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Full text of "Histoire de la révolution français"

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HISTOIRE 


DE    LA 


RÉVOLUTION 


FRANÇAISE 


VI 


Inii'iin'^t'ii''  r>ona>riiluro  n  i)iir(ssol«,  55,  quai  <i«.'s  Au;;ii>iiiis 


HISTOIRE 


UE    LA 


RÉVOLUTION 


FRANÇAISE 


PAK 


J.  JirCHELKT 


TOME  sixikmiï:. 


PARIS 

CIIAMKKOT,    LIBRAIUE-KDITKUR, 

13,  rue  (lu  Janiinot. 


ZJ 


.i 


i(oi    - 


LITRE  XI 


VI, 


CHAPITRE  I 


PAR1$  p   \^  CONVENTION. 

Misère  et  gran^car  de  U  Convention.  —  Banger  suprême  de  la  France.  —  Le 
crime  de  la  Giroade.— Y  avaU-i(  an  gat^vernement?  —La  seule  fi^c?  orga- 
nisée est  dans  les  Jacobins.  —  Aspects  nouveaux  de  la  Révolution.  —  La 
Terra  ineognila»  ~<  La  Montagne  ne  veut  pas  donner  le  gouvernement  à 
Robespieirre.  —  La  Convention  ne  veut  rien  faire  que  la  Constitution.  — > 
Absence  de  tout  gouvernement. — L'armée  révolutionnaire.  —  Comment  09 
demanda  Tarmée  révolutionnaire.  —  Comment  on  éluda  l'armée  révolution- 
naire.- Robespierre  et  Marat  gardiens  de  Tordre. 


d  t.- LA  MOiNTAGiVe  CRAINT  LA  DICTATURE. --MiSÈIlE  ET  GRANDEUR 

DE  LA  CaNVENTION. 

(Juin  95.) 

La  Convention  revint  le  3  dans  sa  prison  de  la 
veille,  dans  la  sombre  petite  salle  de  spectacle  des 
Tuileries,  où  elle  avait  joué  un  si  triste  rôle.  I^a 
Montagne  rentrait  frémissante  d'une  fureur  étoufiTéej 
elle  retrouvait  ces  bancs,  oii  elle  s'était  vue  cap- 
tive ,  aussi  bien  que  la  Gironde  ;  là  Grégoire  avait 
crié,  là  Lacroix  avait  pleuré;  là,  sous  les  risées  des 
tribunes,  un  montagnard,  forcé  de  sortir,  avait  ob- 


^  MISÈRE  ET  GBANDKUK  UE  LA  CONVENTION. 

tenu  par  grâce  d'être  conduit,  gardé  à  vue  par 
quatre  fusiliers... 

Les  royalistes  se  frottaient  les  mains.  «  Le  Roi  a 
été  forcé  de  mettre  le  bonnet  rouge;  cette  fois,  c'est 
la  Convention...  Elle  prendrale  bonnet  vert,  et  cette 
royauté  nouvelle  ne  sera  qu'un  soliveau.  »  {Révolu- 
tions  de  Paris.) 

Est-ce  à  dire  que  la  Convention  fut  une  assemblée 
de  lâches,  qu'elle  n'ait  eu  que  desSieyès? 

Soyons  justes.  Serrée  des  tenailles  de  la  nécessité, 
pressée,  qu'on  pardonne  le  mot,  sous  l'épouvan- 
table pressoir  de  la  fatalité,  elle  a  rendu,  en  bien, 
en  mal,  ce  que  contenait  la  nature  humaine.  In- 
croyablement patiente  avant  thermidor,  et  après, 
faible  et  furieuse,  emportée  à  la  débâcle  d'une  triste 
réaction,  elle  n'en  a  pas  moins  étonné  le  monde,  et 
par  l'héroïsme  individuel  de  ses  membres,  et  par 
l'admirable  fécondité  de  ses  créations. 

Voilà  ce  que  lui  doit  l'histoire. 

Non,  quoiqu'on  veuille  ou  puisse  dire,  nulle  assem- 
blée ne  contint  jamais  tant  de  forces  vives,  tant 
d'hommes  résolus  à  mourir  pour  le  devoir.  Ces 
députés,  hier  avocats,  médecins,  gens  de  lettres, 
étonnèrent  de  leur  courage  les  Kléber  et  les  Desaix. 
Souvent,  quand  les  militaires  renonçaient,  ils  avan- 
cèrent, et  comme  Fabre  de  l'Aude,  se  firent  tuer  à 
la  place  où  ils  plantaient  le  drapeau.  Il  n'y  aura 
jamais  au  monde  des  hommes  plus  intrépides  que  les 
Merlin  de  Thionville,  les  Bourbotte,  les  Lacoste,  les 
Romme,  les  Philippeaux  ;  jamais  de  volonté  plus 


MISÈRE  ET  GRANDEUR  DE  LA  CONVENTION.  5 

forte  que  celle  des  Jean-Bon-Saint- André,  des  Baudot, 
des  Levasseur. 

«  Avez-vous  donc,  disait  un  homme  de  la  droite, 
fait  un  pacte  avec  la  victoire? — Non,  mais  bien  avec 
la  mort,  »  répondit  le  jeune  Basire,  assis  à  côté  de 
Danton. 

Grande  assemblée,  toujours  féconde,  a  travers  ses 
misères  même,  invincible  aux  événements;  mutilée 
au  31  mai,  elle  fait  les  plus  grandes  choses;  mutilée 
en  thermidor,  elle  continue  d'enfanter.  Avant,  après, 
elle  dote  la  France  d'une  foule  d'institutions.  Tous 
les  gouvernements  qui  suivent  s'appuyent  d'elle  en  la 
maudissant,  ils  citent  docilement  ses  lois,  profltent 
de  ce  qu'elle  a  créé,  reconnaissant,  malgré  eux,  la 
majesté  souveraine  de  l'Assemblée,  entre  toutes, 
fondatrice,  organisatrice,  qui,  plus  qu'aucune  force 
humaine,  représenta  l'inépuisable  fécondité  de  la 
Nature. 

Indiquons,  au  moins,  quelques-unes  de  ses  grandes 
créations  : 

Avant  le  9  thermidor ^ — Les  premières  parties  du 
Code  civil.  Le  Grand-livre.  Le  partage  des  biens 
communaux.  Le  nouveau  Calendrier  (astronomique 
et  raisonnable).  Le  Système  décimal.  L'Uniformité  des 
poids  et  mesures.  Le  Musée  du  Louvre.  Le  Musée  des 
monuments  français.  Le  Conservatoire  de  musique. 
L'extension  du  Muséum  d'histoire  naturelle,  le  grand 
enseignement  des  sciences  de  la  nature.  L'administra- 
tion du  télégraphe.  Le  conseil  des  Mines.  La  fabrica- 
tion de  l'acier,  les  nouvelles  fabriques  de  poudre,  etc. 


6  MISÈRE  ET  GRANDEUR  DE  LA  CONVENTION^ 

Après  le  9  <Aef*mfrfor,— L'École  normale,  les  écoles 
centrales  et  primaires,  c'est-à-dire  le  seul  systèittô 
complet  d'instruction  qui  ait  existé  en  Franfce. 
L'École  polytechnique.  L'Institut.  Le  Bureau  des 
longitudes,  etc.,  etc. 

Mais  ce  qui  recommande  à  jamais  la  Convention, 
c'est  sa  bienfaisance  infinie,  l'effort  immense  qu'elle 
fit,  spécialement  en  93^  pour  réaliser  dans  les  lois 
la  fraternité.  Elle  vote  des  retraites  aux  soldats, 
des  secours  aux  réfugiés.  Elle  adopte  les  enfants 
trouvés,  ceux  des  condamnés  à  mort,  les  relève  et 
les  appelle  enfants  de  la  patrie.  Elle  soulage  les 
familles  chargées  d'enfants.  Elle  crée  les  Écoles  de 
santé.  Elle  se  charge  elle-même  d'administrer  les 
hospices.  Elle  donne  aux  hôpitaux  de  Paris  Une  si 
grande  extension,  qu'il  faut  l'en  dire  la  fondatrice. 
Elle  crée  Beaujon  et  Saint  -  Antoine.  Elle  étend 
l'Hôtel-Dieu,  ordonnant  que^  dans  chaque  lit,  il  n*y 
aura  qu'un  malade  (on  en  mettait  jusqu'à  six)» 

Pauvre  homme  qui  es  gisant  sur  le  grabat  de  l'hos- 
pice, si,  dans  tes  nuits  de  douleur,  tu  peux  du  moins 
gémir  seul,  seul  étendre  librement  tes  membres 
endoloris  ,  souviens  ^  toi  de  la  Convention  ,  de  la 
grande  assemblée  humaine  et  bienfaisante  ,  de 
celle  qui  entreprit  d'ouvrir  l'ère  de  fraternité,  de 
celle  qui  d'un  si  grand  cœur  prodigua  son  sang  pour 
toil 


Qu'on  ne  demande  pas  maintenant  j^ôUrquoi  la 


DANGER  SUPUÉME  DE  LA  FKANCE.  7 

Convention  vint  se  rasseoir  le  3  juin  sur  ses  bancs 
deshonorés.  Elle  revint  pour  deux  causes. 

Elle  se  sentait  comptable  au  genre  hunriain,  ayant 
ces  grandes  choses  à  faire. 

Elle  ne  pouvait  se  retirer,  dans  Thorrible  péril  où 
était  la  France,  sans  lui  donner  le  coup  de  grâce.  La 
retraite  eût  été  un  crime. 

La  France,  désorganisée  et  quasi-dissoute,  ouverte 
par  toutes  ses  frontières,  sans  gouvernemettt,  sans 
défense,  au  centre  frappée  par  la  Vendée  (qui,  le  10, 
devint  maîtresse  de  la  route  de  Paris),  avait  encore 
une  force ,  une  seule ,  son  Assemblée.  Elle  était  tout 
entière  suspendue  à  ce  faible  fil  que  Ton  pouvait 
croire  brisé. 

Malheur  à  qui  eût  compté  avec  l'honneur  per- 
sonnel dans  une  telle  situation  !  Il  fallait  tout  endurer, 
ne  rien  voir  et  ne  rien  sentir,  avaler  Toulrage  et  les 
larmes,  et  se  rasseoir  dans  la  honte,  la  nier  si  Ton 
pouvait,  soutenir  qu'on  avait  été  libre,  et  que  tou- 
jours on  était  libre.  C'est  ce  que  fit  la  Montagne,  et 
elle  sauva  la  France,  dont  la  seule  et  dernière  res- 
source était  dans  l'autorité  de  la  Convention. 

Le  procès-verbal  du  2  juin,  rédigé  et  arrangé  par 
l'homme  le  plus  timide  de  l'Assemblée,  le  prêtre 
Durand  -  Maillane ,  homttie  de  droite  qui  votait  à 
gauche ,  fut  indéfiniment  ajourné  et  ne  parut  que 
longtemps  après.  Lorsque  Grégoire  demanda  en 
rentrant  que  le  procès-verbal  constatât  l'insulte  faite 
à  l'Assemblée ,  l'équivoque  rédacteur  dit  :  «  J'ai 
rendu  comple  de  la  généralité  des  faits,  de  sorte  qu'on 


Inir''niciii'  ^>ona^^lllu^^  ri  |)«r(sso><.  5.1,  quai  «l«*s  AiimixiiiiN 


HISTOIRE 


DE    LA 


RÉVOLUTION 


FRANÇAISE 


PAU 


J.  JIICHKLKT 


TOME    SlXlKMIi:. 


PARIS 

C 1 1 A  M  K  K  0  T ,    L  l  B  l{  A I  K  K  -  É  D  r  n  :  U  R , 

13,   rue  (lu  Janiinot- 


Ko 

.  H(o  SU 


^.  G 


OLJeuhr  . 


LIVRE  XI 


s\. 


CHAPITRE  I 


}^ièt%  et  grandeur  de  U  Convcntios.  —  Basger  sapréme  de  la  France.  »  Le 
crime  de  la  Gi^o^e.r-rY  avait-il  vn  gaii^vernemeot?  —La  seule  titfftf  orga- 
nisée est  dans  les  Jacobins.  —  Aspects  nouveaux  de  la  Révolution.  —  La 
Terrm  ineognila,  —  La  Montagne  ne  veut  pas  donner  le  gouvernement  à 
Robespierre.  —  (<•  Convention  ne  veut  rien  faire  que  la  Conalitution.  — 
Absence  de  tout  gouvernement. — L'armée  révolutionnaire.  —  Comment  on 
demanda  Tarmée  révolutionnaire.  —  Gomment  on  éluda  l'armée  révolution- 
naire.-  Robespivrre  et  Marat  gardiens  de  Tordre. 


i  t.~LA  BÉOeiTAGKe  CRAlKt  LA  DICTATdRB.-MiSÈRE  ET  GRANDEUR 

DE  LA  CONVENTION. 
(Juin  95.) 

La  Convention  revint  le  3  dans  sa  prison  de  la 
veille,  dans  la  sombre  petite  salle  de  spectacle  des 
Tuileries,  où  elle  avait  joué  un  si  triste  rôle.  La 
Montagne  rentrait  frémissante  d'une  fureur  étouffée; 
elle  retrouvait  ces  bancs,  où  elle  s'était  vue  cap- 
tive ,  aussi  bien  que  la  Gironde  ;  là  Grégoire  avait 
crié,  là  Lacroix  avait  pleuré;  là,  sous  les  risées  des 
tribunes,  un  montagnard,  forcé  de  sortir,  avait  ob- 


^  MISÈRE  ET  GRANDEUK  DE  LA  CONVENTION. 

tenu  par  grâce  d'être  conduit,  gardé  à  vue  par 
quatre  fusiliers... 

Les  royalistes  se  frottaient  les  mains.  «  Le  Roi  a 
été  forcé  de  mettre  le  bonnet  rouge  ;  cette  fois,  c'est 
la  Convention...  Elle  prendra  le  bonnet  vert,  et  cette 
royauté  nouvelle  ne  sera  qu'un  soliveau.  «  {Révolu- 
tions de  Paris.) 

Est-ce  à  dire  que  la  Convention  fut  une  assemblée 
de  lâches,  qu'elle  n'ait  eu  que  desSieyès? 

Soyons  justes.  Serrée  des  tenailles  de  la  nécessité, 
pressée,  qu'on  pardonne  le  mot,  sous  l'épouvan- 
table pressoir  de  la  fatalité,  elle  a  rendu,  en  bien, 
en  mal,  ce  que  contenait  la  nature  humaine.  In- 
croyablement patiente  avant  thermidor,  et  après, 
faible  et  furieuse,  emportée  à  la  débâcle  d'une  triste 
réaction,  elle  n'en  a  pas  moins  étonné  le  monde,  et 
par  l'héroïsme  individuel  de  ses  membres,  et  par 
l'admirable  fécondité  de  ses  créations. 

Voilà  ce  que  lui  doit  l'histoire. 

Non,  quoiqu'on  veuille  ou  puisse  dire,  nulle  assem- 
blée ne  contint  jamais  tant  de  forces  vives,  tant 
d'hommes  résolus  à  mourir  pour  le  devoir.  Ces 
députés,  hier  avocats,  médecins,  gens  de  lettres, 
étonnèrent  de  leur  courage  les  Kléber  et  les  Desaix. 
Souvent,  quand  les  militaires  renonçaient,  ils  avan- 
cèrent, et  comme  Fabre  de  l'Aude,  se  firent  tuer  à 
la  place  où  ils  plantaient  le  drapeau.  Il  n'y  aura 
jamais  au  monde  des  hommes  plus  intrépides  que  les 
Merlin  de  Thionville,  les  Bourbolte,  les  Lacoste,  les 
Romme,  les  Philippeaux  ;  jamais  de  volonté  plus 


MISÈRE  ET  GRANDEUR  DE  LA  CONVENTION.  5 

forte  que  celle  des  Jean-Bon-Saint-André,  des  Baudot, 
des  Levasseur. 

«  Avez-vous  donc,  disait  un  homme  de  la  droite, 
fait  un  pacte  avec  la  victoire? — Non,  mais  bien  avec 
la  mort,  »  répondit  le  jeune  BasirC;,  assis  à  côté  de 
Danton. 

Grande  assemblée,  toujours  féconde,  k  travers  ses 
misères  même,  invincible  aux  événements;  mutilée 
au  31  mai,  elle  fait  les  plus  grandes  choses;  mutilée 
en  thermidor,  elle  continue  d'enfanter.  Avant,  après, 
elle  dote  la  France  d'une  foule  d'institutions.  Tous 
les  gouvernements  qui  suivent  s'appuyent  d'elle  en  la 
maudissant,  ils  citent  docilement  ses  lois,  proQtent 
de  ce  qu'elle  a  créé,  reconnaissant,  malgré  eux,  la 
majesté  souveraine  de  l'Assemblée,  entre  toutes, 
fondatrice,  organisatrice,  qui,  plus  qu'aucune  force 
humaine,  représenta  l'inépuisable  fécondité  de  la 
Nature. 

Indiquons,  au  moins,  quelques-unes  de  ses  grandes 
créations  : 

Avant  le  9  thermidor ^ — Les  premières  parties  du 
Code  civil.  Le  Grand-livre.  Le  partage  des  biens 
communaux.  Le  nouveau  Calendrier  (astronomique 
et  raisonnable).  Le  Système  décimal.  L'Uniformité  des 
poids  et  mesures.  Le  Musée  du  Louvre.  Le  Musée  des 
monuments  français.  Le  Conservatoire  de  musique. 
L'extension  du  Muséum  d'histoire  naturelle,  le  grand 
enseignement  des  sciencesde  la  nature.  L'administra- 
tion du  télégraphe.  Le  conseil  des  Mines.  La  fabrica- 
tion de  l'acier,  les  nouvelles  fabriques  de  poudre,  etc. 


6  MISÈRE  ET  GRANDEUR  DE  LA  CONVENTION. 

Après  le  9  <ABi*mirfor,— L'École  normale,  les  écoles 
centrales  et  primaires,  c'est-à-dire  le  seul  système 
complet  d'instruction  qui  ait  existé  en  France. 
L'École  polytechnique.  L'Institut.  Le  Bureau  des 
longitudes,  etc.,  etc. 

Mais  ce  qui  recommande  à  jamais  la  Convention, 
c'est  sa  bienfaisance  infinie,  l'effort  immense  qu'elle 
fit,  spécialement  en  93,  pour  réaliser  dans  les  lois 
la  fraternité.  Elle  vote  des  retraites  aux  soldats, 
des  secours  aux  réfugiés.  Elle  adopte  les  enfants 
trouvés,  ceux  des  condamnés  à  mort,  les  relève  et 
les  appelle  enfants  de  la  patrie.  Elle  soulage  les 
familles  chargées  d'enfants.  Elle  crée  les  Écoles  de 
santé.  Elle  se  charge  elle-même  d'administrer  les 
hospices.  Elle  donne  aux  hôpitaux  de  Paris  une  si 
grande  extension,  qu'il  faut  l'en  dire  la  fondatrice. 
Elle  crée  Beaujon  et  Saint  -  Antoine.  Elle  étend 
l'Hôtel-Dieu,  ordonnant  que^  dans  chaque  lit,  il  n*y 
aura  qu'un  malade  (on  en  mettait  jusqu'à  six)» 

Pauvre  homme  qui  es  gisant  sur  le  grabat  de  l'hos- 
pice, si,  dans  tes  nuits  de  douleur,  tu  peux  du  moins 
gémir  seul,  seul  étendre  librement  tes  membres 
endoloris  ,  souviens  -  toi  de  la  Convention  ,  de  la 
grande  assemblée  humaine  et  bienfaisante  ,  de 
celle  qui  entreprit  d'ouvrir  l'ère  de  fraternité,  de 
celle  qui  d'un  si  grand  cœur  prodigua  son  sang  pour 
toil 


Qu'on  ne  demande  pas  maintenant  j^ôurquDi  la 


DANGER  6UPKÉME  DE  LA  FRANCE.  7 

ConTention  vint  se  rasseoir  le  3  juin  sur  ses  bancs 
deshonorés.  Elle  revint  pour  deux  causes. 

Elle  se  sentait  comptable  au  genre  humain,  ayant 
ces  grandes  choses  à  faire. 

Elle  ne  pouvait  se  retirer,  dans  Thorrible  péril  où 
était  la  France,  sans  lui  donner  le  coup  de  grâce.  La 
retraite  eût  été  un  crime. 

La  France,  désorganisée  et  quasi-dissoute,  ouverte 
par  toutes  ses  frontières,  sans  gouvernement,  sans 
défense,  au  centre  frappée  par  la  Vendée  (qui,  le  10, 
deyint  maîtresse  de  la  route  de  Paris),  avait  encore 
une  force ,  une  seule ,  son  Assemblée.  Elle  était  tout 
entière  suspendue  à  ce  faible  fil  que  l'on  pouvait 
croire  brisé. 

Malheur  à  qui  eût  compté  avec  l'honneur  per- 
sonnel dans  une  telle  situation  !  Il  fallait  tout  endurer, 
ne  rien  voir  et  ne  rien  sentir,  avaler  Toutrage  et  les 
larmes,  et  se  rasseoir  dans  la  honte,  la  nier  si  l'on 
pouvait,  soutenir  qu'on  avait  été  libre,  et  que  tou- 
jours on  était  libre.  C'est  ce  que  fit  la  Montagne,  et 
elle  sauva  la  France,  dont  la  seule  et  dernière  res- 
source était  dans  l'autorité  de  la  Convention. 

Le  procès-verbal  du  2  juin,  rédigé  et  arrangé  par 
l'homme  le  plus  timide  de  l'Assemblée,  le  prêtre 
Durand  -  Maillane ,  homme  de  droite  qui  votait  à 
gauche ,  fut  indéfiniment  ajourné  et  ne  parut  que 
longtemps  après.  Lorsque  Grégoire  demanda  en 
rentrant  que  le  procès-verbal  constatât  l'insulte  faite 
à  l'Assemblée ,  l'équivoque  rédacteur  dit  :  «  J'ai 
rendu  compte  de  la  gén&alité  des  faits,  de  sorte  qu'on 


8  LE  CRIME  DE  LA  GIRONDE. 

voie  dans  quel  état  la  Convention  a  délibéré.  »  L'As- 
semblée s'en  contenta;  muette  et  sombre,  elle  passa 
brusquement  à  Tordre  du  jour.  Elle  était  déterminée 
à  ne  point  se  croire  insultée,  à  s'occuper  de  la  France, 
et  non  d'elle-même. 

La  situation  était  presque  désespérée  en  avril.  Or, 
qu'était-ce  donc  en  juin  !...  On  ne  marchait  pas  vers 
l'abîme  ;  on  y  était,  on  y  plongeait.  Un  mot  suffit  pour 
en  juger.  Il  fallait  au  moins  six  mois  pour  retrouver 
des  ressources,  créer  un  gouvernement,  réorganiser 
les  armées.  Et  il  fallait  trois  jours  à  la  cavalerie  hon- 
groise pour  venir  de  Valenciennes,  et  faire  manger 
ses  chevaux  dans  la  Convention. 

Pourquoi  l'armée  anglo- autrichienne,  qui  était  à 
cinquante  lieues,  ne  vint-elle  pas  à  Paris?  Il  n'y  en  a 
qu'une  raison ,  c'est  qu'elle  ne  le  voulut  pas.  Elle 
voulait  prendre  des  places,  et  non  refaire  un  roi 
de  France. 

Là  apparut  dans  sa  grandeur  le  crime  de  la  Gironde, 
le  crime  d'avoir  disputé  trois  mois  en  présence  de 
l'ennemi  !  On  ose  à  peine  sonder  des  yeux  le  profond 
néant  où  elle  laissait  le  pays.  Elle  n'avait  rien  fait 
elle-même,  ni  rien  laissé  faire. 

Elle  n*  avait  pas  su  ecqiger  l'impôt.  L'arriéré  montait 
toujours;  on  revint  aux  temps  barbares;  il  fallut 
demander  l'impôt  en  denrées  (septembre). 

Elle  n'avait  su  vendre  les  biens  d'émigrés.  Les  admi- 
nistrations girondines  résistèrent  invinciblement  aux 
ordres  de  leur  ministre  Roland,  et  ne  surent  point 
résister  aux  familles  d'émigrés,  qui  par  de  faux  cer- 


Y  AVAIT-IL  UN  GOUVERNEMKM?  \) 

titicâtS;  obtenaient  sans  difficulté  la  main-levée  des 
saisies,  rentraient  dans  leurs  biens. 

Elle  ne  soutint  pas  Vassignatj  n'osant  punir  les 
mauvais  citoyens  qui  refusaient  la  signature  de  la 
France  en  péril.  Delà  un  double  fait  contraire,  cruel, 
meurtrier  pour  le  peuple.  Le  salaire  ne  montait  pas, 
les  denrées  montaient.  En  juillet,  un  misérable  litron 
de  haricots  secs  se  vendait  près  de  trente  sols. 

Elle  ne  saisit  joas,  du  moins,  la  ressource  de  l' em- 
prunt forcéy  dans  l'heureuse  combinaison  qu'avait 
proposée  Gambon,  et  laissa  tomber  la  chose  aux  mains 
des  comités  révolutionnaires. 

La  Montagne,  pour  ressource  contre  l'Europe  con- 
jurée, contre  un  ennemi  si  près,  qui  d'un  moment  à 
l'autre  pouvait  tomber  sur  Paris,  la  Montagne  avait 
en  caisse  deux  projets!  et  deux  feuilles  de  papier... 
Le  décret  du  milliard  de  l'emprunt  forcé  et  le  décret 
d'une  fabrication  nouvelle  d'un  milliard  d'assi- 
gnats. 

Mais  pour  lever  cet  emprunt,  pour  réorganiser  les 
armées,  pour  remettre  quelque  unité  dans  ce  chaos 
immense,  pour  imposer  aux  déparlements  cruelle- 
ment irrités  de  l'injure  qu'on  leur  faisait,  il  fallait  un 
gouvernement. 

Et  là  s'ouvrait,  aux  yeux  de  la  Montagne,  un  abîme 
sous  Tabîme...  C'est  que  les  remèdes  semblaient 
aussi  cruels  que  les  maux. 

Les  quarante  mille  comités  révolutionnaires  seraient- 
ils  un  gouvernement?  Très-ardents,  très-patriotes, 
mais  en  même  temps  inhabiles,  maladroits  et  furieux;, 


iO  LA  SEULE  FÛUCË  OBGÀMSËE  EST  DANS  LES  JACOBINS. 

il  n'y  a?âit  pas  de  pire  instrument.  Ils  criaient^  ils 
dénonçaient,  arrêtaient,  n'agissaient  pas.  La  Révolu- 
tion) dans  leur*s  mains,  avait  l'air  de  ces  bêtes  à 
mille  pieds,  qui  s'agitent  et  n'avancent  pas. 

Les  représentants  euœ-mêmes  seraient-^ils  un  gou- 
vernement? Leur  dévouement  fut  admirable,  leurs 
efibrts  prodigieux  ;  ils  donnèrent  leur  vie,  leur  sang. 
Mais  ce  n'était  pas  assez  de  mourir;  le  difficile  était 
de  vivre  et  d'agir  utilement,  d'agir  d'ensemble  et 
de  s'entendre,  de  se  subordonner  à  une  direction  com^ 
mune.  La  violence  de  leur  passion  patriotique^  l'ar- 
deur de  leur  altier  courage,  était  un  obstacle  à  cela. 
Tous  s'empressaient,  tous  se  nuisaient»  Dans  le  con- 
cours discordant  des  représentants  en  mission^  et  des 
agents  que  la  Commune,  les  ministres,  les  sections 
envoyaient  aussi^  il  y  avait  juste  le  contraire  d'un 
gouvernement  ;  c'était  comme  une  tempête  de  dis- 
putes et  d'accusations,  un  combat  d'actions  contraires 
qui  s'annulaient  elles-mêmes. 

Le  désordre,  l'excès  du  péril  demandaient  la 
dictature.  Je  ne  dis  pas  un  dictateur.  Une  Assemblée 
qui  venait  de  couper  la  tête  à  un  roi  n'avait  hâte 
d'en  refaire  un. 

Les  Girondins,  dans  leurs  romans,  supposaient  un 
triumvirat  de  Marat,  Danton  et  Robespierre,— du  roi 
de  la  Presse,  du  roi  de  l'Assemblée  et  du  roi  des 
Jacobins. 

Ingénieuse  fiction,  mais  sans  base.  Ces  hommes 
étaient  in-asâociables,  de  plus,  tous  trois  impos- 
sibles. 


ASPECTS  NOUYEAtJK  DELA  liÉYOLUTlON  LA  TERRA  tNCOGSlTÀ,  H 

Danton  avait  tergiversé  au  2  juin,  comme  en  jan* 
vier^  Il  n'inspirait  aucune  confiance» 

Robespiei're,  avec  son  insurrection  morale^  avait 
paru  trop  délié  ;  il  b'avait  pas  la  rude  énergie  qu6 
demandait  Timagination  populaire.  Beaucoup  Testi* 
maient,  l'admiraient^  mais  le  croyaient  un  philo^ 
sophe,  un  pauvre  homme  de  bien. 

Le  plus  possible  était  Marat^  qui  avait  au  moins  le 
mérite^  dans  son  excentricité^  de  n'avoir  pas  tergi- 
versé. Il  avait  dit  fratichement,  brutalement  :  «  tl 
faut  un  chef.  »  Et  il  ne  l'avait  pas  dit  seulement.  Il 
avait  été  ce  chef  au  fi  juin.  Il  y  fit  grâce  et  justice. 
Être  roi  n'est  pas  autre  chose.  Mais  dès  ce  jour  aussi 
il  fut  marqué  pour  la  mort.  Non-seulement  il  devint 
le  but  du  poignard  girondin,  mais  il  fut  tacitement 
mis  au  ban  de  la  Montagne ,  qui  n'écoutait  plus  ses 
paroles  et  ne  daignait  lire  ses  lettres.  Il  y  fut  infini- 
ment sensible^  Déjh  malade^  il  s'alita.  Il  écrivit,  le  20, 
aux  Jacobins,  pour  expliquer  le  mot  fatal.  Mais  l'acte, 
comment  l'expliquer,  comment  prouver  à  la  Montagne 
qu'elle  n'avait  pas  été  captive,  et  qu'il  n'avait  pas 
été  roi  î 

Marat,  du  reste,  avec  sa  grande  puissance  de  la 
Presse  populaire,  n'avait  de  force  qu'à  Paris,  Pour 
une  force  commune  à  la  France,  il  n  y  en  avait  qu'une 
à  peu  près  organisée,  la  Société  jacobine.  Ceci  rame- 
nait à  Robespierre,  qui  semblait  l'homme  fatal  et 
menaçait  l'avenir. 

Mais,  justement^  cette  fatalité  indignait  la  grande 
majorité  de  la  Montagne. 


12  ASPECTS  NOUVEAUX  DE  LA  RÉVOLUTION 

De  tempérament,  d'iustinct,  de  nature,  elle  était 
contraire  à  Robespierre,  bien  plus  qu'à  Danton,  à 
Marat.  Le  tempérament  dantonique,  le  génie  de 
Diderot  dans  son  dithyrambe  de  V Orgie  de  la  Liberté, 
fut  plus  commun  dans  la  Montagne.  Elle  haïssait  tout 
pédagogue.  Autant  elle  était  ravie  d'être  quitte  de  la 
volubilité  magistrale  et  pédantesque  du  grand  feseur 
Brissot,  autant  elle  frémissait  de  tomber  sous  la  férule 
de  V irréprochable  Robespierre.  Elle  détestait  la 
Gironde,  en  qui  elle  voyait  la  dissolution  de  la  Répu- 
blique ;  mais  n'avait  pas  moins  horreur  de  voir  la 
Révolution,  immense  et  féconde,  débordante  et 
regorgeante  de  sentiments,  d'idées,  de  vie,  se  res- 
serrer tout  à  coup,  se  châtier  et  faire  pénitence , 
prendre  cette  sagesse  moyenne  qui  supprime  les  jets 
vivants  les  plus  vigoureux  au  profit  de  la  discipline 
et  de  l'unité  d'organisation  ^. 

Les  Jacobins  contenaient-ils  la  Révolution  ?  Non. 


^  La  presse,  déjà  captive,  couvre  avec  soin  tout  cela.  Le  Monileur 
spécialement,  très-habilement  mutilé,  efface  tout  élan  indiscret  de  la 
passion  et  de  la  nature.  L'indocililé,  l'indisciplinabilité  de  la  Monta- 
gne, tant  savamment  cachée  qu'elle  ait  été  et  par  les  journaux  et  par 
les  procès-verbaux,  corrigés,  tronqués,  falsifiés,  n'en  éclatera  pas 
moins,  et  dans  les  fureurs  concentrées  de  juin  on  pressent  déjà  ther- 
midor.— Bourdon  de  FOise,  ennemi  des  Girondins  et  non  moins  de  Ro- 
bespierre ,  est  accusé  par  les  Cordeliers  d'un  fait  singulier.  Sa  haine 
pour  Robespierre  l'emporta  si  fort  au  31  mai,  qu'il  oublia  un  moment 
qu'il  voulait  la  mort  de  la  Gironde,  traversa  la  salle,  et  s'approcha  pour 
serrer  la  main  de  Vergniaud.  ^Procès-verbaux  du  club  desCord^liers^ 
minutes  sur  feuilles  détachées,  placées  au  second  registre,  3  vend.  (24 
septembre).  Archives  de  la  Préfecture  de  police. 


LA  TERRA  îyCOGSITÀ.  15 

Ils  u'étaieDt  pas  même  la  Montagne  tout  enlii^Te. 

Sans  parler  des  Montagnards  neutralistes  Barrère, 
Grégoire  et  autres,  les  Montagnards  dautonistes, 
hommes  d'élan ,  de  passion,  Desmoulins,  Fabre 
d'Églantine,  Legendre,  Philippeaux,  Tburiot,  qu'ils 
eussent  ou  qu'ils  n'eussent  pas  le  diplôme  jacobin, 
étaient  opposés  à  l'esprit  de  la  Société  jacobine. 

Il  faut  en  dire  autant  des  Montagnards  illustres 
par  leurs  spécialités  (militaire»  financière,  adminis- 
trative), Cambon,  Garnot,  Prieur,  Lindet,  qui  étaient 
généralement  peu  amis  des  Jacobins,  et  n'y  mirent 
jamais  les  pieds. 

Dans  les  deux  sens,  comme  passion  et  comme  spé- 
cialité, la  Montagne  débordait  la  Société  jacobine. 
Mais  la  Montagne  elle-même  était  bien  loin  de  con- 
tenir la  Révolution. 

Dès  le  lendemain  du  2  juin,  on  commence  à  voir 
des  horizons  nouveaux,  immenses.— La  Révolution 
semblait  grande.  Elle  apparaît  infinie. 

c  Au  delà  de  Marat,  avait  dit  Desmoulins,  il  faut 
dire  ce  que  les  anciens  géographes  mettaient  sur 
leurs  caries,  pour  les  terres  non  visitées  :  Terra 
incognita.  » 

C'est  cette  Terra  incognita  qui  commence  à  appa- 
raître. 

Du  côté  de  Lyon,  on  voit  poindre  le  mysticisme 
révolutionnaire  de  Ghalier. 

Vers  le  Nord,  en  Picardie,  se  remarque  le  grand 
parlageur  Babeuf,  qui  imprime  dès  90,  et  qui  en  92 
et  93  est  fort  maltraité  par  les  Montagnards. 


ii         ASPECTS  NOUVEAUX  DE  LA  RÉVOLUTION. 

AU  centre,  un  moDde  surgit  sous  nos  pieds,  une  ten- 
tative hardie  de  religion  qouvelle,  Vessai  de  donner 
à  la  Révolution  (non  française  seulement,  mais  uni- 
verselle), son  oi^ne  universel,  le  culte  de  la  Raison. 
Qui  fait  cela?  c'est  Paris.  Paris  déborde  la  France,  la 
dépasse  et  suit  sa  route  dans  la  voie  du  geni^  hu- 
main. 

A  toutes  ces  grandes  choses ,  que  fera  la  société 
Jacobine?  II  ne  suffirait  pas  de  les  nier,  de  vou^ 
loir  les  tuer  en  n'en  parlant  pas* 

La  Révolution  politique  pourrait-elle  subsister, 
sans  devenir  une  Révolution  sociale  et  religieuse? 

La  Révolution  classique  de  Rousseau  et  de  Robes- 
pierre vivra-t-elle  en  sûreté  dans  la  sombre  salle  de 
la  rue  Saint-Honoré,  sans  tenir  compte  de  l'autre,  la 
Révolution  romantique,  qui  mugit,  confuse,  hors  des 
murs,  comme  une  voix  de  TOcéan? 

Sans  bien  s'expliquer  tout  cela,  la  Montagne  sen- 
tait d'instinct  que  mettre  la  Révolution  dans  la  main 
pure  et  patriote ,  mais  exclusive  et  serrée ,  de  la 
dictature  jacobine,  c'était  rejeter  une  infinité  de 
forces  vives  qu'on  n'étoufferait  jamais ,  et  qui,  si  on 
les  étouffait,  de  leur  mort  ou  de  leur  absence,  dessé- 
cheraient, stériliseraient  la  République,  la  laissant 
sans  sève  et  sans  vie. 

Voilà  pourquoi  la  Montagne ,  trois  mois  durant , 
au  risque  de  tout  perdre,  recula  avec  une  sorte  d'hor- 
reur devant  la  nécessité  de  faire  un  gouvernement. 
l\  n'y  en  avait  qu'un  possible,  le  gouvernement  jaco* 
bin.  Elle  estimait  les  Jacobins^  elle  admirait  Rob^-- 


LA  TERRA  iSCOGNÊTÀ.  f5 

pierre^  et  elle  frémissait  de  la  pente  fatale  qui  em- 
portait tout  vers  lui.  Elle  croyait  (je  pense,  à  tort) 
qu'il  désirait  le  pouvoir.  Il  ne  voulait  rien  que  l'au^ 
torité. 

C'était  moins,  et  c'était  plus.  Il  avait  le  tempéra- 
ment prêtre,  et,  comme  tel,  ambitionnait,  avant 
tout,  la  domination  des  esprits. 

La  Convention,  très-éloignèe  de  deviner  ce  carac- 
tère, crut  n'avoir  pas  un  moment  à  perdre,  en  ren- 
trant le  3  juin,  pour  lui  fermer  le  pouvoir. 

Un  montagnard  modéré,  Cambacérès,  collègue  de 
Cambon  dans  le  département  de  l'Hérault,  et  qiii, 
sans  être  dantoniste,  avait  deux  fois,  dans  deux 
grandes  circonstances,  exprimé  la  pensée  de  Danton 
et  celle  de  l'Assemblée,  cette  fois  encore,  sans  phrase, 
sans  passion,  formula  en  une  seule  ligne  le  sentiment 
de  la  Convention  : 

€  L'Assemblée  change  ses  comités,  moins  son 
Comité  de  salut  public.  »  —  Volé  unanimement. 

Ce  qui  voulait  dire  : 

1"  La  Convention  subira  le  fait  accompli  ;  elle 
ouvre  à  la  Montagne  ses  comités  que  remplissait  la 
Gironde  ; 

2*  Elle  n'ouvre  pas  son  Comité  de  gouvernement 
à  rhomme  qui  couvre  Tinsurrection  de  son  autorité 
morale  ; 

3*  Ce  Comité  qui,  presque  unanimement,  apro-» 
testé  d'avance  contre  le  31  mai,  qui  a  entravé,  tant 
qu'il  a  pu,  le  2  juin,  elle  le  maintient  et  le  défend, 
pour  avoir  défendu  la  loi. 


l(i  LA  CONVENTION  NE  VEUT  RIEN  FAIRE 

Ce  vote  était  très-propre  à  calmer  les  départe- 
ments, conforaie  aux  paroles  que  leur  portèrent  ou 
leur  firent  porter  les  conciliateurs  Danton,  Cambon, 
Barrère  et  Lindet. 

Trois  autres  décrets  solennels  marquent  les  jour- 
nées du  3  et  du  4  : 

CoAraencement  des  travaux  du  Code  civil  par  une 
section  spéciale  de  législation. 

L'instruction  nationale  basée  sur  de  bons  livres 
élémentaires  dont  on  encourage  la  composition. 

Le  partage  des  biens  communaux ,  ordonné  en  août 
92  par  la  Législative,  est  réglé  par  la  Convention. 
Tout  habitant,  homme,  femme,  enfant,  les  absents 
et  les  présents,  tous  ont  droit  d'avoir  une  part;  si  le 
tiers  des  voix  dans  la  commune  est  pour  le  partage, 
il  est  décidé. 

Grandes  mesures  et  habiles.  Cependant  la  question 
d'urgence  restait  tout  entière  :  Comment  faire  un 
gouvernement! 

La  Convention  ajourna  cette  question.  Elle  ne  se 
préoccupa  que  de  la  réconciliation  de  la  France. 
Elle  jugea  qu'il  fallait  avant  tout  détromper  les  Giron- 
dins de  bonne  foi,  finir  le  malentendu.  On  leur  disait 
que  la  Montagne  voulait  refaire  la  royauté.  «  Présen- 
tons-leur, en  réponse,  dit-elle,  une  constitution  for- 
tement républicaine,  solidement  démocratique.  Jus- 
que-là rien  n'est  possible.  Il  faut  éclairer  la  France, 
lui  rendre  son  unité.  Unie,  elle  peut  braver  le 
monde.  » 

L'ennemi  attendrait-il?  Il  y  avait  bien  lieu  d'en 
douter. 


QUE  LA  CONSTITUTION.  i7 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'Assemblée  et  son  Comité  do 
salut  public  ne  firent  rien  de  sérieux*  qu'en  vue 
.  de  la  France  seule  et  de  la  question  intérieure.  Us 
ne  tinrent  compte  du  monde. 

Surprenant  spectacle  !  Objet  d'admiration  pour  les 
uns,  pour  les  autres  de  dérision  !...  Un  peuple  cerné 
de  partout,  ayant  à  la  gorge  cinq  cent  mille  épées, 
mordu  au  cœur  par  la  Vendée,  au  moment  d'avoir 
de  plus  une  seconde  guerre  civile,  s'occupe  impas- 
siblement d'une  idée  abstraite,  d'une  formule  iuap* 
plicable,  et  des  lois  de  l'avenir. 

«  L'armée  du  Rhin  se  retire,  celle  du  Nord  se 
désorganise,  l'Autrichien  est  à  Valenciennes...  — 
Préparons  la  constitution.  —  Les  Pyrénées  sont 
franchies,  les  Alpes  vont  l'être,  Lyon  fait  signe  aux 
Piémontais...— Dressons  plus  haut  que  les  Alpes  le 
drapeau,  la  constitution! — Mais  si  les  Vendéens  arri-- 
vent?...  Les  voici  déjà  à  Saumur... — Avec  la  consti- 
tution, nous  les  attendrons  de  pied  ferme.  » 

Qui  refuserait  à  ce  siècle  le  titre  qu'un  Allemand 
illustre  lui  donna  :  L'Empire  de  tesprit^  en  le  voyant 
finir  par  cet  acte  étonnant  de  foi  à  l'idée? — Et  qui 
lui  disputerait  ce  que  Saint-Just  réclame  pour  lui  : 
€  Le  XV IIP  siècle  au  Panthéon  I  « 

La  constitution  de  93,  comme  le  monde,  fut  faite 
en  six  jours.  Présentée  le  10,  votée  le  24,  elle  fut 
acceptée  en  juillet  de  toute  la  France^  montagnarde 

*  C'est  ce  qui  ressort  des  Registres  du  Comité  de  salut  public  {Archi' 
ves  nationales). 

