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HISTOIRE
DE LA
RÉVOLUTION
FRANÇAISE
VI
Inii'iin'^t'ii'' r>ona>riiluro n i)iir(ssol«, 55, quai <i«.'s Au;;ii>iiiis
HISTOIRE
UE LA
RÉVOLUTION
FRANÇAISE
PAK
J. JirCHELKT
TOME sixikmiï:.
PARIS
CIIAMKKOT, LIBRAIUE-KDITKUR,
13, rue (lu Janiinot.
ZJ
.i
i(oi -
LITRE XI
VI,
CHAPITRE I
PAR1$ p \^ CONVENTION.
Misère et gran^car de U Convention. — Banger suprême de la France. — Le
crime de la Giroade.— Y avaU-i( an gat^vernement? —La seule fi^c? orga-
nisée est dans les Jacobins. — Aspects nouveaux de la Révolution. — La
Terra ineognila» ~< La Montagne ne veut pas donner le gouvernement à
Robespieirre. — La Convention ne veut rien faire que la Constitution. — >
Absence de tout gouvernement. — L'armée révolutionnaire. — Comment 09
demanda Tarmée révolutionnaire. — Comment on éluda l'armée révolution-
naire.- Robespierre et Marat gardiens de Tordre.
d t.- LA MOiNTAGiVe CRAINT LA DICTATURE. --MiSÈIlE ET GRANDEUR
DE LA CaNVENTION.
(Juin 95.)
La Convention revint le 3 dans sa prison de la
veille, dans la sombre petite salle de spectacle des
Tuileries, où elle avait joué un si triste rôle. I^a
Montagne rentrait frémissante d'une fureur étoufiTéej
elle retrouvait ces bancs, oii elle s'était vue cap-
tive , aussi bien que la Gironde ; là Grégoire avait
crié, là Lacroix avait pleuré; là, sous les risées des
tribunes, un montagnard, forcé de sortir, avait ob-
^ MISÈRE ET GBANDKUK UE LA CONVENTION.
tenu par grâce d'être conduit, gardé à vue par
quatre fusiliers...
Les royalistes se frottaient les mains. « Le Roi a
été forcé de mettre le bonnet rouge; cette fois, c'est
la Convention... Elle prendrale bonnet vert, et cette
royauté nouvelle ne sera qu'un soliveau. » {Révolu-
tions de Paris.)
Est-ce à dire que la Convention fut une assemblée
de lâches, qu'elle n'ait eu que desSieyès?
Soyons justes. Serrée des tenailles de la nécessité,
pressée, qu'on pardonne le mot, sous l'épouvan-
table pressoir de la fatalité, elle a rendu, en bien,
en mal, ce que contenait la nature humaine. In-
croyablement patiente avant thermidor, et après,
faible et furieuse, emportée à la débâcle d'une triste
réaction, elle n'en a pas moins étonné le monde, et
par l'héroïsme individuel de ses membres, et par
l'admirable fécondité de ses créations.
Voilà ce que lui doit l'histoire.
Non, quoiqu'on veuille ou puisse dire, nulle assem-
blée ne contint jamais tant de forces vives, tant
d'hommes résolus à mourir pour le devoir. Ces
députés, hier avocats, médecins, gens de lettres,
étonnèrent de leur courage les Kléber et les Desaix.
Souvent, quand les militaires renonçaient, ils avan-
cèrent, et comme Fabre de l'Aude, se firent tuer à
la place où ils plantaient le drapeau. Il n'y aura
jamais au monde des hommes plus intrépides que les
Merlin de Thionville, les Bourbotte, les Lacoste, les
Romme, les Philippeaux ; jamais de volonté plus
MISÈRE ET GRANDEUR DE LA CONVENTION. 5
forte que celle des Jean-Bon-Saint- André, des Baudot,
des Levasseur.
« Avez-vous donc, disait un homme de la droite,
fait un pacte avec la victoire? — Non, mais bien avec
la mort, » répondit le jeune Basire, assis à côté de
Danton.
Grande assemblée, toujours féconde, a travers ses
misères même, invincible aux événements; mutilée
au 31 mai, elle fait les plus grandes choses; mutilée
en thermidor, elle continue d'enfanter. Avant, après,
elle dote la France d'une foule d'institutions. Tous
les gouvernements qui suivent s'appuyent d'elle en la
maudissant, ils citent docilement ses lois, profltent
de ce qu'elle a créé, reconnaissant, malgré eux, la
majesté souveraine de l'Assemblée, entre toutes,
fondatrice, organisatrice, qui, plus qu'aucune force
humaine, représenta l'inépuisable fécondité de la
Nature.
Indiquons, au moins, quelques-unes de ses grandes
créations :
Avant le 9 thermidor ^ — Les premières parties du
Code civil. Le Grand-livre. Le partage des biens
communaux. Le nouveau Calendrier (astronomique
et raisonnable). Le Système décimal. L'Uniformité des
poids et mesures. Le Musée du Louvre. Le Musée des
monuments français. Le Conservatoire de musique.
L'extension du Muséum d'histoire naturelle, le grand
enseignement des sciences de la nature. L'administra-
tion du télégraphe. Le conseil des Mines. La fabrica-
tion de l'acier, les nouvelles fabriques de poudre, etc.
6 MISÈRE ET GRANDEUR DE LA CONVENTION^
Après le 9 <Aef*mfrfor,— L'École normale, les écoles
centrales et primaires, c'est-à-dire le seul systèittô
complet d'instruction qui ait existé en Franfce.
L'École polytechnique. L'Institut. Le Bureau des
longitudes, etc., etc.
Mais ce qui recommande à jamais la Convention,
c'est sa bienfaisance infinie, l'effort immense qu'elle
fit, spécialement en 93^ pour réaliser dans les lois
la fraternité. Elle vote des retraites aux soldats,
des secours aux réfugiés. Elle adopte les enfants
trouvés, ceux des condamnés à mort, les relève et
les appelle enfants de la patrie. Elle soulage les
familles chargées d'enfants. Elle crée les Écoles de
santé. Elle se charge elle-même d'administrer les
hospices. Elle donne aux hôpitaux de Paris Une si
grande extension, qu'il faut l'en dire la fondatrice.
Elle crée Beaujon et Saint - Antoine. Elle étend
l'Hôtel-Dieu, ordonnant que^ dans chaque lit, il n*y
aura qu'un malade (on en mettait jusqu'à six)»
Pauvre homme qui es gisant sur le grabat de l'hos-
pice, si, dans tes nuits de douleur, tu peux du moins
gémir seul, seul étendre librement tes membres
endoloris , souviens ^ toi de la Convention , de la
grande assemblée humaine et bienfaisante , de
celle qui entreprit d'ouvrir l'ère de fraternité, de
celle qui d'un si grand cœur prodigua son sang pour
toil
Qu'on ne demande pas maintenant j^ôUrquoi la
DANGER SUPUÉME DE LA FKANCE. 7
Convention vint se rasseoir le 3 juin sur ses bancs
deshonorés. Elle revint pour deux causes.
Elle se sentait comptable au genre hunriain, ayant
ces grandes choses à faire.
Elle ne pouvait se retirer, dans Thorrible péril où
était la France, sans lui donner le coup de grâce. La
retraite eût été un crime.
La France, désorganisée et quasi-dissoute, ouverte
par toutes ses frontières, sans gouvernemettt, sans
défense, au centre frappée par la Vendée (qui, le 10,
devint maîtresse de la route de Paris), avait encore
une force , une seule , son Assemblée. Elle était tout
entière suspendue à ce faible fil que Ton pouvait
croire brisé.
Malheur à qui eût compté avec l'honneur per-
sonnel dans une telle situation ! Il fallait tout endurer,
ne rien voir et ne rien sentir, avaler Toulrage et les
larmes, et se rasseoir dans la honte, la nier si Ton
pouvait, soutenir qu'on avait été libre, et que tou-
jours on était libre. C'est ce que fit la Montagne, et
elle sauva la France, dont la seule et dernière res-
source était dans l'autorité de la Convention.
Le procès-verbal du 2 juin, rédigé et arrangé par
l'homme le plus timide de l'Assemblée, le prêtre
Durand - Maillane , homttie de droite qui votait à
gauche , fut indéfiniment ajourné et ne parut que
longtemps après. Lorsque Grégoire demanda en
rentrant que le procès-verbal constatât l'insulte faite
à l'Assemblée , l'équivoque rédacteur dit : « J'ai
rendu comple de la généralité des faits, de sorte qu'on
Inir''niciii' ^>ona^^lllu^^ ri |)«r(sso><. 5.1, quai «l«*s AiimixiiiiN
HISTOIRE
DE LA
RÉVOLUTION
FRANÇAISE
PAU
J. JIICHKLKT
TOME SlXlKMIi:.
PARIS
C 1 1 A M K K 0 T , L l B l{ A I K K - É D r n : U R ,
13, rue (lu Janiinot-
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LIVRE XI
s\.
CHAPITRE I
}^ièt% et grandeur de U Convcntios. — Basger sapréme de la France. » Le
crime de la Gi^o^e.r-rY avait-il vn gaii^vernemeot? —La seule titfftf orga-
nisée est dans les Jacobins. — Aspects nouveaux de la Révolution. — La
Terrm ineognila, — La Montagne ne veut pas donner le gouvernement à
Robespierre. — (<• Convention ne veut rien faire que la Conalitution. —
Absence de tout gouvernement. — L'armée révolutionnaire. — Comment on
demanda Tarmée révolutionnaire. — Gomment on éluda l'armée révolution-
naire.- Robespivrre et Marat gardiens de Tordre.
i t.~LA BÉOeiTAGKe CRAlKt LA DICTATdRB.-MiSÈRE ET GRANDEUR
DE LA CONVENTION.
(Juin 95.)
La Convention revint le 3 dans sa prison de la
veille, dans la sombre petite salle de spectacle des
Tuileries, où elle avait joué un si triste rôle. La
Montagne rentrait frémissante d'une fureur étouffée;
elle retrouvait ces bancs, où elle s'était vue cap-
tive , aussi bien que la Gironde ; là Grégoire avait
crié, là Lacroix avait pleuré; là, sous les risées des
tribunes, un montagnard, forcé de sortir, avait ob-
^ MISÈRE ET GRANDEUK DE LA CONVENTION.
tenu par grâce d'être conduit, gardé à vue par
quatre fusiliers...
Les royalistes se frottaient les mains. « Le Roi a
été forcé de mettre le bonnet rouge ; cette fois, c'est
la Convention... Elle prendra le bonnet vert, et cette
royauté nouvelle ne sera qu'un soliveau. « {Révolu-
tions de Paris.)
Est-ce à dire que la Convention fut une assemblée
de lâches, qu'elle n'ait eu que desSieyès?
Soyons justes. Serrée des tenailles de la nécessité,
pressée, qu'on pardonne le mot, sous l'épouvan-
table pressoir de la fatalité, elle a rendu, en bien,
en mal, ce que contenait la nature humaine. In-
croyablement patiente avant thermidor, et après,
faible et furieuse, emportée à la débâcle d'une triste
réaction, elle n'en a pas moins étonné le monde, et
par l'héroïsme individuel de ses membres, et par
l'admirable fécondité de ses créations.
Voilà ce que lui doit l'histoire.
Non, quoiqu'on veuille ou puisse dire, nulle assem-
blée ne contint jamais tant de forces vives, tant
d'hommes résolus à mourir pour le devoir. Ces
députés, hier avocats, médecins, gens de lettres,
étonnèrent de leur courage les Kléber et les Desaix.
Souvent, quand les militaires renonçaient, ils avan-
cèrent, et comme Fabre de l'Aude, se firent tuer à
la place où ils plantaient le drapeau. Il n'y aura
jamais au monde des hommes plus intrépides que les
Merlin de Thionville, les Bourbolte, les Lacoste, les
Romme, les Philippeaux ; jamais de volonté plus
MISÈRE ET GRANDEUR DE LA CONVENTION. 5
forte que celle des Jean-Bon-Saint-André, des Baudot,
des Levasseur.
« Avez-vous donc, disait un homme de la droite,
fait un pacte avec la victoire? — Non, mais bien avec
la mort, » répondit le jeune BasirC;, assis à côté de
Danton.
Grande assemblée, toujours féconde, k travers ses
misères même, invincible aux événements; mutilée
au 31 mai, elle fait les plus grandes choses; mutilée
en thermidor, elle continue d'enfanter. Avant, après,
elle dote la France d'une foule d'institutions. Tous
les gouvernements qui suivent s'appuyent d'elle en la
maudissant, ils citent docilement ses lois, proQtent
de ce qu'elle a créé, reconnaissant, malgré eux, la
majesté souveraine de l'Assemblée, entre toutes,
fondatrice, organisatrice, qui, plus qu'aucune force
humaine, représenta l'inépuisable fécondité de la
Nature.
Indiquons, au moins, quelques-unes de ses grandes
créations :
Avant le 9 thermidor ^ — Les premières parties du
Code civil. Le Grand-livre. Le partage des biens
communaux. Le nouveau Calendrier (astronomique
et raisonnable). Le Système décimal. L'Uniformité des
poids et mesures. Le Musée du Louvre. Le Musée des
monuments français. Le Conservatoire de musique.
L'extension du Muséum d'histoire naturelle, le grand
enseignement des sciencesde la nature. L'administra-
tion du télégraphe. Le conseil des Mines. La fabrica-
tion de l'acier, les nouvelles fabriques de poudre, etc.
6 MISÈRE ET GRANDEUR DE LA CONVENTION.
Après le 9 <ABi*mirfor,— L'École normale, les écoles
centrales et primaires, c'est-à-dire le seul système
complet d'instruction qui ait existé en France.
L'École polytechnique. L'Institut. Le Bureau des
longitudes, etc., etc.
Mais ce qui recommande à jamais la Convention,
c'est sa bienfaisance infinie, l'effort immense qu'elle
fit, spécialement en 93, pour réaliser dans les lois
la fraternité. Elle vote des retraites aux soldats,
des secours aux réfugiés. Elle adopte les enfants
trouvés, ceux des condamnés à mort, les relève et
les appelle enfants de la patrie. Elle soulage les
familles chargées d'enfants. Elle crée les Écoles de
santé. Elle se charge elle-même d'administrer les
hospices. Elle donne aux hôpitaux de Paris une si
grande extension, qu'il faut l'en dire la fondatrice.
Elle crée Beaujon et Saint - Antoine. Elle étend
l'Hôtel-Dieu, ordonnant que^ dans chaque lit, il n*y
aura qu'un malade (on en mettait jusqu'à six)»
Pauvre homme qui es gisant sur le grabat de l'hos-
pice, si, dans tes nuits de douleur, tu peux du moins
gémir seul, seul étendre librement tes membres
endoloris , souviens - toi de la Convention , de la
grande assemblée humaine et bienfaisante , de
celle qui entreprit d'ouvrir l'ère de fraternité, de
celle qui d'un si grand cœur prodigua son sang pour
toil
Qu'on ne demande pas maintenant j^ôurquDi la
DANGER 6UPKÉME DE LA FRANCE. 7
ConTention vint se rasseoir le 3 juin sur ses bancs
deshonorés. Elle revint pour deux causes.
Elle se sentait comptable au genre humain, ayant
ces grandes choses à faire.
Elle ne pouvait se retirer, dans Thorrible péril où
était la France, sans lui donner le coup de grâce. La
retraite eût été un crime.
La France, désorganisée et quasi-dissoute, ouverte
par toutes ses frontières, sans gouvernement, sans
défense, au centre frappée par la Vendée (qui, le 10,
deyint maîtresse de la route de Paris), avait encore
une force , une seule , son Assemblée. Elle était tout
entière suspendue à ce faible fil que l'on pouvait
croire brisé.
Malheur à qui eût compté avec l'honneur per-
sonnel dans une telle situation ! Il fallait tout endurer,
ne rien voir et ne rien sentir, avaler Toutrage et les
larmes, et se rasseoir dans la honte, la nier si l'on
pouvait, soutenir qu'on avait été libre, et que tou-
jours on était libre. C'est ce que fit la Montagne, et
elle sauva la France, dont la seule et dernière res-
source était dans l'autorité de la Convention.
Le procès-verbal du 2 juin, rédigé et arrangé par
l'homme le plus timide de l'Assemblée, le prêtre
Durand - Maillane , homme de droite qui votait à
gauche , fut indéfiniment ajourné et ne parut que
longtemps après. Lorsque Grégoire demanda en
rentrant que le procès-verbal constatât l'insulte faite
à l'Assemblée , l'équivoque rédacteur dit : « J'ai
rendu compte de la gén&alité des faits, de sorte qu'on
8 LE CRIME DE LA GIRONDE.
voie dans quel état la Convention a délibéré. » L'As-
semblée s'en contenta; muette et sombre, elle passa
brusquement à Tordre du jour. Elle était déterminée
à ne point se croire insultée, à s'occuper de la France,
et non d'elle-même.
La situation était presque désespérée en avril. Or,
qu'était-ce donc en juin !... On ne marchait pas vers
l'abîme ; on y était, on y plongeait. Un mot suffit pour
en juger. Il fallait au moins six mois pour retrouver
des ressources, créer un gouvernement, réorganiser
les armées. Et il fallait trois jours à la cavalerie hon-
groise pour venir de Valenciennes, et faire manger
ses chevaux dans la Convention.
Pourquoi l'armée anglo- autrichienne, qui était à
cinquante lieues, ne vint-elle pas à Paris? Il n'y en a
qu'une raison , c'est qu'elle ne le voulut pas. Elle
voulait prendre des places, et non refaire un roi
de France.
Là apparut dans sa grandeur le crime de la Gironde,
le crime d'avoir disputé trois mois en présence de
l'ennemi ! On ose à peine sonder des yeux le profond
néant où elle laissait le pays. Elle n'avait rien fait
elle-même, ni rien laissé faire.
Elle n* avait pas su ecqiger l'impôt. L'arriéré montait
toujours; on revint aux temps barbares; il fallut
demander l'impôt en denrées (septembre).
Elle n'avait su vendre les biens d'émigrés. Les admi-
nistrations girondines résistèrent invinciblement aux
ordres de leur ministre Roland, et ne surent point
résister aux familles d'émigrés, qui par de faux cer-
Y AVAIT-IL UN GOUVERNEMKM? \)
titicâtS; obtenaient sans difficulté la main-levée des
saisies, rentraient dans leurs biens.
Elle ne soutint pas Vassignatj n'osant punir les
mauvais citoyens qui refusaient la signature de la
France en péril. Delà un double fait contraire, cruel,
meurtrier pour le peuple. Le salaire ne montait pas,
les denrées montaient. En juillet, un misérable litron
de haricots secs se vendait près de trente sols.
Elle ne saisit joas, du moins, la ressource de l' em-
prunt forcéy dans l'heureuse combinaison qu'avait
proposée Gambon, et laissa tomber la chose aux mains
des comités révolutionnaires.
La Montagne, pour ressource contre l'Europe con-
jurée, contre un ennemi si près, qui d'un moment à
l'autre pouvait tomber sur Paris, la Montagne avait
en caisse deux projets! et deux feuilles de papier...
Le décret du milliard de l'emprunt forcé et le décret
d'une fabrication nouvelle d'un milliard d'assi-
gnats.
Mais pour lever cet emprunt, pour réorganiser les
armées, pour remettre quelque unité dans ce chaos
immense, pour imposer aux déparlements cruelle-
ment irrités de l'injure qu'on leur faisait, il fallait un
gouvernement.
Et là s'ouvrait, aux yeux de la Montagne, un abîme
sous Tabîme... C'est que les remèdes semblaient
aussi cruels que les maux.
Les quarante mille comités révolutionnaires seraient-
ils un gouvernement? Très-ardents, très-patriotes,
mais en même temps inhabiles, maladroits et furieux;,
iO LA SEULE FÛUCË OBGÀMSËE EST DANS LES JACOBINS.
il n'y a?âit pas de pire instrument. Ils criaient^ ils
dénonçaient, arrêtaient, n'agissaient pas. La Révolu-
tion) dans leur*s mains, avait l'air de ces bêtes à
mille pieds, qui s'agitent et n'avancent pas.
Les représentants euœ-mêmes seraient-^ils un gou-
vernement? Leur dévouement fut admirable, leurs
efibrts prodigieux ; ils donnèrent leur vie, leur sang.
Mais ce n'était pas assez de mourir; le difficile était
de vivre et d'agir utilement, d'agir d'ensemble et
de s'entendre, de se subordonner à une direction com^
mune. La violence de leur passion patriotique^ l'ar-
deur de leur altier courage, était un obstacle à cela.
Tous s'empressaient, tous se nuisaient» Dans le con-
cours discordant des représentants en mission^ et des
agents que la Commune, les ministres, les sections
envoyaient aussi^ il y avait juste le contraire d'un
gouvernement ; c'était comme une tempête de dis-
putes et d'accusations, un combat d'actions contraires
qui s'annulaient elles-mêmes.
Le désordre, l'excès du péril demandaient la
dictature. Je ne dis pas un dictateur. Une Assemblée
qui venait de couper la tête à un roi n'avait hâte
d'en refaire un.
Les Girondins, dans leurs romans, supposaient un
triumvirat de Marat, Danton et Robespierre,— du roi
de la Presse, du roi de l'Assemblée et du roi des
Jacobins.
Ingénieuse fiction, mais sans base. Ces hommes
étaient in-asâociables, de plus, tous trois impos-
sibles.
ASPECTS NOUYEAtJK DELA liÉYOLUTlON LA TERRA tNCOGSlTÀ, H
Danton avait tergiversé au 2 juin, comme en jan*
vier^ Il n'inspirait aucune confiance»
Robespiei're, avec son insurrection morale^ avait
paru trop délié ; il b'avait pas la rude énergie qu6
demandait Timagination populaire. Beaucoup Testi*
maient, l'admiraient^ mais le croyaient un philo^
sophe, un pauvre homme de bien.
Le plus possible était Marat^ qui avait au moins le
mérite^ dans son excentricité^ de n'avoir pas tergi-
versé. Il avait dit fratichement, brutalement : « tl
faut un chef. » Et il ne l'avait pas dit seulement. Il
avait été ce chef au fi juin. Il y fit grâce et justice.
Être roi n'est pas autre chose. Mais dès ce jour aussi
il fut marqué pour la mort. Non-seulement il devint
le but du poignard girondin, mais il fut tacitement
mis au ban de la Montagne , qui n'écoutait plus ses
paroles et ne daignait lire ses lettres. Il y fut infini-
ment sensible^ Déjh malade^ il s'alita. Il écrivit, le 20,
aux Jacobins, pour expliquer le mot fatal. Mais l'acte,
comment l'expliquer, comment prouver à la Montagne
qu'elle n'avait pas été captive, et qu'il n'avait pas
été roi î
Marat, du reste, avec sa grande puissance de la
Presse populaire, n'avait de force qu'à Paris, Pour
une force commune à la France, il n y en avait qu'une
à peu près organisée, la Société jacobine. Ceci rame-
nait à Robespierre, qui semblait l'homme fatal et
menaçait l'avenir.
Mais, justement^ cette fatalité indignait la grande
majorité de la Montagne.
12 ASPECTS NOUVEAUX DE LA RÉVOLUTION
De tempérament, d'iustinct, de nature, elle était
contraire à Robespierre, bien plus qu'à Danton, à
Marat. Le tempérament dantonique, le génie de
Diderot dans son dithyrambe de V Orgie de la Liberté,
fut plus commun dans la Montagne. Elle haïssait tout
pédagogue. Autant elle était ravie d'être quitte de la
volubilité magistrale et pédantesque du grand feseur
Brissot, autant elle frémissait de tomber sous la férule
de V irréprochable Robespierre. Elle détestait la
Gironde, en qui elle voyait la dissolution de la Répu-
blique ; mais n'avait pas moins horreur de voir la
Révolution, immense et féconde, débordante et
regorgeante de sentiments, d'idées, de vie, se res-
serrer tout à coup, se châtier et faire pénitence ,
prendre cette sagesse moyenne qui supprime les jets
vivants les plus vigoureux au profit de la discipline
et de l'unité d'organisation ^.
Les Jacobins contenaient-ils la Révolution ? Non.
^ La presse, déjà captive, couvre avec soin tout cela. Le Monileur
spécialement, très-habilement mutilé, efface tout élan indiscret de la
passion et de la nature. L'indocililé, l'indisciplinabilité de la Monta-
gne, tant savamment cachée qu'elle ait été et par les journaux et par
les procès-verbaux, corrigés, tronqués, falsifiés, n'en éclatera pas
moins, et dans les fureurs concentrées de juin on pressent déjà ther-
midor.— Bourdon de FOise, ennemi des Girondins et non moins de Ro-
bespierre , est accusé par les Cordeliers d'un fait singulier. Sa haine
pour Robespierre l'emporta si fort au 31 mai, qu'il oublia un moment
qu'il voulait la mort de la Gironde, traversa la salle, et s'approcha pour
serrer la main de Vergniaud. ^Procès-verbaux du club desCord^liers^
minutes sur feuilles détachées, placées au second registre, 3 vend. (24
septembre). Archives de la Préfecture de police.
LA TERRA îyCOGSITÀ. 15
Ils u'étaieDt pas même la Montagne tout enlii^Te.
Sans parler des Montagnards neutralistes Barrère,
Grégoire et autres, les Montagnards dautonistes,
hommes d'élan , de passion, Desmoulins, Fabre
d'Églantine, Legendre, Philippeaux, Tburiot, qu'ils
eussent ou qu'ils n'eussent pas le diplôme jacobin,
étaient opposés à l'esprit de la Société jacobine.
Il faut en dire autant des Montagnards illustres
par leurs spécialités (militaire» financière, adminis-
trative), Cambon, Garnot, Prieur, Lindet, qui étaient
généralement peu amis des Jacobins, et n'y mirent
jamais les pieds.
Dans les deux sens, comme passion et comme spé-
cialité, la Montagne débordait la Société jacobine.
Mais la Montagne elle-même était bien loin de con-
tenir la Révolution.
Dès le lendemain du 2 juin, on commence à voir
des horizons nouveaux, immenses.— La Révolution
semblait grande. Elle apparaît infinie.
c Au delà de Marat, avait dit Desmoulins, il faut
dire ce que les anciens géographes mettaient sur
leurs caries, pour les terres non visitées : Terra
incognita. »
C'est cette Terra incognita qui commence à appa-
raître.
Du côté de Lyon, on voit poindre le mysticisme
révolutionnaire de Ghalier.
Vers le Nord, en Picardie, se remarque le grand
parlageur Babeuf, qui imprime dès 90, et qui en 92
et 93 est fort maltraité par les Montagnards.
ii ASPECTS NOUVEAUX DE LA RÉVOLUTION.
AU centre, un moDde surgit sous nos pieds, une ten-
tative hardie de religion qouvelle, Vessai de donner
à la Révolution (non française seulement, mais uni-
verselle), son oi^ne universel, le culte de la Raison.
Qui fait cela? c'est Paris. Paris déborde la France, la
dépasse et suit sa route dans la voie du geni^ hu-
main.
A toutes ces grandes choses , que fera la société
Jacobine? II ne suffirait pas de les nier, de vou^
loir les tuer en n'en parlant pas*
La Révolution politique pourrait-elle subsister,
sans devenir une Révolution sociale et religieuse?
La Révolution classique de Rousseau et de Robes-
pierre vivra-t-elle en sûreté dans la sombre salle de
la rue Saint-Honoré, sans tenir compte de l'autre, la
Révolution romantique, qui mugit, confuse, hors des
murs, comme une voix de TOcéan?
Sans bien s'expliquer tout cela, la Montagne sen-
tait d'instinct que mettre la Révolution dans la main
pure et patriote , mais exclusive et serrée , de la
dictature jacobine, c'était rejeter une infinité de
forces vives qu'on n'étoufferait jamais , et qui, si on
les étouffait, de leur mort ou de leur absence, dessé-
cheraient, stériliseraient la République, la laissant
sans sève et sans vie.
Voilà pourquoi la Montagne , trois mois durant ,
au risque de tout perdre, recula avec une sorte d'hor-
reur devant la nécessité de faire un gouvernement.
l\ n'y en avait qu'un possible, le gouvernement jaco*
bin. Elle estimait les Jacobins^ elle admirait Rob^--
LA TERRA iSCOGNÊTÀ. f5
pierre^ et elle frémissait de la pente fatale qui em-
portait tout vers lui. Elle croyait (je pense, à tort)
qu'il désirait le pouvoir. Il ne voulait rien que l'au^
torité.
C'était moins, et c'était plus. Il avait le tempéra-
ment prêtre, et, comme tel, ambitionnait, avant
tout, la domination des esprits.
La Convention, très-éloignèe de deviner ce carac-
tère, crut n'avoir pas un moment à perdre, en ren-
trant le 3 juin, pour lui fermer le pouvoir.
Un montagnard modéré, Cambacérès, collègue de
Cambon dans le département de l'Hérault, et qiii,
sans être dantoniste, avait deux fois, dans deux
grandes circonstances, exprimé la pensée de Danton
et celle de l'Assemblée, cette fois encore, sans phrase,
sans passion, formula en une seule ligne le sentiment
de la Convention :
€ L'Assemblée change ses comités, moins son
Comité de salut public. » — Volé unanimement.
Ce qui voulait dire :
1" La Convention subira le fait accompli ; elle
ouvre à la Montagne ses comités que remplissait la
Gironde ;
2* Elle n'ouvre pas son Comité de gouvernement
à rhomme qui couvre Tinsurrection de son autorité
morale ;
3* Ce Comité qui, presque unanimement, apro-»
testé d'avance contre le 31 mai, qui a entravé, tant
qu'il a pu, le 2 juin, elle le maintient et le défend,
pour avoir défendu la loi.
l(i LA CONVENTION NE VEUT RIEN FAIRE
Ce vote était très-propre à calmer les départe-
ments, conforaie aux paroles que leur portèrent ou
leur firent porter les conciliateurs Danton, Cambon,
Barrère et Lindet.
Trois autres décrets solennels marquent les jour-
nées du 3 et du 4 :
CoAraencement des travaux du Code civil par une
section spéciale de législation.
L'instruction nationale basée sur de bons livres
élémentaires dont on encourage la composition.
Le partage des biens communaux , ordonné en août
92 par la Législative, est réglé par la Convention.
Tout habitant, homme, femme, enfant, les absents
et les présents, tous ont droit d'avoir une part; si le
tiers des voix dans la commune est pour le partage,
il est décidé.
Grandes mesures et habiles. Cependant la question
d'urgence restait tout entière : Comment faire un
gouvernement!
La Convention ajourna cette question. Elle ne se
préoccupa que de la réconciliation de la France.
Elle jugea qu'il fallait avant tout détromper les Giron-
dins de bonne foi, finir le malentendu. On leur disait
que la Montagne voulait refaire la royauté. « Présen-
tons-leur, en réponse, dit-elle, une constitution for-
tement républicaine, solidement démocratique. Jus-
que-là rien n'est possible. Il faut éclairer la France,
lui rendre son unité. Unie, elle peut braver le
monde. »
L'ennemi attendrait-il? Il y avait bien lieu d'en
douter.
QUE LA CONSTITUTION. i7
Quoi qu'il en soit, l'Assemblée et son Comité do
salut public ne firent rien de sérieux* qu'en vue
. de la France seule et de la question intérieure. Us
ne tinrent compte du monde.
Surprenant spectacle ! Objet d'admiration pour les
uns, pour les autres de dérision !... Un peuple cerné
de partout, ayant à la gorge cinq cent mille épées,
mordu au cœur par la Vendée, au moment d'avoir
de plus une seconde guerre civile, s'occupe impas-
siblement d'une idée abstraite, d'une formule iuap*
plicable, et des lois de l'avenir.
« L'armée du Rhin se retire, celle du Nord se
désorganise, l'Autrichien est à Valenciennes... —
Préparons la constitution. — Les Pyrénées sont
franchies, les Alpes vont l'être, Lyon fait signe aux
Piémontais...— Dressons plus haut que les Alpes le
drapeau, la constitution! — Mais si les Vendéens arri--
vent?... Les voici déjà à Saumur... — Avec la consti-
tution, nous les attendrons de pied ferme. »
Qui refuserait à ce siècle le titre qu'un Allemand
illustre lui donna : L'Empire de tesprit^ en le voyant
finir par cet acte étonnant de foi à l'idée? — Et qui
lui disputerait ce que Saint-Just réclame pour lui :
€ Le XV IIP siècle au Panthéon I «
La constitution de 93, comme le monde, fut faite
en six jours. Présentée le 10, votée le 24, elle fut
acceptée en juillet de toute la France^ montagnarde
* C'est ce qui ressort des Registres du Comité de salut public {Archi'
ves nationales).
VI. 2
i8 ABSENCE DE TOUT GOUVERNEMENT.
et girondine (avec peu d'exceptions). On sentait par-
faitement qu'elle était inexécutable, mais on n'en
croyait pas moins que cette puissante formule^ par
une sorte de vertu magique, opérerait le salut.
La population parisienne , section par section ,
venait, avec des musiciens, au sein de la Convention,
apporter son acceptation, jeter des fleurs, chanter
des hymnes, comme les Israélites qui chantaient,
dansaient devant l'Arche.
Le plus merveilleux, c'est que l'enaerni ne profila
pas de cette absorption de la France, uniquement
occupée d'elle-même, de sa dispute intérieure et de
sa réconciliation.
Elle resta ainsi trois mois sans gouvernement ni
défense, à la garde d'une idée, ferme dans sa foi 300-
lastique, n'opposant rien aux dangers, au menaçant
accord du monde, que la formule abstraite de la dé-
mocratie.
s 2.— ABSENCE DE TOUT GOUVERNEMENT.
(Juin 95.)
Un meneur du 31 mai avait dit avant l'événement :
c Rappelez-vous le 10 août; le coup fait, tout s'esl
tu Eh bien! cette fois encore, la France subira
les faits accomplis. » Inexact rapprochement entre
deux faits si dissemblables : au 1 0 août, la France
prit un mouvement immense, le plus grand qui fut
jamais; au 2 juin, elle resta frappée d'une fatale
inertie.
Les mesures révolutionnaires que la Gironde entra-
ABSENCE DE TOUT GOUVERNEMENT. 19
vait ne furent prises que trois mois après son expul-
sion.
Le premier Comité de salut public existait à peine.
Le second commença le 10 juillet, n'agit qu'en sep-
tembre, ne se compléta qu'en novembre. Il fut très-
longtemps inactif. C'est ce que témoignent ses regis-
tres que j'ai sous les yeux. Notre situation militaire
particulièrement alla empirant jusqu'à la fin d'août.
Le 2 juin avait offert un spectacle singulier : une
victoire sans vainqueur . .
Où était la force ?
Elle n'était pas dans la Convention, qui faisait des
lois pour la France , mais qui n'eût osé donner un
ordre au général Henriot.
Elle n'était pas dans Robespierre qui, le 2, s'était
vu un moment réduit à trente fidèles, lorsque toute
l'Assemblée sortit de la salle.
Êtait^elle dans la Commune? Généralement on le
croyait. La Montagne le croyait. Le soir du 3, des
Montagnards, rencontrant aux Jacobins un homme
de la Commune, lui dirent avec amertume : « C'est
donc vous qui êtes rois? »
Il était visible pourtant, et très-positif, que la
Commune était traînée plutôt qu'elle ne marchait,
qu'elle suivait, bon gré malgré, le Comité d'insur-
rection.
La force était donc dans ce Comité ? 11 se compo-
sait de neuf jeunes gens, alors inconnus, Rousseliu,
Auvray, etc. Ces rois imberbes étaient-ils réellement
reconnus et obéis, comme les vrais vainqueurs du 2
juin? On en jugera tout à l'heure.
aO ABSENCE DE TOUT GOUVERNEMENT.
Rappelons d'abord les autorités régulières de la
capitale. Elles étaient divisées d'esprit ^ et ne sié-
geaient pas au même lieu. Sans parler du départe-
ment qui siégeait à la place Vendôme, sans parler du
maire Pache qui siégeait à la Police, — à THÔtel-
de-Ville siégeait la Commune proprement dite ,
c'est-à-dire le Conseil-Général, Chaumette, procu-
reur de la Commune, et son substitut Hébert. Tous
deux étaient cordeliers. Sous leur accord apparent,
il était aisé pourtant de saisir leurs dissidences. Hé-
bert alla à VÉvèché, la nuit du 31 mai, lorsqu'on
sonna le tocsin. Et Chaumelte, l'entendant de l'Hô-
tel-de-Ville, se mit à pleurer : « Nous avons pré-
paré , dit-il, la contre-révolution. » Chaumette es-
saya d'empêcher qu'on ne tirât le canon d'alarme.
Voilà l'ancienne Commune, modérée relativement,
et qui n'inspirait aucune confiance aux hommes de
l'insurrection, aux meneurs de l'Évêché. Ceux-ci
ne pardonnèrent pas à leur président d'avoir pac-
tisé avec la Commune et consenti à siéger avec Pache
et Chaumette. On a vu comment la Commune
écarta les hommes de l'Évêché , et reconnut pour
Comité central révolutionnaire ces neuf, que les au-
torités du Département avaient nommés dans la salle
des Jacobins, sous l'influence jacobine.
Mais pourquoi des inconnus? Sans doute parce
que les Jacobins n'y voulaient aucun Jacobin mar-
quant. Ils laissèrent cette besogne à des jeunes gens
sans conséquence, et , quoique décidés à la violation
de l'Assemblée, ils n'y voulurent pas compromettre
ABSERCB DB TOUT GOUYBRHSIIERT. H
directement la grande Société, amie de Tordre et
des lois.
Il en résulta une chose, c'est que, les Cordeliers
étant écartés, les Jacobins s'effaçant, la Convention
étant brisée, la Commune dominée, le jeune Comité
central n'ayant aucun poids , l'autorité ne fut nulle
part.
Ëtaitrelle rentrée dans le peuple , à sa source
naturelle? Nullement : les sections étaient muettes
et bridées. Leurs Comités révolutionnaires les avaient
domptées, subjuguées. — Â vrai dire, qu'auraient-
elles fait? Comme le parti girondin, auquel elles ap-
partenaient en grande majorité, elles résistaient,
voilà tout; mais elles ne voulaient rien. Elles n'au*
raient rien fait que prolonger l'impuissance et
l'inertie qui étaient la mort de la France.
Ces Comités révolutionnaires, minorité si minime,
imperceptible, dans l'océan des sections qu'ils me-
naient et terrorisaient, étaient violents en proportion
de leur extrême faiblesse, prodigieusement défiants ;
décidés à sauver eux - mêmes la patrie , sans se
remettre à personne, ni consulter le pouvoir central,
ils traitaient fort légèrement le Comité insurrec.
tionnel.
Tout ceci est parfaitement mis en lumière par un
fait, l'arrestation de Prud'homme, le célèbre impri-
meur des Révolutions de Paris.
Prud'homme, véritable marchand, avait regardé
toute sa vie la girouette de l'esprit public, et s'y con-
formait k merveille, payant toujours des auteurs qui
H ABSENCE DE TOUT GOUVERNEMENT.
suivaient le mouvement. Avant la Révolution, il fit
les Crimes des rois, et après, les Crimes révolutiorh-
naires. On a vu son succès énorme, quand il em-
ployait Loustalot, et qu'il tira parfois jusqu'à deux
cent mille. Prud'homme, en 93, avait été très-
violent pour demander la mort du Roi. Il avait dé-
fendu Marat en avril, Hébert en mai, s'était prononcé
avec force contre la Gironde qui arrêtait le Père
Duchesne. Il est vrai qu'obéissant à la masse de ses
abonnés, il avait parlé avec indignation des violences
qui précédèrent le 2 juin. Ce jour môme, à onze
heures du matin, il fut arrêté. Spectacle étrange!
le défenseur de Marat et d'Hébert traité comme un
royaliste !
C'était le comité révolutionnaire de sa section
qui l'arrêtait, si l'on en croit Prud'homme, sur
la dénonciation d'un ennemi personnel. Il fait avertir
la Commune, c'est-à-dire>Chaumette, qui ordonne
sur-le-champ son élargissement.
Une heure après, sous un prétexte, on le rappelle
au comité de sa section, et là, on lui déclare qu'il est
de nouveau arrêté. Par quel ordre ? Par celui du
Comité central des Neuf. On le lui montre, et il lit :
« •.. Considérant que la liberté accordée au citoyen
Prud'homme lui a été donnée sans réfléchir^ etc. »
Le lundi 3, à dix heures, le Comité central^ sans
doute à la prière de Chaumette, élargit Prud'homme.
Mais cette mesure particulière est contrariée par une
mesure générale; le même Comité central avait
donné ordre au général Honriot d'arrêter les jour-
L'ARMÉE RÉVOLUTIONNAIRE. 23
nalistes non patriotes. Â midi, on vient encore chez
Prud'homme pour Temprisonner de nouveau ; on ne
trouve que son commis ; n'importe, le commis est
de bonne prise.
Le malentendu s'explique. Nouvel ordre du Cofniié
central pour élai^ir l'imprimeur. Mais violente récla-
mation du comité de section qui proteste que le pri-
sonnier est coupable, et déclare, d'uu ton menaçant,
que le Comité cerUral est responsable des suites de cette
démarche.
Ce ne fut que le 4, à midi et demi, après trois em-
prisonnements et trois élargissements en trois jours,
que Prud'homme fut définitivement élai^i.
Nous avons donné ce fait tout au long pour faire
comprendre la lutte des trois autorités rivales : de la
Commune, du Comité central d'insurrection et des
comités révolutionnaires de sections.
Le Comité central^ isolé, sans force ni base, ne pou-
vait larder de se retirer. Sa retraite le délivrait
lui-même, le dispensant de tenir au peuple la grande
promesse de l'insurrection, celle de le nourrir et le
solder, de lui créer V armée révolutionnaire.
§ 3. — L'ARMÉE RÉVOLUTIONNAIRE.
(Juin 95.)
Cet épouvantail des riches et de la propriété, cette
terrible machine à ouvrir les coffres, desserrer les
bourses, dans un grand besoin public, paraît avoir
été surtout une idée des Cordeliers.
Le premier essai fut fait par un dantouiste , Dubois-
24 COMMENT ON DEMANDA
Crancé, à Lvon. 11 a très-bieD dit lui-même com-
ment 9 abandonné du Centre et n'en ayant plus
nouvelle, serré entre trois dangers, Lyon', Mar-
seille , et le Piémont qui allait passer les Alpes , ne
sachant qui invoquer, l'enfer ou le ciel, il prit son
parti, s'unit fortement à €halier et aux enragés de
Lyon , et leur mit en main cette épée , \ armée
révolutionnaire. Que voulait-il? Contenir Lyon, re-
pousser l'invasion, et, au défaut d* autres ressources,
faire manger Lyon, s'il le fallait, par l'armée des
Alpes.
A Paris, il y eut une autre raison, bien forte pour
solder le peuple, c'est qu'on ne savait plus comment
le nourrir. Varmée révolutionnaire en ferait vivre
une partie, ferait financer les riches, contiendrait les
pauvres.
Dès 90, il y avait cent vingt mille pauvres à Paris,
et à Versailles quarante mille (sur soixante mille
habitants. *)
' La misère semblait d*autant plus cruelle que les derniers temps de
Louis XVL parmi le déficit, la banqueroute imminente, les embarras
croissants, avaient pourtant présenté une surexcitation singulière du
trayail. Il semblait que, sûr de périr et débarrassé de la prévoyance,
on n^eût plus rien à ménager. Par le faux mouvement de Colonne, par
la magnificence de MM. les Fermiers-généraux, ruinant les uns pour
enrichir les autres, englobant dans Foctroi les énormes faubourgs de
Paris, les travaux avaient pris une fiévreuse activité : la rue Royale
achevée, le Pont-Royal commencé, le Palais-Royal bâti, des rues, des
places, des théâtres, des quartiers entiers (quartiers Odéon, Vivienne),
toutes nos massives barrières, bastilles du fisc, Pimmense et gigan-
tesque enceinte de Paris, tout cela se fit à la fois. U semblait que
Paris prenait sa robe neuve pour recevoir triomphalement la Révolu-
LWRMÉB RÉVOLUTIONNAIRE.
La récolte de 92, bonne en froment, avait été
nulle pour tout le reste. Tout fut épuisé de bonne
heure, et il y eut une sorte de disette au printemps
de 93.
Ce terrible problème : Comment nourrir le peuple?
se présenta, de mars en mai, en juin et jusqu'en
septembre, comme un sphinx effrayant, à dévorer
tous les partis !
La Commune fut ainsi poussée par la nécessité et
par le péril à faire ce qu'on faisait à Lyon, une armée
révolutionnaire. Les patriotes lyonnais, huit jours
avant de commencer, avaient envoyé à Paris un des
leurs, le jeune Leclerc, éloquent et violent, amant
de Rose Lacombe, qui couchait chez elle, courait
Paris avec elle, jurait sang, mort et ruines. Ce fré-
nétique raviva les fureurs des Cordeliers. Le 13
(au jour même où Crancé accordait à ceux de Lyon
leur armée révolutionnaire), les Cordeliers, par
Torgane de l'administration de police qui dépendait
lion. — Elle arrive, cette Révolution féconde qui devait engendrer une
France de plus, dix millions d*hommes en trente années, et doubler la
richesse de Tancienne. Elle arrive... et avec elle d*abord la misère,
la faim. — JTai cherché curieusement dans les procès- verbaux des sec-
tions de Paris ce que demandait ce peuple affamé. Il ne demande géné-
ralement que du travail. Ces procès-verbaux, pleins de fraternité, de
secours mutuels, d*adoptions d'enfants, de charités du pauvre au pau-
vre, sont bien souvent édifiants. Le pauvre faubourg Saint-Marceau
voudrait que l'on commençât quelque grand ouvrage d^ulilité publique ;
il prie le faubourg Saint-Antoine de s^unir à lui pour obtenir qu*on
fasse le pont du Jardin des Plantes, qui unirait les deux faubourgs*
Procès^verbaux des secHonSf Quinze-Vingts, 32 novembre 92.
m GOMMENT ON ÉLUDA
d'euxy en firent la proposition au Conseil général de
la Commune, qui décida que la demande serait faite
à la Convention.
Le même jour, Robespierre, ne voulant pas sans
doute rester en arrière des Lyonnais et des Corde-
liers, fit la même proposition dam la Société des Ja-
cobins, enchérissant et demandant qu'on salariât les
patriotes qui assisteraient aux séances des sections.
Les Cordeliers, les Jacobins, entendaient-ils de
même ce mot alarmée révolutionnaire ? Voulaient-ils
la même chose ?
Nullement. Les Jacobins, Robespierre, voulaient
seulement se créer une arme contre la Gironde , et,
d'autre part, lever l'emprunt, les réquisitions par
une voie expéditive, par le bras du peuple.
Mais les Chalier, les Gaillard, les Leclerc, de
Lyon, les Gusman, les Jacques-Roux, les Varlet, de
Paris, les Cordeliers extrêmes, ceux que Marat
appela enragés, imaginaient autrement la chose.
Poëtes furieux de la Révolution, ils voulaient, de
cette armée, faire un apostolat, celui de la guillotine.
V armée révolutionnaire devait, selon eux, le bourreau
en tête, courir toute la France, jugeant et exécutant,
fanatisant par le vertige, convertissant par la terreur.
Dès lors , le pain à bon marché ; les laboureurs trem-
blants ouvriraient tous leurs greniers, les riches leurs
coffres. La France , mise en possession de toutes ses
ressources, se trouverait tout à coup une incalculable
force ; elle serait, sans difficulté, nourrie, défendue.
Les politiques de la Montagne étaient très-opposés
L^ARMÉB RÉVOLimOimAIRB. î7
& cette idée sauvage. Robert Liodet, surtout, affir-
mait que o'était un sûr moyen d'organiser la famine,
et peut-être la guerre civile, par les furieuses rési*
stances qu'on trouverait chez le paysaç.
Ce terrible mot A' armée técoluiiownaire est répété
avec un accroissement alarmant de chiffres par les
différents partis, comme une espèce d'enchère, à
mesure que le flot monte dans les derniers jours de
mai.
Au 31 mai, le dantoniste Lacroix désarme les
enragés, en s' emparant de leur proposition, et de-
mandant lui-même cette armée pour iiœ mille
hommes.
Dans la nuit du l*'juin, le Comité d'insurrection,
voyant le mouvement languir; veut réveiller l'en-
thousiasme , et dit au Conseil général que Y armée
révolutionnaire sera portée à vingt mille hommes, à
deux francs par jour.
Le 21 juin, Lacroix essaye d'étouffer le mouvement
en faisant accorder aux insurgés l'armée pour sdxe
miUê hommes. La chose est décrétée ainsi.
Elle n'était pas embarrassante pour le Comité
d'insurrection, autorité transitoire, qui pouvait partir
et laisser à d'autres le soin d'accomplir ses pro-
messes.
Elle restait un grand eOibarras pour la Commune,
pour Robespierre, qui en avaient fait les premières
propositions, et qui avaient vu la chose croître e t
grossir à un point où personne ne pouvait plus satis-
faire les espérances du peuple»
28 ROBESPIERRRE ET NARAT
« OÙ trouverez-vous tant d'argent? » avait dit
Chaumette^ Donnerait-on à seize mille hommes la
solde de deux francs pour rester tranquillement à
Paris^ quand nos soldats du Rhin, du Nord^ en pré-
sence de l'ennemi, exténués, à peine nourris, depuis
si longtemps ne recevaient rien ?
Si l'on créait cette armée^ on la donnait aux enr-
ragéSy un poignard dans la maiu d'un fou ! et si on ne
la créait pas, on risquait une insurrection, mais
celle-ci très-sérieuse , celle de la misère et de la
faim.
On vit alors un spectacle curieux, Chaumette et
le père Duchesne, effrayés et dépassés, prêcher la
modération. Ils avaient arrêté Gusman ; ils tâchaient
de faire taire Leclerc : c Qui veut le sang, disait
Hébert, n'est pas un bon citoyen. »
On composa. Le Comité d'insurrection exigea
qu'au moins l'armée fût volée pour six mi7Ze hommes.
Il en fut ainsi, et le Comité, à ce prix, se déclara
dissous (6 juin).
Mais une circonstance imprévue permit d'éluder
ce vote. Les canonniers de Paris, corps d'élite, de
grand courage (on le vit à Nantes et partout), mais
de grandes prétentions, formaient déjà une espèce
d'armée révolutionnaire. Ils s'opposèrent hardiment
à ce qu'il en fût créée une, dont ils n'eussent été qu'un
corps accessoire. Ils jurèrent de ne pas se dissoudre,
de rester serrés ensemble et de s'aider les uns les
autres.
Cela rendit du courage à tous ceux qui craignaient
GARD1BNS DE TORDUE. S9
Vannée révolui ionnairej aux ennemis des enragés, à
Robespierre, aux Jacobins^ à la Commune, à Chau-
mette.
Le 11 juin, la section des Piques (ou de la place
Vendôme), section de Robespierre, entraîna quel-
ques autres sections. Elles allèrent à l'ËTèché, au
centre des enragés. Sans doute la salle était vacante.
Elles siégèrent à leur aise, et votèrent, au nom de
rÉvêché, une demande d'ajourner Y armée révolution--
naire. Les Gordeliers furent furieux ; le soir même
ils signalèrent celte surprise, et accusèrent violem-
ment la section de Robespierre. L'armée n'en resta
pas moins ajournée.
Déjà depuis quelque temps, avant même la chute
de la Gironde, rinstincl prévoyant des riches, éclairé
par la terreur, leur disait que Robespierre, Marat
même, se trouveraient, par leur opposition naturelle
aux enragés, les modérateurs de la situation et les
défenseurs de l'ordre. Sans se piquer de fidélité à la
Gironde, qui manifestement enfonçait, sans scru-
pule d'opinion, ils s'adressaient à la Montagne, au
plus haut de la Montagne» tout droit à Marat; Marat,
cruel en paroles, était vaniteux, sensible aux caresses,
à la confiance.
11 raconte lui même un fait significatif :
Quelque temps avant le 31 mai, un banquier
estimé, M. Perregaux (prédécesseur de M, Laffitte),
l'invita à dtner chez lui. Marat ne refusa pas. Mais,
avec beaucoup de prudence, il voulut avoir un té-
moin de ses paroles, et il emmena Saint-Just. Il y
30 ROBESPIERRE BT MARAT GARDIENS DE L'ORDRE.
avait à table deux ou trois banquiers ou négociants.
Au dessert, timidemept^ ili$ se hasardèrent à demander
au grand patriote ce qu'il pensait qu'on dût croire des
projets de loi agraire, de partage des propriétés, etc.
Marat haussa les épaules, les rassura pleinement, ren-
voyant ces utopies à des époques tout autres et des
sociétés différentes. Ils se relevèrent rassurés, et
pleins de confiance dans ce bon M. Marat.
CHAPITRE II
LA CONSTITUTION DE 95,
Mérites de cette Constitution. — Comment se fit la Conslilution. — Elle me-
BAJt à la dicttlore.-— Attaques dont elle est l'objet. » Du parti prêtre à la
Convention. — Du parti contraire. — Robespierire blesse le parti contraire.
S. 1.— MÉRITES DE CETTE CONSTITUTION. ATTAQUES DONT ELLE EST
L'OBJET.
La Constitution de 93 j ébauche improvisée pour
le besoin d'une crise politique, a toutefois le caractère
de répondre par quelques traits originaux et forts au
cœur du genre humain.
Elle répond d'abord à l'antique , à l'invariable
besoin de ce cœur. Elle parle de Dieu.
Elle en parle, il est vrai, en terme abstrait, vague,
équivoque. Mais par cela seul qu'elle le nomme,
elle se sacre elle-même dans la pensée du peuple, et
devient une loi populaire. Ce n'est plus œuvre for-
tuite de savants ou de philosophes. Elle se fonde et
32 MÉRITES DE CETTE CONSTITUTION.
s'harmonise dans la tradition^ dans le sens commun
de rhumanité.
Le second point original, c'est que cette constitu-
tion, écrite pour un grand empire, prétend réaliser
ce qui est si difBcile dans les plus petites sociétés :
r exercice universel et constant de la souveraineté popu-
laire. Noble utopie d'un gouvernement simple, où,
ne se remettant à personne, le peuple commande et
n'obéit, comme Dieu, qu'à ce qu'il a voulu.
Le troisième point, très-grave, et par lequel celle
constitution, telle quelle, efface celles qui l'ont pré-
cédée, c'est la pensée indiquée pour la première fois
que la loi n'est pas seulement une machine à gouver-
ner l'homme, mais qu'elle s'inquiète de lui, qu'elle
veut garantir sa vie, qu'elle ne veut pas que le peuple
meure.
 quoi reconnaîtrons-nous la Loi? Au trait tou-
chant qui distingue la vraie mère de la fausse, dans
le jugement de Salomon, et lui fait adjuger l'enfant.
La vraie mère s'écria : « Qu'il vive! >
« Les secours publics sont une dette sacrée, La
société doit la subsistance aux citoyens malheureux y
soit en leur procurant du travail, soit en assurant
les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de
travailler. »
Énoncé faible encore du premier devoir de la fra-
ternité. Ce n'en est pas moins l'ouverture première
des âges meilleurs, l'aurore du nouveau monde.
Remontez à 92 , au projet de constitution giron-
dine écrit par Condorcet; rien de pareil encore.
MÉRITES DE CETTE CONSTirUTION. 55
L'auteur, il est vrai, promettait la loi sur les secotir^
publicsy mais une loi à part, comme si cette loi, ce
devoir de fraternité, ne doit pas figurer en tète de la
Constitution.
C'est bien pis, si vous remontez à l'Assemblée
constituante. L'école anglo-américaine y règne sans
part£^e. Les rapports, les discours de La Rochefou-
cauld et autres philanthropes, sortis de l'école égoïste
du Laissez faire et laissez passer, sout peu phi-
lanthropiques, si vous les comparez au grand cœur
de 93, à son amour du peuple, à ses fondations
innombrables, qui font de cette année maudite une
grande ère de la fraternité sociale.
Voilà les trois points capitaux qui caractérisent la
Constitution de 93. On voudrait seulement que ces^
grandes choses fécondes, Dieu, la Fraternité, n'ap-
parussent pas seulement en deux articles isolés, sans
liaison avec l'ensemble, comme des ornements ajou-
tés. Il faudrait au contraire qu'ils en tissent la tète
et le cœur; bien plus, le sang, la vie, le fluide
vital, qui eût circulé partout, et fait de l'œuvre en-
tière une création vivante.
Le malheur, trop visible, c'est que les rédacteurs,
obligés de répondre immédiatement au besoin de la
circonstance, mirent sur la table, devant eux, un
mauvais projet de constitution, celui de la Gironde.
Ils l'abrègent, le corrigent, Taméliorent. Infaillible
moyen de ne rien faire de bon. Il eût fallu le laisser
entièrement de côté, et donner, d'uu seul jet, une
œuvre née d'elle-même.
VI. 3
54 COMMENT SB FiT LA CONSTITUTION.
Les chaogemeDts néanmoins, souvent heureux,
témoignent d'un meilleur esprit.
J'aime, par exemple, qu'en parlant de la Pro-^
priélé, du droit que l'homme a d'en jouir, la Consti*^
tution de 93 substitue au mot capitaux qu'on lit dans
l'œuvre girondine : « Le fruit de son travail. »
Un mot très-beau est celui-ci. Dans l'énumération
des moyens par lesquels on acquiert le droit de
citoyen, la loi ajoute : « En adoptant un enfant, en
nourrissant un vieillard. »
La constitution girondine, par une insigne impru*
dence, donnait la même influence à la France des
campagnes et à celle des villes, c'est-à-dire qu'elle
donnait aux barbares aveugles, serfs d'une servitude
invétérée, aux tourbes fanatiques, jouet des prêtres
et des nobles, les moyens de se perdre eux-mèmee
et de perdre la République. La constitution jacobine
proportionne l'influence aux lumières et donne l'as*
cendant aux villes.
Comment se fit cette œuvre si rapide?
Toutes les sociétés populaires la demandaient , la
voulaient à l'instant. Personne ne voulait l'anarchie,
pas même ceux qui la faisaient. Tous avaient fpiim et
soif des lois.
Tous, dans la foi naïve de cet âge , croyaient que
la yérité n'avait qu'à paraître pour vaincre ; ils fai-
saient cet honneur à leurs ennemis de croire qu'en
présence de la Liberté et de la Justice , nettemeot
formulées dans la Constitution, ils jçUeraiçpt les RF-
COMMENT SE FIT LA COKSIITOHON. 3$
mes » que tout céderait , passions, iolérèts et partis.
Cette impatience semblait rendre la tâche des ré-
dacteurs facile. Un peuple si pressé d'avoir des k)is
devait les prendre de confiance et chicaner peu le
législateur.
D'autre part, la constitution rencontrait une dif-
ficulté bien grave dans la situation. Elle devait ré*
pondre à deui conditions absolument contraires :
Née du 31 mai, elle avait à se justifier, en faisant
oublier le projet girondin, en se montrant plus popu*
laire. 11 lui fallait jprimer la Gironde en d4m(Krati9.
Et elle devait en même temps faire la chose op^
posée . Organiser un gouvernement fort. L^ Fv9lixq%
périss^t faute de gouvernement.
On s'en remit à Robespierre. La Montagne» qui
venait de lui refuser le pQuvQir> lui remit en réa-
lité la constitution*
Elle fut faite, sous son influence, par cmq rçpré-
seulauts qu'on adjoignit au Comité de ^lut publia,
Cq Comité, usé, brisé, n'avait qu'qn mois è, vivre, H
laissa faire* Les adjoints furent les deui( hommes da
Robespierre, Coulhon et Saiul-Ju^l. Plus, trois inii**
goifianis pour faire nombre : gn daptoui^te fort léger,
Hérault de Sérhelles, le bel homme à tôtç vide, qui
avait fait, sans le savoir, la révolution du 2 juin ; en-^-
fin dçu^ légistes de profession, nullement politiques^
RQrlier çt Pamel; trois voix acquises h, Çouthon et
Saigt-Just, c'est-^dire à Robespierre.
Q\\ n*psait, on ne pouvail demander la diçlçituçe,
sans laquelle tout périssait. On essaya de la t^îs^ iQtv
50 ELLE MENAIT
tir de la constitution même, et de la plus démocra-
tique qui fut jamais.
Étrange dérision du sort ! Robespierre avait au
cœur ridéal de la démocratie; il voulait moins le
pouvoir que l'autorité morale, au profit de l'égalité.
Ce qu'il ambitionna réellement toute sa vie, ce fut
d'être le dictateur des âmes et le roi des esprits par
une triomphante formule qui résumerait la foi jaco-
bine, et devant laquelle Girondins, Cordeliers, la
France, le monde, tomberaient à genoux... Le jour
arrive, et Robespierre est à même de dicter les lois,
mais c'est au moment où la situation ne comporte
plus les lois. Ce grand œuvre lui vient quand une
nécessité suprême de situation ne permet plus de le
faire dans la vérité !
Organiser le pouvoir, c'était la chose nécessaire,
et de nécessité suprême. Mais comment le hasarder,
quand le 10 mai, Robespierre lui-même, un mois
juste avant le 10 juin, où fut présentée sa constitu-
tion, venait de prononcer un discours infiniment dé-
fiant, hostile au pouvoir, qui faisait de la vie publi-
que'une guerre contre le magistrat ?
Rien n'étonna l'audace de Saint-Just et de Cou-
thon. Ce pouvoir qu'on ne pouvait constituer ex-
pressément, ils le firent en n'en parlant pas. Ils pri-
rent tout simplement le médiocre projet girondin que
Condorcet avait déjà présenté, découpèrent, suppri-
mèrent les articles de garanties, de barrières au pou-
voir. Celui-ci fut ainsi créé par omissions et par coups
de ciseau.
" -r , . ■ ■ •
r ■ ..
58 ELLE MENAIT
pouToif exécutif l'appui fixe d'une caste. La conslitu-
tion de 91 appuyait sa royauté sur ses corps électo-
raux cle notables. Là constitution de 93 appuiera sa
dictature sur des corps électoraux de jacobins, aris-
tocratie sans- culotte y non moins redoutable que
l'autre,
!1 aurait fallu pouvoir être franc, pouvoir dire que,
dans la mobilité infinie des partis, on ne reconnais^
sait de sol ferme où Ton pût mettre le pied que la
Société jacobine, qu'en ce moment tout, excepté
elle, fuyait et fondait.
Pour faire avaler au peuple cette résurrection du
pouvoir exécutif, la constitution de 93 lui fait une
belle, grande et magnifique promesse, celle de le faire
voter lui-même sur toutes les lois. Le Corps législatif
îie fait que les proposer.
C'est le plus complet hommage qu^on ait jamais
fendu au peuple, la concession 1^ plus large qu'on
ait faite nulle part à l'instinct des masses illettrées.
On suppose que, sur les sujets les plus délicats, les
plus spéciaux , les plus difficiles , la simple lu-
mière naturelle suppléera à tous les secours de la
science.
Mais ce magnifique don fait à peine au peuple, oh
le lui reprend en réalité. Ce vote sur toutes les lois
devient illusoire :
ft Quarante jours après la proposition de la loi,
si, dans la moitié des départements, lé dixième des
assemblées primaires n^a pas réclamé^ le projet de?
vient ici. »
A LA DfGTATURB. 39
Ainsi : Qui ne 4it rien consent. Il est indubitable
que pour les lois qui règlent des questions difficiles
(telles sont la plupart dos lois dans une société telle
que la nôtre, d'intérêts si compliqués), les piasses
n'auront ni le temps, ni la volonté, ni le pouvoir de
se mettre à Fétude; elles ne feront la loi que par leur
silence.
Pour dire le vrai, les deux constitutions, la giren-^
dine et la jacobine, étaient ou peu applicables, ou
trés-^dangereuses.
La girondine est uniquement une machine de ré^
sistance contre l'autorité qui n'est pas encore et qui,
a¥ee elle, ne pourrait pas commencer; elle n^e^t
que liens, barrières, entraves de toutes sortes : si
bien qu'une telle machine resterait immobile et ne
bougerait. C^est la paralysie constituée.
La constitution jacobine , toute démocratique
qu^elle est, mène droit à la dictature. C'est son dé-
faut, et c'était son mérite, au moment oi!i elle fut
ftiite et dans la crise terrible dont la dictature sem-
blait le remède.
Elle fut lue lé 10 et patiemment écoutée à la Con-
vention. Mais, le soir même, on put voir qu'elle
était peu aeceptée, même des hommes du 2 juin. Ce
fut précisément au sein de la Société jacobine, à qui
cette constitution remettait la France, qu'eut lieu là
vive explosion des critiques.
Chabot, l'impudent, le cynique, qui plus que per-
seone avait conspué la Gironde, fut presque aussi
injurieux pour la constitution de Robespierre. Sanâ
40 ATTAQUES DONT ELLE EST L'OBJET.
nulle attention au lieu, aux personnes , il dit
crûment, sans embarras : « Que la nouvelle con-
stitution était un piège, qu'elle surprenait la dicta-
ture, qu'elle recréait un monstre de pouvoir exécutif,
indépendant de l'Assemblée, un pouvoir colossal et
liberticide, qu'elle recommençait la royauté. . .»
Robespierre, saisi, surpris, ne trouva que cette
réponse : « Que lui-même proposerait d'ajouter à la
constitution des articles populaires. »
Mais Chabot ne s'arrêtait pas ainsi, une fois en
verve. Il demanda où étaient les articles qui tou-
chaient vraiment le bonheur du peuple. Un seul,
qui fait « des secours publics une dette sacrée »,
faible et sec énoncé du principe, sans rien dire des
voies et moyens, « Est-ce là, dit Chabot, tout ce que
le peuple vainqueur devait s'attendre à recueillir le
lendemain de sa victoire ? »
Le silence fut terrible. Chabot s'épouvanta lui-
môme de voir qu'on ne répondait pas. Il se crut un
homme perdu. Et il le crut bien plus encore quand
il vit, aux jours suivants, les enragés s'emparer de ses
arguments et en faire la base d'une pétition insolente
à la Convention. Désespéré alors d'avoir eu tellement
raison, décidé à se laver par une lâcheté quelconque,
il prit l'occasion d'une brochure anonyme de Con-
dorcet contre la constitution. Chabot le dénonça, fit
décider son arrestation et poursuivit sa mort, croyant
se sauver lui-même.
L'homme du reste importait peu. Chabot, quelque
Chabot qu'il fût, sur le dernier point avait touché
ATTAQUES DONT ELLE EST L'OBJET. 41
juste. La constitution de 93 était, comme tant d'au-
tres, une machine sans vie, une roue sans moteur ;
il y manquait justement ce qui Teût mis en mouve-
ment.
En vain, le rapporteur Hérault avait dit que les
lois sociales viendraient après la Constitution, sui-
vant la vieille méthode qui pose d'abord un méca-
nisme, le met à terre, et puis regarde s'il va tourner.
Il faut créer le moteur, en déduire le mécanisme
celui-ci n'a de valeur qu'autant qu'il peut obéir à
l'autre et le seconder. Religion, éducation, moralité
fraternelle, lois de charitable équité et de mutuelle
tendresse, voilà ce qu'il faut organiser d'abord,
mettre dans la loi et aux cœurs; tout cela est anté-
rieur, supérieur, au mécanisme politique ^
* Toutes les constilutions modernes, je n*en excepte aucune , me
pénètrent d^emiui et de tristesse. Toutes sont écrites dans le genre
ennuyeuxj dans un pesant esprit mécanique. Il n*y manque que deux
choses, rhomme et Dieu, c*est-à-dire tout.
La loi y est si modeste, qu'elle se resserre et se restreint dans cer-
tains petits côtés de Tactivité humaine qu'elle croit pouvoir mécaniser.
Pour tout ce qui est grand, elle se récuse. Elle s'occupe de contribu-
tions, d'élections. Mais Tâme de celui qui paie, l'intelligence de celui
qui élit, elle ne s'en occupe paâ. « Vous voulex parler morale, reli-
gion? allez ailleurs ; cela, c'est le métier du prêtre, du philosophe, dit
la Loi. Moi, je reste ici à mes urnes de scrutin, à mes registres, à mon
comptoir, à ma caisse. A d'autres Tautorité morale, les choses de Dieu,
à d'autres de former les âmes, de tenir les cœurs dans leurs mains.
C'est là le spirituel voyez- vous, la part de Marie. Le temporel est mon
affaire, la part de Marthe..» Le ménage, balayer et tourner la broche.
Pauvre Loi, ne seiitez-vous pas que qui a l'esprit a tout ?
4t DU PARTI PRÉTRË A LA CONVENTION.
8 2— SUITE DE LA CONSTITUTION. -L*ÊTRE SUPRÊME.
Chabot avait été bien loin, et pourtant il n'avait
pas dit ce qui blessait le plus les cœurs du plus grand
nombre des révolutionnaires, et même des modérés,
de la majorité de la Montagne,
On a vu que Tune des causes principales qui isolè-
rent les Girondins c'est qu'attachés généralement à la
tradition philosophique du XVIIP siècle, ils blessèrent
ceux des Conventionnels qui ménageaient l'ancien
culte. Leur suppression du dimanche dans les admi-
nistrations fut un crime impardonnable.
Le prêtre Sieyôs au centre, le prêtre Durand-
Maillane et autres à la droite, dans leur mutisme
habituel, n'en exerçaient pas moins une assez grande
influence à la Convention. Les prêtres y étaient fort
nombreux, et il y avait quatorze évêques, dont moi-
tié à 1^ Montagne. L'un de ces évêques montagnards
avait été professeur de Robespierre. Tous se retrou?T
vaient confrères et votaient ensemble dans les cir-
constances où leur robe était intéressée. La RéYO-
lutioq ^vail pu briser tout ijn monde; ellp n'ayaft
pas brisé le rapport du prêtre au prêtre.
L'œil clairvoyant de Robespierre n'avait pas été
sans rern?irquer qu'indépendamment de la division
locale des partis en côté droit, gauche et centre, il
y avait aussi comme un parti épars sur tous les bancs
de l'Assemblée, celui de tous les membres plus ou
mQJns attachés au:^ idées religieuses.
S'il s'attachait ce parti, assez fort, surtout à droite,
il pouvait y trouver un appui, et même au besoin
DU PARTI MtTM A LA eOinTENTION. Si
contre la Montagne, contre celte variable, cette in-
disciplinable Montngne, qui Tavait laissé ap fi juin
réduit à I rente fidèles. Qu'arriverail-il si un jour,
emportée par Danton ou quelque autre des Corde-
liers, elle désertait encore?... Donc, il dérendit la
droite , lu garda précieusement , et l'augmenta ,
comme une réserve future, de tous ceux qui, à gau-
che, au centre, voulaient conserver quelque chose
de l'ancienne religion.
Dans la discussion récente où l'on avait examiné
si Ton mettrait le nom do VÉlrê Svprëme en tête de
la Constitution, l'Assemblée avait ajourné, e^est*h-
dire écarté indéfiniment, la proposition. Robespierre,
sans en tenir compte, écrit à la première ligne de sa
Déclaration des droits ; i En présence de l'Être Su-
prême^. »
Ce«t ce mot spécialement qui signe la constitution
du nom de Bobespierre. Nul des rédacteurs, sans
son influence, n'aurait songe à l'y mettre. Il avouait
ainsi cet acte, et défiait les haiues d^une grande
partie de la Montagne.
Un résultat naturel de la lutte que l'esprit mo-*
deme a soutenue si longtemps dans les supplices et les
bâcher^ contre les hommes de Bieu^ e^est que le
nom de Dieu était suspect; il ne rappelait aux esprits
que la tyrannie du clergé qu'on avait brisée à
peine.
! Prud^bomme, ami de Cbaumette, et probablement enhardi par iiii,
^'$%jfirm9i W^ pittf d^ libt*ïi^ (litron ne Teûi fiUendM à^ \^ Pfessp, déj|t
craintive^ sur ce retour reliaieu^. Il dU assez durçmçpt : •« J^s lép[i§'
lateurs ont fait là un pas d*écrevisses. »
44 DU PARTI CONTRAIRE.
Un mot éclaircira ceci.
A Tépoque où Diderot décrivait les procédés des
arts dans TEncyclopédie, il se trouvait un jour chez
un tourneur et le regardait tourner. Un de ses amis
survint, et Diderot, s' élevant de cet art inférieur à
ridée de Fart éternel, se mit à parler de la qréation
et du Créateur avec une éloquence extraordinaire.
L'autre cependant changeait de visage. Enfin les lar-
mes lui viennent. Use jette àgenoux devant Diderot,
lui prenant les mains et sanglotant : « Âh ! mon ami !
ah! mon ami, de grâce, ne parlez pas ainsi... Je vous
en prie, je vous conjure... Oh ! plus de Dieu, plus
de Dieu ! »
Il voulait dire évidemment : « Plus de clei^é ,
plus de moines , plus d'inquisition , plus de bû-
chers, etc., etc. »
Une scène tout analogue se passa au temps dont
nous écrivons l'histoire. Un de ces fougueux disciples
de Diderot, un soir de 93, arrive défait et pâle dans
la petite rue Serpente, dans une famille dont il était
ami, celle du libraire Debure On s'étonne :
« Qu'avez-vous? auriez-vous été dénoncé? — Non. —
C'est donc un de vos amis qui est en péril? — Enfin,
répandant des larmes et faisant effort pour répondre :
« Rien de tout cela. .... Ce scélérat de Robespierre
fait décréter Y Être Suprême ! »
Ce fanatisme d'athéisme se trouvait particulière-
ment chez les Cordeliers. La plupart se croyaient
athées et ne Tétaient pas. Comme leur maître Dide-
rot, c'étaient des sceptiques pleins de foi. Les uns,
ROffiSPIERRE BLES&A LE PARTI COXTRAlftE. 45
comme Danton, sentaient Dieu dans les énergies
créatrices de la Nature, dans la femme et dans Ta-
mour. Les autres, comme le pauvre Clootz, l'orateur
du genre humain, le sentaient dans Tàme du peuple,
dans l'Humanité, dans la Raison universelle. L'unité
de la Grande Cause put leur échapper sans doute,
mais, par l'instinct et le cœur, ils virent, ils recon-
nurent plusieurs des faces de Dieu.
Les Cordeliers furent bien mêlés. Ils eurent des
hommes d'une sève, d'un cœur admirable, comme
Desmoulins et Clootz ; ils eurent des fripons comme
Hébert, des scélérats comme Ronsin. Mais ils n'eu-
rent point d'hypocrites.
Us crurent que la Révolution ne devait point
s'arrêter devant la question religieuse, mais l'em-
brasser et l'envelopper, qu'elle n'avait aucune sûreté
tant qu'elle laissait cette question hors d'elle-même.
Ils n'éludèrent pas la Religion en lui accordant un
mot. Ils proposèrent leur symbole contre celui du
moyen-âge. Les Jacobins , pour l'avoir ménagé par
une équivoque, ont vu revenir celui-ci, tout mort
qu'il était, et ce revenant étrangler la Révolution.
On ne fonde rien sur l'équivoque. Rien n'était plus
vague, plus trouble que ce mol : l'Être Suprême.
Rousseau, auquel il appartient, y avait trouvé son
succès. Robespierre y chercha le sien.
Ce mot, d'un sens indécis, est ce qui recommanda
YÊtnile aux croyants comme aux philosophes. Les
uns y virent l'ancien Dieu et les autres le nouveau.
Tous ceux qui, par sentiment, sans souci de la
40 ROVE^PIERRE BLESSA 1% PARTI GOKTIUkliR«
logique^ tenaient à Tancieniio religion et qui las«u*
taicnt enfoncer sous eux, passèrent avec enipress»--
ment sur la planche mal assurée que Rousseau leudait
à tous.
Cette formule convenait h tous, parce qu'elle disait
très-peu. Suprême! expression vide et creuse (par-
donnez-moi, grand homme, le mot qui m'est échap-
pé). Elle est bien pauvre, dn moins, pour dire l«
tout-puissant Générateur des globes, disons mieui;» la
Grande Mère, toute féconde, qui, par minutes, çn*
faute les mondes et les cœurs. Omettre refficucHé
de Dieu, pour dire seulement qu'il est Suprême^ i^n
fond, c'est l'anéantir. Dieu agit, engendre, ou n'çs^
pa$. Ce pauvre tilre le dépouille, le destitue, le x^-
lègue là-haut, je ne sais où, au trOne du Rien ftiirç,
01^ siégeait le dieu d*Ëpicure.
Il ne faut pas parler de Dieu, ou m parler çl^ji*
rement.
Telle est 1* force féconde de ce seul non?, quQ,
mal dit, il sera horriblement fécond de maui; Qt
d'erreurs.
Que signifie VÊtre Suprême? Est-ce le Dieu 4h
moyen-âge, l'injuste Dieu qui sauve les éju^, ceux
qu'il aime et qu'il préfère, les favoris de la Gr|içf|î
ou bien le Dieu de justice, le Dieu de la Révolution?,..
Prenez garde. Mortelle est l'équivoque» Vous rouvrçi
la porte au passé. 11 faut choisir. Car des deux ^eps
vont dériver doux politiques tout à fait contraire^.
Du Diçu juste dérive uqe société juste, dénaoçraliqyç,
égale. Çt du Dieu de la Gr^ce qui ne ^auve qyç jes
ROBESPIERRE RLESSA LE PARTI CONTRAIRE. 47
élu9, VOUS n'arriverez jamais qu'à une société d'élus
et de privilégies.
Trente ans s'étaient écoulés depuis Rousseau.
L'équivoque n'élait plus permise. Il ne fallait pas s'en
servir. Au lieu de VÉtre Suprême, qui n'est qu'une
neutralité entre le Dieu juste et le Dieu injuste, il
fallait confesser l'une ou l'autre foi, ou reculer dans
le passé, comme l'Empire a fait franchement, ou
suivre la voie révolutionnaire contre la théologie
arbitraire de la Grâce et du privilège , et mettre en
tète de la Loi le nom du Dieu nouveau : Justice.
Cette première ligne écrite et la religion fondée,
la constitution de 93 n'aurait pas pu faire la chute
qu'elle fait à la seconde ligne, où, pour but, à la
société elle assigne : « Le bonheur » ( le bonheur
commun).
La constitution girondine donnait à la société pour
but : Le maintien des droits. Et Robespierre lui-
même indiquait ce but dans sa première Déclaration
présentée aux Jacobins. Solution plus élevée sans
doute que le bonheur, mais toutefois incomplète,
négative plus que positive, de défense plus que d'ac-
tion, plutôt privative de mal que créatrice de bien.
Ni la constitution girondine, ni la jacobine, ne
partent de la Justice et du Devoir. De là leur sté-
rilité.
Rapprochons de la constitution une loi fort impor-
tante (22 juin), Sur la proposition de Robespierre,
la Convention exempta de V emprunt forcé ceux qui
avaient moins de dix mille livres de renies, c'est-à-dire
48 ROBESPIERRE BLESSA LE PARTI CONTRAIRE.
à peu près tous les propriétaires. Il n'y avait guère au-
dessus que des fortunes d'émigrés, qui, devenues
biens nationaux, étaient hors de la question, ou des
fortunes de banquiers, la plupart étrangers, et par-
tant insaisissables. Il n'y avait pas alors cette foule
de grandes fortunes qui se sont faites depuis par
l'industrie, le commerce ou l'usure.
Celte proposition d'excepter véritablement tout le
monde était un ménagement habile et politique,
mais véritablement excessif, pour la propriété. Car
enfin dix mille livres de ce temps-là font douze ou
quinze d'aujourd'hui. Nombre de ces exemptés qui
avaient moins de dix mille livres de rentes étaient
cependant des gens fort aisés. Et il était à craindre
qu'en n'exigeant rien que des gens plus riches, on ne
trouvât personne sur qui lever le milliard.
Du reste, rien n'était plus capable de ramener la
bourgeoisie, de la rallier à la Constitution, de briser
et dissoudre le parti girondin, composé en partie des
gens aisés que Ton épargnait.
Résumons.
Par sa constitution, par cette loi favorable à la pro-
priété, par l'ajournement du grand épouvantait (l'ar-
mée révolutionnaire), Robespierre devenait l'espoir
de trois classes absolument différentes, jusque-là
divisées de vues :
1" Des Jacobins, qu'il appelait au pouvoir;
2^ Des propriétaires, qui virent en lui leur défen-
seur;
ROBBSPIERilB SB RALLIAIT TROIS CLASSES DIFFÉRENTES. 49
3* Des amis du passé, des prêtres même, qui dans
sa formule de l'Etre suprême, dans cette neutralité
philosophique entre le christianisme et la Révolution,
voyaient avec juste raison que les institutions antiques,
toujours subsistantes en dessous, reparaîtraient un
matin, pour étouffer, faire avorter la création nou-
velle.
VI.
CHAPITRE m
8 1. — LES GIRONDINS.
(Juin 95.)
Opinion des Montagnards en mission.— Efforts de conciliatioM.— Les Girondins
se perdent eax-raêmes.— La Convention pouvait-elle traiter avec les dépar-
tements?— Les Girondins confondus avec les royalistes.— Les Bobespierristes
au Comité de salut public. — Stratégie de Robespierre.
Avons-nous oublié la Gironde? On pourrait le
croire. Elle est déjà reculée dans le temps. Elle
enfonce d'heure en heure. Elle précipite encore sa
chute en la méritant, par l'appel à la guerre civile.
Les réclamations de la droite pour obtenir qu'on
juge les membres détenus reviennent de moment en
moment, toujours moins entendues, comme une voix
tardive, un impuissant écho des abîmes du passé.
Peu de jours après le 5tjuin, la Convention reçut
une lettre de deux Montagnards arrêtés par les Giron-
OPINION DU uomMifiJm^ m uismn, &f
dios du Calvados, Romme et Prieur d^ la CÔM'Or ;
« Confirmez notre arrestation, et eon^tituez-nou^
otages pour la sûreté des députés détenu9 à Parû# ^
Admirable abnégation qui montre tout œ qu'il y
eut de dévouement et de ferme douceur d'âme dans
ces hommes héroïques, dignes de Tantiquité.
Remarquez que cette arrestation avait cela d'odieux
que les deux représentants, envoyés à l'armée des
côtes, étaient là pour assurer la défense du pays, pour
protéger contre les flottes anglaise la population
égarée qui les arrêtait.
Quand on lut la lettre à la Convention, quelqu'un
fit observer que peut-être f ils avaient été forcés... )i
— « Vous vous trompez, dit Coutbon , Romme serait
libre au milieu de tous les canons de l'Europe^ p
L'Auvergnat Romme, esprit raide, âpre et fort,
portait dans la liberté Tesprit rigoureux des mathé-
matiques. Libre en Russie > libre au Calvados, comme
dans la Convention, il crut h la Révolution quand
personne n'y croyait plus, Dans la réa<^tion qui suivit
thermidor, il défendit les furieux dont il n'avait pas
imité les excès, et jusqu'à se perdre lui^mêmef
L^émente de Prairjali Cjui tuait la République, tua
Romue aussi. Condamné pour avoir pris le parti du
peuple affamé, il prévint l'écbafaud et se perça le
ccmir.
Dans cette cruelle circonstince du 2 juin et de son
arrestation par les Girondins, R^mme ne tergiversa
pt8« Inflexible contre lui-mènie dans la théorie du
droit révi^utionnaire, il dit froidement aux insurgés
5S OPINION DES MONTAGNARDS EN MISSION.
(comme plus tard en prairial) : « Persuadés qu'on
vous opprime, vous usez légitimement du droit de ré'-
sistance à Voppression. »
L'autre député, Prieur, mathématicien^ comme
Romme, et officier de génie, illustre comme fondateur
de l'École polytechnique, fut le second de Carnot
dans la défense de la France. Comme lui, il était
député de la Côte-d'Or ; comme lui, il avait Tàme
généreuse du pays des bons vins et des cœurs cha-
leureux. Je croirais volontiers reconnaître sa main
dans une adresse touchante que la Côte-d'Or adressa
aux départements girondins : « Non, vous ne pren-
drez pas les armes! vous ne persisterez pas dans
l'aveugle mouvement où vous pousse le délire do
la liberté*. • Tremblez des crimes où l'amour même
de la patrie peut porter la vertu... S'il était vrai
que les paroles fraternelles de vos amis de la Côte-
d'Or ne pussent arrêter cet élan de guerre, ils
iront au-devant de vous, sans armes, et vous diront:
c< Frappez!... Avant d'immoler la Patrie, immolez-
nous... Si nous apaisons votre fureur, nous aurons
assez vécu. »
Cet appel de fraternité partait de Dijon, du pays le
plus montagnard de la France. Et c'était le cri de la
France même. Les Cordeliers, si violents, mais sen-
sibles aux grandes choses, avaient vivement applaudi
la motion suivante que fit un des leurs : a Je propose
que trois mille des nôtres marchent à la rencontre de
nos frères des départements qui viennent contre
Paris, mais sans armes, pour les embrasser ! jh
OPLHION DES MONTAGNARDS EN MISSION. 55
La section de Bondi déclara qu'elle irait aussi,
mais avec un juge de paix et une branche d'olivier.
Rien ne fut plus touchant que de voir à une fête
des Champs-Elysées les canonniers de Paris, ce corps
montagnard s'il en fut, verser des larmes au moment
de partir pour le Calvados : « En vain, disaient-ils,
on voudrait nous inspirer la haine contre les autres
citoyens de la France... Ce sont nos frères, ils sont
républicains, ils sont patriotes... S'ils marchent vers
Paris, nous irous au-devant d'eux, non pour les
combattre, mais pour les embrasser, pour jurer
avec eux la perte des tyrans et le salut de la
patrie. »
Les Montagnards en mission, qui voyaient l'état
des départements, furent accablés de la nouvelle du
2 juin.
Carnot protesta.
Le jurisconsulte Merlin de Douai écrivit à la Con-
vention son opinion sur cette violation du droit
national et sur le danger où elle mettait la France.
Cette adresse fut signée deGillet, Sevestre, Cavaignac.
LindetàLyon, Treilhard à Bordeaux, n'essayèrent
pas de justifier l'événement; ils dirent seulement
que^ dans la situation de la France, il fallait accepter
le fait accompli, et se rallier au seul centre possible,
à la Convention.
Beaucoup de citoyens de Paris s'ofiraient comme
otages pour rassurer, calmer les départements.
Danton s'ofTrait de nouveau, et d'autres. Couthon
même s'offrit.
54 EPFOtltS DE CONCILIATION.
Deforgues, agent de Danton, avait été de bonne
heure dans le Calvados s'entendre avec Prieur et
Romme. Les bonnes paroles, Targent, les promesses,
rien ne fut épargné pour calmer la Normandie. La
voie fut ainsi ouverte à la sagesse de Lîndet , qui.
Normand lui-même, ménagea habilement ses compa-
triotes.
Les Girondins, il faut le dire, contribuèrent beau-
coup à leur perte.
Le sentiment de leur honneur, de leur innocence,
poussa Vergnlaud et Valazé à repousser tout compro-
mis. Ils déclarèrent ne vouloir que justice. Très-mftl
gardés dans les commencements, ils pouvaient échap^
per, comme d'autres. ïls restèrent à Paris prisonniers
volontaires avec une douzaine de leurs amis, rési-
gnés à périr, s'ils n'obtenaient leur réintégration et
la victoire du droit. Loin de se laisser oublier, de
moments en moments, ils écrivaient à la Convention
des paroles violentes, lui lançaient un remords. Ils
ne demandaient rien que ce qu'elle avait décrété
elle-même ; ils s'en tenaient à sa décision du 2 juin :
La Commune fournira les pièces, et le rapport sera
fait sous trois jours : « Qu'ils prouvent, disait Ver^
gniaud , quMls prouvent que nous sommes coupla-
blés ; sinon qu't'fe portent éUùo-fnêfne$ leur tête sur
Véchafaud, d
Quand Barrêre, le 6 juin, vint au nom du Comité
de salut public demander à la Montagne de donner
des Otages aux départements, les Girondins qui res-
taient à la Convention, Ducos, Fonfrède, s^y opposé-
LBS GIROIfDlNS SE PERDENT EUX-MÊMES. 55
reDt : c Cette mesure, direntrils, est mesquine et
pusitlanime. » Ils soutinrent, avec Robespierre, qu't/
fallait un jugement. Rs prétendaient être jugés par
la Convention; Robespierre entendait qu'ils fussent
envoyés au tribunal révolutionnaire.
Le soir même du fl, soixante-treize députés de la
droite firent une protestation secrète contre le 2 juin.
Quelques-uns étaient royalistes ou le devinrent; mais
la plupart, comme Daunou, Blanqui, etc., étaient
républicains sincères et crurent devoir protester pour
le droit.
Le jugement en réalité était impossible et le deve-
nait de plus en plus.
Vouloir que la Convention réformât le 2 juin,
c'était vouloir qu'elle s'avilît, qu'elle avouât avoir
succombé à la crainte, à la violence, qu'elle annulât
tout ce qu'elle avait fait depuis ce jour.
Non coupables de trahison, les Girondins n'étaient
pourtant pas innocents. Leur faiblesse avaient en-
couragé tous les ennemis de la République. Leur
lutte obstinée avait tout entravé et désarmé la France
au moment du péril. Manquant de faits précis contre
eux, la Convention eût bien été obligée de les rece-
voir, et ils l'auraient forcée de poursuivre leurs
ennemis, de faire un autre 2 juin en sens inverse.
Tout accabla les Girondins, et la fuite de plusieurs
des leurs, et l'appel de ces fugitifs à la guerre civile.
Les violences, les fureurs de la Gironde départemen-
tale, la guillotine dressée k Marseille et à Lyon contre
les Montagnards, les outrages subis en Provence par
56 LA CONVENTION POUVAiT-ËLLE TRAITËKAVËC LES UÉPARTEMENTS.
les représentants du peuple, c'étaient autant de coups
sur les Girondins de Paris. On s'en prenait à eux de
tout ce qui se faisait par les leurs aux extrémités
de la France, des crimes même que les royalistes
faisaient en leur nom.
L'expédient des otages refusé par eux-mêmes
n'était plus acceptable. L'imposer à la Montagne,
c'était humilier l'Assemblée devant les départements,
c'était relever, enhardir, non-seulement les Giron-
dins, mais la détestable queue de la Gironde, le
royalisme masqué; c'était confirmer la dissolution
de la République, déjà tellement avancée par la mol*
lesse du gouvernement des parleurs.
L'Assemblée aurait traité avec les départements
d'égal à égal ! Mais traiter avec qui? C'est ce qu'on
ne savait même pas. Ce qu'on appelait très-mal, très-
vaguementparti girondin était un mélange hétérogène
de nuances diverses. Les réunions qui se formèrent
pour organiser la résistance girondine, à Rennes
par exemple, furent des monstres et de vrais chaos.
Robespierre s'opposa à tout compromis, et sans nul
doute il eut raison.
Les événements accusaient la Gironde. Les mau-
vaises nouvelles des victoires royalistes , des résis-
tances girondines tombaient pêle-mêle et comme une
grêle sur la Convention.
On apprit en même temps et les mouvements roya-
listes de la Lozère, et la formation du comité giron-
din des départements de l'Ouest, à Rennes.
On apprit en même temps et la victoire des Yen-
LES GllIOMMNS CONFONDUS AVEC LES ROYALISTES. 57
déens à Saumur et rorganisation militaire des forces
girondines de Bordeaux, d'Evreux, de Marseille, les
décisions menaçantes de plusieurs départements
contre la Convention, etc.» etc.
La Montagne, les Jacobins, les meilleurs patriotes,
se trouvèrent ainsi dans ce qu'on peut appeler un cas
d'ignorance invincible. Il était presque impossible de
ne pas croire que les faits qui arrivaient en même
temps fussent sans liaison entre eux. Le sdr du 12,
quand Robespierre annonça aux Jacobins la défaite
de Saumur, qui mettait les Vendéens sur la route de
Paris, la fureur fut extrême, mais contre les Giron-
dins, contre la droite de la Convention. L'bonnête et
aveugle Legendre dit qu'il fallait arrêter, détenir
comme otages, jusqu'à l'extinction de la Vendée, les
membres du côté droit.
Un Montagnard très-loyal, et franc comme son
épée, le vaillant Bourbotte, envoya de l'Ouest une
preuve qu'un des Girondins était royaliste. On conclut
que tous Tétaient.
Les Girondins retirés dans le Calvados, Pétion,
Buzot, etc. , brisés par les événements , usés , blasés,
et finis, se laissèrent dominer par les gens du Cal-
vados. Ceux-ci avaient pris pour chef militaire un
royaliste constitutionnel, le général Wimpfen. Lou-
vet, plus clairvoyant, avertit Buzot, Pétion, leur dit
que cet homme était un traître et un royaliste. Us ré-
pondirent mollement qu'il était hommç d'honneur
et que, seul, il avait la confiance des troupes et des
Normands. Wimpfen se démasqua bientôt, parla
58 LA CONVENTION SANCTIONNE LE 2 JUIN.
d'appeler les Anglais. Les Girondins refusèrent ,
mais ils n'en furent pas moins perdus^ et parurent
avoir mérité leur sort.
Tout ceci fit donc décidément croire une chose
très^fausse : Que la Gironde était Valliée de la
Vendée.
Le 1 3, l'Assemblée recevant a la fois cette terrible
nouvelle de Saumur, et d'autre part une lettre inso-
lente où Wimpfen lui annonçait qu'il avait arrêté
deux de ses membres, le nœud fut tranché.
Danton, déjà accusé aux Cordeliers, aux Jacobins,
crut ne plus pouvoir se taire sans se perdre, dans la
vive émotion où paraissait l'Assemblée. Il invectiva
contre la Gironde, loua le 31 mai, et dit qu'il l'avait
préparé.
Couthon saisit ce moment où la Montagne semblait
décidément une par cette explosion de Danton. Il
proposa et fit décréter la déclaration suivante : « Au
3t mai et au 2 juin, le conseil révolutionnaire de la
Commune et le peuple ont puissamment concouru
à sauver la liberté, l'unité, l'indivisibilité de la Répu-
blique, n
6 2.^R0BESPIEBIIE ENTRE LES GIRONDINS ET LES ENRAGÉS. -
(Juin 9S.)
Robespierre avait vaincu, et le même jour, 13 juin,
il entra réellement au Comité par ses hommes, Cou-
thon et Saint-Just.
