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Full text of "Histoire de la révolution polonaise depuis son origine jusqu'à nos jours, 1772 à 1864"

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HISTOIRE 


...-  ;j-..M  '".  r. /:  l'î»  ^.1  ..<.''.io:)  10  noe.'Â)  oS  .qtT-  .?iî»/J 


REVOLUTION  POLONAISE 


(1772  à  1864) 


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HISÏOIRE 

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Dl      LA  y 

RÉVOLUTION 

POLONAISE 

DEPinS  SON  ORIGINE  JUSQU'A  NOS  JOUBS  '■■ 

(tVf t   à    1864) 
Par  le  comte   8TAHISLAS  ARAMIV8KI /^^  <^^ 

AVEC    UNE    PRÉFACE     .^'c  '  '    '  '' 


PAR 


ALFRED  O'AUIAI  ^    vî  V^^  ^  ^  Y^  ^"^ 

'  OtrVRAGB   ILLUSmi 

DE  MAGNIFIQUES  YK^NETTES  GRAVÉES  SUR   AQER 

ET   DBSSnrÉES 

Paa  mm.  th.  GUÉRIN^  LEGUAY  et  L.  MÂRVT      . 


•ooOOOOoe* 


PARIS 
ADMINISTRATION  :  41,    RUE  VAVIN 

1864 


PRËFAGB. 


t 

I 


Od  s'étonnera  ians  doute  de  Toir  un  homme  nouveM, 
un  de  ces  mille  ioconaus  qui,  en  France ,  tiennent  une 
plume,  écrire  sur  la  première  page  d^nn  Inrre  de  cette 
importance, pour  le  recommandera  Tattantiondu  public 
français. 

U  n'y  a  cependant  là»  rien  (pie  de  tràs-natural. 

Cet.ouvra^est  destiné  surtout  à  fiûreoooMttielea 
causes  de  la  révolution  poloqaise«». 

A  explîcpier  comment,  de  persécution  en  peraécvtiQii, 
la  Pologne  en  est  arrivée  à  une  période  dédiiTa  de  aen 
histoire... 

Comment  il  est  impossible  de  songer  sérievieiMil^ 
aigourd*bni,  à  une  combinaison,  politique  qvelmaqM. 


n  FHiFACI. 

En  Europe^  chaque  homme  d*état  a  trouvé  une  solu^  | 

tioD  à  la  question  polonaise.  •• 

Ce  qui  constitue  la  force  de  la  Pologne,  c'est  de 
n'avoir,  au  contraire,  aucun  projet  d'avenir. 

Les  Polonais  savent  que  les  Busses,  —  pauvres  bétes 
fauves,  qu'un  breuvage  enivrant  rend  féroces, — veulent 
dévorer  leur  patrie... 

La  dévorer,  c'est-à-dire  raser  ses  villes,  brûler  ses 
forêts,  enlever  et  transporter  au  loin  ses  habitants. 
^     Les  Polonais  voient  en  rêve  le  duché  de  Varsovie,  un 
immense  steppe,  enveloppé  de  forteresses,  s'avançant 
dans  l'Europe  centrale,  gagnant  chaque  jour  un  pouce  de  I 

terrain...  ri 

Il6  voient  en  rêve  la  mélancolique  Allemagne,  la 
poétique  Italie,  la  belliqueuse  France ,  transformées  en 
devMteii  déserts,  où  l'on  n'entend  plus  que  les  sabots  du  | 

cheval  d'un  cosaque.. • 

Et  les  Polonais  qui^ëe  râveillént  se  disent  : 
^4  L'Bwope  sera  biéft  punie  un  jour  de  ne  pas  nous  ! 

«  aider  à  barrer  la  route  aux  Moscovites. ..  > 

•  «  Mais  nous,  sentinelles  avancées  de  l'Europe,  qui 
«^  seijdif  éomprenons  ce  que  veulent  les  Russes,  qui  seuls 
«  leur  opposons  une  vive  résistance,  nous  serons  les 
«  ^^retoièiies  victimes  de^cet  envahissement  prochain. 

«  iMiTMMiQUs  donc,  et  puisquMt  ftiut  mourir,  que 


raiPAGB.  il 

«  chaque  Polonais  entraîne  avec  loi  un .  Russe  dans 
«  la  tombe  I... 

«  Nous  ne  pouvons  plus  Taincre  1...  Mais  nous  ayons 
c  dix  siècles  d'héroïsme  que  l'on  veut  faire  périr  ayec 
<  nous...     . 

«  Tâchons  donc  de  mourir  en  conservant  à  nos  aïeux 
«  leur  gloire  immortelle  !...  » 

C'est  grâce  à  cette  pensée  polonaise  que  la  lutte 
s'éternise. 

Et  c'est  aussi  parce  que  cette  pensée  est  bien  l'expres- 
sion du  sentiment  polonais  que  ce  livre  se  termine 
ainsi  : 

«  n  n'y  a  pas  d'autre  solution  à  la  question  :  La 
c  Pologne  sera  triomphante  ou  écrasée*. • 

«  Triomphante  :  C'est  qu'il  n'y  aura  plus  un  seul  Russe 
«  en  Pologne... 

«  Écrasée  :  C'est  qu'il  n'y  aura  plus  en  Pologne  UO' 
€  seul  Polonais  I  » 


Alfred  D'AUNAY. 


HISTOIRE 


DB  LA 


RÉVOLUTION  POLONAISE 


CHAPITRE  PREMIER 

La  Pologne  avant  le  vi*  siècle.  —  La  Pologne  apdrès  1572;  sa  consh 
titation  politique.  —  Les  nobles;  les  bourgeois;  les  paysans;  lesjuifs^ 
—  Monarchie  élective;  diète;  liberum  veto,  —  Sobieski.  —  Frédéric- 
Auguste. —  Le  prince  Poniatovrski.  —  Deux  partis  en  Pologne.  — 
Règne  de  Poniatowski  sous  le  nom  de  Stanislas  Auguste.  -«-Interventioii 
de  la  Russie  dans  les  affaires  de  la  Pologne.  —  Machinations,  intri- 
gues de  Catherine  II.  —  Invasion  de  la  Courlande.  —  Une  séance  de 
la  diète  de  1794.  —  Les  dissidents.  —  Soulèvement  des  Polonais.  — 
Confédération  de  Bar.  —  Louis  XV  envoie  Dumouriez  arree  quelques 
troupes  en  Pologne.  —  Prise  du  château  de  Graoovie  par  des  oflieiera 
français.  Suwarow.  —  Cruautés  uiouïes  des  Russes  envers  les  con- 
fédérés. —  Premier  partage  de  la  Pologne.  —Duplicité  de  la  Prusse.  — 
Effet  de  la  Révolation  française  sur  la  nation  polonaise.  —  Négociations 
à  Paris.  —  Conatitution  du  ^  maii79i.  —  Inique  invasion  de  la  Po« 
logne  par  la  Russie.  —  La  Pologne  se  prépare  à  la  guerre.  —  Jo- 
seph Poniatowski  est  nommé  général  en  chef  de  rarniée  polonaise. 

L'histoire  de  la  Pologue  est  une  des  plussombreset  des 
plus  lugubres  pages  do  «laiiyrologe  dos  peuples.  Pour  que 
le  lecteur  puisse  plus  aisément  saisir  toutes  les  péripélies  du 
loog  et  douloureux  drame  dont  le  dénoûment  définitif 
est  eneore  un  secret  du  ciel^  nous  allotîs  donner  \in  aperça 
sommaire  de  ce  qu'était  la  Pologne  a^\ant  le  premier  par  ' 

i 


1  liifTOIftt 

tage,  etdeceqa^ellefutdepuis  le  premier  jusqu'au  second, 
dont  la  Révolution  française  fut  la  cause,  ou ,  pour  dire 
plus  vrai,  le  prétexte. 

Les  Polonais,  qui  s'appelèrent  d'abord  Poliaines,  eurent, 
Ters  l'an  550,  pour  premier  duc  de  Pologne,  Lechk ,  qui  leur 
donna  son  nom,  ce  prétendu  fondateur  de  la  Pologne  n^est 
qu'un  être  allégorique,  comme  Lalinuê^  le  père  des  Latins, 
Celtui^  le  père  des  Celtes^  et  tant  d'autres  personnages 
semblables.  C'est  une  façon  de  parler  encore  habituelle 
cbez  les  Orientaux,  de  désigner  tout  un  peuple  sous  le  nom 
d'un  seul  individu  :  c'est  ainsi  qu'on  dit  Israël  pour  les  Is- 
raélites, Aram  pour  Aramîtes  ou  Tyriens.  L'arrivée  de  ce 
Lechk,  placée  en  550,  peut  cependant  être  considérée  comme 
la  Térilable  époque  de  la  fondation  d'un  nouvel  Etat  par 
les  Lechkes,  ou  par  les  Poliaines ,  qui ,  en  se  mêlant  avec 
lesLechkes  ou  Lygiens,  prirent  leur  nom.  Us  descendaient 
de  cette  antique  raoesla?eou  esclavonne  qui  fut  aussi  la 
souche  du  peuple  russe  :  étrange  destinée  de  ces  deux  filles 
du  Nord,  dont  l'une  devait  chercher  m  gloire  à  être  le  bour- 
reau de  l'autre»  et  dont  l'autre  devait  trouver  la  sienne 
dans  la  couronne  de  son  martyre. 

On  a  souvent  dit,  et  avec  raison,  que  le  caractère  polonais 
offre  beaucoup  de  traits  de  ressemblance  avec  le  caractère 
français.  Esprit  chevaleresque,  bravoure,  dévouement,  et 
surtout  fier  amour  de  l'indépendance  nationale  et  besoin 
impérieux  de  la  liberté  politique  :  toutes  les  qualités  fran- 
çaises se  rencontrent  chei  ce  peuple  héroïque,  et  plus  on 
lit  son  histoire»  plus  on  s'étonne  qu'avec  tant  de  vertus» 
tant  d'éléments  de  force  et  de  proepériti,  la  Pologne  n'ait 
pu  prendre  encore  en  Europe  la  place  qui  semble  lui  être  due. 
Ses  malheurs  selon  nous  tiennent  à  deux  causes  i  d'abord  la 
mauvaise  constîUition  du  gouvernement,  et  surtont  rex- 


DK  LA  BiVOLljTIOK  POLOIIAI  K.  S 

clasioB  inique  et  absolue  du  peuple  du  maniement  des 
affaires  publiques. 

L'air  de  la  Pologne  est  froid,  humide  et  malsain.  Ce  pays 
est  rempli  de  grandes  forêts  et  son  terrain  est  en  bien  des 
endroits  si  tertile  en  grains,  qu^elle  fournil  des  blés  à  la 
Suède,  à  la  Hollande  et  à  bien  d'autres  étals.  Elle  a  de  tastes 
pâturages  et  on  en  tire  quantités  de  cuirs,  de  même  que  du 
cbanvre,  du  lin,  du  salpêtre,  du  miel,  de  la  cire,  etc.  11  y 
a  tant  d'alDeilles,  surtout  en  Lilhunnie,  que  les  habitants  y 
boivent  communément  de  VBydromel^  liqueur  composée  de 
miel  fermenté. 

Le  sel  en  Pologne  ne  se  tire  poiutdoTeaudelamerqu^on 
fait  éTapor  r  comme  en  France  et  ailleurs  ;  on  le  tire  du  fond 
des  mines  et  carrières  en  grosse  masse»  et  ce  qu'il  y  a  de  Sin- 
gulier, c'est  qu'on  ne  le  trouve  qu'à  une  profondeur  énorme; 
tandis  qu'assez  près  de  là,  en  Hongrie,  il  est  presque  k  la 
surlace  du  soi. 

La  religion  dominante  de  l'État  est  la  catholique  ;  et  on 
n'y  élisait  pas  de  roi  qui  n'en  flt  profession.  H  y  a  cependant 
des  luthériens»  des  calvinistes,  des  grecs  et  beaucoup  de  Julft. 

La  Pologne  est  bornée  au  nord  par  la  Russie  et  la  PmsM  ; 
à  l'ouest  par  la  Prusse  ;  au  sud  par  la  Gallide,  et  à  Ifiet 
par  la  Russie. 

Elle  est  divisée  en  huit  provinces,  appelées  WâtWùdiêêf  les 
principales  villes  sont  :  Varsovie,  PIocIl,  Liiblin  et  Sandernlrz. 

Examinons  rapidement  ee  que  fut  la  Fologne  avant  le 
ivm«  siècle,  ce  qu'était  sa  législation,  ce  que  furent  set  di- 
verses formes  de  gouvernement;  pois  nous  arriterOM  4  Qtie 
étude  plus  détaillée  des  temps  qui  précédèrent  et  prè^* 
rèrent  le  soulèvement  de  1793. 

La  constitution  primitive  de  la  Pologne  subit,  k  dlfléréntes 
époques^  de  nombre»^  modlftçatlons.  D^abord^  Aintorité 


4  BI8T0IRS 

nppartint  aux  ducs  ou  palatins;  puis^  ne  voulant  plus  du 
pouvoir  exécutif  aux  mains  d'un  seul^  les  Polonais  le  don- 
nèrent à  douze  oligarques  qui  se  partageaient  la  puissance 
publique  ;  puis  ils  revinrent  au  pouvoir  d^un  seul,  qui  fut 
encore  remplacé  par  les  douze  oligarques,  jusqu'au  w*  siècle, 
où  ils  organisèrent  une  monarchie  tempérée  et  héréditaire, 
soumise  au  contrôle  des  états ,  c'est-à-dire  de  Tautorité  lé- 
gislative. 

Pendant  ces  diverses  périodes,  ducs,  oligarques,  rois  bé« 
réditaires,  le  principe  fondamental  de  la  constitution,  qai 
fut  toujours  ou  presque  toujours  respecté,  ce  fut  Tomnipo- 
tence  de  la  nation  assemblée.  Nous  allons  voir  tout  àFheure 
ce  qu'on  entendait  par  la  nation  ;  mais  c^  principe  n*était 
{yas  écrit.  Pendant  cette  longue  série  de  siècles,  remarquons 
aussi  que  les  nobles  se  firent  admirer  par  leur  simplicité  pa- 
^.tri^rcale,  par  une  sobriété  qui  rappelle  celle  des  premiers 
Romains.  Quelques  chaises  d'un  bois  grossier,  une  paire  de 
.I)isjb9lets>  une  peau  d'ours,  deux  planches  recouvertes  d'un 
matelas  :  tel  était  l'ameublement  ordinaire  des  plus  riches. 
Quelques  légumes,  un  peu  de  viande  :  telle  était  leur  nour- 
riture» ILb  ne  connaissaient  et  ne  convoitaient  d'autre  trésor 
,  qi|e  ja  liberté.  Aussi  l'Etat  était-il  d'une  pauvreté  extrêm  ; 
l'industrie  était  complètement  inconnue. 
'  JLes  deux  grandes  dynasties  qui  régnèrent  sur  les  Polonais, 
tarent  d'abord  celle  des  Piasts,  et  puis  celle  des  Jagellons. 
L'iBiMnction  de  cette  dernière ,  en  1572,  fournit  aux  Polo- 
nais L'occasion  de  réunir,  dans  un  $eul  corps  de  loiscons- 
tiiiiUoDAellQS,  les  idées  qui,  depuis  l'extinction  des  Piasts, 
avaient  fer^oieoté  dans  les  têtes. 

Voici   l'ensemble   de  celte   constitution. 

La.npblesse  et   le    roi   se    partageaient  l'autorité,  et  le 
.  (ie,¥|pj|e  y  viyail^dans  le  servage  le  plus  complet.  La  Pologne 


DK  LA  RÊVOtimOll  POLOIVAISB.  S 

reflétaK  fidèlement  cette  républiqae  moDstruevse  de  Tantl- 
qtiité  grecque,  la  répubiiqoe  de  Sparte,  où^  à  o6té  de  la 
liberté  la  plus  extrême,  existait  l'esclatage  le  plus  abrutis- 
sant ;  où,  à  côté  des  institutions  les  pins  généreuses,  se  déta- 
chaient, par  un  frappant  contraste,  les  abus  les  plus  révoltants. 

Le  corps  de  la  nation  libre  et  souveraine  était  formé  par 
la  noblesse,  seule  propriétaire  des  terres.  La  république  ne 
'reconnaissait  pour  citoyens  que  des  nobles.  Entre  eux,  Téga- 
lîté  était  parfaite,  pour  eux,  la  liberté  était  sans  bornes;  pour 
toutes  les  autres  classes  d^habitants,  existait  Tesclavage  dans 
sa  forme  la  plus  hideuse.  Chiaque  noble,  comme  en  a  tu, 
participait  à  Téleclion  du  roi;  chaque  noble  pouvait  prétendre 
au  trône.  Us  exerçaient  immédiatement,  ou  par  leurs  délé* 
gués,  tous  les  pouvoirs,  dans  le  civil,  dans  rarmée,  dans  le 
haut  clergé,  ils  occupaient  toutes  les  places. 

Chaque  gentilhomme  était,  dans  ses  terres,  souverain 
absolu ,  il  n'était  sujet  à  aucun  impôt.  Si  un  étranger 
mourait  dans  ses  terres  sans  laisser  d'héritiers,  sa  succession 
appartenait  au  propriétaire  de  la  terre;  si  un  gentilhomme 
mourait  sans  héritiers  jusqu'au  huitième  degré,  le  roi  ne 
pouvait  retenir  les  biens  par  luinnème,  mais  il  étaii  obligé  de 
les  conférer  à  quelque  autre  noble.. 

Les  nobles  étaient  ex»mpts  de  péages  pour  les  bestiaux  et 
les  denrées  qu'ils  faisaient  exporter.  Us  avaient  le  droit  d'ex- 
ploiter les  mines  qui  se  trouvaient  sur  leurs  terres;  ils  pou- 
vaient entreienir  des  troupes  et  même  construire  des  forte- 
resses. S'ils  étaient  accusés  criminellement,  ils  ne  pouvaient 
être  arrêtés,  et  comparaissaient  devant  le  tribunal  le  sabre 
au  côté,  jusqu'au  moment  où  le  tribunal,  d'après  les  en- 
quêtes, les  déclarait  formellement  coupables.  Cependant, 
ceux  qui  étaient  pris  en  flagrant  délit  de  vol,  viol,  meurtre 
etinvasioa  à  main  aimée.^  étaient. oondanuiéfti  d^  droite  par 


8  HISTOIRE 

touies  les  rigueurs  de  l'hiver.  On  enlevait  encore  ces  misé- 
rables serfs  à  la  culture  et  à  leurs  familles  pendant  plusieurs 
mois  de  la  belle  saison,  pour  transporter,  en  Prusse,  les 
produits  de  la  terre.  On  mettait  arbitrairement  en  réquisition, 
ijon-seulement  leurs  instruments  de  charroi,  mais  encore  leurs 
bôles  de  somme  ou  de  labour.  Les  hommes  elles  bêles  no- 
taient pas  seuls  assujettis  au  travail  gratuit;  les  femmes,  les 
enfants  étaient  employés  aussi  à  des  corvées  :  la  femme  Qlait 
pour  la  maîtresse;  les  enfants  moissonnaient^  battaient  les 
grains  et  faisaient  d'autres  ouvrages,  selon  leurs  forces. 

Au  xvui*  siècle,  la  Pologne  offrait  encore  quelques  exem- 
ples d'une  cruauté  et  d'une  barbarie  qui  rappelaient  les  épo- 
ques les  plus  affreuses  du  moyen  âge.  Par  exemple,  il  y  avait 
des  gentilshommes  qui  faisaient  atteler  des  paysans  à  leurs 
voitures  à  la  place  de  leurs  chevaux.  Si  un  de  ces  barbares, 
allant  à  la  chasse,  ne  rencontrait  point  de  gibier,  il  s'amu- 
sait à  tirer  sur  des  paysans  comme  sur  des  moineaux.  D'au- 
tres fois,  désolé  de  ne  pas  rapporter  chez  lui  des  lièvres  ou  des 
perdrix,  il  volait  les  bœufs  d'un  serf  voisin  ;  s'il  ne  trouvait 
pas  de  bœufs  sous  sa  main,  il  détroussait  les  passants.  Lorsque 
les  seigneurs  voulaient  simplement  se  donner  un  peu  d'exer- 
cice, ils  faisaient  venir  un  paysan  pour  lui  appliquer  cent 
coups  d'étrivières.  Si  la  victime  se  fâchait  sérieusement,  elle 
n'en  était  pas  quitte  à  si  bon  marché.  Vautrin  cite,  dans  son 
Observateur  en  Pologne^  qu'un  seigneur  a  fit  dévorer  par  ses 
chiens  de  chasse  un  paysan  qui  avait  eu  le  malheur  d'effarou- 
cher son  cheval.»  Il  parle  aussi  d'un  autre  qui  avait  le  droit 
seigneurial  de  c  faire  ouvrir  le  ventre  à  un  de  ses  serfs  pour 
y  mettre  ses  pieds  comme  un  remède  au  mal  qui  le  tour- 
mentait.» Du  reste,  on  trouve,  dans  un  ouvrage  ayant  pour 
titre  la  Voix  libre  du  citoyen,  et  dont  Tauteur  est  un  roi  de 
Pologne  même,  Stanislas  Lecziuski,  qu'en  1773  un  noble 


X 


DB  LA  itVOiUnOU  POLORAUn.  9 

eonvaiococPaToir  tué  un  paysan  à  lui,  était  censé  parfai- 
tement absous  moyennant  une  légère  amende;  et  si  le 
paysan  était  la,  propriété  d^nn  autre,  le  meurtrier  en  était 
quitte  pour  donner  un  de  ses  serfs  en  échange. 

Dans  ce  même  siècle,  les  Polonais  essayèrent  d'établir  cbes 
^i  eux  des  manufactures.  Ils  Toulureiit  fabriquer  des  soies 
f '.  comme  celles  de  Lyon,  des  voilures  comme  celles  de  Bm* 
lelles,  des  draps  fins  comoM  ceux  d'Angleterre;  mais  les 
.  résultats  n'en  tarent  pas  avantageux.  Stanislas-Âugiisfci^  qui, 
à  détant  d'autre  mérite^  avait  au  moins  celui-là,  favorisa  le 
développemeptde  ce  genre  d'industrie  de  luxe.  Ses  efforts 
auraient  été  mieux  employés,  s'ils  s'étaient  bornés  à  encou- 
rager des  produits  que  comportaient  le  climat  et  la  nature 
.  du  sol,  telles  que  des  scieries,  des  forges,  des  usines,  des  ver- 
reries, des  tanneries,  des  mégisseries,  des  fabriques  de 
grosse  toile  et  de  sim|d68  étoffes  de  laine.  Mais  pour  cela  en- 
core, il  fallait,  avant  tout,  attranchir  les  serfs  pour  en  faire 
des  fermiers  ou  des  ouvriers;  car  des  bras  libres  seuls  peu- 
vent faire  valoir  les  productions  brutes  que  la  natnre  livre  à 
l'induatrie. 

Les  seigneurs,  du  reste,  avaient  toutà  gagner  en  rendantia 
condition  de  leurs  paysans  moins  malheureuse,  en  les  faisant 
instruire,  en  les  accoutumant  peu  a  peu  à  travailler  comme 
des  hommes  libres,  pQur  leur  propre  compte,  en  payant  une 
redevance  raisonnable  aux  maîtres,  s'ils  ne  voulaient  pas  les 
afliranchir  complétemenL 

NousciteronsàcesqjatuB  modèle  d'affranchissement  dont 
un  auteur  moderne  donne  ainsi  les  détails  (1): 

«  L'affranchissement  le  plue  considérable  quo  la  Pologne 
ait  vu,  est  celui  de  la  grande  terre  de  Mereca>sur  les  berdsdn 

(i)  Malte-Brun,  Histoire  de  la  Pologne, 


10  amomt 

Niémen,  en  LHIraanid.  L'abbé  BrzofttowsU,  étant  detenn  pos- 
sesseur d«  oeUe  terre,  où  tout  étail  en  désordre,  oominen^a 
par  diviier  les  habitants  en  trois  classes,  selon  qu'ils  lui  parais- 
saient plus  on  moins  capables  de  se  bien  conduire.  Les  pre- 
miers, on  les  toyoH,  étaient  des  fiermiers  entièrement  Hbres, 
et  qui  laissaient  leurs  fermée  en  héritage  à  leart  descendants  ; 
leg  seconds,  ou  iet  einMeotê$,  étaient  deè  nsofrntlters  qui 
payaient  one  redevanoe  annuelle)  la  troisième  dasseéloitooin^ 
posée  4e  Hulim$y  ou  paysans  oMigés  i  faire  nn  nombre  défini 
de  corvées  ou  trofnnx  personnels.  Après  atoir  établi  ces  dis- 
Unclions,  qui  excitaient  une  louable  émotion.  11.  Brtoslowski 
pttUia  une  espèce  do  code,  dont  les  dispositions  étaient  prin- 
eipalenient  relatives  à  la  police  rurale  et  an  maintien  des 
bonnee  mœurs.  Il  forma  un  conseil  popuiake  d'un  nouveau 
genra»  ot  dans  lequel  un  coMeil  de  censure  distribuait  à  cha* 
onn  l'éloge  qu  ta  blâme  qM  sa  eendnte  aviit  mérité,  tan- 
dis que  les  pàree  de  famille,  les  plus  racommandaUes  par 
leurs  vertus  on  leur  tttduttrie^  racontuant  os  qoils  avaient 
observé  d'Mile  ou  de  curieux.  Le  seigneur  y  proposait  ou  y 
donnait  des  prix  d'encouragement.  Dans  ce  but,  il  ût  élever 
et  inetnrira  des  :  attreed'éec^.  U  en  plaça  nn  dans  chaque 
village,  neorapeea,  poureee  écoles,  un  catéchisme  religieux, 
un  eatéohieme  historique,  et  jusqifà  des  chansons  qni  rap- 
pelaient quelque  trait  vertueux  tm  quelque  maxime  de 
morale.» 

Hais  ces  exemples  d'une  bienfaisanee  éclairée  eurent  peu 
d'imitaieurei  la  plupart  des  nobles  Potonais  tuivaletit  aveu- 
glément la  roule  tracée  par  leurs  ancêtres;  quelques-uns, 
qui  reienaienl  dePiarlseiideLendres^se  bornaient  à  parier 
piûlDsùphie,  économie  prtHtque,  éoonémie  rurale,  et  bor^ 
naient  là  leurs  philanthropiques  conceptions.  Souvent  même, 
ces  be^ux  parleurs  étaient  les  plus  insatiables  tyrans  dans 


M  Là  lÈTOMIfHHI  VOLOHAIgl.  If 

lente  terres.  Le  c\»r§à  sebl,  te  oontoMiiani  sut  biriles  Aes 
pat)et^  d'aprte  losqueliei  «  âuouû  ohrélîéa  nt  pcul  égaletneat 
être  réduit  en  servitude^  »  ftvait  dàQlarà  librei  toaë  lei  habi* 
tant  do  ses  terres»  Il  est  trai  que  rintérât  n'avait  pas  à  sooffrir 
de  eetle  pbilnnlbropique  mesurai  qui  iiapgttvaitlairatierdra 
an  clergé  aiKUQ  paysan*  En  etfeti  ou  iH>iivaieii(  aUer  Cet  mal 
heureux?  Sur  les  terres  des  nobles?  Oa  les  y  faisait  aerfli 
Hors  du  pays?  Un  pays^io  polonais  ignorait  qu'il  y  aTait  d^aiH 
tre  pays  au  monde  que  le  sien.  Par  celte  n»esure»aQ  eeoh- 
traire*  le  clergé  attirait  sur  ses  terres  las  Tassaux  de  la 
noblesse,  et  même  des  colonies  d'Allemands  et  de  HongreiSà 
Aussi,  ses  terres  étaient-elles  les  seules  en  Pologne  qui  ot^ 
frisseot  Taspect  d'un  pays  culiivé. 

L'espèce  d*anarcbie  sociale  qui  naissait  forcément  des  rap^ 
ports  réciproques  des  nobles  et  des  paysans  était  encore  agg^ 
meotée  par  la  situation  singulière  des  juifs, au  milieu  de  oette 
sociabilité^  mélange  incobéreot  des  vices  républicaint  et  des 
Tices  féodaux. 

En  effet,  les  nobles  Polonais,  libres,  mais  à  la  manière  des 
sauvflgesj  Tivaient  au  milieu  de  leurs  paysans^  lont  ils  avaient 
la  rudesse.  Tout  était  grossier,  esclaves  et  tyraps^  tout  cela» 
étranger  au  commerçât  a  Tindustrie,  à  ce  qui  vivifie  les  EtatSi 
vivait  daus  une  torpeur  fatale  entre  les  orageuses  et  sanglan^ 
tes  tenues  des  diètes,  et  l'écrasant  assujettissement  de  la  glèbe. 
Les  juiis  seuls,  par  leur  industrieuse  activité,  jetaient  un 
peu  de  vie  au  milieu  de  cette  espèce  de  ohaes.  ils  formaient 
une  sorte  de  classe  intermédialfEeentreles deux  castes;  bien 
plus,par  leur  nombre  et  leur  influence,  constituant  réellement 
un  corps  politique,  ils  vivaient  en  Pologne  dans  des  conditions 
qu'on  cbercherait  vainement  ailleurS|  et  complétaient  une 
aociabililé  dont,  en  apparence,  ils  semblaient  «ne  svperféla* 
UWê  at  dont)  en  réalité^  ils  étaient  le  véritable  lieUf  Aussi»  na 


I 


12  ^  MinoiBi 

peut-oa  86  faire  une  idée  précise  de  Tétat  social  polonais, 
qu'en  y  tenant  compte  da  rôle  qa*7  jouaient  les  juifs.  Quel- 
ques détails  à  ce  sujet  sont  indispensables. 
-  La  première  colonie  juive  qui  s'élablit  en  Pologne  y  vint  ' 
de  rAllemagne.  En  1264,  Boleslas,  prince  de  Gallicie,  les  ai- 
tira  à  Kaliss,  sa  résidence,  et  dans  d'autres  villes.  De  là,  ils  se 
répandirent  par  tout  le  pays.  Leur  costume  est  cependant 
»rlental>  ce  qui  a  fait  croire  à  quelques  voyageurs  qu'ils  y 
étaient  venus  du  Bas-Empire  :  il  consiste  en  une  robe  noire 
ou  d'une  'couleur  foncée,  agrafée  depuis  le  cou  jusqu'à  la 
ceinture,  et  dans  un  large  manteau  semblable  à  un  froc.  Leurs 
cheveux  sont  courts,  leur  barbe  est  longue,  un  bonnet  de 
poil  leur  sert  de  coiffure.  Quoique  les  boues  proverbiales  de 
Pologne  exigent  des  bottes,  ils  sont  toujours  en  pantoufles. 
Leur  teint  p&Ie  et  livide  reflète  la  misère  dans  laquelle  vivent 
la  plupart  d'entre  eux.  L'incroyable  malpropreté  de  leur  ex- 
térieur rend  leur  aspect  dégoûtant. Dans  quelques  villes  cepen- 
dant^ à  Lemberg,  Brody,  Jaroslaw^  on  trouve  des  juifs  riches, 
dont  quelques-uns  étalent  un  grand  luxe. 

Cédant  aux  sollicitations  d'une  jeune  et  belle  Either,Aont 
il  était  épris,  Casimir  le  Grand  les  tirajde  l'oppression  sous  la-  ' 
quelle  ils  gémissaient^  et  leur  accorda  des  privilèges  dont  ils 
ont  joui  depuis  lors.  Les  principaux  sont  de  n'être  soumis  qu'à 
la  juridiction  du  waîwode^  qu'ils  savent  se  concilier  par  des 
présents;  de  juger  entre  eux  leurs  différends  en  matière  civile; 
d'être  exempts  de  toute  charge,  excepté  la  capitation  envers 
les  seigneurs  locaux  et  nmp6t  national. 

Comme,  sans  le  secours  des  juifs,  qui  sont  les  principaux 
industriels,  les  denrées  n'auraient  aucune  valeur;  que  c'est 
entre  leurs  mains  qu'elles  reçoivenila  préparation  nécessaire 
avant  d'être  livrées  à  la  consommation;  que  c'est  par  leurs 
eoina  qae^  moyennant  un  minime  courtage,  elles  se  débitent 


M  LA  lÉVtUDTIO*  FOLOlfAISI,  It 

au  profit  des  seigneora  terrierv^  ces  derniers  fliTorfseirt  de  tout 
leorpouvoirrétablisseinent  des  juifs  snr  leurs  terres.  La  con- 
fection et  la  débit  des  liqueurs  fcrmentées  et  spiritueuses,  les 
moilios  et  les  cabarets  sont  les  mines  dn  propriétaire  que  le 
mercenaire  Jaif  faitTaloir.  Dans  chaque  terre,  il  y  a  un  cabaret 
principal;  qui  en  est  comme  le  marché,  ou*  mieux  encore, 
comme  une  espèce  d^ntrepôt  où  les  antres  cabaretiers  sont 
obligés  d^aller  se  pourroir  de  grains,  de  sel,  d^hydroinel,  de 
bière,  d'eau-de-irie,  de  fourrage.  Cest  nn  jnif  qui  le  tient  pour 
le  compte  dn  seigneur;  et,  comme  c'est  pour  ce  dernier  une 
importante  somme  de  revenu,  le  juif  est  plus  favorisé  que 
le  chrétten.  Les  nobles  lui  abandonnent  sans  pitié  Tinten- 
dance  sur  leurs  paysans.  Aussi,  les  jnifs  ont-ils  partout  droit 
de  boargeoisie.  Ils  font  tous  les  métiers  lucratifs,  habitent  Tin- 
térienr  des  villes,  et  ne  laissent  aux  serfs  chrétiens,  pour  res- 
srarces  que  les  occupations  les  moins  productives,  et  pour 
demeure  que  les  faubourgs. 

Tout  rangent  comptant  du  pays  est  entre  leurs  mains;  les 
néUes  leur  hypothèquent  la  majeure  partie  de  leurs  biens- 
fiNids.  Leur  esprit  de  négoce  est  porté  si  loin,  qu'il  y  a  des  loca- 
lités dont  ils  ont  affermé  les  baptêmes  chrétiens,  et,  tenant 
ainsi  entre  leurs  mains  les  clefs  des  fonts  baptismaux,  ils  en 
font  payer  souvent  dier  rouvertnre.  En  un  mot»  la  nation 
juive  formait,  après  la  noblesse,  le  plus  puissant  corps  de 
la  Pologne. 

D'après  Topiaitti  commune,  les  juifs  polonais  passent 
pour  être  les  plus  grands  fripons  de  FEorope.  Peut-être 
n'ont-ils  acquis  cette  réputation  que  parce  qu'ils  sont  les 
seuls  agents  du  négoce  et  les  principaux  industriels.  Libres 
d'exercer  tons  les  métiers  sans  être  entravés  ni  par  les  règles 
rnents  de  corporations  ni  parles  trais  de  licence,  ils  ne  s'adon^ 
4Wk  «^pendant  qu'aux  moiaa  intigaiits  et  au  noius  logé*' 


Il 

iiwix«  AioÂi  par  eiemple^  ils  aobtinmmerf^  MHefifiiiOO^ 
royeuriy  passementiers,  potidrftd'ébàia;  Us  «itneat  l'orfevuso 
vie  à  cause  des  facilités  que  cet  état  leur  franiit  pour  eonfr- 
metlre  des  fraudes  sur  les  métaux*  Si  un  toi  so  ccNaniei^  et 
que  la  police  fasse  des  recherches»  il  est  rare  qu'on  ne  décoii* 
\re  pas  quelque  juif  comme  complice.  Ils  servent  aut  voleurs 
de  guides  dans  les  maisons  dont  ils  connaissent  les  entrées;  il 
n'y  a  guère»  dans  toute  la  Pologne,  d'autres  receleurs  qu'eux» 
Comme  tout  moyen  de  gagner  de  Targent  sans  travailler  lear 
parait  bon,  ils  trouvent  même»  dans  les  charmes  de  lours  fem« 
mes  et  de  leurs  filles,  de  quoi  faire,  avec  las  voyageurs^  un 
trafic  asses  profitable,  à  moins»  dit  Malte-ftrun»  à  qui  Mna  em^ 
pruntons  ce  portrait  peu  flatteur^  que^  semblable  aux  habi^ 
tants  de  Hamildont  parle  Harco-'Polo»  les  juifs  de  Pol^gM  no 
soient  dirigés  par  quelques  motifs  superstitieux^  loraqu'îlé 
facilitent  aux  étrwgers  qui  passent  par  leurs  villes  roocasèoe 
d'altérer  la  pureté  du  sang  hébraïque. 

Celte  situation»  en  quelque  sorte  excepUonaette,  dos  jitift  en 
Pologne»  n'était,dans  cette  étrange  soeiabiiité»  qu'uiie  4iiom 
malie  de  plus.  Ainsi,  en  résumé»  chaque  BoUe  n'était  qn'sm 
despote  au  petit  pied»  nonn^ulement  dans  ses  terres»  mais  ofr* 
core  dans  les  diètes  où,  par  le  lH$rum  nef  o»  obacutt  d'eux  pou* 
tait  individucUemeni  entraver  touiee  les  ééiibérations* 
D'autres  part,  point  de  liberté»  point  de  bito^étrey  point  de 
sécurité:  telle  était;ia  misérable  condition  du  paysan. Gomment 
Vindustrie  auraiWelle  pu  f  eurir  soos  un  pareil  état  de  cho- 
ses 1  Le  serf»  n'ayant  aueno  intérêt  à  mieux  faire,  remplissatf 
tout  juste  sa  tAohe.  Comment  sortant^  1m  jour  où  la  Polc^ne^ 
menacée  par  ses  ennemis,  appela  à  son  aide  tons  ses  enfants 
sans  distiiMtioai  comment  ces  misérables  ilotes  pouvaient' 
ils  accomplir  la  deroir  sacré  qu'on  lear  imposait?  Là  où  H  n'y 
apoîntdoUJNWlé,  il  û'j  a^ial  da  paMo^illiltrai^a'aldn 


n  LA  MkfGumom  polohaisi.  16 

la  noblesse  promit  Taffrancbissement  de  ces  malbeureax;  maïs 
il  était  trop  tard,  elles  serfs,  craignant,  après  la  victoire,  de 
retomber  sous  le  joug  de  leurs  maîtres^  ne  Qrent  pas  tout  ce 
qu'ils  auraient  pu  foire  s'ils  eussent  été  libres.  En  résumé, 
sous  les  apparences  de  tout  ce  qui  existait  en  Pologne,  mœurs 
usages^  institutions,  lois^  on  voyait  une  nation  qui  représen- 
tait admirablement  le  moyen  ftgc  .  vassalité  puissante  et  op- 
pressive, esclavage  inique  et  écrasant,  courage  faroucbe  et 
vertus  sauvages,  des  nobles,  aDrulissement  et  dégradation  des 
serfs,  tout  s'y  trouvait.  L'élévation  des  rois  aux  champs  de 
guerre,  les  croyances  invétérées,  la  foi  ardente  dans  son  Diea 
et  son  épée,  les  institutions  vieillies  à  la  faco  âes  nouveaux 
besoiosi  complétaient  cette  sociabiUté  qui,  avec  mille  élàmeals 
mal  combinés  d#  forfie  lurutaia^  4evait  se  tn)«iv«r  laible  4^ 
vaot  régoisaw  d9  lacivîlw4wi« 

Cest  en  Tan  1573,  après  la  mort  iê  SigisniaïKi  UiAagmto), 
411e  la  P4»k|[ne^  Migfm  éê  la  iftonarehie  béfféditaiii%  se 
OMisiituaett  rétmblîqoe^  o«»  si  l'on  veut,  «a  flsmiaffBUe  ilal- 
tive#  Ca  JoupU^  elle  arganisa  l'aaartbia^  Pmt  la  pnaasière 
fcûs  la  ccMtîiittio»  (ut  éotUe^  Du  vesla^  saat  la  iupprasiieti 
de  rbérédité  de  la  couronne,  elle  raeta  m  qn^elle  était  au* 
paravanti  car  ce  »*est  fm  da  cette  époque  que  date  rétablis- 
sement du  liberum  veto  dont  nous  aurons  à  iiarler  Meal&l. 

I^a  coMlUuUon  proclama  Texlsteiice  da  laols  pouvoirs  ; 
Fovdre  équeatre^  Tonke  des  séiiateurs,  et  la  roi*  Ella  ras* 
tveipdl  trèa<éàroiAeBseDt  la  pouvoir  iwjal)  aatara  la  san- 
kérédiiédu  UAaa,  ella  ilatiia  que  le  eoiivefaiu  m  pourrait 
déclarer  la  guerre,  eagmenler  l'impôt,  oomittra  un  mariage 
aa  an  divorce,  eoveyer  ménie  des  niaistres  dna  lee  cours 
étraogèrea,  peur  afbîre  importanle  satts  le  ooMeniematit  du 
Carpa  Icgîslalîf*  £i»i|irîsoBaé  dans  eea  étroitas  llmilee^  le  rai 
n'avait d autre attntaitiM  ^de  Mtftmer  aiaainpiiil  «d. 


16  *  É18T0RB 

minislratifs  et  militaires,  et  aux   places  vacantes  dans  lé 
sénat. 

L'ordre  équestre  comprenait  Tuniversalité  de  la  noblesse 
qui  élail  représentée  dans  les  diètes  ou>ssemblées  législatives» 
par  ses  députés  ou  nonces;  dans  chaque  palatinat  ou  province, 
la  noblesse  formait  une  diétine  ou  collège  électoral.  Ces  as- 
semblées ,  toujours  bruyantes  et  orageuses,  choisissaient  les 
nonces,  et  leur  donnaient^  soit  des  pleins  pouvoirs»  soit  des 
instructions  impératives,  qui  enchaînaient  le  libre  arbitre  T 
du  mandataire  sur  tous  les  points  prévus  par  ses  commettants.  & 
Nous  remarquons»  dès  cette  époque»  dans  les  mœurs  poil* 
tiques  de  la  Pologne»  qui  ne  sont  pourtant  pas  remarquables 
par  la  sagesse»  une  institution  qui  accordait  une  rétribution 
aux  nonces  par  la  diétine  qu'ils  représentaient.  Chaque  diétine 
nommait»  outre  ses  nonces»  les  magistrats  et  lesfanclioDnaires 
muBiaiiaui  desM  ressort. 

Neus  avons  dit  qoe  le  sénat  étaitcompoeé  par  leroi  :  c'était 
là  sa  plat  importante  prérogative.  L'archevêque  de  Gnesne 
présidait  cê  corps  sous  le  tîlre  de  primat;  pendant  les  inter- 
règnes »  il  gouvernait  par  intérim»  so«s  Tappeliotion  de 
vicaire  de  la  république.  « 

Le  pouvoir  législatif  se  partageait  entre  l'assemblée  des 
nonces  et  le  sénat. 

Il  y  avait  dons  sortes  de  diètes  :  les  diètes  ordinaires  qui  se 
tenaient  au  meins  tous  les  deux  ans,  et  les  diètes  extraordi- 
naires» que  le  roi  convoquait  dans  les  drcMStances  urgentes. 
On  distinguait  aussi  les  diètes  pacifiques  {camiiiu  Êogala)^  ef 
iûs  diètea  à  cheval  (eamitia  paluéatà^  :  ces  dernières  se 
itnaieotjen  rose  campagne.  Les  nonces  y  allaient  tout  armés» 
comme  à  une  bataille  ;  le  sang  y  coulait  à  flots.  Ce  spedadi 
i'appelait  les  comices  rr^mains  ou  les  champs  de  mai  des 
anciens  peuptos  germains  ou  gaulois»  Quand  on  Ut  Thistoire 


DB  LA  RiTOiimaH  FOLONAISI.  1^' 

de  la  Pologne  dans  les  dernier»  siècles^  on  se  croît  en  pleine 
barbarie.  Cest  dans  ces  diètes  armées  que,  «L'ordinaire^  oa 
choisissait  des  rois;  réjectioa  du  souverain  était.le  prix  de  la 
victoire. 

Et  cependant,  ce  n'était  pas  encore  asse?  pour  la  Pologne 
de  tous  ces  éléments  de  discorde  et  de  raine.  HalbenreuBe** 
ment  la  constitution  de  1573  avaii  omis  de  formuleri  d'iite 
manière  expresse,  le  principe  de  la  majorité,  ce  principe  né- 
cessaire ei  éternel.  Jusqu'en  1693,  cepmdant,  lesdélibératioiis! 
foi^nt  prises  à  la  m^îorltédes  suffrages*  Mais,  àeetle  époque/ 
ropposition  da  nonce  Sictncki,  d'Dpita,  en  Lithuanie,  intro-i 
dnmit  dans  les  moeurs  politiques  de  la  Pologne  le  poiàon  des*' 
tracteur  qui ,  avec  Toppression  du  peuple,  a  le  pluecontribvé» 
à  l^anéantissement  de  ce  royaume  :  nous  voulons  parler' 
dn  liberum  veto  q«ry'  oooiKicra  l^nardricv  Le*  liberum  c«/o/ 
d'abord  fait  isolé  el  individuel,  qui,  ensuite,  passa  dans  ksi 
hafbitudes,  devint  enfin  la  phis  sainte  des  lois  pour  la  no- 
blesse dont  il  flattait  l'orgueil.  Le  principe  de  l'uni|nintité> 
absolue^  principe  absurde  et  insensé,  prévalut  sur  le  pltHuni 
lité  des  voix. 

NfHKsealement  le  veto,  mais  l'absence  d'an  nonoe  suffisait* 
pour  interrompre  toutes  les  délibérations;  c'était  évidem** 
ment  rendre  tovt  gouvernement,  tonte  bonne  gestion  des 
affaires  publtqnes,  im))oSsibles; c'était  subordonner  aucapric8> 
d'un  homme  le  monvement  de  la  madiine  politique,  qui 
ne  doit  jamais  s'arrêter.  Comment,  en  effèft,  ta  diversité 
naturelle  des  esprits,  la  divergence  des  intérêts  et  des  posi-^ 
lions  permettraient-elles  que,  dans  une  assemblée  composée 
de  planeurscentaînes  de  personnes,  toutes  leà  opinions  se  ren- 
contrassent d^babitttde  dans  .une  seule  et  même  pensée?  Ajou* 
tez  à  cela  que  les  mandats  impératifs,  qui  liaient  fréquemment 
les  nonces  envoyés  aux  diètes,  les  empéchaîMl  d'être  d'«c« 

3 


^i  itttradi 

coH,  quand  même  cet  aeeord  eût  été  possible.  Ms^lora,  les 
questions  les  plus  imporfenfes  attendaient  indéfiniment  une 
solution,  les  lois  les  pins  urgentes  étaient  Indéflnlment  ^Joor- 
nées,  ou  bien  encore,  quand  le  parti  le  plus  nombreui  était* 
pressé  d'en  Sntr,  Il  reeouralt»  peur  supprimer  PopposlUon, 
au  nemède  sauvage  de  l'extermination  des  opposants. 

La  Pologne  amill  emprunté  le  oeto  aux  institutions  de  la 
république  romaine;  mais  quelle  ditléreneel  A  Rome,  o^ 
tait  à  deux  hommes  seultmeot  qu'on  remettait  ce  droit  exor* 
bitant,  et  il  était  toujours  exercé  dans  l'intérêt  du  peuple,  que 
les  tribuns  représentaient.  En  Pologne,  au  contraire,  il  appai^ 
tenait  à  la  lois  à  trois  eu  quatre  cents  personnesi  qui  Texer* 
«aient,  non  pat  dana  l'intérêt  du  peuple»  puisque  le  peuple 
n'y  était  HeQi  mais  dans  rînlérét  de  la  eaala  dominaoteftdo 
le  noblesse,  ou  même  dans  le  leur,  lorsque  les  mesura  dea 
Qoblee  se  oorrompirent. 

Mous  ne  compterons  pus,  parmi  les  institutions  vieiiueaa 
de  la  Pologne»  le  principe  de  rélectiou  au  trône.  Dea  exe»* 
plea  nombreux  prouvent  qu'il  est  des  pafs  où  an  IiApc  éleoltf 
et  viager  fonctionne  parfaitement;  mais  on  voit  que»  ludé*^ 
pendamment  décela)  deux  causes  permanentaade  traubki  et 
de  ruine  deux  maladies  cbroniques,  alléraient  etminaiuot 
ineessainment,  dès  lexvir  siècle,  le  vigoureux  tempérament 
de  cette  généreuse  flile  du  Nord  ;  d'abord,  le  «tfe  qui  paral|w 
sait,  pour  ainsi  dire  TEtat»  puis  resclavaio  du  peupte.  l'escla*» 
vage  quialicoedu  gouvernement  le»  classes  dé^bénlées  de 
Imira  drpila  légitimes  et  oaturels,  et  qui  toit  qu^eUea  foYiL 
défaut  i  la  défense  du  pays»  quand  le  pay»  a  besoin  d'elles. 

Arrivons  maintenant  aux  années  et  aux  événemenla  qui 
précédèrent  et  préparèrent  le  partage  du  tarritolM  poln» 
Mis,  et  ranéantisaement  de  cette  natlou. 

ieUeskl  vcmU  de  «aeurir  en  laissant  après  tel  le  aoavemr 


Dl  LA  RÉYÔLtmÔtt  FOLONAISB.  Il 

de  grandes  fautes  6t  d^éininentés  quaittéi.  IbMle  eft|rilftliie> 
excellent  aâminislfatéot,  Il  ivatleti  l&toHdeBêJetér  dftiMdêl 
guettes  glorieddei,  mate  Inutllei  9m  BUjete,  M  puts^  I  U 
fin  de  son  règûê,  de  le  la!»er,  comme  LottU  UT,  dominer  par 
on  prêtre,  le  Jésuite  Vota.  U  Pologne  élut  à  M  placé  l'élediiur 
de  Sate,  Frédérlo-AugUBte.  Appeler  au  trAoe  te  eiHlveraittd*ttii 
autre  pays,  c'était  déjà  un  tort,  comme  les  étéiteméud  le 
prouvèrent.  Hais  ce  fut  à  torce  d^or  quci  Frédéric^Augilste 
acheta  le  trftne.  Jusqoe-lA>  nous  atout  remarqué  que  les 
mœurs  de  la  nôbleaae  étaleut  restées  pures;  maliaprès  SoMeilU 
tout  changea;  lâsolf  des  richesses,  le  gofti  des  plaisirs  rMi* 
placèrent  Tanttque  austérité  polonaise,  et  la  côureuné  fut, 
pour  ainsi  dire,  mise  aut  enchèreê. 

Prédértc-Augûste,  qui  projetait  le  rètabllssémitit  Ae  la 
monarchie  héréditaire,  mais  qui  n'eut  paê,  lottatoarttne, 
sans  cosse  agité  par  la  guerre,  le  loisir  nécessaire  pour  réallaer 
soft  desseins,  tut  un  des  rola  les  plus  funestes  à  la  PologM, 
et  uu  des  plus  impopulaires.  Au  début  do  son  règnei  il  bleaia 
tea  susceptibilités  natiounles  en  appelant  des  troupéisatM- 
uea  àu  sein  d*0A  paya  aussi  fier  que  Jaloux  de  aou  ludépoti* 
dance.  fii6n(6t  il  de  rendit  odicuî  par  la  part  qu'il  prit  1  It 
guerre  entre  la  Russie  et  la  Suède;  car,  si  la  POlOgtta,  <)ui 
servit  de  Ihéftlré  à  cette  lutte  outre  Pierre  1^  et  CharluXU, 
souffrait  de  toutes  les  victoires  de  Charles  XII»  d*uu  autre 
G6té,  elle  ûe  gagûalt  rien  à  celles  de  sou  allié»  Plerro  V^^  qui 
en  profilait  seul.  Mais  le  plus  grand  crime  de  Prédéric^Auguite 
envers  le  noble  peuple  qui  se  donna  à  lui,  ci  UU  Ait  ttl  ton 
alliance  servile  aVêC  le  c2ar  moscovite,  quoique  loi  PolOMis 
en  fussent  profondémeut  offeusés,  ni  même  la  tulénnei  In- 
juste dont  il  couvrait  leé  coupables  ekcës  de  les  troupes  Slfton* 
des,  qui  traitaient  la  Pologne  comme  un  pa}a  Couquls;  OU  fut 
surtout  le  paa  immeuae  quMl  fit  faire  à  II  oorrufilioB^  aoua 


S0  HISTOIU 

^QQ  règne.  On  comprend,  en  effet,  que  le  Jour  où  Tégoisme 
remplaça  Tamonr  de  la  patrie^  où  la  licence  des  mœurs  vint 
joindre  ses  ravages  à  cl|k  de  Panarcbie,  on  comprend  que  ce 
jour-là  la  Pologne  fut  irréparablement  perdue. 

Pendant  qu'elle  touchait  aipsi  à  son  déclin,  Tastre  de  la 
Russie  se  levait  à  l'horizon  et  brillait  déjà  d'un  vif  éclat 
sous  le  règne  de  Pierre  !«'  dit  le  Grand. 
^  Cepçndant^  les  plus  influents  des  nobles  Polonais  s'émurent 
des  dangers  qui  menaçaient  leur  patrie  dégénérée;  et,  sur  la 
fin  du  règne  de  Frédéric- Auguste^  deux  grands  partis  se  par- 

^tag^r^pt  H  Pologne  ;  ils  arborèrent  tous  les  deux  le  drapeau 

,dQ  Ift, réforme;  un  Czartoryski  était  à  la  tête  de  Tun;  un 

Potocki,  à  la  tête  de  l'autre.  Chefs  de  deux  illustres  maisons 

de.iPolpgpe,  chacun  de  ces  deux  noms  était  un  drapeau. 

;  Le  plus  riche  et  le  plus  nombreux  des  deux  partis  était  celui 

des  Czartoryski.  Les  Czartorjfski,  qui  étaient  animés  d'ex- 

,oelleiites  intentions^  prirent,  pour  atteindre  Jour  but,  le  plus 
mauvais  chemin,  en  s'appuyaiit  sur  Tétranger  (comme  si  un 
liays  devait  jamais  appeler  l'étranger  à  son  aide).  Prenant  la 
Pologne  pour  ce  qu'elle  était  devenue,  ils  croyaient,  en  raison 

,  de  l'abâtardissement  des  mœurs,  à  l'impossibilité  de  la  ré- 
publique ;  ils  voulaient  rétablir  la  monarchie  héréditaire , 
étendre  Iqs  prérogatives  de  la  couronne,  et  surtout  extirper 
le  caAcer  dévorant  du  liberum  veto. 
Qqant  au  parti  de  Potocki,  il  voulait  bien  aussi  abolir  le 
.  liberum  veto^  dont  Tabsurdité  avait  fini  par  frapper  tous  les 
esprits;  mais  il  entendait  que  les  libertés  publiques  proQlas- 
sent  de  cette  abolition,  et,  au  lieu  de  Taugmenter,  il  voulait 
restreindre  les  prérogatives  royales. 

Du  reste,  dans  tous  ces  projets  ae  réforme,  il  n^élait  nul- 
lement question  du  peuple,  des  bourgeois,  des  paysans;  la 
cla89e  privilégia  songeait  à  elle,  voilà  tout,  et  elle  aurait 


DB  LA  RÉV^LtmoM  rOLORAttl.  ^ 

été  fort  étonnée  si  on  lui  eût  parlé  des  droits  imprescriptibles 
da  peuple,  tant  elle  était  habituée  à  le  compter  poar  rien. 
Cest  alors  que  le  grand  Frédéric,  rot  de  Prusse,  qui  sou« 
tenait  à  cette  époque,  à  Taidedes  Anglais^la  guerre  de  sept 
ans  contre  TEurope  coalisée,  envahit  les  États  de  Saxe, 
Pierre  I"  entra,  à  son  tour,  en  Pologne.  Ce  fut  la  première 
violation  du  territoire  polonais  par  des  troupes  étrangères  ; 
mais  quoique  le  czar  moscovite  nourrit  déjà  sur  cet  intbrtuné 
pays  de  secrets  desseins  de  conquête  qu'il  légua  à  ses  suc- 
cesseurs, cette  invasion  avait  au  moins  un  prétexte  honorable, 
celui  de  secourir  un  allié,  Télecteur  de  Saxe,  menacé  dans  ses 
États.  L'occupation  de  la  Pologne  par  l'armée  russe  dora  six 

*an8. 

Pierre  le  Grand  mourut;  après  loi  rien  ne  transpira  des 
prétentions  aitibitieuses  de  la  Russie,  jusqa^à  Catherine  H, 
qui,  étant  montée  sur  le  trène  en  prenant  pour  marche-pied 

'  le  cadarre  de  Pierre  111,  son  mari,  tut  la  première  à  mettre 
andacieusement  à  découvert  ces  projets  d'envahissement.  Le 
premier  acte  d'hostilité  de  Catherine  fat  Tinvaslon  du  duché 
de  Couriande,  an  mépris  des  dreMs  sacrés  et  incontestables  de 
la  Pologne.  Le  gouvernement  russe j  qui,  comme  le  gouver- 
nement anglais,  ne  se  préoecupe  jamais  dans  ses  relations 
intematÏDAales  de  moralité  nt  tle  justice,  mais  uniquement  de 
son  intérêt,  se  taisant  juge  dans  sa  propre  cause,  soutint  qne 
la  Courlande  appartenait  à  la  Russie,  et  se  moqua  des  protes- 

-  tations  des  Polonais. 

Hais  œ- n'était  là  que  le  premier  pas  dans  la  voie  que 
Pierre  le  Grand  avait  tracée  à  ses  béritiefrar  lo  second  ne  su 
Qt  pas  attendre  ;  seulement,  n'osant  fèkeouverlettieut,  pour 
Texécution  de  ses  projets,  ce  qu'elle  availfait  pour  le  duché 
de  Courlande,  Catherine  de  Russie,  se  souvenant  de^  la  nui- 
chiaiélique  maxime  de  Catherine  de  Médici^  «  dtariserpenr 


12  wmoiMM 

Ugmer,  »  Juget  que»  pour  avoir  meilleur  marché  de  la  Polo- 
gne, il  valait  mieux  y  allumer  les  discordes  intestines  et 
réoerv^r  |^r  la  guerre  civile^  que  la  combattre  fran- 
chement. 

La  première  manifestation  de  cette  politique  perfide  fut  la 
aominatioQ  de  Poniatowskî  i  la  place  de  l'électeur  de  Saxe 
.qui  venait  de  mourir. 

Le  prince  Poniatowski,  dont  Télection  exerça  une  si  fatale 
inOuence  sur  les  destinées  de  son  pays,  était  neveu  des  Czar- 
torjfski;  brillant  et  frivole,  il  avait  dépensé  sa  jeunesse  dans 
les  plaisirs,  saus  s'oQcuper  d'études  sérieuses,  quoiqu'il  râvàt 
Ja  couronne  de  Pologne,  sur  la  foi  d'on  ne  sait  quel  alchimistei 
qui,  pendant  son  enfance,  avait  amusé  la  tendresse  de  sa  mère, 
.en  lui  disant  ;  «  Un  jour  votre  flls  sera  roi.  »  Poniatowskî, 
itoot  la  première  adolescence  s'était  passée  au  milieu  de  voya*» 
fges  d'agrément  en  France  et  en  Russie»  était  devenu,  a  Saint- 
Pétersbourgi  Taniant  de  Catherine.  Ausei,  oubliant  que 
ri  vresse  dee  sens  m  gagne  jamais  ni  le  cœur  ni  la  tête  de  ces 
ila$alin09  oottronnéei,  o|i  prétend  qu'il  s'était  bercé  de  l'es- 
poir d'épouser  ea  royale  raaitresseï  et  de  s'asseoir  sur  le  trtae 
de  toutes  les  Russiea.  Il  fut  bien  heureux,  en  tombant  du 
baetdeee  rêve  éblouissant,  que  Catherine  voulût  bien  lui 
payer  son  amour  avec  la  couronne  de  Pologne»  à  laquelle  il 
n'avait  assurément  aueon  droit,  si  les  meilleurs  titrée  pour 
porter  une  couronne  sont  rélévation  de  Tesprit,  l'énergie  du 
caractère  et  le  dévouement  au  pays  que  Ton  veut  gouverner. 
CMtUerine  protégea  donc  la  jeune  ambition  du  prince»  et 
afficha  son  insolente  protection  dans  une  lettre  qu'elle  lui 
envoyai  même  avant  la  mort  de  Frédéric-Auguste,  par  le 
eomte  Kaiserllng,  son  ambassadeur  en  Pologne.  Cette  lettre 
était  conçue  an  eee  termes  :  c  J'envoie  Kaiserlingen  Pologne 
avecraMba  di  tftai  faire  rai«a  £a  même  temps»  Gatbe^ 


# 


ta  LA  itVOLimôll  IN>LONAlfl«.  il 

riiie,8am  prétexte  celte  fols»  envoyait  une  armAe  en  Pologne 
pour  essorer  Paccompllssenient  de  sa  hautaine  volonté. 

Ce  qaf!  7  eut  d'étrange  à  cette  époque,  c'est  que  ce  frftne 
de  Pologne,  qui,  à  disque  vacance,  était  ardemment  disputé 
par  un  grand  nombre  de  prtnoes  étrangers,  se  trouva  pres- 
que, après  la  mort  d'Auguste,  sans  prétendants  princiers. 
Rien  ne  prouve  mieux  le  mauvais  état  des  affaires  de  ce 
pays.  Tout  le  monde  pressentait  le  triste  avenir  qui  le  me- 
naçait. Les  seuls  candidate  furent  le  fils  de  Frédérle^Auguste, 
le  prince  Adrien  Gzartorjski,  Poniatowski  et  le  général  polo- 
nais Brawicki.  Les  deux  premiers  se  retirèrent  Irientftt,  «I  ' 
laissèrent  le  eliamp  libre  aux  deux  avlres. 

Poniatowski  joignait  à  la  protection  de  Catherine  celle  dn 
parti  Gzartofyski,  dont  ses  oncles  étalent  les  ehe(h;quantà 
Bravricki,  il  était  le  candidat  du  parti  de  Fotocki,  qui,  plus 
jakMix  que  Pantre  des  libertés  pobliqMS,  ennemi  déclaré  de 
Phérédilé  de  la  couronne,  et  surtout  de'  nntervention  étran- 
gère» plus  profondément  pénétré  du  sentiment  de  la  dignité 
natioqale,  était  le  parti  le  plus  populaire  des  deux. 

Le  prince  Cxartsryski^  qui,  comme  nous  Patène  dM,  avait 
les  meilleures  intentions,  mais  dont  le  patriotisme  manquait 
de  prévoyaneei  se  servit  d'un  singulier  moyen  pour  Aiire 
triompher  la  candidature  vivement  combattue  de  son  nevea 
PMiatowski.  11  imagina  dVippeleren  Pologne^  non-eenleoMit 
une  armée  russe»  mais  une  arwée  peussiennei  êàâ  la  Pf  Qssf  » 
comme  la  Russie,  et  d'accord  avec  elle,  convoitait,  élis 
'aussi»  sa  parties  dèpouiUea  de  m  pikj%,  el  le  pcipce  Gaar* 
*torysliîj  trompé  sans  doute  par  les  protestations  hienveit» 
lanUs  des  ennemis  de  sa  patrie,  ospérajl  que  las  dmt  surmées 
s*en  folonrmraîent  paeiflquemeot  obea  «11m  après  réte^toa* 

ia  diète  qui  4atait  nommer  le  saçoeseeur  de  Fréd^rio* 
AiiffNite ^uêwMàf  te  7  ssai  VH^  4  Vacapvtei  mitm4m 


U  HtSTOlBE  ,  ,    ,, 

troupes  russes  et  prassieones.  Ce  jour-là,  Varsovie,  présenta 
le  plus  dépk)rable  spectacle,. celui  de  rassemblée  des  repré-  . 
sentants  d'un  grand  pays  délibérant  sous  des  baïonnettes 
élrangères.  Le  parti  Potocki  eut  beau  protester  et  refuser  de 
prendre  part  au  vote  tant  que  des  soldats  étrangers  souille- 
rnieut  le  territoire,  on  ne  respecta  m^e  pas.  Iqs  anciennes 
institutions,  qui  étaient  encore  en  vigueur  et  dont  on  voulait . 
cependant  le  maintien  :  an  mépris  du  veto  de  plusieurs 
nonces,  l|i  diète  délibéra,  et  Poniatovirski  fut  proclamé  roi  de 
Pologne,  souslenomdeStaoisla^AugMste,  le7  septembre  1764. 
Cette  élection  fut  viciée,  non-seulement  par  la  violence^ 
mais  encore  par  la  corruption; car  elle  coûta  beaucoup  d'or 
à  te  Russie. 

Il  faut  rendre  à  Stanislas-Auguste  cette  justice,  qu'au  début . 
de  son  règne  il  panit  vouloir  s'affranchir  de  Tinfluence  de  Ca- 
therine et  gouverner  par  lui-même;  mais  les  obstacles  qu'il 
rencontra  fatiguèrent ,  son  caractère  pusiUaqipie;  comme: 
Louis  XVI,  11  aurait  voulu  contenter  tout  le  monde,  ce  qui  est 
la  plus  grande  des  fautes  en  politique;  car  c'est  ainsi  qu'oo  i 
ne  contente  personne  et  qu'on  ne  se  fait  que  des  ennemis. 
Aussi,  le  sentimen»  de  sa  faiblesse  le  fit-il  bienl^bt  renoncer  ! 
à  celte  lutte,  et  le  rejeta*t-il  plus  que  jamais  aux  bras  de  la  • 
Russie.  t 

Le  parti  Czartoryaki  ne  tarda  pas  à  avoir  la  preuve  de  la  dé*  ! 
loyauté  de  Catherine,  et  à  recueillir  les  fruits  de  sa  folle  cré*  ;  ^^ 
duUté.  .    ;  V. 

Par  le  pacte  secret  conclu  entre  Catherine  et  les  deut  *       « 
Csartoryski,  ondes  du  roi,  acte  par  lequel  on  ne  sait*ce  \  • 
qu'on  doit  admirer  le  plus,  ou  de  la  duplicité  de  l'une,  ou  '       * 
de  raveuglemenides  autres,  il  avaitété  expressément  convenu  - 
que,  peu  après  l'élection,  il  serait  porté,  devant  la  diète  de 
convoeatto&,  des  paeta  eom>entay'  qui  devaient  essentiellement' 


M  u  liipunnaw  poloraki.  tS 

chaigir  la  coMttlutioi^.  Toutes  les  grandes  magÂstrabires  de 
la  république  dépouillées  de  Jours  droits  les  plus  abusifs; 
la  distribution  des  gfftces  reBdoe  plus  iodépeodanles  ;  et  prin- 
cipalement la  pluralité  des  voix  snbstituée  aux  lois  iosousées 
de  Tunaniraité  et  du  liberum  neto;  telles  étaient  les  princi- 
pales réformes  par  lesquelles  les  Gzartorjski  Toulaientaraener 
]  la  Pologne  à  une  constitution  monarchique.  Mais  les  pr^ugés 
Jde  la  noblesse,  et  surtout  les  intrigues  de  la  Rnssici  devaient 
faire  échouer  tous  ces  projets  de  réforme. 

Ce  fut  surtout  au  sujet  du  maintien  ou  de  rabolition  du 
liberum  veto^  que  la  Russie,  soulevant  on  coin  du  voila 
dont  elle  couvrait  ses  intentions ,  fit  éclater  une  véritable 
tempête  au  sein  de  rassemblée.  Ces  cinq  ou  six  cents  rois  qai 
composaient  la  chambre  des  nonceS|  et  qui  régnaient  sur  la 
Pologue»  défendirent  avec  acharnement  la  mince  part  de 
royauté  dont  on  voulait  priver  chacun  d'eux  au  profit  de  tous. 
ToutTarsenal  des  étern/»ld  lieux  communs,  à  Taide  desquels 
les  gens  intéressés  au  maintiea  des  abus  les  soutiennent 
toujours,  fut  mis  en  œuvre  par  cette  circonstancoiet  prévalut 
contre  la  raison  même. 

Nous  rapporterons  cette  séance  avec  quelques  détails,  pour 
donner  au  lecteur  une  idée  des  formes  sauvages  qui  prési- 
daient souvent  à  ces  diètes,  et  de  Tastucieuse  politique  de 
la  Russie,  quMl  ne  faut  Jamais  perdre  de  vue  dans  les 
causes  essentielles  qui  ont  amené  Tanéantissenient  de  la 
Pologne. 

Parmi  ceux  qui  allaient  soutenir  le  maintien  du  liberum 
veto,  beaucoup  s'étaient  fait  payer  leur  résistance  par  la 
Russie  \  niais  la  plupart,  il  faut  le  reconnaître»  puisèrent  leur 
opposition  dans  une  source  pure,  Tampur  malheureusement 
inintelligent  de  la  lib^té  et  des  viciées  coutumes. 

Un  de  ceux-ci,  et  un  de  ceux  qui  défendireut  avec  la  pin 

4 


te 

Mitifra  émrgfe  1«  llhemm  teM,  fut  Woltfêkl,  p«rM(  de  MaU- 
Cboirt;ki>  maréchal  Aê»  nôttoes. 

«  --En  térité.mMiiétifsméiifMrég,  dltce  fougueux  tiibun, 
aprèi  là  propoUttofl  qtii  tous  é^t  êoumtêe,  Je  ne  fn*étonnô  plds 
d'entendfe  mnrniurer  autôuf  de  moi  qnll  faut  an^si  rétablir 
rhérédltédiilrAntf,  cette  imlHtttlon  abolie  par  la  sage  prévision 
de  noa  pèreê.  C'est  là  qu'on' tent  arriver,  et  on  commence 
par  vouloir  porter  la  plus  grave  atteinte  aux  droits  de  h 
noblesse,   à  notre  OonstituUon  même,  dans  Tune  de  ses  dis* 
positions  les  pliis  importantes.  Le  ttberùm  veto,  c'est  notre 
sauvegarde  à  tous,  messieurs  mes  frères  ;  c^esl  le  palladium  de 
notre  liberté^  c'est  lui  ({ui  garantit  chacun  de  nous  de  Toppreâ- 
alon  dès  autres,  t^our  que  les  décisions  d^une  assemblée  soient 
Scf  upuleuSémefat  etécutées  par  tout  le  monde,  il  faut  qu'elles 
émanent  de  tout  le  monde  i  et  c^est  à  celte  sage  toi  de  l^u- 
nanimité  des  sutrrsges  que  Von  voudrait  substituer  celle  de  ta 
majorité!  La  majorité!  c'est  direqull  pourrait  arriver  qu^urte 
mesure  mauvaise,  quifturaft  pour  approbateurs  la  moitié  des 
membres  de  cette  assemblée,  plus  un,  serait  adoptée  au  mé- 
pris des  droits  de  l'autre  moitié,  c'est-à-dire  qu'une  seule  voix 
l\sràit  f»encber  la  balance ,  et  déterminerait  la  domination 
t^ranniquê  dés  uns  par  les  antres. 

«  Preneï-y  gardé,  messtetnn  mes  frères,  dans  I^ordre  poli- 
tique, tout Sè  tient,  tout  s'encbalnè.  Dlmprudcnts  et  auda- 
cieux neinteuf  S  tf^ns  demandent  aujourd'hui  le  sacrifice  du 
libervm  ee/O;  demain  ils  vousdemanderont  rhérédité  du  tr6ne, 
pulséttcMe  d'antres  nouveautés  quils  décottroni  pompeuse- 
ment «tt  nom  dé  réformes.  Dieu  sait  Jusqu'où  cela  irait! 
M'OQvret  pai  la  lyorté  ant  innovations,  m  Craignez  que  plus 
lard  11  M^nm  soft  plm  posafMe  de  la  fermer. 

«  L'édifloè  fondé  par  nos  alettt,  et  dont  lé  Ubirum  vélo  est 
M  pMrw  ib|!«lâlre^  i  ponir  tel  U  ^nséeratloll  4éi  années, 


M  LA  WÈfOhfSnUfH  f^LOH AISB.  ^ 

Ne  MbrmlMi  pa»  ê&an  le  prétexte  de  le  reittarer,  de  penr  qnll 
ne  nom  écrase  en  s'éermtlant  snr  noos.  Gardons  nos  vieilles 
Ms,  nos  vieilles  InsUtoUoM^  el  n'ooMioas  pas  que  e^st  rantf* 
qiiité  qvi  Mt  Mftovl  la  favce  4es  nsafes. 

c  Qnant  i  moif  Je  ëiclam  que  Jamais  Je  ne  renoncent 
volontairement  à  une  prérogative  qu  Je  tiens  de  mes  anollres 
el  que,  eeoime  eu^  Je  israls  prêt  i  la  soutenir,  s*ll  le  fallait, 
les  amas  à  la  «ain,  dana  les  etnaices,  oonlM  tow  een  qui 
ne  pensent  psa  eemaae  naeî. 

c  A  ealai  des  taaprodepta  nevateoM  diront  peul-étra  qoe 
sMlenir  ainai  son  dMît  par  le  lar^  oM  la4rail  d*«i  barbare» 
Jan'aiqai'at  aaolàrépeiiAra:  ffilj  a  d*  la  batbariaà  ne  pas 
DÉpiidîer  ce  qui  a  faUla  gioira  et  Teivueildd  oaa  pèrss*  ce  qui 
amakilMulew  liberté,  je  veutétre  barbare,  a 

Gadiaeeufs»  qui  flattait  laa  gaùls  et  las  inifocis  4e  cette 
aUière  neUaase,  fiit  aosaailti  par  Kmniansa  oiaforilé  avec 
4m  frénétique  eallioasiaanie.  «•-  a  TiMsl  tons^  nous  voulons 
éto*  terbereal  a  i'évrièrant  apantaiiéfneBt  la  plupart  des 
iMmbieiilaFiiietai  à  la  palgnée  de  leur  wbra,  et  prêts  à  le 
tker  MulM  to«l  eppesaqi 

▲  voir  t*aitilode  haulainf  el  meMçante  de  cas»  iers  enfants 
dsa  flamalBs,  qui,  aaleo  leur  antiqw  «aiga,  Mlaient  rendus 
eoarmeaè  la^dlètOyiiak:  n^Atyq  se  preiredMBîiiie  assemblée 
de  législateurs.  La  provocation  était  sur  toutes  le  lkvrei,ledéll 
dans  Mis  Jaa  vegirdÉ^  Bsi  hoHpe  éttan^sr  au  kebilttdes  des 
dflfeteaeètcmassialar  i  no  de  cea  bAifanlant  t«iÉt]|tuetti  ' 
oatodcea  éea  qpnetrf es»  du  niofea  âge^  fsèrtNinl^  après  ime 
motion»  leur  écu  dalanr  lanea,  et  disant  t  Voilà  mon  dnoit  *^ 
e^m  leii  Ita  rasls^  lia  Polemis  avaiem  aneore  ooeeervé,  { 
dgaelenra  aesBura  pnMsqMa»  qaakiaa  nllese'de  eus  rudss  \ 
etr  fitfenahea  tUÊét.  dent  le  elvilisatîott  apaiè  pattapt  ëUlanrB 
lÉUMMueftiMlolU  Itt  tefoip^  àiiÉ44ii4ii'j|ft.'pnBi|it  à  ' 


Up  i.r  •  WS70IM-  ,  1  v.M 

cette  sqaoce  n*étut  que  la  physionomie.  babitueUe  defidiU/ 
bératioos,  lorsque  le  wîei  ea  dîscQssion  était  de  naiuie  %* 
aipener  des  dé)i)ate  orageux^  tï,  ^tma  ce  rapport  Je  libtr»êà: 
veto  éialt  une  de  ces  quesiîoBs  ardentes  qui  pMvaifint  le. 
plus  profoodémept  remuer  toutûs  les  passions  de  ces  finrs 
paladins  de  Tâge  moderne^.  ^ 

Quelques<Kios,  et  c'était  le  plus  petit  nombre,  avaienl  ivnt^ 
altitude  imposante  et  calme,  qui  contrastait  anse  Talkine  pas^ 
sionnée  de  la  majorité.  A  la  tête  de  cette  «inotité  étaifati 
les  deux  Cxartoryskl.  Jugeant  les  souTeraMis  d'apràs  la  loi 
commuDe,  ils  n'avaient  po  crure  que  par  cela  seul  qu^n  eftt  ' 
ceint  le  diadème,  on  pût  impunément  se  Jeuer  de  sa  parole  et', 
de  ses  serments..  Gstherine  s'était  formellement  engagée  à 
faire  appuyer  TaboUtion  du  liberum  veto,  et  tti  auraient  cru 
naïvement  a  cette  parole  de  reine.  Leur  opinion  snr  cette 
question  était  connue  d'ayancci  puisque  c'était  en  leur  nom  • 
qu'étaient  été  portés»  devant  la  diète,  lespnetoeonsMto;  et* 
cependant  .ce  n'était  paa  contre  eux  qu'étaient  dirigés  las 
regards  depnavoeatien  ou  de  menace  des  fougueux  partisansi 
du  liberum  veto  ;  c'était  contre  un  des  plue  jeunes  nonces,  qui; 
n'avait  pas  parlé  encore,  dont  l'opinion  était  connue  aussi 
d'avance,  et  dont  le  dédain  semblait  défier  toutes  les  celèresy:» 
ou  muettes  ou  brufantas,  qui  paraissaient  ne  s'adresser  dirne»  « 
tement  qu'A  luL  ^  » 

Ce  ne  tut  pas  lui  cependant  qui  fépendità Wobiaki.  Un  den» 
Csartoryskiy  le  prince  Adam,  seichargea  de  réfuier  sa  vigoup- 
reuse  harangue  et  de  battre  en  brèche  le  Ukmrmn  esfe.Il  le> 
fit  avec  la  modération  qui  le  caractérisait. 

*«t  Messienrsmes  frères,  diMl  je m'étMne  qu^en  invoqM, 
peur  défendre  le  lihenm  veto,  le  saint  nom  de  la  ttberté.  il  • 
me  semble  pourtant  qu'il  nlapasto^joun  été  un  beuolier  bien  > 
Hîie  povelki  et  r^pte^ 4e  dtf  par  lequel liftancaWoluiUi 


Dl  LA  lliY%M}WMI|H>L01IAUI.  M 

atenniné  aon  4iioMr3  me  rappeUappéiMfîwit . que; dww 
maintes  dTcoueiànces,]elib€nmif$/ù  f|Uiia  signal  lUgiierft 
dans  rassemblée  def  nonces^  et  ne  servit  à  ia  fois  qu*k  faife 
opprimer  et  tuerie  petit  QomJ»re  par  te  graffd,nqiiftifre«QiHu4 
on  n'était  pas  d'accord,  on  se  battait;  et  1q  plus  fort^  c'eatràrdire 
le  parti  le  plus  nombreux,  avait  toiyours  raison*  E^dt^^ce  la 
de  la  liberté  ?  C'était  bien  le  règne  da  la  mfjorilé  coatreJequal 
on  proteste  aujourd'hui;  seulement^  c'était  une  majorUé, 
violente^  brutale»  à  laquelle  je  tous  propose,  du  sulMlilui^r 
une  majorité  pacifique  et  intelligente. 

«  le  snispartisaui  autant  que  tout  ax0ge,  de  la  Mbeité ,  nais 
la  liberté  doit  avoir  ses  limites^  ^  veux  amnt.t^ti^ue 
mon  pays  soit  fort  contre  l^s  eonemia  extérieurs  flui.pom> 
raient  le  menacer,  et  qu'il  prosi>ère  au-de^aos.  C'est  pouc 
cela  que  je  repousse  une  aoaficbie  qni  fait  aotre  faiblesse 
an^dehors  et  notre  ruine  ao^edans. 

t  Le  libemm  PêtOp  messieurs  mes  frères^,  qu'an  vient  4f 
placer  sous  U,  protection  dessièples^  n'^st  pas,  dUireste^.ausii 
Tieux  qu'on  le  dit  Vous  savez  bien  qf'jl  ne  date  que  49 
Tannée  1652;  vous  savez  bi^  aussi  qu'il  n'est  éorH  AuU^  part 
dans  la  constitution^  et  que  c'est  un  iisage  qui  s'eat,traBS« 
fonné  facilement  eu  ioi* 

c  liais  ce  serait  uuf,  loi|  et  une  loi,  de  la  plus  hante  auti** 
quité,  qu'il  n'en  ^  faudrait  pas;n)oins  laboUr  si  elle  était 
mauvaise.  L'est^eUeT  Voilà  toi|jte,la4u^tion.  Pour  larésandre« 
vorez  les  fruits  qpe  le  tt^ifm^  f^tto  apporté  depuis  plus  de  4;eut 
ans  qu'il  existe. 

c  Plus  les  lois  sont  vieilles .  plus  elles  sont  respedéeti, 
nous  dit-on.  Cela  est  vrai  ;  maisU  n'eu  est  pas  m^îM  vrai  que^ 
lorsque  l'expérience  a  rjivélé  un.  alius,  ce  jwait  f^ie  .de  laissep; 
cet  abus  s'invéférer  et  ^e  perpétuer .  4a0S  les.  mœjurs,  soust 

ps^tequ*ilneliHltjiaa.tait«i^f  iW.qw  FP^^ 


qoê  ItftIoiiMiMtvetpeelées,  nUvA  qn^effes  soient  anctennê^, 
f%  to  fent  Mon  ;  maitil  ftnit  aossi  no  pea  qu'elles  soient  bon- 
nes. Je  ne  demande  pasqa^on  démolisse  f  édifice  de  nos  pères, 
Rials^  comme  il  me  semMe  qa*un  vice  fondamental  de  cons- 
trnctlon  s'y  fiait  sentir^  Je  demande  qa^on  le  répare. 

f  Assurément^  messieurs,  si  Tananimlté  des  esprits  n'était 
pas  une  chimère,  si  c'était  chose  possible  Je  serais  le  premier 
à  Tonlolr  qu*nne  décision,  prise  dans  rintérét  de  tous,  Mt  ap- 
prouvée partons  pour  être  obligatoire.  Mais  runanlmilé  est 
malheureusement  impossible»  et,  dès  lors,  Je  ne  vois  aucune 
absurdité k  ce  que,  dans  le  cas  dont  parlait  tout  à  Pheure  le 
BMce  Woittski,  une  Tobt  de  plus  ou  de  moins  fasse  pencher  (a 
balance  d'un  o6té  ou  d*un  autre.  La  mesure  qui  réunit  le  plus 
grand  nombre  des  suffrages  est  ceHe  pour  faïqnelle  il  y  a,  dané 
le  doute,  les  plus  fortes  probabilités  de  sagesse  et  do  justice. 

<  Messieurs  mes  trères,  Je  ne  medissImuTe  pourtant  pas  que 
tous  demander  Pftbolttion  du  Kbenm  veto,  c'est  vous  deman- 
der un  grand  sacrifice  ;  mais  Je  le  solUcite  de  tous  dans 
rinlèrêt  commun.  La  chambre  des  nonces,  en  se  prononçant 
pour  le  pirind pe  de  la  majorité,  ne  se  suicidera  pas;  au  con^ 
trsfhro,  le  oorpi  tout  entier  y  gagnera  ee  que  les  membres  y 
perdront.  Je  vous  conjure  donc  d'adopter  cette  ntesure,  en 
dehors  do  laquelle  ftn'est  point  do  salut  pour  la  Pologne.  # 

Ce  discours,  tout  sage  qu'il  était,  excita  quelques  murmth 
resdimprobaHon  ;  mais  eomme,  malgré  PtûHuence  pârIbM 
lynmnique  qo'oiorçaléiit  les  Ctàrtorysii,  on  savait  qu*its 
étaient  plutôt  partisans  des  discussions  de  principes  quedTum 
de  ces  oppositions  systématiques  et  intraitables  qui  pou- 
vaient arrêter  ou  invalider  une  déllbératlonjoomme  on  n'igno» 
ralt  pas  que  leors  votes  cl  ceux  des  membres  de  leur  partf 
irralenl  acquis  au  maintien  du  Hberum  vélo  iës  que  la  ma- 
jorfie  se  eerclt  banMiseBft  pronoBoeo  w  sa  faf^uri  ses  mor  • 


M  LA  liinuoiWI  MMiuni*  'H 

invr^  n'tpreot  (m  <}e  fml/è^  tX  touf  l«t  n^gardi  liilèrwUtpif* 
iamment  flsés  sur  le  nonce  pour  qui  lemblaieot  réierféis 
'  loutas  les  colores.  Ce  npnce  H  nommait  Kors^cki.  Ua$9idteit» 
pour  la  première  fois,  à  ladiète.  £nie  laissant  partir^  son  pèm» 
dans  la  certitude  que  riofluenœ  étrangère  allait  dominer  la 
diète,  et  ne  voulant  pas  laisser  passer  sans  protestation  cette 
humiliation  de  son  pays,  lui  avait  dit  les  paroles  remarqua* 
blés  suivantes,  qui  semblent  une  des  pages  oubliées  ^e$ 
annales  du  vieux  monde  :  «Mon  Ûls^  vous  ailes  partir  poor 
la  diète.  Pour  prévenir  les  humiliations  que  je  prévf  is»  te 
Pologne  n'a  pas  trop  des  efforts  individuels  de  tons  ses  #«- 
buts.  Je  vous  déclare  que  je  vous  fais  accompagner  par 
mes  anciens  domestiquest  et  je  les  charge  d%  m'apporler  votia 
tète  si  vous  ne  vous  opposez  de  tout  votre  pouvoir  à  ce  vied^ 
étrangers  se  mêlent  des  affaires  de  votre  patrie,  » 

Les  partisans  du  liherum  vélo  avaient  connu  ce  propos. 
Os  savaient  que  Korsacki  n'était  pas  homme  à  désobéir  à 
son  père,  et,  animés  par  les  excitations  et  Tor  de  Tambas- 
sadeur  de  Russie,  ils  étaient  décidés  à  ne  reculer  devant  aiH 
Cùne  violence  pour  assurer  le  triomphe  de  leur  opinion. 

Korsacki,  cependant,  ne  prit  pas  la  parole  encore.  Beaucoup 
d^autres  discours  furent  prononcés  de  part  et  d'autre  sans 
qu'aucun  des  orateurs  posât  des  conclusions  assex  formelles 
pour  invalider  la  délibération.  Les  deux  ambassadeurs  russe 
et  prussien  étaient  présents  à  la  séance^  Us  gardèrent  le  silence 
jusqu'au  moment  où,  voyant  que  le  tibêrum  ee(o  comptait  lyi 
plus  grand  nombre  d'adversaires  qu'ils  ne  Tataient  préW» 
Repnin,  ministre  de  Catherine,  prit  enflo  te  parole  en  ees 
termes  : 

«  Messieurs,  je  ne  saurais  partager  l'opteioa  du  prioee  Gla^^ 
toryski.  le  libenm  veto,  comme  vmis  1%  dM  teMoee.W** 
luski^  doit  être  w||>aeté»art»wa<w»wi»m»  hWiage.Mfné 


■92  .      #  .  HlfffOlll 

|Mf  Vos  pères  et  oommefl&  première  deê  prérogatives  de  k 
noblesse  polonaise.  Je  ne  vois  pas,  au  maintien  de  celte  insti- 
tution, les  inconvénients qu^y  trouve  le  prince  Czartoryski,  et 
Je  dois' ajouter  qne  les  privilèges  des  nobles  polonais  sont  si 
cbers  à  ma  souveraine  Timpératrice  Catherine,  qu'elle  s'op- 
pose formellement,  par  mou  organe,  àTadoptipu  du  principe 
de  la  majorité  des  suffrages.  > 

Le  ministre  pruaisien  parla  à  son  tour,  et  dans  le  même  sens. 

A  peine  les  deux  ambassadeurs  eurent-ils  cessé  de  parler, 
qne  Korsacki  se  leva  pour  prendre  la  parole.  Il  y  eut  alors, 
dans  rassemblée,  un  de  ces  moments  de  menaçant  silence  où, 
par  l'attitude  seule  des  acteurs,  il  fut  aisé  de  prévoir  ce  qui 
allait  se  passer.  Kôrsacki  promenait  froidement  ses  regards 
sur  tous  ses  adversaires,  comme  sMl  eût  voulu  les  compter, 
tandis  que  ces  derniers  semblaient  prêts  à  se  porter  à  toutes 
les  violences. 

—  «Messieurs  mes  frères,  dit-il,  en  entendant  les  étran- 
gers venir  jusqu'au  sein  de  la  diète  nous  dicter  des  lois,  je  me 
demande  si  je  suis  en  Pologne,  si  je  suis  dans  une  assemblée 
de  nobles  PoIonais.Qui  d'entre  nous  a  prié  lés  ambassadeurs 
de  Russie  et  de  Prusse  de  se  charger  de  notre  tutelle?  Où  soift 
signés  leurs  titres  et  leurs  droits?  Ils  appellent  nos  provinçjss 
leurs  provinces;  ils  couvrent  de  troupes  prétendues  pro- 
tectrices la  république  envahie  par  eux,  se  mêlent  à  tous  nos 
débats  intérieurs,  sont  de  vrais  gouverneurs  despotiques,  de 
vrais  ennenlis,  sous  le  nom  spécieux  ''d'ambassadeurs  ;  et 
chacun  de  nous  devrait  courber,  sans  protestation,  la  tête 
sous  ce  Joug  de  honte  et  d'humiliation  I  Non!  je  la  relève, 
moi.  Et  tous  ceux  qui  sentiront  ce  qu'ils  doivent  à  leur  pa- 
trie, eequMis'dOivent^auî  sang  Polonais  qui  coule  dans  leurs 
veines,  ce  qu9s  doivent^ à' leur  salut  et  à  lenr  honneur;  tous 
I  mim  ttiot,'  qdl'SMtiWMit  qoe  les  PtAdnais  ne  sont  pas 


DB  LA  RÈVdtimON  POLONAISI.  M 

des  sujets  de  la  Russie  et  de  la  Prusse,  la  relëïvBr^t  ooiMne 
moi.  Ils  diront....  > 

Korsacki  ne  put  continuer.  Une  violente  interrtiption  Vivait 
assailli  dès  les  premiers  mots  de  son  discours,  et  toujours 
croissante,  avait  fini  par  couvrir  entièrement  sa  voix.  Un 
des  nonces  les  plus  dévoués  à  la  Russie,  Revruski,  homme 
plein  de  présomption  et  d'orgueil,  parvint  cependant  à  obtenir 
le  silence,  et,  après  avoir  établi  que  Korsacki  était  sorti  de  la 
question,  que  la  seule  chose  en  discussion  en  ce  moment 
était  le  maintien  ou  Tabolition  du  liberum  veto,  essaya,  dans 
une  verbeuse  apologie,  non-seulement  d^excuser  l'interven- 
tion russe  et  prussienne,  mais  encore  de  la  présenter  com* 
me  Mil  Mre  de  gloire  pour  ton  pays. 

Korsacki  l'interrompit  à  ces  derniers  mots. 

—  «  11  ne  suffit  pas,  dit-il,  de  changer  la  nature  des  cbose9, 
pour  changer  la  signification  des  mots  :  l'oppression  est  de 
Poppression^  la  tyrannie  est  de  la  tyrannie;  et  quand  un  noble. 
Polonais  vient  à  cette  tribune  présenter,  comme  la  gloire  à»-. 
son  pays,  ce  qui  en  est  la  honte  et  l'humiliatioD,  je  le  dé^^ 
clare  mort  à  ta  gloire  et  a  l'bonneiir.  —  A  la  question! 
à  la  questi(m  !  s'écrièrent  à  la  fois  trois  eents  voix  au  milieu 
d'un  tumulte  effroyable.  —  Quand  un  noble  Polonais,  reprit 
Korsacki,  en  essayant  de  dominer  le  tumulte,  se  ravale  à 
ce  point,  il  ne  lui  reste  qu'à  prendre  ses  parchemins  et 
ses  titres  de  noblesse  et  à  s'en  envelopper  comme  d'un 
linceul.  » 

Les  cris  :  A  la  questicm  !  à  la  question  !  redoublèrent. 

«*-  Je  rentre  dans  la  question,  reprit  encore  Korsacki  sans 

se  laisser  intimider  par  cette  explosion  de  colère  ;  mais,  au- 

piffavant,  ceuxLjde  messieurs  mes  frères  qui  m'interrompent 

permetMul  délier  en  adresser  une  sj^te  t  Par  les  pnctei 


mm  uHiimw 

HiHifn»  tn^  4i  Qf tte  dimmftitei»  la  tttarw  tite  daiMI 
et  peut-il  être  mis  en  question! 

•  «^NmI  Dwl  9'écirif  t»  miilQntéi  w  w  peot  m«ttr«0n 
^ucftUoa  une  loi  (ondQiueqtalç,  » 

f  —  Alors,  demanda  eacore  Korsaçki,  nous  déUbéronç  «om 
r^mpir^  dtt  /t'A^nm  ««(q.  » 

«  ««^  Qui  l  oui  l  »  9'iQrift  la  ip^mQ  majorité. 

«-""19  prends  acte  d^  ceUQ  déclaration;  et^ comme  dana 
Hion  |me  et  consçiepcf?,  |'ai  la  convicUon  que  co  n'eal  que 
pour  pouvoir  perpétuer  Tanarçhie  en  Pologne  et  l'opprimer 
plus  aisément^  que  des  ministres  étrangers  viennent  nous 
signifier  les  ordres  de  leurs  coqrs  en  faveur  du  maintien  du 
liberum  v€to,  en  vertu  du  droit  que  confère  à  tout  noble  Po- 
lonais le  liberum  re/oje  m'bppose  à  son  maintien.  » 

Une  épouvantable  explosion  suivit  ces  motsj  ce  ne  ftat  pen- 
dant quelque  temps  que  des  cris^  des  menaces  qui  trahissaient 
toute  la  fureur  du  parti  russe.  Prise  au  dépourvu  par  cette 
teergique  et  eapUeose  argumentation,  qui^  mettant  réeHe- 
aaeiit  en  question  le  Uberum  veto,  sobordonnail  dès  lors  soit 
mainlleii  à  l\iMttiiDiléd<ia  sutn-iiges,  la  ma|oriléoe  vil  dViutre 
parti,  po«r  sortir  de  raspèee  d'impassa  e<k  eHe  sIfttaM  Ibur- 
vojée,  que  de  receorîr  à  ces  inoysns  brutaux  qu)  avalent  si 
aanvwtttMattglaDlè  les  délibérations.  Parmi  ceui  qui  cofn- 
poaaiml  calice  asajorilé,  beaocoop  étaient  soudoyés  par  la 
ftusaia  al  se  IrouvaieDl  sons  les  faux  mêmes  de  l*amhassadesr 
voasa,  qm  pounOI  juger  ainsi  jusqu'à  qoel  point  ils  étaient 
dévoués  à  la  cause  à  laquelle  ils  s'étaient  vendus.  Raoée 
entre  un  sanglant  écliit  et  leur  istérèt,  tia  nliésitèrent  !«$. 
Traîs  aaots  foix  adreasèrent  à  la  Ms  à  iorsacki  des  apostro- 
phes nanaçaBlea;  le  timolle  détint  biaaMt  av  comble.  Qeel- 
tiimnaanabraaavaiantqmttélaiira  plaeea,el,gmipéaatrlew 
éi  jartaett» rinlarpuitatort  ■iiiaïaiitpiaria  Ivaar  k9é\%^ 


M  LA  lÉVOLUTIOtt  POLONAKI.  tHi 

qner  90d  vole;  quelques  «''pées  étaient  sorties  àû  TôtIttêM  et 
flamboyaient  a  Tair.  Korsacki  lui-même,  résolu  à  môtirtf 
plutôt  que  de  céder,  mais  décidé  à  se  défendre,  avait  au^ 
tiré  la  sienne,  lorsque  du  milieu  du  groupe  qui  rentoûffttt 
une  détonation  partit,  et  torsacki  tomba  mort  :  une  bàUè 
TaTait  frappé  au  milieu  de  la  poitrine. 

Cesl  à  de  tels  moyens  qu'avait  souvent  recours  là  Russie 
pour  emporter  les  délibérations.  Jusqu'alors,  c'était,  il  est 
vrai,  des  moyens  qu'on  pouvait,  en  quelque  sorte,  «nppcter 
légaux,  en  cequ^Usoe  sortaient  pas  des  mœurs  d'un  pays  où 
les  salles  des  diètes  étaient  souvent  transformées  en  cbauip 
de  bataille,  véritables  arènes  où  se  massacraient  les  deux  par- 
tis; mais  nous  verrons,  dans  la  suite  de  celte  bîfttolrô,  que  là 
Russie  avait  souvent  recours  à  des  moyens  d'ude  autre  nature, 
qui  n'avaient  Texcuse  ni  de  Tusage,  ni  même  des  précédents 
dans  les  annales  des  ^leu pies  les  plus  immorânt  et  lea  pltis 
barbares. 

A  la  suite  du  sanglant  épisode  de  cette  séance,  le  tibèmnè 
veto  fut  maintenu.  Déçus  dans  leurs  espérances  de  réforme, 
les  deux  Czartoryski  commencèrent  à  seulir  que  Catherine 
les  avait  pris  pour  dupes.  Cette  intervention  extra  légale  de 
deux  ambassadeurs  prouvait,  en  effet,  que  les  deux  sôU* 
verains  étrangers  n'avaient  été  préoccupés  que  de  leurinté« 
rit  personnel,  qu'ils  voulaient  éterniser  en  Pologne  r&naN 
cbie  pour  hâter  le  démembrement. 

Cependant  l'astucieuse  czarine  de  Russie,  Catherine,  qui 
pressentait  qu'elle  ne  pourrait  maintenir  son  influence  en  Po- 
logne qu'à  l'aide  de  l'anarchie,  était  toujours  en  quête  de 
iloaveaux  moyens.  Les  idées  philosophiques,  qui  remplissaient 
alors  d'un  vague  enthousiasme  toutes  les  têtes,  lui  fournirent 
ou  nouveau  prétexte  pour  Jeter  inopinément  un  nouveau 
brandon  de  discorde  dans  ce  maiheureuxpays.  Elle  demanda 


i$  HI8T0IBB 

que  les  noo-catholiques  fussent  admis  au  partage  de  tous  les 
droits  politiques.  Elle  espérait  avoir,  dans  ces  rellglonnaires, 
une  seconde  faction  russe  indépendante  de  celle  qui  avait  fait 
élire  Stanislas,  et  dont  elle  se  défiait  depuis  qu'elle  Tavait  si 
indignement  trompée  en  faisant  repousser  lespacla  conventa 
portés  à  la  diète  par  les  Czartoryski.  Les  Polonais  se  refusèrent 
énergiquement  aux  propositions  de  la  Russie,  moins  par  fana- 
tisme que  par  haine  contre  les  Russes.  Mais  les  deux  cabinets 
de  Berlin  et  de  Saint-Pétersbourg  épousèrent  hautement  la 
querelle  des  dissidents. 

Ce  parti  des  dissidents  se  composait  de  tous  ceux  qui 
avaient  embrassé  la  cause  du  protestantisme.  Cette  secte  reli* 
gieuse,  après  avoir  presque  dominé  en  Pologne,  s'y  était  vue 
persécutée  par  le  catholicisme  triomphant  à  son  tour,  et  par 
les  jésuites  qui  étaient  tout-puissants.  La  cause  des  dissidents 
était  juste  as^urément^  elles  nombreux  gentilshommes  Polo- 
nais qui  avaient  adopté  le  protestantisme  élevaient  des  récla- 
mations légitimes,  en  demandant  à  être  réintégrés  dans 
Texercice  des  droits  civils  et  politiques  dont  l'intolérance  les 
avait  privés;  mais  il  est  permis  d'afûrmer  qu'en  prenant  leur 
défense,  la  Russie  et  la  Prusse  n'obéissaient  pas  aux  sentiments 
de  tolérance  dont  ces  deux  Cabinets  se  paraient  dans  cette  cir- 
constance, mais  à  des  intérêts  purement  égoïstes.  D*ailleur8| 
de  quel  droit,  même  sous  prétexte  de  liberté  religieuse,  un 
pays  interviendrait-il  dans  le  gouvernement  d'un  autre 
pays? 

La  diète  proclama  donc,  par  l'ordre  de  la  Russie,  l'égalité 
des  droits  de  la  noblesse  dissidente;  et  ce  que  n'avaient  pu 
faire  toutes  les  trahisons  antérieures  du  gouvernement  russe, 
Tin  tolérance  le  fit.  Les  nobles  polonais,  qui  avaient  trouvé  bon 
que  Catherine  intervint  parmi  eux  pour  faire  maintenir  le 
liberum  veto,  se  soulevèrent  cette  fois  au  nom  de  leurs  croyao» 


M  U  itTMiniM'  POU>MAm.  t! 

ces  religieuses.  Vaeeonfédérattim  ee  fermée  et  la  gMiM  édita 
entre  les  opprimés  et  le»  oppresseurs. 

Les  maux  intériears,  résultat  de  cette  iBtennhiable  anaiv 
cbie  9008  laquelle  «fait  si  longtemps  gémi  la  Polognoy  les 
intrigues  étrangères  q«l  y  paralysaieDt  tout  déTeloppement, 
cette  ambition  cupide  de  voisins  qui  enviaianl  ses  riches  pn^ 
rinces,  aradent  rendu  inévitable  quelqu'une  de  oee  grandes 
manifestations  par  lesquelles  nne  naHon  proteste  énergique- 
ment  contre  ce  qui  est.  Le  motif  religieux  qui  ramena  ne  fut 
simplement  qu'une  de  ces  formes  qui  serrent  toujours  à  dé^ 
guisn**  les  causes  réelles  des  grands  méoonienlements  natto- 
nanx.  La  ville  de  Bar  fut  le  lieu  ob  prit  naissance  cette  ligue, 
destinée,  jtant tout,  à  repousser  llnvasiou  étrangère,  et  à 
rétablir  la  puissance  intérieure.  ESle  prit  la  nom  de  canfiii^ 
ration  de  Bar,  et  fut  la  prenonère  protestation  armée  contre 
rinfiuence  désastreuse  des  Russes. 

Cette  confédération  par  laquelle,  sur  le  seuil  de  sa  tombe, 
la  Pologne  semblait  vouloir  se  relever,  avait  le  double  carac- 
tère du  fanatisme  religieux  et  politique.  D'une  part,  comme 
du  temps  de  la  Ligue  en  France,  les  moines  ne  voulaient  don- 
ner à  aucun  pénitent  l'absolution  de  ses  pécbés,s*il  ne  Jurait 
et  ne  promettait  d'aller  servir  la  confédération,  et  de  se  faire 
martyr  pour  la  religion;  une  bulle  du  pape  et  l'enthousias- 
me du  nonce  avaient  fanatisé  le  pays  entier.  Sa  bannière  était 
un  aigle  blessé,  avec  cette  devise  :  tAui  mncere  aut  moriy  et 
pro  religione  et  libertate  >  (Vaincre  ou  mourir  pour  la  religion 
et  la  liberté).  D'autre  part,  sans  moyens  matériels,  sans  autre 
tactique  que  l'amour  de  la  patrie  et  la  haine  de  rétranger,  sans 
milices  de  soldats,  sans  trésors,  en  opposition  formelle  au 
roi  et  aux  principaux  dignitaires  de  la  république,  des  hommes 
de  tout  cœur  et  de  tout  dévouement,  allaient  lutter,  pendant 
plusieurs  années,  avec  de  firéquenis  succès,  contre  lasloroes  si 


n 

mpèrkmm  4t  1»  tUmU,  «t  TboiUld  DwtrtWé  4to  te  PrusM. 

Les  événements,  suilat  îroinÀliatei  de  la  coofédéralion  de 
Bar,  forment  ti  prologue  dii  graud  dreme  doot  lei  «ombres 
péripétiMeODt  la  honte  de  TEttrope  elvilîsée  et  la  gkriine  delà 
Pologae*  Ce  n'elt  |ms  iei  lelieu  d'en  reireceri'bjatoifa  i  en  voici 
aottlMieitl  un  épiiede,  emprunta  au  récit  d*ua  noble  proe* 
oriti  et  qui  joint  4  lIotérM  du  fait  eu  luwnéme^  celui  de 
rappeler  un  brillant  fait  d'armes  d'of Aciers  français* 

L'Autriolie  et  la  France  surtout  ne  Toyaient,  eu  \Tt%, 
4u'avec  uu  méconteoteuient  aial  déguisé,  la  position  que  vou« 
lait  s'asfurerla  Russie  en  Pokdioe;  Tune  et  l'autre  n^alleo- 
daient  que  W moment  favorablede  prendre  la  défense  de  ce 
.tnaihfiureoa  pays,  point  de  mire  de  l'ambitiou  moscovite.  La 
oonfudératiûii  leur  eu  fournit  l'occasiont 

Gbacuue^  ee«  deua  puissauees  eafait  q«e  leur  intérêt  dif- 
férait essentiellement  de  celui  de  la  Russie^  La  Pologne^  ap 
poMVoir  de  celte  deraîàre^  était  pour  eUe  une  perle  ouverte, 
d'où  elle  pouvait,  uon^eeulement  meuacerj  mais  encore  en- 
vabir  le  midi  et  Toccident  de  rfiurope*  Ce  motif  expliquait 
toutes  les  mesquines  ou  iof&mes  oiacbinations  de  Catherine 
pour  s'en  emparer  ;  il  expliquait  aussi  rinlérât  de  TAulricbe 
et  de  la  France  à  s'opposer  &  celagrandis£ement  démesuré  de 
la  puissance  moscovite. 

L'Autriche»  cependanti  qui  pressentit  la  possibilité  d'un 
partage,  et  convoitait  déjà  quelques  riches  dcpouillesj  borne 
son  intervention  à  des  encouragements  et  k  des  vœux  stériles. 
Louis ïiV^  qui  régnait  alors  eu  France,  tout  absorbé  qu'il  était 
par  ses  maîtresses  et  les  divertissements  de  sa  cour»  envoya 
aux  Polonais  de  Targent  et  un  corps  d'oCQciers  expérimentas 
sous  les  ordres  du  maréchal  de  camp  Dumourie;,  le  nmm 
qui  fut  plus  t(&rd  général  de  la  Révolution  française;  peu  aprcâ 
Pumourieie  (nt  remplacé  par  le  baron  de  VioméniU 


M  LA  itYOLCnOR  P0L0|«A18B.  3^ 

tes  confédérés  de  Bar  se  monlaient  alors  &  buU  mille 
hommes^  commandés  par  le  prince  RadziwU^  Pgl&wski^ 
KQ5sakoinrski»  Zaimba  et  Ogynski.  Us  possédaient  (rois  places 
fortes  dans  le  palaiÎQat  de  Cracovie:  Tynick,  Lanskrona  et 
Biala  ;  mais  Hs  a? aient  en  tète  vipgt  millç  Russes  et  dix  mille 
hommes  de  troupes  royales. 

A  deux  lieues  de  Cracovie^  sur  une  montagne  escarpée,  au 
milieu  d^un  paysnge  pittoresque»  s'élevaient  les  murs  noircis 
de  l'Abbaye  de  Tyniec,  qui  avait  alors  perdu  son  aspect  re- 
ligieux. L'asile  de  la  paix  et  de  la  prière  se  trouvait  entouré 
d'un  double  rang  de  forliflcalions»  dont  Dumouriez  avait 
dressé  le  plan.  Les  senlinellos»  placées  à  tous  les  abords,  y 
exerçaient  une  stricte  surveillance,  tout  en  fredonnant  des 
airs  mondains,  et  te  réfcclotie  des  moines  avait  été  transformé 
en  salle  du  conseil  de  guerre.  Là,  parmi  les  personnages 
placés  autour  d^iiie  table  en  bots  de  cbène,  on  remarquait  un 
homme  d^etiviron  trente  ans,  à  la  figure  agréable,  au  regard 
vttet  pénétrant,  au  ftront  large»  à  rosit  peusif,  c'était  le  com- 
mandant de  la  place,  Walewski;  à  côté  de  lui  étaient  îroii 
offlders  étrangers»  dont  Tuniforme,  richement  brodé,  con- 
trastait avec  les  habits  presque  bourgeois  des  autresassistants^ 
e^MalMt  le  chevalier  de  Cboisy  Je  capitaine  de  Vioménil  et 
Shinans,  arrftés  depuis  peu  de  France.  Yis-à-vts  d'eux  se  te- 
Mil  «a  moine  à  cheveux  blancs,  le  prieurvdes  carmes  de 
Craco«ie;ttM  vingtaine  dliommes  à  grandes  moustaches  et 
coIfttfdelNmiMtteramoîsis,  les  chefs  des  quinze  cents  cou- 
fédérée  i|tti  eampossient  la  garnison  de  la  forteresse!  de 
Tyniee,  eomplétaiaot  l'Iassemblée.  Cétalt  le  1^  février  1772. 

Walewski  parla  le  premier.  —  «Frères  d'armes,  dit-il,  té 
cbàletu  de  Cracovie  ert  une  place  très-impoi  tante  pour 
iKM  t  les  Rusiet  y  ont  transporté  des  munitions,  des  vivres^ 
leol  I»  aMrtériel  de  fuem  qti*fU  ont  pu  rassembler;  ffous 


40  HISTOIU 

manquons  de  ces  objets^  mais  nous  ne  manquons  pas  de 
courage;  ainsi  le  château  de  CracoTie^  aTec  tout  ce  qu'il  ren- 
ferme, doit  être  à  nous.  Il  ne  s'agit  que  de  trouver  moyen  de . 
s'en  emparer  sans  s'exposer  à  trop  de  perte.  Ce  vénérable 
ecclésiatisque,  ajouta-t-il  en  désignant  de  la  main  le  prieur, 
vieux  compagnon  d'armes  de  Charles  XII  et  de  Leczinski, 
animé  du  patriotisme  le  plus  pur^  s*offre  pour  nous  aider 
dans  notre  entreprise^  en  nous  promettant  que  nos  braves 
seront  introduits,  pendant  la  nuit^  dans  le  jardin  de  son  cloî- 
tre, qui  avoisine  de  très-près  le  château  :  cela  nous  ouvrira 
Feutrée  de  la  ville;  mais,  avant  de  pénétrer  dans  le  château, 
qui  est  gardé  par  les  Russes  avec  la  plus  grande  vigilance,  il 
nous  faudra  probablement  perdre  beaucoup  de  monde,  et^ 
dans  notre  situation  actuelle,  la  vie  de  chaque  homme  nous 
est  précieuse,  » 

Après  lui,  le  prieur  des  carmes  prit  la  parole  :  —  «  Aidé 
par  mes  compagnons,  dit-il.  J'ai  depuis  longtemps  travaillé 
à  Texécution  préliminaire  du  projet  que  la  grâce  de  Dieu 
m'a  fait  concevoir.  Les  hautes  murailles  de  nos  jardins  sont 
sapées  partout,  et,  au  signal  donné,  elles  tomberont,  pour 
donner  passage,  comme  les  murs  de  Jéricho.  Le  Dieu  de  nos 
pères  protégera  cette  entreprise  patriotique  ;  les  anges  cou* . 
vriront  de  leurs  ailes  d'argent  les  guerriers  qui  combattent 
pour  la  foi  et  la  liberté.  Ne  désespérez  pas,  mes  concitoyens» 
une  fois  entrés  dans  le  jardin,  vous  serez  vainqueurs.  L'en* 
nemi,  quoique  nombreux,  tremble  saps  cesse  dans  notre 
ville,  et  toutes  les  nuits  il  parcourt,  armé,  les  rues  silen* 
cieuses,  ne  pouvant  fermer  sa  paupière  inquiète.  Le  brigand. 
ne  peut  dormir  paisible  sur  le  sac  d'argent  volé,  car  Dieu 
lui-même  a  dit  :  a  Tu  ne  prendras  pas  le  bien  d'aulrui.» 

Le  chevalier  de  Cboisy  succéda  au  prieur.  Après  avoir  rap- 
pelé les  liens  qui  attachaient  la  France  à  la  Pologne,  et  parlé 


0B  LA  liV^MTiOS  POLONAItl.  il 

de  son  dévoi^emcqt  personnel  à  la  caaie  polonaise^  il  déroula 
on  plan  d*attaque  qui  fut  accepté^  el  qui  eonsisUit  à  opérer 
simultanément  sur  deux  points  à.  la  fois,  par  le  jardîa  do 
cloître  des  carmes  d'abord,  et  puis  en  pénétrant  dans  Tinté* 
rieur  du  château  par  nn  ^gout  qui  olh*ait  an  passage  prati- 
cable, et  qui  se  dégorgeait  dans  la  Vistole. 

Ce  plan  fnt  accueilli  avec  enthousiasme.  Le  cberalier  de 
Cboisy  commanda  le  corps  destiné  à  se  porter  au  centre  de 
la  ville  j  le  baron  de  Yionsénil  celui  qui  devait  pénétrer  dans 
le  château  par  Pégout.  Walewski  devait  se  tenir  sous  Craco* 
vie  avec  nn  corps  de  cavalerie,  pour  empêcher  les  Rosses, 
cantonnés  dans  les  environs,  de  venir  au  secours  de  la  garni- 
son, lorsque  Tattaque  serait  commencée.  L*eiécution  fat  fixée 
à  la  nuit  suivante. 

A  une  heure  après  minuity  le  ciel  était  tellement  voilé, 
qu'il  n'en  tombait  pas  le  moindre  rajon  sur  les  tours  do- 
rées de  Cracovie.  Le  sombre  silence  n'était  interrompu  que 
par  le  sifflement  du  vent  d'hiver  qui  agitait  les  branches  des 
arbres  dépouillés.  La  Vistnle,  moins  laifpe  en  cet  endroit, 
n'était  pas  prise  encore,  et  les  nombreux  glaçons  qu'elle 
charriait  en  renda^pt  la  navigation  difficile  et  périlleuse. 
Quatre  grands  bateaux  étaient  amarrés  à  la  rive  gauche,  et 
les  bateliers,  la  main  sur  leurs  rames,  attendaient  avec  im- 
patience, prêtant  une  oreille  attentive  en  dirigeant  leurs  re* 
gards  inquiets  du  côté  de  Tyniec.  Peu  après  arrivèrent  quatre 
cents  hommes  qui  s'embarquèrent  en  silence ,  et  ne  tar^ 
dèrent  pas  à  toucher  la  bord  opposé.  Ils  se  partagèrent  en 
deux  corps  :  le  moins  nombieux,  de  cent  soixante  hommes, 
longea  le  cours  du  fleuve  ;  l'autre  se  porta  au  centre  de  la 
ville. 

Le  chevjOier  de  Cboisy,  qui  commandait  ce  dernier,  pour 
ne|^.êti)B^rwiarqiié,  le  divisa  en  plusieurs  petfts  corps, 

6 


12 

Ikuc  fluQlpour  poîDlde  ralUeinent  les  mnn  da  jardin  des 
Mitiies*  ChAcaii  d'eux  se  mit  ea  marche  par  des  routes  âU 
TOrses;  mais  les  lenliers  de  la  montagne  devinrent  bientôt  si 
difflcilte  i*i  si  étrailSf  qu^il  ne  fut  plus  possible  d'aller  qu'un 
i  nu. dé  elievaller  de  Cboisy  arriva  un  des  premiers  au  point 
de  ralliement;  maiS|  do  qatmM  hommes  qu'il  avait  pris^  il  ne 
Ivieo  restait  que  sept.  Les  autres  s'étaient  égarés;  plusieurs 
des  autres  oof  ps  même  s^éUrfent  perdus  dans  l'obscurité.  Vai- 
oement  préldii^it  l'oreille^  fl  n^entendait  que  les  cris  prolon- 
gée des  sentinelles  russes  à  chaque  heure  qui  sonnait  à 
i'borloge  duebi^eau.  Dune  eeltefftcfaense  situation,  de  Cliolsy 
n'avaifc  gftrde  de  donner  le  signal  convenu  avec  lo  prieur  des 
•  earriies;  oar^  au  béut  d'une  heure  d'attente,  il  n^avait  encore 
été  joint  que  par  une  vingtaine  d'hommes.  béj&  les  ténèbres 
SOmiQcofoienè  à  se  diesiper>  et  les  coqs  chantaient  pour  la 
.Mconde  foie.  Chaque  moment  rendait  la  position  plus  péril- 
leuse ^t.trèS'inuUlement,  puisque  la  petite  troupe  n'augmeil- 
Mt  fies  en .  nombre,  et  fufaoeun  mouvement  ne  se  faisait 
rimerquer  dans  If  ehftteM«€hdsy  soupçonnait  que  Vioménil 
H'aveU  pu  troumr  l^anti^  de  l'égout;  puis,  reportant  sa 
Jffm^  mr  ^s  prcq^res  ornspagnons  qui  n'arrivaient  point,  tl 
se  deiMAdeit  e'ils  ne  l'aenient  pas  abandonné.  Sentant  I'im«- 
prp^^WQ  d'itlendne  plos  longtemps  aux  pieds  des  murs  du 
jfur4iRj  it  diS<3endit  vevs  ht  Vistule.  Là,  il  retrouva  presque 
twte;sA  troupe»  qui«  aptes  s'être  égarée,  était  revenue  à  son 
point  df  départ*  Jl  était  aiere  quatre  heures  du  matin  ;  fl 
4tait  presqiie.jonr^  toute  enrpriee  devenaft  impossible;  tl 
t'i^mberqun  4«  fly^uveau  avec  ta  troupe  poitr  retourner  à 
Tyqiw, 

Vioménil,  cependant,  s'était  hardiment  engagé  dansl'égout 
4  Ji«  tète  4«i  siens  i  oeni  erâant»  guerriers^  un  &  m»  s^p- 
FUTWt  fur  Iwps  «ffiqes^  leaHmieiil»eUencieiii«(  rtselus. 


DB  LA  KÉVOSmOU  »OU)l«AISll.  4» 

(kfh  cflt  ftIroM  al  otwttf  6«urcrm*ii«  Au  tMMt  d'une  hftofe  de 
marche,  a«  mttteii  d»  plii«  éf^ilMetf  ïétïèbtes,  ils  afrirèfètit 
dtM  la  cMr  éa  diAtrau^  le  prëtA'iét  élre  (}ai  (Mfnt  à  leurs 
yMlyàkaa#lieAi  soutarraiu,  (M  utt  IMIiotltidiM  i^sse  en- 
danni  ^  U|ul  tué  aaia  piMif  oir  J«l#f  «Il  evi  dViMi'iVié.  Ûtt  ÉUtre 
soldat  en  faction  éprouva  le  même  sort.  RMffl  éM^e  Jti§«' 
qu'alors  n'avait  tnili»  letlr  présenee.  VioiMéiril  râMémbltt  èa 
pabto  trau|Ni»  et  a^ef<»viot  de  la  luroière  par  dMl  MEtMM» 
qui  donnaîenl  aiir  )é  eowrpil  ^élança  de  00  odtéf  cf^MI  «tt 
corpi*d&<«ard0d0ut  il  ouvrît  ànaiilM.  la  portos  Dam  dM  ^ 
iite  pièee  Men  meuMée^  édtîrée  de  bougies^  (fliatve  «ifOidêft 
ruMes»  aaeb  sntoor  d'une  table,  Jouaient  au  ftiIMM  eA  Mk' 
vent  du  diae/  (Ae  thé  avec  iû  Hiirm),  ei  tatilalit  dtt  féMt 
turc  L'er  rtalait  aur  le  tapto.  La  vapeui^  dtt  «M)  et  lafeMè^ 
du  iahrtc  vempliauiient  la  chambre  d^ee  nuage  àéêeir  éfteti/ 
Deee  la  plèoe  qui  était  à  eftté,  et  dont  la  porte  était  etfverfé^  èe* 
apcircevssi  éci  aôldatic,  tes  m»  endormis  iM  lei  bainSê»  IM' 
aaiirea  jQuan*  ans  tartes  eommé  leurs  ohefs^  tffiii  fth«M((«éM 
des  hopehi  (fiùs  8o«s)  a»  lieu  d^or. 

Vionènik  se  pcéeipite  dani  la  chambré  des  éffiéfél^  éti 
criant  :  Annei  faesl  St,  vojenl  que  l'un  J^éctt  Pâdusltàit  Wèc 
un  pistolet,  il  le  prévient  en  lui  fMaiant  son  épée  au  trttve^f 
du  corpai  al  l'étenAil  nerl  à  ses  pfedé  f  eTétait  te  cèrpftaiile 
rwM^  liaé  cehtédérél  pénétràreat  eo  méarve  leinpe  dâtiÉ  la 
Iiitee  ode»|iée  pat  lee  êoldats,  et,  sH  bout  d'en  mefMM^let 
Hiimisoe,!  focta  de  fient  dnquaiite  hommesi  aree  Mi  irdM' 
of&eieffaqa»  restiéent^  è'étail  rei>dm  i  diserétîaiii  CèpehdMl/: 
qfietqueiseWata  nissee  qui  s'étaient  étbaffée  pai'  leé  tsoètwiy  - 
iwaieet  ceum  porter  fahurne  dans  la  ville  encore  endetnilei 
On  hatrn  la  ||àttérak^eiWe»l6l  teule  la  garalMB  de  firese» 
vie  M  te#i>M  oA  «roMs  deMillè  ehftleaii^ 


44  HltTOlM 

divisa  «a  petite  troupe  de  inaisièro  à  pouToir  occuper  les  prin- 
cipales entrées  du  fort.  Un  feu  meurtrier  s'engagea  de  part  et 
d'autre.  Cette  poignée  de  braves  fiât  assaillie  perdes  masses 
d'ennemis»  qui  attaquèrent  avec  un  actiamement  incroyable. 
Vioménil  se  trouvait  partout,  encourageant  par  ses  paroles  et 
par  son  exemple. 

Cependant,  la  lutte  la  plus  opiniâtre  se  prolongeait  depuis 
quatre  heures,  et  le  secours  de  Cboisy  n'arrivait  pas.  Plusieurs 
des  assiégés  avaient  été  tués,  d'autres  grièvement  blessés  ;  le 
courage  ne  les  abandonnait  point,  mais  leurs  munitions  s'épui- 
saient. Enfin,  la  dernière  cartouche  fut  brûlée,  on  ne  repoussa 
plus  rennemi  qu'à  la  baïonnette,  et  le  nombre  des  Russes 
augmentait  à  chaque  instant.  Yioméoil  voyait  s'échapper  la 
vjktoire  qu'il  avaU  obtenue  par  tant  d'audace  et  de  courage. 
11  considérait  sea  compagnons  morts  ou  blessés,  étendus  sur 
la  place»  Jas  autres,  couverts  de, sueur,  combattant  encore, 
mai8CXtéqués;d0.làtîgue  et  prêts  à  succomber,  n'étant  plus 
soutenus  que  par  le  désespoir.  Voyant  cette  lutte  si  inégale»  et 
ncTOulant  pas  exposer  ces  braves  à  périr  jusqu'au  dernier,  il 
leur  demanda  s'il  fallait  se  rendre  à  l'ennemi  ou  mourir.  — 
m  Mourir  l  mourir  !  s'écrièrent*ila  tous  d'une  seule  Toix;  plutôt 
la  mort  que  les  fers  des  Russes  !  » 

Et  leur  défense  devint  plus  vigoureuse  et  plus  énergique. 

Tout  à  coup  des  coups  de  fusil  se  firent  entendre  du  cAté  de 
la  Viatule.  —  «  Courage  I  cria  Vioménil  aux  siens  ;  Toici  Cboisy 
qui  arrive  à  notre  aide,  b  C'était  en  effet  Cboisy,  qui,  sur  la 
route  de  Tyniec»  ayant  entendu  des  décharges  de  mousqne- 
terie  du  côté  du  chftteau  de  Cracovie,  avait  pensé  que  Vioménil 
était  aux  mains  avec  les  Russes,  et  atait  repris  à  la  hftte  sa 
première  direction  pour  voler  à  son  secours.  A  la  tête  de  quatre 
cents  hommes,  il  culbuta  les  détachements  ennemis  qui  s*op* 
posaient  à  ton  passage»  et  pénétra  dans  la  Tille.  De  son  côté. 


^M*i-  /-n^  r-  J'/tutrei   /  Vt    f«    /"or, 


M  ik  BÈvourrim  polon ami.  15 

Wakmaki,  atec  sa  cavalerie,  sabrait  et  repoussait  les  Rasses; 
le  château  de  Cracovie  resta  définitivement  aux  confédérés. 

Ce  beau  fait  d-armes,  dû  à  des  officiers  français  par  suite 
d'une  de  ces  généreuses  interventions  qui  établissent  peu  à  peu 
la  fraternité  des  peuples,  jeta  quelque  éclat  sur  la  confédé- 
ration de  Bar.  Malheureusement^  la  discorde  se  mit  entre  les 
confédérés;  des  désastres  succédèrent  aux  succès,  et,  le  25  avril, 
Souwarow  entra  dans  Cracovie  et  s'empara  du  chftteau  après 
un  siège  de  trois  mois. 

Si,  lors  de  la  confédération,  la  Pologne  avait  eu  à  sa  tête  un 
autre  que  Stanislas- Auguste,  un  roi  d'un  caractère  résolu  et 
qui  eût  rallié  à  lui  tous  les  dissentiments,  fait  taire  toutes  les 
rivalités  personnelles,  peut-être  eût-il  été  possible  d'arracher 
ce  malheureux  pays  au  sort  qui  Tattendait;  mais  Stanislas 
n'avait  aucune  des  qualités  que  demandait  cette  œuvre  si  dif- 
ficile, et  cette  confédération,  à  laquelle  il  ne  prit  aucune  part 
et  qui  aurait  pu  sauver  la  Pologne,  ne  fit  qu'activer  sa  perte* 

Pendant  toute  cette  guerre  de  la  Russie  à  la  malheureuse 
Pologne,  les  cruautés  inouïes  exercées  contre  les  confédérés 
auraient  dignement  figuré  dans  les  annales  les  plus  sanglantes 
du  moyen  âge.  Catherine  avait  eu  l'horrible  idée  de  lâcher  les 
féroces  Cosaques  Zaporogues  contre  la  noblesse  confédérée  de 
l'Ukraine.  Les  horreurs  qui  s*y  commirent  dépassent  toute 
croyance.  Tout  ce  que  les  écrivains  du  xiii*  siècle  rapportent 
de  la  fureur  des  Mogols  se  renouvela.  Dans  la  seule  ville  de 
Hurau,  propriété  de  la  maison  Potocki,  seize  mille  individus 
de  tout  âge  et  de  tout  sexe  furent  égorgés.  Dans  ces  terribles 
moments,  on  vit  tous  les  usages  par  lesquels  les  nations  civi- 
lisées ont  cherché  à  adoucir  le  fléau  de  la  guerre,  violés  à 
regard  des  confédérés.  Les  capitulations  devenaient  des  pièges; 
la  foi  donnée  aux  prisonniers  était  toigours  trahie.  Des  gen* 
tOshonunes  qui  s'étaient  rendus  prisonniers^  étaient  massacrée 


%0  ttMWM 

de  MDf-troîâ.  On  taisait  «pir«r  tea  cb#b  dan»  i$B  jttp^Moa 
inveatte  en  Ruiaie  pour  lea  eadavea.  TantM  on  lea  liait  à  del 
arbreapour  leseiposer,  eomme  uQbulyèradrenedaaaaldato; 
d'autres  foiSt  on  lea  biaait  enchatner  pour  queleort  tMast  «ih 
leTéea  avec  dextéiiié  au  bout  dea  pîqueaj  lepmenlaHeni  lo«$ 
lea  jeax  d'un  carrooaeU  On  vit  ainsi  le  carnage»  qni  a  pour 
excuse  à  peine  la  nécessité  du  camb%^  devenu,  par  ces  her-' 
ribles  rarCnements  de  cruauté»  ramuaement  des  vainqueurs. 
La  barbarie  fut  encore  poussée  plus  loin»  On  laissailerrar  dans 
les  campagnes  des  baudca  Oe  malbeureaa  à  qui  on  evaît  fait 
couper  le?  deux  maius;  ou  bi*:n  encorei  par  une  incroifiUe 
férocité,  joignant  Tirooie  et  Tinsulte  à  la  cruauté  la  plus  inouïe 
on  faisait  écorcher  des  inalbeureux  tout  ^ivaulSi  dq  manière 
(}ue  leur  peau  représentilsur  eux  rbabillement  des  Palonaia* 

Cest  par  de  si  horribles  épisodes  que  se  caractérisa  cette 
(uerre;  c'est  par  ce  système  d'extermination  féroce,  que  Ga^ 
iberine  procédait  à  raccomplissementde  ses  vucs%  Impitoyable 
exécuteur  d'ordres  plus  impitoyables  encore^  Souwargw  sui- 
vait son  instinct  de  barbare,  et,  du  fond  de  son  palaiç  de  Sain^ 
Pétersbourg,  entre  une  orgie  de  lubricité  et  une  conversation 
philosophique^  l'impudique  czarine  humait  avec  délices  la 
vapeur  du  sang  que  ses  ordres  faisaient  verser  en  Pologne,  et 
la  fumée  de  l'encens  que  lui  prodiguaient  les  trop  comptai* 
sants  philosophes  de  France. 

De  tous  temps,  tes  c^ars  de  Russie  se  sont  montrés  fort 
jaloux  de  l'opinion  de  (a  France  sur  leur  compte,  et  fort  avides 
de  l'éloge  qui  leur  venait  de  ce  pays.  Catherine  surtout,  comme 
on  le  suit,  entretenait  des  correspondances  avec  Voltaire,  ap- 
pelait des  encyclopédistes  à  sa  cour.  Après  l'avènement  du 
jeune  Poniatoirski  au  tr6oe  de  Pologne  sous  le  nom  de  Sta- 
nislas-Auguste, Catherine  écrivait  à  V**  Geoffrio,  qui,  pour  je 
ne  sais  plus  quel  moQf,  appelait  Poniatovrski  iM  /Us:  c  Jtàt 


M  LA  BiTOLUTIOH  MLORAIII.  47 

0l^Ufn  i§  l»pcin$à  ffiitt  potr$JUrpi  4e  Pol9$»0P  G9^ 
df  tel»  palelioagei  qu^elle  4Ui(  parvenue  i  fMMer  lololeiDent 
Vi>pimï^  des  pbilofOpM  fin  xyiii*  siècle  lur  ion  «ompte.  Du 
reitf,  ppvr  miev;i  le»  tromper»  elle  ^nH  biX  adopter  pour 
système  de  promettre  la  vie  et  )a  liberté  i  ceux  gui  meNent 
b4^s  les  armes,  Wais^  après  quelques  jours  de  bon  traitemenl, 
lorsque  la  nouvelle  de  sa  modération  s'était  généralement  ré- 
pendue  en  Europe^  elle  foiseit  mettre  ces  infortunés  &  mon» 
on  an»  fers,  ou  les  envoyait  en  Sibérie.  Ses  »ua:esseur»  C9t, 
dapi  çerlainei  arconslancesi  voulu  adopter  ce  syslèmei  nnus 
les  indiscrétions  de  la  presie  en  rendent  de  plus  en  plus  V^ip^ 
ploi  moins  (ructnewK. 

Cependant  Topiniâtre  résî«lanc«  dee  opnI6dérés  semblait 
vouloir  lasser  )a  férocité  rpsfe»  maîet  pendant  que  le  France 
ipteneneit  ouvertement  en  leur  faveur,  que  TAulricbe  sem- 
blait se  raviser  à  la  ^uite  d'une  arriére-pensée,  le  roi  de  Prusse» 
sous  prétexte  que  la  peste  venait  d'éclater  en  Polo|[ne|  et  ré- 
clamait^ de  sa  part^  rétablissement  d'un  cordon  sanitaire,  en- 
velpppait  de  ses  troupes  la  frontière  polonaise.  Cette  mesure, 
plus  offensive  qu^bygiénique,  malgré  les  protestations  de  la 
Pru8se>  exaspéra  les  confédérés,  qui  déclarèrent  le  roi  déchu, 
poyr  le  punir  de  ses  connivences  secrètes  avec  l'étranger. 

Halbeureusement,  à  celte  époque,  le  duc  de  Cboiseul|  le 
protecteur  de  la  Pologne  en  France,  tomba  du  minlslèrCi  vie* 
time  des  intrigues  de  M"*  Dubarry,  et  les  secours  que  la  France 
envoyait  aux  insurgés  furent  tout  à  coup  suspendus. 

Alors  commença  pour  la  Pologne  une  série  de  revers,  et  les 
confédérés^  bientôt  découragés,  prirent  la  résolution  déses- 
'  pérée  de  s'emparer  de  la  personne  de  Poniatowski,  dont  ils 
connaissaient  les  secrètes  intelligences  avec  leurs  ennemis.  Ce 
coup  de  désespoir  tut  le  signal  de  leur  perte  ;  ils  furent  atta- 
quée et  vaincus,  Its  insurgés  furent  traités  de  brigands  et  de 


18  ..-.•.•.,•-. 

régicides*;  qndqaès-ans  d'entre  emjogés  et  décapités;  La 
confédération  df sparut^  et  le  premier  partage^'  ce  premier  des 
trois  grands  attentats  à  la  nationalité  polonaise,  fat  tranquil- 
lement consommé  à  la  face  de  PEurope  immobile,  et  au  béné- 
fice de  rAutricbèy  de  la  Prusse  et  de  la  Russie.  îl  eut  lieu  eu 
1772.  La  Pologne  y  perdit  ses  plus  belles  provinces  ;  mais,  par 
une  stipulation  dérisoire,  et  dont  les  éfénements  postérieurs 
démontrèrent  bientôt  le  mensonge,  les  trois  puissances  spo- 
liatrices garantirent  à  la  P'ologne  la  possession  du  territoire  T 
qu'elles  Toulaient  bien  lui  laisser.  Elles  s'emparèrent  :  la 
Prusse,  de  la  Prusse-Royale,  à  la  réserve  de  Dantzick,  de 
Tborn  et  de  tous  les  districts  situés  aux  alentours  de  Noteck; 
TAutricbe,  de  la  Russie-Rouge,  d'une  partie  de  la  Pbdolie  et 
de  la  Petite-Pologne  jusqu^à  la  Vistule;la  Russie  s'adjugea 
Polock,  WitepsiL  et  Hsislaw  jusqu'au  Dnieper  et  à  la  Dwina.  Le 
grand  Frédéric  régnait  alors  en  Prusse»  la  grande  Catherine 
en  Russie,  la  grande  Marie-Thérèse  en  Autriche.  Les  histo- 
riens qui  ont  ainsi  qualifié  ces  trois  personnages  ont  oublié 
de  nous  dire  pour  quelle  part  était  entrée  Piniquité  de  la 
spoliation  de  la  Pologne  dans  la  concession  de  ce  pompeux 
surnom. 

Ainsi,  la  Pologne,  depuis  longtemps  convoitée  par  les  trois 
grandes  puissances  voisines  qui  en  avaient  solennellement 
garanti  Tindépendance,  devint  irrévocablement  leur  proie. 
L'Europe,  stupéfaite,  ne  sut  que  protester.  Les  cours  de  Paris, 
de  Londres,  de  Copenhague,  de  Stocldiolm,  se  bornèrent  à 
manifester  une  stérile  indignation.  Le  crime  se  consomma.  Ce 
moment  mémorable,  où  le  droit  des  gens  tut  solennellement 
annulé,  où  les  rois  eux-mêmes  se  déclarèrent  imprudemment 
hors  de  la  loi  naturelle,  apparaît  dans  riiistoire  comme  l'avant* 
coureur  de  tous  les  bouleversements,  de  toutes  les  révolutions 
dont  TEurope  a  été  depuis  lors  le  théâtre^  et  dont  il  n'est  pas 


DE  LA  BÉYOLUTION  P0L0NAI8B.  flf( 

donné  à  la  sagesse  humaine  de  prévoir  ni  de  fiyçr  le  terme* 
Diminuée  d'un  tiers,  la  Pologne  ressemblait  à  un  corps  mu- 
\\]r,  qui,  sans  espoir  raisonnable  de  salut,  cherche  cependant 
h  p^uérir  ses  cicatrices  et  à  prolonger  son  existence.  Jusqu'en 
178S,  le  roi  Stanislas  parut  vouloir  s'occuper  de  quelques  amé* 
liorations  intérieures;  mais  son  pouvoir  était  extrêmement 
circonscrit.  Profitant  de  la  haine  des  grands  contre  Stanislas, 
Catherine^  plus  que  jamais  acharnée  contre  cette  malheureuse 
Pologne,  y  multiplia  ses  machinations^  et  amena  rétablisse- 
ment d'un  pouvoir  exécutif  qui  réduisait  à  peu  près  les  fonc* 
tions  du  roi  à  celles  d'un  simple  président.  Ce  nouveau  pou  • 
voir  était  confié  à  un  conseil  permanent,  qui,  dans  rinterv«ille 
des  deux  diètes  ordinaires,  surveillait  l'éxecution  des  lois  et 
les  interprétait.  Ce  conseil  pouvait  admonester  toutes  les  auto** 
rites  constituées^  et  même  suspendre  leur  activité,  sans  cepen* 
dant  intervenir  en  aucune  manière  dans  le  jugement  des 
procès.  Dix-huit  membres  du  sénat  et  un  pareil  nombre  de 
l'ordre  équestre  composaient  ce  sénat.  L'autorité  du  roi  fut, 
en  un  mot,  restreinte  autant  que  possible,  et  le  liberum  veto 
fut  rétabli  dans  toute  sa  force. 

LaPrusie,  qui  dans  le  partage  de  1772  avait  été  jouéo(l), 
vit  sans  peine  le  but  que  se  proposait  la  Russie  en  avilissant 
ainsi  le  roi  de  Pologne,  en  autorisant  même  son  ambassadeur 
à  Varsovie  à  le  traiter  avec  une  morgue  qui  aurait  paru  dé- 
placée avec  un  simple  particulier.  Le  coootte  de  Nertzberg,  qui 

(i)  La  Prusse  avait  espéré  dans  le  premier  partage,  une  part  égale  à 
la  proie  eommone.  Mais  le  cabinet  de  Vienne  démontra  qu'il  fallait 
metire  dans  ce  partage,  non  pa^s  une  simple  égalité  de  fuantitéf  mais 
une  égalité  proportionnée  à  Vétat  de  forces  de  chaque  puissance  co-par- 
tageanie^  sans  que»  le  partage  eût  changé  l'équilibre  alors  existant 
entre  ces  puissances.  Il  résultait  de  ce  principe  que  rAutricbe,  déjà 
souveraine  de  vinet  millions  de  sujets,  devait  acquérir  quatre  fois 
autant  que  le  roi  de  Prusse,  qui  n'en  avait  qee  cinq  millions. 

(Malle-Brun,  Tableau  de  Pologne.) 


K2  H18T0IM 

entraves^  iniûs  un  tif  amour  de  rindépendance,  mobile  à  la 
fois  de  la  vraie  gloire  et  de  la  vraie  grandear. 

Les  Polonais  9  avec  leur  caractère  chevaleresqae,  leur 
fierté  native»  et  surtout  leur  turbatoice  habituelle  de  mœurs 
publiques  et  leur  soif  de  liberté,  ne  pouvaient  rester  froids  ^ 
ce  solennel  appel  d'un  peuple  avec  qui  tant  de  liens  sympa 
thiques  avaient  établi  une  sorte  de  fraternité.  Aussi,  la  Révo- 
Intion  française  fut  en  Pologne  TétinoeUe  qui  tombe  sur  une 
traînée  de  poudre.  Tout  ce  qu'il  y  avait  de  sentiments  géné- 
reux dans  les  cœurs  s'émut,  s'enflamma,  et  les  mêmes  ac- 
cents patriotiques  au  bruit  desquels  croulait,  sur  les  rives  de 
la  Seine,  le  vieux  trône  des  Bourbons,  réveillaient,  sur  les 
bords  de  la  Vistule,  les  glorieux  temps  des  Jagellons.  Seule- 
ment, au  lieu  de  la  liberté  sauvage  d'une  époque  de  barbarie, 
la  Pologne  rêvait  une  liberté  plus  en  harmonie  avec  les  non- 
Teaux  besoins  et  les  exigences  de  la  civilisation. 

Ainsi  remuées  par  la  secousse  imprévue  de  la  Révolution 
française,  les  populations  enthousiastes  de  la  Pologne,  en- 
traînées par  les  principes  et  les  encouragements  de  la  France 
elle-4némey  prirent,  dans  la  sens  de  la  liberté  absolue,  lès 
promesses  jetées  aux  peuples  pair  la  démocratie;  et,  en  cela, 
elles  eurent  raison.  Mais,  trop  pressées  de  jouir  d'un  bien 
dont  les  classes  inférieures  ne  comprenaient  pas  encore  la 
valeur,  elle  se  lancèrent  avec  une  précipitation  trop  hâtive 
dans  la  voie  des  innovations»  comptèrent  trop  sur  les  sympa- 
thies chevaleresques  de  la  France,  et  trop  peu  sur  les  ini- 
quités préméditées  de  la  Russie,  de  la  Prusse  et  de  l'Autriche; 
et  en  cela,  elles  eurent  tort.  La  rénovation  qu'elles  allaient 
tenter  devait  être  le  prétexte  de  leur  perte. 

A  la  diète  du  17  décembre  1790  avaient  été  adoptés,  à  l'una- 
nimité, sous  le  titre  de  laii  fMdammUale^,  en  opposition  aux 
prétentions  de  la  Russie,  des  univsrsaux^  dont  le  principal 


DB  LA  RÉVétimoW  P0L0NAI8I.  fS 

étaftqoe  là  nation  avait  le  droit  de  faire  desloft^  et  de  n*obéir 
qu^A  celles  qu'elle  aurait  rendues. 

Ce  premier  pas  dans  une  Toîe  d'émancipation ,  joint  à 
Texemple  de  ee  qni  se  passait  en  France,  réveilla  Témnla- 
fîon  des  classes  bourgeoises.  Profilant  de  Pbspèce  de  liberté 
dont  elles  jouissaient^  elles  réfléchirent  sur  leurs  droits^ 
sur  leur  position^  et  présentèrent  à  la  diète  le  mémoire  foi- 
' vant : 

c  Sire,  illnstres  États  confédérés, 

«  Quand  la  Pologne  entière  se  félicite  de  voir  les  opératioils 
de  la  dicte  présente  tendre  directement  au  bonheur  de  la 
patrie,  les  citoyens  des  villes  libres  de  la  Pologne  et  du 
grand-duché  de  la  Litbuanie  sentent  que  c'est  enfin  en  ce 
moment  qu'ils  peuvent  recouvrer  leurs  droits.  Pleins  de  cou* 
fiance  en  votre  sagesse,  ils  vous  ont  choisi.  Sire  et  illustres 
États,  pour  les  représenter  auprès  de  vous  et  vous  exposer 
leurs  demandes  fondées  sur  les  lois  et  la  justice.  Jaloux  de 
remplir  une  fonction  si  importante,  nous,  délégués  de  toutes 
les  villes  de  Pologne,  c'est  avec  respect  que  nous  nous  em- 
pressons de  vous  les  exposer,  et  de  vous  témoigner  leur  dé- 
sir de  concourir  au  bien  général  et  à  la  félicité  des  États  de 
la  république. 

c  Le  siècle  de  là  vérité  et  de  la  justice  est  arrivé.  11  nous 
presse  de  nous  exprimer  dignement;  il  nous  ixispirè  des  té- 
moignages de  dévouement  à  la  patrie;  il  nous  donne  le  cou- 
rage d'invoquer  les  lois  qui  garantissent  TÉtat  et  la  liberté 
des  citoyens  des  villes,  qui  leur  donnent  le  droit  de  posséder 
des  propriétés  foncières;  lois  consacrées  par  des  siècles  de 
Jouissance,  lois  sages;  lois  prédeuses  non-seulement  à  eux- 
mêmes,  mais  à  l'État  entier.  Pleins  de*  confiance  en  vos  lu- 
mières, en  votre  équité,  nous  sommes  intimeâient  persuadés 


M  •••'..-  WT01U  •    I   • 

que  tooB  fli'béaitorez  p«9  ^  rendre^  df^eonflrner;  w  ^pMib 

loi  naturelle  accorde  à  chaque  individu^  et  ce  que,  daiw  las 

iempfi  da^loÂi^  dtdfi  pro^p^tilé  de  la  Pologne,. vos  ancêtres 

oDt  oonfiriné  par  les  cpoBtitutioiia  les  plus  «nciemee  et  le 

plussaenées*  Convaincus  de  la  lépliroité  de  oosdroiis,  c'est 

,i  v^e  justice  que  nous  ies  souoiettoos^  Nous  exposerons 

4om  vos.  ^w%^  les  coo^UtiUiofts.de  ws  an.cfHms  qui  gtran- 

tissent  notre  état  civil;  nous  les  invoquerons  encore,  ees  lois 

oubliées  depuis  des  siècles,  dont  la  désuétude  a  produit  les 

plus  grands  maux.  La  ruine  des  villes,  t'afifiaavrisiement  des 

-provinces»  la  destruction  du  commerce,  def  décombres  et 

,des  ri^oes  où.  exist|(^ient  autrefois  des  cités,  ricbes  et  {(pria* 

aantes  ;  voilà  1^  tristes  effets  de  Pabiaissement  de  Télat  des 

libourgeois  et  de  Tine^iécution  des  lois,  qui,  soua  vo^  an- 

■  pâtres ,  concouraient  à  ii^  richesse  et  à  Ja  p^^^9w;e  de 

a  Quand  ia  Pologne  nUnléressait  que  par  ses  maltieurs, 
.  réiat  bourgeois^  quî  en  a  épit)uvé  les  plua  orueUes  att^inl^, 
.a  cependant  altenduj  pow  ae  plaindre»  oe  monoent  fortuite 
où  la  patrie  a  réouvre  sa  li^nerté  prenûère,  où  eUes'e^isous- 
traite  à  la  dépendance  étrapgère^  où  TÉtat  eptiar  a  éta  rendu 
a  lui-même.  Quan^  un  /[^quveL  ordre  dQ  cbos^  sen^bl^  pro- 
mettre à  la  Pologne  le  retour  de  son  ancienne  splendeur» 
garderipnvnous  le  silence?  n'iayoquerioipsr.s^oi^s  pas  las  lois 
antiqp^  faites  en  notre  faveur  et  poire  liberté  i^rimitive^  si 
essentieilemeat. liées  et  si  nécessaires  à  la  prospérité?  Main- 
lenaatque.la  Pologne  s'élève  sur  ses  ruines,  héritiers  du  zèle 
de  voç  ancétrçft.  Sire  et  illustres  États,  vous  le  serez  de  leur 
justice;  leur^  travaux  vous  serviront  de  modales^  et  les  siècles 
.à;^enir  répéteront  encore  avec  éloge  vos  sages  décisions.  Le 
.  jr^(abli9Siça»eQt.  des  loM  que  vous  vous  empresser^  de  rendre 
;,inHattablas^.s^^«^i  important  4  i'Ëlat  que.  iBwy  inexécu^ 


DS  LA  BiVoLtïiÔN  k>0L01IAI8B.  ttl 

ttoà  gf àii  «lé  filtoèste.  tièltë  itiekècafioil  potii't'àit-elle  légili- 
.  mer  la  situation  malheureuse  dont  tious  ndils  plaignons? 
'  Poui'i^aiMBë  ànéààti^  dès  droits  fobdés  sur  les  principes 
Bâniéë  de  la  iHatute  et  gdratlti§  pàt*  te  Gouvernement^  Nous 
flomtties  intimement  conTaidcus,  Sii'e  et  illustres  États,  que 
nos  droits  île  peuvent  avoir  de  plus  ptitssants  protecteurs. 
Une  oppfesâion  constante  pendant  deux  siècles  né  petit  qu'in- 
spirer aux  flmes  vertueuses  le  désit*  d^une  ptortipte  &n^  avec 
d^autattt  plds  de  raison,  (qu'elle  bffecte  une  grande  partie  de 
la  ttatfon^  et  qbe,  ainsi,  VÉlat  entier  en  ressent  Pattêinté. 

€  Ciiis  ûùt  autres  citoyeàs,  et  par  lés  lois  les  plus  soletinelleâ, 
M  pat'leuf  bttâi^hèmeht  à  ia  patMe>  tés  l)ôurgeois  des  villeë 
é^àdiressétil)  ttVèe.la  plus  grande  Conflaiii^ë,  aux  iltustl'es  Ét^ts 
àsseiftiblés.  Rédtiits  à  la  plus  extrême  détresse,  si/péndani 
lDtigtëmps>  ils  D^ont  pu  rendre  aucun  service  à  la  patHe, 
jatfiail^  du  kiUm^  fM  tfbnlchen^hé  à  lût  nUiré,  tt^ont  ajouté 
ûm  dissensidtte  à  celleà  qui  l'ont  lâgltée.  Des  pMWiâcès  peu-^ 
pt6ës>  itEihès  et  agricoles  ont  été  détiiëttlbrée^.  Lar  Pblôgné  a 
ptutéa  pluëieurs  millidtis  de  iMns  citoyens,  et  plusieurs  vf  tleé 
de  manufaicturè  ël  de  commerce^  et»  avec  elles,  led  bburt^eoi^ 
pblDDQis ont l&usst perdu  leurfbHuné  étleuk*état.  Qtland,  pour 
ettx^  le  malheur  à  été  à  son  cbmbfe,  ilè  ottl  Au  iMifts  M  doh^ 
lolalion  de  j^iiMr  qtté  les  itiAlliilOni  dé  tt  pâtHë  n'oàt  Jètnrai^ 
été  lew  (ouvrages.  ^ililq«e  le  géUverneiâëinl  pôlôtiaië  ^e  hégé^ 
Hère,  pnisqw  la  patfie  est  dané  Uâé  Sitûàlioh  plus  héiireuso, 
y»  n'espèt'êÉt^  Më  He  dèilândëiit  ^qà  oë  (}tt^  dàâë  lé  temps  des 
plus  grandes  calamités^  était  TanictUë  objet  de  léUl^siëuhàits  i 
la  oôaôMHie>  rattiob^  le  puissàÉëé  M  lô  tntiikitteft  fleftlMë.  lis 
ê^ûëi^ttdtt UvfiÉMt  ces  vëdtt  diëvMt  voils>  mè  ëtillUëUrel 
États.  Ils  vous  demandent)  pOûr  toute  grfteë)  dé  M»  néndM 
utiles  à  la  patrie,  de  leur  donner  la  facuHé  Qê  là  fce¥v(¥,  de  leu^ 
M«Httte^  lëurë  afieieM  privilège^)  el,  en  se  pénèH^lH  Aë  tëlrè 


S6  HtSTOIU 

zcle^  de  pouvoir  offrir  leur  fortune  et  leur  vie  poiur  le  mata* 
tien  des  lois  et  de  la  liberté.,. 

«  L'ataour  dq  la  pairie,  raltaGheinent  à  la  oation,  Te^prit 
d'union  qui  règne  parmi  nous,  la  pureté  de  nos  iatentioaf» 
bien  capable  de  calmer  nos  inquiétudes,  si  nous  pouvions  ea 
avoir^  nous  donnent  le  courage  de  vous  exposer,  celte  grande 
vérité  que  tous  les  habitants  d'un  pays  libre  doivent  mutuet-i 
lement  révérer  et  défendre  la  sagesse  des  lois  anciennes,  les 
gages  sacrés  de  la  concorde  qui  doit  régner  dans  une  nation» 
ces  remparts  formidables  que  vos  prédécesseurs  ont  élevés 
contre  le  joug,  étranger.  Vos  sages  ancêtres  avaient  bien  senti 
que,  pour  le$  esclaves,  la  patrie  est  une  marâtre  ;  que  resclave 
est  l'ennemi  né  de  son  despote;  qu^à  celui  qui  gémit  sous  le 
joug,  il  est  bien  indifférent  qu'un  seul  Iiomme  ou  plusieurs  le 
gouvernent.  Convaincus  de  cette  vérité  si  importante,  ils 
avaient  accordé  au  peuple  nombreux  qui  fer maiMes  villes»  de9 
privilèges  qui  leur  donnaient  nn.rang  dans  Jla  société,  et  une 
influence  dans  le  gouvernement;  ces  avantages»  si.  essentiels 
pour  le  bonheur  el  la  liberté  du  peuple,  attestant  la.sagesse^ 
la  prudence  et  la  justice  de  ces  anciens  législateurs» 

«  Nous  soumettons  a  vos  lumières  et  à  votre  vertu  ces  droits 
dont  nous  jouissions  autrefois.  L'Europe  entière  verra  la  jus* 
L>e  de  nos  démarches;  elle  applaudira  à  la  confiance  que  nous 
donnent  votre  intégrité  et  votre  sèle  pour  le  bien  public;  elle 
rattribuera  à  la  douceur  de  caractère  dont  la  nature  a  doué  les 
Pojonais,  etaux  lumières  do  siècle»  qui  ne  peuvent  se  répandre 
et  se  propager  qu'au  sein  de  la  liberté. 

€  Les  évolutions  étrangères  ont  retenti  à  nos  oreilles;  maïs 
nous  conservons  l'entière  fidélité  que  nous  avons  vouée  à  la 
république  française,  et  nous  promettons  de  la  lui  garder  éteiv 
nellemeat.  L'esclave  rompt  ses  fers  dans  les  régions  où  le  defr- 
potiime  étouffe  tous  les  droits  de  Tbomme;  mais  en  Pologne, 


m  LA  BÉYOLOTION  POLONAISB.  57 

OÙ  le  roi^  père  de  la  patrie,  ayant  de  se  charger  da  pénible 
fardeau  de  la  couronne,  avait  joui,  comme  citoyen,  de  tous  les 
avantages  de  la  liberté  ;  en  Pologne,  où  le  très-illustre  sénat  p 
et  Tordre  équestre  en  sont  les  vrais  gardiens,  où  ils  en  déve-  ^ 
loppent  si  Inmineusement  l'esprit,  tous,  suivant  l'impulsion  i^ 
de  leur  cœur,  sont  intimement  convaincus  que  la  liberté  est 
naturelle  à  Fhomme,  que  ses  principes  sont  sacrés;  que  les 
lois  dont  elle  est  la  base,  et  que  le  temps  a  détruites,  doivent 
2lre  rétablies;  qu'il  faut  donner  une  nouvelle  activité  à  celles 
qui  sont  atlaiblies;  en  un  mot,  élever  sur  ses  propres  ruines, 
et  sur  son  ancien  fondement,  le  vaste  édifice  d'un  gouverne- 
ment  libre. 

€  Bien  loin  de  chercher  à  taire  des  sentiments  si  conformes 
au  bien  public,  au  droit  de  Thumanité  et  à  la  vraie  liberté, 
nous  nous  faisons  gloire  de  les  rendre  publics.  La  pureté  de 
nos  intentions,  notre  attachement  à  la  vérité  pourraient^ls 
encourir  votre  blâme,  Sire  et  illustres  États  ?••• 

«  Nous  vous  demandons  donc,  au  nom  des  citoyens  nom- 
breux des  villes  libres,  que,  dans  la  république,  chaque  indi- 
vidu soit  assuré,  comme  homme,  de  ses  biens  et  de  sa  per- 
sonne ;  que  chaque  citoyen,  et,  d'après  la  constitution  polonaise, 
chaque  bourgeois  soit  membre  de  la  patrie  ;  que  la  république 
soit  composée  de  toutes  les  classes  de  citoyens  libres,  sous  un 
même  chef  qui  est  le  roi.  C'est  sur  les  bases  des  lois  naturelles 
ii  nationales,  que  les  villes  de  Pologne  ont  fondé  leur  réunion  ; 
2*est  par  une  conformité  d^intérêt  avec  les  autres  citoyens, 
qu'ils  ont  élu  des  députés,  non  pour  fomenter  le  trouble,  mais 
uniquement  pour  vous  exposer,  leur  situation  et  leurs  besoins 
qui  sont  ceux  de  la  patrie. 

9  Sire,  daignez  vous  rappeler  vos  serments  et  nos  privi- 
lèges, et  vous  ne  pourrez  vous  refuser  à  nos  prières.  Si,  pen- 
dant si  longtemps,  des  milliers  de  citoyens  ont  été  opprimés 

S 


S8  HISTOIRE 

par  les  préjugés  et  Tignorance,  que  la  vérité  et  les  lumières 
du  siècle  leur  rendent  enfin  la  justice  ;  qu'elles  leur  amènent 
ces  jours  d'allégresse  qui  illustreront  votre  règne>  et  qui,  dans 
les  fastes  de  Thumanité^  seront  Texempie  des  rois. 

«  Illustre  état  équestre,  vous  à  qui  nous  somnies  unis  par 
tant  de  liens,  tous  pour  qui  la  liberté  est  un  élément,  vous 
dont  les  privilèges  se  trouvent  à  côté  des  nôtres  dans  le  livre 
des  constitutions,  considérez  les  nombreux  citoyens  qui  sé- 
journent dans  les  villes;  voyez  en  eux  des  homnies  qui  désirent 
concourir,  avec  vous,  à  la  défense  de  la  liberté;  veuillez  la 
leur  rendre,  cette  liberté  sainte,  en  les  rappelant  à  leurs 
droits  ;  à  la  gloire  de  si  bien  conserver  la  vôtre,  ajoutez  celle 
de  révérer  et  défendre  celle  des  autres.  Quand  le  xviii^  siècle, 
en  étendant  le  règne  de  la  vérité,  prépare  une  heureuse  révo- 
lution sur  une  partie  du  globe,  en  rendant  aux  hommes  toute 
rétendue  de  leurs  droits,  soyez,  illustres  Étais,  le  modèle  des 
autres  nations,  et  Tamour  de  tous  les  citoyens  malheureux 
amoncelés  dans  les  villes  de  Pologne. 

c  Interprètes  de  Dieu  et  de  la  vérité,  saint  état  ecclésiastique, 
c'est  ici  Toccasion  de  remplir  ce  que  TÉvangife  (cette  pure  et 
sainte  doctrine  du  sauveur  du  monde)  exige  de  vous.  Institu- 
teurs du  peuple,  vous  qui  êtes  obligés  de  le  tirer  de  l'esclavage 
et  des  ténèbres,  voici  le  moment  de  montrer  au  monde  que 
vous  êtes  les  défenseurs  des  droits  îdes  hofnmes,  pour  lesquels 
notre  saiiit  législateur  et  sauveur  n'a  pas  hésité  de  verser  son 
gang  et  sa  vie.  L^Évangile,  le  guide  sûr  de  nos  consciences, 
nous  fait  un  devoir  d'en  appeler  à  vous.  Soyez  donc  les  défen- 
seurs et  les  gardiens  des  hommes,  égaux  en  h*C.^  égau^  aux 
yeux  du  Créateur,  devant  qui  toutes  les  gtandeiirs  du  monde 
disparaissent,  et  où  la  vérité  seule  demeure.  Si  vous  voulez 
que  le  peuple  vénère  toujours  votre  voca:tion,  qu^l  respecte 
vos  avantap:es,  soyez  les  défenseurs  dés  drt^Us  de  rhumanité. 


DB  LA  RéV0IUTI0;«  POLOlf A18B.  %i^ 

du  salut  du  pays  et  des  privileiges  d'une  classe  d'bomoies 
avilis »  etc. 

Te]  fut  rintéressant  et  curieux  Mémoire  qui  fut,  eu  1790^ 
présenté  aux  étals  par  la  bourgeoisie  de  Pologue.  Tout  Tesprit 
de  la  Révolutiop  française  ^'y  reflétait,  et,  comme  dans  ce 
moment  la  m^ûorité  de  la  diète  était  favorable  à  une  révolu- 
tion qu*on  raéditait|.  ce  Mémoire  fut  fort  bien  accueilli.  Le 
14  avril  1791,  Luocorzew^lu^  nonce  de  Kalicb,  présenta^  au  nom 
du  comité  auquel  Is^  demande  de  ia  bourgeoisie  avait  été  ren« 
voyée,  le  projet  d'une  cbarte  pour  les  villes,  qui  fut  adoptée 
le  18.  Elle  se  composait  de  trois  articles»  sous  les  titres  :  De$t 
villes;  Des  droits  des  bourgeois \  De  r exercice  de  lajustieedâs^ 
bourgeois.  Nous  allons  en  indiquer  les  principales  disposî-* 
lions. 

Par  le  premier  étaient  reconnues  libres  ioutes  les  villes 
royales  dans  les  États  de  la  république^  et  les  terres,  maisons, 
villages  et  territoire  des  babitants  étaient  déclarés  leur  pro- 
priété héréditaire.  U  était  restitué  des  diplômes  de  rénovation 
aux  villes  qui  avaient  perdu  leurs  privilèges  (d'établissement). 
A  celles  destinées  à  la  tenue  des  diétines,  il  était  octroyé  des. 
privilèges  de  location.  Un  diplôme  d'érection  était  concéda  4 
toute  colonie  d'bommes  libres  qui  auraient  donné  à  leur  habi- 
tation une  apparence  de  ville;  les  propriétaires  avaient  le  droit 
de  rendre  libres  leurs  villes  héréditaires.  Tous  les  bourgeois 
jouissaient  indistinctement  des  mêmçs  prérogatives;  nul  ci*/ 
toyen  ou  noblQ  possessionné  ne  pouvait  faire  le  connneircef 
qu'en  se  faisant  recevoir  bourge9isi.le  4rûitde  bourgepi^ie^. 
les  fonctions  municipales,  le  commerce,,  les  manufactures, 
quelconques  n'étaient  plus  une  dérogeance.  Tous  les  citoyens, 
concouraient  au  droit  d'élire  leurs  officiers  municipaux.  Les. 
Villes  avaient  le  droit  de  faire  des  règlements  reb^tifs  à  leuc, 


60  HISTOIRB 

Par  le  second  article^  la  loi  cardinale,  s'étendait  sur  tous  les 
habitants  des  i^illes,  sauf  quelques  exceptions.  Les  villesn  om- 
maient  un  plénipotentiaire  à  la  diète  pour  y  défendre  leurs 
intérêts  et  exposer  leurs  doléances.  Tout  bourgeois  avait  le 
droit  d'acquérir  des  terres,  de  les  posséder  de  plein  droit  de 
propriété,  de  les  laisser  comme  telles  à  ses  héritiers  légitimes, 
d'acquérir  des  biens  par  succession.  A  chaque  diète,  il  serait 
anobli  trente  bourgeois  possédant  des  biens  héréflitaîrcs  dans 
les  Tilles,  et  tout  citoyen  entrant  par  droit  héréditaire  dans  la 
possession  d'une  petite  ville  ou  d'un  village  payant  deux  cents 
florins  d'impôt  du  dixième  au  moins,  pouvait  être  anobli  s'il 
en  faisait  la  demande.  Les  bourgeois  pouvaient  entrer  au  ser- 
vice militaire  de  toute  l'armée,  excepté  dans  la  cavalerie  na** 
tionale,  et  parvenir  au  grade  de  capitaine  surnuméraire  dans 
l'infanterie  ;  ils  avaient  droit  à  un  diplôme  de  noblesse.  Dans 
les  chancelleries,  corps  d'avocats,  tribunaux  et  juridictions 
inférieures,  tout  bourgeois  parvenu  à  TofÛce  de  régent  des- 
dits départements,  était  anobli  sMl  en  faisait  la  demande. 

Le  troisième  article  abrogeait  toutes  les  juridictions  sécu- 
lières et  ecclésiastiques  locales,  et  soumettait  les  bourgeois 
aux  seuls  tribunaux  ressortissant  de  la  juridiction  des  villes,  etc. 

Telle  fut  cette  célèbre  charte  des  villes^  qui  passa  dans  le 
temps  pour  une  concession  immense,  et  qui ,  en  déiinilive, 
était  fort  peu  de  chose.  De  tous  les  privilèges  dont  la  loi  faisait 
une  pompeuse  énumération,  les  uns  méritaient  peu  d'atten- 
tion, les  autres  n'étaient  que  d'anciens  privilèges,  non  pas 
octroyés,  mais  restitués.  Deux  seulement  avaient  en  apparence 
une  grande  valeur:  c'étaient  le  droit  de  la  bourgeoisie  d'être 
représentée  dans  la  diète  par  vingt-quatre  membres,  et  celui 
qui  accordait  la  noblesse  aux  principaux  d^entre  les  bourgeois, 
et  laissait  aux  autres  l'espérance  d'être  un  jour  anoblis.  Mais 
te  premier  de  ces  droits  était  presque  illusoire  i  d'abord  paroe 


DB  LA  BÉVmVIIOir  POLOKAISB.  6i 

que  les  b<n]if[eoi8  ae  faisaient  ordiDairemeût  représenter  par 
des  gentibhommes;  ensuite,  parce  que,  quoiqv^ls  enssent  le 
droit  de  demander  la  parole  et  d'exprimer  le  Yœn  de  leurs 
commettants,  toute  discusaon  leur  était  interdite,  et  ils  ne 
pouTaient  prendre  aucune  part  actiTe  dans  les  délibérations. 

Qnant  à  la  faculté  si  multipliée  d'anoblissement  des  bour- 
gcoi?,  c'était  une  mesure  qui  ne  poutait  atteindre  le  but  qu'on 
se  proposait.  Les  Polonais  prétendaient  qu'en  ounant  la  no- 
blesse à  toute  la  bourgeoisie,  ils  avaient  fait  la  même  opéra- 
tion que  celle  qui  avait  détruit  la  noblesse  en  France;  mais 
ils  n'avaient  fait  qu'ouvrir  une  porte  à  la  vanité.  Il  est  vrai  que^ 
quand  tout  le  monde  est  noble,  il  n'y  a  pas  plus  de  noblesse 
que  lorsque  personne  ue  Test  Cependant  ces  deux  opérations 
sont  bien  ditTérenles;  l'une,  dictée  par  la  philosophie  et  la 
raison,  est  un  acheminement  vers  Tégalité  relative;  l'autre 
est  une  marche  rétrograde  vers  la  barbarie,  et  une  extension 
des  privilèges;  car  au-dessous  des  nobles  et  des  bourgeois,  il 
resterait  forcément  une  autre  classe  que  le  défaut  de  fortune 
ou  les  nécessités  de  position  maintiendraient  toiyours  dans 
un  état  d'infériorité. 

Quoi  qu'il  en  soit,  cette  charte  du  miles  fut  reçue  comme 
une  grande  concession.  * 

Les  opérations  de  la  diète  de  1791  furent  toutes  marquées 
d'un  esprit  de  patriotisme  et  d'indépendance  ou  se  reflétaient 
partout  les  principes,  les  idées  et  le  glorieux  exemple  de  la 
Révolution  française  à  son  début.  Stanislas  lui-même,  ce  roi 
dont  tous  les  actes  politiques  avaient  été  jusqu'alors  une  fai* 
blesse  ou  une  lâcheté;  qui,  soumis  à  toutes  les  hautaines  in- 
sitenœs  d'un  ambassadeur  moecovite  (1),  avait  plutAt  régné  en 

;i)  €  Si  Ton  veut  avoir  une  idée  de  la  manière  d'être  da  comte  Stao- 
,  aflibassadear  msse  sa  Poiogne,  0  suffira  de  savoir  que  las 


lf2  8IIII0I1B 

yJkîe*Toi  ni8«eqii'6D  roi  de  Pologne,  parut  avoir  oublié  la  matn 
qui  rayait  porté  aur  un  trèoe  (}tt^il  méritait  si  peu ,  pour  se 
rappeler  seulement  que  le  peuple  auquel  il  commandait  avait 
plus  â'uue  fois  vu  fuir  devant  lui  ces  hordes  barbares  qui 
disaient  lui  disputer  alors  Jusqu'à  sa  nationalité. 

Eu  eflèt>  Stanislas^  qui  y  jusqu'à  œ  moment»  aVait  toujours 
été  riusiniment  de  la  (action  russe,  voyant  los  patriotes  en 
majorité  dans  la  diète»  cfaerchoi  se  rapprocher  de  ce  parti 
devenu  demioaut  Eblouis  des  avantages  que  pouvait  leur 
mettre  cette  procoalition^  les  patriotes  y  donnèrent  les  miins 
avec  je!e.  Toiit  (ut  pardonné  i  Stanisks:  On  excusa,  on  oublia 
même  Jusqu'à  l'irrégularité  de  sa  conduite,  efinsi  qae  ses  li  li- 
'^sons  avec  la  Russie  ;  il  y  eut  tin  de  ces  beaut  moments  où  un 
peuple  et  son  rot  semblent  s'entendre.  L'enthousiasme  fut  iio- 
uéral,  et  on  travailla,  de  concert  avec  Stanislas,  à  une  consti- 
tution nbuvelle  qui  devait  être  proclamée  le  5  mai. 

Gomme  on  ne  faisait  plus  mystère  du  projet  d'une  révolu- 
tion, le  parti  russe  ^hiul.  L*évêque  Kassakowskî  et^rariiki, 
deux  chefs  des  plus  ardents  de  ce  parti,  expédièrent  des  douf- 
riers  pour  faire  venir  de  toutes  les  parties  de  la  Pologne  leUrs 

juges,  dans  les  tribunaux,  n*osaient  pas  signer  un  arrêt  un  peu  impor- 
tant sans  le  lui  avoir  préalablement  présenté.  La  façon  dont  il  se  con- 
duisait avec  le  roi  est  encore  digae  oa  reuiarooe  ;.lorsqa'il  se  traufrait 
chez  Sa  Majesté,  il  passait  sans  façon  devant  le  fauteuil  do  ce  prince, 
et  se  plaçait  devuitiûle  dos  tourAéecatre  le  feuy  et  son  habit  tetroas>ô. 
c  Un  jour  le  roi  arrivant  chez  le  ministre  russe,  le  trouva  occupé  à 
tailler  an  pharaon  ;  te  comte,  sans  se  lever,  se  contenta  de  faire  au  roi 
une  légère  inclinalioQ  de  tâte,  et^  lui  nu)ntrant  avec  la  maia  u^  fauteaij^  : 
Sire,  dit-il,  je  vous  prie  de  vous  asseoir,  et  il  continua  sa  partie.  Beau- 
coup de  gens  ont  blâmé  ie  oomta  Staekelberg  de  s'^ètre  ain^  conduit. 
Sans  doute  il  avait  tort,  mais  les  Polonais  méritaient  d'être  ainsi  humi- 
liés, puisqu'ils  le  souffraient  depuis  vingt-cinq^  ans.  Le  prédécesseur 
du  comte  Sts^lb^rg^  lepnnce  itepoMi»  jtea  traitatt  encore  t)awG^«p 
plus  mal  ;  il  les  faisait  mettre  aux  fers  lorsqu'ils  lui  raisonnaient.  C'est 
ce  qui  a  fait  dire  à  Frédéric  II,  dans  ses  œuvres  posthumes»  que  les 
Kusses  gouvernaient  la  Pologne  par  leurs  ambassadeurs,  comn^  les 
Homains  gouvernaient  autrefois  ieS  province^  conquises  par  lèur^ 
préteurs.  >  (Méhée,  liea  cité.) 


DS  LA  WÈVQmm»:  POLOHAISB.  U 

^9geMsileB[Axt$ déterminées  et  reikfor^r  VoppvMîUM^La  ré^Q- 
ItttioD,  ulorsi  qui  m  devait  ^lai^r  que  le  S  maU  lut  avancée 
de  deux  jours. 

La  3tinai,dèsFovverlurédelaséftQcejlegraj»d<Qavédaal  de 
Lithuanie,  Igmœ  Potoeki,  fitcoanattre  à  la  diète  les  dangers 
-poUtiques  dont  la  Pologne  éloit  de  nouveau  menacée  :  c'était 
le  pfiDcipalmotiCsur  lequel  eo  ba5ai(  la  néeeiaité  d'une  ré- 
volutiOfi.  Il  présenta>.&nruôtne  lemp^la  uécesilié  de  prendre 
les  assures  les  plus  propres  à  déjouer  les  projets  des  ennemis 
et  engagea  le  roi  à  s'eiipliquer  en  celte  circonstance* 

Le  rf»  prit  la  parole. 

«  La  voix  d'un  digne  ministre,  dit-il^  m'engage  à  donner 
«  mon  avis;  je  l'ai  donné  dans  toutes  les  occasions  avec  la 
«  sincérité  dont  je  fois  profession^  et  je  ne  m*en  écarterai  |wis 
«  dans  ce  mom«.nt-ci.  bien  et  ma  conscience  sont  témoins 
f  que  moa  unique  but  e^t  de  servir  notre  patrie  communç. 
«  Noua  venons  d'entendre  laleclure  qui  nous  vient  de  Tétran- 
«  ger.  Cette  lecture  a  fait  naître  en  moi  une  idée  qui  n'aura 
«  échappé  à  personne  :  c'est  que  nous  sommes  perdus  si  nous 
«  metions  le  moindre  iretard  dans  rétablissement  d'une 
c  nouvelle  forme  de  gouverne mei^it*  Je  m'occupe  depuis 
c  plusieurs  mois,  de  ee  qu'il  convient  que  nous  fassioj^s. 
c  Des  citoyens  bien  inleolioBués  m'ont  communiqué  des 
c  mesures  différentes  à  l^repdre,  et  m'oi^t  prié  de  m'en  occu- 
c  per.  Des  ouvertures  couftiJealieUe^  ont  produit  deô  idées»  et 
«  de  ces  idées  est  ne  ujo  projet  que  })ieA()es  personnes  veulent 
c  exécuter. On  vi^  vpiis  en  fajr^  laleclure  ;  je  souhaite  qu'il 
c  soît  aoceplé>  et  je  ^  désire  d'autant  plus,  que  nous  sommes 
«  tous  persuadés  qu'il  ne  sera  plus  temps  de  le  faire  dans 
a  quinsie  jours,  soit  que  nous  ay ouf  la  guerre,  soit  que  noi^s 
<  ae^oDs  eococa  en  paiâi  ;  car,  pow  nous  tenir  dans  une 
n  îMClion.  mortdk,  naa  vesiipe  ine  nMnqaerciit  §a^  4^ 


'64  msToniB 

«  n6U9  flatter  de  ces  anciens  préjugés  qui  nous  sont  si  essen* 
»  tieliement  pernicieux^  et  qui  ne  nous  permettent  pas  de  nous 
a  compter  parmi  les  nations  indépendantes.  H.  le  maréchal  de 
c  la  diète  va  tous  donner  lecture  du  projet  en  question,  s 

Le  secrétaire  de  la  diète  se  leva  pour  lire  le  projet,  ayant 
pour  titre  :  Forme  constitutionnelle  ;  mais  le  parti  russe  ayant 
le  plus  grand  intérêt  à  s'opposer  à  cette  lecture^  un  nonce, 
Sueborzewski ,  avait  préparé  une  scène  théfttrale  qui  devait 
Pempécher.  A  genoux,  au  milieu  de  la  salle,  ayant  à  ses  côt&< 
son  petit-fils,  figé  de  six  ans,  qu'il  avait  amené,  disait*il,  pour 
Fimmoler  à  la  liberté  si  elle  était  violée  dans  cette  journée,  il 
demanda  la  parole  pour  s'opposer  à  la  lecture.  Il  espérait  qu'on 
refuserait  de  l'entendre  et  que  ce  refus  amènerait  un  scandale. 
Il  se  trompa.  Le  maréchal  de  la  diète  lui  accorda  la  parole. 
Suchorzewski  alors  se  contenta  de  dénoncer  une  prétendue 
conspiration  du  parti  patriotique  pour  faire  massacrer  par  le 
peuple  ceux  qui  ne  voulaient  pas  de  constitution.  On  passa 
outre;  et  le  comité  ayant  fait  ensuite  un  rapport  qui  motivait 
le  projet  de  constitution,  le  roi  en  fit  donner  lecture.  Le  parti 
russe  l'attaqua  violemment,  et,  quoique  l'opposition  ne  f&t 
que  de  douze  personnes,  la  séance  se  prolongea  pendant 
sept  heures.  Un  cri  général  proclama  alors  la  constitution.  Le 
roi  ordonna  à  un  évêque  de  lire  le  serment  qu'il  répéta  tex- 
tuellement; puis,  il  ajouta:  J^ai  juré  parla  divinié,  je  ne 
m'en  repentirai  jamais  f  9  serment  téméraire,  que  ce  roi  pu- 
sillanime devait  rompre  moins  d'une  année  après. 

Diaprés  la  nouvelle  loi  fondamentale  qui  allait  soulever 
toutes  les  passions  mauvaises  de  la  Russie  et  de  la  Prusse 
contre  la  Pologne,  le  pouvoir  exécutif,  dans  toute  sa  plénitude, 
était  exercé  par  le  roi.  Un  conseil,  composé  de  l'évèque  de 
Gnesne,  de  cinq  ministres  eX  de  deux  sénateurs,  nommaU, 
sous  la  prtsidence  du  roi,  les  grands  officiers  et  même  les 


M  LA  RÉVOLCTiOll  R0L0HA18B.  19 

sAnatenrs.  Le  corps  législatif  était  divisé  et  deux  chambres  : 
unechambre  des  députés  provinciaux,  parmi  lesquels  devaient 
se  trouver  vingt-quatre  représentants  des  villes  libres,  et  une 
ciKunbre  du  sénat  présidée  par  le  roi.  La  première  était  dé- 
clarée former  la  représentation  nationale  ;  elle  avait  Tinitiali  va 
des  lois;  le  sénat  sanctionnait  ou  rejetait  ses  propositions. 
M.iis  si.  pendant  deux  sessions  successives,  la  chambre  des 
représentants  réitérait  une  proposition»  le  sénat  était  forcé  de 
Tadopler.  Les  deux  chambres  délibéraient  ensuite,  par  la  ma- 
jorité de  leurs  votes  réunis,  si  le  projet  serait  converti  en  loi. 
Le  pouvoir  judiciaire  était  indépendant  des  pouvoirs  exécutif 
et  législatif.  Le  liberum  veto  était  aboli  ;  une  tolérance  géné- 
rale, proclamée  ;  la  liberté  des  paysans,  mise  sous  la  protec- 
tion de  la  loi  ;  la  faculté  d'acheter  des  terres  nobles,  accordée 
aux  bourgeois;  la  confection  d'un  code  civil  et  criminel,  or- 
donnée; enfin,  la  succession  au  trône  était  déférée  à  la  famille 
de  rélecteur  de  Saxe,  qui  avait  été  appelé  à  la  couronne  à  la 
oiort  de  Stanislas-Auguste. 

Celte  constitution  péchait  par  de  nombreuses  iqnperfections; 
mais  elle  était  peut-être  la  seule  qui  pouvait  être  acceptée  par 
les  Polonais.  Le  légialateur  avait  conservé  Tancienne  division 
de  la  nation  en  trois  classes;  savoir  :  les  nobles,  les  bourgeois 
elles  paysans.  Cette  diiTérence  dans  les  conditions  avait  néces- 
sairement rendu  Torganisation  des  pouvoirs  fort  compliquée. 
Les  droits  de  chacun  de  ces  états  ne  pouvaient  être  balancés 
avec  assez  d'adresse  ponr  que  le  résultat  des  délibérations  fût 
regardé  comme  l'expression  véritable  de  la  volonté  générale, 
et  non  d'une  telle  ou  telle  classe  prépondérante.  L^esprit  des 
nobles  qui  avaient  travaillé  à  la  constitution  du  3  mai  y  per- 
[ait  de  toutes  parts,  non-seulement  dans  une  garantie  spéciale 
des  privilèges  de  la  noblesse,  mais  surtout  dans  sa  préémi- 
nence, soit  dans  la  vie  privée,  soit  dans  la  vie  publique.  La 

9 


4i  tflSTOtHÈ 

constitution,  il  est  vrai,  tendait  à  rapprocher  la  classe  des 
bourgeois  et  celle  des  nobles;  les  habitants  des  Tilles  étaient 
admis  à  la  représentation  nationale;  la  liberté  d'élire  leurs 
députés  et  leurs  juges  leur  était  accordée.  Mais,  quant  aux 
paysans,  cet  ordre  n'y  était  favorisé  que  par  quelques  expres- 
sions générales  et  vagues  qui  paraissaient  avoir  plutôt  été 
dictées  par  la  honte  de  passer  pour  barbares  au  xviu«  siècle, 
que  par  la  Justice,  Thumanité  et  la  raison. 

Certes,  telle  qu^elle  était,  elle  n'avait  rien  de  trop  démocra- 
tique. Au  premier  moment,  pendant  que  la  Pologne  entière 
retentissait  de  cris  d'enthousiasme,  le  roi  de  Prusse  lui-même 
s'en  déclara  radmirateur.  Mais,  d'une  part,  en  Pologne,  quel- 
ques nobles,  vendus  à  la  Russie,  retardaient  toutes  les  opéra- 
tions nécessaires  pour  organiser  une  grande  armée  nationale; 
de  l'autre,  en  Prusse,  les  Walner,  les  Bischofswerder  et  autres 
charlatans  qui  entouraient  Frédéric-Guillaume  II,  tous  vendus 
à  Catherine,  finirent  par  aveugler  l'esprit  de  ce  monarque  au 
point  de  lui  présenter  cette  constitution  comme  empreinte 
d'un  jacobinisme  effrayant.  Ce  rot,  qui  avait  la  foi  la  plus 
grande  dans  cette  cohue  d'intrigants  et  de  visionnaires  dont  il 
avait  composé  sa  cour,  qui,  peut-être  aussi,  était  tenté  par  la 
possession  des  villes  que  la  Pologne  lui  avait  refusées,  se  prêta, 
plus  que  jamais,  à  tout  ce  que  voulut  Catherine  contre  cette 
malheureuse  nation. 

Un  an  après  la  prodamation  de  la  constitution,  pendant 
que  la  Pologne  entière,  dans  le  premier  étan  de  son  enthou- 
siasme, préparait  une  fête  nationale  pour  célébrer  Tanniver- 
saire  du  3  mai,  Catherine  déclara  la  guerre  à  la  Pologne. 
Couvrant,  comme  toujours,  du  masque  des  plus  hypocrites 
démonstrations  les  vues  iatéressées  de  son  âme  ambitieuse  et 
cupide,  elle  eut  l'imprudence  de  déclarer  à  l'Europe  que  son 
armée  n'entrait  eu  Pologne  pour  rétablir  ta  liberté  polt 


DB  LA  RÉYOLUTION  POLONAISE.  67 

LorsqQe  cet  événement  eut  lieu^  rassemblée  de  1788  dmrait 
encore.  Le  Ténérable  Malachowski,  un  des  plus  grands  citoyens 
de  la  Pologne,  la  présidait.  Tous  les  nonces  s'étaient  rendus  k 
la  séance  solennelle  où  Ton  devait  donner  lecture  du  mani- 
feste de  la  Russie.  Le  roi  lui-même  y  assistait.  Tandis  que 
TémQtioa  était  peinte  sur  toutes  les  physionomies»  sur  celle 
du  roi  on  ne  lisait  qu'un  embarras  mal  déguisé.  Eu  effet,  à 
mesure  que  les  vues  de  Catherine  se  dessinaient  plus  précises, 
que  perçaiept  ses  ioiques  intentions  à  Tégard  de  la  Pologne^ 
la  situation  de  Stanislas  devenait  plus  embarrassante;  il  sen- 
tait qu'il  n'avait  été  qu'un  instrument  de  Catherine.  Son  em- 
barras se  trahit  pripcipaleipent  dans  les  quelques  mots  qu'il 
proponça  dès  l'ouverture  de  la  séance,  oùj  en  annonçant  la 
déclaration  de  guerre  de  la  Russie^  il  se  borna  à  attendre  de 
la  sagesse  des  nonces  à  décider  tout  ce  qu*il  convenait  de  fair^ 
en  cette  circonstance  pour  assurer  V honneur  et  Vindipendance 
de  la  Pologne. 