VI.  2 


i8  ABSENCE  DE  TOUT  GOUVERNEMENT. 

et  girondine  (avec  peu  d'exceptions).  On  sentait  par- 
faitement qu'elle  était  inexécutable,  mais  on  n'en 
croyait  pas  moins  que  cette  puissante  formule^  par 
une  sorte  de  vertu  magique,  opérerait  le  salut. 

La  population  parisienne ,  section  par  section , 
venait,  avec  des  musiciens,  au  sein  de  la  Convention, 
apporter  son  acceptation,  jeter  des  fleurs,  chanter 
des  hymnes,  comme  les  Israélites  qui  chantaient, 
dansaient  devant  l'Arche. 

Le  plus  merveilleux,  c'est  que  l'enaerni  ne  profila 
pas  de  cette  absorption  de  la  France,  uniquement 
occupée  d'elle-même,  de  sa  dispute  intérieure  et  de 
sa  réconciliation. 

Elle  resta  ainsi  trois  mois  sans  gouvernement  ni 
défense,  à  la  garde  d'une  idée,  ferme  dans  sa  foi  300- 
lastique,  n'opposant  rien  aux  dangers,  au  menaçant 
accord  du  monde,  que  la  formule  abstraite  de  la  dé- 
mocratie. 

s  2.— ABSENCE  DE  TOUT  GOUVERNEMENT. 

(Juin  95.) 

Un  meneur  du  31  mai  avait  dit  avant  l'événement  : 
c  Rappelez-vous  le  10  août;  le  coup  fait,  tout  s'esl 

tu Eh  bien!  cette  fois  encore,  la  France  subira 

les  faits  accomplis.  »  Inexact  rapprochement  entre 
deux  faits  si  dissemblables  :  au  1 0  août,  la  France 
prit  un  mouvement  immense,  le  plus  grand  qui  fut 
jamais;  au  2  juin,  elle  resta  frappée  d'une  fatale 
inertie. 

Les  mesures  révolutionnaires  que  la  Gironde  entra- 


ABSENCE  DE  TOUT  GOUVERNEMENT.  19 

vait  ne  furent  prises  que  trois  mois  après  son  expul- 
sion. 

Le  premier  Comité  de  salut  public  existait  à  peine. 
Le  second  commença  le  10  juillet,  n'agit  qu'en  sep- 
tembre,  ne  se  compléta  qu'en  novembre.  Il  fut  très- 
longtemps  inactif.  C'est  ce  que  témoignent  ses  regis- 
tres que  j'ai  sous  les  yeux.  Notre  situation  militaire 
particulièrement  alla  empirant  jusqu'à  la  fin  d'août. 

Le  2  juin  avait  offert  un  spectacle  singulier  :  une 
victoire  sans  vainqueur .    . 

Où  était  la  force  ? 

Elle  n'était  pas  dans  la  Convention,  qui  faisait  des 
lois  pour  la  France  ,  mais  qui  n'eût  osé  donner  un 
ordre  au  général  Henriot. 

Elle  n'était  pas  dans  Robespierre  qui,  le  2,  s'était 
vu  un  moment  réduit  à  trente  fidèles,  lorsque  toute 
l'Assemblée  sortit  de  la  salle. 

Êtait^elle  dans  la  Commune?  Généralement  on  le 
croyait.  La  Montagne  le  croyait.  Le  soir  du  3,  des 
Montagnards,  rencontrant  aux  Jacobins  un  homme 
de  la  Commune,  lui  dirent  avec  amertume  :  «  C'est 
donc  vous  qui  êtes  rois?  » 

Il  était  visible  pourtant,  et  très-positif,  que  la 
Commune  était  traînée  plutôt  qu'elle  ne  marchait, 
qu'elle  suivait,  bon  gré  malgré,  le  Comité  d'insur- 
rection. 

La  force  était  donc  dans  ce  Comité  ?  11  se  compo- 
sait de  neuf  jeunes  gens,  alors  inconnus,  Rousseliu, 
Auvray,  etc.  Ces  rois  imberbes  étaient-ils  réellement 
reconnus  et  obéis,  comme  les  vrais  vainqueurs  du  2 
juin?  On  en  jugera  tout  à  l'heure. 


aO  ABSENCE  DE  TOUT  GOUVERNEMENT. 

Rappelons  d'abord  les  autorités  régulières  de  la 
capitale.  Elles  étaient  divisées  d'esprit  ^  et  ne  sié- 
geaient pas  au  même  lieu.  Sans  parler  du  départe- 
ment qui  siégeait  à  la  place  Vendôme,  sans  parler  du 
maire  Pache  qui  siégeait  à  la  Police,  —  à  THÔtel- 
de-Ville  siégeait  la  Commune  proprement  dite  , 
c'est-à-dire  le  Conseil-Général,  Chaumette,  procu- 
reur de  la  Commune,  et  son  substitut  Hébert.  Tous 
deux  étaient  cordeliers.  Sous  leur  accord  apparent, 
il  était  aisé  pourtant  de  saisir  leurs  dissidences.  Hé- 
bert alla  à  VÉvèché,  la  nuit  du  31  mai,  lorsqu'on 
sonna  le  tocsin.  Et  Chaumelte,  l'entendant  de  l'Hô- 
tel-de-Ville,  se  mit  à  pleurer  :  «  Nous  avons  pré- 
paré ,  dit-il,  la  contre-révolution.  »  Chaumette  es- 
saya d'empêcher  qu'on  ne  tirât  le  canon  d'alarme. 

Voilà  l'ancienne  Commune,  modérée  relativement, 
et  qui  n'inspirait  aucune  confiance  aux  hommes  de 
l'insurrection,  aux  meneurs  de  l'Évêché.  Ceux-ci 
ne  pardonnèrent  pas  à  leur  président  d'avoir  pac- 
tisé avec  la  Commune  et  consenti  à  siéger  avec  Pache 
et  Chaumette.  On  a  vu  comment  la  Commune 
écarta  les  hommes  de  l'Évêché ,  et  reconnut  pour 
Comité  central  révolutionnaire  ces  neuf,  que  les  au- 
torités du  Département  avaient  nommés  dans  la  salle 
des  Jacobins,  sous  l'influence  jacobine. 

Mais  pourquoi  des  inconnus?  Sans  doute  parce 
que  les  Jacobins  n'y  voulaient  aucun  Jacobin  mar- 
quant. Ils  laissèrent  cette  besogne  à  des  jeunes  gens 
sans  conséquence,  et ,  quoique  décidés  à  la  violation 
de  l'Assemblée,  ils  n'y  voulurent  pas  compromettre 


ABSERCB  DB  TOUT  GOUYBRHSIIERT.  H 

directement  la  grande  Société,  amie  de  Tordre  et 
des  lois. 

Il  en  résulta  une  chose,  c'est  que,  les  Cordeliers 
étant  écartés,  les  Jacobins  s'effaçant,  la  Convention 
étant  brisée,  la  Commune  dominée,  le  jeune  Comité 
central  n'ayant  aucun  poids ,  l'autorité  ne  fut  nulle 
part. 

Ëtaitrelle  rentrée  dans  le  peuple ,  à  sa  source 
naturelle?  Nullement  :  les  sections  étaient  muettes 
et  bridées.  Leurs  Comités  révolutionnaires  les  avaient 
domptées,  subjuguées.  —  Â  vrai  dire,  qu'auraient- 
elles  fait?  Comme  le  parti  girondin,  auquel  elles  ap- 
partenaient en  grande  majorité,  elles  résistaient, 
voilà  tout;  mais  elles  ne  voulaient  rien.  Elles  n'au* 
raient  rien  fait  que  prolonger  l'impuissance  et 
l'inertie  qui  étaient  la  mort  de  la  France. 

Ces  Comités  révolutionnaires,  minorité  si  minime, 
imperceptible,  dans  l'océan  des  sections  qu'ils  me- 
naient et  terrorisaient,  étaient  violents  en  proportion 
de  leur  extrême  faiblesse,  prodigieusement  défiants  ; 
décidés  à  sauver  eux  -  mêmes  la  patrie ,  sans  se 
remettre  à  personne,  ni  consulter  le  pouvoir  central, 
ils  traitaient  fort  légèrement  le  Comité  insurrec. 
tionnel. 

Tout  ceci  est  parfaitement  mis  en  lumière  par  un 
fait,  l'arrestation  de  Prud'homme,  le  célèbre  impri- 
meur des  Révolutions  de  Paris. 

Prud'homme,  véritable  marchand,  avait  regardé 
toute  sa  vie  la  girouette  de  l'esprit  public,  et  s'y  con- 
formait k  merveille,  payant  toujours  des  auteurs  qui 


H  ABSENCE  DE  TOUT  GOUVERNEMENT. 

suivaient  le  mouvement.  Avant  la  Révolution,  il  fit 
les  Crimes  des  rois,  et  après,  les  Crimes  révolutiorh- 
naires.  On  a  vu  son  succès  énorme,  quand  il  em- 
ployait Loustalot,  et  qu'il  tira  parfois  jusqu'à  deux 
cent  mille.  Prud'homme,  en  93,  avait  été  très- 
violent  pour  demander  la  mort  du  Roi.  Il  avait  dé- 
fendu Marat  en  avril,  Hébert  en  mai,  s'était  prononcé 
avec  force  contre  la  Gironde  qui  arrêtait  le  Père 
Duchesne.  Il  est  vrai  qu'obéissant  à  la  masse  de  ses 
abonnés,  il  avait  parlé  avec  indignation  des  violences 
qui  précédèrent  le  2  juin.  Ce  jour  môme,  à  onze 
heures  du  matin,  il  fut  arrêté.  Spectacle  étrange! 
le  défenseur  de  Marat  et  d'Hébert  traité  comme  un 
royaliste  ! 

C'était  le  comité  révolutionnaire  de  sa  section 
qui  l'arrêtait,  si  l'on  en  croit  Prud'homme,  sur 
la  dénonciation  d'un  ennemi  personnel.  Il  fait  avertir 
la  Commune,  c'est-à-dire>Chaumette,  qui  ordonne 
sur-le-champ  son  élargissement. 

Une  heure  après,  sous  un  prétexte,  on  le  rappelle 
au  comité  de  sa  section,  et  là,  on  lui  déclare  qu'il  est 
de  nouveau  arrêté.  Par  quel  ordre  ?  Par  celui  du 
Comité  central  des  Neuf.  On  le  lui  montre,  et  il  lit  : 
«  •..  Considérant  que  la  liberté  accordée  au  citoyen 
Prud'homme  lui  a  été  donnée  sans  réfléchir^  etc.  » 

Le  lundi  3,  à  dix  heures,  le  Comité  central^  sans 
doute  à  la  prière  de  Chaumette,  élargit  Prud'homme. 
Mais  cette  mesure  particulière  est  contrariée  par  une 
mesure  générale;  le  même  Comité  central  avait 
donné  ordre  au  général  Honriot  d'arrêter  les  jour- 


L'ARMÉE  RÉVOLUTIONNAIRE.  23 

nalistes  non  patriotes.  Â  midi,  on  vient  encore  chez 
Prud'homme  pour  Temprisonner  de  nouveau  ;  on  ne 
trouve  que  son  commis  ;  n'importe,  le  commis  est 
de  bonne  prise. 

Le  malentendu  s'explique.  Nouvel  ordre  du  Cofniié 
central  pour  élai^ir  l'imprimeur.  Mais  violente  récla- 
mation du  comité  de  section  qui  proteste  que  le  pri- 
sonnier est  coupable,  et  déclare,  d'uu  ton  menaçant, 
que  le  Comité  cerUral  est  responsable  des  suites  de  cette 
démarche. 

Ce  ne  fut  que  le  4,  à  midi  et  demi,  après  trois  em- 
prisonnements et  trois  élargissements  en  trois  jours, 
que  Prud'homme  fut  définitivement  élai^i. 

Nous  avons  donné  ce  fait  tout  au  long  pour  faire 
comprendre  la  lutte  des  trois  autorités  rivales  :  de  la 
Commune,  du  Comité  central  d'insurrection  et  des 
comités  révolutionnaires  de  sections. 

Le  Comité  central^  isolé,  sans  force  ni  base,  ne  pou- 
vait larder  de  se  retirer.  Sa  retraite  le  délivrait 
lui-même,  le  dispensant  de  tenir  au  peuple  la  grande 
promesse  de  l'insurrection,  celle  de  le  nourrir  et  le 
solder,  de  lui  créer  V armée  révolutionnaire. 

§  3.  —  L'ARMÉE  RÉVOLUTIONNAIRE. 
(Juin  95.) 

Cet  épouvantail  des  riches  et  de  la  propriété,  cette 
terrible  machine  à  ouvrir  les  coffres,  desserrer  les 
bourses,  dans  un  grand  besoin  public,  paraît  avoir 
été  surtout  une  idée  des  Cordeliers. 

Le  premier  essai  fut  fait  par  un  dantouiste ,  Dubois- 


24  COMMENT  ON  DEMANDA 

Crancé,  à  Lvon.  11  a  très-bieD  dit  lui-même  com- 
ment  9  abandonné  du  Centre  et  n'en  ayant  plus 
nouvelle,  serré  entre  trois  dangers,  Lyon',  Mar- 
seille ,  et  le  Piémont  qui  allait  passer  les  Alpes ,  ne 
sachant  qui  invoquer,  l'enfer  ou  le  ciel,  il  prit  son 
parti,  s'unit  fortement  à  €halier  et  aux  enragés  de 
Lyon ,  et  leur  mit  en  main  cette  épée ,  \ armée 
révolutionnaire.  Que  voulait-il?  Contenir  Lyon,  re- 
pousser l'invasion,  et,  au  défaut  d* autres  ressources, 
faire  manger  Lyon,  s'il  le  fallait,  par  l'armée  des 
Alpes. 

A  Paris,  il  y  eut  une  autre  raison,  bien  forte  pour 
solder  le  peuple,  c'est  qu'on  ne  savait  plus  comment 
le  nourrir.  Varmée  révolutionnaire  en  ferait  vivre 
une  partie,  ferait  financer  les  riches,  contiendrait  les 
pauvres. 

Dès  90,  il  y  avait  cent  vingt  mille  pauvres  à  Paris, 
et  à  Versailles  quarante  mille  (sur  soixante  mille 
habitants.  *) 


'  La  misère  semblait  d*autant  plus  cruelle  que  les  derniers  temps  de 

Louis  XVL  parmi  le  déficit,  la  banqueroute  imminente,  les  embarras 

croissants,  avaient  pourtant  présenté  une  surexcitation  singulière  du 
trayail.  Il  semblait  que,  sûr  de  périr  et  débarrassé  de  la  prévoyance, 

on  n^eût  plus  rien  à  ménager.  Par  le  faux  mouvement  de  Colonne,  par 
la  magnificence  de  MM.  les  Fermiers-généraux,  ruinant  les  uns  pour 
enrichir  les  autres,  englobant  dans  Foctroi  les  énormes  faubourgs  de 
Paris,  les  travaux  avaient  pris  une  fiévreuse  activité  :  la  rue  Royale 
achevée,  le  Pont-Royal  commencé,  le  Palais-Royal  bâti,  des  rues,  des 
places,  des  théâtres,  des  quartiers  entiers  (quartiers  Odéon,  Vivienne), 
toutes  nos  massives  barrières,  bastilles  du  fisc,  Pimmense  et  gigan- 
tesque enceinte  de  Paris,  tout  cela  se  fit  à  la  fois.  U  semblait  que 
Paris  prenait  sa  robe  neuve  pour  recevoir  triomphalement  la  Révolu- 


LWRMÉB  RÉVOLUTIONNAIRE. 

La  récolte  de  92,  bonne  en  froment,  avait  été 
nulle  pour  tout  le  reste.  Tout  fut  épuisé  de  bonne 
heure,  et  il  y  eut  une  sorte  de  disette  au  printemps 
de  93. 

Ce  terrible  problème  :  Comment  nourrir  le  peuple? 
se  présenta,  de  mars  en  mai,  en  juin  et  jusqu'en 
septembre,  comme  un  sphinx  effrayant,  à  dévorer 
tous  les  partis  ! 

La  Commune  fut  ainsi  poussée  par  la  nécessité  et 
par  le  péril  à  faire  ce  qu'on  faisait  à  Lyon,  une  armée 
révolutionnaire.  Les  patriotes  lyonnais,  huit  jours 
avant  de  commencer,  avaient  envoyé  à  Paris  un  des 
leurs,  le  jeune  Leclerc,  éloquent  et  violent,  amant 
de  Rose  Lacombe,  qui  couchait  chez  elle,  courait 
Paris  avec  elle,  jurait  sang,  mort  et  ruines.  Ce  fré- 
nétique raviva  les  fureurs  des  Cordeliers.  Le  13 
(au  jour  même  où  Crancé  accordait  à  ceux  de  Lyon 
leur  armée  révolutionnaire),  les  Cordeliers,  par 
Torgane  de  l'administration  de  police  qui  dépendait 


lion. — Elle  arrive,  cette  Révolution  féconde  qui  devait  engendrer  une 
France  de  plus,  dix  millions  d*hommes  en  trente  années,  et  doubler  la 
richesse  de  Tancienne.  Elle  arrive...  et  avec  elle  d*abord  la  misère, 
la  faim. — JTai  cherché  curieusement  dans  les  procès- verbaux  des  sec- 
tions de  Paris  ce  que  demandait  ce  peuple  affamé.  Il  ne  demande  géné- 
ralement que  du  travail.  Ces  procès-verbaux,  pleins  de  fraternité,  de 
secours  mutuels,  d*adoptions  d'enfants,  de  charités  du  pauvre  au  pau- 
vre, sont  bien  souvent  édifiants.  Le  pauvre  faubourg  Saint-Marceau 
voudrait  que  l'on  commençât  quelque  grand  ouvrage  d^ulilité  publique  ; 
il  prie  le  faubourg  Saint-Antoine  de  s^unir  à  lui  pour  obtenir  qu*on 
fasse  le  pont  du  Jardin  des  Plantes,  qui  unirait  les  deux  faubourgs* 
Procès^verbaux  des  secHonSf  Quinze-Vingts,  32  novembre  92. 


m  GOMMENT  ON  ÉLUDA 

d'euxy  en  firent  la  proposition  au  Conseil  général  de 
la  Commune,  qui  décida  que  la  demande  serait  faite 
à  la  Convention. 

Le  même  jour,  Robespierre,  ne  voulant  pas  sans 
doute  rester  en  arrière  des  Lyonnais  et  des  Corde- 
liers,  fit  la  même  proposition  dam  la  Société  des  Ja- 
cobins, enchérissant  et  demandant  qu'on  salariât  les 
patriotes  qui  assisteraient  aux  séances  des  sections. 

Les  Cordeliers,  les  Jacobins,  entendaient-ils  de 
même  ce  mot  alarmée  révolutionnaire  ?  Voulaient-ils 
la  même  chose  ? 

Nullement.  Les  Jacobins,  Robespierre,  voulaient 
seulement  se  créer  une  arme  contre  la  Gironde ,  et, 
d'autre  part,  lever  l'emprunt,  les  réquisitions  par 
une  voie  expéditive,  par  le  bras  du  peuple. 

Mais  les  Chalier,  les  Gaillard,  les  Leclerc,  de 
Lyon,  les  Gusman,  les  Jacques-Roux,  les  Varlet,  de 
Paris,  les  Cordeliers  extrêmes,  ceux  que  Marat 
appela  enragés,  imaginaient  autrement  la  chose. 
Poëtes  furieux  de  la  Révolution,  ils  voulaient,  de 
cette  armée,  faire  un  apostolat,  celui  de  la  guillotine. 
V armée  révolutionnaire  devait,  selon  eux,  le  bourreau 
en  tête,  courir  toute  la  France,  jugeant  et  exécutant, 
fanatisant  par  le  vertige,  convertissant  par  la  terreur. 
Dès  lors ,  le  pain  à  bon  marché  ;  les  laboureurs  trem- 
blants ouvriraient  tous  leurs  greniers,  les  riches  leurs 
coffres.  La  France ,  mise  en  possession  de  toutes  ses 
ressources,  se  trouverait  tout  à  coup  une  incalculable 
force  ;  elle  serait,  sans  difficulté,  nourrie,  défendue. 

Les  politiques  de  la  Montagne  étaient  très-opposés 


L^ARMÉB  RÉVOLimOimAIRB.  î7 

&  cette  idée  sauvage.  Robert  Liodet,  surtout,  affir- 
mait que  o'était  un  sûr  moyen  d'organiser  la  famine, 
et  peut-être  la  guerre  civile,  par  les  furieuses  rési* 
stances  qu'on  trouverait  chez  le  paysaç. 

Ce  terrible  mot  A' armée  técoluiiownaire  est  répété 
avec  un  accroissement  alarmant  de  chiffres  par  les 
différents  partis,  comme  une  espèce  d'enchère,  à 
mesure  que  le  flot  monte  dans  les  derniers  jours  de 
mai. 

Au  31  mai,  le  dantoniste  Lacroix  désarme  les 
enragés,  en  s' emparant  de  leur  proposition,  et  de- 
mandant lui-même  cette  armée  pour  iiœ  mille 
hommes. 

Dans  la  nuit  du  l*'juin,  le  Comité  d'insurrection, 
voyant  le  mouvement  languir;  veut  réveiller  l'en- 
thousiasme ,  et  dit  au  Conseil  général  que  Y  armée 
révolutionnaire  sera  portée  à  vingt  mille  hommes,  à 
deux  francs  par  jour. 

Le  21  juin,  Lacroix  essaye  d'étouffer  le  mouvement 
en  faisant  accorder  aux  insurgés  l'armée  pour  sdxe 
miUê  hommes.  La  chose  est  décrétée  ainsi. 

Elle  n'était  pas  embarrassante  pour  le  Comité 
d'insurrection,  autorité  transitoire,  qui  pouvait  partir 
et  laisser  à  d'autres  le  soin  d'accomplir  ses  pro- 
messes. 

Elle  restait  un  grand  eOibarras  pour  la  Commune, 
pour  Robespierre,  qui  en  avaient  fait  les  premières 
propositions,  et  qui  avaient  vu  la  chose  croître  e  t 
grossir  à  un  point  où  personne  ne  pouvait  plus  satis- 
faire les  espérances  du  peuple» 


28  ROBESPIERRRE  ET  NARAT 

«  OÙ  trouverez-vous  tant  d'argent?  »  avait  dit 
Chaumette^  Donnerait-on  à  seize  mille  hommes  la 
solde  de  deux  francs  pour  rester  tranquillement  à 
Paris^  quand  nos  soldats  du  Rhin,  du  Nord^  en  pré- 
sence de  l'ennemi,  exténués,  à  peine  nourris,  depuis 
si  longtemps  ne  recevaient  rien  ? 

Si  l'on  créait  cette  armée^  on  la  donnait  aux  enr- 
ragéSy  un  poignard  dans  la  maiu  d'un  fou  !  et  si  on  ne 
la  créait  pas,  on  risquait  une  insurrection,  mais 
celle-ci  très-sérieuse ,  celle  de  la  misère  et  de  la 
faim. 

On  vit  alors  un  spectacle  curieux,  Chaumette  et 
le  père  Duchesne,  effrayés  et  dépassés,  prêcher  la 
modération.  Ils  avaient  arrêté  Gusman  ;  ils  tâchaient 
de  faire  taire  Leclerc  :  c  Qui  veut  le  sang,  disait 
Hébert,  n'est  pas  un  bon  citoyen.  » 

On  composa.  Le  Comité  d'insurrection  exigea 
qu'au  moins  l'armée  fût  volée  pour  six  mi7Ze  hommes. 
Il  en  fut  ainsi,  et  le  Comité,  à  ce  prix,  se  déclara 
dissous  (6  juin). 

Mais  une  circonstance  imprévue  permit  d'éluder 
ce  vote.  Les  canonniers  de  Paris,  corps  d'élite,  de 
grand  courage  (on  le  vit  à  Nantes  et  partout),  mais 
de  grandes  prétentions,  formaient  déjà  une  espèce 
d'armée  révolutionnaire.  Ils  s'opposèrent  hardiment 
à  ce  qu'il  en  fût  créée  une,  dont  ils  n'eussent  été  qu'un 
corps  accessoire.  Ils  jurèrent  de  ne  pas  se  dissoudre, 
de  rester  serrés  ensemble  et  de  s'aider  les  uns  les 
autres. 

Cela  rendit  du  courage  à  tous  ceux  qui  craignaient 


GARD1BNS  DE  TORDUE.  S9 

Vannée  révolui  ionnairej  aux  ennemis  des  enragés,  à 
Robespierre,  aux  Jacobins^  à  la  Commune,  à  Chau- 
mette. 

Le  11  juin,  la  section  des  Piques  (ou  de  la  place 
Vendôme),  section  de  Robespierre,  entraîna  quel- 
ques autres  sections.  Elles  allèrent  à  l'ËTèché,  au 
centre  des  enragés.  Sans  doute  la  salle  était  vacante. 
Elles  siégèrent  à  leur  aise,  et  votèrent,  au  nom  de 
rÉvêché,  une  demande  d'ajourner  Y  armée  révolution-- 
naire.  Les  Gordeliers  furent  furieux  ;  le  soir  même 
ils  signalèrent  celte  surprise,  et  accusèrent  violem- 
ment la  section  de  Robespierre.  L'armée  n'en  resta 
pas  moins  ajournée. 

Déjà  depuis  quelque  temps,  avant  même  la  chute 
de  la  Gironde,  rinstincl  prévoyant  des  riches,  éclairé 
par  la  terreur,  leur  disait  que  Robespierre,  Marat 
même,  se  trouveraient,  par  leur  opposition  naturelle 
aux  enragés,  les  modérateurs  de  la  situation  et  les 
défenseurs  de  l'ordre.  Sans  se  piquer  de  fidélité  à  la 
Gironde,  qui  manifestement  enfonçait,  sans  scru- 
pule d'opinion,  ils  s'adressaient  à  la  Montagne,  au 
plus  haut  de  la  Montagne»  tout  droit  à  Marat;  Marat, 
cruel  en  paroles,  était  vaniteux,  sensible  aux  caresses, 
à  la  confiance. 

11  raconte  lui  même  un  fait  significatif  : 

Quelque  temps  avant  le  31  mai,  un  banquier 
estimé,  M.  Perregaux  (prédécesseur  de  M,  Laffitte), 
l'invita  à  dtner  chez  lui.  Marat  ne  refusa  pas.  Mais, 
avec  beaucoup  de  prudence,  il  voulut  avoir  un  té- 
moin de  ses  paroles,  et  il  emmena  Saint-Just.  Il  y 


30      ROBESPIERRE  BT  MARAT  GARDIENS  DE  L'ORDRE. 

avait  à  table  deux  ou  trois  banquiers  ou  négociants. 
Au  dessert,  timidemept^  ili$  se  hasardèrent  à  demander 
au  grand  patriote  ce  qu'il  pensait  qu'on  dût  croire  des 
projets  de  loi  agraire,  de  partage  des  propriétés,  etc. 
Marat  haussa  les  épaules,  les  rassura  pleinement,  ren- 
voyant ces  utopies  à  des  époques  tout  autres  et  des 
sociétés  différentes.  Ils  se  relevèrent  rassurés,  et 
pleins  de  confiance  dans  ce  bon  M.  Marat. 


CHAPITRE  II 


LA  CONSTITUTION  DE  95, 

Mérites  de  cette  Constitution.  —  Comment  se  fit  la  Conslilution.  —  Elle  me- 
BAJt  à  la  dicttlore.-— Attaques  dont  elle  est  l'objet.  »  Du  parti  prêtre  à  la 
Convention.  —  Du  parti  contraire. — Robespierire  blesse  le  parti  contraire. 


S.  1.— MÉRITES  DE  CETTE  CONSTITUTION.  ATTAQUES  DONT  ELLE  EST 

L'OBJET. 

La  Constitution  de  93  j  ébauche  improvisée  pour 
le  besoin  d'une  crise  politique,  a  toutefois  le  caractère 
de  répondre  par  quelques  traits  originaux  et  forts  au 
cœur  du  genre  humain. 

Elle  répond  d'abord  à  l'antique ,  à  l'invariable 
besoin  de  ce  cœur.  Elle  parle  de  Dieu. 

Elle  en  parle,  il  est  vrai,  en  terme  abstrait,  vague, 
équivoque.  Mais  par  cela  seul  qu'elle  le  nomme, 
elle  se  sacre  elle-même  dans  la  pensée  du  peuple,  et 
devient  une  loi  populaire.  Ce  n'est  plus  œuvre  for- 
tuite de  savants  ou  de  philosophes.  Elle  se  fonde  et 


32  MÉRITES  DE  CETTE  CONSTITUTION. 

s'harmonise  dans  la  tradition^  dans  le  sens  commun 
de  rhumanité. 

Le  second  point  original,  c'est  que  cette  constitu- 
tion, écrite  pour  un  grand  empire,  prétend  réaliser 
ce  qui  est  si  difBcile  dans  les  plus  petites  sociétés  : 
r  exercice  universel  et  constant  de  la  souveraineté  popu- 
laire. Noble  utopie  d'un  gouvernement  simple,  où, 
ne  se  remettant  à  personne,  le  peuple  commande  et 
n'obéit,  comme  Dieu,  qu'à  ce  qu'il  a  voulu. 

Le  troisième  point,  très-grave,  et  par  lequel  celle 
constitution,  telle  quelle,  efface  celles  qui  l'ont  pré- 
cédée, c'est  la  pensée  indiquée  pour  la  première  fois 
que  la  loi  n'est  pas  seulement  une  machine  à  gouver- 
ner l'homme,  mais  qu'elle  s'inquiète  de  lui,  qu'elle 
veut  garantir  sa  vie,  qu'elle  ne  veut  pas  que  le  peuple 
meure. 

  quoi  reconnaîtrons-nous  la  Loi?  Au  trait  tou- 
chant qui  distingue  la  vraie  mère  de  la  fausse,  dans 
le  jugement  de  Salomon,  et  lui  fait  adjuger  l'enfant. 
La  vraie  mère  s'écria  :  «  Qu'il  vive!  > 

«  Les  secours  publics  sont  une  dette  sacrée,  La 
société  doit  la  subsistance  aux  citoyens  malheureux  y 
soit  en  leur  procurant  du  travail,  soit  en  assurant 
les  moyens  d'exister  à  ceux  qui  sont  hors  d'état  de 
travailler.  » 

Énoncé  faible  encore  du  premier  devoir  de  la  fra- 
ternité. Ce  n'en  est  pas  moins  l'ouverture  première 
des  âges  meilleurs,  l'aurore  du  nouveau  monde. 

Remontez  à  92 ,  au  projet  de  constitution  giron- 
dine écrit  par  Condorcet;  rien  de  pareil  encore. 


MÉRITES  DE  CETTE  CONSTirUTION.  55 

L'auteur,  il  est  vrai,  promettait  la  loi  sur  les  secotir^ 
publicsy  mais  une  loi  à  part,  comme  si  cette  loi,  ce 
devoir  de  fraternité,  ne  doit  pas  figurer  en  tète  de  la 
Constitution. 

C'est  bien  pis,  si  vous  remontez  à  l'Assemblée 
constituante.  L'école  anglo-américaine  y  règne  sans 
part£^e.  Les  rapports,  les  discours  de  La  Rochefou- 
cauld et  autres  philanthropes,  sortis  de  l'école  égoïste 
du  Laissez  faire  et  laissez  passer,  sout  peu  phi- 
lanthropiques, si  vous  les  comparez  au  grand  cœur 
de  93,  à  son  amour  du  peuple,  à  ses  fondations 
innombrables,  qui  font  de  cette  année  maudite  une 
grande  ère  de  la  fraternité  sociale. 

Voilà  les  trois  points  capitaux  qui  caractérisent  la 
Constitution  de  93.  On  voudrait  seulement  que  ces^ 
grandes  choses  fécondes,  Dieu,  la  Fraternité,  n'ap- 
parussent pas  seulement  en  deux  articles  isolés,  sans 
liaison  avec  l'ensemble,  comme  des  ornements  ajou- 
tés. Il  faudrait  au  contraire  qu'ils  en  tissent  la  tète 
et  le  cœur;  bien  plus,  le  sang,  la  vie,  le  fluide 
vital,  qui  eût  circulé  partout,  et  fait  de  l'œuvre  en- 
tière une  création  vivante. 

Le  malheur,  trop  visible,  c'est  que  les  rédacteurs, 
obligés  de  répondre  immédiatement  au  besoin  de  la 
circonstance,  mirent  sur  la  table,  devant  eux,  un 
mauvais  projet  de  constitution,  celui  de  la  Gironde. 
Ils  l'abrègent,  le  corrigent,  Taméliorent.  Infaillible 
moyen  de  ne  rien  faire  de  bon.  Il  eût  fallu  le  laisser 
entièrement  de  côté,  et  donner,  d'uu  seul  jet,  une 
œuvre  née  d'elle-même. 

VI.  3 


54  COMMENT  SB  FiT  LA  CONSTITUTION. 

Les  chaogemeDts  néanmoins,  souvent  heureux, 
témoignent  d'un  meilleur  esprit. 

J'aime,  par  exemple,  qu'en  parlant  de  la  Pro-^ 
priélé,  du  droit  que  l'homme  a  d'en  jouir,  la  Consti*^ 
tution  de  93  substitue  au  mot  capitaux  qu'on  lit  dans 
l'œuvre  girondine  :  «  Le  fruit  de  son  travail.  » 

Un  mot  très-beau  est  celui-ci.  Dans  l'énumération 
des  moyens  par  lesquels  on  acquiert  le  droit  de 
citoyen,  la  loi  ajoute  :  «  En  adoptant  un  enfant,  en 
nourrissant  un  vieillard.  » 

La  constitution  girondine,  par  une  insigne  impru* 
dence,  donnait  la  même  influence  à  la  France  des 
campagnes  et  à  celle  des  villes,  c'est-à-dire  qu'elle 
donnait  aux  barbares  aveugles,  serfs  d'une  servitude 
invétérée,  aux  tourbes  fanatiques,  jouet  des  prêtres 
et  des  nobles,  les  moyens  de  se  perdre  eux-mèmee 
et  de  perdre  la  République.  La  constitution  jacobine 
proportionne  l'influence  aux  lumières  et  donne  l'as* 
cendant  aux  villes. 

Comment  se  fit  cette  œuvre  si  rapide? 

Toutes  les  sociétés  populaires  la  demandaient ,  la 
voulaient  à  l'instant.  Personne  ne  voulait  l'anarchie, 
pas  même  ceux  qui  la  faisaient.  Tous  avaient  fpiim  et 
soif  des  lois. 

Tous,  dans  la  foi  naïve  de  cet  âge ,  croyaient  que 
la  yérité  n'avait  qu'à  paraître  pour  vaincre  ;  ils  fai- 
saient cet  honneur  à  leurs  ennemis  de  croire  qu'en 
présence  de  la  Liberté  et  de  la  Justice ,  nettemeot 
formulées  dans  la  Constitution,  ils  jçUeraiçpt  les  RF- 


COMMENT  SE  FIT  LA  COKSIITOHON.  3$ 

mes  »  que  tout  céderait ,  passions,  iolérèts  et  partis. 

Cette  impatience  semblait  rendre  la  tâche  des  ré- 
dacteurs facile.  Un  peuple  si  pressé  d'avoir  des  k)is 
devait  les  prendre  de  confiance  et  chicaner  peu  le 
législateur. 

D'autre  part,  la  constitution  rencontrait  une  dif- 
ficulté bien  grave  dans  la  situation.  Elle  devait  ré* 
pondre  à  deui  conditions  absolument  contraires  : 

Née  du  31  mai,  elle  avait  à  se  justifier,  en  faisant 
oublier  le  projet  girondin,  en  se  montrant  plus  popu* 
laire.  11  lui  fallait  jprimer  la  Gironde  en  d4m(Krati9. 

Et  elle  devait  en  même  temps  faire  la  chose  op^ 
posée .  Organiser  un  gouvernement  fort.  L^  Fv9lixq% 
périss^t  faute  de  gouvernement. 

On  s'en  remit  à  Robespierre.  La  Montagne»  qui 
venait  de  lui  refuser  le  pQuvQir>  lui  remit  en  réa- 
lité la  constitution* 

Elle  fut  faite,  sous  son  influence,  par  cmq  rçpré- 
seulauts  qu'on  adjoignit  au  Comité  de  ^lut  publia, 
Cq  Comité,  usé,  brisé,  n'avait  qu'qn  mois  è,  vivre,  H 
laissa  faire*  Les  adjoints  furent  les  deui(  hommes  da 
Robespierre,  Coulhon  et  Saiul-Ju^l.  Plus,  trois  inii** 
goifianis  pour  faire  nombre  :  gn  daptoui^te  fort  léger, 
Hérault  de  Sérhelles,  le  bel  homme  à  tôtç  vide,  qui 
avait  fait,  sans  le  savoir,  la  révolution  du  2  juin  ;  en-^- 
fin  dçu^  légistes  de  profession,  nullement  politiques^ 
RQrlier  çt  Pamel;  trois  voix  acquises  h,  Çouthon  et 
Saigt-Just,  c'est-^dire  à  Robespierre. 

Q\\  n*psait,  on  ne  pouvail  demander  la  diçlçituçe, 
sans  laquelle  tout  périssait.  On  essaya  de  la  t^îs^  iQtv 


50  ELLE  MENAIT 

tir  de  la  constitution  même,  et  de  la  plus  démocra- 
tique qui  fut  jamais. 

Étrange  dérision  du  sort  !  Robespierre  avait  au 
cœur  ridéal  de  la  démocratie;  il  voulait  moins  le 
pouvoir  que  l'autorité  morale,  au  profit  de  l'égalité. 
Ce  qu'il  ambitionna  réellement  toute  sa  vie,  ce  fut 
d'être  le  dictateur  des  âmes  et  le  roi  des  esprits  par 
une  triomphante  formule  qui  résumerait  la  foi  jaco- 
bine, et  devant  laquelle  Girondins,  Cordeliers,  la 
France,  le  monde,  tomberaient  à  genoux...  Le  jour 
arrive,  et  Robespierre  est  à  même  de  dicter  les  lois, 
mais  c'est  au  moment  où  la  situation  ne  comporte 
plus  les  lois.  Ce  grand  œuvre  lui  vient  quand  une 
nécessité  suprême  de  situation  ne  permet  plus  de  le 
faire  dans  la  vérité  ! 

Organiser  le  pouvoir,  c'était  la  chose  nécessaire, 
et  de  nécessité  suprême.  Mais  comment  le  hasarder, 
quand  le  10  mai,  Robespierre  lui-même,  un  mois 
juste  avant  le  10  juin,  où  fut  présentée  sa  constitu- 
tion, venait  de  prononcer  un  discours  infiniment  dé- 
fiant, hostile  au  pouvoir,  qui  faisait  de  la  vie  publi- 
que'une  guerre  contre  le  magistrat  ? 

Rien  n'étonna  l'audace  de  Saint-Just  et  de  Cou- 
thon.  Ce  pouvoir  qu'on  ne  pouvait  constituer  ex- 
pressément, ils  le  firent  en  n'en  parlant  pas.  Ils  pri- 
rent tout  simplement  le  médiocre  projet  girondin  que 
Condorcet  avait  déjà  présenté,  découpèrent,  suppri- 
mèrent les  articles  de  garanties,  de  barrières  au  pou- 
voir. Celui-ci  fut  ainsi  créé  par  omissions  et  par  coups 
de  ciseau. 


"  -r ,  .  ■  ■  • 


r  ■ .. 


58  ELLE  MENAIT 

pouToif  exécutif  l'appui  fixe  d'une  caste.  La  conslitu- 
tion  de  91  appuyait  sa  royauté  sur  ses  corps  électo- 
raux cle  notables.  Là  constitution  de  93  appuiera  sa 
dictature  sur  des  corps  électoraux  de  jacobins,  aris- 
tocratie sans-  culotte  y  non  moins  redoutable  que 
l'autre, 

!1  aurait  fallu  pouvoir  être  franc,  pouvoir  dire  que, 
dans  la  mobilité  infinie  des  partis,  on  ne  reconnais^ 
sait  de  sol  ferme  où  Ton  pût  mettre  le  pied  que  la 
Société  jacobine,  qu'en  ce  moment  tout,  excepté 
elle,  fuyait  et  fondait. 

Pour  faire  avaler  au  peuple  cette  résurrection  du 
pouvoir  exécutif,  la  constitution  de  93  lui  fait  une 
belle,  grande  et  magnifique  promesse,  celle  de  le  faire 
voter  lui-même  sur  toutes  les  lois.  Le  Corps  législatif 
îie  fait  que  les  proposer. 

C'est  le  plus  complet  hommage  qu^on  ait  jamais 
fendu  au  peuple,  la  concession  1^  plus  large  qu'on 
ait  faite  nulle  part  à  l'instinct  des  masses  illettrées. 
On  suppose  que,  sur  les  sujets  les  plus  délicats,  les 
plus  spéciaux ,  les  plus  difficiles ,  la  simple  lu- 
mière naturelle  suppléera  à  tous  les  secours  de  la 
science. 

Mais  ce  magnifique  don  fait  à  peine  au  peuple,  oh 
le  lui  reprend  en  réalité.  Ce  vote  sur  toutes  les  lois 
devient  illusoire  : 

ft  Quarante  jours  après  la  proposition  de  la  loi, 
si,  dans  la  moitié  des  départements,  lé  dixième  des 
assemblées  primaires  n^a  pas  réclamé^  le  projet  de? 
vient  ici.  » 


A  LA  DfGTATURB.  39 

Ainsi  :  Qui  ne  4it  rien  consent.  Il  est  indubitable 
que  pour  les  lois  qui  règlent  des  questions  difficiles 
(telles  sont  la  plupart  dos  lois  dans  une  société  telle 
que  la  nôtre,  d'intérêts  si  compliqués),  les  piasses 
n'auront  ni  le  temps,  ni  la  volonté,  ni  le  pouvoir  de 
se  mettre  à  Fétude;  elles  ne  feront  la  loi  que  par  leur 
silence. 

Pour  dire  le  vrai,  les  deux  constitutions,  la  giren-^ 
dine  et  la  jacobine,  étaient  ou  peu  applicables,  ou 
trés-^dangereuses. 

La  girondine  est  uniquement  une  machine  de  ré^ 
sistance  contre  l'autorité  qui  n'est  pas  encore  et  qui, 
a¥ee  elle,  ne  pourrait  pas  commencer;  elle  n^e^t 
que  liens,  barrières,  entraves  de  toutes  sortes  :  si 
bien  qu'une  telle  machine  resterait  immobile  et  ne 
bougerait.  C^est  la  paralysie  constituée. 

La  constitution  jacobine ,  toute  démocratique 
qu^elle  est,  mène  droit  à  la  dictature.  C'est  son  dé- 
faut, et  c'était  son  mérite,  au  moment  oi!i  elle  fut 
ftiite  et  dans  la  crise  terrible  dont  la  dictature  sem- 
blait le  remède. 

Elle  fut  lue  lé  10  et  patiemment  écoutée  à  la  Con- 
vention. Mais,  le  soir  même,  on  put  voir  qu'elle 
était  peu  aeceptée,  même  des  hommes  du  2  juin.  Ce 
fut  précisément  au  sein  de  la  Société  jacobine,  à  qui 
cette  constitution  remettait  la  France,  qu'eut  lieu  là 
vive  explosion  des  critiques. 