Delmas, qui en était membre , ayant hasardé de
défendre une des administrations inculpées, était lui-
LES ROBESPIBIIRISTES AU COMITÉ DE SALUT PUBLIC. 59
mèmerobjet des accusations jacobines. Il se créa un
moyen de salut en ouvrant la porte du Comité aux
robespierristes. Le 13, il proposa une distribution
du Comité en sections, et dans cette division on
leur fit la meilleure part*.
La section principale, celle qui donnait tout le
maniement des affaires (correspondance générale), se
composa de Couthon et de Saint-Just, de plus, du
juriste Bèrlier, homme spécial, nullement politique,
qui ne gênait guère ses collègues. Le quatrième
membre enfin fut Cambon, fort attaqué et in-
quiet, absorbé et englouti dans l'enfer de nos finan-
ces, vivant, mangeant et couchant à la Trésorerie,
tiraillé de cent côtés, dévoré par les mille besoins de
l'intérieur et de la guerre, poursuivant dans le chaos
sa création nouvelle, comme une île volcanique sur
la mer de feu, où la Révolution devait jeter l'ancre :
c'est la création du Grand- Livre.
Donc, la section principale du Comité gouvernant
fut en deux hommes seulement. Cette section de
correspondance générale ne correspondait pas seule-
ment par écrit; elle répondait de vive voix aux
membres de la Convention, aux députations, aux
particuliers. Tous ceux enfin qui avaient affaire au
Comité de salut public étaient reçus par Couthon et
Saint - Just dans la salle à deux colonnes. Tout le
grand mouvement du dehors venait se heurter aux
deux immobiles. Couthon Tétait de nature et de
^ Rêgiitret du Comité de êolut fmôlic, 13-15 juin, p. 96, 107. Archi-
ves natioruUes.
60 STRATÉGIE DE ROBESPIERRE.
volonté; le paralytique Auvergnat^ dans sa douceur
apparente, avait le poli, le froid, la dureté du silex
de ses montagnes. Le chevalier de Saint- Just (comme
l'appelle Desmoulins), dans son étonnante raideur
jacobine, le cou fortement serré d'une cravate em-
pesée, ne tournait qu'en entier et tout à la fois, im-'
mobile en soi, lors même qu'il se transportait d'un
point à un autre. Certes , dans le tourbillonnement
d'une situation si confuse, on n'eût jamais pu trou*
ver une image plus arrêtée d'un gouvernement im^
muable.
Cette &xité draconienne et terrible des deux hom-
mes de Robespierre l'autorisait singulièrement. Si tels
sont les disciples, disait-on, quel est donc le maître ?
La force de son autorité morale parut spécialement
dans le coup qu'il frappa sur les Cordeliers, sur les
enragés qui, à ce moment, s'étaient emparés de leur
club. Ils avaient repris le rôle de Marat, ses thèses
les plus violentes ; ils les mêlaient d'attaques contre
la Constitution, c'est-à-dire contre Robespierre.
Le 24, l'enragé des enragés^ le cordelier Jacques
Roux, au nom de sa section, celle des Gravilliers.
apporta à la barre une violente pétition, qu'il rendit
plus violente en l'ornant d'additions improvisées.
Tout n'était pas absurde dans cette furieuse remon-
trance à la Convention. Il reprochait à la Montagne
de rester immobile < sur son immortel rocher, v» et de
ne rien faire.
Avec un impitoyable bon sens, les tribunes applau-
dirent. La Montagne furieuse ne se connaissait plus.
snuTÉciB ne mmbshgme. ei
Elle se leva toute entière, Thuriot en tète, contre le
malencontreux orateur, et Legendre le fit chasser de
la barre.
Qu'était-ce au fond que Jacques Roux? ses dis-
cours, visiblement mutilés, sa vie violemment
ètoufifte par un surprenant accord de tous les partis,
ne le font pas deviner. Nous le voyons accouplé dans
les malédictions du temps avec le jeune Varlet, hardi
prêcheur de carrefour, d'autre part avec Leclerc, le
jeune Lyranais, ami de Chalier, qui en mai était venu
s'établir à Paris chez sa maîtresse. Rose Lacombe,
chef et centre des femmes révolfUiofmaire$. Quelles
étaient les doctrines de Roux ? Jusqu'à quel point
était-il en rapport avec Lyon, avec Chalier, son
apôtre? ou bien avec Gracchus Babeuf, qui avait
publié, dès 90, son Cadastre perpéiuely et s'agitait
fort à Paris? Nous ne pouvons malheureusement ré'-
pondre à ces questions.
Les registres des Gordeliers nous manquent pour
cette époque ; ceux de la section des Gravilliers, le
grand centre industriel de Paris, mentionnent Roux,
en bien, en mal, fréquemment, mais brièvement.
Je croirais volontiers que la Montagne n'en savait
guère plus que nous, et n'en voulait pas savoir davan-
tage sur ce monstre, objet d'horreur. Les républicains
classiques avaient déjà derrière eux un spectre qui
marchait vite et les eût gagnés de vitesse, le républi-
canisme romantique aux cent tètes, aux mille écoles,
que nous appelons aujourd'hui le Socialisme. Entre
les uns et les autres, il y avait un abtme qu'on croyait
^ft STRATÉGIIS PB ROPBSPIBH^E.
iofraucbissable : l'idée trè$HJifférente qu'ils avaient
de la propriété. Marat» Hébert, quoique parfois dans
leur violence étourdie ils aient paru autoriser le
pillage, n'en étaient pas moins défenseurs dn droit de
la propriété.
Que feraient les Cordeliers? Ils avaient d'itbor4
ordonné l'impression de la pétition de Jacques RoniCf
Roux, Leclerc^ à ce moment, c'étaient leurs apôtres.
Les femmes révolutionnaires venaient à cet ardent
foyer mêler la dissolution, l'ivresse et l'extase. Si Ift
cbose eût suivi le cours qu'elle eût eu à d'autres
époques, les Cordeliers auraient abouti à un commu-
nisme barbare, anarchique, au vertige orgiastiqua
dont tant de fois furent saisies les démagogies antir
ques et celles du moyen âge.
Ces pensées, confusément entrevues, faisaient bar-
reur à Robespierre, aux plus sages des Jacobins, Amî
des idées nettes et claires, arrêté dans ses principes^
il frémissait de voir la Révolution subir cette transfor-
mation &ntastiqua. Il craignait aussi, non sans app^
rence, les tentations de la misère, la faim mauvoise
conseillère^ les démangeaisons de pillage, qui, comr
mençant une fois à gagner dans une ville de sept cçnt
mille âmes ( où il y avait cent mille indigents )f m
pourraient être arrêtées. Le 26 et le 27 juin^ 4m
femmes saisirent un bateau de savon et se l'adjugé^
rent au prix qu'elles fixaient elles-mêmes. On supposa
que ces violences étaient l'effet de la pétition de Jac-
ques Roux. Robespierre, le 28 au soir, lança Tex-
communication contre lui aux Jacobins. Roux vonlut
STRATÉGIE DB ROBESPIERRE. 05
se justifier à la Commune; mais là Hébert et Gbau-
mette l'accablèrent et Técrasèrent, Une autorité
souveraine le frappa enfin, celle de Marat.
Tout cela paraissait fort. Cependant Robespierre
comprit que ce serait d'un effet passager, si Roux
n'était frappé par les siens mêmes, par les CordeUers,
s'il n'était abandonné, renié d'eux et condamné. Ro-
bespierre n'avait jamais été aux Cordeliers, et il n'en
parlait jamais. H avait pour eux une profonde anti-
pathie de nature. 11 la surmonta pour cette grande et
décisive occasion. Il prit avec lui celui de tous les
Jacobins qui avait au plus haut degré le tempérament
cordelier, le puissant acteur des clubs, Collot d'Her-
bois, et de plus Hébert, délégué de la Commune, et
tous trois associés dans cette croisade jacobine du
maintien de l'ordre, ils se présentèrent le soir du
30 juin aux portes du club des Cordeliers. Ceux-ci
ne s'y-attendaient pas. Ils furent frappés d'une visite
si imposante, si inusitée. Ils le furent bien plus en-
core , lorsqu'une de ces femmes révolutionnaires ,
alliées ordinaires de Jacques Roux et de Leclerc, de-
manda la parole contre Jacques Roux, l'accabla de
moqueries , conta ironiquement ses excentricités
bizarres sur son théâtre ordinaire, la section des Gra-
viHicrs. Cette violente sortie d'une femme , qui,
devant Robespierre et les Jacobins, traitait Tapôtre
comme un fou, humilia les Cordeliers; un seul
hasarda quelque défense pour Roux et Leclerc.
La société faiblit, les raya de la liste de ses mem-
bres et promit de désavouer Roux à la barre de la
Convention.
64 STRATÉGIE DE ROBESPIERRE.
Les Cordeliers, en réalité, abdiquaient leur rôle
nouveau. La plupart se jetèrent aux places, aux mis-
sions lucratives. Momoro, Vincent, Ronsin, se ser-
rèrent tous près d'Hébert et tous ensemble fondirent
sur une proie riche et grasse, le ministère de la
guerre. Le ministre, le faible Bouchotte, serf dés
clubs et du Père Duchesne, fut absorbé tout entier.
Le petit furieux Vincent, fut secrétaire général de la
guerre. Hébert, pour son Père Duchesne, suça ef-
frontément Bouchotte, en tira des sommes énormes.
Ronsin, ex-vaudevilliste, bas flatteur de I^fayette,
eut de tous la plus large part ; nommé général-mi-
nistre, il eut en propre la grande place du pillage,
celle où tout était permis, la dictature de la Vendée.
L'avancement de Ronsin rappelle les plus tristes
histoires des favoris de la monarchie ; capitaine le
1*' juillet, il fut le 2 chef de brigade, et le 4 génértK
Trois mois après , en récompense de deux trahisons
qui méritaient Téchafaud, il reçoit le poste de su-
prême confiance, il est nommé général de T armée
révolutionnaire !
Ces scélérats étaient parfaitement connus de Ro-
bespierre. Il les fit périr dès qu'il put. Us lui étaient
nécessaires cependant. Maîtres de la Commune, des
Cordeliers, de la Presse populaire et successeurs
de Marat, ils paraissaient être l'avant-garde de la
Révolution. Si Robespierre eût eu la force de les
démasquer, qu'eût-il fait? il eût ouvert la porte à
Jacques Roux, à Leclerc, aux enragés^ qui les sui-
vaient par derrière.
STRATÉGIE DE ROBESPIEIRE. m
Il craignait encore moins les hébertistes que les
enragés. Pourquoi? Les hébertistes ne représentaient
nulle idée, ils n'avaient nulle prétention de doctrine,
rien que des convoitises et des intérêts; c'étaient des
fripons qui ne pouvaient manquer un matin d'être
pris la main dans le sac , et mis à la porte. Les en--
rages au contraire étaient des fanatiques, d'une portée
inconnue, d'un fanatisme redoutable, emportés par
un soufQe vague encore, mais qui allait se fixer peut*
être, prendre forme et poser une révolution en face
de la Révolution.
Cette nécessité violente de frapper les enragés,
d'humilier et mutiler les Cordeliers dans leur partie
la plus vitale, entraînait pour la Montagne, spécia-
lement pour Robespierre, une nécessité de bascule,
celle de frapper sur la Gironde.
Le jour même où parla Jacques Roux, rAssemblée
émue de quelques paroles attendrissantes du jeune
Ducos, avait décidé que le rapport sur les Girondins
se ferait enfin le lendemain 26. Après le discours de
Jacques Roux, elle annula son décret sur la propo-
sition de Robespierre.
Le rapporteur était Saint-Just. Il avait montré d'a-
bord des sentiments fort modérés, ofTrant d'aller avec
Garât pacifier le Calvados. Son rapport, lu le 2 juillet
au Comité de salut public, fut atroce de violence. Les
Girondins de Caen étaient déclarés traîtres, ceux
de Paris complices.
Personne n'objecta rien. Et Danton était présent.
Sa signature se trouve au registre.
VI. s
ee STRATÉGIE DE ROBESPIERRE.
Ce fut la fin du Comité; il fut comme guillotiné
moralement. On le refit, le 10 juillet, sous Tin-
fluence jacobine ^
1 Les Mémoires de Barrère prétendant que ce fut Danton qui fit
le second Comité de salut public. Erreur. Il n^y eut dans ce Comité
que deux dantonisles, Thuriot et Hérault ; le premier n*y fut que deux
moig et donna sa démission.-— Les éditeurs de ces Mémoires, hommes
honorables et consciencieux, en ont relevé quelques fautes ; Us auraient
pu en indiquer d'autres. — C'est Danton qui a prolongé la Vendée!
Danton élait acharné au supplice des Girondins ! Danton a fait don-
ner cent mille écris à M. de Staël, qui, au lieu de les porter en Suède,
est resté à Coppel; on n'en a plus entendu parler! Apparemment
M. de Staël parlugea avec Danton ! — Dans le partage hypothétique
de la France où les alliés s'attribuaient d'avance ce qui touchait leurs
Étals, la Prusse aurait pris la Flandre! — Pour expliquer son mot fa-
meux : « Qu'il n'y a que les morts qui ne reviennent pas », Barrère
assure que les Anglais épargnés par Houehard (le 7 septembre) vinrent
ensuite assiéger Valenciennes Cprise le 28 jwllet). — U est évident que
ce sont des noies écrites négligemment sur les vagues souvenirs d'un
homme qui avait alors plus de quatre-vingts ans.
CHAPITRE rV
IMMOBILITÉ, ENNUI.— SECOND MARIAGB DE DANtON.
(Juin 93.)
Abattement de Marat. — Découragement géoéral. — Danlon se remarie dans
une famille royaliste et devant on prêtre réfraclalrè.
La singularité bizarre de la situation en juin, c'est
que les vainqueurs, les maîtres de la situation setrou»-
vèrent précisément condamnés à l'inertie de ceux
qu'ils avaient remplacés. La fureur des étirages for-
çait les Jacobins d'enrayer. Ne frappant un coup à
droite qu'en frappant un coup à gauche, n'avançant,
ne reculant, Robespierre et Marat se trouvaient im*-
mobilisés dans un misérable équilibre. Situation
imprévue ! Marat était constitué gardien de la
société.
68 ABATTEMENT DE NARAT.
C'est, selon toute apparence, de quoi il est mort.
Fatigué avant le 2 juin, il n'était pas encore malade.
Dès le 3, il ne vient plus : il attendra, dit-il, le
jugement des Girondins. L'Assemblée écoute à peine
sa lettre et passe à l'ordre du jour. Sans cause, il
revient le 17. Absent, présent, il s'agite. L'inatten-
tion dédaigneuse de la Convention lui faisait sentir
durement qu'il avait perdu l'avant-garde. La néces-
sité quotidienne d'arrêter les enragés l'attristait et
l'annulait. Marat modéré ! Qu'était-ce, sinon la mort
de Marat?
Marat n'était pas seul malade...» Eh! qui ne
l'était? Il y avait un grand sentiment de décourage-
ment et de douleur.
Cette douleur avait mille causes. La plus forte peut-
être, c'était la contradiction fatale des discours et des
pensées. On couvrait tant qu'on pouvait sous la vio-
lence des paroles la diminution de la foi, Tattiédisse-
ment intérieur.
«Hélas ! disait Ducos, le défenseur de la Gironde,
aux Montagnards modérés, quand je vous prends un
à un, je vous vois pénétrés de respect pour la justice;
réunis, vous votez contre. » (Séance du 24 juin.)
« Les séances de l'Assemblée sont maintenant,
disent les journauï, d'une décence extraordinaire. »
Elles étaient silencieuses et courtes; on décrétait à la
course; on partait dès qu'on pouvait. La néces-
sité du mensonge et de l'exagération était trop
pesante.
On était obligé de redire tout le jour ce que gêné-
OÉCOURAGENENT GÉNÉRAL. 69
raleinent on ne croyait pas : Que la Gironde avait
trahi. Ce qu'on croyait, et qui était vrai, c'est qu'elle
était inhabile, faible et molle, dangereuse , qu'elle
eût perdu le pays.
Sur ce funèbre radeau de sauvetage où flottait la
France naufragée, elle se voyait obligée de jeter à la
merles incapables pilotes qui l'auraient fait chavirer.
KUe tâchait de les croire coupables ; pour le croire,
elle le disait, et le répétait sans cesse. On jurait qu'ils
étaient les amis de la Vendée ! qu'ils voulaient
démembrer la France ! . .
Le sacrifice de la Gironde nous sauvait-il pour le
moment? On était tenté de le croire. Qu'en serait-il
pour l'avenir? La loi une fois tuée ainsi de la main
du législateur, n'était-ce pas pour toujours? Cette
flagrante illégalité n'allait-elle pas fonder l'illéga-
lité étemelle?... Que sont les lois d'une Assemblée
brisée ? Qu'elle appelle une autre Assemblée, celle-
ci, née d'un appel sans droit, n'apportera-t-elle pas
la tache originelle de sa naissance?*.. Que prévoir,
sinon une succession monstrueuse de coups d'État
alternatifs? La France, ne sentant plus le droit,
n'ayant nulle prise où s'arrêter, n'ira-t-elle pas
roulant comme roule un corps mort sur la vague,
dont ne veut ni la mer ni la terre, et qui flotte éter-
nellement ?. . .
La tristesse était la même dans les hommes des
trois partis, dans les vainqueurs, comme Marat, dans
les vaincus, comme Vergniaud, dans les neutres,
comme Dauton.
70 DÉCOURAGEMENT GÉMÉRAU
Nous expliquerons tout à Theure les secrets efforts
de Danton pour pacifier la France. Ces tentatives»
difQciles et périlleuses pour tous les conciliateurs,
Tétaient infiniment pour lui. 11 agissait pour rallier
la Gironde départementale^ mais toujours en parlant
contre elle.- Ses déclamations habilement préparées^
lancées dans la Convention avec un désordre appa*
rent, un hasard plein de calcul, n'en étaient pas
moins suspectes aux yeux clairvoyants. La haine ne
s'y trompait pas. Les Cordeliers raccusèrent le 4, ^l
les Jacobins le7. Robespierre le défendit, etTenfonça
d'autant plus. Au Comité de salut public, relégué à
la section diplomatique, où il n'y avait rien à faire, à
la section militaire à laquelle il était étranger, il
subit, le 2 juillet, l'atroce rapport de Saint- Just.....
Danton, où était ton âme?
La mort venait à lui, rapide Le dévorant
Saturne, affamé de ses enfants, il avait fini avec la
Gironde : de quoi donc avait-il faim maintenant,
sinon de Danton ?
Un homme si pénétrant ne se méprenait pas sur
son sort. Que la mort vint et vint vite, c'était le meil-
leur pour lui.
Chose étrange I Yergniaud et Danton mouraient de
la même mort.
Le pauvre Vergniaud, prisonnier rue de Clichy,
dans ce quartier alors désert et tout en jardins^ pri-
sonnier moins de la Convention quelle W'^Candeille,
flatUil dans l'amour et le doute. Lui resterait-il cet
amour d'une brillante femme de théâtre, dans
DÉCOURAGEMENT GÉNÉRAL. 7t
Tanéantissement de toutes choses? Ce qu'il gardait
de lui-même passait dans ses âpres lettres, lancées
contre la Montagne. La fatalité Tavait dispensé d'agir,
et il ne le regrettait guère, trouvant doux de mourir
ainsi, savourant les belles larmes qu'une femme
donne si aisément, voulant croire qu'il était aimé.
Danton, aux mêmes moments, s'arrangeait le
même suicide.
Noos nous arrêterions moins ici, si c'était une
chose individuelle; mais malheureusement alors,
c'est le cas d'un grand nombre d'hommes. Au mo-
ment où l'affaire publique devient une affaire privée,
une question de vie et de mort^ ils disent : « Â de-
nâain les affaires. » Us se renferment chez eux, se
réfugient au foyer, à l'amour, à la nature. La nature
est bonne mère, elle les reprendra bientôt, les absor**
bera dans son sein.
Danton se mariait en deuil. Sa première femme,
tant aiméoi venait de mourir le 10 février. Et il l'a-
vait exhumée le 17, pour la voir encore. Il y avait
au 17 juin quatre mois jour pour jour qu'éperdu,
rugissant de douleur, il avait rouvert la terre pour
embrasser dans Thorreur du drap mortuaire celle
en qui fut sa jeunesse, son bonheur et sa fortune.
Que vit-il, que serra-l-il dans ses bras (au bout de
sept jours!)? Ce qui est sûr, c'est qu'en réalité, elle
l'emporta avec lui.
Mourante, elle avait préparé, voulu son second
mariage qui contribua tant à le perdre. L'aimant avec
passion, elle devina qu'il aimait et voulut le rendre
infranchissable : l'idée trè3-*différente qu'ils avaient
de la propriété. Marat» Hébert, quoique parfois dans
leur violence étourdie ils aient paru autoriser le
pillage, n'eu étaient pas moins défenseurs du droit de
la propriété.
Que feraient les Cordeliers? Ils avaient d'i^bord
ordonné l'impression de la pétition de Jacques RpuXf
B0UX9 Leolerc, à ce moment, c' étaient leurs ap6lreSf
Les femm$s réoolutionnairef venaient à cet ardent
foyer mêler la dissolution, Tivresse et l'extase» 3i la
chose eût suivi le cours qu'elle eût eu à d' autres
époques, les Cordeliers auraient abouti à un commu-
nisme barbare, anarchique, au vertige orgiastique
dont tant de fois furent saisies les démagogies aotir
ques et celles du moyen âge.
Ces pensées, confusément entrevues, faisaient hor-
reur à Robespierre, aux plus sages des Jacobins» Ami
des idées nettes et claires, arrêté dans ses principes^
il frémissait de voir la Révolution subir cette transfor-
mation fiantastique. Il craignait aussi, non sans appf^
rence, les tentations de la misère, la faim mauvaim
comeiUère, les démangeaisons de pillage, qui, com^
mençant une fois h gagner dans une ville de sept (^nt
mille âmes (où il y avait cent mille indigents)^ œ
pourraient être arrêtées. Le 26 et le 27 juin, 4os
femmes saisirent un bateau de savon et se l'adjugé*
rent au prix qu'elles fixaient elles-mêmes. On supposa
que ces violences étaient l'effet de la pétition de Jac*
ques Roux. Robespierre, le 28 au soir, lança l'ex-
communication contre lui aux Jacobins. Roux voplut
STRATÉGIB DE ROBESPIERRE. 05
se justifier à la Commune; mais là Hébert et Cbau-
mette raccablèreot et récrasèreut, Uue autorité
souveraine le firappa enfin, celle de Marat.
Tout cela paraissait fort. Cependant Robespierre
comprit que ce serait d'un effet passager, si Roux
n'était frappé par les siens mêmes, par les CordeUers,
s'il n'était abandonné, renié d'eux et condamné. Ro-
bespierre n'avait jamais été aux Cordeliers, et il n'en
parlait jamais. Il avait pour eux une profonde anti-
pathie de nature. Il la surmonta pour cette grande et
décisive occasion. Il prit avec lui celui de tous les
Jacobins qui avait au plus haut degré le tempérament
cordelier, le puissant acteur des clubs, CoUot d'Her-
bois, et de plus Hébert, délégué de la Commune, et
tous trois associés dans cette croisade jacobine du
maintien de l'ordre, ils se présentèrent le soir du
30 juin aux portes du club des Cordeliers. Ceux-ci
ne s'y-attendaient pas. Ils furent frappés d'une visite
si imposante, si inusitée. Ils le furent bien plus en-*-
core , lorsqu'une de ces femmes révolutionnaires ,
alliées ordinaires de Jacques Roux et de Leclerc, de-
manda la parole contre Jacques Roux, l'accabla de
moqueries , conta ironiquement ses excentricités
bizarres sur son théâtre ordinaire, la section des Gra-
villicrs. Cette violente sortie d'une femme , qui,
devant Robespierre et les Jacobins, traitait Tapôtre
comme un fou, humilia les Cordeliers; un seul
hasarda quelque défense pour Roux et Leclerc.
La société faiblit, les raya de la liste de ses mem-
bres et promit de désavouer Roux à la barre de la
Convention.
64 STRATÉGIE DE ROBESPIERRE.
Les Cordeliers, en réalité, abdiquaient leur rôle
nouveau. La plupart se jetèrent aux places, aux mis-
sions lucratives. Momoro, Vincent, Ronsin, se ser-
rèrent tous près d'Hébert et tous ensemble fondirent
sur une proie riche et grasse , le ministère de la
guerre. Le ministre, le faible Boucbotte, serf dés
clubs et du Père Duchesne, fut absorbé tout entier.
Le petit furieux Vincent, fut secrétaire général de la
guerre. Hébert, pour son Père Duchesne, suça ef-
frontément Boucbotte, en tira des sommes énormes.
Ronsin, ex-vaudevilliste, bas flatteur de I^fayette,
eut de tous la plus large part ; nommé général-mi-
nistre, il eut en propre la grande place du pillage,
celle où tout était permis, la dictature de la Vendée.
L'avancement de Ronsin rappelle les plus tristes
histoires des favoris de la monarchie ; capitaine le
1*' juillet, il fut le 2 chef de brigade, et le 4 généntU
Trois mois après , en récompense de deux trahisons
qui méritaient Téchafaud, il reçoit le poste de su-
prême confiance, il est nommé général de Tannée
révolutionnaire !
Ces scélérats étaient parfaitement connus de Ro-
bespierre. Il les fit périr dès qu'il put. Ils lui étaient
nécessaires cependant. Maîtres de la Commune, des
Cordeliers, de la Presse populaire et successeurs
de Marat, ils paraissaient être Tavant-garde de la
Révolution. Si Robespierre eût eu la force de les
démasquer, qu'eût-il fait? il eût ouvert la porte à
Jacques Roux, à Leclerc, aux enragés^ qui les sui-
vaient par derrière.
STRATÉGIE DE ROBESPIERRE. 65
Il craignait encore moins les bébertistes que les
enragés. Pourquoi? Les bébertistes ne représentaient
nulle idée, ils n'avaient nulle prétention de doctrine,
rien que des convoitises et des intérêts; c'étaient des
fripons qui ne pouvaient manquer un matin d'être
pris la main dans le sac , et mis à la porte. LéCS en-
ragés au contraire étaient des fanatiques, d'une portée
inconnue, d'un fanatisme redoutable, emportés par
un sou£Qe vague encore, mais qui allait se fixer peut-
être, prendre forme et poser une révolution en face
de la Révolution.
Cette nécessité violente de frapper les enragés ^
d'bumilier et mutiler les Cordeliers dans leur partie
la plus vitale, entraînait pour la Montagne, spécia-
lement pour Robespierre, une nécessité de bascule,
celle de frapper sur la Gironde.
Le jour même où parla Jacques Roux, l'Assemblée
émue de quelques paroles attendrissantes du jeune
Ducos, avait décidé que le rapport sur les Girondins
se ferait enfin le lendemain 26. Après le discours de
Jacques Roux, elle annula son décret sur la propo-
sition de Robespierre.
Le rapporteur était Saint-Just. Il avait montré d'a-
bord des sentiments fort modérés, offrant d'aller avec
Garât pacifier le Calvados. Son rapport, lu le 2 juillet
au Comité de salut public, fut atroce de violence. Les
Girondins de Caen étaient déclarés traîtres, ceux
de Paris complices.
Personne n'objecta rien. Et Danton était présent.
Sa signature se trouve au registre.
VI. a
66 STRATÉGIE DE ROBESPIERRE.
Ce fut la fin du Comité ; il fut comme guillotiné
moralement. On le refit, le 10 juillet, sous Tin-
fluence jacobine*.
^ Les Mémoires de Barrère prétendent que c% fut Panton qui fit
le second Comité de salut public. Erreur. Il n^y eut dans ce Comité
que deux dantonîstes, Tliurîot et Hérault ; le premier n^y fut que deux
mois et donna sa démission.— Les éditeurs de ces Mémoires, hommes
honorables et consciencieux, en ont relevé quelques fautes; ils auraient
pu en indiquer d*aulres. — C'est Danton qui a prolongé la Vendée!
Danton était acharné au supplice des Girondins ! Danton a fait don-
ner cent mille écus à M. de Sta'él, qui, au lieu de les porter en Suède,
est resté à Coppel; on n'en a plus entendu parler! Apparemment
M. de Staël partagea avec Danton ! — Dans le partage hypothétique
de la France où les alliés s'attribuaient d'avance ce qui touchait leurs
États, la Prusse aurait pris la Flandre! — Pour expliquer son mot fa-
meux : « Qu*il n'y a que les morts qui ne reviennent pas », Barrère
assure que les Anglais épargnés par Houchard (le 7 septembre) vinrent
ensuite assiéger Valenciennes Cprise le 28 juillet), — U est évident que
ce sont des noies écrites négligemment sur les vagues souvenirs d'un
homme qui avait alors plus de quatre-vingts ans.
CHAPITRE IV
IMMOBILITÉ, ENNUI.— SECOND M AUIAGE DE DANtON.
(Juin 9S.)
Abattement de Marat. — Découragement général. — Danton te remarie dans
une famille royaliste et devant an prêtre réfractalrè.
La singularité bizarre de la situation en juin^ c'^
que les vainqueurs, les maîtres de la situation setrou^
vèrent précisément condamnés à Tinertie de ceux
qu'ils avaient remplacés. La fureur dos enragés for-
çait les Jacobins d'enrayer. Ne frappant un coup à
droite qu'en frappant un coup à gauche, n'avançant,
ne reculant, Robespierre et Marat se trouvaient im^
mobilisés dans uo misérable équilibre. Situation
imprévue ! Marat était constitué gardien de la
société.
68 ABATTEMENT DE NARAT.
C'est, selon toute apparence, de quoi il est mort.
Fatigué avant le 2 juin, il n'était pas encore malade.
Dès le 3, il ne vient plus : il attendra, dit-il, le
jugement des Girondins. L'Assemblée écoute à peine
sa lettre et passe à l'ordre du jour. Sans cause, il
revient le 17. Absent, présent, il s'agite. L'inatten-
tion dédaigneuse de la Convention lui faisait sentir
durement qu'il avait perdu l'avanl-garde. La néces-
sité quotidienne d'arrêter les enragés l'attristait et
l'annulait. Marat modéré! Qu'était-ce, sinon la mort
de Marat?
Marat n'était pas seul malade.... Ehl qui ne
l'était? Il y avait un grand sentiment de décourage-
ment et de douleur.
Cette douleur avait mille causes. La plus forte peut-
être, c'était la contradiction fatale des discours et des
pensées. On couvrait tant qu'on pouvait sous la vio-
lence des paroles la diminution de la foi, Fattiédisse-
ment intérieur.
«Hélas ! disait Ducos, le défenseur de la Gironde,
aux Montagnards modérés, quand je vous prends un
à un, je vous vois pénétrés de respect pour la justice;
réunis, vous votez contre. » (Séance du 24 juin.)
c( Les séances de l'Assemblée sont maintenant,
disent les journaut, d'une décence extraordinaire. »
Elles étaient silencieuses et courtes; on décrétait à la
course; on partait dès qu'on pouvait. La néces-
sité du mensonge et de l'exagération était trop
pesante.
On était obligé de redire tout le jour ce que gêné-
DÉCOURAGEMENT GÉNÉRAL. fSi
ralement on ne croyait pas : Que la Gironde avait
trahi. Ce qu'on croyait, et qui était vrai, c'est qu'elle
était inhabile, faible et molle, dangereuse , qu'elle
eût perdu le pays.
Sur ce funèbre radeau de sauvetage où flottait la
France naufragée, elle se voyait obligée de jeter à la
mer les incapables pilotes qui l'auraient fait chavirer.
Klle tâchait de les croire coupables ; pour le croire,
elle le disait, et le répétait sans cesse. On jurait qu'ils
étaient les amis de la Vendée ! qu'ils voulaient
démembrer la France !. .
Le sacrifice de la Gironde nous sauvait-il pour le
moment? On était tenté de le croire. Qu'en serait-il
pour l'avenir? La loi une fois tuée ainsi de la main
du législateur, n'était-ce pas pour toujours? Cette
flagrante illégalité n'allait- elle pas fonder l'illéga-
lité éternelle?... Que sont les lois d'une Assemblée
brisée ? Qu'elle appelle une autre Assemblée, celle-
ci, née d'un appel sans droit, n'apportera-t-elle pas
la tache originelle de sa naissance?... Que prévoir,
sinon une succession monstrueuse de coups d'Ëtat
alternatifs? La France, ne sentant plus le droit,
n'ayant nulle prise où s'arrêter, n'ira-t-elle pas
roulant comme roule un corps mort sur la vague,
dont ne veut ni la mer ni la terre, et qui flotte éter-
nellement?...
La tristesse était la même dans les hommes des
trois partis, dans les vainqueurs, comme Marat, dans
les vaincus, comme Vergniaud, dans les neutres,
comme Danton.
70 DÉCOURAGEMENT GÉRÉRAL*
Nous expliquerons tout à Tbeure les secrets efforts
de Danton pour pacifier la France. Ces tentatives,
difQciles et périlleuses pour tous les conciliateurs.
Tétaient inûniment pour lui. 11 agissait pour rallier
là Gironde départementale, mais toujours en parlant
contre elle.* Ses déclamations habilement préparées,
lancées dans la Convention avec un désordre appa*
rent, un hasard plein de calcul, n'en étaient pas
moins suspectes aux yeux clairvoyants. La haine ne
s'y trompait pas. Les Cordeliers l'accusèrent le 4, M
les Jacobins le 7. Robespierre le défendit, et l'enfonça
d'autant plus. Au Comité de salut public, relégué à
la section diplomatique, où il n'y avait rien à faire, à
la section militaire à laquelle il était étranger, il
subit, le 2 juillet, l'atroce rapport de Saint- Just.....
Danton, où était ton âme?
La mort venait à lui, rapide Le dévorant
Saturne, affamé de ses enfants, il avait fini avec la
Gironde : de quoi donc avait*il faim maintenant,
sinon de Danton ?
Un homme si pénétrant ne se méprenait pas sur
son sort. Que la mort vint et vint vite, c'était le meil-
leur pour lui.
Chose étrange I Yergniaud et Danton mouraient de
la même mort.
Le pauvre Vergniaud, prisonnier rue de Clichy,
dans ce quartier alors désert et tout en jardins, pri-
sonnier moins de la Convention quelle Al^'^Candeille,
flottait dans Tamour et le doute. Lui resterait-il cet
amour d'une brillante femme de théâtre, dans
DÉCOURAGEMENT GÉNÉRAL. 7t
l'anéantissement de toutes choses? Ce qu'il gardait
de lui-même passait dabs ses âpres lettres, lancées
contre la Montagne. La fatalité Tavait dispensé d'agir,
et il ne le regrettait guère, trouvant doux de mourir
aini^^ savourant les belles larmes qu'une femme
doDne si aisément, voulant croire qu'il était aimé.
Danton, aux mêmes moments, s'arrangeait le
même suicide.
Nous nous arrêterions moins ici, si c'était une
chose individuelle; mais malheureusement alors,
c'est le cas d'un grand nombre d'hommes. Au mo-
ment où l'affaire publique devient une affaire privée,
une question de vie et de mort^ ils disent : a  de-
main les affaires. » Ils se renferment chez eux, se
réfugient au foyer, à l'amour, à la nature. La nature
est bonne mère, elle les reprendra bientôt, les absor**
bera dans son sein.
Danton se mariait en deuil. Sa première femme,
tant aiméoi venait de mourir le 10 février. Et il l'a-
vait exhumée le 17, pour la voir encore. Il y avait
au 17 juin quatre mois jour pour jour qu'éperdu,
rugissant de douleur, il avait rouvert la terre pour
embrasser dans Thorreur du drap mortuaire celle
en qui fut sa jeunesse, son bouheur et sa fortune.
Que vit-il, que serra-l-il dans ses bras (au bout de
sept jours!)? Ce qui est sûr, c'est qu'en réalité, elle
l'emporta avec lui.
Mourante, elle avait préparé, voulu son second
mariage qui contribua tant à le perdre. L'aimant avec
passion, elle devina qu'il aimait et voulut le rendre
7Î DANTON SE MARIE
heureux. Elle laissait aussi deux petits enfants, et
croyait leur donner une mère dans une jeune fille
qui n'avait que seize ans, mais qui était pleine de
charme moral, pieuse comme M"* Danton, et de
famille royaliste. La pauvre femme, qui se mourait
des émotions de Septembre et de la terrible réputa-
tion de son mari, crut sans doute, en le remariant
ainsi, le tirer de la Révolution, préparer sa conver-
sion, en faire peut être le secret défenseur de la Reine,
de l'enfant du Temple, de tous les persécutés.
Danton avait connu au Parlement le père de la
jeune fille, qui était huissier -audiencier. Devenu
ministre, il lui fit avoir une bonne place à la Marine.
Mais tout obligée que la famille était à Danton, elle
ne se montra point facile à ses vues de mariage. La
mère, nullement dominée par la terreur de son nom,
lui reprocha sèchement et Septembre qu'il n'avait
pas fait, et la mort du Roi qu'il eût voulu sauver.
Danton se garda bien de plaider. Il fit ce qu'on
fait eu pareil cas quand on veut gagner son procès,
qu'on est amoureux et pressé : il se repentit. 11 avoua,
ce qui était vrai, que les excès de l'anarchie lui étaient
chaque jour plus difficiles à supporter, qu'il se sentait
déjà bien las de la Révolution, etc.
S'il répugnait tant à la mère, il ne plaisait guère à
la fille. M"« Louise Gély, délicate et jolie personne,
élevée dans cette famille bourgeoise de vieille roche,
d'honnêtes gens médiocres, était toute dans la tra-
dition de l'ancien régime. Elle éprouvait près de
Danton de l'ètonnement et un peu de peur, bien plu$
DANS UNE FAMILLE HOYALISTE. 73
que d'amour. Cet étrange personnage, tout ensemble
lion et homme, lui restait incompréhensible. Il avait
beau limer ses dents, accourcir ses griffes, elle n'était
nullement rassurée devant ce monstre sublime :
Le monstre était pourtant bon homme; mais tout
ce qu'il avait de grand tournait contre lui. Ce mys-
tère d'énergie sauvage, cette poétique laideur illu-
minée d'éclairs, cette force du puissant mâle d'où
jaillissait un flot vivant d'idées, de paroles éternelles,
tout cela intimidait, peut-être serrait le cœur de
l'enfant.
La famille crut l'arrêter court en lui présentant
un obstacle qu'elle croyait insurmontable, la néces-
sité de se soumettre aux cérémonies catholiques.
Tout le monde savait que Danton, le vrai (ils de
Diderot, ne voyait que superstition dans le christia-
nisme, et n'adorait que la Nature.
Mais pour cela justement, ce fils, ce serf de la
Nature, obéit sans difficulté. Quelque autel, ou quel*
que idole qu'on lui présentât, il y courut, il y jura...
Telle était la tyrannie de son aveugle désir. I^a nature
était complice; elle déployait tout à coup toutes ses
énergies contenues; le printemps, un peu retardé,
éclatait en été brûlant; c'était l'éruption des roses. Il
n'y eut jamais un tel contraste d'une si triomphante
saison et d'une situation si trouble. Dans l'abat-
tement moral, pesait d'autant plus la puissance
d'une température ardente, exigeante, passionnée.
Danton, sous cette impulsion, ne livra pas de grands
combats quand on lui dit que c'était d'un prêtre
74 DANTON SK MARIE
réfractaire qu'il fallait avoir la bénédiction. Il aurait
passé dans la flanfiioe. Ce prêtre enfin, dans son gre-
nier, consciencieux et fanatique, ne tint pas quitte
Danton pour un billet acheté, Il fallut, dit-on, qu'il
s'agenouillât, simulât la confession, profanant dans
un seul acte deux religions à la fois : la nôtre et celle
du passé.
Où donc était-il, cet autel consacré par nos Assem-
blées k la religion de la Loi, sur les ruines du vieil
autel de l'arbitraire et de la Grâce? Où était-il, l'autel
de la Révolution, où le bon Camille, l'ami de Danton^
avait porté son nouveau -né, donnant le premier
l'exemple aux générations à venir?
Ceux qui connaissent les portraits de Danton, spé^
cialement les esquisses qu'en surprit David dans leK
nuits de la Convention , n'ignorent pas comment
l'homme peut descendre du lion au taureau, que dia^^
je? tomber au sanglier, type sombre, abaissé, déso-
lant de sensualité sauvage.
Voilà une force nouvelle qui va régner toute-
puissante dans la sanguinaire époque que nous de-
vons raconter; force molle, force terrible, qui dis-
sout, brise en dessous le nerf de la Révolution.
Sous l'apparente austérité des mœurs républicaines,
parmi la terreur et les tragédies de l'échafaud, la
femme et Tamour physique sont les rois de 93.
On y voit des condamnés qui s'en vont sur la
charrette, insouciants, la rose à la bouche. C'est la
vraie image du temps. Elles mènent l'homme à la
mort, ces roses sanglantes.
4
4
É
■1
DEVANT UN PRÊTRE RÉFRACTAIRE. 75
Danton, mené, traîné ainsi, l'avouait avec une
naïveté cynique et douloureuse dont il faut bien mo-
difier l'expression. On l'accusait de conspirer. « Moi!
dit-il, c'est impossible! Que voulez-vous que
fasse un homme qui, chaque nuit, s'acharne h
l'amour?»
Dans des chants mélancoliques qu'on répète
encore, Fabre d'Églantine et d'autres ont laissé là
Marseillaise des voluptés funèbres, chantée bien des
fois aux prisons, au tribunal môni«, jusqu'au pied de
l'échafaud. L'Amour, en 93, parut ce qu'il est, le
frère de la Mort.
CHAPITRE V
LES VENDÉENS. -LEUR APPEL A L'ÉTRANGER.
(Mars-Join 9S.)
Le salut de Nantes fut celui de la France. — Machines employées pour armet
la Vendée. — Henri de Larocbejaqoelein. — Bataille de Saomur (10 juin).—
Rapports des Vendéens avec Tétranger (avril 9S). — Hs marchent vers
Nantes.— Us essaient de s'entendre avec Charette.
Deux phéDomènes inattendus se virent à la fin de
juin, l'un qui faillit perdre la France, et Faulre qui
la sauva.
Les trois Yendées (de TÀnjou, du Bocage et du
Marais), essentiellement discordantes entre elles et
communiquant très-mal, s'unirent un moment, for-
mèrent une même masse d'une grande armée bar-
bare, et sur la Loire roulèrent ensemble, à Saumur,
à Angers, à Nantes, leur épouvantable flot.
Mais voici l'autre phénomène: Les Girondins,
LE 8AL0T DE NANTES FUT CELUI DE LA FRANCE. 77
proscrits à Paris comme royalistes^ organisèrent dans
l'Ouest, délaissé et sans secours, la plus vigoureuse
défense contre les royalistes. Ils votèrent des troupes
contre la Convention, et les envoyèrent contre la
Vendée. Sauf quelques centaines de Bretons qui
allèrent au Calvados, la Bretagne girondine resta
dans son rôle héroïque ; elle fut le vrai roc de la ré-
sistance et contre le royalisme breton qu'elle portait
dans son sein, et contre l'émigration qui la menaçait
de Jersey, enfin contre l'invasion vendéenne qu'elle
brisa devant Nantes.
L'attaque de Nantes, fait minime si l'on considé-
rait le nombre des morts, est un fait immense pour
les résultats. L'empereur Napoléon a dit avec raison
que le salut de cette ville avait été le salut de la
France.
Nantes présenta de mars en juin un spectacle
d'unanimité rare et formidable. Les mesures sévères,
terribles, qu'exigeait la situation, furent prises par
l'administration girondine et, sur la demande des
modérés, exécutées énergiquement par les Girondins
et les Montagnards, sans distinction. Ce fut le club
girondin qui, le 13 mars, par l'organe du jeune
Villenave, demanda le tribunal révolutionnaire et
l'exécution immédiate des traîtres, la guillotine sur
la place, de plus une cour martiale ambulante qui,
parcourant le département avec la force armée,
jugerait et exécuterait.
On entrevoit par ceci (et Ton verra mieux plus
tard) que la France républicaine, parmi tant de dis-
78 BUCHINES EMPLOYÉES POCH ARMER LÀ VENDÉE.
sidences extérieures et bruyantes, tant de cris, tant
de menaces, conservait un fonds d'unité.
Il est curieux de voir, en opposition, combien la
Coalition, si parfaitement une dans ses manifestes,
était discordante, combien les Vendées, qui pour
frapper Nantes prennent une apparence d'unité si
terrible, combien elles étaient divisées, hostiles pour
elles-mêmes.
Nous ignorions encore, en 1850, quand nous écri-
vîmes le tome V de cette histoire , une partie des
moyens tout artificiels qu'on employa pour lancer ce
malheureux peuple, ignorant, aveugle, contre ses
propres intérêts. Nous ne connaissions non plus que
très imparfaitement les mésintelligences des chefs, la
rivalité intérieure des nobles et du clergé *.
* Je donnerai plus loin le détail des miracles grossiers de physique
et de magie blanche qu'on fit pour faire prendre les armes aux iiiforia-
nés Vendéens. Les prêtres et les nobles employèrent habllenMnt des
domestiques et des paysans h eux. Le fameux Souchu n'était pas juge,
comme je Tai dit, mais serviteur de la famille Charette. De ces domes-
tiques, le plus énergique et le plus indépendant, fut le garde-chasse
Stofflet, que son maître avait amené de Lorraine. Escamoteur habile,
il étonnait aussi les paysans par les phénomènes de Taimant, Ils le
croyaient sorcier. C'était un homme d'humeur sombre, faible de corps,
d'apparence timide, mais d'une audace indomptable. Ce tartufe, en 92,
disait toujours aux paysans : « Mes enfants, mes enfants, obéissons atfx
lois. » Et à la mort de Louis XVI : « Voilà que le Roi a élé égorgé
pour No Ire- Seigneur J.^. On peut venir nous égorger chacun dans
notre maison, il faut nous mettre en défense, avoir des armes, de la
poudre. » — Stofflet haïssait et méprisait les nobles ; on verra qu'il leur
fil k Ghrftnvllle l^aflroni le plus sanglant. Mémoires inédits de Mercier
duBocher, administrateur du département de la Vendée. Une copie de
MACHINES EMPLOYÉES POUR ARMER LA VENDÉE. 70
La première machine, on l'a vu, fut l'emploi d'un
paysan ignorant, intelligent, héroïque, Gathelineau,
que d'Elbée et le clergé opposèrent aux nobles.
D'Elbée, Saxon de naissance, était haï et jalousé des
autres chefs, ofBciers inférieurs et gentilshommes
campagnards, généralement de peu de tfète. 11 n'eût
pu dans les commencements commander lui-même.
Le clergé, après les affaires de Fontenai , fit parler
Gathelineau. Il menaça les nobles poitevins d'em-
mener ses compatriotes, les paysans de l'Anjou.
Lescure , le saint du Poitou , qui appartenait aux
prêtres, appuya. Et tout dès lors fut sous une même
influence, qui fut celle du clergé.
La seconde machine employée entre les deux
combats de Fontenai, lorsque les Vendéens étaient
abattus de leur échec, vidt à point les relever.
On leur fabriqua un évoque. Un soldat républicain
pris par eux, et depuis secrétaire de Lescure*, déclara
ce manuscrit se Irouve dans la collection inestimable de MM. Dugast-
Matifeux de Montaigu» et Fillon de Fontenay.
^ Tout ceci est parfaitement établi dans le procès de Timposleur
(Guillot de Folleville, ex-curé de Dol). M. de Lescure, fort dévot, fa-
vorisa visiblement celte fraude pieuse qu'il crut utile à la guerre sainte.
Guillot voyageait dans sa voiture, et M. de JLescure mourut dans ses
bras, quoiqu'à cette époque il fût déjii démasqué. Procès manuscrit de
Guilloty collecHon de M. Dugast- Matifeux. On y voit entre antres
cboses ciirienses que, qnand les Vendéens le prirent, ils lui trooTèrent
sa carte de jacobin. Et quand les républicains le prirent, ils lui trou-
vèrent un ciçur d*or qui contenait, selon le piocès-verbal a des ordures
religieuses d (des reliques peut-être ), et des cbeveux qu'une femme,
dlt-îl, lui avait donnés. Il était joli homme, de belles manières, nul
d*esprit, doux et béat.
80 HENRI DE LÀROCHEJÀQUELEIN.
que, sous Thabit laïque , il était en réalité un des
quatre vicaires apostoliques envoyés par le pape en
France, de plus évêque d'Agra. Les fameuses sœurs
de la Sagesse, mêlées à toutes les intrigues , Brin ,
leur curé de Saint-Laurent, le curé de Saint-Laud
d'Angers, le rusé Bernier, tous tombent à genoux,
demandent la bénédiction du fourbe. Le peuple est
ivre de joie, il sonne les cloches à volée.
Le but de Lescure et des autres chefs était de
faire de la Vendée une force unique , sous une
même direction, et pour cela de soumettre les curés
à ce prétendu évêque. Dans un acte du !•' juin,
signé du nom de Lescure , on dit : « Que les curés
qui n'ont pas reçu encore les pouvoirs de leurs évê-
ques , et qui ne s'adresseront pas à M. l'évêque
d'Agra, pour qu'il règle leur conduite^ seront arrê-
tés. »
D'Elbée, Lescure et lé clergé firent Cathelineau
général en chef. On nomma général de la cavalerie
un séminariste de dix-sept ans, le jeune Forestier, fils
d'un cordonnier de Caudron, aventureux, intrépide,
et d'une jolie figure.
A l'avant' garde marchait le plus souvent un autre
jeune homme, cousin de Lescure, Henri de Laroche-
jaquelein, M. Henri^ comme rappelaient les paysans.
Il portait au col un mouchoir rouge; toute l'armée en
porta. C'était un jeune homme de vingt-et-un ans,
qui avait déjà six ans de service, étant entré à quinze
dans la cavalerie. Son père était bolonel de Royal-
Pologne. Le jeune homme n'avait pas émigré; on
BATAILLE DE SAUMUR. 8i
Tavait fait capitaine dans la garde constitutionnelle
de Louis XVI. Ni le séjour de Paris, ni ce détestable
corps, école d'escrime et d'insolence, n'avaient changé
le Vendéen. Il était resté un vrai gentilhomme de
campagne, grand chasseur, toujours à cheval, fort
connu des paysans.
C'était une grande figure svelte, anglaise plutôt
que française, cheveux blonds, l'air h la fois timide
et hautain, comme sont souvent les Anglais. Il avait,
au plus haut degré, une chose bonne pour l'attaque,
le mépris de l'ennemi.
Ces braves, qui nous méprisaient tant, ignoraient
que chez les patauds, dans les armées républicaines,
il y avait les plus grands hommes de guerre du siècle
(et de tous les siècles), des hommes d'un tout autre
ordre qu'eux, les Masséna, les Hoche, les Bonaparte.
Les mîisses vendéennes, qui suivaient ces chefs,
éparses et confuses, eurent ce bonheur à Saumur de
trouver les républicains moins organisés encore.
Ceux-ci avaient avec eux cependant un organisateur
habile, Berthier, le célèbre chef de l'élat-raajor de
l'Empereur. Mais Berthier, Menou, Coustard, San-
terre, les généraux républicains, n'arrivèrent qu'au
moment de la bataille. Ils ne purent rien que payer
vaillamment de leur personne; les deux premiers
furent blessés, et eurent plusieurs chevaux tués sous
eux. Ils avaient contre eux à la fois l'indiscipline et
la trahison. La veille même, Larochejaquelein dé-
guisé avait dîné dans Saumur. Un garde d'artillerie
fut surpris enclouant une pièce de canon. Dans le
VI. «
^ PiTill-LË DE SAimiiU-
oombat même, deux bataillons à qui Coustard ordon-
nait de garde? le pont de Saumur crièrent qu'il les
trahissait, et 1q mirent lui-rmôme à la bouche d'un
canon ,
AvQC tQut cela, les Vendéena eurent peine à ôra^
porter l'affaire. La Rochejaquelein ebargeail obstiné-
ment sMr la droite sans YQÎr que, toujours resserré
eptre le cotçau et la rivière, il ne pouvait m déployer
avpQ c^Yantjige* Ce fqt à sept heures du soir que C»r
tbeljqgstu, nu)ntaut sur une hauteur, vit nettem^Bt
la ditlKcuUé. Il donna à la bataille une meilleqpe di-
r^Ptiou, On tpuruA les républicaine. Les bataillons de
fprïMlipil nouvelle s'effrayèrent, se débandèrent,
s'enfuireut par la ville en désordre, puis par les
ponts d^ ]a Loire.
À fai^it heures, Coustard> voyant que la gauche était
perdue et Vennenû déj^ dans la ville, entreprit de la
f^pr^ndF^* Il ordonna aux cuirassiers commandjès
par Weis^en de nettoyer la chaussée qui y conduisait
PU prenant une batterie qu'établissaient les Vendéens :
(< On nVenvQies-rtu? dit Weissen.-r^A la mort, » lui
dit Coustard* Weissen obéit bravement, mais il ne
lyt point soutenu, et revint couvert de blessures.
I^§ représentant Bourbotte se battit aussi comme ua
liqn, Son cheval fut tué, et il était pris, si un jeune lieu-
tgnf^nl, en pleine mêlée, ne fût descendu et ne lui eAt
donné le sien, Bourbotte admira le jeune homme, et
fut plus préoccupé de Iqi que de son péril. 11 le Irouva
intelligent autant qu'héroïque. Dès ce jour, il ne le
perdit pas de vue qu'il ne Teût fait général. Six mois
BATAILLE DE SAUMUR. 83
après, ce général, le jeune Marceau, gagnait la ba-
taille déoisive du Mans, où s'ensevelit la Vendée.
Cinq mille hommes se rendirent dans Saumur et
mirent bas les armes. Mais ceux qui restaient dans
les redoutes extérieures ne se rendirent pas. En vain
Stofflet les attaqua avec vingt pièces de canon.
La route de Paris était ouverte. Qui empêchait de
remonter la Loire, de montrer le drapeau blanc aux
pFOvifices du Centre? Henri de la Rochejaquelein
voulait qu'on allât au mpins jusqu'à Tours.
LesVendéens n'avaient qu'une cavalerie misérable;
s'il en eût été autrement, rien n'eût empêché certai-
nement mille hommes bien montés et déterminés de
percer jusqia^à Paris.
Pour se faire suivre de la masse vendéenne, il n- y
fallait pas songer. Le paysan avait fait un prodigieux
effort, en restant si longtemps sous le drapeau. Parti
(la seconde fois) le 9 avril, il avait à peine en passant
de FoHtenai à Saumur revu ses foyers. Plusieurs
au 9 juin se trouvaient absents de chez eux depuis
deux mois I Or, telles sont les habitudes du paysan
yendéen, pomn^e l'pl^sprve très-bienPouruispaq, njjijç^
« Quand il eût été question de prendre Paris, on n'eâjt
pu l'empêcher, au bout de six jours, d'aller revoir sa
femme et prendre une chemise blanche. » Agsçi ǧ-
theljneau était d'avis qu'on ne s'écartât p»s be^fiço^p,
et qu^en se contentât d'Angers.
Mais les chefs généralement voulaient aller àlamer.
Lescure voulait y aller à gauche, prendre Niort et
La Rochelle*
8i RAPPORTS DES VENDÉENS
Bonchamp voulait y aller à droite, par la Breta-
gne, étendre la chouannerie qui déjà avait commencé,
tâter les côtes normandes, savoir si elles étaient vrai-
ment royalistes ou girondines.
D'Elbée allait à la mer par Nantes, par l'entrée de
la Loire, cette grande porte de la France. C'est
l'avis qui prévalut.
Ils attendaient impatiemment les secours de l'An-
gleterre, et ils savaient qu'ils n'en recevraient rien
tant qu'ils n'apparaîtraient pas en force sur la côte
et ne pourraient pas offrir un port aux Anglais*.
Dès le lendemain de l'insurrection, les Vendéens
avaient imploré les secours de l'étranger.
Le 6 avril, d'Elbée et Sapinaud chargent un cer-
tain Guerry de Tiffauges de demander de la poudre
à Noirmoutier, ou, si Noirmoutier n'en a pas, de
prendre tous les moyens de s'en procurer d'Espagne
ou d'Angleterre.
Le 8 avril, ce n'est plus de la poudre seulement, ce
> Dès 1794, à Fépoque de la fuile du Roi, cent gentilshommes vou-
laient s'emparer des Sables. Une frégate et quatre petits bâtiments
chargés de soldats tentèrent de débarquer. Ce fut encore les Sables
que les Vendéens attaquèrent le 29 mars 93, jour du Vendredi saint.
On voit combien ils tenaient k avoir un port. Mémoires manuscrits de
Mercier du Rocher.— Les trois faits que j'indique ensuite sur leur ap*
pel à rétranger sont constatés par trois pièces d'une autorité incon-
testable, les deux premières imprimées dans la brochure de M. Fillon ;
Pièces contre-révolutionnaires du commencement de Finsurrection
vendéenne, 1847, Fontenay. Cette brochure inâniment importante jelle
un jour tout nouveau sur l'histoire de la Vendée. — La troisième pièce,
du 8 avril, esl la lettre même, lettre autographe du chevalier La Roche
Saint-André, que possède M. Dugast -Mali feux*.
AVEC L'ÉTRANGER (AVRIL 95 . ?fi
sont des hommes : « Nous prions M. le commandant
au premier port d'Angleterre de vouloir bien s'inté-
resser auprès des puissances anglaises pour nous
procurer des munitions et des forces imposantes de
troupes de ligne. IÏEaMz^ Sapinaud, quartier-géné-
ral de Saint-Fulgent. »
Sur un autre point de la Vendée, le chevalier de
la Roche-Saint-André écrit, dans une lettre du
8 avril : < Que les comités royalistes ont décidé qu'il
irait demander ser!(mrs en Espagne. »
Nous ne faisons aucun doute qu'en retour de ces
demandes, les Vendéens n'aient reçu ce qui passait
le plus aisément, de l'or et de faux assignats.
M. Pitt ne se souciait nullement d'envover des
hommes. Il croyait, non sans raison, que ta vue des
habits rouges pouvait produire d'étranges effets sur
l'esprit des Vendéens , créer entre eux de grandes
mésintelligences , les préparer peut-être à se rappro»
cher des républicains.
On s'ignorait tellement les uns les autres que, par
un double malentendu, Pitt croyait la Vendée giron-
dine, et laConventioncroyaitqueNanlesétaitroyaliste.
Pitt s'obstinait donc. Ses messagers, à la Qn d'août,
puis en novembre, disaient : « Si vous êtes royalistes,
si le pays est royaliste, qu'on nous donne un port
comme gage et facilité de descente. »
Si les Vendéens eussent pris Nantes, ils devenaient,
en réalité, les maîtres de la situation. Un si grand
événement leur eût donné à la fois la mer, la Loire,
plusieurs départements, un vrai royaume d'Ouest.
^ ILS MARCBfiKT VERS NANTES.
La Brets^oe royaliste eût secotié la gîronditae qui la
comprimait, et la NormaDdie {^eut-ètre eût SHirî. Les
Anglais arrivaient alors, mais comme an accessoire
utile, comme auxiliaires subordonnés.
Telles sont, très-probablement, lès ratsën^ que fit
valoir d'Elbée. Il croyait avoir dans Nantes de grandes
intelligences. Le paysan connai^ait Nantes. H se por-
tait de lui-même à cette expédition peu éloignée
bien mieux qu'à une course sur la route de Paris.
Paris, si loin, si inconnu, ne disait rien à sa pétiséé.
Mais son vrai Paris, c'était Nantes, la ville riche, la
♦ille brillante du commerce des colonies^ le Pérou et
le Potose de l'imagination vendéenne.
La prise facile d'Angers, évacuée par les répiibU-
ëàins, l'arrivée du jeune prince de Talmont à ràrmôë
f ëndéenne , tout confirma celle-ci dans son projet
d'attaquer Nantes. Talmont, second fils du duc de là
TKiliouille, avait des biens immenses dans FOuë^t,
trois cents paroisses d'un seul côté de la Loii^, et
pènt-ètrc autant de l'autre. Les chefs vèndéetti, la
plupart vassaux de Talmont, furent joyeux et fiwfe
d'avoir un prince avec eux. Us ne doutaient plus éc
rieil. tJn prince ! un évéque ! Maintenant qu'ils avaient
tbttt cela, qui pouvait leur résister?
Cependant, pour attaquer de tous côtés à kt fofe
cette grande ville de Nantes, il fallait que l'armée
d'Anjou fût aidée de la Vendée maritime, des hom-
ihcs du Marais, de leur chef principal, Chafette. Cé-
luî-ci n'avait nullement à se louer des nobles de la
Hàntè-Yettdéé, qui ne parlaient de lui qu'avec nié-
ILS ESSAIBMT DE S'ENTENDRE AVEC CHARETTE. 87
pï^is^ et Ib preoaient jusque-là pour un simple chef de
bi'igftiids, en quoi ih ne se trompaient guère.
Ceux qui voudront cûliipretidt*e à Fond ce singu^
lier personnage doivent lire préalablement nos ftii»
ciënniBs histoires des boucaniers et des flibustiers,
eélles de nos premiers colons du Canada et d'ailleurs^
qui Tiraient avec lessautbges et leur didvenaieiit tout
àfait semblables. LesHurons leur donnaient YoloiltierB
leurs fillesj pour avoir de cette race singulièrement
intrépide^ celle qui poussait le plus loin le mépris de
la YÎe^ Nos joyeux compatriotes passaient le temps au
dftiert à hite dahser les sauvages. Nouveau trait de
ressemblance avec Tarmée de Chareite, où Ton dan-
sait toutes leii nuits.
Cette armée tenait beaucoup d'iîlie bande de vo-
leurs et d*un cdrnaval. Ces joyeux danseurs êtaieut
trdiFféh)eés; Le combat, le bal, la messe et Tégor^e-
mentf tout alhiil ënsehible;
Cbarette était un homme sec ^ d'une tren-
taine d'années^ étonnamment leste et agile. Souvent
dans les moments pressés, il passait pdi* la fenêtre.
Il avait la poitrine étroite (on l'avait cru poitrinaire),
une main brûlée dans son enfance^ de petits yeut
ïibii* pei*çailtS, la tête haute, le nez retroussé, nieû-
ton saillant, bouche plate, bandée comme un arc...
Ce nez au vent, cette bouche, lui donnaient l'air au-
dacieux^ l'air d'un déterminé bandit \
* J'ai tu chez M. Sue (Faimable et gracieux statuaire ), un monument
bien étrange, c'est le plâtre complet de la tête de Chareite^ moulé sur
le mort. J'ai été frappé de stupéfaction. On sent là une race à part, fort
88 ÎLS ESSAIENT DK S'ENTENDRE
Ct5 qui étonnait le plus les républicains, c'était de
voir au col de cette singulière flgure une coquette
écharpe noire à paillettes d'or, ornement fantasque
qu'il portait en souvenir de quelque dame. Non
certes par fidélité. 11 changeait toutes les nuits. Il n'y
eut jamais un pareil homme. Les grandes dames du
pays, les petites filles de village, tout lui était bon.
Des dames le suivaient à cheval, quelques-unes vail-
lantes, parfois sanguinaires. Elles passaient des nuits
avec Charette, puis rentraient chez leurs maris, rési-
gnés et satisfaits, pour l'amour de l'autel et du trône.
Charette croyait être très-noble. Il se faisait venir
de certains Caretti du Piémont. Il y avait cependant
des Charette dans la robe. Un d'eux se fit condamner
à mort dans l'affaire de la Chalotais. La mère de
Charette était des Cévennes. Son père, officier, et
deux autres, passaient dans un bourg près d'Uzès;
ils voient au balcon trois gentilles Languedociennes.
c( Ce seront nos femmes, » disent-ils ; ils montent ,
demandent, obtiennent. Charette naquit de ce
caprice en 1765.
heureusement éteinte, comme plusieurs races sauvages. A regarder par
derrière la boîte osseuse, cVst une forte léte de chat. U y a une bestia-
lité furieuse, qui est de l'espèce féline. Le front est large, bas. Le
masque est d*une laideur vigoureuse, scélérate et militaire, à troubler
toutes les femmes. L'œil arrondi, enfoncé, pour d'autant mieux darder
réclair de fureur et de paillardise. Le nez est le plus audacieux, le plus
aventureux, le plus chimérique qui fut et sera jamais. Le tout effraye,
surtout par une légèreté incroyable, et pouilant pleine de ruse, mais
jetant la vie au vent, la sienne et celle des autres — Un mol fait juger
Charette : son lieutenant Savin disait à sa femme : « Je crains moins
pour toi Tarrivée des bleus qu'une visite de Charette. •
AVEC CUARE iT£. 89
Il avait vingt-huit aus, eu 93. 11 était lieuleuaut de
marine^ avait fait plusieurs campagnes de guerre,
avait donné sa démission et vivait dans son petit
manoir de Fonteclause, avec une vieille femme riche
qu'il avait épousée pour accommoder ses afifaires.
Il ne tint pas aux nobles qu'il ne se dégoûtât
bientôt de la guerre , ne les laissât là. Us disaient
qu'il n'était pas nobley ils l'appelaient le petit cadet
ou le savoyard; ils assuraient qu'il était lâche, ne
savait que fuir. Personne en effet n'en eut plus sou-
vent occasion, avec les bandes qu'il menait. II les
aguerrit à force de fuir et en fuyant avec eux.
L'armée de Charette se battait pour la proie et le
pillage, mais lui, pour se battre. Il leur laissait ce
qu'on prenait. De même pour les guinées; il les
distribuait dès qu'il en venait. Il n'avait ni gtte, ni
table, mangeait chez ses officiers, couchait où et
comme il pouvait.
La France a tué Charette qui a tant répandu son
sang, mais elle ne l'a point haï. Pourquoi ? Ce bri-
gand du moins n'était point du tout hypocrite. Il
n'affectait nul fanatisme, pas même celui du roya-
lisme. It aimait peu les émigrés, jugeait parfaitement
les princes. Ils ne lui pardonnèrent jamais sa fameuse
lettre au Prétendant : « La lâcheté de votre frère a
tout perdu, » Pour les prêtres, il n'en usait guère, et
détestait spécialement ceux de l'armée d'Anjou^. Un
1 Comment expliquer la suppression de la Vie de Charette par Bou-
vier-Desm or tiers, en 1 809 ? En quoi pouvait-il déplaire à la police ?
Il n'y a pas un mot contre le gouvernement. Ceux à qui cette apologie
îK) ILS ESSAIENT Dï S^ENTENDUE
jtàur que l'abbé Berùier liii faisait demattdef cô f|ui
rdfflt^eêhait de m rêUtiir à la grande afmêë^ Gharetlë^
qUi cohttaissiilt lèà secrètes galàftteriés de TiUlrigant
hypdtîritei répondit plaisamment : «VosmiœurB. »
Tonte la crainte des gens de Charette, c'était qu'il
ne les laissât là, qu'il ne désertât pour aller se join-
dre aux gens de la Haute-Vendée. Une fois^ dans
èette eminte, ils étaient prés de le tuerai Lui^ sans
se décdnciërter, il fondit sur eux le sabre à la main.
En réalité, Ghatelte n'avait ni intérêt ni désir
d'entter en rapport intime areb la Vendée dévote*
Quand celle-ci lui proposa de coopérer au siège, il
venait de reprendre Machecoul> la porte de Nantes,
et il eût fort aimé à prendre Nantes^ mais seul^ et
non avec les autres.
Nantes était la Jérusalem pour laquelle les bandes
de Gharëtte avaient une vraie dévidtibn. Ils la jugeaient
sur les profits que donnait chaque èombat, sur Tar-
de €bareUe dépHiéàtt èéirtaiA&àienti é*éiaient lês gràiids âomè aH^iè-
étatiques ralliés à l' empereur et très-influents près de lui. Ce livre
naïf dans sa partialité même dérangeait cruellement Tépopée cou-
venue de la Vendée. On chercha tous les moyens de Penfouir dans la
téfrë. -il èb à ètê à j[)êU prës m Mêihé poxkt Vaubàû, sur QuibéfoU,
le rèle du tomte d'Artois^ etc. Véit iût tout ceci TâHicle CMir^e et
autres que M; Lejeân a mis d*ils la Biographie BretGhne , tous d^une
critique pénétrante, aussi fermes qu'ingénieux et de main de maître.
* Le vrai rival de Gharelte fut un fiordelais, Joly, homme vraiment
èktraordinaiirbj i^oi-àni, qui sisivait d'instiikct tous leS ahs : etééllèttt
tailleur, horloger, peintre, architecte, cordonnier, forgeron, chirur-
gien; n était d'une oravoure et d'une férocité extraordinaires. U fit fu-
siller son fils qui servait les patriotes. l\ méprisait les nobles (comme
Stof&et], et détestait Charette, qui le fit tuer.
AVEC CHARETTE. 91
gent, sur les assignats qu'ils trouvaient en retour-
nant les poches des culottes de soie (ils appelaient
ainsi les Nantais). Ce que devait renfermer une telle
ville, ce que la traite et le commerce des îles y en-
tassait depuis deux siècles, c'est ce qu'on ne pouvait
calculer. Les bravi de Charette y entraient, y rô-
daient sous mille déguisements» regardant insatia-
blement ces sèrieUses ihâiiôliâ, qui, sans avoir le
faste de celles de Bordeaux , n'en cachaient pas
moins, entassés à t\bt\ étâgfeà, les trésors des deux
mondes.
Néanmoins^ Charette sentait que^ s'il entrait dans
lA ville avec la grande armée d'Anjou^ ià bande he
vîëndràil qu'en sôus-ordre, qu'il aurait petite part.
Il vint au siège pour la forme, ne pouvant s'en
dispenser, comme à un rendez-vous d*fibnâèur. Le
soir du 28 juin, il était avec son monde au pont
Rousseau, à l'embouchure de la Sèvre. Pendant qu'on
dressait sa batterie, ses gens, hbhh leuf usage, se
mirent à faire une rdïldè, iét dansèrent joyeusement.
Les eanonniers parisiens^ qui sur l'autre bord de la
Loire les voyaient des hauteurs de Nantes ^ se pi-
qaèreHt, et d'un boulet leur tuèrent trois ou quatre
danseurs.
CHAPITRE VI
SIÈGE DE NANTES.
Noble bospilalité de Nantes. — Férocité vendéenne. — Nantes appelle à son
secours. — Anarchie du ministère delà gaerre. — Les héros à 500 livres.—
Difficulté de défendre Nantes.~Le maire Baco.— Le ferblantier Menris.— Le
clab de Yincent^la-Montagne. — Jalousie des Girondins. -> Union des deux
partis. — Arrivée des Vendéens. — Les représentants et les militaires ne
croient pas pouvoir défendre la ville.— La mort de Cathelineau. — La guerre
change de caractère.
8 1.— DANGER ET ABANDON DE NANTES.
(Mars-Juin 93.)
La défense de Nantes était une grande affaire,
non-seulement de patriotisme, mais d'humanité. Elle
était Tasile général des fugitifs de l'Ouest, des
pauvres gens qui n'osaient plus rester dans les cam-
pagnes, qui fuyaient leurs maisons, leurs biens,
abandonnées aux brigands. C'était tout autour comme
une mer de flammes et de sang. On arrivait, comme
on pouvait, ruiné, dépouillé, souvent en chemise, les
hommes blessés, sanglants, les femmes éplorées,
ayant vu tuer leurs maris, écraser leurs petits enfants.
NOBLE HOSI>ITALITÉ DE NANTES. 93
Pour tout ce peuple naufragé, le port de salut était
Nantes.
Nous pouvons en connaissance de cause rendre ce
témoignage aux hommes de l'Ouest; ils sont éco-
nomes, ils sont généreux. La simplicité antique des
mœurs, la sobriété habituelle, la parcimonie même,
qui est leur caractère, leur permet dans les grandes
circonstances une munificence héroïque, une noble
prodigalité; jquand le cœur s'ouvre, la main s'ouvre
aussi, large et grande ^ .
' Tels ils étaient alors, tels je les ai trouvés^ quand dans ce graml
naufrage je suis venu poser ici mon mobile foyer. Mon cœur s'est ré-
chauffé en voyant que la France est toujours la France. 11 ne tenait
qu'à moi d*user très^largement de cette noble hospitalité. — Un brave
Vendéen tout d'abord, excellent patriote, sachant que j'écrivais ici la
Vendée de 93, vint m'ofirir de me prendre dans sa voiture et de faire
avec moi, pour moi, la viiiite de toutes les localités devenues histori-
riques; je refusai de lui faire faire ce dispendieux voyage. Alors, il
s'enhardit, etm*avoua qu'il avait un autre but auquel il voulait en venir,
de m'offrir sa maison de Nantes. — D'autres personnes ont aussi voulu
également s'emparer de moi et me conduire partout. — QuMls m'excu-
sent de n'avoir rien accepté. Le lien fort et sacré de Thospitalilé
antique, égal à celui de la parenté, n'en est pas moins formé entre eux
et moi. Ceux de la sympathie existaient dès longtemps. Les pre-
mières pages de ma Description de la France (t. II de mon Histoire)
le témoignent assez. — Ce dont j'avais besoin, en sortant de Paris, c'était
d'être éclairé, soutenu dans mon travail par les précieux documents que
contiennent les dépôts publics, les collections particulières de Nunles.
Ils m^ont été ouverts avec une libéralité dont je resterai toujours re-
connaissant. La bibliothèque, les archives de la mairie, du département
et des tribunaux, m'ont révélé un monde que je ne soupçonnais même
pas. L'historien a pu dire comme Thémistocle sorti d'Athènes : « Nous
périssions, si nous n'eussions péri » — Qu'aurais-je fait, même îi Poris,
94 NOBLE HOSPITALITÉ DE NANTES.
Nantes alors nourrit tout un monde ; elle devint
la maison de tous ceux qui n'en avaient plus; la
grande cité ouvrit à ee pauvre troupeau fugitif de la
guerre civile des bras maternels. Elle logea, solda
ce peuple, remplit ses couvents désefts des habitants
légitimes pour qui ils furent fondés, des pauvres.
Que telle ville, comme Valenciennes, fût prise pap
les Autrichiens, — ou Nantes par les Vendéens, ee
n'était pas la même chose. Le droit des gens, (}^ns \q
premier cas, protégeait les habitant^; qu'avaient-ils
à craindre? Mais, Nantes pris, les Nantais allaient se
trouver en face d'un peuple aveugle et furieux qui
abhorrait la ville du ÇfCmY§YjiQVf^m\ PProme Ia Répu-
blique ellcrmême, qui connaissait par leur nom pour
les détester ses magistrats, ses notables. Les réfugiés
surtout se retrouvaient sous la rgs^in des flie|irtrier^
dont la poursuite las avait pbss^é^ de Iisurs ^^ison^;
la fureur des haines locales, les vengeances partieu-
lières allaient se lâcher, sans bricjp ni frein. Cç Quêtait
pfts Ift mort qu'on avia-jt le plfis ^ craindre, ifim bi#p
les supplices. LesVendéensen avaient intenté d'étran*
si le n'oyais eu çoqi^aissance ^e la collectlQn de M. Dugast-Matifeai,
unique pour Thistoire de la Révoljutiop dans TOuest? M. Dugast, lai-
niéme historien (et qui nous doit celte grande histoire), n'en a pfis
jnoins ouvert le trésor de sa collection, de son érudition plus vaste
encore, au nouveau venu qui esquisse Tépopée vendéenne. sMng^-
niant à se voler lui-même, pour donner à un autjre la (leur de tant
de choses neuves, importantes, si laborieusement amassées. Ten suis
heureux pour pioi^ mais j'en suis fier pour la i^ature humaine, pour
la France que tant de gens dépriment aujourd'hui, pour la France pa«
triote.
FÉRâfilTÉ VENDÉENNE. 96
ges et vraiment effroyables. Quand les Nantais arri-
vèrent, en avril 93^ k Challan» , ils virent cloué à une
porte je nç sais quoi qui ressemblait à une grande
chauve-rsouris ; c'était un soldat républicain qui de-
puis plusieurs heures restait piqué 1^; dans uneefifroya-
Jble agenie, et qui ne pouvait mourir.
On a sauvent discuté U triste question de aavoir
qui avait eu l'initiative de ee§ barbaries, et lequel des
deux partis alla plus loin dans le crime. On a parlé,
on parle insatiablement des noyades de Carinep; mais
pourquoi parlet^on moins des massacres de Cha-
rette ? L'entente des hamiâies gens pour réveiller sans
cesse certains souvenirs, étouffer les autres, est
chose «admirable. D'anciens officier^ vendéens, rudes
et féroces paysans, avouaient naguère à leur mé-
decin, qui nous l'a redit, que jamais ils ne prirent
un soldat (surtout de larmée de Mayence) sans le
faire périr, et dans )es tortures, quand on eq avait le
tamps. Quand on n'aurait p^s ces aveux, la logique
seule dirait que le plus cruel des deux partis élait
eelui qui croyait venger Dieu, qui cherchait à égaler
par l'infini des souffrances l'infini du crime. Les répu-
blicains, en versant le sang, n'avaient pas une yw si
haute. Ils voulaient supprimer rennemi, rien de
plus; leurs fusillades, leurs noyades étaient des
moyens d'abréger la mort, et non des saoriQces hi|r-
mains. Les Vendéens au contraire, dans les puits,
les fours comblés de soldats républicains, dans Içs
hommes enterrés vifs, dans leurs hovrihlç^çh^p^^^th
croyaient faire une œuvre agréable à Dieu.
96 NANTES APPELLE A SON SECOURS.
La terreur trop légitime que rattente de ces bar-
bares répandait dans Nantes respire dans les lettres,
les adresses suppliantes et désespérées que l'admi-
nistration nantaise envoie coup sur coup aux départe-
ments voisins. Le président du déparlement écrivait
au Morbihan : « Nos maux sont extrêmes. Demain,
Nantes sera livré au pillage. Une troupe immense de
brigands nous enveloppe; ils sont maîtres de la
rivière. Tous les chemins sont fermés; aucun cour-
rier n'arrive à nous. Nos subsistances sont pillées ; la
famine va nous saisir. Au nom de l'humanité, donnez-
nous de vos nouvelles. Adieu, frères, cet adieu est
peut-être le dernier. »
On peut dire que, ni avant, ni après le 2 juin, ni
les Girondins, ni les Montagnards, ne firent rien pour
Nantes ^ . Six cenls hommes furent envoyés, en avril, à
une ville noyée d'un déluge de cent mille barbares !
Le 13 juin, le Comité de salut public proposa d'en-
voyer mille hommes qu'offrait la ville de Paris. Ils
n'y allèrent point, sauf quatre compagnies de canon-
niers parisiens. Nantes écrivait des adresses furieuses
à la Convention. Le 22, elle lui apporta son dernier
appel et comme son testament de mort. L'Assemblée
vota un secours de 500,000 francs, et l'envoi de
représentants qui devaient essayer de ramasser quel-
ques forces dans les départements voisins. Les Nan-
* Les Mémoires de Mercier du Rocher établissent parfaitement
riDdiiïérence commune des deux partis. Le département de la Ven-
dée n^eut réponse ni deMonge, ni de Beurnonvillp, ni de Bouchotle,
ni de la Convention.
ANARCHIE DU MINISTÈRE DE LA GlERUE. tJ7
tais, indignés, s'écrièrent en quittant la barre: « Vous
nous abandonnez.... eh bien, le torrent vous empor-
tera! i>
La Convention, à vrai dire, croyait Nantes garan-
tie par une armée. Le Comité de salul public n'avait
jamais osé lui dévoiler franchement l'horreur de la
situation ; à chaque mauvaise nouvelle, il amusait
l'Assemblée de quelques mensonges. En annonçant
la défaite du 24 mai, il dit qu'on allait envoyer une
armée de soixante mille hommes! L'Assemblée se
rendormit. Au dernier appel de Nantes, au 22 juin,
le Comité assura que le général Biron allait faire une
diversion avecson armée de trente-cinq mille hommes.
Or, la revue de celte armée, faite avec soin un mois
après par deux envoyés montagnards, donna ce chiflFre
précis : neuf mille hommes, dont trois mille ne sontpas
armés, et trois mille sont des recrues qui arrivent et ne
savent pas tenir un fusil. Biron, en réalité, n'avait
que trois mille soldats. Cette misérable troupe était
cachée dans Niort, plutôt que logée; elle n'avait
pas de pain en avance pour un jour. On comptait
sur elle pour couvrir, non pas Nantes seulement,
mais Paris ! On voulait que Biron, avec cette triste
bande, traversât un quart de la France, passât sur
le corps de la grande armée victorieuse des Ven-
déens, et vînt se poster à Tours pour couvrir la
capitale!
Tout ceci ne tenait pas seulement à la désorgani-
sation générale, mais très-spécialement à l'anarchie
du ministère de la guerre. Il était, depuis le 4 avril.
VI
t..
les gri:- =
faisait yi'ii. .
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de le faire m
peler généi
Robespien
satut public, à
OouthoD, Jean-BoQ
faire quelque chose [)ow
la guerre, misérablch.-.
des Cordeliersî \ji du
pierre, comme on l'a \ii
lié, divisé les Cordeliers.
Cordeliers {Marat, Legemli
qui se rattachèrent à lui en cuir
arraché Paris aux Cordeliers enn
etc.) Ce grand résultat fut achui
LES HÉROS A SOO LIVRES. 99
qu'on laissa prendre aux Héber listes au ministère de
la guerre, surtout pour l'affaire vendéenne.
Paris les vomit en Vendée ; Ronsin s'y gorgea à
plaisir, paradant en voiture découverte devant le front
de l'armée, avec des filles publiques, avec un monde
d'épaulettes, de jeunes polissons à moustaches qui n'a-
vaient jamais fait la guerre que dans les cafés de Paris.
Ces braves avaient une exeuse pour ne pas voir
l'ennemi. Leurs troupes n'étaient pas formées. Les
héros à BOO /ivres que l'on avait engagés étaient géné-
ralement des ivrognes indisciplinables qui comman-
daient à leurs chefs , et, colorant leurs frayeurs de
défiances fausses ou vraies, criaient aux moindres
rencontres : « On nous vend... Nous sommes trahis!»
La plupart restaient à Tours, s'obstinant à attendre
les canons qu'on leur promettait de Paris, protestant
que, sans canoos, ils ne pouvaient faire un pas.
Mais si Nantes ne recevait point de secours, elle
recevait du moins des conseils. Il lui en venait de
tous côtés^ des conseils impérieux, car tout le monde
commandait. Toute autorité avait ses agents dans
rOuest, et le ministre de la guerre, et le ministre des
relations extérieures, et la Commune de Paris, non-
seulement la Commune, mais le département, mais
les sections, mais les sociétés populaires. Ronsin y
vint avec ses dix aides-de-camp, et l'effet fut tel dans
Nantes, qu'on prit le parti de chasser indistincte-
ment tous les agents du pouvoir exécutif et de leur
fermer les portes. On alla jusqu'à leur dire qu'on les
ferait arrêter.
iOO IHKFICILTÉ
11 est curieux de savoir ce que Ronsin et Santerre
proposaient pour sauver Nantes. Santerre voulait
qu'on fît venir six mille hommes de Dunkerque ! Ron-
sin douze mille hommes de Metz! Inventions admi-
rables dans un danger si pressant ! J'aime mieux une
autre idée de Rossignol et de Santerre : « Envoyez-
nous un bon chimiste.. . Fourcroy, par exemple. Par
des mines, des fumigations ou autres moyens^ on
pourrait détruire , endormir, asphyxier l'armée
ennemie. i>
g 2 -LA RÉSISTANCR DE NANTES.-LE FERBLANTIER MEIJRIS.
. (Juin 95.)
Nantes étant ainsi abandonnée, que pouvait-elle
pour elle-même ?
Les gens du métier prononçaient qu'on ne pouvait
la défendre. Et leur avis malheureusement ne sem-
blait que trop fondé en raison.
Les motifs qu'ils faisaient valoir, c'était l'immen-
sité du circuit d'une telle ville, l'absence de barrières
naturelles au nord. Point de murs, point de fossés,
seulement un vieux château qui couvre tout au plus
la route de Paris.
Les motifs non avoués pour abandonner la défense,
c'est qu'on croyait que le royalisme avait de fortes
intelligences dans Nantes, qu'elle avait dans son
sein une invisible Vendée.
Tout ce qui habitait les bas quartiers, le long de la
LoirCj les trois mille hommes de port, les quatre mille
DE DÉFENDRE NANTES. 101
ouvriers de la corderie, des cotons, etc., beaucoup
de petit commerce, tout cela était patriote. Les ar-
mateurs de corsaires Tétaient ou le paraissaient. Mais
MM. les spéculateurs, MM. les négriers enrichis qui
regrettaient amèrement les bons temps de Saint-
Domingue, ne pouvaient être bienveillants pour la
République. La noblesse avait émigré, et le clergé
se cachait; la queue de tout cela restait, remuait,
inquiète, intrigante, livrant la ville jour par jour.
Les Vendéens savaient mieux que les Nantais ce qui
se passait à Nantes. Si les bords boisés de la Sèvre
couvraient les approches hardies des éclaireurs de
Charette, les longs jardins murés des hauts quartiers
de Nantes, les ruelles infinies qui font des deux côtés
de l'Erdre d'inextricables labyrinthes, ne couvraient
pas moins bien, au sein de la ville, les sourdes pra-
tiques du monde royaliste et dévot qui appelait l'en-
nemi. Des tours de Saint-Pierre où Ton avait établi
un observatoire, on distinguait avec des longues
vues les bonnes femmes de Nantes, qui, sous mille
prétextes, allaient, venaient de la ville aux brigands,
des brigands à la ville, les renseignant parfaite-
ment, portant et reportant leurs lettres, leur indi-
quant les lieux, les heures, les occasions, où ils
pourraient à leur aise massacrer les patriotes.
Nantes, sans mur ni rempart, vaguement répandue
entre ses trois fleuves, pouvait assez bien se garder
encore vers la Sèvre par ses ponts, sur la Loire par
son château, mais infiniment peu sur l'Erdre. La
jaune rivière des tourbières, par ces labyrinthes de
102 DIFFICULTE DE DEFENDRE NANTES.
jardins murés qui couvrent ses bords, par ces sinis-
très ruelles de vieux couvents abandonnés, de mai-
sons nobles, devenues biens nationaux, et sans habi-
tants, donnait un trop facile accès aux loups, aux
renards, qui, de nuit, venaient de près flairer la
ville.
Nantes ne manquait pas de chefs militaires. La
population aimait beaucoup le général des dragons
rouges de Bretagne, Tex-chirurgien Beysser. C'était
un Alsacien, très-brave, buveur et rieur, Tun des
beaux hommes de France. Il avait fait la guerre aux
Indes. Il avait une confiance incroyable qui souvent
le faisait battre. Il chansonnait l'ennemi, et fit des
chansons jusque sous la guillotine. Inconséquent et
léger, il n'était pas au niveau d'une affaire aussi grave
que la défense de Nantes.
Un homme fort aimé aussi était le girondin Cous-
lard, créole intrépide, qui se fit Nantais, et repré-
senta Nantes à la Convention. Nous l'avons vu hé-
roïque àla bataille de Saumur. Lui, il voulait défendre
Nantes, ou bien y périr. Sans nul doute, il avait senti
que Nantes abandonnée serait l'opprobre éternel du
parti girondin, la confirmation de tout ce qu'on disait
de ses liaisons avec la Vendée. Nantes sauvée, au
contraire, la Gironde était sauvée , du moins dans
l'histoire.
Le maire de Nantes, Baco, autre girondin, ex-
procureur du roi, était un homme de robe fait pour
les choses d'épée. Il voulait, le 13 mars, que, par
toutes ses issues, Nantes sortit en armes et tombât
LE MAIKE BACO. 103
sur renoemi. C'était un homme sauguin , violent,
impérieux, aristocrate de caractère, républicain de
principes. 11 plaisait au peuple par sa vigueur, par
une sorte d'emphase héroïque qu'il avait dans le
commandement, par sa blanche crinière de lion qu'il
secouait orgueilleusement. On l'appelait le roi Baco.
Personne n'a eu plus d'aventures. Maire de Nantes,
il sauva la ville, brava insolemment la Convention
qui faillit le guillotiner. Commissaire à l'tle de
France, directeur de l'Opéra à Paris, définitivement
il alla mourir à la Guadeloupe.
Les beaux registres de Nantes, admirablement
conservés, restent pour témoigner à la gloire de celte
vigoureuse dictature. On peut y voir la prévoyance
universelle, l'activité infatigable, la forte décision,
par lesquelles une seule ville intimida tout un monde.
Ce gouvernement girondin fit précisément ce que
les Montagnards auraient fait. 11 convainquit les
Vendéens qu'on ne mollirait jamais devant eux. Le
21 mars, on en eut la preuve. Le jury, qui venait de
condamner des insurgés, fit savoir à l'administration
que, si l'on exécutait, l'ennemi mettrait à mort cent
soixante patriotes qu'il avait entre les mains : l'admi-
nistration donna ordre d'exécuter sur-le-champ.
Avec tout cela, la résistance aurait été fort dou-
teuse, si elle n'avait pris un caractère entièrement
populaire, si la question ne se fût posée dans ses vé-
ritables termes, entre le Nantais et le Vendéen, l'ou-
vrier et le paysan, les souliers et les sabots.
Si la défense eût été toute militaire, Nantes était
perdue. Si elle eût été bourgeoise seulement et par
la garde nationale où dominaient les marchands,
négociants, gens aisés, etc., Nantes était perdue. 11
fallait que les bras miSy les hommes rudes, les tra-
vailleurs, prissent violemment ^parti contre les bri-
gands, et devinssent une avant-garde. Les bourgeois
ne manqueraient pas d'agir également par émula-
tion. C'est précisément ce qui arriva et ce qui sauva
la ville.
Le 15 mars, le lendemain de ces terribles nou-
velles d'assassinats, de massacres, d'hommes enterrés
vifs, il y avait une grande panique. Les femmes, dans
une sorte d'agonie de peur et de défaillance, s'ac-
crochaient à leurs maris et les retenaient. Baco et
les magistrats firent une chose insolite; ils parcou-
rurent la ville à pied, s'arrôtant, se mêlant aux
groupes , demandant à chacun ce qu'il fallait
faire.
Il y avait dans la Haute-grand'rue, tout près de
Saint-Pierre, un ouvrier en boutique , ferblantier de
son état, qui avait grande influence dans le quartier.
Meuris, c'était son nom, était un homme marié de
trente-trois ans et qui avait des enfants; il n'en était
pas moins ardent et propre aux armes. Cet homme
devint le centre de la défense populaire.
Le maire voulait qu'on sortît, qu'on fondît sur les
Vendéens, qu'une force armée courût le départe-
ment avec une cour martiale. Mais le commandant
Wieland, bon officier suisse, méthodique et prudent,
voulait qu'on ne sortît pas, qu'on se gardât seulement.
LE FËKKLAMIEH MËUKIS. 105
C'était un moyeu sûr de mourir de faim, d'être vaincu
saus combat.
Meuris se chargea d'organiser cette force armée
qui devait courir le département. Mission vraiment
hasardeuse, quand on songe au soulèvement uni-
versel des campagnes.
Cet audacieux Meuris mérite bien d'être un peu
connu. Il n'était pas de Nantes. C'était un Wallon
des Pays-Bas S de cette race très-particulière dont
les Liégeois sont une tribu, et qui a fourni peut-être
les plus fougueux soldats de l'Europe. Dans ce
nombre innombrable de braves qui ont rempli les
armées de la Révolution, quelques Liégeois ont mar-
qué par une bravoure emportée, furieuse, et qu'on
pourrait dire frénétique, absolument les mêmes qu'en
1468, lorsque trois cents Liégeois entrèrent dans un
camp de quarante nulle hommes pour tuer Charles-
le-Téméraire.
* L'acle de décès de Meuiis, que m'a communiqué M. Guéraud de
Nantes, le dit né à Tournay. M. Gachard, archiviste général de Belgi-
que, et M. le secrétaire de la ville de Tournai, avaient mis une extrême
obligeance à chercher pour moi son acte de naissance dans les registres
de cette ville. Mais son acte de mariage trouvé depuis à Nantes par
M. Dugast-Maiifeux, apprend quMl n'était pas né à Tournai : i4ma6/e
Joseph Meuris était né en 1760 sur la paroisse de Russignies (commune
wallone du Brabant), diocèse de Malines; il était domicilié de la pa-
roisse Saint-Georges de Tournai, et il épousa en 1784 à Nantes Marie-
Ursule Belnau, fille d'un tailleur. D'après Tinscriplion de sa tombe
[cimetière de la Bouleillerie), Meuris servait depuis trois ans cinq mois
six jours (dans la garde nationale sans doute), lorsqu'il fut tué mal-
heureuseineut le 14 juillet 1793.
J0(> LE FERBLANTIER MEURIS.
Meurîs avait été élevé à Tournai, ville wallonne et
plus que française au milieu des Flandres, sorte de
petite république, et il y avait pris de bonne heure
l'esprit républicain. Comme beaucoup de dinandiers,
de ferblantiers et de batteurs de fer de toute sorte,
qui font volontiers leur tour de France, et s'y établis-
sent parfois, Meuris vint jusqu'à Nantes, s'y maria,
s'y fixa.
La vieille petite Tournai, qui se disait la ville de
Clovis, la mère de Gand et de toute la Belgique, était
l'orgueil et la guerre môme. Française au sein des
Pays-Bas, en vive opposition avec la lourde popula-
tion flamande qui l'environne ^ elle a toujours exa^
géré les qualités françaises. Nos rois, charmés
d'avoir en elle une France hors de la France, lui
conservèrent des privilèges illimités. Ce petit peuple
d'avant-garde, très-ardent, très-inquiet, qu'on croi-
rait méridional, a vécu de siècle en siècle l'épée à la
main, toujours en révolution quand il n'était pas en
guerre. Un Tite-Live de Tournai a écrit en CQnt
volumes ses révolutions, bien autres que celles de
Rome. Mais l'histoire n'est pas finie.
J'ai cité ailleurs les chansons guerrières de Tournai
contre les Flamands ^ La marche de Nantes et de
Vendée u'a pas été moins féconde en chansons bonnes
^ J'ai cité une très-belle chanson de Tournai sur sa victoire de ^ 477,
Histoire de France, t. VI, p. 446. — Pour les chansons Vendéennes
(des deux partis], un employé de la Loire- Inférieure, Yoyer d*un che-
min, si je ne me trompe, en a fait un recueil. Il serait fort à désirer
qu'il le publiât.