Halachowski  se  leva  alors  pour  donner  lecture  du  mani- 
feste. 

a  Messieurs  mes  frères»  dit-il  d'une  voix  émue,  S.  M.  l'im- 
c  pératrice  de  toutes  les  Russies  vient  de  déclarer  la  guerre 
«  è  la  Pologne.  Je  vais  me  borner  à  vous  donner  lecture  de 
a  ee  document^  dans  la  ferme  persuasion  qu'elle  suffira  pour 
«  vous  suggérer  ce  qu'une  nation  a  droit  d'attendre  de  ses 
c  représentants.  > 

Déclaration  de  guerre  par  la  Bussie  à  la  Pologne, 
le  17  mat  1792. 

ff  La  liberté  et  l'indépendance  de  la  sérénissime  république 
fV  Pologne  ont  dans  tous  les  temps,  excité  l'intérêt  et  l'atten- 
tion de  tous  ses  voisins.  S.  H.  l'impératrice  de  toutes  les  Rus-* 


68  nsTontv 

sics^  qui^  à  ce  litre,  Jofnt  celui  de  ses  engagements  formels  el 
positifs  avec  la  république^  s'est  encore  plus  particulièrement 
attachée  à  veiller  à  la  conservation  intacte  de  ces  deux  attri- 
buts précieux  de  Pexistence  politique  de  ce  royaume.  Ces 
soins  constants  et  magnanimes  de  Sa  Majesté,  etfet  de  son 
amour  de  la  justice  et  de  Tordre  autant  que  de  son  affection 
et  de  sa  bienveillance  pour  une  nation  que  Tidentité  d'ori- 
gine, de  langue  et  tant  d'autres  rapports  naturels  avec  celle 
qu'elle  gouverne  rendaient  intéressante  à  ses  yeux,  gênaient, 
sans  doute,  l'ambition  et  Pesprit  de  domination  de  ceux  qui, 
non  contents  de  la  portion  d'autorité  que  les  lois  de  l'Etat 
leur  assignaient,  en  cherchaient  l'extension  aux  dépens  de 
ces  mêmes  lois.  Dans  cette  vue,  ils  n'ont  rien  négligé,  d'un 
côté,  pour  lasser  la  vigilance  active  de  Timpératrice  sur  l'in* 
tégrilé  des  droits  et  des  prérogatives  de  Tillustre  nation  po- 
lonaise, et,  de  l'autre,  pour  calomnier  la  pureté  et  la  bienfai- 
sance de  ses  intentions. 

c  C'est  ainsi  qu'ils  ont  eu  la  perfide  adressé  d'interpréter 
Pacte  par  lequel  la  Russie  garantit  les  constitutions  politiques 
de  cette  nation  comme  un  joug  onéreux  et  avilissant,  tandis 
que  les  plus  grands  empires,  et  celui  de  l'Allemagne,  loin  de 
rejeter  ces  sortes  de  garanties,  les  ont  envisagées,  recher- 
chées et  reçues  comme  le  fondement  le  plus  solide  de  leurs 
propriétés  et  de  leur  indépendance.  L'événement  récent  (la 
publication  de  la  constitution)  prouve  d'ailleurs,  mieux  que 
tous  les  arguments  qu'on  pourrait  employer»  combien  une 
telle  garantie  peut  être  nécessaire  et  efficace,  et  que,  sans 
elle,  la  république,  après  avoir  succombé  sous  les  coups  de 
ses  ennemis  domestiques,  n'aurait  aujourd'hui,  pour  s'en  re- 
lever par  l'intervention  de  l'impératrice,  d'autre  titre  auprès 
d'elle  que  sa  seule  amitié  et  sa  seule  générosité,  d 

Après  avoir  ainsi  exposé  (ous  les  droits  qu'elle  avait  à  la 


ra  LA  liroumoif  POLonini.  99 

reûDBMi88aiic6  de  la  natioD  polonaise,  sans  doute  pour 
ravoir  dépouillée  d'une  partie  de  ses  provinces,  et  pour 
86  disposer  à  la  dépoailler  de  l'autre,  Catherine,  se  posant 
en  défenseur  de  la  Pologne,  passait  en  revue  tous  les  griefs 
des  Polonais  envers  les  promoteurs  de  la  constitution  de 
1791,  acceptée  aveceathousiasme,  non-seulement  par  le  roi| 
mais  encore  par  la  nation  eUe-oiëme;  puis  elle  ajoutait  : 

cHais  les  auteurs  de  la  révolution  du  3  mai  ne>se  sont 
pas  bornés  aux  ouiux  quMls  <mt  causés  à  leur  malheureuse 
patrie,  dans  soft  propre  sein  ;  ils  ont  encore  cherché  à  lui 
3n  attirer  du  dehors,  en  la  précipitant  dans  des  démêlés  ca-* 
pabics  de  dégénérer  en  guerre  ouverte  avec  la  Russie,  Tan- 
cienne  alliée  de  la  république  et  de  la  nation  polonaise.  Il  n'a 
pas  fallu  moins  que  toute  la  fMgnanimii4  de  Timpératrice, 
et  surtout  cette  équité,  cette  justesse  de  lumière  avec  les- 
quelles  elle  sait  distinguer  Tintention  de  Tesprit  de  parti 
d'avec  Tintention  générale,  pour  empêcher  les  dernières  ex« 
t^'cmités  auxquelles  elle  a  été  sans  cesse  provoquée.  » 

Après  une  longue  énumération  des  faits  par  lesquels  la 
czariue  tâche  de  démontrer  que  toute  provocation  est  ve* 
nue  de  la  part  de  la  Pologne;  que,  cependant,  elle  a  tout 
supporté  pour  ne  pas  voir  altérer  les  bons  rapports  qui  ré« 
gnaient  entre  les  deux  pays,  et  que,  si  elle  a  ordonné  à  une 
partie  de  ses  troupes  d'entrer  sur  les  terres  de  la  république, 
ce  n'a  été  que  guidée  par  les  sentiments  d'amilié  et  de  bien- 
willanee  que  lui  inspire  la  nation  polonaise,  qu'elle  voudrait 
délivrer  des  maux  que  cause  la  constitution  du  3  mai,  elle 
ajoutait  en  terminant  : 

a  Hes  troupes  se  préaenteroot  comme  amies,  pour  coopé* 
rer  à  la  réintégralion  de  la  nation  polonaise  dans  ses  droits 
et  ses  prérogatives.  Tous  ceux  qui  les  accueilleront  sous  ce 
titre,  en  éprouveront,  outre  Toubli  parfait  du  passée  foutes 


7^  HtSTonur 

sortes  de  secours  et  de  sûretés  pour  léar  personne  et  lenri 
propriétés.  Sa  Majesté  Impériale  se  flatte  que  tout  bon  polo« 
nais,  aimant  véritablement  sa  patrie,  saura  apprécier  ses  in* 
tcntions,  et  sentira  qne  c'est  serrîr  sa  propre  cause  que  de  se 
joindre  de  cœnr  et  d^armes  aux  efforts  ginéreuw  qu'elle  va 
faire  pour  rendre  à  la  république  la  liberté  et  lei  droits  que 
la  constitution  dn  3  mai  lui  a  ravis... 

«  SMI  en  était  qui,  par  suite  de  leur  opiniâtreté  dans  les 
principes  pervers  auxquels  ils  se  seraient  tai«sés  entrât oer, 
voulussent  s'opposer  aux  tfues  bienfaisantes  de  Timpératrice, 
ceux-là  n'auraient  qu'à  s'en  prendre  à  eux-mêmes  des  ri» 
gueurs  et  des  maux  auxquels  ils  seront  exposés,  à  d'autant 
plus  Juste  titre,  qu'il  ne  tenait  qu'à  eux  de  s'y  soustraire  par 
une  prompte  et  sincère  abjuration  de  leurs  erreurs.  » 

Pendant  la  lecture  de  ce  long  manifeste,  où  chaque  mot 
était  un  mensonge,  une  hypocrisie  ou  une  calomnie,  la 
contenance  de  l'assemblée  fut  calme  et  majestueuse.  Fat* 
titude  de  tous  les  membres  noble  et  digne,  comme  il  con- 
venait aux  représentants  d'un  grand  peuple,  aux  prises 
avec  les  hypocrites  duplicités  de  la  force.  Ce  manifeste  de 
guerre  était  diffus  et  prolixe;  les  motifs  étaient  enchevê* 
très  dans  des  raisonnements  mal  définis,  escortés  de  pro- 
testations réitérées  de  désintéressement,  de  dignité,  de  soUi* 
citude,  et  de  tous  ces  mots  pompeux  qu'ont  constamment 
sur  les  lèvres  ceux  qui  n'ont  plus  dans  le  cœur  les  vertus 
qu'ils  servent  à  désigner.  On  eût  dit  que  Catherine,  honteuse 
de  la  nouvelle  iniquité  qu'elle  préméditait  pour  assouvir  une 
vile  passion  de  femme  ambitieuse,  avait  voulu  cacher  au 
monde  la  rougeur  qui  montait  à  son  front.  Quoi  qu'il  en  soit, 
si  Catherine  eût  pu  assister  à  cette  assemblée,  quelles  que 
fussent  l'impudeur  et  l'audace  de  cette  âme  de  souveraine, 
elle  eût  ro>gi  devant  la  dignité  calme  d'un  peuple  que  Ii| 


te  LA  sirMirmir  polonaise.  f  t 

ItMè  fMittit  ûpprlAét,  ttiAfi  41III  ne  lai  éttiil  pas  dotiné 
d'aviUr. 

L'assemMte^  péûétrAe  tie  la  Jdstioè  àè  m  oMseï  décréta^  à 
l'ananimité^  de  repousser  la  force  pkt  la  forcei  Le  noble  en^ 
tboasîasme  que  Famoar  de  la  vertu^  de  la  patrie  et  de  la  gloire 
aTait  excité  dans  rassemblée^  se  comoinnlqua  rapidement  à 
tonte  la  nation*  Les  mesures  de  défense  les  pins  courageuses» 
tarent  décrétées  et  acceptées  à  runanimité.  Dans  cette  dt* 
constance  critique^  rassemblée,  la  nation,  usèrent  de  tontes  les 
îessources  qui  étaient  en  leur  pouvoir;  et,  cette  fois  encors> 
si  Stanislas-Auguste  eût  été  i  la  hauteur  de  son  rAle,  s'il  eût 
fiait  son  devoir  de  roi,  le  saint  du  pays  n'était  pas  désespéré. 
Forte  du  dévouemenl  nouveau  des  bourgeois  et  des  paysans^ 
&  qui  la  constitution  de  1791  concédait  quelques  droits,  la  Po» 
logne  se  montra  plus  que  jamais  entbousiasle>  et  décidée  à 
défendre  son  indépendance;  mais  sott  pusillanime  SoÉVerain» 
4Mt  tremblant  d'avoir  enoouni  la  dlsgràee  de  ai  protedrioe 
couronnée,  en  fayorisant  l'établissement  de  la  oMBtil«tioA> 
cherchait  déjà  les  moyens  de  rentrer  en  grftoe.  I^eiur  aurtrott 
de  malheur,  le  ministre  de  Prusse,  requis  par  les  états  de 
fournir  les  subsides  convenus  dans  le  dernier  traité.  Ht  une 
réponse  ambiguë  qui  ne  permit  pas  de  douter  que  la  Pologne 
pouTait  compter  le  eàbiÉet  de  Berlin^  Mn  plus  oomme  ué 
allié,  mais  comme  un  ennemi.  La  position  devenait  de  plus 
en  plus  critique. 

Cependant,  conforteément  à  la  ooiislltutiim  du  3  mai,  Sla<» 
nislas  fut  déclaré  èbmmandant  gén^nd  des  férees  de  k  répu^ 
Mique,  et  muni  d'un  pouvoir  absolu  pour  tous  les  cas  de 
guerre.  En  vertu  de  cette  loi|  il  ohotoit  pour  lieutenatit4osepli 
Poniatovrski. 

Joseph  Ponialo^ki,  dont  le  noM  devait  plM  tafd  Millsr 
ïdans  haï  annales  impéiMes  françaises^  et  doMIa  An  tMÉiiqui 


w 


CHAPITRE  D 
1792 


Confédération  de  f  argowice.  —  Premiers  désastres  de  l'armée  polo- 
naise :  évacuation  de  ITkraine.—  Combat  de  Zielincé.—  Kosciuszko 
à  Dabienka.—  Mauvais  succès  de  la  guerre.—  Adhésion  de  Stanislas 
à  la  confédération  de  Targowice.  —  Indignation  de  la  nation  et  de 
Tannée.  —  Suspension  d'armes.  —  Dislocation  de  Tannée  polonaise. 
Émigration  des  patriotes.  —  Déclaration  de  Grodno.  —  Résultats  de 
cette  déclaration. 


Le  14  féTrier  1792,  il  fat  signé  une  confédération  générale 
à  Targowice^  petite  ville  du  palatinat  de  Braclaa,  ou  à  Saint- 
Pétersbourg,  par  Félix  Potocki,  Rzewuski  et  BranickLi,  ainsi 
que  par  neuf  autres  magnats,  savoir  :  Antoine  Czetwertinslii, 
le  seul  sénateur  parmi  eux  ;  Wictohurski,  Zlotniski^  Mys- 
zenski,  Zagreski,  Sucbarzeski,  Kobyleski,  Szcykowski  et  Hu- 
lewiez.  Félix  Potocki,  grand^mattre  de  rartillerie,  à  qui 
Catherine  avait  fiiit  espérer  que,  de  la  tôte  de  Stanislas,  la 
couronne  pourrait  passer  sur  la  sienne,  disposait  de  quelques 
forces,  et  pouvait,  au  besoin,  mettre  sous  les  armes  vingt  ou 
trente  mille  paysans  dans  ses  terres  seules.  Dans  le  manifeste 
qu'il  publia  en  juin  1792,  il  déclara  quUl  ne  se  proposait  que 
^p  rétablir  la  liberté  en  détruisant  \à  nouvelle  monarchie 


M  LA  ftivauntmi  polohaui.  75 

despotique  Avant  d'en  Tenir  à  k  voie  désarmes  pour  ren- 
verser la  oonstitntton  da  3  mBi,  Catherine  eonmençait, 
oomme  ioojonrs»  par  fomenter  la  guerre  civile,  et,  comme 
toqjours,  les  Polonais  avaient  llnoosiséguepce  d'être  les  plus 
actifs  instruments  de  ostle  ambitieuse  souveraine. 

Le  grandHloclié  de  LithnaniCy  remné  par  l'or  des  Russes, 
accéda  à  cette  confédération,  première  protestation  armée 
contre  la  diète  révolutionnaire  de  Varsovie. 

Les  débuts  de  la  campagne  qui  s'ouvrit  presque  immédiate- 
ment après  que  Catherine  eut  ainsi  paraljsé  une  partie  des 
forces  des  Polonais,  en  jetant  parmi  eux  ce  nouveau  brandon 
de  discorde,  ne  furent  pas  heureux  pour  ceux  qui  soutenaient 
la  constitution. 

Arrivé  en  Ukraine,  Poniatowsiii  avait  détaché  les  généraux 
Kosdusako  et  Wielhorski^  chacun  à  la  tête  de  trois  mille 
hommes^  pour  observer  Tennemi  du  c6té  de  Cbechelnik, 
tandis  que  le  lieutenant^^lonel  Grocho^vski  épiait  ses  mouve- 
ments à  Mohilow.  Mais  devant  les  forces  si  numériquement 
supérieures  des  Russes»  ces  divers  détachements  ne  purent 
que  se  replier  sur  Poniatowslû^  qui,  lui-même,  trop  inférieur 
en  nombre,  recula  sur  la  Volhjnie,  se  contentant  de  répan- 
dre de  petits  détachements  de  cavalerie  de  trois  ou  quatre 
cents  hommes,  qui  furent  tous  succesaivent  battus  ou  enlevés 
par  les  Russes.  Reculant  toqjours  i  mesure  que  les  Russes 
avançaient,  Pooiatovski,  abandonnant  les  meilleures  positions 
sans  avoir  le  temps  de  pouvoir  se  fortifier  dans  aucune,  résolut 
de  concentrer  ses  forces  à  Shepetowka  ;  mais  les  Russes,  qui  le 
poursuivaient  sans  répit,  Tatteignirent  au  petit  village  de 
Zielincé,  et  le  mirent  dans  Tim possibilité  de  rebiser  le  combat 

La  division  polonaise  était  forte  de  deux  mille  deux  cents 
feuitassins  et  huit  cents  cavaliers.  Elle  hit  placée  sur  une  hau- 
teur^ en  forme  d'ampbiUiéfilrei  qui  présentait  un  demi-cercle 


76  msTOiiB 

ovale,  dont  la  gauche  était  appuyée  à  des  imraiÉ,  et  la  droite 
au  village  de  Zielincé.  Sur  le  devant  s'offrait  un  terrain  uni, 
par  derrière  un  bois  clairs-^mé,  qui  masquait  le  chemin  du 
camp  polonais.  La  hauteur  fat  occupée  par  rinfanterie, 
rangée  sur  une  seule  ligne  et  formant  le  centre  ;  ta  cavalerie 
fut  disposée  sur  les  ailes.  Queliques  batteries  furent  élevées 
sur  des  points  assez  bien  choisis. 

La  division  russe  était  forte  de  huit  mille  hommes,  et  ne 
formait  qu'une  seule  ligne.  Elle  s^avança  sur  quatre  petites 
colonnes»  sous  les  ordres  du  général  Mareow,  et  se  déplo^ya 
sous  le  feu  des  canons  polonais.  Depuis  cinq  heures  jusqu'à 
midi,  on  se  canonna  de  pari  etd'autre.  La  cavalerie  polonaise 
eut  tant  à  souffrir  sur  la  droite,  que  le  désordre  s'y  mit.  Atta* 
quée  à  ce  moment  de  confusion  par  la  cavalerie  russe,  qui 
s^en  était  approchée  à  la  faveur  du  village  dont  les  Polonais 
avaient  négligé  de  s'emparer,  elle  se  jeta  sur  la  première 
ligne  de  Poniatowski,  où  elle  porta  le  désordre.  Pendant  ce 
combat  entre  les  deux  cavaleries,  les  bataillons  d'iâfanterie 
polonaise  qui  en  étaient  le  plus  proches  se  mirent  à  fuir  :  les 
Russes  s'ébranlèrent  alors  pour  attaquer  le.  centre;  mais 
vivement  repoussés  par  le  feu  des  bataillons  polonais  et  celui 
de  deux  batteries  qui  tiraient  à  mitraille,  ils  perdirent  beau- 
coup de  monde,  et  les  Polonais  restèrent  maîtres  du  champ 
de  bataille.  Poniatowski  ne  proQta  pas  de  l'avantage  de  cette 
journée,  et,  au  lieu  de  poursuivre  les  Russes,  resta  spectateur 
de  leur  retraite. 

Cette  victoire,  dont  le  général  polonais  aurait  pu  tirer  plus 
de  fruits,  n'eut  d'autre  utilité  que  de  faire  perdre  aux  Russes 
l'excès  de  confiance  et  d'audace  que  leur  donnait  la  persua- 
sion de  leur  supériorité.  Quant  à  l'armée  polonaise,  elle  était 
totalement  découragée  ;  d'abord  par  cette  longue  retraite  à 
ravers  l'Ukraine  i  puis  par  1a  2»»^tte  absolu  de  plan  d'uûa 


•  •  »  * 


DB  LA  BivoiinmN  polonaisb.  77 

campagne  outeiie  sinis  aucune  de»  prôèatitiobs  qui  peuvent 
en  assurer  le  soccàSy  telles  que  la  .formation  de  dépMs^  de 

.  magasins»  et  suivie  avec  utte  pusittammité  qui  annonçait  le 
peu  de  confiance  du  chef. 

Le  moijivenaent  de  retraite  de  Tannée  polonaise  continua. 
De  Zielincé  >  elle  se  porta  sur  Astron ,  elle  traversa  ensuite  le 
Bug  et  prit  position  à  Dabienka,  sur  la  rive  gauche  de  ce  fleuve. 
IH^ur  surcroit  de  malheur,  la  mésintelligence  ne  tarda  pas  à 
se  mettre  entre  les  généraux  Poniatovrski  et  Lubomirski. 

Après  quelques  jeurs  de  repos,  Tarmée  polonaise  se  parta- 
gea en  trois  corps.  Kosctuszko,  qui  avait  été  détaché  ponr  ob- 
server un  corps  russe  aux  ordres  du  général  Lewanidow,  en 
commandait  un,  et  gardait  le  Bug  depuis  la  frontière  de  la 
Gallicie  impériale  jusqu'à  Dorohusk.  Poniatowski,  a  la  tête  du 
second  cor pB,  s'étendait  depuis  Dorohusk  jusqu'à  Swiezow; 
le  général  Wielhorski  commaudait  le  troisième  à  Stutno  et  à 
Wlodava.  Par  suite  de  ses  dissentimenli  avec  Poniatowski,  Lu- 
bomirski  avait  été  appelé  à  Varsovie,  et  sa  division  fondue  dans 
les  trois  corps. 

Pendant  le  séjour  de  Tarmée  sous  Dabienka,  Poniatowski 
avait  fait  élever  quelques  ouvrages  sur  le  bord  de  la  rivière. 
Ces  posies  étaient  fort  mal  choisis,  parce  qu'ils  ne  laissaient  à 

.  l'armée,  pour  retraite,  qu'une  longue  digue,  qui  pouvait  être 
enfilée  par  des  batteries  de  l'ennemi  placées  de  l'autre  côté  du 
Bug.  Koscins^,  à  qui  Poniatowski  avait  recommandé  de  les 
gai?der,  frappé  de  ce  grave  inconvénient,  changea  son  plan  de 
défense,  et  se  décida  à  prendre  une  position  éloignée  de  deux 
portées  de  canon  de  la  première.  Sa  droite  couverte  par  un 

,  bois,  était  appuyée  à  la  frontière  de  la  Gallicie,  qu'il  croyait 

.  wvieiable;  sa  gauche,  à  un  village  situé  au  bord  du  Bug,  dont 
la  rive  opposée  était,  en  cet  endroit,  inaccessible.  Sur  tout  le 
brat  dé^aoacaiDp ,  il  établit  des^ batteries.  Sa  retraite  pouvait 


78  unoiu 

être»  ou  par  tacontrei  sur  Dorobiraki  oa  pair  la  droite,  sur  Rii- 
mow.  lia  {orét  qu'il  aVfeiit  à  dos  masquait  l'an  et  l'iiutre  che- 
min. Ayant  avac  lui  tiaq  raitte  hommes,  il  attendit  dans  cette 
position  Tennemi. 

Il  7  était  établi  depuis  huit  Jours,  lorsque  le  général  russe 
Kochowski  parut  de  Tantre  côté  du  Bug  areo  un  corps  de 
vingt  mille  hommes.  Il  traversa  la  rivtàre  sans  que  le  pas- 
sage lui  en  fût  disputé,  et  commanda  immédiatement  l'atta- 
que.  On  se  battit  avec  acharnement  de  part  et  d'autre;  le  com- 
bat dura  cinq  heures  i  les  Russes  7  perdirent  deux  mille 
hommes  ;  mais  a7ant  obtenu  la  permission  de  diriger  une  de 
leiurs  attaques  par  la  frontière  de  la  Galliciai  que  Kosdusiko 
cro7ait  inviolable,  Farmée  polonaise  fut  obligée  de  battre  en 
retraite.  Une  nuit  sombre  parut  la  favoriser  d'abord,  mais 
l'obscurité  devint  teUe»  que  le  désordre  se  mit  dans  les  corps, 
et  Kosciuszko  n'arriva  pas  au  village  de  Kuniow,  situé  à  six 
lieues  du  champ  de  bataille,  qu'avec  deux  bataillons  d^infan- 
terie  et  un  régiment  de  cavalerie.  Le  lendemain»  11  toi  rejoint, 
il  est  vrai,  par  le  restant  de  sa  division;  mais  cet  échec  Ait 
grave ,  moins  par  les  pertes  éprouvées ,  que  par  l'effet  moral 
de  cette  sorte  de  déroute.  KoBdusxko,  cependant»  avait,  dans 
cette  affaire,  teltement  fait  preuve  de  bravoure,  de  sang-treld 
et  de  telent^  qu'eUe  fut  considérée  comme  un  doses  plus  beaux 
titres  de  gloire» 

En  Uthuann,  lee  aihires  n'allatent  pas  mieux*  Le  prince 
de  Wurtemberg,  qui  s'était  tait  naturaliser  ^olonai8,  et  qui  7 
oommondaity  séduit  par  les  insinuations  de  ta  cour  de  Berlin, 
avait  demandé  et  obtenu  un  congé.  Son  successeur^  Judicki, 
battu  aux  environs  de  MÎT ,  avait  été  remplacé  parZabielloI, 
que  de  sourdes  cabales,  parties  du  cabinet  de  Stanislas  isème, 
réduisirent  en  quelque  sorte  à  l'iiMclîen^. 

^ififif^  partout  la  caNiS0  de  ia  liberté  poieiiaMe  Isîblisnit  t 


M  LA  Bi?MMMhPOLOKABB>  f| 

0tle  éteft  mil  sontéBM  «or  terlaiiiê  poibts»  Irthiamir  d'tutrai» 
déooaragée  sur  tous. 

Une  guerre  enlrepriee  ponr  nliifttire  rambitton  d'an  oon* 
qnérant^  pour  une  de  ces  |iMBion§  tneiqnlnei  que  le  monde 
eet  contenu  d'appeler  grandes,  et  qui  cependant  sont  le  fléau 
du  monde,  n*inepire  quTufn  Mitimentde  peine  ou  dlndilTé- 
renée.  Quelle  qu'en  soit  rissue*  on  reste  tiroid  ;  on  ne  se  pas- 
sionne ni  pour  la  victoire  ni  pour  la  débite;  on  plaint  les  tic- 
times^  on  ne  les  admire  pas.  Msis  la  guerre  que  soutenaient 
idort  les  Polonais  présentait  un  carselère  bien  dilTérent.  Ce 
ne  sont  ni  les  prétentions  iQ|ttstes  d^un  tyran,  ni  le  froid  or^ 
gueil  d'un  ambitieux  qui  lemront  mis  les  armes  à  la  main  ; 
a'ils  se  battent,  c'est  pour  maintenir  «ne  etlstence  civile  qu'on 
leur  envie,  une  indépendance  pelitiqne  qu'on  veut  leur  ravir* 
Là,  tout  est  grand,  la  cause  et  les  malbeurs;  et  si,  dans  cette 
lutte  bérDiqua,  ilssoceombeAt^  laeouronne  est  povr  le  vaincu» 
le  stigmate  est  pour  le  vainqueur. 

Le  mmvais  succès  de  la  guene  avait  (mi  décourager  mo- 
mentanément les  patriotes  polonais^  sans  qu'ils  désespéras^ 
sent  cependant  encore  dn  salut  de  la  république.  L'ennemi  | 

avait,  il  est  Trai,  envahi  les  pins  belles  provinces  ;  mais  ce  qui 
restait  encore  pouvait  être  autant  de  champs  de  bataille  où 
l'béroisme  patriotique  pouvait,  au  besoin,  ieter  jusqu'à  sou 
dernier  homme  et  scm  dernier  écu.  Malheureusement,  l'in- 
trigue, la  trahison,  se  glissatont  partout  :  si  elles  ne  pouvaient 
trouver  accès  à  Farmée^  elles  s'adressaient  à  la  cour  |  au  trône  ; 
etlà^  elles  étaient  toqjoars  sûres  d'être  favorablement  ac- 
cueillies. 

Le  roi  Stanislas^  qui  n'était  patriote  que  par  circonstance, 
qui  avait  plus  de  foi  dans  la  puissance  de  Catherine  que  dans 
le  patriotisme  de  son  peuple»  qui,  en  outre^  était,  en  tout 
temps,  obsédé  par  les  ipiri|ai»ts  ^  h|  soldç  4e  l'astucieuse  csc^- 


rine,  86  laissa  ptrsuAder  d'entamer  tvec  elle  des  négDctefkm 
secrètes.  Voici  la  lettre  quUl  lui  adressa,  et  la  réfioiise  qu'il 
en  reçut.  L'iiistdre  doit  consigner  ces  deux  doen«ients  comme 
un  modèle  de  la  pitsillanimité  d'un  roi  ^i  séj^ate  ses  interdis 
de  ceut  de  son  peuple»  etdePinseletteeque  peut  afficher  rdm** 
biiion  frénétique  à  qfti  on  dispute  une  proie  conToitée. 

Madame  ma  8<0ur^ 

'  c  Je  n'emploierai  ni  détours  m  lonipoiéiirS)  elles  ne  con» 
Tiennent  ni  à  mon  caractère  ni  à  ma  situation.  Je  Tais  m'ex* 
pliquer  aTeo  franclilse,  car  c'est  i  tous  qae  j'écris  ;  daignex 
me  lire  avec  bonté  eisans  préoccupation... 

«  Laissant  de  c6téce  ^i  s'est  passée  je  passe  au  moment 
IHrésent^  et  je  parlerai  dair.  il  tous  importe,  madame^  d'in* 
fluer  en  Pologne  et  de  pouToir  y  faire  passer  tob  troupes  sans 
embarras^  téutes  les  fols  que  tous  Toudnez  tous  occuper  ou 
des  Turcs  ou  de  TEurope. 

a  11  nous  Importe d%tre  à  l'abri  des  réTolutions  continuelles 
dont  chaque  interrègne  doit  nécessairement  devenir  la  cause^ 
en  y  faisant  intertenir  tous  nos  Toisins»  en  nous  armant  nous- 
mêmes  les  uns  contre  les  autres.  Il  nom  importe^  de  plus, 
d*a  voir  un  goûter nement  intérieur  mieux  réglé  que  ci-doTant. 

a  Or,  Toici  iè  moment  et  le  moyen  de  concilier  tout  cela. 
Do!mez-nous  pour  successeur^  à  moi,  TOtre  petit-fils  le  prince 
Constantin  ;  qu'une  alliance  perpétuelle  unisse  les  deux  pays; 
qirtm  traité  dé  ct^mmerce  réciproquement  utile  y  soit  joint. 
Jo  n'ai  pas  besoin'  dé  dire  que  tontes  les  circonstances  sont 
(elles,  que  jamais  Pexécution  de  ce  plan  n'a  pu  être  plus  fa- 
cile ;  car  ce  n'est  pas  à  Votre  Majesté  qu'il  ^ut  donner  des 
conseils  et  suggérer  des  Tues.  Mais  il  faut  que  je  tous  adresse 
mes  prières,  et  les  plus  ardentes,  pour  que  tous  daigniez 
m'écouter  et  entrer  dans  ma  situation. 


DB  LA  tirOLCTION  POLOMAISE.  )(1 

f  La  diète  m'a  accordé  le  pouvoir  de  faire  un  arfuislice^ 
mais  non  pas  la  paix  finale  sans  elle.  Je  commence  donc  par  ^ 
vous  demander,  par  vous  prier,  par  vous  conjurer  de  nous  1^ 
accorder  un  armistice  au  plus  tôt,  et  j'ose  vous  répondre  du    ^ 
reste,  pourvu  que  vous  m'en  laissiez  le  temps  et  les  moyens.. 

a  Hais  je  ne  dois  pas  vous  cacher  que,  si  vous  exigiez  à  la 
rigueur  tout  ce  que  porte  votre  déclaration^  il  ne  serait  pas 
en  mon  pouvoir  d'eOèctuer  ce  que  je  désire  tant  de  faire 

«  Encore  une  fois,  ne  rejetez  pas»  je  vous  en  conjure,  mon 
instante  prière.  Accordez-nous  Tarmistice  au  plus  (6t,et  j^ose 
répéter  que  tout  ce  que  je  vous  ai  proposé  sera  accepté  et 
exécuté  par  ma  nation » 

Voici  la  réponse  qu'il  reçut  : 

«  Monsieur  mon  frère, 

«  J'ai  reçu  la  lettre  qu'il  a  plu  à  Votre  Majesté  de  m'écrira 
le  22  juin.  Je  me  conforme  volontiers  à  son  désir  d'écarter 
toute  discussion  directe  entre  nous,  sur  ce  qui  a  produit  enfin 
la  crise  actuelle  des  affaires.  Mais  j'aurais  désiré,  à  mon  tour, 
que  les  moyens  que  Votre  Majesté  propose  comme  concilia- 
toires  le  fussent  en  effet,  et  que  surtout  ils  eussent  pu  s'accor- 
der avec  les  intentions  pures  et  simples  que  j'ai  manifestées 
dans  ma  déclaration  publiée  dernièrement,  de  ma  part,  en 
Pologne.  Il  s*agit  de  rendre  à  la  république  son  ancienne 
liberté  et  sa  forme  de  gouvernement,  garantie  par  mes 
traités  avec  elle,  et  renversée  violemment  par  la  révolution 
du  3  mai,  au  mépris  des  lois  les  plus  sacrées  et  nommément 
des  pacta  convenla^  à  la  stricte  observation  desquels  se  tien- 
nent immédiatement  et  les  droits  de  Votre  Majesté  et  L'obéis- 
sance de  ses  sujets. 

11 


Vl  HltrOIBlE 

«  C^esl  en  entrant  dans  des  Tues  aussi  saines,  aussi  salu- 
taires, que  Votre  Maje.'^té  pourra  me  convaincre  de  la  sincérité 
des  dispositions  qu'elle  me  témoigne  à  présent,  et  du  désir 
qu'elle  a  de  concourir  au  véritable  bien  de  la  nation.  La  plus 
saine  partie  de  celle-ci  vient  de  se  coûfédérer  pour  réclamer 
des  droits  injustement  ravis.  Je  lui  al  promis  mon  appui  et  je 
le  lui  accorderai  avec  toute  Tefficacité  que  mes  moyens  peu- 
vent permettre. 

«  Je  me  Balte  que  Votre  Majesté  ne  voudra  pas  attendre  la 
dernière  extrémité  pour  se  rendre  à  des  vœux  aussi  pro- 
noncés, et  que,  en  accédant  promptement  à  la  confédération 
formée  sous  mes  auspices,  elle  mè  mettra  à  même  de  pouvoir 
me  dire,  monsieur  mon  frère,  de  Votre  Msgesté^  la  bonne  sœur, 
amie  et  voisine. 

€  Gathbriiib.  » 

Ainsi,  avec  tout  le  mépris  et  toute  la  dureté  d'un  maître, 
Catherine  imposait  pour  condition  au  faible  Stanislas^  de  re- 
connaître pour  légale  la  rébellion  de  Poloclti,  fomentée  à 
son  instigation,  de  concourir  à  Tanéantissement  de  la  consti- 
tution du  3  mai,  et  de  destituer  tous  les  patriotes  chargés 
d'emplois  publics. 
I  Un  souverain  à  qui  les  intérêts  de  son  peuple  auraient  été 
plus  chers  que  les  siens  propres,  se  serait  soulevé  d'indigna- 
tion contre  de  si  insultantes  injonctions  ;  Stanislas  se  montra 
prêt  à  y  souscrire. 

PouY  épargner  à  son  pays  Thumiliation  de  celte  lâche  con- 
descendance, et  au  roi  'i  honte  de  cette  iniquité,  un  des  hom- 
mes les  plus  vénérés  de  la  Pologne,  qui,  à  la  probité  la  plus 
intacte,  joignait  toutes  les  vertus  d'un  grand  citoyen,  Mala- 
chowski,  président  perpétuel  de  la  diète  révolutionnaire  de 
1788,  et  dont  les  fonctions  duraient  encore,  fut  trouver  U  roi 


DE  LA  RÉYOtimOII  POLOKAISV.  Il 

ef  tftcha  de  nntmer  cette  ftme  engouriHe  M  i  jttvX  «n  |ie« 
du  feu  an  patriotisme  qui  déberdîitt  la  stenne.  *-  «  Sire,  lui 
dit-fl,  l'ennemi  s'av;mce  ;  notre  aitnfe»  queiqoe  battue,  a 
remporté  quelq,nes  avantages  ;  nos  toroee  aenl  aujourd'hui 
plus  concentrées,  et  Pennemi  eal  plus  éloigné  du  aeooiirBdes 
siens.  La  place  de  Kamiuieek,  qu'il  a  laisiée  en  «rrièft,  ed 
encore  entre  nos  mains  :  elle  peut  servir  de  poiut  d'appui  et 
de  réunion  aux  citoyens  qui  se  lèverout  peiir  la  défeusa  de  U 
patrie.  Nous  arons  tout  à  attendre  de  leur  lèAe,  to  leur  doi^ 
nant  le  temps  de  revenir  de  leur  surprise  moiMPlmét* 
Notre  armée,  ayant  la  Vislule  devanat  die,  psut|euirt1ea9epDi 
loin  de  !a  capitale,  et  pent-âtre  le  «aiucfie  s'il  tonte  impEq- 
demment  le  passage  de  oe  fleuve.  Pour,  peu  que  les  batiîUtA^ 
de  )a  Polodie  et  de  liJkraiue  s'animent  et  agissent,  reanemi 
manquera  de  subsistanoe,  toua  tea  eonvoia  aerout  coupée  ;  ft 
ils  s'animeront,  ils  agiront,  si  on  leur  donne  Texemple* 
Au  reste,  quand  nous  serions  trompés  dwt  eet  efpoirj  serÎQlv- 
nous  moins  tenus  de  nous  détendre  9  Si  nous  ne  pen^ff  eus  pas 
vaincre,  nous  ne  devons  pas  an  moins  mourir  aana  gloire. 
Négocier  en  ce  moment  avec  la  Russie,  c'est  s'kumilier,  oMist 
se  soumettre;  dans  une  telle  voie  il  n^  a  que  de  la  iienle.  Je 
conjure  donc  Voire  Majesté  de  partir  ainsi  lueessamnient 
pour  l'armée.  Paraissec^y,  Sire,  recommandes  i  obacuu  de 
faire  son  devoir^  rendee-vous  à  Cracovie  pour  diriger  les  opé- 
rations du  gouvernement)  et,  éleetrisée  par  votre  ei^emple,  la 
Pologne  aura  asses d'énergie  poipr  repousser  l'iuiqui^  agir^ion 
delacsarine.  b 

C'était  parler  à  un  roi  un  langage  civique  qu'U  ^\  rarement 
en  état  de  comprendre.  Stanislas  souleva  quelques  objec- 
tions ;  Halechowslii  les  aplanit  toutes  ;  mais  le  roi,  dont 
le  parti  était  alors  pris,  promit  de  se  rqodfe  à  ses  sages 
conseilei  et  ne  chercha,  dès  ce  mimieatj  qu'il  çQlorçr  s^ 


14  HIBTOIM 

déteclioa  par  des  apparences  de  patriotisme.  H  convoqua  an 
grand  conseil  composé,  non  pas  seulement  des  ministres  dn 
conseil  d'Etat  flxés  au  nombre  de  sept  par  la  conslitulion 
I  du  3  mai,  mais  de  tous  ceux  reconnus  par  la  constitution 
I  anarchique  de  la  Pologne»  où  Ton  comptait  quatre  grands- 
maréchaux  ou  ministres  de  Tintérieur,  quatre  grands  géné- 
raux ou  ministres  de  la  guerre,  quatre  chanceliers,  autant  de 
trésoriers.  En  appelant  tous  ces  fonctionnaires  an  conseil, 
c'était,  il  est  Trai,  agir  inconstitutionnellement;  mais  le  roi 
avait  besoin  de  cette  cohne  pour  faire  adopter  les  conditions 
de  la  Russie,  qui  devaient  effectuer  la  ruine  totale  de  la  Polo- 
gne. En  effet,  quatre  ministres  seulement,  Ignace  Potocki, 
Stanislas  Halacboirski,  Ostrowski,  Kolontaj  et  Soltan  défendi- 
rent seuls  la  cause  de  la  patrie  :  le  reste  opina  contre  elle.  Le  roi 
feignit  de  se  rendreàregret  et  par  condescendance  seule  pourla 
majorité;  et  le  25  aoùtl792,iladbéraàla  confédération  deTar- 
gowice,  et  signa  les  propositions  que  lui  présentait  la  Russie. 
Dès  que  se  répandit  la  nouvelle  d'un  acte  qui,  aux  yeux  de 
la  nation  patriote,  était  à  la  fois  une  lâcheté  et  une  trahison, 
deux  sentiments  seuls  animèrent  tous  les  cœurs  :  la  conster- 
nation et  rindignation.  L'une  et  l'autre  se  révélèrent  dans  un 
nombre  infini  de  mémoires  qui  noircissaient  le  roi  aux  yeux 
des  nations,  et  dont  les  plus  modérés  appliquaient  à  Stanislas 
celte  sentence  :  Sur  le  trône,  la  faiblesse  et  rindécision  furefit 
toîyours  les  pires  de  tous  les  vices* 

Cette  colère  acerbe  de  la  partie  patriote  de  la  nation  polo- 
naise se  comprenait.  En  effet,  par  suite  de  l'adhésion  de  Sia- 
uislas  à  la  confédération  de  Targowice,  Félix  Potocki,  le  pro- 
I  "j  moteur  de  cette  rébellion,  fut  proclamé,  le  2  août,  maréchal 
'^  de  la  confédération,  qui,  dès  ce  moment,  prit  la  qualité  de  con- 
^dération  de  la  couronne.  Aussitôt»  tout  fut  changé  en  Polo- 
gne. Le  commandement  de  l'armée  fut  rendu  aux  anciens 


DB  LA  BiTOLUnOlf  folouaui.  S5 

gfoéraux,  et,  w  que  la  république  n'était  en  guerre  avec  per- 
ionne,  on  se  disposa  à  licencier  Farinée. 

Ainsi^  cette  coostitution  du  3  mai,  si  favoraDIe  au  rétablis- 
sement de  Tordre  et  des  vertus  humanitaires,  dont  le  premier 
offet  avait  été  de  ranimer  les  espérances  du  peuple,  de  l'inviter 
à  sortir  de  son  engourdissement,  d'offrir  à  ses  yeux  un  riant 
avenir  de  bonheur  et  de  liberté,  était,  en  quelque  sorte, 
annulée.  Chacun  pressentit  de  nouveaux  malheurs,  et,  à  Tes-  ' 
poir  qui  avait  un  moment  brillé  aux  regards  de  cette  malheu- 
reuse mais  héroïque  nation,  succéda  la  colère  d'ab<Nrd,  puis 
Taccablement,  les  angoisses,  les  alarmes. 

Le  résultat  immédiat  de  cette  adhésion  du  roi  aux  volontés 
de  Catherine  fat  une  suspension  d'armes.  Le  courrier  qui  en 
porta  la  notification  à  Tarmée  polonaise,  trouva  Poniatowski 
campé  sous  Karow,  à  six  lieues  de  Lublin.  Le  mécontente- 
ment, la  douleur,  le  désespoir,  7  accueillirent  la  publication 
de  cet  acte  déshonorant,  qui  paralysait  le  courage  de  tous  ces 
braves  qui  avaient  pris  les  armes  pour  assurer  Tindépendance 
de  la  patrie.  Poniatowski  lui-même,  neveu  du  roi,  ne  dissi- 
mula pas  son  improbaiion,  et,  en  lui  faisant  connaître  Tim- 
pression  défavorable  produite  sur  Tarmée  par  cet  acte,  il  lui 
proposa,  pour  réparer  le  mal  et  paraître  avoir  été  forcé  de 
continuer  la  guerre,  de  se  laisser  enlever  et  conduire  à 
Tarmée.  Ce  coup  hardi  eût  pu  avoir  un  résultat  immense  ; 
mais,  pour  s^y  prêter,  il  fallait  une  âme  d'une  autre  trem|>e 
que  celle  de  Stanislas;  il  refusa. 

La  majeure  partie  de  Tétat-major,  refusant,  à  son  tour,  de 
porter  Tuniforme  d'un  pays  dont  le  roi  n'était  que  le  man- 
nequin d'une  ambitieuse  souveraine  étrangère ,  demanda 
son  congé.  Parmi  eux  étaient  les  généraux  PoniatovirskI,  Kos- 
ciuszko,  Zajonczek,  Zabiello,  Hokronowski,  Wielhorski,  les 
cdouels  Poniatowski,  Strzalkowski,  et  d'autres,  dont  la  con- 


SI  mmmx 

duiie,  m  cette  circonstance,  attesta  les  nobles  senlioientA  qu; 
les  animaient.  L'armée  entière  partageait  telleinent  TopiaiûQ 
de  ses  chefs,  que,  dès  que,  après  racces>ioD  de  soq  oncle  à  la 
ligue  de  Targowico,  Poniatowski  eut  déposé  son  commandd' 
ment,  ses  compagnons  d'armes  firent  frapper  une  cnédaille  à 
son  effigie,  avec  cette  inscription  ;  Miles  imperatori  (rarmée 
à  son  général). 

Dès  ce  moment,  Farmée  polonaise  rentra  dans  ses  quar- 
tiers, et  fut,  en  quelque  sorte,  annulée* 

Alors,  à  cette  lutte  armée  qui,  d'une  part,  avait  quelque 
chose  de  grand  et  de  magnanime,  succéda  une  lulte  de  diplo- 
matie entre  la  Rassie,  la  Prusse,  rAutricbe,  où,  de  part  et 
d'autre,  n'existaient  que  de  ces  passions  mauvaises  et  rapaœs 
dont,  pour  le  malheur  des  peuples,  l'histoire  abonde.  Hâtons- 
nous  cependant  de  dire  qu'il  est  peu  de  circonstances  où  le 
caractère  et  la  morale  de  ces  puissances  se  soient  révélés 
sous  une  forme  aussi  vile  et  aussi  hideuse. 

Déjà,  depuis  quelque  temps,  la  Prusse  et  rAutricbe,  qui 
surveillaient  Les  menées  de  la  Russie  en  Pologne,  et  qui  vou- 
laient avoir  leur  part  dans  ce  nouveau  démembrement 
qu'elles  pressentaient,  avaient  déclaré  qu'elles  s'entendraient 
sur  tous  les  accidents  que  l'état  actuel  de  la  politique  pouvait 
faire  naître  en  France,  et  qu'en  attendant,  elles  reconnaî- 
traient l'acte  constitutionnel  des  Polonais,  siiuf  à  s'entendre 
ensuite  avec  la  Russie  pour  en  partager  les  dépouilles. 

Ceci  s'était  passé  lors  de  la  publication  de  la  constitution 
du  3  mai,  et  avait  précédé  les  hostilités  que  nous  venons  de 
relater.  Mais  dès  que,  par  la  conclusion  de  la  paix  de  Jassy 
(7  mai  1792)  avec  les  Turcs,  Catherine  eut  jeté  des  troupes  en 
Pologne,  alors  la  Prusse  et  l'Autriche  commencèrent  à  ne 
considérer  que  comme  provisoire  l'état  de  choses  constitué  à 
Varsovie,  et  ne  virent  dans  l'esprit  de  révolution  e|  d'index 


M  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  il 

pendance  qui  s'y  manifestait,  qu'un  prétexte  pour  avoir  leur 
part  dans  cette  spoliation  que  la  czarine  avait  préparée  de 
longue  main. 

Les  révolutions  de  France  et  de  Pologne  occupaient  alors 
activement  ces  deux  Cibinets^  mais  non  pas  au  même  degré 
(i'ii)lérèt.  Ainsi,  par  exemple,  contre  la  France,  où  il  n'y 
av.'iit  pas,  pour  le  moment^  d'intérêt  positif  à  réaliser,  ils 
u'onvoyèreut  que  la  moindre  partie  de  leurs  forces;  mais  les 
années  les  plus  considérables  fuient  dirigées  vers  la  frontière 
orientale  de  Pologne;  et,  pendant  que^  répandus  comme  un 
torrent  dans  ce  malheureux  pays,  les  armées  moscovites 
dévastaient  tout  sur  leur  passage,  pour  donner,  par  Pagonie 
d^ln  peuple,  une  dernière  émotion  à  Pâme  blasée  d'une  in- 
ju.<te  souveraine,  trente  mille  Prussiens,  sous  le  maréchal 
Mullendorff,  et  cinquante  mille  Autrichiens,  avaient  achevé 
d'enclaver  la  Pologne  dans  un  clercle  de  fer. 

Catherine,  qui,  par  d'iniques  machinations,  avait  fomenté 
dans  ce  pays  des  fédérations,  des  diètes  opposantes,  avait  eu 
peu  de  peine  à  vaincre,  avec  ses  armées,  un  peuple  dont  les 
dissensions  intestines  paralysaient  les  forces.  Comme  ce  qui, 
partout  ailleurs,  est  appelé  mensonge,  duplicité,  se  nomme 
habileté,  profonde  politique,  lorsque  c'est  une  souveraine  qui 
s'en  rend  coupable.  Catherine  usa  largement  de  ce  singulier 
privilège  que  la  naïveté  des  peuples  concède.  Elle  déclara  que 
Foccopatioû  de  la  Pologne  n'était  que  temporaire,  motivée  sur 
la  nécessité  de  comprimer  le  mouvenientrèvolutionnaire  qui, 
de  France,  commençait  à  Iréagir  déjà  sur  l'Europe,  et  d'étouf- 
fer la  guerre  civile  que  son  or  et  ses  intrigues  avaient  fomen- 
tée» La  Prusse  et  l'Autriche  déclarèrent  de  leur  côté,  avec  la 
même  franchise  et  la  même  sincérité,  que  leurs  troupes,  qui 
bordaiient  la  frontière  orientale  de  Pologne  étaient  de  simples 
années  d'dMertation,  sorte  de  cordon  sanitaire  pour  pré* 


S8  HiSTomi 

Tenir  la  contagion  des  idées  révolationnaires.  Après  avoir 
ainsi  satisfait  à  leur  conscience,  la  czarine,  le  roi  de  Prusse  et 
i*crapereur  d'Autriche,  arrêtèrent  les  bases  du  nouveau  mor- 
cellement du  vieil  empire  des  Jagellons.  La  Prusse  souhaitait 
depuis  longtemps  de  s'arrondir  du  grand-duché  de  Posen  et 
de  Danlzig,  le  port  de  mer  de  ses  blés.  L'Autriche,  du  haut 
des  monts  Krapaclcs,  convoitait  toute  la  Gallicie  jusqu'à  Lem- 
berg  et  Cracovie,  et  la  Russie  rêvait  déjà  l'extension  de  ses 
frontières  jusqu'à  la  Vislule,  ambitieux  rêve  qu'elle  devait 
réaliser  plus  tard  comme  une  punition  providentielle  d'un 
danger  toujours  menaçant  pour  les  Cabinets  complices  de 
ses  iniquités. 

Le  9  avril  1793  avait  été  proclamé,  à  Grodno,  le  premier 
acte  public  qui  les  consacra.  Nous  le  donnons  textuellement, 
comme  un  de  ces  monuments  des  abus  de  la  force  que  l'his- 
toire ne  saurait  mieux  flétrir  qu'enles  trasmettant  d'âge  en  âge. 

c  Les  sentiments  que  S.  M.  l'Impératrice  fit  paraître  dans 
la  déclaration  que  ses  ministres  donnèrent  à  Varsovie,  le 
18  mai  1792,  à  l'occasion  de  la  marche  de  ses  troupes  en  Po« 
logne,  <K  n'avaient  incontestablement  d'autre  but  que  d'oble- 
«  nir  Tapprobation,  le  consentement  volontaire,  et  l'on  peut 
«  ajouter  la  reconnaissance  de  la  nation  polonaise.  » 

«  Toute  l'Europe  a  vu  de  quelle  manière  ses  déclarations 
ont  été  reçues,  et  quel  cas  on  en  a  fait.  Pour  frayer  le  chemin  à 
la  confédération  de  Targowice,  afin  qu'elle  fût  en  état  d'exer- 
cer les  droits  et  de  déployer  une  autorité  légitime,  il  fallut 
avoir  recours  aux  armes^  et  les  promoteurs  de  la  révolution 
du  3  mai  1791,  ainsi  que  leurs  adhérents,  n'ont  abandonné  le 
champ  de  bataille  et  la  lutte  à  laquelle  ils  avaient  provoqué 
les  troupes  russes,  qu'après  avoir  été  vaincus. 

c  Hais  si  la  guerre  fut  ouverte,  ce  ne  fut  que  pour  faire 
place  aux  intrigues  secrètes,  dont  les  ressorts  subtils  sont 


crantant  plus  daogereiiz  qu'ils  échappent  i  robserraUoD  la 
plus  attentive,  et  même  à  TacUTité  des  Ids* 

«  L'espritde  faction  et  de  révolte  ajeté  de  si  profondes  raci- 
nes, que  ceux  qui  sont  assez  pervers  que  de  se  faire  une  occu- 
pation  d'en  allumer  le  feu  et  de  le  pépandre,  après  avoir 
échoué  dans  leurs  cabales  auprès  des  cours  étrangères,  où  ils 
cherchaient  à  rendre  suspectes  les  vues  de  la  cour  de  Russie, 
ont  travaillé  ensuite  à  égarer  le  peuple,  qu'il  est  toi^ours 
facile  de  mener,  et  sont  parvenus  au  point  de  lui  inspirer  la 
même  haine  et  la  même  aversion  qu'ils  portent  à  cette  cour 
qui  a  renversé  leurs  espérances  et  ieurs  desseins  criminels. 

«  Sans  nous  arrêter  sur  des  faite  généralement  connus,  qui 
prouvent  les  senUmente  hostiles  de  la  plupart  des  habitante  de 
la  Pologne,  il  sufflra  de  dire  qu'ite  ont  abusé  même  des  prin- 
cipes  d'humanité  et  de  modération  que  Les  généraux  et  autres 
officiers  de  Sa  Majesté  ont  observés,  suivant  les  ordres  exprès 
qu'ils  en  avaient  reçus,  au  point  de  s'échapper,  à  leur  égard, 
en  injures  et  actes  d'hostilités  de  toute  espèce,  et  que  les  plus 
audacieux  se  sont  emportés  jusqu'à  menacer  de  renouveler 
sur  eux  les  vêpres  iieiliennei.Cétoii  là  la  récompense  que  les 
ennemis  du  repos  et  de  l'ordreque  Sa  Majesté  Impériale  eA^r- 
chait  à  rétablir  et  à  affermit,  préparaient  à  ses  tn/dn/tofii  ma- 
gnanimes f  Qu'on  juge  par  là  de  la  sincérité  avec  laquelle  la 
plupart  d'entre  euxontadhéréà  laoonfédération  qui  subsiste 
aujourd'hui,  ainsi  que  de  la  solidité  et  de  la  durée  de  la  paix 
qui  aurait  régné  dans  la  république! 

«  Mais  l'impératrice  qui  est  accoutumée,  oepuis  trente  ans^ 
à  combattre  contre  les  dissensions  sans  cesse  renaissantes  dans 
cet  Etat,  et  qui  met  sa  confiance  dans  les  moyens  que  la  Provi- 
dence lui  a  départis  pour  contenir  ces  factions,  aurait  con- 
tinué d'employer  sans  relftche  senmesures désintéressées,  d'im- 
poser silence  i  ses  griefs  et  aux  justes  réclamations  qu'ite 


90  '     HISTOIRI 

aatorig0Dt,  9*n  ne  s'était  présenté  des  circonstances  désagréa- 
bles qui  annonçaient  des  dangers  d'une  plus*  grande  impor- 
tance. L'égarement  inconcevable  d'une  nation  naguère  si 
florissante^  maintenant  déshonorée^  déchirée,  sur  le  bord  du 
précipice  qui  va  l'engloutir  ;  cet  égarement  qui  aurait  dû  être 
un  sujet  d'horreur  pour  ces  es^prits  inquiets,  leur  a  paru^au 
contraire,  un  modèle  d'imitation  :  ils  cherchent  à  introduire 
dansTintérieur  de  la  république,  ces  leçons  infernales  qu'une 
secte  impie,  sacrilège  et  insensée,  a  imaginées  pour  la  des- 
'  truclion  de  tous  lés  principes  religieux,  civils  et  politiques. 
Il  s'est  déjà  formé,  dans  la  capitale,  ainsi  que  dans  plusieurs 
provinces  de  la  Pologne,  des  clubs  qui  fraternisent  avec  les 
Jacobins  de  Paris;  ils  répandent  leur  poison  en  secret,  le 
soufflent  dans  les  esprits  etTy  laissent  fermenter. 

a  L'établissement  d'un  foyer  si  dangereux  pour  toutes  lés 
puissances  dont  les  Etats  aboutissent  aux  frontières  de  la  ré- 
publique, devait  naturellement  réveiller  leur  attention;  elles 
ont  conféré,  d'un  commun  accord,  sur  les  moyens  d'étouffer 
le  mal  dans  sa  croissance,  et  d'éloigner  de  leurs  frontières  ce 
venin  dangereux.  S.  M.  l'impératrice  de  toutes  les  Russies, 
S.  H.  le  roi  de  Pmise,  du  consentement  de. S.  M.  l'empereur 
des  Romains,  n'ont  pas  trouvé  d^expédient  plus  efflcace  que  de 
renfermer  la  Pologne  dans  des  bornes  plus  étroites  ,  de  lui 
donner  nne  telle  existence  et  nne  telle  proportion  d'étendue 
qui  lui  assignent  le  rang  d'une  puiamee  moyenne ,  et  lui  fa- 
cilitent les  moyens  de  se  procurer  et  de  se  maintenir,  sans 
perte  de  son  aneiemiê  liberti,  un  gouvernement  sage  et  bk-n 
ordonné,  qui  ait  à  la  fois  asses  d'activité  pour  réprimer  les  di- 
«ordres  et  leafaetions  qui  ont  si  souvent  troublé  son  repos  et 
celui  de  aes  voisins.  Réunis  dans  ce  dessein  par  les  mêmes 
principe^  et  les  mêmee  vues,  8*  IL  rimpératrioe  de  Russie  et 
le  roi  dePriisae  ee  sont  convaincue  qoll  vfj  avait  pae  d'iautae 


DB  LA  RÈYOliVZtOII  POLONAISE.  M 

¥010  de  {uréfwir  la  laîne  ontîore  dont  la  jrépubUqu^  était  me^ 
sacée,  tant  par  ses  disseiisioiis  iatesUnes,  qvMd  par  les  opinions 
extravagantes  et  monstrueuses  qui  commençaient  d'y  avoir  la 
vogue,  que  à*ificorparêr  dans  leurs  Etats  respectifs  ces  pro* 
vincesde  Pologne  actuellement  frontières,  et  d'eu  prendre  dès 
ce  moment  possession,  pour  les  wèeltre  en  iûrelé  contre  les  ef- 
fets destructib  du  système  extravagant  qu'on  cberche  à  y  in* 
trtduîre. 

«  En  même  temps  que  Leurs  Majestés  font  connaître  à  la 
natîoB  polonaise  cette  résolution  ferme  et  irrévocable  qu'elles 
ont  formée,  elles  Tinvitent  à  convoquer  une  diète  pour  pro-- 
céder,  à  Fiumabk,  à  prendre  les  arrangements  et  mesures  né^ 
cessaires ,  afin  de  parvenir  m  M  $uliàt4iire  que  Leurs  Miyes^ 
tés  se  proposent,  eékui  de  procurer  à  la  république^  et  de  lui 
assurer  une  paix  ferme,  durable  et  inaltérable»  a  ^ 

Donné  à  Gfodno,  le  9  avril  1793. 

8i9né  :  Jacon  bb  Sn 


Telle  fut  la  fameuse  déclaration  par  laquelle  la  Russie  ap- 
prit au  monde  que,  de  concert  avec  la  Prusse  et  TAutriche, 
elle  allait  incorporera  ses  domaines  les  pays  envahis  sur  la 
Pologne.  Dans  ce  document  curieux  à  tant  de  titres,  et  sur- 
tout comme  cBuvre  de  mauvaise  foi  la  plus  déboutée  dont  des 
gouvernements  aient  jamais  donné  le  spectacle  aux  peuples, 
on  ne  sait  ce  qu'on  doit  le  plus  admirer,  ou  de  l'impudence  î*. 
avec  laquelle  on  essayait  de  colorer  de  prétextes  honnêtes  une  l 
spoliation  flagrante  et  préméditée,  ou  de  la  lâcheté  avec  la-  ^ 
quelle  on  insultait  un  peuple  qui,  dans  tout  le  malheur  de 
l'oppression,  devait  toujours  se  montrer  plus  grand  que  ses 
bourreaux  dans  tout  le  triomphe  de  leur  gloire. 

Pendant  que  s'était  concerté  cet  inique  dépècement,  la  Ré- 
i^ittJteainnfiaiieavait  jetéendéfiàl'Euroipelatéledu  roi 


92  mnom 

Loais  XVI;  spectacle  unique  et  terrible  qai,  i  nue  même 
époque^  presque  Jour  pour  jour^  fit  que^  pendant  que  des  rois 
coalisés^  dans  un  accès  de  flérreuse  ambition,  rayaient  un 
peuple  de  la  carte  du  monde^  un  peuple^  dans  un  élan  fana- 
tique de  liberté,  rayait  un  roi  au  li^re  de  la  vie.  De  quel  côté 
a  été  le  crime^  s'il  y  a  eu  crime  ?  De  quel  c6té  a  été  la  gran- 
deur, s'il  y  a  eu  grandeur? 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  mort  de  Louis  XYI  étonna  plus  les 
Cabinets  qu'elle  ne  les  émut,  parce  que,  tout  occupés  alors 
4e  se  faire  une  plus  large  part  dans  les  dépouilles  de  la  Po« 
logne,  Tambition  parla  plus  haut  que  le  sentiment.  L'Angle- 
terre saisit  cependant  ce  prétexte  pour  sortir  de  sa  neutra- 
lité;  quelques  historiens  ont  même  eu  la  naîTeté  d'attribuer 
la  cause  de  cette  subite  colère  à  l'horreur  que  lui  inspira 
^exécution  de  Louis  XVI.  Hais  la  politique  de  sentiment  influe 
peu  sur  les  déterminations  du  cabinet  de  SaintJames.  Ce  qui 
le  décida,  en  cette  ciitonslaDce,  fut  Toffre  que  lui  fit  la  Russie 
de  dissoudre  la  linpe  maritime  du  Nord,  et  d'admettre  le  droit 
de  yisite,  si  l'Angleterre  loulait  entrer  dans  la  ligue  euro- 
péenne contre  la  France,  et  laisser  s'opérer  sans  protestations 
le  partage  de  la  Pologne.  Le  comte  de  Woronzoff,  ambassa- 
deur spécial  de  Catherine,  a^ait  été  chargé  d'en  taire  TolTre  à 
Piit,  qui  n'eût  garde  de  la  refuser.  Ainsi,  pendant  que  d'une 
part,  Catherine  abandonnait,  en  faveur  de  l'Angleterre,  le 
principe  si  juste,  que  le  pavillon  couvre  la  marchandise, 
aliénait,  par  cet  abandon,  la  liberté  des  mers,  et  assurait  la 
suprématie  maritime  britannique;  Pitt,  de  son  côté,  ouvrait 
à  la  Russie  la  voie  de  l'Occident,  en  laissant  abattre  la  Polo- 
gne, son  boulevard  naturel,  et  en  favorisant,  par  ses  con< 
seils  et  ses  subsides,  la  marche  des  armées  russes  contre  la 
trance. 

Tels  tarent  les  gnvM  événements  qui  résultèrent  eneor* 


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M  LA  lit OUmOH  MtOllAISI.  13 

de  ce  second  partage  de  la  Pologne.  Noua  arona  dû  les  men- 
tionner, parce  que  ces  conceasiona  mutuellea  eurent,  dana 
une  proportion  immense^  toua  lea  caractèrea  de  ces  grands 
forfaits  que  la  justice  humaine  flétrit  journellement  des 
peines  les  plus  scvères. 

La  France  qui,  dans  ce  moment,  ignorait  encore  Finiquo 
pacle  qui  venait  de  rapprocher  Pitt  et  Catherine,  ces  deux 
âmes  si  hien  faites  pour  s'entendrCi  fut  la  puissance  qui  eût 
les  paroles  les  plus  ardentes  contre  l'inique  partage  de  la  Po- 
logne. Mais  que  pouvait-elle  faire  alors  t  Ayant  à  lutter  contre 
l'Europe  entière,  elle  ne  put  que  formukr  en  faveur  de  5a 
Eccur  du  Kordy  de&  vœux  que  le  ciel  ne  devait  pas  exaucer. 


9i  VICTOIII 


CHAPITRE  m 
1793 


Mouvement  réactionnaire.  —  Igielstrom.  —  Première  association  révo- 
lutionnaire  à  Varsovie.  —  Kosciuszko.  —  Délibération  des  exilés  à 
Leipzig.  —  Ignace  Potocki. —  Kolontay.  —  Kosciuszko  consent  à  se 
mettre  à  la  tète  de  l'insurrection  :  son  arrivée  en  Pologne. —  L'insur- 
rection est  différée.  —  Entrée  des  Prussiens  en  Pologne.  —  Émigration 
polonaise.  —  Kosciuszko  et  Mostovirski  à  Paris;  ils  négocient  avec  Du- 
mouriez.  —  Le  baron  de  Bars  et  le  comité  de  salut  public. —  Insuccès 
des  négociations  à  Paris.  —  Diète  de  Grodno.  —  Mémorable  séance 
du  10  juin  1793.  —  Second  partage  de  la  Pologne. 


Le  lecteur  n'a  pas  oublié  la  confédération  de  Targowice, 
formée  à  Tinstigation  de  Catherine,  en  opposition  de  la  diète 
révolutionnai re,  et  à  laquelle  Stanislas  avait  adhéré.  Félix 
Potocki,  Brawicki;  Rezewski,  chefs  de  cette  confédération, 
étaient  les  agents  secrets  de  la  Russie,  et,  après  la  cessation 
des  hostilités,  devinrent  naturellement  ses  instruments.  Des 
universaux,  invitant  les  palatinats  à  émettre  leurs  vœux  en 
faveur  de  cette  ligue,  furent  proclamés  par  toute  la  Pologne. 
Sous  rinfluence  des  baïonnettes  russes,  les  uns  se  soumirent 
par  force,  d'autres,  parmi  les  nobles  surtout,  préférant  la 
conservation  de  leurs  privilèges  et  de  leur  fortune  particu* 


1>I  LA  RÉVOLUTION  POLOHAISI.  95 

lièreà  nndépendaDce  de  leur  pays^  se  soumirent  de  bon  gré^ 
•peu  fftcbés  d'êlre  esclaves  sous  un  rapport^  pourvu  qu'ils 
pussent  rester  tyrans  sous  un  autre. 

Les  premiers  actes  de  cette  confédération  furent  tous  es» 
sentiellemeAt  réactionnaires  :  persécution  des  patriotes, 
anéantissement  de  la  constitution  du  3  mai,  reconstitution  de 
l'ancien  esclavage  pour  les  villes  et  les  campagnes,  séques- 
tres, confiscations,  assassinats  Juridiques,  massacres.  Cette 
sombre  et  lugubre  réaction  devait  se  terminer  par  Taliéna- 
tion  des  provinces  de  la  république,  cédées  aux  cours  coali- 
sées à  Vamiakle  selon  Texpression  du  manifeste  russe.  Dix- 
huit  mille  hommes  de  Farmée  polonaise,  en  quartiers  dans 
les  provinces  usurpées,  furent  forcés  d^entrer  au  service  de 
la  Russie.  Le  restant  de  l'armée  fut  réduit  ou  persécuté.  Ce 
qui  restait  de  la  Pologne  n'eut  qu'une  nationalité  nominale, 
et,  avec  une  taehe  de  sang  de  plus  sur  son  diadème,  Cathe- 
rine se  crut  plus  que  Jamais  la  SenHramis  du  Nord. 

Afin  que  la  nouvelle  diète  fût  l'rnstrument  passif  de  la  ma- 
joriié,  celle-ci  déclara  non*éligible  tout  individu  qui,  par 
quelque  acte  marquant,  avait  montré  de  l'attachement  pour 
la  constitution  du  3  mai.  On  procéda  à  de  nouvelles  élections, 
qui  se  firent  partout  sous  Tinfluence  de  la  terreur  ou  de  la 
corruption.  Voici,  du  reste,  comment  on  procédait  ordinai- 
rement à  ces  sortes  d'opérations;  le  lecteur  pourra  juger  ce 
qu'elles  durent  être  dans  un  moment  réactionnaire. 

A|irës  la  publication  des  universaux  dans  les  palatinats, 
on  se  disposait  à  se  rendre  dans  les  lieux  d'assemblées.  Cette 
époque  était,  pour  les  pauvres  Szlaxis  de  campagne,  un  mo- 
:  ment  de  jubilation  :  c'était  pour  ainsi  dire  un  carnaval.  On 
les  voyait  par  douzaines  sur  de  petits  charriots,  tirés  par  un 
petit  cheval ,  s'acheminer  vers  le  rendez-vous.  Les  uns 
étaient  un  peu  vêtus,  les  autres  étaient  presque  nus;  quel-* 


96  msTOifti 

qucs-uns  avaient  un  sabre  sans  foarrean,  d'autres  un  fouN 
reau  sans  sabre;  leur  nombre,  leur  gaieté,  leur  misère, 
présentaient  le  coup-d'œil  le  plus  curieux.  Arrivés  a  leur 
destination,  ils  trouvaient  toujours  deux  chefs  :  Tun  était  en- 
voyé par  le  roi  et  chargé  d'accaparer  le  plus  de  voix  possi- 
ble, afin  de  faire  élire  les  nonces  agréables  à  la  cour,  et  de 
veiller  à  ce  qu'il  ne  se  glissât  rien  de  gênant  dans  les  ins- 
tructions ;  l'autre  était  désigné  par  son  crédit  dans  le  pala- 
tinat,  et  sa  tftcbe  était  de  taire  contre  la  cour  ce  que  le  pre- 
mier faisait  pour  elle.  Pour  s'assurer  les  voix  de  tous  ces 
SzlaxiSj  il  n'était  pas  besoin  de  traiter  avec  chacun  d'eux;  le 
marché  se  faisait  avec  les  petits  chefs  de  certain)  arrondis- 
sements. Dès  que  ceux-ci  étaient  contents,  ils  passaient  du 
côté  de  la  personne  avec  laquelle  ils  avaient  traité,  et  toute 
leur  bande  les  suivait.  On  les  abreuvait  d'une  boisson  détes- 
table qu'on  leur  disait  être  du  vin  de  Hongrie,  l'eau-de-vie 
coulait  à  grands  flots  :  et  voilà  comme  on  gagnait  la  majorité 
dans  les  diéiines  (1). 

Composée  des  éléments  produits  par  de  telles  élections,  il 
ne  fut  pas  difilcile  à  la  diète  de  Grodno  de  pousser  la  réaction 
jusqu'à  Textrème  violence. 

Les  opérations  législatives  de  cette  confédération,  siégeant 
alors  à  Grodno  et  remplissant  les  fonctions  d'une  diète  natio- 
nale, étaient,  du  reste,  exclusivement  dirigées  par  l'ambassa- 
deur de  Russie,  tandis  que  Igielstrom,  général  en  chef  de  Tar- 
mée  russe,  avait  établi  son  quartier  général  à  Varsovie.  L'un 
et  l'autre  traitaient  la  Pologne  en  véritable  pays  conquis ,  et 
les  troupes  russes  promenaient  leurs  fureurs  d'une  province 
à  l'autre»  se  livrant  partout  au  pillage,  à  la  cruauté,  aux  ra* 
pines,  aux  excès  de  tout  genre. 


(i) 


DB  LA  RÉVOLUTION  POLONAIS!.  tl 

Igiclstrom^  dit  un  témoin  oculaire,  compagnon  ^'armes  dé 
Kosciu$zko(l)»fit  souffrir  au:  habitants  de  Varsovie  tout  ce  que 
la  barbarie  des  Buns  et  des  Goths  fit  autrefois  de  plus  révol- 
tant. La  conduite,  le  ton  et  la  cour  de  ce  général  retraçaient 
rimage  de  ces  chefs  d'esclaves  asiatiques  dont  Tidée  seule  ins-' 
pire  de  Thorreur  aux  nations  civilisées.  U  foulait  aUx  pieds  la 
justice.  Le  mérite  n'osa  plus  se  montrer^  la  vertu  fut  réputée* 
crime.  Une  foule  d'espions  infestaient  la  ville  et  les  provinces  ; 
à  la  moindre  délation,  lespatriotes  étaient  traduits  devàntigiel* 
strom.  Les  peines  les  plus  sévères  étaient,  sur  un  simple  soup-- 
$on,  ordonnées;  l'arrestation  et  le  ravage  des  temss  étaient  la 
punition  la  plusdouce,  et  la  férocité  naturelle  des  Russes  seré- 
sumait,  avec  toute  sa  sauvage  allure,  en  ce  satrape  insolent. 

Une  si  brutale  oppression,  jointe  à  Pesprit  naturel  d*indé-' 
pendance  qui  caractérise  les  Polonais,  excita  dans  les  âmes  de 
ce  peuple  outragé  un  sentiment  secret  d'indignation.  Geux^' 
dont  rfime  impatiente  ne  put  subir  plus  longtemps  un  joug' 
si  abhorré,  formèrent  une  association  à  Varsovie.  Des  émis-' 
saires  furent  envoyés  à  l'armée,  où  la  loi  qui  en  décrétait  la 
réduction  avait  excité  une  grande  fermentation.  Le  plus  grand 
nombre  des  officiers  n'avait  d'autre  moyen  d'existence  que 
leur  emploi.  Le  désir  de  conserver  leur  bien-être  se  joignit  au 
patriotisme,  et  le  sentiment  de  l'intérêt  particulier  fut  enno- 
bli par  celui  de  l'honneur  national.  Puis ,  il  n'y  avait  parmi 
eux  qu'un  désir,  qu'un  vœu ,  celui  de  délivrer  leur  patrie;  il 
fut  dès  lors  aisé  de  les  décider  à  une  insurrection.  Quelques- 
uns  d'entre  eux  se  rendirent  en  députafion  dans  la  capitale 
pour  se  concerter  avec  les  mécontents.  Au  milieu  de  la  nuit, 
ils  allaient  isolément  dans  des  lieux  désignés ,  déplorant  le 
malheur  de  leur  patrie,  et  prêts  à  en  appeler  à  leurs  bras  pour 

(0  ZajDacask,  général  polmais. 

13 


tOO  HI8T0IEI 

expiait^  avec  les  principaux  patriotes^  le  tort  de  porter  un 
cœur  d^bomme  dans  une  poitrine  de  citoyen.  Il  était  à  Leipzig 
lorsqu'une  députation  de  conjurés  vint  lui  faire  part  du  vœu 
de  Tarmée.  C'était  dans  les  premiers  jours  de  septembre  1793. 
11  communiqua  la  proposition  qu'on  venait  de  lui  faire  à  ses 
compagnons  d'infortune,  exilés  ou  émigrés  comme  lui,  et 
leur  demanda  leur  avis  et  leur  coopération  s'ils  approuvaient 
Tentreprise.  A  côté  de  la  grandeur  du  projet^  qui  les  frappa 
tous,  nul  d'entre  eux  ne  s'en  dissimula  les  immenses  diffi- 
cultés, et,  en  quelque  sorte,  Timpossibilité  de  la  réussite.  Us 
connaissaient  leur  nation  ;  ils  savaient  que,  dans  la  longue 
anarchie  qu'ils  avaient  traversée,  les  Polonais  avaient  dégé- 
néré, qu'ils  avaient  perdu  leur  ancienne  bravoure  sauvage, 
sans  l'avoir  remplacée  par  la  connaissance  des  arts  qui  tien- 
nent à  la  guerre,  et  qui  sont  ordinairement  le  fruit  de  la  civi- 
lisation et  des  lumières.  Puis,  une  insurrection  ne  pouvait 
manquer  d'ailirer  sur  eux  les  forces  réunies  de  la  Prusse  et 
de  la  Russie.  Dans  une  lutte  si  inégale,  pouvaient-ils  se  flatter 
de  l'espoir  d'un  heureux  succès?  Us  auraient  pu  compter 
alors,  il  est  vrai,  sur  la  justice  de  leur  cause  et  l'intervention 
de  la  France,  si  cette  puissance  n'eût  été  dans  de  si  graves 
embarras  ;  mais  ils  pressentaient  déjà  que  Dieu  était  trop 
haut,  et  la  France  trop  loin. 

Cependant,  au  milieu  de  ce  conseil  intime,  de  graves  con- 
sidérations luttaient  en  faveur  de  l'insurrection.  La  Pologne, 
disaient  ces  généreux  exilés,  n'a  rien  à  risquer.  Sa  situation 


rant,  enfin,  qu'an  moment  où  nne  Convention  nationale  va  fixer  les 
destinées  de  la  France  et  préparer  peut-être  celles  du  genre  hu- 
main, il  appartient  à  un  peuple  généreux  et  libre  d'appeler  toutes  les 
lumières  et  de  déférer  le  droit  de  concourir  à  ce  grand  acte  de  raison, 
à  des  hommes  qui,  par  leurs  sentiments,  leurs  écrits  et  leur  courage, 
s'en  sont  montrés  SI  éminemment  dignes;  déclare  déférer  le  titre  de 
citoyen  français,  etc.  »  {Décret  du  26  août  i79JL) 


DB  LA  BÉVOQLIJTIO!!  P0L0NAI8B.  101 

est  désespérée  :  les  habitants  sont  réduits  à  ce  dernier  état 
d'atmttemeot  oit  un  peuple  a  plus  à  craindre  dé  Toppression 
que  de  la  résistance.  Le  sentiment  intime  de  cette  vérité  ins* 
pire  ordinairement  une  fureur  opinifttre.  Si  cet  acte  de  vi- 
gueur M  sauvait  pas  la  Poiogne,  il  pourrait  au  moins  enno^ 
blîr  les  derniers  moments  de  son  existence,  et  enfin  le  salut 
des  malheureux  est  souvent  de  n'en  plus  attendre.  A  ces  ob- 
servations se  joignit  celle  du  grand  effet  que  pourrait  produire 
la  levée  générale  des  paysans.  L'histoire  du  siècle  offrait  pln^ 
sieurs  exemples  où  des  succès  avaient  couronné  des  efforts  de 
cette  nature.  Tout  semblait  annoncer  que  la  classe  des  habi- 
tants de  la  campagne,  condamnée  à  porter  toutes  les  charges 
de  la  société  sans  en  partager  les  avantages^  embrasserait  avi- 
dément  l'espoir  d'une  liberté  raisonnable,  et  ferait  des  pro* 
diges  d'héroïsme  pour  la  mériter.  D'ailleurs,  la  raison  et 
rbumanité  s'accordaient  pour  commander  leur  affranchisse* 
ment;  des  motifs  de  politique  étrangère  donnaient  aussi  quel* 
que  poids  à  ces  raisons.  Ainsij  par  exemple,  la  maison  d'Au* 
triche  paraissait  désapprouver  le  nouveau  partage.  Il  leur 
semblait  naturel  de  voir  le  Cabinet  de  Vienne  non  moins 
affecté  de  la  perte  d'un  voisin  paisible  que  de  l'accroissement 
de  la  puissance  qui  en  résulterait  pour  le  roi  de  Prusse,  son 
ennemi  étemel,  ainsi  que  pour  la  Russie,  qui  ne  tarderait  pas 
de  le  devenir.  Ils  se  flattaient,  en  même  temps,  que  les  autres 
puissances,  comme  la  Turquie  et  la  Suède,  menacées  par  Tex* 
trame  agrandissement  de  la  Russie,  ne  resteraient  pas  simples 
spectatrices  des  efforts  que  les  Polonais  feraient  pour  recon* 
quérir  leur  indépendance.  L'Angleterre  elle-même,  pour  pré- 
venir la  rupture  complète  de  l'équilibre  européen,  pouvait  se 
jeter  dans  la  balance  avec  tout  son  poids  (1). 

(I)  BévoUttionpoUmaiH,  Ymoité, 


104  HISTOIM 

lliistoire.  L'amour  de  rhumaDÎté  fut  pour  lui  une  passion; 
rinuocence  opprimée  n'avait  pas  de  plus  énergique  défenseur, 
et  il  eut  le  courage,  au  milieu  de  la  tyrannie  séculaire  des  ma* 
gnats  polonais,  de  flétrir  hautement  Tinfâme  esclaTagc  où  la 
noblesse  retenait  le  paysan.  Cette  vertueuse  indignation  contre 
de  si  monstrueux  abus  que  ceux  qui  résultaient  des  rapports 
des  seigneurs  avec  leurs  serfs^  lui  attira  beaucoup  d^ennemis. 

Tels  étaient  ces  deux  hommes  célèbres  qui^  adorés  d'une 
partie  de  la  Pologne^  furent  détestés  de  Tautre.  Tant  qu'Us 
conservèrent  l'espoir  d'être  utiles  à  leur  pays,  ils  remplirent 
avec  un  zèle  infatigable  les  devoirs  des  ministères  qui  leur 
étaient  confiés;  dès  que  fut  arrivé  le  temps  de  rhumiliation,du 
malheur,  de  l'oppression,  ils  se  démirent  de  leurs  fonctions, 
d*où  leurs  vertus,  du  reste,  auraient  seules  suffi  pour  les  faire 
exclure.  L'opinion  publique  leur  attribua  sans  fondement 
rinsurrection  de  la  Pologne,  qui  ne  fut  que  l'ouvrage  des 
âmes  jeunes  et  ardentes  qui  frémissaient  sous  le  joug  de  l'é- 
tranger, et  du  mécontentement  des  troupes,  qu'on  menaçait 
de  réforme.  Dans  le  lieu  d'exil  où  la  persécution  russe  les  avait 
jetés  et  dépouillés  de  Ifeuis  biens  et  de  leurs  emplois,  ils 
n'apprirent  le  projet  d'insurrection  que  par  Kosciuszko,  qui, 
lui-même,  n'en  avait  été  informé  que  par  les  émissaires  en- 
voyés par  les  mécontents  de  Varsovie. 

Quand  un  peuple  est  écrasé  sous  un  joug  inique^  et  d'au- 
tant plus  humiliant  qu'il  est  l'œuvre  de  l'étranger,  les  âmes 
généreuses  n'ont  pas  besoin  d'être  rapprochées  pour  s'enten- 
dre. La  même  pensée,  le  même  vœu,  les  agitent,  les  électri- 
sent,  et  l'air»  au  besoin,  sert  de  conducteur  pour  transmettre 
de  l'une  à  l'autre  le  feu  sacré  qui  doit  les  raviver  ou  les  ré- 
veiller. Kosciuszko,  Potocki,  Kolontay  et  les  malheureux  exi- 
lés qui  partageaient  leur  mauvaise  fortune,  pressentaient  la 
situation  des  eeprits  de  leurs  compaljrîotes  ;  mais  ils  atteo- 


Di  LA  BÊrMienaii  polohaisi.  105 

«daiepi^e^QÎreonstaiKss 'plus  faTOniUes  pour  uHliser  Timpa- 
tiente  fureur  des  âmes  les  plus  ardentes.  L'éclat  que  Ton 
voulait  alors  donner  à  la  révolutioD  polonaise  leur  parut  seu- 
lement prématuré,  parce  que  le  pays  était  épuisé  et  oppri** 
roé,  Tarmée  désorganisée ,  la  noblesse  déshabituée  de  la 
guerre,  le  paysan  abruti  par  un  long  esclayage  ;  puis  les 
provinces  les  plus  belliqueuses  étaient  livrées  en  proie  à 
l'usurpation,  et,  dans  les  autres,  on  n'avait  pour  armes  que 
des  faulx  el  des  piques.  D'après  ces  considérations,  au  mo- 
noient  surtoat  où  les  forces  de  la  Prusse  et  de  la  Russie  avaient 
envahi  la  Pologne,  il  pouvait  y  avoir  quelque  chose  de  grand 
etderoagnaiiimedans  une  levée  de  boucliers;  mais  il  était 
présumable  que  l'histoire  seule  aurait  à  tenir  compte  de  son 
dévouement  au  patriotisme  malheureux.  Seulement,  comme 
dftns  certaines  circonstances  Tinaction  est  crime,  KosciusziLO 
et  ses  compagnons  d'exil  n'faésilèrent  pas  à  se  ranger  sous 
Télendard  de  la  patrie. 

Le  15  septembre  1793,  Kosciuszko  quitta  Leipzig.  Il  était 
accompagné  de  Zajonczek,  son  ancien  compagnon  d'armes^ 
etalorssoncompagnon  d'exil.  Ils  se  rendirent  sur  la  frontière 
de  Pologne  pour  juger  par  eux-mêmes  de  l'état  des  choses.  En 
touchant  le  sol  de  leur  malheareuse  pairie,  ils  se  rappelèrent 
involontairement  les  tentatives  réitérées  et  tonjours  infruc* 
tueuses  des  Polonais  pour  reconquérir  leur  liberté^  et  le  peu 
d'énergie  avec  laquelle  en  toutes  dreonstances,  avaient  été 
soutenues  ces  entreprises.  Mais  dans  les  âmes  nobles,  la 
chance  de  l'inaoccès  ne  marche  qu'après  la  certitude  dô  la 
gloire,  et  là  oif  les  intérêts  positifs  ne  sont  comptés  peur  rien, 
rentbûo^iasme  est  le  seul  mobile. 

Cependant,  pour  nelusser  au  hasard  que  ce  qi^il  n^est  pas 
dans  la  puissancede  Thaaime  de  prévenir,  KoseiusEl^o,  peu 
lui-sucé  aussi  sur  lea personnes  qui  formaient  rassociation  ré* 

14 


t06  msToiiB         '     I 

Yolutionnaire^  dépêohaZ&joncîek  à  Varsovie  pcnir  ^abouchéir 
avec  les  méconteoU^  slbforniër  de  leurs  ressources,  de  leurs 
affiliatioDSy  enun  mot  de  iousleursttioVens^  et  faciliter  le  triom- 
phe d^une  entreprise  aussi  grande  que  périlleuse.  Les  intor- 
mattons  qu'il  €n  reçut  ne  s'accôrdaientmalheureusemeut  que 
trop  avec  ce  qu'il  avait  pressenU.  a  Les  membres  deTaSBOCiâ- 
tion révolutionnaire^  lui  écrivît  Zajonclek,  sonttrës-tèlés>m&is 
trop  enthousiastes,  remplis  de  bonne  volonté,  mail  n'ayant 
que  des  moyens  très-bornés*  L'insurrection  tes  paysans 
n'est  rien  moins  que  préparée  t  on  se  cOnièilte  d«hiidertes 
espérances  de  cette  dasse  d'habitants  sur  la  hàiHie  géttéfàte 
qu'inspirent  les  Russes^  ainsi  que  sur  lacobâande  de  la  natièft 
^ur  le  cbet  qu'elle  vent  se  donner^  Les  conjuréfi  n'<^ntaiioa(| 
plan  fixe^  il  faut  leur  en  tracer  un.  Leurs  relattims  daoile 
pays  sont  très-bornées ,  et  celleil  qu'ils  ont  dans  l'armée  na 
comprennent  que  KadaUnski^  DttiQlinski>  et  quelques  offideift 
subalternes  de  différents  corps.  On  ne. peut  calcule^  M  Juste^ 
«jpataît-il,  quelle  sera  la  conduite  de  céUe  partie  d€  l'àrulée 
qu'on  a  forcé  à  ptrendr^  service  ebet  les  I^u^seë^  parue  qu'on 
compte  aeulement  sur  les  vœUt  secrets  qu'on  eu pposo  ami  il^ 
dividqsde  ce  corps;  maiso&^'a.potiitd'eng^gemealB'poéltiéi 
fye<;  eux^  Snfioi  oe  0ont  quatre Oli  cinq  mille  hobimë^  té^ 
pa^m  ep  dlffdrenteé  garnisons  qui  fbni  la  somme  4m 
j^oye9s;aqaoA€li$  pair. la  pévolution  $  .encore  té  rassembla^ 
men^  de  c^s  troupea  aat'-U  difficile  et  dëouiude^Hl  boatteoup^ 
4>dres6e«  »    >        .        . 

,  Cea  infom^atîoos^.  #1  précises  de  la  part  d'ius  iKiiiiine  d'uto 
patrioti^iïie  ^K^ti  et  qui^  pkr  opinion»  devait  plutâtlêtre  pure- 
té à  s'illusionner  sur  les  ressoliëoea  de  l'afiSeciattoaqu'à Ib^qù 
exa^érei^ja  modicité^.  danvailiqiiilKesaiosBzko  qiuë  let  nsoy^us 
que  l'on  a?/iii  étai^t  ittsuffisénts^  etd^àllleùrs  trop  m|tl  com« 
binés  pour  risqnjBir  me «fttrqpriaade  w.gehpe contre  un  en- 


DB  LA  RÉVOLtTlON  POLONAISE.  iOl 

nemi  dont  les  corps  rassemblés  en  différents  camps ,   se 
trouvaient  prêta  à  agir  an  premier  noatement  des  Polonais; 

II  se  passa^  en  cette  circonstance^  an  éi  ces  fàito  extraoMi^ 
nair«s  qm,  à  mju  sdols^  lésument  ose  sitaatton^  et»  sans  dé« 
noter  la  grasukiir  des^moyens,  rétèAcntlôut  an  moins  Pnna-^ 
DÎmité  du  bat.  Pour  ne  pas  éveiller  lés  soupçons  de  l'autorité 
russe,  Kosqimdso  s'^tiiil  anrèlé  à  la  Iranisèrei  Qaelqne  se- 
crète qu^^t  été  cette  appftfitîon»  ta  bmili^en  vépandit  îm*" 
médiat^miAnt  4'uii  bout  de  la  Palogn»  à.fanttfe:  Toiie  ténx  pour 
qui  le  nom  ùa  <2et  .af4ent  4ffe*ieDtf  de-teUherté  réswnaitttn 
Toeu^  expliquait  un  sentiment,  réveillait  une  espérance^  se' 
ûomqdimiqpèraiille  seeretdesen  arrivée,  fin  pràdéjours/la 
moitié  de  ta.P^e^M  fut  daâs  la  conftdaaee>  et  parmi  totitè^ 
cette  foDle>  il  ne  se  trtniTa  pas  un  traître.  ^ 

Ce  fait  iiniqiie  dans  rhtstoire  n'a  pas  Mêoln  de  cômmen-* 
taîrea*  U  es4  à  lui  seul  r^xpression  la  plu»  Vraie  de  l'borr'eur' 
que  peut  Jnspirer  à  «n  peuple  un  Joug  ^^)ppfesii6tt/  utié 
situation  forcée.  Lorsqu'une  toile  borreuir  se  tvàdùft'par  des 
faîtSjelle  produit  ube  de  ces  IbriAidaMes  eï  teirribles  catastro-* 
pbestdont  le  mradeconsenre  éternellement  la  mémoit^.  Les 
V4pir€tiSHilieBn$$  ian  forent  jadiis  Teckpression  sanglante. 

Cependant  >  malgré  cette  unanimité  des  sentiments  qut 
semblait!  piK»neitreuile  coopératieri  firanche  et  générale,  Ros- 
ciaszkofll^Dgâger  les  membres  de  l'association  à'évitertoat 
éclat  préam)uré)  .étendre  leurs  relaliêns  dans  le'pays,  s^as^ 
surer  des  troupes  polonaises  entrées  au  service  de  la  Russie, 
etsurtofit^giagner  iatf  paysans  «sfiem^ofÉiiidaliM  dhacttie  dis- 
trict d^a  patriotes  Ééiési  et  adroXs  pour  le^  endoctriner.  De  tels 
consfila  tendaieHI  ëvidemmeAt  à  diférer  Tépoqué  de  la  révo- 
lution^  et  la  plupart  des  aluecièB  étaient  natui'ellemeRt  itripa- 
tient»  et  Caugoeux;.  Leur  position  d'ailhaurs  était  critique  :  en- 
toura 4'Mpi«lP».chav|s  délai  Mgnknlait  laur  dangef ,  et  its  ' 


Danç  «a  seconde  déelaratioD,  en  donnant  an  généml  ttan- 
mer  Tordre  de  bloquer  la  tille  de  Dantog,  objet  éi  ardent  de 
ses  vœwi  le  Cabinet  dn  Berlin  ajoutait  t  €  Les  maniée  raisons 
qui  ont  engagé  Sa  Majesté  prussienne  à  faire  entrer  lin  corps 
de  troupes  dans  quelques  distriots  delaerande-Pologne,  la 
mettent  aujourd'hui  dans  la  néceésité  de  s'assurer  de  la  ville 
et  du  territoire  de  Dantsig. 

a  Sans  parier  des  intentions  pen  amicales  que  cette  Tille, 
«lepuis  une  longue  suite  d'années,  n*a  cessé  de  manifester 
envers  la  monarchie  prussienne,  on  se  contentera  de  faire 
nbserver  que  c'est  dans  le  sein  de  cette  ville  que  s'est  fordiée 
cette  odieuse  et  cruelle  conjuration,  qui,  marchant  de  crime 
en  crime,  cherche  aujourd'hui,  à  Taide  de  ses  abominables 
adhérente,  à  se  répandre  de  toutes  parts » 

Suivait  ensuite  une  série  dimpntations  calomnieuses  sur  le 
peu  de  foi  qu'on  pouvait  aecèrder  abx  magistrats  de  Dantzig, 
presque  Ions  liés  aut  pritacipes  de  la  Révointlon  française.  Ce 
second  manifeste  était,  toujours  selon  le  même  usage,  basé 
•ur  la  nécessité  «  d'arrêter  les  progrès  de  l'esprit  démocrati- 
m  que  que  la  Révolution  française  avait  introduit  en  Pologne 
c  avec  le  génie  ardent  des  clubs  et  de  IMnsnnrection.  » 

Ciomme  on  le  voii,  ces  rapaces  spoliateurs  variaient  aussi 
peu  leurs  formules  que  leurs  moyens  d'arriver  à  leur  but. 
En  efllst,  immédiatement  les  deux  cours  de  Berlin  et  de  Saint- 
Pétersbourg  firent  suivre  leurs  déclarations  d'une  armée. 
Soixante  bataillons  et  qnaWvingtHKx  escadrons  prussiens, 
suivis  d'une  formidable  artillerie,  commandés  par  le  mare- 
ehal  d'infanterie  MoUendorf,  franchirent  la  firontière  polo^ 
naise,  tandis  que  la  ecarine  élevait  à  soixante -dki  mille 
homnta  smi  contingent  militaire.  Dans  cette  campagne 
déei4'se^  eea  deux  souverains  devaient,  selon  tontes  les 
apparences^'Msreltre  lonr  royaume  de  quelqMs  lieues^  sansr 


DE  LA  RÉVOLUTION  P0L0NAI8B.  Ul 

autre  perte  que  l'effusion,  du  sang  de  plusieurs  milliers  de 
*bf  âveô  i^oïonàîô.  ^* 

(Cependant,  ceux  d'entre  Jès  esprits  les  plus  généreux  qui 
aTaietif  rêvé  Pindépendance  et  la  liberté  de  la  Pologne , 
avaient  été  forcés,  comme  oh  l*a  vu,  de  s'expatrier,  fuyant  les 
perséeutiôiis  de  la  ligue  de  Targowice,  pouvoir  illégal  élevé 
par  Catherine  en  opposition  au  pouvoir  légat,  et  qu'à  défaut 
du  droit  les  baïonnettes  russes  soutenaient  avec  tirie  énergie 
toute  sauvage.  Les  uns  avaieutcli.ercbé  un  abri  en  Saxe,  en 
Italie,  la  majeure  partie  en  t^rance,  apportant  partout  cette 
valeur  native,  ce  haut  esprit  de  ile^té,  c^tte  turbulence,  cetip 
agitation  dés  mœurs  publiques  qui  lés  caractérisent  :  partout 
braves  ofôciers,  nobles  soldais,  faisant  l'orgueil  et  la  gloire  de 
leur  pays. 

Ces  cœurs  enthousiastes,  imbus  de  l'esprit  de  la  ftévolution 
française,  avaîeht  pris  au  sérieux,  non-seulement  les  encoo- 
ràgèments,  mais  encore  les  protnedses  d'une  démocratie  géné- 
reuse, mais  trop  confiante.  Nobles  enfants  proscrits  et  exilés, 
ils  parcouraient  TËurope  cherchant  à  inspirei'  partout  la  sym- 
pathie dont  ils  étaient  si  dignes.  Ignace  et  Stanislas  t'otocki  à 
Dresde,  le  brave  comte  Hugues  Kolontay  et  Halachowskl  a 
Leipzig,  plaidaient  la  noble  cauée  qu'ils  avaient  à  défendre, 
en  attendant  que,  trahis  dans  leurs  destinées,  11  ne  If  ur  restât 
plus  qu'à  mourir  glorieusement.  Mais  c'était  de  Paris  surtout 
qU41s  attetldaient  du  secoure  et  de  la  protection  ;  là  seiilé- 
ment,  ilâ  étaient  sûrs  de  trouver  des  cœurs,  sinon  généreux, 
du  moins  sympathiques.  Là  aussi  s  étaient  rendus  .es  deux 
hommes  les  plus  fermes  et  les  plus  intellijgenls  de  la  Pologne, 
Kosciiiszko  et  Motqwski.  Ardents,  Infatigables,  ils  s'étaient 
d'abord  mis  en  rapport  avec  Dumpuriez  et  lè  parti  girondin 
de  Brissôt.  Pour  contenir  les  trois  puîssanceë,  là  tlùs^iô,  la 
Prusse  et  l'Autriche,  et  empêcher  le  uo^ivëàù  détnédibre^ 


r  f  • 

'  12  HISTOIHB 

ji. 
m&nt  qu'elles  projetaient,  pour  faire  aussi  une  utile  diversion 

au  moment  où  le  drapeau  insurrectionnel  serait  levé  en  Po- 
logne un  plan  avait  été  arrêté.  La  France  devait  fournir  des 
secours  d'hommes  et  d'argent^  et  en  même  temps  Kociuszko 
devait  se  rendre  à  Constantinople  pour  réveiller  la  guerre  des 
Turcs  contre  la  Russie.  Le  ministre  Lebrun  avait  mis,  pour 
ce  projet,  quelque  argent  à  sa  disposition. 

Malheureusement  pour  la  Pologne,  la  chute  des  Girondins 
arrêta  le  développement  de  cette  négociation.  Dans  les  pre* 
miers  jours  de  juin  1793,  Kociuszko  et  Hotowski  quittèrent 
Paris,  et  le  baron  de  Barss,  ardent  patriote  de  Varsovie,  fut 
accrédité  à  la  place  du  dernier.  Le  comité  de  salut  public 
prêta  le  plus  vif  intérêt  aux  plans  d'insurrection  de  la  nalio* 
nalité  polonaise  ;  il  les  encouragea  même  en  secret.  La  ques- 
tion des  secours  publics  efifectifs  fut  posée,  discutée  ;  mais 
dans  ce  moment,  pressée  jusqu'au  cœur  de  la  France  par  les 
armées  coalisées,  ayant  à  se  défendre  contre  des  cités  insur- 
gées et  des  départements  en  feu,  la  Convention  ne  put  que 
renvoyer  à  un  temps  plus  heureux  la  gloire  de  secourir  l'hé- 
roïque fille  du  Nord. 

Ce  fut  ce  moment  aussi  que  choisit  Catherine  pour  accom- 
plir le  second  partage  de  la  Pologne.  Dans  les  premiers  jours 
de  juin  1793,  TAutriche  avait  adhéré  sans  peine  à  ce  second 
démembrement,  et,  après  les  armées  russes  et  prussiennes 
dont  nous  avons  parlé,  un  corps  autrichien  de  quatre-vingt 
mille  hommes  dut  pénétrer  dans  la  Petite-Pologne.  Il  avait 
déjà  été  convenu  entre  les  trois  puissances,  que,  le  Cabinet  de 
Vienne  aurait  pour  sa  part  les  palfttinats  de  Chelm,  Lubiin, 
Sandomir  et  Cracovie. 

A^rsque  la  Pologne  fut  ainsi  cernée  de  toutes  paris,  on 
nrocéda  à  son  exécution,  selon  l'expression  si  juste  de  Calhe* 

M  <laQS  un  moment  de  ses  joyeux  épauchements. 


I»  LA  RtVOLVnOll  P0L0H118I.  113 

La  manière  dont  en  lieu  cette  êxéeutian  couronna  digne- 
ment riniqnité  si  longtemps  préméditée.  On  la  dirait  calquée 
sur  un  de  ces  terribles  épisodes,  où  des  hommes,  effroi  et 
rebut  de  la  société,  ayant  pour  lieu  de  la  scène  un  bois  ou 
une  caverne,  pour  témoins  les  ténèbres  de  la  nuit,  font  si- 
gner à  un  malheureux,  le  pistolet  sur  la  gorge,  l'acte  de  sa 
raine.  En  Toid  les  détails  précis.  L'histoire  n'ofltre  pas  d'en- 
seignement plus  profond  ni  peut-être  de  monument  plus  cu- 
rieux des  abus  de  impudence  et  de  la  force. 

Jusqu'au  10  juin  1793,  Pambassadeur  de  Russie  et  le  mi- 
nistre de  Prusse  avaient  constamment  déclaré  qu'on  ne  son- 
geait pas  à  un  second  partage.  Cependant,  on  en  était  à  peu 
près  sûr.  0  est  vrai  que,  quelques  Jours  auparavant,  Stanis- 
las ayant  demandé  à  l'ambassadeur  de  Russie,  M.  de  Sievers; 
ce  qu'il  en  était,  celui-ci  lui  avait  répondu  <  qu'il  n'en  savait 
«  rien  et  qu'A  ne  le  croyait  pas  ;  qu'il  était  venu,  par  ordre  de 
€  l'impératrice,  pour  guérir  les  plaies  de  ia  Pologne,  et  non 
«  pour  les  rouvrir,  et  qu'enfin  les  Polonais  jetteraient  des 
€  fleurs  sur  la  tombe  de  la  czarine.  » 

Cependant,  comme  malgré  ces  dénégations  et  ces  odieuses 
protestations,  tous  les  avertissements  s'accordaient  à  décla- 
rer cette  affaire  arrangée,  le  12  mai  1793,  Stanislas  proposa 
son  abdication  à  l'impératrice,  dans  une  lettre  où  on  lit  les 
passages  suivants  : 

«  Trente  années  de  travaux  pendant  lesquelles,  en  voulant 
«  lisdre  le  bien,  j'ai  eu  à  lutter  contre  tous  les  genres  d'infor- 
€  tunes,  m'ont  enfin  amené  au  point  de  ne  pouvoir  plus  même 
«  servir  ma  patrie  d'une  manière  vraiment  utile,  ni  à  rem- 
c  plir,  par  conséquent,  ma  tâche  avec  honneur.  Les  drcon- 
€  stances  sont  aujourd'hui  telles,  que  mon  devoir  m'interdit 
c  toute  participation  personnelle  à  des  mesures  qui  amène- 
«  raient  k  désastre  de  la  Pologne.  U  convient  donc  que  je  ré- 


116  niTOiM 

taMoD/l'eîavpérttton  étaimt  au  oomble.  Les  moHon  loi  plii 
TioleBtes.se/Saccédaienty  se  croisaient*  et  tontes  les  colères 
patriotiques  que  flioirle^,  dans  le  coeur  de  ces  homines  si  coqp 
pables.  rinlquité  de  la  Russie  et  de  la  Prusse^  ont  fait»  de  cette 
mémorable  séance^  une  des  plus  belles  pages  des  fastes  polo- 
nais. Ce  fut  ce  jour  même  qu'un  jeune  nonce»  accusant  en 
face  le  roi  d'avoir  amené  par  sa  pusillanimité  ces  malheurSi 
termina  une  foudrayante  apostrophe  par  les  paroles  sui- 
vantes: —  c  Roi  de  Pologne,  toutes  les  pages  de  rUstoire 
c  de  votre  règne  sont  nçires;  la  seule  qui  vous  reste  sera 
s  d'or,  si  vous  vous  opposes  à  ce  nouveau  partage.  » 

Le  roi,  ému,  troublé,  paraissait  prôt  à  céder.  Dans  cette 
circonstance  solennelle,  spn  exemple  aurait  incontestable* 
ment  entraîné  tous  les  membres.  Le  ministre  de  Prusse  com- 
mençait à  fléchir  devant  tant  d'opiniâtre  énergie^  lorsque 
l'ambassadeur  de  Russie,  de  Sievers,  fit  remettre  à  la  diète  un 
ultimatum  qui  se  terminait  par  ces  mots,  que  l'histoire  doit 
conserver  comme  un  des  attentats  les  plus  insolents  qui  aient 
jamais  été  commis  contre  une  représentation  nationale  t  -* 
c  Le  soussigné»  y  était-il  dit,  doit  en  outre  informer  les 
états  de  la  république,  qu'il  a  cru  absolument  nécessaire,  afin 
.de  prév<3nir  toute  espèce  de  désordre^  de  foire  cerner  le  cbi- 
teau  par.deux  bataillons  de  grenadiers  avec  quatre  pièces  de 
canon,  pour  assurer  la  tranquilliti  de  leurs  dilibiratiani.  La 
.sous^gné,  tout  en  déclarant  que  nul,  pas  même  le  roi,  ne 
pourra  sortir,  de  la  sidle  avant  que  la  signature  du  traité  ne 
,6oit  décidé,  ne  s'attend  pas  à  voir  lever  la  séance  sans  qu'il 
soit  fait  droit  à  sa  demande.  » 

'  En  même  temps,  le  général  Rautenfeld,  qui  commandait 
les  trouves,  prit  place  au  milieu  de  la  diète,  et  ne  permit  à 
aucun  nonce  de  quitter  la  salle  avant  que  la  députation  ne  fût 
autorisée  à  signer.  La  diète  ne  délibéra  pas*  Les  nonces  assis 


•M 


-Cl 


M  LA  lifOLOTim  fùLMAXÊM.  117 

dans  leart  faotenils,  se  tinrent  immobiles,  observant  le  pins 
profond  silence.  Le  roi  Ini-méme  refusa  d'ontrir  les  débats. 
La  journée,  une  partie  de  la  nuit  s^écoulèrent  dans  ce  solen* 
nel  silence.  Alors  le  général  Rautenfeld  demanda  trois  fois  si 
la  diète  donnait  son  consentement  Cette  demande  ainsi  réi- 
térée n'ayant  été  Tobjet  d'aucune  réponse  il  déclara  que, 
puisqu'il  ne  se  présentait  pas  d'opposition,  la  députatton  était 
autorisée  à  signer,  et  la  concession  déclarée  valable. 

Ainsi  se  termina  à  Vamtable,  selon  l'expression  de  Cathe- 
rine dans  sa  déclaration  de  Grodno,  la  cession  d'une  autre 
partie  de  la  Pologne  aux  puissances  co-partageantes.  La  Russie 
gagnait  à  cela  une  partie  du  palatinat  de  Wilna,  le  reste  de 
ceux  de  Polotxk  et  de  Minsk,  des  parties  de  èeux  de  Nowogro* 
deck  et  de  Volhynie,  toute  la  Podolie  et  njkraine,  ayant  en- 
semble une  surface  de  4,553  milles  géographiques  et  une  po- 
pulation de  3  millions  11,688  âmes.  La  Prasse,  outre  les  Tilles 
de  Dantzig  et  de  Thom,  acquit  les  palatinats  de  Posnanie, 
de  Gnesne,  de  Kalich,  de  Brzesc-en-Cujayie,  la  plus  grande 
partie  de  ceux  de  Plotzk  et  de  Rawa,  ceux  de  Lentxchitx  et  de 
Siéradie,  le  pays  de  Yialan  et  un  district  du  palatinat  de  Gra- 
coTié;  le  tout  formant  une  superficie  de  1,061  milles  carrés 
géographiques,  peuplés  par  3  millions  594,640  ftmes.  L'Au* 
triche,  qui,  dans  le  second  comme  dans  le  premier  partage^ 
s'était  toi^ours  tenue  en  arrière,  pour  ne  recueillir  dans  cette 
iniquité  que  du  profit  sans  haine,  allait,  a^ant  le  partage  défi- 
nitif qui  n'eut  lieu  qu'en  1795,  se  mettre  en  mesure  d'avoir 
une  bonne  part. 


(3HAPÏTRR  !V 
1794 


Retour  à  T&moTie  4a  roi  Stanislu  et  do  l*kïnbta8a<Jeiir  00  ti«lwiQ«'*-r 

Redoublement  de  pereécutioDS.  -r-  Situation  critique  .dee  oonjoré^» 
— ^Insurrection  de  Madalînski. — Arrivée  de  Koscioszko  à  Cracovie.— 
*  '  ftiSQrrectiondtoCnieoTie.  -*-  Acte  dlnsurfectlon  da  54  mars  <7M.— 
>  KoeoNBzlod  Mfc  Jioaiinô'cbèf  de  l'àiBiirrèctiôii  ;  son  feiment  ;  seè  pp»- 
clamatioi3s  ^  l'armée  e^  k  ia  Dation.  ^Batfiille  de  Raalavii^. -r 
Beau  fait  d'armes  de  Rosciuszko.  —  Première3  victoire^  des  insurgés. 


Depuis  que  le^  Eusses  ayaient  pris  possession  de  la  Polo- 
gne^ le  siège  du  gouYernement  avait  été  transféré  à  Grodno. 
Vers  la  fln  de  novembre  1793,  le  roi  Stanislas  et  Tambassa;- 
deur  dô  Russie/  qui  était  plus  roi  que  lui^  revinrent  4  Var- 
sovie. Leur  arrivée  fut  marquée  par  un  redoublement  dp 
persécutions.  Le  nombre  des  espions  augmenta,  et  les  mal- 
heureux Polonais,  trop  flerâ  pour  se  résigner  à  rarropan<^ 
insoutenable  des  Russes»  prêtaient  tous  les  jours  aux  soup- 
çons. Les  délations  se  multipliaient  ;  les  arrestations  des  per- 
sonnes les  plus  probes,  sftB^-ëietinction  d'âge  et  de  sexe, 
devenaient  de  jour  en  jour  plus  nombreuses  :  les  prisons 
furent  bientôt  encombrées.  Les  crimes  imaginaires,  les 
vertus  réelles,  tout  servait  de  texte  a  des  accusations  ;  étran- 


DB  LA  BiVOHtqOll  P0L01IÂ18B.  $iti 

gers,  citoyens,  tous  étaient  suspects  et  poHrviiTis.  Les  offi- 
ciers et  les  soldats  russes  joutaient  encore,  par  iiiiUe  désor* 
dres  et  mille  cruautés^  am  hideuses  formes  de  cette  justice 
inquisitoriale.  L'iQSulte  se  joignit  ensuite  à  Toppression,  t^ 
les  tyrans>  chargés  de  la  haine  publicpie»  appréhendant  «o* 
révolte  et  défiapta  oompae  tous  lea  tyrans^  pfinmt  pwr  U 
préTeqir  des  précautiens  .si  saTammeMt  croelleai  que  kt 
annalea  d^  h|  birharip  alpflrfttt  tien  de  semUabW*  GatberiMy 
dont  le  san^  dana  ses  dernières  i&méesy  asiid4aiti  être  deveiA 
le  h^het  exclusif^  paraissait  sMttre  alors  sa  gloire  à  surpaiKr 
tout  ce  qa'elle  reprochait  à  la  )BléYolution.  française. 

Avec  ce  redoublement  de  fnreurs^  la  situatioa  des  conjurés 
deyenait  de  jour  en  jour  plus  critique*  Le  danger  d'élrç^ 
découYerts  n'était  pas  le  seul  qu'ils  avaient  à  redouter^  Ua 
autre»  plus  grave  peut-être,  en  ce  qu^ils  pouvait  paralyser 
tous  leurs  moyens  de  révolution,,  était  imminent:  c'était  la^ 
réduction  des  troupes  polonaises,  -qu'on  avait  déjà  commence 
i  opérer.  Kn  effet,  des  compagnies  avaient  été  réduites  i 
8oixante*quinze  hommes»  et  on  s'attendait  tous  les  jours  à 
voir  licencier  le  reste^  et  même  à  la  saisie  de  l'arsenal  de  la 
république.  Ceùt  été  alors  6ter  aux  cpi^ttrés  leurs  dernières^ 
et,  disons-lCj  leurs  seules  ressources^  l 

Effrayés  de  la  marche  rapide  de  cette  réactioiji»  les  patriotes 
expédiaient  à  Kosciuszko  courrier  sur  courrier^  lui  mandant 
Textrémité  à  laquelle  ils  allaient  être  réduits»  le  pressant  d^ 
hâter  l'insurrection,  et^  pour  Vj  décider,  exagérant  leunf 
moyens  et  l^urs  ressources^  Kosciuszko^  de  son  côté>  ayant 
eu  Toccasion  d'ouvrir  quelques  communications  avec  lU- 
kjraine^  la  Lithuanie  et  li^  Grande-PokjQueî  avait  acquis  If^ 
convictioD  que»  dans  toutes  ces  provinces,  on  désirait  l'iiH 
surrectioUf  et qpfon  était  prêt  à  s'y  leyer  au  signal  convenu*.,, 

I^lbfui|^«w¥i§i»t».^^^  crift.  sp  Fé^iaisait  >  dos  .SfWft, W} 


120  BiCTom 

cachaient  mal  des  craintes.  En  effet,  les  conjurés  n'avaient  ni 
armes,  ni  cheTaux,  ni  provisions  d'aucune  espèce.  Ceux  des 
nobles  qui  désiraient  ardemment  d'être  délivrés  de  leurs 
oppresseurs^  n'attendaient  cet  effort  que  de  l'armée,  et  ne  se 
donnaient  aucun  mouvement  par  eux-mêmes.  Lldée  seule  de 
k  levée  générale  des  paysans  faisait  trembler  la  plupart  des 
propriétaires,  qui  se  trouvaient  ainsi  en  contradiction  avec 
leurs  propres  sentiments,  flottant  entre  le  désir  de  l'indépen- 
dance et  la  crainte  de  perdre  leurs  droits  sur  les  serfs. 

Ce  fut  dans  ce  moment,  en  mars  1794,  qu'un  général  polo- 
nais, Hadalinski,  pressé  de  licencier  son  régiment,  et  crai- 
gnant que  l'armée  ne  fût  totalement  réformée  sans  avoir  pu 
faire  de  résistance,  se  décida  à  lui  donner  Texemple.  n  ras- 
sembla son  régiment,  qui  montait  à  sept  cents  chevaux,  quitta 
son  quartier  de  Pultusk,  traversa  la  Yistule,  surprit  les  déta- 
chements prussiens  postés  le  long  de  la  nouvelle  frontière,  et 
les  battit  l'un  après  l'autre.  Au  lieu  de  marcher  vers  Varsovie, 
gardée  dans  ce  moment  par  plus  de  vingt  mille  Russes  cam- 
pant dans  la  ville  ou  aux  environs,  il  se  dirigea  vers  Cra- 
covie,  pour  favoriser  l'insurrection  des  troupes  cantonnées 
dans  ce  palatinat,  y  prendre  une  bonne  position  et  y  attendre 
l'arrivée  de  Kosciuszko,  L^esprit  de  cette  province  était  mieux 
préparé  pour  la  révolution  que  celui  des  autres  parties  de  la 
Pologne.  La  noblesse,  la  bourgeoisie,  les  militaires,  tout  le 
monde  y  désirait  et  y  attendait  avec  impatience  l'arrivée  du 
libérateur  commun,  Kosciuszko.  | 

Il  y  arriva  le  jour  même  (23  mars  1791)  où  s'était  con- 
sommé à  Cracovie  un  grand  acte  de  colère  populaire.  Dès  le 
matin,  le  bruit  du  tocsin  avait  appelé  le  peuple  aux  armes. 
Des  villages  des  environs  étaient  arrivées  des  bandes  de  pay« 
sans  armés  de  faulx  droites,  de  piques,  et  conduits  par  leurs 
propriétaires.  Os  s'étaient  Joints  à  la  populatiott  de  la  ville. 


M  LA  BÉVOLUTIOll  POIiOHASI.  ISl 

flonlerie  eontre  la  garnison  russe^  forte  de  einq  cents  hom- 
mes, et  qu'on  Toulait  chasser.  Le  combat  commença  dès  onze 
heures  du  matin,  acharné,  terrible.  Le  sang  coulait  par  les 
rues;  le  seuil  des  maisons  en  était  teint.  La  garnison  polo- 
naise, forte  de  quatre  cents  hommes,  et  qui  ayait  pris  Tinitia* 
tiye  de  ce  soulèyement,  seconda  admirablement  les  paysans  et 
les  bourgeois.  Dès  ce  moment,  on  ne  songea  plus  à  chasser 
les  russes,  mais  à  les  exterminer.  Heureusement  pour  ces 
derniers,  le  plan  d'attaque  des  insurgés  n'avait  pas  répondu 
a  leur  ardeur*  Les  mesures  furent  prises  si  maladroitement, 
que  les  Russes  purent  évacuer  la  ville.  Gomme  ils  sortaient 
par  une  porte,  Kosciuszko  entrait  par  Fautre.  n  les  fit  pour- 
suivre ;  mais  il  était  trop  tard.  Arrivés  en  rase  campagne,  les 
Russes  se  défendhrent  vaillamment  et  ne  perdirent  que  leurs 
bagages. 

Rien  au  monde  ne  peut  peindre  l'enthousiasme  qu'excita  à 
Cracovie  Tarrivée  de  Kosciuszko.  Jamais  monarque,  dans  tout 
réclat  de  sa  pompe  et  de  sa  puissance,  n'a  vu  éclater  sur  son 
passage  des  sentiments  plus  vifs  et  plus  vrais.  Ce  n'était  pas 
là,  une  joie  de  commande,  tout  fut  spontané,  tout  fut  naturel, 
parce  que  les  acclamations  s'adressaient  à  l'homme  et  non  pas 
au  rang  ;  parce  que  Kosciuszko  apparaissait  au  peuple  comme 
un  sauveur  qui  vient  vouer  sa  vie  à  Pindépendance  et  au  bon- 
heur de  sa  patrie.  Aussi  les  hommes,  les  femmes,  les  vieillards, 
les  enfants,  toutes  les  classes,  tous  les  états,  tous  les  rangs  se 
pressaient  et  se  confondaient  au-devant  de  ses  pas  ;  et,  au  mi-- 
lieu  de  tout  ce  délire,  coulaient  d'abondantes  larmes  ;  mais, 
cette  fois,  c'étaient  des  larmes  de  joie  et  d'espoir. 

Le  lendemain  (24  mars  1794),  Kosciuszko  fut  proclamé  gé- 
néral en  chef  de  Varmée  insurrectionnelle.  En  cette  qualité, 
il  eut  à  recevoir  le  serment  des  habitants  de  Cracovie ,  et  à 
prêter  lui-même  le  sien  à  la  nation. 

16 


G^  flH  un  jmr  iOlaiiMl  dans  las  fàttos  révolutionnaires  46 
la  Pologoa»  qw  ealni  où  un  peuple,  insurgé  contre  la  tyran- 
nie d'oppraeseiirs  étrangers,  se  lia  par  un  sèment,  au  ctief 
qu'il  s'était  choisi.  Dès  le  matin,  la  vills  dedraeoTie  fut  parée 
comme  pour  uu  jour  de  fête.  L'espoir  et  la  joie  brillaient  sur 
toutes  les  pbTsiouomies*  U  grande  saUo  du  ctièteau  avait  été 
flj(ée  pour  Timposante  cérémonie  du  serment*  Sur  uneestrade 
au-dessus  de  laquelle  flottait  le  drapeau  national,  était  Kos- 
ciuszko.  Sa  figure  était  légèremant  animée,  parce  qu'il  sentait 
toute  la  respon^abiUté  qui  allait  peser  sur  sa  tête  ;  son  regard 
était  fier ,  parce  qu'il  avait  la  oonscience  de  la  justice  de  sa 
cause.  Autour  de  lui  étaieut  Ignace  Potocki,  Kolontay ,  Zajonc- 
zek,  et  d'autres  patriotes  qui  avaient  quitté  la  terre  d'eul  pour 
venir  saluer  cette  aurore  de  Nnct^odauce  4e  leur  patrie, 
pour  voler  où  les  appelait  le  danger.  Une  foule  immense^  où 
les  rangs,  les  états ,  les  ae^s  »  étaient  coufondus ,  remplissait 
la  salle^  et  se  prolongeait  au  loiui  à  ses  aborda.  Nobles,  bour- 
geois, paysans,  prêtres,  femmes,  s'accostaient,  se  félicitaient, 
tant  l'espoir  seul  de  la  liberté  avait  jeté  d'enthousiasme  dans 
ces  âmes  naguère  flétries  sous  un  joug  abhorré.  Toute  cette 
foule  était  rassemblée  là  pour  prêter  à  la  nation ,  entra  les 
mains  de  Kosciuszko,  le  serment  solennel  de  vivre  ou  de  mou- 
rir pour  l'indépendance  de  la  patrie.  On  s*y  était  rendu  de 
toutes  les  parties  du  palatinat;  héroïque  empressement  d'une 
population  entière  rassemblée  à  cette  fête  nationale,  non  dans 
un  sentiment  de  joie  frivole,  mais  dans  uno  pensée  de  dou- 
loureux saoriûce. 

Les  plus  notables  d'entre  les  habitants  prêtèrent  le  serment 
les  premiers.  Parmi  eux,  on  vit  s'avancer  de  nobles  vétéfans 
de  la  liberté,  l'air  morne  et  grave,  mais  ûcr  et  décidé;  ayant 
passé  leur  vie  à  protester  contre  Toppression  étrangère,  ils  al- 
laient illustrer  leur  mort  par  la  couroune  du  martyre.  Gomme 


DE  LA   RÉVOLUnOII  POLONAISE.  123 

teformiiledu^eriMiit  était  en  <j[iielqo6  sorte  arbitraire^  de 
^lus  d'uoe  bouobe  «ortfréiit^  atec  des  voeiti  ponr  la  patrie^  dea 
iiDprécatioDS  «entre  sea  fdrouehes  opfnrefliettra;  et  ù  le  génie 
proteeteur  d\iD  peuple  tient  compte  au  ciel  dea  malédictiona 
popalairea,  ce  jeiur-là^  le  génie  de  la  Pologne  dut  avoir  à  ins« 
crire  de  terfiblea  chargea  eontm  Catherine  et  Frédérie4iuil« 
laume. 

Aprèa  lea  vétérans  de  la  libettéf  a'aTancàrent  dea  nobles  ré- 
cemment ralliéa  à  la  cause  de  rindépendancoy  dea  militairea» 
dea  boargeoia>  des  prêtreai  dea  pajaaoa,  lea  nna  groupée  au>» 
toer  d'un  drapeao  seigneurial,  les  autres  anionr  de  la  bai> 
niè^  du  corps  de  métier  anqlid  ils  appartenaient*  Tous  défi'» 
lèrent  devant  Koaciusiko^  prfttant^  avec  enthousiasme  >  le  ser» 
ment  national,  et  prêts  à  cimenter  de  leur  sang  la  liberté  pour 
laquelle  ils  sa  levaient. 

Après  avoir  reçu  le  serment  de  tous^  KosciussIlo  se  leva,  et, 
avant  de  prêter  le  sien ,  prononça  les  paroles  suivante^  f  ifuî 
forent  écoutées^  comme  autant  d'ovaclea^  par  la  population 
enthousiaste  qui  rantourait  : 

t  Chcrs  coricitoïens  et  frères, 

«  Malgré  ^iniquité  qui  pèse  depuia  longtemps  sur  elle ,  la 
c  Pologne n'eal  pas  morte;  elle  se  relève  çncore  contre  sea 
«  oppresaaurs* 

<c  Pour  ceux  qui  sentent  ce  qu'ils  doivent  à  leur  patrie,  an 

<  sang  polonais  qm  coule  dans  le«rs  veines  $  TiMurreclion 
«  d'aujourd'hui  n'a  d'autre  but  que  de  noua  affranchir.  Nous 
c  noua  levons  pour  recouvrer  les  provinces  violemment  ar- 

<  racbées  à  la  Pologne,  pour  reconquérir  l'indépendance  nar 
I  tionalOj  pour  nous  rendre  à  la  liberté. 

«  LevoBS-AOtts  donc  tous»  joignons  nos  forces,  et  noua  rem- 


124  HUTonui 

c  plirons  plus  vite  et  plus  aisément  les  yaes  sacrées  qui  nous 
«  ont  mis  les  armes  à  la  main.  Défendons  tous  la  même  cause  ; 
«  unissons-nons  tous  dans  une  haine  commune  contre  les 
a  usurpateurs  qui^  au  mépris  de  traités  dairs»  formels^  an- 
a  thentiques,  divisent  et  morcellent  notre  sol^  foulent  aux 
«  pieds  nos  droits  et  nos  libertés^  nous  chassent  de  nos  héri* 
«  tages  paternels^  et  se  partagent  nos  biens. 

«  Aucun  usurpateur  ne  peut  réclamer  des  droits  qui  n'ap- 
«  partiennent  qu'aux  nations,  et  il  n'est  même  au  pouvoir 
c  d'aucun  peuple  de  consentir  à  suspendre^  a  exécuter  le  droit 
«  inaliénable^  éternel,  qu'il  y  a  de  poursuivre,  de  détruire  les 
c  tyrannies  an  dedans  et  au  dehors,  quelque  nom  qu'elles 
c  prennent,  quelques  formes  qu'elles  adoptent. 

c  Un  peuple  qui  veut  réellement  être  libre  le  sera  ^  et  les 
c  efforts  des  plus  nombreuses  armées  échoueront  toujours 
«  contre  une  nation  levée  en  masse ,  et  où  tout  le  monde  est 
«  soldat. 

c  Et  vous,  brave  peuple  des  campagnes^  sachez  distinguer 
c  vos  amis  de  vos  ennemis^  cessez  de  vous  laisser  leurrer  par 
«  de  vaines  promesses.  L'ennemi  commun  vous  promet  la 
a  sûreté,  la  tranquillité  que  réclament  vos  utiles  travaux,  et 
a  ne  voyez-vous  pas  qu'il  ne  peut  vous  procurer  ces  avanta- 
«  ges  t  Pouvez-vous  croire  à  l'humanité  d'une  soldatesque  in- 
a  solente,  prête  à  ravir  votre  bétail,  vos  chétives  possessions, 
a  vos  instruments  de  labourage,  et  à  livrer  vos  cabanes  aux 
«  flammes? 

a  Ah  I  que  vous  serez  cruellement  désabusés,  lorque  le  feti 
«  dévorera  les  fruits  de  votre  travail,  et  les  moissons  cultivées 
a  par  vos  mains  et  arrosées  de  vos  sueurs.  Pouvez-vous  croire 
«  à  la  tranquillité  que  vous  garantit  la  Russie,  puissance  dont 
«  les  sujets  sont,  depuis  un  siëde,  envoyés  à  la  boucherie) 

Demandez  a  ses  soldabs,  à  ses  cosaques^  depuis  combien  de 


n  Là  BifOi.innoii  foumAUB.  129 

«  temps  ÛM  aont  excédés  de  Teilles,  de  oonnss^  de  travaux  de 
c  toute  espèce  T  DeiQandes4eur  dans  quel  temps  ils  se  repo- 
«  sent?  De  bonne  foi»  la  Russie  peuUelIe  tous  promettre  l'a« 
€  mélioration  de  votre  sort,  elle  qui  tient  dans  la  plus  dure 
c  servitude  les  habitants  de  ses  campagnes,  qui  les  accable  de 
€  corvées  pénibles,  continuelles ,  de  sedevances  exorbitantes 
€  et  honteuses,  et  qui  pmnet  qu'on  les  vende  au  marché 
<  comme  des  bétes  de  sommef 

€  Qu'aucune  classe  de  dtoyens  ne  se  laisse  donc  abuser  par 
c  les  déclamations  russes.  La  Russie  vous  invite  à  llnerlie;  la 
€  patrie  vous  commande  Tactivité,  le  courage,  Tunion.  La 
«  Russie  promet  une  tranquille  trompeuse  dans  les  travaux 
c  rustiques;  le  gouvernement  de  Pologne  vent  assurer  pour 
c  jamais,  à  tous  les  citoyens  »  le  fruit  de  leur  travail.  Les  dé- 
c  darations  russes  emploient  un  vain  étalage  de  mots  pour 
c  nous  faire  accroire  qu'elle  veut  adoucir,  en  votre  faveur^ 
a  son  système  de  servitude,  la  plus  dure  qui  existe  sur  la  terre. 
€  LMnsurrection  nationale  prépare  à  tous  les  habitants  de  la 
c  Pologne  une  liberté  fondée  sur  la  raison.  Enfin,  les  déda- 
«  rations  russes  tendent  à  afTaiblir,  à  diviser  les  citoyens  :  le 
€  gouvernement  de  Pologne  invite  tous  les  Polonais  à  la  con- 
«  corde,  source  de  force  et  d^intailltbles  succès.  Citoyens  et 
«firères,  pouvei-vous  demander  qui  vous  devez  croire? 
«  D'un  côté,  vous  entendes  la  voix  de  vos  compatriotes  et 
a  de  vos  frères;  de  l'autre ^  celle  des  usurpateurs  étran^ 
«gers,  des  ennemis  de  la  nation  et  du  nom  polonais* 
«  D'une  part,  vous  restes  Polonais;  de  l'autre,  vous  devenex 
c  Russes.  » 

A  ce  moment,  Kosdnsxko  fut  interrompu  par  aitUe  cris^ 
tels  que  :  «  Non  !  non  1  nous  voulons  rester  Polonais?  Plus  ds 
a  Russes!  Mort  à  nos  tyrans  » 

•-«Oui  I  reprit  Kosciuszko avec  force,  oui,  rensslo  Polo* 


tW  tomoii» 

c  natvt  Ptifde  RosMi!  Mort  à  no»  tjnmi  IlSiir  pôxît  ^Ui 
«  il  faol  qiier  le  tdrtnept  que  fon^  tëti6»  d«  i^rSter  à  h  na^' 
«  Uon  tow  Qtii«0e  dââ»  tin6  tigne  sakite  et  ênetée,  qui  hê 

•  doit  a^oirHe  fin  qMl^nqfië  le  Ml  {MIôâÉiê  «èfét  ptttgê 
«  de  la  ppésenco  de  <e»  eiiMmi9|  el  cpie  la  Pblogiiè  éeeâ,  ft^ 
«  dipendaote  et  llliMi  # 

«M  «Noag  lé  toffOMU  e^&crièreot  dei  milHere  de  veMif. 

—  «  Eh  bien?  tenez  votre  serment^  et  je  ré^Md^M  Wc^ 
e  oès»  (èMDt  à  mol,  tfostfe  KoMioadcff,  Wm  nTeit  témdin  de 
«:lailQ6àrttéd#  eeliiî>qmeie  viif  ^rftler  à  UiMtiM*  » 

Bi  d'«Qe  Toîx  {dus  aeleoBelle  et  j^  impoiaate^  il  prêt*  le 
eennenteuivant  s 

«  Moi^  thadée  Koâciaszko,  je  jure  à  la  nation  polonaise^  en 
i  présence  de  l^tre  suprême,  que  je  ne  tournerai  jamais  le 
k  pouvoir  qui  m'édt  confié  pour  opprimer  aucun  citoyen; 
k  tnais  qde  je  remploierai  Uniquement  pour  défendre  Unie- 
^  gritéde  mon  pays^  pour  recouvrer  llndépendance  natto- 
k  noie,  et  pour  ftCTermii'  la  Ifberté  générale  de  ma  pairie.  » 

Les  crii^  nulle  fois  répétés  de  :  c  vive  KeeetuidWil  vive  la 
Polegnel  »  couvrireni  ced  dernier»  moley  ^ 

*  Le  même  jour  fat  proclamé^  eu  bmîi  du  eemoa»  uo  aele 
tfiMiirreetîeii^  ovise  «évéleient  tMte  la  dignilé  d'Un  pMplie 
eotragé  dane  ea  iMUioiielilé^  et  teule  llierreiir  ^iie  bii  iaipW 
lait  l'oppreesion  étrangère  {neble  ptfoteiteUieftqWiil  est  diffir 
elle  de  lire  flaœ  une  émotion  pirolôode* 

Yoici  ce  document  important^  que  l'histoire  doit  coueerver 
eomme  on  impérissable  stigmate  à  la  saUglante  et  sanvage 
politique  de  Catherine. 


DB  LA  BÉYOLimOll  POLON AI8B.  '!^ 

Acte  éPinsurreùtion  de  la  Pologne  opprimée. 
(Mars  1794.) 

a  L'état  où  se  froQve  actuellement  1&  malhenretise  Pologne 
est  trop  connu  de  runiyers;  Tindignité  de  deux  puissances 
toisines,  et  le  crime  des  traîtres  à  la  patrie  Pont  précipitée 
'dans  cet  abîme.  Catherine  II,  qui,  d^intelligence  avec  le  par- 
jure Guillaume,  a  résolu  d'extirper  Jusqu^au  nom  polonais, 
Tient  d'accomplir  ses  projets  iniques.  Il  n*est  aticun  genre  de 
faussetés,  de  perfidies  ou  de  trahisons  dont  ces  derux  gou- 
yernements  ne  se  soient  rendus  coupables  pour  satisfaire 
leur  tengeance  et  leur  cupidité.  Laczarine^  en  Se  déclarant  ga- 
rante de  l'intégrité  et  de  llndépendance  de  la  Pologne^  l'affli- 
geait de  toutes  sortes  de  fléaux  ;  et,  lorsque  la  Pologne,  lassée 
de  porter  son  joug  honteux,  eut  recouvré  ses  droits  de  sotl- 
Teraineté^  elle  employa  contre  elle  des  traîtres  à  la  patrie, 
elle  appuya  leurs  complots  sacrilèges  de  toute  sa  force  armée, 
et  ayant  détourné  avec  artifice,  de  la  défense  du  pays,  le  fol, 
à  qui  une  diète  légale  et  la  nation  avaient  confié  tontes  leuns 
forces,  elle  trahit  bientôt  honteteement  ces  mftmes  traîtres. 
Etant,  par  de  pareils  subterfuges,  devenue  maîtresse  des  des- 
tinée de  la  Pologne,  elle  invita  Frédéric-Oulllaunie  è  prendre 
part  aux  dépouilles^  afin  de  le  récompenser  de  sa  perOdie, 
pour  avoir  rompu  le  traité  le  plus  solennel  avec  la  république. 

«  Sous  des  prétextes  impudemment  flaux>  mais  en  eflTet 
pour  satisfaire  leur  insatiable  cupidité  et  étendre  leur  domi- 
nation par  l'envahissement  des  nations  limitrophes,  ces  deux 
puissances  confédérées  contre  la  Pol(^e,  se  sont  emparées 
des  possessions  immémoriales  et  incontestables  de  la  répu- 
blique; et,  pour  cet  effet,  elles  ont  obtenu,  dans  une  diète 
convoquée  dans  ce  dessein,  une  prétendue  approbation  de 


W  HI8T0IU 

leurs  usurpations;  elles  ont  forcé  les  sujets  an  serment  et  i 
Fesclavage^  en  imposant  les  citoyens  aux  charges  les  plus 
onéreuses;  et  ces  deux  alliés,  ne  connaissant  qu'une  volonté 
arbitraire,  par  un  langage  nouveau  et  inconnu  dans  le  droit 
des  gens,  ont  audacieusement  assigné  à  Texistence  de  la  ré- 
publique  un  rang  intérieur  à  toutes  les  autres  puissances, 
faisant  voir  clairement  par  là  que  les  lois,  autant  que  les  U- 
miles  des  Etats,  dépendent  absolument  de  leurs  caprices,  et 
qu'ils  regardent  le  nord  de  l'Europe  comme  une  proie  des- 
tinée à  la  rapacité  de  leur  despotisme. 

«  Le  reste  de  la  Pologne  n'a  pu  encore  parvenir  à  acheter 
l'amélioration  de  son  sort  au  prix  de  tant  de  cruelles  calami- 
tés. La  czarine,  en  cachant  ses  desseins  ultérieurs,  qui  ne 
peuvent  qu'être  pernicieux  aux  puissances  de  l'Europe,  sa- 
crifie, en  attendant,  la  Pologne  à  sa  vengeance  implacable  ; 
elle  foule  aux  pieds  les  droits  les  plus  saints  de  la  liberté,  de 
la  sûreté,  de  la  propriété.  La  pensée  et  le  sentiment  intérieur 
des  Polonais  ne  peuvent  même  être  à  Tabri  de  ses  persécu- 
tions soupçonneuses,  et  elle  tâche  d'enchaîner  jusqu'au  lan- 
gage. Il  n'y  a  que  les  traîtres  à  la  patrie  qui  trouvent  de  l'in* 
dulgence  auprès  d'elle;  ils  peuvent  impunément  commettre 
toutes  sortes  de  crimes.  Aussi  les  biens  et  les  revenus  publics 
sont-ils  déjà  devenus  leur  proie.  Ils  se  sont  emparés  de  la 
propriété  des  citoyens;  ils  se  sont  partagé  entre  eux  les 
charges  de  la  république,  comme  s'ils  pouvaient  s'emparer 
de  ses  dépouilles,  parce  que  la  patrie  est  subjuguée  ;  et,  en 
usurpant  avec  impiété  le  nom  de  gouvernement  national,  es- 
claves d'une  tyrannie  étrangère,  ils  font  tout  à  son  gré. 

c  Le  conseil  permanent,  dont  l'établissement  avait  été  l'ou- 
vrage d'une  force  étrangère,  supprimé  légalement  par  la  vo« 
lonté  de  la  nation»  et  nouvellement  rétabli  par  les  traîtres, 
franchit,  à  l'ordre  du  ministre  de  Russie,  les  limites  du  pou- 


m  LA  RÉVOLimOlC  POLOlf AISE.  129 

tmr  qu'il  atail  bdsseinent  reçu  de  lai^  en  rétablissant,  en  re- 
fondant, en  supprimant  arbitrairement  les  constitutions  qui 
venaient  d'être  étniilies  et  celles  qui  avaient  été  détruites.  En 
un  mot,  le  prétenrhj  gouvernement  de  la  nation,  la  sûreté,  la 
liberté  et  la  propriété  des  eitoyeiis  restent  ontre  les  mains  des 
esclaves  d^un  «erviteur  de  la  czarine,  éeni  les  troupes  inoiH 
dent  le  pays  et  serveùt  de  rempart  aux  traîtres. 

«  Accablés  par  ce  poids  immense  de  malheurs,  vaincus 
plutôt  parla  trabison  que  par  la  fetce  des  armes  ennemies, 
privés  de  toute  protection  de  la  part  du  gouvernement  na- 
tional; après  avoir  perdu  la  patrie,  et  avec  elle  une  Jouissance 
des  droits  les  plus  sacrés  de  la  liberté,  de  la  sûreté  et  de  la 
propriété  ;  trompés  et  devenus  la  risée  de  quelques  gouverne- 
ments, et  abandonnés  des  autres,  nous,  citoyens,  habitants  du 
palatiuat'de  Craeovie,  en  sacrifiant  à  la  patrie  nos  vies  comme 
Tunique  bien  que  la  tyrannie  n'a  pas  daigné  nous  arracher, 
nous  nous  saisissons  de  ces  moyens  extrêmes  et  violents  que  le 
désespoir  civique  nous  suggère.  Dans  la  ferme  résolution  de 
périretde  nous  ensevelir  sous  les  ruines  de  notre  patrie,  oude 
délivrer  la  terre  natale  d'une  oppression  féroce  et  d'un  joug 
plein  d'opprobre,  nous  déclarons  à  la  face  du  ciel  et  de  tout  le 
genre  bumaio,  et  surtout  des  nations  qui  savent  apprécier  la 
libertéetla  mettre  au-dessus  de  tous  les  biens  de  l'univers,  qu*ea 
usant  du  droit  incontestable  de  défense  contre  la  tyrannie  et 
l'oppression  armée,  nous  réunissons  dans  un  esprit  de  patrio- 
tisme, de  civisme  et  de  fraternité,  toutes  nos  forces  ;  et,  per* 
suadés  que  le  succès  de  notre  entreprise  dépend  surtout  le 
plus  de  notre  union,  nous  renonçons  à  tous  les  préjugés  et 
distinctions  qui  ont  partagé  ou  qui  ont  pu  séparer  jusqu'à 
présent  les  citoyens  habitants  d'une  même  terre  et  les  enfants 
de  la  même  patrie  f  et  nous  nous  promettons  mutuellement 
tous  de  n'épargner  aucuns  sacrifices,  mais,  au  contraire,  d'u* 

17 


ISO  niRvenni       '  /       i 

s^cdalous  k&Tno;oiu  que  Tamoar  sacré  de  la  Hberlé  peut 

ÎQ3)tinTQur  hommes  que  lo  désespoir  a  f»U  lef«r  fiour  sai 

a  Affrandlihr  la  Potôgrte  des  troupes  élrangàoea,  recouirer 
ei assurer  ribirégrité  des  froslièœs^  anéantir  towle  soifod'ith 
surf^lion^  tniii  intérieure  qu'exbértoure^  afftiriiûr  la  Uherlé 
gciii  raieetrindé|>endanGede  la  république ;t4^  est  le  buistcrè. 
de  BOtre  insurrection.  Pour  que  nous  pijissions  ratkckidre 
sûrement^  ]iaur  qu'un  pouvoir  énergique  dirige,  la  fucee  na«* 
tioaale  (après  avoir  attentivement  con^déré  la  situattoo  ae- 
tuelle  de  notre  patrie  e4  ses  babitonts),no«8a¥oaacF«  oéces- 
sdireet  indi^fiensable  de  nommer  : 

«  !<"  Un  chef  général  de  la  ibroe  armée;  .  , 

1  ce  2*  Le  cènseil  suprême  national; 

€  2*  La  commission  du  i)on  ordre  dans  le  palaNnat  ; 

•  4*  Le  trilniiial  criminel  s«i>réfne; 

«  go  Le  tribunal  crimifiel  dans  notre  palatioat.  s   * 
'  A  CD  noble  et  sincère  exposé  de  motifs  étaient  joiutséouse 
arrêtés. 

Les  fOG«iier>  deuxième  et  tt^oieième  nommaient  Koseiitszko 
chef  unique,  directeur  général  de  Kosarreetiou  armée^et 
«anstituaienten  sa  faveur  une  véritabk  dîelatiire  temporaire. 
heé  quairtème  et  cinquième  flxaiitDiles  attributions'  du  coot*. 
seil  suprême  national investidiidttoil de  statuer  sur  les  impàtsr 
provisoires,  sur  kdispositioiiét  remploi  des  biens  nationaux, 
eide  tous lesfonds  publics,  choirgé d'ordonner  le  recrutemeni». 
de  pourvoir  à  tous  les  besoins  de  la  force  armée,  de  veiller  à 
(fadministraliondeiajusiice^auxrapportsdiplomaliqttuselàla 
sûtx^lécommeà  la  subsistance  publiques.  Par  les  autres  étaient 
institués  la  comnoission  du  bon  ardre,  le  tribunal  criminel  &n« 
^ttme,  et  le  tribunal  criminel  du  palalinat.  La  première  claik 
tenue  d'exécuter  les  ordres  transmis  par  le  chef  de  la  force 


DG  LA  RÊVMOTftlIl  POLONAISB.  i3| 

«mée  et  le  cènsk?ii  niitionRl.  Le9a»(re0éiaknjbciiArgésdejiif,'cr 
les^rimes  icontne la  nation,  les  act^s  CfMtroiresjau  but  de  V\u- 
9Brtectt0n  et  les  délite  ronire  H  «alut  de  la  pnUrie»  Tontes  ces 
avteriféfi  n'étaîentqiiû  lein^erafres  et  îe  droit  de  foire  une 
constitution  mctionAii^  mtcndenvlilt\«oit  séparéincnt,  leur 
était  rormeddemen^Hiterdit.,  '   . 

'     L'acte  d'inêurreblion ^e  tcvminnit  par  ks  pnctles  suivantes  : 
«  Notre  désespoir  esft  auconvbie»  et  «e(r^iin¥>ur  pour  la 
patrie «st mus 4Mrnt6.  Les^ilalbciirs  les  phis  crnelis,  les.ditfl- 
«oltésles  pltys  inMtvnontaUe»)  ne  eaucaieial  affajblk  ni  décQU- 
tager  notre  civiflviTe. 

<'     «  Nom  nous  pretneUoiis  Tnu4uellQfnent,;età  toti  te  la  palipn 

polonai^e^de  lattvfneié  dans  iltenk'epri^e^idelaQdélité  pQur 

'les  ppinctfcs,  de  tkvbéisiahce  po»r lei: autorités  patio«i4es 

dénomnr)ées  dans  cet  acte.  Nousconjuroasil^.obaf  deiafopce 

annëie  et  4«  GohseH  «oprèiiie,  (par  V««iour:da  la  ^triey  (t'nser 

^t«>^d  les  ifi^nfip  ca|»at»le»  dedéli^ror  :U  a|ktv9n  poioi^ai^e, 

'^'reimetiaht  Mire  leurs  moins  Je  (wiveir 4'^ïiplpyer  nos  ^pr- 

sonned  etntaBiMenspettdaqlque  dHreraiefx>int)a(dela  Wp^jcié 

'  '•  ateb  le  despoCbmey^'de'  èi  lastice  aveo^^HN^r^ssipii  «tiajy- 

<  rannie.  Nmis  dééironsIqkiUls  aient  tQvyjDuJOS' (présente  cf^tte 

'  '  ^nde  irériM :  Le  êUbU eu  pèuj^le  est i^lR$pritni  hù  ^  •.  ^. 

'- Oet  a^tey  revêtu  de  nkilHeiPs  dé  $ignù turel»  tul  ^4|r<3as<^  4)ins 

tous  les  palatinMs>^Keecibsttko  y  joignit  deuapr^cMrnsitiws, 

i\jtt^  à  l'arnicts  l'autre  à  la  nation,  i  v 

'VôfcHa  proclamatiOtt  àl'apraée  1 1     -.      .  i .  .  ^ 

«  Chers  tannaradfes,  *n«ud'awps^j«raiph«  d-une  fois  d'ijtre 

<*'  «■  ÏMîles  è  îa  ffeWe,  ol  plos  d'aM  fois  niMà/i^n; avons  donne 

^  '  «  dés'treuves.  Ettflh/le^vme  e?lt  arrivé  eu  nous  devons 

^  '  «f  rèrtïplîf  »celte  |irtftife«ée  sdc^ôej  Wnjusifce  tto«a  a  awi-scu- 

^    «  lenvent  enlevé  dfes  piDrirtoe»  enNôrei^,  fiuue  eitcore  nous  a 

•  •  •  arraché  tKWâftneB  èinfe  ^e«r  pliit9ipiis  laifsecque  la  honte 


132  mrrom 

a  et  la  misère.  Ressaisissons  ces  armes  pour  les  tournerconine 
a  le  sein  de  nos  ennemis;  délivrons  la  pairie  du  joug  infâoife 
c(  qui  couvre  d'opprobre  les  Polonais.  Rendonsàla  nattonaoïi 
a  Douvoîr  légitime,  et  en  revendiquant  toute  sa  gloire,  mérî* 
a  tous  par  nos  efforts,  sa  juste  reconnaissailoe 

a  Appelé  par  tous,  chers  camarades  Je  viens  me  mettre  a 
«  votre  tête.' Je  vous  apporte  moo  sang  et  ma  vie;  Votre  eou- 
a  rage  et  votre  civisme  me  sont  garanisdusuccès  et  delà  pros- 
«  pérîté  de  notre  patrie.  Ne  faisods  qu'une  âme  avec  nps 
<  cbers  compatriotes;  réunis^onis  nos  cœurs,  nos  bras,  nos 
a  moyens,  avec  tous  les  habitants  de  ce  malheureux  pay. 
«  Cest  la  trahison  qui  nous  a  arraché  les  armes  d^  majns  ; 
a  que  la  bravoure  et  la  vertu  iMus  les  ireudent  Le  jiiaig'sons 
«  lequel  nous  gémissons  s^ra  détruit, et  nos, chaînes  seropt 
c  brisées  à  jamais. 

<  Pourrîec-vous,  ctiers  camarade»,  supporter  a^ee  indi4<&- 
c  rence  un  despotisme  étrarigar  qui  vous  a  diapersé  bouteya- 
«  sèment,  qui  s'empare  de  nos  arsenaux,  jette  dans  des  cachots 
«  nos  chers  compatriotes,  et  qui,  enfin^  après  nous,  avoir  dé- 
c  pouinés,se  joue  impunément  du  restedenoscitoyenst  Npn! 
c  chers  camarades;  suivez-moi!  La  gloire  nous,  appelle; 
a  devenons  les  libérateurs  de  notre  malheureuse  patrie.  Je 
a  vous  jure  de  (aire  les  plus  grands  efitots  pour  me  rendre 
a  digne  de  votre  patriolttsme  ei  du  iMtif  qui  le  dirige. 

«  Ne  croyez  pas  devoirdel^obéisisftnce  aux  ordres  de  vos  ffé- 
«  tendus  supérieurs  actuels  ;  les  magistratures  établies  par  les 
«  Russes  né  sost  dignes  que  de  votre  mépris*  Vous  ne  devez 
«  fidéUté  q  u'à  k  palrie«  C'est  elle  qui  voua  appelle  aux  af  rqes  ; 
a  et  c'est  en  son  nomque  je  voua  envoie  «désordres.  Je  pi;e9d9# 
«  efaeiv  camarades,  pour  mot  de  guet  :  vainges  oc  Mouarii)}  et 
«  je  fonde  mon  espoir  sur  vous  et  sur  cette  nation  qui  ,f  juré 
«  de  mourir  plutfttquede  vivre  dans  un  honteux  esclavage,  a 


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DE  LA  RÉVOLUTION  POLOUAISB.  iH 

La  proclamatioa  de  Kosciuszko  à  la  nation  respirait  la 
mfme  énergie  et  le  même  patriotisme.  Cet  appel  enthon- 
siaste  à  tous  les  dévouements  nationaux  mérite  aussi  d'être 
cité  eo  entier.  Le  voici  : 

a  Mes  concitoyens,  > 

€  Appelé  plusieurs  fois  par  vous  au  secours  de  la  patrie/Je 
«  me  rends,  selon  vos  désirs,  à  la  tête  de  Tarmée;  mais  je  ne 
c  pourrai  pas  rompre  le  joug  infâme  de  Tesclavage,  si  vous 
a  ne  m'appuyez  pas  avec  autant  de  promptitude  que  d'efâ- 
«  cacité.  Aidez-moi  donc  de  toutes  vos  forces,  et  bâtez-vous 
«  de  venir  vous  ranger  sous  le  drapeau  de  la  patrie  et  de  la 
«  liberté. 

«  Le  même  zèle  doit  animer  tous  les  cœurs,  puisque  nous 
«  avons  tous  le  même  intérêt.  Sacriûez  à  la  nation  une  pfirtie 
«  d'une  fortune  qui  n'était  plus  à  vous,  puisqu'elle  était  con- 
«  tinuellement  en  proie  à  la  cupidité  des  soldats  de  la  tyran- 
«  nie.  Envoyez  à  Tarmée  des  sujets  capables  et  pourvus 
«  d'armes.  Ne  leur  refusez  pas  des  vivres  en  légumes^  en  bii- 
a  cuit  et  en  grains.  Approvisionnez-nous  de  chevaux,  de 
«  chaussures,  d'habits,  de  draps,  de  toile.  Ces  généreuses 
a  offrandes  faites  à  la  patrie  et  à  la  liberté  vous  mériteront  la 
a  plus  belle  récompense,  celle  de  la  reconnaissance  de  là 
a  nation  entière. 

«  C'est  la  dernière  fois  que  le  désespoir  nous  met  les  armes 
((  à  la  main.  Méprisons  la  mortl  Animes  par  Tespoir  d'âme- 
«  liorer  notre  sort  et  celui  de  notre  postérité,  ne  nous  laissons 
u  pas  intimider  par  les  menaces  de  nos  ennemis  conjurés.  Le 
«  premier  pas  pour  secouer  le  joug  de  l'esclavage,  c^est  d*oser 
«  être  libres;  le  premier  pas  vers  la  victoire,  est  de  connaître 
0  ses  forces. 

a  Citoyens,  le  palatinat  de  Cracovie  vous  a  donné  le  plus 


J 


X\i  HISTOIRB 

«  bel  exemple  de  patriotisme  :  il  a  offert  à  la  patrie  la  fleur  de 
a  s^  jeuqesi^e;  fl  ^  décrété  une  confributfon  pécuniaire;  il  a 
â,pçomis  tous  secours  possibles  aux  défenseurs  dé  ta  patrie. 
a  Cet  exemple  est  «ligne  de  votre  initiative.  Ne  tardez  pas  de 
ce  prêter  votre  appui  à  la  patrie,  qui  s^acquiKerà  Je  cél'te  dette 
c  par  la  plus  vive  reconnaissanp^,  Onif%pf^tfii;|,  ,^n  qualité 
^  «  d'impôU,  les  quittances  çjue  vous  fecevrez.dea  génpraux- 
«  majors  des  palfilijials  et, des  coàimandaqls'n)ili(aires;  et 
«  tout  sera  payé  quand  la  patrie  sera  sauvée.  Je  ne  prétends 
M^  pas  vous  animer  a  un  deyoir  auâsi  saci^o,  et  je  Aie  ii>!s,  pour 
«  ne  pas  paraître  douter  un  instantde  votte  patr1olîs(i)e/i) 

jK  JjCS  vfsxatipnç  que  vou<?  avez  éprouvées  des  soldats  russes 

«  doîvenîbfen  vous  convaincre  qu^il  vaut  nriîeiix  taire  vôïdh- 

«  tairement  pour  la  pa^trie  ce  que  vous  étiez  oblij^és'de  lafre 

€  par  Violeilçe  pour  ses  ennemi?.  Hien  ne  salirait  garànlir  de 

'*  €  ïinfamîe  éf  dé  rèxécralîoh  pubtl(]iiè  (Tclui I(uî;  dans'dè  fia- 

«'reines  çîrcoYisfartCes,  sVmonIrerai't  ln'écfnsîb!è\itix  'beSofns 

'a  'éé  l^tat.  îlâîs.  cîloyens,  j^itlends  tout  de'  V<!)lre>,ole,  ot  Vdbs 

'^  «  vous  unirez^  du  fond  de  vôtre  clcttr,  S  Celte 'Ifffue*  s.11rile. 

"^^*«  Ce  n'est  pas  rin^rigûe  elrarrjçèro'  ni'  t'envfe"  de  iïohi^nèr, 

'*«  ïnâîs  c''est  V'amoii'r  dë'la  tîfcertè  qui  la  cîrtîcnté.  ô'î»cotiq'ue 

\«  Vest  pas  pour  nous  câî  contre  nôus^  quiconque  ne  s^ubit 

.«pas  à  ceux'qui  ont  Juro  (ïe'verserle'ùr'sangpou'r'lâ  patrie, 

«  est  suspect  de  tramer  quelque  chose' contre.clle,  ou  est  in- 

c  différent;  ce  qui  est  égî^lenientun  crime  dans'un  citôvcr». 

,  «  J'fii  juréà  la  nation  (jue  je  n'emploierai  mon  pouvoir 

«  coptro  personne  en  parlîciilier*;' mais  jd  (téctareV'en  môme 

|C  iepps,   que  quiconque  agirait  coi^tre  notre  union,  sera 

«  xîopi'ine  traître  à  .Ja  patrie^  tradmt  Jevalit  ïe  lril)unar  cri- 

fk  minel  èiatli  par  rac(e  db  ('insurrection?  Nc/us  avon^  Irop 

«  pécne  par  la  douceur  et  rindulgence  :  cen  ^ar  celle  raii^on 

ft  que  la  Pologne  est  à  deux  doigts  de  sa  perle. 'ît'dèun  fortait 


DB  L>    RÉVOLUTION  VoLONAISE.  135^ 

«  piililic  o'a  été  pimi.  Ajoutons  maiutenant  une  autre  ma* 
•  nièie  d'agir  :  récompensons  la' verlu  elle  palnotS^me  ;  mais 
«  poursuivons  les  traîtres  et  punissons  les  criminels.  » 

Le  résultat  de  rinsurrection  du  2i  mars  et  6és  deuk  pro- 
cl  imàlions  que  l'on  vient  de  lire  sur  la  détermination  d^un 
peuple  qui  supportait  avec  tant  d^mpatience  et  d'horreur  le 
joug  écrasant  des  Russes,  était  facile  à  prévoir.  Une  victoird' 
inattendue  vint  encore  donner  plus  de  probabilité  au  succès 
qu'on  était  en  droit  d'en  attendre. 

Pendant  les  six  jours  qui  suivirent  la  proclamation  de  Tm* 
surrection^Kosciuszko,  investi  de  la  dictature»  pour  prévenir, 
4lans  ce  moment  de  crise,  les  effets  dangereux  du  défaut  d'en- 
semble et  de  concert  inhérent  à  tout  gouvernement  exercé 
par  un  trop  grand  concours  de  membres,  semblait  se  multi- 
plier. Il  avait  publié  des  universaux,  rassemblé  les  nob!(*s  et 
les  bourgeois^  institué  une  commission  palatinale  et  rétabli 
la  bourgeoisie  dans  ses  droits  de  citoyen.  Le  30  mars,  if  ap- 
prit que  Madalinski,  celui-là  même  qui  avait  le  premier  levé 
le  drapeau  de  rinsurrection,  était  poursuivi  par  sept  mille 
Russes,  commandés  par  les  généraux  Denrsow  et  tormansow. 
Décidé  à  aller  les  combattre,  Kosciuszko  prend  avec  lui  la 
garnison  de  Cracovie  et  douze  pièces  de  canon,  les  seules  qui 
fussent  disponibles.  A  quatre  lieues  de  la  ville  il  augmente 
ses  forces  de  quatre  bataillons  dMnfantcrie  et  d'un  régiment 
de  cavalerie,  et^  après  deux  marches  forcées,  fait  sa  jonction 
avec  Madalinski,  que  les  Russes  n'avaient  pu  parvenir  encore 
à  entamer. 

AKoniusza,  où  il  se  trouvait  alors,  Kosciuszko  fut  rejoint 
par  trois  cents  paysans  armés  de  faulx,  ce  qui  fit  monter  sa 
pelile  armée  trois  à  mille  hommes  d'infanterie,  douze  cents 
chevaux  et  douze  pièces  de  canon.  Malgré  son  infériorité  nu- 
iTiCrique,  il  marcha  aU-devant  des  Russes,  et  son  avant-gard^ 


126.  HISTOIRE 

se  heurta  contre  la  leur.  A  la  vue  des  insurgés,  celte  dernière 
s^était  repliée  sur  son  corps.  Kosciuszko  avait  continué  sa 
marche  et  était  arrivé  à  la  hauteur  de  Raslavicé.  Là,  il  décou- 
vrit l'armée  russe  campée  sur  une  montagne  d'un  accès  très- 
difficile,  et  dans  une  position  formidable.  Pour  profiter  de 
Fentliousiasme  de  ses  troupes,  il  rangea  son  armée  sur  un 
monticule  opposé  au  camp  russe^  et  offrit  la  bataille.  En 
avant  de  son  front,  il  y  avait  une  pente  douce,  qui  se  termi- 
nait au  pied  de  la  montagne  où  les  Russes  étaient  postés.  Sa 
droite  appuyait  à  une  vallée  très-profonde;  mais  sa  gauche, 
sans  autre  défense  naturelle  qu'un  petit  bois  qui  la  masquait, 
était  presque  découverte.  Kosciuszko  fit  élever  à  la  hâte  quel- 
ques batteries  sur  ses  ailes,  jeta  deux  compagnies  d'infanterie 
et  cent  chasseurs  dans  le  petit  bois  qui  s*élevait  du  creux  de 
la  vallée,  et  attendit  Taltaque  des  Russes. 

Pendant  quelques  heures,  ces  derniers  ne  firent  aucun 
mouvement;  mais,  enfin,  ils  se  mirent  en  marche  sur  trois 
colonnes,  qui  prirent  chacune  une  direction  différente.  Celles 
de  droite  et  de  gauche,  masquées  Tune  par  une  chaîne  de 
monticules,  l'autre  par  un  bois,  parvinrent  à  dérober  entière- 
ment leurs  mouvements.  Kosciuszko  commençait  à  croire  que 
Farmée  russe  allait  se  retirer,  lorsqu'il  découvrit  la  colonne 
\  du  centre  descendant  la  montagne  par  un  chemin  creux 
-  qu'enfilait  une  batterie  polonaise  de  six  pièces  masquée.  Lors- 
.  que  la  colonne  russe  fut  engagée  dans  ce  défilé,  Kosciuszko  i 
i  fit  démasquer  sa  batterie  et  foudroya  Tennemi,  qui  perdit 
i  beaucoup  de  monde  dans  cet  aventureux  passage.  Peu  après, 
la  colonne  de  droite  des  Russes  déboucha  de  derrière  les 
monticules  qui  l'avaient  jusqu'alors  cachée,  et  parut  vou- 
loir se  former  sur  la  gauche   des  Polonais.   Espérant  la 
rompre  plus  aisémenl  pendant  qu'elle  se  formait,  Zajonczek 
et  Madalinski  se  précipilèrent  sur  elle,  avec  six  escadrons. 


DB  LA  KtVBCenOIf  POLORAISB.  '     1S7 

&1n>is  réfitritNBs  différentes;  maid,  )^epdussés  cfiitqtie  fois  atec 
perle,  une  partie  de  léttirs  troupes  se  déiMiuda,  ef  la  gauche  de 
l'armée  pelosaise  se  it^uva  découverte.  Beureésemeut,  Kos- 
ciu^koau  centre  rempof tait  un  avantagé  sîgtialé.  A  la  tète 
àe  quelques  bataillons  dé  troupes  ré^lée«  éf-  des  paysans 
aiTÎtés  de  la  teil^y  il  mârelta  contré  la  cbloiMie  du  milieu' 
qui  s'éfaii  déployée  tfu  soHir  du  déBi«,  ratfiq^y,  ia  rbmptt 
la  mit  en  déroute.  '     >  •  r 

'  La  position  dea  Russes!  était  fort  désaTanlagèûse.  Entre  les 
colonnes  du  centre  et  de  la  droite,  H  y  atiiittin' profond  et 
impraticable  ravin,  dont  les  bords  étaient  garnis  de  grands 
arbres;  ces  deux  colonnes  ne  pouvaient  ainsi  ni  se  voir  ni  se 
secourir.  Quant  à  la  colonne  de  gauche^  séparée  des  Polonais 
par  un  ravin  impraticable  aussi,  elle  ne  put  prendre  part  à 
Faction  qu'en  les  canonnant.  La  position  des  Polonais  était 
plus  favorable  ;  ils  pouvaient  masser  à  leur  gré  leurs  forces 
soit  contre  le  centre,  soit  contre  la  droite  de  Tarmée  russe. 
Aussi  Zajonczek,  voyant  de  la  gauche  le  désordre  du  centre 
ennemi,  y  lança  une  partie  de  sa  cavalerie,  qu'il  était  parvenu 
à  reformer,  et  acheva  de  le  mettre  en  déroute.  En  même 
temps,  KosciusziLO,  chargeant  la  droite  de  Tennemi  avec  tous 
ses  bataillons,  eût  immédiatement  décidé  la  victoire,  si  ses 
troupes  ne  s'étaient  arrêtées  plusieurs  fois  pour  faire  feu. 
L'action  se  trouva  ainsi  ralentie,  et  les  Russes  avaient  eu  le 
temps  de  se  reformer.  Kosciuszko,  voyant  alors  qu'il  allait 
perdre  tous  ses  avantages,  prend  le  demi-bataillon  qui  était 
le  plus  près  de  lui,  s'empare  du  fusil  d'un  soldat,  et  com- 
mande de  charger  à  la  baïonnette;  lui-même,  le  fusil  à  la 
main,  charge  à  leur  tête,  et  se  précipite  au  milieu  des  batail- 
lons ennemis  en  poussant  son  cri  de  guerre  :  vaincu  ou  mou- 
lut  !  Cet  acte  d'intrépidité  décida  la  victoire.  Electrisés  par  cet 
exemple,  les  autres  bataillons  suivent  leur  général,  et  cette 

18 


\  1 38  ^ ,  .   1     nsnintk 

.  MiGOOda  oolopAoe  fat  ïqaversée,  poursuivie,  ^|J^erdîi866:ca- 
..  i^KEU..  La  gaiiçte  russe^  qui  a'av^it  pu  preudre  pa^i.à  raptipu, 
L  iroywt  la  4irool9  da  la.  droile  ^Vdii  centr/e^  fli^a  jratrajte. 

tyiofwtorieat  la  cavalerie  polpuai^^  ^Taîeui  étfi  toUepuent 
irD|»j^uas)pai;  la  qhoç^  4^ w^ooe  cQuipamJe  u'fftipi.  |)n.^bon 
r,  ardl^  et  «tftt  fut,  ÎEupoiaeibto  à;  Kos<(|uad(ad^  pi^urifuîTreiicet 
nmtm^  U(^te«ta^  «eulçpw^iiiiiatke^^u  cli,ap)fpi  4eMia|Ua  et 
de  douze  pièces  de  canon.  Les  Russes  avfi^^tjtoisséj.pJlu^de 

>  iqmtrf  ^otshOKNrl^  gurilia  j)aca>tep«rt6^4e^]^okm|çiavait 

«'      •  ■  '    :  '       /  »i;    ,n    /il    "I-.    •';..   i     .   'i 

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'•î-    I  ./    ''    ;i!î  .i:.r    î  ••»    •■:••'>'    j;]  .'.i.'     ^  n  ji  ;  .v-«    -.  t  '     /.    -       :    i 

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Jji  .  \\\\.  i!  •;'  «i  ■;-  ■  i  .  i  .;  .'  ■  1  ■  ..  •  I  '.  '  '."  '*  ■:  :  .  .^ 
-i:î  j  •.»  )  i  .  ,  ..  i  ..i'î  ;j..  :  •".'  •  i  ,:wi  •  i»  -.  ■  ■•;  -.-i  j  ••. 
i»î  r.  li'iJi  jI  ^Ji'  ..!-■•[.  :!i«ii'.i.;  il  i'»^:»  il.»  '«i  «ii.i.ii 
-il:  ».  (i  ^".i  i-  ..i,,i.  .  i.  .  »  ;  »'.  J  ,".  .  î.  Mi,  J-;'  •'  '  .ï'-î»I 
-'ï  ,'  w  ■«.- '..î;  Y  :  l'j  i-  ■^. -n.  I .'.  I  «  -  J.  L'.c-  }  Il  > 'il  r  ;.ii-' ':i«'»î 
J.  '  I, .,  - .'  :  .ij  -.a  .  •.  «•.    :^  j  .  j.  ■•  ♦  l»  •-•^..,Li...n  ;■  .-I  «i.  i  ».>  !  «..; 

Ci 


nn  lA  !î:':v()f  îTî'îN  poloniisr.  \Z9 


1701 


L'iDsuiprectioD  se  propage,  -*  Situation  critique  des  Ell^8^s  à  YanoTîe* 
— Etat  des  esprits  à  Varsovie  ;  fermentation  générale.  —  Goniplot  des 
Ikisses  pour  «'emparer  de  Tarsenal  par  surprise.  —  L'indécision  des 
I«iriole§  «Bit  fixée  pir  lA  découverte  de  m  confki.  '^  tasurreetion 
de  Yarsavie.  ^<^  ln9urreaiion  de  Wiioa«  -—  Une  partie  de  Tarmée  po« 
lonaise  au  service  des  Russes  passe  aux  insurgés.  —Kosciu^zko  après 
la  bttiffle  de  Baalliirleé  ;  il  fCoccope  à  erganteer  son  armée  ;  difficultés 
qu'il  éprouve»  --^  Le  seiUerde  Yacsovie.  ^  Lss  nobles  et  les  paysant. 
—  Division  et  défiasce  de  ces  ordres  :  motifs  de  ces  divisions  et  de 
ces  défiances  ;  leurs  funestes  effets.  —  Rosciuszko  essaie  d'y  remé- 
dier. -*  Orddmianee  réglait  les  devoirs  des  paysaos  envers  les  pr<^ 
priéUimi,  ^.Uv^e  d«  eiMyiièiae. 


L'iosurrectioA  de  CracoYîe  et  la  victoire  de  Raslavicé  jetè- 
rent le  plus  grand  troubla  à  la  cour  de  SUnialai  et  dans  la 
diète  de  Crodno  siégaaat  alors  &  Varsovie^  et  devenue  diète  de 
la  couronne*  Poussé»  par  Tambassadeur  de  ftuasie^  dont  cette 
levée  contrariait  les  vues^  le  roi  et  le  conseil  permanent  dé- 
clarèrent les  cbels  des  insurgés  rebelles  et  traîtres.  Us  ordop- 
nèrent  que  leur  procès  fôt  fait  Dans  son  universel  ou  pro- 
clamation du  11  avrils  le  roi  s'exprima  en  ces  termes  t 

a  Polonais,  ou  vous  excite  à  renoncer  à  Tétat  où  vous  vous 
trouvez,  pour  recouvrer  Tintégrité  de  votre  territoire.  Hais 
existe-l-il  un  mojen  pour  celai  On  vous  exhorte  à  sacriûer 


140  HISTOIRE 

les  restes  de  votre  fortuae  et  les  provisions  que  vous  avez 
ménagées;  mais  le  zèle  peut-il  aveugler  ces  hommes  au 
point  que,  se  trouvant  sans  alliés,  sans  forces  réunies^  sans 
secours  aucun,  ils  travaillent  à  notre  propre  ruine,  et 
fournissent  à  ceux  qui  veulent  notre  perte  et  Tanéantisse- 
ment  du  nom  polonais^  un  prétexte  pour  accomplir  leurs 
desseins?  Sans  doute,  la  situation  dans  laquelle  nous  nous 
trouvons  est  excessivement  pénible  ;  mais  n'oubliez  pas  que 
le  moyen  pour  en  sortir  nous  estolTert  par  les  mains  de  ceux 
qui  savent  très-bien  que  rien  ne  peut  retarder  leur  perte^  si 
ce  n'est  notre  ruine.  La  France  elle-même,  plongée  dans  Pa- 
narchie,  veut  nous  engager  à  sortir  de  l'anarchie.  Ne  souffrez 
pas  que  des  phrases  éloquentes,  mais  fallaeienses,  fascinent 
vos  yeux.  Déjà  les  auteurs  des  crimes  qui  ont  souillé  la  France 
sont  tombes  victimes  de  la  vengeance  'populaire  ;  aucun 
d^eux  n'a  échappé  à  la  hache  des  bourreaux.  L'exemple  d'une 
nation  puissante,  et  estimable  sous  tant  de  rapports,  doit 
vous  servir  de  leçon.  Vous  voyez  cette  nation  changée  en  une 
horde  de  brigands  féroces  et  sanguinaires;  il  n'existe  pour 
eux  d'autre  plaisir  que  celui  que  leur  causent  les  troubles  et 
la  ruine  d'autres  peuples.  On  vous  parle  de  liberté  I  Que  de 
sang  n'a  pas  été  répandu  au  nom  sacré  de  la  liberté,  si  sou- 
vent employé  à  des  desseins  perfides  !  • 

L'effet  de  cette  proclamation  d'un  roi  sans  influence,  et 
qui  n'était  que  l'instrument  volontaire  ou  forcé  de  la  Russie, 
fut  nul.  Quelques  mesures  que  l'on  prît  pour  cacher  les  suc- 
cès des  insurgés,  la  nouvelle  de  l'insurrection  et  de  la  vic- 
toire presque  simultanée  qui  l'avait  inaugurée,  se  répandit, 
par  toute  la  Pologne,  avec  une  rapidité  qui  tint  du  prodige. 
On  eût  dit  que,  pour  favoriser  cette  tentative  de  résurrection, 
une  puissance  céleste  avait  misa  la  disposition  des  insnrcr^^s 
et  f^a  VOIX  cL  T'V-  îiilos. 


DB  LA  RiVOLtriOIf  MLONAISE.  141  ' 

Le  général  rosse  Igiehlrom,  qui  cotnmandail  à  Varsovie  et 
aTait  à  sa  disposition  vingt  mille  hommes^  essaya* vainement 
découper  toute  communication  eritre  ie'Toyerde  Pinsurrec- 
tîon  et  lerèisle  du  pays,  se  flattant  de  pouvoir-  éteindre  cette 
éUncelleavantqu'elle  devint  un  incendie.  Tout  ce  que  la  sur- 
veillance peut  suggérer  de  plus  rigoureux  en  précautions  fut 
mis  en  usage  pour  empêcher  que  le  broit  de  Finsurrection 
ne  dépassât  pas  le  palatinat  de  Cracovie  :  une  partie  de  ses 
troupes  avait  été  détachée  pour  écraser  les  insurgés;  mais  la  ' 
nouvelle  de  Finsurrection,  comme  celle  de  la  défaite  de  l'ar- 
mée russe,  déconcertèrent  toutes  ses  mesures.  Sa  position  ' 
même  devint  très-embarrassante  et  très-critique.  Le  peuple' 
de  Varsovie,  qui  jusqu'alors  s'était  résigné  frémissant  au  joug 
russe,  devint  tout  à  coup  d'une  turbulence  qui  allait  jusqu'à' 
la  provocation,  et  Igielstrom,  qui  jusqu'à  ce  moment  s'était 
montré  impitoyable,  non-seulement  contre  les  patriotes,  mais 
encore  contre  tout  ce  qui  était  suspect  de  patriotisme,  se  re- 
lâcha fout  à  coup  de  ses  rigueurs,  et  parut,  pour  la  première 
fois,  craindre  de  choquer  l'opinion  et  d'irriter  la  haine  des 
citoyens  animés  contre  ses  persécutions.  Si,  dans  ce  moment, 
excité  par  l'enthousiasme  républicain,  chaque  propriétaire 
eût  marché  à  la  tête  de  ses  paysans,  si  chaque  district  eût 
fait  des  rassemblements  de  gens  armés,  cette  armée  russe  se 
fût  trouvée  gravement  compromise,  etFindépendance  du  pays 
sauvée  peut-être.  Mais  de  tels  efforts  exigent  des  âmes  vigou- 
reuses, fortement  trempées,  et  celles  de  la  majorité  des  Polo- 
nais étaient  alonr  ab&tardies  ;  il  n'y  avait  plus  ni  ce  feu  ni 
cette  fougue  qui  avaient  caractérisé  la  vaillance  de  leurs  an- 
cêtres et  si  souvent  fait  leur  gloire.  «  Alors  une  longue  paix,une 
anarchie  plus  longue  encore,  avaient  introduit  un  poison  lent 
et  secret  dans  toutes  les  parties  de  la  république;  les  esprits 
avaient  perdu,  avec  l'idée  et  le  goût  des  grandes  choses,  IV 


nergie  oécossaire  pour  un  acte  d'{ui(lace$  reftpiiliWHi^iT^ 
ôiaji  en  qu4^1q4i6  sorttî  évaooui.  Les  biibilwis  avaieot,  ii^çqcf?., 
te&tablemant  ooaservé  leur  valeur  perêouwHe;  mA\&  iU  .p'é-', 
tuianl  plus  généraleoieot  animés  dfi  ce  tU  .eûlM9UjfiM0^. 
qu  in:|>ireDt  rhoDueur  naliooal^  l'amour  de  hlit^lé,  la  viio  , 
des  dangers  et  Tbabitude  da  la  guerre*  Les  soubaiU  4'un^  ^ 
grande  partie  des  nobles  élaieot  (>our  la  révoluXioa  «  mw  œ  . 
sentiment  reslail  cacbé  au  fond  de  leurs  cœurs.  Ils  désiraient 
leur  délivrance,  mais  ils  auraient  voulu  qu'elle  s'opérât  saos 
qu'ils  y  coopérasseui  ni  de  leurs  biens,  ni  4e  letir  sap|;«  Us  . 
faisaient  tous  des  vœux  pour  Kosciuszko,  mais  la  plupart  d'en-,, 
ire  eux^  avec  l'indifféreoce  de  Tégoïsme^  s'en  rieposaient  ;^ur  , 
la  Providence  du  soin  de  faire  triompber  la  nobl^  caii^  , 
qu'ils  défendaient  (1).  » 

Cependant  la  fermentution  devenait  depkisen  plus  grao4e  . 
dans  Varsovie.  Malgré  Texlrême  surveiUanoe  des  RosseSf  k$  . 
patriotes  savaient  tout  ce  qui  se  passait,  uon-seulemenit  dans  . 
le  palatinat  de  Cracovie,  mais  encore  dans  tous  les  a^itres^ 
ou  chaque  jour  des  adbésions  isolées  à  l'acte  d'iosurrectiom 
du  ii  mars  venaient  donner  un  plus  grand  poids  à  ceM 
grande  maoifcslation  nationale^  Les  Polonais  de  la  foct^  . 
russe  étaient  mornes  et  abattus  ;  les  autres,  au  coi^traire^  , 
affichaient  une  joie  que  l'état  apparent  de  la  patrie  Mmbiaî(  ; 
ne  pas  devoir  comporter.  Toutes  les  nouvelles  qu«  arrivaient  i 
des  palatinats  ajoutaient  à  l'abatleiuent  des  uns  et  à  Tenibott^  , 
siasmedes  autres.  Tantôtl  c'était  le  district  de  Sandomir^  qu  . 
de  Wladimir»  ou  de  Cbelm^  ou  de  Uick,  qui  s'iasurgmeot 
aux  cris  de  Intégralité  et  liberté  de  la  Pologne  J  ou  biiea  enp<3arp  . 
des  régiments  polonais  incorporés  dans  l'armée  ruisse^  et  qui  . 
passaient  aux  insurgés  avec  armes  et  bagages.  Ces  swcès  rem* 

<l)  RiwAuliQn  de  i794|  par  Zajonczek. 


DB  LA  RÉVOLUTIOrr  POLONAISE.  1/3 

plissaient  d'ardeur  toutes  les  âmes  des  patriotes  de  Varsovie  : 
;"  ils  iéialeot  décidés  à  faire  an  effort,  mais  ils  n'avaient  pas  de 

pTàfa.  6ri  projet  succédaîl  à  un  autre  ;  la  foiigiie  et  le  zèle 

i'^emporteîcrit  sar  h  réflexion,  tes  plans  chimériques  sur  ïes 
'  pïalis  raisonnables.  Cotrime  dans  tontes  les  girandes  éircons- 
■  tatifeès'érîtJqlies  de  ce  gèiJrfe,  t'Imagînatîon  s'épuisait  en  tê^e- 
''  t^fi'e^,'  é(  lé  fehnps  se  passait  en  inasions  sans  qG^'lncut1  fait 

posflîif  vînt  préparer  une  solution.  Pour  surcroît  de  malheur, 
'  ïek'pdtriofes  tïianquaîent  aussi  de  chefs,  tous  <îeu.t  qoîau- 
^  raiéttf  ^ul^être  et  dont  tes  noms  populaires  anf aient  pu  ser- 
^'■i\^  de  rfrapeâtr  à  l^insurteclion,  étaîent  ott  Incarcérés  ou  en 
'''f&ftè/'îfe^lfeir, 'Wenglcrskî,  trn  Jeutie 'Pottîckî';  donf'le 
^''peuple  bênissatt  lès  noms,  avaîetrt  èt6  récettiment  arrêtés, 
"'^ffetpfflicht'daiis  les  pri^onis  lètir  poptitei^Hé;  ^^ntres,  tels 
t''lc|ae  fcàpù^tà»,  ZajortCïék,  étaîehtpafmniisà^^^  **  ^' 

''•^-  'Eh'*^i^e«t  llWd^dsfeh-la  pitrs'  cftelle,'  M  tiohftrre^'he 
*'Avé!ïénfr'à"VàT*Jvlèshi'  qtfî  ari*«ter^î(*tM*  chofx;  et  pcfdiiikni 
''''WI''WiWpir'pré<i*eti«;  pendant  (|uè  legénéÀ^I  nissè  rgfeféiVdm 

se  préparait  à  y  rendre  toute  insurrection  sftfôtt  impossrfite, 
?^8ft'rWlns^t>éti  ivrdfllàble  atrx  hî<înri^^.'W  ixviAi  résolu  de  ^en> 
-^^àttUdéÎPàWétfal  par  srtrf^rise}  son  {lîari  fte  niàriquait  ril  ifV 
"'^^'éHéé  tif  Hé  ëiiances  *e  sncccs  ?  fl  consentait  a  faire  îrevêHr  les 
•^^Bùése^  d^nt^orme^  pôlorfais,  et,  Te  jour  de  Pilques,  d'en  coni- 
»  pésëi^fa  S^arîfler  ipTÎ  ftgoTcf  nttIcéglisfes.'Pendfant  qiiê  le-petiplc, 
■•'^#Éî)f*<f*éét^éïrionfes>el1^etisDS,  sacrait  tértu  ierifermé  diim 
-  lë^^lé^lises  iiar  eetté  garMe  préteiVdueTioîonaise,  «  nb  poiirrtiit 
-i)09ii#Wiaii!ik^drMM;Târsc}!ntet  Icè  casernes  ^é^nteni  être  ahMs 
:i  latttttluéé  «t  AoBéttietiti  empoi^lés.  neitreme^nerit  péiii*  le?  (^  i- 
i  Iriotes,  un  tailleur  nommé  Kilinski,  qui  travaillait  alix'habiU 
n  40inMk  sdtl«^leM)iJèls  ^9:RiTSS«9'd(»varéîit  9e  {kntestir,  \)révint 
.•llMioèàJaf^iiiplan  «YMee*  tn^tvmnjîfye(tiMl?l  A^alt  ei>  par 


144  lUSTOIBJS 

Un  d.^nger  si  pre$saQt  ûxa  toutes  les  indécisions.  Les  otfi- 
ciers  d'artillerie  sur  qui  on  pouvait  compter,  furent  préyenns 
de  Tattaque  projetée  d'Igielstrom,  et  ne  quittèrent  plus  Tarse- 
nal,  y  veillant  jour  et  nuit  avec  deux  cents  artilleurs  qu^Us  y 
avaient  secrètement  introduits  à  Tinsu  des  officier^  de  l'éiat- 
major.  Ils  s'engogèrent,  en  outrera  mettre  au  senice  de  Pin-  ^ 
surrection  deux  demi-balteries  et  toutes  les  n^uDitjojis  dpnt  ' 
on  pourrait  avoir  besoin.  Les  conjurés  s'assurèrent  en  même 
temps  deux  régiments  des  gardes,  le  régiment  de,  Dzialinski 
et  le  colonel  Woysiecbowski,  commandant  d^un  dé;tacbemçnt 
des  hulans  du  roi.  Kilinski,  le  même  q«ii  avait  déconvert  le 
projet  russje,  promit  d'amener  cinq  cents  bourgeois.  Le  plan 
d'attaque  fut  réglé,  le  signal  convenu,  et  le  jour  de  la  révoln* 
tion  fixé  au  17  avril  à  minuit.  Deux  capitaines  d'artillerie, 
nommés  Rope  et  Banczakiewic^»  furent  chargés  de  tout^  les 
dispositions  accessoires,  et  s'en  acquittèrent /avec  un  zèle 
et  une  activité  qui  devaient  puissamment  coopérer  ausuo^ès 
de  Tentreprise. 

Igielstrom,  cependant,  assailli  chaque  jour  de  nouvelles 
alarpfiantes  qui  lui  parvenaient  des  divers  districts,  pressen- 
tant, mais  sans  indications  précises,  qu'il  se  tramait  queUiae 
chose  à  Varsovie,  s'était  en  quelque  sorte  fortifié  dans  la  n^sti- 
son  qu'il  habitait.  Un  bataillon  d'infanterie  était  affecté  à 
sa  garde  ;  quatre  canons  était  braqués  aux  avenues*  Sa  posi- 
tion, en  effet,  devenait  de  plus  en  plus  critique,  et  toutes 
ses  craintes  se  trahissaient  dans  la  lettre  suivante^  qu'il  écri- 
vait au  ministre  de  la  guerre  à  Pétersbourg,  sous  la  date  du 
16  avril. 

a  Toute  l'armée  de  Pologne,  y  disait^l,  forte  d'environ 
1 8,400. bomipesy  est  en  pleine  insurrection.  Les  ^nfédérés  de 
Varsovie,  de  Sandomir,  de  Lublin,  de  Gbelm^  de  Wiadioiir  et 
de  Luck,  sont  organisés  sur  des  principes  jacobins.  L'insurrec- 


DE  LA  BÉVOLimOll  P0L0RAI8S.  U5 

tien  se  renforce  d'un  moment  à  l'autre  ;  sa  marche  est  très- 
rapide  et  ses  progrès  effrayants 

a  Faites  avancer  l'armée  de  Soltikoff^  pour  que  tout  soit 
bientôt  apaisé.  On  ne  peut  pas  compter  sur  les  Prnssien^et 
les  Autrichiens.  Dieu  sait  ce  que  leurs  forces»  regardées 
comme  formidables»  sont  devenues!  Les  Prussiens  ne  sont 
plus  présentement  ce  qu'ils  étaient  sous  Frédéric  II.  Ils  sem- 
blent ne  pouvoir  se  tenir  que  sur  la  défensive  ;  ils  veulent 
être  méthodiques  et  ont  peur  de  tout.  Jugez,  d'après  cela,  de 
la  triste  situation  où  je  me  trouve,  au  milieu  d'une  population 
exaltée  jusqu'à  là  fureur»  continuellement  entouré  d'ennemis  . 
et  d'espions»  et  ne  recevant  de  secours  et  d'appui  ni  de  nos 
alliés  ni  de  nos  troupes > 

Le  lendemain  du  jour  où  le  cotomandant  de  Varsovie  écri* 
vait  cette  lettre  à  Ta  cour,  l'insurrection  écUta. 