Chabot,  l'impudent,  le  cynique,  qui  plus  que  per- 
seone  avait  conspué  la  Gironde,  fut  presque  aussi 
injurieux  pour  la  constitution  de  Robespierre.  Sanâ 


40  ATTAQUES  DONT  ELLE  EST  L'OBJET. 

nulle  attention  au  lieu,  aux  personnes ,  il  dit 
crûment,  sans  embarras  :  «  Que  la  nouvelle  con- 
stitution était  un  piège,  qu'elle  surprenait  la  dicta- 
ture, qu'elle  recréait  un  monstre  de  pouvoir  exécutif, 
indépendant  de  l'Assemblée,  un  pouvoir  colossal  et 
liberticide,  qu'elle  recommençait  la  royauté. . .» 

Robespierre,  saisi,  surpris,  ne  trouva  que  cette 
réponse  :  «  Que  lui-même  proposerait  d'ajouter  à  la 
constitution  des  articles  populaires.  » 

Mais  Chabot  ne  s'arrêtait  pas  ainsi,  une  fois  en 
verve.  Il  demanda  où  étaient  les  articles  qui  tou- 
chaient vraiment  le  bonheur  du  peuple.  Un  seul, 
qui  fait  «  des  secours  publics  une  dette  sacrée  », 
faible  et  sec  énoncé  du  principe,  sans  rien  dire  des 
voies  et  moyens,  «  Est-ce  là,  dit  Chabot,  tout  ce  que 
le  peuple  vainqueur  devait  s'attendre  à  recueillir  le 
lendemain  de  sa  victoire  ?  » 

Le  silence  fut  terrible.  Chabot  s'épouvanta  lui- 
môme  de  voir  qu'on  ne  répondait  pas.  Il  se  crut  un 
homme  perdu.  Et  il  le  crut  bien  plus  encore  quand 
il  vit,  aux  jours  suivants,  les  enragés  s'emparer  de  ses 
arguments  et  en  faire  la  base  d'une  pétition  insolente 
à  la  Convention.  Désespéré  alors  d'avoir  eu  tellement 
raison,  décidé  à  se  laver  par  une  lâcheté  quelconque, 
il  prit  l'occasion  d'une  brochure  anonyme  de  Con- 
dorcet  contre  la  constitution.  Chabot  le  dénonça,  fit 
décider  son  arrestation  et  poursuivit  sa  mort,  croyant 
se  sauver  lui-même. 

L'homme  du  reste  importait  peu.  Chabot,  quelque 
Chabot  qu'il  fût,  sur  le  dernier  point  avait  touché 


ATTAQUES  DONT  ELLE  EST  L'OBJET.  41 

juste.  La  constitution  de  93  était,  comme  tant  d'au- 
tres, une  machine  sans  vie,  une  roue  sans  moteur  ; 
il  y  manquait  justement  ce  qui  Teût  mis  en  mouve- 
ment. 

En  vain,  le  rapporteur  Hérault  avait  dit  que  les 
lois  sociales  viendraient  après  la  Constitution,  sui- 
vant la  vieille  méthode  qui  pose  d'abord  un  méca- 
nisme, le  met  à  terre,  et  puis  regarde  s'il  va  tourner. 
Il  faut  créer  le  moteur,  en  déduire  le  mécanisme 
celui-ci  n'a  de  valeur  qu'autant  qu'il  peut  obéir  à 
l'autre  et  le  seconder.  Religion,  éducation,  moralité 
fraternelle,  lois  de  charitable  équité  et  de  mutuelle 
tendresse,  voilà  ce  qu'il  faut  organiser  d'abord, 
mettre  dans  la  loi  et  aux  cœurs;  tout  cela  est  anté- 
rieur, supérieur,  au  mécanisme  politique  ^ 


*  Toutes  les  constilutions  modernes,  je  n*en  excepte  aucune ,  me 
pénètrent  d^emiui  et  de  tristesse.  Toutes  sont  écrites  dans  le  genre 
ennuyeuxj  dans  un  pesant  esprit  mécanique.  Il  n*y  manque  que  deux 
choses,  rhomme  et  Dieu,  c*est-à-dire  tout. 

La  loi  y  est  si  modeste,  qu'elle  se  resserre  et  se  restreint  dans  cer- 
tains petits  côtés  de  Tactivité  humaine  qu'elle  croit  pouvoir  mécaniser. 
Pour  tout  ce  qui  est  grand,  elle  se  récuse.  Elle  s'occupe  de  contribu- 
tions, d'élections.  Mais  Tâme  de  celui  qui  paie,  l'intelligence  de  celui 
qui  élit,  elle  ne  s'en  occupe  paâ.  «  Vous  voulex  parler  morale,  reli- 
gion? allez  ailleurs  ;  cela,  c'est  le  métier  du  prêtre,  du  philosophe,  dit 
la  Loi.  Moi,  je  reste  ici  à  mes  urnes  de  scrutin,  à  mes  registres,  à  mon 
comptoir,  à  ma  caisse.  A  d'autres  Tautorité  morale,  les  choses  de  Dieu, 
à  d'autres  de  former  les  âmes,  de  tenir  les  cœurs  dans  leurs  mains. 
C'est  là  le  spirituel  voyez- vous,  la  part  de  Marie.  Le  temporel  est  mon 
affaire,  la  part  de  Marthe..»  Le  ménage,  balayer  et  tourner  la  broche. 
Pauvre  Loi,  ne  seiitez-vous  pas  que  qui  a  l'esprit  a  tout  ? 


4t  DU  PARTI  PRÉTRË  A  LA  CONVENTION. 

8  2— SUITE  DE  LA  CONSTITUTION. -L*ÊTRE  SUPRÊME. 

Chabot  avait  été  bien  loin,  et  pourtant  il  n'avait 
pas  dit  ce  qui  blessait  le  plus  les  cœurs  du  plus  grand 
nombre  des  révolutionnaires,  et  même  des  modérés, 
de  la  majorité  de  la  Montagne, 

On  a  vu  que  Tune  des  causes  principales  qui  isolè- 
rent les  Girondins  c'est  qu'attachés  généralement  à  la 
tradition  philosophique  du  XVIIP  siècle,  ils  blessèrent 
ceux  des  Conventionnels  qui  ménageaient  l'ancien 
culte.  Leur  suppression  du  dimanche  dans  les  admi- 
nistrations fut  un    crime  impardonnable. 

Le  prêtre  Sieyôs  au  centre,  le  prêtre  Durand- 
Maillane  et  autres  à  la  droite,  dans  leur  mutisme 
habituel,  n'en  exerçaient  pas  moins  une  assez  grande 
influence  à  la  Convention.  Les  prêtres  y  étaient  fort 
nombreux,  et  il  y  avait  quatorze  évêques,  dont  moi- 
tié à  1^  Montagne.  L'un  de  ces  évêques  montagnards 
avait  été  professeur  de  Robespierre.  Tous  se  retrou?T 
vaient  confrères  et  votaient  ensemble  dans  les  cir- 
constances où  leur  robe  était  intéressée.  La  RéYO- 
lutioq  ^vail  pu  briser  tout  ijn  monde;  ellp  n'ayaft 
pas  brisé  le  rapport  du  prêtre  au  prêtre. 

L'œil  clairvoyant  de  Robespierre  n'avait  pas  été 
sans  rern?irquer  qu'indépendamment  de  la  division 
locale  des  partis  en  côté  droit,  gauche  et  centre,  il 
y  avait  aussi  comme  un  parti  épars  sur  tous  les  bancs 
de  l'Assemblée,  celui  de  tous  les  membres  plus  ou 
mQJns  attachés  au:^  idées  religieuses. 

S'il  s'attachait  ce  parti,  assez  fort,  surtout  à  droite, 
il  pouvait  y  trouver  un  appui,  et  même  au  besoin 


DU  PARTI  MtTM  A  LA  eOinTENTION.  Si 

contre  la  Montagne,  contre  celte  variable,  cette  in- 
disciplinable  Montngne,  qui  Tavait  laissé  ap  fi  juin 
réduit  à  I rente  fidèles.  Qu'arriverail-il  si  un  jour, 
emportée  par  Danton  ou  quelque  autre  des  Corde- 
liers,  elle  désertait  encore?...  Donc,  il  dérendit  la 
droite  ,  lu  garda  précieusement ,  et  l'augmenta , 
comme  une  réserve  future,  de  tous  ceux  qui,  à  gau- 
che, au  centre,  voulaient  conserver  quelque  chose 
de  l'ancienne  religion. 

Dans  la  discussion  récente  où  l'on  avait  examiné 
si  Ton  mettrait  le  nom  do  VÉlrê  Svprëme  en  tête  de 
la  Constitution,  l'Assemblée  avait  ajourné,  e^est*h- 
dire écarté  indéfiniment,  la  proposition.  Robespierre, 
sans  en  tenir  compte,  écrit  à  la  première  ligne  de  sa 
Déclaration  des  droits  ;  i  En  présence  de  l'Être  Su- 
prême^. » 

Ce«t  ce  mot  spécialement  qui  signe  la  constitution 
du  nom  de  Bobespierre.  Nul  des  rédacteurs,  sans 
son  influence,  n'aurait  songe  à  l'y  mettre.  Il  avouait 
ainsi  cet  acte,  et  défiait  les  haiues  d^une  grande 
partie  de  la  Montagne. 

Un  résultat  naturel  de  la  lutte  que  l'esprit  mo-* 
deme a  soutenue  si  longtemps  dans  les  supplices  et  les 
bâcher^  contre  les  hommes  de  Bieu^  e^est  que  le 
nom  de  Dieu  était  suspect;  il  ne  rappelait  aux  esprits 
que  la  tyrannie  du  clergé  qu'on  avait  brisée  à 
peine. 

!  Prud^bomme,  ami  de  Cbaumette,  et  probablement  enhardi  par  iiii, 
^'$%jfirm9i  W^  pittf  d^  libt*ïi^  (litron  ne  Teûi  fiUendM  à^  \^  Pfessp,  déj|t 
craintive^  sur  ce  retour  reliaieu^.  Il  dU  assez  durçmçpt  :  •«  J^s  lép[i§' 
lateurs  ont  fait  là  un  pas  d*écrevisses.  » 


44  DU  PARTI  CONTRAIRE. 

Un  mot  éclaircira  ceci. 

A  Tépoque  où  Diderot  décrivait  les  procédés  des 
arts  dans  TEncyclopédie,  il  se  trouvait  un  jour  chez 
un  tourneur  et  le  regardait  tourner.  Un  de  ses  amis 
survint,  et  Diderot,  s' élevant  de  cet  art  inférieur  à 
ridée  de  Fart  éternel,  se  mit  à  parler  de  la  qréation 
et  du  Créateur  avec  une  éloquence  extraordinaire. 
L'autre  cependant  changeait  de  visage.  Enfin  les  lar- 
mes lui  viennent.  Use  jette  àgenoux  devant  Diderot, 
lui  prenant  les  mains  et  sanglotant  :  «  Âh  !  mon  ami  ! 
ah!  mon  ami,  de  grâce,  ne  parlez  pas  ainsi...  Je  vous 
en  prie,  je  vous  conjure...  Oh  !  plus  de  Dieu,  plus 
de  Dieu  !  » 

Il  voulait  dire  évidemment  :  «  Plus  de  clei^é , 
plus  de  moines ,  plus  d'inquisition ,  plus  de  bû- 
chers, etc.,  etc.  » 

Une  scène  tout  analogue  se  passa  au  temps  dont 
nous  écrivons  l'histoire.  Un  de  ces  fougueux  disciples 
de  Diderot,  un  soir  de  93,  arrive  défait  et  pâle  dans 
la  petite  rue  Serpente,  dans  une  famille  dont  il  était 

ami,  celle  du  libraire  Debure On  s'étonne  : 

«  Qu'avez-vous?  auriez-vous  été  dénoncé? — Non. — 
C'est  donc  un  de  vos  amis  qui  est  en  péril? — Enfin, 
répandant  des  larmes  et  faisant  effort  pour  répondre  : 
«  Rien  de  tout  cela. ....  Ce  scélérat  de  Robespierre 
fait  décréter  Y  Être  Suprême  !  » 

Ce  fanatisme  d'athéisme  se  trouvait  particulière- 
ment chez  les  Cordeliers.  La  plupart  se  croyaient 
athées  et  ne  Tétaient  pas.  Comme  leur  maître  Dide- 
rot, c'étaient  des  sceptiques  pleins  de  foi.  Les  uns, 


ROffiSPIERRE  BLES&A  LE  PARTI  COXTRAlftE.  45 

comme  Danton,  sentaient  Dieu  dans  les  énergies 
créatrices  de  la  Nature,  dans  la  femme  et  dans  Ta- 
mour.  Les  autres,  comme  le  pauvre  Clootz,  l'orateur 
du  genre  humain,  le  sentaient  dans  Tàme  du  peuple, 
dans  l'Humanité,  dans  la  Raison  universelle.  L'unité 
de  la  Grande  Cause  put  leur  échapper  sans  doute, 
mais,  par  l'instinct  et  le  cœur,  ils  virent,  ils  recon- 
nurent plusieurs  des  faces  de  Dieu. 

Les  Cordeliers  furent  bien  mêlés.  Ils  eurent  des 
hommes  d'une  sève,  d'un  cœur  admirable,  comme 
Desmoulins  et  Clootz  ;  ils  eurent  des  fripons  comme 
Hébert,  des  scélérats  comme  Ronsin.  Mais  ils  n'eu- 
rent point  d'hypocrites. 

Us  crurent  que  la  Révolution  ne  devait  point 
s'arrêter  devant  la  question  religieuse,  mais  l'em- 
brasser et  l'envelopper,  qu'elle  n'avait  aucune  sûreté 
tant  qu'elle  laissait  cette  question  hors  d'elle-même. 
Ils  n'éludèrent  pas  la  Religion  en  lui  accordant  un 
mot.  Ils  proposèrent  leur  symbole  contre  celui  du 
moyen-âge.  Les  Jacobins ,  pour  l'avoir  ménagé  par 
une  équivoque,  ont  vu  revenir  celui-ci,  tout  mort 
qu'il  était,  et  ce  revenant  étrangler  la  Révolution. 

On  ne  fonde  rien  sur  l'équivoque.  Rien  n'était  plus 
vague,  plus  trouble  que  ce  mol  :  l'Être  Suprême. 

Rousseau,  auquel  il  appartient,  y  avait  trouvé  son 
succès.  Robespierre  y  chercha  le  sien. 

Ce  mot,  d'un  sens  indécis,  est  ce  qui  recommanda 
YÊtnile  aux  croyants  comme  aux  philosophes.  Les 
uns  y  virent  l'ancien  Dieu  et  les  autres  le  nouveau. 

Tous  ceux  qui,  par  sentiment,  sans  souci  de  la 


40  ROVE^PIERRE  BLESSA  1%  PARTI  GOKTIUkliR« 

logique^  tenaient  à  Tancieniio  religion  et  qui  las«u* 
taicnt  enfoncer  sous  eux,  passèrent  avec  enipress»-- 
ment  sur  la  planche  mal  assurée  que  Rousseau  leudait 
à  tous. 

Cette  formule  convenait  h  tous,  parce  qu'elle  disait 
très-peu.  Suprême!  expression  vide  et  creuse  (par- 
donnez-moi, grand  homme,  le  mot  qui  m'est  échap- 
pé). Elle  est  bien  pauvre,  dn  moins,  pour  dire  l« 
tout-puissant  Générateur  des  globes,  disons  mieui;»  la 
Grande  Mère,  toute  féconde,  qui,  par  minutes,  çn* 
faute  les  mondes  et  les  cœurs.  Omettre  refficucHé 
de  Dieu,  pour  dire  seulement  qu'il  est  Suprême^  i^n 
fond,  c'est  l'anéantir.  Dieu  agit,  engendre,  ou  n'çs^ 
pa$.  Ce  pauvre  tilre  le  dépouille,  le  destitue,  le  x^- 
lègue  là-haut,  je  ne  sais  où,  au  trOne  du  Rien  ftiirç, 
01^  siégeait  le  dieu  d*Ëpicure. 

Il  ne  faut  pas  parler  de  Dieu,  ou  m  parler  çl^ji* 
rement. 

Telle  est  1*  force  féconde  de  ce  seul  non?,  quQ, 
mal  dit,  il  sera  horriblement  fécond  de  maui;  Qt 
d'erreurs. 

Que  signifie  VÊtre  Suprême?  Est-ce  le  Dieu  4h 
moyen-âge,  l'injuste  Dieu  qui  sauve  les  éju^,  ceux 
qu'il  aime  et  qu'il  préfère,  les  favoris  de  la  Gr|içf|î 
ou  bien  le  Dieu  de  justice,  le  Dieu  de  la  Révolution?,.. 
Prenez  garde.  Mortelle  est  l'équivoque»  Vous  rouvrçi 
la  porte  au  passé.  11  faut  choisir.  Car  des  deux  ^eps 
vont  dériver  doux  politiques  tout  à  fait  contraire^. 
Du  Diçu  juste  dérive  uqe  société  juste,  dénaoçraliqyç, 
égale.  Çt  du  Dieu  de  la  Gr^ce  qui  ne  ^auve  qyç  jes 


ROBESPIERRE  RLESSA  LE  PARTI  CONTRAIRE.  47 

élu9,  VOUS  n'arriverez  jamais  qu'à  une  société  d'élus 
et  de  privilégies. 

Trente  ans  s'étaient  écoulés  depuis  Rousseau. 
L'équivoque  n'élait  plus  permise.  Il  ne  fallait  pas  s'en 
servir.  Au  lieu  de  VÉtre  Suprême,  qui  n'est  qu'une 
neutralité  entre  le  Dieu  juste  et  le  Dieu  injuste,  il 
fallait  confesser  l'une  ou  l'autre  foi,  ou  reculer  dans 
le  passé,  comme  l'Empire  a  fait  franchement,  ou 
suivre  la  voie  révolutionnaire  contre  la  théologie 
arbitraire  de  la  Grâce  et  du  privilège ,  et  mettre  en 
tète  de  la  Loi  le  nom  du  Dieu  nouveau  :  Justice. 

Cette  première  ligne  écrite  et  la  religion  fondée, 
la  constitution  de  93  n'aurait  pas  pu  faire  la  chute 
qu'elle  fait  à  la  seconde  ligne,  où,  pour  but,  à  la 
société  elle  assigne  :  «  Le  bonheur  »  (  le  bonheur 
commun). 

La  constitution  girondine  donnait  à  la  société  pour 
but  :  Le  maintien  des  droits.  Et  Robespierre  lui- 
même  indiquait  ce  but  dans  sa  première  Déclaration 
présentée  aux  Jacobins.  Solution  plus  élevée  sans 
doute  que  le  bonheur,  mais  toutefois  incomplète, 
négative  plus  que  positive,  de  défense  plus  que  d'ac- 
tion, plutôt  privative  de  mal  que  créatrice  de  bien. 

Ni  la  constitution  girondine,  ni  la  jacobine,  ne 
partent  de  la  Justice  et  du  Devoir.  De  là  leur  sté- 
rilité. 

Rapprochons  de  la  constitution  une  loi  fort  impor- 
tante (22  juin),  Sur  la  proposition  de  Robespierre, 
la  Convention  exempta  de  V emprunt  forcé  ceux  qui 
avaient  moins  de  dix  mille  livres  de  renies,  c'est-à-dire 


48        ROBESPIERRE  BLESSA  LE  PARTI  CONTRAIRE. 

à  peu  près  tous  les  propriétaires.  Il  n'y  avait  guère  au- 
dessus  que  des  fortunes  d'émigrés,  qui,  devenues 
biens  nationaux,  étaient  hors  de  la  question,  ou  des 
fortunes  de  banquiers,  la  plupart  étrangers,  et  par- 
tant insaisissables.  Il  n'y  avait  pas  alors  cette  foule 
de  grandes  fortunes  qui  se  sont  faites  depuis  par 
l'industrie,  le  commerce  ou  l'usure. 

Celte  proposition  d'excepter  véritablement  tout  le 
monde  était  un  ménagement  habile  et  politique, 
mais  véritablement  excessif,  pour  la  propriété.  Car 
enfin  dix  mille  livres  de  ce  temps-là  font  douze  ou 
quinze  d'aujourd'hui.  Nombre  de  ces  exemptés  qui 
avaient  moins  de  dix  mille  livres  de  rentes  étaient 
cependant  des  gens  fort  aisés.  Et  il  était  à  craindre 
qu'en  n'exigeant  rien  que  des  gens  plus  riches,  on  ne 
trouvât  personne  sur  qui  lever  le  milliard. 

Du  reste,  rien  n'était  plus  capable  de  ramener  la 
bourgeoisie,  de  la  rallier  à  la  Constitution,  de  briser 
et  dissoudre  le  parti  girondin,  composé  en  partie  des 
gens  aisés  que  Ton  épargnait. 

Résumons. 

Par  sa  constitution,  par  cette  loi  favorable  à  la  pro- 
priété, par  l'ajournement  du  grand  épouvantait  (l'ar- 
mée révolutionnaire),  Robespierre  devenait  l'espoir 
de  trois  classes  absolument  différentes,  jusque-là 
divisées  de  vues  : 

1"  Des  Jacobins,  qu'il  appelait  au  pouvoir; 

2^  Des  propriétaires,  qui  virent  en  lui  leur  défen- 
seur; 


ROBBSPIERilB  SB  RALLIAIT  TROIS  CLASSES  DIFFÉRENTES.        49 

3*  Des  amis  du  passé,  des  prêtres  même,  qui  dans 
sa  formule  de  l'Etre  suprême,  dans  cette  neutralité 
philosophique  entre  le  christianisme  et  la  Révolution, 
voyaient  avec  juste  raison  que  les  institutions  antiques, 
toujours  subsistantes  en  dessous,  reparaîtraient  un 
matin,  pour  étouffer,  faire  avorter  la  création  nou- 
velle. 


VI. 


CHAPITRE  m 


8  1.  —  LES  GIRONDINS. 
(Juin  95.) 


Opinion  des  Montagnards  en  mission.— Efforts  de  conciliatioM.— Les  Girondins 
se  perdent  eax-raêmes.— La  Convention  pouvait-elle  traiter  avec  les  dépar- 
tements?— Les  Girondins  confondus  avec  les  royalistes.— Les  Bobespierristes 
au  Comité  de  salut  public. — Stratégie  de  Robespierre. 


Avons-nous  oublié  la  Gironde?  On  pourrait  le 
croire.  Elle  est  déjà  reculée  dans  le  temps.  Elle 
enfonce  d'heure  en  heure.  Elle  précipite  encore  sa 
chute  en  la  méritant,  par  l'appel  à  la  guerre  civile. 

Les  réclamations  de  la  droite  pour  obtenir  qu'on 
juge  les  membres  détenus  reviennent  de  moment  en 
moment,  toujours  moins  entendues,  comme  une  voix 
tardive,  un  impuissant  écho  des  abîmes  du  passé. 

Peu  de  jours  après  le  5tjuin,  la  Convention  reçut 
une  lettre  de  deux  Montagnards  arrêtés  par  les  Giron- 


OPINION  DU  uomMifiJm^  m  uismn,  &f 

dios  du  Calvados,  Romme  et  Prieur  d^  la  CÔM'Or  ; 
«  Confirmez  notre  arrestation,  et  eon^tituez-nou^ 
otages  pour  la  sûreté  des  députés  détenu9  à  Parû#  ^ 

Admirable  abnégation  qui  montre  tout  œ  qu'il  y 
eut  de  dévouement  et  de  ferme  douceur  d'âme  dans 
ces  hommes  héroïques,  dignes  de  Tantiquité. 

Remarquez  que  cette  arrestation  avait  cela  d'odieux 
que  les  deux  représentants,  envoyés  à  l'armée  des 
côtes,  étaient  là  pour  assurer  la  défense  du  pays,  pour 
protéger  contre  les  flottes  anglaise  la  population 
égarée  qui  les  arrêtait. 

Quand  on  lut  la  lettre  à  la  Convention,  quelqu'un 
fit  observer  que  peut-être  f  ils  avaient  été  forcés...  )i 
— «  Vous  vous  trompez,  dit  Coutbon ,  Romme  serait 
libre  au  milieu  de  tous  les  canons  de  l'Europe^  p 

L'Auvergnat  Romme,  esprit  raide,  âpre  et  fort, 
portait  dans  la  liberté  Tesprit  rigoureux  des  mathé- 
matiques. Libre  en  Russie >  libre  au  Calvados,  comme 
dans  la  Convention,  il  crut  h  la  Révolution  quand 
personne  n'y  croyait  plus,  Dans  la  réa<^tion  qui  suivit 
thermidor,  il  défendit  les  furieux  dont  il  n'avait  pas 
imité  les  excès,  et  jusqu'à  se  perdre  lui^mêmef 
L^émente  de  Prairjali  Cjui  tuait  la  République,  tua 
Romue  aussi.  Condamné  pour  avoir  pris  le  parti  du 
peuple  affamé,  il  prévint  l'écbafaud  et  se  perça  le 
ccmir. 

Dans  cette  cruelle  circonstince  du  2  juin  et  de  son 
arrestation  par  les  Girondins,  R^mme  ne  tergiversa 
pt8«  Inflexible  contre  lui-mènie  dans  la  théorie  du 
droit  révi^utionnaire,  il  dit  froidement  aux  insurgés 


5S  OPINION  DES  MONTAGNARDS  EN  MISSION. 

(comme  plus  tard  en  prairial)  :  «  Persuadés  qu'on 
vous  opprime,  vous  usez  légitimement  du  droit  de  ré'- 
sistance  à  Voppression.  » 

L'autre  député,  Prieur,  mathématicien^  comme 
Romme,  et  officier  de  génie,  illustre  comme  fondateur 
de  l'École  polytechnique,  fut  le  second  de  Carnot 
dans  la  défense  de  la  France.  Comme  lui,  il  était 
député  de  la  Côte-d'Or  ;  comme  lui,  il  avait  Tàme 
généreuse  du  pays  des  bons  vins  et  des  cœurs  cha- 
leureux. Je  croirais  volontiers  reconnaître  sa  main 
dans  une  adresse  touchante  que  la  Côte-d'Or  adressa 
aux  départements  girondins  :  «  Non,  vous  ne  pren- 
drez pas  les  armes!  vous  ne  persisterez  pas  dans 
l'aveugle  mouvement  où  vous  pousse  le  délire  do 
la  liberté*. •  Tremblez  des  crimes  où  l'amour  même 
de  la  patrie  peut  porter  la  vertu...  S'il  était  vrai 
que  les  paroles  fraternelles  de  vos  amis  de  la  Côte- 
d'Or  ne  pussent  arrêter  cet  élan  de  guerre,  ils 
iront  au-devant  de  vous,  sans  armes,  et  vous  diront: 
c<  Frappez!...  Avant  d'immoler  la  Patrie,  immolez- 
nous...  Si  nous  apaisons  votre  fureur,  nous  aurons 
assez  vécu.  » 

Cet  appel  de  fraternité  partait  de  Dijon,  du  pays  le 
plus  montagnard  de  la  France.  Et  c'était  le  cri  de  la 
France  même.  Les  Cordeliers,  si  violents,  mais  sen- 
sibles aux  grandes  choses,  avaient  vivement  applaudi 
la  motion  suivante  que  fit  un  des  leurs  :  a  Je  propose 
que  trois  mille  des  nôtres  marchent  à  la  rencontre  de 
nos  frères  des  départements  qui  viennent  contre 
Paris,  mais  sans  armes,  pour  les  embrasser  !  jh 


OPLHION  DES  MONTAGNARDS  EN  MISSION.  55 

La  section  de  Bondi  déclara  qu'elle  irait  aussi, 
mais  avec  un  juge  de  paix  et  une  branche  d'olivier. 

Rien  ne  fut  plus  touchant  que  de  voir  à  une  fête 
des  Champs-Elysées  les  canonniers  de  Paris,  ce  corps 
montagnard  s'il  en  fut,  verser  des  larmes  au  moment 
de  partir  pour  le  Calvados  :  «  En  vain,  disaient-ils, 
on  voudrait  nous  inspirer  la  haine  contre  les  autres 
citoyens  de  la  France...  Ce  sont  nos  frères,  ils  sont 
républicains,  ils  sont  patriotes...  S'ils  marchent  vers 
Paris,  nous  irous  au-devant  d'eux,  non  pour  les 
combattre,  mais  pour  les  embrasser,  pour  jurer 
avec  eux  la  perte  des  tyrans  et  le  salut  de  la 
patrie.  » 

Les  Montagnards  en  mission,  qui  voyaient  l'état 
des  départements,  furent  accablés  de  la  nouvelle  du 
2  juin. 

Carnot  protesta. 

Le  jurisconsulte  Merlin  de  Douai  écrivit  à  la  Con- 
vention son  opinion  sur  cette  violation  du  droit 
national  et  sur  le  danger  où  elle  mettait  la  France. 
Cette  adresse  fut  signée  deGillet,  Sevestre,  Cavaignac. 

LindetàLyon,  Treilhard  à  Bordeaux,  n'essayèrent 
pas  de  justifier  l'événement;  ils  dirent  seulement 
que^  dans  la  situation  de  la  France,  il  fallait  accepter 
le  fait  accompli,  et  se  rallier  au  seul  centre  possible, 
à  la  Convention. 

Beaucoup  de  citoyens  de  Paris  s'ofiraient  comme 
otages  pour  rassurer,  calmer  les  départements. 

Danton  s'ofTrait  de  nouveau,  et  d'autres.  Couthon 
même  s'offrit. 


54  EPFOtltS  DE  CONCILIATION. 

Deforgues,  agent  de  Danton,  avait  été  de  bonne 
heure  dans  le  Calvados  s'entendre  avec  Prieur  et 
Romme.  Les  bonnes  paroles,  Targent,  les  promesses, 
rien  ne  fut  épargné  pour  calmer  la  Normandie.  La 
voie  fut  ainsi  ouverte  à  la  sagesse  de  Lîndet ,  qui. 
Normand  lui-même,  ménagea  habilement  ses  compa- 
triotes. 

Les  Girondins,  il  faut  le  dire,  contribuèrent  beau- 
coup à  leur  perte. 

Le  sentiment  de  leur  honneur,  de  leur  innocence, 
poussa  Vergnlaud  et  Valazé  à  repousser  tout  compro- 
mis. Ils  déclarèrent  ne  vouloir  que  justice.  Très-mftl 
gardés  dans  les  commencements,  ils  pouvaient  échap^ 
per,  comme  d'autres.  ïls  restèrent  à  Paris  prisonniers 
volontaires  avec  une  douzaine  de  leurs  amis,  rési- 
gnés à  périr,  s'ils  n'obtenaient  leur  réintégration  et 
la  victoire  du  droit.  Loin  de  se  laisser  oublier,  de 
moments  en  moments,  ils  écrivaient  à  la  Convention 
des  paroles  violentes,  lui  lançaient  un  remords.  Ils 
ne  demandaient  rien  que  ce  qu'elle  avait  décrété 
elle-même  ;  ils  s'en  tenaient  à  sa  décision  du  2  juin  : 
La  Commune  fournira  les  pièces,  et  le  rapport  sera 
fait  sous  trois  jours  :  «  Qu'ils  prouvent,  disait  Ver^ 
gniaud ,  quMls  prouvent  que  nous  sommes  coupla- 
blés  ;  sinon  qu't'fe  portent  éUùo-fnêfne$  leur  tête  sur 

Véchafaud,   d 

Quand  Barrêre,  le  6  juin,  vint  au  nom  du  Comité 
de  salut  public  demander  à  la  Montagne  de  donner 
des  Otages  aux  départements,  les  Girondins  qui  res- 
taient à  la  Convention,  Ducos,  Fonfrède,  s^y  opposé- 


LBS  GIROIfDlNS  SE  PERDENT  EUX-MÊMES.  55 

reDt  :  c  Cette  mesure,  direntrils,  est  mesquine  et 
pusitlanime.  »  Ils  soutinrent,  avec  Robespierre,  qu't/ 
fallait  un  jugement.  Rs  prétendaient  être  jugés  par 
la  Convention;  Robespierre  entendait  qu'ils  fussent 
envoyés  au  tribunal  révolutionnaire. 

Le  soir  même  du  fl,  soixante-treize  députés  de  la 
droite  firent  une  protestation  secrète  contre  le  2  juin. 
Quelques-uns  étaient  royalistes  ou  le  devinrent;  mais 
la  plupart,  comme  Daunou,  Blanqui,  etc.,  étaient 
républicains  sincères  et  crurent  devoir  protester  pour 
le  droit. 

Le  jugement  en  réalité  était  impossible  et  le  deve- 
nait de  plus  en  plus. 

Vouloir  que  la  Convention  réformât  le  2  juin, 
c'était  vouloir  qu'elle  s'avilît,  qu'elle  avouât  avoir 
succombé  à  la  crainte,  à  la  violence,  qu'elle  annulât 
tout  ce  qu'elle  avait  fait  depuis  ce  jour. 

Non  coupables  de  trahison,  les  Girondins  n'étaient 
pourtant  pas  innocents.  Leur  faiblesse  avaient  en- 
couragé tous  les  ennemis  de  la  République.  Leur 
lutte  obstinée  avait  tout  entravé  et  désarmé  la  France 
au  moment  du  péril.  Manquant  de  faits  précis  contre 
eux,  la  Convention  eût  bien  été  obligée  de  les  rece- 
voir, et  ils  l'auraient  forcée  de  poursuivre  leurs 
ennemis,  de  faire  un  autre  2  juin  en  sens  inverse. 

Tout  accabla  les  Girondins,  et  la  fuite  de  plusieurs 
des  leurs,  et  l'appel  de  ces  fugitifs  à  la  guerre  civile. 
Les  violences,  les  fureurs  de  la  Gironde  départemen- 
tale, la  guillotine  dressée  k  Marseille  et  à  Lyon  contre 
les  Montagnards,  les  outrages  subis  en  Provence  par 


56  LA  CONVENTION  POUVAiT-ËLLE  TRAITËKAVËC  LES  UÉPARTEMENTS. 

les  représentants  du  peuple,  c'étaient  autant  de  coups 
sur  les  Girondins  de  Paris.  On  s'en  prenait  à  eux  de 
tout  ce  qui  se  faisait  par  les  leurs  aux  extrémités 
de  la  France,  des  crimes  même  que  les  royalistes 
faisaient  en  leur  nom. 

L'expédient  des  otages  refusé  par  eux-mêmes 
n'était  plus  acceptable.  L'imposer  à  la  Montagne, 
c'était  humilier  l'Assemblée  devant  les  départements, 
c'était  relever,  enhardir,  non-seulement  les  Giron- 
dins, mais  la  détestable  queue  de  la  Gironde,  le 
royalisme  masqué;  c'était  confirmer  la  dissolution 
de  la  République,  déjà  tellement  avancée  par  la  mol* 
lesse  du  gouvernement  des  parleurs. 

L'Assemblée  aurait  traité  avec  les  départements 
d'égal  à  égal  !  Mais  traiter  avec  qui?  C'est  ce  qu'on 
ne  savait  même  pas.  Ce  qu'on  appelait  très-mal,  très- 
vaguementparti  girondin  était  un  mélange  hétérogène 
de  nuances  diverses.  Les  réunions  qui  se  formèrent 
pour  organiser  la  résistance  girondine,  à  Rennes 
par  exemple,  furent  des  monstres  et  de  vrais  chaos. 

Robespierre  s'opposa  à  tout  compromis,  et  sans  nul 
doute  il  eut  raison. 

Les  événements  accusaient  la  Gironde.  Les  mau- 
vaises nouvelles  des  victoires  royalistes ,  des  résis- 
tances girondines  tombaient  pêle-mêle  et  comme  une 
grêle  sur  la  Convention. 

On  apprit  en  même  temps  et  les  mouvements  roya- 
listes de  la  Lozère,  et  la  formation  du  comité  giron- 
din des  départements  de  l'Ouest,  à  Rennes. 

On  apprit  en  même  temps  et  la  victoire  des  Yen- 


LES  GllIOMMNS  CONFONDUS  AVEC  LES  ROYALISTES.  57 

déens  à  Saumur  et  rorganisation  militaire  des  forces 
girondines  de  Bordeaux,  d'Evreux,  de  Marseille,  les 
décisions  menaçantes  de  plusieurs  départements 
contre  la  Convention,  etc.»  etc. 

La  Montagne,  les  Jacobins,  les  meilleurs  patriotes, 
se  trouvèrent  ainsi  dans  ce  qu'on  peut  appeler  un  cas 
d'ignorance  invincible.  Il  était  presque  impossible  de 
ne  pas  croire  que  les  faits  qui  arrivaient  en  même 
temps  fussent  sans  liaison  entre  eux.  Le  sdr  du  12, 
quand  Robespierre  annonça  aux  Jacobins  la  défaite 
de  Saumur,  qui  mettait  les  Vendéens  sur  la  route  de 
Paris,  la  fureur  fut  extrême,  mais  contre  les  Giron- 
dins, contre  la  droite  de  la  Convention.  L'bonnête  et 
aveugle  Legendre  dit  qu'il  fallait  arrêter,  détenir 
comme  otages,  jusqu'à  l'extinction  de  la  Vendée,  les 
membres  du  côté  droit. 

Un  Montagnard  très-loyal,  et  franc  comme  son 
épée,  le  vaillant  Bourbotte,  envoya  de  l'Ouest  une 
preuve  qu'un  des  Girondins  était  royaliste.  On  conclut 
que  tous  Tétaient. 

Les  Girondins  retirés  dans  le  Calvados,  Pétion, 
Buzot,  etc. ,  brisés  par  les  événements ,  usés ,  blasés, 
et  finis,  se  laissèrent  dominer  par  les  gens  du  Cal- 
vados. Ceux-ci  avaient  pris  pour  chef  militaire  un 
royaliste  constitutionnel,  le  général  Wimpfen.  Lou- 
vet,  plus  clairvoyant,  avertit  Buzot,  Pétion,  leur  dit 
que  cet  homme  était  un  traître  et  un  royaliste.  Us  ré- 
pondirent mollement  qu'il  était  hommç  d'honneur 
et  que,  seul,  il  avait  la  confiance  des  troupes  et  des 
Normands.  Wimpfen   se  démasqua  bientôt,  parla 


58  LA  CONVENTION  SANCTIONNE  LE  2  JUIN. 

d'appeler  les  Anglais.  Les  Girondins  refusèrent , 
mais  ils  n'en  furent  pas  moins  perdus^  et  parurent 
avoir  mérité  leur  sort. 

Tout  ceci  fit  donc  décidément  croire  une  chose 
très^fausse  :  Que  la  Gironde  était  Valliée  de  la 
Vendée. 

Le  1 3,  l'Assemblée  recevant  a  la  fois  cette  terrible 
nouvelle  de  Saumur,  et  d'autre  part  une  lettre  inso- 
lente où  Wimpfen  lui  annonçait  qu'il  avait  arrêté 
deux  de  ses  membres,  le  nœud  fut  tranché. 

Danton,  déjà  accusé  aux  Cordeliers,  aux  Jacobins, 
crut  ne  plus  pouvoir  se  taire  sans  se  perdre,  dans  la 
vive  émotion  où  paraissait  l'Assemblée.  Il  invectiva 
contre  la  Gironde,  loua  le  31  mai,  et  dit  qu'il  l'avait 
préparé. 

Couthon  saisit  ce  moment  où  la  Montagne  semblait 
décidément  une  par  cette  explosion  de  Danton.  Il 
proposa  et  fit  décréter  la  déclaration  suivante  :  «  Au 
3t  mai  et  au  2  juin,  le  conseil  révolutionnaire  de  la 
Commune  et  le  peuple  ont  puissamment  concouru 
à  sauver  la  liberté,  l'unité,  l'indivisibilité  de  la  Répu- 
blique, n 

6  2.^R0BESPIEBIIE  ENTRE  LES  GIRONDINS  ET  LES  ENRAGÉS. - 

(Juin  9S.) 

Robespierre  avait  vaincu,  et  le  même  jour,  13  juin, 
il  entra  réellement  au  Comité  par  ses  hommes,  Cou- 
thon  et  Saint-Just. 

Delmas,  qui  en  était  membre ,  ayant  hasardé  de 
défendre  une  des  administrations  inculpées,  était  lui- 


LES  ROBESPIBIIRISTES  AU  COMITÉ  DE  SALUT  PUBLIC.  59 

mèmerobjet  des  accusations  jacobines.  Il  se  créa  un 
moyen  de  salut  en  ouvrant  la  porte  du  Comité  aux 
robespierristes.  Le  13,  il  proposa  une  distribution 
du  Comité  en  sections,  et  dans  cette  division  on 
leur  fit  la  meilleure  part*. 

La  section  principale,  celle  qui  donnait  tout  le 
maniement  des  affaires  (correspondance  générale),  se 
composa  de  Couthon  et  de  Saint-Just,  de  plus,  du 
juriste  Bèrlier,  homme  spécial,  nullement  politique, 
qui  ne  gênait  guère  ses  collègues.  Le  quatrième 
membre  enfin  fut  Cambon,  fort  attaqué  et  in- 
quiet, absorbé  et  englouti  dans  l'enfer  de  nos  finan- 
ces, vivant,  mangeant  et  couchant  à  la  Trésorerie, 
tiraillé  de  cent  côtés,  dévoré  par  les  mille  besoins  de 
l'intérieur  et  de  la  guerre,  poursuivant  dans  le  chaos 
sa  création  nouvelle,  comme  une  île  volcanique  sur 
la  mer  de  feu,  où  la  Révolution  devait  jeter  l'ancre  : 
c'est  la  création  du  Grand-  Livre. 

Donc,  la  section  principale  du  Comité  gouvernant 
fut  en  deux  hommes  seulement.  Cette  section  de 
correspondance  générale  ne  correspondait  pas  seule- 
ment par  écrit;  elle  répondait  de  vive  voix  aux 
membres  de  la  Convention,  aux  députations,  aux 
particuliers.  Tous  ceux  enfin  qui  avaient  affaire  au 
Comité  de  salut  public  étaient  reçus  par  Couthon  et 
Saint  -  Just  dans  la  salle  à  deux  colonnes.  Tout  le 
grand  mouvement  du  dehors  venait  se  heurter  aux 
deux  immobiles.  Couthon  Tétait  de  nature  et  de 

^  Rêgiitret  du  Comité  de  êolut  fmôlic,  13-15  juin,  p.  96, 107.  Archi- 
ves natioruUes. 


60  STRATÉGIE  DE  ROBESPIERRE. 

volonté;  le  paralytique  Auvergnat^  dans  sa  douceur 
apparente,  avait  le  poli,  le  froid,  la  dureté  du  silex 
de  ses  montagnes.  Le  chevalier  de  Saint- Just  (comme 
l'appelle  Desmoulins),  dans  son  étonnante  raideur 
jacobine,  le  cou  fortement  serré  d'une  cravate  em- 
pesée, ne  tournait  qu'en  entier  et  tout  à  la  fois,  im-' 
mobile  en  soi,  lors  même  qu'il  se  transportait  d'un 
point  à  un  autre.  Certes ,  dans  le  tourbillonnement 
d'une  situation  si  confuse,  on  n'eût  jamais  pu  trou* 
ver  une  image  plus  arrêtée  d'un  gouvernement  im^ 
muable. 

Cette  &xité  draconienne  et  terrible  des  deux  hom- 
mes de  Robespierre  l'autorisait  singulièrement.  Si  tels 
sont  les  disciples,  disait-on,  quel  est  donc  le  maître  ? 
La  force  de  son  autorité  morale  parut  spécialement 
dans  le  coup  qu'il  frappa  sur  les  Cordeliers,  sur  les 
enragés  qui,  à  ce  moment,  s'étaient  emparés  de  leur 
club.  Ils  avaient  repris  le  rôle  de  Marat,  ses  thèses 
les  plus  violentes  ;  ils  les  mêlaient  d'attaques  contre 
la  Constitution,  c'est-à-dire  contre  Robespierre. 