LE FERBLANTIER MEURIS. 107
OU mauvaises. Si les gens de Charette dansaient, les
mariniers de la Loire se vengeaient eu chants satiri-
ques, et parfois rapportaient dans Nantes au bout de
leurs baïonùeltes les jupes des Vendéennes.
Pour cette population gaillarde d'ouvriers, de mari-
niers, Meurisfut un centre électrique. A la bravoure
résistante du vaillant pays de Gambronne , il ajouta
la fougue, Télan, Tétincelle. Il appartenait au club
de Vincent-la-Montagne , que venaient de fonder
d'ardents patriotes, Chaux, Goullain et Bachelier.
Nous verrons les services immenses que ces hommes
tant calomniés ont rendus à leur pays. Leurs lettres
que j'ai sous les yeux, chaleureuses et frémissantes
d'un fanatisme sublime, étonnent dans la froide
vieillesse où la France est parvenue. L'église de Saint-
Vincent, achetée par Chaulx pour la société , devint
une vraie église où vinrent jurer les martyrs; et ils
ont tenu parole sur les champs de la Vendée.
Ce club de Vincent-la-Montagne, peu nombreux
au milieu d'une population essentiellement giron-
dine, eut pourtant assez de force pour la maintenir
ou la ramener dans Torthodoxie révolutionnaire.
L'administration de Nantes par deux fois se laissa aller
à adhérer aux adresses bretonnes contre la Conven-
tion , mais se rétracta par deux fois. L'énergie du
club Vincent soutint Nantes.dansla foi de l'unité.
L'administration, qui en mars avait créé les batail-
lons Mçuris, si utiles à la défense, voulait les dis-
soudre en juin, ou du moins les épurer, en faire
sortir les Montagnards. Y trouvant difficulté, elle leur
108 LE CLUlî DE VINCEN'f-LA-MOXTAGNE.
suscita une Iroupe rivale. Le H juin entrèrent dans
le conseil général de jeunes Nantais clercs ou commis,
commerçants, fils de famille, qui demandaient k
former un corps spécial. Ces jeunes bourgeois (dont
plusieurs marquaient comme duellistes) ne voulaient
pas se confondre dans les corps déjà formés. Ils s'in-
titulèrent eux-mêmes légion nantaise^ nom jusque-là
commun à toute la garde nationale. L'administration
les accueillit avec tant de faveur, qu'elle leur donna
une solde, dont ils n'avaient guère besoin. Justes
sujets de jalousie pour les bataillons Meuris, qui
déjà avaient fait leurs preuves dans un service dange-
reux , et méritaient tout autant de s'appeler légion
nantaise.
La nouvelle grave et terrible de la bataille de
Saumur, de l'évacuation d'Angers, la marche des
Vendéens vers l'ouest, firent taire ces rivalités. Les
Montagnards furent admirables. GouUain, au nom du
club de Saint-Vincent, proposa au club girondin et
aux corps administratifs de se réunir tous à Saint-
Pierre, dans la cathédrale, pour aviser au salut
public et fraterniser. On convint que, tous ensemble,
Montagnards et Girondins, s'inviteraient dans l'église,
et se prenant par le bras, iraient ensuite les uns chez
les autres prendre le dîner de famille, et de là, tou-
jours ensemble, travailleraient aux fortifications.
Cette proposition excita une joie universelle. Toute
la nuit, les membres des deux clubs allèrent de poste
en poste annoncer cette grande communion révolu-
tionnaire. Elle eut lieu le lendemain ; tous y puisé-
JALOUSIE DES GIRONDINS. WJ
rentnne incroyable force et jurèrent de sauver la
France (15 juin 93).
§ 5.— COMBAT DE MEUIIIS A NORT.— LA DÉLIVRANCE DE NANTES.
(37-39 juin 93.)
La sommation des Vendéens, apportée le 22 juin,
demandait qu'on livrât la place et les deux représen-
tants du peuple qui s'y trouvaient, promettant de
garantir les personnes et les propriétés. C'était pro-
mettre plus qu'on n'eût pu tenir. Rien n'aurait arrêté
la haine des paysans, ni la fureur du pillage. De
trente lieues à la ronde, il venait des gens tout exprès
pour pi lier Nantes, Naguère encore (1852), une vieille
femme me disait : « Oh! oui, j'y étais, au siège; ma
sœur et moi, nous avions apporté nos sacs. Nous
comptions bien qu'on entrerait tout au moins jusqu'à
la rue de la Casserie. » C'était celle des orfèvres.
Quiconque voit, les jours de marché, la naïve admi-
ration des paysans plantés devant les boutiques d'or-
fèvres, leur fixe contemplation, tenace et silencieuse,
comprend à merveille pourquoi une si grande foule
grossissait l'armée vendéenne et venait fêter la Saint-
Pierre à la cathédrale de Nantes (dimanche, 29 juin
93).
Combien, en réalité, pouvaient être les Vendéens?
A Ancenis, d'Elbée tit préparer du pain et des lo-
gements pour quarante mille hommes. Mais ce nom-
bre put s'accroître d' Ancenis à Nantes , par l'af-
fluence des hommes de l'intérieur ou des côtes. Il
110 UNION DES DEUX PARTIS.
faut y ajouter enfin Tarmée de Charette, qui avait
au moins dix mille hommes. Le tout pouvait s'évaluer
à cinquante ou soixante mille*.
Bonchamps, avec ses Bretons, devait attaquer par
la route de Paris et par le château. La division des
Poitevins, sous Stofflet et Talmont, venait par la. route
de Vannes, La troisième, la plus forte, l'armée d'An-
jou, suivait la route centrale, celle de Rennes, sous
Cathelineau. Sous d' Autichamp, quatre mille hommes
remontaient la rivière d'Erdre, pour passer à Nort et
rejoindrerarméed'Anjou.QuantàCharette,onlelaissa
de l'autre côté de la Loire, du côté où Nantes est le
moins prenable. On se contenta de son assistance loin-
taine, de sa canonnade. La grande armée, maîtresse
de la I-.oire, aurait pu certainement amener des bar-
ques et le faire passer.
Toutes les routes étant prises ainsi, les vivres de-
venaient rares dans Nantes et d'une cherté exces-
sive. Tout le peuple était dans la rue, l'administra-
tion très-inquiète. Par deux fois, elle défendit aux
sections de se réunir et de rester en permanence.
La responsabilité était grande pour les représen-
tants du peuple Merlin et Gillet. Merlin de Douai, le
célèbre jurisconsulte, esprit vif et fin, caractère équi-
voque et timide, n'était nullement Thomme qui pou-
vait prendre une initiative héroïque dans cette grande
circonstance. 11 n'était d'ailleurs nullement soutenu
« Lettre de d'Elbée publiée par M. Fillon, Entrée des Vendéens à
Ancenis.
ARRIVÉE DES VENDÉENS. iH
du centre. Nantes semblait plus isolée de Paris que
de rAmérique.
Merlin, pendant tout le mois, eut beau écrire
lettre sur lettre ; il n'obtint pas une ligne du Comité
de salut public. Le 28, il reçut un mot, absolument
inutile à la défense de Nantes.
Il avait eu le bon esprit de retenir pour comman-
der un excellent officier, Tex-marquis de Canclaux,
général destitué, esprit froid et ferme, connu par de
bons ouvrages sur la tactique militaire. Son avis
toutefois, conforme à celui du commandant de Tar-
tillerie et du château, était qu'on ne pouvait défen-
dre la ville. Canclaux, arrivé à Tâge de cinquante-
quatre ans, avec une bonne réputation militaire,
se souciait peu de la compromettre.
Canclaux ne croyait guère qu'aux troupes de ligne,
et il n'en voyait que cinq bataillons de cinq régi-
ments différents. C'est tout ce qu'on avait pu tirer
des côles, qu'on n'osait trop dégarnir. Il ne savait que
penser de tout le reste, simples gardes nationaux de
Nantes ou des déparlements, qui, touchés de son
péril, lui avaient envoyé quelques bataillons. Les
Côtes-du-Nord avaient envoyé les premières, puis
Ille-et-Vilaine, Mayenne et Maine-et-Loire, Orne et
Seine-Inférieure, Seine et-Marne et Seine-et-Oise,
enfin la Charente. Chose admirable, le Bas-Rhin,
si exposé, et si loin, envoya aussi! mais n'arriva pas
à temps. Dans ces gardes nationales, ce que Can-
claux avait de meilleur sans comparaison, c'étaient
les quatre compagnies des canonniers de Paris.
H2 I^ES UEPRÉSENTANTS ET LES MIL1TA1HES
Tout cela ensemble faisait une force peu considé-
rable, en tout dix ou onze mille hommes, nombre
bien petit pour garder l'immense étendue de Nantes.
Quand la sommation arriva, le commandant de
l'artillerie déclarant qu'il ne répondait nullement de
défendre la ville : « Eh bien ! moi, dit le maire, je
la défendrai ! »
a Et moi aussi, dit Beysser; honte aux lâches!» Ce
mot ramena les autres. On se rangea à l'avis de
Baco.
La situation où les deux partis se trouvaient dans
Nantes ne contribua pas peu à faire prendre cette
grande initiative au maire girondin et aux généraux
du parti Beysser etCoustard. Les Montagnards vou-
laient la défense ; et Meuris, envoyé avec son ba-
taillon au poste lointain et dangereux de Nort, avait
juré de tenir ou de se faire tailler en pièces; et, en
effet, le bataillon périt.
En présence de cette rivalité héroïque des deux
partis, Merlin ne pouvait pas aisément abandonner la
ville. Il la déclara en état de siège, soumettant tout
à l'autorité militaire, à son général Canclaux, et se
réservant ainsi d'évacuer Nantes, si tel était décidé-
ment l'avis des hommes du métier.
Dans le rapport qu'il a fait après la victoire, Can-
claux dit qu'à l'approche de l'armée vendéenne,
se voyant si faible, il sentit qu'il ne pouvait livrer
bataille et qu'il se rapprocha de Nantes. La Muni-
cipalité affirme que, s'il s'en rapprocha, ce n'était
pas pour y entrer, mais bien pour reculer vers Ren-
NE CROIENT PAS POUVOIR DÉFENDRE LA VILLE. 115
nés, les représentants du peuple ayant décidé que
Nantes serait abandonnée.
La grande armée vendéenne environnait déjà la
ville. C'était le 28 au soir. On voyait sur les collines
et dans les prairies de grands feux qui s'allumaient.
Des fusées d'artifice qui montaient au ciel étaient les
signaux que, de la rive droite, l'armée faisait à Cba-
rette qui était sur la rive gauche. Les assiégeants, qui
arrivaient très -confusément, s'appelaient par de
grands cris pour se réunir par paroisses; ayant en-
core peu de tambours, ils y suppléaient en hurlant
dans des cornes de bœufs. Ces sons barbares et sinis-
tres, qui semblaient moins des voix d'hommes que
de bêtes , remplissaient tout de terreur ; on disait dans
les rues de Nantes : € Voilà les brigands ! »
Le peuple était fort ému, frémissant à la fois de
crainte et de courage; plus on craignait, plus on
sentait qu'il fallait combattre à mort. Malheureuse-
ment les soldats de ligne (qui pourtant se battirent
très-bien ) goûtaient fort l'avis de leurs chefs qui
étaient pour la retraite. On en jugera par ce fait. Un
Nantais (M. Joly), rentrant en ville avec du blé,
les soldats veulent le lui prendre. « Pourquoi me
prenez-vous mon blé, quand vous ne manquez pas
de pain? — C'est, disent-ils, pour que les Nantais,
n'ayant pas de vivres, n'essaient pas de se défendre.*»
1 Je tiens ce fait de mon ami M. SouYestre, qui sait l'histoire de
rOuest dans un étonnant détail. Plusieurs chapitres du Sans-culoUe
breton sont de belles pages d'histoire, admirablement exactes.
VI 8
ii4 LES REPRÉSENTANTS ET LES MILITAIRES
L'évacuation commeDçait* Les canons^ les caisses
d'argent, les voilures du général, du représentant,
tout était prêt au départ. Un événement populaire
changea la face des choses.
Un bateau ramena par l'Erdre ce qui restait du
glorieux, de F infortuné bataillon Meuris, une trea*
taine d'hommes sur cinq cents. Le bataillon avait
tenu son serment. Il s'ensevelit à Nort, pour don-
ner huit heures de délai à la ville de Nantes. L'at-
taque, ainsi retardée, manqua^ Nantes fut sauvée.
Disons mieux, la France le fut. Son salut, dit Napo-
léon, tenait au salut de Nantes.
Lorsque la France se souviendra d'elle-même ,
deux colonnes, l'une à Nort, l'autre à Nantes, rap-
pelleront ce que nous devons à l'immortel bataillon
et au ferblantier Meùris.
11 faut dire que le bataillon avait trouvé dans Nort
même, cette toute petite bourgade, une admirable
garde nationale. Nort, la sentinelle de Nantes, parmi
les tourbièresdeVErdre, était constammentauxmaiUfl.
Rien n'était plus patriote. Émigrée une fois tout
entière devant l'ennemi, elle s'était reconquise elle-
même. Nantes lui avait, à cette occasion , voté un se-
cours, d'honneur, de reconnaissance. Les hommes du
club Vincent, Chaux surtout, dont se retrouve partout
la main dans les grandes choses, avait formé, choyé
cette vaillante avaiït-garde de la capitale de l'Ouest.
Nort n'a ni mur ni fossé, sauf l'Erdre qui passe de-
vant, et elle tint toute une nuit. Â la vivacité du feu,
les Vendéens ne soupçonnèrent pas le petit nombre
NE CROIENT PAS POUVOIR DÉFENDRE LA VILLE. il6
de ses défenseurs. Au petit jour^ une femme de Nort
fit semblant de poursuivre une poule, passa la rivière
à gué» montra lo gué aux Vendéens. Cette femme a
Técu jusqu'en 1820 en exécration dans tout le pays.
Les cavaliers vendéens,prenant chacun en croupe un
Breton (ces Bretons étaientd'excellents tireurs), pas*
sèrent et se trouvèrent alors front à front avec Meuris.
Meuris, entre autres vaillants hommes, avait à lui
deux capitainesqui méritentbien qu'on en parle. L'un
était un très-beau jeune homme, aimé des hommes^
adoré des femmes, un Nantais de race d'Irlande, le
maître d'armes 0' Sullivan , tête prodigieusement
exaltée, noblement folle*, à l'irlandaise; c'était une
lame étonnante, d'une dextérité terrible dont tout
coup donnait la mort. L'autre , non moins brave,
était un nommé Foucauld, véritable dogue de com-*
bats, dont on a trop légèrement accusé la férocité;
eût-il mérité ce reproche, ce qu il a fait pour la
France dans cette nuit mémorable a tout effacé dans
nos souvenirs.
Ces hommes obstinés, acharnés^^ disputèrent tout
« Je veux dire, extrêmement inégale.— H était très-doux (c'est lui
qui empocha de fusiller les cent trente-deux Nantais), mais avec dea
accès de violence et dVxallatiun. L'appréciation si judicieube de la
Terreur qu'on trouve sans nom d'auieur, h la page 495 de Gu«'pin
{Hhtnrede Nanlrs, 2^ édiiion), est d'O'Sullivan. L'éminent liislo-
rien appanienl lui-même à Phisloire par son immortelle initiative
au pont de Pirmil ; c^est lui qui le 30 juillet 1830 coupa ce pont, com-
munication principale entre la Bretagne et la Vendée, et p«ul-4lfê
trancha le nœud de la guerre civile.
lie LES KËPRÉSENTANTS ET LES MILITAIBES
le terrain pied à pied à la baïonnette ; puis, quand ils
eurent perdu Nort, ils continuèrent de se battre sur
une hauteur voisine, jusqu'à ce qu'ils fussent tous par
terre entassés en un monceau. L'Irlandais, percé de
coups, dit à Meuris :c(Pars! laisse-moi, et va dire
aux Nantais d'en faire autant! »
Meuris empoigna le drapeau. Il ne voyait plus que
trente hommes autour de lui. Ils reviennent ainsi à
Nantes , couverts de sang. Qu'on juge de l'impres-
sion quand on vit ces revenants , quand on apprit
qu'un bataillon avait arrêté une armée, quand on de*
manda où il était ce corps intrépide, et qu'on sut qu'il
était resté pour garder éternellement le poste où le
mit la Patrie.
Les trente étaient encore si furieux du combat,
qu'ils ne sentaient pas leurs blessures. Foucauld
était effroyable par un coup bizarre qui lui abattit la
peau de la face ; le dur Breton, sans s'étonner, avait
ramassé son visage, et, en allant & l'hôpital, il criait
de toutes ses forces : « Vive la République! »
Le peuple grandit en ce moment d'une manière
extraordinaire. Il parla avec autorité à ses magistrats.
11 fit revenir Merlin qui était déjà parti. On le retint
chez Goustard, qui enfin lui fit entendre raison. Du
reste on avait coupé les traits des chevaux et dételé
les voitures. Merlin, le jurisconsulte, fut forcé d'être
un héros.
Si Meuris n'avait tenu huit heures à Nort, Auti-
champ et ses Vendéens seraient arrivés le soir, et le
NE CROIENT PAS POUVOIR DÉFENDRE LA VILLE. 117
combat eût commencé, comme il était dit^ à deux
heures de nuit, un moment avant le jour. 11 ne com-
mença que fort tard, à dix heures, en pleine et
chaude matinée. Gharette avait tiré à deux heures,
et se morfondait dans Tattente, ne sachant comment
expliquer le silence de la grande armée.
Il lui manquait ce corps d'élite, ces tireurs bretons
retardés à Nort, quatre mille hommes qui, faute de
barques, durent sans doute venir à pied. Ce corps
venu et reposé, l'attaque commença vivement
par les routes de Paris, de Vannes, et au centre
par celle de Rennes.
Beysser, voyant bien que Gharette ne ferait rien
de sérieux, prit des forces au pont coupé qui se gar-
dait de lui-même, les porta sur la route de Paris,
chargea Bonchamps avec une fureur extraordinaire
et le repoussa.
Au centre, sur la route de Reunes, où était l'aflaire
la plus chaudes Gathelineau eut deux chevaux tués
sous lui, sans pouvoir forcer le passage. L'artillerie
républicaine, servie admirablement par les canonniers
de Paris, arrêtait les Vendéens. Là se tenait, froid et
paisible, Ganclaux observant le combat. Là, Baco, le
vaillant maire, remarquable par sa forte tête, cou-
verte d'épais cheveux blancs, dans sa juvénile ar-
* Là fut tué Je vaillant grand'père du vaillant et généreux M. Ro-
cher, commissaire de la République dans cinq départements en 4848,
et si estimé de tous les partis.— Ces belles légendes de Nantes auraient
mérité d'être dites par son Walter Scolt, l'éloquent auteur du Champ
des Martyrs, M. E. Ménard.
^)8 LA MORT
deur, encourageait tout le inonde, jusqu'à ce qu^unê
balle le força de quitter la place. On le mit dans un
tombereau. Mais lui, souriant toujours, criait : «Ne
voyez-vous pas? c'est le char de la victoire, i
Les Vendéens étaient parfaitement instruits de
l'état intérieur de la place, de la rivalité, des défiances
mutueHes des Montagnards et des Girondins. Ils em-
ployèrent une ruse de sauvages, qui témoigne égale-
ment de leur perfidie et de leur dévouement fanatique.
Trois paysans, l'air effrayé , viennent se jeter aux
avant-postes, se font prendre. Des grenadiers d'un
bataillon de Maine-et-Loire leur demandent comment
vont les affaires des Vendéens? a Elles iraient mal,
disent simplement ces bonnes gens, si nous n'avions
pour nous un représentant du peuple, qui est depuis
longtemps à Nantes et nous fait passer des cartou-*
ches... — Comment se nomme-t-il ? — Coustard. * »
Cette accusation, jetée en pleine bataille, était
infiniment propre à diviser les assiégés , . à susci-
ter des querelles entre eux, qui sait ? peut-être à les
mettre au}ç prises les uns contre les autres.
Gathelineau, selon toute apparence, n'avait atta«
que de front la route de Rennes que pour occuper la
meilleure partie des forces nantaises. Pendant que
cette attaque continuait, le chef rusé qui connaissait
à merveille les ruelles de Nantes, les moindres pas-
sages, prit avec lui ses braves, sa légion personnelle,
» Çreffe de Nantes, registre intitulé Dépôt de piècçs et prQoédur0$f
îr'sept. 93, no 181.
DE CATHKLINBâU (29 JUIN 1793u |49
tes voi$ins du Pin*en-Mauges ; il se glissa entre les
jardins, et il arriva ainsi au coin de la place Viarme.
Avant qu'il fût sorti encore de la rue du cimetière
pour déboucher dans la place, un savetier qui se te*
naît à sa mansarde (du n^ 1) vit Thomme au panache
blanc avec Fétat-major brigand, ^ppuya tranquille-
ment son fusil sur la fenêtre, tira juste... Thomme
tomba-
La Vendée, frappée du coup, n'alla pas plus loin.
Ils l'avaient cru invulnérable, ils furent tous bles-
sés à rame ; si profondément blessés, qu'ils ne s'en
sont jamais relevés.
Au moment môme où il tomba, ils commencèrent
à réfléchir. Ils n'avaient réfléchi jamais.
Ils commencèrent à avoir faim, et à remarquer
que le pain manquait.
Ils s'aperçurent aussi qu'un canon était démonté,
et qu'il était tard pour refaire la batterie.
Ils apprirent que Westermann , l'étourdi, l'auda-
cieux, avait percé au fond de la Vendée, qu'il allait
prendre Ghâtillon, pendant qu'ils ne prenaient pas
Nantes.
Extraordinairement refroidis par ces graves ré-
flexions, ils se mirent, de côté et d'autre, à faire leurs
arrangements et replier leurs bagages. En avançant
dans la journée, et le soir, il se trouva que tous
étaient prêts à partir. Leurs généraux, qui le
voyaient, se hâtèrent d'en donner Tordre, de peur
qu'ils ne s*en passassent.
iiO I^A GURKUË CHANGE
Pour célébrer leur départ, et de crainte de quelque
surprise, Nantes illumina le soir et toute Ip. nuit.
Chacun mangea sous les armes; on dressa des tables
tout le long du quai magnifique, par-devant la grande
Loire, sur une ligne d'une lieue. Debout, gardes
nationaux et soldats. Nantais, Parisiens, Français
de tout département, prirent ensemble le repas ci-
vique, buvant à la République, à la France, à la fin
de la guerre civile, à la mort de la Vendée.
Charelte, qui, par-dessus les prairies, voyait l'illu-
mination, et Nantes resplendissante de cette fête
nationale, voulut avoir la sienne aussi. Il s'ennuyait
là depuis vingt-quatre heures; la grande armée était
partie sans songer seulement à l'avertir. Il dédom-
magea la sienne en lui donnant les violons. Après
avoir quelque peu canonné encore, jusqu'au soir du
lendemain, pour montrer que môme seul il n'avait
pas peur, le soir il ouvrit le bal. Selon l'usage con-
sacré de nos pères, qui ne manquaient jamais de dan-
ser dans la tranchée, les joyeux bandits de Gharette
firent des rondes, et pour dire à Nantes le bon-
soir de celte noce, tirèrent quatre coups de ca-
non.
Ce jour fut grand pour la France. Il établit solide-
ment le divorce des Vendées.
La mort de Cathelineau y contribua. On fit d'Elbée
général, sans daigner consulter Charette (14 juillet).
<» Cet homme-là, dit naïvement un historien roya-
liste, portait avec lui une source intarissable de bé-
DE CAKACrÈRB .JUILLET 95y. i^i
nédictions qui disparut avec lui. » Rien de plus vrai.
Gatbelioeau avait eu lui, sans nul doute, les béné-
dictions de la guerre civile. Pourquoi? c'est que,
dans la Contre-Révolution, il. représentait encore la
Révolution et la démocratie.
Ce qu'il était en lui-même, on le sait peu. On ne
peut dire jusqu'où et comment les fourbes qui me-
naient l'afTaire abusaient de son ignorance héroïque.
Ce qui est sûr et constaté, c'est qu'en lui furent les
deux forces populaires de la Vendée, et qu'elles dis-
parurent avec lui : la force de l'élection^ \si force de la
tribu.
Élu du peuple, élu de Dieu, tel il apparaissait à
tous. Lui vivant, nous le croyons, la sotte aristocratie
du Conseil supérieur n'eût pas osé toucher à l'élec-
tion populaire. Lui mort, elle la supprime, déclarant
que les conseils des localités élus .par le peuple sont
incompatibles avec le gouvernement monarchique, et
décidant qu'ils seront désormais nommés... par qui?
par elle-même, par le Conseil supérieur, une dou-
zaine de nobles et d'abbés !
Ce n'est pas tout. L'insurrection avait commencé
par paroisses, par familles et parentés, par tribus.
Cathelineau lui-même était moins un individu qu'une
tribu, celle des hommes du Pin-en-Mauges. En toute
grande circonstance, elle était autour de lui^ et elle
l'entourait encore quand il reçut le coup mortel.
Cette guerre par tribus et paroisses où chacun se
connaissait, se surveillait, pouvait redire à la maison
les faits et gestes du combattant d'à côté, elle don-
i2f LA GUERRE CHANCE DE CARACTÈRE.
nait une extrême consistance à l'insurrection. Or,
c'est justement ce que les sages gouverneurs de la
Vendée suppriment à lamortdeCalhelineau. Dans
leur règlement idiot du 27 juillet 93, ils défendent
(article 17) de classer dans une même compagnie les
cultivateurs d^une même ferme ou les habitants d'une
même maison.
Ils ignoraient parfaitement le côté fort et profond
de la guerre qu'ils conduisaient. Ils ne pouvaient pas
sentir l'originalité vendéenne, cette fermeté^ par
exemple, dans la parole donnée qui tenait lieu d$
discipline (dit le général Turreau). Tout homme allait,
de temps à autre, voir sa femme et revenait exacte-
ment au jour qu'il avait promis. L'abbé Bernier trai-
tait ces absences de désertions, ne voyant pas que la
Vendée devait finir le jour où elle ne serait plus
spontanée; il proposait d'instituer des peines dégra-
dantes pour qui s'absentait, le fouet et les étriviêres !
Admirable moyen de convertir la Vendée et de la
refaire patriote.
LITRE XII
CHAPITRE I.
EFFORTS DB PACIFICATION. -MISSIONS DBS DANTONISTBS.
MISSION DE LINDET.
(Join-Joillet 95.)
Comment Danton et Robespierre Jugeaient la situation.— MiMiona dantonistw.
—Missions de Lindet.
On a vu dans ce qui précède, et Ton verra mieux
encore que les deux hommes dont l'opposition fut le
nœud même de la Révolution, Danton et Robespierre,
eurent sur Taffaire girondine deux opinions diverses,
mais nullement contradictoires, toutes deux judi-
cieuses, et que l'événement justifia.
Robespierre crut avec raison qu'il ne fallait point
de faiblesse ni de compromis, que, le ^ juin étant fait j
r Assemblée devait le maintenir; qu'elle ne devait
point traiter avec les départements, qu'elle devait ne
126 COMMENT DANTON ET ROBESPIERRE
leur demander rien que leur soumission. Il soutint
fermement cette thèse, en présence du danger épou-
vantable de la guerre civile, compliquant la guerre
étrangère. Contre le sentiment public, presque seul
il résista; il sauva l'autorité, en qui seule était le
salut. Il l'empêcha de se dissoudre et de s'abandonner
elle-même, et fut dans ces grandes circonstances le
ferme gardien , le Terme, le fixe génie de la Répu-
blique.
Danton crut avec raison^ par l'instinct de son cœur
et de son génie, à V unité réelle de la France républi^
caine, quand le monde croyait la voir irrémédiable-
ment divisée, brisée d'un éternel divorce. Il laissa
dire que les Girondins étaient royalistes, mais il
vit parfaitement qu'en très-grande majorité ils
étaient républicains, et agit en conséquence. Et il
eut le bonheur de les voir, en moins de trois mois,
presque tous ralliés à la Convention.
Les violences, les fureurs, les folies des Girondins
ne lui imposèrent pa,g. Il ne fit nulle attention à toutes
eurs grandes menaces. Il crut qu'en réalité ils ne
feraient rien, rien du moins de décisif contre l'unité.
Au total, il eut raison.
Nantes, qui menaçait la Convention, ne frappa que
la Vendée, Bordeaux, avertie heureusement par l'in-
solence des royalistes, qui déjà vexaient les Giron-
dins, Bordeaux revint a la Montagne. Pour Marseille,
le général Doppel, montagnard et jacobin, affirme
que la grande majorité de Marseille était dévouée à
la République^ qu'elle n'était qu'égarée, qu'on lui
JUUBAlIbMT LA SilUAriON. ii7
avait fait croire que la Montagne voulait faire roi
Orléans^ et que les troupes montagnardes portaient la
cocarde blanche, « Les Marseillais, dit-il, furent bien
surpris de voir que mes soldais portaient toujours^
eomoie eux, la cocarde tricolore. »
Le seul point où Ton pût douter, c'était Lyon, Lyon
qui venait de verser par torrent le sang montagnard.
Toute une armée royaliste, prôlres et nobles, était
dans Lyon, et avec tout cela, le Lyon commerçant
resta si bien girondin, qu'il proscrivit jusqu'au der-*
nier jour du siège les insignes royalistes, et chanta le
chant girondin (Mourir pour la Patrie) sous les mi-
traillades de CoUot-d'Herbois.
Sauf Lyon où Danton voulait une répression forte
et rapide, il désirait qu'on n'employât contre la
France girondine que les moyens de pacification.
Voilà le point de vue général sous lequel ces deux
grands hommes envisagèrent la situation. Robes*
pierre voulut le maintien de Tautorité, et il réussit.
Danton voulut la réconciliation de la France^ et,
comme on va le voir, il y contribua puissamment par
lui et par ses amis.
Us étaient les deux pôles électriques de la Révo*'
lution, positif et négatif; ils en constituaient l'équi^
libre.
Qu'ils aient été chacun trop loin dans l'action qui
leur était propre, cela est incontestable. Je m'ex-
plique. Dans sa haine du mal et du crime, Robes^-
pierre alla jusqu'à tuer ses ennemis» qu'il crut ceux
du bien public.
188 MISSIONS DANTOMSTKS
Et Danton^ dans l'indulgence, dans Timpuissance
de haïr qui était en lui, voulant sauverlout le monde
(s'i7 eût pu, Robespierre même^ ce mot fort est de
Garât), Danton eût amnistié, non -seulement ses en-
nemis, mais peut-être ceux de la liberté. Il n'était
pas assez pur pour haïr le mal.
Dès le lendemain du 2 juin, Danton avait fait en-
voyer dans le Calvados un agent très-fin, Desforgues,
avec un quart de million. Il ne croyait pas les Nor-
mands invincibles aux assignats.
Il y envoya peu après, comme militaire, avec lès
forces de la Convention, un intrigant héroïque qu'il
aimait beaucoup, Brune (de Brives-la- Gaillarde),
légiste, officier, ouvrier imprimeur, prosateur et
poëte badin, qui venait de publier un voyage en partie
rimé (moitié Sterne, moitié Bachaumont). C'était un
homme de taille magnifique, de la figure la plus mar-
tiale, la plus séduisante. On connaît sa destinée, ses
victoires, sa disgrâce sous l'Empereur, sa triste mort
à Avignon (1815).
Cet hommes! guerrier fut mis par Danton dans les
troupes envoyées en Normandie, non pour combattre,
au contraire, pour empêcher qu'on ne se battît.
Ce furent des moyens analogues qui réussirent à
Lindet, dans sa pacification de la Normandie.
Ce qui la rend très-remarquable, c'est que Lindet
n'était nullement indulgent comme Danton et les
Dantonistes. Il savait haïr, et haïssait spécialement
les Girondins de la Convention, moins Roland qu'il
MISSIONS DE L1NDET. i29
estimait comme un grand et honnête travailleur, et
le candide Fauchet, qu'en sa qualité d'homme d'af-
faires il regardait sans doute comme un simple ou
comme un fou.
Lindet était comme Roland, un terrible travailleur;
jusqu'à près de quatre-vingts ans il écrivait quinze
heures par jour. Matinal, ardent, exact, serré, propre
dans sa mise, âpre d'esprit, de paroles, amer, mais
si sage pourtant qu'il dominait ce caractère. II tenait
beaucoup, en bien et en mal, de l'ancien parlemen-
taire, mais avec une originalité spéciale de grand lé-
giste normand, de ces Normands d'autrefois qui gou-
vernèrent au moyen-âge les conseils, les parle-
ments, la chancellerie , l'Échiquier, de Normandie,
^de France et d'Angleterre.
Lindet était cruellement haï des Girondins, moins
pour sa proposition du tribunal révolutionnaire, moins
pour ses discours haineux (il montait peu à la tribune),
que pour son opposition persévérante dans les comités,
pour son attitude critique, ironique dans la Con-
vention, pour sa bouche amèrement sarcastique et
Voltairienne, qui, «nème sans rien dire, déconcer-
tait parfois leurs plus hardis discoureurs.
Il se trouvait au 2 juin, que Brissot, dans une bro-
chure, venait d'attaquer Lindet avec une extrême
violence, accusant son air hyène^ son amour du sang.
Ce fut justement cette attaque qui permit à Lindet
d'être modéré. Cette brochure, à laquelle il répondit
avec amertume, ce précieux brevet d'hyène que lui
décernait la Gironde, le couvraient parfaitement et
YI. »
i50 MISSIONS
lui permettaient de faire des choses sages et huma^
nés que personne n'eût pu hasarder.
Personne n'eût pu essayer de sauver Lyon, comme
il tenta de le faire, ni dire pour elle les paroles qu'il
prononça à la Convention. Notez qu'il avait singuliè-
rement à se plaindre des Lyonnais, qui l'avaient tenu
comme prisonnier
Mais la gloire de Robert Lindet, comme homme et
homme d'affaires, c'est la prudence extraordinaire par
laquelle il sauva la Normandie.
Il connaissait parfaitement ses compatriotes, savait
que c'est un peuple essentiellement gouvernemental^
attaché à l'ordre établi, ami du centre, pourvu que
Paris achète ses beurres et ses bœufs. Évreux ôtait
mauvais, mais l'Eure en général très-bon. On û'a- .
vait pu l'égarer qu'en lui faisant croire que l'Asseln-
blèe était prisonnière et qu'il fallait la délivrer.
Lindet fit d'abord donner par la Convention Utt
délai aux Normands pour se rétracter ; puis décréter
une levée de deux bataillons d'hommes sans unifoN
mes pour aller observer Évreuœ, et fraterniser avéù Mi
frères de Normandie. Ce ne fut pas sans peine qu^ôfl
trouva cette petite force. Lindet fut obligé de pressa
la levée lui-même de section en section. Le chef fut
le colonel Hambert, brave et digne homme, d'un
caractère doux. Danton y mit pour adjudant-général
Brune, dont il savait la dextérité.
Nous avons dit comment les Girondins réfugiés h
Caen, brisés de leur naufrage, et ne songeant qu'à se
refaire, laissèrent les gens du Calvados prendre un
m LINDBT. iM
général royaliste* Louvat et Guadet essayèrent en
vain d'éclairer leurs collègues. Heureux d'être arrivés
à Caen, dans cette ville lettrée et paisible, ils ne vou^
laient rien qu'oublier. Ils avaient vécu ; le temps les
avait déjà dévorés. Barbaroux, l'homme jeune et ter-
rible de 92, le défenseur des hommes de la Glacière,
l'organisateur des bandes marseillaises du 10 août,
semblait mort en 93. À vingt-huit ans, déjà gras et
lourd, il avait la lenteur d'un autre âge.
Les chaleurs de juillet furent extrêmes cette année.
Les Girondins restent à Caen, se tiennent frais et font
de petits vers. Caen les imite et ne fait rien. Elle donne
trente hommes ; Vire en donne vingt. La petite bande,
d'un millier d'hommes peut-être, avance jusqu'à
Yernon, sous le lieutenant de Wimpfen^ l'intrigant
Puisaye, le célèbre agent royaliste. Parisiens et Nor-
mands, on se rencontre et Ton se parle. Puisaye,
logé dans un château voisin, et craignant les siens
autant que l'ennemi, veut rompre la conversation,
ordonne le combat. Tout s'enfuit aux premières dé-
charges (13 juillet). Le reste ne fut qu'une prome-
nade. Déjà le 8 le peuple de Caen avait protesté qu'il
ne voulait pas de guerre.
En sa qualité de Normand, Lindet voulut être seul
chargé de l'affaire ; il ferma le pays, renvoya les im-
béciles et les maladroits qu'on lui envoyait, et pré-
para les matériaux d'un rapport contre les Fédéra-
listes. En novembre, de retour au Comité, accablé de
travaux immenses, il ne pouvait faire son rapport,
mais il allait le faire toujours le mois prochain sans
13Î MISSIONS DE LINDET.
faute. Chaque fois que les Normands tombaient dans
les mains de Fouquier-Tinville, Lindet lui écrivait :
«Tu ne peux procéder avant que j'aie fait mon rap*
port^ qui est presque terminé. » Il gagna ainsi du
temps jusqu'au 9 thermidor, et alors déclara « qu'il
n'y avait jamais eu de fédéralisme »> , que personne
ii*avait songé à démembrer la France \
On attribue à Lindet une belle et forte parole qui
très-probablement ne sortit pas de sa bouche pru-
dente, mais qui exprime parfaitement sa conduite et
sa pensée. On assure qu'au Comité du salut public,
où il était chargé de l'affaire des subsistances de l'in-
térieur et de l'approvisionnement des armées, il au-
rait dit à ses collègues, qui lui demandaient d'apposer
sa signature à un ordre de mort : (c Je ne suis pas ici
pour guillotiner la France, mais pour la nourrir. »
^ C*est ce qu*il dit expressémenl dans son rapport aux Comités
réunis , et ce qu'il répète dans ses papiers manuscrits, que sa fille et
son gendre» M. Alexandre Bodin, ont bien voulu me communiquer.
CHAPITRE II.
MISSION DE PHILIPPEADX — MORT DE NEURIS.
(JailletdS.)
Miwioii de PhiIippe«ax.->Mort de Meuris.-'BaGo à la ConTention (a aoAl99)
— Pbilippeaux à Nantes (aoùt-sept. 95)
De tous les dàntonistes , le meilleur , sans
comparaison , fut l'infortuné Philippeaux. Seul pur,
irréprochable, il est mort avec eux, non comme eux
par ses fautes , mais martyr du devoir, victime de sa
véracité courageuse, de son éloquence héroïque et
de sa vertu.
Qu'il y ait eu quelques illusions dans son ardent
patriotisme, qu'il ait , dans la violence de sa douleur
pour la Patrie trahie, trop étendu ses défiances et
ses accusations, cela se peut. Ce qui est sûr, c'est
154 MISSION
que Philippeaux seul , quand les chefs même de la
Révolution fermaient les yeux sur des excès infâmes,
osa les dénoncer. Dénoncé à son tour, poursuivi ,
tué, hélas! par des patriotes égarés^ il a pour lui dans
l'immortalité la voix des héros de l'Ouest, Kléber,
Marceau, Canclaux, la voix de l'armée mayençaise,
livrée barbarement par la perfidie de Ronsin au fer
des Vendéens, et qui , attirée dans ses pièges, pres-
que entière y laissa ses os. L'accusation de Philip-
peaux reste prouvée par les pièces authentiques.
Deux fois, au 17 septembre, au 2 octobre^ Kléber,
attiré par le traître au fond de la Vendée, aban-
donné, trahi (comme Roland à Roncevaux), fut tout
près d'y périr, et y perdit tous ses amis, ceux qui
devant Mayence avaient arrêté tout l'été l'effort de
l'Allemagne et sauvé la France peut-être. Il suffit
d'un bateleur, d'une plume, d'un mensonge pour
briser l'épée des héros, les mener à la mort.
Merci à Philippeaux, merci éternellement pour
n'avoir pas fait bon marché d'un sang si cher, pour
n'avoir pas, comme d'autres, toléré de tels crimes.
Si l'on élève un jour à l'armée de Mayence le monu-*
ment qui lui est dû , parmi les noms de ces intré<^
pides soldats qu'on écrive donc aussi le nom de leur
défenseur, qui pour eux demanda justice, et qui
mourut pour eux.
Les résultats de sa mission, en juin-juillet 93,
furent vraiment admirables. Les accusations giron-'
dines contre la Convention, furieuses, insensées,
mêlées de calomnies atroces, avaient troublé tous les
DE PUlLiPPEAUX (JUILLET 93). |35
a$pritSt La France ne savait plus que croire ; une nuit
s'était faite^ dans l'incertitude des opinions. En cet
état de doute 9 tout élan s'était arrêté, toute force
alanguie. Pbilippeaux, qui avait le grand cœur de
Danton (et d'un Danton sans vices), trouva les partis
ian présence, se menaçant déjà ; il les enveloppa de
sa flamme, les mêla eomme en une lave brûlante où
se fondirent les haines ; hier, ennemis acharnés, ils
se retrouvèrent uns au sein de la Patrie.
Quand il n'y aura plus de France, quand on
cherchera sur cette terre refroidie l'étincelle des
temps de la gloire, on prendra, on lira, dans les rap*-
ports de Philippeaux, l'histoire de sa course héroïque
de juillet 93. Ces pages suffiront; la France pourra
revivre encore.
Ce caractère antique pouvait seul imposer aux
Girondins de l'Ouest, orgueilleux du succès de Nan-
tes, leur révéler ce qu'ils ne sentaient point, le sou-
verain génie de la Montagne, et les vaincre dans leur
propre cœur.
La Gironde était deux fois impuissante, et contre
les royalistes, et contre les enragés, les fous de la
Terreur. Laissée k elle-même, elle était absorbée par
les uns et entraînée au crime, ou bien dévorée par
les autres, qui ne voulaient qu'exterminer. U fallait
la sauver de sa propre faiblesse, nullement compo-
ser avec elle ni entrer dans ses voies , mais la domi-
ner puissamment, en lui montrant un plus haut
idéal de dévouement et de sacrifice. C'est ce qu'elle
eut en Pbilippeaux.
136 MISSION
AU cri désespéré de Nantes (24 juin)^ Philippeaux
avait reconnu l'agonie de la Patrie. Il se fit donner
par l'Assemblée la mission hasardeuse de prêcher la
croisade de département en département. Il partit
dans un tourbillon, n'ayant rien avec lui, qu'un
homme, un Nantais , qu'il montrait à tous comme il
eût montré Nantes, et qui répétait avec lui le cri de
sa ville natale.
La France était si pauvre , tellement dénuée de
ressources, de direction, de gouvernement, qu'il
fallait aller quêter de porte en porte les moyens de la
défense nationale.
Les aventures de cette mendicité sublime fournis*
sent mille détails touchants.
Seine -et- Oise était ruiné de fond en comble ,
d'hommes et d'argent, Versailles anéantie. Quarante
mille pauvres dans une ville! Déjà seize mille
hommes aux armées. Mais on se saigne encore pour
Nantes. Un bataillon, un escadron partiront sous
huit jours.
Eure-et-Loir, qui a déjà perdu un bataillon à la
Vendée, et qui a sa récolte à faire, laisse là sa mois-*
son et part.
La Charente a donné vingt-six bataillons ! Elle en
donne encore deux. La Vienne, la Haute-Vienne et
rindre, chacun plus de mille hommes.
Les Deux-Sèvres n'ont plus d'hommes. Elles don-
nent du grain.
Mais la plus grande scène fut au Mans. Rien ne
pouvait s'y faire qu'on n'eût réuni les partis. La téna-
DE PHILIPPEAUX (JUILLET 93). 137
cité obstinée de cette forte race de la Sarthe rendait
Tobstacle insurmontable. Philippeaux disputa qua*
rante heures, et eoBn l'emporta. Le second jour de
dispute, à minuit, Girondins, Montagnards, tous
cédèrent, s'embrassèrent. Cela se passait sur la place,
devant vingt mille hommes qui fondaient en larmes.
Deux bataillons, deux escadrons furent généreuse-
ment donnés à Philippeaux.
Après ce tour immense, le 19 juillet au soir, Phi-
lippeaux, arrivé à Tours, où était la commission di-
rectrice des affaires de l'Ouest, vit le soir arriver son
colique Bourbotte, l'Achille de la Vendée, qui, san-
glant et meurtri, échappé à peine à la trahison, reve-
nait de notre déroute de Vihiers. L'armée était restée
vingt-quatre heures sans avoir de pain; elle était
partie de Saumur sans qu'on avertît seulement l'armée
de Niort, qui eût fait une diversion. On sut bientôt
que les Vendéens, vainqueurs, avaient les Ponts-de-
Ce, qu'ils étaient aux portes d'Angers.
Philippeaux veut partir, se jeter dans Angers.
Ronsin l'arrête: « Que faites-vous? lui dit-il. Vous
serez pris par les brigands. . . Prenez du moins le détour
de La Flèche. » — D'autres surviennent, appuyent. —
« Mais je perdrais cinq heures, » dit Philippeaux. —
Il se tourne vers son Nantais : « Qu'en dis-tu ? Nous
suivrons la levée de la Loire, chaussée étroite et sans
refuge... N'importe ! ils ne pourront se vanter de nous
prendre vivants... Voici la liberté. > Et il montrait
ses pistolets. Le Nantais était Chaux, du club de Vin-
cent-la-Montagne, l'intrépide patriote qu'on a vu
IS8 MISSION
dans Taffiiire Meuris. Un tel homme pouvait corn-*
prendre ce langage, Jl suivit Philippeaux, et l'eût
suivi au bout du monde.
Ils coururent toute la nuit ce défilé de douze lieues;
à la pointe du jour ils trouvèrent la route pleine de
fugitifs, vieillards, femmes et enfants. Â chaque rel-
iais, on refusait les chevaux : « Où allez^vous? Les
brigands sont tout près ; vous êtes perdus. » Non loin
d'Angers, le postillon voyant des gens armés, veut
couper les traits et s'enfuir. Philippeaux le menace;
il avance : c'étaient des amis.
Angers désespérait, s'abandonnait lui-même. Toutes
les boutiques étaient fermées. Les militaires allaient
évacuer ; déjà le payeur était parti, les fournisseurs
emballaient. Il n'y avait en tout que quatre bataillons,
et qui venaient de fuir ; tous s'accusaient les unslea
autres. Philippeaux les excuse tous, les ranime, jure
de mourir avec eux. Le courage revient, on se
hasarde, on sort, on va voir les brigands. La terrible
armée vendéenne repasse prudemment les ponts, les
coupe derrière soi. Sans se reposer sur personne, la
représentant du peuple, accompagné de Ghau:^, alla
deux fois au pont sur la brèche reconnaître l'arcbe
coupée. Les canons, gueule à gueule, tiraient d'un
bord à l'autre, b cent pieds de distance. Â la seconde
fois, dit Chaux dans sa lettre aux Nantais ^, Philip*
peaux entonna l'hymne des Marseillais, et tout le
monde avec lui ; les canons ennemis se turent.
* Archives de la mairie de Nantes.
DB PHIUPPBAUX (JUaiET 95). IS8
L'émotion fut telle que nos cavaliers, sans savoir
si on pouvait les suivre, se lançaient dans le fleuve.
Philippeaux fit venir tous les charpentiers de la ville,
et bravement fit rétablir l'arche. Les postes de la rive
opposée furent repris par les troupes qui avaient fui
la veille.
Frappant contraste. A Angers, devant Tennemi,
Philippeaux rétablit les ponts ; et à Saumur, à douze
lieues de l'ennemi, Ronsin fit couper le pont de
Saint-Just.
Ces deux hommes étaient désormais ennemis mor<«
tels. Philippeaux, à Angers, avait accueilli, écouté
des familles en pleurs, d'excellents patriotes, qui
avaient vu leurs femmes massacrées, leurs filles
violées par les bandes de Ronsin. Pour les faire taire,
il les emprisonnait. Tel fut le sort horrible de la
femme, de la fille d'un maire d'une ville importante,
qui toutes deux en moururent de douleur.
Ronsin et Philippeaux représentaient deux systèmes
de guerre. Le premier venait d'obtenir du Comité de
salut public (26 juillet) l'ordre de faire de la Vendée
un désert, de brûler les haies, les enclos, et de faire
' refluer loin du pays toute la population. Le comité
paraissait ignorer qu'une moitié des Vendéens étaient
d'excellents patriotes, qui, réduits à eux seuls, avaient
une première fois, en 92, étouffé la Vendée. Leur
récompense était donc la ruine. De toute façon, il
était singuUer d'ordonner à une armée vaincue un
tel abus de la victoire.
Philippeaux désirait deux choses : sauver Nantes,
140 MISSION DE PH1LIP1>ËAU\ (JUILLET 1)5).
y faire triompher la Montagne, en amnistiant, domi-
nant la Gironde, et de Nantes, ainsi réunie, entraî-
nant avec soi la Vendée patriote, frapper et terrasser
la Vendée royaliste.
Généreuse entreprise, difficile, qui devait le perdre.
11 avait dans la Montagne même des ennemis tout
prêts à écouter Ronsin. Plusieurs, du reste excellents
patriotes, étaient indisposés contre Philippeaux pour
des causes personnelles ; Levasseur pour une rivalité
d'influence locale, Amar pour l'appui donné par Phi-
lippeaux à une pétition que cinq cents détenusde TÂin
avaient faite contre lui; Choudieu enfin, commis-^
saire à Saumur, trouvait mauvais qu'il voulût réunir
l'armée auxiliaire loin des bandes de Saumur. Chou-
dieu, Âmar, hommes de Tancien régime, l'un magis^
trat, l'autre trésorier du Roi, ne trouvaient leur salut
que dans leurs ménagements pour les exagérés.
C'étaient des voix tout acquises à Ronsin.
Philippeaux, ainsi compromis dans la Montagne,
allait l'être bien davantage par la folie des Girondins
de Nantes qu'il venait sauver. Avant qu'il arrivât, et
malgré l'insigne service qu'il leur avait rendu par la
délivrance d'Angers, ils lui en voulaient d'avoir
pris pour adjoint le plus rude patriote de Nantes, le
plus dévoué aussi, Chaux, le fondateur du club Vin*
cent-la-Moutagne.
Le premier remerciement fut un outrage qu'on lui
fit dans la personne de Chaux, qu'un commis insulta
de paroles. Des gardes nationaux, en les voyant passer
tous deux, firent le mouvement de les coucher en
MORT DB NEURIS (14 JUIILRT 93. 141
joue. Cette insolence^ qu'on excusa fort mal, avait un
caractère bien grave, lorsque les Girondins venaient
de tuer l'héroïque défenseur de Nort , Meuris,
l'homme qui, par ce combat, donna huit heures à
Nantes dans son grand jour pour la préparation de
la défense et la sauva peut-être.
L'origine première de ce malheur fut la rivalité de
la légion nantaise, corps girondin composé de jeunes
bourgeois, et des bataillons Meuris, corps en grande
partie montagnard, mêlé d'ouvriers et d'hommes de
toute classe.
M. Nourrit (depuis intendant militaire), capitaine
dans la légion, qui eut le malheur de tuer Meuris,
excuse ainsi la chose. Le bataillon de Meuris était
contre Beysser, la légion pour lui. La dispute de
corps menaçait de devenir sanglante ; il en fit une
dispute individuelle, il s'en prit à Meuris et le défia.
La jeunesse nantaise avait, dit-il, en ces sortes d'af-
faires une tradition, une réputation qu'on voulait
soutenir. Meuris eut la simplicité de se battre avec
un officier inférieur, un jeune homme inconnu qui,
de toute manière, trouvait son compte à croiser
l'épée avec un héros*
Il fut tué le 14 juillet, le jour anniversaire de
la prise de la Bastille, de la naissance de Ta Révo-
lution.
Cruelle douleur pour les hommes de Vincent-la-
Montagne, pour la population nantaise, en général
bonne et généreuse ! que ce pauvre étranger qui avait
si bien servi la ville au jour le plus glorieux de son
Ui MORT DE MEURIS.
histoire, eût quinze jours après péri sous Tépée d'un
Nantais M...
1 Peu de jours après, sa veuve, chargée d^eufknts, adresse une ][>éti-
lion aui autorités. Un garçon, formé par Meuris, faisait aller la pauvre
petite boutique, et soutenait la famille. Madame veuve Meuris demande
qu'il soit exempté du service, ou, comme on le disait, mis en réquisi-
tion pour la bouti(][ue de Meuris. On passa à Tordre du jour. (Collection
de U* Cbèvaz). Le bataillon Meuris, réduit à si peu d'hommes, avait eu
pour récompense nationale une distribution de bas, chemises et sou*
liers. On décida, peu après la mort de son chef, « qu'il serait incor-
poré dans un bataillon mis à la disposition du ministre de la guerre.
C'était le congédier. Les hommes qui le composaient, dont plusieurs
étaient pères de fotoiiUe, ne devaient pas, d'après leur fige» aller à la
frontièrei Au moins^ désiraient-ils, en se retirant, recouvrer leurs effets
perdus à Nort dans cet héroïque combat. On leur répondit sèchement :
« Que placés là par le général, ils avaient combattu comme tout corps
armé pour la République, et non comme troupe nantaise; qu^ils S'adre^
sassent au commissaire des guerres. )» Mais celui-ci ne voulut voir en
eu]t qu^un corps nantais. On rapporta alors l'arrêté honteux et ingrat;
on leur donna espoir de recevoir indemnité ; on promit de délibérer
sur ce qu41 convenait de laisser aux hommes de ce bataillon auxquels
il ne resterait aucun vêtement, si on les dépouillait (de ce qui étidt
à la ville). -«-La Société de Vincent- la-Montagne demandait que ces
trente restés du bataillon eussent un supplément de solde de quinze
sols, leurs femmes de dix, et leurs enfants de cinq. « La loi, répondit-
on, y est contraire. Renvoyé aux représentants. » — Et le même joul^,
on accordait douze mille francs d'indemnité à l'état-major de la garde
nationale. — Si mal traité, le bataillon Meuris se décida à se dissoudre.
Auparavant il eût voulu suspendre son drapeau aux voûtes de Saint-
Pierre, la paroisse du ferblantier. On répondit que les églises ne ser-
vaient plus à ces usages. < Eh bien ! nous le mettrons, dirent-ils, fit la
Société Vincent.» Â quoi le procureur du département fit cette triste
opposition r c Que ce drapeau, payé des deniers des administrés, n'ap-
partenait qu'à eux, et ne pouvait être déposé qu'au département.» Le
général Canclaux rougit pour Tadministration ; il intervint, obUnt que
pour hotiorer la mémoire de Meuris, membre de cette société, le dra«-
BAGO A LA CONVENTION (2 AOUT 95). 143
Voilà un grave obstacle au rapprochement des
partis, aux vues de Philippeaux, qui arrive le
l^'^'août... Le sang de Meuris fume encore.
L'administration girondine avait beaucoup à expier*
Après le 39 juin, et lorsque le péril n*excusait plus
sa dictature, elle l'avait continuée ; elle avait auda*^
ciôusement déclaré le 5 juillet qu'elle fermerait les
portes aux commissaires de la Convention. Elle avait
adhéré aux arrêtés de Rennes ; Beysser, son général
chéri, avait signé l'adhésion. Elle eut lieu de s'en
repentir, lorsque le général Canclaux (ex-marquis, et
craignant d'autant plus d'irriter la Montagne) refusa
de signer ; il commandait l'armée, alors à Ancenis.
Nantes, si elle persévérait, risquait d'avoir contre elle
deux armées de la République , celle de Canclaux et
celle de Biron, fidèles à l'Assemblée» Les Girondins
cédèrent, firent voter la constitution, annonçant tOu>«
tefois par un placard que la Convention devant sortir
bientôt, la constitution subirait une révision immé-^
diate. Le maire Baco, insolent, intrépide, voulut
porter lui-même l'outrage à la Convention. Dans
l'adresse qu'il lui présenta, on exprimait entre autres
vœux, celui « Que la Convention remit bientôt le gou^
vemement à des mains plus heureuses, en sorte qu'on
pût ne plus désespérer du salut de la Patrie^ »
Cette bravade souleva la Montagne. Danton, qui
présidait, répondit sévèrement pour adoucir, en s'y
peau du bataillon y serait déposé, 6t que radministration eil cofps l*y
accompagnerait. » (Archives du dép. de In Loire^Infériêurè.)
i44 PHILIPPEAUX A NANTES (AOUT-SEPT. 95).
associant, l'irritation de T Assemblée, et toutefois il
accordait à la députation les honneurs de la séance.
Nouvelle fureur de la Montagne. « Arrètez-le, » dit
l'un. Et l'autre: « N'est-il pas vrai, Baco, que pen-
dant le siège de Nantes, une maison fermée con-
tenait un repas de douze cents couverts préparé
pour les Vendéens?... » A cette attaque absurde,
Baco ne se connaissant plus, et oubliant où il était :
« Tu en as menti ! » s'écria-i-il. On l'envoya à
l'Abbaye.
Il l'avait bien gagné. Sa blessure, toutefois, qui
n'était pas fermée encore, parlait et réclamait pour
lui.
Coup fatal pour Danton, pour Philippeaux, et qui
rendait la conciliation à peu près impossible.
À la nouvelle de cette arrestation du héros de lu
ville, du bon, du grand Baco^ blessé pour la Patriej il
était fort à craindre que Philippeaux ne fût traité
comme Meuris, tout au moins arrêté.
Philippeaux avait blessé Nantes par trois côtés, en
empêchant l'élargissement aveugle, indistinct des
suspects, en exécutant à la lettre la loi contre les assi-
gnats royaux, une loi enfin sur l'embargo des mar-
chandises. Des lettres anonymes, furieuses, le mena-
çaient de la mort.
Que faisait le grand patriote?... Riez, hommes du
temps.
Riez, dévols perfides qui arrangiez alors les fourbes
vendéennes et l'évèque d'Agra.
Riez, aveugles patriotes, qui croyez que la liberté
SON CATÉCHISME. 146
est une massue, un boulet, qui ne savez pas que
c'est chose de l'âme.
Beaucoup s'en sont moqués. Et nous pourrions en
rire aussi, nous, ennemis des tentatives de compromis
bâtards qu'essayait Philippeaux.
Le pauvre homme, dans ce centre de fanatisme,
entre la barbare et grossière idolâtrie vendéenne et
le matérialisme du scélérat Ronsin, essayait de parler
au cœur : il rédigeait un catéchisme.
Une faible, impuissante conciliation, entre larévo-
lution et le christianisme.
Ce qui dans cette œuvre vaut mieux, ce n'est pas
l'idée, c'est le cœur, c'est la bonne volonté.
L'infortuné doit y périr; et c'est ce qui en fait le
charme moral. On sent que cet honmie généreux va
mourir impuissant sous le faible drapeau qu'il essaie
un moment de soulever entre les partis.
VI.
GHÂPITAË ilL
IlOlIT DB MARATw
(ISjailletél]
Etat moral de Ma^at.— Les Girondins à Gaen (joillet 9S).— Charlotte Corday.—
Lêi Ûsmëiii n^ètfféfti âfictido Ifiililéhôè liir «lié. ^ Sdfi m\i^ t fifk
(if juliiel ra) .»i«» BHrtétD ée ilal«l<^ia n^rt^
L'histoire des Girondins de Nantes, les résistances
qu'ils opposèrent au seul homme qui pût les défendre
et leur sauver Carrier, indique assez dans quelle
ignorance profonde ils étaient de la situation.
Les Girondins de Caen la connaissaient peut-être
moins encore. Ne voyant rien qu'à travers la haine
et la rancune des représentants fugitifs, ils admet-
taient les romans insensés que ceux-ci, égarés par le
malheur, par une sombre imagination, faisaient sur
la Montagne. C'était une chose établie parmi eux, un
ÈfkJ mohal de HAtiAT. i47
étiùthB âMt {Mffsoââé n'aurait ôté douter^ qué Moâ*
ta^àrd était sytibflymë d'Orléaniste, que Robespieffé^
Màrat, IDantotl, étaient dé» agentsf salarié» de la faeiiOA
d'Ofléâns.
Tout Môtitàgnafd ptnit eut était égdlemetit téiYo^
riste. Us ne voyaient pas que beaucoup ne rétaiêfit
què ph,t terreur même, que biéti des tlolents qui
AVAiëât erU potitoir haîf toujours, défaillaient déjh
daffSla hMëi Tels étalerit toys les Dautouistes^ spé-
dlatetÂént Batire m Comité de sûreté générale,
jeudé homme ardent et pur^ mais sans mesure ni
force^ et qui après avoir été loin dans la fureur, alla
très-loin dans l'indulgence, se précipita, se perdit.
Une lettre de Camille Ûesmoulins (dU 10 août)
témoigne de cet état d' esprits Elle est faible, désolée
ei désespérée.
ÙeS hôfflffles de Septembre, Sefgetît, Paûis, som
maintenant des hommes doux^ humains. Des prési-
dest» des Cordelière ou du tribunal Révolutionnaire,
OsâéHrt, RdUSsilfOfl, Motitahé, DobSettt, sofît déVéflUs
des modérés.
Nous avons va oombien^ de mars en juin, Marat
«vaH changée L'ex^prédieateur du pillage poWsoit en
juin ceux qui répètent sèS pâ^lèS; il est Sévér^é, impi-
toyable pour les nouveaux liiarat^ pour Leclerc et
Jacques Roux^
Mâfat â<^aît beau fftir'ô, il allait tnalgfé Idî, p&t la
force invincible de sa situation, à (^écueilô6 périredt
TuDO après l'autre les générations révolutionnaires.
Il Arrivait fatalement à son âge d'indulgence et de
i4S ÉTAT MUUAL DE MARAT.
modération. Il s'agitait en vain, en vaio voulait
rester Marat , dénonçait aujourd'hui tels gêné-*
raux^ demain voulait qu'on mit à prix la tète des
Capets. Plusieurs anecdotes curieuses de ses der-
niers temps le dénoncent et le mettent à nu : il deve-
nait humain ^
S'écartait-il de sa nature, ou y revenait-ilî II avait
eu dans tous les temps d'étranges accès d'humanité.
11 était par moment généreux et sensible. Il sauva
le physicien Charles, son critique et son ennemi.
C'est un problème de savoir s'il aurait conservé sa
^ Peu de gens s*adressèrent à lui, sans s* eu bien trouver. Ou conte
qu^une pauvre fille dont le père allait périr, et qui demandait sa vie,
robtint de Marat eu lui promettant qu'elle se donnerait à lui. Il poussa
répreuve jusqu'au bout, alla au rendez-vous, et la voyant là résignée,
qui attendait dans les larmes et le désespoir, il respecta la fille et
sauva le père. — Barras dit dans ses Mémoires (inéditSy communiqués
par M. H. de Saint- AWin) qu^un jour, rue Saint-Honoré, il vit un
pauvre diable de ci-devant, en habit noir, que le peuple [poursuivait.
Heureusement Marat passait. l\ sauva Thomme d'une manière toute
originale, m Je le connais, dit-il, je connais cet aristocrate. » (n ne
Tavait jamais vu.) Il lui applique un coup de pied : « Voilà qui te cor-
rigera. » Tout le monde se mit à rire. On s*en alla convaincu que*
comme les anciens rois qui touchaient les écrouelles, FÀmi du peuple,
d*un coup de pied, guérissait l'aristocratie. — Parmi une infinité de
déclamations fades, autant que violentes, il y a plus d'un passage dans
ses journaux qui indiquent un amour sincère, ardent, de Thumanité*
Je me rappelle entre autres (44 juin 90 ou 94 ) un passage sur la pos-
sibilité d^ établir des lits dans les couvents devenus biens nationaux
pour les indigents mariés ; il y a visiblement une impatience ardente,
une vivacité de sentiment qui touche beaucoup. Je pensais, en le lisant,
aux mots de la Palatine, cités parBossuet, mots naïfs d'humanité sainte :
« Vite ! vite 1 Mettons ces trois pauvres vieilles dans ces petits lits. »
popufauité dus 9QD rôle nonvean de modératoir
et «TarlHlre. Le seul homme poorlant qui pût hi-
sardCT de le preodre, c'était lui sans nul doote^ Avec
quelle foroe et quelle artorrté am'ait-il proposé ce qui
perdit DtaotOQ et Desmoalios : le €omité de la clé-
milice?
Ums reveooDS aa Calvadcts.
L'igowaoce, nous TaTODS dit, y était complètes On
en était comme aa 10 mars, (hi croyait que Marat
menait tout, faisait tout. Marat était le nom commua,
sous lequel on plaçait tous les crimes réels on pos-
sibles. On arrêta an homme à Caeo, suspect d^acca-
parer l'argent pour le compte de Mûrat.
Chose puérile, qu^on hésite à dire, mais qui peint
la légèreté aveugle des haines, on mêlait Tolontiers
dans les imprécations publiques (pour la rime peut-
être), les noms de Marai et Garât; les Girondins con-
fondaient avec Tapôtre du meurtre cet homme faible
et doux, qui. à ce moment même, voulait venir à eux
et traiter avec eux.
Le dimanche 7 juillet^ on avait battu la générale
et réuni sur l'immense tapis vert de la prairie de
Gaen les volontaires qui partaient pour Paris, po^ir la
gtterre de Marat. Il en vint trente. Les belles dames
qui se trouvaient là avec les députés étaient surprises
et mal édifiées de ce petit nombre. Une demoiselle,
entre autres, paraissait profondément triste : c'était
M*i« Marie-Charlotte Corday d'Armont, jeune et belle
personne, républicaine, de famille noble et pauvre,
qpi vivait à Ci§p ftveç ça tantp. Pétion, qqi Vftvftjt vHg
quelquefois, supposa qu'ie.)le avait là saps dqutp qxJieU
qu§ gmant dont le déport l'attristait, Il l'ep plaisnota
lourdement, disant : ^ Vous auriez bi^n dp ohWw^
n' est-il pas vrai, s'ils ne parlaieqt pas? i
Le Girondin blasé après tant d'événements ne devir
naitpas le sentiment neuf et vierge, la flamme ardente
qui possédait ce jeune cœur. 11 ne savait pas que ses
discours et ceux de ses amis, qui, dan$ la t>ouohe
d'hommes finis, n'étaient que des discours, dans le
cœurdeM"' Corday étaient ladeslinée, la vie, la mort*
Sur cette prairie de Caen, qui peut recevoir cept mille
hommes et qui n'en avait que trente, elle avait vu um
chose que personne ne voyait : la Patrie abandonn^'^^
Les hompoes faisant si peu, elle entra en pette pen-
sée qu'il fallait la main d'une femme,
M'*® Corday se trouvait être d'une bien grapcle
noblesse ; la trôs^proche parente des héroïnes de Cor*
nçille, de Chimène, de Pauline et de la sœur d'Horaoe.
ÎJlle était l'arrière-petite-nièce de l'auteur de Citma,
Le sublime en elle était la nature.
Dans sa dernière lettre de mort, elle fait assez
çptendre tout ce qui fut dans son esprit : elle dit tout
d^un mot, qu'elle répète lans cesse : « Lapawlh
paix! »
Sublime et raisonneuse , comme son oncle, à 1^
normande, elle fit ce raisonnement : La Loi est la
Paix même. Qui a tué la Loi au 2 juin? Marat sur-
tout. Le meurtrier de la Loi tué, la Paix va refleurir.
La mort d'un seul sera la vie de tous.
Tilte fut io^i$ i» penséç, Pour S4 vie, à plie-
même, qH'ello (ÏPQnait, elle n'y songea point
Pwsée élroitç, wUntquç haute, Elle vjttoutenuft
hooim©} dans le SI d'une vie, elle crut couper celui
(}@ »Q» mauv^i^çg destinées, nettement, sioiplcment,
comme elle coupait, fiHe Uborieuse, celui de §on
fwseî^H.
Qu'on ne croie pas voir en M*'' Corday une virjigo
farouche qvii ne comptait pour rie» le sang. Tout aw
contraire, ce fut pour l'épargner qu'elle se décida
k frapper ce coup. Elle crut sauver tout nn monde
en externtioftnt l'exterminateur. Elle avait un cœur
de femme, tendre et doux. L'acte qu'elle s'imposa
fuit m aete de pitié.
Dans l'unique portrait qui reste d'elle, et qu'on A
&it au moment de sa mort, on sent son ej^trôraf^
^u€«uF. Rieo qui soit moins en rapport avec le
sanglant souvenir que rappelle son nom, C'est la
figure d'une jeune demoiselle normande, Cgure
vi#pge, s'il en fut, l'éclat doux du pommier en fleur^
Elle parait beaucoup plus jeune que son âge de
viogt-cinq ans. On croit entendra sa voix un peu
enfaotine, les mots marne qu'elle écrivit k son père,
dans rorlbograpbi qui représente la prononciation
traînante de Normandie : « Pardonnais-moi, mon
papa. p. »
Dans ce tragique portrait, elle parait infiniment
sensée, raisonnable, sérieuse, comme sont les fenimes
de son pays. Prend-elle légèrenient son sort? point du
tout, il n'y a rien là du fauji héroïsme. Il faut songer
152 CHARLOTTE
qu'elle était à une demi-heure de la terrible épreuve.
N'a-t-elle pas un peu de l'enfant boudeur? Je le
croirais; en regardant bien, l'on surprend sur sa
lèvre un léger mouvement, àpeine une petite moue...
Quoi! si peu d'irritation contre la mort!... contre
l'ennemi barbare qui va trancher cette charmante
vie, tant d'amours et de romans possibles. On est
renversé, de la voir si douce ; le cœur échappe, les
yeux s'obscurcissent, il faut regarder ailleurs.
Le peintre a créé pour les hommes un désespoir,
un regret éternel. Nul qui puisse la voir sans dire en
son cœur : «Oh ! que je sois né si tard ! ... Oh ! combien
je l'aurais aimée ! ))
Elle a les cheveux cendrés, du plus doux reflet;
bonnet blanc et robe blanche. Est-ce en signe de son
innocence et comme justification visible? je ne sais.
11 y a dans ses yeux du doute et de la tristesse. Triste
de son sort , je ne le crois pas , mais de son acte,
peut-être... Le plus ferme qui frappe un tel coup,
quelle que soit sa foi, voit souvent, au dernier mo-
ment, s'élever d'étranges doutes.
En regardant bien dans ses yeux tristes et doux ,
on sent encore une chose, qui peut-être explique
toute sa destinée : Elle avait tovjours été seule.
Oui, c'est là l'unique chose qu'on trouve peu ras-
surante en elle. Dans cet être charmant et bon, il y
eut cette sinistre puissance : le démon de la solitude.
D'abord, elle n'eut pas de mère. La sienne mourut
de bonne heure; elle ne connut point les caresses
maternelles; elle n'eut point dans ses premières
CORDAY. 153
années ce doux lait de femme que rien ne supplée.
Elle n'eut pas de père, à vrai dire. Le sien, pauvre
noble de campagne, tête ulopique et romanesque,
qui écrivait contre les abus dont la noblesse vivait^
s'occupait beaucoup de ses livres, peu de ses enfants.
On peut dire même qu'elle n'eut pas de frère. Du
moins, les deux qu'elle avait étaient, en 92, si par-
faitement éloignés des opinions de leur sœur, qu'ils
allèrent rejoindre l'armée de Condé.
Admise à treize ans au couvent de l'Âbbaye-aux-
Dames de Caen , où l'on recevait lesûlles de la pauvre
noblesse, n'y fut-elle pas seule encore? On peut le
croire, quand on sait combien , dans ces asiles reli-
gieux qui sembleraient devoir être les sanctuaires de
l'égalité chrétienne, les riches méprisent les pau-
vres. Nul lieu, plus que l'Abbaye-aux- Dames, ne
semble propre à conserver les traditions de l'orgueil.
Fondée par Mathilde, la femme de Guillaume-le-
Conquérant, elle domine la ville, et dans Teffort
de ses voûtes romanes, haussées et surexhaussées ,
elle porte encore écrite Tinsolence féodale.
L'âme de la jeune Charlotte chercha son premier
asile dans la dévotion , dans les douces amitiés de
cloître. Elle aima surtout deux demoiselles, nobles
et pauvres comme elle. Elle entrevit aussi le monde.
Une société fort mondaine des jeunes gens de la
noblesse était admise au parloir du couvent et dans
les salons de l'abbesse. Leur futilité dut contribuer à
fortifier le cœur viril de la jeune fille dans l'éloigne-
ment du monde et le goût de la solitude.
m LES QI|iûKP)NS
§6S vrai^ aiiiis ôlaieoi ses livres, J^a pbilpsppbi# dw
siècle (3nya])is$ait lep cQuvents» j[^eçli)r@^ fortuH^g et
pibq choisies, Rayoal pêla-môIe avac Rpiiss^au. ««Sa'
tête, dit wn JQur.naliî^te, ijtftit «ne fHrip de lectures
dç toylep sortes, t
Elle ^tait de celles qui petiveoi traverser impuné-
iqeDt les livres et les opinions mm que l^ur pureté
es soit altérée, EUe garda, daps la scieBce du Vwn
et du mal, un don singulier dé virginité morale et
comme d'enfance. Cela apparaissait surtout d^ns les
intonations d'une voix presque enfantine, d'un timbre
argentin, où l'on sentait parfai témoin t que la personne
étftit entière, que rjen encore n'avait fléchi. On pou-
vait oublier peut'-étre les traits de M'*- Corday, mstis
sa voii^ jamais? Une personne qui Tentendit une foi»
k Çaen, dans une occasion sans importance, dix ans
après, avait encore dans l'oreille cette voi?;; unique,
et Veut pu noter.
Celte prolongation d'enfance fut une sinsil^rité
de Jeauuc d'Arc, qui resta une petite fiU^ et ne fut
jamais yne femme^
Ce qui plus qu'aucuqe chose rendait M"^ Corday
irès^frappante, impossible à oublier, c'est que cette
voii enfantine était unie à une beauté sérieuse, virile
par réimpression, quoique délicate par les traits- Ce
contraste avait Teffet double et de séduire et d'impo-
ser. On regardait, on approchait, mais dans cette
fleur du temps, quelque chose intimidait qui n'était
nullement du temps, mais de l'immortalité. Elle y
allait et la voulait* lilUe vivait déjà entre les héros
N*EURENT AUCUVe IJH^l^URNCE SUR ELLE. [f^
ÛmSt r^lysée de Plutarque, parmi ceu^ qui donijè-
Tm\ Ipur i^ii3 pour vivre élernellewiçaU
l^p GiroodiB? n'^uroqt sur elle mwm influepcit
l^ pJupiirt, nous rftvpn$ vu, avaient cessé d'étrç eui^
m^msp* SHe vit d^ux foi» Barbarou^^ comme député
de Provence, pour avoir de lui une lettre et solliciter
raffaire d'une d9 se» amies de famillQ provençale*
JËJle avftit vu ftujsii Faucl^et, Tévéquo du Calvados;
elle l'aimait peu, TestiDiait peu, aomme prêtre, et
comme prêtre immoral. Il est iqutUe de dire que
W Cordfty n'était m rapport avec aucun prôtre, et
ne »Q confessait jamaia.
 la suppression de» couvepts, trouvant »on père
remarié, elle s'était réfugiée à Caen chez une vieille
tantç, M"'* de Brpteville. Et c'est là qu'elle prit sa
résolution.
t Lçs biftlorlen^ roiiiftQ««qae9 ae lienRffiit janaia qaitte leur héroïnt,
$Qi.i)f fi§a]f#r df prouvât qy'çlle a dû être ?P9QU|r9Mse. CeU^t^ci prob^?
blemept, disent-ils, Taura été de Barbaroux. D'autres^ sur un ipot
d^une vieille servante, ont imaginé un certain Franquelin, jeune homme
sensible et bien tourné, qui aurait eu Tinsigne honneur d-étre aimé de
MMf Cerdaj et de in% OQftter dei larineç. Ceat peu eoQnatiN la naioie
humaine. De tels actes supposent Taastère virginité 4u Ccei\X Si H
prêtresse de Tauride savait çnfoncer le çouteaq, c*est que nul ainour
humain n*avait amolli son cœur. — Le plus absurde de tous, c*est
Wimpfen, qui la fai( d'abord royaliste! amoureuse du royaliste Bel-*
zuoe^ I (^ blipe de WiwpffQ pour les Girondins qui repoussèreut lea
propositip^ d'appiele rV Anglais septbie lui faire perdre T^sprit. Il v|
jusqu^à supposer que le pauvre homme Péiion, à moitié mort, qui n*a-
vait plus qu*une idée, ses enfants, sa femme, voulait... (devinez!...)
bnUêr Ciicn, pour (aiputer ensuite ee criine à la Montagne ! Tout le
reste est de celte force.
156 SON ARRIVÉE
La prit-elle sans hésitation? non; elle fut retenue
un moment par la pensée de sa tante, de cette bonne
vieille dame qui la recueillait, et qu'en récompense
elle allait cruellement compromettre... Sa tante, un
jour, surprit dans ses yeux une larme : « Je pleure,
dit elle, sur la France, sur mes parents et sur vous...
Tant que Marat vit, qui est sûr de vivre? »
Elle distribua ses livres, sauf un volume de Plu-
tarque qu'elle emporta avec elle. Elle rencontra dans
la cour l'enfant d'un ouvrier qui logeait dans la mai-
son ; elle lui donna son carton de dessin, l'embrassa,
et laissa tomber une larme encore sur sa joue
Deux larmes ! assez pour la nature.
Charlotte Corday ne crut pouvoir quitter la vie
sans d'abord aller saluer son père encore une fois.
Elle le vit à Argentan, et reçut sa bénédiction. De
là, elle alla à Paris dans une voiture publique, en
compagnie de quelques Montagnards, grands admi-
rateurs de Marat, qui commencèrent tout d'abord
par être amoureux d'elle et lui demander sa main.
Elle faisait semblant de dormir, souriait, et jouait
avec un enfant.
Elle arriva à Paris le jeudi 11, vers midi, et alla
descendre dans la rue des Yieux-Augustins, n"* 17, à
rhôtel de la Providence. Elle se coucha à cinq heures
du soir, et fatiguée dormit jusqu'au lendemain du
sommeil de la jeunesse et d'une conscience paisible.
Son sacrifice était fait, sou acte accompli en pensée ;
elle n'avait ni trouble, ni doute.
A PARÎSdl JUILLET 93}. 157
Elle était si fixe dans son projet, qu'elle ue sentait
pas le besoin de précipiter l'exécution. Elle s'occupa
tranquillement de remplir préalablement un devoir
d'amitié, qui avait été le prétexte de son voyage à
Paris. Elle avait obtenu à Caen une lettre de Barba-
roux pour son collègue Duperret^ voulant, disait-
elle , par son entremise , retirer du ministère de
l'intérieur des pièces utiles à son amie, M""" Forbin,
émigrée.
Le matin, elle ne trouva pas Duperret, qui était à
la Convention. Elle rentra chez elle, et passa le jour à
lire tranquillement les Vies de Plutarque, la bible des
forts. Le soir, elle retourna chez le député, le trouva
à table, avec sa famille, ses filles inquiètes. Il lui
promit obligeamment de la conduire le lendemain.
Elle s'émut en voyant cette famille qu'elle allait com-
promettre, et dit à Duperret d'une voix presque sup-
pliante : « Croyez-moi, partez pour Caen; fuyez
avant demain soir. » La nuit même, et peut-être
pendant que Charlotte parlait, Duperret était déjà
proscrit ou du moins bien près de l'être. Il ne lui
tint pas moins parole, la mena le lendemain matin
chez le ministre, qui ne recevait point, et lui fit enfin
comprendre que, suspects tous deux, ils ne pouvaient
guère servir la demoiselle émigrée.
Elle ne rentra chez elle que pour éconduire Du-
perret qui l'accompagnait, sortit sur-le-champ, et se
fit indiquer le Palais-Royal. Dans ce jardin plein de
soleil, égayé d'une foule riante, et parmi les jeux
des enfants, elle chercha, trouva un coutelier, et
i4S ÉTAT NOHAL DE MARAT.
modération. Il s'agitait en vain, en vain voulait
rester Marat , dénonçait aujourd'hui tels gêné-*
raux, demain voulait qu'on mît à prix la tête des
Capets. Plusieurs anecdotes curieuses de ses der-
niers temps le dénoncent et le mettent à nu : il deve-
nait humain ^
S'écartait-il de sa nature, ou y revenait-il? Il avait
eu dans tous les temps d'étranges accès d'humanité,
li était par moment généreux et sensible. Il sauva
le physicien Charles, son critique et son ennemi.
C'est un problème de savoir s'il aurait conservé sa
1 Peu de gens s* adressèrent à lui, sans s* en bien trouver. On conte
qu^une pauvre fille dont le père allait périr, et qui demandait sa vie,
roblint de Marat eu lui promettant qu*elle se donnerait à lui. l\ poussa
répreuve jusqu'au bout, alla au rendez-vous, et la voyant là résignée,
qui attendait dans les larmes et le désespoir, il respecta la fille et
sauva le père. — Barras dit dans ses Mémoires {inédits y communiqués
par M, H, de Saint- AWin) qu^un jour, rue Saint-Honoré, il vit an
pauvre diable de ci-devant, en babit noir, que le peuple {poursuivait.
Heureusement Marat passait. Il sauva Thomme d*une manière toute
originale. « Je le connais, dit-il, je connais cet aristocrate. » (U ne
Pavait jamais vu.) U lui applique un coup de pied : « Voilà qui te cor-
rigera. » Tout le monde se mit à rire. On s'en alla convaincu que»
comme les anciens rois qui touchaient les écrouelles, r Ami du peuple,
d'un coup de pied, guérissait Taristocratie. — Parmi une infinité de
déclamations fades, autant que violentes, il y a plus d'un passage dans
ses journaux qui indiquent un amour sincère, ardent, de rhumanité*
Je me rappelle entre autres (44 juin 90 ou 94 ) un passage sur la pos-
sibilité d^ établir des lits dans les couvents devenus biens nationaux
pour les indigents mariés ; il y a visiblement une impatience ardente,
me vivacité de sentiment qui touche beaucoup. Je pensais, en le lisant,
aux mots de la Palatine, cités par Bossuet, mots naïfs d'humanité sainte :
c Vite ! vite 1 Mettons ces trois pauvres vieilles dans ces petits lits. »
LES GIRONDINS A GAEN (JUILLET 95). 149
popularité dans son rôle nouveau de modérateur
et d'arbitre. Le seul homme pourtant qui pût ha-
sarder de le prendre, c'était lui sans nul doute. Avec
quelle force et quelle autorité aurait-il proposé ce qui
perdit Danton et Desmoulins : le Comité de la clé-
mence?
Mais revenons au Calvados.
L'ignorance, nous Tavons dit, y était complète. On
en était comme au 10 mars. On croyait que Marat
menait tout, faisait tout. Marat était le nom commun,
sous lequel on plaçait tous les crimes réels ou pos-
sibles. On arrêta un homme à Caen, suspect d'acca-
parer l'argent pour le compte de Marat.
Chose puérile, qu'on hésite à dire, mais qui peint
la légèreté aveugle des haines, on mêlait volontiers
dans les imprécations publiques (pour la rime peut-
être), les noms de Marat et Garât; les Girondins con-
fondaient avec l'apôtre du meurtre cet homme faible
et doux, qui, à ce moment même, voulait venir à eux
et traiter avec eux.
Le dimanche 7 juillet^ on avait battu la générale
et réuni sur l'immense tapis vert de la prairie de
Caen les volontaires qui partaient pour Paris, pour la
guerre de Marat, Il en vint trente. Les belles dames
qui se trouvaient là avec les députés étaient surprises
et mal édifiées de ce petit nombre. Une demoiselle,
entre autres, paraissait profondément triste : c'était
M*i« Marie-Charlotte Corday d'Armont, jeune et belle
personne, républicaine, de famille noble et pauvre,
qpi vivait h Cq«p «veç §a tautp. Pétioq, gqi rpsit VHg
quelquefois, supposa qu'elle avait \k saus dout^ gMeW
qu§ sm^nt dont le départ rattristait, Il Yen plaisunia
lourdement, disant : ^ Vous ^xnvm hm d^ çhagrjf),
u'esl-il pas vrai, s'ils ne parlaient pas? ?
Le Girondin blasé après tant d'événements n^i dpvU
naitpas le sentiuient neuf et vierge, la flamme ardente
qui possédait ce jeune cœur. 11 ne savait pas que ses
discours et ceux de ses amis, qui, dans h tH)uohe
d'hommes finis, n'étaient que des discours, dans le
coeurdeM""* Corday étaient ladeslinée, la vie, la mort
Sur celte prairie de Caen, qui peut recevoir cept mille
hommes et qui n'en avait que trente, elle avait vu une
chose que personne ne voyait : la Patrie abm(ionn^'$.
Les hommes faisant si peu, elle entra en cette pen-
sée qu'il fallait U main d'une femme,
M**® Corday se trouvait être d'une bien grande
noblesse ; la très^proche parente des héroïnes de Cor^
nçille, de Chimène, de Pauline et de la sœur d'Horaoe.
Elle était l'arrière-petite-nièce de l'auteur de Citma,
Le sublime en elle était la nature.
P^ns sa dernière lettre de mort, elle fait assez
^«tendre tout ce qui fut dans son esprit : elle dit tout
d^un mgt, qu'elle répète lans cesse : a Lapawlla
paix! )»
Sublime et raisonneuse , comme son oncle, à \%
normande, elle fit ce raisonnement : La Loi est la
Paix même. Qui a tué la Loi au 2 juin? Marat sur-
tout. Le u^eurtrier de la Loi tué , la Paix va refleurir.
La mort d'un seul sera la vie de tous.
Tilte fut toi}l# m penséi?, Pour »4 vie, à plie-
même, qH'ello donnait, elle n'y songea point
Pw*éeélFoit#, wiantquç hftute, Elle vit touten m
hooim©} dans le SI d'une vie, elle crut couper celui
d@ nos mauvaiw^ destinées, nettement, sioipicment,
comme elle coupait, fiHe lahorieuse, celui de wn
fwseî^H.
Qu'pq ne croie pas voir en M'^ Corday une virago
farouche qvii ne comptait pour rien le sang. Tout aw
çQOtrairei ce fut pour l'épargner qu'elle se décida
k frapper ce coup. Elle crut sauver tout nn monde
en externtioftnt l'exterminateur. Elle avait un cœur
de femme, tendre et doux. L'acte qu'elle s'imposa
fut unaotede pitié.
Dans l'unique portrait qui reste d'elle, et qu'on a
&it au mopaent de sa mort, on sent son e?^trêm9
dou€«uF. Ri^o qui soit moins en rapport avec le
sanglant souvenir que rappelle son nom, C'est la
figure d'une jeune demoiselle normande, figure
vi#pge, s'il en fut, l'éclat doux du pommier en fleur.-
Elle parait beaucoup plus jeune que son âge de
viogt-cinq ans. On croit entendra sa m% un peu
anfaotine, les mots marne qu'elle écrivit à son père,
dans rorlbograpbe qui représente la prononciation
traînante de Normandie ; « Pardonnais^mpi , mon
papao. »
Dans ce tragique portrait, elle paraît infiniment
sensée, raisonnable, sérieuse, comme sont les feqomes
de son pays. Prend-ellelégèrernent son sort? point du
tout, il n'y a rien là du fau^^ béroïsnje. Il faut songer
152 CHARLOTTE
qu'elle était à une demi-heure de la terrible épreuve.
N'a-t-elle pas un peu de l'enfant boudeur? Je le
croirais; en regardant bien, l'on surprend sur sa
lèvre un léger mouvement, àpeine une petite moue. ..
Quoi! si peu d'irritation contre la mort!... contre
l'ennemi barbare qui va trancher cette charmante
vie, tant d'amours et de romans possibles. On est
renversé, de la voir si douce ; le cœur échappe, les
yeux s'obscurcissent, il faut regarder ailleurs.
Le peintre a créé pour les hommes un désespoir,
un regret éternel. Nul qui puisse la voir sans dire en
son cœur : «Oh ! que je sois né si tard! . ..Oh ! combien
je l'aurais aimée ! ))
Elle a les cheveux cendrés, du plus doux reflet;
bonnet blanc et robe blanche. Est-ce en signe de son
innocence et comme justification visible? je ne sais.
11 y a dans ses yeux du doute et de la tristesse. Triste
de son sort, je ne le crois pas, mais de son acte,
peut-être... Le plus ferme qui frappe un tel coup,
quelle que soit sa foi, voit souvent, au dernier mo-
ment, s'élever d'étranges doutes.
En regardant bien dans ses yeux tristes et doux y
on sent encore une chose, qui peut-être explique
toute sa destinée : Elle avait tovjours été seule.
Oui, c'est là l'unique chose qu'on trouve peu ras-
surante en elle. Dans cet être charmant et bon, il y
eut cette sinistre puissance : le démon de la solitude.
D'abord, elle n'eut pas de mère. La sienne mourut
de bonne heure; elle ne connut point les caresses
maternelles; elle n'eut point dans ses premières
GORDAY. 153
années ce doux lait de femme que rien ne supplée.
Elle n'eut pas de père, à vrai dire. Le sien, pauvre
noble de campagne, tête ulopique et romanesque^
qui écrivait contre les abus dont la noblesse vivait,
s'occupait beaucoup de ses livres, peu de ses enfants.
On peut dire même qu'elle n'eut pas de frère. Du
moins, les deux qu'elle avait étaient, en 92, si par-
faitement éloignés des opinions de leur sœur, qu'ils
allèrent rejoindre l'armée de Condé.
Admise à treize ans au couvent de l'Âbbaye-aux-
Dames de Caen , où l'on recevait lesfllles de la pauvre
noblesse, n'y fut-elle pas seule encore? On peut le
croire, quand on sait combien , dans ces asiles reli-
gieux qui sembleraient devoir être les sanctuaires de
l'égalité chrétienne, les riches méprisent les pau-
vres. Nul lieu, plus que l'Abbaye-aux- Dames, ne
semble propre à conserver les traditions de l'orgueil.
Fondée par Mathilde, la femme de Guillaume-le-
Conquérant, elle domine la ville, et dans Teffort
de ses voûtes romanes, haussées et surexhaussées ,
elle porte encore écrile Tinsolence féodale.
L'âme de la jeune Charlotte chercha son premier
asile dans la dévotion , dans les douces amitiés de
cloître. Elle aima surtout deux demoiselles, nobles
et pauvres comme elle. Elle entrevit aussi le monde.
Une société fort mondaine des jeunes gens de la
noblesse était admise au parloir du couvent et dans
les salons de l'abbesse. Leur futilité dut contribuer à
fortifier le cœur viril de la jeune fille dans l'éloigne-
ment du monde et le goût de la solitude.
m LES ai)\ÛKP)NS
§6S vrai§ ami3 ôtaieot ses livras, J^a pbilpsppbi# dw
siècle (invabissait l^p cpuvents, jf^eçliirep fortwHfg et
pibq choisies, Jiayi)al pêla-méle avac Rousseau. ««Sa'
tête, dit lin journaliita, était «ne furie de lecture^
de tpyte§ sortes, t
Elle ^tait de celles qui peuvent traverser iropuné-
inent les livres et les opinions sans que leur pnrelé
QS soit altérée, Elle garda, dans la science du bien
et du mal, un don singulier dp virginité morale et
comme d'enfance, Cela apparaissait surtout dans les
intonations d'une voix presque enfantine, d'un timbre
argentin, où l'on sentait parfaitement que la personne
était entière, que rjen encore n'avait fléchi, On pou-
vait oublier peut-être Ips traits de W^^ Corday, mais
sa voiî^ jamaiSî Une personne qui l'entendit une fois
k Çaen, dans une occasion sans importance, dix ans
après, avait encore dans l'oreille cette vpi);; uniqH»,
et Veut pu noter.
Celte prolongation d'enfance fut une sin»}l*rité
de Jeanne d'Arc, qui re^^ta une petite fille et ne fut
jamais une femme«
Ce qui plus qu'aucune chose rendait W^^ Corday
irès-«frappante, impossible à oublier, c'est que cette
voix enfantine était unie à une beauté sérieuse, virile
par réimpression, quoique délicate par les traits. Ce
contraste avait Teffet double et de séduire et d'impo-
ser. On regardait, on approchait, mais dans cette
fleur du temps, quelque chose intimidait qui n'était
nullement du temps, mais de Timmorlalité. Elle y
allait et la voulait* Elle vivait déjà entre les héros
N*EURENT kVCUm I^^l^^RKCE SUR ELLE. [^
dans r^lysée de Plutarque, parmi ceu^ qui donijè-
re»t Ipur viia pour vivre éternellew^aU
|.6p GJrQpdJB? fl^uroqt swr elle aucune influenc#t
ï^ plHpwt, nous TRYon^ vu, avaient cessé d'êtrç ^^%^
m4n?@fi* £11^ vit ^Qux foi» Barbarou^ ^ comme député
de Provence, pour avoir de lui une leltF« et sollicitar
TaiTaire d'une d9 se» amies d^ famille provençale*
JËlle avait vu au«çi Faucl^el, révoque du Calvados;
elle Tairoait peu, l'estinmit peu, comme prêtre, et
comme prêtre immoral. Il est iuutHe de dire que
M'*^ Corday n'était en rapport avec aucuu prôtre, et
m »Q capfessait jamais.
 la suppressioa des couvepts, trouvant sou père
remarié, elle s'était réfugiée à Caen chez une vieille
tantç, M'"* dç Brçteville. Et c'est là qu'elle prit sa
résolution.
t Lçs bistorleR^ roiiiftQ««qae9 ne lienacnt janaia quitte leur héroïne,
$Qii)f f#§3]^#r4f prouver qy'çlle ^ dA être ^moup^iyse. Cell^rci prob^?
l^Iemept, disent-jls, Taura été de Barbaroux. D'autres^ sur un ipot
d^une vieille serTanle, ont imaginé un certain Franquelin, jeune homme
sensible et bien tourné, qui aurait eu l'insigne honneur d^étre aimé de
MUf Cerdaj et ie Iqi ooftter dei larroeç. C*e6t peu coonaltM la natuit
humaine. De tels actes supposent Faustère virginité 4u ÇQ^MV Si H
prêtresse de Tauride savait çnfoncer le çouteaq, c^est que nul arnour
humain n'avait amolli son cœur. — Le plus absurde de tous, c'est
Wimpfen, qui la fait d'abord royaliste ! amoureuse du royaliste Bel-
zuoef^l Ifi blip9 de Wiwpf^Q pour les Girondins qui repoussèrent f^s
propositipp^ d'appelé rV Anglais septble lui faire perdre Tespri^ Il VI
jusqu'à supposer que le pauvre homme Pétion, à moitié mort, qui n'a«-
vait plus qu'une idée, ses enfants, sa femme, voulait... (devinez!...)
brûler Cocn, pour (aiputer ensuite ee crline à la Montagne ! Tout le
reste est de cette force.
i56 SON ARRIVÉE
La prit-elle sans hésitation? non; elle fut retenue
un moment par la pensée de sa tante, de cette bonne
vieille dame qui la recueillait, et qu'en récompense
elle allait cruellement compromettre... Sa tante, un
jour, surprit dans ses yeux une larme : « Je pleure,
dit elle, sur la France, sur mes parents et sur vous...