Voici  quel  était  le  plan  général  des  insurgés.  Un  détache- 
ment de  bourgeois,  conduit  par  des  officiers  travestis,  devait 
ouvrir  la  scène  en  se  glissant  dans  la  maison  d'igielstrom 
pour  détourner  l'attention  de  sa  garde  de  ce  qui  se  passait  à 
l'extérieur.  Les  premiers  entrés  devaient  faciliter  le  passage 
aux  autres.  Si  la  vigilance  des  Russes  faisait  manquer  oo 
stratagème»  ce  détachement  devait  toujours,  d'une  manière 
ou  d'autre»  commencer  le  tumulte  ;  le  reste  des  cinq  cents 
bourgeois  promis  par  Kilinski  devait  s'augmenter»  en  accou* 
rant  pour  dégager  les  premiers.  Des  détachements  d'io- 
fanterie,  disposés  dans  les  rues  voisines,  étaient  chargés,  les 
uns  de  soutenir  les  bourgeois»  les  autres  d'assaillir  la  maison 
du  commandant  de  Varsovie  et  de  s'en  rendre  maîtres. 

Les  officiers  d'artillerie  qui  étaient  dans  le  secret»  tinrent 
tout  ce  qu'ils  avaient  promis.  Ce  corps,  le  plus  ferme  appui  de 
la  révolution»  ne  fit  pas  faute  au  moment  décisif.  Au  jour  et 
à  l'heure  convenus,  les  canons,  munitions,  caissons»  tout  fut 

19 


146  OISTOIIIB 

prêt  pour  être  transporté  avec  célérité  partout  où  il  en  serait 
besoin.  Il  n*en  ftit  pas  de  même  des  bourgeois  qu^avait  promis 
Kilinski.  Ils  tardèrent  à  s'assembler  :  le  mouvement  devait 
commercer  à  minuit^  et  le  jour  parnt  sans  qu'aucune  démon- 
stration eût  été  faite.  Les  conjurés,  dans  toutes  les  angoisses 
de  l'inquiétude,  se  crurent  trahis.  Un  hasard  détermina  l'ex- 
plosion. Vers  les  six  heures  du  matin^  un  officier  russe 
traversait  à  cheval  ventre  à  terre  la  place  du  gouvernement. 
Le  commandant  d'une  patrouille  polonaise  des  hulans  du  roi, 
qui  était  au  nombre  des  conjurés^  trouvant  cet  empressement 
suspect,  tira  sur  lui.  Ce  coup  de  fusil  fut  pris  pour  le  signal 
convenu.  Les  officiers  aux  gardes  arrêtèrent  leur  comman- 
dant, mirent  leurs  régiments  sous  les  armes,  et  se  rendirent 
aux  postes  qui  leur  avaient  été  assignés.  Les  officiers  d'artille- 
rie sortirent  de  l'arsenal  avec  leurs  canons,  la  mèche  allumée, 
s^assurèrent  des  principaux  passages  et  braquèrent  une  demi- 
batterie  contre  la  maison  d'Igielstrom.  Bientôt,  criblé  par  la 
anitraille  du  canon  populaire,  le  bataillon  russe  qui  en  défen- 
dait les  approches  fut  obligé  de  se  retirer  dans  l'intérieur. 
ETeillés  au  bruit  du  canon^  les  habitants  de  Varsovie  qui  n'é- 
taient pas  dans  le  secret,  se  levèrent  alors  comme  nn  seul 
homme  :  les  uns  barricadant  leurs  maisons,  les  autres  se  joi- 
gnant aux  combattants.  Les  Russes,  endormis  où  à  moitié  ha- 
billéSi  sont  désarmés,  enfermés  dans  des  caves  ou  égorgés.Tout 
ce  qui  sort  de  chez  le  commandant  de  Varsovie  est  pris  ou  tué. 
Au  premier  coup  de  canon,  la  garde  entière  du  roi,  com- 
mandée par  le  capitaine  Strzaikowski,  avait  pris  les  armes,  et 
était  sortie  du  chftleau,  enseignes  déployées,  pour  se  joindre 
aux  insurgés.  Effrayé  de  cet  abandon,  le  roi  Stanislas  conjure 
le  commandant  de  rester  pour  le  défendre,  c  Sire,  lui  répond 
c  le  brave  Strzaikovrski,  on  n'en  veut  pas  à  votre  personne, 
c  voua  aies  en  sûreté^  et  la  patrie  est  en  danger.  Le  premier 


Dl  LA  RÉYOLUTIOH  P0L01IAISB.  147 

<  devoir  d^un  soldat,  c'est  do  Toler  à  sa  défense  ;  quand  Je 
«  Taarai  rempli,  je  reviendrai  auprès  de  vous.  »  Les  soldats 
applaudissent  à  ces  généreuses  paroles,  et,  au  cri  de  guerre 
de  Kosciuszko,  vaincre  ou  mourir,  se  jettent  dans  la  mêlée. 

Les  Russes  se  défendaient  partout  avec  une  incroyable  opi- 
niâtreté. A  la  maison  d'igielstrom,  les  canons  étaient  placés 
dans  les  croisées  ouvertes  en  embrasure,  et  une  canonnade 
terrible  s^était  engagée  avec  Partillerie  polonaise.  Dans  le 
quartier  du  régiment  de  Dzialinski,  commandé  par  le  colonel 
Hauman,  une  action  des  pins  sanglantes  avait  eu  lieu.  Cette 
troupe  polonaise,  se  rendant  au  poste  qui  lui  avait  été  assigné, 
avait  été  attaquée  par  quatre  bataillons  russes,  commandés  pat 
le  prince  Gagarine.  Chaque  parti  avait  des  canons.  La  rue 
devint  le  champ  de  bataille^  et,  de  part  et  d'autre,  on  se 
canonna  assez  longtemps.  Les  bouches  à  feu,  enfilant  la  rue, 
emportaient  des  lignes  entières,  et  faisaient  un  ravage  horri- 
ble; la  terre  était  jonchée  de  morts.  Pour  faire  cesser  cette 
boucherie,  Faide-major  du  régiment,  Lipniki,  prend  un  batail- 
lon, ordonne  de  charger  à  la  baïonnette,  et,  à  travers  les  vo- 
lées de  mitraille,  se  précipite  sur  les  Russes  et  les  renverse.  Le 
prince  Gagarine  fut  tué,  toute  sa  troupe  passée  au  fil  de  Tépée. 

Jusqu'alors,  le  oombat  n'avait  été  qu'entre  soldats  ;  quel- 
ques bourgeois  seuls,  s'étaient  mêlés  à  l'action.  Mais  après 
quelques  heures  de  canonnade,  chaque  rue  était  devenue  un 
champ  de  bataille  où  s'engageaient  des  actions  partielles,  ehi* 
que  maison  un  poste  retranché,  chaque  fenêtre  une  meur- 
trière d'où  Ton  tirait  sur  les  Russes  qui  se  présentaient.  Hais 
^'était  surtout  à  la  maison  d'Igielstrom  que  l'action  était  ta 
plus  sanglante.  Les  Russes  y  soutenaient  un  véritable  siège,  et 
le  feu  de  leur  artillerie  portait  le  ravage  dans  les  rangs  des 
assiégeants.  La  nuit  seule  suspendit  la  fureur  du  combat. 

Le  lendemain,  18  avril,  le  combat  recoinmeuça,  mais 


m  aiSTOIHB 

moins  acbaroé  que  la  V6iile.  Les  Russes  ne  paraissaient  plus 
dans  les  rues  ;  jusque  au  soir  encore,  ils  défendirent  la  mai- 
son  d'Igielstrom,  qui  fut  enfin  forcée;  à  l'exception  d'un 
petit  nombre  qui  put  furtivement  évacuer  la  ville,  tout  fut 
pris  ou  tué.  Igielstrom,  qui,  avec  quelques-uns  des  siens,  s'é- 
tait retiré  dans  une  maison  voisine,  demanda  à  capituler  ;  le 
roi  intervint  en  sa  faveur,  exhorta  le  peuple  à  suspendre  ses 
attaques  ;  mais,  pendant  qu'on  rédigeait  les  articles  de  la 
capitulation,  il  parvint  à  se  dérober,  et  se  réfugia  dans  le 
camp  des  Prussiens,  qui  parurent  le  lendemain  sous  Var- 
sovie, mais  que  quelques  volées  de  canon  suffirent  pour  faire 
éloigner. 

A  cette  attaque,  les  Russes  perdirent  deux  mille  cinq  cents 
hommes  tués  sur  place,  quatre  mille  huit  cents  prisonniers, 
quarante^eux  pièces  de  canon,  trois  généraux,  et  trente  offi- 
ciers d'état- major.  Le  combat  avait  duré  trois  jours.  Le 
premier  jour,  depuis  cinq  heures  du  matin  jusqu'à  quatre 
heures  de  l'après-midi,  'deux  mille  hommes  de  la  garnison 
polooaige  avaient  soutenu  la  lutte  contre  dix  mille  Russes  ;  en 
s'y  mêlant,  vers  le  soir,  le  peuple  décida  la  victoire.  Le 
second  et  le  troisième  jour  ne  furent  qu'une  suite  de  triom- 
phes. Trente-cinq  ans  après,  en  France»  ce  nombre  de  trois 
jours  devait  être  fatal  aussi  à  une  autre  dynastie. 

Après  cette  victoire,  les  principaux  d'entre  le  peuple 
s'assemblèrent  pour  aviser  à  la  situation.  Malheureusement, 
ceux  dont  l'expérience  et  les  lumières  auraient  été,  dans  celU 
circonstance,  d'une  grande  utilité,  Soltan,  Radzitzewski,  Mi- 
chel Brzostowski,  l'abbé  Bohusz,  et  autres,  avaient  été  enle* 
vés  et  conduits  en  Russie  avant  que  l'insurrection  eût  éclaté 
Cependant,  on  adopta  quelques  mesures  provisoires  sages  e. 
judicieuses.  Ainsi,  par  exemple,  on  réintégra  dans  tous  les 
droits  reconnus  par  la  constitution  du  3  mai,  les  citoyens  qui 


DE  tk  RÉVOLUTION  POLONAISE.  H9 

enav^aol  été  dépouillés  par  la  faction  rosse.  En  attendant 
fue  Koscioszko  eût  pu  procéder  à  rétablissement,  d'un  conseil 
national,  on  institua  un  conseil  provisoire  extraordinaire 
pour  régler  les  opérations  tant  civiles  que  militaires.  De  gé- 
néreux patriotes  furent  rétablis  dans  leurs  fonctions.  Mokro«i 
nowski  fut  nommé  commandant  de  la  ville. 

L'insurrection  de  Varsovie,  jointa  à  celle  de  Gracavie  et  à 
la  victoire  de  Raslavicé,  acheva  d'électriser  tous  les  cœurs  po- 
lonais. Tout  parut  un  moment  favoriser  les  défenseurs  de 
rindépendance  et  de  la  liberté  de  la  patrie.  Wilna,  capitale 
de  la  Lithuanie,  suivant  une  des  pre*mières  l'exemple  de  Cra- 
covie  et  de  Varsovie,  se  souleva.  L'insurrection»  conduite  par 
un  officier  général,  homme  d'esprit  et  de  courage,  Jasinzki, 
fut  fomentée  avec  tant  de  prudence  et  de  secret^  que  les 
Russes  furent  surpris,  faits  prisonniers,  sans  qu'il  en  coû* 
tât  une  seule  goutte  de  sang.  Les  troupes  polonaises  canton- 
nées dans  les  environs  de  Lublin,  profltant  de  la  retraite  des 
Busses  après  la  bataille  de  Raslavicé,  s'assemblàrerit  à  Chelm, 
reconnurent  Kosciuszko  pour  général,  et,  en  attendant  de  r^ 
cevoir  un  commandant  de  ses  mains,  mirent  à  leur  tête  un 
simple  lieutenant-colonel  d'infanterie,  Grochov^ski,  homme 
de  cœur  et  d'action,  qui  avait  la  confiance  du  soldat.  En 
même  temps,  les  citoyens  des  cantons  de  Chelm  et  de  Lublin 
se  déclarèrent  en  pleine  insurrection. 

Chaque  jour  les  insurgés  voyaient  grossir  leur  troupe  du 
restant  de  Tarmée  polonaiso  incorporée  dans  Tarmée  russe. 
Le  migor  de  cavalerie  Kopeo,  chargé  de  commander  le  .corps 
en  l'absence  des  ofQciers.supérieurs,  rassembla  ses  escadrons, 
marcha  sur  Dubno,  et  se  joignit  à  Kosciuszko.  Le  major 
WyszkovfTski  suivit  cet  exemple,  avec  dix  escadrons  de  cava- 
lerie. Plus  heureux  que  Kopec»  il  rencontra  aux  environs  du 
.Vieux-Konstantinow,  quaitre  bataillons  de  grenadiers  russes 


150  fitSTOIRB 

et  trois  cents  Closaqnes,  les  attaqua,  les  battit,  et  s'empara  de 
sept  pièces  de  canon.  Le  colonel  Lazninski  rejoignit  aussi 
Kosciuszico,  avec  neuf  cents  chevaux. 

Ainsi,  dans  le  cœur  de  ces  généreux  militaires,  que  les 
circonstances  avaient  forcés  de  prendre  service  chez  les 
Russes,  l'amour  de  la  patrie  s'était  réveillé  au  bruit  de 
rinsurreciion.  Halheureusement,  comme  les  chefs  des  in- 
surgés, soit  à  Gracovie,  soit  à  Varsovie,  ne  s'étaient  pas  asseï 
occupés  des  moyens  de  donner  un  ensemble  à  ces  mouve- 
ments insurrectionnels  des  troupes,  ceux  qui  eurent  lieu 
n'étant  que  le  fruit  de  déterminations  partielles,  les  Russes 
en  paralysèrent  la  majeure  partie  eh  désarmant  les  corps  qui 
ne  s'étaient  pas  encore  décidés,  renvoyant  les  of&clere  et  in- 
corporant les  soldats  dans  les  rangs  moscovites. 

Après  tous  ces  événements,  généralement  très^favorables 
pour  sa  cause,  Kosciuszko,  encore  trop  faible  pour  agir,  fut 
contraint  de  prendre  position  dans  le  voisinage  de  Cracovie; 
il  s'y  fortifia,  et  ensuite  se  livra  au  soin  d'accroître  son  armée* 
L^oppression  sous  laquelle  avaient  gémi  les  Polonais,  l'ani» 
mosité  qu'ils  affichaient  en  toute  circonstance  contre  les 
destructeurs  de  leur  patrie,  Tardeur  que  ranimait  dans 
toutes  les  âmes  la  victoire  récente  de  Raslavicé,  le  grand 
modèle  de  la  Révolution  française  quMls  avaient  sous  les 
yeux,  tout  se  réunissait  pour  faire  croire  à  la  durée  du 
zèle  des  patriotes.  Kosciuszko,  jugeant  de  l'énergie  et  de  la 
fermeté  de  ses  compatriotes  par  la  sienne,  n'en  doutait  pas. 
L'état  de  dépérissement  où  était  son  pays  lui  était  connu  de- 
puis longtemps.  Il  savait  que  la  discipline  militaire  était  cor- 
rompue et  relâchée.  Il  n'ignorait  pas  que  la  république  était 
sans  forteresses,  les  provinces  sans  défense,  le  territoire  en- 
vahi, et  son  seul  espoir  n'était  que  dans  l'esprit  public.  Aussi, 
lorsque  à  la  place  de  l'activité  qu'il  fallait  oppo^^r  à  la  tyran* 


DB  LA  BÉVOLtriOlf  POLONAISE.  151 

nie,  il  ne  trouva  dans  les  villes  qu'inertie  et  languear,  il  eut 
un  de  ces  moments  de  désespoir  que  sa  grande  âme  finit  par 
snrmoDter. 

La  suite  de  la  révolution  prouva  que  la  noblesse  de  Cra- 
covie  montrait  plus  de  zèle  que  celles  des  autres  parties  de  la 
Pologne;  cependant,  rien  ne  s'y  organisait  avec  célérité,  les 
recrues  s'assemblaient  difficilement,  les  approvisionnements 
devenaient  de  plus  en  plus  pénibles,  et  les  nobles  répugnaient 
à  toute  contribution  ou  réquisition.  Cette  tiédeur  de  leur  part, 
dans  une  circonstance  où,  comme  dans  toute  insurrection,  le 
«accès  -dépend  essentiellement  des  premiers  ei!orts,  faillit 
compromettre  la  cause  des  patriotes. 

Les  insurgés  avaient  fondé  leurs  plus  fermes  espérances  sur 
la  levée  générale  du  peuple.  Hais  cette  mesure,  d'une  in* 
contestable  efficacité  en  cette  circonstance,  présentait  dans 
son  eiécution  des  difficultés  qu^elle  aurait  pu  ne  pas  trouver 
ailleurs,  mais  qui,  en  Pologne,  étaient  inhérentes  à  la  constl* 
tulion  même  de  la-  société. 

En  effet,  la  noblesse,  également  intéressée  à  perpétuer  Tes- 
clavage  et  a  conserver  la  vie  des  paysans,qui  étaient  sa  richesse 
et  même  sa  propriété,  désapprouva  généralement  ce  moyen. 
La  patrie  exigeait  un  généreux  sacrifice;  la  cupidité  s'y  refusa. 
Kosciuszko  se  vit  alors  obligé  de  substituer  la  levée  du  cin* 
quième  de  la  population  à  la  levée  générale.  Ce  mode  calma, 
en  partie,  l'inquiétude  des  nobles,  rendit  d'une  exécution  plus 
facile  Torganisation  des  nouvelles  levées,  mais  réduisit  singu- 
lièrement les  chances  du  succès.  Bien  plus  encore,  ce  plan 
lui-même,  ainsi  modifié,  ne  recevait,  toujours  pour  le  même 
motif,  qu'une  exécution  lente,  incomplète  ;  on  usait  de  mille 
délais,  on  épuisait  les  explications  et  les  vains  prétextes }  le 
temps  s'écoulait,  et  les  affaires  n'avançaient  pas« 

Ceux  des  paysans  que  i'pn  amenait  au  camp  avaient  pour 


152  HiSTonuE 

Kosciuszko  cette  sorte  d'affection  qui  naît  d^une  grande  es- 
time ;  mais  ils  ne  sentaient  pas  encore  cet  entliousiasme,  cet 
attachement  exalté  qui  va  jusqu'au  dévouement,  jusqu'à  sup- 
porter,  non-seulement  avec  patience^  mais  même  avec  joie^ 
la  fatigue,  la  misère,  la  mort.  La  cause  pour  laquelle  ils  se 
levaient  était  sainte,  sacrée  :  c'était  celle  de  la  liberté,  de  la 
nationalité  ;  mais  une  longue  suite  de  vexations  tyranniques 
de  toutes  sortes  avait,  sinon  anéanti,  du  moins  singulière- 
ment altéré  en  eux  l'ardeur  des  sentiments  patriotiques.  La 
servitude  ne  leur  avait  laissé  que  de  rapatbie^  et  il  fallait  leur 
créer  une  âme. 

C'était  le  but  auquel  tendait  de  tous  ses  moyens  Kosciuszko. 
Caresses,  promesses^  bienfaits,  émulation,  exemples,  il  n'épar- 
gnait rien  pour  animer  cette  argile.  Il  élevait  au  grade  d'of- 
ficier ceux  qui  se  distinguaient  par  leur  bonne  discipline  ou 
leur  courage  ;  il  endossait  Tbabit  de  paysan,  mangeait  et  pas- 
sait ses  journées  avec  ses  frères  de  nouvelle  adoption.  Mais, 
plus  il  se  mettait  à  portée  de  connaître  leurs  sentiments,  plus 
il  acquérait  la  certitude  qu'ils  se  défiaient  des  nobles,  leurs 
anciens  tyrans.  Les  nobles,  de  leur  côté,  tremblaient  de  per- 
dre les  droits  qu'ils  avaient  usurpés.  Ainsi,  alors  qu'il  ne  fal- 
lait rien  moins  que  l'union  intime  de  ces  deux  ordres,  et  le 
concours  des  bras  du  premier  et  des  richesses  du  second, 
pour  composer  une  force  capable  de  résister  à  la  Prusse  et  à 
la  Russie  coalisées»  la  méfiance  d'une  part,  et  la  crainte  de  , 
l'autre,  rendaient  nulles  les  meilleures  vues.  '  i 

Ce  peu  de  sympathie  entre  les  deux  ordres  se  révélait  non-  ^ 
seulement  dans  leurs  rapports  mutuels,  mais  dans  mille  cir-  y 
constances  particulières.  Ainsi,  par  exemple,  au  moment  où 
les  paysans  versaient  leur  sang  pour  la  patrie,  la  noblesse  ac- 
cablait de  corvées  leurs  femmes  et  leurs  enfants.  Les  soldats 
s'en  plaignaient,  et  le  général  en  chef,  touché  de  cette  grande 


1>B  LA  RÉTOLOnON  POLONAISE.  15) 

injustice,  en  demanda  la  cessation;  les  nobles  la  refusèient. 
Ce  fat  dans  cette  circonstance  qu'il  publia  des  universaux  por- 
tant défense  d'exiger  la  corvée  des  soldats  de  la  république. 
Hais  comme  Tbomme  est  toujours  plus  prêt  à  se  révolter 
d'une  injustice  prétendue  de  la  part  de  ses  égaux,  que  d'un 
abus  d'autorité  de  la  part  de  ses  maîtres^  les  nobles  se  récrié* 
sent  contre  cette  mesure,  qu'ils  qualifièrent  d'atteinte  à  la 
propriété,  de  violation  de  leurs  droits.  Le  sort  des  habitants 
de  la  campagne  ne  reçut  aucun  adoucissement,  et  la  noblesse 
resta  dans  les  mêmes  sentiments  d'aigreur  à  l'égard  des  me* 
sures  prises,  et  de  peu  de  sympathie  à  l'égard  des  classes  dont 
la  souffrance  avait  motivé  ces  palliatifs.  ' 

Avec  deux  éléments  si  peu  conciliables,  il  était  d'autant 
plus  difficile  à  Kosciuszko  de  prendre  une  énergique  ini- 
tiative pour  quelque  grande  mesure,  que  son  armée  man- 
quait totalement  de  bons  officiers.  Heureusement  pour  lui  et 
pour  sa  cause,  il  trouvait  dans  l'enthousiasme  d'une  partie  de 
la  population,  non-seulement  une  compensation  à  la  dou- 
leur de  ses  cuisants  mécomptes,  mais  encore  une  espérance 
pour  le  succès  de  la  noble  cause  qu'il  défendait. 

Quiconque  ne  voudrait  voir  en  Kosciuszko  que  l'homme  de 
guerre,  condamnerait  à  l'oubli  la  moitié  de  ses  vertus.  Citoyen 
autant  que  soldat,  il  était  fait  pour  l'amitié  autant  que  pour 
l'admiration.  Dans  les  classes  pauvres,  surtout,  il  s'était  fait 
un  nom  de  consolateur.  Il  n'était  pas  riche,  mais  ses  bienfaits 
égalaient  ceux  des  plus  opulents.  A  défaut  même  d'argent,  il 
recourait  parfois  à  des  idées  ingénieuses  qui  créaient  des  res- 
sources à  rindigence.  Nous  citerons  le  trait  suivant,  em- 
prunté aux  Souvenirs  de  Pologne. 

Un  sellier,  chargé  d'une  famille  nombreuse»  et  qui  ne  pou* 
vaît  suffire  à  la  nourrir  par  son  travail,  habitait  à  Varsovie 
une  misérable  hutte  dans  la  rue  Fréta.  L'intérieur  de  sa 

20 


154  HISTOIRE 

demeure  offrait  le  tableau  de  la  plus  hideuse  misère. 
C'était  au  moment  où  le  pays  était  épuisé  par  la  guerre, 
où  l'ouvrage  manquait,  tandis  que  ks  vivres  se  mainte- 
naient à  des  prix  excessifs.  Dans  un  coin,  les  enfants  criaient 
en  pleurant  famine  ;  dans  l'autre,  la  mère  amaigrie  se  mou- 
rait de  fatigue  et  de  besoin;  tandis  que  le  Tieux  père,  étendu 
sur  un  grabat,  invoquait  généreusement  la  mort,  pour  que  le 
malheureux  ménage  coiqptfit  une  bouche  de  moins  à  nour- 
rir. Partout,  dans  ce  réduit  de  la  misère,  étaient  des  objets 
de  tristesse,  de  larmes  et  de  deuil.  Fuyant  sa  maison,  courant 
éperdu  dans  les  rues  de  Varsovie,  le  sellier,  désespérant  de 
Tavenir,  avait  conçu  Thorrible  pensée  du  suicide,  lorsque 
ridée  lui  vint  d'aller  implorer  Kosciuszko,  qui,  providence 
des  pauvresi  n'avait  jamais,  disait-on,  refusé  de  secours  à 
une  vertueuse  indigence. 

Le  lendemain,  avant  le  lever  du  soleil,  le  sellier  était  à  la 
porte  de  Kosciuszko.  Il  trouva  déjà  au  travail  Thomme  à  qui 
la  Pologne  avait  conflé  ses  destinées,  le  héros  auprès  de  qui 
le  pauvre  avait  à  toute  heure  libre  accès. 

—  Que  demandez-voue?  lui  dit  avec  douceur  Kosciuszko. 

—  Secours  I  répondit  vivement  le  sellier  en  s'inclinant  pro- 
fondément. 

—  On  ne  s'abaisse  ainsi  que  devant  Dieu,  mon  ami,  reprit 
Kosciuszko  en  le. relevant.  Je  suis  un  homme  comme  vous; 
dites-moi  franchement  vos  besoins. 

—  Je  suis  un  pauvre  sellier,  chargé  d'une  nombreuse  fa< 
mille  et  manquant  de  travail  ;  endetté  et  sans  ressources,  noua 
sommes  tous  à  la  veille  de  mourir  de  faim. 

—  Pauvres  gensl  pourquoi  ne  suis-je  pas  riche?  Voilà  tout 
ce  que  j'ai  sur  moi,  quarante  florins  :  prenez-les;  achetez-en 
du  pain  pour  votre  famille...  Je  ne  puis  vous  en  donner  da<- 
vanlage.  Mais,  ajouta>t-ii,  après  un  moment  de  tristesse  râ- 


DB  LA  RÉYOLCTIOII  P0L0NAI8I.  155 

veuie,  en  ce  temps  de  guerre  Yotre  métier  devrait  voqs  don- 
ner de  roecupation. 

—  Hélas  IgéDéralissime,  j'ai  vendu  mes  meilleurs  outils 
pour  ne  pas  mourir  de  faim  ;  J'ai  épuisé  tout  mon  crédit^  et 
c'est  à  peine  si  je  trouve  à  débiter  quelques  chétives  crava- 
ches de  ma  fabrication. 

— *Des  cravaches  i  dit  Kosciuszko  en  Pinterrompant  ;  il  me 
semble  que  j'en  manque  moi-même,  et  pour  combattre  les 
Cosaques,  on  ne  saurait  en  avoir  trop.  Faites-en  sur  le-champ 
quelques-unes  pour  moi,  et  que  Dieu  vous  soit  en  aidel 
Faites-en  même  le  plus  que  vous  pourrez;  j'irai  moi-même 
les  chercher  ces  jours-ci. 

Le  sellier  retourne  joyeux  à  sa  mansarde  et  se  met  à  Pou* 
Trage.  Pendant  plusieurs  jours  il  confectionne  un  grand  nom- 
bre de  cravaches,  attendant  impatiemment  la  visite  que  lui 
avait  annoncée  Kosciuszico.  L'attente  seule  et  la  perspective  de 
ee  beau  jour  étaient  une  fête  de  famille. 

Us  n'attendirent  pas  longtemps.  Pour  Kosciuszlco,  la  parole 
donnée  au  pauvre  était  sacrée  >  et  un  jour  qu'il  était  sorti 
pour  visiter  les  fortifications  de  la  ville,  il  prit  à  dessein  par 
la  rue  Fréta,  où  demeurait  le  sellier.  Entouré  d'un  brillant 
état-major  composé  de  la  fleur  de  la  jeunesse  polonaise^  il 
déboucha  à  l'entrée  de  la  rue,  et,  au  grand  étonnement  de 
toute  sa  suite,  il  s'arrêta  devant  la  boutique  du  sellier. 

*^  c  Cest  ici  que  j'achète  mes  cravaches,  »  dit-il  en  se  tonr- 
nant  vers  sa  suite. 

Il  s'adressa  alors  au  sellier,  lui  demanda  une  cravache,  l'es* 
aaya,  jeta  un  écu  dans  la  boutique  et  continua  sa  route  en  di- 
sant :  €  Voilà  d'excellentes  cravaches,  a 

Tout  son  état-major  voulut  acheter  les  cravaches  que  le 
chef  avait  recomnàaudées.  Le  prix  n'était  rien  :  on  vonlail  en 
avoir;  on  les  arrachait  des  mains  du  sellier;  et  chacun,  après 


1S6  HISTOIIB 

avoir  jeté  son  argent,  s^élançait  au  galop  sor  les  traces  dn 
chef.  En  peu  d'instants  le  cb^peau  et  les  poches  de  Touvrier 
furent  remplies  d'or  et  d'argent.  Toute  la  provision  de  crava- 
ches disparut,  et  les  derniers  venus  se  contentèrent  d'en  faire 
la  commande  pour  le  len/leraain. 

Depuis  ce  jour,  la  vogue  du  sellier  alla  croissant",  et  les 
demandes  pour  les  cravaches  furent  si  nombreuses,  qu'il  pût 
à  peine  y  sufQre. 

Telle  était  parfois»  à  défaut  de  richesse,  la  manière  de  se- 
courir l'indigence  d'un  homme  que  les  destins  appelaient  à 
être  un  des  plus  glorieux  champions  d'une  sainte  cause  ga- 
gnée dans  l'avenir. 

En  attendant,  sa  position  était  loin  de  s'améliorer.  Depuis 
la  victoire  de  Raslavicé,  livré  tout  entier  à  ses  pénibles  fonc- 
tions, il  n'avait  ni  consolation  ni  relâche.  Aucune  nouvelle  ne 
parvenait  dans  son  camp.  D'un  côté^  un  corps  russe  com- 
mandé par  le  général  DenizoEf,  maître  de  tous  les  passs^es, 
les  tenait  exactement  fermés;  de  l'autre,  la  mauvaise  volonté 
des  employés  autrichiens  avait^  à  force  d'avanies,  donné  aux 
voyageurs  de  la  répugnance  à  prendre  la  voie  de  la  Gallicie. 
Ainsi,  Kosciuszko  ignorait  tellement  tout  ce  qui  s'était  passé  à 
Varsovie»  à  Wilna  et  ailleurs,  qu'il  chargeait  un  émissaire 
d'iqsurger  Varsovie,  lorsque  cette  ville  l'était  depuis  huit 
jours. 

Désespéré  enfin  de  l'inaction  funeste  où  on  le  tenait,  de  la 
coupable  lenteur  des  propriétaires  à  livrer  leurs  recrues,  le 
30  avril  il  ordonna  la  levée  générale  des  paysans.  Malheureu- 
sement, comme  pour  la  récente  levée  du  cinquième,  cette 
nouvelle  mesure  fut  encore  paralysée  par  les  nobles,  qui, 
considérant  les  paysans  comme  une  propriété,  et  craignant 
d'être  ruinés  en  les  perdant,  traversaient  toujours  par  les 
mômes  moyens  l'exécution  des  mesures  ordonnées*  Aussi, 


DB  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  157 

malgré  les  menaces  et  les  promesses  pour  déterminer  les 
paysans  à  secouer  le  joug  de  leurs  tyrans,  on  n'en  put  ras- 
sembler que  deux  mille.  A  force  de  les  faire  souffrir  et  de  les 
faire%raindre»  les  nobles  les  ayaient  réduits  à  un  véritable 
état  d'abrutissement  moral.  On  eut  dit  des  troupeaux  d'escla- 
ves indifférents  au  sort  qu'on  leur  destinait^  ne  sentant  plus, 
ne  pensant  plus,  espèces  d'automates  dont  le  passé  était  effacé 
de  la  mémoire,  et  pour  qui  Tavenir  n'était  rien. 

Il  se  produisit  alors  un  fait  dont  les  esprits  généreux  se  sont 
sérieusement  préoccupés  depuis,  mais  qui,  à  cette  époque, 
passait  presque  inaperçu  t^^'estque  la  principale  force  du  des- 
potisme est  dans  Tignorauce  et  l'avilissement  des  classes  la- 
borieuses, et  qu'avant  d'être  affranchi  un  peuple  doit  être 
éclairé.  Sans  cela  naissent,  contre  le  progrès  même,  les  résis- 
tances de  ceux  en  faveur  de  qui  toute  rénovation  est  tentée. 
Il  y  a  dans  l'homme  habitué  à  souffrir  et  longtemps  courbé 
sous  un  joug  humiliant,  un  tel  sentiment  de  défiance  et  de 
timidité,  que  tonte  régénération  lui  parait  un  leurre,  tout 
changement  d'état  une  déception.  Malheur  pour  malheur,  il 
préfère  alors  celui  que  l'habitude  lui  a  rendu  familier. 

Voici  comment  un  Français,  républicain  de  1792,  rédac- 
teur, à  cette  époque,  à  Varsovie,  de  la  Gazette  de  Vareme, 
peint  le  paysan  polonais  (1)  : 

«  Les  voyageurs  ont  observé,  en  traversant  la  Pologne,  un 
grand  nombre  d'animaux  ayant,  comme  les  Polonais,  deux 
pieds  et  deux  mains,  sans  plumes,  travaillant,  labourant  et 
recueillant  pour  leurs  maîtres.  Ces  utiles  troupeaux  sont  dé* 
signés  sous  le  nom  de  paysam  polonais.  Cette  classe  parait 
vouée  pour  l'éternité  au  travail  et  à  la  douleur.  Massacrés, 
martyrisés,  écrasés  pour  les  moindres  fautes,  ils  voient,  pour 

(1)  Hehée,  Histoire  de  la  prêt.  Bévoluticn  de  Pologne* 


158  HISTOIIB 

les  fautes  les  plas  légères»  leurs  femmes,  leurs  enfants  livrés 
à  de  misérables  bourreaux^  qui  les  déchirent  à  leurs  yeux* 
Aucune  de  ces  douceurs  qui^  partout  ailleurs.  Tiennent  adou- 
cir les  amertumes  de  la  y\e,  n'approcbe  de  leurs  cabanes  ; 
leur  vie  est  une  longue  mort,  une  éternelle  agonie.  Je  n'ai 
jamais  vu  rire  un  paysan  polonais.  Lorsqu'on  les  rencontre 
sur  les  routes,  ils  font  face  aux  passants,  et  leurs  disent  en 
baissant  les  yeux  :  Nieek  bmdzie  pakwalani  Jeâous-Chrif 
tous  I  (Que  Jésus-Christ  soit  loué).  Plus  je  considère  les  paysans 
polonais,  moins  je  conçois  de  quoi  ils  peuTent  remercier  Dieu* 
Casimir  le  Grand,  surnommé  le  père  des  paysans,  a  usé  sa  rà 
à  vouloir  adoucir  leur  sort;  il  n'a  rien  pu  obtenir  de  cette 
noblesse  impérieuse  et  inhumaine.  Lorsque  quelques  paysans 
Tenaient  se  plaindre  à  lui  de  leurs  seigneurs,  dans  l'impossi- 
bilité où  il  était  de  leur  faire  rendre  justice»  il  répondait  :  «Je 
c  ne  puis  rien  taire  pour  tous;  mais  n*aTes-Tous  ni  bâtons 
c  ni  pierres  dans  tos  campagnes?»  Ce  grand  prince  sentait 
bien  que,  lorsque  la  isociétè  ne  peut  pas  dooner  aux  indiTidus 
qtti  la  composent  la  protection  qu'ils  ont  droit  d'en  attendre, 
elle  leur  rend  tous  leurs  droits  naturels.  » 

Ce  tableau  pittoresque  de  la  situation  des  paysans  polonais 
pourrait  peut-être  paraître  chargé. Nous  allons  Tappuyer  d'une 
autorité  irrécusable^  celle  de  Stanislas  Leczinski,  que  nous 
avons  mentionnée  ailleurs.  Le  lecteur  sait  que  l'humanité  de 
ce  vertueux  souverain  déplût  aux  Polonais,  au  point  qu'il  fut 
obligé  de  se  retirer  en  Lorraine.  Voici  comment  ce  prince 
s'exprime  sur  le  compte  des  paysans  polonais.  Nous  copions 
textuellement  sur  le  Mémoire  original  :  Nous  le  donnons  avec 
quelques  détails,  d'abord  parce  que  c'est  un  document  peu 
ou  point  connu,  ensuite  parce  qu'il  peint  admirablement  la 
véritable  source  de  tous  les  maux  de  la  Pologne,  le  joug  écra- 
sant sous  lequel  gémissait  le  paysan  polonais.  On  défend  mal 


DB  LA  BiTOiimOlt  POLONAIS!.  159 

la  chose  d'un  autre,  surtout  quand  cet  autre  est  notre  ennemi; 
et  que  l'on  trouve  Poccasion  de  se  venger.  Il  résulta  de  là  que, 
lors  de  la  révolution  de  la  Pologne,  les  insurgés  ne  purent 
jamais  trouver  d'autres  auxiliaires  parmi  les  paysans  que  ceux 
queles  propriétaires  forçaient  de  marcher  avec  eux.  Les  autres 
disaient  :  «  Les  Russes  on  les  Prussiens  nous  feront-ils  porter 
«  double  bfit  ou  double  charge  ?  v  Et  au  lied  de  se  lever  pour 
voler  sous  les  drapeaux  de  Tindépendance  de  leur  patrie,  ils 
restaient  dans  une  inertiequi  s'explique. 

Voici  le  tableau  qu^en  trace  Stanislas  Leczinski  : 

a  Les  violences  que  les  patriciens  de  Rome  exerçaient  sur 
le  peuple  de  cette  ville  sont  une  image  sensible  de  la  dureté 
avec  laquelle  nous  traitons  nos  plébéius.  Encore  cette  portion 
de  notre  État  est-elle  plus  avilie  parmi  nous  qu^elle  n'étaitchec 
les  Romains,  où  elle  jouissait  d'une  espèce  de  liberté,  même 
dans  les  temps  où  elle  était  le  plus  asservie  au  premier  ordfe 
de  la  république. 

«  On  peut  dire  avec  vérité  que  le  peuple  est  dans  une 
extrême  humiliation  en  Pologne;  on  doit  cependant  le  regar- 
der comme  le  principal  soutien  de  la  nation,  et  je  suis 
persuadé  que  le  peu  de  cas  qu'on  en  fait  pourrait  avoir  des 
suites  très-dangereuses. 

a  Qui  est-ce,  en  effet,  qui  procure  Pabondance  dans  un 
>  royaume?  qui  est-ce  qui  en  porte  les  charges  et  les  impôts?  qui 
est-ce  qui  fournit  des  hommes  à  nos  armées,  qui  laboure  nos 
champs,  qui  coupe  nos  moissons,  qui  nous  nourrit?  qui  est 
la  cause  de  notre  inaction,  le  refuge  de  notre  paresse,  la  res 
source  dans  nos  besoins,  le  soutien  de  notre  luxe^  et,  en 
quelque  sorte  la  source  de  tous  nos  plaisirs?  N'est-ce  pas  cette 
même  populace  que  nous  traitons  avec  tant  de  rigueur?  Ses 
peines,  ses  sueurs,  ses  travaux  ne  méritent-ils  donc  que  nos 
dédains  et  nos  rebuts!  Et  s'ils  n'étaient  poiui,  ne  serions-nous 


160  HIflTOHIB 

pas  obligés  de  nous  plier,  de  nous  assujettir  nous-mêmes  a 
toutes  les  pénibles  fonctions  où  leur  naissance,  leur  état,  leur 
pauvreté  les  engagent? 

a  Des  hommes  si  nécessaires  à  l'Etat  devraient  y  être  con- 
sidérés sans  doute;  mais  à  peine  les  distinguons- nous  des 
bêtes  qu'ils  entretiennent  pour  la  culture  de  nos  terres. 
Souvent  nous  ménageons  moins  leurs  forces  que  celles  de  ces 
animaux,  et  trop  souvent  par  un  trafic  scandaleux,  nous  les 
vendons  à  des  maîtres  aussi  cruels,  et  qui  bientôt,  par  un 
excès  de  travail,  les  forcent  à  leur  payer  le  prix  de  leur 
nouvelle  servitude. 

a  Je  ne  puis,  sans  horreur,  rappeler  cette  loi  qui  n'impose 
qu'une  amende  de  quinze  francs  à  tout  gentilhomme  qui  aura 
tué  un  paysan.  C'est  à  ce  prix  qu'on  se  rachète  dans  notre 
nation  des  rigueurs  de  la  justice,  qui,  partout  ailleurs,  confort 
mément  à  la  loi  de  Dieu,  et  ne  faisant  acception  de  personne, 
condamne  à  mort  tout  homme  coupable  de  mort. 

«  La  Pologne  est  le  se.ul  pays  où  la  populace  soit  comme 
déchue  de  tous  les  droits  de  Phumanité.  Nous  voyons 
cependant  des  nations  voisines  attentives  à  ménager  cette 
portion  de  leur  État  ;  nous  seuls,  nous  les  regardons  comme 
des  créatures  d'une  autre  espèce,  et  nous  leur  refuserions  pres- 
que le  même  air  qu'ils  respirent.avec  nous. 

«  il  esi  vrai  que,  selon  la  constitution  de  notre  royaume,  $ 
nous  pouvons  nous  passer  de  leurs  conseils  et  ne  pas  les 
admettre  dans  nos  congrès;  mais  leur  secours  nous  est  né* 
cessai re,  et,  par  cela  même,  nous  ne  devrions  pas  les  traiter 
avec  tant  de  cruauté.  Est-il,  en  effet,  aucune  loi  qui  puisse 
autoriser  le  joug  terrible  que  nous  leur  avons  imposé? 

<£  Dieu,  en  créant  l'homme,  lui  donna  la  liberté.  Quel  droit 
a-t«on  de  l'en  priver,  à  moins  que  ce  ne  soit  par  la  loi  des 
armes,  par  l'autorité  que  prend  la  justice  sur  des  criminels,  ou 


DE  LA  BÉVOLUTION   POLONAISE.  161 

par  la  nécessité  de  réprimer  des  accès  de  folie  dans  un  homme 
privé  de  raison?  Quoi  donc!  parce  que  certains  hommes  ont 
le  malheur  d'être  nés  nos  sujets^  sommes-nous  dispensés 
d'observer  à  leur  égard  cette  première  règle  de  la  justice, 
qui  est  le  fondement  de  toutes  les  sociétés  :  Suum  cuiquel 
Les  droits  de  maître  et  de  seigneur  nous  autorisent-ils  à  les 
excéder  de  peines  et  de  fatigues  ;  et,  après  en  avoir  exigé  des 
corvées  presque  au-dessus  de  leurs  forces,  pouvons-nous  leur 
enlever  tout  ce  qu'il  ont  pu  gagner  d'ailleurs  pour  leur  en- 
tretien et  celui  de  leur  famille;  et  cela^  par  un  travail  qu'ils 
ont  su  soustraire  à  notre  avarice  et  à  notre  cruauté?  » 

Après  avoir  ainsi  examiné  ce  que  la  conscience  doit  dicter 
naturellement  aux  nobles  envers  cette  foule  de  malheureux 
qu'ils  opprimaient  sans  cesse,  le  royal  auteur  recherche  sMl 
est  même  de  la  bonne  politique  de  tenir  les  paysans  dans  une 
aussi  austère  dépendance. 

«c  Comme  il  est  naturel,  ajoute-t-il^  de  secouer  un  joug  rude 
et  pesant,  ne  peut-il  pas  arriver  que  ce  peuple  fasse  un  effort 
pour  s'arracher  à  notre  tyrannie?  Cest  à  quoi  doivent  le 
mener  tôtou  tard  ses  plaintes  et  ses  murmures.  Jusqu^à  présent^ 
accoutumée  desfers^  il  ne  songe  point  à  les  rompre;  mais 
qu'un  seul  de  ces  infortunés^  esprit  mâle  et  hardi,  vint  à  cou- 1 
certer ,  à  fomenter  leur  révolte,  quelle  digue  assez  forte  pour-  ^ 
rait-on  opposer  à  ce  torrent?  par  combien  de  ravages  affreux 
ne  marquerait-il  point  son  passage?  Et  pourrait-on  prévoir  la 
fin  de  tous  les  maux  dont  il  serait  capable  dMnonder  la  répu- 
blique? Nous  en  avons  un  exemple  récent  dans  le  soulèvement 
de  rUkraine.  Il  ne  fut  occasionné  que  parles  vexations  de  ceux 
d'entre  nous  qui  y  avaient  acquis  des  domaines.  Nous  mépris 
siens  le  courage  des  habitants  de  cette  contrée;  ils  trouvèrent 
des  ressourcée  dans  leur  désespoir,  et  rien  n'est  plus  terrible 
que  le  désespoir  de  ceux  même  qui  n'ont  point  de  courage. 

21 


162  HmoiM 

<  Quel  est  Pétat  où  nous  avons  réduit  le  peuple  de  notre 
royaume?  Abruti  par  la  misère,  il  traîne  ses  jours  dans  une 
indolence  stupide,  qu'on  prendrait  presque  pour  un  défaut 
de  sentiment.  Il  n^aime  aucun  art  ;  il  ne  se  pique  d'aucune 
industrie;  il  ne  travaille  qu\iutant  que  la  crainte  du  châtiment 
le  force  de  travailler.  Convaincu  qu'il  ne  pourrait  point  jouir 
lu  fruit  deson  génie,  il  étouffe  lui-même  ses  talents;  il  n'essaie 
même  pas  de  les  connaître.  De  là  cette  affreuse  disette,  où 
nous  sommes  d'artisans  les  plus  communs;  et  faut-il  s'éton- 
ner que  nous  manquions  descboses  même  les plusnécessaireSj 
dès  que  ceux  qui  pourraient  nous  les  fournir  ne  peuvent  espé- 
rer aucun  profit  des  soins  qu'ils  prendraient  pour  nous  satis- 
faire? Ce  n'est  que  dans  la  liberté  que  se  trouve  l'émulation,  et 
la  nécessité  ne  s'évertue  qu'autant,  qu'elle  entrevoit  une  res- 
source à  ses  besoins,  a  Usembleque  laProvidence  aitcompensé 
«  ses  dons  pour  mettre  une  sorte  d'égalité  entre  les  diverses 
€  conditions  des  hommes.  Aux  uns,  elle  a  donné  la  naissance 
€  et  le  pouvoir;  aux  autres  une  heureuse  capacité  qui  les  dé- 
c  dommage  des  distinctions  qu'elle  leur  a  refusées.  Ceux-là 
c  seraient  trop  vains  s'ils  possédaient  à  la  fois  les  talents  et  les 
c  richesses,  et  ceux-ci  trop  malheureux  si,  par  les  dons  de 
c  l'esprit,  ils  ne  pouvaient  relever  la  bassesse  de  leur  for- 
c  tune.  » 

Ainsi^  les  grands  et  les  petits  vivent  dans  une  dépendance 
mutuelle  les  uns  des  autres  :  le  noble  est  forcé  d'avoir  recours 
à  l'industrie  du  roturier,  et  le  roturier  n'a  d'autres  fonds 
peur  subsister  que  les  besoins  du  noble. 

c  Nous  devons  donc  autant  estimer  le  mérite  de  l'artisan» 
quelque  bas,  quelque  humiliant  qu'il  paraisse,  que  l'artisan 
fait  cas  des  avantages  que  nous  pouvons  lui  procurer.  Sans  ce 
retour  réciproque,  tout  tombe  dans  un  Etat,  et  l'on  n'y  voit^ 
ainsi  que  dans  le  nôtre,  ni  sagacité,  ni  invention,  ni  commerce. 


DS  LA  RirOLUTIOlf  P0L0HAI8B.  163 

niaucan  des  secours  nécessaires  ou  pour  rarmement  ou  pour 
les  besoins  de  la  vie.  » 

Stanislas  démontre  ensuite  que  rien  n'est  plus  frivole  qur 
les  avantages  que  les  nobles  s'imaginent  retirer  de  Tesclavagi 
où  ils  tiennent  les  paysans;  et  termine  par  ces  paroles,  « 
remarquables  dans  la  bouche  d'un  roi  : 

«  C'est  si  peu  de  chose  qui  nous  met  an-dessus  de  nos 
sujets,  qu'il  est  honteux  à  nous  de  nous  enorgueillir  de  notre 
élévation  et  de  leur  bassesse.  Rien  n'est  grand  ici-bas  que  par 
comparaison;  c'est  toujours  le  malheur  d'une  portion  des 
hommes  qui  rehausse  et  fait  éclater  le  bonheur  de  l'autre. 
Nous  ne  paraissons  riches,  puissants,  respectableSi  que  par 
l'indigence,  la  faiblesse,  l'avilissement  du  paysan.  Nous  lui 
devons,  pour  ainsi  dire,  toute  notre  grandeur,  et  nous  ne 
serions  presque  rien  s'il  n'était  au-dessous  de  ce  que  nous 
sommes. 

c  II  ne  tenait  qu'à  la  Providence  de  nous  assujettir  à  cent 
que  nous  maîtrisons.  Sans  doute,  elle  a  voulu  donner  à  ceux- 
ci  le  moyen  de  mériter  par  leur  résignation,  et  à  nous  un 
motif  de  nous  humilier  dans  notre  indépendance.  C'est  donc 
à  nous  à  ne  pas  abuser  de  notra  pouvoir  sur  des  malheureux 
qui  ne  nous  sont  inférieurs  que  par  une  disposition  dont 
nous  n'avons  pas  été  les  maîtres. 

«  Nous  devons  adorer  en  eux*  la  main  de  Dieu,  qui  ne  les  a 
pas  faits  ce  qu'ils  sont  par  rapport  à  nous,  et  pour  nous  don- 
ner sujet  de  nous  complaire  dans  la  misère  de  leur  état  et 
dans  l'opulence  du  nôtre. 

«  Et  quelle  est  même  la  différence  qu'il  y  a  d'eux  à  nous? 
c  Elle  ne  vient  que  du  plus  ou  du  moins  de  quelques  biens' 
a  périssables.  Au  fond,  nous  sommes  tous  égaux  ;  et  tel 
«  homme  que  la  privation  de  ces  biens  nous  fait  mépriser. 


164 

a  esl  peut-être  fort  au-dessus  de  nous  par  les  vrtfls  biens  qui 

I  font  Tessence  et  la  gloire  de  l'homme.  » 

c  Ainsi,  le  bon  sens^  la  religion,  la  politique^  tout  nous 
engage  à  ménager  nos  plébéiens.  Sans  cela^  quelque  ordre  que 
nous  puissions  mettre  dans  notre  état,  il  sera  semblable  à 
t^ette  statue  de  Nabuchodonosor,  qui,  quoique  faite  des  plus 
précieux  et  des  plus  solides  métaux,  fut  renversée  en  un  mo- 
ment, parce  que  sa  base  n^était  que  d'argile.  Le  fondement  de 
tout  Etat,  c'est  le  peuple.  Si  ce  fondement  n'est  que  de  (erre 
et  de  boue^  TEtat  ne  peu  durer  longtemps.  Trayaillons  donc 
à  renforcer  cet  appui^  de  la  république  :  sa  force  sera  notre 
.  soutien,  son  indépendance  notre  sûreté.  » 

Après  la  lecture  de  ce  précieux  document,  qui  tait  si  bien 
comprendre  la  situation  réciproque  du  noble  et  du  paysan 
en  Pologne,  on  se  rend  aisément  compte  des  dilflcuUés  que 
dût  éprouTer  Kosciuszko  pour  pouvoir  tirer  parti  d'un  élé- 
ment de  force  que,  par  intérêt  autant  que  par  orgueil  et  par 
préjugé,  la  noblesse  tendait  toujours  à  paralyser. 

Pour  surcroît  d'embarras,  la  constitution  de  1791,  en  lais- 
sant dans  le  vague  l'existence  sociale  des  paysans,  n'avait  pas 
été  un  mobile  assez  puissant  pour  les  faire  sortir  de  leur  tor- 
peur.  Kosciuszko  tâcha  d'y  remédier,  en  publiant»  sous  la  date 
du  7  mai  1794,  une  ordonnance  par  laquelle  il  réglait  les 
devoirs  des  paysans  envers  les  propriétaires,  et  garantissait 
au  peuple  des  campagnes  la  protection  du  gouvernement,  la 
sûreté  des  propriétés  et  la  justice.  Voici  cette  ordonnance,  que 
l'exposé  des  motifs  et  les  articles  réglementaires  rendent  dou- 
blement curieuse,  soit  sous  le  rapport  des  machinations  de  la 
Russie  en  Pologne,  soit  sous  celui  de  l'existence  sociale  du 
peuple. 


b 


:'5 
3 


M 


m  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  195 

A  ta  nation  polonaise. 

c  Polonais,  jamais  les  armes  des  ennemis  ne  seraient  re- 
doutables si  la  Pologne  savait  connaître  et  employer  la  force 
qui  doit  résulter  de  son  union.  Il  serait  impossible  aux  puis- 
sances voisines  de'la  vaincre  dans  une  guerre  ouverte;  mais 
la  ruse^  la  perfidie,  voilà  leurs  armes  redoutables  ;  c'est  par 
elles  qu'elles  divisent  ses  volontés  et  lui  ôtent  les  moyens  de 
repousser  leur  agression . 

<  La  longue  tyrannie  des  Russes  daub  ra  Pologne  a  prouvé 
jusqu'à  quel  point  cette  puissance  se  jouait  dç  nos  destinées. 
Achetant  des  âmes  mercenaires,  abusant  les  esprits  simples 
par  des  promesses  perfides,  flattant  des  préjugés,  caressant 
des  passions,  les  animant  l'une  contre  Tautre,  calomniant  la 
nation  chez  les  étrangers,  ils  ont  tout  mis  en  œuvre  pour 
nous  perdre,  et  les  moyens  du  plus  profond  machiavélisme 
ont  été  de  préférence  employés  par  eui. 

c  Dans  toutes  les  circonstances  où  les  Polonais  ont  pris  les 
armes  contre  les  Russes,  cette  nation  de  brigands  peut-elle  se 
flatter  d'avoir  remporté  sur  eux  une  seule  victoire  réelle)  Et 
cependant  la  bravoure  polonaise  n'en  tirait  d'autre  avantage 
que  celui  d'alléger  pour  un  moment  le  joug  que  Tennemi  ne 
tardait  pas  à  lui  imposer  de  nouveau.  D'où  vient  donc  cette 
étrange  inconsistance  des  affaires  de  Pologne?  pourquoi  cette 
nation  gémissait-elle  accablée  sous  le  poids  des  malheurs, 
sans  trouver  le  moyen  de  les  terminer?  C'est  que  Tastuce  des 
intrigues  russes,  plus  puissantes  que  leurs  armes,  perdait  les 
Polonais  par  les  Polonais  eux-mêmes. 

a  Les  malheureux  Polonais  n'ont  été  que  trop  longtemps 
divisés  par  leurs  opinions  politiques.  Ils  différaient  sur  leufs 
idées,  quant  aux  principes  sur  lesquels  la  liberté  et  l'organi* 


lie  mTom 

satioQ  sociale  âevaient  être  fondées  ;  mais  h  la  différence  des 

opinions,  qui  n'était  pas  coupable  ep  ell^rméme,  Tesprit  con« 

damuable  de  ramour*propre,  des  vues  particuiières,  raè-^ 

laient  Topiniâireté  ;  et  le  penchant  a  se  lier  avec  lesétran-* 

gers,  ne  poavait  aboutir  qu'à  ramper  bassement  sous  leurs 

ordres. 

a  La  mesure  des  maux  et  des  souffrances  est  comblée* 
i'époque  est  Tenue  où  la  destinée  de  la  Pologne  doit  être 
enfin  décidée^  C'est  a  présent  ou  jamais  que  les  esprits  doivent 
tendre  au  même  but.  Plus  de  doutes,  plus  de  contestations^  et 
laissons  à  l'écart  les  traîtres  déjà  connus,  ou  les  l&cbes  qui^ 
dans  la  dernière  agonie  de  la  patrie,  sont  encore  sourds  à  H 
voix  expirante.  » 

Après  avoir  établi  que  l'insurrection  actuelle  tendait  à  ren* 
dre  à  la  Pologne  la  liberté,  l'indépendance  et  l'intégrité;^ 
qu'elle  laissait  à  la  volonté  nationale  à  décider,  dans  un 
temps  plus  calme,  la  forme  du  gouvernement  qu'elle  voudra 
se  donner  ;  qu'ainsi,  la  différence  des  opinions  étant  anéantie 
dans  sa  source,  l'objet  de  l'insurrection  devait  rassembler, 
sous  les  mêmes  drapeaux,  ceux  qu'avait  aliénés  les  uns  des 
autres  la  diversité  des  opinions,  Kosciuszko  ajoutait  : 

a  C'est  ce  jour,  c'est  ce  moment  qu'il  faut  mettre  à  profit, 
Que  l'ennemi  déploie  toute  sa  force,  qu'il  ait  recours  aux 
armes,  moyen  peu  dangereux  dans  ses  mains;  aux  efforif 
impuissants  des  esclaves  épouvantés  nous  opposerons  la 
masse  inébranlable  des  hommes  libres*  La  victoire,  n'en 
doutez  pas,  sera  fidèle  à  ceux  qui  combattent  pour  leur 
propre  cause.  Biais  les  manœuvres  insidieuses  avec  lesquelles 
ils  nous  ont  vaincus  jusqu'à  ce  moment,  voilà  ce  qu'il  nous 
importe  de  déjouer.  Brisons  cet  instrument  de  perfidies,  veil* 
Ions  attentivemeAt  j  que  tou  les  citoyens  n'aient  qu'un  «ontî^ 


]>I  LA  BiVOUmOH  FOLOHAISB.  lil 

mtnt)  et  qn^  le  glaive  menaçant  de  la  Justice  frappe  partout 
où  osera  ae  montrer  la  duplicité  et  la  trahison.    * 

«  Ainsi  donc^  la  destinée  de  la  Pologne  dépend  de  la  double 
force  employée  par  nos  ennemis  :  celle  de  ia  ruse,  celle  de  la 
Tiolence.  C'est  ici  que  je  dénonce  à  la  nation  les  moyens  per« 
fides  que  les  Russes  emploient  pour  nous  perdre.  Ils  cher- 
chent à  excitée  contre  nous  le  peuple  des  campagnes.  Us  lui 
exagèrent  le  pooToir  arbitraire  des  propriétaires,  son  an- 
cienne misère  ;  ils  lui  promettent  d'améliorer  son  sort  ;  en 
même  temps,  ils  le  poussent  à  piller  atec  eux.  Sa  simplicité 
trompée  peut  tomber,  et  ne  tombe  que  trop  souvent,  en  eflTet, 
dans  de  tels  pièges  ;  et  personne  n'ignore  ce  tait,  que  les 
Russes  ont  revêtu  de  leur  uniforme  les  paysans  crédules  qu'ils 
avaient  trompés,  pour  les  pousser  au  pillage  et  à  la  dévas- 
tation. » 

Après  avoir  avoué  que  le  traitement  inhumain  éprouvé  par 
le  peuple  des  campagnes  fournissait  le  prétexte  plausible  aux 
Russes  de  calomnier  la  nation  entière  ;  que  les  soldats  et  les 
nouvelles  recrues  s'étaient  souvent  plaints,  non-seulement 
de  ce  que  leurs  femmes  et  leurs  enfants  ne  recevaient  pas 
d'adoucissement  à  leur  sort,  mais  encore  qu'on  semblait  ag« 
graver  leur  situation,  comme  pour  les  punir  de  ce  que  leurs 
époux  et  leurs  pères  servaient  la  république  ;  Kosciuszko  éta- 
Uissait  que  de  pareib  procédés  ne  pouvaient  qu'être  l'effet 
de  la  mauvaise  volonté  ou  des  suggestions  de  Tdlranger,  pour 
chercher  a  refroidir,  par  ce  moyen,  Tenthousiasme  patrioti** 
que  du  peuple,  et  terminait  ainsi  :  «  Cependant,  quelque 
chose  qu'on  tasse,  Thumaniié,  la  justice,  le  bien  public  nous 
ont  indiqué  des  moyens  aussi  faciles  que  sûrs  pour  déconcer*' 
ter  ces  projets.  Publions  hautement  que  ce  nest  pas  de  cette 
époque  seulement  que  le  peuple  doit  jouir  de  la  protection 
du  gouvernimenty  mais  que  cette  protection  lui  est  assurée 


Hi  HltTOlÛ 

en  yertu  des  lois  sanctionnées  par  la  nation.  Déclarons  que 
rhomme  opprimé  a  un  refuge  assuré  auprès  de  la  commission 
du  bon  ordre  de  son  palatinat;  que  le  persécuteur  etToppres- 
seur  des  défenseurs  de  la  patrie  seront  punis  comme  ennemis 
et  comme  traîtres  à  la  patrie.  Ces  moyens^  conformes  à  la  jus- 
tice, chers  aux  âmes  sensibles  et  qui  ne  coûtent  à  Tintérêt 
personnel  d'autres  sacrifices  que  ceux  que  réclame  Tintérêt 
général^  attacheront  le  peuple  à  la  cause  commune,  et  le  ga* 
rantiront  des  pièges  de  Tennemi  : 

«  Je  recommande  danc  aux  commissions  do  bon  ordre 
dans  tous  les  palatinats  et  tous  les  districts,  de  publier  le 
règlement  suivant,  et  d'en  surveiller  ^exécution. 

«  !<"  Le  peuple,  en  vertu  de  la  loi,  jouit  de  la  protection 
du  gouvernement. 

0  2""  Chaque  paysan  est  libre  de  sa  personne  ;  il  peut  s'éta-- 
blir  où  bon  lui  plaira,  pourvu  qu'il  fasse  à  la  commission  du 
bon  ordre  de  son  palatinat  la  déclaration  du  lieu  où  il  pro- 
jette de  s'établir,  qu'il  paye  ses  dettes  s'il  en  a,  et  quMl 
acquitte  les  impositions  publiques  qu'il  devra. 

«c  S^"  Les  jours  de  travail  que  les  paysans  doivent  aux  pro- 
priétaires sonjt  réglés  de  la  manière  suivante  :  celui  qui  devait 
six  journées  par  semaine  ne  travaillera  que  pendant  quatre 
jours  y  celui  qui  devait  travailler  cinq  jours  ne  travaillera  que 
pendant  trois  ;  celui  qui  devait  trois  jours  ne  travaillera  que 
pendant  deux  ;  celui  qui  devait  deux  jours  ne  travaillera  que 
pendant  un  seul  ;  celui  qui  ne  devait  qu'un  jour  par  semaine 
ne  travaillera  qu'un  jour  en  deux  semaines;  et  soit  qu'on 
employât  une  ou  deux  personnes  pour  son  travail,  on  sera 
désormais  dispensé  de  les  employer  les  jours  où  on  aura  été 
exempté  de  travail. 

a  4<»  Ceux  qui  auront  été  requis  en  masse  sont  dispensés  de  . 
toute  corvée  pendant  le  temps  qu'ils  resteront  sous  les 


DE  LA  RÉYOIUnON  MLONAISB.  169 

armes;  ils  ne  recommenceront  à  y  être  obligés  que  de 
l'époque  où  ils  retourneront  dans  leurs  foyers. 

a  5*  Aucun  propriétaire  ne  peut  ôter  au  paysan  le  champ 
qu'il  possède,  lorsqu'il  remplit  les  obligations  qui  y  sont  at- 
tachées. Bien  plus,  les  juridictions  locales  veilleront  à  ce  que 
les  biens  de  ceux  qui  servent  la  république,  et  que  la  terre, 
qui  est  la  source  de  nos  richesses»  ne  restent  nulle  part  incul- 
tes; ce  à  quoi,  dans  chaque  village,  doivent  concourir  les 
propriétaires  et  les  paysans.  > 

Les  autres  articles  de  ce  règlement  établissaient  des  me- 
sures d'ordre  et  assuraient  la  justice. 

Pour  la  première  fois,  même  depuis  la  publication  de  la 
constitution,  Tamélioration  du  sort  du  paysan  se  trouvait 
l'objet  de  la  sollicitude  de  la  loi.  Aussi,  dans  tous  les  palali-> 
nats  en  insurrection,  cette  ordonnance  fut*elle  accueillie  par 
les  paysans  avec  enthousiasme.  Il  n'en  fut  pas  de  même  des 
nobles;  et  ce  fut  un  malheur;  car,  s'ils  éte^ient  entrés  fran- 
chement dans  les  vues  de  kosciuszko,  s'ils  avaient  favorisé  ce 
commencement  d'émancipation  des  classes  inférieures,  ils 
auraient  pu  se  trouver  lésés  dans  quelques  mesquins  intérêts, 
mais  ils  auraient  assuré  la  liberté  de  leur  patrie. 

La  levée  en  masse,  ordonnée  quelques  jours  après,  se  res- 
rentit  de  cette  fâcheuse  tiédeur,  et,  quoiqu'elle  ne  produisît 
pas  tout  ce  qu'elle  aurait  pu  produire,  il  n'en  est  pas  moins 
curieux  de  constater  par  quels  efforts  d'énergie  la  Pologne 
cherchait  à  se  relever  de  sa  chute.L'ordonnance,  à  ce  sujet, 
rappelle  une  de  ces  grandes  convulsions  politiques  dans  les- 
quelles un  peuple  peut,  par  un  dernier  sacrifice,  sauver 
parfois  son  indépendance  et  assurer  sa  liberté.  Voici  ce 
document  : 


22 


170  HltTOlU 


Lb  conseil  tuprime  n^ional  aux  citoyens  ds  la  Pologne 

et  de  la  Lilhuame. 

€  Tout  ce  qui  peut  élever  l'esprit  d'un  bomme  libre  ;  tout 
ce  qui  peut  porter  à  l'amour,  à, la  défense  de  la  patrie,  aux 
actions  héroïques,  a  été  employé  dans  les  adresses  du  chef 
général,  et  il  vous  a  donné  l'exemple  de  toutes  les  vertus. 
Confiant  dans  le  courage  de  la  nation,  il  a  irrévocablement 
lié  son  sort  au  sien  ;  il  a  bien  jugé  ses  concitoyens  en 
pensant  qu'ils  n'est  aucun  sacrifice  qu'ils  ne  fassent  avec 
joie  pour  assurer  l'intégrité,  la  liberté  et  le  salut  de  la  patrie. 

c  L'état  actuel  de  la  république  ne  permet  p]u3  de  demi- 
mesures;  ce  n'est  qu'en  employant  tous  nos  moyens  que 
nous  pouvons  reconquérir  nos  droits,  nous  faire  respecter, 
nous  garantir  de  toutes  violences  et  nous  venger  des  affronts, 
des  injures  et  du  mépris  dont  on  a  abreuvé  le  nom  polonais. 

c  Ces  sentiments  nous  ont  tait  prendre  les  armes  ;  ils  nous 
les  feront  conserver  jusqu'à  ce  que  tous  nos  droits  soient 
reconquis. 

c  L'espoir  commence  à  nous  luire;  les  ressources  natio- 
nales sont  immenses  ;  nous  avons  des  bras,  du  pain  et  du  fer. 
Nous  ferons  donc  la  guerre,  et  nous  la  ferons  avec  honneur. 

a  La  recrue  pour  l'infanterie  et  pour  la  cavalerie  élève 
à  un  nombre  formidable  les  troupes  de  la  république. 
L'armement  de  tous  les  citoyens  trs^nsforme  la  nation  en 
i  uerriers  et  prépare  en  eux  un  prompt  et  puissant  secours  à 
]'armée,  partout  où  des  circonstances  impérieuses  te  deman- 
deraient. 

a  Le  oonseil  général,  connaissant  toute  l'importance  des 
mesures  adoptées  par  le  chef  général  et  déjà  exécutées  dans 
les  palatinats  qui  se  sont  d'abord  mis  en  insurrection,  et  vou- 
lant  les  rendre  communes  à  tous  ordonne  à  toutes  les  com- 


m  LA  RÉVOLDTIOll  POLONAISX.  17i 

missions  de  bon  ordre  de  les  mettre  partout  à  exécution,  de 
la  manière  suivante  : 

«  1*  Dans  toutes  les  villes,  bourgs  et  Tillages^  on  fournira, 
par  cinq  cheminées,  une  recrue,  qui  doit  être  jeune,  sain  et 
robuste,  armé  d'un  fusil  ou  d'une  pique  longue  de  onze  pieds 
de  Pologne,  ou  d'une  fauli  droite  et  d'une  hactie;  il  sera 
pourvu  d'un  habit  tel  qu'en  portent  communément  les  pay^ 
sans,  ainsi  que  de  deux  chemises,  de  bonnes  bottes»  d'un 
bonnet  et  d'un  drap  de  lit.  On  doit  lui  fournir  du  pain^biscuit 
pour  six  jours,  et  la  solde  pour  un  mois,  moulant  à  15  florins. 

«  i"  Par  cinquante  cheminées  on  fournira  une  recrue  pour 
la  cavalerie,  qui  doit  avoir  un  cheval  du  prix  de  200  florins 
de  Polc^ne,  et  bien  monté.  Il  doit  être  armé  d'un  sabre^ 
d'une  traire  de  pistolets  et  d'une  pique. 

f  3*  Pour  pourvoir  aux  subsistances  et  aux  fourrages  des 
armées,  ks  commissions  de  bon  ordre  ordonneront  de  four- 
nir, par  chaque  cheminée,  vingt-quatre  livres  de  biscuit,  huit 
mesures  d'avoine  et  vingt-quatre  livres  de  foin. 

«  4*  Dans  tontes  les  villes,  bourgs  et  villages,  tous  les  ci- 
toyens âgés  depuis  dix-huit  jusqu'à  quarante  ans ,  seront 
armés,  autant  qu'il  sera  possible,  de  piques,  de  faulx  ou  de 
sabres.  Les  commissions  de  bon  ordre  de  chaque  palatinal  ou 
district  veilleront  à  l'exécution  de  ce  règlement. 

a  5*  Si,  dans  quelque  palatinat,  district,  ou  même  toute  la 
province,  il  est  besoin  d'une  levée  générale,  1*^  dans  toutes 
les  communes  la  moitié  seulement  des  hommes  propres  à  la 
guerre  sera  commandée;  l'autre  moitié  restera  dans  ses  foyere 
pour  s'occuper  de  la  culture  de  ses  terres  et  de  celles  de  ceux 
qui  vont  contre  l'ennemi  les  armes  à  la  main.  2<*  Les  hommes 
commandés  dans  les  communes  pour  la  levée  générale  doivent 
être  pourvus  de  subsist;mces  pour  dix  jours.  Les  propriétaires, 
avec  tous  leurs  domestiques,  doivent  se  mettre  à  la  tôte  des 


172  HUTOiaE 

paysans  de  leurs  villages.  S^»  Le  propriétaire  à  qui  Tftge^  ou 
une  fonclion  publique  ne  permettrait  pas  dVxécuter  ces 
règlements,  doit  envoyer  son  ÛIs  à  la  tête  des  paysans.  4®  Celui 
qui  serait  absent,  et  dont  le  fils  ne  serait  pas  en  fige  on  serait 
absent,  fournira  a  sa  place  deux  cavaliers,  avec  la  paie  pour 
un  mois,  et  ce,  pour  «chaque  village  qu'il  possède.  Cette  obli- 
gation concerne  les  ecclésiastiques,  puisqu'ils  sont  citoyens  et 
propriétaires  ;  de  sorte  que  les  ecclésiastiques  qui  n'ont  que 
mille  florins  de  revenu  fourniront  un  fantassin,  ceux  qui  en 
ont  deux  mille  fourniront  un  cavalier,  ceux  qui  ont  au-delà 
de  deux  mille  florins  fourniront  deux  cavaliers,  et  ce,  en 
raison  de  chaque  village  qu'ils  possèdent.  5«  Les  ci-devant 
nobles  qui  n'ont  qu'une  cheminée  doivent  aller  en  personne, 
ou  envoyer  leurs  fils  ou  leurs  frères,  sous  les  peines  décer- 
nées par  les  lois  anciennes  contre  les  nobles  qui  se  soustrayent 
à  la  levée  générale.  » 

Ce  n'est  pas  sans  dessein  que  nous  avons  donné,  avec 
quelque  étendue,  tout  ce  qui  concernait  les  paysans  en  Po- 
logne et  tous  les  efforts  faits  pour  animer  cette  sorte  d'argile 
que  la  sujétion  et  l'abrutissement  avaient  rendue  insensible  à 
tout  ce  qui,  partouiailleurs,  réveille  dans  les  âmes  des  senti- 
ments généreux.  Un  double  enseignement  devait  résulter  de 
cette  longue  exposition  :  d'abord,  que  l'insuccès  de  la  révolu- 
tion polonaise  ne  devait  avoir  d'autre  cause  que  le  peu  d'en-  ^ 
tralnement  des  masses  populairesi  qui,  dans  tout  changement 
d'état,  ne  voyaient  qu'un  changement  de  joug  ;  ensuite  que 
la  sujétion  et  l'abrutissement  du  peuple  éteignent  tellement 
tout  senUment  de  patriotisme  et  de  nationalité,  que  les  mal- 
heurs et  la  honte  de  l'invasion  et  de  la  domination  étrangère 
ne  sont  pas  même  des  stimulants  assez  puissants  pouf  le 
ranimer. 


M  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  173 


CHAPITRE  VI 
1794 


Kosciuszko  àPalanièce.  —  Manifestes  russes.  —  Déclaration  du  prési- 
dent du  conseil  national  Dombrowski.  —  Kociuszko  est  bloqué  par 
l'armée  russe  à  Palaniëce.  —  Jonction  de  Grochowski.  —  IntriguQ 
contre- révolutionnaire;  émeute  à.  Varsovie.  —  Kosciuszko  fait  punir 
les  coupables.  —  Insurrection  du  canton  de  Gheim.  —  Combat  de 
Szezecocyny.  —  Entrée  des  Prussiens  à  Cracovie.  —  Revers  succes- 
sifs des  insurgés. — Kosciuszko  se  retire  sous  Varsovie.— Arrivée  des 
années  russe  et  prussienne  sous  les  murs  de  Varsovie. 


Tous  les  efforts  de  Kosciuszko  pour  donner  une  puissante 
impulsion  à  la  nation  polonaise  y  n'amenèrent  qu'un  résultat 
presque  décourageant.  La  levée  du  cinquième ,  dans  le  pala<- 
tinat  de  Cracovie,  ne  produisit  que  deux  mille  paysans  mal  ar- 
més. Son  corps  de  troupes  alors  se  monta  à  neuf  mille  hom« 
mes;  ce  fut  avec  ces  minimes  forces  qu'il  se  porta  en  avant. 
Électrisé  par  son  patriotisme,  il  comptait  sur  un  de  ces  grands . 
miracles  que  la  Providence  permet  parfois  en  foveur  des  na- 
tionalités opprimées. 

Côtoyant  la  Vistule  qui  couvrait  son  flanc  droit ,  il  marcha 
sur  Skalmierz  au-devant  des  Russes,  qui  reculèrent  jusqu'à 


174  HISTOIRI 

Stasew^  marquant  leur  retraite  par  le  meurtre,  le  pillasfe  et 
la  licence  la  plus  effrénée ,  enlevant  les  troupeaux,  réduisant 
les  iriliages  en  cendres^  ets'efforçant  de  détruire  le  pays  qu'ils 
ne  pouvaient  pas  garder. 

Poursuivant  sans  répit  l'ennemi  qui  fuyait  devant  lui,  Eos- 
ciuszko  délivra  le  palaiinat  de  Cracovie  et  entra  sur  le  terri- 
toire de  Sandomir.  Là,  pour  que  les  travaux  de  Tagriculluro 
eussent  à  souffrir  le  moins  possible  de  cette  levée  de  boucliers, 
il  licencia  les  paysans  du  canton  de  Cracovie  qui  avaient  rem- 
pli leur  devoir  en  chassant  Teunemi  de  leur  territoire.  Ce  fut 
une  faute;  pour  les  remplacer  et  atteindre  le  même  but,  la 
levée  du  cinquième  fut  ordonnée,  il  est  vrai,  dans  le  palati- 
nat  de  Sandomir;  mais  les  propriétaires  mirent  tant  de  mau* 
vaise  volonté  dans  Texécution  de  cet  ordre,  soit  en  évacuant 
le  pays,  soit  encore  en  s'efforçant  d'étouffer  dans  Tâme  des 
paysans  les  germes  naissants  du  patriotisme,  qu'il  ne  put  pro- 
fiter des  ressources  que  lui  offrait  un  grand  palatinat  quatre 
fois  supérieur  en  étendue  à  celui  de  Cracovie.  Il  se  trouvait 
ainsi  exposé  à  avoir  à  combattre,  non-seulement  les  Russes, 
mais  encore  les  Prussiens,  qui  n'attendaient,  pour  entrer  en 
campagne,  que  la  fin  d'une  négociation  qui  se  poursuivait  à 
Saint-Pétersbourg,et  dans  laquelle  le  Cabinet  de  Berlin  tâchait 
de  se  faire  ptiyer  le  plus  cher  possible,  aux  dépens  de  la  Polo- 
gne, le  secours  et  Tappui  qu'il  accordait  en  cette  circonstancié 
à  la  Russie.  Pour  surcroit  de  malheur,  les  trois  mille  faommes 
échappés  de  Varsovie  avaient  reforcés  l'armée  russe ,  dont  le 
nombre  dépassait  alors  de  plus  de  moitié  celui  de  l'armée  po- 
lonaise. Kosciuszko  perdait  ainsi  l'espoir  de  pouvoir  chasser 
les  Russes  du  palatinat  de  Sandomir,  ce  qui  eût  peut-être  été 
une  opération  décisive;  il  se  trouvait  en  quelque  sorte  hors 
d'état  d'agir  avant  la  jonction  du  corps  de  Grocbotvski,  qui 
devenait  f6rt  problématique,  si,  profitant  de  sa  supériorité 


M  LA  BiYOLCTION  polouaisb.  175 

numérique,  Tennemi  manœuvrait  pour  empêcher  cette  réa- 
nion.  Faute  de  mieux,  il  prit  sous  Palanièce  une  forte  position 
où,  en  tout  état  de  cause ,  il  pût  tenir  longtemps.  U  assit  son 
camp  sur  une  petite  chaîne  de  monticules  formant  presque  le 
sommet  d'un  angle  dont  la  Vistule  et  une  rivière  peu  large, 
mais  profonde  qui  s^y  jetait,  formaient  les  côtés.  Son  camp 
était  ainsi  adossé  à  la  Vistule ,  ayant  le  flanc  droit  apuyé  à  la 
petite  rivière,  et  le  gauche  protégé  par  un  bois.  Au  confluent 
des  deux  ea^ix,  un  ancien  retranchement  dominait  la  plaine 
dont  la  rivière  était  bordée;  Kosciusad^o  y  établit  une  batterie. 
Pour  ajouter  à  ces  défenses  naturelles,  il  couvrit  tout  le  front 
de  son  camp  de  trois  rangs  de  batteries  et  de  redoutes  palis- 
sadées.  ' 

A  peine  avait-il  achevé  ces  dispositions,  que  les  Russes  paru- 
rent et  firent  mine  de  vouloir  Tuttaquer.  En  effet,  dès  le  len- 
demain, après  avoir  reconnu  que  le  front  et  la  droite  du  camp 
polonais  étaient  presque  inattaquables,  ils  tournèrent  d^abord 
tous  leurs  efforts  vers  la  gauche.  Hais  vigoureusement  repous- 
sés à  plusieurs  reprises,  ils  se  contentèrent  de  prendre  posi- 
tion à  quelque  distance,  tenant  ainsi,  en  quelque  sorte,  Tar- 
mée  polonaise  bloquée. 

Après  quelques  jours  dinnction,  n'ayant  pu  parvenir  à  en- 
tamer cette  armée  ainsi  fortifiée,  ils  se  vengèrent  sur  les  bourgs 
et  villages  des  environs,  pillant,  tuant,  incendiant,  portant 
partout  la  désolation  et  la  mort,  et  faisant  une  véritable  guerre 
de  barbares.  En  même  temps  Catherine,  pour  pallier  toutes 
ses  infamies  aux  yeux  de  l'Europe,  et  paralyser  autant  que 
possible  les  forces  de  la  Pologne,  inondait  le  pays  de  mani- 
festes où  elle  promettait,  non-seulement  sûreté,  protection  et 
défense,  à  ceux  qui  s'abstiendraient  de  prendre  part  au  mou- 
vement, mais  encore  faisait  les  plus  belles  promesses  aux  pay- 
sans des  campagnes.  Elle  atteignait  le  double  but  de  couvrir 


176  HISTOIRE 

sa  cruauté  du  masque  de  la  philanthropie,  et  de  cacher  son 
ambition  sous  celui  de  la  sollicitude.  Le  document  suivant, 
publié  à  cette  époque,  révèle,  plus  que  tout  ce  qu'on  pourrait 
dire,  la  duplicité  de  cette  politique. 

«  En  réponse  aux  déclarations  de  la  Russie,  écrivait  le  pré- 
sident du  conseil  national,  Dombrowski  (27  juin  1791),  on  a 
vu  paraître,  dans  les  derniers  jours  de  cette  année,  plusieurs 
manifestes  que  les  généraux  russes  Nicolas  Repnin  et  Sergius 
Galitzin  ont  publié  à  leur  entrée  sur  les  frontières  de  Lilhua- 
nie  et  de  Pologne.  Toutes  ces  pièces  sont  marquées  au  coin  de 
la  mauvaise  foi  et  de  Timpudence.  Depuis  que  la  Russie  met 
à  exécution  ses  plans  d'invasion  dans  les  contrées  polonaises, 
elle  est  dans  Tusage  de  faire  précéder  ses  actes  d'hostilité  par 
des  écrits  calomnieux.  Au  moment  où,  sous  les  auspices  de 
Thadée  Kosciuszko ,  la  nation  entière  s'elTorce  de  secouer  le 
joug  de  la  servitude  étrangère,  désignée  sous  les  noms  hypo- 
crites de  garantie  et  d'alliance ,  les  généraux  russes  ne  man- 
quent pas  de  donner  celui  de  réTolte  à  une  insurrection  légale 
de  tout  un  peuple.  Les  amis  de  la  patrie  sont  dénoncés,  pro- 
clamés comme  traîtres.  La  conduite  vraiment  louable  de  la 
ville  de  Wilna,  et  plus  encore  celle  de  Varsovie ,  a  été ,  selon 
eux,  un  attentat  criminel  aux  droits  des  nations,  et  ces  deux 
cites  sont  peintes  comme  ayant  porté  la  rébellion  àson  comble. 
Les  Russes  traitent  les  Polonais  de  rebelles,  comme  s'ils  étaient 
sujets  de  la  Russie. 

«  Mais  est-ce  à  la  Russie  qu'il  convient  de  les  taxer  de  trahi- 
son, elle  qui,  après  avoir  ourdi  les  plus  audacieuses  trames,  a 
violé,  la  première,  ces  traités  que  la  force  nous  avait  fait  sous- 
crire, que  nous  détestions,  et  que  l'Europe  scandalisée  repous- 
sait? L'Impératrice  est-elle  bien  venue  à  invoquer  les  droits  des 
nations,  elle  qui  envoie  en  Pologne,  comme  si  c'était  dans  ses 
pays  héréditaires,  des  gouverneurs  despotiques ,  de  vrais  en- 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  17? 

nemis,  sous  les  noms  spécieux  d'ambassadearstSont-oelàdas 
médiateurs  dignes  de  confiance^  des  ministres  de  paix? 

a  Qu'on  ne  s'y  trompe  pasi  le  vrai  but  que  se  propose  notre 
pervers  ennemi ,  en  noircissant  la  nation  dont  il  veut  punir 
la  noble  résistance,  est»  à  la  faveur  de  ses  déclarations^  d'a- 
mortir dans  les  fimes  Tardeur  du  patiotisme^  Ténergie  natu- 
relle aux  Polonais,  et  de  rendre  nulle  la  force  nationale.  Aus* 
si^  invite«t-il  traîtreusement  une  partie  d'entre  nous  à  rester 
tranquilles  et  indifférents^  afln  de  pouvoir  plus  aisément  ter-  • 
rasser  les  autres^  et  subjuguer  la  nation  entière.  » 

Dans  ces  protestations  officielles  des  patriotes,  on  saisit,  dans 
leur  ensemble,  toutes  les  nuances  de  Tastuciense  politique  de 
la  Russie  pour  atteindre  à  ses  fins. 

Kosciuszko,  cependant,  desoncamp  où  les  Russes  le  tenaient 
bloqué,  pouvait  voir  toutes  les  nuits  les  incendies  des  vil- 
lages que  les  Russes  multipliaient  autour  de.  lui.  L^horreur 
que  lui  inspirait  le  spectacle  de  cette  sauvage  manière  de  faire 
la  guerre  faillit  plus  d'pne  fois  déconcerter  sa  prudence,  et  le 
décider  à  aller  attaquer  les  Russes,  malgré  Tinfériorité  de  ses 
forces,  lorsqu^il  fut  rejoint  par  Grochowski  •  Fort  alors  de  quinze 
mille  hommes,  il  quitta  sa  position  de  Palanièce,  offrit  le  com- 
bat aux  Russes,  qui,  ne  se  trouvant  qu'en  force  égale,  ne  l'at- 
tendirent pas.  Il  se  lança  à  leur  poursuite,  mais  sans  pouvoir 
jamais  les  amener  à  combattre.  Ce  fut  dans  ce  moment  qu'il 
fut  rejoint  par  Joseph  Poniatowski,  Casimir  Sapieha,  ex-géné* 
rai  d'artillerie  deLithuanie,  et  d'autres  personnages  éminents, 
qui  demandèrent  à  servir  sous  ses  ordres  comme  volontaires; 
abnégation  patriotique  qui  honorait  à  la  fois  la  vertu 
de  celui  qui  l'inspirait  et  le  mérite  de  ceux  qui  s'y  rési- 
gnaient. 

Pendant  que  les  uns  donnaient  à  la  cause  nationale  des 
sentiments  de  sympathie  si  prononcés,  d'autres  mettaient  ^ 

23 


171  HISTOIBS 

tout  en  œsTre  pour  paralyser  les  efforts  généreux  de  ces 
Ames  d'élite  qui  voulaient  arracher  leur  patrie  au  joug  de 
l'étranger.  Varsovie  était  le  foyer  de  ces  intrigues  et  de  ces 
complots  ;  le  roi  en  était  le  principal  instigateur.  Kosciuszko 
ne  tarda  pas  à  acquérir  la  certitude  que  les  plus  grandie  dif- 
ficultés qu'il  éprouvait  provenaient  du  mauvais  vouloir  de  la 
cour  et  du  roi»  dont  TinQuence  sur  le  conseil  provisoire  était 
sensible  en  tout.  Ainsi,  par  exemple,  les  hommes  les  plus 
ostensiblement  connus  pour  être  attachés  au  parti  russe, 
quoique  arrêtés  depuis  longtemps^  n'avaient  été  ni  interrogés 
ni  Jugés.  Au  lieu  de  quarante  mille  recrues  que  devaient 
fournir  les  palatinata  de  Lublin,  de  liasovie,  de  PodlachiOi 
assez  disposés  du  reste  à  sVxécuter»  on  en  avait  à  peine  trois 
mille  de  rassemblées  ;  puis»  l'approvisionnement  des  vivres 
était  fort  négligé,  et  une  disette  était  imminente  à  Varsovie, 
Les  patriotesi  en  relafioo  avec  Kosciuszko,  ne  lui  cachaient 
pa^  les  inquiétudes  que  leur  causait  un  mauvais  vouloir  qui 
9e  trahissait  eu  tout  et  pour  tout. 

La  situation  du  roi,  relativement  aux  insurgés,  était,  du 
irestet  fort  délicate  et  fort  embarrassaoie.  L'espèce  d'unani- 
mité qu'avait  trouvée  rinsurrectioUi  soit  dans  les  classes 
populaires,  soit  dans  l'armée,  ne  permettait  plus  au  roi  de  se 
^ser  en  intraitableopposant.  Sou  opposition  ostensible  n'était 
que  de  pure  forme»  et  n'ayaot  plus  les  troupes  russes  pour  le 
soutenir,  il  lui  eût,  du  reste,  été  difûcile  d'en  taire  d'une  autre 
espèce.  Quant  aux  insurgés,  l'incapacité  du  roi  dans  une  cir- 
constance aussi  difficile,  sa  pusillanimité  naturelle  pour  cer- 
taines choses,  sa  nullilé  pour  d'autres,  en  faisait  un  véritable 
embarras  pour  eux.  Littéralement,  ils  ne  savaient  que  faire 
d'un  prince  qui  n'était  ni  guerrier,  ni  homme  d'Etat  daas  un 
pareil  moment,  liais  si,  d'une  part,  leur  faiblesse  actuelle, 
jointe  à  d'atttre0  considérations  politiques,  les  forçait  à  user 


BB  LA  BÉTOLimOlf  MI0NAI8K.  179 

de  ménagement  avec  lui,  de  Tantre,  ils  risquaient  de  compro- 
mettre  la  chose  pnbllqne  en  lui  laissant  trop  de  liberté. 

Stanislas  voyait  sans  peine  combien  était  fausse  sa  situa- 
tion; aussi,  depuis  la  proclamation  qui,  avant  la  bataille  de 
Varsovie,  lui  avait  été  arrachi^e  par  le  parti  russe,  tftchaif-il 
de  s'efTacer  le  plus  qu'il  pouvait.  Il  favorisait  en  cachetlb  les 
intrigues  des  ennemis  de  Tinsurrection,  et  ostensiblement  se 
bornait  à  blâmer  Topportunité  d'une  levée  de  boucliers,  dont 
les  désastres  inévitables  prouveraient  la  foliades  insurgés  et 
sa  sagesse.  Les  elTorts  des  derniers  pour  sauver  la  patrie^ 
comparés  à  Tindifférence  ou  à  la  pusillanimité  du  monarque, 
formaient  ainsi  un  assez  saillant  contraste. 

Pour  paralyser  tout  mauvais  vouloir  de  ce  c6té, Kosciuszko, 
aux  termes  de  Tacte  d'insurrection,  procéda  immédiatement 
à  la  nomination  du  conseil  national.  Il  en  fixa  la  résidence 
dans  la  capitale.  Ignace  Potocki  et  Kolontay,  en  qui  il  avait 
mis  toute  sa  confiance,  en  firent  partie  ;  Orloveski,  homme 
honnête  et  probe,  remplaça  Mockronowski  dans  le  comman- 
dement de  Varsovie. 

En  parant,  par  cette  mesure,  à  quelques  embarras  du  mo« 
ment,  Kosciuszko  s'en  créa  d^autres.  La  fermeté,  rintégrtté 
des  membres  qui  allaient  composer  le  conseil  national  rem- 
plirent la  cour  d'effroi.  Ignace  Potocki,  Kolontay  surtout,  dont 
l'ascendant  et  l'inflexibilité  de  caractère  promettaient  de  re- 
pousser toutes  les  séductions,  furent  en  butte  aux  attaques  les 
moins  méritées,  aux  calomnies  les  plus  injustes.  On  disait  que 
le  dernier  regardait  la  noblesse  comme  une  pépinière,  tou- 
jours renaissante,  de  tyrans;  qu'il  croyait  que  la  terre  était 
une  propriété  publique  et  non  une  propriété  particulière,  et 
qu'il  se  proposait  de  niveler  tout  en  Pologne  comme  le 
comité  de  salut  public  en  France. 

Ces  insinuations,  jointes  à  une  recrudescence  d'intrigues, 


180  BisroniB    , 

porlàrent  leur  fruit.  Les  principaux  habitants  de  Varsovie  dé- 
clarèrent qu'en  établissant  un  conseil  national  sans  les  avoir 
consultés  sur  le  choix  des  membres,  Kosciuszko  avait  lésé 
leurs  droits.  Us  lui  envo^èrent^  à  cet  effet,  une  députation 
*  chargée  de  lui  faire  leurs  remontrances^  et  de  lui  remettre 
une  liste  des  personnes  qu'ils  désiraient  pour  conseillers. 
Cette  résistance  inattendue  causa  un  véritable  embarras  à 
Kosciuszko,  qui  se  trouvait  ainsi  exposé  à  une  imputation  de 
despotisme  s'il  soutenait  sa  première  décision^  et  à  compro- 
mettre la  chose  publique  s'il  cédait  à  Timportunité  des  repré- 
sentations. Pour  obvier  à  ces  deux  inconvénients^  il  ajouta  au 
nombre  des  conseillers  qu'il  venait  de  nommer,  ceux  qft'on 
lui  présentait  de  la  part  des  habitants  de  Varsovie,  et  ouvrit 
ainsi  une  large  porte  à  tous  les  cabaleurs  de  la  cour. 

Celte  impolitique  concession  eut  un  fâcheux  résultat  :  la 
méfiance  s'empara  des  esprits,  la  concorde  disparut,  la  guerre 
d'opinions  éclata.  Intriguant,  criant,  s'accusant  les  uns  les 
autres,  les  Polonais  ajoutèrent  une  nouvelle  source  d'infortu- 
nes à  celle  des  infortunes  publiques.  Le  parti  de  la  cour  et  le 
parti  russe,  par  d'incessantes  et  sourdes  insinuations,  par  des 
artifices  de  toute  espèce,  s^appliquèrent  à  détruire  le  peu  d'u- 
nion qui  régnait  parmi  les  patriotes,  sûrs,  par  ce  moyen,  de 
miner  leur  puissance.  Ces  funestes  agitations  sans  termes  et 
sans  bornes,  réagissaient  sur  tout,  sur  le  choix  des  généraux^ 
sur  la  levée  des  impôts,  sur  les  mesures  administratives,  et 
principalement  sur  le  jugement  des  factieux  du  parti  russe, 
iccusés  de  trahison.  Tous  ces  mauvais  vouloirs,  toutes  ces 
lenteurs  calculées  ne  servaient  qu'à  éterniser  les  discussions 
H  les  haines.  Il  s'ensuivit  une  de  ces  fermentations  populaires 
A>ujours  déplorables,  quand  elles  se  terminent  par  l'effusion 
du  sang. 

Voici  quel  en  fut  le  prétexte  : 


«DE  LA  BÉYOLUTION  POLONAISE.  181 

Des  accusés  politiques^  compromis  dans  les  Tiolences  de  la 
faction  russe,  attendaient,  en  prison,  leur  mise  en  jugement. 
L'assemblée  à  laquelle  il  appartenait  de  les  juger»  arrêtée  par 
les  formes  lentes  de  la  justice,  n'allait  pas  assez  vite  au  gré  de 
l'impatience  populaire.  Les  plus  ardents  et  les  plus  exaltéa* 
d'entre  les  patriotes,  accusèrent  de  trahison  les  autorités  con* 
sti tuées*  Quelques  jeunes  gens,  profitant  du  mécontentement 
du  peuple,  cherchèrent  à  pousser  à  bout  sa  patience.  On  s'at- 
troupa, on  demanda  la  mort  des  accusés  ;  la  prison  fut 
enfoncée,  les  accusés,  arrachés  avec  violence,  furent  impi- 
toyablement  traînés  dans  les  rues,  la  corde  au  cou,  et  quel* 
gues-uns  d'entre  eux  furent  pendus.  Un  prince  Czetwertinski, 
la  prince  Massalski,  évêque  de  Wilna,  Moszinski,  et  un  avocat 
de  Varsovie,  nommé  Yolfers,  furent  les  premières  victimes. 

Ce  fut  la  première  et  la  seule  tache  de  sang  dont  fut  souillée 
la  cause  de  la  liberté  à  Varsovie.  Kosciuszko  se  montra  inexo- 
rable :  dès  que  le  président  du  conseil  national  lui  eût  donné 
connaissance  de  ce  tumulte,  il  ordonna  d'en  punir  sévère- 
ment les  auteurs  et  moteurs.  Cet  ordre,  qui  annonçait  une 
de  ces  âmes  si  rares  en  temps  de  révolution,  et  décidées  i 
lutter  contre  les  passions  trop  ardentes  des  partis,  eut  pour 
double  résultat  d'imprimer  la  terreur  dans  Tesprit  du  peuple, 
et  de  relever  le  courage  des  royalistes.  La  morale  y  gagna, 
mais  le  parti  patriote  y  perdit. 

Vers  ce  même  temps  (juin  1791),  le  canton  de  Ghelm  fit 
acte  d'adhésion  à  l'insurrection,  au  moment  môme  où  un 
corps  russe  de  six  mille  hommes,  commandé  par  Zagraysl^i, 
s'avançait  de  ce  côté.  Les  moyens  de  défense  de  cette  pro* 
vince  étaient  à  peu  près  nuls.  Il  importait  cependant  de  la 
soutenir,  pour  ne  pas  décourager  celles  qui  seraient  ientées 
de  suivre  son  exemple.  Détachant,  à  cet  effet,  le  général  We- 
delsztet,  avec  deux  mille  hommes,  le  chef  général  y  dépêcha 


182  HOTOIU 

le  colonel  Chomentoskf,  officier  ptef n  de  talent  et  de  pntrfo- 
tisme,  chargé  d'aller  presser,  dans  ces  provinces,  la  levée 
générale  des  paysans;  mais  il  n^en  reçut  qu^une  réponse  dé- 
courageante, a  Les  membres  des  autorités  consliluées  dans 
ces  provinces,  lui  écrivit  Chomentoski,  sont  tout  à  fait  étran- 
gers à  Tesprit  révolutionnaire.  Ces  autorités  ne  prennent  que 
des  mesures  lentes  et  inefficaces,  elles  ne  répondent  ni  au 
zèle  patriotique  qu'on  leur  supposait,  ni  aux  circonstances 
embarrassantes  où  Ton  se  trouve.  Rien  n'y  est  préparé  ni  pour 
la  défense  du  pays,  ni  pour  la  subsistance  de  Tarmée  qui  doit 
7  venir;  non-seulement  on  y  vit  avec  autant  de  sécurité 
qu'en  temps  de  paix,  mais  on  y  a  accueilli  la  proposition  de 
la  levée  générale  comme  un  acte  attentatoire  à  la  liberté.  On 
doit  naturellement  en  conclure  que  les  nobles  de  Lublin, 
dont  rinciyisme  est  notoire,  n'ont  adhéré  à  Tinsurrection  que 
dans  la  crainte  d'être  traités  en  ennemis  de  la  patrie.  A  moins 
d'employer  contre  eux  des  voies  de  rigueur,  il  n*y  a  rien  i 
espérer  d'eux.  » 

Ainsi,  partout  mal  secondé,  Kosciuszko  était  obligé  de  faire 
tace  à  tout.  Il  expédia  Zajonczek  à  Chelm  et  Lublin,  pour 
pourvoir  à  leur  défense  ;  comptant  sur  la  fermeté,  l'ardeur 
et  le  patriotisme  de  ce  général,  il  espéra  qu'il  pourrait  venir 
à  bout  de  l'entreprise  difficile  dont  il  le  chargeait.  En  mdni« 
temps,  il  employa  Michel  Wialorski  à  soutenir  la  guerre  en 
Lithuanie,  et  confia  à  Mokrovrowski  le  commandement  d'un 
corps  de  quatre  mille  hommes,  dans  le  palatinat  de  Ravra. 

Dans  les  premiers  jours  de  juin,  il  atteignit  enfin  les  Russef  ' 
sous  Szezecoeyny,  bourg  situé  aux  confins  des  palatinats  A  ' 
Siradie  et  de  Cracovie.  L'armée  russe  était  de  quatorze  mill^ 
hommes;  mais^  près  de  là,  à  moins  d'une  marche,  était  le  ro! 
de  Prusse,  avec  une  armée  de  vingt-quatre  mille  hommes. 
Mal  servi,  ou  peutrétre  même  trahi  par  ses  espions,  Kociuitko 


DB  LA  RÉYOLOnOH  POtORAISI.  183 

ignorait  entièrement  cette  dernière  circonstance.  Quoique  in* 
férieur  en  nombre  aux  Russes^  loin  d^éviter  le  combat,  il  l'en- 
gagea le  8  juin.  Dès  le  premier  choc^  l'armée  polonaise,  élec- 
trisée  par  Texemple  de  son  général»  rompit  la  cavalerie  des 
Russes,  entama  leur  infanterie,  et  s'empara  de  dix  pièces  de 
canon.  Hais^  au  moment  où  les  Russes  pliaient  de  toutes  parts» 
le  roi  de  Prusse  parut  avec  ses  vingt-quatre  mille  hommes^ 
entama  Faction  par  une  canonnade  terrible;  foudroyée  sur 
tout  son  front  par  ce  nouvel  assaillant,  criblée  de  boulets  et 
de  mitraille»  au  moment  où  la  victoire  s'était  décidée  en  sa 
faveur»  Tarmée  polonaise  plia  et  se  rompit;  Kosciuszko  or- 
donna la, retraite;  mais  les  insurgés»  assaillis  à  la  fois  par  les 
troupes  fraîches  du  roi  de  Prusse  et  par  les  Russes  qui,  s'é* 
tant  ralliés»  étaient  revenus  à  la  charge»  furent  mis  en  déroute 
complète,  Ils  perdirent»  dans  cette  action,  plus  de  huit  cents 
hommes,  deux  généraux,  Wadycki  et  Grochowski,  un  grand 
nombre  d'officiers»  et  huit  pièces  de  canon.  Kosciuszko,  qui, 
i  plusieurs  reprises»  s'était  jeté  dans  la  mêlée»  faillit  y  périr» 
il  eut  deux  chevaux  tués  sous  lui.  Un  moment  il  s'était  trouvé 
tellement  entouré»  que  ses  troupes  ne  purent  le  dégager  que 
par  un  de  ces  grands  efforts  de  courage  que  le  succès  ne  cou* 
ronne  pas  toujours. 

La  perte  de  cette  bataille  entraînait  celle  de  Cracovie.  En- 
tourée d'une  mauvaise  muraille»  n'ayant»  pour  moyens  de  dé- 
fense» que  dix  pièces  de  canon»  en  fort  mauvais  état,  et  pour 
garnison  que  de  nouvelles  levées  armées  de  faulx,  elle  ne 
pouvait  résister  à  une  armée  victorieuse.  Avant  de  s'éloigner 
de  cette  ville»  Kosciuskzo  comptait,  du  reste»  tellement  peu 
sur  la  possibilité  de  sa  résistance»  qu'il  avait  donné,  par  écrit, 
au  commandant  Wiiiiaski»  l'oidrede  remettre  en  dépôt  la 
place  aux  Autrichiens,  si  les  Prussiens  venaient  Taltaquer. 
Cet  ordre  était  cacheté^  et  Winiaski  ne  devait  l'ouvrir  que 


184  Hnrtomx 

daqs  le  cas  où  il  serait  menacé  d'un  siège.  Ayant  décacheté 
le  pli  à  rapproche  des  Prussiens^  il  fit  part  au  commandant 
autrichien,  sur  la  frontière,  de  l'ordre  dont  il  était  portear  ; 
mais  comme  c'était  là  un  cas  non  prévu,  le  commandant  n'osa 
rien  prendre  sur  lui,  et  en  référa  à  Vienne.  Dans  Tintervalle 
qui  s'écoula  entre  cette  communication  et  la  réponse,  les 
Prussiens  parurent  sous  les  murs  de  la  place.  Ils  étaient  deux 
mille  à  peine,  n'ayant  ni  canons,  ni  matériel  de  siège  ;  et  à  la 
première  sommation,  Winiaski,  qui  aurait  pu  la  défendre, 
livra  la  place.  La  garnison,  avec  armes  et  bagages,  se  retira 
en  Gallicie,  et  la  ville  qui,  la  première,  avait  proclamé  Tin- 
surrection  du  24  mars,  tomba  au  pouvoir  des  Prussiens.  Le 
peuple,  qui,  enorgueilli  par  ses  premiers  succès,  s'attendait 
chaque  jour  à  de  nouvelles  victoires,  et  croyait  les  troupes 
polonaises  invincibles,  accusa  Winiaski  de  trahison ,  et  ne 
cessa  de  l'abreuver,  dans  la  suite,  de  calomnies  qui  paraissent, 
du  reste,  peu  méritées.  Dans  ces  moments  d'eflervescence, 
tout  échec  est  considéré  comme  une  trahison  ;  et  le  général 
qui  est  toujours  heurpux  peut  seul  se  croire  à  l'abri  des  re* 
proches  et  des  calomnies  populaires.  C'est  ainsi  qu'Annibal, 
vaincu  après  dix  années  de  succès,  fut  accusé  de  félonie  par4e 
peuple  de  Cartbage  I 

A  ces  revers  ne  tardèrent  pas  à  s'en  joindre  d'autres.  Du 
côté  de  Ghelm,  où  Kosciuszko  avait  expédié  ZajoncsEek,  le  mal 
était  beaucoup  plus  grand  qu'on  ne  l'avait  cru  d'abord.  Un 
corps  russe,  fort  de  cinq  mille  hommes,  avait  traversé  le  Bug , 
sous  les  yeux  même  de  l'armée  polonaise,  et  avait  pris  posi- 
tion sur  la  rive  droite,  prêt  à  faire  sa  jonction  avec  un  autre 
corps  de  six  mille  hommes  commandé  par  le  général  Derfeld.  I 
A  ces  dix  mille  combattants,  les  Polonais  avaient  à  opposer 
trois  mille  cinq  cents  hommes  de  vieilles  troupes  et  deux 
mille  recrues.  Un  canon  de  12  et  cinq  de  6  composaient  toute 


DB  LA  RiTOLUnON  POLONAIS!.  185 

leur  artillerie.  Vs  avaient,  en'  outre,  il  est  Traii  quatorze 
pièces  de  t>ataille;  mais  sur  ce  nombre,  cinq  seulement  en 
cuivre  étaient  en  état  de  service.  Les  autres,  en  fer,  et  en« 
levées  dans  les  différents  monastères ,  taisaient  seulement 
nombre.  On  les  traînait  à  la  suite  de  Tarmée  pour  tromper  la 
crédulité  du  soldat  et  Tentretenir  dans  la  persuasion  que  Ton 
avait  des  forces  suffisantes.  On  avait,  en  outre,  si  peu.  préparé 
dans  ce  district  la  levée  des  paysans,  qu'on  n'avait  pas  seule- 
ment encore  expédié  les  universaux  qui  contenaient  Tordre 
d'y  procéder.  Les  nobles,  du  reste,  qui  répugnaient  à  cette 
mesure,  disaient  hautement  partout  que  la  levée  des  paysans 
était  une  précaution  superflue;  que  les  Russes,  n'ayant  que 
peu  d'artillerie,  éprouvaient  les  plus  vives  alarmes,  et  que  les 
Polonais  n'avaient  qu'à  se  présenter  pour  les  vaincre.  Ces  in- 
sinuations eurent  pour  double  résultat  d'arrêter,  d'une  part, 
totalement  la  levée  des  paysans,  ce  qui  était  très-fftcbeux,  et, 
de  l'autre,  d'inspirer  à  l'armée  et  au  peuple  une  incroyable 
confiance. 

Les  généraux  polonais  seuls  connaissaient  ce  qu'avait  de 
critique  leur  situation.  Us  n'avaient  que  peu  de  jours  pour 
prévenir  la  jonction  des  deux  armées  russes,  composées  de 
vétérans  aguerris,  tandis  que  la  leur  consistait,  en  partie,  en 
recrues  mal  armées,  promptes  à  se  décourager  facilement  et 
a  se  débander.  Us  manquaient  d'équipages  de  pont  pour  faci- 
liter leurs  mouvements»  soit  en  avant  du  second  corps  russe 
qui  arrivait  pour  soutenir  le  premier,  soit  contre  celui  qui, 
ayant  passé  en  partie  le  Bug  sous  Dubienl^a,  s'était  depuis 
lors  imprudemment  maintenu  à  cheval  sur  le  fleuve.  Les 
chefs  polonais  tinrent  conseil,  et,  persuadés  que,  vu  la  dis- 
position des  esprits  dans  le  pays,  le  parti  de  la  retraite  expo- 
serait les  troupes  et  le  commandant  au  blâme  général,  qu'on 
leur  pardonnerait  plutôt  d'être  battus  que  de  s'être  retirés 

24 


186  HiOToraB 

âYant  d'en  £tre  Tenus  aux  mains,  ils  se  décidèrent  à  attaquer 
les  Russes  a^ant  leur  jonction.  Un  plan  d'attnque  fut  corn- 
biné.  Or  devait  simultanément  attaquer  les  fractions  du  corps 
russe  qui  se  tenait  posté  sur  les  deux  rives  du  fleuve.  Hais 
cette  opération^  qui  offrait  quelques  chances  de  succès^  se 
borna  à  une  simple  démonstration.  Les  généraux  Z;ijonczek 
et  Wedeisztet,  qui  en  étaient  chargés,  ne  purent  l'exécuter, 
soit  faute  d'équipage  de  pont,  soit  pour  avoir  mal  pris  leurs 
mesures.  Pendant  ce  temps,  les  deux  corps  russes  opérèrent 
leur  jonction,  et  il  ne  resta  aux  corps  polonais  d'autre  res- 
source que  de  prendre  une  bonne  position  et  d'y  attendre  l'at- 
taque. Le  pays  plat  et  marécageux  où  ils  se  trouvaient  n'en 
offrant  aucune  de  bien  favorable,  ils  choisirent  celle  de  Chelm 
et  y  marchèrent. 

Chelm  est  situé  sur  une  montagne  qui  s'élève  en  plateau. 
Cette  ville  domine  une  plaine  immense,  seulement  interrom- 
pue par  deux  montagnes  parallèles  qui  la  traversent  et  qui 
s'étendent  en  long  à  plus  de  deux  mille  pas.  Un  chemin  qui 
mène  de  Chelm  à  Dubienka  passe  entre  ces  deux  montagnes. 
Celle  qui  est  à  droite  du  chemin  est  terminée  par  un  bois 
qui  touche,  par  sa  droite,  au  marais  ;  celle  de  la  gauche  do- 
mine la  plaine  et  le  chemin  de  Serebriszeze.  Des  marais 
fangeux  entourent  le  reste  de  la  position,  ainsi  que  la  Tille. 
Zajonczek,  ayant  occupé  ces  deux  montagnes,  flt  éleTer  une 
redoute  sur  celle  de  la  gauche,  et  y  plaça  le  colonel  Chomen- 
towski  aTec  trois  bataillons.  11  rangea  le  reste  de  sa  division 
sur  Tautre,  et  garnit  le  bois  de  chasseurs.  Entre  le  bois  et  le 
marais  qui  couvrait  sa  droite,  il  plaça  le  corps  de  Wedelsztet.< 
A  une  demi-lieue  à  la  droite  de  Chelm,  était  une  assez  bonne 
position,  d'où,  en  cas  d'attaqne,  on  pouvait  tourner  Tennerai 
ou  le  prendre  en  flaoc  ;  il  y  plaça  Ozazowski  avec  quatre  cents 
hommes  d'infanterie  et  autant  de  cavalerie. 


DB  LA  liYOLCTION  POLONAISB.  187 

Cette  disposition  des  troupes  formait^  rensemble  d'une 
combinaison  bien  raisonnée.  En  effet,  si  l'ennemi  commen- 
çait par  Tattaque  d'une  seule  de cfss montagnes,  il  pouvaitélre 
prison  flanc  ou  à  revers  par  les  troupes  placées  sur  Vautre. 
S'il  les  attaquait  ton  tes  les  deux  à  la  fois,  il  prétait  le  flanc  à  la 
division  de  Wedeisztet,  qui^  de  son  côté^  a^ant  la  droite  et 
une  partie  de  son  front  couvertes  par  les  marais»  ne  pouvait 
être  attaquée  que  par  sa  gauche,  protégée  elle-même  par  le 
bois. 

Le  10  juin,  les  Russes  parurent  en  face  de  Tarmée  polo- 
naise, et  aucune  des  prévisions  de  Zajoncsek  ne  se  réalisa. 
An  lieu  d'attaquer  une  des  deux  montagnes  ou  tontes  les 
deuX;  ils  se  bornèrent  à  mettre  en  balterie  vingt^huit  pièces 
de  gros  calibre,  dix-huit  obusiers,  quarante  canons  de  ba- 
taille; et,  depuis  deux  heures  de  Taprès-midi  jusqu'à  sept 
heures  du  soir,  ils  canonnërent  l'armée  polonaise.  Ecrasés  par 
cette  formidable  artillerie,  les  Polonais  manquèrent  d'audace 
pour  attaquer.  Quoique  le  feu  de  leur  artillerie  eût  été  promp- 
tement  éteint  par  le  feu  de  Tartillerie  russe,  ils  ne  s'ébran- 
laient cependant  pasencore,  lorsque  le  colonel  Cbomentoirski^ 
qui  défendait  la  montagne  de  la  gauche»  ayant  eu  la  tète  em- 
portée par  un  boulet  de  canon,  la  troupe  qu'il  commandait, 
découragée  par  celle  mort,  quitta  son  poste  avec  confusion, 
poursuivie  Tépée  dans  les  reins  par  la  cavalerie  de  la  droite 
des  Russes» 

A  la  vue  de  ce  mouvement  de  la  gauche,  MTedelsztet  crut 
que  la  retraite  était  commandée  et  commença  la  sienne. 
Ozazowski,  supposant  que  tout  éta  tflni,  suivit  Wedeisztet.  Za- 
jonczfk,  découvert  alors  de  toutes  parts,  n'ajaùt  pu  rétablir 
les  bataillons  rompus,  com^manda  la  retraite  en  essayant  de 
la  couvrir  avec  deux  bataillons  d'infanterie  et  un  régiment  de 
eavaiei  je.  Mais  pendant  que  les  insurgés  s'éloignaient  et  que 


188  HI8T0IU 

les  deux  lignes  russes  avançaient  en  faisant  feu^  un  des  che- 
Taux  d'artillerie,  en  s'abattant^  arrêta  toute  la  file  de  canons 
polonais.  La  cavalerie  ennemie  fit  une  charge  à  fond^  et  il 
7  eut  un  moment  de  désordre  qui  faillit  changer  le  retraite  en 
déroute.  L'armée  polonaise^  poursuivie  jusqu'à  Ghelm,  tra- 
versa la  ville  sans  s'arrêter^  après  avoir  perdu  quatre  cents 
hommes  tués,  autant  de  pris  et  six  pièces  de  canon. 

Avec  son  corps  d'armée  délabré,  sans  avoir,  en  quelque 
sorte,  combattu,  Zajonczek  se  replia  sur  Krasnipstaw,  de  là 
sur  Lublin,  prit  enfin  position  à  Kurow,  où  il  passa  la  Yistule 
à  la  suite  d'une  insubordination  de  ses  troupes.  Par  suite  de 
ce  mouvement  rétrograde  de  l'armée  polonaise,  les  Russes, 
maîtres  de  la  rive  droite  du  fleuve^  purent  alors  s'avancer 
vers  Varsovie. 

Kosciuszko,  dans  le  palatinat  de  Sandomir,  n'était  pas  dans 
une  situation  plus  brillante  que  Zajonczek  dans  les  districts  de 
Ghelm  et  de  Lublin.  Mal  secondé  de  toutes  parts,  rarement 
obéi  comme  il  aurait  dû  l'être,  grâce  à  la  mauvaise  volonté 
ou  à  l'inexpérience  des  chefs,  mal  instruit  des  forces  des  dif- 
férents corps  de  Tarmée,  forcé  de  dépendre  du  caprice  ou  de 
l'ignorance  de  subalternes  indisciplinés,  dépourvu  de  subsis- 
tances, sans  officiers  habiles,  le  chef  général  commençait 
alors  à  désespérer  de  la  cause  qu'il  défendait.  Il  ne  trouvait 
pas  dans  la  nation  cet  enthousiasme  qui  électrisait  son  âme. 
Les  nobles  qui  le  secondaient  n'agissaient  que  par  peur  ;  les 
paysans  qui  se  joignaient  à  lui  en  armes  ne  cédaient  qu'à  la 
force  ;  et,  en  temps  de  révolution,  la  peur  et  la  force  sont  de 
faibles  mobiles  et  de  dangereux  auxiliaires.  lUusionùé  par 
l'exemple  de  la  France  en  1793,  où  la  nation  s'était  levée 
comme  un  seul  homme,  il  avait  cru  un  moment  pouvoir  ino- 
culer au  peuple  de  Pologne  cette  fièvre  de  liberté  qui»  sur  les 
bords  de  la  Seine,  avait  produit  de  si  grandes  choses.  U  igao-f 


DB  LA  RÉVOLUTION  POLpNAISE.  189 

rait  alors  que  le  plus  grand  mobile  d'une  révolution  n^est  pas 
la  justice  d'une  cause,  ni  même  l'oppression  ou  la  souffrance 
du  peuple,  mais  seulement  la  connaissance  que  peut  avoir  le 
peuple  de  celte  souffrance  et  de  cette  oppression.  Or,  ces 
maux  étaient  devenus  Tétat  normal  du  paysan  polonais  ;  bien 
plus,  ils  avaient  tellement  faussé  ses  instincts  naturels  de  di- 
gnité humaine  ou  de  désir  d'indépendance,  qu'il  ne  pressen- 
tait même  pas  qu'un  homme,  paysan  né,  pût  être  traité  dif- 
féremment que  ne  le  traitaient  ses  maîtres.  Aussi  ne  considé- 
rait-il le  service  que  la  patrie  exigeait  en  ce  moment  de  lui 
que  comme  une  espèce  nouvelle  de  corvée,  dont  il  tâchait  de 
se  décharger  par  tous  les  moyens  possibles.  Ce  n'est  pas  avec 
de  tels  éléments  qu'on  peut  mener  à  bonne  fin  une  révolu- 
tion. 

Cependant,  loin  de  se  décourager,  Kosciuszko  semblait,  au 
contraire,  redoubler  d'ardeur  et  d'activité  à  chacun  des  revers 
ou  des  mécomptes  qui,  depuis  quelque  temps,  venaient  Tas-» 
saillir  coup  sur  coup.  Il  était  dans  la  situation  du  pilote  qui, 
ayant  à  lutter  à  la  fois  contre  le  vent  de  la  tempête  et  contre 
les  vagues  qu'il  a  soulevées,  se  tient  ferme  au  gouvernail,  et, 
à  travers  mille  écueils,  le  dirige  souvent  avec  plus  de  persé- 
vérance que  de  succès.  Pour  couvrir  la  capitale,  il  ordonna  à 
Sierakowski  de  sortir  de  Varsovie  à  la  tête  de  quatre  mille 
hommes,  et  d'aller  se  poster  sur  la  rivière  de  Yieprz.  Dans  les 
premiers  jours  de  juillet,  il  arrive  fui-même  à  Hozsczonow, 
éloignée  seulement  de  dix  lieues  de  Varsovie.  Makronowski, 
du  côté  de  Blonie,  couvrait  sa  droite;  Zajonczek,  posté  à 
Golkow,  sa  gauche.  L'armée  des  insurgés  se  trouvait  alors 
resserrée  entre  les  Prussiens,  qui  observaient  Kosciuszko  et 
Mokronowski,  et  les  Russes,  qui  se  disposaient  à  attaquer 
Zajonczek.' 

La  position  de  Golkow,  sans  être  des  meilleured,  était  te*- 


IM  HI8T0IBB 

nable.  Dne  petite  rivière  marécageuse  y  couvrait  la  gauche 
des  Polonais,  et  leur  droite  se  trouvait  garantie  par  un  bois 
qui  s'étendait  jusque  sur  les  derrières  de  leur  position.  Les 
Polonais  n'avaient  pas  encore  acbevé  de  s'y  fortifier,  lorsque, 
le  8  juillet^  ils  furent  attaqués  par  un  corps  russe,  sous  les 
ordres  du  général  Denizow.  Ce  ne  fut,  pendant  plusieurs 
heures,  qu'un  combat  d'avant- postes  ;  mais,  vers  cinq  heures 
du  soir»  l'action  générale  s'engagea.  Le  centre  et  la  droite  des 
Polonais  furent  attaqués  jusqu'à  trois  reprises  différentes,  et, 
à  dix  heures  du  roir,  les  Russes  se  retirèrent,  après  une  perte 
de  plus  de  six  cents  des  leurs.  Le  lendemain,  cependant,  l'en- 
nemi revint  à  la  charge  avec  des  troupes  fraîches,  et  les  Polo- 
nais, qui,  la  veille,  étaient  restés  maîtres  du  champ  de  ba- 
taille, furent  obligés  de  battre  en  retraite.  Zajonczek  se  retira 
sur  Sluzew,  et,  le  même  jour,  Kosciuszko  et  Hokronowski| 
canonnés  par  les  Prussiens,  furent  obligés  de  se  replier  sur 
Varsovie. 

Les  opérations  de  Tarmée  de  la  Lithuanie  n'étaient  pas  plus 
heureuses.  Tant  que  le  général  Jasinski  avait  commandé  dans 
cette  province»  son  activité  avait  ranimé  tous  les  esprits;  il 
avait  effectué  avec  diligence  d'assez  grands  rassemblements 
de  troupes,  avait  livré  plusieurs  combats  sans  grands  succès, 
mais  aussi  sans  grands  revers.  Etienne  Grabo^ski  avait  fait 
une  irruption  en  Russie  à  la  tête  de  deux  mille  hommes; 
Oginski  avait  inquiété  les  frontières  de  la  Livonie,  et  les  gé- 
néraux Wawreski  et  Ëiedroye  avaient  pénétré  eu  Courlande, 
tentant  tous  les  moyens  d'y  faire  soulever  la  masse  du  peuple. 
Mais,  dans  cette  contrée  plus  encore  qu'en  Pologne,  la  ty- 
rannie des  maîtres  qui  opprimaient  les  paysans,  la  barbarie 
des  Russes  qui  les  pillaient,  l'insolence  de  la  soldatesque  qui 
lesoutrageait,  avaient  anéanti  dans  le  cœur  de  ces  esclaves 
Jttsquà  ridée  de  la  liberté.  Les  efforts  que  l'on  fit  pour  leur 


DR  XA  BiVOLITTIOir  POLOHAIII.  191 

donner  une  nouvelle  âme  furent  inutiles^  il  est  Trai;  mais, 
enfin,  ils  servirent  à  constater  l*espril  qui  animait  les  chefs. 
Dans  la  même  province,  Georges  Grabowski  avait  défendu 
Wilna  avec  un  héroïsme  difçne  d'un  meilleur  sort. 

Tels  étaient  les  efforts  d'un  zèle  ardent  qui  s'étaient  d'abord 
fait  remarquer  en  Lithuanie.  L'arrivée  du  général  Wielhorski, 
envoyé  en  remplacement  de  Jasinski,  avait  changé  toute  celte 
activité  en  langueur.  Suivant  invariablement  un  système  dé- 
courageant de  retraite,  il  avait  peu  à  peu  abandonné  tout  le 
pays.  Les  patriotes  s'en  plaignirent  amèrement  à  Kosciuszko, 
qui,  de  plus  en  plus  dominé  par  le  parti  royaliste,  à  mesure 
qu'il  approchait  de  Varsovie,  nomma  Mokronowski  au  com- 
mandement de  l'armée  de  Lithuanie,  et  mit  à  la  tète  du  corps 
d'armée  de  ce  dernier  Joseph  Poniatoveski,  qui,  jusqu'alors 
n'avait  servi  Tinsurrection  qu'en  qualité  de  volontaire. 

Ainsi,  sur  tous  les  points,  les  armées  des  insurgés  étaient 
en  retraite. 

Parvenu  jusque  sous  ks  murs  de  Varsovie,  Kosciuszko  par- 
tagea ses  troupes  en  trois  camps.  Huit  bataillons  d'infanterie 
et  dix-huit  escadrons  de  cavalerie  composaient  le  camp  de 
Harimont,  que  commandait  Hokronov^ski  ;  celui  de  Czyste^ 
aux  ordres  de  Zajonczek,  était  de  six  bataillons  d'infanterie  et 
de  neuf  escadrons  de  cavalerie  ;  le  troisième,  celui  de  Mo- 
kotow,  où  commandait  Kosciuszko  en  personne,  était  de  vingt 
bataillons  d'infanterie  et  de  trente  escadrons  de  cavalerie. 
L'ensemble  de  ces  forces  était  de  vingtnleux  mille  combat- 
tants, dont  dix-sept  d'infanterie  et  cipq  de  cavalerie.  La  ma- 
jeure partie  de  cette  armée  était  composée  de  levées  nouvelles, 
et  à  peine  y  comptait-on  dix  mille  hommes  de  vieilles  troupes^ 

Kosciuszko  se  hâta  de  fixer  à  chacun  des  généraux  les  postes 
qu'ils  avaient  à  défendre.  Le  village  de  Mlocixy,  avec  la  forêt 
voisine,  celle  de  Bielany,  ainsi  que  les  villages  de  Wawrzeszevv 


192  HISTQTRB 

et  de  Powonski  furent  confiés  à  Hokronoski  ;  la  gauche  de  san 
corps  appuyait  à  Powonski  et  s'y  joignait  à  la  droite  de  Za- 
jonczeky  qui  avait  le  village  de  Czyste  à  protéger^  et  s'étendait, 
par  sa  gauche,  à  celui  de  Jérusalem.  A  ce  dernier  village 
commençait  la  droite  de  Kosciuszko,  qui  couvrait  tout  le  reste 
du  terrain  jusqu'à  la  Yistule^  en  passant  par  La  Garenne  et 
Czerniakow. 

Les  dispositions  de  ces  trois  camps  ne  furent  achevées  que 
le  13  juillet.  Ce  jour  même  les  Prussiens  et  les  Russes  paru- 
rent devant  Varsovie. 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  193 


CHAPITRE  vu 
1791 


Les  lactions  russe  et  royaliste  à  VarsoTie. — Institution  d'une  commission 
militaire  —  Irritation  des  partis.  —  Etablissement  du  papier-monnaie* 

—  Siège  de  Varsovie.  —  Succès  des  Polonais.  —  Insurrection  de  la 
Grande-Pologne.  —  Sanguinaire  proclamation  du  colonel  prussien 
Sekuli.  —  Déclaration,  à  ce  spjet»  dn  conseil  suprême  de  Varsovie.— 
Les  prussiens  lèTcnt  le  siège.  —  Nou?elles  désastreuses  de  la  Lithuanie. 

—  Suwarow.  —  Départ  de  Rosciuszko  pour  Farmée  de  Lithuanie.  — 
Adresse  du  conseil  suprême  aux  Polonais.  «-  Rosciuszko  à  Maciejowice. 
—Bataille  de  Maciejowice.  —  Déliûte  des  Polonais.  —  Rosciuszko  est 
fait  prisonnier.  —  Rosciuszko  dans  les  cachots  de  la  Russie.  -—  Quel- 
ques détails  sur  ce  chef  révolutionnairCy  depuis  la  défaite  de  Macie- 
jowice jusqu'à  sa  mort. 


La  présence  des  armées  ennemies  sous  les  murs  de  la  capi- 
tale eut  pour  double  inconvénient  de  porter  le  découragement 
dans  rame  des  patriotes,  et  de  relever  le  courage  des  partis 
royaliste  et  russe.  Ces  deux  factions  y  étaient  très-animées, 
et  demandaient  alors  à  grands  cris  la  punition  des  moteurs  de 
la  dernière  émeute.  Les  deux  principaux  accusés  étaient  deux 
jeunes  gens,  dont  Pun  avait  jadis  été  dans  la  chancellerie 
de  Kolontay  ;  l'autre  servait  encore  Potocki  en  qualité  de  co- 
piste au  moment  de  ce  mouvement.  Les  partis  royaliste  et 
russe  en  tirèrent  la  conséquence  que  Fémeule  était  rou« 

25 


194  HISTOIRB 

Trage  de  Potocki  et  de  Koloniay.  On  répandit  partout  que  ces 
deux  derniers  étaient  meurtriers  par  système,  qu'ils  cher* 
chaient  à  accoutumer  le  peuple  au  sang  pour  le  préparer  an 
massacre  général  des  nobles  ;  que  la  vie  du  roi  lui-même  avait 
été  en  danger^  qu'on  voulait  imiter  en  tout  la  Révolution 
française^  et  qu'on  ne  tarderait  pas  à  voir  en  Pologne  toutes 
les  fureurs  révolutionnaires  qui  lui  avaient  imprimé  un  ca- 
ractère si  sauvage.  L'interrogatoire  des  accusés  avait  été  di- 
rigé dans  ce  sens.  Menaces^  promesses^  toutavait  été  employé 
pour  leur  arracher  des  aveux  qui  inculpassent  Potocki  et  Ko- 
lontay;  mais  leurs  dépositions  n'avaient  prouvé  qu'une  chose^ 
c^estque  le  zèle  exalté  n'a  pas  besoin  d'inspirations  étran- 
gères pour  agir  avec  emportement.  Vers  la  mi-juillet»  cinq 
d'entre  eux  furent  condamnés  et  exécutés. 

Cette  sévérité  indisposa  fortement  les  patriotes.  Kosciuszko 
fut  assailli  de  plaintes,  de  remontrances.  On  lui  fit  observer, 
avec  raison^  que  la  lenteur  avec  laquelle  on  procédait  à  punir 
:  fes  accusés  de  trahison  envers  la  patrie,  comparée  à  Pempres- 
sement  qu'on  avait  mis  au  châtiment  des  moteurs  de  l'émeute, 
annonçait  tout  au  moins  dans  les  juges  une  certaine  partialité 
en  faveur  des  premiers.  Pour  apaiser  ce  mécontentement, 
Kosciuszko  cassa  les  magistrats  dont  on  se  plaignait,  et  insti- 
tua à  leur  place  une  commission  militaire^  présidée  par 
Zajonczek. 

Homme  énergique  et  d'un  patriotisme  ardent,  Zajonczek, 
le  jour  de  l'ouverture  de  ce  tribunal  exceptionnel,  exhorta  sqs 
collègues  à  jurer  comme  lui  d'être  inexorables  pour  les  trat- 
très  et  les  factieux,  mais  indulgents  pour  les  faiblesses  de  la 
nature  humaine;  en  d'autres  termes,  c'était  appeler  les  sévé- 
rites  de  la  loi  sur  tous  ceux  des  accusés  d'une  opinion  contraire 
à  celle  des  insurgés.  Ce  système  fut  suivi  avec  rigueur.  Ea 
peu  de  jour  >  une  foule  de  patriotes  dont  le  seul  crime  était 


DE  Là  révolution  folonaisb.  195 

d'inspirer  delà  terreur  aux  factions  ennemies,  furent  élargis; 
les  autres  furent  classés  en  deux  catégories  :  les  accusés  de 
délits  politiques^  et  les  accusés  de  crimes  d'Etat.  Les  premiers 
furent  passibles  de  travaux  publics;  la  mort  fut  réservée  aux 
autres.  Skarszewski^  évêque  de  Chelm;  Félix  Potocki^  Bra- 
nicki  Rzewuski^  promoteurs  de  la  ligue  de  Targowice,  furent 
condamnés  à  mort.  Kosciuszko  commua  la  peine  du  premier 
en  une  prison  perpétuelle;  les  autres^  jugés  contumaces, 
furent  pendus  en  efûgie.  Le  caractère  moral  de  Kosciuszko 
était  fort  éloigné  de  la  sévérité  que  peut  motiver  parfois  une 
crise  révolutionnaire.  Ce  chef  général  concevait  une  révolu- 
tion sans  aucun  des  excès  qui  la  ternissent  parfois  ;  telle,  en 
un  mot^  que  la  France  devait  en  donner  l'exemple  au  monde 
en  1830.  Aussi  crut-il  devoir  modérer  le  zèle  un  peu  trop  ar- 
dent de  la  commission  militaire.  Les  plus  exaltés  de  son  parti 
le  traitèrent  de  faible^  de  modéré  ;  le  parti  opposé  en  conclut 
que  cette  faiblesse  prouvait  seulement  que  les  affaires  des  in- 
surgés étaient  en  mauvais  état,  puisqu'ils  s'adoucissaient  à 
regard  des  amis  de  la  Russie.  Ainsi,  de  part  ni  d'autre^  Kos- 
ciuszko n'eut  le  mérite  de  sa  modération.  Les  esprits  s'aigris- 
saient de  plus  en  plus  ;  et  si,  pendant  ce  temps  malheureux, 
le  calme  sembla  quelquefois  succéder  à  l'orage,  ces  tristes 
intervalles  furent  moins  un  état  de  repos  qu'une  suspension 
d'arnies  entre  les  factions  ennemies  qui  s'observaient  mutuel- 
lement avec  l'œil  de  la  crainte  et  de  la  haine. 

Le  roi  Stanislas,  presque  toujours  dans  l'ombre  pendant 
cette  révolution,  n'en  agissait  pas  moins  efficacement  pour 
amener  la  faction  qu'il  s'était  formée  dans  l'armée,  à  secon- 
der le  parti  qu'il  avait  parmi  les  nobles  et  les  principaux 
bourgeois  de  Varsovie.  Il  faisait  répéter  partout  que  l'en- 
treprise de  Kosciuszko  était  absurde  et  chimérique,  et  renou- 
Teler  en  toute  occasion  des  critiques,  tantôt  justes,  tantôt 


196  niSTOiRB 

exagérées^  sur  les  opérations  militaires.  Ces  frondeurs  taxaient 
de  folie  une  résistance  qu'ils  s'efforçaient  de  rendre  inutile  : 
ils  exagéraient  les  souffrances  et  les  dangers  de  l'armée, 
ainsi  que  la  force  et  l'activité  de  Tennemi,  et  par  tous  les 
moyens^  entretenaient  la  haine  ou  semaient  le  décourage- 
ment. 

La  cabale  du  roi  l'emportait  presque  partout  sur  les  patriotes, 
que  tant  de  reyers  successifs  commençaient  i  faire  douter 
du  succès  de  leur  cause.  Au  conseil  national  surtout,  cette 
cabale  se  montrait  avec  le  plus  d'audace.  KoscîuszIlo  avait  eu 
Fimprudence  d'introduire,  comme  on  Ta  vu,  les  membres  qui 
qui  lui  avaient  été  désignés  par  la  ville  de  Varsovie,  et  il  re- 
cueillait alors  le  triste  fruit  de  sa  condescendance.  Des  dis- 
cussions irritantes  s'y  produisaient  journellement,  et  quelques 
unes  avaient  un  retentissement  qui  portait  le  plus  rude  coup 
àla  cause  des  patriotes.  Ainsi,  par  exemple,  l'établissement  du 
papier-monnaie  fournit  aux  royalistes  Toccasion  favorable  de 
décrier  les  opérations  des  insurgés.  On  fit  une  peinture  sinistre 
de  ce  système  de  finances,  et  le  crédit  et  la  confiance  furent 
immédiatement  partout  altérés. 

Au  milieu  de  toutes  ces  dissidences,  de  toutes  ces  intrigues, 
de  toutes  ces  haines  qui  couvaient  dans  l'ombre  ou  se  pro- 
duisaient ouvertement,  le  siège  de  Varsovie  était  commencé. 

Située  sur  un  coteau  élevé  de  la  rive  gauche  de  laVistulela 
ville  de  Varsovie  domine  les  bords  de  la  rive  droite  du  fleuve. 
Une  plaine  presque  nue  entoure  celte  capitale.  On  n'y  ren- 
contre que  deux  monticules,  celui  de  Harimont,  et  un  autre 
plus  éloigné,  nommé  Babia.  La  ville,  n'ayant  jamais  été  for- 
tifiée, n'a  pas  même  l'enceinte  d'une  muraille  ;  sa  seule  dé- 
fense consiste  en  un  rempart  de  terre  fort  plat,  fait  sans 
aucun  art.  Dès  que  l'insurrection  y  avait  éclaté,  le  comman- 
dant du  génie,  Slerakowslii,  avait,  il  est  vrai,  fait  élever  des 


DE  LA  BËVOLCTION  POLONAISE.  197 

redoutes  disposées  de  distance  en  distance  autour  de  la  Tille; 
mais  la  plupart  de  ces  ouvrages  étaient  encore  en  construction 
au  moment  où  Tennemi  s'en  était  approché.  On  hâta  les 
travaux,  on  requit  au  nom  du  patriotisme»  toutes  les  forces» 
toutes  les  volontés  pour  accélérer  cette  œuvrede  défense,  et  on 
vit  éclater  un  moment  un  de  ces  grands  enthousiasmes  qui 
quand  ils  durent,  sauvent  un  paya  et  illustrent  un  peuple. 
Hommes,  femmes^  enfants,  jeunes  et  vieillards»  (ont  se  mit  à 
Tœuvre  ;  les  plus  robustes  se  réservèrent  les  travaux  les  plus 
rudes,  les  femmes  charriaient  la  terre,  gâchaient  du  mortier; 
les  enfants  portaient  des  vivres  au  travailleurs,  les  vieillards 
les  encourageaient  par  leur  présence  ;  tout  annonçait  le  réveil 
d'un  peuple  qui  se  dresse,  formidable  par  sa  seule  unité,  contra 
toute  inique  oppression  étrangère.  Malheureusement  ce  ne  fut. 
qu^un  de  ces  feux  brillants  qui  éblouissent  un  moment  pour 
s'éteindre  ensuite  sans  retour.  Les  factions  russe  et  royaliste^ 
effrayées  d'abord  de  cette  recrudescence  d'enthousiasme, 
n'avait  pas  même  essayé  d'en  arrêter  le  débordement  :  c'eût 
été  afficher  de  trop  coupables  désirs  ;  mais,  répandant  plus 
que  jamais  mille  insinuations  malveillantes,  semant  partout 
des  défiances,  propageantdes  craintes,  ils  parvinrent  à  l'altérer 
d'abord,  et  peu  après  à  l'éteindre.  On  se  fit  part  des  insinua- 
tions, on  se  communiqua  les  défiances,  ou  s'exagéra  les 
craintes;  le  travail  commença  à  se  ralentir;  le  nombre  des 
travailleurs  libres  diminua  sensiblement»  et,  après  quelques 
quelques  jours  d'éphémère  énergie,  la  majeure  partie  de 
la  population  de  Varsovie  ne  prit  qu'un  intérêt  forcé  à  tout  ce 
qui  se  passait.  Ces  ouvrages  de  défense,  faits  si  à  la  hâte,  n'ins- 
pirèrent plus  de  sécurité,  et  les  troupes  étrangères,  qui  rae^ 
naçaient  la  ville,  accrurent,  au  contraire,  les  défiances. 
Seule,  l'armée  polonaise,  confiante  dans  sa  valeur  et  son  chef, 
sans  s'effrayer   des   cinquante  mille  ennemis  qui  l'entou- 


108  HISTOIEB 

raient^  crut  encore  à  leurs  projets  sinistres  et  au  bon  génie 
de  la  Pologne.  Le  reste,  paysans,  bourgeois,  nobles,  ce 
qu^on  appelé  communément  le  peuple,  parut  ne  vouloir  assister 
à  la  lutte  qu'en  spectateurs  bénévoles  et  non  en  acteurs  inté- 
ressés. Sans  les  clubs  ou  les  pouvoirs  révolutionnaires  cons- 
titués au-dedans;  sans  Tarmée  nationale  campée  au-dehors, 
qui  donnaient  un  peu  de  vie  patriotique  à  cette  ville  insurgée 
et  assiégée,  on  se  fût  cru  en  pleine  torpeur. 

Pendant  ce  temps,  les  Prussiens,  en  attendant  les  Russes, 
qui  accéléraient  la  marche  de  leurs  derniers  corps,  avaient 
faitleurs  dispositions  pour  mener  le  siège  avec  vigueur.  Leurs 
premiers  efforts  tombèrent  sur  Yola,  village  situé  à  deux 
portées  de  canon  en  avant  du  front  du  camp  de  Czyste,  aux 
ordres  de  Zajonczek.  Le  21  juillet,  ils  attaquèrent  le  village  et 
remportèrent.  Ayant  abandonné  alors  la  position  de  Babia, 
où  ils  s'étaient  établis,  ils  portèrent  leur  camp  sous  Vola,  y 
élevèrent  des  batteries,  et  commencèrent  à  foudroyer  le  fau- 
bourg et  le  camp  de  Czyste. 

L'abandon  de  la  position  deBabia  était,  de  la  part  des  Prus- 
siens, un  acte  dont  Kosciuszko  ne  tarda  pas  à  profiter.  Il  donna 
Tordre  à  Poniatowski  d'occuper  la  montagne  de  Babia,  d'y 
élever  des  batteries  et  de  s'y  maintenir.  Les  Prussiens  se  trou- 
vèrent alors  exposés  à  pouvoir  être  attaqués  de  tous  côtés:  sur 
leur  front,  du  côté  de  Czyste;  en  flanc,  par  Gorbe  et  tournés 
par  le  village  Babia.  Reconnaissant  alors  la  fautequUls  avaient 
faite,  ils  firent  les  plus  grands  efforts  pour  reconquérir  cette 
position  ;  mais  ils  ne  purent  y  parvenir  qu'après  de  grande» 
pertes  et  des  échecs  successifs.  Kosciuszko,  commandant  det 
sorties  de  nuit  et  de  jour,  tantôt  d'un  camp,  tantôt  de  Pautrci, 
les  harcelait  continuellement;  il  semblait  se  multiplier  :  if 
était  partout.  Son  nom  était  dans  toutes  les  bouches,  soit 
dans  le  camp  des  Prussiens,  ou  il  inspirait  la  terreur,  soit 


DB  LA  RÉYOLUTION  POLONAISE.  199 

dans  la  Tille  de  Varsovie^  où  tant  de  courage  et  d'activité 
avaient  fini  par  faire  honte  à  l'indifférence  des  habitants.  Le 
succès  croissant  desarmespolonaises  réveilla  enfin  leurardeur.  ' 
Ils  se  mirent  en  masse  à  la  disposition  de  Kosciuszko,  et^  soos 
ses  ordres  ou  sous  ceux  des  chefs  qu'il  leur  donna^  firent  des 
sorties  heureuses  qui  achevèrent  d'exalter  leur  courage  et 
de  décourager  les  Prussiens.  Le  moment  où  Kosciuszko  vit  les 
habitants  de  Varsovie  seconder  de  tout  leur  pouvoir  le  mou* 
Tement  révolutionnaire  et  rentrer  résolument  dans  cette  voie 
de  défense  et  d'agression  qui  seule  pouvait  assurer  le  salut 
du  paySj  fut  un  de  ceux  où  il  se  berça  le  plus  du  succès  de  sa 
cause  :  illusion  décevante,  qu'il  ne  devait  pas  tarder  à  expier 
dans  les  sombres  et  noirs  cachots  de  la  Russie. 

Un  événement  qui  pouvait  avoir  des  suites  incalculables  vint 
encore  corroborer  son  espoir.  La  Grande-Pologne  qui,  lors 
du  partage  de  Grodno,  avait  échu  au  roi  de  Prusse^  venait  de 
se  mettre  en  pleine  insurrection,  et  commme  là  se  rattache 
une  de  ces  pages  si  hideuses  dont  les  fureurs  sauvages  ont  rem- 
pli les  annales  du  monde^  nous  allons  rentrer  dans  quelques 
détails  à  ce  sujet. 

Ce  fut  un  Caslellan  du  palatinat  de  Cujavie.  Mniewsls^i,  qui 
provoqua  cette  insurrection.  On  savait  généralement  que  la 
longue  résistance  de  Varsovie  provenait  principalement  du 
manque  de  grosse  artillerie  et  de  matériel  de  siège.  Un  cou* 
voi  en  était  parti  de  Prusse  et  devait  arriver,  remontant  la 
Vistule  sur  plusieurs  bateaux.  Ce  transport  de  munitions  de 
guerre  arrivé  aux  Prussiens^  Varsovie»  qui  comme  on  l'a  vu^  . 
était  en  quelque  sorte  une  ville  ouverte,  ne  pouvait  plus  tenir*  i 
Mniewski  conçut  le  projet  de  relarder  sa  soumission  en 
arrêtant  le  convoi  de  munitions.  Ce  coup  était  d'autant  plus 
hardi>  que  malgré  toutes  les  peines  qu'il  se  donna,  il  ne  put 
engager  dans  le  complot  que  quatre-vingt-dix  citoyens.  Il  fait 


200  nisTOiEE 

part  aux  conjurés  de  son  projet^  fixe  le  lieu  du  rendez^vous, 
et>  au  jour  indiqué,  n'y  trouTe  que  trente  des  siens^  mais  tous 
déterminés  comme  lui*  Avec  celte  poignée  de  braves,  il  com« 
mence  par  surprendre  la  garnison  prussienne  à  Brzézé,  forte 
d0  quarante^deux  hommes..  Il  marche  de  l&surVrodaveck; 
mais  ia  garnison  de  ce  lieu  se  amendait  avec  acharneméi!it^ 
lorsque  les  chanomes  du  lieu  ayant  forcé  leurs  domestiques  h 
aUèrau  secouiâ  de  la  garnison,  ceux-ci  s'y  rendent^  mais 
tuant  au  contraire,  les  [dus  hardis^  ils  livrèrent  les  autres  à 
HnieWdd. 

Le  bruit  de  cette  insurrection  et  de  ses  succès  ne  tarda  pas 
a  se  répandre,  etllnieveski  voyait  chaque  jour  grossir  sa  petite 
troupe,  qml  atteignit  bientôt  le  chiffre  4e  cent  hommes,  n  se 
disposa  alors  à  attaquer  le  traii3port,  premier  objet  de  son 
opération.  Utut  à  sarenooi^tre  eoi  descendant  la  Vistule»  et 
ne  tarda  pas  k  le  joindre.  11  consistait  #n  plusieurs  bateaux 
escortés  par  un  détachement  de  trente  hommes,  aux  ordres 
d*un  officier  prussien.  Hniev^rski  chargea  l'escorte  à  la  tète  dies 
siens  et  tut  vigoureusement  reçu;  mais  après  un  combat  long  et 
acharné,  les  Prûssîens,  aydnt  perdu  treize  des  leurs,  mirent 
bas  les  armes.  Le  transport  fut  pris,  et,  dans  Timpossibilité  de 
le  conserver,  on  le  noya  dans  la  Vistule.  Cette  action  de 
Hnievrsld  équivalait  au  gain  d'une  bataille;  elle  délivrait  enfin 
Varsovie  d'un  siège  long  et  pénible. 

Les  succès  de  Hniewski  ranimèrent  le  courage  des  habi- 
tants. Neuf  cents  fantassins  armés  de  faulx,  quatre  cents  cava- 
liers se  rallièrent  à  son  drapeau.  Profitant  de  Tenthousiasme 
de  sa  troupe,  il  marche  au^lavant  des  Prussieils,.les  attaque  à 
Niesisawa,  les  bat  et  les  force  de  se  replier.'  Dé  Thorn  jusqu'à 
Téki  il  resta,  maître  de  la  rive  gauche  de  la  Vistule. 

En  apprenant  ces  progrès,  Iq  roi  de  Prusse  détacha  sept 
mille  hommes  de  l'armée  qui  faisait  le  siège  de  Varsoviet 


1 


V 


vv 


DB  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  201 

pour  réprimer  cette  insarrection.  Quatre  mille  hommes 
étaient  aux  ordres  du  général  Schevérine^  trois  mille  hom- 
mes à  ceux  du  colonel  Sekuli.  Ces  deux  chefs  étaient  charges, 
par  leur  roi,  des  ordres  les  plus  impitoyables,  et  le  dernier 
surtout,  les  exécutant  à  la  lettre,  laissa  loin  derrière  lui 
toutes  les  cruautés  qui  souillent  les  annales  historiques.  Voici 
une  proclamation  qui  dépasse  tout  ce  que  les  fureurs  révolu- 
tionnaires ont  jamais  pu  imaginer  de  plus  barbare. 

Proclamation  de  Sekuliy  colonel  dans  lés  armées  du  roi  de 
Prusse,  contre  les  insurgés  de  la  Grande-Pologne. 

€  Sa  Majesté,  ayant  remporté  de  grandes  victoires  sous 
Varsovie,  a  bien  voulu  m'envoyer  avec  un  corps  considérable 
dMnfanterie,  de  cavalerie  et  d'artillerie,  pour  apaiser  les  trou- 
bles qui  se  sont  élevés  dans  la  Prusse  méridionale.  Sa  volonté 
est  que  toutes  les  juridictions  continuent  d^exercer  leurs  fonc- 
tions. Quant  à  ce  qui  concerne  les  insurgés,  elle  a  ordonné  à 
tous  les  tribunaux  civils  et  ecclésiastiques  de  publier  ce  qui 
suit  : 

c  1*  Tous  ceux  qui  seront  pris  les  armes  à  la  main,  seront, 
sans  jugement,  pendus  sur  le  lieu  même,  sans  miséricorde. 

a  2"*  Tous  ceux  qui  ont  été  les  chefs  de  Pinsurrection  seront 
pendue  sans  autre  formalité;  leurs  biens  seront  conflsqués; 
leurs  femmes,  si  elles  ont  pris  part  à  Tinsurrection,  seront 
pendues. 

«  3*  Si  les  insurgés  se  trouvent  sur  les  terres  des  sujets  de 
Sa  Majesté,  et  si  le  propriétaire  ou  son  commis  ne  le  dénonce 
pas  au  commandant  ou  a  la  juridiction  la  plus  voisine,  t7  per^ 
dra  la  me.  Si,  ce  qui  est  plus  criminel  encore,  il  cache  de  pa- 
reilles bandes  chez  lui,  i7  perdra  la  vie. 

«  4*  Toutes  les  personnes  des  deux  sexes,  sans  distinction 

26 


202  HISTOIRE 

d'âgey  qui  paraîtront  suspectes^  seront  envoyées,  sans  juge- 
menty  dans  les  forteresses,  pour  être  employées  aux  travaux 
publics.  ( 

a  50  Les  enfants  de  ces  diverses  classes  de  prévenus  pour-  ; 
ront  être  entendus  comme  témoins  ;  ceux  qui  se  refuseraient  à 
déposer  seront  envoyés  dans  les  forteresses. 

a  En  vertu  de  Tordre  ejtprès  de  Sa  Majesté  notre  gracieux 
souverain,  toutes  les  juridictions  civiles  et  ecclésiastiques  fe- 
ront connaître,  daus  tout  le  pays,  cette  volonté  immuable  du 
roi,  afin  que  personne  n^en  prétexte  cause  d'ignorance,  mais 
que  tous  fassent  leur  devoir  de  rester  fidèles  à  leur  gracieux 
souverain.  Les  ecclésiastiques  publieront  cette  proclamation 
tous  les  dimanches,  sous  peine  de  perdre  leurs  bénéfices. 

a  Fait  au  quartier  de  Sockaczen,  le  30  août  1794.  » 

De  tels  actes  n'ont  besoin  que  d'être  constatés  ;  le  stigmate 
de  rhistoire  ne  peut  rien  ajouter  à  celui  qu'ils  impriment 
d'eux-mêmes  à  leurs  auteurs.  Voici,  du  reste,  au  sujet  de 
cette  sauvage  proclamation,  la  déclaration  que  publia,  le 
29  septembre  de  la  même  année,  le  président  du  conseil  su- 
prême de  Pologne,  Aloïse  Sulistrowski.  C'est  une  noble  pro- 
testation. 

Déclaration  du  conseil  suprême,  à  r occasion  de  la 
proclamation  du  colonel  Sekuli. 

€  Les  menaces  publiées  par  le  roi  de  Prusse  contre  les 
citoyens  habitants  de  la  Grande-Pologne,  les  cruautés  atroces 
exercées  contre  eux,  exigent  du  conseil  suprême  de  faire,  au 
nom  du  gouvernement  polonais,  une  déclaration  qui,  met- 
tant au  grand  jour  la  violence  et  Thorreur  de  pareils  procédés, 
puisse  garantir  la  nation  polonaise  de  toute  inculpation  ca- 
lomnieuse, lorsqu'elle  recourra,  malgré  elle,  au  triste  droit 


DB  LA  RiVOLUTIOR  POLONAISE.  20S 

de  représailles.  Non  content  de  s'être  emparé^  sans  aucun 
prétexte,  des  domaines  incontestables  de  la  république,  et 
d'avoir  bravé  la  foi  politique  pour  satisfaire  sa  cupidité,  d'a- 
Yoir  publié  et  inventé  cent  calomnies  dénuées  de  tout  fonde- 
ment contre  la  nation  polonaise,  le  roi  de  Prusse,  aujourd'hui, 
pousse  l'injustice  et  la  déraison  jusqu^à  faire  un  crime  aux 
Polonais  de  défendre  leur  pays.  Il  donne  des  ordres  sangui- 
naires contre  les  citoyens  qui  prennent  les  armes  pour  résis- 
ter aux  siennes.  0  tyrannie  monstrueuse  ! 

a  C'est  dans  cet  esprit  que  le  gouvernement  prussien  a  fait 
une  proclamation  dans  laquelle  toutes  sortes  de  personnes 
sont  condamnées  à  être  saisies  et  envoyées  dans  les  forte- 
resses; tous  les  citoyens  qui  combattent  pour  leur  pays,  pris 
les  armes  à  la  main,  sont  destinés  à  la  potence,  et  leurs 
biens  à  la  conflscation  ;  le  sexe,  l'ftge  même,  n^a  pas  trouvé 
grâce  auprès  de  ce  farouche  ennemi.  Ce  même  esprit  règne 
dans  les  ordres  sanguinaires  qu'offre  la  correspondance  entre 
le  roi  de  Prusse  et  le  colonel  Sekuli,  laquelle  a  été  inter- 
ceptée ;  déjà  ces  atroces  proclamations  ont  produit  les  plus 
cruels  effets;  plusieurs  citoyens  ont  été  enlevés  de  leurs 
maisons ,  plusieurs  ont  été  menacés  du  bourreau  ;  des 
femmes  même»  dont  les  maris  sont  allés  combattre  pour  leur 
pays,  ont  été  maltraitées  ou  tuées,  et  des  enfants  ont  été  forcés 
de  témoigner  contre  leurs  pères.  Horreur  ! 

a  Dans  ce  siècle  de  philosophie  et  de  lumière,  où  les  des- 
potes doivent  traiter  leurs  sujets  avec  humanité,  ou  au  moins 
avec  justice,  contre  quelles  personnes,  dans  quelle  contrée  le 
roi  de  Prusse  se  permet-il  de  pareilles  atrocités?  Est-ce  dans 
son  pays?  Est-ce  dans  des  provinces  soumises  à  son  gouverne- 
ment despotique?  Est-ce  contre  des  hommes  assez  vils  pour 
avoir  consenti  à  porter  le  nom  de  ses  sujets?  Non,  il  exerce 
ses  fureurs  contre  un  peuple  qui  lui  est  étranger  ;  et  l'Europe 


204  nisToiBB 

doit  voir  avec  indignation  que  toutes  ces  cruautés  sont  diri- 
gées contre  les  braves  Polonais.  Quels  sont  les  hommes  que 
le  roi  de  Prusse  peut  regarder  comme  suspects  sur  le  terri* 
toire  polonais?  A  quia4-il  le  droit  de  donner  le  nom  de  re- 
belles, parmi  une  nation  souveraine  qui  ne  veut  conserver 
que  son  intégrité  et  son  indépendance?  A  quel  titre  vient-il 
s'immiscer  dans  les  affaires  de  la  Pologne? 

a  Hais  la  voix  dé  la  raison  et  de  l'équité  parle  faiblement, 
là  où  la  cupidité  et  la  violence  se  font  un  jeu  de  violer  toute 
justice  pourvu  qu'elles  arrivent  à  leur  but. 

a  En  conséquence^  le  gouvernement  polonais  est  forcé  de 
déclarer  que,  si  Tordre  atroce  donné  par  le  gouvernement 
prussien  n'est  pas  révoqué,  il  recourra  au  droit  de  repré- 
sailles^ en  assurant  solennellement  aux  militaires^  qu'il  obser» 
vera  religieusement  les  droits  de  la  guerre  envers  eux,  tant 
que,  de  leur  côté,  ils  les  observeront,  mais  en  déclarant  aussi 
qu'il  ordonne  de  saisir  et  d'arrêter  les  sujets  prussiens,  qui 
seront  pendus,  par  compensation. 

a  Sans  doute  il  est  honteux,  au  xvui*  siècle,  de  recourir  à 
ces  moyens  sauvages  ;  mais  que  l'Europe  juge  par  qui  ils 
sont  provoqués.  Calomniés,  morcelés  enfin»  pour  avoir  dé* 
fendu  notre  patrie  tyranniquement  persécutée,  est-il  en  notre 
pouvoir  de  respecter  plus  longtemps  l'humanité  envers  nos 
implacables  ennemis  ?  Leur  barbarie  nous  force  à  être  barba- 
res. Que  le  gouvernement  prussien  soit  convaincu,  par  la 
mort  de  ses  propres  sujets,  que  les  droits  violés  envers  une 
autre  nation  nécessitent  la  même  violation  de  sa  part,  qu'un 
acte  de  barbarie  retombe  sur  celui  qui,  le  premier,  en  a 
donné  l'exemple,  et,  voyant  à  quelles  extrémités  il  nous  a 
réduits  lui-même,  qu'il  modère  enfin  sa  rage.  } 

«  Polonais,  nos  frères,  ne  craignez  pas  ces  menaces,  ni  ]. 
môme  les  effets  de  la  tyrannie  prussienne  ;  votre  salut  est 


DB  LA  EÉTOLUnOR  POLOIIAISE.  205 

dans  votre  courage.  En  restant  dans  vos  maisons^  vous  n'en 
serez  pas  moins  exposés  à  Temprisonnement,  aux  traitements 
les  plus  cruels  et  à  la  mort.  Eh  bien  !  il  vaut  mieux  mourir 
dans  le  combat  que  de  se  tenir  enfermé  dans  ses  foyers,  pour 
en  être  arraché  par  des  brigands,  pour  être  jeté  dans  les 
cachots,  pour  être  conduit  à  la  potence  ;  la  mort  n^est  terrible 
que  pour  le  lâche  qui  ne  sait  pas  prendre  un  parti  généreux. 
Qui  ne  sait  que  la  mort  est  bien  plus  terrible^  pour  les  enne- 
mis que  rien  nMntéresse  dans  cette  lutte,  et  qui  ne  son 
pas  assez  aveugles  pour  ne  pas  s'apercevoir  que  leur  despote 
les  expose,  par  sa  cupidité  et  ses  actes  tyranniques,  aux  etTets 
de  votre  juste  vengeance?  Vengez-vous  sur  la  vie  des  enva- 
hisseurs; qu'ils  voient  que  la  punition  des  crimes  du  gou- 
vernement retombe  sur  des  têtes  innocentes  ;  qu'ils  sentent 
combien  il  est  dangereux  pour  eux-mêmes  de  servir  lâche- 
ment d'instruments  à  un  gouvernement  injuste  et  tyranni*- 
que,  pour  opprimer  une  nation  qui  ne  s'est  point  rendue  cou- 
pable envers  ses  sujets. 

a  Habitants  du  pays  du  roi  de  Prusse,  vous  paierez  de 
votre  vie  votre  obéissance  aux  ordres  barbares  de  Frédéric- 
Guillaume  contre  nos  frères;  cette  vengeance,  qui  devrait 
retomber  sur  sa  têtCi  retombera  sur  vous,  si  vous  vous 
rendez  complices  de  sa  cruauté.  Quant  à  votre  roi,  songez 
qu'il  y  a  une  justice  au  ciel,  et  qu'il  faudrait  désespérer 
de  l'humanité,  si  toutes  ces  infamies  n*y  trouvaient  un  juste 
et  terrible  châtiment  !  » 

Après  cette  déclaration,  la  guerre,  dans  la  grande  Pologne, 
;  prit  un  de  ces  caractères  d'atrocité  dont  il  répugne  à  l'histoire 
de  retracer  le  tableau.  Et  à  ce  sujet  une  réflexion  naturelle  se 
présente.  Ce  roi  Frédéric-Guillaume  II ,  cette  czarine  Cathe- 
rine II,  au  moment  ipême  où  ils  donnaient  contre  la  Pologne 
ces  ordres  sanguinaires  dont  on  ne  trouverait  d'exemples  que 


206  HISTOIRS 

dans  les  plus  sanglantes  annales  du  passée  se  paraient  impu- 
demment d'une  hypocrite  indignation  contre  les  excès  de  la 
Révolution  française.  A  la  rigueur,  cependant^  quelque  hor- 
reur qu'inspire  Tefifusion  de  sang,  on  comprend  jusqu'à  un 
certain  point  cette  fureur  d'une  démocratie  victorieuse  et  ir- 
ritée, qui  se  croyait  poussée  dans  une  voie  sanglante  par  une 
nécessité  fatale.  Si  ce  n*était  là  une  excuse,  c'était  du  moins  un 
motif.  Mais  quel  motif,  quelle  excuse  pour  cet  instinct  sangui- 
naire? Frédéric-Guillaume,  Catherine,  Tun  imbécille  et  débau- 
ché, ordonnant  des  massacres  au  sortir  d'une  séance  fantas- 
magorique de  charlatans  qui  le  dominaient  Tautre,  épouse  ho- 
micide, signant  l'extermination  d'un  peuple  entre  une  déU- 
rante  orgie  de  volupté  !  Tant  de  cruauté  à  froid  n'est-elle  pas 
de  la  monstruosité?  et,  à  part  le  titre  d'homme,  que  peuvent 
avoir  d'humain  de  pareilles  natures? 

Cependant  le  roi  de  Prusse,  effrayé  de  l'extension  que  pre- 
nait l'insurrection  de  la  Grande-Pologne,  essaya  de  pousser 
plus  activement  le  siège  de  Varsovie.  Hais,  avant,  il  essaya  de 
la  corruption.  Il  fit  offrir  aux  officiers  polonais  de  brillantes 
faveurs  s'ils  voulaient  abandonner  Kosciuszko.  Hais,  en  cet 
homme,  alors,  semblaient  se  résumer  les  destinées  de  la  Po- 
logne, et  parmi  tous  ses  officiers  Frédéric-Guillaume  ne  trouva 
pas  une  âme  à  corrompre.  Tous  révélèrent  publiquement  les 
offres  qui  leur  avaient  été  faites  ;  ils  renouvelèrent  le  serment 
de  vaincre  ou  de  périr,  et  le  roi  de  Prusse  en  fut  pour  la  honte 
de  ses  avances. 

Outré  de  ce  mécompte,  Frédéric-Guillaume  résolut  de  livrer 
un  assaut  général;  mais,  quoique  Varsovie  fût  en  quelque 
sorte  une  ville  ouverte,  les  assiégeants  ne  purent  y  pénétrer. 
A  chacune  de  leurs  attaques,  ils  furent  vivement  repoussés  , 
et  une  fois  encore,  il  fut  prouvé  que  si,  pour  désunir  les  Polo- 
nais et  diviser  leurs  forces ,  Catherine  et  Frédério-GuiUaume 


DB  LA  BiVOLUTIOlf  POLORAISE.  207 

n'avaient  pas  eu  îDcessamment  recours  à  ces  moyens  iniques 
ou  infâmes  que  la  morale  universelle  flétrit  des  noms  les  plus 
abjects,  et  que  la  morale  de  la  politique  range  parmi  les  qua- 
lités des  gouvernants,  il  fut  prouvé^  disons-nous,  que  sans 
cela  la  Pologne  eût  été  le  tombeau  de  ces  deux  armées  enva- 
hissantes. 

Quoiqu'il  en  soit,  Frédéric-Guillaume  éprouva  de  ses  échecs 
une  risible  colère,  et,  semblable  à  ces  poltrons  qui,  par  un 
vain  bruit,  veulent  s'en  imposer  à  eux-mêmes,  il  ordonna  de 
canonner  les  camps  et  la  ville.  Mais  cette  fois  encore,  les  sor- 
ties fréquentes  et  souvent  heureuses  des  assiégés,  le  dégoûtè- 
rent bientôt.  Aussi,  dans  la  nuit  du  6  au  7  septembre  1794, 
après  sept  semaines  de  fatigues  et  d'efTorts  inutiles,  sept  se- 
maines pendant  lesquelles  des  combats  sanglants  s'étaient  li- 
vrés tous  les  jours ,  il  leva  le  siège  et  commença  sa  retraite. 
Malheureusement  la  longueur  du  siège  avait  tellement  épuisé 
les  troupes  polonaises,  les  détachements  qu'on  avait  été  obligé 
d'en  faire  pour  parer  à  tous  les  dangers,  les  avaient  éparpil- 
lées, que  Kosciuszko  ne  put  rien  entreprendre  contre  un  en- 
nemi qui  se  retirait,  du  reste,  en  ordre.  11  lança  cependant  la 
cavalerie  polonaijse  à  sa  poursuite^  mais  avec  ordre  précis  de 
ne  pas  engager  de  combat. 

La  levée  du  siège  par  les  Prussiens  causa  dans  Varsovie  et 
dans  la  Pologne  entière  une  joie  inexprimable.  Cette  sorte  de 
victoire  inattendue  remplit  tous  les  cœurs  de  jubilation  et 
d'espoir,  et  fit  trêve  un  moment  aux  émotions  douloureuses 
des  derniers  temps.  Pour  la  première  fois  depuis  de  longs 
jours,  la  ville  revêtit  un  air  de  fête  :  on  ne  s'abordait  que  le 
sourire  sur  les  lèvres,  l'espérance  dans  les  regards ,  et  nul  de  ' 
ces  malheureux  ne  soupçonnait  que  ce  jour  si  beau  était  le 
dernier  beau  jour  qui  allait  luire  pour  leur  infortunée  patrie! 

Kosciuszko,  cependant,  enivré  comme  les  autres  de  cet  im- 


208  histoihe 

portant  saccès,  crut  un  moment  que  cette  levée  de  siège  pou-  ^ 
Tait  avoir  quelque  chose  de  décisif^  si  les  opérations  subsé- 
quentes lui  venaient  en  aide.  Deux  objets  de  la  plus  grande 
importance  Toccupaient  alors.  Il  s'agissait  de  porter  secours 
aux  insurgés  de  la  Grande-Pologne ,  et  ensuite  d'empêcher  la 
jonction  du  corps  russe  qui  avait  été  au  siège  deVarsoviei  avec 
les  troupes  de  celte  nation  qui  opéraient  en  Lithuanie.  La  pre- 
mière de  ces  deux  opérations  offrait  mille  difficultés  et  mille 
périls,  et  il  était  presque  impossible  de  la  mener  à  bonne  fin 
sans  faire  une  trouée  dans  Farmée  prussienne,  qui,  ayant  dé- 
mesurément étendu  ses  lignes,  s^avançait  vers  la  Grande-Po- 
logne comme  un  vaste  croissant.  Le  général  Dombrowski,  que 
Kosciuszko  en  chargea ,  sut  triompher  de  tous  les  obstacles. 
Arrivé  à  sa  destination  avec  une  faible  colonne  de  deux  mille 
hommes,  il  attaqua  et  battit  le  colonel  Sekuli^  ce  féroce  exé- 
cuteur des  ordres  sanguinaires  de  Frédéric-Guillaume;  il  prit 
la  ville  de  Bydgoszez.  Rejoint  peu  après  par  Poniatowski^  qui 
avait  été  envoyé  avec  un  corps  de  six  mille  hommes  pour  sou- 
tenir ses  opérations,  il  fut  d'un  grand  secours  aux  insugés,  qui, 
dès  ce  moment,  prirent  partout  Tinitiative  do  l'attaque. 

La  seconde  opération  offrait  en  apparence  moins  de  diffi- 
cultés dans  son  exécution  ;  mais,  par  suite  du  peu  de  troupes 
dont  pouvait  disposer  Kosciuszko,  elle  était  en  quelque  sorte 
inexécutable.  Il  s'agissait,  en  effet,  de  fermer  le  passage  de  la 
Yistule  au  général  Fersen^  qui,  après  la  levée  du  siège  de  Var- 
sovie, voulait  Teffectuer  avec  quatorze  mille  hommes.  Kos- 
ciuszko^ sans  se  dégarnir  entièrement,  ne  pouvait  disposer 
que  de  quatre  mille  hommes,  moitié  milices  palatinales  nou- 
vellement levées,  moitié  corps  francs,  qu'on  avait  commencé 
d'organiser.  Tout  cela  ne  formait  qu'un  ramas  de  gens  aussi 
mal  choisis  que  mal  armés,  sans  discipline  et  sans  ensemble* 
Le  commandement  de  cette  division  fut  confié  à  Adam  Ponin* 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  209 

ski^  qui  ne  put  empccber  Fersen  de  forcer  le  passage  de  la 
Vîstule  sous  Koziènice. 

A  peine  Kosciuszko  eut-il  pris  les  mesures  les  plus  urgentes, 
qu'il  reçut  des  nouvelles  désastreuses  de  laLithuanie.  Mokro- 
nowski^  au  lieu  de  déployer  une  grande  activité,  dans  un  mo- 
ment oùles  armées  ennemies  étant  encore  éparpillées^  la  vraie 
prudence  consistait  à  tout  risquer^  avait  imperturbablement 
gardé  la  position  de  Grodno,  que  nul  ne  songeait  encore  à  lui 
disputer.  Pendant  ce  temps,  Sierakow^ski^  écrasé  par  des  forces 
supérieures,  après  avoir  soutenu  un  combat  très-vif  et  très- 
meurtrier  contre  la  division  de  Derfeld,  près  de  Bereza,  avait 
reculé  à  Brzézé  et  traversé  le  Bug.  Là,  fatiguées  d'une  longue 
marche  et  abattues  par  l'échec  qu'elles  venaient  d'éprouver, 
ses  troupes  n'avaient  pas  eu  le  temps  de  prendre  un  peu  de 
repos, lorsque  Suvrarow,  qui  s'était  approché  à  son  insu  à  mar- 
ches forcées,  inslruitdudésordre  et  du  découragement  de  l'ar- 
mée polonaise,  l'attaqua,  la  battit  et  la  mit  en  pleine  déroute. 
Sierakowski,  ayant  ramassé  son  armée  sous  Janow,  à  dix  lieues 
de  Brzézé,  trouva  ses  forces  diminuées  de  moitié  ;  il  avait,  ea 
outre,  perdu  toute  son  artillerie  ^  consistant  en  vingt-cinq 
pièces  de  canon. 

Ce  SuwarovfTy  qui  venait  d'intervenir  d'une  manière  si  fa- 
tale pour  la  Pologne,  est  déjà  connu  du  lecteur.  C'est  le  même 
qui,  lors  de  la  confédération  de  Bar,  s'était  rendu  célèbre  par  ] 
ses  instincts  sanguinaires;  c'est  le  même  qui,  dans  cette ^ 
nouvelle  guerre,  allait  mériter  une  seconde  fois  le  surnom  del 
boucher;  c'est  le  même  qui  passa  en  Europe  pour  invincible, 
jusqu'au  jour  011,  à  la  suite  de  la  brillante  journée  de  Zurich 
:il799),  Hasséna  devait  l'écraser,  lui  et  ses  bandes. 
1     Quelques  mots  sur  cet  homme,  qui  a  joué  un  rôle  si  triste- 
ment célèbre  dans  le  massacre  de  la  Pologne  en  1794^  ne  se* 
aont  pas  déplacés  ici. 

27 


210  HISTOIEE 

Suwarow,  dont  on  a  très-diversement  parlé,  était  un  bomn>& 
extraordinaire  par  Toriginalité  de  son  caractère,  de  ses 
mœurs,  de  son  langage,  de  sa  conduite,  et  surtout  de  sa  fé- 
rocité. Il  avait  adopté  des  manières  grossières,  et  alToctait 
une  originalité  qu'il  poussait  parfois  si  loin,  qu'on  l'aurait 
pris  pour  un  fou  ou  pour  un  imbécile.  Sa  brusquerie,  ses 
bons  mots  exprimés  en  langage  populaire,  ses  habitudes  tar- 
lares  plaisaient  singulièrement  au  soldat  russe,  devant  lequel 
il  atûcbait  la  dévotion  la  plus  superstitieuse,  portant  toujours 
sur  lui  une  image  de  la  Vierge,  de  saint  Nicolas,  et  faisant  à 
tout  propos  des  signes  de  croix.  A  la  veille  d'une  bataille,  il 
ne  manquait  jamais  de  faire  mettre  à  Tordre  du  jour  que  ceux 
qui  seraient  tués  le  lendemain  iraient  en  paradis.  Si  c'était  à 
la  veille  d'un  assaut,  il  ajoutait  :  «  Demain  malin  je  ferai  mes 
«  prières,  je  m'habillerai,  puis  je  chanterai  comme  un  coq,  et 
^  vous  monterez  à  l'escalade  suivant  les  dispositions  que  j  au*» 
«  rai  prises.  »  Il  porlait  ordinairement  à  l'armée,  pour  vête* 
ment,  une  pelisse  de  peau  de  mouton,  affectait  une  grande 
malpropreté,  changeait  de  chemise  en  plein  air,  devant  les 
soldats,  et  proscrivait  toute  espèce  de  luxe  dans  les  camps.  Il 
disait  ordinairement  à  ses  soldats  :  «  Quand  vous  vous  battrez 
«  contre  les  Turcs,  enfoncez  seulement  la  baïonnette  :  s'ils  en 
<x  reviennent,  nous  les  aurons  une  autrefois;  mais  contre  les 
<  Polonais  faites  le  vilbrequin  avec  la  baïonnette,  pour  qu'ils 
«  n'en  reviennent  pas.  » 

j  Nommé  colonel  à  vingt-deux  ans,  par  suite  de  la  bravoure 
et  des  talents  qu'il  avait  déployés  dans  la  guerre  de  sept 
ans,  il  fut  successivement  nommé  major-général  après  ses, 
succès  contre  les  confédérés  polonais  en  1769  et  1772  ^ 
lieutenant -général  en  1783,  général  de  division  après: 
avoir  soumis  les  Tartares  du  Kouban  et  de  Boudriack.  En 
juillet  1789,  il  contribua  puissamment  au  gain  de  la  bataille 


DE  LÀ  BÉVOLUTION   POLONAISE.  211 

(le  Forahni  ;  deux  mois  après  il  dégagea,  avec  dix  mille  Ros- 
ses, une  armée  autrichienne  cernée  par  plus  de  cent  mille 
Turcs^  et  fut  nommé  général  en  chef.  La  prise  dMsmaïl  suivit 
de  près  cette  victoire.  La  place  avait  résisté  pendant  sept  mois 
au  général  GondoTvitzch,  et  le  siège  venait  d'être  levé^  lors- 
que l'orgueilleux  Potemkin,  voulant  réparer  cet  échec^  or- 
donna à  Suwarow  d'emporter  la  place  à  tout  prix.  Ce  général 
obéit  et  commanda  Tassant^  en  recommandant  à  ses  soldats 
de  ne  point  faire  de  quartier  :  Car,  leur  dit-il  dans  le  cynique 
langage  qu'il  affichait^  les  provisions  sont  chères.  Deux  fois 
les  Russes  furent  repoussés  avec  une  perte  énorme;  mais  au 
troisième  assaut^  ils  s'emparèrent  des  ouvrages  extérieurs  et 
pénétrèrent  ensuite  dans  la  place^  où  ils  égorgèrent  avec  une 
inhumanité  atroce  tous  les  habilants,  sans  distinction  d'âge 
et  de  sexe.  Suwarow^  plus  féroce  encore  que  ses  soldats,  les 
encourageait  au  carnage  et  leur  criait  d'une  voix  de  taureau  : 
Koli/  kolil  (tue!  tue!).  Plus  de  trente-trois  mille  Turcs> 
hommes^  femmes,  vieillards^  enfants^  furent  ainsi  égorgés  à 
froid.  Il  fallut  huit  jours  pour  enterrer  les  morts.  Après  les 
massacres  des  confédérés  polonais,  en  1772^  Suwarow  avait 
été  surnommé  le  farouche  :  Catherine  l'avait  nommé  grand - 
croix  de  l'ordre  de  Wladimir,  et  lui  avait  fait  présent  d'un 
panache  en  diamants.  Après  le  massacre  d'Ismaïl,  Suwarow 
avait  reçu  le  surnom  de  boucher  :  Catherine  l'avait  décoré  de 
l'ordre  de  Saint-André,  le  premier  de  Fempire^  et  lui  avait 
fait  don  de  son  portrait  enrichi  de  diamants.  On  ne  sait  trop 
où  se  serait  arrêtée  cette  munificence  impériale^  si  Catherine, 
alors  déjà  fort  vieille^  ne  fût  descendue  dans  la  tombe  quel- 
ques années  après,  et  si  Suwarow  avait  persévéré  dans  ce 
genre  d'exploits  que  récompensait  si  magniûquement  sa 
noble  souveraine.  Suwarow^  du  reste,  avait  toutes  les  qua- 
lités nécessaires  pour  conduire  des  soldais  à  demi  civilisés. 


212  HISTOIRE 

tels  qu'étaient  alors  les  Russes,  et  tels  qu'ils  sont  encore  au- 
jourd'hui. 

Tel  était  Thomme  que  Catherine  avait  envoyé  en  Pologne 
pour  y  sceller^  par  des  flots  de  sang^  raccomplissementde  ses 
,  sinistres  projets. 

y  Dès  que  Kosciuszko  apprit  la  défaite  de  Sierakowski  et  le 
passage  de  la  Vistule  par  le  général  Fersen,  qui  s'avançait  à 
marches  forcées  pour  se  joindre  à  Suwarow,  il  résolut  de  ten- 
ter à  tout  prix  d'empêcher  cette  jonction.  Il  donna  des  ordres 
pour  renforcer  Tarmée  de  Lithuanie^  et  annonça  qu'il  allait 
se  mettre  à  sa  tête. 

Dès  que  cette  nouvelle  se  répandit  dans  Varsovie^  deux  sen- 
timents contraires  agitèrent  la  population,  la  joie  et  la  dou- 
leur. Quelque  contradictoire  que  paraissent  ces  deux  senti- 
ments^ l'opinion  qu'on  avait  de  Kosciuszko  et  de  son  carac- 
tère les  motivait  Tun  et  l'autre.  En  effet,  jamais,  avant  Kos- 
ciuszko, tribun  voué  aux  intérêts  d'un  peuple  n'avait  inspiré 
ni  autant  de  confiance  ni  peut-être  autant  de  sympathie  que 
lui.  Il  semblait  à  la  fois  le  chef  et  le  père  des  gens  de  son 
parti.  Soit  que  Texcès  de  la  souffrance  eût  rendu  intolérable 
ce  qui  élait,  soit  que  le  désir  de  l'indépendance  seul  eût 
donné  une  sorte  d'exaltation  aux  esprits,  Kosciuszko  apparais- 
sait à  ces  malheureuses  populations  comme  un  de  ces  êtres 
surhumains  de  qui  on  peut  tout  attendre,  bien  plus,  de  qui 
seul  on  doit  tout  attendre.  On  comprendra  dès  lors  sans  peine 
comment  Fannonce  du  départ  de  Kosciuszko  pour  Tarmée 
excita  de  la  joie,  parce  qu'on  crut  à  une  victoire  certaine,  et  ; 
comment  ce  même  départ  excita  de  la  douleur,  parce  qu'on 
ne  se  crut  plus  en  sûreté  dès  que  Kosciuszko  se  serait  éloigné. 
Kosciuszko,  du  reste,  méritait  cette  confiance  et  cette  sympa- 
thie ;  car  peu  d'hommes  élevés  au  faîte  d'un  État  ont  daigné, 
comme  lui  s'abaisser  jusqu'à  la  misère  et  la  douleur.  Pour  lui, 


DE  LA  BËVOLDTION  POLONAISE.  213 

tout  homme  était  un  homme^  et  il  ne  s'est  jamais  enquis  de 
ses  titres  ou  de  sa  position  sociale  pour  baser  sur  ces  dons  du 
hasard  son  accueil,  ses  bienfaits  ou  ses  grâces. 

Pour  tâcher  de  tirer  parti  de  ce  moment  d'enthousiasme  et 
Tattendrissement  qu'avait  fait  naître  Tannonce  du  départ  de 
.Cosciuszko,  pour  galvaniser,  en  quelque  sorte^  ce  corps  déjà 
mort  de  la  Pologne^  le  conseil  suprême  national  ûlà  la  nation 
une  adresse  qui  est  une  des  plus  énergiques  et  des  plus  so- 
lennelles protestations  qu'un  peuple  audacieusement  ou- 
tragé ait  jamais  lancées  à  la  face  d'iniques  spoliateurs. 

a  Peuples  de  l'Europe  et  du  monde^  7  était-il  dit,  jetez  les 
yeux  sur  la  Pologne,  et  soyez  juges  si  jamais  plus  d'infamies 
ont  été  amoncelées  pour  consommer  une  iniquité.  Le  crime 
parti  du  haut  de  deux  trônes  se  montre  enfin  à  découvert, 
dédaignant  le  masque  hypocrite  qui,  jusqu'à  présent,  cachait 
ses  perfides  desseins. 

a  Des  rois  osent  nous  engager  à  la  guerre  civile  1 

a  Des  rois  entassent  des  mensonges  et  des  calomnies  pour 
grossir  des  griefs  imaginaires  et  se  jouer  ainsi  de  la  foi 
publique  ! 

d  Ils  menacent  de  la  fureur  de  leurs  troupes  tous  ceux  qui 
refuseront  d'entrer  dans  une  conjuration  contre  la  patrie  I 

a  Ils  leur  annoncent  le  comble  des  maux,  les  persécutions, 
la  mort!  Us  font  plus  :  ils  mettent  à  exécution  leurs  menaces! 

a  Ils  donnent  l'exemple  de  tous  les  crimes;  que  tous  ces 
crimes  retombent  sur  leurs  têtes? 

«  Ils  ont  renversé  les  droits  sacrés  de  tous  les  peuples.  Peu- 
ples, voyez  et  jugez  !  »  ( 

Après  cet  appel  solennel,  qui  ne  devait  pas  être  perdu  pour 
l'avenir,  le  conseil  suprême  s'adressait  ainsi  aux  Polonais  : 

a  Et  vous,  Polonais,  nous  vous  avertissons  que  la  Pologne 
est  actuellement  en  état  de  défense  contre  l'irruption  des 


2H  HISTOIRE 

troupes  russes  et  prussiennes.  Pleins  de  confiance  dans  la  va* 
leur  et  le  patriotisme  de  la  nation,  vos  chefs  vont  opposer  aux 
etTorts  que  fait  l'ennemi  pour  détruire  la  republique,  tous  les 
moyens  que  leur  suggérera  Tamour  de  la  patrie. 
'  a  Cette  époque,  courageux  Polonais,  va  décider  du  sort  de 
notre  pays.  Que  l'amour  de  la  pairie  enflamme  voire  courage. 
Songez  que  vous  combattez  pour  vos  lois,  pour  votre  liberlc, 
pour  vos  femmes,  pour  vos  enfants,  pour  tout  ce  que  vous 
avez  de  plus  cher. 

<c  Une  armée  que  votre  zèle  a  créée,  que  vos  fortunes  en- 
tretiennent, se  voue  à  votre  défense;  sa  bravoure,  son  intré- 
pidité ne  peuvent  manquer  d^anéanlirles  entreprises  de  Ten- 
nemi.  Ce  noble  feu,  cet  empressement  pour  voler  à  la  défense 
de  la  patrie,  ce  dévouement  qui  n'appartient  qu'aux  nations 
libres,  font  naître  dans  nos  cœurs  un  favorable  espoir. 

«  Chaque  instant  augmente  nos  espérances  :  les  offrandes 
volontaires  s'accumulent,  les  citoyens  se  réunissent  en  foule 
à  Tarmée;  l'amour  de  la  liberté  enflamme  tous  les  cœurs; 
chacun  paie  son  tribut  à  la  patrie.  Le  Dieu  de  nos  pères  à  qui 
nous  devons  ces  nobles  résolutions,  ce  Dieu  eu  qui  nous  met- 
tons toute  notre  confiance,  qui  connaît  la  pureté  de  nos  vues, 
bénira  nos  armes  et  assurera  le  triomphe  de  notre  cause. 