Le  24,  l'enragé  des  enragés^  le  cordelier  Jacques 
Roux,  au  nom  de  sa  section,  celle  des  Gravilliers. 
apporta  à  la  barre  une  violente  pétition,  qu'il  rendit 
plus  violente  en  l'ornant  d'additions  improvisées. 
Tout  n'était  pas  absurde  dans  cette  furieuse  remon- 
trance à  la  Convention.  Il  reprochait  à  la  Montagne 
de  rester  immobile  <  sur  son  immortel  rocher,  v»  et  de 
ne  rien  faire. 

Avec  un  impitoyable  bon  sens,  les  tribunes  applau- 
dirent. La  Montagne  furieuse  ne  se  connaissait  plus. 


snuTÉciB  ne  mmbshgme.  ei 

Elle  se  leva  toute  entière,  Thuriot  en  tète,  contre  le 
malencontreux  orateur,  et  Legendre  le  fit  chasser  de 
la  barre. 

Qu'était-ce  au  fond  que  Jacques  Roux?  ses  dis- 
cours, visiblement  mutilés,  sa  vie  violemment 
ètoufifte  par  un  surprenant  accord  de  tous  les  partis, 
ne  le  font  pas  deviner.  Nous  le  voyons  accouplé  dans 
les  malédictions  du  temps  avec  le  jeune  Varlet,  hardi 
prêcheur  de  carrefour,  d'autre  part  avec  Leclerc,  le 
jeune  Lyranais,  ami  de  Chalier,  qui  en  mai  était  venu 
s'établir  à  Paris  chez  sa  maîtresse.  Rose  Lacombe, 
chef  et  centre  des  femmes  révolfUiofmaire$.  Quelles 
étaient  les  doctrines  de  Roux  ?  Jusqu'à  quel  point 
était-il  en  rapport  avec  Lyon,  avec  Chalier,  son 
apôtre?  ou  bien  avec  Gracchus  Babeuf,  qui  avait 
publié,  dès  90,  son  Cadastre  perpéiuely  et  s'agitait 
fort  à  Paris?  Nous  ne  pouvons  malheureusement  ré'- 
pondre  à  ces  questions. 

Les  registres  des  Gordeliers  nous  manquent  pour 
cette  époque  ;  ceux  de  la  section  des  Gravilliers,  le 
grand  centre  industriel  de  Paris,  mentionnent  Roux, 
en  bien,  en  mal,  fréquemment,  mais  brièvement. 

Je  croirais  volontiers  que  la  Montagne  n'en  savait 
guère  plus  que  nous,  et  n'en  voulait  pas  savoir  davan- 
tage sur  ce  monstre,  objet  d'horreur.  Les  républicains 
classiques  avaient  déjà  derrière  eux  un  spectre  qui 
marchait  vite  et  les  eût  gagnés  de  vitesse,  le  républi- 
canisme romantique  aux  cent  tètes,  aux  mille  écoles, 
que  nous  appelons  aujourd'hui  le  Socialisme.  Entre 
les  uns  et  les  autres,  il  y  avait  un  abtme  qu'on  croyait 


^ft  STRATÉGIIS  PB  ROPBSPIBH^E. 

iofraucbissable  :  l'idée  trè$HJifférente  qu'ils  avaient 
de  la  propriété.  Marat»  Hébert,  quoique  parfois  dans 
leur  violence  étourdie  ils  aient  paru  autoriser  le 
pillage,  n'en  étaient  pas  moins  défenseurs  dn  droit  de 
la  propriété. 

Que  feraient  les  Cordeliers?  Ils  avaient  d'itbor4 
ordonné  l'impression  de  la  pétition  de  Jacques  RoniCf 
Roux,  Leclerc^  à  ce  moment,  c'étaient  leurs  apôtres. 
Les  femmes  révolutionnaires  venaient  à  cet  ardent 
foyer  mêler  la  dissolution,  l'ivresse  et  l'extase.  Si  Ift 
cbose  eût  suivi  le  cours  qu'elle  eût  eu  à  d'autres 
époques,  les  Cordeliers  auraient  abouti  à  un  commu- 
nisme barbare,  anarchique,  au  vertige  orgiastiqua 
dont  tant  de  fois  furent  saisies  les  démagogies  antir 
ques  et  celles  du  moyen  âge. 

Ces  pensées,  confusément  entrevues,  faisaient  bar- 
reur à  Robespierre,  aux  plus  sages  des  Jacobins,  Amî 
des  idées  nettes  et  claires,  arrêté  dans  ses  principes^ 
il  frémissait  de  voir  la  Révolution  subir  cette  transfor- 
mation &ntastiqua.  Il  craignait  aussi,  non  sans  app^ 
rence,  les  tentations  de  la  misère,  la  faim  mauvoise 
conseillère^  les  démangeaisons  de  pillage,  qui,  comr 
mençant  une  fois  à  gagner  dans  une  ville  de  sept  cçnt 
mille  âmes  (  où  il  y  avait  cent  mille  indigents  )f  m 
pourraient  être  arrêtées.  Le  26  et  le  27  juin^  4m 
femmes  saisirent  un  bateau  de  savon  et  se  l'adjugé^ 
rent  au  prix  qu'elles  fixaient  elles-mêmes.  On  supposa 
que  ces  violences  étaient  l'effet  de  la  pétition  de  Jac- 
ques Roux.  Robespierre,  le  28  au  soir,  lança  Tex- 
communication  contre  lui  aux  Jacobins.  Roux  vonlut 


STRATÉGIE  DB  ROBESPIERRE.  05 

se  justifier  à  la  Commune;  mais  là  Hébert  et  Gbau- 
mette  l'accablèrent  et  Técrasèrent,  Une  autorité 
souveraine  le  frappa  enfin,  celle  de  Marat. 

Tout  cela  paraissait  fort.  Cependant  Robespierre 
comprit  que  ce  serait  d'un  effet  passager,  si  Roux 
n'était  frappé  par  les  siens  mêmes,  par  les  CordeUers, 
s'il  n'était  abandonné,  renié  d'eux  et  condamné.  Ro- 
bespierre n'avait  jamais  été  aux  Cordeliers,  et  il  n'en 
parlait  jamais.  H  avait  pour  eux  une  profonde  anti- 
pathie de  nature.  11  la  surmonta  pour  cette  grande  et 
décisive  occasion.  Il  prit  avec  lui  celui  de  tous  les 
Jacobins  qui  avait  au  plus  haut  degré  le  tempérament 
cordelier,  le  puissant  acteur  des  clubs,  Collot  d'Her- 
bois,  et  de  plus  Hébert,  délégué  de  la  Commune,  et 
tous  trois  associés  dans  cette  croisade  jacobine  du 
maintien  de  l'ordre,  ils  se  présentèrent  le  soir  du 
30  juin  aux  portes  du  club  des  Cordeliers.  Ceux-ci 
ne  s'y-attendaient  pas.  Ils  furent  frappés  d'une  visite 
si  imposante,  si  inusitée.  Ils  le  furent  bien  plus  en- 
core ,  lorsqu'une  de  ces  femmes  révolutionnaires , 
alliées  ordinaires  de  Jacques  Roux  et  de  Leclerc,  de- 
manda la  parole  contre  Jacques  Roux,  l'accabla  de 
moqueries ,  conta  ironiquement  ses  excentricités 
bizarres  sur  son  théâtre  ordinaire,  la  section  des  Gra- 
viHicrs.  Cette  violente  sortie  d'une  femme ,  qui, 
devant  Robespierre  et  les  Jacobins,  traitait  Tapôtre 
comme  un  fou,  humilia  les  Cordeliers;  un  seul 
hasarda  quelque  défense  pour  Roux  et  Leclerc. 
La  société  faiblit,  les  raya  de  la  liste  de  ses  mem- 
bres et  promit  de  désavouer  Roux  à  la  barre  de  la 
Convention. 


64  STRATÉGIE  DE  ROBESPIERRE. 

Les  Cordeliers,  en  réalité,  abdiquaient  leur  rôle 
nouveau.  La  plupart  se  jetèrent  aux  places,  aux  mis- 
sions lucratives.  Momoro,  Vincent,  Ronsin,  se  ser- 
rèrent tous  près  d'Hébert  et  tous  ensemble  fondirent 
sur  une  proie  riche  et  grasse,  le  ministère  de  la 
guerre.  Le  ministre,  le  faible  Bouchotte,  serf  dés 
clubs  et  du  Père  Duchesne,  fut  absorbé  tout  entier. 

Le  petit  furieux  Vincent,  fut  secrétaire  général  de  la 
guerre.  Hébert,  pour  son  Père  Duchesne,  suça  ef- 
frontément Bouchotte,  en  tira  des  sommes  énormes. 
Ronsin,  ex-vaudevilliste,  bas  flatteur  de  I^fayette, 
eut  de  tous  la  plus  large  part  ;  nommé  général-mi- 
nistre, il  eut  en  propre  la  grande  place  du  pillage, 
celle  où  tout  était  permis,  la  dictature  de  la  Vendée. 
L'avancement  de  Ronsin  rappelle  les  plus  tristes 
histoires  des  favoris  de  la  monarchie  ;  capitaine  le 
1*' juillet,  il  fut  le  2  chef  de  brigade,  et  le  4  génértK 
Trois  mois  après ,  en  récompense  de  deux  trahisons 
qui  méritaient  Téchafaud,  il  reçoit  le  poste  de  su- 
prême confiance,  il  est  nommé  général  de  T armée 
révolutionnaire  ! 

Ces  scélérats  étaient  parfaitement  connus  de  Ro- 
bespierre. Il  les  fit  périr  dès  qu'il  put.  Us  lui  étaient 
nécessaires  cependant.  Maîtres  de  la  Commune,  des 
Cordeliers,  de  la  Presse  populaire  et  successeurs 
de  Marat,  ils  paraissaient  être  l'avant-garde  de  la 
Révolution.  Si  Robespierre  eût  eu  la  force  de  les 
démasquer,  qu'eût-il  fait?  il  eût  ouvert  la  porte  à 
Jacques  Roux,  à  Leclerc,  aux  enragés^  qui  les  sui- 
vaient par  derrière. 


STRATÉGIE  DE  ROBESPIEIRE.  m 

Il  craignait  encore  moins  les  hébertistes  que  les 
enragés.  Pourquoi?  Les  hébertistes  ne  représentaient 
nulle  idée,  ils  n'avaient  nulle  prétention  de  doctrine, 
rien  que  des  convoitises  et  des  intérêts;  c'étaient  des 
fripons  qui  ne  pouvaient  manquer  un  matin  d'être 
pris  la  main  dans  le  sac ,  et  mis  à  la  porte.  Les  en-- 
rages  au  contraire  étaient  des  fanatiques,  d'une  portée 
inconnue,  d'un  fanatisme  redoutable,  emportés  par 
un  soufQe  vague  encore,  mais  qui  allait  se  fixer  peut* 
être,  prendre  forme  et  poser  une  révolution  en  face 
de  la  Révolution. 

Cette  nécessité  violente  de  frapper  les  enragés, 
d'humilier  et  mutiler  les  Cordeliers  dans  leur  partie 
la  plus  vitale,  entraînait  pour  la  Montagne,  spécia- 
lement pour  Robespierre,  une  nécessité  de  bascule, 
celle  de  frapper  sur  la  Gironde. 

Le  jour  même  où  parla  Jacques  Roux,  rAssemblée 
émue  de  quelques  paroles  attendrissantes  du  jeune 
Ducos,  avait  décidé  que  le  rapport  sur  les  Girondins 
se  ferait  enfin  le  lendemain  26.  Après  le  discours  de 
Jacques  Roux,  elle  annula  son  décret  sur  la  propo- 
sition de  Robespierre. 

Le  rapporteur  était  Saint-Just.  Il  avait  montré  d'a- 
bord des  sentiments  fort  modérés,  ofTrant  d'aller  avec 
Garât  pacifier  le  Calvados.  Son  rapport,  lu  le  2  juillet 
au  Comité  de  salut  public,  fut  atroce  de  violence.  Les 
Girondins  de  Caen  étaient  déclarés  traîtres,  ceux 
de  Paris  complices. 

Personne  n'objecta  rien.  Et  Danton  était  présent. 
Sa  signature  se  trouve  au  registre. 

VI.  s 


ee  STRATÉGIE  DE  ROBESPIERRE. 

Ce  fut  la  fin  du  Comité;  il  fut  comme  guillotiné 
moralement.  On  le  refit,  le  10  juillet,  sous  Tin- 
fluence  jacobine  ^ 

1  Les  Mémoires  de  Barrère  prétendant  que  ce  fut  Danton  qui  fit 
le  second  Comité  de  salut  public.  Erreur.  Il  n^y  eut  dans  ce  Comité 
que  deux  dantonisles,  Thuriot  et  Hérault  ;  le  premier  n*y  fut  que  deux 
moig  et  donna  sa  démission.-— Les  éditeurs  de  ces  Mémoires,  hommes 
honorables  et  consciencieux,  en  ont  relevé  quelques  fautes  ;  Us  auraient 
pu  en  indiquer  d'autres. — C'est  Danton  qui  a  prolongé  la  Vendée! 
Danton  élait  acharné  au  supplice  des  Girondins  !  Danton  a  fait  don- 
ner cent  mille  écris  à  M.  de  Staël,  qui,  au  lieu  de  les  porter  en  Suède, 
est  resté  à  Coppel;  on  n'en  a  plus  entendu  parler!  Apparemment 
M.  de  Staël  parlugea  avec  Danton  ! —  Dans  le  partage  hypothétique 
de  la  France  où  les  alliés  s'attribuaient  d'avance  ce  qui  touchait  leurs 
Étals,  la  Prusse  aurait  pris  la  Flandre! — Pour  expliquer  son  mot  fa- 
meux :  «  Qu'il  n'y  a  que  les  morts  qui  ne  reviennent  pas  »,  Barrère 
assure  que  les  Anglais  épargnés  par  Houehard  (le  7  septembre)  vinrent 
ensuite  assiéger  Valenciennes  Cprise  le  28  jwllet). — U  est  évident  que 
ce  sont  des  noies  écrites  négligemment  sur  les  vagues  souvenirs  d'un 
homme  qui  avait  alors  plus  de  quatre-vingts  ans. 


CHAPITRE  rV 

IMMOBILITÉ,  ENNUI.— SECOND  MARIAGB  DE  DANtON. 

(Juin  93.) 


Abattement  de  Marat.  —  Découragement  géoéral. —  Danlon  se  remarie  dans 
une  famille  royaliste  et  devant  on  prêtre  réfraclalrè. 


La  singularité  bizarre  de  la  situation  en  juin,  c'est 
que  les  vainqueurs,  les  maîtres  de  la  situation  setrou»- 
vèrent  précisément  condamnés  à  l'inertie  de  ceux 
qu'ils  avaient  remplacés.  La  fureur  des  étirages  for- 
çait les  Jacobins  d'enrayer.  Ne  frappant  un  coup  à 
droite  qu'en  frappant  un  coup  à  gauche,  n'avançant, 
ne  reculant,  Robespierre  et  Marat  se  trouvaient  im*- 
mobilisés  dans  un  misérable  équilibre.  Situation 
imprévue  !  Marat  était  constitué  gardien  de  la 
société. 


68  ABATTEMENT  DE  NARAT. 

C'est,  selon  toute  apparence,  de  quoi  il  est  mort. 
Fatigué  avant  le  2  juin,  il  n'était  pas  encore  malade. 
Dès  le  3,  il  ne  vient  plus  :  il  attendra,  dit-il,  le 
jugement  des  Girondins.  L'Assemblée  écoute  à  peine 
sa  lettre  et  passe  à  l'ordre  du  jour.  Sans  cause,  il 
revient  le  17.  Absent,  présent,  il  s'agite.  L'inatten- 
tion dédaigneuse  de  la  Convention  lui  faisait  sentir 
durement  qu'il  avait  perdu  l'avant-garde.  La  néces- 
sité quotidienne  d'arrêter  les  enragés  l'attristait  et 
l'annulait.  Marat  modéré  !  Qu'était-ce,  sinon  la  mort 
de  Marat? 

Marat  n'était  pas  seul  malade...»  Eh!  qui  ne 
l'était?  Il  y  avait  un  grand  sentiment  de  décourage- 
ment et  de  douleur. 

Cette  douleur  avait  mille  causes.  La  plus  forte  peut- 
être,  c'était  la  contradiction  fatale  des  discours  et  des 
pensées.  On  couvrait  tant  qu'on  pouvait  sous  la  vio- 
lence des  paroles  la  diminution  de  la  foi,  Tattiédisse- 
ment  intérieur. 

«Hélas  !  disait  Ducos,  le  défenseur  de  la  Gironde, 
aux  Montagnards  modérés,  quand  je  vous  prends  un 
à  un,  je  vous  vois  pénétrés  de  respect  pour  la  justice; 
réunis,  vous  votez  contre.  »  (Séance  du  24  juin.) 

«  Les  séances  de  l'Assemblée  sont  maintenant, 
disent  les  journauï,  d'une  décence  extraordinaire.  » 
Elles  étaient  silencieuses  et  courtes;  on  décrétait  à  la 
course;  on  partait  dès  qu'on  pouvait.  La  néces- 
sité du  mensonge  et  de  l'exagération  était  trop 
pesante. 

On  était  obligé  de  redire  tout  le  jour  ce  que  gêné- 


OÉCOURAGENENT  GÉNÉRAL.  69 

raleinent  on  ne  croyait  pas  :  Que  la  Gironde  avait 
trahi.  Ce  qu'on  croyait,  et  qui  était  vrai,  c'est  qu'elle 
était  inhabile,  faible  et  molle,  dangereuse ,  qu'elle 
eût  perdu  le  pays. 

Sur  ce  funèbre  radeau  de  sauvetage  où  flottait  la 
France  naufragée,  elle  se  voyait  obligée  de  jeter  à  la 
merles  incapables  pilotes  qui  l'auraient  fait  chavirer. 
KUe  tâchait  de  les  croire  coupables  ;  pour  le  croire, 
elle  le  disait,  et  le  répétait  sans  cesse.  On  jurait  qu'ils 
étaient  les  amis  de  la  Vendée  !  qu'ils  voulaient 
démembrer  la  France  ! . . 

Le  sacrifice  de  la  Gironde  nous  sauvait-il  pour  le 
moment?  On  était  tenté  de  le  croire.  Qu'en  serait-il 
pour  l'avenir?  La  loi  une  fois  tuée  ainsi  de  la  main 
du  législateur,  n'était-ce  pas  pour  toujours?  Cette 
flagrante  illégalité  n'allait-elle  pas  fonder  l'illéga- 
lité étemelle?...  Que  sont  les  lois  d'une  Assemblée 
brisée  ?  Qu'elle  appelle  une  autre  Assemblée,  celle- 
ci,  née  d'un  appel  sans  droit,  n'apportera-t-elle  pas 
la  tache  originelle  de  sa  naissance?*..  Que  prévoir, 
sinon  une  succession  monstrueuse  de  coups  d'État 
alternatifs?  La  France,  ne  sentant  plus  le  droit, 
n'ayant  nulle  prise  où  s'arrêter,  n'ira-t-elle  pas 
roulant  comme  roule  un  corps  mort  sur  la  vague, 

dont  ne  veut  ni  la  mer  ni  la  terre,  et  qui  flotte  éter- 
nellement ?. . . 

La  tristesse  était  la  même  dans  les  hommes  des 
trois  partis,  dans  les  vainqueurs,  comme  Marat,  dans 
les  vaincus,  comme  Vergniaud,  dans  les  neutres, 
comme  Dauton. 


70  DÉCOURAGEMENT  GÉMÉRAU 

Nous  expliquerons  tout  à  Theure  les  secrets  efforts 
de  Danton  pour  pacifier  la  France.  Ces  tentatives» 
difQciles  et  périlleuses  pour  tous  les  conciliateurs, 
Tétaient  infiniment  pour  lui.  11  agissait  pour  rallier 
la  Gironde  départementale^  mais  toujours  en  parlant 
contre  elle.-  Ses  déclamations  habilement  préparées^ 
lancées  dans  la  Convention  avec  un  désordre  appa* 
rent,  un  hasard  plein  de  calcul,  n'en  étaient  pas 
moins  suspectes  aux  yeux  clairvoyants.  La  haine  ne 
s'y  trompait  pas.  Les  Cordeliers  raccusèrent  le  4,  ^l 
les  Jacobins  le7.  Robespierre  le  défendit,  etTenfonça 
d'autant  plus.  Au  Comité  de  salut  public,  relégué  à 
la  section  diplomatique,  où  il  n'y  avait  rien  à  faire,  à 
la  section  militaire  à  laquelle  il  était  étranger,  il 
subit,  le  2  juillet,  l'atroce  rapport  de  Saint- Just..... 
Danton,  où  était  ton  âme? 

La  mort  venait  à  lui,  rapide Le  dévorant 

Saturne,  affamé  de  ses  enfants,  il  avait  fini  avec  la 
Gironde  :  de  quoi  donc  avait-il  faim  maintenant, 
sinon  de  Danton  ? 

Un  homme  si  pénétrant  ne  se  méprenait  pas  sur 
son  sort.  Que  la  mort  vint  et  vint  vite,  c'était  le  meil- 
leur pour  lui. 

Chose  étrange  I  Yergniaud  et  Danton  mouraient  de 
la  même  mort. 

Le  pauvre  Vergniaud,  prisonnier  rue  de  Clichy, 
dans  ce  quartier  alors  désert  et  tout  en  jardins^  pri- 
sonnier moins  de  la  Convention  quelle  W'^Candeille, 
flatUil  dans  l'amour  et  le  doute.  Lui  resterait-il  cet 
amour  d'une   brillante    femme    de  théâtre,   dans 


DÉCOURAGEMENT  GÉNÉRAL.  7t 

Tanéantissement  de  toutes  choses?  Ce  qu'il  gardait 
de  lui-même  passait  dans  ses  âpres  lettres,  lancées 
contre  la  Montagne.  La  fatalité  Tavait  dispensé  d'agir, 
et  il  ne  le  regrettait  guère,  trouvant  doux  de  mourir 
ainsi,  savourant  les  belles  larmes  qu'une  femme 
donne  si  aisément,  voulant  croire  qu'il  était  aimé. 

Danton,  aux  mêmes  moments,  s'arrangeait  le 
même  suicide. 

Noos  nous  arrêterions  moins  ici,  si  c'était  une 
chose  individuelle;  mais  malheureusement  alors, 
c'est  le  cas  d'un  grand  nombre  d'hommes.  Au  mo- 
ment où  l'affaire  publique  devient  une  affaire  privée, 
une  question  de  vie  et  de  mort^  ils  disent  :  «  Â  de- 
nâain  les  affaires.  »  Us  se  renferment  chez  eux,  se 
réfugient  au  foyer,  à  l'amour,  à  la  nature.  La  nature 
est  bonne  mère,  elle  les  reprendra  bientôt,  les  absor** 
bera  dans  son  sein. 

Danton  se  mariait  en  deuil.  Sa  première  femme, 
tant  aiméoi  venait  de  mourir  le  10  février.  Et  il  l'a- 
vait exhumée  le  17,  pour  la  voir  encore.  Il  y  avait 
au  17  juin  quatre  mois  jour  pour  jour  qu'éperdu, 
rugissant  de  douleur,  il  avait  rouvert  la  terre  pour 
embrasser  dans  Thorreur  du  drap  mortuaire  celle 
en  qui  fut  sa  jeunesse,  son  bonheur  et  sa  fortune. 
Que  vit-il,  que  serra-l-il  dans  ses  bras  (au  bout  de 
sept  jours!)?  Ce  qui  est  sûr,  c'est  qu'en  réalité,  elle 
l'emporta  avec  lui. 

Mourante,  elle  avait  préparé,  voulu  son  second 
mariage  qui  contribua  tant  à  le  perdre.  L'aimant  avec 
passion,  elle  devina  qu'il  aimait  et  voulut  le  rendre 


infranchissable  :  l'idée  trè3-*différente  qu'ils  avaient 
de  la  propriété.  Marat»  Hébert,  quoique  parfois  dans 
leur  violence  étourdie  ils  aient  paru  autoriser  le 
pillage,  n'eu  étaient  pas  moins  défenseurs  du  droit  de 
la  propriété. 

Que  feraient  les  Cordeliers?  Ils  avaient  d'i^bord 
ordonné  l'impression  de  la  pétition  de  Jacques  RpuXf 
B0UX9  Leolerc,  à  ce  moment,  c' étaient  leurs  ap6lreSf 
Les  femm$s  réoolutionnairef  venaient  à  cet  ardent 
foyer  mêler  la  dissolution,  Tivresse  et  l'extase»  3i  la 
chose  eût  suivi  le  cours  qu'elle  eût  eu  à  d' autres 
époques,  les  Cordeliers  auraient  abouti  à  un  commu- 
nisme barbare,  anarchique,  au  vertige  orgiastique 
dont  tant  de  fois  furent  saisies  les  démagogies  aotir 
ques  et  celles  du  moyen  âge. 

Ces  pensées,  confusément  entrevues,  faisaient  hor- 
reur à  Robespierre,  aux  plus  sages  des  Jacobins»  Ami 
des  idées  nettes  et  claires,  arrêté  dans  ses  principes^ 
il  frémissait  de  voir  la  Révolution  subir  cette  transfor- 
mation fiantastique.  Il  craignait  aussi,  non  sans  appf^ 
rence,  les  tentations  de  la  misère,  la  faim  mauvaim 
comeiUère,  les  démangeaisons  de  pillage,  qui,  com^ 
mençant  une  fois  h  gagner  dans  une  ville  de  sept  (^nt 
mille  âmes  (où  il  y  avait  cent  mille  indigents)^  œ 
pourraient  être  arrêtées.  Le  26  et  le  27  juin,  4os 
femmes  saisirent  un  bateau  de  savon  et  se  l'adjugé* 
rent  au  prix  qu'elles  fixaient  elles-mêmes.  On  supposa 
que  ces  violences  étaient  l'effet  de  la  pétition  de  Jac* 
ques  Roux.  Robespierre,  le  28  au  soir,  lança  l'ex- 
communication contre  lui  aux  Jacobins.  Roux  voplut 


STRATÉGIB  DE  ROBESPIERRE.  05 

se  justifier  à  la  Commune;  mais  là  Hébert  et  Cbau- 
mette  raccablèreot  et  récrasèreut,  Uue  autorité 
souveraine  le  firappa  enfin,  celle  de  Marat. 

Tout  cela  paraissait  fort.  Cependant  Robespierre 
comprit  que  ce  serait  d'un  effet  passager,  si  Roux 
n'était  frappé  par  les  siens  mêmes,  par  les  CordeUers, 
s'il  n'était  abandonné,  renié  d'eux  et  condamné.  Ro- 
bespierre n'avait  jamais  été  aux  Cordeliers,  et  il  n'en 
parlait  jamais.  Il  avait  pour  eux  une  profonde  anti- 
pathie de  nature.  Il  la  surmonta  pour  cette  grande  et 
décisive  occasion.  Il  prit  avec  lui  celui  de  tous  les 
Jacobins  qui  avait  au  plus  haut  degré  le  tempérament 
cordelier,  le  puissant  acteur  des  clubs,  CoUot  d'Her- 
bois,  et  de  plus  Hébert,  délégué  de  la  Commune,  et 
tous  trois  associés  dans  cette  croisade  jacobine  du 
maintien  de  l'ordre,  ils  se  présentèrent  le  soir  du 
30  juin  aux  portes  du  club  des  Cordeliers.  Ceux-ci 
ne  s'y-attendaient  pas.  Ils  furent  frappés  d'une  visite 
si  imposante,  si  inusitée.  Ils  le  furent  bien  plus  en-*- 
core ,  lorsqu'une  de  ces  femmes  révolutionnaires , 
alliées  ordinaires  de  Jacques  Roux  et  de  Leclerc,  de- 
manda la  parole  contre  Jacques  Roux,  l'accabla  de 
moqueries ,  conta  ironiquement  ses  excentricités 
bizarres  sur  son  théâtre  ordinaire,  la  section  des  Gra- 
villicrs.  Cette  violente  sortie  d'une  femme ,  qui, 
devant  Robespierre  et  les  Jacobins,  traitait  Tapôtre 
comme  un  fou,  humilia  les  Cordeliers;  un  seul 
hasarda  quelque  défense  pour  Roux  et  Leclerc. 
La  société  faiblit,  les  raya  de  la  liste  de  ses  mem- 
bres et  promit  de  désavouer  Roux  à  la  barre  de  la 
Convention. 


64  STRATÉGIE  DE  ROBESPIERRE. 

Les  Cordeliers,  en  réalité,  abdiquaient  leur  rôle 
nouveau.  La  plupart  se  jetèrent  aux  places,  aux  mis- 
sions lucratives.  Momoro,  Vincent,  Ronsin,  se  ser- 
rèrent tous  près  d'Hébert  et  tous  ensemble  fondirent 
sur  une  proie  riche  et  grasse ,  le  ministère  de  la 
guerre.  Le  ministre,  le  faible  Boucbotte,  serf  dés 
clubs  et  du  Père  Duchesne,  fut  absorbé  tout  entier. 

Le  petit  furieux  Vincent,  fut  secrétaire  général  de  la 
guerre.  Hébert,  pour  son  Père  Duchesne,  suça  ef- 
frontément Boucbotte,  en  tira  des  sommes  énormes. 
Ronsin,  ex-vaudevilliste,  bas  flatteur  de  I^fayette, 
eut  de  tous  la  plus  large  part  ;  nommé  général-mi- 
nistre, il  eut  en  propre  la  grande  place  du  pillage, 
celle  où  tout  était  permis,  la  dictature  de  la  Vendée. 
L'avancement  de  Ronsin  rappelle  les  plus  tristes 
histoires  des  favoris  de  la  monarchie  ;  capitaine  le 
1*' juillet,  il  fut  le  2  chef  de  brigade,  et  le  4  généntU 
Trois  mois  après ,  en  récompense  de  deux  trahisons 
qui  méritaient  Téchafaud,  il  reçoit  le  poste  de  su- 
prême confiance,  il  est  nommé  général  de  Tannée 
révolutionnaire  ! 

Ces  scélérats  étaient  parfaitement  connus  de  Ro- 
bespierre. Il  les  fit  périr  dès  qu'il  put.  Ils  lui  étaient 
nécessaires  cependant.  Maîtres  de  la  Commune,  des 
Cordeliers,  de  la  Presse  populaire  et  successeurs 
de  Marat,  ils  paraissaient  être  Tavant-garde  de  la 
Révolution.  Si  Robespierre  eût  eu  la  force  de  les 
démasquer,  qu'eût-il  fait?  il  eût  ouvert  la  porte  à 
Jacques  Roux,  à  Leclerc,  aux  enragés^  qui  les  sui- 
vaient par  derrière. 


STRATÉGIE  DE  ROBESPIERRE.  65 

Il  craignait  encore  moins  les  bébertistes  que  les 
enragés.  Pourquoi?  Les  bébertistes  ne  représentaient 
nulle  idée,  ils  n'avaient  nulle  prétention  de  doctrine, 
rien  que  des  convoitises  et  des  intérêts;  c'étaient  des 
fripons  qui  ne  pouvaient  manquer  un  matin  d'être 
pris  la  main  dans  le  sac ,  et  mis  à  la  porte.  LéCS  en- 
ragés au  contraire  étaient  des  fanatiques,  d'une  portée 
inconnue,  d'un  fanatisme  redoutable,  emportés  par 
un  sou£Qe  vague  encore,  mais  qui  allait  se  fixer  peut- 
être,  prendre  forme  et  poser  une  révolution  en  face 
de  la  Révolution. 

Cette  nécessité  violente  de  frapper  les  enragés  ^ 
d'bumilier  et  mutiler  les  Cordeliers  dans  leur  partie 
la  plus  vitale,  entraînait  pour  la  Montagne,  spécia- 
lement pour  Robespierre,  une  nécessité  de  bascule, 
celle  de  frapper  sur  la  Gironde. 

Le  jour  même  où  parla  Jacques  Roux,  l'Assemblée 
émue  de  quelques  paroles  attendrissantes  du  jeune 
Ducos,  avait  décidé  que  le  rapport  sur  les  Girondins 
se  ferait  enfin  le  lendemain  26.  Après  le  discours  de 
Jacques  Roux,  elle  annula  son  décret  sur  la  propo- 
sition de  Robespierre. 

Le  rapporteur  était  Saint-Just.  Il  avait  montré  d'a- 
bord des  sentiments  fort  modérés,  offrant  d'aller  avec 
Garât  pacifier  le  Calvados.  Son  rapport,  lu  le  2  juillet 
au  Comité  de  salut  public,  fut  atroce  de  violence.  Les 
Girondins  de  Caen  étaient  déclarés  traîtres,  ceux 
de  Paris  complices. 

Personne  n'objecta  rien.  Et  Danton  était  présent. 
Sa  signature  se  trouve  au  registre. 

VI.  a 


66  STRATÉGIE  DE  ROBESPIERRE. 

Ce  fut  la  fin  du  Comité  ;  il  fut  comme  guillotiné 
moralement.  On  le  refit,  le  10  juillet,  sous  Tin- 
fluence  jacobine*. 

^  Les  Mémoires  de  Barrère  prétendent  que  c%  fut  Panton  qui  fit 
le  second  Comité  de  salut  public.  Erreur.  Il  n^y  eut  dans  ce  Comité 
que  deux  dantonîstes,  Tliurîot  et  Hérault  ;  le  premier  n^y  fut  que  deux 
mois  et  donna  sa  démission.— Les  éditeurs  de  ces  Mémoires,  hommes 
honorables  et  consciencieux,  en  ont  relevé  quelques  fautes;  ils  auraient 
pu  en  indiquer  d*aulres. — C'est  Danton  qui  a  prolongé  la  Vendée! 
Danton  était  acharné  au  supplice  des  Girondins  !  Danton  a  fait  don- 
ner cent  mille  écus  à  M.  de  Sta'él,  qui,  au  lieu  de  les  porter  en  Suède, 
est  resté  à  Coppel;  on  n'en  a  plus  entendu  parler!  Apparemment 
M.  de  Staël  partagea  avec  Danton  ! —  Dans  le  partage  hypothétique 
de  la  France  où  les  alliés  s'attribuaient  d'avance  ce  qui  touchait  leurs 
États,  la  Prusse  aurait  pris  la  Flandre! — Pour  expliquer  son  mot  fa- 
meux :  «  Qu*il  n'y  a  que  les  morts  qui  ne  reviennent  pas  »,  Barrère 
assure  que  les  Anglais  épargnés  par  Houchard  (le  7  septembre)  vinrent 
ensuite  assiéger  Valenciennes  Cprise  le  28  juillet), — U  est  évident  que 
ce  sont  des  noies  écrites  négligemment  sur  les  vagues  souvenirs  d'un 
homme  qui  avait  alors  plus  de  quatre-vingts  ans. 


CHAPITRE  IV 

IMMOBILITÉ,  ENNUI.— SECOND  M AUIAGE  DE  DANtON. 

(Juin  9S.) 


Abattement  de  Marat.  —  Découragement  général. —  Danton  te  remarie  dans 
une  famille  royaliste  et  devant  an  prêtre  réfractalrè. 


La  singularité  bizarre  de  la  situation  en  juin^  c'^ 
que  les  vainqueurs,  les  maîtres  de  la  situation  setrou^ 
vèrent  précisément  condamnés  à  Tinertie  de  ceux 
qu'ils  avaient  remplacés.  La  fureur  dos  enragés  for- 
çait les  Jacobins  d'enrayer.  Ne  frappant  un  coup  à 
droite  qu'en  frappant  un  coup  à  gauche,  n'avançant, 
ne  reculant,  Robespierre  et  Marat  se  trouvaient  im^ 
mobilisés  dans  uo  misérable  équilibre.  Situation 
imprévue  !  Marat  était  constitué  gardien  de  la 
société. 


68  ABATTEMENT  DE  NARAT. 

C'est,  selon  toute  apparence,  de  quoi  il  est  mort. 
Fatigué  avant  le  2  juin,  il  n'était  pas  encore  malade. 
Dès  le  3,  il  ne  vient  plus  :  il  attendra,  dit-il,  le 
jugement  des  Girondins.  L'Assemblée  écoute  à  peine 
sa  lettre  et  passe  à  l'ordre  du  jour.  Sans  cause,  il 
revient  le  17.  Absent,  présent,  il  s'agite.  L'inatten- 
tion dédaigneuse  de  la  Convention  lui  faisait  sentir 
durement  qu'il  avait  perdu  l'avanl-garde.  La  néces- 
sité quotidienne  d'arrêter  les  enragés  l'attristait  et 
l'annulait.  Marat  modéré!  Qu'était-ce,  sinon  la  mort 
de  Marat? 

Marat  n'était  pas  seul  malade....  Ehl  qui  ne 
l'était?  Il  y  avait  un  grand  sentiment  de  décourage- 
ment et  de  douleur. 

Cette  douleur  avait  mille  causes.  La  plus  forte  peut- 
être,  c'était  la  contradiction  fatale  des  discours  et  des 
pensées.  On  couvrait  tant  qu'on  pouvait  sous  la  vio- 
lence des  paroles  la  diminution  de  la  foi,  Fattiédisse- 
ment  intérieur. 

«Hélas  !  disait  Ducos,  le  défenseur  de  la  Gironde, 
aux  Montagnards  modérés,  quand  je  vous  prends  un 
à  un,  je  vous  vois  pénétrés  de  respect  pour  la  justice; 
réunis,  vous  votez  contre.  »  (Séance  du  24  juin.) 

c(  Les  séances  de  l'Assemblée  sont  maintenant, 
disent  les  journaut,  d'une  décence  extraordinaire.  » 
Elles  étaient  silencieuses  et  courtes;  on  décrétait  à  la 
course;  on  partait  dès  qu'on  pouvait.  La  néces- 
sité du  mensonge  et  de  l'exagération  était  trop 
pesante. 

On  était  obligé  de  redire  tout  le  jour  ce  que  gêné- 


DÉCOURAGEMENT  GÉNÉRAL.  fSi 

ralement  on  ne  croyait  pas  :  Que  la  Gironde  avait 
trahi.  Ce  qu'on  croyait,  et  qui  était  vrai,  c'est  qu'elle 
était  inhabile,  faible  et  molle,  dangereuse ,  qu'elle 
eût  perdu  le  pays. 

Sur  ce  funèbre  radeau  de  sauvetage  où  flottait  la 
France  naufragée,  elle  se  voyait  obligée  de  jeter  à  la 
mer  les  incapables  pilotes  qui  l'auraient  fait  chavirer. 
Klle  tâchait  de  les  croire  coupables  ;  pour  le  croire, 
elle  le  disait,  et  le  répétait  sans  cesse.  On  jurait  qu'ils 
étaient  les  amis  de  la  Vendée  !  qu'ils  voulaient 
démembrer  la  France  !. . 

Le  sacrifice  de  la  Gironde  nous  sauvait-il  pour  le 
moment?  On  était  tenté  de  le  croire.  Qu'en  serait-il 
pour  l'avenir?  La  loi  une  fois  tuée  ainsi  de  la  main 
du  législateur,  n'était-ce  pas  pour  toujours?  Cette 
flagrante  illégalité  n'allait- elle  pas  fonder  l'illéga- 
lité éternelle?...  Que  sont  les  lois  d'une  Assemblée 
brisée  ?  Qu'elle  appelle  une  autre  Assemblée,  celle- 
ci,  née  d'un  appel  sans  droit,  n'apportera-t-elle  pas 
la  tache  originelle  de  sa  naissance?...  Que  prévoir, 
sinon  une  succession  monstrueuse  de  coups  d'Ëtat 
alternatifs?  La  France,  ne  sentant  plus  le  droit, 
n'ayant  nulle  prise  où  s'arrêter,  n'ira-t-elle  pas 
roulant  comme  roule  un  corps  mort  sur  la  vague, 
dont  ne  veut  ni  la  mer  ni  la  terre,  et  qui  flotte  éter- 
nellement?... 

La  tristesse  était  la  même  dans  les  hommes  des 
trois  partis,  dans  les  vainqueurs,  comme  Marat,  dans 
les  vaincus,  comme  Vergniaud,  dans  les  neutres, 
comme  Danton. 


70  DÉCOURAGEMENT  GÉRÉRAL* 

Nous  expliquerons  tout  à  Tbeure  les  secrets  efforts 
de  Danton  pour  pacifier  la  France.  Ces  tentatives, 
difQciles  et  périlleuses  pour  tous  les  conciliateurs. 
Tétaient  inûniment  pour  lui.  11  agissait  pour  rallier 
là  Gironde  départementale,  mais  toujours  en  parlant 
contre  elle.*  Ses  déclamations  habilement  préparées, 
lancées  dans  la  Convention  avec  un  désordre  appa* 
rent,  un  hasard  plein  de  calcul,  n'en  étaient  pas 
moins  suspectes  aux  yeux  clairvoyants.  La  haine  ne 
s'y  trompait  pas.  Les  Cordeliers  l'accusèrent  le  4,  M 
les  Jacobins  le  7.  Robespierre  le  défendit,  et  l'enfonça 
d'autant  plus.  Au  Comité  de  salut  public,  relégué  à 
la  section  diplomatique,  où  il  n'y  avait  rien  à  faire,  à 
la  section  militaire  à  laquelle  il  était  étranger,  il 
subit,  le  2  juillet,  l'atroce  rapport  de  Saint- Just..... 
Danton,  où  était  ton  âme? 

La  mort  venait  à  lui,  rapide Le  dévorant 

Saturne,  affamé  de  ses  enfants,  il  avait  fini  avec  la 
Gironde  :  de  quoi  donc  avait*il  faim  maintenant, 
sinon  de  Danton  ? 

Un  homme  si  pénétrant  ne  se  méprenait  pas  sur 
son  sort.  Que  la  mort  vint  et  vint  vite,  c'était  le  meil- 
leur pour  lui. 

Chose  étrange  I  Yergniaud  et  Danton  mouraient  de 
la  même  mort. 

Le  pauvre  Vergniaud,  prisonnier  rue  de  Clichy, 
dans  ce  quartier  alors  désert  et  tout  en  jardins,  pri- 
sonnier moins  de  la  Convention  quelle  Al^'^Candeille, 
flottait  dans  Tamour  et  le  doute.  Lui  resterait-il  cet 
amour  d'une    brillante    femme   de  théâtre,   dans 


DÉCOURAGEMENT  GÉNÉRAL.  7t 

l'anéantissement  de  toutes  choses?  Ce  qu'il  gardait 
de  lui-même  passait  dabs  ses  âpres  lettres,  lancées 
contre  la  Montagne.  La  fatalité  Tavait  dispensé  d'agir, 
et  il  ne  le  regrettait  guère,  trouvant  doux  de  mourir 
aini^^  savourant  les  belles  larmes  qu'une  femme 
doDne  si  aisément,  voulant  croire  qu'il  était  aimé. 

Danton,  aux  mêmes  moments,  s'arrangeait  le 
même  suicide. 

Nous  nous  arrêterions  moins  ici,  si  c'était  une 
chose  individuelle;  mais  malheureusement  alors, 
c'est  le  cas  d'un  grand  nombre  d'hommes.  Au  mo- 
ment où  l'affaire  publique  devient  une  affaire  privée, 
une  question  de  vie  et  de  mort^  ils  disent  :  a  Â  de- 
main les  affaires.  »  Ils  se  renferment  chez  eux,  se 
réfugient  au  foyer,  à  l'amour,  à  la  nature.  La  nature 
est  bonne  mère,  elle  les  reprendra  bientôt,  les  absor** 
bera  dans  son  sein. 