Tant que Marat vit, qui est sûr de vivre? »
Elle distribua ses livres, sauf un volume de Plu-
tarque qu'elle emporta avec elle. Elle rencontra dans
la cour l'enfant d'un ouvrier qui logeait dans la mai-
son ; elle lui donna son carton de dessin, l'embrassa»
et laissa tomber une larme encore sur sa joue.....
Deux larmes ! assez pour la nature.
Charlotte Corday ne crut pouvoir quitter la vie
sans d'abord aller saluer son père encore une fois.
Elle le vit à Argentan, et reçut sa bénédiction. De
là, elle alla à Paris dans une voiture publique, en
compagnie de quelques Montagnards, grands admi-
rateurs de Marat, qui commencèrent tout d'abord
par être amoureux d'elle et lui demander sa main*
Elle faisait semblant de dormir, souriait, et jouait
avec un enfant.
Elle arriva à Paris le jeudi 1 1 , vers midi, et alla
descendre dans la rue des Vieux-Augustins, n* 17, à
rhôtel de la Providence. Elle se coucha à cinq heures
du soir, et fatiguée dormit jusqu'au lendemain du
sommeil de la jeunesse et d'une conscience paisible.
Son sacrifice était fait, sou acte accompli en pensée ;
elle n'avait ni trouble, ni doute.
A PARTS (ii JUILLET 93). 157
Elle était si fixe dans sod projet, qu'elle ne sentait
pas le besoin de précipiter l'exécution. Elle s'occupa
tranquillement de remplir préalablement un devoir
d'amitié, qui avait été le prétexte de son voyage à
Paris. Elle avait obtenu à Caen une lettre de Barba-
roux pour son collègue Duperret, voulant, disait-
elle , par son entremise , retirer du ministère de
l'intérieur des pièces utiles à son amie, M"* Forbin,
émigrée.
Le matin, elle ne trouva pas Duperrel, qui était à
la Convention. Elle rentra chez elle, et passa le jour à
lire tranquillement les Vies de Plutarque, la bible des
forts. Le soir, elle retourna chez le député, le trouva
à table, avec sa famille, ses filles inquiètes. Il lui
promit obligeamment de la conduire le lendemain.
Elle s'émut en voyant cette famille qu'elle allait com-
promettre, et dit à Duperret d'une voix presque sup-
pliante : « Croyez-moi, partez pour Caen; fuyez
avant demain soir. » La nuit même, et peut-être
pendant que Charlotte parlait, Duperret était déjà
proscrit ou du moins bien près de l'être. Il ne lui
tint pas moins parole, la mena le lendemain matin
chez le ministre, qui ne recevait point, et lui fit enfin
comprendre que, suspects tous deux, ils ne pouvaient
guère servir la demoiselle émigrée.
Elle ne rentra chez elle que pour éconduire Du-
perret qui l'accompagnait, sortit sur-le-champ, et se
fit indiquer le Palais-Royal. Dans ce jardin plein de
soleil, égayé d'une foule riante, et parmi les jeux
des enfants, elle chercha, trouva un coutelier, et
m tk maimm
acheta qoàrà&tD souti uii côuteati, ft&ïi émoulu, à
Oiàiiche d'êbèné, t|U*éll6 câôha âôtii É(m ficbu.
I.ft voilà en {tos^eisiôft dé mu armé i èùmtnétit i'éû
servira^t-éllë? Elle eût voulu admet Une gi^tldé
SOléOtlité à l'ètécutiofl du jugétfieât ({ti"é\e ftVâit
pmé aûf Mafat. Sa première idée , Celle qu'elle
eonçiit à caen, qu'elle <!ôuva, qu'elle apiK)rtfl à PaHs,
dit été d'utie itlise eâ scène salsi^si&titè et dratriatiqde.
Elle voulait le frapper au Cbamp-de-Mars, paf-délfttdt
le peuple, par-devant le ciel, ^ la SOleUtlité du 14
juillet, putilr, au jour atitiiveriâire de la défaite dé la
royauté. Ce roi de l'afiarcbie. Elle eât ace6inpli à la
lettre, en vraie nièce de Corueilie, les fauieux ters
de Cinliâ :
Deitiaift âb Géipitèilë It ftttt tiA Méfitide...
Qu'il en Mit la tictitnë, et ftli««Us «il m lieitl
Justice au m»Bd« enUer, à 1» foce d«t Dieux.
La fête étaut ajournée^ elle adoptait une «utft
idée, celle d@ pUnlr Marat au lieu ffiôme de im
ofioM, au lieu oh, brisant la repfésehtatiot) tiatidoMl»,
il avait dicté le tote de la GonteutiOn^ dédl^Ué emï-êi
pour la vie^ coux'^lb pour la mort. Elle l'aurait ffappê
au sommet de la Moûtague. Mais Mâfat était mâladd{
il û' allait plus à l'Assemblée.
Il follait doue aller obe^ liti$ le êberober à soft
foy«r, y péttétfer k tmvers la surveillance inquiète dé
coufc qui l'efltouraièut; il fallait^ eh6se péfiibie^ êtt^
trer eti tappdrt avee lai^ lé (fOtiipef. C'est fa setilè
flE «AltAt. 41»
chose qtii lili ait coûté, qui lui Ait laissé Utl scrapule
et ilil fedldi'dâ.
hé premlef billet qu'elle écrivit à Mai^t resta sâos
répotise. Elle êû éùfitit alors m secdtid, où se mar-
qué une sorte d'impatience, le progrés de la passiou.
Elle ta jusqu'à dire i « Qu'elle lut révélera des se^
erets; qu'elle est persécutée, qu'elle est tbalheu^-
reusé... », m craigtiatit poitit d'abuser de la pitié
pour tfOMper celui qu'elle coudauitiait k mort comme
impitôfabiê, comme ennemi de rbumauitë.
Elle n'eut pas bosoiu, du reste, dé commettre
cette faute ; elle he remit poiût le billet.
Lé soir du là Juillet, à sept heures, elle sortit de
cbe2 elle, prit urte voiture publique à la place des
Victoires, et, traversant le Pont-Neuf, desceudit kta
porte de Marat, fue des COfdeliérs, 0* âO (aujour-
d'hui rue de l'Ecole-de^Médecitie, a* 18}. C'est la
gf^ude et triste maisoû, avant celle de la tourelle
qui fait le coin de la riié.
Marat demeurait k l'étage le plus sombre de cette
sombre miSisoû, au premier , étage commode pour lé
fflouvement du journaliste el du tributi populaire,
dont la maison est publique âUtàtit qUe la rUé, pottr
l'afûtténce des porteurs, âfËchèurs, le ta^et^vlent des
épreuves, uu moude d'allants et veuauts. L'Intérieur,
rameuMement prêseûtaicnt uo bigarre contraste,
fidiie image des dissonaticés qui caraetérisaiefit
Bfarat et sa destiaée. Les pièces fort obscures qtii
étaieut sur la cour, gâfuies de vieux meublés, dô
tables sales oit l'ofi pliait les jourûauf , doiitiâiem
|(tO LÀ MAISON
ridée il' un triste logement d'ouvrier. Si vous péné-
triez plus loin, vous trouviez avec surprise un petit
salon sur la rue, meublé en damas bleu et blanc,
couleurs délicates et galantes, avec de beaux rideaux
de soie et des vases de porcelaine, ordinairement gar-
nis de fleurs. C'était visiblement le logis d'une femme,
d'une femme bonne, attentive et tendre, qui, soi-
gneuse, parait pour l'homme voué à ce mortel tra-
vail le lieu du repos. C'était là le mystère de la vie
de Marat, qui fut plus tard dévoilé par sa sœur ; il
n'était pas chez lui, il n'avait pas de chez lui en ce
monde. c< Marat ne faisait point ses frais (c'est sa sœur
Âlbertine qui parle); une femme divine, touchée de
sa situation, lorsqu'il fuyait de cave en cave, avait
pris et caché chez elle l'Ami du peuple, lui avait
voué sa fortune, immolé son repos. »
On trouva dans les papiers de Marat une promesse
de mariage a Catherine Evrard. Déjà il l'avait épousée
devant le soleil, devant la nature.
Cette créature infortunée et vieillie avant l'âge se
consumait d'inquiétude. Elle sentait la mort au-
tour de Marat ; elle veillait aux portes, elle arrêtait
au seuil tout visage suspect.
Celui de mademoiselle Corday était loin de l'être ;
sa mise décente de demoiselle de province prévenait
pour elle. Dans ce tempsoù toute chose était extrême,
où la tenue des femmes était ou négligée ou cynique^
la jeune fille semblait bien de bonne vieille roche nor-
mande, n'abusant point de sa beauté^ contenant par un
ruban vert sa chevelure superbe sous le bonnet connu
DE MÀRAT. 161
des femmes du Calvados, coiffure modeste, moins
triomphale que celle des dames de Gaux. Contre
l'usage du temps, malgré une chaleur de juillet, son
sein était sévèrement recouvert d'un fichu de soie
qui se renouait solidement derrière la taille. Elle avait
une robe blanche^ nul autre luxe que celui qui
recommande la femme, les dentelles du bonnet
flottantes autour de ses joues. Du reste, aucune
pâleur, des joues roses, une voix assurée, nul signe
d'émotion.
Elle franchit d'un pas ferme la première barrière,
ne s' arrêtant pas à la consigne de la portière, qui la
rappelait en vain. Elle subit l'inspection peu bien-
veillante de Catherine, qui, au bruit, avait entr'ou-^
vert la porte et voulait Tempôcher d'entrer. Ce débat
fut entendu de Marat, et les sons de cette voix vi-
brante, argentine, arrivèrent à lui. Il n'avait nulle
horreur des femmes, et, quoique au bain, il ordonna
impérieusement qu'on la fit entrer.
La pièce était petite, obscure. Marat au bain, re-
couvert d'un drap sale et d'une planche sur laquelle
il écrivait, ne laissait passer que la tête, les épaules et
le bras droit. Ses cheveux gras, entourés d'un mou-
choir ou d'une serviette, sa peau jaune et ses membres
grêles, sa grande bouche balrachienne, ne rappe-
laient pas beaucoup que cet être fût un homme.
Du reste, la jeune fille , on peut bien le croire ,
n'y regarda pas. Elle avait promis des nouvelles
de la Normandie ; il les demanda, les noms surtout
des députés réfugiés à Caen ; elle les nomma, et il
VI. il
162 S4 MORT. '
écrivait à mesure. Puis, ayant fini ; ^ C'est bon I dans
huit jours ils iront à la guilli^tiDe. »
Chariot te, ayant dans ces mots trouvé un superolt
de force, une raison pour frapper^ tira de son sein le
couteau, et le plongea tout entier jusqu'au manche
au cœur de Marat« Le coup^ tombant ainsi d'en haut,
et frappé avec une assurance extraordinaire^ passa
près de la clavicule, traversa tout le poumon^ ouvrit
le tronc des carotides et tout un fleuve de sang*
ce A moi ! ma chère amie ! )> C'est tout ce qu'il put
dire, et il expira.
CHAPITRE IV.
MORT DE CHARLOTTE CORDAY.
(19 Juillet 95.)
Inlerrogftoire de Ch^rlotU; Corda^.— CliarloUe Corday en prisQQ.— Charlç^e
Corday aa tribanal.— Ses derniers moments.— Son exécution (10 juillet 03).
—La reliftoB en poignard.
La femme entre, le commissionnaire... Il§ trou-
vent Charlotte, debout et comme pétrifiée, prè? (|e
la fenêtre... L'homme lui lance un coup de chaise
à la tête, barre la porte pour qu'elle ne sorte. Mais
elle ne bougeait pas. Aux cris, les voisins accotir
rent, les quartiers, tous les passants. On appelle le
chirurgien, qui ne trouve plus qu' un mort. Cependî^nt
la garde nationale avait empêché qu'on ne mît Char-
lotte en pièces; on lui tenait les deux mains. Elle Qp
songeait çuère à 3' en servir^ Immobile^ elle regftr**
164 INTERROGATOIRES
dait d'un œil terne et froid. Un perruquier du quar-
tier, qui avait pris le couteau, le brandissait en
criant. Elle n'y prenait pas garde. La seule chose
qui semblait l'étonner, et qui ( elle l'a dit elle-
même) la faisait souffrir, c'étaient les cris deCatherine
Marat. Elle lui donnait la première et pénible idée :
< qu'après tout, Marat était homme. » Elle avait
l'air de se dire : < Quoi donc! il était aimé! ».
Le commissaire de police arriva bientôt, à sept
heures trois quarts, puis les administrateurs de
police, Louvet et Marino , enfin les députés Maure,
Chabot, Drouet et Legendre, accourus de la Con-
vention pour voir le monstre. Ils furent bien étonnés
de trouver entre les soldats, qui tenaient ses mains,
une belle jeune demoiselle, fort calme, qui répondait
à tout avec fermeté et simplicité , sans timidité, sans
emphase ; elle avouait même qu'elle eût échappé, si
elle l'eût pu. Telles sont les contradictions de la
nature. Dans une Adresse aux Français qu'elle avait
écrite d'avance, et qu'elle avait sur elle, elle disait
qu'elle voulait périr ^ pour que sa tête, portée dans
Paris, servit de signe de ralliement aux amis des
lois.
Autre contradiction. Elle dit et écrivit qu'elle
espérait mourir inconnue. Et cependant on trouva
sur elle son extrait de baptême et son passeport, qtii
devaient la faire reconnaître.
Les autres objets qu'on lui trouva faisaient con-
naître parfaitement toute sa tranquillité d'esprit^
c'étaient ceux qu'emporte une femme soigneuse, qui
DE CHARLOTTE GORDAY. 163
a des habitudes d'ordre. Outre sa clef et sa montre,
son argent, elle avait un dé et du fil, pour réparer
dans la prison le désordre assez probable qu'une
arrestation violente pouvait faire dans ses babits.
Le trajet n'était pas long jusqu'à l'Âbbaye, deux
minutes, à peine. Mais il était dangereux. La rue
était pleine d'amis de Marat, de cordeliers furieux ,
qui pleuraient, hurlaient qu'on leur livrât l'assassin.
Charlotte avait prévu, accepté d'avance tous les
genres de mort, excepté d'être déchirée. Elle faiblit,
dit-on, un instant, crut se trouver mal. On attei-
gnit l'Abbaye.
Interrogée de nouveau dans la nuit par les mem-
bres du Comité de sûreté générale et par d'autres
députés, elle montra non-seulement de la fermeté,
mais de l'enjouement. Legendre, tout gonflé de son
importance, et se croyant naïvement digne du mar-
tyre, lui dit : « N'était-ce pas vous qui étiez venu
hier chez moi en habit de religieuse? » — « Le ci-
toyen se trompe, dit-elle avec un sourire. Je n'esti-
mais pas que sa vie ou sa mort importât au salut de
la République.»
Chabot tenait toujours sa montre et ne s'en dessai-
sissait pas. . . a J'avais cru, dit-elle, que les capucins
faisaient vœu de pauvreté. »
Le grand chagrin de Chabot et de ceux qui l'in-
terrogèrent, c'était de ne trouver rien, ni sur elle, ni
dans ses réponses, qui pût faire croire qu'elle était
envoyée par les Girondins de Caen. Dans l'interro-
gatoire de nuit, cet impudent Chabot soutint qu'elle
J6C CHARLOTTE CORDAY
avait encore un papier caché dans son sein, et, profi-
tant lâchement de ce qu'elle avait les mains gàrtollées,
il mettait la main sur elle ; il eût trouvé sans nul doute
ce qui n'y était pas , le manifeste de la Gironde. Toute
liée qu'elle était, elle le repoussa vivement; elle se
jeta en arrière avec tant de violence, que ses cor-
dons en rompirent, et qu^on put voir un moment ce
chaste et héroïque sein. Tous furent attendris. On la
délia pour qu'elle pût se rajuster. On lui permit
aussi de rabattre ses manches et de mettre des gants
sous ses chaînes.
Transférée le 16 au matin de l'Abbaye à la Con-
ciergerie, elle y écrivit le soir une longue lettre à
Barbaroux, lettre évidemment calculée pour mon-
trer par son enjouement (qui attriste et qui fait tnal)
une parfaite tranquillité d'âme. Dans cette lettre,
qui ne pouvait manquer d*être lue, répandue dans
Paris lé lendemain , et qui , malgré sa forme fami-
lière, a la portée d'un manifeste, elle fait croire que
les volontaires de Caen étaient ardents et nombreux.
Elle ignorait encore la déroute de Vernon.
Ce qui semblerait indiquer qu'elle était moins
calme qu'elle n'affectait de l'être, c'est que par
quatre fois elle revient sur ce qui motive et excusé
son acte : La Paix, le désir de la Paix. La lettre
est datée : Du second jour de la préparation de la
Paix. Et elle dit vers le milieu : « Puisse la Paît
s'établir aussitôt que je le désire!... Je jouis dé là
Paix depuis deux jours. Le bonheur de mon pays fait
le fnien. »
EN PRISON. * 167
Elle écrivit à son père, pour lui demander par-
don d'atoir dispoëé de sa vi65 et elle lui eita ce
ver» t
Le tttmt fait là honU, et nen pat Téchàfaud.
Elle avait écrit aussi à un jeune député, neveu
de Tabbesse de Caen , Doulcet de Poniécoulant , un
Oirondin prudent qui, dit Charlotte Gorday, siégeait
im la Montagne. Elle le prenait pour défenseur.
Doulcet ne couchait pas ches^ lui , et la lettre ne le
trouva pas.
8i j'en croîs une note précieuse, transmise par la
famille du peintre qui la peignit en prison , elle avait
fait faire nû bonnet exprès ponr son jugement. C'est
ee qui explique pouquoi elle dépensasse francs dans
sa captivité si courte.
Quel serait le système de raccûsation T les autori-
tés de Paris, dans une proclamation, attribuaient le
crime auœ fédéralistes, et en même temps disaient :
(c Que cette furie élait sortie de la maison du cî^
devant comte Dorset. » Fouquier^Tinville écrivait
au Comité de sûreté : Qu*il venait d'être inforrhé
qu'elle était amie de Belzunce, qu'elle avait voulu
venger Belzunce, et son parent Biron , récemment
dénoncé par Marat, que Barbaroux l'avait poussée,
etc. Bioman absurde, dont il n'osa pas même parler
dans son réquisitoire.
Le public ne s'y trompait pas. Tout le monde com-
prit qu'elle était seule , qu'elle n'avait eu de conseils
168 CHARLOTTE GORDAY
que celui de son courage, de son dévouement, de
son fanatisme. Les prisonniers de l'Âbbaye, de la
Conciergerie, le peuple même des rues (sauf les cris
du premier moment), tous la regardaient dans le
silence d'une respectueuse admiration. « Quand elle
apparut dans l'auditoire, dit son défenseur officieux,
Ghauveau-Lagarde, tous, juges, jurés et spectateurs,
ils avaient Vair de la prendrepour un juge qui les aurait
appelés au tribunal suprême... Ou a pu peindre ses
traits, dit-il encore, reproduire ses paroles; mais nul
art n'eût peint sa grande âme , respirant tout entière
dans sa physionomie... L'effet moral des débats est
de ces choses qu'on sent, mais qu'il^ est impossible
d'exprimer. »
Il rectifie ensuite ses réponses, habilement défi-
gurées, mutilées, pâlies dans le Moniteur. Il n'y en a
pas qui ne soit frappée au coin des répliques qu'on
lit dans les dialogues serrés de Corneille.
« Qui vous inspira tant de haine? — Je n'avais pas
besoin de la haiiie des autres; j'avais assez de la
mienne. »
« Cet acte a dû vous être suggéré? — On exécute
mal ce qu'on n'a pas conçu soi-même. »
« Que haïssiez-vous en lui? — Ses crimes. »
« Qu'entendez-vous par là ? — Les ravages de la
France. »
« Qu'espériez-vousen le tuant? — Rendre la paix
à mon pays. »
« Croyez-vous donc avoir tué tous les Maratî—
Celui-là mort, les autres auront peur, peut-être. y>
AU TRIBUNAL. 169
a Depuis quand aviez-vous formé ce dessein? —
Depuis le 31 mai, où Ton arrêta ici les représentauts
du peuple. »
Le président, après une déposition qui la charge :
« Que répondez-vous à cela? — Rieu, sinon que j'ai
réussi. »
Sa véracité ne se démentit qu'en un point. Elle
soutint qu'à la revue de Gaen, il y avait trente mille
hommes. Elle voulait faire peur à Paris.
Plusieurs réponses montrèrent que ce cœur si ré-
solu n'était pourtant nullement étranger à la nature.
Elle ne put entendre jusqu'au bout la déposition que
la femme Marat faisait à travers les sanglots ; elle se
hâta de dire : « Oui, c'est moi qui l'ai tué, »
Elle eut aussi un mouvement, quand on lui montra
le couteau. Elle détourna la vue, et Téloignant de la
main, elle dit d'une voix entrecoupée : ce Oui, je le
reconnais, je le reconnais.. • d
Fouquier-Tinville fit observer qu'elle avait frappé
d'en haut, pour ne pas manquer son coup ; autre-
ment elle eût pu rencontrer une côte et ne pas tuer;
et il ajouta : a Apparemment, vous vous étiez d'avance
bien exercée... »
« Oh ! le monstre ! s'écria-t-elle. Il me prend pour
un assassin ! »
Ce mot, dit Chauveau-Lagarde, fut comme un
coup de foudre. Les débats furent clos» Ils avaient
duré en tout une demi-heure.
Le président Montané aurait voulu la sauver. Il
changea la question qu'il devait poser aux jurés, se
170 SRS DEUNIEUS
contentant de demander : « L'a-t-elle fait avefc pré-
inédîtatîon t » et supprimant la seconde moitié de la
formule ; « avec dessein criminel et contre-révolu-
tionnaire î » Ce qui lui valut à lui-même son arresta-
tion, quelques joiirs après.
Le président pour la sauver, les jurés pourThli-
tifiilier, auraient voulu que le défenseur la présentât
comtïie folié. Il la regarda et lut dans ses yeux. Il la
servit comme elle voulait l'être, établissant la longvc
préméditation y et qUe pour toute défense elle ne vou-
lait pas être défendue. Jeune et mis àU-dessus de
lui-même par Taspect de ce grand courage, il ha*-
sarda cette parole (qui touchait de près Vêchafaud) :
« Ce calme et cette abnégation, sublimes sous un
rapport.., »
Après la condamnation, elle se fit conduire au
jeune avocat, et lui dit, avec beaucoup de grâce,
qu'elle le remerciait de cette défense délicate et
géùéreUse, qu'elle voulait lui donner une pwuve de
son estime : « Ces mejsîéurs viennent de m'appren--
dfê que *ne* biens sont confisqués ; je dois quelque
chose à la prison, je vous charge d'acquitter tnà
dette. »
Redescendue de là salle par le sombre escalier
tournant dans les cachots qui sont dessous, elle sourit
à ses compagnons de prison qui la regardaient pas-
ser, et s'excusa prés du concierge Richard et de
sa femme, avec qui elle avait promis de déjeuner.
Elle reçut la visite d'un prêtre qui lui offrait son
ministère , et réconduisit poliment : u Remerciez
MOMENTS. 171
pour moi, dit-^IIO) lespersonned qui votis ont en-
voyé. j>
Elle avait remarqué pendant Taudience qu'un
peintre essayait dé saisir ses' traits, et la regardait
âve(5 un vif intérêt. Elle s'était tournée vers lui. Elle
lé fit Appeler après le jugement, et lui donna les der-
niers moments qui lui restaient avant Texécution. Le
peintre, M. Hauer, était commandant eu second du
bataillon des Oordeliers. 11 dut à ce titre peut-être
la faveur qu'on lui fit de le laisser près d'elle, sans
autre témoin qu'un gendarme. Elle causa fort tran-
quillement avec lui de choses indifférentes, et aussi
de rêvénement du jour, de la paix morale qu'elle
sentait eu elle-même. Elle pria M. Hauer de copier le
portrait en petit, et de l'envoyer à sa famille.
Au bout d'une heure et demie, on frappa douce-
ment à une petite porte qui était derrière elle. On
Ouvrit, le bourreau entra. Charlotte se retournant vit
lés ciseaux et la chemise rouge qu'il portait. Elle ne
put se défendre d'une légère émotion, et.dît involon-
tairement : « Quoi ! déjà ! » Elle se remit aussitôt, el
s'adressant à M. Hauer : « Monsieur, dit-elle, je ne
sais comment vous remercier du soin que vous avez
pris ; je n'ai que ceci à vous offrir, ^rdez-le en mé-
moire de moi. 1» En même temps, elle prit les ciseaux,
coupa une belle boucle de ses longs cheveux blond-
cendré, qui s'échappaient de son bonnet, et la remit
à M. Hauer. Les gendarmes et le bourreau étaient
três-émus.
Au moment où elle monta sur la charrette, où la
1 7:2 SON
foule, animée de deux fanatismes contraires, de fu-
reur ou d'admiration, vit sortir de la basse arcade de
la Conciergerie la belle et splendide victime dans son
manteau rouge, la nature sembla s'associer à la pas-
sion humaine , un violent orage éclata sur Paris. Il
dura peu, sembla fuir devant elle, quand elle apparut
au Pont-Neuf et qu'elle avançait lentement par la
rue Saint-Honoré. Le soleil revint haut et fort; il
n'était pas sept heures du soir (19 juillet). Les re-
flets de l'étoffe rouge relevaient d'une manière
étrange et toute fantastique l'effet de son teint, de
ses yeux.
On assure que Robespierre , Danton , Camille
Desmoulins, se placèrent sur son passage et la regar-
dèrent. Paisible image, mais d'autant plus terrible,
de la Némésis révolutionnaire, elle troublait les cœurs,
les laissait pleins d'étonnement.
Les observateurs sérieux qui la suivirent jusqu'aux
derniers moments, gens de lettres, médecins, furent
frappés d'une chose rare; les condamnés les plus
fermes se soutenaient par l'animation, soit par des
chants patriotiques, soit par un appel redoutable
qu'ils lançaient à leurs ennemis. Elle montra un
calme parfait, parmi les cris de la foule, une sérénité
grave et simple ; elle arriva à la place dans une
majesté singulière, et comme transfigurée dans l'au-
réole du couchant.
Un médecin qui ne la perdait pas de vue dit
qu'elle lui sembla un moment pâle, quand elle aper-
çut le couteau. Mais ses couleurs revinrent, elle
EXÉCUTION (i9 JUILLET 95). 173
monta d'un pas ferme. La jeune fille reparut en elle
au moment où le bourreau lui arracha son fichu ; sa
pudeur en souffrit, elle abrégea, avançant d'elle-
même au- devant de la mort.
Au moment où la tête tontba, un charpentier niara-
tiste qui servait d'aide au bourreau, l'empoigna bruta-
lement, et, la montrant au peuple, eut la férocité indi-
gne de la souffleter. Un frisson d'horreur, un mur-
mure parcourut la place. On crut voir la tête rougir.
Simple effet d'optique peut-être ; la foule troublée
à ce moment avait dans les yeux les rouges rayons
du soleil qui perçait les arbres des Champs-Elysées.
La commune de Paris et le tribunal donnèrent
satisfaction au sentiment public, en mettant F homme
en prison.
Parmi les cris des maratistes, infiniment peu nom-
breux, l'impression générale avait été violente d'admi-
ration et de douleur. On peut en juger par Taudace
qu'eut la Chronique de Paris, dans cette grande servi-
tude de la presse, d'imprimer un éloge, presque sans
restriction, de Charlotte Corday.
Beaucoup d'hommes restèrent frappés au cœur, et
n'en sont jamais revenus. On a vu l'émotion du pré-
sident, son effort pour la sauver, l'émotion de l'avocat,
jeune homme timide qui cette fois fut au-*dessus de
lui-même. Celle du peintre ne fut pas moins grande.
Il exposa cette année un portrait de Marat, peut-
être pour s'excuser d'avoir peint Charlotte Corday.
Mais son nom ne parait plus dans aucune exposition.
Il semble n'avoir plus peint depuis cette œuvre fatale.
i74 LA RELIGION
IJeiïei de cette mort fut terrible : ce ht die ï^\vg
aimer la mort.
Son exemple, cette calme intrépidité d'une fille
charmante, eut un effet d'attractjon. Plus d'un qui
rayait entrevue mit une volupté soïnbre h h suivre,
à la chercher dans les mondes inconnus. Uu jeune
Allemand, Adam Lux, envoyé à Paris pour demander
la réunion de Mayence a la France, ipiprim^ une
brochure où il demande à mourir pour rejoindre
Charlotte Cord^y. Cet infortuné, venu ici le cœur plein
d*enthousiasme, croyant contempler face à face dans
la Révolution française le pur idéal de la régénération
humaine, ne pouvait supporter l'obscurcissement
précoce de cet idéal ; il ne comprenait pas les trpp
cruelles épreuves qu'entraîne un tel enfantomeqt.
Dans ces pensées mélancoliques, quand la liberté lui
semble perdue, il la voit, c'est Charlotte Cqrday.
Il la voit au tribunal touchante, admirable d'intrépi-
dité; il la voit majestueuse et reine sur l'éçhafaud...
Elle lui apparut deux fois. . . Assez ! il a bu 1^
mort.
<i Je croyais bien à son courage, dit-il, mais que
(Jevins-je quand je vis toute sa douceur parmi les
J^urlements barbares, ce regard pénétrant, ces vives
et humides étincelles jaillissant de ces beaux yeu}(,
où parlait une âme tendre autant qu'intrépide !..
0 souvenir immortel I émotions douces et amères que
je n'avais jamais connues!... Elles soutiennent en mqi
Vamour de cette Patrie pour laquelle elle voulut
mourir, et dont, par adoption, moi aussi je suis le fil^.
^U POICfN^RD, 175
Qu'iii^ ^)'boQoreot piaintepaiH dô leur guillotine^ elle
n'ei^t plus qu'uD s^utel 1 ^
Ame pure et mainte, ciBur mystique, il adore CbftF-
lotte Çord^y, et il n'adorç point le meurtre,
f On a droit sans doute^ dit-il, de tuerrusqrpatQur
et le tyran, mais tel n'était point Marat. y>
Remarquable douceur d'âme. Elle contraste forte-
ment avec la violence d'un grand peuple qui devint
amoureux de l'assassinat. Je parle du peuple giron-
din et môme des royalistes. Leur fureur avait besoin
d'un saint et d'une légende. Charlotte était un bien
autre souvenir, d'une tout autre poésie , que celui
de Louis XVI, vulgaire martyr, qui n'eut d'intéressant
que son malheur.
Une religion se fonde dans le sang de Charlotte
Corday : la religion du poignard.
André Chénier écrit un hymne à la divinité nou-
velle :
0 verlu ! le poignard, seul espoir de la terre,
Est ton arme sacrée !
Cet hymne^ incessamment refait en tout âge et
dans tout pays, reparaît au bout de l'Europe dans
Y Hymne au poignard, de Puschkine.
Le vieux patron des meurtres héroïques, Brutus,
pâle souvenir d'une lointaine antiquité, se trouve
transformé désormais dans une divinité nouvelle plus
puissante et plus séduisante. Le jeune homme qui
rêve un grand coup, qu'il s'appelle Alibaud ou Sand,
160 CHARLOTTE COUDAY
avait encore un papier caché dans son sein, et, profi-
tant lâchement de ce qu'elle avait les mains gâitoitées,
il mettait la main sur elle ; il eût trouvé sans nul doute
ce qui n'y était pas , le manifeste de la Gironde. Toute
liée qu'elle était, elle le repoussa vivement; elle se
jeta en arrière avec tant de violence, que ses cor-
dons eti rompirent, et qu^on put voir un moment ce
chaste et héroïque sein. Tous furent attendris. On la
délia pour qu'elle pût se rajuster. On lui permit
aussi de rabattre ses manches et de mettre des gants
sous ses chaînes.
Transférée le 16 au matin de l'Abbaye à la Con-
ciergerie, elle y écrivit le soir une longue lettre à
Barbaroux, lettre évidemment calculée pouf mon-
trer par son enjouement (qui attriste et qui fait mal)
une parfaite tranquillité d'âme. Dans cette lettre,
qui ne pouvait manquer d'être lue, répandue dans
Paris le lendemain , et qui , malgré sa forme fami-
lière, a la portée d'un manifeste, elle fait croire que
les volontaires de Caen étaient ardents et nombreux.
Elle ignorait encore la déroute de Vernon.
Ce qui semblerait indiquer qu'elle était moins
calme qu'elle n'affectait de l'être, c'est que par
quatre fois elle revient sur ce qui motive et excuse
son acte : La Paix, le désir de la Paix. La lettre
est datée : Du second jour de la préparation de la
Paix. Et elle dit vers le milieu : « Puisse la Pait
s'établir aussitôt que je le désire!... Je jouis de là
Paix depuis deux jours. Le bonheur de mon pays fait
le mien. »
EN PRISON. * 167
Elit écrivit k ton père, pour lui demander par-
don d'atoir disposé de sft vie, et elle lui cita ce
ver» :
Le erime fait la hotiU, et nen pan Tëchàfaud.
Elle avait écrit tusdi à un jeune député , neveu
ie Tabbesse de Gaen , Doulcet de Pontécoulant , un
Girondin prudent qui, dit Charlotte Gorday, siégeait
iUT la Montagne. Elle le prenait pour défenseur.
Doulcet ne couchait pas che2 lui^ et la lettfe ne lo
trouva pas.
Si j'en croîs une note précieuse, transmise par la
famille du peintre qui la peignit en prison , elle avait
fait faire uo bonnet exprès pour son jugement. C'est
ee qui explique pouquoi elle dépensa l36 francs dans
M captivité si courte.
Quel serait le système de raccûsationî les autori^
té« de Paris, dans une proclamation, attribuaient le
erime aux fédéralistes, et en même temps disaient :
a Que cette furie était sortie de la maison du ci-
devant comte Dorset. » Fouquier^Tinville écrivait
au Comité de sûreté : Qu'il venait d*être infortné
qu'elle était amie de Belzunce, qu'elle avait voulu
venger Belzunce, et son parent Biron , récemment
dénoncé par Marat, que Barbaroux l'avait poussée,
etc. Roman absurde, dont il n'osa pas même parler
dans son réquisitoire.
Le public ne s'y trompait pas. Tout le monde com-
prit qu'elle était seule , qu'elle n'avait eu de conseils
168 CHAKLOTTË CORDAY
que celui de sod courage, de son dévouement, de
son fanatisme. Les prisonniers de l'Âbbaye, de la
Conciergerie, le peuple môme des rues (sauf les cris
du premier moment), tous la regardaient dans le
silence d'une respectueuse admiration. « Quand elle
apparut dans l'auditoire, dit son défenseur officieux,
Ghauveau-Lagarde, tous, juges, jurés et spectateurs,
ils avaient Vair de la prendrepour un juge qui les aurait
appelés au tribunal suprême... Ou a pu peindre ses
traits, dit-il encore, reproduire ses paroles; mais nul
art n'eût peint sa grande âme , respirant tout entière
dans sa physionomie... L'effet moral des débats est
de ces choses qu'on sent, mais qu'il est impossible
d'exprimer. »
Il rectifie ensuite ses réponses, habilement défi-
gurées, mutilées, pâlies dans le Moniteur. Il n'y en a
pas qui ne soit frappée au coin des répliques qu'on
lit dans les dialogues serrés de Corneille.
« Qui vous inspira tant de haine? — Je n'avais pas
besoin de la baiiie des autres; j'avais assez de la
mienne. i>
« Cet acte a dû vous être suggéré? — On exécute
mal ce qu'on n'a pas conçu soi-même. »
« Que haïssiez-vous en lui? — Ses crimes. »
ce Qu'entendez-vous par là ? — Les ravages de la
France. »
« Qu'espériez-vousen le tuant? — Rendre la paix
à mon pays. »
« Croyez-vous donc avoir tué tous les Marat?—
Celui-là mort, les autres auront peur, peut-êlre. p
AU TKIBUNAL. 169
« Depuis quand aviez-vous formé ce dessein? —
Depuis le 31 mai, où l'on arrêta ici les représentants
du peuple. »
Le président, après une déposition qui la charge :
« Que répondez-vous à cela? — Rieu, sinon que j'ai
réussi. »
Sa véracité ne se démentit qu en un point. Elle
soutint qu'à la revue de Gaen, il y avait trente mille
hommes. Elle voulait faire peur à Paris.
Plusieurs réponses montrèrent que ce cœur si ré-
solu n'était pourtant nullement étranger à la nature.
Elle ne put entendre jusqu'au bout la déposition que
la femme Marat faisait à travers les sanglots ; elle se
hâta de dire : « Oui, c'est moi qui l'ai tué. »
Elle eut aussi un mouvement, quand on lui montra
le couteau. Elle détourna la vue, et l'éloignant de la
main, elle dit d'une voix entrecoupée : a Oui, je le
reconnais, je le reconnais... d
Fouquier-Tinville fit observer qu'elle avait frappé
d'en haut, pour ne pas manquer son coup ; autre-
ment elle eût pu rencontrer une côte et ne pas tuer;
et il ajouta : a Apparemment, vous vous étiez d'avance
bien exercée... »
« Oh! le monstre! s'écria-t-elle. Il me prend pour
un assassin ! »
Ce mot, dit Chauveau-Lagarde, fut comme un
coup de foudre. Les débats furent clos» Ils avaient
duré en tout une demi-heure.
Le président Montané aurait voulu la sauver. Il
changea la question qu'il devait poser aux jurés, se
i7Ô SKS DERNIEUS
Contentant de demander : « L'a-t^elle fait avéfc pré-
niéditalîon t » et supprimant la seconde moitié dé la
formule ; « avec dessein criminel et contre-rêvolu-
tionhàîfe? » Ce qui lui valut h lui-même son arresta-
tion, quelques jours après.
Le président pour la sauver, les jurés pour Thli-
milier, auraient voulu que le défenseur la présentât
comtïie folle. Il la regarda et lut dans ses yeux. Il la
servit comme elle voulait l'être, établissant la Umgvc
préméditation^ et que pour toute défense elle né vou-
lait pas être défendue. Jeune et mis âti-dessiis dé
lui-même par Taspect de ce grand courage, il ha-
sarda cette parole (qui touchait de près Véchafaud) :
« Ce calme et cette abnégation, sublimes sous un
rapport.., »
Après la condamnation, elle se fit conduire au
jeune avocat, et lui dit, avec beaucoup de grâce,
qu'elle le remerciait de cette défense délicate et
géfiéreiise, qu'elle voulait lui donner une pt^tivé de
son estime : « Ces meisîéurs viennent de m'appi^en-*-
dfë que înes biens sont confisqués ; je dois quelque
chose k la prison, je vous charge d'acquitter tnà
dette. »
Redescendue de la salle par le sombre escalier
tournant dans les cachots qui sont dessous, elle sourit
à ses compagnons de prison qui la regardaient pas-
ser, et s^excusa près du concierge Richard et de
sa femme, avec qui elle avait promis de déjeuner.
Elle reçut la visite d'un prêtre qui lui offrait son
ministère , et réconduisit poliment : u Remerciez
MOMENTS. 171
pour mot, dit^llO) léspersonned qui vous ont ëfi*
voyé. j>
Elle avait remarqué pendant Taudience qu'un
peintre essayait de saisir ses' traits, et la regardait
àvee un vif intérêt. Elle s'était tournée vers lui. Elle
lé fit appeler après le jugement, et lui donna les der-
niers moments qui lui restaient ayant l'exécution. Le
peintre, M. Hauer, était commandant en second du
bataillon de^ Oordeliers. Il dut à ce titre peut-être
la faveur qu'on lui fit de le laisser près d'elle, sans
autre témoin qu'un gendarme. Elle causa fort traii-
quilleraent avec lui de choses indifférentes, et aussi
de Têvénement du jour, de la paix morale qu'elle
sentait eu elle-même. Elle pria M. Hauer de copier le
portrait en petit, et de l'envoyer à sa famille.
Au bout d'une heure et demie, on frappa douce-
ment à une petite porte qui était derrière elle. On
ouvrit^ le bourreau entra. Charlotte se retouriiant vit
leè ciseaux et la chemise rouge qu'il portait. Elle ne
put se défendre d'une légère émotion, et .dît involon-
tairement : i< Quoi! déjà! » Elle se remît aussitôt, el
s'adressant à M. Hauer t « Monsieur, dit-elle, je tic
sais comment vous remercier du soin que vdtis avez
pris ; je n'ai que ceci à vous offrir, ^rdez-le en mé-
moire de moi. » En même temps, elle prit les ciseaux,
coupa une belle boucle de ses longs cheveux blond-
cendré, qui s'échappaient de son bonnet, et la remit
à M. Hauer. Les gendarmes et le bourreau étaient
très -émus.
Au moment où elle monta sur la charrette, oiija
1 7:2 SON
foule, animée de deux fanatismes contraires, de fu-
reur ou d'admiration, vit sortir de la basse arcade de
la Conciergerie la belle et splendide victime dans son
manteau rouge, la nature sembla s'associer à la pas-
sion humaine , un violent orage éclata sur Paris. Il
dura peu, sembla fuir devant elle, quand elle apparut
au Pont-Neuf et qu'elle avançait lentement par la
rue Saint-Honoré. Le soleil revint haut et fort; il
n'était pas sept heures du soir (19 juillet). Les re-
flets de l'étoffe rouge relevaient d'une manière
étrange et toute fantastique l'effet de son teint, de
ses yeux.
On assure que Robespierre , Danton , Camille
Desmoulins, se placèrent sur son passage et la regar-
dèrent. Paisible image, mais d'autant plus terrible,
de la Némésis révolutionnaire, elle troublait les cœurs,
les laissait pleins d'étonnement.
Les observateurs sérieux qui la suivirent jusqu'aux
derniers moments, gens de lettres, médecins, furent
frappés d'une chose rare; les condamnés les plus
fermes se soutenaient par l'animation, soit par des
chants patriotiques, soit par un appel redoutable
qu'ils lançaient à leurs ennemis. Elle montra un
calme parfait, parmi les cris de la foule, une sérénité
grave et simple ; elle arriva à la place dans une
majesté singulière, et comme transfigurée dans l'au-
réole du couchant.
Un médecin qui ne la perdait pas de vue dit
qu'elle lui sembla un moment pâle, quand elle aper-
çut le couteau. Mais ses couleurs revinrent, elle
EXÉCUTION (i9 JUILLET 95). 173
monta d'un pas ferme. La jeune fille reparut en elle
au moment où le bourreau lui arracha son fichu ; sa
pudeur en souffrit, elle abrégea, avançant d'elle-
même au- devant de la mort.
Au moment où la tête tontba, un charpentier niara-
tiste qui servait d'aide au bourreau, l'empoigna bruta-
lement, et, la montrant au peuple, eut la férocité indi-
gne de la souffleter. Un frisson d'horreur, un mur-
mure parcourut la place. On crut voir la tête rougir.
Simple effet d'optique peut-être ; la foule troublée
à ce moment avait dans les yeux les rouges rayons
du soleil qui perçait les arbres des Champs-Elysées.
La commune de Paris et le tribunal donnèrent
satisfaction au sentiment public, en mettant T homme
en prison.
Parmi les cris des maratistes, infiniment peu nom-
breux, l'impression générale avait été violente d'admi-
ration et de douleur. On peut en juger par Taudace
qu'eut la Chronique de Paris, dans cette grande servi-
tude de la presse, d'imprimer un éloge, presque sans
restriction, de Charlotte Corday.
Beaucoup d'hommes restèrent frappés au cœur, et
n'en sont jamais revenus. On a vu l'émotion du pré-
sident, son effort pour la sauver, l'émotion de l'avocat,
jeune homme timide qui cette fois fut au-dessus de
lui-même. Celle du peintre ne fut pas moins grande.
Il exposa cette année un portrait de Marat, peut-
être pour s'excuser d'avoir peint Charlotte Corday.
Mais son nom ne parait plus dans aucune exposition.
Il semble n'avoir plus peint depuis cette œuvre fatale.
i74 LA RELIGION
IJeiïei de cette mort fut terrible : ce ht de Ew^e
aimer la mort.
Son exemple, cette calme intrépidité d'une fille
charmante, eut un effet d'attraction. Plus d'un qui
rayait entrevue mit une volupté soipbre k la suivre,
à la chercher dans les mondes inconnus. Un jeune
Allemand, Adam Lux, envoyé à Paris pour demander
la réunion de Mayence à la France, ipiprim^ une
brochure où il demande à mourir pour re^qiudrp
Charlotte Corday. Cet infortuné, venu ici le cœur plein
d'enthousiasme, croyant contempler face à face daus
la Révolution française le pur idéal de la régénération
humaine, ne pouvait supporter l'obscurcissement
précoce de cet idéal ; il ne comprenait pas les trpp
cruelles épreuves qu'entraîne un tel enfantemeqt.
Dans ces pensées mélancoliques, quand la IJNrté lui
semble perdue, il la voit, c'est Charlotte Corday.
Il la voit au tribunal touchante, admirable d'intrépi-
dité; il la voit majestueuse et reine sur l'échafaud...
Elle lui apparut deux fois. . . Assez ! il a bu 1^
mort.
<i Je croyais bien à son courage, dit-il, mais que
devins-je quand je vis toute sa douceur parmi les
l^urlements barbares, ce regard pénétrant, ces vives
et humides étincelles jaillissant de ces beaux yeux,
où parlait une âme tendre autant qu'intrépide !..
0 souvenir immortel I émotions douces et amères que
je n'avais jamais connues!... Elles soutiennent en mpi
l'amour de cette Patrie pour laquelle elle voulut
mourir, et dont, par adoption, moi aussi je suis le fil^.
^U POIGNARD, 175
Qu'ils p^'boQoreot piaintepaiH dô leur guillotine^ elle
n'ei^t plus qu'uD autai 1 ^
Ame pure et mainte, cour mystique, il adore CbAF-
lotte Çorday, et il n'adore point le meurtre.
f On a droit sans doute^ dit-il, de tuer rusqrpatQur
et le tyran, mais tel n'était point Marat. »
Remarquable douceur d'âme. Elle contraste forte-
ment avec la violence d'un grand peuple qui devint
amoureux de l'assassinat. Je parle du peuple giron-
din et môme des royalistes. Leur fureur avait besoin
d'un saint et d'une légende. Charlotte était un bien
autre souvenir, d'une tout autre poésie, que celui
de LouisXVI, vulgaire martyr, qui n'eut d'intéressant
que son malheur.
Une religion se fonde dans le sang de Charlotte
Corday : la religion du poignard.
André Chénier écrit un hymne à la divinité nou-
velle :
0 verlu ! le poignard, seul espoir de la terre,
Est ton arme sacrée !
Cet hymne^ incessamment refait en tout âge et
dans tout pays, reparaît au bout de l'Europe dans
Y Hymne au poignard, de Puschkine.
Le vieux patron des meurtres héroïques, Brutus,
pâle souvenir d'une lointaine antiquité, se trouve
transformé désormais dans une divinité nouvelle plus
puissante et plus séduisante. Le jeune homme qui
rêve un grand coup, qu'il s'appelle Alibaud ou Sand,
176 LA RELIGION DU POIGNARD.
de qui réve-t-il maintenant? Qui voit-il dans ses
songes? est-ce le fantôme de Brutus? non, la ra-
vissante Charlotte, telle qu'elle fut dans la splen-
deur sinistre du manteau rouge, dans l'auréole
sanglante du soleil de juillet et dans la pourpre du
soir.
CHAPITRE V.
iMORT DE GHALIER.
(16 juillet 95.)
La question lyonnaise était moins politique que sociale. — Les rêveurs de
Lyon et des Alpes. — Le Piémonlais Chalier.— Écrits de Chalier. — Accusa-
tions contre lui.—Son caractère; sa violence et sa tendresse.-^ Les disci.
pies de Chalier. — Son arrestation (50 mai 95). — Chalier en prison.— Son
isolement. — La Convention intervient. — Mort de Chalier (16 Juillet 95).^
Dernières paroles de Chalier.
Maratest poignardé le 13, Chalier guillotiné le 16.
Un monde passe entre ces deux coups.
Marat, le dernier de Tancienne révolution, Cha-
lier le premier de la nouvelle.
Marat, pourCaen, Bordeaux, Marseille, est le nom
de la guerre civile. Dans Lyon, Chalier est celui de
la guerre sociale.
Ceci met Lyon fort à part de l'histoire générale
du girondinisme.
La guerre des riches et des pauvres alla grondant,
VI. 12
178 LA QUESTION LYONNAISE
menaçant, jusqu'au combat du 29 mai, jusqu'à la
mort de Chalier (16 juillet). Les riches, entraînant
les marchands, les commis, le petit commerce, ga-
gnèrent avec eux cette bataille, et donnant le change
aux pauvres, leur firent tuer Chalier, leur défenseur,
les payèrent, les firent combattre contre la Conven-
tion, tinrent cinq mois la France en échec.
Ils n'échappèrent ainsi à la guerre sociale, dont
Chalier les menaçait, qu'en la détournant vers une
épouvantable lutte contre la France elle-même.
Et celte lutte, ils ne la soutinrent qu'en admettant
dans leur armée lyonnaise un élément royaliste
étranger à Lyon ; je parle des nobles réfugiés, je
parle des gens du Forez et autres provinces voisines,
qui vinrent gagner la haute paye que donnait la ville
et combattre pour le Roi dans les rangs républi-
cains.
Quels qu'aient été les efforts intéressés de l'aristo-
cratie lyonnaise, sous la Restauration, pour faire
croire que Lyon, en 93, combattait pour le trône et
Vautely cela n'est point. Les nobles royalistes qui ai-
dèrent à soutenir le siège furent presque tous étran-
gers à la ville. Les riches même étaient girondins.
Nous avons cru devoir expliquer ceci d'avance,
afin qu'on ne se trompe pas sur le point spécial que
la Convention ni les Jacobins ne purent entendre,
mais que l'histoire ultérieure du socialisme moderne
éclaire rétrospectivement : La question politique était
extérieure et secondaire à Lyon ; elle ne devint do-
minante qu'après la mort de Chalier. La question
ÉTAIT MOINS POLITIQUE QUE SOCIALE. fVJ
intime et profonde que les riches ajournôrent par la
guerre de Lyon contre la France était la queHim
sociale, la dispute des pauvres et des riches.
Celte grande et cruelle question voilée ailleurs
sous le mouvement politique a toujours apparu à
Lvon dans sa nudité.
Le marchand de Lyon^ républicain de principes,
n'en était pas moins le maître, le tyran de Touvriar,
et, qui pis est, le maître de sa femme et de sa
fille.
Notez que le travail, à Lyon, se faisant en famille,
la famille y est très-forte ; ce n'est nullement un li^n
détendu , flottant, comme dans les villes de manufac-
tures. L'ouvrier lyonnais est très-sensible, très^vul-
nérable en sa famille, et c'est là justement qu'il était
blessée
La prostitution non publique, mais infligée à la far
mille comme condition de travail, c'était le caractère
déplorable de la vie lyonnaise. Cette race était humi<^
liée. Physiquement, c'était une des plus chétives de
l'Europe. Le haut métier à la Jacquart n'existant pas
alors, et n'ayant pas encore imposé aux constructeurs
* L'insuffisance des salaires, surtout pour les femmes, ne se compen-
sait que paF le piquage d'once, petit vel habituel sur le poi()s de 1» soie
que Ton confiait à Touvrière ; si le maître ou le commis fernaait Iqs
yeux, on devine à quel prix. La femme même qui n'eût pas volé n'ob-
tenait guère de travail sans cette triste condition. Nulle part, dit-on,
les mœurs n'étaient plus mauvaises qu'h Lyon. Ce n'est pas au hasard
que le plus affreux de nos romanciers, écrivant vers 90, a plac^ dans
cettQ Sodome le derpieF épisode de son épouvantable livre.
\m LES RI<:VRUHS DE LYON
l'exhaussement des plafonds, on pouvait iofipunément
entasser jusqu'à dix étages les misérables réduits de
ce peuple étouffé, avorté. Aujourd'hui encore, dans
les quartiers non renouvelés, quiconque monte ces
noires, obscènes et puantes maisons, où chaque carré
témoigne de la négligence et de la misère, se repré-
sente avec; douleur les pauvres créatures misérables
et souillées qui les occupaient en 93.
Dur contraste ! La fabrique de Lyon, cet ensemble
de tous les arts, cette grande école française, cette
fleur de l'industrie humaine... dans de si misérables
mains !
Il y avait de quoi rêver. Nulle part plus que dans
celte ville, il n'y eut plus de rêveurs utopistes. Nulle
part, le cœur blessé, brisé, ne chercha plus inquiète-
ment des solutions nouvelles au problème des desti-
nées humaines. Là parurent les premiers socialistes,
Ange et son successeur Fourrier. Le premier, en 93,
esquissait le phalanstère, et toute cette doctrine d'as»
sociation dont le second s'empara avec la vigueur du
génie.
Là ne manquèrent pas non plus les rêveurs parmi les
amis du passé. 11 suffit de nommer Ballanche, et son
prédécesseur, le mélancolique Chassagnon, qui n'é-
crivait jamais que devant une tête de mort, et qui,
pour apprendre à mourir, ne manquait jamais une
exécution.
Au moment où la fureur girondine du parti des
riches poussait Chalier àTéchafaud, Chassagnon eut
la très-noble inspiration d'écrire une brochure pour
ET DES ALPES. 18i
lui SOUS ce titre : Offraude à Chalier. Il y montra un
vrai génie pour expliquer ce caractère mêlé de tous
les contraires, ce Centaure, cette Chimère, comme
il l'appelle, ce monstre pétri de discordances, cruel
et sensible, tendre et furieux. Dans ce beau portrait,
un trait manque pour l'histoire et pour la justice :
c*estla primitive inspiration d'où Chalier partit : un
cœur malade depitié, et souffrant douloureusement de
l'amour des hommes.
Cet infortuné, qui fut la première victime légale
de Lyon, qui ètrenna la guillotine, qui eut ce privilège
horrible d'être guillotiné trois fois, — qui fut suivi à
la mort par une foule de disciples en pleurs, tout
aussi enthousiastes que ceux de Jésus, — qui, un an
durant, de juillet en juillet, remplaça Jésus sur
l'autel, et fut pendant ce temps, avecMarat, la prin-
cipale religion de la France, Chalier était né Italien.
Son nom est plutôt savoyard. Peu importe. Il avait
un pied en Italie et en Savoie, étant né au Mont-Ce-
nis et tout près de Suse.
La grande voie des nations, la voie de neiges, su-
blime et misérable, où toute humanité défile sur le
bâton du pèlerin, offre la plus émouvante vision so-
ciale qui puisse troubler les cœurs. Cette prodigieuse
échelle de Jacob qui s'étend de la terre au ciel, les
contrastes violents de ces paysages improbables où
la nature se joue de toute raison humaine, cet en-
semble écrasant pour l'âme semble fait pour produire
en tout temps de sublimes fous, délirants de l'amour
de Dieu, de l'amour du genre humain. Là Rousseau,
i8i LE PIÉMONTAIS
après son terrible effbirt de logique et de raison, se
perdit lui-même en ses rêves. Là madame Guyon
écrivit son livre insensé des Torrens. Là Chalier
s'embrasa, avec une furie tneurtrière, du désir de
faire le ciel ici-bas.
Il avait été, comme tout Italien > élevé aux écoles
de démence, qu'on appelle théologiques. Il voulait
alors se faire moine. Il visita d'abord l'Italie et l'Ës-^
pagne. Il vit, il eut horreur.
Il parcourut la France aussi, et s'arrêta à Lyon.
Il Vit, il eut horreur.
On dit qu'il vivait alors misérablement, de leçons
de langues et d'enseignement. Mais^ comme un
homme intelligent, il ne voulut pas traîner, il domina
sa situation. Il se fît commis, négociant. C'est précis-
sèment ainsi que commencent aux mêmes lieux Four-
rier et Proudhon.
Chalier courut le commerce; il eut un grand bon^
heur, selon l'idée du monde : il devint riche. Mais il
eut un grand malheur : il vit partout dépouiller le
pauvre.
88 a sonné. Et le premier cri qu'on entend en
France est celui d'un Italien, une brochure de Cha*
lier : Vendez l'argenterie des églises, les bieûB ecclé-
siastiques, créez-en des assignats ; rendez aux pauvres
ce qui fut fondé pour les pauvres.
89 a sonné* Chalier, de Lyon, court à Paris; il
recueille les moindres mots de l'Assemblée Consti*
tuante. Il se levait de nuit pour se trouver le pre-
mier àla queue qui assiégeait les portes avant le jour.
CIIALIEIt. 185
Le wûr^ il voyait Loustalot (des Kévolulioos de
PiWHi)^ le meillear des journalistes. Près de partir^ il
lui dit : « Je veux me toer ; je ne supporte plus
VeuèB des misères de rbomme. n — € Virex^ lui dit
Loustalot, senrei rhumauité. «
Si Ckalier était resté à Paris^ il deTeuait fou. Il y
Torait tous les jours Marat et Fâuebet , TAini du
peuple et la Bouche-de-fer. Il rapporta à Lyon des
pÊ&ntê de la Bastille^ des os de Mirabeau qu'il fiiisftit
baiser k tous les passants, il prêchait^ il appelait tout
le nonde k la révolution. Lyon était trop près. Cba-
fmr pousse plus loin sa croisade. Il Tuit Lyon et les
koDoeurs où le peuple l'appelait^ il va à Naples^ en
Sieile; il enseigne la révolution aux cbevriers de
rEtna^ qui écoutent i^ans comprendre. 11 est cbassé.
A Malte encore, il prècbe, et il est cbassé. Il revient^
ma^ dépouillé... O grandeur oubliée de ces temps!
Sur ce simple eiposé qu'un Italien ^ ami de la
Béirolution , a été dépouillé â Naples, l'Assemblée
Constituante prend fait et cause, elle fait écrire Louis
XVI ; on rend à Cbalier son bien. « La France seira
flwo béritiére, t dit-il. Il lui adonné son bien et sa vie.
Cet bomme, vébément de nature* emporté deteni^
pérament^ce fougueui Italien^ arriva pcH»édé de
josti^ «t de pitié pour juger une ville où Tinjustice
était le fond de la vie même. Il apparut^ sous un
double ràkr comme ces rudes podestats * que les villes
du moyenne faisaient venir de l'étraDger, afin qu'ils
< Bék'9ém»m$ é'iUilif , par (jjvôiet. U «si tmlm îetmmé ce UtnM«
§i%Tr r b fêm févère ztMftie <^'mi ail jnMÎs fûfc de la mon 4*«i
184 KOKITS DE CHALlEIl.
ignorassent les parentés, les coteries, les mauvaises
alliances des nobles et des riches, qu'ils frappassent
impartialement à droite et à gauche. Le jour il ju-
geait; et tout ce qu'il avait amassé le jour de haine et
de violence contre les ennemis du peuple, il le ré-
pandait le soir dans les clubs. Haï comme juge,
comme tribun, à deux titres il devait périr.
Il semble qu'on ait détruit tout ce qu'avait écrit
Chalier. Le peu qui reste n'a nullement la banalité
de Marat, nullement la trivialité des improvisateurs
italiens. Il y a du burlesque, mais du terrible aussi,
des choses qui rappellent les menaces cyniques d'Ezé-
chiel au peuple de Dieu, les étrangetés sauvages des
mangeurs de sauterelles de TAncien Testament.
L'accent y est extraordinaire. On le sent trop, ce
prophète, ce bouffon n'est pas un homme. C'est une
ville, un monde souffrant ; c'est la plainte furieuse de
Lyon. La profonde boue des rues noires, jusque-là
muette, apris voix en lui. En lui commencent à parler
les vieilles ténèbres, les humides et sales maisons,
jusque-là honteuses du jour; eu lui la faim et les
veilles; en lui l'enfant abandonné ; en lui la femme
souillée, tant de générations foulées, humiliées, sacri-
fiées, se réveillent maintenant, se mettent sur leur
séant, chantent de leur tombeau un chant de menaces
et de mort... Ces voix, ce chant, ces menaces, tout
cela s'appelle Chalier.
peuple ! Je sais mainlenant ce que c'est que la mort. Elle ue m'appren-
dra rien. Je suis entré dans le cercueil. J'ai compté les vers.... Ah!
que cette initiation, cruelle et profonde, a été amère pour moi !
ACCLSATIOXS CONTRIi: LLI. I8b
L'énorme apostume de maux a crevé par lui. Lyon
recule effrayé , indigné de sa propre plaie ; il tuera
celui qui Ta dévoilée.
Quand on chercha, au dernier jour, des moyens de
le tuer, des preuves pour constater ses crimes, on ne
put établir aucun acte, rien que des paroles.
La seule trace imprimée qui reste de ses méfaits,
c'est une suite de brochures relatives à une visite
domiciliaire que Chalier aurait faite, au-delà de ses
pouvoirs, dans une maison qu'on soupçonnait de fa-
briquer de faux assignats.
On a prétendu qu'il avait dressé le plan d'un grand
massacre, qu'un tribunal improvisé eût siégé sur le
pont Morand, d'où l'ou eût jeté les condamnés au
Rhône. Une biographie girondine précise le nombre
douze mille. Les royalistes eux-mêmes ne poussent
pas les choses si loin ; ils rougissent de ce chiffre in*
sensé : ils disent vaguement un grand nombre.
Ses ennemis, pour le faire périr, furent réduits à
l'invention la plus odieuse. On fabriqua une lettre
d'un prétendu émigré qui remerciait Chalier de pré-
parer les moyens de mettre la France à feu et à sang.
Infâme et grossier mensonge par lequel on poussa le
peuple à vouloir la mort de sou défenseur.
Si Chalier et ses amis étaient coupables, au con-
traire, c'était d'avoir employé des moyens violem-
ment expéditifs pour organiser la défense contre
l'émigré et l'étranger. Des paroles sanguinaires, des
menaces atroces, des actes de brutalité, voilà ce qu'on
leur reproche. Ils invoquèrent la guillotine, mais
180 SON CARACTÈRES
leurs ennemis l'employèrent, et très-injustement
contre eux**
La violence des paroles et des actes était alors à un
point excessif dans tous les partis. Un Italien roya-
liste, le romain Casatij avait offert à TarcheVèque de
Lyon d'assassiner, non Chalier, mais un gifondin^
Vitet, chef de Tadministration girondine.
Tout ce qui reste de Chalier dans ses écrits, dads
la tradition, indique que cet bOnime, si violent par
accès, était de lui-même très-doux. Il aimait la na^
ture, désirait la retraite. Il espérait finir ses jours danà
la paix et la solitude. Il se faisait bâtir un ermitage
sur les hauteurs de Lyon, aux quartiers pauvres et
alors peu habités de la Ct'oix-Rousse ; il voulait y vi^
vre, disait-il, comme Robinson Crusoë< Il aimait Idl
plantes, les Qeurs, se plaisait à les arroset** Sans ffr^
mille, il avait pour tout intérieur une bonne femme
de gouvei'nante^ la Pie (la Pia?), qu'il avait prd*
bablement amenée d'Italie.
Dans les actes que commandait la nécessité révo-
lutionnaire, il restait sensible. ^ Ma chère amie, di-^
saitMl à une femme dont il bouleversait la tnaiSôtt
et arrêtait le mari, mettez la main sur mon cœur, et
1 Un seul fait qui caractérise les partis et leurs historiens^ atroce-
ment passionnés. — Guillon conte avec bonheur la mort de Santemou-
che, ami de Chalier, absous par le tribunal, et égorgé par les modérés.
<t Pour ses crimes, dit-il, à telle page je lëâ ai déjà l^âechtés. » A là
page, tous ne trouvez rien, sinon que Santemouche, oflBcier munieipal,
levait de maison en maison Timpôt décrété, le sabre à la main, qu'il
entra ainsi chez deux femmes qui en furent fort effrayées. L'acte, sans
doute, est condamnable, mais enfin vaut-il la mortt
I pouV^rét inforliini''. sans
Hïliliqiie, c'est (lu'il no Tiil
l toujours une famille
^bn liumnie miiltiplr.
Tm ei\ lui. ses amitiés.
\inin. La gotivornanto de
i:i Pin. Tadmiratrice de
■'■ui sa tète martyrisée,
-II! cl modéré Bertrand,
' .|ui poursuivit la veii-
i''";<;sp6ra. luus sont
l'avenir.
n\'t Y avait-il vie
' liiirommunisme
"11 mai 93.
■ \lpes, était
lïiatique. Il
ux robes-
[\ou. Aban-
•uvait troii-
•c les plus
i.iid, Ber-
Ù6iit de .
188 LES DISCIPLES
Que Chalier, né furieux, dans le paroxysme même
de sa fureur, ait trouvé ces paroles en faveur des
riches ! Et cela dans Lyon, dans la ville où le plus
visiblement le pauvre fut la proie du riche !... Qu'il
ait. au fond de ses entrailles, senti ces violents
accès de miséricorde infinie , cela le place très-
haut.
Vile! vite! le dernier baiser, et babillez-vous... Honnêtes gens, quelle
cruauté ! comme on vous traite mal!— « Est-ce un crime de goûter des
plaisirs légitimes? » — Oui, tout plaisir est criminel quand les sans-
culottes souffrent, quand la Patrie est en danger. — Et puis, scélérats
doucereux, vous ne déclarez pas tout. Vous feignez de dormir et de
faire les bons époux, tandis que vous avez des insomnies de Catilina,
que vous ourdissez, dans le silence des nuits, des trames liberticides...
Bah! bah! à tout péché miséricorde... Riches, une petite pénitence;...
mousquet sur Tépaule, et flamberge au vent ; galopez vers rennemi...
Vous tremblez; oh ! n'ayez point de peur; vous n'irez pas seuls;...
vous aurez pour frères d'armes nos braves sans-culoUeSy qui n'étalent
pas de la broderie sous le menton, mais qui ont du poil au bras... Je
compte sur vous, malgré les mauvaises langues. . . Tenez, amis, je m'offre
à être votre capitaine... Oui, je me glorifie d'avoir de tels soldats...
Vous n'êtes point aussi mauvais qu'on veut le dire ; oh ! vous en
vaudriez cent fois mieux si nous nous étions un peu fréquentés. Les
aristocrates ne sont incorrigibles que parce que nous les négligeons
trop : il s'agirait de refaire leur éducation... On parle de les pendre,
de les guillotiner;... c'est bientôt fait;... c'est une horreur... Y a-t-il
de l'humanité et du bon sens à jeter un malade par la fenêtre pour
s'exempter du souci de le guérir?... Riches, venez, et laissez votre or
pour être plus légers; le drapeau Hotte; le signal est donné...
Plongeons-nous loyalement dans les boues... Avancez ; faites feu ; vous
êtes incorporés dans les bataillons patriotes ; battez-vous comme des
lions;... vous ne mourrez pas; vous ne serez pas blessés... Ghalier,
votre capitaine, répond sur sa tête de tous les cheveux de la vôtre...
Je veux que, pour votre part, vous apportiez quelques centaines de
crânes prussiens, autrichiens et anglais, dans lesquels vos femmes et
DR nHALlRR. 189
Ce qui attendrit encore pour cet infortuné, sans
logique, sans suite et sans politique, c'est qu'il ne fut
jamais un homme seul, — il fut toujours une famille
spirituelle, une société d'amis, un homme multiple.
Nous connaissons tout ce qui fut en lui, ses amitiés,
ses habitudes, tout ce qu'il aima. La gouvernante de
Chalier, bonne et tendre, la Pia, l'admiratrice de
Chalier, la Padovani, qui reçut sa tête martyrisée,
le sage ami Marteau, le patriote et modéré Bertrand,
le fanatique et terrible Gaillard, qui poursuivit la ven-
geance et se tua quand il en désespéra, tous sont
inscrits profondément au livre de l'avenir.
Comment vivaient-ils entre eux? Y avait-il vie
commune? Non. C'était entièrement un communisme
d'esprit.
Rappelons les circonstances de Lyon en mai 93.
Dubois-Crancé, envoyé à l'armée des Alpes, était
un militaire, un dantoniste nullement fanatique. Il
explique parfaitement dans sa réponse aux robes-
pierristes la diflSculté infinie de sa situation. Aban-
donné du centre, comme il était, il ne pouvait trou-
ver d'appui que dans son étroite union avec les plus
violents patriotes de Lyon (Chalier, Gaillard, Ber-
trand, Leclerc, elc). Trois armées dépendaient de
Lyon, comme entrepôt général du Sud-Est, en atten-
daient leurs subsistances, en tiraient leurs ressour-
V06 ûlles boiront avec transport le vin de la liberté, de la république et
de la victoire. Fragment de Chalier, cité par Chassagnon, Offrande à
Chalier. Guillon, Mémoires sur Lyon, l, 445.
iUO SON ARRESTATION (30 MAI 93).
ces» Vingt départemeqts devaient suivre la destinée
de Lyon. La grande ville girondine, bourgeoise et
commerçante , infiniment rebelle aux gacriflces
qu'e^tigeait la situation, contenait de plus en son sein
une armée d'ennemis, une masse énorme de prêtres
et de nobles royalistes. Dubois-Crançé ne pouvait
plus rester dans les tempéraments où s'étaient tenus
m$ prédécesseurs. Le dantoniste s'unit aux enragé$y
donna la main à Chalier, frappa Lyon d'une taxe, et
créa l'armée révolutionnaire (13 mai). La suite se
devine. Les Lyonnais défendent leur argent. Ils
crient à la Convention, qui alors sous les Girondins
dément DuboisrCrancé , autorise à repousser la
force par la force. Décret coupable et trop bien obéi
dans l'affreux combat du 29.
La veille, au soir, on criait dans toutes les rues :
Mort à Chalier. Des masses, ou crédules, ou payées,
le disaient agent royaliste. Chalier ne recula pas.
« Ils veulent ma tète, je cours la leur porter. » Il va
aux Jacobins, prononce un discours plein de feu, et
dit : « Prenez ma vie. » Presque tout l'auditoire se
précipite pour l'arracher de la tribune. Ses amis le
sauvent à peine, le conduisent chez l'un d'eux.
Gaillard. C'était entre onze heures et minuit. Il y
trouva tous ses disciples qui voulaient mourir avec
lui. Le 29 au matin, jour du combat, il se rendit
intrépidement à son poste de juge, siégea de huit
heures à une heure. A peine rentrait-il que le canon
se fît entendre. Prié et supplié de pourvoir à sa sûre-
té, il resta immuable dans son domicile, disant : «J'ai
CHALIER EN PRISON. 491
ma conscience. . . Je me sens innocent comme Tenfant
qui vient de nattre. »
Le 30 au matin, il fut arrêté, traîné, lié, frappé,
jeté dans le plus noir cachot. Sentant bien qu'il était
perdu, il voulut échapper à ses ennemis, mourir en
homme; au défaut d'autres moyens, il avala deux
grands clous, et n'en eut pas moins la douleur de
vivre.
Ses lettres, naïves et touchantes, décousues, trou-
blées, témoignent do l'état d'isolement où il se trouva
tout à coup. De ses amis, les uns étaient en fuite, les
autres se cachaient, du moins dans leur effroi se te-
naient immobiles.
L'Italien, dominé par sa vive imagination, les
presse, les pousse, veut leur donner des ailes : «Cou-
rez à Paris, voyez Renaudin (ami de Robespierre);
que je sois jugé à Paris,» etc. Une chose lui donnait
espoir, l'arrivée de Lindet à Lyon, la prise de Brissot;
les Montagnards ayant un tel otage, Chalier croyait
qu'on n'oserait le condamnera mort. Rien ne servit.
On le jugea à Lyon.
Cependant on n'avait trouvé nulle preuve contre
lui. Les jurés ne voulaient point juger, et les juges
eux-mêmes voulaient ajourner le jugement. Mais les
scribes et les pharisiens, comme il les appelle,
avaient recours aux masses aveugles ; on courait les
campagnes, jusque dans les villages, on animait le
peuple à vouloir la mort de son défenseur. Chalier
ne l'ignorait pas. Il alternait (flottant dans une mer
de pensées) entre les souvenirs de la vie, les affaires.
J92 SON ISOKEWKM.
et les visions de la mort. Le cher petit ermitage de la
Croix-Rousse, qu'il achevait de hâlir, lui revenait au
cœur : « Finissons la maison du côté du jardin. » Et
dans une autre lettre : '< Terminons la citerne... La
pluie gâterait tout. > — Il retombait ensuite dans son
cachot, dans le réel de sa situation : c< La Liberté
et la Patrie sont bien à plaindre! leurs défenseurs
sont dans les souterrains .. » — « 0 malheureuse et
infortunée et aveugle ville de Lyon, de persécuter
ainsi ton ami et ton protecteur... » — « Adieu, Li-
berté, adieu, sainte Égalité!... Ah ! c'est une Patrie
perdue! »
Chaque jour, à minuit, douze soldats venaient à
grand bruit, comme pour le conduire à la mort. On
se jouait de ses souffrances. Un voisin de prison, qui
en avait pitié, lui donna un pigeon qu'il aima fort et
qui lui fit société.
D'où viendrait le secours , de Paris ? de Gre-
noble ?
Dubois-Crancé , dans cette dernière ville , s'é-
tait trouvé dans le plus grand danger. Les troupes
qu'il y avait se décideraient-elles pour la Gironde ou
la Montagne? Grenoble heureusement, comme tou-
jours, fut admirable, la population enleva l'armée ;
ce ferme point d'appui montagnard entre Lyon et
Marseille devint le salut du Sud-Est. Dubois-Crancé
redevint fort et put menacer Lyon. Mais plus il me-
naçait, plus il fortifiait le parti militaire qui voulait
la mort de Chalier.
A Paris, Lindet de retour demanda et obtint de la
LA CONVENTION INTERVIENT. 105
Ck)nveDtion qu'elle déclarât prendre sous sa sauve-
garde les patriotes de Lyon. 11 se montra réservé et
prudent, ne voulut rien dire de sa mission que ces
paroles infiniment conciliantes : a Si la nouvelle
autorité de Lyon est ferme, il n'y a rien à craindre
pour la liberté. »
Marat montra un vif intérêt pour Cbalier. Mais
lui-même, mais Robespierre et les Jacobins se trou-
vaient dans une situation assez di£Bcile. Ils poursui-
vaient à Paris les enragés quMls voulaient sauver à
Lyon. Ils firent chasser des Cordeliers, le 30 juin,
Leclerc, ami de Chalier.
Les liens de Chalier avec la masse du parti jacobin
semblent n'avoir pas été bien forts; c'était en réalité
un homme isolé, tout à part, qui devait sa puissance
à son inspiration indépendante, à la spontanéité visi-
ble de son exaltation. Même plus tard, lorsque Cha-
lier, mort, eut son apothéose, cela n'empêcha pas
plusieurs de ses fidèles d'être persécutés.
La dangereuse mission de porter à Lyon le décret
de la Convention en faveur de Chalier fut obtenue
par un autre Italien, le patriote Buonarroti (arrière-
neveu de Michel- Ange). Mais la situation était encore
empirée, quand il arriva. On le jeta en prison. Les
royalistes soi-disant convertis avaient gagné du ter-
rain. A force de jurer et de se dire républicains, ils
parvenaient à se faire accepter. Hommes d'épée, de
robe, ils primaient aisément parmi les Girondins, qui
presque tous étaient marchands. Ceux-cifirent maire,
le 15 juillet, un M. de Rambaud, ancien juge de la
YI. *•
sénéchaussée. Avec un tel choix, Chalier était mort.
A grand' peine il avait trouvé un défenseur mer-
cenaire qui, pour 2,400 fr., consentit à parler pour
lui. Le jugement n'en fut pas un. Le peuple menaça
les témoins à décharge et les empêcha de déposer
Des femmes pleuraient dans l'auditoire. « Hélas ! di-
saient-elles, comment faire mourir ce saint homme ! »
Le peuple les frappa, les chassa. Les juges^ effrayés
sur leurs sièges, furent obligés de prendre pour bonne
la lettre supposée de l'émigré à Chalier, comme si,
de toute façon, une lettre, même vraie, où il n'était
pour rien, eût pu être citée contre lui. Il n'en fut
pas moins, sur cette belle preuve, condamné & mort.
Quelque profonde et terrible que fût la surprise
de Chalier, rentré dans sa prison, il dit à un ami :
« Je prévois que ceci sera vengé un jour... Qu'on
épargne le peuple ; il est toujours bon, juste, quand
il n'est pas séduit... On ne doit frapper que ceux qui
l'égarent. d L'ami sentit son cœur brisé, et tomba
raide évanoui.
Chalier qui, dans ses lettres écrites en prison, avait
donné des larmes à la nature, aux anxiétés de ce
grand combat, ne se montra point faible à la mort.
Il se rendit à pied à la place des Terreaux, où des
furies hurlaient de joie. Il donna soixante francs au
gendarme qui le conduisait, ne repoussa pas le prê-
tre qui se présenta à lui *. Quoique pâle au moment
i C*est le triomphe facile que se donne le clergé au martyre dts
libre» penseurs. L'autorité, quelle qu'elle soit, ferme Faocès à tout
DE GHALffiR (la^AllbMir 95). 495
OÙ il monta à l'échafaùd/ilîiiAtlfèhlieméi^
reau : «Rendez-moi ma èoScan^6:e|;a[tkachez^ia).i]ao^
car je meurs pour la Liberté. > ^ / -
Le bourreau 9 tremblant et novice^ qui voyait la
guillotine pour la première fois^ avait mal suspendu
le couteau ; il manqua son coup, le manqua trois fois.
Il fallut, chose horrible, demander un couperet
pour achever de détacher la tète.
La foule furieuse fut elle-même saisie d'horreur «ï
ami de la liberté qui les soutiendrait dans leur foi. Elle fait tpprocbfr
au contraire le prêtre qui peut tirer d'eux le désaveu de leurs prtAr
cipes, faire du héros un pénitent. Ce prêtre est bien reçu comme
homme. Dans cette solitude effroyable du pauvre patient, déjà sorti
de la nature et qui ne Toit que le bourreau^ un homme vient à lui Uts
bras ouverts et le presse sur son cœur. 11 faut une force surhuidaiite
pour que le mourant emploie les quelques minutes qui le .séparent ae
Tétemité, h se défendre logiquement, à disputer son âme. Et s'il fe
fait, qui le saura ? Le seul témoin de ce combat, cVst le prêtre ini^
ressé à dire qu'il a vaincu. Que le patient résiste ou non, oyp ne roai^
quera pas d'assurer «qu'il a fait une très-belle fin. » C'est ain^i qu'en
lui ôtant toute chose et la vie même, on lui ôte encore ce qu'il estimait
plus que la vie, la constance dans sa foi et la communion intérieure
avec les siens. On leur donne cette amère douleur de croire quUl ne
leur a point été fidèle, qu'il les a reniés à la mort. — Il en fut ainsi poiAr
Chalier. Lorsque Couthon entra dans Lyon le 8 octobre avec l'armée
victorieuse, un M. Lafausse, vicaire-général de Lyon» ne manqua pas
de se présenter à lui et de se glorifier d'avoir confessé Chalier, qui
avait fini très-chrétiennement, baisé le crucifix, etc. Les robespier-
ristes, infiniment favorables au clergé constitutionnel, accueillirent trèf»-
bien la chose. On mit une lettre de Lafausse au Moniteur. C'est de
cette lettre et de quelques mots de Chassagnon que M. Buchei et
d'autres ont tiré la^ fable d'un Chalier chrétien, réfutée suffisamment
et par la tentative de suicide que Chalier déclare lui-même, et par le
Christ déchiré dont nous avons parlé plus haut.
196 DERNIÈRES PAROLES
toute changée. On dit qu'il éteÀt mort martyr, et le
miracle ne manqua pas à la légende. Plusieurs assu-
rèrent que, sous l'affreux couteau, et le cou k demi
coupé, il avait redressé sa tète pantelante, et qu'in-
vincible à la douleur, il avait dit au bourreau eftayé
les mots : « Àttache-moi la cocarde. •• »
Les femmes, italiennes ou françaises, la Pia, la
Padovani, recueillirent en pleurant sa colombe veuve,
le dernier amour du cachot. Elles ne craignirent pas
d'aller la nuit au cimetière des suppliciés. La Pado-
vani, aidée de son fils, arracha à la terre la pauvre
dépouille, si barbarement massacrée. La tète, hi-
deuse et brisée, n'en fut pas moins moulée, repro-
duite fidèlement avec les trois horribles coups. Lu-
gubre monument de guerre civile, qui fut montré,
promené par la France. On copia partout la tète de
Ghalier, on honora, adora son image ; mais sa pa-
role : « Qu'on épargne le peuple > hélas ! qui s'en
est souvenu?
DERNIÈRES PAROLES DE GHALIER.
Je n'ai que ce papier pour vous faire mes adieux , mes chers frères
et sœurs, quelques minutes avant ma mort pour la liberté. Adieu, frère
Anloine, adieu, frère Yalentin, adieu, frère Jean, adieu, frère Fran-
çois, adieu, neveux, nièces, belles-sœurs, beaux-frères, parents et
amis, adieu à tous. — Chalier, votre frère, votre parent et votre ami,
va mourir parce qu'il a juré d'être libre, et que la liberté a été ôtée au
peuple le 30 mai 93. Chalier, votre ami, va mourir innocent pour tout
ce dont on Taccuse. Vivez en paix, vivez heureux, si la liberté reste
après lui. Si elle vous est ravie, je vous plains. Souvenez-vous de moi.
Tai aimé Fhumanilé entière et la liberté, et mes ennemis, mes bour-
reaux, qui sont mes juges, m'ont conduit à la mort. Je vais rentrer dans
U sein de P Eternel.
DE CHALIER. 197
Vous, nies frères, venez recueillir le peu que je laisse. Suivez les
conseils de Tami Marteau, de la bonne Pie, ma gouvernante, que vout
considérerez comme moi-même, et dont vous aurez soin comme de
moi-même pendant toute sa vie. Si elle désire aller près de vouti re-
cevez-la comme moi-même, ayez toutes les bontés pour elle ; elle con-
naît mon cœur.
Je vous invite à faire tout pour faire rentrer mes fonds et acquitter
mes dettes contractées.
Suivez les conseils des amis que je vous ai indiqués, et de Bertrand
fils, mon ami.
Si le sacrifice de ma vie peut suffire à tous mes ennemis qui sont
ceux de la Liberté, je meurs innocent de tous les crimes qu*on m*im-
pute. Adieu, adieu, je vous embrasse tous. Lyon, 46 juillet 4793, à
trois heures après midi. Signé Ghalier, l'ami de THumanité.
Je te salue, ami Renaudin !
Je vais mourir pour la cause de la Liberté.
Je te salue, ami Seules !
Je vais verser mon sang pour la cause de THumanité.
Je te salue, ami Marteau !
Je vais mourir pour satisfaire à Penvie des ennemis de la Justice.—
Je te recommande la bonne Pie. Ne pleure pas ainsi qu'elle sur moi,
mais sur les maux qui vont peut-être t'accabler. Salue ta sœur pour
moi, salue tous mes amis, Monteaud, Demichel et autres.
Je te salue, bonne femme Pie. Adieu, rappelle-toi celui qui fut tou*
jours Tami de THumanilé.
Ma justification est dans le sein de TÉternel, dans toi, dans tous nos
amis, dans ceux de la Liberté. Embrasse Bertrand fils pour moi. Je
rinvite à ne pas t'abandonner et à faire tout... — Mes frères aussi in-
fortunés (surtout Frauçois] que tu peux Têtre. — Ne f afflige pas. Porte
à la citoyenne Corbet un billet de cent livres que je lui envoie par toi
pour souvenir. Son mari était si bon et si vrai patriote ! Salue et em-
brasse tous nos amis, tous ceux qui se rappelleront de moi. Dis-leur
que je les aime, comme THumanité entière.
Adieu, salut, salut. Je vais me reposer dans le sein de rÉtemel.—
Lyon, 46 juillet 4793, à quatre heures du soir. Signé Châtier. Archives
de la Préfecture de la Seine, reg, 34 du Conseil général^ 25 déc. 93.
CHAPITRE VI.
RÈGNE ANARCHIQUE DES HÉBERTISTES. DANTON DEMANDE
UN GOUVERNEMENT.
(Jaillet-Août 93.)
Enterrement de Marat. — Le Père Duchesne succède à VÀmi du Peuple, —
Tyrannie des hébertistes au ministère de la guerre. — Robespierre uni aux
hébertistes contre les enragés, — Échec de nos armées (juin-juillet). —
Extrême danger (août 93). — Décrets violents (août 93). — Le Comité de
salut public agissait peu encore. — Danton veut que le Comité se constitue
gouvernement.— Le Comité décline la responsabilité.
La sœur de Marat, qui a vécu jusqu'à nous, disait
en 1836 un mot certainement juste et vrai : « Si mon
frère eût vécu, jamais on n'eût tué Danton ni Ca-
mille Desmoulins. »
Nous ne doutons pas qu'en effet il ne les eût sou--
tenus, et conservé l'équilibre de la République, qu'il
n*eût sauvé Danton, et par cela même sauvé Robes-
pierre. Dès lors, point de Thermidor, point de réac-
tion subite et meurtrière. L'arc de 93, horriblement
tendu par la mort de Danton, n'aurait pas éclaté pour
la ruine de la liberté et de la France.
ENTERREMEN DE MARAT. iQQ
Les Cordeliers demandait le Panthéon pour Marat.
La proposition fut reçue froidement aux Jacobins.
Robespierre se déclara contre, et en cela il fut l'or-
gane des sentiments réels d'une grande partie de la
Montagne, qui ne pardonnait pas & Marat sa royauté
d'un quart d'heure au 2 juin.
Il eut mieux que le Panthéon. Il eut une pompe
populaire, et fut enterré parmi le peuple sous les
arbres des Cordeliers, près de la vieille église et du
fameux caveau où il avait écrit. Les pauvres gens,
ceux môme qui n'avaient guère lu ses journaux,
étaient attendris de sa mort, de son dévouement, de
sa grande pauvreté. Ils savaient seulement que c'é-
tait un vrai patriote, qui était mort pour eux, et qui
ne laissait rien au monde. Us avaient le pressentiment
très^juste que ses successeurs vaudraient moins, au-
raient un zèle moins désintéressé. Beaucoup pleu-
raient. La pompe eut lieu de six heures à minuit, à
la lueur des torches, à laclarté d'une resplendissante
lune d'été. Et il n*était pas loin d'une heure quand
Marat fut déposé sous les saules du jardin.
Thuriot , président de la Convention , dit sur la
tombe quelques mots chaleureux, toutefois propres
à calmer le peuple, à faire ajourner la vengeance.
Un seul fait montrera combien la mort de Marat
empirait la situation.
L'ami d'Hébert, le secrétaire général de la Guerre,
le petit Vincent, brouillon, intrigant furieux qui ne
savait se contenir, montra sa joie pendant l'enterre-
ment; il se frottait les mains, disait : « Enfin !••• »
200 LE PÈRE DUCUeSNE
Ce qui signiââit : Nous sommes enfin rois. Nous hé-
ritons de la royauté de la Presse populaire.
Et cela n'était que trop vrai. L'Ami du peuple fut,
en réalité, remplacé par le Père Duchesne.
Hébert n'héritait pas sans doute de l'autorité de
Marat; mais, en revanche, il disposait d'une publicité
bien autrement vaste, illimitée, on peut le dire, n'im-
primant pas, comme Marat, selon la vente, mais se-
lon l'argent qu'il tirait des caisses de l'État, spécia-
lement de celle de la Guerre. Marat ( sa sœur Ta
imprimé) ne fesaitpas ses frais. Hébert, en quelques
mois, et vivant avec luxe, fit une fort belle fortune.
Employé des Variétés et chassé pour un vol, ven-
deur de contremarques à la porte des théâtres, il
vendit aussi des journaux, spécialement le Père Du-
chesne (il y avait déjà deux journaux de ce titre).
Hébert vola le titre, et la manière, se fit entrepreneur
d'un nouveau Père Duchesne, plus jureur, plus cyni-
que ; il le fesait écrire par un certain Marquet. Par-
leur facile aux Cordeliers, Hébert se fit porter par
eux à la commune. Club, commune et journal, trois
armes pour extorquer l'argent. On le vit au 2 juin ;
dans ce grand jour d'inquiétude où tout le monde
s'oubliait, Hébert ne perdit pas la tète ; il sentit que
le gouvernement, dans une telle crise, avait grand be-
soin des journaux et grande peur aussi. Il reçut cent
mille francs.
Nous avons raconté qu'au 2 juin. Prud'homme, l'é-
diteur des Révolutions de Paris, fut arrêté, et si bien
tourmenté, qu'il cessa bientôt de paraître. Celui qui
SUCCÈDE A VA Ml Uff PEUPLE, 201
le fit arrêter, un certain Lacroix, était hébertiste et
membre de la Commune. 11 rendit là un service à
Hébert, lui tuant son concurrent, effrayant tous les
autres, de sorte que la Terreur qui frappa les jour-
naux profita à un seul ; la liberté de la Presse, entière
de nom, nulle de fait, n'exista guère que pour le
Père Ihicheme. Lorsque Prud'homme reparut, le
3 octobre, ce fut à condition de prendre exclusive-
ment pour rédacteurs des hébertistes.
Hébert, maître et seigneur de la presse populaire,
pouvait dans un moment donné frapper sur l'opinion
des coups terribles. Tels de ses numéros furent tirés
jusqu'à siœ cent mille !
Publicité factice, payée et mercenaire. L'honnête
Loustalot, le premier rédacteur des Révolutions, tira
à Aqxoc cent mille, dans les grandes journées d'en-
thousiasme universel, sincère, qui ont marqué l'au-
rore de la Révolution.
La vache à lait d'Hébert était Bouchotte, le mi-
nistre de la guerre.
D'une part, il tirait de lui ce qu'il voulait d'argent
pour augmenter sa publicité , l'étendre surtout aux
armées. D'autre part, avec cette publicité, il le ter-
rorisait, lui faisait nommer ses amis, commis,
officiers, généraux. Un ministère qui dépensait trois
cent millions (d'alors) par mois, qui avait à donner
cinquante mille places ou grades, mille affaires lucra-
tives d'approvisionnement, équipement, armes, mu-
nitions, constituait une puissance énorme, toute dans
la main des hébertistes.
202 TYRANNIE DES UÉBERTISTES
 la tête de tout cela, le vrai ministre, Vincent,
un garçon de vingt*-cinq ans, petit tigre. Plus tard,
quand Robespierre réussit à le mettre en cage, sa
fureur était telle qu'il mordait dans un cœur de
veau, croyant mordre le cœur de ses ennemis.
La tolérance de ces misérables, qui dura plusieurs
mois, fut le martyre de Robespierre.
Fous furieux dans leurs paroles, ils étaient , dans
leurs actes, infiniment suspects. Le sans-culotte Hé-
bert, quand il avait couru dans sa voiture à la Com-
mune, aux Cordeliers, aux Jacobins, ou à la Guerre,
laissait le bonnet rouge, et retournait à la campagne,
à la villa du banquier Koch, que beaucoup regardaient
comme un agent de F étranger. Sa femme et lui ne
vivaient là qu'avec des cinlevant (spécialement une
dame de Rochechouart), le beau monde enfin d'au«-
trefois. Le plus assidu commensal de la maison était
un autrichien, très-douteux patriote, Proly, bâtard
du prince de Kaunitz.
Le premier soin de Robespierre, dès qu'il eut un
bon Comité de sûreté, ce fut de faire arrêter ce Proly,
et saisir ses papiers. Il ne trouva rien d'abord, maii»
plus tard, il l'a fait mourir avec Hébert.
Quand l'étranger les eût payés pour maintenir li
désorganisation qui régnait à la Guerre, ils n'auraient
pas fait autrement. De moment en moment ilschan*^
geaient tous les généraux. Aux deux grandes armées
du Nord et du Rhin, il y eut, à la lettre, un général
par mois.
 la première, six généraux en six mois : Dmaou**
AU mNlSTÉRE DE LA GUBRRB. 905
rier, Dampierre, Beauharaais^ Custme^ Bouchard,
Jourdan.
En huit mois, huit généraux à Tarmée du Rhin !
Gustine, Diettmann, Beauhamais, Laudremont, Meu*
nier, Garlenc, Pichegru, Hoche.
Cette mobilité effroyable suffisait à elle seule pour
expliquer tous les revers.
La girouette ne fut fixe que pour un choix, celui
de Rossignol, l'inepte général de TOuest. Ron-
sin avait très-bien compris que , pour agir à
Taise, il valait mieux pour lui ne pas prendre le pre-
mier rôle. Il lui fallait un mannequin. Il avait pris
tout simplement un jeune gendarme, homme illettré
et simple, ex-ouvrier bijoutier du faubottrg Saint-
Antoine, brave, agréable, grand parleur, aimé
des clubs. Rossignol, c'était son nom, avait brillé au
siège de la Bastille, puis dans la gendarmerie, et il y
avait atteint le vrai poste où il devait rester, celui de
commandant ou colonel d'un corps de gendarmerie.
Bon enfant, bon vivant, pas fier, camarade du scin-
dât, très-indulgent pour les pillards, il se fit adorer.
Les généraux auraient voulu le pendre ; c'est ce qui
fit sa fortune. Traduit à la barre de la Convention, il
apparut comme une victime du patriotisme. Il y fut
fort caressé, encouragé de la Montagne, qui ne vit
que sa bravoure, sa simplicité. Ronsin saisit l'occa*
sion avec un tact admirable ; il vit combien Rossignol
avait plu, et qu'on était décidé d'avance à tout par-
donner à ce favori, qu'il pourrait tout faire sous son
ombre. Il demande et d)tient qu'on le fasse féoéral
iOi ROBESPIERRE UNI AUX HÉBERTISTES
en chef ! <c Vous avez tort, dit Rossignol lui-même ,*
je ne suis pasf.... pour commander une armée. » Il
eut beau dire, il commanda. Ronsin, derrière Rossi-
gnol, lui fit signer des crimes, d'affreuses trahisons.