«  Mais,  citoyens,  c'est  l'union,  c'est  la  constance  qui  doi- 
vent être  nos  armes  les  plus  puissantes  ;  eu  vain  opposerions- 
nous  la  force  à  la  force,  si  la  division  régnait  parmi  nous. 
Une  guerre  étrangère  n'est  jamais  si  désastreuse  que  des  dis- 
sensions intestines.  Aucune  attaque  étrangère  a-t-elle  clé  cou- 
ronnée de  succès  lorsque  nos  pères,  unis  par  les  liens  de  la 
concorde,  combattaient  pour  leurs  foyers  ?  Us  les  ont  repous- 
sces  toutes,  et  nous  sommes  les  fils  de  nos  pères  ! 

a  Bientôt  la  voix  du  mensonge  et  de  la  calomnie  se  fera 
entendre;  bientôt  la  trahison  fera  circuler  des  écrits  impos- 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  215 

teurs.  Ceux  qui,  dans  leur  vengeance  atroce,  ont  pu  sans 
.  frémir  menacer  leur  patrie  et  guider  contre  elle  des  cohortes 
étrangères,  désespérant  de  vous  vaincre  à  force  ouverte,  ne 
•  manqueront  pas  de  calomnier  ceux  qui  vous  gouvernent  pour 
TOUS  inspirer  des  soupçons  et  tâcher  de  semer  parmi  vous  la 
discorde.  Armez>vous  de  constance,  et  repoussez  les  perQdcs 
insinuations  des  calomniateurs  et  des  traîtres. 

a  Quelle  confiance  méritent  des  troupes  qui  se  proposent 
la  destruction  d'un  pays?  Quelle  confiance  méritent  leurs 
chefs  7  Que  devez-vous  en  attendre?  l'esclavage.  Que  mcrilent- 
ilsdevous?  la  mort. 

a  Vous  savez  déjà  ce  que  vous  coûte  la  dure  tutelle  de  la 
Russie,  la  perfide  amitié  de  la  Prusse.  Vos  représentants  en- 
levés du  milieu  de  vous,  votre  noblesse  traitée  indignement» 
les  habitants  arrachés  de  leurs  foyers  et  transplantés  sur  une 
terre  ctrangërc,  enfin  FElat  morcelé,  telles  ont  été  les  suites 
de  cette  tutelle,  de  cette  amitié.  Ce  que  ces  puissances  ont  fait 
une  fois,  elles  veulent  le  refaire  encore. 

c  Oh  !  que  Catherine  et  Frédéric-Guillaume  parviennent 
à  vous  tromper  un  instant,  et  bientôt  vos  anciennes  plaies 
seront  rouvertes;  un  déluge  de  maux  fondra  sur  vous;  et  no- 
bles et  bourgeois  sentironts'appesanlir  sur  eux  un  joug  qu'on 
rendra  d'autant  plus  pesant,  qu'ils  ont  osé  vouloir  être  libres. 
Et  vous,  laborieux  habitants  des  campagnes,  vous  que  la  loi 
avait  pris  sous  sa  protection,  vous  serez  arrachés  de  vos 
champs  fertiles,  et  transportés  par  milliers  dans  des  solitudes 
incultes.  Enfin  un  nouveau  partage  de  la  Pologne  et  l'extinc- 
.  tion  du  nom  polonais  seraient  le  dernier  acte  des  scènes  bar- 
bares  qu'ont  machinées  ces  iniques  oppresseurs. 

a  Citoyens,  vous  connaissez  vos  dangers.  Puisse  Tamour 
de  la  patrie  enflammer  vos  cœurs!  puissent  les  liens  de  la 
fraternité  vous  unir  en  un  seul  faisceau  I  Le  chef  général 


216  HISTOIRE 

que  vous  vous  êtes  donné  brûle  de  verser  pour  sa  patrie 
le  sang  qu'il  puisa  dans  son  sein  ;  c'est  notre  vœu  à  tous. 
Nous  ne  craindrons  point  d'exposer  au  hasard  des  combats 
des  cheveux  blanchis  par  Tâge.  Suivez  nos  drapeaux;  ce  sont 
ceux  de  l'honneur.  Qu'une  émulation  héroïque  nous  embrase 
tous  d'un  noble  feu.  Du  courage,  de  la  constance^  de  l'union, 
et  tous  les  obstacles  seront  renversés,  et  nos  descendants,  heu- 
reux par  notre  dévouement,  béniront  à  jamais  leurs  an- 
cêtres. 

«  Et  toi.  Dieu  de  nos  pères,  Dieu  protecteur  qui  lis  dans 
nos  âmes,  dirige  notre  courage,  resserre  notre  union,  bénis 
les  efforts  de  nos  guerriers.  Ce  n'est,  tu  le  sais,  ni  l'orgueil  ni 
l'ambition  qui  nous  inspirent,  mais  l'amour  sacré  de  la  li- 
berté, dont  tu  plaças  le  germe  indestructible  dans  le  cœur  de 
l'homme,  mais  l'amour  de  ce  pays  que  tu  viens  d'arracher  à 
la  destruction.  Un  peuple  entier,  qui  toujours  adorera  ton 
saint  nom,  t'adresse,  par  la  bouche  de  son  chef,  cette  humble 
prière  ;  exauce-la,  et  des  actions  de  grâces  célébreront  à  jamais 
ta  protection  puissante,  o 

C'est  par  de  telles  excitations  que  le  conseil  suprême  cher* 
chait  à  réveiller  tout  ce  qui  pouvait  sommeiller  encore  d'en- 
thousiasme et  de  patriotisme  dans  les  cœurs  polonais  ;  mais 
on  ranime  peu  ce  qui  n'a  plus  de  vie,  et,  à  part  quelques  âmes 
d'élite,  le  reste  de  la  nation  polonaise  était,  par  suite  de  siè- 
cles d'anarchie,  déjà  réduit  à  l'état  de  cadavre.  Longtemps 
encore  ces  différents  réveils  ne  devaient  être  que  des  convul- 
sions d'agonie.  Ce  triste  pressentiment  semble  percer  dans  la 
proclamation  que,  avant  de  se  mettre  en  marche  contre  les 
Russes,  Kosciuszko  adressa  à  ses  compatriotes.  Voici  ce  docu- 
ment, qui  exprimait  à  la  fois  ses  craintes  et  ses  espérances,  et 
où  règne  un  ton  de  mélancolie  qu'on  rencontre  rarement 
dans  ces  sortes  d'œuvres  : 


CE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  217 

c  Chers  concitoyens  et  frères, 

«(  La  liberté,  ce  bien  inestimable^  le  plus  grand  dont  il  soit 
donné  de  jouir  ici-bas,  n^est  accordé  par  une  divinité  bienfai- 
sante qu'à  la  nation  qui^  par  sa  persévérance,  son  courage  et 
sa  constance  au  milieu  des  adversités,  sait  s'en  rendre  digne. 
Cette  vérité  est  prouvée  par  Texemple  des  peuples  qui,  après 
une  lutte  longue  et  pénible,  jouissent  maintenant  dans  la  paix 
des  fruits  de  leur  courage. 

a  Polonais,  qui,  à  Pinstar  de  ces  braves  nations,  aimez  votre 
patrie,  qui  avez  souffert  mille  fois  plus  de  dédain  et  d'op- 
pression. 

«  Polonais,  qui,  animés  d'une  bravoure  vertueuse,  ne 
pouvez  supporter  plus  longtemps  les  injures  dont  on  accable 
le  nom  polonais  ;  vous  qui  vous  êtes  levés  pour  défendre  la 
patrie  contre  le  despotisme,  conservez,  votre  général  vous  en 
conjure,  conservez  ce  courage  héroïque  !  Les  peines  et  l63 
fatigues,  le  sacrifice  de  votre  fortune,  seront  les  suites  de  cette 
lutte  contre  un  ennemi  superbe.  Hais  il  faut  beaucoup  sacri- 
fier pour  sauver  le  tout;  il  faut  souffrir  un  instant  pour  jouir 
d'une  félicité  durable.  N'oubliez  pas  que  ces  souffrances,  si 
toutefois  on  peut  appeler  ainsi  ce  qu'on  supporte  pour  la 
patrie,  sont  passagères,  et  que  la  liberté  vous  promet  un  bon- 
heur long  et  durable.  » 

Ce  fut  le  29  septembre  1794  que  Kosciuszko  sortit  de  Var- 
sovie pour  aller  au-devant  des  Russes.  La  population  entière 
s'était  portée  sur  son  passage.  Dans  l'enthousiasme  de  cette 
foule  qui  se  pressait  sur  ses  pas  et  qui  ne  voyait  que  lui  au 
'  milieu  du  brillant  état-major  qui  l'accompagnait,  tout  était 
réel,  sincère;  c'était  cet  élan  instinctif  d'un  peuple  altéré  de: 
liberté  sans  trop  la  comprendre  et  qui  ne  sait  encore  que  la 
révérer  dans  ce  qui  lui  en  apparaît  comme  le  vivant  symbole. 
Cette  sorte  d'adoration  pour  un  homme  dont  on  attend  un 

28 


218  HISTOIRE 

bien  moral,  dont  on  n'apprécie  qu'inslinclivcmenl  la  valeur 
et  le  caractère,  se  reproduit  parfois  dans  le  monde  physique 

•  d'une  manière  à  peu  près  analogue;  ainsi,  par  exemple,  le 

•  sauvage  adore  le  soleil,  qui  le  réchauffe  et  fait  mûrir  ses  fruits. 
Les  classes  inférieures  de  la  Pologne,  malgré  leur  répugnance 
à  servir  la  cause  de  la  liberté,  en  étaient  venues  à  ce  point  de 
vénération  pour  Kosciuszko.  Ce  chef  général  était,  dans  toute 
Tacceplion  du  root,  une  idole  pour  elles;  seulement,  au 
milieu  de  l'oppression  séculaire  qui  n'avait  cessé  de  les 
écraser,  rien  ne  leur  ayant  jamais  démontré  l'utilité  de 
leurs  efforts  individuels,  elles  attendaient  tout  de  lui,  tou- 
jours à  peu  près  comme  le  Sauvage,  qui  attend  la  maturité 
des  fruits  sans  s'être  donné  la  peine  de  semer  ou  de  planter. 

Sur  toute  la  roule,  Kosciuszko  reçut  le  môme  hommage, 
excita  les  mômes  transports  ;  le  2  octobre,  il  arriva  à  Macie- 
jowîce,  où  il  trouva  l'armée  de  Sierakowski  dans  un  état  plus 
délabré  encore  qu'il  n'avait  cru.  Il  avait  pensé  qu'après  la 
jonction  des  divisions  Poninski  et  Zielinski,  qui  n'en  étaient 
qu'à  une  grande  journée  de  marche,  elle  se  monterait  à  qua- 
torze mille  hommes,  et  qu'il  pourrait  alors  tenter  le  sort 
d'une  bataille  pour  empêcher  la  jonction  de  Fersen  avec 
Suwarow  ;  mais  Poninski  n'avait  pas  rejoint,  et  Zielinski  n'a- 
vait envoyé  que  quelques  escadrons  de  mauvaise  cavalerie. 
Kosciuszko  alors  eût  évité  le  combat,  ou  l'aurait  au  moins 
retardé,  si  Fersen  n'eût  préféré  en  venir  à  une  action,  que  de 
laisser  derrière  lui  une  armée  qui  l'aurait  gêné  dans  sa  mar- 
che sur  Brzésé,  où  se  trouvait  alors  Suwarow.  Le  i  octobre, , 
ii  attaqua  l'armée  polonaise.  Kosciuszko,  dès  la  veille,  avait 
expédié  à  Poninski  l'ordre  d'arriver  à  marche  forcée,  et  d'en- 
trer immédiatement  en  ligne  sur  un  point  qu'il  lui  désigna  ; 
cette  division  devait  former  la  gauche  des  Polonais.  Par  les 
dispositions  heureuses  qu'il  avait  prises,  Kosciuszko  se  flattait 


DE  LA  nËYOLCTION  POLO?!AISE.  219 

de  pouvoir  tenir  en  échec  rennemi,  jusqu'à  Tarrivéc  Uo 
Poninski.  Malheureusement^  Tordre  qu'il  lui  envoya  fut  inter- 
.  ccpié  par  les  Russes^  qui,  dès  le  début  de  Taction,  agirent,  du 
reste,  de  manière  à  persuader  à  Kosciuszko  qu'il  pouvait 
compter  sur  la  jonction  de  son  lieutenant.  En  effet,  au  lieu 
d'attaquer  par  la  gauche  qu'ils  savaient  dégarnie»  ils  semblè- 
rent réunir  tous  leurs  efforts  pour  attaquer  la  droite.  Kos* 
ciuszko,  comptant  plus  que  jamais  sur  Poninski,  facilitait  lui- 
même  ce  mouvement  qui  assurait  son  avantage  et  faisait 
pivoter  son  centre  sur  sa  droite ,  de  telle  sorte  qu'en  arri- 
vant, Poninski  se  trouvait  naturellement  en  ligne,  et  prenait 
en  flanc  la  droite  des  Russes.  L'action  fut  des  plus  meur- 
trières à  son  début  ;  les  Polonais  y  eurent  un  moment  de 
succès  ;  quelques  bataillons  russes,  très-maltraités,  avaient 
plié  et  abandonné  leurs  canons,  et  nul  doute  que  si  Poninski  V 
fût  arrivé  en  ce  moment,  la  fortune,  qui  avait  toujours 
secondé  la  valeur  de  Kosciuszko,  ne  Teût  secondée  une  fois 
encore.  Il  n^en  fut  pas  ainsi.  Une  forte  division  de  cavalerie 
russe  ayant  chargé  en  muraille  du  côté  qui  devait  êire 
occupé  par  la  division  Poninski,  tout  le  flanc  gauche  des  Po- 
lonais se  trouva  rompu  et  refoulé  sur  le  centre,  où  il  jela  la 
confusion  et  le  désordre.  Dès  ce  moment,  la  bataille  fut  per- 
due. Kosciuszko  fit  humainement  tout  ce  qu'il  était  possible 
de  faire  pour  rétablir  le  combat  ;  mais  ce  fut  en  vain.  Les 
troupes  débandées  ne  reconnaissaient  plus  la  voix  de  leur  gé- 
néral, elles  fuyaient  dans  toutes  les  directions.  Kosciuszko 
désespéré  veut  tenter  un  dernier  effort  ;  il  prend  un  régiment 
de  hulans,  s'élance  à  sa  tète  au  milieu  des  colonnes  ennemies, 
et  parvient  à  y  jeter  un  moment  de  trouble;  partout  où  il 
passe,  il  fait  de  larges  trouées  ;  mais  bientôt,  ses  hulans  tom- 
bés un  à  un  mollissent  et  il  n'en  reste  plus  qu'un  petit  nombre 
qui  se  groupent  autour  de  leur  chef,  l'arrachent  à  une  mort 


220  HISTOIRE 

certaino  et  Tenlralnent  ;  son  cheyal  s'abat  en  sautant  um 
haie  ;  un  cosaque  qui  le  poursuivait  lui  donne  un  coup  da, 
lance  ;  un  carabinier,  accouru  en  même  temps^  lui  assène  un 
coup  de  sabre  à  la  tête  ;  déjà  blessé  d'une  balle  dans  la  cuisse 
et  de  cinq  à  six  coups  de  baïonnette  dans  le  corps>  affaibli  paf 
le  sang  qu'il  avait  perdu,  il  tombe  sous  un  dernier  coup  en 
prononçant,  les  yeux  levés  vers  le  ciel  quHl  semblait  accuser, 
ces  deux  mots  malheureusement  prophétiques  jusqu'aujour- 
d'hui :  Finis  Poloniœf 

Une  grande  partie  de  l'armée  polonaise  périt  dans  cette  ba- 
taille, le  resté  fut  fait  prisonnier  ;  toute  l'artillerie  fut  perdue; 
trois  otûciers-généraux,  Sierakowski,  Kniazjewiz  et  Kaminski 
furent  pris.  Jusqu'au  soir,  la  cavalerie  russe,  à  la  poursuite 
des  fuyards,  ne  cessa  de  sabrer  et  de  tuer.  Les  vœux  de  l'Eu- 
rope et  du  monde  avaient  suivi  Kosciuszko  dans  cette  lutte 
héroïque  ;  mais  la  fortune  s'était  déclarée  contre  lui.  Le 
champ  de  bataille  de  Maciejowice  devait  être  le  Philippi  de  la 
Pologne. 

Gisant  sans  connaissance,  au  milieu  des  morts,  Kosciuszko 
fut  reconnu  par  l'ennemi,  traîné  du  champ  de  bataille  à 
Kriow,  au  quartier-général  russe,  et  de  là  expédié  à  Saint- 
Pétersbourg  :  friand  cadeau  du  général  Fersen  à  Cathe- 
rine II! 

Dès  ce  moment,  commença»  pour  celle  idole  populaire 
qu'un  coup  de  la  fortune  venait  d'abattre,  une  de  ces  longues 
et  douloureuses  tortures  dont  les  tyrans  de  tous  les  âges  sem- 
blent s'être  transmis  la  recette.  Catherine,  en  cela,  était 
passée  maître,  et  jamais  ennemi  vaincu  n'avait  trouvé  grâce 
devant  ce  cœur  sans  noblesse,  où  il  n'y  avait  place  que  pour 
l'ambition. 

Moins  que  tout  autre,  Kosciuszko  pouvait  compter  sur  la 
générosité  de  la  czarine;  car  le  vice  même,  quelque  chonté 


DB  LA  RiyOLUTION  POLONAISE.  221 

quMl  soit,  la  fàa$se  grandeur  quelque  fayorablement  préve- 
nue qu'elle  soit,  sentent  d'instinct  la  supériorité  de  la  yertu  et 
|de  la  Traie  grandeur^  et  Catherine,  dans  l'avenir^  se  voyait 
I  moins  honorée,  moins  grande  sur  le  trône,  que  Kosciuszko 
dans  les  fers.  Cette  femme,  si  a?iâe  de  son  vivant  de  gloire  et 
de  renommée,  comme  si  elle  eût  pressenti  qu'à  sa  mort,  le 
hurin  de  Thistoire  rayerait  impitoyablement  toute  cette  gloire 
et  cette  renommée  d'emprunt,  se  vengeait  en  Kosciuszko,moins 
de  rbomme  du  présent  que  de  l'homme  de  l'avenir.  Aussi, 
avant  même  que  les  glorieuses  blessures  qu^il  avait  reçues  à 
M aciejovfrice  fussent  fermées,  n'eùt-elle  pour  lui  ni  de  fers  assez 
lourds,  ni  de  geôlier  assez  barbare,  ni  de  cachot  assez  infect 
dans  la  forteresse  de  Peltro-Pawoiwsks,  où  elle  le  fit  enfermer. 
Couché  sur  le  sol  humide  d'un  sombre  souterrain,  les 
mains  et  les  pieds  chargés  de  chaînes,  sans  autre  nourriture 
qu'un  pain  noir  et  dur,  sans  autre  boisson  qu'une  eau  crou- 
pie dont  les  sbires  de  la  czarine  se  montraient  même  avares, 
sans  feu  en  hiver,  sans  air  en  été,  presque  sans  vêtements  en 
tout  temps,  entièrement  privé  de  nouvelles  de  l'extérieur,  il 
passa  dans  ce  cachot  deux  années,  deux  longues  années,  pen- 
dant lesquelles  jamais  un  rayon  de  soleil  ne  réjouit  sa  Tue, 
jamais  la  douce  dialenr  du  feu  ne  dégourdit  ses  membres, 
jamais  une  main  amie  ne  pressa  la  sienne,  pendant  lesquelles 
enfin  il  ne  put  échanger  une  seule  fois ,  avec  quelqu'étre 
compatissant,  un  mot  de  consolation  ou  d'espérance. 

Mort  en  quelque  sorte  au  monde,  et  dans  le  doute  de  ce  qui 
se  passait  au  dehors,  il  se  berçait  parfois  d'une  étrange  illu- 
sion ;  il  espérait,  ou  que  la  Révolution  française  vengerait  sa 
patrie  écrasée,  ou  qu'un  restant  de  pudeur  de  la  part  des  Cabi- 
nets non  complices  de  la  Russie  et  de  la  Prusse  motiverait 
quelque  protestation  qui  pourrait  tourner  à  l'avantage  de  la 
Pologne.  Cette  pensée  était  seule  sa  consolation;  seule  elle 


222  HISTOIRE 

berçait  ses  malheurs,  seule  elle  endormait  ses  souffrances. 
Pologne  I  liberté  !  tel  avait  été  le  rêve  de  toute  la  vie  de  cet 
homme^  et^  dans  les  fers^  il  trouvait  une  secrète  joie  à  croire 
tromper  la  rage  de  son  bourreau^  en  faisant  des  vœux  pour 
Tune  et  se  passionnant  plus  que  jamais  pour  Tautre. 

A  cette  même  époqne,  Lafayetle  gémissait  pour  cette  même 
cause  dans  les  cachots  d'Oimufz.  Triste  analogie  du  sort  de 
ces  hommes  qui^  après  s'être  trouvés  ensemble  défendant  la 
liberté  en  Amérique»  expiaient  en  Europe,  Tun  dans  les  fers 
de  l'Autriche,  Tautre  dans  ceux  de  la  Russie,  leurs  généreux 
efforts  pour  le  triomphe  d'une  cause  dont  ils  étaient  à  la  fois 
les  apôtres  et  les  martyrs. 

Depuis  le  jour  de  la  bataille  de  Maciejowice,  le  nom  de 
Kosciuszko  ne  figura  dans  les  annales  révolutionnaires  de 
son  pays,  que  comme  un  glorieux  souvenir  d'une  héroïque 
lutte,  ou  comme  l'emblème  d'un  de  ces  bons  génies  que  les 
peuples,  dans  leurs  détresses,  ne  manquent  jamais  d'invo- 
quer. N'ayant  plus  à  nous  occuper  de  lui  qu'à  ce  double  titre, 
dans  ce  qui  nous  reste  à  raconter  des  révolutions  de  Pologne, 
nous  interromprons  un  moment  le  récit  des  faits  pour  ache- 
ver de  tracer  à  grands  traits  le  restant  de  la  vie  de  cet 
homme  extraordinaire,  pour  qui  l'indépendance  de  son  pays 
fut  un  culte  et  la  liberté  une  religion. 

Jusqu'à  la  mort  de  Catherine  (6  novembre  1796),  Kos- 
ciuszko était  resté  enfermé  dans  la  forteresse  de  Petro-Pa- 
wolwks.  L'un  des  premiers  actes  du  nouveau  czar  Paul  I**  fut 
d'aller,  avec  ses  deux  ills,  les  grands-ducs  Alexandre  et  Cons- 
tantin, visiter,  dans  sa  prison,  cette  illustre  victime.  Cet  acte 
fut  à  la  fois  un  hommage  au  courage  malheureux  et  une 
satisfaction  à  l'opinion  publique  européenne,  dont  Catherine 
jLVait  déjà  pu  entendre  le  jugement  sévère  et  flétrissant,  avant 
même  que  la  tombe  se  fût  refermée  sur  elle.  Paul  P'  offrit  à 


DE  LA  RÉVOLUTIOlf  POLONAISE.  223 

Kosciuszko  la  liberté,  des  présents  considérables  en  terres  et 
en  paysans,  des  dignités^  des  honneurs  et  le  grade  de  teld- 
maréchal.  De  fout  cela  Kosciuszko  n'accepta  que  la  liberté. 

Le  premier  usage  qu'il  en  fit  fut  d'affranchir,  par  un  ac(e 
authentique^  tous  les  serfs  d'une  petite  terre  qu'il  possédait 
en  Lithuanie.  Après  ce  devoir  d'honnête  homme  rempli^  il 
était  passé  en  Angleterre,  où  le  peuple  et  le  gouveruement 
surent  rendre^  par  leur  accueil,  un  hommage  juste  et  mérité  à 
ses  vertus  civiques.  Aux  États-Unis,  où  il  se  rendit  de  là,  le 
congrès,  par  une  résolution  spontanée  et  pour  venir  noble- 
ment en  aide  à  la  noble  misère  d'un  homme  qui,  après  avoir 
été  chef  d'un  gouveruement,  en  était  sorti  pauvre,  lui  accorda 
solennellement  le  capital  et  les  intérêts  de  cinq  années  de 
traitement,  qui  lui  restaient  dus  de  ses  précédents  services 
dans  la  guerre  de  l'indépendance,  16,000  piastres  environ. 

En  1798,  le  besoin  de  revoir  sa  patrie,  une  espérance  vague 
qu*à  la  suite  des  victoires  de  la  Révolution  française  et  des 
événements  politiques  qui  remuaient  alors  l'Europe,  il  pour- 
rait s'offrir  quelques  chances  fayorables  -à  la  renaissance  de 
la  Pologne,  le  décidèrent  à  se  rendre  à  Paris.  Là,  le  26  ther* 
midor,  se  trouvant  à  une  séance  des  Cinq-Cents,  lorsque  le 
président,  parlant  des  malheurs  de  la  Pologne,  dit  qu'ils  ne 
seraient  pas  éternels,  puisque  l'illustre  défenseur  de  la  liberté 
sarmate  était  de  retour  en  Europe,  des  larmes  involontaires 
s'échappèrent  de  ses  yeux,  dernier  tribut  public  qu'il  paya 
au  malheureux  sort  de  sa  patrie. 

,    Depuis  qu'il  avait  été  mis  en  liberté,  son  nom  s'était  trouvé 
si  intimement  lié  à  toutes  les  espérances  de  la  Pologne,  que\ 
le  général  Dombrowki,  ce  chef  illustre  des  légions  polonaises  : 
le  rilalie  durant  toutes  les  campagnes  du  nord  et  du  midi 

de  la  péninsule  italique,  n'avait  cessé  de  lui  envoyer  ses 
rapports,  comme  au  chef  suprême  de  la  république  de  Po« 


221  HISTOIRE 

logne»  qui,  à  cette  époque,  n'existait  cependant  plus  que  dans 
les  cœurs  polonais. 

En  1801,  ayant  fait  connaissance  à  Paris  de  M.  Zoltner, 
ministre  de  la  confédération  suisse,  et  s'étant  lié  d'amitié  avec 
lui,  il  accepta  son  invitation  de  s'établir  à  Soleure,  au  sein 
de  sa  famille,  dont  il  fit  partie  pendant  quinze  ans. 

Dans  les  divers  lieux  qu'il  avait  habités  jusqu'alors,  sa 
pensée,  toujours  tournée  vers  la  Pologne,  n'avait  cessé  d'es- 
pérer et  son  indépendance  et  sa  liberté.  Aussi,  toutes  les  fois 
que  des  officiers  polonais  se  présentaient  devant  lui,  il  ne  lais- 
sait échapper  aucune  occasion  de  leur  rappeler  a  que  Uavenir 
<K  de  la  Pologne  dépendait  de  la  France,  et  que  c'était  à  elle 
a  qu'ils  devaient  se  réunir.  » 

En  1814,  lors  de  l'invasion  des  troupes  coalisées  en  France, 
l'empereur  Alexandre,  suivant  la  marche  libérale  que  les  cir- 
constances prescrivaient  à  tous  les  Cabinets,  s'empressa  d'or- 
donner aux  officiers  polonais  de  rendre  hommage  à  leur  an- 
cien généralissime.  Bien  plus,  dans  une  lettre  du  3  mars  1814, 
il  lui  avait  dit  :  a  Vos^vœux  les  plus  chers  sont  comblés  : 
a  avec  l'aide  du  Tout-Puissant,  j'espère  réaliser  la  régénéra- 
«  lion  de  la  brave  et  respectable  nation  polonaise,  à  laquelle 
a  vous  appartenez.  J'en  ai  pris  l'engagement  solennel,  et  de 
«  tout  temps  son  bien-être  a  occupé  ma  pensée.  »  Ce  langage 
si  franc  et  si  bienveillant,  en  apparence»  était  commandé  par 
la  crainte  qu'avaient  alors  les  troupes  coalisées  que  la  Pologne 
ne  se  soulevât  sur  leurs  derrières.  Kosciuszko  n'y  vit  que  l'es- 
poir de  la  réalisation  de  son  idée  fixe,  et  crut  devoir  se  pré- 
senter devant  le  czar.  L'accueil  qu'il  en  reçut  fut  amical,  con- 
fiant même,  au  point  qu'Alexandre  lui  demanda  des  conseils 
pour  le  bonheur  futur  des  Polonais.  Kosciuszko,  alors,  s'ap- 
procha d'une  carte  de  Pologne  étendue  sur  une  table,  et,  dé- 
signant du  doigt  le  Borystène  et  la  Dwina,  lignes  qui  avaient 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  225 

formé  les  frontières  entre  l'ancienne  Pologne  et  la  Russie,  il 
indiqua  les  principaux  points  qui  devraient  être  suffisamment 
fortifiés.  Le  noble  héros  ne  s'aperçut  qu'on  avait  voulu  se 
jouer  de  sa  crédulité ,  que  lorsqu'après  celte  conversation, 

i  le  grand -duc  Constantin  publia  dans  tous  les  salons  de  Paris 

j  que  ce  vieillard  avait  perdu  la  raison. 

Cependant  Kosciuszko,  revenu  de  son  illusion,  et  après 
avoir  avoué  à  Lafayetie  qu'il  n'avait  plus  d'espoir  pour  l'indé- 
pendance de  sa  patrie  reçut  quelques  communications  de  Po- 
lonais qui  assistaient  au  congrès  de  Vienne,  et  sentit  se  ra- 
nimer en  son  cœur  une  espérance  à  laquelle  il  lui  était  si  dur 
de  renoncer.  Cédant  à  la  sollicitation  de  quelques  uns  de  ses 
concitoyens,  il  entreprit  le  voyage  de  Vienne.  Mais,  à  Braunau, 
ayant  eu  une  dernière  entrevue  avec  Temperenr  Alexandre 
qui  n'avait  plus  de  motifs  pour  dissimuler,  il  en  reçut  la  ré^ 
ponse  désolante  suivante  :  «  Les  Polonais  ne  doivent  espérer 
«  de  bonheur  que  dans  leur  fusion  complète  avec  la  grande 
«  race  slave ,  et ,  par  conséquent ,  ne  plus  songer  à  leur 
«  ancienne  indépendance  nationale.  )»  Kosciuszko  se  retira 
la  mort  dans  r&me. 

Le  seul  espoir  qui  avait  jusqu'alors  soutenu  sa  vie  se  trou- 
vant ainsi  brutalement  brisé,  sa  santé  déclina  rapidement,  et 
il  mourut  à  Soleure,  en  Suisse,  le  15  octobre  1817.  Sa 
dernière  pensée,  son  dernier  vœu,  son  dernier  mot  furent 
pour  son  pays. 

En  Suisse,  en  France,  en  Angleterre,  en  Amérique  et  jus- 
qu'en Prusse  et  en  Russie,  on  rendit  des  honneurs  unanimes 
a  sa  mémoire.  Mais  ce  fut  surtout  en  Pologne,  où  Tempereur  ! 

;  Alexandre  avait  accordé  la  permission  qu'on  apportât  son  [ 
corps,  qu'il  reçut  Thommage  le  plus  éclatant  qu'un  citoyen 
puisse  recevoir  de  son  pays.  Le  prince  Antoine  Jablonowski 
fut  désigné  pour  aller  recevoir  son  corps,  et  raccompagner 

29 


226  niSTOiRB 

de  Suisse  jusqu'à  Cracovic.  La  république  lui  fit  des  obsèques 
magnifiques^  et  déposa  provisoireuieut  ses  restes  dans  le  tom- 
beau des  roiSi  entre  Sobieski  et  Joseph  Poniatowski  ;  puis  elle  ' 
lui  consacra  un  monument  à  l'ouest  de  la  irille»  sur  la  butte  , 
dite  Branislawa,  mot  composé  qui  signifle  défendre  la  gloire; 
c^est  un  monticule  fait  de  main  d*liorarae,  de  quaraute-sîx 
toises  de  diamètre  à  sa  base,  et  de  vingt  toises  de  hauteur  : 
manière  antique  de  conserver  la  mémoire  des  grands  hommes 
par  un  monument  impérissable.  Cinq  ans  furent  employés  à 
son  érection.  Toute  la  jeunesse  polonaise,  les  femmes,  les 
vieillards,  les  enfants,  accourus  de  tous  les  points  de  la  Po« 
logne,  voulurent  coopérer  à  cette  œuvre  en  remuant  la  terre 
ou  en  maniant  la  bêche. 

Quatre  familles  villageoises,  choisies  parmi  celles  des  Po- 
lonais qui  avaient  servi  sous  les  ordres  de  Kosciuszko,  furent 
établies  autour  du  monument  pour  veiller  à  sa  conservation, 
lel  fut  le  restant  de  la  vie  de  l'homme  dont  l'éloge  retentit 
dans  toute  FEurope.  Partout  on  rendit  également  justice  au 
citoyen  courageux,  au  véritable  patriote  qui,  sans  autre  but 
que  le  bonheur  et  l'indépendance  de  son  pays,  s'était  voué 
•  corps  et  âme  à  tous  les  périls  et  à  tous  les  sacrifices. 
I     Après  lui  avoir  payé,  par  cette  courte  notice,  qui  n^aurait  pu 
j  trouver  place  ailleurs,  notre  tribut  dUiommages,  nous  allons  : 
reprendre  le  récit  de  la  révolution  polonaise  de  179i,  où  nous 
aurons  encore  à  relater  un  dernier  épisode,  qui  est  une  des 
pages  les  plus  lugubres  de  l'histoire  du  xvni*  siècle. 


DE  LA  RÉVOLLTIÛN  POLONAISE.  227 


OIAPITRE  Vni 
1795 


Rôle  de  PAulriche  pendant  la  révolution  de  Pologne.  —  Tableau  de  la 
Pologne  après  la  perte  de  la  bataille  de  Maciejowice  —  Nomination  d'un 
chef-général.— Wawrzecki.— Découragement  de  l'armée  et  du  peuple. 
—  Grands  préparatifs  de  dérense;  faibles  chances  de  succès;  revers 
successifs.  —  Famine  à  Varsovie.  —  Arrivée  des  Russes  devant  Var- 
sovie. —  Prise  du  faubourg  de  Praga.  —  Horribles  massacres  de  Su- 
warow.  —  Capitulation  de  Varsovie.  —  Fin  de  la  révolution  de  Pologne 
de  i794.— Arrestations,  confiscations,  exécutiona,— Coup  d*œil  rétro- 
spectif. 


Kosciuszko  prisonnier,  la  bataille  de  Maciejowice  perdae, 
la  révolution  polonaise  n'avait  plus  ni  finie  pour  se  diriger, 
ni  forces  pour  se  défendre.  La  nouvelle  de  ce  double  désastre 
remplit  la  Pologne  de  douleur  et  de  deuiL  Comme  dans  les 
grandes  calamités  nationales,  où  un  peuple  n'a  plus  rien  à 
attendre  des  secours  humains,  la  foule  se  précipitait  dans  les 
temples,  demandant  au  Dieu  du  ciel  aide  et  protection  contre 
les  iniques  oppresseurs  de  la  terre.  Jamais,  à  aucune  époque, 
des  grands  du  monde  n'avaient  amoncelé  sur  leurs  têtes  au- 
tant de  malédictions  qu'en  amoncelèrent,  en  cette  circon- 
stance, Catherine  et  Frédéric-Guillaume;  mais  aussi  jamais 
moyens  plus  infâmes  n'avaient  été  employés  pour  accroître 


228  HISTOIRE 

leur  territoire  de  quelques  lieues  de  terrain.  Pour  atteindre 
ce  but,  le  sang  qu'ils  avaient  fait  verser  en  Pologne  aurait  pn, 
réunie  former  un  torrent;  grossi  de  celui  qu'ils  allaient  faire 
verser  encore,  ce  torrent  serait  devenu  fleuve.  Effrayant 
complément  de  cette  fin  de  siècle,  qui,  comme  par  une  inten- 
tion manifeste  de  la  Providence,  semblait  n'avoir  été  mis 
en  regard  des  colères  populaires  de  la  révolution  française, 
que  pour  les  absoudre  toutes  à  l'avance!  En  effet,  en  accrédi- 
tant le  droit  de  la  force,  Catherine  et  Frédéric-Guillaume 
avaient  accrédité  le  droit  de  révolte.  En  brisant  violemment 
tous  les  liens  de  la  foi  publique,  en  rentrant  impudemment 
dans  le  droit  naturel,  ils  semblèrent  avoir  fatalement  légitimé 
ce  terrible  droit  de  représailles  des  peuples. 

Mais  aussi  quelles  fureurs  pourront  jamais  dépasser  les  fu- 
reurs que  ces  pouvoirs  sans  entrailles  allaient  exercer  contre 
la  Pologne  !  La  ruine,  les  spoliations,  le  bannissement  pour 
les  uns  ;  les  fers,  les  tortures,  le  déshonneur  des  filles,  la  mort 
pour  les  autres;  pour  les  condamnés  à  mort  la  flétrissure  et  les 
gémonies  :  aux  graciés  vivants  on  allait  ravir  tout  ce  qui  con- 
stitue une  nationalité  :  lois,  cœur,  langue,  et  leur  culte  et  leur 
Dieu  ! 

El  quand,  par  la  sympathie  qod  cdihmandenl  de  telles  souf- 
frances, par  l'horrcùt  qu'inspirent  de  tels  forfaits,  quant  au 
nom  de  la  famille,  de  sa  joie  et  de  ses  devoirs,  au  nom  des 
droits  de  rbumanité,  au  nom  de  la  foi  des  peuples  meurtris, 
décimés,  écrasés  parla  brutalité  ou  le  dédain,  se  sont  relevés 
saignants  pour  jeter  le  défi  au  puissant,  qui  pourrait  con- 
damner cette  exaltationt  De  telles  luttes,  commencées  au  nom 
de  tous  les  droits  brutalement  foulés,  ne  sont-elles  pas  saintes 
par  leur  origine,  grandes  par  leur  but,  immenses  par  leur 
audace?  Et  comment  s'étonner  alors  de  ces  révoltes,  de  ces 
insurrections  qui  semblent  devenues  le  patrimoine  des  géné« 


DE  LA  nÛYOLUTION  POLONAISE.  229 

rations  nouYelles^  et  qui^  appliquant  aux  gouvernements  les 
maximes  qui  ont  basé  leur  conduite,  semblent  vouloir  faire 
remonter  jusqu'à  eux  la  responsabilité  de  ces  crimes.  Quand 
la  mer  en  furie  engloutit  matelots  et  vaisseau,  ce  n'est  pas 
elle  qu'il  faut  accuser,  mais  le  vent  de  la  tempête  qui  a  sou- 
levé ses  vagues  et  eutr'ouvert  ses  abîmes. 

On  a  déjà  pu  voir  le  singulier  rôle  que  jouait  TÂutriche 
dans  cette  spoliation  de  la  Pologne.  Elle  laissait  la  Russie  et 
la  Prusse  engager  Taction,  semblant  dire  aux  Polonais  s 
a  Soyez  vainqueurs,  ou  vous  m'aurez  pour  ennemi,  d  Puis, 
si  la  fortune  se  déclarait  contre  eux,  elle  s'avançait  bravement 
pour  leur  porter  le  dernier  coup,  et  disait  à  la  Russie  et  à  la 
Prusse  :  «  Je  veux  ma  part.  »  Ce  rôle  avait  le  double  avantage 
de  ménager  ses  armées  et  de  laisser  aux  deux  autres  puis- 
sances tout  Todieux  de  cette  grande  iniquité.  Après  la  perle 
de  la  bataille  de  iMaciejowice,  le  Cabinet  de  Vienne  ne  se  dé- 
partit pas  de  cette  politique,  et  les  généreux  défenseurs  de  la 
Pologne,  écrasés  déjà  par  les  forces  de  la  Russie  et  de  la 
Prusse,  virent  les  troupes  autrichiennes  entrer  sur  le  terri* 
toire  de  la  république,  et  venir  réclamer  une  part  de  dé* 
pouilles.  La  Pologne»  hors  d'état,  désormais,  d'opposer  d'autre 
résistance  que  celle  du  désespoir,  était  dans  la  situation  d'une 
victime  condamnée  qui  lutte  une  dernière  fois  pour  échapper 
aux  bourreaux  acharnés  contre  elle. 

En  proie  aux  factions  de  l'intérieur:  faction  royaliste,  qui, 
par  intérêt  et  sympathie»  secondait  les  étrangers;  faction 
exaltée,  qui,  en  dehors  de  toutes  considérations  personnelles, 
croyait  ne  pouvoir  relever  que  par  des  mesures  acerbes, 
l'énergie  d'une  nation  amollie  et  dégradée  ;  faction  modérée,  i 
qui  prenait,  pour  l'eifet  de  la  raison  et  de  l'humanité,  ce  qui 
n'était  que  celui  de  la  faiblesse  de  caractère  ;  un  trésor  vide  ; 
une  armée  désorganisée,  commandée  par  des  généraux  op* 


230  HISTOIRE 

posés  de  sentiments  et  d'inclinations,  n'ayant  plas  confiance 
en  elle-même  depuis  qu^elle  avait  perdu  un  chef  adoré;  une 
famine  imminente  ;  une  noblesse  turbulente  et  égoïste,  qui 
voulait  de  la  liberté  sans  renoncer  à  aucun  de  ses  droits  féo- 
daux ,  qui  voulait  de  l'indépendance  sans  rien  changer  i 
ses  formes  oppressives  de  caste  ;  une  population  sans  énergie, 
qui  pleurait  quand  il  fallait  agir  ;  partout  de  la  mauvaise  vo- 
lonté, de  la  consternation ,  du  découragement  ;  trois  armées 
ennemies  au  cœur  de  la  république,  hâtives  de  s'emparer  de 
ce  qu^elles  s'étaient  adjugé,  comme  ces  voraces  oiseaux  de 
proie  qui  n'attendent  pas  la  mort  de  leur  victime  pour  la 
déchiqueter  par  lambeaux  :  tel  était  le  tableau  que  présentait 
la  Pologne  après  la  journée  de  Maciejowice. 

Des  trois  factions  qui  divisaient  alors  la  Pologne,  les  exaltés, 
les  royalistes,  les  modérés,  une  seule,  celle  des  exaltés,  pou- 
vait conjurer  les  nouveaux  désastres  qui  menaçaient  ce  mal- 
heureux pays.  Elle  avait  pour  chef  Kolontay,  qui,  décidée 
lutter  jusqu'au  bout,  et  espérant  encore  quand  il  n'y  avait 
réellement  plus  d'espoir,  convoqua  le  conseil  et  entreprit  de 
relever  le  courage  de  ses  concitoyens. 

Ce  que  proposait  Kolontay  n'était  pas  facile.  Le  peuple, 
comme  l'armée,  avait  eu  jusqu'alors  plus  de  confiance  en 
Kosciuszko  qu'en  lui-même.  Ce  chef-général,  soit  par  ses  ta- 
lents militaires,  soit  par  ses  vertus  patriotiques,  avait  telle- 
ment résumé  la  cause  révolutionnarre,  que,  sans  lui,  cette 
cause  perdait  et  son  prestige  et  sa  force.  Il  existait,  en  outre, 
en  Pologne,  comme  on  vient  de  le  voir,  divers  partis  qu'il 
n'était  rien  moins  que  facile  de  concilier,  et  ces  diverses 
•  nuances  de  patriotes  ou  prétendus  tels  n'étaient  pas  prêtes  è:  ^ 
{ ïl'accorder  sur  le  choix  d'un  chef.  Cependant,  Kolontay  ayant  i 
'  proposé  le  général  Wawrzecki  pour  remplacer  Kosciuszko,  ce 
choix  parut  réunir  les  esprits. 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE,     t  231 

En  effets  Wawrzecki  joignait  à  beaucoup  de  vertus  civiles 
un  caractère  mfile,  beaucoup  de  fermeté  judicieuse,  une 
grande  popularité  et  une  défiance  de  lui-même,  assez  mo- 
deste pour  ne  pas  porter  ombrage  aux  ambitions  qui  aspi- 
raient à  la  succession  dé  Kosciuszko.  Puis,  Wawrzecki  ne 
8*étanl  jamais  déclaré  pour  aucun  parti,  chacun  se  flattait  de 
Taitirer  dans  le  sien.  Sa  nomination  n'éprouva  pas  de  con« 
tradiction. 

Il  n'en  fut  pas  de  même  de  la  nomination  d'un  conseil  de 
guerre  chargé  de  régler  les  opérations  de  la  campagne.  Le 
parti  de  Stanislas  trouva  moyen  de  s^y  faire  représenter  en 
miyorité  telle,  que  Zajonczek,  à  qui  on  avait  laissé  la  conduite 
générale  de  Tarmée  jusqu'à  l'arrivée  de  Wawrzecki,  refusa  de 
siéger  dans  un  conseil  ainsi  composé.  Cet  éclat  d'un  homme 
si  haut  placé  alors  pouvait  être  d'autant  plus  fâcheux,  que  les 
esprits,  déjà  aigris  par  le  malheur,  n'étaient  que  trop  portes  à 
en  accuser  les  royalistes,  et  qu'il  était  dangereux  d'éveiller 
l'attention  du  peuple  sur  les  manœuvres  de  ce  parti.  Les  pre- 
miers choix  furent  révoqués,  et  le  conseil  suprême  nomma 
d'autres  membres  dont  le  patriotisme  était  à  l'abri  de  tout 
soupçon. 

Pour  sortir  d'une  situation  aussi   critique,  les  Polonais 
avaient  besoin  d'un  de  ces  grands  élans  d'enthousiasme  et 
d'énergie,    comme   la   France  en  avait  donné  l'exemple 
en  1793.  Mais,  à  part  un  très-petit  nombre  de  révolution-* 
naires,  tels  que  Kolontay,  Zajonczek  et  quelques  autres,  les 
révolutionnaires  de  ce  pays  n'étaient  pas  à  la  hauteur  de  leur 
œuvre,  et  ils  voulaient  plutôt  une  révolution,  pour  se  sous- 5 
traire  à  la  tutelle  des  étrangers,  que  pour  rien  changer  à  leur  ^ 
constitution  sociale.  Ainsi,  par  exemple,  les  nobles,  les  plus'i 
oppresseurs  des  nobles  du  continent,  voulaient  bien,  en 
grande  partie,  assurer  Tindépendanco  nationale,  mais  ne 


232  ,  HISTOIRE 

Toulaient  rien  abandonner  de  leurs  droits  oppressifs  sur  les 
paysans' polonsiis.  Les  paysans,  de  leur  c&té^  qui  voyaient  ce^ 
mauvais  vouloir^  et  qui^  maîtres  -  poQr  maf  très,  ne  tenaient 
paç  plus  Q  un  seigneur  polonais  qir'à  un  russe  ou  à  un  prns* 
sj&n,  ne  prôtiàVent  pdrl  à  la  Itrtle  que  par  force^  et  voyaient 
indifférethm'ent  un  ennemi  dans  tous.  Tant  que  Kosciuszko 
avait élé  «  letartête,  la  conflanceîiislinclîve  qu'il  avait  su 
inspirer,  bien  plus  que  Tenlhousiasme  pour  la  patrie,  avait 
ténhi  autèiir  de  lui  les  espri^is  ^e  l'arniéô  et  des  classes  po- 
pulaires. La  niajèure  partie  de  la  nation  n'avait  eu  d\iutre 
motif,  pour  rééouter  etiei  suivre,  que  l'exemple  et  un  senti- 
ment très-pëu  défini  de  dignité  nationale  froissée  ctiez  les' 
l^oblesy  de  dignité  humaine  écrasée,  chez  les  paysans.  Un' 
mouvement  révolutionnaire  aussi  vague  devait  forcément 
^arrêter  avec  FhCmme  qui  lui  avait  donné  l'impulsion. 

<  C'est  ce. qui  eût  lieu.  Dès  la  période  Kosciuszko,  rien  ne 
put  ranimer  et  «outenit  le  courage  des  Polonais  ;  ils  étaient 
tolalèmeni  décc»ufagës,  abattus  ;  il  n^y  avait  nulle  part  ni  es- 
pbir,  ni  énergie,  et  bien  plus,  ni  esprit  âe  patriotisme.  Ce* 
peuple,  qui  avail  ^ariil  quelque  chose  îsous  Kosciuszko,  cessa 
d'élre  avec  lui,  et  à  la  valeur  qu'il  avait  montrée,  succéda 
iitaie  incroyable  pusillanimité.  Pour  surcroît  ile  malheur,  la 
faction  royaliste  leva  fièrement  la  tdte,  accapara  insensible- 
ment totis  les  ser'^icés,  et  lèS  insurges; contrariés  en  tout  et' 
pdur  tout,  thaï  Seèôndés,'  mal  obéis,  n^eurent  plus  qu'a  cour*  ' 
bèr  la  tête  devant  le  sort  qui  les  attendait,  line  cabale  àuda- 
cteuse,  compôlséè,  âti  reste,  de  gens  de  tous  les  partis,  et  gé^ 
néralement  mus  par  ce  sentiment  d'égoïsme  qui  a  perdu  la 
Pologne,  allait  entraver  toutes  les  opérations,  paralyser  tou- 
tes le^  mesurés.  • 

'Cependant  Wavrrzecki,  qui,  au  moment  de  sa  nomination 
au  titre  de  chef-général,  se  trouvait  en  Litbuanie,  était  ar- 


V 


■>« 


DE  lA  RÉV0LCTI02I  POLONAISE.  it.33 

rivé  dans  les  premiers  jours  d'octobre  1795.  Il  n'accepta  rem- 
ploi dont  on  l'avait  revêtu  que  dans  la  crainte  qu'une  nouvelle 
élection  n'augmentât  le  désordre,  et  s'y  soumit  en  véritable 
Tictime.  Pour  éviter  à  la  ville  de  Varsovie  un  bombardement 
certain^  on  travailla  activement  aux  retranchements  du  fau- 
bourg de  Praga  ;  mais  des  revers  successifs  vinrent  se  joindre 
encore  à  la  disette  qui  commençait  d'affamer  la  ville.  Ponia- 
towski»  qui,  pour  faciliter  l'enti'ée  des  vivres  et  ranimer  la 
courage  des  Polonais,  avait  reçu  l'ordre  de  forcer  le  poste  de 
Kamionna,  occupé  par  les  Prussiens,  fut  battu  et  perdit  beau- 
coup des  siens.  Mokronowski^  attaqué  par  les  Russes,  à  Ko- 
bylka,  à  trois  lieues  de  Varsovie^  avait  été  mis  en  dérouta 
complète,  avait  perdu  la  moitié  de  sa  division^  son  artillerie^ 
et  ses  bagages.  Ces  deux  échecs  achevèrent  tellement  de  gla- 
cer d'épouvante  tous  les  cœurs  de  l'armée,  que  ceux  mêmes 
des  officiers  qui  avaient  autrefois  montré  le  plus  d'audace, 
frouvèitent  la  résistance  impossible  ;  le  dégoût  devint  géné- 
ral, la  méûauce  s'empara  de  toutes  les  âmes,  et  les  plus  con- 
fiants ne  purent  plus  même  espérer  de  tirer  parti  de  ces  es- 
prits consternés. 

a  La  prospérité,  dit  à  ce  «ujet  l'auteur  anonyme  de  la 
Révolution  de  Pologne  de  1794,  qui  cache  la  lâcheté,  dé^ 
robe  au  courage  la  moitié  de  sa  gloire.  C'est  l'adversité  seule 
qui  peut  déployer,  dans  tout  leur  lustre,  des  caractères  mâles 
et  fermes.  Mais  des  caractères  de  cette  trempe  étaient  rares 
en  Pologne.  Vainement  les  officiers  pratriotes  couraient  de 
rang  eu  rang  consoler  les  soldats,  répétant  que  rien  n'était 
désespéré,  que  d'autres  armées  avaient  échappé  à  de  plus 
grands  dangers,  qu'il  ne  fallait  pas  s'affliger  sans  mesure  des 
'  maux  accidentels,  qu'un  coup  de  fortune  pouvait  relever  ce 
qu'un  coup  de  fortune  avait  rabaissé,  et  qu'une  énergique 
résistance  pouvait  réparer  bien  des  désastres.  Tous  ces  dis- 

30 


2Zi  HISTOIRE 

cours  étaient  vains  ;  le  soldat  les  écoutait^  et^  à  la  seule  ?ue 
derennemi,  jetait  les  armes  et  s'enfuyait  sans  combattre,  d 

Bientôt  la  famine  jeta  dans  les  rues  de  Yarsovie  une  popu- 
lation hâve  et  affamée^  demandant  à  grands  cris  du  pain.  Les 
distributions  publiques  sufflrent  pendant  quelques  jours  pour 
conjurer  une  parlie  des  maux  de  cet  impitoyable  fléau;  mais 
bientôt  elle  devinrent  insuffisantes,  et^  au  moment  où  Ton 
avait  le  plus  grand  besoin  de  troupes,  on  fut  obligé  d^envoyer 
dans  la  Grande-Pologne  celles  qui^  sous  les  ordres  de  Gie- 
droye,  arrivaient  de  la  Lithuanien  et  qu'on  était  hors  d^état 
de  nourrir.  Il  résulta  delà  que  les  retranchements  de  Praga, 
qu'on  avait  étendus  pour  couvrir  la  ville  et  qui  auraient  exigé 
trente  mille  hommes  au  moins  pour  les  défendre^  ne  furent 
garnis  que  de  dix  mille  hommes^  huit  mille  d'infanterie 
échappés  aux  récents  désastres  et  aux  avant-postes,  deux 
mille  chevaux  tombant  de  lassitude  et  d^inanition.  Au  défaut 
de  soldats,  on  comptait  sur  les  bourgeois  de  Varsovie,  comme 
lors  du  siège  des  Prussiens.  Hais  les  temps  étaient  changés; 
la  défiance  et  le  découragement  avaient  succédé  à  Fenthou- 
siasmeet  à  l'espoir,  Kosciuszko  n'était  plus  là  pour  redonner 
une  âme  à  cette  population  qui  en  manquait  alors  totale- 
ment. 

A  cette  époque,  dans  une  circonstance  incontestablement 
la  plus  critique  où  puisse  se  trouver  une  ville,  il  se  passa  à 
Varso\îe  un  fait  que  l'hisioire  doit  consigner.  Le  15  octobre, 
anniversaire  de  la  fêle  de  Kosciuszko,  assaillis  par  la  famine^ 
prêts  à  être  assiégés  par  deux  armées,  n'ayant  pour  les  défendre 
que  des  troupes  découragées  et  insuffisantes,  en  proie  à  toutes 
les  inquiétudes  des  maux  du  présent  et  à  celles  des  désastret 
plus  grands  encore  que  pouvait  leur  réserver  l'avenir,  les  ha- 
bitants célébrèrent,  par  une  grande  illumination,  la  fête  du 
grand  citoyen  dont  ils  déploraient  la  perte  :  action  touchante 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  233 

et  rare»  où  l'on  voit  un  peuple  entier  rendre  justice  à  son 
chef  Taincu  et  malheureux. 

Cependant^  malgré  le  peu  de  chances  de  succès  que  pouvait 
offrir  la  défense  de  Varsovie^  dernière  ressource  des  patriotes^ 
on  continuait  à  hâter  les  retranchements  du  faubourg  de 
Pragaelàélever  des  fortifications^  comme  si  la  démoralisation 
de  Tarmée  et  le  découragement  des  habitants  ne  devaient  pas 
les  rendre  d'avance  inutiles.  Dans  celte  circonstance  critique^ 
le  conseil  de  guerre  fut  convoqué  extraordinairement.  Plu- 
sieurs avis  vigoureux  furent  émis,  celui  entre  autres  de  ras- 
sembler toutes  les  forces  disponibles  sous  Praga  et  de  tenter 
un  combat  général  hors  des  retranchements.  Les  Polonais 
pouvaient  alors,  en  moins  de  trois  jours,  réunir  une  armée 
de  vingt-six  mille  hommes»  et,  laissant  un  corps  de  trois 
mille  hommes  pour  observer  les  Prussiens  et  masquer  Topé* 
ration,  ranimer  par  une  victoire  le  courage  des  esprits  abattus^ 
raviver  les  divers  foyers  d'insurrection,  soit  en  Lithuanien 
soit  dans  la  Grande-Pologne,  et  changer  totalement  la  face  des 
afEaires. 

Ce  projet,  si  le  succès  en  eût  couronné  Texécution,  eût  pu, 
en  effet»  imprimer  au  mouvement  révolutionnaire  un  élan 
plus  prononcé,  plue  décisif,  et  dont  il  eût  été  difficile  de  cal- 
culer les  suites;  mais  il  ne. fut  pas  goûté.  Les  raisons  qu'on 
objecta  ne  manquaient  pas  de  solidité  ;  mais  elles  étaient 
toutes  empreintes  de  cet  esprit  méticuleux  qui,  aux  époques 
de  révolution,  ne  peut  produire  rien  de  spontané , .  rien 
de  grand.  «  Les  troupes  polonaises  ,  disait-on  ,  nouvel* 
lement  levées,  affaiblies  par  une  suite  de  travaux  et  de  fati- 
gues qui  duraient  depuis  huit  mois,  découragées  par  des  dé- 
faites réitérées  et  mourant  de.  faim,  ne  pouvaient  se  mesurer 
en  bataille  rangée  contre  quarante  mille  vétérans  russes. 
Si    Tennemi    prenait   le  parti  d'éviter    Taction  pendant 


£36  HISTOIRB 

quelques  jours  seulement^  la  famine  anéantirait  Tarmée.  Dès 
que  les  Prussiens  seraient  instruits  de  ce  mouyement  des  in« 
surgés,  ils  ne  manqueraient  pas  de  marcher  sur  Varsovie,  et 
Ton  aurait  alors  devant  la  ville  deux  armées  au  lieu  d'une^ 
Un  retard  de  quinze  jours  seulement  de  la  part  des  Russes 
pouvait  mettre  les  fortifications  de  Praga  à  Tabri  d'un  coup 
de  main,  et  les  approches  de  Tbiver  ne  permettraient  pas  à 
Tennemi  d'en  commencer  le  siège.  Enfin,  le  gain  d^une 
bataille  contre  les  Russes  rendrait  les  insurgés  tout  au  plus 
maîtres  du  pays  qui  se  trouve  entre  la  Vistule  et  le  Bug  :  mais 
Tennemi  resterait  toujours  maître  de  les  arrêter  sur  les 
bords  de  ce  dernier  fleuve.  » 

Telles  furent  les  raisonsqui  prévalurent  en  cette  circons* 
tance.  Dictées  par  la  prudence,  au  moment  où  une  téméraire 
audace  pouvait  seule  conjurer  une  catastrophe  imminente^ 
elles  ne  firent  que  la  hftter. 

En  effet,  la  situation  des  Polonais  devenait  de  plus  en  plus 
critique.  D'un  côté,  trente  mille  Prussiens  étaient  à  vingt 
lieues  de  Varsovie  ;  de  Tautre,  quarante  mille  Russes  mar« 
chaieut  sur  cette  capitale.  Les  Prussiens,  comme  les  Russes, 
avaient  déclaré  que  Tarmée  polonaise  ne  pouvait  compter  sur 
aucune  capitulation.  Cette  déclaration  barbare,  qui,  dans  cette 
guerre,  n'était  qu'un  acte  de  même  nature  que  tous  les  autres 
actes  de  la  Russie  et  de  la  Prusse,  aurait  dû  pousser  Ténergie 
jusqu'à  l'héroïsme,  et  n'amena  que  défiance  et  découragement. 
Le  parti  royaliste,  le  roi  Stanislas  en  tête ,  déployait  toutes  les 
ressources  du  machiavélisme  le  plus  subtil  ()our  propager  ces 
deux  derniers  sentiments,  et  un  bruit,  qui  malheureusement 
courut  alors,  contribua  puissamment  à  les  accroître.  On  pré- 
tendit que,  dans  un  accès  de  frénétique  patriotisme,  désespé-  " 
rés  de  voir  le  découragement  devenu  général,  les  patriotes 
exaltés  avaient  formé  le  projet  d'entraîner  Tarmée  et  les  liabi- 


DK  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  237 

tants  à  de  tels  excès^  que  tout  le  monde  Tût  réduit  à  la  néces- 
sité de  périr  ou  de  vaincre.  Il  ne  s'agissait  de  rien  moins  que 
d'égorger  le  roi,  sa  famille»  6es  partisans  et  six  mille  prison* 
niers  russes  disséminés  «prie  sol  polonais*  Un  tel  égorgement 
ne  laissant  plus  d'espoir  ni  de  capitulation  y  ni  de  pardon^  les 
Iiabitants  se  seraient  trouvés  forcés  de  se  défendre  en  déses- 
pérés.  Kolontay  et  Zajonczek  étaient  accnsés  d'être  les  moteurs 
de  ce  projet.  Mais,  pour  Texécuter^  il  fallait  plus  que  de  Tau- 
dace  >,il  fallait  une  frénésie  de  patriotisme  dont  nous  n'avons 
pas  à  discuter  ici  la  moralité  ou  l'opportunité,  et  qui,  d<)ns 
cette  révolution  de  1795,  ne  s'est  révélée  dans  aucun  parti  en 
Pologne, 

Le  2  novembre,  les  Russes  parurent  devant  Praga;  ils 
étaient  commandés  par  le  général  Suv^arow,  que  nos  lecteurs 
connaissent  déjà.  Lenr  nombre  s'élevait  à  quarante  mille 
hommes  ;  les  Polonais  n'avaient  pas  à  leur  en  opposer  plus  de 
iringi-six  mille.  Prag^,  un  secoqd  rang  de  redoutes  avait  été^ 
il  est  vrai)  commencé  derrière  la  première  enceinte  des  retran- 
chements; les  villages  dont  la  proximité  était  dangereuse 
avaient  été  brûlés;  une  île  de  la  Vlstule,  dite  l'ile  de  Saxe,  et  à 
laquelle  appuyait  la  droite  des  Polonais,  avait  été  fortifiée, 
ainsi  qu'une  seconde  Ile  sitttée  à  la  gauche  des  retranche- 
ments^ et  qui  couvrait  un  nouveau  pont  qu'on  avait  Jeté  sur  la 
Vistule  pour  assurer  la  retraite.  On  organisa  des  réserves  de 
bourgeois  prêtes  à  agir  en  cas  d'attaque.  Enfin,  on  ne  négligea 
rien  pour  assurer  la  défense  ;  seulement,  comme  nous  Tavons 
dit,  ces  retranchements  n'auraient  pu  être  efficacement 
défendus  que  par  des  troupes  plus  nombreuses  etsurtout  plus 
aguerries  que  ceUes  dont  pouvaient  disposer,  à  ce  moment, 
les  Polonais. 

En  outre^  la  saison  était  déjà  rude.  Le  soldat  n'avait  ni 
paille,  ni  tente^  ni  bois,  ni  pain  ;  des  balaillons  entiers  étaient 


238  HISTOIBE 

sans  chaussure  et  presque  sans  habits^  la  plupart  n'étaient 
armés  que  de  faulx  droites.  Pour  surcroît  de  malheur,  le  voi- 
sînage  de  Varsovie  facilitant'  aux  soldais,  ofDciers,  généraux, 
les  prétextes  et  les  occasions  de  se  transporter  dans  la  ville, 
ils  en  revenaient  toujours  plus  découragés  ou  plus  défiants. , 
Zajonczek  et  Jasinski,  commandants  du  camp  de  Praga,  ne 
purent  jamais  parvenir  à  ranimer  ces  courages  abattus.  Il  est 
vrai  de  dire  que  ces  deux  généraux,  ardents  et  actifs  patriotes^ 
n'avaient  pas  ces  talents  militaires  éprouvés  qui  inspirent  et, 
au  besoin,  commandent  la  confiance.  Quant  à  Wavrrzeckî,  le 
successeur  de  Kosciuszko,  c'était  un  homme  à  qui  on  ne  pou- 
vait refuser  aucune  des  qualités  d'un  bon  citoyen,  excepté 
celles  dont  il  aurait  eu  besoin  an  poste  qu'il  occupait  dans  une 
aussi  critique  circonstance,  c'est-à-dire  l'expérience  de  là 
guerre,  la  fermeté  de  caractère  et  l'énergie  de  pensée  cfrd'exé- 
cution. 

On  comprendra  sans  peine,  après  cela,  comment  le  gros  dé 
l'armée  polonaise;  quoique  derrière  de  forts  retranchements, 
fit  à  peine  un  simulacre  de  résistance,  et  abandonna,  presque 
sans  combattre,  un  camp  retranché  garni  de  cent  pièces  de 
canon  et  défendu  par  vingt-six  mille  hommes.  Hâtons-nous 
de  dire  que,  sur  quelques  points  isolés,  de  faibles  noyaux  de 
courageux  patriotes  opposèrent  une  héroïque  résistance  et 
sacrifièrent  presque  tous  leur  vie  à  la  défense  de  leur  indépen- 
dance et  de  leur  liberté. 

En  arrivant  devant  Praga,  le  général  Suwarow,  réuni  aux 
généraux  Desferden  et  Fersen,  fit  élever  une  batterie  de  quinze 
pièces  de  gros  calibre,  qui  tira  sur  les  Polonais  pendant  toute 
la  journée  du  3  novembre.  Le  lendemain  (4  novembre  1795), 
dès  la  pointe  du  jour,  Tattaque  commença;  l'assaut  fut 
ordonné,  et  Suwarow  électrisa  ses  soldats  par  un  de  ces  mots 
atroces  qui  lui  étaient  familiers.  L'action  s'engagea  d'abord  à 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  239 

la  gauche  des  retranchements  où  commandait  Jasinski  ;  mais 
les  troupes  ne  tinrent  nulle  part.  Découragées ,  mourant  de 
faim^  agitées  par  Tintrigue  qui  répandait  la  consternation^ 
elles  abandonnaient  leurs  postes  et  se  sauvaient  de  toutes 
parts.  Vainement  les  généraux  Wawrxecki,  Zajonczek,  Jasinski, 
Grabowski  essayèrent  d^arrêter  cette  fuite  générale;  les  deux 
derniers  furent  tués  ;  Zajonczek  et  Wawrzecki^  grièvement 
blessés^  ne  quittèrent  les  retranchements  que  les  derniers  et 
au  moment  où  les  Russes  s^approchaient  du  pont  qui  condui- 
sait à  Varsovie.  Des  vingt-six  mille  hommes  dont  se  compo- 
sait la  garnison  polonaise,  douze  mille  périrent  dans  cette 
déroute,  mille  furent  pris,  plus  de  deux  mille  se  noyèrent 
dans  la  Vistule.  Par  les  ordres  du  sanguinaire  Suvrarow,  les 
Polonais,  à  Praga,  Turent  traités  comme  les  Turcs  Pavaient  été 
à  Ism#.  Les  habitants  de  ce  faubourg,  femmes,  enfants, 
prêtres,  tout  fut  impitoyablement  tué.  Pendant  tout  un  jour, 
quand  nulle  part  il  n'y  avait  plus  de  combattants,  on  vit  les 
soldats  russesi  ivres  d'eau-de-vie,  parcourir  les  rues,  ayant  en 
tête  leur  général,  ivre  comme  eux,  et  massacrant  tout  ce  qui 
s'offrait  à  leur  vue.  Quinze  mille  victimes  innocentes,  sur  les- 
quelles on  comptait  plus  de  neuf  mille  femmes  ou  enfants, 
tombèrent,  danscette  journée,  sous  le  fer  de  ces  égorgeurs. 

Ce  massacre  effrayant,  dont  l'histoire  moderne  offre  peu 
d'exemples,  jeta  la  consternation  dans  Varsovie,  qui  capitula 
le  lendemain. 

t  Le  chef  général  Wanrrzecki  prit,  avec  les  débris  de  ses 
Iroupes,  la  route  de  la  Grand&-PolQgne  pour  aller  joindre  l0( 
corps  de  Giedroye,  qui  agissait  contre  les  Prussiens.  Le  roi  lit^ 
semblant  un  moment  de  vouloir  le  suivre;  mais  des  bour- 
geois, appostés  exprès,  le  supplièrent  de  ne  pas  abandonner  la 
ville.  Ce  petit  acte  de  comédie,  arrangé  à  l'avance,  clôtura 
dignement  le  rôle  de  ce  roi  pusillanime  dans  ce  mouvement 


210  HisTomE 

iDsurrectioDtiel  de  1795^  qui  avait  pour  principal  mobile  un 
!  des  désirs  les  plus  légitimes  qai  puissent  mettre  à  un  peuple 
!  les  armes  à  la  main ,  celui  d'affranchir  leur  patrie  du  Joug* 
■  étranger.  Du  reste,  Catherine  ne  tint  pas  même  compté  à  Sta- 
nislas de  son  hypocrisie.  Le  25  novembre  1795,  elle  le  força  à 
signer  son  abdication.  Il  mourut  trois  ans  après. 

Ce  dernier  effort  da  général  Wawrzecki  trouva,  parmi  les 
généraux,  peu  dMmîlatenrs.  Poniatowski,  Michel  Wielhorskî, 
Mokronov\rski,  dont  les  corps  s'étaient  débandés,  se  rendirent 
aux  Russes.  Gicdroye  et  Nicsiolowski  seals  parurent  vouloir 
partager  jusqu'au  dernier  moment  le  sort  et  les  sentiments 
du  chef  général  Wavrrzecki  ;  mais  à  peine  ce  dernier  fut-il 
arrivé  dans  le  palatinat  de  Sandomîr,que  les  soldats  murmu- 
rèrent hautement  contre  lui.  Les  fourrages  et  les  vivres  man- 
quant totalement,  ils  eurent  Finjusticé  de  lui  iiti[4iler  les 
maux  qu'ils  éprouvaient.  Secouant  peu  après  le  reste  de  sur- 
bordination  qui  régnait  encore  au  milieu  de  la  misère,  de  la 
famine  et  du  désordre,  une  révolte  éclata  parmi  la  cavalerie 
nationale,  qui  força  Wawrzecki  à  mettre  bas  les  armes  devant 
le  général  russe  Denisow  et  à  se  rendre  prisonnier. 

Deux  actes  restaient  encore  à  ce  grand  drame  de  la  révolu* 
lion  polonaise  de  1795  :  la  famine  générale,  qui  désola  tout  le 
pays  par  suite  de  la  manière  sauvage  dont  les  Russes  faisaient 
la  guerre,  brûlant  et  détruisant  tout;  ensuite  les  arrestations^ 
les  confiscations,  les  vengeances,  les  assassinats,  les  massacres 
que,  du  fond  de  son  palais  de  Saint-Pétersbourg,  ordonnait 
froidement  Catherine  pour  punir  un  peuple  d'avoir  voulu 
exister. 

Ces  deux  actes  curent  leur  cours,  aussi  terribles  et  aussi 
effrayants  que  tous  ceux  du  même  genro  que  nous  avons  eu 
à  constater  pendant  le  cours  de  ce  douloureux  drame. 

Ainsi  flnitcetle  malheureuse  insurrection  polonaise  de  t793« 


DE  LA  BÂYOJLimOIf  POLONAISE.  24! 

Uo  nMHivement  réTolotioDiniire^  poar  réussir,  a  besoin,  avant 
tout»  â'un6  certaine  matante  des  esprits,  qui  n^existait  pas  en 
Pologne.  Ce  n'est  pas  tout  de  vouloir  un  résultat,  il  faut  encore 
le  comprendre  ;  or,  ni  les  classes  nobles  ni  les  classes  labo- 
rieuses ne  le  comprenaient.  Les  nobles  avaient  pris  les  armes 
pour  rindépendance  de  leur  pays,  les  paysans  pour  une  vague 
promesse  de  liberté  dont  la  réalisation  était  toujours  ajournée. 
Il  ne  pouvait  y  avoir,  dès  lors,  ni  chez  les  uns,  ni  chez  les 
autres,  cet  ardent  esprit  de  patriotisme  qui  veut  à  la  fois  et 
par  tous  les  moyens,  l'indépendance  du  sol  et  la  liberté  des 
masses  :  d^où  il  résulte  que  cette  révolution  ne  fut,  d'un  bout 
à  rauti'e,  qu'un  malent^du,  et  que,  ce  qui  seul  aurait  pu  en 
faire  la  force,  les  masses  populaires  restèrent,  en  quelque 
sorte,  spectatrices  de  la  lutte.  Cependant,  comme  toutes  les 
classes%^aient  Tinstinct  de  ce  qui  manquait  à  cette  sociabilité 
polonaise,  il  est  probable  que,  si  Thomme  en  qui  se  résumait 
toutes  les  espérances,  Kosciuszko,  eût  eu  un  de  ces  caractères 
forts  qui,  par  des  secousses  vives  et  réitérées,  hâtent  la  marche 
des  idées,  ir  est  probable,  disons-nous,  que  ce  mouvement 
révolutionnaire  eût  eu  une  tout  autre  portée.  Hais  Kosciiiszko, 
dont  les  vertus  et  les  qualités  incontestables  avaient  cette 
teinte  de  faiblesse  presque  générale  dans  le  caractère  polonais, 
était  rhomme  d^une  révolution  opérée  depuis  longtemps  dans 
las  esprits,  mais  n^était  nullement  Fhomme  d'une  révolution 
ob  il  fallait,  avant  tout,  animer  l'argile  populaire,  et  lui  créer 
une  âme. 

Tous  ses  efforts  vinrent  se  briser  contre  cet  écueil. 

Si  ensuite  nous  résumons  cette  révolution  dans  ses  faits  gé- 
néraux, nous  voyons,  d'une  part,  un  peuple,  mu  en  apparence 
par  le  seul  instinct  du  patriotisme,  se  lever,  non  pour  con- 
quérirdes  droits,mais  pour  revendiquer  une  simple  existence 
nationale  ;  de  I^iulre,  deux  souverains  esclaves  des  passions 

31 


242  HiSTons 

les  plus  Tiles,  cherchant  une  distraction  dans  la  douloureuse 
agonie  d'un  peuple  dont  ils  enviaient  les  dépouilles.  Pendant 
que^  dans  ce  peuple  poussé  au  désespoir,  se  révélait^  par  in- 
tervalle, quelques  grandes  choses,  dans  ces  gouvernements 
ivres  de  leur  fausse  gloire,  tout  était  mesquin,  sauf,  cepen- 
dant, les  massacres  et  les  égorgements  exécutés  sur  une  grande 
échelle.  Le  résultat  répondit  à  leurs  vœux  ;  ils  accrurent  leur 
pays  de  quelques  provinces.  L'histoire  sUnclina,  comme 
toujours,  devant  ce  résultat,  et  eut  à  peine  quelques  mots  de 
blâme  contre  les  iniquités  qui  Tavaient  amené.  Mais  la  main 
de  Dieu,  plus  impitoyable,  quoique  souvent  cachée ,  finit 
toujours  par  se  montrer.  Planant  incessamment  sur  la  téta 
des  grands  coupables,  comme  le  tonnerre,  elle  passe  sans  les 
atteindre,  ou  les  écrase,  soit  de  leur  vivant,  soit  dans  leur  pos- 
térité ;  car  si  la  Providence  suspend  parfois  son  bras,^le  ne 
jâtourne  pas  les  yeux.  Et,  tout  récemment  encore,  n'a-t*on 
pas  vu  deux  des  spoliateurs  ^hontes  de  la  Pologne,  trembler 
devant  cette  révolte  de  la  Gallicie  que  nous  aurons  à  relater. 
Celte  terreur,  c'est  le  remords  qui  suit  le  crime  ;  mais  tant 
que  la  victime  respire,  la  vengeance  peut  rendre  le  remords 
plus  cuisant,  et  la  Pologne  vit  encore  !  Puis ,  fût«cUe  morte 
sous  les  coups  de  tant  d'iniquités,  les  résurrections  des  peuples 
ne  sont  plus,  de  notre  temps,  des  miracles. 

Du  reste,  les  deux  principaux  moteurs  de  cette  spoliation 
de  la  Pologne  ne  jouirent  pas  longtemps  du  fruit  de  ce  grand 
forfait.  Le  partage  définitif  fut  arrangé  en  novembre  1795. 
Frédéric-Guillaume  II  mourut  en  1797;  quant  à  Catherine, 
elle  mourut  en  1796.  Montée  sur  le  trône  en  piétinant  dans  le 
sang  de  Pierre  III,  son  mari,  elle  descendit  dans  la  tombe  en 
piétinant  dans  celui  d'un  peuple  dont  elle  emporta  la  malé- 
diction. On  prétend  que  le  jour  où  se  consomma  le  partage 
déQnitif  de  la  Pologne  (novembre  1795),  deux  des  victimes  de 


DB  LA  KÉYOLUTION  POLONAISE.  243 

ses  fureurs^  condamnées  à  expier  par  la  mort  leur  généreux 
courage^  la  citèrent^  dans  un  moment  de  prophétique 
désespoir,  à  comparaître,  dans  Tan  et  jour,  au  tribunal 
suprême,  et,  dans  le  délai  légal  (novembre  17QC),  Catherine 
se  présenta  à  la  barre  de  Péternité.  Déjà  auparavant,  si  Ton 
en  croit  une  vieille  chronique,  les  chevaliers  du  Temple»  sur 
le  bûcher,  avaient  mandé  de  même,  à  l'audience  de  Dieu, 
Philippe-le-Bel  et  Clément  V,  et  ni  ce  roi  ni  ce  pape  n'avaient 
manqué  à  Tappel  au  jour  fixé.  Une  autre  chronique  rapporte 
que  Ferdinand  IV,  roi  de  Castille,  cité  aussi  à  comparaître, 
par  deux  gentilshommes  qu'il  avait  fait  mourir,  expira  juste 
au  terme  de  l'assignation,  d'où  lui  resta  le  terrible  surnom 
sous  lequel  le  connaît  l'histoire,  Ferdinand  r Ajourné. 

De  têts  récits,  sous  quelque  point  de  vue  qu'on  les  considère, 
ne  manquent  ni  de  dignité  ni  de  moralité.  Les  choses  graves 
et  tragiques  sont  du  domaine  de  Thistoire,  et  ce  serait  mé- 
connaître sa  mission  que  d'en  écarter  les  faits  qui,  peignant 
ou  des  croyances  accidentelles,  ou  une  disposition  momen- 
tanée des  esprits,  peuvent  donner  de  salutaires  leçons;  ce 
serait  accuser  le  ciel  de  rester  sourd  à  la  voix  de  l'innocence 
et  du  malheur,  et  douter  que  l'oppresseur  et  l'opprimé  ne  pa- 
raissent tôt  ou  tard  aux  pieds  du  même  juge. 


2H  HISTOIRE 


CHAPITRE  IX 

1815-1830 


Négociations  de  la  Sainte-Alliance  relativement  à  la  Pologne.— Jalousie 
des  puissances  entre  elles. — Constitution  promise,  accordée,  annulée. 

—  Mort  d'Alexandre.  —  Couronnement  de  Nicolas,  roi  de  Pologne.  — 
Griefs  de  la  Pologne  contre  la  Russie.— Le  grand^dnc  Constantin: 
son  portrait ,  ses  violences.  —  L*Ëglise  grecque  et  le  culte  catholique. 

—  La  Pologne  en  1830.  —  Session  de  la  diète  en  juin  1850.  —  Projet 
de  la  loi  sur  le  divorce.  —  Vœu  de  réunion  des  anciennes  provinces 
incorporées  à  la  Russie.  —  Le  contre-coup  de  la  révolution  française 
de  1830  en  Pologne.  —  Lettre  du  czar  à  Louis-Philippe. 


La  Pologne  arait  été  la  première  puissance  sur  laquelle 
avait  réagi  la  Révolution  française  de  1789  ;  elle  fut  aussi 
une  des  premières  sur  laquelle  réagit  la  Révolution  de  1830. 
Nous  avons  laissé  ce  malheureux  pays  démembré  et  opprimé 
par  suite  d'un  des  plus  impudents  brigandages  dont  les 
annales  des  nations  aient  conservé  le  souvenir.  Si  la  Pologne 
n'était  pas  encore  effacée  de  la  carte  d'Europe^  elle  n'y  exis- 
tait plus  que  nominalement.  Les  trois  gouvernements  spolia- 
teurs^ décidés  à  ne  pas  même  lui  laisser  Pombre  de  vie, 
luttaient,  dans  leur  rapace  égoîsme,  d'atrocités  et  de  persévé- 
rance pour  soutirer  goutte  à  goutte  le  généreux  sang  qui  ra- 
nimait. L'Autriche  dressait  les  plans  d'extermination  partielle» 


DE  LA  lÉYOtUTION  POLONAISE.  245 

la  Russie  exécutait^  la  Prusse  laissait  faire.  Les  années  qui 
suivirent  le  partage  de  1793  ne  furent  que  la  douloureuse 
agonie  d'un  peuple  assez  malheureux  pour  avoir  excité  la 
convoitise  de  ses  voisins.  Nous  ne  les  suivrons  pas  dans  leurs 
ténébreuses  machinations. 

Laissant  de  côté  ces  faits  monstrueux,  où  trois  grandes  coq- 
ronnes  laissèrent  le  peu  de  lustre  que  leur  avait  conservé  le 
temps  (1),  nous  passerons  d'emblée  à  Tépoque  où  les  victoires 
des  Français  ayant  momentanément  jeté  une  lueur  d'espoir 
dans  cette  tombe  non  encore  fermée,  la  Pologne,  après  la 
chute  de  Napoléon,  retomba  a  la  discrétion  de  ses  barbares 
spoliateurs. 

Les  rois  assemblés  étaient  au  congrès  de  Vienne.  Chacun 
d^eux  supputait  avec  une  joie  cupide  ce  qui  allait  lui  revenir 
de  cette  curée  de  peuples  et  de  royaumes,  dont  la  chute  de 
TEmpire  leur  permettait  de  disposer.  Des  loups-^erviers  se 
disputant  des  proies  ne  sont  ni  plus  rapaces,  ni  plus  pressés 
de  s'adjuger  les  plus  belles  et  les  meilleures.  L'empereur 
Alexandre,  qui  s'était  destiné  la  Pologne^  et  qui  craignait  que 
ses  alliés  ne  se  récriassent  contre  cette  part  de  lion,  invita  les 
Polonais  a  se  préparer  à  défendre  par  les  armes  la  liberté 
qu'il  leur  promettait.  La  guerre  semblait  prête  à  se  rallumer 
entre  les  vainqueurs,  partagés  en  deux  camps  :  d'une  part 
étaient  la  Rusâe  et  la  Prusse,  qui  s'entendaient  pour  s'agran- 
dir ;  de  Tautre,  TAutriche,  la  France  et  l'Angleterre^  qui  ten- 
daient à  restreindre  ces  augmentations.  Le  6  janvier  1815, 
ces  trois  dernières  puissances  condurent  un  traité  tout 

(1)  A  propos  da  premier  partage  de  la  Pologne,  Marie-ThMse 
disait  s  «  Je  sais  que  c'est  une  tache  à  mon  nom  et  à  ma  eoaronne, 
•  mais  J'ai  eu  la  main  forcée.  »  Ses  successeurs  n'ont  pas  craint  d'im- 
primer quatre  nouvelles  taches  au  nom  et  à  la  couronne  de  la  maison 
de  Lorraine. 


246  HISTOIRE 

exprès,  connu  sous  le  nom  de  Triple  alliance  de  Vienne,  afin 
de  se  garantir  mutuellement  dans  leurs  possessions  contre 
l'opposition  des  deux  autres  Cabinets.  Mais^  comme  il  n'é- 
tait pas  alors  au  pouvoir  de  ces  puissances  d'ôter  la  Polo- 
gne à  l'empereur  de  Russie^  on  finit  par  s'accorder  à  regarder 
la  liberté  de  ce  pays^  à  défaut  de  barrières  naturelles,  comme 
le  seul  fondement  de  la  sécurité  commune.  Alexandre  renou- 
Tela  sa  promesse  de  donner  une  patrie  et  une  constitution  aux 
Polonais. 

En  se  reportant  à  la  marche  des  négociations  à  ce  sujet,  on 
trouve  qu'il  y  avait  trois  états  possibles  pour  l'ancienne  Polo- 
gne conquise  par  la  Russie  :  elle  pouvait  rester  une  de  ses 
provinces  fondues  dans  le  grand  empire  ;  redeveqir  et  former 
à  coté  de  la  Russie  un  autre  royaume  gouverné  par  Tempe- 
reur;  ou  enfin  ressusciter  comme  nation  indépendante. 
L'empereur  Alexandre  s'était  arrêté  au  second  de  ces  plans, 
sans  s'expliquer  sur  l'organisation  intérieure  du  nouvel  Etat. 
U  avait  parlé  aux  Polonais  de  <c  régénération  de  leur  patrie, 
d'accomplissement  des  promesses  que  Napoléon  s'était  borné 
i  leur  faire  espérer.  »  Toutes  ces  promessesi  qui  remontaient 
à  la  grande  guerre  contre  la  France,  et  qui  n'avaient  été 
faites  que  pour  paralyser  tout  effort  des  Polonais  sur  les  der- 
rières de  Tarmée  alliée,  avaient  non-seulement  gagné  à 
Alexandre  la  confiance  de  la  noblesse  polonaise,  mais  lui 
avaient  encore  facilité  la  conquête  du  duché  de  Varsovie,  qui 
attendait  de  lui  sa  nationalité. 

La  possibilité  d'une  réunion  de  la  Pologne  à  la  Russie,  sous 
une  dynastie  russe,  avait,  nous  l'avons  dit,  effrayé  les  autres 
Cabinets,  qui,  par  cet  agrandissement  d'une  puissance  si  co- 
lossale déjà,  voyaient  une  grave  atteinte  à  l'équilibre  euro- 
péen. L'Angleterre  surtout,  par  l'organe  de  lord  Castlereagh, 
8*éleva  avec  force  contre  le  projet  de  ce  formidale  accroisse- 


DB  LA  RÉVOLUTION  POLONAISS.  247 

ment.  L'emperear  Alexandre  s'était  alors  fondée  pour  motiver 
la  réunion  de  la  Pologne  à  ses  Etats,  €  sur  la  promesse  qu'il 
avait  faite  naguère  aux  Polonais  de  régénérer  leur  patrie.  r> 
Ayant  annoncé  en  outre  qu'il  n'entendait  pas  renoncer  à  ré* 
gner  sur  la  Pologne,  le  plénipotentiaire  anglais  répondit: 
a  que  Sa  Hi^esté  Impériale  pouvait  aisément  délier  sa  con- 
science au  sujet  de  ses  promesses  à  Fégard  de  la  Pologne,  en 
refaisant  de  ce  pays  une  nation  libre  en  possession  de  sa  pro- 
pre souveraineté  ;  noble  entreprise  à  laquelle  PEurope  s'em- 
presserait d'applaudir.  »  L'empereur  russe  renouvela  alors  sa 
promesse  €  de  rendre  à  la  Pologne  une  existence  politique  et 
un  gouvernement  particulier,  afln  de  détruire  par  là  tout 
motif  d'inquiétude  pour  les  autres  puissances.  » 

Cette  garantie,  plus  rassurante  pour  les  puissances  que 
l'incorporation  pure  et  simple  de  la  Pologne  à  la  Russie, 
parut  les  satisfaire  momentanément,  et  le  10  décembre  MH 
le  prince  de  lietternicb,  dans  une  note  adressée  au  prince  de 
Hardenbergy  ministre  plénipotentiaire  de  Prusse,  appuyait  cet 
arrangement. 

Hoins  d'un  mois  après,  le  12  janvier  1815,  lord  Gastlereagh 
déclarait,  dans  une  note  rendue  publique  peu  d'années  après» 
qu'il  avait  exprimé  longtemps  le  vœu  <  de  voir  l'indépen- 
«  dance  du  royaume  de  Pologne  assurée  sous  une  dynastie 
«  distincte.  » 

La  France  s'exprimait  dans  le  même  sens,  et  toutes  les 
puissances  paraissaient  assez  d'accord  sur  ce  point,  pour  que 
le  mot  de  constitution  fût  inséré,  comme  on  le  verra  plus 
loin,  en  tète  du  traité  de  Vienne. 

-  Cependant  l'Autriche,  qui,  comme  toujours,  jouait  dans 

cette  affaire  un  double  jeu,  se  trouva  dotée  à  sa  convenance, 

lorsque  fut  fixé  le  destin  de  la  Pologne.  Trois  traités  détermi- 

^  nèrent  les  bases  de  ce  nouveau  partage  ;  l'un  entre  la  Russie 


248  HISTOIRE 

et  TAutriche^  l'autre  entre  la  Russie  et  la  Prusse  ;  le  troi- 
sième^ du  3  mai  1815,  entre  la  Russie,  TAutriche  et  la  Prusse. 
Enfin,  après  bien  des  négociations,  il  fut  définitiYement  statué 
sur  le  sort  de  la  Pologne,  par  Tacte  du  congrès  de  Vienne^  du 
9  juin  1815. 

Par  Tarticle  1*',  le  duché  de  Varsovie  était  rangé  soosia 
domination  russe.  L'empereur  de  Russie  se  réservait  de 
prendre  le  titre  de  roi  dans  scm  duché,  de  donner  à  ce  duché 
ime  administration  distincte,  et  Textensioa  intérieure  qui  hii 
plairait  ;  faisant  entendre  par  là»  que  la  Pologne  et  la  Russie 
formeraient  deux  Etats  dont  chacun  l'aurait  pour  souverain^ 
et  que,  plus  tard,  il  pourrait  renforcer  le  royanme  polonais 
avec  quelques  lambeaux  de  la  Lithuanie,  province  jointe  h 
Tempire  depuis  le  démembrement  précédent 

Le  second  article  désignait  la  part  qui  reviendrait  à  la 
Prusse,  soufl  le  nom  de  duché  de  Posnanie  ou  de  Posen. 

L'article  3  assurait  à  TAutricbe  la  rétrocession  de  la  part  de 
la  Galllcie  orientale,  qui»  en  1809,  avait  été  se  joindre  aux 
possessions  de  l'empereur  de  Russie. 

Gracovie,  avec  son  territoire,  était  érigée  en  cité  libre  et 
ndépendante  à  perpétuité,  aoos  la  protection  des  trois  piuls- 
sances,  qui  «  s'engageaient  à  un  respect  perpétuel  de  Tinvio- 
labilité  de  son  territoire.  »  Le  sol  de  cette  république  était 
déclaré  sacré  à  toute  force  armée.  Cette  constitution  libre  de 
Gracovie,  œuvre  des  troi»  monarques,  à.  cAté  de  la  PdogÉe 
laissée  pour  morte,  ressemblait  à  un  autel  expiatoire.  Cet 
autel  lui-même  n'allait  pas  tarder  à  être  renversé  1 

Néanmoins,  conformément  aux  vœux  exprimés  par  l'An» 
gleterre,  les  trois  spoliateurs  conviennent  ensend>le  d'accdr- 
der,  chacun  de  leur  c6té,  aux  Polonais  qui  leur  sont  échos, 
nne  représentation  et  des  institutions  nationales.  Le  deuxième 
paragraphe  de  Farticle  l"  était  ainsi  conçu  ;  «  Les  Polonais, 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISB.  249 

c  sujets  respectifs  de  la  Russie,  de  la  Prusse  et  de  PAutriehe, 
(T  obtiendront  une  représentation  et  des  institutions  natio- 
«  nales,  réglées  d'après  la  mode  d'existence  politique  que 
€  chacun  des  gouTemements  auxquels  ils  appartiennent  Ju- 
a  géra  utile  et  convenable  de  leur  accorder.  » 

En  môme  temps,  pour  donner  aux  Polonais  un  avant-goût 
de  ce  qu'on  leur  promettait,  l'empereur  Alexandre  leur 
adressa  une  proclamation  ou  on  lisait  : 

«  ....  Une  constitution  appropriée  aux  besoins  des  localités 
«  et  à  votre  caractère  ;  Tusage  de  votre  langue  conservé  dans 
«  les  actes  publics,  les  fonctions  et  les  emplois  accordés  aux 
«  seuls  Polonais  ;  la  liberté  du  commerce  et  de  la  navigation, 
ce  la  facilité  des  communications  avec  la  partie  de  Pancienne 
«  Pologne  qui  restait  sous  un  autre  pouvoir  ;  votre  armée 
c  nationale  ;  tous  les  moyens  garantis  pour  perfectionner  vos 
«  lois;  la  libre  circulation  des  lumières  dans  votre  pays^  tels 
«  sont  les  avantages  dont  vous  jouirez  sous  notre  domination 
c  et  sous  celle  de  nos  successeurs.  » 

De  si  solennelles  promesses  rendirent  aux  Polonais  moins 
pénible  le  coup  qui  les  frappait,  et  Tempereur  Alexandre,  qui, 
à  part  quelques  faiUesses  et  quelques  ridicules,  avait  une  cer- 
taine noblesse,  se  hâta  de  dégager  sa  parole.  Le  27  novem- 
bre 1815,  il  accorda  à  la  Pologne  la  constitution  promise. 

Par  cette  constitution,  réunie  à  l'empire  de  Russie,  et 
placée  sous  son  sceptre,  la  Pologne  avait  une  diète  nationale 
composée  da  souverain,  d'un  sénat,  et  d'une  chambre  des 
nonces.  Les  sénateurs  était  nommés  à  vie  par  le  roi.  Pour  être 
élus,  ilsdevaient  avoir  atteint  rflge  de  trente-cinq  ans  révolus, 
et  payer  une  contribution  annuelle  de  2,000  florins.  Le  nombre 
des  sénateurs  ne  pouvait  dépassersoixante-quatre.  Les  nonces 
étaient  élus  par  les  assemblées  communales  :  tout  proprié* 
taire  non  noble  soumise  un  impôt  quelconque,  tout  chef  d'à* 

32 


230  HUTOIHE 

telier,  fabricant,  marchand,  possédant  une  valeur  de  10,000  flo- 
rins ;  tout  instituteur,  tout  artiste  de  talent,  faisaient  partie 
de  droit  de  ces  assemblées*  Pour  être  membre  de  la  deuxième 
chambre,  il  fallait  compter  une  contribution  de  100  florins;  ; 
le  nombre  des  membres  était  fixé  au  double  de  celui  des  \ 
sénateurs,  à  cent  vingt-huit;  savoir  :  soixante-dix-sept  nonces 
nommés  par  les  assemblées  des  nobles,  et  cinquante  et  un 
nommés  par  les  assemblées  communales.  Cette  chambre  était 
renouvelable  par  tiers  tous  les  deux  ans.  La  diète  entière 
de  la  représentation  nationale,  s'assemblait,  sur  la  convo- 
cation du  roi,  de  deux  années  en  deux  années.  Sa  session 
durait  deux  mois.  Enfin,  les  juges  étaient  inamovibles  et  à 
vie,  et  les  Polonais  seuls  étaient  aptes  aux  emplois  civik  et 
militaires.  Aucune  disposition  formelle  ne  garantissait  la 
liberté  de  la  presse  et  la  responsabilité  ministérielle. 

Le  27  mars  1818,  la  diète  polonaise  s'assembla  pour  la 
première  fois  à  Varsovie,  sous  la  présidence  de  Tempereur 
Alexandre.  Dans  le  discours  d'ouverture  où  ce  monarque  se 
prodiguait  des  éloges  sur  sa  générosité,  ainsi  que  sur  les  avan- 
tages de  la  constitution  qu'il  avait  donnée  à  ses  sujets  de 
Pologne)  il  termina  en  disant  :  «  Votre  restauration  est 
c(  définie  par  des  traités  solennels;  elle  est  sanctionnée  par 
a  la  Charte  constitutionnelle.  LHfwiolabilité  de  cea  enga- 
a  gements  extérieurs  eide  cette  loi  fondamentale  assurent  dé* 
«  sormais  à  la  Pologne  un  rang  honorable  parmi  les  nations.  » 

Le  ministre  de  Tintérieur  rendit  compte  ensuite,  au  nom 
du  souverain,  de  rorganisation  du  clergé  catholique,  de  l'a- 
doption d'un  système  d'instruction  publique  qui  devait 
activer  la  propagation  des  lumières  dans  toutes  les  classes,  et 
enfin  des  établissements  judiciaires  et  militaires  qui,  par  les 
lois  et  les  armes,  devaient  assurer  la  vie  nationale  de  la 
Pologne. 


D£  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  251 

Ce  que  Ton  concédait  aux  Polonais  ne  servait  qu'à  leur 
laire  désirer  avec  plus  d'ardeur  ce  qu'on  leur  refusait.  Âussi^ 
de  tous  les  points  du  royaume^  arrivaient  à  la  diète  des  pétitions 
\  réclamant  l'organisation  du  jury^  la  liberté  de  la  presse,  et 
'surtout  la  responsabilité  des  ministres  contre-signant  les  dé- 
crets du  roi.  Tout  cela  était  réclamé  comme  complément 
indispensable  à  la  charte  constitutionnelle^  et  par  respect  pour 
cette  même  charte.  Mais  toutes  ces  justes  réclamations  furent 
écartées  par  la  clôture  de  la  session^  qui  au  lieu  de  trois  mois 
n'en  dura  qu'un. 

Déjà  celte  ombre  de  constitution  embarrassait  l'Autriche  et 
la  Prusse.  Ces  deux  puissances^  qui,  aux  termes  du  traité  de 
Vienne,  s'étaientengagées  à  donner  aux  portionsde  la  Pologne 
qui  leur  étaient  échues  une  représentation  et  des  institutions 
nationales,  fondées  sur  des  bases  sinon  exactement  sem- 
blables à  celles  de  la  coDstitution  que  l'empereur  Alexandre 
avait  donnée  au  duché  de  Varsovie^  du  moins  plus  libérales 
que  ce  régime  de  la  conquête  qu'on  voulait  éterniser;  ces 
deux  puissances^  disons-nous^  se  trouvaient  déjà  gênées  par 
les  stipulations  d'un  traité  qu'elles  n'avaient  jamais  eu  l'in- 
tention d'observer. 

Déjà  avait  percé  la  légitime  impatience  de  quelques  pro- 
vinces allemandes^  à  qui  l'on  avait  solennellement  promis^  en 
1815,  des  constitutions  représentatives,  et- qui  s'étaient  ha- 
sardées à  réveiller  l'inertie  du  roi  de  Prusse  par  des  requêtes 
et  des  adresses.  Effarouché  de  la  mémoire  de  ses  sujets^  le 
souverain  avait  répondu  :  «Quel'époque  où  seraient  accordées 
des  constitutions  d'État  n'ayant  pas  été  fixée,  le  souverain 
seul  était  juge  dé  l'opportunité  de  cette  concession,  et  que 
témoigner  la  crainte  que  le  roi  n'oubliât  ses  engagements, 
c'était  s'oublier  envers  lui.  » 
C'était  dire  aux  réclamants  qu'ils  n'obtiendraient  les  insti- 


252  HISTOIRE 

tutioDs  promises  que  quand  ils  seraient  assez  forts  pour  es 
arracher.  Ce  sans-façon  avec  lequel  FAutriche  et  la  Prusse 
traitaient  les  légitimes  réclamations  des  provinces  allemandeSt 
était  pour  les  provinces  polonaises  un  sûr  indice  qu'elles  ne 
devaient  pas  s^attendre  à  plus  de  ménagement. 

En  effets  les  deux  Cabinets  de  Vienne  et  de  Berlin  n^avaieut 
pas  oublié  leurs  promesses  formelles  d'accorder  des  consti- 
tutions; seulement  ils  voulaient  qu'on  les  oubliât,  ou  tout  au 
moins  qu'on  n'eût  plus  de  motifs  d'espoir.  Pour  cela,  il  ne 
fallait  que  faire  changer  d'avis  l'empereur  Alexandre,  et 
l'amener  à  blâmer  ce  qu'il  avait  approuvé.  Le  caractère  plus 
qu'indécis  de  ce  prince,  qui  recevait  aisément  l'empreinte 
de  toutes  les  mauvaises  passions  qui  s'agitaient  autour  de  lui, 
rendait  cette  tâche  facile.  M.  de  Hetternich  fut  chargé  de  Ten- 
doctriner,  et  il  eut  peu  de  peine  à  le  ranger  à  ses  vues:  V\xn 
était  la  rouerie,  Tastuce,  la  duplicité,  la  mauvaise  foi  incarnées; 
l'autre  avait  un  fond  de  caractère  chevaleresque  qui,  par  cela 
seul  qu'il  s'enthousiasmait  aisément,  s'effrayait  de  même.  Le 
souverain  devait  nécessairement  être  la  dupe  du  diplomate  : 
c'est  ce  qui  arriva.  Parde  perfides  insinuations,M.deMetternich 
lui  répéta  si  souvent  que  la  France  était  le  foyer  d'où  s'était 
répandu  sur  toute  l'Europe  la  flamme  révolutionnaire,  que 
la  nature  des  inUtutions  de  ce  pays  commença  d'abord  par 
être  importune  à  ses  yeux,  et  ne  tarda  pas  à  paraître  dan- 
gereuse. 

Ce  changement  dans  les  idées  du  souverain  du  Nord  devint 
saillant  après  i£2Q,  lorsque  la  Pologne,  à  la  suite  des  révo- 
lutions qui  avaient  éclaté  sur  le  continent,  donna  quelques 
signes  d'espérance  que  les  interprétateurs  monarchiques  tra- 
duisirent par  indice  de  sédition.  On  était  alors  en  plein 
régime  de  la  Sainte-Alliance.  Par  un  de  ces  aveuglements 
communs  aux  pouvoirs  tyranniques  àrapproehe  de  leur  chute 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  253 

les  monarchies  absolues  étaient  entrées  résolument  en  lutte 
contre  les  légitimités  des  nations^  pour  ne  deroir  qu'à  la  force 
et  à  la  violence  une  autorité  et  une  puissance  qu'il  eût  été  , 
plus  rationnel,  et  surtout  plus  sûr,  de  ne  devoir  qu'à  la  con- 
fiance et  au  respect.  Alexandre,  Tâme  encore  saisie  de  la 
chute  immense  de  Napoléon,  s'était  d'abord  regardé  comme 
l'instrument  de  celui  par  qui  régent  les  rois;  il  avait  pris  au 
sérieux  le  pontificat  suprême  de  k  civilisation^  dont  l'avait 
bercé  madame  de  Krudener.  Mais  les  facultés  bornées  du 
prince  n'avaient  pas  été  à  la  hauteur  d'une  telle  mission;  une 
sorte  de  vertige  s*était  emparé  de  lui  :  ayant  eu  peur  de  ce 
qu'il  avait  rêvé,  il  avait  résolument  tourné  contre  les  libertés 
des  peuples  une  arme  qu'il  avait  d'abord  prise  pour  les 
proléger. 

La  Pologne  dut  être  naturellement  la  première  à  ressentir 
les  atteintes  de  cette  versatilité.  En  effet,  à  la  suite  de  mille 
mesures  restrictives  ou  vexatoires  que  nous  ne  relaterons 
même  pas,  mais  toutes  basées  sur  cette  idée  uniforme  que 
c(  les  abstractions  insensées  de  la  philosophie  moderne  ne 
peuvent  que  porter  le  trouble  dans  tous  les  Etats,  d  toutes  les 
sociétés  secrètes  qui  là^,  comme  dans  tous  les  pays  opprimés, 
avaient  pris,  du  reste,  un  grand  accroissement,  furent  sup- 
primées. Alarmé  de  la  tendance  d'un  pouvoir  qui  ne  se  don- 
nait plus  la  peine  de  masquer  ses  intentions  et  ses  vues,  le 
conseil  de  Varsovie  voulut  manifester  quelques  inquiétudes 
au  sujet  de  la  constitution  ;  mais,  pour  toute  réponse,  on  l'en- 
gagea a  à  persuader  à  tous  les  habitants  que  la  patience  et 
«  la  tranquillité  sont  le  seul  et  indispensable  moyen  pour 
«  conduire  cette  nation  au  bonheur,  tandis  qu'autrement 
<  l'avenir  ne  lui  amènerait  qu'une  dissolution  et  une  ruine 
«  totale.  » 

La  patience  est  la  vertu  des  brutes;  la  recommander  à  des 


254  HISTOIRE 

hommes  qui  voulaient  être  libres^  c^était  les  menacer  qu'ils 
ne  le  seraient  jamais. 

L'année  suivante^  ce  fut  pis  encore.  L'empereur  Alexandre, 
de  retour  du  congrès  de  Vérone,  où  Ton  avait  exécuté  la  ré* 
'volution  a  Naples,  en  Piémont,  où  Ton  s'était  préparé  à  Vexé- 
■  cuter  en  Espagne,  était  plus  que  jamais  effrayé  des  fantômes 
'  révolutionnaires  évoqués,  avec  une  perfidie  calculée,  par 
M.  de  Metternicb.  Ce  n^élait  plus  ce  jeune  monarque  dont 
une  pensée  généreuse  faisait  parfois  battre  le  cœur;  son  âme 
racornie  était  alors  descendue  au  niveau  de  celle  d'un  diplo«> 
mate  autrichien  :  le  souverain  n^avait  d'autres  inspirations 
que  celles  qu'il  pouvait  recevoir  d^un  homme  dont  toute  la 
vie  devait  n'otre  qu'un  attentat  contre  les  droits  humains. 
Alors  commença  une  nouvelle  et  seconde  période  de  la  vie 
d'Alexandre.  Heureux  pour  lui  si  l'histoire  avait  pu  la  retran- 
cher de  son  règne  ! 

Ce  changement  de  politique  du  czar  amena  un  ordre  nou- 
veau dans  l'intérieur  de  son  vaste  empire.  Sans  nous  arrêter 
aux  réformes  intérieures  qu'il  opéra  en  Russie,  et  qui  re- 
foulèrent la  civilisation  prête  à  entrer,  sous  ses  auspices, 
dans  ce  grand  corps  slave  encore  à  demi-barbare,  nous  nous 
bornerons  à  relater  à  grands  traits  ce  qui  concerne  la  Pologne. 

Pour  punir  cette  nation  d'avoir  donné  quelques  signes  de 
vie,  lors  de  la  commotion  révolutionnaire  qui  agita  une  par- 
tie de  l'Europe,  de  1820  à  1823,  le  gouvernement  représen- 
tatif y  avait  été  suspendu.  La  diète  n'avait  pas  été  convoquée 
depuis  quatre  ans;  et  ce  séquestre  apposé  sur  les  lois  du 
royaume  ne  fut  levé  qu'au  prix  du  sacrifice  d'une  précieuse 
liberté.  Le  13  février  1825,  la  diète  fut  rouverte,  mais  la  pu- 
blicité des  débats  fut  supprimée  :  c'était  presque  la  dernière 
garantie  qui  restât  à  la  Pologne.  Le  texte  du  décret  qui  sanc- 
tionnait cette  suppression  était  motivé  sur  ce  que  a  la  publi- 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  255 

cité  dans  les  deux  chambres  faisait  dégénérer  la  discussion 
en  vaines  déclamations,  »  et  sur  un  motif  plus  curieux  en- 
core,  où  Tempereur  assurait  quMl  n'avait  pris  celte  mesure 
a  qu'aûn  de  faire  jouir  ses  sujets  du  royaume  de  Pologne  de 
tous  les  bienfaits  que  leur  assure  la  charte.  > 

Cet  acte  de  mauvaise  foi  était  d'autant  plus  déplorable,  que 
sous  la  bienfaisante  influence  d'un  régime  représentatif  même 
incomplet^  la  Pologne  avait  vu  en  peu  de  temps  s'accroître  sa 
prospérité  et  ses  lumières.  Sa  population  atteignait  le  chiffre 
de  quatre  millions  de  plus  ;  le  déQcit  dans  les  finances  avait 
été  comblé  ;  des  routes  ferrées  avaient  été  ouvertes,  des  ca- 
naux creusés^  des  rivières  rendues  navigables;  Tindustrie 
avait  partout  répandu  sa  bienfaisante  activité  :  des  milliers  de 
bras  travaillaient  la  laine,  le  coton,  le  lin;  d'autres  arra- 
chaient à  la  terre  le  fer,  le  sel,  le  marbre  ;  de  riches  mois- 
sons, espoir  de  populations  pauvres,  qui  depuis  longtemps 
n'avaient  rien  eu  en  propre,  couvraient  le  sol  ;  les  villes  de- 
venaient riantes  et  salubres,  les  campagnes  riches  et  produc- 
tives ;  de  nombreuses  écoles  ouvertes  à  toutes  les  sciences 
répandaient  dans  toutes  les  classes  l'enseignement  et  les  lu- 
mières, et  faisaient  plus  pour  la  liberté  que  la  constitution 
elle-même  :  le  présent  était  supportable,  l'avenir  plein  d*es- 
pérance;  le  souffle  impur  du  despotisme  passé  sur  tout  cela^ 
et  il  ne  resta  de  tant  de  biens  et  de  tant  d'espérances,  que  des 
tronçons  de  chaînes  que  des  millions  d'âmes  furent  condam- 
nées à  traîner,  jusqu'au  jour  marqué  par  la  Providence  pour 
le  triomphe  du  droit  sur  l'iniquité. 

Mous  avons  dit  que  l'empereur  Alexandre,  pendant  la  pé- 
riode de  sa  vie  où  il  s'était  posé  comme  réformateur  d'abus, 
comme  ami  de  la  liberté  des  peuples,  avait  introduit  en  Rus- 
sie des  réformes  assez  larges  pour  ouvrir  la  voie  à  la  civilisa- 
tion. Lorsqu*il  fut  tombé  sous  l'influence  fatale  de  H.  de  Met- 


256  HISTOIBE 

ternicb^  il  annula  tout  ce  qu*il  avait  fait  et  remit  les  choses 
sur  l'ancien  pied.  Mais  quelques  hommes  généreux  s^étaient 
enthousiasmés  pour  une  régénération  qu'on  leur  avait  fait 
pressentir  ;  leur  imagination  s'était  échauflée  au  souvenir  des 
sociétés  secrèles  d'Allemagne;  et,  pour  régénérer  leur  pays, 
ils  avaient  tenté  ce  grand  jeu  des  conspirations,  sacrées  ou 
abominables,  suivant  le  succès  ou  le  revers.  Le  fil,  brisé  et 
renoué  à  plusieurs  reprises,  s'était  depuis  quelques  années 
ourdi  dans  Tombre.  En  1825,  tout  homme  pensant  en  Russie 
avait  été  plus  ou  moins  affilié  à  deux  sociétés  qui  se  parta- 
geaient l'empire.  L'une,  dont  le  siège  était  à  Saint-Péters- 
bourg, visait  à  une  monarchie  limitée  ;  elle  avait  pour  chef 
le  prince  Trubetzkoï,  beau-frère  de  l'ambassadeur  d'Autriche, 
et  un  nommé  Ryleieff,  à  la  fois  officier  et  publicisle.  La  se- 
conde, celle  du  Midi,  tenait  ses  conférences  à  Toulczin;  la 
république  était  son  but.  Le  colonel,  démagogue  exalté,  et  le 
lieutenant-colonel  Mouravieff,  en  étaient  les  chefs.  Pendant 
un  voyage  que  fit  l'empereur  Alexandre  dans  les  déserts  de 
la  Crimée,  il  apprit,  par  la  révélation  d'un  des  conspirateurs, 
qu'il  avait  trop  longtemps  vécu  au  gré  de  quelques-igis  de 
ses  sujets,  et  que  le  complot  était  dirigé  contre  sa  vie.  Cette 
découverte  l'afTecta  d'une  manière  si  sensible,  que  peu  de 
jours  après  (!*'  décembre  1825),  au  retour  d'une  excursion  à 
cheval  le  long  des  côtes  insalubres  de  la  Tauride,  il  tomba 
niourant  à  Tangarok,  en  proférant  ces  mots  :  a  0  épouvan- 
table action!...  d  On  n'a  jamais  su  si  cette  exclamation  se  rap- 
portait au  complot  tramé  contre  lui,  à  son  adhésion  à  la 
Sainte-Alliance  et  aux  atrocités  qui  en  avaient  été  la  suite,  ou 
un  forfait  plus  vieux,  dont  sa  mémoire  n'a  jamais  été  entiè- 
rement lavée. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Alexandre  mort,  le  grand-duc  Nicolas, 
son  frère,  s'occupait  à  faire  prêter  serment  de  fidélité,  par 


DE  LA  RÉVOLLTION   POLOIVAiSE.  257 

tous  les  ordres  de  TÉlat^  au  prince  Coustantin,  héritier  légi- 
time de  la  couronne,  lorsque  le  conseil  d'État^  ayant  rompu  le 
sceau  d'un  écrit  qui  lui  avait  été  conûé  par  le  défunt  empe- 
reur, pour  n'être  ouvert  qu'après  sa  mort,  y  trouva  une  re- 
nonciation à  la  succession  au  trône,  signée  le  14  janvier  1822 
par  le  grand-duc  Constantin,  et  l'acceptation  de  cette  renon- 
ciation par  l'empereur  Alexandre,  qui  désignait  son  second 
frère^  le  grand-duc  Nicolas  comme  héritier  de  Fempire.  Le 
prince  Constantin  renouvela  solennellement  sa  renonciation 
antérieure.  C'était  le  moment  qu'attendaient  les  conjurés.  Us 
semèrent  le  bruit  que  Constantin  n'avait  pas  renoncé  à  la 
couronne;  que  ce  légitime  empereur,  chargé  de  fers  par  son 
frère,  invoquait  de  loin  l'appui  de  sa  fidèle  armée.  Un  pre- 
mier manifeste  parut  rédigé  dans  ce  sens;  un  second  mani- 
feste à  la  nation  convoquait  une  assemblée  générale  des  dé- 
putés de  l'empire  et  un  gouvernement  provisoire.  Le  prince 
Trubetzkoî  y  était  désigné  pour  dictateur.  Au  jour  du  danger, 
Trubelzkoïse  troubla;  Ryleieff  prit  sa  place.  Un  autre  con- 
juré répandit  l'esprit  de  sédition  dans  les  casernes;  le  régi- 
ment de  Moscou,  les  grenadiers  du  corps,  les  marins  de  la 
garde  se  révoltèrent  et  tuèrent  leurs  commandants.  Le  gou- 
yerneur  militaire  de  Saint-Pétersbourg,  la  comte  Milorado- 
witchy  fut  tué  d'un  coup  de  feu.  Dans  ce  pressant  péril  pour 
sa  couronne,  Nicolas  se  porta  au-devant  des  troupes  soulevées 
qui  se  précipitaient  vers  le  palais,  a  Rebelles  1  leur  dit-il,  vous 
vous  trompez  de  chemin!  «  Stupéfaits  de  ce  sang-froid,  les 
rebelles  se  dispersèrent;  la  mitraille  hâta  leur  fuite,  l'écba* 
faud  emporta  le  reste  de  la  sédition.  L'empereur  Nicolas  re- 
cueillit sur  le  tombeau  de  son  frère  un  sceptre  teint  du  sang 
de  ses  sujets.  Ce  sinistre  début  était  d'un  fatal  augure  ;  aussi, 
sous  ce  règnci  la  Pologne  devait  perdre  ce  qui  lui  restait  de 
nationalité. 

33 


258  HISTOIRE 

En  effets  la  conspiration  qui  avait  éclaté  en  1825  à  Saint* 
Pétersbourgy  au  pied  du  trône  sur  lequel  le  nouvel  empereur 
ne  s^était  pas  encore  assis^  lui  avait  rendu  toute  la  Pologne 
suspecte.  Les  vexations^  Tarbitraire^  les  exactions^  les  persé- 
cutions préludèrent  à  un  plan  de  dénationalisation  arrêté 
d'avance.  Un  moment,  un  seul,  la  Pologne  eut  l'espoir  d'un 
peu  de  répit.  C'était  le  21  mai  1829,  Tempereur  Nicolas  s'était 
prosterné  devant  un  autel  dressé  dans  le  château  de'  Varsovie. 
Devant  le  monarque  qui  allait  poser  sur  sa  tête  la  couronne 
des  Jagellons,  étaient  le  sceau  du  royaume,  la  bannière.  Té- 
pée,  le  manteau  royal,  le  sceptre  et  la  couronne.  Sur  le  livre 
ouvert  des  Évangiles,  Tempereur  étendit  la  main  et  jura  «c  de 
a  régner  pour  le  bonheur  de  la  nation  polonaise,  d'après  la 
a  charte  octroyée  par  son  auguste  prédécesseur.  » 

Cependant,  par  cela  seul  que  les  peuples  toujours  malheu- 
reux espèrent  toujours,  les  Polonais  pensaient  qu'en  se  fai- 
sant couronner  roi  de  Pologne,  l'empereur  Nicolas  avait  eu  un 
autre  but  que  celui  d'ajouter  une  vaine  formalité  à  son  titre. 
Ils  se  trompèrent.  Le  nouveau  roi  couronné  s'éloigna  de  ce 
pays,  sans  avoir  remis  en  vigueur  la  constitution,  sans  avoir 
convoqué  la  diète  nationale  ;  pour  surcroît  de  malheur,  une 
vigilance  soupçonneuse  enleva  à  ce  malheureux  pays  le  peu 
de  repos  qui  survivait  à  ses  libertés  expirantes.  La  Pologne 
demeura  soumise  à  Padministration  toute  militaire  du  prince 
Constantin;  rien  ne  mit  un  terme  à  ses  souffrances.  Quoique 
enchaînée,  cependant  on  la  craignait  encore,  sous  la  garde 
del'épéedu  grand-duc,  on  lui  disputa  jusqu'à  la  paix  de 
l'esclavage. 

Après  avoir  montré  comment  la  constitution  de  Pologne 
fut  arrachée  à  l'empereur  Alexandre  par  l'insistance  intéres- 
sée des  puissances  européennes,  et  comment  cette  charte  oc- 
troyée par  le  czar  fut  bientôt  violée  par  lui-même  et  par  son 


DB  LA  BÉTOLUTION  POLONAISE.  259 

successeur,  revenons  sur  nos  pas,  et  indiquons^  avec  quel- 
ques détails^  les  plus  importante  des  griefs  accumulés  dans 
une  période  de  quinze  années  par  la  Pologne^  cette  malheu* 
reuse,  mais  non  pas  la  seule  victime  de  ces  abus  de  la  force^ 
qui  prirent  le  nom  de  traités  de  1815.  Malgré  le  caractère  bru- 
tal de  ces  traités,  la  Pologne  en  avait  stoïquement  subi  les 
conséquences.  Mais^  en  voyant  comment  ils  furent  exécutés, 
en  voyant  les  mille  blessures  faites  au  cœur  d^une  nation  hé- 
roïque par  la  verge  de  fer  de  deux  despotes,  on  ne  pourra 
s'empêcher  de  reconnaître  que^  dans  aucun  pays  et  à  aucune 
époque,  cet  axiome  de  liberté  sorti  de  la  bouche  d'un  grand 
homme  :  ce  Contre  la  tyrannie,  Pinsurrection  est  le  plus  saint 
des  devoirs,  »  ne  reçut  une  application  plus  nécessaire  et 
plus  juste  à  la  fois  que  celle  qu'en  firent  les  Polonais  en  1830. 
Il  est  difficile  d'ailleurs,  de  comprendre  comment  les  Ca- 
binets européens  se  firent  illusion,  au  point  de  croire  que 
Y  autocrate  de  toutes  les  Russies,  le  souverain  absolu  des  Co- 
saques^ consentirait  àrégnerconstitutionnellement  sur  le  nou- 
veau peuple  quMl  venait  d'absorber.  La  réunion  sur  une  seule 
fête  de  deux  pouvoirs  si  différents^  Tun  sans  limite  et  sans 
contrôle^  Tautre  borné  et  contrôlé,  était  une  évidente  ano- 
malie, qui  ne  portait  en  elle  aucun  principe  de  durée.  Ou  la 
Pologne  devait  être  pour  la  Russie  un  foyer  rayonnant  d'idées 
nouvelles^  et  porter  la  lumière  et  la  chaleur  parmi  ces  froids 
et  durs  Tartares ,  ou  bien  le  czar  de  Hoscovie  devait  éteindre 
et  étouffer  dans  un  pays  voisin  une  liberté  dangereuse  pour 
ses  anciens  sujets.  L'alternative  était  inévitable;  mais,  comme 
la  politique  russe  n'était  pas  d'un  tempérament  à  attendre 
patiemment  que  la  première  de  ces  deux  chances  se  réalisât 
sous  ses  yeux,  c'était  la  constitution  polonaise  qui  devait  in- 
failliblement succomber  et  périr.  Du  reste,  si  l'empereur  de 
la  Russie  avait  fini  par  se  soumettre  aux  exigences  des  puis* 


260  HISTOIRE 

sances^  c*est  qull  avait  espéré  un  moment  pouvoir  tirer  part 
de  son  apparente  concession,  et,  sans  en  avoir  Tair^  reprendre 
d'une  main  ce  qu'il  donnait  de  Tautre.  Il  y  avait  alors  à  sa 
Cour  un  parti  qui  obéissait  à  l'influence  de  madame  de  Kru- 
dener^  la  maîtresse  du  czar.  Ce  partie  soi-disant  libéral^  avait 
persuadé  à  Alexandre  quMl  lui  serait  facile  d'escamoter  la  li- 
berté^ tout  en  paraissant  la  donner.  Maniée  par  d'adroits  pres- 
tidigitateurs, celte  liberté  polonaise  devait  être  pour  lui  un 
instrument  de  tyrannie^  au  lieu  d'être  un  péril  et  un  empê^ 
cbement.  Ces  théoriciens  de  la  Cour  moscovite  avaient  raison, 
et  il  ne  serait  pas  nécessaire  d'aller  bien  loin  pour  trouver 
des  exemples  de  cette  politique,  qui  joue  avec  les  droits  des 
peuples  comme  les  saltimbanques  de  nos  rues  jouent  aux 
gobelets,  et  fait  disparaître  les  franchises  nationales  aussi 
adroitement  qu'ils  font  disparaître  la  muscade  sous  les  re- 
gards surpris  du  spectateur.  Mais,  soit  que  l'habileté  des 
hommes  d'Etat  de  Saint-Pétersbourg  ne  fût  pas  de  force  à  re- 
présenter avec  succès  une  pareille  comédie,  soit  qu'ici  l'en- 
treprise offrît  plus  de  difficultés,  attendu  qu'il  fallait  opérer 
sur  un  peuple  étranger,  Alexandre  ne  tarda  pas  à  se  con- 
vaincre que  ses  projets  d'escamotage  ne  réussiraient  pas,  et,  dès 
ce  jour,  non-seulement  il  renonça  au  dessein  qu'il  avait  formé 
de  doter  d'une  charte  ses  Cosaques,  mais  encore  il  jura  d'é- 
craser du  pied  en  Pologne  cette  liberté  incommode  qui  refu- 
sait insolemment  de  porter  sa  livrée. 

Un  des  premiers  actes  d'Alexandre,  pour  atteindre  ce  but, 
fut  d'imposer  à  la  Pologne,  en  qualité  de  gouverneur  ou  vice- 
roi,  son  propre  frère  Constantin,  l'héritier  présomptif  de  la 
couronne  moscovite.  Disons  quelques  mots  de  ce  prince, 
dont  le  choix  accusait  on  ne  peut  plus  clairement  la  pensée 
du  czar  sur  les  Polonais. 

C'était  un  homme  de  haute  taille^  d'un  physique  féroce  et 


DB  LA  BÉTOLUTIOH  POLONAISE.  261 

grotesque  tout  à  la  fois  :  épaules  larges  et  robustes,  voix  rau- 
que,  nez  retrousséi  tel  était  son  extérieur.  Il  ne  quittait  jamais 
ruuiforme,  et  portait  sur  sa  tête  un  chapeau  à  trois  cornes 
surmonté  de  plumes  de  coq,  et  plaôé  de  manière  à  ne  pas 
gêner  ses  regards  perçants,  qui  sons  des  sourcils  blancs  et 
hérissés^  lançaient  toujours  Téclair  de  la  colère.  Le  grand-duc 
Constantin  devint  amoureux,  à  Varsovie ,  d'une  jeune  et 
belle  Polonaise  quMl  épousa.  Pour  que  ce  mariage  pût  avoir 
lieu,  il  dut  demander  le  consentement  de  son  frère.  Alexandre 
accorda  au  grand-duc  la  permission  qu'il  demandait;  mais 
telle  était  l'estime  quUl  avait  pour  son  frère,  qu^il  profita  de 
cette  circonstance  pour  exiger  de  lu)|  en  échange  de  ce  con- 
sentement, sa  renonciation  formelle  à  la  couronne  moscovite, 
en  faveur  du  troisième  frère,  Nicolas.  Ainsi,  Alexandre  ne  ju- 
geait pas  Constantin  digne  de  régner  sur  les  Russes,  et  il  l'ap- 
pelait cependant  à  gouverner  les  Polonais.  Ce  trait  suffit 
pour  peindre  toute  la  sympathie  du  czar  pour  un  peuple  dont 
il  se  disait  dérisoirement  le  restaurateur.  Esclave  de  ses  pas- 
sions^ Constantin  aima  mieux  renoncer  lâchement  à  ses  droits 
qu'à  la  belle  Jeannette  Grudginska.  Le  contact  d'une  femme  i 
la  fois  belle  et  bonne  adoucit  d'ordinaire  les  plus  sauvages 
naturels;  cette  alliance  avec  une  de  leurs  compatriotes  devait 
faire  espérer  aux  Polonais  quelques  améliorations  dans  la 
façon  dont  ils  étaient  gouvernés;  mais  il  est  des  animaux 
féroces  que  nulle  puissance  humaine  ne  saurait  apprivoiser; 
Constantin  était   de  ce  nombre.  Après  comme  avant  son 
mariage,  il  se  fit  exécrer  de  toute  la  population,  bourgeoise 
et  militaire,  qui  l'appelait  le  tigre.  Pour  un  bouton  mal 
cousu,  il  mettait  le  soldat  en  prison;  si  un  passant  ne  le  saluait 
pas^  il  l'envoyait  au  corps-de-garde.  Des  étrangers  même 
s'offraient-ils  à  ses  yeux  coiffés  de  chapeaux  de  mode  in- 
connue,  il  les  faisait  amener  de  force  sur  la  place  de  Saxe,  où 


262  HISTOIRE 

il  passait  les  troupes  en  revue,  et  là^  les  obligeant  à  se  placer 
sur  un  tambour,  il  coupait  de  sa  main,  avec  des  ciseaux,  les 
bords  de  leurs  chapeaux.  S'il  trouvait  sur  sa  route  un  enfant 
polonais  aux  longs  et  beaux  cheveux  tombant  sur  ses  épaules, 
il  le  faisait  arracher  violemment  des  bras  de  sa  mère  éplorée, 
et,  pendant  que  la  pauvre  créature  criait  et  pleurait  dans  les 
mains  de  ses  ravisseurs^  il  coupait  en  riant  sa  belle  chevelure. 
C'étaient  là  les  amusements  les  plus  innocents  du  grand-duc; 
de  ceux-là  il  passait  souvent  à  d'autres  plus  cruels  et  plus  san- 
glants.  Pour  le  moindre  acte  d'irrévérence,  pour  un  mot,  pour 
un  geste^  il  lui  arrivait  souvent  de  prendre  le  fusil  d'un  soldat 
et  de  le  décharger  sur  lui,  ou  d'assommer  un  officier  d'un 
^coup  de  crosse.  Sous  les  plus  futiles  prétextes,  ce  monstre  à 
face  humaine  faisait  conduire  en  prison  des  citoyens  de  toutes 
<X)nditions,  coupables  seulement  de  lui  avoir  déplu;  et  des 
conseils  de  guerre  nommés  par  lui^  soumis  à  ses  caprices, 
condamnaient  ces  infortunés  à  des  travaux  avillissants,  et  les 
jetaient  dans  des  cachots  pêle-mêle  avec  les  forçats.  Et  cela 
se  faisait  au  mépris  de  garanties  assurées  par  la  constitution^ 
qui  n'était  déjà  plus  avant  1820^  qu'une  lettre  morte,  effacée 
par  le  pourvoir  discrétionnaire  accordé  par  le  czar  à  Constantin. 
Le  grand-duc  avait  reçu  la  mission  d'abrutir  la  Pologne^ 
d'extirper  du  cœur  de  ce  peuple  ces  sentiments  d'honneur 
individuelet  de  dignité  nationale  qui  en  ont  faille  frère  du 
peuple  français.  Il  essaya  d'abord  d'accomplir  son  oeuvre  sur 
l'armée,  qui  comptait  dans  ses  rangs  l'élite  des  citoyens.  Sous 
prétexte  de  maintenir  la  discipline,  il  accabla  de  persécutions 
et  d'outrages  le  corps  des  officiers  ;  il  leur  fit  infliger  ou  quel- 
quefois leur  infligea  lui-même  les  peines  lesplus  infamantes, 
pour  les  fautes  les  plus  légères.  Quand  les  conseils  de  guerre 
ne  montraient  pas  assez  de  complaisance,  Constantin  cassait 
leurs  arrêts,  et  faisait  rendre  de  nouveaux  jugements  plus 


DB  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  263 

sévères,  que  la  timidité  des  juges  épouvantés  pour  leur  propre 
compte,  finissait  par  leur  accorder:  aussi  les  meilleurs  of- 
ficiers donnaient-ils  leurdémission.  D^autres^  personnellement 
insultés  par  le  grand-duc^  publiquement  frappés^  lavèrent 
généreusement  dansleur  propre  sang  Toutrage  qu41s  avaient 
reçu,  montrant  par  là  que  ce  n'était  pas  faute  de  courage^  mais 
bien  la  crainte  de  compromettre  l'avenir  de  leur  patrie,  qui 
avait  retenu  leur  bras  vengeur.  A  Foriginede  cette  tyrannie,  les 
Polonais  aimaient  à  se  bercer  d'espérances;  ils  n'osaient  pas, 
dansleur  confiance^  faire  remonter  la  responsabilité  des  actes 
dont  ils  étaient  victimes^  jusqu'à  cet  Alexandre  qui  leur  avait 
prodigué  de  si  belles  promesses.  Us  attendaient  de  lui  non- 
seulement  le  redressement  des  abus,  mais  encore  leur  réunion 
à  leurs  frères  des  provinces  incorporées,  et  ils  craignaient 
qu'un  acte  de  rébellion  contrôle  lieutenant  du  czar  ne 
servît  de  prétexte  pour  refuser  à  leur  pays  la  justice  qu'ils 
demandaient. 

Aussi^  pendant  les  sessions  législatives,  les  chambres  po- 
lonaises n'usaient-elles  de  leurs  droits  qu'avec  la  plus  grande 
réserve.  Pour  mieux  prouver  les  torts  de  l'oppresseur,  les 
opprimés  ne  protestèrent  auprès  d^ Alexandre  qu'avec  d'ex- 
trêmes ménagements,  contre  l'administration  arbitraire  de 
son  frère,  ce  qui  n'empêcha  pas  le  czar  de  poursuivre  illé- 
galement des  députés  pour  des  opinions  par  eux  modérément 
émises;  et  les  journaux  s'étant  alors  permis  de  critiquer  les 
mesures  du  pouvoir,  la  liberté  de  la  presse  fut  suspendue,  et 
fit  place  au  règne  de  la  censure.  Le  gouverment  russe  tâcha 
décolorer  ces  premières  violations  de  la  liberté  polonaise,  par 
cette  misérable  excuse  qu'invoquent  toujours  les  mauvais 
gouvernements  en  pareilles  circonstances  ;  il  accusa  effron- 
tément de  son  propre  parjure,  Vusage  effréné  que  faisait  la 
Pologne  des  droits  qu'il  lui  avait  donnés. 


26i  HISTOIRE 

Une  fois  entré  dans  cette  voie  rétrograde,  le  czar  y  marcha 
à  grands  pas.  L'instruction  publique  fut  corrompue,  et  on 
organisa  un  système  d'obscurantisme,  pour  plonger  les 
masses  dans  un  état  de  barbarie  pareil  à  celui  où  croupissent 
les  paysans  russes.  Les  chambres  furent  dépouillées  de  la  fa- 
culté de  Yoter  le  budget.  Les  charges  furent  augmentées,  des 
monopoles  créés,  qui  devaient  prochainement  tarir  la  source 
des  richesses  nationales,  et  le  trésor  public,  grossi  par  ces  me- 
sures, devint  la  pâture  d'une  valetaille  de  Cour,  composée  de 
Russes  et  d'indignes  enfants  de  la  Pologne.  Au  lieu  des 
épargnes  que  les  chambres  réclamaient,  on  créait  des  places 
nouvelles,  on  élevait  le  chiffre  des  pensions,  le  tout  pour 
augmenter  le  nombre  et  pour  assouvir  l'égoïste  appétit  des 
agents  de  la  tyrannie'.  La  publicité  des  délibérations  de  la 
diète,  cette  garantie  sainte  de  Tindépendance  du  vote,  cette 
unique  sauvegarde  des  droits  du  commettant  contre  les  tra- 
hisons du  mandataire,  fut  supprimée.  En  même  temps,  un 
système  d'espionnage  enveloppa  dans  ses  réseaux  la  totalité 
des  familles.  Le  chef  de  cette  police  occulte  était  le  général 
Rozniecki,  Pâme  damnée  de  Constantin.  Des  agents  payés  à 
grands  frais  par  la  Pologne  pénétraient  dans  Tintérieur  des 
maisons,  et,  abusant  de  l'antique  hospitalité  nationale,  se 
couvrant  du  masque  de  l'amitié,  surprenaient  les  pensées  les 
plus  intimes,  ou  même  provoquaient  traîtreusement,  par  une 
apparente  franchise,  des  manifestations  verbales  contre  la 
tyrannie.  L'empereur  Alexandre  avait  sa  police,  et  Constantin 
avait  aussi  la  sienne.  Gomme  il  arrive  toujours  en  pareil  cas, 
ces  espions,  alors  qu'il  n'avait  rien  à  dire,  imaginaient  les 
contes  les  plus  absurdes  pour  ne  pas  perdre  le  salaire  promis; 
de  telle  sorte  que  leurs  mensonges  coûtaient  souvent  laliberté 
et  quelquefois  la  vie  aux  citoyens  les  plus  inoffensifs.  Les  indi- 
vidus signalés  dans  les  rapports  des  espions  étaient  empri- 


DE  LA  BÉVOLCTION  POLONAISE.  265 

sonnés  sans  être  confrontés  avec  leurs  accusateurs,  et  Fans 
connaître  les  motifs  de  leur  arrestation.  Rozniecki  avait  fait 
construire  des  bastilles  où  était  réuni  tout  ce  que  la  barbarie 
peut  inventer  de  plus  affreux  pour  tuer  lentement  les  pri- 
sonniers>  ou  les  contraindre  à  avouer  les  crimes  qu'ils 
n'avaient  pas  commis.  Dans  la  prison  d'Etat  dite  des  Carmes, 
à  Varsovie,  le  prisonnier  était  jeté  dans  une  espèce  de  cellule 
étroite  et  basse,  où  le  jour  pénétrait  à  peine  et  où  il  ne  pou- 
vait marcher  ni  même  se  tenir  debout;  il  ne  voyait  nul  être 
humain  que  le  geôlier,  et  n'entendait  d'autre  bruit  que  le 
grincement  des  verroux  et  les  gémissements  qui  s'échap- 
paient des  cellules  voisines.  Le  système  d'espionnage  prati- 
qué sur  les  Polonais  était  tel,  que  personne,  de  ce  pays,  n'était 
certaindu  lendemain.  Des  personnes  suspectes  étaient  enlevées 
au  milieu  delà  nuit  et  conduites  devant  le  tribunal  de;ia  police 
secrète.  Là  ne  sachant  pas  seulement  de  quel  crime  on  les 
accusait,  effrayées  et  trompées  par  des  questions  capricieuses, 
elles  se  laissaient  prendre  au  piège  qui  leur  était  tendu;  ou 
bien,  quand  ce  moyen  d'instruction  ne  réussissait  pas  à  ces 
jAonveaux  inquisiteurs,  ils  avaient  recours  à  la  faim,  à  des 
peines  corporelles,  à  des  tortures  physiques  et  morales  qui 
rappelaient  la  sanguinaire  procédure  du  Saint-Office  de 
Madrid. 

Les  membres  de  la  chambre  des  nonces,  malgré  le  caractère 
d'inviolabilité  qui  les  couvrait,  n'étaient  pas  plus  ménagés  que 
les  autres  citoyens;  plusieurs  d'entre  eux  étaient  enlevés  au 
seuil  même  de  la  salle  des  séances,  et  traînés  dans  la  prison 
des  Carmes,  pour  expier,  dans  la  captivité,  l'indépendance  de 
leurs  discours.  Quelques  uns  d'entreces  députés  ne  quittèrent 
cette  bastille  que  lorsque  la  révolution  de  1830  leur  en  ouvrit 
les  portes. 

Les  choses  se  passèrent  ainsi  jusqu'à  l'année  1826,   où 

34 


2G6  HISTOIRE 

mourut  Pempereur  Alexandre.  Alors  crédules  et  pleins 
d'espoir^  comme  le  sont  toujours  les  malheureux^  les  Polonais 
espérèrent  un  moment  que  leur  nouTeau  maître  leur  serait 
plus  traitable  que  l'ancien  ;  révénement  déçut  bientôt  leurs! 
illusions.  Nous  avons  tu  qu'Alexandre  n'avait  cessé  de  pro-  ; 
mettre  la  réunion  au  royaume  de  Pologne  de  la  Lithuanie  et 
autres  provinces  incorporées  à  l'empire  russe. 

Plus  franc  et  plus  hardi  que  son  frère  la  première  parole 
de  Nicolas  aux  Polonais  fut  celle-ci  :  a  Jamais  cette  réunion 
«  n'aura  lieu;  je  ne  reviendrai  pas  sur  les  faits  accomplis,  d 

Dès  ce  moment^  aux  parjures  anciens  succédèrent  jour- 
nellement des  parjures  nouveaux. 

Pour  se  débarrasser  d'une  indépendance  importune  leczar^ 
introduisant  dans  le  sénat  de  nouveaux  membres  qui  ne  pos- 
sédaient pas  les  qualités  requises  par  la  loi  fondamentale^ 
peupla  ce  corps  de  créatures  dévouées.  Il  décréta,  de  son 
autorité  privée,  et  sans  l'assentiment  des  Chambres^  un 
emprunt  onéreux  et  une  autre  mesure  de  la  plus  haute  gra- 
vité^ l'aliénation  des  domaines  nationaux.  Les  sommes  considé- 
rables puisées  à  ces  deux  sources  devaient  être,  comme  tant 
d'autres  l'avaient  déjà  été^  la  proie  des  agents  du  pouvoir. 
Heureusement,  le  temps  manqua  à  cette  œuvre  nouvelle  de 
dilapidation,  et  cet  argent,  ainsi  qu'on  le  verra  plus  tard, 
servit  providentiellement  à  l'armement  de  la  Pologne  contre 
son  oppresseur. 

Aux  différents  griefs  que  nous  venons  d'énumérer ,  il 
aut  joindre  la  préférence  hautement  accordée  à  l'Eglise 
grecque,  au  préjudice  du  culte  catholique  professé  par  les 
sept  huitièmes  de  la  nation.  Ainsi,  en  résumé,  refus  pei^é- 
vérant,  malgré  les  engagements  d'Alexandre,  de  restituer  au 
royaume  de  Pologne  les  anciennes  provinces  annexées  à 
Tempire  russe,    violations  réitérées  de   la  charte  libérale 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  2G7 

arrachée  à  Tempereur  défunt,  abolition  successive  de  tous  les 
droits  et  de  toutes  les  garanties  constitutionnelles^  notam- 
ment de  la  publicité  des  séances  de  la  diète  et  de  la  liberté 
de  la  presse^  intolérance  religieuse^  persécutions  brutales 
et  systématiques  exercées  contre  quiconque  osait  penser 
tout  haut.  Tels  étaient  les  nombreux  reproches  adressés 
par  les  Polonais  au  gouvernement  russe  en  1830  tels 
étaient  les  griefs  par  eux  amassés  dans  un  espace  de 
quinze  années. 

Voyons  maintenant  quels  étaient  les  divers  éléments  dont 
se  composait  le  royaume  de  Pologne  à  cette  époque,  et 
quelle  était  la  situation  faite  par  la  loi  de  TEtat  à  chacun  de 
ces  éléments. 

Presque  toute  Tactivité  nationale  est  concentrée  dans  les 
deux  classes  de  la  noblesse  et  la  de  bourgeoisie.  En  ce  moment 
encore,  comme  on  s'en  convaincra  plus  tard,  ce  sont  ces  deux 
classes  qui  prennent  Tinitiative  et  donnent  vaillamment^  au 
péril  de  leur  vie^  le  signal  de  tous  les  mouvements.  Les  nobles 
surtout  n'ont  pas  encore  oublié  leurs  antiques  privilèges,  et 
cette  haute  prérogative  du  liberum  vetOj  dont  leurs  pères  ont 
souvent  abusé^il  est  vrai^  et  qui  produisitTanarchie  et  la  perte 
delà  patrie^  mais  qui  au  moins  mettait  le  mouvement  la  passion 
politique  et  une  vie  puissante  quoique  frébrile,  là  où  ne  ré- 
gnent plus  maintenant  que  l'immobilité,  Tagonie  et  la  mort. 
Lés  bourgeois,  maintenant  admis  à  la  possession  de  presque 
tous  les  droits  autrefois  réservés  à  la  noblesse,  sont  dévoués 
comme  elle  à  la  cause  patriotique.  Un  même  amour  de  l'indé- 
pendance nationale  animait  déjà  ces  deux  classes  eu  1830,  sauf 
cependant  leurs  sommités^  c'est-à-dire  les  propriétaires  très- 
riches  et  les  plus  anciennes  familles  nobiliaires.  Là,  comme 
dans  d'autres  contrées^  l'égoïsme  et  la  peur  de  perdre  leurs 
richesses  a  corrompu  les  échelons  supérieurs  de  la  hiérarchie 


268  HISTOIRE 

sociale,  el  nous  verrons  bientôt  que  ce  furent,  en  effet,  ces 
deux  fractions  prépondérantes  de  la  classe  moyenne  et  de  la 
classe  noble,  qui,  en  1830,  se  mirent  à  la  tête  de  Tinsurrec- 
tion  pour  l'arrêter  et  la  faire  dévier,  et  qui,  en  résultat,  sans 
le  vouloir  peut-être,  la  firent  avorter.  Si  ce  ne  fut  pas  là,  crime 
et  trahison  de  leur  part,  ce  fut  du  moins  aveuglement  et  cou- 
pable faiblesse. 

Nous  avons  parlé  de  l'Eglise  grecque,  et  constaté  son  état 
de  minorité  dans  le  pays,  malgré  tous  les  efforts  de  la  Russie 
pour  y  faire  prévaloir  ce  culte.  L'Eglise  grecque  se  divise  en 
deux  rits  :  le  rit  uni  et  le  rit  non  uni.  Le  rit  non  uni,  peu  ré- 
pandu dans  le  royaume  de  la  Pologne,  est  en  majorité  dans 
rUkraine,  dans  la  Lithuauie,  la  Yolbynie  et  les  autres  pro- 
vinces incorporées.  Les  prêtres  de  cette  communion  recon- 
naissent pour  chef  spirituel  le  czar,  qui,  pour  étendre  sa  do- 
mination sur  les  consciences  de  ses  sujets,  s'est  proclamé 
leur  empereur  et  leur  pape  tout  à  la  fois.  Grâce  au  dernier  de 
ces  deux  titres,  le  czar  a  conquis,  en  effet,  une  grande  in- 
fluence sur  les  provinces  dont  nous  venons  de  parler.  On  y 
rencontre  plus  de  résignation  au  joug  de  la  Russie  que  dans 
ie  royaume  de  la  Pologne  proprement  dit. 

Les  provinces  du  royaume  ne  connaissent  guère  que  le  ca- 
tholicisme pur  et  le  rit  grec  uni,  qui  n'est  pas,  comme  le 
non-uni,  sous  la  dépendance  de  Tempereur.  Les  prêtres  de 
ces  deux  communions  se  montrèrent  toujours  de  dignes  fils 
de  leur  pays,  et  on  les  a  vus  plusieurs  fois,  en  1830  et  depuis 
lors,  mettre  non-seulement  leur  éloquence,  mais  encore 
leurs  bras  au  service  de  la  cause  nationale,  combattre  comme 
des  héros  après  avoir  prêché  comme  de  saints. 

Les  paysans  composent  les  deux  tiers  de  la  population  polo- 
naise. Leur  position  était  à  peu  près,  en  1830,  ce  qu'elle  était 
avant  la  révolution  de  1795,  ce  qu'elle  est  encore  aujourd'hui. 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLOVAISE.  269 

Soumis  aux  servitudes  et  aux  corvées^  exclus  de  la  propriété 
foncière,  ils  portaient  sur  eux  tout  le  faix  écrasant  des  abus 
féodaux  du  moyen  âge.  Aussi  se  montraient-ils  assez  indlf- 
^  férents  à  ces  grandes  idées  de  nationalité  qui  remuaient  alors 
les  classes  plus  heureuses  et  plus  riches,  mais  qui,  pour  eux^ 
n'avaient  guère  de  sens,  faute  d'un  but  utile  à  tous.  Ces  pay- 
sans échappant,  par  leur  peu  d'importance  et  leur  position 
subalterne  et  servile^  à  Faction  du  despotisme  russe,  ne 
voyaient^  dans  une  révolution  qu'un  maître  à  échanger  contre 
un  autre.  Ce  que  l'insurrection  de  1830  avait  à  faire  avant 
tout^  c'était  donc  de  donner  un  but  utile^  un  stimulant  éner- 
gique à  cette  portion  si  importante  de  la  population;  c'était 
de  l'intéresser  au  succès  de  la  révolution,  de  la  doter  enOn 
de  la  propriété  foncière,  de  l'admettre  à  la  jouissance  des 
droits  de  citoyen^  de  satisfaire  ses  besoins  physiques,  et  d'é- 
veiller en  elle  un  nouveau  monde  d'idées  morales. 

Nous  verrons  lout-à-l'heure  si  l'insurrection  de  1830  ac- 
complit ce  devoir  essentiel  et  songea  à  une  réforme  que  la 
justice  réclamait^  et  qui  seule  peut-être  pouvait  sauver  le 
peuple  polonais. 

On  remarquait  aussi^  et  on  remarque  encore  en  Pologne 
cette  race  vagabonde  qu'on  rencontre  partout  en  Europe, 
mais  nulle  part  autant  qu'en  ce  pays,  où  les  juifs  composent, 
à  enx  seuls,  au  moins  la  dixième  partie  des  habitants.  Nous 
n'avons  pas  besoin  de  dire  qu'ils  sont  là  ce  qu'on  les  voit 
ailleurs.  Soigneusement  séparés  des  chrétiens^  avec  lesquels 
ils  refusent  de  s'allier  par  le  mariage;  entretenus  dans  ce  fatal 
isolement  par  la  Bible^  ou  du  moins  par  l'interprétation  pas- 
\  sionnée  qu'ils  en  font,  les  juifs^  chassés  de  presque  toutes  les 
'  contrées  européennes  au  moyen  fige^  par  le  fanatisme  reli- 
gieux, trouvèrent  sur  le  bords  de  la  Vistule  une  hospitalité  si 
bienveillante^  qu'ils  appelèrent  la  Pologne  leur  paradis  ter- 


270  HISTOIRE 

restre  en  effet  le  degré  de  prospérité  qu'ils  ne  tardèrent  pas  à 
y  atteindre.  Professant  une  répugnance  invincible  pour  le  ser- 
vice militaire  et  pourTagriculture^  les  juifs  n^exercërent  pour- 
tant jamais  en  Pologne  les  droits  de  citoyens,  puisqu'ils  refu- 
saient d'en  remplir  les  devoirs.  Le  voîturage,  les  prêts  d^argent, 
l'usure^  le  commerce  de  détail^  qu'ils  conduisaient  avec 
beaucoup  d'habi  le  té,  telles  étaient  les  professions  auxquelles  ils 
se  livraient.  Ils  étaient  presque  tous  cabaretlers^  et  on  leur 
reprochait  avec  justice  d'exciter,  par  cupidité,  Tivrognerie 
parmi  les  classes  pauvres.  Sachant  tout  jusle  lire^  écrire  et 
compter,  les  plus  riches  d'entre  eux  ne  possédaient  pas  les  lu- 
mières répandues  parmi  les  bourgeois  chrétiens.  Stationnaires 
dans  toutes  leurs  coutumes,  ils  affectaient  même  de  se  dis- 
tinguer du  reste  de  leurs  concitoyens  par  Tétrangeté  de  leur 
costume,  quoiqu'elle  fût  l'objet  de  la  risée  publique.  Ils  gar- 
dèrent toujours  religieusement  ces  longues  barbes  et  ces  che- 
velures tombant  en  cadenettes  tressées  devant  les  oreilles, 
qu'ils  portaient  dans  les  derniers  siècles.  Généralement  mé- 
prisés^ on  les  accusait  non-seulement  de  mauvaise  foi  et  de 
fraude  dans  leurs  trafics,  mais  encore  de  superstitions  odieuses. 
Inutile  d'ajouter  qu'ils  rendaient  aux  chrétiens  le  mépris 
et  la  haine  que  ceux-ci  leur  portaient.  Quoiqu'eufanis 
adoptés  de  la  Pologne,  ils  ne  s'intéressaient  au  sort  de  la 
partrie  que  jusqu'à  la  limite  de  leur  intérêt  personnel. 

Vainement,  à  la  fin  du  dernier  siècle^  avait-on  essayé  d'en 
faire  des  citoyens  utiles,  de  les  forcer  au  service  militaire^  et 
de  fermer  leurs  cabarets  pour  qu'ils  s'occupassent  d'agri- 
culture. Tous  les  moyens  coërcitifs  échouèrent.  Enrôlés  dans 
les  rangs  de  l'armée,  ils  désertaient;  privés  de  leur  commerce, 
ils  se  laissaient  tomber  dans  la  misère,  et  se  croisaient  les 
bras  plutôt  que  de  s'armer  de  la  charrue.  Impossible  d'en 
faire  des  soldats  ou  des  laboureurs. 


DE  LA  EÉVOLUTION  POLONAISE.  271 

n  7  avait  pourtant  des  exceptions.  A  côlé  de  ces  juifs  routi- 
niers qui  ne  voyaient  dans  le  progrès  qu'un  ennemi  de  leurs 
doctrines^  il  en  était  d'autres^  moins  arriérési  qui  compre- 
naient les  relations  sociales^  et  se  rapprochaient  sincèrement 
des  chrétiens.  Ceux-là  sentaient  qu'au-delà  des  croyances  re- 
ligieuses qui  se  partagent  le  genre  humain,  il  existait  des 
connaissances  et  des  idées  qui  peuvent  être  communes  à  tous> 
et  qui  relèvent  la  dignité  de  l'homme.  11  est  fâcheux  que  l'en- 
têtement fanatique  de  leurs  frères,  et  les  préventions  exagé- 
rées des  chrétiens  polonais,  aient  privé  la  révolution  de  ce 
pays  de  la  force  que  lui  aurait  prêté  cette  partie  considérable 
des  habitants  qui  le  peuplaient. 

Maintenant  qu'on  connaît^  d'une  part,  les  divers  éléments 
de  la  nation  polonaise  et  la  place  qu'ils  occupaient  dans  la 
cité;  d'autre  part,  le  système  d'asservissement  et  de  persé- 
cution suivi  pendant  un  intervalle  de  quinze  années  contre 
cette  grande  victime,  par  le  cabinet  moscovite,  nous  allons 
parcourir  rapidement  les  événements  qui  précédèrent  immé- 
diatement et  déterminèrent  même  la  glorieuse  explosion  de 
1830. 

Un  des  moindres  torts  de  la  Cour  de  Saint-Pétersbourg  à 
regard  du  peuple  qu'elle  opprimait,  c'était  de  ne  convoquer 
la  diète,  c'est-à-dire  les  chambres,  que  quand  il  lui  plaisait. 
Ainsi,  depuis  1815,  on  n'avaitencore  compté  que  deux  sessions, 
celle  de  1818  et  celle  de  1825.  Ce  n'était  pas  assez  de  mettre  un 
bâillon  sur  la  bouche  des  députés  :  malgré  tant  de  violences 
et  de  précautions,  Alexandre  et  Nicolas  trouvaient  qu'ils  en 
disaient  encore  trop,  et  ils  ne  voulaient  pas  que  les  nonces  et 
le  sénat  s'assemblassent.  Enfin,  l'interrègne  parlementaire 
ayant  duré  cinq  ans,  à  moins  de  renverser  brutalement  la 
constitution,  il  fallut  bien,  en  1830  que  Nicolas  se  résignât  à 
convoquer  la  diète.  Yoici  dans  quels  termes  il  le  fit,  par  son 


272  HISTOIRE 

ukase  du  6  avril  de  cette  année  :  «  Vous  avez  appris  par  deux 
«  diètes  quel  doit  être  le  but  de  vos  elforts,  et  ce  que  vous 
a  devez  éviter.  L'expérience  vous  a  montré  les  avantages  des 
((  délibérations  calmes  et  tranquilles^  et  les  suites  préjudi- 
a  ciables  des  dissensions.  Cette  expérience,  je  l'espère^  ne 
ce  sera  pas  sans  fruit  pour  vous  j>  Cet  ukase,  dont  la  fin  rappe- 
lait, comme  d'habitude,  les  bienfaits  de  Vimmortel  restaura^ 
teur  de  la  Pologne,  d'Alexandre,  faisait  entendre  clairement 
que  la  constitution  tenait  à  Tusage  que  les  chambres  feraient 
de  leurs  privilèges.  Pour  nous  servir  d'une  expression  fa- 
meuse, le  czar  paraissait  dire  :  a  Soyez  sages,  servez-vous 
a  bien  discrètement  de  la  charte,  de  ce  joujou  que  je  vous  ai 
a  donné,  mais  qu'il  faut  vous  garder  de  prendre  trop  au 
a  sérieux,  sinon  je  retirerai  le  joujou  de  vos  mains  et  je 
a  le  briserai.  x>  C'était  enfin  le  langage  d'un  caporal  en 
colère,  menaçant  de  la  salle  de  police  des  recrues  indociles. 
Le  28  mai,  Nicolas  ouvrit  en  personne,  à  Varsovie,  la  troi- 
sième session.  Entouré  d^un  cortège  de  Russes,  il  prononça 
un  discours  d'ouverture  qui  n'était  que  la  seconde  édition  de 
son  ukase  du  6  avril,  et  qu'il  termina  en  daignant  s'excuser 
auprès  des  chambres  de  ce  qu'il  n'avait  pas  appelé  Tarmée 
polonaise  à  prendre  part  aux  deux  guerres  de  Perse  et  de 
Turquie»  faites  avec  succès  par  l'armée  russe.  Pour  ne  pas 
compromettre  les  institutions  qu'ils  possédaient  en  droit, 
sinon  en  fait,  et  qu'on  les  menaçait  de  perdre,  les  députés  et 
le  sénat  montrèrent  cette  fois,  comme  toujours^  une  réserve 
excessive  dans  leurs  votes  et  leurs  discours.  Ils  crurent, 
devoir,  cependant,  protester  contre  les  faveurs  exclusivement 
réservées  au  rit  grec,  ainsi  que  contre  l'étoulTement  de  l'in- 
struction primaire.  Le  comte  de  Mastowski,  ministre  de  l'in- 
térieur, repoussa  le  reproche  adressé  sur  la  question  reli; 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE^  273 

gieuse,  ct^  quant  à  rinstruction  primaire,  nous  nous 
contenterons  de  citer  une  phrase  de  sa  réponse,  a  SMl  est 
«  vraiy  disait-ily  que  Textension  irrégulière  des  connaissant 
a  ces,  en  augmentant  la  sûreté  des  personnes^  tend  à  dimi- 
«  nuer  celle  des  propriétés  par  les  nouveaux  désirs  qu'elle 
a  excite,  le  moyen  le  plus  simple  d'écarter  Tappât  des  jouis- 
«  sances  illicites  se  trouverait  en  facilitant  pour  chaque  Etat 
a  rinstruction  limitée  qui  lui  convient,  et  qui  y  attachera 
«  davantage.  »  C'était  proclamer  franchement  Tilotisme  éter- 
nel des  classes  inférieures,  et  ériger  en  principe  leur  exclu- 
sion de  tous  les  avantages  sociaux,  lumières,  honneurs  et  for- 
tune, qui  doivent  être  également  accessibles  à  tous.  Cela  était 
peut-être  bon  à  dire  aux  Russes  qui  vivaient  sous  le  régime 
du  bon  plaisir  d'un  homme  ;  mais  ce  n'est  pas  à  un  peuple 
doté  d'une  constitution  libérale,  qu'on  pouvait  opposer  ce 
mur  infranchissable  entre  les  différentes  classes  de  la  société. 

La  mesure  du  gouvernement  qui  souleva  la  résistance  de 
la  diète,  fut  le  projet  de  loi  qui  avait  pour  objet  de  rendre  le 
divorce  ou  la  dissolution  du  mariage  plus  difQcile  qu'aupara- 
vant. Le  rejet  de  ce  projet  de  loi,  à  la  majorité  ae  93  voix 
contre  32  dans  la  chambre  des  nonces,  alluma  la  colère  du 
czar,  qu'enflamnièrent  encore  les  vœux  modérément  et  fer- 
mement exprimés  par  les  nonces  et  le  sénat,  pour  la  réunion 
4le  la  Lithuanie  et  des  autres  provinces  de  l'ancienne  Pologne. 
Nicolas,  qui,  ainsi  qu'on  l'a  vu,  avait  déjà  signifié  impérieu- 
sement qu'il  ne  consentirait  jamais  à  cette  réunion,  s'irrita  de 
ce  vœu  si  persistant,  ferma  brusquement  la  session,  le  28 
juin,  un  mois  après  son  ouverture,  et  partit  pour  Saint-Pé- 
tersbourg. Un  mois  encore  s'était  à  peine  écoulé,  quand  la 
Révolution  de  Juillet  éclata  à  Paris,  et  ébranla  l'Europe  entière^ 
depuis  le  midi  jusqu'au  nord. 

Les  deux  révolutions  française  et  polonaise  de  1830  sont 
trop  liées  Tune  à  l'autre,  elle  se  touchent  par  trop  de  points 
essentiels,  et  sont  trop  fraternellement  solidaires,  pour  qu'il 
nous  soit  possible  ici  d'omettre  les  intimes  rapports  qui  les 
rattachent  ensemble,  et  conséquemment  aussi  les  relations  de 
Toppresseur  d'un  de  ces  deux  pays  avec  les  deux  gouverne- 
ments qui  se  sont  succédés  dans  l'autre. 

Le  C2ar  et  Charles  X  avaient  été  toujours  d'accord.  Cet 
accord  ne  fut  pas  rompu  par  l'expédition  d'Alger^  car  Nicolas 
offrit  même  au  Bourbon  ae  la  branche  aînée  le  concours  de 
ses  troupes,  si  celui-ci  le  jugeait  nécessaire.  Ce  fut  mem  e^ 
il  faut  bien  le  dire,  l'assentiment  exprimé  par  le  czar  en  celVe 
circonstance,  qui  imposa  silence  aux  sentiments  jaloux  de 
l'Angleterre,  et  qui  fut  cause  que  le  Cabinet  de  Paris  ne  tint 
aucun  compte  du  veto  de  cette  puissance.  Le  czar  voulait, 

33 


2H  HISTOIHB 

comme  la  France^  rabolition  de  la  piraterie  et  TalTranchisse- 
meot  de  la  navigation  de  la  Méditerranée.  Il  se  préparait 
même,  dit-on,  à  profiler  des  avantages  d'une  grande  coloni-( 
sation  européenne  sur  la  côte  d'Afrique.  Hais  l'ébranlement; 
de  Juillet  vmt  bouleverser  brusquement  tous  ces  rapports  de 
bonne  intelligence  entre  les  Cours  de  Paris  et  de  Saint- 
Pétersbourg.  Un  prince  menacé  par  une  révolte  en  arrivant 
au  trône^  et  constamment  inquiété  par  les  sourdes  répulsions 
de  la  Pologne,  ne  pouvait  pas  voir  de  bon  œil  Tœuvre  sublime 

Îue  le  peuple  de  Paris  venait  d'accomplir  en  trois  jours, 
ussi,  à  la  première  nouvelle  qu'il  en  reçut^  Nicolas  s'em- 
pressa d'ordonner  une  nouvelle  levée  de  recrues^  sous  pré- 
texte des  vides  que  les  guerres  contre  la  Turquie  et  la  Perse 
avaient  faits  dans  l'armée  moscovite.  Le  générai  Atthalin, 
envoyé  pour  notifier  au  czar  Tavënement  du  roi  Louis-Phi- 
lippe au  trône^  ne  reçut  qu'un  accueil  glacé ,  et  la  lettre  qui 
suit;  est  trop  importante  pour  ne  pas  être  mise  sous  les  yeux  du 
lecteur. 

Saint-Pétersbourg,  le  28  septembre  1830. 

a  J'ai  reçu  des  mains  du  général  Attbalin  la  missive  dont  il 
c  était  porteur.  Des  événements  à  jamais  déplorables  ont 
<3t  placé  Votre  Majesté  dans  une  cruelle  alternative  (c'étaient 
«  les  termes  de  la  lettre  de  Louis-Philippe).  Votre  Majesté  a 
<x  pris  une  résolution  qui  seule  lui  paraissait  propre  à  épar- 
a  gner  à  la  France  de  plus  grands  maux.  Je  ne  dirai  rien  des 
«  motifs  qui  ont  conduit  Votre  Majesté  dans  cette  occasion  ; 
«  mais  j'adresse  les  vœux  les  plus  ardents  à  la  divine  Provi- 
«  dence  pour  qu'il  lui  plaise  bénir  les  desseins  de  Votre 
«  Majesté,  et  ses  efforts  pour  le  bien-être  des  Français.  De 
«  concert  avec  mes  alliés^  je  reçois  avec  satisfaction  le  désir 
«  exprimé  par  Votre  Majesté  d'entretenir  des  relations  de 
«  paix  et  d'amitié  avec  tous  les  Etats  européens.  Aussi  lonç- 
a  temps  que  ces  relations  seront  fondées  sur  les  traites 
«  existants  et  sur  la  ferme  volonté  de  maintenir  les  droits  et 
«  les  obligations  solennellement  reconnus  par  ceux-ci,  ainsi 
cr  que  les  propriétés  territoriales,  l'Europe  y  verra  une 
«  garantie  de  la  paix,  qui  est  si  nécessaire^  même  pour  le 
a  repos  de  la  France.  Appelé  conjointement  avec  mes  alliés 
«  à  continuer  avec  la  France^  sous  son  nouveau  gouverne- 
«  ment;  ces  relations  conservatrices,  je  m'empresserai»  de 
«  mon  côté,  de  mettre,  non-seulement  tous  les  soins  qu'elles 
€  exigent,  mais  de  manifester  encore  sans  cesse  les  sen- 
€  timents  de  la  sincérité  desquels  je  me  fais  un  plaisir^ 
«  etc.  etc.  p 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  273 

Par  cette  lettre,  Nicolas  reconnaissait  bien  en  fait  Tavène- 
ment  au  trône  de  Louis-Pbilippe,  mais  il  niait  la  légitimité 
du  principe  qui  Ty  avait  porté.  Il  n'est  pas  dans  notre  sujet 
de  dire  ici  ce  que  la  France  aurait  dû  faire  à  cette  époque., 
mais  nous  devons  constater  la  rancune  et  la  peur  manifester- 
qu'avait  fait  naître  la  Révolution  de  Juillet  dans  l'âme  de* 
Nicolas.  Toujours  sur  le  qui-vive,  quoique  bien  convaincr 
des  intentions  pacifiques  du  monarque  français,  il  s^attendai:! 
à  chaque  instant  à  la  nouvelle  du  passage  du  Rhin  par  unr^ 
armée  française;  il  doutait  que  Louis-Philippe  eût  la  maii 
assez  forte  pour  contenir  la  réaction  populaire  qui  se  mani< 
festa  contre  l'état  de  choses  créé  par  les  traités  de  1815.  U 
hésitait  pourtant  à  prendre  l'offensive,  quand  l'insurrection 
de  Belgique,  victorieux  écho  de  celle  de  Paris,  fixa  subite* 
ment  ses  indécisions.  Après  un  échange  de  notes  et  de  cour- 
riers diplomatiques  avec  les  Cabinets  de  Vienne  et  de  Berlin, 
qui  s'associaient  à  ses  vues,  il  avait  résolu  de  prendre  hardi- 
ment l'initiative  de  la  guerre,  quand  il  fut  arrêté  tout  à  coup 
par  deux  nouveaux  ennemis  :  le  choléra-morbus,  qui,  arrivant 
de  l'Inde,  venait  de  passer  le  Caucase  et  de  faire  irrupUoa  à 
Moscou  dans  le  mois  de  septembre  ;  terrible  maladie,  qui 
décima  d'abord  l'armée  russe,  puis  l'armée  polonaise,  et  api, 
gagnant  de  proche  en  proche,  ne  tarda  pas  à  envahir  l'Eu- 
rope entière.  Le  second  ennemi  fut  l'insurrection  polonaise, 
que  le  czar  eût  voulu  prévenir,  et  qui  le  devança. 


276  niSToms 


CHAPITRE  X 

1830 


Sociétés  secrètes  à  Varsovie.  —  Pierre  Wisocki.  —  Insarrection  du  29 
novembre.  —  Constantin  sort  de  Varsovie.  •*  Les  hommes  d'Etat 
polonais  ;  leurs  idées  ;  le  parti  russo-polonais.  —  Les  cx-minislres 
sous  Constantin  s'emparent  du  pouvoir.  —  Lubecki.  —  Czartorisky. 
—  Clopicki.  —  Nouveau  gouvernement  où  entre  Joachim  Lelewel.  — 
Vœu  de  transaction  avec  le  czar.  —  Constantin  quitte  pour  toujours 
Varsovie.  —  Les  clubs  à  Varsovie  ;  leurs  plans  révolutionnaires.  — 
Clopicki  dictateur.  —  Clôture  des  clubs.  -—  Démarche  auprès  de 
Nicolas.  —  Mesures  de  défense  prises  par  Clopicki.  —  La  diète  pro- 
clame la  révolution  polonaise.  —  Elle  confirme  la  dictature  à  Clo- 
picki. —  Enthousiasme  patriotique  des  Polonais. 


La  non-réussite  de  rinsurrection  des  patriotes  russes  en 
1826,  et  les  persécutions  essuyées  par  leurs  frères  de  Var- 
sovie, n'avaient  pas  découragé  les  patriotes  polonais.  Malgré 
In  vigilance  de  la  police  russe  ^  de  nomoreuses  sociétés 
secrètes  tenaient  toujours  leurs  assemblées  dans  la  capitale. 


^ „ comparable  „ 

l'école  Polytechnique  française  pour  Tinstruction,  Tardeur  et 
les  sentiments  généreux  qui  l'animaient  :  tout  le  4'  régiment 
de  ligne  que  le  grand-duc  comblait  pourtant  de  ses  faveurs^ 
mais  dont  le  dévouement  à  la  patrie  avait  noblement  résisté 
aux  caresses  du  tyran  ;  un  çrand  nombre  de  bourgeois  s'était 
affiliés  à  ces  sociétés,  à  la  tête  desquelles  se  placèrent  les  deux 
sous-lieutenants  Joseph  Zaliwski  et  Pierre  Wisocki^  ce  héros 
de  rinsurrection  de  1830,  dont  la  vengeance  de  Nicolas  a  fait 
depuis  lors  un  martyr.  Ce  mouvement  se  concentrait  à  peu 
près  dans  les  murs  de  Varsovie,  et  ne  dépassait  pas  les  limites 
du  royaume  établi  par  le  congrès  de  Vienne.  Les  conjurés 


DE  LA  RÉVOLUTION   POLONAISE.  277 

comptaient  sur  les  ressources  de  ce  petit  pays  de  quatre  mil*- 
lions  d'habitants,  sur  celles  du  trésor  et  de  la  banque,  sur 
trente  mille  hommes  de  troupes  qui  devaient  former  le 
i  noyau  d'une  armée  nationale,  et  principalement  sur  l'énergie 
.;-  de  leurs  concitoyens.  Ils  espéraient  aussi  que  les  patriotes 
4  russes  profiteraient  d'un  soulèvement  en  Pologne  pour  ren- 
'J  verser  enfin  la  tyrannie  des  czars  et  proclamer  la  délivrance 
de  leur  propre  pays.  Malheureusement,  les  anciennes  rela- 
tions entre  les  mécontents  de  Varsovie  et  ceux  de  Pétersbourg 
s'étaient  rompues  en  1826,  et  n'avaient  pas  été  renouées 
depuis  lors.  Ce  fut  là  une  grande  imprudence  des  Polonais. 
Deux  soulèvements  qui  auraient  éclaté  à  la  fois,  à  la  même 
heure,  dans  les  deux  capitales  des  deux  pays,  se  seraient  fait 
l'un  à  l'autre  une  utile  diversion,  et  auraient  singulièrement 
compliqué  les  embarras  et  les  difficultés  d'une  double  répres- 
sion. Ajoutons  cependant,  pour  èixe  justes,  qu'il  est  douteux, 
si  l'on  eût  fait  appel  aux  mécontents  de  la  Russie,  qu'ils 
eussent  répondu  ;  Tinsuccès  de  1826  et  les  terribles  châti- 
ments infligés  par  le  czar  aux  rebelles,  avaient  peut-être 
abattu  leur  courage. 

C'est  au  milieu  de  ces  feraieats  de  révolte  préparés  en 
Pologne,  qu'arriva  la  nouvelle  de  la  victoire  populaire  de 
juillet.  Autant  cette  nouvelle  avait  éveillé  de  terreur  et  de 
colère  au  cœur  de  Nicolas,  autant  elle  jeta  de  joie  et  d'en- 
thousiasme dans  les  cœurs  polonais.  Celait  pour  eux  un  es- 
poir et  un  aiguillon.  Les  clubs  redoublèrent  d'activité  ;  le 
drapeau  tricolore,  arboré  au  consulat  de  France,  ce  glorieux 
drapeau  dont  la  Pologne  avait  regardé  si  longtemps  les  cou- 
leurs comme  les  siennes^  lui  parut  comme  le  signal  de  son 
réveil.  C'est  alors  qu'on  apprit  que  Nicolas  allait  porter  la 
guerre  en  France,  qu'un  corps  de  l'armée  russe  devait,  pen- 
dant ce  temps,  occuper  militairement  le  royaume,  et  que  les 
troupes  polonaises  devaient  être  traînées  a  cette  guerre  liber- 
ticide.  Les  sommes  considérables  provenant  de  l'emprunt  et 
de  l'aliénation  des  domaines  nationaux  étaient  destinées  par 
le  czar  à  couvrir  les  dépenses  de  la  lutte  qu'il  allait  entre- 
prendre. A  de  telles  nouvelles,  les  braves  Polonais  ne  balan- 
cèrent plus  ;  ils  s'indignèrent  à  l'idée  de  donner  leur  or  et 
leur  sang  dans  ce  duel  du  despotisme  contre  la  liberté.  D'ail- 
leurs, l'occasion  devenait  tous  les  jours  plus  propice  ;  les  deux 
révolutions  de  France  et  de  Belgique  venaient  de  retentir  en 
Allemagne,  où  éclataient  aussi  des  soulèvements  populaires. 
Les  Polonais  résolurent  de  se  mettre  en  travers  de  l'armée 
russe  qui  commençait  à  s'ébranler,  de  préserver  la  France  et 
la  Belgique,  et  de  donner  aiBâ  à  la  reconnaissance  de  ces 
deux  nations  les  moyens  de  venir  sauver  à  leur  tour  leurs 
sauveurs. 


27S  HISTOIRE 

Le  28  novembre  1830^  quelques  jeunes  gens  de  Tccole  des 
porte-enseignes,  réunis  dans  un  banquet^  se  laissant  aller  aux 
élans  de  leur  patriotisme,  avaient  chanté  de  vieux  airs  natio- 
naux, et  porté  un  toast  à  la  mémoire  de  Kosciuszko.  Le  grand- 
duc  Constantin  les  ayant  fait  arrêter,  et  voulant,  dans  les  ha- 
bitudes de  sa  justice  expéditive^  leur  faire  administrer  le 
knout,  une  sainte  indignation  s'empara  de  tous  leurs  cama- 
rades et  le  mouvement  éclata. 

Le  29,  entre  sept  et  huit  heures  du  soir,  une  troupe  de  ces 
hardis  jeunes  gens,  armés  d'épées,  de  pistolets  ou  de  fusils^ 
força  la  consif^ne  de  Fécole,  se  répandit  tout  à  coup  dans  les 
rues  de  la  capitale  en  criant  :  Vive  la  liberté  f  Mort  au  tyran! 
On  se  précipita  vers  le  palais  du  Belvéder  qu'habitait  le  grand- 
duc  ;  on  en  surprit  le  poste  et  on  entra  de  vive  force  dans  les 
appartements  pour  s'emparer  de  la  personne  de  Constantin, 
qui  eut  à  peine  le  temps  de  s'échapper  par  une  issue  secrète, 
et  d'aller  se  placer  au  milieu  de  ses  gardes.  Le  général  russe 
Gendie  et  le  sous-directeur  de  la  police,  Lubowieski,  deux 
des  séides  du  grand-duc,  ayant  essayé  d'opposer  de  la  résis- 
tance, furent  les  premières  victimes  de  l'insurrection  nais- 
sante. Pendant  ce  temps,  le  reste  de  l'école  des  porte-ensei- 
gnes, qui  fut  bientôt  suivie  d^une  foule  de  peuple,  s'était  por- 
tée sur  le  quartier  des  hulans  de  la  garde,  qui  résistèrent  aux 
suggestions  des  insurgés,  puis  à  celui  du  4*  régiment  de 
ligne,  qui  se  joignit  immédiatement  à  eux.  Le  mouvement 
conquit  aussi,  dans  la  soirée  même,  un  bataillon  de  sapeurs, 
la  plus  grande  partie  du  régiment  des  grenadiers  et  les  artil- 
leurs à  cheval.  Ces  troupes  et  le  flot  de  peuple  qui  les  accom- 
pagnait coururent  à  l'arsenal,  où  étaient  déposés  trente  à 
quarante  mille  fusils,  gardés  par  un  bataillon  qui  n'opposa 
qu'une  légère  résistance.  Ces  fusils  furent  distribués  au 
peuple. 

Cependant,  Constantin  avait  réussi  à  rassembler  et  retenir 
sous  son  commandement  huit  à  neuf  mille  Russes  ou  Polo- 
nais. Parmi  ceux-ci,  on  remarquait  le  régiment  des  chasseurs 
à  cheval.  Ces  huit  à  neuf  mille  hommes  avaient  reçu  l'ordre 
de  se  réunir  sur  la  grande  place,  et  de  se  borner  à  repousser 
vigoureusement  ceux  qui  voudraient  s'opposer  à  leur  mar- 
che. Plusieurs  d'entre  eux,  entre  autres  le  régiment  des  gardes 
de  Volhynie,  furent  attaqués  par  le  4-  régiment  de  ligne,  qui 
leur  tua  une  trentaine  d'hommes,  mais  sans  pouvoir  les  em- 
pêcher de  se  rendre  au  point  de  réunion.  Le  mouvement 
n'ayant  pas  encore  de  chef,  cette  nuit  se  passa,  du  côté  des 
insurgés,  dans  des  attaques  sans  unité  et  sans  lien  commun. 

Le  lendemain,  à  la  pointe  du  jour,  l'insurrection  avait  en- 
vahi toute  la  ville.  Constantin  avait  cependant  huit  mille 
hommes  sous  ses  ordres,  trente  canons,  beaucoup  de  muni- 


DB  LA  BÉVOLUTION  POLONAISE.  279 

tiens.  Les  troupes  insurgées  n'étaient  qu^uu  nombre  de 
quatre  mille;  elles  avaient  très-peu  de  munitions  :  Constan- 
tin pouvait  donc  lutter  encore.  Il  est  vrai  que  parmi  les  trou- 
pes polonaises  qui  s'étaient  ralliées  sous  son  drapeau^  il  était 
bien  des  corps  sur  la  fidélité  desquels  ils  n'osait  pas  beaucoup 
compter.  D'ailleurs,  toute  la  ville  s'était  hautement  déclarée. 
Ciouvrant  sa  Iftcbeté  d'un  masque  de  modération,  il  évacua 
Varsovie  en  disant  qu'il  ne  voulait  pas  verser  de  sang,  et  qu'il 
allait  attendre  que  les  rebelles,  mieux  avisés,  rentrassent 
d'eux-mêmes  dans  le  devoir.  Il  se  dirigea  sans  opposition  sur 
le  village  de  Wirzucba,  près  de  la  ville,  et  s'y  établit  un  bi- 
vouac, au  milieu  de  ses  régiments  russes,  des  détachements 
Solonais  dont  nous  avons  parlé,  et  des  gardes  de  Volhynie  et 
e  Lithuanie.  Quelques  Russes,  qui  avaient  été  faits  prison- 
niers dans  la  nuit}  restèrent  à  Varsovie  au  nombre  de  huit  à 
neuf  cents. 

Varsovie,  ainsi  libre,  presque  sans  coup  férir,  aurait  dû 
peut-être  établir  sur-le-champ  un  gouvernement  provisoire» 
qui,  tout  en  proclamant  la  déchéance  de  Nicolas  et  la  déli- 
▼rance  de  la  Pologne,  aurait  donné  aux  affaires  une  impulsioa 
révolutionnaire.  De  cette  mesure  dépendait  peut-être  le  salut 
de  la  révolution.  Les  insurgés  n'ayant  pas  eu  cette  pensée  au 
milieu  des  premières  émotions  d'une  victoire  qui  ôtait  aux 
esprits  le  sang-froid  et  la  réflexion,  voici  comment  les  choses 
se  passèrent. 

La  plupart  des  hommes  importants  de  l'Etat,  des  person- 
nages qui  s'occupaient  des  affaires  publiques,  ne  pensaient 
pas  que  la  Pologne  pût  suffire  seule  à  l'œuvre  de  la  résurrec- 
tion. Il  est  certain  qu'au  point  de  vue  des  forces  militaires  de 
leur  pays,  ces  hommes  avaient  raison.  Ces  forces  ne  pouvaient 
faire  face  à  celles  que  le  czar  devait  leur  opposer;  mais  les 
hommes  dont  nous  parlons  comptaient  pour  rien  un  élément 
bien  puissant  que  les  forces  militaires,  c'est-à-dire  le  peuple, 
les  paysans  de  la  Pologne.  ^Vvec  l'aide  de  la  totalité  de  ses  en- 
fants et  des  grandes  idées  qui  présidaient  à  son  nouveau  sou- 
lèvement, nul  doute  que  le  pays  ne  dût  braver  toutes  les  hor- 
des réunies  du  czar  ;  mais  malheureusement  ces  grands 
personnages  qui  formaient  la  tête  de  l'aristocratie  polonaise, 
ne  voulaient  rien  faire  pour  le  peuple  et  pour  les  paysans  ; 
ils  voulaient  bien  l'importance  et  la  liberté  du  pays,  mais 
à  condition  qu'elles  ne  leur  coûteraient  pas  un  morceau 
de  leors  privilèges;  ils  étaient  en  1830  ce  qu'ils  avaient 
été  en  1795.  Aussi,  pour  avoir  voulu  tout  avoir,  n'eurent-ils 
rien. 

Les  hommes  qui  pensaient  ainsi  se  divisaient  en  trois  par- 
tis :  l'un  comptait  sur  la  France,  l'autre  sur  l'Autriche,  et  le 
troisième  sur  la  Russie.  Pendant  les  quinze  dernières  années. 


280  HISTOIBB 

malgré  les  attentats  liberticides  et  les  horreurs  du  gouverne* 
ment  russe,  les  partisans  de  la  Russie  s'étaient  multipliés. 
C^élait  là  un  aveuglement  étrange,  d'espérer  qu'un  gouver- 
vernement  qui  n'avait  jamais  respecté  la  constitution  de 
1815,  et  qui,  après  mainte  promesse,  disait  enfin  ouverte- 
ment qu'il  ne  consentirait  jamais  à  la  réunion  des  anciennes 
provinces  polonaises,  d'espérer,  disons-nous,  qu'un  pareil 

{gouvernement  donnerait  les  mains  à  la  renaissance  de  la  Po- 
ogne.  Depuis  quand  les  moutons  conduits  à  Tabattoir  comp- 
tent-ils donc  sur  le  boucher  pour  protéger  leur  vie?  Il  est 
véritablement  inouï  que  les  expériences  déjà  faites  n'eussent 
pas  éclairé  les  partisans  de  ce  système. 

Les  hommes  qui  Tavaient  embrassé,  à  la  tête  desquels  il 
faut  placer  le  prince  Lubecki,  ministre  des  'finances  au  mo- 
ment de  rinsurrection  de  1830,  et  le  prince  Adam  Czarto- 
risky,  membre  du  sénat,  se  montrèrent  sur  la  scène  politique 
le  lendemain  même  de  l'insurrection,  et  s'occupèrent  aussitôt 
de  diriger  le  mouvement  au  gré  de  leurs  idées.  Déjà,  pendant 
la  nuit  du  29  au  30,  ces  deux  hommes  d'Etat  s'étaient  pré- 
sentés au  grand-duc,  et  l'avaient  engagé  à  faire  punir  les 
perturbateurs.  Le  lendemain,  voyant  que  le  peuple  ne  son- 

f^eait  pas  à  se  donner  un  chef,  et  profitant  de  cette  inaction, 
e  prince  Lubecki  réunit  le  conseil  des' ministres  (nommés 
par  Nicolas)  j  et,  pour  avoir  l'air  de  donner  une  espèce  de 
satisfaction  a  l'opinion  publique,  il  appela  à  prendfe  place 
dans  ce  conseil  les  sénateurs  princes  Adam  Czartorisky  et 
Michel  Radziwil,  Michel  Tochanov^ski  et  Julien  Niemcewicz, 
le  comte  Louis  Bak,  secrétaire  du  sénat,  et  le  général  en  re- 
traite Chlopicki,  tous  partisans  du  gouvernement  moscovite. 
Ce  gouvernement  amphibie,  moitié  russe,  publia  le  jour 
même  une  proclamation  pour  annoncer  à  Varsovie  que  Con- 
stantin venait  d'interdire  toute  intervention  ultérieure  à  ses 
troupes.  Ce  manifeste  finissait  par  ces  singulières  paroles  : 
«  Vous  ne  voudrez  pas.  Polonais,  donner  au  monde  le  spec- 
<K  tacle  d'une  guerre;  la  modération  peut  seule  éloigner  de 
«  vous  les  maux  qui  vous  menacent.  Rentres  dans  Vorirey 
«  dans  le  repos,  et  puissent  toutes  les  agitations  cesser  avec 
a  la  nuit  fatale  ^m  les  a  couvertes  de  son  voile  !  Pensez 
«  à  l'avenir  et  a  votre  patrie  si  malheureuse  ;  éloignez 
«  d'elle  tout  ce  qui  pourrait  compromettre  son  exis- 
«  tence.  C'est  à  nous  à  remplir  notre  devoir  en  maintenant  la 
a  sûreté  publique,  les  lois  et  les  libertés  constitutionnelles 
«  assurées  au  pays.  y>  Il  était  évident  que  les  signataires  d'un 
pareil  acte  n'avaient  vu  qu'avec  peine  les  événements  de  la 
veille,  et  que  c'était  malgré  eux  qu'ils  s'attelaient  au  char  de 
la  révolution. 
Ce  manifeste  irrite  les  esprits;  dans  la  journée,  les  clubs. 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  281 

déjà  secrètement  orgaolsés  depuis  longtemps ,  avaient  tenu 
des  séances  publiques  auxquelles  assistèrent  plusieurs  dépu- 
tés à  la  dernière  diète.  Ces  sociétés  s'indignèrent  que  l'ancien 
gouvernement  eut  la  prétention  de  garder  le  pouvoir  dans 
ses  mains,  sous  prétexte  qu'il  s'était  adjoint  quelques  noms 

f>lus  ou  moins  populaires.  Suivis  d'une  muUituae  exaltée,  tous 
es  membres  des  clubs  se  portèrent  au  palais  du  gouverne- 
ment et  déclarèrent  impérieusement  que  l'administration  du 
pays  devait  changer  de  mains.  Alors  le  prince  Lubecki  orga- 
nisa encore  lui-même  un  gouvernement  tout  nouveau,  dont, 
cette  fois,  il  eut  soin  de*s'exclure,  dans  la  peur,  dit-on,  de  se 
compromettre  auprès  de  Nicolas.  Les  anciens  ministres  furent 
tous  renvoyés,  et  Lubecki  confla  le  pouvoir  a  Léon  Dom- 
browski,  et  à  trois  nonces  qui,  pendant  la  dernière  session, 
s'étaient  fait  remarquer  par  leurs  lumières  et  leur  patrio- 
tisme, Gustave  Halacrowski,  Vladisias  Bélrowski,  et  le  savant 
professeur  Joachim  Lelewel,  chef  du  parti  républicain.  Celte 
espèce  de  gouvernement  provisoire  fut  placé  sous  la  prési^ 
dence  d'Adam  Czartorisky;  en  même  temps,  le  commande- 
ment général  de  l'armée  fut  confié  à  ce  même  Cblopicki  dont 
nous  avons  parié,  lequel  avait  gagné  ses  épaulettes  de 
général  sur  les  champs  de  bataille  de  l'Empire  ;  homme  ho- 
norable, brave  soldat^  caractère  timide,  qui  au  courage  mili- 
taire, ne  joignait  pas  le  courage  civil,  et  qui,  peut-être,  est  la 
première  cause  de  la  perte  de  son  pays.  Clilopicki  commença 
par  refuser  le  commandement  de  Tarmée  polonaise,  et  sa 
répugnance  ne  fut  vaincue  que  par  les  instances  les  plus  pres- 
santes des  nouveaux  gouvernants. 