Danton  se  mariait  en  deuil.  Sa  première  femme, 
tant  aiméoi  venait  de  mourir  le  10  février.  Et  il  l'a- 
vait exhumée  le  17,  pour  la  voir  encore.  Il  y  avait 
au  17  juin  quatre  mois  jour  pour  jour  qu'éperdu, 
rugissant  de  douleur,  il  avait  rouvert  la  terre  pour 
embrasser  dans  Thorreur  du  drap  mortuaire  celle 
en  qui  fut  sa  jeunesse,  son  bouheur  et  sa  fortune. 
Que  vit-il,  que  serra-l-il  dans  ses  bras  (au  bout  de 
sept  jours!)?  Ce  qui  est  sûr,  c'est  qu'en  réalité,  elle 
l'emporta  avec  lui. 

Mourante,  elle  avait  préparé,  voulu  son  second 
mariage  qui  contribua  tant  à  le  perdre.  L'aimant  avec 
passion,  elle  devina  qu'il  aimait  et  voulut  le  rendre 


7Î  DANTON  SE  MARIE 

heureux.  Elle  laissait  aussi  deux  petits  enfants,  et 
croyait  leur  donner  une  mère  dans  une  jeune  fille 
qui  n'avait  que  seize  ans,  mais  qui  était  pleine  de 
charme  moral,  pieuse  comme  M"*  Danton,  et  de 
famille  royaliste.  La  pauvre  femme,  qui  se  mourait 
des  émotions  de  Septembre  et  de  la  terrible  réputa- 
tion de  son  mari,  crut  sans  doute,  en  le  remariant 
ainsi,  le  tirer  de  la  Révolution,  préparer  sa  conver- 
sion, en  faire  peut  être  le  secret  défenseur  de  la  Reine, 
de  l'enfant  du  Temple,  de  tous  les  persécutés. 

Danton  avait  connu  au  Parlement  le  père  de  la 
jeune  fille,  qui  était  huissier -audiencier.  Devenu 
ministre,  il  lui  fit  avoir  une  bonne  place  à  la  Marine. 
Mais  tout  obligée  que  la  famille  était  à  Danton,  elle 
ne  se  montra  point  facile  à  ses  vues  de  mariage.  La 
mère,  nullement  dominée  par  la  terreur  de  son  nom, 
lui  reprocha  sèchement  et  Septembre  qu'il  n'avait 
pas  fait,  et  la  mort  du  Roi  qu'il  eût  voulu  sauver. 

Danton  se  garda  bien  de  plaider.  Il  fit  ce  qu'on 
fait  eu  pareil  cas  quand  on  veut  gagner  son  procès, 
qu'on  est  amoureux  et  pressé  :  il  se  repentit.  11  avoua, 
ce  qui  était  vrai,  que  les  excès  de  l'anarchie  lui  étaient 
chaque  jour  plus  difficiles  à  supporter,  qu'il  se  sentait 
déjà  bien  las  de  la  Révolution,  etc. 

S'il  répugnait  tant  à  la  mère,  il  ne  plaisait  guère  à 
la  fille.  M"«  Louise  Gély,  délicate  et  jolie  personne, 
élevée  dans  cette  famille  bourgeoise  de  vieille  roche, 
d'honnêtes  gens  médiocres,  était  toute  dans  la  tra- 
dition de  l'ancien  régime.  Elle  éprouvait  près  de 
Danton  de  l'ètonnement  et  un  peu  de  peur,  bien  plu$ 


DANS  UNE  FAMILLE  HOYALISTE.  73 

que  d'amour.  Cet  étrange  personnage,  tout  ensemble 
lion  et  homme,  lui  restait  incompréhensible.  Il  avait 
beau  limer  ses  dents,  accourcir  ses  griffes,  elle  n'était 
nullement  rassurée  devant  ce  monstre  sublime  : 

Le  monstre  était  pourtant  bon  homme;  mais  tout 
ce  qu'il  avait  de  grand  tournait  contre  lui.  Ce  mys- 
tère d'énergie  sauvage,  cette  poétique  laideur  illu- 
minée d'éclairs,  cette  force  du  puissant  mâle  d'où 
jaillissait  un  flot  vivant  d'idées,  de  paroles  éternelles, 
tout  cela  intimidait,  peut-être  serrait  le  cœur  de 
l'enfant. 

La  famille  crut  l'arrêter  court  en  lui  présentant 
un  obstacle  qu'elle  croyait  insurmontable,  la  néces- 
sité de  se  soumettre  aux  cérémonies  catholiques. 
Tout  le  monde  savait  que  Danton,  le  vrai  (ils  de 
Diderot,  ne  voyait  que  superstition  dans  le  christia- 
nisme, et  n'adorait  que  la  Nature. 

Mais  pour  cela  justement,  ce  fils,  ce  serf  de  la 
Nature,  obéit  sans  difficulté.  Quelque  autel,  ou  quel* 
que  idole  qu'on  lui  présentât,  il  y  courut,  il  y  jura... 
Telle  était  la  tyrannie  de  son  aveugle  désir.  I^a  nature 
était  complice;  elle  déployait  tout  à  coup  toutes  ses 
énergies  contenues;  le  printemps,  un  peu  retardé, 
éclatait  en  été  brûlant;  c'était  l'éruption  des  roses.  Il 
n'y  eut  jamais  un  tel  contraste  d'une  si  triomphante 
saison  et  d'une  situation  si  trouble.  Dans  l'abat- 
tement moral,  pesait  d'autant  plus  la  puissance 
d'une  température  ardente,  exigeante,  passionnée. 
Danton,  sous  cette  impulsion,  ne  livra  pas  de  grands 
combats  quand  on  lui  dit  que  c'était  d'un  prêtre 


74  DANTON  SK  MARIE 

réfractaire  qu'il  fallait  avoir  la  bénédiction.  Il  aurait 
passé  dans  la  flanfiioe.  Ce  prêtre  enfin,  dans  son  gre- 
nier, consciencieux  et  fanatique,  ne  tint  pas  quitte 
Danton  pour  un  billet  acheté,  Il  fallut,  dit-on,  qu'il 
s'agenouillât,  simulât  la  confession,  profanant  dans 
un  seul  acte  deux  religions  à  la  fois  :  la  nôtre  et  celle 
du  passé. 

Où  donc  était-il,  cet  autel  consacré  par  nos  Assem- 
blées k  la  religion  de  la  Loi,  sur  les  ruines  du  vieil 
autel  de  l'arbitraire  et  de  la  Grâce?  Où  était-il,  l'autel 
de  la  Révolution,  où  le  bon  Camille,  l'ami  de  Danton^ 
avait  porté  son  nouveau -né,  donnant  le  premier 
l'exemple  aux  générations  à  venir? 

Ceux  qui  connaissent  les  portraits  de  Danton,  spé^ 
cialement  les  esquisses  qu'en  surprit  David  dans  leK 
nuits  de  la  Convention ,  n'ignorent  pas  comment 
l'homme  peut  descendre  du  lion  au  taureau,  que  dia^^ 
je?  tomber  au  sanglier,  type  sombre,  abaissé,  déso- 
lant de  sensualité  sauvage. 

Voilà  une  force  nouvelle  qui  va  régner  toute- 
puissante  dans  la  sanguinaire  époque  que  nous  de- 
vons raconter;  force  molle,  force  terrible,  qui  dis- 
sout, brise  en  dessous  le  nerf  de  la  Révolution. 
Sous  l'apparente  austérité  des  mœurs  républicaines, 
parmi  la  terreur  et  les  tragédies  de  l'échafaud,  la 
femme  et  Tamour  physique  sont   les  rois  de  93. 

On  y  voit  des  condamnés  qui  s'en  vont  sur  la 
charrette,  insouciants,  la  rose  à  la  bouche.  C'est  la 
vraie  image  du  temps.  Elles  mènent  l'homme  à  la 
mort,  ces  roses  sanglantes. 


4 

4 

É 
■1 


DEVANT  UN  PRÊTRE  RÉFRACTAIRE.  75 

Danton,  mené,  traîné  ainsi,  l'avouait  avec  une 
naïveté  cynique  et  douloureuse  dont  il  faut  bien  mo- 
difier l'expression.  On  l'accusait  de  conspirer.  «  Moi! 

dit-il,  c'est  impossible! Que  voulez-vous  que 

fasse  un  homme  qui,  chaque  nuit,  s'acharne  h 
l'amour?» 

Dans  des  chants  mélancoliques  qu'on  répète 
encore,  Fabre  d'Églantine  et  d'autres  ont  laissé  là 
Marseillaise  des  voluptés  funèbres,  chantée  bien  des 
fois  aux  prisons,  au  tribunal  môni«,  jusqu'au  pied  de 
l'échafaud.  L'Amour,  en  93,  parut  ce  qu'il  est,  le 
frère  de  la  Mort. 


CHAPITRE  V 

LES  VENDÉENS. -LEUR  APPEL  A  L'ÉTRANGER. 

(Mars-Join  9S.) 


Le  salut  de  Nantes  fut  celui  de  la  France.  —  Machines  employées  pour  armet 
la  Vendée. —  Henri  de  Larocbejaqoelein.  —  Bataille  de  Saomur  (10  juin).— 
Rapports  des  Vendéens  avec  Tétranger  (avril  9S).  —  Hs  marchent  vers 
Nantes.— Us  essaient  de  s'entendre  avec  Charette. 


Deux  phéDomènes  inattendus  se  virent  à  la  fin  de 
juin,  l'un  qui  faillit  perdre  la  France,  et  Faulre  qui 
la  sauva. 

Les  trois  Yendées  (de  TÀnjou,  du  Bocage  et  du 
Marais),  essentiellement  discordantes  entre  elles  et 
communiquant  très-mal,  s'unirent  un  moment,  for- 
mèrent une  même  masse  d'une  grande  armée  bar- 
bare, et  sur  la  Loire  roulèrent  ensemble,  à  Saumur, 
à  Angers,  à  Nantes,  leur  épouvantable  flot. 

Mais  voici  l'autre   phénomène:  Les  Girondins, 


LE  8AL0T  DE  NANTES  FUT  CELUI  DE  LA  FRANCE.      77 

proscrits  à  Paris  comme  royalistes^  organisèrent  dans 
l'Ouest,  délaissé  et  sans  secours,  la  plus  vigoureuse 
défense  contre  les  royalistes.  Ils  votèrent  des  troupes 
contre  la  Convention,  et  les  envoyèrent  contre  la 
Vendée.  Sauf  quelques  centaines  de  Bretons  qui 
allèrent  au  Calvados,  la  Bretagne  girondine  resta 
dans  son  rôle  héroïque  ;  elle  fut  le  vrai  roc  de  la  ré- 
sistance et  contre  le  royalisme  breton  qu'elle  portait 
dans  son  sein,  et  contre  l'émigration  qui  la  menaçait 
de  Jersey,  enfin  contre  l'invasion  vendéenne  qu'elle 
brisa  devant  Nantes. 

L'attaque  de  Nantes,  fait  minime  si  l'on  considé- 
rait le  nombre  des  morts,  est  un  fait  immense  pour 
les  résultats.  L'empereur  Napoléon  a  dit  avec  raison 
que  le  salut  de  cette  ville  avait  été  le  salut  de  la 
France. 

Nantes  présenta  de  mars  en  juin  un  spectacle 
d'unanimité  rare  et  formidable.  Les  mesures  sévères, 
terribles,  qu'exigeait  la  situation,  furent  prises  par 
l'administration  girondine  et,  sur  la  demande  des 
modérés,  exécutées  énergiquement  par  les  Girondins 
et  les  Montagnards,  sans  distinction.  Ce  fut  le  club 
girondin  qui,  le  13  mars,  par  l'organe  du  jeune 
Villenave,  demanda  le  tribunal  révolutionnaire  et 
l'exécution  immédiate  des  traîtres,  la  guillotine  sur 
la  place,  de  plus  une  cour  martiale  ambulante  qui, 
parcourant  le  département  avec  la  force  armée, 
jugerait  et  exécuterait. 

On  entrevoit  par  ceci  (et  Ton  verra  mieux  plus 
tard)  que  la  France  républicaine,  parmi  tant  de  dis- 


78  BUCHINES  EMPLOYÉES  POCH  ARMER  LÀ  VENDÉE. 

sidences  extérieures  et  bruyantes,  tant  de  cris,  tant 
de  menaces,  conservait  un  fonds  d'unité. 

Il  est  curieux  de  voir,  en  opposition,  combien  la 
Coalition,  si  parfaitement  une  dans  ses  manifestes, 
était  discordante,  combien  les  Vendées,  qui  pour 
frapper  Nantes  prennent  une  apparence  d'unité  si 
terrible,  combien  elles  étaient  divisées,  hostiles  pour 
elles-mêmes. 

Nous  ignorions  encore,  en  1850,  quand  nous  écri- 
vîmes le  tome  V  de  cette  histoire ,  une  partie  des 
moyens  tout  artificiels  qu'on  employa  pour  lancer  ce 
malheureux  peuple,  ignorant,  aveugle,  contre  ses 
propres  intérêts.  Nous  ne  connaissions  non  plus  que 
très  imparfaitement  les  mésintelligences  des  chefs,  la 
rivalité  intérieure  des  nobles  et  du  clergé  *. 


*  Je  donnerai  plus  loin  le  détail  des  miracles  grossiers  de  physique 
et  de  magie  blanche  qu'on  fit  pour  faire  prendre  les  armes  aux  iiiforia- 
nés  Vendéens.  Les  prêtres  et  les  nobles  employèrent  habllenMnt  des 
domestiques  et  des  paysans  h  eux.  Le  fameux  Souchu  n'était  pas  juge, 
comme  je  Tai  dit,  mais  serviteur  de  la  famille  Charette.  De  ces  domes- 
tiques, le  plus  énergique  et  le  plus  indépendant,  fut  le  garde-chasse 
Stofflet,  que  son  maître  avait  amené  de  Lorraine.  Escamoteur  habile, 
il  étonnait  aussi  les  paysans  par  les  phénomènes  de  Taimant,  Ils  le 
croyaient  sorcier.  C'était  un  homme  d'humeur  sombre,  faible  de  corps, 
d'apparence  timide,  mais  d'une  audace  indomptable.  Ce  tartufe,  en  92, 
disait  toujours  aux  paysans  :  «  Mes  enfants,  mes  enfants,  obéissons  atfx 
lois.  »  Et  à  la  mort  de  Louis  XVI  :  «  Voilà  que  le  Roi  a  élé  égorgé 
pour  No  Ire- Seigneur  J.^.  On  peut  venir  nous  égorger  chacun  dans 
notre  maison,  il  faut  nous  mettre  en  défense,  avoir  des  armes,  de  la 
poudre.  » — Stofflet  haïssait  et  méprisait  les  nobles  ;  on  verra  qu'il  leur 
fil  k  Ghrftnvllle  l^aflroni  le  plus  sanglant.  Mémoires  inédits  de  Mercier 
duBocher,  administrateur  du  département  de  la  Vendée.  Une  copie  de 


MACHINES  EMPLOYÉES  POUR  ARMER  LA  VENDÉE.      70 

La  première  machine,  on  l'a  vu,  fut  l'emploi  d'un 
paysan  ignorant,  intelligent,  héroïque,  Gathelineau, 
que  d'Elbée  et  le  clergé  opposèrent  aux  nobles. 
D'Elbée,  Saxon  de  naissance,  était  haï  et  jalousé  des 
autres  chefs,  ofBciers  inférieurs  et  gentilshommes 
campagnards,  généralement  de  peu  de  tfète.  11  n'eût 
pu  dans  les  commencements  commander  lui-même. 
Le  clergé,  après  les  affaires  de  Fontenai ,  fit  parler 
Gathelineau.  Il  menaça  les  nobles  poitevins  d'em- 
mener ses  compatriotes,  les  paysans  de  l'Anjou. 
Lescure  ,  le  saint  du  Poitou  ,  qui  appartenait  aux 
prêtres,  appuya.  Et  tout  dès  lors  fut  sous  une  même 
influence,  qui  fut  celle  du  clergé. 

La  seconde  machine  employée  entre  les  deux 
combats  de  Fontenai,  lorsque  les  Vendéens  étaient 
abattus  de  leur  échec,  vidt  à  point  les  relever. 
On  leur  fabriqua  un  évoque.  Un  soldat  républicain 
pris  par  eux,  et  depuis  secrétaire  de  Lescure*,  déclara 

ce  manuscrit  se  Irouve  dans  la  collection  inestimable  de  MM.  Dugast- 
Matifeux  de  Montaigu»  et  Fillon  de  Fontenay. 

^  Tout  ceci  est  parfaitement  établi  dans  le  procès  de  Timposleur 
(Guillot  de  Folleville,  ex-curé  de  Dol).  M.  de  Lescure,  fort  dévot,  fa- 
vorisa visiblement  celte  fraude  pieuse  qu'il  crut  utile  à  la  guerre  sainte. 
Guillot  voyageait  dans  sa  voiture,  et  M.  de  JLescure  mourut  dans  ses 
bras,  quoiqu'à  cette  époque  il  fût  déjii  démasqué.  Procès  manuscrit  de 
Guilloty  collecHon  de  M.  Dugast- Matifeux.  On  y  voit  entre  antres 
cboses  ciirienses  que,  qnand  les  Vendéens  le  prirent,  ils  lui  trooTèrent 
sa  carte  de  jacobin.  Et  quand  les  républicains  le  prirent,  ils  lui  trou- 
vèrent un  ciçur  d*or  qui  contenait,  selon  le  piocès-verbal  a  des  ordures 
religieuses  d  (des  reliques  peut-être  ),  et  des  cbeveux  qu'une  femme, 
dlt-îl,  lui  avait  donnés.  Il  était  joli  homme,  de  belles  manières,  nul 
d*esprit,  doux  et  béat. 


80  HENRI  DE  LÀROCHEJÀQUELEIN. 

que,  sous  Thabit  laïque ,  il  était  en  réalité  un  des 
quatre  vicaires  apostoliques  envoyés  par  le  pape  en 
France,  de  plus  évêque  d'Agra.  Les  fameuses  sœurs 
de  la  Sagesse,  mêlées  à  toutes  les  intrigues ,  Brin  , 
leur  curé  de  Saint-Laurent,  le  curé  de  Saint-Laud 
d'Angers,  le  rusé  Bernier,  tous  tombent  à  genoux, 
demandent  la  bénédiction  du  fourbe.  Le  peuple  est 
ivre  de  joie,  il  sonne  les  cloches  à  volée. 

Le  but  de  Lescure  et  des  autres  chefs  était  de 
faire  de  la  Vendée  une  force  unique ,  sous  une 
même  direction,  et  pour  cela  de  soumettre  les  curés 
à  ce  prétendu  évêque.  Dans  un  acte  du  !•'  juin, 
signé  du  nom  de  Lescure ,  on  dit  :  «  Que  les  curés 
qui  n'ont  pas  reçu  encore  les  pouvoirs  de  leurs  évê- 
ques ,  et  qui  ne  s'adresseront  pas  à  M.  l'évêque 
d'Agra,  pour  qu'il  règle  leur  conduite^  seront  arrê- 
tés. » 

D'Elbée,  Lescure  et  lé  clergé  firent  Cathelineau 
général  en  chef.  On  nomma  général  de  la  cavalerie 
un  séminariste  de  dix-sept  ans,  le  jeune  Forestier,  fils 
d'un  cordonnier  de  Caudron,  aventureux,  intrépide, 
et  d'une  jolie  figure. 

A  l'avant' garde  marchait  le  plus  souvent  un  autre 
jeune  homme,  cousin  de  Lescure,  Henri  de  Laroche- 
jaquelein,  M.  Henri^  comme  rappelaient  les  paysans. 
Il  portait  au  col  un  mouchoir  rouge;  toute  l'armée  en 
porta.  C'était  un  jeune  homme  de  vingt-et-un  ans, 
qui  avait  déjà  six  ans  de  service,  étant  entré  à  quinze 
dans  la  cavalerie.  Son  père  était  bolonel  de  Royal- 
Pologne.  Le  jeune  homme  n'avait  pas  émigré;  on 


BATAILLE  DE  SAUMUR.  8i 

Tavait  fait  capitaine  dans  la  garde  constitutionnelle 
de  Louis  XVI.  Ni  le  séjour  de  Paris,  ni  ce  détestable 
corps,  école  d'escrime  et  d'insolence,  n'avaient  changé 
le  Vendéen.  Il  était  resté  un  vrai  gentilhomme  de 
campagne,  grand  chasseur,  toujours  à  cheval,  fort 
connu  des  paysans. 

C'était  une  grande  figure  svelte,  anglaise  plutôt 
que  française,  cheveux  blonds,  l'air  h  la  fois  timide 
et  hautain,  comme  sont  souvent  les  Anglais.  Il  avait, 
au  plus  haut  degré,  une  chose  bonne  pour  l'attaque, 
le  mépris  de  l'ennemi. 

Ces  braves,  qui  nous  méprisaient  tant,  ignoraient 
que  chez  les  patauds,  dans  les  armées  républicaines, 
il  y  avait  les  plus  grands  hommes  de  guerre  du  siècle 
(et  de  tous  les  siècles),  des  hommes  d'un  tout  autre 
ordre  qu'eux,  les  Masséna,  les  Hoche,  les  Bonaparte. 

Les  mîisses  vendéennes,  qui  suivaient  ces  chefs, 
éparses  et  confuses,  eurent  ce  bonheur  à  Saumur  de 
trouver  les  républicains  moins  organisés  encore. 
Ceux-ci  avaient  avec  eux  cependant  un  organisateur 
habile,  Berthier,  le  célèbre  chef  de  l'élat-raajor  de 
l'Empereur.  Mais  Berthier,  Menou,  Coustard,  San- 
terre,  les  généraux  républicains,  n'arrivèrent  qu'au 
moment  de  la  bataille.  Ils  ne  purent  rien  que  payer 
vaillamment  de  leur  personne;  les  deux  premiers 
furent  blessés,  et  eurent  plusieurs  chevaux  tués  sous 
eux.  Ils  avaient  contre  eux  à  la  fois  l'indiscipline  et 
la  trahison.  La  veille  même,  Larochejaquelein  dé- 
guisé avait  dîné  dans  Saumur.  Un  garde  d'artillerie 
fut  surpris  enclouant  une  pièce  de  canon.  Dans  le 

VI.  « 


^  PiTill-LË  DE  SAimiiU- 

oombat  même,  deux  bataillons  à  qui  Coustard  ordon- 
nait de  garde?  le  pont  de  Saumur  crièrent  qu'il  les 
trahissait,  et  1q  mirent  lui-rmôme  à  la  bouche  d'un 

canon , 

AvQC  tQut  cela,  les  Vendéena  eurent  peine  à  ôra^ 
porter  l'affaire.  La  Rochejaquelein  ebargeail  obstiné- 
ment sMr  la  droite  sans  YQÎr  que,  toujours  resserré 
eptre  le  cotçau  et  la  rivière,  il  ne  pouvait  m  déployer 
avpQ  c^Yantjige*  Ce  fqt  à  sept  heures  du  soir  que  C»r 
tbeljqgstu,  nu)ntaut  sur  une  hauteur,  vit  nettem^Bt 
la  ditlKcuUé.  Il  donna  à  la  bataille  une  meilleqpe  di- 
r^Ptiou,  On  tpuruA  les  républicaine.  Les  bataillons  de 
fprïMlipil  nouvelle  s'effrayèrent,  se  débandèrent, 
s'enfuireut  par  la  ville  en  désordre,  puis  par  les 
ponts  d^  ]a  Loire. 

À  fai^it  heures,  Coustard>  voyant  que  la  gauche  était 
perdue  et  Vennenû  déj^  dans  la  ville,  entreprit  de  la 
f^pr^ndF^*  Il  ordonna  aux  cuirassiers  commandjès 
par  Weis^en  de  nettoyer  la  chaussée  qui  y  conduisait 
PU  prenant  une  batterie  qu'établissaient  les  Vendéens  : 
(<  On  nVenvQies-rtu?  dit  Weissen.-r^A  la  mort,  »  lui 
dit  Coustard*  Weissen  obéit  bravement,  mais  il  ne 
lyt  point  soutenu,  et  revint  couvert  de  blessures. 

I^§  représentant  Bourbotte  se  battit  aussi  comme  ua 
liqn,  Son  cheval  fut  tué,  et  il  était  pris,  si  un  jeune  lieu- 
tgnf^nl,  en  pleine  mêlée,  ne  fût  descendu  et  ne  lui  eAt 
donné  le  sien,  Bourbotte  admira  le  jeune  homme,  et 
fut  plus  préoccupé  de  Iqi  que  de  son  péril.  11  le  Irouva 
intelligent  autant  qu'héroïque.  Dès  ce  jour,  il  ne  le 
perdit  pas  de  vue  qu'il  ne  Teût  fait  général.  Six  mois 


BATAILLE  DE  SAUMUR.  83 

après,  ce  général,  le  jeune  Marceau,  gagnait  la  ba- 
taille déoisive  du  Mans,  où  s'ensevelit  la  Vendée. 

Cinq  mille  hommes  se  rendirent  dans  Saumur  et 
mirent  bas  les  armes.  Mais  ceux  qui  restaient  dans 
les  redoutes  extérieures  ne  se  rendirent  pas.  En  vain 
Stofflet  les  attaqua  avec  vingt  pièces  de  canon. 

La  route  de  Paris  était  ouverte.  Qui  empêchait  de 
remonter  la  Loire,  de  montrer  le  drapeau  blanc  aux 
pFOvifices  du  Centre?  Henri  de  la  Rochejaquelein 
voulait  qu'on  allât  au  mpins  jusqu'à  Tours. 

LesVendéens  n'avaient  qu'une  cavalerie  misérable; 
s'il  en  eût  été  autrement,  rien  n'eût  empêché  certai- 
nement mille  hommes  bien  montés  et  déterminés  de 
percer  jusqia^à  Paris. 

Pour  se  faire  suivre  de  la  masse  vendéenne,  il  n- y 
fallait  pas  songer.  Le  paysan  avait  fait  un  prodigieux 
effort,  en  restant  si  longtemps  sous  le  drapeau.  Parti 
(la seconde  fois)  le  9  avril,  il  avait  à  peine  en  passant 
de  FoHtenai  à  Saumur  revu  ses  foyers.  Plusieurs 
au  9  juin  se  trouvaient  absents  de  chez  eux  depuis 
deux  mois  I  Or,  telles  sont  les  habitudes  du  paysan 
yendéen,  pomn^e  l'pl^sprve  très-bienPouruispaq,  njjijç^ 
«  Quand  il  eût  été  question  de  prendre  Paris,  on  n'eâjt 
pu  l'empêcher,  au  bout  de  six  jours,  d'aller  revoir  sa 
femme  et  prendre  une  chemise  blanche.  »  Agsçi  ǧ- 
theljneau  était  d'avis  qu'on  ne  s'écartât  p»s  be^fiço^p, 
et  qu^en  se  contentât  d'Angers. 

Mais  les  chefs  généralement  voulaient  aller  àlamer. 

Lescure  voulait  y  aller  à  gauche,  prendre  Niort  et 
La  Rochelle* 


8i  RAPPORTS  DES  VENDÉENS 

Bonchamp  voulait  y  aller  à  droite,  par  la  Breta- 
gne, étendre  la  chouannerie  qui  déjà  avait  commencé, 
tâter  les  côtes  normandes,  savoir  si  elles  étaient  vrai- 
ment royalistes  ou  girondines. 

D'Elbée  allait  à  la  mer  par  Nantes,  par  l'entrée  de 
la  Loire,  cette  grande  porte  de  la  France.  C'est 
l'avis  qui  prévalut. 

Ils  attendaient  impatiemment  les  secours  de  l'An- 
gleterre, et  ils  savaient  qu'ils  n'en  recevraient  rien 
tant  qu'ils  n'apparaîtraient  pas  en  force  sur  la  côte 
et  ne  pourraient  pas  offrir  un  port  aux  Anglais*. 

Dès  le  lendemain  de  l'insurrection,  les  Vendéens 
avaient  imploré  les  secours  de  l'étranger. 

Le  6  avril,  d'Elbée  et  Sapinaud  chargent  un  cer- 
tain Guerry  de  Tiffauges  de  demander  de  la  poudre 
à  Noirmoutier,  ou,  si  Noirmoutier  n'en  a  pas,  de 
prendre  tous  les  moyens  de  s'en  procurer  d'Espagne 
ou  d'Angleterre. 

Le  8  avril,  ce  n'est  plus  de  la  poudre  seulement,  ce 

>  Dès  1794,  à  Fépoque  de  la  fuile  du  Roi,  cent  gentilshommes  vou- 
laient s'emparer  des  Sables.  Une  frégate  et  quatre  petits  bâtiments 
chargés  de  soldats  tentèrent  de  débarquer.  Ce  fut  encore  les  Sables 
que  les  Vendéens  attaquèrent  le  29  mars  93,  jour  du  Vendredi  saint. 
On  voit  combien  ils  tenaient  k  avoir  un  port.  Mémoires  manuscrits  de 
Mercier  du  Rocher.— Les  trois  faits  que  j'indique  ensuite  sur  leur  ap* 
pel  à  rétranger  sont  constatés  par  trois  pièces  d'une  autorité  incon- 
testable, les  deux  premières  imprimées  dans  la  brochure  de  M.  Fillon  ; 
Pièces  contre-révolutionnaires   du  commencement  de  Finsurrection 
vendéenne,  1847,  Fontenay.  Cette  brochure  inâniment  importante  jelle 
un  jour  tout  nouveau  sur  l'histoire  de  la  Vendée. — La  troisième  pièce, 
du  8  avril,  esl  la  lettre  même,  lettre  autographe  du  chevalier  La  Roche 
Saint-André,  que  possède  M.  Dugast -Mali feux*. 


AVEC  L'ÉTRANGER  (AVRIL  95  .  ?fi 

sont  des  hommes  :  «  Nous  prions  M.  le  commandant 
au  premier  port  d'Angleterre  de  vouloir  bien  s'inté- 
resser auprès  des  puissances  anglaises  pour  nous 
procurer  des  munitions  et  des  forces  imposantes  de 
troupes  de  ligne.  IÏEaMz^  Sapinaud,  quartier-géné- 
ral de  Saint-Fulgent.  » 

Sur  un  autre  point  de  la  Vendée,  le  chevalier  de 
la  Roche-Saint-André  écrit,  dans  une  lettre  du 
8  avril  :  <  Que  les  comités  royalistes  ont  décidé  qu'il 
irait  demander ser!(mrs  en  Espagne.  » 

Nous  ne  faisons  aucun  doute  qu'en  retour  de  ces 
demandes,  les  Vendéens  n'aient  reçu  ce  qui  passait 
le  plus  aisément,  de  l'or  et  de  faux  assignats. 

M.  Pitt  ne  se  souciait  nullement  d'envover  des 
hommes.  Il  croyait,  non  sans  raison,  que  ta  vue  des 
habits  rouges  pouvait  produire  d'étranges  effets  sur 
l'esprit  des  Vendéens ,  créer  entre  eux  de  grandes 
mésintelligences ,  les  préparer  peut-être  à  se  rappro» 
cher  des  républicains. 

On  s'ignorait  tellement  les  uns  les  autres  que,  par 
un  double  malentendu,  Pitt  croyait  la  Vendée  giron- 
dine, et  laConventioncroyaitqueNanlesétaitroyaliste. 

Pitt  s'obstinait  donc.  Ses  messagers,  à  la  Qn  d'août, 
puis  en  novembre,  disaient  :  «  Si  vous  êtes  royalistes, 
si  le  pays  est  royaliste,  qu'on  nous  donne  un  port 
comme  gage  et  facilité  de  descente.  » 

Si  les  Vendéens  eussent  pris  Nantes,  ils  devenaient, 
en  réalité,  les  maîtres  de  la  situation.  Un  si  grand 
événement  leur  eût  donné  à  la  fois  la  mer,  la  Loire, 
plusieurs  départements,  un  vrai  royaume  d'Ouest. 


^  ILS  MARCBfiKT  VERS  NANTES. 

La  Brets^oe  royaliste  eût  secotié  la  gîronditae  qui  la 
comprimait,  et  la  NormaDdie  {^eut-ètre  eût  SHirî.  Les 
Anglais  arrivaient  alors,  mais  comme  an  accessoire 
utile,  comme  auxiliaires  subordonnés. 

Telles  sont,  très-probablement,  lès  ratsën^  que  fit 
valoir  d'Elbée.  Il  croyait  avoir  dans  Nantes  de  grandes 
intelligences.  Le  paysan  connai^ait  Nantes.  H  se  por- 
tait de  lui-même  à  cette  expédition  peu  éloignée 
bien  mieux  qu'à  une  course  sur  la  route  de  Paris. 
Paris,  si  loin,  si  inconnu,  ne  disait  rien  à  sa  pétiséé. 
Mais  son  vrai  Paris,  c'était  Nantes,  la  ville  riche,  la 
♦ille  brillante  du  commerce  des  colonies^  le  Pérou  et 
le  Potose  de  l'imagination  vendéenne. 

La  prise  facile  d'Angers,  évacuée  par  les  répiibU- 
ëàins,  l'arrivée  du  jeune  prince  de  Talmont  à  ràrmôë 
f ëndéenne ,  tout  confirma  celle-ci  dans  son  projet 
d'attaquer  Nantes.  Talmont,  second  fils  du  duc  de  là 
TKiliouille,  avait  des  biens  immenses  dans  FOuë^t, 
trois  cents  paroisses  d'un  seul  côté  de  la  Loii^,  et 
pènt-ètrc  autant  de  l'autre.  Les  chefs  vèndéetti,  la 
plupart  vassaux  de  Talmont,  furent  joyeux  et  fiwfe 
d'avoir  un  prince  avec  eux.  Us  ne  doutaient  plus  éc 
rieil.  tJn  prince  !  un  évéque  !  Maintenant  qu'ils  avaient 
tbttt  cela,  qui  pouvait  leur  résister? 

Cependant,  pour  attaquer  de  tous  côtés  à  kt  fofe 
cette  grande  ville  de  Nantes,  il  fallait  que  l'armée 
d'Anjou  fût  aidée  de  la  Vendée  maritime,  des  hom- 
ihcs  du  Marais,  de  leur  chef  principal,  Chafette.  Cé- 
luî-ci  n'avait  nullement  à  se  louer  des  nobles  de  la 
Hàntè-Yettdéé,  qui  ne  parlaient  de  lui  qu'avec  nié- 


ILS  ESSAIBMT  DE  S'ENTENDRE  AVEC  CHARETTE.  87 

pï^is^  et  Ib  preoaient  jusque-là  pour  un  simple  chef  de 
bi'igftiids,  en  quoi  ih  ne  se  trompaient  guère. 

Ceux  qui  voudront  cûliipretidt*e  à  Fond  ce  singu^ 
lier  personnage  doivent  lire  préalablement  nos  ftii» 
ciënniBs  histoires  des  boucaniers  et  des  flibustiers, 
eélles  de  nos  premiers  colons  du  Canada  et  d'ailleurs^ 
qui  Tiraient  avec  lessautbges  et  leur  didvenaieiit  tout 
àfait  semblables.  LesHurons  leur  donnaient  YoloiltierB 
leurs  fillesj  pour  avoir  de  cette  race  singulièrement 
intrépide^  celle  qui  poussait  le  plus  loin  le  mépris  de 
la  YÎe^  Nos  joyeux  compatriotes  passaient  le  temps  au 
dftiert  à  hite  dahser  les  sauvages.  Nouveau  trait  de 
ressemblance  avec  Tarmée  de  Chareite,  où  Ton  dan- 
sait toutes  leii  nuits. 

Cette  armée  tenait  beaucoup  d'iîlie  bande  de  vo- 
leurs et  d*un  cdrnaval.  Ces  joyeux  danseurs  êtaieut 
trdiFféh)eés;  Le  combat,  le  bal,  la  messe  et  Tégor^e- 
mentf  tout  alhiil  ënsehible; 

Cbarette  était  un  homme  sec  ^  d'une  tren- 
taine d'années^  étonnamment  leste  et  agile.  Souvent 
dans  les  moments  pressés,  il  passait  pdi*  la  fenêtre. 
Il  avait  la  poitrine  étroite  (on  l'avait  cru  poitrinaire), 
une  main  brûlée  dans  son  enfance^  de  petits  yeut 
ïibii*  pei*çailtS,  la  tête  haute,  le  nez  retroussé,  nieû- 
ton  saillant,  bouche  plate,  bandée  comme  un  arc... 
Ce  nez  au  vent,  cette  bouche,  lui  donnaient  l'air  au- 
dacieux^ l'air  d'un  déterminé  bandit \ 

*  J'ai  tu  chez  M.  Sue  (Faimable  et  gracieux  statuaire  ),  un  monument 
bien  étrange,  c'est  le  plâtre  complet  de  la  tête  de  Chareite^  moulé  sur 
le  mort.  J'ai  été  frappé  de  stupéfaction.  On  sent  là  une  race  à  part,  fort 


88  ÎLS  ESSAIENT  DK  S'ENTENDRE 

Ct5  qui  étonnait  le  plus  les  républicains,  c'était  de 
voir  au  col  de  cette  singulière  flgure  une  coquette 
écharpe  noire  à  paillettes  d'or,  ornement  fantasque 
qu'il  portait  en  souvenir  de  quelque  dame.  Non 
certes  par  fidélité.  11  changeait  toutes  les  nuits.  Il  n'y 
eut  jamais  un  pareil  homme.  Les  grandes  dames  du 
pays,  les  petites  filles  de  village,  tout  lui  était  bon. 
Des  dames  le  suivaient  à  cheval,  quelques-unes  vail- 
lantes, parfois  sanguinaires.  Elles  passaient  des  nuits 
avec  Charette,  puis  rentraient  chez  leurs  maris,  rési- 
gnés et  satisfaits,  pour  l'amour  de  l'autel  et  du  trône. 

Charette  croyait  être  très-noble.  Il  se  faisait  venir 
de  certains  Caretti  du  Piémont.  Il  y  avait  cependant 
des  Charette  dans  la  robe.  Un  d'eux  se  fit  condamner 
à  mort  dans  l'affaire  de  la  Chalotais.  La  mère  de 
Charette  était  des  Cévennes.  Son  père,  officier,  et 
deux  autres,  passaient  dans  un  bourg  près  d'Uzès; 
ils  voient  au  balcon  trois  gentilles  Languedociennes. 
c(  Ce  seront  nos  femmes,  »  disent-ils  ;  ils  montent , 
demandent,  obtiennent.  Charette  naquit  de  ce 
caprice  en  1765. 

heureusement  éteinte,  comme  plusieurs  races  sauvages.  A  regarder  par 
derrière  la  boîte  osseuse,  cVst  une  forte  léte  de  chat.  U  y  a  une  bestia- 
lité furieuse,  qui  est  de  l'espèce  féline.  Le  front  est  large,  bas.  Le 
masque  est  d*une  laideur  vigoureuse,  scélérate  et  militaire,  à  troubler 
toutes  les  femmes.  L'œil  arrondi,  enfoncé,  pour  d'autant  mieux  darder 
réclair  de  fureur  et  de  paillardise.  Le  nez  est  le  plus  audacieux,  le  plus 
aventureux,  le  plus  chimérique  qui  fut  et  sera  jamais.  Le  tout  effraye, 
surtout  par  une  légèreté  incroyable,  et  pouilant  pleine  de  ruse,  mais 
jetant  la  vie  au  vent,  la  sienne  et  celle  des  autres  — Un  mol  fait  juger 
Charette  :  son  lieutenant  Savin  disait  à  sa  femme  :  «  Je  crains  moins 
pour  toi  Tarrivée  des  bleus  qu'une  visite  de  Charette.  • 


AVEC  CUARE iT£.  89 

Il  avait  vingt-huit  aus,  eu  93.  11  était  lieuleuaut  de 
marine^  avait  fait  plusieurs  campagnes  de  guerre, 
avait  donné  sa  démission  et  vivait  dans  son  petit 
manoir  de  Fonteclause,  avec  une  vieille  femme  riche 
qu'il  avait  épousée  pour  accommoder  ses  afifaires. 

Il  ne  tint  pas  aux  nobles  qu'il  ne  se  dégoûtât 
bientôt  de  la  guerre ,  ne  les  laissât  là.  Us  disaient 
qu'il  n'était  pas  nobley  ils  l'appelaient  le  petit  cadet 
ou  le  savoyard;  ils  assuraient  qu'il  était  lâche,  ne 
savait  que  fuir.  Personne  en  effet  n'en  eut  plus  sou- 
vent occasion,  avec  les  bandes  qu'il  menait.  II  les 
aguerrit  à  force  de  fuir  et  en  fuyant  avec  eux. 

L'armée  de  Charette  se  battait  pour  la  proie  et  le 
pillage,  mais  lui,  pour  se  battre.  Il  leur  laissait  ce 
qu'on  prenait.  De  même  pour  les  guinées;  il  les 
distribuait  dès  qu'il  en  venait.  Il  n'avait  ni  gtte,  ni 
table,  mangeait  chez  ses  officiers,  couchait  où  et 
comme  il  pouvait. 

La  France  a  tué  Charette  qui  a  tant  répandu  son 
sang,  mais  elle  ne  l'a  point  haï.  Pourquoi  ?  Ce  bri- 
gand du  moins  n'était  point  du  tout  hypocrite.  Il 
n'affectait  nul  fanatisme,  pas  même  celui  du  roya- 
lisme. It  aimait  peu  les  émigrés,  jugeait  parfaitement 
les  princes.  Ils  ne  lui  pardonnèrent  jamais  sa  fameuse 
lettre  au  Prétendant  :  «  La  lâcheté  de  votre  frère  a 
tout  perdu,  »  Pour  les  prêtres,  il  n'en  usait  guère,  et 
détestait  spécialement  ceux  de  l'armée  d'Anjou^.  Un 

1  Comment  expliquer  la  suppression  de  la  Vie  de  Charette  par  Bou- 
vier-Desm  or  tiers,  en  1 809  ?  En  quoi  pouvait-il  déplaire  à  la  police  ? 
Il  n'y  a  pas  un  mot  contre  le  gouvernement.  Ceux  à  qui  cette  apologie 


îK)  ILS  ESSAIENT  Dï  S^ENTENDUE 

jtàur  que  l'abbé  Berùier  liii  faisait  demattdef  cô  f|ui 
rdfflt^eêhait  de  m  rêUtiir  à  la  grande  afmêë^  Gharetlë^ 
qUi  cohttaissiilt  lèà  secrètes  galàftteriés  de  TiUlrigant 
hypdtîritei  répondit  plaisamment  :  «VosmiœurB.  » 

Tonte  la  crainte  des  gens  de  Charette,  c'était  qu'il 
ne  les  laissât  là,  qu'il  ne  désertât  pour  aller  se  join- 
dre aux  gens  de  la  Haute-Vendée.  Une  fois^  dans 
èette  eminte,  ils  étaient  prés  de  le  tuerai  Lui^  sans 
se  décdnciërter,  il  fondit  sur  eux  le  sabre  à  la  main. 

En  réalité,  Ghatelte  n'avait  ni  intérêt  ni  désir 
d'entter  en  rapport  intime  areb  la  Vendée  dévote* 
Quand  celle-ci  lui  proposa  de  coopérer  au  siège,  il 
venait  de  reprendre  Machecoul>  la  porte  de  Nantes, 
et  il  eût  fort  aimé  à  prendre  Nantes^  mais  seul^  et 
non  avec  les  autres. 