Toujours battu, toujours justifié. Rossignol ne parvint
jamais à lasser Tengouement du Comité de salut
public. Il en fut quitte pour passer à un autre poste
et dire en finissant : a Je ne suis pas f... pour com-
mander une armée. »
Robespierre pouvait-il ignorer ce hideux gâchis de
la Guerre , qui non-seulement ruinait la France, mais
la tenait sur le bord de l'abîme? Il est impossible de le
croire. Mais une chose le paralysait.
11 voyait aussi un abîme, mais un autre, qui l'ef-
frayait plus que les désordres de l'administration et
les succès de l'étranger, l'abîme de la dissolution so-
ciale. Cette Terra incognita au-delà de Marat ( dont
parle Desmoulins), cette région inconnue, hantée des
spectres et mère des monstres, il l'avait vue dès juin
dans l'étrange alliance de Jacques Roux (des Gravil*
tiers), du Lyonnais Leclerc, ami de Chalier, et de sa
maîtresse Rose Lacombe, chef des femmes révolution-
naires. Connaissait-il Babeuf, déjà persécuté par An-
dré Dumont, dans la Somme, et par la Commune à
Paris? je n'en fais aucun doute. La révolution roman-
tique et socialiste ( comme nous dirions aujourd'hui)
inquiétait Robespierre. Dans sa visite aux Cordeliers,
pour combattre les monstres, les Leclerc, les Jacques
Roux, il lui fallut, comme on a vu, se faire accompa-
gner de cet ignoble chien, Hébert.
CONTRE LES BNKAGÉS. 905
Maraty tant qu'il avait vécu, leur tenait la porte fer-
mée. Marat mort, ils s'étaient habilement saisis de
son nom. Roux, Leclerc el Varlet, rédigeaient en-
semble V Ombre de Marat. Là était la terreur de Ro-
bespierre, là son lien avec Hébert qui, comme con-
current, ne demandait pas mieux que de les détruire.
Avant la fête du 10 août, lorsque les Fédérés arri-
vaient à Paris, Robespierre frémissait de les voir en
péril de tomber sous cette influence anarcbique. Il
lança la veuve Marat qui vint à la Convention accuser
Roux, Leclerc, d'avoir volé le nom de son mari. Ren-
voyé au Comité de sûreté, qui arrête le journal et les
rédacteurs. Mesure violente, presque inouie. LesGra-
villiers crièrent pour Roux, leur orateur; Hébert les
reçut à la Commune, les traita sèchement, du haut du
Père Duchesne^ les renvoya humiliés.
Voilà à quoi servait le Père Duchesne^ et le secret
de la grande patience de Robespierre.
Robespierre n'avait nul journal. 11 n'avait de prise
que les Jacobins. Et là même, parCollot d'Herboiset
autres, les hébertistes étaient très-forts. Il lui fallut
donc patienter, attendre qu'ils se perdissent eux-mê-
mes, laisser passer cette fange. Sa conduite aux
Jacobins fut merveilleuse de dextérité. Jamais il ne
nommait Hébert, jamais Ronsm. Nais il défendait leur
ministre Bouchotte, et c'est ce qu'ils voulaient le plus,
n défendait aussi leur Rossignol, et volontiers; c'était
une thèse populaire.
A ce prix, Robespierre, sans se salir avec Hébert,
pouvait s'en servir au besoin. Le cas pouvait venir où
S06 ÉCHECS
la Montagne se mettrait en révolte contre son ascen-
dant, où Danton reprendrait le sien. Ce jour-là, il
aurait trouvé un secours dans ce dogue qui pouvait
en un jour mordre de six cent mille gueules à la fois
(cela eut lieu le 4 octobre) .
Jusque lày s'il menaçait Danton, Robespierre Far-
rètait. Que les dantonistes et les hébertistes s'usassent
les uns par les autres, il le trouvait très-bon ; mais
abandonner Danton même, c eût été rendre les hé-
bertistes si forts, qu'ils eussent tout emporté. Ils
avaient déjà le ministère de la Guerre, ils auraient
pris celui de l'Intérieur, l'objet de leur concupis-
cence ^ ; ils auraient eu ainsi et le dehors et le dedans,
1 Le faible mini sire du 34 mai, Gtrat, miné aux Jacobins par une
suite d'attaques babilement ménagées, harcelé à la Commune, détigné
dans la rue par des affiches comme afifameur du peuple , n'était plus
qu'une feuille d'automne qu'un coup de vent devait emporter. Les Hé-
bertistes, croyant déjà tenir son ministère, mirent Collot d'Herbois k ses
trottsse8« Collot était redoutable en ce qu'il représentait les plus ànim-
tres puissances de la Révolution, l'ivresse et le vertige, les colères,
vraies ou simulées. Furieux, facétieux, terrible, burlesque, il emportait
Pattention, parce qu'on ne savait jamais si l'on devait trembler oo rire.
Sous le prétexte d'une mission qu'il avait, il va au ministère demander
une voiture. Il y va à l'heure où il sait que le ministre est sorti, c Pour-
quoi est-il sorti? » Il s'indigne, tempête, court les bureaux, claque les
portes, épouvante les commis. Alors, il demande, il exige qu*on lui If-
vre un écrit. La pièce était bien innocente : c'était une série de questions
que Garât faisait aux départements pour connaître l'état de la France.
11 y avait entre autres, celle-ci : «Combien perdent les assignats?» Collot
court à la Convention, dénonce, crie, écume: «Supposer que les assignats
peuvent perdre !. .. O crhne t • Avec son art de comédien, ayant rendu
l'hamne odieux, il le rend ridicule, sûr que, si la Convention se met à
DE NOS ARMÉES (JUIN-JUILLET). 207
toute la force active. Robespierre ne le permit pas.
Toutes les di£Scultés de la situation éclatèrent aux
premiers jours d'août, quand la Convention[fut frappée
d'une grêle effroyable de revers et de mauvaises nou-
velles.
Revers tout personnels pour l'Assemblée. La Mon-
tagne elle-même était allée à la frontière. Nombre de
ses membres, avec un dévouement admirable, sans
songer qu'ils sortaient de professions civiles, avaient
pris répée en juillet et marché aux armées, accep-
tant toute la responsabilité, défiant la fortune. Là, ils
avaient trouvé tout ennemi, les militaires hostiles, la
discipline anéantie, le matériel nul, la désorganisation
radicale des administrations de la guerre, l'ineptie du
ministre, la perfidie souvent des hébertistes, tou-
jours leur incapacité. Et tout cela retombait sur les
représentants. Battus, blessés, comme Bourbotte,
déshonorés, comme d'autres, et tout près de la guil-
lotine ! A Mayence, Merlin de Thionville arrêta toutes
les forces de la Prusse, se battit comme un lion, cou-
vrit la France quatre mois, et au retour faillit être
rire» si le mépris atteint Garât, Taffaire est faite, il est tué l-— Garât,
appelé en hâte , était fort pâle à la barre , et plus il était pâle , plus
Tafifaire allait mal. Danton, alors président, vit qu'il enfonçait. Il céda
le fauteuil, monta : « Garât, dit-il, n*est pas né pour s'élever jamais
k Ténergie, à la hauteur révolutionnaire. » Et mettant solennellement
la main sur la tête du pauvre diable : » Je te déclare innocent, de par
la Nature, » — Celte grande scène de comédie, meilleure que celle de
Collot, sauva Garât, qui fut quitte pour sa place, et garda sa tête. Hébert
manqua sa proie* Le ministère fut donné à un tmi de Danton.
208 EXTRÊMES DANGERS (AOUT 95).
arrêté. À Valenciennes, Briez et un autre se défendi-
rent quarante jours et contre l'ennemi et contre la
ville ; la bourgeoisie voulait se rendre, et lâchait le
peuple contre eux. l^es émigrés étaient si furieux que
malgré la capitulation, malgré les Autrichiens, ils
voulaient les tuer. 11 leur fallut cacher leur écharpes,
prendre l'habit de soldat, passer confondus dans les
troupes (2^ juillet).
La Convention apprend les jours suivants qu'elle a
perdu toute la frontière du Nord, que Cambrai est
bloqué ;
Que le Rhin est perdu, Mayence rendu. Landau
bloqué, Tennemi aux portes de l'Alsace;
Que, pour la seconde fois, les Vendéens vainqueurs
ont dissipé l'armée de la Loire.
Qui accuser? Les représentants ne méritaient que
des couronnes civiques. Les revers étaient le résultat
de la désorganisation générale. Le Comité de salut
public, renouvelé depuis le 10 juillet, n'avait pu faire
grand' chose encore. 11 craignait néanmoins qu'on ne
le rendît responsable, et se rejetait sur la trahison.
La perfidie d'un général , l'argent de l'étranger,
telles étaient les explications que donnait le trem*-
blant Barrère. Les.accusations de ce genre réussissent
presque toujours auprès des assemblées émues et
défiantes. Barrère y excellait.
Les incendies qui éclataient dans nos ports, et
qu'on imputait aux Anglais , portaient au comble
l'irritation de la Convention. Elle déclara Pitt
<K Tennemi du genre humain. » Quelqu'un voulait
AGISSAIT PEU ENCORE. fil
de salut public ; que les ministres ne soient quesesagents^
confiez^kur cinquante millions.
Autrement dit : Que le Comité , gouvernement de
droit, devienne gouvernement de fait, qu'il accepte
toute la responsabilité. Et, pour que cette respon-
sabilité soit entière , qu'elle ne flotte plus partagée
entre le Comité et les ministres. Abattons cette mo*
narchie du pouvoir ministériel qui neutralise le Co-
mité , et qui n'agit pas d'avantage.
Ce qui s'était fait depuis deux mois de plus utile,
d'immédiatement efBcace pour le salut, s'était fait
sans les ministres , sans le Comité.
Seule, sans secours du centre, Nantes tint en échec
la Vendée, malgré le centre même qui destituait Cau-
daux, l'excellent général de Nantes.
Seul , sans secours du centre, Dubois-Crancé orga*
nisales forces montagnardes qui continrent le sud-est,
isolèrent Lyon des Alpes, le tout, comme il le dit
lui-môme, sans le Comité, malgré lui.
Seul, par sa sagesse individuelle et sa modération ,
Robert Lindet poursuivait la pacification de la Nor*
mandie. El le Comité n'y fit rien qu'envoyer, pour
plaire aux Hébertistes, un homme à moitié fou , Car-
rier.
Ces efforts partiels avaient suffi, pourquoi? parce
que l'orage de la guerre était encore 'suspendu sur
Mayence et sur Valenciennes. Maintenant, il crevait;
c'était le moment de faire un gouvernement un et
fort , ou bien de périr.
Le Comité devait prendre résolument la direction^
Îi2 DANTON VEUT QUE LE COMITÉ
et déclarer qu'il était ce gouvernement; cesserd'obéir,
commander; ne plus se laisser traîner à la remorque ,
mais prendre l'avant-garde el l'initiative, entraîner
tout le monde au nom de la Patrie.
Cela ne fut pas dit, mais saisi à merveille, senti
profondément. C'était le cri du cœur et du bon sens.
Couthon, l'ami de Robespierre, sans attendre cette
fois son avis, s'écria qu'il appuyait Danton. Saint -
André en dit autant, ainsi que Cambon et Barrère.
Seulement ils ne voulaient point de fonds en manie-
ment.
Robespierre dit que la proposition lui semblait
vague. Il demanda, obtint l'ajournement.
« Vous redoutez la responsabilité, leur dit Danton.
Souvenez-vous que, quand je fus membre du conseil,
je pris sur moi toutes les mesures révolutionnaires.
Je dis : a Que la liberté vive, et périsse mon
nom ! »
Grave appel. Y répondre par l'ajournement, c'était
risquer beaucoup. Qu'adviendrait-il, si la chose qu'on
pouvait prévoir, la chose décisive et mortelle (qu'on
apprit en effet le 7) venait à se réaliser : Vunion des
Anglais avec les Autrichiens pour marcher sur Paris?
La situation de la France étant si prodigieusement
hasardée, il semblait que le Comité de salut public
devait se hasarder lui-même, prendre la force qu'on
le priait de prendre, mettre la main sur la Guerre,
chasser Bouchotte ou le faire marcher droit, braver
Hébert, Vincent, Ronsin, tous les chiens aboyants qui
faisaient curée de la France.
se CONSTITUE GOUVERNEMENT. 215
Robespierre ne crut pas la chose encore possible.
Comment, dans un gouvernement d'opinion et de
publicité, subsister sans la Presse? Or, la Presse était
dans Hébert, depuis la mort de Marat.
On n'eût pas réussi. On eût aventuré la seule au-
torité morale qui restât à la République. Cette au-
torité subsistait, mais à condition de ne rien faire.
Hébert n'était pas mûr pour la mort.
Donc, Robespierre ne faisait rien. Il siégeait, écou-
lait, écrivait. Cinq ou six heures par jour à la Conven-
tion, autant aux Jacobins. En août, il fut président de
Tune et de l'autre assemblées. Les nuits pour ses
discours. Il lui restait du temps pour des occupations
que nous appellerions philosophiques, académiques,
pour lire à l'Assemblée l'ouvrage de Lepelletier sur
l'éducation, pour écouter tout un livre de Garât sur
la situation.
Tous ceux qui avaient le sens du danger ou tout au
moins la peur, étaient consternés de cette inertie du
premier homme delà République. Plusieurs en étaient
indignés.
Danton dit brutalement : « Ce b là n'est pas
seulement capable de faire cuire un œuf ! *
L'ancien ami et camarade de Robespierre, qui
avait tant contribué à le diviniser vivant, Camille
Desmoulins, dans une maligne brochure, en daubant
l'ancien Comité, effleura le nouveau; il toucha
finement le point de la situation, à savoir que,
ni dans la Convention^ ni dans le Comité de salut public,
personne ne surveillait la Guerre : «Membre du Comité
214 LE COMITÉ DÉCLINE LÀ RESPONSABILITÉ.
de la Guerre, dit-il, j'étais surpris de voir que notre
Comité chômait. Et, comme on me dit qu'au Comité
de salut public il y avait une section delà Guerre, j'y
allai quatre jours de suite, et fus étrangement surpris
de voir que cette section était composée de trois
membres, l'un malade, l'autre absent; le troisième
s'était démis. » Ce troisième, l' ex-colonel Gasparin,
ayant refusé, Robespierre occupait sa place, la place
du seul membre militaire du Comité.
Cet état de choses était irritant. Il fallait un homme;
on n'avait qu'un dieu.
Une société populaire ayant apporté (le 2 août)
aux Jacobins les bustes de Lepelletier et de Marat,
le président de ce jour dit ces étranges paroles :
a Entre Marat et Lepelletier, il doit rester un vidé
où sera placé le grand homme qui doit se lever pour
être le Sauveur du monde. , . » — «r Oui , dit le
boucher Legendre , mais pourvu qu'il soit aussi
poignardé. »
CHAPITRE VI!
FÊTE DU 10 AOUT 93.
Léi fédérés da Id ëôM 99. «-Ouverture du Loufte et du musée des mona-*
meuts fraufais. —Gomment les partis divers se caractérisaient.— Grandeur
et terreur dans la fête du 10 août.— Sombre effet.— Incidents cyniques.
•^ Les colosses de plâtre.
La fête du 10 août fut une grande représentation
populaire, imposante et terrible, toute marquée du
caractère sinistre du moment, du danger, de la ré-
sistance désespérée qu'on préparait, des lois de la
Terreur qu'on lançait à l'ennemi. Ce fut à peine une
fête. L'acceptation de la Constitution, ce fait tou-
chant de la France s'unissant en une pensée, n'y eut
qu'un effet secondaire.
La nouvelle fatale avait été reçue par le Comité de
salut public. Les armées coalisées n'opéraient plus à
t\e LES FÉDÉRÉS DU 10 AOUT 95.
part ; elles marchaient d'ensemble, et les chances de
la résistance devenaient inflniment faibles. L'armée
du Nord n'avait dû son salut qu'à une manœuvre ha-
bile; elle s'était jetée de côté, mais en livrant la
route de Paris. Paris se trouvait découvert; la fêle se
donnait, pour ainsi dire, sous le canon ennemi.
Le chant du jour fut le Chant du départ, — non
plus \dL Marseillaise y l'hymne humain et profond des
légions fraternelles, — mais un coup perçant de trom-
pettes, le cri de la Terreur guerrière qui fondit sur
l'Eurojle et l'ensanglanta vingt années.
Pour la première fois, on vit un autre peuple, et
l'on put mesurer le grand changement qui s'était fait
dans les mœurs et la situation. Au peuple confiant
des grandes Fédérations, au peuple enthousiaste de
la grande croisade, le départ de 92, un autre a suc-
cédé. Les nouveaux fédérés, peu brillants, sérieux,
mis humblement, hommes de travail et de devoir,
n'apportaient nulle parure , mais leur dévouement
simple, leurs bras, leur vie, dans cette grande cir-
constance. Le peuple de Paris n'était guère moins
sérieux, sauf les bandes ordinaires qui dans toute
fête gouvernementale sont chargées de représenter
la joie publique.
La défiance régnait. Aux approches de Paris, les
fédérés n'avaient pas été peu surpris de se voir fouil-
lés. On craignaient qu'ils n'apportassent des papiers
dangereux, quelques journaux fédéralistes. Combien
à tort ! ces braves gens n'avaient au cœur que l'unité
de la France.
OUVERTURE DU LOUVRE. 217
La Commune craignait pour leurs mœurs et leurs
bourses. Elle avait signifié aux Slles publiques de ne
pas paraître dans les rues. On craignait encore plus
pour leur orthodoxie politique. La Commune s'em-
para d'eux, les embrassa en quelque sorte, les mena
à la Convention, aux Jacobins, partout. La Conven-
tion leur donna l'accolade fraternelle. Les Jacobins
les établirent dans leur propre salle pendant tout
leur séjour, délibérèrent en commun avec eux.
La Convention n'avait rien ménagé pour que cette
grande occasion qui amenait à Paris tout un peuple
lui laissât dans l'esprit une impression ineffaçable,
pour que ce peuple senttt la Patrie et rapportât à la
France sa grande émotion.
Elle consacra un million deux cent mille francs à
la fête.
Elle ouvrit deux musées immenses.
L'un qu'on peut appeler celui des nations, l'uni-
versel Musée du Louvre, où chaque peuple est repré-
senté par son art, par d'immortelles peintures.
L'autre* qu'on pouvait appeler celui de la France,
* Je rouvre ici une plaie de mon cœur. Ce musée, où ma mère dans
mon âge d'enfance indigenle, mais bien riche d'imagination, où ma
mère lani de fois me mena par la main, il a péri en 18<5. Un gouver-
nement né de l'étranger se hâla de détruire ce sanctuaire de Fart na-
tional. Que d'âmes y avaient pris l'étincelle historique, l'intérêt des
grands souvenirs, le vague désir de remonter les âges ! Je me rappelle
encore r émotion, toujours la même et toujours vive, qui me faisait battre
le cœur, quand, tout petit, j'entrais sous ces voûtes sombres et con-
templais ces visages pâles, quand j'allais et cherchais, ardent, curieux,
craintif, de salle en salle et d'âge en âge. Je cherchais, quoi? je ne le
218 MUSÉE DES MONUMENTS FRANÇAIS.
le Musée des monuments français, incomparable
trésor de sculptures tirées des couvents, des palais,
des églises. Tout un monde de morts historiques,
sortis de ses chapelles à la puissante voix delà Révo-
lution, était venu se rendre à cette vallée de Josar
phat. Ils étaient là d'hier, sans socle, souvent mal
posés, mais non pas en désordre. Pour la première
fois, au contraire, un ordre puissant régnait parmi
eux, l'ordre vrai , le seul vrai, celui des âges.
La perpétuité nationale se trouvait reproduite. La
France se voyait enfin elle-même, dans son dévelop-
pement; de siècle en siècle et d'homme en homme,
de tombeaux en tombeaux, elle pouvait faire en quel^
que sorte son examen de consciencOé
« Qui suis-je ? disait-elle. Quel est mon principe
social et religieux?... Et de quelle vie donc bat mon
cœur? » Cela n'était pas clair encore. Chaque parti
eût diversement répondu à la question. Âiïtre eût été
là solution des Cordeliers, des Jacobins ; autre celle
de Robespierre et celle de Danton, de Clootz et de
Chaomette, de la Commune de Paris. Ces influences
opposées se combattaient manifestement dans la fête.
L'ordonnateur David, homme de Robespierre, n'en
avait pas moins suivi généralement l'inspiration de
sais; la vie d'alors, sans doute, et le géoie des temps. Je n*étais pfl»
bien sûr qu'ils ne Téenssent point, tons ces dormeurs de marbre, étendoi
snr leurs tombes; et quand, des somptueux monuments du XVI^ siècle
éblouissants d*a1bâtre, je passais à la salle basse des Mérovingiens oii se
trouvait la croix de Dagobert, je ne savais pas trop si je ne vennis
point se mettre sur leur séant Chilpéric et Frédégonde.
COMMENT LES PARTIS DIVERS SB CARACTÉRISAIENT. %l%
la Commune. C'est elle-même qui fit les deviseSé
Elle répandit sur toute la fête le souffle des Corde-
liers.
L'influence de Robespierre est manifestement su-
bordonnée; Y Être suprême de la Constitution ne
pafûît point ici. Et d'autre part, les Cordeliers, peut-
être par une concession à Topinion jacobine ^ ont
caché leur Dieu, la Raison, qu'ils montreront bien-
tôt, caché leur saint, Marat. Chose étrange, au mch*
ment où ils viennent d'appendre le cœur adoré de
l'Ami du peuple aux voûtes de leur salle, ils man-
quent l'occasion d'exhiber la relique à la France
réunie.
Au défaut de l'unité de principe, la fêle avait du
moins une sorte d'unité historique. C'était comme
une histoire en cinq actes de la Révolution.
Le tout, froid et violent, forcé, et néanmoins
sublime.
Le péril et l'efibrt même , l'effort héroïque que
l'on sentait partout, donnait à l'ensemble une vraie
grandeur.
David fut l'effort même. Par là, il exprimait son
temps ^. Artiste tourmenté de la grande tourmente,
^ L'art se cherchait, comme répoiiue^ Sa puissance donnait encOret
en trois enfants. Gros, Prud'hon, Géricault. Le roi dealers était David.
Ce que Teflort est à la force, Datid le fbt à Géricault. ^Élève d^archi-*
tecte, et non de peintre, David posa ses premiers iregards sur des
marbres, des lignes inflexibles, et il efi garda la raideur, il haïssait
deuic choses cruellement et leur faisait la guerre, la nature d'aboré^
la molle nature du XVIIP siècle, puis les tim de soti tenptf^ llèxer-*
220 GRANDEUR ET TERREUR
génie pénible et violent qui fut son supplice à lui-
mème, David , dans son âme trouble, avait en lui les
luttes, les chocs, dont jaillit la Terreur.
Ce Prométhée de 93 prit de l'argile, et en tira trois
dieux, trois statues gigantesques : la Nature, aux
ruines de la Bastille ; la Liberté, à la place de la Ré-
volution; le Peuple-Hercule terrassant la Discorde
ou le fédéralisme, à la place des Invalides. Un arc de
triomphe au boulevard des Italiens, enfin l'autel de
la Patrie au Champ - de - Mars , c'étaient les cinq
points de repos.
Rude, immense improvisation. Les pierres de la
Bastille n'étaient pas enlevées. Sur ce chaos confus,
on organisa une fontaine. La Nature, un colosse en
plâtre, aux cent mamelles, jetaient par elles en un
çait ses élèves à jouer à la balle contre des Boucher, des Lebrun. Il
aurait fait guillotiner Wateau, s'il eût vécu, et demanda qu*au moins
on démolit la porte Saint-Denis. — Ce génie violent était mené, ce
semble, par sa nature aux études anatomiques, comme Pavait été Michel-
Ange. Mais pour sentir la mort, il faut sentir la vie. L'art antique ab*
sorba David, le marbre le retint, non pas malheureusement la sculpture
grecque, maisTantique de la décadence. — Chose étrange! chaque
fois quMl s'oublia, laissa aller sa main, sans songer qu'il était David,
dans tel dessin, dans tel portrait, il se retrouva un grand maître. Le
mystère était là. Il y avait un très-grand peintre en lui, mais autour de
lui une école. Il se sentait trop responsable, devant cette foule docile.
Il fut trop professeur. L'âge de la Terreur, l'admiration, Tamitié de
Robespierre, la royauté des arts qu'il eut alors, ont guillotiné son
génie. — Il le sentait conhisément, et il en souffrait. Cette souffrance le
rendait cruel. Elle le fécondait en quelque sens, et elle Tannulait. La
nature haïe de lui se vengeait, comme une femme maltraitée d'un «
époux ; elle allait caresser dans un coin ignoré le plus petit élève, et
d'un baiser créait Prud'hon.
DANS LA FÊTE DV 10 AOUT 95. tH
bassin l'eau de la régénération. Chaque pierre était
marquée d'inscriptions funèbres, des voix de la Bas-
tille, des gémissements des prisonniers, des antiques
douleurs. Le président de la Convention, le bel Hé-
rault de Séchelles, homme aimable, aimé de tous
les partis, vint a la tète du cortège, et dans une coupe
antique puisa Teau vive, étincelante des premiers
rayons du matin. Il porta la coupe à ses lèvres et la
passa aux quatre-vingt-six vieillards qui portaient
les bannières des départements! lis disaient : « Nous
nous sentons renaître avec le genre humain.x>Ils
burent, et le canon tonnait.
Le cortège s'allongea ensuite par les boulevards,
les Jacobins en tête et les sociétés populaires. La
bannière redoutable de la grande Société, l'œil clair-
voyant dans les nuages que montrait la bannière,
marchaient et semblaient dire : La Révolution te voit
et t'entend.
Derrière, la Convention, sans costume, entourée
d'un ruban tricolore que soutenaient les fédérés.
Le peuple apparaissait ainsi comme embrassant son
Assemblée, la contenant et l'enserrant.
Suivait un immense pèle-mèle de toutes les auto-
rités confondues avec le peuple : la Commune, les
ministres, les juges révolutionnaires au panache
noir, au milieu des forgerons, tisserands, artisans de
toute sorte. L'ouvrier portait pour parure les outils
de son métier. Les seuls triomphateurs de la fête
étaient les malheureux ; les aveugles, les vieillards,
les enfants-trouvés allaient sur des chars, les petits
224 LES COLOSSES DE PLATRE.
11 y avait un ordonnateur de l'allégresse publique,
et cet ordonnateur, en certains détails, n'annonçait
pas assez le respect de sa propre foi. David, aux Ita-
liens, dans ce lieu resserré, avait élevé un petit arc de
triomphe, aux femmes du 5 octobre, à celles qui ra-
menèrent de Versailles dans Paris le roi et la royauté.
On les voyait victorieuses, montées sur les canons
vaincus. Le peintre, pour cet effet de drame, avait
choisi de belles femmes, des modèles, sans doute,
hardies, effrontées. Tout fut perdu. Le 5 octobre,
(c'est ce qui fait sa sainteté) avait vu des mères de
famille s'arracher de leurs enfants en larmes, quit-
ter leurs petits affamés, et par un courage de lion-
nes, ramener l'abondance avec le roi dans Paris.
Ce n'étaient pas des filles publiques qui pouvaient
reproduire cette grande histoire.
Si la beauté devait figurer seule dans une telle
représentation, où était la belle Théroigne, l'intré-
pide Liégeoise, qui, dans ce jour mémorable, gagna
le régiment de Flandre , et brisa l'appui de . la
royauté?... Brisée elle même, hélas! fouettée, dés-
honorée en mai 93, enfermée folle à la Salpêtrière !.-•
Cette femme adorée, devenue bête immonde!
Elle y mourut vingt ans, implacable et furieuse de
tant d'outrage, de tant d'ingratitude.
Une autre personne encore reste frappée de cette
fête. Quelle? Celle qui l'a votée, la Convention. L'in-
génieux et subtil ordonnateur, pour symboliser l'em-
brassement du peuple réunissant ses mandataires,
avait imaginé de montrer l'Assemblée sans insignes
LBS COLOSSES DE rLATRE.
distioctifs, peuple parmi le peuple, enserrée d'un fil
tricolore, que tiennent \es envoyés des assemblées
primaires. La Convention semblait tenue en laisse.
Ce fil, quelque léger qu'il fût, avait le tort de trop
bien rappeler Thumilialion récente de l'Assemblée,
sa captivité du â juin. Un écrivain avait dit de
Louis XVI, mené à la fêle du 14 juillet 92 : « Il a
l'air d'un prisonnier condamné pour dettes. » Du
moins n'était-il pas lié. Mais la Convention avait son
lien visible; on ne lui avait pas même épargné l'as-
pect de ses fers.
On eut le tort de laisser sur les places les trois co-
losses improvisés. David n'avait aucunement le génie
du colossal, les formes simples et fortes qui convien-
nent à ces grandes choses. Ces statues, pour être
énormes, n'en étaient pas moins mesquines et froides,
dans leur sécheresse classique. On les laissa maladroi-
tement se délaver sur place aux pluies d'automne;
elles furent bientôt efiroyables sous un tel climat.
Montrer ainsi la Liberté tout près de l'écbafaud, c'était
un crime, en réalité, un crime contre-révolutionnaire.
La foule vint à la prendre en haine, n'y voyant qu'un
Moloch à dévorer des hommes. Fâcheuse image qui
entra bien loin dans l'âme de nos pères, calomnia la
Liberté dans leurs cœurs. Pendant qu'elle fleurissait
jeune, forle, invincible à Watignies, à Dunkerque,
à Fleurus, ici, chez elle, hideuse et délabrée, elle
épouvantait les regards.
VI. i»
LIVRE XIII
.♦*■
CHAPITRE I
LE COOTERKEVENT SE COKSTITIE. CARKOT.
(A^ét fS).
Lef AnglA-AalrieliieBS réwsis aurrheat ven Paris (S< 18 êoài t9\ — Banèr«
Eut ealrer CarMt au Comité 4e SalvC pabUc (14 ••«!). — OppMitiMi 4e
Bobespierre. — Robespierre «ernse le CoBîlé 4e irihisoa.
I^ guerre de la coalition changeait de caractère*
D'une froide guerre politique, elle menaçait de de-
venir une furieuse croisade de vengeance et de fana-
tisme. Le souffle de Témigration emportait malgré
eux les généraux glacés de l'Angleterre et de l'Âu-
triche. Les instructions des cabinets leur disaient de
combattre à part. Les ardentes prières, les larmes
enragées des émigrés qui se roulaient à leurs genoux,
leur disaient de combattre ensemble. De Vienne, de
Londres, les ministres écrivaient : « Garnissez-vous
230 LES ANGLO-AUTRICHIENS RÉUNIS
les mains, prenez des places. » Mais les émigrés en-
touraient York, Cobourg, priaient et suppliaient, les
poussaient à Paris. Les minisires exigeaient Dunker-
que et Cambrai. Les émigrés montraient la tour du
Temple. « La Révolution est impuissante, elle re-
cule, disaient-ils. Voilà trois mois qu'elle reste
sans pouvoir faire un bon gouvernement. Avan-
cez donc. Maintenant ou jamais. »
Les émigrés risquaient de vaincre, de tuer la Patrie,
pour leur déshonneur éternel. M. de Maistre le leur
a dit : « Eh 1 malheureux, félicitez-vous d'avoir été
battus par la Convention !.,. Auriez-vous donc voulu
d'une France démembrée et détruite? »
C'étaitle moment où s'accomplissait le grand crime
du siècle, l'assassinat de la Pologne. La France
n'allait-elle pas avoir le même sort? Deux peuples
semblent tout près de disparaître ensemble, deux
lumières du monde pâlissent et vont s'éteindre....
et la liberté avec elles!... On croit sentir l'approche
de la grande nuit.... L'humanité bientôt ira, les
yeux crevés, nouveau Samson aveugle, travaillant
sous le fouet!
Valenciennes qui s'était livrée elle-même à l'enne-
mi, était devenue un étrange foyer de fanatisme. Les
traîtres qui ouvraient la ville avaient voulu faire tuer
nos représentants par le peuple; les émigrés, à la
sortie, guettaient pour les assassiner. Toute une
armée de prêtres était rentrée, des moines de toute
robe, plus qu'il n'y en eut dans Tancienne France.
Tout cela grouillant, prêchant, remplissant les égli-
aeSy y ebantant le Sahmm foc Impeniorem. Le$
femmes pl^uaî^it de joie et remerciaieDt Dîea«
Un grand conseil eut lien le 3 août Et là, York
céda, ne pooTant plus lutter contre tant d'instances,
contre Témotion qui était dans Tair. 11 mit ses in-
structions dans sa poche, s'unit aux Autrichiens. Le
général conmiandité de Ui banque et de la boutiquf
devint un dievalier et se lança dans la croisade.
Ce bonhomme d'York, frère du roi d'Angleterre,
était un homme de six pieds, brave et faible de carac-
tère, n avait pour coutume (quand il dînait chez sa
nudtresse) de boire, après diuer, dix bouteilles de
elartL Les belles dames royalistes raffolaient de lui,
à Valenciennes, renlaçaicot ; ce pauvre géant ne pou-
vait se défendre. L'or anglais, qui était aussi entré à
flots, portait l'enthousiasme au comble. Tout le
monde jurait, jusque dans les boutiques, qu'il n'y
avait que ce grand homme , ce bon duc d'York,
qui pAt sauver le royaume. York finit par dire
comme les autres : Or now, or never. Maintenant ou
jamais.
Voilà la masse énorme des deux armées anglaise
et autrichienne, qui s'ébranle et roule au Midi. Les
Hollandais viennent derrière. En tète, voltigeait la
brillante cavalerie émigrée, radieuse, furieuse, avec
ses prévôts et ses juges pour pendre la Convention.
On croyait que le torrent allait s'arrêter à Cambrai.
Mais point. On continue. Les partis avancés poussent
vers Saint-Quentin. Nous évacuons La Fère en bâte.
Rien entre l'ennemi et Paris. L'armée du Nord, très-
23i LES ANGLO-AUTRICHIENS RÉUNIS
faible, inférieure de quarante ou cinquante mille
hommes à ce qu'on la croyait, avait été trop heu-
reuse de se jeter à gauche dans une bonne position et
d'éviter l'ennemi.
La France résisterait-elle, et qui dirigerait la
résistance? Chacun paraissait reculer devant une
telle responsabilité. On trouvait des hommes dévoués
pour braver lo feu des batteries. On n'en trouvait
aucun pour braver la presse et les clubs.
Le Comité de salut public avait reculé le !•' août
devant ce nom terrible de gouvernement que Danton
le sommait de prendre. Il refusait tout, ne voulant ni
de la dictature, ni de l'état légal, de la responsabilité
républicaine.
Où était-elle celte responsabilité? Partout, nuUb
part. Les ministres la déclinaient. Les représentants
en mission ne pouvaient l'accepter, dans leur lutte
avec les ministres. Tout le monde se rejettait sur un
mot, répété de tous, et très-faux : « C'est la Con-
vention qui gouverne. »
Que faire? briser cette tiction fatale, renouveler la
Convention, lui faire créer pour l'intérim un gouver-
nement provisoire? Mais l'Assemblée nouvelle eût été
pire, mais ce gouvernement n'eût pas duré deux jours,
sous les attaques de la presse hébertiste.
La Convention avait décrété, le 24 juin, que, la
Constitution une fois acceptée des départements, elle
fixerait l'époque où Von convoquerait les assemblées
primaires.
La France girondine comptait sur ce décret, et.
c'est à ce prix qu'elle aTait voté la ConstitatkHi.
Nantes l'aTait dit hautement. Lyon, Marseille, Bor-
deaux, étaient en pleine résistance. Si l'on voulait les
rallier, il fallait, non dissoudre la Convention, mais
donner une garantie qu'on la dissoudrait un jour,
établir que la Convention ne voulait pas s* éterniser.
Tel fut l'avis des conciliateurs, des Dantonistes.
Lacroix demanda, le 11 août que la Convention
décrétât, non la convocation des assemblées primaires,
mais une enquête préalable sur la population éledortUe,
mesure habile et dilatoire, qui calmait, sans rien
compromettre.
Et, toute dilatoire qu'elle était, elle avertissait l'au-
torité qu'elle n'était pas éternelle, secouait sa léthar*
gie, elle mettait en demeure le Comité de salut
public d'être on de n'être pas, de ne point rester un
roi fainéant, d'agir enBn et de se hasarder, s'il ne
voulait être balayé avec la Convention elle-même.
La menace opéra.
Le même jour, 1 1 août, le Comité commença à
fonctionner sérieusement. Ce jour, il changea d'exi-
stence ; il osa, sans égard à Bouchotte, à ses patrons
les Hébertistes, prendre la haute main sur la Guerre.
Il envoya Carnot, avec tous ses pouvoirs, pour diriger
l'armée du Nord.
Qui rendit le Comité si audacieux, et lui fit sur-
monter cette peur? Une peur plus grande, l'union
des armées alliées, la vengeance prochaine de l'émi-
gration.
L'homme le plus peureux du Comité (et le seul)
St54 BARRÈRE FAIT ENTRER CARNOT AU COMITÉ
était Barrère. C'est celui qui eut la plus vive intelU*
gence du péril, et le plus d'audace pour l'éviter.
Entre la morsure hèbertiste et la potence royaliste, il
se décida, brava la première.
Barrère était le menteur patenté du Comité. Cha**
que matin, d'un coup frappé sur la tribune, il faisait
jaillir des armées (contre la Vendée, par exemple,
quatre cent mille hommes en vingt-quatre heures).
Mais lui-même, dans un vrai péril, les armées idéales
ne le rassuraient guère. Il ne s'enivrait point de ses
mensonges, il ne se croyait point.
Sa peur lui disait parfaitement que les moyens de
Danton opéreraient trop tard, et que ceux de Robes-
pierre n'opéreraient rien. Danton voulait la levée en
masse, mettre la nation debout ; cette opération gigan-
tesque n'aboutit qu'en novembre (quand nous étions
vainqueurs). Robespierre ne proposait rien qu© de
punir les traîires et de faire des exemples.
S'en tenir là, c'était attendre l'ennemi, comme
le sénat romain , pour mourir sur sa chaise curule.
Barrère n'en avait nulle envie.
Les chefs de la Révolution étaient tous dans un
point de vue noble et élevé, qui deviendra plus vrai
et dont nous irons peu à peu nous rapprochant dans
l'avenir : Tout homme est propre à tout. Un sincère
patriote mis en présence du danger, doit trouver dans
son cœur des lumières pour suppléer à la science,
une secondevue, poursauverla Patrie. Ils méprisaiettt
parfaitement la spécialité, le métier, le technique.
Barrère, plus positif et éclairé par le sentiment de
DE SALUT PUBLIC. 155
la conservation, n'hésita pas, dans une maladie qui
menaçait d'être mortelle, d'appeler le médecin. Il n^
se fia pas à un homme quelconque. Il appela Carnot
et Prieur de la Côte dX)r.
Il fallait là vraiment une seconde vue (la peur par^
fois la donne). Carnot n'avait rien spécialement qui
le désignât aux préférences de Barrère.
Il était honnête homme, visiblement* Barrère ne
Tètâit pas. Non qu'il fût malhonnête. Ni l'un, ni
l'autre. Mais un charmant faiseur, improvisateur du
Midi.
Carnot avait marqué par des missions, utiles et sans
éclat.
11 était connu dans la Convention par les décrets
pour la fabrication des piques et la démolition des
places inutiles.
Connu pour avoir dirigé en 92 les travaux du camp
de Montmartre, dont se moquaient les militaires.
Il était fort laborieux, plein de zèle; il venait tra-
vailler de lui-même à l'ancien Comité de salut public.
Officier du génie, il avait montré de la résolu-
tion k Furnes, et avait pris le fusil.
Il n'y avait pas au monde un meilleur homme,
jeune et déjà marié, régulier, ne faisant rien que
d'aller en hâte de la rue Saint-Florentin (où il cou-
chait) aux Tuileries, au Comité où il fouillait les an-
ciens cartons de Grimoard, l'homme de Louis XVI,
savant général de cabinet.
La doctrine générale de Grimoard, de Carnot, de
bien d'autres, était d^agir par masses. Ce sont de ces
LIVRE XIII
CHAPITRE I
LE GOUVEKNEVENT SE CONSTITUE. GARNOT.
(Août 93).
Les Anglo-Autrichiens réunis marchent vers Paris (3^18 août 93). — Barrère
fait entrer Garnot au Comité de Saint public (14 août). — Opposition de
Robespierre. — Robespierre accuse le Comité de trahison.
La guerre de la coalition changeait de caractère.
D'une froide guerre politique, elle menaçait de de-
venir une furieuse croisade de vengeance et de fana-
tisme. Le souffle de Témigration emportait malgré
eux les généraux glacés de l'Anglelerre et de TAu-
triche. Les instructions des cabinets leur disaient de
combattre à part. Les ardentes prières, les larmes
enragées des émigrés qui se roulaient à leurs genoux,
leur disaient de combattre ensemble. De Vienne, de
Londres, les ministres écrivaient : « Garnissez-vous
i.
230 LES ANGLO-AUTRICHIENS RÉUNIS
les mains, prenez des places. » Mais les émigrés en-
touraient York, Cobourg, priaient et suppliaient, les
poussaient à Paris. Les ministres exigeaient Dunker-
que et Cambrai. Les émigrés montraient la tour du
Temple. « La Révolution est impuissante, elle re-
cule, disaient-ils. Voilà trois mois qu'elle reste
sans pouvoir faire un bon gouvernement. Avan-
cez donc. Maintenant ou jamais. »
Lés émigrés risquaient de vaincre, de tuer la Patrie,
pour leur déshonneur éternel. M. de Maistre le leur
a dit : « Eh 1 malheureux, félicitez-vous d'avoir été
battus par la Convention !.,. Auriez-vous donc voulu
d'une France démembrée et détruite? »
C'était le moment où s'accomplissait le grand crime
du siècle, l'assassinat de la Pologne. La France
n'allait-elle pas avoir le même sort? Deux peuples
semblent tout près de disparaître ensemble, deux
lumières du monde pâlissent et vont s'éteindre..,,
et la liberté avec elles!... On croit sentir l'approche
de la grande nuit.... L'humanité bientôt ira, les
yeux crevés, nouveau Samson aveugle, travaillant
sous le fouet!
Valenciennes qui s'était livrée elle-même à l'enne-
mi, était devenue un étrange foyer de fanatisme. Les
traîtres qui ouvraient la ville avaient voulu faire tuer
nos représentants par le peuple; les émigrés, à la
Sortie, guettaient pour les assassiner. Toute une
armée de prêtres était rentrée, dos moines de toute
!*ôbe, plus qu'il n'y en eut dans raucienne France.
Tout cela grouillant, prêchant, remplissant les égli-
y chaDtaBi k Sakmm fm hmfawÊÊÊwmL, hm
femmes plemaînt étjam tk wmaBGaàmÈ OieiL
l}ngniid€onale«tiHk3M«L Elâ,Y«fc
céda, ne poaiaDt plos Istler o^aere la^t à\
contre rémotioB qw était dbas Fair. lâ wêL i»
stractioos dans sa pocte, sahi aix AalnciBH&. Lt
général commaiBtf ëe k bnfne et ée klMâafit
devint on dieTalîer et se knca daai k croméf
Ce bonhomme dTortu finère éa m # Jkagklcnc,
était un homme de âx pîe^ bniRe et kAk ée cane-
tére. n avait pour iwrtBmr faaad d HêêsêL cicK sa
maîtresse) de boire, après diner, &l koateûitt de
tlartU Les bdks dames ropdîstes ntfrJiift ée ki,
à Yalenciennes, Tenbcaieol ; « paarre çéaot ae poa-
Tait se défiNidre. L*or angkîs, qm élaà ^mssk ewité à
flots, portait renthonaasmc an «Mbk. Tmrt k
monde jurait, jusque dans les bonliqaes, fn'il wCj
avait que ce grand homme , ee bon dne dTorfc,
qui pût sauver te rovanme. York fimi par dire
comme les autres : Or mm:, or mecer. Maintmant on
jamais.
Voilà la masse énorme des deax armées a^g^aite
et autrichienne, qui sfébrank et ronk an MidL Les
Hollandais viennent derrière. En tète, voltigeait k
brillante cavalerie émigrée, radieuse, furieuse, avee
ses prévôts et ses juges pour pendre U Convention.
On croyait que le torrent allait s'arrêtera CambraL
Mais point. On continue. Les partie avancés poussent
vers Saint-Quentin. Nous évacuons La Fère en bâte.
Rien entre l'ennemi et Paris. L'armée du Nord^ très-
230 LES ANGLO-AUTRICHIENS RÉUNIS
les mains, prenez des places. » Mais les émigrés en-
touraient York, Cobourg, priaient et suppliaient, les
poussaient à Paris. Les minisires exigeaient Dunker-
que et Cambrai. Les émigrés montraient la tour du
Temple. « La Révolution est impuissante, elle re-
cule, disaient-ils. Voilà trois mois qu'elle reste
sans pouvoir faire un bon gouvernement. Avan-
cez donc. Maintenant ou jamais. ))
Lés émigrés risquaient de vaincre, de tuer la Patrie,
pour leur déshonneur éternel. M. de Maistre le leur
a dit : « Eh 1 malheureux, félicitez-vous d'avoir été
battus par la Convention !.,. Auriez-vous donc voulu
d'une France démembrée et détruite? »
C'était le moment où s'accomplissait le grand crime
du siècle, l'assassinat de la Pologne. La France
n'allait-elle pas avoir le même sort? Deux peuples
semblent tout près de disparaître ensemble, deux
lumières du monde pâlissent et vont s'éteindre....
et la liberté avec elles!... On croit sentir l'approche
de la grande nuit.... L'humanité bientôt ira, les
yeux crevés, nouveau Samsoû aveugle, travaillant
sous le fouet!
Valenciennes qui s'était livrée elle-même à l'enne-
mi, était devenue un étrange foyer de fanatisme. Les
traîtres qui ouvraient la ville avaient voulu faire tuer
nos représentants par le peuple; les émigrés, à la
Sortie, guettaient pour les assassiner. Toute une
armée de prêtres était rentrée, dos moines de toute
!*ôbe, plus qu'il n'y en eut dans l'ancienne France.
Tout cela grouillant, prêchant, remplissant les égli-
MARCHENT VERS PARIS. 831
S6$9 y chantant le Salvum fac Imperatorem. he$
femmes pleuraient de joie et remerciaient Dieu*
Un grand conseil eut lieu le 3 août Et là, York
céda, ne pouvant plus lutter contre tant d'instances,
contre l'émotion qui était dans l'air. H mit ses in-
structions dans sa poche, s'unit aux Autrichiens* Le
général commandité de la banque et de la boutique
devint un chevalier et se lança dans la croisade.
t.
Ce bonhomme d'York, frère du roi d'Angleterre,
était un homme de six pieds, brave et faible de carac-
tère. 11 avait pour coutume (quand il dînait chez sa
maltresse) de boire^ après dîner, dix bouteilles de
clareU Les belles dames royalistes raffolaient de lui,
à Valenciennes, l'enlaçaient; ce pauvre géant ne pou-
vait se défendre. L'or anglais, qui était aussi entré à
flots, portait l'enthousiasme au comble. Tout le
monde jurait, jusque dans les boutiques, qu'il n'y
avait que ce grand homme , ce bon duc d'York,
qui pût sauver le royaume. York finit par dire
comme les autres : Or now, or never* Maintenant ou
jamais.
Voilà la masse énorme des deux armées anglaise
et autrichienne, qui s'ébranle et roule au Midi. Les
Hollandais viennent derrière. En tète, voltigeait la
brillante cavalerie émigrée, radieuse, furieuse, avec
ses prévôts et ses juges pour pendre la Convention.
On croyait que le torrent allait s'arrêter à Cambrai.
Mais point. On continue. Les partis avancés poussent
vers Saint-Quentin. Nous évacuons La Fère en bâte.
Rico entre l'ennemi et Paris. L'armée du Nord^ très-
Î32 LES ANGLO-AUTRICHIENS REUNIS
faible, iuférieure de quarante ou cinquante mille
hommes à ce qu'on la croyait, avait été trop heu-
reuse de se jeter à gauche dans une bonne position et
d'éviter l'ennemi.
La France résisterait-elle, et qui dirigerait la
résistance? Chacun paraissait reculer devant une
telle responsabilité. On trouvait des hommes dévoués
pour braver lo feu des batteries. On n'en trouvait
aucun pour braver la presse et les clubs.
Le Comité de salut public avait reculé le i*' août
devant ce nom terrible de gouvernement que Danton
le sommait de prendre. Il refusait tout, ne voulant ni
de la dictature, ni de l'état légal, de la responsabilité
républicaine.
Où était-elle celte responsabilité? Partout, nulife
part. Les ministres la déclinaient. Les représentants
en mission ne pouvaient l'accepter, dans leur lutte
avec les ministres. Tout le monde se rejettait sur un
mot, répété de tous, et très-faux : « C'est la Con-
vention qui gouverne. »
Que faire? briser cette fiction fatale, renouveler la
Convention, lui faire créer pour l'intérim un gouver-
nement provisoire? Mais l'Assemblée nouvelle eût été
pire, mais ce gouvernement n'eût pas duré deux jours,
sous les attaques de la presse hébertiste.
La Convention avait décrété, le 24 juin, que, la
Constitution une fois acceptée des départements, elle
fixerait l'époqiœ où Von convoquerait les assemblées
primaires.
La France girondine comptait sur ce décret, et^
MARCHBM YKUS PARIS. ^35
c'est à ce prix qu'elle avait voté la Constitution.
Nantes l'avait dit hautement. Lyon, Marseille, Bor-
deaux, étaient en pleine résistance. Si l'on voulait les
rallier, il fallait, non dissoudre la Convention, mais
donner une garantie qu'on la dissoudrait un jour,
établir que la Convention ne voulait pas s'éterniser.
Tel fut l'avis des conciliateurs, des Dantonistes,
Lacroix demanda, le il août que la Convention
décrétât, non la convocation des assemblées primaires,
mais une enqitête préalable sur la population électorale,
mesure habile et dilatoire, qui calmait, sans rien
compromettre.
Et, toute dilatoire qu'elle était, elle avertissait l'au-
torité qu'elle n'était pas éternelle, secouait sa léthar-
gie, elle mettait en demeure le Comité de salut
public d'être ou de n'être pas, de ne point rester un
roi fainéant, d'agir enfin et de se hasarder, s'il ne
voulait être balayé avec la Convention elle-même.
La menace opéra.
Le même jour, 11 août, le Comité commença à
fonctionner sérieusement. Ce jour, il changea d'exi-
stence ; il osa, sans égard à Bouchotte, à ses patrons
les Hébertistes, prendre la haute main sur la Guerre.
11 envoya Carnot, avec tous ses pouvoirs, pour diriger
l'armée du Nord.
Qui rendit le Comité si audacieux, et lui fît sur-
monter cette peur? Une peur plus grande, l'union
des armées alliées, la vengeance prochaine de l'émi-
gration.
L'homme le plus peureux du Comité (et le seul)
^ BARRÈRE FAIT ENTRER CARNOT AU COMITÉ
était Barrère. C'est celui qui eut la plus vive intelli-
gence du péril, et le plus d'audace pour l'éviter.
Entre la morsure hèbertiste et la potence royaliste, il
se décida, brava la première*
Barrère était le menteur patenté du Comité. Gba**
que matin, d'un coup frappé sur la tribune, il faisait
jaillir des armées (contre la Vendée, par exemple,
quatre cent mille bommes en vingt-quatre beures).
Mais lui-môme, dans un vrai périU les armées idéales
ne le rassuraient guère. Il ne s'enivrait point de ses
mensonges, il ne se croyait point.
Sa peur lui disait parfaitement que les moyens de
Danton opéreraient trop tard, et que ceux de Robes-
pierre n'opéreraient rien. Danton voulait la levée en
masse, mettre la nation debout ; cette opération gigan-
tesque n'aboutit qu'en novembre (quand nous étions
vainqueurs). Robespierre ne proposait rien qu» de
punir les traîtres et de faire des exemples.
S'en tenir là, c'était attendre l'ennemi, comme
le sénat romain , pour mourir sur sa chaise curule.
Barrère n'en avait nulle envie.
Les chefs de la Révolution étaient tous dans un
point de vue noble et élevé, qui deviendra plus vrai
et dont nous irons peu à peu nous rapprochant dans
l'avenir : Tout homme est propre à tout. Un sincère
patriote mis en présence du danger, doit trouver dans
son cœur des lumières pour suppléer à la science,
une secondevue, poursauverla Patrie. Ils méprisaient
parfaitement la spécialité, le métier, le technique.
Barrère, plus positif et éclairé par le sentiment de
DE SALUT PUBLIC. S35
la cûDservation, n'hésita pas, dans une maladie qui
menaçait d'être mortelle, d'appeler le médecin. Il m
se fia pas à un homme quelconque. Il appela Gamot
et Prieur de la Côte d'Or.
II fallait là vraiment une seconde vue (la peur par^
fois la donne). Carnot n'avait rien spécialement qui
le désignât aux préférences de Barrère.
Il était honnête homme, visiblement» Barrère ne
Tétait pas. Non qu'il fût malhonnête. Ni l'un, ni
l'autre. Mais un charmant faiseur, improvisateur du
Midi.
Carnot avait marqué par des missions, utiles et sans
éclat.
11 était connu dans la Convention par les décrets
pour la fabrication des piques et la démolition des
places inutiles.
Connu [)our avoir dirigé en 92 les travaux du camp
de Montmartre, dont se moquaient les militaires.
Il était fort laborieux, plein de zèle; il venait tra-
vailler de lui-même à l'ancien Comité de salut public.
Officier du génie, il avait montré de la résolu-
tion k Furnes, et avait pris le fusil.
Il n'y avait pas au monde un meilleur homme,
jeune et déjà marié, régulier, ne faisant rien que
d'aller en haie de la rue Saint-Florentin (où il cou-
chait) aux Tuileries, au Comité où il fouillait les an-
ciens cartons de Grimoard, l'homme de Louis XVI,
savant général de cabinet.
La doctrine générale de Grimoard, de Carnot, de
bien d'autres, était d'agir par masses. Ce sont de ceis
236 BARRÈRli; FAIT ENTRER CARNOT AU COMITE
axiomes généraux, qui ne sont rien que par Tapplica-
tion.Un seul hommeavait appliqué, le grand Frédéric,
qui, dans la Guerre de Sept ans, cerné comme un
loup dans une meute d'ennemis, avait porté ici et là,
brusquement, des masses rapides, leur faisant front à
tous, et les battant tous en détail.
Cet Allemand, forcé d'être léger parla nécessité,
mit dans la guerre et dans la science de la guerre,
cette idée instinctive et simple que la nature enseigne
à tout être en péril .
« Que faire donc? » demandait Barrère. — « Imiter
le grand Frédéric. Prendre au Rhin de quoi fortifier
l'armée du Nord, y frapper un grand coup. »
La situation était-elle la môme? Frédéric, vive-
ment, âprement poursuivi par la France et l'Autriche,
Tétait bien moins par la Russie. Il put la négliger par
moments pour faire face aux deux autres.
11 était douteux qu'on pût impunément, en 93,
négliger ainsi le Rhin. Les Prussiens, libres enfin du
siège de Mayence, s'étaient unis aux Autrichiens.
Leurs armées, débordant à la fois sur une ligne im-
mense, menaçaient la frontière. Tout le monde s'en-
fuyait des villes d'Alsace. L'armée du Rhin, en pleine
retraite, reculait lentement. Si elle ne pliait pas sous
la masse épouvantable de l'Allemagne qui avançait,
elle le devait, non à ses généraux, Custine, Beau-
harnais et autres qui suivirent et qui changeaient à
chaque instant; elle le dut à quelques officiers infé-
rieurs, Desaix, Gouvion Saint-Cyr, qui chaque jour
à r arrière-garde, se faisaient patiemment, conscieu-
m SALIT PUBLIC. 257
cieusement écraser, pour donner encore à Tarmèe un
jour de retraite. L'auraient-ils pu toujours, si les
Prussiens avaient sérieusement secondé TAutriche?
Pourquoi la Prusse agit-elle mollement? Parce
qu'elle voulait attendre le partage de la Pologne.
Nous le savons maintenant. Mais Garnot ne le sa-
vait pas. Il agit comme s'il le savait, et il risqua sa
tète. H proposa audacieusement d'affaiblir de trente-
cinq mille hommes nos armées de Rhin et de Mo*
selle, au moment où les Prussiens fortifiaient l'armée
coalisée de quarante mille hommes ! Quel texte d'ac-
cusations, s'il ne réussissait! Aucun des généraux
guillotinés à cette époque n'eût passé plus sûrement
pour traître. Nous-mêmes, aujourd'hui, nous serions
fort embarrassés de fixer notre opinion.
Garnot fut héroïque, risqua sa vie et sa mémoire.
Barrère même, il faut le dire, eut un moment d'au-
dace, lorsqu'il lança Garnot devant le Gomité. Sa tète
fut engagée aussi.
Non-seulement la mesure était excessivement
hasardeuse à Tarmëe, mais elle l'était à Paris, où le
Gomité allait faire le grand pas devant lequel il re-
culait toujours : subordonner Bouchotte, braver la
tyrannie des Hébertistes, devenir ce que Danton de-
mandait qu'il fût : un gouvernement.
Il y avait dans le Gomité deux Dantonistes, Hérault
et Thuriot, qui, pour que le Comité fût un gouverne-'
ment, sans nul doute appuyèrent Barrère. Gouthon,
qui avait si vivement saisi ce mot de Danton, l'aura
peut-être encore suivi en cette circonstance. Saint-
258 BARRÈRE FAIT ENTRER GARNOT AU COMITÉ DE SALUT PUBLIC.
Just enfin aimait l'audace ; quelque peu sympathi-
que qu'il fût à la personne de Garnot, je parierais
qu'il acceptât son héroïque expédient.
Le difficile était d'amener Robespierre à braver la
presse hébertiste, à toucher le sacro -saint ministère
de la guerre, à irriter la meute du Père-Du-
chesne. Il ne s'agissait pas là de partis^ ni d'opi-
nions. Il s'agissait d'argent. En appelant à la sur-
veillance de la guerre deux militaires, Carnot et
Prieur, on ouvrait une fenêtre sur celte caisse mys-
térieuse. Robespierre comptait sans nul doute éclai*
rer un jour tout cela et serrer ces drôles de prÔ8.
Mais ils étaient encore bien forts. Ils pouvaient un
matin tirer sur lui à six cent mille, comme en oc-
tobre ils le firent sur Danton. S'ils n'eussent osé l'aV-
taquer, ils l'eussent travaillé en dessous; cette grande
autorité mofale de Robespierre, cette position quwi
sacerdotale dans la révolution, elle s'était formée en
cinq années, elle était entière; mais c'était chose dé-
licate, comme la réputation d'une femme, qui perd
à la moindre insinuation.
Autre danger. Carnot n'était pas Jacobin, et il
n'avait jamais voulu mettre les pieds aux Jacobins.
La société Jacobine, en cette affaire, ne se mettrait-
elle pas avec les Hébertistes contre le Comité?
Robespierre avait en lui une chose instinctive, peut-
être prophétique : l'anlipalhie du militaire. Il haïssait
Tépée. On eût dit qu'il sentait que nos libertés péri-
raient par la maladie nationale, l'admiration de l'épée.
Barrère, à cette antipathie, pouvait opposer, il est
OPl>OSITiON DE ROBESPIERRE. 259
vrai^ la figure très- peu militaire de Carnet. II avait
l'air d'un prêtre, la mine simple et modeste, toute
civile. Plus tard, les magnifiques sabreurs de l'âge
impérial ne revenaient pas de leur étonnement en
voyant les bas bleus, la bourgeoise culotte courte du
célèbre directeur des quatorze armées de la Répu-
blique, de Vorganisateur de la victoire, qui ne l'orga-
nisa pas seulement, mais de sa main la fit à Wati*
gnies.
Avec tout cela, il y avait un point d'après lequel
il est indubitable que Robespierre n'accepta pas Car-
net, c'est qu'il avait protesté contre le SI mai. D'autres
ravalent fait aussi, mais ils se rétractèrent. Carnot
persévéra dans son culte de la légalité. C'est ce qui
qui fit faire sa grande faute de fructidor, où il aurait
laissé mourir la République, immolé la Justice par
respect pour la Loi.
Carnot força la porte du Comité, mais il resta
entre eux une hostilité incurable. Robespierre ne se
consola jamais des succès de Carnot. H le croyait trop
indulgent, peu ferme. Il devinait (avec raison) qu'il
employait dans ses bureaux des hommes utiles, mais
peu républicains. On le trouva parfois les yeux fixés sur
les cartes de Carnot, triste, à verser des larmes, accu-
sant amèrement sa propre nature, son incapacité mi-
litaire. Il ne tenait pas à lui qu'on ne crût qu'un com-
mis de la guerre, un certain Aubigny, dirigeait presque
sew/ les mouvements des armées, et qu'on ne lui rap-
portât nos victoires.
t4U KOBKSPIEHRR AiXUSK LE COMITE
Quelle qu'ait été sa répugnance, qui eût tout arrêté
dans un autre moment, le Comité, sous Taiguillon
d'uD tel danger^ passa outre, et le soir du 11, envoya
Carnot avec ses pouvoirs à l'armée du Nord. Le 14,
il se le fit adjoindre avec Prieur de la Côte-d'Or.
Le soir même du 1 1 , Robespierre alla droit du
Comité aux Jacobins. Soit que toute opposition contre
son sentiment lui parût trahison contre la République,
soit que sa sombre et maladive imagination lui fit
croire véritablement que ses collègues trahissaient,
soit enfin qu'il craignit la Presse et voulût se laver
les mains d'un acte si hardi contre les Hébertistes, il
lança contre ses collègues une diatribe épouvantable,
et cela, d'une manière inattendue et brusque, à la
fin d'un discours qui faisait attendre autre chose.
Il se trouvait précisément que le président des
Jacobins avait fort à propos cédé le fauteuil à
rhomme qui sans nul doute était le plus intéressé
au succès de la dénonciation de Robespierre. C'était
Hébert qui présidait, et qui plus d'une fois soutint,
encouragea l'orateur interrompu par des murmures.
Robespierre parla quelque temps sur ce texte :
« C'est toujours Dumouriez qui commande nos ar-
mées; nous sommes trahis, vendus. » Il s'emporta
contre Custine qu'on mettait en jugement, jusqu'aux
dernières limites de l'exagération : « Il a assassiné
trois cent mille Français ; et il sera innocenté, l'assas-
sin de nos frères ! Il assassinera toute la race hu-
maine^ et bientôt il ne restera que les tyrans et les
«sclaves. »
DE TRAHISON. 141
Voyant alors leâ Jacobins émus et colères, il tourna
courte et dit : a La plus importante de mes réflexions
allait m'échapper. Appelé contre mon inclination au
Comité de salut public, j'y ai vu des choses que je
n'aurais osé soupçonner. Des traîtres trament au sein
même du Comité contre les intérêts du peuple,... Je me
séparerai du Comité.... Je ne croupirai pas membre
inutile d'une Assemblée qui va disparaître.... Rien
ne peut sauver la République, si Ton adopte cette
proposition de dissoudre la Convention.... On veut
faire succéder à la Convention épurée les envoyés de
Pitt et de Cobourg. »
11 présentait ainsi la proposition de Lacroix (/'en-
qvéte sur la population électorale) comme une disso-
lution immédiate de la Convention.
Les journaux, même les plus favorables à Robes-
pierre, ne nous donnent pas la fin de ce discours
excentrique. Hérault et Lacroix exigèrent que la
Convention s'expliquât. Hérault rappela qu'au tO
août étaient expirés les pouvoirs du Comité de salut
public. Lacroix demanda que le Comité qui jouissait
de la confiance de F Assemblée fût renouvelé pour un
mois. La Convention, non-seulement accorda ce re-
nouvellement, mais dans les jours qui suivirent elle
donna au Comité des marques d'une confiance abso-
lue, l'obligeant, entre autres choses, d'accepter les
cinquante millions qu'il avait refusés le l""' août.
Telle était la fatalité d'une situation si violente.
Malgré la Terreur de la Presse, malgré la répugnance
infinie de Robespierre pour la responsabilité gouver-
VI. i«
Î4I nOBESPIERRE ACCUSE LE COMITÉ DE TRAHISON.
nementale^ la nécessité constitua le gouîernement.
liB Comité» complété en septembre , devint roi
malgré lui.
..y
CHAPITRE II
LA RÉQUISITION. VICTOIRE DE DUNKERQUE.
(11 AoA(.-*7 Septembre.)
Élan des Fédérés , qui entraînent les Jacobins. — Danton seconde l'élitt det
Fédérés — La France apparaît comme peuple militaire. — Elle était relevé*
dans l'estime de rEurope par le siège de Mayence. — Custine avait-il
trablT •« Carnet croit, comme Custine, que la Prusse a^fira pen. «^ Ciriiot
devine Jourdan Hocbe et Bonaparte,— Victoire de Donkerqne.
« Le peuple français debout contre les tyrans* »
C'est rinscription que portèrent les bannières dei^.
bataillons levés par la Réquisition. Elle résume l'im-».
mense effort de 93.
L'initiative n'en appartient ni à l'Assemblée, ni aUi
Comité de salut public, ni à la Commune. Les pk
toyables résultats qu'avait eus et qu'avait encore
la levée en masse, essayée depuis quatre mois dansla^
Vendée, faisaient croire généralement que cette iM^i
sure était peu utile. /-
244 PUN DES FÉDÉRÉS,
C'est ce que Robespierre dit le 15 août aux Jaco-
bins, et ce que dit aussi Chaumette. Ce mouvement
immense contrariait les Hébertistes jusque-là maîtres
de la Guerre. Ils n'osèrent s'y opposer. Hébert ne
parla pas, mais fit parler Chaumette.
La Commune, en établissant aux Jacobins les fé-
dérés envoyés pour la fête, avaient fait toute autre
chose que celle qu'elle croyait faire. Loin que les fé-
dérés suivissent la politique jacobine, ce furent les
Jacobins qui gagnèrent l'enthousiasme des fédérés.
Ceux-ci, vraie fleur des patriotes, envoyés par la
France émue, accueillis, embrassés par la Conven-
tion, ivres de Paris, de la fête et du danger public,
enlevèrent la Société jacobine à la sagesse de ses
meneurs ordinaires. Dans une atmosphère si brû-
lante, le dévouement complet du peuple au peu-
ple, l'armement, le départ de vingt- cinq millions
d'hommes, la France tout entière devenant Décius,
cette grande et poétique idée parut chose très-
simple. Royer, curé de Chalon-sur-Saône, voulait
de plus que les aristocrates, liés six par six, marchas-
sent en première ligne au feu de l'ennemi. La levée
en masse fut ainsi votée d'enthousiasme aux Jacobins,
et dans un tel élan, que Robespierre n'essaya plus d'y
contredire, il engagea Royer à rédiger l'adresse à la
Convention.
Interrompre tous les travaux, laisser les champs
sans culture, suspendre l'action entière de la société,
c'était chose nouvelle; l'Assemblée croyait devoir y
regarder à deux fois. Le Comité de salut public
QUI ENTRAINENT LES JACOBINS. 245
suivit l'impulsion, en la modifiant, avec des me-
sures dilatoires. Mais Danton insista, il se fit cette
fois encore l'orateur et la voix du mouvement
populaire. Il se l'appropria:. Il formula toutes les
grandes mesures et les fit voter.
Danton était un esprit trop positif pour croire que
cette opération gigantesque aboutirait à temps. Et an
eifet les deux victoires qui nous sauvèrent (7 septem-
bre, 16 octobre) furent gagnées par d'autres moyens,
par des troupes toutes formées qu'on porta à l'armée
du Nord. Mais la Réquisition n'en contribua pas moins
à la victoire, par son puissant efiet moral. Dans ces
mémorables batailles, nos soldats eurent le sentiment
de cette prodigieuse arrière-garde d'une nation en-
tière qui était là debout pour les soutenir; ils n'eurent
pas avec eux les masses du peuple, mais sa force, son
âme, sa présence réelle, la divinité de la France. L'é-
tranger s'aperçut que ce n'était plus une armée qui
frappait; an poids des coups, il reconnut le Dieu.
Voici le texte du décret :
«Tous les Français sont en réquisition perma-
nente.... Les jeunes gens iront au combat; les hom-
mes mariés forgeront des armes et transporteront des
subsistances; les femmes feront des tentes, des habits
et serviront les hôpitaux ; les enfants feront la char-
pie; les vieillards, sur les places, animeront les
guerriers, enseignant la haine des rois et Tunité de la
République. »
Ceci entrait dans la passion, donnait la grande
idée de la levée en masse. L'efiet moral était produit.
€46 DANTON SECONDE L*ÉLAN DES FÉDÉRÉS.
Un article ramenait la chose aux proportions où elle
était utile : « Les citoyens non mariée, de ISàSSans,
marcheront les premiers. »
Qui lèverait la Réquisition? Les communes? Les
agents ministériels? La chose n'eût pas été plus vite
que pour les trois cent mille hommes, votés eu mars,
qui n'avaient donné presque rien.
Dantob ouvrit un avis noble et grand, de se fier à
la France du salut de la France. Or, personne en ce
moment ne la représentait plus fortement que ces
braves fédérés des Assemblées primaires, tout émusi
de Paris, exaltés au-dessus d'eux-mêmes, et trempés
au feu du 10 août. Robespierre ne voulait pas qu'on
s'y fiât. Il avait dit aux Jacobins qu'on ne pouvait
remettre de tels pouvoirs à des inconnus. Danton de-
manda au contraire que l'Assemblée leur donnât un
pouvoir, une mission positive, sous la direction d^
représentants, qu'on les chargeât de la Réquisition.
« Par cela seul, dit-il, vous établirez dans le mouve-
ment une unité sublime. » La chose fut votée en
effet.
Les forges sur les places, des ateliers rapides qui
élisaient mille fusils par jour, les cloches descendant
de leurs tours pour prendre une voix plus sonore et
lancer le tonnerre, les cercueils fondus pour les
balles, les caves fouillées pour le salpêtre, la France
arrachant ses entrailles pour en écraser rennemi.
Tout cela composait le plus grand des spectacles.
Spectacle toutefois infiniment différent de celui de
93, celi]i d'une action ferme, sérieuse et forte plutôt
LA FRANGE APPARAIT GOMME PEUPLE flUITAIRE. 1|7
qu'enthousiaste. Le beau nom de 92 qui fait son au-*
réole au ciel, c'est celui du libre départ, le Dom des
volontaires. Et le nom de 93, grave et sombre, est
réquisition.
N'importe, cette nation qu'on croit légère, se mon-
tre ici forte comme le destin. L'étranger avait dit :
ff Laissons dissiper ces fumées.... Demain, décou-
ragés, ils laisseront l'épée tomber d'elle-même. » Et,
c'est tout le contraire, la nation, pour la première
fois, apparaît vraiment militaire, avec ou sans en-^
thousiasme, également héroïque. Pour la première
fois, on le vit à Mayence. Cette épée qu'on croyatt
échappée des mains de ce peuple, il l'empoigne, il la
serre, il l'applique à son cœur : « A moi, ma fiancée ! n
Fidèle, elle le suit au Nil, au pôle. Il a beau disperser
ses os, elle reste, cette épée fidèle, elle survit aux
naufrages de ses idées et de sa foi... 0 peuple, n'es^-ta
donc qu'une épée?
Revenons. Oui, 93 fut fort et grave, la dictature
du peuple, des fédérés choisis par lui et fonctionnant
sous ses représentants. Ces fédérés, gens simples (et
beaucoup d'entre eux paysans) auraient-^Is bien l'au*^
torité efficace, décisive, rapide, pour exécuter cette
graude chose, non<*seulement pour lever les hommes,
mais pour nourrir l'armée, pour frapper les réquisw
tiens? Y faudrait-il des moyens de Terreur?
Pour les rendre inutiles, ilMlait en parler. G' est ce
que Danton fît à merveille : « Qu'ils sachent bien, les
riches, les égoïstes, que nous n'abandonnerions la
France qu'après Tavoir dévastée et rasée !..•• Qu'iis
3&0 GUSTIME AVAIT-IL TRAHI?
commaadement; Gastine avait injustement accusé
Kellermann et d'autres. 11 n'avait nullement ménagé
les patriotes allemands, jusqu'à menacer de pendre
le président de la Convention de Mayence! Gela seul
méritait une peine exemplaire»
11 avait plu beaucoup d'abord, comme partisan de
Toffensive, malgré Dumouriez. Mais, l'offensive ayant
manqué, il était devenu comme lui diplomate. Il
ménageait les Prussiens, et prit sur lui d'inviter à
capituler la garnison de Mayence.
Eût-il pu secourir la place? Évidemment non.
Dans l'état d'affaiblissement et de désorganisation
où était l'armée, il avait tout à risquer. Il n'eût pas
fait un pas contrôles Prussiens sans que l'Autriche eà
profitât, sans que le bouillant Wurmser le prit en
flanc et inondât l'Alsace.
Gustine, en réalité, n'osa se défendre. Il n'osa difê
ce que Gossuin avait dit le 13 août à la GonventioB^
ce que Levasseur et Bentabole écrivaient encore à la
fin de septembre : Le ministère de la guerre ne fait
rien pour mettre nos armées en état d'agir.
Il ne dit point ce mot. Il eut peur des clubs et delà
presse. Le jugement fut précipité. On craignait
excessivement, et à tort, que l'armée ne prît parti
pour lui. Paris était très-agité. Les jurés furent pMN-
fois siffles des royalistes et menacés des Jacobins.
Gustine périt le 27 août, le jour même où les roya-
listes livraient Toulon à l'ennemi.
Les actes suspects de Gustine avaient été dietéi
par une idée, juste au fond , et que la paix de Bàle
GARNOT CROIT, COMME €USriNE« QUE LA PRUSSE AGIRA PEU. iM
devait confirmer, à savoir : Que la Prusse haïBêait la
France moins qu'elle ne haïssait rAutrichCé Dès les
premiers jours de juillet, la Prusse avait écrit à la
République française pour échanger les prisonniers*
De toutes les puissances, c'était celle qu'on pouvait
espérer détacher de la Coalition.
Cette vérité était palpable, et c'est elle qui guida
Carnot. Il crut que la Prusse agirait tard, et il hasarda
une chose qui l'eût rendu tout aussi accusable que
Custine, si le succès ne Teût lavé : il osa afibiblir l'ar-
mée, déjà trop faible, du Rhin.
Il jugea parfaitement que la Coalition était une
bande de voleurs qui n'avaient nulle idée commune^
dont chacun voulait piller à part. Cela se vérifia.
L'entente des Anglais et des Autrichiens dura, en
tout, quinze jours, du 3 au 18. Le 18, une lettre dd
Pitt sépara York de Cobourg. Il écrivit : « Je veux
Dunkerque. >
Même division sur le Rhin^ Le 14 août, parut dans
les journaux l'acte par lequel la Russie s'adjugeait
moitié de la Pologne. La Prusse réclama sa part,
et pour plus de deux mois encore, elle ajourna sur le
Rhin la coopération qu'attendaient F Autriche et les
émigrés.
Donc, Carnot avait eu raison. Cela était prouvé,
même avant de tirer un coup de fusil.
Le Comité lui montra une confiance sans réserve.
Il obtint que la Convention défendit aux ministres
d'envoyer aux armées ces agents qui neutralisaient
l'action des représentants du peuple. Coup hardi qui
252 CARNOT DEVINE JOURDAN, HOCHE ET BONAPARTE.
décidément subordonnait le ministère. Les Héber-
tistes n'osèrent crier, mais ils firent parler Robes-
pierre. Il défendit leur ministre, déplora aux Jaco-
bins le décret rendupar la Convention (23 août).
Carnot avait trouvé l'armée du Nord dans un état
indicible. Le matériel n'existaitpoint. Ni subsistances,
ni équipement, ni habillement, ni charroi; toute
administration avait péri. C'est le tableau qu'en fait
Robert Lindet, qui, arrivant en novembre, trouva les
choses dans le même état, et recréa, concentra beu-^
reusement tout ce mouvement.
Quant au personnel, il était prodigieusement iné-
gal. On trouvait tout à côté les extrêmes, les meilleurs,
les pires. Parmi ces troupes désorganisées, il y avait
ici et là des forces vives, étonnantes, les hommes les
plus militaires qui furent et seront jamais. Tout cela,
il est vrai, caché encore dans des rangs inférieurs.
Carnot, c'est une de ses gloires, eut l'œil clairvoyant,
bienveillant, pour reconnaître ces hommes uniques et
il les porta quelquefois desderniers rangsaux premiers.
Divination merveilleuse du patriotisme! Cet hom-
me aima tant la Patrie, il eut au cœur un désir si vio-
lent de sauver la France, que, devant cette foule où
les autres ne distinguaient rien, lui, par une seconde
vue, il connut, sentit les héros !
Son premier regard lui donna Jourdan.
Le second lui donna Hoche.
Le troisième lui donna Bonaparte.
Hoche, encore petit oflBcier, était dans Dunkerque.
Jourdan, général de brigade, était dehors, dans Tar-
CARNOT UEYINK JOUKUAN, HOCHE El BONAPARTE. ^
mée d'Houchard, et avec lui, des hommes qui ont
laissé souvenir, un homme follement intrépide. Van-
damme, Leclerc qui devint le beau-frère de l'Em-
pereur. Carnot leur écrivit, le 20 : « L'affaire est
secondaire sous le rapport militaire; mais Pitt a
besoin de Dunkerque devant l'Angleterre. La, est
rhonneur de la France. »>
Cela fut compris. Le plan de Carnot était de pren-
dre l'Anglais entre la ville qu*il assiégeait , un grand
marais et la mer. Vaste filet où la proie s'était placée
elle-même. Au fond, était la ville de Furnes. Elle
était aux mains de l'Anglais ; mais, si on la prenait
aussi, le filet était fermé.
Le combat dura vingt-quatre heures, l'armée fran-
çaise étant vivement secondée de la place d'où Hoche
faisait des sorties. Hondscote, poste avancé des assié-
geants, fut pris et repris. Un moment nous eûmes
en main un fils du roi d'Angleterre. Le représentant
Levasseur, qui eut un cheval tué sous lui, suppléa à
la lenteur, à l'hésitation d'Houchard. Jourdan, Van-
damme et Leclerc forcèrent les Anglais de se reti-
rer par les dunes. Le duc d'York leva le siège, et
recula en bon ordre. Tout le monde fut indigné ;
Bouchard l'a payé de sa vie. On voit cependant en
réalité qu'un succès, obtenu si difficilement par ce
furieux effort, continué vingt-quatre heures, un
succès qui n'alla pas jusqu'à mettre l'ennemi en de-*
route, ne pouvait être aisément poursuivi. York sem-
blait dans un filet ; mais, encore une fois, on n'avait
pas Fumes, qui en était le fond*
2(Mi VICTOIRE DE DUNKERQUE.
Complète ou qod, cette victoire cboDgealt tout.
La levée subite du siège de Dunkerque, cinquante
canons abandonnés^ la retraite d'une armée d'élite,
l'année anglaise, qui eût pu être si aisément aidée de
la mer, tout cela eut un effet immense sur l'opinion
de l'Europe. Dès lors, la cbance avait tourné. On fut
saisi de voir la France que l'on croyait devenue pour
toujours l'impuissance et le chaos^ frapper un coup
si fort, si sûr. On soupçonna ce qui était vrai en réa-^
litë : Il y avait déjà vm gcmvemement.
À Paris» on ne soufQa mot. Qui avait été vaincu?
bien moins les Anglais que les Hébertistes, les impu«
dents meneurs du ministère de la guerre.
Ils étaient maîtres des clubs, des sections, de la
Commune, de tous les organes de la publicité. Aux
Jacobins même, il y eut une grande entente pour
parler le moins possible d'un succès si désagréable
aux alliés qu'on ménageait.
CHAPITRE m
COMPLOTS ROYALISTES. TOULON.
(Aoikt.-*Septeiiibr» 93).
hn Roialittas Kirtnl Toulon aax Angtais.— Leur Joie improdenle à Parif.— *
Les grandes mesures de défense étaient votées.
Celles de Terreur seraient^lles nécessaires, pour le»
appuyer, les rendre efficaces? Danton avait montré la
foudre^ il l'avait fait entendre ne l'avait pas lancée%
Le droit donné aux fédérés de frapper des réqui-
sitions pour nourrir et équiper l'armée serait-il
exercé? Le paiement immédiat des contributions ar-
riérées, avec les neuf premiers mois de 93, s'exécu-
terait-il? c'était la question.
Il était fort k craindre que les riches ne prissent
5tM5 I ES IlOYALISTES LIVRENT TOULON AUX ANGLAIS.
pas au sérieux la foudre de Danton, lorsque tant
d'actes d'indulgence étaient reprochés aux Danto-
nistes. Terribles en paroles et dans les mesures géné-
rales, ils étaient faibles et mous dans les rapports
particuliers. C'étaient eux qui depuis le 10 août se
trouvaient à la tète du mouvement révolutionnaire. Il
aurait fort bien pu avorter dans leur main, si une
circonstance imprévue ne les avait poussés, et n'avait
fait voter (chose étonnante) par les indulgents même
les lois de la Terreur.
Ce miracle fut opéré par les royalistes même,
contre lesquels il se faisait. Ce furent eux qui, par
un acte monstrueux de trahison, mirent l'étincelle
aux poudres, jetèrent la France républicaine dans uo
tel accès de fureur, que les indulgents durent lancer
le char de la Terreur, pour n'en être écrasés eux-
mêmes.
Le 27 août, pendant que les Anglais essayaient
d'emporter Dunkerque, à trois cents lieues de là on
leur livrait Toulon.
Toulon, notre premier port, des arsenaux im-
menses, d'énormes magasins de bois précieux, irrè-*
parables (dans la situation), un monstrueux matériel
entassé pendant tout le règne de Louis XYI, nos flottes
réunies pour la guerre d'Italie, nombre de vaisseaux
de commerce qu'on avait empêché de rentrer à Mar-
seille, des fortifications enfin, redoutes, batteries,
qu'on avait pu fort aisément prendre par trahison;
mais, par force, comment les reprendre? Les Anglais
tiennent bien ce qu'ils tiennent. Exemple : Gibraltar
LES ROYALISTES LIVRENT TOULON AUX ANGLAIS. 257
et Calais. Ils nous ont gardé Calais deux cents ans,
sans qu'on pût le leur arracher. Avec Toulon, Dun-
kerque, ils avaient deux Calais ; la France était deux
fois bridée et muselée. A peine le démembrement
était-il dès lors nécessaire. Il valait mieux pour eux
nous faire un petit roi, qui serait un préfet anglais.
Le 2 septembre, Soulès, un ami de Chalier, qui
venait du Midi, apporta la fatale nouvelle de Toulon,
non au Comité de salut public, mais tout droit à la
barre de la Convention. On était sûr ainsi que la nou-
velle ne serait pas étouffée.
Il y avait de quoi faire sauter le Comité et guillo-
tiner peut-être le ministre de la marine. Barré re
soutint hardiment que la chose n'était pas vraie.
Quelques-uns voulaient faire arrêter le malencon-
treux révélateur.
Le ministre était Monge, excellent patriote, grand
homme de science et d'enseignement, mais pauvre
homme d'affaires, serf des parleurs et aboyeurs,
comme Bouchotte. Plusieurs fois on l'avertit de la
légèreté de ses choix ; il en convenait avec douleur,
avec larmes. Cependant, ni lui, ni personne ne soup-
çonna la noirceur de la trahison royaliste, la longue
et profonde dissimulation par laquelle les agents des
princes parvinrent à se faire accepter comme violents
Jacobins. Leurs titres sous ce rapport ont été parfai-
tement établis par l'un d'eux, le baron Imbert, dans
sa brochure publiée ent8I4. On ne peut lire sans
admiration par quelle persévérante astuce ces hon-
nêtes gens, à plat ventre devant la royauté des clubs,
Vî. 17
^8 LES ROYALISTES LIVRENT TOULON AUX ANGLAIS.
rampèrent, jusqu'à ce que Tétourderie des Répu-
blicains leur livrât la proie, t Étant parvenu, » dit
Imbert, «au commencement de 93, à obtenir de
l'emploi, je me chargeai d'une grande expédition
pour en faire manquer les effets, ainsi que le por-
taient mes ordres secrets, les seuls légitimes. »
Il y avait deux partis à Toulon, les Girondins, les
Royalistes. Les premiers, faibles et violents, comme
partout, prenaient des mesures contraires ; ils guil-
lotinaient des patriotes et ils envoyaient de l'argent à
l'armée de la République. Les seconds, plus consé-
quents, ne pouvaient manquer de les dominer ; ils
appelèrent les Anglais. Ceux-ci, pris pour juges et
arbitres entre les deux partis, jugèrent impartiale-
ment comme le juge de la fable; ils donnèrent une
écaille à chaque plaideur, et s'adjugèrent Toulon.
Les représentants du peuple, Pierre Rayle et Reau-
vais, avaient été lâchement outragés par les modérés,
qui leur firent faire une espèce d'amende honorable
de rue en rue et à l'église, un cierge à la main. Traités
plus barbarement encore sous la domination anglaise,
et jetés dans les cachots, ils y trouvèrent la mort.
Reauvais y mourut de misère et de mauvais traite-
ments, Rayle abrégea en se poignardant.
Des gens moins légers que nos royalistes auraient
contenu leur joie. Pour se frotter les mains de la
ruine de la France, il fallait au moins qu^elle fût cer-
taine. Ils n'y tinrent pas. Cette merveilleuse nouvelle
des deux coups frappés en cadence sur Toulon, sur
Dunkerque (ils tenaient l'un tout aussi sûr que l'autre),
LEUR iOIE IMPRUDENTE A PARIS. 359
leur monta à la tète.,.. Un monde de guerre et de
marine rafiflé en quelques heures ! Lyon raffermi dans
la révolte ! L'armée des Alpes compromise ! Nos re-
présentants forcés de marchander avec le soldat et
d'augmenter sa solde! Ces signes universels de
débâcle les rendaient fous de joie. Ils faisaient des
chansons sur la levée en masse, déjà ridicule en
Vendée. Un représentant avait dit : « Qu'en faire de
celte levée? et qui m'en débarrassera? »
Leur folie alla jusqu'à jouer au Palais-Royal le
triomphe de la reine. On voyait dans une pièce une
dame charmante, prisonnière avec son fils dans une
tour (et pour qu'on ne s'y trompât pas, la tour était
copiée sur celle du Temple) ; la prisonnière était glo-
rieusement délivrée, et dans les libérateurs, tout le
monde reconnaissait Monsieur et le comte d'Artois.
Ces audacieux étourdis, ne ménageant plus rien,
reprenaient à grand bruit leur vie d'avant 89. Les
somptueuses voitures, depuis longtemps sous la re-
mise, étaient sorties, roulaient, brûlaient le pavé de
Paris; on les admirait brillantes en longues files aux
portes des théâtres. La pièce à la mode était Patnéla,
drame larmoyant, sentimental, où le beau rôle était
pour les Anglais (pendant qu'ils assiégeaient Dun*
kerque! ). Toute allusion contre-révolutionnaire était
vivement saisie. Les élégants, braves au théâtre,
sous les yeux de leurs maîtresses, sifflaient intrépi-
dement tout ce qui de près ou de loin était favorable
à la République. Un militaire jacobin ayant osé en
faire autant pour des passages royalistes, tout le
260 COMPLOTS POUR DÉLIVRER LA REINE.
monde se jela sur lui. Le Comité de salut public
ferma le théâtre.
Mais tout ceci était un jeu. Un drame plus sérieux
se jouait à la Conciergerie. Le royalisme était si fort,
qu'il perçait les murs. Nulle précaution n'empêchait
de communiquer avec la reine. Depuis la mort de
Louis XVI, il y eut une conspiration permanente
pour la délivrer.
Lorsqu'elle était encore au Temple, un jeune muni-
cipal, Toulan, homme ardent du Midi, s'était donné
de cœur àelle; la reine l'avait encouragé, lui écrivant
en italien : « Aime peu qui craint de mourir. » Tou-
lan n'aima que trop, il périt.
Transférée à la Conciergerie, resserrée, gardée à
vue, elle n'en était pas moins en communication avec
le dehors. Par faiblesse, humanité, espoir des ré-
compenses, tous les surveillants trahissaient. La
femme du concierge, Richard, favorisait l'entrée des
hommes qui tramaient l'évasion. Le municipal Mi-
chonis, administrateur de police, introduisit un gen-
tilhomme qui remit une fleur à la reine, et dans la
fleur un billet qui lui promettait délivrance. Le billet
tomba, fut saisi, et la reine, sans se troubler, dit
fièrement aux gardes : « Vous le voyez, je suis bien
surveillée, cependant on trouve moyen de me parler,
et moi de répondre. »
On chassa, on emprisonna les Richard. Qui leur
succéda? un homme dévoué à la reine. Le concierge
de la Force demanda à passer à la Conciergerie, tout
exprès pour la servir. Les communications recom-
LES ROYALISTES POUSSENT L*ÉMEUTE. 261
mencèrent. La reine glissa un jour dans la main du
concierge des gants et des cheveux ; mais ces objets
furent saisis, portés à Fouquier-Tinville qui les
donna à Robespierre.
Montgaillard dit qu'avec un demi-million on l'au-
rait sauvée, qu'on ne trouva que 180,000 fr., dont il
donna (lui Montgaillard, qui, je crois, n'avait pas un
sou) pour sa part 72,000[fr.
Ce qui est plus sûr, ce que je lis dans les Registres
du Comité de sûreté générale, c'est que la sœur de la
reine, l'archiduchesse Christine, envoya à Paris un
certain marquis Burlot et une Rosalie Dalbert, que
le Comité fit arrêter le 20 brumaire (10 novembre).
Tout indique qu'à la fin d'août et au commence-
ment de septembre les royalistes travaillaient à faire
au profit de la reine une révolution de sections, un
31 mai.
Les poissardes des marchés, généralement roya-
listes, insultaient les couleurs nationales (25 août).
Elles obtenaient d'offrir et de faire passer à la reine
quelques-uns de leurs plus beaux fruits. Elles bat-
taient journellement les femmes du quartier qui se
réunissaient aux charniers Saint-E us tache. Celles-ci
étaient la plupart de pauvres ouvrières qui cousaient
pour la Guerre et autres administrations, et qui n'a-
vaient pas la stature, la force, les poings pesants des
Dames de la Halle. Étant allées à la Convention pour
demander de l'ouvrage, elles faillirent être ass^om-
mées, et revenant par la rue des Prouvaires, elles
reçurent une pluie de pierfçs des fçnêtres. Leshom-
262 LES ROYALISTES POUSSENT L'ÉMEUTE.
mes des marchés commençaient aussi à s'en mêler.
Ils regrettaient tout haut « le pain du Roi. »
Les subsistances arrivaient lentement, difficile-
ment ; chacun craignait la famine, et, en la crai-
gnant, la faisait. Les malheureux travailleurs après
les fatigues du jour, passaient la nuit à faire queue
aux portes des boulangers. Les procès-verbaux des
sections les plus pauvres de Paris que j'ai sous les
yeux, se résument en bien peu de mots, navrants,
qui font saigner le cœur : la faim et la faim encore,
la rareté du pain, nul travail, chaque famille ayant
perdu son soutien, plus de fils pour aider la mère;
tous aux armées. Le mari môme souvent parti pour la
Vendée. Toute femme délaissée et veuve. Elles étouf-
fent aux portes des ateliers de la Guerre pour avoir
un peu de couture; elles viennent avec leurs enfants
pleurera la section.
Ces grandes souffrances du peuple donnaient une
prise très-forte aux royalistes. Plusieurs choses les
encourageaient, l'inertie surtout et la mésintelligence
des autorités.
La Convention presque entière était en missions
ou dans les Comités. Il n'y avait que deux cents mem-
bres aux séances publiques. Les Jacobins étaient peu
nombreux, et comme retombés depuis le départ des
fédérés. Robespierre, depuis son attaque inconsi-
dérée contre les Dantonistes, s'était retiré dans une
position expectante, qui le dispensait d'initiative, la
présidence de la Convention et des Jacobins. Ses
votes, dans le mois d'août, sont tous négatifs. Le 1^,
DUCnON DES AUTOMTÉS ET DE ROBESPIERRE. S55
à la proposition d'ériger le Comité en gouTenieineDt,
il dit Non. Fera-t-on une enquête de la population
électorale? Non (1 1 août). Les fédérés auront^ils des
pouvoirs illimités? Non (14 août). Même réponse né-
gative pour la levée en masse, proposée aux Jacobins
même pour le renouvellement du ministère (23). II
n'est positif que sur deux points, la poursuite des
généraux, des journalistes coupables, et Taccéléra-
tion du tribunal révolutionnaire.
Cela alla ainsi jusqu'à la mort de Custine (27 août).
Les tribunes des Jacobins étaient infiniment bruyan-
tes. Royalistes, anarchistes, une foule suspecte s'en*
tendait pour troubler les séances. Les Jacobins, peu
nombreux, s'alarmèrent, et par une mesure qui mar-
quait toutes leurs craintes, ils fermèrent leurs tri-
bunes au peuple, à tout homme non Jacobin.
Que faisait la Commune? Elle voyait venir le mou-
vement, et s'en félicitait. Elle était très-mécontente
du Comité de salut public et comptait profiter du
mouvement contre lui. 11 avait couronné ses torts
envers le ministère de la guerre et les Hébertistes en
tranchant le 24 un grand procès : A qui Von donnerait
l'armée de Mayence? V honneur de finir la Vendée. Le
Comité donna cette armée à Canclaux, non h Ron-
sin et Rossignol. Grand crime. Hébert espérait bien
que le trouble qui se préparait favoriserait sa ven-
geance, tuerait le Comité, assurerait aux siens et
l'indépendance du ministère de la Guerre et la royauté
de Paris.
Tout cela enhardissait les royalistes. Nombreux
264 FAIBLESSE DU COMITÉ
dans les sections, ils en venaient à Vidée de faire un
31 mai, et d'étrangler la République au nom de la
souveraineté du peuple.