Ceux-ci,  dont  les  noms,  plus  ou  moins  respectés,  satisfirent 
d'abord  l'opinion  publique,  publièrent  à  leur  tour  des  [)rocla«> 
mations  dans  lesquelles,  plus  prudents  que  leurs  prédéces- 
seurs, ils  ne  parlèrent  ni  du  retour  à  l'ordre»  ni  même  de 
Nicolas.  Toutefois,  ii;était  visible  quMls  voulaient  transiger 
avec  le  czar,  si  cela  se  pouvait.  En  efTel,  quelques-uns  d'entre 
eux  se  rendirent  à  Wirzucba,  auprès  de  Constantin,  et  lui 
offrirent  des  arrangements  au  moyen  desquels  ils  répon- 
daient de  la  soumission  de  leurs  concitoyens.  Ces  arrange- 
ments ou  conditions,  les  mêmes  qui  furent  ultérieurement 
portés  à  Nicolas  lui-même,  c'étaient  le  rétablissement  de  la 
constitution  telle  qu'Alexandre  l'avait  donnée,  la  suppression 
de  l'acte  additionnel  de  1825,  la  réunion  si  ardemment  solli- 
citée de  la  Lithuanie  et  de  la  Volbynie  au  royaume,  l'éloigne- 
ment  définitif  des  troupes  russes,  et  enfin  une  pleine  et  en- 
tière amnistie  pour  les  derniers  événements. 

La  position  de  Constantin  n'était  pas  telle  qu'il  pût  ne  pas 
prêter  l'oreille  à  ces  propositions.  Toute  la  population  de  Var- 
sovie était  armée.  Le  2  décembre,  plusieurs  villes  des  eavi- 

86 


282  HISTOIRE 

rons  et  toutes  les  troupes  indigènes  s'étaient  déclarées  pour 
rinsurreciion.  Dans  la  campagne,  des  corps  nombreux  de 
paysans  soulevés  menaçaient  les  communicalions  du  grand- 
duc  avec  les  provinces  russes.  Les  résnllats  des  dernières 
journées  commençaient  à  ébranler  la  fidélité  des  corps  polo- 
nais qui  l'avaient  suivi.  Constantin,  inquiet,  écouta  donc  ces 
ouvertures  pacifiques^  et,  sans  garantir  Tadhésion  de  son 
frère  aux  déterminations  gu'il  adoptait,  il  donna  l'assurance 
aux  députés  aquUl  n'était  pas  dans  l'intention  d'attaquer 
«  Varsovie;  c|ue  si  les  hostilités  recommençaient,  on  se  pré- 
<  viendrait  réciproquement  quarante-huit  heures  d'avance; 
a  au*il  n'avait  pas  envoyé  au  corps  d'armée  de  Lithuanie 
«  Tordre  de  se  diriger  vers  le  royaume,  et  qu'en. rendant 
«  compte  des  derniers  événements  à  l'empereur,  il  en  solli- 
«  citerait  le  pardon  et  l'oubli,  d  Le  grand-duc  consentit  aussi 
à  laisser  retourner  à  Varsovie  le  régiment  de  chasseurs  po- 
lonais, l'artillerie  à  pied  et  le  régiment  de  ligne  qui  l'avaient 
suivi,  et  à  quitter  lui-même  avec  les  troupes  russes  le  terri- 
toire polonais.  Avant  de  s'éloigner,  il  publia  la  proclamation 
suivante  :  a  Je  permets  aux  troupes  polonaises  qui  sont  res- 
a  tées  fidèles  jusqu'au  dernier  moment  à  l'empereur,  mon 
«  frère,  de  rejoindre  les  leurs.  Je  me  mets  en  marche  avec 
a  les  troupes  impériales  pour  m'éloigner  de  la  capitale,  et 
a  j'espère  de  la  loyauté  polonaise  qu'elles  ne  seront  point  in- 
«  guiétées  dans  leurs  mouvements  pour  rejoindre  l'empire* 
«  Je  recommande  tous  les  établissements,  les  propriétés  et  les 
a  individus  à  la  protection  de  la  nation  polonaise.  » 

Les  soldats  polonais  qui  quittaient  Constantin,  rentrèrent 
en  effet  dans  Varsovie,  le  4  décembre,  avec  leurs  chevaux  et 
leurs  canons.  Ils  prêtèrent  serment  au  gouvernement  provi- 
soire, et  se  conduisirent  postérieurement  avec  le  même  zèle 
que  ceux  qui  avaient  tout  d'abord  épousé  la  cause  nationale. 
De  son  côté,  Constantin  s'éloigna  avec  ses  soldats  russes  et  se 
rendit  en  Volhynie,  puis,  de  la,  à  Saint-Pétersbourg,  où,  con- 
trairement aux  promesses  qu'il  avait  faites,  il  conseilla  l'em- 
ploi de  la  force  à  sou  frère,  qui  seul  pouvait  accepter  oh 
refuser  les  propositions  du  gouvernement  provisoire.  Les  Po- 
lonais n'apportèrent  aucun  obstacle  à  la  retraite  de  leur  an- 
cien gouverneur;  qui,  à  partir  de  ce  moment,  disparut  com- 
plètement de  la  scène  politique. 

Pendant  que  le  gouvernement  provisoire  essayait  ainsi  de 
traiter  avec  les  Russes,  les  clubs  de  Varsovie  s'étaient  consti- 
lués  en  permanence.  Les  patriotes  qui  composaient  ces  clubs 
ne  voyaient  pas  les  choses  du  même  œil  que  les  membres  de 
Tadminislration  nommée  par  Lubecki.  Les  premières  mesures 
prises  par  celte  administration  révélaient  un  plan  qu'ils  n'ap- 
prouvaient pas.  Il  se  passait  à  Varsovie  des  faits  complètement 


^^ 


DE  LA  RÉTOLUTION  POLONAISE.  283 

analogues  à  ceux  qui  se  produisaient  à  cette  même  époque  en 
France^  avec  celte  différence  quMl  ne  s'agissait  alors,  pour  ce 
dernier  pays,  que  de  reconquérir  ses  frontières  du  Rhin, 
tandis  qu'il  était  question,  eu  Pologne,  de  ce  qui  constilue 
l'existence  même  d^un  peuple,  l'indépendance  et  la  natio- 
nalité. 

De  tels  faits  arrivant  aux  oreilles  du  parti  polonais-russe^ 
qui  avait  la  majorité  dans  le  gouvernement^  lui  déplurent 
beaucoup,  surtout  à  Cblopicki,  dont  l'humeur  brusque  et 
emportée  n'admettait  pas  la  contradiction.  Les  sévères  criti- 
ques des  clubs  arrêtaient  et  embarrassaient  à  chaque  pas 
Tautorité  que  se  partageaient  Adam  Czartoryski,  Ostrow^ki, 
Dombowski,  Malachowski  et  Joachim  Lelewel,  le  seul  des  cinq 
dépositaires  du  pouvoir  qui  ne  fût  pas  partisan  du  système 
russe.  Pour  mettre  un  terme  à  ces  dissentiments,  on  convoqua 
la  diète  pour  le  18  décembre.  Les  Russo-Polonais  espéraient 
conquérir  la  diète  à  leurs  idées,  et  faire  taire  ainsi  l'opposition 
des  clubs. 

Mais  le  général  Chlopicki,  moins  patient  (jue  Czartoryski  et 
868  collègues,  ne  voulut  pas  attendre  aussi  longtemps  pour 
imposer  silence  à  une  résistance  importune.  Ce  général  qui, 
dans  les  premiers  jours  de  Tinsurrection,  s'était  tenu  soigneu- 
sement à  l'écart,  de  crainte  de  se  compromettre,  et  qui  n'avait 
accepté  son  commandement  qu'à  regret,  s'emportait  mainte- 
nant et  éclatait  en  menaces  furieuses  c|uand  on  lui  annonçait 
que  de  simples  citoyens  se  rassemblaient  pour  s'occuper  des 
affaires  publiques,  et  que  des  plaintes  commençaient  à  s'élever 
contre  la  marche  du  gouvernement.  De  concert  avec  Lubecki 
et  les  quatre  collègues  de  Lelewel,  il  ordonna,  le  5  décembre, 
une  revue  générale  de  l'armée  rassemblée  autour  de  Varsovie. 
Revêtu  de  son  ancien  uniforme,  coiffé  d'un  chapeau  gris  et 
noir,  et  entouré  d'un  nombreux  cortège  d'olûciers,  il  se 
rendit  à  la  salle  des  séances  de  la  Commission  des  Cinq,  gou- 
vernement provisoire,  et  déclara  qu'une  autorité  partagée  et 
bornée  étant  insuffisante  dans  des  circonstances  aussi  criti- 

aues,  il  était  nécessaire,  pour  le  salut  de  tous,  qu'il  prît  la 
ictature  jusqu'à  la  réunion  de  la  diète.  Il  assura  qu'avec  le 
consentement  de  la  Commission,  il  saurait  se  faire  reconnaître 
et  obéir.  Les  quatre  commissaires,  qui  avaient  été  mis  dans 
la  confidence  de  cette  espèce  de  coup  d'Etat,  ne  firent  aucune 
'.  objection.  Seul,  Joachim  Lelewel,  qui  présidait  une  des  so- 
^  ciétés  secrètes,  et  qui  savait  que  c'était  contre  ces  sociétés  que 
Chlopicki  voulait  agir,  protesta  contre  l'usurpation  qu'on  allait 
consommer.  On  ne  tint  aucun  compte  de  8a  réclamation,  et 
Chlopicki,  suivi  des  quatre  commissaires,  se  rendit  sur  la 
place  où  les  troupes  venaient  d'être  rassemblées.  A  la  vue  du 
petit  chapeau  dont  il  était  coifie,  et  de  cet  uniforme  qui  rap- 


284  HISTOIRE 

pelait  de  si  grands  souvenirs,  la  foule  s'empressait,  joyeuse  et 
enivrée,  sur  son  passage  ;  elle  crut  que  les  cinq  gouvernants 
provisoires  avaient  déposé,  d^une  voix  unanime,  leurs  pou- 
voirs dans  les  mains  de  Chlopicki,  et  les  soldats  prêtèrent, 
sans  opposition,  serment  au  nouveau  dictateur.  ^ 

Celait  chose  grave  qu'un  pareil  coup  d'Etat.  Au  fond,  que  [ 
voulail-on  ?  Etouffer  la  voix  des  citoyens  qui  demandaient  une  ( 
rupture  éclatante  avec  la  Russie.  Or,  les  événements  ont  ^ 
prouvé  que  ces  citoyens-là  avaient  raison  de  ne  pas  compter  r 
sur  un  arrangement  honorable  avec  le  czar.  Sous  ce  rapport,  ^ 
les  Russo-Polonais  eurent  donc  tort  -,  leur  tort  fut  encore  plus 
grand  dans  la  forme.  La  dictature  est  un  pouvoir  illimité,  en 
présence  duquel  tous  les  autres  pouvoirs  s'arrêtent,  qui  ne 
peut  être  conféré,  par  conséquent,  que  du  consentement  de 
tous,  ou  au  moins  par  la  majorité  des  citoyens  ;  eux  seuls 
pouvaient  donner  à  un  homme  de  leur  choix  cette  puissance 
redoutable,  irresponsable,  qui  comprend  jusqu'au  droit  de  vie 
et  de  mort.  Et  cependant,  non-seulement  les  Polonais  ne  fu- 
rent pas  consultés,  mais  encore  les  cinq  dépositaires  du  pou- 
voir insurrectionnel  n'étaient  pas  même  unanimes  pour  in- 
vestir Chlopicki  de  la  dictature.  Le  veto  d'un  d'entre  eux  de- 
vait sufQre  pour  faire  reculer  ce  général  devant  l'autorité 
exorbitante  qu'il  s'arrogeait. 

Aussitôt  investi  de  celte  autorité,  Chlopicki,  sous  prétexte 
qjie  les  clubs  agitaient  trop  vivement  les  ambitions  et  les  pas- 
sions populaires,  ordonna  qu'ils  ne  s'assemblassent  plus  sans 
son  autorisation  ;  c'était  dire  qu'ils  ne  s'assembleraient  plus, 
au  moins  publiquement,  comme  ils  le  faisaient  depuis  le 
!•'  décembre.  11  ne  renvoya  pas  les  cinq  commissaires,  qui 
devinrent  comme  les  ministres  de  ce  roi  absolu,  et  ne  purent 
rien  faire  que  sous  son  autorisation.  Enfin  il  chargea  Lubecki 
et  le  comte  Jerverski  d'une  mission  auprès  de  Nicolas,  dans 
des  termes  analogues  à  ceux  de  la  démarche  déjà  faite  auprès 
de  Constantin.  Chlopicki  remit  à  ces  deux  envoyés  une  lettre 
très-modérée,  pour  ne  pas  dire  plus,  où,  après  avoir  exprimé 
les  besoins  et  les  vœux  de  la  Pologne,  il  se  glorifiait  et  se  fai- 
sait un  titre,  auprès  de  l'empereur,  au  coup  qu'il  venait,  di- 
sait il,  de  porter  aux  factions  en  s'arrogeant  la  dictature,  et  de 
l'ordre  qu'il  avait  ramené  dans  Varsovie.  Lubecki  partit  sur- 
le-champ  pour  Saint-Pétersbourg,  en  affirmant,  avec  une  bien 
aveugle  conviction,  «  qu'il  était  sûr  de  convertir  Nicolas  à  la 
cause  de  la  révolution. 

Cependant  l'opinion  publique  s'était  émue  de  la  clôture  des 
clubs;  tout  le  monde  disait  à  Varsovie  qu'en  fermant  les 
portes  des  sociétés  patriotiques,  le  général  usait  trop  dure- 
ment d'un  pouvoir  dont  il  faudrait  bien  qu'il  rendit  compte 
un  jour.  Plusieurs  nonces  arrivés  à  Varsovie,  et  qui,  en  atten- 


DE  LA  REVOLUTION  POLONAISB.  285 

dant  TouTerture  de  la  diàte,  tenaient  des  réunions  prépara- 
toires^ s'associèrent  an  mécontentement  et  aux  alarmes  des 
citoyens,  et  envoyèrent  des  députations  à  Chlopicki,  pour  lui 
faire  des  représentations.  Celui-ci^  après  avoir  longtemps  ré- 
fusé, sous  prétexte  d'occupations  urgentes^  de  recevoir  les  dé- 
légués des  chambres,  consentit  enfin  à  leur  accorder  au- 
dience. Il  leur  laissa  à  peine  le  temps  de  s'expliquer,  et,  les 
interrompant  avec  hauteur  et  violence,  il  leur  dit  «  que  ce 
«  qu'il  avait  fait  il  le  ferait  encore,  si  c'était  à  recommencer; 
<x  qu'il  avait  eu  raison  de  fermer  la  bouche  à  des  factieux; 
€  qn'il  était  toujours  le  fidèle  sujet  de  Nicolas,  et  ne  se  pro- 
a  posait  antre  chose  que  de  maintenir  le  royaume  dans  ses 
a  limites  actuelles,  à  moins  que  l'empereur  ne  consentît  à 
a  rendre  la  Lithuanie  et  la  Volhynie;  que  pourvu  qu'à  l'avenir 
c  la  constitution  fût  exécutée,  et  que  les  troupes  russes  ne 
a  tinssent  plus  garnison  dans  le  royaume,  la  Pologne  devait 
<K  être  contente,  et  qu'on  ne  pouvait  pas  demander  davantage. 
c  Et  je  ne  vous  donnerai  pas  d'autre  explication,  ajouta-t*il 
«  d'un  ton  brusque  et  impérieux;  vous  n'êtes  pas  la  diète,  et 
«  je  ne  dois  de  comptes  qu'à  la  diète.  » 

Ces  explications  prouvaient  que  le  parti  polonais-russe  avait 
encore  modéré  ses  premières  exigences,  et  que  Lubecki  avait 
ordre  de  ne  pas  insister  sut*  la  réunion  des  anciennes  pro- 
vinces polonaises. 

Le  langage  du  dictateur  n'était  pas  fait  pour  satisfaire  les 
délégués  des  chambres,  qui  lui  firent  observer  qu'il  avait  pris 
ed  main  un  pouvoir  qu'on  pouvait  regarder  comme  incom- 
patible avec  les  institutions  et  la  liberté  du  pays.  Us  ajoutè- 
rent qu'il  agirait  peut-être  avec  prudence  en  l'abdiquant  avant 
l'ouverture  des  chambres,  a  le  n'abdiquerai  pas,  répondit 
«  Chlopicki  avec  colère;  j'ai  reçu  le  pouvoir  des  mains  de  la 
«  Commission,  et  je  le  garderai  tel  çue  je  l'ai  reçu,  jusqu'à  la 
€  réunion  de  la  diète.  y>  Les  délègues  quittèrent  le  dictateur, 
émus  et  attristés  de  tout  ce  qu'ils  venaient  d'entendre,  surtout 
des  paroles  relatives  aux  anciennes  provinces  polonaises  ;  et, 
crai^ant  d'alarmer  la  diète  et  le  public  si  de  telles  paroles 
venaient  à  se  répandre,  ils  s'engagèrent  réciproquement  à  ne 
rien  dire  à  cet  égard. 

Si  le  dictateur  eut  le  tort  de  ne  pas  profiter  des  avantages 
do  moment,  de  s'opposer  aune  propagande  soit  en  Lithuanie, 
soit  dans  la  Gallicie  et  dans  le  duché  de  Posen  ;  s'il  refusa  de 
prendre  une  position  hardiment  offensive,  du  moins  il  ne 
s'endormit  pas  tout-à-fait  sur  la  foi  des  négociations  entamées 
«vec  la  Cour  de  Saint-Pétersbourg.  11  s'occupa  assez  active- 
ment de  la  défense  et  de  l'armement  du  pays.  Les  sommes 
im^rtantes  provenant  de  l'emprunt  et  de  l'aliénation  des  do- 
maines nationaux  furent  d'un  grand  secours  dans  ces  graves 


286  HISTOIRB 

circonstances.  Il  rappela  les  yieux  soldats  en  retraite,  dont  le 
retour  sous  les  drapeaux  devait  porter  à  guarante-cinq  mille 
hommes  Tarmée  régulière.  Il  rendit  un  décret  qui  prescrivait 
une  levée  générale,  dont  le  premier  ban  devait  être  de  quatre- 
vingt  mille  hommes.  Qnant  aux  moyens  matériels,  il  fit 
iondre  des  canons  avec  le  métal  des  cloches  des  églises,  il 
établit  des  fabriques  de  fusils,  il  fit  fortifier  à  la  hâte  la  capi- 
tale et  surtout  le  faubourg  de  Praga  :  il  fit  réparer  et  appro- 
visionner les  autres  forteresses  que  Constantin  avait  toutes 
remises  au  gouvernement  provisoire.  Enfin  Tarmée,  qui 
d'abord  n'était  que  de  douze  mille  hommes,  se  trouva  en 
quelques  jours  assez  forte  pour  repousser  le  corps  de  Lithuanie 
et  celui  du  grand-duc  Ck)nstantin,  sMls  osaient  se  présenter. 

Cependant  Chlopicki  répétait  sans  cesse  quMl  ne  voyait  pas 
une  révolution  dans  les  derniers  événements,  mais  seulement 
une  émeute  causée  par  la  violation  de  la  constitution.  Aux 
Polonais  de  bonne  volonté  qui  venaient  de  l'autre  côté  du  Bnç 
ou  du  Niémen,  c'est-à-dire  des  anciennes  provinces,  offrir  à 
rinsurreclion  leur  courage  et  leurs  bras,  il  répondait  «  qu^il 
«  n'avait  pas  pour  eux  de  pierres  à  fusil,  i»  Comme  la  nation 
voulait  s'armer,  et  qu'il  n'osait  s'y  opposer,  il  laissa  s'orga- 
niser les  gardes  nationales,  mais  il  les  séparait  soigneusement 
de  l'armée  régulière,  comme  s^il  craignait  que  les  citoyens 
n'inoculassent  aux  troupes  des  sentiments  et  des  idées  trop 
exaltés.  Tous  ses  actes  portaient  l'empreinte  de  la  défiance  la 
plus  ombrageuse  contre  la  population. 

Le  18  décembre  arriva  sur  ces  entrefaites,  et  la  chambre 
des  nonces,  (par  une  manifestation  solennelle,  inaugura  sa 
session  en  proclamant  la  révolution  nationale,  et  déclarant 
qu'elle  voyait  dans  les  événements  du  29  novembre  le  soulè- 
vement des  deux  nations  polonaise  et  lithuanienne.  C'était  se 
mettre  ouvertement  en  contradiction  avec  le  dictateur,  qui 
respectait  la  domination  de  Nicolas,  et  se  contentait  de  la 
Pologne  du  congrès  de  Vienne.  Pendant  la  nuit  du  18  au  19, 
Chlopicki  envoya  aux  deux  chambres  sa  démission,  comme 
il  s'y  était  engagé;  mais,  en  même  temps,  le  parti  qui  l'avait 
armé  de  la  dictature  se  mit  à  travailler  activement  pour  que 
l'omnipotence  lui  fût  restituée,  a  Un  grand  danger  menace  la 
«  patrie,  disaient  ces  alarmistes ,  Tennemi  sera  peut-être 
«  nienlôt  aux  portes  de  la  ville.  L'armée  n'a  pas  de  chef,  les 
«  passions  sont  soulevées.  Quel  autre  que  Clilopicki  saurait 
«  suffire  aux  circonstances?  Il  nous  a  délivrés  des  clubs,  lui 
«  seul  a  la  main  assez  forme  pour  contenir  les  factieux.  S'il 
«  se  retire,  nous  ouvrons  la  porte  aux  dissensions,  et  nous  mé- 
«  contentons  le  seul  homme  qui  puisse,  en  cas  de  guerre, 
«  conduire  les  Polonais  à  la  victoire.  Il  n'a  pas  abusé  de  son 
«  pouvoir  jusqu'à  ce  jour,  il  n'en  abusera  pas  davantage  à 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  287 

^  ravenir.  Reconnaissons  ses  services  passés,  en  lui  donnant 
I  roccasion  de  nous  les  continuer.  »  Le  maréchal  de  la  diète^ 
dstrowski,  un  des  cinc^  commissaires,  alla  trouver  dans  la  nuit 
même  Cblopicki,  et  rédigea  avec  lui  un  projet  de  loi  sur  la 
dictature.  Puis  il  convoqua  le  sénat  et  la  cnambre  des  nonces 
j)0ur  le  20  décembre. 

Le  20^  cette  même  diète ,  qui  avait  proclamé  la  révolution 
nationale,  et  s'était  mise  ainsi  en  désaccord  flagrant  avec  le 
dictateur,  se  donna  un  de  ces  démentis  que,  malbeureusement^ 
les  assemblées  politiques  ne  se  donnent  que  trop  souvent.  Les 
députés  les  moins  partisans  du  gouvernement  russe,  ceux  qui 
d'abord  avaient  vu  du  plus  mauvais  œil  le  coup  d'État  de  Chlor 

Sicki^  se  laissèrent  séduire  et  effrayer  par  les  insinuations  des 
Lusso-Polonais,  et,  de  quatorze  membres  qui  prirent  la  parole 
sur  le  projet  de  loi  d'Ostrowski,  il  ne  s'en  trouva  pas  un  seul 
dans  la  chambre  des  nonces  qui  parlât  contre  la  dictature.  Le 
projet  passa  à  la  majorité  de  cent  huit  suffrages  sur  cent 
neuf  députés  présents  ;  celui  qui  vota  contre  lut  Théophile 
Morawski.  Quant  à  Joachim  Lelewel,  fidèle  à  ses  principes,  il 
s'abstint  même  de  voter,  et  se  borna  à  dire  qu'en  de  telles 
matières  il  regardait  le  scrutin  comme  nul,  attendu  que  la 
diète,  qui  n'était  pas  même  le  produit  de  l'insurrection,  et  qui 
avait  été  élue  sous  le  gouvernement  de  Nicolas  (c'était  toujours 
la  diète  convoquée  en  mai  1830),  n'avait  ni  qualité  ni  mandat 
pour  prendre  une  aussi  monstrueuse  mesure. 

La  dictature  fut  déférée  à  Chlopicki,  sans  restriction^  sans 
aucune  responsabilité  à  raison  ae  ses  actes.  Seul  il  pouvait 
nommer  les  membres  du  gouvernement  et  les  fonctionnaires 
publics.  Il  avait  le  droit  de  suspendre  la  diète  et  de  la  convo- 

S|uer,  selon  qu'il  le  jugerait  nécessaire.  Tous  les  droits  et  tons 
es  pouvoirs  lui  étaient  sacrifiés*  Les  nonces  se  contentèrent, 
pour  toute  précaution,  de  nommer  une  commission  diéiale, 
qui  devait  surveiller  le  dictateur,  et  lui  ôter  le  pouvoir  au 
Besoin.  Puis,  ils  en  nommèrent  une  autre  chargée  de  rédiger 
le  manifeste  de  la  nation  polonaise,  c'est-à-dire  Thistorique  et 
la  iustiflcation  des  événements  de  novembre. 

Le  vote  de  la  chambre  des  nonces  ayant  été  sanctionné  par 
le  sénat,  les  deux  chambres  se  réunirent,  dans  la  soirée  du20, 
en  assemblie  plénière^  pour  donner  une  sorte  de  solennité  à, 
la  rentrée  en  fonctions  de  Chlopicki.  ^ 

Les  intentions  étaient  bonnes.  Tous,  nonces,  dictateurs,  se-': 
nateurs,  voulaient  la  délivrance  de  la  Pologne  ;  mais  tous 
obéissaient  à  des  occupations  pusillanimes  et  à  des  vues 
étroites.  Les  cris  de  :  Vive  le  pays  !  vive  l'indépendance  ! 
ébranlèrent  la  voûte  du  palais  des  anciens  rois^  où  se  tenaient 
les  assemblées  de  la  diète  ;  tout  le  monde  s'embrassait  en 
pleurant  de  joie  ;  plus  de  huit  cent  mille  fiorins  furent  dépo- 


288  HISTOIRE 

ses  ce  jour-là  sur  le  bureau  en  dous  patriotiques.  Le  dictateur 
lui-même  renonça  généreusement  au  traitement  de  deux  cent 
mille  florins  qu'on  aTait  affecté  à  ses  fonctions.  Des  sénateurs 
offrirent  de  lever  des  compagnies^  quelques-uns  même  des 
régiments  à  leurs  frais. 

Le  même  enthousiasme  régnait  parmi  le  peuple  ;  une 
activité  admirable  présidait  aux  travaux  de  défense;  Varsovie 
tout  entière  s'occupait  à  se  mettre  en  état  de  résistance.  Déjà 
une  tête  de  front  bien  construite  couvrait  la  Vistule  ;  des  batte- 
ries avancées  entouraient  la  ville  :  riches,  pauvres,  femmes, 
enfants,  vieillards,  élevaient  des  retranchements  avec  une  ra* 
pidité  qui  tenait  du  prodige.  On  calculait,  avec  une  orgueilleuse 
complaisance,  que  le  total  général  des  hommes  en  état  de  por- 
ter les  armes  s'élevait  à  près  de  trois  cent  mille  ;  que,  grâce  à 
la  levée  en  masse,  on  en  aurait  bientôt  sur  pied  quatre- vingt 
mille  ;  on  comptait  cent  quatre-vingts  pièces  de  canon  avec 
leurs  attelages  ;  et  avec  ces  forces,  qu'on  comparait  aux  res^ 
sources  si  inférieures  de  la  Pologne  dans  les  dernières  luttes 
soutenues  pour  son  indépendance,  en  se  flattait  de  triompher 
facilement  du  géant  moscovite.  Pourquoi  faut*il  que  l'harmo- 
nie des  volontés,  que  l'unité  des  vues  <]ui  décuplent  les  forces 
d'une  nation,  aient  fait  défaut  à  ce  patriotisme  ?  Faute  d'accord 
entre  elles,  tant  de  vertus  civiques  ne  portèrent  pas  les  beaux 
fruits  qu'elles  promettaient.  Pourquoi  faut-il  que  les  hommes 
influents  dans  l'état  aient  été  dupes  au  point  d'espérer  quelque 
chose?  Pourquoi  faut-il  surtout  que  la  crainte  derauarehie, 

2|ue  la  défiance  du  peuple,  peut-être  aussi  quelquessentiments 
goistes,  mêlant,  au  cœur  de  la  noblesse,  leur  impur  alliage  à 
l'or  pur  des  plus  généreux  sentiments,  n'aient  pas  permis  de 
devoir  à  ce  peuple  la  victoire  qui  était  impossible  sans  lui,  qui 
avec  lui  était  chose  certaine. 


DE  LA  lÉVOLUTtOn  POLONAISE.  289 


CHAPITEE  XI 
1830-1831 


Manifeste  de  Nicolas  contre  les  Polonais.-»  Résultat  de  la  tentatiTe  faite 
'  auprès  de  lui.— Chlopickî  ;  sa  proclamatiop;  ses  actes  contre  le  parti 
démocratique  ;  il  exclue  Leiewel  et  ce  parti  des  affaires.— Sa  démis- 
sion. ~  La  diète  proctame,  le  49  janTler  4831,  rindépendance  de  la 
Pologne  ;  son  manifeste.  —  Elle  vote  Texclosion  de  la  dynastie  russe  ; 
Leiewel  réintégré  dans  le  gouvernement.-*  Michel  Radziwil  commaa*^ 
dant  de  Tarmée.  —  Discussions  à  la  diète  ;  elle  adopte  le  principe  de 
l'hérédité  monarchique  ;  discours  de  Leiewel  pour  les  classes  popu» 
lairesy— Entrée  des  Russes  en  Pologne,  le  5  février,  sous  les  ordres  de 
Diébitsch.— Batailles  de  Grochow  et  de  Praga  ;  Skrzynecki  est  nommé 
général  en  chef,— Proclamation  du  gouvernement  aux  troupes. — ^Décla- 
ration de  la  diète.  —  Victoires  de  Vaver  et  de  Dembewilkie  ;  victoire 
4*lnganie.  —  Insurrection  en  Lithuanle.  —  Fautes  de  Skrzynecki»  sa 
débite  à  Ostrolenkà.—  Mort  de  Diébitsch  et  de  Constantin. 


Le  lendemain  du  jour  où  Chlopicki  fut  confirmé  par  la  diète 
dans  son  omnipotence,  il  annonça  aux  deux  chambres  ^  par 
un  message^  qu'elles  étaient  prorogées.  Ce  Jour-là  arriva  à 
Varsovie  le  manifeste  suivant^  que  publia  leczar  à  la  première 
nouvelle  de  Tiosurrection,  et  qui  venait  donner  un  premier 
démenti  aux  folies  espérances  des  diplomates  où  Russo- 
Polonais. 

«  Polonais^  disait  le  czar,  l'odieux  attentat  dont  votre  capitale 
«  a  été  le  théâtre^  a  troublé  la  trancfuillité  de  votre  pays.  Fen 
'  <i  ai  reçu  la  nouvelle  avec  une  juste  indigpatian ,  et  j'en 
«  éprouve  une  vive  douleur.  Des  hommes  qui  déshonorent  le 
«  nom  polonais,  ont  conspiré  cont|re  la  vie  du  frère  de  votre 
«  souverain»  ont  conduit  une  partie  de  votre  armée  à  oublier 
«  ses  serments^  et  trompé  le  peuple  sur  les  ÎDtérèts  les  plus 
«  cbers  de  voire  patrie. 

«  Il  est  encore  temps  de  remédier  à  ce  qui  s'est  passé  et  de 
.  prévenir  d'immenses  malheurs.  Je  ne  confondrai  pas  ceux 

37 


«  qui  abjureront  Terreur  d'an  moment^  avec  ceux  qui  persis* 
«  terontdan8leepinfie.PolonaU,écout6z  lesGonfieitod'ua-pèfe, 
«  obéissez  aux  ordres  de  votre  roi. 

a  Voulant  vous  faire  connaître  nos  intentions  d'une  manière 
«  positive, nous  ordonnons  :  1*  Tous  ceuxde  nos  sujets  russes, 
a  qui  sont  retenus  prisonniers,  seront  sur-le-champ  remis  en 
a  hberté.  2*'  Le  conseil  d'administration  reprendra  les  fono- 
a  lions  de  son  organisation  ^cimUiv^^pt  avec  les  pouvoirs  que 
<c  nous  lui  avons  attribuéfl  par  Tiotre-décret  du  12  août  1826. 
a  3"*  Toutes  les  autorités  de  la  capitale  et  des  taïoodies  obéi- 
«  ront  aux  décrets  qui  seroj»!  f^.Ç^V^  en  notre  nom  par  leçon- 
«  seil  d^administration  ainsi  constitué,  et  ne  reconnaîtront 
a  aucun  pouvoir  illégalementétibli.— Tous  les  chefs  de  corps 
a  de  notre  armée  royale  polonaise»  sont  tenus  de  se  rendre  à 
%  Piol^,  point  do  réupipfl.  Tout  armement  toit  pv  wiJte  de| 
«  tfouWosdeVi^rsoviei  serq  dissQutj  ^tc,  e(el  }>  Ce^  disposi- 
tions étaient  sui^jes  4 -du/»  4Q]qncbQR  ni^i^  autoriiéf  .toe«i«6  4e 
dé^rmereeux  qui  étaient ^ÂI^gnlem^M  Armés.  Lacifaii  termi- 
nait sa  priN^lnmalian  en  ciliint  aux  seldsts  polonais  l'exemple 
des  chasseurs  dé  la  ^ardeà  cheval;  restés  fidèles  àGonstanlin, 
et  promenait  oubli  àr  ceux  cnu- rentreraient  immédiatement 
dans  le  devoir,  a  Jilais,  ajoutait-il,  pas  de  co^ices^ions  pour  les 
a  autres;  le§  nialbéorsj^tCiU  qn^'prépj^f^^.pqgir  lepr  pakje, 
«j  relomberont'sureux,»  - 

Ce  Inpgage  d^un  mi^Ur^  àdes  f»saIav«^#*éïolléSi  Qe  manifeste 
•il  Nicolas  fie  daigitail  pas  inàitte s'^sipUqiieD  sur  un  passé  eu 
tous  les  torts  étaient  de  son  cAtéi^  411  il  ne-pr4Btitpas  la  peine 
de  s*engager  pour  l'avenir  au  moins  à  respecter  les  di<oits  du 
peuple  auquel  il  s'adressait,  auraient  sans  doute  pu  intimider 
des  hommes  moins  résolus  que  ne  Tétaient  les  Polonais  à  ac«* 
sepler toutes  les  bonséqueUo^  dB  Itenbécoiquacoulèveinelit; 
«aqis.  il  n'y  a.Taitpa<liàfaésil^r  pour  :eMK''Us«$nnansaâenti8h 
maiiK  que  la  lyrannto  moccqvîteawiut  agglopiérés  socemi 
f endaRtqoinat wfi  de  ré^iguflicm.  Usa  fléalii-  de  la  igueeré 
«t  de  ^&  résttltata  pessîUes»  (l'une  ééCaiteiinêinii,  né  psa« 
«aient  pas  être  pirep  potifi  ei»^ : IVaîUt ups  ibiavaîent;de«a«l 
eux  la  radieuse  perspective  d^une  victoire,  et  au  boèitde  lâ 
«ndairoélaiVIa^  liberté.  '  - 

NoHfseukmenlii'uiaise  impéiriaLque  nous  otons  eilé  ne  les 
effrafà  pas  el  i»e  les  fil  pas  reculoiS'  matis  il  leur  Mnorima  une 
énergie  nouvoUe»  un  reoOubtement'dBoeiirage  désesp^vé; 
dû  leiUas^parts  on  se>prépara  à  la  guerre.  Seuls/. les  Ruao* 
polonais  fusent  dfabord  abâttuf,  à  lailedMieiiB)cemanifsstef 
m^s  ils  aa  raBSueçreni  btè^iél,  et  sefeiam|jenDère«iobstiBé* 
ment  à  leur  premier  espoir,  en  songeant  que  le  czar,  quand 
il  avait  écrit  se  propiamation,  a'avaîr  psa^eii  enoece  w  prince 
iAtbeoki,  lleûardeutètentpas  «ne  colui'-oi  ne  Ht  tevemrl^em- 


DB  LA  RÈyoWÈUm  »OLONAISB.  291 

pmsdiletf  cMr  ïtiouMïi  0ur  lnfrMtière  de  Russie. 

Lubecki  et  son  collë^de,  lé  comte  lewer^kt,  y  aTaidnt  été 
arrêtée  pift^hfdre  de  Nloèh)»^(fu}  tëut  flt  écrire  far  le  comte 
OrobawskI:  sdrt  mi&iMre  dMtlat  pour  le  royimmede  Polo;rne4 
qoe  si  tes  eVértemeitU  dé  Varsovie  les  avaient  délermjnés  à 
acecTfiitèf  vtM  délé^atioâ  (((}elcon(|ne  d'un  pouvoir  qui  n'éma- 
nait ptis  de  la  yoiontë  du  souverain,  celni-ci  ne  pouvait  les 
admettre  en  sa  présence,  ni  leur  permettre  de  venir  dans  sa 
capifûte  ;  maisqtie  sMIssé  présentaient.  Pan,  Lnbecki^  comme 
ministre  désfinancesi  et  Vaotre,  lewerski^  comme  nonce  du 
royaume,  il  conseritait  à  lenr  accorder  audience.  Faire  la  dé- 
chiratfon  qu'exigeait  Nicoicis,  c'était  désavouer,  en  quelque 
sorte,  la  ijnissloti  cjne  les  deux  eùtoyés  avaient  teçuey  et  re- 
connatirè  rrllégitimtlé  de  rinsdrrecHon  du  29  novembre.  A 
de  pareilles  conditions,  ces  deux  mimijataireS  de  la  Pologne 
ne  se  préseritarent  plus  au  nom  d'un  peuple  q«i  demandait  à 
traiter  de  pnissance  à  puissance  avec  un  souverain  ?  mais  ils 
se  présealafent  en  suppliants,  et  nfe  pouvaient  plus  qn'irti- 
plorer  pitié  et  gMce.  Les  deux  Russo-Polonnl^  ti'eurent  pas  le 
courage  de  refuser  l'humiliant  désaveu  démandé  par  le  cfAv^ 
et  ils  obtinrent  h  ce  prix  la  pertnission  de  Se  rendre  à  Sîilnt- 
Pétersbourg.  Mais  là,  toute  rhabileté  diplomatique  de  Lubeeki 
vint  échouer  conlre  la  volonté  immuable  de  Tëmpereur,  qui 
leur  déclara  s'en  tenir  au  manifeste  précédemment  renduj  et 
refusa  toulé  concession.  Ils  n'arrivèrent  à  Saint-Pétersbourg 
que  pour  assister  an  spectacle  des  immenses  préparatifs  qu'on 
7  faisait  pour  soumettre  ou  exterminer  le$  Polonais. 

Revenons  •maintenant  à  Varsovie.  Après  avoir  prorogé  la 
dièle.  Clilopickt  remplaça  les  eirtq  membres  dn  gouvernement 

Srovrsoire  par  mr conseil  dit  national,  d'où  il  eolsdin  d'exclure 
lalachowski,  (|Uf  ne  lui  parut  pns  assez  Husio-Polonais,  et 
surlôfttt  Joaclrfm  Lelewél,  dont  les  opinions  anli  moscotîles  et 
radicales  gênîtiént  sa  manière  dé  V6lr;  On  ri'a  pas  oublié  qu'il 
avait  d'ailletirs  an  grief  personnel  conlre  ce  nonce,  qui  avaiè 
protesté  detix  fois  contre  sa  dlcfcîrtifre.  A  la  place  de  ces  deux 

I personnages,  trois  nonces  ntMi vean^,  le  prfnceHIcliol  Radtiwil, 
e  sénateur  Kastellan,  et  le  nonce  BarjîykoT^ki,  lurent  inlro^ 
duilsdans  le  sein  de  ce^m«èil,  où  furent  ti^amlenflsG2arto-î 
rtski,  Oi*trôfr?kî  et  DombôWskt,  Ge  conseil  appelé  à  fone- 
tiorinêrsous  fa  maffa  du  diclaleirr,  avait  du  moin^  uhe  parfaite 
homoffénoilé  de  vues  ;  il  était  tout  rnsso-polôoais,  maii  mal- 
heureusement il  avait  contre  lui  Topinion  ndbllqué.' 

Le  22  décembre,  Clilonickt,  voulant  rendre  compté  dés  njo» 
tîfsqui  l'avalent  porté  a  accepter  sa  éèconde  dfciatofe,  (tt 
publiefr  une  pfoclamafidtt  etr  ce^  terme»  f 
'  «  CdmtWttfWté»;  le  déSli^'d*  tet^résemaitts'  dé-' te  iittioïÉi 


292  msvoiRE 

tf  confirmé  par  les  deux  Chambres,  m'a  appelé  à  l^exercice  du 
c  souverain  pouvoir;  je  ne  me  suis  chargé  du  icommande- 
«  ment  suprême  des  forces  nationales  que  pour  assurer  les 
«  lîbertés^e  notre  patrie.  Dès  ce  moment,  et  aussi  lonQ^'empfi 
<v  que  je  consetverai  la  dignité  de  dictateur,  mon  devoir  sera 
ff  d'étce  prêt  à  tout  monient  à  vaincre  ou  à  mourir  pour  elle. 
«  M'étant  chargé  de  la  dictature  par  obéissance  à  la  volonté 
ff  du  peuple^  je  demande,  au  nom  de  la  patrie,  la  même 
«  obéissance.  Vous  trouverez  toujours  ma  bannière  sur  le 
«  chemin  de  la  justice^  du  devoir  et  de  Thonneur  national  ; 
tf  elle  ne  peut  manquer  d'être  suivie  par  tout  Polonais  loyal, 
«  digne  flis  de  ses  ancêtres,  et  qui  trouve  son  propre  bien 
«  dans  celui  de  la  patrie.  11  n'y  en  aura  sûrement  aucun  qui 
«  agisse  contre  l'autorité  souveraine  que  m'a  confiée  la  vo- 
tf  lonté  générale  du  peuple,  et  qui  n'en  accomplisse  pas  scru* 
«  pulcusement  les  ordres.  Fartant  donc  d'un  même  point,  et 
tt  guidés  par  l'union.  Tordre  et  l'énergie,  nous  pouvons  as- 
«  surer  le  succès  do  nos  entreprises.  Le  peuple  m'a  mis  à  sa 
«c  tête  pour  diriger  ses  forces^  et  je  promets  de  ne  m'écarter 
«  en  rien  des  voies  du  devoir,  mais  de  diriger  tout  dans  dei> 
«  vues  fermes  et  légales  vers  un  seul  et  même  but  ;  je  le  jure 
a  devant  Dieu  et  la  patrie.  »  On  voit  que  Chlopicki,  comme 
tous  les  gouyernements  élus  par  des  mmoriiés,  afîeclait  avec 
soin  de  confondre  le  peuple  avec  la  coterie  oligarchique  du 
Lubecki^  La  représentation  nationale,  séduite  et  entraînée  par 
ce  parti,  l'avait  porté  au  suprême  pouvoir;  dont  il  était  Télu 
du  peuple.  C'est  là  l'éternelle  logique  des  pariis  qui  usurpent 
les  affaires  publiques. 

Cependant,  si  les^lubs  étaient  fermés,  les  membres.de  ces 
clubs  n'en  persistaient  pas  moins  à  s'occuper  de  ce  qui  se  pas* 
^ait.  On  se  rappelle  les  discours  qu'ils  tenaient,  ayant  l'usur- 
pation du  Sde^cembre,  contre  le  parti  russo-polonais,  et  ou 
doit  bien  penser  que,  d'un  côté,  le  manifeste  menaçant  de 
Nicolas,  de  l'autre  Teiclusion  significative  de  Lelewel  et  la 
couleur  uniforme  du  nouveau  gouvernement,  n'avaient  pu 
qu'augmenter  les  mécontentements,  les  récriminations  et  \ts 
gourdes  rumeurs.  Avant  même  que  le  prince  Lubecki^ûl  pu 
transmettre  à  Chlopicki  la  réponse  définitive  du  czar  à  ses 
demandes,  le  dictateur  s'était  laissé  gagner  par  le  doute  qui 
régnait  universellement  sur  le  succès  de  cette  mission  malen* 
contreuse  ;  et  il  avait  si  bien  le  sentiment  du  mal  que  tout  ce 
temps  perdu  ferait  à  la  Pologne,  si  Lubecki  ne  réussissait  pas^ 
que  la  prévision  d'un  insuccès  dans  cette  négociation  lui  fit 
presque  perdre  la  tête.  Comprenant  la  terrible  responsabilité 
qd'il  avait  assumée  sur  lui,  il  ne  voyait,  dans  les  derniers  mo- 
ments de  sa  puissance,  que  poignards  dirigés  contre  sa  per- 
soune;  il  avait  toujours  à  la  bouche  le  mot  de  factieux  ;  il 


1 


DE  LA  REVOLl'TION   POLONAISE.  203 

s'eufermail  cbez  lui  el  ne  sortait  jamais^  refusant  même  de 
recevoir  les  membres  de  la  chambre  des  nonces,  qui»  sinquié* 
tant  de  Tétat  des  affaires,  demandaient  tous  les  Jours  a  lui 
parler.  C'est  au  milieu  de  ces  préoccupations  el  de  ces  terreurs, 
qu'il  reçut  la  dépêche  par  laquelle  Lubecki  lui  annonçait  la 
volonté  inflexible  de  Tempereur.  Â  celte  dépêche  était  jointe 
une  leltre,  par  laquelle  Nicolas  remerciait  personnellement  le 
dictateur  de  ce  qu'il  avait  fait  pour  maintenir  Tordre  dans 
Varsovie.  En  même  temps,  on  recevait  dans  cette  ville  l'utase' 
par  lequel  Nicolas  appelait  les  Rus^s  aux  armes,  pour  la  ton- 
mission  prompte  y  absolue,  sans  condition  et  sans  réserve  de  la 
Pologne.  Déjà  une  armée  de  cent  vingt  mille  hommes  com- 
mençait à  s'échelonner  derrière  le  corps  russe  de  Litliuanie, 
et  le  vainqueur  des  Turcs,  l&feld- maréchal  comte  Diébitsch- 
Sabalkanski,  partait  pour  en  prendre  le  commandement,  ainsi 
que  celui  des  gouvernements  de  Grodno»  Wilna,  Minsk,  Po- 
dolie,  Volbynie  el  Bialistock,  déclarés  en  état  de  guerre. 

A  ces  nouvelles,  qui  ne  permettaient  plus  d'espérer  un  ar- 
rangement amiable,  le  dictateur  se  hâta  d'assembler  la  com- 
mission diétaUy  nommée  le  20  décembre  pour  supveiller  ses 
opérations  et  lui  nommer  un  successeur  au  besoin,  et  il  lui  dé- 
clara c)ue  les  circonslanees  Tobligeaient  à  se  démettre  de  son 
pouYOïr.  Vainement  la  commission,  alarmée  d'une  détermi- 
nation qui  annonçait  que  le  meilleur  des  généraux  de  la 
Pologne  désespérait  du  succès  de  son  pays  dans  la  lutte  (jui 
allait  commencer;  vainement,  disons-nous,  la  commission 
insista  pour  que  la  démission  de  Cblopicki  n'eût  lieu  q^u'au 
bout  de  quelques  jours,  afin  qu'on  ne  pût  pas  l'attribuer  a  des 
motifs  aussi  décourageants.  Le  dictateur  se  démit  le  jour 
même,  abandonnant  ainsi  son  poste  à  l'heure  du  danger. 
Assurément,  malgré  tous  les  ménagements  dont  nous  avons 
accusé  Cblopicki  pour  la  lyrannie  russe,  ce  n*est  pas  à  la  lâ- 
cheté, à  la  peur,  qu'il  faut  attribuer  celte  brusque  démission. 
Nous  verrons  que  plus  tard,  comme  simple  volontaire,  il 
paya  vaillamment  de  sa  personne  pendant  la  guerre.  L'aban- 
don de  son  poste  n'avait  donc  pas  pour  bu\  de  le  sousti-aire  à 
la  colère  de  Nicolas.  Qu'importait  en  effet  à  celui-ci  que  ce  fût 
sous  le  litre  de  dictateur,  de  j^énéral  ou  de  modeste  combal- 
tanl,  que  Cblopicki  continuât  à  servir  son  pays?  Toujours 
esUil  qu'il  ne  renia  pas  la  révolution,  el  qu'il  fil  face  aux 
Russes.  Hais  sachant  bien  qu'il  n'avait  pas  tiré  des  circon* 
sUmces,  depuis  un  mois,  le  parti  qu'il  eût  pu  en  tirer  s*il  n'eût 
pas  si  imprudemment  compté  faire  entendre  raison  à  l'empe- 
reur, n'ayant  rien  fait  de  ce  qu'il  fallait  taire  pour  assurer  un 
triomphe  prochain,  il  voulul  adroitement  détourner  Tatten- 
lion  publique  de  ^  personne,  et  appeler,  s'il  était  possible,. sur 
d'autres  gouvernfuUs  et  d'autres  généraux,  la  responsabilité 


294  ItisMAft  ^ 

des  t*«rerd(|ti'it'prêssêtilâiletqu^latait  lui-même  firépabés. 
Il  eût'élé/Aé  sa  phti,  \Àm  loyal  ei  pilhd  ferme  de  garder  le 
pouvoir  ^^il  s'était  faUdoiiner)  et  de  tourner  ré^luriTetiff  le 
dos  au  tTBsiV  après  cette  le{^n,  de  recsonhaftt'é'ses  torts  ttité^ 
rièurê,  et  6ë  leë  ré(>arer,  ^\\  en  était  encofe  temps.  En  adop^ 
tant  uue  autre  poUtîquè,  phi%  active  et  piiis  énergique  à  ta 
foi»,  eé  dOiirflant  la  fiâmme  du  29  novembre  de  toutes  parts^ 
tatit  en  Lithfacinie  quç  dafts  les  provinces  polonaiees  d'AtH 
tricbeet  dé  PrtisSe,  péta-étre  en  serait-il  venu  à  bout  La  va- 
nHè  humaine,  qui  ne  veut  Jamais  avoir  toH^  inspira  Chiopjoki 
fotitautremerit. 

Si  Faxicien  dictateury  iiMnqua,  àcefte âpoque,  auk  circon^ 
s4an(^,  il  n*én  fol  pas  airtsi  darls  la  diète.  A  peine  Ctllopicki 
s*étaît-ilrélîr(^  que  les  deux  chambres  se  reconstitutfiîerit  en 
itemfaoence,  et  s'od^upaiéntdedortnôrau  goureriiemewttftie 
organisatidn  qtri  lui  permît*  de  mettre  en  mouvement  toutes 
les  forces  de  TEfat.  le  19  janviei*  S  831,  le  maréchal  de  Id 
cH^tmlifre^dés  nonces,  Quoique  du  parti  russo-potonaî*,  n'Iié^ita 
pA^  à  regreltët-  le  temps  perdu  en  de  taiees  tentatfvesde  oon- 
cilfatiOn^  tlutén  appt^^uMssant  au  zèle  inébranlable  que  ne 
cessait  de  mdnifësfèr  le  p.nys  pouif  la  causé  nubiîque.  «  Les 
<#troup€!s  réguHèi*es,  disait  Vladislas  Ostrow^kî,  dans  ce  dis* 
<ct:ôursudi  résutfrait  la  stiuatfoh  du  mohtent,  augmentent 
0^  tous,  lé*  jours.  Le  bdwrgeols  saisit  son  éf>ée,  le  paysan  sa 
cf 'fa[uh;  -Fardre  H^natt  dans  toutes  les  branches  de  Tadminis- 
<rf'traWon,  Teipril 'public  prend  des  forces  nouvelles,  elles 
<t  nations  amies  ont  promiar  des  secours  aU»  enidyés  de  la  Po- 
<f  logne.  Mais  voici  le  rhomehtdécrsifoùlesrepréàeïrtantstlela 
«  nation  doivent  achever'  leur^otivfape.  Périr  plulèt  q^fe  de  se 
«  soumettre,  tel  est  le  cri  unanime  dt|  peuple.  Il  ne  faut  pas 
«  Compter  le  nombre,  Il  faut  Tnlé^rage^  les  coears.  Les  pays 
«  consliluMoiînels  de  I^Europe  qui  dntëpouié  notre  cause, 
«  n'attendent  dtie  la  déclaration  de  notre  indépendance,  et  des 
«  rives  dé  la  Seine  Cornme  de  celles  de  la  Tùmisé  s'nvao- 
or  cefonl  des  bataillons  à  notre  secours.  Le  premier  devoir 
<t  de*1a  dîèfe  est  donc  de  prodamer  cette- indépendance;  é 
L'Indépendance  de  la  Porogne  fut  prockiméé  à  Vonanimftéj 
mois  ott  vdie,  d*aprê?S'd6'  dlsconfs,  que  les  chefs  du  paVs  ne 
pou raietitsef  résoudre  à  né  compler  que  sur  le  pnys  même 
pour  son  sahit.  Après  avoir  espéré  des  concessions  <*e  Ni-' 
&i\Hi^'  voîli  malnte'nanl  qu'ils  dttetidènt'  des  seccters  élrafr* 
gers.  Nbusf  ne  lai*dèrons  pas  à  voir  ce  ^ue  devînr^èril  cee  espé^" 
rances  nouvelles;  tnais  comment  ne  pas  déplorer  Cette 
déflarice  de  leurs  propres  fcrrces,  cet  abanddn  d'«u\''-mêmey,' 
qui  a  été  la  maladie  des  Polonais,  ou  an  mdiils  de  leurs 
chefsr  dan^c'étle  glorieuse  ^^évolutioar  Ils  pduvarent  encore, 
en  ce  moiivédf,  ripàddfe  \êtf  isAûXe  HmAOû  pHtinr  totHes 


DE  LA  RÉy<44;.7ip^  POLOMAISB.  gOS 

le^apcieçDQ^  pïTpyjpçes  pplpnçijs^S}  f^m  Jç  «gfâunoç  »ul  \lfi 
comptaient  quatre  fnillionsd'babilaq^»  pppii  Tesq^e|$  près 
(Je  cinq  cent  miUç  n^ysqns  en  élit  ^p  porter  j^s  àrrties,  et  jls 
ne  se  trouvaient  pas  ass^z  nombreux  !  Ce  n^éù|i(  pa$  If\  lorcp 
numérique  qui  (eur  manquait^  ce.  n'étaient  pa9  ijps  oioyenç  4^ 
sucpès;  mais  ces  moyens^  il^  ne  seyaient  m  pe  vôiilaieut  pas 
s'en  servir.  On  en  Verrs^  la  prisuye  (iaqs  le  réqi^  ^e^  pvèx^ 
ujfints  postérieurs.  '.  ' 

Chaque  jour  apportait  une  qp)iveUe  dpmpnstratjop  ^e  l'jiq- 
possibilité  4'un  rapprochemei^t  av^c  la  Co^r  m,o$aov{tc.  A)i 
manifeste  du  c^ar^  déjà  pilé,  sppcédc|  bientôt  iine  prOQl^niafjpfi 
d§  Diébiisct)  liii-piérne,  dans  laquelle  |e  feu^-niarécbsfLn^ 


unq  comqiissîQn 
ppjogne,  ctd'exp 
ment  ^Hâit  pcril  depuis  longtemps;  mais  la  rpéfipiUcuç^  lïïUr 
danç^  de  l'ancien  dictateur  en  avait  d'apQr4  eqÂppcM  l^pabl^ 
caliop,  malgré  Tesprit  ^e  rnodération  0onL|f  ét^jt  emppJAJb 
tant  c|ue  Cblopicki  avait  espéré  s'arranger  av^c  la  JRu^ie*  ^ 
pMbliaali^Q  de  cette  pièce  fui  la  r^ppnse  d$  1^  djcte  aq^nj^pi^ 
te$t^ de  Diébilscb/.  Ypici  coinment  çomr)[)i;pçail c^f te eloijiicinte 
^t  noble  apologie  d^  événements  (jq  npvembrei  crj  dPçMK^Alt 
d'une  douleur  iniqiepse,  qui  pe  pql  enlp^yoj^  }^&  ^ jf§ili0p 
des  Vieux  gouvernements  européens  :* 
.  a  t€)rsqn'qng  nation,  jadis iiqre  et  puisfaqte» ^  voit (qvq^^ 
«  par  Texcès  ce  ses  maux,  de  recourir,  au  dprnier  ne  ^ 
f  drpits,  au  drpit  dç  r^pousspr  Tûppr^ssion  pajr  \^  fprpQj  §Ilë 
fi  ce  dojU  çUe-Jn^me^.fUp  doit  au  moante  de  idiv^igqerJf^ 
(«  mobf^  qui  rpb^  amenée  à  soujcnir,  ies^rm^s  ^  U  pia^n«  Ifi 
«  plMS  samte  des  pauspSr  p  Ipi  ^o  trouvait  .Ip  Qd^!^  céçi^d^ 
(Qpt  ce  qui  ^'èt^U  passé  depqi§  les  trois  dQ(nea]|br§n[ient9  i^  U 
fin  d^  xvui?  siècle^  jusqp^f^qx  iniquités  d'Àlpaâdrfi  ei  de  Hir 
colas.  Il  çst  ^  refnapquer  qpQ  p^  un  fi^ot^  d^ps  c^  plaidpjcer 


aus^j  pipip  de  coi)v^nancë  et  ilé  réserve  /]U9  4^  fpr/ep  ^  de 
diguilé^  n'ann()n(.iit  encore,  l'int^nlion  44  s^  spu^raire  an 
joug  de  la  ^u^ie.  C'était  pp  tpft  à  i}û^  jf^;  u^m  flPilorMfi 
u'en  était  pas  un  ppi^p  le  C9$^p,  pt  il  dûo^^U^uvip^MUgé^  I^ 
droit  d'être  traités  d^poe  façpp  .inpins  I^CH^s^l^r  On  ne  récla- 
mait que  la  liberfé  et  1  indépendance  pour  l^g^aci^poe^  V^fh 


yjnces  ^éunie^  à  |a  V^n^m  09  m  inpnlfp^{ait  AUfiuoe  prôli^a- 
fiop  sur  ççW^s  de  |^AH^i=^iQ)f  9  et  delà  Pru^^e,  q\'    ' 


, .  ^  qui  a'fkvaiepl  pas 

çlç^  ^oiùfn^  ll^s  dulresj^'pluet  d'engfU^pppD^ .  poo^s  (?t 

Ap>'^  to  Ffï^i^H?  d^;;{4MQR>^*la9  4i9uj^  eban^bf  M  lte>YaieQt 


296  HISTOIRB 

remplacé,  comme  général  en  chef»  par  le  prince  Michel 
Radziwil,  dont  Tinsuffisance  pour  ces  hautes  fonctions  ne 
tarda  pas  à  se  révéler.  Quant  au  gouvernement,  il  était  resté 
dans  les  mains  du  conseil  dit  Ma/torm/,  dont  on  se  rappelle  qut* 
le  dictateur  s'était  entouré  pendant  la  seconde  période  de  son 
pouvoir.  Hais  ce  conseil  se  trouvant  composé  de  Russo-Polo- 
nais, on  sentit  la  nécessité,  dans  le  nouvel  état  de  choses, 
d'appeler  au  pouvoir  d^autres  hommes,  moins  compromis 
par  leurs  antécédents^  et  professant  des  opinions  plus  déci- 
dées* Toutefois,  on  y  conserva  encore  quelques-uns  des  noms 
qui  avaient  figuré  dans  les  administrations  précédentes,  tels 
qu'Adam  Czartoryski  et  Stanislas  Barzjkovrski,  dont  le  pre- 
mier surtout  possédait  une  popularité  et  une  renommée  de 
patriotisme  que  ses  sympathies  russes  n'avaient  pas  éhranlée. 
Les  trois  nouveaux  cçllègues  de  ces  deux  personnages  furent 
Vincent  Niémajowski,  Théodore  Morawski,  et  enfin  Lelewel, 

Îui  rentrait  au  pouvoir,  d'où  il  avait  été  exclu  par  Chlopicki. 
lais  les  Idées  jeunes  et  avancées  ne  retirèrent  pas  grand 
profit  de  ce  changement  d'autorité.  Elles  ne  furent  représen- 
tées que  par  deux  membres,  Morawski  et  principalement  Le- 
lewel;  de  sorte  que  la  majorité  resta  à  Tancien  parti  russo- 
polonais,  qui,  s'il  avait  renoncé  à  ses  illusions  moscovites. 
D'en  manquait  pas  moins  d'énergie,  et  s'obstinait  à  croire  que 
la  Pologne  ne  pouvait  pas  se  sauver  elle-même.  Un  autre  in- 
convénient de  ce  nouveau  gouvernement,  c'était  la  division 
de  l'autorité  suprême.  Au  moins,  sous  Chlopicki,  on  avait 
l'avantage  de  l'ifiii/é,  gage  d'activité*  et  de  force.  Maintenant, 
à  la  place  de  cette  unité,  on  avait  cinq  hommes  qui  n'étaient 
pas  d'accord  entre  eux. 

En  votant  l'exclusion  de  la  dynastie  russe,  on  avait  implici- 
tement voté  le  maintien  du  trône  de  Pologne-;  mais  on  n'avait 
pas  décidé  si  ce  trône  serait  héréditaire  ou  électif,  c'est-à-dire 
si  on  ressusciterait  l'ancienne  république  polonaise  fondée 
en  1573,  ou  bien  si  l'on  adopterait  ces  formes  constitution- 
nelles dont  la  Grande-Bretagne  a  donné  le  premier  modèle  à 
l'Europe.  C'était  une  question  à  résoudre  ;  car  tous  les  gou- 
vernements qui  s'étaient  succédés  depuis  le  29  novembre, 
n'étaient  et  ne  pouvaient  être  considérés  que  comme  des 
gouyernemenis  tradsitoites,  et  il  fallait  ériger,  au  moins  en 
principe,  un  gouvernement  régulier,  stable  et  définitif. 

Ce  l'ut  le  nonce  Swidzinski  qui,  dans  la  séance  du  30  janvier 
souleva  cette  question. 

La  diète  vota  le  principe  d'une  monarchie  consHlutionnelle 
fondée  sur  le  droit  de  succession  à  la  couronne,  et  déclara  que 
pendant  l'interrègne  elle  observerait  strictement  les  formes 
de  ce  gouvernement.  Elle  se  réserva  de  pourvoir  ultérieu- 
rement à  la  vacance  du  trône.  Quant  à  l'incident  soulevé  par 


DE  LA  KÉVOLCTIOH  ^^OLONAiSE.  297 

Lèleiil-eL  il  n*eiit  aucun  résultat  immédial  t  plds  larA,  la  ques^ 
tioB  de  rémancipaliion  des  classes  popufaifres  se  pfésëbta  iU 
rectement  à  la  diète  ;  nous  verrons  cé  qrt'eHe  décida. 

Pendant  que  les  deux  chambres  délibéraient  ninsi^  lefi 
Russes  entraient  en  Pologne  par  plusieurs  polntd.  Ce  fut  le  5 
février  qu'ils  fraochirent  la  frorfUëre  pour  s'avancer  sur  Var- 
sovie. A  mesure  que  leurs  difTérefnts  <$or|)8  d^armée  inar- 
chaient-  en  convergeant  vers  cette  capitale,  les  Polonais,  évi- 
tant avec  soin  un  engagement  générât,  abandonnaient  les 
poste»  avancés  et  se  retiraient  prudemment  sur  Varsovie; 
c'était  le  plan  conçu  par  Cblopicki  iou'exécutatt  ainsi  le  nou- 
veau général  en  chef,  le  prince  Radsîwih  Ce  plan  consistait  à 
tenir  rennemi  en  baleine,  jusqu'au  moment  où  le  dégel, 
rompant  les  glaces  de  la  Vistuie  et  dn  Bug,  intercepterait 
tout-à-coup  ses  communications,  rendrait  ses  mouvements 
plus  difficiles,  et  mettrai (  en  péril  ses  approvisionnements. 
Diverses  esearmoucbes  plus  ou  moins  vives  eurent  lieu,  où 
les  Polonais  obtinrent  l'avantage,  et  où  officiers  et  soldats  ri-^» 
valisèrent  de  courage,  d'ardeur  et  d'énergie;  mais  Diébitsch 
n'en  avança  pas  moins  vers  la  capitale  sans  sérieuse  résis- 
tance. L'armée  polonaise,  comptant  en  ce  moment  soixante- 
dix  mille  hommes,  avait  pris  position  autour  de  Praga,  en 
s'adossant  à  la  Vistuie.  C'est  là  qu'eût  lieu,  le  19  février,  à 
une  demi-lieue  de  Varsovie,  près  du  village  de  Grochovtr,  la 
sanglante  bataille  qui  prit  ce  nom,  et  qui  dura  tout  le  Jour. 
De  l'aveu  du  comte  Diébitsch,  le  général  russe  Pablen,  loin 
de  faire  reculer  l'ennemi^  battit  lui-même  en  retraite.  L'an- 
cien dictateur  Cblopicki,  servant  à  PavanPgarde  comme 
simple  volontaire,  se  distingua  dans  ce  combat  par  son  bril- 
lant courage.  Le  25,  Diébitsch,  pour  prendre  sa  revanche, 
tenta  une  nouvelle  attaque  contre  les  troupes  ennemies  qui  se 
dressaient  toujours  entre  lui  et  la  capitale.  Dans  cette  affaire, 

r'  prit  le  nom  de  combat  de  Praga,  les  Polonais  firent  encore 
prodiges  de  valeur;  mais  l'ensemble  des  opérations  fut  si 
mal  dirigé,  qu'ils  dorent  à  la  fin  traverser  la  Vistuie,  et  ren- 
trer dans'  les  mors  de  Varsovie.  Huit  mille  Russes  furent 
Curtant  mis  hors  de  combat  oejour-là,  et  quatre  mille  à  la 
taille  de  Grochow. 

Diébitsch  était  maintenant  en  position  â*attaquer  Varsovie. 
Il  ne  le  tenta  pas,  prévoyant  bien  quelle  vigoureuse  résistance 
il  rencontrerait  ;  il  faltalt  d'ailleurs  commencer  par  prendre 
Praga,  et  les  Polonais  n'avaient  qu'à  brûler  ou  rompre  le 
pont  de  bateaux  de  la  Vistuie  pour  séparer  ce  fliubourg  de  la 
ville.  Diébitsch  aima  mieux  attendre  des  renforts,  et  envoya 
son  principal  corps  d'armée  sur  Plock. 

Cependant,  la  l>ataille  du  25  février  avait  Jeté  l'inquiétude 
dans  Varsovie;  on  y  accusait  hautement  de  ses  résultats  né^ 

38  .      . 


2>»  «i9faiM 

gatifo  rîtieapaaitçdu  géoéral  Badûwjl,  ^i  on  demandait  soi} 
rempiacêfi^ent;  mais  aialhâureagement  les  généraux  capa* 
bies  manquaient  à  la  Pologne.  La  guerre  seule  peut  eo/anter 
les  gcands  capilaioes,  et  la  Pologae  ne  faisait  plus  la  guerre 
depuis  longtemps  ;  et,  quant  aux  ebefa  élevés  à  Técole  de  Hà* 
poléon^  il  n'eu  restait  que  le  seul  Clilopicki.  Dans  cetle  posi- 
tion^, les  colonels  et  les  cbefs  de  corps  polonais  demandèrent 
qu'au  lieu  d'qngéaérat  en  chef,  puii^ae  personne  ne  pouvait 
rem^^lire^Sc^aGbonSyOQ  insUtuaiun  conseil  militaire  chargé 
de  diriger  les  opérations*  C'était  un  plan  impraticable,  et  le 
gouvernement  le  reponssa;  mais  n'osant  pas  nommer  lui* 
mâmeup  géoéj:al  en  chef,  il  chargea  tous  ces  pbefs  de  corps 
d'élire  eux-mêmes  leur  jcommabdant  suprême.  Leur  choix  se 
porta  sur  le  colooel  Skrzynecki,  brave  soldat,  mais  d'une 
liiédiocfeeapacilé;  on  lui  adjoignit,  comme  ^uide»  un  autre 
colont^l,  Proud^ynski,  militaire  distiogué^  qui,  tout  en  restait 
S<Hia  les  ordres  de  Skr^jnecki,  devait  lui  proposer  des  (dans. 
Elvidemment  ce  n'était  pas  là  Temédior  à  l^insufiisance  du 
généi^al  élu  ;  car  ^  restant  le  supérieur  de  Proudzyiiski,  il 
pouvait,  comme  bon  lui  semblait,  admettre  ou  rejeter  ses  pians. 

Le  gouvernement  ratifia  ees  dispositioes,  et  les  fil  saoc*^ 
tionoer  par  la  diète» 

Lfr  lendemain  la  diète,  de  son  côté»,  prit  eoters  le  pays  l'en- 
gagement suiTant»  qu'elle  tint  noblement  jusqu'au  bout  : 
«  Lesteprcsenlautfi  de  la  nation  polonaise,  réunis  dans  les 
«  deux  chambft*ee»  déclarent  en  face  de  l'univers  et  de  leurs 
a  compatriotes,  que,  fidèles  à  leur  piv^ftwr  serment  de  main- 
«  tenir  jusqu'à  la  dernière  eitrémité  l'intégrité  et  la  dignité 
.  4.natioiiale6s  ilseo  prennent  de  nouveau  l'engagement  so- 
clannel,  ainsi  que  celui  de  ne  point  proroger  la  diète,  et  de 
«.  s'unir,  plus  furtsmeat^iiue  jamais^  avec  te  gouvernement 
«  tnaflionai  et  avec  la  brave  armée*  Si  quelqu'evénemeotim- 
«  prévu  (quoique  nous  soyons ^loin  de  le  redouteri  d'a^ès  les 
n  irichrireB  remporlées  par  nos  troufte^)  nous  forçait  d'aban- 
«  donnée,  momentanémeut  la  capitale,  nous  redoublerions 
«  alors  ctexète  etd'actijiité<  Noue  véiUerionifur  le  sort  delà 
4  patrie^  eti'saos  jamuia  démentir  le  grand  earaotèredenee 
«  commettants,  nous  défendrions  jusqu'à  la  mot!  la  llbetié, 
e.  l'boniiew  et  ta  gloire  dn  peuple  pototMtts. 

M  .Compaljriotoai  que  ladélermination  de  ladiète  enflamnlfe 
ftileoouoage^  «ttintteoneia  eonfiaoee  et<augmentei  t'tlest 
4  possible, «le  persâvÉcanae  des  babliants  de  la  capitale  et  de 
4  eeux  des  provinces..  M'oubliei  jemais  q«e  c'est  A^tat  bra- 
«  ¥Qiire,  detla  confiance  muUielievde*  la  conetence  <fue  dé^ 
à  pendent  votre  intégrité,  «volve  indépeodanee^  votr«)  gloine 
i».aiitjyeuilde|'fiiiHipeiaâieatiYe>  Ht  lafHKDanaisaateeeidd  la 
«pofiteriké»  »  ...i  «   •  -    '       • 


DE  LA  R£VOUIflOllTiOI.OKAISE.  TfÊ 

ttwTé  1q  nombre  (ks  troupes  prwiiif  éoobléi  N^gfé  l'inva^ 
sioD  qui  oQcupait  UM  fiarliQ  du  pofaiMnev  C6  BMibra^ugmeD** 
taitious  tes  jours;  la  saison  et  reonemi  mime  {avoriBaienl 
r^fganjsaiioa  de  rarinée.  Us  glacée  de  la  Vietute  étaai  aiir  te 
point  de  se  rompre,  le  général  Diébitscb  abandonna  tee  ploiMs 
chiyGrQobow^  et  sei  relira  datie  tepateUnat  de  Lubli»^  pou^  y 
aliSodre  de»  circ^netaiKs^s  plue  favoreMe».  bee.arvifiiiiejita. 
se  poursui^atent  doue  saoa  obsleeteiaoooviplétait  teêinéfp^ 
m^ots  muiitee  par  te  gnt Frej  on  eiorgaiiles  broiipe»  nenvel-' 
leméni  te^eiu  PréVe^a»!  Qve^tee  denUoéeadu  paie  fininaieiil^ 
par  96.  décider  soua  lea  murs  mêmes  de  VarsoYte,  op  aehmai^ 
à^ïa  fortifiée,  eoua  la  directioai  du  fénéral  gonveraeurdete 
^Ule  Kruck^wiecki«  £afio,  Tinquiétode  qui<  s'était  noparée 
des  eaprils»  après  la  jeuniée  du^  fémer,  s*^lait  diaeipéi» 
peu  à  peu,  et  il  y  avait  ua  raecneoLdo  ee  calme  eeleoiiel  qm 
précède  les  grands  événements*    *        .» 

Malgré  ces-motifs,d^  courais  et  d'espoifi  Skrsyneckî  essaya, 
pendant  le  mois  de  msM,  dea  Déf^aoiatiooa  anee  l)iébîli?cb« 
Celui'^  ne  pouvaat  accepter,  au  nom  de  se»  maUve»  q^ovei 
soumission  tans  oonrditioo,  cespcnirparlers  reakèrentiaes  leé* 
suitat,  et  il  fallut  se  préparer  &  de  nouveaoi  cosobate*  Aters 
Sknayn^^^l^i  résolut  de  preikke  le  premterti'offeBsivef  en  atta- 

Îuanl  tes  cantonnements  diapereés  de  Teonemi.  Dana  la  unit 
u  30  au  31  mars,  il  quitta  Varsonrie^TecâOyOOO  ItOOMnes^^ 
traversa  Praga  et  sa  dirigea  vers  Yavcr,  où  était  te  général 
russe  Geismar.  Cette  entreprise  avait  éU  conduite  aveo«n  tel* 
mystère,  que  personne  dnns  la  eapitate  n^ea  avait  rteniappris.- 
Sbsynecki  fit  couvrir  de  paille  tes  clieminsy  de  aeile  'qoci 
l'artillerie  et  la  cavalerie  avancèrent  dans  la  nuit  bans  être» 
vues.  11  assaillit  soudainement  Geiselac,  qu'il  débusqqa  de  sa» 
position,  et  le  força  à  se  rsplier  sut  te  général  itosen^  à  fie»- 
berwilkia.  Les  Polonais  te  poursoivirent,  enleffèoeni  les  re^ 
trancbements  russes,  et  forcèvent  lesdeuK  généraux  à  te  foî4e. 
Ces  deux  journées  du  31  mars  et  du  \^  avril  eoftièvent  6,000i 
hommes  aux  Russes,  12  canons,  de  nombreux  caissons  de  mu*, 
nilions,  des  fusils,  deux  drapeaux. et  6^000  prisonniers.  Le 
coten^l  génois  Ranfiorioo^  qui  était  aUé  offrir  son  épée  à  te 
Poio^ne^  se  distingua  particuliêrenitiitdabsceadeM  alfaifes. 
Hosen  abandonna  Minsk,  et,  estent  retiré  sur  ces  réserves^  il 
y  lui  encore  poursuivi  fMir  Skrzyneeki,  qui  remporta,  te  10 
avril)  une  nouvelle  vteteMre  au  vtUuge  dUitgante,  près  éiedlec. 
Eu  ce  moment,  tout  favorisait  te  ooonge  des  Polonais  z  1» 
saison,  le  déraut  de  sqbsislanoesi  qui  oeïnmençatent  à  roan«^ 
quer  à  teurs  ennemis,  et  enfin  te»  ravages  du  dsaiéra^  qui  âé- 
vissait  sur  l'arnsée  mosoowtte,  et  qor  ipit  far  sa  glissar  jusmir 
dans  ravmée  polonaise,.  cemouyVaitteste  ceieiitvait  d'nn^ordcqi 


J 


300  HiSToms  • 

du  jour  de  Skraynecki  :  «  Le  contact  de  nos  troilpes  atec 
«  celles  de  l'ennemi  a  porté  le  mal  dans  nos  rangs.  C'est 
«  ainsi  que  dans  leur  cruauté  ces  Tartares,  qui  depuis  des 
<x  siècles  Ternissent  sur  notre  sol  toutes  sortes  de  maux, 
«  viennent  de  nous  apporter  encore  le  fléau  qui  nous 
Qt  manquait.  » 

Pendant  que  ces  faits  se  passaient,  une  insurrection  é<4^- 
tait,  qui  semblait  firomettre  une  diversion  décisive  eu  faveur 
de  la  Pologne.  Après  le  29  novembre ,  la  Lilbuanie  s'attendait 
à  voir  Tarmée  polonaise  traverser  le  Bug  et  le  Niémen  pour 
entrer  sur  son  territoire.  Nous  avons  vu  comment  la  politique 
des  Russo-Polonais  s'était  opposée  à  Texécution  de  ce  plan 
salutaire.  Etonnée  et  émue  a'unè  telle  couduita,  la  Lithuanie 
calcula  cependantses  rèssourcesietrésolutd'essayereespropres 
forces  isolément  conlre  le  cxar.  Occupé  par  de  nombreuses 
garnisons  russes^  ce  pays  avait  de  grandes  difficullés  à  vaincre 
pour  son  insurrection.  Ce  ne  fut  pas  dans  la  capitale»  Witna, 
mais  fiarnyî  le  peuple  des  camidignes»  dans  plusieurs  dislricls 
à  la  fois,  que  l'Explosion  eut  lieu.  Des  mains  inhabiles  à  mi- 
nier les  armes  quitlèrenl  lacbarrue  pour  saisir  des  épées  et 
des  fufeils,  et  sur  tous  les  points  commença  une  lutte,  inégale 
contre  un  ennemi  plus  puissant  et  plus  exercé  dans  Tart  miU«» 
faire.  Les  Russes,  harcelés  par  ces  paysans, perdaient. souvent 
leurs  postlions,  leure  provisions  de  bouchejet  de  guenrCi  leurs 
lignes  d'opérations.  BiAitôt  les  jeunes  nobles  du  pays,  presque 
tous  élèves  des  écoles  milttaire&y  vinrent  se  mettre  à  la  tête  de 
ces  troupes  improvisées^  et  régler  cette  guerre  de  partisans» 
où  les  ministres  de  Tautel,  s'associent  aq  mouvement  com- 
mun, bénissaient  les  drai^eaux,  et  où  chacun  de  ces  soldats 
rustiques  se  conduisait  comme  un  héros.  Depuis  Lepel  et 
Dzisna  jusqu'à  la  mer  Baltique,  tout  le  pays  s'ébranla,  el  Tin- 
surrection  ayant  occupé  quelques  villes  importantes,  organisa 
une  administration  révolutionnaire,  et  se  centralisa.  Les 
paysans  se  réunirent,  sous  le  commandement  suprême  de 
Zaluski,  pour  assiéger  la  capitale,  Wilna  ;  mais  l'ennemi,  de 
ce  côlé,  ayant  reçu  des  secours  de  la  Courlande,  iU  renon- 
cèrent à  prendre  cette  ville,  et,  battus  à  Prislovyai^  ils.  réso- 
lurent de  se  séparer  et  de  recommencer  la  guerre  de  parti- 
sans qui  leur  avait  d^abord  réussi.  Les  revers,  le  manque  de 
munitions  ne  les  découragèrent  pas  ;  ils  attendaient  toujours 
des  secours  de  leurs  frères  du  royaume  de  Pologne.  En  Voil* 
hynie,  en  Podoiie  et  daus  rukraine,  le  même  mouvement  se 
manifesta,  et  partout  on  courut  aux  armes  dans  toute  l'étendue 
des  anciennes  provinces  polonaises. 

A  la  nouvelle  de  ces  événements,  le  gouvernement  de  Var- 
sovie s'était  hâté  d'envoyer  enfin  dans  la  Volhynie  les  deux 
généraux  Dwernicki  et  Sierawski.  Mais  ils  rencontrèrent  en 


DI  LA  HÉYOLimOll  POLONAISE.  301 

route  le  général  rnsse  Rudiger,  quUes  battît  foos  deux  et  força 
Dwérnicki  à  se  réfugier  sur  le  territoire  autrickieu,  où  il  tut 
désarmé  par  les  autorités  et  éloigné  de  la  frontière. 

Revenons  maintenant  à  Slirsynecki.  Apre»  les  journées  de 
Vaver  et.de  Demberwtlbie,  ce  général  avait  eu  le  tort  grave 
de  ne  pas  profiter  de  ses  victoires, en  continuante  poursuivre 
les  Russes  qui  étaient  en  pleine  déroute»  Vaniteux  et  en- 
télé,  Skrxyneeki  refusait  de  enivre  les  plans  de  Proudzynski. 
Le  7  mai,  il  Toulut  essayer  de  jeter  en  Lithuanie  un  corps 
de  troupes  qui  concentrât  les  -forces  de  riosurrecliop  dans 
cette  province.  Ce  plan  avait  Tinconvéaienide  séparer  un 
corpsx^néidéraUe  M  reste  de  l'armée  »  intérkure  en  nom» 
breà Tarméè  moscovite. Diébilfch occuiiait alorsOstrolenka, 
sur  Is  rive  gauche  de  laNarew^où  élait soa auartier  géné- 
rai. Sentant  la  faule  qu'allait  commettre  Slyrzynecki,  il 
se  prètsi  à  ses  plans,  et  le  18  mai  les  Polonais  entrèrent  à  Ûs- 
trolenka,  afMrès  avoir  franchi  la  Narew.  Le  21,  Skrzynecki 
ayant  pris  Tykocin,  où  se  distingua  le  colonel  trapçais  Lan- 
gurmanUi  ancien  aide»de-camp  du  général  Lamarque,  ie  che- 
min de  la  Lithuanie  fut  ouvert,  et  un  corps  potonais,  sous  les 
ordres  de  Cblapovrskt,  put  pénétrer  dans  cette  province»  Uaitf, 
au  même  instant,  Diébitscb  qui ,  dana  son  mouvement  rétro- 
grade et  prémédité,  avait  ralUé  toutes  ses  forces,  reprit  tout  à 
coup  l'utTensive,  et  vint  présenter  la  bataille  à  Skrayneckii  qui, 
aflbibli  par  l'absence  de  Chlapowski,  craignant  d-être  écrasé 
parun  ekinemi  supérieur  en  nombre,  se  retira  précipitamment 
sur  Ostrolerika  pour  repasser  leNarew.Hais  Diébitscb  le  pour- 
suivit daiis  ce  passage,  et  alors  s*engagea  une  sanglante  ba- 
taille, où  rétoile  des  Polonais  commença  à  pâlir.  Skrzynecki, 
vaincu,  s'enfuit  jusqu'à  Praga,  et  Tarmée  polonaise  se  trouva 
encore  une  fois  adossée  i  la  vistule* 

Cette  bataille  fut  la  dernière  que  livra  Diébitscb.  20  jours 
*  après  ce  général  mourait  subitement  au  milieu  de  ses  trou- 
pes. Le  27  Juin',  Fex-proconsul  de  Ijicolas  en  Pologne,  le 
grand-Duc  Constantin ,  mourait  aussi  à  Witepsk.  Des  bruits 
de  mort  violente  se  répandirent  à  cet  égard.  On  prétendit 

au'un  meurtre  ou  un  suicide  avaient  dérobé  Vex-vainqueur 
es  Balkans  a  la  honte  d'une  disgrâce ,  résolue  à  la  Cour  de 
Saint-Pétersbourg  contre  Thomme  qui,  depuis  le  mois 
de  février^  avait  laissé  détruire  le  prestige  de  la  puissance 
russe,  par  les  victoires  des  Polonais.  Quant  au  grand-duc»  on 
voulut  voir  dans  son  trépas  la  vengeanne  secrète  de  quelques 
unes  des  nombreuses  victimes  par  lui  laites  en  Pologne. 


A02  aismuB 


CHAPITRE  XII 
1831 


Skfxjnefckî  demande  î'eïclusion  de  Lcle^cit.— La  Poloene  demande  des 
seeoarsi  aot  puismnces  européenne».  —  Attitodé  ée  ta  Piremce  et  ée 
L'Aiig)etfri%dansoette<oireonstaiice.-^Offied«  la  ceoreime  4«  Pologne 
à  oeft  poiaNMcea  ;  refus.  ^Le  priacipe  de  noii-iiitertefttion«— Coodaile 
hostile  des  Cabineti  de  Berlin  et  de  Vienne.-rLe»  Jaifi»  demandent  à  la 
diète  lefi  droits  de  citoyen  ;  demande  d'affranchissement  en  ikveurdes 
paysans  de  Liihuanieet  de  ceux  da  royaume  de  Pologne  ;  rcpuasené* 
galive  de  la  diète.  —  Paskîéwilsch  succède  à  Dîébilsch, —  Nouvelles 
fauteâdeShrzyneckl,  —  Plan  de  Paskiéwitsch  ;  il  traverse  la  Vistnte 
^ansopposition.—DémîssInn  de  Skrzyneckiet  nomination  deDcmbinsK. 
-^ExaUalion  desclulni.^-E^énementsde?  i  5  et  46  août.— KfuckowieelLi 
président  du  gouvernement,  et  Maiaeho^i»kf  ^érai  en  ehef  ;  pM*t9alt 
de  Kruckowiecki<  «*-  Le  6  sapteAibre,  Paskiéwitsch  dmina  l'aiiMt  à 
Varsof ie.-r^  On  refuse  d'armev  k  peuple.  —  JUi4ii(f^te(9se  de  inuter 
avec  le  général  n^ssie.^  KruckowiecKi  signe  Taale  de  soiimissian  des 
Polonais.  —  Départ  diS  la  diète  etdeà  débris  de  Tarmée  polonaise,  t- 
—  Vengeances  russes, —  Causes  de  l'insuccès  de  Hnsurrection  du 
ÏSSf  novembre.  —  Comment  !a  Po%ne  pourra  un  jour  renaître  de  ses 
cendres. 


La  batfifilled'OslroletikaaTîiltJelé  la  (ïotislèrnalion  à  Varso- 
▼ie.  Pour  annorlir  le  catrp,  ta  d!ètc  envoya  à  Praga,  rers 
Skriyiiccki,  nne  «Mptifaifon  charg^ée  dé  ranimer  le  coonagc  de 
Tarmée abattue.  Celui-ci, pour  saurer  sa  YanltéWes^ée, revint 
alors  sur  le  thème  favori  des  Russo-Polonais,  et  accusa  de  sa 
défaite,  qn'A  n'aurait  Au  attribuer  qu'à  sa  propre  împrudenciî, 
rinsufn^a^ce  des  moyens  qfu'il  avait  dans  les  mains,  il  dit  ce 
qu'on  avait  déjà  dit  si  souvent,  que  la  Pologne  ne  poutaltêti^ 
sauvée  que  par  rintcrvenHon  élrangcre  ;  il  ajouta  que  si  les 
Cabinets  européens  n'avaient  rien  tail  encore  pour  son  pays, 
c'clait  la  faulc  du  gouvernenienl  ;  que  la  participation  rfe 
Lèlewel  aux  affaires,  qui  paraissaitdonner  à  l'insurrection  une 
couleur  républicaine,  aYalL  éxidûmment  aliéné  les  rois  de  la 
car,se  polonaise. 

Dans  la  période  de  découragement  où  on  venait  d'^entrer,  les 


DE  LA  EKVOUnriOll  POLONAISE.  d(>3 

Poloutif,  OQ  du  oMOA  tef  meiiettrs.de  rîQiuTreotitfp,  étaient 
comme  ces  roédedoo  qai  m  saveoi  p93  voir  U  cause  réeueda 
mal,  ei  s'évertuent  à  y  trouver  mille  causes  imaginaires.  Qo 
crut  que  Sitrzynecki  avsit  raisoni  et,  saos  songer  à  Taccuser 
de  s'être  préparé  une  défeile  inévitable,  en  se  privant  du  con- 
^  cours  important  de  CUIapow&ki»  ies  députés  de  la  diète  se 
bfttèront  é'alLer  iraoscneltre  aui  deux  chambres  les  insinua- 
tions du  général  en  chef  eur  la  (nécessité  de:chaAger  le  gou«- 
veraeitienL  Les  deux  chambres  ^'assemblèrent  pour  délibérer^ 
sur  la  question.  D'abord  on  allégua  lé  vice  originel  d()  ce  goo- 
▼ernement  péniarcUçuef  l'împossiJiiUlé  que  cinq  personnes 
ffussent  se  mettre  d'acoord  entre  elles.  Cela  était  exac^t;  mais 
oe  nîétait qu'on  prè&exte.  BijenlôL  le  vrai  motit  fotat^rdéavec 
franchise/  el  le  nonce  Swydziasiu»  te.  même  qui  avi^t  plaidé 
antérieurement  la  cause  de  lnosonarehie  héréditaire»  dit  que, 
par  ses '  articles  dans  les  journaux  et  sesdiscoiirs  dans  les 
sociétés  ^trioltqnes»  Lelewe)  avait  mis  en  lumière. ses  senti- 
ments démocratiques  ;  i)ue  la  présense  d'un  radical  dans  te 
gouvernement  ne  pouvait  qu'effii-ayer  la  diplomatie,  ia  prop^ 
si  lion  de  Swydiinski  rencontra  de  nombreux  ei  éloquevts  cpn- 
tradktenrs»  et  le  10  juin  1831^  iï  membres  contre  33  votèrent 
Jb  inaintieo  du  gouvemetaent  leL  qufil  était,  et  ref^aèrent  de 
punir  Lele^iFel  des'faotes  de  Skriyneeki. 

Ces  secours  que  Ton  attendait  des  Cutiinets  européens,  il  y 
avait  longtemps  déjà  quV)B  les  soUieilail  auprès  des  Cabinets 
'de  Paris  et  de  Londres.  D^abord,  ies  deux  gouvernements 
avqient  prodigué  les  promesses,  mais  d'oûe  façon  équivoque, 
et  en^rlantde  leurs  symiMUhies.  Puis,.0epepdant«  lie.  cuar- 
gèrent  leurs  ambassaHeurs  à  Constantinople  de  ^nderie.aul- 
tan,  et  de  voir  6*il  ne  serait  pas  disposé  >  per$Qeoeilement,ii 
ioterveoir  en  Pologne  contre  son  icnéeoncitiabW  en«emi ,  ke 
czar.  les  Cours  de  France  et  d'Angleterre  ne  sa  souciaient 
guàr»  de  ser  mélei*  eUes*mémee  de  la  quereile  polgnaiseï  mais  * 
elles  essaiyaienlde  susciterit  Nicolas  no  nou¥et  ennemi*  Too- 
tefoia,  lA  terreur  qu'il  le«r  inspirait  lut  plus  lorie  que  ta 
sowdo  olpepreuse  inimitié  doat  il  itaiA  robâ^t»  et  le  CMv  ayant 
^eo  coanaiseaiice»  par  tme  indiscréUoa  de  i>alais,  d^  maebiua- 
tioas  dnigées  contreiluîi  ia  Cour  du*  sulUtOt  les  deux  ftmbassa- 
deoi^ fanent âuasilôl rappelés: par  tm^ra^euvememeotosf  qui 
les  désawuèneot  lâcliemenL  A  dater  de  cette  époqtteti'AÂgJbs- 
terre  ei  la  Pranœ  ne  nureniplue  auise^rviee  de  4a  Poliagoe  que 
deanptes  diplemaUquee  auprès*  de  IttookuvdoAljCei^ifCi  Ae 
âenaituttciiii  compte,  fin  méme^tempe,  <oinme-. elles. ne  te 
dissknMiaieot  pasi'intéMt(|is'«lles  avaient  au  triooH^be  de  i'in- 
snerection  de  Varsdyie,  eUesieùcounigeaient  &uee  Jôsialaooe 
désespéréoi  tonjoars  par  des i^omessesambiggttôa»  oe*peiipk 
^ew  keqnei  ettsMf'aVaiBot  pae  tojcoftffagod'aiiir^  . 


304  «isvcins     r     . 

Gdf  soldats- ifairiyaMjaiims^lefboi^  4%tatifotaia(ii 
«^'avisèrent  adroitement  de  combattre  la  peur  par  l^anttaiticfiy 
et  do  joindre  un  nouvel  intérêlà  riqtérêt  de  l'équilibreeuro^ 
péen^  qui  pariait  déjà  61  baotim  leurtBveiirv  A  oetta^épeqnt^^ 
les  Betgea  Tenaient  d'offrir  leur  eouronoe  an  dnedaNroioiiPB;; 
L^is-Philippea'vaiireftifléfoiQirson'&tt.EspéraDt^a'élfisaraleill 
ptii0heure9X  auete9  Belges»  deséim8safres:<foladtèteAUèniii^ 
.  colporter,  de  U)Qr  m  Cour»  la  conronne^e  Pologne^  TeffiMit 
tantôiàuiides  ftlsdu  km  des  Français» taBlôtèd'auireB.prtBèes 
européens,  Hais  cet  expédient  ne  leUr  «éusaît.paSb  Tanl  Védnl 
de  cette  roT^ti^  necackail  pas  aux  puissances  A  flasfarjtfad* 
cepter  un  trèoe.  dont  le  terribrie  Nicolas jsèiregtirdaittoiiinieJe 
légitime  pt^oprâétiaîre»  l^es  Polonaîe  offrirent  deidedoniieB^cÉv 
pourcomble  d'huiiMNationv^n  ne  irouhit  pastf*e«X4:     :. 

C'est  alors  que  le  obef  de  touèes  ces  néf^odattona  dapionn»W 
tiques>  le  prince Czarioryski ,  comilieiiganlàoiivrieiltMi^iw 
sur  les  fautes  commises  par  son  parti»  écrivît  à  Pam?  ht  ièttre 
suii^aala  :  s  Nous  nonssommea.  reposés  snr  la  noblease^etia 
«  sagesse  des  Cabinets.  En  noua  y  flanl^oott»  n'avons  pas  tiré 
^  parti  de  toutes  les  ressourees  qui  s'offraîentà  aousy  sail  à 
«  rintérîeQr, ^i4À  l'extérieur.  Pourgagner  j'apprahaltoadea 
<(  puissances,  niérilBr- leur  OQafiaace  et  obtenir  Jtav  appai^ 
c(  nous  ne  nous  sommesjamaistécarîésde  la  plosslriole  mod&< 
tf  ration»  et  cette  considération  a  paralyséfaina  dea^eSBriaîiiiii* 
«  nous  auraient  secondés  dans  les  derniers  temps. i<SÉf»>ifis/ 
«  promesses  des  Cabinets,  nous  aurioÉs  pu  fcapper  un  «au|i 
«  qui,  peut-être,  eût  été  décisif;  mais  noua  amnat  ci».<|nr<il 
«  fallait  temporiser^  ne  riea  laisser  au  hasard^  al.  pouravona 
«  la  certitude  aujourd'hui  quMl  m'y  a  qite  le  hasard  qui  puisse 
«  nous  sauver*  »  La  coup  décisif  Mnt-  partait  CxarkM^aki^eiéH 
lait  la  proclamation  delà  république poioflttiseietrétnanoipsM; 
tion  des  classes  tolérieures*  .    i^<  .  ^       ;i. 

Après  cet  avau  des  wteon  de  aon  |nrti^  fitariarfslil  tooton. 
les  yeux  sur  l'Autriche»  el,  par  une  détermioalioa;  déseapé^ 
rée.  il  écrivit  au  cabinet  de  Yienne  que  la  Pologne ipréiaiASli 
sa  ooRiination  à  eeëe  de  la  Russie»  elquaai  r.em|ieraur  venait 
à  son  secours>  elle  aecaptarait  tellr  forme  daugownpneniasft, 
qu'on  voudrait.  f^ons^noasdfaJouter^quese^taBflslaaooii^ 
sentemenide  la  diètcrqueie  ^urinoa  CcaraoByslLi  JUin.Vinnae 
desouvertures  que  te.pays,  st.  on  IVût^oônsulté^faût  désar 
vouées  d'une  voix  unanime.  LespriDoe  Metternidi  ne  l^ponSha 
pas  formellement  les  propositions  deÇzaïasryski}  il  c^ndit 
d^abord  que  ces  offres  ne  pourraient>ètre  aeceptues.qnràt  In- 
condition  de  modifier  lés  forwkitmp^  liMra/ea.de  ku^cona^^ 
tittttion  de  1815,  e(  d'y.iniroduica  dfiS/i>nnatpea.ybia  anat^^ 
cratiques.  Mais»  peudelemps^iprès»  lencabiaièisrajpuiikadepté,  -■ 
pour  r^ler  leurs  rapports  lca4aiaavnoJeaaAilres»ie|Mrineipe 


DE  LA  RÊVOUmON  l»QL0.^.4B£.  345 

et  la  iilm4iiterYeiilion,  <^iiégoeiatiMs  arec  l'Aotrîclie  n^ea- 
cent  aucune  sttUe. 

-  Afvrèh<ivoir  proclamé  oe  principe,  les  Cabtnetis  de  Londres 
et  d*Ao4rkbe  écrivirent  au  prince  Caartoryski  que  ce  qne  ses 
conetto^ens  avaient  de  mieui  a  faire,  c'était  de  se  soumettre 
et  de  demander  gr&ce.  Seul»  le  Cabinet  de  Paris,  tout  en  ex- 
prinnaol  ses  regrets  d'être  tié  par  le  nouveau  principe»  coû-* 
tiBoa  à  encourager  la  résistance  des  Polonais. 

Au  reste,  cette  non-intervention  invoquée  contre  la  Po- 
logne,  fut 'effronlément  violée  à  ses  dépens.  Pour  l'observer^ 
il  eftt iattn.qu'oii'  nO'ftt  rien  ni  pour  ni  contre  les  insurgés; 
et,  cepeatdajit,  la  politique  de  Vienne  et  de  Berlin  ne  tarda 
pas  à  élever  autour  d'eux  des  barrières  hostiles.  Elle  ferma  à 
tous  la  rouie  de  Varsovie,  et  personne  ne  put  pénétrer  en  Po- 
logne on  en  sortir  sans  sa  permission.  Des  médecins  anglais 
ou  français;  parmi  lesquels  nous  citerons  Antomarcbi,  méde- 
cin de  Napoléon;  les  docteurs  Bkmdin  et  Sédi^lot,  ne  purent 
que  dilidlement  arriver  dans  la  capitale,  où  ils  allaient  don» 
ner  leurs  soins  aux  cholériques  et  aux  blessés.  D'anciens  of« 
fidevsde  l'Empire,  qui,  à  l'instar  des  colonels  Ramorino^ 
Langermann,  Legallois,  et  du  jeune  Gusuve  de  Montebello, 
lUs  du-  maréchai  Lanaes,  voulaient  mettre  leur  courage  au 
service 4es  insurgés,  furent  brutalement  arrêtés  en  chemin, 
et  obligés  de  retoorner  chez  eux.  Celaient  là  des  actes  mani- 
llsies  d'hostilité  qui  avaient  bien  leur  gravité;  et  cependant 
eo  ne  s'en  tint  pas  là.  Mais  laissons  parler  Skrzynecki,  qui> 
dans  uae  lettre  adressée  au  roi  de  Prusse,  révélait  des  viola* 
tions  bien  plus  imfiortantes  du  principe  de  la  neutralité. 

Les  faits  énumérés  dans  cette  lettre.f  urent  portés  à  la  con- 
naissance de  la  diplomatie  européenne,  qui  ue  réclama  pas. 
Ainsi,  ce  principe  de  non*in4ervention  qu'on  trouvail  bon  à 
opposer  aux  Polonais  pour  s'abstenir  de  leur  venir  en  aide, 
ne  les  protégeait  pourtant  pas  contre  les  complices  de  la  Rus* 
sie.  On  s'en  servait  contre  eux  comme  d'une  arme,  et  ils  ne 
pouvajient  s'en  couvrir  comme  d'un  bouclier. 

U  était  évident,  plus  que  jamais,  que  la  Pologne  ne  pouvait 
plus  compter  que  sur  ses  propres  ressources,  sur  ses  propres 
entants,  pour  ue  pas  tomber  dans  Tablme  où  les  uns  la  pous« 
'saient,  tandis  que  les  autres  ne  faisaient  rien  pour  L'empé* 
cher  d'y  tomber.  Ces  ressourceSt  qui  étaient  sous  sa  mam, 
s'offrirent  préciséaasntd'elles^mémes. 

Parlons  d'abord  des  juib.  Nous  avons  dit  qu'ils  formaient 
m  moins  la  dixième  partie  de  la  population  du  pays.  On  sait 
aussi  que  si  la  masse,  imbue  de  préjugés  fanatiques,  se  tenait 
écartée  dea  chrétiens  et  repoussait  le  progrès  des  lumières,  il 


était  parmi  eu»  des  esprits  moins  entêtés,  plus  raisonnables, 
qui  s  étaient  associés  francbemeot  au  m(>«vement  moral  et 

39 


novembre^  les  divers  gouvernements  qui  .•MlAîenl  imdééé 
araieni'recoiHni  It  befbin  rfe  fiBfre-qpdiiliir  €lMe#  p&ait  tes 
§ls  adopiifs  de  laPvrloi^iM.-Oci  M^k  wMgé  1»  Hii|isrViiesdi^ 
po8iii(Hisarbihrbi»es  éi  oppretshtfs  delà  légiitaUoii  rasse  è 
leur  égsrd;  Rmi^  cela  ne  sufBsàitffes  mm,  jnils'Mifleiiiiablss 
et  éelffif es  dimt  nous  venbnsid  fvftvler,  qui  demandèveiil  k 
être  admis  à  la  jetûsetiie»  des  érellS'de  ettefen»  d»  Teiereke 
desquels  on  n'ar  pas  oublié  qif'ils  aifaîent  élé  constemMint 
exclus.  Mois  les*  répugnaÉices  invétérées  éss  chrétiasis  p»!^ 
nais  cenlrO'efea'dhnesiidantB  des  andens  Héi»éM,iite  petml* 
rent  pas  d*ace«eiliir  eeHe  defAMUie»  Odtte*  wnlail  mùmm  pis 
lenriaisser  faire  le  sepviccide  ta  garde  naAioMle»  eieela  pamt 
les  causes  les  pins  fntHesç  po«r  leur  ooeiilnie,  foorz^leisra 
barbes  et  leurs  chevelurBSy  tomiNWiA  ew^eadenattee  son  leora 
épaules,  doal  on  errigeaft  d^eiix  le  seertioe,  el<|iifila  watsieiit 
garder.  H  est  vra»  qiv'â  c6téde  ees  joifs  da»  bemie  Toloalé/il 
yen  avait  d'autres  qui,  persistanfc dans  lesir  iseiemeirtfysléfc- 
imtit{De,  non-seulemenl  ne  réelamaiant  pas  l^exeraiee<  dea 
droits  de  oitofen,  mais  eoodre  refasaient  de  fea(ipltrioa»iaa 
devoirs  att&cnés  à  ce  titre.  Pavmi  œux^,  on  «d  wnnpla 
même  qui  vendirent  leur  dé^uemeot  à  la-Rossia^:  eÉ:qaJi, 
atteints  et  eenvaiocos  d'espionnage,  ftarenl  f^ams  de  «arl. 
Mais  ce  n^était  pas  là  une  raison»  pooifrepooeier  la  Téqlawwitioi» 
légitime  de  ceux  gui  ne  donnaient  aueani  sujet  dè^ptatntei' il 
résulra  de  ee  déni  de  justica  qiie  tous  finirent  par  refuser  éa 
prendrepart  «ut  périls  de  la  Iutta4iatieiiale»  (|ael  iwieaaé^ 
nient  y  avait-il  peurlant  à  aocordcr-  aux  ioifs  leaxIfiaMsaiiâb* 
ques,  avec  les  etiai^es  içitachéed  à  ctadroitSy  et  à  lateer  la  In- 
culte de  profiter  du  droit,  on  aooemplissant  ia»detotar^io«<d# 
relUsiT  le  tout!  Si,  an iieode  céder  aux  étroites  pnévantionè 
de  ropinion  publique^  la  révolution  polonaise  eût  agi  delà 
sorte,  la  portioA  Ignorante  et  bioslile  de  taeaste  bébni6|naf  a»* 
rail  resiée  dans  son  Isolement/  et  la  partie- InlaHigenleral  dé»* 
vouée  eût  npporté  un  mile  eoocxMirs^  Larésolttlkm  qo^dU'arH 
est  d'aotant  f >liis  vegrettable^  qn^os  début  de  i^stffseetion 
plusieurs  juif»^  démentant  noblement  la  préjugé  imleeraal 
sur  le  eat^aelève  général  de  leur  raée,  amiortàreiitda'tMiw^ 
oflhmdeasor  l'autel' de  ta'  màm-patria*  ou  eombattîvenliasiiee 
€0iin«^'ed;m^lei' rangs  dêirarmée.  ,  « 

La  révolution  polonaise  outttm  autres tort4>leif  f^QS  fit^ 
^ueuelui-là^  en  nnson  du  nombre'Utde  t'lmporlanisedai<lMté- 
tof'Sôs;  On  se  ra|»r>elie  ledlseouiv  de  Leluwelsiirla  mimafiitfla 
Iféréditaire,  et  l^inoldeni'quM  sOuleva«>Sur'  la  fiesitto»'SofiFH# 
et  miséi<abte  des^'Olas^es  iriréHéMi«s>  et  -sur  IlilHilâ^Mralr^, 
cesser  cet  abus.  4ja  quecAton^'  n'ayant  pas  élé^fteuMèrement 
présenUe  ce  Jonr-My  ne  ^adi«llMea«ot#  daaolifiiolilVMÉa  latii» 


DS  LA  RÉVfUMWII  POLORAISS.  Vff 

tedMtewniÉt  fW,Miitdt«il0«te»teîr^.nattr#  i'à\^-vfêtm;  elle 
ii^toftt IHK»  tfiiîso»  iiiQλé^ Jui|i^oeUe#rHfidafqiie^on>de'la 
rétonnt^  f«î  li^diwi.ilatt»  fle^rfluMs  tout  l'avenir  4^1^  palrio, 
9a'PÊàÊmàoL.%mBn^i»mif»My%w  deux  clmmbrcs^taugoi^v^r* 

(||^ao4;n<iftUPr6Aion  éphila  im  LUluiaoi^,  en  Yolliynie  et 
4iiÏ5,kf/ai»bm  pD^vinws  Mcorporée»,  plu&ieurfi  nobles»  dans 
k)ièiijL|i'«otpaifief  Iwiieto  «M)MlatfoD  cieg  campugoes ,  «;i^ai<jQt 
»flB6noèà  leiuwip%ysaii0  <|A»w  seraient  libres,  d^rpi^i^,  çl 
kfir  avaîMi  fiiwofe  la  propâélé  d^  ferreaiiiiie  ceu;i^i  culli- 
Tairnl  pMr^twir  pit>|in»  oMipîit.  Mm,  meAhw^^mneutB  les 
paysans  ne  crurent  pas  à  ces  promesses,  etdéciarèrenl,qu'il8 
n^9rtn9mïl^qfÊfmk}\9wtï:$  ie4  un  aiH^iâJLtlcûfopmrs,  lani  que 
la  diète  et  Nmmm^  Me  itmv  m  ganianlicail  paa  i'ex^cuUo^. 
ffest  e^e  ^éfianaa.^iM  filivne^  rHisjicrecVipn  de  (m  iirovinç^ 
BS'iirUjdaiftWfUtiieaflaptèrie^érihlt  la  tpLqpaiH  4«  ce^  «erfs 
araDtfé^BCYéleiircMpéraUoû  «cMve  iufii|ii'a|^ès  la  déoiâii^ 
deki^dièle.  ^  ii       -  r  •  , 

iLa.'ftoeeton  fut dooeporlM aos émsi^ ohambn^s  pokMsai$es, 
otjon  [ieDSQHi|ii'eUaéiaU«i«m.  apposer  «iisaQoUaaiieir  les  gi* 
néroiiQie94léclaraliiMis  de  la  Bobiesae  dsB  aaoieAnes  pioviacefi* 
fiiiC8fienéMi^iOh«Beéoer0yat>lef  «ceAle^lièteiitti  aivaii  procliuna 
hf  mrotuliiHi^  mom  dm  foyaume  dp  BologJie»  ums  4e  ta  l^faogna 
(raoioatea^itB^iiieesftiilââliienDesel  prussieaaes^;  ces  liomtnes 
mivée^isfotnaeans,  «epadiiidot  f|tieiée  la  rosurri^clioii  et 
ae  la  réorganisation  de  leur  anereniie  patrie,  deia  réiittioa  de 
sti(ifmçôiiSi4pa>s>4urétûBdiKAt4ue  Témanciparlion  dos  popu- 
Mk>nsi  hakitakt  ûihdclàda  Siig  et  du  Mtèmou  ne  les  regarda^ 
pas:;  qu'^Ua^n'avaiMl  «Il  maodatm  qualité  |)0«r  porter  la  ré^ 
fonnedaiis<oes<x>siiMSi;'  que  leurs  drotis-étaiveQtieifConsGrJis 
dam  tes  limîie»  du  peffoume.  Un  tei  vate  est  iaexpUcable,  et 
tt^adf|M4pasde:}tt6tHteeiion.04itroque€.'étaîi  ilà  uo  démenti 
Saigmnt  qœ >ia  diète  té  danoait  à  eUe-m^me^ique  pouvaitHslle 
donc  avoir  è  cmiaieeS  Les  naeinbresde  lâchante  des  nonces 
étaietti  tôt»  éUmoftiii^iliest  vrai^  amprovinoesidoiiAiL  ^agit; 
ilati'«¥ai6fit{»as^èdk»8'pa€  pUes».et>iie  les  représentaiendfas 
MgQlemeni  9  mais  est-oe que, dans  les  tempe  deoréafoluiiofi;  Uss 
{MHivûMrs  nés  des 'ii6]rolttlèoés.qlteartDèiiieB  doivent  se  laifiael* 
ai»nâlep  par  ces  fdfts  sonuputes  deilégpliiét  Le^^aoliles  et  ies 
pa^Blriis  >6«omiaî8Baiei]tlq  légitimiiéde  ladiète,«lacaeptaieiit 
dTawaiios  sa  dédeiMi  aframraiae.  £lle  euLdoac  tort  d'arg»*- 
liiMtorde«oiiéocomp^*BmfedL«vrafiul  jce^vûte  négatif  fut 
que  les  paysans,  découragés,  déposèreaileaarmes,^quettoutef( 
ceS'prowiiiees  dodrtècpiitJas^prèiiMèites  ia«a  l\aU>fiaisl'ex«fifipIe 
de  la*eeif«nMeioii'.diaifrnén)0  (aii  d'étaii^oepwdutt  lors>dela 
fé^MlMM  de  Afi9<t4  ;)1égeisne  dos  nobles  avait,  ^ae^e. lois 
toMnMii4MUi|imt)K6ttei^^ 


et  (jjul  Ht  éclater  Btric  uiie  étWence  iMofilMt£(bt94e  ik 
Vais  n>ul(iîT  des  meneurs  dé  n«[SOi¥écffoii^*à'U^eli#TOl4fd89 
dâs^es  opprimées,  ce  fui  le  ?ort  dfe  h^propèfeUtott^^ué  tttilwiy 
;i  celle  époque,  t.clewel,  en  (àv^ur  de  cesMefesmt'i^frittfrd^në 
rélt^ndiie  seulemenldn  LOYai/nrie^éép«rte^olig4<ë9^YiMfm^^ 
CeUe  fois,  tout  prétexte di^parai^^it,  etl^l  diêtél^Mt^MMxplok 
lite  pourdéddcr,  coTiformenretità  tadétliMrdedeLelewtl^ile 
la  corvée  serait  désormais  abolie,  etoôfivéliiè  M  vmû&pBfièi^ 
hielte,  pQUf  procbiner  rr^bolitioii  dil  9éfrVa|pfi;  Le^^'déiM( 
c!]iimbrcâ,  pD^rtant,  rectilèrenivetieote»  cA^^api^dxJteloiigQeii 
et  d'oraj^euses  discussion!^,  rep<]faètoèreol  tflr'MfitattAe;><tei.d!^ 

Pendant  (fuc  ces  faits  se  pd^dafènl,  un  ncHltéM  gënérèl*» 
met  (ait  à  Ti  tèle  des  forces  moëeôViU»:  Ao  vatncpieutidèé  Bol^ 
kims  succédait^  le  24  juin  Jb  vaifH|iieitf  des  Persesyle-^omtè 
PbskféVitsch  d'Érivan.  Nous  avons  va^  pà?  Is  lelUte  préoédMi»* 
ment  citée  die  Skrzy.necki^  i]ue  le  général  riiseé  tvfait  f«çaiiMi 
roi  de  Pnissetles  secours  importants  en  munitions  de  boo^hè 
et  de  guerre.  Dans  sa  marcbe  vers  Thorn^  oùiai'fUMvt'fifHii'- 
nis  ces  approvisionnements,  il  avait  itnprodeminenidontiéQa 
général  polonais  utie  occasion  de  facile  vioMre;  carf^istfciê* 
iritsch  conduisait  son  armée  ptesquesousle  eanoci^enoemi^ 
et  Skr^ynecki  pùnvait  Tatlàquer  en  flaac^'coiiper  les  OMKps 
russes,  et,  ainsi  séparés  les  uns  desantresy  les  éora8et'^*eD 
détail.  Itri'en  Qtrien^  et  laissa  ce  géaéraUraveiMr  «aaa><dis(- 
tacle  toute  cette  partie  de  ta  Pologne.  .     -  n  u 

Passkiéwitsch  avait  renoncé  au  plan  de  «m  prédéeMseww 
4Pi  s'était  approcbé  de  Varsovie  par  tarife  dttMie  db»  la  Vish 
tdle.  De  ce  côté,  il  fallait  d'abord  emperlef  lea  fortifieati#i|$ 


«resqu'împrenables  de  Praga.  Ge  faubourg' conqtiis^'i 
était  facile  de  détraire  le  pont  cm  le  joint  ^à  kl  ^eapi 
Yistule  séparait  encore  Varsovie  de  Partnée  d'invaaicHif  qtt»jile 


^(apilala^4a 


pouvait  la  franchir  que  ëous  le  fen  dé  la  vHlë.  Gonvûncit^des 
difûcultés  d*une  pareille  entreprise,  le  noo^eau  génécaiissime 
résolut  de  passer  la  Vistule  au  nerd-oueal  de  Varsovia^^» 
ayant  atteint  ainsi  la  rive  sur  laqaeHe  ceile capitale  estasse, 
de  Tattaquer  du  c6té  de  rduest,  où  uneH^ière  rapkki^  pii»- 
fonde  n'entraverait  point  ses  prc(}eto.  Il  fit  donc  j^ter;  un  pfiipl 

Srè>'  de  Tborn,  çl  le  19  juillet  il  traversa  la  V«sl«l«fM*le8?ettx 
e  Tarmée  polonaise,  qtii  n'essaya  pas  même  de  Iqi  dlspuler 
'  le  pa$sage;  Pâskiéwitscn  occupa  trafiqciiMeoièffl'le'pQlBieBird 
:£4ii<z  etSoçbazew,  eis'àvançaè  qiièlquee^tieileade'M^araoaH; 
ponrTassiéçer  et  la  cterner.  ^  <    t.   .>  -vi 

.    QuefaSsait  Skrzyaecki  pendant  ce  témp6lL#g(«verMPMo^ 
étotiné  de  son  incroyable  inatSfion^  le  ptesmîttde^iefttrflr  en 
^mpagne  èide  nmrcber«€Mttt  lèsRùsaeiuik^Milc^iS^q^ 
répondait  qu^il  fellail  éviter  les  cbahcetf  d^iifie  telniU^^obs 


DE  LA  n\Of4^7aoM  polonaisb.  %99 

cûfnj^km  toujours  8«r*vp  s^c^urs  d^  Piiris  et  de  Xoodres^  H 
4Î8aH  qu'iLTatlAlt  gêf^n^t  du  temps,  U  9'aoiu$ait,  à  faire  Faire 
la.  petite.  gu^v^4aB9  Ja  g^^^I^*^  laî^it  l'enncjirij  8'çm|»a- 
rer  teui  tea  joQra  de  re^ources  oçuvelte^qui  de^yaieot  assurer 
unq  défaite.  Cepen^afi^  le  i>eople  4^  Varsovie  tra^vaillait  jour 
etifiuil  à  éksf er  des  tortificHtioDs  du  côle  w  ta  TUIe  ét^it  maÎQ-r 
ienaiU  en  péril.  UaU  le  courags  et,  la  conOaniçe;»  s'ils  n'étaient 
poa en tiijremeol éteints,  étaient  bien  j-efroidis^La  pressentes 
sooi^  patriptiques  discutaif^ut  bnutement  .Içf  affoirei  et 
dénonçarieot  les  fautes  du  géneri|l  ei^  cM*  ^abandon  du  Day$ 
par  tous  les  gouTemements  de  TEurope,  les  défaites  en  Volhy* 
nie  et  en  LîtbunnîejiQÙ  Ijs  gênéiau^  Mlonais  avaienat  été  battus 
pjur.lee- Russes» la  conduite  dé  ia  Prusse»  tant  déboutes 
iiTf ées,  de  vietpires  obtenues,  aîii  I)out  desquelles  on  se  trou- 
▼ait  cerné  sans  éwoir  de  secours^dans  Veoceinle  de  Varsovie, 
Um  ces  motifs  de  découragement  exaspérèrent  1^  esçrits. 
O^à^.ai^s  la.bataiUe  d'Ostroleoka,  les  généraux  Krujtowièchi 
etPfoiÂdUinski  avaient  rédigé  dea  ^làmoires  contre  le  géuéral 
en  chef»,  et  demandé  que  le  commandement  lui  (ùjLqté.  Ces 
mémoires.,  communiqués  à  la  diète  el  au  gouvernement, 
avaient  été  dérobés  à  la  connaissance  ^u  puolic  pour  ne  pas 
eomprometl^e  Sl^rsynecki*  Maïs  une  clameur  lii^anlme  s'êle* 
viaint  euRn  contre  lui,  le  gouivernemeni,  qui  Tavait  jusque-là 
ménagé»  &*éfma.  de  rémotibn  4e  tous,,  et  den^nda  que  les 
plans  de  campagne  du  général,  l^ui  fussent  immédiatement 
.soumis.  Skraynecki  refusai  impérieusement  cette  conimunica- 
•tiôn^^prétenduitt  qu'il  ne  devait  compte  à  personne  de  ses  pro* 
jets*  Alors»  «ur^  proposition  4^  Bonaventure  Niemozdwski, 
membre  dejaebufttbi^e  4eaiv)nces,  là  diète  déci4a,qu*un  con- 
seil de  guerre,  lui  eerait  imposé.  Qe  conseil,  nommé  par  le 
gouvernement,  s'a^^émbla,  délibéra  sur  les  affairés  miliiaires, 
et  déclara  que  Varsovie  u^était  pas  en  état  de  résister  plus  de 
huit  jours  a  un  assaut  en  règle  ^  qu^ll  était  donc  urgent  de 
«'opiioser  au  siégej  de  prendre  roITençive  eC  de  livrer  bataille. 
Skrzynecki: refusa  encore  d'obéir.  Le  cri  universel,  Tardeur 
des  troupes  qui  ne  denmndaient  qu*àse  battre^  la  décision  im* 
•pérative  du.  CQnseil,  rienneputrarracb^r  à  sou  apatiiie.  U 
4*oçcupaît  en  ce  moment  d  entamer  de  son  côté  des  négocia-» 
Uooa iiiploinatiques  avec.  l'Autriche»  disant  qu^i), réussirait 
ikiiamp  que  Caartor^fski.  Là  diète  se  idécid^v alors  ^  envoyer  une 
ODaffioission .  à .  Bolin)QWj  o^  était'  le  quartier  général.  Quand 
les  commissaires  arrivèrent/Skrzyhepki.  tenait  de  recevoir 
oaeMtre  de  Mtilernicb»  qui  rengagéaitjà  se  rendre  à  dlscré* 
tioD^.ll  doana  4e.  lui-q^éine  ^a  4f  iuissiûa.£n  ce.tçoment,  ^e 
3  a9ât«^  Jç^Lgéo^rat  .J)An)binsk^ .pirécédêini^ni  envoyé  en 
litbuiUiie^tet^tUîj.au  izeu  ^  fèréfogiér^48n  Prusse^ comme 


DiretftHftf.eV^sMtrâs  ^néîraDt  pokmafs,  ré&ft  tftat^ifftèfit 
dufèrt  «rn  chfertW  è  li^vet-s  l'armée  ehiiëmk,  Vérthii  de  f  ën- 
tii(^r  cbiild  1&  eapil^le  et  d'y  mtnenèf  ses  trofs  mille  botiihit^s  et 
dcB  tbntri»,  aux  acclamtitiôhs  de  l^ns  les hn^ïlanls.  L^'^(Aivel'* 
MrnenVeDf  Vétlii  d'un  ïirrtjfé  qtriraulèrttallà  ntottinicf  lea 
g^fiË^ëuk  en  'éhfef, nomma  DfeniWnsli  tH)ur  trofsjotitt  setffc- 
iMttt,  penâatttIeM|Mls  tlnenutre  nominaiiOQdevaH  être  tâftè, 
Miïlfcf*>e»len  VtfStt  ^uVih  fll  offrir  aux  aulrts  pénëraux  :  htxtan 
nëywAiA  abéepter  le  pesant  bérilage  èe  Skr2îdeckl  ;  aiicttu 
lie  ife  tetttitlâ'fdf-^  de  "tirer  iôo  pays  de  l'impasse  filiale  i)û 
Kâ^ieAl  àêtTQlé  tâiltdéfotrteë  amoDceiée^. 

AtoàrèhiéM  Sktîâ^eti  élail  ûd  fort  mauvtifg  gM'^1  )  xt\n%  ' 
pofar^Eiie  Htt^^prit.iéhë Wi6*ères  et  on  cartfcjtëre  sans  resblti- 
tfcttStfeb'^aU  pastiti  tràîlJre.Oti  Taccusa  pourtant  xle  tV-ahl-  . 
sé¥i;fetîem*Éibttîlentehrent  général,  ne  se  trouvant  satîsffilt 
qtr'è'dttniiife  sa  dé^iîsstoti  forcée,  réclama  dVnfc  voîxîm^Ç- 
lièuse  Sa  mise  en  jngemenl. 

A  tes  lii)a«ifesla¥rons tnenaçantes  s'en  joignaient  toos.li^s 
jerîkrsde  noutfielles,  qui  n'ëtaienl  pas  moins  significatHeà.  Dn 
tlé  toHailde  ri^n  mbins-qtie  *è  renouveler  le  gouverrrèmenl^ 
dtelatreun'Cbiipd'Etsit,  et  d'ùffranchir  les  paysan^.  Mars,  mal- 
betti^èusement^toriles  Ces  mesures  aurafîent  été  en  ce  moment 
un  peu  l2rrdives',  Lelewëi,  qui  présidait  nne  de  ces  sociétés» 
ayant  pris  la  paiî)Ie  poar  juslîfier  les  intentions  du  prince  Czat- 
tbryskiv  tMft  en  Wamairt  sa  conduite,  peu  s'en  ftillul  qull  ne 
NA  enveloppe  à  son  tour  dans  Pâccusation  redoutable  quTi 
TtmWt  tepoûsser  pour  lé  compte  d*un  ^ulre.  Il  y  eut  utr^ 
vohc  qui  s'écrfa  î  ^  Liés  avocats  clés  traître*  soiitdés  traîtres  !  h 

lie  çouvemetitent  était  au  courant  de  ce  qtii  ^e  passait^  et 
cèpetwwttl  il  nt  prenait  pas  de  rm^sures.  Ecrasé  sous  le  sen- 
frment  de  sen^  fentes,  îl  n'osait  pïis  déployer  dlnutrles 
rif^ueurs  contre  tous  ceux  qui  les  lof  reprochaient.  Composé 
d'éléments  îiétérojfènes  du  parti  tl^artoryski,'  d'une  pari,  et 
de  l'autre  du  parti  démocratique  représenté  uniquement  par 
Lelewel,  il  VéWit  d*dineurS  pas  û'accord  avec  lui-mértli0.^ 
Pour  apaiser  îes'mfecontenls,  H  se  l)oma  à  leur  prortieltre  la 
n^ise  eti  jugement  de $krzynëclci. 

Mais  céRe. satisfaction  était  insufOsantè  dans téteft  d'exaspé- 
ration où  'étàïl  arrivée  Varsovie.  Un  orage  s'annonçait  J'tTiOr 
rrtonpAf  d^s  ferigiftes  sï  maniTestes,  que  le  ôonseil  muHictndJ 
luMn'eme  détbra  au  gourememerft'qifîl  ne  rénondall'jiiuS 
delà  kanquîllîté'dj  la  capitale.  One  seule  victoire  aura»suTff 
ptotofr  eanjfirencet  orage,  mais  lé  temps  (|es  vicloiriçSelatt 
passé.  VoicVàtiuelle  occasfon  cdalalatempgle.  '  ,. , 

Kki  avait  «oup{^né  de  tralrisop(),t!téû^rite  comme  jcpUT 
d'inteUigèhte^^it^c  le^  ^ùfsse»,  trois  ^jgiébérUux-.JIuttir 
toirski  et  BukowskI.  lËb  dernier»  notammetW,  tii^ 


DB  LA  BÉ^ÇTIQ]}  POLONAIS!.  -        |U 

Irçîà  prévenus,,  arrêtés  depuis  quelcjutja  mop^.  aèvaienfélrÀ 
Wvréç  à  on  con^l  de  guerre.  Jais»  rtajgté'la  cTtamenr'pq^ 

§[îque^te  çoo&^il  ne  s'assemblaU  pa$>  etTanuir?  ^Qp.rolonj^eatt 
^  çcui  que  lé  gouvernement  VQulail  ça^ver  les^  accusé^,  piè 
\  les  (erriblç^  évcnenFienls  des  15  Ql  t6  août. 
,  \^  }5aoûl  ausûLr^Jeau  Cztnsku  se  rendit  aupr^^  dv  ^où- 
ireru.ement  pour  Vm^truire  deTexplosion  qui  allait  avoir  Ueu. 
n  porta  |a  parole  au  nom  du  peuple,  et  demanda  que  le  procès 
des  troi^  généraux  commençât,  ta  joule  qui  Tavait  auWl  dans 
Ja  cour  du  paiaiadugouvernementi  s'écoula  ^n  peu  satisfaite; 
mais  Tavertissement  donné  par  les  sociétés  venait  trop  tar4» 
Le  même  soir,  upe  foule  irrilée,  paf  mi  laquelle  se  trouvaient 
l)eaucoup.'  de  bourgeois  honorables  et  (luelquçs'  étranger^, 
courut  tumultueusement  au  château^  où  la  diète  tenait  ^s 
séances,  et  oy  élaient^nfermés  Jankowskî,  Bukowskl  et  Hur- 
tig.  Dans  le  paroxysme  de  la  colère,  on  enfooça  les  porle^^ji  on 
i^it  sortir  df  Uur^  cellules  les  prisonniers  d'Etat,  on  ie$  mas- 
isacra  dans  )a  cour>  et  çn  pendit  leurs  corps  aux  réverbères. 
Puisia  fureur  populaire  s'exallantdeplusen  plus^'on  se  porta 
dans  la  prison  où  étaient  détenus  les  anciens  espions  çtageats 
de  Constantin,  et  le  peuple  immola  ces  nouvelles  victimes. 
Des  innocents»  il  est  vrai,  lurent  confo|idus  avec  les  coupable^  ; 
et  d'ailleurs  tes  mallreurs  du  pays,  la  crise  oiX  était  la  Pologne^ 
ne  aauriûent  fixcuser  les  emportements  de  ce  jour,  ^a^  si  t^ 
gOMYornemenl  eût  rempli  9on  devoir,  s'il  eût  fait  ju^éirles 
trois  généra^,,  il  aurait  épargné  ce  sanglant  épisode  a  celte 
b^lU  et  noble  révolution  de  1 831 . 

LaJMstice  soncin^alre  du  peuple  ne  s'arrêta  que  le  surleii- 
demain.  £n  oq  moment^  les  troupes  régulières  élaicnt  toutes 
sortief  de  yarsovie^etsuilionnaientauxenvironsj  V  ^7  seu- 
lement^ le  gouveriieur  4^  \\  v|li^^  ^rukowiecKi,  qui  s'élaUt 
tenu  à  réoart  p^pdant  j^a  prenpiie:rçs  scènes  de  ce  drame^ 
«parut  enfin,  et  arrêta,  le  qoprs  de  ç^s  vengeances  popul^ires^ 
Quant  au  gouvernement,  il  n'osa  pas  intervenir,  craignait 
pfUlrAtroqiiela  colère  publifiue  ne  rerpontâj.  lusau'à  \\\y 
nt^Qa9,?t  }e  prÂn^  CiarlQryski,  épouvante,  s'eniuu  à  Itolimow 
au  quartier  gênerai-  Il  faU^t  tir^r  clie^rarméo,  au).  nVai^ms 
«and  doute  trop  de  toM^s  ^e&foross  contre,  les  Ru^se^i  cinq  à 
six  mille  hommes  pour  rétablir  rornré  daps  Varspvic. 
„.|-^t?aPAt,dai^  ta^çoiréfirle  générât  en  çhçf  lulérîmairé, 


inski,  occupa  ^ilitavrepv^qt  la  capitale^,  et  m  af0ç|^(f|r 
une|)r9(;laipation  pu  |1  di^n  qiteb^s  ^ahuants  avqienfafsas^tné 
,4w  iiinoceiïla,.  égprgfi  dus  enfan^^  rt  des..fpmmes.  et 
aw<jnçaU  Je  proct^ip.  clwUip^ot  tf»  c^p^hles,  Ce  n'è^|t 
pa#  wm  bm  qqe^ftçpbiflisk^qsî^ïaiW^  gf W^  M  W9hM«.  S* 


312  HISTOIRK 

léstortodesauteurâ  dé  rémeutë.  Voyant  aue  tous  las  généraux 
refusaient  l6  commarNfern'ent  de  ramieé/et  se  croyàrtfdès 
lors  indispensable^  il  commençait  à  dire  qu'il  acceplei^ait  tô- 
lorttfers^  pour  son  compte,  ces  fonctions  suprémcfs  d'une 
manière  défliiitivey  mais  à  une  condition  qu'on  7  joindrait  la 
dictature.  Or»  le  tableau  sombre  etexagéré  quHf  traçait  de  l'état 
de  la  ville  avait  |)0ur  but  d'effrayer  la  diète  et  les  gens^môdé* 
rés,  et  de  les  décider  à  Tinrestir  du  souverain  pouvoir,  que  la 
démission  du  gouvernement  pentarchique  avait  rendu  vacant. 

Mais  la  sagesse  de  la  diète  trompa  régoisle  calcul  de  Dem- 
binski  ;  reconnaissant  la  nécessité  d'un  pouvoir  unilaire,'  elle 
concentra  Tautorité  dans  les  mains  d'un  seul  homme»  appelé 
président  du  pouvoir  exécutif;  mais  elle  décida  que  cette  au* 
torité  serait  soumise  à  Tobservation  des  formes  régulières 
et  légales,  et  en  confia  l'exercice  au  gouverneur  Kruko- 
viecki.  Elle  eût  pu  taire  un  meilleur  choix.  En  môme  temps, 
elle  api>ela  au  commandement  de  l'armée  le  vieux  général 
Casimir  Malachowski. 

Le  nouveau  -président  do  pouvoir  exécutif  était  un  espri 
remuant,  ambitieux,  un  caractère  tracassier,  impérieux  el 
violent.  Dès  le  commencement  d6  l'insurrection,  il  avait 
ouvertement  aspiré  au  généralat  en  chef»  et  les  défauts  que 
nous  venons  de  signaler  avaient  fait  éctiouer  ses  prétentions. 
Nommé  cependant  gouvernetir  de  la  capitale^  il  avait  rappelé, 
presque  par  ses  emportements  et  ses  procèdes  arbitraires,  le 
despotisme  proconsulatre  de  Constantin.  Après  la  bataille 
d'Osti^lenka,  Ktukpviriecki  s'élant  promis  d^oflKeqser  Skrzy«> 
necki,  dont  it  était  jaloux^il  s'était  vo  dépouiller  dé  sèj  fonc- 
tions de  gouverneur.  Quand  Skrzynecki  eut  perdu  Uyài^tèàxt, 
cette  circonstance  ramena  tërs  Kruko^ecki  ropiiioA^puMi* 
que  ;  ce  aiil  fut  cause  t|^é  le  ^uveloiement,  Oubliant  ses  Mrfé- 
cédents^  lui  rendft  le  titre  de  gouverneur  après  la  déitiisisioii 
de  Tancien  général  en  chef.  Krukowiecki  fut  accusé'  de  de  pas 
être  tout-à  tait  étranger  atit  journées  des  15  et  16  août^  et  de 
s'être  ihénagé  lé  facile  avantage  de  vaincre  um  l^llion 
provoquée  par  Ini-itiéme.  Ce  qu*il  y  a  ée  eûr^  c'est  que  les 
membres  d4$  la  chambré  des  nonces  et  du 'Sénal^é|MQfvahfés 
des  scènes  auxquelles  ils  vèiiiri^nt  .d^assistèry  ne  odlÉlflè^ 
rent  Krukoiriecki  que  Éicms  dés  triYpreéSioiis,  «t  parce ''qii% 
cruretit  que  hii  seul,,  au  miKeu  des  itouvelles  circonstanttes, 
pouvait  sadter'le  pa^s. 

Au  lieu  de  s'occuper  dii  mal  véritable;  è'est^^-dii^  des 
Russes^  Krukowiettif  ne  ^occopa,  à  son  début,  que  dé  ftpi^^ 
sionsintérieuttfs.et  ll'fll  fnstUér  léd  nMèOntents  de'f^^ët 
16  août.  Puik  il  «teba  de  ffe  rendre  populaire,  tfenUnsfrk 
d'hommes  de  tMitfe^  les  cduléurs/arislocralés,  démocrates, 
membres  d«Éi  clubs  et  RtlssèoPolonais,  (\^il  essaya  de  récon- 


DE  LA  RÉVOLl  TION  POtOKAISE.       »  313 

crlier  lei  uns  aiec  lés«utres«  îfaM  \om  se  déflaieDi  <ie  lui  ; 
d'ailipurs,  de  si  brâl^ntiîs  circonstiinea^  ne  pemiett^n^  pav 
*rc5pérer.i^  ra^içirocberaeat  etdrp  dee  partis  k\  divers. 
gnl^Q, Knikcvwieckf  ayant  nommé  gbuvçrnelirdeVarsoitte,* 
^  piace,  le  général  Cnrzanowsku  lef^uel  était  aussi  soupçomiét 
^e  connîverice  avec  les  Russes^  laf  confiance  ne^larda^  paaà 
^^pbignerde  lui.  .       ^ 

^  JPendqntqu^Tarssoyie  i^eiHiait  ainsi  le  t^emps  à  punir  des 
ioidîTidiji^/^  4^Iac<^r  ^<(Qs  ^esse  Ta^itorifé,  le  comte  ny9i|jé- 
leiitscti  se' réjouissait  de  ces  troubles  sr  déplprablet^  4tti»'#0 
affaibjissant  le»  Polenaîs;  préparaient  aoti  tri<»îiipbe.  9wtwk* 
yw\\9a,  marche  sor  |«  capitale,  le  JI8^  aoât  il  établissaitaou 
Quartier  général  à  une  deeotrlieue  de  VarsoYîe,  les  l^eioiiaia 
s^étant  retirés  d(ins  leurs  retranchements,  en  avant  de  la 
ville^  qui  se  trouva  dès  lors  armée  âe*too8>c6lé^  Là^^Paskîè^ 
^ilscb:,pa9sa  <(iielque  temps  SEinsagfri  atlemfànt  des  reoidrte^ 
peut-être  aussi  pensant  que  la  famine,  résultant  de  larru^tupo 
tle  toute  communicaiion  extérieure^  foreerait  renuemi  a  oa* 
]ûti!^ler.  Enfin,  le  25  août,  voyant  que  cekii^  ne  bougeait 
pas. et  attendait  Tassant,  il  le  ftt  somo^r  de  se  rendre.        .  . 

Eh.ce  mcHtient^  les  force»  réunies  autour  de  Varsovieue 
s'élevaient  pas  au-delà  de  96,ùùù  bénîmes.  La  ville  assi^ép 
eq  comptait  pins  de  €0,000. dans  ses  mursy  plus  une  vingtaiM 
de'  mille  enviro»  dispersés  dans  les^  alentours»  à  l|odtio^.'à 
Zfimosc,  à  Praga.  LV^ntage  numérique,  du  côté  des*  ass^ftik 
biats,  était  donc  dei^eu  d'importance^  Il  est  vrai  «que  Jes 
troupes  poltMiaises avaiefit  {terdu^cetèntfaeusiasmej mita  foi 
2^t  puissante  qui  fait^  que  .rien  n'est  impossible  àoeukiqiii.bi 
possèdent,  jpar  cela  seul  qullscroient  quo  toui  leur^^eslpua^ 
sible.  Mais  a  cet  enlbousiasme  oui  donne  presque  toujours  ja 
viclQir/3,  .avait  du  moins  succédé  ce  dévcRiemf^nt  à  la  pairie, 
ci  courage  résigné  à  |a  mort  plutôt  qu'à  la  défaileji  <iui.  quel- 
quefois aussi  eofapteut  des  miracles  et  des  succès  iuespërés^ 

Krukowiecki,  sane  oser  conseiller  ouvertement  à  la  diète 
de  se  .soumettra  à  la  sommation  de  Paskiévrilscb^  commeuifa 
ù^ouhoins  à  foire  enteindtfe  que  la  posilion  éiail  difttcito^ 
presqu^mpossible  à  défendre;-  puis  il  se  contenta  d'ioskiiiér 
qîr'il  ferait  plus  prudent^  peutTé^e«  de  tacfaec  d'ablwîr  quelr 

Jues  avantages  au  général  rusée  en  traitaAtttvec  lui,  qua.ée 
opiniâlrer  à  une  lutte  où  les  Polonais  n'avaient  guèF^que  le 
l&aiiacd  pouFeux,et  qui>  si  cette  triste  at  auprèiae  is^ssouroé 
venait  a  leur  manquer, n'aboutirait  qu'à  uiie«api|ulaAiQii  aaoa 
réserve,  et  sac^  çonuition.-  La  diètft  pat  juger»,  ea  jouf*là» 
Pbomiue  auquel,  elle- avait,,  daneiui'  lUonMmÇ  d'eSroi>  coa^é 
ta  pouyoui .  Par  le  lotàt  de  l'effectif  des.  dett]»^mé^»4|iie  mms 
avôîis  donné  plu»  haut,  te  lecteur  peut.^appréoiei^iiuflai -ceAle 
prétendue  impossibilité  de  résistance;  et  par  tout  ce  qu'on 

40 


saUdJfà'des  dUposiUûns  de  Nicolas  contre  les  insur^jon 
Toil  ce  cju'il  étoii  permU  d'e^fiérer  deooq4iliPps  avantageuses 
de  la  paît  de  son  lieulenont.  Aussi^  d^d?  J^s  (^ox  cbarfi- 
breSv  pas  Une  voix  ne  s'éleva  pour  appuya^  les  tili^des  in^f* 
Anulions  du  généra)  Rrukowiecki,  qui  ^pendant  éntreteam 
journeUeinent  des  coiiitnuoications  avec  le  comm^a^ajoi j|e 
Tarmée  russe.  . ,     i     / 

Le  &  septembre,^ n^ayant  reçu  aucune  réponse  oHIcielTe  à  sa 
8OiïmiAtio0|  Paskiéveitseh  commeUça  Tassaut,  é|i  dirigeant 
toutes  ses  forces  conlre  la  redoute  de  Vola.  C^(aiT,  le^  point 
k  mieiiK  foriiiià  parmi  les  ouvrages  j^^térieàrs  qui  cbà- 
vraient  Varsovie  ;  mais  en  avait  eu  llmprûdepce  de  ne  pas 
le  garnir  do  troupes  suffisaales.  U  étail  (fefepdq  p^r  le  brave 
Plerte  Vysockii  dont  nous  avons  déjà  parlée  l'un  des  cbéfs 
de  l'insurreclioi^  de  novembre,  devepu  colonel  depuis*  lors. 
La  redoute  fut  disputée  avec  un  acharnemjqnl  àdmiHblé  d)i 
côté  deises  défenseurs  on  se  battit  jusqu'au  sôjr  pour  défsi;ndre 


redoiii&i  du  n^setlfe  des  araies.dans  le^  mains  des  masses,  soît 

mei 

lé  c^éral  Clirs^pf^wà^i menaça  m^.me  de  faire  (iisiiler  Mui 
qdi  oserlui  conduire  îë  peuple  sdr.le  cha,mp  .d^  )!^(^l^\AtlP 
gduvsrneuff  de  Varspvie  et  lé  président  du  pouvoir  e^èfjiior 
"tiévpuiusent  associer  aux  {iérils  d^  iarmée  qi^^  là  ga/de^nji- 
tionale.de  (14  capttalei  c*est-à-dire  la  Hclié  'boirirjg;éoi^î^p  .wiçie 
db  Iv^OO  bommes  seulen^ea^  et  qui^  par  cog%Bquent»jaé  p>Q^- 
vait.ètre  d!un  grand  secours*  ,/    ^  \^ 

Lp  lendemain  7^  Krnckqrwiecki  ^  ceqdit^  au  poinV  4|î  ÎÇUt» 
auiirèsde  Pa^kiéwiiscb^  et  il  eut  avec  lui  une  langue  çôolSr 
i«nDe>  doitliles  laits  ullérieurs.nous  apprendroni  l'objet  C^tle 
domanehe^  lAitesansavopr  mémo  consulté  les^eux  cpajripre^, 
souleva  oontre  lui  les  ministres  qu'il  s'était  iui-aièn)e  ^nnis 
eo  ^enSint  le  pouvoir,  .et  Qui  se  démirent  inmiédiaM'niBnt  de 
leur  autorité.  A  son  retour  du  oamp  russe>  KrukoWi^cki  alU 


ebeoré  le  feu  de  la  jeunesse»  lui  répondit  avec  iâdlg^atMONU 
^itfél  aimail' mieux,  se  défendre  de  rue  en  r.ue\;de  n|94$ôii 
M  maison^  tk  s'ensevêHr  lui  et  S04  iyruté§  soM$Jes4k^ 
teea tell cafilale.  Krukowiecki,  pressentant; que.la  die(eiui 
ferai!  la  mdniA  réponseï  aVm  S7  prése^ier  toUménre»  et 


DE  LA  BÉT^feUnÇII'  POLOR AISB.  3iS 

clMtoi  PffwâiiTBlkîéif  fi0rlu«/d#  «iiptrt,  Mi  tooin»  itm 

lC)éWiJlftCh«  ;  '     i:  .  .    i 

Os  nropcaitiont  éfaîciii  ka  ii|j&lnfis  qup  telles  «fi^oii  éoa^ 
n«tl  déjà.  Pofkiéiiirilieb  fnmneltâilovbli'  ciomoJBkki^'  mu» 
riftQ  dé.  plu9«  Pas  la  imMiidre  oonctMtonv  pat  l'ombpo  ft^an 
enintgamenl^  ni  sur  les  anbtciuias  poovtiioeB  fevendiqiiéea 
jmr  la  Psdoffne,  ni  rar  toip  ka  aalrea  griaft  dea  insurgea, 
a  $tdttiiaa<{iiaaià6qt*  cea  cmuUUoMr  il  tait  fiovrliat  iaaao 
%  cairiar^  <kl  Proiiéijnalti.  Le  tampa  prasaa}  à  ufie  hadraf 
<i  apitèa  aaiét  l'dttatfue  ^a  recrafiroenoar  ai  voua  nr'aroeiftlaJ 
^  auMe^ckuintî))  et  Yarsone  aéra  livrta  ce  sair  à  kmtatafu'' 
a;  reur.^u  iiikiui|ueur,  à  foafeea  les  liorrews  dHm.pilkga  et 
«  d'uo.maMoere.  »  Walgnà  oaa  terriblea^  prédldiafis,  les 
danta  cbailibvas  décidàniDt  qui'eUes  rafttaaiaBido  traitea  avad 
la  gAuérid  éa  eaar;  el  se  préparant  à  subir^  a'ii  la  fallait^ 
h)utf a  lea  eaoïéipteiieaa  àm  lear  dAcisîoo ,  ellea  se  éMarèh 
rant  an  parmaneuloey  comme  ots  sénateurs  romaûia  qai^ 
loi>  da  la  premièim  invasion  das'Canloia,  rafaaèrcnt  auaii 
da  60  sornnaUré  à  la  loi  de  Brennus.  et  dAclarèrenl  «in'ila 
QMMirraiani  tous,  8*il  la  faUaîly  bmf  lebis  dMrises  çurnlae. 

Infonné  de  cette  déciaicm,  Paskiéwttscb  ftt^  à  l'twarè 
fixée^  aUa^oer  la  seconde  ligne  de  forliâcntiaas.  La  bataille 
fut  encore  plna  sanglante  c^na  celle  de  ki  veille.  Sana cessé 
dat  nouveaux  corpa  polonais i  prenaient  la  place  de  ceux 
qu'écrasait  la  milraiUe;  et  disputaient  vigourenseinmlleleiv 
raln  à  rennemi.  Un  instant  même  ils  furent  sur  le  point  de 
prendre  tout-ft-fail  l'aivàutage,  et  mirent  presnue  les  Russes  en 
déroula.  Jlais  lies  fu^rardsy  prnm4>lemaoi  ralliés  pas'Pa^kié^ 
vrilsch^  re^iinrent  auaailM  i  la  cbarge  avec  une  trrésistiUe 
foru)»  d  ajanà  emporté  tdnslea  relrancbeinentai  la  boîeo-» 
i)6tle,  les  uns  api'èa  tes  autres,  ils  se  trooTèf ent  le  soir  airivéa 
aux.  tecrièma  de  Yaraovie.  Pendant  cea  deux  Joirmées»  Ida  I^a^ 
lc#ais  perdirent  ploade5,€0abommea;  mai»2MM  Rassea 
tués  ou  gf  ièvemeiiihieaséa,  témoignël^nty  sur  le  cbamp  de 
bataille  5  4«  prix  élevé  auquel  le  vainqueur  aotietait  ans 
triomphe.  .  . 

,  laodte  ade  le  combpt  iurait  encoroy  Proudipiski  a'étail 
présenté  de  nouveau. aux  deux  4:hambré9  assembléas^  non 
oueilks  deequellea  retosvlistaientîncessavnmentlcisbivilsd^ 
la.caoodiiadlîi  II  dit  anitf  députés  et  au  aénat  <f  u'il  venait  de 
p,arcQ9ickrf  à  titre  de  parlemmtxira,  léa  rangs  ennemis;  moM 
r,  ataii,  outre  ias  Sf^OM  bommea  rangés  en  ligne  de:  bataille; 
.  lâie  artillerie  trois  fois  pins  nombci^use  que  celle  des  Polonais^ 
likoujiira  dc^oéotaan  tadiètii  de  a» bas  apaetaa  snr  in  capti 
taln^.par  nsiaBésiaiaaoB  nutf  ta,  fa  Mracilé  de  la  .soUalasque 
ES3aa^et:^éstalotfcquli-diMn8e  taisaaarfaaiidrvn  orrdM 


316  irmoiiK 

^fir  lequel  elle  dédtr^it^  qa'aui  termes  delà  coBsUtalion, 
rinitieUTe  des  traités  n'appartenait  <iu'aa  pootnir  exéenUr^  et 
leur  ratification  à  la  diète;  que,  dès  lors,  c'était  le  général 
Krokowiecki  seal  qui  avait  qualité  pour  traiter  avec  Pa^kié- 
witschy  si  les  circonstances  lui  paraissaient  telles,  qu'il  ne  pût 
échapper  à  cette  extrémité;  comme  aussi  la  diète,  égaleriYent 
juge  de  ces  circonstances,  userait  à  son  tour  de  son  droit  d*ac- 
corder  ou  de  refuser  sa  sanctioD,  selon  qu'elle  croirait  devoir 
^~  le  faire.  Ce  vote  des  deux  chambres  fut  pe«l-être  un  acte  de 
faiblesse  et  d'imprudence.  Aus&iiôt  qu'il  en  eàtconuaissanoe, 
Krukowieckî,  qui  n'osait  agir  seul,  s^sn  prévalut  comme  d'une 
autorisalioû  pour  signer  le  soir  même,  au'nom  de  la  Pologne, 
*l'acte  aux  termes  duquel  il  se  soumit  sans  condition  à  Nicolas. 
Du  reste*  au. point  où  eil  étaient  les  choses,  il  fallait,  tôt  ou 
tard,  finir  par  se  soumettre.  Le  lendemain,  8  septembre,  après 

Jue  la  caucanadè  eut  cessé,,  le  faubourg  de  Câsté,  touten 
ammes,  éclalMt.  bien  encore  des  combats  partiels,  et  on 
continuait  à  tirailler;  mais.it  aurait  fallu  des  troupes  fraîches 
pour  re|)ousser  victorieusement  les  assaillants.  Peut-être  le 
résoiiU  n'aurait  il ,  pas  été  ce  qu'il  flit,  si  le  général  Nala- 
cbowski  nleài  pas  eu  Timprudeoée,  à  la  fin  du  mois  d^aout, 
d'envoyer  Kàmorino,.avec2S,U(K)  hommes,  vers  Kogoznika, 
'  •  où  ce  général  remporta,  le  29  de.  ce  mois,  sur  Geismar,  une 
belle  mais:  inutile  victoire.  Paskiéwttsdi  consentit  à  retarder 
son  entiise  dans  la  ville  jusqu'au  9,  et  l'armée  polonaise,  dont 
il  craignait  le  désespoir,  obtint  de  lui  de  se  retirer  avec  lu-mes 
et  bagages  sur  Plock.  : 

Pendant  que  Krukowiecki,  interprétant  à  sa  façon  la  déci- 
sion de  la  diète,  se  soumettait  à  PasKiéwitsch  et  lui  ouvrait  les 
portes  de  Varsovie,  les  deux  chambres  prouvaient^  par  une 
résolution  ^nouvelle,  que  le  chef  «du  gouvernement  les  avait 
mal  comprises,  ou  <|ue,  si  elles  avaient  faibli,  leur  faiblesse, 
du  moins,  n'avait  été  que  passdgère.  Elles  refusaient  sotenàel- 
lement  de  ratiHei*  Tacle  signé  par  Krukowiecki,  le  déclaraient 
indigne  du  pouvoir,  et  nommaient  président  du  gouverne- 
ment, à  sa  place,  Bonavenlure  Niémoiowski.  Puis  elles  se 
rendaient  au  milieu  des  rangs  de  l'armée,  et  tous,  nonces, 
soldats  et  sénateurs,  se  retiraient  à  Praga,  -puis  de  là  à  Hodlin^ 
sans  âtre  poursuivis  dans  leur  marché.  C'était  un  imposant 
specL'icle  que  ces  30,000  soldats  trsAnant  derrière  eux  90  ca- 
nons, ces  SO  à  100  membres  du  sénat  ou  de  la  chambre  des 
nonces,  qui  s'en  allaient  encore,  fermes  et  résolus,  chercher, 

Kur  reposer  leur  télé,  un  abri  où  n'eût  pas  encore  pénétré 
nnemi.  Gomme  Sertorius,  qui,  à  l'époque  où  la  république 
romaine  gémissait  sous  le  joug  du  dictateur  Sytia,  ayant  offert 
son  armée  pour  asile  aux  sénateurs  proscrits,  disait  avec 
orgueil  :  «  Rome  n'esit  plus  dans  Rome;  elle  est  toute  où  je 


*:    f,y' 


•p'      '  .V' 


'  j .  '    .'I 


'.' 


3.:sii.àWaiL 


DK  LA  l^rm.t)TfOK  POLONAISE.  3t7 

^,  •  Vàtmée  polonaise,  elle  anstf ,  eAt  pu  dire  après  le  S 
septembre^  ifue  la  Pologne  n'étaH  pins  à  Varsovie;  qu'elle 
était  toute  entière  an  milien  de  ses  ranss.  A  Modlin^  la  dicte 
fut  réduite  à  s'assemlrfer  dans  une  étante.  An  bout  de  quel- 
ques Jonrs,  le  nouveau  président^  Ntémoiowski,  ayant  assem* 
blé  un  <;on8etl  de  guerre,  qui  appela  encore  un  nouveau  gé- 
oéralf  Rybinski,  au  commandement  de  Tarmée^  la  guerre 
recommença»  malgré  les  réclamations  de  Paskiéwitsch,  qui 
dît  qu'en  consentant  à  la  retraite  de  Parmée  polonaise  sur 
Plock,  il  Tavait  considérée  comme  ayant  fait  sa  sonmiàsion, 
et.  ne  devant  se  rendre  là  que  pour  y  attendre  le  bon  plaisir  de 
l'empereur. 

En  œ  moment  eaeere,  d'assez  grandes  ressources  restaient 
è  la  Pologne,  malgré  la.prise  de  la  capitale,  si  la  guerre  eùl 
été  bien  dirigée.  Dans  les  temps  intérieurs,  notamment  sotts 
le  règne  de  Jean  Casimir,  Varsovie  avait  été  prise  plusieurs 
fois,  et  cependant  les  ennemis  avaient  toujours  fini  par  être 
chassésdn  pays.  Il  restait  encore  70,000  combattants  dispersés 
sur  tout  le  territoire,  et  les  troupes  rn<ses,  y  comnris  les  corps 
qui  n'avaient  pas  pris  part  aux  journées  des  6  et  7  ^ntembre, 
ne  comptaient  pas  plus  de  100,000  hommes.  Il  fallatt  rallier 
tous  les  corps  polonais  et  en  former  une  masse  compacte; 
mais  le  découragement  des  chefs  empêcha  cette  réunion,  et 
le  corps  principal,  réduit  à  ses  seules  forces»  manoeuvnt 
quelque  temps  sans  plan  et  sans  but,  sous  les  ordres  de  Ry* 
bioski,  qui  ne  se  trouva  pas  plus  que  ses  prédécesseurs  à  la 
hauteur  des  circonstances.  Privés  de  cette  forte  direction  qui 
sait  tracer  une  ligne  de  conduite  et  la  faire  énergiqtiement 
suivre  aux  subordonnés,  les  Polonais  passaient  tour-à^lour 
d'un  profond  abattement  à  des  e^ipérances  irréfléchies.  Chacun 
des  officiers  avait  son  plan  ;  les  uns  voulaient  se  porter  rapi- 
dement sur  Varsovie,  la  surprendre  et  la  délivrer  ;  d'autres 
conseillaient  de  s'ouvrir  un  passage  vers  la  Litbuanie,  d'y  ré- 
veiller l'insurrection  et  d'y  soutenir  une  guerre  désespérée; 
une  troisième  opinion  nnontraif  les  montagnes  de  Cracovie 
comme  Tinexpugnable* rempart  à  l'abri  duquel  on  pouvait 
prolonger  imiéiiiiment  la  résistance.  Enfin,  plongés  dans  un 
obaos  de  systèmes  contradictoires,  ces  malheureux  débris 
d'une  insurrectioQ  sainte  passaient  leur  temps  à  discuter  et  h 
ne  pas  agir  ;  et,  après  de  nonveoux  et  inutiles  pourparlers 
avec  le  comte  Paskiéwitsch,  toujours  poursuivis  et  traqués  par 
les  bataillons  ennemis,  les  Polonais  gagnèrent  la  partie  puest 
du  royaume.  De  là,  tirant  encore  quelques  derniers  coups  de 
fusil  pour  assurer  leur  retraite,  ils  se  réfugièrent  sur  le  terri- 
toire  prussien,  où  ils  déposèrent  les  armes,  préférant  ainsi  les 
rigueurs  de  l'exil  à  la  Mule  do  retomber  saos  le  Joug  mos« 
covite. 


»#if*  ^oLiverntswieot  tu%m  récompensa  ses  chQfsietaesatIdats 
«i  profilant  de  sa  victoire  pour  aMir  les  derniert^ûiMaârs 
dii  pa?se,  fïonr  ôOiJW  tôule  tnce  imporliine  deft,  kiMfttUtîOos 
libres fïonnaes  pnr  Alexandre ù ce  pay$,il  tmpo^j)Mxilrèl)6Uè8 
dompltfs,  iiwif  non  swimis,  im  fê^^irne  d  aflrTiin|slr«Aî«Ji  ma. 
logrjea  celui  de  U  RussiLMNjcolas  éleva  PafkieiiUsch  à  la 
dr;;nilè  de  pniice,  otlo  nomma  gouverneur  gtinéftr'dcii  ure- 
ifïnces  vamcqea.  ,  ;*.         i    - 

D'aprcs  ua  relevé  ofûciel,  les  Russes  perdireirt  dami.cUle 
çanjpïixne,  «oit  siirleP  i;lwmps  do  ï>i*Ujlle ,  i^oit  4Mn4ileiieli- 
reU  et  lio|iitaux,  SOOW)  hommes,  dont  30^6*0  ptoniÉl  seule- 
ment a  tu  prise  de  Varsovie.  De  là  le  recru  le  ment  ttrtiTiitrdl- 
paire  [aiwUe  recrues  \k\ï  5;i0  lîOmm«>  qiH  s  mcttja  dette 
année  dans  iocjte  I  filyndue  de  Tempire,  CélaiertîHtifcnl  4e 
paysans  a[ï|tar tenant  a  la  nable^^se,  qui  en  avntlifailràn'irr«t 
IcsftcnOa^  ausM,  après  la  Mcïoire,  celle  ci  dcihandanl^eèle 
,salisIjc(ion  pour  h  morLdôlant4l^hommes  mpm(>lé8ilaDS,ertle 
iulte.  Or  on  se  rappelle  c*î  que  nous  avons  dfjà.'dA-dB'la 
grande  iJiaiicnce  rjue  la  noblesse  rnsie  ejterce  &ir  fegoirrer- 
nemcnU  C'est  dans  le  btji,  dîton^  de  modérer  ctii  ch^tire^e 
,vengtana*  conire  les  Polonais,  que  l'empei^ur  lik^an  inoi>^ 
novembre  de  celle  année^  un  voy^ï^e  a  Moscou,  oim'ifciaiiicds 
^cesse  de  résider  cetie  vieille  aristocratie  tarlara*;  Nôaa  ne 
savons  pas  jns^iu'a  quel  point  nwis  devons  croira  aui  senti- 
pieuU  de  moiféralioo  qu  on  prête  a  Nicolas  dansueUedjrfcinil- 
tauce;  en  tout  cas,  s^il  les  eut,  ce  qui  est  doutcuî^dlnertoé- 
.fiit  pas  a  les  fajre  parï^ïger  aux  grands  de  son  eiupweuC'^sl  à 
i^oscQu  que  fut  sjjjuè.le  1^  de  ce  mois  de  novembre, luiorink- 
lice,  ou  Fdntot  nu  seitiblant  d^^rmïsUce,  qrji  enveloppaftotBs 
,d  msnr-es  dans  ses  exceptions  qu  il  n'en  oppelail  àjTrofller  èe 
la  cl<^ence  un(»érrale.  Cetactefut  le  f>retnTer  pas  daàscellft 
voie  de  reactions  et  de  persécutions  sysléjnatiijne»,  où  «kolas 
conhnuji  a  marcker  imper  lu  rbablemenl,  couinoe  8*11  m  tût 
prêté  ajttHmfaie  ce^iiMà«:«  swneiiWe  toliitepBinfte  goutte 
agQi^ttealaPoIogQo  loiités  iea  lanneA  qiie  confieniiéal  sos 
yatt»^€tlpu4kaMg<»uer6»fapaiaTOiitonw;     , 

m  tÇMJW,  cç  ipii  Otavurtep  hirétiriatiaidv  189t,  «fut 
dtabord  (L^a'4l^c^f^  pas  sq  profiter  dm  cinmalaBcci  an  ré- 
\m^  ka  prioei#ea.^mi  tontes  foa  aMicovea  pvotiMes 
W»m^\m:y^  fut  d^oûr  QMiiiiié  aiip  la  jssliee  ilo^cfar  ;  œ 
fut^owi  dawr  fMQ<|aé4ei;éBapAiix  oÉi^àbléa ra'ii  sMoit 

»QuWi|a,  a;eul  i»aa  cteli»  ]né»i.<Oi  tatiesH*  d^aoir  compté 
^^ >j*m»geir>  el. «wtouti cki ne  pnnoir a»B  eMtfités sur  le 

.U  (V^^Wuiiç^  ttocdorf^aatean  en 

couper  les  léles,  il  lui  en  repoussera  toujours  de  nou*«»tea. 


m  LA  BÉ^lilMimNI  POLOMAISB.  H9 

Par  sa  langue  qu'on  ne  supprimera  jamais  complètement, 
par  $e$  coutumes  particulières,  par  s«s  rcMentiuMiitoprofoMlt 
et  implacables,  elle  est  encore^  elle  sera  toujours  distincte  de 
la  russie.  Le  moment  n'est  pas  éloigné,  peut-être,  où  elle 

{)0urra  enfin  reprendre  avec  autorité  son  rang  parmi  les  na- 
ions.  Quand  ce  moment  viendra,  nous  espérons  que  TAngle- 
terre  .  que  la  France  surtout ,  n'oublieront  pas  leurs  propres 
intérêts,  qui  sont  les  i|U4réte  deM  Bojogne  même.  La  France 
se  souviendra  aussi  alt^fs  de  6hi\k  vieille  dette  contractée  par 
elle,  sur  vingt  champs  de  bataille,  envers  sa  sœur  du  nord. 

Mais  cependarlt,  ce  n'edt  Al  Ail^  rAngleterre,  ni  même  sur  la 
France,  que  la  Pologne  doit  compter;  c'est  sur  elle-même, 
c'est  sur  son  propre  sol  qu'elle  doit  chercher  les  meilleurs 
éléments  de  sa  renaissance  future.  Sous  Kosciuszko,  qu'elle 
m  roiiblîe  t>as,  elle  ne  troatia  qèe  ir%ûk%  ûiHl^hommmÀ 
dppdet  à  la  Russie  i  enl831,grftce  aux  progrès  acûompltedins 
tel  Intervalle,  gr&éeà  la  placé  rafle  a  la  bour^eoi^te  da^àrla  so- 
dêtô  nouvelle,  W  PÀlpgnctrûu>{^  80;000  combatfahtsiEh  t)fen! 
si  elle  Vept,  quaûd  Thenreaura  sonné»  elle  èa  aux;^  dix  Idis, 
vin^lfQjiB  davantage.  À,  ces  bordée;  Urlâro^  au^j^^uelLes^ijur 
discipliiie  de  ter  donne  une  laroe  incwiestabt^.^^Ua  pwrra 
opposer  des  masses  que  rdndra  plus  fortts  eâcer«,te  désir  âa 
Wen^re  niatériel  et  ùe  la  dignhé  ttvotmle.  PDià-  atterodn^ce 
btat:el1e'n'HMWtïtl1rhflVftttcbirî$iBS  pàysîin^,qir*à  Us  fuTr^par- 
tTdper'M'ettîfôièèdu  dtoft  èbmTlîuri..qu'à  détruire  linRn  ies 


bofiûme^el  vitfndront  bienà  ^utr de. repousser  les  Tartares. 
Peut-être  aussi,  dans  un  avenir  plus  ou  mpitxs  tiloigué,  la 
Providence  les  appelle-1-elle  à  Thonneur  de  porter  jusque  dans 
les  Etats  de  Toppresseur  de  leur  patrie,  les  pures  et 
saintes  clartés  du  progrès,  de  la  civilisation  et  de  la  li- 

btft|i«  *i     .^    .  .*:    .     ...*:  i.M      '»'»    .■       ,.       M       '.» 


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322  '  mÈtéHÊ 

etd'Mdâcfr  i«E>tir  venger  en  an  Joury  dans  le  iiuîg  de  sek 
tyi^ân&^  une  oppresâion  sécoUire.  Ce  précédent  élût  inquié- 
tant; et,  0our  n'avoir  ft  redouter  rien  de  pareil  de  la  part  de 
la  Pologne,  des  persécutton8,ayant  le  même  cabaçtère  d'atro* 
cité  qne  led  anciennes  persécdtions  de  Rome  pàïeane^  avaient 
eu  heu,  et  le  XIX*  diècle  ava^t  eu  son  Diodéti^n  et  aae 
martyrs. 

Cette  persécution  renkontait  i  1836.  Depuis  Ibrsj  le  pe«pU 
polondiSi  privé  de  ses  pasteurs  légilimék^  UvM  anx  mauvais 
traitements  de  mercenaires^  en  biitte  adz  vexations  •  des 
pdpes  russes,  à  Tappât  du  gain  qu'on  Idi  présentait  sans 
cesâe,  battu,  emprisonné,  persévérait  néanmoins  dans  la  tdi. 
On  fduéttâit  à  tour  de  rdle  le  mari  et  la  femme,  a&a  que  Tes 
ded  deux^  ému  par  la  cdmpassion,  engageât  l'auke  à  apeé^ 
tabler.  Oni  a  vu  aes  femmes  enceintes  expirer  sooa  les  ooupe. 
Pour  obtenir  Taposlasie  des  pèreè,  on  poussait  la  cruauté,  jas* 
qu*à  fouetter  les  enfants,  et  plus  d'une  de  ces  innoceatei 
petites  créatures  avaient  expiré  dans  ce  supplice. .  Si  Ton  ne 
savait  pas  jnsqu^où  peut  aller  la  fureur  du  prosélytisme 
exdlté  par  la  résignation  dans  la  résistance,  ob  se  refuserait 
à  croire  de  pareilles  horreurs.  Mais  voici  qui  les  résume 
toutes. 

Il  y  avait  au  couvent  de  Mensk,  en  Litbuanie,  trente«quaM 
religieuses.  Elles  tenaient  un  pensionnat  dé  jeunes  demoi- 
selleé»  et,  en  outre  avec  leiirs  économies,  elleâ  .  élevaietti 
quarante  orphelities  et  pourvoyaient  i  la  subsistance  d'un  cer^» 
tain  nombre  de  veuves  tombées  dails  le  besoin.  Dès  1827^ 
Févêque  grec-uni,  Slemaszikoi,  ayant  consommé  son  apostasie,' 
les  pressait  de  suivre  son  exemple.  Voyant  Tinuttlité  de  aes 
sollicitations  et  de  ses  ruses,  il  leur  annonça  tout  àfcoup  que^ 
si  elle$  ne  se  rendaient  pas  dans  un  délai  dé  trois  mais,  eileg 
devaient  se  préparera  de  rudes  épreuves. Mais,  \roii  iàurs 
seulement  après  cette  notiQcatien,  à  dtq  heures,  du  matin 
au  itlomentde  la  prière»  Va  postât ,  entouré  de  factionnaifds 
et  de  gendarmes,  Ut  cerner  le  eouverit,  enfoncer  les  portes  et 
enlever  les  religieuse!,  satls  leur  pemiéltre  d'emporter  ledrs 
cireti  et  même  leurs  livres  dé  prières,  filles  obtibrebt  seule- 
ment la  permission  d'entrer  un  moment  dans  leur  église 
et  d^empdrter  le  crucifit.  Là,  au  pied  de  ces  autels  an'il  faiiatt 
quitter,  une  Sœur  trè^pieuse  et  déjà  avancée  en  age>  elpini- 
de  saisissement  et  de  douleur.  « 

.  A  peine  Hors  de  la  ville,  elles  furent  jencfaalnces  deux  à 
deux,  et  les  soldats  lel  ûreat  marcher,  en  pressant  le  pas,  sur 
la  route  de  Witebsk.  t)n  craignait  une  émeute.  Une  partie  de 
la  population^  éveillée  au  bruit  de  Tenlèvement,  accourait  et 
suivait  les  daintëâ  filles  en  répandant  de$larnies.X.ee< cris  des 
quarante  ôrphelihes  abandonnées  natraii^dt  tous  les  cmiMc 


DE  LA  RÉVOLt'TiON  POLONAISE.  321 

dans  les  égUsesi  Cftlbolique$  un  autel  exolusiveinent  consacré 
au  coite  grec;  çui,  pour  savoir  si  le  moment  était  propice 
pour  rintroduction  delà  religion  grecque  en  Pologne^  trans- 
roettaità  la  police  Tordre  formel  de  surveiller  le  sèle  religieux 
des  habitants,  d'examiner  s'ils  observaient  ponctuellement  ou 
non  les  prescriptions  de  l'Eglise:  ou  bien  encore^  le  même 
souverain  restreignait  le  plus  possible  la  possession  des  armes 
à  fen^  et  portait  à  la  taxe  annuelle  de  45  copeks  la  droit  de 
garder  chez  soi  un  fusil.  Eu  mémo  temps^  dégradant  sans 
mùiit  et  de  son  libre  arbitre  toute  une  classe  de  noblesse  (les 
i€hlachUscM)y  il  la  rangeait  dans  la  catégorie  des  simples 
citoyens  (odnodioosei).^  Dans  la  religion,  la  langue,  les  mœurs, 
ks  usages,  partout  il  poursuivait  avec  une  persévérance  im- 
placable un  travail  d  assimilation;  et,  ne  pouvant  parvenir  à 
efticer  la  barrière  de  sang  qui  séparait  la  yfctime  du  bour- 
reau, il  recourait  à  l^abus  de  la  force,  et,  par  uu  brutal  ukase 
du  mois  de  décembre  1845,  il  ordonnait  :  1*  la  frontière 
entre  la  Pologne  et  la  Russie  sera  supprimée  ;  2*  le  1*' janvier 
1847,  il  faudra  qtie  les  fonctionnaires  polonais  sachent  la  lan- 
gue russe^  sinon  ils  seront  renvoyés  ;  3<>  le  royaume  de  Polo- 
gne sera  supprimé  ;  on  en  fera  une  pro^rince  russe,  sous  un 
autre  nom,  afin  d'effacer  ainsi  le  souvenir  de  Tancienne 
Pologne» 

C'était  décréter  la  dénationalisation  de  la  Pologne.  La 
PjTQfise  et  l'Adlriche  suivaient  la  Russie  dans  celte  inique  voie, 
arec  cette  implacable  indifférence  de  deux  complices  qui 
n'ont  en  que  l'infamie  de  Tacte,  sans  pouvoir  même  invoquer 
pour  excuse  Tambition.  C'était  de  la  part  des  trois  Cours  une 
guerre  atroce,  implacable,  n'ayant  plus  pour  arme  que  le 
hélxfa  et  je  couteau ;.,^,  poursuivant  avec  un  acharnement 
féroce  contre  l'industrie,  la  foi,  la  langue,  tout  ce  cjui  rappe- 
lait la  Pologne,  tout  ce  que  le  despotisme  le  plus  intraitable 
et  le  plus  furieux  peut  invetiter  s'y  accomplissait  chaque  jour; 
et  l'on  ne  sait  ce  que  l'on  doit  le  plus  exécrer,  ou  de  la  barba- 
rie qui  commandait,  ou  des  instruments  qui  obéissaient. 


l'iniquité  dont  une  partie  i 
ment  se  tramait  au  grand  jour.  Nous  le  rapporterons  avec 
détail,  parce  (|u*U  pourra  donner  la  mesure  de  ce  Système 
d'ati^oce  persécutiop  suivi  contre  la  Pologue. 
^  Disons  d'abord  qu'un  des  puissants  moyens  employés  par 
l'empereur  Nicolfts,  pour  dénationaliser  la  Pologne,  était  la 
substitution  de  la  religion  grecque  à  la  religion  catholique. 
On  avait  Texemple  récent  d'un  pays,  la  Grèc^^  qui,  après 
n'avoir  eu,  pendant  plusieurs  siècles,  d'autre  patrie  que  sa 
religioiijL  avait  fini  par  pttiser  dans  la  foi  seule  assez  d'énergie 

41 


cooacieocei  iqçti  6Ws . do^te^ le,  touraidiitoUrlooidurft, , (G^  inal- 
JwiwreuK  compairiili^MrafvèB  deiv^ni  $ob  juge.  S'éjbml  ^amnoifi 
rrvtogn^rîa,  .il  tomba  ivre^ danstine mare  df^aiii.e)l, ^ noga. 
yévéqtia^fit  ^n^aarie  qqa  'larmort  ileHicbalcPv^ÀciiipfapiKM't^ 
aucuQ.MM^lagaiMni'à  «es  t jQ^mtei  Soiitneoi  oaU.  VU  rrapD^r 
]d«  fias/maina  ie^aaintas  âliasrdont  laconsiao^e  le  Jetait  d^o^ 
jiBeforta  dedélirayépttisaot-coatpe  allas,  daDacae  oc^si^nfi^ 
le  vocabulaire  russe,  si  abondant  en  termes  injiuric^  ILJ9 
jottPTil  a^étoHii  daflesrfaira  à.toaft'fHfiib  enireir  da^a.iîqa  ^,sés 
ég^i^as.  Smppéaa^  smHflriaadexeoupsi  i^onda^a  d^  sangiaUo^ 
aQiiC.paQsséeaà/^fQieeidébfas'piwr  teS(gaaa(def)pU6e4Mif^|f 
i4tte,aiiGMiagei:V.  m  -  ••■.^.'-'-  .■•  --  r.  ,-. ,^\i\['Alf  x. 
'  .)Smivi:$mpém»fi^'^vébnM  i^^9adeseasœurpii4aptoc§r 
devant.. lavette  da  V4gHaeii&  moffceam  de  lx)isqu'eIf#.V9it 
dan».la  eour; 'alla  leui^  fait  aigne  ecmuit^da  s^agenouiiist» 
fiioris^.arraohaAft  da  Ja  «aie  d'un  mafieeuvrenbe  baahe^  ella  la 
présente  à  Tévëque  apostat;  <  Vous  avez  été  notre' pastour» 
«  lui  dit-^e,  sofesi  maiiitenaBi  uotre' bourreau.  Tra^cHiez 
fi.nos  t^tesiaM^z-lea  avec  dûs  cadavres  dans  vçtre,templa« 
4b.car^^ivai]tea>  vous ue^ noua  y  verrez  pas.  j»  L'apostat,  çour 
Iondu>  pâle  et  défaillant^  ealeva  la  baeba  dis  la  raain  de  l'àbr 
basse  et  tomba  entr^tasmalos  daa^9.^pes»-aui  rapniqapàr 
rent.  Jbas  «o^urs  idars  sa  relevant^  anioanàceni  le  Te  fitum^ 
ainsi. qu'ettaa  afvajant  rfadbUud^de  le.6|ire  après  c^aqpe 
é|)rauve>  at  ranivèrant  ^o^assionnallement  dans  leuc  Âer 
n^eunei^  ou  plutôt  leur  prison^  ^  'nu 

Pressé  d'ea  finir-,  Slemaszka  réunit  una  saldateaque^ qu'il 
enivre  eti  •qu'il  stimula  encore  par  ses  promesses  et  par  sa 
p<!ésettce>  etil  livre  I^s  raligieusea  à  la  bifutalilé  de  ces  mis^ 
râbles.  Una  boi^ible  scène  s'ensuitit.  Les  saintes  béroîaaa 
Iqll^rantajrac  une  sumalurelle  énargie«  fnais< elles*  pa^èpaKl 
chèremant  leur  victoire*  Las  soldats  de  Slarpasdio  arrsia^èh 
nent  ies  feux  À  huit  d'entre  elles  9  d'aïu^irea  eucaoi  les  jQitait» 
\fAihn»p,  les  oreilles^  toui  La  visage  arraché  et  dévoré  iÂWx 
moururent  foulées  aux  pieds  at  luées  à  coup» da  taloa«  .  ^ . . 
,  Kfi  YJ'iigiHseptiiiais»  la  Moibre  des  saura,  tant  tla  Minak 
que  de  Witebsk.at  dePolo4sk,  fuiréduii  à  viag(*>trQis*.4Jk}vs 
on  las  tiïansféra  à.  Miedzply^  •  autre- aoufveni  de  echiamatiqui^ 
«ituéau.  Biilieu  d!un.laç*>La  loeaiité  donna*  Tid^e  d'igouter  du 
nouveau.  auppUee  aux  <aaciens«.Iià>  chaque  religieuse  fut,  à 
tour  de  rôle^  plongée  dans  Teau.  Lorsqu'elles  revenaient  à.  la 
surface,  les  bourreaux  leur  demandatokrt  si  elles,  veulaient  se 
convertir,  c'est-à-dire  anostasier  leur  croyanca.;  et  oonoine  ils 
n'obtenaient  Iwjaurs'de  ces  saintes  filles  qu'qni  généraux 
reCMSj.ils  lessubmevgeaiaotdeoouv^au.  Jusqu'à  ce  qu'elle 
eus^ni^fiQrdiiito^tseattinankTroia  sœurs  .périaent  jda  la 

BOrta*..  ,,.,,,    -,      tr'^*'\.  .....      -'     •('»  r.  ;   :;    )|..  ^    4.- 


DE  LA  BÉvW6tfèH  POLONAISE.  325 

'^  if9!ioar4êi>)hëHfre6  M  CGûtèWHMe^tolf;  ^/hMé^ 
ipëilcIiffWiMlt  '  detf '  noT^déSj  ^  éHes  ^f^rQvtfëretti  tous  )^«  ttiâif 
t«â«  IniiMMiilsî^ 'WJMëk,  dui^^vingl-^ix  mois,  et  )t  rat 
^fors  qtieêtioii'âd  iesidlivdyef  à'TVilbôIsi:,  cupitafe  dif  lu  Stb^ 
«ili;ipe|à*  «Il  cMTvéî  d«r<èi9m  tftigt  de  ee^^tMtes  captWes  étaR 
fltirti^  SmolenA,  et  plus  delà  molUé  étiteitt  mortes  atatlt 
^Pirirri^er  au  Itett  de  leur  etâl;  où  !ês  antres  ne  técùretft  pàb 
longiembs*."'  c:  •     .'  »    •  ! 

B  4ie6  migi^tiseltle  8Mnt«Btf$iler  étaient^  flans  toute  la  Polo- 
1ftntnsB9i  anDMiHre  de^deux  èeirt  qnatanfe.  Toutes  furent 
1etiriiiM«ées;paa«iiëMtiM  MlMMt  sa  toi.  D«  cer  détenfU<^ 
à  Miedqoly,  quatre,  moins  estropiées  et  moins  extéhtrééS'tfUè 
leorsîcomiiifignes,  punetil 'profiter  <Ae  Titresseet  du  sdltimeil 
«tGéasiounés  tutr  la  fête  de>(a  supéPteure  du  cobre^t  pour  «r^- 
elfiipper.  La*  siipérieotè  atrtva  en  France  par  la  Prusse/ lés 
tkoîs  avireé  Muvsi  ivieftèaities  Wsnrtfecka,  Kofiiaii^ka/  Poh 
iViairaacka»  gagnèrent  FAutriche. 

^  PetidlEttit  laf^ui^  de  leur  ttiartyre,  tout  si^e  tfe  coiiltfos- 
sidu  de  la  |iart  des  asetotant»  était  eotistdèré  comme  bn  crime 
cispHal.  Cge  dame  de  haute  naissance^  qui;  déguisée  en 
paysanne,  se^condemnait  à  contempfer  ces  atrocités  poot  en 
refadre  témi^gnaiigre  un  Jour,  ftft  reconnue/  saisie  et  efnme^ 
«éa^ilU'apos  été  possible  de  satôir  ce  qu'elle  e^  deTenUe'. 
Ud  propriéiaii^  notable  déê  environs  ne  Pololsk  assistait; 
égaleimèni^ déguisé,  à  kr^géliatieii  des  religieuses.  Il  eut  le 
malheur  de  se  trahir  en  s'écrianf  :  %0  Seigneur  t  quand  dobe 
aurex^vOQS  enfin  pitté  de  nousT  »  Pris  è  ces  mots,  il'  ftit  sur- 
le-charitif),  etaans  aâtre  jugMient,  dfiporté  en  SiKérie;  Les 
parents  de  pltisieufS  de  ces  saintes  filies  osèrent  intercéder 
eùf  isfir  ftttttttr  aunf^ès  de  rempereur.  L'^empereur  renvoya 
Isur  pétition  ià  IVftèque  apostat,  qui  en  prit  eccasiun  de  mill^ 
tipUer'enoore  plut  Ms  sopplkes  et  les  outf^ges.  Ainsi,  ce 
ppinee^  qiji  donna  tottl  pouvoir  à  Vapostat  Slemastko  sut  le 
clergé  et^ur  le  peuple  âdèle,  et  qui  Toulut  à  tout  prix  leur 
imposerlaMiet'I'egtîeedctfitil  était  le  ponlile  suprême.  e6t 
MètÎTéellèiMent  et- Men  justement  respotisable  devant  Dieu 
e|jâeT8iiriea!Hemmee^  loutesees  bartaries^  qtreiqûe  peut- 
êlire  il  «ne  les  ordonna  pas  en  détitil.'tl  Vi^atait  paé  besoin  dé 
tMseendre  Jusque^lèVit  pouvait^  a? ec  eonflaiicé,  s'en  remettre 
au  zèle  industrieux  desf  agents  uuxqifelS'  il  ptY)diguait  le  pou^ 
iteéretror. 

<  AprèsMoir  échappé  par  tnimcle.'l'abbesse  et  les  religieuses 
se  réfugièrent  4  Rome. 

'Fendanique  la  Russie  attaquait  la  nationalité  polonaise  par 
wiD  culte;  sa  foi,  sa  Imiguis,  la  ^Prusse,  dans  le  duché  de  Po- 
seur pôorsahaie^n  systèané  dé/e^slsr  qefjetait  l'épodtante 
dans  toutes  Un  c&isms^  Ctiaque  jour  voyait  se  multiplier  les 


sin,  tôpfes^l'es  t>a3UUe»4e.la  inooarabic  pmw'eiiDefi^Mieoii^ 
Jbcaienl  de  détenus  5ûi-4i&ant  po)iMquQ9.  4aâ^  beMén,-  ilA&trl- 
che  se  iponiraji  pfête  à  loeUre  à  la  disposition  de«op  eom- 
^lice  se9  terribles  cachots»  mu^  (éinoins  da^  tani  de  larmes, 
dp  tanl  de  misèreçr  f  t  qui  dq  rendwMf^inftis.  teuns  vitthneç. 
pt\  mêfne  temps,  pour  ne  pas  dévier  de  Ifi  politique  adoptée 
par  les  Irois  Cours  spoliatrices  contre  la  Pologne,  te^roifdè 
VtuM^  réppndaU  par  un  refus  i^lu  aux  deMiodes' légitimes 
des  diètes. provinciales  de  Pos>^  «tde  ^iéaie,- qui*  ésmaiSr 
daienty.rupe  !<>  une  constiliilioii  d'élals-génânf  11119  2)^i|4i6  les 
jpom,$./les  orateurs  fusç^aL  imprimés  d#iis  iee  pnocëstMrbàniK 
flùs  èlatç  provinciauxr  3""  ^^  pu^Jif^iti  des  sé^mces  4m  cûoséàà 
municipaux  i  i''  la  suppff^efsipn  de  la  çeaài^te  et  ^""iotrateetioa 
ji^ne  loi  sur  I^.lilD^rté  dp  la  pr^sse^;  Tautre»  Ja  pnbliatté  dés 
séances  des  cqpséiis  ^^ni^pai^Xi  la  UJ^epié  do  la  pr«s9a.«t 
une  loi  sur  la  presse.  >     .  /    . 

