour  soit  par  la  Chambre  elle- 
même,  soit  par  ses  comités  :  à  tel  point  que,  de  temps  en 
temps,  la  Chambre  était  obligée  de  décider  que,  pendant 
une  ou  deux  semaines,  clic  laisserait  de  côté  toutes  les 
affaires  particulières  pour  ne  s'occuper  que  de  celles  du 
pays  '.  Confusion  déplorable,  où  le  Parlement  perdait  non- 
seulement  son  temps,  mais  sa  vertu  :  ni  le  bon  sens,  ni 
rhoimêteté  de  la  plupart  des  hommes  ne  résistent  à  cette 
épreuve  prolongée  du  pouvoir  au  sein  du  chaos  ;  les  abus, 
les  vexations,  les  malversations,  les  transactions  illégitimes 
naissaient  et  se  multipliaient,  comme  un  fruit  naturel  d'une 
telle  situation;  et  le  Parlement,  maître  absolu  de  la  for- 
lune  et  du  sort  de  l'État,  [)assa  bientôt  pour  un  foyer  d'ini- 
quité et  de  corruption. 

Adressée  aux  régions  hautes  de  la  Chambre,  l'accusation 
était  injuste  :  ses  chefs  politiques,  Vane,  Sidney,  Ludlow, 
Hulchinson,  Harrington,  étaient  des  hommes  d'une  haute 
intégrité,  passionnés  pour  leur  cause,  mais  dégagés  de  tout 
autre  intérêt  que  le  triomphe  de  leur  cause  et  de  leur  pas- 
sion. La  cause  même,  quoique  peu  sensée  et  antipathique 
au  pays,  était  noble  et  morale;  les  principes  qui  y  prési- 
daient étaient  la  foi  dans  la  vérité,  l'estime  affectueuse  de 
l'humanité,  le  respect  de  ses  droits,  le  désir  de  son  déve- 
loppement libre  et  glorieux.  Mais  dans  les  rangs  secondai- 
res, et  pourtant  actifs,  du  parti,  chez  un  grand  nombre  de 

'  Journals  of  ihe  IIousc  of  commons,  I.  V[  el  VII ,  passim  ;  — Whitelocke, 
p.  5i)i. 


CONTRE  LE  PARLE3IE1NT.  281 

membres  soit  du  Parlement,  soit  des  comités  locaux  qui  le 
servaient,  et  sous  l'empire  soit  des  mécomptes  politiques 
soit  des  tentations  personnelles,  l'cgoïsme  avide,  l'esprit  de 
licence  ou  d'indifférence,  le  dédain  ou  le  doute  pour  la  jus- 
tice et  la  probité,  avaient  fait  de  tristes  progrès,  et  susci- 
taient des  désordres  qui  attiraient,  sur  le  parti  et  sur  le 
Parlement  tout  entier,  une  grande  déconsidération. 

Plusieurs  scandales  éclatants  vinrent  justifier  et  enveni- 
mer ce  sentiment  public.  Lilburne,  toujours  acharné  à  sou- 
tenir ses  droits  et  à  satisfaire  ses  haines,  avait,  au  nom  de 
l'un  de  ses  oncles,  réclamé  la  propriété  de  certaines  mines, 
dans  le  comté  de  Durham,  contre  sir  Arthur  Haslerig,  aussi 
remuant  et  aussi  populaire  dans  le  Parlement  que  Lilburne 
dans  la  Cité.  La  réclamation  fut  deux  fois  rejetée  par  les 
comités  charges  de  la  juger  '.  Lilburne  publia,  contre  ses 
juges,  un  pamphlet  où  illes  appelait  «  des  hommes  iniques 
«  et  indignes,  que  toute  société  humaine  devait  vomir  de  son 
«  sein,  et  qui  méritaient  bien  mieux  que  d'être  pendus  ^ 5  » 
puis,  il  adressa  au  Parlement  même  une  pétition  non  moins 
injurieuse  pour  Haslerig  •'.  Le  Parlement  la  fit  examiner 
par  un  comité  de  cinquante  membres;  et  après  une  longue 
instruction,  Lilburne  fut  condamné  à  payer  3,000  liv.  st. 
d'amende  à  la  République,  2,000  à  Haslerig  comme  domma- 
ges-intérêts, 500  à  chacun  des  quatre  membres  du  comité 
qui  avait  statué  sur  sa  réclamation,  et  de  plus  à  être  banni 
d'Angleterre  pour  sa  vie  *.  Que  la  demande  de  Lilburne  fût 
ou  non  fondée,  et  quelle  que  fût  la  violence  de  sa  plainte. 


1  En  1649  et  16SI. 

^  Ce  pamphlet   intitulé  :  Juste  plainte  contre  le  comité  d'Haberdashers'- 
Halt,  fut  publié  en  août  1651. 

'  En  décembre  lôîil. 

♦  Les  15  et  20  janvier  16iJ2  ;  JournaU  of  thc  Hanse  of  commons,  t.  VU, 
p.  71,72,  74. 

24. 


282  LE  PARLEMENT  SE  DECIDE 

une  telle  sentence,  prononcée  non  par  des  juges,  mais  par 
des  ennemis  politiques,  révolta  le  public  par  son  excessive 
rigueur.  Ce  l'ut  bien  pis  lorsqu'on  eut  à  la  comparer  avec 
une  indulgence  encore  plus  choquante.  Lord  Howard  d'Es- 
crick,  membre  de  la  Chambre,  avait  été  chassé  de  son  siège, 
emprisonne  à  la  Tour,  et  condamné  à  une  amende  de 
40,000  liv.  sterl.  pour  un  fait  de  corruption  notoire  ^;  l'a- 
mende lui  fut  remise,  et  il  obtint  sa  mise  en  liberté  2.  A  l'oc- 
cation  d'une  affaire  de  prise  maritime,  un  négociant,  Jacob 
Slaincr,  fut  amené  devant  la  Chambre  et  interrogé  sur  des 
lettres  où,  faisant  allusion  soit  au  Parlement,  soit  au  conseil 
d'État,  il  disait  à  ses  correspondants  d'Anvers  :  «  Nous  nous 
«  sommes  fait  ici  des  amis  parmi  de  grands  personnages 
«  qui  parleront  pour  nous  quand  l'affaire  viendra  devant 
«  eux.  »I1  s'expliqua  assez  confusément,  et  au  bout  de  quinze 
jours  il  fut  mis  en  liberté  sous  caution  ^.  Un  membre  de  la 
Chambre,  M.  Blagrave,  fut  formellement  accusé,  par  un 
plaignant  qui  se  nommait  et  offrait  de  prouver  son  dire, 
d'avoir  reçu  de  l'argent  pour  certaines  nominations,  et  l'af- 
faire, renvoyée  à  un  comité  spécial,  y  demeura  ensevelie  *. 
L'àpreté  grossière  des  intérêts  privés,  et  quelquefois  même 
l'improbité  de  certains  membres,  étaient  ainsi  couvertes, 
sinon  par  la  complicité,  du  moins  par  la  complaisance 
inquiète  du  Parlement. 

C'était  trop  de  rigueurs  et  trop  de  faveurs  également 
odieuses  de  la  part  d'une  assemblée  usée  par  sa  longue  vie 
autant  que  par  ses  fautes,  mutilée  de  ses  propres  mains, 


ï  Le  25  juin  1651;  —  Journal*  of  the  House  of  eommom,  t.  VI,  p.  591. 

*  Journals  of  Ihe  House  of  commons,  t.  V,  p.  618;  l.  VU,  p.  274. 

^  Lesl«rct15  décembre  1652;    -  Journals  of  the  llouse  of  commons, 
l.  Vil,  p.  223,  229. 

*  Les  9  cl  10  février  1653  ;  —  Journals  of  the  llouse  of  commons,  t.  VII, 
p.  257. 


A  PROPOSER  DES  ÉLECTIONS  NOUVELLES.         283 

pleine  encore  de  discordes  dans  son  petit  nombre,  que  la 
défaite  même  de  ses  ennemis  du  dedans  n'avait  pas  affermie, 
et  qui,  au  dehors,  engageait  de  plus  en  plus  le  pays  dans 
une  guerre  obstinée  contre  la  seule  nation  protestante  et 
républicaine  parmi  ses  voisins.  La  lassitude  et  le  dégoût 
publics  éclataient  de  toutes  paris;  une  mullilude  de  pam- 
phlets circulaient,  chaque  jour  plus  injurieux  ;  le  mépris  s'y 
mêlait  à  la  haine;  on  réfutait  ironiquement  les  déclarations 
«  du  Parlement  imaginaire  de  la  République  inconnue 
«  d'Angleterre  '  ;  »  on  le  sommait  de  faire  place  à  un  Par- 
lement véritable.  La  Chambre  courroucée  enjoignit  au 
conseil  dEtat  «  de  supprimer  ces  écrits,  hebdomadaires  ou 
«  autres,  publiés  pour  le  déshonneur  du  Parlement  et  la 
«  ruine  de  la  République,  »  et  lui  donna  pouvoir  «  d'em- 
V  prison uer  les  offenseurs  et  de  leur  infliger  tel  autre  chà- 
«  liment  qu'il  jugerait  à  propos  ^.  »  Mais  ni  les  colères  de 
la  Chambre,  ni  les  pouvoirs  du  conseil  d'État  ne  suffisaient 
plus  à  réprimer  l'hostilité  d'un  public  ([ui  se  sentait  Crom- 
wcll  pour  allié;  le  Parlement  s'acharnait  vainement  à  vivre; 
la  force  morale  et  la  force  matérielle  lui  manquaient  à  la 
fois  ;  unis  enfin  dans  une  antipathie  commune,  ni  le  peuple, 
ni  l'armée  n'en  voulaient  plus. 

Pressés  par  celte  situation,  les  chefs  républicains  prépa- 
raient, en  se  débattant,  le  bill  de  dissolution  qu'on  leur 
demandait  :  un  événement  survint  qui  modifia  tout  à  coup 
leurs  sentiments;  la  grande  victoire  que,  vers  le  milieu  de 
février  dC53,  RIake  remporta  sur  Tromp,  dans  la  Manche, 
leur  parut  une  circonstance  favorable  ;  c'était  de  l'éclat 
pour  leur  gouvernement;  quchiues  ouverttu-es  de  paix  vin- 
rent de  Hollande.  Dans  les  conseils  intimes  du  parti,  Vane 

'  Journals  of  Ihc  House  of  commons,  t.  VII,  p.  193. 
*  Les  28  décembre  lCo2  el  7  janvier  I6S53  ;  Jourmls  of  llie  llouse  of  com- 
mons, t.  VU,  p.  236,  244. 


28i  HYPOCRISIE  DE  L'ACTE  PREPARE 

insista  fortement  pour  qu'on  renonçât  à  de  dangereuses  len- 
teurs :  «  Il  y  a  ici,  »  écrivait  de  chez  lui  l'un  de  ses  amis, 
«  de  grandes  préoccupations  et  préparations  pour  un  Par- 
«  lement  nouveau  ;  quelques-uns  de  nos  amis  sont  disposés 
«  à  croire  qu'il  nous  servira,  nous  et  notre  cause,  mieux 
«  que  n'a  fait  celui-ci.  »  On  décida  que  le  Parlement  actuel 
se  retirerait  le  5  novembre  de  cette  année  même,  c'est-à- 
dire  un  an  plus  tôt  qu'on  ne  l'avait  jusque-là  résolu;  on 
commença  à  discuter  sérieusement  l'acte  qui  devait  régler 
l'élection  de  ses  successeurs  '. 

Cet  acte  a  été  perdu;  il  n'existe  pas  sur  les  registres  de  la 
Chambre,  et  on  ne  l'a  retrouvé  nulle  part  :  cependant  ses 
dispositions  essentielles  sont  connues.  Il  établissait  un  sys- 
tème à  peu  près  conforme  à  celui  que,  le  20  janvier  1649, 
le  conseil  général  des  officiers  de  l'armée  avait  présenté  au 
Parlement  une  assemblée  de  quatre  cents  membres,  élus 
dans  les  comtés  par  tous  les  possesseurs  d'une  fortune,  réelle 
ou  personnelle,  de  200  liv.  sterl.,  et  dans  les  bourgs  par 
tous  les  habitants  payant  un  certain  loyer  dontlc  taux  n'était 
pas  encoi'e  déterminé.  Le  tableau  des  bourgs  investis  du 
droit  électoral  fut  minutieusement  débattu,  et  supprimait 
beaucoup  d'anciens  privilèges.  Mais  les  électeurs  n'étaient 
appelés  qu'à  compléter  le  Parlement  existant,  non  à  le  re- 
nouveler tout  entier;  les  membres  actuellement  siégeants,  au 
nombre  d'environ  cent  cinquante,  restaient  de  droit  mem- 
bres du  Parlement  nouveau,  pour  les  comtés  ou  les  bourgs 
qu'ils  avaient  jusque-là  représentés.  Us  formaient  même 
seuls  le  comité  investi  du  pouvoir  de  prononcer  sur  la  vali- 
dité des  élections  et  la  capacité  des  élus;  en  sorte  que,  loin 
de  courir  aucune  chance  d'être  écartés  du  Parlement  futur, 

*  For&lcr,  Slatesmen  of  Ihe  Commonweallh,  l.  II,  p.  149  («ic  de  sir  Henri 
Vane);  —  Joitruals  of  ihe  Uouse  ofcommons,  l.  VII,  p.  244,  261,  263,  2G5, 
268,  270,  273,  277. 


POUR  DES  ÉLECTIONS  NOUVELLES.  28o 

ils  continuaient  d'en  être  le  noyau  permanent  et  domi- 
nante 

Ce  n'était  point  là,  à  coup  sûr,  la  dissolution  qu'atten- 
daient le  pays  et  l'armée  ;  le  mensonge  était  grossier  et  pal- 
pable. Cependant  Cromwell  s'en  inquiéta  et  résolut  en 
lui-même  de  ne  pas  souffrir  qu'un  tel  acte  fût  converti  en 
loi.  Il  connaissait  l'empire  de  la  légalité,  les  faiblesses  des 
partis,  et  savait  combien  de  gens,  quand  la  crise  approche, 
sont  disposés  à  se  contenter  à  bon  luarclié.  Ses  intimes 
confidents,  les  prédicateurs  dévoués  à  sa  personne  dirent 
et  redirent  partout,  du  haut  même  de  la  chaire,  que  déci- 
dément le  Parlement  ne  voulait  pas  se  dissoudre,  et  que, 
de  manière  ou  d'autre,  il  faudrait  l'y  contraindre.  Croni- 
well  lui-mcme  se  montrait  plus  que  jamais  indécis  et  per- 
plexe :  't  Deux  partis,  »  dit-il  un  jour  au  quartier-maître 
général  Vcrnon,  «  me  poussent  à  faire  une  chose  au  dénoîi- 
it  ment  de  laquelle  je  ne  puis  songer  que  mes  cheveux  ne; 
ic  se  dressent  sur  ma  tête;  l'un  est  celui  du  major  général 
u  Lambert  qui ,  dans  son  ressentiment  de  l'affront  que  le 
ti  Parlement  lui  a  fait  en  ne  lui  permettant  pas  d'aller  en 
"  Irlande  avec  un  caractère  conforme  à  son  mérite,  ne  sera 
<i  jamais  content  qu'il  ne  le  voie  dissous  :  le  major  général 
<i  Harrison  est  à  la  tête  de  l'autre  parti  ;  c'est  un  honnête 
«i  homme,  et  qui  a  d'excellentes  intentions,  mais  tant  d'im- 
«  patience  qu'il  ne  veut  pas  attendre  le  temps  du  Seigneur, 
«I  et  qu'il  me  presse  de  faire  un  acte  dont  lui  et  tous  les 
>i  honnêtes  gens  se  repentiront.  »  Il  recherchait  tous  les 
liommes  de  quelque  importance,  militaires  ou  civils,  tantôt 
les  réunissant  chez  lui  en  conférence,  tantôt  les  sondant  en 

>  Carlyie,  Cromivell's  Lcllcrs  and  Specches,  l.  II ,  p.  177,  I9Ô-I9G;  —  Goil- 
win,  Hist.  of  Ihc  Commonivcallh,  t.  III,  p.  U8  ;  -  Forsier,  Slatcsmen  of  thc 
Commonwenllh,  l.  IH,  p.  i:)7-l(;2;  —  Juurmtls  o/llif  House  of  commoiis; 
l.  VII,  p.  273,  275. 


2S6  RÉUNION  DES  MÉCONTENTS 

particulier,  et  variant  ses  confidences  selon  qu'il  voulait 
détourner  les  soupçons  de  ses  interlocuteurs  ou  qu'il  espé- 
rait les  attirer  dans  son  dessein  ^. 

Le  19  avril  1653,  une  réunion,  plus  nombreuse  que  de 
coutume,  se  forma  à  Whitehall;  tous  les  officiers  impor- 
tants, les  jurisconsultes,  Whitelocke,  Widdrington,  Saint- 
John,  et  une  vingtaine  d'autres  membres  de  la  Chambre,  sir 
Arthur  Ilaslerig,  sir  Gilbert  Pickering,  appelés  ou  venus  là 
pour  se  concerter  sur  ce  qui  s'y  ferait,  ou  pour  le  découvrir. 
On  avait  appris  que  les  chefs  du  Parlement,  Vane  surtout, 
voulaient  presser  l'adoption  du  bi!l  proposé.  Croniwell  invita 
la  réunion  à  chercher  quelque  moyen  de  mettre  un  terme  au 
Parlement  actuel  et  de  pourvoir,  jusqu'à  la  convocation  d'un 
Parlement  nouveau,  au  gouvernement  de  la  République.  Il 
proposa  que,  le  Parlement  une  fois  dissous,  quarante  per- 
sonnes, prises  dans  la  Chambre  et  dans  le  conseil  d'État, 
fussent  provisoirement  chargées  de  la  conduite  des  affaires. 
Il  avait  souvent  dit  que  «  ce  serait  tenter  Dieu  que  de  s'en 
<c  remettre  uniquement  au  peuple  et  à  l'élection  d'un  nou- 
<i  veau  parlement  selon  l'ancienne  constitution  ;  Dieu,  il  en 
«  avait  la  confiance,  voulait  sauver  cette  génération  ;  mais 
«  il  le  ferait  comme  il  l'avait  fait  jadis,  par  les  mains  de 
«  quelques  hommes.  Cinq  ou  six  hommes,   ou  quelques- 
«t  uns  de  plus,  se  mettant  à  l'œuvre,  en  feraient  plus  en  un 
«  jour  que  le  Parlement  n'en  avait  fait  ou  n'en  ferait  eu 
«  cent;  quelques  hommes,  sans  préjugés,  pouvaient  seuls 
«  être  les  instruments  du  salut  du  peuple.  »  La  discussion 
fut  vive  et  longue;  on  attaqua  le  bill  dont  la  Chambre  s'oc- 
cupait ;  comme  mensonger  et  destiné,  non  à  dissoudre,  mais 
à  perpétuer  le  Parlement  ;  comme  dangereux  pour  la  Répu^ 
blique,  car  il  ouvrait  la  porte  des  élections  aux  Presbyté- 

'  Ludlow,  Mémoires,  t.  II,  p.  189  ;  —  Whilelocke,  p.  553. 


CHEZ  CROMWELL  (10  et  20  avril  1CS3).  2S7 

riens,  ses  ennemis  cachés.  Widdrington  et  Whîlelocke 
s'élevèrent  cependant  contre  tout  dessein  de  dissoudre  le 
Parlement  malgré  lui ,  et  d'instituer  à  sa  place  un  pouvoir 
provisoire;  selon  eux,  la  conscience  et  !a  prudence  s'y  op- 
posaient également.  «  Ce  serait  une  œuvre  maudite,  i>  s'écria 
Ilaslerig,  u  notre  mission  ne  peut  être  transmise  à  per- 
«  sonne.  »  Saint-John  soutint,  au  contraire,  que,  de  manière 
ou  d'autre,  il  fallait  en  finir,  et  que  le  pouvoir  du  Parle- 
ment ne  pouvait  se  prolonger.  Presque  tous  les  officiers 
furent  de  cet  avis.  Cromwell  blâma  ceux  qui  s'exprimaient 
violemment,  et  la  conférence  se  sépara  vers  minuit  sans 
qu'aucune  résolution  eût  été  adoptée.  Mais  on  convint 
qu'on  se  reverrait  le  lendemain  et  que  les  memhres  de  la 
Chambre  feraient  en  sorle  que  rien  ne  fût  brusquement 
décidé  sur  le  bill  en  question,  afin  qu'on  eût  encore  le  temps 
de  s'entendre  et  d'aviser  en  commun  ^. 

Le  lendemain,  la  réunion  fut  moins  nombreuse  :  irrités 
ou  effrayés,  quelques-uns  de  ceux  qui  étaient  venus  la  veille 
ne  revinrent  point  ;  d'autres  allèrent  à  la  Chambre  pour 
veiller  à  ce  qui  s'y  passerait  et  en  informer  Cromwell. 
Whitelocke  retourna  chez  le  général  et  reproduisit  ses  ob- 
jections contre  la  dissolution  du  Parlement  et  la  formation 
d'un  gouvernement  provisoire,  prévoyant  qu'il  serait  appelé 
à  en  faire  partie  et  que,  n'osant  pas  refuser,  il  se  trouverait 
compromis.  Comme  la  discussion  continuait  entre  eux  à  ce 
sujet,  on  vint  avertir  Cromwell  que  la  Chambre  était  en 
séance,  et  que  Vane,  Marlyn,  Sidney,  poussaient  à  l'adop- 
tion immédiate  de  ce  qu'ils  appelaient  le  bill  de  dissolution. 
Les  membres  de  la  Chambre  qui  se  trouvaient  à  Whitehall 


'  Whilelocke,  p.  55î  ;  —  Hcatli,  Flagellum,  or  Ihe  lifc  and  dculh,  birlli 
and  burial  of  0.  Cromivell  l^Z'  édit.,  Londres,  \&(i''>],  p.  130  ;  —  Cnilyli-, 
CromweU's  Ltllers  and  Speeches,  t.  Il,  p.  177, 198-202. 


288  CROMWELL  CHASSE 

en  partirent  aussitôt  pour  se  rendre  à  Westminster  ;  mais 
Cromwcll  resta  avec  ses  officrers,  voulant  encore  attendre 
et  n'agir  que  sous  la  vocation  de  l'exlrême  nécessité.  Bientôt 
accourut  le  colonel  Ingoldsby,  disant  :  u  Si  vous  voulez 
«  faire  quelque  chose  de  décisif,  vous  n'avez  pas  de  temps 
«t  à  perdre.  »  La  Chambre  était  près  de  prendre  une  réso- 
lution ;  Vane  avait  énergiquement  insisté  pour  faire  voter 
le  bill;  HaiTison  embarrassé  avait  engagé,  en  termes  doux 
et  humbles,  ses  collègues  à  ne  rien  précipiter  dans  un  cas  si 
grave.  Cromwell  quitta  sur-le-champ  Whitehall,  suivi  de 
Lambert  et  de  cinq  ou  six  officiers  ;  il  prit,  en  passant,  un 
détachement  qui  se  tenait  prêt,  et,  arrivé  à  Westminster, 
il  plaça  des  soldats  à  la  porte  du  Parlement,  d'autres  dans 
le  vestibule,  d'autres  encore  tout  près  de  la  salle  des  séances, 
et  y  entra  seulj  sans  aucun  bruit,  en  habit  noir  et  en  bas 
de  laine  gris,  selon  sa  coutume  lorsqu'il  n'était  pas  en  uni- 
forme de  guerre.  Vane  avait  repris  la  parole  et  démontrait 
avec  passion  L'urgence  du  bill.  Cromwell  alla  s'asseoir  à  sa 
place  accoutumée.  Saint-John  s'approcha  de  lui  :  »  Je  viens 
«  faire,  »  lui  dit  Cromwell,  «  ce  qui  me  navre  jusqu'au  fond 
«  de  l'âme,  ce  dont  j'ai  prié  Dieu  avec  larmes  de  me  dis- 
<i  penser;  j'aimerais  mille  fois  mieux  être  mis  en  pièces 
«  que  de  le  faire;  mais  il  y  a  une  nécessité  qui  pèse  sur 
ti  moi,  pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  bien  de  la  nation.  — Je 
«i  ne  sais  ce  que  vous  voulez  dire,  »  répondit  Saint-John, 
ti  mais  Dieu  veuille  que  ce  que  vous  ferez,  quoi  que  ce  soit, 
«  ait  une  issue  conforme  au  bien  public.  »  Et  il  retourna  à 
sa  place.  Vane  parlait  toujours;  Cromwell  Técoutait.  Vane 
demanda  à  la  Chambre  d'affranchir  le  bill  des  formalités 
qui,  selon  l'usage,  devaient  précéder  l'adoption.  Cromwell 
fit  un  signe  à  Harrison,  disant  :  «  C'est  le  moment;  il  faut 
«1  que  je  le  fasse.  —  Monsieur,  »  lui  dit  Harrison  un  peu 
troublé,  ti  pensez-y  bieu;^  l'œuvre  est  grande  et  dangereuse. 


LE  LONG  PARLEMENT  (20  avril  16Sô).  289 

'i  —  Vous  avez  raison,  »  reprit  Crorawell,  et  il  resta  immo- 
bile. Un  quart  d'heure  s'écoula  encore:  Vane  avait  cessé  de 
parler  ;  l'orateur  se  disposait  à  mettre  la  question  aux  voix; 
Cromwell  se  leva,  ôta  son  chapeau  et,  prenant  la  parole,  il 
s'exprima  d'abord  en  termes  pleins  d'égards  pour  le  Parle- 
ment et  ses  membres,  rendant  justice  à  leurs  travaux,  à 
leur  zèle  ;  mais  peu  à  peu  son  ton  changea;  son  accent  et 
ses  gestes  s'irritèrent;  il  reprocha  aux  membres  de  la  Cham- 
bre leurs  lenteurs,  leur  avidité,  leur  attachement  à  leurs 
intérêts  personnels,  leur  peu  de  soin  de  la  justice  :  «  Vous 
"  n'avez  pas  le  cœur  de  rien  faire  pour  le  bien  publie;  vous 
«  ne  voulez  que  vous  perpétuer  dans  le  pouvoir;  votre 
«  heure  est  venue;  le  Seigneur  en  a  fini  avec  vous;  il  a 
ic  choisi  pour  son  œuvre  des  instruments  plus  dignes  ;  c'est 
«1  le  Seigneur  qui  m'a  pris  par  la  main  et  qui  me  fait  faire 
»  ce  que  je  fais.  »  Vane,  Wenlworth,  Martyn,  se  levèrent 
vivement  pour  lui  répondre  :  «  Vous  trouvez  peut-être,  » 
dit-il,  <i  que  ceci  n'est  pas  un  langage  parlementaire;  j'en 
<i  conviens;  mais  n'en  attendez  pas  un  autre  de  moi.  » 
Wenlworlh  parvint  à  prononcer  quelques  phrases  :  "  Jamais 
«  le  Parlement  n'a  entendu  de  telles  paroles,  d'autant  plus 
«1  horribles  qu'elles  viennent  de  son  serviteur,  d'un  servi- 
«  teur  que  le  Parlement,  dans  sa  bonté  sans  exemple,  a 
«  élevé  si  haut,  et  qu'il  a  fait  ce  qu'il  est.  i«  Cromwell  s'é- 
lança de  sa  place  au  milieu  de  la  salle,  et  mettant  son 
chapeau  sur  sa  tête  :  "Venez,  venez,»  dit-il,  «ge  vais  mettre 
«  fin  à  votre  bavardage.  »  Il  fit  un  signe  à  Harrison,  la 
porte  s'ouvrit;  vingt  ou  trente  fusiliers  entrèrent,  comman- 
dés par  le  lieutenant-colonel  Worsley  :  «  Vous  n'êtes  plus 
«  un  parlement;  sortez,  faites  place  à  de  plus  honnêtes 
«  gens.  »  Il  se  promenait  en  long  et  en  largo,  frappant  du 
pied  et  donnant  ses  ordres  :  «  Faites-le  descendre,  »  dit-il 
à  Harrison  en  lui  montrant  l'orateur  dans  son  fauteuil  ; 

RÉPUBLIQUE    D'ANGLETERRE.    1.  *'* 


290  CROMWELL  RENVOIE 

Harrison  engagea  l'orateur  à  descendre  ;  Lenthall  s'y  refusa  : 
«1  Descendez-le  vous-même,  »  dit  Cromwell  ;  Harrison  mit 
la  main  sur  la   robe  de  l'orateur  qui  se  soumit  aussitôt. 
Algernon  Sidney  était  assis  près  de  l'orateur.  «  Faites-le 
«  sortir,  »  dit  Cromwell   à   Harrison  ;  Sidney   ne  sortait 
point  :  «Mettez-le  à  la  porte  ;  »  Harrison  et  Worsicy  en  firent 
le  geste,  et  Sidney  s'éloigna.  «  C'est  une  indignité,  "  s'écria 
Vane;  «  c'est  contre  tout  droit  et  tout  honneur.  —  Ah! 
«  sir  Henri  Vane,   sir  Henri  Vane,  »   reprit  Cromwell, 
«I  vous  auriez  pu  prévenir  tout  ceci  ;  mais  vous  êtes  un 
«i  jongleur  ;  vous  n'avez  pas  même  l'honnêteté  commune  ; 
«  le  Seigneur  me  délivre  de  sir  Henri  Vane  !  »  Et  au  milieu 
du   trouble  général,    il  adressait  aux   membres  qui  pas- 
saient devant  lui  des  apostrophes  semblables;  à  Challoner  : 
<t  Ivrogne!  »  à  Wentworth  :  «  Adultère!  »  à  Henri  Martyn  : 
«t  Est-ce  qu'un  coureur  de  filles  est  fait  pour  siéger  ici  et 
«I  pour  gouverner?  »  H  s'approcha  de  la  table  où  était  placée 
la  masse  qu'où  portait  devant  l'orateur,  et  appelant  ses 
soldats  :  «  Qu'avons-nous  à  faire  de  cette  babiole  ?  Qu'on 
•I  l'emporte.  »  H  répétait  fréquemment  :  «  C'est  vous  qui 
«c  m'avez  forcé  de  faire  cela.  —  Vous  n'êtes  pas  encore  allé 
«t  si  loin  que  les  choses  ne  puissent  se  rétablir,  »  lui  dit  l'al- 
dcrman  Allen  ;  «  ordonnez  à  vos  soldats  de  sortir  de  laChani- 
«i  bre,  et  faites  rapporter  la  masse  ;  les  affaires  reprendront 
«  leur  cours.  »  Cromwell  s'emporta  contre  Allen,  et  lui  de- 
manda compte  de  quelque  cent  mille  livres  sterling  dont, 
comme  trésorier  de  l'armée,  il  avait  fraudé  la  République. 
m  Ce  n'est  pas  ma  faute,  n  répondit  Allen,  «  si  mon  compte 
n'est  pas  soldé  depuis  longtemps;  je  l'ai  plusieurs  fois  pré- 
senté à  la  Chambre.  »  Cromwell  le  fit  arrêter  et  emmener 
par  ses  soldats.  La  salle  était  vide  ;  il  en  fit  saisir  tous  les 
papiers,  s'approcha  du  clerc  de  service,  lui  prit  des  mains . 
l'acte  de  dissolution  qui  était  près  de  passer,  le  mit  sous  son 


LE  CONSEIL  D'ETAT  REPUBLICALN.  291 

liabit,  sortit  le  dernier,  fît  fermer  les  portes,  et  retourna  à 
WhitehalP. 

Il  y  trouva  plusieurs  de  ses  officiers  qui  y  étaient  restés, 
attendant  l'événement;  après  leur  avoir  raconté  ce  qui  ve- 
nait de  se  passer  :  «  Quand  je  suis  allé  à  la  Chambre,»  leur 
dit-il,  «  je  ne  croyais  pas  que  je  fisse  cela;  mais  j'ai  senti 
ic  l'esprit  de  Dieu  si  puissant  sur  moi  que  je  n'ai  plus  écoulé 
«  la  chair  ni  le  sang.  i>  Quelques  heures  plus  tard,  dans 
l'après-midi,  on  l'informa  que  le  conseil  d'État  venait  de  se 
réunir  dans  la  salle  ordinaire  de  ses  séances,  à  Whilehall 
même,  sous  la  présidence  de  Bradshaw;  il  s'y  rendit  aussi- 
tôt,suivi  seulement  dcHarrison  et  dcLarabert:  «Messieurs,» 
leur  dit-il,  «  si  vous  êtes  ici  comme  de  siuiples  particulici's, 
u  on  ne  vous  dérangera  point  ;  mais  si  vous  siégez  comme 
«i  conseil  d'État,  ce  n'est  pas  ici  votre  place  ;  vous  ne  pou- 
«(  vez  ignorer  ce  qui  s'est  l'ait  à  la  Chambre  ce  matin  ;  prc- 
«  nez  donc  garde  que  le  Parlement  est  dissous.  —  Mon- 
te sieur,  »  lui  répondit  Bradshaw,  «  nous  avons  appris  ce 
«  que  vous  avez  fait  ce  matin  à  la  Chambre,  et  dans  quel- 
.1  ques  heures  toute  l'Angleterre  l'apprendra;  mais  vous 
«  vous  méprenez,  monsieur,  si  vous  croyez  que  le  Parle- 

1  Wliitelockc,  p.  354;  —  Lcicesler's  Jotirnals,  p.  lôO-lAI;  —  Liidlow, 
Mémoires,  t.  II.  p.  200-207;  —  Parliam.  History,  t.  XX,  p.  128;  —  Henlli, 
A  bricf  Chronirle,  etc.,  p.  G28  ;  —  B;ilcs,  EkncUus  moluum  nupcrorum  in 
Anglia,  part.  II,  p.  284  ;  —  Ecliurd,  Hisl.  of  England,  l.  II,  p.  7U  ;  — 
Pcck,  Mcmoirs  of  ihclife  and  actions  of  Oliver  Cromwell  [Préface),  p.  3i-3fi; 
—  Clarcndon,  Hisl.  of  the  Rébellion,  I.  xiv,  c.  1-9;  —  Burton,  Parliamcn- 
lary  Diary,  t.  111,  p.  98,  209. 

En  iciulaiit  compte  de  rcxpulsion  du  Long  Parlement  à  M.  Scrvicii 
(3  mai  1633),  M.  de  Bordeaux  donne  quelques  ddlails  qup  je  n"ai  pas  fait 
entrer  dans  le  récit  même,  ne  les  ayant  trouvés  dans  aucun  des  écrivains 
anglais  conlemporains.  Ils  me  paraissent  d'ailleurs  assez  peu  vraisem- 
blables, étant  en  contradiction  avec  le  caractère  général  de  révéneuient  ; 
Jiiais  ils  ne  laissent  pas  d'être  curieux  et  la  lettre  qui  les  conlient  mérite 
d'èlre  publiée. 

[Documents  historiques,  noXXllI.) 


292  CROMWELL  RENVOIE,  ETC. 

M  ment  est  dissous  ;  aucun  pouvoir  sous  le  ciel  ne  peut  le 
«  dissoudre  que  lui-même;  prenez  donc  garde  à  cela  \  » 
Tous  se  levèrent  et  sortirent.  Le  lendemain,  21  avril,  on  lut 
dans  le  Mercurivs  PoUliciis,  devenu  le  journal  de  Crom- 
well  :  «i  Le  lord  général  a  exposé  hier  au  Parlement  diverses 
«(  raisons  qui  devaient  faire  suspendre  actuellement  ses 
«  séances,  ce  qui  a  été  fait.  L'orateur  et  les  membres  se 
«1  sont  retirés.  Il  est  probable  que  les  motifs- de  cet  acte 
«  seront,  sous  peu,  rendus  publies.  »  Et  ce  même  jour,  à  la 
porte  de  la  Chambre,  les  passants  s'arrêtaient  devant  une 
grande  affiche,  probablement  l'œuvre  nocturne  de  quelque 
Cavalier  ravi  de  se  voir  vengé  des  républicains  par  un 
régicide  : 

«  Chambre  non  meublée,  à  louer.  » 


1  Ludlow,  Mémoires,  l.  II,  p.  209-211;  —  Mercurins  Polidcus,  ii"  IbO, 
p.  238  ;  —  Forsioi-  Slalcsmvn  ofllir  Commonweallh,  l.  V,  |i.  OG-68  ;  —  God- 
win,  Hist.  of  llic  Commonweallh,  t.  III,  p.  4Î)G-13'J. 


DOCUMENTS  HISTORIQUES. 


(Page  47.; 


M.  de  Croullé  au  cardinal  Mazarin. 


Londres,  21  juin  1(149. 

Il  s'était  proposé  de  conférer  quelques  dignités  dans  le  festin 

qui  a  été  fait  par  la  ville  au  Parlement  et  aux  oflicicrs  de  l'armée,  ce 
qui  a  été  remis  à  un  autre  temps.  Lorsque  le  sjicukcr-  y  arriva,  le 
m;iire  de  Londres  ^int  au-devant  de  lui,  et  comme  reconnaissant  la 
souveraineté  de  l'Etat  en  sa  personne,  en  qualité  de  chef  du  Parle- 
ment, lui  remit  la  masse  et  l'épée,  ainsi  qu'il  s'est  toujours  ci-devant 
pratiqué  au.\  rois 

(Archives  des  affaires  êtrangtires  de  France.) 


85. 


294  DOCUMENTS 

II 

(Page  165.) 

M •  de  Croxdlé  au  cardinal  Mazarîn. 


LoDdres,  50  juin  ]6S0. 

(Après  avoir  rendu  compte  de  l'assassinai  d'Ascham  à  Madrid,  il 
ajoute  :) 

La  nouvelle  en  fut  sue  dès  hier  matin  ;  et;  ce  jourd'hui  l'ambassa- 
deur d'Espagne  en  a  reçu  un  exprès  dont  il  a  donné  avis  au  conseil 
d'État,  qui  lui  a  envoyé  le  maître  des  cérémouies  pour  en  savoir  le 
détail  et  remercier  le  roi  Catholique  de  la  diligence  dont  il  a  usé  pour 
trouver  les  coupables,  et  de  la  justice  que  l'on  mande  qu'il  on  fera 
faire.  Si  ledit  roi  eût  fait  autant  d'état  de  l'envoyé  de  ces  messieurs 
ici  qu'eux-mêmes  en  ont  fuit  de  celui  de  la  province  de  Hollande,  il 
n'eût  pas  été  logé  dans  une  misérable  hôtellerie,  ni  abandonné  de 
sorte  que,  si  le  remords  d'une  mauvaise  action  n'eût  aveuglé  ceux  qui 
l'ont  commise,  il  n'y  en  aurait  point  eu  de  témoins.  Je  le  rencontrai 
un  peu  avant  qu'il  partit  d'ici,  et  parce  que  je  le  connaissais  assez 
familièrement,  lui  dis  que  j'avais  regret  de  ce  que  nous  l'allions  per- 
dre, qui  est  un  terme  assez  ordinaire  à  notre  langue  en  pareil  cas  ; 
ce  ([u'il  expliqua  comme  si  je  lui  eusse  prédit  la  même  destinée  qu'à 
Dorishiiis,  qui  lui  est  arrivée;  dont  il  fut  tout  échauffé,  jusqu'à  ce 

que  je  lui  eus  fait  entendre  ma  pensée Cet  accident  ne  saurait 

rien  altérer  de  la  bouue  intelligence  que  l'on  suppose  être  entre  cet 
État  et  l'Espagne,  mais  plutôt  fournir  moyen  de  la  cimenter  dans  les 
remercîments  et  les  compliments  qui  se  feront  réciproquement  sur 
ce  sujet.  Je  sais  qu'en  toutes  choses  ces  gens-ci  la  favorisent  au  pré- 
judice de  la  France... 

(Arc/iives  des  Affaires  étrangèî'cs  deFi'ance.) 


HISTORIQUES.  295 

m 

(Page  166.) 


1»  Délibération  du  conseil  d' El  ut  d'Espagne  siii'  les  conséquences  de 
l'assassinat  du  résident  d'Angleterre,  Antoine  Ascham. 

Madrid,  29  juin  tCSO. 

Sire, 

Le  conseil  d'État  auquel  ont  pris  part  le  duc  de  Jlédina  de  las 
Torres,  don  Francisco  de  Melo  et  les  marquis  de  Castel-Rodrigo  et  de 
Valparaiso,  a  longuement  discuté  les  mauvais  effets  qui  pourraient 
avoir  lieu  i)our  les  intérêts  de  V.  BI.  par  suite  de  la  mort  du  résident 
envoyé  à  cette  cour  par  le  Parlement  d'Angleterre,  et  de  la  personne 
qui  lui  servait  d'interprète.  Quoique  cet  événement  ait  été  tel  qu'il 
était  impossible  soit  à  V.  M.,  soit  à  ses  ministres,  de  le  prévenir,  car 
on  ne  pouvait  croire  qu'il  pût  avoir  lieu  à  la  cour  de  V.  M.  et  sous  ses 
yeu.x,  et  il  n'y  avait  pas  à  s'en  douter  par  quelque  indice  que  ce  fût, 
néanmoins,  le  conseil  d'État  pense  que  le  crime  est  de  la  plus  haute 
gravité  à  cause  des  circonstances  qui  l'ont  accompagné,  le  résident 
étant  venu  ici  à  la  faveur  de  la  sécurité  et  sous  la  protection  de  V.  M. 
Si  un  tel  crime  restait  impuni  ou  ne  recevait  pas  un  châtiment  exem- 
plaire, personne  ne  se  croirait  en  sûreté  à  la  cour  de  V.  M.  En  outre, 
le  Parlement  d'Angleterre  pourrait  en  concevoir  un  grand  ressenti- 
ment et  prendre  quelque  mesure  grave,  comme  il  est  à  craindre  qu'il 
ne  le  fasse.  Quoique  V.  M.  ait  déjà  envoyé  des  ordres  à  la  Cour  des 
Alcaldcs  pour  qu'elle  procède  aussi  promplement  que  possible  dans 
celte  affaire  et  pour  qu'il  soit  fait  iiromptc  justice,  le  conseil  (rouvc 
qu'on  agit  avec  plus  de  lenteur  que  le  cas  ne  l'exige,  car  c'est  «ne 
affaire  dans  laquelle  l'autorité  de  V.  M.  et  son  service  sont  grande- 
ment intéressés,  une  de  ces  affaires  qui  devraient,  sans  manquer  aux 
exigences  de  la  justice,  être  expédiées  jtlus  prompte  ment  ([u'(in  ne  le 
fait,  car  il  ne  peut  y  avoir  lieu  à  des  négociations  quclconfiues.  Par 
tous  ces  motifs,  le  conseil  croit  de  son  devoir  de  représenter  tout  cela 
à  V.  M.  et  de  dire  qu'il  est  nécessaire  d'envoyer,  aussi  promptcmcnt 


296  DOCUMENTS 

que  possible,  un  nouvel  ordre  au  président  du  Conseil  en  lui  déclarant 
que  le  service  de  V.  M.  exige  qu'on  procède  en  celte  affaire  dans  les 
strictes  limites  de  la  justice  et  avec. autant  de  hâte  et  de  vigueur  qu'il 
est  possible  d'en  mettre.  On  devra  rendre  compte  à  V.  31.  de  ce  qui 
sera  fait,  car  l'affaire  demande  à  être  pressée  et  décidée.  V.  M.  vou- 
dra bien  ordonner  ce  qui  lui  plaira. 


2"  RcsohUions  prises  par  S.  M.  le  roi  sur  les  avis  donnes  par  le  conseil 
d'État  à  l'occasion  de  l'arrivée  du  résident  du  l'arleincnt  d'Ajigle- 
tcrre  et  du  châtiment  de  ses  assassins. 

Madrid,  octobre  1650. 

1.  D'après  la  délibération  du  3  avril,  à  l'occasion  des  lettres  du  duc 
de  Médina  Celi  dans  lesquelles  il  rendait  compte  de  l'arrivée  du  rési- 
dent du  Parlement  dans  le  port  de  Cadix,  Sa  Majesté  a  ordonné  que 
le  duc  le  fit  partir  pour  Madrid  en  prenant  toutes  les  mesures  de 
sûreté  et  en  le  faisant  voyager  par  les  routes  non  infestées  de  brigands. 
On  a  écrit  dans  ce  sens  au  duc  qui  a  fait  accompagner  le  résident  par 
le  mcstre  de  camp  don  Diego  de  3Ioreda. 

2.  Dans  une  autre  délibération,  du  7  juin,  on  a  rendu  compte  à 
S.  31.  de  l'arrivée  à  3Iadrid  du  résident  et  de  sa  mort,  ainsi  que  de 
celle  de  son  interprète.  Le  même  jour  on  a  examiné  les  lellres  de 
créance  dont  le  résident  était  porteur  pour  S.  31.,  et  on  a  su  l'arres- 
tation des  cinq  Anglais  qui  l'ont  assassiné.  Sa  Majesté  a  ordonné 
d'écrire  à  don  Alonzo  de  Cardeiïas  pour  l'informer  de  l'événement  et 
de  la  promptitude  avec  laquelle  on  poursuivrait  les  assassins,  et  pour 
lui  dire  de  déclarer  au  Parlement  que,  s'il  voulait  envoyer  une  autre 
personne  pour  remplacer  le  résident  assassiné,  il  pouvait  le  faire.  En 
même  temps  S.  31.  a  décidé  qu'on  répondît  au  Parlement  à  l'occasion 
de  cet  événement,  et  que  cette  réponse  servît  à  don  Alonzo  de  lettres 
de  créance  pour  d'autres  occasions.  Tout  cela  a  été  exécuté  conformé- 
ment aux  résolutions  de  S.  31. 

o.  Dans  une  autre  délibération,  du  8  du  même  mois  de  juin,  le  con- 
seil s'est  réuni  inpleno  pour  discuter  la  formule  de  l'adresse  que  l'on 
mettrait  sur  les  lettres  destinées  au  Parlement.  S.  31.  s'est  rangée  à 
cet  égard  à  l'avis  du  marquis  de  Caslel  Rodrigo. 

/t.Le  IS  juin,  il  y  eut  une  autre  délibération  présentée  à  S.  31.,  à  l'occa- 
sion d'un  rapport  du  président  du  conseil  d'après  lequel  les  agresseurs 
demandaient  que  dans  leur  procès  on  produisit  j'écusson  et  les  insignes 


HISTORIQUES.  297 

trouvés  sur  le  mort,  sous  son  vêtement,  ainsi  que  les  livres  qu'il  avait 
chez  lui.  A  ce  sujet  le  conseil  représenta  à  S.  M.  qu'on  ne  devait  pas 
faire  cela  avant  que  lesdils  objets  n'eussent  d'aliord  été  remis  au  sc- 
crélaire  qui  accompagnait  le  résident,  car  ce  n'était  que  de  cette  ma- 
nière qu'on  observerait  la  foi  publique.  Le  conseil  fut  d'avis  que  le 
proct'-s  des  coupables  se  poursuivît  régulièrement,  mais  en  abrégeant 
autant  que  possible  la  procédure  j  quant  aux  papiers  qui  pourraient 
être  livrés  à  la  publicité  et  produits  dans  ce  procès,  c'était  au  tribunal 
du  crime  qu'il  appartenait  d'en  décider,  sans  aucune  action  su|>rènie 
de  S.  31.  ni  aucune  intervention  cacbée.  Ce  sont  là  les  principes 
d'après  lesquels  on  a  jugé  convenable  de  procéder  dans  cette  affaire, 
et  c'est  ce  que  S.  M.  a  bien  voulu  confirmer. 

U.  Dans  une  autre  délibération,  du  bi  août, le  conseil,  de  son  projirc 
mouvement,  a  entretenu  S.  M.  des  actes  de  guerre  maritime  du  l'ar- 
lemcnt;  il  a  fait  observer'combien  les  forces  maritimes  du  Parlement 
étaient  puissantes  et  irrésistibles  ;  à  cette  occasion  le  conseil  a  fait  re- 
marquer qu'il  n'avait  reçu  aucune  information  sur  l'état  où  se  trou- 
vait l'afl'aire  des  assassins  qui  ont  tué  le  résident  du  Parlement.  Il  a 
j)aru  au  conseil  qu'on  tardait  beaucoup  à  se  prononcer  à  ce  sujet  et  à 
exécuter  les  ordres  de  S.  31.;  c'était  une  affaire  qu'il  ne  fallait  pas  per- 
dre de  vue  par  les  raisons  qui  ont  di'jà  été  exposées  duns  plusieurs 
délibérations  :  le  conseil  a  pensé  que  ces  retards  pourraient  inspirer 
au  Parlement  quelque  résolution  qui  obligerait  S.  31.  à  prendre  plus 
tard  des  mesures  qu'elle  pourrait  prendre  dès  à  présent  sans  aucun 
embarras.  Le  conseil  est  d'avis  que  S.  31.  ordonne  au  président  du 
conseil  de  terminer  cette  affaire  sans  plus  de  délais.  A  quoi  S.  31.  a 
daigné  répondre  en  ces  ternies  :  «  On  f;iit  diligence  et  l'affaire 
marclie.  » 

6.  Une  autre  délibération  a  eu  lieu  le  5  septembre  au  sujet  des  let- 
tres reeues  de  don  Alonzo  de  Cardenns,  en  date  des  mois  de  juin  et  de 
juillet,  ainsi  que  de  celle  que  le  Parlement  a  écrite  à  S.  31.  pour  exprimer 
ses  sentiments  à  l'occasion  de  l'assassinat  du  résident  et  l'espoir  (pi'il 
avait  dans  la  loyauté  de  S.  31.  qui  ferait  bonne  justice  des  coupables, 
car,  disait-il,  si  de  pareils  crimes  se  coinmetlaicnt  impunément,  sous 
quelque  prétexte  que  ce  soit,  dans  les  Etats  de  S.  31.,  il  serait  inévi- 
tablement forcé  de  rompre  toute  relation  entre  les  deux  pays.  Ces 
lettres  ont  été  lues  en  conseil  in  plcnu,  et  après  avoir  léflécbi  sur  ce 
que  don  Alonzo  dit  des  forces  du  Parlement  et  de  la  faible  situation 
où  se  trouve  le  parti  du  roi  d'Angleterre,  le  conseil,  entre  autres 
cboses  qu'il  a  dites  au  sujet  du  cliàtiment  à  infliger  aux  Anglais  arrê- 
tes comme  coupables  de  l'assassinat,  a  représenté  à  S.  31.  que  la  lettre 
du  Parlement  lui  paraissait  une  déclaration  bonnêlc  et  respectueuse 


298  DOCUMENTS 

que  là  guerre  s'ensuivrait  si,  d'une  façon  quelconque,  on  ne  lui  don- 
nait pas  satisfaction  par  un  châtiment  exemplaire  du  crime  commis. 
Cette  lettre  a  paru  mériter  de  la  part  du  conseil  une  attention  toute 
particulière,  car  elle  était  évidemment  écrite  d'après  des  notions 
extrajudiciaires  et  incomplètes  de  l'affaire,  don  Alonzo  n'ayant  pas 
encore  pris  des  mesures  pour  mettre  entre  les  mains  du  Parlement  la 
lettre  que  S.  M.  lui  avait  adressée  à  ce  sujet.  Le  conseil  a  donc  jugé 
à  propos  de  rappeler  à  S.  M.  ce  qu'il  avait  déjà  exprime  à  plusieurs 
reprises,  à  savoir  que  par  cet  assassinat  l'autorité  royale  et  la  dignité 
de  S.  M.  avaient  reçu  une  grave  atteinte,  attendu  que  le  résident  était 
venu  en  Espagne  sous  la  sauvegarde  de  la  foi  publique  et  de  la  pro- 
tection de  S.  M.;  ce  qui  fait  qu'on  serait  sans  excuse  de  laisser  les 
coupables  impunis. 

7.  Une  autre  délibération  a  eu  lieu  le  7  septembre  au  sujet  d'une 
lettre  de  don  Alonzo  de  Cardenas  du  ^août  dans  laquelle  il  informait 
leroi  qu'à  Londres  on  avait  publié  la  nouvelle  que  les  assassins  du  ré- 
sident du  Parlement  avaient  été  restituésàl'Eglise;  dans  cette  lettre  don 
Alonzo  disait  que  le  gouvernement  anglais  en  était  grandement  indi- 
gné, et  qu'il  se  plaignait  tout  haut,  menaçant  de  se  taire  donner  une 
satisfaction  si  on  ne  la  lui  donnait  pas.  A  cette  occasion  le  conseil 
d'État  a  de  nouveau  représenté  à  S.  M.  combien  il  importait,  par 
toute  sorte  de  motifs  exposés  dans  la  délibération,  de  punir  les  assas- 
sins du  résident;  il  ne  peut  que  répéter  à  S.  3L  qu'il  serait  bon  que 
S.  M.  daignât  décider  au  plus  tôt  dans  celte  affaire  en  envoyant  la 
lettre  que  don  Alonzo  vient  d'écrire  à  ce  sujet,  au  tribunal  devant 
lequel  s'est  poursuivie  et  se  poursuit  cette  affaire. 

8.  Le  9  septembre  il  y  a  eu  une  autre  délibération  du  conseil  in 
pleno.  et  on  a  transmis  à  S.  M.  les  deux  délibérations  dont  il  a  été 
question  plus  haut,  ainsi  qu'une  autre  prise  à  la  suite  d'une  réunion 
spéciale.  Le  conseil  a  discuté  la  question  de  savoir  s'il  fallait  accuser 
à  don  Alonzo  réception  doses  dépêches, particulièrement  de  celle  dans 
laquelle  il  rend  compte  des  demandes  que  fait  le  Parlement  au  sujet 
des  titres  et  du  protocole  dont  on  doit  se  servir  à  son  égard.  Le  con- 
seil a  été  d'avis  qu'il  serait  convenable  que  la  punition  des  coupables 
de  l'assassinat  du  résident  eût  lieu  avant  qu'on  répondît  à  don  Alonzo. 
A  cela  S.  M.  a  répondu  ainsi  qu'il  suit  :  «  Qu'on  agisse  conformément 
à  l'avis  du  conseil,  mais  qu'on  ne  réponde  pas  à  don  Alonzo  avant  que 
je  donne  des  ordres  à  cet  égard.  « 

9.  En  dernier  lieu,  après  la  délibération  du  13  octobre,  présent 
mois,  en  conseil  in  pleno  au  sujet  des  dépêches  reçues  dernièrement 
de  don  Alonzo,  à  cette  fin  que  S.  M.  réponde  au  Parlement  en  lui 
donnant  les  titres  qu'il  lui  demande,  ou  qu'Ellc  permette  audit  sei- 


HISTORIQUES.  299 

gneur  son  ambassadeur  de  s'éloigner  de  son  poste,  ainsi  que  pour 
presser  l'expédition  du  procès  des  assassins  du  résident  d'Angleterre, 
S.  M.  a  daigné  décider  ce  qui  suit: 

»  En  ce  qui  touche  l'afifaire  de  ceux  qui  ont  assassiné  le  résident 
du  Parlement,  j'ai  donné  les  ordres  nécessaires  pour  qu'on  procédât 
avec  toute  l'attention  possible  et  aussi  piomptement  que  cela  se  peut, 
sans  contrevenir  en  rien  aux  règles  de  la  justice  ;  car  en  même  temps 
j'ai  recommandé  que  tout  se  fit  selon  les  lois,  qu'on  ne  pressât  rien 
et  qu'on  n'allât  point,  par  aucune  raison  d'Etat  (juclconque,  au  delà 
de  ce  qui  se  doit.  Je  perdrais  plutôt  tous  mes  Etats  que  de  manquer 
à  ce  qui  est  mon  premier  devoir,  et  le  conseil  d'Etat  ne  me  conseillera 
jamais  autre  chose.  Si,  comme  cela  est  probable,  le  prononcé  de  la 
sentence  éprouve  quelque  délai,  on  rendra  compte  à  don  Alonzo  de 
l'état  où  se  trouve  l'affaire  et  on  lui  en  enverra  une  relation  dans  la 
forme  que  propose  le  conseil.  « 


3°  Don  Alonzo  de  Cardenas  à  don  Geronîmo  de  la  Torre. 

Londres,  20  décembre  IGSO. 