Les subsistances étaient un bon prétexte. Voilà des
sections qui, pour traiter des subsistances, veulent en-
voyer à rÉvêché, comme au 31 mai. Le Comité de
salut public voyant le silence de la Commune, s'alar*
me et croit tout étouflFer en faisant décider que Paris,
comme les places de guerre, « pourra être approvi-
sionné par des réquisitions à main armée. » Il défend
la réunion. Les sections s'en moquent; il n'ose per-
sister, et il l'autorise (31 août).
La Commune commençait pourtant à se demander
s'il n'était pas possible que l'aflFaire tournât contre elle,
que ces gens réunis à l'Évèché, ne fissent une nou-
velle Commune. Chaumette voulut calmer sa section
(celle du Panthéon) et ne fut pas écouté».
A la section de l'Observatoire, les choses en vinrent
au point qu'on proposa de faire arrêter comme contre^
révolutionnaires y Chaumette, le maire et la Commune.
L'âme de cette section du pays latin était un lati-
niste, le boiteux Lepître, homme aventureux, d'éner-
gie brutale, d'autant plus remuant qu'il avait peine à
remuer. Furieux royaliste sous sa criaillerie jaco-
bine, il avait eu le secret de se fourrer au conseil
général pouravoir entrée au Temple. Il était l'homme
du Temple et conspirait pour délivrer la reine.
L'étonnante proposition d'arrêter tous les magis-
trats de Paris, c'est-à-dire de faire plus qu'au 31
mai, choqua quelques sections; mais ce n'était pas
DE SALUT PUBLIC. 205
le plus grand nombre. La Commune, à force de
laisser faire, d'attendre, était maintenant si bien
débordée qu'elle n'osa même pas poursuivre l'au-
teur de la proposition.
CHAPITRE IV
MOUVEMENT DU 4-5 SEPTEMBRE. LOIS DE LA TERREUR.
Point de départ du mouvement.— Mouvement du 4, au soir. — Embarras des
Jacobins. — Robespierre ne vient pas le 5 à la Convention. — La Commune
dut 8*entendre avec les Dantonistes. — Comment Cbaumette exploite le mou-
vement du 5. — Triomphe de la Commune (5 septembre).
Justice, terreur et subsistances, n'était-ce pas là
tout l'objet du mouvement, s'il et lit sincère? La Con-
vention crut devoir lui donner quelque satisfaction.
Elle était avertie (1*'' septembre) par une adresse
des Jacobins de Mâcon à ceux de Paris, pour de-
mander l'armée révolutionnaire, la guillotine ambu-
lante, le maximum, la mort des Girondins. Les Dan-
tonistes voulurent faire quelque chose. Danton (le 3),
obtint de la Convention qu'on fixât le maximum du
blé; et Thuriot (le 4), promit pour le lendemain
POINT DE DÉPART DU MOUVEMENT. fffj
un rapport sur Taccélération du tribunal révolu-
tionnaire.
Le mouvement n'en suivait pas moins son cours.
Les vrais et les faux enragés, anarchistes et royalistes,
poussaient d'ensemble pour frapper un coup sur la
Commune, sur la Convention.
Autant qu'on peut juger par les procès-verbaux des
sections, il semble qu'on ait agi d'abord sur la partie
la plus rude du faubourg Saint-Antoine, la moins
intelligente, peuplée de jardiniers, maraîchers,
qu'on trompait plus aisément que les ouvriers. Le
mouvement partit de la lointaine section de Mon-
treuil, espèce de banlieue enfermée dans Paris *.
Montreuil poussa le vrai faubourg, les Quinze-
Vingts, la grande section des ouvriers, et entraîna
Popincourt ( appendice du faubourg , sa troisième
section).
Le mot de ralliement essentiellement populaire, et
pour lequel tous les partis pouvaient s'entendre, était
simple : Du pain!
On proposa le 4, au nom de la section de Montreuil,
que dans tout le faubourg, le lendemain à cinq heures
du matin, on battit la caisse et que tous, hommes,
femmes et enfants, sans armes, mais en ordre, par
compagnies, on se réunit sur le boulevart « pour aller
demander du pain »
A quoi, l'on ajouta aux Quinze-Vingts une pro-
* Procès- verbaux de la commune et des sections. Archives de h
Préfecture de la Seine et de la Préfecture de police.
268 MOUVEBIENT DU 4, AU SOIR.
position plus révolutionnaire : « Qu'on enverrait à
TÉvêché des commissaires avec pouvoirs illimités. )>
Tout cela dans la matinée. Mais, le peuple qui n'y
entendait point malice, au lieu d'attendre au lende-
main, le peuple, le soir même, alla droit à l'Hôlel-
de- Ville. Le flot descendit de lui-même et la rue du
faubourg et la grande rue Saint-Antoine, et par l'ar-
cade Saint-Jean, déboucha à la Grève.
La place, très-petite alors, ne contenait pas deux
mille ouvriers, mais l'aspect était très-sinistre et des
plus mauvais jours. On avait grisé de colère ces
braves gens contre les affameurs du peuple. Ce mot,
lancé par la Commune contre le ministre de l'inté-
rieur, au mois d'août, on le lui lançait alors à elle-
même et à son administration des subsistances.
La foule aveugle ne voulait rien qu'agir. Tout à
coup, dans la masse, se trouvent par enchantement
des gens lettrés, habiles, qui dressent une table sur
la place, forment un bureau, nomment président^
secrétaire, écrivent une pétition. Puis ils lâchent la
foule*. • Elle se jette dans la salle, pousse au fond, et
tient acculés le maire et la Commune, commence à
les interroger avec insultes et menaces, avec lasoBi-
bre impatience d'un estomac vide :
a Du pain ! du pain!.... Mais de suite. »
Chaumette, peu rassuré, obtient de traverser la
foule, d'aller à la Convention. C'était le moyen de
gagner du temps. Il la trouva occupée justement
de fixer le prix des grains , et revint avec cette
bonne et calmante nouvelle. La foule n'en criait
INTIMIDER BASIRE. 273
affaires très-dangereuses. Les femmes, dès qu'elles
entrevirent de ce côté quelque lueur, se précipitèrent,
assiégèrent le Comité de sûreté générale, le noyèrent
de leurs larmes, Tenlacèrent de mille ruses, d'invin-
cibles prières, de ces douloureuses caresses où se
brise tout le nerf de l'homme. Telle se réfugia har-
diment chez son juge, s'y cacha et n'en sortit plus.
D'autres membres étaient compromis d'une ma-
nière plus fâcheuse encore, par des affaires d'argent.
Mais ce qui rendait la situation du Comité de sûreté
extrêmement périlleuse, c'est qu'il gardait obstiné-
ment les pièces du procès des Girondins, n'en faisant
point usage et les refusant à Fouquier-ïinville. Sa
répugnance était insurmontable pour les envoyer k la
mort.
Les Jacobins disaient à Fouquier : « Juge ou
meurs! » Fouquier se rejetait sur le Comité. Le 19
août, il écrivait à la Convention qu'on ne lui don-
nait pas les pièces. L'Assemblée ordonne que le Co-
mité fera son rapport sous trois jours, et le Comité
fait toujours le mort. Nouvelle lettre de Fou-
quier-Tinville à l'Assemblée : « Si le tribunal est
insulté, menacé dans les journaux et dans les lieux
publics, pour sa lenteur à juger la Gironde, il l'est à
tort. Les pièces ne sont pas dans ses mains. » Amar,
le futur rapporteur, vient balbutiant au nom du Co-
mité, allègue gauchement la complication de l'affaire.
Amar, ex-trésorier du roi, était un homme très-com-
promis lui-même.
>'ous avons donné celte longue explication pour
274 COMMENT CHAUMEttÉ EXPLOITE LE MOUVEMENT DU 5'.
montrer comment le Comité in eœtremi$, aôcusé
chaque jour, et presque aussi malade que la Gironde
qu'il défendait, ne pouvait rien refuser aux menaces
de la Commune ; Basire, bien moins encore qu'aucun
membre du Comité.
La fantasmagorie de ce grand mouvement si ter-
rible le soir, disparut le matin du 5. Le peuple se confia
aux promesses et resta chez lui. Il ne vint que des
députationsàTHÔtel-de-Ville, point de foule. Presque
personne n'alla à l'Évêché. Les royalistes avaient
manqué leur coup. Il restait de toute TafiFaire juste
assez d'apparence pour que la Commune pût l'ex-
ploiter encore, parler au nom du peuple et tourner
tout à son profil.
Les meneurs de la veille furent furieux de voir
que la pétition, arrangée par Chaumette, ne spéci-
fiait rien de leurs demandes, qu'un tribunal contre
les affameurs et l'armée révolutionnaire. L'un d'eux,
un imprimeur connu, attendit Chaumette au Pont-
Neuf, et là, le voyant venir à la tête du cortège, il lui
sauta à la gorge, criant : « Misérable! tu te joues du
peuple. »
La Convention, en attendant, pour avoir un gâteau
à jeter au Cerbère redouté, s'était hâtée d'organiser
le nouveau tribunal révolutionnaire, multiple, nom-
breux et rapide, qui fonctionnerait par quatre sec-
tions. Thuriot était au fauteuil.
Elle vota avec acclamation les propositions de la
Commune, auxquelles Danton et Basire ajoutèrent
celles-ci, vraisemblablement convenues :
TKIOMI^HE DE LA COMMUNE (5 SEPTEMBRE). 275
Daaton reproduisit l'aDcienne propositioD de Ro-
bespierre^ que l'on salariât ceux qui assisteraient aux
assemblées de sections, qu'ils reçussent deux francs
par séance; les séances n'auraient plus lieu que le
dimanche et le jeudi. On maintenait à ce prix une
ombre de sections , chose utile pour que chacune
d'elles ne fût pas toute absorbée dans son comité
révolutionnaire.
Basire demanda (c Que les comités révolutionnaires
de sections arrêtassent les suspects, mais que préala-
blement la Commune fût autorisée à épurer ces Comités,
ET A LEUR NOMMER D'AUTRES MEMBRES
provisoirement. »
Proposition énorme qui faisait trois choses à la fois :
l"" Elle reconnaissait, sanctionnait la toute-puis*
sance de ces comités.
2'' Mais cette royauté elle la subordonnait à celle
de la Commune, qui pouvait non-seulement les cen-
surer, les épurer, bien plus : les recréer.
3® La centralisation de ces comités de police qui
eût pu se rattacher au grand Comité de sûreté ou de
haute police, c'était ce Comité lui-même qui, par la
voix de Basire, demandait qu'on la plaçât dans la Com-
mune.
Et la Commune reconnaissante, que faisait^Ue
pour ce généreux Comité , pour Basire? Une seule
chose : elle omettait dans sa pétition de demander la
mort de la Gironde. Elle semblait donner un répit au
fatal rapport.
Ils ne réchappèrent pas. Si la Commune se tut, les
276 THIOMPHE UK LA COMMUNE (5 SEPTEMBRE).
Jacobins ne se turent point. Ils vinrent aussi à la
Convention et denaandèrent le renvoi au tribunal
révolutionnaire , au nouveau tribunal , au tribunal
vierge, sévère, et Tétrenne du glaive. Voté sans
discussion.
Les Dantonistes étaient fort abattus. La mort avan-
çait vers eux d'un degré. Thuriot montra cependant
uue gravité intrépide. Un membre ayant dit folle-
ment : « C'est peu d'arrêter les suspects. Si la liberté
devient en péril, qu'ils soient massacrés!» (Murmure
général.) Thuriot interpréta dignement le sentiment
de l'Assemblée : « La France n'est pas altérée de
sang, mais de justice. »
Deux curieuses carmagnoles égayèrent ce sombre
jour. Chaumette demanda que les Tuileries et autres
jardins publics fussent cultivés en légumes, a Ne
vaut-il pas mieux, dit-il, des aliments que des sta-
tues? r>
Mais Barrère tît le bonheur de l'Assemblée en don-
nant une nouvelle qu'il réservait pour la tîn : « On a
pris, dit-il, un neveu de Pitt!.... » La joie fut telle
que pendant longtemps il ne put continuer.
Barrère résuma la journée avec sa netteté ordi-
naire : « Les royalistes ont voulu organiser un mou-
vement. . . Eh bien ! ils l'auront. . . (Applaudissements.)
Ils l'auront organisé par l'armée révolutionnaire qui,
selon le mot de la Commune, mettra la terreur à V or-
dre du jour.... Ils veulent du sang.... eh bien! ils
auront celui desleurs, de Brissot et d' Antoinette.... »
CHAPITRE VU
TOlîTE-PUISSANCE DES HÉBERTISTES DANS LA VENDÉE.
LEUR TRAHISON.
(6—19 Septembre 93),
Affaiblisseroenl de Robespierre et Danton. — Division d*Hébert et Chaumette.
— Puissance, insolence d'Hébert. — Collot et Billaud au comité. — Danton
refuse. — Les Hébertisles dans la Vendée. — Jalousie de Ronsin contre
Rléber, etc. — Ronsin est soutenu aux Jacobins par Robespierre. — Trahi-
son de Ronsin pour faire périr Kléber, 19 sept. — Kléber et l'armée ûq
Mayence. — Le journal de Kléber.— Kléber écrasé à Torfou, 19 sept.
Les lois du 5 septembre, justifiées par l'excès du
péril, par l'horrible événement de Toulon, par Ta-
btme inconnu de trahison qu'on sentait sous les pieds,
avaient le tort de ne pas répondre à la première né-
cessité de la situation, à celle que Danton avait posée
le l"'août : Il faut un gouvernement.
Ces lois donnaient des moyens de terreur, peu pré-
cisés et vagues. Mais qui s'en servirait?
Loin de créer un gouvernement, elles affaiblissaient
la faible autorité qui en tenait la place, le Comité de
278 DIVISION D'HÉBERT ET CHAUMETTE.
salut public. C'est contre lui justement que s'était
fait le mouvement.
Les deux grandes autorités morales, Robespierre et
Danton, enrestaient amoindries. L'éclipsé de Robes-
pierre au 5 septembre aurait tué tout autre homme ; la
moindre blessure de la Presse lui eût été mortelle en ce
moment ; or, la Presse, c'était Hébert. Les Jacobins
s'étaient divisés le 4, et ils ne s'étaient montrés le 5
qu'en seconde ligne. Pour Danton et lesDantonistes,
qui, en août, avaient pris l'avant-garde dans les gran-
des mesures de défense, ils eurent beau au 5 septem-
bre couvrir leur nécessité d'une fière attitude révolu-
tionnaire, ils n'apparurent qu'à l' arrière-garde des
mesures de terreur. Visiblement ils étaient traînés.
Qui avait vaincu? la Commune. Mais la Commune
de Paris ne pouvait prétendre sérieusement à être le
gouvernement de la France. Elle s'était faîte celui de
Paris, absolu et indépendant, en se faisant déclarer
centre des comités révolutionnaires. En quoi elle
imitait précisément les cités girondines à qui elle
faisait la guerre, et diminuait d'autant le peu qu*îl y
avait de gouvernement central.
La Commune était en deux hommes : Chaumetle,
Hébert. Dès ce jour, ils se divisèrent.
On a vu comment Chaumette avait neutralisé, es-
camoté le mouvement du 4, pour en faire habilement
le 5 la victoire de la Commune. Véritable artiste en
révolution, il fit le succès et ne s'occupa pas d'ed
profiter. Il avait bien d'autres pensées. Toute la révo-
lution de 93 ne lui paraissait qu'un degré pour en
COLLOT ET RILUUD AU COMITÉ. S^79
bâtir dessus UDe autre. Peu après le S septembro^
il s'absenta, mena sa mère pialade dans sou pays, U
Nièvre. Était-il bien content de sa victoire? j'eii
doute, elle lui imposait d'épurer et remanier les co-
mités révolutionnaipes^ de limiter leur tyrannie. C'est
ee qu'il essaya plus tard et qui le mena à la mort,
Hébert ne voyait rien de tout cela. 11 voyait qu'il
régnait. Mattre de la Commune, par l'absence de
Gbaumette, mattre des Cordeliers à qui il distribuait
les places de la Guerre, il enlevait les Jacobins dan^
les grandes questions par les défii^ de l'exagération,
par la crainte que beaucoup avaient de cette gueule
effrénée du Père-Duchesne qui leur eût transporté Jes
noms des Girondins : politiques, hommes d'État,
égoïstes, etc. Les Jacobins avaient à se faire pardour
ner leur division du 4 et l'indécision de {lobespierre.
Avec tout cela, la personn^ité misérable et mes-
quine d'Hébert, son attitude de petit muscadin qui
couvrait le petit fripon, ses tristes précédents (de ven»
deur de contre-marques et commis peu fidèle), tout
cela le faisait hésiter un peu à se charger de gouver^
ner la France. Il eut du moins la magnanimité d'atr
tendre. Mais quand il eut vu (le U) Robespierre et
Danton, soumis et patients, suivre docilement l'impul-
sion du Père^Duchesne, l'impudent alors ne connut
plus rien, et le i 8 il demanda le pouvoir.
En attendant, son ami Collot-d'Herbois entra le Ç
au Comité de salut public. Choix sinistre. CoUot,
c'était l'ivresse (même à jeun), les bruyantes colères,
vraies ou fausses, le rire et les larmes, l'orgie & la
2S0 DANTON REFUSE.
tribune. Ce puissant amuseur des clubs , le plus
furieux des hommes sensibles, faisait peur même à
ses amis.
A cette terreur fantasque (qui est la plus terrible),
le Comité opposa la terreur fixe, gouvernementale
et mathématique, Billaud-Yarennes. Il s'adjoignit
pour membre le patriote reciîligne. Billaud, c'était
la ligne droite, le prescripteur inflexible de toutes
les courbes. La courbe, c'est la ligne vivante; Billaud,
sans sourciller, eût proscrit toute vie.
Le contre-poids possible à ces hommes, c'eût été
Danton. Mais il déclara que jamais il n'entrerait au
Comité.
Pour y entrer, il fallait accepter deux conditions
terribles, devant lesquelles il faiblissait :
La mort des Girondins;
La mort de la Vendée.
Je dis la Vendée patriote. Celle-ci, pêle-mêle avec
la Vendée royaliste, devait périr dans le système des
maîtres de la situation, les Hébertistes. L'ami d'Hé-
bert, Ronsin, se chargeait de faire un désert de deux
ou trois départements. Il comptait laisser à l'avenir
ce monument de son nom.
Ce Ronsin était le grand homme de guerre du parti,
sa glorieuse épée. Auteur de mauvais vaudevilles,
c'était cependant un homme d'esprit, fort résolu,
singulièrement pervers, qui fut bientôt mené, par
vanité et ambition, à un acte exécrable. La première
chose que les Hébertistes exigèrent du Comité, ce fut
une organisation de l'armée révolutionnaire, qui lais-
LES HÉBERTISTRS DANS LA YRNDÉF.. 281
sftt le choix du général au miuislre, à Bouchotte^
leur homme ^ et qui par conséquent assurât la place
à Ronsin.
La dispute était entre deux systèmes. Les véritables
militaires, Canclaux, Kléber, voulaient soumettre la
Vendée. Les faux, comme Ronsin, Rossignol, déses-
pérant de la soumettre, auraient voulu l'anéantir.
Le Comité de salut public avait ordonné, le 26
juillet, de brûler les bois et les haies, de faire refluer
toute la population dans l'intérieur. Le 2 août, il
prescrivait de détruire et brûler les repaires des bri"
gands.
Rossignol arrivant à Fonlenai devant les repré-
sentants Bourdon et Goupilleau, leur avait dit : c< Je
vais brûler Cholet. » Et peu après, quand on lui
demanda des secours pour Parthenai , une ville
patriote, saccagée par les Vendéens, il dit: a Nous la
brûlerons. »
Ce mot, cette fatale équivoque, les repaires des
brigands, comment donc fallait-il l'entendre? Il n'y
avait guère de ville de Vendée qui n'eût été forcée
de donner passage ou refuge aux bandes roya-
listes. Fallait-il brûler ces villes patriotes , qui en
92, par une vigoureuse initiative, avaient à elles
seules éteint la guerre civile? Pour couronne civique,
à ces excellents citoyens', on accordait Texil, la faim,
la mort; on les chassait tout nus, on jetait sur la
France deux ou trois cent mille mendiants.
J'ai sous les yeux une masse de lettres qui mon-
trent la situation épouvantable de ces malheureux
â8S LES HKBKRTISTES BANS LA VENDÉE.
patriotes. Les royalistes étaient plus heureux. Pan*
dant queBarrère, à l{i tribune, les exterminait deux
fois par semaine, ils faisaient leurs moissons tran-^
quillement. Mais les patriotes, s'ils restent, ils sont
toujours sous le coup de la mort. S41s partent, ils
meurent de faim et de misère. On les reçoit avec dé-
fiance. « Ah! vous êtes de la Vendée !..•• Crevés,
chiens ! » C'est l'hospitalité qu'ils trou valent partout.
Le système des Héberlisles était-il celui du Comité?
Le contraire est prouvé. Il leur faisait écrire (1*^ et
9 septembre) qu'on ne pouvait brûler les patriotes,
Le plus simple bon sens disait en effet qu'on risquait
non-seulement de faire mourir de faim la Vendée
républicaine, mais de royaliser la Vendée neutre, de
la jeter par la misère et le désespoir dans l'armée des
brigands. C'est ce qui arriva en 94.
Lors donc que Rossignol déclara naïvement qu'il
allait brûler tout, Bourdon, Goupilleau reculèrent.
Bourdon, ex-procureur, très-corrompu, ivrogne et
furieux, était né enragé. Cependant ce Bourdon, cette
hôte sauvage, quand il entendit Rossignol, il recola
trois pas.
De lui faire entendre raison, nul moyen. On n'eu
trouva qu'un, ce fut de le faire empoigner comme
voleur, pour une voiture qu'il avait prise. Envoyé à
la Convention, il y eut un triomphe, revint plus
puissant que jamais. Ce fut Bourdon qu'on rappela.
Que Carnot et le Comité refusassent à ce favori
l'armée de Mayence, c'était un effort héroïque qu'ils
n'étaient pas en état de soutenir. Rossignol et Ronsin
JALOUSIE DE RONSIN CONTRE KLÉBEB. SSfiS
en effet, au lieu d'obéir, discutèrent encore en con-
seil à Sauraur pour retenir les Mayençais. Vaincus
parla majorité, ils signèrent enfin le plan de Cau-
daux, adopté parle Comité de salut public. Canclaux,
Kléber partant de Nantes, Rossignol partant de Sau-
mur, devaient percer la Vendée et se réunir à Morta-
gne. Un lieutenant de Rossignol, qui commandait
sur la côte, devait appuyer Canclaux sur la droite.
Le B septembre changea toute la face des choses.
Ronsin, voyant la victoire des Hébertistes à Paris, se
voyant lui-môme en passe de commander l'armée
révolutionnaire, de quitter la dictature militaire de
la Vendée pour celle de la France, Ronsin regretta
vivement de s'èlre engagé à soutenir l'armée mayen-
çaise. Pour qu'un faiseur de bouts-rimés, fait gé-
néral en quatre jours, montât si haut, passât sur le
corps à tous les généraux, il fallait un prétexte ; il
fallait qu'au plus tôt, il eût quelque succès, tout au
moins l'ombre d'un succès: et il lui était aussi infini-
ment utile que cette armée qu'on ne lui donnait pas,
fût écrasée dans la Vendée, de sorte que, par cette
défaite, on démontrât l'habileté du général Ronsin
qui avait prévu ces malheurs. Ronsin savait parfaite-
ment que les Vendéens croyaient tout gagner s'ils
frappaient un grand coup sur l'armée de Mayence;
le reste ne leur importail guère. Ils faisaient front
du côté de Kléber, et tournaient le dos à Ronsin. Il
avait chance de les trouver très-faibles. Il convoque
un conseil de guerre, annule sans façon le plan du
Comité de salut public.
284 M EST SOUTENU AUX JACOBINS PAR ROBESPIEHRE.
Qui le rendait donc si hardi? Il comptait sur deux
choses : la partialité des représentants Choudieu,
Bourbotte pour Rossignol, et les ménagements de
Robespierre pour lout le parti hébertiste.
Bourbotte, l'Achille de la Vendée, brave et de peu
de tète, avait avec Rossignol une maîtresse commune,
une camaraderie de viveur. Pour Robespierre, il n'y
avait pas à songer à lui donner une maîtresse. Mais on
avait réussi à mettre près de lui un honnête homme, un
bon sujet, un certain d'Aubigny qui, par de grands
dehors d'honnêteté, le capta jusqu'à l'engouement.
Ce très-habile agent travaillait d'autant mieux qu'il ne
, ressemblait pas en tout aux Hébertistes. Il défendait
les prêtres, moyen sûr de plaire à Robespierre^ Il
entra le 24, comme adjoint à la Guerre, fort appuyé
de Robespierre et de Saint-Just qui le vantaient aux
dépens de Carnot.
La séance du 11, aux Jacobins, fut terrible. Futile
en apparence, personne n'osant dire les mots de la
situation, et d'autant plus terrible. Tous s'expri-
maientàmots couverts, et s'entendaient parfaitement.
Bourdon était là, traduit devant les Jacobins ; on par^
lait de la voiture volée par Rossignol, et autres baga-
telles. Eu réalité, il s'agissait de l'incendie de trois
départements, de l'extermination d'un peuple.
La tragédie monta très-haut, quand Bourdon, dé-
chirant le voile. Bourdon l'enragé, le sauvage, cria :
« Que voulait-on? Pou vais-je davantage?.... J'ai brû-
lé sept châteaux, douze moulins, trois villages....
Vous ne vouliez pas apparemment que je laissasse de-
TKAHISUN DF: KOiNSiN POUK FAlKb; PEKIK KLÉBKR. 285
bout la maison d'un seul patriote?.... » Et en même
temps il sommait Robespierre de dire s'il n'avait pas
donné des preuves écrites de tout ce qu'il avançait
au Comité de salut public.... On le fit taire à force
de cris.
Le plus triste fut de voir Danton parlant contre les
Danlonistes, louant Henriot, louant Rossignol, men-
diant la faveur de ses ennemis.
Le faible de Robespierre et Danton pour Rossignol,
un ouvrier devenu général en chef, s'explique cer-
tainement. Nous ne voyons pas cependant qu'il ait
été le même pour les vrais héros sans-culottes, pour
Hoche, fils d'un palefrenier, neveu d'une fruitière,
pour Jourdan, que sa femme nourrissait en vendant
dans les rues des petits couteaux, etc., etc.
Cette séance offrit ce curieux spectacle d'Hébert,
fort et majestueux, paisible, encourageant, rassurant
Robespierre, le poussant et le retenant. < Sois tran-
quille, Robespierre.... Ne réponds pas, Robespierre,
à ces propositions insidieuses, » etc. Pour Danton, il
avait beau se mettre en avant, et vouloir plaire, Hé-
bert n'y daigna prendre garde.
L'issue naturelle, attendue, était que Bourdon fût
chassé des .lacobins. Il arrêta tout par l'audace ; « Je
ne veux pas vous ôter ce plaisir. Faites ce qu'il vous
plaît! 1^ cria-t-il. Les politiques se radoucirent. Ils
sentirent qu'ils allaient lui ramener l'opinion, le ren-
dre intéressant. Robespierre l'excusa en l'humiliant,
disant (c que sans doute il ne faisait qu'ajourner son
repentir. »
280 TKAHISON DE HONSIN POUK FAIHË PÉRIR KLÉB^H.
Au moment où la nouvelle de cette séance arriva
à Saumur, Rossignol, malade de ses orgies, était
dans sa baignoire. Ronsin exploita le succès. Il crut
que^ Rossignol, soutenu à ce point par Robespierre
et par Danton, Rossignol, Pobjet de ce monstrueux
engouement, divinisé vivant, devenu impeccable,
pouvait faire passer tous les crimes, et que lui Ron-
sin, sans péril, pouvait, avec la main de cet inepte
Dieu, assassiner ses ennemis.
De la baignoire, sous sa dictée» Rossignol écrit
1^ aux Jacobins qu'il a déjà eu un grand avantage (il
n'y avait rien eu); 2^ à Canclaux, que le conseil de
guerre tenu le 11 n'est pas d'avis qu'on coopère à ses
mouvements.
Canclaux et l'armée mayençaise étaient en mouve*
ment. L'affaire était lancée. Dans cinq départements,
le tocsin sonnait et la levée en masse se faisait pour
ce coup décisif. Tout le monde partait (de 18 ans à 80)
avec fusils, fourches et faulx. Chacun prenait six jours
de vivres. On dit que quatre cent mille hommes
étaient levés. Fallait-il que Rossignol, de sa baignoire,
arrêtât tout? Cela paraissait difficile. Le ridicule aussi
était immense. Et que diraient les royalistes,
la Vendée menacée pour rien? Quel rire ! Quelles
gorges chaudes !.... Canclaux était forcé de marcher
en avant.
Si Ronsin eût en même temps fait écrire Rossignol
à son lieutenant Chalbos que l'on ne devait pasd^
conder Canclaux, tout eût été moins mal. On eût
arrêté ce tocsin qui, dans toute la Basse- Vendée, faî-
KLÉ6ER ET L'ÀKMÉË DE MÀYSNCE. 287
sait partir les hommes» Mais point. La lettre de Ros-
signol à Ganclaux fut écrite le 14, et la lettre au
lieutenant Ghalbos deux jours plus tard, le 16, de
sorte que ce grand mouvement continua, et que Can-
daiix qui Tenlendait, dit : « N'importe ! si Rossignol
n'agit pas de Saumur, ici près, son lieutenant, avec
la levée en masse, va nous soutenir et nous seconder* »
Ainsi, il s'enfourna, lui, Kléber, l'armée mayençaise,
en pleine Vendée. C'est ce qu'on voulait.
N'eût-il que cette armée, il se sentait très-fort.
Quand il les vit réunis ces dix mille, il fut étonné.
Troupe unique, admirable, qui ne s'est retrouvée ja-
mais, ardente comme 92, solide comme 93, aussi
manœuvriére que les armées impériales. Cette armée
avait en elle la force et la gravité d'une idée, la con-
science d'avoir couvert la France tout l'été, àMajence,
et de l'avoir relevée dans l'es'ime de l'Europe. Elle
avait la ferme espémnce de finir la Vendée. Ellé-
tnêtne y est restée malheureusement presque entière,
livrée, trahie, assassinée.
Nommons un des soldats, Lepic, créature hoûnêtie,
s'il en fut, innocente, héroïque, qui resta soUs l'Em-
pire le soldat de la République, l'homme du devoir
sans ambition. Seize ans après 93, il était encore
simple colonel, quand le dernier jour de l'horrible
boucherie d'Eylau, tous étant épuisés, il recommença
la bataille, traversa deux fois l'armée russe, arracha
la victoire et la donna à l'Empereur.
Nommons le général de F avant-garde mayençaise,
l'immortel, l'infortuné Kléber. C'était alors un homme
288 kLËBblH ET L'AHMëë DE MAYENGE.
de treote^leux rds, d'une maturité admirable, d'une
figure si militaire qu'on devenait brave à le regarder.
Il était très-instruit et avait fait toutes les guerres
d'Allemagne. A Mayence, on lui avait donné le com-
mandement des postes extérieurs, c'est-à-dire un
combat de cent vingt jours de suite. La récompense
l'attendait à la frontière. Il fut arrêté. Tel était son
destin. Toujours victime. Il le fut en Vendée, il le fut
sur le Rhin où on le laissa sans secours. Il le fut en
Egypte. Et il l'est dans l'histoire encore.
Avec cette stature imposante, cette figure superbe
et terrible, il n'y eut jamais un homme plus modeste,
plus humain, meilleur. Marceau avait pour lui un
sentiment de vénération, une profonde déférence et
une sorte de crainte, comme pour un maître sévère
et bon. Kléber, de son côté, avait senti l'extraordi-
naire beauté morale du jeune homme, et son charme
héroïque qui enlevait les cœurs. Plus tard, on le verra
refusant le commandement; il força Marceau de le
prendre, et lui donna ainsi la gloire du dernier coup
d'épée qui finit la Vendée.
On ne peut sans émotion écrire l'histoire de ces
temps. Le respect de Marceau pour Kléber, Kléber le
rendait à Canclaux. La déférence morale, la frater-
nité était admirable dans cette armée. Elle vivait d'une
même âme. Tous ses chefs, Dubayet, Vimeux, Haxo,
Bnjaupuy, Kléber, furent un faisceau d'amis. Joi-
gnons-y leur représentant chéri, Merlin de Thion-
ville, toujours k l'avant-garde, et qui ne se fût pas
consolé de manquer un combat. Merlin était l'enfant
LE JOURNAL DE KLÉBER. 289
de l'armée. Kléber conte avec complaisance ses hardis
coups de tète. Le jour qu'on arriva à Nantes, dans la
fête qu'on donna à l'armée sur la prairie de Mauves,
Merlin saute dans une chaloupe, passe la Loire et va
faire le coup de fusil avec les Vendéens.
Cette armée héroïque arrivait, mais dénuée de tout,
sauf les couronnes civiques dont on l'avait chargée
de ville en ville. Du reste, plus d'habits, ils étaient
restés dans la redoute de Mayence; ni vivres, ni sou-
liers, ni chevaux. Tout ce qu'on envoya de Paris,
Ronsin l'empêcha de passer, le garda pour lui à Sau-
mur. Heureusement, Philippeaux était à Nantes.
Avec ses fidèles amis du club Vincent, il parvint en
huit jours, chose admirable, à équiper l'armée. La
perfidie de Ronsin fut trompée encore une fois.
Les voilà donc en route, Kléber et Merhn en tète.
Le très-sage Canclaux faisait accompagner l'armée
des meilleurs Montagnards du club de Vincent la
Montagne, qui pussent au besoin témoigner pour lui
et répondre aux calomnies de Saumur.
Les notes inestimables qu'a laissées Kléber nous
permettent de suivre sa route. Il marchait par Clisson,
parla vallée âpre et boisée de laSèvre nantaise, beaux
lieux, pleins de danger, qui déjà en septembre étaient
noyés de pluies et n'offraient que d'affreux chemins.
Le souci de Kléber, c'était de conserver l'honneur
de l'armée de Mayence, d'empêcher tout pillage. Le
pays était généralement abandonné ; les biens de la
terre étaient là qui tentaient le soldat. Prendre en
Vendée était-ce prendre? Chaque nuit, il faisait bi-
VI. 1»
290 LE JOURNAL DE KLÉBER.
vouaquer dans- des prés feroiés de bardèrei et dé
grands fossés d'eaux. Là^ il se mettait à écrire> q(h
tant av^c la complaisance d'un ami de la nature lei
paysages charmants^ les échappées de vue qu'il ren^^
contrait dans ce pays fourré, les belles clairières des
forêts qui n'avaient pas encore perdu leurs feuiltes,
les grandes prairies où erraient des troupeaut qui
n'avaient plus de mattres. Puis viennent des paroleA
pleines d'humanité et de mélancolie « sur le sort de
ces infortunés^ qui, fanatisés par leurs prêtres, de*
viennent des furieux altérés de sang, repoussent les
biens qui venaient à eux et courent à leur ruine. »
Nul retour sur lui-môme, ni sur son propre sort.
Pendant qu'il avance ainsi avec confiance, la Yen'«
dée l'attend^ tapie dans ses bois« Le sanglier, déste^
péré, furieux, est dans sa bauge, immobile et prêt à
iVapper. Toute la grande masse vendéenne était tour*-
née vers Kléber, suivant à la lettre le mot qu'avait
ditléruséBernier ; « Ëreidtez Mayence, etmoqbex^
vous du reste, i» Ils obéirent autant qu'il fut en etir*
II était entendu^ et dans l'armée d'Anjou^ et dans celle
de Charette (dont les soldats nous l'ont redit), qu'on
ne devait taire prisonnier nul Mayençais, mais exaiH
tement tuer tout.
Kléber marchait soutenu, comme il croyait, à
gauche, par l'Alsacien Beysser, jaloux de lui et plein
de mauvaise volonté, et à droite par Cbalbos, lieu-^
tenant de Rossignol, qui, d'après les conventions,
devait se rapprocher de lui avec toute' la levée eil
masse de la Basse-Vendée.
KLÉBÈR ÉCItAJtÉ A tOftrOU. fel
Que faisait ôelieutèfiàntt II atftnçrttf abord, ôt I*OH
eompia sur lui, oti s'engagea plus loin, et on ap^irit
alors qu'il élait m pleine retraite. Sur Tordre de Ros*
signol, Chalbos s'éloigtia de Klébw, fit reculer léi4
ôorps qui dépéudaidtit de lui, et toute là levée en
masse.
Kléber et les deuï mille cinq cetits hommef de l^a^
vaût^^rde étaient au fotid du piège. Les défilés étroits,
profonds, boueux, de Torfou, avaierit reçu k Ibtigue
file et quatre catioui qu'elle traînait. Au fofld, vingt-»
cinq mille Vettdéeris. N'âyattt point affairé â Chalbos,
ils avaient pu Se concentrer. La masse est d'abord
enfoncée, mais elle se divise, se rapproche sur les
côtés, se range derrière les fossés et le.^ haieâ, fusille
de toutes parts, et même derrière, à bout portant.
La réserve qui suivait, répond; sa fusillade akrme;
ou erolt qu'on est coupé, ttléber avait tout d'abord
reçu un coup de feu. On voulait retirer les pièces;
un caisson brisé sur la route, la ferme, et les canbns
sont pris. Kléber, quoique blessé, dirigeait tout. Il
dit à Cheverdin, commandant dé Saône-et-Loire :
« Fais-ioi tuer, et couvre la retraite. ^ Ce brâVe
homme le fit à la lettre. Avec luf, tînt fertne Merlin.
Merlin avait près de lui un excellent ami, un réfugié
de Mayence, qui n'avait plus de patrie que nos camps.
Ce pauvre Allemand, Riffle, se fit tuer en sauVânl
une armée de la France.
Ce jour-là, quelqu'un passant à Saumur, vit Ros-
signol encore malade. « Comment vont les affaires?
dit Rossignol. » — « Mal, dit l'autre; Chalbos se re-
292 KLÉBER ÉCRASÉ A TORFOU.
tire. » — € Comment cela? Qui lui a ordonné? » —
c Vous-même. » Rossignol demanda son registre de
lettres, il vil que la chose était vraie, et changea de
couleur. Il comprit un peu tard.
Le criminel Ronsin tenait pendant ce temps la
place de Rossignol ; la levée en masse était faite par-
tout sur la Loire pour le seconder. Il avance et s'en-
fourne dans le bourg étroit de Coron. Là, trois mille
Vendéens suffisent pour l'écraser. Il Tétait d'autre
part par le sentiment de son crime, pensant ne pou-
voir se laver que par une victoire. « Mourons ici, »
dit-il à Santerreson lieutenant. « Il n'en mourut pas,
dit Santerre, mais fît comme les autres. » Il n'eut pas
même la présence d'esprit de faire rétrograder un
autre corps qui arrivait d'Angers et fut battu aussi.
Toute la levée en masse, voyant fuir les troupes régu-
lières, se débanda; cent mille hommes rentrèrent chez
eux; tout ce grand mouvement fut perdu.
Que fit Rousin ? Sans s'étonner, il écrit à Paris que
six jours durant, il a toujours vaincu; que la Vendée
fuit devant lui. Le ministre, d'accord avec lui, cache
les relations plus fidèles. Ronsin, suivant de près sa
lettre, dénonce aux Jacobins Canclaux et l'armée de
Mayence. 11 est désigné unanimement par l'enthou-*
siasme public pour le grand poste de général de l'ar-
mée révolutionnaire.
CHAPITRE VIII
ROBESPIERRE COMPROMIS. SA VICTOIRE.
(95 Septembre).
Violence dei Héberlistes. Loi des Suspects. — Désespoir de Danton. — Les
Hébertlstes dénoDcés (35 septembre}.^Victoire de Robespierre à U Gon-
Tention. — Maître de la Justice et de U Police, il essaie la modération
(S octobre 93).
Merlin de Thionville ne perdit pas une minute. Il
arriva derrière Ronsin, chargé des preuves de son
crime, des ordres qu'il avait fait signer à son manne-
quin Rossignol pour trahir l'armée de Mayence et
faire périr Kléber.
Que trouve-t-il? les amis de Ronsin au pinacle*
Tout le monde lui rit au nez. On lui conseille d'être
prudent, de s'excuser, s'il peut, lui-même, de sa dé-
faite de Torfou .
Les Hébertistes ne gardaient aucune mesure. Dans
294 VIOLENCE DES HÉBKRTISTES.
l'affaiblissement de Danton et de Robespierre, ils
maîtrisaient les Jacobins et les faisaient marcher.
Pour mot de la situation, pour ralliement des pa-
triotes, pour épreuve des bons citoyens, ils avaient
pris la mort des Girondins. A tout ce qu'on disait,
ils objectaient : Les Girondins vivent encore*
Poursuivant tout le monde avec ce verre de sang
qu'ils vous forçaient de boire, il^ faisaient reculer
les Dantonistes, les stigmatisaient du nom d'indul-
gents.
Les Jacobins, poussés, dèÛès, marchant sous l'ai-
guillon, voulaient prouver leur énergie. Le 8, le 9,
le 15, le 30, le 1", des députations jacobines vinrent
coup sur cQup à la Convention, la sommer de tenir
parole.
Les Jacobins franchirent un pas bien grayç» Il3 se
constituèrent juges, allèrent au Comité de sûreté
générale, prirent le dossier de la Gironde, le rappor-
tèrent chez eux, se chargeant d'instruire le procès,
à la barbe du Comité et de la Convention.
L'As^embléQ pq voyait que trop derrière 1^^ JfftQO-
hm 1q machiniste Hébert, tirant les Ql8. Elle fit le.
17 wm tentative pour reprendre quelquq chose 4a P©
qu'elle avaitcédé le 5 Ma Commune. Elle avait pfçk
mis la loi des suspects, et elle la donna, mai^ fiutffi
qu'elle n'avait promis. Dans le projet du 8, les comi-
tés révolutionnaires, chargés d'arrêter le§ suspecta,
étaipnt soumis à la Commune. Dans la loi du t7 , ils
l'étaient au Comité de sûreté générale de la CoR*^
vention; ils devaient lui envoyer leim motifs et les
LOI DES SUSPECTS (17 SEPT. 93). 1^
pgpiars saisis. En d'autres termes, la Co^vântion (ot
BQP Comité da sûreté) restait maltressie de Vexiéoutiop
dQ la loi, et si dans cette loi de terreur, d'immense
portée, qui enveloppait tout, on risquait d'enfermer
la France, tout au moins l'Assemblée voulait garder
la elef , ouvrir et fermer les prisons.
C'était neutraliser au profit de la Convention et de
son Comité de sûreté, cette dictature de police qu'on
avait le 5 septembre donnée à la Commune, Léredout
table Hébert se fâcha, laissa toute prudence et dans m
fureur étourdie, proposa la chose même pour laquelle
on voulait faire mourir les Girondins, une chose dan-^
gereuse, impossible : Que l'on mît en vigueur la Con-
$Hlutîon, c'est-»à-dire que l'on supprimât les deus
Comités dictateurs, qu'on donnât le pouvoir m% mi'»
nistres (sans doute au grand ministre Hébert).
Telle était la reconnaissance des Hébertistes pour
Robespierre qui, le 1 1 , les avait si bien soutenus dao»
l'affaire de Vendée. Ils anéantissaient le Comité de
salut public, renvoyaient Robespierre aux spécula-
tions théoriques, h la morale, à la philosophie.
Aucun journal n'a osé imprimer cette séance
étrange des Jacobins. Nous savons seulement Tim-^
pertinente proposition d'Hébert, à laquelle Robes-
pierre aurait répondu avec une douceur exemplaire
que la demande était prématurée.
Ce même soir (18), Vincent aux Cordeliers fit le
dernier outrage à la Convention , la demande d'une
loi qui rendît les représentants en mission refponsa-
blés de favoriser les friponneries des agents miHtAir$$*
29t$ DÉSESPOIR DE DANTON.
Que les fripons eux-mêmes , les amis de Ronsin y les
efifrontés pillards de la Vendée, se missent à crier Au
voleur ! et contre la Convention ! c'était chose irri-
tante! L'Assemblée perdit patience, et renvoya la
pétition à qui de droit, pour être poursuivie.
Nous ignorons malheureusement ce qui se passa au
Comité de salut public. Robespierre s*y trouvait
entre Collot, ami d'Hébert, et Thuriot, ami de Dan-
ton. La question était de savoir si le Comité tolère*
rait à jamais les furieuses folies des Hébertistes , qui
demandaient sa suppression , et se portaient pour ses
successeurs au pouvoir. La connivence du Comité
pour ces scélérats étourdis n'était-elle pas lâcheté?
une lâcheté meurtrière contre soi-même! Il était
trop aisé de voir où on allait de faiblesse en faiblesse :
la Gironde aujourd'hui, demain les Dantonistes; que
leur manquerait-il alors ? l'immolation de Robespierre
lui-même !
Robespierre le voyait aussi bien que les autres , et
ne répondait rien. Tout cela se passait au Comité
devant Collot - d' Herbois , autrement dit, devant
Hébert. Ce silence obstiné, cette patience par*delà
tous les saints, étonnait, effrayait.
Les Dantonistes aimèrent mieux briser en face, se
séparer, que de se laisser toujours entraîner. Ils
avaient cédé le 5 septembre , parlé pour leurs enne-
mis. Qu'y avaient-ils gagné? Ceux-ci depuis ce jour,
étaient plus insolents, plus altérés de leur sang.
Thuriot, le président du 5 septembre, donna le 20
sa démission du Comité de salut public.
LES HÉBERTISTES DÉNONCÉS. 297
Danton quitta la Convention et partit pour Ârcis.
Pour rien au monde, il ne voulait livrer les Girondins.
Le bon Garât, qui alla le voir avant son départ, le
trouva malade, consterné, altéré. La ruine de son
parti , sa débâcle personnelle, sa popularité anéantie
l'occupaient peu. Ce qui lui perçait le cœur, c'était
la mort de ses ennemis. r< Je ne pourrai les sauver, »
s'écria-t-il. Et quand il eut arraché le mot de sa poi-
trine, toutes ses forces étaient abattues. De grosses
larmes lui tombaient; il était hideux de douleur. Plus
d'éclairs, la flamme était éteinte, la lave refroidie ; le
volcan n'était plus que cendres.
Son départ fut une grande faute. Les Hébertistes
crièrent partout qu'il avait émigré. Les Dantonistes
ne furent pas soutenus de sa grande voix , puissante
encore, dans leur bataille décisive du 25 septembre.
Les preuves qu'ils apportaient contre Rossignol
étaient telles qu'elles devaient le faire guillotiner
sur-le-champ, à moins qu'il ne prouvât qu'il était un
idiot, qu'il avait signé sans comprendre. Auquel cas,
c'était Ronsin qui devait porter sa tête sur l'échafaud.
11 se trouvait par une coïncidence singulière qu'au
moment même, une autre accusation presque aussi
grave contre les Hébertistes du ministère de la
Guerre arrivait de l'armée du Nord. C'était une
foudroyante lettre écrite en commun par deux
montagnards de nuance difiFérente, le maratisle Ben-
tabole et le robespierriste Levasseur. Cette lettre
dévoilait l'état épouvantable où Bouchotte et Vincent
laissaient nos armées ; celle du Nord était inférieure
yj8 VICTOIHE DE ROUtSriKRHR
de quarante mille hommes à ce qu'elle eût dû être
pour paraître devant l'ennemi. Il y avait pourtant sis
mois que les trois cent mille hommes étaient votés.
Ni subsistances, ni habillements, ni officiers 8upé<-
rieurs. Gossuin l'avait dit le 13 août, et cela l'a meoé
à la guillotine. Les généraux le disaient ; on les guiK
lotinait. Tout revers était attribué à la trahison.
Robespierre, Barrère et le Comité , que faisaient^ils
en poursuivant aveuglément , indistinctement , tous
les généraux? ils excusaient Bouchotte, ils appuyaient
Hébert, leur ennemi, flattaient la presse populaire, le
Père Duchesne qui , s'il eût trouvé jour, aurait hurlé
contre eux et les eût menés à la mort.
Ici, c'était Levasseur, un homme de Robe^pierr^^
qui dénonçait un ministère dont Robespierre étiat
l'ttllié.
La mémorable séance du 2S fut ouverte par Thu-
riot, de manière à donner une grande attente^ l\
déplora le sort de la Révolution, tombée dans la main
des derniers des honimes : € N'avonsrrnous donOt û\\k^
il, tant combattu que pour donner le pouvoir aux
voleurs, aux hommes de sang? Nous détrônons le
royalisme et nous intronisons le coquinisme. f C'était
nomtaer Hébert, Ronsin ; on attendait qu'il conclût h
envoyer celui-rci chez Fouquier-Tinville. La Conven*-
tioq applaudissait violemment. Mais point, 11 demanda
l'impression d'une feuille morale...
Chute étrange I Elle fut relevée; on lut la terrible,
lettre de Levasseur contre le ministère de la guerre.
A la chaleur de cette lettre tout dégela. Les paroles
A LA CONYBNTlÛ.Y. 299
glaeéei an Tair se fondipontet se firent entendre» Le
représentant Briez, que la trahison ftvait foreé de
fondre Valenoiennesi et qui restait depuis en suspieion
%t^m 03er même se justifier, parla et parla si bien qu#
la Convention, iion contente de décréter l'impression
du dUoours, décréta Vadjonetion de Briei au Comité
d^ mht publiOf
Au moment où le Comité recevait ce terrible coup,
Merlin de Tbion ville survint, comme le matador sur
le taureau blessé , pour enfoncer le glaive. Il donna
l'ftffaire de Bonsin,
Plu3ieurjs membres se lèvent : « Et que dit à cela
le Comité de salut public ? que ne parle-t-il ? »
h^ Comité parla, mais d'abord par Billaud-Varen-
nes, maladroitement, avec fureur, avec menaces
oonlre la ConvenlioUf Barrôre vint au secours, lou-
voyai., suivant son procédé ordinaire, jetant à la colère
de l'Asieroblée ce qui suffit pour amuser les foules
dapsi ç«g moments, une victime humaine. Si l'armée
du Nord avait des revers, c'était la faute d'Houchard.
Barrère fit de ce pauvre diable du grand, un profond
conspirateur. « Heureusement, dit-il, le voilà des-
titué. Avec les lumières des bureaux de la guerre (il
fla^ttait les Héberlisles), et les lumières de Carnol (il
flattait les neutres), nous ferons de meilleurs choix.
— On vient dénommer Jourdan, i Prieur, l'ami
de Carnot, appuya et couvrit Barrère de son honnê-
teté connue.
Saint-André et Billaud reprirent sur l'utilité du Co-
mité de salut public et la nécessité détenir secrètes les
300 VICTOIRE DE ROBESPIERRE
grandes opérations. — Et Billaud immédiatement :
c( Nùus allons faire en Angleterre une descente de cent
mille hommes l... Nous avons levé dix-huit cent mille
hommes ! . . . — Barrère : « En Vendée seulement,
quatre cent mille hommes en vingt-quatre heures!»
L'Assemblée applaudit vivement ces exagérations,
l'indiscrétion surtout de Billaud- Varennes qui , sor-
tant de son caractère , criait dans la Convention un
projet si loin de l'exécution , et dont le secret eût pu
seul assurer le succès.
Dans tout cela pas un mot de réponse à ce qui fair*
sait l'objet de la séance. L'objet, bien posé, était
celui-ci :
Doit-on guillotiner Ronsin et Rossignol pour avoir
livré à la mort une armée de la République î
Doit-on chasser Bouchotte, qui, dans un ministère
de cinq mois, n'a rien organisé encore, ni le matériel,
ni le personnel, qui, des trois cent mille hommes dé*
crélés en mars, n'envoie presque rien aux armées?
Les Dantonistes furent pitoyables. Ils n'osèreet
rappeler l'Assemblée à la question. Ils avaient en
main un procès terrible pour accabler leurs ennemis.
Ils s'en servirent à peine. Thuriot aboutit à sàfeuiUe
morale. IVIerlin de Thionville ne montra point à la
Convention l'intrépidité qu'il avait sur les champs de
bataille. S'il eût pointé aux Hébertistes, aussi juste
qu'il le faisait aux Prussiens, Ronsin était perdu.
11 fallait écarter vivement et d'un mot toute cette
défense du Comité qui n'avait là que faire. Que le
Comité eût été faible pour les Hébertistes, pour Bou-
A LA CONVENTION. 301
chotte et RonsiD, c'était une question secoudaire
qu'on devait ajourner. II fallait concentrer l'attaque
sur la trahison de Vendée. Bien loin qu'on accusât le
CSomité en cette affaire , le crime de Ronsin était jus-
tement de s'être moqué du plan adopté par le Comité,
d'avoir fait écraser Kléber, que ce plan l'obligeait de
soutenir. Si le Comité n'eût pas eu peur de la presse
bébertiste, c'est lui qui aurait accusé Ronsin.
Robespierre profita des fautes avec une admirable
présence d'esprit.
Il ne défendit pas les Hébêrtisles, et n'en dit pas
un mot. Il les laissa hideusement découverts , percés
à jour, et dépendants de lui qui dépendait d'eux jus-
que-là.
Il défendit le Comité , assez vaguement, en répé-
tant ce qu'avait dit Barrère, du reste se mettant à
part, et parlant pour son compte : «Si ma qualité dé
membre du Comité doit m'empêcher de m'expliquer
avec une indépendance extrême, je dois l'abdiquer à
l'instant, et après m'être séparé de mes collègues
(que j'estime et honore), je vais dire à mon pays des
vérités nécessaires... » — Grande attente. Ces véri-
téSj c'était qu'il existait un plan d* avilir ^ de paralyser
la Convention, a On veut que nous divulguions les
secrets de la République, que nous donnions aux
trattres le temps d'échapper... Remplacez- le ce
Comité qui vient d'être accusé avec succès dans votre
sein... L'argent de l'étranger travaille. Cette journée
vaut à Pitt plus de trois victoires. La faction n'est
pas morte, elle conspire du fond de se$ cachots
202 KLÉBER ÉCRASÉ A TORFOU.
tire. * — € Comment cela? Qui lui a ordonné? » —
c Yous-mème. » Rossignol demanda son registre de
lettres, il vit que la chose était vraie, et changea de
couleur. Il comprit un peu tard.
Le criminel Ronsin tenait pendant ce temps la
place de Rossignol ; la levée en masse était faite par-
tout sur la Loire pour le seconder. Il avance et s'en-
fourne dans le bourg étroit de Coron. Là, trois mille
Vendéens sufiBsent pour l'écraser. Il Tétait d'autre
part par le sentiment de son crime, pensant ne pou-
voir se laver que par une victoire. « Mourons ici, »
dit-il à Santerreson lieutenant. « 11 n'en mourut pas,
dit Santerre, mais fit comme les autres. » Il n'eut pas
même la présence d'esprit de faire rétrograder im
autre corps qui arrivait d'Angers et fut battu aussi*
Toute la levée en masse, voyant fuir les troupes régu-
lières^ se débanda; cent mille hommes rentrèrent chez
eux; tout ce grand mouvement fut perdu.
Que fit Rousin? Sans s'étonner, il écrit à Paris que
six jours durant, il a toujours vaincu; que la Vendée
fuit devant lui. Le ministre, d'accord avec lui, cache
les relations plus fidèles. Ronsin, suivant de près sa
lettre, dénonce aux Jacobins Canclaux et l'armée de
Mayence. 11 est désigné unanimement par l'enthou-
siasme public pour le grand poste de général de l'ar-
mée révolutionnaire.
CHAPITRE VIII
ROBESPIERRE COMPROMIS. SA VICTOIRE.
(35 Septembre).
Violence des Hébertistes. Loi des Suspects. — Désespoir de Danton. — Les
Hébertistes dénoncés (25 septembre). — Victoire de Robespierre à la Gon-
Tention. — Maître de la Justice et de la Police, il essaie la modération
(S octobre 93).
Merlin de Thionville ne perdit pas une minute. 11
arriva derrière Ronsin, chargé des preuves de son^
crime, des ordres qu'il avait fait signer à son manne-
quin Rossignol pour trahir l'armée de Mayence et
faire périr Kléber.
Que trouve-t-il? les amis de Ronsin au pinacle.
Tout le monde lui rit au nez. On lui conseille d'être
prudent, de s'excuser, s'il peut, lui-même, de sa dé-
faite de Torfou.
Les Hébertistes ne gardaient aucune mesure. Dans
294 VIOLENCE DES HÉBKRTISTES.
l'affaiblissement de Danton et de Robespierre, ils
maîtrisaient les Jacobins et les faisaient marcher.
Pour mot de la situation, pour ralliement des pa-
triotes, pour épreuve des bons citoyens, ils avaient
pris la mort des Girondins. A tout ce qu'on disait^
ils objectaient : Les Girondins vivent encore.
Poursuivant tout le monde avec ce verre de sang
qu'ils vous forçaient de boire, ils faisaient reculer
les Dantonistes, les stigmatisaient du nom d'indul-
gents.
Les Jacobins, poussés, dèÛès, marchant sous l'ai-
guillon, voulaient prouver leur énergie. Le 8, le 9,
le 15, le 30, le 1", des dèputations jacobines vinrent
CQup $ur coup à la Convention, la sommer de tenir
parole.
Les Jacobins franchirent un pas bien grave* II3 se
constituèrent juges, allèrent au Comité de sûreté
générale, prirent le dossier de la Gironde, le rappor-
tèrent chez eux, se chargeant d'instruire le procès,
à la barbe du Comité et de la Convention.
L'AssembléQ m voyait que trop derrière I9S Jfico-
h\m la machiniste Hébert, tirapt les fils. Elle Qt la
17 une tentative pour reprendre quelque chose de ce
qu'elle avait cédé le 5 à la Commune. Elle avait pro-
mis la loi des suspects, et elle la donna, mais autrfl
qu'elle n'avait promis. Dans le projet du 8, les comi-
tés révolutionnaires, chargés d'arrêter les suspects,
étaient soumis à la Commune. Dans la loi du 17 , ils
l'étaient au Comité de sûreté générale de la Con-
vention; ils devaient lui envoyer leurs motif» et les
LOI DES SUtiPECTS (17 SBI'T. 93). 1^
papiers mim. En d'autres termes, la Co^vôntion (fit
BQP Comité da sûreté) restait mallressie de l'exéoutiop
de la loi, et si dans cette loi de terreur, d'immense
portée, qui enveloppait tout, on risquait d'enfermer
la France, tout au moins l'Assemblée voulait garder
la elef , ouvrir et fermer les prisons.
C'était neutraliser au profit de la Convention et de
son Comité de sûreté, celte dictature de police qu'on
avait le 5 septembre donnée à la Commune, LéredouT
table Hébert se fàcba, laissa toute prudence et dans m
fureur étourdie, proposa la chose même pour laquelle
on voulait faire mourir les Girondins, une chose dan*
gereuse, impossible : Que Von mît en vigueur la Con^
$Hlution, c'est-»à-dire que l'on supprimât les deus
Comités dictateurs, qu'on donnât le pouvoir mx m^
nistres (sans doute au grand ministre Hébert)*
Telle était la reconnaissance des Héberlistes pour
Robespierre qui, le 1 1 , les avait si bien soutenus dans
l'affaire de Vendée. Ils anéantissaient le Comité de
salut public, renvoyaient Robespierre aux spécula-
tions théoriques, h la morale, h la philosophie.
Aucun journal n'a osé imprimer cette séance
étrange des Jacobins. Nous savons seulement l'im-^
pertinente proposition d'Hébert, à laquelle Robes-
pierre aurait répondu avec une douceur exemplaire
que la demande était prématurée.
Ce même soir (18), Vincent aux Cordeliers fit le
dernier outrage à la Convention , la demande d'une
loi qui rendît les représentants en mission r^fpçnsd'
blés de favoriser les friponneries des agents fniliiAiri»»
29t$ DÉSESPOIR DE DANTON.
Que les fripons eux-mêmes , les amis de Ronsin , les
effrontés pillards de la Vendée, se missent à crier Au
voleur ! et contre la Convention ! c'était chose irri-
tante! L'Assemblée perdit patience , et renvoya la
pétition à qui de droit, pour être poursuivie.
Nous ignorons malheureusement ce qui se passa au
Comité de salut public. Robespierre s*y trouvait
entre CoUot, ami d'Hébert, et Thuriot, ami de Dan-
ton. La question était de savoir si le Comité tolére-
rait à jamais les furieuses folies des Hébertistes , qui
demandaient sa suppression , et se portaient pour ses
successeurs au pouvoir. La connivence du Comité
pour ces scélérats étourdis n'était-elle pas lâcheté?
une lâcheté meurtrière contre soi-même! Il était
trop aisé de voir où on allait de faiblesse en faiblesse :
la Gironde aujourd'hui, demain les Dantonistes ; que
leur manquerait-il alors ? l'immolation de Robespierre
lui-même !
Robespierre le voyait aussi bien que les autres , et
ne répondait rien. Tout cela se passait au Comité
devant Collot-d'Herbois, autrement dit, devant
Hébert. Ce silence obstiné, cette patience par*delà
tous les saints, étonnait, effrayait.
Les Dantonistes aimèrent mieux briser en face, se
séparer, que de se laisser toujours entraîner. Ils
avaient cédé le 5 septembre , parlé pour leurs enne-
mis. Qu'y avaient-ils gagné? Ceux-ci depuis ce jour,
étaient plus insolents, plus altérés de leur sang.
Thuriot, le président du 5 septembre, donna le 20
sa démission du Comité de salut public.
LES HÉBERTISTES DÉNONCÉS. 297
Danton quitta la Convention et partit pour Àrcis.
Pour rien au monde, il ne voulait livrer les Girondins.
Le bon Garât, qui alla le voir avant son départ, le
trouva malade, consterné, attéré. La ruine de son
parti , sa débâcle personnelle, sa popularité anéantie
l'occupaient peu. Ce qui lui perçait le cœur, c'était
la mort de ses ennemis. r< Je ne pourrai les sauver, »
s'écria-t-il. Et quand il eut arraché le mot de sa poi-
trine, toutes ses forces étaient abattues. De grosses
larmes lui tombaient; il était hideux de douleur. Plus
d'éclairs, la flamme était éteinte, la lave refroidie ; le
volcan n'était plus que cendres.
Son départ fut une grande faute. Les Hébertistes
crièrent partout qu'il avait émigré. Les Dantonistes
ne furent pas soutenus de sa grande voix , puissante
encore, dans leur bataille décisive du 25 septembre.
Les preuves qu'ils apportaient contre Rossignol
étaient telles qu'elles devaient le faire guillotiner
sur-le-champ, à moins qu'il ne prouvât qu'il était un
idiot, qu'il avait signé sans comprendre. Auquel cas,
c'était Ronsin qui devait porter sa tête sur l'échafaud.
Il se trouvait par une coïncidence singulière qu'au
moment même, une autre accusation presque aussi
grave contre les Hébertistes du ministère de la
Guerre arrivait de l'armée du Nord. C'était une
foudroyante lettre écrite en commun par deux
montagnards de nuance difiFérente, le maratiste Ben-
tabole et le robespierriste Levasseur. Cette lettre
dévoilait l'état épouvantable où Bouchotte et Vincent
laissaient nos armées ; celle du Nord était inférieure
yj8 VICTOIHF DE ROBUSrirUHR
de quarante mille hommes à ce qu'elle eût dû être
pour paraître devant l'ennemi. Il y avait pourtant sis
mois que les trois cent mille hommes étaient votés.
Ni subsistances, ni habillements, ni officiers 8upé<-
rieurs. Gossuin l'avait dit le 13 août, et cela Ta meoé
à la guillotine. Les généraux le disaient ; on les guiK
lotinait. Tout revers était attribué à la trahison.
Robespierre, Barrère et le Comité , que faisaient^ils
en poursuivant aveuglément , indistinctement , tous
les généraux ? ils excusaient Bouchotte, ils appuyaient
Hébert, leur ennemi, flattaient la presse populaire, le
Père Duchesne qui , s'il eût trouvé jour, aurait hurlé
contre eux et les eût menés h la mort.
Ici, c'était Levasseur, un homme de Robespierre,
qui dénonçait un ministère dont Robespierre étiât
l'ttllié.
La mémorable séance du 25 Tut ouverte par Thu-
riot, de manière à donner une grande attente. Il
déplora le sort de la Révolution, tombée dans la main
des derniers des honimes : € N'avonsrruous donOt dil**
il, tant combattu que pour donner le pouvoir wx
voleurs, aux hommes de sang? Nous détrônons le
royalisme et nous intronisonsle coquinisme. > C'était
nomtaer Hébert, Ronsin ; on attendait qu'il conclût k
envoyer celui-rci chez Fouquier-Tin ville. La Conven*-
tioq applaudissait violemment. Mais point. 11 demanda
l'impression d'une feuille morale...
Chute étrange I Elle fut relevée; on lut la terrible,
lettre de Levasseur contre le ministère de la guerre.
A la chaleur de cette lettre tout dégela. Les paroles
A LA C0NYKNTIÛ.1Î. S99
glaaéen en Tair se fondipdnt et se firent entendre» Le
r^prénentant Briez, que la trahison avait forcé de
rendre Valenoiennesiet qui restait depuis en suspieion
%%m 03er même ne justifier, parla et parla si bien que
la Convention, non contente de décréter Tinapréssion
du dUeours, décréta Fadjonetion de Bries au Comité
du palut public.
Au moment où le Comité recevait ce terrible coup,
Merlin de Tbion ville survint, comme le matador sur
le taureau blessé , pour enfoncer le glaive. Il donna
l'affaire de Bonsin.
Plusieurs membres se lèvent : « Et que dit à cela
le Comité de salut public ? que ne parle-t-il ? »
I^e Comité parla, mais d'abord par Billaud-Varen-
nes, maladroitement, avec fureur, avec menaces
oonlre la Çonvenliont Barrôre vint au secours, lou-
voyai-, suivant son procédé ordinaire, jetant à la colère
de TAesemblée ce qui suffit pour amuser les foules
dans ces moments, une victime humaine. Si l'armée
du Nord avait des revers, c'était la faute d'Houchard.
Barrère ût de ce pauvre diable du grand, un profond
conspirateur, a Heureusement, dit-il, le voilà des-
titué. Avec les lumières des bureaux de la guerre (il
flattait les Hébertisles), et les lumières de Carnol (il
flattait les neutres), nous ferons de meilleurs choix.
— On vient dénommer Jourdan, i Prieur, l'ami
de Carnot, appuya et couvrit Barrère de son honnê-
teté connue.
Saint-André et Billaud reprirent sur l'utilité du Co-
mité de salut public et la nécessité détenir secrètes les
300 VICTOIRE DE ROBESPIERRE
grandes opérations. — El Billaud immédiatement :
<( Nom allons faire en Angleterre une descente de cent
mille hommes \... Nous avons levé dix-huit cent mille
hommes!... — Barrère: « En Vendée seulement,
quatre cent mille hommes en vingt-quatre heures I»
L'Assemblée applaudit vivement ces exagérations,
l'indiscrétion surtout de Billaud- Varennes qui , sor-
tant de son caractère , criait dans la Convention un
projet si loin de l'exécution , et dont le secret eût pu
seul assurer le succès.
Dans tout cela pas un mot de réponse à ce qui hir
sait l'objet de la séance. L'objet, bien posé, était
celui-ci :
Doit-on guillotiner Ronsin et Rossignol pour avoir
livré à la mort une armée de la République?
Doit-on chasser Bouchotte, qui, dans un ministère
de cinq mois, n'a rien organisé encore, ni le matériel,
ni le personnel, qui, des trois cent mille hommes dé*
crétés en mars, n'envoie presque rien auxarméesT
Les Dantonistes furent pitoyables. Ils n'osèrent
rappeler l'Assemblée à la question. Ils avaient en
main un procès terrible pour accabler leurs ennemis.
Ils s'en servirent à peine. Thuriot aboutit à s^ feuille
morale. Merlin de Thionville ne montra point à la
Convention l'intrépidité qu'il avait sur les champs de
bataille. S'il eût pointé aux Hébertistes, aussi juste
qu'il le faisait aux Prussiens, Ronsin était perdu.
Il fallait écarter vivement et d'un mot toute cette
défense du Comité qui n'avait là que faire. Que le
Comité eût été faible pour les Hébertistes, pour Bou-
A LA CONVENTiOX. 3(M
chotle et Ronsin^ c'était une question secondaire
qu'on devait ajourner. Il fallait concentrer l'attaque
sur la trahison de Vendée. Bien loin qu'on accusât le
Comité en cette affaire , le crime de Ronsin était jus-
tement de s'être moqué du plan adopté parle Comité^
d'avoir fait écraser Kléber, que ce plan l'obligeait de
soutenir. Si le Comité n'eût pas eu peur de la presse
hébertiste^ c'est lui qui aurait accusé Ronsin.
Robespierre profita des fautes avec une admirable
présence d'esprit.
Il ne défendit pas les Hébèrtistes, et n'en dit pas
un mot. Il les laissa hideusement découverts , percés
à jour, et dépendants de lui qui dépendait d'eux jus-
que-là.
Il défendit le Comité , assez vaguement, en répé-
tant ce qu'avait dit Barrère, du reste se mettant à
part, et parlant pour son compte : «Si ma qualité dé
membre du Comité doit m'empêcher de m'expliquer
avec une indépendance extrême, je dois l'abdiquer à
l'instant, et après m'être séparé de mes collègues
(que j'estime et honore), je vais dire à mon pays des
vérités nécessaires... » — Grande attente. Ces véri-
tés, c'était qu'il existait un plan d* avilir , de paralyser
la Convention, a On veut que nous divulguions les
secrets de la République, que nous donnions aux
traîtres le temps d'échapper... Remplacez- le ce
Comité qui vient d'être accusé avec succès dans votre
sein... L'argent de l'étranger travaille. Cette journée
vaut à Pitt plus de trois victoires. Lia faction n'est
pas morte, elle conspire du fond de ses cachots
502 VICTOmE DE ROBESPIERRE
(il associait ainsi les Girondins aui DàntOnistos);
c Les sèrpentidu Marais ne sont pas encore éefaàéSi »
loi, c'était le centre qui se trouvait atteint. Nottt
qu'à ce moment où la Convention fi'avait guèfe p\ni
dô deux cents membres ^ la Montagne étant presque
absente et la droite mutilée^ le centre c'était àpeii
près tout.
Robespierre n'avait pas l'habitude des basseii injo»
res, et il venait d'accuser ceuï qui atilissaietrt la
Convention. On fut stupéfait de ce mot.
D'après sa prudence excessive au 6 septembre et
autres grandes journées ^ on ne le croyait nullement
audacieux. Il ne s'avançait qu'à coup i^ûr. On pensa
qu'il était bien fort , puisqu'il avait hasardé une t6ll#
injure à la Convention.
Si son initiative avait été faible depuis un mois (fû
deux^ dans les choses politiques, elle avait été grande
et terrible, judiciairement. C'était par devant lui ,
comme président des Jacobins ^ que les juges et
jurés du procès de Custine avaient été vtolemffiéflt
tancés par la Société. Elle se constitua le f B eti tri-*
bunal contre les Girondins, et devint une Gont éê
justice. Dans de telles circonstances^ le chef deir laoOk
bini^ se trouvait en réalité le grand juge de la RépU-^
blique.
Le Centre, donc, fut muet de terreur. 11 comméti^
à respirer un peu , quand , des menaces vagifM ^
Robespierre passa à une désignation spéciale, tneml-^
çant les seuls Dantonistes : < Nos àùcusateurs serotft
bientât accusés. »
A LA CONVENTION. g^g
On respira mieux encore^ quand ^ réduisant le
nombre^ il dit t « Deux ou trois traîtres ^ » enfin
(]uand^ ajournant les autres, il se limita cette fois à
Dubem et Briez^ l'un coupable d'excuser Gustinei
l'autre l'homme déshonoré qui s'est trouvé dans une
placé fMdue. Le mot tombait d'aplomb sur Merlin de
Tbionville) dont la posifion avait été analogue à
Mayedce.
Tous se turent, et le peu qu'on dit, ce fut pour
s'excuseré Briez déclina le périlleux honneur d'être
adjoint au Comité»
La Convention se croyait quitte. Robespierre
insista. Il vil son avantage et qu'il tenait l'Assemblée
sous le pied, et que plus il frapperait^ plus elle serait
docile. Il dit donc audacieusement : <( La Convention
n'a pas fàontré Vénergie qu'elle eût dû»é« J*ai i)u
applaudir Barrère par ceux qui nous calomnient, qui
nous voudraient un poignard dans le sein««. >
Tous frémissaient : t Est-ce moi qu'il a vu ? »
Cependant l'Assemblée n'était pas domptée, à
terre et aplatie , tant que Robespierre n'avait pas
assommé les représentants dont la gloire militaire
relevait la Convention. Il bàtonna Merlin sur le dos
de Briez : < Si j'avais été dans Yalenciennes , je no
serais pas ici pour faire un rapport*. # J'y aurais péri.
Qu'il dise tout ce qu'il voudra, il ne répondra jamai»
à ceci : « Éles-vous mort ? »
L'Assemblée foulée aux pieds n'avait qu'à remer-
cier. C'est ce qu'elle fit par Basire. Il fut» comme au
S septembre, l'organe de la faiblesse communCvH
304 MAITRE DR LA JUSTICE ET DE LA POLICE,
saisit Toccasion des 50 millions que Billaud voulait
rendre, et que Robespierre avec dignité déclara vou-
loir garder. <i Où en serions-nous, dit Basire^ si
Robespierre avait besoin de se justifier devant la
Montagne?... On ne peut repousser sa proposition ;
il demande que la Convention déclare que son Comité
a toute sa confiance. > Â cet appel des accusateurs du
Comité en faveur du Comité, TÂssemblée entière se
leva et donna le vote de confiance.
Ce vote eut des conséquences immenses que
personne n'attendait. Robespierre et l'Assemblée
s'étaient trouvés en face, et l'Assemblée avait tremblé.
Celui qui a eu une fois cet avantage, le garde fort
longtemps. Robespierre l'a gardé jusqu'au 9 ther-
midor.
La Convention était tellement dominée désormais
que, le lendemain 26, elle lui remit en quelque sorte
les deux glaives , Justice et Police; je veux dire que
le Tribunal révolutionnaire et le Comité de sûreté
générale furent renouvelés entièrement sous son
influence. Au tribunal, il mit les siens, des hommes à
lui et qui lui appartenaient personnellement, (Her-
man d'Arras, Dumas, Coffinhal, Fleuriot, Duplay,
Nicolas, Renaudin, Topino-Lebrun , Souberbiel,
Yilatle, Payan, etc.). Au Comité, avec un art plus
grand, une composition plus savante, il ne mit que
deux hommes à lui, Lebas, David, deux hommes de
son pays, Lebon, Guffroy, et pour le reste, des gens
très-compromis et d'autant plus dociles. Ce très-
graud tacticien savait qu'en révolution l'ennemi sert
IL ESSAIE DE LA MODÉRATION. 305
souvent mieux que Tami. L'ami raisonne, examine
et discute. L'ennemi, s'il a peur, va bien plus droit.
Placé sur un rail de fer, il marche dans la voie ri-
gide ; sachant bien qu'à droite et à gauche, c'est l'a-
bîme, il marche très-bien.
Qui était le plus consterné î le Comité de salut
public. Il sentait trop que Robespierre, au 25 sep-
tembre, s'était défendu seul, qu'il avait vaincu seul,
seul profité de la victoire. Un homme dominait la
République.
Un homme en trois personnes : Robespierre, Cou-
thon et Saint-Just.
Les cinq autres membres du Comité qui n'étaient
pas en mission se trouvèrent d'accord sans s'être
entendus. Le dantoniste Hérault , les impartiaux
Barrère, Prieur, Carnot, Billaud-Yarennes, la Ter-
reur pure, CoUot d'Herbois, avant-garde hébertiste,
mais fort indépendant d'Hébert, tous, quelle que fût
la diversité de leur nuance, agirent comme un seul
homme contre Robespierre.
Ils craignaient extrêmement que Couthon qui, alors
marchait sur Lyon avec des masses de paysans ar-
més, n'eût la gloire de l'affaire et ne donnât aux Ro-
bespierristes la seule chose qui leur manquât, un
succès militaire. Dubois-Crancé, dantoniste allié aux
enragés de Lyon, avait fait des efforts incroyables,
il avait sauvé tout le sud-est. Le fruit de ce travail
immense, Couthon allait le recueillir, se couronner,
couronner Robespierre. Le 30 septembre et jours
suivants, les cinq du Comité écrivirent trois fois en
VI. 20
306 MAITRE DE LA JUSTICE ET DE LA POLICE ,
trois jours à Dubois-Grancé qu'il fallait à l'heure
même forcer Lyon, y entrer avant l'arrivée de Cou-
thon. Lyon résistait avec des efforts désespérés, du
moms pour choisir son vainqueur, aimant mieux, s'il
fallait se rendre, se remettre aux mains de Couthon
désintéressé dans l'affaire qu'à celles de Dubois-
Grancé, aigri par un long siège, ami des amis de
Chalier, et qui n'eût pu rentrer qu'en vaiiUjueur
irrité, en vengeur du martyr.
Le Comité eut beau faire. La fortune de Robes-
pierre eut l'ascendant à Lyon comme à Paris, et
presque en même temps il porta un coup très-grave
au Comité devant la Convention.
Le 3 octobre, par une belle et douce matinée d'au-
tomne, où les arbres, épargnés par la saison plus
longtemps qu'en 92 , semaient lentement leurs feuil-
les, on annonça à la Convention que le rapporteur du
Comité de sûreté , Amar , allait faire son rapport sur
les Girondins.
La longue et froide diatribe n'ajoutait pas un fait à
celle de Saint-Just. Les soixante-treize qui, en juin,
avaient protesté contre la violation de l'Assemblée,
étaient là présents et la plupart ne se défiaient de rien.
Tout à coup Amar demande qu'on décrète « que les
portes soient fermées. » Le tour est fait. Les soixante*
treize sont pris, comme au filet. L'arrestation est
votée sans discussion. Les voilà, parqués, à la barre,
pauvre troupeau marqué pour la mort.
Dans cette foule de soixante-treize représentants,
sans doute fort mêlée, ceux qui ont vécu jusqu'à
IL ESSAIE LA MODÉRATION. 507
nous^ les Dâunou, les Blanqui et autres, étaient trôs-
sincèrement républicains et seraient morts pour la
République.
Jusque-là, l'affaire avait une apparence hideuse,
celle d'un guet-àpens. Quelques montagnards de-
mandaient que les soixante- treize fussent jugés avec
les vingt-deux. Mais voici que les soixante-treize trou-
vent dans l'Assemblée un défenseur inattendu. Ro*
bespierre se lève et parle pour eux. L'étonnement
fut au comble.
« La Convention ne doit pas multiplier le$ coupa-»
blés, dit Robespierre, il suffît des chefs. S'il en ê$t
d'autres , le Comité de sûreté générale vous en présen-
tera la nomenclature. Je dis mon opinion en présence
du peuple^ je la dis franchement, et le prends pour
juge... Peuple, tu ne seras défendu que par ceux
qui auront le courage de te dire la vérité ! »
Amar, parlant de lire les preuves contre les
soixante-treize : « Cette lecture, dit Robespierre, est
absolument inutile, x»
Clémence rassurante , efiFrayante ! La droite , le
centre même avaient entendu aVec terreur ce mot
sonner à leur oreille: « Si il en est d^ autres, le Comité
en présentera la nomenclature. j>
Ils se voyaient dès lors suspendus à un fll, l'huma-
nité de Robespierre !
La Montagne sentait que ces soixante-treize ainsi
réservés, que cette droite tremblante, c'était une arme
disponible pour lui ; contre qui I contre la Monta-
gne, contre le Comité de salut public.
308 IL ESSAIE DE LA MODÉRATION.
La majorité n'était plus celle du Comité et du gou-
vernement; c'était celle de Robespierre.
Le Comité avait devant l'Assemblée Vodieuic du
guet-apens, Robespierre seul le mérite de la modé-
ration,— tranchons le mot, de la clémence.
Ce n'était pas ici un avis modéré d'un représen-
tant quelconque, c'était l'impérieuse clémence d'un
homme qui, dominant les Jacobins, le Comité de
sûreté, le tribunal révolutionnaire, pouvait accuser,
arrêter, juger. C'était une restauration du droit de
grâce. Marat l'exerça au 2 juin pour trois représen-
tants, et Robespierre ici pour soixante-treize.
Robespierre, jusqu'ici, n'avait fait rien attendre
de tel.
Quelle était donc cette puissance nouvelle, étrange,
qui s'attachait la droite, le centre, en faisant grâce,
et qui s'appuyait d'autre part sur ceux qui ne voulafent
point de grâce, sur les Hébertistes?
Robespierre, le 25 septembre, parla voix de David,
avait répondu de Ronsin , le plus cruel des hébertis-
tes, l'avait lavé devant les Jacobins. Les Robespier-
ristes eux-mêmes ne comprenaient plus Robespierre.
L'un d'eux, le rédacteur du Journal de la Montagne^
ayant attaqué les bureaux hébertistes , Robespierre
le fit tancer aux Jacobins et on lui ôta le journal.
CHAPITRE IX
MODÉRATION DES ROBESPIERRISTES A LYON
(Octobre 93).
Robespierre terrorise par Saint-Jusl (10 octobre), pendant quMl pacifie par
Couthon (8-20 octobre).
Rappelons-nous les précédents de Robespierre.
Juge d'église à Arras avant 89, la nécessité mal-
heureuse où il fut de condamner un homme à mort ,
le décida à donner sa démission.
Son rôle à la Constituante fut celui d'un sévère
et ardent philanthrope , poursuivant par tous les
moyens, et même aux dépens de son cœur, le progrès
de l'humanité. Il refusa la place d'accusateur public.
Il était né ému, craintif et défiant, colérique (de la
colère pâle). Saint- Just le lui reprochait , lui disant :
« Calme-toi; l'empire est aux flegmatiques. *)
310 ROBESPIERRE TERRORISE
Les trahisons et les disputes, la guerre à coups
d'aiguille que lui fit la Gironde, avaient prodigieu-
sement aigri son cœur. La fatalité déplorable qui
l'obligea, pour annuler et les Girondins et les enra-
gés, de s'associer aux Hébertistes, de puiser dans
ce qui lui était le plus antipathique, dans l'appui de
leur presse, la force populaire qu'il n'avait pas en lui,
cette dure et humiliante nécessité devait l'aigrir
encore. Ce qu'il avait refusé en 90, il le devint réel-
lement en 93, le grand accusateur public. Ses véhé-
ments réquisitoires aux Jacobins emportèrent et
juges et jurés, et forcèrent la mort de Custine.
Son triomphe toutefois du 25 , qui avait terrorisé
la Convention, qui lui avait mis en main et la Justice^
et la Police , ce jour qui l'avait tant grandi sur les
ruines des Dantonistes et des Hébertistes à la fois, lui
permettait de suivre une plus libre politique. Il le
tenta en octobre. Il fit un pas dans les voies de la
modération, — un pas, et les circonstances le refou-
lèrent dans la Terreur.
Pendant ce mois, sa stratégie fut si obscure , que
les Robespierristes s'y trompaient à chaque instant,
croyant lui plaire et le servir en des choses , préma-
turées sans doute, qu'il se hâtait de désavouer.
Cependant deux choses furent claires :
1° Ses ménagements pour les soixante-treize, qu'il
refusa d'envelopper dans la perte des Girondins;
2° La modération étonnante que son aller ego,
Coulhon, son homme et sa pensée (bien plus étroite-
ment que Saint-Just), osa montrer à Lyon dans tout
PAR SAINT-JUST (10 OCTOBRE). 311
le mois d'octobre, — au point de s'aliéner tous les
violents , de pousser à la dernière fureur les amis de
Chalier.
Couthon, comme Robespierre, avant 89, était
un philanthrope , bien plus qu'un révolutionnaire.
On a de lui un drame qu'il écrivait alors, plein de
sensibilité et de larmes, dans le genre de Lachaussée.
Au temps où nous sommes arrivés, tous deux, s'ils
n'avaient pashJa clémence dans le cœur , ils l'avaient
dans l'esprit. Robespierre voulait arracher aux deux
partis les deux puissances, aux Dantonistes la clé-
mence , aux Hébertistes la rigueur , transférer ces
deux forces des mains impures, suspectes, aux mains
des honnêtes gens, c'est-à-dire des Robespierristes.
L'essai était inQniment périlleux et ne pouvait se
faire que sur des questions toutes nouvelles, nulle-
ment sur celles qui étaient irrévocablement lancées
dans la polémique révolutionnaire.
Garât raconte qu'au mois d'août , il fit une tenta-
tive auprès de Robespierre pour sauver la Gironde.
Il lui lut une espèce de plaidoyer pour la clémence.
Robespierre souffrait cruellement à l'entendre. Ses
muscles jouaient d'eux-mêmes. Les convulsions ordi-
naires de ses joues étaient fréquentes, violentes. Aux
passages pressants, il se couvrait les yeux. Que pou-
vait-il pour la Gironde ? rien , ni lui, ni personne. Il
sentait bien toutefois qu'une des meilleures chances
pour relever l'autorité , c'eût été, dans une question
possible et neuve, c'eût été de saisir les cœurs par un
effet d'étonnement, par un retour subit à la clémence
312 ROBESPIERRE TERRORISE
qui enlèverait la France à T improviste , et par TefiFet
d'un tel miracle briserait les partis.
Lyon, éloigné, pour une telle surprise, valait
mieux que Paris. Si l'habile main de Couthon pou-
vait, de là, donner le premier branle à la politique
nouvelle, l'équilibre dans la terreur, la terreur appli-
quée aux terroristes même, il allait ajouter une force
inouïe au parti de Robespierre. Tout ce qui avait peur
(et c'était tout le monde), allait se précipiter vers lui.
Ce petit jour inattendu, une fois ouvert à la masse
serrée qui étouffait, le flot immense y passait de lui-
même. Toute la France girondine, la France-prêtre,
la France royaliste (en bonne partie), auraient tout
oublié, se seraient ralliés à un seul homme. Dans
l'excès des alarmes, il s'agissait bien moins d'opinion
que de sûreté. Celte vague toute-puissante de popu-
larité l'eût soulevé, au trône? non, au ciel.
Coup d'audace intrépide !... Les Hébertisles n'al-
laient-ils pas dénoncer un tel changement î pousser
Robespierre à l'abîme ofi descendaient les Danto-
nistes ? Ceux-ci n'allaient-ils pas crier , lorsque l'im-
pitoyable leur escamotait la clémence ?
Il fallait faire trembler les uns, les autres, et leur
imposer le silence.
Robespierre tenait encore les Hébertistes qui
avaient grand besoin de lui. Il les avait lavés le 25 aux
Jacobins, en faisant patroner Ronsin par son homme
David. Et le 3 octobre encore , les misérables avaient
besoin de se laver d'une trahison nouvelle dans la
Vendée. Empêtrés dans leurs crimes, ils n'espéraient
PAK SAINT-JUST (10 OCTOBRE). 313
pas moins s'emparer de l'armée révolutionnaire mal-
gré les Dantonistes. Le 4 donc, à leur profit et au pro-
fit de Robespierre, ils frappèrent un coup prodigieux
de publicité, tirèrent un numéro du Père Duchesne à
six cent mille contre Danton absent, et qui, selon
eux, avait émigré.
L'affaire étant toute chaude, Robespierre lance le
soir du 4 David aux Jacobins pour dénoncer les Dan-
tonistes : « Thuriot, dit-il, complote toutes les nuits
avec Barrère et Julien de Toulouse chez la comtesse
de Beauforl. » David , membre du Comité de sûreté ,
comme tel, avait autorité. Malgré les dénégations, le
coup porta très-loin.
Exacte ou non, la dénonciation indiquait au moins
que Robespierre avait la prescience d'une alliance qui
allait se former contre lui entre les nuances les plus
diverses. Barrère, glissant comme une anguille et fau-
filé partout, était l'intermédiaire probable, à moins
qu'on ne parvînt à l'anéantir par la peur. C'est ce
qu'on fit le 4, le 15, par de cruelles attaques aux Ja-
cobins, attaques qui touchaient de très-près l'ac-
cusation, sentaient la guillotine.
Le moment était venu, ou jamais, de constituer le
gouvernement honnête et terrible, qui frapperait
les fripons de tous côtés sans distinction de partis.
11 fut comme proclamé le 4 en deux décrets, l'un
pour contenir les autorités dans leurs sphères respec-
tives (avis à la commune, à la royauté d'Hébert et
Bouchotte), l'autre pour limiter les pouvoirs des repré •
sentants aux armées. Cette formule simple et redou-
314 PENDANT QUiL PACinE PAR COUTHON (8-20 OCT.).
table de centralisation fut donnée par Billaud-Varen-
nes. Et l'esprit du nouveau gouvernement fut donné
le 10 par Saint-Just.
Ce manifeste original, parmi beaucoup de choses
fausses et forcées, déclamatoires ou trop ingénieuses,
n'est pas moins imposant, respectable, par un accent
vrai de douleursurl'irrémédiable corruption du temps.
C'est la voix d'une jeune âme hautaine et forte, impi-
toyablement pure, résignée à une lutte impossible,
où elle s'attend bien à périr. Cette voix métallique et
qui a le strident du glaive, plane, terrible, sur tous
les partis. Pas un qui ne baissât la tête, en écoutant.
Pas un qui refusât son vote. Il fut réglé que le gou-
vernement restait révolutionnaire jusqu'à la paix, que
les ministres dépendaient du Comité, qu'un tribunal
demanderait des comptes à tous ceux qui avaient
manié les deniers publics.
Terreur sur tous.
Personne, même les plus purs, n'eût pu répondre
à une telle enquête, dans le désordre du temps.
Ce qui effraya encore plus, c'est que Saint-Just
n'avait pas craint de dénoncer ceux que Robespierre
ménageait jusque-là, stigmatisant Y insolence des gens
en place^ nommant en propres termes le tyran du
monde nouveau, la bureaucratie.
L'effroi commun rapprocha des gens qui ne
s'étaient jamais parlé. Les Indulgents, les Héber-
tistes se virent et se donnèrent la main.
Les choses en étaient là , quand arriva le grand
événement de Lyon, la clémence de Couthon, qui
PENDANT QU'IL PACIFIE PAR COUTHON (8-20 OCT.). 315
allait donner aux ligués une si forte prise contre
Robespierre.
Pendant que les Hébertistes recrutaient à Paris
leur armée révolutionnaire, Couthon, sur son che-
min, en avait fait une de paysans. De son pays natal,
l'Auvergne, de la Haute-Loire et de toutes les con-
trées voisines, il entraînait la masse, ayant donné la
solde incroyable de trois francs par jour. « Il faut les
arrêter, disait Couthon, deux cent mille hommes
viendraient. » On réduisit la solde.
Couthon, attendu et désiré des Lyonnais , comme
un sauveur qui les d éfendrait de Dubois-^Crancé,
reçoit leur soumission (8 octobre). Il ne juge nulle-
ment à propos de livrer un dernier combat pour fer-
mer le passage à deux mille désespérés qui voulaient
se faire jour, l'épée à la main. Il les laisse passer.
Le Comité, à cette nouvelle, sentit, frémit; il
reconnut cette politique inattendue, celle qui avait
sauvé les soixante -treize : Régner par la clémence.
Que se passa- t-il dans le Comité? Il est facile à
deviner que CoUot-d'Herbois, que Billaud, que Bar-
rère, organes de la fureur commune, demandèrent ce
qu'il adviendrait, si, après avoir accompli toutes les
hautes œuvres de la Révolution, poussé dans la ter-
reur, dans le sang, jusqu'à la victoire, en engageant
sa vie et sans se réserver aucune porte, on rencon-
trait au bout l'embuscade d'un philanthrope qui rafle-
rait le fruit , qui se laverait les mains de tout, renie-
rait les sévérités, les punirait peut-être, qui guillo-
tinerait la guillotine, et des débris se ferait un autel !
316 PENDANT QU'IL PACIFIE
Deux choses restent à faire : poignarder le tyran, ou
le compromettre. Collot écrivit un décret qui effaçait
Lyon de la terre. A la place, une colonne s'élèverait
portant ces mots : « Lyon s'est révolté , Lyon n'est
plus. » Tous les membres du Comité signèrent, et ils
firent signer Robespierre.
Force étonnante d'un gouvernement d'opinion. Il
avait en main la Convention, les Jacobins, le Comité
de sûreté, le tribunal révolutionnaire. Mais à quelle
condition ? celle de rester impitoyable. 11 périssait,
s'il n'eût signé.
Mais, en signant, il exigea qu'on suivît à la lettre la
dénonciation de Couthon contre Dubois-Crancé qui,
rappelé à Paris, hésitait à revenir et réorganisait les
clubs à Lyon; il voulut qu'on l'arrêtât, qu'on le
ramenât de force à Paris. Arrêter l'homme qui, en
réalité, avait tout fait, qui venait de rendre ce ser-
vice immense, l'amener à Paris entre deux gendar-
mes avec les drapeaux pris de sa main, c'était une
mesure exorbitante, odieuse, prodigieusement impo-
pulaire. Le Comité l'accorda avec empressement,
donna l'ordre avant même d'en parler à l'Assemblée,
espérant perdre Robespierre (12 octobre).
Le décret exterminateur fut immédiatement porté
à la Convention ; on dit, on répéta, à la louange de
Robespierre , que lui seul avait pu trouver la sublime
inscription.
« Comment expliquer, dit Barrère innocemment,
que deux mille hommes aient passé à travers soixante
mille ?. . c' est une énigme dont nous cherchons le mot.»
PAR COUTHON (8-20 OCT.). 317
Deux Dantonistes, Bourdon de TOise et Fabre
d'Èglantine, relevèrent la chose, s'informèrent, paru-
rent curieux, désirèrent une enquête. Ainsi chan-
geaient les rôles. Les Indulgents regrettaient que le
sang n'eût coulé.
La Montagne vota comme un seul homme, et toute
la Convention.
L'alliance des Dantonistes et des Hébertistes était
consommée ce jour-là. Leurs haines mutuelles repa-
raîtront souvent, mais toujours avec une chance de
conciliation dans la haine de Robespierre.
CHAPITRE X
MORT DE LÀ REINE. VICTOIRE DE WATIGNIES.
(16 Octobre).
Procès de la reine (14-16 octobre 93). — Blocus de Maubeuge. — Position de
Walignies.»» Attaques inutiles du 15. ^Effort désespéré du 16.