Nantes  était  la  Jérusalem  pour  laquelle  les  bandes 
de  Gharëtte  avaient  une  vraie  dévidtibn.  Ils  la  jugeaient 
sur  les  profits  que  donnait  chaque  èombat,  sur  Tar- 
de €bareUe  dépHiéàtt  èéirtaiA&àienti  é*éiaient  lês  gràiids  âomè  aH^iè- 
étatiques  ralliés  à  l' empereur  et  très-influents  près  de  lui.  Ce  livre 
naïf  dans  sa  partialité  même  dérangeait  cruellement  Tépopée  cou- 
venue  de  la  Vendée.  On  chercha  tous  les  moyens  de  Penfouir  dans  la 
téfrë.  -il  èb  à  ètê  à  j[)êU  prës  m  Mêihé  poxkt  Vaubàû,  sur  QuibéfoU, 
le  rèle  du  tomte  d'Artois^  etc.  Véit  iût  tout  ceci  TâHicle  CMir^e  et 
autres  que  M;  Lejeân  a  mis  d*ils  la  Biographie  BretGhne ,  tous  d^une 
critique  pénétrante,  aussi  fermes  qu'ingénieux  et  de  main  de  maître. 

*  Le  vrai  rival  de  Gharelte  fut  un  fiordelais,  Joly,  homme  vraiment 
èktraordinaiirbj  i^oi-àni,  qui  sisivait  d'instiikct  tous  leS  ahs  :  etééllèttt 
tailleur,  horloger,  peintre,  architecte,  cordonnier,  forgeron,  chirur- 
gien; n  était  d'une  oravoure  et  d'une  férocité  extraordinaires.  U  fit  fu- 
siller son  fils  qui  servait  les  patriotes.  l\  méprisait  les  nobles  (comme 
Stof&et],  et  détestait  Charette,  qui  le  fit  tuer. 


AVEC  CHARETTE.  91 

gent,  sur  les  assignats  qu'ils  trouvaient  en  retour- 
nant les  poches  des  culottes  de  soie  (ils  appelaient 
ainsi  les  Nantais).  Ce  que  devait  renfermer  une  telle 
ville,  ce  que  la  traite  et  le  commerce  des  îles  y  en- 
tassait depuis  deux  siècles,  c'est  ce  qu'on  ne  pouvait 
calculer.  Les  bravi  de  Charette  y  entraient,  y  rô- 
daient sous  mille  déguisements»  regardant  insatia- 
blement  ces  sèrieUses  ihâiiôliâ,  qui,  sans  avoir  le 
faste  de  celles  de  Bordeaux ,  n'en  cachaient  pas 
moins,  entassés  à  t\bt\  étâgfeà,  les  trésors  des  deux 
mondes. 

Néanmoins^  Charette  sentait  que^  s'il  entrait  dans 
lA  ville  avec  la  grande  armée  d'Anjou^  ià  bande  he 
vîëndràil  qu'en  sôus-ordre,  qu'il  aurait  petite  part. 

Il  vint  au  siège  pour  la  forme,  ne  pouvant  s'en 
dispenser,  comme  à  un  rendez-vous  d*fibnâèur.  Le 
soir  du  28  juin,  il  était  avec  son  monde  au  pont 
Rousseau,  à  l'embouchure  de  la  Sèvre.  Pendant  qu'on 
dressait  sa  batterie,  ses  gens,  hbhh  leuf  usage,  se 
mirent  à  faire  une  rdïldè,  iét  dansèrent  joyeusement. 
Les  eanonniers  parisiens^  qui  sur  l'autre  bord  de  la 
Loire  les  voyaient  des  hauteurs  de  Nantes  ^  se  pi- 
qaèreHt,  et  d'un  boulet  leur  tuèrent  trois  ou  quatre 
danseurs. 


CHAPITRE   VI 

SIÈGE  DE  NANTES. 

Noble  bospilalité  de  Nantes.  —  Férocité  vendéenne.  —  Nantes  appelle  à  son 
secours.  —  Anarchie  du  ministère  delà  gaerre. —  Les  héros  à  500  livres.— 
Difficulté  de  défendre  Nantes.~Le  maire  Baco.— Le  ferblantier  Menris.— Le 
clab  de  Yincent^la-Montagne.  —  Jalousie  des  Girondins.  ->  Union  des  deux 
partis. — Arrivée  des  Vendéens.  —  Les  représentants  et  les  militaires  ne 
croient  pas  pouvoir  défendre  la  ville.— La  mort  de  Cathelineau. — La  guerre 
change  de  caractère. 


8  1.— DANGER  ET  ABANDON  DE  NANTES. 
(Mars-Juin  93.) 

La  défense  de  Nantes  était  une  grande  affaire, 
non-seulement  de  patriotisme,  mais  d'humanité.  Elle 
était  Tasile  général  des  fugitifs  de  l'Ouest,  des 
pauvres  gens  qui  n'osaient  plus  rester  dans  les  cam- 
pagnes, qui  fuyaient  leurs  maisons,  leurs  biens, 
abandonnées  aux  brigands.  C'était  tout  autour  comme 
une  mer  de  flammes  et  de  sang.  On  arrivait,  comme 
on  pouvait,  ruiné,  dépouillé,  souvent  en  chemise,  les 
hommes  blessés,  sanglants,  les  femmes  éplorées, 
ayant  vu  tuer  leurs  maris,  écraser  leurs  petits  enfants. 


NOBLE  HOSI>ITALITÉ  DE  NANTES.  93 

Pour  tout  ce  peuple  naufragé,  le  port  de  salut  était 
Nantes. 

Nous  pouvons  en  connaissance  de  cause  rendre  ce 
témoignage  aux  hommes  de  l'Ouest;  ils  sont  éco- 
nomes, ils  sont  généreux.  La  simplicité  antique  des 
mœurs,  la  sobriété  habituelle,  la  parcimonie  même, 
qui  est  leur  caractère,  leur  permet  dans  les  grandes 
circonstances  une  munificence  héroïque,  une  noble 
prodigalité;  jquand  le  cœur  s'ouvre,  la  main  s'ouvre 
aussi,  large  et  grande  ^ . 


'  Tels  ils  étaient  alors,  tels  je  les  ai  trouvés^  quand  dans  ce  graml 
naufrage  je  suis  venu  poser  ici  mon  mobile  foyer.  Mon  cœur  s'est  ré- 
chauffé en  voyant  que  la  France  est  toujours  la  France.  11  ne  tenait 
qu'à  moi  d*user  très^largement  de  cette  noble  hospitalité.  —  Un  brave 
Vendéen  tout  d'abord,  excellent  patriote,  sachant  que  j'écrivais  ici  la 
Vendée  de  93,  vint  m'ofirir  de  me  prendre  dans  sa  voiture  et  de  faire 
avec  moi,  pour  moi,  la  viiiite  de  toutes  les  localités  devenues  histori- 
riques;  je  refusai  de  lui  faire  faire  ce  dispendieux  voyage.  Alors,  il 
s'enhardit,  etm*avoua  qu'il  avait  un  autre  but  auquel  il  voulait  en  venir, 
de  m'offrir  sa  maison  de  Nantes.  —  D'autres  personnes  ont  aussi  voulu 
également  s'emparer  de  moi  et  me  conduire  partout.  — QuMls  m'excu- 
sent de  n'avoir  rien  accepté.  Le  lien  fort  et  sacré  de  Thospitalilé 
antique,  égal  à  celui  de  la  parenté,  n'en  est  pas  moins  formé  entre  eux 
et  moi.  Ceux  de  la  sympathie  existaient  dès  longtemps.  Les  pre- 
mières pages  de  ma  Description  de  la  France  (t.  II  de  mon  Histoire) 
le  témoignent  assez. — Ce  dont  j'avais  besoin,  en  sortant  de  Paris,  c'était 
d'être  éclairé,  soutenu  dans  mon  travail  par  les  précieux  documents  que 
contiennent  les  dépôts  publics,  les  collections  particulières  de  Nunles. 
Ils  m^ont  été  ouverts  avec  une  libéralité  dont  je  resterai  toujours  re- 
connaissant. La  bibliothèque,  les  archives  de  la  mairie,  du  département 
et  des  tribunaux,  m'ont  révélé  un  monde  que  je  ne  soupçonnais  même 
pas.  L'historien  a  pu  dire  comme  Thémistocle  sorti  d'Athènes  :  «  Nous 
périssions,  si  nous  n'eussions  péri  » — Qu'aurais-je  fait,  même  îi  Poris, 


94  NOBLE  HOSPITALITÉ  DE  NANTES. 

Nantes  alors  nourrit  tout  un  monde  ;  elle  devint 
la  maison  de  tous  ceux  qui  n'en  avaient  plus;  la 
grande  cité  ouvrit  à  ee  pauvre  troupeau  fugitif  de  la 
guerre  civile  des  bras  maternels.  Elle  logea,  solda 
ce  peuple,  remplit  ses  couvents  désefts  des  habitants 
légitimes  pour  qui  ils  furent  fondés,  des  pauvres. 

Que  telle  ville,  comme  Valenciennes,  fût  prise  pap 
les  Autrichiens, — ou  Nantes  par  les  Vendéens,  ee 
n'était  pas  la  même  chose.  Le  droit  des  gens,  (}^ns  \q 
premier  cas,  protégeait  les  habitant^;  qu'avaient-ils 
à  craindre?  Mais,  Nantes  pris,  les  Nantais  allaient  se 
trouver  en  face  d'un  peuple  aveugle  et  furieux  qui 

abhorrait  la  ville  du  ÇfCmY§YjiQVf^m\  PProme  Ia  Répu- 
blique ellcrmême,  qui  connaissait  par  leur  nom  pour 
les  détester  ses  magistrats,  ses  notables.  Les  réfugiés 
surtout  se  retrouvaient  sous  la  rgs^in  des  flie|irtrier^ 
dont  la  poursuite  las  avait  pbss^é^  de  Iisurs  ^^ison^; 
la  fureur  des  haines  locales,  les  vengeances  partieu- 
lières  allaient  se  lâcher,  sans  bricjp  ni  frein.  Cç  Quêtait 
pfts  Ift  mort  qu'on  avia-jt  le  plfis  ^  craindre,  ifim  bi#p 
les  supplices.  LesVendéensen  avaient  intenté  d'étran* 

si  le  n'oyais  eu  çoqi^aissance  ^e  la  collectlQn  de  M.  Dugast-Matifeai, 
unique  pour  Thistoire  de  la  Révoljutiop  dans  TOuest?  M.  Dugast,  lai- 
niéme  historien  (et  qui  nous  doit  celte  grande  histoire),  n'en  a  pfis 
jnoins  ouvert  le  trésor  de  sa  collection,  de  son  érudition  plus  vaste 
encore,  au  nouveau  venu  qui  esquisse  Tépopée  vendéenne.  sMng^- 
niant  à  se  voler  lui-même,  pour  donner  à  un  autjre  la  (leur  de  tant 
de  choses  neuves,  importantes,  si  laborieusement  amassées.  Ten  suis 
heureux  pour  pioi^  mais  j'en  suis  fier  pour  la  i^ature  humaine,  pour 
la  France  que  tant  de  gens  dépriment  aujourd'hui,  pour  la  France  pa« 
triote. 


FÉRâfilTÉ  VENDÉENNE.  96 

ges  et  vraiment  effroyables.  Quand  les  Nantais  arri- 
vèrent,  en  avril  93^  k  Challan» ,  ils  virent  cloué  à  une 
porte  je  nç  sais  quoi  qui  ressemblait  à  une  grande 
chauve-rsouris  ;  c'était  un  soldat  républicain  qui  de- 
puis plusieurs  heures  restait  piqué  1^;  dans  uneefifroya- 
Jble  agenie,  et  qui  ne  pouvait  mourir. 

On  a  sauvent  discuté  U  triste  question  de  aavoir 
qui  avait  eu  l'initiative  de  ee§  barbaries,  et  lequel  des 
deux  partis  alla  plus  loin  dans  le  crime.  On  a  parlé, 
on  parle  insatiablement  des  noyades  de  Carinep;  mais 
pourquoi  parlet^on  moins  des  massacres  de  Cha- 
rette  ?  L'entente  des  hamiâies  gens  pour  réveiller  sans 
cesse  certains  souvenirs,  étouffer  les  autres,  est 
chose  «admirable.  D'anciens  officier^  vendéens,  rudes 
et  féroces  paysans,  avouaient  naguère  à  leur  mé- 
decin, qui  nous  l'a  redit,  que  jamais  ils  ne  prirent 
un  soldat  (surtout  de  larmée  de  Mayence)  sans  le 
faire  périr,  et  dans  )es  tortures,  quand  on  eq  avait  le 
tamps.  Quand  on  n'aurait  p^s  ces  aveux,  la  logique 
seule  dirait  que  le  plus  cruel  des  deux  partis  élait 
eelui  qui  croyait  venger  Dieu,  qui  cherchait  à  égaler 
par  l'infini  des  souffrances  l'infini  du  crime.  Les  répu- 
blicains, en  versant  le  sang,  n'avaient  pas  une  yw  si 
haute.  Ils  voulaient  supprimer  rennemi,  rien  de 
plus;  leurs  fusillades,  leurs  noyades  étaient  des 
moyens  d'abréger  la  mort,  et  non  des  saoriQces  hi|r- 
mains.  Les  Vendéens  au  contraire,  dans  les  puits, 
les  fours  comblés  de  soldats  républicains,  dans  Içs 
hommes  enterrés  vifs,  dans  leurs  hovrihlç^çh^p^^^th 
croyaient  faire  une  œuvre  agréable  à  Dieu. 


96  NANTES  APPELLE  A  SON  SECOURS. 

La  terreur  trop  légitime  que  rattente  de  ces  bar- 
bares répandait  dans  Nantes  respire  dans  les  lettres, 
les  adresses  suppliantes  et  désespérées  que  l'admi- 
nistration nantaise  envoie  coup  sur  coup  aux  départe- 
ments voisins.  Le  président  du  déparlement  écrivait 
au  Morbihan  :  «  Nos  maux  sont  extrêmes.  Demain, 
Nantes  sera  livré  au  pillage.  Une  troupe  immense  de 
brigands  nous  enveloppe;  ils  sont  maîtres  de  la 
rivière.  Tous  les  chemins  sont  fermés;  aucun  cour- 
rier n'arrive  à  nous.  Nos  subsistances  sont  pillées  ;  la 
famine  va  nous  saisir.  Au  nom  de  l'humanité,  donnez- 
nous  de  vos  nouvelles.  Adieu,  frères,  cet  adieu  est 
peut-être  le  dernier.  » 

On  peut  dire  que,  ni  avant,  ni  après  le  2  juin,  ni 
les  Girondins,  ni  les  Montagnards,  ne  firent  rien  pour 
Nantes  ^ .  Six  cenls  hommes  furent  envoyés,  en  avril,  à 
une  ville  noyée  d'un  déluge  de  cent  mille  barbares  ! 
Le  13  juin,  le  Comité  de  salut  public  proposa  d'en- 
voyer mille  hommes  qu'offrait  la  ville  de  Paris.  Ils 
n'y  allèrent  point,  sauf  quatre  compagnies  de  canon- 
niers  parisiens.  Nantes  écrivait  des  adresses  furieuses 
à  la  Convention.  Le  22,  elle  lui  apporta  son  dernier 
appel  et  comme  son  testament  de  mort.  L'Assemblée 
vota  un  secours  de  500,000  francs,  et  l'envoi  de 
représentants  qui  devaient  essayer  de  ramasser  quel- 
ques forces  dans  les  départements  voisins.  Les  Nan- 

*  Les  Mémoires  de  Mercier  du  Rocher  établissent  parfaitement 
riDdiiïérence  commune  des  deux  partis.  Le  département  de  la  Ven- 
dée n^eut  réponse  ni  deMonge,  ni  de  Beurnonvillp,  ni  de  Bouchotle, 
ni  de  la  Convention. 


ANARCHIE  DU  MINISTÈRE  DE  LA  GlERUE.  tJ7 

tais,  indignés,  s'écrièrent  en  quittant  la  barre:  «  Vous 
nous  abandonnez....  eh  bien,  le  torrent  vous  empor- 
tera! i> 

La  Convention,  à  vrai  dire,  croyait  Nantes  garan- 
tie par  une  armée.  Le  Comité  de  salul  public  n'avait 
jamais  osé  lui  dévoiler  franchement  l'horreur  de  la 
situation  ;  à  chaque  mauvaise  nouvelle,  il  amusait 
l'Assemblée  de  quelques  mensonges.  En  annonçant 
la  défaite  du  24  mai,  il  dit  qu'on  allait  envoyer  une 
armée  de  soixante  mille  hommes!  L'Assemblée  se 
rendormit.  Au  dernier  appel  de  Nantes,  au  22  juin, 
le  Comité  assura  que  le  général  Biron  allait  faire  une 
diversion  avecson  armée  de  trente-cinq  mille  hommes. 
Or,  la  revue  de  celte  armée,  faite  avec  soin  un  mois 
après  par  deux  envoyés  montagnards,  donna  ce  chiflFre 
précis  :  neuf  mille  hommes,  dont  trois  mille  ne  sontpas 
armés,  et  trois  mille  sont  des  recrues  qui  arrivent  et  ne 
savent  pas  tenir  un  fusil.  Biron,  en  réalité,  n'avait 
que  trois  mille  soldats.  Cette  misérable  troupe  était 
cachée  dans  Niort,  plutôt  que  logée;  elle  n'avait 
pas  de  pain  en  avance  pour  un  jour.  On  comptait 
sur  elle  pour  couvrir,  non  pas  Nantes  seulement, 
mais  Paris  !  On  voulait  que  Biron,  avec  cette  triste 
bande,  traversât  un  quart  de  la  France,  passât  sur 
le  corps  de  la  grande  armée  victorieuse  des  Ven- 
déens, et  vînt  se  poster  à  Tours  pour  couvrir  la 
capitale! 

Tout  ceci  ne  tenait  pas  seulement  à  la  désorgani- 
sation générale,  mais  très-spécialement  à  l'anarchie 
du  ministère  de  la  guerre.  Il  était,  depuis  le  4  avril. 


VI 


t.. 

les  gri:-  = 
faisait  yi'ii. . 
moulii  la 
général  t 
de  le  faire  m 
peler  généi 

Robespien 
satut  public,  à 

OouthoD,  Jean-BoQ 

faire  quelque  chose  [)ow 

la  guerre,  misérablch.-. 

des  Cordeliersî  \ji  du 

pierre,  comme  on  l'a  \ii 

lié,  divisé  les  Cordeliers. 

Cordeliers  {Marat,  Legemli 

qui  se  rattachèrent  à  lui  en  cuir 

arraché  Paris  aux  Cordeliers  enn 

etc.)  Ce  grand  résultat  fut  achui 


LES  HÉROS  A  SOO  LIVRES.  99 

qu'on  laissa  prendre  aux  Héber listes  au  ministère  de 
la  guerre,  surtout  pour  l'affaire  vendéenne. 

Paris  les  vomit  en  Vendée  ;  Ronsin  s'y  gorgea  à 
plaisir,  paradant  en  voiture  découverte  devant  le  front 
de  l'armée,  avec  des  filles  publiques,  avec  un  monde 
d'épaulettes,  de  jeunes  polissons  à  moustaches  qui  n'a- 
vaient jamais  fait  la  guerre  que  dans  les  cafés  de  Paris. 

Ces  braves  avaient  une  exeuse  pour  ne  pas  voir 
l'ennemi.  Leurs  troupes  n'étaient  pas  formées.  Les 
héros  à  BOO /ivres  que  l'on  avait  engagés  étaient  géné- 
ralement des  ivrognes  indisciplinables  qui  comman- 
daient à  leurs  chefs  ,  et,  colorant  leurs  frayeurs  de 
défiances  fausses  ou  vraies,  criaient  aux  moindres 
rencontres  :  «  On  nous  vend...  Nous  sommes  trahis!» 
La  plupart  restaient  à  Tours,  s'obstinant  à  attendre 
les  canons  qu'on  leur  promettait  de  Paris,  protestant 
que,  sans  canoos,  ils  ne  pouvaient  faire  un  pas. 

Mais  si  Nantes  ne  recevait  point  de  secours,  elle 
recevait  du  moins  des  conseils.  Il  lui  en  venait  de 
tous  côtés^  des  conseils  impérieux,  car  tout  le  monde 
commandait.  Toute  autorité  avait  ses  agents  dans 
rOuest,  et  le  ministre  de  la  guerre,  et  le  ministre  des 
relations  extérieures,  et  la  Commune  de  Paris,  non- 
seulement  la  Commune,  mais  le  département,  mais 
les  sections,  mais  les  sociétés  populaires.  Ronsin  y 
vint  avec  ses  dix  aides-de-camp,  et  l'effet  fut  tel  dans 
Nantes,  qu'on  prit  le  parti  de  chasser  indistincte- 
ment tous  les  agents  du  pouvoir  exécutif  et  de  leur 
fermer  les  portes.  On  alla  jusqu'à  leur  dire  qu'on  les 
ferait  arrêter. 


iOO  IHKFICILTÉ 

11  est  curieux  de  savoir  ce  que  Ronsin  et  Santerre 
proposaient  pour  sauver  Nantes.  Santerre  voulait 
qu'on  fît  venir  six  mille  hommes  de  Dunkerque  !  Ron- 
sin douze  mille  hommes  de  Metz!  Inventions  admi- 
rables dans  un  danger  si  pressant  !  J'aime  mieux  une 
autre  idée  de  Rossignol  et  de  Santerre  :  «  Envoyez- 
nous  un  bon  chimiste.. .  Fourcroy,  par  exemple.  Par 
des  mines,  des  fumigations  ou  autres  moyens^  on 
pourrait  détruire ,  endormir,  asphyxier  l'armée 
ennemie.  i> 

g  2  -LA  RÉSISTANCR  DE  NANTES.-LE  FERBLANTIER  MEIJRIS. 

.     (Juin  95.) 

Nantes  étant  ainsi  abandonnée,  que  pouvait-elle 
pour  elle-même  ? 

Les  gens  du  métier  prononçaient  qu'on  ne  pouvait 
la  défendre.  Et  leur  avis  malheureusement  ne  sem- 
blait que  trop  fondé  en  raison. 

Les  motifs  qu'ils  faisaient  valoir,  c'était  l'immen- 
sité du  circuit  d'une  telle  ville,  l'absence  de  barrières 
naturelles  au  nord.  Point  de  murs,  point  de  fossés, 
seulement  un  vieux  château  qui  couvre  tout  au  plus 
la  route  de  Paris. 

Les  motifs  non  avoués  pour  abandonner  la  défense, 
c'est  qu'on  croyait  que  le  royalisme  avait  de  fortes 
intelligences  dans  Nantes,  qu'elle  avait  dans  son 
sein  une  invisible  Vendée. 

Tout  ce  qui  habitait  les  bas  quartiers,  le  long  de  la 
LoirCj  les  trois  mille  hommes  de  port,  les  quatre  mille 


DE  DÉFENDRE  NANTES.  101 

ouvriers  de  la  corderie,  des  cotons,  etc.,  beaucoup 
de  petit  commerce,  tout  cela  était  patriote.  Les  ar- 
mateurs de  corsaires  Tétaient  ou  le  paraissaient.  Mais 
MM.  les  spéculateurs,  MM.  les  négriers  enrichis  qui 
regrettaient  amèrement  les  bons  temps  de  Saint- 
Domingue,  ne  pouvaient  être  bienveillants  pour  la 
République.  La  noblesse  avait  émigré,  et  le  clergé 
se  cachait;  la  queue  de  tout  cela  restait,  remuait, 
inquiète,  intrigante,  livrant  la  ville  jour  par  jour. 
Les  Vendéens  savaient  mieux  que  les  Nantais  ce  qui 
se  passait  à  Nantes.  Si  les  bords  boisés  de  la  Sèvre 
couvraient  les  approches  hardies  des  éclaireurs  de 
Charette,  les  longs  jardins  murés  des  hauts  quartiers 
de  Nantes,  les  ruelles  infinies  qui  font  des  deux  côtés 
de  l'Erdre  d'inextricables  labyrinthes,  ne  couvraient 
pas  moins  bien,  au  sein  de  la  ville,  les  sourdes  pra- 
tiques du  monde  royaliste  et  dévot  qui  appelait  l'en- 
nemi. Des  tours  de  Saint-Pierre  où  Ton  avait  établi 
un  observatoire,  on  distinguait  avec  des  longues 
vues  les  bonnes  femmes  de  Nantes,  qui,  sous  mille 
prétextes,  allaient,  venaient  de  la  ville  aux  brigands, 
des  brigands  à  la  ville,  les  renseignant  parfaite- 
ment, portant  et  reportant  leurs  lettres,  leur  indi- 
quant les  lieux,  les  heures,  les  occasions,  où  ils 
pourraient  à  leur  aise  massacrer  les  patriotes. 

Nantes,  sans  mur  ni  rempart,  vaguement  répandue 
entre  ses  trois  fleuves,  pouvait  assez  bien  se  garder 
encore  vers  la  Sèvre  par  ses  ponts,  sur  la  Loire  par 
son  château,  mais  infiniment  peu  sur  l'Erdre.  La 
jaune  rivière  des  tourbières,  par  ces  labyrinthes  de 


102  DIFFICULTE  DE  DEFENDRE  NANTES. 

jardins  murés  qui  couvrent  ses  bords,  par  ces  sinis- 
très  ruelles  de  vieux  couvents  abandonnés,  de  mai- 
sons nobles,  devenues  biens  nationaux,  et  sans  habi- 
tants, donnait  un  trop  facile  accès  aux  loups,  aux 
renards,  qui,  de  nuit,  venaient  de  près  flairer  la 
ville. 

Nantes  ne  manquait  pas  de  chefs  militaires.  La 
population  aimait  beaucoup  le  général  des  dragons 
rouges  de  Bretagne,  Tex-chirurgien  Beysser.  C'était 
un  Alsacien,  très-brave,  buveur  et  rieur,  Tun  des 
beaux  hommes  de  France.  Il  avait  fait  la  guerre  aux 
Indes.  Il  avait  une  confiance  incroyable  qui  souvent 
le  faisait  battre.  Il  chansonnait  l'ennemi,  et  fit  des 
chansons  jusque  sous  la  guillotine.  Inconséquent  et 
léger,  il  n'était  pas  au  niveau  d'une  affaire  aussi  grave 
que  la  défense  de  Nantes. 

Un  homme  fort  aimé  aussi  était  le  girondin  Cous- 
lard,  créole  intrépide,  qui  se  fit  Nantais,  et  repré- 
senta Nantes  à  la  Convention.  Nous  l'avons  vu  hé- 
roïque àla  bataille  de  Saumur.  Lui,  il  voulait  défendre 
Nantes,  ou  bien  y  périr.  Sans  nul  doute,  il  avait  senti 
que  Nantes  abandonnée  serait  l'opprobre  éternel  du 
parti  girondin,  la  confirmation  de  tout  ce  qu'on  disait 
de  ses  liaisons  avec  la  Vendée.  Nantes  sauvée,  au 
contraire,  la  Gironde  était  sauvée ,  du  moins  dans 
l'histoire. 

Le  maire  de  Nantes,  Baco,  autre  girondin,  ex- 
procureur du  roi,  était  un  homme  de  robe  fait  pour 

les  choses  d'épée.  Il  voulait,  le  13  mars,  que,  par 
toutes  ses  issues,  Nantes  sortit  en  armes  et  tombât 


LE  MAIKE  BACO.  103 

sur  renoemi.  C'était  un  homme  sauguin ,  violent, 
impérieux,  aristocrate  de  caractère,  républicain  de 
principes.  11  plaisait  au  peuple  par  sa  vigueur,  par 
une  sorte  d'emphase  héroïque  qu'il  avait  dans  le 
commandement,  par  sa  blanche  crinière  de  lion  qu'il 
secouait  orgueilleusement.  On  l'appelait  le  roi  Baco. 
Personne  n'a  eu  plus  d'aventures.  Maire  de  Nantes, 
il  sauva  la  ville,  brava  insolemment  la  Convention 
qui  faillit  le  guillotiner.  Commissaire  à  l'tle  de 
France,  directeur  de  l'Opéra  à  Paris,  définitivement 
il  alla  mourir  à  la  Guadeloupe. 

Les  beaux  registres  de  Nantes,  admirablement 
conservés,  restent  pour  témoigner  à  la  gloire  de  celte 
vigoureuse  dictature.  On  peut  y  voir  la  prévoyance 
universelle,  l'activité  infatigable,  la  forte  décision, 
par  lesquelles  une  seule  ville  intimida  tout  un  monde. 
Ce  gouvernement  girondin  fit  précisément  ce  que 
les  Montagnards  auraient  fait.  11  convainquit  les 
Vendéens  qu'on  ne  mollirait  jamais  devant  eux.  Le 
21  mars,  on  en  eut  la  preuve.  Le  jury,  qui  venait  de 
condamner  des  insurgés,  fit  savoir  à  l'administration 
que,  si  l'on  exécutait,  l'ennemi  mettrait  à  mort  cent 
soixante  patriotes  qu'il  avait  entre  les  mains  :  l'admi- 
nistration donna  ordre  d'exécuter  sur-le-champ. 

Avec  tout  cela,  la  résistance  aurait  été  fort  dou- 
teuse, si  elle  n'avait  pris  un  caractère  entièrement 
populaire,  si  la  question  ne  se  fût  posée  dans  ses  vé- 
ritables termes,  entre  le  Nantais  et  le  Vendéen,  l'ou- 
vrier et  le  paysan,  les  souliers  et  les  sabots. 

Si  la  défense  eût  été  toute  militaire,  Nantes  était 


perdue.  Si  elle  eût  été  bourgeoise  seulement  et  par 
la  garde  nationale  où  dominaient  les  marchands, 
négociants,  gens  aisés,  etc.,  Nantes  était  perdue.  11 
fallait  que  les  bras  miSy  les  hommes  rudes,  les  tra- 
vailleurs, prissent  violemment  ^parti  contre  les  bri- 
gands, et  devinssent  une  avant-garde.  Les  bourgeois 
ne  manqueraient  pas  d'agir  également  par  émula- 
tion. C'est  précisément  ce  qui  arriva  et  ce  qui  sauva 
la  ville. 

Le  15  mars,  le  lendemain  de  ces  terribles  nou- 
velles d'assassinats,  de  massacres,  d'hommes  enterrés 
vifs,  il  y  avait  une  grande  panique.  Les  femmes,  dans 
une  sorte  d'agonie  de  peur  et  de  défaillance,  s'ac- 
crochaient à  leurs  maris  et  les  retenaient.  Baco  et 
les  magistrats  firent  une  chose  insolite;  ils  parcou- 
rurent la  ville  à  pied,  s'arrôtant,  se  mêlant  aux 
groupes  ,  demandant  à  chacun  ce  qu'il  fallait 
faire. 

Il  y  avait  dans  la  Haute-grand'rue,  tout  près  de 
Saint-Pierre,  un  ouvrier  en  boutique ,  ferblantier  de 
son  état,  qui  avait  grande  influence  dans  le  quartier. 
Meuris,  c'était  son  nom,  était  un  homme  marié  de 
trente-trois  ans  et  qui  avait  des  enfants;  il  n'en  était 
pas  moins  ardent  et  propre  aux  armes.  Cet  homme 
devint  le  centre  de  la  défense  populaire. 

Le  maire  voulait  qu'on  sortît,  qu'on  fondît  sur  les 
Vendéens,  qu'une  force  armée  courût  le  départe- 
ment avec  une  cour  martiale.  Mais  le  commandant 
Wieland,  bon  officier  suisse,  méthodique  et  prudent, 
voulait  qu'on  ne  sortît  pas,  qu'on  se  gardât  seulement. 


LE  FËKKLAMIEH  MËUKIS.  105 

C'était  un  moyeu  sûr  de  mourir  de  faim,  d'être  vaincu 
saus  combat. 

Meuris  se  chargea  d'organiser  cette  force  armée 
qui  devait  courir  le  département.  Mission  vraiment 
hasardeuse,  quand  on  songe  au  soulèvement  uni- 
versel des  campagnes. 

Cet  audacieux  Meuris  mérite  bien  d'être  un  peu 
connu.  Il  n'était  pas  de  Nantes.  C'était  un  Wallon 
des  Pays-Bas  S  de  cette  race  très-particulière  dont 
les  Liégeois  sont  une  tribu,  et  qui  a  fourni  peut-être 
les  plus  fougueux  soldats  de  l'Europe.  Dans  ce 
nombre  innombrable  de  braves  qui  ont  rempli  les 
armées  de  la  Révolution,  quelques  Liégeois  ont  mar- 
qué par  une  bravoure  emportée,  furieuse,  et  qu'on 
pourrait  dire  frénétique,  absolument  les  mêmes  qu'en 
1468,  lorsque  trois  cents  Liégeois  entrèrent  dans  un 
camp  de  quarante  nulle  hommes  pour  tuer  Charles- 
le-Téméraire. 


*  L'acle  de  décès  de  Meuiis,  que  m'a  communiqué  M.  Guéraud  de 
Nantes,  le  dit  né  à  Tournay.  M.  Gachard,  archiviste  général  de  Belgi- 
que, et  M.  le  secrétaire  de  la  ville  de  Tournai,  avaient  mis  une  extrême 
obligeance  à  chercher  pour  moi  son  acte  de  naissance  dans  les  registres 
de  cette  ville.  Mais  son  acte  de  mariage  trouvé  depuis  à  Nantes  par 
M.  Dugast-Maiifeux,  apprend  quMl  n'était  pas  né  à  Tournai  :  i4ma6/e 
Joseph  Meuris  était  né  en  1760  sur  la  paroisse  de  Russignies  (commune 
wallone  du  Brabant),  diocèse  de  Malines;  il  était  domicilié  de  la  pa- 
roisse Saint-Georges  de  Tournai,  et  il  épousa  en  1784  à  Nantes  Marie- 
Ursule  Belnau,  fille  d'un  tailleur.  D'après  Tinscriplion  de  sa  tombe 
[cimetière  de  la  Bouleillerie),  Meuris  servait  depuis  trois  ans  cinq  mois 
six  jours  (dans  la  garde  nationale  sans  doute),  lorsqu'il  fut  tué  mal- 
heureuseineut  le  14  juillet  1793. 


J0(>  LE  FERBLANTIER  MEURIS. 

Meurîs  avait  été  élevé  à  Tournai,  ville  wallonne  et 
plus  que  française  au  milieu  des  Flandres,  sorte  de 
petite  république,  et  il  y  avait  pris  de  bonne  heure 
l'esprit  républicain.  Comme  beaucoup  de  dinandiers, 
de  ferblantiers  et  de  batteurs  de  fer  de  toute  sorte, 
qui  font  volontiers  leur  tour  de  France,  et  s'y  établis- 
sent parfois,  Meuris  vint  jusqu'à  Nantes,  s'y  maria, 
s'y  fixa. 

La  vieille  petite  Tournai,  qui  se  disait  la  ville  de 
Clovis,  la  mère  de  Gand  et  de  toute  la  Belgique,  était 
l'orgueil  et  la  guerre  môme.  Française  au  sein  des 
Pays-Bas,  en  vive  opposition  avec  la  lourde  popula- 
tion flamande  qui  l'environne  ^  elle  a  toujours  exa^ 
géré  les  qualités  françaises.  Nos  rois,  charmés 
d'avoir  en  elle  une  France  hors  de  la  France,  lui 
conservèrent  des  privilèges  illimités.  Ce  petit  peuple 
d'avant-garde,  très-ardent,  très-inquiet,  qu'on  croi- 
rait méridional,  a  vécu  de  siècle  en  siècle  l'épée  à  la 
main,  toujours  en  révolution  quand  il  n'était  pas  en 
guerre.  Un  Tite-Live  de  Tournai  a  écrit  en  CQnt 
volumes  ses  révolutions,  bien  autres  que  celles  de 
Rome.  Mais  l'histoire  n'est  pas  finie. 

J'ai  cité  ailleurs  les  chansons  guerrières  de  Tournai 
contre  les  Flamands  ^  La  marche  de  Nantes  et  de 
Vendée  u'a  pas  été  moins  féconde  en  chansons  bonnes 

^  J'ai  cité  une  très-belle  chanson  de  Tournai  sur  sa  victoire  de  ^  477, 
Histoire  de  France,  t.  VI,  p.  446.  —  Pour  les  chansons  Vendéennes 
(des  deux  partis],  un  employé  de  la  Loire- Inférieure,  Yoyer  d*un  che- 
min, si  je  ne  me  trompe,  en  a  fait  un  recueil.  Il  serait  fort  à  désirer 
qu'il  le  publiât. 


LE  FERBLANTIER  MEURIS.  107 

OU  mauvaises.  Si  les  gens  de  Charette  dansaient,  les 
mariniers  de  la  Loire  se  vengeaient  eu  chants  satiri- 
ques, et  parfois  rapportaient  dans  Nantes  au  bout  de 
leurs  baïonùeltes  les  jupes  des  Vendéennes. 

Pour  cette  population  gaillarde  d'ouvriers,  de  mari- 
niers, Meurisfut  un  centre  électrique.  A  la  bravoure 
résistante  du  vaillant  pays  de  Gambronne ,  il  ajouta 
la  fougue,  Télan,  Tétincelle.  Il  appartenait  au  club 
de  Vincent-la-Montagne ,  que  venaient  de  fonder 
d'ardents  patriotes,  Chaux,  Goullain  et  Bachelier. 

Nous  verrons  les  services  immenses  que  ces  hommes 
tant  calomniés  ont  rendus  à  leur  pays.  Leurs  lettres 
que  j'ai  sous  les  yeux,  chaleureuses  et  frémissantes 
d'un  fanatisme  sublime,  étonnent  dans  la  froide 
vieillesse  où  la  France  est  parvenue.  L'église  de  Saint- 
Vincent,  achetée  par  Chaulx  pour  la  société ,  devint 
une  vraie  église  où  vinrent  jurer  les  martyrs;  et  ils 
ont  tenu  parole  sur  les  champs  de  la  Vendée. 

Ce  club  de  Vincent-la-Montagne,  peu  nombreux 
au  milieu  d'une  population  essentiellement  giron- 
dine, eut  pourtant  assez  de  force  pour  la  maintenir 
ou  la  ramener  dans  Torthodoxie  révolutionnaire. 
L'administration  de  Nantes  par  deux  fois  se  laissa  aller 
à  adhérer  aux  adresses  bretonnes  contre  la  Conven- 
tion ,  mais  se  rétracta  par  deux  fois.  L'énergie  du 
club  Vincent  soutint  Nantes.dansla  foi  de  l'unité. 

L'administration,  qui  en  mars  avait  créé  les  batail- 
lons Mçuris,  si  utiles  à  la  défense,  voulait  les  dis- 
soudre en  juin,  ou  du  moins  les  épurer,  en  faire 
sortir  les  Montagnards.  Y  trouvant  difficulté,  elle  leur 


108  LE  CLUlî  DE  VINCEN'f-LA-MOXTAGNE. 

suscita  une  Iroupe  rivale.  Le  H  juin  entrèrent  dans 
le  conseil  général  de  jeunes  Nantais  clercs  ou  commis, 
commerçants,  fils  de  famille,  qui  demandaient  k 
former  un  corps  spécial.  Ces  jeunes  bourgeois  (dont 
plusieurs  marquaient  comme  duellistes)  ne  voulaient 
pas  se  confondre  dans  les  corps  déjà  formés.  Ils  s'in- 
titulèrent eux-mêmes  légion  nantaise^  nom  jusque-là 
commun  à  toute  la  garde  nationale.  L'administration 
les  accueillit  avec  tant  de  faveur,  qu'elle  leur  donna 
une  solde,  dont  ils  n'avaient  guère  besoin.  Justes 
sujets  de  jalousie  pour  les  bataillons  Meuris,  qui 
déjà  avaient  fait  leurs  preuves  dans  un  service  dange- 
reux ,  et  méritaient  tout  autant  de  s'appeler  légion 
nantaise. 

La  nouvelle  grave  et  terrible  de  la  bataille  de 
Saumur,  de  l'évacuation  d'Angers,  la  marche  des 
Vendéens  vers  l'ouest,  firent  taire  ces  rivalités.  Les 
Montagnards  furent  admirables.  GouUain,  au  nom  du 
club  de  Saint-Vincent,  proposa  au  club  girondin  et 
aux  corps  administratifs  de  se  réunir  tous  à  Saint- 
Pierre,  dans  la  cathédrale,  pour  aviser  au  salut 
public  et  fraterniser.  On  convint  que,  tous  ensemble, 
Montagnards  et  Girondins,  s'inviteraient  dans  l'église, 
et  se  prenant  par  le  bras,  iraient  ensuite  les  uns  chez 
les  autres  prendre  le  dîner  de  famille,  et  de  là,  tou- 
jours ensemble,  travailleraient  aux  fortifications. 
Cette  proposition  excita  une  joie  universelle.  Toute 
la  nuit,  les  membres  des  deux  clubs  allèrent  de  poste 
en  poste  annoncer  cette  grande  communion  révolu- 
tionnaire. Elle  eut  lieu  le  lendemain  ;  tous  y  puisé- 


JALOUSIE  DES  GIRONDINS.  WJ 

rentnne  incroyable  force  et  jurèrent  de  sauver  la 
France  (15  juin  93). 

§  5.— COMBAT  DE  MEUIIIS  A  NORT.— LA  DÉLIVRANCE  DE  NANTES. 

(37-39  juin  93.) 

La  sommation  des  Vendéens,  apportée  le  22  juin, 
demandait  qu'on  livrât  la  place  et  les  deux  représen- 
tants du  peuple  qui  s'y  trouvaient,  promettant  de 
garantir  les  personnes  et  les  propriétés.  C'était  pro- 
mettre plus  qu'on  n'eût  pu  tenir.  Rien  n'aurait  arrêté 
la  haine  des  paysans,  ni  la  fureur  du  pillage.  De 
trente  lieues  à  la  ronde,  il  venait  des  gens  tout  exprès 
pour  pi  lier  Nantes,  Naguère  encore  (1852),  une  vieille 
femme  me  disait  :  «  Oh!  oui,  j'y  étais,  au  siège;  ma 
sœur  et  moi,  nous  avions  apporté  nos  sacs.  Nous 
comptions  bien  qu'on  entrerait  tout  au  moins  jusqu'à 
la  rue  de  la  Casserie.  »  C'était  celle  des  orfèvres. 
Quiconque  voit,  les  jours  de  marché,  la  naïve  admi- 
ration des  paysans  plantés  devant  les  boutiques  d'or- 
fèvres, leur  fixe  contemplation,  tenace  et  silencieuse, 
comprend  à  merveille  pourquoi  une  si  grande  foule 
grossissait  l'armée  vendéenne  et  venait  fêter  la  Saint- 
Pierre  à  la  cathédrale  de  Nantes  (dimanche,  29  juin 
93). 

Combien,  en  réalité,  pouvaient  être  les  Vendéens? 
A  Ancenis,  d'Elbée  tit  préparer  du  pain  et  des  lo- 
gements pour  quarante  mille  hommes.  Mais  ce  nom- 
bre put  s'accroître  d' Ancenis  à  Nantes ,  par  l'af- 
fluence  des  hommes  de  l'intérieur  ou  des  côtes.  Il 


110  UNION  DES  DEUX  PARTIS. 

faut  y  ajouter  enfin  Tarmée  de  Charette,  qui  avait 
au  moins  dix  mille  hommes.  Le  tout  pouvait  s'évaluer 
à  cinquante  ou  soixante  mille*. 