Cher  Monsieur, 

J'avais  bien  besoin  de  la  faveur  que  vous  m'avez  faite  en  m'écrivant 
ce  que  vous  m'écrivez  dans  votre  lettre  du  23  octobre  qui  m'est  par- 
venue avec  la  dépêche  de  Sa  Majesté  du  2^,  car,  d'après  ce  que  j'y 
vois,  il  me  faudra  encore  bien  attendre  et  bien  souffrir.  Les  gens 
d'ici  s'impatientent  de  voir  tant  de  délais  dans  la  satisfaction  qu'ils 
ont  exigée,  et  je  n'ai  aucun  moyen  humain  de  les  apaiser....  Ce  qui 
me  fait  le  plus  de  peine,  c'est  de  voir  que  tous  mes  efforts  auront  été 
en  pure  perte,  que  les  intérêts  de  S.  M.  seront  compromis  et  que  nous 
perdrons  le  grand  avantage  d'entretenir  la  désunion  entre  ce  gouver- 
nement-ci et  nos  ennemis;  quand  on  cherchera  à  remédier  au  mal, 
on  s'apercevra  que  l'occasion  a  écha|)pé  et  que  les  ordres  sont  venus 
trop  tard.  Je  crains  beaucoup  que  ce  malheureux  événement  de  l'as- 
sassinat d'Ascham  ne  soit  la  cause  de  beaucoup  d'embarras  et  de  désa- 
grément, à  moins  qu'on  ne  punisse  les  coupables  qui  se  sont  si 
volontairement  et  si  aveuglément  exposés  à  un  danger  si  évident  et 
nous  ont  enlevé  tous  les  avantages  que  nous  pouvions  retirer  de  l'An- 
gleterre. C'est  vraiment  extraordinaire  que,  dans  un  cas  si  atroce,  on 
n'ait  pas  encore  trouvé  moyen  d'en  finir,  et  qu'il  y  ait  on  Espagne 


ûOO  DOCUMENTS 

des  membres  du  clergé  qui  justifient  le  crime,  sans  faire  aucune  dis- 
tinction entre  des  cas  particuliers  et  un  crime  aussi  public  et  aussi 
grave,  un  crime  par  lequel  l'autorité  de  S.  M.  se  trouve  outragée,  les 
intérêts  de  l'Etat  compromis  et  dont  il  peut  résulter  d'immenses 
inconvénients. 

Quant  à  la  guerre  d'Ecosse,  je  puis  vous  dire  qu'indépendamment 
du  siège  de  la  citadelle  d'Edimbourg  qui  est  déjà  très-avancé,  on  a 
reçu  ici  la  nouvelle  d'une  autre  défaite  que  le  général  Cromwell  a  fait 
subir  aux  Ecossais  qui  ont  perdu  trois  mille  hommes  en  morts,  bles- 
sés et  prisonniers.  Les  nouvelles  d'Irlande  portent  que  les  catholi- 
ques, voj-ant  qu'il  leur  est  impossible  de  se  maintenir,  se  proposent 
d'envoyer  des  délégués  au  Parlement  pour  tenter  avec  lui  un  accom- 
modement et  obtenir  les  meilleures  conditions  possible. 

{Archives  de  Simancas.) 


HISTORIQUES.  301 

IV 

(Page  167.) 

lo  Louis  XI r  à  Cromwell. 

Saint-Germain,  2  février  10i9. 

Monsieur  Cromwell,  j'ai  le  cœur  si  touche' du  mauvais  état  auquel 
est  réduit  mon  frère,  oncle  et  cousin,  le  roi  delà  Grande-Bretagne, 
que  je  ne  puis  plus  longtemps  dissimuler  sans  être  éclairé  des  véri- 
tables intentions  de  ceux  qui  ont  sa  personne  royale  en  leur  pouvoir, 
ne  pouvant  pas  m'imaginer  que  ce  qui  s'est  dit  ici  puisse  avoir  autre 
fin  que  de  justifier  son  innocence,  afin  de  faire  honte  à  tous  ses  accu- 
sateurs; et  comme  vous  êtes  un  de  ceux  qui  y  pouvez  beaucoup  con- 
tribuer, je  vous  écris  celle-ci  en  particulier,  de  l'avis  de  la  reine  régente 
notre  dame  et  mère,  qui  vous  sera  rendue  par  le  sieur  de  Varenne, 
conseiller  de  mon  conseil  d'Etat  et  l'un  de  mes  gentilshommes  ordi- 
naires, que  j'envoie  exprès  pour  vous  faire  connaître  que  vous  avez 
en  main  une  occasion  de  vous  signaler,  en  faisant  une  action  juste  en 
faveur  de  votre  souverain ,  en  usant  bien  du  pouvoir  que  les  armes 
vous  ont  donné  sur  lui,  pour  le  remettre  dans  sa  dignité  et  dans  ses 
droits,  ce  qui  vous  serait  avantageux  par  la  récompense  que  vous  auriez 
méritée  et  par  le  bien  qui  en  reviendrait  à  votre  patrie,  le  repos  de 
laquelle  vous  devriez  procurer  :  et  ce  faisant ,  je  vous  en  serai  obligé 
et  vous  donnerai  de  solides  effets  de  ma  bonne  volonté.  Je  veux  bien 
juger  de  votre  intérieur,  et  croire  que  vous  vous  servirez  de  l'occasion 
pour  redonner  à  votre  prince  les  marques  de  la  grandeur  et  l'autorilé 
qui  lui  appartiennent,  faisant  une  chose  fort  glorieuse  et  qui  vous 
rendra  digne  de  toutes  les  grâces  et  faveurs,  particulièrement  de  la 
royauté,  et  qui  vous  seront  assurées  par  la  parole  que  je  vous  ai  don- 
née, et  parce  que  mes  intentions  vous  seront  plus  particulièrement 
expliquées  par  M.  de  Bellièvre,  mon  ambassadeur,  et  par  ledit  sieur 
de  Varenne,  en  qui  vous  prendrez  toute  créance.  Je  m'en  renicls  îx 
eux  de  s'étendre  davantage  sur  ce  sujet,  et  cependant  je  prierai  Dieu 
qu'il  vous  ait,  etc. 

1.  30 


302  DOCUMENTS 


2°  Louis  XIV  à  Fairfax. 

2  février  16i9. 

Monsieur  le  général  Fairfax,  nous  avons  toujours  cru  que  vous  aviez 
pris  le  commandement  (les  armées  d'Angleterre  avec  celte  seule  inten- 
tion d'assurer  le  repos  des  peuples  sous  la  juste  cl  légitime  domination 
de  leur  roi,  et  nous  ne  pouvons  pas  nous  ima[îiner  que  sa  personne 
royale,  étant  tombée  sous  voire  pouvoir,  puisse  davantage  être  mal- 
traitée, et  que,  si  vous  avez  quelques  raisons  qui  vous  aient  engagé 
d'en  venir  si  avant,  vous  serez  maintenant  plus  éclairé,  et,  après  avoir 
reconnu  ce  qui  est  seul  de  sa  dignité,  ne  perdrez  pas  l'occasion  d'à 
grandir  votre  fortune  en  rétablissant  la  sienne.  En  quoi,  si  mes  prières 
peuvent  être  elïlcaces  et  qu'il  se  traite  quelque  accommodement  en 
conjoncture  présente,  non-seulement  je  vous  en  saurai  gré,  mais  je 
veux  être  le  garant  de  l'exécution  des  promesses  qui  vous  seront  faites 
par  ledit  roi,  mon  frère,  oncle  et  cousin;  et  faisant  réflexion  sur  ce 
qui  vous  sera  plus  particulièrement  exposé  par  M.  de  Bellièvre  et  par 
le  sieur  de  Varenne,  je  prends  sujet  de  bien  espérer  de  votre  humeur 
généreuse,  qui  dpnnera  beaucoup  d'éclat  à  sa  réputation,  si  l'inno- 
cence du  roi  est  manifestée;  et  ne  pouvant  m'imaginer  qu'on  voulût 
mépriser  mes  instances  en  une  chose  si  juste  et  si  raisonnable,  et  qui 
me  tient  au  cœur  par  le  lien  du  sang  et  de  la  fraternité,  aussi  je  me 
persuade  qu'après  avoir  oui  ce  que  j'ai  mis  en  créance  sur  mon  ambas- 
sadeur et  sur  ledit  sieur  de  Varenne,  vous  prendrez  des  résolutions 
conformes  à  l'honneur  de  votre  profession  et  à  ce  que  doit  un  sujet  à 
son  roi  et  à  sa  patrie.  Sur  vos  assurances,  je  prierai  Dieu  qu'il  vous 
ait,  etc. 

(Manuscrits  de  Bi'ienne.  —  liibliolhèque  impériale.) 


d'à-  À 

ères  / 

n  la         / 


HISTORIQUES.  303 

V 

(Page  169  ) 

1"  D.  Al.  de  Cardenas  au  roi  d'Espagne  (Philippe  IV). 

Londres,  15  janvier  1649. 
Sire, 

Dans  ma  dépêche  du  18  décembre,  j'ai  rendu  compte  à  V.  M.  de  ce 
que  l'armée  des  Indépendants  avait  fait  jusqu'à  ce  jour  depuis  son 
arrivée  à  Londres;  les  choses  ont  marché  depuis  avec  une  grande  ra- 
pidité pour  aliotitir  à  l'état  où  se  trouvent  dans  ce  raoment-ci  les 
affaires  du  roi  (Charles  I>"')  que  l'on  a  transféré  du  château  de  Hurst  à 
celui  de  Windsor,  éloigné  de  vingt  milles  d'ici;  c'est  là  qu'on  le  tient 
renfermé  sous  bonne  et  siire  garde  ;  il  n'est  permis  à  personne  de  lui 
parler  ;  on  lui  i  efuse  les  objets  nécessaires  pour  écrire,  et  on  a  défendu, 
au  petit  nombre  de  domestiques  qu'on  lui  a  laissés  ,  de  s'agenouiller 
en  le  servant  et  d'observer  à  sou  égard  le  cérémonial  d'usage  et  les 
formes  de  respect  qu'on  lui  rendait  autrefois;  dans  les  publications 
imprimées,  faites  ces  jours-ci,  on  le  nomme  simplement  Charles  Stuart, 
sans  autres  titres.  A  part  l'insolence  de  ce  procédé,  il  y  a  là  une  lésion 
de  ses  droits,  car  lors  même  qu'on  le  dépouillerait  de  la  couronne  de 
ce  royaume,  il  lui  resterait  toujours  celle  d'Ecosse  et  celle  d'Irlande 
dont  le  Parlement  ne  peut  pas  le  priver... 

....  La  reine  de  la  Grande-Bretagne  a  écrit  au  Parlement  et  au  gé- 
néral Fairfax,  et  l'ambassadeur  de  France  a  reçu  des  lettres  adressées 
au  Parlement.  Ou  dit  qu'il  (le  Parlement)  ne  les  a  pas  ouvertes 
attendu  (jue  l'adresse  n'était  pas  réiiigée  d;ins  la  forme  voulue;  on  rap- 
porte qu'elles  contenaient  la  demande  d'un  sauf-conduit  pour  pren- 
dre congé  du  roi  avant  qu'on  ne  juge  Sa  Mnjesté. 

Depuis  quelques  jours  le  bruit  court  ici  (|u'un  ambassadeur  de 
France  arrivera  pour  intervenir  en  faveur  du  roi;  mais  jusqu'à  pré- 
sent on  ne  dit  pas  qui  sera  cet  ambassadeur,  car  le  prince  de  Condé, 
dequion  parlait, aurabien  delà  besogne  là-bas  (en  France).  Selon  les 
dernières  nouvelles  arrivées  ici,  il  y  a  eu  des  troubles  à  Paris  qui  ont 
forcé  LL.  MM.  Très-  Chrétiennes  de  se  sauver,  dans  la  nuit  de  la  veille 


304  DOCUMENTS 

de  l'Epiphanie,  de  celte  capitale.  De  même  il  a  couru  ici  le  bruit,  pro- 
pagé, à  ce  que  je  crois,  par  des  personnes  amies  du  roi,  que  Votre 
Myjestë  enverrait  un  ambassadeur  extraordinaire  dans  le  but  de  faire 
des  démarches  du  même  genre,  et,  il  y  a  deux  jours,  lorsqu'on  a  vu 
que  la  cause  du  roi  était  de  plus  en  plus  désespérée,  une  personne, 
envoyée  par  d'autres  personnes  du  parti  du  roi  et  du  parti  presbyté- 
rien, est  venue  chez  moi  pour  me  persuader  que,  puisqu'il  s'agissait 
de  la  cause  de  tous  les  rois  et  qu'il  importait  que  la  monarchie  fût  con- 
servée dans  la  personne  de  ce  roi  (Charles  l*^'),  je  devais,  dans  l'intérêt 
de  Votre  Majesté,  et  pour  acquitter  les  devoirs  de  l'amitié  que  Votre 
Blajesté  a  toujours  témoignée  au  roi  Charles,  que  je  devais,  dis-je,  de- 
mander une  audience  des  deux  Chambres  du  Parlement  et  du  conseil 
de  guerre,  et  employer  mes  bons  ofliccs  avec  la  promptitude  que  les 
circonstances  exigeaient,  en  déclarant  que  Votre  Majesté  ressentirait 
vivement  les  procédés  dont  on  use  à  l'égard  du  roi,  et  même  en  me 
servant  de  paroles  de  menaces  ;  on  njoutait  qu'une  telle  démarche 
serait  plus  tard  appréciée  par  les  fils  du  roi,  la  probabilité  étant  que 
la  couronne  retournerait  à  l'un  d'eux.  En  exprimant  le  chagrin  de 
voir  les  choses  réduites  à  cette  extrémité,  et  en  appuyant  beaucoup 
sur  l'impression  que  la  nouvelle  (d'une  catastrophe)  causerait  à  Votre 
Majesté,  j'ai  répondu  que  je  ne  doutais  pas  que  Votre  3Iajesté  ne 
nommât,  s'il  le  fajlait,  un  ambassadeur  extraordinaire  pour  la  repré- 
senter ici,  ou  qu'elle  ne  daignât  me  donner,  à  moi,  des  ordres  spé- 
ciaux pour  faire  des  démarches  de  cette  nature,  mais  que  sans  de  tels 
ordres,  je  n'osais  pas  me  charger  d'une  affaire  de  ce  genre  et  d'une 
telle  gravité.  Cette  même  personne  m'a  dit  qu'on  croyait  que  la  reine 
de  la  Grande-Bretagne  m'écrirait  pour  me  prier  d'employer  mes  bons 
offices;  mais  je  doute  qu'elle  le  fasse,  car  il  est  probable  qu'elle  aura 
compris  que  mes  excuses  pouvant  s'appuyer  sur  le  manque  d'instruc- 
tions, je  ne  manquerais  pas  de  m'en  servir  auprès  d'elle,  surtout  la 
reine  ne  pouvant  pas  ignorer  que,  quel  que  soit  l'empressement 
qu'on  y  mette,  il  n'empêchera  pas  le  Parlement  et  l'armée  de  pour- 
suivre la  marche  qu'ils  ont  adoptée  à  l'égard  du  roi.  Les  Indépendants 
soit  pour  se  concilier  les  catholiques  d'Angleterre  et  les  empêcher  de 
faire  aucune  démonstration  en  faveur  du  roi,  soit  parce  qu'une  telle 
conduite  est  d'accord  avec  le  principe  de  cette  secte,  la  liberté  de 
conscience,  ont  fait  espérer  cette  liberté  aux  catholiques,  et  ceux-ci 
ont  grand  espoir  de  l'obtenir,  ou  au  moins  d'obtenir  la  permission 
d'exercer  leur  culte  et  de  voir  abroger  les  lois  pénales  qui  sont  en 
vigueur  à  leur  égard.  Voilà  tout  ce  que  j'en  puis  dire  à  Votre  Jlajesté. 
Que  Dieu,  etc. 


HISTORIQUES.  308 

2"  Don  Jlauzo  de  Cardcnas  au  mi  d'Espagne. 

Londres,  18  février  lGi9. 

Sire, 

Dans  ma  dépêche  du  12  de  ce  mois,  j'ai  rendu  compte  à  Votre 
Jlajcsté  de  la  triste  fin  du  roi  de  la  Grande-Bretagne;  j'ai  réservé  àja 
présente  un  expose  du  tour  que  vont  prendre  les  affaires  de  ce  pays. 
J^'opinion  générale  est  que  le  gouvernement  monarchique  va  faire 
place  à  un  gouvernement  populaire  par  l'ctahlissenient  d'une  répu- 
blique dont  le  pian,  à  ce  (ju'on  m'a  assuré,  a  été  fait  il  y  a  déjà  quel- 
que temps  et  sera  publié  sous  peu.  On  dit  aussi  que  le  Parlement 
actuel  ne  durera  que  jusqu'à  la  fin  du  mois  d'avril  prochain,  qu'alors 
il  se  dissoudra  en  laissant  un  comité  composé  de  vingt-cinq  person- 
nes, ou  davantage,  investi  de  l'autorité  suprême,  jusqu'au  premier 
jeudi  du  mois  de  juin,  époque  à  laquelle  entrera  en  fonction  un  nou- 
veau gouvernement  composé  d'une  représentation  nationale  de  quatre 
cents  personnes  nommées  par  les  comtes  et  les  villes  de  l'Angleterre, 
chaque  circonscription  électorale  étant  chargée  d'élire  un  certain 
nombre  de  délégués,  conformément  à  l'acte  que  le  Parlement  votera 
avant  de  se  dissoudre  j  ces  délégués  seront,  comme  qui  dirait,  des 
procureurs  du  comté  ou  de  la  \ille  qui  les  choisirait,  comme  l'étaient 
ceux  qui  formaient  jusqu'ici  la  Chambre  des  communes.  De  cette 
manière  il  n'y  aurait  plus  de  Parlement,  et  le  corps  qu'on  se  propose 
de  créer  différerait  des  parlements  en  ce  qu'il  serait  en  permanence  ; 
seulement  ceux  qui  le  composeraient  ne  seraient  élus  que  pour  deux 
ans.  On  croit  qu'on  a  imaginé  ce  plan  pour  exclure  du  gouvernement 
du  pays  la  noblesse  et  tous  les  personnages  titrés,  à  moins  qu'ils  ne 
soient  élus  par  quelque  comté  ou  ville.  Les  Indépendants  ne  trouvant 
pas  que  ce  lût  assez,  la  Chambre  des  communes  a  décidé,  par  un  vote 
du  16  de  ce  mois,  qu'à  l'avenir  il  n'y  aurait  plus  de  Chambre  haute 
ou  Chambre  des  barons.  C'est  un  sysièmc  qu'elle  a  aJoplé  pour  effa- 
cer dans  l'esprit  d'un  grand  nombre  la  douleur  causée  par  l'exécution 
du  roi,  en  faisant  voir  que,  la  Chambre  des  lords  une  fois  écartée  de 
tout  gouvernement,  les  affaires  du  pays  resteront  sans  partage  au 
peuple  et  (jueson  pouvoir  et  son  autorité  s'en  accroîtront.  A  la  suite 
de  ces  résolutions,  il  y  aura  de  grands  changements  dans  les  lois  qui 
étaient  conçues  jusqu'ici  dans  l'esprit  de  la  constitution  monarchique 
du  pays;   aussi  s'occupc-t-on  déjà  de  les  changer,  et  de  faire  des  sla- 

26. 


306  D0CU3IENTS 

tuls  abrogeant  les  lois  anciennes.  On  espère  que,  parmi  ces  lois 
destinées  à  être  abrogées,  seront  comprises  les  lois  pénales  concer- 
nant les  catholiques;  chose  qui,  si  elle  a  réellement  lieu,  devra  être 
attribuée  aux  arrêts  particuliers  de  Dieu  qui  aura  voulu  manifester 
combien  ses  décrets  sont  immuables,  puisqu'il  aura,  par  des  voies  si 
mystérieuses  et  si  inespérées,  apporté  un  soulagement  à  ces  pauvres 
catholiques  qui  ont  souffert  une  persécution  si  terrible.  Aujourd'hui 
déjà,  grâce  aux  Indépendants,  les  catholiques  peuvent  circuler  libre- 
ment dans  cette  capitale  et  dans  tout  le  pays,  sans  que  personne  leur 
fasse  du  mal;  bien  qu'on  puisse  craindre  que  ce  ne  soit  une  ruse  de 
ces  gens  (les  Indépendants),  dans  le  but  de  se  concilier  le  parti  catho- 
lique en  adoucissant  les  rigueurs  dont  il  a  été  l'objet  de  la  part  des 
presbytériens. 

Le  roi  n'étant  plus  en  vie  et  ses  descendants  se  trouvant  exclus  du 
trône,  il  paraît  (juc  les  lettres  de  créance  de  tous  les  ambassadeurs 
sont  expirées  et  qu'il  faudra  que  chaque  souverain  les  renouvelle  à 
son  envoyé,  pour  l'accréditer  non-seulement  auprès  du  Parlement 
actuel  tant  qu'il  durera,  mais  encore  auprès  du  gouvernement  qu'on 
se  propose  d'introduire.  Il  paraît  que  ces  lettres  de  créance  devront 
être  précédées  d'une  reconnaissance  de  ce  gouvernement  comme  pou- 
voir légitime,  et  qu'il  faudra  se  servir  de  formules  convenables  on 
lui  écrivant  et  le  traiter  de  souverain,  litre  auquel  il  prétendra.  Ceci 
étant  un  point  d'urte  grande  importance,  j'ai  cru  devoir  appeler  à  ce 
sujet  l'attention  de  Votre  Majesté  afin  qu'Elle  daigne  m'ordonncr 
telle  résolution  qui  lui  paraîtra  convenable.  C'est  pour  avoir  prévu 
ces  inconvénients  que  j'ai  cru  devoir  représenter  à  Votre  Majesté, 
dans  ma  dépêche  du  20  août  de  l'année  passée  transmise  par  le  secré- 
taire Geronimo  de  la  Torrc,  qu'il  serait  dans  rinlérèt  du  service  de 
Votre  Majesté  qu'il  n'y  eût  pas  ici  d'ambassadeur  de  Votre  Majesté, 
mais  seulement  un  agent  chargé  de  rendre  compte  dc.cc  qui  se  passe- 
rait, jusqu'au  moment  où  les  choses  reprendraient  leur  assiette  et  où 
l'on  pourrait  voir  à  quoi  aboutira  ce  gouvernement-ci.  Aujourd'iiui 
je  serais  porté  à  croire  que,  si  Voire  Majesté  prenait  cette  résolution, 
on  éviterait  des  embarras  qui  ne  manqueraient  pas  de  surgir  dans  le 
cas  où  Votre  31ajesté  ne  daignerait  pas  reconnaître  le  gouvernement 
qu'on  se  propose  de  créer,  ni  me  renouveler  mes  lettres  de  créance  ; 
si  ce  gouvernement  me  les  demandait  sans  que  je  pusse  les  lui  pré- 
senter, il  cesserait  de  me  regarder  comme  un  personnage  revêtu  d'un 
caractère  public  et  ambassadeur  de  Votre  Majesté. 

Les  Etats  de  Hollande  avaient  envoyé  deux  ambassadeurs  au  Paie- 
ment pour  intercéder  en  faveur  du  feu  roi;  ils  étaient  venus  ici  le 
5^ de  ce  mois,  dans  la  nuit  qui  a  précédé  le  jour  où  la  sentençç  a  été 


HISTORIQUES.  5(^ 

prononcée  contre  le  roi.  Le  8,  ils  ont  eu  une  audience  du  Parlement 
et  ont  proposé  différentes  combinaisons;  ils  offraient  leur  médiation 
en  faveur  du  roi  qui  comparaîtrait  en  jugement  dès  qu'on  le  deman- 
derait, et  les  États  s'engageaient  à  donner  des  garanties  de  l'accom- 
plissement de  cette  promesse  ;  mais  cette  combinaison  n'étant  pas 
agréée,  les  ambassadeurs  ont  prié  le  Parlement  de  se  borner  à  déposer 
le  roi  en  lui  conservant  la  vie  et  d'accepter  pour  roi  le  prince  de  Galles- 
ils  ont  offert  la  même  médiation  et  les  mêmes  garanties  relativement 
à  l'accomplissement  de  ce  qui  serait  convenu  avec  le  prince.  Mais  le 
Parlement,  avant  même  de  répondre  aux  ambassadeurs,  a  fait  exécu- 
ter la  sentence  et  a  défendu  à  qui  que  ce  soit  de  nommer  le  prince  de 
Galles  roi  d'Angleterre  et  d'Irlande.  Les  ambassadeurs  en  ont  conçu 
beaucoup  de  mécontentement  et  de  dépit;  l'un  d'eux  est  Adrien  de 
Pauw;  c'est  noire  ami  de  Hollande,  le  même  qui  était  plénipotentiaire 
pour  la  Hollande,  à  3Iunstcr,  lors  de  la  conclusion  delà  paix  générale. 
Je  les  ai  déjà  vus  et  j'ai  eu  avec  eux  des  rapports  d'amitié  et  de  cor- 
respondance; bler  ils  m'ont  fait  une  visite  et  se  sont  montrés  affec- 
tueux et  satisfaits. 

L'archiduc  m'a  écrit  une  lettre  le  6  de  ce  mois;  je  l'ai  reçue  le  10, 
le  lendemain  de  l'exécution  du  roi;  il  m'y  ordonnait  d'employer  mes 
bons  offices  avec  tout  l'empressement  nécessaire,  à  l'effet  de  demander 
un  sursis  dans  l'affaire  du  roi,  jusqu'au  moment  où  arriverait  un  per- 
sonnage que  son  souverain  avait  résolu  d'envoyer  dans  ce  but.  Mais 
quand  même  la  lettre  de  l'archiduc  ne  serait  pas  arrivée  trop  tard,  il 
est  certain  qu'aucun  empressement  humain  n'aurait  empêché  les 
Indépendants  de  poursuivre,  à  l'égard  du  roi,  la  marche  qu'ils  avaient 
une  fois  adoptée;  leur  opiniâtreté  à  le  faire  mourir  était  incroyable; 
elle  était  fondée  sur  leurs  craintes,  car  sa  mort  seule  pouvait  les 
garantir  contre  les  effets  de  l'offense  dont  ils  se  sont  rendus  coupa- 
bles envers  lui,  et  son  existence  était  un  obstacle  aux  plans  (ju'ils 
\ont  mettre  à  exécution.  On  l'a  bien  vu,  non-seulement  à  la  manière 
étrange  et  violente  avec  laquelle  on  a  conduit  son  procès,  mais  encore 
à  la  promptitude  avec  lacjuclle  on  en  a  pressé  la  conclusion.  Le 
25  janvier,  le  roi  était  arrivé  dans  la  nuit  i\  Londres;  le  lendemain  on 
le  mit  en  jugement;  le  (5  du  présent  mois  de  féviier,  on  le  condamna, 
et  le  9  on  l'exécuta,  sans  avoir  perdu  une  seule  heure  ni  ponr  le  juger, 
ni  pour  l'exécuter.  Et  en  effet  on  ne  devait  p:is  s'attendre  à  moins  de 
la  part  de  ses  juges,  car,  outre  qu'ils  étaient  parfaitement  illégaux  et 
sans  aucune  autorité  qui  les  autorisât  à  le  juger,  ils  étaient  ses  enne- 
mis, et  les  plus  intéressés  à  le  perdre.  Aucun  des  personnages  titrés 
ou  barons  n'a  pris  part  à  ce  jugement;  au  contraire  la  plupart  d'entre 
eux  ont  quitte  Londres  j  un  grand  nombre  ne  sont  pas  encore  rcvC' 


508  DOCUMENTS 

nus,  d'au  1res  ne  se  laissent  pas  voir.  Les  ambassadeurs  de  France  et 
de  Hollande  ont  pris  le  deuil  et  Ton  fait  prendre  à  leur  maison;  j'en 
ai  fait  autant  :  c'est  une  manifestation  duc  à  la  mémoire  du  roi; 
d'ailleurs  on  serait  mal  vu  ici  si  on  négligeait  de  la  faire.  Que  Dieu 
garde  Votre  Majesté,  etc.,  etc. 


3o    Délibéralioii    du    conseil     d'Etat    d'Espagne    sur    les    affaires 
d'Angleterre. 

Madrid,  43  mars  1049. 

(  A  celte  séance  du  conseil  d'Etat  ont  pris  part  le  comte  de 
Castrillo  et  les  marquis  de  Castcl  Rodrigo  et  de  Valparaiso.  ) 

Résume.  —  Le  Conseil  exprime  son  opinion  sur  le  contenu  des 
dépêches  dedonAlonzo  deCardenas  au  sujet  des  affaires  d'Angleterre 
et  des  projets  des  Français  sur  l'Irlande.  Vient  ensuite  une  décision 
parafée  de  la  main  du  roi,  et  de  la  teneur  suivante  :  On  ne  ré- 
pondra rien  (  à  don  Alonzo  )  relativement  à  l'excuse  dont  il  s'est 
servi  pour  ne  pas  intercéder  en  faveur  du  roi  Charles  I«f  auprès  du 
Parlement  ;  mais  on  approuvera  sa  conduite  dans  la  négociation 
avec  l'abbé....  et,  dans  ses  efforts  pour  faire  une  diversion  aux 
projets  des  Français  ;  on  ne  lui  donnera  cependant  point  de  nou- 
veaux pouvoirs,  car  après  un  événement  aussi  grave  et  aussi  ex- 
traordinaire que  celui  dont  il  est  question,  il  faut,  avant  de  prendre 
une  résolution,  voir  le  changement  qui  surviendra  dans  les  affaires 
d'Angleterre,  et  examiner  ce  qu'il  nous  conviendra  de  faire.  »  — 
Exécuté  le  15  mars.  —  Geronimo  de  la  Torrc. 

Sire, 

Les  lettres  de  don  Alonzo  de  Cardcnas  apportées  par  le  dernier 
courrier  à  Votre  Majesté  et  au  secrétaire  Geronimo  de  la  Torre,  ont 
été  mises  sous  les  yeux  du  Conseil,  comme  V.  31.  l'avait  ordonné. 
Ces  lettres  rendent,  en  détail,  compte  à  Votre  Majesté  de  l'état  des 
choses  en  Angleterre,  du  danger  dans  lequel  le  roi  se  trouvait  par 
suite  de  la  nomination  des  juges  qui  devaient  examiner  les  accusa- 
tions portées  contre  lui,  et  des  craintes  qu'on  avait  de  lui  voir  ôter 
la  vie.  Elles  rapportent  le  bruit  qui  courait  de  l'arrivée  d'un  ambas- 
sadeur extraordinaire  de  France  pour  intercéder  en  faveur  du  roi 
auprès  du  Parlement  ;  et  elles  disent  qu'à  l'occasion  de  ce  bruit 
quelques  personnes  du  parti  du  roi  cl  de  celui  des  presbytériens  ont 


HISTORIQUES.  309 

parlé  à  don  Alonzo  pour  l'engager,  puisqu'il  importait  à  la  cause  de 
tous  les  rois  que  la  monarchie  fût  conservée  dans  la  personne  du 
roi  d'Angleterre  et  que  c'était  un  devoir  de  l'amitié  que  V.  M.  a 
toujours  témoignée  à  ce  prince,  à  demander  une  audience  du  Par- 
lement et  à  employer  ses  bons  odices  au  nom  de  V.  M.,  en  disant 
que  V.  M.  serait  offensée  si  l'on  intentait  un  ])roccs  au  roi  ;  à  quoi 
don  Alonzo  a  répondu  qu'il  déplorait  le  danger  auquel  le  roi  élait 
exposé,  que  V.  M.  éprouverait  un  grand  chagrin  en  apprenant  tout 
cela,  et  qu'il  ne  doutait  pas  qu'Elle  n'envoyât,  s'il  le  fallait,  uu 
ambassadeur  extraordinaire  pour  employer  ses  bons  offices,  ou 
qu'Elle  ne  lui  envoyât,  à  lui,  l'ordre  de  faire  les  représentations 
qu'on  lui  demandait,  mais  que  sans  cet  ordre  il  n'osait  pas  s'engager 
dans  une  affaire  de  cette  nature  et  d'une  telle  importance.  Les  dé- 
pèches de  don  Alonzo  disent  encore  que  les  Indépendants  ont  donné 
des  espérances  aux  catholiques  relativement  à  la  liberté  do  con- 
science, dans  le  but  de  s'assurer  leur  appui  et  de  les  empéthcr  de 
faire  une  démonstration  en  faveur  du  roi. 

Don  Alonzo  rend  compte  ensuite  de  la  manière  dont  il  s'y  est  pris 

])Our  mettre  l'abbé ,   Irlandais  arrivé  de  Paris,  en  rapport  avec 

le  Parlement  ;  cet  abbé  a  donné  à  entendre,  dans  quelques  confé- 
rences qu'il  a  eues  avec  un  comité  de  cinq  personnes  chargées  spé- 
cialement de  traiter  cette  question,  que  les  Français  avaient  des 
projets  sur  l'Irlande,  chose  dont  les  personnes  du  comité  avaient 
déjà  eu  quelque  connaissance  ;  il  leur  a  communiqué  aussi  quelques 
papiers  concernant  cette  affaire  et  leur  en  a  laissé  copie  

Dans  cette  conférence  on  a  discuté  les  moyens  de   conclure 

une  alliance  avec  V.  ftl,  soit  pour  une  guerre  offensive  et  défensive, 
soit  pour  une  guerre  défensive  seulement;  et  les  membres  de  la  confé- 
rence n'ont  vu  de  difficultés  que  dans  les  embarras  de  leurs  affaires 
intérieures  qui  ne  leur  permettaient  pas  d'agir  au  dehors  comme 
ils  désireraient 

Don  Alonzo  fait  observer  que,  pour  le  cas  d'une  convention  à 
conclure,  il  serait  nécessaire  que  V.  M.  envoyât  les  pleins  jiouvoirs 
suffisants  et  de  l'argent  qui  est  Indisjjensable,  surtout  quiind  on  a 
affaire  à  une  nation  aussi  intéressée  que  le  sont  les  Anglais. 

Don  Alonzo  rapporte  ensuite  qu'il  s'est  eni|)!oyé  à  faire  en  sorte 
que  le  Parlement  anglais  entretienne  de  bons  rapports  avec  le  Parle- 
ment de  France  et  encouiage  ses  résolutions  ;  on  lui  a  dit  qu'on 
écrirait  au  lésidcnt  anglais  à  Paris  poui'  offrir  l'assistance  de  la  flotte 
ainsi  que  d'autres  secours;  enfin  don  Alonzo  finit  en  disant  qu'il 
serait  convenable  que  V.  M.  envoyât  quelipuvs  secours  d'argent  au 
parti  du  clergé  irlandais,  que  par  ce  moyen  on  gagnerait  certaines 


510  D0CU5IENTS 

personnes  dans  ce   pays,  et  il  ajoute  que  Tabbé cherche  avec  le 

plus  grand  zèle  à  amener  un  accord  entre  le  Parlement  anglais 
et  le  royaume  d'Irlande,  afin  que  leurs  forces  réunies  chassent  de  là 
les  Ecossais  et  les  Irlandais  qui  marchent  ensemble  sous  la  protec- 
tion de  la  France.  Don  Alonzo  dit  qu'il  prêtera  son  concours  à  ce 
plan  si  avantageux  pour  les  intérêts  de  Dieu  et  de  Votre  Majesté.  Il 
s'étend  à  ce  sujet  dans  ses  dépêches  que  le  Conseil  renvoie  à  V.  M. 
avec  la  présente  délibération. 

Le  Conseil,  après  avoir  conféré  sur  le  contenu  de  ces  dépêches,  a 
émis  les  opinions  suivantes  : 

Le  comie  de  Castrillo  :  La  première  partie  de  la  dépêche  qui  a  été 
mise  sous  les  yeux  du  Conseil,  et  qui  a  été  envoyée  par  don  Alonzo, 
contient  des  rapports  sur  ce  qui  se  passe  en  Angleterre,  surtout  au 
sujet  de  l'emprisonnement  et  du  procès  du  roi  ainsi  que  de  l'événe- 
ment auquel  on  s'attend  ;  c'est  là  une  affaire  qui,  par  plusieurs 
motifs,  peut  et  doit  donner  lieu  à  de  profondes  considérations,  bien 
qu'elle  n'exige  plus  ni  ordre  ni  résolution  quelconque  de  la  part  de 
V.  M.,  car  il  parait  qu'une  intervention  ou  des  démarches  quelconques 
auprès  du  l'arlement  ou  auprès  du  tribunal  institué  en  vue  de  ce 
procès,  seraient  inopportunes  si  l'on  a  déjà  accompli  ce  qui  était  à 
prévoir  ;  on  dit  même  qu'on  a  déjà  tranché  la  tête  au  roi  d'Angle- 
terre. Les  efforts  de  V.  M.  seraient  donc  sans  résultat,  et  le  comte 
de  Castrillo  ne  croit  pas  que  l'Espagne  ait  fait  une  pareille  démarche 
dans  d'autres  occasions  semblables,  c'esl-à-dire  lorsque  d'autres  rois 
d'Angleterre  ont  été  déposés.  D'ailleurs,  l'affaire  une  fois  placée  sur 
le  terrain  judiciaire,  il  était  facile  d'éluder  toute  démarche.  Seule- 
ment le  comte  de  Castrillo  aurait  voulu  que  don  Alonzo  n'eût  pas  dit 
qu'il  n'avait  point  d'ordre  de  V.  31.,  mais  plutôt  qu'il  eût  donné  à 
entendre  qu'il  en  attendait.  Il  y  aurait  fort  à  réfléchir  sur  ce  qu'on 
devrait  lui  répondre  ;  mais  pour  ne  pas  tomber  ni  duns  l'un  ni  dans 
l'autre  extrême,  on  pourrait,  en  donnant  pour  motifs  les  bruits  qui 
courent  et  les  conjectures  au  sujet  de  ce  quedon  Alonzo  rapporte,  lui 
répondre  que  ses  démarches  seraient  inopportunes,  ou  bien  passer 
entièrement  ce  point  sous  silence.  C'est  ce  qui  ne  serait  pas  le  plus 
mauvais  parti  à  prendre. 

L'autre  partie  de  ladépêche.concerne  les  machinationsdes Français, 
ainsi  que  les  pourparlers,  les  négociations  et  les  partis  du  royaume 

d'Irlande,   le   voyage   que   l'abbé a   fait,  les  démarches   de   don 

Alonzo  pour  le  faire  entrer  à  Londres  et  le  compte  rendu  de  cette 
affaire  ainsi  que  la  conduite  qu'il  a  tenue.  En  premier  lieu  il  faut 
l'approuver  ;  et  comme  il  importe  de  faire  échouer  autant  que  pos- 
sible les   projets  des  Français,  on  pourrait  répondre  à  don  Alonzo 


HISTORIQUES.  Si  I 

qu'il  faut  qu'il  agisse  dans  ce  sens,  et  qu'il  entretienne,  ainsi  qu'il  y 
paraît  décidé,  dans  l'intérêt  de  V.  M.,  ses  bons  rapports  avec  les 
membres  du  clergé  et  avec  les  anciens  Irlandais,  ainsi  qu'avec  ceux 
qui  sont  de  leur  parti  en  tout  ce  qui  louche  à  la  religion,  car  c'est 
là  l'intérêt  principal  de  V.  M. 

Dans  le  reste  de  sa  dépêche,  don  Alonzo  demande  à  V.  M.  des  pleins 
pouvoirs  pour  le  cas  où  une  alliance  pourrait  être  conclue  en  An- 
gleterre. Mettant  de  côté  que  Votre  Majesté  n'est  pas  trop  disposée  à 
conclure  des  traités  avec  des  hérétiques  (car  ce  point  mérite  bien 
d'être  considéré),  le  comte  de  Caslrillo  ne  pense  pas  que  V^otre 
Majesté  doive  maintenant  envoyer  les  pleins  pouvoirs  qui  lui  sont 
demandés  par  don  Alonzo.  L'ordre  de  choses  en  Angleterre  n'est 
pas  bien  établi  ;  les  affaires  sont  encore  dans  un  moment  de  crise  ; 
il  peut  encore  survenir  des  causes  de  grand  trouble  ;  à  quoi  l'on  doit 
ajouter  les  affaires  de  France.  Il  paraît  donc  plus  convenable  de  ne 
pas  décider  ce  point  dansée  moment  et  de  répondre  à  don  Alonzo 
que  les  pleins  pouvoirs  ne  lui  manqueront  pas  dès  que  les  circon- 
stances les  rendront  nécessaires.  Qu'il  cherche  toujours  à  frayer  la 
voie  aux  négociations  avantageuses  pour  V.  M.  en  examinant  bien  le 
fond  des  choses,  et  qu'il  rende  compte  de  tout. 

Le  marquis  de  Caslel  Rodrigo  :  Bien  que  le  roi  d'Angleterre 
(Charles  1er)  ait  si  mal  agi  envers  V.  M.  lors  des  affaires  du  Por- 
tugal, et  dans  d'autres  circonstances,  tous  les  princes  ne  peuvent 
que  ressentir  vivement  ce  qui  lui  est  arrivé,  à  cause  de  l'affront 
qu'en  a  reçu  la  dignité  royale.  D'un  autre  côté,  le  marquis  pense 
qu'il  résultera  de  là  de  grands  avantages  pour  V.  BI.,  par  suite 
de  la  haine  et  de  la  méfiance  qui  doivent  nécessairement  surgir 
entre  les  Indépendants  et  la  France  ;  non-seulement  à  cause  des 
biens  de  parenté  de  la  veuve  du  roi  avec  la  France,  mais  encore  à 
cause  de  la  chute  des  Presbytériens  qui  étaient  du  parti  français. 
Les  hommes  maintenant  au  pouvoir  chercheront  toujours  à  abais- 
ser les  patrons  des  Presbytériens;  et  comme  la  puissance  de  la 
France  est  grande,  ils  doivent  s'appliquer  à  lui  susciter  des  em- 
barras et  à  y  semer  des  divisions  ;  ils  le  pourront  mieux  que  qui 
que  ce  soit  à  cause  du  voisinage  et  des  rapports  ipi'ils  ont  avec  les 
huguenots.  De  cette  manière  et  par  ce  moyen,  on  pourra  faire  beau- 
coup sans  paraître,  comme  l'a  déjà  proposé  le  marquis  à  don  Louis 
de  Haro.  Et  même  le  marquis  n'éprouve  aucun  scrupule  à  ce  que 
V.  M.  favorise  les  huguenots  de  France,  car  la  guerre  que  leur  roi 
leur  a  faite  n'était  pas  une  guerre  de  religion,  mais  de  politique; 
il  ne  la  faisait  qu'aux  murailles  des  villes  qu'il  a  détruites  en  leur 
laissant  l'exercice  de  leur  religion  :  d'ailleurs  la  liberté  de  conscience 


312  DOCUMENTS 

est  admise  dans  toute  la  France.  A  cela  il  faut  ajouter  le  grand  pré- 
judice que  la  tranquillité  intérieure  de  la  France  a  causé  à  toute  la 
chrétienté,  car  c'est  ainsi  que  la  religion  catholique  a  péri  en  Alle- 
magne et  que  l'ile  de  Candie  est  tombée  au  pouvoir  des  Turcs  :  de 
sorte  que  tout  ce  qu'on  pourrait  faire  pour  susciter  des  embarras  aux 
Français  paraît  au  marquis  absolument  nécessaire... 

Selon  l'opinion  du  marquis,  il  faut  donc  savoir  gré  à  don  Alonzo 
de  ce  qu'il  a  fait  à  ce  sujet  et  lui  ordonner  expressément  de  conti- 
nuer à  agir  ainsi  et  à  fomenter  ces  désaccords  par  tous  les  moyens  en 
son  pouvoir,  en  s'entcndant  toujours  avec  le  comte  de  Peiïaranda, 
car  lors  même  que  la  paix  serait  faite,  il  faudrait  agir  ainsi  pour  la 
conserver.... 

Lorsque  les  circonstances  seront  favorables,  on  pourra  en- 
voyer des  pleins  pouvoirs  à  don  Alonzo.  Pour  le  moment  on  lui  dira 
qu'on  ne  les  îui  envoie  pas  par  les  raisons  qui  viennent  d'être  expli- 
quées, à  moins  que  V.  M,  ne  juge  convenable  de  les  transmettre  au 
comte  de  Penaranda  pour  les  expédier  à  don  Alonzo  dès  que  le  mo- 
ment sera  opportun. 

Le  marquis  pense,  comme  le  comte  de  Castrilio,  que,  dans  la  ré- 
ponse qu'on  fera  à  don  Alonzo,  il  faudra  passer  sous  silence  tout  ce 
qui  concerne  l'intervention  qu'on  lui  a  demandée  en  faveur  du  roi 
(Charles  I"). 

Le  marquis  de  f'alparaiso  partage  l'opinion  des  membres  pré- 
cédents.... 

....  Quant  à  ce  que  dit  don  Alonzo  que  le  Parlement  d'Angleterre 
a  l'intention  d'offrir  des  secours  à  celui  de  France,  il  faut  l'y  encou- 
rager en  cherchant  ensuite,  par  tous  les  moyens  possibles,  à  faire  en 
sorte  que  cela  échoue,  quand  même  il  faudrait  y  dépenser  quelque 
argent.  On  recommandera  aussi  à  don  Alonzo  que,  puisqu'il  a  des 
renseignements  si  détaillés  et  de  source  certaine  sur  les  mouvements 
et  les  démarches  de  la  France,  il  continue  à  informer  V.  M.  de  tout 
sans  manquer  aucune  occasion  de  le  faire.  Du  reste  V.  M.  ordon- 
nera ce  qui  lui  semblera  bon. 


HISTORIQUES.  315 

VI 

(Page  171.) 


1°  L'urc/iidiir  Loopold  {youverneur  des   Pays-Iios)  an  roi  d'Esjnajtte 
{Philippe  IV). 

Bruxelles,  l  mars  1049. 

Henri  de  Vie,  résident  du  feu  roi  d'Angleterre,  élant  sur  le  point 
de  retourner  à  la  Haye,  m'a  prié  d'écrire  à  sou  maître  pour  lui  ex- 
primer mes  sentiments  de  condoléance  à  l'occasion  de  la  mort  de  son 
père  (Charles  I")  et  de  répondre  ainsi  à  deux  lettres  qu'il  m'avait 
écrites  lorsqu'il  s'appelait  prince  de  Galles.  Il  n'y  avait  aucune 
difficulté  à  traiter  avec  ce  prince  jusqu'au  moment  où  l'Angleterre, 
après  avoir  ôtc  la  vie  à  son  roi  et  souverain  légitime,  a  statué  qu'à 
l'avenir  elle  ne  serait  plus  gouvernée  par  un  roi,  en  dépouillant  en 
même  temps  les  descendants  du  roi  défunt  de  leur  héritage  légitime. 
Comme  il  se  trouve  dans  ce  moment-ci  à  Londres  un  ambassadeur  de 
V.  M.  qui  n'a  pas  encore  reçu  d'instructions  au  sujet  de  la  manière 
dont  il  doit  agir  avec  les  parlementaires,  je  n'ai  pas  voulu  être  le 
premier  à  décider  la  question  de  savoir  comment  doit  être  traité  le 
prince  dépouillé,  si  injustement  et  contre  tout  droit,  de  son  royaume 
et  de  ses  États.  J'ai  entendu  dire  que  les  Hollandais  ont  envoyé  des 
délégués  pour  exprimer  leurs  condoléances  au  prince,  et  que  ceux-ci 
l'ont  appelé  Sire  en  français,  et  que  même  une  fois  ils  l'ont  traité  de 
Majesté,  quoique  en  prononçant  indistinctement  ce  mot,  et  sans  vou- 
loir mettre  par  écrit  ce  qu'ils  avaient  dit  de  vive  voix.  C'est  pour- 
quoi j'ai  chargé  le  secrétaire  d'Etat  d'exposer  au  résident  anglais  les 
raisons  qui  m'empêchaient  de  répondre  aux  lettres  du  prince,  et  me 
décidaient  à  attendre  que  l'empereur  mon  maître  et  Votre  Majesté 
eussent  arrangé  d'abord  cette  affaire  avec  son  maître  ;  j'ai  ajouté  que, 
si  je  ne  me  trouvais  pas  ici  comme  gouverneur  de  ces  |)rovinces,  je 
ne  refuserais  point  au  prince,  en  ma  qualité  de  fils  d'empereur  et 
d'archiduc,  un  titre  que  lui  donnent  sa  naissance  et  une  si  longue 
succession  de  rois.  Le  résident  a  paru  satisfait  de  ma  réponse  et  a 
envoyé  chez  moi  en  me  demandant  d'écrire  oniciclleincnt  à  S.  M. 
l'empereur  et  à  Votre  .Majesté  pour  les  prier  de  ne  pas  manquer  à 
i.  27 


.TU  DOCUMENTS 

ce  devoir  de  piété  envers  son  maître,  attendu  que  toute  l'Europe 
est  en  suspens  relativement  à  la  résolution  que  prendront  à  cet  égard 
les  deux  plus  grands  souverains  du  monde.  Votre  Majesté  daignera 
me  faire  connaître  ses  ordres  au  sujet  de  la  manière  dont  je  devrai 
agir  dans  cette  circonstance.  Jusqu'à  ce  moment  je  différerai  d'a- 
voir des  rapports  avec  ce  prince  infortuné  à  tant  d'égards.  Que 
Dieu,  etc. 


2°  Premier  projet  de  lettre  du  roi  d'Espagne  {Philippe  IV)  au  nouveau 
roi  d'Angleterre. 

Madrid,  10  mars  16i9. 

Des  nouvelles  de  la  mort  du  loi  Charles,  père  de  Votre  Majesté, 
sont  arrivées  ici  de  divers  côtés.  J'en  ai  éprouvé  un  profond  senti- 
ment de  chagrin  à  cause  de  la  parenté  et  de  l'étroite  amitié  qui  nous 
unissaient;  j'en  témoigne  ma  grande  douleur  à  V.  M.,  et  je  vous  fais 
part,  ainsi  qu'il  est  juste,  de  la  peine  que  m'a  causée  cet  événement, 
comme  V.  31.  le  comprendra  aisément,  par  le  conseiller  Antoine 
Brun,  mon  ambassadeur  dans  les  Provinces-Unies,  qui  remettra  la 
présente  à  V.  M,  que  Dieu  garde,  etc. 

{Ce  projet  fut  modifié  et  envoyé  dans  les  termes  suivants  .) 


Le  roi  d'Espagne  au  roi  {Charles  II)   d' Angleterre  ;  Condoléances  à 
l'occasion  de  la  mort  du  roi  son  père. 

s  avril  1Ci9. 
(On  lit  dans  l'intérieur  de  la  lettre  :  Au  nouveau  roi  d'Angleterre.) 

Les  nouvelles  du  triste  événement  de  la  mort  de  Sa  Majesté  le  roi 
Charles,  père  de  V.  M.,  sont  arrivées  ici  par  différentes  voies;  j'en  ai 
éprouvé  un  chagrin  et  une  peine  que  devaient  nécessairement  provo- 
quer des  circonstances  aussi  extraordinaires  et  déplorables;  car  lors 
même  qu'il  n'y  aurait  eu,  pour  faire  naître  ces  sentiments,  ni  les 
liens  de  parenté  ni  l'intime  amitié  qui  nous  unissaient,  j'en  aurais 
trouvé  des  motifs  bien  puissants  dans  les  excellentes  qualités  qui  se 
trouvaient  réunies  dans  la  personne  du  roi  et  dont  Dieu,  dans  sa 
bonté,  avait  bien  voulu  la  doter.  Je  conçois  quelle  aftlietion  V.  M. 
aura  ressentie  à  raison  et  de  la  perle  et  de  la  manière  dont  elle  est 


HISTORIQUES.  SIS 

arrivée;  je  puis  assurer  V.  M.  que  celle  que  m'ont  fait  éprouver,  à 
moi,  et  révénemcnt  lui-même  et  toutes  ses  circonslances,  n'est  pas 
peu  considérable.  J'en  exprime  mes  condoléances  à  V.  M.,  et  je  suis 
persuadé  que  V.  M.,  grâce  à  sa  sagesse  et  à  sa  fermeté,  se  sera  rési- 
gnée à  la  volonté  de  Dieu  qui  dis(J0se  de  tout  pour  le  mieux,  et  c'est 
ce  que  je  prie  V.  M.  de  faire.  Je  m'en  rapporte,  pour  ceci  et  pour 
tout  le  reste,  à  ce  que  V.  M.  entendra  de  la  bouche  du  conseiller 
Antoine  Brun  qui  remettra  cette  lettre  à  V.  M . 


3"  Délibération  du  Conseil  d'État  d'Espagne  sur  les  dépêches  de  l'am- 
bassadeur d'Espagne  à  Londres  et  sur  la  politique  à  suivre  h 
l'égard  de  l'Avrjileterre. 


Sire, 

Votre  Majesté  avait  daigné  ordonner  de  convoquer  pour  dimanche 
soir  une  séance  du  conseil  d'Etat  inpleno,  afin  qu'il  iiùt  prendre  con- 
naissance des  lettres  de  don  Alonzo  de  Cardenas  en  date  des  12,  18, 
et  26  février,  ainsi  que  d'une  lettre  de  l'archiduc  Léopold  du  i  de  ce 
mois  (mars).  Dans  ces  lettres  il  est  rendu  compte  de  ce  qui  est  arrivé 
au  roi  d'Angleterre,  de  toutes  les  circonslances  survenues  jusqu'au 
moment  de  sa  mort,  du  tour  que  les  choses  vont  prendre  en  Angle- 
terre, de  la  résolution  que  les  Anglais  ont  prise  de  ne  plus  se  laisser 
gouverner  par  un  roi,  de  l'exclusion  des  fils  du  feu  roi,  et  de  leurs 
délibérations  sur  la  forme  do  gouvernement  à  adopter  à  l'avenir... 
Don  Alonzo  prie  qu'on  l'informe  comment  il  doit  agir  dans  ces  cir- 
constances, attendu  que  sa  mission  est  expirée;  il  explitpie aussi  dans 
ses  lettres  pourquoi  il  n'a  pas  employé  ses  bons  ollices  en  faveur  du 
roi  auprès  du  Parlement,  comme  on  le  lui  avait  demandé  ;  il  dit  avoir 
pris  le  deuil  parce  que  les  ministres  de  France  et  de  Hollande  l'a- 
vaient fait;  il  parle  de  la  proclamation  du  prince  de  Galles  comnieioi 
par  les  Ecossais.  Monseigneur  l'archiduc  piie  aussi  qu'on  l'informe 
de  quelle  manière  il  doit  traiter  le  prince  de  Galles,  attendu  (|ue  lo 
1  ésident  de  ce  prince  l'a  prié  de  répondre  à  deux  lettres  qu'il  lui  avait 
remises  de  sa  part,  et  de  lui  adresser  quelques  paroles  de  consolation 
dans  une  conjoncture  aussi  triste  et  déplorable. 