Le Comité de salut , par sa hautaine déclaration
d'honnêteté absolue et de guerre aux partis, faite
solennellement le 10 par Saint-Just, s'était posé
une nécessité absolue de vaincre l'étranger. Au plus
léger échec, tous criaient contre lui.
Robespierre, en particulier, voyait son sort sus-
pendu à cette loterie de la victoire. Il le fit entendre
le 11 aux Jacobins, dit qu'il attendait la bataille et
qu'il était prêt à la mort.
Pour passer ce passage étroit, franchir le gouffre,
PROCÈS DE LÀ REINE (14-16 OGT. 93). 319
il lui restait un pont étroit , le tranchant du rasoir :
Tuer la reine, tuer les Girondins, battre les Autri-
chiens.
Aux amis de Chalier, aux furieux patriotes de Lyon,
jeter en réponse la tête de rAutrichienne.
Aux drapeaux accusateurs de Dubois-Crancé oppo-
ser les drapeaux jaunes et noirs de l'Autriche, une
grande victoire sur la coalition.
La reine fut expédiée en deux jours, 14 et 15. Elle
périt le 16, jour de la bataille, et sa mort eut peu
d'effet à Paris. On pensait à autre chose, au grand
scandale de Lyon et à la lutte désespérée, terrible,
que soutenait l'armée du Nord.
La reine était coupable, elle avait appelé l'étran-
ger. Cela est prouvé aujourd'hui S On n'avait pas les
* Prouvé 1 0 par les aveux de M. de Bouille, le père, 1 797 ; 2° par la
déclaration plus positive de M. de Bouille, le fils {\ 823), qui eut en main
un billet où le roi et la reine disaient eux-mêmes qu'ils feraient appel
aux armes étrangères ; 3o par la lettre où la reine écrit à son frère,
le \ «r juin 91 , pour obtenir un secours de troupes autrichiennes, (Revue
rétrospective 1835, d'après la pièce conservée aux Archives natio-
nales.) — La famille de la reine ne fit rien pour elle. L'Autriche, nous
Pavons dit, ne faisait la guerre que pour ses intérêts, nullement pour
Louis XYI ou Marie-Antoinette.— Je ne crois pas un mot de ce qu'ont
dit plus tard les hommes de la coalition pour excuser la cruelle indiffé-
rence de leurs princes, qu*un Linange avait offert la paix en échange
de la reine. (Mémoires d'un homme d'état, II, 316.) — Si M. deMercy,
ami personnel de la reine, ofl'rit de l'argent à Danton pour la
sauver, il était donc bien ignorant de la situation ; il se trompait d'épo-
que. Danton ne pouvait rien, n'était plus rien alors. — Charles IV a
dit aussi, pour s'excuser, que son ministre avait fait ce qu'il avait pu,
mais que Danton voulait de l'or. M. Artaud ne manque pas de répéter
3à0 PROCÈS DE LA REINE (14-16 OCT. 93).
preuves ; elle essaya de défendre sa vie. Elle dit
qu'elle était une femme, une épouse obéissante,
qu'elle n'avait rien fait que par la volonté de son
mari, rejetant la faute sur lui.
Ce qu'il y eut de plus saisissant dans ce procès,
c'est qu'on y fit paraître des témoins inutiles, des
hommes condamnés d'avance, le constitutionnel
Bailly, le girondin Valazé, Manuel ou la Montagne
modérée, trois siècles de la Révolution, trois morts
pour témoigner sur une morte.
Rude moment. La République guillotine une reine.
Les rois guillotinent un royaume. La Pologne est
tuée avec Marie-Antoinette. Les bourreaux de la
Pologne ont fini ,avec elle ; ils sont libres d'agir. La
Prusse est contente maintenant , elle a sa proie ; elle
va agir enfin sur le Rhin, gagner l'argent anglais,
aider l'Autriche qui n'a rien cette fois en Pologne et
veut saisir l'Alsace. Autriche et Prusse, elles vont
enfoncer les portes de la France, le 13 octobre. Le
calcul de Carnot , qui affaiblit le Rhin pour vaincre
au Nord, va tourner contre lui.
Carnot semble un homme perdu. Barrère aussi,
qui, malgré Robespierre, malgré Bouchotte, Hébert,
a mis Carnot au Comité.
Que pouvait ce calculateur, quand nos armées,
immobiles de misère, se trouvaient incapables de sui-
vre ses calculs ? Les administrations militaires (sub-
ces sots mensonges. — Il n'y a rien cerlainemenl que ce que nous
avons dit plus haut d'après les registres du Comité de sûreté générale.
BLOCUS DE MAUBEUCK. 52i
sistances, habillements, transports), la cavalerie aussi
étant à peu près anéanties, ces pauvres armées para-
lytiques ne pouvaient prendre Toffensive, à peine fai-
saient-elles de Taibles mouvements.
Hoche disait un mot dur dans son langage de sol-
dat : '« Nous faisons une guerre de hasard et de bam-
boche; nous n'avons pas d'initiative; nous suivons
l'ennemi où il veut nous mener. »
Ce fut en effet sur un mouvement de l'ennemi et
facile à prévoir que s'éveilla le Comité de salut public.
Le contraste était grand L'Autrichien agissait scien-
tifiquement, comme un bon géographe qui étudierait
le pays, suivant les cours des eaux avec méthode et la
série échelonnée des places fortes. Il avait pris d'abord
toute la grande artère du Nord, l'Escaut, Condé et
Valenciennes ; puis il avait pris une position inexpu-
gnable au Quesnoy, aux abords de la forêt de Mor-
mal. Un autre eût avancé au centre. Lui, il voulait
plutôt s'enraciner au Nord, prendre Landrecies et
Maubeuge ; nous avions dans Maubeuge et le camp
de Maubeuge, vingt mille hommes, une armée, la
plupart de recrues; n'importe, il ne dédaignait pas
de prendre cette armée. Un matin, il passa la Sam-
bre (28 septembre), plus vivement qu'on ne l'eût
attendu de sa pesanteur ordinaire. Ni Maubeuge , ni
le camp n'étaient approvisionnés; dès le huitième
jour, on en était à manger du cheval. Les Autrichiens
avaient déjà en batterie sur la ville soixante pièces de
canon ; mais ils n'en avaient que faire. I^s assiégés,
VI. 21
3i2 BLOCUS DE NAUBEUGE.
la faim aux dents, allaient être obligés de leur dematH
der grâce.
La plaine était en feu ; on brûlait tout« Les pleurs
des paysans réfugiés, Tencombrement des malades et
les cris démoralisaient les soldats. Le représentant
Drouet croyait si bien la ville perdue, qu'il essaya de
passer, se Qt prendre, et fut mené droit au Spielberg.
Treize dragons furent plus heureux; ils passèrent à
travers les coups de fusil , allèrent demander secours
à trente lieues, et ils revinrent encore à temps pour
la bataille.
Le général Bouchard avait duré un mois. On le
menait à Paris pour le guillotiner. Personne ne vou-
lait commander. On fit la presse, et l'on trouva jQur-
dan, qui , n'ayant jamais commandé, ne voulait pas
d'abord, mais on le fit vouloir. Il se sacrifia.
Jourdan commence par chercher son armée. Elle
était dispersée, pour manger le pays , n'ayant nul
magasin, sur une ligne de trente lieues de long. Uûe
bonne moitié était bloquée ou dans les garnisons,
tristes recrues en veste et en sabots. Il prend vite
aux Ardennes pour compléter l'armée du Nord ,
et réunit à Guise environ quarante - cinq mille
hommes.
Cobourg, qui venait de recevoir douze mille Hd-
landais, et qui avait quatre-vingt mille soldats, ne dai-
gna même pas appeler les Anglais, qui étaient à deux
pas. Il laisse trente mille hommes pour garder les
affamés de Maubeuge, et lui , avec ses forces princi-
pales, il se poste à deux lieues, sur un enchaînement
POSITION DE WATIGNIES. SfS
de collines de villages boisés , ferme tous les chemins
par des abattis d'arbres ^ couronne les hauteun» de
superbes épaulements entre lesquels les canons mon-
trent la gueule à Tennemi. Dessous , sa ferme infan-
terie hongroise garde TapprochCi Derrière, les mas-
ses autrichiennes et croates. De côté , dans la plaine,
une cavalerie immense, la plus belle du monde, s'éta-
lait au soleil, prête à sabrer les bataillons que l'arlil-
lerie aurait ébranlés ; le tout dirigé , surveillé , moins
par Cobourg que par l'excellent général Clairfayt,
le premier homme de guerre de l'empire autrichien.
Cette fois encore, c'était un Jemmapes , mais infi-
niment agrandi ; armée triple et victorieuse, position
bien plus redoutable , localités plus âpres. Cobourg,
en amateur, parcourant cet amphithéâtre, cet enchaî-
nement admirable de postes, de barrières artificielles
et naturelles, de forces de tout genre qui se liaient et
se prêtaient appui, s'écria : « S'ils viennent ici, je me
fais sans-culotte. »
Le mot ne tomba pas. Reporté aux Français, il
excita chez eux une incroyable ardeur de convertir
l'Allemand et de lui faire porter le bonnet rouge.
Leurs bandes traversaient la ville d'Avesnes, en
chantant à tue-tête les chants patriotiques ; ces drôles
sans souliers étaient les conquérants du monde.
Le 14, lorsque Maubeuge commençait à recevoir
les bombes autrichiennes, elle crut, dans les inter-
valles, entendre le canon au loin. Et elle avait raison.
Carnot et Jourdan étaient devant l'ennemi; on se
regardait , se tâtait. Plusieurs voulaient sortir de
524 ATTAQUES INUTILES DU 15 OC.T.
Maubeuge et se mettre de la partie. Mais d'autres,
craiguirent une surprise, une trahison : on ne sortit
pas.
Lorsque Carnot arriva, portant en lui une si
énorme responsabilité, la nécessité de la France, la
vie ou la mort de la République, la cause des libertés
du monde , ce grand homme , avant tout honnête
homme, eut un scrupule et se demanda s'il fallait ris-
quer l'enjeu complet, mettre le monde sur une carte.
Il voulut attaquer d'abord sur toute la ligne, en gar-
dant ses communications avec l'intérieur, avec la
route de Guise, où restaient les réserves de la levée
en masse, de sorte que, s'il arrivait un malheur, tout
ne fût pas perdu encore, et que l'armée battue pût
reculer vers Guise. Il avait devant lui trois villages, à
gauche Watignies, à droite Levai, etc., Deniers au
centre. Ses trois divisions marchant d'ensemble,
devaient par un mouvement se rapprocher du cen-
tre, le forcer, le percer pour rejoindre Maubeuge,
s'y fortifier de l'armée délivrée, et tous ensemble,
tombant sur Cobourg , lui faisaient repasser la
Sambre.
La droite s'égara d'abord; victorieuse, elle s'étale
en plaine, au lieu de forcer la hauteur ; elle trouve la
cavalerie ennemie qui la disperse en un clin-d'œil,
lui prend tous ses canons. Complet désordre. Et un
moment après, tout réparé. Les volontaires s'étaient
raffermis , reformés , avec un à-plomb de vieux
soldats.
La gauche avait mieux réussi. Elle perçait vers
ATTAQUBS INUTILES DU 15 OCT. 325
Watignies. Mais il lui fallait le succès du centre,
pour s'appuyer. Et le centre n'aboutissait pas.
Quatre heures durant, au centre, en montant vers
Doulers , nos troupes, et Jourdan en personne, com-
battirent à la baïonnette. Du premier choc , tous les
corps de l'ennemi avaient été renversés. Les nôtres
arrivent essoufflés au pied des hauteurs, ils se trouvent
face à face avec les canons, souffletés de mitraille.
Quelques-uns pe s'arrêtèrent pas ; un tambour de
quinze ans, trouvant un trou, passa, s'alla poster dans
le village de Doulers, sur la place de l'église, et là
battit la charge derrière les Autrichiens ; leurs batail-
lons en perdirent contenance, et ils commençaient à
se disperser. En 1 837, on a retrouvé là les os du petit
homme entre sept grenadiers hongrois.
Au moment où les nôtres, sous le torrent de la
mitraille, hésitaient et flottaient, la cavalerie autri-
chienne arriveen flanc, l'infanterie qui avait cédé nous
retombe sur les bras. Nous sommes rejetés en arrière.
Jourdan , après quatre heures d'efforts , voulait
laisser le centre, attaquer de côté. Carnot l'apprend,
s'écrie : « Lâche ! » Jourdan alors fit comme Dam-
pierre, il voulait se faire tuer. Une fois, deux fois, il
recommença la lutte, amenant toujours ses hommes
décimés au pied de ces hauteurs meurtrières, de ces
canons féroces qui se jouaient à les balayer. Pas un
ne refusait, pas un de ces jeunes gens n'hésita à
marcher; tous embrassaient la mort.
La nuit mit fin à cette affireuse exécution, qui eftt
toujours continué. Cobourg croyait avoir vaincu.
31U ErFOKT UËBËSPEUÉ DU i6 0€T-
Quels hommes n'eussent pas tombé de décourage^
ment? Et comment croire que ces soldats d'hier, dont
plusieurs se voyaient pour la première fois à une telle
fête, ne vse tiendraient pas satisfaits?
On vit alors toute la justesse du mot du maréchal
de Saxe : a Une bataille perdue , c'est une bataille
qu'on croit perdue. »
Or, les nôtres, après leur perte énorme, ne se te-
nant pas pour vaincus, ils ne le furent pas en effet*
Carnot, dit-on, reçut la nuit un avis important.
Quel? on ne le sait pas. Mais on peut bien le de-
viner. Il reçut, dans cette nuit du 15 au 16, la nou-^
velle que, le 13, la Prusse et l'Autriche, lançant
devant eux la valeur furieuse, désespérée des émigrés,
avaient forcé les lignes de l'Alsace, les portes de la
France.
Donc, il fallait absolument, et sous peine de mort,
vaincre le 16.
Le 16 aussi mourait la reine.
Le 16, l'ébranlement immense de la Vendée eut
son effet ; elle passa la Loire; cette grande armée dés-
espérée courut l'Ouest, plus redoutable que jamais.
Où se jetterait-elle? Sur Nantes ou sur Paris?
Le désespoir aussi illumina Carnot, Jourdan. Ils
firent cette chose incroyable. Sur quarante-cinq mille
hommes qu'ils avaient, ils en prirent vingt-quatre
mille, et ils les portèrent à la gauche, laissant au
centre et à la droite des lignes faibles, minces, et
sûres d'être battues. Ce centre et cette droite sacri-
fiés devaient cependant agir, agir tout doucement.
EFFORT DÉSESPÉRÉ DU 16 OGT. 327
Le destin de la France, complice d'une opération
si hasardeuse 7 nous accorda un grand brouillard
d'octobre. Si Clairfayt avait eu du soleil, une longue-
vue, tout était perdu. L'affaire devenait ridicule ; on
guillotinait Jourdan et Carnot, et le ridicule éternel
les poursuivrait dans l'avenir.
Le 16 du mois d'octobre 93, à midi (l'heure précise,
où la tête de la reine tombait sur la place de la Révolu-
tion), Carnot, Jourdan, silencieux, marchaient avec la
moitié de l'armée (et laissant derrière eux le vide ! )
— vers le plateau de Watignies ^
Watignies est une position superbe, formidable,
bordée d'une petite rivière, de deux ruisseaux, cer-
née de gorges étroites et profondes. La raideur de ces
pentes pour remonter, est rude, et au haut, se trou-
vaient les plus féroces de l'armée ennemie, les croa-
tes, les plus vaillants, les émigrés.
Le brouillard se lève à une heure. Le soleil montre
aux Autrichiens une masse énorme d'infanterie en
bas. Un cri immense éclate : Vive la République !
Trois colonnes montaient.
Elles montent. Et de l'escarpement, les décharges
les retardent. Elles montent, mais de leurs flancs,
ouverts et fermés tour à tour, sortait la foudre ;
chaque colonne avait sa pièce d'artillerie volante.
^ L*ouvrage capital sur la bataille est celui de M. Piér&ri de Mau^
beuge. n donne avec une précision admirable le détail topograpbique,
et les faits, les dates, toutes les circonstances, avec infiniment d*in-
térêt et de clarté.
d2S EFFOKT DÉSESPÉRÉ DU iOOCT.
Rien ne charmait plus nos soldats. Ils ont toujours
été amoureux de l'artillerie. Les canons étaient ado*
rés. À la vigueur rapide dont ils étaient servis, à la
mobilité parfaite dont les bataillons les facilitaient en
s'ouvrant et se refermant, on eût pu reconnaître déjà
non-seulement le peuple héros, mais le peuple mi-
litaire.
Du reste, les Autrichiens avouèrent que jamais
telle artillerie ne frappa leur oreille. Cela évidena-
ment veut dire qu'aucune ne tira des coups si pressés*
Trois régiments autrichiens furent mis en pièces,
et disparurent. Leur artillerie tourna contre eux.
Une seule de nos brigades échoua, ayant reçu de
front l'épouvantable orage de la cavalerie ennemie*
Cobourg s'était enfin éveillé ; il avait lancé la tem-
pête.
Prodigieuse fermeté de nos soldats ! Rien ne fut
troublé. Cette malheureuse colonne se reforma à deux
pas de là. Carnot et Duquesnoy, les représentants du
peuple, destituèrent le général, prirent le fusil, et
marchèrent à pied, montrant aux jeunes soldats
comment il fallait s'en servir.
Carnot avait avec lui deux dogues de combat^ très-
féroces, Duquesnoy, le représentant, et son frère, le
général. Le premier, ancien moine, ei depuis paysan,
était né furieux. En prairial, il ne se manqua pas;
d'autres se blessèrent, lui d'un mauvais ciseau il se
perça le cœur. Son frère, l'un des exterminateurs de
la Vendée, et blessé des pieds à la tête, est bientôt
mort aux Invalides. Ce furent en réalité ces deux
IX VICTOIHK. 32U
eunigés^ qui avec Garnot et Jourdan ^ gagnèrent la
bataille. Jourdan se fixa invincible sur le plateau de
Watignies.
L'armée ennemie avait profité de Taffaiblissemenl
extrême où était restée notre droite. Elle Tavait fait
fléchir sans peine et lui avait pris ses canons. Cobourg
ne savait même pas son avantage de ce côté^ mais il
était si saisi du coup frappé sur Watignies qu'il par-
tit sans s'informer de l'état des choses. Il n'attendit
pas York qui venait le secourir. Il multiplia ses feux
pour donner le change aux nôtres, et prudemment
repassa la Sambre. Maubeuge était délivré.
Cette bataille eut des résultats, tels qu'aucune
autre peut-être n'en eut de semblables :
Elle couvrit la France pour longtemps au nord, et
lui permit bientôt sur le Rhin et de défendre et d'at-
taquer.
Elle nous donna, l'hiver aidant, une longue paix
intérieure, et malheureusement aux partis le loisir
de s'exterminer.
Carnot, qui l'avait gagnée, revint s' enfermer à son
bureau des Tuileries, et laissa triompher ses col-
lègues.
Jourdan qu'on voulait lancer en Belgique, sans
vivres ni cavalerie, fit quelques observations et fut
destitué.
La grande affaire du Rhin fut confiée à Pichegru
cl Hoche, deux soldats devenus tout à coup généraux
en chef. La République allait tout emporter.
CHAPITRE XI
SUITE DE LYON. MORT DES GIRONDINS.
(i5 Oclobre.— 8 Novembre 9S.)
La victoire sauve Robespierre de GoUot et de Pbilippeaux (19 octobre). ~
Procès des Girondins (34-30 octobre 95).— On étouffe le procès par un
décret (29 octobre).— ^ Mort des Girondins (50 octobre 99). — Faible «flèt de
l'exécution.— Mort de madame Roland, (8 novembre 95).— Mort de Roland.
La bataille se donna plus tard qu'on ne croyait.
Tout le monde attendait à Paris dans une extrême
anxiété, mais personne plus que Robespierre. Si elle
était gagnée, elle allait remplir les esprits, rendre
minime l'affaire de Lyon, balancer l'effet dangereux
du vainqueur de Lyon arrêté. Dubois-Crancé était
en route, captif et portant ses drapeaux.
Point de nouvelle le 13, point le 14. Robespierre
s'alarma, il chercha une occasion de se mettre h part
de Couthon, de se laver les mains de ce qui pouvait
LA VlCTOiUE SAUVE HOBËSPJEKhli; DE COLLOl £T DE PHlLiP. 351
se faire à Lyon. Pour se disculper d'indulgence, il
attaqua un indulgent, le très suspect Julien de Tou-
louse, qui (surprenant effet de la coalition) avait fait
approuver d'Hébert, de la Commune, un rapport apo»
logétique pour les Girondins de Bordeaux. Robes-*
pierre s'anima, et dit: « Non, je ne puis, comme
Julien, faire bon marché du sang des patriotes.,. La
prise de Lyon n'a pas rempli l'espérance des bons
citoyens... tant de scélérats impunis, tant de traîtres
échappés ! Non, il faut que les victimes soient ven-
gées, les monstres démasqués, exterminés, ou que je
meure I »
Ainsi Robespierre reculait , il abandonnait Cou-
thon. Hébertà l'instant recula ; la Commune brûla le
rapport de Julien.
La reculade de Robespierre aurait été sans dignité,
s'il n'eût au moment même frappé un nouveau coup.
Un Jacobin influent, ami d'Hébert et de CoUot,
disparut (e matin du IS, sans que personne pût en
donner nouvelle.
Collet, le soir, aux Jacobins, arriva si furieux,
que les Robespierristes, effrayés, le prévinrent eux-
mêmes, demandèrent une enquête. L'homme enlevé
était Desfieux, ex-espion du Comité de salut public.
11 logeait avec un homme plus suspect encore, un
Proly, Autrichien, bâtard du prince de Kaunitz. Ils
avaient disparu tous deux. Collot jette feu et flamme;
il se garde bien de vouloir deviner que l'enlèvement
mystérieux est l'œuvre du Comité de sûreté générale.
11 veut ignorer, crie, cherche, pleure, rugit : « On
55i LA VIGTOIKB SAUVE ROBILSPIËURE
nous prendra tous, dit-il, aujourd'hui Tun, demain
Tautre. » Delà, il court à la Commune et recommence
la scène, dans la grande assemblée du conseil général,
devant les tribunes émues. On entre dans son cha-
grin ; on fait venir la police ; hélas! elle ne sait rien;
elle n'a sur les registres aucun mandat d'amener. On
finit par découvrir, grâce à cette longue filière, ce
que Collot certainement avait deviné tout d'abord,
que c'est le Comité de sûreté qui a fait faire l'enlè-
vement.
Un Jacobin enlevé, à l'insu de la Société, à l'insu
de toute autorité, et du Comité de salut public, et
de la Commune, et de la police municipale, et des
Comités dé sa section ! C'était un fait nouveau, re-
nouvelé de l'inquisition de Venise. La Société tout
entière se mit en mouvement ; elle alla en masse au
Comité de sûreté, et lui arracha Desfieux. Il rentra
triomphant le 17 aux Jacobins.
Collot, le même jour, y montait une forte scène
contre Couthou et Robespierre, voulant rendre coup
pour coup. Couthon, pour se conciHer la Société,
avait imaginé de demander quarante Jacobins pour
Taider à régénérer Lyon. « Il n'y a qu'un mot qui
me blesse dans ces nouvelles de Lyon, dit Collot ma-
lignement; c'est cette trouée par laquelle les rebelles
ont échappé. Faut-il croire qu'ils ont passé sur le corps
des patriotes? ou bien ceux-ci se seront-ils dérangés
pour les laisser passer?.... »
La société, peu satisfaite, accueillit d'autant mieux
une proposition que jadis Robespierre avait fait rejeter,
DE COLLOT ET DE PHILIPPKAUX (i\) OCT.). 555
celle de mettre Marat au Panthéon, avec Chalier et
J.-J. Rousseau.
Il devenait probable, d'après ceci, que Dubois-
Crancé allait trouver un accueil sympathique. Avec
lui, arrivait de Lyon Tami de Chalier, le second Cha-
lier, la victime des Girondins, Gaillard, qui, pendant
tout le siège, était resté dans les cachots, et qui, n'es-
pérant rien de Couthon, venait demander vengeance
à l'Assemblée, aux Jacobins.
Dubois-Crancé arriva le 19 avec Gaillard. Et ce
jour même où Robespierre avait à redouter cette ter-
rible accusation de modérantisme^ paraissait un vio-
lent rapport de Philippeaux, contre la protection que
Robespierre avait donnée en septembre, à Ronsin,
aux exagérés.
Il était pris de deux côtés.
Mais ce même jour, 19 octobre, tomba, comme
du ciel, la nouvelle de la victoire.
Robespierre était sauvé , l'effort de ses ennemis
atténué. Dubois-Crancé , reçu à la Convention,
n'obtint pas même d'y parler. Aux Jacobins, amené
par CoUot, il montra beaucoup de prudence, se justi-
fia, sans accuser. Il flatta les Jacobins en legr offrant
le drapeau lyonnais qu'il avait pris de sa main. Et
avec tout cela, la Société restait froide. Gaillard
même, l'ombre de Chalier, Gaillard vivant, en per-
sonne, que Collot menait et montrait comme les
reliques d'un saint. Gaillard produisit peu d'effet.
Avant qu'on le laissât parler, on fit passer je ne sais
combien d'incidents minimes et de froids discours. Il
354 LA VICTOIRE SAUVE ROBESPlEnRE DE COLLOT ET DR PHILIP.
parla enfin avec une âpreté extrême, et contre tous ;
il parla avec une sécheresse désolée , une brièveté
désespérée. Un mois après il se tua.
Les Jacobins montrèrent en cette circonstaDce
f|u'ils étaient des politiques, bien moins prenables au
fanatisme qu'on n'aurait pu le croire.
Couihon, qui les connaissait parfaitement et qiii
comptait sur eux, montra plus de sang-froid que Ro^
bespierre. Il neutralisa à Lyon tout l'élan des
vengeances. Il se hâta lentement d'organiser ses tri-
bunaux. Quand il reçut le décret exterminateur,
il répondit avec admiration, avec enthousiasme à la
Convention, mais ne fit rien du tout. Sauf quelques
hommes pris les armes à la main, personne ne périt.
Couthon attendit au 25 sans prendre aucune mesure
contre l'émigration. Vingt mille hommes au moins
sortirent de Lyon, qui se trouvaient en grand danger
de mort. Et la plupart étaient de pauvres ouvriers qui
avaient agi au hasard.
La mort des Girondins, demandée tant de foiSj fut
le calmant qu'on crut devoir donner à la fureur des
violents qui s'indignaient devoir cette immense proie
de Lyon fondre et s'échapper de leurs mains.
Les vingt-deux députés arrêtés le 2 juin étaient
réduits par la fuite ou la mort à une douzaine. On en
ajouta d'autres qui n'étaient point de la Gironde, et
l'on parvint à compléter ce nombre sacramentel, au-
quel le peuple était habitué.
Fouquier-Tinville avait pour la dixième fois
demandé les pièces. On a vu que les Jacobins «'en
PAOGÉS DES GIRONDINS (24-50 OCTOBRE 93). 335
étaient emparés. Ils les cherchèrent duns leurs archives
et plusieurs jours. On retrouva enfin dans un coin un
petit dossier, si nul que Fouquier n'osa le montrer.
Nulle pièce ne fut communiquée d'avance aux défen-
seurs. Au jour de l'ouverture des débats, Fouquier
cherchait encore.
On n'était pas sans inquiétude sur la manière dont
Paris prendrait cette hécatombe. L'immense majo-
rité des sections était girondine, et quoiqu'elles fus-
sent muettes, terrifiées, tenues comme applaties par
leurs comités révolutionnaires, on craignait un réveil.
A tort. Paris était très-mort. Les Girondins étaient
très-vieux. L'attention était ailleurs. On les exhuma
pour les tuer.
Toutefois on crut utile de créer une diversion (et
burlesque) à la tragédie, comme la queue du chien
d'Alcibiade. Des femmes de clubs, coiffées du bonnet
rouge, habillées en hommes et armées, se prome-
nèrent aux Halles, trouvèrent mauvais que les pois^
sardes n'eussent pas la cocarde. Celles-<>i, royalistes
et fort colères, comme on saitj tombèrent sur les
belles amazones, et de leurs robustes mains leur
appliquèrent, au grand amusement des hommes, une
indécente correction. Paris ne parla d'autre chose.
La Convention jugea, mais contre les victimes; elle
défendit aux femmes de s'assembler. Cette grande
question sociale, se trouva ainsi étranglée par hasard.
Une autre chose fit tort aux Girondins. On plaça
leur procès immédiatement après celui du député
Perrin, condamné aux fers pour spéculations scan-
330 PIIOCÊS DhS GIRONDINS (24-50 OCTOBRK 93).
daleuses, exposé le 19 à la place de la Révolution.
Us trouvèrent ainsi l'échafaud sali par un voleur. La
foule, qui n'y regarde guère, les voyant exécutés
entre les voleurs et les royalistes, s'intéressa moins à
leur sort.
Royalistes et Girondins furent habilement entre-
mêlés. La reine péril le 16, les Girondins le 30,
M'*" Roland le 8, et le surlendemain un royaliste,
Bailly. Le Girondin Girey-Dupré le 21, et peu de
jours après le royaliste Barnave. En décembre , les
exécutions des Girondins Kersaint, Rabaut, firent
faites ainsi pêle-mêle avec celle de la Dubarry.
Qu'il eût bien mieux valu pour eux périr le 2 juin,
sur les bancs de la Convention ! Ils n'auraient pas
passé ainsi après la reine, dans ce fâcheux mélange
royalisle, comme une annexe misérable du procès de
la royauté. lisseraient morts eux-mêmes, tout entiers,
d'un cœur invaincu! Ils n'auraient pas subi Taffai-
blissemcnt, l'énervalion des longues prisons* Ils
n'auraient pas essayé de défendre leur vie. Ils seraient
morts comme Charlotte Çorday.
Sauf cette faiblesse qu'ils eurent de plaider, ils
montrèrent beaucoup de constance dans leurs prin-
cipes, Républicains sincères, invariables dans la haine
des rois, pleinsd'immuable foi aux libertés du monde.
Du reste, fidèles aussi à la philosophie du xvm* siècle,
sauf deux, le marquis etl'évêque, Fauchet et Sillery,
tous les autres étaient de la religion de Voltaire ou
de Condorcet.
On voit encore aux Carmes les trois ou quatre gre-
PROCÈS DES GIRONDINS (2^-30 OCTORRE 93). 337
niers qu'y occupèrent les Girondins. Les murs sont
couverts d'inscriptions. Pas une n'est chrétienne. Le
mot Dieu n'y est qu'une fois. Toutes respirent le sen-
timent de l'héroïsme antique, le génie stoïcien. Celle-
ci est de Vergniaud :
Potius mort quam fœdari.
La mort ! Et non le crime.
Les faibles Mémoires de Brissot, écrits dans sa
longue prison, témoignent du même caractère. On
sent un cœur qui ne s'appuie que sur le droit et le
devoir, sur le sentiment de son innocence, sur l'espoir
du progrès et le futur bonheur des hommes. Croi-
rait-on que r infortuné qui écrit sous la guillotine
ne s'occupe que d'une chose sur laquelle il revient
toujours , l'esclavage des noirs ! Indifférent à ses
fers, il ne sent peser sur lui que les fers du genre
humain.
Les trois grands procès du tribunal révolutionnaire
(ceux de la reine, des Girondins, de Danton) ont été
conduits par le même homme, Herman, président du
tribunal. C'était un homme d'Arras, compatriote et
ami personnel de Robespierre. Dans les différentes
listes que celui-ci a laissées d'hommes qui devaient
arriver aux grands emplois, le premier nommé en
tête est toujours Herman. Un homme de lettres dis-
tingué, d'Arras, qui vit encore dans un grand âge,
m'a souvent conté qu'il l'avait connu. Herman était
un homme de maintien posé, de parole douce, de
M. 22
338 PROCÈS DES GIRONDINS (24-30 OGTOBRB U3).
figure sinistre ; il louchait extrêmement d'un œil et
paraissait borgne.
Il n'y eut aucune hypocrisie dans le procès. Tout le
monde vit de suite qu'il ne s'agissait que de tuer. On
dédaigna toutes les formalités, usitées encore à cette
époque au tribunal révolutionnaire. Point de pièces
communiquées. Les accusateurs (Hébert et Ghau-
mette), reçus comme témoins. Aucune défense d'a-
vocat. Plusieurs des accusés ne purent parler, chose
bien nécessaire pourtant dans un procès où l'on acco-
lait ensemble des hommes accusés de crimes tout dif«-
fèrents, les uns de faits, les autres de paroles^ queK
ques-uns d'opinions.
Ce qui fut très-choquant, ce fut de voir arriver
pour accabler les vingt-deux, morts d'avance, jugés
pour la cérémonie, des hommes eux-mêmes en
péril, et qui, sous le coup d'une extrême péur^
croyaient racheter leur vie en se faisant bourreaux.
Desfieux, que l'on a vu tout à l'heure arrêté et
violemment délivré par Gollot, par l'émeute de la
Société jacobine, Desfieux, terrifié de son succès et
sentant qu'il serait repris, vint jeter une pierre à ces
mourants. Il imagina de les accuser d'avoir fabriqué
une lettre pour le perdre, lui, Desfieux 1 « Eh 1 mon
ami, lui dit Yergniaud, si nous avions eu intérêt à
perdre quelqu'un, ce n'était pas toi; c'était Robes**
pierre. >
Chabot était dans le même cas. Il n'était nullement
cruel, et quand Garât alla prier Robespierre pour les
Girondins, Chabot qui était là, laissa voir de l'intérêt
PROCÈS DES GIRONDINS (â4-30 OCTOBRE 93). 399
pour eux. Mais Tex-moine, homme de chair, paillsurd,
lâche et bas, mourait de peur, faisant en môme temps
ce qu'il £allait pour mourir. Il se faisait riche, en-
graissait, épousait une fille de banque. Et plus il
engraissait, plus sa peur croissait. Il is'évaûouissait
presque devant Robespierre. Il l'avait, par étourderie,
blessé sur Tarticle délicat de la Constitution. Com^
ment rentrer en grâce? Il fit une pièce remarquable,
un long roman, industrieusement tissu ; l'ensemble
était ingénieux, le détail mal choisi, trop visiblement
romanesque. 11 reprochait aux Girondins les massa-
cres de septembre ! La tentative d'assassiaat en mars
(o'est-à-dire d'avoir voulu s'assassiner eux-mêmes ! ) ;
enfin le vol du garde-meuble 1
Les Girondins étaient accusés d'avoir été amis de
Lafayette, d'Orléans et de Dumouriez. Tous trois,
s'ils n'eussent été absents, auraient dit, sans nul
doute, ce qui éiait vrai, qu*au contraire ils avaient
trouvé dans la Gironde leur principal obstacle. Pour
le dernier, il atteste en 94, six mois après leur mort,
qu'il fut leur mortel ennemi, et il le prouve par un
torrent d'injures. En réalité, ce fut Bris^otqui, par
son acte vigoureux de déclarer la guerre à TAngle-
terre, trancha la trame que filait Dumouriez, coupa
les ailes à sa fortune.
La déclaration de guerre à tous les rois leur fut
imputée au procès, avec raison.'— Elle leur appar-
tient et leur reste dans Thistoire ; c'est leur titre de
gloire éternelle.
Du reste, que les Girondins fussent coupables ou
340 FROGÈS DES GIRONDINS (24-30 OCTOBRE 9S).
non, il eût fallu du moins, dans ces vingt-deux,
mettre à part ceux qui se trouvaient là introduits
par erreur, et qui, en réalité, n'étaient pas Giron-
dins.
Fonfrède et Ducos, par exemple, assis à la droite,
avaient le plus souvent voté avec la Montagne. Marat
lui-même au 2 juin défendit Ducos. Ces deux jeunes
représentants, nullement en danger alors, restèrent
généreusement pour protéger leurs collègues, et pa-
rurent plus girondins par cette défense qu'ils ne
l'étaient d'opinion. Il n'y avait personne dans la
Montagne qui ne s'intéressât pour eux.
Deux hommes encore étaient à part, et ne pou-
vaient se mêler avec la Gironde. Quoi qu'on pût leur
reprocher dans le passé, c'était à Dieu de les punir et
non à la France, qu'ils avaient, par leur intrépidité,
par leur crime même , enrichie d'un département.
La France ne pouvait toucher Mainvielle et Duprat,
qui s'étaient perdus pour elle, qui, dans leur patrio-
tisme frénétique, s'immolèrent, se déshonorèrent
pour lui donner sa plus belle conquête, la plus sûre,
celle d'Avignon.
Qu'avaient-ils eu pour allié, pour ami, dans cette
guerre d'Avignon î Le maire d'Arles, Antonelle, et
c'était lui justement qui présidait le jury. Antonelle,
ex-marquis, forcé par là d'être implacable, âpre
d'ailleurs de nature, sincère amant de la Terreur,
n'en était pas moins troublé en voyant dans
cette malheureuse bande , ceux qui de concert
avec lui avaient rendu à la France cet immense ser^
ON ÉTOUFFE LE PROCÈS PAK UN DÉCRET (il) OCT.). 541
vice, et qui, quand elle aurait entassé sur eux For
et les couronnes civiques, restaient encore ses créan-
ciers.
Il y avait déjà sept jours que durait le triste procès.
11 était beaucoup moins avancé que le premier jour.
Il devenait impossible de le dénouer sans le glaive.
Il fallut à la lettre guillotiner le procès, afin de pou-
voir ensuite guillotiner les accusés.
Le matin du 29 octobre, Fouquier-Tinville fait lire
la loi sur Taccélèration des jugements. Herman de-
mande si les jurés sont suflBsamment éclairés. Anto-
nelle répond négativement.
Cependant on voulait finir. On court aux Jacobins.
On obtient d'eux une députation pour demander à
l'Assemblée de décréter qu'au troisième jour le jury
peut se dire éclairé, et fermer les débats. La minute
du décret s'est retrouvée, écrite par Robespierre.
Chose étrange! ce fut un indulgent qui appuya la
chose, le dantoniste Osselin. C'était lui-même un
homme terrorisé, en péril ; il avait chez lui une jeune
femme émigrée, qu'il cachait. Dans son anxiété, il
croyait se couvrir en donnant ce couteau pour en finir
avec les Girondins. Lui-même il fut pris quelques
jours après.
Le décret demanda du temps. Herman , pour
passer quelques heures, pour empêcher surtout de
parler Gensonné, le logicien de la Gironde, qui
voulait résumer toute la défense, Herman interrogeait
celui-ci, celui-là, sur des questions sans importance.
Enfin, à huit heures du soir, arrive le décret. Pou-'
342 ON ÉTOUFFE LE PROCÈS PAR UN DÉCRET (29 OCT.).
vait-on l'appliquer dans une affaire commencée sous
une autre législation î On n'y regarda pas de si près.
Le jury, sans preuve nouvelle, et sans nouveau dé-
bat, après un jour passé à divaguer, se trouve éclairé
tout à coup, et le déclare.
Ils sont tous condamnés à mort.
Plusieurs des condamnés n'y croyaient pas. Hs
poussèrent des cris de malédiction. Vergnîaud, pré-
paré sur son sort , demeurait impassible. Yalazé se
perça le cœur.
La scène fut si terrible, dit Ghaumette, qui était
présent, que les gendarmes restèrent littéralement
paralysés. Les accusés qui maudissaient leurs juges,
auraient pu les poignarder, sans que rien y fit
obstacle.
Mais le plus tragique accident eut lieu dans Taudi-
toire. Camille Desmoulins s'y trouvait. La senteuce
lui arracha un cri : t Ah ! malheureux ! c'est moi,
c'est mon livre qui les a tués. »
Il n'était pas loin de minuit. Le mort et lesvivàfite
redescendirent du tribunal dans les ténèbres dé la
Conciergerie.
D'une voix grave, ils marquaient la descente du
funèbre escalier par le chant de la Marseillaise :
Contre nous de la tyrannie
Le couteau sanglant est levé.
Les autres prisonniers veillaient et attendaient Ce
mot convenu leur dit la sentence, et que c'était fiût
ON ÉTOUFFE LE PROCÈS PAR UN DÉCRET (29 OCT.). 543
de la Gironde. De tous les cachots, ils répondirent par
leurs cris et par leurs sanglots.
Eux, ils ne pleuraient pas. Un repas soigné, déli-
cat, avait été envoyé par un ami pour le dernier
banquet.
Deux prêtres voulaient les confesser. L'évéque et
le marquis, Fanchet et Sillery, acceptèrent seuls.
Si l'on en croit l'un de ces prêtres (qui lui-même
avoue ne pas être entré dans la salle), ils auraient
passé la nuit à parler de religion. Pour le croire, il
faudrait bien peu connaître ces temps et la Gironde.
€ De quoi donc parlèrent-ils? j>
Pauvres gens, pourquoi vous le dire? Êtes -vous
dignes de le savoir, vous qui pouvez le deman-
der?
Ils parlèrent de la République, de la Patrie. C'est
ce que dit en propres termes leur compagnon de
prison.
Ils parlèrent (nous l'affirmons et le jurons au be-
soin) de la France sauvée par la glorieuse bataille
qui la fermait à l'invasion. Ils y trouvèrent la conso-
lation de leurs malheurs et de leurs fautes. Nul doute
qu'ils n'aient senti ces fautes, qu'ils ne $e soient
repentis d'avoir compromis l'unité. Vergniaud le dit
lui-même : t Je n'ai écrit ces choses qu* égaré par la
douleur, r^ Noble aveu devant la mort, et d'un homme
qui ne voulait ni n'attendait la vie.
Fondateurs de la République, dignes de la recon^
naissance du monde pour avoir voulu la croisade de
92 et la liberté pour toute la terre^ ils avaient besoin
544 MOKT DES GIRONDINS (30 OCTOBRE 93).
de laver leur tache de 93, d'entrer par Texpiation
dans r immortalité.
Le 30 octobre se leva pâle et pluvieux, un de ces
jours blafards qui ont l'ennui de l'hiver et n'en ont
pas le nerf, la salutaire austérité. Dans ces tristes jours
détrempés, la fibre mollit; beaucoup sont au-dessous
d'eux-mêmes- Et l'on avait eu soin de défendre qu'on
donnât désormais aucun cordial aux condamnés. Le
cadavre , déjà livide, de Valazé, mis dans les mêmes
charrettes, la tête pendante, sur un banc, était là
pour énerver les cœurs, réveiller l'horreur de la mort;
ballotté misérablement à tous les cahots du pavé, il
avait l'air de dire : « Tel je suis, et tel tu vas être. »
Au moment où le lugubre cortège des cinq char-
rettes sortit de la sombre arcade de la Conciergerie,
un chœur ardent et fort commença en même temps,
une seule voix de vingt voix d'hommes qui fit taire le
bruissement de la foule, les cris des insulteurs gagés.
Ils chantaient l'hymne sacrée : a Allons , enfants de
la patrie !... » Cette Patrie victorieuse les soutenait
de ^on indestructible vie, de son immortalité. Elle
rayonnait pour eux dans ce jour obscur d'hiver, où
les autres ne voyaient que la boue et le brouillard..
Ils allaient forts de leur foi, d'une foi simple, où
tant de questions obscures qui devaient surgir depuis,
ne se mêlaient pas encore.
Forts de leur ignorance aussi sur nos destinées fu-
tures, sur nos malheurs et sur nos fautes.
Forts de leur amitié, la plupart allaient deux à deux
et se réjouissaient de mourir ensemble. Fonfrède et
FAIBLB EFFET DE L'EXÉCUTION. 545
Ducos, couple jeune, iunocent, frères par l'hymen de
deux sœurs, n'auraient pas voulu de la vie, pour sur-
vivre séparés. Mainvielle et Duprat, couple souillé ,
voué à la fatalité, frères dans Tamour d'une femme,
frères dans ce frénétique amour de la France, qui les
précipita au crime, embrassaient cette commune gué-
rison de la vie qui allait les unir encore. Ils chantaient
en furieux et sur la triste voiture, et descendant sur
la place, et remontant sur Féchafaud; la pesante
masse de fer put seule étouffer leurs voix.
Le chœur allait diminuant , à mesure que la
faulx tombait. Rien n'arrêtait les survivants. On en-
tendait de moins en moins dans l'immensité de la
place. Quand la voix grave et sainte de Vergniaud
chanta la dernière, on eût cru entendre la voix dé-
faillante de la République et de la Loi, mortelle-
ment atteintes, et qui devaient survivre peu.
Les assistans des débals, les spectateurs du sup-
plice, furent également émus, mais, s'il faut le dire,
l'impression fut assez faible dans Paris. Ce grand et
terrible événement n'entraîna pas l'agitation qu'avait
excitée l'affaire deCustine, si peu importante relative-
ment. Les morts stoïques affectaient peu. Les masses
jugeaient ces tragédies uniquement au point de vue de
la sensibilité. Les larmes que le vieux général versait
sur ses moustaches grises, sa dévotion attendrie et
l'étreinte de son confesseur, son intéressante belle-
fille qui l'avait entouré, défendu de sa piété filiale,
tout cela faisait un tableau touchant de nature et de
3lft MORT DE MADAME ROLAND (8 NOV. 93).
faiblesse qui émouvait et troublait. L'émotion fut au
comble, le jour de l'exécution de la plus indigne
victime^ de madame Dubarry. Son désespoir, ses
cris, sa peur et ses défaillances, son violent amour
de la vie, firent vibrer en tous une corde matè^
rielle, la sensibilité instinctive; on se souvint que la
mort est quelque chose ; on douta que la guillotine,
€ ce supplice si doux » , ne fût rien.
La mort de madame Roland , justement pour
cette raison, fut à peine remarquée ( 8 novembre).
Cette reine de la Gironde était venue à son tour
loger à la conciei^erie, près du cachot de la Reine,
sous ces voûtes veuves à peine de Vergniaud , de
Brissot, et pleines de leurs ombres. Elle y venait
royalement , héroïquement , ayant , comme Ver-
gniaud, jeté le poison qu'elle avait, et voulu mourir
au grand jour. Elle croyait honorer la République
par son courage au tribunal et la fermeté de sa mort.
Ceux qui la virent à la Conciergerie , disent qu'elle
était toujours belle, pleine de charme, jeune h 30 ans;
une jeunesse entière et puissante , un trésor de vie
réservé, jaillissait de ses beaux yeux. Sa force parais-
sait surtout dans sa douceur raisonneuse, dans l'irré-
prochable harmonie de sa personne et de sa parole.
Elle s'était amusée en prison à écrire à Robespierre,
non pour lui demander rien, mais pour lui faire la
leçon. Elle la faisait au tribunal, lorsqu'on lui ferma
la bouche. Le 8 où elle mourut était un jour froid de
novembre. La nature dépouillée et morne exprimait
l'état des cœurs; la Révolution aussi s'enfonçait dans
MORT DE ROLAND. 347
son hiver, dans la mort des illusions. Entre les deux
jardins sans feuilles, la nuit tombant ( cinq heures
et demie du soir), elle arriva au pied de la Liberté
colossale, assise près de Téchafaud, k la place où est
Tobélisque, monta légèrement les degrés, et se tour-
nant vers la statue, lui dit, avec une grave douceur,
sans reproche : « 0 Liberté, que de crimes commis
en ton nom ! *
Elle avait fait la gloire de son parti, de son époux,
et n'avait pas peu contribué à les perdre. Elle a invo-
lontairement obscurci Roland dans l'avenir. Mais elle
lui rendait justice, elle avait pour celte âme antique^
enthousiaste et austère, une sorte de religion. Lors-
qu'elle eut un moment l'idée de s'empoisonner, elle
lui écrivit pour s'excuser près de lui de disposer de
sa vie sans son aveu. Elle savait que Roland n'avait
qu'une unique faiblesse, son violent amour pour elle,
d'autant plus profond qu'il le contenait.
Quand on la jugea, elle dit : « Roland se tuera » .
On ne put lui cacher sa mort. Retiré près de Rouen,
chez des dames, amies très-sûres, il se déroba, et pour
faire perdre sa trace, voulut s'éloigner. Le vieillard,
par cetle saison, n'aurait pas été bien loin. Il trouva
une mauvaise diligence qui allait au pas; les routes
de 93 n'étaient que fondrières. Il n'arriva que le soir
aux confins de l'Eure. Dans l'anéantissement de toute
police, les voleurs couraient les routes, attaquaient les
fermes; des gendarmes les poursuivaient. Cela in-
quiéta Roland, il ne remit pas plus loin ce qu'il avait
résolu. Il descendit, quitta la route, suivit une allée
548 MORT DE ROLAND.
qui tourne pour conduire à un château ; il s'arrêta au
pied d'un chêne, tira sa canne à dard et se perga
d'outre en outre. On trouva sur lui son nom, et ce
mot : « Respectez les restes d'un homme vertueux. »
L'avenir ne Ta pas démenti. Il a emporté avec lui
l'estime de ses adversaires , spécialement de Robert
Lindet.
On le trouva le matin, et, l'autorisation venue, on
l'enfouit négligemment, hors de la propriété, à
l'angle de la grande route. On lui jeta deux pieds de
terre. Les jours suivants, les enfants y venaient jouer,
et enfonçaient des baguettes pour sentir le corps.
Nulle attention du public. La Gironde est déjà an-
tique, reculée dans un temps lointain. Comment en
serait-il autrement? Ses vainqueurs, les Jacobins, sont
dépassés eux-mêmes. La Révolution les déborde les
uns et les autres, et par ses fureurs et par son génie.
Madame Roland meurt le 8, mais le 7, une question
immense a surgi, également incomprise et des Giron-
dins et des Jacobins.
LIVRE XIV
'V^
CHAPITRE I
8 !. - LA RÉVOLUTION N'ÉTAIT RIEN SANS LA RÉVOLUTION
RELIGIEUSE.
Pourquoi échoua la Révolution. — Comment elle fût devenue une création. —
Impuissance des Girondins et des Jacobins. — Les Gordeliers Clootz et Chau-
melle. — Registres de la Commune. Admirables inspirations d'humanité.
Le fondateur des jacobins, Adrien Duport^ avait
dit un mot de génie, qu'il suivit trop peu lui-même,
À ceux qui voulaient une révolution anglaise et su-
perficielle, il disait : « Labourez profond 3.
Ce que Saint- Jusl a dit aussi sous cette forme
grave et mélancolique : « Ceux qui font les révolu-
tions à demi, ne font que creuser leurs tombeaux ».
Ce mot s'applique non seulement à tous les révo-
lutionnaires artistes, mais aux deux partis raison-
neurs :
5&4 COMMENT SLLE FUT DBVENUB UNE CHÊàTION.
ton; son grand homme, Robespierre, n'eurent pas le
temps d'observer (emportés par Touragan) ce qu'elle
avait précisément à foire pour perdre le nom de ré*
Tolution, devenir création.
Elle devait, sous peine de périr, non seulement
codifier le XVIH' siècle, mais le vivifier, réali$er en
affirmation vivante ce qui chez lui fut négatif. — Je
m'explique :
Elle devait montrer que sa négation d'une religion
arbitraire de faveur pour les élus contient (^affirma-
tion de la religion de justice égale pour tou$; montrer
que sa négation de la propriété privilégiée contient
F affirmation de la propriété non privilégiée, étendue à
tous.
Voilà ce que la Révolution devait à son illustre
père, le XVIIF siècle : briser le noyau scolastique
qui contenait sa doctrine, en tirer le fruit de vie.
Dès ce jour, elle vivait, et elle pouvait dire ; Je
suis. A elle, la vie, le positif. Et l'ancien régime, coçh
vaincu d'être le vide, s'évanouissait.
La Révolution réserva justement les deux ques-
tions où était la vitalité. Elle ferma un moment
l'église et ne créa pas le temple. Elle changea la pro-
priété de main , mais la laissa monopole ; le privi-
légié renaquit comme usurier patriote, bande noire,
agioteur, tripotant dans l'assignat et les biens na-
tionaux ^.
i Ce dernier point fut marqué fortement par la Commune le 5 sep*
iembre, par Saint-Just le 4 6 octobre : « De nouveaux seigueurs, non
moins croelsi s^élèvent mr les ruines de la féodalité t, dit Chaonette.
POUROUOI ÉCHOUA LA RÉVOLUTION. 555
du siècle. Elle réalisait en institutions une partie de
ces idées , mais elle y ajoutait peu. Féconde en lois,
stérile en dogmes, elle ne contentait pas Téternelle
faim de Tâme humaine, toujours affamée, altérée de
Dieu.
La loi, c'est le mode d'action , c'est la roue^ la
meule. Mais qui tourne cette roue? Mais cette meule,
que moud-elle? — Mettez-y le grain, le dogme, —
sinon, la meule tourne à vide, elle s'use, elle va frot-
tant ; elle pourra se moudre elle- même.
Les deux partis raisonneurs, les Girondins, les Ja-
cobins, tinrent peu compte de ceci, La Gironde écarta
entièrement la question, les Jacobins l'éludèrent. Ils
crurent payer Dieu d'un mot.
Toute la fureur des partis ne leur faisait pas illu--
sion sur la quantité de vie que contenaient leurs doc-
trines. Les uns et les autres ardents scolastiques, ils
se proscrivirent d'autant plus^ que, différant moins
au fond, ils ne se rassuraient bien sur les nuances
qui les séparaient, qu'en mettant entre eux le dis^
tinguo de la mort.
Eh bien ! ces drames terribles, cette horreur, ce
sang versé, tout cela ne remplissait pas le vide infini
de l'âme nationale. Tout l'ennuyait également.— Et
elle attendait.
Les deu\ génies de la Révolution, Mirabeau, Dari-
YI. 85
5&4 COMMBHT SLLE FUT DBVENUB UNE CR^iTION.
ton; son grand homme, Robespierre, n'eurent pas le
temps d'observer (emportés par l'ouragan) ce qu'elle
avait précisément à foire pour perdre le nom de ré*
Tolution, devenir création.
Elle devait, sous peine de périr, non seulement
codifier le XVIH' siècle, mais le vivifier, réali$er en
affirmatùm vivante ce qui chez lui fut négatif. — Je
m'explique :
Elle devait montrer que sa négation d'une religion
arbitraire de faveur pour les élus contient taffirtna-
tion de la religion de justice égale pour U>u$; montrer
que sa négation de la propriété privilégiée contient
F affirmation de la propriété non privilégiée, étendue à
tous.
Voilà ce que la Révolution devait à son illustre
père, le XVIir siècle : briser le noyau scolastique
qui contenait sa doctrine, en tirer le fruit de vie.
Dès ce jour, elle vivait, et elle pouvait dire ; Je
suis. A elle, la vie, le positif. Et l'ancien régime, con^
vaincu d'être le vide, s'évanouissait.
La Révolution réserva justement les deux ques«
tiens où était la vitalité. Elle ferma un moment
Téglise et ne créa pas le temple. Elle changea la pro-
priété de main , mais la laissa monopole ; le privi-
légié renaquit comme usurier patriote, bande noire,
agioteur, tripotant dans l'assignat et les biens na-
tionaux ^.
^ Ce dernier point fut marqué fortement par la Commune le 5 sep*
iembre, par Saint-Just le 4 6 octobre : « De nouveaux seigneurs, non
moins croelsi s^élètent lur les ruines de I« féodalité t, dit Chamneue.
IMPUISSANCE DBS GIRONDINS ET DES JACOBINS. 3ôô
Quels remèdes? la répression individuelle, la sé«
vérité croissante, vieux moyens gouvernementaux^
furent de moins en moins elficaces. Êmonder ^ervak
très-peu, si la racine était la même. C'est elle qu'il
eût fallu changer par la force d'une sève nouvelle.
Cette sève, qui pouvait la donner? l'apparition d'une
idéd dominante et souveraine qui ravissant les es-
prits, soulevant l'homme du pesant limon, se créant
& soi un peuple, s' armant du monde nouveau qu'elle
aurait créé, neutraliserait d'en haut l'effort mourant
de Tancien monde«
Le rapport de l'homme à Dieu et de l'homme à la
nature, la religion, la propriété, devaient se constituer
sur un dogme neuf et fort, ou la Révolution devait
s'attendre & périr.
Les Girondins ne firent rien, ne soupçonnèrent
même pas qu'il y eût à faire.
Les Jacobins ne firent rien que juger, épurer, cri«
hier. Ils se montrèrent infiniment peu capables de
création .
Les Cordeliers essayèrent. Seulement comme ils
étaient en insurrection permanente, spécialement
contre eux-mêmes, ce qu'ils essayaient était nul
d'avance. Le seul parti qui par moment semble avoir
rêvé les moyens de féconder la Révolution, c'est
Et Saiut-Just, avec douleur ; « No$ ennemis ont tiré profit de nos
lois I >
556 LES CORDfiLIERS CLOOTZ ET r.HAOMETTE.
celui qui^ comme anarchie vivEote , était infécond.
Comme foyer d'anarchie, les Gordeliers continrent
tout élément, ce que la Révolution eut de meilleur, ce
qu'elle eut de pire.
Le mélange fit horreur, et les Jacobins brisèrent
tout.
Les contrastes adoucis, fondus plus habilement
dans la Société jacobine (véritable société), appa-
rurent avec une dureté cruelle et choquante dans
celle des Gordeliers,
L'ange noir des Gordeliers est dans le scélérat Ron-
sin, dans Hébert, muscadin fripon, masqué sous le
Père Duchesne, dans le petit tigre Vincent.
L'ange blanc des Gordeliers fut dans l'infortuné,
l'innocent, le pacifique Ânacharsis Clootz, l'orateur
du genre humain, homme du Rhin, frère de Beetho-
wen, français, hélas! d*adoption.
Cette blessure saigne en moi, et elle saignera tou-
jours : la mort des étrangers illustres, mis à mort
pour nous, par nous !
Âh! France! quelle chose es-tu donc? et com-
ment te nommerai-je?..« Tant aimée !... Et combien
de fois tu m'as traversé le cœur... Mère, maîtresse,
marâtre adorée!... Que nous mourions par toi, c'est
bien ! que tu nous brises, c'est toi-même ; tu n'en-
tendras pas un soupir. Mais ceux-ci, qui, si confiants,
vinrent d'eux-mêmes se mettre en tes bras, âmes
d'or, âmes innocentes, qui n'avaient plus vu de fron-
tières, qui, dans leur aveugle amour, ne distin-
guaient ni Rhin ni Alpes , qui ne sentaient plus la
LES GORDELIERS CLOOTZ ET CHAUJIETTfi, 557
patrie qu'en la déposant aux genoux de leur meil*
leure patrie, la France!... ah! leur destinée laisse
en moi un abime de deuil éternel \
Entre l'ange noir et l'ange blanc, le bon et le mau-
vais esprit, entre Hébert et Clootz, s'agitait Cbau-
mette.
* Qui sentait nos cruelles discordes? Eux, autant, plus que nou
peut-être. Nous en avions la fureur, ils en avaient le désespoir.
Nous fûmes très-mal pour Mayence. Custine, dans la brutalité d'un
soldat, d*un grand seigneur, alla jusqu*à menacer le président de la
Convention mayençaise. Des deux envoyés de Mayence, Adam Lux
voulait se tuer au 31 mai , croyant voir mourir la République et ne
pouvant lui survivre. H voulait la mort, il l'eut (guillotiné 8 novembre).
L*autre, Forster, le fils de Tillustre navigateur, échappé à tous les
dangers des plus périlleux voyages, venu à Paris comme au port, mou-
rut de misère, de douleur, dMsoIement, comme si, dans le naufrage,
la mer Teût jeté sur un écueil désert. Des patriotes de Mayence qui
avaient soutenu ce long siège, run, Riffle, combattant vaillamment
pour la France en pleine Vendée, fut la première victime de la trahison
de Ronsin. A Torfou, près de Kléber, la première balle vendéenne fut
pour lui ! Il mourut là, loin des siens, sans autre parent que Kléber,
qui lui-même renversé, blessé à cette cruelle affaire, fut aussi blessé
au cœur, sentit une larme amèredans sa forle âmede soldat.
Durs aveux pour rhistorien!... Mais savez- vous, pendant oe temps,
ce que disait TAllemagne?
0 violent amour de la France !.^. Sanglant miracle, impossible à
comprendre pour ceux qui n^ont pas en leur foi la clé des mystères...
L'Allemagne, idéaliste et forte, s'arrachant le cœur maternel, la pitié
de ses enfants, disait stoïquement, du haut de la chaire de Fichte :
« Non, ce sang n'est pas du sang, non, la mort n'est pas la mort... Quoi
que puisse faire la France et la Révolution, c'est bien. » De sorte que,
pendant que la France se maudissait elle-même, l'Allemagne, ce grand
prophète, lui envoyait d'avance les bénédictions de l'avenir.
568 LES GORDBLIERS GLOOTZ ET GHAUMBTTB.
Le parleur ingénieux et adroit, Fhomme matériel
et lâche, qui, même à côté d'Hébert, n'eut jamais la
force d'être un scélérat, et garda un cœur.
11 fut tué par son bon génie, par l'influence de
Cloolz. 11 osa, un jour, être humain. Et il alla a la
mort*.
Le mariage de ces deux hommes, si profondément
différents d'esprit.
Du pauvre spéculatif Allemand, bayant aux nuées,
Et du caméléon mobile, homme d'affaires, tout pra-
tique; ce mariage étonnant mérite d'être expliqué.
Clootz, comme tout Allemand, arrivait du fond du
panthéisme , de la nature, et de l'infini ;
Chaumette, comme tout Français ( et celui-ci de
basse espèce), partait de l'individualisme, du parti-
culier, du jour, de l'aventure quotidienne, qui en
tout temps n'est guère que l'infiniment petit.
Une chose les ralliait, celle qu'ils avaient tous
deux haïe dans les Girondins, l'esprit décentralisa?*
teur.
La générosité de Clootz, son ardent amour de la
France , où il fut amené enfant, le désintéressait
de l'Allemagne. Il était Français, regardait le Rhin,
comme un futur département de la république fran-
1 Chaumette a révélé ce mystère. Quand on lui demande aux Cor-
deliers : « Comment il a pu soupçonner que les Comités révolatîoB-
naires étaient capables parfois d'accuser et de poursuivre leurs ennemis
personnels^ d'abuser de leur dictature? » U répond: « J'ai suivi la
pensée d'Anacharsis Clootz. » (Arch. de la Police,)
REGISTRES DE LA COMMUNE. 360
çaise. Il était décentralisateur de rAllemagne j à
force d'aimer la France.
Ghaumette, c'était le contraire. Il n'avait pas à
décentraliser une patrie étrangère ; il ne connaissait
que Paris. Il était ia voix, l'agréable organe^ du chaos
discordant de la Commune. Ce chaos, dans sabouobO)
était harmonie. Sa vie, sa voix^ étaient municipales.
Donc 9 avec toutes ses déclamations violentes contre
les décentralisateurs , il n'était décentralisateur
qu'au profit de la grande et redoutable Commune ,
qui, il est vrai, contient It tout.
Le tout? est-ce seulement la France? Ne le croyez
pas. Paris, c'est le monde.
Donc , sur ce terrain , se retrouvaient 4'homme
du monde, Ânacharsis, et le municipal Chaumette.
On a imprimé quelques pages des registres du con-
seil général de la Commune, celles qui se rapportent
aux grandes journées de la Révolution. Pour bien
connaître la Commune, il faut la prendre dans un
moment plus paisible. Ouvrons ces registres en ud^
vembre 93, risquons ^^ nous dans ces archives des
crimes, pénétrons dans ce repaire de l'impie, de
rhorrible, de la sanguinaire Commune, comme rap-
pellent les historiens. Je donne les faits sans ordre,
comme ils se suivent au registre. (Arch. delà Sêinê.)
Une enfant de onze ans, maltraitée de sa mère, est
amenée par le comité révolutfonnaire de sa section '^
5eO REGISTHES DE LA COMMUNE*
elle demande du travail. La Commune se charge de
pourvoir k ses besoins (19 brum.).
Les adoptions d'enfants se présentent à chaque in«
stant. L'adoption d'un vieillard, chose si rare aujour-
d'hui, se retrouve quelquefois sur les registres de la
Commune.
Les cadavres des suppliciés , que des scélérats ont
l'infamie de dépouiller, seront décemment inhumés
en présence d'un commissaire de police (17 brum.).
À Bicètre et autres hôpitaux , on séparera dé-
sormais des malades les fous et les épileptiques
(17 brum.).
À la Salpétrière, on détruira les cabanons hor-
ribles où l'on enfermait les folles ( 21 brum. ). On
améliorera le logement des fous de Bicètre (26
brum.).
On traitera avec des soins particuliers les femmes
en couches. On leur assigne (pour la première fois!)
une maison à part, celle de la Mission, et plus tard,
l'Archevêché. On mettra sur la porte : Respect aux
femmes en couches, espoir de la Patrie.
Je vois aussi que, dans les cérémonies publiques,
la Commune fît donner des places réservées, l'une
aux femmes enceintes, l'autre aux vieillards, pour
les préserver de la foule.
Violente invective de Chaumette contre les loteries
(24 brum.) ; contre les filles publiques. Les arrêtés
de la Commune contre elles ne servant à rien, on
rend responsables tous ceux qui les logent, proprié*
taires, principaux locataires, etc.
ADMIRABLES INSPIRATIONS D^IUMANITÉ. 56i
Le théâtre de la Monlansier au Palais-Royal sera
fermé, de crainte qu'il ne brûle la Bibliothèque na-
tionale qui est en Tace (24 brum.).
La section de Bonne-Nouvelle demande que la bi-
bliothèque de son arrondissemen t soit ouverte tous
les jours (même date).
La Commune place au Musée du Louvre une garde
de dix hommes pour la nuit (3 niv.). Elle demande
à la Convention de suspendre toute restauration de
tableaux , et qu'on institue un concours à ce sujet
(13frim.).
Une section demande que l'on écrive des livres
pour les enfants. La Commune en fera l'objet d'une
pétition à la Convention (28 brum.).
On cherchera les moyens de loger les indigents ,
les infirmes et les vieillards ; on emploiera les indi-
gents valides dans Tintérèt de la République et dans
leur propre intérêt (1*' frim.).
Des femmes viennent se plaindre de ce qu'elles ne
peuvent avoir des nouvelles de leurs enfants qui sont
à l'armée. On nomme des commissaires pour inviter
le ministre à demander la liste des jeunes soldats
dont les parents ont droit aux secours (7 frimaire).
Le procureur de la Commune observe, à cette oc-
casion, la bonne conduite des femmes qui remplis-
sent les tribunes et travaillent en écoutant. Men-
tion civique.
Organisation des Quinze-Vingts. On y donnera un
logement à part aux aveugles plus infirmes ou plus
âgés. On demander(^ ^ ]^ commission de bienfaisance
362 REGISTRES DE LA COMMUNE.
16 SOUS par jour, pour les aveugles non logés aux
Quinze-Vingts (16 frim.).
On nomme une commission pour prendre des
notes sur ceux qui soignent les malades. (9 niv.)*
On fait prêter serment aux infirmières (14mr.)«
Ghaumette fait décider que la bibliothèque de la
Commune fera collection des arrêtés, imprimés,
adresses, etc., qui peuvent servir de matériaux aux
historiens (29 firim.).
Un mari vient se plaindre du vicaire général Bodin,
qui lui enlève sa femme, et de l'administration de
police qui repousse sa plainte* La Commune fera une
enquête à ce sujet (2 niv., 22 décembre).
Des plaintes analogues & celles^i sont portées aux
Jacobins , qui les accueillent et se chargent de les
appuyer auprès des autorités. Les sociétés populaires
et le pouvoir municipal devenaient les garants de la
moralité publique, et d'une manière très-eflScacô, la
peine la plus terrible étant en réalité l'excommabi-
cation des patriotes. L'homme immoral était jitgè
suspect et aristocrate.
La commission de correspondance donnera doi
exemplaires de tous les imprimés intéressants aux
communes qui correspondent avec celle de Paris, et
spécialement aux hospices (2 niv.).
Que d'idées touchantes, heureuses ! Et tout cela en
deux mois, novembre et décembre!... Quelle admî*
nistration, en si peu de temps, peut montrer, par tant
de faits, un si tendre intérêt pour l'espèce humaiiie,
une telle préoociipation de tout ce qui touche lacivili*
ADMIRABLE^ INSPIRATIONS D*HUMANITÉ. SQS
satioD, même des objets auxquels on semblait devoir
moins songer dans ces temps de troubles, des biblio-
thèques , des musées, et jusqu'aux restaurations de
tableaux? Plût au ciel que l'administration de nos
temps civilisés eût suivi, sur ce dernier point, Vidée
dû vandale Chaumette ! le musée du Louvre n'eût
pas subi les transformations bideuses qu'on y déplore
aujourd'hui.
On répète à satiété, en preuve de la barbarie de la
Commune, que Chaumette demanda qu'on plantât
en légumes les jardins publics et autres domaines
nationaux. La première proposition de ce genre fut
faite à Nantes par un Girondin. Un M. Laënnec fit
observer que, par suite de l'émigration, des jardins,
des parcs immenses, étaient sans culture, qu'on de-
vrait les cultiver en plantes alimentaires. Cette obser-
vation judicieuse, dans la disette de Nantes (mai 93),
fut reproduite par Chaumette dans la disette de Paris
(septembre). En ce qui touche nos promenades,
elle semblait exagérée, mais elle était fort habile
et propre à calmer le peuple, très -ému en ce
moment.
Je ne ferai pas à mes lecteurs l'injure d'analyser
les choses admirables qu'ils viennent de lire. Qu'ils
les relisent , les méditent et tâchent d'en profiter,
qu'ils agrandissent leur cœur dans la contem-
plation du grand cœur de 93, dans l'admiration du
pouvoir le plus populaire qui sans doute ait été ja-
mais.
Qu'on me permette de m'arrèter sur une seule
3(>4 REGISIIŒS DE LA COMMUNE.
chose, toute simple, et malgré sa simplicité, vrai*^
ment ingénieuse et profonde.
C'est l'arrêté du 2 nivôse : Envoyer les impri-
més intéressants spécialement aux hospicesj c'est-
à-dire, les envoyer à ceux qui ont le plus de temps
pour les lire, les envoyer aux pauvres désoccupés qui
se meurent d'ennui, les envoyer au malade, à l'in-
firme, à celui qui gtl oublié, souvent délaissé de sa
famille, lui dire : c Si tes parents t'oublient, ta pa-
rente, ta mère, la bonne commune de Paris se sou-
vient de toi... Elle vient te visiter par l'écrit qu'elle
t'envoie... Pauvre homme dédaigné du monde» celle
qui est la lumière du monde, la grande ville qui est
ta ville, veut rester en communication avec toi, te
faire part de sa pensée ^. s>
1 Voilà pour Tinfirme, le vieillard, riiomme profondément seul dans
la foule des inconnus, perdu k la fin de sa vie dans ces vastes déserts
d^bommes qu'on appelle hospices. Combien il est noble, généreux et
tendre, de penser toujours à celui à qui le monde ne pense pins !
Pour le malade, d'autre part, pour le travailleur dans Tâge de force
qui passagèrement habite l'hospice, combien une telle communication
peut être utile et féconde ! c'est le moment, et Tunique, où il se trouve
de loisir. Plus jeune, il a eu et perdu les deux occasions de. culture
que tous perdent (l'école et l'armée). Demain, le travail incessant, im«
placable^ inexorable, le ressaisira tout entier. Que servent vos écoles
du soir à ce pauvre forgeron qui, douze ou quinze heures de suite, a
battu le fer? Il don debout; comment le liendrez-vous éveillé? Non»
le seul moment, c'est l'hospice, ce sont les jours de maladie, les jours de
la convalescence. L5, ou jamais, le travailleur est propre h la réflexioa.
Ces hommes de force et de labeur ont besoin d'un peu de faiblesse pùQt
être tout-à-fait éveillés. La plénitude sanguine, dans leur état ofdl»
naire, est pour eux comme une sorte d'jvresse ou de rêve. AUendriSf
ADMIRABLES INSPIRATIONS O'HUMANITI^ 3t)6
Qui trouve de pareilles choses? celui qui aime
le peuple, celui qui respecte en lui et ses maux et
ses énergies dont on proGte si peu, celui qui sent le
besoin d'adoucir son présent, d'ouvrir son avenir,
celui qui sent Dieu en l'homme !
Clootz disait pieusement, dévotement : « Notre
Seigneur Genre humain ! n
Hélas ! après tant de siècles où l'homme a été si
barbarement ravalé plus bas que la bête, où la
pauvre personne humaine fut chaque jour écrasée
sous la roue du char des faux dieux, qui ne pardon-
nera au grand cœur de nos patriotes de 93 l'erreur
généreuse de vo^iloir, en expiation, faire un dieu de
l'homme, de repousser les symboles auxquels on
avait cruellement immolé la vie, de mettre la victime
elle-même sur l'autel , de diviniser le malheur et
l'humanité? Pieux blasphèmes, auxquels Dieu aurait
pardonné lui-même, comme à la violente réaction
de la pitié !
mortifiés par la maladie, ils sonl plus civilisubles. Qu'il leur vienne un
aliment, qu'une lecture patriotique, ou spéciale à leur art, vienne
remplir leur loisir, leur Ame prendra Tessor. Ils semctiront à songer,
ils pourront s'orienter , dans celte halte, s'arranger une vie meilleure,
plus intelligente, plus sagement ordonnée. Lu maladie, tournée ainsi au
profit des hommes par une autorité paternelle, deviendra comme une
utile fonction de la nature qui n'asuspendu leur travail que pour lesini-
lier à la civilisation. Que la Patrie les reçoive, améliorés ainsi, au sortir
de rhospice, qu'elle leur ouvre ses écoles, ses fêles, ses musées, aux
jours de repos; qu'elle leur continue l'éducation commencée au lit de
rhospice par la prcvoyauie Commune qui vint les y consoler.
CHAPITRE II
CALENDRIER RÉPUBLICAIN. CULTE NOUVEAU.
(Novembre 98.)
Pour la première fois, l'homme eut la mesare da tempa, de reapaee« de la
pesanteur. — L'année commencée au semailles. — Aastérilé da Calendrier
de Romme.^Féte attronomiqne à Arras (10 octobre 9S).— -Fabre d^Églas-
tine troaTe les noms des mois et des Jours. — Raison, Logos, Verbe 4e
Platon. — Clooti et Chaametle. — Chaamette fait créer le Consenratoire de
musique. — Opposition de Chaamette et d'Hébert. — Chaamette combat le
Fédéralisme tyrannlque des comités de sections. — Il vent aopprlaiar le
salaire da clergé. — Il obtient Pégalité des sépultores et Tadoption nailo*
nale des enfants des suppliciés.
Le 20 septembre, avant-veille de Tanniversaire
de la République, Romme lut à la Convention le pro-
jet du calendrier républicain, adopté le 5 octobre.
Pour la première fois en ce monde, l'homme eut la
vraie mesure du temps.
11 eut celle de l'espace, celle de la pesanteur. L'u-
niformité des poids et mesures, dont le type inva-
riable fut pris dans la mesure même de la terre^ fit
disparaître le chaos barbare qui jetait l'inexactitude,
le hasard , et dans les transactions , et dans les
œuvres d'industrie.
POUR LA i'« FOIS, L'HOMME EUT LA MESURE DU TEMPS, ETC. 567
Romme put dire cette grave parole : « Le temps
enfin ouvre un livre àThistoire..,» Jusque-là, elle
ne pouvait pas même dater dans la vérité.
Il ne serait pas facile» en travaillant bieUi de rien
trouver de plus absurde que notre calendrier. Les
nations antiques commençaient Tannée à une époque
ou astronomique ou historique ? à telle saison , à tel
événement national. Notre V' janvier n'est ni l'un
ni l'autre. Les noms des mois n'ont aucun sens, ou
un sens faux , comme octobre , pour dire le dixième
mois. Les noms des jours de la semaine ne rappellent
que les sottises de l'astrologie. Pour la longueur de
l'année, l'erreur julienne, corrigée par l'erreur gré-
gorienne, n'offrait encore qu un à peu près qui devait
de plus en plus devenir sensible. Le ciel, pour la
première fois, fut sérieusement interrogé.
L'ère fut historique et astronomique à la fois.
Historique. Non plusl'ère chrétienne, rappelée par
la fête variable de Pâques, — mais l'ère française,
fixée à un jour précis, à un événement daté et certain :
la fondation de la république française, premier fon-
dement jeté de la république du monde.
Traduisons ces mots : Vère de justice, de vérité, de
raison.
Et encore : l'époque sacrée où l'homme devint
majeur, l'ère de la majorité humaine.
Les successeurs d'Alexandre, suivant la tradition
de l'Egypte, et suivis eux*mèmes de tout l'Orient ,
avaient fait commencer Tannée à Téquinoxe d'au^
tomne. En prenant cette ère, la République ouvrait
568 L'ANNÉE COMMENCÉE AUX SEMAILLES.
Tannée comme le doit un peuple agricole, au mo-
ment ofi la vendange ferme le cercle des travaux, où
les semailles d*oclobre qui confient le blé à la terre,
commencent la carrière nouvelle. Moment plein de
gravité où l'homme croise un moment les bras, re-
voit la terre qui se dépouille de son vêtement annuel,
la regarde avant de mettre dans son sein le dépôt de
l'avenir.
La Révolution française , le grand semeur du
monde, qui mit son blé dans la terre, n'en profita pas
elle-même, préparant de loin la moisson à nous,
enfants de sa pensée, la Révolution dut prendre cette
ère annuelle. Qu'une partie ait péri, tombant sur la
pierre, une autre mangée des oiseaux du ciel, n'im-
porte! le reste viendra.... Soyez béni, grand se-
meur!
Donc, la terre pour la première fois répondit au
ciel dans les révolutions du temps. Et le monde du
travail agissant aussi dans les mesures rationnelles
que donnait la terre elle-même, l'homme se trouva
en rapport complet avec sa grande habitation. 11 vit
la raison au ciel, et la raison ici-bas. A lui, de la
mettre en lui-même.
Elle absente, le chaos régnait. L'œuvre divine,
brouillée par l'ignorance barbare, semblait un caprice,
un hasard sans Dieu. État impie, objection perma-
nente contre toute religion. La science, à la fin des
temps, se charge d'y répondre en rétablissant l'har^
monie, en détrônant le chaos, en intronisant la
Sagesse.
AUSTÉRITÉ DU CALENDRIER DE ROMME. 309
Il était facile de dire avec Platon et le platonisme
chrétien : La Sagesse (le logos ou verbe) est le Dieu
du monde. Mais comment fonder son autel , quand
l'apparente discordance de son œuvre ne nous mon-
trait rien de sage ?
Le génie stoïcien de Romme , sa foi austère dans
la Raison pure apparaît dans son calendrier. Nul nom
de saint, ni de héros, rien qui donne prise à l'ido-
lâtrie. Pour noms des mois, les idées éternelles :
Justice, Égalité, etc. Deux mois seuls étaient nommés
de leurs dates sublimes : juin s'appelait Serment du
Jeu de Paume, et juillet, c'était la Bastille.
Du reste, rien que des noms de nombres. Les jours
et les décades ne se désignent plus que par leur
numéro. Les jours suivent les jours, égaux dans le
devoir, égaux dans le travail. Le temps a pris la face
invariable de TÉlernité.
Cette . austérité extraordinaire n'empêcha pas le
nouveau Calendrier d'être bien reçu. On avait faim et
soif du vrai. Une fête prodigieuse de tous les départe-
ments du Nord eut lieu à cette occasion, le 10 oc-
tobre, à Arras, fête astronomique et mathématique,
où la terre imita le ciel; elle n'eut pas moins de vingt
mille acteurs qui figurèrent dans une pompe immense
les mouvements de l'année. Tout cela, six jours avant
la bataille qui délivra la France, si près de Tennemi,
dans cette attente solennelle!... Devant la Belgique
idolâtre, devant l'armée barbare qui nous rapportait
les faux-dieux, la France républicaine se montra
pure, forte, paisible, jouant le jeu sacré du temps,
VI. n
870 FÉtË AâtRiMIOMlQÙE À ÀRRXS (10 OCt. »).
Célébrant Tère nouvelle ^ la plus grande qu'ait vue
la planète depuis son premier Jour*
Lies vingt mille hommes^ divisés en douze groupes
selon les ftges, représentaient les mois. L'année dé^
filait variée en visages humains, jeune et riante d'es*
pérance, puis mûre et grave, enfin aspirant au repos.
Les vainqueurs dé la vie, ceux qui ont dépassé leurs
quatre-vingts années, en un petit groupe sacré,
étaient les jours complémentaires qui ferment Tan-
née républicaine. Le jour ajouté au bout des quatre
ans dans ce Calendrier avait la figure vénérable d'un
centenaire qui marcbait sous un dais. Derrière ces
vieux courbés sur leurs bâtons, venaient les tout
petits enfants comme la jeune année suit la vieille,
comme les générations nouvelles remplacent celles
qui vont au tombeau.
La grâce de la fête était le bataillon des viei^es,
avec cette devise, touchante dans un si grand danger :
« Ils vaincront ; nous les attendons. » Ëtaient-ce
leurs amants? ou leurs frères? La bannière virginale
ne le disait point.
Tous les métiers qui font le soutien de la vie hu-
toaine consacrèrent leurs outils en touchant Tarbre
de la liberté.
Le centenaire prit la Constitution et la leva au ciel.
Autour de lui, au pied de l'arbre, les vieillards sié-
gèrent et prirent un repas. Les vierges, les jeunes
gens les servaient. Le peuple faisait cercle, entourant
d*une couronne vivante la table sacrée, bénissant les
uns et les autres, et ses pères et ses enfants.
FABRB D'ÉGLANtldÉ XMVft LES N6MÉ tti tttRtfeTDBS JOURS. VU
Ce Càleùdrief tout austère^ dès fôtôd iaûtiiffierit
pdfesi, dû tout était pour h ttkdti «t le càbnf, tiôfl
pôUr rimtigitlSilioti, poufraiètit-its reiDpIacef le ^h*
moiré du vieil Âlm&nach, btiroqUé, bariolé it eettt
couleurs idolâtriqués, chargé de fêtes légendaires,
de noms bizarres (|u'oii dit saus les comprendre, de
Lœtare, d'Oculi, de Quasimodo ? La Convention Cillt
qu'il fallait donner quelque chose de moins abstrait
à rame populaire. Elle adopta la base scientifiii}Ue de
Romme, mais elle changea 1& nomenclature. L'iti'-
génieux Fabre d'Ëglantine, dans un Himftblé écrit
des temps paisibles, en 1783 {l'Histoire nafUf'éllé, dans
k touf^ dés saiions), avait donné l'idée du Calendrier
vrai, où la nature elle-^mèmé, dans la langue cbAr"
mante de ses fruits, de ses fleurs, dans tes bienfki->
santés révélations de ses dons maternels, domme les
phases de l'année. Les jours sont nommés d'âpre
les récoltes, de sorte que l'ensemble est comme vu
manuel de travail pour l'homme des champs ^ sa
^ s'associe jour par jour à celle de la tfàture.
Quoi de mieux approprié à un peuple tout
agricole, comme l'était là France àlorèt Les noms
des mois, tirés ou du climat ou deà récolter, sont si
heureux, si expressif^, d'un tel charme mélodi(|tie,
qu'ils entrèrent à l'instant au cûsntt dé fous, et n'en
sont point sortis. Ils composent aujourd'hui une partie
de notre héritage, une de Ces créations toujours Vi-
vantes, où la Révolution subsiste et duretà toujours.
Quels cœurs ne vibrent à ceâ noms 1 Si Tinforfuné
Fabre ne vit pas quatre mois dé son Calendrier, H,
37S RAISON, LOGOS, VERBE DE PLATON.
arrêté en pluviôse, il meurt avec Danton en germinal;
sa mort, trop cruellement vengée en thermidor, n'em-
pêche pas qu'il ne vivra toujours pour avoir seul
entendu la nature et trouvé le chant de l'année.
La portée de ces changements était immense. Us
ne contenaient pas moins qu'un changement de re-
ligion.
L'Almanach est chose plus grave que ne croient
les esprits futils. La lutte des deux calendriers, le
républicain et le catholique, c'était celle du passé,
de la tradition, contre ce présent éternel du calcul et
de la nature.
Rien n'irrita davantage les hommes du passé. Un
jour, avec colère, l'évêque Grégoire disait à Romme :
€ A quoi sert ce calendrier î » Il répliqua froide-
ment : « Â supprimer le dimanche ? » Grégoire as-
sure que tous les gallicans eussent souffert le martyre
pour ne pas transporter le dimanche au décadi.
Mirabeau, qui se mêlait parfois de prophétiser ,
avait dit : « Vous n'aboutirez à rien si vous ne dé-
christianisez la Révolution. »
Le siècle de l'analyse, le XVIIP siècle, gravitait
invinciblement au culte de la Raison pure. La Con-
vention, le 3 octobre , décrète la translation de Des-
cartes au Panthéon. L'initiateur du grand doute qui
commença la Foi nouvelle, repose avec Rousseau,
Voltaire, le père à côté de ses fils.
L'œil sévère , le regard brûlant de la pensée mo-
derne, envisage cette immense agrégation de dogmes
que les siècles entassèrent. Et dessous, que voit-elle?
RAISON, LOGOS, VERBE DE PLATON. 375
le roc OÙ tant d'allu vions se sont déposées peu à peu,
le Logos ou Verbe platonicien, l'Idée de la Raison
vivante-
Gomme une lie du sud qui fut jadis fertile, et que
le corail peu à peu a couverte de sa riche et stérile
fructification. . . Arrachez tout ce luxe aride. . . Rendez
le soleil à la terre et les rosées du ciel. Elle sera
féconde encore.
Cette révolution nécessaire du XVIII* siècle donne
en métaphysique Kant et la Raison pure ; en pra-
tique la tentative religieuse de Homme et d'Anachar-
sis Glootz, le culte de la Raison.
Culte mathématique dont les voyants seraient
les Newton et les Galilée. Culte humanitaire dont les
Pères sont les Descartes et les Voltaire, les bienfai-
teurs du genre humain.
Dans quels sens différents comprit-on le mot de
Raison ?
Tels n'y voyaient que la raison humaine. Pos-
sédés du besoin critique d'une époque de lutte, ils
ne cherchaient guère dans la vérité qu'une néga-
tion de l'erreur, une arme pour briser le vieux
monde.
D'autres, spécialement certaines sociétés popu-
laires, déclarent que par Raison, ils entendent
la raison divine et créatrice, autrement dit TÊtre
suprême.
Entre la divine et l'humaine, où sera la limite?
Les idées nécessaires (cause, substance, temps, es-
pace, devoir), qui sont en nous, mais non notre œu-
1^4 i^OMUfi , GLQQTZ ET CUAVMflTTP.
VFâ, qui copBtituept pourtant notre raison mèmai
sûDt^elles nôtres, sont-ellos de Dieu?
Les grands esprits qui donnèrent cette impulsion
en employant les formes dû temps, flottèrent d'un
sens à l'autre , et firent peu de distinction. Nul
doute que la Raison ne soit le côté le plus btut ^
Bien. Nul doute qu'elle ne soit nulle part pins Qlai^
rement révélée que dans son incarnation permAnento,
l'Humanité. Lorsque le pauvre Clootz s'attendrissait
au mot : < Notre Seigneur Genre Humain n, lorsqu'il
déplorait les misères de ce malheureux roi du monde^
Dieu, pour lui apparaître ainsi voilé, n'en fut pM
moins en lui.
Le philosophe Clootz, le mathématicien liommef
n'auraient rien fait si leurs idées n'avaient g^faé
un homme d'activité pratique, l'ingénieux et infa^
tigable tribun de la Commune, Ânaxagore Chau-
mette.
Le 36 septembre, Chaumette demanda à la Com-
mune qu'on bâtit un hospice, sous le nom de Temple
de l'Humanité. Il revenait de son pays, la Nièvre, QÙ
il avait eonduit sa mère malade. Fouché y avait
hardiment aboli le Catholicisme. Fouché, de Nantea,
témoin des premiers massacres de Vendée, les ven-
geait dans la Nièvre , secondait violemment le moit^
vement populaire contre le clergé. Chaumette raconte
ainsi la chose à la Commune : (( Le peuple a ditaiM
prêtres : Vous nous promettez des miracles. Nous,
nous allons en faire... Et il a institué les fôtes de la
vieillesse et du maUnçur. . . Vous auriez vu les pauvrei^
GHAUHBTT9 FAIT CWiE^ h% GOMW^VAfmRK M MUSIQUE. STS
1q« &V6uglei$, 163 paralytiques, siéger aux preimières
l^c^o, £q yoWk d^ miracles I »
ChauQieUe, pour ^es fêtes, avait besoin de ohauts,
I) demap^», obtint la création de la grande éoole de
musique, le Conservatoire^ Lie vénérable Gossec,
rajeuni par Veutbousiasroe» dirige c^Ue école, et
trouva les obants du culte nouveau.
Cbaumette, pour les vers, s'adressa à ûeliUe, h
facile versificateur. L-abbé Delille, violent royaliste,
eofant colère , trouva du courage dans sa douieuf ,
dans son deuil de la reine dont il avait été le maître.
Il lut hardiment à Chaumette son dithyrambe sur
r Immortalité :
Lâches oppresseurs de h terre.
Tremblez , vous êtes immprtejs l
C'était aller droit à la guillolîne, Cbaumelte ne
voulut pas comprendre, h C'est bon, l'abbé, diM^
cela servira pour une autre fois, j) Il garda la chose
$eorète, et lui sauva la vie.
Il avait sauvé de même l'imprimeur Tiger qui, an
5 septembre, l'insulta, le prit à la gorge, publique»»
ment sur le quai , comme il marchait à F Assemblée
à k tète de la Commune.
On a vu l'émotion de Chaumette au procès de
touis XYl, et l'intérêt qu'il montra à M. Hue, qui
pleurait. Il en témoigna beaucoup aussi à la jeune
dauphine. Il fit élargir Cléry.
La fatalité l'avait comme attelé k Hébert daua cette
376 OPPOSITION DE GHAimETTE ET D*HÉBERT.
terrible direction de la Commune. Cependant la forte
opposition de leurs caractères ne laissait pas que de
paraître. On le vit au 31 mai ; on le vit le 14 août
où il parla assez vivement contre Hébert et Henriot.
Vers la fin d'août, aux Jacobins, une polémique s'é-
leva sur la question de savoir si les suspects devaient
être enfermés ou déportés ; Hébert et Robespierre
étaient pour le premier avis ; Chaumette préférait
la déportation, peine plus dure en apparence, plus
douce en réalité à une époque où la prison se trou-
vait si près de la guillotine.
Le caractère de Chaumette était très-faible. Dès
qu'il risque d'être pris en flagrant délit de modéra-
tion (par exemple, le 4-5 octobre), on le voit reculer
sur-le-champ, se cacher dans la cruauté. Le 10, jour
du foudroyant rapport de Saint-Just où le parti de
Chaumette était trop désigné, Chaumette donna à
la Commune une liste de tous les cas'qui rendaient
suspects, liste telle qu'il eût fallu emprisonner tonte
la France.
Avec tout cela, Chaumette et le conseil général
qu'il dirigeait seul (Hébert était à son journal, à la
Guerre, aux Jacobins), Chaumette, dis-je, était encore
le meilleur secours qu'on eût contre la tyrannie locale
des comités révolutionnaires de sections. Il y avait
du moins là une publicité devant laquelle ces comités
reculaient. Dénoncés fréquemment à la Commune,
ils le furent h la Convention le 9 octobre par Léonard
Bourdon, le 18 par Lecointre, comme sujets à frap«
per leurs ennemis personnels, parfois à emprisonner
GUAUMETTE COMBAT LE FÉDÉRALISME TYRANNIQUB, ETC. 577
leurs créanciers. Collât d'Herbois lui-même, qui ne
peut passer pour un modéré, accusait le 26 septembre
aux Jacobins la furieuse étourderie des Comités révo-
lutionnaires.
Le Comité de sûreté générale, placé si haut et si
loin, obligé d'embrasser la France, n'offrait pas un re-
cours sérieux contre ces petits tyrans. 11 les ménageait
comme ses agents personnels, étouffait dans le secret
tous leurs excès de pouvoir. A la Commune au con-
traire tout arrivait au jour. Le 26 septembre, le 3,
le 26 octobre, elle accueillit, appuya les plaintes
qu'on faisait contre ces comités, parfois même réforma
leur jugement.
Enrayer ainsi politiquement, c'était un grand péril,
si l'on n'ouvrait à la Révolution une autre carrière, si
l'on ne compensait la modération politique par Tau-
dace religieuse; c'est ce que sentirent plusieurs
représentants. Ils firent la terreur sur les choses et
non sur les personnes ; ils décapitaient des images,
suppliciaient des statues, envoyaient à la Convention
des charretées de saints guillotinés qui allaient à la
Monnaie.
Pour centre de sa propagande, Chaumette prit les
Gravilliers, les Filles-Dieu (passage du Caire). C'est
le principal foyer de la petite industrie, l'industrie
vraiment parisienne ; elle y est prodigieusement ac-
tive, y comprend mille métiers. 11 y a là un esprit plus
varié qu'au faubourg Saint-Antoine, classé en grandes
légions, cellp du fer, di} bois, etc. Léonard Bourdon
avait établi son école d'Enfapts de la patrie, dans le
i78 li VKUT SUPPUMBE LB SAUIRB OU GLKRfi|L
prieuré S^int-Martio ; de là il secondait Ghaumettç.
lie premier point de leur prédication, trè^hien reçu,
fut ; Qu'il ne fallaii plus payer le clergé 9 principe
adopté bientôt par toutes les sections, qui ep portèrent
le vœu à la Conyention.
Le second point, fort populaire, fut un bel arrêté
(Si8 octobre) sur Végalité des sépuUures. Le pauyre,
comme le riche , doit être enterré avec un cortège
décent, non sous un méchant drap noir, mais dans
un drapeau tricolore, le drapeau de la section^ i^it
ville de Paria a gardé quelque chose de cette loi ^9
YéghMxé. L'indigept, le mendiant, va à sa deruièif
demeure dans un char à deux chevaux, ftvec quatre
appartteuni, précédé (l*uu commissaire des poiQpes
funèbresi.
C'est aussi sur le drapeau de la section que U Cim^
. mune devait recevoir les enfants, qu'on lui apportaH
pour les rebaptiser de noms révolutionnaires.