Bonchamps,  avec  ses  Bretons,  devait  attaquer  par 
la  route  de  Paris  et  par  le  château.  La  division  des 
Poitevins,  sous  Stofflet  et  Talmont,  venait  par  la. route 
de  Vannes,  La  troisième,  la  plus  forte,  l'armée  d'An- 
jou, suivait  la  route  centrale,  celle  de  Rennes,  sous 
Cathelineau.  Sous  d' Autichamp,  quatre  mille  hommes 
remontaient  la  rivière  d'Erdre,  pour  passer  à  Nort  et 
rejoindrerarméed'Anjou.QuantàCharette,onlelaissa 

de  l'autre  côté  de  la  Loire,  du  côté  où  Nantes  est  le 
moins  prenable.  On  se  contenta  de  son  assistance  loin- 
taine, de  sa  canonnade.  La  grande  armée,  maîtresse 
de  la  I-.oire,  aurait  pu  certainement  amener  des  bar- 
ques et  le  faire  passer. 

Toutes  les  routes  étant  prises  ainsi,  les  vivres  de- 
venaient rares  dans  Nantes  et  d'une  cherté  exces- 
sive. Tout  le  peuple  était  dans  la  rue,  l'administra- 
tion très-inquiète.  Par  deux  fois,  elle  défendit  aux 
sections  de  se  réunir  et  de  rester  en  permanence. 

La  responsabilité  était  grande  pour  les  représen- 
tants du  peuple  Merlin  et  Gillet.  Merlin  de  Douai,  le 
célèbre  jurisconsulte,  esprit  vif  et  fin,  caractère  équi- 
voque et  timide,  n'était  nullement  Thomme  qui  pou- 
vait prendre  une  initiative  héroïque  dans  cette  grande 
circonstance.  11  n'était  d'ailleurs  nullement  soutenu 

«  Lettre  de  d'Elbée  publiée  par  M.  Fillon,  Entrée  des  Vendéens  à 
Ancenis. 


ARRIVÉE  DES  VENDÉENS.  iH 

du  centre.  Nantes  semblait  plus  isolée  de  Paris  que 
de  rAmérique. 

Merlin,  pendant  tout  le  mois,  eut  beau  écrire 
lettre  sur  lettre  ;  il  n'obtint  pas  une  ligne  du  Comité 
de  salut  public.  Le  28,  il  reçut  un  mot,  absolument 
inutile  à  la  défense  de  Nantes. 

Il  avait  eu  le  bon  esprit  de  retenir  pour  comman- 
der un  excellent  officier,  Tex-marquis  de  Canclaux, 
général  destitué,  esprit  froid  et  ferme,  connu  par  de 
bons  ouvrages  sur  la  tactique  militaire.  Son  avis 
toutefois,  conforme  à  celui  du  commandant  de  Tar- 
tillerie  et  du  château,  était  qu'on  ne  pouvait  défen- 
dre la  ville.  Canclaux,  arrivé  à  Tâge  de  cinquante- 
quatre  ans,  avec  une  bonne  réputation  militaire, 
se  souciait  peu  de  la  compromettre. 

Canclaux  ne  croyait  guère  qu'aux  troupes  de  ligne, 
et  il  n'en  voyait  que  cinq  bataillons  de  cinq  régi- 
ments différents.  C'est  tout  ce  qu'on  avait  pu  tirer 
des  côles,  qu'on  n'osait  trop  dégarnir.  Il  ne  savait  que 
penser  de  tout  le  reste,  simples  gardes  nationaux  de 
Nantes  ou  des  déparlements,  qui,  touchés  de  son 
péril,  lui  avaient  envoyé  quelques  bataillons.  Les 
Côtes-du-Nord  avaient  envoyé  les  premières,  puis 
Ille-et-Vilaine,  Mayenne  et  Maine-et-Loire,  Orne  et 
Seine-Inférieure,  Seine  et-Marne  et  Seine-et-Oise, 
enfin  la  Charente.  Chose  admirable,  le  Bas-Rhin, 

si  exposé,  et  si  loin,  envoya  aussi!  mais  n'arriva  pas 
à  temps.  Dans  ces  gardes  nationales,  ce  que  Can- 
claux avait  de  meilleur  sans  comparaison,  c'étaient 
les  quatre  compagnies  des  canonniers  de  Paris. 


H2  I^ES  UEPRÉSENTANTS  ET  LES  MIL1TA1HES 

Tout  cela  ensemble  faisait  une  force  peu  considé- 
rable, en  tout  dix  ou  onze  mille  hommes,  nombre 
bien  petit  pour  garder  l'immense  étendue  de  Nantes. 

Quand  la  sommation  arriva,  le  commandant  de 
l'artillerie  déclarant  qu'il  ne  répondait  nullement  de 
défendre  la  ville  :  «  Eh  bien  !  moi,  dit  le  maire,  je 
la  défendrai  !  » 

a  Et  moi  aussi,  dit  Beysser;  honte  aux  lâches!»  Ce 
mot  ramena  les  autres.  On  se  rangea  à  l'avis  de 
Baco. 

La  situation  où  les  deux  partis  se  trouvaient  dans 
Nantes  ne  contribua  pas  peu  à  faire  prendre  cette 
grande  initiative  au  maire  girondin  et  aux  généraux 
du  parti  Beysser  etCoustard.  Les  Montagnards  vou- 
laient la  défense  ;  et  Meuris,  envoyé  avec  son  ba- 
taillon au  poste  lointain  et  dangereux  de  Nort,  avait 
juré  de  tenir  ou  de  se  faire  tailler  en  pièces;  et,  en 
effet,  le  bataillon  périt. 

En  présence  de  cette  rivalité  héroïque  des  deux 
partis,  Merlin  ne  pouvait  pas  aisément  abandonner  la 
ville.  Il  la  déclara  en  état  de  siège,  soumettant  tout 
à  l'autorité  militaire,  à  son  général  Canclaux,  et  se 
réservant  ainsi  d'évacuer  Nantes,  si  tel  était  décidé- 
ment l'avis  des  hommes  du  métier. 

Dans  le  rapport  qu'il  a  fait  après  la  victoire,  Can- 
claux dit  qu'à  l'approche  de  l'armée  vendéenne, 
se  voyant  si  faible,  il  sentit  qu'il  ne  pouvait  livrer 
bataille  et  qu'il  se  rapprocha  de  Nantes.  La  Muni- 
cipalité affirme  que,  s'il  s'en  rapprocha,  ce  n'était 
pas  pour  y  entrer,  mais  bien  pour  reculer  vers  Ren- 


NE  CROIENT  PAS  POUVOIR  DÉFENDRE  LA  VILLE.  115 

nés,  les  représentants   du  peuple  ayant  décidé  que 
Nantes  serait  abandonnée. 

La  grande  armée  vendéenne  environnait  déjà  la 
ville.  C'était  le  28  au  soir.  On  voyait  sur  les  collines 
et  dans  les  prairies  de  grands  feux  qui  s'allumaient. 
Des  fusées  d'artifice  qui  montaient  au  ciel  étaient  les 
signaux  que,  de  la  rive  droite,  l'armée  faisait  à  Cba- 
rette  qui  était  sur  la  rive  gauche.  Les  assiégeants,  qui 
arrivaient  très -confusément,  s'appelaient  par  de 
grands  cris  pour  se  réunir  par  paroisses;  ayant  en- 
core peu  de  tambours,  ils  y  suppléaient  en  hurlant 
dans  des  cornes  de  bœufs.  Ces  sons  barbares  et  sinis- 
tres, qui  semblaient  moins  des  voix  d'hommes  que 
de  bêtes ,  remplissaient  tout  de  terreur  ;  on  disait  dans 
les  rues  de  Nantes  :  €  Voilà  les  brigands  !  » 

Le  peuple  était  fort  ému,  frémissant  à  la  fois  de 
crainte  et  de  courage;  plus  on  craignait,  plus  on 
sentait  qu'il  fallait  combattre  à  mort.  Malheureuse- 
ment les  soldats  de  ligne  (qui  pourtant  se  battirent 
très-bien  )  goûtaient  fort  l'avis  de  leurs  chefs  qui 
étaient  pour  la  retraite.  On  en  jugera  par  ce  fait.  Un 
Nantais  (M.  Joly),  rentrant  en  ville  avec  du  blé, 
les  soldats  veulent  le  lui  prendre.  «  Pourquoi  me 
prenez-vous  mon  blé,  quand  vous  ne  manquez  pas 
de  pain?  —  C'est,  disent-ils,  pour  que  les  Nantais, 
n'ayant  pas  de  vivres,  n'essaient  pas  de  se  défendre.*» 

1  Je  tiens  ce  fait  de  mon  ami  M.  SouYestre,  qui  sait  l'histoire  de 
rOuest  dans  un  étonnant  détail.  Plusieurs  chapitres  du  Sans-culoUe 
breton  sont  de  belles  pages  d'histoire,  admirablement  exactes. 

VI  8 


ii4  LES  REPRÉSENTANTS  ET  LES  MILITAIRES 

L'évacuation  commeDçait*  Les  canons^  les  caisses 
d'argent,  les  voilures  du  général,  du  représentant, 
tout  était  prêt  au  départ.  Un  événement  populaire 
changea  la  face  des  choses. 

Un  bateau  ramena  par  l'Erdre  ce  qui  restait  du 
glorieux,  de  F  infortuné  bataillon  Meuris,  une  trea* 
taine  d'hommes  sur  cinq  cents.  Le  bataillon  avait 
tenu  son  serment.  Il  s'ensevelit  à  Nort,  pour  don- 
ner huit  heures  de  délai  à  la  ville  de  Nantes.  L'at- 
taque, ainsi  retardée,  manqua^  Nantes  fut  sauvée. 
Disons  mieux,  la  France  le  fut.  Son  salut,  dit  Napo- 
léon, tenait  au  salut  de  Nantes. 

Lorsque  la  France  se  souviendra  d'elle-même , 
deux  colonnes,  l'une  à  Nort,  l'autre  à  Nantes,  rap- 
pelleront ce  que  nous  devons  à  l'immortel  bataillon 
et  au  ferblantier  Meùris. 

11  faut  dire  que  le  bataillon  avait  trouvé  dans  Nort 
même,  cette  toute  petite  bourgade,  une  admirable 
garde  nationale.  Nort,  la  sentinelle  de  Nantes,  parmi 
les  tourbièresdeVErdre,  était  constammentauxmaiUfl. 
Rien  n'était  plus  patriote.  Émigrée  une  fois  tout 
entière  devant  l'ennemi,  elle  s'était  reconquise  elle- 
même.  Nantes  lui  avait,  à  cette  occasion ,  voté  un  se- 
cours, d'honneur,  de  reconnaissance.  Les  hommes  du 
club  Vincent,  Chaux  surtout,  dont  se  retrouve  partout 
la  main  dans  les  grandes  choses,  avait  formé,  choyé 
cette  vaillante  avaiït-garde  de  la  capitale  de  l'Ouest. 

Nort  n'a  ni  mur  ni  fossé,  sauf  l'Erdre  qui  passe  de- 
vant, et  elle  tint  toute  une  nuit.  Â  la  vivacité  du  feu, 
les  Vendéens  ne  soupçonnèrent  pas  le  petit  nombre 


NE  CROIENT  PAS  POUVOIR  DÉFENDRE  LA  VILLE.  il6 

de  ses  défenseurs.  Au  petit  jour^  une  femme  de  Nort 
fit  semblant  de  poursuivre  une  poule,  passa  la  rivière 
à  gué»  montra  lo  gué  aux  Vendéens.  Cette  femme  a 
Técu  jusqu'en  1820  en  exécration  dans  tout  le  pays. 

Les  cavaliers  vendéens,prenant  chacun  en  croupe  un 
Breton  (ces  Bretons  étaientd'excellents  tireurs),  pas* 
sèrent  et  se  trouvèrent  alors  front  à  front  avec  Meuris. 

Meuris,  entre  autres  vaillants  hommes,  avait  à  lui 
deux  capitainesqui  méritentbien  qu'on  en  parle.  L'un 
était  un  très-beau  jeune  homme,  aimé  des  hommes^ 
adoré  des  femmes,  un  Nantais  de  race  d'Irlande,  le 
maître  d'armes  0' Sullivan ,  tête  prodigieusement 
exaltée,  noblement  folle*,  à  l'irlandaise;  c'était  une 
lame  étonnante,  d'une  dextérité  terrible  dont  tout 
coup  donnait  la  mort.  L'autre ,  non  moins  brave, 
était  un  nommé  Foucauld,  véritable  dogue  de  com-* 
bats,  dont  on  a  trop  légèrement  accusé  la  férocité; 
eût-il  mérité  ce  reproche,  ce  qu  il  a  fait  pour  la 
France  dans  cette  nuit  mémorable  a  tout  effacé  dans 
nos  souvenirs. 

Ces  hommes  obstinés,  acharnés^^  disputèrent  tout 


«  Je  veux  dire,  extrêmement  inégale.— H  était  très-doux  (c'est  lui 
qui  empocha  de  fusiller  les  cent  trente-deux  Nantais),  mais  avec  dea 
accès  de  violence  et  dVxallatiun.  L'appréciation  si  judicieube  de  la 
Terreur  qu'on  trouve  sans  nom  d'auieur,  h  la  page  495  de  Gu«'pin 
{Hhtnrede  Nanlrs,  2^  édiiion),  est  d'O'Sullivan.  L'éminent  liislo- 
rien  appanienl  lui-même  à  Phisloire  par  son  immortelle  initiative 
au  pont  de  Pirmil  ;  c^est  lui  qui  le  30  juillet  1830  coupa  ce  pont,  com- 
munication  principale  entre  la  Bretagne  et  la  Vendée,  et  p«ul-4lfê 
trancha  le  nœud  de  la  guerre  civile. 


lie  LES  KËPRÉSENTANTS  ET  LES  MILITAIBES 

le  terrain  pied  à  pied  à  la  baïonnette  ;  puis,  quand  ils 
eurent  perdu  Nort,  ils  continuèrent  de  se  battre  sur 
une  hauteur  voisine,  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  tous  par 
terre  entassés  en  un  monceau.  L'Irlandais,  percé  de 
coups,  dit  à  Meuris  :c(Pars!  laisse-moi,  et  va  dire 
aux  Nantais  d'en  faire  autant!  » 

Meuris  empoigna  le  drapeau.  Il  ne  voyait  plus  que 
trente  hommes  autour  de  lui.  Ils  reviennent  ainsi  à 
Nantes ,  couverts  de  sang.  Qu'on  juge  de  l'impres- 
sion quand  on  vit  ces  revenants ,  quand  on  apprit 
qu'un  bataillon  avait  arrêté  une  armée,  quand  on  de* 
manda  où  il  était  ce  corps  intrépide,  et  qu'on  sut  qu'il 
était  resté  pour  garder  éternellement  le  poste  où  le 
mit  la  Patrie. 

Les  trente  étaient  encore  si  furieux  du  combat, 
qu'ils  ne  sentaient  pas  leurs  blessures.  Foucauld 
était  effroyable  par  un  coup  bizarre  qui  lui  abattit  la 
peau  de  la  face  ;  le  dur  Breton,  sans  s'étonner,  avait 
ramassé  son  visage,  et,  en  allant  &  l'hôpital,  il  criait 
de  toutes  ses   forces  :   «  Vive  la  République!  » 

Le  peuple  grandit  en  ce  moment  d'une  manière 
extraordinaire.  Il  parla  avec  autorité  à  ses  magistrats. 
11  fit  revenir  Merlin  qui  était  déjà  parti.  On  le  retint 
chez  Goustard,  qui  enfin  lui  fit  entendre  raison.  Du 
reste  on  avait  coupé  les  traits  des  chevaux  et  dételé 
les  voitures.  Merlin,  le  jurisconsulte,  fut  forcé  d'être 
un  héros. 

Si  Meuris  n'avait  tenu  huit  heures  à  Nort,  Auti- 
champ  et  ses  Vendéens  seraient  arrivés  le  soir,  et  le 


NE  CROIENT  PAS  POUVOIR  DÉFENDRE  LA  VILLE.  117 

combat  eût  commencé,  comme  il  était  dit^  à  deux 
heures  de  nuit,  un  moment  avant  le  jour.  11  ne  com- 
mença que  fort  tard,  à  dix  heures,  en  pleine  et 
chaude  matinée.  Gharette  avait  tiré  à  deux  heures, 
et  se  morfondait  dans  Tattente,  ne  sachant  comment 
expliquer  le  silence  de  la  grande  armée. 

Il  lui  manquait  ce  corps  d'élite,  ces  tireurs  bretons 
retardés  à  Nort,  quatre  mille  hommes  qui,  faute  de 
barques,  durent  sans  doute  venir  à  pied.  Ce  corps 
venu  et  reposé,  l'attaque  commença  vivement 
par  les  routes  de  Paris,  de  Vannes,  et  au  centre 
par  celle  de  Rennes. 

Beysser,  voyant  bien  que  Gharette  ne  ferait  rien 
de  sérieux,  prit  des  forces  au  pont  coupé  qui  se  gar- 
dait de  lui-même,  les  porta  sur  la  route  de  Paris, 
chargea  Bonchamps  avec  une  fureur  extraordinaire 
et  le  repoussa. 

Au  centre,  sur  la  route  de  Reunes,  où  était  l'aflaire 
la  plus  chaudes  Gathelineau  eut  deux  chevaux  tués 
sous  lui,  sans  pouvoir  forcer  le  passage.  L'artillerie 
républicaine,  servie  admirablement  par  les  canonniers 
de  Paris,  arrêtait  les  Vendéens.  Là  se  tenait,  froid  et 
paisible,  Ganclaux  observant  le  combat.  Là,  Baco,  le 
vaillant  maire,  remarquable  par  sa  forte  tête,  cou- 
verte d'épais  cheveux  blancs,  dans  sa  juvénile  ar- 

*  Là  fut  tué  Je  vaillant  grand'père  du  vaillant  et  généreux  M.  Ro- 
cher, commissaire  de  la  République  dans  cinq  départements  en  4848, 
et  si  estimé  de  tous  les  partis.— Ces  belles  légendes  de  Nantes  auraient 
mérité  d'être  dites  par  son  Walter  Scolt,  l'éloquent  auteur  du  Champ 
des  Martyrs,  M.  E.  Ménard. 


^)8  LA  MORT 

deur,  encourageait  tout  le  inonde,  jusqu'à  ce  qu^unê 
balle  le  força  de  quitter  la  place.  On  le  mit  dans  un 
tombereau.  Mais  lui,  souriant  toujours,  criait  :  «Ne 
voyez-vous  pas?  c'est  le  char  de  la  victoire,  i 

Les  Vendéens  étaient  parfaitement  instruits  de 
l'état  intérieur  de  la  place,  de  la  rivalité,  des  défiances 
mutueHes  des  Montagnards  et  des  Girondins.  Ils  em- 
ployèrent une  ruse  de  sauvages,  qui  témoigne  égale- 
ment de  leur  perfidie  et  de  leur  dévouement  fanatique. 
Trois  paysans,  l'air  effrayé ,  viennent  se  jeter  aux 
avant-postes,  se  font  prendre.  Des  grenadiers  d'un 
bataillon  de  Maine-et-Loire  leur  demandent  comment 
vont  les  affaires  des  Vendéens?  a  Elles  iraient  mal, 
disent  simplement  ces  bonnes  gens,  si  nous  n'avions 
pour  nous  un  représentant  du  peuple,  qui  est  depuis 
longtemps  à  Nantes  et  nous  fait  passer  des  cartou-* 
ches... — Comment  se  nomme-t-il  ? — Coustard.  *  » 

Cette  accusation,  jetée  en  pleine  bataille,  était 
infiniment  propre  à  diviser  les  assiégés , .  à  susci- 
ter des  querelles  entre  eux,  qui  sait  ?  peut-être  à  les 
mettre  au}ç  prises  les  uns  contre  les  autres. 

Gathelineau,  selon  toute  apparence,  n'avait  atta« 
que  de  front  la  route  de  Rennes  que  pour  occuper  la 
meilleure  partie  des  forces  nantaises.  Pendant  que 
cette  attaque  continuait,  le  chef  rusé  qui  connaissait 
à  merveille  les  ruelles  de  Nantes,  les  moindres  pas- 
sages, prit  avec  lui  ses  braves,  sa  légion  personnelle, 

»  Çreffe  de  Nantes,  registre  intitulé  Dépôt  de  piècçs  et  prQoédur0$f 
îr'sept.  93,  no  181. 


DE  CATHKLINBâU  (29  JUIN  1793u  |49 

tes  voi$ins  du  Pin*en-Mauges  ;  il  se  glissa  entre  les 
jardins,  et  il  arriva  ainsi  au  coin  de  la  place  Viarme. 
Avant  qu'il  fût  sorti  encore  de  la  rue  du  cimetière 
pour  déboucher  dans  la  place,  un  savetier  qui  se  te* 
naît  à  sa  mansarde  (du  n^  1)  vit  Thomme  au  panache 
blanc  avec  Fétat-major  brigand,  ^ppuya  tranquille- 
ment son  fusil  sur  la  fenêtre,  tira  juste...  Thomme 
tomba- 
La  Vendée,  frappée  du  coup,  n'alla  pas  plus  loin. 
Ils  l'avaient  cru  invulnérable,  ils  furent  tous  bles- 
sés à  rame  ;  si  profondément  blessés,  qu'ils  ne  s'en 
sont  jamais  relevés. 

Au  moment  môme  où  il  tomba,  ils  commencèrent 
à  réfléchir.  Ils  n'avaient  réfléchi  jamais. 

Ils  commencèrent  à  avoir  faim,  et  à  remarquer 
que  le  pain  manquait. 

Ils  s'aperçurent  aussi  qu'un  canon  était  démonté, 
et  qu'il  était  tard  pour  refaire  la  batterie. 

Ils  apprirent  que  Westermann ,  l'étourdi,  l'auda- 
cieux, avait  percé  au  fond  de  la  Vendée,  qu'il  allait 
prendre  Ghâtillon,  pendant  qu'ils  ne  prenaient  pas 
Nantes. 

Extraordinairement  refroidis  par  ces  graves  ré- 
flexions, ils  se  mirent,  de  côté  et  d'autre,  à  faire  leurs 
arrangements  et  replier  leurs  bagages.  En  avançant 
dans  la  journée,  et  le  soir,  il  se  trouva  que  tous 
étaient  prêts  à  partir.  Leurs  généraux,  qui  le 
voyaient,  se  hâtèrent  d'en  donner  Tordre,  de  peur 
qu'ils  ne  s*en  passassent. 


iiO  I^A    GURKUË  CHANGE 

Pour  célébrer  leur  départ,  et  de  crainte  de  quelque 
surprise,  Nantes  illumina  le  soir  et  toute  Ip.  nuit. 
Chacun  mangea  sous  les  armes;  on  dressa  des  tables 
tout  le  long  du  quai  magnifique,  par-devant  la  grande 
Loire,  sur  une  ligne  d'une  lieue.  Debout,  gardes 
nationaux  et  soldats.  Nantais,  Parisiens,  Français 
de  tout  département,  prirent  ensemble  le  repas  ci- 
vique, buvant  à  la  République,  à  la  France,  à  la  fin 
de  la  guerre  civile,  à  la  mort  de  la  Vendée. 

Charelte,  qui,  par-dessus  les  prairies,  voyait  l'illu- 
mination, et  Nantes  resplendissante  de  cette  fête 
nationale,  voulut  avoir  la  sienne  aussi.  Il  s'ennuyait 
là  depuis  vingt-quatre  heures;  la  grande  armée  était 
partie  sans  songer  seulement  à  l'avertir.  Il  dédom- 
magea la  sienne  en  lui  donnant  les  violons.  Après 
avoir  quelque  peu  canonné  encore,  jusqu'au  soir  du 
lendemain,  pour  montrer  que  môme  seul  il  n'avait 
pas  peur,  le  soir  il  ouvrit  le  bal.  Selon  l'usage  con- 
sacré de  nos  pères,  qui  ne  manquaient  jamais  de  dan- 
ser dans  la  tranchée,  les  joyeux  bandits  de  Gharette 
firent  des  rondes,  et  pour  dire  à  Nantes  le  bon- 
soir de  celte  noce,  tirèrent  quatre  coups  de  ca- 
non. 

Ce  jour  fut  grand  pour  la  France.  Il  établit  solide- 
ment le  divorce  des  Vendées. 

La  mort  de  Cathelineau  y  contribua.  On  fit  d'Elbée 
général,  sans  daigner  consulter  Charette  (14  juillet). 

<»  Cet  homme-là,  dit  naïvement  un  historien  roya- 
liste, portait  avec  lui  une  source  intarissable  de  bé- 


DE  CAKACrÈRB  .JUILLET  95y.  i^i 

nédictions  qui  disparut  avec  lui.  »  Rien  de  plus  vrai. 
Gatbelioeau  avait  eu  lui,  sans  nul  doute,  les  béné- 
dictions de  la  guerre  civile.  Pourquoi?  c'est  que, 
dans  la  Contre-Révolution,  il. représentait  encore  la 
Révolution  et  la  démocratie. 

Ce  qu'il  était  en  lui-même,  on  le  sait  peu.  On  ne 
peut  dire  jusqu'où  et  comment  les  fourbes  qui  me- 
naient l'afTaire  abusaient  de  son  ignorance  héroïque. 
Ce  qui  est  sûr  et  constaté,  c'est  qu'en  lui  furent  les 
deux  forces  populaires  de  la  Vendée,  et  qu'elles  dis- 
parurent avec  lui  :  la  force  de  l'élection^  \si  force  de  la 
tribu. 

Élu  du  peuple,  élu  de  Dieu,  tel  il  apparaissait  à 
tous.  Lui  vivant,  nous  le  croyons,  la  sotte  aristocratie 
du  Conseil  supérieur  n'eût  pas  osé  toucher  à  l'élec- 
tion populaire.  Lui  mort,  elle  la  supprime,  déclarant 
que  les  conseils  des  localités  élus  .par  le  peuple  sont 
incompatibles  avec  le  gouvernement  monarchique,  et 
décidant  qu'ils  seront  désormais  nommés...  par  qui? 
par  elle-même,  par  le  Conseil  supérieur,  une  dou- 
zaine de  nobles  et  d'abbés  ! 

Ce  n'est  pas  tout.  L'insurrection  avait  commencé 
par  paroisses,  par  familles  et  parentés,  par  tribus. 
Cathelineau  lui-même  était  moins  un  individu  qu'une 
tribu,  celle  des  hommes  du  Pin-en-Mauges.  En  toute 
grande  circonstance,  elle  était  autour  de  lui^  et  elle 
l'entourait  encore  quand  il  reçut  le  coup  mortel. 
Cette  guerre  par  tribus  et  paroisses  où  chacun  se 
connaissait,  se  surveillait,  pouvait  redire  à  la  maison 
les  faits  et  gestes  du  combattant  d'à  côté,  elle  don- 


i2f  LA  GUERRE  CHANCE  DE  CARACTÈRE. 

nait  une  extrême  consistance  à  l'insurrection.  Or, 
c'est  justement  ce  que  les  sages  gouverneurs  de  la 
Vendée  suppriment  à  lamortdeCalhelineau.  Dans 
leur  règlement  idiot  du  27  juillet  93,  ils  défendent 
(article  17)  de  classer  dans  une  même  compagnie  les 
cultivateurs  d^une  même  ferme  ou  les  habitants  d'une 
même  maison. 

Ils  ignoraient  parfaitement  le  côté  fort  et  profond 
de  la  guerre  qu'ils  conduisaient.  Ils  ne  pouvaient  pas 
sentir  l'originalité  vendéenne,  cette  fermeté^  par 
exemple,  dans  la  parole  donnée  qui  tenait  lieu  d$ 
discipline  (dit  le  général  Turreau).  Tout  homme  allait, 
de  temps  à  autre,  voir  sa  femme  et  revenait  exacte- 
ment au  jour  qu'il  avait  promis.  L'abbé  Bernier  trai- 
tait ces  absences  de  désertions,  ne  voyant  pas  que  la 
Vendée  devait  finir  le  jour  où  elle  ne  serait  plus 
spontanée;  il  proposait  d'instituer  des  peines  dégra- 
dantes pour  qui  s'absentait,  le  fouet  et  les  étriviêres  ! 
Admirable  moyen  de  convertir  la  Vendée  et  de  la 
refaire  patriote. 


LITRE  XII 


CHAPITRE  I. 


EFFORTS  DB  PACIFICATION. -MISSIONS  DBS  DANTONISTBS. 

MISSION  DE  LINDET. 

(Join-Joillet  95.) 


Comment  Danton  et  Robespierre  Jugeaient  la  situation.— MiMiona  dantonistw. 

—Missions  de  Lindet. 


On  a  vu  dans  ce  qui  précède,  et  Ton  verra  mieux 
encore  que  les  deux  hommes  dont  l'opposition  fut  le 
nœud  même  de  la  Révolution,  Danton  et  Robespierre, 
eurent  sur  Taffaire  girondine  deux  opinions  diverses, 
mais  nullement  contradictoires,  toutes  deux  judi- 
cieuses, et  que  l'événement  justifia. 

Robespierre  crut  avec  raison  qu'il  ne  fallait  point 
de  faiblesse  ni  de  compromis,  que,  le  ^  juin  étant  fait j 
r Assemblée  devait  le  maintenir;  qu'elle  ne  devait 
point  traiter  avec  les  départements,  qu'elle  devait  ne 


126  COMMENT  DANTON  ET  ROBESPIERRE 

leur  demander  rien  que  leur  soumission.  Il  soutint 
fermement  cette  thèse,  en  présence  du  danger  épou- 
vantable de  la  guerre  civile,  compliquant  la  guerre 
étrangère.  Contre  le  sentiment  public,  presque  seul 
il  résista;  il  sauva  l'autorité,  en  qui  seule  était  le 
salut.  Il  l'empêcha  de  se  dissoudre  et  de  s'abandonner 
elle-même,  et  fut  dans  ces  grandes  circonstances  le 
ferme  gardien ,  le  Terme,  le  fixe  génie  de  la  Répu- 
blique. 

Danton  crut  avec  raison^  par  l'instinct  de  son  cœur 
et  de  son  génie,  à  V unité  réelle  de  la  France  républi^ 
caine,  quand  le  monde  croyait  la  voir  irrémédiable- 
ment divisée,  brisée  d'un  éternel  divorce.  Il  laissa 
dire  que  les  Girondins  étaient  royalistes,  mais  il 
vit  parfaitement  qu'en  très-grande  majorité  ils 
étaient  républicains,  et  agit  en  conséquence.  Et  il 
eut  le  bonheur  de  les  voir,  en  moins  de  trois  mois, 
presque  tous  ralliés  à  la  Convention. 

Les  violences,  les  fureurs,  les  folies  des  Girondins 
ne  lui  imposèrent  pa,g.  Il  ne  fit  nulle  attention  à  toutes 
eurs  grandes  menaces.  Il  crut  qu'en  réalité  ils  ne 
feraient  rien,  rien  du  moins  de  décisif  contre  l'unité. 
Au  total,  il  eut  raison. 

Nantes,  qui  menaçait  la  Convention,  ne  frappa  que 
la  Vendée,  Bordeaux,  avertie  heureusement  par  l'in- 
solence des  royalistes,  qui  déjà  vexaient  les  Giron- 
dins, Bordeaux  revint  a  la  Montagne.  Pour  Marseille, 
le  général  Doppel,  montagnard  et  jacobin,  affirme 
que  la  grande  majorité  de  Marseille  était  dévouée  à 
la  République^  qu'elle  n'était  qu'égarée,  qu'on  lui 


JUUBAlIbMT  LA  SilUAriON.  ii7 

avait  fait  croire  que  la  Montagne  voulait  faire  roi 
Orléans^  et  que  les  troupes  montagnardes  portaient  la 
cocarde  blanche,  «  Les  Marseillais,  dit-il,  furent  bien 
surpris  de  voir  que  mes  soldais  portaient  toujours^ 
eomoie  eux,  la  cocarde  tricolore.  » 

Le  seul  point  où  Ton  pût  douter,  c'était  Lyon,  Lyon 
qui  venait  de  verser  par  torrent  le  sang  montagnard. 
Toute  une  armée  royaliste,  prôlres  et  nobles,  était 
dans  Lyon,  et  avec  tout  cela,  le  Lyon  commerçant 
resta  si  bien  girondin,  qu'il  proscrivit  jusqu'au  der-* 
nier  jour  du  siège  les  insignes  royalistes,  et  chanta  le 
chant  girondin  (Mourir  pour  la  Patrie)  sous  les  mi- 
traillades de  CoUot-d'Herbois. 

Sauf  Lyon  où  Danton  voulait  une  répression  forte 
et  rapide,  il  désirait  qu'on  n'employât  contre  la 
France  girondine  que  les  moyens  de  pacification. 

Voilà  le  point  de  vue  général  sous  lequel  ces  deux 
grands  hommes  envisagèrent  la  situation.  Robes* 
pierre  voulut  le  maintien  de  Tautorité,  et  il  réussit. 
Danton  voulut  la  réconciliation  de  la  France^  et, 
comme  on  va  le  voir,  il  y  contribua  puissamment  par 
lui  et  par  ses  amis. 

Us  étaient  les  deux  pôles  électriques  de  la  Révo*' 
lution,  positif  et  négatif;  ils  en  constituaient  l'équi^ 
libre. 

Qu'ils  aient  été  chacun  trop  loin  dans  l'action  qui 
leur  était  propre,  cela  est  incontestable.  Je  m'ex- 
plique. Dans  sa  haine  du  mal  et  du  crime,  Robes^- 
pierre  alla  jusqu'à  tuer  ses  ennemis»  qu'il  crut  ceux 
du  bien  public. 


188  MISSIONS    DANTOMSTKS 

Et  Danton^  dans  l'indulgence,  dans  Timpuissance 
de  haïr  qui  était  en  lui,  voulant  sauverlout  le  monde 
(s'i7  eût  pu,  Robespierre  même^  ce  mot  fort  est  de 
Garât),  Danton  eût  amnistié,  non -seulement  ses  en- 
nemis, mais  peut-être  ceux  de  la  liberté.  Il  n'était 
pas  assez  pur  pour  haïr  le  mal. 

Dès  le  lendemain  du  2  juin,  Danton  avait  fait  en- 
voyer dans  le  Calvados  un  agent  très-fin,  Desforgues, 
avec  un  quart  de  million.  Il  ne  croyait  pas  les  Nor- 
mands invincibles  aux  assignats. 

Il  y  envoya  peu  après,  comme  militaire,  avec  lès 
forces  de  la  Convention,  un  intrigant  héroïque  qu'il 
aimait  beaucoup,  Brune  (de  Brives-la- Gaillarde), 
légiste,  officier,  ouvrier  imprimeur,  prosateur  et 
poëte  badin,  qui  venait  de  publier  un  voyage  en  partie 
rimé  (moitié  Sterne,  moitié  Bachaumont).  C'était  un 
homme  de  taille  magnifique,  de  la  figure  la  plus  mar- 
tiale, la  plus  séduisante.  On  connaît  sa  destinée,  ses 
victoires,  sa  disgrâce  sous  l'Empereur,  sa  triste  mort 
à  Avignon  (1815). 

Cet  hommes!  guerrier  fut  mis  par  Danton  dans  les 
troupes  envoyées  en  Normandie,  non  pour  combattre, 
au  contraire,  pour  empêcher  qu'on  ne  se  battît. 

Ce  furent  des  moyens  analogues  qui  réussirent  à 
Lindet,  dans  sa  pacification  de  la  Normandie. 

Ce  qui  la  rend  très-remarquable,  c'est  que  Lindet 
n'était  nullement  indulgent  comme  Danton  et  les 
Dantonistes.  Il  savait  haïr,  et  haïssait  spécialement 
les  Girondins  de  la  Convention,  moins  Roland  qu'il 


MISSIONS  DE  L1NDET.  i29 

estimait  comme  un  grand  et  honnête  travailleur,  et 
le  candide  Fauchet,  qu'en  sa  qualité  d'homme  d'af- 
faires il  regardait  sans  doute  comme  un  simple  ou 
comme  un  fou. 

Lindet  était  comme  Roland,  un  terrible  travailleur; 
jusqu'à  près  de  quatre-vingts  ans  il  écrivait  quinze 
heures  par  jour.  Matinal,  ardent,  exact,  serré,  propre 
dans  sa  mise,  âpre  d'esprit,  de  paroles,  amer,  mais 
si  sage  pourtant  qu'il  dominait  ce  caractère.  II  tenait 
beaucoup,  en  bien  et  en  mal,  de  l'ancien  parlemen- 
taire, mais  avec  une  originalité  spéciale  de  grand  lé- 
giste normand,  de  ces  Normands  d'autrefois  qui  gou- 
vernèrent au  moyen-âge  les  conseils,  les  parle- 
ments, la  chancellerie ,  l'Échiquier,  de  Normandie, 
^de  France  et  d'Angleterre. 

Lindet  était  cruellement  haï  des  Girondins,  moins 
pour  sa  proposition  du  tribunal  révolutionnaire,  moins 
pour  ses  discours  haineux  (il  montait  peu  à  la  tribune), 
que  pour  son  opposition  persévérante  dans  les  comités, 
pour  son  attitude  critique,  ironique  dans  la  Con- 
vention, pour  sa  bouche  amèrement  sarcastique  et 
Voltairienne,  qui,  «nème  sans  rien  dire,  déconcer- 
tait parfois  leurs  plus  hardis  discoureurs. 

Il  se  trouvait  au  2  juin,  que  Brissot,  dans  une  bro- 
chure, venait  d'attaquer  Lindet  avec  une  extrême 
violence,  accusant  son  air  hyène^  son  amour  du  sang. 
Ce  fut  justement  cette  attaque  qui  permit  à  Lindet 
d'être  modéré.  Cette  brochure,  à  laquelle  il  répondit 
avec  amertume,  ce  précieux  brevet  d'hyène  que  lui 
décernait  la  Gironde,  le  couvraient  parfaitement  et 

YI.  » 


i50  MISSIONS 

lui  permettaient  de  faire  des  choses  sages  et  huma^ 
nés  que  personne  n'eût  pu  hasarder. 

Personne  n'eût  pu  essayer  de  sauver  Lyon,  comme 
il  tenta  de  le  faire,  ni  dire  pour  elle  les  paroles  qu'il 
prononça  à  la  Convention.  Notez  qu'il  avait  singuliè- 
rement à  se  plaindre  des  Lyonnais,  qui  l'avaient  tenu 
comme  prisonnier 

Mais  la  gloire  de  Robert  Lindet,  comme  homme  et 
homme  d'affaires,  c'est  la  prudence  extraordinaire  par 
laquelle  il  sauva  la  Normandie. 

Il  connaissait  parfaitement  ses  compatriotes,  savait 
que  c'est  un  peuple  essentiellement  gouvernemental^ 
attaché  à  l'ordre  établi,  ami  du  centre,  pourvu  que 
Paris  achète  ses  beurres  et  ses  bœufs.  Évreux  ôtait 
mauvais,  mais  l'Eure  en  général  très-bon.  On  û'a- . 
vait  pu  l'égarer  qu'en  lui  faisant  croire  que  l'Asseln- 
blèe  était  prisonnière  et  qu'il  fallait  la  délivrer. 

Lindet  fit  d'abord  donner  par  la  Convention  Utt 
délai  aux  Normands  pour  se  rétracter  ;  puis  décréter 
une  levée  de  deux  bataillons  d'hommes  sans  unifoN 
mes  pour  aller  observer  Évreuœ,  et  fraterniser  avéù  Mi 
frères  de  Normandie.  Ce  ne  fut  pas  sans  peine  qu^ôfl 
trouva  cette  petite  force.  Lindet  fut  obligé  de  pressa 
la  levée  lui-même  de  section  en  section.  Le  chef  fut 
le  colonel  Hambert,  brave  et  digne  homme,  d'un 
caractère  doux.  Danton  y  mit  pour  adjudant-général 
Brune,  dont  il  savait  la  dextérité. 

Nous  avons  dit  comment  les  Girondins  réfugiés  h 
Caen,  brisés  de  leur  naufrage,  et  ne  songeant  qu'à  se 
refaire,  laissèrent  les  gens  du  Calvados  prendre  un 


m  LINDBT.  iM 

général  royaliste*  Louvat  et  Guadet  essayèrent  en 
vain  d'éclairer  leurs  collègues.  Heureux  d'être  arrivés 
à  Caen,  dans  cette  ville  lettrée  et  paisible,  ils  ne  vou^ 
laient  rien  qu'oublier.  Ils  avaient  vécu  ;  le  temps  les 
avait  déjà  dévorés.  Barbaroux,  l'homme  jeune  et  ter- 
rible de  92,  le  défenseur  des  hommes  de  la  Glacière, 
l'organisateur  des  bandes  marseillaises  du  10  août, 
semblait  mort  en  93.  À  vingt-huit  ans,  déjà  gras  et 
lourd,  il  avait  la  lenteur  d'un  autre  âge. 

Les  chaleurs  de  juillet  furent  extrêmes  cette  année. 
Les  Girondins  restent  à  Caen,  se  tiennent  frais  et  font 
de  petits  vers.  Caen  les  imite  et  ne  fait  rien.  Elle  donne 
trente  hommes  ;  Vire  en  donne  vingt.  La  petite  bande, 
d'un  millier  d'hommes  peut-être,  avance  jusqu'à 
Yernon,  sous  le  lieutenant  de  Wimpfen^  l'intrigant 
Puisaye,  le  célèbre  agent  royaliste.  Parisiens  et  Nor- 
mands, on  se  rencontre  et  Ton  se  parle.  Puisaye, 
logé  dans  un  château  voisin,  et  craignant  les  siens 
autant  que  l'ennemi,  veut  rompre  la  conversation, 
ordonne  le  combat.  Tout  s'enfuit  aux  premières  dé- 
charges (13  juillet).  Le  reste  ne  fut  qu'une  prome- 
nade. Déjà  le  8  le  peuple  de  Caen  avait  protesté  qu'il 
ne  voulait  pas  de  guerre. 

En  sa  qualité  de  Normand,  Lindet  voulut  être  seul 
chargé  de  l'affaire  ;  il  ferma  le  pays,  renvoya  les  im- 
béciles et  les  maladroits  qu'on  lui  envoyait,  et  pré- 
para les  matériaux  d'un  rapport  contre  les  Fédéra- 
listes. En  novembre,  de  retour  au  Comité,  accablé  de 
travaux  immenses,  il  ne  pouvait  faire  son  rapport, 
mais  il  allait  le  faire  toujours  le  mois  prochain  sans 


13Î  MISSIONS  DE  LINDET. 

faute.  Chaque  fois  que  les  Normands  tombaient  dans 
les  mains  de  Fouquier-Tinville,  Lindet  lui  écrivait  : 
«Tu  ne  peux  procéder  avant  que  j'aie  fait  mon  rap* 
port^  qui  est  presque  terminé.  »  Il  gagna  ainsi  du 
temps  jusqu'au  9  thermidor,  et  alors  déclara  «  qu'il 
n'y  avait  jamais  eu  de  fédéralisme  »> ,  que  personne 
ii*avait  songé  à  démembrer  la  France  \ 

On  attribue  à  Lindet  une  belle  et  forte  parole  qui 
très-probablement  ne  sortit  pas  de  sa  bouche  pru- 
dente,  mais  qui  exprime  parfaitement  sa  conduite  et 
sa  pensée.  On  assure  qu'au  Comité  du  salut  public, 
où  il  était  chargé  de  l'affaire  des  subsistances  de  l'in- 
térieur et  de  l'approvisionnement  des  armées,  il  au- 
rait dit  à  ses  collègues,  qui  lui  demandaient  d'apposer 
sa  signature  à  un  ordre  de  mort  :  (c  Je  ne  suis  pas  ici 
pour  guillotiner  la  France,  mais  pour  la  nourrir.  » 


^  C*est  ce  qu*il  dit  expressémenl  dans  son  rapport  aux  Comités 
réunis ,  et  ce  qu'il  répète  dans  ses  papiers  manuscrits,  que  sa  fille  et 
son  gendre»  M.  Alexandre  Bodin,  ont  bien  voulu  me  communiquer. 