Ont  pris  part  au  Conseil  le  comte  de  Monterey,  le  duc  de  Médina 
de  las  Torres  et  les  marquis  de  Castel  Rodrigo  et  de  Valparaiso;  le 
comte  de  Castrillo  s'est  excusé  pour  cause  de  mauvaise  sunté.  Le  Con- 


316  DOCUMENTS 

seil,  après  avoir  longuement  disculé  le  contenu  desdites  dépêches, 
expose  à  V.  M.  ce  qui  suit  : 

L'affaire  du  roi  d'Angleterre  est  un  événement  très-extraordinaire 
et  digne  d'une  mûre  considération,  attendu  que  ce  sont  les  sujets 
mêmes  du  roi  d'Angleterre  qui  lui  ont  ôté  la  vie  par  de  si  détestables 
moyens,  et  sans  autres  motifs  que  ceux  que  donne  dans  ses  dépêches 
don  Alonzo.  Le  Conseil  estime  que  cet  événement  est  d'un  si  mau- 
vais exemple  qu'il  serait  juste  que  tous  les  princes  s'unissent  pour 
infliger  un  châtiment  exemplaire  au  l'arlemeut  d'Angleterre.  Toute- 
fois le  Conseil  pense,  d'un  autre  côté,  que  V.  M.  ne  pourrait  s'en 
occuper  à  cause  de  tant  d'affaires  et  d'embarras  dont  Elle  est  enlou- 
rce,  et  à  cause  de  tant  de  guerres  si  pressantes  qu'Elle  a  en  Espagne 
et  au  dehors  ;  les  autres  princes,  qui  devraient  également  le  faire,  se 
trouvent  occupés  chez  eux,  surtout  le  roi  de  France  qui  est  embar- 
rassé dans  des  guerres  qu'il  a  lui-même  suscitées,  et  dans  des  dis- 
cordes et  dissensions  de  ses  propres  sujets,  comme  tout  le  monde  le 
sait;  le  Parlement  d'Angleterre  est  tellement  puissant  que  personne 
aujourd'hui  ne  pourrait  défaire  ce  qu'il  a  fait;  ce  même  Parlement  a 
témoigné  l'intention  de  rester  avec  V.  M  dans  de  bons  rapports;  en 
quoi,  loin  de  manquer  à  Votre  HLijcsté,  il  lui  a  rendu  service;  de 
plus,  il  conviendrait  de  fomenter  la  mauvaise  intelligence  entre  le 
Parlement  et  les  Français,  et  de  suivre  l'ancienne  maxime  d'après 
laquelle  il  est  toujours  du  plus  grand  avantage  pour  l'Espagne  de 
vivre  en  paix  avec  l'Angleterre  et  de  conserver  son  amitié.  —  Par  ces 
motifs  le  Conseil  est  d'avis  que,  pour  le  moment  et  jusqu'à  ce  que  le 
temps  révèle  quelque  autre  combinaison,  il  ne  convient  pas  que 
V.  M.  introduise  aucun  changement  dans  sa  politique,  qu'au  con- 
traire il  convient  d'entretenir  des  bons  rapports  avec  le  Parlement. 
Le  Conseil  ajoute  que  V.  M.  devait  fort  peu  au  feu  roi  d'Angleterre 
qui,  aussitôt  après  l'insurrection  du  Portugal,  avait  reçu  l'ambassa- 
deur du  tvran,  oubliant  l'intime  amitié  qui  l'unissait  à  Votre  Ma- 
jesté. Tout  ce  qu'on  peut  faire  pour  le  moment  (selon  l'avis  du  Con- 
seil), c'est  de  répondre  à  l'archiduc  en  lui  dismt  qu'il  peut  faire  une 
réponse  aux  lettres  que  liii  a  adressées  le  prince  de  Galles,  en  lui 
donnant  le  titre  de  «  Foire  Majesté  f^  et  tous  ses  autres  titres  ;  le 
Conseil  est  aussi  d'avis  que,  pour  agir  avec  prudence  à  l'égard  du 
Parlement  qui  pourrait  en  prendre  de  l'ombrage,  il  serait  bon  que  la 
lettre  (de  l'archiduc)  fût  antidatée,  afin  qu'on  pût  dire  qu'elle  a  été 
écrite  avant  qu'on  eût  reçu  la  nouvelle  que  le  Parlement  avait  exclu 
du  trône  la  postérité  du  feu  roi. 

Le  Conseil  pense  que,  de  même,  Votre  Majesté  pourrait  adresser 
une  lettre  antidatée  au  prince  de  Galles,  en  lui  exprimant  la  peine 


HISTORIQUES.  517 

que  la  mort  de  son  père  a  causée  à  V.  31.,  et  eu  lui  disant  que  celte 
nouvelle  est  ariivce  à  V.  M.  de  divers  côtés,  cl  qu'elle  n'a  pas  voulu 
perdre  un  seul  moment  pour  lui  témoigner  ses  sentiments;  le  Conseil 
pense  qu'il  serait  bon  d'envoyer  cette  lettre  à  rarchiduc  alin  qu'il  la 
confie,  avec  celle  que  Son  Altesse  écrira  elle-même,  au  conseiller 
Brun  qui  doit  cire  déjà  en  Hollande  ou  Jjien  près  de  s'y  rendre;  il 
conviendrait  que,  de  la  part  de  Votre  Majesté  ainsi  que  de  la  part  de 
l'empereur,  il  y  eût  une  expression  de  sentiments  de  condoléance  en 
forme  convenable,  et  que  l'archiduc  rendît  compte  à  V.  31.  de  ce  qui 
en  résulterait  et  de  tout  ce  qui  se  passerait. 

Le  Conseil  estime  qu'il  conviendrait  de  ne  faire  aucune  déclaration 
formelle  ni  en  faveur  du  prince  de  Galles,  ni  en  faveur  du  Parlement, 
jusqu'à  ce  que  l'on  sache  avec  plus  de  certitude  comment  les  choses 
tourneront;  il  conviendrait  de  faire  connaître  ces  motifs  à  l'archiduc, 
afin  que,  dans  les  événements  qui  pourront  surgir,  il  s'y  conforme. 
Les  mêmes  instructions  devraient  être  données  à  don  Alonzo,  tout 
en  l'approuvant  d'avoir  pris  le  deuil  pour  le  roi  d'Angleterre;  on  lui 
dirait  également  que  pour  le  moment  il  n'y  aura  aucun  changement, 
et  que,  si  on  lui  faisait,  de  la  part  du  Parlement,  (juelques  propo- 
sitions de  négociation,  il  devrait  les  écouter  avec  plaisir  et  répondre 
qu'il  rendra  compte  de  tout  à  V.  31.  Le  Conseil  pense,  que,  pour  tout 
le  reste,  il  convient  que  les  choses  aillent  comme  par  le  passé,  car  il 
n'y  a  aucun  motif  de  croire  que  les  parlementaires  désirent  un  chan- 
gement dans  leurs  relations  avec  l'Espagne,  ni  qu'ils  élèvent  des 
doutes  sur  l'intention  de  don  Alonzo  de  traiter  avec  eux,  vu  que  le 
Parlement  n'en  est  qu'au  début  de  sa  carrière,  et  qu'il  lui  convient 
plutôt  de  raffermir  ses  affaires  par  la  continuation  du  séjour  des  mi- 
nistres des  souverains  étrangers.  Si  le  contraire  arrivait,  don  Alonzo 
demandera  du  temps  pour  pouvoir  en  informer  V.  31.  On  devra  re- 
commander à  don  Alonzo  de  mettre  un  soin  tout  particulier  à  infor- 
mer V.  31.  par  toutes  les  voies,  et  jour  par  jour,  de  tout  ce  qui  se 
se  passera  en  Angleterre  ;  il  faudrait  écrire  la  même  chose  à  l'ar- 
chiduc. 

Le  Conseil,  étant  d'avis  qu'il  conviendrait  à  V.  31.  de  faire  quelque 
manifestation  à  l'occasion  de  la  mort  du  roi  Charles,  pense  que  le 
moyen  le  plus  convenable  serait  que  V.  31.  prît  le  deuil  dans  la 
même  forme  qu'elle  l'avait  pris  à  l'occasion  du  feu  roi  Louis  do 
France. 

Votre  3Iajesté  ordonnera  ce  qu'il  lui  plaira  d'oidonncr. 


27. 


518  DOCUMEINTS 

-i"  Dèlihrralion  du  Conseil  d'Etal  d'Espagne  au  sujet  de  plusieurs 
leUres  de  don  Alonzo  de  Lardenas  traitant  de  divers  sujets. 

Madrid,  6  juin  1619. 

{Ecrit  de  la  main  du  roi  :  »  Qu'il  soil  fait  conforméineiil  à  l'avis  du 
Conseil.  »  —  «  Exéculcù  midi.  »  —  Geroiiimo  de  la  Tol-re.) 

Sire, 

Le  comte  de  Monterey,  le  duc  de  Médina  de  las  Torrcs  et  les  mar- 
quis de  Castel  Rodrigo,  de  Valparaiso  et  de  Velada  assistant  au  Con- 
seil, on  a  pris  connaissance,  conformément  aux  ordres  de  \.  M.,  des 
lettres  de  don  Alonzo  de  Cardenas  portant  les  dates  des  13  et 
27  avril  et  du  3  mai,  et  dans  lesquelles,  entie  autres  choses, 
don  Alonzo  rend  compte  à  V.  M.,  d'une  manière  délaillée,  de 
l'état  dans  lequel  se  trouvaient  à  celte  époque  les  affaires  d'Angle- 
terre, de  la  conversation  qu'il  a  eue  avec  un  agent  du  Parleuient 
relativement  au  désir  que  le  Parlement  avait  d'clre  en  bonnes  rela- 
tions avec  V.  31.,  et  pour  savoir  si  un  ambassadeur  envoyé  par  le 
Parlement  serait  bien  reçu  en  Espagne.  Doa  Alonzo  informe  aussi 
V.  M.  qu'il  a  reç<i  une  lettre  de  don  Francisco  Cottington,  datée  de 
la  Haye,  dans  laquelle  celui-ci  annonce  à  don  Alonzo  la  résolution 
que  son  maître,  le  prince  de  Galles,  a  prise  de  l'envoyer  (lui  Cot- 
tington)  en  Es])agnc,  accompagné  d'une  autre  personne,  dans  le  but 
d'exposer  à  V.  BI.  l'étal  de  ses  affaires  et  de  lui  demander  des 
secours 5  il  a  dit  qu'il  partirait  dans  le  courant  du  mois  de  mai  et 
passerait  par  Bruxelles.  Don  Alonzo  rend  compte  de  ce  qu'il  lui  a 
répondu. 

Le  Conseil,  après  avoir  examiné  ce  sujet  avec  une  attention  toute 
particulicie,  estime  que  c'est  une  des  plus  graves  questions  qui 
puissent  se  présenter,  et  que  dans  son  opinion  il  y  a  lieu  aux  plus 
prudentes  réflexions  de  V.  3L,  car  l'arrivée  de  Cottiiigton  en  Espagne 
ne  peut  manquer  d'entraîner  à  sa  suite  de  grands  inconvénients; 
d'abord  parce  (ju'on  ne  sait  pas  encore  quelles  résolutions  on  prendra 
en  France,  par  rapport  à  la  même  proposition  qui  a  déjà  été  ou  qui 
allait  être  faite  par  un  personnage  ([ue  le  même  prince  (de  Galles)  y 
envoyait;  ensuite  à  cause  de  l'état  où  les  affaires  de  V.  M,  se  trouvent 
au  milieu  de  tant  d'épreuves  qu'il  a  plu  à  Dieu  de  lui  envoyer.  La 
circonstance  que  le  Parlement  d'Angleterre  se  propose  d'envoyer 
aussi  une  personne  en  Espagne  a  également  beaucoup  d'inconvé- 
nients; il  ne  conviendrait  pas  de  faire  aucune  déclaration  avant  que 


HISTORIQUES.  319 

le  Parlement  ail  l)ien  raffermi  ses  affaires  el  offre  plus  de  garanties 
de  durée.  Tous  ces  points  réclament  un  examen  mûr  et  approfondi 
avant  qu'on  arrive  à  une  résolution,  el  il  est  certain  qu'il  y  auiait 
beaucoup  à  dire  soit  dans  un  sens,  soit  dans  l'autre.  Le  Conseil,  eu 
s'abstenant  de  le  faire  dans  ce  moment  et  jusqu'à  ce  que  les  circon- 
stances l'exigent,  représente  à  V.  M.  qu'il  regarde  comme  important 
(d'après  l'avis  donné  du  départ  de  don  F.  Cottinglon  el  de  son  com- 
pagnon pour  l'Espagne)  (ju'il  soit  expédié  en  toute  hâte  un  courrier  à 
l'archiduc  pour  l'informer  du  contenu  des  lettres  de  don  Alonzo  de 
Cardenas  au  sujet  de  ces  deux  points,  c'est-à-dire  l'arrivée  de  Cot- 
tinglon et  la  question  faite  relativement  à  la  manière  dont  une  per- 
sonne envoyée  par  le  Parlement  serait  reçue  en  Espagne;  on  dirait  à 
l'archiduc  que,  si  Cottington  arrive  à  Bruxelles  ou  passe  par  la 
Flandre,  Son  Altesse  doit  chercher,  avec  toute  l'adresse  imaginable 
et  en  secret,  à  l'entretenir  et  à  savoir  (comme  si  cela  venait  de  S.  A. 
seulement)  dans  quel  but  il  veut  se  rendre  en  Espagne  et  de  quelle 
mission  il  est  chargé;  S.  A.  lui  dira  en  conversation  que,  vu  l'état 
des  choses,  il  serait  plus  à  propos,  pour  lui,  de  s'arrêter  à  Bruxelles, 
de  se  metlre  en  communication  avec  S.  A.  avant  d'aller  plus  loin,  et 
de  lui  faire  part  du  but  de  sa  négociation,  afin  que  S.  A.  puisse  en 
informer  V.  M.,  et  avoir  la  réponse  de  V.  M.  avant  qu'il  (Cottinglon) 
s'engage  trop  dans  son  voyage.  En  prenant  des  détours  et  sans  lui 
ôter  loute  espérance,  au  contraire,  en  lui  témoignant  beaucoup  de 
bon  vouloir  et  en  l'assurant  de  la  bienveillance  de  V.  M.  et  de  ce  qu'il 
peut  en  espérer,  Son  Altesse  pourrait  lui  dire  combien  il  serait  utile, 
pour  le  rétablissement  du  prince  de  Galles,  que  la  paix  pût  être  con- 
clue entre  la  France  et  l'Espagne,  car  ce  serait  le  moyen  le  plus  sur 
d'obtenir  les  avanlages  que  l'on  désire  cl  (juc  l'on  se  propose  d'obte- 
nir. Afin  qu'on  puisse  délibérer  avec  plus  de  certitude,  l'arcliiduc 
devra  faire  connaître  à  V.  31.  coiomcnt  les  événements  d'Angleterre 
ont  été  accueillis  en  France,  ce  qu'on  se  propose  d'y  faire  et  (|uelle 
réponse  on  y  a  faile  à  l'envoyé  du  prince  de  Galles.  On  fera  sentir  à 
S.  A.  combien  il  importe  que  Cottington  cl  son  compagnon  ne  per- 
sistent pas  dans  leur  intention  de  venir  en  Espagne,  et  si  c'est  pos- 
sible, qu'ils  ne  viennent  pas  du  tout,  toutefois  en  leur  disant  des 
paroles  d'amitié  et  de  bon  vouloir;  et  si,  malgré  tous  les  efforts  de 
Son  Altesse,  Cottington,  voulait  absolument  venir,  (|ue  Son  Altesse 
le  laisse  faire  en  informant  V.  M.  de  te  qui  aurail  lieu  à  cet  égard. 

Il  faudra  accuser  à  don  Alonzo  réception  de  ses  lettres,  et  lui  dire 
qu'il  eût  été  plus  convenable  de  s'cxplitiucr  moins  positivement  avec 
l'agent  du  Parlement  qui  lui  a  demandé  si  une  personne  envoyée  par 
le  Parlement  serait  bien  reçue  (en  Espagne)  :  dans  le  cas  où  on  lui  en 


520  DOCUMENTS 

reparlerait  directement,  qu'il  réponde  qu'il  en  rendra  compte  à 
V.  M.  ;  mais  qu'il  ne  dise  pas  qu'il. Ta  déjà  fait  et  qu'il  cherche,  avec 
toute  l'adresse  et  toute  la  prudence  possibles,  à  éviter  ce  sujet;  pour 
tout  le  reste  on  peut  dire  à  don  Alonzo  qu'on  s'en  ra|)porte  à  sa  discré- 
tion, et  que  c'est  une  question  qu'on  doit  laisser  en  suspens  jusqu'à 
ce  qu'on  sache  comment  le  Parlement  aura  assuré  ses  affaires  et  raffermi 
son  pouvoir. 

Dans  le  cas  oîi  Coltington  se  serait  déjà  mis  en  route,  et  où  le 
courrier  (expédié  d'ici)  n'arriverait  pas  à  temps  (auprès  de  l'archiduc), 
il  faudra  envoyer  aux  autorités  d'Irun  et  de  Saint-Sébastien  des  ordres 
])ortanl  que,  si  Cottington  y  arrivait,  on  le  retînt,  qu'on  en  informât 
aussitôt  V.  M.,  et  qu'on  fît  attendre  à  Coltington  la  réponse.  On  de- 
vra envoyer  ce  rapport  par  un  exprès  et  traiter  en  attendant  Cot- 
tington avec  toute  sorte  de  politesse. 

Votre  Majesté  ordonnera  du  reste  ce  qui  lui  plaira. 


b"  Don  Alonzo  de  Cardenus  au  comte  de  Penaranda. 

Londres,  20  juin  16-i9. 

Les  dépèches  envoyées  à  Sa  Majesté  avec  la  présente  informeront 
Votre  Seigneurie  des  affaires  de  ce  pays-ci  et  de  la  manière  dont  le 
gouvernement  (anglais)  a  résolu  de  me  déclarer  le  16  de  ce  mois  que, 
si  je  ne  lui  présentais  pas  de  nouvelles  lettres  de  créance,  il  ne  traite- 
rait plus  avec  moi  ;  cette  résolution  a  été  prise,  non  qu'aucune  consi- 
dération d'un  intérêt  quelconque  ou  de  convenance  cnpêchât  le  Par- 
lement (le  continuer  ses  relations  avec  moi,  mais  parce  que  l'orgueil 
naturel,  accru  par  le  succès,  remplit  ces  hommes  d'une  arrogance 
qui  ne  tient  compte  de  rien. 

Cet  incident  paraît  rendre  mon  départ  d'ici  nécessaire,  en  suppo- 
sant que  Sa  Majesté  ait  pris  la  résolution  de  ne  faire  aucune  décla- 
ration formelle,  ni  en  faveur  du  prince  de  Galles,  ni  en  faveur  du 
Parlement,  car  dans  ce  cas  il  n'y  aurait  pas  lieu  de  présent.?r  de  nou- 
velles lettres  de  créance.  D'ailleurs  quand  même  il  serait  utile  de  le 
faire,  le  fait  seul  que  les  gens  du  Parlement  ont  voulu  forcer  Sa  Ma- 
jesté à  celte  démarche,  d'une  façon  si  contraire  aux  égards  et  au  res- 
pect qui  lui  sont  dus,  exige  qu'on  n'Ucchissc  s'il  serait  convenable  de 
présenter  des  lettres  de  créance,  du  moins  aussi  promptement.  Ainsi 
je  ne  doute  pas  que  Sa  Majesté  ne  donne  des  ordres  pour  me  faire 
partir  d'ici,  et  dans  ce  cas  j'espère  qu'on  m'accordera  la  permission 
de  retourner  en  Espagne.  Ma  santé  a  grandement  besoin  de  l'air  natal  ; 


HISTORIQUES.  521 

c'est  pourquoi  j'ai  cru  devoir  prier  Votre  Seigneurie  d'en  dire  quel- 
ques mois,  s'il  le  faut,  pour  m'obteiiir  ce  dont  j'ai  tant  besoin,  et  eu 
même  temps  de  me  faire  payer  mou  traileiiienl  échu  et  les  frais  de 
voyage  sullisanls  pour  la  roule.  Que  Dieu,  etc. 


6"  Do)i  Jlonzo  de  Card»nas  au  roi  d'Espagne. 

Londres,  13  août  lCi9. 
Sire, 

Dans  ma  dépèche  du  2^  juillet,  j'ai  informe  V.  M.  que  le  gouver- 
nement de  ce  pays  se  proposait  d'envoyer  à  son  agent,  qui  depuis 
deux  ans  réside  en  Flandre.de  nouvelles  lettres  de  créance  (jui  l'ac- 
créditent auprès  de  l'arcliiduc.  J'ai  ég;demcut  informé  V.  BI.  (hi  mé- 
contentement qu'avait  causé  ici  la  nouvelle  des  rapports  que  le  con- 
seiller Brun,  comme  ambassadeur  de  V.  M.,  a  eus  avec  le  prince  de 
Galles  ;  on  a  publié  la  copie  de  la  lettre  que  V.  M.  a  écrite  au  prince 
pour  lui  exprimer  ses  condoléances  à  l'occasion  de  la  mort  de  son 
père;  on  a  relevé  le  litre  de  roi  de  la  Grande-Bretagne  dont  V.  M. 
s'était  servie,  et  les  manifestations  et  l'accueil  solennel  qui  ont  été 
faits  au  prince  en  Flandre.  Ce  que  j'ai  à  dire  dans  ce  moment  à  \ .  M., 
c'est  qu'aussitôt  que  ces  nouvelles  sont  arrivées  ici,  le  Parlement  a 
repris  le  piojct  d'envoyer  des  agents  en  Espagne,  en  France,  et  auprès 
d'autres  répuliliqucs  et  cours  souveraines  ;  mais  comme  je  n'ai  pas 
entendu  dire,  jusqu'à  ce  moment,  qu'on  ait  encore  envoyé  des  lettres 
de  créance  à  l'agent  qui  est  à  Bruxelles,  et  comme  je  n'ai  pas  été  in- 
formé, par  des  avis  de  Flandre,  que  l'agent  les  ait  présentées,  il  esta 
croire  que  le  Parlement  a  changé  d'avis  ou  suspendu  sa  décision.  On 
me  dit  (|ue  depuis  dix  jours  on  discute  dans  le  conseil  d'Etat  la  ques- 
tion desavoir  si  l'on  doit  envoyer  ces  personnes  comme  de  simples 
agents  du  Parlement  ou  comme  ambassadeurs;  on  ajoute  que  la  pre- 
mière qui  doit  être  cnvoyéelcscraen Espagne, dans riijpollièsequ'elle 
sera  reçue  plutôt  là  que  ])artou(  ailleurs  :  ce  qu'on  infère  de  mon  sé- 
jour ici,  car  on  ne  peut  pas  admettre  qu'il  en  soit  autrement  du  mo- 
mentqueV.M.a  iciunainbassadeur.  Dans  le  cas  où  celui  du  Parlement 
ne  serait  |)as  reçu  en  Espagne,  ou  me  ferait  sortir  d'ici  dans  le  plus 
bref  délai.  On  m'assure  (ju'il  en  a  été  décidé  ninsi  et  qu'on  fera  la 
même  chose  à  l'égard  de  l'ambassadeui' de  Hollande  à  qui  l'on  s'est 
plaint  amcrementde  coque  les  Étals  génér;iux(à  l'exception  de  la  pro- 
vince de  la  Hollande)  n'ont  pas  voulu  rcconnaitre  la  nouvelle  repu- 


522  DOCUMEIVTS 

blique,  ni  recevoir  comme  son  ambassadeur  un  personnage  du  Parle- 
Tiienl  qui  se  trouvait  à  la  Haye  et  à  qui  le  Parlement  avait  envoyé  des 
Ictlres  de  créance  après  la  mort  de  Dorislaus,  bien  que  l'ambassadeur 
des  Etats,  lorsqu'il  vint  avec  Adrien  de  Pauw  intercéder  en  faveur  du 
l'eu  roi,  fût  porteur  des  lettres  de  créance  des  Étals  généraux  au- 
])rcs  du  Parlement.  Il  est  vrai  qu'alors  on  supposait  qu'il  était  accré- 
dité auprès  de  la  couronne  (d'Angleterre)  et  que  le  Parlement  ne  s'é- 
tait pas  encore  érigé  en  pouvoir  souverain  et  n'avait  pas  encorechangé 
le  gouvernement  monarchique  en  républicain.  Le  Parlement  demande 
que  cet  ambassadeur  lui  présente  maintenant  de  nouvelles  lettres  de 
créance  ;  un  mécontentement  à  ce  sujet  commence  à  se  faire  jour  en- 
tre le  Parlement  et  les  Etats  généraux,  et  il  s'accroît  surtout  depuis 
«|ue  les  bâtiments  du  Parlement  se  sont  emparés  d'un  navire  d'Ams- 
terdam qui  se  rendait  en  Irlande  avec  une  cargaison  d'une  valeur 
considérable,  lequel  navire  sera  considéré,  dit-on,  comme  de  bonne 
])rise  malgré  les  démarches  et  les  menaces^  que  fait  l'ambassadeur  des 
Etats  généraux  pour  en  obtenir  la  restitution.  On  peut  juger  par  ce 
fait  de  l'orgueil  de  ces  gens  et  de  leurs  procédés  envers  leurs  voisins, 
quoiqu'ils  aient  besoin  d'eux. 

J'ai  commencé  à  faire  des  démarches,  |)ar  l'entremise  de  quelques 
membres  du  Parlement  qui  se  montrent  nos  amis,  pour  faire  com- 
jucndre  à  ces  gens-ci,  comme  si  cela  venait  de  moi  seul,  qu'il  ne  leur 
est  d'aucun  avantage  de  presser  leur  résolution  d'envoyer  quelqu'un 
en  Espagne,  et  que  si  les  envoyés  du  prince  de  Galles  ne  se  renileiil 
j)as  en  Espagne  (les  gens  du  Parlement  avaient  entendu  dire  comme 
l)robable  qu'ils  s'y  rendraient  par  suite  des  relations  que  les  ministres 
de  Flandre  ont  eues  avec  le  résident  de  Vie),  ce  que  j'ai  interprété 
comme  un  acte  de  neutralité,  je  regarderais  comme  une  résolution 
prudente  de  la  part  du  Pailement  de  ne  pas  presser  l'envoi  de  ses 
agents  jusqu'à  ce  que  la  question  soit  bien  mûrie  et  jusqu'à  ce  que  le 
raricmeut  ait  bien  établi  son  pouvoir  et  raffermi  ses  affaires.  Je  ne 
sais  quel  sera  le  résultat  de  ma  dcmarcbe,  mais  quel  qu'il  soit,  j'en 
rendrai  compte  à  Votre  3Iajesté.  Que  Dieu  garde  V.  Bl.,  etc. 


7"  Le  comte  de  Penaranda  à  dvn  Alonzo  de  Cardenas. 

Biuxelies,  3  juillet  1649. 

....  J'ai  lu  avec  une  attention  toute  particulière  les  deux  copies  de 
A'os  dépêches  à  Sa  Majesté,  et  mon  opinion  est  que  tout  ce  cjui  est  ar- 
rivé était  fort  naturel  cl  nécessaire,  car  du  moment  que  le  Parlement 


HISTORIQUES.  32" 

a  pris  la  résolution  d'exiler  le  roi  et  d'en  finir  avec  la  royauté,  quelle 
probabilité  ya-t-il  qu'il  veuille  traiter  avec  un  ministre  accrédité  au- 
près du  roi?  V.  Exe.  l'a  fait  connaître  à  temps  en  Espagne;  mais 
comme  V.  Exe.  a  reçu  de  Sa  Majesté  l'ordre  (dont  une  copie  m'a  été 
également  envoyée)  de  rendre  compte  de  tout  et  de  ne  rien  clianger 
dans  sa  position,  il  n'y  a  pas  lieu  de  discuter  ni  de  donner  des  conseils. 
Hier  un  courrier  est  arrivé  ici  en  toute  hâte  d'Espagne  avec  une  dé- 
pêche pour  V.  Exe.  ;  je  ne  l'ai  pas  encore  vue,  mais  le  secrétaire  Na- 
varre m'écrit  quelques  mots  sur  son  contenu;  le  résumé  en  est  que 
nous  cherchions  à  empêcher  Cottinglon  d'aller  là-bas  (en  Espagne)  de 
la  part  du  roi  (d'Angleterre)  et  que  V.  Exe.  agisse  également  de  ma- 
nière à  empêcher  un  ambassadeur  du  Parlement  d'y  aller.  Le  but 
qu'on  se  propose  en  agissant  ainsi  est  facile  à  comprendre  :  on  désire 
rester  indifférent  et  neutre  à  l'égard  des  deux  partis  ;  mais  il  y  a 
grande  probabilité  qu'il  nous  arrivera  ce  qui  arrive  d'ordinaire  en  pa- 
reil cas,  c'est  de  laisser  échapper  les  deux  partis,  et  en  peu  de  temps; 
toutefois  je  ne  vois  pas  quel  moyen  reste,  à  V.  Exe.  on  à  nous,  pour 
faire  changer  d'avis  aux  gens  du  Parlement  qui  voudraient  envoyer 
des  ambassadeurs  ou  des  ministres  en  Espagne,  à  moins  de  déclarer 
que  le  roi  ne  veut  pas  les  recevoir, ce  qui  serait  une  ruptureformelle. 
Je  lirai  la  dépêche,  s'il  plaît  à  Dieu,  et  je  ne  manquerai  pas  de  dire  à 
V.  Exe.  ce  qui  me  paraîtra.  Ceci  vient  fort  à  propos,  car  ce  pauvre 
diable  a  fait  hier  son  entrée  à  Bruxelles  avec  une  pompe  égale  à  celle 
qu'on  aurait  pu  mettre  à  recevoir  son  père  s'il  lui  avait  |)ris  fantaisie 
de  venir  ici  pour  passer  en  Espagne.  Là-dessus  je  crois  devoir  faire 
connaître  à  V.  Exe.  tout  ce  qui  s'est  passé. 

L'archidue  se  trouvait  avec  l'armée  en  France,  près  de  Guise  ;  voila 
qu'un  jour  le  résident  d'Angleterre  se  présente  au  ([uarticr  général  et 
expose  deux  choses  :  d'abord  la  nécessité  où  se  trouve  son  niailrc  de 
demander  six  raille  doublons  de  charité,  puis  le  désir  d'une  entrevue 
amicale  de  son  roi  avec  l'archiduc  (il  est  vrai  de  dire  qu'il  ne  m'a  parlé 
à  moi  ni  de  l'un  ni  de  l'autre).  La  première  condition  de  cette  entre- 
vue était  qu'il  viendrait  incognito  avec  vingt  domestiques,  sans  céré- 
monial ni  réception  nulle  part;  mais  petit  à  petit  la  chose  a  pris  des 
proportions  qui  en  ont  changé  le  caractère;  le  résident  a  désiré  que 
le  roi  fût  reçu  formellement  à  Anvers,  ici,  et  partout,  avec  le  céré- 
monial le  plus  rigoureux  et  avec  autant  de  salves  d'artillerie  qu'on  en 
pût  faire.  Je  n'en  ai  rien  su,  car  les  ordres  ont  dû  être  envoyés  après 
que  Son  Altesse  (l'archidue)  s'était  mise  en  campagne;  eei)cndant 
comme  l'affaire  me  parut  devenir  démesurément  sérieuse  et  ipie  je 
pensais  que  le  roi  pourrait  n'être  pas  content  (ju'on  fit  ici  des  démon- 
strations aussi  désagréables  au  Parlement,  j'écrivis  au  secrélauc  Na- 


324  DOCUMENTS 

varro  quelques  mots  là-dessus,  bien  avant  d'avoir  lu  les  dernières  dé- 
pêches du  roi;  mais  comme  l'affaire  devait  être  déjà  grandement  en 
train,  on  n'a  pas  lait  grande  attention  à  ce  que  je  disais.  Il  est  vrai  de 
dire  que  les  Anglais,  surtout  ce  farceur  {picarillo)  de  résident,  se  sont 
insinués  chez  nous  à  la  sourdine;  et  je  commence  à  m'apcrcevoir 
qu'ils  ont  pu  avoir  deux  buts  :  d'abord  d'éveiller  la  jalousie  du  Par- 
lement et  de  l'obliger  à  se  méfier  du  roi  notre  maître,  ensuite  de  don- 
ner un  avertissement  au  cardinal  Mazarin  en  lui  faisant  voir  que 
nous  autres  Espagnols  avons  fait  cela  ici,  sans  avoir  les  mêmes  obli- 
gations que  les  Français  et  sans  être  unis  par  des  liens  de  parente 
aussi  intimes.  V.  Exe.  pourra  se  servir  de  ce  renseignement  comme 
elle  le  jugera  convenable,  car  enfin  il  n'est  pas  raisonnable  que,  con- 
trairement aux  intentions  du  roi,  et  de  notre  fait  à  nous  qui  sommes 
si  loin  de  ses  communications,  ces  messieurs  nous  croient  déjà  tout 
à  fait  engagés  au  rétablissement  de  ce  pauvre  roi  d'Angleterre  ;  en  vé- 
rité, ayant  tant  d'affaires  sur  les  bras  nous-mêmes,  ce  serait  une  cha- 
rité bien  étrange  que  de  nous  attirer  de  nouveaux  ennemis.  Voilà  ce 
que  je  puis  dire  dans  ce  moment  à  ce  sujet;  je  me  réserve  d'en  dire 
davantage  lorsque  j'aurai  pris  connaissance  de  la  dépêche  de  Sa  Ma- 
jesté. 

On  m'annonce  que  le  roi  d'Angleterre  partira  d'ici  dans  deuxjours 
pour  aller  trouver  Son  Altesse;  je  viens  de  le  voir  tout  à  l'heure j  il 
a  une  physionomie  qui  ressemble  on  ne  peut  pas  plus  à  celle  de  son 
père. 


80  Le  comte  de  Penaranda  au  secrétaire  Aug.  Navarro. 

Bruxelles,  S  jiiillcl  1G49. 

Je  vous  avoue  que  ces  Anglais  me  fatiguent;  je  vois  qu'ils  abusent 
de  notre  courtoisie,  et  que  c'est  à  dessein  et  tout  à  fait  en  opp,:si- 
tion  avec  les  intentions  du  roi  noire  maître  et  avec  ses  intérêts.  C'est 
pourquoi  il  m'a  paru  nécessaire  d'expédier  ce  courrier  pour  prévenir 
S.  A.  et  M.M.  les  ministres  de  ce  qui  m'arrive  avec  eux,  afin  qu'ils 
puissent,  là-bas,  agir  comme  il  paraîtra  le  plus  convenable,  et  afin 
qu'on  en  vienne  à  ce  que  le  roi  désire,  si  c'est  faisable. 

En  premier  lieu,  il  faut  savoir,  comme  je  m'en  suis  assuré,  que 
toute  celte  intrigue  est  dirigée  par  le  grand  écuyer  de  la  reine;  il 
s'appelle  M.  Jermyn,  favori  intime  de  la  reine  d'Angleterre  qui  suit 
exactement  ses  conseils.  Ce  Jei inyn  est  de  la  clique  du  cardinal;  et 
toutes  ces  macliinalions,  qui  tendaient  à  faire  accepter  à  l'Irlande  la 


HISTORIQUES.  32S 

protection  de  la  France  (ce  que  nous  savons  du  reste  par  les  dépêches 
de  don  Alonzo)  ont  été  conduites  d'après  les  inspirations  de  Jermyn 
et  par  lui-même.  C'est  un  hérétique  de  la  pire  espèce  qui  ne  pense 
pas  tant  aux  intérêts  de  son  maître  qu'à  se  maintenir  dans  ses  bonnes 
grâces  et  à  conserver  la  faveur  du  cardinal  qui  lui  fournit  les  moyens 
d'existence  et  d'entretien.  J'ai  eu  avec  lui  deux  conversations;  la 
première  a  été  assez  impertinente  de  sa  part;  il  faisait  voir  avec  fort 
peu  de  réserve  sa  rancune  contre  nous,  ainsi  que  les  inspirations  et 
les  principes  du  cardinal  dont  il  est  imbu;  mais  le  second  entretien, 
celui  que  j'ai  eu  avec  lui  hier  soir,  a  été  plus  impertinent;  il  était 
impudent  et  même  imprudent  ;  pour  ne  parler  que  de  sa  moindre 
faute,  toutes  les  fois  qu'il  parlait  des  deux  rois,  il  nommait  en  pre- 
mier lieu  le  roi  de  France  et  ensuite  le  nôtre,  chose  que  son  maître 
lui-même  ne  faisait  pas.  Cottington  et  le  résident  ne  cachent  pas  le 
mécontentement  que  leur  cause  cet  homme,  et  ne  se  gênent  pas  de 
donner  à  entendre  que  le  roi,  père  du  jeune  prince  de  Galles,  s'est 
perdu  pour  avoir  suivi  les  conseils  de  la  cour  de  Paris  et  que  le  fils 
fera  de  même. 

Je  vous  ai  déjà  dit  ce  qui  s'est  passé  hier  entre  moi  et  Cottington  ; 
aujourd'hui  le  résident  est  venu  chez  moi,  et,  dans  la  conversation, 
j'ai  trouvé  une  occasion,  fort  à  propos,  de  lui  dire  ceci  même  :  «3Ion- 
sieur  le  résident,  le  roi  mon  maître  n'a  pas  besoin  de  nouveaux  en- 
nemis, il  en  a  déjà  assez;  vous  connaissez  la  bienveillance  et  la  cour- 
toisie avec  lesquelles  le  roi  et  Son  Altesse  vous  ont  traité  et  accueilli 
ici  ;  je  vois  et  nous  voyons  tous  que  ce  jeune  roi  va  à  l'école  des 
Français,  qu'il  est  guidé  par  une  mère  aussi  française  que  vous  la 
savez,  et  qu'il  suit  les  conseils  de  monsieur  de  Jermyn  dont  vous  con- 
naissez bien  les  intentions  et  les  dispositions  ;  je  vous  le  dis  avec  fran- 
chise et  sincérité;  le  roi  fera  très-mal  s'il  envoie  des  ambassadeurs 
auprès  du  roi  mon  maître,  étant  lui-même  en  France,  et  les  ambassa- 
deurs feraient  bien  de  ne  pas  se  charger  de  cette  mission.  Les  rois 
d'Espagne  ont  cultivé,  avec  les  rois  d'Angleterre,  des  rapports  d'ami- 
tié, de  fraternité  et  de  bonne  intelligence,  comme  vous  le  savez;  mais 
il  est  tout  à  fait  impossible  (jue  le  roi  d'Angleteirc,  courlisan  de  la 
France  et  du  cardinal,  ne  soit  pas  suspect  au  roi  mon  maître  pendant 
que  celui-ci  est  engagé  dans  une  guerre  aussi  acbainée  avec  la  France; 
quand  même  cela  ne  serait  pas.  il  vaudrait  mieux  que  le  roi  (d'An- 
glclcrre)  s'établît  dans  un  lieu  où  il  pût  avoir  une  coiiià  lui,  qui  se 
fît  aider  par  les  Français  comme  ils  le  veulent  laire,  et  comme  les 
liens  de  parenté  et  d'alliance  qui  l'unissent  à  la  couronne  de  France 
les  y  obligent,  et  qu'il  cherchât  à  amener  cette  couronne  à  faire,  par 
égard  pour  lui,  une  paix  avantageuse;  sans  vouloir  qu'elle  soit  inique. 

ntPUBLIQUE    D'ANGLETERRE,    i.  2S 


326  DOCUMENTS 

Mais  tant  qu'il  ne  le  fait  pas,  je  vous  le  répète,  il  suivra  un  mauvais 
conseil  s'il  envoie  en  Espagne  de5  ambassadeurs,  et  ceux-ci  ne  s'en 
trouveront  pas  bien.  Je  vous  parle  avec  toute  franchise  et  de  mon 
propre  chef,  car  vous  voyez  bien  que  je  n'ai  pas  pu  rendre  compte  au 
roi  de  ce  que  j'ai  observé  ici,  ni  recevoir  encore  des  ordres  de  Sa  Ma- 
jesté à  ce  sujet.  » 

La  réponse  a  été  de  me  remercier  et  deme  dire  que  je  disais  lavérilé 
toute  pure,  et  de  m'assurer  que,  si  un  ministre  du  roi  se  trouvait  pré- 
sent, il  dirait  la  même  chose.  Tel  a  été  notre  entretien  dans  lequel  j'ai 
commencé  à  préparer  ce  que  le  roi  notre  maître  désire,  d'après  la 
lettre  que  vous  m'avez  écrite,  et  ils  ne  peuvent  pas  soupçonner  que 
celaviennedeSaMajesté,  ouqueS.M.  ouS.  A.  s'en  fussent  déjàpréoc- 
cupées.  Je  pense  que  mes  paroles  ont  produit  quelque  effet,  et  qu'on 
pourra  accomplir  facilement  ce  que  le  roi  désire  en  suivant  la  roule 
que  j'ai  frayée.  Dans  ma  conscience,  je  vous  avoue  que  je  crains 
qu'il  n'y  ait  des  personnes  qui  pensent  que  nous  nous  sommes  trop 
avancés  dans  les  politesses  faites  au  prince,  et  qu'il  faudra  bien  re- 
commander à  don  Alonzo  de  ne  pas  permettre  que  le  Parlement  con- 
çoive du  ressentiment  à  ce  sujet.  Que  peut-on  répondre  quand  on 
voit  que  le  roi  de  France  n'a  pas  encore  écrit  une  seule  lettre  à  ce 
pauvre  diable  (le  prince  de  Galles),  ni  fait  la  moindre  manifestation 
depuis  six  mois  qu'on  a  tranché  la  tête  à  son  père,  et  quand  en  même 
temps  il  (le  prince  de  Galles)  nous  demande  et  obtient  de  nous  tout 
ce  que  le  roi  de  France  n'a  pas  faitPOn  est  parfaitement  sûr  quec'est 
la  reine  qui  commande  à  son  fils  ce  qu'il  fait,  et  qu'elle  même  reçoit 
des  instructions  de  ce  Jermyn,  lequel  reçoit  des  ordres  du  cardinal. 

Quant  à  la  paix,  il  a  élé  très-impertinent;  il  voulait  savoir  en  dé- 
tail tout  ce  qui  se  passait  et  discuter  avec  moi  tous  les  points,  comme 
s'il  était  quelque  grand  médiateur  ou  un  personnage  d'une  grande 
autorité  dans  ce  monde.  Je  lui  ai  communiqué  les  copies  des  deux 
dernières  lettres  du  nonce  et  de  l'ambassadeur  de  Venise,  ainsi  que 
les  réponses  qu'on  y  a  faites  ;  il  écoute  ce  qu'on  lui  dit,  mais  encore 
plus  ce  qu'il  dit  lui-même  ;  il  parle  très-lentement.  En  somme,  c'est 
un  des  plus  ennuyeux  personnages  quej'aie  connus  de  ma  vie.  Le  ré- 
sident m'a  dit  qu'il  allait  voir  S.  A.  de  la  part  de  son  maître;  aussi 
voudrais-je  que  le  courrier  qui  emporte  la  présente  y  arrivât  avant 
lui. 


HISTORIQUES.  327 

9"  Le  comte  de  Peimrunda  au  roi  d'Espagne  (Philippe)  IF. 

Bruxelles,  6  juillet  16i9. 
Sire, 

Pendant  que  S.  A.  l'arcliidnc  se  trouvait  avec  l'armée  en  France, 
près  de  Guise,  le  résident  d'Angleterre  arriva  au  quartier  général; 
il  veut  que  nous  le  regardions  comme  l'homme  le  plus  digne  de  con- 
fiance en  ce  qui  touche  au  service  de  V.  M.,  et  il  a  parlé  à  S.  A.  de 
l'extrême  désir  que  son  mailrc  avait  de  s'entendre  avec  V.  31.  pour 
qui  il  assurait  avoir  le  plus  grand  respect;  il  a  annoncé  que  son  maître 
se  proposait  de  se  rendre  en  Irlande,  mais  en  passant  par  la  France, 
tant  pour  la  commodité  du  voyage  que  pour  s'aboucher  avec  sa  mère, 
qu'il  viendrait  au  camp  incognito,  accompagne  seulement  de  vingt 
personnes,  sans  prétendre  à  être  reçu  avec  le  céiémonial  d'usage  ni 
aucun  bruit,  et  uniquement  pour  voir  Son  Altesse  soit  au  camp,  soit 
là  où  S.  A.  se  trouverait;  le  résident  a  en  outre  demandé  qu'on  lui 
donnât  six  mille  doublons  à  titre  d'aumône  et  de  commisération,  el. 
pour  mettre  son  maître  à  même  de  faire  le  voyage.  Son  Altesse  a 
communi(|ué  cette  proposition  dans  une  réunion  à  laquelle  j'ai  assisté; 
et  bien  qu'on  ait  représenté  les  embarras  et  les  inconvénients  qui 
pourraient  en  résulter,  surtout  comme  on  ne  savait  pas  quelles  étaient 
les  intentions  de  V.  M.  touchant  les  intérêts- de  ce  prince,  cependant, 
vu  la  forme  dans  laquelle  cette  affaire  devait  avoir  lieu  d'après  les 
propositions  du  résident,  on  a  pensé  qu'on  ne  pouvait,  sans  s'attirer 
un  grand  hlàmc,  refuser  ni  l'entrevue  ni  lesecotirsd'argenl.  Le  résident 
ne  m'a  parlé  à  ce  sujet  que  lorsque  la  chose  a  été  résolue;  mais,  quand 
il  m'en  parla,  je  lui  dis  que  c'était  une  résolution  grave  (lue  prenait 
son  maître,  d'aller  en  Fi  ance  étant  si  jeune,  et  de  recevoir,  pour  sa 
gouverne,  les  instructions  des  ministres  d'une  cour  dont  les  conseils 
ont  conduit  le  feu  roi  à  l'échafaud,  ce  que  le  résident  lui-même  recon- 
naissait. Je  lui  ai  aussi  donné  à  entendre  que  cette  démarche  du  prince 
ne  pouvait  que  donner  lieu  à  des  soupçons,  à  cause  de  toutes  les  con- 
sidérations qu'il  ne  pouvait  ignorer;  il  se  borna  à  répondre  en  ter- 
mes généraux,  ayant  déjà  atteint  le  but  de  sa  mission.  Son  Altesse 
arriva  ici  après  la  prise  d'Yprcs;  don  Francisco  Cottinglon  et  d'au 
très  personnes  nommées  comme  envoyés  extraordinaires  du  nouveau 
roi  auprès  de  V.  M.,  arrivèrent  également.  On  discuta  la  réception 
que  S.  A.  devait  faire  à  ce  prince,  cl  on  décida  qu'elle  aurait  lieu 
dans  le  parc  et  sans  aucun  cérémonial.  Le  roi  arriva  à...,  où  S.  A, 


528  DOCUMENTS 

devait  l'attendre;  mais  l'ennemi  ayant  commencé  un  mouvement  sur 
la  ligne  de  S.  A.  elle  sortit  d'ici  pour  marcher  du  côté  de  la  flotte, 
en  laissant  la  réception  du  roi  préparée  dans  les  conditions  conve- 
nues, savoir  qu'elle  devait  avoir  lieu  incognito  et  sans  aucun  cérémo- 
nial ni  publicité;  mais  les  Anglais  changèrent  entièrement  ce  qui 
avait  été  convenu  en  déclarant  à  S.  A.  qu'ils  voulaient  que  le  roi  fût 
reçu  publiquement,  la  bourgeoisie  sous  les  armes  et  avec  des  salves  et 
autres  cérémonies  d'une  grande  pompe.  Ceci  a  élé  résolu  pendant 
que  S.  A.  était  au  camp,  et  on  l'a  exécuté  ainsi. 

Le  roi  est  accompagné  d'un  certain  M.  Jermyn,  grand  écuyer  et 
favori  de  la  reine,  envoyé  de  Paris  par  Amiens  pour  recevoir  et  accom- 
pagner le  roi.  Cet  homme  est  un  confident  du  cardinal  Mazarin,  et  ce 
u'est  pas  faire  une  conjecture  téméraire  que  de  croire  que  ce  change- 
ment d'avis  touchant  la  réception  du  roi  a  été  suggéré  et  diiigé  par 
le  cardinal  Mazarin.  Je  ne  savais  rien  de  ces  manifestations  publiques 
que  les  Anglais  avaient  demandées  ;  mais  après  avoir  réfléchi  là-des- 
sus, je  trouvai  la  chose  digne  de  beaucoup  d'attention,  vu  qu'on  n'a 
pas  encore  appris  que  les  Français  aient  envoyé  un  ambassadeur  pour 
exprimer  leurs  condoléances  au  roi  d'Angleterre,  bien  que  tant  de 
mois  se  soient  déjà  écoulés  depuis  la  mort  de  son  père,  bien  qu'il  soit 
lui-même  si  près,  et  bien  que  leurs  devoirs  soient  plus  grands  que 
ceux  que  V.  M.  peut  avoir.  C'est  une  intrigue  de  vouloir  que  V.  M. 
soit  le  premier  souverain  qui  cherche  à  rétablir  le  roi  d'Angleterre 
sur  sou  trône,  et  qu'EUe  s'expose  ainsi,  hors  de  saison,  à  avoir  pour 
ennemi  le  Parlement  anglais.  C'est  sous  cette  triste  impression  que  je 
me  suis  décidé  à  parler  hier  à  Cottington  dans  les  termes  que  V.  M. 
voudra  bien  lire  dans  la  copie  de  la  lettre  que  j'ai  écrile  le  même  jour 
au  secrétaire  Navarro;  et  puis,  hier,  le  résident  étant  venu  me  voir, 
je  lui  dis  tout  ce  que  contient  la  copie  de  la  seconde  lettre  que  j'ai 
écrite  au  secrétaire  Navarro... 

J'ai  rendu  également  compte  à  don  Alonzo  de  Cardenas,  dans  la 
forme  que  V.  31.  voudra  bien  voir  dans  la  lettre  ci-incluse,  de  toute 
cette  aff"aire,  afin  qu'il  cherche  à  empêcher  le  Parlement  d'en  pren- 
dre de  l'ombrage  et  qu'il  l'entretienne  dans  la  confiance  jusqu'au 
moment  où  il  plaira  à  V.  M.  d'exprimer  ses  volontés.  V^oilà  tout  ce 
qu'il  m'a  paru  nécessaire  de  dire  à  V.  M.  Que  Dieu  garde  V.  M. 


HISTORIQUES.  329 


JO"  L'arcliiduc  {Léojiold)  au  Toi  d'Espagne. 

Cambray,  8  juillet  1649. 

Par  le  courrier  que  V.  M.  m'a  envoyé  avec  des  dépêches  relatives 
aux  affaires  d'Anglelerrc,  j'ai  reçu  la  ieltre  de  V.  M.  du  10  du  mois 
passé  daus  laquelle  V.  M.  m'oidounc  de  cheichcr  à  empêcher  don 
Francisco  Cotlington  de  se  rcndi-e  dans  ses  Etiits  en  qualité  d'ambas- 
sadeur du  roi  de  la  Grande-Bretagne,  et  dans  le  cas  où  l'on  ne  pour- 
rait pas  l'en  détourner,  de  lui  permettre  de  continuer  sou  voyage,  en 
réduisant  les  choses  au  point  qui  a  été  adopté  dès  le  commencement. 
Je  crois  devoir  rappeler  à  V.  M.  (jue  j'avais  refusé  au  prince  de  Galles 
le  titre  de  Roi  avant  d'en  informer  V.  M.  Votre  Majesté  m'a  répondu 
en  m'ordonnant  de  lui  donner  ce  titre,  sauf  à  antidater  la  lettre,  ce 
qui  ne  pouvait  se  faire  d'ici  (de  Bru.xelles),  d'où  les  lettres  vont  en 
deux  jours  à  la  Haye  où  le  roi  (d'Angleterre)  se  trouvait  alors.  Kn 
même  temps,  V.  M.  a  écrit  au  roi  pour  lui  exprimer  ses  condoléances 
à  l'occasion  de  la  mort  de  son  père,  et  Elle  a  ordonné  au  conseiller 
Brum  de  présenter  (de  vive  voix)  les  mêmes  condoléances  ;  c'est  ce 
que  le  conseiller  a  fait  à  Bréda,  et  il  en  aura  rendu  compte  à  V.  JI. 

Pour  éviter  de  traiter  le  prince  de  Galles  de  Roi,  comme  V.  M.  l'a 
fait  et  comme  Elle  m'ordonne  de  le  faire,  je  lui  ai  envo)é  le  passe- 
port qu'il  m'avait  demandé  pour  se  rendre  par  ses  Elafs  en  France  ; 
de  11,  comme  m'a  dit  le  résident  qui  est  ici  depuis  le  temps  du  roi 
Charles  bf  son  père,  il  doit  se  rendre  en  Irlande.  Quand  je  lui  ai 
demandé  pourquoi  il  ne  partait  pas  de  Hollande  même,  il  m'a  répondu 
que  c'était  parce  qu'il  n'avait  pas  de  forces  maritimes  sulfisantes  pour 
traverser  le  canal  de  l'Angleterre,  et  aussi  parce  qu'il  désirait  voir  sa 
mère  qui  est  encore  à  Paris.  De  Hollande,  il  a  envoyé  près  de  moi 
don  Francisco  Cottington  en  qualité  d'amhassadeur  accrédité  auprès 
de  V.  31.  J'ai  suivi  à  son  égard  l'étiquette  qu'avait  suivie  l'archiduc 
Albert  à  l'égard  des  autres  ambassadeurs  d'Angleterre,  d'après  les 
renseignements  que  m'ont  donnés  à  ce  sujet  d'anciens  ministres  de 
Votre  Majesté  dans  ces  provinces. 

Le  roi  est  entré  à  Anvers,  d'où  il  s'est  rendu  à  Bruxelles;  je  le  ver- 
rai après-demain  à  Valencicnnes  ;  de  là  il  passera  par  Cambray  à 
Péronne  dans  les  États  de  V.  M.  On  lui  a  rendu  les  honneurs  dus  au 
rang  de  roi,  ce  <|u'il  était  impossible  d'éviter  du  moment  que  V.  M. 
lui  a  écrit  en  lui  donnant  ce  titre.  Je  lendrai  compte  à  V.  M.,  à  h 
première  occasiouj  de  ce  qu'il  me  dira. 

28. 


350  DOCUMENTS 

Quant  à  Cottington,  qu'il  s'agit  de  retenir  ici,  je  n'ai  rien  à  ajouter 
à  ce  que  le  comte  de  Pcnaranda  dit  dans  ses  lettres  à  Augustin 
Navarro,  dont  les  copies  sont  jointes  à  la  présente,  si  ce  n'est  que  le 
résident  d'Angleterre,  étant  venu  aujourd'hui  ici,  a  demandé  à 
Navarro  un  passe-port  pour  Cottington;  je  lui  ai  demandé  pourquoi 
il  en  voulait  avoir  un,  puisque  son  maître  allait  entrer  en  France  ;  je 
lui  ai  dit  qu'il  en  aurait  besoin  pour  envoyer  des  ambassadeurs  à 
V.  M.  s'il  se  trouvait  hors  du  territoire  de  la  France  et  dans  quelque 
Etat  de  V.  M  ,  mais  non  pas  lorsqu'il  était  sur  le  point  d'entrer  en 
France;  le  résident  a  paru  satisfait  de  celte  observation.  Je  cherche- 
rai à  avoir  des  renseignements  sur  la  manière  dont  on  accueillera  le 
roi  d'Angleterre  en  France,  et  je  les  transmettrai  à  V.  M. 

Don  Alonzo  de  Cardenas  rendra  compte  à  V.  M.  de  la  manière  dont 
le  gouvernement  anglais  commence  à  agir  envers  lui  à  Londres.  Il 
m'écrit  qu'on  lui  demande  que  je  prenne  sous  ma  protection  un  ageut 
du  Parlement  qui  se  trouve  ici.  Don  Alonzo  ne  voit  aucun  inconvé- 
nient à  ce  que  je  le  protège  ;  quant  à  moi,  j'hésite  à  le  faire,  de  peur 
que  de  cela  on  ne  fasse  un  acte  d'adhésion  au  Parlement;  l'agent  est 
du  reste  sulTIisamment  en  sûreté,  car  ceux  qui  ont  assassiné  le  docteur 
Dorislaùs  l'ont  assassiné,  non  parce  qu'il  était  un  agent  du  Parlement, 
mais  parce  qu'il  avait  été  accusateur  public  du  feu  roi  Charles.  D'ail- 
leurs je  n'ai  pas  encore  pris  de  résolution  au  sujet  de  la  réponse  à 
faire  à  don  Alonzo  ;  les  deux  parties  cherchent  à  provoquer  des  décla- 
rations qui  donnent  la  sanction  qu'elles  désirent,  le  Roi  à  sa  succes- 
sion au  trône  et  le  Parlement  à  son  gouvernement.  Que  Dieu,  etc. 


1  lo  Délibération  du  Conseil  d'Etat  d'Espagne  au  sujet  des  deux  dépê- 
ches précédentes  du  comte  de  Penaranda  et  de  l'archiduc  Léopold. 

Madrid,  2  août  1649. 
Sire, 

Le  conseil  d'État,  auquel  ont  pris  part  le  duc  de  Médina  de  las 
Torres  et  les  marquis  de  Casiel-Rodrigo  et  de  Valparaiso,  a  pris  con- 
naissance, conformément  aux  ordres  de  V.  3L,  des  deux  lettres  ci- 
incluses,  l'une  de  l'archiduc  Léopold  en  date  du  8  juillet,  et  l'autre  du 
comte  de  Penaranda  du  6  du  même  mois,  ainsi  que  des  documents 
dont  ils  parlent.  Les  deux  letties  sont  une  réponse  à  ce  que  V.  M. 
avait  daigné  écrii  e  au  sujet  de  l'étiquette  que  l'archiduc  devait  obser- 
ver, à  l'égard  du  roi  d'Angleterre,  dans  les  occasions  qui  se  présente- 


HISTORIQUES.  331 

raient.  Ce  que  S.  A.  a  jugé  à  propos  de  faire  a  été  de  suivre  l'étiquette 
qui  avait  été  adoptée  par  l'arcliiduc  Albert.  Ces  lettres  rendent  compte 
aussi  de  la  résolution  qu'on  a  prise  en  faisant  entrer  le  nouveau  roi 
d'Ani»leterre  dans  les  Etats  de  V.  M.,  et  de  son  passage  en  France.  Le 
comte  de  Penaranda  en  parle  longuement,  et  expose  les  inconvénients 
qui  pourraient  en  résulter  pour  le  service  de  V.  M.;  il  parle  aussi  des 
démarches  qui  avaient  été  faites  et  qui  se  faisaient  encore  pour  empê- 
cher Cottington  et  un  autre  personnage  envoyés  par  le  nouveau  roi  de 
se  rendre  en  Espagne;  il  rend  compte  enfin  des  conversations  qu'il  a 
eues  à  ce  sujet  avec  Cottington  et  avec  le  résident  du  roi  d'Angleterre 
à  Bruxelles,  et  de  la  franchise  avec  la(|uelle  il  leur  a  parlé. 