Un  systÀpe  si  pdi^x  d'oppfpss^q  dei^  naturelteiMnt 
PQpsser  4U.  désespoir  un  ppup).e  qiiln'ttmit  Msaoïdpipralestar 
contrç  cette  iniujuité  de  ^iorce,  pt  quiis'éUiit  ionsoursinoB- 
bé  plus  grani)  mm  ses  ^i^y^rs  (]ge  ses  a^Ks4»um  daiM  levv 
Ifiomphe.  .LQr$que  1^  rjévolu^io%  de ,  Cologne  t  des  aodéos 
1830.et4SJl  eutéçhouéi  li.s'éiiiilfôriDéen'Frafice,  en  A«h 
ftleterre  etef>  Belgiqi|/^  i^p^énûgration  polooftiie' q|M  ^Yait 
(pis  en  (Biivre  tous  les. WOïenB  d^iU^  elitf  pouvait  disposer, 
pqujr  prx)uvpr-l^tt  mon4a  qpe  les  trQîsspoUateursdfiia  Pidogne 
àyaieq^  epcgr/^.  plus^  4^^4  Uéc^ifïïokfi  mf^ginnte^  à  dresser 
§Y£^iit  d'efff^er  soi)  noni.df.  la  ç^M  d««i'£uropeu  .GettB..éaoi^ 
^rstiôp,  a^acpord  spr  le  b«it>  ijo  Teiptr^priae»  MiU  divisée  em 
u^rljé  qui  sA^Q^op/i^iei^lLap  kw^^  de  VmémvmeilB  nàm  de 
fajrç  trfppipJierVuiî^  Qu  rflptrft.opiiiJw-  Gbsique  parti aupivait 
^lor^  uu^  dpuble  ^fF^^p  '  4-^bHn4jeU0  qui  ptsiliomnmiQe 
^  ^rlm  1^4îfii^i«ttt|o^4f'i»  J^otegq^^  pHiê  iM»  twduça  pu^ 
ljf:ufi^(ç  que  yoyp  pûi^y^liqf|ji)liûpr.d'«riMq€mfiqMtwite*doino- 
çr^lia^p  oMe  <^mmvnj^^f  8>W  4tt'il«H)t  motos itiséd^Biti* 
au^.lefi  f/TArts.4«s  fFûis  partis  jiv^  iiMt^ésale  piiéeisiûiii^  .il' 

giirapr^il  f|iiA*lQ,}M^rtidjS^  ^to*-  te  sdosdrïii 

odi'a  riqiti»)iy/e  ^e  jr'^BSMfff##t«4  Ka  mia>iéli0r 


a^prenxi,       ^  .  , 

complet  ^^  rappui  des  msN§  |^^<)^  Wil^o^'^  9^1^ 
dçi  iHi;  cplqj  du  par}i  sri/|^û9riiM4MP,  4o«)i  kl  paMstismo,  ud- 
peu  empreint  de  vues  personnelles,  espérait  tout  d^oti  j|[rajsd 
i^!A«iYePSffiMp(}  G^lui,d^cOiii|p[|MiSl«p»  VifSCi»qii0iesiîiasse6 
ne  pouvaient  que  gagner  a  tout  cban^meftt»  L'Àptosioo 
éj^it  i^sée  ^  p^éjPf F^r  4aR&  PP  WW  ^  toutes  les  jpesurfis  éd- 
mii}i&^'4f)4eSip&^Ùu^(  AHJiliqiMl^>OÙt'doputt  le  emive- 
r^ip  )m^ii'f4r#^i4çp  ithm.^ft»^  «?*  4wtoi»  è-'JBWli^r, 
(^Fsépifl^r^  ^m'iP^F^  Vf  9tf^!fWfmi  qiM  db  s«paiiilM>  par. 


DB  tA  RÉVeUJTIÛft  POLONAISE.  327 

milliers,  de$  iDetruGlions  sur  les  actes  ^ouverDementet^^  que 
de  porljer  ii  Ia  conoaifsajD^è  de  tous  lés  it^ncuàaipaUrneUeê 
de  ces  IcoisftBoUaieurs  qui  s^appekienireiiipeFeur  de  tîussie, 
V«a?pereur.d'iiutriche,  le  ro^  de  Pru^e.  Oa  y  avait  jointe  sous 
la  forme  de.  çalécbisme  démocvaUque^  dès  appels  à  la 
l'âvoUe^.des  iâsbructiooa  pour  faire  la  guerre  par  guéril-r 
[ah  ete.'l}QQ.aciivjs  propagande  s'était  orgeoisée  dauë  cedou*< 
plç  but.   '{     •  '     . 

^  Dans  le  Jtot  aussi  de  faciliter  les  opérations^  les  conspira- 
teurs avaient  divisé  en. cinq;. régions  Ta^eien  terHtoire  db 
Pol^ae,.  savoir  :  le  araBd-ducbé  de  Posea^  la  Gallicie^  |e 
royaume  de  Pologne,  la  Llthfuanie  et  la  ville  libre  de  Craco- 
vie*  Vers  le  ii  novembre  iHi$  des  dépotés  dea  cinq  içègion^ 
tioreniii»<»nioiliabttle  pour,  arrêter.  1^  plan  stratégiaué  de 
llinaoryeclion^  En  prBœii^e  ligne  d'ovéraliona,  ils  àrreièrenf 
de  a'empftrer>paTuiicoup  de  main^  des  forierêsses.de  Posen, 
4e  Ibocn,  .et^  e*il  élait  possible,  d'une  troisième  située  dans 
la  vieHLe  j?ru8se,  La  révolte  devait  éclater  simultanément 
Amsioute  l'étendue  du  royaurne  de  Posen>  de  Cracoirie  el  de 
la^GalliQÎe  oecÂdentale.  D'après  les  prévisiens  des  conspira* 
tewurs.  le  soulèvement  du  reste  de.  la  Pologne  devait  r^lre  la 
ooméqufiuee  inévitablie  de  ce  premier  mouvement,  L'expia 
sionde  rinsiMrrBction  était  filée  entra  le  17  et  le^l  février 
IMây.et  ées  inMruetioBS  furent  partout  expédiées  dans  ce 
sens.  Le^sBotôs  de  c4te  première  partie  de  Tentreprise  devcUt 
être  suîvidt  ta  guerre  dans  le  rof  aume  d^  Pologne.  Pour  le 
cas  où  Fentœptiae  manquerait  dans  le  grand^dncbé^  les  ins- 
tructions du  comité  canlrâi  prescrivaient  que  cet  éctiéc, n'eût 
point  de  conséquence  à  Tégard  de  Texplosion  dans  U  terri- 
toire de  Cracovie  et  en  Galiicie,  voulant  au  contraireque.ee 
qniia»ratt  été  perdu  dans  lognand duebéda  Posen  fût  rega- 
pié  téans  des  deu  autres  pay8«         : 

.  Le  grand  mouvement  quuse  préfMirait  ^'était  pas  une  de 
oes.  tentatives  isolées  dent  il  faut  ehercber  la  cause  dausTinp^* 
patience  irréfléchie  de  quelques  4mea  audacieusea.  C'était  la 
Aiftogne  tout  entière)  sans  distinction  de  castes^  de  croyances 
?el)giëuëesv  de  provinces*;  c'étaient  les  paysanSi  s&rs  d'un 
ffldtteiirawiiir^c'ast-^-direda  se  voirdélivréi!»  de  toutes  le^ 
ctaavgesinttistess  c?étaieat  les  .nobles»  lescbrétiens^  lesisraé- 
èites:;>e^élaitint  'les.  enfant» de  ia  LftthuaQie»  do^  Varso^iji>  dé 
Posen,  comme  ceux  de  Cmcefvîe  el  de  la  fiiUliciei  c^étaienl 
tousieb  élémeats.  épari  et  tnoreeiéS'  de  la  vieille  nationalité 
psAonailBe, 'qui^p«r  un  effort  simultané^  voulaient  rqmpre 
leuvstiialues  et  <disputerleur  viey  leurs  liber téS|  aux  lentes 
tortftreade  leors'benrfeauxi 

i>Untel  mouvement  pouvait  deveiftir  funeste  awoppveaaeurs 
da<la  PeldgH'^  ^maia  déadénomiintietiapurtîes  >de  Paris  doa«> 


3ii  «ISTOIRt 

jbèfént  l'ëteil  aux  trois  puissances  qui  se  sont  partagé  ce  tnal* 
heureû^lMys.  Lès'P(flomi9^pafKU  ^  P^ëHttè  AàM  Ib  "Mirs 
grënd'tetreit,  ^otif  aller  pvètM^Th  cétasè'ttalibHVIem^iiuf  ûé 
leilr  influence  politit|ué  oti  de  lèi^irs  talëmk'înflitMréë,  Ibt'ètit 
stodaiés,  àieut  départ  ,*&  lai  vignàn(;e  de  Id  policé  anf  ritihiéanèj 
rMse  et  prusàféùhe;  La  Phisfce  et  là  IW^sië,  MviM  i^réTeiîï^eica 
raVsnce,  pfl^^t  dl  bien  léUrS'  med^f^y'qtfAtactM'  Polonais, 
aecoum  de  la  France,  ne  réussfl  à  pénétrer'  en  Pologne,  êr 

2ue^  sur  plusieurs  points,  des  arrestations  ffifuIU^iée^  firent 
elMruèrIep4a^^*dèS'eoftsrpîim(ètiiifJ>lM  gOQTèrnétft^  MM- 
cbierr»  prévehu  d(i  )a  tnémè  roanièf^èf,  iN§pcmdil  à  éèul(>4(i}'I^ 
sigoalaient^ laMconspi^étidnf '^' «r Laisbéie  pnà^ëi*  les  0fao6ésrj 
ff  laibseï  éefateria con^pirattoniilrote Jdtik«»  dé  IgUbi^e  xumt . 
c  yandront  adixante  ans  de  traH^tiillfVé.  »  et'PhMiitfetful 
pronoiiçaces mot^, W. de Méllemi^y, avid^ dd  ^àng qail rilait 
se  répandre^  et  dotit  il  aurait  pu  prt^enir  l'éffusiew,  fie*  pfft 
aucune  de  ces  mesures  qu'illsavait  si  bien  preiMré  eattatfe 
et  ailleurs,  pQUr  étduffér  touttf  ihtinffèstaiton  popûléffè.'   ^  * 
Ken  plus,  le  goervèmetuetit  atitrïÉMenendouf^élai'dtiM  la 
Oallicie  ^élément  cohMi^dutste,  qtri^^coMfM:^  l'a  tu,  lie  ihéi 
lâiC  dans  cette  ootispirailk^n  àl^leifi^éliFt  tiobiliairë  et  démôcra^ 
ttqoei  il  aftait  en^la  uM  dcrable  but  :  d^abbrd  afln  «Patottrun  - 
^moyén  de  plus  pour  frsfpp^fîl»  Uôblease.'et'efnuileaflnde 
sW  aeHii^^oimM  d'ut^  époilyaiitail  flouvUMlfepeaér  PEuirèj^' 
contre  ia  PolbgTfe.Aufssi^ttiigfabâ  dk)tfDameiit  des  Pot^Misr; 
faaViluès  if  ietotes  les  rlguMrs  de  ittM^nauiie  atffrkiiienne,  on  ' 
Tff  oIrcHer  4ibren)eiit(daiiaile  pa^s^^des  publipatkms  incetf» 
diairea  marquée» du^^sceau  du  eommu^iatne,  et  <A^y^eiFHMA^-; 
chaftt  le  respect  et'Pofoéiss4inee  à  Féitipefeuy;  <m'  exéititt  ia^^ 
poptriafèan  eduire'tai  noblesse.    ^*      «»■.>.        /i»  

•MslÉré  eeséténef^ifli  ai-tiftileiMa)i^ltt^iMraii«a  diyi^^ 
ment  insurrectionel,  et  quoique  iw  pMVlne«a>eà4a«Éteftii^*' 
tiona  avaient?  éké  opèr éw  fiMMttI  dès- 't<m  taertt4%la4'de  eèo- 
tribuerà la èa^e- eommuife;  rtrisufreetiën'éolsta iftit«id)v«ra 
poiBts  de  fo'Polegné'.f  La  «iillioiiei'tMl  m  dAseÉpéraiil  dé  fwti  ' 
ritée  des  détacbeflfiearts  diflsui^gée  qitl  de«»tflmt  ùôtwfét^àéi' 
pointriÉnpcManU^deeetlei^irétiMef  ttè  putanAtuM^MMiiif  ^ 
trkMMioe  quiéKtrata&lt  tM^^ea^e^tté,  «t^ltodbniicMl^eni^ 
pie  d'an  générée»  déToueàaMt  au  ptVMirtliiiiliaUte^fè^liftv  * 
litmMiretroiif  join^  âvahilie^llilMttiiirfpi^poqfoA^iAé'pQiir  'lé 
Boulëveateiit  ffMMl  ^ 

U>e»fttt  dé  «nême à Craoovie.Xày  wgeufvtmemetit  autrii' 
chtonvqo^eMoii  yeipretitofi  de  son  tnittiatre;  toaihnè  ^tu* 
rrola^olriv  *  èëktMeigàgMr  soMmêe  mé4^  fmAir/'éf «i  ed 
soin  de  répandre  le  bruit  que  le  tUMvaMoott^u^ëe  ftréputtfab 
a%ittt59iywm(Mèm^aMeiiU0ll8iibttt«mii^  ^ 

€Hfe(Mfiè;>  qui  OD^mit  tjfitMia.w  iqu'âo  i^t«ir''ftMir/)>rtt 


DE  LA  KÉVOLL'TION  POLONAISE.  .  .    329 

ei.il0,ltusft^^:uai:enfort  de  taoupe»  i^owMOciïttfiet  *laiiriUe4)Ur 
gpUY/çrneinaQltiltricbieo^.qoi Taisait  jauciriptt  d^ii  fllt  4^^  1&. 
côpspinitjoj»',  fut.nfttiirelisoiûnt  4&  pr^ndiac  à^réf^^nére^a  ofA» 
&t)pet  ^Q^eoyo^aut  à  CrapQvie  m^  corps  dOitrMaptfrde  liâAO' 
bommQÇi.doQt  2O0  4aiuiia)#m  eima«!()emihtiaUecîe.r>etU8' 
f^rca,.  reunie  à  500  bomaies  de  la  milice  Xomlei  était  ani  oihi 
dfes  au  ^émv9X  ColUfk, '.  t 

jVa|gr^ce(te  pa^rnpte  interTOQlion^l'iodarxecttolixi'eoéelata' 
pf^iRiaio^.  Pans.U  soirée  du.l9»  ^prèa  du  j«fdili  botanique^  mi 
Tit  ^*«lavec  et  )>rili^f^  à  Hoaigraudo  hmi^ttr^i  iineffmee^iL'aiyi 
Uf^c^.  C'était  la  i9igi)a)  coavanu,  Oèaf^OimoolfiAtrfégQAidàtis 
la  viU^.OQç  ^[rpiidia  agit^imt.  Eu  méoietitempa»  itaigxand 
oprnbrçde  i^r^^ontenia,  parmi  lewiAel^ae  toiuiraient  Mau^ 
coup  d'éflikresi  «e^ipiceoi  eiijfpaiDpiia.de&  eb  vîronsaur  ilraoovieli . 
1^(  rqxup4i9\io  do  Ci^oone#<^QÎ  AUaii.d«fQnir.4e(lbéâtr# 
d'une  ltti.(ei:ai  inoga^^^i'^waii  quevfoiiûioietdaqrlaloniètDea 
$i|T  iiingtr4euide.fiupeiifiGi6i  et  neipo$aadaîki|i]ectM  qniMe 
mii^  onièa  do  {M^puUUon.  Quant  i^.la  vtlie  de  ;Craoovie^.dék» 
cbue  de  son  ancienne  Aplondèur» jette  n'aiait  fiaa  plaa  de 
lr^qi#r^l9q i^iUe  aabitant»^(T'^OW]trîeilea jAiifacbitoéinuii* 
gérs^f  $Huee  dan^,  une  ptainOjila^illeéUitoQUferle  denlpiM 
c4taa  fil  P?offc^t  aMfÇMBe.  défend*  U  eiûalalfceMûnii^iiifietJiiraÂ^' 
ua;YÎiaw  çbÂte*tt;¥nit  i<^^)Qnl  Waif?eJ,Tda  càtft^é^fiodpmiv 
u^  u étalti  4|u^  119.81  i«aujvai8  étai^.qiiïiE! u»  ponyait'iMme  ' 
résister  à  ^p  çeup  de  meiiUr  OaidenMdcrararkMB  mt  ^nels 
mojeii9/Bpn;rj4aient  le^MMinrgéa  |ioupleMiccèftdft^«niBarati. 
U^jconipfi;^ion.tisni?  W4¥>m?4g0  etrdo  déteâpivc:  d'imi  naiioa 
entière»  qui,  par  eeprit  de  natiooaîUtd^iOU  yaffJafteriMiivdeH 
vait.4teei/4l!«ée  de,pi9end^e^  packÀ  U  jiiielutio|i»/«kd0Tattiilte 
une}guerrfi,de.toiiey{eofttnôtpa9,în:  ..:î       .iî.n    i   "U.i    /:m 

tes  wupfsatat^UicbiiiQnes^  d^piiis^  la  jotts>  d*<)&iif>  eateés) 
c*e9t*àrdire  depuis  itroiaiwfS  .et  trois  omts^-éliîerit  rartéea 
sona  if3a.a9m^s>  occupant  Ies>,pniiiaipales'  pkoeeiiiB  SQ  léfmr 
an  ifui^tin^OA  commraga  à  tiret,  sur  eUeaide.toiitfeales<cioi^ 
sé4j(^jPiViir9«QaAte6^;ei  lorsqwi le.  général  CoUki:  oadoanv  de 
lai(|}  évaçuiiriiliis  étagi^  dooea>aiiâsoni,jlet  inavgéi  sMalè* 
reni^àuirleat^JM.|VM]r.Ur«r.suelfidteQupc^^  ^   -    n'ji  tt 

UeUéiflfisitUd^.epQtini^a  ptamnl  toule/bîqiiiriiéo,  cioîtfltfiA  < 
d'heure  en  heure  en  iol^mllé*  U  aoir»  kto  dèohàigiBiqsî  vpaiw 
taienlides  maisaus  a^iai^ni  la.  pràiiaîoOfet  ia  i  vaoidilé  éham  (tu 
d6.j)elotm;>l«9  lemmes  eiaea  jounaa^fUteê  0Ohiceai0SJk>ka 
arnsÀ  |tfésaeA9tienV)e8  icarliNMJfees  et  se  mâteiei^ 
lKittont0i^u'eUe^^oij[>wagea«anAa«ee  ttojMl>te'eBlfa0^ 
LeS|tQ0t^pe8  antrjohimiies,  apeès  ««ainaatHféilew  pealepiM^ 
cipfd eoiiiro iU«Sft tmgir'wi  foreot  «oblige  de^/faire »  i^  eiéga'  de 
chaque  oàaiaoa  où  il  y  airait  des  insurges. 

/*2 


sao  HfftTotiiB 

Les  préiDkrg  snocës  furent  pehr  les  AttlrtelneASf  tes  ih« 
smtgéi  eardot  le  dessous  à  la  pocle  de  Sâint^j^lorsan  eidënfc 
la'deinâire  de  l'aubergiste  Wôgt  :  c'étaient  leiirii  postes  prin- 
âpaûx  et  leurs  dépôts  d'approYisionnementa  d'èrthes^  de 
liMmftions  et  de  dràpeiinx.  Le  21  se  pà^sa  sans  combat^  tneis 
non  sans  exécution  $  lea  Autrichiens  iriotntili)aiënt  !  L|i  ville^ 
é^caée  par  les  ihsu^gés^  fut  livrée  à  une  sbldat^que  efiVénée^' 
excitée  par  les  boissons  spiritueuses  que  TàutoTité  dutrl-i 
oiàiénne  avait  Ihit  distriBiier  a  profusion  :  puis,  à  M  suito  d'dr- 
dres  barbares^  orifuèillà  dans  les  rues  de  Cracovie  des  pei^* 
sonnes  inoffensiv^^  defoibles  femmes,  d'iîitiocènts  enfaoË.* 

Cette,  sanglante  saturnald  dura  Tingf-quatré  heures.  Hais 
te  22,  le  bruit  se  répacidit  tofat-à^up  que  des  masses  d'io- 
surges  du  dehors  marchaient  sur  la  ville;  Peu  après>  en  effets- 
des  haiiteurs  du  château  bn  put  découvrir  des  mlUjera 
d'hommefe.  là  plu t>a#t  paysans,  armés  de  fdsil8i.âe  faqix  et  de 
piquesv  avec  leur  costume  nalibna^  s'avancer  vers  U  vtltei 
Us  étaiesl  prêches  de  drapeaux  natibnaqx  etooaduii^  par  dea^ 
nobles,  entré  autres  PatélsKî  ^  Barowsiii>  Byste^aiiowskiy  Yfili^ 
t!fk*  Ces  hommes  valeureux»  sûrs  de  périr,  ataieitt  entonné 
1-byihnede  la  reconnaissance  pour  Dieu,  oui  leur  âvaii  pel-misf 
de  viviie  libres -au  moins  quelques  instants.  Pleins  d'un  g^ 
néreuTi  ebtbousiasme,  ils  savaient  qu'en  se  levant  ils  (!oa- 
raient  •ail*  martyre,  et  célébraient  rmdépendance  épbémèrif 
de  leur  patrie^  em  s^écriant  :  Ceux  qui  vont  mourir  t«i  saluent^ 
Cette  troupe  se  dirigea  vers  le  cbâleau  dé  Wawel  et  s'en  em* 
para  s^ns  que  le  général  Goliin  essayai  dé  le  défendre.  Peu 
cprës  les  Aùtricbiensf  attaqués  de  toutes  parts,  ab  miheti 
d'une  ville  insurgée. et  pousséeao  pllis  haut  degré  d'eiftbou*» 
siasmO'  pi^rietiquè^  furent  féircés  d'évacuer  .la  ville  et  de^battre 
en  retraite  jusqu'à  Podgorze.  Lek  itisurgés  flr^t  alors  leur 
entrée  trloitaphale  à  Cràcovie,  portant  à  la  tête'  de  leùrsèo- 
lonnres  l'image  vénérée  de  la  Vierge  et  Tdigle  blanc  de  la  Pe« 
logné.  lia  a^ient  entoiiné  l'hymne  national  de  saijU  Albert: 
mére^de  Dieu,  Viergb  Marie.  La  population  entière  faisait 
eborns  avec  edx>  et  dès  larhies  coulaient  de  tous  lesyeuo^i 
taairémotioapàtridtiqoe  possédait  toutes  les  âmes. 

Le  nombre  des  iqsargés  qai  s'étaient  rendus  nksltres  4e 
•  £ita«èvie  ne  déliassait  pas  quatre  centfc,  et  les  Aulf iehiétis^ 
dent  le  nombre  était  au  moins  ^uadruple^  continuaient  leûlr 
rétpaiie,  iiui  i»ssemblait  plutôt  à  une  fuite.  En  effets  lU^éva^  ' 
cuèiHBt  également  Podgern^,  eh  y  laissant  tout  un  ërsenil 
d'armes^  de  munitions^  et  une  cassette  oènteftanteeot  soixante 
mille  floribs  en  bîUels.  Ils  reculèrent  jusqu'à  W^liodat^ét 
qfli^èfent  bieiilèt  cette  ville  en  y  J^issant  encore  des  «armes  et 
une  autre  bomme  dssee  ronde  ea  billets  de  banfoe,  qui  étaient 
cependant  faciles  à  transportei*.  L'opinion  publiqee  eurb^ 


DE  LA  RÉVQ^(JJfp}$  POLONAISE.  ^^1 

pc^nne  accusa  ^e  fi^uvpi'neinen^  j^ulf^cbi/en  d'uvQÎr  [ait^j^jfer 
aàTi^Jès  (bleuis  cPlRe  iilcpyaf)l;ï  réffàiïe  et  tpt  ^haïKl^vû  «ra-, 
ttillxl^armeà  etdefcurels  (Je  banque  pour  fncjltlcr  le  cJtJveTppr. 
pèméntdertnsurfeclîop  et  avoir  pju5neve)igGancosipxefcer/ 
Quôlquli  eri  so)l^  |^  fuite  des  Aulrîchieiis,  rabQMJ;ïp,ce  d^ 
tIVres  et  d'armes  trouvés  à  Pfjdgorze  et  a  >Vielia^;i|  éxaUp- 
f ent  teflhmènt  les  fètéi,  on  se  crul  ji  sûr  dTutjé  grande*  conlî^  . 
gfàUqn  survenue  en  Gallicie,  que  les  insurgés  ^'occupèrent 
ae  consHtuér  à  Cracovie  un  gouvernement  provisoire..  t\i 


! 'absence  de  toute  auforifé^  plusieurs  bourgeois  notables 
l'êfaient  réunis  dfâhs  la  maison  du  comté  de*  !wopl2Hfi,  pdur 
former  urï  comité' Bértreté,  auq'iieil  se  subsHttt^y^S;*  février) 


i'éfaîent  réunis  dans  la  maison 

liel  st  ^        .^ 

i  MM.  Louis  GpVsk'omk^ 
^-A-uujviM»,"«  iiâucïic  u  iiioiyiiv^  iiuiuniiié'^  Jeanïi'ésovvsiki.aod- 
teur'eri  irjédecine,  et  GrzêgorzewsW.  simple*  bourgeoise  de 

fèt^ff^MtXht     fritte   fv«/\îc    tt%ttnek^      y*  t\YY\  rYM\t!  A'rtnffrkn  û4   A*  âr^aé^nrin 


Chicotîfc*  tous  trois  jeunes,  hommes  (faction  et  d'énergie.  / 
hé  pjDUveau  gonverniement  prit' le  titre  de  aouven^timitH 
protHsùirê^è  la  nation  polonaise,  et  s'installa  d^ns  rancienn^ 
maison  kp^e\kè  Kn^vstofoàrni,  et  h  laquelle  se  rfetitacliènl  leé 
lAm  chets-soùVenir^es  Polonais,  du  temps  du  duché  de  VarT 
soVIfe.' Ce  nouveau  gouyernerpenj  publia  Immédiatement  u|^ 
nfj'ahiïésx'e  à  jà  riatipp  polonaise,  ou  il  retraçait  les  souffrances 
dé  ses' compatriotes,  et  faisait  un  appel  pour  une  ïevée  en 
liasse  dans  toutes  les  parties  dp  l'^ancîerjne  Pologne.  Le  len-i 
demain,  îl  rendit lilj  décret  (jui  défendait,  sous  peine  flc  m'ortl 
tes  allaqûes:  à'ia'  propriété  privée  et  publique,  et  déclarait 
afttési  ^rallrp  envers  la  patrie,  quiconque  ètaîMirjajt!,  sarts  au* 
ftyr'isatfôri dn  çouvernemeù^,  des  cltibs  et  des  associations  poli- 

^h  mf  mp  temps^  pour  tonner  un  démenff  &  une  des  calom- 
nies répjjhdtres  par  lés  trois  (îours,  Sï^vofr  V^e-lé^  Polonais 
néyipsnrgëaientqujjf  poûr'cfiaSserjde  la  Gallifïlè  et  du  dudié 
de^Posen  respbpulaltoàs,iill,emandes,  dés  généraux  Ipsuj-gês 
adf  essèf  eut  ^  )a  natipn  allemande  tin  mat^ii^le^  oui  cî^ijsa  au- 
delà  dW  ftlîn  une  assée  Vivie  impression.  •  ^ 

Pour  agir  conformément  à  Tesprit  qui  avait  dicté  ces  matif- 
fcrtës,  et  potf r  donnfer  p^'^  de  force  fl^'ijuitt  ^ù  godverrte- 
ment  r^vohjilçlnnaîréj  lésmerrmrfes  de  6e  gùûVernetVient  se 
«ittttetttjspontanément,  et  d*on  oonitriun-  accord^  dfe  leurs 
fonelionsf,  ef  iao^ihèrenf  p'napiniement  cùmmé  dictaffe^ir 
M.  Ty^pw9kî,'homme  énergique  et  întëgre,  tèuiséafjt  d'une 
èlMnMkiice  générale  en  Pologne,  et  qui  copserVa  ce  poste  émi- 
ftentjusqu'au  derniçrmQmpnt.Çiielqttés  disseijtîment^  passa 
(  Ains  ce  nouv^âtl  §èuTerhement,mai9  ils  furen 


gefewgûèrenCdans  ce  nouv^âtl  W)uTerhenjenf,mais  fb  furent 
«Ërti^npOTtfence  sur  les  événements'  étiife'sepVfrent  qu'à  alP- 
meB4èrlé9  èafléilpMieé  déniées  fiMiiHét^sfij^ë^ 
avaient  accepté  la  trjste  mission  tf abreuver  la  Pologne.  • 


332  ,    .  :    HlSnNIIB         •    '  .    1 

Pool?  jtii^(^  KaiM^r  ^ft  piiU^iole^^i^noivi^iuaiemifQ^ 
initfUtité  soûal»dîr«ctioti  de  ll^.JDombroiKski^  j^om!  quiflguni 
avec  UoDtiear  daûs  lea  (astes.potonûis  du  (eoÉipa  de  rEmpire^.' 
Danaceelub»  i|fti  ne  resHi  otuivôrt  qu*uo;join',4e.chateiiroa8e5 
isnpfôvîsattODflprap^gèrenit.au  dehors  iesioenlimefilfi:^ 
qiireil  aftimaieôt  m  rpembres.  Malbew^usên|ei]l^€ies4j^cxnii& 
odDf^gn^s  daofl  la  Gaz^Ue  de  Gr^càt^,M^é9i  éïte  ankâîi 
d'aitpes  dans  1(66  maiiM. des  opt>re6$eur»  à»  m  pouvo  eimak 

heoretiïpBfs^:        . ,i.   ,       .ni, 

.:.P)9n4tolMe  ioeurtirègtie  deaidsui^géâ,  PexilMuausipedeval 
mecédé^/à  Fed»i^oufiaaibe»,Dès  \t  teMen^am  de  VîAsiBUatihv 
dfii  iroQTeKn^mentiirovîsotre,  ia.populaUoa  entière^ de^la  viUè 
de  Wieliczka^  qui,  de|iute.^Oaiint€hdi«.  ans,  élaM  sépfiréë  da  la 
Baè!:e«4>atHe>  arriva  à  Graijovîe»  procasëiouneiteneut  caog'ée, 
ai7aQt(e(i,tâteses  pasteurs  et  lousies  emistldi^es  de  in  tetigioni 
9U-6n  v^KxlaU  tes  forcer  à  abjaret*  Depuis  quelques  aonecsy' 
celte  foi  était  leur  settle.patrie^etelle.devaitnaiiMrelteroB  i 
paMicipe^  au  triomphe  qu'elle  avait  tant  edniribué  à^anpenenj 
u  sfieciaide  était  vfaimaa^'saicûssantt  Toute  là  ville^  toBuwt^ 
femiBes/enfaats,  vieillards^ne  joit^QîrôDtaux  nouveauxt  y^Hi^ 
On  se  refidiUux  églises  ds^is  le  h^\àW  prier  pour^ladéUirrafioè 
de  la  Pologne.  On  y  eaieadjt.  en  mime  l«mpa  dea.aaiHsfaU 
ètouffiàs^  ledifuetis  des:^finfis#  lechan&desb'fiilDeS)saçirés^ 
IflswixfrokAidémenfeamues.d^s  prêtres  armés^les^emiettâsi 
des  o^oyens  qot.se  préparaient  à  combattreiL^entboilsîàeiDff 
des  femmes  surtout  toacbaU  au  délire.  Yjâlnès  de^jinbes! 
hlaacfaes  etJes  y  èuxreiiipliade  larm^s^^ommeauboif  éten^ 
d'espérance^  elles  encourageaient  les  hommes  à  se  défeadréà 
outrance,  ;çn  promettant  de  les  aimer  et  de  mourir  avec  eux. 
Ui^neiif  4iix.ffimi^es.dePol(]^l,Daqs,li9  iQm  ^^pu^wr^MX 
martyre  de'leur  pays^^' plies  iront  làmais  dèséépére  île  rave^ 
nir  ;  partout  et  toujours  elles  ont  donné  f  exemple  de  la  haine 
contre  l'étranger,  du  dévouement  et  de  rbêroïjs^e  ;  gloire  à. 
ces  nobles  cœurs  !  Dieu  leur  doit  une  pairie,'  et  la  patrie  un 
tamplfi..^  '.   <    .  .  .    ;  •  y.-:  r<^j  n 

.  be JQor  mômede eetle imposante aérémiQiM«{qi«ttoa.g«ian 
drons  de  Krakusy  défilëpooi  devant  M  gi^vevnempt.HOVir 
soirei»  et  furent  accweUlta  par  deo  bour^^i^  «ans  Hs^  /C^4eR/iii 
du  micacla^  Tons  icos  cavàUecsétaieothienfmQptés^  biap.Q^if* 
pésv  bieniarjnés,  et  joignaient  l'élégance  à  la  foroe*       •  - . .  *• 

Ce  noble  eothouaiasipe  devait  être  sQalbeuT^^ement  l^idec- 
nière  loeu|r  de joie.et  d'es|k)iir4      .,       .•  >    i  m  • 

iilais  avant  de  passer  au  réoitduluguhre'driimeqttQr^iir 
tctcfae^fouaità  quelûtfealiei&esde  là^.QuostiilDiiala  sympathie 
qulainit  troH^  m^  Vjraooa  el  an  ▲nglelfefffoJte  Aobla  wmt4% 

A  Parie,  oii  sch  tronvait  un  noHtbrft  aonatdétahki  dsh  réfugiés 


DE  LA  BÉVOLtmOfC  t»OLOKAISE.  3^3 

fùMatàs^ta  ptbietHs;  attiréti  fiafMreltmhmt  MirMihbtIm  6ù 
m|eteieiitle9  iioàt«tté6  dëVélogne,  ^UiimlreûAWy  dévies 
pinmiiers  j^ors  de  tnafrs;  &  Fbôtel  Lambert,  cbez  le  prfnee 
Ssartoryeki^ iHtstre et  ttobTe  débris  de eette nmibêoreosena^ 
thn. Paitnl<eiixse tromritterft  leè^^rtociprax membres d^né 
ilssmaliôD  poiitiqpse;  cmt)de  sbds  1^  nom  àé  Société  <to  Troisr 
JfW;  Le  cdotiel  bréan^,  président  de  celte  société,  i^^résents 
ait  prince  nue  «dresse  aa  nom  de  phis  de  mille  ntembresv  tons 
émigrés. polonais^  dont  se  compose  cette  association.  Lessen-' 
SanentsqtfexprtfAa  cette  fraction  Imporladte  de  l^émt^rsffon 
Kdbriëise  inrenl  des  pat^stsé  d^tinièn  ^tns  aae'Jttmais  désirable 
aAHs  cette  sahite  cansb/  et  de  conâance  dans  celni  que  oe» 
dieA  désignaient  comme  lenr  chef  natinreU  ' 
,  Par  toelte  ^dresse^  les  membres*  de  la  société  du  Troiê^Mm 
prdmeltaiebt  an  prince  Czartorfsk)  t  le  conconrs  le  pins  sou- 
tenu et  nne  rigoareosé  obéissance  à  ses'commandementa, 
peranadé  qte  ce  concours  était^  par-dessas  tout,  nécessaire 
pmir^e  l'émigration,  pat'  son  i^eprésentant,  pût  le  plus  èffl« 
caœtuenl  s'aisocièr  à  ta  lutte  héroïque  mie  recommienei^  laPo* 
logiie.  »  Ils  terminaient  en  déclarant  ir  me  le  temps  des  sacrî* 
fices  étxlAl  'teiiv,'ils'  offraient  à  cenic  de  leurs  compagnons 
d^éûngrationqtn'népaartageaient  point  les  opinions  que  la 
seciéié  du  TVpff^iVal  propageait  depuis  plusieurs  années,  l'a- 
tiandon  ^orisoire  de  tenrs'ddctlrines  et  de  leurs  Itiéories;  nous 
réunir  rémigration  entière  en  un  même  fkisœau^  dirige  par 
k  prince  et  lui  prêtant  son  concours,  s  m  ' 

^  jsn  mdmé  tempsj  le  prinee  ^ecfevutde  Londres  Tadressé 
suîTànté  : 

IJss  rif^giés  polonais  résidant  en  Angtsterr^i  ,a»  prifiie 
.  .    t  CzartoryskiyAPùrù.       :   . 

'       .,    .  tt  Princâi 

c  Les  réfuffiés  polonais  qui  résident  dans  la  Grande-Bre*" 
«  tagoe  éf  ^Irlande,  ont  fait^  le  9  fétrier^  la  déclaration  for- 
«  meDè  qu'ils  reconnaissant  Vôtre  Altesse  comme /leur  cbef^ 
«  et  obéiront  à  tos  ordres.  Hs  ont  pris  cette  yésoliltiou  afin 
«  *quel^  étrorls  de  tous  les  Polonais  reçoivent  une  direction 
c  utile,  et  qu*il  y  ait  entre  les  divers  efforts  toote  l'harmonie 
«'  nécessaire.  Aujourd'hui  que  la  lutte  pour  reconquérir  notre 
«  indépendance  a  commencé  sur  le  sol  de  la  patrie^  nous 
«I  éommes  plus  containcus  que  jamais  de  la  néœssîté  de 
«'  renioQ.  Peur  atteindre  ce  grand  (riqety  ils  croient  de  lear 
«  devoir  4e  renèuteler  la  décfaraUon  cMessiis^  et  <fajoQter 
a  que  les  Polonais  résidant  en  Angleterre  sont  impatientii  de 
<(  partagei^  le»elievta>  et  les  t^éitlsde  leurs  fràveaqui  combat^ 


-^i  ww>fw 


0  obéissance  ^  yos  or,dries^,$^b§  ^fiaun  ^ard  aujp  opiaiqp^  pQ- 
.  «  HMquci  qu'ils  peuvent  prpfpsger ïmjl^'^'^^')^™?'')/ î  • 
.  L^  Chambre  des  Dépples  4^  F|:an|da,.de  spn  côte  ieipaign^it 
publiquement  sa  ^yuipalb;/^  ppur  la  cause  polonaise.  flÛ4!ife- 
>fpgj-qpalre  dépi|lé&  jcppféjjepjftnt  tputes  lés  nu^nçiei^  '4^s 
(^pinlovsde  la  Chanipré,  .s>s;^eniblèi;ep^  spputanéiqent;  u|i 

Srand  iiombri^  de  n^embres  prirent  successivement ja[|^arolf. 
[.  (ÇarnierrPagès  propos^  ffe  ponsliUipr  PP  Jr?4^^^  p^* 
'iflanpnt  ppqr  ^/rrêtef  iQute^jçs  içpsûres  a  prépare  4^P^n*i" 
térêtdéla  cause  polonaise.  Celle  niotioh  fut  içpp|}at(^e  ps^ 
.p^psjej^  IHpnabres,  gt  surfont  p4r  M.  Odilon  fearrot,  qij|  ne 
içpt  pas  quela  nécessji^  d'un  comité  permanent ^esso^ut  (|£s 
circonsiancfîs  de  rinsurri^ctjôn.  Qefte  opipipn  pr^y/^li^^  e^  jl 
'  fut  décidé  qu^oh  se  bornerait  a  nomnier  une  com^nissipa  qi^i 


;(de  IXure),  président  ^^TàgQ^  dpUx^^fiiJp^e^ 
RepiiUy^  Léon  i\e  BaleviH^^  )U^|^yeUe,  de  ]^fcy,  et Tp^vif}, 
trésorier-  La  co]i)inission  fof  nçipla  immé4idte^(^1[)ti  i^taan^  Igs 
fermes  suivants,  son  ai>pel  a^jt  amis^e^^  ^plpg^©  ;  s 

tf  Les  efforts  queiaPoloi;n]^  fait  poçr  ip/^ouvfpr  sa  BâtJ9- 
.nalilé,  dont  les  lilres  soatsi  sçlpnnell^m^nf  fi^sprjk^  d?n?l4s 
irai  tés  j^ii  1res  que  les  Clminbrfs.l^.^iÇ^M^'^?  4s  |a  jFrancê'raD- 
pellen"]|ijq^e  ^nnée  a  TEtirppe  p^r^aes  yol^ùqai^|qàesj  le 
courayc  hercïque  que  déploient  ses  populations  qni')jfisiyç^t 
la  mort  pour  la  plussaipte  des  causes;  la  pensée  douloureuse 

a^e  de  nouveaux  martyrs  sçellçnt  en  ce  n)omentde  |^ur  saqg 
mr.ltK  dansla  puissance  du  droit  ;  ces  circeostanoes  oftt 
profondément  ému.  ia  France,  foûaies  partis,  oubliant  leurs 
divisions^  se  sont  confondus  dans  une  même  sympathie  qui 
éclate  de  toul^  parts;  les  soussignés^  éprouvant  le  besoin  de 
s'yasfpçierf  opt  Quve|r|  i{ne  souscription.  » 
'^  llalsV'r  rh^of"?  9^  '?s  pjros^'È  pplphais  se  Hvr|i]ent  à  f es- 

tànce  et  adiuraiënf  )eurs  ^tales  âivisîbns •  à  l'hpûré  où 
ïtâlénf^îï'rifance  tan|"tfè  çjmp/itKlés  pbiif  bètW  éoble 
j^p,sc^  Knéurféçtjpn'' p^  avait  ét^^M^  ij^qfflptf  <âàiis 


}  '^   .    '     •  •   'i     '  •"     •f*»''^     *,,.v,..-.^      .....  '»   1'.,     r, 

•  :•♦  'fî';.  .•  r  •  ..'  î:i  n  ...     .'6  .1-.'      .\l  %     'MO':')  "  .    :t';j  >    ,', 


DE  LA  RKKaMTim  POLONAISE.  885 

'     -*         •    '       ,-,/*!•**        -Il  I  ri    '»f.     •»'   »   '     ■  ••      »    •" 


.•          ■       1                  . 

•î    »    1           1    * 

Cfr^RPilV      .,; 

M47 

Dés  gonYerneiDenU  dits  paternels;  leur  polUiaoe»  *ri  Siluftfei^iid^pi^* 
ââns  delàGàflicie,  -j-  leùrB  rapporte  avecje&  sei^neurï  ou  pjroprii* 
taîreô. —  Caases de lôuf"  itrîtàtion.  —  Lés KoDàomKa.T-r  Plàxi a opé- 

.'  ration  dés  iHsti^géë.  -^  Simva^é  eïpédiëtit  de  rAutrîéfaé.  -^Prîi^ëé 
pronriëèâ  kÉi  égoiigëoré.-^'  MàtiVà^li  Btltcèi  des  6ol6niiks  liistit'gieei. 
^Ifassabré  des  hdblëS.-^ëzOlà.^'Réebinpefedc^  étéèdrdééé  pair  légdu^ 
tèrnëtiejnt  miriohifte  svicnrgftiilsatéfifSdtittMissaeTOi  — Preftlàitië^ 
lion  de  r^mparatvHr  é'Autt?iche«|^«i{  léHeiter  lIs^oBi^BEni*  ^  SiM»- 

'  »tîoD  désespérée  dja/geurernement  iréwluldonQaira  «•  CivàcoTiè*  ■  f^ 
Retour  des  ^Autricaieo^  g  |PoidgorYe,-*«Nô{g9ci«tio;is  desiii^rgé%av^ 
\€  générât  Colliii.  ^  Exigences  de  ce  dernier,:— Les  prii^cipauxcofps 
d'insurgés  sortent  de  Cracovie,  —  Nouveau  comité  de  sùrel^A>Çra- 

'  coVîe?.  -^  EMWè  des  tlilséés,  dès'AiitrtcBîens  et  dés  Fbnsiiéns'd  Çra- 
covSe.  -^  Les  irisufgéô,  "lié  pôbviùit  ga^èr  \é  Oaïlîëife,  ié  Mndèrit 
aux  fimrtières'prusdieiines  et  tttéiiëni  bas  les  thbéè.  -^  W\ke  M  6iài 
de  isiége  des  prcnrinees  insurgées.  -^  AtrestatkmS)  dépértitiëM^  éiéi- 
ciiiions.  -r-  Btt4  que  s'étiâoBt  oropMé  les  trm  Qoins  s|HJliaiH0BSi<»^ 
Incorporation  de  CracoTie  à  VAutriqke.  r*-  ProleatalioïKëe  l'AKilB4> 

•  terre.  ^  Pi:oiestation  4e  la  Frapce.  -ri  Lfi  çzar  rÇcola^^  -^  PiMOi^e 

Soësèssion  de  Cracovie  par  TAutncbe.  — r  Eu^rgiqi^es  paroles  de  ll«  tl||( 
,   [ontalembèrt  au  sujet  des  attentat^  accon^plis  i^ou^re  U  yq/lo^ne.^ 


Noud  a^i^iton^  màiiifènàbf  à  l'épi^çidé  le  plus  à'j^réûi'âa  ces 
âertîierii  éténettiente,  â  deë  séèjfies  dé  ferùàùlé  téUëiS,  qufpo  (é^ 
èrôiratt  ^inprUntéés  iut  bages  les  ^lus  sàuvii^eà  dés  aiihaliéç 
délabaiebafië.  Mais,  avant  d'eilifei- dànë  le  détail  .^ë  ces  san- 
glantes tuèriéè,  il  lions  faut  exposer  en  pétt  de  mots  la  situor 
tioft  dés  paysans  dans  les|rrôvincest)elotiaiseSy  ions  la  domir 
dation  des  puissatibes  si  impropretnènt  at)pelées  ôro/^c/f  tc^i. 

Le  gifaVe  IHtibrivériiëtil  des 'gpuvernèfnérits  dUspaterneUy 
cfëdl-à^dtredesgoiiTernèmétltë  où  les  lois  nesôntpasexéciitées^ 
et  dans-iésquëte  il  n'y  a  tPautre  règle  4uë  le  bon  plaisir  d'un 
iniiiiatft^  perVërt,  c*ôst  dé  îië  tîdtlvoir  gbttVèrnèf  qu^eri  éxci- 


336  HfBTOIlH 

tant  les  classes  de  la  population  les  unes  contre  les  autres,  et 
en  les  contenait  les  unes  {ox  les  autres.  Ce  n'est  pas  là  sans 
doute  une  preuve  de  sollicitude^  mais  c'en  est  une  incontes- 
table de  rouerie,  gouvernementale  :  quand  un  peuple  est  assez 
abruti  pour  se  contenter  de  mots,  ce  n^est  pas  à  un  gouver- 
nement à  lui  servir  une  plus  confortable  chère.  Les  paysans 
polonais  des  provinces  autricbienneSy  russes  ou  prussiennes, 
étaient  soumis  à  ce  singulier  régime.  Voici,  du  reste,  qu'elle 
était  la  situation  du  paysan  delà  Gâllicie,  dont  nous  avons 
spécialement  à  nous  occuper.  Dans  cette  province,  Tesclavage 
et  le  servage  étaient  abolis  de  nom  depuis  un  demi-siècle  ;  les 
paysans  n'y  possédaient  pas  la  terre,  mais  ils  avaient  le  droit 
de  la  cultiver  de  père  en  âls,  au  moyen  d'un  droit  d'aînesse 
qui  les  érigeait  en  corps  permanent;  c'est-à-dire  que  la  fa- 
culté de  culture  d'une  propriété  constituée  dans  une  famille 
de  paysaus,  et  subsituée  aux  aînés  à  perpétuité,  n'était  pas, 
en  quelque  sorte,  sujette  à  l'aliénation.  A  défaut  de  l'aine,  le 
pulnésuccédait.  L'atne  en  sa  qualité  de  possesseur  de  majorât^ 
restait  sur  le  domaine;  les  puînées  entraient  dans^  l'armée.  Si 
Tatné  venait  à  mourir,  le  puîné  se  trouvait  libéré  du  service 
militaire,  afin  d'aller  prenare  possession  du  majorât.  C'était  la 
seule  -garantie  réelle,  quand  elle  était  exécutée,  de  cette  hié- 
rarchie des  paysans.  Moyennant  des  redevances  en  nature  et 
en  corvées,  le  paysan  cultivait  cette  terre  qui  appartenait  au 
seigneur  ou  propriétaire. 

Après  ^partage  delà  Pologne,  il  y  a  quatre  vingt-treize 
ans,  l'enipereur  Joseph  II  régla,  par  un  décret  toujours  en  vi- 
gueur, les  rapports  réciproques  entre  les  seigneurs  et  les 
paysans.  U  réduisit  les  journées  de  corvées,  et  abolit  quelques 
anciens  usages  onéreux  aux  paysans  et  aux  communes, 
comme,'par  exemple,  le  travail  forcé  pendant  les  moissons 
au  profit  des  seigneurs,  les  gardes  de  nuit  et  autres  charges. 
Mais  tandis  que  dans  l'ancien  duché  de  Varsovie,  et  ^ansuite 
dans  le  duché  de  Posen,  sous  la  domination  de  la  Prusse,  le 
système  féodal  fut  aboli,  l'Autriche  s'appliqua  à  le  maintenir 
dans  toute  sa  force  dans  ses  provinces  polonaises.  Elle  laissa 
à  dessein  subsister  deux  privilèges  importants  pour  les  pro- 
priétaires, qui  devaient  être  une  cause  toujours  permanente 
de  l'animosité  des  paysans  contre  les  seigneurs.  Ainsi,  par 
exempte,  c'était  le  propriétaire  qui  étaitobligé,  sous  sa  respon- 
sabilité, de  lever  des  recrues  dans  ses  terres,^  et  de  les  livrer 
lui-même  aux  autorités.  Il  était,  en  outre,  chargé  de  percevoir 
l'impôt  pour  le  com|)le  du  gouvernement,  qui  lui  accqrdail  la 
faculté  de  saisir,  en  cas  de  non  payement,  jusqu'à  la  dernière 
Tache,  et  jusqu'aux  ustensiles  aratoires  des  paysans,  fin  outr^ 
les  propnétaires  exerçaient,  par  eux-mêmes  ou  par  d^  em- 
ployés à  leurs  gages»  les  fonctions  de  fu$iicier,  dont  reie- 


DB  LA  BÈYOLUTION  F0J.OKAI$9.  337' 

valent  éaosk ^pp^l  lou9  leBééliU de  polleeet  tontes  les  affitiréft 
civiles.  * 

On  voit,  d'un,  coup  d'qsil,  tout  Fiafernal  machiavélisme 
de  celte  combinaison.  Le  gouvernement  s'était  réservé  le 
rOIe  de  régulateur  et  de  protecteur^  et  se  bornait  à  en- 
voyer de  tejups  en  temps  sesd^égués  pour  reeueillir,  lais* 
saut  tout  l'odieux  de  ses  exactions  sur  les  seigneurs.  Dans 
aucun  cas  il  ne  pesait  directement  sur  le  peuple  des  campa- 
gnes, et  ne  lui  faisait  sentir  ses  rigears  et  ses  exigences  que 
par  Tintermèdiairodes  propriétaires,  qui  formaient,  dans  ce 
système,  le  premier  échelon  de  l'admtîBistration.  Les  nobles. 
de  la  GaUicie,  de  même  que  les  nobles  des  provinces  polonaises 
russes  de  Volbynie,  de  Podolie^  de  Lithnanie.  etc.,  où  subsiste 
le  même  état  de  cboses,  ont  souvent  réclamé  un  changement 
dans  leurs  positions  visrà^vis  de  leurs  paysans;  mais  le  gou-. 
vernement  autrichien,  '  oocDoie  le  gM^ernemeiit  russe^  n'A 
jamais  voulu  cooseatir  à  aucun  arrangement,  méthe  à 
Tamiable. 

Indépendamment  de  cette  classe  de  paysans,  qui  tiennent 
les  terres  en  quelque  sorte  en  fermage,  it  en  est  une  autre 
dont*la  condition  est  pire  aue  celle  des  anciens  serb;  ce  sont 
les  KomornickSf  nom  q«  on  leur  donne  <lans  le  duché  de 
Posen.  Aces  mall^ureux,  un ' propriétaire  ou  noble  donne 
une  parcelle  de  terrain  et  une  cabane  en  usufruit,  |iour  une 
année  ;  ils  payent  ces  avantages  en  donnant  au  propriétaire 
une  journée  tout  entière  de  travail  par  semaine;  cette  journée, 
représentant  vingi-^uatre  heures,  équivaut,  par  conséquent^ 
à  deux  journées  ordinaires  de  douce  heures  chacune.  Le  rc 
venu  annuel  de  ces  paysans  ae  surpasse  jamais  30  thaiers 
(112  fr.  50  c.}.  En  outre,  ce  qui  rend  leur  condition  plus  misé- 
rable, c*e$t  que  leur  maître  peut  les  renvoyer  à  chaque  in- 
stant, tandis  qu'ils  sont  liés,  eux,  pour  un  an,  et  pour  plus 
longtemps  encore  s'ils  ont  fait  des  dettes,  ce  qui  arrive  très- 
souvent.  Mais  ce  qui  est  pis  encore,  c'est  qu'ils  ne  peuvent  pas 
même  devenir  de  simples  domestiques,  c'est-à-dire  retourner 
à  leur  se/nblant  de  propriété,  pour  avoir  bonne  nourriture  et 
se  procurer  dt^s  vêtements  suffisants;  car  dans  ces  provinces, 
la  première  loi  que  Ton  fait  à  un  domestique,  c'est  de  ne  paa. 
être  marié,  taudis  que  pour  les  Komornicks  le  mariage  est 
obligatoire.  On  comprend  alors  sans  peine  combien  ces  classes 
misérables  qui  coutmencent  à  avoir  le  sentiment  de  leur  mi« 
sèré,  floivent  être  irritées  contre  les  propriétaires  ou  nobles 
qui  semblent  n'être  pas  leurs  seuls  oppresseurs,  quand,  en 
déflniiive,  ils  ne  sont  que  les  instruments  forcés  d'ignobles 
gouvernements. 

La  Gallicie  était,  pour  les  insurgés,  la  principale  ligne 
d'opérations  contre  les  provinces  méridionales  de  la  Russie». 
^  43 


3}8  HISTOIRE 

OÙ  les  conjurés,  depuis  longtemps,  par  leurs  émissaires,  tra- 
vaillaient l'esprit  des  jeunes  officiers  de  l'armée  et  de  la  no- 
blesse. Cracovîe  était  le  centre  d'où  devait  partir  l'insurrec- 
tion. C'est  là  que  devait  être  établi  d'abord  un  gouvernement 
provisoire,  et  ensuite  une  représentation  nationale  composée 
des  délégués  de  toutes  les  anciennes  provinces  et  de  Témi- 
gration« 

Déjà,  dès  le  24  janvier,  tous  les  comités  des  affiliations  exis- 
tant dans  toutes  les  parties  de  la  Pologne,  avaient  transféré 
le  pouvoir  suprême  entre  les  mains  d'une  autorité  composée 
de  cinq  membres  cboisis,  sans  compter  le  secrétaire,  pour  la 
ville  de  Cracovie  et  son  territoire,  pour  le  grand  duché  de 
Posen,  polir  la  Gallicie,  pour  la  Russie,  et  pour  réraigration. 
Cette  autorité  devait  se  compléter  elle-même  par  le  choix  de 
deux  membres,  l'un  pour  le  royaume  de  Polognre  du  congrès 
de  Vienne,  Tautre  pour  la  Litbuanie.  Les  membies  élus,  ainsi 
que  te  secrétaire,  avaient  accepté  l'autorité,  et  devaient  se 
réunir  à  Cracovie  pour  le  21  février,  jour  fixé  pour  le  soulè- 
vement. Les  membres  pour  la  ville  de  Cracovie  et  son  terri- 
toire, et  pour  la  Gallicie,  s'étaient  rendus,  elTectiveraent,  à 
leur  poste,  et  s'y  étaient  trouvés  avant  le  jour  fixé.  D'un  autre 
côté;  le  membre  pour  Posen  fut  arrêté,  tandis  que  les  mem- 
bres pour  la  Russie,  et  le  se'crétaire,  ne  purent  arrivera 
temps.  Enflin,  le  membre  pour  l'émigration  craignant  pour  sa 
liberté  à  l'entrée  des  troupes  autrichiennes,  s^éliiit  vu  forcé, 
pour  le  moment,  de  se  cadrer  de  l'autre  côté  de  la  frontière. 

D'aprês  le  plan  de  l'insurrection,  il  était  convenu,  comme 
nous  l'avons  dit,  qu'en  admettant  qu'elle  iùl  éventée  sur  un 
point,  elle  n'en  devait  pas  moins  éclater  sur  les  autres.  Gela, 
joint  à  la  désignation  de  Cracovie  comme  centre  du  mouve- 
ment, aux  facilités  que  l'Autriche  procura,  dès  le  début,  à 
l'insurrection,  explique  corameul,  malgré  l'inaclion  forcée 
des^provinces  polonaises,  russes  et  prussiennes,  la  Gallicie  au- 
trichienne et  Cracovie  se  trouvèrent  être  seules  le  théâtre  de 
rinsurrection. 

Or,  voici  ce  qui  était  arrivé,  et  à  quel  sauvage  expédient 
avait  eu  recours  l'Autriche,  probablement  de  concert  avec 
ses  deux  complices,  pour  en  finir  avec  cette  Pologne,  dont  le 
nom  seul  leur  pèse  comme  un  remords. 

Depuis  plusieurs  années  déjà,  les  agents  de  l'Autriche  ex- 
ploitaient la  crédulité  des  pauvres  paysans  de  la  Gallicie,  et, 
pour  semer  de  plus  en  plus  la  discorde  entre  ceux-ci  et  la  no- 
blesse, lis  avaient  été,  comme  on  l'a  vu,  jusqu'à  prêcher  dans 
les  villages  les  doctrines  du  communisme.  Dans  cette  circon- 
.  slaiice  ils  s'adressèrent  principalementaux  sei  h  des  domaines 
de  l'Etat,  qui,  la  plupart,  avaient  été  au  service  de  l'Autriche. 
En  même  temps  les  autorités^  pour  être  plus  sûres  d'atteindre 


DE  LA  BÉYOLOTION  POLONAISB.  319 

lenr  but,  prirent  la  précaution  d'incorporer  parmi  eux  des 
chevaux-légers  et  d'autres  soldats  déguisés  en  paysans.  Le 
chef  civil  du  cercle  deBocbnia,  le  sieur  Berndt^  et  celai  de 
Tar#0W;  un  nommé  Breindt,  furent  les  deux  principaux  insti* 
galeurs  de  Texécrable  boucberie  tramée  par  le  Cabinet  autri- 
cbien.  Ces  deux  agents  envoyèrent  des  émissaires  dans  les 
villa^^es  de  la  Gallicie^  pour  y  gagner  les  paysans  à  la  cause 
de  TAutricbe,  en  leur  persuadant  que  la  noblesse  polonaise 
n'avait  d'autre  but  que  de  réduire  les  paysans  à  un  cruel  es- 
clavage, et  que  le  gouvernement  paternel  de  TAutriche  venait 
les  protéger  contre  les  projets  tyranniques  de  leurs  oompa* 
triotes  nobles.  En  même  temps^  ils  promirent  de  payer  dix 
florins  pour  chaque  noble  polonais  qui  leur  serait  livré  mort 
ou  vif  (1). 

Tel  était  rétat  des  choses^  lorsgu'après  le  succès  éphémère 
de  la  révolution  de  Cracovie^  les  insurgés  sortirent  de  la  ville 
sur  trois  colonnes^  et  prirenttrois  directions  différentes.  La 
première  s'avança  par  la  route  directe  de  Lemberg,  l'autre  se 
dirigea  du  côté  de  Jordanow^  et  la  troisième  vers  Limanowa. 
Ces  trois  colonnes  éprouvèrent  le  même  sort  :  la  première^  au 
lieu  de  trouver  l'appui  des  rnsurgés  deBochnia  et  de  Tarnow, 
la  seconde  celle  de  ceux  de  Wadovirice,  la  troisième^  enflo, 
celle  de  ceux  de  Sandeez,  se  virent  partout  traitées  en  enne- 
mies, et  la  plupart  de  ceux  qui  les  composaient  furent  impi- 
toyablement massacrés  de  la  main  des  paysans. 

JVIais  ce  n'était  encore  là  que  le  premier  acte  du  drame.  Les 
moyens  atroces  mis  enjeu  par  rÀutriche  lui  réussirent  à  sou- 
hait, et  les  paysans^  poussés  àPassassinat  par  Tappfttdu  gain^ 
excités  en  outre  par  les  excès  des  boissons  qu'on  leur  dis- 
tribua,  se  livrèrent  bientôt  à  de  telles  cruautés  envers  la  no- 
blesse polonaise,  que  les  agents  de  rAutriche^  surpris  par  un 
succès  inespéré^  furent  obligés  de  mettre  le  meurtre  au  ra- 
bais y  en  réduisant  de  moitié  la  prime  promise  aux  égor* 
geurs. 

Cette  prime^du  reste^  était  si  exactement  payée  aux  four- 
nisseurs de  cadavres,  que  les  paysans  une  fois  livrés  à  ces 
sanglants  excès,  ne  flrent  bientôt  plus  grftce  à  personne,  et 
tous  ceux  qui  tombèrent  entre  leurs  mains  périrent  victimes 

(1)  Cette  offre  patente,  publique,  de  primes  pour  les  égorgeurs ,  est 
constatée  par  un  document  officiel.  Dans  un  proclamation  du  préfet  du 
cercle  <le  Zloczow,  M.  Andzciowbki,  en  date  du  26  février,  et  (|ue  nous 
avons  sous  les  yeux,  on  lisait  le  passade  suivant  ;  <  Je  préviens,  par  la 
présente,  les  habitants  du  cercle  d'arrêter  les  gens  suspects...  J'attends 
pariiculièrcîment  des  communes  qu'elles  s'emparent,  si  la  nécessité 
l'exige,  des  esprits  turbulents,  pour  les  livrer  à  la  préfecture.  Je  $uis 
autorisé  à  donner  pour  cela,  immédiatement ^  des  récomfen$t$  conve-* 
nables  en  uraent,  » 


3<0  :  HISTOIRE 

de  la  r^e  cupide  de  ces  forcéDés.  Des  familles  entières^  deB 
fempfies,  des  çnfants,  furent  ainsi  exterminés,  et  leurs  châ- 
teauXy  leurs  maisans^  livrés  au  pillage  et  à  la  dévastation,  res- 
tèrent comme  des  témoignages  accablants  contre  les  ord«ina- 
teurs  de  ces  scènes  de  carnage. 

Ce  n'est  pas  tout,  encore  :  le  clergé  polonais,  témoin  de 
toutes  ces  atrocités,  et  voulant  ^  mettre  un  terme,  sortit  pro- 
cessionnellement  avec  tous  les  insignes  du  culte  catholique, 
dans  Tespoir  que  cette  cérémonie  religieuse  contribuerait  à 
calmer  la  rage  meurtrière  des  paysans,  et  à  ramener  ces  mal- 
heureux à  des  sentiments  |)lus  humains.  Mais  cette  démarche 
gênait  les  projets  de  TAutricbe,  et  ces  nobles  prêtres,  frappés 

Îiar  les  balles  des  soldats  autrichiens,  payèrent  de  leur  sang 
eor  généreuse  intervention. 

Ceiid  Jacquerie  officielle  {l)AnvdL^lmiems]om^;  et,  dans 
le  seul  cercle  de  Tarnow,  quator;Ee  cent  soixante-dix-huit  no- 
bles ou  propriétaires,  ou  emplo]fés  de  ces  propriétaires^  furent 
égorgés  :  huit  seulement  restèrent  en  vie  (2).  Les  femmes 
elles-mêmes  ne  furent  pas  épargnées,  et  moururent  victimes 
des  plus  odieux  attentats.  Plus  de  huit  cents  enfants  restèrent 
orphelins^  et  plus  de  trois  cents  de  ces  innocentes  petites  créa- 
tures étaient  si  jeune3s  qu'elles  ne  savaient  et  qu'elles  ne  sau- 
ront Jamais  ni  qui  fut  leur  père,  ni  qui  fut  leur  mère.  Le  mas- 
sacre n'eut  un  peu  de  répit  que  lorsque  le  nombre  des  victimes 
étant  devenu  trop  considérable,  les  argentiers  de  l'Autriche, 
après  Avoir  réduit  la  prime  de  10  florins  à  5,  et  de  5  à  1,  n'eu- 
rent plus  assez  de  fonds  dans  les  caisses  pour  faire  face  à  cette 
dépense  de  cadavres. 

Alors  s'établit  dans  les  villes  et  les  villages  de  la  Gallicie, 
avec  Tapprobation  des  autorités  autrichiennes,  des  espèces  de 
marchés  où  les  paysans  vendaient  ouvertement  les  perles,  les 
■bijoux,  les  objets  précieux,  les  riches  étoffes,  fruit  de  leur  pil- 
lage, et,  chose  horrible  à  dire,  jusqu'à  des  enfants  dont  les 
pères  et  mères  avaient  été  massacrés,  et  que»  par  un  sentiment 
d'humanité,  quelques  officiers  autrichiens  rachetaient,  de 
crainte  que,  pour  toucher  la  prime  promise ,  les  égorgeurs 
ne  les  massacrassent,  parce  qu'ils  étaient  moins  embarrassants 
d  amener  au  staroste  Breindt  morts  eue  vivants  (3).  Le  prix  de 
ces  innocentes  créatures  était  de  4ûkreutzers  (1  fr.  50  c.)  par 
tête. 


(i)  Mot  par  lequel  M.  Yillemain  caractérisa  ce  massacre  à  la  Chambre 
des  Pairs,  dans  ta  séance  du  2  juillet  1846. 

(2)  Discours  de  M.  de  Montalembert,  Cbambro  des  Pairs,  séance  du 
juillet. 

(3)  Discours  de  M.  de  Montalembert,  Chambre  des  Pairs,  séauce  du 
juillet. 


ça 


T)B  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  3<1 

Celui  des  égorgeurs  qui  fit  remarquer  le  mieux  ses  sauvages 
instincts,  fut  un  nommé  Szela^  qui  prit  le  titre  de  roi  des 
paysans.  Ce  misérable  s'était  constitué  en  yne  sorte  déjuge 
souverain^  et  faisait  comparaître  devant  lui  des  malheureux 
arrêtés,  et  qui,  après  cette  vaine  formalité^  étaient  exécutés^ 
égorgés  sans  accusation,  sans  défense,  sans  crime,  mais  non 
sans  bourreaux.  De  toutes  les  garanties  que  le  droit  pénal 
accorde  aux  criminels,  la  seule  qu'il  accordât  à  ses  victimes^ 
fut  des  bourreaux  soldés  pour  tuer. 

Voici  le  détail  de  quelques  unes  des  formes  avec  lesquelles 
procédaient  ces  égorgeurs,  et  qui  prouvent  qu'ils  obéissaient 
avec  une  soumission  docile  à  des  ordres  impitoyables. 

Lorsque  la  bande  de  Szela  se  présenta  au  château  du  comte 
Kotarski,  qui,  par  «on  humaine  conduite,  était  depuis  vingt 
ans  surnommé  le  père  des  paysans^  Szela  lui  accorda  quatre 
heures  pour  se  confesser  et  communier.  11  envoya  lui-même 
chercher  le  curé  du  village,  et,  quand  le  vieillard  eut  accom- 
pli ses  derniers  devoirs  de  chrétien,  on  le  tua  à  coups  de  pique 
et  de  poignard. 

Sur  un  autre  point,  les  égorgeurs  montrèrent  moins  de 
sollicitude.  Ayant  envahi  le  château  de  la  comtesse  Mœrska, 
ils  assassinèrent  son  mari,  son  trère  et  sa  belle-mère.  Cette 
malheureuse  femme,  prenant  dans  ses  bras  ses  deux  enfants, 
s'était  enfuie  par  une  porte  de  derrière,  et  s'était  réfugiée  dans 
une  chaumière,  chez  une  vieille  paysanne.  Là,  après  avoir 
revêtu  ses  enfants  de  chemises  grossières  et  barbouillé  leur 
visage  de  suie,  elle  se  cacha  elle-même  dans  un  grenier.  Hais 
les  paysans.  Payant  découverte  dans  son  asile,  la  conduisirent 
au  cabaret  du  village,  et  la  forcèrent  de  boire  'avec  eux  de 
Teau-de-vie.  Après  cette  orgie,  ils  commirent,  sur  cette  femme 
jeune  et  belle,  les  plus  atroces  et  les  plus  infâmes  attentats  ; 
ensuite  ils  l'abandonnèrent  sans  connaissance  dans  un  fossé. 

Nous  terminerons  la  relation  de  ce  2  septembre  en  citant 
quelques-uns  des  récits  qui  accompagnaient  les  noms  des  vic^ 
times  consignées  sur  une  liste  funèbre  qui  fut  publiée  en 
octobre  1846  (1). 

Bronieski  (Théodore)  et  Bronieski  (Jean). — Us  ont  été  mas- 
sacrés de  la  manière  la  plus  atroce  dans  leur  proj^re  maison. 
Théodore  eut  les  côtes,  les  mains  et  les  pieds  brisés,  el  il  fut 
tué  ensuite  à  coups  de  fléau.  Jean  eut  les  oreilles,  le  nez  coupé, 
et  la  peau  arrachée  de  la  tête  ;  sa  femme  fut  forcée  d'éclairer 
les  assassins  lorsqu'ils  lui  arrachaient  les  yeux. 

Madame  Jhas.  —  Cette  malheureuse  feinme^  voulant  sauver 

(0  Cette  liste,  publiée  d'abord  à  Strasbourg,  fut  reproduite  par  plu- 
sioars  journaux  do  l»aris,  et  répandue  en  Allemagne,  sans  avoir  provo- 
qué aucune  dénér^ation. 


J 


342  msToiRS 

son  mari,  le  cacha  dans  un  coffre  pendant  le  pillage  de  sa 
maison.  Deux  brigands  s'élanl  approchés  de  ce  coffre,  elle  les 
conjura  de  laisser  la  vie  à  son  mari  et  de  le  cacher  dans  uu 
endroit  sûr.  Ils  le  promirent;  mais  l'ayant  retiré  du  coffre  et 
faisant  semblant  de  le  cacher,  ils  le  menèrent  dans  une  écurie, 
le  mirent  sur  un  char,y  attachèrent  trois  bœufs,  et  l'amenèrent 
devant  la  maison  en  criant  à  la  malheureuse  épouse  : 
«Puisque  tu  as  voulu  le  conserver,  tiro-le  à  présenti  »  Ils 
l'attelèrent  avec  les  boeufs^  et  la  forcèrent  à  tirer  le  char,  lia 
frappèrent  de  tant  de  coups  le  mari  et  la  femme^  qu'ils  en 
moururent. 

HierMrinski.->Haché  en  morceaux  etses  membres  palpitants 
jetés  aux  cochons.  , 

Kolarski  (Charles).~Assaiili  en  route,  il  demanda  la  faveur 
de  se  préparer  à  la  mort  :  on  le  mena  à  l'églire.  En  sortant  de 
là  il  fut  impitoyablement  massacré/  Ses  mâchoires  furent 
arrachées,  etc. 

Konopka  (Prosper).  —  Pendant  douze  heures  accablé  de 
coups,  défiguré  et  amené  au  cercle  dans  un  état  complet  de 
nudité. 

Rusiki. — Eut  les  bras  et  les  jambes  cassés,  puis  la  tête  sépa- 
rée du  corps  ;  car,  comme  le  disaient  les  meurtriers,  une 
récompense  de  diœ  florins  était  promise  pour  toutes  les  (ites,  et 
autant  valait  ceile-là  qu'une  autre. 

Stovrinski  (Constantin)., —  Attaché  parla  barbe  à  la  queue 
d'un  cheval^  et  traîné  de  cette  manière  jusqu'à  ce  qu'il  eût 
expiré. 

Setkoveska,  née  Kodzinwska. — Forcée  d'avaler  une  quantité 
d'eau-de-vie,  elle  mourut  dans  les  convulsions. 

Nous  ne  prolongerons  pas  cette  lugubre  nomenclature;  et 
que  peut-on  ajouter  à  des  faits  dont  Teloquent  témoignage  flé- 
trit le  pouvoir  qui  les  a  tolérés  et  commandés  d'une  honte  in- 
délébile? Ce  qui  imprime  encore  au  Cabinet  d'Autriche  une 
tache  qui  ne  sera  jamais  effacée^  c'est  que  les  victimes  étaient 
connues,  les  assassins  étaient  connus,  et  1«  gouvernement,  au 
lieu  de  poursuivre  et  de  punir  les  coupables,  les  récompensa. 
Les  fameux  starostes  (préfets)  des  cercles  (départements)  de 
Bochnia  et  de  Tarnow,  Berndt  et  Breindt,  qui  avaient  organisé 
les  bandes  armées  et  payé  les  primes  aux  égorgeurs,  obtinrent 
de  Tavancement,  et  furent  décorés  à  la  fois  par  l'empereur 
d'Autriche  et  par  l'empereur  de  Russie. 

Bien  plus,  pour  mettre  le  sceau  à  ces  infamies^  pour  ne  pas 
avoir  l'air  de  reculer  devant  cet  acte  de  sauvage  barbarie, 
l'empereur  d'Autriche  osa  publiquement  féliciter  les  égor- 
geuis  par  la  proclamation  suivante^  que  l'histoire  doit  con- 
server. 


DS  LA  lÉVOLCnOlf  POLONAISB.  343 

c  A  mes  fidèles  Galliciens^ 

«Nous avons  eu  à  supporter  deirudes  épreuves  dans  ces 
a  dernières  semaines.  Une  conspiration  ourdie  à  Tétranger, 
«  el  préparée  depuis  longtemps  par  les  ennemis  de  l'ordre  et 
«  de  la  civilisation ,  a  pénétré  dans  mon  royaume  de  Gallicie. 
«  Les  conspirateurs  ont  réussi  àgagnerdes  partisans  qui  nour- 
c  Tissaient  le  fol  espoir  de  vous  entrattier  tous  dans  leurs 
«  projets  criminels.  Pour  atteindre  ce  but^  ils  ont  eu  recours 
«  à  tous  les  artifices  de  la  séduction^  à  tous  les  genres  de  pro- 
«  messes.  Ils  n'ont  pas  craint  d'égarer  les  sentiments  les  plus 
«  honorables  pour  en  abuser  honteusement. 

a  Votre  bon  sens  et  votre  fidélité  sont  restés  inaccessibles  à 
a  ces  diverses  tentatives.  Lorsque  les  conspirateurs^  se  livrant  à 
«  leurs  illusions  insensées  et  à  leur  aveugle  audace^  ont  arboré 
a  le  drapeau  sanglant  de  la  révolte^  cette  coupable  entreprise 
«  a  échoué  contre  la  ferme  résistance  qui  leur  a  partout  été 
«  opposée. 

«  Mon  cœur  éprouve  le  besoin  de  faire  savoir  solennelle- 
a  ment  à  mes  fidèles  Galliciens  toute  la  Reconnaissance  dont 
o(  il  est  pénétré  pour  leur  loyauté  et  leur  inébranlable  fidélité 
«  envers  leur  souverain. 

«  Votre  dévouement ,  voire  amour  pour  V ordre  et  le  bon 
«  droit,  vous  ont  seuls  entratnés. 

a  Maintenant  que  vous  vous  êtes  levés  pour  le  maintien  ide 
«  l'ordre  et  des  lois,  et  que  les  projets  de  leurs  ennemis  sont 
«  anéantis^  vous  allez  retourner  dans  vos  foyers  et  reprendre 
«  le  cours  de  vos  paisibles  travaux.  Vous  montrerez  de  nou- 
«  veau ,  par  Taccomplissement  de  vos  devoirs  de  loyaux 
«  sujets^  que  vous  avez  non-seulement  combattu  pour  les 
«  lois,  mais  encojre  su  les  consolider  par  l'obéissance  et  la 
«  soumission. 

a  Signé  FERDINAND  V.  x> 

«  Vienne,  le  12  mars  1846.  » 

Mais  il  7  a  quelque  chose  de  pire  encore  que  la  complicité 
avec  de  pareilles  norreurs  ;  il  y  a  quelque  chose  de  plus 
odieux  que  de  massacrer  des  innocents  et  de  payer  leurs 
têtes,  c'est  de  flétrir  leur  mémoire.  Et,  cependant,  c'est  ce 

3 n'essaya  de  faire  le  gouvernement  autrichien,  par  Porgane 
e  M.  de  Metternich.  Seul  au  monde,  cet  homme  dont  la  mé- 
moire était,  de  son  vivant,  déjà  maudite,  pouvait  affronter  la 
honte  de  verser  tout  le  venin  de  la  calomnie  sur  le  cadavre  de 
ses  malheureuses  victimes. 

Pour  qu'il  ne  manquât  rien  à  cette  épouvantable  tragédie, 
il  JbUait  que  l'ambassadeur  d'Autriche  près  le  Saint-Siège 


341  HISTOIftB 

obtînt  du  pape  une  lettre  encyclique  au  clergé  de  Gallicie 
pour  désapprouver  ses  démarches  en  faveur  des  victimes. 
Cette  lettre  contenait  des  conseils  humains  et  pacifiques  qu'il 
eût  été  plus  dignes  d'un  pape  de  donner  au  gouvernement 
égorgeur,  et  qui  contrastent  d'une  manière  pénible  avec 
Pacte  infâme  que^  moins  que  tout  autre,  le  chef  spirituel  des 
chrétiens  devait  justifier. 

Voilà  ce  qui  se  passa  avant,  pendant  et  après  les  massa- 
cres de  la  Gallicie,  une  chose  horrible  de  plus  qu'on  peut 
inscrire  dans  les  annales  du  xix'  siècle,  un  fait  épouvantable 
que  nul  n'essaya  de  démentir,  un  fait  clair  comme  le  jour, 
mais  comme  un  jour  sanglant  et  hideux^  comme  tout  ce  qu'il 
y  a  de  plus  sanglant  et  de  plus  hideux  dans  Thistoire. 

Revenons  maintenant  à  Cracovie,  où  nous  avons  laissé  le 
gouvernement  révolutionnaire  se  flattant  d'une  espérance 
qui  ne  devait  pas  se  réaliser. 

La  Gallicie,  ainsi  livrée  à  cette  armée  d'égorgeurs,  dont  le 
gouvernement  autrichien  s'était  assuré  la  coopération,  ren- 
dait désespérée  la  cause  des  insurgés  à  Cracovie.  En  effet,  les 
débris  des  trois  colonnes  que  nous  avons  vu  dirigées  vers 
Gdow,  Wadowice  et  Saodeez,  étaient  rentrés  dans  la  ville  et 
7  avaient  porté  la  plus  profonde  consternation;  En  même 
temps,  les  Autrichiens^  qui  ne  s'étaient  éloignés  que  pour 
donner  à  la  révolution  le  temps  de  prendre  quelque  consis- 
taoce,  afin  d'avoir  plus  de  victimes  a  frapper,  revinrent  sur 
leurs  pas.  Arrivé  à  Podgorze,  le  général  CoUin  braqua  des 
canons  sur  la  ville  et  menaça  de  la  bombarder.  Le  dictateur 
Tissowski  se  prononça  d'abord  pour  une  résistance  à  ou- 
trance :  il  ordonna  de  faire  des  barricades.  Bronislas  Dom- 
browski,  qui  avait  été  nommé  général  de  la  révolte  sur  la 
rive  droite  de  la  Vistule^  partagea  son  avis  et  offrit  de  le 
seconder.  Mais  les  bourgeois  les  plus  notables  leur  ayant  fait 
entrevoir  la  témérité  de  celte  défense  et  les  malheurs  inouïs 
qu'elle  attirerait  sur  la  ville,  il  fut  résolu  qu'on  entrerait  en 
négociation  avec  le  général  Collin.  Une  ressource^  il  est  vrai, 
restait  aux  insurgés,  celle  de  risquer  le  passage  delà  Vistule 
pour  pénétrer  dans  la  Gallicie,  au-dessous  de  Podgorze  ;  mais 
la  hauteur  des  eaux  de  la  Vistule,  à  cette  époque,  leur  ôta 
cette  dernière  et  seule  chance^  non  pas  seulement  de  succès^ 
mais  de  salut. 

Cependant,  dans  la  nuit  du  2  au  3  niars^  le  corps  principal 
des  insurgés  quitta  la  ville,  après  avoir  retiré  les  postes  qui 
gardaient  la  Vistule.  Ceux  qui  restèrent  envoyèrent  dès  lors 
au  général  Collin,  en  qualité  de  parlementaires,  deux  Fran- 
çais qui  habitaient  depuis  longlenifis  Cracovie.  Le  géniral 
autrichien  refusa  d'entrer  en  négociation  avec  des  Français, 
et  demanda,  avant  tout,  à  parler  à  des  bourgeois  do  Cracovie. 


DE  LA  BÉVOLVTION  POLONAISE.  3^5 

11  se  forma  alors  un  nouveau  comité  de  sûreté,  composée  de 
MM.  Jos.  Wodzicki,  Pierre  Moszinski,  Kosowski,  Léon  Bocbe- 
neck,  Antoine  Hentzel,  Hilarius  Mecisczewski,  secrétaire.  Le 
premier  soin  de  ce  comité  fut  d'envoyer  des  députés  munis 
de  pouvoirs  auprès  des  commandants  des  corps  de  troupes 
stationnées  à  la  frontière,  afin  de  connaître  la  décision  des 
trois  puissances  au  sujet  de  la  ville  de  Cracovie,  et  pour  re- 
commander à  leur  clémence  les  habitants  de  cette  capitale. 
En  même  temps,  il  pijblia  l'arrêt  suivant  : 

((  Le  comité  soussigné,  en  priant  tous  les  habitants  bien 
intentionnés  d'attendre  le  résultat  des  démarches,  ordonne  ce 
qui  suit:  !<"  11  est  défendu,  sous  peine  sévère,  de  tirer  dans 
les  rues.  2''  A  Texception  de  la  garde  de  sûreté,  personne  ne 
pourra  portef  des  ariçes.  Les  armes  et  effets  militaires  de- 
vront être  déposés  à  la  direction  de  la  police,  à  l'exception  de 
ceux  de  la  garde  de  sûreté. 

«  Cracovie;  3  mars  1846.  » 

Le  même  jour,  conformément  aux  intentions  du  général 
Collin,  une  députation  de  sénateurs  se  rendit  au  quartier 
général  autrichien,  et  en  rapporta  les  conditions  suivantes. 

PodgoTze,  3  mard. 

c  Attendu  que  les  rebelles  ont  quitté  Cracovie,  et  que  la 
bourgeoisie  de  cette  ville,  dans  laquelle  il  n'existe  plus  de 
gouvernement,  a  imploré  la  protection  des  trois  haules  puis- 
sances, pour  défendre  les  personnes  et  les  propriétés,  je 
déclare  que  je  consens  à  lui  accorder  cette  protection,  mais 
sous  la  réserve  expresse  (|ue  ce  ne  sera  que  provisoirement, 
et  jusqu'à  ce  que  les  trois  puissances  protectrices  aient  pris 
une  décision  ultérieure,  et  ce  ne  sera,  toutefois,  qu'aux  con- 
ditions suivantes  : 

a  1»  La  ville  de  Cracovie  me  livrera  tous  les  chefs  rebelles 
qui  se  trouvent  encore  dans  ses  murs,  ou  m'indiquera  le  lieu 
où  ils  se  sont  retirés; 

a  2*'  Les  habitants  seront  entièrement  désarmés  ;  et,  le 
5  mars,  à  midi  précis,  les  armes  de  tout  genre  devront  avoir 
été  livrées  et  être  déposées  au  château,  où  une  commission 
nommée  par  moi  les  recevra  ; 

«  3'*  Quiconque,  pendant  que  je  serai  à  Cracovie,  sera 
trouvé  les  armes  à  la  main,  passera  devant  un  conseil  de 
guerre  dans  les  vingt-quatre  heures.  11  en  sera  de  même  de 
tous  ceux  dans  la  maison  desquels  des  armes  seraient  décou* 
vertes  ; 

a  4"*  Le  sénat  actuel  de  Cracovie  est  chargé,  sous  la  prési- 
dence du  sénateur  Kopf,  de  diriger,  jusqu'à  la  décision  ulté- 

44 


346  HISTOIRB 

rîeure  des  irois  hautes  puissances  protectrices,  les  affaires 
intérieures  de  la  ville  et  du  territoire  de  Cracovie.  > 

A  ces  conditions^  les  envoyés  de  Cracovie  répondirent  que 
Cracovie  ne  s'était  nullement  insurgée  ;  qu'en  face  de  Téloi- 

S^nement  tant  soit  peu  rapide  des  troupes  autrichiennes,  il 
allait  bien  constituer  une  espèce  de  gouvernement,  a  L'ad- 
ministration révolutionnaire,  ajoutaient-ils,  n'était  qu'un 
épisode  auquel  la  ville  n'avait  guère  pris  part.  Si  le  général 
n'était  pas  parti  d'une  manière  si  imprévue,  il  n'aurait 
jamais  été  question,  à  Cracovie,  d'une  insurrection  quelcon- 
que, » 

Le  général  autrichien  refusa  d'admettre  ces  raisons,  et 
insista  pour  avoir  des  otages.  « 

Le  lendemain,  I  mars,  le  comité  de  sûreté,  auquel  se  joi- 
gnirent encore  trois  bourgeois  notables,  envoya  au  général 
Coilin  une  dépêche  conçue  dans  des  termes  soumis»  mais 
.  fermes,  et  dans  laquelle  il  le  priait  de  renouer  les  négocia- 
tions, et  d'avoir  égard  à  la  position  critique  de  la  ville.  Le 
général  Coliin,  qui,  comme  toutes  les  autorités  autrichiennes, 
avait  des  pouvoirs  pour  égorger,  mais  non  pour  faire  grâce, 
répondit  qu'il  manquait  de  pouvoirs  pour  entrer  en  négocia-  ^ 
tious,  et  qu'il  laissait  encore  à  la  ville  douze  heures  pour 
réfléchir.  Dans  l'intervalle,  les  Russes,  qui,  durant  les  négo- 
ciations avec  Je  général  CoUin,  avaient  été  secrètement  invités 
à  venir  occuper  la  ville,  y  pénétrèrent.  Un  corps  de  cavalerie, 
parcourant  les  rues  au  grand  galop,  tut  immédiatement  suivi 
d'un  régiment  de  Circassiens  commandé  par  le  colonel 
Svireytkowski.  En  apprenant  l'entrée  des  Russes,  le  général 
Coilin,  désappointé,  ne  parla  plus  ni  d*6tages,  ni  de  livrer  les 
chefs;  et  les  Autrichiens,  s'empressant  de  suivre  l'exemple 
des  Russes,  entrèrent  dans  la  ville  purement  ^t  simplement. 
Le  lendemain,  les  Prussiens  entrèrent  à  leur  tour. 

Les  corps  ainsurgés  que  la  crue  des  eaux  de  la  Vistule 
empêcha  de  pénétrer  en  Gallicie,  s'étaient  rendus  aux  fron- 
tières prussiennes,  où  ils  avaient  mis  bas  les  armes. 

Maintenant,  une  justice  à  rendre  au  gouvernement  pro- 
visoire et  révolutionnaire,  c'est  que  ,^  durant  son  règne,  il 
n'y  eut  ni  violence  ni  désordre;  jamais  les  rues  de  Cracovie 
ne  furent  si  sûres  que  pendant  les  six  jours  de  révolution  j 
aucune  attaque  n'eut  lieu  ni  contre  les  personnes,  ni  contre 
les  propriâtés^  un  seul  homme  perdit  la  vie  :  ce  fut  un  misé- 
rable, nouiine  Weinsberger,  qui  avait  dénoncé  plus  de  sept 
cents  Polonaise  la  police  russe,  dont  il  était  l'agent  secret  ;  il 
fut  massacré  par  ses  propres  domestiques. 

Cette  modération  des  pouvoirs  révolulionnaires  dans  le 
triomphe,  que  nous  avons  eu  occasion  de  constater  déjà  plu- 
sieurs fois,  mise  en  regard  des  foreurs  qui  accompagnent 


DE  Là  RÉyOLOTK»!  POLORAISB.  3^7 

toujours  les  succès  des  pouvoirs  dits  lé^fitimes,  est  un  &it 
caractéristique  qu'on  ne  saurait  trop  constater,  car  il  prouve^ 
par  l'histoire  du  monde  entier,  que  là  où  est  la  modération  et 
la  justice,  là  aussi  est  la  force  réelle. 

A  cette  modération,  les  Cours  spoliatrices  répondirent  par 
la  mise  en  état  de  siège  des  diverses  provinces  insurgées;  en- 
suite vinrent  les  arrestations,  les  confiscations,  les  déporta- 
tions en  Sibérie,  la  mise  à  prix  des  têtes  des  princi|MLax 
insurgés,  les  cachots  et  les  exécutions.  La  Prusse,  qui  se 
montra  plus  modérée  que  ses  complices,  se  contenta  de  rem- 
plir ses  forteresses  des  insui^és  qui  s'étaient  livrés  à  sa  foi, 
et,  quand  ses  cachots  regorgèrent  de  ces  malheureux  pros- 
critSy  elle  livra  le  reste  à  TAutriche.  La  Russie  laissa  au  temps 
et  aux  tortures  morales  et  physiques  le  soin  de  remplir  ce 
dernier  office.  Par  un  ukase  du  6  mars,  elle  ordonna  que 
«  tous  les  individus  appartenant  à  la  classe  des  prisonniers 
politiques  qui  se  trouvaient  exilés  en  Sibérje,  et  y  seraient 
entrés  au  service  de  la  couronne,  ne  pourraient  plus  être 
libérés  de  ce  service  qu'en  prenant  l'engagement  par  écrit  de 
ne  jamais  quitter  le  lieu  où  ils  servaient,  et  de  demeurer  à 
perpétuité  soumis  à  la  police  locale.  »  Cet  ordre  fut  expédié 
aux  chefs  de  la  police  centrale  de  la  Sibérie  de  l'ouest  et  de  la 
Sibérie  de  Test.  En  même  temps,  le  roi  Frédéric-Guillaume 

Eublia  une  ordonnance,  qui  clôt  dignement,  par  la  calomnie, 
i  menace  et  l'arbitraire,  cette  première  série  d'iniquités. 

Passons  maintenant  au  dénoûment  de  ce  lugubre  drame, 
au  but  principal  que  s*étaient  proposé  les  trois  cours  spolia- 
trices. 

On  comprend  sans  peine  comment  l'Autriche,  prévenue  en 
même  temps  que  la  Russie  et  la  Prusse  du  grand  mouvement 
insurrectionnel  qui  se  préparait,  non-seulement  ne  fit  rien 
pour  le  prévenir,  mais  encore  en  facilita  Texécution  par  tous 
les  moyens.  Le  but  à  atteindre  nécessitait  cet  infernal  machia- 
vélisme; mais  ce  ne  fut  que  quelques  mois  après  que  l'Eo*- 
rope  stupéfaite  vit  clair  dans  cet  abîme  d'iniquités. 

Voici  ce  qui  arriva. 

En  résumant  d'abord  ce  que  nous  venons  de  relater,  nous 
trouvons  que  l'insurrection  était  partout,  dans  la  Gallicie,  le 
duché  de  Posen,  celui  de  Varsovie,  toute  l'ancienne  Pologne, 

Ïirtout  en  un  mût  où  le  nom  de  patrie  antiaue  était  sacré, 
u  premier  mouvement,  les  troupes  autrichiennes  furent 
appelées  à  Cracovie,  puis  disparurent  tout-à-coup,  afin  que 
M.  de  Metternich  pût  alors  faire  commencer  cette  jacauerie 
organisée  depuis  plus  de  trois  mois,  préparée  d'ailleurs  depuis 
longues  années,  avec  cette  atroce  persévérance  de  l'Autriche, 
et  qui  précipita  une  multitude  ignorante  et  féroce  contre  des 
concitoyens  dont  on  payait  effrontément  l'assassinat.  Mais 


348  H18T0IRB 

cette  vague^  une  fois  souleyée,  ne  put  immédiatement  rentrer 
dans  son  lit.  L'incendie,  le  pillage,  l'assassinat  continuèrent 
à  désoler  cette  maibeureuse  contrée.  Ce  ne  fut  plus  alors  de 
soulèvements  politiques  dont  il  fut  question,  mais  de  bandes 
de-brigands  insatiables,  de  dévastations^  de  meurtre  et  de 
pillage.  Cet  état  d'anarchie  avait  été  prévu  par  M.  de  Melter- 
nicb,  qui;  avec  cette  froide  impassibilité  d'un  homme  habitué 
à  commander  des  massacres  et  des  égorgements^  essaya  d'y 
mettre  un  terme  en  proclamant  la  loi  martiale. 

Une  fois  la  tragédie  jouée^  les  acteurs  qui  avaient  présidé  à 
la  mise  en  scène,  devaient  naturellement  chercher  à  en  re- 
tirer le  lucre  qu'ils  s'en  étaient  promis.  Comme  nous  l'avons 
dit,  le  nom  seul  de  la  Pologne,  encore  subsistant  à  Cracovie, 
pesait  comme  un  remords  sur  ces  trois  couronnes  d*Autriche, 
de  Prusse  et  de  Russie,  qui  avaient  assumé  cette  honte  de  la 
civilisation  moderne.  Le  dernier  fantôme  de  la  Pologne,  avec 
ses  nobles  souvenirs,  importunait  encoi-e.  Cracovie  était  le 
Westminster  de  la  Pologne;  elle  conservait  dans  ses  murs 
l'ancien  palais  de  ses  rois  qui  avaient  fondé  la  civilisation, 
préservé  la  ville  de  Vienne  elle-même,  arrêté  la  marche  vic- 
torieuse de  l'islamisme  ;  elle  renfermait,  en  outre,  les  tombes 
de  Kosciuszko  et  de  Poniatowski,  nobles  souvenirs  qui  ofiTus- 
quaient  TAutriche.  Cracovie  se  trouvait  ainsi  comme  repré* 
sentant  de  la  raison  et  du  cœur  de  la  Pologne;  et,  a  ce  titre.> 
les  trois  co-partageants,  dignes  successeurs  de  Catherine,  dé 
Frédéric  et  de  Joseph,  devaient  vouloir  faire  disparaître  Cra- 
covie de  la  carte  de  l'Europe.  Alors,  plus  de  Polonais,  plus  de 
Pologne  nulle  part;  de  cette  race  proscrite,  partagée,  dispersée 
en  lambeaux  dans  tout  l'univers,  il  ne  resterait  même  plus 
une  nécropole  :  Cracovie,  ce  serait  TAu triche;  Posen,  ce  serait 
la  Prusse  ;  Varsovie,  ce  serait  la  Russie. 

Cen'é  lait  pas  tout  d'avoir  comploté  le  vol,  de  Tavoir  rendu 
praticable,  il  fallait  encore  Texecuter.  L'indépendance  de  Cra- 
covie avait  été  stipulée  par  les  traités  de  Vienne,  signés  par 
huit  puissances  ;  chaque  année,  à  la  Chambre  des  Depulés  de 
France,  on  avait  protesté  contre  l'anéantissement  de  la  Po- 
logne ;  dans  les  circonstances  graves,  l'Angleterre  s'était  as- 
sociée à  ces  protestations;  d'autres  puissances  de  deuxième 
ordre  avaient  témoigné  une  sympathie  plus  timide,  et  il  y 
avait  quelque  témérité  pour  les  puissances  spoliatrices,  de 
vouloir  annuler  à  trois  ce  qu'on  avait  stipulé  à  huit. 

Pendant  quelques  mois,  les  trois  puissances  n'osèrent  rien 
entreprendre;  mais,  vers  la  mi-octobre,  un  dissentiment 
ayant  éclaté  entre  la  France  et  l'Angleterre,  à  propos  du  ma^ 
riage  du  duc  de  Montpensier  avec  une  infante  d'Espagne,  les 
trois  cours  profitèrent  de  celte  occasion  pour  mettre  à  exécu- 
tion leur  plan  oroieté  de  spoliation* 


DE  LA  BÉVOLUTION  POLONAISE.  349 

Le  2S  novembre  1846,  il  parut  dans  les  journaux  d'Alle- 
magne deux  documents  destinés,  par  les  chancelleries  du 
Nord,  à  plaider  devant  l'Europe  et  l'histoire  le  bon  droit  du 
parjure  et  la  légitimité  de  la  spoliation. 

C'était  le  cynisme  du  mensonge  après  le  cynisme  du  vol  et 
de  l'assassinat. 

Cette  explication,  jetée  insolemment  à  la  face  des  puissances 
signataires  du  traite  de  Vienne,  était  une  espèce  de  réquisi* 
toire  après  le  crime;  et,  en  cette  circonstance,  M.  de  Metter- 
nich  ne  sut  pas  garder  la  divinité  du  bourreau  qui  frappe  et 
s'appuie  sur  sa  hache  sans  essuyer  le  sang.  Ni  lui,  ni  l'empe- 
reur qu'il  représentait,  ni  les  souverains  complices  de  cet 
empereur,  n'eurent  l'audace  d'affronter  le  crime  et  descendi- 
rent lâchement  à  le  justifier  par  une  longue  et  double  im* 
posture. 

La  presse  de  Paris  e.t  de  Londres  n'accueillit  qu'avec  des 
paroles  d'indignation  l'acte  de  brutalité  sauvage  qui  portait  le 
dernier  coup  a  la  Pologne.  Et  tous  les  journaux,  sans  accep- 
tion de  parti,  arrivèrent  à  cette  conclusion,  que  les  trois  sou- 
verains avaient  agi,  en  cette  circonstance,  absolument  comme 
des  bandits  armés  gui,  après  avoir  dévalisé  un  voyageur,  au- 
raient essayé  de  lui  prouver  la  légitimité  de  leur  acte  de  bri- 
gandage. 

En  effet,  ces  motifs  se  réduisaient  à  trois  :  1*  la  nécessité; 
2"*  le  droit  individuel  de  l'Autriche  sur  la  ville  de  Cracovie; 
3<»  le  droit  collectif  des  trois  Cours  de  faire  ce  qu'elles  avaient 
fait. 

Le  premier  motif,  la  nécessité,  n'était  pas  un  motif  sérieux; 
il  fùiiait  avoir,  en  effet,  toute  l'impudence  des  chancelleries 
absolutistes,  pour  oser  avancer  que  la  république  de  Cracovie, 
qui  comptait  au  plus  cent  cinquante  mille  âmes,  était  dange- 
reuse pour  l'existence  de  TAutriche,  de  la  Prusse  et  de  la 
Russie. 

Le  second  motif,  le  droit  individuel  de  l'Autriche  sur  Cra- 
covie, était  tout  aussi  dérisoire.  En  effet,  dans  son  manifeste 
de  prise  dû  possession  du  11  novembre,  l'empereur  Ferdi- 
nand 1«'  disait  qu'il  reprenait  la  ville  qui  avait  appartenu  lé- 
gitimement à  ;on  père  François  Ileikses  ancêtres. 

Or,  voici  ce  au'on  lit  dans  l'histoire  :  «  En  1683,  le  roi  de 
Pologne,  Sobieski,  partit  de  Cracovie  avec  sa  vaillante  armée, 
et  sauva  Vierme,  d'où  s'était  lâchement  enfui  l'empereur 
Léopold,  laissant  sa  capitale  et  TAutriche  à  la  merci  des 
Turcs.  »  Ce  n'était  probablement  pas  cet  ancêtre-là  qui  avait 
transmis  à  Ferdinand  1"  ses  droits  sur  Cracovie.  C'était  alors 
son  père,  François  11?  Or,  voici  ce  qu'on  lit  encore  dans  l'his- 
.  toire  :  a  En  1796,  Cracovie  fui  ptise  par  François  II.  Elle  fut 
gardée  jusqu'en  1809.  C'était  la  première  fois  que  cette  ville 


350  HISTOIRK 

tombait  aux  mains  des  Autrichiens.  APoccasionde  cette  occu- 
pation, accomplie  violemment  par  ordre  de  Francis  II,  ib  fut 
frappé  une  médaille.  »  Cette  médaille,  eu  effet,  existe  au  CQ" 
binet  des  antiques  de  Paris.  Le  droit  légitime  de  possession  de 
Cracovie,  invoqué  dès  lors  par  TAutriclie,  se  trouvait  réduit 
à  un  vol  violemment  accompli  eu  1796,  et  qu^elie  avait  été 
forcée  de  restituer  en  1809. 

Quant  au  troisième  motif,  le  droit  collectif  des  trois  cours 
il'agir  comme  elles  avaient  agi,  il  suffira  de  résumer  ce  c]ue 
nous  avons  dit  sur  les  conférences  qui  précédèrent  le  traité  de 
Vienne,  pour  se  convaincre  que,  dans  ce  manifeste,  tout  n'é- 
tait qu'imposture.  Nous  compléterons  ainsi  ce  qui,  dans  le 
traite,  concernait  la  Pologne. 

On  a  vu  que,  dans  ces  conférences,  la  Russie,  représentée 
par  Tempereur  Alexandre  en  personne,  avait  pris  le  rôle  de 

Srotectrice  de  la  uationaiilé  polonaise.  Maîtresse  du  grand- 
uchéde  Varsovie,  après  les  campagnes  de  1812  et  1813,  elle 
cherchait  à  retenir  seule  la  possession  de  tout  le  grand-duché. 
Cet  Etat,  à  gui  Napoléon  avait  donné  le  roi  de  Saxe  pour  sou- 
veiain.  avait  été  formé  des  provinces  qui,  par  les  partages 
successifs  de  la  Pologne,  en  1793  et  1795,  étaient  d'abord 
échues  à  la  Prusse  et  à  TAutriche.  Déjà,  en  1807,  le  cercle 
de  Bialystok  avait  été  détaché  de  la  partie  prussienne  par 
la  Russie,  qui ,  en  1809,  s'était  fait  adjuger  par  Napoléon 
le  cercle  de  Tarnopol,  faisant  partie  de  la  Gallicie  autri- 
chienne. En  1815,  la  Russie  voulait  couronner  foeuvre  d'en- 
vahissement, en  s'emparant  de  tout  le  grand-duché  ;  mais 
FAutriche  et  la  Prusse  s'opposèrent  de  toutes  leurs  forces  à 
cette  incorporation  :  chacune  d'elles  voulait  avoir  sa  part  de 
la  Pologne.  La  Prusse  faisait  valoir,  auprès  de  l'empereur 
Alexandre,  les  grandes  perles  qu'elle  avait  éprouvées  dans  ses 
guerres  avec  Napoléon  ;  ûdèle  à  son  système  des  arrondisse- 
ments,  elle  faisait  remarquer  la  configuration  bizarre  et  dan- 

Îereuse  pour  sa  sécurité,  que  lui  avait  donnée  le  traité  de 
807  :  la  Silésie  d'un  côté,  la  Prusse  royale  de  l'autre,  s'éten- 
daient en  effet  comme  deux  grands  bras,  en  laissant  un  creux 
au  milieu. 

L'Autriche  voulait,  à  son  tour,  gagner  la.Gallicie  orientale, 
qu'elle  avait  perdu  en  1809. 

L'empereur  Alexandre  tint  bon,  et  ne  voulut  consentir  à 
aucun  morcellement  du  grand-duché.  Il  opposait  aux  préten* 
tibnsdes  deux  puissances  alliées  son  droit  de  conquête,  et,  h 
ce  qu'il  disait,  le  vœu  unanime  de  tous  les  Polonais,  qui  lui 
oOraient  la  couronne.  Les  négociations  se  traînaient  pénible- 
ment. La  Prusse  demandait,  avant  tout,  la  réintégration  de 
Thorn  et  de  Dantzick;  l'Autriche  voulait  acquérir  au  moins 
Craco  vie.  Cependant,  pour  terminer  ce  débat,  Alexandre  mit  en 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  351 

avant  VMée  qwî,  selon  un  bruit  répandu,  lui  fut  suggérée  par 
le  prince  Czartoryski,  de  faire  de  Cracovie  une  ville  libre, 
comme  Francfort,  et  de  la  déclarer  strictement  neutre.  L^dée 
fut  d'abord  repoiissée  par  l'Autriche,  et  ses  prétentions  allant 
toujours  en  augmentant,  il  y  eut  un  moment  où  les  trois  puis- 
sances co-partageantes  allaient  peut-être  en  venir  à  une  rup- 
ture, lorsque  le  retour  de  Napoléon  de  Wle  d'Elbe,  et  son  dé- 
barquement à  Cannes,  vinrent  mettre  une  trêve  à  cette  mé- 
sinleVligence.  Les  négociationsfurentimmédiatementrepriseg. 
La  Prusse  obtint,  dos  Tabord^  les  départements  de  Posen  et 
de  Bromberg,  avec  une  partie  de  celui  de  Kalisch,  dont  fut 
formé  le  grand-duché  de  Posen.  Cette  puissance  rentra  aussi 
dans  la  possession  de  Dantzick  et  de  Thorn. 

Quant  à  Cracovie,  elle  fut  déclarée,  sans  condition,  ville 
libre,  indépendante  à  perpétuité,  et  strictement  neutre. 

Nous  devons  ajouter  à  ce  précis  historique  que  la  liberté, 
l'indépendance,  la  neutralité  de  Cracovie,  n'ont  jamais  été 
que  nominales.  D'abord,  dès  1833,  les  puissances  spoliatrices 
commencèrent  à  substituer  une  nouvelle  constitution  à  celle 
qui  avait  été  incorporée  dans  les  traités  de  Vienne,  et  à  faire 
passer  à  leurs  propres  résidents  le  pouvoir  suprême  qui  ap- 
partenait aux  magistrats  de  la  ville.  Voilà  pour  Tindépen- 
dance  de  Cracovie.  Voici  maintenant  pour  sa  neutralité.  En 
1836,  sous  les  prétextes,  les  plus  frivoles,  Cracovie  avait  été 
occupée  par  les  troupes  autrichiennes,  et,  à  la  suite  de  bruits, 
de  troubles  et  de  projets  révolutionnaires  répandus  par  la  vile 
police  d'Autriche,  deux  ou  trois  cents  victimes  avaient  été  en- 
levées sans  jugement  du  territoire  neutre,  et  bannies  dans 
l'Europe  occidentale  ou  en  Amérique. 

Ainsi,  on  voit  que  le  troisième  motif  allégué  par  le  mani- 
feste autrichien  pour  justifier  un  acte  injustifiable,  n'était  pas 
{Aus  fondé  aue  les  autres.  L'incorporation  de  Cracovie  à  l'An- 
riche  ne  fut  que  la  recrudescence  d'un  crime  politique  qui, 
depuis  cinquante  ans  fait  la  honte  de  ce  gouvernement.  Puis, 
l'anéantissement  des  traités  de  Vienne  ;  car  0es  traités  violés 
sur  un  point  ne  peuvent  rester  obligatoires  sur  d'autres.  Les 
Cours  du  Nord  venaient  de  déchirer  elles-mêmes  les  titres  de 
propriété  en  vertu  desquels  elles  exerçaient^ sur  tant  de  pro* 
minces  illégitimement  acquises,  une  domination  nominale 
plutôt  qu'une  autorité  solide  et  bien  assise.  En  accomplissant 
leur  œuvre  de  spoliation  et  d'oppression,  en  violant  peu  à  peu 
^toutes  les  garanties  à  la  condition  desquelles  Cracovie  avait 
été  laissée  sous  leur  protection,  en  couronnant  tous  ces  em- 
piétements par  l'annihilation  totale  de  la  république,  la  Rus- 
sie, l'Autriche  et  la  Prusse  accomplirent  l'acte  le  ()lu3  radica-  - 
lementrévolutionnaire  dans  son  ensemble,  qui  eût  été  commis 
depuis  le^ngrès  de  Vienne;  ce  fut  surtout  le  plus  subversif 


352  HISTOIRE 

du  principe  général  qui  maintenait  les  arrangements  territo- 
riaux existant  sur  le  continent. 

Un  tel  acte  ne  pouvait  passer  sans  protestation  de  la  part 
des  grandes  couronnes  de  TEurope  occidentale.  L'Angleterre 
donna  l'exemple. 

Dans  cette  pièce  assez  longue  et  écrite  en  termes  secs  et 
froids,  lord  Palmerston,  ministre  des  affaires  étrangères,  rai- 
sonnait dans  rhypothèse  que  Tusurpation  de  Cracovie  n'était 
encore  qu'un  projet,  et  s'attachait  à  faire  ressortir  les  incon- 
vénients d'une  telle  mesure,  il  discutait  ensuite  les  deux 
auestions  de  droit. et  de  nécessité.  Sur  la  question  de  droit, 
établissait,  en  rappelant  le  texte  des  traites,  que  les  condi- 
tions arrêtées  dans  un  engagement  solennel  par  huit  puis- 
sances, ne  sauraient  être  modiflées  et  annulées  par  trois  d'en- 
tre elles. 

Sur  la  question  de  nécessité,  il  n'admettait  pas  davantage 
la  solution  nue  semblaient  vouloir  adopter  les  Cours  du  Nord. 
«  Que  trois  des  plus  puissants  Éiats  de  TEurope,  disait  la  note, 
invoquent  la  nécessité  pour  détruire  l'existence  d'une  petite  ré- 
publique dont  la  population  ne  compte  pas  130,000  âmes,  c'est 
madmissible.  Les  puissances  se  plaignent  encore  de  ce  que 
Cracovie  serait  devenu  un  foyer  de  conspirations  et  d'intrigues 
politiques.  Mais,  en  admettant  même  la  réalité  du  fail,  il  se 
présente  alors  deux  hypothèses  :  ou  ces  conspirateurs  sont 
gens  du  pays,  ou  ils  sont  venus  du  dehors.  Dans  le  second 
cas,  ce  n'est  pas  à  Cracovie,  mais  bien  aux  puissances  elles- 
mêmes  q[u'il  faut  s'en  prendre,  car  leur  territoire^enferme  de 
tous  côtés  celui  de  la  république.  Dans  le  premier  cas,  est-il 
possible  de  croire  qu'une  ville  comme  Cracovie  refuserait  à 
trois  puissances  comme  l'Autriche,  la  Prusse  et  la  Russie,  de 
comprimer  les  conspirations,  de  faire  cesser  les  intrigues, 
dont  ces  puissances  auraient  alors  un  si  juste  sujet  de  se 
plaindre;  et  si  elle  avait  la  folie  de  s'y  refuser,  quelles  diffi- 
cultés pourraient  jamais  rencontrer  ces  trois  puissances, 
réduites  à  se  faire  justice  elles-mêmes  dans  la  limite  des 
traités?  » 

La  protestation  du  ministère  français  fut  un  peu  plus  signi- 
ficative. Elle  était  datée  du  3  décembre.  Elle  contenait  l'ex- 
pression modérée  dans  la  forme,  de  la  profonde  injustice,  du 
défaut  de  sagesse  de  l'acte  du  16  novembre,  et  de  la  convic- 
tion qu'il  rendait  à  toutes  les  puissances  de  l'Europe  la  liberté 
la  plus  entière  vis-à-vis  des  traités  ainsi  détruits. 

Le  cabinet  français  exprimait  d'abord  sa  profonde  et  dou- 
loureuse surprise  de  la  résolution  des  puissances;  il  montrait 
qu'elles  avaient  subordonné  à  des  motifs  secondaires,  acces- 
soires, les  raisons  générales  et  plus  puissantes  que  comman- 
dait le  respect  des  traités,  de  ces  traités,  objet  de  plus  d'une 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLOlf  AI8B.  353 

résistance,  et  qui  ont  créé  des  souffrances  de  pluu  d'une  sorte. 
Il  rappelait,  en  termes  vivement  sentis,  ce  qu^ivait  été  la  Po- 
logne, et  montrait  qu'on  n'eût  pas  dû  s'étonner  de  voir  les 
membres  épars  de  ce  grand  Etat,  violemment  détruit,  éprou- 
ver encore  des  convulsions.  La  Pologne  ayant  perdu  dans  le 
monde  politique  le  rang  qu'elle  a  conservé  dans  Thistoire^ 
ayant  été  détruite,  partagée,  les  traités  qui  reconnaissent  de 
tels  faits  ne  pouvant  faire  disparaître  tout  à  coup  les  angoisses 
et  les  plaies  sociales  qui  en  résultaient^  il  fallait  en  prendre 
son  parti. 

Le  Cabinet  français  réfutait  ensuite  les  raisons  données  par 
la  Cour  de  Vienne,  pour  justifier  la  prise  de  possession  de 
Cracovie.  Il  établissait  que  l'acte  du  Congrès, de  Vienne  et  le 
traité  dii  5  mai  ne  furent  pas  l'œuvre  exclusive  des  trois  puis- 
sances, et  que  le  sort  de  la  Pologne  ayant  été  réglé  par  une 
délibération  européenne,  il  n'était  donc  pas  permis  de  suppri- 
mer le  résultat  de  cette  délibération.  La  dépêche  se  terminait 
en  protestant  solennellement  contre  Tacte  des  trois  puissan- 
ces; et  afin  que  cette  conclusion  ne  fût  pas  un  vain  rappel  ai> 
respect  des  traités,  on  avait  soin  de  constater  qu'aucune  puis- 
sance ne  pouvait  s'en  affranchir  sans  en  affranchir  toutes  les 
autres. 

Au  moment  même  où  l'on  protestait  si  solennellement,  le 
czar  Nicolas  se  disposait  à  mettre  à  exécution  l'ukase  du  mois 
de  décembre  1845,  par  lequel,  au  1"  janvier  1847,  on  devait 
compléter  la  dénationalisation  de  la  Pologne,  en  lui  enle- 
vant le  conseil  d'administration  elles  autoritésadmijiistratives 
qu'elle  avait  conservés  jusqu'alors  comme  royaume  indé- 
pendant. Ainsi,  douanes,  législation  et  administration  dis- 
tinctes, institutions  nationales,  écoles,  religion,  tout  ce  que  les 
traités  avaient  conservé  à  la  Pologne,  tout  allait  être  passé  au 
creuset  moscovite. 

Cette  brutale  décision,  qui  cependant  fut  alors  ajournée^ 
ne  surprit  personne  de  la  part  du  czar  Nicolas,  prince  à  vues 
étroites,  à  passions  mesquines,  à  haines  puériles,  vraie  nature 
de  barbajce  à  peine  dégrossie,  courant  après  l'éclat  de  la  force 
brutale,  et  n'ayant  pas  même  su  emprunter  à  la  civilisation 
le  vice  le  plus  commun  aux  soiwverains  absolus,  l'hypocrisie 
des  moyens. 

Pendant  que  les  gouvernements  accueillaient  cette  grande 
iniquité  avec  une  sorte  de  réserve,  les  partis  à  opinions 
ardentes  la  flétrissaient  avec  une  énergie  peu  commune. 

Mais  alors  déjà,  lorsque  retentissaient  ces  nobles  protes- 
tations, l'attentat  était  consomme.  Depuis  le  16  novembre, 
TAulriche  avait  solennellement  pris  possession  de  Cracovie. 
Uès  le  matin,  le  général  autrichien  comte  de  Castiglione 
s'était  placé,  entouré  d'un  brillant  état-major,  sur  le  balcon 

45 


354  H16T01RI 

du  palais  sénatorial;  et  du  haut  de  ce  balcon,  d^où  jadis  les 
Jagellons  avaient  harangué  leur  vaillante  noblesse,  d'où  Kos- 
ciuszko  avait  adressé  \h.  parole  aux  porteurs  dé  faulx  de  la  Ma- 
zurie,  plus  vaillants  encore  que  les  nobles,  le  général  autri- 
chien prononça  sa  sentence  de  mort  au  dernier  fragment 
de  l'indépendance  polonaise. 

Le  comte  de  Castiglione  lut  une  proclamation  en  allemand 
et  en  polonais^  qui  fut  immédiatement  affichée  à  toutes  les 
rues  et  places.  Après  cette  lecture,  Taigle  autrichien  fut 
arboré  sur  le  palais  du  sénat  et  salué  par  des  coups  de  canon. 

Le  peuple-assista,  silencieux  et  frémissant,  à  cette  céré- 
monie, que  les  sbires  d'Autriche  terminèrent  en  entonnant 
rhymne  national  autrichien.  (Dieu  conserve  notre  empereur 
Ferdinan(>!) 

La  postérité  garde  pour  lui  une  autre  invocation. 

Ce  fut  là  le  dernier  acte  du  drame.  Les  hommes,  qui 
venaient  de  répéter  à  la  lettre  la  sanguinaire  épisode  du 
massacre  de  la  Saint-Barthélémy,  en  armant  et  en  excitant 
une  classe  de  la  société  contre  l'autre,  purent  convertir  en 
casernes  autrichiennes  le  palais  des  Jagellons,  et  garder  les 
tonibes  de  Jean  Sobieski  et  de  Kosciuszko  i  C'était  la  dernière 
insulte  que  pouyiit  recevoir  le  nom  polonais. 

Pendant  que  l'opinion  européenne  était  le  plus  vivement 
agitée  pr  cet  attentat  des  trois  Cours,  l'Autriche  crut  devoir 
réponclre  aux  pâles  protestations  des  Gouvernements  français 
et  anglais,  et  essayer  de  couvrir  du  manteau  du  droit  cette 
iniquité  nouvelle. 

Cette  nouvelle  était  à  peine  connue  à  Paris,  que  la  session 
des  Chambres  s'ouvrit.  L'opinion  publique  attendait,  avec 
Bne  incroyable  impatience,  le  discours  du  Trône,  pour 
connaître  comment  serait  appréciée  par  le  gouvernement 
cette  dernière  et  si  effrontée  atteinte  à  la  nationalité  polo- 
naise. Elle  ne  fut  que  médiocrement  satisfaite  du  paragraphe 
Îai  s'y  rapportait,  et  qui  n'était  que  le  simple  exposé  des  faits, 
e  voici  : 

a  Un  événement  inattendu  a  altéré  l'état  des  choses  fondé 
«  en  Europe  par  le  dernier  traité  de  Vienne.  La  république  de 
a  Cracovie,  Etat  indépendant  et  neutre,  a  été  incorporée  à 
c  l'empire  d'Autriche;  j'ai  protesté  contre  cette  infraction 
c  aux  tcaités.  » 

Le  3  levrier  1847,  la  discussion  s'ouvrit  sur  ce  paragraphe 
à  la  Chambre  des  Députes,  qui,  depuis  seize  ans,  n'avait  cesse 
de  glisser  une  seule  fois  dans  son  Adresse  un  vœu  sympa- 
thique pour  la  nationalité  polonaise.  De  tels  précédents  lui 
faisaient  un  devoir,  en  cette  circonstance,  de  |)iendre  une 
attitude  ferme,  telle  qu'elle  convient  aux  représcnlanls  d'un 
grand  peuple;  et,  en  présence  de  cette  violation  flagrante 


DK  LA  RÉVOLUTION  P0L0NAI8S.  355 

des  traités  de  Vienne,  par  ceux-là  mêmes  qui  avaient  seuls 
gagné  à  ces  traités^  de  déclarer  solennellement  que  les  puis- 
sances absolutistes  n'avaient  pu  se  dégager  des  traités^  sans 
en  dégager  la  France.  C'est  ce  qu'elle  fit  en  votant^  en  réponse 
la  communication  du  Trône  le  paragraphe  suivant  : 

«  Un  événement  inattendu  a  altéré  l'état  de  choses  fondé  en 
«  Europe  par  le  dernier  traité  de  Vienne.  La  république  de 
<x  Cracovie,  Etat  indépendant  et  neutre^  a  été  incorporée  à 
a  l'empire  Autrichien.  La  France  veut  sincèrement  le  respe<4 
a  de  rindépendance  des  Etats  et  le  maintien  des  engagements 
a  dont  aucune  puissance  ne  peut  s'affranchir  sans  en  affranchir 
«  en  même  temps  les  autres.  En  protestant  contre  cette  viola* 
fi  tion  des  traités,  nouvelle  atteinte  à  l'antique  nationalité 
«  polonaise.  Votre  Majesté  a  rempli  un  impérieux  devoir,  et 
«  répondu  à  la  juste  émotion  de  la  conscience  publique,  b 

Sur  cette  affaire  de  Cracovie,  la  Chambre  entendit  tour  à 
tour  MM.  de  Falloui  et  de  Mornaj;  mais  toute  sa  curieuse  at- 
tention se  porta  sur  les  discours  de  M.  de  Genoude  et  de  M. 
Odillon  Barrot  surtout,  qui  flétrit  avec  un  magnifique  lan- 
gage l'acte  spoliateur  d  js  trois  puissances. 

Le  ministre  des  affaires  étrangères,  M.  Guizot,  n'essaya  pas 
de  détruire  l'effetproduit  par  ces  discours,  maisil  fltclairement 
entendre  qu'une  protestation  plus  explicite  que  celle  du  3  dé- 
cembre, et  dont  le  sens  serait  de  déclarer  les  traités  de  1815 
anéantis,  aurait  la  guerre  pour  inévitable  résultat,  et  la 

Îuerre  contre  quatre  puissances.  Cependant,  vivement  pressé 
e  s'expliquer  sur  le  sens  de  sa  protestation,  il  finit  par  dire  : 
a  L'événement  consommé,  qu'a  fait  le  gouvernement  du 
«  Roi?  Il  a  protesté.  Il  a  vu  dans  la  destruction  de  la  franchise 
«  de  Cracovie  un  fait  contraire  an  droit  européen.  Il  Ta  qua- 
«  lifié  selon  sa  pensée.  Et  en  même  temps  il  en  a  pris  acte^ 
a  afin,  dansl^avenir,  s^ily  avait  lieu,  d'en  tenir  le  compte  que 
<  lui  conseillerait  nt  les  intérêts  légitimes  du  pays.  9 

Ainsi,  la  situation  qu'avait  créée  pour  les  puissances  de 
l'Europe  Tattentat  de  Cracovie,  pourrait  se  résumer  ainsi  : 

L'Autriche,  s'était  chargée  sans  scrupule  d'une  iniquité  de 
plus. 

La  Prusse  décidée  en  cette  circonstance  à  tolérer  pour  l'Au- 
triche ce  système  des  arrondissements  qu'elle  pratique  si  bien 
pour  son  propre  compte^  semblait  persuadée  de  n'avoir  créé 
pour  son  éternelle  rivale  qu'un  embarras  de  plus,  et  attendait. 

La  Russie  qui,  à  l'aide  de  ses  deux  complices  était  parvenue 
à  ses  fins,  soufflait  la  discorde  d'un  bout  de  l'Europe  à  l'autre, 
et  tâchait  de  brouiller  tout  pour  tout  dominer. 

La  France,  dans  un  isolement  complet  par  suite  de  sa  mé- 
sintelligence avec  l'Angleterre,  à  cause  des  mariages  espagnols, 
semblait  disposée  à  ne  pas  laisser  échapper  l'occasion  de  se 


356  HISTOIBB 

déclarer  la  prolectrice  des  nationalités,  et  de  grouper  ainsi 
autour  d'elle  toutes  les  puissances  secondaires  menacées  par 
ce  nouvel  attentat  des  Cours  du  Nord. 

Quant  à  l'Angleterre,  il  suffira  de  résumer  sa  conduite  dans 
les  actes  successifs  qui  avaient  amené  Tanéantissement  de  la 
Pologne,  pour  se  convaincre  qu'elleétait  prête  en  celte  circons- 
tance, comme  toujours,  à  ne  jamais  consulter  que  son  intérêt. 
En  effet,  lors  du  premier  partage  de  la  Pologne,  elle  refusa  de 
sejoindreàla  France  pour  empêcher  ce  partage,  et  ne  se 
préoccupa  que  d'un  mince  intérêt  mercantile. 

Lors  du  partage  définitif  de  1795,  elle  favorisa  ce  partage 
qui  lui  parut  un  préliminaire  indispensable  aux  coalitions 
qu'elle  voulait  former  contre  la  France. 

En  1815,  elle  refusa  de  seconder  la  France  dans  ses  efforts 
pour  obtenir  la  reconstitution,  alors  possible,  de  la  Pologne 
indépendante. 

En  1831,  lord  Palmerston,  alors  ministre  des  affaires  élran- 

{(ères,  n'admit  pas  même  la  discussion  dans  le  parlement  sur 
'anéantissement  de  la  constitution  polonaise  de  1815. 

En  1846,  elle  se  borna  à  une  protestation  hypothétique,  et 
de  nature  à  ne  pas  la  brouiller  avec  les  trois  puissances. 
Jamais  elle  n'avait  dévié  de  cette  politique  traditionnelle 
qui  ne  s'émeut  que  pour  son  intérêt  direct  menacé,  et  en  1847 
elle  était  ce  qu^elle  a  toujours  été. 

Nous  ne  saurions  mieux  caractériser  ce  triste  récit  qu'en 
citant  l'opinion  d'un  homme  essentiellement  religieux  et 
monarchique  (1)»  et  dont  les  paroles,  à  ce  double  titre,  acquiè- 
rent, dans  l'appréciation  de  ce  fait,  une  incontestable  auto- 
rité. 

« On  reproche  à  la  Pologne  d*être  anarchiste*  Toutes 

les  fois  que  les  diplomates  et  une  certaine  école  d'hommes 
politicjues  parlent  de  la  Pologne,  ils  accolent  à  son  nom  le 
mot  d  anarchie.  Cela  n'est  pas  fondé,  je  m'empresse  de  le  dire; 
mais  quand  cela  serait,  quand  cet  esprit  anarchique  ne 
serait  pas  désavoué  par  l'immense  majorité  de  ses  enfants, 
par  tout  ce  qu'elle  a  de  distingué,  par  son  histoire,  par  ses 
antécédents,  a  qui  serait  la  faute  ?  Ah  !  la  Pologne  est  anar- 
chique, et  à  qui  doit-elle  de  l'être? 

Est-ce  que  ce  serait  à  la  Pologne  elle-même  ou  à  la  France 
révolutionnaire  et  démagogique?  Non,  non^  mais  bien  à  ces 
souverains,  uniquement  a  ces  souverains  c(ui,  il  y  a  soixante- 
dix  ans  sont  montés  dans  cette  chaire  d'où  les  grands  rois, 
les  grands  ministres  de  la  terre  enseignent  au  monde  le 
droit  public,  et  qui  n'ont  enseigné  à  la  Pologne  que  le  triom- 
phe de  l'iniquité  et  de  la  force  brutale»  de  tout  ce  qui  peut 

(1)  IL  to  conte  de  Montalembert. 


DE  LA  RÉYOLimOR  POLONAISE.  .357 

faire  aimer  le  bon  ordre,  la  justice  et  les  principes  fonda- 
menlaux  de  toute  société.  Voilà  ceux  à  qui  il  faudrait  faire 
remonter  la  cause^  si  la  Pologne  était  réellement  anarchiste^ 
à  ceux  qui  lui  ont  enseigné  quMl  n'y  avait  rien  de  sacré  sur 
la  terre^  ni  l'histoire,  ni  les  iois^  ni  la  religion^  ni  la  famille, 
et  qu'on  pouvait  impunément  tout  sacrifier  aux  nécessités  poli- 
tiques du  moment;  ceux  qui  ont  tout  profané,  tout  violé,  tout 
torturé  pour  asseoir  etanermir  leur  puissance.  Voilà  bien  les 
dogmes  et  les  pratiques  de  Tanarchie^  voici  ce  qui  a  été  en- 
seigné à  la  Pologne  depuis  soixante-dix  ans  par  ses  trois  co- 
partageants,  non  pas  seulement  dans  le  passé,  non-seulement 
par  Catherine,  Frédéric  et  Joseph,  mais  aujourd'hui  par  Tem- 

Ereur  Nicolas,  le  roi  Ferdinand  et  le  prince  de  Hetternich. 
ne  veux  pas  d'autre  preuve  que  l'histoire  des  religieuses 
de  Minsk  et  les  massacres  de  la  Gallicie.  Et  vous  croyez  que 
de  telles  leçons  pouvaient  rester  sans  fruit? 

Eh  quoi  I  vous  sèmerez  l'iniquité,  la  cruauté,  la  perfidie, 
tous  les  crimes  que  l'humanité  a  jamais  imaginés,  et  vous 
voudriez  ensuite  récolter  le  bon  ordre,  la  paix,  la  satisfaction, 
Tobéissance,  toutes  les  vertus  qui  signalent  un  pays  légitime- 
ment et  raisonnablement  gouverné  !  Mais  ce  serait  la  dernière 
et  la  plus  sotte  des  illusions.  Ce  que  vous^avez  semé  ne  doit 
produire  que  l'anarchie.  Quant  à  moi,  ce  qui  m'étonne,  c'est 
que  la  Pologne  tout  entière  ne  soit  pas  la  proie  d'une  anarchie 
plus  incurable,  et  que  chaque  Polonais  ne  soit  pas  un  forcené 
armé  contre  tous  les  souverains,  contre  tous  les  pouvoirs  de 
FEurope  qui  ont  trahi  et  livré  sa  patrie  (1)....  i> 

Quoique  sévères,  ces  paroles  sont  vraies.  Mais  le  règne  de 
l'iniquité  n'a  qu'un  temps;  son  triomphe  est  passager  comme 
sa  puissance.  Parce  que  jadis,  coinme  une  distraction  à  ses 
crapuleuses  débauches,  il  a  plu  à  une  czarine  de  Russie  de 
rayer  un  peuple  de  la  carte  de  l'Europe,;  parce  que  des 
complices  n'ont  pas  hésité  à  salir  leur  blason  de  ce  stigmate 
d'opprobre ,  la  Providence  ne  saurait  sanctionner  ces  inspi- 
rations du  vice  et  du  crime  couronnés!  Sous  les  étreintes  de 
ses  tyrans  et  jusqu'au  jour  de  la  résurrection  de  la  légitimité 
des  nations,  jusqu'à  ce  jour  inscrit  au  ciel,  le  peuple  polonais 
a  dormi  ;  mais  ce  n'était  pas  le  sommeil  de  la  mort,  c'était  au 
contraire  le  sommeil  du  germe  qui  dort  dans  la  profon- 
deur du  sol  pour  devenir  un  arbre  vivace  et  puissant. 

(1)  Discours  do  M.  le  comte  de  Montalembert,  Chambre  des  Pairs, 
séance  du  2  juillet.  [Moniteur.) 


SS8  mnooiB 


CHAPITRE  XV 
1850  à  1863 


ÀTènementau  trône  d'Alexandre  II.  —  Le  congrès  de  Paris.—  Arrivée 
d'Alexandre  II  à  Varsovie. — Ses  discours.— L'amnistie.— Apprécialioa 
de  cet  acte.  —  Protestations  des  partis  démocrati(]nes(»t  monarchiques 
Polonais. —  Discours  de  lord  Clarendon. —  Couronnement  du  nouveau 
czar;  son  entrevue  avec  Napoléon  III,  à  Stuttgard.  —  Rescrit 
d'Alexandre  II  au  gouverneur  militaire  de  Lithuanie. — Société  agro- 
nomique fondée  à  Varsovie.  —  La  société  agronomique  envoie  au  czar 
une  adresse.— Sa  dissolution.— Allocution  del'abbé  Deguerry  aux  Polo- 
nais. —  Cantiques  nationaux  des  poètes  Aloys  Felinski  et  Camille 
Uieyski. — Massacres  des  Polonais.— Lettre  d'un  gentilhomme  Polonais 
tu  prince  de  Mettemich.— Recrutement  forcé. 


Jusqu'à  la  guerre  de  Crimée,  la  Pologqe,  frémissante  sous  la 
jouç  de  ses  oppresseurs,  la  Pologne  à  qui  Tempereur  Nicolas 
avait  dit^  le  i  octobre  1835  : 

a  Si  vous  vous  obstinez  à  conserver  vos  rêves  de  nationalité 
«  distincte,  de  Pologne  indépendante,  etde  toutesces  chimères^ 
c  TOUS  ne  pouvez  qu'attirer  sur  vous  de  grands  malheurs.  J'ai 
c  fait  élever  ici  la  citadelle,  et  je  vous  déclare  qu'à  la  moindre 
€  émeute,  je  ferai  foudroyer  la  ville/je  détruirai  Varsovie,  et 
.  à  certes  ce  ne  sera  pas  moi  qui  la  rebâtirai  !  » 

La  Pologne  attendait.  Alexandre  II,  succédant  à  son  père 
Nicolas,  inaugurait  une  politique  plus  sage.  Sébastopol  détruit^ 
il  entrait  dans  la  voie  des  négociations  qui  le  conduisait  a 
la  paix. 

Le  Congrès  de  Paris  (février-mars  185G)  tut  chargé  de  fixer 
les  CQnditions  de  cette  paix  qui  sauvait  la  Russie.  La  France 
voulut  y  prendre  en  main  la  cause  de  la  Pologne,  mais  l'An- 
gleterre, jalouse  de  toute  pensée  généreuse  de  notre  pays, 
mais  l'Autriche  et  la  Prusse,  intéressées  au  maintien  de  la 
domination  russe,  firent  adroitement  écarter  des  débats  cette 
question  brûlante. 

La  paix  signée  le  30  mars,  les  journaux  de  tous  les  pays 
contractants  qui,  deux  mois  auparavant,  traitaient  Alexandre 


DB  LA  RÉYOLCTIOII  POLONAISE.  359 

d'Ogre,  se  mirent  à  célébrer  sa  mansuétude  et  son  amour  de 
tous  ses  sujets,  sans  distinction  d'origine.  Les  théories  du  mar- 
quis Wielopolski,  sur  Talliance  Russo-Polonaise  pritent  de  la 
consistance,  en  raison  de  la  popularité  habilement  conquise  à 
Tetnpereur  de  toutes  les  Russies  par  quelques  mesurés  libé- 
rales, fictives,  il  est  vrai,  et  ce  fut  avec  un  vif  sentiment  d'es- 
poir et  de  gratitude  que  la  Pologne  apprit  que  son  nouveau 
souverain  allait  la  visiter. 

On  annonçait,  en  effet,  aux  Polonais  que  le  czar  allait  pro- 
clamer une  amnistie  générale,  qu'il  rendrait  les  biens  confis- 
qués, qu'il  rétablirait  la  constitution  de  1815,  qu'enfirt  il  allait 
réparer  tous  les  malheurs  du  règne  de  Nicolas  P'. 

Aussi  Varsovie  fit  à  âon  souverain  une  réception  enthou- 
siaste. Le  11  mai  1856,  le  czar  devait  justifier  toutes  les  pro- 
messes faites  en  son  nom  ,  par  un  discours  prononcé  devant 
les  maréchaux  de  la  noblesse,  les  sénateurs  et  le  clergé  polo- 
nais. Ceux-ci  attendaient  avec  anxiété  les  paroles  pleines  de 
mansuétude  qu'on  leur  avait  promises.  Quelle  ne  fut  pas  leur 
douleureuse  surprise,  quand  TËmpereur  leur  dit  : 

a  J'arrive  au  milieu  de  vous  avec  l'oubli  du  passé,  animé 
«  des  meilleures  intentions  pour  le  pays.  C'est  à  vous  à  m'ai- 
c  der  à  les  réaliser.  Mais  avant  tout  je  dois  vous  dire  que  nos 
«  positions  respectives  doivent  s'éclaircir. 

«  Je  vous  porte  dans  mon  cœur  comme  les  Finlandais,  et 
c  comme  mes  autres  sujets  russes  ;  mais  j'entends  que  l'ordre 
c  établi  par  mon  père  soit  maintenu.  Ainsi,  Messieurs,  et 
«  avant  touf,  point  de  rêveries,  point  de  rêveries/  Ceux  qui 
f  voudraient  continuer  à  en  avoir  ,  je  saura!  les  contenir,  le 
«  saurai  empêcher  que  leurs  rêves  ne  dépassent  point  la 
c  sphère  de  leur  imagination.  Le  bonheur  de  la  Polog^ne 
c  dépend  de  son  entière  fusion  aVec  le  peuple  de  mon  empire.^ 
a  Ce  que  mon  pébs  a  fait  est  domg  bien  fait  ;  je  le  haintien- 

«  DRAI. 

«  Dans  la  dernière  guerre  d'Orient,  les  vôtres  ont  combattu 
a  à  l'égal  de  tous  les  autres  ;  voici  le  prince  Michel  Gortscha- 
«  koff,  qui  en  a  été  témoin  et  qui  leur  rend  cette  justice^  qu'ils 
€  ont  bravement  versé  leur  sang  pour  la  défense  de  leur  pa- 
tt  trie.  La  Finlande  et  la  Pologne  me  sont  également  chères, 
«  comme  toutes  les  autres  parties  de  mon  empire.  Mais  il  faut 
<  que  vous  sachiez,  pour  le  bien  des  Polonais  eux-mêmes,  que 
«  la  Pologne  doit  rester  unie,  pour  toujours,  à  la  grand<i. 
€  famille  des  empereurs  de  Russie.  Croyez,  Messieurs,  que  je 
a  suis  animé  des  meilleures  intentions  ;  mais  c'est  à  vous  diî 
«  me  faciliter  ma  tâche,  et,  je  vous  le  répète,  Messieurs,  point 
a  de  rêveries,  point  de  rêveries  f 

«  Quant  à  vous,  Messieurs  les  sénateurs,  laissez-vous  diriger 
«  par  mon  lieutenant  ici  présent,  par  le  prince  Gortschakoff; 


360  HISTOIU 

«  et  vous,  Messieurs  les  évéques^  ne  perdes  jamais  de  vue 
«  que  la  base  de  toute  bonne  morale  est  la  religion,  et  il  est  de 
«  \olre  devoir  d'inculquer  aux  Polonais  que  leur  bonheur 
c  dépend  entièrement  de  leur  fusion  absolue  ayec  la  sainte 
a  Russie,  d 

Ce  discours  n'était  connu  que  de  ceux  (]ui  l'avaient  entendu, 
quand  le  15  mai,  eut  lieu  le  bal  magnifique  donné  au  czar 
par  la  ville  de  Varsovie.  La  population  trompée  par  le  manège 
des  journaux  et  des  intéressés,  voulait  fêter  son  jeune  empe- 
reur, dont  le  programme  devait  être  si  libéral.  Le  bal  fut  donc 
enthousiaste.  Mais  lorsque  le  lendemain  une  députation  vint 
remercier  Alexandre  II,  de  sa  présence  à  la  fête,  la  satisfaction 
des  habitants  de  Varsovie  se  changea  bien'  vite  en  angoisses 
pour  l'avenir. 

Il  importe  de  faire  connaître  le  texte  même  de  la  réponse  du 
souverain  qui  démentait  ainsi  les  espérances  de  ce  peuple  qui 
croyait  renaître  : 

a  Je  suis  bien  aise,  messieurs,  de  vous  dire  que  j'ai  été  très- 
«  satisfait  de  me  trouver  au  milieu  de  vous. Le  bal  d'hier  était 
a  un  très-beau  bal  ;  jamais  il  ne  sortira  de  ma  mémoire  :  je 
«  vous  en  remercie. 

a  Je  suis  certain  qu'on  vous  a  répété  les  paroles  gue  j'ai 
«  adressées  aux  députés  de  la  noblesse  quand  je  les  ai  reçus, 
a  il  y  a  cinq  jours  de  cela.  Soyez,  Messieurs,  dans  la  réalité, 
«  soyez  unis  à  la  Russie,  et  abandonnez  toutes  les  rêveries 
t  d'indépendance,  impossibles  désormais  à  réaliser  et  à  main- 
«  tenir. 

a  Aujourd'hui,  je  vous  le  répète  de  nouveau  :  Ma  conviction 
a  est  que  le  bien  de  la  Pologne,  que  son  propre  salut,  exigent 
a  ({u'elle  reste  unie,  pour  toujours,  et  par  une  entière  fusion, 
a  à  la  glorieuse  dynastie  des  empereurs  russes  ;  qu'elle  forme 
a  une  partie  intégrale  de  la  grande  famille  de  l'empire  de 
a  toutes  les  Russies.  En  conservant  à  la  Pologne  ses  droits  et 
a  ses  institutions,  telles  que  les  lui  a  données  mon  père,  j*ai  la 
a  volonté  inébranlable  de  faire  du  bien  etde  favoriser  la  pros- 
«  périté  du  pays.  Je  veux  lui  garantir  tout  ce  qui  peut  être 
«  utile  et  tout  ce  que  mon  père  lui  a  promis  et  accordé  :  je  ne 
a  le  changerai  en  rien  :  tout  ce  que  mon  père  a  fait  est  bien 
((  fait.  Mon  règne  sera  la  continuation  du  sien;  mats  il  dépend 
«  de  vous,  Messieurs,  de  me  rendre  cette  tâche  possible  ;  vous 
a  devez  faciliter  mon  œuvre.  Vous  seuls  serez  responsables,  si 
«  mes  intentions  devaient  échouer  devant  les  chimériques 
a  résistances. 

«  Pour  vous  prouver  que  j'ai  pensé  à  apporter  des  adoucis- 
«  scments,  je  vous  préviens  que  je  viens  de  signer  l'acte  d'am- 
a  nislie  ;  je  permets  à  tous  les  cmifirés  qui  le  demanderont 
«  leur  retour  en  Pologne.  Us  seront  certains  qu'on  les  laissera 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  361 

a  en  rept^s.  Leurs  droits  civils  leur  seronl  rendus  et  on  ne  les 
il  traduira  pas  devaiitdes comités  d'enquête.  Je  n'ai  faitqu'une 
a  seule  exception  :  j'ai  exclu  les  anciens  incorrigibles  et  ceux 
a  aui^  dans  les  dernières  années,  n^ont  cessé  de  conspirer  ou 
€  Je  combattre  contre  nous. 

a  Tous  ceux  qui  reviendront  pourront  même,  après  trois 
<(  années  de  repentir  et  de  bonne  conduite ,  se  rendre  utiles 
a  en  rentrant  au  service  de  TËtat.  Mais  avant  tout>  Messieurs, 
a  agissez  de  façon  à  ce  que  le  bien  projeté  devienne  possible, 
a  et  à  ce  que  je  ne  me  voie  pas  réduit  à  la  nécessité  de  brider 
(T  et  de  punir  ;  car,  si  malheureusement  cela  devenait  néces- 
a  saire,  j'en  aurai  la  volonté  tout  comme  la  force  :  que  jamais 
0  donc  je  ne  sois  forcé  de  le  faire. 

a  M'avez-vous  compris  ?  J'aime  mieux  être  à  même  de  pou- 
ce voir  récompenser  que  de  punir.  Il  m'est  beaucoup  plus 
«  agréable,  ainsi  que  c'est  le  cas  aujourd'hui,  de  dispenser 
«  des  éloges,  de  donner  des  espérances  et  de  provoquer  la 
a  reconnaissance.  Mais,  sachez  aussi,  et  tenez-le  pour  dit, 
il  Messieurs,  que  quand  cela  sera  nécessaire ,  je  saurai  répri- 
a  mer  et  punir,  et  on  verra  que  je  punirai  sévèrement. 

a  Adieu,  Messieurs  !  d 

La  promesse  s'était  changée  en  menace.  Voyons  maintenant 
comment  était  rendu  le  décret  d'amnistie. 

La  grâce  était  déclarée  pleine  et  entière,  mais  les  trois  der- 
nières lignes  en  rendaient  l'application  subordonnée  aux 
caprices  du  gouvernement  russe,  a  Cette  grâce,  lisait-on,  ne 
tt  s'étend  cependant  pas  à  ces  réfugiés  qui,  par  leur  conduite, 
a  font  preuve  d'une  haine  constante  contre  notre  gouverne- 
a  ment.o 

Les  explications  que  les  interprêtes  de  la  volonté  du  czar 
donnèrent  de  ces  trois  lignes  ne  laissèrent  de  doute  à  per- 
sonne. L'amnistie  n'était  accordée  qu'à  ceux  qui  feraient  une 
soumission  en  règle,  reconnaîtraient  leurs  erreurs%)assées,  et 
s'engageraientpour  l'avenir  à  une  fidélité  absolue.  En  d'autres 
termes,  il  fallait,  pour  jouir  de  l'amnistie  faire  acte  d'apos- 
tasie. 

Que  dcfvenait  le  programme  si  pompeusement  annoncé? 
Nul  ne  fut  dupe,  en  Europe,  de  cette  mystification  cruelle. 
Les  réfugiés  polonais  de  Paris  rédigèrent,  a  ce  sujet,  deux  pro* 
testations  empreintes  d'un  esprit  de  logique  et  de  bonne  foi 
qu'on  ne  peut  méconaitre.  Le  parti  démocratique  et  le  parti 
monarchique  polonais  ne  diffèrent,  du  reste ,  en  rien  quant  à 
leur  opinion  sur  la  domination  russe.  Pour  eux  la  forme  du 
gouvernement  russe  n'a  aucune  importance.  Ce  qu'ils  com- 
battent, c'est  l'étranger,  et  rien  que  l'étranger. 

c  Les  émigrés  polonais,  lit-on  dans  la  protestation  des  dé- 

46 


362  HISTOIEE 

«  mocrates^  déclarent  à  la  face  de  leur  patrie  et  du  monde  ciri- 
«  lise,  qu'ils  rejettent  Pamnistie  du  czar  Alexandre  II,  aussi 
«  bien  que  toute  autre  qui  pourrait  leur  être  offerte  par  un 
<t  des  trois  oppresseurs  de  la  patrie,  et  qu'ils  ne  rentreront 
a  sur  le  sol  natal  que  lorsqu'ils  pourront  en  expulser  Tétran- 
a  ger,  que  lorsque  la  Pologne  sera  libre  et  indépendante. 

a  Ils  déclarent  qu'ils  ont  une  foi  invincible  dans  la  résur- 
a  rection  de  leur  patrie,  et.  dussent-ils  succomber  sur  la 
a  terre  d'exil,  ils  attendront  l'heure  suprême  comme  des  vic- 
a  tinies,  dont  les  cendres  peuvent  faire  germer  toute  une 
«  génération  de  vengeurs.  » 

La  protestation  du  parti  monarchique  n'est  pas  moins  em- 
preinte d'une  grande  énergie  patriotique  : 
t  a  Nous  sommes  sans  haine  et  sans  rancune  contre  la  Russie. 
a  Dans  la  situation  qui  nous  est  faite,  le  calme  et  une  résigna- 
a  lion  chrétienne  sont  la  seule  attitude  qui  nous  convienne. 
«  Mais  il  ne  nous  appartient  pas,  jusqu'à  ce  que  justice  soit 
«  faite  à  notre  pnyts,  d'abdiquer  la  tâche  qui  nous  a  été  léguée 
d  par  nos^^ères;  et  tant  qu'il  restera  une  \'Dix  de  proscrit  libre 
a  dans  l'univers,  elle  dira  aux  gouvernements  et  aux  peuples  : 
(c  Au  nom  de  V Evangile  et  de  l'histoire^  la  Pologne  a  le  droit 
((  de  vivre  d^une  vie  nationale  et  indépendante;  elle  espère  en 
a  Dieu,  dans  ses  intérêts  et  dans  la  conscience  d^s  hommes 
«  impartiaux  de  toutes  les  nations.  » 

Nous  n'avons  donne  de  ces  protestations  que  les  passages 
qui  font  ressortir  les  nuances  des  deux  partis  polonais,  si  unis 
quand  il  s'agit  de  repousser  ou  combatirc  l'oppression  étran- 
gère. Ces  documents  étaient  forts  développés.  Traduits  en 
toutes  langues,  répandus  à  profusion  sous  forme  de  circulaire, 
ou  par  l'insertion  dans  tous  les  journaux,  ils  produisirent  une 
vive  émotion.  L'Angleterre  en  fut  remuée  dans  toutes  ses 
parties,  et  il  n'est  pas  sans  intérêt  de  mettre  sous  les  yeux 
du  lecteuyiuclq^ues  remarquables  passages  des  interpellations 
adressées  au  mmistère  par  Lord  Lyndhurst,  à  la  chambre 
haute,  le  11  juillet  1856  : 

a  Le  nouvel  empereur  Alexandre  II,  dans  ses  deux  allo- 
«  entions  à  Varsovie,  vient  de  déclarer  :  que  rien  ne  le  diter' 
cf  minera  à  dévter  de  la  voie  suivie  par  son  prédécesseur  à 
«  Végnrd  de  la  Pologne;  il  ajouta  que,  dans  l'intérêt  de  la 
«  Rnssie,  la  Pologne  doit  appartenir  aux  Etats  de  la  dynastie 
a  impériale.  Ce  langage  de  l'Empereur  ayant  provoqué  des 
a  murmures  panni  les  assistants,  à  Varsovie,  il  continua  en 
«t  ces  termes  :  Ne  vous  bercez  plus  d*illusions^  car  si  vom  con^ 
«  tinuez  à  les  nourrir j  moi  qui  sais  récompenser y^  je  saurai 
et  aussi  châtier.  L'Empereur  termina  enfin  son  discours  par 
(c  celle  exclamation  :  Plus  de  rêveries,  plus  de  rêveries! 

a  Je  ne  puis  admettre  que  le  noble  comte  Ciarendon  n'ait 


DE  LA  RéVOLimOM  POLONAISE.  S63 

c  point  exigé,  aa^seiD  du  dernier  congrès  de  Paris^  une  am- 
a  nistie  pour  les  Polonais!  On  a  réellement  accordé  une  espèce 
«  d^amnistie  qui  a  un  son  pour  roreille  mais  qui  ôte  toute 
«  espérance.  En  effets  une  amnistie  méritant  ce  nom  doit  être 
a  formelle,  générale;  ses  conditions  doivent  être  claii^s^  et 
a  les  exceptions  aussi  peu  nombreuses  que  parfaitement  déter- 
«  minées ,  de  telle  sorte  que  l'opinion  publique  puisse  les 
«  justifier. 

«  Examinons  si  Tamnistie  russe  réunit  ces  caractères?  Cba^ 
«  cun  des  émigrés  doit  préalablement  adresser  au  gouverne- 
«  ment  russe  une  demande  de  rentrer  dans  la  patrie;  cette 
tf  demande  peut  être  rejelée.  Vous  savez  sans  doute,  milordt^, 
«  (jue  le  gouvernement  russe  avait  confisqué  les  biens  des 
a  emif^rés;  le  décret  d'amnistie  ne  dit  pas  que  ces  biens  seront 
a  restitués.  Ainsi,  l'émigré  polonais  ne  retrouvera  dans  sa 
a  patrie  que  la  misère...  Sans  moyen  d'existence,  sans  posi- 
c  lion,  presque  sans  famille,  sans  amis.  \ingt*cinq  ans  ont 
«  dû  les  disperser,  l'infortuné  sera  devenu  étranger  parmi 
a  les  siens,  s'il  n'en  est  pas  même  rebuté...  L'amnistie  exclut 
«  tous  ceux  qui  ont  montré  ou  montrent  des  dispositions  hos- 
a  tiles  à  l'égard  du  gouvernement  russe,  et  ce  sont  les  fonc- 
«  tionnaires  russes  qui  seront  les  juges  de  ces  dispositions 
a  hostiles!  L'émijgré  est  ainsi  livré  à  la  discrétion  du  fonc- 
«  tionnaire,  et  si  celui-là  est  malveillant,  qui  jugera  entre 
«  l'émigré  et  le  fonctionnaire?  -^  Un  autre  fonctionnaire 
«  russe! 

«  On  s'étonne  que  les  plus  notables  dans  l'émigration  polo- 
c  naise  refusent  d'accepter  l'amnistie;  les  motifs  de  ce  refus 
c  sont  consignés  dans  l'acte  que  je  dépose  ici  au  parlement. 
«  Cet  acte  renferme  en  substance  ceci  :  Nous  ne  protestons 
«  pas  contre  V amnistie  à  cause  d'opinions  ou  d'intérêts  per- 
a  sonnets^  mais  parce  qu'en  f  acceptant  nous  reconnaîtrions 
c  comme  fautive  notre  lutte  et  notre  dévouement  à  riudepen- 
«  dance  nationale;  par  ce  fait,  nous  admettrions  la  justice  des 
«  ukases  promulgues  contre  nous.  Ceux,  qui,  sur  cette  base, 
a  ont  rejeté  l'amnistie,  ont  rempli  un  devoir  sacré!  » 

Ce  que  nous  remarquons  le  plus  dans  cet  éloquent  plai- 
doyer, c'est  l'explication  franche,  claire,  sans  rélicences  et 
sans  ambiguïtés  de  l'amnistie  dont  le  gouvernement  russe 
avait  fait  un  si  grand  éloge  préalable.  Elle  est  ainsi  réduite  à 
sa  véritable  expression,  et  par  un  homme  dont  le  rang  et  la 
nationalité  sont  une  garantie  d'impartialité  qu'on  croit  ne 
pouvoir  attendre  d'un  historien. 

Un  moment  l'on  put  croire  que  la  paix  signée  le  30  mars 
àParis  n'était  qu'une  trêve,  que  les  hautes  parties  contrac- 
tantes, du  moins  celles  qui  avaient  pris  part  à  la  guerre  de 
Crimée^  allaient  faire  à  la  Russie  des  reproches  sévères.  Mais 


364  HISTOIM 

on  dût  promptement  revenir  de  cette  illusion  quand  on  con- 
nut la  réponse  de  lord  Clarendon  au  nom  du  ministère  : 

«  Je  ne  crois  pas  qu'il  m'appartienne  de  révéler  à  cette 
«  heure  et  ici  même  ce  qui  s'est  passé  à  cet  égard  au  sein  du 
«  Congrès  de  Paris;  mais  je  crois  néanmoins  pouvoir  dire 
«  que  les  plénipotentiaires,  et  moi-même  personnellement, 
«  nous  avons  eu  des  motifs  sérieux  de  croire  que  les  projets 
«  de  Tempereur  de  Russie  à  Tégard  de  la  Pologne  était  gêné- 
«  reux  et  bienfaisants.  Nous  avons  dû  admettre  que  Tem- 
«  pereur  était  non-seulement  disposé  à  décréter  une  amnistie 
«  générale,  mais  encore  à  rendre  aux  Polonais  quelques-unes 
«  de  leurs  institutions  nationales;  quMIs  recevraient  des 
«  garanties  pour  l'exercice  de  leur  religion;  que  Tinstruction 
«  publique  en  Pologne  allait  être  établie  sur  un  pied  plus 
«  libéral  et  plus  national.  Nous  avons  enfin  cru  être  fondés  à 
a  espérer  que  la  Russie  allait  renoncer  pour  toujours  au  sys- 
a  tême  des  sévérités  qu'elle  avait  jusqu'alors  pratiqué.  Mus 
«  par  ces  convictions,  nous  avons  alors  renoncé  à  discuter  cette 
a  question  dans  le  sein  du  Congrès  de  Paris. 

a  Nous  avons  cru  qu'il  fallait  avant  tout  examiner,  peser 
«  mûrement  quel  résultat  pourrait  produire  une  action  offl- 
«  cielle  de  notre  part;  car  il  ne  faut  pas  perdre  cette  grave 
«  considération  de  vue  r  les  plénipotentiaires  russes  pou- 
«  vaient  nous  dénier  le  droit  de  nous  immiscer  dans  l'admi- 
a  nistration  intérieure  de  l'empire.  Disons  cependant  toute 
a  notre  pensée  sur  ce  point  :  il  nous  a  semblé  que  la  politique 
«  russe  aurait  pu  faire  connaître  à  l'Europe  ses  projets  à  cet 
«  égard. 

a  Hais  lorsque  l'on  nous  a  prouvé  qu^une  telle  demande  de 
«  notre  part  serait  en  Russie  l'objet  d'interprétations  irri- 
«  tantes;  que  l'on  pourrait  nous  attribuer  Tintenlioii  d'in- 
«  spirer  au  czar  des  actes  de  grâce  à  l'égard  de  ses  sujets, 
c  en  nous  prévalant  de  la  situation  faite  aux  hautes  puis- 
«  sances  respectives  et  contractantes  par  les  événements; 
a  lorsque  Ton  nous  fit  comprendre  (le  général  comte  OrlofTet 
i<  le  baron  Brunow)  gue  si  nous  donnions  suite  à  notre  projet 
a  de  discuter  les  affaires  de  la  Pologne,  nous  pourrions  plutôt 
f  faire  du  tort  à  la  cause  que  nous  voulions  servir;  c'est  alors 
((  que  les  plénipotentiaires  de  la  France  et  de  l'Angleterre  re- 
et  noncirent  à  leur  projet.  Mais,  je  le  répète,  que  Ton  ne  croie 
a  pas  que  notre  silence  fût  de  l'indifférence  :  la  considération 
«  de  la  Pologne  et  des  réfugiés  a  seule  enchaîné  notre  action. 

a  Dès  le  début  de  la  guerre  de  Crimée,  j'ai  personnellement 
a  désiré  l'accomplissement  de  nos  vœux  pour  la  Pologne, 
tt  Plus  tard,  j'ai  partagé  le  sentiment  pénible  de  déception 
«  que  l'amnistie,  ainsi  restreinte,  a  généralement  fait  naître, 
«  Je  ne  comorenda  pas,  je  l'avoue,  ce  qui  a  pu  déterminer  le 


DB  LA  nÉVOLOTlOlf  POLONAIS!.  3(9 

n  czar  à  décréter  un  acte  empreint  de  telles  restrictions^  car 
et  il  est  à  ma  connaissance  que  la  seule  nouvelle  d'une  am- 
er nistie  large,  générale  surtout,  aurait  été  accueillie  à  Varso- 
a  vie  avec  un  enthousiasme,  avec  des  marques  de  joie  qui 
«  auraient  ému  certainement  l'empereur.  Je  suis  persuadé 
<c  aussi  qu'une  amnistie  générale,  entière,  aurait  provoqué, 
a  dans  le  cœur  de  tous  les  Polonais,  des  sentiments  de  grati- 
a  tude  et  d'attachement.  » 

On  ne  peut  certes  pas  accuser  lord  Clarendon  d'avoir  naan- 
que,  dans  ce  discours,  de  témoigner  de  la  sympathie  à  la 
cause  polonaise.  Mais  si  l'opinion  avait  lieu  d'être  satisfaite 
des  sentiments  de  l'orateur,  ne  dût-elle  pas  être  douloureu- 
sement émue  de  l'attitude  de  l'homme  d'état.  Au  lieu  de 
promellre  une  intervention,  même  seulement  diplomatique, 
le  minisire  termine  son  discours  en  disant  que  le  méconten- 
tement des  Polonais  était  une  menace  pour  le  czar,  mais 
qu'en  même  temps  on  pouvait  espérer  qu'Alexandre  H  re- 
viendrait à  de  meilleurs  sentiments  pour  le  peuple  auquel 
l'Europe  libérable  s'intéressait  si  vivement. 

Nous  vêlerons  bientôt  si  les  prévisions  subsidiaires  de  lord 
Clarendon  devaient  se  réaliser. 

On  attendait  avec  une  certaine  impatience,  tant  en  Polo- 
gne qu'en  Europe,  la  cérémonie  du  couronnement  du  nou- 
veau czar.  Elle  eut  lieu  à  Moscou  le  7  septembre  1856.  Les 
espérances  furent  encore  déçues.  Le  couronnement  du  sou- 
verain eut  lieu  en  grande  pompe.  La  Pologne  y  fut  représen- 
tée par  une  grande  partie  de  sa  haute  noblesse.  On  y  distri- 
bua des  grâces.  On  y  parla  d'émancipation,  de  liberté,  mais 
de  Pologne,  point.  Alexandre  11  ne  voulait  pas  revenir  sur 
ce  qu'il  avait  qualifié  de  rêveries. 

Un  an  après,  l'Empereur  Napoléon  III  et  le  czar,  eurent 
une  entrevue  à  Stuttgard.  Bien  que  les  sujets  de  la  conver- 
sation des  deux  souverains  n'aient  pas  été  rendus  publicsou 
sût  bientôt  que  Napoléon  III,  avait  inspiré  à  son  frère  de  Russie, 
ridée  de  mettre  la  Russie,  au  point  de  vue  de  la  liberté  indi- 
viduelle» de  la  liberté  de  conscience,  de  l'égalité  devant  la  loi, 
sur  le  pied  des  nations  européennes.  C'était  en  effet  le  seul 
moyen  pour  l'immense  empire,  de  ne  pas  être  à  la  fois  une 
menace  pour  la  civilisation,  et  Tobjet  de  l'antipathie  de^ 
peuples.  Le  czar  promit  beaucoup,  mais  une  théorie  plus 

i)uissante  sur  son  esprit  que  la  raison  de  notre  souverain, 
'emporta  dans  ses  conseils.  C'était  la  théorie  du  panslavisme 
qui  prenait  corps;  théorie  dont  la  mise  en  pratique  devait 
amener  la  formidable  iusurrection  de  1863,  et  dont  nous 
reparlerons  bientôt 

Il  fallait  cependant  que  la  Russie  donnât  à  l'Europe  un  peu 
de  confiance.  U  fallait  qu'elle  prenne  rang  parmi  les  nations 


3€t  HisTons 

civilisées*  Elle  le  pouvait  en  rendant  à  la  Pologne  une  partie 
de  ses  droils^  mais  c'eût  été  un  ébranlement  de  cette  autocra- 
tie immuable  sur  laquelle  repose  la  puissance  du  czar.  Le 
cabinet  de  St-Pétersbourg  eût  alors  recours  à  une  fiction  qui 
'devait  placer  dans  Topinion  des  libéraux ,  la  Russie  au 
dessus  de  la  Pologne.  Il  s'occupa  de  Témancipation  des 
paysans. 

Mais  il  est  certains  événements  que  l'histoire  ne  rend  cer- 
tains qu*après  des  siècles,  il  en  est  d'autres  aussi  qui  s'éclair- 
cjssent  avec  une  grande  rapidité.  Dans  cette  circonstance  le 
gouvernement  ne  faisait  que  s'approprier  une  idée  polonaise, 
et  par  un  rare  bonheur,  la  Pologne  pût  voir  se  réaliser  son 
projet  humanitaire,  huit  jours  avant  que  la  décision  ofûcieUe 
lût  rendue  en  Russie. 

Voici  les  faits  : 

Nos  lecteurs  ont  dû  remarquer^  peat-êtreavec  une  certaine 
tristesse^  que  la  Pologne^  si  jalouse  de  son  indépendance  na* 
tjonale^  était  très-arriérée  en  matière  d'égalité  et  de  liberté 
individuelle.  Si  cependant  nous  jetons  nos  regards  en  arrière, 
nous  voyons  que  la  Confédération  de  Bar,  le  29  février  1768, 
décrète  rémaucipation  des  paysans.  Tout  aussitôt/la  czarine 
Catherine  II,  effrayée  pour  ses  états  russes  de  la  tournure  des 
choses  en  Pologne  n  attend  pas  la  publication  du  décret  et 
organise  une  insurrection  des  paysans  contre  la  noblesse^ 

L'ignorance  du  peuple  des  campagnes  venait  en  aide  à  la 
politique  de  la  czarine.  Les  libéraux  polonais  furent  donc 
obliges  de  remettre  à  des  temps  meilleurs  leur  œuvre  émanci- 
patrice. 

La  diète  de  1776,  en  décrétant  la  création  d'un  nouveau 
code,  lui  donne  pour  but  primitif  les  mesures  relatives  à  Té* 
mancipation.  Le  projet  est  soumis  à  la  diète  de  1780.  Les  trois 
puissances  le  font  écarter,  Catherine  11^  Frédéric  II  et  Jo- 
seph  II,  se  servent  aussitôt  de  ce  fait  qui  était  leur  œuvre  pour 
détacher  l'Europe  philosophique  des  polonais  qu'elle  voulait 
adopter. 

En  1788,  la  diète  de  Varsovie  reprend  Tœuvre  de  1780. 
Hais  aussitôt,  le  5  novembre.  Catherine  II  s'interpose  pour 
empêcher  toute  réforme.  En  1791,  nouvelle  tentative  des  po- 
lonais, immédiatement  assimilés  aux  jacobins  de  France  et 
désignés  comme  tels  à  l'horreur  de  l'Europe.  Aussitôt  le  second 
partage  a  lieu. 

Le  7  mai  1794,  Kosciuszko  proclame  de  nouveau  Témanci* 
pation.  En  1799,  son  œuvre  est  détruite.  En  1807,  le  Code 
Napoléon  est  introduit  dans  le  duché  de  Varsovie,  mais  la  Li- 
thuanie  et  la  Ruthénie  restent  sous  la  loi  de  l'ancien  régime. 
En  1818,  la  noblesse,  assemblée  à  Vilna,  pour  rédiger  un 
projet  de  loi  d'émancipation^  ê.st  dispersée  par  la  force. 


DB  LA  BÉVOLtllON  POLONAISB.  3jS7 

L'insurrecUon  de  1834  et  celle  de  1846,  proclamaient  Té- 
mancipation.  Mais  le  résultat  de  la  répression  fut  de  rame- 
ner la  Pologne  à  son  ancien  ordre  de  choses. 

Il  importe  de  réfuter  cette  incessante  calomnie,  qui  a  sou- 
vent indisposé  Topinion  libérale  contre  la  Pologne.  Le  meil- 
leur argument  est  de  prouver  que  la  noblesse  polonaise  a 
inspiré,  à  Alexandre  II,  Tidée  de  Témancipatiod. 

Or,  cette  preuve,  la  voici  : 

Le  20  novembre  1857,  Tempereur  Alexandre  II  adresse  au 
gouverneur  militaire  de  la  Lithuania  uarescrit  où  nous  li- 
sons: 

<  Le  ministre  de  Tinlérienr  a  porté  à  ma  connaissance  les 
a  bonnes  intentions  témoignées    par  le  comité  de  Vilna, 

<  Koyno  et  Grodrio  (Lithuanie),  à  l'égard  des  paysans  de  ces 

<  trois  goubernies. 

•  «  Approuvant  pleinement  les  intentions  des  représentants 
a  de  la  noblesse  des  goubernies  de  Vilna,  Kowno  et  Grodno, 
c  comme  étant  conformes  à  nnes  vues  et  à  mes  désirs,  j'au- 
c  iorise  cette  noblesse  à  procéder,  dès  aujourd'hui,  à  Télabo- 
c  ration  des  mesures  nécessaires  pour  la  mise  à  exécution 
c  des  projets  desdits  comités,  à  condition  toutefois  que  Vœu- 
a  vre  ne  soit  accomplie  que  progressivement,  aûn  de  ne  pas 
c  troubler  l'organisation  économique  actuellement  en  vi- 
a  gueur  dans  les  propriétés  de  la  noblesse.  » 

Remarquez-vous  cette  touchante  sollicitude  d'Alexan- 
dre II  pour  les  intérêts  polonais  !  N'y  a-t-il  pas  là  une  vérita- 
ble plaisanterie?  Ne  voit-on  pas  clairement  que  ce  que  le  czar 
EDuvait  redouter,  c'est  que,  si  la  secousse  était  violente  eiï 
ithuanie,  elle  eût  un  contre-coup  plus  violent  en  Russig. 

Alexandre  11  termine  ainsi  : 

«  En  offrant  à  la  noblesse  des  goubernies  de  Vilna,  Kowno 
a  et  Groduo,  le  moyen  de  réaliser  ses  bonnes  intentions,  con- 
«  formément  aux  principes  que  j'ai  indiqués,  j'espère  que  la 
«  noblesse  justiOera  pleinement  la  confiance  dont  je  fais 
«  preuve  envers  elle  en  rappelant  à  prendre  part  à  cette 
a  œuvre  importante,  et  qu'avec  l'aide  de  Dieu  et  l'assistance 
«  éclairée  des  propriétaires  nobles,  cette  œuvre  sera  couron- 
«  née  d'un  plein  succès. 

a  Vous  et  les  gouverneurs  des  provinces  placés  sous  vos 
a  ordres,  vous  veillerez  à  ce  que  les  paysans  restent  soumis 
((  aux  propriétaires,  et  qu'ils  n'ajoutent  aucune  foi  aux  insi- 
a  nualions  malveillantes  et  aux  bruits  erronés  qui  pourraient 
a  se  produire.  » 

Les  lerines  de  cette  conclusion  semblent  bien^  il  est  vrai, 
faire  itmarquer  (jue  désormais  la  noblesse  reçoit  la  mission 
du  souverain.  Mais  c'est  là  une  question  de  formule  aulocra- 


368  HISTOIRE 

tique,  reportant  à  TciTipereur  rinitialive  de  (oui  ce  qui  se  fait 
sous  son  règne. 

Que  resle-t-il  de  tout  cela? 

C'est  que  c^est  la  noblesse  polonaise  qui  de  tout  temps  s'est 
occupée  de  Témancipation. 

C'est  (jue  la  mesure  prise  par  Alexandre  II  pour  donner 
satisfaction  à  l'Europe  civilisée^  lui  a  été  inspirée  par  la  no- 
blesse polonaise. 

C'est  qu'enfln  la  Pologne  doit  être  lavée  de  l'accusation 
portée  contre  elle  par  les  libéraux  de  tous  les  pays  qui  n'ont 
entendu  dans  le  débat  que  la  voix  de  la  Russie. 

Nous  allons  voir,  du  reste,  par  quel  pauvre  moyen,  le  gou- 
vernement de  Saint-Pétersbourg,  veut  convaincre  l'Europe  et 
ses  peuples  de  son  libéralisme. 

Une  société  agronomique  se  fonda  aussitôt  le  resci;it  pu- 
blié à  Varsovie.  Elle  réunit  dans  son-  sein  tous  les  nobles  po- 
lonais, en  même  temps  qu'elle  centralisa  leurs  capitaux.  Son 
but  était  surtout  de  procéder  sans  secousse  nuisible  aux  inté- 
rêts des  propriétaires,  comme  aux  intérêts  des  paysans. 

Tandis  qu'elle  organise  ses  travaux  préparatoires,  qu'elle 
centralise,  pour  l'étendre  ensuite,  son  action  émancipatrice, 
de  graves  événements  s'accomplissent  qui  doivent  précipi- 
ter son  action. 

Procédons  par  ordre.  La  guerre  de  l'indépendance  italienne 
apporta  un  peu  d'espoir  aux  patriotes  polonais.  En  juillet  1860, 
eurent  lieu  les  obsèques  de  la  veuve  du  général  Josepb  So- 
v^inski,  mort  héroïquement  en  1831.  Tout  ce  que  la  capitale 
de  la  Pologne  renfermait  de  patriotes  assista  à  ce  convoi.  L'as- 
sistance fut  calme  et  recueillie.  Aucun  cri  ne  fut  prononcé, 
mais  enfin  c'était  une  manifestation. 

'Arois  mois  après,  eut  lieu  à  Varsovie  le  congrès  des  trois 
souverains  de  Russie,  de  Prusse  et  d'Autriche.  Les  Polonais 
comprirent  que  les  intéressés  allaient  concerter  les  mesures 
à  prendre  pour  empêcher  les  manifestations  de  se  renouve- 
ler. Loin  de  s'en  effrayer,  ils  célébrèrent  solennellement  l'an- 
niversaire de  la  révolution  du  29  novembre  ;  puis  le  25  fé- 
vrier 1861,  l'anniversaire  de  la  bataille  de  Grocnow. 

Mais  la  police  russe  avait  pris  ses  mesures,  et  on  massacra 
les  femmes,  les  enfants  et  les  vieillards,  qui  ne  purent  fuir 
assez  vite  devant  la  force  armée. 

Le  lendemain,  26  février,  la  troupe  cerna  le  palais  occupé 
lar  la  société  agronomique,  qui  ne  cessa  pas  de  siéger.  Le  27, 
es  massacres  continuèrent.  Quelques  jours  après,  la  société 
agronomique  était  dissoute. 

Disons  ce  qui  avait  amené  cette  mesure  : 

Les  partisans  de  la  Russie  exaltent  l'amour  d'Alexandre  II 
pour  ses  peuples  et  ses  idées  libérales  et  égalitaires.  11  y  a. 


k 


DB  LA  BÉVOLUTION  POLOIIAISB.  •  369 

en  effet,  dans  l'empereur  de  Russie  un  homme  libéra),  ami 
du  progrès,  mais  comme  le  Janus  mythologique,  c'est  un 
homme  à  deux  visages,  qui  ne  tourne  le  beau  que  vers  l'Eu- 
rope, et  qui  est  pour  les  peuples  qu'il  gouverne  le  ûdèle  ob- 
servateur des  vieilles  traditions  russes.  Ces  traditions,  on  les 
connaît  assez  chez  nous.  Elles  consistent  à  ne  flatter  une  partie 
des  opprimés,  que  pour  ruiner  en  sous-œuvre  une  puissance 
féodale  ombrageuse,  quitte  à  remettre,  après  le  grand  vassal 
ébranlé,  les  choses  dans  leur  pitoyable  état  primitif. 

C'est  de  cette  disposition  d^esprit  d'Alexandre  II,  que  les 
Français,  si  enclins  à  admirer  leurs  ennemis  de  la  veille,  ont 
tiré  cette  flatteuse  conséquence  que  le  successeur  de  Nicolas 
était  un  prince  émancipateur. 

Nous  avons  établi  qu  il  avait  été  devancé  par  la  Pologne.  Or 
la  Pologne  émancipatrice,  libérale,  égalitaire,  quoique  mo-* 
narchique,  c'était  laSociété  agronomique  de  Varsovie. 

Tandis  que  l'émeute  grondait  au  dehors,  que  les  massa- 
creurs exécutaient  leur  sanglante  besogne,  le  26  février,  la 
Société  agronomique  votait,  à  L'unanimité  la  suppression  de 
la  corvée,  et  constituait  un  capital  d'obligations,  afln  d'indem- 
niser les  propriétaires,  qui  cédaient  aux  paysans  les  terres  que 
ceux-ci  cultivaient  pour  l'entretien  de  leurs  familles,  et  dont 
la  propriété  entière  devait  leur  échoir,  après  le  payement, 
par  annuités  des  sommes  correspondant  au  capital  d'obliga- 
tions voté  par  la  Société.  Un  don  patriotique  d'un  cinquième 
était  fait  aux  paysans  sur  la  valeur  intégrale  desdites  terres. 

Or  il  est  très-urgent  de  faire  remarquer  ici  que  ce  grand 
acte  fut  accompli  par  la  Société  agronomique  le  26  février, 
suivant  le  calendrier  européen,  mais  le  14  février  selon  le 
calendrier  russe.  On  va  voir  bientôt  l'utilité  de  cette  remar- 
que. 

Le  27  février,  la  Société  agronomique  envoya  au  czar  une 
adresse  destinée  à  réclairer  sur  la  situation  de  Varsovie,  sur 
les  cruautés  impolitiques  de  ses  agents,  dans  le  but  de  prévenir 
de  nouveaux  malheurs. 

a  Sire,  disait  cette  adresse,  les  douloureux  événements  qui 
viennent  de  se  passer  à  Varsovie,  la  longue  irritation  qui  les  a 
précédés  et  le  profond  sentiment  de  tristesse  qui  a  pénétré 
dans  tous  les  esprits,  nous  amènent  à  porter  la  présente 
requête  aux  pieds  de  Votre  Majesté,  au  nom  de  tout  le  pays, 
espérant  que  votre  noble  cœur,  sire,  ne  restera  pas  sourd  a  la 
voix  d'une  nation  infortunée. 

«  Ces  événements,  dont  nous  nous  abstenons  de  décrire  les 
scènes  poignantes,  n'ont  aucunement  été  provoqués  par  les 
passions  subversives  d'une  classe  de  la  population  :  ils  sont, 
an  contraire,  la  nianifes>lation  unanime  et  éloquente  de  senti 
monts  refoulés  et  de  besoins  méconnus.  Noire  nation  qui^  pen- 

47 


370  HI8T0IBB 

dant  des  siècles,  ayait  été  régie  par  des  institutions  libérales^ 
enduredepuisplusde  soixante  ans  les  plus  cruelles  souffrances; 
privée  de  tout  organe  légal  pour  faire  parvenir  au  trône  ses 
doléances  et  l'expression  de  ses  besoins,  elle  est  forcément  ré- 
duite à  ne  faire  entendre  sa  voix  que  par  le  cri  des  martyrs 
que  chaque  jour  elle  offre  en  holocauste. 

a  Au  fond  de  Tâme  de  chaque  Polonais  brûle  un  sentiment 
indestructible  de  nationalité  :  ce  sentiment  résiste  au  temps 
et  à  toutes  les  épreuves  ;  le  malheur^  loin  de  l'affaiblir,  n'a 
fait  que  le  fortifier  ;  tout  ce  qui  le  blesse  ou  le  menace,  bou- 
leverse et  inquiète  les  esprits. 

«  Aussi,  toute  confiance  a-t-elle  cessé  entre  'gouvernants 
et  gouvernés.  Les  moyens  répressifs  ne  sauraient  la  faire  re- 
naître,  quelles  que  soient  leur  violence  et  leur  durée.  Un  pays 
jadis  au  niveau  de  la  civilisation  de  ses  voisins  d'Occident  ne 
sauraitd'ailleurs  se  développer  moralement  ni  matériellement 
tant  que  son  Eglise,  sa  législation,  son  instruction  publique 
et  toute  son  organisation  sociale  ne  seront  pas  marquées  du 
sceau  de  son  génie  national  et  de  ses  traditions  historiques. 

a  Les  aspirations  de  notre  nation  sont  d'autant  plus  ardentes, 
que,  seule  aujourd'hui  dans  la  grande  famille  européenne, 
elle  manque  de  ces  conditions  absolues  d'existence  sans  les- 
quelles une  société  ne  saurait  fournir  la  carrière  que  lui  a 
tracée  la  Providence. 

a  En  déposant  aux  pieds  du  trône  Texpression  de  notre  dou- 
leur et  de  nos  fervents  désirs,  confiants  dans  la  haute  équité 
et  dans  la  justice  de  Votre  Majesté,  nous  osons,  sire^  en  appeler 
à  votre  magnanimité.  • 

Que  fit  Alexandre  à  la  lecture  de  cet  acte  remarquable^ 
émouvant,  de  ce  cri  respectueux  et  soumis,  quoique  patrio- 
tique, des  représentants  d'une  nation  qu'on  égorgeait?  Vous 
croyez  qu'il  va  répondre,  qu'il  va  chercher  et  concilier  cet 
esprit  national  polonais  avec  ses  propres  intérêts  dynastiques. 
Allons  donc  I 

Un  mobile  bien  plus  puissant  doit  faire  agir  le  czar.  L'acte 
d'émancipation  des  paysans,  n'a  pas  été  fait  par  loi  ! 

On  se  met  à  l'œuvre  à  Pétersbourg.  On  bâcle  un  projet  de 
réforme^  l'empereur  le  signe  à  la  hâte,  le  publie,  le  fait  ré- 
pandre a  son  de  trompette  dans  toute  l'Europe,  dans  le  moiâde 
entier.  Il  porte  la  date  du  19  février  ! 

Or,  remarquez  bien  aue  ce  19  février  là,  est  du  calendrier 
russe,  c'esl-à-dire  que  chez  nous  il  s'appelle  le  3  mars  I 

Presqu'aussitôt,  grâce  à  ce  beau  moyen,  le  manifeste  de  la 
société  agronomique  de  Varsovie,  est  dénoncé  à  l'Europe 
comme  un  acte  hostile  et  inutile,  dont  ladite  société  doit  être 
punie  sévèrement. 


DE  LA  RÉyOLOTION  POLONAISE.  371 

Le  czar,  en  réponse  à  son  adresse,  lui  annonce  qu'elle  est 
dissoute  ! 

La  ridicule  vanité  du  Roi-Soleil  n'aurait  certes  pas  trouvé 
celle-là. 

On  pense  bien  que  ces  événements  n'étaient  pas  de  nature 
à  améliorer  le  sort  de  la  Pologne.  Les  Moscovites  voulaient 
empêcher  toute  manifestation  du  sentiment  national,  alors 
même  qu'il  ne  s'agissait  que  de  prier  pour  les  victimes  des 
massacres  du  26  février. 

Du  reste,  la  juste  douleur  des  Polonais  avait  un  immense  et 
sympathique  écho  en  Europe.  De  toutes  parts  on  organisait 
des  services  religieux  pour  les  victimes  de  la  barbarie  russe. 
A  Paris,  ce  service  eût  lieu  à  la  Madeleine,  le  16  mars  1861. 

L'abbé  Deguerry,  curé  de  cette  église,  adressa  aux  émigrés 
polonais  présents  une  chaleureuse  allocution  : 

ff  Vous  savez,  leur  disait-il,  pourquoi  ces  gémissements  qui 
sont  dans  vos  âmes,  sont  pleins  de  larmes.  Ce  sont  des  événe- 
ments qui  sont  connus,  dont  vous  savez  les  uns  et  les  autres 
les  détails... 

a  Vous  savez  cet  amour  de  la  patrie^  ne  cessant  jamais  d'être 
ardent  en  vos  compatriotes... 

a  Vous  savez  ces  manifestations  simples^  naturelles,  pro- 
duites par  l'amour  de  la  patrie... 

«  Vous  savez  ces  foules,  s'agglomérant,  mais  ne  voulant 
être  que  paciflques  et  n'ayant  pas  d'autre  intention  que  celle 
d'être  pacifiques... 

a  Vous  savez  ces  foules  sortant  de  l'église,  la  bannière  delà 
patrie  déployée  à  tous  les  yeux,  cette  croix,  qui  semblait  venir 
du  ciel  et  qui  disait  :  A  genoux  I  Et  cette  foule  immense  qui 
se  prosterne. •• 

«  Vous  savez  alors  l'événement  terrible,  cette  charge  que 
j'appellerais  barbare,  si  l'esprit  qui  préside  à  celte  auguste 
cérémonie  ne  m'interdisait  pas  des  paroles  de  cette  nature... 

«  Vous  savez  cette  foule  troublée,  saccagée,  le  sang  ré- 
pandu... 

a  Vous  savez  ces  corps  relevés  sanglants... 

«  Vous  savez  ensuite  ces  protestations  adressées... 

«  Vous  savez  le  convoi  de  ces  augustes  victimes... 

«  Vous  savez  cet  ordre  s'établissant  par  le  fait  de  vos  com- 
patriotes et  des  plus  jeunes,  au  milieu  de  la  grande  ville  ,  la 
force  armée  éloignée/ honteuse  en  quelque  sorte  du  rôle  qui 
lui  était  imposé... 

a  Vous  savez  cette  marche  funèbre,  ces  corps  portés  à  leur 
dernière  demeure... 

a  Vous  savez  aussi  que  quelques-uns  des  membres  les  plus 
augustes  de  votre  patrie,  traversant  la  voie  publique  en  même 
temps  que  la  foule,  lui  recommandaient  la  froide  dignité... 


372  HI8T0IBI 

a  Vous  savez  tout  cela... 

«  Eh  bien  !  nous  venons  vous  dire  qu'en  ce  jour  votre 
cause  a  reniporté  une  soleonèUe  et  décisive  victoire! 

a  II  faut  donc  ici  un  mot  pour  votre  cause,  un  mot.  pour  la 
vérité,  un  mot  aussi  pour  la  grande  vi'ctoire  que  vous  venez 
de  remporter,  victoire  pour  les  destinées  de  la  Pologne  !... 

<K  Votre  cause,  quelle  est-elle  ?  Elle  est  sacrée  votre  cause. 
Pourq.uoi  donc?  Parce  que  tout  ce  qui  est  selon  Dieu  est 
sacré  ;  parce  que  tout  ce  qui  est  conforme  à  la  pensée  de  Dieu 
est  sacré,  de  même  que  tout  cela  est  saint...  Qu'est-ce  qu'une 
chose  sainte.?...  Cest  une  cho^e  qui  est  selon  la  pensée  de 
Diej.  Or,  votre  cause  renferme  la  famille  et  la  patrie...  Est-ce 
que  Dieu  ne  veut  pas  la  famille  et  la  patrie?  Qu'estrce  que  la 
famille?  L'établissenient  de  Dieu.  Qu'est-ce  que  la  patrie  ?  La 
réunion  d'un  qertain  nonàbre  de  fatmilles.  Le  divin  Sauveur  a 
aimé  sa  patrie...  Vous  savez  qu'un  jour,  la  voyant  près  d'être 
la  proie  de  calamités  immenses,  il  a  pleuré  sur  elle;  il  n'a 
pleuré  que  trois  fois  :  sur  l'ami  té,  sur  sa  patrie,  sur  l'huma- 
nité... » 

Plus  loin,  le  vénérable  curé  de  la  Madeleine,  explique  cette 
idée  de  victoire  : 

.  —Une' grande  victoire  !...  Voyons,  qu'est-ce  qu'une  grande 
victoire  remportée  î...  . 

a  Sont-ce  des  ennemis  abattus,  renversés  ?  Sont*ce  des  tor- 
rents de  sang  répandus,  des  villes  incendiées?... 

a  Ce  n'est  rien  de  tout  cela. 
'  ;  a  Qu'estrce  donc  qu'une  grande  victoire  ?... 