Aipsi pos saiptes couleurs, le drapeau sacré de l»
régépération humaine recevait Vl)omme àlapfûsiaiiQe
et le recueillait à la mort. Pour consolation de Ia
destinée, il trouvait ce bon accueil à son ^ernifr
jour; il s'en allait vêtu de la France, sa mère, en-
veloppé de la Patrie.
Le peuple reconnaissant éprouvait le besoin d'ôtre
béni de la Commune. Des ouvriers vainqueurs de la
Bastille voulaient être remariés, pe croyant pas^ df-r
saient-ils, qu'aucun mariage fût légitipie sinon de l»
main de Çbaumette.
Une scène infiniment touchante fut cel:le d-itiM
adoption ; un oaporAl des vétérans y iiit pr^sant^r nm
e»im\y&\k d'uu guillotiné qui «vaiUwsfiié huit en-
flante. Ca hmn homme demandait si, en adoptant
lafiUe d'un coupable, il n'agissait pas contre la PaWe.
Chaumetto prit l'enfant dans ^es bras et ra3$it à côté
âe lui. « Heureux ei^emple, dit-*i}, des vertus de la
BôpubliqoelM* Nous les voyons d^ paraître^oes
vertus douées qui partout se mêlèrent à Thér^sme
de la liberté. Ici ce n'est plus l'adoption d'orgueili
«elle de^ patrioien^ de l'Antiquité,^ les ^eipiona entés
sur les PauKÊmile : c'est la raison qui dérobe l'ior-
nocence à l'ignominie du préjugé. Citoyens, joignez*-
¥ous tous à ce bon et vieux soldat I Orpheline par la
loi, qu'elle reçoive, cette enfant, dans vos embras^
sements paternels, l'adoption de la Patrie* »
Cette séance porta un fruit admirable. La Conven^
tion créa un hospice des enfants de la Patrie. C'est
ainsi qu'on nomma ceux des condamnés.
Événement de grande portée. Il attaquait dans son
principe les croyances du moyen^^àge, dont la base
n'est autre que l'hérédité du crimOf
Cette aurore de modération et d'humanité éclaira
k dissentiment secret d'Hébert et de Chaumette. Le
premier voulait tendre l'arc, déjà horriblement tendu»
Chaumette voulait détendre»
Le 4 novembre, la section du Luxembourg^ dirigée
spécialement par Hébert et Vincent, lança un fréné-^
tique arrêlé pour publier les noms de tous ceux
qui avaient été en prison, les prosorire comme
incapables de toute place , ainsi qtt« les signa?*
380 ACTION G0NTRADIGT01KE D*HÉBERT ET GHAUMETTE.
taires des pétitions des huit mille et des vingt mille.
Ce mouvement de terreur était directement con-
traire aux intérêts du mouvement religieux auquel
travaillait Ghaumette. Il para le coup, en disant
toutefois qu'on allait rechercher cette fameuse péti-
tion des vingt mille. Le 6, il paya l'assistance d'une
comédie qui prévenait le reproche de modérantisme.
La section du Bonnet rouge (Croix rouge) , venant
faire serment, ofiFrit le bonnet à Chaumette qui le
mit avec enthousiasme, et le fît mettre à tout le
monde. Des bonnets rouges se trouvèrent à point
pour cette nombreuse assemblée.
Le moment semblait venu de frapper les grands
coups.
La Convention accueillait à merveille les envois
de saints, de châsses, les défroques ecclésiastiques,
que lui faisaient passer Fouché, Dumont, Bô, Rulh^
etc.
La Convention avait voté la destruction des tom-
beaux de Saint-Denis. L'on avait réuni la cendre des
rois à celle des morts obscurs. Cruel outrage pour
ceux-ci d'être accolés à Charles IX, de recevoir à
côté d'eux la pourriture de Louis XV, ou l'infftme
mignon Henri III !
La Convention avait trouvé très-bon que le vieux
Rulh, ardent et austère patriote (humain au fond, et
compromis par son humanité), brisât de sa main la
fîole, appelée la Sainte-Ampoule.
On pouvait croire d'après ceci qu'elle ordonnerait
ou accepterait l'abolition de l'ancien culte.
LA CONVENTION SUIT LE MOUVEMENT DE LA COMMUNE. 381
L'obstacle était le personnel. Que faire de l'Église
constitutionnelle? Pour avoir fait serment de fidélité
à la République^ elle n'en gardait pas moins tous ses
dogmes anti-républicains. Intolérants, persécuteurs
comme les autres prêtres, ils ont fait mourir de faim
les prêtres mariés en 95 et 96. Même en 93 ils per-
sécutaient; ils étaient à ces malheureux leur état,
leur coupaient les vivres. Au 15 juillet, au 1*' sep-
tembre , au 17 encore, la Convention retentit des
plaintes douloureuses des prêtres mariés que leurs
seigneurs, les évêques républicains, voulaient empê-
cher d'être hommes. L'Assemblée, de mauvaise hu-
meur, réduisit les évêques à six mille francs de traite-
ment, et menaça les persécuteurs de déportation.
Une partie plus tolérante de l'Église constitution-
nelle, c'étaient les prêtres philosophes; tels étaient
Gobel , èvêque de Paris, tel Thomas Lindet, tel j'ai
connu M. Daunou. Moralistes avant tout et de vie
honorable, ils acceptaient le christianisme comme
véhicule de morale. Eux-mêmes cependant, honnêtes
et loyaux, souffraient de celte position double et ne
demandaient qu'à en sortir. Daunou en sortit de
bonne heure, et de lui-même. Les autres eurent le
tort d'attendre la pression des événements.
Gobel réunissait chez lui chaque soir Anacharsis
Clootz et Chaumelte. Tous deux lui montraient com-
bien son christianisme philosophique, suspect aux
populations, était impuissant, inutile ; ils le pressaient
de quitter cet autel désert, de déposer les fonctions
de ministre catholique.
mi Ik (idttVBNtlON SUIT It IMDVEMBMÏ Ol U 60lMt((B.
tl céda le 6 au «oif ^ et sô» cl«i^ V'mMi II fut
convenu que le leudetuafu tôuà ensemble dotmemièiit
leur démission datis les taains de l' Aissetnblée.
CHAPITRÉ III
rÊÎE HÊ LA hAiSON.
(10 Nov. 95.)
L*évéqùe dé l^arîs et autres résignent leurs pouvoirs (7 novembre) . ~ Les Gomitéi
essaient de terroriset T Assemblée. — Ils s'apj^uyetit de là résistance de Gré-
goire.— Irrtiation de Robespierre. — Les Comités frappent là Gouventioni-^
Accord de Chaumette et de la Convention. — Fête de la Raison à Notre-Dame
(10 nov. 93}. — Basirc réclame contre l'asservissement de rAssembléé et
centre l'avilissement dé la Justice »4«« Otfvéntloii reçoit là Raison et la
soit à Notre-Dame (10 novembre).
La chose fut ^ue à rin^tant'mème atix Comités de
salut public et de sûreté. Violetite fut leur îfritallon
contre ces audacieuses nouveautés, contre riûitiatîve
hardie de la Commune, contre T encouragement se--
cret qu'elle trouvait dans la Montagne, Une machine
fut montée pour faire manquer tout l'efitet de la scène
qui se préparait.
La séance s'ouvrit par la lettre d*un prêtife tnarîé
qui brutalement abjurait^ disait que lui et ses con-
frères n'étaient que des charlatans , puis demandaU
384 L'ÉVÉQUE DE PARIS ET AUTRES RÉSIGNENT LEURS FONCTIONS.
pension pour lui, sa femme et ses enfants, — Lettre
habilement combinée pour avilir d'avance la démis-
sion de Gobel, pour montrer que la suppression du
clergé ne ferait qu'augmenter les charges publiques.
Gobel avec son clergé, amené par la Commune,
parla avec convenance, n'abjura aucune doctrine et
remit ses fonctions. Il fut imité de plusieurs prêtres
et évoques de la Convention , spécialement du frère
de Lindet qui parla avec beaucoup de noblesse et de
gravité : «Ce n'est pas tout de détruire, dit-il, il
faut remplacer. . . Prévenez le murmure que feraient
naître dans les campagnes l'ennui de la solitude,
l'uniformité du travail, la cessation des assemblées...
Je demande un prompt rapport sur les fêtes natio-
nales ».
Chaumette pria l'Assemblée de donner dans le ca-
lendrier une place à la fête de la Raison.
Ce fut au nom de la Raison que deux représen->
tants du peuple, l'un évêque catholique, l'autre mi-
nistre protestant, se réunirent à la tribune, donnèrent
leur démission ensemble et se donnant la main. Ils
n'abjurèrent point (quoi qu'en dise le Journal de ht
Montagne, rédigé alors par un homme de Robes-
pierre) .
A ce moment qui n'était pas sans grandeur, daos
l'émotion de l'Assemblée, Amar, de la douce voix qui
lui était ordinaire, prend la parole, au nom du Comité
de sûreté générale; il demande que les portes de la
salle soient fermées. Nul n'objecte. Décrété. Tous les
cœurs se contractèrent. On savait, depuis le 3 oo-
ILS S'APPUIENT DE LA RÉSISTANCE DE GRÉGOIRE. 385
tobre, ce que devait amener ce préalable sinistre ; il
fallait des victimes humaines. Âmar lit alors une
lettre adressée de Rouen à un membre peu connu
de TÂssemblée ; on lui donnait la nouvelle <c que
Rouen allait en masse au secours de la Vendée » . Le
contraire était exact ; les Comités savaient parfaite-
ment que les Normands étaient en marche contre la
Vendée. L'invention parut si misérable que TAssem-
blée rassurée demanda d'un cri quel était le signa-
taire d'une telle lettre. Amar avoua qu'elle était ano-
nyme. « Quoi! dit Basire, notre liberté dépend d'une
lettre anonyme! Si cela suffît pour arrêter un repré-
sentant, la contre-révolution est faite ! » Amar des-
cendit de la tribune et alla se cacher.
On avait gardé pour le dernier acte Grégoire
l'évoque de Blois. Il vint enfin fort à point pour les
Comités, malade de cette chute. Absent jusqu'à ce
dernier moment de la séance, il vint à leur prière, je
n'en fais nul doute. Leur politique, tristement dé-
masquée par la tentative d'Amar pour terroriser
l'Assemblée , avait grand besoin de secours. On
lança le gallican. Grégoire, courageux de lui-même,
sanguin, colérique, fort d'ailleurs de se sentir défen-
seur du Gouvernement, fut vaillant à bon marché
contre la Montagne : « Je ne tiens mon autorité ni de
vous, ni du peuple. Je suis évoque, je reste évêque.»
La Montagne poussa des cris furieux. Mais, dès lors,
les gallicans pouvaient la braver, réfugiés qu'ils
étaient sous l'abri des Comités et de Robespierre.
L'irritation était extrême contre l'acte inqualifiable
Yl. 25
386 IRRITATION DE ROBESPIERRE.
des (comités. Elle passa même aux Jacobins. On y at-
taqua le faiseur de Robespierre, un Laveaux^ direc-
teur du Journal de la Montagne, qui venait d'y faire
pour lui un article religieux. Les Jacobins lui ôtôrent
la direction du journal, et ils nommèrent président
de la Société Ànacharsis Glootz.
Le soir même de la grande séance, Glootz avait été
aux comités, tàter Robespierre. Il le trouva exaspéré,
mais se contenant. Robespierre, sans toucher le
fond, ni faire pressentir sa dénonciation prochaine,
ne dit que ce petit mot : « Vous vouliez nous gagner
la Belgique catholique, et vous la mettez contre
nous ! »
Pendant que Glootz parlait à Robespierre, Ghau*
mette, de retour à la Gommune, siégeant au conseil
général, fit la demandé hardie que la fête de la Rai*-
son, qui devait se faire au Girque du Palais-Royal, $e
fît dam V église même de Notre-Dame, au heu et place
du culte supprimé, et sur son autel.
Il prenait là une position aggressive contre les
Gomités. Ils résolurent d'y répondre par un coup de
terreur sur la Convention. Terrorisée, elle servirait
elle-même d'arme pour écraser la Gommune.
Ils avaient en main une affîtire sérieuse, à faire
trembler la Montagne, à troubler chacun pour soi. 11
n'y avait pas un Montagnard qui n'eût sauvé quelques
proscrits. Les plus terribles en paroles étaient sou-*
vent les plus humains. On avait preuve qu'un des
purs, un de ceux qui portaient le mieux le masque de
la Terreur, cachait chez lui une femmes une jeune
ACCORD DR GHAUNETTE ET DE LA CONVBMTKW. 987
emme émigrée. Cette femme éperdue de peur s'était
mise dans l'antre du Hou, réfugiée au Comité de sû-^
reté générale 9 chez Osselin, qui en était membre^
L'aimait*-il ? ou fut-il saisi, comme il arrivait parfois
aux plus fermes, d'un violent accès de pitié? On ne
sait. Elle fut découverte à Paris. Il la sauva, la cacha
chez son oncle, vicaire d'un village dans les bois de
Versailles. Osselin, plein de son péril, pour éloigner
les soupçons, devint à la Convention un implacable
terroriste. En septembre, il ne veut pas qu'on entende
Perrin accusé. En octobre, il fait porter le décret
cruel qui décapita la Gironde. En novembre, il fait
arrêter Soulès, ami de Chalier, administrateur de
police, pour avoir à la légère élargi des suspects. —^
Et le même jour, 9 novembre, le Comité de sûreté
vient à la Convention, arrache à Osselin son masque j
ce terrible puritain a caché madame Charry.
La Convention tout entière baissa les yeux, fré-
mit. Bien d'autres se sentaient coupables.
L'événement eut sur-le-champ son contre-coup à
la Commune. A l'occasion d'une demande de la sec-
tion d'Henriot pour qu'on poursuivît les électeurs
girondins qui avaient jadis voté pour avoir un autre
commandant qu'Henriot, Chaumelte laissa échapper
son cœur. Il s'éleva avec une franchise fort inatten-
due contre ce système universel de dénonciations : « Ceux
qui dénoncent, dit-il, ne veulent le plus souvent que
détourner les regards d'eux-mêmes, reporter le dan-
ger sur d'autres. On arrête le dénoncé^ il faudrait
arrêter pareillement le fauço dérumciateur » •
388 FÊTE DE LA RAISON A NOTRE-DAME (10 NOV. 95)*
C'est SOUS cette bannière de modération et de jus-
tice indulgente, que s'inaugura le lendemain (10 no-
vembre) la nouvelle religion. Gossec avait fait les
chants, Chénier les paroles. On avait, tant bien que
mal, en deux jours bâti dans le chœur, fort étroit,
de Notre-Dame, un temple de la Philosophie, qu'or-
naient les effigies des sages, des pères de la Révolu-
tion. Une montagne portait ce temple ; sur un rocher
brûlait le flambeau de la Vérité. Les magistrats sié-
geaient sous les colonnes. Point d'armes, point de
soldats. Deux rangs de jeunes filles encore enfants
faisaient tout l'ornement de la fête; elles étaient' en
robes blanches, couronnées de chêne, et non, comme
on l'a dit, de roses.
Quel serait le symbole, la figure de la Raison? Le 7
encore, on voulait que ce fût une statue. On objecta
qu'un simulacre fixe pourrait rappeler la Vierge et
créer une autre idolâtrie. On préféra un simulacre
mobile, animé et vivant, qui, changé à chaque fête,
ne pourrait devenir un objet de superstition. Les fon-
dateurs du nouveau culte, qui ne songeaient nulle-
ment à l'avilir, recommandent expressément dans
leurs journaux, à ceux qui voudront faire la fête en
d'autres villes, de choisir pour remplir un 7*6le si au-
guste des personnes dont le caractère rende la beauté
respectable, dont la sévérité de mœurs et de regards re-
pousse la licence et remplisse les cœurs de sentiments
honnêtes et purs. Ceci fut suivi à la lettre. Ce furent
généralement des demoiselles de familles estimées
qui, de gré ou de force, durent représenter la Raison.
BASIRE RÉCLAME CONTRE L'ASSERVISSEMENT DE L'ASSEMBLÉE. 388
J'en ai connu une dans sa vieillesse, qui n'avait ja-
mais été belle, sinon de taille et de stature; c'était
une femme sérieuse et d'une vie irréprochable. Ea
Raison fut représentée à Saint-Sulpice par la femme
d'un des premiers magistrats de Paris, à Notre-Dame
par une artiste illustre, aimée et estimée, M^^^ Maillard.
On sait combien ces premiers sujets sont obligés (par
leur art môme) à une vie laborieuse et sérieuse. Ce
don divin leur est vendu au prix d'une grande absti-
nence de la plupart des plaisirs. Le jour où le monde
plus sage rendra le sacerdoce aux femmes, comme
elles l'eurent dans l'Antiquité, qui s'étonnerait de voir
marcher à la tête des pompes nationales la bonne ,
la charitable, la sainte Garcia Viardot?
La Raison, vêtue de blanc avec un manteau d'azur,
sort du temple de la Philosophie, vient s'asseoir sur
un siège de simple verdure. Les jeunes filles lui
chantent son hymne; elle traverse au pied de la mon-
tagne en jetant sur l'assistance un doux regard, un
doux sourire. Elle rentre, et l'on chante encore...
On attendait... C'était tout.
Chaste cérémonie, triste, sèche, ennuyeuse *.
^ Ëst-il nécessaire de dire que ce culte n^était nullement le vrai culte
de la Révolution ? Elle était déjà vieille et lasse, trop vieille pour en-
fanter. Ce froid essai de 93 ne sort pas de son sein brûlant, mais des
écoles raisonneuses du temps de FEncyclopédie. — Non, cette face né-
gative, abstraite de Dieu, quelque noble et haute qu'elle soit, n*était
pas celle que demandaient les cœurs ni la nécessité du temps. Pour
soutenir TeiTort des héros et des martyrs, il fallait un autre Dieu que
celui de la géométrie. Le puissant Dieu de la nature» le Dieu
990 BASmB RÉ€LAMB CONTRE L*AS8BRVISSBMENT »B I/AMMBLÉB
La Convention, le matin, avait promis d'assister à
la fête, sûr la demande expresse des Indulgents,
réconciliés avec Chaumette, mais une violente dis-
cussion la tint tout le jour. Saisissant une occasion
indirecte, Basire éclata, revint sur Faffitire d'Os«-
selin ; lui aussi, il avait sauvé des proscrits. Il parla
avec une vivacité, une franchise sans réserve, qui
fit frissonner TAssemblée, une sensibilité violente»
comme un homme qui défend son cœur, sa liberté et
sa vie. « Où s'arrêtera, dit-il, cette boucherie de repré-
sentants ? cette proscription de tous les fondateurs de
la République? cet audacieux système de terroriser
l'Assemblée? Nous retournons au despotisme... Âsseï,
assez de victimes ! ... . Eh ! ne voyez-vous pas que ceux
qu'on poursuit, pour avoir péché par faiblesse, ne
sont nullement des ennemis de la Révolulion?... Sar
vez-vous ce qu'on va faire? c'est que rAssemblée
glacée, tombera dans un honteux mutisme?... Et qui
osera, dans cette mort de l'Assemblée, montrer plus
de courage qu'elle?... Tous fuiront les fonctions pu-
Père et Créateur (méconnu du moyen âge , V, Monuments de Didron)
lui-même n*eût pas sulïï ; ce n'était pas assez de la révélation de
Newton et de Layoisier. Le Dieu qu*il fallait à Tâme, c'était le Dieu de
Justice héroïque, par lequel la France, prêtre armé dans FEuropey
deyait évoquer du tombeau les peuples ensevelis.
Pour n*être pas nommé encore, pour n^être point adoré dans nos
temples, ce Dieu n'en fut pas moins suivi de nos pères dans leur croisade
pour les libertés du monde. Aujourd'hui, qu'aurions-nous sans M?
Sur les ruines amoncelées, sur le foyer éteint, brisé, lorsque le toi
fuit sous nos pieds , en lui reposent fermes et fixes notre cceor et
notre espérance.
ET GONTRS L'AVIUSSBHfiNT DE Là JUSTICE. 3dî
bliqaeSy chacun s'enfermera chez soi ,. et tout finira
dans la solitude».
Elle se faisait déjà sentir. Le désert s'étendait
chftque jour. Il avait fallu payer l'assistance aux sec-
tions. Les clubs étaient nuls. Le club central des so-
ciétés populaires fut visité un jour par les Jacobins
qui n'y trouvèrent que six personnes. Les Jacobins
eux-mêmes n'étaient guère nombreux à cette époque.
Lorsque Couthon leur demanda quarante Jacobins
pour l'aider à Lyon, ils refusèrent ce grand nombre, de
crainte de se dépeupler eux-mêmes. Même les fonctions
salariées, et les plus brillantes, n'étaient acceptées
que par force. Kléber dit qu'une nomination de gé-
néral s'appelait un brevet d^échafaud. Il fallut un ordre
exprès et menaçant du Comité pour forcer Jourdan
de se laisser faire général en chef.
Où était le mai de la situation? dans Tanéantisse-
ment de la justice.
Le vrai jury d'accusation y c'étaient les Jacobins.
Cette société, si utile politiquement, n'avait nulle-
ment la lixité , la suite qu'aurait demandées ce rôle
judiciaire. Le dossier des Girondins, enlevé par elle,
fut quelque temps égaré. Sa mobilité était excessive.
En novembre, elle prit Clootz pour son président, et
sans cause, elle le raya outrageusement en décembre.
Le tribunnl révolutionnaire n'était pas organisé.
Sauf Antonelle, Herman, Payan, il ne comptait
que des hommes illettrés , ou des adolescents ,
dont plusieurs étaient de la réquisition, et jugeaient
pour ne pas combattre. Un garçon léger, étourdi,
3^ BASIRE RÉCLAME CONTRE L'ASSERVISSEMENT DE L'ASSEMBLÉE
comme Vilatte dont on a les mémoires, de jeunes
peintres (très-nombreux à ce tribunal) ne présentaient
nullement le haut jury, imposant et grave, qui pou-
vait juger sérieusement les crimes de trahison, ju-
ger des représentants, juger Danton ou Robespierre !
Les grands coupables ayant presque tous émigré,
ce tribunal expédiait généralement de pauvres diables
qui avaient crié Vive le roi! ou envoyé une lettre &
un émigré. On réparait la qualité par la quantité. Et
il en résultait seulement qu'en voyant tomber pèle-
mèle tant de gens obscurs, et obscurément, sommai-
rement jugés, on les croyait tous innocents.
Un seul procès, un seul exemple, mis en grande
lumière, éclairci avec force et grandeur, entouré
d'une grande publicité, aurait produit infiniment
plus d'effet que beaucoup de morts obscures, i Un
saumon vaut cent grenouilles ^ , disait très-bien le duc
d'Albe.
Le procès de la Dubarry, habilement conduit, re-
pris dans tous ses précédents, avec ses ornements
naturels du Parc*aux-cerfs, des millions jetés aux
filles, avec ses rapprochements légitimes des vols
immenses, des guerres de la Pompadour, — enfin
l'ouverture totale de l'égout de Louis XV, — ^le tout
tiré à 600,000, — eût été plus efficace contre le roya-
lisme, que de guillotiner par vingtaines des domes-
tiques, des porteurs d'eau ivres, ou de vieilles femmes
idiotes.
Les patriotes de Laval écrivirent que les prêtres
vendéens avaient fait rôtir des hommes, nourri les
ET CONTRE L'AVILISSEBIENT DE LA JUSTICE. 593
feux des bivouacs de leur armée fugitive avec de la
chair humaine. Si le fait était exact, on ne devait pas
fusiller dans un coin ces cannibales, il fallait les ame-
ner au grand jour de Paris, les juger solennellement
et donner au jugement une telle publicité qu'il n'y
eût pas un paysan en France, dans les lieux les plus
écartés, qui n'en eût pleine connaissance.
A ces justes jugements des monstres vivants, la Ré-
volution pouvait mettre en confrontation le jugement
des morts. Que servait de souiller l'air des cendres de
Charles IX? il fallait amener à comparaître le roi de
la Saint-Barthélemi, en face de ses élèves, les mo-
dernes brûleurs d'hommes.
Revenons au discours de Basire et à la Convention.
Elle allait décidément tomber au rôle de machine
à décrets, si, à la moindre parole libre, ses mem-
bres les plus illustres , dénoncés par un jacobin
quelconque (Brichet, Brochet, Blanchet, ou autre),
s'en allait, obtorto collo^ droit au tribunal révolution-
naire devant des rapins étourdis , sans pouvoir dire
seulement un mot d'explication à la Convention.
Il fallait savoir, oui? ou non? si l'on voulait une
Assemblée?
Dans celle-ci , qui fut si cruellement épurée et
mutilée, combien y avait-il d'hommes coupables?
Cinq ou six fripons, pas un traître, à cette époque, du
moins. Le peu qu'il y avait de coupables n'étaient nul-
lement de ceux qui pouvaient perdre la République. Il
eût encore mieux valu les laisser impunis, que de ter-
roriser, comme on Qt, l'Assemblée jusqu'au suicide.
804 LA CONVBHTIOM REÇOIT LA RAISON
Ce mutisme, qu'on recommande parfois dans une
place assiégée, au moment de Tassaut, n'était nulle**
ment de saison, lorsque la France, sauvée par la vio»
toire de Watignies, avait devant elle six mois pour se
reconnaître. Lyon était réduit, les Girondins ralliés.
Restaient à reprendre deux points sur l'extrême fron-
tière. Landau et Toulon. Cette situation n'expliquait
nullement un tel anéantissement systématique des
libertés de la tribune.
Quoique Chabot, Thuriot, Desmoulins, aient parlé
maladroitement et gâté l'impression, toute l'Assem-
blée suivit Basire, et décréta cette chose décrétée par
la justice elle-même : Que nul de ses membres n'irait
au tribunal, sans avoir pu s'expliquer auparavant de-
vant la Convention.
La Raison, à ce moment, entrait dans la salle avec
son innocent cortège de petites filles en blanc; — la
Raison, l'humanité. Chaumette qui la conduisait, par
la courageuse initiative de justice qu'il avait prise la
veille, s'harmonisait entièrement au sentiment de
l'Assemblée.
Une fraternité très-franche éclata entre la Com-
mune, la Convention et le peuple. Le président ût
asseoir la Raison près de lui, lui donna, au nom de
l'Assemblée, l'accolade fraternelle, et tous, unis un
moment sous sou doux regard, espérèrent de meil--
leurs jours.
Un pâle soleil d'après-midi (bien rare en brumaire)
pénétrant dans la salle obscure, en éclaircissait un
peu les ombres. Les Dantonistes demandèrent que
ET LA SUIT A NOTRE-DAME (10 NOY.). 595
TAssemblée tînt sa parole, qu'elle allât à Notre-
Dame, que, visitée par la Raison, elle lui rendît sa
visite. On se leva d'un môme élan.
Le temps était admirable, lumineux, austère et
pur, comme sont les beaux jours d'hiver. La Conven-
tion se mit en marche^ beureiise de cette lueur
d'unité qui avait apparu un moment entre tant de di-
visions. Beaucoup s'associaient de cœur à la fête,
croyant de bonne foi y voir la vraie consommation
des temps.
Leur pensée est formulée d'une manière ingénieuse
dans un mot de Clootz : a Le discordant fédéralisme
des sectes s'évanouit dans r unité, V indivisibilité de la
Raison » .
Romme ajoutait Y immutabilité. Un jour, dit
révoque Grégoire , il nous proposait , sur certaines
données astronomiques, de décréter Tannée, comme
elle serait dans 3,600 ans. — Tu veux donc, luidis-je,
que nous décrétions l'éternité ? — Sans doute, dit le
stoïcien.
CHAPITRE ly
LA CONVENTION POUR LE NOUVEAU MOUVEMENT.
(li-Si Novembre 98.)
La CoBvention donne les églises et presbytètes anx pauvres et aux écoles (IS
novembre). — Elle supprime l'hérédité da crime. — Hébert, isolé de Cbaa-
mette, attaque les Conventionnels. — La Convention effrayée se rapproche
de Robespierre. — Chabot et Rasire en prison (17 novembre]*— Terreur des
représentants en mission.— La monarchie des comités (18 novembre).— EUe
n'osa toucher les petites tyrannies locales.— Mouvement des filles publiques
et des dames de la halle. — La Convention accueille les dépouilles des
églises.— Robespierre assure que la Convention ne touchera pas au CalheU-
cisme [21 novembre).
La grande initiative de la Commune fut suivie sans
di£Bculté de la Convention. Elle décréta, le 16 no-
vembre, sur la proposition de Cambon : « qu'en prin-
cipe, tous les bâtiments qui servaient au culte et au
logement de ses ministres devaient servir d'asiles
aux pauvres et d'établissements pour l'instruction
publique. i>
L'Assemblée, par ce seul mot, déclarait implicite-
ment le catholicisme déchu du culte public.
La Convention pensa, ce qu'ont si bien démontré
LA CONVENTION DONNE LES ÉGLISES ET PRESBYTÈRES, ETC. 897
M. de Bonald et M. de Maistre, que royalisme et ca-
tholicisme sont choses identiques, deux formes du
même principe : incarnation religieuse, incarnation
politique.
Le christianisme mème^ démocratique extérieure-
ment et dans sa légende historique, est en son es-
sence, en son dogme, fatalement monarchique. Le
monde perdu par un seul est relevé par un seul. Et
cette restauration continue par le gouvernement d'un
seul. Dieu y dit aux rois : <c Vous êtes mes Christs. »
Bossuet établit admirablement contre les protestants,
contre les républicains catholiques, que, le christia-
nisme donné, la royauté en ressort, comme sa forme
logique et nécessaire dans Tordre temporel.
La vie du catholicisme, c'est la mort de la répu-
blique. La vie de la république , c'est la mort du
catholicisme.
La liberté du catholicisme, dans un gouvernement
républicain, est uniquement et simplement la liberté
de conspiration.
Un système, un être, est-il obligé, au nom de la
liberté , à laisser libre ce qui doit nécessairement le
tuer î Non, la nature n'impose à nul être le devoir du
suicide.
La Convention ne s'arrêta pas aux Grégoire, à
l'inconséquence des absurdes gallicans, qui ne savent
pas seulement ce qui est au fond de leur dogme. Ce
clergé assermenté, républicain de position, n'en gar-
dait pas moins, par la force des choses et comme
clergé catholique, les principes les plus ennemis de la
38a ^l^^ SUPPRIME L*HiRÉDlTÉ DU CRIMB.
RévolutioD» Leur patriarche Grégoire meurt da&sle
dogme monarchique du monde sauvé par ua seul,
dans la foi contres-révolutionnaire de l'hérédité du
crime (ou péché originel). Il meurt «enfant soumis du
pape » ^ finit comme a fini Bossuet. C'est l'invariable
histoire de cette église» ridicule et respectable, ua
grand esprit de résistance » de l'éloquence et des
menaces ; — tout cela, en conclusion , pour se faire
fouetter à Rome.
Du reste, la Convention ne persécuta nullement le
clergé soumis aux lois. Elle laissa Grégoire piéger taqt
qu'il voulut, en habit violet. Elle maintint les pen*-
sions ecclésiastiques ) et nourrit ces gallicans, qui
travaillèrent la plupart à la destruction de la Répu<*
blique.
Ce qui est assez remarquable^ c'est que ce décret
de Camhon qui enlevait au clergé les églises et lespr^Sr
bytèreS; fut voté sans réclamation, ni des gallicans,
ni des robespierristes, leurs patrons, et l'on put croira
qu'il avait pour lui l'unanimité de rÂssemblée.
Ce même jour, 16 novembre, la Convention expia
le dernier sacrifice humain. Les enfants de Calas
étaient à la barre; ils furent accueillis avec effusioo;
on décréta une colonne pour la place de Toulousa où
Calas subit son martyre. Voltaire, enfin satisfaiti re-
posa dans son tombeau.
Le principe terrible du moyen-âge (l'hérédité du
crime ou péché originel ), frappé déjà par la Coiiitî«*
tuante, fut décidément rayé par la Convention, 0t
d'une manière sublime. Elle adopta^ comme eniiuito
ELLE SUPPRIME L'fTÉRÉDITE DU GRIME. 399
dé la FrûDcei^ ceux des suppliciés. Des secours furent
doùnés aux enfants indigents des Girondins qui ¥e«
naient de périr. Le président formula ainsi la pensée de
TÀssemblée^ la foi du monde nouveau : « Les fautes
sont personnelles ; le supplice mérité du père n'em-^
pèche pas la nation de recueillir les enfants » (17 ven-
tôse). Ce président était Saint-Just.
Cette doctrine n'était point du tout la clémence^
mais la justice. La question du moment ne pouvait
être d'arrêter la Terreur, lorsque le monde entier
l'employait contre la France. Mais on pouvait rendre
la Terreur moins aveugle et plus efficace. Là encore,
au défaut des hauts Comités gouvernementaux qui
n'essayaient rien , la Commune de Paris avait pris
l'initiative. Nous l'avons vuedéjà réformer en divers
cas les décisions fantasques des comités de sections
qui terrorisaient pour leur compte^ au hasard de
leurs passions. Le 1 5 novembre, Chaumette hasarda
de poser la chose en principe, revendiqua pour la
Commune qui, depuis le 5 septembre, épurait, re-
créait ces comités, la surveillance et la censure de
leurs actes, exigeant du moins qu'ils correspondissent
avec elle, travaillassent au grand jour, ne fussent
plus une inquisition.
Ce grand mouvement de la Commune, qui ouvrait
à la Révolution sa voie religieuse en essayant de la
guider dans sa voie politique, fut accueilli, poussé
unanimement dans les provinces par les Représen-
tants en mission, ils changèrent partout les églises en
temples de la Raison. Partout , ils organisènmt U
400 ELLE SUPPRIME L*HÊRÉDITÉ DU GRIME.
prédication religieuse et politique du décadi. Seule-
mentj la majorité des masses républicaines entendant
parle mot Raison la Raison divine, ou Dieu, la figure
féminine que Ton promena s'appela la Liberté. L'at-
tachement des patriotes à cette forme de culte parut
en ceci, que les robespierristes même qui Técrasèrent
à Paris, furent obligés de la ménager infiniment dans
les départements, et, môme après que Robespierre
eut fait périr Clootz et Chaumette, les sociétés popu-
laires des frontières, nos armées victorieuses ouvraient
encore, môme hors de France, des temples de la
Raison.
L'obstacle vint non de la France, mais de Paris
môme, du désaccord de la Commune^ de la désertion
d'Hébert qui abandonna Chaumette, de la violente
opposition du Comité de Salut public et de Robes-
pierre S singulièrement jaloux de l'allure indépen-
1 Une machine très-habile fut employée par Ifts Robespierristes pour
guérir le mal homéopatbiquement, pour neutraliser par un autre eulte
celui de la Raison. Robespierre^ très-peu sympathique h Marat (Y. le
remarquable ouvrage de M. Hilbey), avait empêché qu'on né le mtt an
Panthéon. On fut bien étonné (le 1 4 novembre) de voir Thomme de
Robespierre^ David, demander que Marat y fût porté en pompe solen-
nelle. La Raison ne pouvait manquer d*ètre compromise par la concur-
rence ou Fadjonction de ce nouveau Dieu. La dévotion des Cordelière
avait exposé son cœur à Tadoration perpétuelle avec une autre relique,
le cœur du bossu Verrières. Les idiots mêlaient Marat avec le Sacré
Cœur, marmottant : « Cœur de Marat ! cœur de Jésus, etc. » La tête de
Chalier partagea bientôt les mêmes honneurs. Telles et telles sections
de Paris y firent des adjonctions fantasques, celle entre autres du buste
de Mucius Scévola. Chaumette eut peur un moment que sa propre image
HÉBERT, ISOLÉ DE GHAUMETTE, ATTAQUE LES GONVENTIOIINBL^. 4(H
dante qu'avait prise la Convention en cette affaire^
irrités surtout de la grande décision prise (le 1 6) sans
les consulter, de la majorité inattendue que Çambon
avait trouvée sur ce terrain, et qui, si on ne la brisait,
se retrouverait sur bien d^autres.
La décision du 16, en un mot, parut au Comité
un cas de révolte.
La partie honteuse et faible où Clootz et Chau-
mette étaient vulnérables était Falliance d'Hébert.
Étrange apôtre ! une doctrine qui passait par la
gueule du Père Duchesne, bonne ou mauvaise, d'a-
vance était tuée. Et non-seulement Hébert salissait
ridée nouvelle, mais il la compromettait et la ruinait
directement, en frappant la Convention, dontralliance
faisait seule la force de la Commune.
Hébert paraissait très-peu à la Commune, ne s'en-
tendait nullement avec Chaumette, vivait aux Jaco-
bins, à son journal, au spectacle, dans certaines com-
pagnies. Il marchait seul, et dans ses voies. Pendant
que Chaumette, assidu à THôtel-de-Ville, y tentait
son suprême effort pour subordonner à la Commune
les comités révolutionnaires, Hébert, pour se les at-
ne devint un objet d'idolâtrie, et défendit de la graver. Il avait refusé au
peuple les plus innocenls symboles. Par exemple, le faubourg Saint-
Antoine, les forgerons des Quinze-Vingts auraient voulu que le nouveau
culte eût un foyer, un feu éternel. Cette idée, nullement idolâtrique,
fut repoussée par la Commune. La seule parole humaine , le seul en-
seignement moral, disait Cbaumette, est avouée de la Raison. (Procès-
verbaux de la Commune et des sections.— iircfetv^s du déparif^ment et
de la Police.)
VI. a«
4M HÉnniT, ISOLÉ DKGHAOlfBTTB, ATTAQOB lESJGOIfytMTKNflllLS.
tacher^ lançait contre laGonvehtion toutes les fureurs
des Jacobins. On pouvait prévoir aisément que l'As-
semblée qui avait essayé quelques pas hardis à la suite
de la Commune, effrayée par les Hébertistes, se ré-
fugieraii sous Taile de Robespierre , qui étoufferait
le mouvement à la grande satisfaction de tous les
amis du passé.
Hébert, sans s'en apercevoir, agit au profit des
robespierristes, et le plus souvent sous leur influence*
Ils s'en servirent comme d'un épouvantail pour poUs«
ser à eux le troupeau.
Les objets habituels des morsures du Père Du-
chesne étaient les faibltsses de Basire, les belles aoh-
liciteuses, la corruption de Chabot^ les méfaits, vrais
ou supposés, de l'ancien Comité de sûreté, généra-
lement dantoniste. Le nouveau, très-robespierriste
alors, surveillé, mené, poussé par David (l'homme de
Robespierre), guettait cet ancien comité et voulait le
perdre, croyant avec raison que Danton serait mor-
tellement atteint par ce procès dantoniste. Chabot
venait de se marier avec la sœur d'un banquier ail-
trichien, fort suspect, et d'autre part on savait qu'il
tripotait avec des banquiers royalistes, amis des re-
présentants Delaunai et Jui'?n de Toulouse. David,
pour être mieux instruit, se fît l'amant de la maîtresse
de Delaunai , et quand par elle il eut de quoi perdre
Chabot , il le livra préalablement aux attaques du *
Père Duchesne. Chabot eut peur, fit inviter à dîner
celui-ci par sa jeune femme. Hébert n'en tint compte,
le poussa à mort, mais comme les chiens trop ardents.
LA CONVENTION SE lUrPROeHE DE ROBESPIERRE. 405
jl se fit mftl à lui«-ntèinejf ét> mordaût Ghabol ^ se
mordité
Cette chasse se fit aui Jacobios^ Celui qui lancA
la bète^ fut un Dufourni qu'Hébert croyait béber^»-
tiste, mais qui ne bougeait pas de l'antichatubrfe
des Comités, et dont le zèle excessif lassait Robes»-
pierre. Un ami personnel de celui^^ci, Renaudin^ juifé
du tribunal révolutionnaire^ poussa, avec Dufourni,
sur Basire, sur Chabot, sur Thuriot.
Le tout, rédigé en une pétition atroce & la Con-
vention, pétition menaçante^ méprisante^ où on lui
prescrivait d'être impitoyable pour elle-même et de
se saigner aux quatre membres «
Hébert était si aveugle qu'il rendit cet acte plus
utile encore à Robespierre que les robespierristes ne
l'avaient voulu^ faisant demander en outre la mort
des soixante-treize qu'avait défendus Robespierre^ et
poussant la Convention à chercher son salut en
lui!
Basire, Thuriot, s'excusèrent. La Convention sup-
prima la faible et dernière barrière qu'elle avait
élevée le 9 entre la vie de ses membres et la guillo-
tine (son droit d'examen préalable sur tout représen-
tant qu'on accuserait). Hébert n'en suivit pas moins
contre Thuriot son élan sauvage. Le 13, il le fit
chasser des Jacobins, sans lui tenir oômpte de l'aj^ui
qu'il avait donné à la Commune dans l'affaire reli-
gieuse, sans voir qu'il rompait l'alliance entre la
Commune et la Montagne< A qui profiterait ce di-
vorce ? Il était facile de te deviner.
404 TERREUR
Le 16; Gbabot, poussé, pressé, étranglé aux Jaco-
bins... se sauva chez Robespierre, qui, comprenant
à merveille le parti qu'il en tirerait, ne le reçut pas
trop mal , le conseilla paternement , lui dit qu'il
fallait dire ceci, ajourner cela, qu'au total, il n'y
avait qu'une chose à faire, c'était d'aller au-devant,
de se constituer prisonnier au Comité de sûreté géné-
rale, comme complice d'un complot < où il n'était
entré que pour le révéler. >
La confession de Chabot, semblable à celle de
Scapin, en fit savoir encore plus qu'on n'imaginait.
Il fit découvrir lui-même cent mille francs qu'il avait
reçus pour corrompre Fabre d'Églantine, mais dont
il n'avait pu jusque-là se séparer, et que provisoire-
ment il tenait suspendus dans ses lieux d'aisance.
Le plus étrange, c'est que le pauvre Basire, étran-
ger à ces vilenies, se mit en prison avec le voleur.
Basire n'était plus à lui. On avait lu le matin à la
Convention le procès d'Osselin et de la jeune femme
qu'il avait cachée. Chacun regardait Basire. Lui-
même se reconnaissait. Lui aussi, il avait essayé de
sauver des femmes, entre autres une princesse polo-
naise qui n'avait nulle pièce contre elle, et qui n'en
périt pas moins. Basire, se croyant perdu, le fut en
effet. Avec l'aveugle vertige du mouton qui par
peur se jette à la boucherie , lui-même il alla se
livrer.
La Terreur gagnait la Montagne. Chabot, il est
vrai, était un fripon. Basire n'était pas sans reproche.
Mais nombre de Montagnards, inattaquables sous les
DES REPRÉSENTANTS EN MISSION. é^
deux rapports, n'en étaient pas moins en péril, ceux
surtout qui, dans leurs missions, avaient été obligés
parla loi du salut public, d'agir en dictateurs, en
rois, qui avaient fait et dû faire cent choses illégales,
qui, sur chaque point de la France, s'étaient préparé
des légions d'accusateurs. Maintenant, les faiseurs
de discours, les sédentaires, les assis, les croupions,
qui n'avaient jamais eu occasion de se compro-
mettre avec les affaires, n'allaient-ils pas, à leur
aise, recueillir ces accusations, éplucher cruel-
lement la conduite de leurs collègues sacrifiés dans
les missions, et dire : (( Seuls, nous sommes purs. »
Chose facile à qui n'a rien fait.
Mais ceux qui avaient ces cramtes étaient, après
tout, trop heureux, si en oubliant leurs services, on
oubliait aussi leurs fautes. Les Comités lurent en eux
cette pensée et cette peur. Et, le 18, ils présentèrent
hardiment la grande loi gouvernementale qui fondait
la monarchie des Comités de Salut public et de sûreté
générale, brisant à leur profit d'une part le pouvoir
de la Commune de Paris, d'autre part celui des Re-
présentants en mission .
Cette loi fut présentée par Billaud-Varennes , qui,
le 6 septembre , avait été porté au Comité par la
victoire de la Commune. On le croyait hébertiste.
Mais quelles que fussent ses sympathies pour le mou-
vement d'Hébert et Chaumette, elles étaient bien
moins fortes que ses haines pour les Représentants
illustrés par leurs missions. Billaud n'avait pas brillé
dans la sienne à l'armée du Nord ; on plaisantait de
406 LA MOMARCHIB DES COMITÉS (48 NOV.).
soB courage. Il satisfit ses rancunes et suivit d'ailleurs
ridéal d'unité gouvernementale, automatique et mé-
canique, qu'il avait naturellement dans l'esprit.
La loi nouvelle en trois choses, était un bienfait:
1^ Elle créait le Bulletin des lois, en assurait la pro-
mulgation» la connaissance universelle ; 2^ Elle re»-
serrait les autorités diverses dans leurs limites natu^*
relier ; S"" Elle supprimait les administrations d^art^r
mt^tale^, aristocratie bourgeoise, d'esprit girondin,
qui s'était montrée infiniment dangereuse pour la
liberté.
Cette loi voulait la cho^e que toute la France vou-
lait : Créer l'unité d'action , supprimer les petits
tyrans.
Les Représentants en mission pe CQrrespoodQOt
plus avec l'Àsaemblée, mais avec sot^ Comité de
salut public ;
l<e9 comités de sections» de communes, ne çQrrM*
pondent plus qu'avec sm Comité de sûreté génèr
raie.
Pour que les deux mots indiqués ne fussent pas
un mensonge, il fallait qu'en effet la Convention ffyl
appeler siens les deui^ Comités.
C'est-à-dire qu'ils fussent renouvelés , en tout ou
partie, à époque fixe, et renouvelés de droit, par h
farce de la loi, non par le vote éventuel d'une Assem-
blée, ou terrorisée, ou quasi-déserte.
C'est ce que la loi se garde bien d'exiger. Et %
est son crime. De temps à autre, ces rois (j'appelle
«in» \m Comités) viendront dire, ayant deffièie
LA MONÂRCHIB DBS GOMITtS (18 NOV.). «QJ
eui les clubs et la guillotine : a Voulez-vous nous
renouveler î »
Gomment se fait-il que les membres des deu;i
Comités, qui vraiment étaient patriotes, aient prâ-f
sente ce piège à la 'llonvention ?
Parce que leur vanité leur dit : « iXous sommes
les seuls, -^ les seuls purs, les bons citoyens,,. I4
Patrie périrait sans nous. »
Qu'ils soient absous pour cette erreur. Nous allons
montrer toutefois, d'après les actes authentiques
qu'ils se trompaient absolument. Sans méconnattw
l'éminent mérite de ces excellents citoyens qui se
chargèrent de régner, il faut dire que Voriginalité
^p^eu{a^tt;e des hautes et grandes idées qui domin^^ient
la situation sociale et reh'gieuse, leur manqua entiè-
rement,— et que, d'autre part, \^^ deux grq,n4& acte$
pratiques qui tranchèrent les qiiestipns 4^ salut (le
Rhin, la Vendée} réussirent précisément parce qu'on
ne suivit aucune des idées du Comité de saint public.
Sa singulière indifférence à la question polor^ise^
en 94-, témoigne aussi contre lui.
Le Comité de sûreté générale (ses registres le moor
trent assez) ne fit aucune des phoses qu'il ôta à I9.
Commune. Il ne centralisa point l'action de Ifi
police révolutionnaire. Il n'osa exercer sur les petilf;
comités la surveillance qu'il interdisait à Chaumette,
Sa faiblesse ou sa négligence alla à ce poiRt qy'U
laissa un des comit:?s, celui de la Croix rouge ou dij
faubourg Saint-Germain, fi^ire Ici spéculatip» IJWCr*?
tive d avoir une prison à lui, oii Içs geps tr/isr;|clje5
406 MOUVEMENT DES FILLES PUBLIQUES, ETC.
payaient des pensions énormes. Au fond, ils ache-
taient la vie : le comité protégeait ses précieux
pensionnaires ; cette maison fut entamée la dernière,
en thermidor.
Si ces petits comités furent ainsi maîtres à Paris,
sous les yeux du pouvoir, combien plus partout
ailleurs ! Ils eurent à discrétion les fortunes et les
personnes.
De sorte qu'en détruisant le fédéralisme départe-^
mental , on conserva tout entier le fédéralisme œmtnunal,
et la tyrannie locale, si pesante et si tracassière, que
la France en est redevenue monarchique pour soi-
xante années.
La loi d'unité gouvernementale au profit des deux
Comités, se vota pendant dix jours, du 18 au 29.
Personne n'osa dire non.
Mais revenons sur nos pas, et suivons Paris.
De grands rassemblements de femmes se faisaient
à Saint-Eustache, sous la protection des Dames dé
la Halle, maîtresses de cette église et très-bonnes
royalistes ; mais elles ne Tétaient pas plus que les
filles, contrariées par la Commune, qui frappait d'a-
mende ceux qui les logeaient. Le Palais-Royal s'était
fait dévot. Le royaliste Beugnot nous a conservé l'his-
toire d'Églé et autres, qui se firent guillotiner pour le
trône et l'autel. Onvit,vers le 15 novembre, une lon-
gue file de ces Madeleines, le rosaire en main, s'ache-
miner vers Saint-Eustache. Le but était d'expier la
profanation de Notre-Dame, où, disait-on, on avait
eu l'infamie d'exposer u^e femme nue sur Vautel. Cette
LA CONVENTION ACCUEILLE LES DÉPOUILLES DES ÉGLISES. 409
belle légende fut répandue dans toute l'Europe, im-
primée par les émigrés. D'autres disaient que Tévêque
républicain de Cambrai avait eu, à son élection, pour
concurrent une femme, et que, sans une voix qu'il
eut de plus, l'histoire de la papesse Jeanne se renou-
velait dans cet évèché. Dans la Vendée, on faisait
mieux ; on fabriquait des hosties empreintes de figures
d'animaux, pour faire croire aux paysans que la
République adorait les bêtes.
L'Assemblée et la Commune apprenaient en même
temps les scènes terribles qui suivirent le passage de
la Loire. Une lettre portait : « Leurs prêtres leur ont
fait jeter des patriotes dans le feu » , etc.
Quand l'Assemblée reçut, le 20, les ornements,
les costumes de Saint-Roch et de Saint-Germain-
des-Prés, elle les vit, comme elle eût vu un butin
pris sur l'ennemi, les dépouilles des Vendéens, elle
s'associa sans réserve k la passion populaire. Un
mannequin, couvert d'un drap noir, figurait l'enter-
rement du fanatisme; les canonniers de Paris, en
habits sacerdotaux , exécutèrent une ronde pour
célébrer son décès. Tous crièrent : « Plus de culte
que celui de la Raison, de la Liberté, de la Répu-
blique! » Un cri unanime partit: « Nous le jurons!
nous le jurons ! » Un enfant, sorti du cortège, de-
manda que r Assemblée fît faire un petit catéchisme
républicain. Émotion générale. On décrète que tout
le détail sera envoyé à tous les départements.
Personne, d'après cette séance, ne douta que le
décret obtenu par Gambon^ le 16, ne fût mis à exécu-
410 IKmBSPIERRE ASSURE QUE LÀ GONVEHTION
tion^ que T Assemblée ne donnât les églises aux hôpi??
taux, les presbytères aux écoles, que le culte public
du catholicisme ne fût supprimé.
Il ne fallait plus qu'une chose : qu'on en ftt la
motion.
L'Assemblée s'était montrée déjà fort audacieuse,
d'agir sans l'aveu de son pédagogue, le Comité de
salut public. Irait-elle jusqu'au bout? Ce Comité
était très-mécontent. Il se sentait fort, ayant ua
Chabot sous la clef, homme perdu, qui, pour plaire,
étendait déjà ses accusations.
Dans ce moment où tant d'hommes tremblaient
dans la Convention, la démentir outrageusement
c'était une inconvenance, mais ce n'était pas un
pèriK Robespierre eut ce courage. Le soir du 21, m%
Jaœbins, il assura froideo^ent : < Que la Cenvenfim
ne voulait point toucher au culte catholique, que J4i|li|i$
elle ne ferait cette démarche téméraire; — que d'ail-*
leurs le fanatisme expirai t^ qu'il était mort, qu'il q'y
avait plus de fanatisme que celui des hommes im-f
moraux, coudoyés par l'étranger pour donner à notre
Révolution le vernis de l'immoralité. »
(a question posée le 16, ou plutôt déjà résplue p^r
le décret de l'Assemblée, était desavoir silecle^é
catholique conserverait la possession des églises. Ro^
bespierre n'en dit pas un mot. Il s'étendit longuement
3ur r existence de Dieu.
Cela s'entendait de reste. Et quoique Robespierre
assurât qu'il avait toujours été mauvais catholique,
les oatholiques le tinrent quitte dçs croyance», «t
m TOUGHBRA PAS AU GATi|01.Kll81Ul (t| WW.). Uà
virent en lui dès ee jour leur défenseur politique»
« La Convention , dit encore Robesi^ierre, n'es|
point un faUeur de livres, un auteur de systèmes mé^
taphysiques. > Dans un de ces discours qui suivent, il
parla avec mépris du philosophisme. Ainsi l'élève d^
Rousseau allait s'enfonçant rapidement dans les voies
rétrogrades. Le même jour où il opposait à l'Assemf*
blée le veto de sa royauté, il fut pris du mal des rois,
qui est : la haine de l'Idée.
Caractère indélébile de la nature dans l'homme le
plus artificiel! véridiques harmonies du dehors et du
dedans!... Qui eût rencontré Robespierre, poudré,
costumé dans la tenue de l'ancien régime, l'eût
déclaré un ci-devant. Eh bien ! cet air ne mentait
pas. Après tant d' efforts sincères, de progrès réels,
d'élans , de nobles aspirations, tel il fut , tel il re-
tombait, pour la question capitale , et redevenait
l'espoir de ceux qu'il avait combattus!
Son discours du 21 novembre, justifiable ou
louable pour tout ignorant qui n'y voit qu'une thèse
générale et ne sait pas le sens précis que lui don-
nait le moment, fut parfaitement compris de l'Eu-
rope. Elle sentit dès lors que tôt ou tard la Révolu-
tion traiterait. En décembre 93, en juin 94, à la fête
de l'Être-Suprême, les rois, aussi bien que les prê-
tres, espérèrent en Robespierre.
Quoiqu'en ce discours il eût suivi vraiment sa
nature, et n'eût point du tout dévié, on crut y voir
une grande conversion, un miracle et le doigt de
Dieu. Et comme il y a au ciel cent fois plus de joie
412 ROBESPIERRE ASSURE QUE LA CONVENTION NE TOUCHERA, ETC.
pour un pécheur qui revient que pour un juste, la
joie fut intime, profonde, dans la Contre-révolution.
Robespierre, sans s'en douter, était rentré par son
discours dans le monde des honnêtes gens. Il n'y eut
pas dès lors une femme bien pensante en Europe
qui dans sa prière du soir n'ajoutât quelques mots
pour M. de Robespierre.
CHAPITRE V
PAPAUTÉ DE ROBESPIERRE.
(32 N0V.-I6 Décemb. 9S.)
Robespierre terrorise ses ennemis par Tattente d*une épuration. - Résistance
de Ghaumette. — Robespierre protège contre Ini les comités de sections.—-
Gbaumelle ferme les églises. — Qanton employé à écraser Ghaomette.—
Robespierre arrache à TAssemblée la liberté des cultes. — Hébert renie
Ghaumette. ~ DesmouKns employé à écraser Glootz. — Robespierre force les
Jacobins de chasser Glootz. -> Ils gardent Gamille Desmoulins.— Robespierre
veut exiger de la Convention un credo précis. — Il fait maintenir les prêtres
dans la Société jacobine.
Le discours de Robespierre finissait par un mot
qui jeta la terreur dans les esprits. Il demanda et
obtint une épuration solennelle de la Société, c( l'ex-
pulsion des agents de l'étranger. »
Peu après, il demanda Tépuration des suppléants
de la Convention, qui eût amené celle des anciens
membres, de toute l'Assemblée.
Son aigreur était très-grande pour la présidence
de Ciootz aux Jacobins, et sans doute pour celle de
Romme à la Convention. Les deux corps avaient
414 ROBESPIERRE TERRORISE SES ENNEMIS.
porté au fauteuil les foudateurs principaux du culte
qu'il proscrivait.
Cependant, aux Jacobins, son autorité était prédo-
minante, pour mieux dire, la seule (dans l'absence de
CoUot-d'Herbois). La Société pouvait avoir un mo-
ment d'inQdélité ; au fond, elle était son épouse et
elle lui appartenait. On l'avait vu spécialement au
19 octobre, jour de crise où Robespierre attaqué de
deux côtés, comme patron du modérantisme à Lyon,
et des Hébertistes en Vendée, atteint en deux sens
opposés et par Duboîs-Crancé et par Philippeaux,
aurait péri dans l'éclat d'une telle inconsistance,
s'il n'eût été raffermi sur l'inébranlable base de la
fidélité jacobine. La Société ne voulut rien TOtr, ni
savoir. Elle fut volontairement sourde, aveugle^ et
garda son Dieu.
Elle avait fort changé, mais au profit de Robes-
pierre. Dépouillée de ses grands hommes, recrutée
de gens peu connus, elle avait sa force et sa gloire
uniquement dans son grand Maximilien. Elle dé-
pendait de lui bien autrement qu'à l'époque où
d'autres influences contrebalançaient la sienne. On
était très'-sûr d'avance que l'épuration jaeobinëflertût
l'épuration de Robespierre et de lui seul, que ia
voix, dans un sens ou l'autre, déciderait^ tradëhe-
rait tout, qu'il ferait rayef qui il lui plairait* Condi-
tion vraiment effrayante pour tous ceux qui, comme
Danton, Desmoulins^ étaient jacobins amateurs^ sans
assiduité et sans influence. Ce n'était pas {totite
chose d'être rayé des Jacobins. La redoutable Sé«
RÉSISTANCE DE CHAOMBTTE. 415
eiété, en gardant les formes d'un club, était en réa-
lité un grand jury d'accusation. Sa liste était le
livre de mort ou de vie. Le sort de Brissot le disait
assez. Celui de Basire parlait plus éloquemment
encore. Rayé le 10, le 19 prisonnier. La radiation
était le premier degré de la guillotine, une marche
de l'échafaud. La route était frayée par Basire;
Danton, Fabre, Desmoulins, allaient suivre, s'ils
n'obtenaient quelque répit, en rejetant le péril sur
d'autres, en frappant les ennemis de Robespierre.
Celui-ci en profita. Par Danton, il tua Chaumette,
et par Desmoulins, Anacbarsis Clootz.
La menace de Robespierre tombait d'aplomb et en
premier lieu sur Clootz et Chaumette. Ils ne bran-
lèrent pas. L'orateur du genre humain, l'orateur de
Paris, se montrèrent très-fermes. Comjae Galilée à
ses juges, ils répondirent : « Elle se meut... >
Autrement dit : < La situation est la même. Les
paroles ne changent pas les réalités. »
Trois réalités crevaient les yeux :
1^ Dans l'extrême afifaiblissement des croyances
religieuses, les églises étaient purement le foyer du
royalisme ;
2" Dans les misères excessives de la France,
spécialement de Paris avec ses cent mille indigents,
le décret rendu, le 16, par la Convention, était l'ex-
pression même do la nécessité : que l'église abrite le
pauvre ;
Z"" Enfin, dans l'anxiété universelle où se trou-
vaient les esprits , la société tout entière ne respi-
416 ROBESPIERRE PROTÈGE CONTRE LUI LES COMITÉS, ETC.
rant plus, n'ayant ni pouls, ni haleine, il fallait
qu'une autorité puissante, au moins par la publicité ,
surveillât l'inquisition locale des comités révolution-
naires, inquisition tantôt haineuse, tantôt inintelli-
gente, qui ne savait rien qu'encombrer les prisons
d'hommes enlevés au hasard. Il ne s'agissait pas de
supprimer la Terreur, mais de la rendre efficace en
dirigeant mieux ses coups.
Ces comités rendaient d'incontestables services
en levant les réquisitions, les taxes révolutionnaires.
Cambon demandait seulement qu'ils en rendissent
compte. Chaumette demandait seulement qu'à Paris
du moins ils motivassent les arrestations.
Robespierre couvrit ces comités de sa protection,
sous l'un et l'autre rapport. Ils furent censés rendre
compte au Comité de sûreté générale, compte secret,
illusoire ; on n'osa jamais l'exiger.
Qu'arriverait-il pourtant si l'on laissait subsister
ce fédéralisme effroyable de quarante mille comités
qui ne répondaient de rien? Que la France, déses-
pérée de la tyrannie locale , se réfugierait bientôt
dans la tyrannie centrale, je veux dire sous la dicta-
ture de ce Dieu sauveur, que prédisait, en août, un
prophète jacobin.
L'association jacobine qui remplissait ces comités^
l'association ecclésiastique, parties de deux points
opposés, allaient 'se trouver face à face, réunies au
même point : la dictature de Robespierre.
Le 23, Chaumette agit intrépidement. Il obtint de
la Commune : 1"* l'organisation immédiate des se-
CHAUMETTE FERME LES ÉGLISES. 417
cours, logement, nourriture, vêtement des pauvres,
par taxes levées sur les riches ; 2'> la répression des
mouvements qui se faisaient dans Paris, la fermeture
des églises, les prêtres déclarés responsables des trou-
bles, exclus de toute fonction. On profita d'une absence
de Chaumette pour ajouter de tout ouvrage^ disposi-
tion inhumaine qu'il fit effacer.
Il montra la même fermeté pour les comités révo-
lutionnaires, leur reprochant d'oublier que la Com.
mune était leur auteur, leur centre et leur unité,
disant qu'ils sectionnaient, fédéralisaient Paris en je
ne sais combien de communes. « Ils suivent leurs
haines personnelles, dit-il, ils s'attaquent aux patriotes
autant qu'aux aristocrates... Apprenons-leur que
tous les hommes, y compris nos ennemis, appar-
tiennent à la Patrie, et non pas à l'arbitraire. Et
quand nous porterions nous-mêmes la tête sur l'écha-
faud, nous aurions fait un grand acte de justice et
d'humanité. »
Il ajoutait ces mots très-forts qui tendaient à
liguer la Commune et la Montagne : « Rallions-
nous à la Convention... Qu'ils sachent, nos ennemis,
qu'il nous reste encore une cloche, et que, s'il le
faut, elle sera sonnée par le peuple. »
Ce fut de la Montagne même, à laquelle Chau-
mette faisait appel, que Robespierre tira de quoi
l'écraser. Danton, inquiet de l'épreuve qu'il allait
subir aux Jacobins (et qui fut terrible en effet),
s'assura par ce service l'assistance de Robespierre.
La Convention , étonnée , vit , le 26 novembre ,
VI. "
418 DANTON EMPLOYÉ À ÉCRASER CHAUMBTTE.
un nouveau Danton , robespierrisé , qui parlait
de Y Être suprême (mot tout nouveau dans sa
bouche), des mascarudes religieuses que l'Assem-
blée ne devait plus souffrir. Au milieu toutefois de
ce discours politique , sa nature perçant les meâr
songes 7 il ouvrit son cœur, parla de clémence^
d'Henri lY, et qu'un jour le peuple n'aurait plus
besoin de rigueur. Là même, il nuisit encore* Cette
échappée irréfléchie d'une clémence impossible dépas*
sait tout à coup la mesure de la situation, qui excluait
la clémence, demandait la jmtice , une justice mr*
veillée y sérieuse, efficace, celle que la Commune
voulait exiger des comités révolutionnaires.
Ce discours, sautant d'un extrême à l'autre^ pa»^
sant par-dessus la raison, pouvait se traduire ainsi :
Restons aujourd'hui dans le terrorisme absurde,
vague, inefficace où nous sommes; nous serons clé-
ments demain.
Coup terrible pour Chaumette. Il fit, le 38, un
discours sur la tolérance, la limitant toutefois à per-
mettre aux croyants de louer des maisons et de ptxjfér
leurs ministres (ce qui réservait tout entier le décret
du 16 : l'Église aux pauvres); faisant, de plus,
garantir par la Commune qu'elle ferait respecter la
volonté des sections qui avaient renoncé au cuUe
catholique. Il fut arrêté , que le 4 décembre , au
soir^ les comités révolutionnaires paraîtraient à la
Commune.
Le 4 décembre, au matin, dans la Convention,
Billault-Varennes, avec l'aisance et la facilité royale
ROBESPIERRE ARRACHE A L'ASSBMB. LA LIBERTÉ DBS CULTES. 419
d'un homme qui tient la machine à décrets^ s'égaya
iur la sensibilité de Chaumette, et obtint qu*aucun6
autorité ne convoquât les comités révolutionnaires^
sous peine de dix ans de fer.
La Commune fut écrasée^ mais les Comités de
gouvernement n'eurent pas la victoire entière. Le 6^
Merlin de Thionville, Thuriot, Dubois-Crancé, sai-
sirent une occasion pour faire ressortir avec force
rimpuissance absolue où était le Comité de sûreté
générale de réformer les erreurs des quarante mille
comités de France. Le Comité résista. Mais il fut aban-
donné par le Comité de salut public. Sa puissance^ en
réalité, se trouva réduite à peu près à Tenceinte de
Paris. Il fut accordé que, dans les départements, les
comités révolutionnaires motiveraient les arresta-
tions non prévues par la loi des suspects, et que les
représentants qui seraient sur les lieux jugeraient^
dans les vingt-quatre heures, de la validité de l'ar-
restation.
Au prix de cette concession apparente (elle n'eut
nulle application), Robespierre obtint de l'Assem-
blée la liberté des cultes.
Le catholicisme, gêné, violenté localement, acci-
dentellement, n'en eut pas moins dès lors la loi pour
lui. Il n'osa rouvrir ses églises. Mais qu'importe?
Ayant la loi de son côté, et n'ayant contre lui que
les violences fortuites du peuple des villes, il at-
tendit patiemment. Il était à l'état solide (je veux
dire comme squelette), et la Révolution^ comme
nouveau-née et vivante, était à l'état fluide, mobile
.m ROBESPIERRE ARRACHE A L'ASSEMB. LA LIBERTÉ DES CULTES.
et bieD plus attaquable. L'autre, en dessous, avait
les femmes, et les politiques en dessus, qui aiment
tous la religion de l'obéissance.
Robespierre, probablement, ne voyait rien de tout
cela. Il suivait son instinct gouvernemental ; il croyait
se rallier le grand peuple qui marchait derrière Gré-
goire : le catholique républicain, le dévot de Vautorité
dans la liberté (le non-sens le plus complet qu'on ait
pu trouver encore).
Comment se fit cet étrange traité du 6 décembre,
où la Convention, pour une modification douteuse
dans l'arbitraire des comités, subit cet énorme et
monstrueux démenti à tout ce qu'elle avait fait î
1^ Parce qu'elle était légère, indifférente à ces
profondes questions ;
2° Parce que Cambon, se voyant seul, lâcha pied;
3*" Parce que Danton était mort.
Il était mort aux Jacobins, soutenu, protégé, avili
par Robespierre. Il avait reparu le 3, l'indigne, Tin-
fortuné Danton, justiciable d'une Société toute
changée, abaissée, où personne n'avait plus le sens
ni le respect du passé. Devant ces juges impo-
sants , Danton parla , dit-on , avec une éloquence,
une véhémence extraordinaires ; mais personne
n'écouta , et personne n'a écrit. Ce qui est sûr,
c'est qu'il fut obligé de faire appel à la sensibilité,
à l'amitié, tranchons le mot, à la pitié... Il avait
déjà dix pieds dans la terre... Robespierre lui ten-
dit la main; il y eut dix pieds de plus.
Le jour où la liberté catholique fut décrétée à la
HÉBERT KENIE CUAUMETTE. 4^1
Couveutioii, Hébert comprit que Chaumette était
fini, et le 7, il le fit renier aux Cordeliers, procla-
mant qu'il était étranger aux tentatives de Chau-
mette contre les comités révolutionnaires. Le 11, il
fit lui-même en personne aux Jacobins la palinodie
la plus éclatante, assurant qu'il avait toujours con-
seillé la lecture de TÉvangile « aux habitants des
campagnes, >> qu'après tout c'était un bon livre, « et
qu'il suffisait d'en suivre les maximes pour être un
parfait jacobin. j>
Chaumette, trahi par Hébert, justement puni
d'avoir subi une telle amitié, courut aux Corde-
liers, s'excusa, dit que « s'il avait désiré que les
comités donnassent leurs motifs aux gens arrêtés,
c'était uniquement pour empêcher les vengeances
personnelles ; qu'au reste, il n'avait rien fait que de
concert avec Anacharsis Clootz. » Il se raccrochait à
l'apôtre, au prophète des Cordeliers, à l'homme que
les Jacobins avaient fait leur président. Et il n'y avait
plus ni apôtre, ni prophète, ni président. Ce même
soir du 12 décembre, pendant que Chaumelte attes-
tait le nom de Clootz aux Cordeliers, Clootz péris-
sait aux Jacobins, conspué, avili, détruit par une
furieuse attaque de Robespierre, qui le chassa de la
Société.
Pour expliquer cette versatilité prodigieuse des
Jacobins, il faut savoir que Clootz, miné par le renie-
ment d'Hébert, parla chute de Chaumette, avait été
le 11 percé, transpercé d'un pamphlet de Desmou-
lins. Portant en lui l'aiguillon de la guêpe envenimée,
422 DESMOULINS EMPLOYÉ A ÉCRASER GLOOTZ.
il arriva, le 12 au soir, faible, chancelant, vacillant,
et trouva tous les Jacobins armés du pamphlet ter*
rible ; ces choses, les plus aiguës qui soient dans la
langue française, peuvent s'appeler, d'un nom précis,
l'assassinat par la Presse. Robespierre trouva son
homme mûr pour la mort^ suffisamment attendri,
mortifié; avec infiniment de grâce et de facilité, il
enfonça le couteau.
Il savait que Clootz était tué d'avance ; Camille lui
avait lu son œuvre. Ce grand artiste, très-faible,
incarnation misérable de la faiblesse du temps, était
dans un accès de peur. Et c'est ce qui lui donnait une
force incroyable : la peur de tous était en lui. La
violente, l'ignoble séance où Danton faillit périr,
mordu des plus vils animaux, avait ébranlé le cer^
veau du pauvre Camille. Il n'avait de religion que
Danton en ce monde ; Danton de moins, il périssait.
Il se jeta à corps perdu du côté de Robespierre, qui
avait défendu Danton, l'embrassa comme un autel,
< 0 mon cher Robespierre, ô mon vieux camarade
de collège, » etc., etc. Camille, et Danton, peut-être,
se figuraient follement, comme on croit ce qu'on
désire, qu'ils feraient entrer Robespierre dans leur
complot de clémence. La douceur de Coulhon à
Lyon et quelques autres indices en donnaient un
faible espoir. Sur cet espoir incertain, ils lui donnè-
rent sur-le-champ un gage réel et solide, l'abandon
complet de la question religieuse, et la mort de
Clootï.
Souvenons-nous que Camille, le premier écrivain
ROBESPIERRE FORGE LES JACOBINS DE CHASSER CLOOTZ. 4^
du temps, était un peu bègue, partant très-timide,
incapable de plaider sa cause devant cette illus-
trissime assemblée des Jacobins. Il fallait que quel-
qu'un parlât pour lui; il espérait, s'il frappait
Clootz, que ce quelqu'un secourable serait Robes-
pierre. Il écrivit, imprima « que le Prussien Clootz
était cousin de l'Autrichien Proly, » fils du prince de
Kaunitz, « que Clootz et Chaumette étaient deux
pensionnaires delà Prusse, » etc., etc.
Ce pamphlet était d'autant plus cruel, que la veille
de la publication, on avait guillotiné les Vandeny ver,
amis et banquiers de Clootz.
La besogne de Robespierre était bien simplifiée.
Il fondit comme l'épervier sur un oiseau lié d'avance,
mordit la proie par l'endroit tendre, celui qui irritait
l'envie, appelant Clootz un baron prussien do cent
mille livres de rente (en réalité, il en avait douze,
placéesen biens nationaux) . Du reste, il suivit Desmou-
lins, se moqua du citoyen du Monde, de \di République
universelle. Parmi ces basses risées, brillait un mor-
ceau pleureur dans le genre du crocodile : ci Hélas !
malheureux patriotes ! Nous ne pouvons plus rien
faire, notre mission est finie... Nos ennemis, élevés
au-dessus de la Montagne, nous prennent par der-
rière... Veillons ! la mort de la Patrie n'est pas éloi-
gnée I »
Ce mouvement calculé, cette voix, visiblement
fausse, détonnait horriblement. La Société restait
morne, inerte comme une pierre. Mais le pauvre
Clootz, en véritable Allemand , au lieu de se défendre,
i^ ILS GAUDEiNT GAMiLm DESMOULINS.
était en contemplation de cet étrange événement, en
admiration de cet homme. « Il parlait comme Ma-
homet, dit Clootz (dans la brochure qu'il publia).,.
Moi, je me disais, pendant qu'il débitait son roman,
ce que le Juif Orobio^ prisonnier de l'Inquisition,
disait dans les cachots de Yalladolid : < Est-ce bien
toi, Orobioî — Mais non, je ne suis point moi... »
Puis, sans aigreur ni rancune, s' adressant à sa
patrie d'adoption, à cette pauvre France malade de
cet étrange besoin de se faire et refaire des dieux, il
lui dit ce mot de génie, dont elle a si peu profité :
« France ! guéris des individus ! d
Les Jacobins montrèrent qu'ils étaient une société
bien disciplinée. Croyant ou ne croyant pas le roman
de Robespierre, ils suivirent leur chef de file, et,
sans mot dire, rayèrent Clootz.
Camille avait fait pour Clootz ce qu'il avait fait pour
les Girondins. L'enfant terrible leur avait tordu le
cou, sauf à les pleurer ensuite. Tout le monde l'avait
vu, la nuit du 30 octobre, pleurant, s'arrachant les
cheveux. Et voilà pourquoi il avait tant besoin, le
1 3 décembre, de l'appui de Robespierre.
Il y croyait. Il se trompait. Robespierre le laissa
froidement barbouiller dans son embarras, patauger
dans son bégaiement. Enfin, comme les femmes qui
trouvent de la force dans leurs larmes et leur faiblesse,
voilà tout-à-coup le bègue qui parle rapidement...
Un mot lui jaillit du cœur : « Oui, je me suis sou-
vent trompé !.. Sept des vingt-deux furent mes amis.
Hélas! soixante amis vinrent à, mon mariage ; tous
ILS GARDENT CAMILLE DËSMOULINS. 425
sont morts ou émigrés !••• Il ne m* en reste que
deux, Robespierre et Danton, » Un silence général
se fit, un silence ému, plein de larmes... Chacun
étouffait.
Il avait vaincu. Robespierre vint alors à son se-
cours; il rappela, avec une inconvenance cruelle
pour cet homme gracié, a Qu'il avait été l'ami des
Lameth, des Mirabeau, des Dillon, mais qu'enfin,
s'il se faisait des idoles, il était prompt à les briser.
Glootz fut chassé, Camille admis. Ce qui revenait
au même. Tous deux allaient à la mort.
Un pouvoir terrible avait apparu dans ces deux
séances, terrible surtout par le vague et l'indécision.
On n'avait rien objecté de sérieux à Clootz, sauf une
hérésie. . . « Clootz a toujours été en deçà ou au delà de
la Révolution. » Et ailleurs : a Rien ne ressemble plus
au fédéraliste que le prédicateur intempestif àe l'indi-
visibilité. »0n pouvait donc errer de deux manières :
être hérétique par le degré ou seulement par le
temps, par le défaut d' à-propos. Qui pouvait répondre
de trouver justement la ligne précise où il fallait se
tenir pour marcher droit dans la voie du salut révo-
lutionnaire ? La Révolution étant devenue cette chose
fine et déliée, la règle étant si délicate, si difficile à
déterminer, une casuistique nouvelle commençait,
un arbitraire infini sur les cas particuliers. Nul des
plus fervents dévots de Robespierre n'était bien sûr
d'être pur. Et comment savoir dès lors qui devait
vivre, qui devait mourir?
Ces choses étaient de nature à faire profondément
ii6 ROBESPIERRE YECT EXIGER PE LA CONVENTION, ETC.
sooger la Convention, Elles lui prêtèrent le courage
de rejeter violemment l'opération analogue que lui
proposait Robespierre.
Ou se rappelle qu'Israël, voulant massacrer les
Benjamites au passage du Jourdain , leur fit
prononcer Shiboleth^ et quiconque prononçait mal
était mis à mort. C'est une opération dans ce genre
que Robespierre, le 15 décembre, demandait qu'on
fit subir à la Convention, aux suppléants pour com*
mencer. Les historiens robespierristes assurent (et je
les en crois) que tous les membres auraient subi cette
épreuve. Il s'agissait de faire dire k chacun sa pro-
fession de foi sur tous les événements de la Réyolutioo,
Des dissentiments innombrables auraient éclaté, le
fractionnement réel de la Convention eût été visible
et sa faiblesse palpable ; toute coalition pour la Répa*-
blique et le droit de TÂssemblée serait devenue
impossible.
Romme , irréprochable lui-^mème et qui eût pu
parler haut, sentit le coup, et s'empara de la propo-
sition en la resserrant, bornant tout à ces questions:
€< Que pensez-vous du 6 octobre? du 21 juinf du
jugement de Capet? de Marat? » La Convention
adopta ; puis, sur la demande de Thibaudeau, ré-
tracta l'adoption, déclina toute profession de foi : ce
qui signifiait qu'en cas de coalition contre la dictar-
ture, la Montagne appellerait à elle les nuances les
plus opposées, ce qui eut lieu en thermidor,
La carrière de l'épuration où se lançait Robes-
pierre devait le mener très-loin.
IL FAIT MAINTENIR LES PRÊTRES DANS LA SOCIÉTÉ JACOBINE. 4f7
Le 10, ÂnacharsisGlootz est indigne d'être jacobin.
Le 12, Camille Desmoulins en est trouvé digne &
grand'peine. Le 16, on en exclut les nobles, des
nobles comme Antonelle, chef du jury contre la reine
et contre les Girondins. Mais on n'exclut point les
prêtres.
Robespierre , qui , deux jours avant , dans une
adresse à l'Europe « contre le philosophisme, » ex-
cusait la Révolution : <& Nous ne sommes pas des im-
pies, » etc., etc., il ne le dit pas seulement ; le 16, il
le prouve, en empêchant que les prêtres soient rayés de
la Société.
Et pourtant, combien les nobles généralement for-^
maient moins un corps I combien ils étaient moins
serrés, moins habiles à combiner, à calculer d'en**
semble leurs efforts et leurs intrigues! Les prêtres> ce
corps redoutable, gardien fatal, immuable de toute
la tradition contre-révolutionnaire, pour un serment
(dont ils sont, par leurs règles, déliés d'avance), les
voilà bons républicains, jugés et acceptés tels.
Acceptés au saint des saints. La Société épura-
trice qui, dans la Révolution, est comme le Juge-
ment dernier, envoyant les uns au pouvoir, les autres
à la mort! elle se mêle avec les prêtres... Étrange
accouplement des plus hostiles esprits !
Quelle est cette haute puissance qui change la
nature des choses, décide que le blanc est noir, que
le prêtre est républicain !
Sévérité infinie dans le triage des amis ! Et, d'autre
part, facilité, indulgence pour l'ennemi I N'est-ce
4!28 CBNSURE DES THÉATHES
pas là l'arbitraire complet et le vague du vieux
système de la Grâce, du dogme contre lequel préci-
sément s'était faite la Révolution?
Gbaumette avait dit le lendemain du grand dis-
cours où Robespierre releva l'espérance des prêtres :
« Si vous n'y prenez garde, ils vont faire des mira-
cles. »
Ils les gardèrent pour la Vendée ^ A Paris, on en
fit pour eux. Le Comité de salut public fit cette chose
miraculeuse de rétablir la censure en pleine Révo-
lution, d'interdire, sur les théâtres, non-seulement
rimitation des cérémonies catholiques , mais les
costumes sacerdotaux. Une foule de pièces toutes
faites, dans l'attente que donnait le décret du 16 no-
vembre, furent défendues et ne purent paraître.
La censure s'étendit aux journaux, et l'évêque de
Blois obtint qu'on supprimât une feuille intitulée :
La Confession.
Dès ce jour, les communautés se rassurèrent. Il
^ Dans la Vendée ils abondent. Les guillotinés ressuscitent ; des
honoraes montrent à leur cou la cicatrice rouge de la guillotine. —
Le diable, sous forme de chat noir, s'est montré au fond du taber-
nacle, où un prêtre assermenté allait prendre Thostie. — Pourquoi les
républicains, à Tune de leurs victoires, connurent-ils si bien d'avance
Tordre de Tarmée vendéenne ? C'est qu'un curé constitutionnel a pris
la forme d'un lièvre pour approcher de plus près : on Ta vu entre deux
sillons ; on tire en vain sur le diabolique animal plus de cinq cents
coups de fusil. {Mémoires manuscrits deMercierdu Rocher,) — Heurea-
sementles Vendéens ont à leur tête un magicien, non du diable, mais
de Dieu, le dévot sorcier Stofllet.
ET DBS JOURNAUX (DÉCEMBRE 98). 429
en existait toujours de femmes au faubourg Saint*
Jacques. Elles ne furent saisies que le S thermidor,
en haine de Robespierre.
La confiance du clergé pour son patron allait si
loin, qu'en janvier, la messe, les vêpres, chantées à
l'institution de Jésus, s'entendaient non*-seulement
dans la rue, mais au loin, des prisonniers même de
Port-Libre, qui dans leur prison de la rue Saint-
Jacques, suivaient commodément l'office, chanté à
si grande distance. {Mêm. sur les pris. 23 nivôse^ t. Il,
p. 32).
Il en était de même dans la rue Saint-André-des-
Arts, où tout le monde entendait l'office en passant,
et cela, près du Pont-Neuf, c'est-à-dire au centre de
Paris,
FIN DU SIXIÈME VOLUME.
TABLE
LIVRE XI
CHAPITRE 1.
§ I.
Paris et la Convention.
Misère et grandeur de la Convention. o
Danger suprême de la France. 7
Le crime de la Gironde. 8
Y avait-il un gouvernement? 9
La seule force organisée est dans les jacobins. 10
Aspects nouveaux de la Révolution. La terra
incognila. 11
T VI. 28
432
La Convention ne veut rien faire que la Con-
stitution. 16
§ II.
Absence de tout gouvernement. 18
§ m.
L'armée révolutionnaire. 25
Comment on demanda l'armée révolutionnaire. 24
Comment on éluda l'armée révolutionnaire. 26
Robespierre et Marat gardiens de l'ordre. 28
CHAPITRE 11.
S I-
La Constitution de 93.
Mérites de la constitution. 31
Comment se fit la constitution. 34
Elle menait à la dictature. 36
Attaques dont elle est l'objet. 40
Du parti prêtre à 1» Conveirtioft. 42
Du parti contraire. 44
Robespierre blessa le parti contraire. 45
Robespierre se ralliait trois classes différente»^ 49
&â8
CHAPITRE 111.
S I.
Les Girondins.
Opinion des montagnard enf n^hssiôiï. 50
Efforts de conclliâtteft . 54
Les Girondins se perdent eux-mêmes. 55
La Convention pouvait-elle traiter avec les dé-
partements? 56
Les Girondins confondus avec les royalistes. 57
La Convention sanctionne le â juin. 58
Robespierre entre leà Gifôndtm et lès enragée.
Les robespierristes au comité de salut public. 59
Stratégie de Robespierre» 60
CHAPITRE IV.
Immobilité y ennui. — Second mariage de Danton,
Abattement de Marat. 67
Découragement général. 69
Danton se marie dans une fomtlle royaliste. 72
Devant un prêtre réfraetaiFe. 74
CHAPITRE V.
Les Vendéens. — Leur appel à V étranger.
Le salut de Nantes fut ceiut de iff FrUitce. 76
434
Machines employées pour armer la Vendée. 78
Henri de Larochejaquelein. 80
Bataille de Saumur. 81
Rapports des Vendéens avec l'étranger (avril
95). 84
Ils marchent vers Nantes. 8(>
Ils essayent de s'entendre avec Charelte. 87
CHAPITRE VI.
Siège de Nantes.
S 1.
Noble hospitalité de Nantes. 92
Férocité vendéenne. 95
Nantes appelle à son secours. 96
Anarchie du ministère de la guerre. 97
Les héros à 500 livres. 99
§ 11
Difficulté de défendre Nantes. 100
Le maire Baco. 103
Le ferblantier Meuris. 105
Le club de Vincent-la-Montagne. 108
Jalousie des Girondins. 109
Union des deux partis. 110
435
Arrivée des Vendéens. 1 H
Les représentants et les militaires ne croient
pas pouvoir défendre la ville. 112
La mort de Cathelineau (î29 juin 1793). 1 18
La guerre change de caractère (V) juillet 95). 121
LIVRE XII
CHAPITRE I.
Efforts de pacification. — Missions des dantonistes. —
Mission de Lindet.
Comment Danton et Robespierre jugeaient la
situation. 425
Missions dantonistes. 128
Missions de Lindet. 129
CHAPITRE IL
Mission de Philippeaux, — Mort de Meuris.
Mission de Philippeaux (juillet 95). 133
Mort de Meuris (14 juillet 93). 141
Baco à la Convention (2 août 93). 143
Philippeaux à Nantes (août-septembre 93). 144
Son catéchisme. 145
im
CHAPITRE III.
Mort de Marai.
Etat moral de Marat.
U6
Les Girondins à Caeo (jaiUet 95).
U9
Charlotte Corday.
UO
Les Girondins n'eurent aucane influence sur
elle.
\U
Son arrivée à Paris (1 1 juillet 93) .
i56
La maison de Marat.
158
Sa mort.
162
CHAPITRE IV.
Mort de Charlotte Corday.
Interrogatoires de Charlotte Corday. 163
Charlotte Corday en prison. 166
Charlotte Corday au tribunal. 168
Ses derniers moments. 170
Son exécution (19 juillet 93). 1 72
La religion du poignard. 174
CHAPITRE V.
Min-t de ChaUn^^
La question lyonni»te6 était moios politique
que sociale, 177
Les rêveurs de Lyon et des Alpes, 180
487
Le Piémontais Chalier.
i82
Ecrits de Chalier.
184
Accusations contre lui.
185
Son caractère.
i86
Sa violence et sa tendresse.
187
Les disciples de Chalier.
188
Son arrestation (30 mai 93).
190
Chalier en prison.
191
Son isolement.
192
La Convention intervient.
195
Mort de Chalier (16 juillet 93).
194
Dernières paroles de Chalier.
196
CHAPITRE VI.
Règne anarchique des héber listes. — Danton demande un
gouvernement.
Enterrement de Marat. i 98
Le Père Duchesne succède à VAmi du peuple. 200
Tyrannie des hébertistes aa ministère de la
guerre. 202
Robespierre uni aux hébertistes contre les
enragés. 204
Echecs de nos armées (juin-juillet). 206
Extrêmes dangers (août 95). 208
Décrets violents (!•' août 93). 209
Le Comité de salut public agissait peu encore. 210
Danton veut que le Comité se constitue gou-
vernement. 212
Le Comité décline la responsabilité. 214
a38
CHAPITRE VII.
Fête du 4 0 août 93.
Les fédérés du 10 août 93.
215
Ouverture du I^uvre.
217
Musée des monuments français.
218
Gomment les partis divers se caractérisaient.
219
Grandeur et terreur dans la fête du 10 août
93.
220
Sombre effet
222
Incidents cyniques.
223
Les colosses de plâtre.
224
LIVRE XIII
CHAPITRE I.
Le gouvernement se constitue. Carnot,
Les Anglo-Âutrichiens réunis marchent vers
Paris. 2S9
Barrère fait entrer Carnot au Comité de salut
public. 234
Opposition de Robespierre. 239
Robespierre accuse le Comité de trahison. S40
CHAPITRE II.
La réquisition. — Victoire de Dunkerque.
Élan des Fédérés qui entraînent les Jacobins. 243
Danton seconde l'élan des Fédérés. 246
439
La France apparaît comme peuple militaire. 247
Elle était relevée dans l'estime par le siège de
Mayence. 248
Custine avait-il trahi? 250
Carnot croit, comme Custine, que la Prusse
agira peu. 251
Carnot devine Jourdan, Hoche et Bonaparte, 252
Victoire de Dunkerque. 254
CHAPITRE III.
Complots royalistes. — Toulon.
Les royalistes livrent Toulon aux Anglais. 255
Leur joie imprudente à Paris. 289
Complots pour délivrer la reine. 260
Les royalistes poussent l'émeute. 261
Inaction des autorités et de Robespierre. 263
Faiblesse du Comité de salut public. 264
CHAPITRE IV.
Mouvement du 4-5 septembre. — Lois de la Terreur,
Point de départ du mouvement. 266
Mouvement du 4, au soir. 268
Embarras des Jacobins. 270
Robespierre ne vient pas, le 5, à la Convention. 271
La Commune dut s'entendre avec les danto-
nistes. 272
Intimider Basire. 273
Comment Chaumette exploite le mouvement
du 5. ^ 274
Triomphe de la Commune (5 septembre). 275
m
CHAPITRE V.
Toute-puissance des héberttstes dans la Vendée.
— Leur trakiicn.
Division d'Hébert et Chaumette. 277
Collot et Billau(} au Comité. 279
Danton refuse. 280
Les hébertistes dans la Vendée. 281
Jalousie de Ronsin contre Klébar. 285
Il est soutenu aux Jacobins par Robespierre. 284
Trahison de Ronsin pour faire périr Kléber. 285
Kléber et Tarpiée de Mayence. 287
Le journal de Kléber. 289
Kléber écrasé à Torfou, 29i
CHAPITRE VI,
Robespierre compromis. — Sa victoire .
Violence des hébertjstes, 293
Loi des suspects (17 septembre 93). 295
Désespoir de Danton, 296
Les hébertistes dénoncés. 297
Victoire de Robespierre à la Convention* 298
Maître de la justice et de la policô, il essaye de
la modération. 304
CHAPITRE VIL
Modération des robespierristes à hyon,
Robespierre terrorise par Saint- Just (10 oc-
tobre). 309
441
Pendant qu'i) pacifie par Cauthon (S-âO oc-
tobre) . 3i 4
CHAPITRE Vni.
Mort de la reine. Victoire de Watignies.
Procès de la reine (14-46 octobre 95). 518
Blocus de Maubeuge. 521
Position de Watignies. 525
Attaques inutiles du 15 octobre. 324
Effort désespéré du 16 octobre. 526
La victoire. 529
CHAPITRE IX.
Suite de Lyon.^^Mort des Girondins.
La victoire sauve Robespierre de Colloj; et de
Philippeaux. 550
Procès des Girondins (24-50 octobre 95). 555
On étouffe le procès par un décret (29 octobre). 541
Mort des Girondins (50 octobre 95). 544
Faible effet de l'exécution. 345
Mort de madame Roland (8 novembre 95). 546
Mort de Roland. 547
LIVRE XIV
CHAPITRE I.
La Révolution n était rien sans la révolution religieuse.
Pourquoi échoua la Révolution. 55!
Comment elle fut devenue une création. 554
442
Impuissance des Girondins et des Jacobins. 355
Les Cordeliers Clootz et Chaumette. 356
Registres de la Commune. 359
Admirables inspirations d'humanité. 361
CHAPITRE II.
Calendrier républicain. -—Culte nouveau.
Pour la première fois^ l'homme eut la mesure
du temps y etc. 366
L'année commencée aux semailles. 368
Austérité du calendrier de Romme. 369
Fête astronomique à Arras (10 octobre 93). 370
Fabre d'Eglantine trouve les noms des mois et
des jours. 371
Raison, Logos, Verbe de Platon. 372
Romme, Clootz et Chaumette. 374
Chaumette fait créer le Conservatoire de mu-
sique. 375
Opposition de Chaumette et d'Hébert. 376
Chaumette combat le fédéralisme tyrannique,
etc. 377
11 veut supprimer le salaire du clergé. 378
11 obtient l'égalité des sépultures 379
Action contradictoire d'Hébert et Chaumette. 380
La Convention suit le mouvement de la Com-
mune. 38i
CHAPITRE UI.
Fête de la Raison,
L'évèque de Paris et autres résignent leurs
fonctions. 385
443
Ils s'appuient de la résistance de Grégoire. 585
Irritation de Robespierre. . 386
Accord de Chaumette et de la Convention. 587
Fête de la Raison à Notre-Dame (10 novem-
bre 95). 588
Basire réclame contre l'asservissement de TAs-
semblée et contre Tavilissementde la justice. 589
La Convention reçoit la Raison et la suit à
Notre-Dame (1 0 novembre). 594
CHAPITRE IV.
La Convention pour le nouveau mouvement.
La Convention donne les églises et presby-
tères, etc. 596
Elle supprime l'hérédité du crime. 398
Hébert, isolé de Chaumette, attaque les Con-
ventionnels. 401
La Convention se rapproche de Robespierre. 403
Terreur des représentants en mission. 404
La monarchie des Comités (18 novembre). 406
Mouvement des filles publiques, etc. 408
La Convention accueille les dépouilles des
églises. 409
Robespierre assure que la Convention ne tou-
chera pas au catholicisme (21 novembre). 410
CHAPITRE V.
Papauté de Robespierre.
Robespierre terrorise ses ennemis. 413
Résistance de Chaumette. 41 1
444
Robespierre protège contre lai fes Comités, etc. 416
Chaumette ferme les églises. 4\ 7
Danton employé à écraser Chanmette. 418
Robespierre arrache à TAssembléc la liberté
des cultes. 419
Hébert renie Chaumette. 421
Destnoulms employé à écraser Clootz. 422
Robespierre force les^ JacobinS' de chasser C!6ol/f. 423
Us gardent Camille lyesfûoulîns. 424
Robespierre veut exiger de la Convention un
credo précis. 426
II fait maintenir les prêtres dans la société
jacobine. 427
Censure des théâtres^ et des jotirnaux (dé-^
cembre 93). 429
FIN DD TOME VI.
Paris.— Imprimerie Bonaventure el Ducesioir. SÎT qtiai des Grand^-A\i^uUins
Errata.
Livre XIII, page 277, au lieu de chap. VU, Usez chap. V.
— page 293, au lieu de chap. YIII, lisez chap. VI.
— page 509, au lieu de chap. IX, lisez chap. VU.
— page 318, au lieu de chap. X, lisez chap. VIII.
— page 330, au lieu de chap. XI, lisez chap, IX.
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