Le  Conseil,  après  avoir  longuement  délibéré  sur  ces  points,  et  avec 
toute  l'attention  possible,  rei)résente  à  V.  M.  que,  dans  la  lettre 
écrite  le  10  avril  à  l'archiduc,  on  lui  avait  recommandé  de  ne  faire 
aucune  déclaration  formelle  ni  en  faveur  du  nouveau  roi  d'Angleterre, 
ni  en  faveur  du  Parlement,  jusqu'à  ce  que  l'on  sût  avec  plus  de  cer- 
titude quelle  tournure  prendraient  les  affaires,  afin  que  S.  A.  pût 
agir,  dans  les  circonstances  qui  se  présenteraient,  de  la  manière  qui 
serait  la  plus  convenable.  On  avait  écrit  à  l'archiduc  qu'il  pouvait 
répondre  aux  lettres  du  roi  d'Angleterre  en  lui  donnant  le  litre  de  roi, 
de  Majesté,  et  tous  ses  autres  titres;  mais  on  ajoutait  que,  pour 
prendre  à  ce  sujet  des  précautions  euveis  le  Parlement,  c'est-à-dire 
pour  ne  pas  lui  donner  de  l'ombrage,  il  fallait  que  la  lettre  fût  anti- 
datée afin  qu'on  pût  dire  qu'on  avait  fait  cela  avant  d'avoir  reçu  la 
nouvelle  que  la  postérité  du  roi  défunt  avait  été  exclue  du  trône  par 
le  Pai'lement.  Depuis,  don  Alonzo  de  Cardenas  a  annoncé  que  don 
Francisco  Cottington  et  un  autre  personnage  devaient  venir  en  Espa- 
gne comme  envoyés  du  nouveau  roi  d'Angleterre,  et  là-dessus  on  a 
écrit  à  l'archiduc  pour  lui  recommander  d'abord  de  chercher,  avec 
toute  l'adresse  et  tout  le  secret  possibles,  à  retenir  Cottington  et  à 
savoir  quelles  étaient  ses  propositions,  ensuite  d'attendre  la  réponse 
après  avoir  rendu  compte  de  tout  à  V.  M. 

Bien  que  l'ordre  de  V.  M.  n'ait  pas  été  cxécutéen  Flandre, etquel'af- 
faire  ait  changé  d'aspect  relativement  au  passage  du  roi  d'Angleterre 
dans  cette  province,  on  ne  peut  cependant  désap|)rouvcr  ce  qui  s'y 
est  fait  de  démonstrations  publiques  en  faveur  du  roi,  car,  quoique 
V.  M.  ait  résolu,  et  que  les  ordres  envoyés  en  Flandre  et  en  Angle- 
terre eussent  pour  objet  de  rester  en  expectative  et  de  ne  faire  aucune 
déclaration  ni  pour  le  roi  ni  pour  le  Parlement,  vu  (ju'il  est  dans  l'in- 
térêt de  V.  M.  d'être  en  bons  termes  avec  le  Parlement  et  de  ne  lui 
causer  aucun  déplaisir,  cependant,  si  le  Parlement  témoignait  du  mé- 
conlentemenldecc  qui  a  été  fait  en  faveur  du  roi  en  Flandre,  on  pourra 


332  DOCUMENTS 

toujours  dire,  pour  s'en  excuser,  que  les  dites  manifestations  étaient 
dues  à  ce  prince  en  sa  qualité  de  roi  proclamé,  déclaré  et  reconnu  sous 
serment  roi  d'Ecosse  et  d'Irlande,  et  qu'il  était  impossible  de  les  évi- 
ter sans  manquer  à  toutes  les  règles  d'urbanité.  Quand  même  d'ail- 
leurs ce  prince  ne  porterait  pas  ces  titres,  on  ne  pouvait  s'empéciier 
de  faire  ce  qu'on  a  fait  pour  lui,  attendu  que  c'était  un  prince  qui 
passait  par  les  Etats  de  V.  M.,  et  qu'il  est  de  l'étiquette  de  faire  de 
telles  démonstrations,  dans  les  voyages  de  ce  genre,  à  l'égard  de  tout 
prince  étranger,  quand  même  il  n'y  a  pas  le  concours  de  circonstances 
et  de  titres  qui  se  réunissaient  dans  la  personne  du  roi  d'Angleterre. 

Le  Conseil  est  d'avis  qu'au  moment  où  l'on  prenait  la  résolution  de 
recevoir  le  prince  de  Galles  comme  on  l'a  reçu  d'après  le  rapport  con- 
tenu dans  ces  lettres,  on  eût  bien  fait  d'écrire  à  don  Alonzo  de  Carde- 
iïas  pour  lui  expliquer  les  mol  ifs  de  ces  procédés,  afin  qu'il  pût  s'en 
servir  auprès  du  Parlement  dans  la  forme  qui  lui  eût  paru  le  plus 
convenable.  On  pourrait  même  écrire  à  l'archiduc  que,  dans  le  cas  où 
il  n'aurait  pas  encore  fait  cela,  il  ait  à  le  faire  maintenant.  H  faudrait 
écrire  d'ici  la  même  chose  à  don  Alonzo,  et  lui  recommander,  sans 
qu'il  fasse  ni  déclaration  ni  démarche  positive,  de  donnera  entendre, 
comme  si  cela  venait  de  lui-même,  au  Farlement,  combien  son  bon 
vouloir  cause  de  satisfaction  à  V.  51. 

De  même  il  fau.t  dire  à  S.  A.  l'archiduc  que  ce  qui  conviendrait  le 
mieux,  ce  serait  qu'il  s'en  tînt  aux  ordres  qui  lui  ont  été  envoyés 
d'ici  à  ce  sujet,  et  que,  si  quelque  autre  voyage  ou  passage  se  présen- 
tait, la  chose  se  fît  sans  éclat  et  avec  prudence.  On  écrirait  dans  le 
même  sens  au  comte  de  Penaranda. 


HISTORIQUES.  -  335 

Vil 

(Page  172.) 
M .  de  Croullc  au  cardinal  iMazarin. 

23  mai  16S0. 

J'envoie  à  V.  E.  des  mémoiics  des  tapisseries  et  principnux 

tableaux  qui  sont  en  vente  à  Somerset,  avec  les  prix  qu'ils  sont  esti- 
més, plus  haut  néanmoins,  à  ce  que  j'ai  su,  de  dix  schellings  par  aune 
de  tapisseries.  Il  a  déjà  été  vendu  plusieurs  tableaux  et  entre  autres 
une  grande  Vénus  de  Tissian  qui  était  estimée  quinze  cents  livres 
sterling,  qu'un  colonel  du  Parlement  a  achetée  sept  cents  livres  ster- 
ling seulement;  c'est  elle  qui  fut  donnée  par  le  roi  d'Espagne  au  roi 
d'Angleterre,  lors  prince  de  Galles,  en  son  voyage  d'Espagne,  que  l'on 
dit  être  une  des  plus  belles  i)ièccs  du  monde  ;  celui  qui  Ta  achetée  dit 
qu'elle  est  trop  grande  pour  sa  chambre,  et  qu'il  s'en  dcferail  s'il  tiou- 
vait  quelqu'un  qui  en  fût  amoureux  :  mais  je  sais  que  ce  qui  lui  en 
donne  envie  est  qu'elle  paraît  écaillée  et  qu'il  appréhende  qu'elle  se 
gâte,  à  quoi  ceux  qui  s'y  connaissent  disent  qu'il  n'y  a  point  de  dan- 
ger pourvu  qu'elle  soit  maniée  a\ec  soin,  et  de  plus  qu'il  est  bien 
aise,  en  cas  de  révolution,  de  n'avoir  point  de  si  giandes  pièces  qui 
ne  sont  ])as  aisément  transportées  :  on  l'aurait,  sinon  pour  le  [irix, 
pour  peu  plus  qu'elle  ne  coûte 

Eslat  de  quelques  tableaux  exposés  en  vente  à  la  maison  de  Somerset 
{may  1630.) 

209  tableaux  estimés  en  tout  :  20,307  scliclliiigs,  ou  24,582  liv.  8  s. 
Savoir  les  principaux  : 

8  Raphaël  ; 
21  Tilicii; 

9  Corrégc ; 
.')  Tinloret  ; 
6  Ilolbeiii  ; 
S  Riibens  ; 

15  Van  Dyck  ; 
9  Jules  Roinuiii,  etc. 


3U  DOCUMENTS 

Sepl  poitrails  du  feu  roi  Charles  l",  de  sa  femme  et  de  ses  enfants,  par 
Van  Dyck,  estimés  :  150,  60,  200,  25,  60,  30,  120  schellings. 

Deux  satyres  ccorchés,  du  Corrége,  estimés  chacun  1000  sch. 

Les  douze  Césars,  du  Titien,  1200    » 

Une  petite  Notre-Dame,  de  Raphaël,  800    » 

Le  Voyage  d'Emmaûs,  du  Titien,  600    » 

L'Enterrement  du  Christ,  par  le  même,  600    » 

Une  Notre-Dame,  de  Raphaël,  200O    -. 

La  Maîtresse  du  Titien,  par  lui,  100    » 

Un  Mercure  qui  montre  à  lire  à  Cupidon,  du  Coi  rége,  800    » 

Les  cartons  de  Raphaël  des  Actes  des  Apôtres,  300     » 

Une  grande  Nativité,  par  Jules  Romain,  500    » 

Charles  V,  empereur,  et  l'impératrice,  sa  femme,  du  Titien,  30    » 

Une  Vierge,  Christ  et  saint  Jean,  du  Corrége,  50    » 

Vénus  et  Adonis,  du  Titien,  80    » 

Cinq  Ducs  de  Venise,  du  Tiuloret,  25    » 

Le  duc  de  Mantoue,  par  Rubens,  30    » 

Van  Dyck,  par  lui-même,  15    » 

Plus  169  pièces  de  tapisseries,  formant   diverses  séries  de  tableaux  de 

THistoire  sainte,  de  la  Mythologie  et  de  THistoire  romaine,  estimées  en 

tout 49,953  liv.  st.  15  sch. 

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HISTORIQUES.  33S 

VIII 

(Page  175.) 

1°  M.  de  Croullé  au  cardinal  Alazarin. 

Londres,  iO  janvier  16g0. 

Aussitôt  que  les  ordres  pour  le  retour  de  l'ambassadeur  d'Es- 
pagne ont  été  divulgués,  le  lord  Ascham  a  été  nommé  par  le  conseil 
d'Etat  pour  aller  résident  en  Espagne  ;  il  fut  peu  de  temps  après  voir 
ledit  ambassadeur,  et  lui  faire  une  simple  civilité,  qui  n'ayant,  à  ce 
que  l'on  dit,  été  reçue  que  fort  froidement  avec  témoignage  qu'il  dou- 
tait que  le  roi  son  maître  reçût  bien  un  envoyé  de  ceux  qui  persécu- 
tent sans  relâche  ceux  de  sa  religion,  le  maître  des  cérémonies  y  a 
depuis  été,  par  ordre  du  conseil  d'État,  sur  la  plainte  faite  par  ledit 
ambassadeur  de  ce  qu'une  compagnie  de  soldats,  sous  prétexte  du 
payement  de  quelques  taxes,  a  été  dans  sa  maison,  où  elle  a  fait  plu- 
sieurs insolences,  et  lui  porta  un  résultat  du  Conseil,  signé  du  Parle- 
ment, dans  lequel  il  est  qualifié  ambassadeur,  qui  désavoue  l'action 
dont  il  lui  promet  toute  satisfaction,  et  de  plus  qu'ayant  su  les  termes 
sur  lesquels  il  en  est  de  son  retour,  bien  qu'il  ne  leur  ait  rendu  aucu- 
nes lettres  de  créance,  voulant  reconnaître  les  témoignages  d'affection 
qu'il  a  montrés  à  cet  Etat,  ils  désirent,  en  étant  avertis,  lui  faire 
toutes  les  civilités  qu'ils  pourront  et  qu'ils  savent  être  dues  au  minis- 
tre d'un  si  puissant  prince.  Le  général,  le  jour  précédent,  sur  le  même 
sujet  de  sa  plainte,  lui  envoya  l'adjudant  général  de  son  armée  pour 
lui  donner  les  mêmes  témoignages  de  satisfaction,  et  le  pria  d'envoyer 
quelques  uns  des  siens  à  leur  conseil  de  guerre  pour  en  faire  enten- 
dre le  détail  ;  à  quoi  l'ambassadeur  dit  que  tout  consiste  à  l'insolence 
que  des  gens  ont  eue  d'entrer  dans  sa  maison  et  en  violer  le  respect; 
et  sur  ce  que  l'adjudantse  déchargea  sur  ce  qui  concerne  ceux  qui  les 
ont  conduits,  comme  n'étant  point  sujets  à  leur  juridiction,  l'ambas- 
sadeur lui  dit  que  c'était  un  alderman  qu'il  lui  nomma,  qui  a  le  dépar- 
tement du  quartier  où  est  sa  maison,  et  se  laissant  sans  doute  empor- 
ter à  son  ressentiment,  ajouta  que  ce  gouvernement  n'a  point  de 
plus  passionnés  ennemis  que  cet  alderman  et  autres  de  la  faction 
presbytérienne. 


336  DOCUMENTS 

Cette  résolution  prise  d'envoyer  ledit  lord  Ascham  en  Espagne, 
justement  au  moment  de  la  retraite  dudit  ambassadeur,  qui,  ce  semlile, 
la  devait  plutôt  empêcher,  jointe  à  ce  que  ces  messieurs-ey  ont  dit 
plusieurs  fois  qu'ils  ne  hasarderont  jamais  d'envoyer  qui  que  ce  soit 
sans  être  assurés  de  son  admission,  fait  croire  qu'ils  le  sont  déjà,  ou  du 
moins  qu'il  y  a  tant  de  disposition  qu'ils  n'en  doutent  point.... 


2°  M.  Scrvien  à  M.  de  Croullé. 

28  janvier  1650. 

Monsieur, 

J'ai  reçu  votre  du  17«  du  courant.  Les  avis  que  j'ai  de  Madrid 
ne  se  trouvent  pas  fort  conformes  à  ce  qui  s'est  publié  à  Londres  de 
la  réponse  que  le  roi  d'Espagne  a  faite  au  milord  Cottiiiglon.  Vous 
marquez  que  ledit  roi  a  répondu  qu'il  ne  se  mêlait  point  des  différends 
entre  les  rois  et  leurs  parlements,  et  que,  sur  celte  présupposition,  le 
maître  des  cérémonies  avait  été  chez  l'ambassadeur  Cardenas  lui  té- 
moigner, par  ordre  du  Parlement,  quelque  gratitude  de  cette  réponse. 
Cependant  la  vérité  de  la  chose  est  que  Cottinglon  ayant  demandé 
assistance  de  la  part  de  son  maître  au  roi  Catholique,  on  lui  avait  ré- 
pondu que  Sa  Majesté  n'avait  pas  au  monde  une  plus  grande  passion 
que  de  pouvoir  lui  témoigner,  par  des  effets  solides,  combien  elle  dé- 
testait l'exécrable  action  de  la  mort  violente  du  roi,  son  père;  que 
c'était  la  cause  commune  de  tous  les  rois;  qu'il  fallait  que  tous  eus- 
sent continuellement  dans  l'esprit  le  dessein  d'en  prendre  la  ven- 
geance; que  pour  lui  il  y  contribuerait  avec  plaisir  plus  que  nul 
autre;  mais  que  l'état  de  ses  affaires  présentement  ne  lui  pouvait 
permettre  de  donner  les  assistances  qu'il  souhaiterait  qu'après  la  con- 
clusion de  la  paix  avec  la  France  ;  qu'il  avait  contribué  et  continuerait 
encore  de  contribuer  toutes  les  facilités  qui  dépendraient  de  lui  pour 
l'avancement  de  celle  paix  ;  mais  qu'il  fallait  que  S.  M.  B.  tournât  ses 
olTices  du  côté  de  la  France,  pour  la  presser  de  se  relâcher  sur  divers 
points  essentiels  du  traité,  et  parliculièrement  sur  la  restitution  de  la 
Catalogne;  et  que,  s'il  obtenait  cela  de  nous,  il  pouvait  être  assuré 
que,  quand  même  la  France  ne  concourrait  point  à  son  rétablisse- 
ment, il  lui  donnerait  de  belles  assistances  d'argent,  d'hommes  et  de 
vaisseaux,  qu'il  ne  serait  pas  longtemps  sans  avoir  mis  tous  ses  sujets 
à  la  raison,  et  sans  se  voir  avec  autant  de  puissance  et  d'autorité  que 
ses  prédécesseurs  en  aient  jamais  eu. 


HISTORIQUES.  537 

Voilà  la  pure  vérité  des  négociations  qu'a  eues  jiisques  ici  lemilord 
Cottington,  que  je  sais  d'un  lieu  à  n'en  pouvoir  douter.  J'ai  été  bien 
aise  de  vous  en  informer  afin  que  vous  vous  en  prévaliez  dès  delà  pour 
le  service  du  roi;  d'autant  plus  que  je  suis  averti  par  la  même  per- 
sonne que  le  roi  d'Espagne  envoie  ordre  à  Cardenas  de  déguiser  le  fait 
de  toute  autre  façon,  et  d'insinuer  aux  principaux  du  Parlement  que 
la  France  s'est  relâchée  depuis  peu  de  beaucoup  de  points  essentiels 
de  la  paix  générale,  afin  d'être  bientôt  en  état  de  travailler  de  toutes 
ses  forces  au  rétablissement  du  roi  de  la  Grande-Bretagne  ;  que,  pour 
lui,  il  était  résolu  de  continuer  la  guerre  jusqu'à  ce  qu'il  eût  recouvré 
tout  ce  qu'il  avait  perdu,  mais  qu'il  fallait  en  échange  que  le  Parle- 
ment d'Angleterre  lui  eu  donnât  le  moyen  en  fomentant  la  sédition 
de  Bordeaux,  et  lui  donnant  des  assistances  sous  main,  parce  qu'au- 
trement il  serait  contraint  de  prendre  son  parti,  et  d'accepter  les  con- 
ditions avantageuses  que  la  France  lui  offrait. 

Maintenant  que  vous  serez  informé  de  ce  que  Cardenas  a  charge 
d'insinuer  dans  les  esprits  de  delà,  vous  aurez  beau  champ  de  faire 
une  contre-batterie  en  publiant  la  vérité  du  fait,  qui  est  tout  autre 
que  ce  qu'il  dira,  et  faisant  connaître  que  cette  couronne  est  résolue 
de  tenir  ferme  sur  les  points  du  traité  qui  sont  encore  contentieux,  et 
notamment  sur  la  restitution  de  la  Catalogne  ;  mais  que,  pour  nous 
fortifier  dans  cette  résolution,  il  faudrait  que  le  Parlement  d'.\ngle- 
terre  nous  fournît  sous  main  qucl(|ues  assistances  d'hommes  ou  d'ar- 
gent, pour  nous  donner  moyen  de  nous  défendre  des  grands  prépa- 
ratifs que  les  Espagnols  font  pour  nous  attaquer  de  tous  côtés  la 
campagne  prochaine. 

Cependant  qu'il  serait  assez  difficile,  dans  la  disposition  où  sont  les 
esprits  de  delà,  d'en  tirer  ces  soi'tes  d'assistances,  il  faut  au  moins 
que  vous  ayez  toujours  pour  but  d'empêcher  qu'ils  n'en  donnent  aux 
ennemis,  sur  les  (âusses  suppositions  que  Cardenas  leur  fera.  Je  ne 
m'étendrai  pas  davantage  sur  ce  sujet,  remettant  à  votre  prudence  et 
à  votre  adresse  d'en  tirer  le  fruit  (|ui  se  pourra,  et,  comme  je  dis,  en 
tous  cas  nous  garantir  des  préjudices  que  les  artifices  de  Cardenas  nous 
pourraient  faire. 

La  même  personne  me  marque  que  le  Roi  d'Espagne  a  donné  ordre 
à  Cardenas  de  se  garder  bien  de  donner  aucun  écrit,  ni  de  tiaiter  tout 
ceci  (|ue,  comme  il  ledit,  exlrajadicialnicntc,  se  contentant  de  parier 
en  secret  aux  principaux  du  Parlement,  sans  faire  aucun  acte  |)osilif; 
et  vous  venez  en  efl'et  rpi'il  se  conduira  de  cette  soi  te,  ce  (|ui  vous  fera 
juger  combien  a  eu  peu  de  fondement  la  question  de  ceux  qui  vous 
ont  demandé  si  vous  aviez  ordre,  aussitôt  ([ue  l'ambassadeur  il'Es- 
pague  aurait  présenté  des  lettres  de  créance  et  demande  audience,  de 
i.  W 


338  DOCUMENTS 

faire  de  même.  II  ne  se  peut  rien  de  plus  avisé  que  la  réponse  q»ie 
vous  avez  faite  à  cette  question  ;  cependant  leurs  MM.  désirent  que 
vous  vous  conduisiez  avec  la  même  circonspection  que  le  roi  d'Espagne 
ordonne  à  son  ministre. 

On  me  marque  encore  que  Cardenas  a  ordre  d'unir,  autant  qu'il  le 
pourra,  le  Parlement  d'Angleterre  avec  la  province  de  Hollande  en 
particulier  :  ce  qui  vous  doit  obliger  à  une  conduite  contraire,  sans 
pourtant  paraître  ;  me  remettant,  sur  ce  point,  à  ce  qui  vous  aura  élé 
mandé  par  le  sieur  Brasset,  en  conséquence  des  dépêches  que  je  lui 
ai  écrites. 


HISTORIQUES.  ggÔ 

IX 

(Page  176.) 
1»  J'y.  Ser vieil  à  M.  de  Croullé. 

6  novembre  1649. 

Monsieur,  j'ai  reçu  vos  lettres  auxquelles  pour  réponse  je  vous  dinii 
qu'il  faut  que  vous  insinuiez  toujours  de  delà  qu'on  ne  songe  ici  qu'à 
entretenir  une  bonne  correspondance  avec  l'Angleterre,  et  à  remédier 
à  tout  ce  qui  pourrait  avoir  apporté  de  la  difficulté  au  commerce,  et 
causé  mauvaise  satisfaction.  Mais  pendant  qu'on  travaille  ici  à  donner 
bon  ordre  à  tout,  il  est  juste  qu'on  fasse  de  même  à  Londres,  el  on 
verra  s'il  y  a  de  l'artifice  et  de  la  dissimulation  en  nos  paroles  lors- 
qu'elles portent  assurance  qu'on  veut  vivre  en  une  parfaite  intelli- 
gence avec  l'Angleterre. 

On  a  renouvelé  avec  tant  de  rigueur  les  ordres  pour  toute  la  navi- 
gation, et  pour  réparer  les  dommages  que  M.  Augier  a  représenté  que 
divers  marchands  avaient  reçus,  que  je  suis  assuré  que  les  plus  criti- 
ques et  mal  afTectionnés  à  cette  couronne  seront  obligés  d'avouer 
qu'on  veut  entièrement  remédier  à  tout  ce  qui  peut  altérer  la  bonne 
correspondance  qui  est  entre  les  deux  royaumes. 

Si,  après  l'expédition  d'Irlande,  M.  Cromwcll  vient  en  France, 
étant,  comme  il  est,  personne  de  mérite,  il  y  sera  bien  reçu,  car  assu- 
rément tout  le  monde  l'ira  recevoir  au  lieu  où  il  débarquera  ;  mais  je 
ne  crois  pas  qu'on  lui  conseille  d'entreprendre  un  semblable  voyage. 

On  m'assure  de  Bruxelles  que  l'ambassadeur  d'Espagne,  qui  est  à 
Londres,  sera  rappelé  sous  prétexte  que  l'aicbiiluc  a  des  affaires  à 
conférer  avec  lui.  Je  vous  prie  de  ne  perdre  aucune  conjoncture  pour 
donner  au  Parlement  les  dernières  défiances  des  Espajjnols,  ce  que  je 
ne  doute  [tas  que  vous  fassiez  fortement  et  adroitement  en  toutes 
sortes  de  rencontres. 


2"  M.  de  Croullé  au  cardinal  Muzarin. 

Londres,  15  notemhre  16J'.l. 

Ainsi,  monseifjneur,  j'ai  lieu   de  per.';é\érer  dans  ma  créance 

que  l'on  ne  traitera  d'aucune  chose,  je  ne  dis  pas  sans  reconnaissaucc, 


MO  DOCUMENTS 

mais  du  moins  sans  une  adresse  particulière  au  parlement  d'Angle- 
terre, qui  de  cette  sorte,  ayant  été  ci-devant  faite  du  vivant  du  défunt 
roi  d'Angleterre,  pourrait  être  prise  comme  une  suite  et  non  pas 
comme  une  nouveauté,  leur  reconnaissance  ne  pouvant  être  inférée 
que  de  l'admission  de  leurs  ambassadeurs,  s'ils  en  envoyaient,  et  non 
pas  d'une  simple  lettre  du  roi,  qui,  portant  dans  cette  mauvaise  con- 
joncture de  temps  les  affaires  dans  l'adoucissement,  pourrait  être  d'un 
plus  grand  avantage  au  roi  d'Angleterre  même  que  ne  saurait  être  la 
mauvaise  intelligence  avec  la  France,  à  laquelle  on  n'a  ici  que  trop  de 
disposition  ;  la  suite  qui  en  pourrait  être  appréhendée  est  que  bientôt 
après  ils  n'envoyassent,  et  que  par  là  on  ne  tombât  dans  l'embarras 
que  l'on  veut  éviter 

(Et  plus  bas,  clans  la  même  lettre  :) 

Ce  qui  se  dit  du  dessein  de  Cromwell  de  passer  en  France  pro- 
cède de  ceux  qui  le  désirent  pour  de  différents  intérêts  ;  et  pour  ce 
on  lui  fait  dii  e  quantité  de  clioses  que  j'ai  toujours  négligé  d'écrire 
comme  étant  sans  certitude  et  sans  apparence,  et  entre  autres  que, 
regardant  ses  cheveux  déjà  blanchis,  il  a  dit  que,  s'il  avait  dix  ans  de 
moins,  il  n'y  a  point  de  roi  dans  l'Europe  qu'il  ne  fit  trembler,  et 
qu'aj'ant  un  meilleur  motif  que  le  défunt  roi  de  Suède,  il  se  croyait 
encore  capable  dç  faire  plus  pour  le  bien  des  peuples  que  n'a  jamais 
fait  l'autre  pour  son  ambition 


3°  Le  même  cm  même. 

Londres,  0  décembre  1649. 
Monseigneur, 

Je  reçus  samedi  au  soir  la  lettre  dont  il  a  plu  à  Votre  Eminence  de 
m'honorer  du  26  du  passé,  qui  me  fut  apporléede  la  poste  tout  ou- 
verte, où  elle  avait  été  reportée  au  conseil  d'Etat,  après  y  avoir  de- 
meuré depuis  le  mercredi  au  soir.  Le  respect  n'ayant  pas  été  gardé 
pour  ce  qui  venait  de  Votre  Éminenee,  je  ne  dois  pas  trouver  à  redire 
que  toutes  mes  autres  lettres  aient  eu  la  même  destinée;  mais  bien 
que,  quelques  ombrages  que  ces  messieurs  ici  puissent  avoir,  ils  se 
soient  oubliés  jusqu'à  en  user  de  telle  sorte,  après  avoir  bien  examiné 
en  moi-même  de  quelle  sorte  je  devais  me  comporter,  j'ai  jugé  que  le 
meilleur  était  de  le  passer  sous  silence,  ayant  su  que  le  conseil  d'Etat 
n'aurait  pas  mieux  aimé  sinon  que  j'en  eusse  fait  bruit,  afin  d'avoir 


HISTORIQUES.  Ul 

prétexte  à  me  demander  en  vertu  de  qtioi  et  de  quelle  autorité  je 
suis  ici,  et  de  là  prendic  occasion  de  faire  querelle,  que  j'éviterai  avec 
autant  de  soin  que  j'apporterais  de  résolution  si  j'étais  daus  un  temps 
où  l'on  dût  témoigner  tous  ses  ressentiments,  ou  qu'il  me  lût  com- 
mandé de  le  faire.  Votre  Eminence,  monseigneur,  jugera  bien  que 
c'est  leur  but  de  ce  qu'ayant  jiroposé  moi-même  à  quelqu'un  qu'en 
cas  que  mes  lettres  eussent  été  ouvertes,  on  les  fît  recacbeter  et  que 
je  les  prendrais  comme  sans  m'en  apercevoir,  ils  n'ont  pas  seulement 
voulu  se  servir  de  cet  expédient,  mais  qu'elles  m'aient  été  rendues 
toutes  ouvertes,  afin  que  je  ne  pusse  douter  qu'ils  l'ont  ainsi  voulu... 
Je  passe  plus  avant  que  je  n'ai  fait  ci-devant,  et  dis  que  non- 
seulement  nous  ne  pouvons  espérer  aucune  correspondance  avec  ces 
messieurs  ici,  s'il  ne  leur  est  rendu  une  lettre  du  roi  qui  autorise  de 
traiter  avec  eux,  mais  que  sans  cela  nous  ne  devons  presque  pas  dou- 
ter d'une  prompte  rupture.  Les  causes  qui  les  y  obligent  sont  assez 
connues,  il  me  serait  superflu  d'en  faire  une  déduction  ;  mais,  pour 
les  cacber  d'un  prétexte  spécieux,  ils  ne  manqueront  pas  de  se  servir 
de  celui  de  la  religion,  et  pour  ce  de  ne  rien  omettre  pour  obliger  ceux 
de  la  leur  de  remuer  en  France,  afin  de  pouvoir  aussitôt  accourir  à 
leur  secours.  Pour  cet  effet,  l'on  m'assure  qu'il  y  a  quantité  d'émis- 
saires, plusieurs  de  Jersey  et  Guerncsey,  qui  passent  pour  Normands, 
et  quelques  autres  encore,  entre  lesquels  on  dit  être  un  médecin  alle- 
mand dont  je  tàcberai  d'apprendre  le  nom  et  de  quelle  façon  il  est 
fait,  qui  ne  travaillent  qu'à  les  pousser  à  se  soulever  par  la  promesse 
d'un  grand  secours  dont  ils  les  assurent.  De  ce  côté  ici,  outre  que  l'on 
soupçonne  fort  qu'ils  ont  reçu  des  lettres  de  Bordeaux  qui  les  appel- 
lent, et  quoiqu'il  n'en  soit  venu  personne  exprès,  c'est  une  cliose 
assez  facile  à  négocier  parce  qu'il  y  a  ici  quantité  de  marchands  de  ce 
pays-là  qui  sont  de  la  religion,  et  même  des  catholiciues,  par  le  moyen 
desquels  la  cliose  peut  être  aussi  adroitement  et  ])lus  secrètement 
faite  que  par  un  envoyé.  Un  gentilhomme  m'a  assuré  que  l'on  lui  a 
offert  emploi  pour  ce  pays-là,  et  qu'il  y  en  a  plusieurs  de  sa  connais- 
sance qui  y  sont  engagés,  et  qui  avaient  été  arrêtes  par  Cromwell,  dès 
auparavant  son  départ,  par  la  promesse  de  cet  emploi.  Autant  que 
ma  faible  lumière  peut  me  donner  de  jour,  je  ne  vois  pas  que  \\m 
puisse  éviter  en  France  ou  de  s'accommoder  ou  de  rompre  avec  ces 
gens  ici  dans  fort  peu  de  temps,  si  ce  n'est  que  l'on  leur  ])uisse  pro- 
curer d'ailleurs  tant  d'affaires  qu'ils  n'aient  pas  le  loisir  de  penser  à 
celles  des  autres.  Cet  accommodement,  si  l'on  en  prenait  la  résolu- 
tion, serait  un  moyen  de  divertir  l'orage  qui  se  forme,  et  comme  la 
nécessité  l'aurait  fait  faire  dans  un  temps,  la  raison  dans  un  autre 
serait  assez  forte  pour  s'en  départir.  Si  cela  était,  je  pourrais  pcut- 

2'.». 


342  DOCUMENTS 

être  tirer  assurance  que  l'on  n'enverrait  point  sitôt  d'ambassadeur 
en  France,  ou  du  moins  qu'ils  n'en  eussent  auparavant  dépêché  un 
en  Espagne,  dont  la  proposition  peut  être  assez  appujée  de  l'honnêtetc 
publique  qui  y  répugnerait,  la  reine  de  la  Grande-Bretagne  étant 
présente  et  en  étant  fille.  Sur  ce  que  plusieurs  leur  ont  objecté,  mais 
non  pas  moi,  qu'il  faut,  avant  que  de  pouvoir  être  reconnus  par  les 
princes  et  Étals,  qu'ils  leur  fassent  savoir  par  des  ambassadeurs  ce 
qu'ils  sont,  deux  des  plus  considérables  du  conseil  d'Etat,  avec  les- 
quels j'étais  en  discours  il  y  a  quelques  jours,  me  dirent  que  ce  qu'ils 
avaient  fait  étant  public,  personne  ne  le  pouvait  ignorer,  et  qu'encore 
qu'ils  n'en  aient  pas  averti  les  princes  par  des  ambassadeurs,  ce  n'est 
pas  qu'ils  ne  le  voulussent  bien,  et  que  pour  ce,  si  l'on  les  veut  as- 
surer qu'ils  seront  admis,  ils  en  enverront  partout  avant  qu'il  soit 
huit  jours,  mais  que  de  les  hasarder  dans  l'incertitude,  c'est  ce  qu'ils 
ne  feront  jamais;  que  dès  lors  qu'ils  seront  recherchés  par  la  France, 
ou  que  l'on  y  voudra  recevoir  leurs  ambassadeurs,  ils  seront  tout 
prêts  de  renouveler  tous  les  traités  d'alliance  d'entre  les  nations,  mais 
que  de  se  tenir  toujours  dans  l'incertitude,  et  d'attendre  notre  temps 
pour  cependant  perdre  le  leur,  c'est  ce  qu'ils  ne  feront  point,  et  qu'il 
leur  faut  nécessairement  être  uns  ou  autres  ;  que  pour  témoigner 
que  leur  intention  est  telle,  aussitôt  que  les  défenses  de  ce  qui  con- 
cerne le  négoce  auront  été  révoquées  en  France,  ils  feront  le  même, 
dont  ils  me  donnaient  leur  parole;  que  leur  intérêt,  disent-ils,  les 
y  porte  assez  ;  mais  que  néanmoins  celui  de  l'observation  de  leurs  ré- 
solutions prévaudra  à  tout  autre. 


4"  Le  même  au  même. 

Londres,  7  novembre  1650. 

Ce  que  m'écrit  M.  le  comte  de  Brienne  m'ap- 
prend qu'en  cas  que  ces  gens-ci  envoient  en  France,  l'on  est  résolu 
d'écouter  cl  de  recevoir  leur  envoyé,  mais  non  pas  assurément  con- 
naître si,  pour  prévenir  l'union  que  l'on  croit  toujours  qui  se  conclura 
bientôt  entre  eux  et  l'Espagne,  on  désirerait  qu'ils  le  fissent;  en  ce 
cas,  je  pense  que,  si  la  crainte  de  n'être  pas  bien  reçus  les  a  jusqu'ici 
retenus, quand  ils  seront  assurés  du  contraire,  ce  qui  se  pourrait  faire 
adroitement  et  sans  qu'il  parût  que  la  recherche  en  vînt  du  côté  de  la 
France,  il  serait  aisé  de  les  y  porter  et  de  faire  choisir  quelqu'un  qui, 
s'il  n'était  pas  des  plus  affectionnés,  du  moins  aurait  la  disposition  de 
le  devenir;  et  lors  j'ose  presque  assurer  qu'en  leur  ôtant  cette  jalousie 


HISTORIQUES.  343 

qu'ils  ont,  il  serait  fort  facile  d'accommoder  tout  cela,  cl  qu'ils  se 
contenteraient,  pour  la  satisfaction  des  demandes  qui  ser\  iraient  de 
prétextes  à  leur  envoi,  de  faire  compensation  pour  partie  avec  les 
prises  qu'ils  ont  faites,  et  pour  le  surplus  de  prendre  des  assurances 
plutôt  pour  la  forme  que  pour  le  retirer,  ne  faisant  point  de  doute 
que,  bien  qu'ils  affectent  l'indifférence  sur  la  reconnaissance  de  tous 
les  princes,  ils  achèteraient  pourtant  celle  de  France  avec  une  amitié 

ferme  beaucoup  plus  que  tout  cela 

Ainsi,  monseigneur,  par  la  connaissance  que 

V.  E.  a  des  intérêts  des  Etats  et  la  particulière  de  celui-ci,  à  laquelle 
tout  ce  que  je  puis  lui  mander  n'ajoute  aucune  lumière  dans  la  bonne 
posture  oii  il  se  trouve,  elle  jugera,  s'il  lui  plaît,  s'il  est  ou  non  du 
bien  de  la  France  de  s'accommoder  avec  eux.  Leur  nouvelle  républi- 
que se  fortifie  de  tous  côtés;  l'Angleterre  est  toute  paisible,  sans  qu'il 
y  ait  un  seul  pouce  de  terre  qui  ne  les  reconnaisse,  et  ne  soit  bien 
assuré;  l'Irlande  est  presque  toute  assujettie,  et  outre  les  intelli- 
gences qu'ils  ont  en  Ecosse,  elle  a  reçu  de  si  grandes  pertes  qu'il  ne 
se  peut  qu'elle  n'en  soit  très-affaiblie.  Les  Ecossais  de  plus  sont 
divisés  entre  eux,  et  il  semble  que  toutes  choses  ensemble  concourent 
à  raffermissement  de  ces  gens  ci  et  à  la  perte  tant  du  roi  de  la  Grande- 
Bretagne  que  de  ceux  qui  se  joignent  à  lui.  De  plus  ils  sont  puissants 
par  mer  et  par  terre;  ils  vivent  sans  ostentation  et  sans  faste,  sans 
émulation  entre  eux,  épargnent  pour  leur  particulier  et  prodiguent 
pour  leurs  affaires  publiques  auxquelles  chacun  travaille  comme  dans 
les  siennes  propres;  ils  ont  grande  quantité  d'argent  qu'ils  adminis- 
trent bien,  observent  une  très-sévère  discipline,  récompensent  bien 
et  punissent  sévèrement.  Je  sais  bien  que,  dans  le  dessein  dont  ils  ne 
se  cachent  point  de  vouloir  détruire  toutes  les  monarchies,  tous  les 
princes  sont  intéressés  à  les  perdre,  à  quoi  leurs  crimes  obligent  tout 
le  monde  en  général  de  contribuer;  mais  je  pense  que,  n'étant  pas 
encore  en  état  de  le  faire,  il  est  meilleur  de  conniver  pour  un  temps 
et  les  retenir,  qu'en  se  tenant  trop  fermes  les  porter  à  faire  ce  dont 
les  ennemis  de  la  France  ne  manqueraient  de  se  prévaloir.  Pour 
ajouter  à  mon  sentiment  et  à  celui  de  beaucoup  d'honnêtes  gens  celui 
que  l'on  public,  je  vous  dirai  que  l'on  tient  ici  la  guerre  avec  la 
France  si  infaillible  que,  si  l'on  voulait  y  faire  des  gageures  sur  ce 
sujet,  on  le  pourrait  pour  de  grandes  sommes,  qu'avant  qu'il  soit  la 
fin  du  printemps,  les  Anglais  auront  une  armée  de  France.     .     .     . 


sa  DOCUMENTS 

5°  Duti  Alonzo  de  Cardends  au  roi  Philippe  IV. 

Londres,  dS  août  iC49. 
Sire, 

Dans  ma  dépcclic  du  2'î  juillet,  j'ai  informe  V.  M.  que  le  gouverne- 
ment de  ce  pnys  se  proposait  d'envoyer  à  son  agent,  qui  depuis  deux 
ans  réside  en  Flandre,  de  nouvelles  letlres  de  créance  qui  l'accrédi- 
(ent  auprès  de  rarcliiduc.  J'ai  également  informé  V.  ]M.  du  mécon- 
tentement qu'avait  cause  ici  la  nouvelle  des  rapports  que  le  conseiller 
Brun,  comme  amhassadenr  de  V.  31.,  a  eus  avec  le  |)rince  de  Galles; 
on  a  publié  la  copie  de  la  lettre  que  V.  M.  a  écrite  au  prince  pour  lui 
exprimer  ses  condoléances  à  l'occasion  de  la  mort  de  son  père  ;  on  a 
relevé  le  titre  de  roi  de  la  Grande-Bretagne  dont  V.  M.  s'était  servie 
cl  les  manifestations  et  l'accueil  solennel  qui  ont  été  faits  au  prince  en 
Flandre.  Ce  que  j'ai  à  dire  dans  ce  moment  à  V.  M.,  c'est  qu'aussitôt 
que  ces  nouvelles  sont  arrivées  ici,  le  Parlement  a  repris  le  projet 
d'envoyer  des  agents  en  Espagne,  en  France  et  auprès  d'autres  répu- 
bliques et  cours  souveraines;  mais  comme  je  n'ai  pas  entendu  dire, 
jusqu'à  ce  moment,  qu'on  ait  encore  envoyé  des  lettres  de  créance  à 
l'agent  qui  est  à  Bruxelles,  et  comme  je  n'ai  pas  été  informé  par  des 
avis  de  Flandre  que  l'agent  les  ait  présentées,  il  est  à  croire  que  le 
Parlement  a  changé  d'avis  ou  suspendu  sa  décision.  On  me  dit  que 
depuis  dix  jours  on  discute  dans  le  conseil  d'Etat  la  question  de  savoir 
si  l'on  doit  envoyer  ces  personnes  comme  simples  agents  du  Parle- 
ment ou  comme  ambassadeurs  :  on  ajoute  que  la  première  qui  doit 
être  envoyée  le  sera  en  Espagne,  dans  rii3'potbèse  qu'elle  y  sera 
reçue  plutôt  que  parlout  ailleurs  ;  ce  qu'on  infère  de  mon  séjour  ici, 
car  on  ne  peut  pas  admettre  qu'il  en  soit  autrement  du  moment  que 
V.  Bl.  a  ici  un  ambassadeur.  Dans  le  cas  où  celui  du  Parlement  ne 
serait  pas  reçu  en  Espagne,  on  me  ferait  sortir  d'ici  dans  le  plus  bref 
délai.  On  m'assure  qu'il  en  a  été  décidé  ainsi,  et  qu'on  fera  la  même 
chose  à  l'égard  de  l'ambassadeur  de  Hollande  à  qui  l'on  s'est  plaint 
amèrement  de  ce  que  les  Etals  généraux  (à  l'exception  de  la  province 
de  Hollande)  n'ont  pas  voulu  reconnaître  la  nouvelle  République,  ni 
reconnaître  comme  son  ambassadeur  un  personnage  du  Parlement 
qui  se  trouvait  à  la  Haye,  à  qui  le  Parlement  avait  cn^  oyé  des  lettres 
de  créance  après  la  nmrt  de  Dorislaiis,  bien  que  l'ambassadeur  des 
États,  lorsqu'il  vint  avec  Adrien  Pauw  intercéder  en  faveur  du  feu 
roi,  fût  porteur  des  lettres  de  créance  des  Etats  généraux  auprès  du 


HISTORIQUES.  54îJ 

Parlement.  Il  est  vrai  qu'alors  on  supposait  qu'il  clail  accrédite  au- 
près de  la  couronne  (d'Angleterre)  et  que  le  Parlement  ne  s'clait  pas 
encore  érigé  en  pouvoir  souverain  et  n'avait  pas  encore  cliangc  le 
gouvernement  monarchique  en  républicain.  Le  Parlement  demande 
que  cet  ambassadeur  lui  présente  maintenant  de  nouvelles  lettres  de 
créance;  un  mécontentement  à  ce  sujet  commence  à  se  faire  jour 
entre  le  Parlement  et  les  Étals  généraux,  et  il  s'accroît  surtout  de- 
puis que  les  bâtiments  du  Parlement  se  sont  emparés  d'un  navire 
dWmsterdam  qui  se  rendait  en  Irlande  avec  une  cargaison  d'une  va- 
leur considérable,  lequel  navire  sera  considéré,  dil-on,  comme  de 
bonne  prise,  malgré  les  démarches  et  les  menaces  que  l'ambassadeur 
des  Etals  généraux  fait  pour  en  obtenir  la  restitution.  On  peut  juger 
par  ce  fait  de  l'orgueil  de  ces  gens  et  de  leurs  procédés  envers  leurs 
voisins,  quoiqu'ils  aient  besoin  d'eux. 

J'ai  commencé  à  faire  des  démarches  par  l'entremise  de  quelques 
membres  du  Parlement  qui  se  montrent  nos  amis,  pour  faire  com- 
prendre à  ces  gens-ci,  comme  si  cela  venait  de  moi  seul,  qu'il  ne  leur 
est  d'aucun  avantage  de  presser  leur  résolution  d'envoyer  quelqu'un 
en  Espagne,  et  que  si  les  envoyés  du  prince  de  Galles  ne  se  rendent 
pas  en  Espagne  (les  gens  du  Parlement  avaient  entendu  dire  comme 
probable  qu'ils  s'y  rendraient,  par  suite  des  relations  que  les  minis- 
tres de  Flandre  ont  eues  avec  le  résident  Vie,  ce  que  j'ai  interprété 
commeun  acte  de  neutralité),jc  regarderais  comme  une  résolulion  pru- 
dente de  la  part  du  Parlement  de  ne  pas  presser  l'envoi  de  ses  agents 
jusqu'à  ce  que  la  question  soit  bien  mûrie  etjusqu'à  ce  que  le  Parle- 
ment ait  bien  établi  sou  pouvoir  et  raffermi  ses  affaires.  Je  ne  sais 
quel  sera  le  résultat  de  ma  démarche;  mais  quel  qu'il  soit,  j'en  ren- 
drai compte  à  V.  31. 

Que  Dieu  garde  V.  M.,  etc. 

6°  Délibération  du  Conseil  d'Etal  d'Espagne  sur  tes  a/ftiirrs 
d'Angleterre, 

Madrid,  le  'J  oclobio  1019. 

Ont  pris  part  au  Conseil  le  comte  de  Monleiey,  don  Frimcisco  de 
Welo  et  le  marquis  de  Valparaiso. 

Sire, 

Conformément  aux  ordres  de  V.  M.,  le  Conseil  a  jiris  connaissance 
des  deux  lettres  de  don  Alonzo  de  Cardciîas  en  date  du  15  aoiit  dans 


346  DOCUMEJVTS 

lesquelles,  entre  autres  choses,  il  parle  de  la  résolution  que  le  Parle- 
ment avait  prise  d'envoyer  en  Espagne, en  France  et  auprèsdesautres 
Etats  ,  des  résidents  ou  ambassadeurs.  Il  dit  aussi  que  Cromwell 
n'était  pas  encore  parti  pour  l'Irlande,  et  qu'on  croyait  que  s'il  y  al- 
lait, les  presbytériens  profiteraient  de  son  absence  pour  recouvrer  ce 
qu'ils  ont  perdu,  et  qu'ils  se  mettraient  en  rapport  avec  Ormond;  il 
dit  aussi  que  les  troupes  du  prince  de  Galles  commandées  par  Inchi- 
quin  avaient  pris  d'assaut  Tredagh  et  qu'Ormond  se  trouvait  devant 
Dublin.  Le  Conseil,  après  avoir  examiné  ces  divers  points,  a  émis 
l'avis  suivant  : 

Le  comte  de  Monterey  pense  que  ce  qu'il  y  a  de  plus  utile  pour  le 
service  du  roi  relativement  à  l'Angleterre,  c'est  de  ne  point  se  pro- 
noncer ni  pour  le  roi  ni  pour  le  Parlement,  jusqu'à  ce  que  l'on  voie 
quelle  tournure  prendront  les  affaires  et  quel  parti  aura  le  dessus;  et 
qu'il  vaudrait  même  mieux  que  le  parti  du  Parlement  l'emportât  sur 
celui  du  roi,  tant  à  cause  du  peu  d'obligations  qu'on  doit  à  son  père, 
que  parce  qu'on  pourrait  obtenir  du  Parlement  plus  d'avantages.  On 
avait  déjà  appris  que  le  nouveau  roi  d'Angleterre  allait  envoyer  à 
cette  cour  don  Francisco  Cottington  et  un  autre  ambassadeur,  et 
V.  M.  a  résolu  qu'on  écrirait  à  S.  A.  l'archiduc  (c'est  ce  qu'on  a  fait 
déjà)  que,  si  ces  personnes  passaient  i)ar  les  Flandres,  il  cherchât  à 
s'informer  quelles  étaient  leurs  instructions  et  rendît  compte  de  tout; 
qu'en  outre,  l'archiduc  cherchât  à  les  retenir  jusqu'à  ce  qu'il  eût  reçu 
une  réponse  d'ici  ;  mais  que,  s'ils  voulaient  absolument  continuer 
leur  route,  il  les  laissât  faire.  D'un  autre  côte,  on  a  ordonné  aux  fonc- 
tionnaires qui  sont  dans  le  Guipuzcoa  que,  si  ces  personnages  y  ve- 
naient, ils  eussent  à  les  y  retenir  en  leur  faisant  toute  sorte  de  poli- 
tesses, et  qu'ils  attendissent  également  la  réponse  de  V.  M.  Le  comte 
pense  que  l'on  pourrait  tenir  la  même  conduite  à  l'égard  des  person- 
nes que  le  Parlement  enverrait  ici,  en  expédiant  des  ordres  dans  les 
Flandres,  pour  le  cas  oîi  ces  ambassadeurs  viendraient  à  passer  par  là, 
ainsi  qu'à  don  Alonzo  de  Cardcnas  et  dans  les  ports  d'Espagne.  Lors- 
qu'il s'agira  ensuite  de  prendre  une  résolution  définitive,  V.3I.  vou- 
dra bien  ordonner  à  don  Alonzo  de  Cardenas  de  lui  faire  exactement 
connaître  quelles  sont  les  forces  dont  le  Parlement  dispose  et  jusqu'à 
quel  point  il  est  bien  établi  ;  don  Alonzo  devra  aussi  informer  V.  M. 
des  forces  du  roi,  et  de  ce  qu'il  peut  en  avoir  en  Angleterre,  en  Ir- 
lande et  en  Ecosse,  ainsi  que  de  la  part  de  ses  alliés. 

Don  Francisco  de  3Ielo  est  du  même  avis  que  le  comte  de  Monterey  ; 
il  ajoute  qu'il  croit  que  les  affaires  d'Angleterre  doivent  être  traitées 
sans  aucun  piincipc  arrêté  et  sans  aucune  détermination  de  la  part  de 
V.  M.  Sur  la  question  de  savoir  s'il  lui  conviendrait  d'y  voir  le  roi 


HISTORIQUES.  Zil 

rétabli  ou  un  gouvernement  républicain  fondé,  ou  bien  que  la  lutte 
entre  les  deux  se  prolonge,  il  pense  que  c'est  le  moment  de  tirer  de 
là  quelque  fruit  contre  la  révolte  du  Portugal  et  les  conquêtes  de 
l'Angleterre;  il  désirerait  savoir  ce  que  V.  M.  voudra  bien  ordonner 
pour  qu'on  puisse  atteindre  ce  but. 

Le  marquis  de  Valparaiso  exprime  le  même  avis  que  le  comte  de 
Monterey.  V.  M.  ordonnera  ce  qui  lui  paraîtra  le  plus  convenable. 
(Il  y  a  un  parafe  de  la  main  du  roi  portant  :  «  Qu'il  soit  fait  selon 
l'avis  du  Conseil.  ») 


3iS  DOCUMENTS 


(Page  188.) 


M(hnoi7'e  présenté  au  roi  Philippe  IV  par  lord  Coifingfon 
et  sir  Edouard  Hyde,  amijassadeurs  de  Charles  II. 


Sire, 

Nous  sommes  persuadés  que  V.  M.  est  bien  convaincue  de  noire 
entier  dévouement  à  son  service  et  que,  depuis  que  nous  avons  eu 
l'honneur  d'être  reçus  à  cette  cour,  nous  avons,  comme  il  convient  à 
des  serviteurs  fidèles  de  V.  Bl.,  joint  au  zèle  pour  le  service  du  roi 
notre  maître  le  respect  et  la  considération  dus  à  V.  31.,  prenant  soin 
de  ne  rien  proposer  qui  pût  causer  des  embarras  à  V.  BI.,  ni  être  à 
l'avantage  de  ses  ennemis.  Nous  avons  toutefois  le  ferme  espoir  que, 
lorsque  Dieu,  dans  sa  grande  miséricorde,  aura  fait  incliner  les  cœurs 
des  ennemis  de  V.  Bf.  à  une  juste  paix  et  l'aura  dégagée  des  guerres 
qu'Elle  a  maintenant  à  soutenir,  V.  M.  ne  manquera  pas  de  prendre 
à  cœur  la  cause  si  juste  du  roi  de  la  Grande-Bretagne,  qu'Elle  s'y 
portera  avec  une  vigueur  qui  répondra  à  ses  nobles  dispositions  de 
roi  et  de  chrétien,  et  qu'en  attendant  V.  BI.  prêtera  au  roi  notre 
maître  autant  d'assistance  que  ses  propres  affaires  le  lui  permettront, 
et  qu'Elle  l'encouragera  à  conserver  la  confiance  qu'il  a  eue  en  se  je- 
tant entre  les  bras  de  V.  M.  avec  la  résolution  de  ne  contracter  point 
d'autres  amitiés  que  celles  qui  s'accorderont  avec  la  sympathie  qu'il 
professe  pour  la  religion  catholique  et  pour  les  intérêts  de  Y.  Bl. 

Ce  dévouement  pour  le  service  de  V.  BI.,  qui  s'unit  chez  nous  au 
zèle  et  à  la  sollicitude  pour  l'honneur  et  les  intérêts  du  roi  notre  maî- 
tre, nous  oblige  à  dire  à  V.  BI.  que  nous  avons  appris  qu'il  a  débarqué 
dans  l'Andalousie  un  individu  employé  comme  agent  des  cruels  et 
sat)guinaires  rebelles  d'Angleterre,  et  ([u'il  se  rend  auprès  de  cette 
cour  avec  des  lettres  pour  V.  BI.  que  lui  adressent  ces  assassins.  Nous 
sommes  informés  qu'il  a  pour  mission  principale  de  corrompre  les 
Anglais  qui,  en  vertu  des  traités,  résident  dans  les  Etals  de  V.  M.,ct 


HISTORIQUES.  349 

de  les  faire  renoncer  à  l'obcissance  et  à  la  fidélité  dues  à  leur  roi,  en 
leur  proposant  certains  serments  dont  il  apporte  la  formule,'ct  à  l'aide 
des  menaces  et  autres  moyens.  Il  est  lort  naturel  de  croire  qu'il  aura 
aussi  reçu,  parmi  ses  instructions,  celle  de  travailler  à  répandre  dans 
l'esprit  des  sujets  de  V.  M.  le  même  venin,  cette  doctrine  si  conta- 
gieuse qui  enseigne  la  haine  de  tout  gouvernement,  de  toute  autorité, 
surtout  de  l'autorité  monarchique,  et  de  chercher  à  leur  inoculer 
l'esprit  d'égalité  et  d'anarchie.  Cet  individu  ne  prétend  pas  en  effet 
être  envoyé  par  quelque  usurpateur  armé  contre  son  roi  légitime;  il 
vient  au  nom  de  cette  populace  infâme  qui  a  livré  la  dignité  et  les 
saintes  fonctions  des  rois  au  mépris  et  à  la  tyrannie  populaire,  et  qui 
a  baigné  ses  mains  dans  le  sang  de  son  roi  oint  et  couronné,  sans  au- 
cune autre  raison  ni  prétexte  sinon  parce  qu'il  était  roi  ;  ces  gens-là 
se  déclarent  publiquement  ennemis  de  tout  gouvernement  monar- 
chique; et  dans  ce  statut,  ou  acte  du  Parlement,  comme  ils  l'appel- 
lent, par  lequel  ils  veulent  annuler  et  détruire  le  gouvernement 
monarchique  de  l'Angleterre,  ils  attaquent  tous  les  autres,  mais  par- 
ticulièrement et  avec  une  insigne  méchanceté  et  insolence  la  personne 
sacrée  de  V.  M.;  et  ils  critiquent  avec  une  grande  arrogance  la  con- 
duite si  juste  et  si  prudente  de  V.  M.  dans  son  royaume  de  Naples, 
cherchant  ainsi  à  exciter  les  sujets  de  V.  31.  dans  ce  royaume.  Dans 
le  cas  où  V.  M.  n'aurait  pas  été  suffisamment  informée  de  tout  cela, 
nous  lui  présenterons,  si  Elle  l'ordonne,  une  copie  de  l'acte  dont  nous 
parlons. 