•  C'est  quand  Tennemi  est  vaincu,  désarmé,  subjugué  par 
la  puissance  morale,  bien  autrement  puissaute  que  celle  des 
armes  1  Alors  c'est  une  véritable  victoire;  alors  )a  cause  qu'on 
soutient  est  victorieuse  !... 

a  C'est  pour  cela  que  nous  vous  déclarons  vainqueurs  dans 
.cet  événement  dont  nous  célébrons  en  ce  moment  la  mémoire. 
Voyez  les  pjremiëres  lettres  des  noms  de  ces  illustres  victimes, 
appendues  sur  ces  murs  :  ce  sont  des  martyrs,  ce  sont  aussi 
des  vainqueurs,  .car  martyr  veut  dire  vainqueur.  Oui,  nobles 
victime^  dont  nous  honorons  la  mort,  le  sang  a  été  répandu, 
la  foule  a  été  dispersée,  jetée  de  côté  et  d'autre^  et  vous  avez 
vaincu  !...  » 

H.  l'abbé  Deguerry  terminait  son  4iscours  par  cette  tou- 
chante péroraison  : 

«  Voici  un  trait  tiré  de  l'histoire  de  l'Église,  qui  m'est  d'ail- 
leurs suggéré  par  votre  propre  bilstoire  :  Une  jeune  fille  est 
amenée  dans  l'arène.  Les  juges  l'avaient  condamnée  à  être 
dévorée  par  les  bêtes.  Un  lion  entre  dans  l'arène.  Il  la  regarde. 
Il  s'arrête  d'abord,  it  s'approche  d'elle,  ensuite  lui  lèche  les 
mains  et  se  couche  à  ses  pieds  ] 


4 


■^ 


>4 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  373 

a  0  Pologne!  il  y  a  plus  d'an  siècle  que,  par  les  divisions 
intestines  bien  plus  que  par  la  force  de  tes  ennemis^  tu  es  en- 
trée dans  Tarène  du  martyre.  Plusieurs  fois  tu  as  essayé  de 
briser  tes  fers^  et  plusieurs  fois  ou  t'a  donné  des  promesses 
sur  lesquelles  tu  devais  compter.  Noble  Pologne  !  toi,  tu  as 
toujours  donné  ton  sang  !  Tu  es  dans  l'arène^  tu  ne  peux  plus 
briser  tes  fers  pour  les  jeter  à  la  tête  de  ceux  qui  en  ontchargé 
tes  bras  ;  tu  ne  peux  plus  lutter  contre  le  lion  qui  te  regarde 
et  qui  semble  te  menacer  de  sa  férocité.  Il  te  regarde^  mais  il 
ne  s'apprête  plus  à  te  dévorer.  Un  cri  de  réprobation  retenti- 
rait sur  sa  tête  :  il  te  regarde^  il  s*approcbede  toi,  il  écoute  ta 
plainte  ^  il  semble  vouloir  accorder  quelque  chose  à  ta 
souffrance.  Noble  Pologne  l  tu  verras  tomber  tes  liens  dans 
quelques  jours,  dont  je  ne  sais  pas  le  nombre.  Le  lion  viendra 
lécher  tes  plaies,  baisjer  tes  piçds  meurtris.  L'Europe  qui^ 
aujourd'hui^  te  regarde^  s'unira  à  toi,  et  alors  tu  continueras 
ta  grandeur»  et  tu  élèveras  les  mains  au  ciel,  en  disant  :  0 
Christ,  par  qui  j'ai  vaincu,  soyez  éternellement  adoré  :  à  vous 
la  gloire^  la  reconnaissance^  à  vous  Tamour  i  Ainsi  soit-il.  i» 

.  La  société  agronomique  avait  été  dissoute  par  un  ukase  du 
6  avril.  Le  peuple  de  Varsovie  fut  très-ému  de  cette  mesure 
que  pour  lui  rien  ne  motivait^  et  dont  nous  avons  donné  les 
singuUères  raisons.  Cette  émotion  causa  des  rassemblements 
très-paci&queS;  que  les  russes  dispersèrent  les  8  et  9  avril  en 
massacrant  les  citoyens  inoffensifs,  et  tout  particulièrement 
ceux  qui^  infirmes  ou  âgés  ne  pouvaient  se  retirer  assez  vite 
devant  les  charges  de  cavalerie  exécutées  dans  les  rues  de  la 
ville. 

Ne  pouvant  se  défendre  contre  ces  injustes  agressions,  les 
Polonais  protestèrent  de  la  seule  façon  qui  leur  fut  possible. 
Réfugiés  dans  leurs  églises,  ils  priaient  et  chantaient  leurs 
cantiques  nationaux.  Le  premier,  composé  par  le  poêle  Aloys 
Felinski  en  1815^  est  un  appel  à  l'intervention  divine,  appel 
touchant,  filial,  et  sans  excitation  violente  à  la  haine  des  mos- 
covites : 

«Seigneur  Dieu^  toi  qui,  durant  tant  de  siècles,  entouras  la 
Pologne  de  splendeur,  de  puissance  et  de  gloire  ;  toi  qui  la 
couvrais  alors  de  ton  bouclier  lutélaire,  en  détournant  d'elle, 
les  malheurs  dont  on  voulait  Taccabler, 
Seigneur  !  'prosternés  devant  t^s  autels,  nous  t'en  conjurons, 
«  Daigne  conserver  notre  chère  patrie 

a  Seigneur  Dieu,  toi  qui,  plus  tard,  ému  de  notre  chute,  as 
protégé  lescombaltants  pour  la  plus  sainte  des  causes;  toi  qui 
voulais  avoir  l'univers  pour  témoin  de  leur  courage,  et  faire 
grandir  leur  gloire  au  sein  même  de  leurs  calamités, 
Seigneur  !  prosternés  devant  tes  uulels,  nous  t'en  conjurons, 
«  Daigne  conserver  notre  chère  patrie  I 


374  HI8T0IRB 

a  Seigneur  Dien^  rends  à  notre  Pologne  son  antique  splen- 
deur^ fertilise  nos  champs  et  nos  plaines  dévastées  par  une 
guerre  injuste;  que  le  bonheur  et  la  liberté  fleurissentà  jamais 
parmi  nous.  Dieu^  daigne  apaiser  ton  courroux  et  cesse  de 
nous  éprouver. 

Seigneur  !  prosternés  devant  tes  autels,  nous  t'en  conjurons^ 
«  Daigne  conserver  notre  chère  patrie  ! 

a  Dieu,.dont  le  bras  juste  brise  en  un  clin  d'œil  les  sceptres 

des  maîtres  du  monde,  mets  à  néant  les  desseins  perfides  de 

nos  ennemis,  réveille  Tespérance  dans  chaque  âme  polonaise. 

Seigneur  !  prosternés  devant  tes  autels,  nous  f  en  conjurons^ 

«  Rends-nous  notre  patrie,  rends-nous  notre  liberté  ! 

«  Dieu  très-saint  !  partes  divins  miracles,  éloigne  de  nous  les 
calamités  et  les  horreurs  des  champs  de  bataille,  daigne  unir 
tes  peuples  par  le  nœud  de  la  liberté,  et  plaçe-les  sous  le 
sceptre  de  Tange  de  la  paix. 

Seigneur  !  prosternés  devant  tes  autels,  nous  t'en  conjurons, 
«  Rends-nous  notre  patrie,  rends-nous  notre  liberté  !  » 

Le  cantique  de  Camille  Uieyski,  composé  en  1846,  à  Toc- 
casion  des  massacres  de  Gallicie,  est  des  plusénergiaues.  C'est 
un  cri  de  haine  et  d'espérance,  un  appel  à  la  maléaiction  di- 
vine : 

«  Avec  la  fumée  des  incendies  et  du  sang  de  nos  frères, 
cette  voix  s*élève  vers  toi.  Seigneur.  C'est  une  plainte  terri- 
ble, c'est  un  dernier  soupir.  De  pareilles  prières  font  blan- 
chir les  cheveux.  Nos  prières  ne  sont  plus  que  des  gémisse- 
ments. La  couronne  d'épines  s'est  fixée  sur  notre  front  comme 
un  signe  de  ta  colère*  Nos  mains  suppliantes  s'élèvent  vers  toi. 

a  Et  nous,  nous  regardons  dans  le  ciel  si  deses  hauteurs  cent 
soleils  ne  tomberont  pas  pour  confondre  nos  ennemis  !  Tout 
est  tranquille  dans  l'azur  des  cieux;  comme  toujours,  l'oiseau 
libre  y  voltige.  Alors,  dans  l'égarement  horrible  du  doute, 
avant  que  notre  foi  se  réveille,  nos  lèvres  blasphèment,  bien 
que  nos  cœurs  saignent.  Aussi,  juge-nous  d'après  nos  cœurs, 
et  non  d*après  nos  paroles  ! 

«  Combien  de  fois  ne  nous  as-tu  pas  fustigés  ?  Et  nous, 
avant  que  le  sang  de  nos  dernières  blessures  ne  fût  séché, 
nous  nous  écriions  de  nouveau  :  «  Il  s'est  laissé  fléchir,  car 
«c  il  est  notre  Père,  il  est  notre  Seigneur  ;  »  et,  de  nouveau, 
nous  nous  relevons  plus  sincères  dans  notre  confiance.  Et  ce- 
pendant, avec  ta  volonté,  l'ennemi  noua  écrase  de  nouveau. 
Son  rire,  comme  une  pierre  sur  notre  poitrine,  nous  crie  : 
Où  est  donc  ce  Dieu,  leur  Père  ? 

a  Seigneur  i  Seigneur  !  le  monde  a  horreur  des  choses 
terribles  que  le  temps  nous  apporte.  Le  fils  a  tué  son  père,  le 
frère  a  tue  son  frère.  Il  y  a,  parmi  nous,  des  masses  de  Caîn. 
Mais,  ô  Seigneur,  ils  sont  innocents,  bien  qu'ils  aient  reculi 


DE  LA  RÉyOLUTION  POLONAISB. 

notre  avenir  ;  d'autres  démons  ont  traTaillé  avec  eux. 
glaive  flamboyant,  punis  seulement  la  main  qui  les 

rigés. 

«  Regarde,  dans  le  malheur,  nous  sommes  toujours  les 
mêmes.  Comme  les  oiseaux  des  bois  qui  vont  reposer  dans 
leurs  propres  nids,  nous  nous  élevons  vers  toi,  vers  les  étoi- 
les, par  la  prière.  Préserve-nous,  par  ta  main  paternelle  ; 
promets-nous  de  voir  ses  futurs  bienfaits  ;  que  le  parfum  de 
la  fleur  du  martyre  nous  endorme,  que  Tauréole  du  martyre 
nous  entoure  ! 

a  Et,  avec  son  archange  en  tète,  nous  courrons  à  la  lutte 
sanglante,  et,  sur  le  cœur  palpitant  de  Satan,  nous  enfonce- 
rons ton  étendard  victorieux.  Nous  ouvrirons  nos  cœurs  à  nos 
frères  égarés  ;  le  baptême  de  la  liberté  lavera  leur  faute. 
Alors,  le  vil  blasphémateur  entendra  notre  réponse  :  //  y 
avait,  il  y  a  un  Dieu.  » 

Mais  les  églises  mêmes  n'étaient  pas  sacrées  pour  les  Rus- 
ses. Les  femmes,  les  enfants,  les  vieillards,  qui  chantaient  des 
hymnes  patriotiques,  se  virent  mitraillés  dans  leur  temple. 
On  arrachait  les  prêtres  de  l'autel,  les  cosaques  se  paraient  de 
leurs  ornements  sacerdotaux. 

Ces  profanations  obligèrent  le  clergé  polonais  à  fermer  les 
églises.  Toute  la  population  prit  le  deuil.  Hais  le  deuil  même 
sembla  factieux  aux  Moscovites,  qui  mirent  le  pays  en  état  de 
siège. 

Un  doit  penser  quelles  affreuses  rigueurs  étaient  la  consé- 
quence de  cette  mesure,  exécutée  par  des  barbares.  La  Polo- 
gne laissait  faire.  Elle  attendait,  pour  se  lever,  une  occasion 
solennelle.  Cette  occasion  lui  fut  bientôt  fournie.  Sentant  le 
sentiment  national  vivace,  malgré  toutes  les  persécutions, 
Alexandre  II  dût  trouver  le  moyen  de  l'éteindre  en  adoptant 
enfin  la  théorie  du  marquis  Wielopolski  sur  le  Panslavisme. 
C'était  le  fameux  recrutement  qui  donna  le  signal  de  celle 
immense  révobition  à  laquelle  nous  assistons  aujourd'hui. 

Hais  avant  d'entrer  dans  les  détails  de  cet  acte  politique, 
expliquons  un  peu  ce  qu'est  le  marquis  Wielopolski,  et  ce 
qu^est  son  système. 

Ecoutons  Henri  Martin  (1)  : 

«  La  Pologne,  après  1831,  semblait  finie  pour  cette  fois 
sans  retour.  L'armée  nationale  dissoute,  la  langue  russe  en 
possession  exclusive  de  l'administration  et  de  l'enseignement, 
les  études  libéralessystématiquement  étouffées,  le  terrorisme 
en  permanence,  une  conscription  écrasante  enlevant  inces- 
samment de^  ses  foyers  une  jeunesse  qui  ne  les  revoyait  ja- 
mais ;  ce  n'était  point  assez  :  quarante-cinq  mille  laniiUes 

(1)  Pologne  et  Moscovie, 


376  HISTOIRB 

sont  déportées  au  Caucase  !...  Ce  n'était  point  encore  assez  : 
Tenlèvement  d'un  seul  enfant  juif  a  plus  fait  que  cent  griefs 
séculaires  pour  perdre  le  gouvernement  du  pape  ;  le  pape- 
empereur  du  Nord»  arrache  par  milliers  les  enfants  à  leur 
mère,  pour  les  envoyer  pénr  dans  les  déserts  de  la  Rus- 
sie! » 

Le  succès  paraissait  d'autant  plus  complet  que  la  Pologne 
russe  ne  bougeait  pas,  quand  les  deux  autres  fragments  de 
cette  grande  nationalité  se  soulevaient.  En  1846,  Cracovieet 
laGaliicie;  en  1848,  Posen  et  encore  Cracovie  se  révoltent 
contre  la  Prusse  et  rAutriche,  tandis  que  la  Pologne  russe 
reste  immobile.  Elle  semble  morte. 

Cette  mort,  c'était  la  lente,  mais  profonde  et  sûre  prépara- 
tion à  une  vie  nouvelle.  La  Pologne,  démembrée^  réunissait, 
retrempait  en  silence  ses  membres  déchirés  ! 

Tuée  par  les  divisions  des  sectes  et  des  castes^  elle  renais- 
sait par  Tunion  dans  le  commun  martyre  I 

Le  fanatisme  religieux  avait  détruit,  en  Pologne,  l'unité. 
Au  fanatisme  a  succédé  Vesprit  vraiment  chrétien. 

Le  malheur  a  éclairé  les  esprits  et  touché  les  âmes,  et  les 
sentiments  de  justice  et  d'égalité  préparent  l'enfantement 
d'une  nouvelle  Pologne. 

Nous  avons  vu  les  trois  envahisseurs  réunis  à  Varsovie. 
La  Pologne  avait  subi  leur  présence  comme  an  outrage. 
Elle  avait  compris  leur  alliance  comme  un  pacte  conclu 
.  pour  son  asservissement  éternel. 

Aussi  bientôt,  sans  autre  impulsion  que  le  sentiment  de  sa 
foi  dans  son  existence  nationale,  la  Pologne  se  lève.  Désar- 
mée, elle  se  lève  sans  armes.  La  révolution  n'a,  pour  elle, 
que  le  chant  des  hymnes,  que  la  prière  dans  l'église.  El 
voyez  comme  elle  est  puissante  cette  idée  révolutionnaire: 
prêtre,  ministre,  rabbin,  se  donnent  la  main.  Chacun  selon 
son  rite,  adresse  à  Dieu  le  même  cri  d'espoir,  la  même  fer- 
vente prière. 

C'est  que  pour  la  Pologne  toutes  les  religions  se  sont  réu- 
nies en  une  seule,  une  sorte  de  religion  nationale,  dont  la 
devise  est  Dieu  et  la  patrie  t  Leur  dieu  n'est  ni  celui  des 
chrétiens,  ni  celui  des  Juifs,  c'est  le  Dieu  de  la  justice  et  de 
l'humanité. 

Ce  peuple  s'avance  en  chantant,  hommes  et  femmes,  en- 
fants et  vieillards,  devant  les  bataillons  ennemis.  Il  s'arrête, 
les  bras  croisés  sur  la  poitrine,  sans  résister  et  sans  fuir, 
sous  les  sabres  levés  et  la  fusillade.  Ceux  qui  ne  tombent  pas 
continuent  le  chant;  les  autres  apparemment  l'achèvent  de- 
vant Dieu? 

Que  pouvait  le  despotisme  sur  ce  grand  peuple  ?  N'avait-il 
pas  à  craindre  que  le  soldat  se  lasse  d'être  bourreau  ? 


DB  LA  KÉVOLCTION  POLONAISE.  377 

Il  fallait  à  la  Russie  un  moyen  de  forcer  la  Pologne  à  pren- 
dre les  armes,  afin  d'avoir  un  motif  pour  Técraser. 

Biais  qui  trouvera  ce  moyen?  Les  Husscs  connaissent  trop 
bien  les  mensonges  officiels  de  Sainl-Péfersbourg,  pour  se 
contenter  de  paroles,  et  il  faut  qu'ils  luent  la  Pologne.  Quel 
moyen  emploiera-t-on  pour  armer  le  peuple  esclave  contre 
ses  oppresseurs  ! 

En  vain  les  hommes  d'état  russes  cherchent- ils.  C'est  un' 
Polonais  nui  peut  seul  trouver  le  moyen  d'étouffer  le  cri  des 
Polonais  demandant  une  patrie. 

C'est  le  marquis  Wielopolski. 

Est-ce  un  ennemi  de  son  pays,  ou  bien  est-ce  un  homme 
qu'une  immense  erreur  a  entraîné  dans  une  voie  fatale  ? 

C^est  un  patriote  exclusif,  un  homme  à  idées  arrêtées,  pré- 
conçues, qui,  se  trouvant  méconnu  par  les  Polonais,  s'est 
adressé  aux  Russes. 

Il  n'a  pas  trahi  les  hommes,  mais  la  nationalité.  Il  voulait 
sincèrement  que  le  sang  ne  coule  pas.  Il  assassinait  la  Polo- 
gne, mais  croyait  ne  pas  tuer  un  Polonais. 

Voici  son  histoire  : 

Il  servait  la  révolution  en  1831.  Envoyé  à  Londres,  il  y  pré- 
senta des  mémoires  diplomatiques  très-remarquables  a  lord 
Palmerston.  Ses  efforts  se  brisèrent  contre  le  parti-pris  d'im- 
mobilité de  TAngleterre.  Quand  la  révolution  fut  vaincue,  il 
n'émigra  point.  Il  attendit. 

Pendant  quinze  ans,  il  garde  le  silence.  En  1846,  il  écrit 
un  ouvrage  d'une  sombre  éloquence  :  Lettre  d'un  gentil- 
homme  polonais  au  prince  de  Me tternich^C'é\sii\  au  sujet  des 
massacres  de  Gallicie.  L'Europe  tout  entière  fut  remuée  parce 
livre. 

«  La  Pologne,  disait-il,  abandonnée  de  l'Occident,  ne  sau- 
«  rait  s'affranchir  de  ses  trois  oppresseurs;  qu'elle  se  donne 
«  à  un  seul,  à  celui  qui  est  Slave  comme  elle  ;  qu'elle  abiii- 
a  que  dans  un  suicide  vengeur,  et  qu'elle  punisse  l'Europe 
c(  en  créant  le  Panslavisme  !  d 

Il  7  avait,  dans  ce  programme,  une  monstruosité  et  une 
erreur. 

L'erreur,  c'est  que  la  Russie,  —  c'est-à-dire  la  Moscovie, 
n'est  pas  Slave. 

La  monstruosité,  c'est  que  la  nationalité  polonaise  repré- 
sente la  liberté,  plus  que  l'idée  de  race,  et  que  proposer  à  la 
Pologne  d'abdiquer  son  titre  de  nation,  c'est  lui  faire  abdiquer 
sa  liberté. 

«  C'était,  dit  Henri  Martin,  la  tentation  du  Christ  sur  la 
montagne 

c  Renonce  à  ta  mission,  à  ton  âme,  et  tu  auras,  au  lieu  de 
c  la  croix  et  de  la  couronne  d'épines,  les  couronnes  et  kss  tré- 

48 


378  H16T0IRB 

a  sors  de  la  terre,  —  et  quelque  chose  de  plus  que  ce  qui  fut 
o  offert  au  Christ,  la  vengeance!  », 

c<  La  tentation  était  forte.  La  Pologne  ne  devait  rien  à  PEu- 
rope;  rien,  hélas!  pas  même  à  la  France! 

a  Rien  à  rAllemagne  !  ce  serait  trop  peu  dire  :  ce  qu'elle 
lui  devait,  c'est  à  la  conscience  de  rAllemagne  que  nous  le 
dcnriandons! 

a  La  Pologne  refusa.  Cette  nation  vraiment  sainte  ne  voulut 
pas  descendre  de  son  calvaire. 

«  Le  marquis  Wielopolski  s'enfonça  seul  dans  sa  pensée. 

«  Nicolas,  bien  assis  dans  son  terrorisme,  méconnut  ou  dé- 
daigna le  concours  qu^offrait  à  sa  force  matérielle  cet  esprit 
redoutable.  Avec  Alexandre  11,  le  marquis  Wielopolski  crut 
son  jour  arrivé.  Un  moment  il  fut  ému,  ou  du  moins  étonné, 
par  la  grandeur  et  par  les  formes  inouïes  du  mouvement 
populaire  de  1861;  mais  il  n'avait  que  dédain  pour  les  pacifi- 
ques révolutionnaires  qui  avaient  préparé  ce  mouvement  par 
trente  années  d'obscures  et  infatigables  travaux,  et  qui  résu- 
maient leur  sentiment  et  leur  action  dans  ces  deux  mots  : 
droit  et  patience.  Zamoîski  et  Wielopolski  se  trouvèrent  alors 
en  présence  comme  le  bon  et  le  mauvais  ange  de  la  Pologne. 

«  Le  marquis  fut  enfin  accepte  à  Saint-Pétersbourg,  où  avait 
commencé  cette  politique  d'incohérence  et  de  contradictions 
énormes  qui  a  remplacé  le  simple  et  net  despotisme  de  Nico- 
las.  » 

Pendant  ce  temps,  il  y  avait  à  Varsovie  un  homme  qui  con- 
trebalançait rinfluence  russe,  sous  le  gouvernement  du  grand 
duc  Constantin.  C'était  le  comte  André  Zamoîski.  L'idée  q^ue 
représentait  le  comte,  c'était  la  Pologne  libre,  autonome,  in- 
dépendante ayant  un  gouvernement  polonais,  une  adminis- 
tration polonaise,  une  armée  nationale,  mais  un  souverain 
russe,  un  prince  de  la  famille  du  Czar  ou  le  Czar  lui-même.  * 

Wielopolski  commença  par  faire  intenter  à  Zamoîski  un 
procès  de  haute  trahison.  Il  ne  réussit  pas.  Il  ne  pût  parvenir 
qu'à  le  faire  envoyer  en  exil,  sans  lui  donner  le  temps  de  dire 
adieu  à  sa  femme  mourante. 

«  Et  pourtant,  dit  Henri  Martin,  un  reste  de  sentiment 
national  se  débattait  encore  dans  cette  âme  étrange;  tout  en 
prétendant  faire  disparaître  la  Pologne  dans  la  Russie,  il  eût 
voulu  çouverner  la  Pologne  avec  des  Polonas,  avec  la  langue 
polonaise;  il  visait,  au  fond,  à  faire  gouverner  la  Russie  elle- 
même  par  l'intelligence  et  l'activité  des  Polonais.  Une  espèce 
de  patriotisme  monstrueux  se  laissait  encore  entrevoir  dans 
son  (sniement  de  la  patrie.  Hais  l'esprit  de  système  ulcéré 
par  la  résistance  qu'il  soulevait,  la  haine  pubhque  dccbainée, 
les  quelcjues  tentatives  individuelles  de  violence  désespérée 
qui  succédèrent  tout  à  coup  à  optte  douceur  unanime  dans  la 


DE  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  379 

martyre,  impossible  à  soutenir  longtemps  pour  la  nature 
humaine,  poussèrent  rapidement  le  lieutenant  du  czar  à 
cette  fureur  froide  des  tyrans  où  s'abîme  tout  ce  qui  reste  en 
eux  d'humain. 

«  Il  faut  qu'il  écrase  tout  ce  qui  résiste. 

«  Ce  qui  résiste,  c'est  tout  ce  qui  fait  groupe  et  tout  ce  qui 
sait  lire. 

«  Ce  qu'on  peut  gagner  peut-être,  c'est  la  portion  la  plus 
ignorante,  la  plus  dispersée,  mais  la  plus  nombreuse,  les 
classes  agricoles. 

«  II  cherche,  il  se  concentre,  il  se  résume. 

«  L'homme  de  la  Lettre  au  prince  de  Metternich  va  de- 
mander ses  inspirations  à  la  tradition  de  Metternich.  » 

C'est  Torganisation  de  la  Vénétie  qu'il  va  imiter,  et  même 
dépasser. 

Pour  cela  il  supprime  la  conscription  générale,  et  la  rem- 

tlace  par  une  conscription  sans  tirage,  sur  désignation  facul- 
itivedeTautorité! 

On  rasait  ainsi  les  trois  classes  révolutionnaires,  petits, 
nobles,  bourgeois,  ouvriers,  toute  la  sève,  toute  la  vie  de  la 
nation. 

Hais  en  même  temps  l'autorité  n'attaquait  pas  le  paysan. 
Elle  le  laissait  à  sa  charrue. 

Que  devail-il  arriver? 

La  conscription  s'opérerait  silencieusement,  et  la  nationalité 
polonaise  était  tuée  sans  coup  férir. 

Ou  il  y  allait  avoir  révolte,  insurrection,  et  on  voyait  cette 
nationalité  dans  le  sang. 

Des  deux  façons  le  panslavisme  était  établi. 

La  stupeur,  on  l'eût  d'abord  à  Varsovie  ;  une  nuit.  les  exécu- 
teurs de  l'œuvre  de  Wielopolski  forcèrent,  comme  des  voleurs 
nocturnes,  les  portes  des  familles  varsoviennes,  et  en  arra- 
chèrent, au  milieu  des  pleurs  et  des  cris  de  toute  la  cité,  les 
victimes  désignées.  Le  lendemain,  le  journal  officiel  rendit 
hommage  aux  bons  sentiments  des  conscrits,  satisfaits  d'aller 
servir  sous  le  drapeau  de  leur  prince. 

C'en  était  tropi  la  Pologne  ne  put  supporter  ce  dernier  | 

outrage.  L'insurrection  qu'on  voulait,  on  l'eut.  Les  conscrits,  i 

traînes  dans  la  citadelle,  refusèrent  le  serment.  ! 

a  Les  recrues  des  autres  villes,  où  les  opérations  allaient 
suivre  celles  de  Varsovie,  résolurent  de  se  faire  tuer  dans 
leur  patrie  plutôt  que  d'aller  mourir  au  Caucase.  Dans  la  nuit 
du  22  au  23  janvier,  on  se  jeta  partout  avec  des  faux,  des 
bâtons,  ou  les  mains  désarmées,  sur  les  garnisons  russes,  leurs 
baïonnettes  et  leurs  canons. 

a  Voilà,  dit  M.  Henri  Martin,  ce  qu'on  a  eu  l'audace  de 
nommer  une  tentative  de  Saint-Barthèlemy,  Là  où  les  Russes 


380  SISTOIBB 

se  sont  laissé  surprendre^  on  les  a  désarmés  et  renvoyés  libres. 
Par  compensation ,  bon  nombre  d'insurgés  faits  prisonniers 
ont  été  passés  par  les  armes  avec  plusieurs  officiers  de  Tarmée 
russe  qui  les  avaient  rejoints. 

a  Et  maintenant  les  hommes  de  tout  rang^  de  tout  ftge,  sont 
accourus  de  toutes  parts  s'unir  à  cette  jeunesse  désespérée. 
Les  paysans  font  mentir  les  espérances  insultantes  qu'on  avait 
fondées  sur  eux.  La  guerre  de  partisans  s'étend,  multiple,  in- 
saisissable, immense. 

«  Et  maintenant,  que  les  imprécations  de  ces  milliers 
d'Iiommes  réduits  à  errer  comme  des  loups  dans  les  forêtâ, 
parmi  les  neiges,  pour  n'avoir  pas  voulu  livrer  leur  cou  au 
collier  comme  des  chiens  servîtes;  que  les  malédictions  des 
mères  désolées,  que  les  cris  d'angoisses  des  familles  livrées 
aux  fureurs  de  la  soldatesque  étrani^ère  déchaînée  dans  les 
campagnes,  que  l'anathème  qui  monte  des  poitrines  d'une 
nation  entière  éclate  et  tombe  sur  une  seule  tête!  —  sur  la 
tète  de  l'homme  dont  Tinsolent  orgueil  a  prétendu  disposer 
seul  des  destinées  de  son  peuple,  malgré  son  peuple  et  contre 
son  peuple! 

a  Le  marquis  Wielopolski  a  voulu  un  nom  retentissant  dans 
Phistoire. 

a  II  Taura. 

€  On  dit  :  Koscîuszko. 

a  On  dira  :  Wielopolski.  (1)  » 

C'est  qu'en  efi'et,  ce  mouvement  n'est  pas  seulement  aujour- 
d'hui une  de  ces  aurores  sanglantes  qui  précèdent  le  grand 
jour  de  l'affranchissement.  Le  soleil  de  la  justice  a  enfin  lui. 
L'insurrection  désirée  par  Wielopolski,  a  dépassé  ses  calculs. 
Il  s'attendait  à  une  émeute  dans  les  rues  de  Varsovie,  au  calme 
dans  la  Pologne.  Varsovie  est  restée  calme  et  silencieuse^  et  la 
Pologne'  entière  s'est  levée. 

(i)  Pologne  etMQficovie, 


DELA  RÉVOLCTION  POLONAISE.  381 


CHAPITRE  XVI 


Le  gouYernement  national  aux  conscrits  polonais.  -^  Le  recratement. — 
Compte  rendu  du  journal  officiel.  —  L'insurrection  commence.  — 
Adresse  aux  ouvriers  français  sans  travail.  —  Les  faucheurs.  —  Actes 
répressifs  du  gouvernement  moscovite.  — Maryan  Langiewicz.  — Son 
histoire.  —  Le  camp  de  Wonchock.  —  Combat  de  Mielico.  —  Bataille 
de  Sainte-Croix.  —  Attaque  du  camp  polonais  de  Staszow.  —  Langie* 
wicz  cerné  par  les  Russes.  —  Bataille  a*01kusz.  —  Le  camp  de  Gorscza. 
—  Portrait  de  Langiewicz.  —  La  reine  des  insurgés.  —  Mademoiselle 
Poustowojtoï.  ^  L  armée  polonaise,* —  Instructions  et  manœuvres.  — 
Langiewicz  est  nommé  dictateur,  —  Sa  proclamation.  —  Cérémonie 
d'investiture. 


Pour  ceux  qui  lisent  Thistorique  des  événements  dont  la 
Pologne  est  le  théâtre,  dans  les  journaux  inféodés  à  la  poli- 
tique russe,  nous  n'avons  pas  à  revenir  sur  la  mesure  du 
recrutement  que  nous  venons  d'apprécier  sommairement 
dans  le  précédent  chapitre. 

Dès  que  la  nouvelle  en  courut,  Fopinion  publique  en  Po- 
logne  ne  pût  croire  à  la  réalité  du  fait.  On  ne  croyait  pas  que 
le  système  Wielopolski  pùi  être  pris  au  sérieux.  On  ne  soup- 
çonnait pas  le  czar  d'être  à  la  fois  assez  cruel  et  assez  maladroit 
pour  engager  ainsi  un  duel  à  mort  entre  Théroique  Pologne 
et  la  froide  Hoscovie. 

1     La  preuve  de  ce  fait,  est  que  sur  le  bruit  d'un  prochain 

I  recrutement,  un  écrit  daté  de  Varsovie  le  !•' janvier  1863,  cir- 

j  cula  dans  le  pays,  distribué  par  des  patriotes,  et  émanant  d'un 

comité  secret,  impalpable,  introuvable,  germe  du  gouver* 

nement  nalional  : 

Cet  écrit,  fort  remarquable  par  sa  modération  est  intitulé  : 

A  ceux  qui  seront  atteints  par  la  conscription^  un  mot  d'adieu. 

On  n'y  trouve  aucune  excitation  à  ]^  désobéissance,  rien  de  ce 

qui  pourrait  motiver  des  infractions  aux  lois  militaires  : 

a  Vous  serez  enrôlés  non  sous  votre  véritable  drapeaUi 


382  HisTOUis 

mais  soas  œlui  de  la  Russie.  Nous  avions  espéré  que  la  déli- 
vrance du  pays  précéderait  et  empêcherait  ce  nouveau  recru- 
tement. Dieu  ne  Fa  pas  voulu.  Nous  devons^  non  pas  nous 
plaindre,  mais  travailler  à  ce  que  cette  conscription  soit  la 
dernière. 

a  Vous  qui  en  serez  les  victimes,  le  pays  vous  accompa- 
gnera de  ses  prières  et  de  ses  vœux.  Vous  ne  renierez  pas 
votre  patrie;  vous  garderez,  au  contraire,  profondément  en- 
raciné dans  vos  cœurs  le  sentiment  national,  et  vous  servirez 
partout  où  vous  le  pourrez  la  cause  de  la  Pologne. 

«La  Pologne  vous  demande  ce  sacrifice,  et  c'estle  plusgrand 
que  vous  puissiez  lui  offrir.  Il  est  beau  sans  doute  ae  cueillir, 
par  une  résolution  hardie,  la  palme  du  martyre;  mais  il  est 
plus  difficile  et  plus  glorieux  de  vivre,  loin  de  sa  patrie,  d'une 
viede  sacrifices  continuels  et  sans  cesse  renouvelés,  sans  laisser 
fléchir  sa  foi  et  son  patriotisme.  C'est  là  ce  que  (e  pays  vous 
demande* 

et  Vous  laisserez  derrière  vous  des  mères,  des  sœurs,  des 
femmes  condamnées  au  veuvage  anticipé;  des  enfants  devenus 
orphelins;  ne  craignez  rien  pour  elles  ni  pour  eux;  le  pays 
les  prendra  sous  sa  protection;  vos  enfants  deviendront  ceux 
de  la  nation,  et  seront  élevés  par  elle  comme  ils  t'auraient  été 
par  vous,  dans  des  sentiments  de  liberté  et  de  patriotisme.  » 

La  Pologne  n'avait  pas  compris  jusqu'où  allait  la  cruauté  de 
ses  bourreaux. 

Mais  son  erreur  ne  fut  pas  de  longue  durée,  car  le  12  janvier 
le  gouvernement  russe  expédiait  dans  toutes  les  directions 
des  instructions  qui  ne  laissaient  pas  ïe  moindre  doute. 

Les  maires,  les  commissaires  de  police  et  les  bourgmestres 
devaient  veiller  sur  la  conduite  de  toute  personne  n'ajant 
pas  d'occupation  fixe,  et  surveiller  attentivement  les  agita- 
teurs, soit  qu'ils  résidassent  dans  la  localité  soit  qu'ils  vins- 
sent du  dehors.  t\u  premier  siçne  inquiétant,  les  agitateurs 
devaient  être  livrés  au  chef  du  district  ou  au  commandant  de 
gendarmerie.  Les  autorités  étaient  à  ce  sujet  investies  d'un 
pouvoir  discrétionnaire. 

11  était  défendu  de  laisser  célébrer  aucun  service  religieux 
en  commémoration  de  faits  historiques  ou  d'anniversaires 
nationaux  ;  de  laisser  prier  pour  les  condamnés  ou  pour  les 
personnes  mortes  en  prison  ou  dans  Texil  ;  de  laisser  chanter 
dans  les  églises  les  hymnes  défendus  par  le  gouvernement 
impérial  et  royal. 

Toute  manifestation  extérieure  d'un  caractère  national 
devait  être  empêchée  soit  par  la  persuasion,  soit  par  la  force. 
Toute  espèce  d'illuminations,  non  autorisées  sur  quelque 

E)int  que  ce  soit,  devaient  être  immédiatement  signalées  par 
police  à  la  gendarmerie  qui  éiait  chargée  de^  punir  ceux 


DB  LA  RÉVOLUTION   POLONAISE.  383 

qui  les  auraient  allumées,  et  ceux  qui  se  seraient  opposés  à 
ce  qu'elle  fussent  éteintes. 

Les  costumes  nationaux  et  vêtements  de  forme  insolite 
étaient  de  nouveau  défendus.  Les  récalcitrants  devaient-être 
immédiatement  arrêtés  et  livrés  au  tribunal  de  simple  police^ 
puis  envoyés,  s'il  y  avait  lieu  au  district  ou  au  commandant 
de  gendarmerie. 

Tous  emblèmes  nationaux  et  inscriptions  ayant  un  carac- 
tère public^  devaient-être  immédiatement  effacés.  La  plus 
grande  surveillance  allait-être  exercée  sur  tous  les  écrits^ 
placards^  brochures  non  autorisés,  et  sur  les  personnes  soup- 
çonuées  de  concourir  à  leur  propagation  ou  seulement  d'en 
avoir  en  leur  possession. 

A  la  moindre  infraction^  à  la  moindre  observation  sur  cet 
arrêté^  les  délinquants  ou  récalcitrants  devaient-être  saisis  et 
livrés  a  Tautorité  militaire. 

Cette  dernière  mesure  pouvait  augmenter  sensiblement  le 
nombre  des  recrutés  involontaires.  On  choisit  pour  mettre  le 
projeta  exécution  lanuit  du  iSjanirier  1863.  Les  victimes  furent 
enchaînées  et  traînées  dans  les  casernes  et  la  citadelle,  au* 
milieu  des  cris,  des  larmes,  des  malédictions  des  familles. 

Ces  recruteurs  trouvaient  drôle,  de  prendre  les  passants 
et  de  les  enrôler;  quelquefois  deux  hommes  portant  le 
même  nom,  les  exécuteurs  du  plan  Wielopolski,  choisissaient 
un  malade  alité.  C'était  un  délassement  comme  un  autre. 

Les  conscrits,  étaient  liés  étroitement  les  mains  derrière  le 
dos. 
A  cinq  heures  du  matin  l'opération  était  terminée. 
La  Pologne  n'avait  pas  remué  devant  l'attentat.  Hais  quelque 
chosede  plus  horrible  que  le  crime  lui-même  devait  soulever 
cette  nation  comme  un  seul  homme. 

Ce  fut  le  compte  rendu  du  journal  officiel.  Le  voici  dans 
toute  son  infamie  : 

a  Le  recrutement  s'est  opéré  à  Varsovie,  avec  une  tran- 
«  quillité  et  un  ordre  parfaits.  On  n'a  pas  eu  à  rencon- 
a  trer  une  résistance,  même  isolée,  et  depuis  trente  ans, 
c(  il  n'y  a  pas  eu  d'exemple  que  les  recrues  aient  montré  tant 
a  d'empressement  et  de  bonne  volonté. 

a  A  l'heure  qu'il  est  dans  les  sallesde  l'Hôtel-de-Ville  et  de 
a  la  citadelle,  où  les  conscrits  sont  provisoirement  placés,  ils 
a  témoignentles  meilleures  dispositions  et  montrent  même|de 
a  la  gaieté. 

a  Beaucoup  d'entre  eux  se  sont  plaints  des  machinations 
«  du  parti  de  l'action  et  des  prétendues  autorités  de  ce  parti 
«  qui,  de  la  voie  du  travail  honnête,  les  a  jetés  dans  celle  de 
a  Toisivetéet  des  illusions  chimériques,  les  privant  ainsi  de 
a  leur  unique  source  de  revenu,  plaintes  qui  sont  d'accord 
«  avec  les  aveux  faits  devant  la  cour  martiale. 


384  HISTOIRE 

a  Beaucoup  ont  aussi  exprimé  leur  sali sfacUon  de  ce  qu'à 
a  ré<'ole  d'ordre  qu'ils  trouveront  dans  le  service  militaire, 
«  ils  pourront  s'affranchir  de  l'oisiveté  de  la  vie  inoccupéi; 
a  qui  leur  parait,  aujourd'hui  surtout  où  la  diminution  des 
a  années  de  service  (15  an^  au  lieu  de  25)  et  le  changement 
a  dans  la  manière  dont  on  traite  les  soldats^  mettent  dans  de 
a  toutes  autres  conditions  ceux  qui  entrent  dans  les  rangs  mi- 
a  lilaires. 

a  Ceci  est  tellement  vrai,  qu'un  grand  nombre  de  personnes 
«  désignées  pour  le  recrutement  et  qui,  absentes  pour  le 
«  moment,  ignoraient  le  jour  de  la  levée,  ou,  pour  d'autres 
«  raisons,  n'avaient  pas  été  trouvées  à  leur  domicile,  se  pré- 
ce  sentent  volontairement  devant  l'autorité. 

a  Le  lendemain  même  du  recrutement,  quarante-neuf  in- 
a  dividus  se  sont  ainsi  présentés. 

a  11  se  trouve  même  des  volontaires. 

u  Les  mesures  répressives,  préparées  à  Varsovie  par  les 
«  autorités  civiles  et  militaires,  pour  le  cas  de  désordre  n'ont 
«  dû  nulle  part  être  employées. 
^  «  La  conduite  de  la  troupe  et  de  la  police  a  été  exemplaire, 
«  et  le  résultat  si  satisfaisant  de  celte  importante  opération 
«  dans  la  capitale ,  fait  espérer  que  le  recrutement  s'accom- 
«  plira  de  la  même  manière  dans  les  provinces  et  que,  là 
«  aussi,  les  tentatives  des  anarchistes,  pour  provoquer  des 
a  troubles,  resteront  sans  résultat.  » 

L'impression  produite  par  cet  article  fut  immense.  Cette 
goutte  de  poison  fit  déborder  le  calice.  Ce  qqe  n'avait  pu 
encore  exciter  aucun  des  attentats  commis  depuis  deux  ans  à 
Varsovie  et  ailleurs,  dit  M.  de  Hontalembert,  a  été  l'œuvre  du 
scribe  anonyme  qui  a  écrit  ce  mensonge  dans  sa  feuille  offi- 
cielle. Sa  main  vénale  a  mis  le  feu  aux  poudres.  Cet  outrage 
public  à  la  douleur  et  à  la  pudeur  publiques,  prendra  rang 
dans  l'histoire,  à  côté  de  ces  outrages  à  la  pudeur  des  femmes, 
qui  donnèrent  le  signal,  à  Rome  de  l'expulsion  des  Tarquins 
et  des  Décemvirs;  à  Palerme,  des  Vêpres  Siciliennes.  Honneur 
immortel  au  peuple  que  l'injure  morale  révolte  plus  que  tous 
les  supplices  matériels;  qui  peut  tout  subir,  tout  endurer, 
hormis  Thypocrisie  officielle,  hormis  le  mensonge  promulgué 
en  son  nom  et  pour  son  compte.  Esclave,  soit;  mais  esclave 
reconnaissant  et  satisfait,  non;  esclave  qui  se  laisse  féUciter 
d'être  libre  et  heureuxy  non,  mille  fois  non  ! 

Garotté,  bâillonné,  déporté,  soit  encore;  mais  sous  l'en- 
trave, sous  le  bâillon,  et  sous  le  knout,  le  polonais  veut  au 
moins  que  le  monde  le  sache  victime  et  jamais  complice  de  la 
servitude.  La  mort  et  la  ruine,  tous  les  désastres  et  toutes  les 
tortures,  plutôt  aue  l'adhésion  silencieuse  au  mensonge  cou- 
ronné et  impuni! 


*  DE  LA  RÉVOLITTKm  MLONAISB.  385 

Le Comili  eentrtU  national,  n'airail  eu  jaaqaalors  d'autre 
mission  que  de  veiller  à  la  conservation  des  principes  de 
nationalité  qui  sont  comme  la  base  de  Théroîsme  polonais.  Il 
comprit  dès  lors  sa  mission.  Il  n'y  avait  d'ailleurs  pas  à  re- 
culer. L'insurrection  allait  commencer. 

Eh  bien!  cette  puissance  inconnue,  anonyme,  s'éleva  aussi- 
tôt à  la  hauteur  de  sa  tâche. 

Le  18  janvier  une  proclamation,  répandue  immédiatement 
sur  tout  le  sol  potonais-lilhuanien-ruthénien ,  appelait  aux 
armes,  tous  les  hommes  de  cœurl 

C'était  le  signal  attendu  depuis  trente-trois  ans!  Cétait  ce 
que  Wielopolski  espérait,  mais  moins  grand,  moins  puissant» 
moins  unanime. 

Cette  proclamation  la  voici.  Elle  est  le  premier  acte  du  gw^ 
vemement  national,  elle  appartient  à  Tbistoire  : 

«  Polonais, 

«  Ce  désastre  ne  nous  fait  pas  reculer;  nous  allons  hardi- 
ment en  avant,  remplis.de  confiance  en  Dieu  et  en  la  sainteté 
de  notre  cause. 

<  Le  comité  central  national  ne  s'est  pas  dissout,  il  existe 
continuellement,  fort,  et  animé  d'autant  plus  de  zèle,  que  la 
situation  du  pav^  exige  une  plus  granae  part  d'activité  et 
d'énergie.  Notre  drapeau  n'est  pas  tombé  et  ne  tombera  pas; 
ralliez-vous,  frères,  autour  de  lui  avec  d'autant  plus.de  force 
et  d'ardeur  que  l'ennemi  écrase  et  opprime  davantage. 

«  Ne  perdez  pas  courage,  redoublez  Hu  contraire  d'énergie. 
Que  l'ennemi,  dans  ses  projets  criminels  ultérieurs,  trouve  en 
vous  une  résistance  vigoureuse  et  héroïque,  et  il  ne  prendra 
plus  de  recrues. 

a  Polouais!  appuyez-vous  les  uns  aux  autres,  par  votre 
courage,  votre  dévouement,  votre  audace,  et  nous  le  jurons, 
nous  ne  vous  abandonnerons  pas,  nous  persévérerons  jusqu'à 
la  fin  et  vous  vaincrez. 

<c  Le  Comité  central  national  proclame  tout  le  pays  en  état 
exceptionnel;  il  ordonne  à  tous  les  véritables  fils  de  la  patriede 
se  défendre  jusqu'à  la  dernière  extrémité,  fût-ce  individuelle^ 
ment  contre  le  recrutement;  il  leur  ordonne  de  délivrer  ceux 
qui  ont  été  déjà  'saisis  par  les  Moscovites,  et  de  donner  asile  à 
ceux  qui  se  cachent. 

a  II  met  hors  la  loi  tous  les  complices  polono-russes,  qui 
ont  pris  part  à  l'accomplissement  du  recrutement  à  Varsovie, 
et  tous  ceux  qui,  jusqu^à  présent,  ont  prêté  la  main,  ou  doré« 
navant  la  prêteront  aux  actes  criminels  de  l'invasion.  Il  est 
permis  à  chacun  de  mettre  à  exécution  ce  jugement  et 
cette  sentence  sans  encourir  aucune  responsabilité  devant 
IKeu  et  la  patrie!  » 


388  mmmiB 

'  Le  !!i  j&tivfef^  cette  t>ToeIamtttion  avait  porté  ses  fraiU.  La 
Potogne  entière  était  en  insarrection. 

Datis  la  nuit  du  20^  les  rues  de  Yanovie  présentaient  im 
étrarige  spectacle. 
Des  bandes  de  jeunes  gens  se  formaient  pour  fairf.... 
~  Datis  lt3s  égUdes,  les  femmes  étaient  en  prière.».  Ces  jeunes 
gens  entraient^  recevaient  la  bénédiction  du  prèkre  et  par^ 
talent... 

'  Le  22,  aux  environs  de  Serock,  petite  vide  près  de  Varsovie^ 
sept  cents  jeunes  gens  de  la  capitale  étaient  réunis.  C'était  là 
ùtï  des  noyaux  de  cette  Immense  guérilla!... 
'Le  drapeau  national»  flottait  au-dessns  de  leur  fôtel 

Dans  ce  moment  suprême,  tandis  que  les  premiers  ecmps 
de* fà^  s'échangent,  nue  rinsurreciion  commençai  un  aote 
des  Polonais  mérite  d'etré  êtgnalé  ici,  car  il  a  une  portée  im** 
mense^  au  point  de  vue  des  sympathies  françaises  pour  la 
Pologne. 

Lés  ôOHfrïeh;  de  Varsdvle^  etivoient  le  27  janvier  aneadtetse 
àtix  ouvrière  finançais. 

«  Salut,  frères  français!  Nous  savons  que  cbei  vous  beau* 
éQUp  d«f  fàbric}Ue9  sont  fermées,  que  le  coton  manqoe  et  que 
Beaucoup  d*ouvHer6  sont  sans  travail;  et  nous  avons  apprit 

Îné  chacun  ed  France,  s'impose  pour  ses  frères  plus  pauvres.  i 

Ms,  noué  Aussi,  nous  arvons  rassemblé,  à  la  hâte,  ce  que 
ECUS  avons  pu.  Nous  vous  l'envoyons.  Cest  peu,  mais  nous  ne 
pouvoné  le  faire  ouvei^tement.  Pourtant,  cette  offirande  vous  la 
recevrez  cordialement,  car  c'est  Toffrande  de  frères  pour  leurs 
frères  ;  et  il  *y  a  longtemps  ^«e  nous  sommes  frères,  cela  môme 
A'a  pas  besom  d'être  prouvé»  NosCrères  onttxHnbattu  avec  les 
vôtres  sous  le  même  drapeau. 

'  «  Nous  sympathisons  d^autant  pins  ai^ecvous,  que  neus 
•<Hllffh!>ns  beaucoup  nous^miêmes.  Vous,  du  moins,  vous  aves 
Irotjhe patrie!...  » 

Ici  Vadresse  racontait  les  événements  de  1861»  et  le  drame 
(ont  irécetit  du  recrutement^  puis  terminait  ainsi  t 

«  Nous  avions  Juré  il  y  a  deux  ans^  qu'il  arriverait  malheur 
ant  Moscovites  si  leur  czar  ne  nous  tenait  pas  parole.  Nous 
avions  delà  perdu  beaucoup  de  temps  à  vouloir  obtenir  paci-* 
flqnemenl  des  améliorations.  Tous  sestir«it  dans  notre  nation 

Sue  les  promesses  du  gouvernement  moscovite  sont  men-* 
3ngèreSi  Alors  criant  :  vengeance!  à  Dieu  Jeunes  ou  vieux 
nous  allons  a  un  combat  désespéré.  Nous  quittons  les  ateliers  | 

et  les  Ihbriques  et  nous  marchons  à  la  mort, 
c  Les  Moscovites  s'acharnent  contre  nous  s  ils  ont  des  | 

Îirmes;  il  leur  vient  des  renforts.  Vous  n'ignorez  pas,  frères 
rançais,que  nouslKurona  beaucoup  de  aang  à  verser,  car  noua  | 

n'avons  ni  soldats,  ni  armes,  ni  poudre  à  «anoft;.maîaiiaiii 


DB  LA  RÉV<n.l)TrON  POLONAISE.  SSl^ 

combatlrons  Tolontlers  Jnsqu^à  l.n  mort,  car  vivre  ainsi  dan» 
une  horrible  servitude,  c^est  impossible.  Notre  cause  est 
bonne  et  juste,  nous  nous  aidons  nous-mêmes,  et  Dieu  noua 
aidera,  si  personne  ne  vient  à  notre  secours. 

a  Tous  ayant  dit,  frères  français^  ce  qui  se  passe  chez  doqs» 
nous  vous  prions  d'être  toujours  nos  amis. 

«  Recevez  notre  embrassement  fraternel.  » 

Suivons  maintenant  la  marche  de  ces  héroïques  défernseurs 
de  la  plus  noble  et  de  la  plus  sainte  des  causes. 

Les  deux  premières  bandesdinsurgés  se  formèrent  à  Serock» 
au  confluent  du  Bug  et  de  la  Narew,  et  à  Kasmierz.  sur  la; 
Vistule.  ■ 

Le  22,  les  hostilités  commencèrent  ;  dans  la  nnit  du  23  aq 
2i,  il  y  eut  un  combat  dans  les  forêts  situées  entre  Lonviez  et 
Piotrkovir.  Les  Russes  n'eurent  pas  l'avantage  dans  cette  pre^ 
mière  rencontre,  où  fut  tué  un  de  leurs  colonels* 

Au  même  moment  l'insurrection  s'étendait  «t  prenait  dei 
aspecb  différents.  A  Radom^  ville  située  au  snd  de  Varsovie; 
unevingtaine  de  jeunes  gens  au  cœur  même  de  la  vill^,  avaient 
fittaqué  le  principal  corps  de  garde  mais  s'étaient  dispersés 
devant  l'arrivée  de  troupes  considérables.  A  Plock,  siiuée  à 
Touest  de  la  capitale^  il  y  avait  eu^  le  28  janvier  des  engage^ 
ments  fort  meurtriers.  A  Surate,  les  Polonais  furent  pendant 
plusieurs  heures,  maîtres  de  la  ville.  On  se  battait  à  la  fois  ^ 
Rdadzvn^  à  Siedlce,  à  Lomza.  Pour  quiconque  sojt  sur  M 
carte  de  Pologne  le  mouvement  insurrectionnel,  le  fait  ca- 
ractéristique de  cette  guerre,  est  qu'elle  éclate  dfe  tous  cAté$ 
en  même  temps,  sans  auMl  semble  possible  qu'un  moid'ordfé 
soit  échangé  entre  les  diverses  bandes.  Un  corps  considérabld 
Be  formait  dans  le  gouvernement  d^Augustow.  Une  véritable 
armée  se  créait  dans  le  palatinat  de  SandOnnir.  *' 

Dès  le  premier  moment,  l'héroïsme  des  insurgés  venait 
enflammer  les  polonais.  Dans  les  derniers  jours  de  janvier,  ï 
Plock,  l'avocat  Zegrzda  fut  pris  les  armes  à  la  main.  Il  se  fit 
immédiatement  sauter  te  cervelle  pour  ne  pas  rester  prison^ 
nier  des  russes,  • 

C'est  à  la  même  époque  qu*on  revit  les  faucheurs. 

Les  faucheurs  polonais  ne  sont^pas,  comme  on  pourrait  le 
supposer,  des  insurgés  de  hasard.  Leur  arme  est  certes  la 
plus  nationale  de  la  Pologne.  Dans  toutes  les  insurrections 
précédentes,  la  faux  a  été  l'arme  démocratique,  grâce  à  la- 
quelle, malgré  la  prohibition  sévère  de  tont  engin  de  guerre, 
ie  peuple  r/est  jamais  désarmé.  Quand  éclata  le  mouvement; 
les  propriétaires  polonais  n'avaient  pas  même  le  droit  de 
posséiler  un  'fusw  pour  se  défendre  et  défeqdre  leurs  besliau^ 
contre  les-  atriioaux  danjiiereuîi.  Maia  en  revanche  }es  faut 
étaient  assez  nombreuses  pour  que  les  premiens  insurgée 


98it  nisTomi 

sorlis  des  villes  puissent  s*en  armer»  Les  ouvriers,  IcscuUiva- 
teurs,  les  jeunes  gens,  tous  ceux  enfin  qui  n'avaient  pu  se 

Erocurer  une  arme  à  feu'devenaient  Kossyniers.  Cest  Ig  nom 
éréditaire  des  faucheurs. 

En  trois  ou  quatre  jours  TinsurrectiOD  s'étendait  a  plus  de 
cent  localités.  Poursuivant  malgré  cette  terrible  opposition, 
l'œuvre  commencée  à  Varsovie, le  gouvernement  russe  fixa  le 
27  comme  jour  du  recrutement  dans  les  provinces.  Mais  nulle 
part,  il  ne  put  faire  exécuter  cette  mesure.  Aux  environs  de 
la  capitale  on  enleva  quelques  infirmes  que  l'on  promena 
liés  et  garottés,  ou  plutôt  que  Tou  traîna  par  les  rues  dans  le 
but  de  faire  éclater  à  Varsovie  même  une  insurrection  qui 
eût  été  immédiatement'  punie  d'une  destruction  complète  de 
la  ville,  ce  qui  eût  dans  la  pensée  du  gouvernement,  éloufiTé 
rinsurrection. 
Mais  plus  puissant  que  la  tyranme,  plus  fort  que  la  Russie 

f  et  ses  bourreaux,  le  comité  national  maintenait  Tordre  que 

1  les  règlements  de  police  étaient  bieu  plus  tôt  de  nature  à  faire 

troubler,  par  l'exaspération  des  babi tants. 
Ainsi,  le  26  janvier  avait  paru  cette  ordonnance  s 
a  1*  Les  attroupements  ae  plus  de  trois  personnes  sont 
défendus  ; 

I   *  tt  2''  Les  rassemblements  en  cas  d'incendie  sont  défendus  ; 

'  a  3""  Les  portes  des  maisons  doivent  être  fermées  à  neuf 

heures  du  soir  ; 

a  i""  A.  partir  d'aujourd'hui,  on  ne  pourra  pas  sortir  après 
neuf  heures  du  soir,  sans  être  muni  de  lanterne  ;  depuis  une 

j  heure  du  matin  jusqu'au  jour,  personne  ne  doit  se  montrer 

I  dans  les  rues  : 

I  c  S^"  Les  cabarets,  cafés,  restaurants,  doivent  être  fermés  à 

:  six  heures  du  soir.  » 

I  .  En  même  temps  commençaient  les  actes  de  sauvagerie  que 

l'on  ne  peut  considérer  comme  conséquences  de  la  guerre. 

I  Ainsi  le  28  janvier,  à  Szydlov^ice,  dans  le  gouvernement  de 

I  Sandomir,  un  conflit  ayant  eu  lieu  entre  les  insurgés  et  les 

;  cosaques,  ceux-ci,  alors  que  toute  résistance  avaitcessee,  et  que 

les  insurgés  étaient  dispersés,  se  précipitèrent  dans  la  ville, 
qu'ils  mirent  littéralement  au  pillage.  Après  le  pillage,  vint  le 
massacre.  Quand  il  ne  resta  plus  rien  à  tuer  ou  à  voler,  ils 
allumèrent  un  vaste  incendie ,  qui  détruisit  entièrement  la 
ville. 

Il  semble,  et  c'est  un  des  caractères  de  cette  lutte  sans  pré- 
cédents,  que  les  soldats  de  S.  M.  Alexandre  II,  croient  ayoir 
effacé  toute  trace  de  leurs  méfaits,  quand  ils  en  ont  incendié 
le  théâtre.  La  tactique  suivie  à  Szydlowicey  fut  un  exemple 
fidèlement  imité.  Le  lendemain,  à  Podzentyn,  les  mêmes  faits 
eurent  lieu. 


DE  LA  BiVOLOTIOIf  POLONAISE.  389 

Est-ce  en  vertu  d'un  ordre  supérieur?  Est-ce qu^un  même 
instinct  de  destruction  forme  le  fond  du  caractère  national 
moscovite  ? 

On  ne  saurait  cependant  admettre  cette  dernière  hypothèse, 
car  la  haute  société  russe  désapprouvait  ce  brigandage  ofÛcicK 
Ainsi,  un  Kusse  écrivait,  le  28  janvier  de  Saint-Pétersbourg  à 
un  journal  français  : 

a  Qui  sont  les  brigands  des  recruteurs  ou  des  recrues?  En^ 
voycr  des  Polonais  à  mille  lieues  de  leur  pays,  servir  vingt- 
deux  ans,  car  c^est  bien  vingt-deux  ans  et  non  quinze  que  le 
soldat  sert  chez  nous,  les  mal  nourrir,  les  mal  vêtir  et  les 
battre  sans  miséricorde,  n'est-ce  pas  là  une  perspective  propre 
à  pousser  tout  un  peuple  au  désespoir? 

a  Si  Ton  émancipe  les  serfs,  pourquoi  ne  pas  émanciper  les 
Polonais  ? 

a  Comment  Tempereur  peut-il  prendre  sur  son  fime  toutes 
les  cruautés  qui  se  commettent  en  Pologne?  d 

Voyons  maintenant  qu^eùe  était  la  conduite  des  Polonais 
dans  la  lutte.  Lorsqu'ils  pénétraient  dans  une  ville  dont  ils  se 
trouvaient  momentanément  les  maîtres,  ils  s'emparaient  aus^ 
sitôt  de  toutes  les  sommes  renfermées  dans  les  caisses  pu- 
bliques ,  mais  en  donnaient  reçu  aux  dépositaires  russes.  Ils 
comprenaient  merveilleusement  que  l'argent  devait  être  le 
nerf  de  cette  guerre,  et  certes  ce  n'était  pas  agir  déloyalement 
que  de  faire  servira  la  délivrance,  les  impôts  levés  arbitraire- 
ment au  profit  des  oppresseurs. 

.  Dans  une  petite  ville  voisine  de  Piock,  une  somme  de  plu- 
sieurs milliers  de  roubles  tomba  ainsi  dans  les  mains  d'un 
chef  de  bande,  qui,  ne  pouvant  en  faire  l'emploi,  ni  l'envoyer 
au  comité,  la  restitua  aux  contribuables* 

Quant  aux  prisonniers,  les  insurgés  se  contentaient  de  leur 

{)rendre  leurs  armes  et  leurs  munitions  de  guerre,  sans  leur 
aire  subir  aucune  vexation,  elles  laissaient  partir  dans  leurs 
uniformes. 

C'est  ainsi  que  les  insurgés  répondaient  à  la  calomnie  que 
le  gouvernement  russe  Taisait  courir  sur  leur  compte.  Les 
agences  télégraphiques  avaient,  en  etTet,  répandu  en  Europe 
la  nouvelle  qu'une  Saint-Bartliélemy  avait  été  concertée  à 
Vai*sovie,  mais  qu'elle  avait  échouée,  grâce  à  la  vigueur  des 
mesures  prises  par  les  autorités  civiles  et  militaires. 

Et  l'on  a  vu,  jour  par  jour,  quels  événements  s'accomplirent 
à  Yarsovi»!  Du  reste,  cette  calomnie  ne  fut  pas  prise  en  con- 
sidération, et  lorsque  plus  tard,  Gorstchakotf  énuméra  les 
griefs  de  la  Russie  contre  la  Pologne,  ileut  la  pudeur  de  taire 
celui-là. 

A  la  fin  de  janvier,  la  Pologne  toute  entière  était  eu  état  de 


390  mflTOtti 

Biége^  et  fontes  lé9  Juridictions  étaient  remplacées  par  4es  con- 
seils de  guerre. 

A  ce  moment  aussi  rinsurrection  n'avait  aucun  espoir.  Les 
insurgés  ne  combattaient  que  pour  mourir  dans  leur  patrie, 
plutôt  que  d'aller  en  Sibérie,  où  une  mort  moins  glorieuse  les 
attendait.  Tous  les  incidents  de  cette  période,  révèlent  cette 
pensée  désespérée.  Un  fait,  provenant  dé  source  certaine,  le 
montre  mieux  que  tout  ce  que  nous  pourrions  dire. 

Le  !•' février,  un  jeune  homme  de  dîx-huit  ans,  pénétra 
dans  la  ville,  char^d^u  ne  mission  de  sescompagnonsd'arines 
et  attiré  par  le  désir  de  voir  sa  famille. 

11  avait  une  blessure  au  front  et  quatre  doigts  de  la  main 
coupés. 

Sa  mission  remplie,  ses  parents  voulurent  le  retenir  et  I^ 
conjurèrent,  à  genoux,  de  rester  au  moins  parmi  euxjusqu^a 
ce  que  ses  plaies  fussent  guéries  :  a  Le  temps  me  {)resse,  ré-r 
a  pondit  le  noble  enfant,  et  je  nç  puis  m'arrêter  ici  davan-* 
«  lage.  Vous  dites  que  notre  perte  est  assurée;  c'est  ce  que 
c  nous  verrons.  Prankowski,  notre  chef,  dit  qu'avec  des  bâlonç 
a  et  desconteaux  nous  pourrons  nous  emparer  des  baïonnettes 
«  russes,  et  qu'une  fois  maîtres  de  leurs  baïonnettes,  il  sera 
<  facile  de  leur  prendre  leurs  canons.  it 

Mais  si  les  insurgés  les  plus  voisins  de  Varsovie  combattaient 
ainsi  en  désespérés,  sur  a'antres  points  de  la  terre  polonaise^ 
on  avait  de  plus  grandes  espérances. 

Sur  les  frontières  de  Gallicie,  notamment,  Tinsurrection  se 
fermait  d'une  façon  régulière,  sous  Fimpulsion  d'un  jeune  et 
brillant  chef,  Maryan  Langiev^icz  ! 

Quel  était  ce  premier  soldat  de  la  Pologne?  IVoù  venait-ilt 
Quel  était  son  titre  au  commandement  des  insurgés? 

Il  était  né  le  5  aoât  1827,  à  Krotoszym,  où  sou  père  était 
médecin.  Quand  vint  la  révolution  de  1830,  \e  docteur  Lan* 
gieveicssefitchirurgien  des  insurgés.  En  1831,  le  typhus  qui 
sévissait  dans  les  prisons  de  Varsovie,  l'enleva  à  ses" malades, 
prisonniers  comme  lui . 

Ainsi,  à  quatre  ans,  Maryan  Langiewicz,  avait  déjà  souffert 
pour  la  cause  nationale,  qui  le  rendait  orphelin  I 

Il  avait  deux  frères.  La  veuve  du  docteur  s'imposa  les  plus 

ors  sacrifices,  pour  élever  ses  trois  enfants.  L'on  se  fit  corn- 

erçant,  l'autre  devint  médecin.  Maryan,  se  destina  à  la  car* 

ère  militaire. 

Krotoszym,  est  une  ville  de  la  Pologne  prussienne^  où  Ton  se 
garde  bien  d'apprendre  aux  enfants  la  langue  polonaise.  Lan» 
giewicz  se  lia  avec  un  allemand,  qui  la  lui  apprit  à  peu  près, 
au  moyen  d'une  grammaire  polonaise  à  l'usage  des  allemands. 
11  étudia  ensuite  au  .gynmase  de  Trzemeszno,  où  il  compléta 


DB  LA  HÉfOi;iffVOi  POLOllAISi;  4l9i 

tes  étariBB  nmthéin&tlqiiee^  pol»  eerfA  dam  Fàriihérie  de  la 
tondtrMr' prussien ûe,  pendant  un  an. 
H  déserta  enauite,  pour  ne  pat  serrir  les  oppresseurs  de  son 

Îa^s  et  B0  rendu  à  Gênes,  où  il' fui  qiielqae  temps  professeur 
i'éeole  mUitirife  polonai$e  ét<iblie  dans  cette  ville.  Il  y  resta 
jusqu'à  la  campagne  de  1869,  qd'ii  âl  en  qualité  d'offlcler  des 
Tolontaires garibaldiens.  11  suivit  le  dictateur  dans  sa  glorieuse 
promenade  miHiaire>  de  Harsala  à  Paterme,  et  de  Palerme  à 
Naples,  puis  rentra  comme  professbut  k  l'école  de  Cuneo. 

La  noutelle  du  déerei  ordonnant  le  recrnlement  lui  fit  en^ 
treToir  rinsarreelion  polonaise.  Il  se  rendit  dans  le  palatlnat 
de  Sandomir^  dont  le  comitt  national  lui  dotlna  le  commande- 
ment militaire. 

C'est  là  que  nous  le  troutons  ie  2  février,  à  la  tête  d'nû  corps 
bien  organisé  de  qninse  cents  •hommes. 

Il  établit  son  camp  à  Wonchoek.  Deux  colonnes  russes,  en- 
voyées contre  lui  de  Kieloe  el  de  Radom,  rencontrèrent  dans 
le  villag:e  de  Sochedniow^  un  détachement  avancé  d^une 
soixantaine  d'hommes,  qui  soutinrent  bravement  le  feu,  et 
ne  se  retirèrent  que  lorsque  les  deux  colonnes  russes  ayant 
opéré  leur  jonction,  il  y  eut  eu  foli  à  en  soutenir  le  choc.  Les 
moscovites  ne  firent  que  deux  prisonniers. 

Selon  leur  habitude,  les  russes,  entrés  dans  Suchedniow, 
^mirent  les  maisons  au  pillage,  massacrèrent  les  habitants 
inoflënsif^^  et  incendièrent  les  maisous.  Gela  se  passait  te 
3  février. 

Le  lendemain,  lés  deux  colonnes  se  dii^isèrent  de  nouveau, 
et  arrivèrent,  devant  Wonchock  par  des  routes  différentes. 

Cette  ville  est  bâtie  sur  un  rocher,  à  droite  de  la  grande 
route  de  Kielce  à  Radom.  Elle  renferme  d'importantes  fon- 
deries, qui  avaient  éteint  leurs  fourneaux  et  dont  le  personnel 
était  enrôlé  dans  la  petite  armée  de  Langiewicz.  Un  vaste 
monastère  de  Tordre  de  Citeaux  la  domine.  C'était  là  le  quar- 
tier général  du  jeune  chef. 

La  ville  avait  changé  d'aspect.  «  Ici,  depuis  quelques  jours, 
écrit  un  témoin  occulaire,  tout  se  i*éveillc  et  prend  une  vie 
tiottvelle.  Les  tristes  murailles  du  couvent  répètent,  sur  un 
ton  d'allégresse,  Técho  des  chants  nationaux.  Dans  les  rues, 
on  voit  passer  et  repasser  sans  cesse  d'intrépides  volontaires 
vêtus,  qui  d'une  camisole  de  peau  de  mouton,  qui  d'une 
teste  usée  ou  d'habits  de  chasse:  tel  autre  a  déjà  endossé  un 
uniforme  de  lancier.  Là,  un  tout  Jeune  homme  fait  résonner 
son  sabre,  et  sa  fleure  rayonne  d'un  si  fier  enthousiasme  qu'on 
dirait  qu'il  court  a  une  victoire  certaine;  plus  loin,  nne  ordon- 
nance passe  au  galop,  portant  un  ordre;  ici>  c'estune  patrouille 
de  kossynieti  qui  s'éloigne  pour  une  reconnaissance.  On  ne 
peut  se  figurer  un  spectacle  plus  vivant  et  plus  animé. 


3S2  Hinoin 

<  Hors  de  la  yiUe,  dans  une  vaste  plaine,  les  jeunes  gens, 
divisés  en  petites  escouades,  s'exercent  au  manlment  des 
armes  et  à  la  manœuvre,  sous  la  direction  de  quelques  offi- 
ciers instructeurs.  On  sent  involontairement  son  cœur  battre, 
en  voyant  Tair  de  résolution  et  de  fierté  empreint  sur  ces 
visages,  dont  quelques-uns  ne  sont  pas  môme  encore  ornés  de 
la  classique  moustache.  11  est  impossible  aussi  de  n'être  pas 
frappé  des  progrès  qu'ont  déjà  faits,  dans  les  exercices  mili- 
taires, ces  réfractaires  d'hier,  qui  pour  la  plupart  n'avaient 
jamais  manié  un  fusil.  L'enthousiasme  et  une  sorte  de  dis- 
position innée,  leur  tiennent  lieu  d'expérience.  x> 

Une  avant-garde  de  tirailleurs  avait  été  placée  près  du  village 
de  Mielica.  Pendant  trois  heures,  ce  détachement  soutint  le 
choc  des  Russes  à  qui  il  tit  éprouver  de  grandes  pertes.  En* 
hardis  par  ce  premier  succès,  ils  quittèrent  leurs  positions 
pour  s'emparer  des  canons  de  l'ennemi,  et  procurer  ainsi  à 
Langiewicz  une  artillerie  dont  il  avait  le  plus  grand  besoin. 

Mais  les  moscovites,  comprirent  cette  tactique,  et  sentant 
bien  que  les  kossyniers,  n'étaient  pas  des  hommes  à  reculer 
devant  le  feu  des  pièces,  ils  concentrèreht  toute  la  force  de 
leurs  deux  corps  d'armée  sur  leur  parc  d'artillerie*  La  lutte 
fut  terrible.  On  se  battait  corpç  à  corps  sur  les  canons. 

Voulant  épargner  à  ses  braves  une  mort  inutile,  Langiewicz 
donna  le  signal  ite  la  retraite.  Les  insurgés  se  retirèrent  en 
bon  ordre,  dans  les  montagnes  de  Swienty-Krzyz  (Sainte 
Croix). 

Les  pertes  des  polonais  furent  assez  considérables.  Deux  de 
leurs  chefs  de  compagnie  Prendowski  et  Kosiecki  furent  tuas 
dans  la  mêlée  de  Mielica. 

Les  russes  perdirent  environ  deux  cent  cinquante  hommes, 
et,  chose  remarquable,  leur  bulletin  officiel  enregistra,  une 
disparition,  et  une  blessure,  pour  tout  désastre.  Personne,  n'a 
du  reste  pu  être  trompé  par  un  aussi  grossier  mensonge. 

Les  insurgés  avaient  complètement  abandonné  Wonchock, 
afin  d'éviter,  au  cas  où  ils  y  eussent  été  vaincus,  que  les  ha- 
bitants paisibles  n'aient  à  souffrir  des  représailles  des  russes. 
Malgré  cette  précaution,  les  moscovites,  traitèrent  Wonchock 
en  ville  prise  d'assaut.  Les  blessés  trop  ffrièvement  atteints 
pour  être  transportés,  avaient  été  laissés  dans  la  ville.  On  les 
acheva  tous,  sans  exception.  On  massacra  ensuite  tous  les 
habitants  sans  distinction  d'âge  ni  de  sexe,  qui  ne  pouvaient 
fuir  dans  les  montagnes,  et  pour  ne  pas  laisser  de  trace  de 
ces  crimes»  on  détruisit  par  rincendie,  ia  ville  de  fond  en 
comble.  11  ne  réista  debout  qu'une  église,  et  la  maison  d'un 
pharmacien.  On  traita  de  la  même,  façon  cinq  villages  voisins 
en  punition  de  ce  qu'ils  n'avaient  pas  envoyé  prévenir  les 
autorités  deKielce  ou  de  Radom  do  la  prêirenco  des  insurgés* 


DB  LA  RiTOLUTIOll  POLONAISB.  393  . 

£t  tandis  que  ces  infamies  se  commettaient^ies blessée  rus- 
ses étaient  emportés  dans  les  montagnes»  où  ils  étaient  soi- 
gnés, avec  autant  de  charité  que  les  blessés  polonais  1 

Le  lecteur  nous  permettra  d'abandonner  Tordre  chronolo- 
gique des  faits  pour  suivre  chaque  ligne  d'opérations,  aûn  de 
bien  établir  ainsi  la  part  de  gloire  de  chacun  des  braves 
chefs  de  Tinsurrection,  afin  de  bien  établir  aussi  la  part  de 
honte  qui  revient  à  chaque  représentant  du  gouvernement 
russe. 

Continuons  donc  rbistorique  de  la  campagne  de  Langie- 
wicz. 

Le  jeune  chef  s'était  retiré  dans  les  montagnes  de  Sainte- 
Croix,  ainsi  que  nous' Tavons  dit.  U  établit  son  (quartier  gé- 
néral au  couvent  de  Slupia,  très-fortement  protégé  par  des 
défenses  naturelles,  mais  aussi  très-voisin  de  Kieice,  centre 
des  opérations  de  Tarmée  russe.  Il  trouva  moyen  de  se  pro- 
curer en  Autriche  huit  canons,  à  la  manœuvre  desquels  il 
exerça  ses  volontaires,  et  un  tnillier  de  carabines»  Pendant 
huit  jours,  les  Russes  le  laissèrent  ainsi  se  préparer  à  une 
attaque. 

Le  11  février,  deux  mille  hommes  d'infanterie^  plusieurs 
compagnies  de  cosaques,  une. batterie  d'artillerie,  s'avan- 
cèrent vers  les  insurgés,  mais  leur  attaaue  fut  vigoureu- 
sement repoussée,  et  la  petite  armée  russe  éprouva  des  pertes 
considérables.  Des  tirailleurs  postés  dans  un  petit  bois  et  abri- 
tés par  des  fagots,  changèrent  leur  retraite  en  déroute. 

Mais  un  second  corps  russe  très-important  faisait  alors  di- 
version vers  le  couvent,  qui  n'était  défendu  que  par  trente 
chasseurs  et  trente  faucheurs,  barricadés  derrière  l'entrée 
attaquée.  L'arrivée  de  Langiewicz  sur  ce  point  acheva  de 
démoraliser  les  russes,  qui  abandonnèrent  ce  second  champ 
de  bataille  où  il  laissèrent  quatre-vingts  morts,  beaucoup  de 
blessés,  et  leurs  munitions. 

Cette  journée  du  11  février  fut  fatale  aux  russes.  Elle  leur 
coûta  auatre  cents  hommes  tués  ou  grièvement  blessés.  Les 
insurges  perdirent  seulement  quatre  hommes,  et  eurent  trois 
blesses. 

Dans  leur  retraite,  les  russes  rencontrèrent  un  petit  poste 
de  sept  hommes,  gardant  sept  paysans  suspects.  Il  les  mas* 
sacrèrent  impitoyablement,  confondant  dans  leur  aveugle 
fureur,  leurs  espions  et  leurs  ennemis. 

Le  lendemain ,  12  février^  toutes  les  forces ^des  gouvernements 
de  Kielce  et  de  Radom,  revinrent  à  Sainte-Croix,  pour  écraser 
Langiewicz.  Hais  ils  ne  trouvèrent  pas  un  seul  nomme.  Se 
doutant  bien  de  ce  retour,  le  chef  des  insurgés  avait  levé  son 
camp  pendant  la  nuit,  et  s'était  mis  en  marche  dans  la  di- 
rectiOB  de  Staszow. 

50 


394  HiSTOiws 

Ne  trouvant  pas  d'ennemis  les  russes  bombardèrent  le 
couvent,  dont  les  religieux  avaient  suivi  Langiewicz.  Ne 
pouvant  se  venger  autrement,  ils  procédèrent  au  pillage, 
mais  ne  firent  pas  un  grand  butin,  vivres,  et  vêtements,  tout 
était  emporté  par  les  polonais.  Il  essayèrent  un  incendie,  les 
murailles  du  couvent  étaient  inattaquables.  Ils  s'eu  retour- 
nèîent,  honteux,  affamés,  harassés  de  fatigue  sans  pouvoir 
môme  trouver  un  homme  sur  qui  ils  puissent  se  venger  de 
leur  déconvenue! 

Les  Russes  laissèrent  Langiewicz  à  Stâszow,  augmenter  sa 
petite  armée,  se  pourvoir  de  chavaux,  d'armes,  de  chaussures, 
lient  bientôt  sur  pied  un  millier  de  cavaliers.  II  forma  et 
équipa  là  aussi  environ  dix  mille  fantassins,  qu'il  envoya  en 
grande  partie  grossir  les  autres  corps  d'insurgés. 

Les  généraux  moscovites,  étaient  effrayés  de  Texistence  de 
ce  dépôt  militaire,  et  résolurent  de  faire  les  efforts  les  plus 
énergiques  pour  le  détruire.  Djins  la  nuit  du  17  février,  une 
colontie'  de  trois  mille  russes,  s'avança  en  reconnaissance 
vers  Staszov^.  Mais  assaillis  de  tous  côtes,  mitraillés,  fusillés, 
par  un  ennemi  invisible  et  puissant,  les  russes  abandon- 
iièreût  la  place  en  laissant  cent  cinquante-huit  morts. 

Le  lendemain  matin,  suivant  sa  tactique  ordinaire  Lan- 
llè-vvlcz  aliahdonna  Staszow,  se  dirigea  vers  le  nord,  puis 
flpinrhant  brusquement  vers  Touesl,  établit  son  camp  a  sept 
mmr  de  Kiclce.  limtile  d'aiouler  que  la  nuit  suivante,  les 
rqs^os  votjlui'ent  le  surprendre  à  Slaszow,  qu'ils  s'y  rendirent 
au  iionibiu  de  plus  de  6,000  et  que  là,  comme  à  Sainte-Croix, 
Ils  ne  irouverenl  pas  un  seul  homme. 

Le  18  février,  Langiewicz,  qui  se  tenait  aux  environs  de 
KiL^lce,  intercepta  un  convoi  de  prisonniers  qui  se  rendait  dans 
cette  villu  i^tte  rencontre  eut  lieu  à  Xionz,  et  valut  la  liberté 
à  cent  Ironie  polonnais.  La  plupart  des  cosaques  de  l'escorta 
furent, tués  ou  blessés,  Quelques  fuyards  en  portèrent  la  nou- 
velTe  à'  Rielce.  Mais  tandis  que  l'on  ralliait  dans  cctie  ville 
toutes  les  foijccs  moscovites,  le  chef  des  insurgés  se  dirigeait 
tranquillement  verâ  Czentochowa,  place  forte  située  à  la  froa^' 
Hère  oMCst  d^  Ja  Pologne  russe.    . 

llrt  instant  l'étoile  de  Langiewicz  pâlit.  Tandis  que  croyant 
donnerie'cbânge  aux  Russes,  il  louruaitCzeniochowa  et  pous- 
sait vers^Oikusz,  ceux-ci  formaient  un  demi-cercle  dont  ces 
deux  villes  étaient  les  extrémités  et  l'acculaient  à  la  fron- 
tière. Malheureusement  son  principal  lieutenant  Jezioranski 
se  tenait  hors  de  ce  cercle,  et  les  communications  se  trou- 
vaient intei*ceptées*. 

M?usle23,  les  deux  corps  d'insurgés  se  joignirent  cutfq 
Wloszczowa  et  Malogoszcz.  Ils  rencontrèrcat  un  coi^voi  e 
prisonniers  qu'ils  délivrèrent  à  Cenciny. 


DE  LA  RÉVOf^TiQV  POLONAISE.  .'  395 

Cet  exploit  aUjra  sur  eux  l'aLteotiou  des  Rassef».  Trois  corps 
de  6,000  hommes  cliacun  marchèrent  contre  Langiewicz^ 
ycnant  Tun  de  Kielce,  Tautre  de  Cenciny,  le  troisième  de 
Brzez)[.  Le  général  eut  l\idresse  de  faire  évoluer  son  armée  de 
façon  a  n'avoir  a  combattre  qu'un  de  ces  corpsd'arméeà  la  fois. 
Il  y  eut  trois  engagements  partiels.  Simulant  une  fuite  dès  le 
premier  engagement,  Langiewic?-  arrivait  aussitôt  vers  le 
second  corps,  le  saluait  d^une  décharge  de  tous  ses  canons  et 
de  tous  ses  fusilsi  et  fuyait  yers  le  troisième  qu'il  saluait  de 
même. 

Déroutés  par  cette  manœvre,  les  trois  corps  russes  ne  se  re- 
connurent plus.  Le  preiniers'euruitvers  Kielce»  en  se  croyant 
attaqué  par  le  second  cor^^s,  qu'il  prenait  pour  une  armée 
d'insurgés.  Le  second,  croyant  poursuivre  Langiewicz,  pour- 
suivait le  premier  corps  et  fuyait  devant  le  troisième  qu'il 
croyait  être  aussi  une  armée  considérable  de  Polonais. 

Liorsque  tous  ces  braves  moscovites  se  reconnurent  à 
Kielce^  après  avoir  échangé  quelcjues  décharges  de  mousque* 
terie»  ils  s'égayèrent  de  leur  mésaventure,  dont  ils  crurent 
pouvoir  tirer  cette  conséquence  que  Tarmée  de  Laogiewicz 
était  complètement  détruite. 

Ils  en  envoyèrent  la  nouvelle  àVarsovie«  C'était  la  troisièoie 
fois  qu'une  semblable  dépêche  y  arrivait.  .    . 

Le  25  février,  Laogiewicz  était  à  Slupia  où  nous  l'avons  déjà 
YU  vainqueur  le  11. 11  avait  donc  accompli  une  immense  pro- 
menade militaire,  renforçant  sur  son  passsage  tous  les  corps 
insurrectionnels,  affaibli  et  démoralisé  Tarmée  russe  touîe 
entière. 

Les  jouruées  des  26, 27  et  28  février,  se  passèrent  en  escar- 
mouches entre  les  faucheurs  et  les  russes.  Les  polonais 
laissaient  passer  la  première  décharge,  abrités  par  les-  bois, 
puis  avançaient  au  pas  de  course  sur  les  russ(?s.  Les  traînards 
touchés  parles  faux  étaient  morts.  Dès  que  les  Russes  fuyaient, 
les  polonais,  n'ayant  pas  d'armes  à  feu,  reprenaient  le  chemin 
dé  leurs  abris. 

Le  1^  mars,  Langiewicz  apprenant  qu'un  train  amenait 
quatre  canons  àMiszkow,  fit  couper  le  pont  du  chemin  de  fer. 
Le  train  voulut  rétrograder,  mais  un  rail  enlevé  à  temps 
arrêta  sa  marche.  Le  général,  s'empara  des  canons,  fit  re- 
mettre le  rail,  et  laissa  le  train  rapporter  la  nouvelle  à 
Olkurz. 

Le  4  mars  fut  un  beau  jour  pour  l'armée  insurrectionnelle.  A 
10  heures  du  matin,  une  forte  colonne  russe  attaqua  les  campe- 
ments polonais  à  Piaskowa-Skala.  Le  combat  fut  vif.Chaquesol- 
dat  russe  brûla  trente-ci. .q  cartouches,  tandis  que  les  polonais 
n'en  possédaient  que  six.  Mais  à  deux  heures  de  Taprès-midi, . 
les  fusilliers  polonais  se  retirant  ce Jèreut  la  place  aux  fau- 


396  HISTOIIIB 

cheurs,  qui  s'élancèrent  sur  les  russes.  Ceux-ci  n'araient 
plus  de  cartouches.  Ils  se  retirèrent  en  désordre  sur  Wolbrow. 

Le  soir  à  dix  heures^  à  Skala,  un  corps  russe  très-considé- 
rable allait  être  fait  prisonnier  lorsque  Tobscurité  fit  croire 
aux  faucheurs  qu'un  corps  de  Langiewicz  qui  accourait^  était 
un  corps  russe.  Les  morcovites  profilèrent  de  cet  instant 
d'hésitation  et  s'enfuirent. 

Nous  pensons  devoir  placer  ici  une  lettre  d'un  des  volon- 
taires de  Langiewicz,  M.  Ladîëlas  Hikiewicz ,  gui  nous  donne 
sur  le  général  des  renseignements  forts  curieux,  ainsi  qac 
sur  l'organisation  des  troupes  polonaises.  Cette  lettre  est  datée 
du  camp  de  Gorzcza,  le  6  mars,  au  moment  où  Langiewicz 
était  littéralerhent  le  souverain  du  palatinat  de  Sandomir  : 

a  Quoique  je  sois  harassé  de  fatigue,  je  ne  veux  pas  laisser 
passer,  sans  en  profiter^  un  de  ses  rares  moments  d'inaction 
que  nous  ayons  trouvés  depuis  un  mois. 

a  Dans  la  nuit  d'hier,  nous  avons  rejoint  ici  Langiewicz ,  qui 
nous  a  fait  camper  à  gauche  vers  Pockusz.  Nous  arrivions  de 
Volbronn,  où  nous  nous  étions  repliés  après  l'affaire  de  Pias- 
kowa-Skala.  En  arrivant,  notre  petite  colonne  (nous  n'étions 
que  750)  fut  acclamée  sur  toute  la  ligne  insurgée^  et  cet  hom- 
mage'nous  a  fait  plaisir»  car  il  était,  à  vrai  dire,  un  peu  mé- 
rité. Sans  cartouches  (en  commençant  nous  en  avions  chacun 
cinq),  nous  avons  tenu  pendant  six  heures  3,000  russes  en 
échec,  et  ils  n'ont  pas  osé  nous  suivre. 

«c  Nous  acclamâmes  à  notre  tour  les  vainqueurs  de  Skala* 
On  s'embrassa.  Ce  fut  un  instant  de  tumulte  indescriptible. 
Quelaues  minutes  après,  Langiewicz  arrivait.  Nous  battîmes 
aux  champs  et  sautâmes  aussitôt  en  ligne.  Il  faisait  une  pleine 
lune  superbe,  et  c'est  la  première  fois  que  je  vis  le  général. 

a  11  était  à  pied,  prit  le  bras  de  notre  colonel,  et,  tout  en  cau- 
sant avec  lui,  passa  lentement  sur  notre  front. 

a  C'est  un  homme  d'une  taille  moyenne,  plutôt  petite,  mais 
carré  des  épaules,  une  ûgurelronde,  des  cheveux  châtains,  de 
longues  moustaches  fauves ,  un  regard  très-mobile  et  très- 
perçant,  la  tétc  rejetée  en  arrière,  un  air  martial  et  décidé,  la 
démarcne  brhsque.  11  paraît  avoir  trente  ans. 

«  Il  porte  une  czamarka  (sorte  de  tunique)  en.  drap  gris 
sombre,  bordée  de  laine  noire,  et  à  brandebourgs  noirs.  iJne 
écharpe  en  soie  blanche  et  rouge  à  la  ceinture,  une  koufede- 
raika  (bonnet  carré)  blanche  avec  une  bordure  de  laine  grise, 
et  au  coin  une  petite  aigrette  blanche  ;  des  bottes  de  chasse  et 
une  capote  paysanne  grise j  un  ceinturon,  un  sabre  de  cava- 
lerie à  fourreau  d'acier  et  a  poignée  d'ivoire.  C'est  du  reste  le 
costume  de  ses  officiers  supérieurs.  Les  simples  officiers  n'ont 
pas  récharpe,  mais  une  simple  cocarde  blanche  au  bonnet 
carré. 


^ 


1 


1 


>^ 


DB  LA  RiVOLUTION  POLONAISE.  397 

a  Deux  aides  de  camp  à  cheval  suivaient  de  loin  le  général. 
A  quelques  pas  derrière  lui^  un  cavalier  tenait  en  bride  son 
cheval^  magniflque  animal  de  race  arabe ^  dont  la  housse  de 
soie  blanche  et  rouge,  brodée  d'argent  est  un  présent  des  dames 
de  Cracovie.  , 

«  Arrivé  à  l'extrémité  de  notre  ligne,  le  général  s'arrêta  et 
commanda:  Conversion  à  droite!  Il  s'avança  sur  le  centre,  et 
fit  battre  à  Tordre  ;  les  offlciers  sortirent  des  rangs,  et  le  géné- 
ral, se  tenant  au  milieu  d'eux,  nous  dit,  d\ine  voix  assez  vi- 
brante pour  être  entendue  du  dernier  soldat  : 

a  Camarades,  vous  vous  êtes  battus  en  braves,  •—  je  vais 
a  bientôt  vous  mener  encore  à  Tennemi,  et,  Dieu  aidant,  nous 
«  le  vaincrons.  » 

€  Un  hourrah  lui  répondit  sur  toute  la  ligne;  Langievdcz 
remonta  à  cheval  et  partit  au  galop  avec  notre  colonel.  Et  nous, 
comme  nous  venions  de  faire  dix  lieues,  nous  formâmes  nos 
faisceaux  et  nous  nous  étendîmes  sur  des  bottes  de  paille. 
Tous  furent  bientôt  endormis. 

a  Ce  matin,  à  dix  heures,  avant  de  nous  mener  à  nos  posi* 
ttons,  nous  eûmes  parade  avec  tout  le  corps  de  Jezioranski, 
dont  il  a  repris  le  commandement.  Langiewicz  arriva  et  passa 
comme  un  tourbillon  avec  tout  son  état-major:  puis,  s  arrê- 
tant au  front  de  bandière,  nous  défilâmes  devant  lui. 

«  Ses  aides  de  camp  sont  presque  tous  fort  jeunes.  Pen  ai 
remarqué  un  très-jeune  et  singulièrement  gracieux  dont  je 
vous  reparlerai.  Les  aides  de  camp  portent  tous  une  carabine 
en  bandoulière  et  le  revolver  à  la  ceinture.  Ils  ont  pour  signe 
distinctif  une  écharpe  en  laine  rouge.  Presque  tous  sont  dt 
nos  meilleures  familles.  11  faut  dire  aussi  que  leur  poste  est  le 
plus  dangereux,  et  qu'on  en  tue  beaucoup. 

«  Cet  aide  de  camp  si  joli ,  qui  m'avait  frappé»  nous  a  ins-» 
tallés  au  campement.  Tous  serez  étonné  d'apprendre  c^e  cet 
officier  est  une  jeune  fille ,  mademoiselle  Poustowojtoi.  Elle 
est  de  Lublin  et  a  fait  toute  la  campagne  jusqu'aujourd'hui. 

a  En  1861  et  1862,  elle  était  à  la  tête  de  toutes  les  manifes- 
tations patriotiaues.  Elle  fut  ensuite  jetée  dans  les  cachots  de 
la  citadelle  de  KrzemienieCy  où  elle  passa  onze  mois.  Dirigée 
le  24  janvier  sur  Zamors,  elle  fut  délivrée  en  route  par  une 
bande  d'insurgés  qu'elle  amena  à  Langievricz,  et  a  pris  une 
part  active  à  toutes  les  actions.  Le  général  Ta  nommée  adju** 
dant  à  Halogoszcz,  et  elle  est  aussi  belle  que  brave. 

r>  Ces  détails  sont  de  toute  authenticité  et  connus  de  tout  le 
camp. 

»  L'adjudant  Poustowojtol  disposa  donc  nos  camps  comme 
un  vieux  maréchal  expérimenté  et  repartit  rejoindre  le 
général. 

»  Nous  sommes  dans  une  prairie  sur  la  gauche,  à  droite 


3^  Hipioiap 

de  la  router  d'OlkusiQ.  Au-dessus  de  nous,  car  cette  (>rairici  est 
le  versaût  d'une  petite  colline,  sont  établies  «n  batterie  deujt 
fort  belles  pièces  de  canon  de  bronze.  Vient  ensuite,  sur  la 
crête  à  droite^  le  bataillon  académique)  une  vieile  connais- 
sance d'Ojcow,  et  à  gauche,  c'est-à-dire  à  rextrémité  gauche 
de  toute  la  ligne,  les  chasseurs  de  Zétinski;  plus  loin  encore, 
aux  a^aut-po^tes,  une  compagniede zouaves  de  M.Bocbebrun. 
.  «i  En  remontant  vers  la  droite,  nous  trouvons  au  bout  de  la 

frairie  les  corps  du  centre,  à  savoir  les  bataillons  de  faucheurs, 
,  4  et  6,  et  en  avant  de$  faucheurs  deux  escadrons  de  lanciers 
^  une  pièce  de  canon.  £n  arrière  le  grand  camp  sur  la  bau- 
teur,  avec  les  forges,  les  ambulances,  les  fnagasins  et  le  ma- 
tériel. Plus  loin,  toujours  vers  la  droite,  en  avant  d'un  fort 
ruisseau,  un  piquet  de  cavalerie;  en  arrière,  dans  le  bois,-  le 
2«  chasseurs,  le  bataillon  des  zouaves  de  la  mort;  plus  haut, 
toujours  en  arrière,  les  faucheurs  3,  5,  7  et  8;  ennn,  à  l'ex- 
trême droite,  les  deux  régiments  d'infanterie  nationale,  et 
aux  avant-postes,  vers  Proszov^,  deux  autres  pièces  de  canon, 
^t  une  cpmpa^nie.des  chs^s^eurs  de  Waligorski» 
.  c  Le  quartier  général  est  dans  une  mauvaise  petite  ferme 
^ofoncée  dans  les  dois. 

«.^ous  avons  un  total  dé  11,750  hommes>  dont  6,000  armés 
aarmes  à  feu,  et  le  reste  de  faux,  et  environ  2,000  hommes 
^  recrues^  non  encore  organisées. 
<  '  «  Né.  croyez  pas  que  nous  restions  inactifs  dans  nos  campe- 
ments. Nous  Y  tràvaiIloDS,au  contraire»  aussi  activement  qu'en 
campagne.  De6|transports  d'armes,  de  poudre  et  de  mutions 
ne  cessent  d'aifluer  on  ne  sait  d'où,  —  et  nous  en  avions  grand 
besoin*  A  chaque  instant  des  troupes  de  paysans  arrivent  avec 
leurs  prêtres  et  leurs  seigneurs  en  tête,  —  et  il  faut  tout  or- 
ganiser et  classer.  —  Notre  champ  de  manœuvres  est  en  ar- 
rière à  droite  du  quartier  général;  il  est  rempli  d'instruc- 
feurs  et  de  recrues,  et  le  général  y  passe  souvent. 
«  A  quatre  heures  nous  y  avons  fait  des  manœuvres  de 


que  nous  avons  au  camp  i/u  pr 
sonniers  russes  qui  scient  le  bois,  chargent,  déchargent  et 
rangent  le  matériel,  etc.  On  se  conduit  très-humainement 
avec  eux. 
c  Le  général  n'a  pas  permis  de  construire  de  barraques 

Kar  le^  aoibulances,  ce  qui  fait  présumer  que  nous  ne  resto- 
ns pas  longtemps  ici. 
,  «  A  Malogozcz,  un  boulet  a  frôlé  la  jambe  droite  de  Lan- 
giewicz  et  l'autre  a  été  contusionnée;  —  mais  ce  sont  deux 
atteintes  sans  gravité  et  qui  ne  l'empêchent  pas  de  déployer 
un^  /activité  prodigiieiase.  » 


DB  LA  BÉVOLUTtON  P0L0BAI8B.  à  99 

Nous  avoiis  publié  cette  lettre  en  son  entier,  parce  qn'elU 
révèle^  le  génie  du  jeune  général»  en  qui  se  résuma  pendant 
quelques  jours  la  destinée  de  la  Pologne,  et  qq^elle  fait  con-^ 
naître  la  jeune  héroïne  dont  nous  avons  tous  entendu  parler 
il  y  a  quelques  mois,  et  que  les  calomnies  desjournaux  russe$ 
ont  en  vain  cherché  à  noircir. 

Quelques  jours  après  les  événepients  que  nous  avons  ra'* 
contés  avant  de  publier  celte  lettre,  le  gouvernement  national 
voulut  utiliser  la  prodigieuse  activité  de  Langiewicz  en  lui 
donnant  tout  pouvoir  et  en  lui  confiant  un  commandement 
unique. 

Nommé  dictateur,  L^ngiewicz  Tannonça  ainsi  à  ses  corn- 

fagnons  d*armes,  par  une  proclamation  datée  de  Gosnicza^  le 
0  mars: 

«  Les  plus  ardents  fils  de  la  Pologne  ont  commencé,  au 

pom  du. Tout-Puissant,  une  lutte  contre  les  éternels  ennemis 

de  la  liberté  et  de  la  civilisation^  contre  l'envahissement  mos- 

covite,  lutte  provoquée  par  d'épouvantables  abus. 

«  Malgré  les  circonstances  les  plus  défavorables,  et  bien 

aue  le  conflit  armé  ait  été  précipita  f^r  les  excès  d'onpressjon 
ef  ennemi  lui-même,  la  lutte  commencée,  les  maïqs  vides, 
contre  les  nombreuses  bandes  moscovites,*  dure  depuis  six 
mois.  Cette  lutte  se  fortifie  et  se  développe  énergiquemen^ 
devant  une  guerre  à  mort.  Grâce  à  l'activité  et  au  dévoueA 
ment  de  toute  la  nation^  celle-ci  est  résolue  de  devenir  libre'oq 
de  périr.  Le  sang' polonais  coule  à  torrents  sur  plusieurs 
champs  de  bataille  :  il  coule  dans  les  rues  de  nos  villes  et  dé 
nos  villages  que  le  sauvage  envahisseur  asiatique  détruit 
de  fond  en  comble,  en  massacrant  les  habitants  inoffensifs^^ 
et  livrant  le  reste  de  leur  avoir  an  pillage  d'une  bestiale 
soldatesque, 

«  Vis-à-vis  de  ce  combat  à  mort,  vîs-à-vîs  des  meurtres^ 
du  pillage  et  des  incendies  par  lesquels  notre  ennemi  marque 
sa  route,  la  Pologne  voit  avec  douleur,  à  côté  du  plus  grand 
dévouement  et  de  l'enthousiasme  de  ses  enfants,  le  défaut 
d'une  direction  unitaire  et  avouée,  qui  seule  potirrait  em- 
pêcher le  fractionnementdes  forces,  et  donner  un  nouvel 
élan  à  celles  qui  sommeillent  encore. 

«  Il  résulte  de  la  situation  générale,  de  même  que  dei  la 
nature  de  la  lutte  engagée,  qu'outre  les  champs  des  msurgés, 
il  ne  se  trouve  pas  sur  toutTCienltbirede  la  patrie  une  place 
où  pourrait  se  poser  un  pouvoir  central,  publiquement  avoué 
et  c'est  là  la  raison  pour  laquelle  le  gouvernement  provisoire 
secret  qui  était  sorti  de  l'ancien  comité  central  secret,  n'a  pu 
se  révéler  au  grand  jour  devant  la  nation  et  devant  l'univers, 
a  Bien  qu'il  y  ait  dans  le  pays  des  hommes  qui  sont  beau- 
coup au-dessus  de  moi  par  les  capacités  et  le  mérite  ;  bien 


100  HISTOIRE 

3ue  j'apprécie  toute  l'étendue  de  la  gravité  des  devoirs  qui 
ans  une  position  si  difficile,  pèsent  sur  le  pouvoir  national 
suprême  Je  prends  néanmoins,  avec  le  consentement  du  gou« 
vernement  national  provisoire,  le  pouvoir  dictatorial  suprême 
prêt  à  le  déposer,  quand  nous  aurons  secoué  le  joug  mosco- 
vite, entre  les  mains  des  représentants  du  peuple;  je  le 
prends  en  considération  de  Turgence  des  circonstances  qui 
demandent  impérativement  un  prompt  remède,  en  considé- 
ration de  la  nécessité  d'augmenter  les  forces  de  la  nation 
par  la  concentration  des  pouvoirs  civils  et  militaires  dans 
une  seule  main,  pour  la  lutte  meurtrière  contrôles  mosco* 
rites  dirigés  par  une  seule  volonté.... 

«  Aux  armes,  frères  !  Aux  armes  1  pour  reconquérir  la 
liberté,  Tindépendance  et  Tintégrité  de  la  patrie. 

Une  cérémonie  imposante  eut  lieu.le  12  mars  à  Slosnowka, 
près  de  Miechow. 

L'armée  de  Langiewicz  se  rangea  en  bataille  devant  le  front 
âe  son  camp. 

Elle  forma  un  quadrilatère,  au  centre  duquel  s^élevait  un 
autel. 

Après  une  allocution  de  l'aumônier,  le  dictateur  prêta  ser< 
inent  à  la  nation 

Puis  les  dignitaires  envoyés  par  le  gouvernement  national 
prêtèrent  à  leur  tour  le  serment  d'obéissance  au  dictateur. 

I^'armée  tout  entière  défila  devant  lui  en  répétant  ce  ser- 
ment. Le  Soir  le  camp  fut  illuminé,  et  la  Pologne  eut  ^a 
première  fête  nationale. 

Hais  le  lecteur  doit  se  souvenir  que  pour  ne  pas  inter- 
rompre le  récit  de  la  campagne  de  Langiewicz,  nous  avons 
laisse  les  événements  depuis  le  5  février  pour  ne  nous  occu< 
per  que  de  lui. 

Il  nous  faut  revenir  en  arrière,  et  raconter  toutes  les  dou- 
leurs dé  la  Pologne^  pendant  ce  oeaumois,  où  le  futur  dicta- 
teur marchait  de  triomphe  en  triomphe. 

Ce  sera  l'objet  du  prochain  chapitre.  Nous  reprendrons  en- 
suite le  cours  des  événements  dont  Langiewicz  fut  le  iiéros* 


DE  LA  RÉYOLOTION  POLONAISE.  401 


Wiimii 


CHAPITRE  XVII 


Massacres  de  Tomaszow.  —  Combat  de  Wengrow.  —  Lés  nouvelles 
Thermopiles.  —  Meurtres  et  vols  à  Modliboft.  —  Combat  et  mas- 
sacre de  Siematycze.  —  Massacre  sans  combat  à  Pulawy.  —  Le 
château  du  comte  Zamoyskt  et  celui  du  marquis  Wielopolskt.  ^  I^* 
lage  du  château  de  Woyslavice.  —  Suicide  glorieux  de  U,  de  Korff.  — 
Combat  de  Miechov  et  destruction  de  la  ville.  —  François  Roehebmn. 
—  Sigismond  Padelovirski.  — Héroïsme  de  madame  Micholska.  —Les 
Prussiens  et  le  droit  des  gens.  —  Proclamation  du  gouvernement  na- 
tional. —  Les  sermons  des  popes  russes.  —  Mielencki.  —  Combat  de 
Dobroslaw.  —  Noble  conduite  de  quelques  officiers  russes.  — -  Nou- 
velles instructions  secrètes. 


Nous  ayons  suivi  sans  interruption  la  campagne  de  Lan- 

f^iewicz  jusqu'à  sa  proclamation  comme  dictateur,  afin  que 
a  mémoire  du  lecteur  ne  s'égare  pas  dans  le  récit  des  dhrers 
érénements  qui  s^accomplissaient  en  Pologne  pendant  1» 
même  période. 

Revenons  au  début  de  Tinsurrection. 

Trans|>ortons^nous  dans  le  palatinat  de  Lublin. 

La  petite  ville  de  Tomaszow^  avait  des  premières  organisé 
son  mouvement  insurrectionnel.  Une  troupe  de  cent  hommes 
s'y  forma.  Presqu'aussitôt  une  colonne  de  mille  moscovites, 
avec  deux  pièces  de  canon  fut  envoyée  le  5  février  contre  ce 
petit  corps.  La  lutte  dura  longtemps,  mais  les  polonais  furent 
obligés  de  se  retirer  devant  le  nombre. 

Après  leur  retraite^  les  Russes  entrèrent  dans  la  ville.  Pour 
les  récompenser  de  leur  facile  victoire^  il  leur  fut  accordé 
deux  heures  de  pillage. 

Avec  le  vol^  l'assassinat  ;  puis  Tincendie.  C'était  le  pro- 
gramme de  la  fête.  Aussi  est-ce  à  Tomaszow,  que  Ton  pût 
juger  de  Fesprit  des  Russes  dans  la  guerre  actuelle. 

Cle  n'est  pas  en  effet  une  guerre  ordinaire»  mais  une  œuvre 
aveugle  d'extermination.  On  peut  s'en  convaincre  rien  qu'en 
lisant  la  liste  nominative  de  vingt  et  une  personnes  entre 
autres^  qui  furent  égorgées  paries  moscovites  pendant  ce 
pillage.  Elle  est  empruntée  au  rapport  officiel  du  gouverneur 
civil  de  Lublin.  La  voici  :  . 

51 


MS  HISTOIU 

!•  Brzezinski;  capitaine  chargé  du  service  d'extradition  des 
perfionaesqui  pas6ent«an6  passe-port  lafrontière  aostro-rasae. 

2*  Dombrowski^  médecin^  traîné  hors  de  sa  maison  dans  la 
pue  et  égorgé; 

3*  Mnller,  employé  de  la  douane; 

4*  Lenkowicz,  idem,  père  de  six  enfants; 

5*  Soltawski^  maire  de  la  ville; 

G*Mastewski,  mattre  de  poste; 

7* Piotroveski^  pharmacien; 

S^Kotowski,  comptable  des  bureaux  de  la  douane; 

9*  RaszewslUi  a4joint  au  contrôleur  des  finances  de  larron-- 
diàsement; 

l(y>  Ehret,  greffier  du  juge  de  paix; 

ll«Malinowski>  secrétaire  dans  les  bureaux  de  U  douane; 

ii^KaaiedLi,  employé  retraité; 

13«  Jasinski,  juge  de  paix; 

14»  Un  vérificateur  de  Tadministration  des  tabacs; 

15"*  L*abbé  Rylski^  vicaire  de  la  paroisse; 

16*  Zelikowski,  médecin  de  l'arrondissement^  brûlé  vivant 
dans  sa  maison  avec  tous  ses  domestiques; 

17*  Wondolovrski ,  notaire  ; 

18<»  Jarchoki,  ancien  maître  d'école  aveugle; 

19«  Brzeski,  employé  des  douanes  en  retraite; 

aO"*  Un  officier  de  rarmée  russe  en  retraite; 

21*  Bbcheda^  officier  russe  en  activité  de  service^  appar- 
tabant  à  rarme  du  génie,  et  ({ui  passait  à  Tomaszovr,  son 
congé  de  convalescence.  Assassiné  dans  son  lit. 

Pour  que  rien  de  ce  que  ces  faits  ont  d'étrange  ne  poisse 
être  contesté,  nous  Joignons  à  cette  liste,  les  lignes  suivantes 
eu  bulletin  officiel  du  gouverneur  civil  de  Lublin  précité  t 

c  Comme  je  n'ai  encore  reçu,  aucune  communication  sur 
\m  horribles  scènes  de  Tomaszow  ni  de  la  part  du  magistrat 
ée  cette  vilk^  ni  de  celle  du  préposé  du  cercle,  et  que  je  n'ai 
appris  ces  faits  que  par  l'intermédiaire  du  cercle  de  Hrubies* 
zow,  il  y  a  lieu  de  croire  que  tous  les  fonctionnaires  de  Tom/U- 
wow  f>nt  piri\  n^^i  par  suite,  la  marche  de  Tadministration 
ge  trouve  sus^ndue  et  f u't/  ne  resté  personne  pour  faire  um 
rapport.  En  vue  de  ces  circonstances  extraordinaires,  j'ai 
rbonneur  de  prier  Votre  Excellence  d'obtenir  de  S.  A.  I.  le 
grand-duc  gouverneur  de  Pologne,  un  ordre  destiné  à  pro« 
léger  la  vie  et  la  propriété  des  citoyens  tranquilles^  d'autant 
plue  que  les  habitants  de  la  ville  de  Hrubieszove  craignent  a 
(on  droit  que  les  actes  commis  par  les  troupes  dans  la  ville 
de  Tomasaow,  ne  se  renouvellent  en  d'autres  lieux. 

a  f^  terminant»  je  vous  informe  que  j'ai  envoyé  immédiate- 
imentj  par  estafette,  à  la  direction  des  postes  de  tomaszow^ 
l'ordre  de  faire  en  sorte  que  la  municipalité  ou,  si  aucun 


DE  L4  RÉVOLimOll  POLONAISB.  lOf 

flMOiftrf  4f  M  Mrps  n'0ât  #n  irie,  le  curé  ou  ua  fepctiaiAadûni 
quelconque  prenne  les  mesures  indispensables  dans  des  c«| 

Ereilt^  telles  que  la  conslatation  des  personnes  tuées  ou  brû- 
iBy  leur  enterrement,  autopsie,  Tinv^n taire  etla  gar4o  dof 
biens  restant^  etc.  Mais  conome  je  ue  puis  oooipter  avec  cerf 
titude  qu'aucune  des  personnes  sus^ndiwées  soit  eu  uie,  j'ai 
envoyé  aussitôt  par  estafette  au  préposé  du  cercle  de  Zaoïow» 
Tordre  de  se  rendre  en  {personne  à  TomasioWi  eu  cas  de  besoin 
avec  une  escorte  militaire,  et  d'y  organiatr  um  admloistrftf 
tion  municipale.  » 

Sîgoi  s  Bpnvsanigii. 

Une  lettre  écrite  sur  les  lieux  nous  apprend  qu'il  ne  rest^ 
dans  la  ville  d'autres  employés  aue  le  substitut  du  j[uge,  1^ 
secrétaire  et  le  sous-secrétaire  de  la  justice  de  paix,  le  cour 
trôleur  des  finances,  Texpédiieur  de  la  poste  et  un  employé  de 
la  douane. 

Les  insurgés  s'étaient  retirés  à  une  demi-verste  de  là  (50p 
mètres,  environ),  dans  le  bois  de  Bolimow.  Durant  la  soiréOf 
une  patrouille  ae  cosaques  fut  envoyée  en  reconnaissance  de 
ce  coté,  et,  le  lendemain,  dès  le  pomt  du  jour^  les  patriotea 
furent  attaqués  dans  leur  camp,  de  deux  côté»  a  la  lois^  p^ 
des  troupes  envoyées  de  Lov^icz  et  de  Varsovie, 

Halgre  Tinfériorité  du  nombre  et  des  armes,  les  insurgés  S9 
défendirent  avec  la  plus  grande  énergie,  ils  furent  tués  pre^ 
que  tous,  mais  après  avoir  vendu  chèrement  leur  vie.  tee 
Russes  emmenèrent  quelques  prisonniers,  mais  les  blessée 
furent  abandonnés  sans  secours. 

Sur  le  lieu  du  combat,  après  la  retraite  de  Tennemi,  on  en- 
tendait, presque  sous  chaque  buisson,  les  cris  douloureux  de; 
mouranu,  et  les  corps  des  insurgés  tués  étateot  tellement  crir 
blés  de  blessures,  et  de  coups  de  toute  sorte  qu'il  était  presque 
impossible  de  reconnaître  leurs  figures. 

Un  témoin  authentique  trouva  au  milieu  des  taillis,  six 
cadavres  liés  dos  à  dos,  trois  par  trois,  les  tètes  entièremcqt 
fracassées,  les  habits  déchirés  en  lambeaux,  gisant  dans  uu^ 
mare  de  sang.  C'étaient  des  insurgés  qu'on  avait  trouvé  plu)s 
commode  de  fusiller  sur  place^  au  lieu  de  les  emmener  avec 
les  autres. 

La  journée  du  6  février  ne  mérite  pas  une  moins  large  place 
que  celle  du  5,  dans  Thistoire  de  la  révolution  polonaise. 

Plusieurs  bandes  d'insurgés  formées  à  la  bâte  dans  le  pala- 
tînat  de  Lublin  avaient  choisi  pour  point  de  réunioD  la  ville 
de  Wengrovir, 

Les  Russes,  pour  se  débarrasser  de  ces  bandes  pensèrent 

Îue  le  meilleur  moyen  était  d'attaquer  leur  quartier  ^énéraL 
>e  6  février,  plusieurs  milliers  de  moscoviteSi  avec  aix  pièces 


404  nsTOMB 

de  canon;  #rri?èrent  à  Wengrow^  sous  les  ordres  du  colonel 
Poi>ofo8opQk). 
La  TîUe  n'offrait  aucun  moyea  de  défense.  Les  insurgés  ne 

Cuvaient  avoir  la  pensée  de  résister  avec  avantage  à  des 
rces  si  supérieures;  la  retraite  fut  décidée,  et,  tandis  que  la 
plus  grande  partie  de  leurs  bandes  se  dirigeait  sur  Sokolow, 
on  détachement  formé  des  plus  résolus  se  plaça  en  avant  de 
b  ville,  sur  la  route  de  Morzbodli^  pour  arrêter  les  Russes  et 
empècner  qu'une  attaque  soudaine  ne  vint  clianger  la  retraite 
en  déroute. 

Cette  poiffuée  dliommes,  à  peine  armés,  soutint  sans 
s'émouvoir  le  feu  des  Russes,  répondant  à  la  mitraille  par 
quelques  coups  de  fusil,  défendant  le  terrain  pied  à  pied, 
cherchant  à  inquiéter  Tennemi  par  de  feintes  attaques,  sup- 
pléant au  nombre  par  le  sang-froid  et  l'intrépidité. 

Il  fallut  cependant  renoncer  bientôt  à  Tespoir  de  prolonger 
cette  lutte  inégale.  Contre  ces  trois  cents  héros,  combattant, 
non  pas  dans  un  défilé,  mais  sur  une  grande  route,  devant 
une  ville  ouverte,  le  colonel  Popofosopulo  disposait  de  trois 
bataillons  d'infanterie,  de  trois  escadrons  de  cavalerie  et  de 
plusieurs  sotnias  de  cosagues.  Les  Polonais  comptaient  déjà 
dans  leurs  rangs  un  certain  nombre  de  tués  et  de  nlessés.  Les 
progrès  de  Tennemi  étaient  sensibles  et  il  fallait  gagner  quel- 
ques instants  encore  pour  assurer  la  retraite  du  principal 
ccftfjS  des  insurgés  et  empêcher  que  le  commencement  d'or- 

Sanisation  qu'avaient  reçu  les  bandes  à  Wengrow,  ne  fut  en- 
èrement  perdu. 

Deux  cents  jeunes  gens,  à  peu  près,  tout  ce  que^cette  arrière 
garde  comptait  encore  de  valide ,  presque  tous  nobles  , 
ouelques-uns  n'ayant  pas  vingt  ans,  s'offrirent  pour  arrêter 
rennemi  par  une  charge  de  desespérés.  Us  mourraient  tous, 
mais  le  corps  dont  ils  protégeaient  la  retraite,  le  principal 
espoir  de  l'insurrection  serait  sauvé  I 

C'est  aucentre  de  l'ennemi,  sur  les  bouches  à  feu  qui  vomis- 
saient la  mitraille,  et  qu'il  importait  le  plus  de  faire  reculer, 
ou  du  moins  de  faire  taire  un  instant,  c'e;t  là  que  se  précipita 
cette  vaillante  troupe. 

Quelques-uns  n'avaient  pour  arme  qu'une  faux;  c'étaient 
les  plus  lurdents  I 

Notre  grand  poète  Auguste  Barbier  a  chanté  ce  dévouement 
sublime  : 

Alors  les  plus  beaux  faits  que  Thistoire  enregistre, 
Reparurent  soudain  sur  ce  terrain  sinistre,. 
Bt  l'on  vit,  ooibme  aux  jours  du  grand  Léonidas, 
Deux  cents  nobles  enfants,  au  salut  d'une  armée 
Se  dévouer,  et  tous,  de  la  gueule  enflammée 
.    Des  canons  dévorants,  recevoir  le  trépas  I... 


m  LA  RiVOLUTION.POLORAISI.  405 

Tous  turent  tués,  mais,  joignant  l'habileté,  le  sang-froid  à 
l'audace,  les  deux  cents  surent  mesurer  leur  élan,  régler  leurs 
coups  de  façon  à  prolonger  plus  d'une  heure  celte  lutte  hé- 
roïque. Quand  ils  araient  dispersé  les  artill^rs  et  fait  taire 
les  canons,  ils  couraient  aux  officiers,  obligés  de  se  défendre 
a?ec  leurs  rcTolvers  dans  une  sorte  de  duel  à  mort.  Ils  firent 
ainsi  éprouver  aux  Russes  des  pertes  considérables  et,  (|uand 
4es  derniers  eurent  succombé,  le  mouvement  de  retraite  de 
leurs  camarades  s'était  accompli  en  bon  ordre  et  le  gros 
des  insurgés  était  sauvé. 

«  Si  ces  hommes  avaient  des  armes,  disait  un  officier  russe, 
au  sortir  de  cette  sanglante  mêlée,  et  s'ils  étaient  organisés 
en  corps  réguliers,  aucune  armée  européenne  n'en  viendrait 
à  bout  et  ne  serait  même  capable  de  résister  à  leur  fougueux 
enthousiasme.  » 

Le  spectacle  de  cet  héroïsme  ne  parait  pas,  toutefois,  avoir 
dispose  les  Russes,  à  la  générosité.  Dès  que  la  route  fut  libre, 
ils  se  précipitèrent  dans  la  ville  et  s'y  conduisirent  absolu- 
ment comme  ils  l'avaient  fait  à  Wonchock. 

Leur  artillerie  avait  mis  le  feu  à  quelques  maisons  du 
faubourg.  Loin  de  chercher  à  l'éteindre,  ils  firent  tout 
ce  qu'il  fallait  pour  propager  Pincendie,  qui  bientôt  s'é- 
tendit à  presque  toute  la  ville.  Les  maisons  où  il  était 
encore  possible  de  pénétrer  furent  mises  au  pillage,  et  un 
.ffrand  nombre  de  personnes  furent  massacrées  et  grièvement 
blessées. 

Les  Russes  ne  quittèrent  Wengrov^,  que  lorsque  la  ville 
entière  ne  tut  plus  qu'un  monceau  de  cendres  fumantes,  et 
de  ruines  ensanglantées.  Et  tout  au  contraire  de  ce  qui  avait 
eu  lieu  à  Tomaszow,  le  bulletin  officiel  constata,  que  deux 
garçons  juifs  avaient  été  tués  par  accident. 

A  Tomaszovr,  au  moins,  les  autorités  russes  avaient  eu  le 
mérité  de  la  franchise. 

Les  atrocités  commises  par  les  russes  à  Tomaszow  et  à 
Wengrow,  avaient  en  auelque  sorte  leur  excuse  dans  Texas* 


pération  qui  provenait  de  la  lutte.  On  a  vu  en  effet  que  si  les 
insurgés  n'étaient  pas  en  nombre,  leur  héroïsme  y  suppléait. 
Mais  ce  qui  s'explique  moins,  c'est  le  massacre  décidé  froi- 
dement, exécute  par  des  soldats,  sur  l'ordre  de  chefs  qu  i 
veulent  passer  pour  dépositaires  des  bonnes  manières,  ^of- 
ficiers qui  prétendent  faire  des  salons  de  Saint-Pétersbourg, 
des  succursales  du  faubourg  Saint-Germain. 

Dans  ce  même  gouvernement  de  Lublin,  le  lendemain  du 
combat  de  Wengrow,  une  autre  colonne  russe,  chargée  par 
le  colonel  Biedraga  d'explorer  les  environs  d'Yanow,  s'ap- 
procha du  château  de  Hodliborz.  Un  jeune  homme  nommé 
Wojocki,  qui  en  sortait  paisiblement  fut  d'abord  tué,  puis 


409^  raMnor 

sans  aucune  provocation  les  moscovites  ouvrirsot  un  tea  tiès- 
nourri  sur  les  fenêtres.  Les  portes  furent  enfoncées,  le  pro^ 
priétaire  M.  Ladislas  Gorskowski,  fut  littéralement  assommé 
à  coups  de  crosse  de  fusil,  et  laissé  pour  mort.  On  procéda 
aussitôt  au  pillage. 

Pendant  qu'une  partie  des  soldats  se  livrait  à  cette  dévas- 
tation,  encouragée  par  les  officiers  qui  les  commandaient,  le 
capitaine  Zowadzki  et  le  lieutenant  Wasilocki,  une  bande  de 
Cosaques,  quittant  le  détachement,  allait  attaquer  à  quelque 
distance  de  là  le  château  de  Walitza^  appartenant  à  M.SolmaQ. 
Celui«ci  et  son  régisseur  Lipinski  furent  conduits  avec  toutes 
sortes  de  mauvais  traitements  à  Hodlibon  où  M.  Solman  fut 
assonmiéàcoupsde  crosses  de  fusil,  etfinalement  achevéd'ua 
coup  de  poignard,  malgré  ses  protestations  d'innocence. 
L'examen  des  cadavres  a  constaté  vin^t-buit  blessures  sur  le 
corps  de  Wojocki  et  seize  sur  celui  de  Solman.  Quanta 
MM.  Gorzkowski  et  Lipinski,  ils  furent  emmenés  à  Yanow,  au 
colonel  Biedraga,  comme  trophées  de  cette  glorieuse  victoire* 

Nous  voudrions  pouvoir  rejeter  sur  quelques  bas  officiers  la 
responsabilité  de  ces  actes  de  sauvagerie,  mais  notre  devoir 
d'historien  nous  oblige  à  constater  que  les  soldats  russes 
obéissaient  strictement  aux  ordres  venus  du  sommet  de  la  bié* 
rarchie  militaire. 

Un  arrêté  du  chef  du  district  de  Zamosc  le  prouve  snrabon* 
damment  s  c  Les  troupes  ont  l'ordre  d'agir,  y  litron,  tout  à  fait 
comme  en  pays  ennemi  I  b  C'était  le  colonel  Biedraga  à  qui 
était  laissée  la  faculté  d'interpréter  cet  ordre. 

Le  même  arrêté  ajoute  :  t  Si  des  insurgés  se  réfugient  dans 
quelque  village,  lors  même  que  les  babitants  ne  prendraient 
aucune  part  a  la  lutte,  la  troupe  agira  contre  eux  avec  TartU* 
lerie,  la  mousqueterie  et  la  baïonnette ,  sans  avoir  égard  au 
droit  d'asile  attribué  aux  églises  et  aux  endos  qui  les  envi- 
ronnent. » 

Et,  afin  de  se  montrer  paternel,  le  magistrat  sus  désignéi 
croit  devoir  terminer  son  arrêté  par  cette  recommandation  : 
a  Âbstenez-^vous  de  recevoir  chez  vous  des  étrangers,  dans  la 
crainte  que  la  troupe,  voyant  dans  le  pays  des  visages  nou«- 
veaux,  n'attaque  les  maisons  et  ne  fasse  feu  ians  autre  rao- 
men.  » 

On  le  voit,  rhistorique  du  martyrologe  de  la  Pologne  peut  [ 

faire  avec  les  pièces  officielles  russes.  l 

Eh  bien,  malgré  toutes  ces  mesures,  l'insurrection  nais*  l 
santé  s'étend  comme  une  traînée  de  poudre.  Jusqu'ici  elle  est 
circonscrite  dans  le  royaume  de  Pologne,  mais  la  voilà  qui  se 
montre  en  Lithuanie. 

Le  6  février,  la  ville  de  Siemiatycze  devient  le  boulevard  de 
rinsurrection  lithuanienne.  Douze  cents  polonais ,  tirailleurs 


DB  LA  RÉVOLtîTlON  Y0L0NAI8B.  ëfl 

et  kos$vniers^  s'y  établissent.  Un  premier  comtet  a  lieu  ters 
quatre  heures  du  soir.  Les  Russes  sont  repousses  malgré  leur 
iprtilierie. 

Le  lendemain,  le  général  russe  Manioukine^  avant  de  recom- 
mencer Tattaque,  fit  engager  les  femmes  à  sortir  de  la  tille 
avec  leurs  enfants.  Elles  refusèrent  héroïquement^  mais  notre 
impartialité  nous  oblige  à  tenir  compte  de  la  tentative. 

Après  ce  refùs^  les  Russes  devaient  s'attendre  a  une  résis* 
tance  désespérée.  Us  lancèrent  aussitM  sur  la  ville  des  fusées 
à  la  Congrève,  qui  y  allumèrent  un  efft'oyable  incendie,  puis 
Commencèrent  l'assaut  t^lacés  entre  ces  deux  terribles  enne** 
-mis,  rincendie  et  le  cosaque^  les  Polonais  furent  littéralement 
bftcaés.  Privée  de  ses  défenseurs,  la  population  deSiematycze 
fût  massacrée.  On  pilla  tous  les  environs.  La  ville  n'était  le 
lendemain  qu'un  monceau  de  cendres. 

Une  vingtaine  de  maisons  à  peine  avait  été  épargnées* 

Le  même  jour,  écrit  un  témoin  oculaire,  une  de  ces  colonnes 
russes  à  qui  conviendrait  si  bien  le  nom  de  a  colonnes  f  nter^ 
nales»  entrait  à  Biala,  après  avoir  vainement  poursuivi  un 
détachement  d'insurgés  dans  les  bois  voisins.  Tous  ceux  des 
habitants  qui  se  trouvaient  dans  les  rues  furent  plus  ou  moins 
maltraités  ^  et  le  soir  les  soldats  s'amusaient  à  tirer  aux 
fenêtres^  dès  qu'ils  voyaient  apparaître  une  lumière, 

A  Rawa^  encore  le  même  Jour,  une  caserne  où  s'étaient 
retranchés  des  soldats  russes  fut  attaquée  par  un  détachement 
d'insurgés.  Pendant  le  combat^  le  feu  prit  au  bfttiment  cons* 
truit  en  bois.  Les  assaillants  laissèrent  sortir  tous  les  soldats 

Si  voulurent  échapper  à  l'incendie  et  se  contentèrent  de  les 
re  prisonniers  sans  en  maltraiter  aucun.  Les  blessés  furent 
recueillis  et  soignés  par  les  habitants. 

Les  Polonais  avaient  cependant  vu  tomber^  à  la  porte  même 
de  la  caserne,  percés  de  nombreux  coupé  de  baïonnette^  leur 
chef  Sokolovrski,  et  un  jeune  homme  plein  d'esp^ances , 
M.  Godlewski. 

Afin  d'éviter  toute  accusation  de  partialité ,  nous  avons  le 
soin  de  nous  entourer  de  renseignements  authentiques.  On 
nous  a  VU)  on  nous  verra  signaler  les  moindres  faits  à  la 
louange  des  moscovites.  De  chaque  événementnouscherchens 
là  cause,  et  si  nous  pouvons,  l'excuse. 

11  en  est  cependant  de  réellement  inexplicables.  Ainsi,  le 
8  février,  un  régiment  d'infanterie  russe  traversant  la  ville  de 
Pulaw^,  au  moment  de  la  sortie  de  la  messe,  chargea  la  popu- 
lation a  la  baïonnette.  11  y  eut  un  grand  nombre  de  blessés^ 
une  femme  et  un  vieillard  tués. 

Un  haut  fonctionnaire,  le  directeur  de  l'Ecole  polytechnique 
de  Pulawy,  M.  Okinski,  sortit  aussitôt  en  grand  uniforme^  avec 
les  décorations,  pour  adresser  quelques  observations  attcom- 


4êS  flMTOIU 

mandant  des  troupes»  et  essayer  de  calmer  Texaltation  de  ces 
insensés.  Avant  que  Tofflcier  eût  pu  lui  répondre^  M.  Oklnski 
tombait  frappé  de  plusieurs  coups  de  baïonnette. 

Pour  toute  explication ,  le  rapport  officiel  constate  Tétat 
dlvresse  de  tocs  les  soldats. 

Nous  avons^  à  propos  du  marquis  Wielopolski,  parlé  de  son 
ancien  collègue^  le  comte  André  Zamoyski,  qui  paya  de  Texil 
la  gloire  de  ne  pas  être  de  Tavis  du  marquis.  Fut-ce  un  supplé- 
ment de  vengeance  de  ce  dernier  ou  simplement  Teffèt  d'un 
singulier  hasard,  toujours  est-il  que  le  9  février  les  Russes  se 
présentèrent,  sans  qu'aucun  motif  de  guerre  les  y  amenât,  à 
Zwierzyniec,  dans  le  gouvernement deLublin. 

C'est  au  château  de  Zwierzyniec  que  se  trouvent  les  caisses, 
les  bureaux  d'administration  des  vastes  domaines,  formant  le 
majorât  des  comtes  Zamoyski,  et  que  se  conservent  les 
archives  de  cette  ancienne  et  illustre  famille. 

Aussitôt  que  les  troupes  eurent  occupé  la  ville,  le  comman- 
dant se  rendit  auprès  du  régisseur  du  comteetlui  intima  Tordre 
de  laisser  visiter  tous  les  bâtiments  dont  il  avait  la  garde, 
attendu  que  le  château  de  Zwierzyniec  était  soupçonné  de 
receler  la  caisse  et  les  bureaux  du  comité  national.  Sur  la 
déclaration  du  régisseur,  que  le  château  ne  contenait  pas 
d'autre  caisse  et  d'autres  bureaux  que  ceux  de  la  régie  des 
domaines  de  la  famille  Zamoyski,  le  commandant  feignit  d'être 
satisfait  et  demanda  seulement  que  cette  déclaration  lui  fût 
remise  par  écrit,  pour  servir  à  sa  décharge  personnelle. 

Une  fois  en  possession  de  cet  écrit,  il  alla  rejoindre  son  déta- 
chement,  mais  pour  revenir  aussitôt  après,  et  cette  fois,  sans 
autre  explication,  il  fit  sortir  tous  les  employés,  leurs  femmes, 
leurs  enfants,  les  fit  conduire  dans  un  parc  voisin,  dont  la 
porte  fut  fermée  et  rigoureusement  gardée,  puis,  à  un  signal 
donné,  la  troupe  envahit  le  château,  enleva  l^a  caisse,  conte- 
nant environ  60,000  roubles  (240,000  tr.),  pilla  tous  les  appar- 
tements du  château,  et  enfin  mit  le  feu  aux  quatre  coins  de 
l'édifice. 

Presque  le  même  jour,  il  arriva  que  les  insurgés  pénétrè- 
rent dans  une  des  résidences  d'été  du  marquis  Wielopolski. 
Ils  s'abstinrent  de  tout  pillage  et  de  toute  violence  envers  les 
personnes,  mais  exij^èrent  la  remise  des  armes  qui  se  trou* 
vaient  dans  le  château,  et  d'une  partie  de^  provisions  de 
bouche  dont  ils  avaient  le  plus  grand  besoin. 

Continuons,  dans  l'ordre  chronologiq^ue  Je  récit  des  épisodes 
qui  eurent  lieu,  tandis  que  s'accomplissait  la  formation  de 
l'armée  du  dictateur  Langiewicz. 

Quelques-uns  de  ces  épisodes  demanderaient  pour  être  mi- 
nutieusement racontés  plus  de  place  que  nous  n'en  donnons 
à  toute  l'histoire  de  la  Pologne. 


DB  LA  RÉVOLUTION  POLONABB.  409 

Tel  est  celui  qui  eût  pour  théâtre  le  cbftteâu  de  Woyslavice. 

Le  12  février,  une  colonne  russe,  composée  de  trois  compa- 
gnies d'infanterie  de  la,  garde  impériale^  d'ua  escadron  de 
cavalerie  de  cent  cosaques  et  de  deux  canons,  opéra  le  matin 
une  visite  domiciliaire  dans  le  château  de  Rakolopy,  où  on  ne 
trouva  pas  d'armes^  mais  simplement  de  l'argent  que  Ton 
prit. 

La  colonne  se  rendit  ensuite  à  Woyslavice,  où  elle  arriva 
vers  trois  heures  de  l'après-midi. 

Le  château  appartient  à  un  conseiller  d'État  nommé  par 
Tempereur,  le  comte  Léopold  Poletyllo^  patriote  modéré.  Il 
avait  ce  iour-Ià  quelques  personnes  à  dîner,  entre  autres 
M.  Tite-Woyciechowski,  son  beau-frère,  accompagné  de  son 
fils  Joseph,  jeune  homme  de  vingt-quatre  ans,  ancien  élève  de 
notre  école  d'agriculture  de  Grignon  ;  le  colonel  Dunin,  an- 
cien officier  de  l'armée  polonaise  et  soldat  du  premier  Empire 
français  ;  et  enfin  M.  Kun,  également  ancien  officier  polonais, 
aujourd'hui  propriétaire  et  \oisin  du  comte. 

comme  il  n'y  avait  d'insureés  ni  à  Woyslawice  ni  aux  en- 
viron^ on  ne  vit  au  château,  dans  l'approche  des  Russes,  que 
Yettei  d'un  passage  ordinaire  de  troupes.  Par  précaution, 
néanmoins,  on  fit  monter  les  dames  et  les  enfants  de  M.  Pôle* 
tyllo  dans  les  salons  du  premier  étage,  tandis  que  les  hommes 
restaient  dans  les  appartements  du  rez-de-chaussée. 

Cependant,  le  commandant  de  la  colonne  russe,  arrivé  à 
l'entrée  du  bourç,  rangea  sa  troupe  en  bataille,  plaça  en  avant 
une  ligne  de  tirailleurs  et  fit  tirer  deux  coups  de  canon  à  mi- 
traille avant  d'y  pénétrer.  C'est  dans  cet  ordre  et  avec  cetappa- 
reil  qu'il  traversa  le  village,  se  dirigeant  vers  le  château. 

Au  bruit  des  coups  de  canon,  suivis  de  plusieurs  décharges 
de  mousqueterie,  le  comte  Poletyllo  et  ses  notes  coururent  aux 
fenêtres.  Les  récits,  déjà  répandus  en  tous  lieux,  des  atrocités 
commises  par  les  Russes  partout  où  ils  passaient,  leur  disaient 
à  l'avance  ce  qu'il  fallait  attendre  de  cette  attitude  et  de  ces 
démonstrations  hostiles. 

— Notre  dernière  heure  a  sonné  !  s'écria  le  comte  ;  nous 
n'échapperons  pas  à  la  mort.  Je  cours  auprès  de  mes  enfants, 
c'est  là  ou'est  ma  place  ! 

Ses  botes  se  dispersèrent  aussitôt  dans  diverses  chambres, 
sans  Ronger  le  moins  du  monde  à  la  résistance. 

Un  cou[)  de  canon  chargé  à  mitraille  tua  le  fils  de  M.  Woy- 
ciechov^ski  et  le  blessa  lui-même  grièvement.  Les  soldats  péné- 
trèrent dans  le  château.  Ils  trouvèrent  dans  le  salon  le  colonel 
Dunin,  assis  sur  un  canapé  et  les  attendant  tranquillement  les 
bras  croisés.  Ils  tirèrent  sur  lui  cinq  coups  de  fusil.  Un  soldat 
voulut  le  frapper  ensuite  de  sa  baïonnette,  mais  le  colonel  eût 
ore  assez  do  force  pour  parer  le  coup  et  demander  d'une 

52 


ilO  HtSTomi 

voix  ferme  à  être  conduit  deyant  le  commandant  de  la 

colonne. 

Deux  soldats  le  prirent  sous  les  bras  et  le  traînèrent  dehors. 
D'autres  le  poussaient  à  coup  de  crosse.  Sur  le  perron^  le 
colonel  rencontra  un  officier  de  la  garde  : 

—  Vous  n'avez  pas  de  honte,  lui  dit-il,  de  laisser  frapper 
sous  vos  yeux,  par  vos  soldats,  un  homme  de  mon  âge! 

— Taisez-vous  et  passez  votre  chemin ,  répondit  brutalement 
l'offlcier. 
On  conduisit  ainsi  le  colonel  Dunin  devant  le  commandant  i 

—  Qui  êles-vous?  lui  demanda  celui-ci  : 

—  Dunin,  colonel  démissionnaire  aux  grenadiers  de  lagarde 
de  l'ancienne  armée  polonaise,  actuellement  propriétaire  dans 
ce  pays,  et  en  visite  chez  mon  parent. 

—  Monsieur,  reprit  le  commandant  je  regrette  que  vous 
ayez  été  traité  de  la  sorte,  mais  ne  vous  en  prenez  qu'à  vous 
et  à  vos  amis,  vous  êtes  seuls  coupables.  On  a  tiré  contre  les 
troupes  plus  ae  cent  coups  de  feu;  vous  en  subissez  les  con- 
séquences. 

Alors  d'une  voix  encore  assurée,  ce  vieillard  couvert  de  sang» 
se  redressant  autant  que  ses  forces  le  lui  permettaient  : 

—  Vous  savez  qui  je  suis,  dit-il  au  commandant,  et  tout  ser- 
ment de  ma  part  serait  superflu.  J^ai  vu  la  mor^^e  prèsj  mes 
blessures  Tattestent,  et  je  n'ai  jamais  dit  que  la  vérité.  Eh 
bien,  j'affirme  que  vous  avez  menti,  en  disant  que  des  coups 
de  feu  ont  été  tirés  du  château;  faites-moi  garder  ici;  fouillez 

Partout,  et  si  vous  trouvez  une  seule  arme  a  feu,  je  consens  à 
tre  fusillé  avec. 

A  cette  rude  apostrophe  le  commandant  tourna  le  dos  et  ne 
répondit  rien. 

Le  major  Kun,  attaqué  dans  une  troisième  chambre,  s'était 
défendu  avec  les  mains  contre  les  fusils  et  les  baïonnettes.  Il 
avait  les  doigts  du  milieu  coupés  aux  deux  mains,  lorsqu'on  le 
conduisit,  à  coups  de  crosse,  devant  ce  même  commandant. 

Un  autre  officier  de  la  garde,  dont  il  implora  la  pitié  lui 
répondit  par  un  coup  de  sabre  dans  la  figure. 

Les  domestiques  mâles  furent  tous  massacrés.  On  épargna 
les  femmes,  sauf  deux. 

Tout  ce  qui  ne  put  être  emporté  fut  brisé.  L'argent,  les 
bijoux,  rorfévrerie.  furent  partagés  séance  tenante.  Quand 
on  n'eut  plus  rien  a  prendre  ou  à  briser,  le  commandant  fit 
ranger  ses  troupes  en  bataille  et  leur  adressa  ses  félicitations  : . 

—  Valeureux  soldats,  leur  cria-t-il,  vous  avez  noblement  fait 
votre  devoir,  je  vous  remercie! 

Par  un  heureux  hasard,  les  Russes  ne  pénétrèrent  pas  dans 
la  chambre  où  se  trouvaient  le  comte  Poletyllo  et  ses  enfants. 
Ce  qui  prouve  bien  que  ce  n'est  qu'au  hasard  qu'il  dût  d'êtr« 


Dl  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  411 

sauTéi  c'est  me  le  lendemaia^  lorsquMl  fit  demander  au  com- 
maodant  militaire  de  Lublin»  la  permission  de  lui  amener  ses 
enfants,  celui-ei  fut  très-surpris. 

—Comment,  s'écria-t-il  naiYement,  il  est  encore  en  iriel 
mais  il  doit  être  blessé. 

—11  se  porte  à  merveille. 

'—  Il  est  bien  heureux  l  II  peut  venir. 

Cet  événement  ne  fut  nullement  démenti  par  les  autorités 
russes.  Elles  prétendirent  seulement  que  des  coups  de  feu 
avaient  été  tires  des  fenêtres  du  château. 

Ce  quMl  est  surtout  indispensable  de  foire  remarquer,  c'est 
que  les  coupables  de  cette  incroyable  attaque  étaient  des  offi- 
ciers et  des  soldats  de  la  garde  impériale  ! 

Le  14  février,  dix  insurgés  s'étani  réfugiés  dans  une  grange 
près  de  Gonstantinow,  y  furent  massacrés  après  une  vive  résis- 
tance par  un  détachement  de  Cosaques.  Immédiatement  ces 
braves  incendièrent  le  village,  pillèrent  et  détruisirent  en  par- 
tie le  château  appartenant  au  comte  Alexandrovricz.  Le  même 
jour^  et  sans  aucun  combat,  les  Russes  détruisirent,  à  Iva- 
nowice,  le  château  de  M.  Stanislas  Walewski,  cousin  de  M.  le 
comte  Walewski,  ministre  français  et  frère  de  la  marquise 
Wielopolska, 

Egalement  le  même  jour,  les  mêmes  foits  se  passèrent  à 
Florianka  et  à  Bukow. 

Or,  saves-vous  ce  que  le  gouvernement  russe,  qui  veut 
compter  parmi  les  gouvernements  de  l'Europe  civilisée»  faisait 
dans  ces  circonstances?  Il  autorisait  les  soldats  kmeUre  à  l'en- 
can, sur  les  places  publiques  des  villes,  les  objets  volés  ! 

Nous  avons  dit  mettre  et  non  tendre,  car  nul  ne  voulait  ac- 
quérir des  biens  dont  on  connaissait  la  singulière  provenance. 

t  G^est  ainsi,  dit  une  lettre  de  Radom  du  14  février,  qu'un 
dragon  offrait  ici,  avant*hier,  une  édition  rare  des  Psaumes 
de  David,  richement  reliés.  Personne  n'a  voulu  se  rendre  ac- 
quéreur d'un  objet  ayant  une  pareille  provenance.  On  a  vu 
également,  dans  la  ville,  des  soldats  vendre  des  manteaux  de 
femmes»  doublés  de  riches  fourrures,  des  perles,  de  l'argen- 
terie, des  boucles  d'oreilles  et  d'autres  objets  précieux  prove- 
nant, disaient-ils  eux-mêmes,  du  sac  de  Woncnock.  » 

Et  cependant  nous  devons,  pour  être  impartial,  raconter 
deux  faits  assex  rares  dans  l^histoirei  et  qui  sont  à  la  louange 
des  Moscovites. 

Un  colonel  russe,  d'origine  polonaise»  avait  reçu  à  Petrikau» 

Srèsde  Varsovie,  l'ordre  de  mire  fusiller  son  propre  neveu, 
lit  prisonnier  par  les  Cosaques.  U  préféra  se  faira  sauter  la 
cervelle. 


412 

Un  autre  colonel  russe ,  fils  du  général  Korff ,  a  inspiré  ces 
belles  lignes  à  notre  historien  national  Henri  nfartin  : 

a  Tandis  qu'une  soldatesque  aveugle  et  brutale,  conduite  par 
des  chefs  serviles  et  dépravés^  renouvelle  les  horreurs  des 
jours  de  Souvarow 

a  Tandis  que  tous  les  forfaits  de  la  barbarie  déchaînée  au 
nom  du  czar^  appellent  de  nouveau  sur  la  Russie  des  autocrates 
Panathême  du  monde  civilisé 

«  11  est  des  Russes  qui  ont  emprunté  à  TOccident .  non  pas 
ses  frivolités  et  ses  corruptions^  mais  ses  principes  ae  droit  et 
de  justice,  ses  idées  de  progrès  et  ses  aspirations  d'avenir! 

«  I)  est  de  ces  Russes  aujourd'hui  dans  l'empire  de  Russie, 
comme  il  était  des  chrétiens  dans  l'empire  romain  :  il  en  est 
dans  les  rangs  de  cette  armée  qui  renferme  ce  qu'il  y  a  de 
plus  pur  auprès  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  immonde  et  de  plus 
brut. 

a  II  y  a  trois  mois^  une  lettre  adressée  au  grand-doc  Constan- 
tin, au  nom  des  officiers  de  l'armée  russe  en  Pologne^  lettre 
qui  fit  changer  en  toute  hâte  la  garnison  de  Varsovie,  avait 
protesté  contre  l'abominable  rôle  infligé  aux  officiers  russes. 
*Une  autre  lettre  d'officiers  russes,  dans  leKolokoldu  10  fé- 
vrier, renouvelle  ce  refus  de  p^ticiper  à  une  œuvre  de  bour- 
reau. «  Nous  avons  résolu^  écrivent-ils,  de  sceller  notre  refus 
par  notre  mort.  Celui  qui  osera  aider  notre  gouvernement  al- 
femand-tartare  à  nous  arracher  notre  héritage  d'honneur,  ce- 
lui-là^ que  sa  mère  le  maudisse!  » 

«  Us  commencent  à  tenir  parole. 

a  H  est  des  Russes  qui  meurent  silencieusement  sous  des 
balles  russes,  dans  les  fossés  de  auelque  citadelle,  pour  avoir 
mieux  aimé  être  les  victimes  que  les  complices  des  egorgeurs, 
pour  n*avoir  pas  voulu  mettre  le  fer  dans  la  gorge  de  leurs 
frères  polonais. 

a  Un  chef  russe  ^  un  colonel  de  la  garde  impériale ,  H.  de 
Korff  (sa  mémoire  ne  périra  jamais  !)^  avait  reçu  l'ordre  de  dé- 
truire une  ville  polonaise  ;  plutôt  que  d'être  l'exécuteur  du  plan 
d'extermination,  plutôt  que  de  consommer  le  crime,  il  s'est  ré* 
fugié  dans  la  mort  ;  il  s'est  brûlé  la  cervelle  en  tête  de  son  ré- 
giment; désespoir  sublime,  dérogeant,  par  le  plus  chrétien  des 
sentiments,  à  la  juste  loi  chrétienne  qui  interdit  à  l'homme  de 
s'affranchir  lui-même  de  la  vie, 

<c  De  tels  hommes  rachètent  le  nom  souillé  de  leur  patrie; 
ils  couvrent  ses  hontes  sanglantes  de  leur  auréole  devant  le 
monde;  ils  seront  les  saints  d'une  nouvelle  Russie,  les  martyrs 
honorés  d'une  Europe  nouvelle,  pour  avoir  scellé  de  leur  sang 
le  pacte  de  la  réconciliation  des  races  ennemies  et  de  lasainliB 
alliance  des  peuples  !  n 


DE  LA  RiVOLUTION  POLONAISE.  413 

Voici^  dans  sa  simplicité  historique,  le  trait  d'héroïsme  de 
H.  de  Korff. 

A  Ogrodziniec,  sar  le  chemin  de  Pilica  à  Opoczno,  le  co« 
lonel  Korff,  fils  da  général  de  ce  nom,  qui  commandait  à  Var- 
sovie, reçut  de  son  père  Tinjonction  de  se  joindre  à  un  déta- 
chement chargé  de  Texécution  d'un  de  ces  ordres  impitoyables 
à  Taide  desquels  on  avait  espéré  étouffer  rinsurrecUon  en  quel- 
ques jours.  Ayant  assemblé  les  officiers  de  son  régiment,  il 
leur  dit  :  a  qu'il  lui  était  impossible  de  concilier  les  instrnc* 
«  tions  paternelles  et  son  devoir  d'officier  avec  sa  conscience 
«  d'honnête  homme,  »  et,  passant  dans  une  chambre  voisine, 
il  se  fit  sauter  la  cervelle. 

Ce  sont  là  des  faits  consolants ,  mais  malheureusement  ils 
sont  rares  dans  les  fastes  de  la  domination  russe. 

Aussi  devons-nous,  après  ce  court  temps  d'arrêt,  reprendre 
le  cours  de  nos  récits. 

Un  détachement  des  insurgés  dispersés  le  7  février  à  Siemia- 
tycze,  venait  de  traverser,  le  16,  le  village  de  Dolobizna»  pour- 
suivi par  les  Cosaques.  Ces  derniers,  trouvant  le  pays  de  leur 
goût,  arrêtèrent  là  leur  poursuite.  Ils  se  dirigèrent  d'abord 
vers  le  château ,  et  là  se  renouvelèrent  les  scènes  horribles 
dont  la  demeure  du  comte  Politello,  à  Woysktwice  avait  été  le 
théâtre,  et  que  nous  avons  racontées. 

H.  Sniezko,  propriétaire  de  Dolobizna,  se  trouvait  chez  lui, 
seul  avec  ses  domestiques.  Les  soldats  commencèrent  par  tirer 
des  coups  de  {«sil  dans  les  fenêtres.  Le  Journal  de  Wilna,  pour 
justifier  cette  infâme  agression,  a  dit  qu'il  y  avait  des  insurgés 
dans  la  maison  et  qu'on  avait  commencé  par  tirer  sur  la  troupe. 
C'est  toujours  la  même  fable,  servant  à  couvrir,  d'une  excuse 
mensongère,  les  mêmes  atrocités.  Il  a  été,  au  contraire,  irré- 
fragablement  démontré  que,  depuis  plusieurs  heures,  tous  les 
insurgés  s'étaient  éloignés  du  village  et  que  pas  une  arme  ne 
se  trouvait  dans  le  château. 

M.  Sniezko,  s'étant  présenté  pour  parler  à  Tofflcier,  est  at- 
teint d'une  balle  à  la  jambe.  Il  tombe;  deux  cosaques  se  jet* 
tent  sur  lui  et  le  traînent  dans  le  jardin.  Un  troisième  accourt, 
couche  en  joue  le  malheureux  blessé,  tire;  mais,  au  lieu  de 
M.  Sniezko,  la  balle  va  frapper  un  de  ses  camarades  qui  tombe 
auprès  de  sa  victime.  H.  Sniezko  reçoit  ensuite  plusieurs  coups 
de  lance,  et  les  cosaques,  le  croyant  mort,  se  dirigent  vers  la 
maison  pour  la  piller. 

Un  juif,  qui  traversait  le  jardin,  ayant  reconnu  qu'il  respi- 
rait encore,  essaya  de  l'emporter  dans  ses  bras  ;  à  peine  ses 
bourreaux  s'en  furent-ils  aperçus  qu'ils  revinrent  sur  leurs 
pas,  l'achevèrent,  le  dépouillèrent  de  ses  vêtements  et  aban* 
donnèrent  son  cadavre  nu  au  milieu  4a  chemin. 


414  U8T0IU 

Neuf  personnes  furent  massacrées.  Un  prêtre  y  fut  brûlé 
▼if  I 

Le  15  féyrier,  une  bande  dUnsurgés  s'arrêta  à  Ojcow  et  s'en 
éloigna  le  même  jour  sans  avoir  pratiqué,  à  l'égard  des  habi* 
tants,  aucune  vexation  ;  le  surlendemain  une  colonne  russe  » 
commandée  par  le  prince  Bagration^  s'y  arrêta  à  son  tour. 

La  fureur  des  Russes  s'arrêài  d'abord  sur  les  blessés  polo- 
nais restés  à  Ojcow»  On  leur  creva  les  yeux  à  coups  de  baïon- 
nette, puis  on  les  pendit  à  des  arbres  ornant  une  des  places  de 
la  ville.  On  procéda  ensuite  au  pillage;  l'incendie,  allumé  en 
plusieurs  endroits,  s'étendit  bientôt  aux  principales  maisons. 
Au  moindre  signe  de  résistance  et  de  protestation  ^  les  habi- 
tantsétaientexposésaux  violences  des  soldats;  la  plainte  même 
était  un  crime  aux  yeux  de  ces  sauvages,  et  les  plus  inofTeusiEs 
n'échappaient  pas  toujours  à  leurs  brutalités. 

Il  existe,  dans  le  voisinage,  une  population  flottante  de  con- 
trebandiers et  de  soldats  retraités,  sans  liens  bien  étroits  avec 
le  pays.  Comme  si  les  cosaques  et  les  soldats  russes  n'eussent 
pas  suffi  à  la  tftche,  ces  hommes,  généralement  familiers  avec 
les  scènes  de  violence  et  peu  scrupulisux  en  matière  de  probité^ 
furent  appelés  à  prendre  part  au  pillage.  On  leur  promit  non- 
seulement  l'impunité,  mais  la  faveur  des  autorités  russes. 

a  Depuis  le  célèbre  château  d'Ojcow  jusqu'aux  moulins  de 
Czaye,  écrivait,  deux  jours  après,  un  des  habitants  échap- 
pé au  massacre,  tout  ce  pays ,  naguère  si  prospère^  n'est  plus 
qu'un  monceau  de  ruines  sanglâmes  et  de  déb^s  fumants,  au 
milieu  desquels  on  a  trouvé  des  corps  à  demi-consumés.  Dans 

{plusieurs  endroits,  il  est  impossible  de  distinguer  la  place  où 
urent  les  habitations;  on  voit  que  la  barbarie  orientale  a 
passé  par  là,  en  y  semant,  comme  toujours,  la  destruction  et 
la  mort.  » 

Là  ne  s'arrêtèrent  pas  les  exploits  du  prince  Bagration  et  de 
ses  braves.  La  ville  de  Miechovir  allait  voir  encore  un  plus  af- 
freux spectade,  si  affreux  que  nous  n'osons  le  raconter  qu'en 
reproduisant  textuellement  le  rapport  officiel  adres&é  par  le 
chef  du  district  de  Miechove  au  général  russe  iTszakoff,  com- 
mandant miUtaire  du  gouvernement  de  Radom  : 

«  Arrivés  dans  la  nuit  du  16  au  17  de  ce  mois»  les  insurgés 
(itta<|uèrent ,  à  six  heures  du  matin ,  la  ville  de  Hiechovr; 
après  un  combat  d*une  heure  et  demie  avec  les  |>ostes  avancés 
et  la  garnison  impériale  russe  de  cette  ville,  ils  furent  re* 
pousses. 

a  Les  habitants  sont  restés  entièrement  en  dehors  de  ce 
combat.  Les  portes  cochères,  les  issues  et  les  fenêtres  ont  été 
formées,  et  nul  des  habitants  n'est  sorti  dans  les  rues,  pour 
laisser  toute  liberté  d'agir  à  la  troupe* 


M  LA  BÉyOLCTIOlV  POLOHAISl.  418 

c  Une  demi-henre  après  la  retraite  des  insurgés,  les  soldats 
commencèrent  à  tirer  dans  les  fenêtres  des  maisons;  puis, 
brisant  les  portes^  ils  envahirent  les  demeures  particulières, 
sous  prétexte  d'y  chercher  des  insurgés,  ou  bien  en  affirmant 
qu'il  en  était  parti  des  coups  de  feu. 

a  Us  se  firent  remettre  de  Tardent»  arrachèrent  les  proprié- 
taires paisibles  de  leurs  habitations  et  les  maltraitèrent  sans 
pitié;  après  quoi  ils  emportaient  tous  les  objets  de  prix  et  bri- 
saient les  meubles. 

c  En  rétidf  lissant  Vordrede  cette  manière,  beaucoup  d'entre 
eux  abusèrent  des  liqueurs  fortes  qu^ils  trouvèrent  dans  les 
caves,  les  cafés,  les  boutiques  et  les  brasseries  et  qu'ils  buvaient 
avec  avidité.  Dans  cet  état,  sans  même  obéir  aux  ordres  des 
officiers  qui  cherchaient  à  les  retenir,  ils  se  portèrent  à  tous 
les  excès,  mirent  le  feu  aux  maisons  sur  plusieurs  points  de  la 
ville,  et,  profitant  de  l'alarme  pour  saisir  les  passants  inoffen- 
sifs,  les  assommer  et  les  tuer,  ils  se  livrèrent  à  toutes  les  hor- 
reurs du  massacre  et  du  pillage. 

a  Ni  rautorité  du  rang,  ni  le  grade,  ni  l'uniforme,  ni  lessi** 
mes  honorifiques  ne  pouvaient  préserver  la  vie  des  victimes» 
Le  bourgmestre  Pierre  Orzechowski,  renommé  pour  son 
tèle  civique,  proposé  pour  une  récompense  par  le  prince  Ba* 
gration,  lorsque  les  soldats  assaillirent  sa  demeure,  sortit  re* 
vêtu  de  son  uniforme  et  de  ses  insignes,  sans  doute  pour  les 
haranguer  et  pour  se  faire  reconnaître  ;  mais  appelé  aussitôt 
par  eux  rebelle,  traîné  vers  le  corps  de  carde  sous  une  grêle 
de  coups  de  crosse  et  de  baïonnette,  il  fut  égorgé  devant  le 
poste  même,  à  Quelques  pas  de  sa  maison.  Une  demi*heure 
après,  les  soldats  insultaient  au  cadavre  en  le  perçant  de 
coups  de  lance  et  de  baïonnette,  le  dépouillaient  de  tout  vétor 
ment,  et  le  traînaient  dans  le  ruisseau  voisin  du  corps  de 
garde.  Il  y  resta,  souillé  de  son  sang,  jusqu'à  ce  que  des  hom- 
mes de  cœur,  touchés  par  les  prières  de  sa  malheureuse  fem- 
me, eussent  recueilli  ces  restes  mutilés  dans  sa  maison,  où  i}fi 
furent  bientôt  consumés  par  l'incendie. 

«  Le  juge  de  paix,  Gidlewski  et  le  maire  de  Miechovr,  LeD- 
czewski,  malgré  les  insignes  et  le  costume  de  leur  emploi, 
furent  dépouillés  et  conduits  à  coups  de  crosse  au  corps  de 
garde,  d'eu  ils  ne  furent  délivrés,  après  plusieurs  heures  de 
détention,  que  sur  les  instances  de  quelques  officiers  dont  ils 
étaient  connus.  Le  maître  de  poste,  arrêté  dans  le  bureau  de 
poste  même,  fut  traîné  dans  la  rue,  dépouillé  jusqu'à  la  che- 
mise et  roué  de  coups.  Il  resta  prisonnier,  plus  longtemps 
encore,  au  corps  de  garde  et  ne  dut  son  salut  qu'à  une  pareiùe 
intercession. 

«  Le  chef  même  du  district  (Jauuszkiewicz)  fut  assailli  dans 


416  HISTOIBB 

sa  maison  dont  les  portes  avaient  été  enfoncées  ;  menacé  de 
mort  il  ne  fut  sauvé  que  grâce  aux  efforts  d'un  invalide^  non 
toutefois  sans  avoir  payé  une  forte  rançon  à  sept  soldats  qui 
voulaient  le  tuer^  comme  rebelle  en  disant  que  des  coups  de 
fusil  étaient  partis  de  sa  demeure,  ce  qui,  pourtant  était  une 
insigne  fausseté.  L'ingénieur  voyer  Wysocki,  revenu  le  soir 
précédent  de  Varsovie,  bien  qu'il  logeât  dans  sa  maison  deux 
officiers  de  chasseurs,  fut  de  même  rencontré  par  des  cosaques 
ivres,  malmené  et  dépouillé. 

<  Le  nombre  des  habitants  tués  sans  aucun  motif  est,  jus- 
qu'à présent  difficile  à  évaluer.  En  voyant  ce  qui  se  passait, 
quelques  officiers  et  quelques  soldats,  plus  humains,  allèrent 
conseiller  à  beaucou[)  de  personnes  de  quitter  leurs  demeures, 
car,  disaient-ils,  la  ville  entière  devait  être  brûlée. 

»  Or,  ce  n'était  au'un  moyen  d'obtenir  des  objets  précieux 
sans  être  obligé  de  recourir  à  la  violence.  Les  protecteurs 
imposaient  une  taxe  aux  protégés,  puis  pillaient  leurs  domi- 
ciles vides. 

c  Toute  autorité»  même  militaire,  était  absolument  mé- 
connue. La  soldatesque  tirait  sur  les  officiers  qui  offraient 
rincèrement  leurs  concours  aux  habitants. 

«  A  chaque  instant  le  feu  était  mis  à  une  maison.  Ce  qui 
est  le  plus  affreux,  c'est  que  ces  incendies  n'éclatèrent  pas  à 
la  suite  du  combat,  mais  furent  allumés  par  le  caprice  des 
soldats,  défenseurs  naturels  de  l'ordre,  et  sorlis  victorieux 
d'une  lutte  à  laquelle  leurs  victimes  n'avaient  pas  pris 
part. 

€  Le  désordre,  le  pillage,  les  massacres  allant  toujours  crois- 
sant, il  fut  bientôt  déclaré  par  plusieurs  officiers,  et  entre 
autres  par  le  major  Zubkoff,  le  lieutenant  Kuriatkowsky,  et 
un  petit  nombre  de  leurs  camarades,  que  le  bureau  du  district 
et  le  couvent  où  s'était  réfugié  le  personnel  administratif, 
n'était  plus  suffisant  pour  le  proteger. 

cGes  officiers  escortèrent  les  employés,  leurs  femmes, 
kurs  enfants,  et  les  habitants  des  deux  sexes  hors  de  la  ville, 
en  les  laissant  libres  de  se  disperser  dans  les  villages,  et  d'y 
cberchjer  un  refuge.  Conduits  par  détachements,  ceux-ci  se 
dirigèrent  vers  la  contrée  voisine,  ne  pouvant  rien  sauver  de 
ce  qu'ils  avaient  emporte  dans  le  couvent.  Le  détachement  où 
se  trouvaient  le  chef  du  district,  son  secrétaire,  l'ingénieur  ' 
du  district,  l'ingénieur  voyer,  le  juge  de  paix  et  plusieurs 
autres  fonctionnaires  ^t  habitants,  douze  personnes  en  tout,  y 
compris  la  femme  du  major  Zubkoff,  la  famille  du  major 
Jablonsky,  etc.,  se  rendit  à  pied  au  village  deZagorze,  distant 
de  sept  verstes  de  la  ville  ;  pendant  le  trajet,  l'officier  d'escorte 
des  gardes  frontières,  dut  se  quereller  vivement  avec  ses 


Dl  LA  RÉVOLUTION  POLONAtSK.  41T 

propres  soldats  qui  Toulaient  traiter  ce  convoi  comme  un 
atlroupemenl  de  rebelles. 

a  Au  moment  où  j'écris  ce  rapport,  le  secrétaire  du  chef 
de  la  circonscYiption,  celui  du  district,  le  sous-greffier  du 
tribunal ,  l'adjoint  honoraire ,  les  maires  communaux  de 
Wielko-Zagorze  et  de  Hiecbow,  domiciliés  dans  cette  ville. . 
viennent  d'arriver  àUnieiow,  et;demMnformer  qu'ignorant 
où  se  trouvaient  leurs  familles^  ils  avaient  suivi  à  pied  le 
convoi  de  Patroszyce  et  de  Podlesna-Wola,  et  qu'au  moment 
de  leur  départ,  la  ville  était  déjà  tout  embrasée,  à 

Ce  rapport,  complètement  officiel  est  signé  de  MM.  Janns- 
kieWy  cnef,  et  Ranienski^  secrétaire  du  district  de  Miechow. 

Or*  il  est  bon  de  dire  qu'elle  était,  pour  les  russes,  l'excuse 
de  toutes  ces  cruautés. 

Miechow  avait  une  garnison  de  huit  cents  russes.  Un  déta- 
chement de  deux  cents  insurgés,  désignés  sous  le  nom  de 
zouaves  de  la  mort^  les  attaqua  pour  s'emparer  de  la  ville. 
Une  petite  église  dans  laquelle  s'étaient  retranchés  les  russes, 
fut  bientôt  enlevée  par  ces  zouaves  que  commandait  Roche- 
brun. 

Un  coup  de  fusil  parti  de  la  fenêtre  d'une  maison  voisine, 
tua  le  cheval  du  chef  des  insurgés.  Contusionné  dans  la  chute, 
il  s'élança  cependant  vers  cette  fenêtre,  et  des  cinq  coups  de 
son  revolver»  tua  cinq  hommes. 

Les  russes  se  retirèrent  dans  la  ville  où  les  insurgés  les 
suivirent. 

Mais  aussitôt  arrivés  à  la  place  de  la  caserne,  les  russes  se 
formèrent  en  carré  et  préparèrent  la  caserne  et  le  couvent 
pour  leur  défense. 

Devant  cette  résistance»  les  insurgés  durent  se  retirer  en 
éprouvant  de  grandes  pertes.  Ne  pouvant  se  venger  sur  eux^ 
les  russes  tournèrent  leur  fureur  contre  les  habitants  inoifen- 
sifs.  L'incendie  fut  terrible.  11  dura  trois  jours  entiers.  Quatre 
maisons  seulement  furent  préservées  par  hasard.  L'hôpital,  la 
poste,  le  tribunal,  les  archives  et  le  musée  furent  entièrement  / 
détruits,  après  avoir  été  pillés.  ( 

Nous  devons  ici,  comme  nous  l'avons  fait  quand  notre  récit  » 
a  eu  à  s'occuper  de  Langiewicz  dire  ce  qu'était  le  comman- 
dant des  insurgés  de  Miechow. 

François  Rochebrun,  notre  compatriote,  est  ne  à  Vienne 
(Isère),  le  !•' janvier  1830.  C'est  un  enfant  du  peuple  II  fut 
apprenti  typographe  chez  H.  Timon,  imprimeur  a  Vieune. 
Puis  il  quitta  l'imprimerie  pour  apprendre  l'état  de  piâlrieri 
qu'il  exerça  bientôt  comme  patron. 

Rochebrun  servit  au  17*  léger,  puis  au  62'^  de  ligne.  Il  a 
fait  en  qualité  de  sous-officier  la  campague  do  Crimée. 

53 


41  s  BI8T0IU 

Au  sortir  du  serrice,  il  fut  appelé  en  Pologne  par  H.  Tom- 
kowitz,  riche  propriétaire  du  palatiuat  de  Cracovie^  (]ui  le 
chargea  de  réducation  de  ses  enfants.  Il  revint  ensuite  à  Paris 
où  il  passa  Tannée  1862,  puis  repartit  pour  la  Pologne  où  il 
tint  une  salle  d'escrime. 

Dès  les  premiers  jours  de  l'insurrection,  il  transforma  sa 
clientèle,  deux  cents  jeunes  gens  de  la  meilleure  noblesse 
polonaise,  en  soldats  de  la  cause  nationale.  Ce  fut  le  noyau  des 
zouaves  de  la  moft.  L'aîné  des  fils  Tomkowitz  fut  sous-lieu^ 
tenant. 

Tandis  que  Rochebrun  se  signalait  a  Hiechow,  apparaissait 
sur  un  autre  point  de  la  terre  polonaise  un  autre  héros,  du 
même  âge  que  lui  et  Langiewicz,  polonais  comme  ce  dernier: 
Sigismond  Padlewski.  Sa  lamille  possède  de  grands  biens  dans 
rUkraine  et  la  Podolie.  Il  a  fait  ses  études  à  Funiversité  de 
Kiew;  comme  Langiewicz  il  se  destina  de  bonne  heure  à  Tétat 
militaire  et  suivit ,  à  Saint-Pétersbourg»  les  cours  de  Técole 
d'artillerie  avec  un  tel  succès,  qu'il  fut  nommé  capitaine  de 
la  garde  et  professeur,  bien  qu'il  fût  encore  tort  jeune. 

Deux  ans  plus  tard,  Padlewski  fut  envoyé  par  le  gouverne- 
ment russe  à  l'étranger  pour  y  compléter  ses  études  spéciales. 
C'était  le  temps  où  les  événements  de  Varsovie  commençaient 
à  occuper  l'Europe.  Notre  jeune  officier,  arrivé  à  Paris,  ne 
songea  plus  qu'à  sa  patrie  et  devint  l'un  des  membres  les  plus 
actifs  de  l'émigration  polonaise.  Plus  tard  il  remplaça  Lan-> 
^ewicz  comme  professeur  d'artillerie  à  l'école  de  Cuneo;  cette 
école  ayant  été  supprimée  par  le  gouvernement  italien,  il  re* 
vint  à  Paris  et  bientôt  après  (septembre  1862),  il  partit  pour 
la  Pologne,  où  il  séjourna  sous  un  faux  nom,  iusqu'au  moment 
où  il  put  prendre  rang  parmi  les  plus  intrépides  champions 
de  la  cause  nationale. 

Bientôt  la  guerre,  «-  et  nous  avons  vu  comment  les  rasées 
la  comprennent,  -^  ne  suffit  plus  au  gouvernement  du  Czar. 
La  persécution  va  appeler  à  son  service  les  passions  du  popu* 
laire  iffnorant.  Les  paysans  sont  conviés  à  aider  au  vol  des 
biens  de  leurs  malires.  On  récompense  ainsi  leur  zèle  à  obéir 
aux  instructions  du  lieutenant  du  Czar. 

Le  25  février,  le  grand-duc  Constantin  adresse  cet  ordre  à 
tons  les  chefs  militaires  : 

«  11  est  arrivé  à  la  connaissance  de  Son  Altesse  Impériale 
que  les  paysans  du  royaume,  fidèles  à  leur  souverain  et  à  leur 
serment,  prêtant  partout  leur  appui  à  l'armée,  mettent  tous 
leurs  soins,  pour  aider  au  rétablissement  de  la  tranquillité  et 
de  l'autorité  de  la  loi,  troublées  par  les  ennemis  de  leur  propre 
pajs  et  de  tout  ordre. 

«  Considérant  qu'il  est  indispensable  de  définir  cet  appui 
dans  des  règlements  chiirs^  afin  d'éviter  qu'il  ne  puisse  de- 


ra  LA  BÉYOLOnOll  POLONAin.  lit 

venir  un  danger  pour  les  personnes  et  les  propriétés,  le  grand- 
duc  Constantin  a  daigné  ordonner  ce  qui  suit  : 

a  l'*  Les  autorités  communales  doivent  veiller  sur  toutes  les 
personnes  qui  habitent  la  commune  d'une  manière  fixe  ou 
provisoire,  et  même  sur  celles  qui  ne  font  que  la  traverser. 
Les  gardiens  ou  surveillants  de  ces  communes  seront,  en 
outre,  à  leur  disposition; 

a  2""  Les  maires  et  les  conseillers  municipaux  sont  obligés 
d'arrêter,  sans  délai,  tout  individu  armé  ou  faisant  partie  deg 
bandes  de  perturbateurs,  ainsi  que  tous  les  vagabonds,  et  de 
les  livrer,  avec  le  concours  d'un  certain  nombre  de  paysans,  à 
l'autorité  militaire  la  plus  voisine,  jt 

11  est  utile  de  bien  faire  remarquer  que  cet  ordre,  lancé 
dans  le  but  d^eiciter  le  pauvre  contre  le  riche,  sous  les  trom- 
peux  dehors  d'une  réglemefitation  impossible,  est  l'œuvre  du 

{;rand-duc  Constantin,  le  propre  frère  du  Czar,  un  prince  que 
es  journaux  inféodés  à  la  Russie  représentent  comnl^e  le  plus 
vaillant  de  tous  les  champions  du  progrès,  le  plus  fervent  des 
amis  de  rhumanitc. 

Les  incidents  se  pressent.  Chaque  jour  un  nonveau  combat. 
Chaque  jour  aussi  un  nouveau  crime.  La  plume  se  refuse  à 
tracer  le  récit  de  toutes  ces  horreurs.  Bornons-nous  à  raconter 
les  faits  caractéristiçiues  de  l'oppression  et  de  la  résistance. 

Le  27  février,  trois  cents  faucneurs  et  deux  cents  ftintasshië 
ou  cavaliers,  bien  équipés  et  bien  armés  traversèrent  la  ville 
de  Lodz,  et  établirent  un  camp  à  quelque  dislance. 

On  remarçiuait  parmi  eux  un  jeune  et  beau  volontaire,  et 
on  apprit  bientôt  que  c'était  une  dame,  madame  Micholskâ, 
âgée  de  vingt-trois  ans,  et  mère  de  trois  enfants. 

Trahis  par  des  paysans  allemands,  ces  insurgés  furent  sui:- 
pris  au  moment  de  leur  repas  par  un  corps  d^armée  russe  si 
considérable  qu'ils  reconnurent  rimpossibilité  de  se  défendre 
et  offrirent  de  se  rendre. 

Les  officiers  russes  auraient  consenti,  mais  les  cosaques  ne 
voulurent  pas  perdre  une  aussi  facile  occasion  de  montrer 
leur  bravoure.  Ils  attaquèrent  avec  furie  les  polonais,  qui  vaii- 
dirent  chèrement  leur  vie. 

A  elle  seule,  madame  Mîcholska,  tua  plusieurs  ennemis. 
Elle  fut  cependant  prise,  et  quoique  Ton  connût  facilement 
son  sexe,  elle  fut  immédiatement  égorgée. 

Le  lendemain,  plusieurs  habitants  de  LodE  se  rendirent  sur 
le  lieu  du  combat;  ils  trouvèrent  57  cadavres  d'insuiig^és, 
dépouillés  jusqu'à  la  chemise  et  ayant  au  moins  chacun  six 
ou  sept  blessures;  beaucoup  d'individus,  grièvement  blessés, 
moururent  peu  après,  de  façon  que  cette  affaire  a  coûté  aux 
insurgés  à  peu  près  100  morts.  Les  Russes  emmenèrent  avec 


430  HfSTOIRB 

eux  85  insurgés  prisonniers  et  deux  voitures  remplies  de  sol- 
dats ayant  reçu  aes  blessures  graves. 

Le  père  de  madame  Michoiska  fut  frappé  d'apoplexie  en 
apprenant  la  mort  de  sa  flUe^  et  tous  deux  furent  enterrés 
ensemble  quelques  jours  a|)rès  à  Lodz. 

Un  autre  fait  mérite  aussi  d'être  cité  à  un  tout  autre  point 
de  vue. 

Le  28  février,  un  détachement  d'insurgés  d'une  centaine 
d'hommes  se  troiJVait  campé  aux  environs  deWielun,  près  de 
la  frontière  prussienne  et  de  la  rivière  Prosna  qui  sépare  ia 
Pologne  proprement  dite  du  grand  duché  de  Posen. 

Ce  petit  corps  fut  rencontré  par  une  colonne  moscovite  cinq 
fois  plus  considérable.  Les  polonais  combattirent  vaillam- 
ment. Au  bout  de  2  heures,  leur  chef  fut  tué  et  ils  se  trouvaient 
réduits  à  une  cinquantaine  d'hommes.  Ils  eurent  alors  la 
pensée  de  se  réfugier  sur  le  territoire  prussien. 

De  l'autre  côté  de  la  rivière  Prosna,  ils  trouvèrent  un  autre 
ennemi.  Les  prussiens  les  reçurent  d'abord,  puis  au  nom  du 
droit  des  ^ens  les  désarmèrent,  et,  une  fois  désarmés,  les  re- 
reconduisirent  sur  le  sol  polonais,  la  baïonnette  dans  les 
ireins. 

U  n'en  restait  plus  que  quarante.  D'une  seule  décharge  des 
russes  trente-sept  furent  tués.  Les  trois  autres  passèrent  de 
nouveau  la  Prosna  à  la  nage.  Deux  furent  pris  par  les  prussiens 
<et  livrés  aux  russes  qui  les  achevèrent.  Un  seul  parvint  à 
s'échapper  ! 

Ce  fait  plus  que  tous  les  documents  diplomatiques  dit  élo- 
qnemment  quelle  est  l'opinion  du  gouvernement  de  Prusse 
sur  la  révolution  polonaise. 

Et  tandis  que  ces  événements  s'accomplissaient,  le  gouver- 
nement national  continuait  sa  tâche.  Le  1^  mars,  la  ville  de 
Tarsovie  trouva  en  s'éveillant,  placardée  sur  tous  ses  murs, 
la  proclamation  suivante  : 

c  Concitoyens, 

a  Lorsqu'il  y  a  six  semaines,  une  oppression  sans  exemple 
eût  porté  au  dernier  degré  les  souffrances  du  peuple,  nous 
vous  appelâmes  aux  armes,  pleins  de  confiance  en  la  sainteté 
de  notre  cause  pour  les  droits  de  l'humanité,  pour  la  liberté 
et  l'indépendance  de  notre  patrie. 

a  Notre  confiance  en  la  force  et  la  virilité  delà  nation  polo- 
naise ne  nous  a  pas  trompés. 

«  L'ennemi,  rendu  impuissant,  se  venge  de  ses  défaites 
par  le  meurtre  et  l'incendie,  ment  à  l'Europe,  et  envoie,  après 
chaque  coup  qu'il  reçoit,  des  bulletins  de  victoires  fabuleuses 
à  rOccident. 

«  La  semence  répandue  par  les  mains  des  dénonciateurs  et 


DB  LA  RÉVOLirriOlV  POLONAISE.  HX 

des  traîtres^  n'a  pas  profiié  à  notre  ennemi.  En  souillant  nos 
temples  de  sang  innocent,  il  a  porté  le  scandale  jusqu'au  pied 
de  rautel.  Notre.clergé  a  rejeté^  a^ec  indignation^  renseigne- 
ment des  faux  prophètes  et  s'est  mis  da  côté  du  peuple  oppri- 
mé. Dieu  bénisse  nos  armes  ! 

c  Dans  sa  honte,  Tennemi  a  avoué  devant  le  monde  entiefi 
comment  il  voulait  décimer  notre  population  par  un  recrute- 
ment de  proscription.  La.  population  urbaine  et  les  bandes 
valeureuses  de  la  Jeunesse  des  campagnes  ont  commencé  le 
combat  auquel  prend  part  aujourd'hui  toute  la  nation. 

«  Epuisé  par  sa  guerre  avçc  TOccident,  tourmenté  par  le 
mécontentement  de  son  propre  peuple,  l'ennemi  ne  pouvait 
nous  écraser  par  des  forces  supérieures,  et  s'est  efforcé  pen- 
dant deux  ans  de  tromper  l'Europe  et  nous  leurrer  par  de  pré- 
tendues concessions.  Malgré  toutes  les  déceptions  que  nous 
avait  fait  éprouvé  le  czarisme»  et  la  défiance  qui  en  était  ré- 
sultée pour  les  réformes  qu'il  avait  opérées,  une  partie  de  nos 
concitoyens  se  mitcependant  à  1-œuvre  au  sein  des  institutions 
accordées. 

c  L'expérience  de  Tannée  1862  a  fait  paraître  en  plein 
jour  Tarriëre-pensée  cachée  sous  ces  prétendues  concessions. 
Les  efforts  de  ces  travailleurs  infatigables  furent  dissipés  en 
essais  infructueux,  embarrassés  de  fausses  complications, 
entoura  de  mille  difficultés.  Pas  une  seule  proposition  utile 
des  conseils  de  cercle  n'a  été  mise  à  exécution.  Le  don  de 
rennëmi  a  été  apprécié  à  sa  valeur.  Aujourd'hui,  il  n'y  a  pas 
un  seul  homme  honnête  dans  le  pays  qui  croyant  à  la  fourberie 
moscovite,  se  fasse  l'illusion  de  supposer  qu'il  est  possible  de 
travailler  utilement  pour  la  Pologne  avec  l'ennemi. 

a  Lorsque  des  hommes  peureux  ou  de  peu  de  foi  doutaient 
de  la  possibilité  d'une  insurrection,  nous  n'en  avons  pas  moins 
persisté  dans  notre  croyance  et  dans  nos  opinions  nationales. 
Le  succès  a  convaincu  tout  le  monde.  Parmi  les  propriétaires 
et  les  habitants  des  villes  il  n'y  a  plus  une  âme  véritablement 
polonaise  qui  ne  partage  l'enthousiasme  général  ;  et  les  or- 
dres du  gouvernement  national  sont  reconnus  par  tous  les 
bons  citoyens. 

<x  La  force  du  peuple  des  campagnes  a  toujours  fait  l'effroi 
principal  de  l'ennemi  ;  voilà  pourquoi  tous  les  moyens  furent 
tentés  pour  paralyser  ce  Samson.  Le  renégat  qui  voulut  mettre 
aux  pieds  du  czar  la  Pologne  opprimée,  qui  envoya  des  espions 
parmi  les  cultivateurs  et  les  leurra  de  l'espoir  du  don  de  la 
propriété  d'autrui,  tandis  au'en  môme  temps  il  plaidait  pour 
a  corvée  devant  le  czar,  fut  sincère,  pour  la  première  fois, 
lorsqu'il  déclara,  au  sein  du  conseil  d'Etat  assemblé,  que  nos 
ennemis  avaient  excité  sciemment  et  systématiquement  Firri- 


r. 


481  HttTOlBB 

tation  en  souleTant  la  question  des  paysans  sans  la  régler 
définitivement. 

«  Voilà  i)ourquoi  aussi  le  prenoier  mot  du  gouvernement 
national  a  été  1  Wrancbissement  de  tous  les  enfants  de  notre 
sainte  mère^  la  Pologne  !  Fermant  la  source  du  mécontente- 
ment nourri  par  le  czarisme,  pendant  de  longues  années^  le 
gouvernement  national  a  proclamé  de  suite  raurancbissement 
es  paysans,  et  leur  a  conféré  des  propriétés. 
«  En  rendant  cette  disposition,  il  n'a  nullement  été  dirigé 
par  les  théories  utopiques  ou  subversives  qui  menacent  de 
renverser  les  principes  sur  les(^uels  repose  la  société  civilisée 
dans  le  reste  ne  TËurope,  mais  il  n'a  fait  qu'accomplir  le  vœu 
depuis  longtemps  formé  par  les  propriétaires  nobles  et  mettre 
en  pratique  les  espérances  légitimes  des  cultivateurs. 