Nous  sommes  trop  bien  informés  et  trop  persuadés  de  l'horreur 
dont  le  cœur  de  V.  31.  est  rempli  envers  ces  rebelles  et  régicides  pour 
craindre  qu'Elle  consente  à  faire  à  cet  individu  un  accueil  de  nature 
à  donner  quelque  crédit  à  ceux  qui  l'ont  envoyé  j  et  nous  ne  pouvons 
imaginer  que  V.  31.  Très-Catholique,  étant  le  premier  et  le  seul  prince 
à  qui  le  roi  notre  maître  ait  offert  non-seulement  une  amitié  perpé- 
tuelle, mais  encore  tout  ce  qu'il  a  et  tout  ce  qu'il  peut  espérer,  soit 
le  premier  et  le  seul  souverain  qui,  par  .ses  faveurs,  donne  du  crédit 
et  du  poids  au  nouveau  gouvernement  et  à  l'autorité  de  ces  rebelles 
qui  ont  si  odieusement  mis  à  mort  le  père  du  roi.  C'est  pourquoi  nous 
représentons  humblement  à  V.  31.  et  nous  portons  à  sa  connaissance, 
comme  ses  serviteurs  dévoués,  que  tant  que  cet  individu  restera  dans 
les  États  de  V.  31.,  il  serait  nécessaire  qu'une  surveillance  fût  exercée 
sur  sa  conduite,  ses  intrigues  et  ses  discours,  de  peur  qu'il  ne  prenne 
lui-même  une  influence  funeste  à  la  paix  et  à  la  tran(|uillilé  de  V.  M. 
et  de  ses  Étals.  Nous  prions  donc  V.  31.,  de  la  pat  t  de  notre  maître  cl 
au  nom  de  son  honneur,  que  cet  individu  ne  jouisse,  dans  cette  cour, 
d'aucun  accès  ni  d'aucune  faveur  qui  attirent  vers  lui  les  Anglais  ré- 
1.  iîO 


SSO  DOCUMENTS 

sidant  dans  les  Étals  de  V.  M.  et  à  l'aide  desquelles  faveurs  il  puisse 
les  corrompre  et  les  détourner  de  la  fiJélité  due  à  leur  souverain  légi- 
time, ce  qui  pourrait  bien  arriver  si  ces  Anglais  trouvaient  ici  protec- 
tion par  une  autre  intervention  que  celle  du  roi  notre  maître. 

Que  Dieu  garde  et  fasse  prospérer  votre  personne  Très-Catholique, 
comme  nous  le  désirons  et  comme  le  monde  entier  en  a  besoin. 

COTUNGTON.    HyDE. 


HISTORIQUES.  3S1 

XI 

(Page  188.) 


i"  Première  délibérât  ion  du  Conseil  d' Étal  d'Espagne  stir  les  demandes 
des  amOussadeiirs  de  Charles  II. 

Madrid,  10  mai  I6S0. 

Le  conseil  d'Etal,  auquel  ont  pris  part  don  Francisco  de  Melo  et  le 
marquis  de  Valparaiso,  exprime  son  avis  sur  le  contenu  du  mémoire 
présente  par  les  envoyés  du  roi  d'Angleterre. 

Sire, 

Conformément  aux  ordres  de  V.  M.  du  21  avril  dernier,  on  a  pris, 
dans  le  Conseil  auquel  ont  pris  purt  don  Francisco  de  JIclo  et  le  mar- 
quis de  Valparaiso,  connaissance  du  mémoire  p^é^enté  à  V.  .M.  par 
les  ambassadeurs  du  roi  de  la  Grande-Bretagne.  Ils  y  expriment  leur 
ferme  espoir  queV.  M. appuiera  sérieusement  la  cause  de  leur  maître; 
ils  disent  ensuite  que,  mus  par  le  zèle  sincère  de  servir  V.  M.,  ils  se 
sont  vus  forcés,  en  apprenant  l'arrivée  d'un  ministre  envoyé  par  le 
Parlement  auprès  de  cette  cour,  d'informer  V.  M.  que  ce  ministre  est 
chargé  par  ses  instructions  d'exciter  les  Anglais  qui  sont  au  service 
de  V.  31.  à  renoncera  l'obéissance  due  à  leur  roi  ;  ils  en  infèrent  aussi 
qu'il  cherchera  à  répandre,  dans  l'esprit  des  sujets  de  V.  M.,  de  la 
haine  et  de  l'aversion  pour  le  gouvernement  monarchique  dont  les 
hommes  du  Parlement  se  sont  proclamés  ennemis  mortels;  ils  signa- 
lent aussi  ce  que  le  parlement  d'Angleterre  a  fait  contre  V.  M  dans 
ce  statut  ou  acte  oii  il  exprime  un  blâme  sur  la  conduite  de  V.  SI.  à 
Naples,  tentant  ainsi  de  soulever  les  sujets  de  ce  pays  contre  V.  M.; 
ils  déclarent  que,  si  V.  M.  l'ordonnait,  ils  lui  communiqueraient  une 
copie  de  cet  acte,  et  prient  V.  M.  de  faire  veiller  à  ce  (|uc  l'envoyédu 
Parlement  ne  puisse,  par  ses  intrigues,  nuire  au  service  de  V.  M., 
comme  aussi  à  ce  qu'on  ne  lui  accorde  pas  trop  d'accès  et  de  faveur  à 
cette  cour,  ce  qui  pourrait  porter  les  Anglais  résidant  dans  les  Etals 
de  V.  BI.  à  manquer  de  fidélité  à  leur  roi. 

Le  conseil  d'Etat  expose  à  V.  M.  qu'on  pourrait  répondre  à  ces 
envoyés,  si  V.  M.  l'ordouiic,  que,  comme  ils  le  savent  très  bleu  eux- 


332  DOCUMENTS 

mêmes,  on  ne  peut  pas  refuser  d'entendre  même  les  plus  grands  cri- 
minels j  que  du  reste  V.  M.  les  remercie  des  informations  qu'ils  vien- 
nent de  lui  donner,  qu'on  en  profitera  en  temps  et  lieu,  qu'ils  peuvent 
fournir  toutes  les  autres  informations  qui  leur  seraient  parvenues, 
qu'on  les  prie  de  communiiiucr  la  copie  de  l'acte  du  Parlement  dont 
ils  ont  parlé,  et  tout  ce  qui  aurait  trait  aux  intérêts  de  V.  M.,  parti- 
culièrement en  ce  qui  concerne  le  royaume  de  Naples.  V.  M.  ordon- 
nera ce  qui  lui  plaira. 

(Ecrit  en  marge  de  la   main  du   roi  :   «  On  fera  selon  l'avis  du 
Conseil.  ») 


2"  Seconde  dclibcralioti  du  Conseil  d'État  d'Espagne  sur 
le  môme  sujet. 

Madrid,  22  octobre  1G50. 

Le  conseil  d'Etat,  auquel  ont  pris  part  don  Francisco  de  Melo  et  le 
comte  de  Penaranda,  donne  son  avis  sur  le  contenu  du  mémoire  pré- 
senté par  les  envoyés  du  roi  d'Angleterre  et  dans  lequel  ils  demandent 
que  les  navires  d^'leur  maître  soient  bien  accueillis  tant  dans  les  ports 
de  Flandre  que  dans  ceux  d'Espagne. 


Par  décret  du  ii  de  ce  mois,'V.  M.  a  ordonné  au  Conseil  de  prendre 
connaissance,  et  c'est  ce  qui  a  eu  lieu,  d'un  mémoire  des  envoyés  du 
roi  d'Angleterre  dans  lequel  ils  représentent, au  nom  de  leur  roi,  que 
quelques-uns  de  ses  bâtiments  de  guerre  ,  étant  entrés  dans  le  port 
d'Ostcnde  pour  s'y  réparer  et  pour  acheter  des  vivres,  n'y  ont  pas 
trouvé  l'accueil  conforme  aux  ordres  que  V.  M.  avait  daigné  donner 
à  ce  sujet,  et  qu'ils  ont  été  soumis  à  l'embargo,  aux  taxes  et  autres 
avanies;  ils  supplient  V.  M.  de  faire  écrire  à  S.  A.  l'archiduc  afin  que 
tous  les  bâtiments  de  leur  roi  soient  bien  accueillis  tant  dans  le  port 
d'Ostcnde  que  dans  tous  les  autres  auxquels  ils  arriveraient,  et  qu'il 
leur  soit  permis  d'exécuter  leurs  manœuvres  et  de  s'approvisionner  en 
tout  ce  dont  ils  auraient  besoin,  conformément  aux  articles  du  traité. 
Ils  prient  que  les  mêmes  ordres  soient  donnés  à  tous  les  corrégidors 
et  juges  de  tous  les  autres  ports,  afin  que  lesdits  navires  puissent 
entrer  dans  ces  ports  et  en  sortir  librement  et  sans  obstacle.  Les  en- 
voyés font  ressortir  la  grande  obligation  que  leur  maitre  contracterait 
envers  V.  M.  si  ces  bâtiments  jouissaient ,  dans  les  ports  de  Flandre 


HISTORIQUES.  5S3 

et  dans  les  autres  États  de  V.  M.,  de  la  liberté  dont  ils  jouissent  dans 
ceux  de  France. 

Le  Conseil,  auciuel  ont  pris  part  don  Francisco  de  Mclo  et  le  comte 
de  Penaranda,  est  d'avis  que  V.  M.  pourrait  faire  écrire;»  S.  A.  l'ar- 
cliiduc  en  lui  recommandant  de  faire  bon  accueil  aux  navires  du  roi 
d'Angleterre  dans  les  ports  de  ses  États,  et  d'observer  h  leur  égard 
les  stipulations  du  traité  de  paix,  ainsi  que  cela  s'est  toujours  fait. 
Quant  aux  envoyés  durci  d'Angleterre,  on  pourra  leur  faire  connaître 
les  ordres  qu'on  envoie  à  l'archiduc,  mais  leur  dire  en  même  temps 
qu'on  n'enverra  pas  les  mêmes  ordres  aux  autres  ports  avant  d'avoir 
appris  qu'on  y  ait  manqué  aux  dispositions  déjà  prescrites  à  ce  sujet, 
et  que,  si  l'on  apprenait  (pielque  chose  de  pareil,  on  ne  manquerait 
pas  de  donner  des  ordres  convenables.  V.  M.  ordonnera  ce  qui  lui 
plaira. 

(Éciil  de  la  main  du  roi  :  «  C'est  bien.  ») 


30. 


3S4  DOCUMENTS 

XII 

(Page  189.) 

1°  Don  A  lonxo  de  Cardenas  an  roi  Philippe  IV. 

Londres,  14  décembre  1649. 
Sire, 

J'ai  appris  qu'on  admettait  dans  les  ports  portugais  les  prises  que 
les  vaisseaux  du  nouveau  roi  d'Angleterre  et  les  frégates  d'Irlande 
allant  en  course  faisaient  sur  les  navires  et  les  marchandises  de  ce 
royaume  pour  le  compte  du  prince  palatin  Robert,  que  ces  prises  y 
étaient  reconnues  bonnes  et  qu'on  en  permettait  la  vente.  J'ai  soup- 
çonné que  cette  permission  pouvait  venir  de  ce  que  le  nouveau  roi 
d'Angleterre,  aussitôt  après  la  mort  de  son  père,  aurait  reconnu  le 
tyran  de  Portugal  et  admis  auprès  de  lui,  en  qualité  d'ambassadeurs, 
des  personnes  quij  en  cette  même  qualité,  se  trouvent  à  la  Haye  et  à 
Paris  où  le  nouveau  roi  a  résidé  depuis  qu'il  a  succédé  à  son  père. 
Ayant  jugé  à  propos  de  m'en  assurer  ,  j'ai  écrit  à  ce  sujet  au  comte 
de  Penaranda  ,  lequel  en  ayant  informé  le  chevalier  Brun  afin  qu'il 
s'en  assurât  aussi,  celui-ci  l'a  fait  comme  il  m'en  donne  avis  dans  sa 
lettre  du  29  novembre  dont  je  joins  ici  copie  pour  V.  M.  En  même 
temps,  après  avoir  fait  des  questions  en  France  par  un  canal  et  une 
main  sûre  quoique  anglaise,  j'ai  obtenu  par  cet  agent  la  relation  ci- 
incluse.  Votre  Majesté  verra  par  là  combien  peu  le  nouveau  roi  d'An- 
gleterre a  profité  de  la  fin  tragique  du  roi  son  père  que  ses  maximes 
et  ses  fautes  ont  conduit  au  comble  des  malheurs.  Son  fils  les  suit 
comme  si  le  succès  leur  avait  donné  quelque  autorité  et  comme  si  lui- 
même  n'en  subissait  pas  maintenant  les  tristes  conséquences.  Tant 
que  la  reine  sa  mère  exercera,  comme  elle  le  fait,  son  influence  sur 
les  résolutions  du  roi,  et  tant  que  les  conseillers  qui  l'accompagnent, 
pour  diriger  toutes  ses  actions,  seront  dans  la  dépendance  de  la  reine, 
ce  prince,  il  faut  le  croire,  suivra  la  conduite  et  l'exemple  de  son 
père;  et  si  maintenant  qu'il  est  dépouillé  de  la  couronne  d'Angleterre 
et  qu'il  risque  évidemment  de  perdre  les  royaumes  d'Ecosse  et  d'Ir- 
lande, si  maintenant  qu'il  a  tant  besoin  du  secours  de  V.  M.  pour  re- 
couvrer l'une  et  assurer  l'autre,  il  manque  à  ce  qu'il  doit  à  V.  M. 


HISTORIQUES.  355 

ce  qui  est  juste  et  loyal,  puisque  V.  M.  l'a  reconnu  pour  roi  de  la 
Grande-Bretagne  et  a  fait  faire  en  sa  faveur  en  Flandre  toutes  les  dé- 
monstrations et  toutes  les  politesses  qu'il  eût  pu  désirer  s'il  eût  été 
possesseur  tranquille  de  la  couronne,  s'il  en  est,  dis  je,  ainsi  main- 
tenant, peut-on  espérer  que  ce  prince  change  d'opinion  lorsqu'il  se 
verra  en  possession  de  tout  ce  qui  lui  appartient  et  qu'il  n'aura  besoin 
de  personne  ? 

Il  m'a  paru  nécessaire  de  rendre  un  compte  particulier  à  V.  M.  de 
tout  ce  qui  s'est  passé  et  de  tout  ce  que  j'ai  appris.  La  connaissance 
de  tout  cela  pourra  être  utile  dans  le  cas  où  l'on  jugerait  à  propos  de 
se  plaindre  de  ce  prince.  Ces  motifs  de  plainte,  ajoutés  à  ceux  qu'avait 
déjà  donnes  la  conduite  de  son  père,  justifieront  aux  yeux  du  monde 
ce  que  la  convenance  et  la  raison  d'Etat  conseiUeronl  de  faire  en  faveur 
de  ce  gouvernement-ci  (de  la  république  d'Angleterre),  soit  pour  la 
reconnaitre  et  accueillir  ses  ambassadeurs,  soit  pour  entrer  en  alliance 
avec  lui  si  les  circonstances  et  l'intérêt  de  V.  M.  le  commandaient. 


2"  Le  chevalier  Antoine  Brun  à  don  Alonzo  de  Cardenas. 
La  Haye,  le  29  novembre  1649. 

A  en  juger  parle  tour  que  prennent  ici  les  affaires,  on  peut  dire 

que  le  pauvre  roi  (d'Angleterre)  court  à  sa  perte  sous  tous  les  rap- 
ports, à  moins  que  Dieu  ne  fasse  quelque  miracle  en  sa  faveur.  Je  me 
suis  assuré  qu'il  a  reçu  l'envoyé  du  tyran  de  Portugal  en  qualité  d'am- 
bassadeur, et  son  résident  n'a  pas  pu  me  nier  la  chose,  mais  il  l'excuse 
en  disant  que,  ce  Portugais  ayant  ce  titre  auprès  des  États  généraux 
d'ici,  son  maître  n'a  pas  pu  le  tiaiter  autrement,  car  sansceia  il  aurait 
perdu  l'appui  du  prince  d'Orange,  son  beau-frère.  Je  lui  ai  répondu 
que  déjà  feu  son  père  avait  fait  la  même  chose  quoiqu'il  fût  à  Londres, 
à  quoi  le  résident  m'a  dit  qu'à  cette  époque  le  feu  roi  .son  père  rece- 
vait la  loi  du  Parlement,  à  tel  point  qu'il  se  vit  forcé  de  signer  l'arrêt 
de  mort  prononcé  contre  le  vice-roi  d'Iilandc,  son  grand  ami.  Cela 
étant,  si  nous  avions  quelque  bonne  alliance  avec  les  grands  du  l'ar- 
lemcnt  d'Angleterre  contre  la  France,  nous  pourrions  faire  ce  qu'ils 
désirent;  mais  que  nous  soyons  les  premiers  à  faire  gratuitement  un 
tel  acte,  et  seulement  dans  l'espoir  de  ce  (jui  peut  en  arriver,  cela  inc 
parait  très-dur. 


336  DOCUMENTS 

3o  Happurl  envoyé  de  Paris  par  la  personne,  chargée  de  s'assurer  si 
l'envoyé  de  Porlugal  qui  se  trouve  à  cette  cour,  en  qualité  d'ambassa- 
deur, a  eu  une  entr'evue  avec  le  roi  d'Angleterre  et  s'il  a  traité  «Dec 
lui  quelque  affaire. 

L'ambassadeur  de  Portugal  a  été  chez  le  roi  d'Ecosse  plusieurs  fois, 
ainsi  (|ue  chez  la  reine  d'Angleterre;  il  a  eu  avec  la  mère  et  avec  le  fils 
plusieurs  conférences  et  entrevues  secrètes.  Cet  ambassadeur,  ayant 
quitté  la  France,  a  laissé  à  Paris  un  résident  uonmié  Suarez,  créature 
de  Caialrava;  ce  Suarez  est  allé  plusieurs  fois  chez  le  roi  d'Ecosse;  Sa 
Majesté  l'a  reçu  et  a  traité  a\cc  lui  de  diverses  affaires,  et  elle  a  écrit 
en  Portugal  plusieurs  lettres  depuis  son  retour  de  Flandre  en  France; 
sur  ces  lettres  elle  a  mis  l'adresse  suivante  :  «  Au  Roi  de  Portugal  » 
et  »  monsieur  mou  frère.  »  La  reine  d'Angleterre,  en  écrivant  à  la 
reine  de  Portugal,  s'est  servie  de  celte  formule:  «  A  Madame,  Madame 
la  Reine  de  Portugal,  ma  sœur.  »  Dans  ces  correspondances  le  Portu- 
gais a  promis  au  roi  d'Ecosse  de  l'assister  et  de  recevoir  dans  les  ports 
de  ses  Etats  les  navires  du  roi  et  les  prises  qu'ils  pourraient  faire  sur 
des  navires  du  Parlement  d'Angleterre,  et  c'est  ce  qui  se  fait. 


HISTORIQUES.  357 

XIII 

(Page  192.) 

1°  717.  de  Croullc  au  cardmal  Mazuria. 

Londres,  16  mai  1650. 

...  .  Ledit  ambassadeur  (d'Espagne)  a  plusieur.s  fois  envoyé  des 
écritssignésde  lui  au  conseil  d'État,  qui  y  oiitétc  reçus  et  considérés, 
sinon  comme  venant  d'un  ambassadeur,  du  moins  d'une  personne  qui 
appartient  à  un  prince  avec  lequel  on  se  veut  bien  entretenir. 

2"  Le  même  au  même. 

Londres,  i  juillet  ICKO. 

Il  se  dit  aujourd'hui  que  le  général  Fairfax,  sur  le  point  de 

partir  pourrEcosse,aremis  sa  commission.  J'eus  l'iionncurde  mander 
à  V.  E.,  il  y  a  quelque  temps,  que  le  Parlement  avait  ordonné  que 
tant  lui  que  le  lieutenant  général  remettraient  leurs  ancier)nes  pour 
en  prendre  de  nouvelles,  et  que  je  croyais  que  c'était  une  cliosc  déjà 
faite.  C'est,  dit-on,  sur  l'instance  de  satisfaire  à  cet  ordre  qu'il  a  mieux 
aimé  remettre;  à  quoi  il  a  encore  été  porté  pai-  la  méfiance  qu'il  con- 
naît que  l'on  a  de  lui,  et  pnr  le  déplaisir  de  ce  qu'il  ne  lui  restait  que 
le  nom  de  cette  charge  dont  Cromwell  a  toute  l'autorité.  Possible  que, 
quand  il  ne  s'y  serait  pas  porte,  l'on  eût  trouvéquel(|ueautrc prétexte 
de  la  lui  demander,  parce  qu'il  se  dit  tout  baut(|ue  les  presbytériens, 
au  parti  desquels  sa  femme  le  pousse  toujours,  irallcndcnt  que  de 
voir  l'armée  engagée  avec  les  Ecossais  pour  les  seconder  i)ar  des  sou- 
lèvements de  deçà,  et  que,  pour  cet  effet,  ils  ont  inl(>liigence  avec  une 
partie  de  l'armée  qui  se  déclarerait  aussitôt,  quoicpae  la  cliose  soit 
assez  dilîicile  |)ar  le  bon  ordre  que  l'on  y  a  mis  en  établissant  la  mi- 
lice dos  provinces  en  des  mains  assurées,  et  laissant  outre  cela  qui'l- 
ques  troupes  trcs-anidées  en  chacune.  Elle  n'est  pouitant  pas  impos- 
sible, nique  Cronnveil  n'cntrctiennelui-niême  ce  dessein  pour  donner 
jour  à  ses  ennemis  de  se  déclarer  et  avoir  sujet  de  les  perdre  ainsi 
qu'il  a  fait  plusieurs  fois  par  de  semblables  voies... 


358  DOCUMENTS 

L'on  m'a  fait  donner  avis  que  Cromwell  a  reçu  des  lettres  de 

messieurs  de  Bouillon  et  de  Turenne  :  mais  je  pense  qu'on  ne  l'a  dit 
en  confidence  à  ceux  dont  je  le  tiens  qu'afin  qu'ils  me  le  rapportassent 
et  que  je  l'écrive,  ce  que,  tout  faux  qu'il  peut  être  et  que  je  le  crois, 
j'ai  jugé  devoir  faire,  puisqu'il  pourrait  être  que,  sur  la  moindre  re- 
cherche jointe  à  ce  que  l'on  mande  que  les  brouilleries  de  Bordeaux 
se  renouvellent,  ces  gens-ci  se  porteraient  à  les  assister  d'une  partie 
de  leur  flotte  qui  est  à  Lisbonne. 


3"  Le  même  au  même. 

Londres,  12  septembre  1650. 

Un  homme  de  ma  connaissance  m'a  dit  avoir  reçu  lettres  d'Al- 
lemagne d'un  de  ses  correspondants,  qui  est  homme  intelligent,  qui 
lui  mande  que,  s'étonnant  de  voir  au  lieu  où  il  est  tant  de  monnaie 
d'Angleterre  entre  les  mains  des  officiers  et  soldats,  il  avait  eu  la  cu- 
riosité de  savoir  d'où  elle  pouvait  venir,  et  qu'ayant  fait  étroite  ami- 
tié avec  le  gouverneur  de  la  place,  il  a  su  qu'il  a  été  envoyé  d'ici 
100.000  livres  sterling  suivant  le  traité  fait  entre  l'Espagne  et  ces 
gens-ci,  par  lequel  l'Espagne  s'engage  de  continuer  la  guerre  avec  la 
France  et  de  ne  faire  jamais  la  paix  sans  les  y  comprendre  en  qualité 
d'alliés ,  moyennant  quoi  ceux-ci  doivent  fournir  tous  les  mois  à 
Bruxelles  une  somme  considérable.  L'on  ne  m'a  jamais  voulu  dire  le 
nom  de  la  place,  mais  seulement  que  le  gouverneur  y  a  été  mis,  ou  a 
appartenu  à  M.  le  maréchal  de  Turenne. 


HISTORIQUES. 

XIV 

(Page  196.) 


1°  Note  du  vicomte  Salomon  de   Virelade  adressée  nu  cardinal 
Mazarin. 

4650. 

Il  est  si  difficile  de  réussir  aux  affaires  qui  sont  entreprises  avec  té- 
mérité et  sans  avoir  pris  les  précautions  nécessaires,  qu'on  ne  saurait 
blâmer  ceuxqui  usentde  circonspection  avant  les  commencer,  surtout 
les  négociations  si  délicates  que  celles  d'Angleterre  où  j'ai  demandé 
passe-port,  bien  qu'il  n'y  ait  point  de  guerre  entre  les  deux  nations, 
parce  que  n'agissant  que  pour  les  marchands  ils  pouvaient  me  rendre 
responsable,  parlant  au  nom  des  communautés,  de  ce  que  tous  les 
jours  ils  demandent  aux  particuliers  et  prennent  sur  eux  à  main  ar- 
mée par  droit  de  représailles.  Comme  particulier,  jen'aurais  pas  craint 
ces  violences  qui  eussent  été  honteuses  à  notre  nation  si  elles  eussent 
été  exercées  sur  moi  comme  personne  publique. 

J'avais  aussi  deux  fins  en  écrivant,  ou  d'engager  le  régime  d'Angle- 
terre à  traiter  en  me  faisant  réponse,  ou  en  me  donnant  sauf-conduit, 
à  se  contenter  de  la  reconnaissance  des  marchands  sans  en  exiger  une 
plus  formelle  de  la  part  du  roi  que  sa  permission  ;  ou  en  me  refusant 
le  passe-port  que  jedemandais,  j'éviterais  l'affront  qui  m'eût  été  très- 
sensible  parce  qu'il  eût  intéressé  toute  la  France,  si  on  m'cM'it  chassé 
comme  on  a  fait  l'ambassadeur  de  Hollande  et  le  sieur  de  Croulié,  et 
estime  qu'il  vaut  mieux  avoir  cette  déclaration  par  écrit;  avant  avoir 
mis  le  pied  en  leur  pays,  que  de  la  recevoir  plus  injurieuscment  de 
leur  bouche. 

J'avais  encore  une  autre  considération  ;  c'est  que  les  Anglais,  étant 
extrêmement  fiers  et  glorieux,  ont  néanmoins  complaisance  et  se  lais- 
sent gagner  par  civilités,  qui  est  la  raison  qui  les  porte  à  aimer  sur 
toutes  les  nations  les  Italiens  qui  ont  l'avantage  de  l'adresse  et  cour- 
toisie sur  tous  les  autres  peuples  de  l'Europe;  et  par  celle  raison 
j'ai  estimé  que,  leur  écrivant  avec  grand  respect  et  compliment,  ils  se 
porteraient  à  avoir  ma  négociation  plus  agréable.  J'ai  réussi  en  ce 
point  de  les  obliger  à  me  faire  réponse,  ce  qu'ils  n'avaient  fuit,  ni  di- 
recteracnt  ni  indirectement,  auparavant  à  toutes  les  IctUcs  qui  leur 


360  DOCUMENTS 

ont  été  écrites  et  aux  témoignages  plus  exprès  et  plus  formels  des  in- 
tentions qu'on  avait  de  les  satisfaire,  desquelles  ma  lettre,  qui  n'é- 
tait qu'un  simple  compliment,  ne  faisait  aucune  mention.  Il  est  vrai 
que  celte  réponse  est  conçue  en  ternies  un  peu  aigres,  mais  qu'on 
dit  être  fort  familiers  à  cette  nation  impérieuse,  et  desquels  pourtant 
j'infère  qu'ils  affectent  quelque  forme  de  justice  en  leur  procédé  : 
mais  quand  ils  prennent  un  prétexte  faux  qui  est  le  déni  de  justice 
de  la  part  de  la  France,  ils  nous  donnent  lieu  de  nous  servir  d'une 
défense  véritable  fondée  en  l'injustice  qu'ils  ont  faite  aux  vaisseaux 
français;  et  ainsi  ils  se  convainquent  eux-mêmes  du  reproche  qu'ils 
nous  imputent,  et  s'ôtent  le  moyen  de  nous  rien  demander  des  prises 
faites  sur  eux  parce  que  les  pertes  de  nos  marchands  excèdent  beau- 
coup si  on  venait  à  compensation.  Pour  la  liberté  du  commerce,  ils 
offrent  de  la  rendre  pour  toutes  nos  denrées,  soudain  qu'en  France  on 
le  leur  permettrait  de  même  ;  mais  tout  ce  que  nous  pouvions  dési- 
rer d'eux  ils  le  mettent  à  un  prix  qui  est  ou  bien  haut,  ou  bien  con- 
sidérable, suivant  les  diverses  réflexions  politiques  qu'on  fera  sur 
cette  matière;  c'est  la  reconnaissance  de  leur  Etat  nouveau  de  la  part 
du  roi,  dont  ils  prétendent  aussi  bien  qu'il  n'est  pas  le  juge  au  fond. 

2o  Mémoire  sommaire  des  instructions  nécessaires  au  sieur  Salomon 
pour  la  négociation  d'Angleterre. 

Premièrement  demande  très-humblement  résolution  à  savoir  si,  re- 
présentant les  intérêts  des  marchands  et  qu'un  comité  soit  appointé 
pour  l'ouïr,  ou  qu'il  soit  même  admis  au  conseil  d'Elat  ou  au  Parle- 
ment, dans  ses  requêtes  ou  autres  actes  il  doit  qualifier  le  régime 
d'Angleterre  d'É(at  de  République,  ou  autres  tels  titres  et  qualités 
que  les  Anglais  désireront; 

2»  S'il  ne  pourra  pas  renouveler  les  offres  faites  au  sieur  Augier, 
agent  des  affaires  d'Angleterre  dès  l'an  \Qi7,  et  acceptées  dès  lors  par 
ledit  Parlement  d'Angleterre,  ponrlcs  prises  faites  jusques  audit  temps, 
à  condition  que  ledit  régime  d'Angleterre  fasse  la  même  justice  aux 
marchands  français  ;  ou  si  ayant  représenté  les  diligences  faites  en 
France  par  l'autorité  du  roi  et  de  ses  ministres  pour  donner  aux  An- 
glais satisfaction  en  justice,  il  ne  doit  point  protester  du  déni  de  jus- 
tice en  Angleterre  aux  marchands  français; 

3o  Demande  si  venant  à  demeurer  d'accord  de  l'amnistie  réciproque 
et  générale  pour  toutes  les  prises  faites  sur  mer  respectivement  entre 
les  deux  nations,  et  que  pour  parvenir  à  ladite  amnistie, il  y  eùtquel- 
que  membre  du  Parlement  ou  personnes  puissantes  dans  ledit  État 


HISTORIQUES.  561 

intéressées  aiixJitcs  prises,  il  ne  peut  pas  leur  en  promettre  dédom- 
magement pour  les  attirer  et  les  mettre  dans  les  intérêts  ou  dépen- 
dances de  la  France,  par  forme  de  pension  qui  les  engage  au  service 
de  S.  M.  ;  et  pour  cet  effet  il  supplie  S.  31.  de  faire  un  fonds  que  les 
marchands  es  villes  maritimes  du  royaume  souffriront  volontiers  être 
pris  par  augmentation  dans  les  bureaux  des  entrées  et  douanes  éta- 
blis dans  les  ports,  pour  gagner  les  plus  puissants  d'Angleterre  qui 
se  trouveront  disposés,  moyennant  telles  gratifications,  à  se  porter 
au  service  de  la  Fiance  et  à  favoriser  la  liberté  du  commerce; 

/{"  Demande  que,  pour  le  rétablissement  et  sûreté  du  commerce  à 
l'avenir,  il  lui  soit  permis,  en  continuant  les  offres  faites  par  M.  le 
comte  de  Brienne,  de  promettre  aux  Anglais  que  dorénavant  il  n'y 
aura  |)lus  de  rcpicsailles  accordées,  et  que  les  commissions  données, 
s'il  y  en  a,  seront  révoquées,  pourvu  qu'ils  en  usent  de  même,  fassent 
cesser  toutes  hostilités  et  déprédations  sur  mer  et  révoquent  toutes 
leurs  lettres  de  représailles  ; 

3°  Demande  que  les  ordonnances  des  10  juillet  1643  et  20  mai  1647 
soient  renouvelées  et  que  copies  de  semblables  ordonnances  lui  soient 
délivrées,  portant  itératives  défenses  aux  sujets  du  roi  de  prendre  ou 
acheter  aucuns  effets  sur  lesdits  Anglais  et  de  les  molester  en  façon 
quelconque;  laquelle  ordonnance  on  puisse  faire  publier  au  même 
temps  que  les  Anglais  en  accorderont  une  semblable  en  faveur  des  su- 
jets du  roi; 

6"  Demande  si  les  Anglais,  venant  à  un  traité,  désirent  que  les 
vaisseaux  marchands  de  leur  nation  ne  soient  point  visites  sous  pré- 
texte de  robe  d'ennemis  cachée  quand  ils  seront  rencontrés  par  des 
vaisseaux  de  guerre  du  roi,  et  prétendent  qu'ils  ne  sont  tenus  que  de 
baisser  les  voiles  et  faire  honneur  à  la  bannière  et  pavillon  de  France, 
ledit  privilège  de  n'être  point  visité  ne  leur  peut  pas  être  permis,  un 
semblable  étant  accordé  par  eux  aux  vaisseaux  français  (|ui  trafique- 
ront en  Ecosse  ou  autres  lieux  qui  seront  en  guerre  déclarée  .ivec 
lesdits  Anglais,  l'inconvénient  n'étant  point  plus  grand  que  les  Espa- 
gnols leçoivent  leurs  marchandises  par  des  vaisseaux  anglais  que  par 
les  vaisseaux  français  qui  les  leur  portent  tous  les  jours; 

7°  Demande  s'il  ne  doit  pas  faire  instance  pour  obtenir  une  dé- 
charge des  droits  et  impositions  qu'on  exige  en  Angleterre  des  Fran- 
çais, auxquelles  impositions  les  naturels  du  pays  ni  les  autres  étran- 
gers ne  sont  point  sujets,  et  si,  obtenant  ledit  privilège  cl  décharge,  il 
ne  peut  pas  promettre  quelque  gratification  à  ceux  qui  la  moyenne- 
ront  ; 

8°  Demande  qu'il  plaise  à  S.   M.  promettre  lever  les  défenses  de 
l'entrée  des  draperies  et  autres  manufactures  de  soie  et  laine,  à  con- 
nÉpuBLiODE  d'akguetbrre.  J.  31 


362  DOCUMENTS 

dition  que  les  Anglais  permettent  Tcntiée  des  vins  et  manufactures' 
de  France  en  Angleterre,  et  révoquent  l'acte  de  ladite  prohihition  du 
28  août  (7  septembre)  lQi9; 

9"  Demande  qu'il  puisse  promettre,  suivant  les  offres  de  M.  le  comte 
de  Brienne,  par  ordre  de  monseigneur  le  cardinal,  que  le  traité  qui 
sera  projeté  et  concerté  entre  lesdits  Anglais  et  lui,  suivant  les  ordres 
qu'il  recevra  tous  les  jours,  sera  confirmé,  approuvé  et  autorisé  de 
S.  M.,  si,  après  l'avoir  communiqué  à  son  Conseil,  Elle  le  trouve 
agréable; 

10°  Demande  que,  ne  pouvant  obtenir  le  réiablissement  entier  du 
commerce,  il  lui  soit  permis  pour  le  moins  de  tâcher  à  le  remettre  en 
quelque  partie  et  dans  quelque  province  s'il  ne  se  peut  pour  tout  le 
royaume;  comme,  si  la  Normandie  s'oppose  à  l'entrée  des  draperies, 
qu'au  moins  elles  puissent  être  reçues  en  Guyenne,  la  Rochelle  et  Bre- 
tagne, pourvu  que  les  Anglais  permettent  l'entrée  des  vins  desditos 
provinces  ; 

H°  Demande  de  quelle  sorte  se  doit  traiter  avec  le  général  Crom- 
vvell,  et  s'il  ne  doit  pas  lui  faire  concevoir,  par  l'exemple  du  prince 
d'Orange,  de  3Iansfeld,  du  duc  de  Weimar  et  autres,  que  c'est  avan- 
tage, honneur  et  sùrelé,  aux  hommes  de  sa  valeur  et  de  son  poids, 
d'avoir  l'amitié  et  protection  de  France  dont  les  inclinations  nobles  et 
belliqueuses  se  portent  toujours  à  estimer  et  favoriser  les  persounes 
de  courage  et  mérite  extraordinaire  ; 

i2o  Demande  que  le  sieur  CrouUé,  qui  a  les  cachets  du  roi  en  An- 
gleterre, ne  puisse  agir  sans  sa  participation  et  consentement,  bien 
que  ledit  sieur  Salomon  ne  prétende  point  engager  le  nom  ni  l'auto- 
rité du  roi  en  sa  négociation. 


3°  Waller  Front  à  M.  Salomon,  vicomte  de  Virelade. 
Whileball,  le  ll-îl  décembre  1650. 

Monsieur,  j'ai  reçu  votre  lettre  de  Paris  du  lOdécembre  (style  nou- 
veau), laquelle,  selon  que  je  suis  obligé  par  le  devoir  de  ma  charge, 
j'ai  présentée  au  conseil  d'Etat,  où  je  dois  produire  tout  ce  que  je  re- 
çois de  dehors,  où  aussi  plusieurs  lettres  ont  été  lues  par  d'autres, 
écrites  à  quelques-uns  du  Conseil,  et  une  écrite  à  un  marchand  ;  d'au- 
cune desquelles  le  Conseil  ne  peut  prendre  connaissance,  élantlettres 
de  particuliers  touchant  une  affaire  publique.  Biais  afin  que  celle  que 
vous  m'avez  écrite  pleine  de  civilités  ne  soit  pas  tout  à  fait  sans  ré- 
ponse, je  vous  donne  la  peine  de  lire  ce  peu  de  lignes,  pour  vous  faire 


HISTORIQUES.  363 

savoir  que  vous  ne  pouvez  pas  ê(re  plus  sensible  que  je  le  suis  du 
grand  bien  que  ce  serait  aux  deux  nations  que  le  trafic  et  le  com- 
merce de  l'une  et  de  l'autre  fût  liiire  et  sans  interruption.  Je  m'assure 
bien  que  vous  n'èles  pas  ignorant  de  quel  côté  la  première  infraction 
a  été,  ne  se  pouvant  faire  que  vous  n'ayez  ouï  parler  des  grandes  in- 
jures que  le  peuple  de  celle  République  a  sonlTerles  de  l'État  de  la 
France  par  les  pirateries  qu'ont  faites  les  Fiançais  sur  nos  navires  os 
mers  du  Levant,  pour  passer  sous  silence  les  autres  torlsfailsà  la  Ré- 
publique, dont  nous  ne  sommes  pas  insensii)les;  et  bien  que  l'on  ait 
fait  longues  instances  audit  Etat  pour  avoir  justice,  si  est-ce  qu'on  ne 
l'a  jamais  pu  obtenir,  soit  pour  les  pirateries  ou  autres  torts  en  trop 
grand  nombre  pour  les  déduire  ici  au  long  :  aussi  ne  veux-je  pas  vous 
en  importuner.  C'est  pourquoi  nous  avons,  selon  la  loi  des  nations, 
donné  des  lettres  de  représailles  à  ceux  qui  ont  souffert  des  pertes, 
po<ir  qu'ils  aient  le  moyen  de  se  faire  droit  à  eux-mêmes,  étant  en  ef- 
fetune  chose  d'observation  fortvulgaire  que  la  justice  nette  et  prompte 
ne  se  pratique  pas  ordinairement  par  delà.  Quant  aux  défenses  des 
vins  de  France,  en  quoi  nous  savons  que  les  villes  de  Bordeaux  et  de 
Nantes  sont  les  plus  intéressées,  nous  ne  les  avons  faites  qu'après  que 
lesFrançais  ont  défendu  nos  manufactures  de  laine  et  de  soie;  et  je  me 
j)ersuade  assez  que,  s'ils  se  peuvent  bien  passer  de  nos  manufactures, 
nous  le  pouvons  aussi  bien  des  vins  de  France,  el  que  nous  aurons  le 
moyen  de  leur  faire  savoir  que  le  commerce  doit  être  réciproque.  Le 
temps  pourra  aussi  nous  apprendre  que  nous  pourrons  pareillement 
nous  passer  d'aulres  choses  manufacturées  en  France.  Jlais  comme 
votre  envoi  i)ar  deçà,  avec  les  procuiations  de  Bordeaux  et  de  Nantes 
et  autres  communautés,  pourrait  être  avec  l'approbation  do  votre  roi, 
je  ne  puis  pas  vous  y  porter,  parce  qu'il  n'y  a  personne  ici  (jui  puisse 
traiter  avec  vous  de  ces  affaires,  si  ce  n'est  la  puissance  souveraine 
ou  ceux  qu'elle  députerait;  et  cette  puissance-là  ne  voudra  recevoir 
d'adresse  de  personne  (pie  de  la  puissance  souvciaine  de  France,  la- 
quelle seule  peut  donner  les  pouvoirs  nécessaires  poui'  traiter  de  telles 
allaires.  Je  ne  puis  donc  vous  procurer  un  sauf-conduit  pour  venir 
en  la  qualité  et  avec  le  pouvoir  que  vous  manpiez;  et  (jnand  vous  se- 
riez ici,  aucun  de  nos  marciiands  ne  pourrait  traiter  avec  vous  de 
telles  choses,  étant  affaire  d'Etat  et  non  de  la  nature  de  leurs  allaires 
particulières.  Mais  si  l'Etat  de  France  veut  considcier  les  torts  elles 
dénis  de  justice  qu'il  a  faits,  el  nous  sauver  la  peine  de  nous  faire 
droit  à  nous-mêmes,  et  faire  par  vous  ouverture  de  sa  part  d'adresse 
publique  à  cette  répuliliciue  sur  ces  affaires  et  en  la  forme  usitée  en- 
tre Etats  souverains,  je  ne  doute  point  (jue  cel  Elat  ne  soit  content 
de  recevoir  les  propositions  honnêtes  cl  justes  qui  seront  pour  1er- 


56/*  DOCUMENTS 

miner  les  différends  et  rétablir  le  commerce  en  sa  liberté  pour  le  bien 
commun.  Et  comme  j'espère  que,  par  la  présence  de  Dieu  avec  nous, 
la  force  et  la  puissance  de  celte  république  ne  seront  jamais  em- 
ployées à  faire  tort  à  autrui,  ainsi  l'état  auquel  elle  se  trouve  à  pré- 
sent, par  la  même  présence  et  jjéncdiction,  est  tel  que  nous  pouvons 
faire  justice  à  nos  peuples  contre  ceux  qui  la  refusent.  Toutefois, 
nous  serons  désireux  de  vivre  paisiblement  avec  tous,  et  aimerons 
mieux  recevoir  ceux  qui  nous  ont  fait  des  injures  à  nous  faire  vo- 
lontairement raison  que  la  tirer  d'eux  par  la  l'orce,  au  prix  des  souf- 
frances présentes  de  ceux  qui  peuvent  en  leur  particulier  être  inno- 
cents, et  desquels  c'est  le  malheur,  et  non  la  faute,  qu'ils  dépen- 
dent d'un  Etat  qui  aime  mieux  exposer  ses  peuples  innocents  à  des 
représailles  que  de  faire  justice  aux  justes  instances  qui  se  font  pour 
l'obtenir.  J'ajouterai  seulement  que  je  souhaite  un  heureux  accom- 
modement des  affaires,  et  que  pour  y  parvenir  par  les  voies  justes  et 
honorables,  je  contribuerai  tout  ce  qui  est  du  pouvoir  de  votre  affec- 
tionné serviteur. 

Walter  Frost. 


HISTORIQUES.  568 

XV 

(Page  196.) 


Mémoire  touchant   le   commerce  avec  l'Angleterre  (rédiyé  par 
Colberl). 


Bien  que  l'aLoïKlance  dont  il  a  plu  à  Dieu  de  douer  la  plupart  dus 
provinces  de  ce  royaume  semble  le  pouvoir  mellrc  en  état  de  se  pou- 
voir suffire  à  lui-même,  néanmoins  la  Piovidencc  a  pose  la  France  en 
telle  situation  que  sa  propre  fertilité  lui  serait  inutile  et  souvent  à 
charge  et  incommode  sans  le  bénéfice  du  commerce  qui  porte  d'une 
province  à  l'autre  et  chez  les  étrangers  ce  dont  les  uns  et  les  autres 
peuvent  avoir  besoin  pour  en  attirer  à  soi  toute  l'utilité. 

Nous  avons  laissé  perdre  l'usage  et  le  bien  du  commerce,  soit  par 
la  nonchalunce  avec  laquelle  nos  peuples  s'appliquent  à  cet  lionnète 
exercice,  soit  aussi  par  Tinterruplion  que  les  étrangers  y  causent. 

Le  remède  du  premier  mal,  qui  vient  de  nous-mêmes,  des  humeurs 
et  inclinations  turbulentes  contraires  à  un  légitime  trafic,  est  |dus 
diflicile  à  tiouvcr  après  les  troubles  qui  ont  agité  la  France  et  (|ui 
ont  ôté  aux  marchands  la  liiierlé  et  sûieté  de  transporter  leuis  dén- 
iées ;  et  la  confiance  nécessaire  au  négoce  ne  pouvant  s'établir  dans 
la  confusion  et  la  violence  des  factions  dont  chacun  veut  mettre  à  cou- 
vert ses  elfcts,  la  crainte  survenue  du  péril  qui  iirocèdc  des  hostilités 
étrangères  a  achevé  notre  ruine,  ôtant  h-  courage  aux  marchands 
d'envoyer  ou  demander  rien  aux  étrangers  pour  ne  pas  exposer  à  une 
visible  perte  tout  ce  qu'ils  risqueraient. 

Tant  que  nous  n'avons  eu  affaire  qu'à  l'Espagne  nous  nous  en  sommes 
garantis  assez  heureusement;  mais  depuis  que,  par  un  surcroit  de 
malheurs,  les  Anglais  nous  ont  déclaré  une  guerre  (jui  n'est  pas  nioiiis 
fâcheuse  qu'imprévue,  cette  surprise  en  l'état  où  nous  nous  ti  ouvons, 
sans  armée  navale  pour  résister  aux  leurs  très-puissantes,  cl  dans 
l'abattement  des  peuples  des  villes  frondères  ,  et  le  |)eu  de  secours 
que  reçoivent  les  finances  du  roi  dcjiuis  la  cessation  du  (onunerec,  et 
les  troubles  qui  empêchent  de  faire  un  fonds  suilisant  pour  armer 
une  flollc  telle  qu'elle  serait  nécessaire,  il  est  difficile  (|ue  le  coiiuncrce 
puisse  se  rétai)lir  tant  que  ce  désordre  continuera  et  (]u'on  souffrira 

r.i. 


566  DOCUiMENTS 

les  représailles  que  les  Anglais  donnent,  fondées  sur  diverses  prises 
faites  par  des  vaisseaux  français  ou  vendues  dans  les  porls  de  France. 

Pour  obvier  aux  suites  de  cet  inconvénient  qui  nous  pourrait  enfin 
causer  une  guerre  fâcheuse,  il  semble  qu'il  n'y  a  que  deux  moyens 
qui  se  réduisent  enfin  à  un,  c'est  de  traiter  avec  eux;  ou  par  un  traité 
particulier,  avec  les  intéressés  qui  demandent,  disent-ils,  justice  et 
r(!stitution  des  choses  prises  et  confisquées  sur  eux,  ce  qui  se  réduit 
à  un  long  examen  ou  discussion  oîi  il  faut  apporter  beaucoup  de  con- 
sidération et  faire  comparaison  des  prises  faites  par  les  Anglais  sur  nos 
marchands  avec  plus  d'injustice;  ou  il  faut  venir  à  un  traité  général 
avec  le  régime  présent  d'Angleterre ,  qui  ayant  lenversé  la 
forme  de  l'État  ancien,  nous  oblige  par  cette  mutation  à  prendre 
nos  sûretés  avec  eux  par  de  nouvelles  conventions,  ou  au  moins  à 
renouveler  et  confirmer  les  anciens  traités  entre  la  France  et 
l'Angleterre,  arec  cette  différence  néanmoins  que  les  préten- 
tions des  rois  d'Angleterre  (qui  n'ont  point  été  transmises  à 
leur  peuple  et  dont  la  République  ne  peut  avoir  succédé)  ayant 
rendu  nos  rois  moins  exacts  à  demander  diverses  conditions  pour  le 
commerce  avec  iesdils  Anglais,  dont  les  autres  nations,  et  particulic- 
lement  les  Espagnols,  se  sont  prévalus,  nous  pouvons  à  présent  tirer 
divers  avantages  en  ce  changement  pour  l'égalité  du  commerce  sur 
lequel  ils  nous  traitaient  très-iniquement,  tant  par  les  impositions  sur 
les  marchandises  que  nos  marchands  en  tiraient  ou  y  transportaient, 
qu'ils  appellent  d'esd;ivache  ,  de  cajade  ,  du  survoyeur  et  du  coquet, 
qui  étaient  des  impôts  que  les  rois  augmentaient  tous  les  jours  aussi 
par  des  licences  particulières  et  privilèges  à  des  compagnies,  exclusi- 
vement à  tous  autres,  du  transport  de  diverses  marchandises,  par  le 
choix  qu'en  avait  le  pourvoyeur  du  roi  d'Angleterre  qui  décriait  et 
mettait  à  vil  prix  le  résidu  de  nos  denrées  où  il  n'aurait  pas  mis  sa 
marque,  comme  aussi  par  l'inégalité  des  poids  et  mesures,  si  fort  con- 
damnée dans  l'Ecriture  et  par  laquelle  néanmoins  ils  ne  donnent  qu'au 
poids  particulier  et  ne  reçoivent  aucune  marchandise  que  dans  des 
balances  publiques  beaucoup  plus  fortes. 

Pour  remettre  le  commerce  ,  il  y  a  deux  choses  nécessaires,  la 
sûreté  et  la  liberté.  La  sûreté  dépend  d'une  mutuelle  correspondance 
à  empêcher  les  pirates  et  courses  des  particuliers  qui,  au  lieu  de 
s'appliquer  en  leur  navigation  à  l'honnéle  exercice  du  commerce,  rom- 
pent avec  violence  le  lien  de  la  société  civile  par  lequel  les  nations  se 
secourent  les  unes  les  autres  en  leurs  nécessités.  Cette  sûreté  ne  se 
peut  établir  que  par  des  défenses  respectives  dans  les  deux  États  de 
faire  des  prises  sur  les  marchands  des  deux  nations;  et  parce  que  le 
prétexte  du  commerce  que  nos  alliés  font  avec  nos  ennemis  portant 


HISTORIQUES.  367 

leurs  effets  dans  nos  vaisseaux ,  a  donné  occasion  à  des  vaisseaux 
français  d'attaquer  les  Anglais,  et  que  les  confisations  ont  clé  fondées 
sur  cette  raison  par  une  explication  qu'on  a  donnée  à  l'ordonnance  de 
François  I'^^''  en  l'an  i'ài^îi  sur  le  fait  de  l'amirauté,  art.  45,  néanmoins 
il  semble  qu'il  vaut  mieux  consentir  <[ue  les  Espagnols  et  autres  nos 
ennemis  tirent  cette  connnodité  par  le  moyen  de  nos  alliés,  pourvu 
que  les  Anglais  s'obligent  à  obtenir  le  même  privilège  pour  nos  mar- 
chands quand  ils  passeront,  devant  les  armées  d'Espagne,  leurs  ed'cts 
dans  des  vaisseaux  anglais,  pour  ne  pas,  pour  causer  un  dommage  de 
peu  de  conséquence  au.\  Espagnols,  donner  occasion  à  la  conlinualiou 
d'une  piraterie  qui  ruine  le  conunerce,  étant  certain  que  jamais  des 
vaisseaux  de  guerre  ne  visitent  des  marchantliscs  sans  laisser  des 
marques  de  la  rapine  des  soldats  qui  n'ont  pas  la  modestie  de  se  rete- 
nir, trouvant  facilité  à  prendre;  l'inconvénient  qu'on  peut  trouver 
que,  sous  la  couverture  de  nos  alliés,  les  sujets  de  nos  ennemis  fassent 
quelque  profit,  se  pouvant  remarquer  tous  les  jours  encore  plus  grand 
par  la  facilité  que  les  propres  sujets  du  roi  y  prêtent  sans  qu'on  les  en 
puisse  empêcher. 

Cette  déclaration  réciproque  aux  vaisseaux  de  guerre  des  deux 
nations  interdirait  d'arrêter  ,  sous  quelque  prétexte  que  ce  soit,  les 
vaisseaux  marchands,  et  défendrait  aussi  l'entrée  des  ports  aux 
forbans  et  corsaires  pour  vendre  leurs  marchandises,  avec  injonction 
d'un  sévère  châtiment  à  ceux  qui  en  achèteraient.  A  quoi  les  gouver- 
neurs des  places  et  des  ports,  capitaines  et  olliciers  de  la  marine  seront 
obligés  de  tenir  la  inain,  car  on  ne  doute  point  que  la  cessation  des 
hostilités  ne  remette  en  peu  de  temps  le  commerce  et  par  conséquent 
l'abondance  publique  et  la  richesse  des  particuliers,  et  notablement 
les  droits  du  roi  par  la  réception  des  marchandises  étrangères  qui  ne 
viennent  point  et  la  sortie  des  denrées  du  pays  qu'on  n'ose  exposer  à 
la  mer. 

Pour  ce  qui  est  du  passé  et  prises  faites  sur  des  marchands  anglais, 
elles  sont  de  deux  natures  et  conditions  :  ou  bien  elles  sont  faites  sur 
les  commissions  du  roi  d'Angleterre  dont  nous  ne  saurions  répondre, 
ni  avoir  empêché  que  les  sujets  du  roi ,  et  même  commamiant  ses 
vaisseaux,  n'aient  pris  commission  d'un  autre  prince  cousin  du  roi 
et  dont  la  reine  sa  mère  est  présente  et  si  considérée  en  France 
qu'au  milieu  de  la  guerre  civile  le  parlement  de  Paris  la  gratifia  d'une 
pension  notable,  puisqu'on  voit  tous  les  jours  que  divers  Fiançais  et 
même  des  chefs  de  troupes  du  roi  suivent  le  maréchal  de  Turenuc  et 
servent  l'archiduc  et  les  ennemis  de  la  France.  Mais  tout  ce  que  pou- 
vait faire  le  roi  avec  son  conseil  était  de  faire  défense  à  tous  les  ports 
de  recevoir  les  prises  laites  par  les  vaisseaux  et  au  nom  du  roi  d'Angle- 


568  DOCUMENTS 

terre,  qui  n'ont  point  de  ports  si  commodes  qu'en  France  pour  reti- 
rer leurs  prises,  au  lieu  que  ledit  Pai>lcment  et  République  possède 
tous  les  ports  d'Angleterre  qui  leur  servent  de  retraite.  Ou  bien  les 
prises  ont  été  faites  par  des  vaisseaux  du  roi  avec  sa  commission  et 
bannière  de  France.  11  se  trouvera  que  les  vaisseaux  anglais  étaient 
charges  de  robe  d'ennemi,  ou  qu'ils  n'ont  pas  voulu  amener  cl  obéir 
aux  lois  de  la  mer  -.  aucontraireonttiré  sur  les  vaisseaux  français;  que 
s'il  se  trouve  quelques  abus  commis  par  les  capitaines  des  vaisseaux 
du  roi,  on  en  peut  demander  la  justice  qui  ne  sera  jamais  déniée,  au 
lieu  de  représailles  sur  de  pauvres  marchands  qui  n'ont  point  parti- 
cipé auxdites  prises,  en  quoi  l'injustice  est  évidente. 

El  d'autant  que  les  pertes  faites  par  nos  marchands,  qui  ne  se  plain- 
draient pas  peut-être  s'ils  avaient  été  pris  de  la  même  sorte  que  les 
Anglais,  excèdent  ou  pour  le  moins  égalent  les  leurs,  il  y  a  de  Va[}- 
parence  qu'il  faudra  venir  à  consentir  que  chacun  garilera  ce  qu'il  a 
pris  ,  vu  l'impossibilité  de  la  restitution  que  les  Anglais  même  ne 
demanderaient  pas  après  une  guerre  ouverte,  ainsi  qu'il  a  élé  prati- 
qué en  tous  les  traités  faits  avec  leur  nation.  Il  nous  serait  désavan- 
tageux d'avoir  été  leurs  amis  et  alliés  s'ils  nous  traitaient  si  rude- 
ment et  avec  des  conditions  onéreuses,  après  avoir  observé  si  religieu- 
sement une  ponctuelle  et  exacte  neutralité  pendant  les  guerres 
civiles  où  le  roi  d'Angleterre  même  s'est  plaint  diverses  fois  que  la 
France  favorisait  ouvertement  le  Parlement. 

Pour  la  liberté  du  commerce,  il  y  a  deux  choses  à  désirer  :  l'une 
la  décharge  des  impositions  et  de  celles  que  les  Anglais  lèvent  sur  les 
marchands  français  et  où  les  Espagnols  même  ne  sont  sujets  en  vertu 
de  leurs  traités  ;  nous  avons  raison  de  demander  pour  le  moins  des 
conditions  égales,  le  commerce  de  la  France  ayant  été  toujours  plus 
utile  à  l'Angleterre,  et  l'entrée  de  ceux  de  notre  nation  n'y  étant 
point  si  dangereuse  que  celle  de  ce  pcui)le  méridional,  avare  et  ambi- 
tieux :  l'autre,  qui  regarde  particulièrement  la  |)rovince  de  Guyenne, 
la  Rochelle  et  Nantes,  est  qu'ils  laissent  entrer  les  vins  de  France  en 
Angleterre,  en  leur  permettant  l'entrée  de  leurs  draps  directement 
sui^antles  traités  faits  avec  leurs  rois  pour  le  commerce,  au  lieu  que 
nous  recevons  tous  les  jours  leurs  draps  par  les  Hollandais  qui  leur 
portent  aussi  nos  vins  transvasés  dans  d'autres  futailles.  L'intérêt  des 
fermes  du  roi  est  visible  en  cette  permission  réciproque,  les  douanes 
ne  pouvant  subsister  si  toutes  les  marchandises  n'y  sont  reçues  indif- 
féremment avec  liberté  et  n'en  sortent  de  même. 

Le  point  où  les  Anglais  s'attachent  le  plus  et  pour  lequel  ils  veulent 
relâcher  et  condescendre  à  tout  ce  qu'on  leur  peut  demander  est  la 
reconnaissance  de  leur  République,  en  quoi  les  Espagnols  nous  ont 


HISTORIQUES.  569 

précédés  et  obtenu  en  conséquence  Tadjonclion  de  la  flolle  anglaise 
pour  attaquer  celle  des  Portugais  qui  vient  du  Brésil.  On  a  à  craindre 
une  plus  étroite  union  dos  négociations  de  Tanibassadeur  d'Espagne 
en  Angleterre.  C'est  à  nosseigneurs  les  ministres  à  prescrire  la  forme 
de  cette  reconnaissance,  jusqu'où  elle  doit  aller,  en  quoi  la  France 
sera  excusable  devant  Dieu  et  les  hommes  si  elle  est  contrainte  de 
venir  à  la  reconnaissance  de  cette  république  pour  prévenir  les  li-ues 
et  mauvais  desseins  des  Espagnols,  qui  font  toutes  les  injustices  et  se 
soumettent  à  toutes  les  bassesses  imaginables  pour  nous  nuiie.  Il 
semble  que  cette  affaire,  bien  que  délicate,  se  peut  traiter  de  telle 
sorte  que  cette  nation  orgueilleuse  s'en  peut  contenter,  sans  préjudice 
au  roi  d'Angleterre,  ou  favoriser  le  mauvais  exemple  de  la  dégradation 
de  la  royauté,  après  ce  que  la  France  a  fait  en  faveur  des  Hollandais 
qui  ne  se  contentaient  pas,  comme  les  Anglais,  d'un  compliment,  cl 
on  fait  voir  enfin  que  la  foi  germanique,  ou  plutôt  bataviquc,  n'était 
pas  plus  solide  que  l'anglaise. 


370  DOCUMENTS 

XVI 

(Page  J98.) 


Touchant  la  République  d'Angleterre  {Mémoire  présenté  à  la  reine 
Anne  d'Autriche  et  à  son  conseil  par  le  cardinal  Mazai^in). 

Janvier  16S(. 

Sur  la  question  proposée,  il  semble  d'abord  que,  si  on  se  règle  par 
les  lois  de  l'honneur  ou  de  la  justice,  l'on  ne  doit  point  reconnaître  la 
République  d'Angleterre,  puisque  le  roi  ne  saurait  rien  faire  de  plus 
préjudiciable  à  sa  réputation  que  celle  reconnaissance  par  laquelle 
non-seulement  il  abandonne  l'intérêt  du  roi  légitime,  son  proche 
parent,  voisin  et  allié,  mais  lui  fait  une  offense  publique,  et  qu'Elle 
ne  saurait  rien  faire  de  plus  injuste  que  de  reconnaître  des  usurpa- 
teurs qui  ont  souillé  leurs  mains  du  sang  de  leur  souverain,  et  qui  se 
sont  violemment  attribué  le  droit  de  le  condamner  à  mort  par  une 
entreprise  barbare,  de  dangereux  exemple  dans  toutes  les  monar- 
chies, et  qui  fait  horreur  à  tous  les  gens  de  bien.  Le  roi  d'Angleterre 
en  fera  des  plaintes  et  en  témoignera  sans  doute  des  ressentiments 
qui  feront  de  la  (peine).  La  raison  d'État  obligerait  plutôt  de  secou- 
rir le  roi  son  fils  en  Ecosse  et  en  Irlande,  étant  extrêmement  à  craindre 
que,  si  les  remuements  de  ces  deux  roj^^aumes  sont  une  fois  apaisés, 
la  République  d'Angleterre  ne  devienne  plus  orgueilleuse  par  ces 
heureux  succès,  voyant  son  autorité  établie  au  dedans,  ne  fasse  des 
entreprises  au  dehors,  et  n'emploie  la  grande  force  qu'elle  a  sur  pied 
plulôt  contre  la  France  que  contre  les  autres  Étals,  à  cause  de  l'ani- 
mosité  naturelle  et  grande  jalousie  qui  a  été  de  tout  temps  entre  les 
deux  nations,  et  qui  se  trouve  aujourd'hui  extrêmement  augmentée 
parles  hostilités  qui  ont  éléexcitées  depuis  peu  surla  merentreles  su- 
jets des  deux  royaumes. 

Mais  comme  les  lois  de  l'honneur  et  de  la  justice  ne  doivent  ja- 
mais rien  faire  faire  qui  soit  contraire  à  celles  de  la  prudence,  il 
faut  considérer  que  toutes  les  démonstrations  que  l'on  pourrait 
faire  présentement  en  faveur  du  roi  d'Angleterre  n'amèneraient  pas 
son  rétablissement  ;  qu'un  plus  long  refus  de  reconnaître  la  Répu- 
blique, qui  est  en  possession  de  l'autorité  souveraine,  ne  servira  de 


HISTORIQUES.  57I 

rien  pour  augmenter  ou  confirmer  les  droits  du  roi  :  que  ce  que  nous 
pourrions  faire  maintenant  pour  lui  ne  servirait  qu'à  nous  rendre 
incapables  de  l'assister  un  jour  plus  ulilement  dans  une  conjonc- 
ture plus  favorable  ;  que  l'état  des  affaires  de  France  ne  permet  pas 
de  lui  donner  aucune  sorte  d'assistance  pour  lui  aidera  rélablir  ses 
affaires  ;  ou  même  que  les  Anglais  étant  les  maîtres  de  la  mer, 
ôtent  tous  les  moyens  de  lui  en  envoyer,  et  que  la  part  que  Pou 
prendrait  maintenant  dans  sa  querelle,  ou  les  ressentiments  qu'on 
voudrait  témoigner  (  de  nouveau  ?)  pour  les  Anglais  no  serviraient 
qu'à  leur  acquérir  de  nouveaux  avantages  ;  que  la  France,  à  cause 
de  la  grande  guerre  dont  elle  se  trouve  chargée  au  dehors,  et  des 
diverses  factions  dont  elle  est  agitée  au  dedans,  qui  la  jetteraient 
dans  un  péril  extrême  si  les  Anglais  venaient  à  se  déclarer  en  faveur 
d'une  des  factions,  et  qu'ils  pussent  y  engager,  comme  il  serait  à 
craindre  avec  le  temps,  les  religionnaires  de  ce  royaume  ;  surtout 
ce  que  la  nécessité  du  temps  et  des  affaires  obligera  de  faire  en 
faveur  de  la  République,  n'empêchera  pas  que  ci-après  on  ne  puisse 
se  prévaloir  des  conjonctures  favorables  qui  se  présenteront  quand 
on  sera  en  meilleur  état  pour  faire  quelque  grande  entreprise,  et 
qu'il  y  aura  plus  d'apparence  d'y  pouvoir  réussir  heureusement  ;  et 
que  d'ailleurs  il  y  a  sujet  de  craindre  que,  si  les  Espagnols  sont  une 
fois  plus  étroitement  liés  avec  les  Anglais,  comme  ils  y  travaillent 
avec  chaleur,  ils  ne  les  empêchent  de  s'accommoder  avec  nous,  et  ne 
les  engagent,  sinon  à  nous  faire  une  guerre  ouverte,  du  moins  à  leur 
donner  de  puissantes  assistances  contre  nous;  il  ne  reste  pas  lieu 
de  douter  que  l'on  ne  doive  sans  délai  entrer  en  négociation  avec  la 
République  d'Angleterre,  et  lui  donner  le  titre  qu'elle  désire. 

Il  Y  a  néanmoins  une  condition  absolument  nécessaire,  et  sans 
laquelle  il  serait  inutile  de  s'engager  à  faire  cette  reconnaissance, 
qui  est  d'être  assuré  auparavant  qu'on  en  retirera  quelque  utilité 
capable  d'emporter  à  la  balance  le  préjudice  qu'on  pourra  recevoir 
en  la  réputation  ;  car  présupposé  qu'on  puisse  avec  quelque  certi- 
tude se  promettre  quelque  avantage  de  ce  qu'on  fera,  je  n'esti- 
merai pas  qu'il  se  fallût  beaucoup  arrêter  aux  formalités  ;  mais  il 
serait  doublement  préjudiciable  de  faire  une  bassesse  si,  après  l'avoir 
faite,  les  Anglais  demeuraient  dans  l'indifférence  et  la  froideur,  et 
si  ces  avances  ne  servaient  qu'à  les  ren<lre  plus  orgueilleux  et 
plus  difficiles  dans  les  conditions  du  traité  qui  devra  être  fait  avec 
eux  pour  accommoder  les  différends  que  nous  avons  ensemble. 

La  voie  la  plus  honorable  pour  entrer  en  négociation  avec  eux 
serait  qu'ils  envoyassent  ici  un  ambassadeur  qui  sera  reçu  et  ho- 
noré comme  ministre  d'une  république  libre.   Le  roi  de  Portugal  eu 


372  DOCUMENTS 

a  usé  de  cette  sorte  après  sa  proclamation,  ayant  envoyé,  vers  tous 
les  princes  qui  n'étaient  point  obéissants  d'Espagne,  des  ambassa- 
deurs pour  en  donner  part  et  pour  se  mettre  en  possession  de  sa 
nouvelle  souveraineté  par  la  réception  qui  leur  serait  faite. 

Si  les  Anglais  ont  une  véritable  disposition  à  s'accommoder  avec 
nous,  ils  recevront  favorablement  cet  expédient  et  ne  feront  pas 
difficulté  de  renouveler  la  communication  qui  a  été  interrompue 
depuis  le  changement  arrivé  en  Angleterre,  puisqu'elle  doit  pro- 
duire d'abord  un  effet  qui  leur  est  avantageux  et  qu'ils  souhaitent  si 
fort,  que  l'exemple  de  ce  qui  aura  été  fait  par  le  roi,  qui  tient  le 
premier  rang  parmi  les  rois  de  l'Europe,  servira  comme  de  règle  à 
tous  les  autres,  et  qu'ils  ne  peuvent  pas  refuser  avec  raison  de  faire 
pour  nous  ce  qu'ils  ont  voulu  faire  pour  l'Espagne  où  leur  envoyé  a 
été  tué.  On  pourrait  même  leur  faire  valoir  qu'ayant  commencé  leur 
compliment  par  le  lieu  qu'ils  ne  devaient  pas,  ils  nous  ont  donné 
sujet  de  plainte  qu'on  veut  oublier  pour  le  bien  des  deux  nations. 

Ce  qu'il  y  aurait  de  plus  à  craindre  et  qu'il  faut  soigneusement 
éviter  est  que  les  Anglais,  qui  visiblement  penchent  plus  du  côté 
d'Espagne  que  de  France,  n'aient  l'intention  de  nous  engager  en 
leur  faveur  afin  de  s'en  servir  comme  d'un  éperon  pour  hâter  les 
Espagnols  à  les  reconnaître  ouvertement  et  à  s'unir  avec  eux. 

La  précaution  dont  on  pourrait  user  serait  d'exiger  d'eux,  s'il  est 
possible,  de  ne  point  traiter  avec  l'Espagne  pendant  quelque  temps, 
jusqu'à  ce  que  la  négociation  que  nous  conduirons  avec  eux  soit  ter- 
minée ou  rompue,  ou  bien  d'ébaucher  ou  arrêter  tellement  les  condi- 
tions de  l'accommodement  avant  que  de  venir  à  aucune  reconnais- 
sance, qu'il  n'y  ait  pas  lieu  d'appréhender  que  l'accommodement  se 
puisse  rompre  après  que  la  reconnaissance  aura  été  faite. 

En  un  mot,  comme  les  Anglais  ne  voudront  peut-être  pas  acheter 
notre  reconnaissance  par  les  conditions  d'un  traité  éventuel,  nous 
devons  aussi  éviter  de  reconnaître  la  République  sans  être  déjà 
assurés  que  l'accommodement  entre  les  deux  nations  s'en  ensuivra. 
car  autrement  on  s'exposerait  à  une  honte  publique  sans  aucun 
profit. 


HISTORIQUES.  373 

XVIl 

(Page  199.) 

Projet  d'inKtrttctinn  pour  M.  de  Gnili/lot.  envoyé  en  Anrjlelerre. 

Janvier-février  IGSl. 

Le  roi  est  enticrcmenl  persuadé  que  les  cliiïerends  et  hostilités, 
arrivés  depuis  quelque  temps  sur  la  mer  entre  les  Français  et  les 
Anglais,  procèdent  plutôt  de  quelque  désordre  et  malentendu  entre 
ceux  qui  ont  commandé  jusqu'ici  les  vaisseaux  de  {guerre  ([ue  d'au- 
cun dessein  qui  ait  été  formé  de  part  ni  d'autre  d'entrer  en  rupture, 
ni  même  d'interrompre  la  bonne  intelligence  qui  avait  élé  enlrete- 
nue  jusqu'aux  dernières  années  entre  les  deux  nations,  et  dont  la 
confirmation  semble  également  nécessaire  pour  le  bien  et  commo- 
dité de  l'un  et  de  l'autre. 

Sur  cette  présupposition,  Sa  Majesté  a  trouvé  bon  que  le  sieur  de 
Gentillot  s'en  allant  en  Angleterre  travaille  adroitement  et  sans 
éclat,  par  le  moyen  des  amis  et  habitudes  qu'il  a  en  ce  pays-là,  à  se 
bien  informer  s'il  y  a  une  véritable  disposition  à  faire  cesser  par  un 
bon  accommodement  les  différends  qui  sont  entre  les  deux  nations  et 
à  rétablir  entre  elles  une  bonne  correspondance. 

Le  sieur  de  Gentillot,  pour  agir  utilement  dans  l'exécution  do  ce 
dessein,  doit  être  assuré  avant  toutes  choses  que  le  Parlement  d'An- 
gleterre n'a  point  fait  de  traité  parliculier  avec  les  Espagnols  contre 
la  France,  et  qu'il  n'est  point  tellement  engagé  avec  eux  qu'il  ne 
puisse  faire  tous  les  accommodements  et  confédérations  (jui  sciont 
jugés  utiles  pour  les  deux  royaumes... 

L'exemple  de  ce  qui  est  pratiqué  envers  l'ambassadeur  de  Por- 
tugal oblige  doublement  d'user  de  cette  circonspection  avant  (|u'en- 
trer  en  aucun  traité  avec  le  Parlement,  puisipie,  pour  favoriser  les 
Espagnols,  on  a  longtemps  maltraité  ledit  ambassadeur,  et  (|ue  sous 
prétexte  d'examiner  son  pouvoir  ou  par  îles  démarches;  inusitées,  ou 
a  différé  l'audience  qui  lui  doit  être  donnée,  (|uoi(|u'il  n'ait  élé 
envoyé  que  pour  faire  honneur  audit  parlement  et  |)our  teiniincr 
amiabicment  les  différends  que  le  Poi  lugal  peut  avoir  avec  l'Angle- 
terre, ce  qui  a  donné  lieu  de  soupçonner  (pie  le  traitement  cpi'it 
recevait  était  une  condition  secrèlcau  traité  fait  avec  les  Espagnols. 
1.  1% 


S74  DOCUMENTS 

D'ailleurs,  nous  avons  sujet  de  nous  plaindre  que  les  discours 
obligeanls  qui  ont  été  faits  ici  au  sieur  Morrell  et  les  bonnes  disposi- 
tions qu'on  lui  a  témoignôos  n'aient  encore  rien  profile  pour  faire 
cesser  les  hostilités  que  les  vaisseaux  anglais  exercent  contre  les 
sujets  du  roi,  et  que  l'on  s'en  soit  seulement  servi  en  Angleterre  pour 
avancer  les  affiiires  des  Espagnols.  Au  moins  ce  procédé,  joint  au 
traitement  que  reçoit  l'ambassadeur  de  Portugal,  nous  doit  donner 
sujet  de  craindre  qu'après  que  nous  aurons  fait  ce  que  ledit  Parle- 
ment désire  de  nous,  il  ne  deviciir.e  dès  le  ler>demain  pins  difficile 
dans  les  intcrêls  que  nous  avons  à  démêler  avec  lui.  lesquels  demeu- 
rant indécis,  et  causant  la  continuation  des  iiostilités  qui  s'exer- 
cent sur  la  mer,  donneraient  lieu  aux  Espagnols  de  se  prévaloir  de 
notre  peu  de  prévoyance  et  de  triompher  de  notre  fucililé  qui  ne 
nous  aurait  servi  de  rien. 

Il  est  donc  absolument  nécessaire,  pour  ne  rien  faire  qui  puisse 
exposer  la  réputation  d'un  grand  royaume,  de  s'assurer  avant  toutes 
choses,  non-seulement  que  le  Parlement  d'Angleterre  est  en  pleine 
liberté  de  traiter  avec  nous  et  n'a  point  d'engagement  avec  les  Es- 
pagnols qui  les  en  empêche  ou  qui  nous  soit  préjudiciable,  mais  que 
l'on  convienne  présentement  et  en  termes  généraux  des  moyens 
d'accommoder  tous  les  différends  qui  pourraient  faire  durer  ou  re- 
nouveler ci-après  quelque  sorte  de  mauvaise  intelligence  entre  les 
sujets  des  deux  royaumes. 

Les  Anglais  ne  manqueront  pas  de  demander  que  le  roi  recon- 
naisse apparemment  leur  République  par  des  lettres  et  autres  dé- 
monstrations publiques.  Sur  quoi  le  sieur  de  Gentillot  représenteia 
qu'il  n'y  aura  point  de  difficulté  sur  cet  article,  que  Sa  Majesté  est 
disposée  de  faire  ce  qu'on  désire  d'elle  sur  ce  sujet,  et  que  c'est  un 
point  que  le  Parlement  peut  se  tenir  pour  accordé  selon  son  désir  ; 
mais  que,  pour  les  considérations  touchées  ci-dessus,  il  nous  im- 
porte d'être  assurés  qu'après  la  reconnaissance  faite  nous  ne  ren- 
trions pus  en  rupture  ou  en  mauvaise  intelligence  pour  les  diffé- 
rends qui  sont  aujourd'hui  entre  les  deux  nations,  et  que  les 
hostilités  cesseront  entièrement. 

L'assurance  ne  peut  être  autre  que  de  convenir  en  même  temps 
d'un  projet  d'accommodement  pour  les  différends  qui  sont  entre  les 
deux  nations  et  qui  semblent  a\  oir  procédé  principalement  de  deux 
causes  :  la  première,  de  la  prohibition  des  marchandises  d'Angle- 
terre faite  à  l'instance  du  Parlement  de  Paris  ;  la  seconde,  de  la 
prise  de  quelques  vaisseaux  anglais  faite  par  ceux  du  roi  équipés 
en  guerre  contre  l'Espagne... 

Touchant  la   première  cause,  l'on  n'ignore  pas  en  Angleterre  que 


HISTORIQUES.  37{t 

S.  M.,  pour  la  pacification  des  troubles  de  son  royaume,  a  élc  obli- 
gée d'accorder  celte  défense  aux  instantes  su|.pli'cations  qui  lui  en 
ont  été  faites  par  son  Parlement  de  Pi.ris  en  f.iveur  de  ladite  ville,  et 
que  S.  M.,  qui  a  toujours  fait  traiter  favorablement  les  étrangers 
dans  son  royaume,  et  particulièrement  les  mnicliands  anglais,'  ne 
s'est  portée  qu'avec  déplaisir  à  ce  qui  a  clé  désiré  d'Elle  en  c'elle 
rencontre  par  quelques-uns  de  ses  sujets,  en  même  temps  qu'il  y 
en  a  d'autres  qui  tu  reçoivent  du  préjudice.  Or  Sa  Jlaje^té  est 
même  lésolue  de  faire  tout  ce  qui  dépendra  d'elle  pour  mettre  les 
choses  dans  l'état  qu'elles  étaient  avant  celte  défense. 

Si  on  veut  examiner  sans  passion  la  seconde  cause  des  différends, 
il  se  trouvera  que  tout  le  sujet  de  plijinte  est  de  notre  côté  :  qimique 
S.  M.  n'ait  jamais  donné  commission  ni  à  ses  sujets,  ni  à  aucun  autre 
pour  agir  contre  l'Angleterre,  qu'elle  ait  fait  observer  par  tous  ses 
Etats  une  si  exacte  neuti  alité  entre  les  deux  partis  d'Angleterre  que 
même  elle  a  refuse  la  retraite  dans  ses  ports  aux  vaisseaux  du  roi  de 
la  Grande-Bretagne,  qu'elle  a  défendu  l'entrée  cl  vente  dans  son 
royaume  de  toutes  les  prises  qu'ils  auraient  faites  et  pouri.iienl  faire 
ci-après  sur  les  marcbands  et  autres  tenant  le  pai  li  du  l'arlemcnt, 
qu'elle  a  depuis  fait  publier  des  défenses  très-rigoureuses  à  ses  sujets 
d'armer  ou  qu'on  reçoive  la  commission  de  qnelijue  pouvoir  étrau-er 
que  ce  soit,  et  qu'elle  a  toujours  oHért  de  fa  re  prononcer,  selon  la 
justice  et  les  lois  observées  de  tout  temps  entre  les  deux  nations,  sur 
toutes  les  plaintes  qui  lui  ont  été  portées  des  prises  faites  par  ses 
vaisseaux  où  les  Anglais  se  sont  trouvés  intéres.>-és;  nonobstant  toutes 
ces  favorables  déclarations  et  piocéilures,  le  Parlement  d'Angletcirc 
n'a  pas  laissé  d'interdire  le  commerce  avec  la  Fraïuc  et  d'accorder 
des  lettres  de  marque  ou  de  représiiillcs  contie  les  sujets  du  roi,  et 
ensuite  ne  fyire  pas  seulement  altaquei- et  prendre  tous  les  vaisseaux 
marchands  qu'ils  ont  rcncontiés  sans  aucune  raison  ni  prétexte,  mais 
même  de  faire  attaquer  les  vaisseaux  de  guerre  de  S.  ^1.  parles  siens, 
témoin  le  combat  contre  l'escadre  de  Tureiuie  qui  vemut  dans  la  ri- 
vière de  Bordeaux  servir  Sa  Majesté  et  où  la  frégate  lu  C/iaritr  lui 
prise,  l'attaque  que  les  Auilais  firent  aussi  sur  quatie  vaisseaux  du 
roi  aux  côtes  du  Portugal,  où  celui  du  chevaliei'  de  lonleny  fut  piis 
et  lui  tué  réellement  après  la  prise,  cl  témoin  entin  la  jiiise  du  vais- 
seau le  Jules  qu'ils  n'ont  pas  laissé  de  prendre  (ploiciu'il  ait  baissé  le 
pavillon  et  n'ait  rendu  aucun  combi.l,  ce  qui  est  lonuueiicer  une 
esj)ècc  de  guerre  sans  l'avoir  dénoncée  auparavant  et  sans  en  avoir  au- 
cun sujet  légitime. 

Il  serait  bien  à  piopos  (pie  le  sieur  de  Genlillot,  ayant  lejnésenlé 
ce  que  dessus  à  ceux  du  Parlement  avec  lesquels  il  a  quelque  h^bi- 


376  DOCUMENTS 

tude,  qu'il  reconnaîtra  mieux  disposés  à  la  réconciliation  des  deux 
nations  et  capables  de  la  procurer,  essayât  de  les  engager  à  faire 
quelque  ouverture  d'accommodement  pour  découvrir  en  quels  termes 
ils  estiment  qu'il  se  puisse  faire  promptement,  en  donnant  assurance 
(jue  de  ce  côté-ci  on  est  entièrement  disposé  à  toutes  les  choses  rai- 
sonnables qui  pourraient  être  faites  avec  honneur.  Cependant  on  a 
déjà  donné  charge  à  une  personne  de  qualité  de  se  tenir  prête  pour 
aller  à  Londres  de  la  part  du  roi  pour  la  reconnaissance  ci-dessus,  et 
puis  ajuster  les  autres  choses  pour  le  rétablissement  de  la  bonne 
intelligence  entre  les  deux  nations  aussitôt  qu'on  aura  eu  des  nou- 
velles dudit  Gcntillof. 

Il  semblerait  surtout  nécessaire,  l'accommodement  étant  résolu  et 
projeté,  que  la  Républiijue  envoyât  en  cette  cour  quelqu'un  de  sa 
part  pour  donner  avis  du  changement  qu'elle  a  fait  en  la  forme  du 
gouvernement  d'Angleterre,  comme  elle  a  fait  en  Espagne,  aux  Pays- 
Bas,  à  Hambourg  et  autres  endroits  où  on  a  voulu  recevoir  ses  mi- 
nistres. Néanmoins,  comme  ils  pourront  dire  d'avoir  déjà  envoyé  le 
sieur  Augier  qui  n'est  pas  encore  venu,  s'ils  apportent  trop  de  dif- 
ficultés à  consentir  à  cet  envoi,  le  sieur  de  Gentillot  pourra  ne  pas 
s'y  arrêter. 

Le  projet  dudit  traité  pourrait  être  aux  termes  suivants  : 

Qu'il  y  aura  à  l'avenir  bonne  correspondance  et  amitié  entre  le  roi 
Très-Chrétien  de  France  et  de  Navarre,  ses  pays  et  sujets  d'une 
part,  et  la  République  d'Angleterre,  ses  pays  et  sujets  d'autre 
part. 

Que  les  traités  ci-devant  faits  entre  les  rois  de  France  et  d'Angle- 
terre pour  régler  la  façon  de  vivre  et  la  forme  du  commerce  entre  les 
deux  nations  demeureront  en  leur  force  et  vertu,  et  seront  inviola- 
blcment  observés  entre  S.  M.  et  ladite  République. 

En  conséquence  de  quoi  les  hostilités  cesseront,  dès  le  jour  du 
traité,  entre  les  sujets  des  deux  États,  et  toutes  lettres  de  marque  et 
de  représailles  seront  révoquées  dès  ledit  jour,  et  sera  le  commerce 
rétabli  en  la  même  liberté  et  aux  mêmes  conditions  qu'il  était  fait 
avant  le  changement  arrivé  en  Angleterre,  moyennant  que  les  dé- 
fenses qui  ont  été  faites  de  part  et  d'autre  seront  aussi  i  évoquées,  Sa 
Majesté  et  ladite  République  se  réservant  chacun  le  pouvoir  qui  leur 
appartient  d'établir,  dans  les  lieux  de  leur  obéissance,  tels  droits, 
péages  et  impositions  qu'elles  jugeront  à  propos  sur  les  marchandises 
et  denrées  venant  de  l'un  ou  l'autre  pays. 

Toutes  actions  et  demandes  des  vaisseaux  et  autres  choses  prises 
de  part  et  d'autre  sur  la  mer  avant  le  jour  du  traité,  demeureront 
éteintes  et  abolies  pour  ôter  tout  sujet  de  nouveau  trouble  à  l'avenir 


HISTORIQUES.  377 

enlre  les  deux  nations,  et  nénnmoins  le  Jules  et  autres  vaisseaux  de 
guerre  qui  se  trouveront  avoir  clé  pris  appartenant  immédialeinent  à 
Sa  Majesté  ou  à  ladite  République,  seront  restitués  de  bonne  loi  en 
l'état  qu'ils  étaient  lorsque  la  prise  a  été  faite. 

Les  vaisseaux  de  guerre  de  Sa  Majesté  seront  reçus  dans  les  ports 
d'Angielerrc  et  ceux  de  ladite  République  dans  les  poris  de  France, 
aux  conditions  et  précautions  tenues  aux  traités  précédents,  et  l'en- 
trée desdits  ports  sera  interdite  aux  vaisseaux  de  guerre  des  ennemis 
de  SaJIajcsté  en  Angleterre,  et  à  ceux  des  ennemis  de  la  Ré[iubliquc 
dans  les  ports  de  France. 

Le  roi  et  ladite  République  ne  pourront  donner  à  l'avenir  aucune 
sorte  d'assistance  aux  ennemis  l'un  de  l'autre. 

S'il  reste  quelque  sujet  de  didérend  entie  les  deux  Etats  ou  leurs 
sujets,  il  sera  terminé  amiablcment  et  selon  la  justice,  sans  que  pour 
raison  de  ce  l'amitié  et  bonne  intelligence  de  Sa  Jlajesté  et  de  ladite 
République  puisse  être  altérée. 

Toutes  ces  conditions  sont  si  raisonnables  et  si  avantageuses  pour 
l'Anglclcrre  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  croire  que  ledit  Parlement  y  fasse 
dilïiculté,  vu  même  que  le  droit  de  faire  les  traités  et  confédérations 
est  une  plus  «olide  marque  de  souveraineté,  et  que  celui  qui  sera  fait 
présentement  sera  un  acte  plus  authentique  que  celle  dont  ladite 
République  est  en  possession,  que  toutes  les  lettres  et  compliments 
qui  peuvent  être  faits  pour  la  reconnaître,  lesquels  sont  plus  sujets  à 
être  révoqués  ou  changés  qu'un  traité  signé  de  ])ai't  et  d'autre  qui  doit 
servir  de  loi  aux  deux  nations  pour  leur  négO(  e  et  forme  de  vivre 
ensemble;  ce  que  le  sieur  de  Gcntiliot  saura  très-bien  faire  valoir 
afin  d'augmenter  la  disposition  que  les  Anglais  peuvent  avoir  déjà  de 
traiter  avec  nous. 

Il  pourra  même  laisser  entendre  que  si  ladite  République  désire 
quelque  engagement  plus  étroit  avec  la  France,  princi|>alement  contre 
l'Espagne,  l'on  y  est  cntièremcut  disposé  de  ce  côté-ci.  Il  lui  sera 
très-facile  de  faire  connaître  l'avantage  que  les  Anglais  y  trouveraient, 
cl  les  moyens  que  nous  pourrions  leur  fournir  <le  se  prévaloir,  soit 
du  côté  des  Indes  ou  ailleurs,  de  l'état  où  se  trouve  à  présent  réduite 
la  monarchie  d'Espagne  à  laquelle  ils  ont  grand  intérêt  de  ne  pas 
laisser  reprendre  les  avantages  qu'elle  a  eus  ci-devant  lois«iu'elle  a 
formé  des  entreprises  sur  l'Angleterre.  Et  en  cas  que  ledit  sieur  de 
Gentillot  y  trouve  disposition  du  côte  des  Anglais,  sur  les  avis  <iu'il 
en  donnera,  l'ambassadeur  qui  passera  en  Angleterre  sera  chargé  et 
aura  pouvoir  sullisant  d'en  traiter. 

Le  sieur  de  Ceiilillot  pourra  sur  ce  sujet  les  faire  adroitement  sou- 
venir de  la  ma.ximc  qui  a  toujours  été  tenue  par  les  plus  sages  mi- 


378  D0CU3IENTS 

njstres  de  leur  nation,  qu'il  est  plus  avantageux  à  l'Angleterre  d'être 
en  guerre  ouverte  avecl'Espagne  que  d'avoir  la  paix  avec  elle,  et 
qu'iiu  contraire  en  ce  qui  regarde  la  France,  soit  par  le  voisinage, 
soit  par  la  puissance  de  notre  gouvernement,  et  par  l'avantage  que 
l'Angleterre  tire  de  noire  commerce,  l'amitié  lui  en  doit  être  très-eon- 
sidcrable  ;  d'autant  plus  que  quelque  mai  et  quelque  incommodité 
que  nous  peut  apporter  la  rupture,  la  France  est  toujours  le  royaume 
dont  l'Angleterre  a  le  plus  à  espérer  on  à  craindre  ;  et  même  dans  le 
trafic,  la  prise  que  nous  faisons  d'un  seul  vaisseau  anglais  nous  fait 
le  plus  souvent  dcdomm;igés  de  la  perte  que  nous  aurions  de  trois  des 
nôtres,  pour  la  valeur  des  marchandises  dont  ils  sont  ordinairement 
chargés 

On  remet  au  sieur  de  Gentillot  de  s'adresser,  pour  le  bon  succès 
de  sa  négociation,  aux  personnes  qu'il  croira  les  mieux  intentionnées 
et  les  plus  capables  de  la  faire  réussir. 

Le  sieur  Augicr  a  témoigné  que  la  Fiance  se  portant  à  la  lecon- 
naissance  ci-dessus,  il  ferait  favoriser  le  plus  possible  celle  couronne 
en  contribuant  avec  cli;deur  ce  qui  peut  dépendie  de  lui  pour  la 
bonne  intelligence  des  deux  nations.  Le  sieur  de  Gentillot  le  verra  et 
lui  dira  la  confiance  que  Leurs  Majestés  ont  en  sa  parole,  et  qu'elles 
lui  en  demandent  mauitenant  les  effets. 

Il  verra  aussi  le  sieur  Fleming,  et  lui  rendra  la  lettre  de  M.  de 
Bellièvrc.  C'est  une  personne  qui  en  tout  temps  a  témoigné  affection 
pour  cette  coiiionne  et  a  lendu  tous  les  services  (ju'il  a  pu  aux 
ministres  de  S.  M.,  et  on  ne  doute  point  cju'il  ne  conlinue  à  le 
faire  en  celle  conjoncture  qui  a  tant  d'impoi  tance  au  bien  el  au  repos 
des  deux  nations. 

Sur  toutes  choses,  il  est  absolument  nécessaire  que  ledit  sieur 
de  Gentillet  tienne  le  secret  de  son  voy;ige  bien  seciet,  de  crainte 
que,  s'il  était  découvert  par  les  Anglais,  il  ne  rencontrât  des  obstacles 
à  entrer  en  négociation  avec  eux,  pareils  à  ceux  qui  se  sont  formés 
quand  l'on  a  su  que  le  sieur  Salomon  y  allait  être  envoyé. 


HISTORIQUES.  579 

WJll 

(Page  216.) 

i»  Insiruction  pour  le  cumtc  d' Estrades  envoyé  en  Angleterre. 

Montereau,25  avril  1652. 

M.  d'Estrades,  pour  traiter  avec  les  Anglais  et  disposer  les  choses 
à  un  bon  accommodenient  avec  eux,  doit  être  informé  que  nous 
avons  |)résentcnicnt  trois  différends  principaux  avec  la  République 
dWnj^leteiTe. 

Le  premier  est  sur  la  forme  de  (railer  avec  elle,  puistiu'clle  ne  veut 
entrer  eu  aucune  sorte  de  négociation  ni  de  conférence  que  le  roi  ne 
la  reconnaisse  pour  Rcpubliciue  libre  et  souveraine,  et  ne  lui  écrive 
aux  mêmes  termes  que  bn  ont  écrit  les  antres  souverains  qui  ont  déjà 
fait  cette  reconnaissance. 

Le  second  est  loucliant  les  prises  faites  sur  la  mer  de  part  et  d'anlrc 
par  représailles  ou  autrement,  loucbfinl  les  moyens  de  rétablir  le 
commerce  entre  les  deux  nations,  loucbant  la  forme  de  vivre  et  de  se 
saluer  quand  les  vaisseaux  de  guerre  ou  autres  des  deux  Elats  se  ren- 
contreront à  la  mer,  et  toucliant  l'observation  des  anciennes  alliances 
et  précédents  traités. 

Le  troisième  est  (oucliant  les  hostilités  ou  représailles  ([ui  s'exer- 
cent présentement  de  part  et  d'autre. 

Pour  le  i)remier,  nous  demeurons  d'accor.l  (ju'il  précède  les  autres 
dans  la  négociiilion  et  dans  l'exécution.  Pour  cet  effet,  le  sieur  d'Es- 
trades peut  promettre,  à  ceux  qui  ont  charge  de  traiter  ou  conférer 
aveclui,  que  le  roi  est  prêt  de  reconnaître  la  République  et  de  lui 
écrire  une  lettre  avec  les  mêmes  titres  qui  lui  ont  été  donnés  jusqu'ici 
par  les  autres  rois,  de  faire  rendre  cette  lettre  p;ir  un  gentilhomme 
qui  sera  envoyé  exprès  en  Angleterre,  et  de  le  faire  suivre,  si  on  le 
désire,  pai'  une  ambassade  solennelle. 

Mais  cet  article  ne  peut  être  accordé  ni  exécuté  que  l'on  ne  soit  en 
même  temps  d'accord  du  troisième  avec  les  Anglais,  car  il  ne  sei  ait  ni 
honorable  pour  le  roi,  ni  juste  pour  les  Anglais,  (|ue  Sa  Majesté  leur 
eiivoyâl  faire  un  compliment  en  la  forme  qu'ils  désirent,  si  elle  n'est 
assurée  ([ue  la  lettre  ayant  été  rendue  et  la  reconnaissance  faite,  les 


380  DOCUMENTS 

hostilités  et  les  représailles  cesseront  de  part  et  d'antre.  Sans  cola,  il 
semblerait  que  les  Anglais  vondraient  njouter  le  mépris  à  l'olTense, 
si  en  même  temps  que  nous  leur  faisons  des  civilités,  ils  continuaient 
d'attaquer  les  vaisseaux  des  sujets  du  roi  sur  la  mer. 

Pour  le  second  article,  comme  il  contient  la  matière  de  tous  les 
traités  précédents,  il  faudra  nécessairement  le  renvoyer  par-devant 
des  commissaires  qui  seront  nommés  de  pnrt  et  d'autre,  parce  qu'ils 
auront  besoin  d'un  plus  long  délai  pour  examiner  et  résoudre  les  dif- 
férends qui  sont  entre  les  deux  nations  pour  raison  des  prises,  du 
commerce,  de  la  forme  de  vivre  en  se  rencontrant  sur  la  mer  et  de  l'ob- 
servation des  anciennes  alliances,  qu'il  n'en  faudra  pour  les  deux 
antres  articles  qui  peuvent  être  accordés  et  conclus  en  un  moment. 
Lesdits  commissaires  auront  pouvoir  d'arrêter  ce  qui  se  ti'ouvera  rai- 
sonnable de  pa)t  et  d'antre,  et  d'en  assurer  le  payement,  selon  ce  que 
ledit  sieur  d'Estrades  a  témoigné  par  ses  lettres  que  c'était  l'intention 
des  Anglais. 

L'on  ne  doit  pas  craindre  que  ce  second  article  soit  capable  d'em- 
pêcher l'accommodement,  puisque  dès  à  présent  l'on  est  piêt,  de  la 
j>art  du  roi,  de  rétablir  les  choses  au  même  état  qu'elles  étaient  avant 
l'interruption  du  commerce  entre  les  deux  nations  si  les  Anglais  le 
désirent;  ou  s'ils  souhaitent  d'introduire  quelque  nouveau  règlement, 
l'on  est  prêt  d'en  convenir  pourvu  qu'il  soit  égal  pour  les  uns  et  pour 
les  autres. 

Quant  aux  premier  et  troisième  articles,  les  Anglais  ne  pouvant  pas 
refuser  de  les  traiter  conjointement,  il  sera  nécessaire  que  ledit  sieur 
d'Estrades  les  ajuste  en  même  temps,  c'est-à-dire  qu'il  ne  s'engage 
point  à  l'envoi  d'un  gentilhomme  chargé  d'une  lettre  du  roi  pour  re- 
connaître la  République  d'.-Vngleterre,  qu'il  n'ait  parole  et  ne  soit 
assuré  que,  dès  le  jour  même  ou  le  lenilemain  de  l'arrivée  dndit  gen- 
tilhomme, quelqu'un  du  corps  du  Parlement  d'Angleterre  aura  pou- 
voir de  signer  une  convention  avec  lui  par  laquelle  il  sera  porté  que 
toutes  les  hostilités  et  représailles  cesseront  de  ce  jour-là,  et  cpie  dans 
deux  mois,  ou  plus  tôt  si  faire  se  peut,  on  enverra  de  part  et  d'autre 
des  commissaires,  avec  pouvoir  suflisant,  an  lieu  dont  il  cera  convenu 
pour  traiter  et  s'accorder  ensemble  de  tous  les  autres  différends. 

Si  les  Anglais  font  dilllculté  de  révoquer  ou  faire  cesser  les  hosti- 
lités et  représailles  pour  toujours,  à  quoi  pourtant  on  ne  voit  aucune 
apparence,  il  faudra  ménager  que  la  cessation  dure  pour  deux  ou  trois 
ans  tout  au  moins. 

Le  roi,  désirant  d'avancer  celte  négociation  autant  (|u'il  se  pourra, 
a  envoyé  au  sieur  d'l''slra(les  la  lettre  (jue  Sa  ftlajesté  écrit  au  Pai  le- 
nicnt  de  la  République  d'Angleterre,  et  au  cas  qu'il  y  ait  quelque  dif- 


HISTORIQUES.  '  381 

ficultc  sur  les  termes,  il  n'aura  qu'à  la  rcnvojcr  à  Sa  Majesté  et  faire 
savoir  ce  qu'on  désire  afin  qu'elle  y  fasse  pourvoir  promplcment. 

Le  sieur  d'Estrades  choisira,  parmi  les  oniiicr.s  (jui  .-ont  près  de  lui 
ou  ailleurs,  telle  autre  pcrsoniic  qu'il  reconnaîtra  plus  propre  pour 
être  chargée  de  cet  emploi,  lui  dclivrera  ladite  lettre  et  la  commission 
durci  qui  lui  donne  pouvoir  de  traiter,  et  le  fera  partir  sans  délai 
pour  se  rendre  à  Londres  en  diligence,  après  néanmoins  avoir  tiré 
assurance  de  ce  qui  est  porté  ci-dessus. 

Sa  Majesté  a  déjà  commandé  qu'on  envoyât  au  sieur  d'Estrades 
toutes  les  expéditions  nécessaires,  à  quoi  M.  le  comte  de  Brienne  n'a 
pas  manqué  de  satisfaire;  de  sorte  que  ledit  sieur  d'Estrades  les  ayant 
reçues,  il  ne  reste  qu'à  lui  recommander  que,  si  en  avançant  cette 
négociation,  comme  on  le  désire  par  deçà,  il  engage  Sa  Majesté  à 
quelque  chose,  il  n'oublie  pas  de  prendre  garde  que  ceux  qui  traite- 
ront avec  lui  soient  sullisamincnt  autorisés  pour  faire  tenir  en  Angle- 
terre les  choses  qu'ils  lui  auront  promises.  Il  n'oubliera  pas  aussi  de 
remercier  de  ma  part  M.  Cromwell  des  offres  obligeantes  qu'il  me  fait 
faire,  dont  je  me  sens  extrêmement  son  redevable,  et  de  lui  faire  sur 
ce  sujet  toutes  les  civilités  qu'il  jugera  à  propos. 


2°  Le  cardinal  Mazarin  au  comte  d'Estrades, 

Montcrcau,  25  avril  lGo2. 

Monsieur,  vous  apprendrez  de  nouveau  les  intentions  du  loi  lou- 
chant ce  que  l'on  peut  faire  avec  les  Anglais  par  la  lettre  (jue  M.  de 
lîrienne  vous  écrit.  Celle-ci  ne  seia  qu'un  abrégé  des  principaux 
points  que  l'autre  contient  qui  vous  servira  peut-être  à  la  mieux  com- 
prendre. 

L'attaque  de  Gravelines  nous  met  dans  une  pressante  nécessité  de 
savoir  les  intentions  des  Anglais,  parce  que  la  place  ne  pouvant  cire 
secourue  que  par  mer,  la  chose  peut  être  entreprise  avec  espérance  du 
succès,  pourvu  quelcs  Anglais  nes'cn  mêlent  jiointjmais  étanlconjme 
impossible  s'ils  sont  joints  à  l'Espagne  et  obligés  de  favoriser  ses  des- 
seins contre  nous,  il  est  de  la  deinière  importance  de  découvrir  promp- 
tement  leuivs  résolutions  en  traitant  avec  eux  du  diflérend  cjuc  nous 
avons  ensemble. 

Si  le  traité  que  nous  devons  faire  avec  eux  peut  èlre  conclu  bientôt, 
ce  sera  le  meilleur  et  il  réglera  tout.  Vous  savez  en  ce  cas  ()ue  nous 
sommes  prêts  :  en  picmier  lieu,  de  reconnaîlre  la  Uépubli(|ue  d'An- 
gleterre et  de  lui  écrire  aux  termes  qu'elle  peut  raisonnablement  dé- 


382  DOCUMENTS 

sirer  ;  en  second  lieu,  de  nommer  présenlcment  des  commissaires  pour 
examiner,  avec  ceux  que  la  République  nommera,  les  prises  qui  ont 
été  faites  de  part  et  d'aulre  sur  la  mer,  et  pourvoir  avec  sûrelé  à  la 
salisfaclion  de  ceux  à  qui  elle  se  trouvera  due,  à  la  charge  néanmoins 
que  d'abord  ,  en  rendant  la  lettre  du  roi  avec  la  suscriplion  que  la 
République  a  désirée,  on  conviendra  de  surseoir  toutes  hostilités  et 
représailles  de  part  et  d'autre. 

Si  cet  article  est  accordé,  nous  serons  assurés  pour  les  secours  que 
nous  entreprendrons  d'envoyer  à  Gravelines;  et  toutefois  pour  plus 
de  précaution,  il  sera  bon  d'en  toucher  un  mot  à  M.  Cromwell  pour 
avoir  sa  parole  s'il  est  possible,  ce  qu'on  pourra  faire  en  demandant 
(juelque  chose  de  plus,  comme  par  exemple  la  liberté,  pour  les  vais- 
seaux du  roi  destinés  pour  ce  secours,  de  relâcher  en  sûreté  dans  les 
ports  d'Angleterre  si  le  vent  contraire  ou  quelque  autre  considéra- 
tion les  y  oblige. 

Pour  obliger  les  Anglais  à  désirer  davantage  de  se  réunir  avec  nous, 
il  ne  sera  pas  mal  à  propos  d'entrer  avec  eux  en  traité  de  la  cession 
de  Dui  kerque;  et  en  effet  le  roi  leur  remettra  volontiers  cette  im- 
portante place,  pourvu,  en  premier  lieu,  qu'ils  se  joignent  avec  nous 
contre  l'Espagne  etqu'ilsy  demeurent  unis  tantque  la  guerre  durera, 
a\  ec  ol.'ligalion  de  nous  assister  de  leurs  forces  de  mer  pour  la  défense 
de  nos  places  maritimes;  en  second  lieu,  qu'ils  nous  donnent  une 
somme  d'argent  considérable,  comme  pourrait  être  un  million  d'or 
ou  huit  cent  mille  écus  ;  en  troisième  lieu,  qu'ils  commencent  leur 
assistance  présentement  pour  le  secours  de  Gravelines,  pour  lequel 
ils  nous  prêtent  de  leurs  vaisseaux;  en  quatrième  lieu,  qu'ils  s'obli- 
gent de  laisser  la  religion  catholique  en  l'état  oii  elle  esta  présent  dans 
Dunkcrque,  et,  s'il  est  possible,  de  ne  mettre  dans  la  place  qu'une 
garnison  calholi(iue. 

S'ils  faisiiient  difficulté  de  se  déclarer  ouvertement  contre  l'Espa- 
gne par  le  secours  de  Gravelines,  en  nous  fournissant  un  bon  nombre 
de  vaisseaux  pour  liansporler  en  France  (lorsqu'on  leur  rcmettia 
Dunkcrtiue)  la  garnison  qui  est  maintenant  dans  la  place,  ils  pour- 
raient donner  ordre  seciètement,  à  ceux  qui  auraient  soin  de  votre 
conduite,  de  faire  ce  que  vous  leur  ordonnerez,  et  vous  les  pourriez 
engager  à  vous  mettre  dans  Giave'.ines  avec  toute  votre  garnison. 

Dans  l'état  présent  des  alfaires,  nous  aurons  sujet  de  nous  consoler 
de  la  perte  de  Dunkeiciue  si  elle  proiluil  la  conservation  de  Grave- 
lines et  la  jonction  des  Anglais  avec  nous  contre  l'Espagne  aux  con- 
ditions marquées  ci-dessus. 

Si  toutefois  toutes  lesdites  conditions  étaient  trop  malaisées  à  ob- 
tenir, le  roi  vous  permet  de  partir  par  degrés  de  quelques-unes  des 


HISTORIQUES.  S85 

moins  impoitanlcs, estimant  plus  utile, dans  la  conjoncture  présente, 
de  conclure  promptement  un  Imité  d'alliance  avec  les  Anglais  qui 
sauve  Graveliiies,  que  de  le  différer  pour  l'espérance  d'obtenir  quel- 
que condition  filus  avantageuse  pour  laquelle  il  faudra  renvoyer  par 
deçà  et  employer  plus  de  temps, à  cause  que,  pendant  celte  longueur, 
Gravelines  se  pourrait  perdre. 

Enfin  tout  est  remis  à  votre  prudence  et  à  l'affection  que  vous  avez 
pour  le  service  du  roi.  Je  vous  dirai  seulement  qu'il  importe  mer- 
veilleusement que  vous  envoyiez  en  diligence  à  M.  Cromwell  une 
personne  intelligente  qui  puisse,  étant  sur  les  lieux,  s'éclairer  dos 
desseins  qu'il  peut  avoir  Car  s'il  est  vrai,  comme  les  nouvelles  pu- 
bliques de  Londres  le  portent,  ([ue  la  République  d'Angleterre  soit 
en  termes  de  s'accommoder  avec  3Iessieurs  les  Etats,  et  que  voire 
accommodement  avec  elle  soit  incertain  ou  tiré  de  longueur,  il  y  au- 
rait sujet  de  croire  que  les  propositions  d'accommodement  dont 
M.  Cromwell  vous  a  fait  parler  n'ont  élé  faites  que  pour  nous  amuser; 
et  il  serait  à  craindre  que  ladite  République,  pour  profiter  de  la  dé- 
pense qu'elle  a  faite  en  composant  une  si  puissante  flotte,  ne  se  portât 
à  faire  quelque  entreprise  contre  cet  Etat,  dont  nous  savons  qu'elle 
est  extrêmement  sollicitée  par  les  envoyés  de  M.  le  prince. 

En  ce  cas,  il  faudrait  promptement  en  donner  avis  i»M.  Brassct  '  et 
agir  de  concert  avec  lui  pour  voir  s'il  n'y  aurait  pas  moyen  d'engager 
Messieurs  les  États,  qui  ont  de  puissantes  forces  sur  la  mer,  à  nous 
donner  quelque  assistance,  leur  intérêt  les  obligeant  à  empê<'ber  les 
Anglais  de  prendre  des  avantagessur  nous  qui  leur  donneraient  moyen, 
étant  les  plus  forts  sur  la  mer,  de  se  rendre  enfin  les  maîtres  du  com- 
merce de  France  ;  mais  il  ne  faudra  faire  cette  tentative  qu'après 
avoir  perdu  toute  espérance  de  notre  accommodement  avec  les  Anglais 
et  avoir  reconnu  qu'ils  ont  résolu  de  nous  attaquer. 

*  Envoyé  de  la  cour  de  France  h  la  Haye. 


38^  DOCUMENTS 

XIX 

(Page  2IG  ) 

Don  Ahiizo  de  Cardcnas  à  don  Geronimo  de  la  Torre. 

Londres,  19  juillet  1652. 

Le  Parlement  a  résolu  depiiblier  un  manifeste  contre  les  Hollandiiis, 
dans  lequel  il  expose  les  griefs  de  celte  République  contre  eux.  On  dit 
que  le  manifeste  paraîtra  dans  deux  jours  et  qu'il  sera  suivi  d'hosti- 
lités. Ces  jours-ci,  une  escadre  de  bâtiments  du  Parlement,  qui  croi- 
sait à  l'entrée  de  la  Manche,  a  fait  subir  une  grande  défaite  aux  bâti- 
ments hollandais  qui  venaient  de  l'ouest  au  nombre  de  quarante  voiles. 
Les  Anglais  en  ont  pris  sept,  en  ont  brûlé  quatre  et  en  ont  forcé  vingt 
de  se  jeter  sur  les  sarblos  de  Calais  :  c'était  comme  s'ils  avaient  donné 
contre  unrécif,car  les  Français  de  la  côte  les  ont  pilléscomplctemcnt. 
Lacargaisonde  l'un  des  bâtiments  qui  ont  été  brûlés  valait4'00,OOÛdu- 
cals,  au  dire  des  gens  qui  se  trouvaient  à  bord. 

On  a  fait  ici  subir  de  grands  affronts  à  Gentillet,  envoyé  du  roi  de 
France.  Avant  d'entrer  à  Londres,  il  avait  écrit  au  maître  des  céré- 
monies qu'il  venait  de  la  part  du  roi  Très-Chrétien  auprès  du  Parle- 
ment, avec  des  lettres  de  créance  pour  reconnaître  la  Républi(|ue 
d'Angleterre  dans  le  cas  où  elle  révoquerait  les  lettres  de  marque  dé- 
livrées contre  la  France,  ainsi  que  l'avait  offert,  delà  part  de  l'Angle- 
terre, Guillaume  Villicrs,  frère  du  duc  de  Buckingham,  au  roi  de 
France,  ce  dont  il  avait  ordre  de  rendre  compte  au  Parlement.  Le 
maître  des  cérémonies  porta  cette  lettre  au  conseil  d'État  où,  après 
en  avoir  délibéré,  on  décida  d'appeler  Villlers,  on  lui  fit  voir  la  lettre 
de  Gentillot  et  on  l'interrogea  là-dessus.  Mal  lui  en  aurait  pris  s'il 
n'avait  pas  absolument  nié  la  chose,  et  même  demandé  au  Parlement 
la  permission  de  provoquer  Gentillot  en  duel.  Le  conseil  d'Etat  se 
borna  cependant  à  lui  ordonner  d'écrire  une  déclaration  dans  laquelle 
il  désavouait  l'offre  faite,  disait-on,  par  lui,  à  la  cour  de  France.  Le 
maître  des  cérémonies  a  répondu  à  Gentillot  d'une  manière  très- 
brusque,  en  lui  disant  qu'on  avait  vu,  par  la  déclaration  de  Villiers 
qu'il  lui  communiquait,  que  ses  dires  étaient  une  imposture.  C'est  à 


HISTORIQUES.  383 

la  suite  de  cela  que  ce  Frauçais  vint  à  Londres;  le  Conseil  le  fit  venir, 
et  le  faisant  rester  debout  et  découvert,  il  l'interrogea  au  sujet  de 
divers  points  en  commençant  par  lui  demander  qui  il  était,  de  quel 
pays,  comment  il  s'appelait,  pourquoi  il  venait  et  qui  l'envoyait.  Il 
répondit  qu'il  était  Français,  qu'il  se  nommait  Gentillot,  qu'il  venait 
comme  envoyé  du  roi  de  France  et  qu'il  trouvait  qu'on  ne  le  traitait 
pas  selon  sa  qualité  d'envoyé.  On  lui  demanda  s'il  apportait  des  let- 
tres de  créance,  à  quoi  il  répondit  que  oui:  alors  on  lui  demanda 
pourquoi  il  ne  les  avait  pas  apportées  pour  les  présenter;  à  quoi  il 
répondit  en  donnant  toute  sorte  d'excuses  fondées  sur  des  ordres  dont 
il  se  disait  porteur.  Alors  on  le  fit  sortir  de  la  salle  et  attendre  ;  au 
bout  d'un  quart  d'heure,  on  l'appela  de  nouveau  et  on  lui  dit  de  pré- 
senter ses  lettres  de  créance  dans  trois  jours  et  de  venir  en  rendre 
compte,  avec  menace  de  lui  assigner  un  bref  délai  pour  sortir  de 
Londres  et  du  pays  dans  le  cas  où  il  ne  le  ferait  pas. 