<  La  perte  qui  en  résultera  pour  la  propriété  privée  sera 
honnêtement  récompensée  parle  trésor  de  l'Etat.  Le  gouver- 
nement national  prend  la  responsabilité  de  l'exécution  exacte 
de  cette  mesure^  aui  est  conforme  à  la  volonté  des  propriétai- 
res, et  avec  laquelle  cesse  toute  cause  d'animosité  réciproque, 
au  sein  des  populations  rurales.  C'est  pour  cela  que  les  ten- 
tatives d'exciter  les  passions  haineuses,  contre  l'insurrection 
nationale  sont  presque  partout  restées  sans  résultat. 
«  Le  prix  de  cinq  roubles  (20  francs)  que  le  czarisrae  a  offert 

Kur  le  sang  de  nos  frères  n'a  pas  créé  de  fratricides  !  Malgré  les 
lèbres  et  l'abrutissement  dans  lesquels  l'ennemi  a  maintenu 
systématiquement  les  populations  rurales,  l'instinct  honnête 
de  la  nation  polonaise  a  fini  par  prévaloir  sur  l'instinct  anti- 
slave  des  Tartaro*Moscovites.  Partout  où  le  peuple  entend  que- 
3ues  mots  de  vérité  et  de  sympathie,  il  accourt  dans  les  rangs 
es  défenseure  de  la  patrie. 

a  Le  sang  polonais  de  toutes  les  classes  qui  a  coulé  dans  les 
rues  de  Varsovie  j  nous  garantit  que  nos  frères  appartenant  i 
la  religion  israélite  prendront  part  aussi- à  l'insurrection  ac- 
tuelle comme  il  convient  à  de  braves  enfants  du  pays  qui  ont 
reçu  ici  un  accueil  hospitalier,  y  ont  trouvé  leur  vie  et  obtenu 
les  droits  civiques. 

a  Ainsi  donc,  en  avant  avec  courage  l  Avec  nous  est  Dieu, 
avec  nous  sont  les  hommes  de  cœur  de  tous  les  pays,  d 

Ce  document  a  cela  d'important  qu'il  révèle,  d'une  façon 
certaine,  la  portée  de  la  révolution  polonaise.  Comme  on  vieut 
de  le  lire,  le  mouvement  ne  touche  pas  aux  principes  sur  les- 
quels repose  la  société  européenne.  Il  révèle  aussi  un  côté  de 
la  ligne  politique  suivie  par  le  marquis  Wielopolski^  qu'il  dé- 
signe sous  le  nom  peu  parlementaire  de  renégat. 

Après  cette  manifestation  des  sentiments  polonais,  voyons 
une  manifestation  des  sentiments  russes. 

Au  milieu  des  combata  et  des  massacres ,  on  eut  ridée  de 


DK  LA  BÉTOLUTION  P0L0HAI8B.  423 

célébrer  avec  uoe  certaine  solennité  Panniver^aire  de  l'acle 
d^émancipationdu  2  mai  1861.  On  chargeait  les  popes  de  cette 
singulière  mise  en  scène.  Hais^  si  les  agents  religieux  ou  mili- 
taires de  la  politique  russe  ne  manquent  pas  de  bon  vouloir, 
on  ne  peut  faire  autrement  que  de  nier  leur  intelligence. 
Le  gouverment  moscovite  semble  en  convenir  lui-même,  lors- 
qu'il rédigea  Tavance  les  sermons  que  ses  prêtresdoivent  pro- 
iioncer. 

Il  est  heureux,  pour  Tédiflcation  delà  postérité,  gu^on  ait  pu 
connaître  la  teneur  de  ce  sermon  uniforme.  La  voici  : 

«  Je  vous  salue,  mes  chers  amis.  Je  vous  salue  du  plus  pro- 
fond de  mon  cœur,  par  Tannonce  du  plus  grand  bonheur  qui 
puisse  être  donné  à  Thomme  sur  la  terre;  je  vous  salue  par 
rannonce  de  la  liberté  que  vous  recevez  aujourd'hui  de  celui 
dont  la  mémoire  vivra  éternellement  dans  tous  les  siècles,  par 
l'annonce  du  présent  qui  vous  est  octroyé  par  notre  bienfai- 
teur, notre  czar,  notre  bien-aimé  père  Alexandre  II,  l'ami  de 
son  peuple.  Jusqu'à  ce  jour,  vous  ne  jouissiez  d'aucune  liberté, 
vous  étiez  forcés  de  faire  ce  qu'on  vous  ordonnait,  et  d'aller  là 
où  Ton  vous  envoyait.  Jusqu'à  ce  jour  vous  n'étiez  pas  des 
hommes;  mais,  ô  joie!  6  bonheur!  maintenant  vous  êtes  li* 
bres!  Je  vous  salue  donc  avec  les  transports  de  la  plus  viveai« 
légresse. 

a  Vous  savez,  mes  frères,  à  qui  vous  devez  ce  bonheur  su** 
prême.  Je  vous  ai  déjà  dit  le  nom  de  votre  libérateur  dont  la 
mémoire  sera  éternelle.  Quel  don  lui  ferez-vous  en  retour  de 
cette  grande  preuve  de  son  amour  paternel,  de  votre  émanci^ 
pation  récente?  Il  n'a  besoin  d'aucun  de  vos  dons  :  il  ne  de- 
mande que  votre  amour  et  vos  prières. 

a  Que  chaq  ueâme  russe  orthodoxe,  dans  IMvresse  de  sa  Joie,  se 
Jette  à  genoux  ;  que  du  plus  profond  de  son  cœur  elle  prie  Dieu 
d'accorder  à  son  libérateur,  à  son  Moïse,  ses  meilleurs  dons  sur 
la  terre  et  dans  le  ciel!  Russe  orthodoxe,  n'oublie  Jamais  de 

1>rier  pour  ton  bienfaiteur;  apprentis  ce  devoir  à  tes  fils,  qui 
e  transmettront  à  tes  petits-fils  de  siècle  en  siècle  ! 

<  Hais  vous  avez  encore  un  autre  moyen  pour  remercier  di<^ 
gnement  votre  libérateur;  son  âme  est  actuellement  attristée 
par  la  révolte  de  ceux  qui  naguère  étaient  vos  maîtres,  ie  veux 
dire  les  Polonais.  Ils  essaient  de  séparer  notre  terre  natale  de  la 
Russie,  notre  sœur  dans  la  foi.  Us  veulent  vous  arracher  à  la 
tutelle  protectrice  du  czar  russe  orthodoxe,  votre  libérateur^ 
]>eut-étre  même,  par  leurs  funestes  cabales,  chercheront- ils  a 
TOUS  faire  retomber  dans  le  dur  esclavage  dont  vous  êtes  au* 
jourd'hui  délivrés.  Us  l'ont  déjà  demandé  à  votre  czar;  ils  ont 
même  osé  dire  dans  leur  adresse,  que  vous-mêmes  vous  vou* 
Uez  vous  séparer  de  lui  et  de  la  Russie,  pour  être  incorporés  à 
la  Pologne.  J'ai  conflancg  dans  le  sentiment  unanime  d'indi- 


424  HISTOIKI 

gnalion  avec  lequel  vous  accueillerez  la  triste  nouvelle  de 
cette  lâche  calomnie  quMlsont  proférée  devant  votre  libéra- 
teur. Oui;  mon  âme  en  est  profondément  convaincue,  on  vous 
a  indignement  calomniés  dans  res|;)rit  du  czar.  Hais  lui,  notre 
bien-aimé  père,  comment  saura-t-il  que  c'est  réellement  une 
calomnie,  tant  que  vous  ne  lui  attesterez  pas  qu'on  Ta  trompé 
sur  votre  compte? 

<x  Que  de vons*noas  faire?  me  demandez-vous.  Je  vous  ré- 
pondrai :  Voici  ce  que  vous  devez  faire.  Ecrivez  sur  un  papier, 
qu'on  vous  a  calomniés  devant  le  czar;  que  vous  jurez,  pour 
vous  et  pour  vos  descendants,  de  vivre  et  de  mourir  sous  l'au- 
torité de  notre  bienfaiteur,  et  (][ue  vous  ne  voulez  entendre  ja- 
mais parler  ni  de  la  Pologne,  ni  des  Polonais.  Nous  enverrons 
ensuite  ce  papier  à  notre  czar.  » 

Le  lecteur  est  renseigné  sur  les  finesses  de  la  prédication 
orthodoxe  russe.  Hais  ce  qui  serait  risible ,  si  la  pensée  ne  se 
refusait  pas  à  toute  émotion  autre  que  Thorreur,  en  présence 
de  la  conséquence  espérée  de  ces  machinations,  rest  rinstruc- 
tion  dont  le  gouvernement  moscovite  accompagnait  le  modèle 
de  sermon.  Cette  instruction  est  confidentielle  et  tris-secrète; 
mais  il  est  heureux  pour  Thistoire  que  le  mystère  n^ait  pas 
enveloppé  un  semblable  document. 

a  Le  discours  ci-joint  ne  peul  manquer  de  faire  éclater  un 
témoignage  unanime  d'assentiment  ;  il  faut  donc  tenir  toute 
prête  l'adresse  en  question  et  la  faire  signer  sans  retard.  Cola 

!)eut  se  faire  après  le  service  divin  ;  mais  il  vaudra  mieux  le 
aire  avant. 

«  Le  discours  doit  être  prononcé  de  mémoire,  sans  que  le 
desservant  tienne  entre  les  mains  un  cahier  ou  un  [)apier 
quelconque.  Car  il  est  très-important  que  toute  la  conduite  de 
cette  affaire  soit  couverte  du  plus  épais  mystère  et  entièrement 
cachée  aux  regards  de  nos  ennemis;  qu'elle  ne  soit,  enuo 
mot,  connue  que  de  Dieu  seul. 

a  Désormais,  à  l'énumération  abrégée  des  titres  de  l'Empe- 
reur,  qui  est  lue  pendant  la  grand'messe,  on  devra  ajouter  ces 
mots  :  Libérateur  du  peuple  russe. 

«  Quant  à  l'Adresse,  elle  doit  être  écrite  directement  à 
PEmpereur  et  à  son  nom  personnel,  en  ces  termes  : 

a  Nous  soussignés,  en  [)résence  du  Dieu  très-haut  et  très- 
c  juste,  réunis  dans  son  temple  au  jour  solennel  et  à  jamais 
a  mémorable  de  notre  délivrance  de  Fesclavage,  attestons,  par 
<i  le  présent  écrit,  et  jurons  à  notre  très-miséricordieux  lioé- 
(c  rateur,  le  grand  czar  et  empereur  Alexandre-Nicolaévitsch, 
a  que  des  hommes  pervers  nous  ont  calomniés  devant  lui  en 
(<  disant  que  nous  ne  voulions  pas  vivre  et  mourir  sous  Tau- 
«  torilé  de  notre  czar,  d'éternelle  mémoire,  de  notre  bien- 
«  aimé  père  Alexandre  II  et  de  ses  successeurs  ;  au  contraire 


DE  LA  RÉVOLUTIOR  POLONAISE.  425 

«  nous  voulons  rester  inséprablement  unis  à  la  Rassie,  notre 
«  sœur  dans  la  foi,  et  n'avoir  rien  de  commun  avec  la  Pologne 
a  et  les  Polonais.  j> 

a  On  aura  soin  de  faire  siçner  cette  adresse  par  tons  ceux 
qui  savent  écrire  ;  ceux  qui  ne  savent  pas  écrire  devront 
aire  une  croix  en  présence  du  desservant  ou  de  son  diacre. 

«  Les  Adresses  doivent  être  envoyées  le  même  jour  au  doyen 
par  les  popes,  pour  être  ensuite  remises  à  Tévéque  qui,  de 
son  côté^  les  fera  parvenir  aux  gouvernements  généraux,  char- 
gés de  les  transmettre  à  FËmpereur. 

a  Le  texte  de  ces  Adresses  peut  être  modifié  dans  la  forme; 
l'essentiel  ne  consiste  que  dans  le  sens  et  non  dans  l'expression 
plus  ou  moins  éloquente.  » 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  le  paysan  lithuano-ruthénien  est 
dans  ^ignorance  la  plus  complète^  et  qu'il  ne  sait  ni  lire  ni 
écrire^  ce  qui  explique  Tuniformité  et  Punanimité  de  ces 
adresses^  dont  le  gouvernement  russe  eut  le  singulier  courage 
de  se  faire  une  arme  contre  l'Europe  sympathique  à  la 
Pologne. 

Quoi  de  plus  simple ,  en  effet,  que  d'amonceler  dès  croix 
sous  un  document,  lorsqu'on  a  joué  si  bat)ilement  sur  les  dates 
d'un  décret  aussi  solennel  que  celui  qui  proclamait  l'aboli- 
tion de  l'esclavage  ! 

Après  de  tels  détails,  le  ridicule  disparaît  pour  ne  laisser 
de  prise  qu'au  dégoût. 

Reprenons  donc  la  suite  des  événements  militaires.  Voici 
un  jeune  héros  dont  la  bravoure  et  l'habileté  vont^  pendant 
quelques  instants^  reposer  l'esprit  lassé  de  toutes  ces  tur<> 
pituaes:  Mielencki. 

Ainsi  que  faisait  Langiewicz  sur  la  frontière  de  Gallicie» 
Mielencki  tenait  la  campagne  entre  Konin  et  Powidz^  sur  la 
frontière  de  la  Silésie.  Déjà  dans  une  foule  de  rencontres,  il 
avait  battu  les  Russes,  et  avait  même  poussé  l'audace  jusqu'à 
es  poursuivre  sous  les  murs  de  la  ville  de  Kasimir. 

Le  grand-duché  de  Posen  (Pologne  prussienne)  lui  fournis- 
sait des  volontaires,  qui  bravaient  à  la  fois  les  soldats  russes 
et  prussiens  pour  se  réunir  à  lui. 

Les  Russes,  effrayés  de  l'importance  que  Mielend^i  prenait 
chaque  jour,  envoyèrent  des  renforts  à  la  garnison  de  Konin. 

Le  1*^  mars,  trois  cents  volontaires  vinrent  de  leur  côté  ren- 
forcer la  petite  armée  de  Mielencki. 

Un  corps  russe  qui  entravait  ses  mouvements  fut  complète- 
ment taillé  en  pièces,  près  de  Dobroslaw,  village  du  gouver- 
nement de  Varsovie,  situé  à  deux  lieues  seulement  de  la 
rentière  prussienne. 

Le  1*'  mars  au  soir,  les  Polonais  occupèrent  le  village  et 

U 


426  RISTOIBS 

reposèrent  pour  pouToir^  le  lendemain^  tenter  une  attaque 
sérieuse.     ^ 

Le  2,  Mielencki  divisa  sa  troupe  en  deux  détachements,  afin 
deforcer  Tennemi  à  se  diviser.  Un  de  ses  meilleurs  lieutenants 
ce  sépara  donc  dt?  lui^  tandis  qu'il  marchait  droit  aux  Russes. 

A  peine  celte  séparation  venaitelle  de  s'effectuer,  que  les 
Russes  arrivèrent,  a  Timproviste,  avec  des  forces  cinq  ou  six 
fois  supérieures  en  nombre  et  dirigèrent,  contre  la  petite 
troupe  de  Mielencki,  une  attaque  vigoureuse  que  celle-ci,  du 
reste,  soutint,  pendant  plus  d'une  heure,  avec  un  courage 
admirable.  Surprise  au  moment  où  elle  allait  se  mettre  en 
marche,  elle  fit  des  prodiges  de  valeur  et  disputa  le  terrain 
pied  à  pied  ;  mais  son  chef,  ne  voulant  pas  sacrifier  inutile- 
ment tant  de  courages  héroïques,  se  décida,  vers  le  soir,  à 
abandonner  une  position  et  à  rallier  ses  hommes  en  bon 
ordre,  à  quelque  distance  du  village  qui  fut  aussitôt  occupa  par 
les  Russes. 

Dobroslaw  vit  alors  se  renouveler  les  scènes  de  désolation 
et  de  carnage  dont  nous  avons  eu  déjà  souvent  à  retracer  le 
tableau.  Le  village,  comme  tant  d'autres,  fut  pillé,  saccagé  : 
les  habitants  :  femmes»  vieillards,  enfants,  qui  s'étaient  réfu- 
giés dans  des  granges,  furent  impitoyablement  massacrés.  On 
se  fatigue  à  retracer  et  sans  doute  à  lire  les  récits  de  toutes  ces 
atrocités  ;  il  faut  pourtant  rapporter  deux  faits  attestés  par  un 
témoin  oculaire,  échappé  avec  beaucoup  de  peine  à  ces  hor- 
ribles piassacres. 

«  Un  jeune  médecin  qui,  de  Ronin,  était  venu  se  joindre 
aux  volontaires  pour  soigner  les  blessés,  avait  trouvé  asile 
dans  une  maison  servant  d'ambulance.  Surpris  par  les  Russes 
il  fut,  sans  égards  pour  son  âge ,  son  dévouement,  sa  profes- 
sion, percé  d'abord  de  dix  coups  de  baïonnette,  puis  fusillé 
parce  qu'il  n'expirait  pas  assez  vite. 

«  Sur  le  lieu  du  combat,  des  soldats  russes,  ayantremarqué 
le  corps  d'un  des  plus  jeunes  et  des  plus  nobles  descendants 
d'une  vieille  famille  posnanienne,  se  mirent  à  lui  frapper  ou 
plutôt  à  lui  écraser  le  crâne  à  coups  de  crosse,  en  Papostro- 
p^jant  d'odieuses  plaisanteries  et  pour  voir,  disaient-ils,  sUl 
avait  la  tête  dure. 

a  Enfin,  un  malheureux,  nommé  Sléphonowitch,  étendu 
parmi  les  morts  et  les  mourants,  ayant  osé  demander  un  peu 
d'eau  et  du  secours,  a  été  odieusement  achevé.  Quant  aux 
paysans  réfugiés  dans  les  granges  et  dans  les  greniers,  on  les 
attachait  deux  par  deux  pour  les  fusiller. 

On  peut  affirmer,  car  sur  ce  point  tous  les  récits  sont  d'ac- 
cord que,  du  côté  des  Polonais,  le  nombre  des  tués  pendant  le 
combat  de  Dobroslaw,  ne  s'est  pas  élevé  à  plus  de  quatre,  k 
cause  des  moyens  de  défense  naturels  que  présentaient  les 


DE  LA  RBVOLOTtOlf  POLONAISE.  427 

maisons,  les  jardins  et  les  baies.  Et  pourtant  on  a  ramassé 

Elus  de  quarante  cadavres  dans  la  partie  du  village  où  avait  eu 
eu  celte  sanglante  rencontre  !  C'est  donc  après  la  lutte,  quand 
déjà  les  volontaires^  ne  se  défendant  plus,  commençaient  à 
se  replier,  que  les  Russes  ont  frappé  et  égorgé  sans  pitié  les 
blesses,  les  paysans,  les  prisonniers,  les  vieillards,  tous  ceux 
en  un  mot  qui  ont  eu  le  malheur  de  tomber  entre  leurs 
mains. 

Le  4  mars,  dix-huit  jeunes  gens  à  cheval  s'étaient  arrêtés  à 
la  chute  du  jour  à  la  ferme  de  Szydlovin,  propriété  du  feu 
général  Szydlowski>  entre  les  villages  de  Nakowy  et  deKrynica. 
'S'y  croyant  en  sûreté,  ils  résolurent  d'y  passer  la  nuit. 

Ils  étaient  couchés  dans  une  grange,  lorsque,  vers  six  heures 
du  matin,  la  ferme  fut  envahie  par  une  demi  sotnia  de 
cosaques  (50  hommes),  qui,  dès  qu'ils  eurent  découvert  la  pré- 
sence des  patriotes,  entourèrent  la  grange  et  manifestèrent 
Tintention  d'y  mettre  le  feu. 

Les  insurgés,  reconnaissant  l'impossibilité  de  se  défendre, 
ouvrirent  la  porte  et'se  rendirent  à  merci.  Les  cosaques,  pous- 
sant une  clameur  de  joie  féroce,  les  tirèrent  de  la  grange,  les 
traînèrent  à  cinquante  pas  dans  la  plaine,  et,  après  les  avoir 
complètement  déshabillés,  firent  sur  eux  une  décharge  de 
carabines  à  bout  portant. 

Puis  ils  achevèrent  ceux  qui  n'étaient  que  blessés,  en  les 
frappant  sur  la  lête,  sur  les  épaules,  et  même  en  leur  ouvrant 
le  ventre  à  coups  de  sabre. 

En  les  massacrant  de  la  sorte,  ces  barbares  trouvaient  ingé: 
nieux  de  vociférer  les  commandements  des  insurgés  : 

^  Messieurs  les  faucheurs,  en  avant  ! 

—  Messieurs  les  lanciers,  en  avant  I 

Et  lorsque  ces  malheureux,  couverts  de  sang,  jetaient  des 
cris  de  douleur,  ils  riaient  et  les  contrefaisaient. 

Ce  massacre,  qui  bientôt  ne  fut  plus  qu'unCv  suite  dinsultes 
à  des  cadavres,  dura  une  heure.  . 

Et  le  plus  âgé  de  tous  ces  martyrs  n'avait  pas  vingt-quatre 
ansi 

Les  russes  mirent  ensuite  le  feu  aux  granges  et  aux  étables 
dont  ils  avaient  préalablemens  fait  sortir  et  confisqué  le  bé- 
tail. Ceci  terminé  ils  tirèrent  des  coups  de  fusil  dans  les  fenê- 
tres de  la  maison  principale,  ordonnèrent  aux  habitants  de 
leur  livrer  les  meubles  et  l'argent  et  montrant  les  corps  morts 
épars  dans  la  plaine,  ils  criaient  : 

— Regardez,  voici  votre  sang,  buvez-le.  C'est  ainsi  que  nous 
égorgerons  tous  les  polonais. 

Quand  tout  fut  pillé,  et  que  les  cadavres  des  morts  furent 
dépouillés  de  leurs  vêtements,  on  eu  chargea  cinq  chariots» 


428  HiSTonB 

et  on  les  amena  à  Siedlce.  A  l'arrivée,  on  s'aperçut  que  plu- 
sieurs de  ces  malheureux  vivaient  encore. 

On  fut  obligé  d'employer  la  force  pour  les  arracher  aux 
cosaques^  et  les  transporter  à  Thôpital. 

Le  lendemain,  à  Krzyvosonckz^  où  se  trouvaient  quelques 
blessés,  les  russes  procédèrent  de  même.  Un  jeune  médecin 
accomplissait  son  pieux  devoir.  On  l'avait  appelé  d'une  ville 
voisine,  Krosniewice,  sans  lui  dire  à  l'avance  à  quels  gens  il 
allait  donner  ses  soins. 

Les  russes  le  clouèrent  en  croix  contre  un  mur  !... 

Ils  lui  déchirèrent  le  sein  à  coups  de  baïonnette  i... 

Et  Tachevèrent  à  coups  de  fusil. 

Pendant  qu'ils  pillaient ,  à  Krzywosoncz ,  un  habitant 
se  permit  de  leur  rappeler  une  circulaire  du  prince  Constan? 
tin  : 

—  C'est  bon  pour  le  public,  répondit  un  chef  de  cosaques. 
Nous  avons  d'autres  instructions. 

Ce  cosaque  avait  raison.  Il  eût  mieux  fait  de  dife  :  C'est  pour 
TEurope  i  car  malgré  son  impertinence  à  Tégard  des  puissan- 
ces européennes,  la  Russie  éprouve  souvent  la  nésessité  de 
donner  le  change  sur  ses  procédés,  et  de  cacher  les  ordres 
qu'elle  donne  à  ses  sbires. 

Mais  bien  que  récents^  tous  les  faits  relatifs  à  la  Pologne 
sont  déjà  du  domaine  de  l'histoire.  Aussi  possédons-nous  les 
plus  curieuses  des  instructions  secrètes  de  la  Russie. 

En  voici  une  : 


«  Au  commandant  du  district  de 


«  Il  est  inutile  et  embarrassant  de  faire  affluer  ici  une  foule 
de  gens  suspects.  D'ailleurs  les  paysans  ne  se  soucieraient  pas 
d'aUer  les  prendre  et  les  conduire  ici  ^e  trop  loin,  et  beau- 
coup sont  délivrés  ou  s'échappent  en  route;  il  faudrait  donc 
y  remédier  et  engager  les  paysans  à  se  conduire  en  fidileê 
sujets  de  P Empereur. 

«  C'est  pourquoi  vous  êtes  autorisé  à  payer,  à  votre  quartier 
même,  les  récompenses  promises  pour  les  rebelles  et  les  gens 
suspects  amenés  (morts  ou  vifs  sans  doule)  ;  vous  pouvez  mê- 
me, si  vous  en  voyez  la  nécessité,  élever  la  récompense  à  peu 
près  dans  la  lattitude  suivante,  à  savoir  :  30  roubles  pour  un 
chef  et  10  rs.  pour  un  officier  de  rebelles,  5  roubles  pour  un 
szlachcic  (noble),  3  rs.  pour  un  rebelle  pris  en  armes,  2  rs. 
pour  les  suspects  retenus  au  chef-lieu,  et  i  r.  pour  un  juif  ou 
un  paysan.  » 

Cette  circulaire  est  signée  parle  chancelier  Szumanow^  par 
ordre  du  gouverneur  général  adjudant,  Nazimow. 

Si  ces  instructions  sont  barbares,  on  peut  voir  que  l'élite  de 


DB  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  129 

la  société  russe  pousse  plus  loin  encore  la  férocité.  Voici  un 
fait  à  la  date  du  5  mars. 

Une  compagnie  de  troupes  est  rejointe^  dans  les  environs 
de  Rawa,  par  une  compagnie  de  la  garde^  au  moment  où  elle 
venait  de  rencontrer  un  rassemblement  dMnsurgés  et  de  leur 
faire  quelques  prisonniers  qui,  par  une  très-honorable  eicep^ 
tion  avaient  été  jusque-là  traités  avec  humanité. 

Les  officiers  de  la  garde  demandent  à  les  voir.  Le  capitaine 
Potyniew,  qui  commandait  la  compagnie  de  ligne^  les  fait 
amener  devant  eux  sans  défiance.  Celaient  tous  des  jeunes 
gens  bien  élevés  et  quelques-uns  même  de  très-bonne  fa- 
mille. 

A  peine  furent-ils  amenés^  que  les  officiers  de  la  garde^ 
malgré  les  remontrances  du  capitaine  Potyniew,  firent  subir 
à  ces  malheureux  les  plus  lâches  traitements,  les  insultant, 
les  frappant,  leur  crachant  au  visage. 

Qu'on  juge  de  Feffet  de  tels  exemples  sur  des  soldats  déjà 
disposés  à  tous  les  excès  I 

Le  lecteur  voit  avec  quel  soin  nous  recherchons  tous  les 
faits  qui  montrent  quelque  russe  n'obéissant  pas  aux  instruc- 
tions, au  mot  d'ordre  de  lâche  persécution,  émanésdes  régions 
supérieures  du  pouvoir.  Du  reste,  de  semblables  récits  font 
réellement  du  bien  à  la  cause  polonaise.  Us  montrent  par  le 
contraste,  tonte  la  hideur  du  système  moscovite. 

Le  10  mars,  le  capitaine  russe  Tideman,  faisait  une  perqui- 
sition au  couvent  de  Sulejow,  pour  y  trouver  des  armes,  lors- 
qu'on vint  lui  annoncer  que  ses  soldats  brisaient  à  coups  de 
hache  les  portes  de  l'église. 

Il  y  courut  pour  empêcher  cet  acte  de  vandalisme,  mai 
deux  baïonnettes  de  ses  propres  soldats  s'abaissèrent  aussitô 
sur  sa  poitrine,  et  le  cri  Na  sztycliy  jeho  (tuez-le  i)  fut  aussitô 
poussé  par  ces  furieux. 

Sans  l'arrivée  d'un  autre  détachement,  c'en  était  fait  du 
capitaine  Tideman. 

Le  jour  même  un  incident  du  même  genre  se  passait  à 
Radoszyce. 

Une  perquisition  faite  chez  un  fermier  n'avait  amené  que 
la  découverte  de  deux  fusils  de  chasse  avec  un  permis  du 
général  russe  qui  commandait  à  Radom.  Le  capitaine  Kakuskin 
ordonna  aussitôt  la  retraite,  mais  il  fut  menacé  par  ses  soldats 
qui  l'accusèrent  de  connivence  avec  les  insurgés,  et  malgré 
lui  pillèrent  la  maison  de  ce  fermier. 

'  Quand  la  compagnie  rejoignit  le  régiment  auquel  elle  appar-. 
tenait^  on  arrêta  les  principaux  coupables,  mais  ils  furent  im- 
médiatement délivrés  par  leurs  camarades. 

En  France  de  semblables  événements  seraient  impossibles. 
En  Pologne,  l'autorité  militaire  russe  est  souvent  heureuse  de 


430  HISTOIRE 

celle  insubordination  qui  ne  rend  pas  Tarmée  meilleure^  il 
est  vrai,  mais  garantit  à  l'occasion  contre  le  manque  de  bo.ur- 
reaux  ! 

Ne  terminons  pas  ce  chapitre  sans  raconter  la  fin  glorieuse 
d'un  chef  de  bande. 

On  le  nommait  Casimir  Boj^anowics. 

Il  devait  ôtre  exécuté  à  Lublin>  le  12  mars,  à  six  heures  du 
matin. 

Quand  il  Ait  sur  la  place  où  il  allait  être  (ùsillé,  le  général 
russe  Cbruszczeff  s'approcha  de  lui  : 

^Demandes  grftce  lui  dit-il,  vous  êtes  si  jeune  ! 

«-C'est  vrai^  répondit  Bogdanowics,  mais  notre  cause  est 
vieille. 

«^Vous  avez  une  mère»  répartit  ChruszczeiT. 
'  -«Elle  aurait  honte  de  moi,  répliqua  le  jeune  martyr,  si  je 
demandais  grâce.  Du  reste  ,  pourquoi  jouons-nous  cette 
comédie  inutile?  11  est  six  heures  dix  minutes  vous  êtes  en 
retard. 

Un  instant  après,  Bogdanoviricz  tombait  pour  ne  plus  se 
iwever. 

Ainsi,  en  Pologne  on  ne  peut  déjà  olus  croire  à  la  pitié. 
Gomédiel  a  dit  ce  martyr  en  rudoyaiit  un  soldat  qui  avait 
peut-être  nn  bon  mouvement  de  générosité. 

La  nation  de  Sobieski  n'a  plus  qu'une  foi>  comme  elle  n'a 
plus  qu'une  espérance. 

Sa  m,  son  espérance,  c'est  son  épée! 


Dl  LA  RÉTOLUnON  POLONAISI.  4Î1 


CHAPITRE  XVm 

Ungîcwîci  dictateur.  —  Le  conseil  de  guerre.  —  Langiewicz  prigonnier 
—  Le  gouvernement  national  reprend  son  autorité.  —  L'oplDion  de 
1  Angleieire.  -  L'opinion  de  la  France.  -  Russes  et  Polonais  -T 
Lafenir  de  rinsurrection.  -  Reprise  du  récit.  -  M.  Déodat  Leikrs 
U  PrusM  et  les  insurgés.  ^  Une  amnistie  du  Czar.  ^  Protestation 
contre  1  amnistie.  —  Un  curieux  document  officiel.  —  U  conduite  do 
clergé  polonais  pendant  Tinsurrection.  —  Encore  la  Prusse  —  Petite 
géographie  de  la  Pologne  et  du  pays  slave.  —  Mort  de  trois  chefs 
français.  —  Proclamation  du  gouvernement  national.  —  Biographie 
de  Narbutt.  ~  Le  général  Toll.  -  Mort  de  Paldlews^.  ^  Physionomfe 
de  r msurrection,  —  Mourawièf  à  Viina. 

Langiewicz  nommé  dictateur^  rinsurrection  entrait  dans 
une  nouvelle  phase. 

On  allait  abandonner  la  guerre  de  partisans,  grossir  cetle 
armée  dont  nous  avons  vu  la  composition,  et  marcher  sur 
les  russes  comme  sur  un  ennemi  ordinaire. 

Cétail  respoir  de  la  Pologne,  espoir  JusUflé  par  l'admirable 
instinct  militaire  du  Jeune  général. 

Hais  aussi  la  Russie  allait  changer  de  tactique.  Il  ne  sV 
gissail  plus  pour  elle  de  massacrer  quelaues  bandes  d'in- 
surgés, de  bi-ûler  quelques  villages,  de  faire  régner  une 
terreur  qui  ressemblât  à  Tordre,  li  fallait  qu'elle  s^apprêtât  à 
combattre  un  ennemi  régulier,  et  les  l'usses  sont  faits  depuis 
longtemps,  à  la  guerre.  ^ 

La  campagne  de  Crimée  leur  a  donné  même  un  ranir  dis« 
tingué  parmi  les  nations  militaires.  ^ 

Les  généraux  russes  oublièrent  un  instant  leurs  habitudes 
de  chefs  de  bandits,  pour  reprendre  leurs  vieilles  traditions 
On  enveloppa  Langiewicz  d'un  formidable  cordon  sanitaire' 
Il  obtint  malgré  ce  déploiement  des  forces  ennemies  auelaues 
avantages  partiels,  à  Zagosc  el  à  Grochowisko,  mais  il  s'a- 
perçut  bienlôl  qu'il  ne  pouvait  plus  tenir  campagne. 

Dans  la  nuit  du  19  au  20  mars,  vers  minuit,  il  convoqua  un 
conseil  de  guerre  a  Welce,  près  de  Grochowisko. 

On  décida,  entre  autres,  qu'il  fallait  revenir  à  la  guerre  de- 
parlisans,  laquelle  avait  été  en  partie  négligée  par  suite 'ï-* 
1  accroissement  subit  du  corps  de  Langiewicz  ;  qu'il  fallalli 


de 

;>ar 


432  BISTOIRB 

conséquentséparercecorpsen  deux  grands  dctachementset en 
d'autres  plus  petits  qui  combattraient  comme  par  le  passé  et 
seraient  envoyés  dans  différentes  directions. 

La  chose  était  considérée  comme  d'autant  plus  urgente, 
qu'il  était  impossible  de  nourrir  une  aus^  grande  quantité 
d'hommes  et  de  chevaux. 

On  désigna  les  chefs  de  ces  détachements»  car  Langiewic; 
devait  se  rendre  dans  une  autre  partie  du  pays,  afin  d'or- 
ganiser le  même  système  de  guerre  suivant  une  même  idée 
et  une  même  direction. 

Par  suite  de  manque  d'officiers  dans  les  autres  contrées  et 
de  leur  affluence  dans  le  corps  de  Langiewicz,  celui-ci  devait 
prendre  avec  lui  plusieurs  orûciers  supérieurs  et  leur  donner 
des  commandements  dans  diverses  localités. 

Pour  que  tout  ce  plan  d'opérations  pût  réussir»  il  devait 
être  secret»  et  l'ordre  du  jour  de  Langiewicz  ne  fut  commu- 
niqué aux  polonais  qu'après  un  commencement  d'exécution 
du  projet. 

Les  deux  petites  armées  eurent  pour  chefs  Smiechoroski 
et  Czachowski.  Trois  détachements  moins  important  furent 
confiées  au  commandement  de  Rochebrun»  Jezioranski  et 
Waligorski. 

Ces  dispositions  prises  Langiewicz»  ne  pouvant  traverser  les 
lignes  russes»  et  voulant  se  transporter  sur  un  autre  point  delà 
Pologne» passa  la  frontière  autrichienne  à  laquelle  son  armée 
était  adossée»  avec  l'inlenlion  de  rentrer  par  un  autre  point» 
hoi'S  de  la  portée  des  forces  moscovites. 

Il  entreprit  ce  voyage  en  compagnie  de  mademoiselle  Pous- 
tovtrojtoï»  seuls»  avec  deux  passeports  suédois  au  nom  de 
M.  Waligorski  et  son  fils. 

Hallieureusemenl  l'identité  des  faux  Waligorski  fut  re- 
connue par  un  agent  autrichien.  Il  furent  arrêtés  tous  deux, 
passèrent  la  nuit  du  19  au  20  mars  sous  bonne  garde  à  Uscie- 
Jansieki,  et  furent  le  20  conduits  à  Tarnow.  De  là  on  les 
envoya  à  Cracovie  où  ils  séjournèrent  dix  jours. 

L'ex-dictateur  demanda  à  résider  à  Tiscbnowilz,  près 
Briinn»  et  mademoiselle  Pousiowojloï  choisit  Prague  pour  son 
séjour.  Le  gouvernement  aulrichien»  les  y  ût  conduire»  avec 
toutes  sortes  d'égards. 

C'en  était  fait  de  la  direction  unique  à  donner  au  mouve- 
ment militaire.  Le  gouvernement  national  reprit  aussitôt  le 
pouvoir»  et  Tannonça  le  21  par  cette  proclamation  : 

a  La  dictature  prise  par  un  général  est  tombée  le  19  mars» 
et  le  pouvoir  suprême  du  pays  passe  de  nouveau  aux  mains  du 
Comité  central  national^  siégeant  à  Varsovie»  qui  n'a  pas  cessé 
*de  remplir  les  devoirs  de  gouvernement  provisoire,  et  qui  est 
le  seul  pouvoir  constitué  du  pays. 


DS  LA  lÉtOLUTiOR  POLOHAISB.  133 

M  Le  retour  de  la  direction  suprême  aux  maina  des  hommes 
qui  ont  proYoqué  l'insurrection  nationale  et  Font  guidée  avec 
persévérance^  vous  garantira  que  l'insurrection  sera  main-^ 
lenue^  et  qu'elle  ne  se  terminera  que  par  la  victoire.  Nous 
combattrons  sans  reiflcbey  sans  nous  laisser  abattre  par  les 
revers,  sans  nous  laisser  arrêter  par  les  obstacles  qui  peuvent 
surgir. 

«  Nous  ne  concentrerons  pas  le  pouvoir  suprême  dans  une 
seule  main,  car  cela  pourrait  avoir  pour  résultat  la  chute  de 
l'insurrection  ;  mais,  forts  du  sentiment  du  droit»  nous  résis- 
terons fermement  à  toutes  les  tentatives  que  pourraient  faire 
des  factions  pour  élever  des  pouvoirs  indépendants  de  nous. 

c  Compatriotes,  c'est  avec  un  espoir  et  une  foi  inébranlable 
une  nous  reprenons  en  mains  les  rênes  de  l'Etat;  habitués  à 
écarter  les  oangers,  nous  sommes  convaincus  que  nous  par- 
viendrons aussi  à  surmonter  les  périls  qui  résultent  de  la 
chute  du  dictateur. 

«Fidèles à  la  cause  dont  le  drapeau,  que  nous  tenons,  em- 
pêche toute  division  dans  notre  sein,  nous  demandons  obéis* 
sauce  à  tout  le  peuple. 

«  Aux  armes  I  Tennemi  est  encore  devant  nous.  Nos  frères 
tombent  i  Al'armée  est  aujourd'hui  la  place  de  tout  Polonais  I 

Avant  de  reprendre  le  récit  des  événements,  il  nous  paraît 
utile  d'apprécier  cette  phase  de  la  révolution  polonaise. 

Ce  qui  est  remarquable  dans  ce  grand  mouvement,  c'est  la 
fusion  complète  des  opinioqs  et  des  castes ,  c'est  l'obéissanCd 
absolue  à  ce  gouvernement  anonyme,  qui  ne  représente  ni 
république,  ni  monarchie,  mais  bien  lindépendance  natio- 
naie. 

Or,  un  homme  peut-il  ne  représenter  absolument  que  cette 
idée  d'indépendance.  Tout  individu,  héros  ou  tribun,  n'a-t-il 
pas  derrière  lui  un  passé  dont  les  conséquences  sont  écrites, 
de  fait  ou  de  drqit  sur  le  drapeau  qu'il  porte  ? 

La  Pologne,  en  suivant  Langiewicz,  marchait  dans  la  voie 
politique  que  suivait  Langiewicz. 

En  obéissant  sans  intermédiaire  au  gouvernement  national, 
la  Pologne  ne  sert  que  l'idée  d'une  Pologne  indépendante,  se- 
parée  de  la  Russie. 

Cette  dernière  condition  lui  donne-t^elle  plus  de  force  ou 
plus  de  faiblesse  ? 

La  dictature  a  duré  huit  jours. 

Le  gouvernement  national  a  déjà  duré  près  d'un  an. 

Les  faits  parlent  plus  éloquemmentque  les  discours.  Ils  ont 
leur  conclusion  logique,  immuable. 

L'Angleterre,  sympathique  à  la  Pologne,  n'est  pas  précisé- 
ment de  l'avis  des  faits. 

Un  voyageur  anglais,  parcourant  ce  malheureux  pays  peu 

53 


A4  iisltMlift 

de  ifirn\A  apfts  U  thnU  du  pouvoir  dictàtok*i.il,  écrivît  au  jèur- 
lUkl  The  Speeialof,  une  longue  lettre^  qui  hioutre  une  CDn>- 
naissande  profonde  des  hommes  et  des  choses,  et  à  laquelle 
doùs  aurons  plus  d'un  emprunt  à  fcilre. 

Ali  sujet  des  deux  moyens  d^action)  Pécritaiti  anglais  tfBx* 
priide  ainsi  i 

a  Là  où^  à  mon  avis,  le  gouvernement  national  a  été  le 
ifaoitis  heut^ut.  c'est  dàiis  la  conduite  de  la  guerrei  Je  ne  nie 
(MS  le  lar^e  et  brillant  succès  d'uà(9  insurrection  commencée 
sabs  espoir,  et  t}hi  aujourd'hui  ée  soutient  contre  des  forces 
^Ibs  que  doableis,  dans  trois  provinces  au  moins^  Hais  je  pense 

St'il  y  A  eu  défaut  de  plan  et  de  concert  dans  les  opérations 
ililliiréS;  et  dispositioti  à  gaspiller  un  temps  irréparable  en 
ébhtkiô-marcHes  et  eh  escarmouchiôs. 

«  LiBi  première  faute  est  en  partie  la  conséquence  de  la  corn- 
^sIHbn  dû  jgodverbement.  Dans  les  commencements  e^était 
un  corps  purement  démocratique. 

è  Une  fois  la  gticf  re  commencée^  nnflnence  des  nobles  et 
Aè  lÀbourg6ohiié,sabsle  concours  desquels  on  ne  pouvait  rien 
faire,  ne  tarda  pas  à  se  faire  sentir,  et  la  nomination  de  Langie- 
¥ict  cottltne  drctateut*  tût  en  réalité  un  petit  coup  d'Etat,  dans 
le  but  dtè  sûb^tilbéf  un  pouvoir  aristocratique  à  un  cMWi 

a  Malbéurétisett)ént>  on  s'était  trop  bftté  t  Langîewicz  ftit 
Jeté  hot:s  du  pays,  et  le  conseil  ètécutif  actuel  est  un  corps 
ttiiile,  dans  lequel  l'élément  démocratique  a  la  prépondérance 
fln  taombî^,  et  Télément  aristocratique  celte  de  l'influence. 
Toute  dissension  active  est  susptftndue  en  présence  du  danger 
commun;  mais  chaque  parti  entretient  contre  l'autre  unecer^ 
t^ine  JAlbusie^  Lbs  démocrates  sont  surtout  attentifeà  écarter  le 
|)éril  d'une  seconde  dictature,  et  ils  ont  même,  dit-on>  dépré-^ 
cié  une  victoire  importanle  i^mportée  par  un  de  leurs  meil- 
leurs généraux,  J'ériorabski,  dans  la  craints^  que  sa  grande 
jréptitâion  ée  MéVftt  bu  souverain  pouvoir.  Getie  disposition 
conserve  à  la  guerre  le  caractère  d'une  guerre  de  partisans. 

«  Toutefois^  je  né  doute  pas  qu'un  nomme  d'une  capadté 
supérieure  ne  pérvtnt  à  vaincre  ces  jalousies,  qui  sont  com* 
munes  à  tous  les  pays  libres.  La  préférence  pouk"  le  système 
(ictuél  de  j^timY/a»  vient)  je  pense,  d'un  vtf  sentiment  du 
dommage  éprouvé  par  la  défaite  de  Langie^ici,  d'une  résolu** 
tion  ai'rétée  de  ne  pas  tout  risquel*  d'un  seul  coup,  et  encore 
plus  d'un  désir  de  gagner  du  temps,  dans  Tespoit  d'une  inter- 
vention européenne.  Tout  dernièrement  encore,  on  croyait 
avec  confiance  par  toute  la  Pologne  que  la  France  s'interpose- 
rait si  la  rébellion  se  soutenait  elle-même.  A  qui  revient  la  res- 
ponsabilité d'avoir  excité  ces  espérances,  c'est  à  l'histoire  de 
le  décider,  le  penche  à  croire  qw  le  canctèirc  tn^p  «rdent  des 


DB  LA  BÉVatUnM:  POLONAUB.  Wi 

eiilés,  portés  à  trop  te  fier  à  Topinioii  pubUqqei  «  été  \%  piin^ 
cipale  seuroe  de  cette  fatale  iUusioQ.  m 
\  En  France,  on  ne  partage  pas  ce  doute  de  l^éerivaîp  apgl^i^t 
\  On  croit,  au  contraire^  au  auecè$  de  ce  pài|veir  apopyme,  Ces 
ôlémenls  divers  qui  le  coioposent  en  lout,  ^elon  npi^s,  Ig  vefir 
tnble  repré^eotant  de  la  Pologne  entière,  qjvisce  dao$  sçs  4sph 
râlions  fgturesi  mais  opanime  dans  ses  aspirations  présentas.. 

Dn  r^stei  au  n^oment  niêm^  oi)  tpipbdii  la  dictature^  penr^ 
Martin  résunuât  ainsi  la  situation  : 

a  Un  grand  maltieur  a  frappé  la  juçte  qause  ! 

«  Le  jeuqe  cbef  qui,  par  ses  talents  et  son  courage  avait 
fait  accepter  sa  dictature  à  une  ^révolution  d^abord  multiple  et 
anonyme^  est  momentanément  perdu  pour  elle. 

a  Nous  n'avons  pas  à  dîscoter  iei,  les  circonstauce^  de  cet 
épisode  de  Tinsurrection.  Hais  il  importe  de  dire  que  U  prîsil 
de  possession  de  cette  dictature  avati  été  tint  fQUt$i  et  que  le 
retour  à  la  direction  multiple  et  anmyfM,  a  été  la  aalut  de 
l'insurrection  polonaise.  Le  comité  central  de  Varsovie,  dont 
le  patriotisme  avait  ratifié  la  dictature  pour  éviter  la  diseorde» 
a«u,  depuis  prévenir  par  sa  fermeté  toute  tentative  du  mdnM 

Senre,  réunir  dans  son  action  collective  les  éléments  Ips  j^iip 
ivers^  et  faire  ce  qu'on  n'eût  obtenu  d'aucun  cbef  ni  d*auouB 
nom,  en  maintenant  la  guerre  dans  la  seule  forme  qui  pftt 
empêcher  Tennemi  d'user  de  ses  resouvces,  si  s upérieurei^ 
pour  étouffer  promptement  rinsuvrection.  Ce  gonvernemeâ 
sera  Tun  des  phénomènes  les  plus  extraordinaires  de  1- bistoirt» 

«  Une  impression  de  douleur  et  de  itontteroatioa  a  aaisi  AU 
premier  moment  les  amis  de  la  Pologne. 

«  Il  y  a  eu  douleur»  certes,  mais  buILb  eonsterpatiop,  quI 
découragement  chez  les  Polonais.  Nul  ne  s'arrête,  nul  n-bàrils 
devant  la  mauvaise  nduveUe. 

«  Les  Polonais  disparaissent  de  tqus  las  pays  d'Europe  |  0J1 
ils  étaient  dix,  ils  ne*sont  plus  que  deux  ;  où  il  y  pn  avait  deux, 
il  n'y  en  a  plus.  Le  jeune  bomme  à  la  barbe  naissante  part; 
le  vieux  proscrit  de  1831  part,  abandonnant  une  place»  up 
travail  qu'il  ne  retrouvera  plus  au  milieu  de  la  oouourren^ 
étroite  et  nombreuse  de  rOccic^ent.  Us  vendent  lisur  paMvre 
patrimoine  ;  la  Pologne  se  soulève,  la  Pologne  a  b(99Pin  d'eux, 
il  n'y  a  pas  à  réfléchir  :  il  faut  pat tiv. 

«  Ceux  du  dehors  continuent  de  se  diriger  en  foule  vers  la  pa- 
trie; de  ceux  du  dedans,  pas  un  ne  pose  les  arfues»  La  petite 
armée,  quoique  mutilée,  a  glissé,  pour  Ainsi  dire,  entre  les 
mains  ennemies  qui  l'étreignaient;  elle  s'est  fragmentée  ^n 
guérilias  qui  recojnmeticent  à  éparpiller  la  guerre. 

a  L'instinct  des  Polonais  ne  les  trompe  pas.  Nous  étions 
trompés,  nous,  par  nos  habitudes  et  nos  souvenirs;  nous  nous 
figurions  toujours  la  guerre  régulière,  la  grande  Wprr#,  ie 


199  .  Hinoia 

général  perdu»  c'était  pour  nous  tout  de  suite  une  bataille  dé- 
cisive perdue  ;  nous  nous  reporttons  à  la  campagne  de  1831 , 
au  dernier  choc  devant  Praga  :  Consommatum  est. 

«  Rien  de  pareil.  La  guerre  ne  finit  pas  ;  on  pourrait  presque 

dire  qu'elle  commence.  La  dictature  ne  Pavait  pas  créée  et  ne 

I  remporte  point  avec  elle.  La  guerre  n'était  pas  seulement  où 

était  Langiewicz,  mais  partout  :  des  portes  deCracovie  àcelles 

I  de  Moliilevir,  de  la  Warta  aux  marais  de  Pinsk,  de  laPodolie  à 

la  Samogitie. 

c  Les  habitudes  et  les  idées  de  centralisation  que  nous  por- 
tons en  toutes  choses,  nous  avaient,  Dieu  merci»  fait  illusion. 

«  La  guerre  dure  et  durera  !  » 

Cest,  du  reste,  à  la  chute  de  Langiewicz  que  l'on  sût  réel- 
lement ce  qu'était  la  Pologne. 

Jusqu'à  cette  phase  de  l'insurrection  de  1863,  la  science 
russe  nous  montrait  dans  l'ancienne  Pologne  une  agrégation 
factice  qui  s'était  dissoute  pour  ne  plus  se  reformer.  Hais  ces 
ombres  se  sont  dissipées,  et,  comme  le  dit  Henri  Martin,  nous 
avons  vu  partout  s'agiter  d'un  môme  frémissement  les  mem- 
bres épars  de  Tancienne,  de  la  vraie  Pologne.  On  ne  peut  plus 
demander  où  elle  est  I  —  Ne  disputons  pas  sur  telle  ou  telle 
ville,  sur  tel  ou  tel  district  I  —  Elle  est  partout  où  s'étend  la 
civilisation  polonaise,  partout  où  règne  l'esprit  polonais.  Il  n'y 
a  plus  aujourd'hui  un  homme  sérieux  en  France  qui  s'arrête 
aux  traites  de  1815  et  prenne  pour  une  solution  le  rétablisse- 
ment du  petit  royaumede  Varsovie.  On  discute  sur  ce  qui  doit 
ou  sur  ce  qui  peut  se  faire,  sur  ce  qui  doit  se  faire  aujourd'hui 
ou  sur  ce  qui  doit  se  faire  demain  ;  on  ne  discute  plus  entre 
1815  et  1772. 

La  Russie,  tout  naturellement,  ne  cAnmence  qu'où  finit  la 
Pologne.  Hais  qu'est-ce  que  la  Russie? 

D'un  c6té,  nous  voyons  éclater  chez  les  Polonais  tons  les 
signes  des  plus  brillantes  races  européennes  :  le  génie  cheva- 
leresque, l'activité,  la  spontanéité,  la  libre  expansion,  l'en- 
tente et  l'action  commune  par  l'unité  de  sentiments,  par  une 
aorte  d'électricité  sympathique  et  non  par  le  mécanisme  de 
masses  impersonnelles;  les  femmes  enflammant  le  courage  des 
hommes  et  ajoutant  une  poésie  nouvelle  à  la  poésie  de  l'hé- 
t*oîsme. 

D'autre  part,  qu'estpce  qui  frappe  nos  yeuxt 

Nous  ne  parlons  pas  des  cruautés  ordonnées  de  sang-froid 
par  le  pouvoir! 

Nous  parlons  de  la  façon  dont  l'armée  russe  pratique  la 
guerre. 

Nous  faisons  allusion  a  cet  esprit  de  destruction,  à  cette  pas- 
sion ,  pareille  à  celle  des  animaux  féroces,  de  faire  le  d&ert 


m  LA  mkmLïrmm  polohaub.  437 

autour  de  soi,  passion  qai  se  réveille  avec  le  cri  de  guerre 
chez  un  peuple  assez  doux  à  ses  sillons  et  dans  ses  foyers. 

N'y  art-il  pas  là  tous  les  signes  d^une  race  étrangère  à  TEu* 
rope^  d'une  race  qui  n'est  pas  la  nôtre? 

La  tète  et  le  cœur  de  la  vraie  race  alave,  ce  n'est  pas  la  Rus- 
sie, c'est  la  Pologne!.... 

Une  Pologne  nouvelle,  affranchie  de  corps  et  d'esprit,  la- 
tine, grecque  et  juive  tout  à  la  fois,  qui  suivra  toutes  les 
croyances  dans  la  liberté,  comme  naguère  dans  le  martyre... 

Voilà  ce  qu'on  peut  nommer  le  vrai  Panslavisme! 

De  tout  ce  qui  précède  que  doit-on  conclure  T 

La  Pologne  peut-elle  lutter  victorieusement  contre  la  Mos* 
covie? 

Oui,  parce  que  les  Russes  Pont  mise  dans  Fimpossibilité  de 
croire  à  une  solution  pacifique.  Ce  n'est  plus  pour  une  idée 

£ie  les  Polonais  se  battent,  c'est  pour  la  défense  de  leur  exis- 
nce  matérielle. 

Il  semble  que,  dans  cette  guerre,  la  Russie  ait  juré  d'effacer 
complètement  la  trace  de  la  race  slave. 

Or,  pour  résister  à  cette  persécution .  pour  prévenir  un 
peuple  en  armes  contre  les  mille  dangers  oe  l'oppression,  vaut- 
il  mieux  un  pouvoir  anonyme  ou  une  puissante  dictature? 

Pour  la  défense,  le  pouvoir  multiple  est  incontestablement 
préférable. 

Mais  rien  n'empêche  de  supposer  qu'un  jour,  bourreaux 
et  victimes,  s'arrêteront  lassés;  que,  du  sein  de  cette  lutte, 
surgira  un  homme  puissant  qui  changera  la  face  des  choses, 
6t,groupant  autour  de  lui  toutes  les  forces  de  son  parti,  balaiera 
les  débris  du  parti  adverse. 

Si  cet  homme  survient,  il  ne  pourra  être  russe,  car  alors  ÇQ 
serait  un  autre  Attila  devant  lequel  l'Europe,  dresserait  une 
barrière  infranchissable. 

Si,  au  contraire,  c'est  un  polonais,  c'est  que,  sorti  ou  non 
de  la  lutte,  il  sera  assez  grand  poUr  résumer  en  lui  la  Pologne 
toute  entière,  —  comme  un  jour.l'Italie  s'est  vue  grande  dans 
la  personne  de  Garibaldi  1 

Or  bel  homme,  ce  ne  peut  être  ni  Langiewicz,  ni  Rochebrun, 
ni  Hierolavski,  ni  aucnn  de  ces  héros.  Ils  ont  du  courage,  de 
la  bravoure;  ce  sont  de  grands'et  beaux  caractères;  mais  ils  ne 
suffisent  pas  à  ce  peuple  héroïque,  à  cette  nation  aux  annales 
merveilleuses,  qui  s'est  personnifiée,  à  plusieurs  siècles  de 
distance,  en  Boleslas,  en  Sob)e6ki,en  Kosciuszko! 

Pour  la  dictature  d'une  nation  en  armes,  il  faut  un  prestige 
et  non  pas  un  prestige  local. 

Lançiewicz  est  tombé,  et,  s'il  eût  tenu  encore,  la  Pologne 
se  serait  divisée.  Ceux  qui  étaient  grands  par  la  naissance  ou 
las  exploits,  ne  se  seraient  pas  rangés  volontairement  sous  le 


188  BlITOllB 

drapeau  du  Jeune  chef.  Le  malheur  a  eimâuté  ruAion,  Un 
succès  de  la  dictature  eût  créé  ia  discorde. 

Langiewicz  est  tombé  et  la  Pologue  s'est  trouvée  plus  forte 
après  sa  chute. 

Nul  ne  sait  comment  finira  la  lutte. 

Nul  ne  sait  comment  Taction  providentielle  se  manifestera. 

Nul  ne  sait  quelle  voix  sera  assez  forte  pour  dire  à  la  Po- 
logne t  Marchons  I 

Mais  ce  que  l'on  ne  peut  nier,  c'est  que  la  voix  du  gouver-- 
nement  national  est  assez  puissante  pour  lui  dire  :  Résiste  1 
et  que,  dans  son  obéissance,  la  Pologne  trouve  la  force  néœs- 
saire  pour  résister. 

Reprenons  les  événements  étrangers  à  la  campagne  de  Laiir 
giewicz,  à  Tépoque  où  il  fut  proclamé  dictateur. 

Nous  trouvons  le  13  mars,  à  Zamosc,  un  chef  de  cosaques, 
se  faisant  remettre  par  un  intendant  toutes  les  sommes  dont 
il  devait  compte  à  son  maître,  afin,  disait-il  que  cet  argent 
ne  fût  pas  saisi  par  les  insurgés.  Comme  le  digne  intendant, 
nommé  Horawski  demandait  à  cet  officier  un  reçu,  il  fut  im«- 
média'ement  poignardé.  Le  même  jour,  aux  environs  de 
Kielce.  eût  lieu  un  engagement  qu'un  officier  russe  raconte 
ainsi  dans  un  Journal  de  Saint-Pétersbourg;  le  Sank-Pêterê^ 
burskiê'  Wiedomosti  : 

a  Nous  nous  avançâmes  vers  la  forêt,  où  nous  fûmes  reçi» 
à  coups  de  fusils,  et  où  nous  perdîmes  quelques-uns  des  nôtres. 
Après  avoir  pris  un  neu  de  repos,  nous  gagnâmes  lé  lendemain 
la  ville  de  Wolhowsk,  où  se  trouvaient  beaucoup  de  révoltés. 
L'attaque  fut  chaude,  et  pour  les  déloger,  on  mit  le  feu  à  la 
ville.  C'était  un  affreux  spectacle. 

«  Obligés  de  revenir  sur  Kieice,  nous  traversâmes  da  nou- 
veau le  grtss  bourg  que  nous  avions  lai&é  Tavant^veille  et  0«, 
cette  fois,  un  polonais  armé  d'une  pique  se  jeta  sur  nous* 
malgré  les  efiTorts  désespérés  de  sa  femme  pour  te  retenir;  ils 

Eérirent  tous  deux  en  se  défendant,  ei  la  ville  fUt  incêndiéeê^* 
fous  délivrâmes  ouelques  prisonniers  russes. 

a  Les  chefs  de  bandes  sont  presque  tous  des  prêtres;  nous 
en  avons  tué  dnq.  La  vie  est  abondante  et  facuet  la  volaille 
tort  commune... 

<  Nous  allâmes  ensuite  à  Skaszow  pour  attaquer  un  détache- 
ment de  Langiewicz;  la  lutte,  dans  laquelle  U  eut  quarante 
hommes  tués  et  cent  blessés,  dura  plusieurs  heuri^s;  après 
quoi,  nous  ineendtûmet  la  ville...  » 

S'il  est  affreux  de  songer  à  ces  trois  villes  incendiées  en 
deux  jours  n'est-il  pas  horrible  de  penser  qu'un  4)fficier  russe 
raconte  ces  événements  en  si  peu  de  lignes  et  avea  tant  de 
légèretét 

Et  que  Poo  ne  considère  pas  oes  faits  comme  isolée.  Les 


DB  LA  RÉVOLUTION  POLONAISE.  4)9 

officiers  el  soldats  rosses  pouvaient  continuer  leur  teuvre.  A 
ime  grande  revue^  le  15  noars,  le  propre  frère  deTempereur, 
le  grand  duc  Constantin,  n'avait-il  pas  dit  aux  troupes  : 

«  Soldais!  je  suis  Qer  de  vous  commander  1...  » 

L*exception  étail  au  contraire  dans  les  nobles  actions.  Lô 
lendemain  de  cette  revue^  à  Giebullowo^  tandU  que  l'on  faisait 
une  perquisition  chez  le  {propriétaire  du  château,  H.  Bielski^ 
un  major  russe  nommé  Ëentkowski,  empêcha,  au  péril  de  sa 
vie,  le  pillage  d'avoir  lieu,  et  saiiva  ses  soldats  de  cette,  honte, 
en  menaçant  de  son  revolver  le  premier  qui  Jui  résisterait. 

Le  15  mars,  à  Stanin,  lés  insurgés  eurent  une  rencoutrie 
avec  les  russes.  Ces  derniers  furent  repoussés,  mais  ils  revin- 
rent le  lendemain,  et  se  vengèrent  par  le  pillage  et  l'incendie^ 
sur  les  habriants  ineffènsilTs. 

Le  21,  sur  les  bords  d'une  petite  rivière,  le  Wierpz,  &  là 
suite  d'une  autre  rencontre  où  ils  avaient  eu  le  dessous^  led 
russes  s'ennparèrent  de  cinq  hommes,  quatt*e  femmes  et  huit 
enfants,  les  fustigèrent  et  après  les  avoir  solidement  attachés, 
lesmirentsur  une  barque,  entourés  de  matières  inflammables, 
àuxqtlelles  ils  miteiit  le  f(^ut... 

A  côté  de  cet  horrible  tableau,  et  pour  faire  diversion,  citont 
la  proclamalioti  adressée  le  24  mars,  par  Hielencki  aui  in- 
Burgés.  Elle  a  un  intérêt  taut  spécial  pour  des  lecteurs  français  : 
c  Goftipagnons  d'arnœs  1 

«  Je  TOUS  remerofe  du  omirage  dont  tous  aveft  fait  preuve 
dans  les  deux  combats  qui  ont  eu  lieu  successivement  te 
22  mars. 

<  Malgré  les  forces  supérieures  contre  lesquelles  vous  aviez  à 
lutter,  malgré  votre  arniemeni  défectueux  et  notre  organisation 
hâtive,  vous  arez,  dans  une  série  de  combats  glorieux,  prouvé 
que  vous  étiec  de  vrais  enfants  de  la  Pologne,  tous  dignes  de 
vos  pères,  par  votre  bravoure  et  votre  grand  cœur. 

<  Continuez  cette  lutte  héroïque:  là  est  rindépendance»  là 
est  la  liberté  1 

«  Nommer  tous  ks  braves  qui  ont  fait  leur  devoir,  ce  serait 
vous  nommer  tous  ;  mais  il  faut  que  je  distingue  M.  Déodat 
Le  Jars,  ancien  eotiave,  enfantée  ^^(/«gémbiubuse  France  sous 
iet  irspeimx  de  laquelle  nos  pères  ont  tant  de  fois  combailu. 
lielars  a  versé  son  sang  pour  notre  noble  et  juste  cause»  en 
xouave  français,  c'est-à-dire  en  héros.  Je  le  |)orte  donc  à  l'ordre 
du  jour  et  le  nomme  capitaine. 

«  MlBLENGU.  s 

Le  25  mars,  à  Rowel,  les  Kusses,  battus  encore  par  les  Polo- 
nais, revinrent  le  soir  sur  le  champ  de  bataille,  pour  achever 
les  blessés,  Deuxfemmes^qui  lessoignaient,  furent  en  butte  aux 
brutalités  de  ces  misérables,  mais  Tune  d'elles  ayant  poignardé 


440  HISTOIU 

le  soldat  qui  Pavait  choisie  pour  sa  proie^  elles  furent  immé- 
diatement fusillées. 

Le  28^  à  Raclawice^  un  combat  ayant  duré  toute  laionmée,  ' 
les  Russes^  pour  protéger  leur  repos,  eurent  l'idée  d'attacher 
à  des  poteaux,  en  avant  de  leur  bivouac,  les  quarante«cinq 
habitants  d'un  petit  hameau  quMls  incendièrent.  Les  insurgés 
arrêtèrent  effectivement  leur  feu,  et  profitèrent  de  la  nuil 
pour  prendre  une  position  plus  avantageuse. 

Le  lendemain  matin,  les  Russes  ne  trouvant  plus  leurs 
ennemis,  s'en  vengèrent  en  ensevelissant  tout  vifs  les  qua- 
rante-cinq paysans  qui  les  avaient,  —  involontairement  il  est 
vrai,*- protèges  pendant  la  nuit. 

Si  les  Polonais  excitent  la  svmpathie  de  tous  les  peuple 
libres,  ils  n'ont  pas,  en  revancne,  à  compter  sur  Taffection 
du  roi  de  Prusse.  Tandis  que  le  peuple  prussien  leur  témoi- 
gnait de  sa  sympathie,  le  ministre  de  la  guerre  envoyait  au 
général  Werder,  qui  commandait  sur  la  frontière,  le  rescrit 
suivant,  relatif  aux  insurgés  qui  pouvaient  s'enfuir  sur  le  sol 
de  la  Prusse. 

a  l^'En  général,  ces  individus  seront  traités  d'après  les 
conditions  de  la  convention  de  cartel  conclue  entre  la  Prusse 
et  la  Russie,  le  8  août  1857  (c'est-à-dire  livrés  aux  Russes). 

€  2»  S'il  n'est  pas  possible  de  renvoyer  immédiatement  les 
individus  qui  passent  la  frontière,  ils  doivent  être  considérés 
comme  en  état  d'arrestation  et  conduits  à.la  ville  prussienne 
la  plus  voiMne« 


«  4*  Après  l'arrestation,  il  y  a  lieu  de  procéder  immédiate- 
ment à  l'interrogatoire  pour  constate^  Pidentité  des  prison- 
niers et  les  circonstances  de  leur  arrivée.  En  raison  de  cet 
interrogatoire,  ils  seront  divisés  en  catégories  dont  dépendra 
la  façon  de  leur  extradition  et  le  remboulrsement  des  frais. 

c  5*  Ces  catégories  seront  les  suivantes  : 

a  A.  Insurgés  à  traiter  d'après  les  articles  15  à  17  delà  con- 
vention, |>arce  qu'ils  ont  commis  en  Russie  un  crime  ou  délit, 
(c'est-à-dire  à  livrer  aux  Russes). 

«  B.  Non  insurgés,  mais  individus  d'ftge  à  être  tenus  au 
service  militaire,  auxquels  sont  applicables  les  articles  1  à  9 
de  la  convention  de  cartel  (c'est-à-dire  à  renvoyer  aux  Russes). 

Telle  était  l'attitude  que  crut  devoir  prendre  le  gouverne- 
ment prussien,  tandis  que  l'Eurone  entière  frémissait  d'indi* 
gnation  au  récit  des  crimes  de  la  Russie. 

Le  jour  de  Pâques,  le  grand-duc  Constantin  accorda  aux 
habitants  de  Varsovie  la  faveur  de  pouvoir  se  promener  jus- 
qu'à dix  heures  du  soir.  Hais  au  premier  coup  des  horloges, 
les  cosaques  exécutèrent  une  charge  à  fond  de  train  dans  les 


DE  LA  BâVOLUTION  POLONAISB.  441 

rues.  Deux  cents  personnes  furent  tuées  ou  blessées,  et  cent 
cinquante  furent  arrêtées  et  enfermées  à  la  citadelle. 

— Monseigneur,  disait  ce  soir-là  au  grand-duc,  Lowszyn,  le 
chef  de  la  police,Yarsovie  possëdeencore  une  population  virile 
trop  nombreuse.  Tant  que  Votre  Altesse  impériale  n'aura  pas 
éloigné  ce  foyer  permanent  d'agitation  et  de  mécontentement, 
il  me  sera  impossible  de  répondre  de  la  tranquillité.  Le  recru- 
tement a  manqué  son  effet;  il  7  a  encore  a  Varsovie  vingt 
mille  hommes  de  trop. 

— ^Faites,  répondit  le  grand-duc;  mais  pas  de  sang. 

Le  czar,  pour  donnerle  changeàl'opinion  publique,  crut  faire 
un  coup  de  maître  en  proclamant,  le  12  avril,  une  amnistie, 
pour  tous  les  Polonais  qui  déposeraient  les  armes  dans  le 
délai  d^un  mois,  a  A  nous,  disait  l'Empereur,  est  imposée  Fo- 
bliçation  de  préserver  le  pays  du  retour  de  ces  agitations  con- 
traires à  l'ordre,  et  d'ouvrir  une  nouvelle  ère  à  sa  vie  poli- 
tique. Celle-ci  ne  pourra  être  amenée  que  par  une  organisation 
rationnelle  de  l'autonomie  dans  l'administration  locale  comme 
fondement  de  l'édifice.  Nous  en  avons  donné  les  bases  dans 
les  institutions  que  nous  avons  accordées  au  royaume,  mais, 
à  notre  regret  sincère,  le  résultat  n'a  pu  encore  être  soumis  à 
répreuve  de  l'expérience,  par  suite  des  excitations  qui,  à  la 
place  des  conditions  d'ordre  public  indispensables  à  toute 
réforme,  ont  mis  les  chimères  de  la  passion. 

«  En  maintenant  encore  ces  institutions  dans  leur  intégrité, 
nous  nous  réservons,  quand  leur  utilité  sera  prouvée  par  la 
pratique,  de  les  développer  davantage  suivant  les  besoins  du 
temps  et  du  pays.  C'est  uniquemement  par  la  confiance  que  le 
pays  témoignera  vis-à-vis  de  nos  intentions  que  le  royaume 
de  Pologne  pourra  effacer  les  traces  du.malheur  présent,  et 
marcher  sûrement  au  but  de  notre  sollicitude.  Nous  invoquons 
l'assistance  divine  pour  qu'il  nous  soit  donné  d'accomplir  ce 
que  nous  avons  constamment  regardé  comme  notre  mission,  » 

A  l'annonce  de  cette  amnistie,  à  laquelle,  du  reste,  personne 
ne  crut,  le  gouvernement  national  publia  une  proclamation, 
repoussant  toute  grftce,  toute  faveur  impériale,  et  se  terminant 
ainsi  : 

«  Au  souvenir  de  tant  de  cruautés  du  gouvernement  mos- 
covite, à  la  vue  de  toutes  ces  tombes  encore  fraîches  et  de  tant 
de  victimes,  à  la  vue  des  débris  fumants  de  nos  villes,  de  nos 
campagnes  et  du  sang  encore  chaud  de  nos  frères  assassinés, 
quiconque  a  un  cœur  réellement  polonais,  frémira  d'horreur 
à  la  pensée  d'un  pacte  quelconque  avec  la  Russie,  rejettera 
Tamuistie  avec  mépris  et  s'écriera  avec  la  nation  :  Arrière 
avec  vos  grfices  impériales  !  Nous  avons  pris  les  armes,  ce 

56 


U2  HISTOIU 

sonl  les  armes  seules  qui  doivent  résoudre  notre  querelle  avee 
les  Russes.  » 

A  celte  énergique  protestation,  nous  devons  joindre  la 
lettre  adressée  au  czar  par  Tarchevêque  de  Varsovie,  à  la  suite 
de  sa  démission  de  membre  du  conseil  d'Etat,  où  il  avait  siégé, 
même  depuis  rinsurrecUon,  ainsi  quHui  certain  nombre  de 
ses  compatriotes,  dans  un  esprit  de  conciliation  et  d'abnéga- 
tion. Voici  cette  lettre  : 

«  Sire,  ce  fut  toujours  la  mission  de  TEglise  de  porter  la 
voix  aux  puissants  de  ce  monde,  dans  les  moments  de  grands 
mallieurs  et  de  calamités  publiques.  C'est  au  nom  de  ce  privi- 
lège et  de  ce  devoir  qu^en  ma  qualité  de  premier  pasteur  du 
royaume  de  Pologne ,  J'ose  m'adresser  à  Votre  Majesté,  pour 
lui  exposer  les  besoins  pressants  de  mon  troupeau.  Le  sang 
coule  à  grands  flots j  et  la  répression,  au  lieu  d'intimider  les 
esprits,  n'en  fait  qu'augmenter  Texaspération.  Je  supplie  Votre 
Majesté,  au  nom  de  la  charité  chrétienne  et  au  nom  des  inté- 
rêts des  deux  pays,  de  mettre  fin  à  cette  guerre  d'extermina- 
tion. Les  institutions  octroyées  par  Votre  Majesté  sont  insuffi- 
santes pour  assurer  le  bonheur  du  pays  :  la  Pologne  ne  se 
contentera  pas  d'une  autonomie  administrative^  elle  a  besoin 
d'une  vie  politique. 

«  Sire,  prenez  d'une  main  forte  l'initiative  dans  la  question 
polonaise  ;  faites,  de  la  Pologne,  une  nation  indépendante, 
unie  à  la  Russie  seulement  par  le  lien  de  votre  auguste  dynas- 
tie :  c'est  la  seule  solution  qui  soit  capable  d'arrêter  l'effusion 
du  sang  et  de  poser  une  base  solide  à  la  pacification  définitive. 

a  Le  temps  presse.  Chaque  jour  perdu  creuse  davantage 
l'abtme  entre  le  trône  et  la  nation.  N'attendez  pas,  Sire, l'issue 
définitive  du  combat  ;  il  7  a  plus  de  vraie  grandeur  dans  la  clé* 
mencc  qui  recule  devant  le  carnage  que  dans  une  victoire 
qui  dépeuple  un  royaume.  Une  grande  parole,  digne  de  la  ma- 
gnanimité d'un  grand  souveraifi,  suffit  pour  nous  sauver. 
Nous  l'attendons  de  la  bouche  de  Votre  Ms^esté. 

a  J'ose  espérer  que  le  monarque  qui  a  délivré  du  servage, 
malgré  tant  d'obstacles,  vingt  millions  de  ses  sujets  pour  eo 
faire  des  citoyens  libres,  ne  reculera  pas  devant  la  tâche  éga- 
lement glorieuse  de  faire  le  bonheur  d'une  nation  si  cruelle- 
ment éprouvée.  Sire,  c'est  la  Providence  qui  vous  a  confié  ce 
peuple,  c'est  elle  qui  vous  soutiendra,  c'est  encore  elle  qui 
vous  réserve  une  couronne  de  gloire  éternelle,  si  vous  arrétex 
une  fois  pour  toujours  le  flot  de  sang  et  de  larmes  qui  coule 
depuis  si  longtemps  en  Pologne. 

«  Pardonnez,  Sire,  la  franchise  de  mon  langage  :  mais  le 
moment  est  solennel.  Pardonnez  à  un  pasteur  qui,  témoin  de 
malheurs  immenses,  ose  intercéder  pour  son  tronpeau.  » 

A  l'appui  de  plusieurs  des  traits  de  barbarie  que  nous  avons 


OE  LA  BÉV<IUITiOII  POLONAISE.  «3 

publiés,  nousavoDS  cité  âps  pièces  officielles,  des  rapporte  pro- 
venant des  autorités  russes»  Il  est  bien  certain  que  ces  pièces 
officielles  n'ont  pu  être  livrées  à  la  publicité  que  par  suite 
d'indiscrétions  des  employés  d'administration.  G^est  ce  qui 
inspira^  le  18  avrils  au  comte  Keller,  directeur  de  la  commis- 
sion (le  rintérieur  ^  la  circulaire  qu'on  va  lire,  et  qui,  rendue 
publique  elle-même^  malgré  son  caractère  confidentiel,  est 
fort  curieuse  par  ses  appréciations.  La  voici  : 

«  Dans  les  rapports  déposés  à  la  chancellerie  sur  les  opéra- 
tions de  l'armée,  depuis  le  commencement  de  la  révolte, 
Mii-il,  les  gouverneurs  civils  exposent  sévèrement  ei  autcbeaa- 
rcup  de  partialité  les  pumtionê  infligées  aux  villes  et  villages 
convaincus  d'avoir  donné  asile  aux  rebelles.  Ite  n'omettent 
aucun  de  ces  détails  insignifiants  qui  sont  la  conséquence 
INÉVITABLE  de  la  guerre,  dans  un  pays  révolté.  Tout  au  con- 
traire, ils  présentent  les  faits  commis  par  les  rebelles,  qu'ils 
qualifient  de  déiachtments  d'insurgés^  avec  une  telle  partia- 
lité, qu'il  semble  que  tous  ceux  qui  ont  été  pendus  ou  fusillés 
Tont  été  par  les  troupes  russes,  tandis  que  le  plus  souvent  ces 
morts  violentes  sont  le  fait  des  rebelles. 

«  Dans  les  rapports  sur  les  combats  de  l'armée  avec  les 
rebelles»  les  gouverneurs  civils^  par  opposition  au  Jmmal 
officiel,  qui  publie  les  pertes  des  rebelles  par  centaines  de  tués, 
disent  toujours  que,  sur  les  champs  de  bataille ,  on  a  trouvé 
cinq  ou  six  corps  >d'insurgés,  en  ajoutant  inévitablement, 
«  complètement  nus...  • 

«r  Dans  les  rapports  des  bourgmestres  et  des  chefs  de  dis- 
tricts, les  incendies  et  les  cas  de  mort,  à  la  suite  des  rencontres 
des  troupes  avec  les  rebelles,  sont  dépeints  sons  de  fortes  cou- 
leurs et  publiés  dans  le  Czas  de  Cracovie,  qui  les  présente  à 
l'Europe  coriime  des  faits  et  des  preuves  irrécusables  de  la 
barbarie  russe.  Il  ressort  de  là  clairement  que  le  journal  en 
question  a  des  correspondants  dans  les  bureaux  des  gouver- 
neurs civils. 

J'ai  donc  l'honneur  de  vous  inviter,  monsieur  le  gouver- 
neur civil,  à  prendre  des  mesures  pour  qu'à  l'avenir  les 
infractions  indiquées  et  Penvoi  aux  feuilles  étrangères  des 
rapports  et  des  nouvelles  provenant  de  vos  bureaux,  n'aient 
lieu  sous  aucun  prétexte,  etc.  » 

Nous  avons  publié  la  lettre  de  Monseigneur  Felinski.  Ce 
n'est  pas  la  seule  preuve  que  donna  le  vénérable  prélat  de  son 
dévouement  à  une  cause  qui  a  le  privilège  d'exciter  la  sy  m  pa- 
thie  des  hommes  de  toutes  les  croyances  et  de  toutes  les  opi- 
nions. 

Ainsi,  le  22  avril,  par  ordre  de  rarchevêque,  un  service  fu- 
nèbre fut  célébré  dans  toutes  les  églises  de  Varsovie,  pour  les 


444  HISTOtlB 

morts  du  combat  de  Rabice,  quoique  Fautorité  n'ait  pas  voulu 
permettre  des  prières  publiques  pour  les  rebelles. 

— FaisonSydisaitle  bon  pasteur^  notre  devoir  sans  crainle, 
partout  et  toujours  I  Le  royaume  éternel  nous  attend  là-haut^ 
et  la  Pologne  nous  regarde  sur  la  terre  ! 

Le  clergé  polonais  tout  entier  suivit  l'exemple  du  di^ne 
prélat.  Les  prisons  regorgeaient  de  prêtres.  Beaucoup  se  font 
aumôniers  des  insurgés.  Le  16  avril,  les  abbés  Zoltowski, 
Benevuto,  Orlowski  sont  tués  dans  un  combat,  où  ils  prodi- 

Êuaient  à  leurs  compagnons  les  encouragements  et  les  conso- 
itions. 

Le  23  avril,  un  détachement  polonais ,  commandé  par 
Grylinski,  livra  un  combat  aux  Russes  près  de  Lubinia,  et  les 
repoussa  avec  de  grandes  perles.  Le  valeureux  général  Cza- 
kowski,  accouru  sur  le  lieu  du  combat,  acheva  de  les  mettre 
en  pleine  déroute. 

Après  cette  éclatante  victoire,  le  détachement  forma  le  carré 
autour  de  son  chef,  qu'il  félicita  avec  expansion  sur  son 
habileté  et  son  courage,  couronnés  d'un  si  beau  succès.  En  ce. 
moment  Tabbé  Symanski,  naguère  aumônier  du  corps  de 
Langiewicz  et  attaché  en  la  même  qualité  au  détachement 
commandé  par  Czakowski,  rappela  aux  combattants  que  le 
moment  était  arrivé  d'adresser  à  Dieu  la  prière  dont  les  Polo- 
nais ont  l'habitude  les  jours  de  bataille.  Tous  se  mirent  à 
genoux,  le  général  en  tête. 

L'impression  de  cette  scène  fut  grande  sur  tons  les  assis- 
tants. Ils  se  relevèrent  le  cœur  retrempé  par  Tamour  et  la 
toi. 

Après  la  prière,  Symanski  adressa  à  la  petite  armée  dont  il 
était  entouré  une  allocution  pleine  de  feu  pour  la  féliciter  de 
son  courage  et  l'exhorter  à  lutter  avec  persévérance  pour  la 
patrie  et  la  foi.  Tous  les  cœurs  étaient  profondément  émus,  et, 
quand  le  pTêtre  cessa  de  parler,  des  larmes  coulèrent  de  tous 
les  yeux.  Jamais  scène  plus  touchante  ne  s'offrit  à  l'imagina- 
tion d'un  poète  ou  d'un  peintre. 

Nous  avons  déjà  parlé  de  la  Prusse.  Le  26  avril,  un  détache- 
ment d'insurgés,  sous  les  ordres  d'un  chef  sorti  des  rangs  de 
l'armée  française,  Yunff  de  Blankenheim,  battitun  corps  russe 
sur  la  frontière  et  le  forçant  à  la  passer,  le  laissa  se  réfugier 
à  Inowroclaw,  en  Prusse.  Là  les  Russes  furent  logés  et  héber- 
gés chez  les  habitants,  par  ordre*de  l'autorité,  et  lorsque 
quelques  propriétaires  voulurent  protester,  on  leur  répondit 

Par  l'exhibition  d'un  ordre  du  cabinet  du  roi,  prescrivant 
exécution  d'une  convention  qui  venait  d'être  niée  effronté^ 
ment  à  la  face  de  l'Europe. 

L'amnistie  proclamée  par  le  czar,  obligeait  les  Russes  à 
quelques  ménagements.  Et  cependant,  les  préparatifs  pour 


01  LA  BÈVOLUTIOII  P0L0NAI8B.  4iS 

une  répression  prochaine  se  faisaient  trop  aa  grand  jour,  pour 
que  les  Polonais^  de  leur  oôté^  ménageassent  leurs  ennemis  s 

<  Ces  préparatifs,  dit  une  correspondance  adressée,  vers 
cette  époque,  de  Varsovie  au  Jmmal  des  Débats,  se  produi- 
sant ostensiblement,  conjointement  avec  Tamnistie,  semblent 
démontrer  le  peu  de  valeur  réelle  que  le  gouvernement  lui- 
même  attache  à  cette  concession  apparente,  vraie  décoration  ' 
d'opéra,  destinée  à  tromper  la  vue  de  ceux  qui  regardent  de4 
loin. 

«  Indépendamment  des  détenus  qu'on  a  expédiés  d'ici  en 
Sibérie  et  en  Russie,  depuis  l'apparition  du  manifeste,  beau- 
coup de  personnes  ont  été  incarcérées  en  province.  A  Kurow 
gouvernement  de  Lublin),  le  lendemain  même  du  jour  où  le 
manifeste  avait  été  lu  publiquement,  on  s'est  emparé  de  six 
bourgeois  de  la  ville,  rentrés  chez  eux  après  s'être  cachés, 
pendant  quelque  temps»  pour  échapper  au  recrutement. 

Jusqu'à  présent  nous  n'avons  vu  l'insurrection  que  dans  ce 
qu'on  appela,  en  1815,  le  royaume  de  Pologne.  Peu  à  peu  elle 
s^étendit  sur  tout  le  pays  occupé  parla  race  slave,  c'est-à-dire 
à  la  Lithuanie  et  à  la  Ruthénie.  Si  l'on  suit  sur  une  carte  le 
développement  que  nous  indiquons,  on  verra  que  la  Russie 
est  fort  peu  de  chose,  lorsqu'on  lui  enlève  cette  immense  con- 
trée slave  qui  commence  à  Riga,  à  Smolensk,  à  Kiew,  que  le 
Dnieper  sépare  Je  la  Russie ,  et  le  Dniester  de  la  Bessarabie,  et 
qui,  par  la  Courlande  touchant  à  la  Baltique,  par  la  Podolie  et 
rUkraine,  touchant  à  la  Mer  Noire ,  semble  la  barrière  giRan- 
tesque  interdisant  aux  nouveaux  barbares  la  route  de  rEu- 
rope. 

Peu  de  chose,  s'entend  dans  l'équilibre  européen ,  car  la 
puissance  asiatique  de  la  Russie  n'est  pas  discutable. 

Et  qu'on  n'accuse  pas  cette  délimitation  de  la  Pologne  d*élre 
fantastique.  Son  exactitude  géographique  est,  du  reste,  ^ran* 
tie  par  les  Russes  eux-mêmes.  Les  massacres  de  Livonie,  en 
montrant  jusqu'où  s'étend  la  persécution^  montrent  aussi  jus* 
qu'où  s'étend  la  nationalité  qu'on  opprimé. 

Ce  n'est  pas,  qu'on  le  remarque,  la  Pologne  que  la  Russie 
veut  détruire,  mais  la  race  slave  toute  entière.  Mouravrieff  en 
est  la  preuve.  Le  proconsul  de  Wilna  règne  sur  la  Lithuanie, 
et  la  Lithuanie  n'est  pas  la  Pologne  proprement  dite. 

Cette  petite  dissertation  n'est  pas  inutile.  Elle  montre  la 
signiflcation  de  l'expression  a  Lithuano-ruthénienne,  »  que  Ton 
retrouve  fréquemment  dans  ce  livre.  Elle  prouve  ensuite  que 
les  traités  de  1815  ont  été  absurdes  en  appelant  Pologne  ce  qui 
n'était  que  le  duché  de  Varsovie. 

Nous  pouvons  ajouter  que  dans  le  partage  la  Russie  semble 
avoir  dit  :  La  Lithuanie  et  la  Ruthénie  m'appartiennent  parce 
que  je  suis  le  plus  fort;  maintenant  partageons  le  reste. 


141 

La  Pologtie>  c  esC-è^dlre  le  pays  6lave>  celui  que  la  RoMÎe 
opprime,  et  où  elle  est  combatlae  comprend  une  populatioD 
de  plus  de  Tingt  millions  d'habitants.  La  Gallicie»  part  de  TAu- 
triche»  en  possède  enriron  six  millions.  La  Posnanie,  part  de 
la  Prusse,  quatre  millions. 

Et  qu'on  dise  maintenant  (fu'un  peuple  brave,  civilisé»  de 
trente  millions  d'hommes»  joignant  la  Baltique  a  la  Mer  Noire, 
n'est  pas  un  obstacle  sérieux  a  l'enYahissement  de  l'Europe 
par  la  race  tartare. 

C'est  dans  cette  force  même  que  yous  trouTeres  la  raison 
de  l'oppression  russes  C'est  celte  force  qui  empêchait  le  mar« 
quis  Wiéloposki  d'être  absurde.  Hais  la  race  slave  était  con- 
trairement à  sa  croyance»  trop  forte  par  elle-même,  trop  pure 
d'origine»  pour  consentir  à  cette  union.  Si  les  Slaves  n'eussent 
été  que  dix  milliom»  le  Panslavisme  eut  été  possible. 

Voici,  du  resté,  un  document  qui  lève  le  doute.  C'est  le  ma^ 
nifsste  du  gouvernement  national  au  sujet  de  l'amnistie  pro- 
mise par  lé  C2ar.  Ge  manifesté  émane  du  Comité  directeur  deê 
prmnm  de  lAthuéinè.  Lé  tt)id  : 

«  Vu  lé  manifeste  et  t'ukase  du  c2ar  de  Russie»  en  date  du 
(31  mars)  13  avHl  iiti,  dans  lesquels  le  czar  promet  de  foire 
grâce  aux  Polonais  combattant  pour  l'indépendatice  de  la  pa^ 
trié,  s'ils  déposent  les  armes  avant  le  13  mai  de  l'année  cou- 
inante; 

«  Considérant  que  des  milliers  de  Polonais^  gtêi  n^ont  cas 
prié  les  nrmeSy  sont  journellement  emprisonnés  dans  les  ciki- 
délies,  déportés  en  Sibérie  ou  enrégimentés  dans  l'armée  du 
Caucase  ; 

c  Considérant  que  les  troupes  russes  massacrent  tes  per* 
€oanes  inoffenei^es  ;  que,  par  conséquent,  en  déposant  les 
armes,  on  ne  ferait  qu'augmenter  le  nombre  des  victimes  ; 

c  Considérant  que  la  guerre  avec  l'envahisseur  mosco^ 
vite  n'a  pas  été  engagée  dans  le  but  d'obtenir  certaines  conces- 
sions du  czar,  mais  dans  le  but  unique  de  reconquérir  l'indé- 
pendance de  toute  la  Pologne  dans  les  frontières  qu'elle  avait 
«vaut  les  partagée; 

«  En  ré|x>nse  au  manifeste  et  à  l'ukase  du  czar»  le  comité 
dii^ecteur  des  provinces  lithuaniennes  et  rutbeoes  publie  ce 
qui  suit: 

%  La  lutte  natiotiate  durera  sur  tous  les  points  de  la  Lilhua- 
nie  et  de  la  Ruthénie^  tant  qu'on  n'en  aura  pas  expulsé  le  der- 
iMer  soldat  moscovite»  et  tant  que  battra  un  cœur  généreux,  s 

Nous  venons  de  parler,  à  propos  de  l'affaire  d'tnowroclaw, 
de  Yung  de  Blankenheim.  Nous  le  retrouvons  le  1*'  mai  avec 
Alexandre  Wasilewski»  à  Brdow.  Après  des  prodiges  de  valour, 
ils  sucoooihèniiii  aous  le  nombre»  et  ftirent  tués  tous  deux 


DB  LA  ftÉVOLUTIOR  POLORAISK.  447 

ainsi  que  deux  ofQciers  français  volontaires»  MM.  Buffet  et 
RouX'Chaussé. 

«[  Léon  Yunck,  dit  M.  Anatole  de  la  Forge  «  était  né  le 
3  décembre  1837^  à  Cbaumonl,  dans  le  déparleineot  de  la 
Haute-Marne.  Ses  étals  de  service  ne  sont  pas  longs,  mais  plus 
d'un  général  lesenvieraft 

«  Entré  à  Técole  de  Saint-Cyr  le  18  janvier  IZW,  Léon 
Yuncii  fut  nommé  sous-lieutenant  au  88'  d'infanterie  de  ligne 
le  1"  octobre  1856,  et,  le  3  avril  1863,  il  donnait  sa  démission 
afin  de  pouvoir  se  mettre  à  la  disposition  du  comité  central 
de  Varsovie. 

«  Au  mois  de  septembre  dernier,  l'auteur  de  ces  lignes 
rencontrait  chez  le  général  Daumas,  à  Bordeaux,  Léon  Yunck 
de  Blankenheim,  Il  n'était  pas  difficile  de  deviner  en  lui  les 
qualités  qui  devaient  signaler  sa  trop  courte  carrière.  Cest 
un  officier  d'avenir,  nous  disait  le  général  en  parlant  du 
jeune  homme.  11  a  donné  raison  à  ropinion  de  son  juge,,, 

a  La  campagne  militaire  et  la  mort  de  Léon  Yunck  de  Blan* 
kenheim  appartiennent  déjà  à  rhistoire.EIle  placera  son  nom 
à  côté  des  noms  les  plus  respectés  des  défenseurs  du  pripcipe 
des  nationalités.  » 

Une  lettre  adressée  au  Siècle  par  un  médecin  français, 
H.  Waille,  demeurant  à  Paris,  rue  Doudeauville,  10,  et  aui,  se 
trouvant  accidentellement  en  Pologne,  assistait  au  combat  de 
Brdow,  nous  fournit  de  curieux  détails  sur  une  autre  affaire  t 

«  Je  me  disposais  à  partir  pour  la  France;  écrit  M.  Waille, 
quand  je  rencontrai  une  autre  colonne  de  patriotes,  comman- 
dée  par  Taezanowski. 

<  C'était  le  8  mai^  jour  de  la  Saint-Nicolas,  à  Pentrée  de  la 
forêt  d'Ignacwo  :  un  combat  était  imminent.  Je  fis  halte;  je 
campai  avec  la  colonne  et  attendis  le  dénoûment. 

«  Entre  onze  heures  et  midi,  les  Russes,  au  nombre  de 
8,000,  dont  600  cavaliers,  et  soutenus  par  six  pièces  de  canon. 
ont  attaqué  la  colonne  polonaise,  forte  seulement  de  850  à  900 
hommes,  et  qui  néanmoins  les  a  tenuven  échec  pendant  trois 
heures  et  demie. 

«  Contre  des  forces  aussi  supérieures  le  résultat  ne  pouvait 
être  douteux.  En  ce  qui  me  concerne  dans  cette  occasion,  je 
n'ai  pu  donner  mes  soins  à  ces  héroïques  soldats,  les  Mosco- 
vilts  ê'emparant  de  tous  les  blessés,  qu'ils  bhulaisiit  su  tas 

AVEC  DE  LA  PAILLE  ET  DES  BRANCHES  DE  SAPIN.  )» 

lie  10  mai,  le  Comité  central  de  Varsovie,  qui  depuis  la  chute 
cleLangicwicz  s'intitulait  Gouvernement  national  proiï^oirè, 
rendu  le  décret  suivant,  se  fondant  avec  raison  sur  ce  fait,  que 
la  nation  entière,  ayant  déposé  sur  l'autel  de  la  patrie  son  sang 
et  sa  lortune,  le  reconnaissait  volontairement  : 

«  Art.  1*'.  La  dénomination  jusqu'alors  employée  de  Comité 


m  mSTOIRB 

central f  comme  Gouvernement  national  Provisoire,  est  suppri- 
mée. 

c  Art.  2.  Le  comité  central^  à  partir  du  présent  décret^  prend 
la  dénomination  de  Gouvernement  nationaly  comme  conforme 
à  la  nature  de  ses  actes,  et  c'est  sous  ce  titre  qu'il  rendra  désor- 
mais toutes  ses  décisions. 

a  Art.  3.  Ce  changement  de  dénomination  n'entraîne  nulle- 
ment le  cbançement  des  principes,  qui  restent  les  mêmes  dans 
toute  leur  intégrité  et  notamment  : 

«  a)  La  conquête  et  la  garantie  d'une  complète  indépen- 
dance pour  la  Pologne,  la  Lithuanie  et  la  Ruthénie  : 

c  6)  L'émancipation  des  paysans  de  la  Pologne,  ae  la  Lithua- 
nie et  de  la  Ruthénie,  d'après  le  décret  du  22  janvier  de  Tan- 
née courante  ; 

<  e)  L'égalité  devant  la  loi  de  tous  les  habitants  de  la  Pologne^ 
delà  Lithuanie  et  de  la  Ruthénie^  sans  distinction  de  classes  et 
de  croyances; 

c  d)  La  garantie  aux  nations  sœurs  de  la  Lithuanie  et  de  la 
Ruthénie  réunies  à  la  Pologne ,  du  développement  le  plus 
étendu  de  leur  nationalité  et  de  leur  langue  ; 

c  e)  La  reconnaissance  de  la  Lithuanie  et  de  la  Ruthénie 
comme  des  parties  complètement  identiques  au  royaume  et 
constituant  avec  lui  une  partie  intégrante  de  la  Pologne  ; 

ce  /)  La  défense  des  principes  et  des  traditions  nationales, 
sans  préjuger  telle  ou  telle  forme  de  gouvernement  pour  l'a- 
venir, car  c'est  à  la  nation  seule,  après  qu'elle  aura  recouvré 
son  indépendance,  qu'appartient  le  droit  de  statuer  à  ce  sujet. 

c  Art.  4.  Le  sceau  du  gouvernement  national  portera  les 
armes  des  trois  parties  qui  constituent  une  Pologne  une  et  in- 
divisible; l'aigle,  le  cavalier  et  l'archange  saint  Michel,  réunis 
sur  le  même  écusson,  avec  la  couronne  royale  des  Jageilons  et 
l'exergue  :  «  Gouvernement  national.  Liberté,  égalité,  indé- 
pendance, p 

Trois  jours  après,  le  délai  fixé  pour  l'amnistie  par  le  czar, 
expirait.  Le  gouvernement  national  l'annonça  par  cette  pro- 
clamation : 

a  Le  délai  fixé  par  le  czat  pour  déposer  les  armes  est  expiré 
hier.  Aucun  Polonais  ne  s'est  placé  sous  la  protection  russe, 
)et  la  lutte  n'a  pas  cessé  un  seul  instant.  La  nation  a  repoussé 
avec  le  même  mépris,  et  la  grâce,  et  les  menaces  du  czar. 

«  Nous  ne  voulons  pas  de  grâce,  car  nous  combattons  pour 
nos  droits  violés  et  pour  notre  indépendance  qui  nous  a  été 
traîtreusement  arrachée.  Nous  ne  craignons  aucune  menace  ; 
nos  pères  nous  ont  appris  à  combattre  et  à  mourir  pour  la  pa* 
trie.  Il  n'existe  pas  d'ailleurs  de  menace  si  terrible  ou  de  si 
atroce  cruauté  qui  puisse  nous  effrayer  ;  le  joug  moscovite 


DB  LA  RÉVOLimaN  POLONAISB.  449 

senl  nous  effiraye.  Pour  secouer  ce  jong  honteux»  le  mot  d'ordre 
de  rinsurrectîoa  a  été  donné  le  22  janyier.  La  lutte  avec  l'en* 
nemi  a  commencé,  et  aujourd'hui  on  n'entend  dans  tonte  la 
Pologne  (]n'un  cri  :  Aux  armes  ! 

«  Concitoyens,  continuons  donc  à  combattre  comme  jus- 
qu'ici. Ce  n'est  qu'avec  les  armes  qu'on  acquiert  la  liberté,  ce 
n'est  qu'avec  le  sang  qu'on  achète  l'indépendance  de  la  patrie. 
Loin  de  nous  tout  arrangement  avec  la  Russie  ;  il  n'y  a  que 
des  traîtres  et  des  misérables  qui  puissent  y  penser.  Malheur 
à  tous  ceux  qui  cherchent  à  détruire  l'union  delà  nation  I 

«r  Tous  les  braves  Polonais  veulent  combattre  sans  repos 
jusqu'à  la  dernière  goutte  de  leur  sang.  Jusqu'à  ce  que  l'aigle 
blanc  ait  repris  tout  son  éclat,  au  nom  de  Dieu,  en  avant  ! 
Avec  ce  mot  d'ordre,  courez  au  combat  I  Entourez  Tennemi 
du  mur  de  vos  poitrines!  que  les  armes  puissent  accomplir 
l'œuvre  de  raffranchissement,  que  les  ruines  sanglantes  de 
nos  habitations  incendiées  deviennent  le  tombeau  des  cohortes 
russes  !  11  faut  que  la  Poio^ne  soit  libre,  et  elle  le  sera  I  » 

Ces  paroles,  comme  en  France  en  même  temps  qu'eu  Po- 
logne eurent  un  retentissement  immense  :  Toute  chance  de 
transaction  pacifique,  de  concessions  acceptables,  écrivait 
Henri  Martin,  est  absolument  perdue,  ou  plutôt  n  a  jamais 
existé,  comme  le  prévoyait  quiconque  avait  connaissance  du 
fond  des  choses. 

c  La  lutte  inégale,  meurtrière,  destructive  entre  l'insurrec- 
tion polonaise  et  les  hordes  moscovites  se  prolonge  cependant; 
chaquejour  de  nouveaux  champs  de  cette  région  de  douteur 
se  ravagent  et  se  peuplent  ;  chaque  jour  des  vies  précieuses 
sont  sacrifiées  en  foule  ;  c'est  le  sei  de  la  terre  qui  s  épuise,  la 
fleur  de  l'Europe  orientale  qui  se  moissonne  !  Lutte  inégale, 
non  pas  seulement  par  les  armes,  par  l'organisation,  par  les 
ressources  matérielles,  mais  parce  que  là,  en  dépit  de  1  égalité 
théorique  des  hommes,  l'inégalite  de  fait  entre  la  valeur  des 
pertes  respectives,  entre  la  qualité  des  hommes  qui  périssent, 
est  incalculable.  D'un  côté,  le  soldat  qui  meurt  est  un  chiffre 
qui  se  remplace  par  un  autre  chiffre  pris  au  hasard  dans  uns' 
masse  confuse  de  créatures  humaines,  au  plus  bas  degré  de' 
développement  et  presque  à  l'état  brut  ;  de  l'autre  côte,  c'est 
l'élite  morale  et  intellectuelle  d'une  population  admirable,: 
des  hommes  dans  le  sens  le  plus  élevé,  le  plus  complet  dm 
mot  ;  chacun  de  ces  jeunes  héros  qui  tombe  laisse  un  vide 
que  bien  des  années  ne  rempliront  pas. 

jc  Depuis  plusieurs  mois;  l'administration  russe  tnivaille  â 
préparer  une  immense  Gallîcte,  c'est-à-dire  à  étouffer  la  guerre 
nationale  de  Pologne  sous  une  guerre  sociale,  en  exploitant 
l'ukase  sur  l'affranchissement  des  paysans,  en  empêchant  par 
la  violence  les  propriétaires  de  transiger  directement  avec  les 

57 


41Q  '  HisTonui 

classes  agricoles^  et  en  réveillaat^  par  tous  les  moyens^  ches 
cciies-ci,  les  vieux  ressentiments  d'une  oppression  séculaire 
contre  la  noblesse,  et  les  yieiiles  querelles  religieuses  du  rite 
grec  et  du  rite  latin.  Sauf  quelques  cas  particuliers^  cette  ma- 
nœuvre, imitée  deTAulricne  de  1846,  a  radicalement  échoué 
dans  le  royaume  de  Pologne^  où  les  paysans,  du  reste^  n'é- 
taient plus  serfs  depuis  nos  guerres  de  l'EmpirCi  ainsi  que 
dans  la  Lithuanie  proprement  dite  et  la  Samogitie;  mais  le 
traïAÎl  souterrain  continue  dans  la  Russie  Blanche  et  la  Petite 
Russie,  conlre«minant  partout  le  mouvement  polonais  ou 
antimoscovite>  qui  s'étend  moralement ,  sinon  encore  par  les 
armes,  dans  toute  la  Pologne  de  1772^  sinon  au  delà.   . 

ce  Les  paysans  de  ces  grandes  provinces  sont  dans  un  état 
de  fluctuation  et  d'agitation  inouïe.  Profondément  ignorants 
et  plongés  dans  des  ténèbres  de  plus  en  plus  épaisses  par  les 
prêtres  moscovites  qu'on  leur  a  imposés  y  disputés  entre  les 
vieilles  rancunes  de  caste  contre  les  seigneurs  polonais^  l'a- 
version de  races  et  de  tendances  contre  les  Moscovites ,  et  la 
répulsion  d'instinct  contre  les  tchinoonikê  (les  fonctionnaires 
russes),  ils  se  déflent  des  avances  des  propriétaires  par  ressen* 
timent  traditionnel,  ou  n'osent  les  accepter  et  s'unir  à  eux 
lar  peur  de  la  vengeance  du  czar,  se  déflent  au  moins  autant 
tes  bienfaits  du  czar  et  sentent  vaguement  que  le  tokinowiky 
employé^  sera  un  pire  maître  que  le  seigneur  ;  la  tâte  de  ces 
malheureux  est  un  chaos. —  Une  horrible  tempâte  peut  sortir 
de  ce  chaos;  ils  peuvent^  un  jour  ou  l'autre^  dans  telle  ou 
telle  de  ces  contrées,  se  Jeter  sur  les  propriétaires  dans  une 
vaste  jacquerie  qui  gagnerait  sans  doute  la  Hoscovie  elle- 
même,  sauf  à  se  retourner  le  lendemain  contre  les  ichino* 
pmks\  D'effroyables  spectacles,  des  catastrophes  lamentables 
menacent  l'Europe,  si  lente  às'émouvoir.  » 

Le  13  mai  fut  un  jour  de  deuil  pour  l'insurrection  lithua* 
nienne.  Son  brave  chef,  Narbutt,  fut  tué,  non  dans  un  com- 
bat ordinaire,  mais  par  suite  de  la  trahison  d'un  garde  fores- 
tier. Onze  de  ses  compagnons  se  firent  tuer  en  le  défendant. 

Narbutt  était  flls  d'un  célèbre  historien  polonais  de  ce  nom. 
n  fit  de  bonnes  études,  mais  à  sa  sortie  de  l'Université,  il  fut 
mis  en  prison  pour  deux  ans^  à  cause  de  son  patriotisme  trop 
expansif .  On  renvoya  ensuite  comme  soldat  dans  l'armée  du 
Caucase. 

Pendant  la  guerre  de  Crimée  il  fut  blessé  à  Rars,  ce  qui  le  fit 
rendre  à  sa  patrie.  Il  se  maria.  U  vivait  entouré  du  respect  de 
tous  quand  éclata  l'insurrection.  Dès  le  8  février^  à  la  tête  de 
sept  hommes,  il  donna  en  Lithimnie  le  signal  de  la  guerre. 

La  petite  bande  des  sept  se  grossit  bien  vite  de  toute  la  jeu- 
nesse de  Wilna.  Elle  reçut  le  premier  baptême  du  feu  à  Rud- 


s 


I 

MLARÉyèttTIONPOLOKAISK.*  4  A 

i^lki.oùelle  ent  la  victoire  sur  les  Russes.  C'étaft  uti  début 
heureux. 

De  ce  jour,  Narlntt  commença  cette  guerre  babilement 
conduite^  dont  toute  la  tactique  consistait  à  attirer  Tennemi, 
en  paraissant  fuir  devant  lui^  Jusque  dans  des  forêts  ou  dQ,8 
marais  peu  praticables  ;  et  lorsqu'il  ne  songeait  qu'à  se  tirer 
desdifOcultés  de  la  route,  sans  redouter  un  adversaire  qu'il 
croyait  bien  loin^  à  tomber  sur  lui  à  Pimproviste^  pour  le 
couperet  le  disperser.  Ce  système,  suivi  pendant  deux  mois,  a 
toujours  réussi  au  vaillant  et  habile  chef.  Les  Russes  le  redou- 
taient et  le  regardaient  comme  invincible.  Les  soldats  préten- 
daient qu'il  était  sorcier.  Tmies  les  forces  des  villes  de  Wilna 
et  de  Grodno  furent  dirigées  contre  lui.  Le  jour  de  Pflques,  ^ 
tête  fut  mise  à  prix.  Mais  le  même  jour  Narbutt  répondait  à 
ces  menaces  en  faisant  éprouver  aux  Moscovites  un  sanglant 
échec. 

Enfln  Tennemi,  à  bout  de  ressources,  tenta  d'obtenir  par  la 
trahison  un  succès  qu'il  n'espérait  plus  de  son  habileté.  Nous 
avons  déjà  dit  que  NarbuU  avait  été  livré  par  un  garde  fores- 
tier gagné  à  prix  d^arçent.  Investi  à  Timproviste  de  tous  les 
côtés,  il  réussit  cependant  à  se  frayer  un  chemin  à  travers  les 
Russes,  et,  malgré  une  blessure  au  pied,  il  commandait  avec 
énergie,  porté  par  ses  compaenons  d'armeS',  et  allait  échapper 
à  Tennemi,  grfice  à  son  intrépidité  et  à  sa  connaissance  des 
lieux,  quand  une  balle  est  venue  le  frapper  au  cœur.  Il  expira 
en  prononçant  ces  mots  d'une  voix  ferme  encore  :  a  Mon  Dieu, 
je  meurs  pour  ma  patrie  I  » 

Quelques  jours  après,  dans  la  petite  église  en  bois  de  Dnbi- 
czauy,  étaient  rangés  dowse  cercueib,  dont  un^  plus  élevé  que 
les  autres,  était  couvert  d'un  crêpe  funèbre.  Le  colonel  rnne 
avait  permis  ces  obsèques,  cédant  aux  supplications  des  sœurs 
de  l'infortuné  chef,  on  plutôt  voulant  bien  convaincre  les 
habitants  du  pays  de  la  mort  de  son  redoutable  adversaire,  aân 
de  les  décourager.  L'église  et  ses  alentours  étaient  remplis 
d'une  foule  éplorée  que  cinq^  prêtres  ne  pouvaient  réussir  à 
consoler.  C'était  un  deuil  universel. 

Narbutt  avait  à  peine  trente-trois  ans.  Il  était  d'une  taille 
au-dessous  de  la  movenne,  d'une  physionomie  réffulière  et 
agréable  ;  il  avait  le  front  élevé  et  marqué  déjà  des  rudes 
traces  des  soucis  et  des  fatigues  d'une  vie  agitée*  Sa  parde 
était  tranquille  ;  mais,  dans  les  circonstances  décisiv^,  elle 
prenait  un  accent  grave  et  solennel,  qui  agissait  comme  un 
courant  électrique  sur  ceux  qui  l'entouraient.  Obéi  etreapeeté 
de  ses  compagnons  d'armes,  comme  l'aurait  été  un  général 
blanchi  dans  le  commandement,  il  était  aimé  de  tous  comme 
un  frère.  Aussi  son  souvenir  fera  longtemps  couler  des  larmes 
des  yeux  de  ceux  qui  Vont  connu. 


482  BisTom 

Si  nouB  nous  arrêtons  ainsi  sur  chaque  héros  de  hréroli^ 
tion  polonaise,  au  fur  et  à  mesure  que  son  nom  se  trouve  sous 
notre  plume,  nous  devons  aussi  faire  connaître  les  officiers 
russes  qui  se  distinguent  par  leur  cruauté. 

Au  premier  rang  de  ces  derniers,  on  peut  placer  le  général 
ToU. 

Cet  offlder  supérieur,  un  jour  qu'il  occupait  la  ville  d'Os- 
trow,  avec  deux  compagnies  d'infanterie;,  et  une  centaine  de 
Cosaques,  fit  appeler  devant  lui  un  Israélite  nommé  Bérek^  et 
lui  dit  : 

—Tu  possèdes  une  maison  ici  t 

—Oui,  général. 

—Et  dans  cette  maison  demeure  un  tailleur  I 

— Oui,  général. 

--Que  fait  ce  tailleur?  s^écria  le  général  en  levant  les 
poiuRs. 

—11  vit  de  son  travail. 

—Tu  mens  1  il  confectionne  des  uniformes  pour  les  in- 
surgés. 

—Je  ne  l'ai  pas  vu  :  je  ne  puis  donc  rien  dire  a  cet  égard, 
répondit  froidement  rlsraélite  polonais. 

—Eh  bien  l  pour  Rapprendre  à  savoir  désormais  ce  que  font 
tes  locataires,  tu  recevras  deux  cents  coups  de  fouet. 

Les  Cosaques  exécutèrent  ponctuellement  l'ordre  du  gêné* 
rai.  Le  malheureux  Bérek  fut  transporté  ensuite  dans  son  lit, 
où  il  expira  deux  heures  plus  tard. 

Reprenons  Tordre  chronologique  de  notre  récit. 

Le  18  mai,  une  bande  d'insurgés,  poursuivie  par  les  Russes, 
arriva  à  Tuczapy  et  se  réfugia  dans  les  bois,  où  le  lendemain 
les  Russes  la  rejoignirent.  Il  y  eut  le  19  un  combat  qui  dura 
de  midi  à  sept  heures  du  soir. 

Furieux  des  pertes  qu'ils  avaient  éprouvées,  les  Russes 
revinrent  à  Tuczapy.  Un  soldat  creva  un  œil  d'un  coup  de 
baïonnette  au  propriétaire  du  chftteau,  et  le  menaça  de  lui 
crever  l'autre  œil  s'il  ne  le  conduisait  pas  où  était  son  argeut. 
Les  Russes  pillèrent  et  brûlèrent  cette  habitation,  puis  ensuite 
une  vingtaine  de  chaumières.  Vingt  habitants  furent  massa- 
crés. Deux  furent  brûlés  vifs.  Ces  faits  sont  relatés  dans  un 
rapport  de  M.  Winnicki,  maire  de  Mientkie,  remplaçant  le 
maire  de  Tuczapy,  grièvement  blessé. 

Voici  maintenant  la  mort  d'un  des  héros,  d'un  des  martyrs 
de  cette  sanglante  épopée,  Siaismond  Padlewski,  dont  nous 
avons  dit  précédemment  les  débuts  (1).  ' 

Padlewski  avait  été  prisonnier  et  condamné  à  mort  depuis 


(1)  Page  418. 


'DB  LA  liVOLCTlON  POLONAin.  453 

la  promesse  d'amnistie  da  czar  que  nous  avons  relatée.  On  hé- 
sita cependant  à  exécuter  la  sentence  avant  l'expiration  du 
délai  fixé  dans  Vukase  impérial. 

Le  19  maiy  Padiewski  était  depuis  près  d'un  mois  à  Plock 
quand  arriva  Tordre  d'exécution  revêtu  de  la  signature  du 
grand-duc.  Deux  jours  auparavant  le  général  russe  Semeka 
promettait  au  jeune  héros  un  brillant  avenir  dans  Farmée 
moscovite,  s'il  voulait  s'engager  à  se  rendre  au  camp  des 
insurgés  et  les  inviter  à  déposer  les  armes. 

Padiev^ski  se  leva  avec  indignation  en  disant  que  cette  pro- 
position, si  elle  était  sérieuse,  était  pour  lui  un  outrage.  Il 
déclara  que  l'insurrection,  répandue  aujourd'hui  sur  tout  le 
vaste  territoire  de  l'ancienne  Pologne,  ne  pouvait  se  termi- 
ner que  par  le  rétablissement  de  l'indépendance  nationale  ou 
par  l'extermination  entière  de  tous  les  Polonais.  Il  igouta 
anfin  que  si  l'empereur,  ce  qu'il  ne  croyait  pas,  lui  faisait 

S  race,  il  considérerait  encore  comme  un  devoir  sacré  pour  lui 
e  rejoindre  les  insurgés. 

Le  général  russe  fit  alors  reconduire  Padlevrski  dans  sa 
prison,  où  aucun  de  ses  parents  n'a  été  admis  à  le  voir. 

Le  confesseur  qu'il  avait  demandé  ne  fut  autorisé  à  pénétrer 
auprès  de  lui  que  deux  heures  avant  l'exécution,  et  il  fallut  de 
vives  instances  pour  que  l'officier  chargé  de  faire  exécuter  la 
sentence  permit  au  vénérable  ecclésiastique  d'apporter  la 
sainte  hostie  au  prisonnier.  Padiewski  était  encore  à  genoux 
aux  pieds  de  son  confesseur  quand  les  soldats  entrèrent  vio- 
lemment en  criant  :  Assez  I  assez  !  L'héroïaue  jeune  homme 
les  suivit  aussitôt  et  demanda  pour  toute  grâce  a  être  exécuté 
sans  qu'on  lui  bandât  les  yeux. 

Arrivé  sur  le  lieu  de  son  supplice  :  c  II  est  pénible, dit-il,  de 
mourir  à  vingt-sept  ans;  mais  la  consolation  d'avoir  bien 
mérité  dt  la  patrie  soutient  le  courage  et  rend  glorieux  le 
moment  suprême.» 

Il  tomba  percé  de  douze  balles  sans  qu'aucune  l'eût  atteint 
à  la  tête  ou  à  la  poitrine.  Sur  l'ordre  de  l'officier,  un  soldat 
courut  vers  le  supplicié  et  lui  déchargea  son  fusil  à  bout  por- 
tant. Padlevirski  tomba  dans  le  fossé  encore  vivant. 

Son  père,  vieux  soldat  de  la  cause  nationale  en  1831,  prit 
aussitôt  les  armes  pour  le  venger,  et  se  distingua  dans  plusieurs 
combats  contre  les  Russes. 

Nous  trouvons  dans  une  lettre  d'un  officier  moscovite, 
adressée  à  l'Invalide  russe,  un  fait  qui  donne  une  juste  idée 
du  caractère  de  la  lutte  engagée  entre  les  défenseurs  de  la 
cause  nationale  elles  soldats  du  czar  : 

«  Dans  une  rencontre  qui  eut  lieu  le  9-21  mai,  à  Lukno, 
j'ai  été  témoin  d'une  scène  affligeante,  je  rencontrai,  sur  le 
champ  de  bataille,  un  .Polonais  blessé  portant  un  costume  qui 


464  msTOni 

annonçait  une  dasse  élevée.  Il  gisait  à  terre^  paraissant  beati- 
coup  souffrir^  et  s'écria  à  notre  vue  : 

—  Un  peu  d'eau  !  par  pitié,  un  peu  cf  eau  I 

a  Je  dis  à  un  soldat  d'aller  chercher  un  peu  d'eau  et  de  le 
faire  boire. 

<  Le  soldat  obéit^  et^  se  penchant  vers  le  blessé»  11  lui  dit  : 

—  Avant  de  te  donner  à  boire,  je  veux  que  tu  me  dises  le 
nom  du  chef  de  ta  bande. 

«  Le  Polonais^  au  lieu  de  répondre^  se  soulève  à  demi  et 
saisit  le  pistolet  du  soldat. 

—  Va-t'en  au  diable,  Moscovite  damné  1  s'écria-t-il  en  dé- 
chargeant Tar^ne. 

<  Le  soldat  parvint  à  la  lui  reprendre  et  le  tua  sur  place.  i» 
Un  autre  fait  nous  montre  que^  quoique  maîtres  du  pays, 

les  Russes  sont  souvent  mis  dans  une  situation  embarrassante 
par  leurs  propres  auxiliaires,  qu'ils  recrutent,  —  on  va  voir 
comment. 

Pour  lutter  contre  un  chef  polonais  nommé  Ciechonski,  qui, 
à  la  tâte  de  six  cents  hommes,  occupait  une  partie  de  la  forêt 
de  Minkowice,  les  Russes  recrutèrent  des  journaliers  sans  ou- 
vrage, d'anciens  soldats,  qu'ils  excitèrent,  par  de  larges  liba- 
tions d'eau-de-vie,  au  meurtre  et  au  pillage. 

En  outre,  on  avait  mis  en  liberté,  par  ordre  de  Pautortté 
militaire,  les  criminels  l'enfermés  dans  les  prisons  des  villes 
voisines,  à  condition  qu'ils  recruteraient  des  bandes  et  se  met- 
traient à  la  disposition  des  troupes.  Des  soldali  leurmaient 
été  adjoints. 

Ainsi  renforcés,  ils  attaquèrent,  dans  la  nuit  du  22  au  2S, 
le  corps  de  Ciechonski.  Les  insurgés  étaient  beaucoup  moins 
nombreux  que  leurs  ennemis;  ils  succombèrent  et  perdirent 
à  peu  près  la  moitié  de  leurs  hommes  en  morts,  blessés  et 
prisonniers.  Ciechonski  lui-même  fat  tué. 

Le  combat  fini ,  les  prétendus  paysans  se  précipitèrent  sur 
les  insurgés  qui  étaient  tombés  sur  le  champ  de  bataille;  les 
morts  furent  littéralement  hachés,  les  blessés  massacrés  d'une 
manière  affreuse.  Les  prisonniers,  dépouillés  de  leurs  vête- 
ments, furent  conduits  tout  nus,  à  pied,  à  Zvtomir.  Au  jour, 
et  l'œuvre  d'extermination  accomplie,  les  nordes  recrutées 
par  les  Russes  se  jetèrent  sur  les  propriétés  voisines,  pillèrent 
plusieurs  châteaux  et  brûlèrent  des  villages  etotiers,  sans  épar- 
gner les  amis  du  gouvernement  plus  que  les  patriotes. 

Il  fallut  l'intervention  de  la  troupe  pour  arrêter  ces  actes  de 
brigandage. 

Parmi  les  crimes  de  toute  sorte  qui  signalent  cette  période 
de  là  révolution  polonaise,  il  en  est  dont  la  raison  même  est 
la  condamnation  la  plus  éclatante  de  la  politique  moscovite  et 
de  ses  moyens  d'action.  Tel  est  l'assassinat  de  M.  Pulawski, 


DS  LA  KÉYOtUnon  POLONAIS!.  155 

jeune  homme  de  viofft-sept  ans,  riche,  bienveillant,  plein 
d'intelligence,  adoré  oes  paysans^  aimé  et  estimé  de  tons. 

En  traversant  le  village  de  Grzymiszew,  pour  aller  attaquer 
le  camp  de  Grochow^  les  troupes  russes  apprirent  que  le  pro- 
priétaire; M.  Pulawskiy  avait  fait  partie  au  détachement  de 
Taczanovirskl,  et  qu'il  s'était  trouvé  aux  affaires  de  Pyzdry, 
Kolo  et  Ignacewo.  Aussitôt  ils  mirent  le  village  à  sac^  enva- 
hirent le  château,  le  pillèrent  et  emmenèrent  avec  eux  celui 
qu'ils  considéraient  toujours  comme  un  insurgé. 

A  deux  lieues  du  camp  de  Grochow,  ils  le  dépouillèrent  de 
ses  vêtements,  et  l'abandonnèrent  au  milieu  dés  champs, 
après  ravoir  percé  de  quinze  coups  de  baïonnette.  Le  malbeu- . 
reux  jeune  homme  fut  aperçu  par  une  jeune  flUe,  qui  prévint 
les  habitants  du  village  le  plus  voisin.  Ceux-ci  transportèrent 
dans  ses  domaines  de  Grzymiszew  M.  Pulawski^  qui  a  expiré 
le  troisième  jour,  après  des  souffrances  atroces. 

Nous  arrivons  à  la  fin  de  notre  fftche.  Nous  avons  résumé 
avec  impartialité  les  i)éripétie8  émouvantes  de  la  lutte  actuelle. 
Un  fait  d'abord  sans  importance,  mais  qui  eut  bientôt  un  re- 
tentissement immense,  Tavènement  du  général  Hourawieff, 
changea  encore  la  physionomie  de  la  Pologne  insurgée. 

La  lutte  du  duché  de  Varsovie  contre  la  Russie  ne  fut  plus 

Îu'un  épisode.  La  guerre  n'eut  plus  l'apparence  de  la  guerre, 
'armée  moscovite  n'eu!  plus  à  exercer  de  brigandage,  mais 
quelque  chose  de  pis.  Tout  soldat  russe  devint  le  sbire  d'un 
proconsul. 
Nous  sommes  loin  de  la  théorie  du  panslavisme.  Le  mar* 

2 ois  Wielopolski  est  distancé  avec  sa  méthode  d'absorption, 
'est  Vextination  qui  est  à  l'ordre  du  jour. 
C'est  l'exécution  du  plan  proposé  au  gouvernement  russe 
par  le  conseiller  d'Etat  Pogodine... 

L'extirpation  de  l'élément  polonais  dans  la  Lithuanie^  la 
Volhynie,  la  Podolie  et  l'Ukrame... 
L'extirpation  de  l'élément  polonais,  c'est-à-dire  do?  nro- 

I)riétaires  et  des  lettrés  qui  parlent  polonais,  quelle  q*  e  suit 
eur  origine,  tandis  que  la  plupart  des  paysans  parlent  soit 
les  dialectes  ruthéniens,  soit  la  langue  hthuanienne.  Le  but 
est  de  détruire  dans  ces  contrées  la  société,  la  civilisation  po« 
lonaise,  et  de  moscùviîiser  les  paysans  ruthéniens,  que  l'on 
s'efforce  de  faire  passer^  par  un  grand  mensonge  historique, 

CWLV  les  frères  des  Grands-Russes  ou  Moscovites,  peuple  d'un 
ut  autre  caractère  et  d'une  toute  autre  origine. 
Les  principaux  moyens  proposés  pour  atteindre  ce  but 
sont  : 

1*  De  forcer  les  propriétaires  à  émettre  des  obligations  dont 
la  baisse  prévue  et  calculée  les  ruinera; 
X*  De  (aire  vendre  immédiatement  à  l'enchère,  et  inévita- 


456  H18I0IRB 

blement  à  vil  prix,  toutes  les  propriétés  jB^revées  d'bypothè- 

Sues  ou  engagées  dans  les  sociétés  de  crédit  de  Tempire  russe, 
e  façon  à  les  faire  acquérir  par  des  Russes  et  par  des  fonc- 
tionnaires; 

3^  De  déporter  immédiatement  dans  le  fond  de  la  Russie 
(c'est-à-dire  en  Sibérie)  les  personnes  soupçonnées  d'avoir  des 
tendances  à  la  révolte,  avec  vente  de  leurs  Siens  aux  enchères 
publiques,  ou  confiscation,  suivant  le  degré  de  leur  cnlpa* 
bilité; 

i^  D'introduire  dans  ces  provinces  des  colonies  de  petite 
noblesse  et  de  bougeoisie  russe  ; 

5"  De  faire  donner  l'enseignement  public  exclusivement  en 
langue  russe,  par  des  professeurs  russes,  etc.,  etc. 

M.  Pogodine,  professeur,  bistorien,  bomme  de  plume  et  de 
cabinet,  enveloppait  sa  conception  des  formes  lentes  de  la  mé* 
thode  administrative  •  Il  fallait  la  simplifier. 

Le  temps  pressait.  Le  plan  Pogodine  eut,  selon  les  inten- 
tions de  son  auteur,  été  exécuté  par  des  employés  civils... 

Le  czar  en  confia  l'exécution  à  des  généraux,à  Mouravirieff  !... 
a  ses  imitateurs. 

M.  Pogodine  voulait,  dit  H.  Henri  Martin,  supprimer  les 
lettrés  polonais  par  la  suppression  de  tout  enseignement  polo- 
nais; supprimer  les  propriétaires  par  l'expropriation,  par  les 
ventes  à  l'encbère,  par  l'emprunt  forcé  sous  forme  d'assignats, 
bref^  par  des  procédés  de  procureur-autocrate  et  de  bureau- 
cratie nanqueroutière  ;  ceci  pour  le  gros  de  la  race  condamnée; 
quant  aux  gens  spécialement  suspects,  aux  bommes  dange- 
reux, sa  modération  ne  demandait  pour  eux  que  la  transpor- 
tation  dans  l'intérieur  de  la  Russie,  eupbémisme  qui,  dans  le 
langage  administratif  de  là-bas,  veut  dire  communément  la 
Sibérie. 

Tout  cela  supposait  du  temps  et  des  loisirs.  On  a  dû  serrer 
les  crans  de  la  machine  pour  faire  vite  et  tout  faire  monter 
d'un  degré. 

La  transportation  dans  l'intérieur  de  l'empire  est  donc  ap- 
pliquée, non  plus  aux  suspects,  mais  aux  employés  catho- 
liques, c'est-à-dire  polonais  ou  lithuaniens,  que  l'on  remplace 
par  des  Moscovites. 

Les  fonctionnaires  électifs  de  l'ordre  de  la  noblesse  qui  se 
sont  démis  de  leurs  charges  pour  ne  plus  communi(|uer  avec 
le  gouvernement,  ont  eu  orare  de  retirer  leurs  démissions, 
sous  peine  de  haute  trahison.  Quant  aux  propriétaires  et  aux 
bourgeois,  on  les  somme  de  signer  des  adresses  de  fidélité  au 
czar^  dans  lesquelles  ils  doivent  manifester  leur  désir  de  voir 
la  Lithuanie  ou  la  Ruthénie  à  jamais  incorporée  à  la  Russie 
Tout  refus  est  considéré  comme  crime  de  haute  trahison,  et 
le  coupable  est  arrêté  et  traduit  devant  le  conseil  de^guerre. 


DB  LA  RiVOLDTIOH  POLONAISB.  457 

Geax  qui  se  soumettent  peuvent  échapper  à  la  captivité  et 
au  gibet^  mais  ils  n'échapperont  pas  à  l'expropriation  après  la 
révolte  étouffée,  sUls  échappent  pendant  la  révolte  aux  partis 
de  Cosaques  et  aux  couteaux  des  bandes  organisées  dans  les 
campagnes,  et  auxquelles  on  les  renvoie  en  les  expulsant  des 
villes. 

En  effet,  les  forces  régulières  n'étant  pas  suffisantes  poui 
dompter  les  factieux,  on  fait  appel  aux  forces  irrégulières  des 
populations  /idiles,  c'est-à-dire  qu'on  invite  les  pauvres  à 
extirper  les  riches,  en  les  leurrant  de  l'espoir  de  recevoir  de 
la  munificence  impfériale  la  totalité  des  domaines  dont  le  gou* 
yernement  révolutionnaire  offre  seulement  aux  paysans  une 
partie  avec  promesse  d'indemnité  aux  propriétaires. 

Enfin  la  fidélité  des  populations  rurales,  égarée  dans  le 
royaume  et  en  Lithuanie,  n'étant  pas  suffisamment  assurée 
ailleurs,  et  ces  populations,  même  en  Rulhénie,  inclinant  en 
très-grande  partie  à  la  rébellion,  on  mande  du  fond  de  TÂsie 
les  hordes  des  Baschkirs,  des  Kirghiz  et  des  Kalmoucks  pour 
achever  l'œuvre. 

C'est  tout  simplement  un  retour  aux  traditions  d'Attila*  Pis 
que  cela.  Souwarow  eut  pu  être  pris  pour  un  lieutenant  du 
chef  des  Huns.  Â  qui  assimiler  Hourawieff  le  pendeur  ! 

kt  voyez  quels  sont  les  acolytes  de  cet  exécuteur  du  plan 
Pogodine. 

Plotowski,  le  commandant  de  Witepsk,  celui  qui  a  fait  fu- 
siller le  comte  Plater,  et  qui  harangue  en  toute  occasion  les 
paysans  pour  les  persuader  de  se  débarrasser  des  propriétaires 
afin  d'inaugurer  le  règne  a  de  Dieu  et  le  vrai  bonheur  !...  » 

Zabolotski,  le  commandant  de  Minsk,  celui  qu'on  surnomma 
le  duc  du  faubourg  de  Cracovie,  â  cause  de  ses  exploits  contre 
les  femmes  et  les  enfants  dans  ce  faubourg  de  Varsovie.  Zabo- 
lotski,  qui  ne  connaît  qu'une  seule  façon  de  faire  la  guerre  : 
Mettre  à  prix  la  tète  des  chefs  ennemis  !.«. 

Trepow,  le  fameux  colonel  de  gendarmerie  de  1861  à  Var- 
sovie, congédié  alors,  comme  Zaboloiski,  pour  les  excès  un 
peu  trop  sanglants  de  son  zèle,  aujourd'hui  nommé  général 
et  chargé  d'organiser  les  milices  de  paysans  dans  l'Ukraine  et 
la  Volhvnie  ;  on  sait  ce  que  cela  veut  dire. 

Toll,  le  général  de  la  guerre  sans  quartier,  qui  ne  permet 
pas  à  ses  soldats  de  s'embarrasser  de  prisonniers,  et  que  des 
témoins  oculaires  accusent  d'avoir  fait  nrûler  vifs  des  blessés. 

L'énumération  serait  trop  longue  ;  Mouraveieff  résume 
tout. 

Quelqu'un  lui  demandait,  il  y  a  bien  des  années  de  cela^  dit 
M.  Henri  Martin,  s'il  était  parent  de  ce  Mourawieff  qui  mourut 
sur  i'échafaud  avec  l'héroïque  Pestel ,  après  l'insurrection  de 
1825,  à  Saint*Pélersbourg  :  «  Non,  répondit*il  ;  je  ne  suis 

58 


>f58  HISTOIRC 

pas  de^  Mourawieff  qu'on  pend  ;  Je  sdîb  des  Monrawieff  qui 
pendent!  » 

Le  surnom  lui  est  resté  et  il  a  tenu  parole  ;  il  a  été^  en  1831 
et  depuis^  le  plus  cruel,  le  plus  odieux  des  généraux  de 
Nicolas.  Tenu  à  l'écart^  comme  les  principaux  instruments 
du  règne  passé,  dans  les  premières  années  d'Alexandre  11^  il 
reparait  maintenant  :  on  sait  a^ec  quel  horrible  éclat. 

Et  cependant  le  général  Nazimoff  n'était  pas  d'une  dou- 
cenr  angélique.  Il  était  avant  Hourawieff  le  gouverneur  gé- 
néral des  provinces  orientales,  c'est-à-dire  de  la  Lithuanie. 
C'est  lui  qui  avait  organisé  les  massacres  de  Livonie.  Le  cabi- 
net de  Saml-Pétersbourg  le  trouva  insuffisant. 

Le  premier  mot  de  son  successeur  en  mettant  le  pied  sur  la 
terre  lithuanienne  fut  :  Il  est  inutile  de  faire  des  prisonniers  ! 

On  comprend  ce  que  signifiait  une  telle  parole  dans  la 
bouche  de  Mourawiefl". 

Le  25  mai,  au  soir^  il  fit  son  entrée  solennelle  dans  Wilna. 

Tous  les  hauts  fonctionnaires  allaient  le  26  rendre  visite  au 
nouveau  gouverneur.  Voici  le  langage  qu'il  leur  tint  : 

«  Vous  me  connaissez  déjà,  il  est  donc  superflu  d'exposer 
longuement  ce  que  j'exige  de  vous.  Le  serment  de  fidélité 
que  vous  avez  prêté  à  l'empereur  vous  impose  un  dévouement 
complet  au  service  de  Sa  Majesté.  Quiconque  ne  se  sent  pas 
capable  de  donner  sa  vie  pour  l'empereur  doit  résigner  ses 
fonctions.  » 

Le  général  menaça  ensuite  de  l'exil  en  Sibérie  les  maré- 
chaux de  la  noblesse  et  les  juges-arbitres  qui,  ayant  donné 
leurs  démissions,  ne  les  retireraient  pas.  En  outre  il  annonça 
nettement  sa  résolution  d'inonder  le  pays  d'agents  moscovites 
grassements  rétribués,  et  d'envoyer  en  Sibérie,  ou  dans  la 
province  d'Orenbourg,  tous  les  fonctionnaires  catholiques  et 
d'origine  polonaise  qui  ne  se  conduiraient  pas  de  façon  à  éloi- 
gner d'eux  tout  soupçon. 

Une  somme  de  100,000  roubles  (400,00  fr.)  a  été  mise  à  sa 
disposition  par  le  ministère  des  finances  pour  payer  ses  agents, 
et  on  assure  en  outre  qu'il  a  obtenu  de  l'empereur  l'autorisa- 
tion de  brûler,  au  besoin,  toutes  tes  forêts  de  la  Lithuanie  ! 

Pour  terminer  ce  volume,  il  nous  faut  donner  au  lecteur 
Kne  idée  coniîplète  de  l'état  des  esprits  en  Pologne. 
•    La  plus  surprenante  manifestation  de  la  puissance  de  l'idée 
d^ndépendance  est  l'existence  dugouvernenient  national. 

La  lettre  d'un  voyageur  anglais  au  journal  TAe  5jp6e:^a/0fj 
nous  fournit  sur  son  fonctionnementles  détails  les  plus^urieux 
et  les  plus  antheVitiques  : 

«  Le  gouvernement  national  a  une  organisation  sans 
pareille  dans'l'histoire,  pour  sa  perfection  et  son  efficacité. 


DE  LA  aÉVOLUTIOll  POLONAISK.  4S9 

c  II  n'a  peQt--èire  fait  que  deux  fautes  :  Tenter  (f  interdire  la 
circulation  sur  les  chemins  de  fer,  et  donner  i'ordre  aux  em-* 
ployés  des  lignes  ferrées  de  quitter  leurs  places.  Ils  obéirent  ; 
mais  comme  les  Russes  leur  répondirent  par  la  menace  d'em- 
prisonner tous  ceux  qui  ne  donneraient  cas  une  raison  satis- 
faisante de  leur  démission,  la  mesure  a  dû  êlre  rapportée. 

c  Hormis  ces  deux  points^  les  succès  du  gouvernement 
secret  ont  été  en  quelque  sorte  miraculeux.  Il  recueille  les 
contributions  qu'il  a  imposées^  et  il  empêche  les  Russes  de 
recevoir  un  denier. 

«  On  cite*  à  ce  sujet  une  anecdote  dramatique  que  je  puis 
garantir.  Le  grand-duc  lui-même  fut  un  jour  sommé  de  payer 
10,000  roubles  (environ  40^000  francs),  pour  sa  part  de  la  con- 
tribution sur  le  revenu.  11  envoya  un  aide*de-camp  avec  l'ar- 
gent à  la  maison  indiquée,  en  même  temps  que  la  police 
recevait  Tordre  de  la  cerner  secrètement.  L'officier  se  trouva 
en  présence  d'un  vieillard  qui  prit  les  billets  de  banque,  sortit 
de  la  chambre  pour  faire  un  reçu  et  ne  reparut  plus.  Lorsque 
la  police  fut  appelée,  on  trouva  que  la  chambre  était  occupée 
par  une  institutrice  qui  donnait  des  leçons  en  ville,  et  le  pro- 
priétaire protesta  qu'il  ne  connaissait  aucunement  le  vieillard. 

a  On  ajoute  que  lorsque  Tofficiet*  vint  faire  ses  excuses  au 
grandnluc,  il  trouva  que  le  reçu  avait  déjà  été  envoyé  au 
palais. 

«  Ce  qui  doit  paraître  encore  plus  étonnant,  c'est  que  les 
Russes  ne  puissent  réussir  à  lever  les  contributions  dans  une 
ville  comme  Varsovie,  où  ils  ont  actuellement  quelque  chose 
comme  un  soldat  sur  trois  habitants.  Mais  ils  ont  rencontré 
partout  un  refus  obstiné. 

«  S'ils*  faisaient  une  saisie,  cela  pourrait  occasionner  un 
rassemblement  et  amener  une  émeute.  De  plus,  personne 
n'achèterait  Tobjet  saisi  et  mis  en  vente. 

c  Un  pareil  état  de  choses  ne  peut  durer  longtemps.  Hou- 
rawieff  lui-même  a  été  presque  déconcerté  par  cette  déter- 
mination en  Lithuanie,  et  réduit  à  fixer  pour  le  bétail  saisi  un 
prix  nominal,  comme  3  francs  pour  une  vache,  et  alors  sou- 
vent les  paysans  les  rachetaient  pour  les  propriétaires. 

c  Dans  la  Pologne  proprement  dite,  la  police  refuse  des 
passe-ports  à  tous  ceux  qui  n'ont  pas  payé  l'impôt.  Un  de  mes 
amis  cependant  m'écrit  qu'il  viendra  bientôt  me  voir  en  An- 
gleterre. Aussitôt,  me  dit-il,  que  l'on  saura  oue  je  désire 
quitter  le  pays,  quelque  employé,  en  vue  d'une  légère  gratifi- 
cation, m'apportera  une  quittance  dûment  expédiée  etcertifiée 
des  contributions  que  je  n'ai  jamais  payées,  et  cela  sans  que 
f  aie  même  la  peine  de  le  demander. 

«  Une  seconde  preuve  de  l'action  efficace  du  gouvernement 
national,  c'est  le  système  postal  qu'il  a  organisé.  Lorsque  je 


460  HISTOIRB 

partis  pour  le  théfttre  de  la  guerre^  je  me  procurai  deux 
passe-ports. 

«  Le  premier^  émanant  du  préfet  de  Varsovie ,  disait  sim- 
plement :  a  le  porteur  est  autorisé  à  visiter  Tarmée  nationale^i 
et  au-dessous  étaient  indiqués  mon  nom  et  ma  qualité  de  sujet 
britannique. 

«  Le  second  était  ainsi  conçu  :  «Le  préfet  de...  (chef-lieu  de 
<x  province)  informe  toutes  les  autorités  nationales,  tant  civiles 
«  que  militaires,  qu'elles  doivent  donner  toute  Tassistancequi 
«  sera  en  leur  pouvoir  au  porteur  du  présent,  voyageant  dans 
«  l'intérêt  de  la  cause  nationale.  Les  stations  nationales  sont 
«  obligées  à  lui  fournir  deux  chevaux  et  une  briska.  Le  pré- 
«  sent  avis  est  bon  pour  (|uinze  jours,  b 

«  Tant  que  je  suis  resté  dans  la  Pologne  soumise  à  la  Rus- 
sie, j'étais  si  complètement  entouré  d'amis,  que  probablement 
j'aurais  circulé  sans  faire  usage  de  ce  document.  Mais  lorsque 
j'eus  passé  la  frontière,  j'arrivai  dans  une  partie  de  la  Gallicie, 
où  |e  n'avais  aucune  connaissance,  et  où^  je  crois,  il  n'y  a  pas 
ordinairement  moyen  de  se  procurer  autre  chose  qu'une 
charrette  dç  paysan.  Grâce  à  mon  passe-port,  j'accomplis  un 
voyage  difficile  en  très-peu  de  temps,  et  je  rencontrai  partout 
le  plus  cordial  accueil. 

«  Il  faut  se  rappeler  que  quoi  qu'on  puisse  dire  de  la 
Pologne  russe,  le  pouvoir  du  gouvernement  national  dans  la 
Pologne  autrichienne  est  purement  idéal.  11  n'a  pour  lui  que 
les  classes  éclairées,  et  certes  il  ne  pourrait  employer  sur  elles 
aucun  système  de  terrorisme  en  présence  de  la  police  autri- 
chienne et  de  l'hostilité  des  paysans.  J'ajouterai  que  comme 
mes  passe-ports  portaient  respectivement  les  numéros  947  et 
806,  l'usage  qui  s'en  fait  doit  être  considérable.  En  effet,  à  un 
relai  on  m'a  dit  que  les  chevaux  travaillaient  à  en  crever. 

«  Je  me  suis  arrêté  sur  ces  deux  points,  les  contributions  et 
la  question  postale,  parce  qu'ils  peuvent,  je  pense,  jaire  mieux 
que  toute  autre  chose,  apprécier  la  force  réelle  diî  gouverne- 
ment national.  Il  ne  faut  rien  moins  qu'un  succès  universel  et 
absolu  pour  le  soutenir  dans  ces  deux  moyens  d'action.  Hais 
son  pouvoir  est,  sous  d'autres  rapports,  singulièrement  remar- 
quable; il  est  instruit  des  plans  des  Russes  presqu'aussitôt 
qu'ils  sont  conçus,  et  il  obtient  les  informations  les  plus 
promptes  sur  les  opérations  militaires  des  deux  partis;  s'iliiv 
terdit  une  émeute,  tout  reste  tranquille,  et  personne  ne  doute 
:  c|ue  s'il  donnait  un  ordre,  les  rues  de  la  ville  désignée  seraient 
inondées  de  sanç.  Il  y  a  peu  de  temps,  le  gouvernement  russe 
acheta  deux  maisons  dans  l'une  des  principales  rues  de  Var- 
sovie, le  boulevard  de  Cracovie,  pour  les  démolir  atin  de  faci- 
liter racllon  de  rarlillerie  en  cas  de  troubles.  Le  gouverne- 
ment national  défendit  à  qui  que  ce  fut  de  travailler  à  cette 


DE  iA  RÉVOLUTION  POLONAISE*  iùi 

démolition^  et  Tautorité  moscovite  fut  obligée  de  faire  exécu« 
ter  le  travail  par  des  soldats  que  la  municipalité  de  Varsovie 
fut  condamnée  à  payer,  d 

Le  même  voyageur  donne  des  renseignements  surTorga** 
nisation  des  corps  d'insurgés,  qui  complètent  ce  que  nous  en 
avons  dit  : 

«  L'espoir  des  chefs  repose  sur  les  paysans.  Ceux-ci  d'abord 
étalent  indifférents  et  répugnaient  à  s'opposer  au  gouverne- 
nient.  Mais  graduellement  l'esprit  de  la  guerre  s'est  emparé 
d'eux,  et  dans  la  Pologne  proprement  dite  ils  prennent  libre- 
ment Jes  armes.  A  Posen,  ils  sont  prêts  dès  le  commencement 
de  l'insurrection,  mais  ils  désirent  commencer  par  combattre 
leurs,  ennemis  naturels,  les  Prussiens. 

«  On  dit  que  dans  un  seul  district,  celui  de  Lublin,  3,000 
paysans  ont  été  récemment  enrôlés. 

a  On  disait  dernièrement  à  Cracovie  qu'un  paysan  était  allé 
rejoindre  les  insurgés  avec  sa  femme,  sa  fille  et  le  fiancé  de 
c<!lle-ci.  Le  détachement  fut  attaqué  au  moment  où  il  passait 
la  frontière;  le  père,  la  mère  et  l'amoureux  tombèrent  dans 
la  lutte,  et  la  fille,  déjà  blessée,  fut  sauvée  par  un  officier  qui 
avait  reconnu  son  sexe. 

<K  Généralement  ce  sont  les  combats  sur  les  frontières  qui 
sont  ce  qu'il  y  a  de  plus  fatal  pour  la  rébellion.  Le  conscrit 
qui  peut-être  ne  sait  même  pas  manier  son  fusil,  est  saisi 
d  une  terreur  panique  lorsqu'il  se  trouve  devant  une  force 
écrasante. 

«  Pendant  mon  séjour  dans  les  districts  insurgés,  je  ren- 
contrai une  division  en  marche,  et  plus  tard  faisant  halte.  Elle 
consistait  en  deux  régiments  forts  l'un  de  500  et  l'autre  de 
420  hommes;  ils  se  dirigeaient  vers  la  frontière  pour  protéger 
l'entrée  de  nouvelles  compagnies  et  faire  des  recrues.  Un  tiers 
ou  un  quart  était  des  cavaliers,  montés  la  plupart  sur  des  che- 
vaux de  labour;  il  y  avait  environ  autant  de  faucheurs,  tous 
paysans.  A  voir  les  bagages  et  les  malades  n'occupant  que  six 
voitures,  sir  Charles  Napier,  si  amoureux  de  la  simplicité, 
aurait  été  ravi.  Les  hommes  étaient  comparativement  des' 
vétérans,  à  la  figure  bronzée,  à  l'attitude  martiale,  marchant 
irrégulièrement  il  est  vrai,  mais  toujours  en  bon  ordre  et  avec 
précision.  Chacun  était  habillé  et  armé  à  sa  guise;  on  ne 
voyait  de  tous  côtés  que  de  gros  manteaux  militaires,  des  uni- 
formes improvisés,  des  vestes  de  chasse,  des  habits  ordinaires 
et  des  manches  de  chemises  de  paysans;  les  fusils  étaient  de 
toutes  les  formes  et  de  toutes  les  fabriques.  J'ai  marché  pen- 
dant deux  milles  à  leurs  côtés  et  je  puis  attester  qu'ils  fai- 
saient près  de  quatre  milles  à  l'teuiîç.  Aux  haltes,  le  quartier 
gênerai  était  établi  danà^Hintoiloifdtf  principal  propriétaire 
au  village  et  ces  hôtes  dangereux  étaient  reçus  avec  la  plus 


462  HISTOIRB 

franche  cordialité.  Notre  hôte  me  dit  plus  tard  qu'il  avait  deux 
fils  au  service. 

<i  Dans  une  lutte  comme  la  lutte  actuelle,  ce  sont  les  plus 
nobles  et  les  plus  purs  qui  tombent  les  premiers.  Au  nom  de 
Dieu,  que  deviendra  la  Pologne  si  elle  est  pacifiée  ou  si  elle 
est  libre  l'année  prochaine,  alors  qu'elle  aura  perdu  ses  gen- 
tilshommes les  meilleurs  et  les  plus  capables?  Que  devien- 
drons-nous, si  nous  laissons  les  cosaques  fouler  aux  pieds  ijne 
civilisation  basée^  comme  la  nôtre  sur  Tesprit  de  liberté^  de 
chevalerie  et  de  christianisme?  » 


Notre  tâche  est  accomplie,  ou  plutôt  elle  doit  subir  ici  un 
temps  d'arrêt. 

La  révolution  polonaise  n'est  pas  l'œuvre  d'une  conspiration^ 
mais  le  résultat  des  procédés  du  gouvernement  russe. 

Elle  se  résume  en  quatre  périodes  : 

Les  partages,  œuvre  d'ambition  de  trois  souverains,  sans 
parti-pris  de  haine  pour  la  nationalité  polonaise. 
,  La  persécution,  provoquée  par  Timpossibilité  d'assimiler  la 
race  slave  brave,  civilisée,  catholique,  à  la  race  tartare  ou 
moscovite. 

Le  Panslavisme,  tentative  d'absorption  de  la  Russie  par  la 
Pologne,  amenée  par  une  erreur  sur  les  races,  et  ayant  eu 
pour  conséquence  les  mesures  extrêmes  qui  firent  éclater  l'in- 
surrection. 

Enfin  Texécution  du  plan  Pogodine,  raisonnable  au  point 
de  vue  moscovite,  mortel  au  point  de  vue  polonais. 

C'est,  nous  Tavons  dit,  dans  cette  période  que  la  Pologne  est 
entrée  avec  de  Berg  et  Mourawielf. 

Ce  sera  la  dernière. 

Ou  la  Pologne,  seule  ou  secourue  chassera  à  jamais  de  son 
sol  les  Moscovites... 

Ou  les  Polonais,  arrachés  un  à  un  de  leur  pays ,  et  jetés, 
mourants  ou  mutilés  sur  le  sol  de  l'immense  empire  des  czars, 
seront  tous,  absolument  tous,  bannis  de  leur  patrie. 

Il  n'v  a  pas  d'autre  solution  à  la  question  :  la  Pologne  sera 
triomphante  ou  écrasée. 

Triomphante  :  c'est  qu'il  n'y  aura  plus  un  seul  Russe  en 
Pologne! 

Ecrasée  :  c'est  qu'il  n'y  aura  plus  en  Pologne  un  seul 
Polonais! 

FIN. 

AUG  131920 


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DB  LA  BiVOLDTION  POLOUAISI.  463 


BXTBAIT  DU  DISCOURS  BB  L'BMPEBBUB,   PBONONCfi  LBSnOYBIIBBB 
1863^  A  L'OXrVEBTUBB  DB  LA  SESSION  LâaiSLATIVB. 

«  Messieurs  les  sénateurs, 
a  Messieurs  les  députés, 

«  Quant  éclata  l'insurrection  de  Pologne,  les  gouverne- 
ments de  Russie  et  de  France  étaient  dans  les  meilleures  rela«- 
tiens;  depuis  la  paix,  les  grandes  questions  européennes  les 
avaient  trouvés  d^accord,  et,  je  n'hésite  pas  à  le  déclarer,  pen- 
dant la  guerre  d'Italie,  comme  lors  de  Tannezion  du  comté 
de  Nice  et  de  la  Savoie,  Tempereur  Alexandre  m'a  prêté  Tap* 
pui  le  plus  sincère  et  le  plus  cordial. 

«  Ce  bon  accord  exigeait  des  ménagements,  et  11  m'a  fallu 
croire  la  cause  polonaise  bien  populaire  en  France  pour  ne 
pas  hésiter  à  compromettre  une  des  premières  alliances  du 
continent,  et  à  élever  la  voix  en  faveur  d'nine  nation»  rebelle 
aux  yeux  de  la  Russie,  mais  aux  nôtres  héritière  d'un  droit 
inscrit  dans  Thistoire  et  dans  les  traités. 

«  Néanmoins,  cette  question  touchait  aux  plus  graves  în- 
lérêts  européens;  elle  ne  pouvait  être  traitée  isolément  par  la 
France.  Une  offense  à  notre  honneur  ou  une  menace  contre 
nos  frontières  nous  imposent  seules  le  devoir  d'agir  sans  con^ 
cert  préalable. 

«  Il  devenait  dès  lors  nécessaire,  comme  à  Tépoque  des 
événements  d'Orient  et  de  Syrie,  de  m'entendre  avec  les  puis^ 
sances  qui  avaient,  pour  se  prononcer,  des  raisons  et  des  drofU 
semblables  aux  nôtres. 

a  L'insurrection  polonaise,  à  laquelle  sa  durée  imprimait 
un  caractère  national,  réveilla  partout  des  sympathies,  et  le 
but  de  la  diplomatie  fut  d'attirer  à  cette  cause  le  plus  d'adhé- 
sions possibles,  afin  de  peser  sur  la  Russie  de  tout  le  poids  de 
l'opinion  de  TEurope. 

«  Ce  concoure  de  vœux  presque  unanime  nous  semblait  le 
moyen  le  plus  propre  à  opérer  la  persuation  sur  le  cabinet 
de  Saint-Pétersbourg.  Malheureusement,  nos  conseils  désin- 
téressés  ont  été  interprétés  comme  une  intimidation,  et  les 
démarches  de  l'Angleterre,  de'TAutriche  et  de  la  France,  au 
lieu  d'arrêter  la  lutte,  n'ont  fait  que  l'envenimer. 

«  Des  deux  côtés  se  commettent  des  excès  qu'au  nom  de 
l'humanité  on  doit  également  déplorer. 

«  Que  reste-t-il  donc  à  faire?  Sommes-nous  réduits  à  la 
seule  alternative  de  la  guerre  ou  du  silence?  Non. 


464  HMTOIRI 

c  Sans  courir  aux  armes  comme  sans  nous  taire^  un  moyen 
nous  reste;  c'est  de  soumettre  la  cause  polonaise  à  un  tribunal 
européen.  La  Russie  Ta  déjà  déclaré,  des  conférences  où  toutes 
les  autres  questions  qui  agitent  l'Europe  seraient  débattues  , 
ne  blesseraient  en  rien  sa  dignité. 

«  Prenons  acte  de  cette  déclaration.  Qu'elle  nous  serre  à 
éteindre,  une  fois  pour  toutes^  les  ferment  de  discorde  prêts  à 
éclater  de  tous  côtés  et  que,  du  malaise  même  de  l'Europe^ 
trayaillée  par  tant  d'éléments  de  dissolution,  naisse  une  ère 
nouvelle  d'ordre  et  d'apaisement! 

€  Le  moment  n'est*il  pas  venu  de  reconstruire  sur  de  nou- 
Yelles  bases  Tédifice  terminé  par  le  temps  et  détruit  pièce  à 
pièce  par  les  révolutions? 

c  N  est-il  pas  urgent  de  reconnaître  par  de  nouvelles  con- 
ventions ce  qui  s'est  irrévocablement  accompli,  et  d'accom^ir 
d'un  commun  accord  ce  que  réclame  la  paix  du  monde? 

«  Les  traités  de  181 5  ont  cessé  d'exister.  La  force  des  choses 
les  a  renversés  ou  teud  à  les  renverser  presque  partout  Ils  sont 
brisés  en  Grèce^  en  Belgique,  en  France,  en  Italie,  comme  sur 
le  Danube. 

c  L'Allemagne  s'agite  pour  les  changer;  l'Angleterre  les  a 
généreusement  modifiés  par  la  cession  des  lies  Ioniennes,  et 
la  Russie  les  foule  aux  pieds  à  Varsovie. 

«  Au  milieu  de  ce  déchirement  successif  du  pacte  fonda- 
mental européen,  les  passons  ardentes  se  surexcitent  et,  au 
Midi  comme  au  Nord,  de  puissants  intérêts  demandent  une 
solution. 

«  Quoi  donc  de  plus  légitime  et  de  plus  sensé  que  de  con- 
vier les  puissances  de  l'Europe  à  un  congrès  où  les  amours- 
propres  et  les  résistances. disparaîtraient  devant  un  arbitrage 
gnprême? 

a  Quoi  de  plus  conforme  aux  idées  de  l'époque,  aux  vœux 
du  plus  grand  nombre,  que  de  s'adresser  à  la  conscience,  à  la 
raison  des  hommes  d'Etat  de  tous  les  pays,  et  de  leur  dire  : 

a  Les  préjugés,  les  rancunes  qui  nous  divisent  n'ont-ils  pas 
déjà  trop  duret 

a  La  rivalité  jalouse  des  grandes  puissances  empêcbera-t- 
elle  sans  cesse  les  progrès  de  la  civilisation? 

c  Entretiendrons-nous  toujours  de  niutuelles  défiances  par  i 

des  armements  exagérés?  i 

a  Les  ressources  les  plus  précieuses  doivent-elles  indéfini- 
ment s'épuiser  dans  une  vaine  ostentation  de  nos  forces?  j 

a  Conserverons-nous  éternellement  un  état  qui  n'est  ni  la  | 

paix  avec  sa  sécurité,  ni  la  guerre  avec  ses  chances  heureuses? 

c  Ne  donnons  pas  plus  longtemps  une  importance  factice  à  1 

l'esprit  subversif  des  parties  extrêmes,  en  nous  opposant  par  | 

d'étroits  calculs  aux  légitimes  aspirations  des  peuples. 


M  LA  BÉVOLUTIO!!  F0L0NÀI6E.  405 

c  Ayons  le  courage  de  subsUtaer  a  un  état  maladif  et  pré* 
caire  une  situation  sud>le  et  régulière^  dût-elle  coûter  des  sa^* 
criflces. 

«  Réunissons-nous  sans  système  préconçu,  sans  ambition 
exclusive,  animés  par  la  seule  pensée  d'établir  un  ordre  de 
choses  fondé  désormais  sur  Tintérêt  bien  compris  des  sou- 
verains et  des  peuples. 

«  Cet  appel,  j'aime  à  le  croire,  sera  entendu  de  tous.  Un  re- 
fusYerait  supposer  de  secrets  projets  qui  redoutent  le  grand 
jour;  mais,  quand  même  la  proiM)sition  ne  serait  pas  unanime- 
ment agréée,  elle  aurait  l'immense  avantage  d'avoir  signalé 
à  TEurope  où  est  le  danger,  où  est  le  salut. 

a  Deux  voies  sont  ouvertes  :  Tune  conduit  au  progrès  par 
la  conciliation  et  la  |)aix;  Tautre,  t5t  ou  tard,  mène  fatalement 
à  la  guerre  par  TobsUnation  à  maintenir  un  passé  qui  s'écroule. 

€  Vous  connaissez  maintenant,  Messieurs,  le  langage  que  je 
me  propose  de  tenir  à  l'Euroçe.  Approuvé  par  vous,  sanc- 
tionné par  ressentiment  public,  il  ne  peut  manquer  d'être 
éooutéi  puisque  je  parle  au  nom  de  la  France,  s 


LSTIBBDB  8AMAJB8TÉ  L'HMPBBBUB  NAPOLÉON  m  AUX  SODTlBàlllB 

ÉTBAMGSBS. 

C  Très-hauts  et  très^illustres  princes  et  Vill^  libres  com- 
posant la  sérénissime  Confédération  germanique. 

«  En  présence  des  événements  oui,  chaque  jour,  surgissent 
et  se  pressent,  je  crois  indispensable  de  dire  toute  ma  pensée 
aux  souverains  auxquels  est  confiée  la  destinée  des  peuples. 

«  Toutes  les  fois  que  de  profondes  secousses  ont  ébranlé  les 
bases  et  déplacé  les  limites  des  États,  il  est  survenu  des  tran- 
sactions solennelles  pour  coordonner  les  événements  nouveaux 
et  consacrer,  en  les  révisant,  les  transformations  accomplies. 
Tel  a  été  l'objet  du  traité  de  Westpbalie  au  dix-septième  siècle, 
et  des  négociations  de  Vienne  en  1815.  C'est  sur  ce  dernier 
fondement  que  repose  aujourd'hui  Tédiâce  politique  de  Pfiu- 
rope  ;  et  cependant,  vous  ne  l'ignorez  pas,  il  s^écroule  de  toutes 
parts. 

<  Si  l'on  considère  attentivement  la  situation  des  divers 
pays,  il  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître  que,  presque  sur 
tous  les  points ,  les  traités  de  Vienne  sont  détruits,  modinés, 
méconnus  ou  menacés.  Delà  des  devoirs  sans  règle,des  droits 
sans  titre  et  des  prétentions  sans  frein.  Péril  d'autant  plus 

59 


IM  HiflTOIAB 

redoutable  oue  les  perfectionnetnentai  asieiiée  par  ki  chrilna- 
tioo,  qui  a  ité  le»  peuples «nire  eux  pai:  1a  sokiterité  des  inté- 
rêts matériels,  rendraient  la  guerre  plus  destructive  encore. 

«  C*es4  là  an  sujet  de  graves  méditations.  N'atleodons  |ias 
INMir  prendre  un  parti  que  des  éTénemenls  sondainsi  irrésîs- 
itMee,  trooMenl  notre  jugement  et  nous  entraînent,  uMi^é 
nous»  daps  des  directions  contraires. 

c  le  viens  donc  vous  proposer  de  régler  le  présent  et  d'assu- 
far  faveoir  dans  un  Congres. 

c  Appelé  au  trène  par  la  Providence  et  par  la  volonté  du 
paofle  français,  mais  élevé  à  l'école  de  l'adversité,  il  m'est 
peut-être  moins  permis  ({u'à  un  autre  d'ignorer  et  les  droits 
dea  sottverainaet  les  légitimes  aspirations  des  peuples. 

•  Aussi  je  suis  prèl,  sans  système  préconçu,  à  jpohew  dans 
UB  conseil  international  Tesprit  de  modération  et  de  justice, 
partage  «wdinaire  de  ceux  qui  ont  subi  tant  d'épreuves 
diverses. 

€  Si  je  prends  Pinitiatîve  d'une  semblable  ouverture,  je  ne 
cède  pas  a  un  mouvement  de  vanité;  maïs  comfne  j^  suis  le 
souverain  auquel  on  prête  le  plus  de  projets  ambitieux,  j*ai  à 
cœur  de  prouver,  par  cette  aémarcbe  franche  et  loyale,  que 
mon  unique  but  est  d'arriver  sans  secjusse  à  la  pacification  de 
l'Europe. 

«  Si  cette  proposition  est  accueillie,  je  vous  prie  d'accepter 
Paria  oonune  lieu  de  léunion* 

a  Dans  le  cas  où  les  princes  alliés  et  amis  de  la  France  ju- 

Seraient  convenable  de  rehausser  par  leur  présence  l'autorité 
es  délibérations^  je  serai  fier  de  leur  offrir  ma  cordiale  bos- 
ÎHah'té.  L'Europe  verrait  peut-être  quel(][ue  avantage  à  ce  qne 
L  capitale  d'où  est  parti  tant  de  fois  le  signal  des  bouleverse* 
roents  devint  le  siège  des  conférences  destinées  à  jeter  les  bases 
d'une  pacification  générale. 

«  Je  saisis  cette  occasion  de  vous  renouveler  les  assurances 
de  mon  sincère  attachement  et  du  vif  intérêt  que  je  prends  à 
la  prospérité  des  Etats  de  la  Confédération. 

«  Sur  ce,  très-hauts  et  très-illustres  princes  souverains  et 
Villes  libres  composant  la  sérénissime  Confédération  germa* 
nique,  je  prie  Dieu  qu'il  vous  ait  en  sa  sainte  et  digne  garde. 

ê 

c  Ecrit  à  Paris,  le  4  novembre  de  Tan  de  grâce  1863» 

<  NAPOLÉON, 
«  Conlre-signé  : 
Droutn  db  Lhoys.  » 


TABLE  DES  MATIÈRES 

COnTBi^UBS  PA1I8  Gl  VOtUKB. 


Chapitiie  I".— La  Pologne  avant  1«  ▼!•  siècle.— La  Pologne  après  \  57«; 
sa  constitotion politique. — Les  nobles;  les  bourgeois;  les  paysans; 
les  juifs.-^&lonarchie  électWe;  diète;  liberum  veto, —  Sobieski.-^ 
Frédéric-Auguste.— Le  prince  Poniatowski.*-  Deui  partis  en  Po-> 
logne. — Règne  dePoniatowski.sou»  le  nom  de  Stanislas-Auguste* 
—Intervention  de  la  Russie  dans  les  affairea  de  laPologne.--^  Mft- 
cbinations,  intrigues  de  Catherine  11.— Invasion  de  la  Gourlande* 
Une  séance  de  la  diète  de  i794.—  Les  dissidents.—  Soulèvement 
des  Polonais.«-Confédération  de  Bar.*- Louis  XVI  envoie  Dumou*^ 
riez  avec  quelques  troupes  en  Pologne.-— Prise  du  château  de  Grar 
coviepar  des  officiers  français«-^Suwarow. — Cruautés  inouïes  des 
iRusses  envers  les  confédérés,— Premier  partage  .de  la  Pologne.-^ 
Duplicité  àe  la  Prusse.-^£fiet  de  la  révolution  française  sur  la  na- 
tion polonaise.— Négociations  à  Paris. — Constitution  du  3  mai  1791. 
Inique  invasion  delà  Pologne  par  la  Russie.-^  La  Pologne  se  pré* 
pare  à  la  guerre* — Joseph  Poniato wski  est  nommé  général  en  chef 
de  Tarmée  polonaise  •••••>'••» «  .  ,  •  .      I 

Chapitre  II  [1792].  —  Confédération  de  Tarffowice.  -^  Premiers 
désastres  ae  T armée  polonaise  ;  évacuation  oe  1  Ukraine.— Com- 
bat de  Zielincé.—Kosciuszko  à  Dubienka. —  Mauvais  succès  de  la 
guerre.—  Adhésion  de  Stanislas  à  la  confédération  de  Targowice, 
—Indignation  tie  la  nation  et  de  l'armée.— Suspension  d'armes. — 
Dislocation  de  l'armée  polonaise.  Émigration  des  patriotes.  •*  Dé- 
claration de  Grodno.— Résultats  de  cette  déclaration.  .*•..,    74 

Cbapitre  III  (1793). —  Mouvement  réactionnaire. —  Igielstrom."— 
Pretnière  association'  révoliuionnaiire  à  Varsovie.  —  Kosciuszko, 
— Délibération  des  exilés  à  Leipzig, — Ignace  Potocki.— Kolontay.  * 
— Rosciuszko  consent  à  se  mettre  à  la  tête  de  l'insurrection  :  son 
arrivée  en  Pologne.  —  L'insurrection  est  différée.—  Entrée  des 
Prussiens  en  Pologne.  —  Émigration  polonaise.  —  Kosciuszko  et 
MostOTvski  à  Paris;  ils  négocient  avec  Dumouriez. —  Le  baron  de 
Bars  et  le  comité  de  salut  public.  —  Insuccès  des  nétçociations  à 
Paris.  —  Diète  du  Grodno.— Mémorable  séance  du  10  juin  17Ô3. 
—  Second  partage  de  la  Pologne 94 

Cbapiibb  IV  (1794).— Retour  à  Varsovie  du  roi  Stanislas  et  de  l'am- 
bassadeur de  Russie.— Redoublement  de  persécutioas.— Situation 
critique  des  conjurés.—  Insurrection  de  Madaiinski.— Arrivée  de 
Kosciuszko  à  Cracovie. — ^Insurrection  de  Cracovie.— Acte  d'insur- 
rection du  24  mars  1794.— Kosciuszko  est  nommé  chef  de  Tinsuc- 
rection;  son  serment  j  ses  proclamations  à  l'armée  et  à  la  nation. 


468  TABLE  DES  MATltRES 

—Bataille  de  Raslaficé.— Beaa  fait  d'armes  de  Koseîuszko.-— Pre- 
mières Tictoires  des  insurgés ii8 

Chapitre  V  (1794).— L'insurrection  se  propaee.^Situation  critique 
des  Russes  à  Varsovie.  —État  des  esprits  a  Varsovie  ;  fermenta- 
tion générale.  —  Complot  des  Russes  pour  s'emparer  de  l'arsenal 
par  surprise.— L'indécision  des  patriotes  est  fixée  par  la  décoaverte 
de  ce  complot.  —  Insurrection  de  VarsoYie.  —  Insuirection  de 
Wilna.  —  Une  partie  de  rarmée  polonaise  au  service  des  Russes 
passe  aux  insurgés.—  Kosciuszko  après  la  bataille  de  RasUvicé; 
il  s'occupe  à  organiser  son  armée  ;  aifficultés  qu'il  éprouve.  —  Le 
sellier  de  Varsovie.  —  Les  nobles  et  les  paysans.  —  Division  et 
défiance  de  ces  ordres  :  motifs  de  ces  divisions  et  de  ces  défiances; 
leurs  funestes  effets.—*  Koscinsadto  essaie  d'y  remédier.—  Ordon» 
nance  réglant  les  devobrs  des  paysans  oivers  les  propriétaires.  — 
Levéedu  cinquième i39 

Chapithb  YI  (1*794).— Kosciuszko  à  Palanièce.—  Manifestes  russes. 
—  Déclaration  du  président  du  conseil  national  Dombrowski.  — 
Kociuszko  est  bloqué  par  l'armée  russe  à  Palanièce.— Jonction  de 
Grochovski.— Intrigfue  contre-révolutionnaire  ;  émeute  à  Varso- 
vie.—Kosciuszko  bit  punir  les  coupables.— Insurrection  du  canton 
de  Cbelm.  —  Combat  de  Stezecocyny.—  Entrée  des  Prussiens  à 
Gracovie.— Revers  successifs  des  insurgés.—  Kosciuszko  se  retire 
sous  Varsovie  —  Arrivée  des  armées  russe  et  prussienne  sous  les 
murs  de  Varsovie 173 

OBafitre  VIfl  (1794).— Les  factions  russe  et  royaliste  à  Varsovie- 
Institution  d'une  commission  militaire.— Irritation  des  partis.— Eta- 
blissement du  papier-monnaie.—  Siège  de  Varsovie.  —  Succès  des 
Polonais.— Insurrection  de  la  Grande-Pologne.— Sanguinaire  pro* 
clamation  du  colonel  prussien  Bekuli.  —  Déclaration,  à  ce  sujet, 
du  conseil  suprême  de  Varsovie. — Les  prussiens  lèiFent  le  siège.  *- 
Nouvelles  désastreuses  de  la  Litbuanie.  —  Suwarow. —  Départ  de 
Kosciuszko  pour  l'armée  de  Litbuanie.  —  Adresse  du  conseil 
suprême  aux  Polonais.  —  Kosciuszko  à  Maciejowice —  Bataille  de 
Maciejowice. —  Défaite  des  Polonais. —  Kosciuszko  est  fait  prison- 
nier.—Kosciuszko  dans  les  cacbotsdela  Russie.— Quelques  détails 
sur  ce  cbef  révolutionnaire,  depuis  la  défaite  de  Maciejowice  jus- 
qu'à sa  mort 193 

Cbapitre  VIII  (1795).— Rôle  de  TAutricbe  pendant  la  révolution  de 
Pologne.  —  Tableau  de  la  Pologne  après  la  perte  de  la  bataille  de 
Maciejowice. — Nomination  d'un  chef-général.— Wawnecki. — ^Dé- 
couri^ement  de  l'armée  et  du  peuple.  —  Grands  préparatife  de 
défense  ;  faibles  chances  de  succès  ;  revers  successifs. —  Famine  à 
Varsovie.— Arrivée  des  Russes  devant  Varsovie.  —  Prise  du  fau- 
bourg de  Praga.— Horribles  massacres  de  Suwarow.— ^Capitulation 
de  Varsovie.- Fin  de  la  révolution  de  Pologne  de  4794.— Arresta- 
tions, confiscations,  exéèutions.—  Coup  d'œil  rétrospectif.  ....  S27 

Chapitre  IX  (i  8 15-1 830). —  Négociations  de  hi  Sainte-Alliance  rela- 
tivement à  la  Polo^e.  —  Jalousie  des  puissances  entre  elles.  — 
Constitution  promise,  accordée,  annulée.—  Mort  d*Alexandre.  — 
Couronnement  de  Nicolas,  roi  de  Pologne.  —  Griefs  de  la  Pologne 
contre  la  Russie.  —  Le  grand-duc  Constantin  :  son  portrait,  ses 
violences.— L'B^lise  grecque  et  le  culte  catholique.  —  La  Pologne 


TABLI  BIS  XATEhRIS.  109 

0pi  4830.— SefBkmdela  diète  en  johi  48ao.—  Projetde  là  loi  sur 
le  divorce.— Vœu  de  réunion  des  anciennes  provinces  incorporées 
à  la  Russiif.— Le  contre-coup  de  la  révolution  française  de  i  830  en 

Polo^e.— Lettre  du  Czar  à  Louis-Pbilippe t44 

GiApmK  X  (l839)."^Société8  secrètes  à  Varsovie.— Pierre  Wisocki. 
—Insurrection  du  29  novembre.— Constantin  sort  de  Varsovie.^- 
Les  hommes  d'État  polonais;  leurs  idées;  le  parti  russo-polonais. 

—  Les  ei-mittistres  sous  Constantin  s'emparent  du  pouvoir.  — 
Lubecki. —  Czartorisky.— Oopicki.—  Nouveau  gouvernement  où 
entre  Joachim  LeleweU^Vœu  de  transaction  avec  le  czar. — Cons- 
tantin quitte  pour  toujours  Varsovie.— Les  clubs  à  Varsovie  ;  leurs 
plans  révolutionnaires.—  Clopickt  dictateur. —  Clôture  des  clubs. 

—  Démarche  auprès  de  Nicolas.—  Mesures  de  défense  prises  par 
Clopicki.— La  diète  proclame  la  révolution  polonaise.—  Elle  con- 
firme la  dictature  à  Clopicki.  —  Enthoosi^fime  patriotique  des 
P<^nais Î7f 

GiAPmB  XI  (4830^1831).  —  Manifeste  de  Nicolas  contre  les  Polo* 
nais.  —  Résultat  de  la  tentative  faite  auprès  de  lui.  —  Clopicki  ; 

sa  proclamation;  ses  actes  contre  le  parti  démocratic^ue  ;  il  exclue 

^ .         ^    ,.    .   .  ....  ^  ^^^^^^ 

I  ;  son 
'  Lelewel 
réintégré  dans  le  goi3vemement.  —  MicbefRadziwil  commandant 
de  Tannée.  —  Discussions  h  la  diète  ;  elle  adopte  le  principe  de 
rhérédité  monarchique;  discours  de  Lelevrel  pour  les  classes 
populaires.-—  Entrée  des  Russes  en  Pologne^  le  5  février,  sous  les 
orores  de^Diébitsch.—  Batailles  de  Grochov^  et  de  Praga  ;  &krzj«^ 
necki  est  nommé  générai  en  chef  .—Proclamation  du  gouvernement 
aux  troupes. — Déclaration  de  la  diète.—  Victoires  de  Vaver  et  de 
Dembevrilkie  ;  victoire  d'ins^anie. —  Insurrection  en  Lithuanie. — 
Fautes  de  SkrzvnedLi,  sa  défaite  à  Ostroienka.— Mort  de  Diébitsch  ^^ 

et  de  Conslantm **"' 

GiAPmiB  Xn  (f  83i).— Skrzynecki  demande  l'exclusion  de  Lelevrel. 

—  La  Pologne  demande  des  secours  aux  puissances  européennes. 
— ^Attitude  de  la  France  et  de  FÂhgleterre  dans  cette  circonstance. 
— Offre  de  la  couronne  de  Pologne  à  ces  puissances  ;  refus.  —  Le 
principe  de  non-intervention.  —  Conduite  hostile  des  Cabinets  de 
Berlin  et  de  Vienne.— Les  Juifs  demandent  à  la  diète  les  droits  de 
citoyen  ;  demande  d'affranchissement  en  faveur  des  paysans  de 
Lithuanie  et  de  ceux  du  rovaume  de  Polo^e  ;  réponse  négative 
de  la  diète.  —  Paskiéwîtsch  succède  à  Diébitsch.  —  Nouvelles 
fautes  de  Skrzynecki.  —  Plan  de  Paskiéwitsch  ;  il  traverse  la  Vis- 
tule  sans  opposition.  —  Démission  de  Skrzynecki  et  nomination  de 
Dembinski.— Exaltation  des  clubs.— Evénements  des  i  5  et  1 6  août. 
— Kruckovriecki  président  du  gouvernement,  et  Malachowski 
général  en  chef;  portrait  de  Kruckowiecki.  —  Le  6  septembre, 
Paskiévntsch  donne  l'assaut  à  Varsovie.  —  On  refuse  d  armer  le 
peuple.—  La  diète  refuse  de  traiter  avec  le  général  russe.—  Kru- 
ckovnecki  signe  Tacte  de  soumission  des  Polonais.  —  Départ  de 
la  diète  et  des  débris  de  l'armée  polonaise.— Vengeances  russes.— 
Causes  de  rinsuccès  de  l'insurrection  du  29  novembre.— Comment 

la  Pologne  pourra  UDjourrenaltre  de  ses  cendres. 3<tt 


J 


AO  lABU  MBVATlilli; 

CHAPim  Xm  (18dO  &  i847).— Eiorts  ftaecessife  de  la  RiMste»  de  la 
Prusse  et  de  rAutriche  poior  dénationaliser  la  Pologrne.^PerBéca- 
tioDB.—  Les  religieases  de  Minsk.-*  L'émi^raticm  polonaise  ;  élé» 
ments  diTers  qui  la  composent;  parti  aristocratique,  démoera* 
tique,  communiste.  ^  Organisatioa  d'une  propagande.  •—  Plan 
stratégique  de  l'insurrection.  -«  La  conspiration  est  découverte; 
nouvelles  arrestations»  -^-Machiavélisme  de  i* Autriche  ;  elle  encolla 
rage  l'élément  communiste  en  Gallicie.  —  Mouvement  insurrec* 
tionnel  en  Gallicie  et  à  Cracovie.-*  Le  général  CoUin  à  Gracovie  » 
ses  premiers  succès;  sa  cruauté,  ^  Triomphe  momentané  dea 
insurgés.'—  Retraite  calculée  des  Autrichiens.  •—  Installation  du 
gouveroement  provisoire.  -- Nomination  d'un  dictateur;  M.  Xjs- 
sowski.  —  Ouverture  d'un  club  oatioDal  parDomhrowski.—  Les 
paysans  de  Wiesliska  à  Gracovie.  ^-  Énergique  dévouement  d« 
femmes  polonaises.'**-Modération  des  insurgés,^  Sj^mpatbiede  la 
France  et  de  l'Angleterre  pour  l  insurrection j)olonaiâe.  —  Société 
du  3  nfai;  son  adresse  au  prince  CzartoryslLi.--.  Les  divers  partis 
de  rémigration  se  rapprochent.  -*  Réunion  des  dépulés  de  France 
en  faveur  de  la  Pologne 0  • 320 

CHARTai  XIV  (i847),  —  Des  goaveraements  dits  paternels;  leur 
politique.-— Situation  des  paysans  de  la  Gallicie.— Leurs  rapporte 
avec  les  seigneurs  on  propriétaires.  -^  Causes  de  leur  icrilation.«^ 
Les  Komorniks.— Plan  d'opération  des  insttrgé8.«-^uvage  eipé* 
dient  de  l'Autriche. — Primes  promises  aux  égorgeors.^  Mauvaia 
suecès  des  colonnes  insurgées.^-  Massacre  des  nobles.—- Scela.«-*» 
Récompenses  accordées  par  le  gouvernement  autrichien  aux  orga- 
nisateurs du  massacre.  -^  Proclamation  de  l'empereur  d'Autriche 
pour  féliciter  lea  égorgeun.  ^  Situation  déeesperée  du  gouverne* 
ment  révolutionnaire  de  Gracovie* — Retour  des  Autrichtens  à  Pod« 
gorze.*-*  Négociations  des  insurgé?  avec  le  général  Collin.-—  Ex»* 
ffences  de  ce  dernier.-«Les  principaux.corps  d'insurgé  sortent  de 
Cracovie.—  Nouveaacomité  de  sûreté  à  Gracovie.  --*  Entrée  des 
Russes,  des  Autrichiens  et  des  Prussiens  à  Gracovie.  «*  Les  insurgeât , 
ne  pouvant  gagner  la  Gallicie,  se  rendent  aux  frontières  prus* 
siennes  et  mettent  bas  les  armes.-^  Mise  en  état  de  siège  des  pio- 
vinœs  insurgées.—  Arrestations,  déportations,  exécutions.  —  But 
que  s'étaient  proposé  les  trois  Cours  spoliatrices,—  Incorporation 
de  Gracovie  à  l'Autriche. —Protestation  de  l'Angleterre. ^Protes- 
tation de  la  France,— Le  czar  Nicolas.— Pjrisc  de  possession  de  Cra* 
covie  par  l'Autriche.—  Energiques  paroles  de  M.  de  Montalembert 

au  sujet  des  attentats  accomplis  contre  la  Pologne 333 

Chapitre  XY  (1850  à  1863). —  Avènement  au  trône  d'Alexandre  U. 
—Le  congrès  de  Paris.  —  Arrivée  d'Alexandre  U  à  Varsovie.  -*-> 
Ses  discours.  —  L'amnistie.  •*-  Appréciation  de  cet  acte.  —  Pro- 
testations des  partis  démocratiques  et  monarchiques  Polonais.-^ 
Discours  de  lord  Clarendon. —  Couronnement  du  nouveau  czar  ; 
son  entrevue  avec  Napoléon  III»  À  Stuttgard.  -^  Rescrit 
d'Alexandre  II  au  gouverneur  militaire  de  Lithuanie.**-  Société 
agronomique  iondce  à  Varsovie. —  La  société  agronomique  envoie 
au  czar  une  adresse. —  Sa  dissolution.— Allocution  de  rabbé  De- 
uerry  aux  Polonais.  ^  Cantiques  nationaux  des  poôtes  Aloyt 
^elinski  et  Camille  Uieyski.  «-  Massacres  des  Polonais. ^Lettre» 


gue 
feli 


TABLE  DES  MATIÈRES.  471 

d'un  gentilhomme  Polonaisau  prince  de  Metternich.^Recrutement 
forcé 358 

Chapitre  XVI.  —  Le  gouvernement  national  aux  conscrits  polonais. 
—  Le  recrutement. —  Compte  rendu  dujournal  officiel.  —  L'in- 
surrection commence.  —  Adresse  aul  ouvriers  français  sans  tra- 
vail. —  Les  faucheurs.—  Actes  répressifs  du  gouvernement  mos- 
covite. —  Marsan  Langiewicz.  —  Son  histoire.  —  Le  camp  de 
Wonchock.  —  Combat  de  Mieiico.  —  Bataille  de  Sainte-Croix.  — 
Attaque  du  camp  polonais  de  Staszow.  —  Langiewicz  cerné  par 
les  Russes.  —  Bataille  d'Olkusz. — Le  camp  de  Gorscza.—  Portrait 
de  Langiewicz.  —  La  reine  des  insurgés.  —  Mademoiselle  Pous- 
towojtoi.  —  L*armée  polonaise.  —  Instructions  et  manœuvres.  — 
Langiewicz  est  nommé  dictateur.— Sa  proclamation.— Cérémonie 
d'investiture .  .  .• | .  581 

Chapitre  XVII.— Massacres  de  îhomassow.— Combat  de  Wengrow. 
— Les  nouvelles  Thermopiles. — ,  Meurtres  et  vols  à  Modiiborz. — 
Combat  et  massacre  de  Siematycze.—  Maàsacre  sans  combat  à 
Plilawy.  —  Le  château  du  comte  Zamoyski  et  celui  du  marquis 
Wielopolski.  —  Pillage  du  château  de  Woysiavice.  —  Suicide 
glorieux  de  M.  de  Korff.—  Combat  de  Miechow  et  destruction  de 
la  ville.  —  François  Rochebrun.  —  Sigismond  Padelowéki.  — 
Héroïsme  de  madame  Micholska. —  Les  Prussiens  et  le  droit  des 

fens.—  Proclamation  du  gouvernement  national. —  Les  sermons 
es  popes  russes. —  Mielencki.—  Combat  de  Dobroslaw.—  Noble 
conauite  de  quelques  officiers  russes.  —  Nouvelles  instructions 

secrètes 401 

ûiAPiTRE  XVllI. —  Langiewicz  dictateur. —  Le  conseil  de  guerre. — 
Langiewicz  prisonnier.—  Le  gouvernement  national  reprend  son 
autorité. — L'opinion  de  l'Angleterre. —  L'opinion  de  la  France.— 
Russes  et  Polonais.— L'avenir  de  l'insurrection. — Reprise  du  récit. 
—M.  Déodat  Lejars. —  La  Prusse  et  les  insurgés. —  Une  amnistie 
du  czar. — Protestation  contre  l'amnistie. —  Un  curieux  document 
officiel. — La  conduite  du  clergé  polonais  pendant  l'insurrection.— 
Encore  la  Prusse.  —  Petite  biographie  a?  la  Pologne  et  du  pays 
slave.— Mort  de  trois  chefs  français. — Proclamation  du  gouverne- 
ment national.— Biographie  de  Narbutt.— Le  général  TolL— Mort  . 
de  Padlewski.— Physionomie  de  Tinsurrection.  —  Mourawieff  à 
Wilna  .  •  •  » « 531 


Buis.  -*  Tjp«  de  Cosson  et  Gomp.»  me  du  Four-St^-Ocrmain,  43. 


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