55 


386  DOCUMENTS 

XX 

(Page  219.) 
1°  M.  de  GeniiUol  à  M.  Servicn. 


Calais,  17  septembre  1652. 

Voici  des  nouvelles  non  moins  fâcheuses  que  véritables.  Les  An- 
glais ont  pris  les  vaisseaux  que  Ton  avait  préparés  pour  le  secours  de 
Dunkerque,  après  les  avoir  guettes  plus  de  dix  jours,  à  ce  que  rap- 
porte le  capitaine  d'un  vaisseau  brûlot. 

M.  le  commandeur  de  Boismorand,  qui  commandait  un  vaisseau 
nomme  le  Bergrrjd'd  que  M.  de  Vendôme  ayant  commandé  sept  vais- 
seaux et  autant  de  brûlots  pour  aller  à  Calais  charger  les  vivres,  gens 
et  munitions  que  Ton  devait  jeter  dans  Dunkerque,  l'amiral  ayant 
retenu  seulement  six  ou  sept  brûlots  avec  VAnna  et  un  autre  grand 
vaisseau,  cette  petite  escadre  prit  la  route  vers  Calais  où  eiiearriva  sur  le 
soir  et  mouilla  l'ancre.  Ce  qu'à  peine  elle  avait  fait  quand  cinquante- 
quatre  voiles  anglaises  lui  fondirent  sus  à  pleines  voiles.  Dans  le  com- 
mencement elle  crut  que  les  Anglais  la  prenaient  pour  anglaise,  si 
bien  que  pour  les  desabuser  elle  arbora  ses  pavillons.  Les  Français, 
voyant  que  les  parlementaires  ne  laissaient  pas  de  les  joindre,  appa- 
reillèrent dans  le  dessein  de  gagner  la  Hollande,  et  pour  cet  effet  le- 
vèrent l'ancre;  mais  ils  ne  firent  pas  grand  chemin  sans  être  enveloppés 
par  les  Anglais  qui  les  ont  tous  pris,  à  la  réserve  du  commandeur  de 
Boismorand  qui,  à  la  faveur  de  la  nuit  et  du  feu  des  ennemis,  trouva 
moyen  d'éviter  leur  rencontre  et  de  se  sauver.  Ce  fut  samedi  au  soir. 
II  est  arrivé  ici  environ  les  six  ou  sept  heures  de  cematin. 

Le  capitaine  du  brûlot,  qui  est  arrivé  un  peu  après  l'autre,  dit 
qu'ayant  été  pris  et  reconnu  par  le  général  Blake  qu'il  avait  servi 
autrefois,  et  ledit  général  ayant  cru  que  son  vaisseau  n'était  que  frété 
et  n'appartenait  pas  au  roi  par  ce  que  ledit  capitaine  lui  en  dit,  le  lui 
avait  rendu,  et  qu'ayant  été  parmi  les  ennemis  il  avait  vu  quelque 
chose  du  mauvais  traitement  que  messieurs  les  chevaliers  avaient 
reçu  par  les  Anglais  avec  menace  d'un  plus  rigoureux,  en  haine  des 
prises  que  les  autres  chevaliers  ont  faites  sur  eux  en  Provence.  Ils 


HISTORIQUES.  387 

sont  venus,  je  dis  les  Anglais,  jusqu'auprès  de  nous  chercher  notre 
amiral  l'Arma  et  les  autres  vaisseaux  qu'ils  ont  grand  rogiet  de  n'avoir 
pas  pu  surprendre.  Ils  disent  qu'ils  les  saisiront  en  quelque  part 
qu'ils  aillent;  mais  tout  le  monde  croit  que  le  vent  a  clé  si  favo- 
rable à  leur  retraite  à  Brest,  que  ces  perfides  perdront  leur  temps  el 
leur  peine  à  les  chercher. 


2°  Le  duc  de   l'etidùme  à  l'amiral  Blakc. 

Dioppe,  23  septembre  l6o2. 

J'ai  été  extrêmement  surpris  d'une  nouvelle  que  je  viens  d'a|ipien- 
dre.  Quelques  matelols  qui  étaient  sur  les  vaisseaux  du  roi,  mon 
maître,  m'ont  rapporté  qu'une  escadre  de  son  armée,  que  j'avais 
envoyée  pour  le  secours  de  Dunkercjue,  a  été  attaquée  et  presque 
toute  prise  vers  la  rade  de  Calais  par  la  flotte  de  la  liépuliliqiie 
d'Angleterre  que  vous  commandez.  J'envoie  ce  gentilhomme  vers 
vous  pour  eu  savoir  la  vérité,  et  ne  puis  croire,  n'y  ayant  point 
de  guerre  déclarée  entre  les  deux  nations,  ni  aucun  juste  sujet 
d'exercer  des  hostilités  entre  l'une  et  l'autre,  que  ce  qui  a  été 
entrepris  contre  les  vaisseaux  de  Sa  Majesté  ait  été  fait  par  l'ordre 
de  la  République.  Vous  aurez  pu  voir  par  ceux  que  j'a\ais  donnés  au 
sieur  de  Menillet.  qui  commandait  l'escadre,  qu'il  était  expressément 
chargé  de  ne  se  point  mêler-  des  différends  d'entre  l'Angleterre  et  les 
Provinces-Unies,  et  d'entretenir  toute  sorte  de  bonne  correspondance 
avec  Icssujets  de  votre  État.  Cela  me  lait  espérer  (|ue  la  République, 
étant  informée  de  ce  qui  s'est  passé,  donnera  les  ordres  nécessaires 
pour  la  restitution  des  vaisseaux  qui  ont  été  menés  en  Angleterre,  et 
que  vous  ne  refuserez  pas  d'y  contribuer  ce  qui  dépendra  de  vous. 
J'attendrai  votre  réponse  avant  qu'en  écrire  à  Sa  Slajesté;  ne  dou- 
tant point  qu'elle  ne  soit  conforme  a.  la  raison  et  telle  que  j'ai  sujet 
de  la  désirer,  je  demeurerai,  monsieur,  votre  très-affectionné,  etc. 


3»  Le  rnèmc  à  la  népubUipte  d'AïujlelciTc. 

Dieppe,  25  septembre  I6!)i. 
Très-illustres  seigneurs. 

Envoyant  ce  genlilliomme  à  M.  l'auiiial  Hlake,  <|ui  commande  \otre 
flotte,  pour  lui  demander  la  restitution  de  quelques  vaisseaux  du  roi, 


388  DOCUMENTS 

mon  maître,  que  j'avais  envoyés  au  secours  de  Dunkerque,  avec 
ordre  exprès  à  celui  qui  les  commandait  d'entretenir  toute  sorte  de 
bonne  correspondance  avec  vos  sujets,  je  l'ai  voulu  charger  de  cette 
lettre  pour  supplier  bien  bumblement  Vos  Seigneuries  d'ordonner 
ladite  restitution,  puisqu'il  n'y  a  point  eu  jusqu'à  présent  de  guerre 
déclarée  entre  les  deux  nations,  et  que  Sa  Jlajesté  n'a  point  cru  qu'il 
y  eût  aucun  juste  sujet  d'exercer  des  hostilités  entre  elles.  Je  me  pro- 
mets cet  effet  de  la  bonne  justice  de  Vos  Seigneuries,  et  sur  cette  assu- 
rance elles  me  feront  la  faveur  de  me  croire, 

Très-illustres  seigneurs,  de  Vos  Seigneuries, 
Le  très-humble  serviteur. 


i"  M.  de  Gentillot  à  M.  Servien. 

Calais, 24  septembre  16S2. 

Depuis  mes  précédentes,  il  n'est  rien  arrivé,  sinon  que  le  Parle- 
ment d'Angleterre  a  envoyé  vendredi  un  commissaire  à  Douvres  pour 
faire  donner  du  pain  et  passage  aux  matelots  des  navires  du  roi,  et 
déclarer  aux  officiers  que  l'ordre  et  l'intention  du  Parlement  étaient 
qu'ils  fussent  traités  civilement.  Cependant  ils  ont  pris,  sans  rien 
restituer  aux  uns  et  autres,  leurs  nippes.  Ils  ont  retenu  Menillet  et 
quelques  autres  officiers,  jusques  au  retour  des  vaisseaux  qui  les  ont 
portés.  Ils  en  ont  envoyé  à  Dieppe.  Qnel(|ues-uns  ont  pris  parti  parmi 
eux.  Ils  disent  que  ce  n'est  que  par  représailles.  Us  ont  fort  examiné 
s'il  n'y  avait  pas  de  ces  chevaliers  qui  ont  pris  de  leurs  navires  sur  la 
mer  Méditerranée. 

L'on  me  mande  de  Londres  qu'ils  ont  fait  un  grand  bruit  de  réjouis- 
sance, parmi  les  Communes,  de  la  prise  de  ces  navires,  et  que  les  plus 
sensés  et  tous  les  marchands  et  citoyens  ont  été  très-fâchés,  les  uns 
croyant  que  cela  excédait  l'ordre  des  représailles  et  laisserait  un  sujet 
aux  Anglais  de  méfiance  plus  forte  qu'auparavant  de  notre  amitié, 
qui  pourrait  faire  passer  les  choses  trop  avant;  les  marchands  de  peur 
qu'on  ne  saisît  leurs  effets  en  France  et  que  tout  espoir  de  bonne  in- 
telligence ne  fût  ôlé,  à  laquelle  on  avait  espéré  de  bons  tempéraments. 

L'on  me  mande  que  les  agents  de  M.  le  Prince  et  de  M.  du  Doignon 
n'ont  pas  plus  d'audience  qu'auparavant,  c'est-à-dire  rien,  et  que 
leurs  instructions  ou  affaires  n'ont  d'organe  que  l'ambassadeur  d'Es- 
pagne; mais  si  votre  ressentiment  pour  cette  dernière  insulte  paraît 
trop,  que  le  Parlement  prendra  de  plus  confidentes  mesures  avec  eux. 


HISTORIQUES.  389 

5°  Le  Conseil  d'État  d'Angleterre  au  duc  de  Vendôme. 

12  décembre  1CS2. 

Monseigneur,  le  Parlement  de  la  République  d'Angleterre  ayant, 
le  20  d'octobre  dernier,  reçu  une  lettre  de  la  part  de  Votre  Altesse, 
datée  de  Dieppe  du  8  de  septembre  1632,  demandant  certains  vais- 
seaux appartenant  au  roi  de  France,  pris  depuis  peu  par  le  colonel 
Robert  Clake,  général  de  leur  flotte,  ont  commandé  à  nous,  auxquels 
ils  ont  confié  et  commis  les  affaires  de  leur  amirauté,  d'y  faire  réponse. 

Le  conseil  d'Etat  sait  fort  bien  l'inclination  du  Parlement  de  la 
République  d'Angleterre  à  maintenir  amitié  et  correspondance  aussi 
bien  avec  le  roi.  votre  maître,  qu'avec  leurs  autres  voisins.  Mais  trou- 
vant que  depuis  quelques  années  les  personnes,  vaisseaux  et  biens 
des  marchands  anglais  trafiquant  es  mers  Méditerranées ,  ont  été 
pillés  et  pris  non-seulement  par  les  sujets  de  France,  mais  par  les 
navires  propres  du  roi,  et  qu'on  ne  peut  obtenir  satisfaction  par 
aucune  adresse  qui  ait  été  faite  en  la  cour  de  France,  il  a  autorisé 
ledit  général  pour  tàclier  d'avoir  réparation  de  ces  dommages  sur  les 
navires  et  biens  de  la  nation  française;  et  aussitôt  que  la  restitution 
sera  faite,  et  que  la  satisfaction  se  donnera  pour  cesdits  torts  et  griefs, 
le  Conseil  sera  prêt,  au  nom  du  Parlement,  de  satisfaire  aux  désirs 
de  V.  A.  exprimés  en  votre  lettre. 

Whitehall,  2  décembre  16S2  (v.  st.). 

TiiunLOE,  Clerc  du  Conseil. 

Signé  au  nom  et  par  l'ordre  du  conseil  d'Etat 
établi  par  l'autorité  du  Parlement 
B.  Whitelocke,  président. 


390  DOCUMENTS 

XXI 

(Page  220.) 

1°  L'archiduc  Léopold  au  roi  Philippe  IV. 

Bruxelles,  le  6  février  1652. 

Don  Alonzo  de  Cardenas  se  trouvant  sans  autres  pleins  pouvoirs 
de  V.  31.  que  les  premières  lettres  de  cré;incc  qui  raccréditaient  au- 
près du  Parlement  d'Angleterre,  et  prévoyant  qu'il  se  pourrait  offrir 
une  occasion  pour  entraîner  les  Anglais  dans  une  guerre  contre  la 
France  et  le  Portugal,  m'a  demandé  qu'en  attendant  les  ordres  (|ue 
V.  M.  lui  donnerait  au  sujet  de  ce  qu'il  a  expose  dans  ses  dépêches, 
je  lui  en  donnasse  de  mon  côté  par  rapport  à  ce  qu'il  devrait  faire. 
Don  Alonzo  pense  qti'il  serait  lion  de  chercher  dès  à  présent  à  faire 
en  sorte  que  les  Anglais  rompent  avec  la  France.  Il  dit  que  ce  qui 
les  engagerait  le  plus  à  cela,  ce  serait  de  pouvoir  occuper  Calais  qui 
est  la  plus  proche  conquête  à  faire.  Il  ajoute  que,  comme  la  guene 
avec  le  Portugal  dépend  du  recouvrement  de  la  Catalogne,  on  pour- 
rait remettre  à  plus  tard  la  conclusion  de  ce  second  traité. 

Au  premier  coup  d'œil,  en  considérant  combien  il  serait  utile 
d'opérer  dans  le  sein  de  la  France  une  si  puissante  diversion  et  de 
la  priver  de  Calais,  ville  si  importante  et  d'oîi  elle  a  fait  par  mer  tant 
de  conquêtes  dans  ces  provinces-ci;  considérant  en  outre  de  quel 
avantage  il  serait  pour  le  service  de  V.  M.  de  mettre  la  France  aux 
prises  avec  un  ennemi  aussi  puissant  et  aussi  hautain  depuis  ses  der- 
nières victoires,  j'avoue  à  V.  M.  que  je  serais  porté  à  penser  que  don 
Alonzo  devrait  chercher  à  pousser  les  Anglais  à  la  conquête  de  Calais, 
si  je  n'étais  retenu  par  d'autres  considérations  qui  sont  celles  ci. 

Les  Anglais  sont  de  leur  nature  peu  constants  dans  leur  amitié 
avec  les  étrangers,  et  si  un  jour  ils  devenaient  ennemis  de  V.  M., 
étant  maîtres  de  Calais,  ils  auraient  avec  Douvres  les  deux  portes  de 
la  Manche  à  l'aide  desquelles  ils  fermeraient  cette  mer  à  tous,  et 
intercepteraient  par  leurs  puissants  bâtiments  de  guerre  la  commu- 
nication entre  l'Espagne  et  ces  provinces-ci,  d'où  résulterait  pour 
nous  le  danger  de  les  perdre. 

Bien  que  les  Français  soient  divisés  en  différents  partis,  aucun 


HlSTOftlQUES.  391 

d'eux  ne  consentirait  à  perdre  la  moindre  parcelle  du  royaume  de 
France.  Les  dissensions  qui  y  existent  aujourd'hui,  du  moins  aux 
yeux  de  tout  le  monde,  ont  leur  source  uniquement  dans  le  désir  de 
satisfaire  des  passions  individuelles;  mais  si  les  Français  voyaient 
une  place  si  importante  occupée  par  les  Anglais  qui  pourraient  de  là 
poursuivre  leurs  conquêtes  comme  ils  l'ont  fait  dans  d'aulrcs  temps, 
ils  no  prendraient  prohablenient  plus  conseil  que  de  leurs  apprélicMi- 
sions  et  ils  s'uniraient  dans  l'inlérêt  commun  ;  et  alors  les  avantages 
que  nous  recueillons  de  leurs  discordes  cesseraient  aussitôt. 

Il  est  également  à  croire  que  les  Hollandais,  qui  ne  sont  pas  déjà 
très-bien  avec  le  Parlement  d'Angleterre,  en  lui  voyant  faire  de  telles 
conquêtes,  s'allieraient  avec  la  France,  car  il  ne  leur  serait  pas  moins 
sensible  qu'à  nous  de  voir  leurs  bâtiments  livrés,  dans  la  traversée  de 
la  Manche,  à  la  merci  de  la  courtoisie  des  Anglais. 

Dans  ce  cas  il  serait  à  craindre  que  les  Hollandais  ne  cherchassent 
avec  ardeur  à  aciieter  nos  places  maritimes  possédées  actuellement 
par  les  Français,  ce  qui  nous  obligerait  de  nouveau  à  déclarer  la 
guerre,  car  c'est  pour  les  empêcher  d'iiccepter  la  vente  de  ces  place»', 
que  les  Français  leur  offraient,  qu'on  leur  a  fait  entendre  que  V.  M. 
était  décidée  à  recouvrer  ses  places,  d;ins  quelques  mains  qu'elles  se 
trouvassent. 

Voilà  ce  que  j'ai  fiit  répondre  à  don  Alonzo  de  Cardenas,  on  lui 
recommandant  d'entretenir  des  pourparlers  au  sujet  des  deux  points, 
la  rupture  avec  la  France  et  la  rupture  avec  le  Portugal,  jusqu'à  ce 
qu'il  ait  reçu  réponse  aux  dépêches  qu'il  a  adressées  à  V.  M.,  et  je  lui 
ai  dit  que  si  les  Anglais  étaient  décidés  à  ron)pre  avec  la  France,  ce 
qui  viiudrait  le  mieux,  ce  serait  qu'ils  le  fissent  du  côté  de  la  Breta- 
gne ou  de  la  Normandie.  Que  Dieu,  etc. 

2°  Dun  Alonzo  de  Cardenas  au  roi  Philippe  IV. 

Londres,  25  janvier  16S2. 

Sire, 

Après  la  balaiilç  de  Worccslcr,  les  affaires  ont  pris  ici  une  telle 
assiette  qu'on  ne  voit  aucuu  mouvement  qui  puisse  affecter  la  paix  et 
la  tranquillité  publique;  d'uulant  plus  que  les  iionimes  du  gouverne- 
ment s'appliquent  à  améliorer  l'élat  de  la  Uépubliiiue,  et  sont  d'ail- 
leurs tellement  enflés  d'orgueil  (pi'ils  n'ont  pas  l'air  de  se  soia-ier  du 
concours  des  ambassadeurs  et  des  nnnisties  étrangers  (|ui,  dil-oii, 
négocient  de  tous  cùlés  pour  venir  reconnaître  la  Uépubliquc  el  se 


592  DOCUMENTS 

concilier  son  amitié.  C'est  ainsi  que  trois  ambassadeurs  extraordinai- 
res de  la  Hollande  sont  venus  ici  le  29  décembre  dernier,  regrettant 
vivement  de  ne  l'avoir  pas  fait  lorsque  cette  République  avait  envoyé 
à  la  Hollande  une  ambassade  solennelle  pour  solliciter  son  alliance. 
Aussitôt  après  leur  arrivée,  ils  firent  des  démarches  très-empressées 
pour  avoir  une  audience  du  Parlement;  elle  leur  a  été  accordée  le  29 
du  mois  susdit;  et  à  cette  occasion  M.  Catz,  qui  occupe  le  premier 
rang  parmi  les  trois  envoyés  et  qui  dirige  les  négociations  qu'ils  sont 
venus  ouvrir,  a  fait  un  discours  en  latin  dont  il  a  laissé  copie  par 
écrit  et  dont  je  joins  une  copie  à  V.  M.  J'en  ai  également  envoyé  une 
en  Flandre  à  l'archiduc,  et  à  la  Haye  au  conseiller  Brun,  en  rendant 
compte,  à  l'un  et  à  l'autre,  des  mauvaises  dispositions  que  ces  gens- 
là  commencent  à  manifester  à  l'égard  de  l'Espagne,  comme  on  peut  le 
voir  par  divers  points  contenus  dans  le  document.  La  chose  n'est  pas 
nouvelle  pour  moi,  car  j'ai  observé  les  mauvaises  dispositions  de  l'un 
d'entre  eux  qui  se  nomme  Schaep  quand  il  était  venu  à  Londres,  il  y 
a  plus  de  deux  ans,  comme  commissaire  envoyé  par  sa  province,  la 
Hollande,  pour  faire  des  propositions  qu'il  a  en  effet  adressées  au 
gouvernement  anglais.  Ayant  considéré  combien  d'inconvénients  pour 
le  service  de  V.  M.  ajurait  l'union  des  intérêts  de  ces  deux  républi- 
ques, j'avais  commencé,  avant  l'arrivée  de  ces  envoyés,  à  m'occuper 
des  moyens  de  faire  entrer  V.  M.  dans  leur  accord,  s'il  n'était  pas 
possible  d'empêcher  ledit  accord,  ainsi  qu'à  prendre  soin  qu'il  ne  se 
fît  aucune  stipulation  ni  convention  qui  fût  au  préjudice  des  intérêts 
de  V.  M.  ;  c'est  pour(|uoi,  après  avoir  conféré  sur  cette  matière  avec 
nos  amis  du  Parlement  par  le  seul  intermédiaire  qui  fût  resté  pour 
communiquer  avec  eux,  j'avais  résolu  d'introduire  la  proposition  de 
quelque  traité.  J'ai  reconnu  cependant  qu'il  y  avait  des  difficultés  à 
le  faire;  le  ressentiment  qu'on  conserve  ici  de  l'impunité  des  assas- 
sins du  résident  a  été  un  obstacle,  et  ces  jours-ci,  ce  ressentiment  a 
été  fomenté  par  les  presbytériens,  partisans  des  Hollandais.  Un  autre 
obstacle  s'est  rencontré  dans  la  résolution  que  le  Parlement  a  prise 
de  ne  point  envoyer  d'ambassadeur  en  Espagne  et  de  ne  conclure 
aucun  traité  avec  aucun  ministre  de  V.  31.  avant  d'avoir  obtenu  la 
satisfaction  à  laquelle  ils  prétendent  avoir  droit.  A  cela  il  faut  ajouter 
le  désir  que  j'avais  d'amener  les  hommes  du  Parlement  à  faire  les 
premiers  quelques  propositions  ;  mais  je  n'ai  jamais  pu  les  y  amener, 
bien  que  j'aie  cherchée  le  faire  par  de  différentes  voies  déguisées, 
et  bien  que  j'aie  fait  moi-même  des  ouvertures  à  une  personne 
appartenant  à  ce  gouvernement,  avant  qu'on  eût  défendu  aux  mem- 
bres du  gouvernement  de  se  laisser  visiter  par  les  ministres  étran- 
gers ou  d'aller  eux-mêmes  les  visiter.  Même  après  cette  défense,  j'ai 


HISTORIQUES.  393 

tenté  de  le  faire  par  l'entremise  d'une  personne  de  confiance.  Un  des 
membres  du  gouvernement,  ayant  appris  que  j'hésitais  à  faire  au 
Parlement  des  propositions  d'alliance,  dans  la  crainte  de  les  voir 
écartées  à  cause  de  l'affaire  des  assassins  du  résident  Ascham,  a  dit 
à  mon  homme  de  confiance  qu'il  lui  semblait  que.  si  j'avais  toujours 
cette  intention,  il  n'y  avait  pas  d'occasion  plus  favorable  que  la 
présente,  attendu  que  le  Parlement  se  trouvait  précisément  peu 
satisfait  des  Hollandais,  des  Français  et  des  Portugais,  et  qu'il  croyait; 
que  c'était  à  nous  à  parler  les  premiers  d'une  alliance  avec  la  Ré- 
publique d'Angleterre  contre  la  France  et  le  Portugal  avec  qui 
V.M.  était  en  guerre  ouverte,  de  même  que  ce  serait  au  Parlement  à 
faire  des  ouvertures  s'il  s'agissait  pour  lui  de  s'unir  à  V.  M.  pour 
conquérir  l'I-^cosse  ou  l'Irlande,  ou  de  reconquérir  quelques  autres 
provinces.  Il  m'a  été  impossible  de  les  amener  à  autre  chose.  Voyant 
l'avantage  qui  résulterait  pour  le  service  de  V.  M.  d'un  traité  quel- 
conque avec  ces  gens-ci,  et  trouvant  une  occasion  favorable  pour  le 
faire  dans  l'absence  de  Henri  Vane  qui  venait  de  partir  comme  com- 
missaire en  Ecosse,  homme  trèsinducnt  et  très-hostile  à  l'Espagne, 
je  me  suis  décidé  à  demander  au  conseil  d'Etat  une  audience  avant 
l'arrivée  des  envoyés  de  la  Hollande,  ne  voulant  pas  leur  donner  lieu 
de  soupçonner,  en  demandant  une  audience  après  cette  arrivée,  que 
c'était  pour  contrecarrer  leur  négociation.  Le  conseil  d'Etat  tarda 
pendant  trois  ou  (juatre  jours  à  me  fixer  le  jour  de  l'audience,  attendu 
que  le  maître  des  cérémonies  était  absent  de  Londres  d'où  il  était 
parti  pour  préparer  à  Gravesend  et  à  Greenwicli  des  logements  pour 
les  envoyés  hollandais  ;  on  avait  été  averti  qu'ils  attendaient  seu- 
lement un  vent  favorable  j)our  s'embarquer.  Le  2C  décembre  on  me 
fixa  le  jour  du  29.  Les  Hollandais  eurent  ce  joui-lti  l'audience  du 
Parlement  dans  la  matinée,  et  moi  j'obtins  celle  du  conseil  d'Etal  à 
cinq  heures  du  soir  du  même  jour.  Il  m'a  paru  convenable  de  com- 
mencer par  l'affaire  des  assassins  d'Ascham,  et  j'ai  parlé  dos  droits 
d'imnmnité  de  l'Eglise  avec  plus  de  force  que  je  ne  l'avais  encore 
fait  ;  comme  il  fallait  leur  dire  quelque  chose  de  l'état  de  cette  affaire, 
bien  que  je  n'aie  reçu  aucun  a\'is  là-dessus,  j'ai  cherché  à  les  enli'c- 
tenir  dans  l'espérance  qu'il  leur  sera  donné  satisfaction  ;  puis  j'ai 
parlé  de  la  nécessité  de  rendre  l'amitié  entre  les  deux  Etals  plus 
étroite,  et  j'ai  clos  mon  audience  en  j)riant  qu'on  rendit  justice  aux 
Espagnols  propriétaires  de  l'argent  qui  se  trouvait  sur  le  navire  lu 
Santa  Clara.  Le  président  du  conseil  d'Elat  nie  répondit  en  (pielques 
mots  en  disant  que  le  Conseil  prendrait  en  considération  ce  que  jo 
venais  de  dire  de  vive  voix  et  ce  que  je  laissais  par  écrit,  et  qu'il  me 
transmettrait  sa  réponse  le  lendemain.  J'ai  su  ensuite  qu'après  ma 


oU  DOCUMENTS 

sortie  les  quatre  pièces  que  j'avais  laissées  ont  été  lues  et  qu'on  a  pris 
jour  pour  les  discuter.  Ce  jour-là  on  les  a  relues,  et  quoique  la  pièce 
n»  1  leur  ait  paru  bien  (c'était  celle  qui  traitait  de  l'affaire  des  ac- 
cusés de  l'assassinat  du  résident),  le  président  et  quatre  ou  cinq  au- 
tres membres  qui  ont  parlé  après  lui  ont  insisté  avec  chaleur  potir 
qu'on  me  fit  dire  que  la  réponse  définitive  me  serait  envoyée  lorsque 
la  satisfaction  aurait  été  accordée  ;  mais  les  autres  membres  ont  été 
d'un  avis  opposé  en  faisant  observer  que  ma  note  expliquait  la  procé- 
dure suivie  en  Espagne  dans  cette  affaire,  qu'elle  donnait  des  espé- 
rances du  châtiment  des  coupables,  et  qu'elle  exprimait  les  senti- 
ments de  V.  BI.  et  son  désir  de  donner  satisfaction,  ce  qui  constituait 
déjà  un  commencement  de  satisfaction.  A  la  suite  de  cette  délihéia- 
tion,  on  a  résolu  de  rendre  compte  au  Parlement  du  contenu  de 
toutes  mes  notes.  Le  Conseil  reconnaissait  la  nécessité  d'être  autorisé 
d'une  manière  spéciale  par  le  Parlementa  conclure  avec  moi  un  traité, 
et  on  en  fit  un  rapport.  Le  Parlement,  conformément  au  rapport  du 
Conseil,  lui  renvoya  les  notes  qui  traitaient  des  lettres  de  marque  et 
du  navire  laSanla  Clara,  en  lui  lecommantlant  de  prendre  à  ce  su- 
jet une  résolution.  Quant  à  la  pièce  qui  traitait  de  ralfairc  des  assas- 
sins d'Aschan),  on  la  remit  à  un  comité  du  Parlement  avec  ordre  de 
répondre  en  insistant  sur  la  nécessité  de  punir  ces  hommes.  Lu  trci- 
sicmc  pièce,  celle  qui  avait  trait  à  un  traité  à  conclure  avec  la  Képu- 
blique,  fut  discutée  longuement  ;  les  presbytériens  s'efforçaient  de 
persuader  aux  autres  qu'on  ne  devait  traiter  avec  moi  d'aucune  al- 
liance avant  qu'on  eût  reçu  satisfaction  dans  l'affaire  des  assassins; 
mais  les  indépendants  l'emportèrent  et  on  décida  qu'on  traiterait 
avec  moi.  Alors  un  presbytérien,  ne  sachant  plus  aucun  autre  moyen 
de  nuire,  dit  qu'il  serait  bon  que  le  Conseil,  avant  de  me  donner  une 
réponse,  m'ordonnât  d'exhiber  les  pleins  pouvoirs  de  V.  M.  pour  trai- 
ter avec  cette  République.  Une  résolution  ayant  élé  prise  dans  ce 
sens,  le  maître  des  cérémonies  vint  chez  moi, le  19  de  ce  mois,  et  me 
remit  la  copie  de  l'ordre  du  Parlement  ainsi  que  celle  de  l'oidre  que 
le  conseil  d'Etat  lui  avait  donné  de  me  remettre  la  première.  J'ai  ré- 
pondu que  V.  M.  m'enverrait  sa  réponse  quand  elle  aurait  vu  ces 
deux  pièces.  Nos  amis  ici  ne  pouvaient  croire  que  je  me  trouvasse 
sans  pleins  pouvoirs  de  V.  BI.,  et  ils  insistaient  pour  que  je  les  exhi- 
basse. Je  les  assurai  que  je  n'en  avais  pas,  mais  qu'ils  me  seraient 
envoyés  sous  peu;  ils  ont  cherché  alors  à  engager  le  Parlement  à  se 
contenter  du  caractère  officiel  et  de  l'autorité  que  me  donnaient  mes 
lettres  de  créance,  et  à  commencer  les  négociations  en  vertu  de  ces 
lettres.  Il  m'a  paru  nécessaire  de  rendre  compte  à  \ .  M.  de  tout  ceci, 
avant  même  qu'on  me  donne  une  réponse,  afin  que,  si  la  chose  parait 


HISTORIQUES.  30S 

convenable  à  V.  M.,  il  me  soit  transmis  des  pleins  pouvoirs  généraux 
qui  me  permettent  de  suivre  une  négociation  quelconque  avec  le  Par- 
lement de  cette  République  et  de  la  conclure  ;  ou  bien  afin  que  des 
pleins  pouvoirs  soient  donnes  à  la  personne  qui  me  remplacera  ici, 
s'il  y  a  lieu.  Les  instructions  devraient  cire  très-détaillées  afin  qu'on 
sache  bien  ce  qu'on  doit  demander.  J'entretiendrai  des  pourparlers 
jusqu'à  l'arrivée  des  ordres  de  V.  M.  et  de  sa  réponse  à  la  présente 
dépêche.  Je  prie  V.  31.  de  me  la  faire  expédier  aussi  promptement 
que  possible  et  par  diverses  voies  avec  des  instructions  très-détaillées 
pour  savoir  sur  quelles  bases  je  devrai  négocier,  en  cas  qu'il  en  soit 
question,  ce  qui  est  très-probable. 

Je  crois  devoir  rendre  également  compte  à  V.  M.  de  ce  que  j'ai 
entendu  dire,  savoir  que  les  presbytériens  et  d'autres  membres  du 
Parlement,  qui  ne  nous  sont  pas  favorables,  disent  dans  leurs  con- 
versations particulières  qu'aujourd'hui  il  n'existe  aucun  traité  de  paix 
entre  l'Espagne  et  l'Angleterre,  attendu  qu'il  n'y  a  aucune  obligation 
de  considérer  comme  en  vigueur  le  traité  conclu  avec  le  roi  Charles  !<■'  ; 
que  par  conséquent  ce  ne  serait  pas  le  rompre  si  la  République  d'An- 
gleterre prenait  telle  résolution  qui  lui  j)lairait,  et  dès  que  cela  lui 
conviendrait.  Ceci  méiite  une  mûre  considération,  et  je  regarderais 
comme  un  grand  mal  si  les  assassins  du  résident  n'étaient  pas  enfin 
punis,  et  si  le  gouvernement  de  ce  pays-ci  tardait  à  envoyer  des  am- 
bassadeurs auprès  de  V.  31.  Alors  l'ancien  traité  de  paix  serait  très- 
précaire  tanlqu'il  n'aurait  pas  été  renouvelé  formellement  entre  V.3I. 
et  cette  République. 

30  Extrait  d'une  lettre  du  même  au  même  {l^  février  16S2). 

Dans  une  autre  lettre  du  l'i  février  1632,  don  Alonzo  développe  ce 
qu'il  avait  dit,  dans  celle  du  23  janvier,  relativement  au  projet  de  coa- 
lition entre  l'Espagne  et  le  Parlement  d'Angleterre  à  qui  il  proposait 
une  expédition  en  commun  contre  Calais,  à  condition  ([ue  les  .\nglais 
aideraient  l'Espagne  dans  celle  de  Gravelines,  de  Dunkerciue  et  île 
Mardick.  Il  rend  compte  des  raisons  qui  lui  ont  fait  différer  d'avoir 
à  ce  sujet  des  pourparlers,  et  sollicite  vivement  une  ré|)onsc  à  sa  dé- 
pêche du  23  janvier  avec  des  pleins  pouvoirs  cl  des  ojdres  relatils  à 
son  caractère  olficiel,  dans  le  cas  où  quehjue  occasion  viendrait  à  s'of- 
frir pour  entreprendre  quelque  chose,  tant  contre  les  Français  que 
contre  les  Portusiais. 


396  DOCUMENTS 

4"  Don  Alonzo  de  Curdenas  à  don  Geronimo  de  la  To7're. 

Londres, 25  février  J6S3.. 

Cher  Monsieur, 

11  y  a  environ  quatre  jours,  j'ai  envoyé  un  pli  adressé  à  S.  M.,  par 
la  voie  de  Flandre  ;  pour  le  cas  où  le  courrier  ordinaire  qui  se  rend 
en  Espagne  n'arriverait  pas  à  sa  destination,  comme  cela  se  rencontre 
quelquefois,  il  m'a  paru  nécessaire  d'envoyer  les  duplicata  de  ce  pli 
par  un  navire  qui  se  rend  à  Bilbao.  Je  les  envoie  donc  ci-joints  avec 
la  dépêche  qui  parle  de  la  question  de  Calais  et  avec  un  extrait  de  la 
lettre  du  docteur  Augustin  Navarro,  du  3  février,  dans  laquelle  on 
parle  des  motifs  qu'on  a  eus  en  Flandre  pour  différer  la  proposition 
jusqu'à  ce  qu'on  ait  reçu  les  ordres  de  S.  31.  11  m'a  paru  à  propos  de 
joindre  ici  la  réponse  que  j'y  ai  faite,  pensant  qu'elle  pourrait  arriver 
à  temps,  avant  qu'on  prenne  une  résolution  à  ce  sujet.  Je  n'ai  rien  à 
ajouter  à  cela,  sinon  que  je  vous  baise  les  mains  et  que  Dieu  vous 
garde  longues  années,  comme  je  le  désire. 


S"  Aug.  Navarro  Btirena  à  don  Alonzo  de  Cardenas. 

Bruxelles,  3  février  16S2. 

J'ai  rendu  compte  à  S.  A.  (l'archiduc)  de  ce  que  vous  m'avez  écrit 
en  désirant  connaître  son  avis  sur  ce  qu'il  vous  conviendrait  de  dire 
aux  commissaires  anglais  lorsqu'ils  s'ouvriraient,  comme  vouslesup- 
posez,  au  sujet  des  deux  points,  savoir,  la  rupture  de  l'Angleterre 
avec  la  France  dans  le  cas  oii  l'on  faciliterait  à  l'Angleterre  la  prise  de 
Calais,  la  guerre  avec  le  Portugal  qui  serait  plus  avantageuse  pour  le 
Parlement.  Vous  avez  jugé,  comme  on  juge  ici,  qu'il  y  aurait  des 
avantages  incomparables  pour  S.  M.  si  le  gouvernement  anglais  fai- 
sait la  guerre  à  la  France.  La  question  du  Portugal,  que  devrait  pré- 
céder le  recouvrement  de  la  Catalogne,  admettrait  plus  de  délai. 

On  désire  ici  beaucoup  que  vous  receviez  des  instructions  sur  des 
questions  aussi  délicates;  or,  il  n'est  pas  facile  d'expédier  à  S.  M.  un 
courrier  en  la  priant  qu'Elle  veuille  faire  connaître  ses  volontés  à  ce 
sujet  ;  cela  dépendra  beaucoup  du  temps  que  mettra  le  courrier  ordi- 
naire qui  part  d'ici  le  6  de  ce  mois  ;  on  lui  remettra  le  pli  que  vous 
adressez  à  Madrid. 


HISTORIQUES.  597 

La  semaine  passée  je  vous  ai  écrit  relativement  aux  inconvénients 
que  l'on  appréiiendait  de  l'occupation  de  Calais  par  les  Anglais;  car 
étant  maîtres  de  Douvres,  par  conséquent  des  deux  côtés  de  la  Man- 
che, le  jour  oîi  il  y  aurait  rupture  entre  S.  M.  et  eux,  la  Manche  se- 
rait fermée  à  nos  navires,  et  la  communication  avec  les  autres  États 
de  S.  M.  serait  rendue  impossible. 

On  a  considéré  aussi  que  les  Hollandais  en  viendraient  peut-être  à 
former  quelque  nouvelle  alliance  avec  les  Français  pour  la  même 
cause;  et  on  pourrait  craindre  qu'ils  ne  cherchassent  à  acheter  les 
places  maritimes,  moyen  par  lequel  les  Français  espèrent  les  engager 
contre  nous. 

Si  le  gouvernement  anglais  voulait  rompre  avec  la  France,  et  qu'il 
fît  quelque  expédition  en  Bretagne  ou  en  Normandie,  on  y  gagne- 
rait d'opérer  en  France  une  utile  diversion  ;  mais  peut-être  aussi  que 
cela  obligerait  les  deux  partis  en  France  de  s'unir  lorsqu'ils  verraient 
que  les  étrangers  profitent  de  leurs  dissensions.  Voilà  ce  que  S.  A.  me 
recommande  de  vous  dire,  en  ajoutant  que  vous  devez  chercher  adroi- 
tement à  amener  une  rupture  entre  l'Angleterre  et  la  France,  ou  à  en- 
tretenir les  deux  pourparlers,  tant  celui  dont  je  viens  de  parler  que 
celui  qui  est  relatif  au  Portugal,  jusqu'à  ce  que  les  ordres  de  S.  M. 
vous  arrivent. 


ii°  Don  Alonzo  de  Cardenas  à  Aug.  Navarro  Burena. 

Londres,  9  février  1652, 

J'ai  lu  ce  que  vous  avez  bien  voulu  me  dire  sur  les  deux  points  au 
sujet  desquels  j'avais  consulté  S.  A.  l'archiduc,  et  vos  réflexions  sur 
les  inconvénients  qui  résulteraient  de  l'occupation  de  Calais  par  les 
Anglais;  elles  sont  certainement  pleines  de  prudence;  mais  ce  qui 
doit  faire  hésiter  à  les  admettre,  c'est  (jue  le  mal  qu'on  paraît  craindre 
ne  s'est  cependant  jamais  produit  dans  tout  l'espace  de  deux  cents 
ans  pendant  lesquels  l'Angleterre  a  possédé  cette  ville  (époque  dans 
laquelle  s'est  trouvé  placé  le  règne  de  l'empereur  Charles-Quint  et 
de  son  père)  jusqu'au  moment  où  elle  l'a  perdue,  du  temps  de  la 
reine  Marie.  D'un  autre  côte  il  faudrait  tenir  compte  des  avantages 
qui  en  résulteraient  pour  S.  M.  et  du  préjudice  qu'en  recevraient  nos 
ennemis,  avec  les(|uels  nous  sommes  en  guerre  flagrante.  Il  me  sem- 
ble qu'on  devrait  préférer  un  grand  avantage  certain  et  actuel  A  des 
éventualités,  et  abandonner  quelque  choseà l'avenir  et  au  sort;  d'ail- 
leurs la  ville  étant  une  fois  aux  mains  des  Anglais,  clic  serait  une  se- 

RÉFUDLKJUE    D'ASGLETEnRE.    1,  31 


398  DOCUiMENTS 

mence  de  discorde  entre  la  France  et  l'Angleterre,  et  les  haines  na- 
tionales qui  ont  toujours  existé  entre  les  deux  pays  en  seraient  sans 
cesse  attisées.  Quant  au  danger  de  la  perte  de  nos  provinces  flamandes, 
cela  ne  serait  possible  que  dans  le  cas  où  l'Espagne  serait  en  guerre 
avec  l'Angleterre,  et  alors  la  France,  pour  recouvrer  la  ville  de  Calais, 
s'unirait  à  l'Espagne,  ce  qui  rendrait  facile  de  chasser  les  Anglais  dès 
qu'on  le  voudrait. 

Quant  aux  conquêtes  que  le  Parlement  pourrait  faire  en  Bretagne 
et  en  Normandie,  ce  n'est  pas  un  plan  qu'il  puisse  être  tente  de  mettre 
à  exécution,  car  les  Anglais  ne  poui  raient  se  promettre  là,  par  terre, 
le  secours  de  nos  armées,  et  ils  ne  sont  pas  portes  à  rompre  seuls  avec 
la  France.  Quant  au  risque  de  coalition  entre  la  Hollande  et  la  France, 
il  serait  le  même  si  la  République  d'Angleterre  s'unissait  à  nous  pour 
prendre,  soit  Calais,  soit  d'autres  villes  de  Bretagne  ou  de  Norman- 
die. En  ce  qui  touche  l'achat  par  les  Provinces-Unies  des  places  ma- 
ritimes, on  ne  croit  pas  ici  qu'elles  le  fissent,  car  ce  gouvernement-ci 
s'y  opposerait,  et  il  le  ferait  avec  d'autant  plus  de  raison  que  ce  serait 
sa  conduite  qui  aurait  déterminé,  de  la  part  des  Hollandais,  une  telle 
résolution. 

Quoi  qu'il  en  soit  Je  ne  presserai  pas  la  négociation  à  ce  sujet,  et  je 
me  bornerai  à  entretenir  des  pourparlers  sur  cette  question  ainsi  que 
sur  celle  du  Portugal,  jusqu'à  ce  qu'il  m'arrive  de  la  part  de  S.  M. des 
ordres  conformes  aux  idées  de  S.  A.  Mais  je  crains  que  le  temps  d'agir, 
qui  serait  dans  le  printemps,  ne  se  passe;  à  cette  époque-là  les  Anglais 
auront  leur  flotte  prêle;  elle  se  prépare  déjà  et  on  dit  qu'elle  comp- 
tera cent  cinquante  navires,  dont  cent  vingt  de  l'Etat  et  trente  na- 
vires marchands  frétés  pour  l'Etat. 

7»  Don  Alonzo  de  Cardenas  au  roi  Philippe  IV. 

Londres,  20  septembre  1652. 

Sire, 

Dans  diverses  dépêches  j'ai  déjà  rendu  compte  à  V.  M.  de  la  pro- 
position que  j'avais  faite  aux  commissaires  du  Parlement  pour  le  re- 
nouvellement du  traité  de  paix  entre  V.  M.  et  la  République  d'Angle- 
terre, conformément  aux  ordres  de  V.  M.;  j'ai  aussi  parlé  à  V.  M.  du 
contenu  d'une  note  que  je  leur  avais  remise  et  dont  je  lui  ai  envoyé 
copie.  Ensuite  j'ai  rendu  compte  des  démarches  que  j'ai  faites  pour 
obtenir  une  réponse  et  de  celle  qui  m'a  été  donnée  en  dernier  lieu  le 
22  août,  de  tout  quoi  j'ai  également  envoyé  les  copies  à  V.  M.  Dans 


HISTORIQUES.  399 

cette  réponse  on  me  disait  que  le  conseil  d'État  attendait  que  je  rédi- 
geasse les  articles  que  je  lui  devais  proposer;  j'ai  donc  signé  et  pré- 
senté à  ces  mêmes  commissaires,  le  12  de  ce  mois,  les  articles  contenus 
dans  le  cahier  joint  à  la  présente  ;  ils  sont  extraits  du  dernier  traité 
qui  avait  été  conclu  avec  le  feu  roi,  sauf  les  changements  nécessairesà 
raison  de  l'état  actuel  des  choses.  Dans  l'article  HI»  se  trouve  la  clause 
que  V.  M.  m'avait  particulièrement  recommande  d'insérer;  elle  porte 
qu'aucune  des  parties  contractantes  ne  pourra  donner  aucun  appui 
ni  secours  direct  ou  indiiect  aux  rebelles  et  aux  ennemis  de  l'autre 
partie.  Le  dernier  article  a  été  ajouté  par  moi  à  raison  de  la  prohihi- 
tion  qui  a  été  faite  ici  de  transporter  en  Angleterre  des  marchandises 
dans  des  navires  non  anglais  ou  qui  n'appartiennent  pas  à  la  nation 
d'où  proviennent  les  produits,  ou  au  pays  de  leur  fahricalion.  Il  m'a 
paru  juste  etconvenablequetous  lessujets,  quels  qu'ilssoicut,  dcV.M. 
pussent  transporter,  des  divers  États  appartenant  à  V.  31.,  tous  pro- 
duits et  marchandises,  bien  qu'ils  ne  soient  pas  eux-mêmes  originaires 
du  pays  où  lesdits  produits  se  fabriquent.  J'ai  appris  que  le  même  jour 
(le  12  septembre)  ces  articles  ont  été  lus  en  Conseil  ainsi  que  la  note  qui 
les  accompajjnait  et  dont  j'envoie  copie  avec  la  présente.  De  même  je 
joins  ici  copie  de  la  note  dans  laquelle  j'ai  répondu  à  ce  qui  legarde 
les  prévenus  du  meurtre  d'Ascbam  qui  sont  encore  en  prison,  car 
j'avais  appris  que  le  Conseil  aurait  trouvé  mauvais  si  j'avais  né- 
gligé de  le  faire.  Tout  cela  a  été  rcnvov'é  à  la  Commission  des 
affaires  élrangf'ires.  Je  rendrai  compte  à  V.  M.  de  la  réponse  qu'on 
y  fera. 


8"  Nnle  et  Propositions  présentées  au  Conseil  d'Etat  d'Angleterre  le 
12  septembre  1652,  par  don  Alonzo  de  Cardenas 

Don  Alonzo  de  Cardenas,  du  Conseil  de  S.  M.  Catholique  et  son 
ambassadeur  auprès  du  Parlement  de  la  l{épubli(]ue  d'Angleterre,  dit 
qu'après  îjvoir  vu  la  réponse  que  l'honorable  conseil  d'Etat  a  faite 
en  dernier  lieu,  le  12-22  août,  à  ses  notes  des  6  juin  (:27  mai)  et  du 
6-1 G  août,  dans  lequel  document  il  est  dit  d'abord  que  le  l'arleinent 
persiste  dans  sa  résolution  de  continuer  et  maintenir  l'amitié  et  les 
l)ons  rapports  avec  le  roi  son  maître,  comme  cela  avait  été  déjà  ex- 
primé dans  d'autres  occasions  et  notes  iirécédenles,  particulièrement 
dans  celle  du  10-20  avril,  et  ensuite  que  le  conseil  d'Etat  attend  que 
le  susdit  ambassadeur  lui  présente  quelques  articles  pour  le  renou- 
vellement du  traité  de  paix  ainsi  qu'il  a  été  proposé  par  lui,  il  a  paru 
convenable  au  susdit  ambassadeur  do  rédiger  des  articles  qu'il  a  Thon- 


400  DOCUMENTS 

neur  <le  pFesenter,  avec  la  présenté,  afin  que  le  Conseil  les  fasse  exa- 
miner, et  que,  dans  le  cas  où  il  les  trouverait  convenables  et  con- 
formes aux  intérêts  des  deux  Etats,  il  en  ordonne  l'expédition.  Le 
susdit  ambassadeur  se  réserve  la  faculté  d'ajouter,  de  changer  ou  de 
supprimer,  avant  la  conclusion  définitive  du  traité,  ce  qui  lui  parai- 
trait  exigé  par  les  circonstances  qui  se  présenteraient  dans  le  cours  de 
la  discussion. 

Articles  proposés  par  don  Alonzo  de  Cardcnas  du  Conseil  de  S.  M.  Catho- 
lique et  son  ambassadetir  auprès  du  Parlement  de  la  République 
d'Anijkterre,  pour  le  renouvellement  du  traité  do  paix,  d'alliance 
et  d'amitié  entre  le  roi  son  mailre  cl  Iv  Parlement  de  ladite  Répu^ 
blique. 

I 

Premièrement,  à  partir  de  ce  jour  il  y  aura  une  bonne,  générale, 
sincère,  vraie,  constante  et  parfaite  amitié,  alliance  et  paix  de  durée 
perpétuelle,  et  réciproquement  inviolable,  tant  sur  terre  que  sur  mer 
et  eaux  douces,  entre  le  sérénissimc  roi  d'Espagne  et  ses  héritiers  et 
successeurs,  et  la  République  d'Angleterre,  et  entre  les  royaumes, 
États,  territoires,  pays  et  sujets  quelconques  des  deux  puissances, 
tant  à  présent  qu'à  l'avenir,  de  quelque  rang  et  dignité  qu'ils  soient, 
de  manière  que  les  susdits  sujets  et  peuples  se  secondent  et  s'en- 
tr'aident  réciproquement  et  entreticnncut  des  relations  et  des  com- 
munications de  bon  vouloir. 

II 

IVi  le  sérénissime  roi  d'Espagne  ni  ses  héritiers  et  successeurs,  ni 
le  Parlement  de  ladite  République  ne  feront  et  n'entreprendront, 
tant  par  eux-mêmes  que  par  d'autres,  aucune  chose  qui  soit  au  pré- 
judice de  l'autre  partie  contractante,  ou  de  ses  royaumes,  possessions 
ou  territoires  quelconques  situés  en  quelque  partie  que  ce  soit  de  la 
terre  ou  de  la  mer,  de  ports  ou  d'eaux  douces,  sous  aucun  prétexte 
ni  dans  aucune  occasion  que  ce  soit  ;  et  aucune  des  deux  parties  ne 
donnera  appui  et  ne  consentira  à  aucune  guerre  ou  dessein  qui  soit 
ou  puisse  être  au  préjudice  de  l'une  ou  de  l'autre. 

III 

Aucune  des  deux  parties  ne  consentira  que,  par  aucun  de  ses 
sujets,  vassaux,  peuples  ou  habitants  respectifs,  il  soit  prêté  secours, 


HISTORIQUES,  <f01 

ou  assistance,  ou  faveur,  ou  conseil,  dircclcment  ou  indirectement, 
par  terre,  par  mer  ou  sur  eaux  douces,  aux  ennemis  ou  aux  rebelles 
de  l'autre  partie,  de  quelque  genre  qu'ils  soient  ;  ni  que,  par  lesdits 
sujets  ou  vassaux,  il  soit  fourni,  à  ceux  qui  attaqueraient  ou  qui  ont 
attaqué  les  possessions,  territoires  et  Etals  dudit  roi  et  de  ladite 
République,  ou  à  ceux  qui  se  soustrairaient  ou  se  seraient  soustraits 
à  l'obéissance  et  à  l'autorilc  de  l'une  ou  de  l'autre  des  deux  parties, 
des  soldats,  des  vivres,  de  l'aji^cnt,  des  armes,  des  chevaux,  des  instru- 
ments de  guerre,  des  numitions,  ou  tout  autre  secours  servant  à 
fomenter  ou  à  entretenir  la  guerre. 

IV 

En  outre  le  sércnissime  roi  d'Espagne  et  le  Parlement  de  ladite 
Republique  d'Angleterre  renonceront,  comme  ils  renoncent  en  effet 
par  le  présent  traité,  à  toutes  ligues,  confédéralions,  alliances,  capi- 
tulations et  accords,  conclus,  de  quebjue  manièie  que  ce  soit,  au 
préjudice  de  l'autre  partie,  et  contraires  ou  cjui  pourraient  devenir 
contraires  à  ce  traite  de  paix  et  à  la  bonne  entente  des  deux  parties, 
ou  à  quoi  que  ce  soit  qui  est  contenu  dans  ce  traite.  Les  deux  i)arties 
annuleront  et  déclareront  de  nulle  valeur  Icsdilcs  ligues  et  promet- 
tent de  ne  point  en  faire  de  pareilles. 


Le  sérénissime  loi  d'Espagne  et  le  Parlement  de  la  République 
d'Angleterre  s'efforceront  de  faire  en  sorte  (|ue  leurs  sujets  respec- 
tifs ne  se  fassent  à  l'avenir  aucun  mal;  et  ils  révoqueront  toute 
espèce  de  lettres  de  représailles  ou  de  marque  ainsi  que  toutes  autres 
commissions  qui  emi)orteraient  la  permission  de  faire  aucune  sorte 
de  prises,  au  préjudice  duilit  roi  ou  de  ladite  République,  ou  de  leurs 
sujets  respectifs,  cl  qui  auraient  été  données  à  leurs  propres  sujets 
ou  à  des  étrangers;  les  deux  parties  les  déclareront  nulles,  comme 
elles  les  déclarent  eu  effet  nulles  par  le  présent  traité  ;  et  ceux  qui  y 
contreviendraient  seraient  punis;  et  in(lé|)cndamnicnl  de  la  peine 
qu'ils  subiraient,  ils  seraient  obligés  de  restituer  les  donuuages  à 
ceux  qui  seraient  lésés  et  (pii  demanderaient  une  indemnité. 

A  l'avenir  il  ne  sera  point  délivré  de  lettres  de  représailles  ou  de 
marque  par  aucune  des  deux  [jarlics  à  leurs  sujets  ou  habitants  res- 
pectifs, ni  à  des  élrangers,  sans  qu'on  ait  auparavant  fait  connaîlro 
les  griefs  et  communiqué  coi>ic  des  rcclamalions,  à  l'ambassadour  du 

3i. 


^02  DOCUMENTS 

sérénissimc  roi,  ou  de  la  République,  qui  résiderait  àla  cour  de  l'Etat 
contre  les  sujets  duquel  on  demanderait  lesdites  lettres  de  représailles 
et  de  marque,  et  sans  qu'on  ait  connaissance  de  la  chose,  excepté  les 
cas  permis  par  le  droit  des  gens  relatif  aux  représailles  et  selon  les 
règles  prescrites  par  le  droit. 

VI 

Entre  ledit  sérénissime  roi  d'Espagne  et  ladite  République  d'Angle- 
terre, ainsi  qu'entre  leurs  sujets  et  habitants  de  leurs  Etats  respec- 
tifs tant  sur  terre  que  sur  mer  et  sur  eaux  douces,  dans  tous  les 
royaumes,  États,  domaines,  villes,  ports,  villages  et  localités  dudit 
roi  et  de  ladite  République,  il  y  aura  et  il  devra  y  avoir  libre  com- 
merce, comme  il  l'était  avant  la  guerre  entre  le  roi  Philippe  II,  roi 
des  Espagnes,  et  Elisabeth,  reine  d'Angleterre, de  la  manière  convenue 
dans  le  traité  de  paix  de  ibOi,  article  IX,  et  conformément  aux  usages 
consacrés  par  les  anciennes  alliances  et  traités  conclus  avant  ladite 
époque;  de  telle  sorte  que,  sans  aucuns  sauf-conduits  ni  autre  per- 
mission générale  ou  particulière,  tant  par  terre  que  par  mer  ou  eaux 
douces,  les  sujets  dudit  roi  d'Espagne  et  ceux  de  ladite  République 
d'Angleterre  puissent  mutuellement  venir,  entrer,  naviguer,  aller 
aux  villes,  localités,  ports,  rivières,  golfes  et  s'arrêter  dans  n'importe 
quels  ports  où,  avant  la  susdite  époque,  il  y  avait  commerce  récipro- 
que selon  les  usages  consacres  par  les  anciennes  alliances  et  traites; 
qu'ils  puissent  conduire  des  marchandises  dans  des  charrettes  à  dos 
de  cheval,  dans  des  sacs,  sur  des  bateaux  chargés  ou  à  charger;  qu'ils 
puissent  acheter  et  vendre  toutes  choses  qu'il  leur  plaira  et  s'appro- 
visionner en  choses  nécessaires  pour  la  vie  et  le  voyage,  à  des  prix 
modérés;  qu'ils  puissent  vaquer  à  leurs  affaires  d'argent  et  au  radoub 
de  leurs  bâtiments  ou  voitures  tant  à  eux  propres  que  de  louage  ou 
empruntés,  et  qu'ils  puissent  s'éloigner  desdits  ports  avec  leurs  biens, 
marchandises  et  autres  choses  quelconques,  après  avoir  acquitté,  se- 
lon les  lois  locales,  seulement  les  droits  et  péages  en  vigueur;  et  enfin 
qu'ils  puissent  s'éloigner  et  retourner  librement  dans  leur  propre 
pays  ou  dans  des  pays  étrangers  sans  empêchement  aucun  et  comme 
ils  voudront. 

VII 

Il  sera  permis  d'arriver,  de  séjourner  et  de  retourner  dans  les 
ports  dudit  sérénissime  roi  d'Espagne  et  de  ladite  République  d'An- 


HISTORIQUES.  -fOS 

gleterre  respectivement  avec  la  même  liberté;  non-seulement  avec 
des  navires  de  commerce  destinés  au  transport  des  marchandises, 
mais  encore  avec  d'autres  bâtiments  propres  armés  et  appareillés  pour 
réprimer  les  ennemis  ;  soit  que  ces  bâtiments  entrent  dans  Icsdils 
ports  par  suite  du  mauvais  temps  ou  spontanément,  dans  le  but  de 
s'approvisionner;  à  condition  toutefois  que,  si  ces  bâtiments  arrivent 
spontanément  et  non  pas  forcés  par  la  tempête,  leur  nombre  n'ex- 
cède pas  six  ou  huit,  et  qu'ils  ne  séjournent  pas  dans  les  ports  ou 
dans  le  voisinage  au  delà  du  temps  nécessaire  pourréparer  leurs  ava- 
ries ou  pour  s'approvisionner  en  choses  nécessaires,  afin  qu'ils  ne 
soient  d'aucun  obstacle  au  passage  et  au  libre  commerce  des  autres 
nations  amies.  Dans  le  cas  cependant  où  il  s'agirait  d'un  nombre  plus 
considérable  de  navires  de  guerre,  il  ne  leur  sera  pas  permis  d'en- 
trer avant  d'en  avoir  prévenu  ledit  roi  ou  ladite  République,  ni  sans 
leurs  permissions  respectives;  et  encore  pourvu  qu'il  ne  soit  commis 
dans  les  ports  dudit  roi  ou  de  ladite  République  aucun  acte  hostile 
au  préjudice  dudit  roi  ou  de  ladite  République,  mais  que  lesdits  bâti- 
ments restent  tranquilles  et  paisibles  comme  amis  et  alliés,  en  faisant 
attention  à  ce  que,  sous  prétexte  de  commerce,  il  ne  soit  fourni  par 
les  sujets,  vassaux  ou  habitants  desdits  royaumes  ou  de  ladite  Ré- 
publique respectivement,  ni  appui,  ni  secours  en  vivres,  armes  ou  in- 
struments de  guerre  ou  quelque  autre  faveur  ou  appui  militaire,  au 
profit  des  rebelles  ou  ennemis  de  l'une  ou  de  l'autre  des  deux  parties, 
et  que  tout  individu  qui  chercherait  à  le  faire  soit  puni  des  peines 
les  plus  sévères  portées  contre  les  séditieux  et  perturbateurs  de  la 
paix  publique  et  de  la  foi  des  traités.  Les  sujets  respectifs  de  l'un 
des  deux  États  ne  seront  pas  traités  sur  les  territoires  de  l'autre  plus 
rigoureusement  que  ne  le  seront  les  nationaux  quant  aux  ventes  et 
transactions  commerciales,  tant  sous  le  rapport  du  prix  que  sous  tout 
autre  rapport  ;  sous  tous  ces  rapports  la  position  des  étrangers  devra 
être  égale  à  celle  des  nationaux,  sans  que  des  lois  ou  coutumes  quel- 
conques aient  un  effet  contraire. 

VIII 

Aussitôt  après  la  signature  des  articles  du  présent  traité,  le  Parle- 
ment de  la  République  d'Angleterre  défendra  et  publiera  par  un 
édit  la  défense  qu'aucun  sujet,  habitant  ou  vassal  de  ladite  Répu- 
blique puisse  porter,  transporter  en  aucune  manièie  directe  ou  indi- 
recte, en  son  nom  ou  au  nom  de  qui  (|uc  ce  soit,  d'aucun  navire  ou 
bateau,  ni  qu'il  puisse  donner  ou  i)rèler  son  nom  à  un  autre  i)0uj 


iOi  DOCUMENTS 

transporter,  des  navires  ou  embarcations,  aucunes  marchandises, 
produits  manufacturés  ou  autres  objets  quelconques,  du  Portugal  ou 
de  ses  possessions  conquises,  en  Espagne  ou  aux  autres  royaumes 
et  possessions  du  scrcnissime  roi  d'Espagne,  ni  porter  sur  ses 
navires  dans  lesdits  pays  aucun  négociant  ou  marchand  portugais, 
sous  peine  d'encourir  l'indignation  du  Parlement  et  d'autres  peines 
établies  contre  ceux  qui  ne  tiennent  aucun  compte  des  ordres  supé- 
rieurs. A  cet  effet,  et  pour  mieux  prévenir  toute  espèce  de  fraude  qui 
pourrait  résulter  de  la  ressemblance  des  marchandises  d'Angleterre, 
d'Ecosse  et  d'Irlande,  il  est  convenu,  par  le  présent  article,  que  les 
marchandises  qui  devront  cire  transportées  aux  royaumes  et  Etats 
dudit  roi  d'Espagne  seront  pourvues  du  registre  et  du  sceau  de  la 
ville  où  elles  auront  été  prises,  et  ainsi  enregistrées  et  marquées,  elles 
seront  considérées  comme  anglaises,  écossaises  et  irlandaises,  sans 
qu'il  soit  soulevé  aucunes  difficultés  ni  doutes;  et  elles  seront  regar- 
dées comme  légitimes,  sous  réserve  de  prouver  la  fraude,  mais  sans 
qu'il  soit  apporté,  au  moment  même,  aucun  obstacle  au  passage  de 
ces  marchandises.  Celles  qui  ne  seraient  ni  enregistrées,  ni  pour- 
vues de  sceaux  seront  confisquées  et  regardées  comme  étant  de  bonne 
prise,  de  même  que  tous  les  Portugais  qui  se  trouveraient  sur  lesdits 
bâtiments  seront  arrêtés  et  emprisonnés. 

IX 

Les  marchandises  d'Angleterre,  d'Ecosse  et  d'Irlande  pourront 
venir  librement  des  États  de  la  République  d'Angleterre  en  Espagne 
et  dans  les  autres  royaumes  et  États  du  séiénissime  roi  d'Espagne, 
comme  il  a  été  stipulé  plus  haut  en  payant  les  droits  et  redevances 
d'usage. 

X 

A  l'égard  des  marchandises  que  les  marchands  anglais,  écossais  et 
irlandais  achèteront  en  Espagne  ou  dans  d'autres  royaumes  ou  Etats 
du  sérénissime  roi  d'Espagne,  et  qu'ils  emporteront  sur  des  bâti- 
ments, soit  à  eux  propres,  soit  loués  ou  empruntés  à  cet  usage, 
excepté  toutefois,  comme  il  a  été  dit  plus  haut,  les  bâtiments  du  Por- 
tugal, on  n'augmentera  point  les  droits  ni  redevances,  à  condition  que 
lesditcs  marchandises  soient  conduites  et  j)orlces  dans  les  Etals  de  la 
Répuhlique  d'Angleterre  ou  dans  les  ports  des  provinces  amies  du 
roi  d'Espagne,  cl  non  pas  en  Portugal  ni  dans  aucun  des  Elats  ou 


HISTORIQUES.  ^05 

territoires  du  Portugal.  Et  afin  qu'il  n'y  ait  point  de  fraude  à  cet 
égard  et  que  lesdites  marchandises  ne  soient  point  portées  dans 
d'autres  lieux  ou  royaumes,  ni  transportées  dans  le  Portugal  ni  dans 
aucune  de  ses  conquêtes,  il  est  convenu  que  les  susdits  marchands, 
au  moment  où  ils  chargeront  leurs  bâtiments  soit  en  Espagne,  soit 
dans  d'autres  royaumes  ou  États  dudit  sérénissime  roi  d'Espa-ne, 
déclareront  devant  l'autorité  judiciaire  de  l'endroit  où  ils  prendront 
lesdites  marchandises,  qu'en  cas  où  ils  les  porteraient  dans  d'autres 
pays  que  ceux  qui  ont  été  spécifiés,  ils  payeront  au  sérénissime  roi 
d'Espagne  un  droit  de  50  pour  100.  Si  ensuite,  dans  l'espace  d'un  an, 
ils  représentent  un  certificat  délivré  par  des  magistrats  de  l'endroit 
prouvant  qu'ils  ont  déchargé  lesdites  marchandises  dans  les  États  ou 
territoires  de  la  République  de  l'Angleterre,  ou  dans  les  ports  des 
pays  appartenant  au  roi  d'Espagne  ou  des  pays  amis,  il  leur  sera 
restitué  les  taxes  qu'ils  auront  payées. 


XI 


Aussitôt  que  le  présent  traité  aura  été  signé  par  le  Parlement  de  la 
République  d'Angleterre,  celui-ci  défendra  à  qui  que  ce  soit  de  por- 
ter des  marchandises  d'Espagne,  ou  des  autres  royaumes  ou  Étals  du 
sérénissime  roi  d'Espagne,  dans  d';iutres  pays  que  ceux  de  la  Répu- 
blique d'Angleterre  ou  ceux  qui  relèvent  du  roi  d'Espagne  ;  sous 
peine  de  confiscation  de  toutes  ces  marchandises  au  profit  du  trésor 
du  Parlement  de  ladite  République  d'Angleterre,  en  accordant  la 
moitié  de  la  marchandise  ou  de  sa  valeur  au  dénonciateur  de  la  fraude, 
après  avoir  d'abord  prélevé  un  droit  de  50  pour  100  qui  devra  être 
payé  aux  délégués  du  sérénissime  roi  d'Espagne.  Dans  ce  cas  il  sera 
ajouté  foi  aux  preuves  reçues  en  Espagne  et  (jui  seront  envoyées  en 
Angleterre  en  forme  authentique.  Il  est  en  même  temps  déclaré  (|uc 
cette  défense  de  por  ter  des  marchandises  d'Espagne  dans  d'autres 
Etats  que  les  États  cl  territoires  de  la  Républi(]ue  d'Angleterre  et  ses 
autres  provinces,  ne  s'applicjuera  en  aucune  façon  aux  royaumes  ou 
États  qui  cnlretiennenl  avec  l'Espagne  des  relations  commerciales 
libres,  car  il  sera  permis  aux  sujets  de  la  Ré|iubliquc  d',\ngletcrrc 
d'y  porter  des  marchandises  des  Etals  d'Espagne  en  observant  les 
conditions  et  les  précautions  ci-dessus  mentionnées.  Les  peines  j>or- 
tées  contre  les  transgrcsscurs  dans  les  articles  précédents  rcslcut  en 
vigueur. 


406  DOCUMENTS 

XU 

Aucun  magistrat  ou  fonctionnaire  des  villes  et  cités  des  Etats  et 
terriloires  de  la  République  (rAngloleire,  charge  de  délivrer  des  cer- 
tificats de  la  décharge  des  navires  et  de  viser  les  registres  de  mar- 
chandises, ne  devra  consentir  ni  permettre  qu'il  y  ait  la  moindre  fraude 
à  cet  égard,  sous  peine  d'encourir  l'indignation  du  Parlement  de  la 
République  d'Angleterre,  la  perle  de  son  emploi  et  autres  peines  que 
le  Parlement  jugera  à  propos  d'infliger. 


XIII 

De  même  que  ledit  roi  et  le  Parlement  promellent  solennellement 
de  ne  prêter  en  aucun  temps  aucun  secours  militaire  aux  rebelles  ou 
ennemis  de  l'une  ou  de  l'autre  partie,  de  même  il  est  défendu  à  leurs 
sujets  respectifs  et  habitants  de  leurs  royaumes  et  Etats,  de  quelque 
nation  et  de  quelque  qualité  ou  rang  qu'ils  soient,  de  fournir,  sous 
prétexte  de  commerce  ou  sous  tout  autre  prétexte  et  par  aucun  motif, 
des  secours  aux  ennemis  ou  rebelles  dudil  roi  et  de  ladileRépublique  ; 
il  est  défendu  de  leur  fournir  de  l'argent,  des  subsistances,  des  armes, 
des  chevaux,  des  machines  de  guerre,  des  munitions,  de  l'artillerie  ou 
autres  instruments  de  guerre,  ni  aucun  appareil  de  guerre  quelcon- 
que. Ceux  qui  y  contreviendraient  seraient  punis  des  peines  les  plus 
sévères  portées  contre  les  séditieux  et  les  perturbateurs  de  la  paix  et 
de  la  foi  publique. 

XIV 

Afin  qu'il  résulte  de  ce  traité  de  paix  des  fruits  abondants  pour  les 
sujets  et  populations  du  sérénissime  roi  d'Espagne  dans  ses  provinces 
et  États,  ainsi  que  pour  les  sujets  et  populations  de  la  République 
d'Angleterre  dans  ses  provinces  et  États,  les  deux  parties  contrac- 
tantes, tant  ensemble  que  séparément,  s'appliqueront  à  ne  point  leur 
fermer  la  circulation  et  le  passage  entre  les  ports  de  leurs  Etats  res- 
pectifs, comme  cela  a  été  dit  plus  haut,  afin  que  les  uns  et  les  autres 
puissent  librement  y  aller  avec  leurs  navires,  marchandises  ou  voi- 
tures, en  acquittant  seulement  les  péages  et  droits  ordinaires,  et  en 
sortir  avec  la  même  liberté,  emportant  d'autres  marchandises,  dès 
que  cela  leur  plaira. 


HISTORIQUES.  i07 

XV 

Quant  aux  divers  anciens  traités  et  conventions  de  commerce  con- 
clus entre  les  anciens  rois  d'Angleterre,  d'Ecosse  et  d'Irlande  et  les 
Etats  des  ducs  de  Bourgogne  et  princes  de  la  Belgique,  traités  et  con- 
ventions tantôt  interrompus,  tantôt  éludés  de  difTérentes  manières 
pendant  les  bouleversements  pas>és,  il  est  convenu  par  le  présent 
traité,  et  par  manière  de  réserve,  qu'ils  reprendront  leur  ancienne 
valeur  et  autorité,  et  que  les  deux  parties  contractantes  les  pratique- 
ront de  la  même  manière  que  cela  se  faisait  avant  la  guerre  entre  la 
reine  Elisabeth  d'Angleterre  et  le  roi  Philippe  II  des  Espagncs,  con- 
formément aux  stipulations  à  cet  égard  du  traité  de  paix  de  I(j(U, 
art.  22. 

Et  dans  le  cas  oîi  l'une  des  deux  parties  contractantes  aurait  ù  se 
plaindre  de  quelque  infraction,  ou  si  leurs  sujets  respectifs  se  plai- 
gnaient de  l'inexécution  du  traité  ou  de  ce  qu'on  leur  ferait  supporter 
des  charges  non  consacrées  par  l'usage,  alors  les  deux  parties  nom- 
meront des  délégués  qui  s'entendront  à  ce  sujet  et  appelleront  devant 
eux,  s'il  le  faut,  des  négociants  expérimentés  et  ex|)erts  pour  en  trai- 
ter à  l'amiable  et  de  bonne  foi,  et  pour  réparer  les  torts  et  rétablir 
les  choses  changées  par  le  laps  du  temps  ou  par  des  abus  qu'on  y 
découvrirait. 


XVI 

Et  afin  que  les  relations  commerciales  qui  découleront  de  ce  traité 
«le  paix  ne  restent  pas  stériles,  ce  qui  ariiverail  si  les  sujets  de  la 
République  d'Angleterre,  dans  les  voyages  qu'ils  feront  dans  les 
royaumes  et  Etals  du  scrénissime  roi  d'Espagne  ou  pendant  leur 
séjour  dans  ces  États  pour  affaires  commerciales  ou  autres,  étaient 
inquiétés  à  raison  de  leur  religion,  ledit  sérénissime  roi ,  voulant 
garantir  la  sécurité  du  commerce  sur  terre  et  sur  mer,  pourvoira  à  ce 
que  lesdits  sujets  ne  soient  aucunement  molestés  ni  inquiétés  con- 
trairement au  droit  commercial  des  peuples,;»  raison  de  leur  religion, 
aussi  longtemps  qu'ils  ne  donneront  pas  de  scandale  à  d'autres. 

Et  ledit  Parlement  de  son  côté  pourvoira  à  ce  t|ue,  dans  aucun  des 
Etats  de  ladite  République,  les  sujets  du  sérénissime  roi  d'Espagne  ne 
soient  molestés  ni  inquiétés  à  raison  de  leur  religion,  eontraiiement 
au  droit  commercial  des  peuples,  tant  qu'ils  ne  donneront  pas  de  scan- 


m  DOCUMENTS 

dale  à  d'autres,  et  ce  nonobslanl  les  lois,  statuts  ou  usages  en  vigueur 
chez  les  deux  parties  contractantes  qui  y  seraient  contraires. 


XVII 

S'il  arrivait  que  des  sujets  de  l'une  ou  de  l'autre  partie  transpor- 
tassent des  marchandises  prohibées  des  royaumes,  Etals  ou  territoires 
respectifs  dudit  sérénissime  roi  et  de  ladite  Republique  d'Angleterre, 
dans  ce  cas  les  personnes  contrevenantes  seules  encourront  des  peines, 
et  les  marchandises  prohibées  seules  subiront  la  confiscation. 

XVIII 

Les  biens  des  sujets  de  l'une  des  parties  contractantes  qui  vien- 
draient à  mourir  dans  les  Etals  de  l'autre,  seront  conservés  pour  leurs 
héritiers  et  successeurs,  les  droits  des  tiers  réservés. 


XIX 

Les  concessions  et  privilèges  accordés  par  les  rois  d'Espagne  et 
d'Angleterre  aux  négociants  des  deux  parties  contractantes  qui  se 
rendaient  dans  leurs  Etats  respectifs,  s'ils  ont  cessé  d'être  exercés  par 
quelque  raison  que  ce  soit,  seront  renouvelés  et  reprendront  leur 
force  et  leur  validité  entière. 


XX 


Si  un  jour,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise,  il  s'élevait  quelque  mésintelli- 
gence entre  le  sérénissime  roi  d'Espagne  et  la  République  d'Angleterre, 
de  nature  à  interrompre  les  relations  commerciales,  alors  les  sujets 
respectifs  des  deux  parties  auront,  à  partir  du  jour  où  ils  auront  été 
avertis  de  cet  état  de  choses,  un  délai  de  six  mois  pour  emporter  leurs 
marchandises,  sans  que  dans  cet  intervalle  on  leur  fasse  subir  aucune 
arrestation,  interruption  ni  dommage  dans  leurs  affaires  ou  dans 
leurs  personnes. 


HISTORÎOUES.  ,(09 

XXI 

îf  î  le  roi  d'Espagne  ni  le  Parlement  d'Angleterre  ne  reliendront  les 
navires  des  snjets  respeelifs  de  leurs  Élals  dan?  lears  ports  on  eaox. 
ni  ne  les  feront  retenir  soit  pour  le  service  mUitaire.  soit  poar  tout 
autre  service,  an  préjudice  de  leurs  patron?  ;  à  moins  que  ledit  roi  on 
le  Parlement  de  ladite  République  n'en  donnent  ftréalablcment  avis 
l'an  à  Taulre,  selon  que  les  navires  appartiendront  aux  sujets  de  Fane 
on  de  l'autre  partie,  et  n'en  obtiennent  le  consentement. 

XXII 

Dans  le  cas  où.  pendant  la  durée  de  celle  paix  et  amitié,  il  stnli 
tenté  quelque  entreprise  contre  sa  validité  et  ses  effets  sur  terre,  sur 
mer  ou  eaux  douces,  par  des  snjets.  vassaux  ou  populations  dodit  sé- 
rénissime  roi  d'Espagne,  ses  héritiers  ou  successeurs,  ou  par  des  sujets 
dudit  Parlement  de  la  République  d'Angleterre,  ou  par  des  alliés  com- 
pris dans  ce  traité  ou  leurs  héritiers,  ou  successeurs,  ou  par  des  su- 
jets de  ces  alliés,  le  présent  traité  de  pais  et  d'amitié  n'en  continuera 
pas  moins  d'avoir  sa  force,  et  les  coupables  seuls,  et  non  pas  d'autres, 
seront  punis  de  tonte  tentative  de  ce  genre. 

xxni 

S'il  s'élevait,  dans  les  États  dudit  roi  d'Espagne  on  de  ladite  Répu- 
blique d'Angleterre,  une  réclamation  de  la  part  d'une  personne  qui 
ne  serait  pas  un  sujet  dudit  roi  ou  de  ladite  République  pour  cause  de 
prise  ou  d'épaves,  la  cause  sera  portée  devant  lejug;e  propre  des  Etats 
du  roi  ou  de  la  République,  selon  que  ce  seront  des  sujets  ou  un  sujet 
do  roi  ou  de  la  République  qui  seront  poursuivis. 

XXIV 

Les  sujets  dudit  roi  d'Espagne  pourront,  quand  il  leur  plaira, 
librement  et  en  toute  sécurité,  porter  dans  les  ports  ou  Etats  de  la 
République  d'Angleterre  toute  espèce  de  marchandises,  produites  ou 
fabriquées  dans  n'importe  quelle  partie  des  Etals,  royaumes  et  l«r- 
T\\oittî  do  roi  d'Espagne,  n'imporle  fur  quels  Htuneoti  »pp»rtço*iH 
t.  *  W 


UO  DOCUMENTS 

à  des  sujets  dudit  roi,  ot  dans  quelle  partie  de  ses  Etats  ils  habite- 
ront. 

Les  navires  appartenant  aux  royaumes,  îles,  provinces,  villes,  ou  à 
des  sujets  dudit  roi  habilantn'importedans  quelle  partie  de  ses  Etats, 
pourront  porter  librement  des  marchandises,  et  propriétés  ou  pro- 
duits naturels  ou  manufacturés  dans  tout  autre  endroit  que  celui 
auquel  ils  appartiendraient  eux-mêmes,  mais  obéissant  au  roi  d'Es- 
pagne. 

Si  des  marchandises  ou  propriétés  étaient  portées  en  Espagne  de 
n'importe  quelle  partie  des  Etats  appartenant  à  sa  couronne,  il  sera 
permis  à  tout  sujet  dudit  roi  de  porter  ces  mêmes  marchandises  ou 
propriétés  du  terriloire  de  l'Espagne  dans  n'importe  quelle  province 
appartenant  à  la  Répulilique  d'Angleterre  en  quelque  navire  que  ce 
soit  appartenant  à  un  sujet  du  roi  de  quelque  province  que  ce  soit, 
sans  que  des  lois,  statuts  ou  usages  contraires  puissent  y  déroger. 


HISTORIQUES.  m 

XXII 

(Page  221.) 

1°  Inslruclion  au  sieur  de  Bordeaux,  conseiller  du  roi  en  son  Conseil 
d'Etal,  maître  des  requêtes  ordinaires  de  son  liôlel ,  intendant  de 
justice,  police  et  finances  de  la  province  de  Picardie,  s'en  allant  en 
Angleterre, 

2  décembre  165t. 

Bien  que  le  sieur  de  Bordeaux  soil,  en  lelle  sorte  instruits  de  l'état 
des  choses  et  ait  une  si  particulière  connaissance  de  ce  que  Sa  Majesté 
désire  de  son  service  qu'il  est  assez  inutile  de  dresser  un  mémoire  de 
ce  qu'il  aura  à  faire,  néanmoins,  afin  qu'il  s'y  porte  avec  plus  de  fer- 
meté, Sa  Mrijesté  est  résolue  do  lui  donner  celui-ci. 

Il  sait  Lien  que  les  Anglais  ont  non-seulement  décerné  des  lettres 
de  marque  contre  les  sujets  de  Sa  Majesté,  mais  même  qti'ils  ont  pro- 
cédé avec  une  telle  arrogance  qu'ils  ont  fait  attaquer  les  vaisseaux  de 
la  couronne,  et  comme  ennemis  déclarés  fait  servir  leurs  forces  à 
procurer  aux  Espagnols  divers  avantages  que,  sans  leur  aide,  ils 
n'eussent  osé  se  promettre  de  remporter. 

Il  n'ignore  pas  aussi  que  Sa  Majesté  a  fait  passer  en  Angleterre  par 
diverses  fois  le  sieur  Gentillot  pour  reconnaître  le  nouveau  régime, 
mais  avec  ordre  de  ne  le  point  faire  que  premièrement  ceux  du  Parle- 
ment n'eussent  engagé  leur  foi  à  surseoir  rcxéculion  des  lettres  de 
représailles,  et  ensuite  à  députer  des  commissaires  |)our,  avec  ceux  de 
Sa  Majesté,  prendre  connaissance  des  dommages  soulferts  par  les 
sujets  des  deux  États,  en  intention  de  chercher  les  moyens  de  les  sou- 
lager en  leurs  pertes.  IMais  ceux  du  icginie  n'ayant  pas  approuvé 
(ju'on  leur  lit  acheter  la  reconnaissajue  qu'on  en  faisait  comme  d'une 
lépuhlique  fondée  et  qui  avait  une  entière  et  légitime  autorité  dans 
l'Angleterre,  firent  entendre  au  sieur  Gejitillot  (|u'il  eut  à  soi'lir  de 
leurs  Etats. 

Cela  avait  été  exécuté  devant  que  les  vaisseaux  de  ce  nouveau  ré- 
gime eussent  attaqué  ceux  de  S.  M.  cl  qu'il  eut  déclaré  que  les  lettres 
de  marque  ne  faisaient  point  de  rupture  enlieles  alliés, soutenant  son 
dire  par  une  raison  tirée  des  traités  qui  les  permettent,  mais  avec 
cette  restriction  et  précaution  de  ne  pouvoir  être  délivrées  qu'après 


412  DOCUMENTS 

un  déni  de  justice  à  rintércssé;  et  cela  pourrait  être  excusé  si  cette 
République  était  demeurée  es  termes  accoutumés  d'accorder  la  per- 
mission à  un  eomplaignant  de  prendre,  saisir  et  arrêter  les  effets  et 
navires  de  la  nation  dont  il  se  plaint;  mais  il  est  inouï  et  c'est  une 
chose  qui  répugne  aux  droits  des  gens  que,  sans  avoir  déclaré  la 
guerre  à  un  roi,  on  attaque  ses  vaisseaux. 

Néanmoins  S.  M.  demeure  persuadée  que  l'équité,  la  raison  et  le 
respect  qui  lui  est  dû,  ne  sont  point  entièrement  effacésde  l'esprit  de 
ceux  qui  exercent  présentement  l'autorité  du  gouvernement  en  An- 
gleterre, espérant  même  que  la  reconnaissance  qu'elle  fera  de  leur 
République  les  satisfera,  en  sorte  que  ne  se  laissant  plus  emporter  à 
leurs  passions,  ils  se  soumettront  à  la  droite  raison  et  condescendront 
aux  choses  justes  qui  leur  seront  demandées,  S.  M.  s'est  résolue  d'en- 
voyer vers  eux. 

Aussitôt  que  le  sieur  de  Bordeaux  sera  arrivé  à  Londres,  il  en  fera 
avertir  le  maitre  des  cérémonies,  et  après  lui  avoir  déclaré  qu'il  n'est 
pas  ambassadeur,  lui  fera  entendre  qu'il  est  chargé  de  lettres  pour  le 
Parlement  de  la  Ré|)ul»li(jue  et  le  priera  de  le  dire  à  celui  qui  préside 
à  cette  assemblée  et  de  lui  faire  avoir  auilience.  Y  étant  admis,  il  re- 
présentera à  ceux  dudit  Parlement  l'avantage  que  la  bonne  intelligence 
qui  sera  entre  les  nations  leur  apportera,  et  que  c'est  l'intention  de 
S.  M.  de  la  garder  entière  et  sincère,  et  avec  autant  de  soin  et  d'exac- 
titude qu'elle  faisait  avec  les  rois  d'Anglelerre  ;  que  se  ressouvenant 
bien  que  les  traités  étaient  de  nation  à  nation,  comme  de  roi  à  roi, et 
ayant  exalté  l'honneur  qui  leur  est  rendu  par  S.  ftl.  d'envoyer  vers 
eux,  il  leur  fera  entendre  le  vrai  sujet  de  son  voyage,  appuyant  les 
demandes  qu'il  est  chargé  de  leur  faire  de  toutes  les  raisons  que  lui 
pourra  fournir  son  expéiience  et  sa  capacité,  en  sorte,  s'il  est  possible, 
qu'il  obtienne  d'eux  la  restitution  des  vaisseaux  de  S.  M.,  de  leurs 
canons  et  apparaux  comme  des  munitionsdeguerrect  de  bouche  dont 
ils  étaient  chargés. 

Qui  mesurerait  les  choses  par  la  droiture  et  qui  serait  assuré  que 
ceux  dudit  régime  l'eussent  en  telle  considération  qu'ils  fussent  inca- 
pables de  rien  faire  qui  y  fût  opposé,  on  ne  mettrait  point  en  doute 
que  le  sieur  de  Bordeaux  n'obtînt  de  leur  équité  et  de  leur  prudence 
ce  qu'il  leur  demandera. 

Mais  soit  l'emportement  qu'ils  ont  fait  paraître  en  diverses  ren- 
contres, soit  que  bien  souvent  les  hommes  préoccupés  de  leurs  pas- 
sions s'y  laissent  en  telle  sorte  entraîner  qu'ils  ne  voient  que  ce 
qu'elles  leur  présentent,  il  est  à  craindre  qu'il  aura  un  refus  et  qu'il 
lui  sera  parlé  en  des  termes  dont  un  nouvel  Etat  se  devrait  abstenir 
traitant  avec  le  miuislie  d'un  grand  roi. 


HISTORIQUES.  413 

Si  cela  leur  arrive,  S.  M.  désire  que  le  sieur  de  Bordeaux  leur  ré- 
ponde en  sorte  <|u'ils  s'aperçoivent  (|ue  la  France  n'ignore  pas  ce  qui 
lui  peut  être  dû  par  une  république  naissante;  mais  il  évitera  de  rien 
dire  qui  fasse  rupture  ni  qui  les  offense,  pour  ne  leur  donner  aucun 
prétexte  de  se  déclarer  ennemis  de  cette  couronne,  paraissant  à  S.  31. 
qu'il  vaut  mieux  pour  un  temps  qu'ils  courent  les  mers  et  exercent  la 
piraterie  qu'ils  reprochent  aux  autres,  que  s'ils  entreprenaient  quel- 
que chose  de  pis,  ce  serait  de  joindre  leurs  forces  aux  Espagnols  et 
prendre  en  protection  les  rebelles. 

Que  si  la  fortune  de  cet  Etat  était  telle  que,  mieux  conseillés  qu'on 
n'ose  se  le  promettre,  ils  accordent  la  restitution  desdits  navires  et  de 
l'équipage,  lors  ledit  sieur  de  Bordeaux,  ou  en  une  seconde  audience, 
cela  étant  remis  à  sa  prudence,  leur  proposera  de  députer  des  commis- 
saires pour  aviser  à  ce  qui  sera  à  faire  pour  les  particuliers  intéressés 
es  prises  qui  ont  été  faites  de  part  et  d'autre,  et  leur  déclarera  ijue  Sa 
Majesté  y  est  disposée,  afin  que  sans  y  apporter  aucune  difliculté  ni 
longueur,  ils  fassent  choix  et  nomination  de  députés. 

Ce  qu'il  évitera  de  mettre  en  avant  si  ceux  du  Parlement  d'Angle- 
terre faisaient  difficulté  de  consentir  à  l'entière  et  prompte  restitution 
des  navires  du  roi,  de  crainte  qu'ils  ne  publiassent  que  son  envoi 
n'avait  point  eu  d'autre  fin  que  de  terminer  les  différends  des  parti- 
culiers, étant  de  l'avantage  de  Sa  Majesté  qu'Ellc  a  dépêché  vers  eux 
pour  demander  le  sien  et  que  la  reconnaissance  qu'il  aura  faite  de  leur 
État  ne  lui  puisse  être  imputée  à  bassesse,  comme  l'on  a  fait  à  plu- 
sieurs autres  princes  qui  sont  allés  au-devant  des  désirs  des  Anglais, 
et  nouvellement  le  Roi  Catholique  sous  espérance  d'en  être  assisté 
en  la  guerre  qu'il  fait  durer  à  la  ruine  de  la  chrétienté  et  qu'il  aurait 
souvent  pu  finir  s'il  y  eût  été  aussi  disposé  que  ceux  qui  le  servent 
l'ont  osé  publier. 

Et  n'ayant  ledit  sieur  de  Bordeaux  rien  su  obtenir  d'eux,  repassera 
en  ce  royaume  sans  attendre  aucun  ordre,  si  ce  n'est  qu'il  jugeât  que, 
leur  faisant  honte  de  leur  dureté  et  de  leur  injustice  et  ((ue  ménageant 
avec  adresse  quelques-uns  des  phis  accrédités  parmi  eux,  il  peut  con- 
duire à  bon  port  l'affaire  dont  il  est  chargé. 

Que  si,  au  contraire,  ils  se  rendent  à  la  raison  et  qu'ils  se  dispo- 
sassent à  faire  choix  de  plusieurs  pour  aviser  aux  moyens  de  régler 
les  affaires  de  mer,  ajouter  ou  diminuer  aux  précédents  tiaités  ce  ipii 
peut  bonifier  le  commerce,  pour  ensuite  faire  que  les  nations  l'exer- 
cent avec  profit  et  repos,  en  ce  cas  ledit  sieur  de  Bordeaux  dépêchera 
vers  Sa  Majesté  pour  recevoir  ses  commandcmrnts  et  les  pouvoirs  et 
instructions  nécessaires  pour  travailler  à  une  affaire  si  importante. 


m  DOCUMENTS 

2»  Louis  XIV  au  Parlement  d'Angleterre. 

2  décembre  16bî, 

Très-chers  et  grands  amis ,  nous  envoyons  vers  vous  le  sieur  de 
Bordeaux,  l'un  des  conseillers  en  notre  conseil  d'Etat,  maître  des  re- 
quêtes ordinaires  de  notre  hôtel  et  président  en  notre  grand  conseil, 
que  nous  avons  destiné  notre  ambassadeur  en  Savoie,  |iour  vous  faire 
entendre  la  bonne  volonté  que  nous  vous  portons,  et  le  désir  que 
nous  avons  de  continuer  avec  votre  république  la  bonne  correspon- 
dance qui  a  de  tout  temps  été  observée  entre  les  deux  nations.  Nous 
l'avons  aussi  chargé  de  vous  dire  que,  comme  nous  n'avons  rien  en- 
trepris qui  vous  ait  pu  faire  croire  que  nous  n'étions  pas  en  cette 
disposition  ni  qui  ait  pu  causer  du  préjudice  à  votre  Etat,  nous  avons 
été  surpris  de  voir  nos  vaisseaux  attaqués  par  les  vôtres.  Car  bien 
que  vous  ayez  fait  expédier  à  aucuns  de  vos  marchands  des  lettres  de 
marque,  si  est-ce  qu'il  est  inouï  qu'on  les  ait  exécutées  contre  les 
vaisseaux  du  prince.  Et  ce  n'est  point  une  chose  extraordinaire  et  qui 
ne  soit  pas  prévue  parles  traités  d'accorder  ces  sortes  de  lettres  ;  au 
contraire,  bien  loin  d'être  défendues,  elles  sont  permises  :  mais  c'est 
après  un  déni  formel  de  justice  qui  ne  nous  peut  être  reproché  ;  et 
qui  aura  connaissance  de  tous  les  soins  que  nous  avons  apportés  pour 
être  bien  informés  des  perles  souffertes  par  nos  sujets  et  des  prises 
qu'aucuns  d'eux  pouvaient  avoir  faites  sur  les  vôtres  qui  étaient 
obligés  de  les  satisfaire,  jugerait  et  avouerait  sans  doute  que  notre 
intention  n'a  jamais  été  autre  que  de  faire  observer  les  traités  qui  ont 
été  passés  entre  les  nations  pour  la  sûreté  et  commodité  de  leur  com- 
merce, et  le  faire  fleurir  au  commun  avantage  des  deux  Etats.  Ledit 
sieur  de  Bordeaux,  selon  la  charge  que  nous  lui  en  avons  donnée, 
vous  fera  plus  particulièrement  connaître  les  résolutions  que  nous 
avons  prises  de  vivre  en  étroite  union  avec  vous.  Espérant  que  vous 
ajouterez  entière  créance  à  tout  ce  qu'il  vous  dira  de  notre  part, 
ainsi  que  nous  vous  en  conjurons,  nous  prierons  Dieu  qu'il  vous  ait, 
très-chers  et  grands  amis,  en  sa  sainte  et  digne  garde.  Ecrit  à  Paris, 
le  deuxième  jour  de  décembre  l<îb2. 

Votre  bon  ami  et  confédéré, 
Louis. 


HISTORIQUES.  ilS 

XXIII 

(Page  291.) 

M  de  Bordeaux  à  M.  Servien. 

Londres,  5  mai  i6SS. 

Avant-hier,  qui  était  mardi  dernier,  le  généra!  Cromwell  alla  au 
Parlement  après  en  avoir  été  absent  trois  semaines,  et  s'assit  au  plus 
bas  bout  du  Parlement,  et  ne  dit  jamais  mot  tout  le  temps  que  le  Par- 
lement se  tint.  Hier  il  vint  de  même  au  Parlement  ;  cl  comme  environ 
midi  on  y  déballait  touchant  un  nouveau  Parlement,  et  quand  celui- 
ci  prendrait  fin,  et  qu'il  serait  l)on  de  lui  donner  pour  terme  le  a  no- 
vembre prochain,  ledit  général  Cromwell  se  leva  tête  nue  et  fit  une 
petite  harangue  en  ces  termes  : 

«  Messieurs,  vous  n'avez  (jue  faire  de  vous  mettre  tant  en  peine 
«  louchant  les  affaires  qui  sont  maintenant  sur  le  tapis;  car  a)ant 
0  mûrement  considéré  que  le  gouvernement  de  tant  de  personnes 
«  était  méchant,  tyrannique  et  plein  d'oppression,  et  voyant  qu'on  y 
«  avait  employé  des  sommes  immenses  sans  que  jamais  on  en  ait 
«  donné  aucun  compte,  c'est  pourquoi  j'aircsolu  de  mettre  legouver- 
0  nement  de  celle  nation  entre  les  mains  de  peu  de  gens  ,  mais  gens 
y  de  bien  ;  et  partant,  dès  à  présent  je  déclare  qu'il  n'y  a  plus  de 
K  Parlement,  et  n'en  reconnais  plus.  >^ 

Ayant  achevé  son  petit  discours,  il  se  couvrit  et  se  promena  deu.\ 
ou  trois  tours  dans  la  chambre  du  Parlement  ;  et  voyant  que  le  Par- 
lement ne  bougeait,  ledit  général  commanda  au  major  llarrison  de 
faire  entrer  les  soldats  qui  étaient  en  garde  :  ils  enlièrcnl  sans  dire 
aucun  mot;  et  pour  lors  ledit  major,  le  chapeau  à  la  main  avec  tout 
respect,  s'en  alla  à  la  chaire  du  speaker,  et  lui  baisant  la  main  le  prit 
par  la  sienne  et  le  conduisit  hors  du  Parlement  comme  un  gentil- 
homme ferait  une  demoiselle,  et  tout  le  Parlement  le  sui\  il.  Le  général 
Cromwell  prit  la  masse  et  la  donna  aux  soldats. 

Hier  après  diner  on  devait  choisir  un  nouveau  président  au  conseil 
d'Etat;  mais  ledit  général  Cromwell  y  étant  venu  leur  déclara  qu'ils 
ne  se  missent  plus  en  peine  de  s'assembler  en  ce  lieu,  cl  que  leur 
pouvoir  était  expiré. 

Ensuite  de  cela  le  conseil  de  guerre  s'y  tint,  et  on  y  appela  le  maire 


i\Q  DOCUMENTS  HISTORIQUES. 

de  Londres  qui  présenta  son  épéc,  marque  de  justice,  au  général  qui 
la  lui  rendit,  et  lui  dit  qu'il  devait  exercer  la  justice  de  même  comme 
si  rien  n'était  advenu. 

Hier  au  soir  les  soldats  allèrent  prendre  les  sceaux  au  logis  de  ceux 
qui  les  gardaient;  et  au  matin  ce  jour  d'huy  on  a  envoyé  deux  bar- 
ques remplies  de  soldats  pour  garder  une  partie  de  l'argent  espagnol 
qui  est  encore  dans  ses  vaisseaux,  le  reste  étant  dans  la  tour.  L'armée 
fait  une  déclaration  pour  justifier  ses  actions. 

Avant-hier  arriva  un  messager  de  Hollande  apportant  réponse  des 
États  au  Parlement  ;  le  messager  a  donné  la  lettre  au  chevalier  Guil- 
laume Strickland,  et  lui  l'a  mise  en  mains  propres  du  général  Crom- 
well. 

Tout  le  peuple  universellement  se  réjouit,  et  pareillement  la  no- 
blesse, de  la  généreuse  action  du  général  Cromwell,  et  de  la  chute  du 
Parlement  qui  est  fort  vilipendé  en  la  bouche  d'un  chacun.  On  a 
écrit  sur  la  maison  du  Parlement  : 

Tliis  lioasc  is  now  lo  bc  Ici  unfurnishcd  ; 

et  on  chante  des  chansons  partout  contre  eux.  Il  s'en  vendait  une 
publiquement  que  le  général  Cromwell,  par  sa  grande  modération,  a 
commande  de  n'être  plus  chantée,  et  en  a  fait  supprimer  quarante 
mille  exemplaires  qui  ont  été  pris  chez  l'imprimeur.  On  ne  laisse  pas 
d'en  vendre  sous  main. 

Ledit  général  Cromwell  a  changé  tous  les  principaux  officiers  de 
l'armée  navale. 


TABLE  DES  MATIERES 

DU  TOME  PREMIER. 


Averlissemenl  de  l'Edileui-.  Page  ! 

LIVRE  PREMIER. 

Organisulion  du  gouverncmcnl  républicain.  —  Fornialion  du  conseil  d'Élul. 

—  Résistance  du  pays.—  Procès  et  condamnation  de  cinij  cliefsroyalistcj, 
les  lords  Ilamilton,  Holland,  Capell,  NorwicL  et  sir  Julin  Owen.  —  Ha- 
n)ilton,Hollandet  CapcUsont  exécutés.—  ruMiratioii  de  VEiLùnDasiUhb. 

—  Polémique  royaliste  et  républicaine  ;  .Milton  cl  Sauraaise.  —  Ex|)losi()H 
et  insurrection  îles  Nivcleurs.  —  Lilburne.  —  Leur  défaite.  —  Procès  et 
acquiltcoienl  de  Lilburne.  —  Tyrannie  du  Parlement.  —  Grandeur  crois- 
sanle  de  Cromwcll.  3 

LIVRE  DEUXIÈME. 

État  des  partis  en  Ecosse  cl  en  Irlande.  —  Charles  II  y  est  proclamé  roi.  — 
Commissaires  écossais  .'i  la  Haye.  —  Guerre  d'Iilande.  —  Croniwell  en 
prend  le  commandement.  —  Ses  cruautés  et  ses  succès.  -  Expédition  de 
Montrose  en  Ecosse.  —  Sa  défaite,  son  arrestation,  sa  condamnation  et  son 
exécution.  —  Charles  II  se  rend  en  Ecosse.  —  Cromwell  revient  d'Irlande 
et  prend  le  comniandcment  de  la  guerre  d  Écos.se.  —  Périls  de  .sa  situation. 

—  Bataille  de  Dunbar.  —  Charles  II  entre  en  Angleterre.  Croinwell  y 
rentre  après  lui.  —  Bataille  de  Worcestcr.  —  Fuite  et  aventures  de 
Charles  II.  —  Il  débarque  en  France.  —  Croui«cll  revient  ù  Londres.  — 
Trieuphe  complet  de  la  Républi(iue.  01 


^18  TABLE  DES  MATIERES. 

LIVRE  TROISIÈME. 

Impressions  produiles,  sur  le  continent,  par  le  procès  et  l'exéculion  de 
Charles  l*"".  —  Assassinat  de  Dorislaus  à  la  Haye  et  d'Ascliam  à  Madrid.  — 
Attitude  réciproque  des  Etats  du  continent  et  de  la  Républiiiuc  d'Angle- 
terre. —  Développement  et  succès  de  la  marine  anglaise.  —  Mauvaise 
politique  extérieure  du  gouvernement  républicain.— Rivalité  de  laFrance 
cl  de  l'Espagne  dans  leurs  relations  avec  l'Angleterre.  —  L'Espagne 
reconnaît  la  République  d'Angleterre.  —  Relations  de  l'Angleterre  avec 
les  Provinces-Unies.  —  Ambassadeurs  anglais  à  la  Haye.  —  Ambassadeurs 
hollandais  à  Londres.  —  Leur  mauvais  succès.  —  Négociations  de  Mazarin 
à  Londres.  —  Louis  XIV  reconnaît  la  République  d'Angleterre.  —  Guerre 
entre  l'Angleterre  et  les  Provinces-Unies.  —  Blake,  Tronip  et  Ruyier.  — 
Succès  alternatifs.  —  Effets  de  la  guerre  à  l'intérieur.  161 


LIVRE  QUATRIÈME. 


Lutte  entre  le  Parlemeht  et  Cromwell.  —  Tentatives  pour  la  réduction 
de  l'armée.  —  Proposition  d'une  amnistie  générale  et  d'une  nouvelle  loi 
électorale.  —  Projets  de  réformes  civiles  et  religieuses.  —  Conver.^ation 
de  Cromwell  avec  les  principaux  chefs  du  Parlement  et  de  Parmée.  — 
Pétition  de  l'armée  en  faveur  des  réformes  et  pour  la  dissolution  du 
Parlement.  —  Accusations  de  corruption  contre  le  Parlement.  —  Le 
Parlement  essaye  de  se  perpétuer  en  se  complétant  par  des  élections 
nouvelles.  —  Urgence  de  la  situation.  —  Cromwell  chasse  le  Parle- 
ment. 247 


DOCUMENTS  HISTORIQUES. 

I.  M.  de  Croullé  au  cardinal  Mazarin.  295 

II.  Le  même  au  même.  294 

III.  lo  Délibération  du  Conseil  d'État  d'Espagne  sur  les  conséquences 

de  l'assassinat  du  résident  d'Angleterre,  Antoine  Ascham.  295 
2»  Résolutions  prises  par  le   roi  d'Espagne  sur  les  avis  donnés  par 
le  Conseil  d'Etal  à  l'occasion  de  l'arrivée  du  résident  du  Parle- 
ment d'Angleterre  et  du  chàtimenl  de  ses  assassins.  296 
5"  Don  Alonzo  de  Cardcnas  à  don  Gcronimo  de  la  Torre.  299 

IV.  1- Louis  XIV  à  Cromwell.  501 
2»  Louis  XIV  à  Fairfax.  302 


TABLE  DES  MATIERES.  4!9 

V.  1»  Don  Alonzo  de  Cnrdenas  au  roi  d'Espagne  (Philippe  IV).        303 
2»  Le  même  au  même.  303 

S»  Délibération  du  Conseil  d'Élal  d'Espagne  sur  les  affaires  d'Angle- 
terre. 508 

VI.  1»  L'arcbidue  Léopold  (gouverneur  des  Pays-Bas)  au  roi  d'Espagne 

(Philippe  IV).  315 

2o  Premier  )irojet  de  lettre  du  roi  dEspagnc  (Philippe  IV)  au  nou- 
veau roi  d'Angleterre.  514 
5»  Délibéralion  du  Conseil  d'État  d'Espagne  sur  les  dépêches  de 
l'ambassadeur  d'Espagne  à  Londres  et  sur  la  politique  à  suivre  à 
l'égiird  (le  l'Angleterre.  515 
4"  Délibénition  du  Conseil  d'État  d'Espagne  au  sujet  de  plusieurs 
lettres  de  don  Alonzo  de  Cardenas  traitant  de  divers  sujets.    31 S 
5»  Don  Alonzo  de  Cardenas  au  comte  de  Penaranda.  520 
6o  Don  Alonzo  de  Cardenas  au  roi  d'Espagne.  321 
7"  Le  comte  de  Penaranda  à  don  Alonzo  de  Cardenas.               ^    522 
8o  Le  comte  de  Penaranda  au  secrétaire  Aug  Navarro.  524 
9o  Le  comte  de  Penaranda  au  roi  d'Espagne  (Philippe  IV).            327 
lOo  L'archiduc  (Léopold)  au  roi  d'Espagne.  329 
11»  Délibération  du   Conseil   d'Étal    d'Espagne  au  sujet  des  deux 
dépèches  précédentes  du  comte  de  Penaranda  et  de  larchiduc 
Léopold.  530 

VII.  M.  de  Croullé  au  cardinal  Mazarin.  333 

VIII.  l"  Le  même  au  même.  335 
2»  M.  Servien  à  M.  de  Croullé.  33G 

IX.  lo  Le  même  au  même.  339 

20  M.  de  Croullé  au  cardinal  Mazarin.  »6- 

5o  Le  même  au  même.  340 

i»  Le  même  au  même.  3*2 

5"  Don  Alonzo  de  Cardenas  au  roi  Philippe  IV.  344 

C"  Délibéralion  du  Conseil  d'État  d'Espagne  sur  les  affaires  d'An- 
gleterre. •^** 
X.  Mémoire  présenté  au  roi  d'Espagne  Philippe  IV  par  lord  Colling^ou 
et  sir  Edouard  Hyde,  ambassadeurs  de  Charles  II.  348 
XI.   1"  Première  délibération  du  Conseil  d'Étal  d'Espagne  sur  les  de- 
mandes des  ambassadeurs  de  Charles  II.  ">^' 
2»  Seconde   délibéralion  du  Conseil  d'État  d'Espagne  sur  le  même 
sujet.                                                                                         ^ 
XII.   1"  Don  Alonzo  de  Cardenas  au  roi  d'Espagne  Philippe  IV.  354 
2»  Le  chevalier  Antoine  Hrun  ù  don  Alonzo  de  Cardenas.  o-'>.> 
3o  Rapport  envoyé  de  Paris  par  la  personne  chargée  de  s'assurer  si 
l'envoyé  de  Portugal  qui  se  trouve  ù  cette  cour,  en  (|ualilé  d'uni- 
bassadcur,  a  eu  une  enlrevue  avec  le  roi  d'Angleterre  cl  s'U  u 
trailé  avec  lui  (juclquc  affaire.  "^''^ 


iW  TABLE  DES  MATIERES. 

XIII.  1»  M.  de  GroiiHié  a«  cardinal  Mazarin.  357 
2»  Le  même  au  même.  ib, 
5o  Le  même  au  même.                                                                    358 

XIV.  1"  Noie  du  vicomte  Salomon  de  Virelade  adressée  au  cardinal  Ma- 

zarin. 359 

2»  Mémoire  sommaire  des  insUuclions  nécessaires  au  sieur  Salomon 
pour  la  négociation  d'Angleterre.  360 

3"  Waller  Frost  à  M.  Salomon,  vicomte  de  Virelade.  562 

XV.  Mémoire  touclianl  le  commerce  avec  l'Angleterre  (rédigé  par  Col- 
bcrl).  365 

XVI.  Touchant  la  République  d'Angleterre  (Mémoire  présenté  à  la  reine 
Anne  d'Autriche  et  à  son  Conseil  par  le  cardinal  Mazarin).    370 
XVII.  Projet  d'instruction    pour    M,    de  Gentillot ,    envoyé  en  Angle- 
terre. 373 
XVllI.  1»  Instruction  pour  le  comte  d'Estrades,  envoyé  en  Angleterre.    379 
2o  Le  cardinal  Mazarin  au  comte  d'Estrades.                                 381 
XIX.  Don  Alonzo  de  Cardenas  à  don  Geronimo  de  la  Torre.                384 
XX.  lo  M.  de  Gentillot  à  M.  Servien.  586 
2°  Le  duc  de  Vendôme  à  l'amiral  Blake.                                        387 
5"  Le  même  à  la  République  d'Angleterre.  ib. 
io  M.  de  Gentillot  à  M.  Servien.                                                       388 
Ko  Le  Conseil  d'Élat  d'Angleterre  au  duc  de  Vendôme.                 389 
XXI.  1"  L'archiduc  Léopold  au  roi  d'Espagne  (Philippe  IV).                  390 
2o  Don  .\ionzo  de  Cardenas  au  roi  d'Espagne  Philippe  IV.            391 
S»  Extrait  dune  lettre  du  même  au  même.                                    395 
A"  Don  Alonzo  de  Cardenas  à  don  Geronimo  de  la  Torre.                396 
f>o  Aug.  Navarro  Burena  à  don  Alonzo  de  Cardenas.                       ib. 
G"  Don  Alonzo  de  Cardenas  ù  Aug-  Navarro  Burena.                   397 
7o  Don  Alonzo  de  Cardenas  au  roi  d'Espagne  Philippe  IV.              398 
8»  Note  et  propositions  présentées  au   Conseil  d'État  d'Angleterre, 
le  12  sej>tenibre  1652,  par  don  Alonzo  de  Cardenas.                  399 
XXIl.  1»  Instruction  au  sieur  de  Bordeaux,  conseiller  du  roi  en  son  Conseil 
d  Étal,  maîlre  desrequêles  ordinaires  de  son  hôtel,  intendant  de 
justice,  police  et  linances  de  la  province  de  Picardie,  s'en  allant 
en  Angleterre.                                                                               411 
20  Louis  XIV  au  Parlement  d'Angleterre.                                      414 
XXIII.  M.  de  Bordeaux  à  M.  Servien.                                                        ■'IS 


]FIN  DU  TOME  PREMtEtt. 


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UNIVERSITY  OF  TORONTO  UBRARY 


Da  Guizot,  François  Pierre 

4.25  Guillaume 

G85        Histoire  de  la  république 

I854  d'Angleterre  et  de  Cromwell 

t.l 


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