CHAPITRE  II. 


MISSION  DE  PHILIPPEADX — MORT  DE  NEURIS. 

(JailletdS.) 


Miwioii  de  PhiIippe«ax.->Mort  de  Meuris.-'BaGo  à  la  ConTention    (a  aoAl99) 

— Pbilippeaux  à  Nantes  (aoùt-sept.  95) 


De  tous  les  dàntonistes ,  le  meilleur ,  sans 
comparaison ,  fut  l'infortuné  Philippeaux.  Seul  pur, 
irréprochable,  il  est  mort  avec  eux,  non  comme  eux 
par  ses  fautes ,  mais  martyr  du  devoir,  victime  de  sa 
véracité  courageuse,  de  son  éloquence  héroïque  et 
de  sa  vertu. 

Qu'il  y  ait  eu  quelques  illusions  dans  son  ardent 
patriotisme,  qu'il  ait ,  dans  la  violence  de  sa  douleur 
pour  la  Patrie  trahie,  trop  étendu  ses  défiances  et 
ses  accusations,  cela  se  peut.  Ce  qui  est  sûr,  c'est 


154  MISSION 

que  Philippeaux  seul ,  quand  les  chefs  même  de  la 
Révolution  fermaient  les  yeux  sur  des  excès  infâmes, 
osa  les  dénoncer.  Dénoncé  à  son  tour,  poursuivi , 
tué,  hélas!  par  des  patriotes  égarés^  il  a  pour  lui  dans 
l'immortalité  la  voix  des  héros  de  l'Ouest,  Kléber, 
Marceau,  Canclaux,  la  voix  de  l'armée  mayençaise, 
livrée  barbarement  par  la  perfidie  de  Ronsin  au  fer 
des  Vendéens,  et  qui ,  attirée  dans  ses  pièges,  pres- 
que entière  y  laissa  ses  os.  L'accusation  de  Philip- 
peaux reste  prouvée  par  les  pièces  authentiques. 
Deux  fois,  au  17  septembre,  au  2  octobre^  Kléber, 
attiré  par  le  traître  au  fond  de  la  Vendée,  aban- 
donné, trahi  (comme  Roland  à  Roncevaux),  fut  tout 
près  d'y  périr,  et  y  perdit  tous  ses  amis,  ceux  qui 
devant  Mayence  avaient  arrêté  tout  l'été  l'effort  de 
l'Allemagne  et  sauvé  la  France  peut-être.  Il  suffit 
d'un  bateleur,  d'une  plume,  d'un  mensonge  pour 
briser  l'épée  des  héros,  les  mener  à  la  mort. 

Merci  à  Philippeaux,  merci  éternellement  pour 
n'avoir  pas  fait  bon  marché  d'un  sang  si  cher,  pour 
n'avoir  pas,  comme  d'autres,  toléré  de  tels  crimes. 
Si  l'on  élève  un  jour  à  l'armée  de  Mayence  le  monu-* 
ment  qui  lui  est  dû ,  parmi  les  noms  de  ces  intré<^ 
pides  soldats  qu'on  écrive  donc  aussi  le  nom  de  leur 
défenseur,  qui  pour  eux  demanda  justice,  et  qui 
mourut  pour  eux. 

Les  résultats  de  sa  mission,  en  juin-juillet  93, 
furent  vraiment  admirables.  Les  accusations  giron-' 
dines  contre  la  Convention,  furieuses,  insensées, 
mêlées  de  calomnies  atroces,  avaient  troublé  tous  les 


DE  PUlLiPPEAUX  (JUILLET  93).  |35 

a$pritSt  La  France  ne  savait  plus  que  croire  ;  une  nuit 
s'était  faite^  dans  l'incertitude  des  opinions.  En  cet 
état  de  doute 9  tout  élan  s'était  arrêté,  toute  force 
alanguie.  Pbilippeaux,  qui  avait  le  grand  cœur  de 
Danton  (et  d'un  Danton  sans  vices),  trouva  les  partis 
ian  présence,  se  menaçant  déjà  ;  il  les  enveloppa  de 
sa  flamme,  les  mêla  eomme  en  une  lave  brûlante  où 
se  fondirent  les  haines  ;  hier,  ennemis  acharnés,  ils 
se  retrouvèrent  uns  au  sein  de  la  Patrie. 

Quand  il  n'y  aura  plus  de  France,  quand  on 
cherchera  sur  cette  terre  refroidie  l'étincelle  des 
temps  de  la  gloire,  on  prendra,  on  lira,  dans  les  rap*- 
ports  de  Philippeaux,  l'histoire  de  sa  course  héroïque 
de  juillet  93.  Ces  pages  suffiront;  la  France  pourra 
revivre  encore. 

Ce  caractère  antique  pouvait  seul  imposer  aux 
Girondins  de  l'Ouest,  orgueilleux  du  succès  de  Nan- 
tes, leur  révéler  ce  qu'ils  ne  sentaient  point,  le  sou- 
verain génie  de  la  Montagne,  et  les  vaincre  dans  leur 
propre  cœur. 

La  Gironde  était  deux  fois  impuissante,  et  contre 
les  royalistes,  et  contre  les  enragés,  les  fous  de  la 
Terreur.  Laissée  k  elle-même,  elle  était  absorbée  par 
les  uns  et  entraînée  au  crime,  ou  bien  dévorée  par 
les  autres,  qui  ne  voulaient  qu'exterminer.  U  fallait 
la  sauver  de  sa  propre  faiblesse,  nullement  compo- 
ser avec  elle  ni  entrer  dans  ses  voies ,  mais  la  domi- 
ner puissamment,  en  lui  montrant  un  plus  haut 
idéal  de  dévouement  et  de  sacrifice.  C'est  ce  qu'elle 
eut  en  Pbilippeaux. 


136  MISSION 

AU  cri  désespéré  de  Nantes  (24  juin)^  Philippeaux 
avait  reconnu  l'agonie  de  la  Patrie.  Il  se  fit  donner 
par  l'Assemblée  la  mission  hasardeuse  de  prêcher  la 
croisade  de  département  en  département.  Il  partit 
dans  un  tourbillon,  n'ayant  rien  avec  lui,  qu'un 
homme,  un  Nantais ,  qu'il  montrait  à  tous  comme  il 
eût  montré  Nantes,  et  qui  répétait  avec  lui  le  cri  de 
sa  ville  natale. 

La  France  était  si  pauvre ,  tellement  dénuée  de 
ressources,  de  direction,  de  gouvernement,  qu'il 
fallait  aller  quêter  de  porte  en  porte  les  moyens  de  la 
défense  nationale. 

Les  aventures  de  cette  mendicité  sublime  fournis* 
sent  mille  détails  touchants. 

Seine -et- Oise  était  ruiné  de  fond  en  comble , 
d'hommes  et  d'argent,  Versailles  anéantie.  Quarante 
mille  pauvres  dans  une  ville!  Déjà  seize  mille 
hommes  aux  armées.  Mais  on  se  saigne  encore  pour 
Nantes.  Un  bataillon,  un  escadron  partiront  sous 
huit  jours. 

Eure-et-Loir,  qui  a  déjà  perdu  un  bataillon  à  la 
Vendée,  et  qui  a  sa  récolte  à  faire,  laisse  là  sa  mois-* 
son  et  part. 

La  Charente  a  donné  vingt-six  bataillons  !  Elle  en 
donne  encore  deux.  La  Vienne,  la  Haute-Vienne  et 
rindre,  chacun  plus  de  mille  hommes. 

Les  Deux-Sèvres  n'ont  plus  d'hommes.  Elles  don- 
nent du  grain. 

Mais  la  plus  grande  scène  fut  au  Mans.  Rien  ne 
pouvait  s'y  faire  qu'on  n'eût  réuni  les  partis.  La  téna- 


DE  PHILIPPEAUX  (JUILLET  93).  137 

cité  obstinée  de  cette  forte  race  de  la  Sarthe  rendait 
Tobstacle  insurmontable.  Philippeaux  disputa  qua* 
rante  heures,  et  eoBn  l'emporta.  Le  second  jour  de 
dispute,  à  minuit,  Girondins,  Montagnards,  tous 
cédèrent,  s'embrassèrent.  Cela  se  passait  sur  la  place, 
devant  vingt  mille  hommes  qui  fondaient  en  larmes. 

Deux  bataillons,  deux  escadrons  furent  généreuse- 
ment donnés  à  Philippeaux. 

Après  ce  tour  immense,  le  19  juillet  au  soir,  Phi- 
lippeaux, arrivé  à  Tours,  où  était  la  commission  di- 
rectrice des  affaires  de  l'Ouest,  vit  le  soir  arriver  son 
colique  Bourbotte,  l'Achille  de  la  Vendée,  qui,  san- 
glant et  meurtri,  échappé  à  peine  à  la  trahison,  reve- 
nait de  notre  déroute  de  Vihiers.  L'armée  était  restée 
vingt-quatre  heures  sans  avoir  de  pain;  elle  était 
partie  de  Saumur  sans  qu'on  avertît  seulement  l'armée 
de  Niort,  qui  eût  fait  une  diversion.  On  sut  bientôt 
que  les  Vendéens,  vainqueurs,  avaient  les  Ponts-de- 
Ce,  qu'ils  étaient  aux  portes  d'Angers. 

Philippeaux  veut  partir,  se  jeter  dans  Angers. 
Ronsin  l'arrête:  «  Que  faites-vous?  lui  dit-il.  Vous 
serez  pris  par  les  brigands. . .  Prenez  du  moins  le  détour 
de  La  Flèche.  » — D'autres  surviennent,  appuyent. — 
«  Mais  je  perdrais  cinq  heures,  »  dit  Philippeaux. — 
Il  se  tourne  vers  son  Nantais  :  «  Qu'en  dis-tu  ?  Nous 
suivrons  la  levée  de  la  Loire,  chaussée  étroite  et  sans 
refuge...  N'importe  !  ils  ne  pourront  se  vanter  de  nous 
prendre  vivants...  Voici  la  liberté.  >  Et  il  montrait 
ses  pistolets.  Le  Nantais  était  Chaux,  du  club  de  Vin- 
cent-la-Montagne,  l'intrépide  patriote  qu'on  a  vu 


IS8  MISSION 

dans  Taffiiire  Meuris.  Un  tel  homme  pouvait  corn-* 
prendre  ce  langage,  Jl  suivit  Philippeaux,  et  l'eût 
suivi  au  bout  du  monde. 

Ils  coururent  toute  la  nuit  ce  défilé  de  douze  lieues; 
à  la  pointe  du  jour  ils  trouvèrent  la  route  pleine  de 
fugitifs,  vieillards,  femmes  et  enfants.  Â  chaque  rel- 
iais, on  refusait  les  chevaux  :  «  Où  allez^vous?  Les 
brigands  sont  tout  près  ;  vous  êtes  perdus.  »  Non  loin 
d'Angers,  le  postillon  voyant  des  gens  armés,  veut 
couper  les  traits  et  s'enfuir.  Philippeaux  le  menace; 
il  avance  :  c'étaient  des  amis. 

Angers  désespérait,  s'abandonnait  lui-même.  Toutes 
les  boutiques  étaient  fermées.  Les  militaires  allaient 
évacuer  ;  déjà  le  payeur  était  parti,  les  fournisseurs 
emballaient.  Il  n'y  avait  en  tout  que  quatre  bataillons, 
et  qui  venaient  de  fuir  ;  tous  s'accusaient  les  unslea 
autres.  Philippeaux  les  excuse  tous,  les  ranime,  jure 
de  mourir  avec  eux.  Le  courage  revient,  on  se 
hasarde,  on  sort,  on  va  voir  les  brigands.  La  terrible 
armée  vendéenne  repasse  prudemment  les  ponts,  les 
coupe  derrière  soi.  Sans  se  reposer  sur  personne,  la 
représentant  du  peuple,  accompagné  de  Ghau:^,  alla 
deux  fois  au  pont  sur  la  brèche  reconnaître  l'arcbe 
coupée.  Les  canons,  gueule  à  gueule,  tiraient  d'un 
bord  à  l'autre,  b  cent  pieds  de  distance.  Â  la  seconde 
fois,  dit  Chaux  dans  sa  lettre  aux  Nantais  ^,  Philip* 
peaux  entonna  l'hymne  des  Marseillais,  et  tout  le 
monde  avec  lui  ;  les  canons  ennemis  se  turent. 

*  Archives  de  la  mairie  de  Nantes. 


DB  PHIUPPBAUX  (JUaiET  95).  IS8 

L'émotion  fut  telle  que  nos  cavaliers,  sans  savoir 
si  on  pouvait  les  suivre,  se  lançaient  dans  le  fleuve. 
Philippeaux  fit  venir  tous  les  charpentiers  de  la  ville, 
et  bravement  fit  rétablir  l'arche.  Les  postes  de  la  rive 
opposée  furent  repris  par  les  troupes  qui  avaient  fui 
la  veille. 

Frappant  contraste.  A  Angers,  devant  Tennemi, 
Philippeaux  rétablit  les  ponts  ;  et  à  Saumur,  à  douze 
lieues  de  l'ennemi,  Ronsin  fit  couper  le  pont  de 
Saint-Just. 

Ces  deux  hommes  étaient  désormais  ennemis  mor<« 
tels.  Philippeaux,  à  Angers,  avait  accueilli,  écouté 
des  familles  en  pleurs,  d'excellents  patriotes,  qui 
avaient  vu  leurs  femmes  massacrées,  leurs  filles 
violées  par  les  bandes  de  Ronsin.  Pour  les  faire  taire, 
il  les  emprisonnait.  Tel  fut  le  sort  horrible  de  la 
femme,  de  la  fille  d'un  maire  d'une  ville  importante, 
qui  toutes  deux  en  moururent  de  douleur. 

Ronsin  et  Philippeaux  représentaient  deux  systèmes 
de  guerre.  Le  premier  venait  d'obtenir  du  Comité  de 
salut  public  (26  juillet)  l'ordre  de  faire  de  la  Vendée 
un  désert,  de  brûler  les  haies,  les  enclos,  et  de  faire 
'  refluer  loin  du  pays  toute  la  population.  Le  comité 
paraissait  ignorer  qu'une  moitié  des  Vendéens  étaient 
d'excellents  patriotes,  qui,  réduits  à  eux  seuls,  avaient 
une  première  fois,  en  92,  étouffé  la  Vendée.  Leur 
récompense  était  donc  la  ruine.  De  toute  façon,  il 
était  singuUer  d'ordonner  à  une  armée  vaincue  un 
tel  abus  de  la  victoire. 

Philippeaux  désirait  deux  choses  :  sauver  Nantes, 


140  MISSION  DE  PH1LIP1>ËAU\   (JUILLET  1)5). 

y  faire  triompher  la  Montagne,  en  amnistiant,  domi- 
nant la  Gironde,  et  de  Nantes,  ainsi  réunie,  entraî- 
nant avec  soi  la  Vendée  patriote,  frapper  et  terrasser 
la  Vendée  royaliste. 

Généreuse  entreprise,  difficile,  qui  devait  le  perdre. 
11  avait  dans  la  Montagne  même  des  ennemis  tout 
prêts  à  écouter  Ronsin.  Plusieurs,  du  reste  excellents 
patriotes,  étaient  indisposés  contre  Philippeaux  pour 
des  causes  personnelles  ;  Levasseur  pour  une  rivalité 
d'influence  locale,  Amar  pour  l'appui  donné  par  Phi- 
lippeaux à  une  pétition  que  cinq  cents  détenusde  TÂin 
avaient  faite  contre  lui;  Choudieu  enfin,  commis-^ 
saire  à  Saumur,  trouvait  mauvais  qu'il  voulût  réunir 
l'armée  auxiliaire  loin  des  bandes  de  Saumur.  Chou- 
dieu,  Âmar,  hommes  de  Tancien  régime,  l'un  magis^ 
trat,  l'autre  trésorier  du  Roi,  ne  trouvaient  leur  salut 
que  dans  leurs  ménagements  pour  les  exagérés. 
C'étaient  des  voix  tout  acquises  à  Ronsin. 

Philippeaux,  ainsi  compromis  dans  la  Montagne, 
allait  l'être  bien  davantage  par  la  folie  des  Girondins 
de  Nantes  qu'il  venait  sauver.  Avant  qu'il  arrivât,  et 
malgré  l'insigne  service  qu'il  leur  avait  rendu  par  la 
délivrance  d'Angers,  ils  lui  en  voulaient  d'avoir 
pris  pour  adjoint  le  plus  rude  patriote  de  Nantes,  le 
plus  dévoué  aussi,  Chaux,  le  fondateur  du  club  Vin* 
cent-la-Moutagne. 

Le  premier  remerciement  fut  un  outrage  qu'on  lui 
fit  dans  la  personne  de  Chaux,  qu'un  commis  insulta 
de  paroles.  Des  gardes  nationaux,  en  les  voyant  passer 
tous  deux,  firent  le  mouvement  de  les  coucher  en 


MORT  DB  NEURIS  (14  JUIILRT  93.  141 

joue.  Cette  insolence^  qu'on  excusa  fort  mal,  avait  un 
caractère  bien  grave,  lorsque  les  Girondins  venaient 
de  tuer  l'héroïque  défenseur  de  Nort ,  Meuris, 
l'homme  qui,  par  ce  combat,  donna  huit  heures  à 
Nantes  dans  son  grand  jour  pour  la  préparation  de 
la  défense  et  la  sauva  peut-être. 

L'origine  première  de  ce  malheur  fut  la  rivalité  de 
la  légion  nantaise,  corps  girondin  composé  de  jeunes 
bourgeois,  et  des  bataillons  Meuris,  corps  en  grande 
partie  montagnard,  mêlé  d'ouvriers  et  d'hommes  de 
toute  classe. 

M.  Nourrit  (depuis  intendant  militaire),  capitaine 
dans  la  légion,  qui  eut  le  malheur  de  tuer  Meuris, 
excuse  ainsi  la  chose.  Le  bataillon  de  Meuris  était 
contre  Beysser,  la  légion  pour  lui.  La  dispute  de 
corps  menaçait  de  devenir  sanglante  ;  il  en  fit  une 
dispute  individuelle,  il  s'en  prit  à  Meuris  et  le  défia. 
La  jeunesse  nantaise  avait,  dit-il,  en  ces  sortes  d'af- 
faires une  tradition,  une  réputation  qu'on  voulait 
soutenir.  Meuris  eut  la  simplicité  de  se  battre  avec 
un  officier  inférieur,  un  jeune  homme  inconnu  qui, 
de  toute  manière,  trouvait  son  compte  à  croiser 
l'épée  avec  un  héros* 

Il  fut  tué  le  14  juillet,  le  jour  anniversaire  de 
la  prise  de  la  Bastille,  de  la  naissance  de  Ta  Révo- 
lution. 

Cruelle  douleur  pour  les  hommes  de  Vincent-la- 
Montagne,  pour  la  population  nantaise,  en  général 
bonne  et  généreuse  !  que  ce  pauvre  étranger  qui  avait 
si  bien  servi  la  ville  au  jour  le  plus  glorieux  de  son 


Ui  MORT  DE  MEURIS. 

histoire,  eût  quinze  jours  après  péri  sous  Tépée  d'un 
Nantais  M... 


1  Peu  de  jours  après,  sa  veuve,  chargée  d^eufknts,  adresse  une  ][>éti- 
lion  aui  autorités.  Un  garçon,  formé  par  Meuris,  faisait  aller  la  pauvre 
petite  boutique,  et  soutenait  la  famille.  Madame  veuve  Meuris  demande 
qu'il  soit  exempté  du  service,  ou,  comme  on  le  disait,  mis  en  réquisi- 
tion pour  la  bouti(][ue  de  Meuris.  On  passa  à  Tordre  du  jour.  (Collection 
de  U*  Cbèvaz).  Le  bataillon  Meuris,  réduit  à  si  peu  d'hommes,  avait  eu 
pour  récompense  nationale  une  distribution  de  bas,  chemises  et  sou* 
liers.  On  décida,  peu  après  la  mort  de  son  chef,  «  qu'il  serait  incor- 
poré dans  un  bataillon  mis  à  la  disposition  du  ministre  de  la  guerre. 
C'était  le  congédier.  Les  hommes  qui  le  composaient,  dont  plusieurs 
étaient  pères  de  fotoiiUe,  ne  devaient  pas,  d'après  leur  fige»  aller  à  la 
frontièrei  Au  moins^  désiraient-ils,  en  se  retirant,  recouvrer  leurs  effets 
perdus  à  Nort  dans  cet  héroïque  combat.  On  leur  répondit  sèchement  : 
«  Que  placés  là  par  le  général,  ils  avaient  combattu  comme  tout  corps 
armé  pour  la  République,  et  non  comme  troupe  nantaise;  qu^ils  S'adre^ 
sassent  au  commissaire  des  guerres.  )»  Mais  celui-ci  ne  voulut  voir  en 
eu]t  qu^un  corps  nantais.  On  rapporta  alors  l'arrêté  honteux  et  ingrat; 
on  leur  donna  espoir  de  recevoir  indemnité  ;  on  promit  de  délibérer 
sur  ce  qu41  convenait  de  laisser  aux  hommes  de  ce  bataillon  auxquels 
il  ne  resterait  aucun  vêtement,  si  on  les  dépouillait  (de  ce  qui  étidt 
à  la  ville). -«-La  Société  de  Vincent- la-Montagne  demandait  que  ces 
trente  restés  du  bataillon  eussent  un  supplément  de  solde  de  quinze 
sols,  leurs  femmes  de  dix,  et  leurs  enfants  de  cinq.  «  La  loi,  répondit- 
on,  y  est  contraire.  Renvoyé  aux  représentants.  » — Et  le  même  joul^, 
on  accordait  douze  mille  francs  d'indemnité  à  l'état-major  de  la  garde 
nationale. — Si  mal  traité,  le  bataillon  Meuris  se  décida  à  se  dissoudre. 
Auparavant  il  eût  voulu  suspendre  son  drapeau  aux  voûtes  de  Saint- 
Pierre,  la  paroisse  du  ferblantier.  On  répondit  que  les  églises  ne  ser- 
vaient plus  à  ces  usages.  <  Eh  bien  !  nous  le  mettrons,  dirent-ils,  fit  la 
Société  Vincent.»  Â  quoi  le  procureur  du  département  fit  cette  triste 
opposition  r  c  Que  ce  drapeau,  payé  des  deniers  des  administrés,  n'ap- 
partenait qu'à  eux,  et  ne  pouvait  être  déposé  qu'au  département.»  Le 
général  Canclaux  rougit  pour  Tadministration  ;  il  intervint,  obUnt  que 
pour  hotiorer  la  mémoire  de  Meuris,  membre  de  cette  société,  le  dra«- 


BAGO  A  LA  CONVENTION  (2  AOUT  95).  143 

Voilà  un  grave  obstacle  au  rapprochement  des 
partis,  aux  vues  de  Philippeaux,  qui  arrive  le 
l^'^'août...  Le  sang  de  Meuris  fume  encore. 

L'administration  girondine  avait  beaucoup  à  expier* 
Après  le  39  juin,  et  lorsque  le  péril  n*excusait  plus 
sa  dictature,  elle  l'avait  continuée  ;  elle  avait  auda*^ 
ciôusement  déclaré  le  5  juillet  qu'elle  fermerait  les 
portes  aux  commissaires  de  la  Convention.  Elle  avait 
adhéré  aux  arrêtés  de  Rennes  ;  Beysser,  son  général 
chéri,  avait  signé  l'adhésion.  Elle  eut  lieu  de  s'en 
repentir,  lorsque  le  général  Canclaux  (ex-marquis,  et 
craignant  d'autant  plus  d'irriter  la  Montagne)  refusa 
de  signer  ;  il  commandait  l'armée,  alors  à  Ancenis. 
Nantes,  si  elle  persévérait,  risquait  d'avoir  contre  elle 
deux  armées  de  la  République ,  celle  de  Canclaux  et 
celle  de  Biron,  fidèles  à  l'Assemblée»  Les  Girondins 
cédèrent,  firent  voter  la  constitution,  annonçant  tOu>« 
tefois  par  un  placard  que  la  Convention  devant  sortir 
bientôt,  la  constitution  subirait  une  révision  immé-^ 
diate.  Le  maire  Baco,  insolent,  intrépide,  voulut 
porter  lui-même  l'outrage  à  la  Convention.  Dans 
l'adresse  qu'il  lui  présenta,  on  exprimait  entre  autres 
vœux,  celui  «  Que  la  Convention  remit  bientôt  le  gou^ 
vemement  à  des  mains  plus  heureuses,  en  sorte  qu'on 
pût  ne  plus  désespérer  du  salut  de  la  Patrie^  » 

Cette  bravade  souleva  la  Montagne.  Danton,  qui 
présidait,  répondit  sévèrement  pour  adoucir,  en  s'y 


peau  du  bataillon  y  serait  déposé,  6t  que  radministration  eil  cofps  l*y 
accompagnerait.  »  (Archives  du  dép.  de  In  Loire^Infériêurè.) 


i44  PHILIPPEAUX  A  NANTES  (AOUT-SEPT.  95). 

associant,  l'irritation  de  T Assemblée,  et  toutefois  il 
accordait  à  la  députation  les  honneurs  de  la  séance. 
Nouvelle  fureur  de  la  Montagne.  «  Arrètez-le,  »  dit 
l'un.  Et  l'autre:  «  N'est-il  pas  vrai,  Baco,  que  pen- 
dant le  siège  de  Nantes,  une  maison  fermée  con- 
tenait un  repas  de  douze  cents  couverts  préparé 
pour  les  Vendéens?...  »  A  cette  attaque  absurde, 
Baco  ne  se  connaissant  plus,  et  oubliant  où  il  était  : 
«  Tu  en  as  menti  !  »  s'écria-i-il.  On  l'envoya  à 
l'Abbaye. 

Il  l'avait  bien  gagné.  Sa  blessure,  toutefois,  qui 
n'était  pas  fermée  encore,  parlait  et  réclamait  pour 
lui. 

Coup  fatal  pour  Danton,  pour  Philippeaux,  et  qui 
rendait  la  conciliation  à  peu  près  impossible. 

À  la  nouvelle  de  cette  arrestation  du  héros  de  lu 
ville,  du  bon,  du  grand  Baco^  blessé  pour  la  Patriej  il 
était  fort  à  craindre  que  Philippeaux  ne  fût  traité 
comme  Meuris,  tout  au  moins  arrêté. 

Philippeaux  avait  blessé  Nantes  par  trois  côtés,  en 
empêchant  l'élargissement  aveugle,  indistinct  des 
suspects,  en  exécutant  à  la  lettre  la  loi  contre  les  assi- 
gnats royaux,  une  loi  enfin  sur  l'embargo  des  mar- 
chandises. Des  lettres  anonymes,  furieuses,  le  mena- 
çaient de  la  mort. 

Que  faisait  le  grand  patriote?...  Riez,  hommes  du 
temps. 

Riez,  dévols  perfides  qui  arrangiez  alors  les  fourbes 
vendéennes  et  l'évèque  d'Agra. 

Riez,  aveugles  patriotes,  qui  croyez  que  la  liberté 


SON  CATÉCHISME.  146 

est  une  massue,  un  boulet,  qui  ne  savez  pas  que 
c'est  chose  de  l'âme. 

Beaucoup  s'en  sont  moqués.  Et  nous  pourrions  en 
rire  aussi,  nous,  ennemis  des  tentatives  de  compromis 
bâtards  qu'essayait  Philippeaux. 

Le  pauvre  homme,  dans  ce  centre  de  fanatisme, 
entre  la  barbare  et  grossière  idolâtrie  vendéenne  et 
le  matérialisme  du  scélérat  Ronsin,  essayait  de  parler 
au  cœur  :  il  rédigeait  un  catéchisme. 

Une  faible,  impuissante  conciliation,  entre  larévo- 
lution  et  le  christianisme. 

Ce  qui  dans  cette  œuvre  vaut  mieux,  ce  n'est  pas 
l'idée,  c'est  le  cœur,  c'est  la  bonne  volonté. 

L'infortuné  doit  y  périr;  et  c'est  ce  qui  en  fait  le 
charme  moral.  On  sent  que  cet  honmie  généreux  va 
mourir  impuissant  sous  le  faible  drapeau  qu'il  essaie 
un  moment  de  soulever  entre  les  partis. 


VI. 


GHÂPITAË  ilL 

IlOlIT  DB  MARATw 

(ISjailletél] 


Etat  moral  de  Ma^at.— Les  Girondins  à  Gaen  (joillet  9S).— Charlotte  Corday.— 
Lêi  Ûsmëiii  n^ètfféfti  âfictido  Ifiililéhôè  liir  «lié.  ^  Sdfi  m\i^  t  fifk 
(if  juliiel  ra)  .»i«»  BHrtétD  ée  ilal«l<^ia  n^rt^ 


L'histoire  des  Girondins  de  Nantes,  les  résistances 
qu'ils  opposèrent  au  seul  homme  qui  pût  les  défendre 
et  leur  sauver  Carrier,  indique  assez  dans  quelle 
ignorance  profonde  ils  étaient  de  la  situation. 

Les  Girondins  de  Caen  la  connaissaient  peut-être 
moins  encore.  Ne  voyant  rien  qu'à  travers  la  haine 
et  la  rancune  des  représentants  fugitifs,  ils  admet- 
taient les  romans  insensés  que  ceux-ci,  égarés  par  le 
malheur,  par  une  sombre  imagination,  faisaient  sur 
la  Montagne.  C'était  une  chose  établie  parmi  eux,  un 


ÈfkJ  mohal  de  HAtiAT.  i47 

étiùthB  âMt  {Mffsoââé  n'aurait  ôté  douter^  qué  Moâ* 
ta^àrd  était  sytibflymë  d'Orléaniste,  que  Robespieffé^ 
Màrat,  IDantotl,  étaient  dé»  agentsf  salarié»  de  la  faeiiOA 
d'Ofléâns. 
Tout  Môtitàgnafd  ptnit  eut  était  égdlemetit  téiYo^ 

riste.  Us  ne  voyaient  pas  que  beaucoup  ne  rétaiêfit 

què  ph,t  terreur  même,  que  biéti  des  tlolents  qui 
AVAiëât  erU  potitoir  haîf  toujours,  défaillaient  déjh 
daffSla  hMëi  Tels  étalerit  toys  les  Dautouistes^  spé- 
dlatetÂént  Batire  m  Comité  de  sûreté  générale, 
jeudé  homme  ardent  et  pur^  mais  sans  mesure  ni 

force^  et  qui  après  avoir  été  loin  dans  la  fureur,  alla 
très-loin  dans  l'indulgence,  se  précipita,  se  perdit. 

Une  lettre  de  Camille  Ûesmoulins  (dU  10  août) 
témoigne  de  cet  état  d' esprits  Elle  est  faible,  désolée 
ei  désespérée. 

ÙeS  hôfflffles  de  Septembre,  Sefgetît,  Paûis,  som 

maintenant  des  hommes  doux^  humains.  Des  prési- 
dest»  des  Cordelière  ou  du  tribunal  Révolutionnaire, 

OsâéHrt,  RdUSsilfOfl,  Motitahé,  DobSettt,  sofît  déVéflUs 

des  modérés. 
Nous  avons  va  oombien^  de  mars  en  juin,  Marat 

«vaH  changée  L'ex^prédieateur  du  pillage  poWsoit  en 

juin  ceux  qui  répètent sèS  pâ^lèS;  il  est  Sévér^é,  impi- 
toyable pour  les  nouveaux  liiarat^  pour  Leclerc  et 
Jacques  Roux^ 

Mâfat  â<^aît  beau  fftir'ô,  il  allait  tnalgfé  Idî,  p&t  la 
force  invincible  de  sa  situation,  à  (^écueilô6  périredt 
TuDO  après  l'autre  les  générations  révolutionnaires. 
Il  Arrivait  fatalement  à  son  âge  d'indulgence  et  de 


i4S  ÉTAT  MUUAL  DE  MARAT. 

modération.  Il  s'agitait  en  vain,  en  vaio  voulait 
rester  Marat ,  dénonçait  aujourd'hui  tels  gêné-* 
raux^  demain  voulait  qu'on  mit  à  prix  la  tète  des 
Capets.  Plusieurs  anecdotes  curieuses  de  ses  der- 
niers temps  le  dénoncent  et  le  mettent  à  nu  :  il  deve- 
nait humain  ^ 

S'écartait-il  de  sa  nature,  ou  y  revenait-ilî  II  avait 
eu  dans  tous  les  temps  d'étranges  accès  d'humanité. 
11  était  par  moment  généreux  et  sensible.  Il  sauva 
le  physicien  Charles,  son  critique  et  son  ennemi. 

C'est  un  problème  de  savoir  s'il  aurait  conservé  sa 


^  Peu  de  gens  s*adressèrent  à  lui,  sans  s* eu  bien  trouver.  Ou  conte 
qu^une  pauvre  fille  dont  le  père  allait  périr,  et  qui  demandait  sa  vie, 
robtint  de  Marat  eu  lui  promettant  qu'elle  se  donnerait  à  lui.  Il  poussa 
répreuve  jusqu'au  bout,  alla  au  rendez-vous,  et  la  voyant  là  résignée, 
qui  attendait  dans  les  larmes  et  le  désespoir,  il  respecta  la  fille  et 
sauva  le  père.  —  Barras  dit  dans  ses  Mémoires  (inéditSy  communiqués 
par  M.  H.  de  Saint- AWin)  qu^un  jour,  rue  Saint-Honoré,  il  vit  un 
pauvre  diable  de  ci-devant,  en  habit  noir,  que  le  peuple  [poursuivait. 
Heureusement  Marat  passait.  l\  sauva  Thomme  d'une  manière  toute 
originale,  m  Je  le  connais,  dit-il,  je  connais  cet  aristocrate.  »  (n  ne 
Tavait  jamais  vu.)  Il  lui  applique  un  coup  de  pied  :  «  Voilà  qui  te  cor- 
rigera. »  Tout  le  monde  se  mit  à  rire.  On  s*en  alla  convaincu  que* 
comme  les  anciens  rois  qui  touchaient  les  écrouelles,  FÀmi  du  peuple, 
d*un  coup  de  pied,  guérissait  l'aristocratie.  —  Parmi  une  infinité  de 
déclamations  fades,  autant  que  violentes,  il  y  a  plus  d'un  passage  dans 
ses  journaux  qui  indiquent  un  amour  sincère,  ardent,  de  Thumanité* 
Je  me  rappelle  entre  autres  (44  juin  90  ou  94  )  un  passage  sur  la  pos- 
sibilité d^ établir  des  lits  dans  les  couvents  devenus  biens  nationaux 
pour  les  indigents  mariés  ;  il  y  a  visiblement  une  impatience  ardente, 
une  vivacité  de  sentiment  qui  touche  beaucoup.  Je  pensais,  en  le  lisant, 
aux  mots  de  la  Palatine,  cités  parBossuet,  mots  naïfs  d'humanité  sainte  : 
«  Vite  !  vite  1  Mettons  ces  trois  pauvres  vieilles  dans  ces  petits  lits.  » 


popufauité  dus  9QD  rôle  nonvean  de  modératoir 
et  «TarlHlre.  Le  seul  homme  poorlant  qui  pût  hi- 
sardCT  de  le  preodre,  c'était  lui  sans  nul  doote^  Avec 
quelle  foroe  et  quelle  artorrté  am'ait-il  proposé  ce  qui 
perdit  DtaotOQ  et  Desmoalios  :  le  €omité  de  la  clé- 
milice? 

Ums  reveooDS  aa  Calvadcts. 

L'igowaoce,  nous  TaTODS  dit,  y  était  complètes  On 
en  était  comme  aa  10  mars,  (hi  croyait  que  Marat 
menait  tout,  faisait  tout.  Marat  était  le  nom  commua, 
sous  lequel  on  plaçait  tous  les  crimes  réels  on  pos- 
sibles. On  arrêta  an  homme  à  Caeo,  suspect  d^acca- 
parer  l'argent  pour  le  compte  de  Mûrat. 

Chose  puérile,  qu^on  hésite  à  dire,  mais  qui  peint 
la  légèreté  aveugle  des  haines,  on  mêlait  Tolontiers 
dans  les  imprécations  publiques  (pour  la  rime  peut- 
être),  les  noms  de  Marai  et  Garât;  les  Girondins  con- 
fondaient avec  Tapôtre  du  meurtre  cet  homme  faible 
et  doux,  qui.  à  ce  moment  même,  voulait  venir  à  eux 
et  traiter  avec  eux. 

Le  dimanche  7  juillet^  on  avait  battu  la  générale 
et  réuni  sur  l'immense  tapis  vert  de  la  prairie  de 
Gaen  les  volontaires  qui  partaient  pour  Paris,  po^ir  la 
gtterre  de  Marat.  Il  en  vint  trente.  Les  belles  dames 
qui  se  trouvaient  là  avec  les  députés  étaient  surprises 
et  mal  édifiées  de  ce  petit  nombre.  Une  demoiselle, 
entre  autres,  paraissait  profondément  triste  :  c'était 
M*i«  Marie-Charlotte  Corday  d'Armont,  jeune  et  belle 
personne,  républicaine,  de  famille  noble  et  pauvre, 


qpi  vivait  à  Ci§p  ftveç  ça  tantp.  Pétion,  qqi  Vftvftjt vHg 

quelquefois,  supposa  qu'ie.)le  avait  là  saps  dqutp  qxJieU 
qu§  gmant  dont  le  déport  l'attristait,  Il  l'ep  plaisnota 

lourdement,  disant  :  ^  Vous  auriez  bi^n  dp  ohWw^ 

n' est-il  pas  vrai,  s'ils  ne  parlaieqt  pas?  i 

Le  Girondin  blasé  après  tant  d'événements  ne  devir 
naitpas  le  sentiment  neuf  et  vierge,  la  flamme  ardente 
qui  possédait  ce  jeune  cœur.  11  ne  savait  pas  que  ses 
discours  et  ceux  de  ses  amis,  qui,  dan$  la  t>ouohe 
d'hommes  finis,  n'étaient  que  des  discours,  dans  le 
cœurdeM"'  Corday  étaient ladeslinée, la  vie,  la  mort* 
Sur  cette  prairie  de  Caen,  qui  peut  recevoir  cept  mille 
hommes  et  qui  n'en  avait  que  trente,  elle  avait  vu  um 
chose  que  personne  ne  voyait  :  la  Patrie  abandonn^'^^ 

Les  hompoes  faisant  si  peu,  elle  entra  en  pette  pen- 
sée qu'il  fallait  la  main  d'une  femme, 

M'*®  Corday  se  trouvait  être  d'une  bien  grapcle 
noblesse  ;  la  trôs^proche  parente  des  héroïnes  de  Cor* 
nçille,  de  Chimène,  de  Pauline  et  de  la  sœur  d'Horaoe. 
ÎJlle  était  l'arrière-petite-nièce  de  l'auteur  de  Citma, 
Le  sublime  en  elle  était  la  nature. 

Dans  sa  dernière  lettre  de  mort,  elle  fait  assez 
çptendre  tout  ce  qui  fut  dans  son  esprit  :  elle  dit  tout 
d^un  mot,  qu'elle  répète  lans  cesse  :  «  Lapawlh 
paix!  » 

Sublime  et  raisonneuse ,  comme  son  oncle,  à  1^ 
normande,  elle  fit  ce  raisonnement  :  La  Loi  est  la 
Paix  même.  Qui  a  tué  la  Loi  au  2  juin?  Marat  sur- 
tout. Le  meurtrier  de  la  Loi  tué,  la  Paix  va  refleurir. 
La  mort  d'un  seul  sera  la  vie  de  tous. 


Tilte  fut  io^i$  i»  penséç,  Pour  S4  vie,  à  plie- 
même,  qH'ello  (ÏPQnait,  elle  n'y  songea  point 

Pwsée  élroitç,  wUntquç  haute,  Elle  vjttoutenuft 
hooim©}  dans  le  SI  d'une  vie,  elle  crut  couper  celui 
(}@  »Q»  mauv^i^çg destinées,  nettement,  sioiplcment, 
comme  elle  coupait,  fiHe  Uborieuse,  celui  de  §on 
fwseî^H. 

Qu'on  ne  croie  pas  voir  en  M*''  Corday  une  virjigo 
farouche  qvii  ne  comptait  pour  rie»  le  sang.  Tout  aw 
contraire,  ce  fut  pour  l'épargner  qu'elle  se  décida 
k  frapper  ce  coup.  Elle  crut  sauver  tout  nn  monde 
en  externtioftnt  l'exterminateur.  Elle  avait  un  cœur 

de  femme,  tendre  et  doux.  L'acte  qu'elle  s'imposa 

fuit  m  aete  de  pitié. 

Dans  l'unique  portrait  qui  reste  d'elle,  et  qu'on  A 
&it  au  moment  de  sa  mort,  on  sent  son  ej^trôraf^ 
^u€«uF.  Rieo  qui  soit  moins  en  rapport  avec  le 
sanglant  souvenir  que  rappelle  son  nom,  C'est  la 
figure  d'une  jeune  demoiselle  normande,  Cgure 

vi#pge,  s'il  en  fut,  l'éclat  doux  du  pommier  en  fleur^ 
Elle  parait  beaucoup  plus  jeune  que  son  âge  de 

viogt-cinq  ans.  On  croit  entendra  sa  voix  un  peu 
enfaotine,  les  mots  marne  qu'elle  écrivit  k  son  père, 
dans  rorlbograpbi  qui  représente  la  prononciation 
traînante  de  Normandie  :  «  Pardonnais-moi,  mon 
papa. p.  » 
Dans  ce  tragique  portrait,  elle  parait  infiniment 

sensée,  raisonnable,  sérieuse,  comme  sont  les  fenimes 

de  son  pays.  Prend-elle  légèrenient  son  sort?  point  du 
tout,  il  n'y  a  rien  là  du  fauji  héroïsme.  Il  faut  songer 


152  CHARLOTTE 

qu'elle  était  à  une  demi-heure  de  la  terrible  épreuve. 
N'a-t-elle  pas  un  peu  de  l'enfant  boudeur?  Je  le 
croirais;  en  regardant  bien,  l'on  surprend  sur  sa 
lèvre  un  léger  mouvement,  àpeine  une  petite  moue... 
Quoi!  si  peu  d'irritation  contre  la  mort!...  contre 
l'ennemi  barbare  qui  va  trancher  cette  charmante 
vie,  tant  d'amours  et  de  romans  possibles.  On  est 
renversé,  de  la  voir  si  douce  ;  le  cœur  échappe,  les 
yeux  s'obscurcissent,  il  faut  regarder  ailleurs. 

Le  peintre  a  créé  pour  les  hommes  un  désespoir, 
un  regret  éternel.  Nul  qui  puisse  la  voir  sans  dire  en 
son  cœur  :  «Oh  !  que  je  sois  né  si  tard  ! ...  Oh  !  combien 
je  l'aurais  aimée  !  )) 

Elle  a  les  cheveux  cendrés,  du  plus  doux  reflet; 
bonnet  blanc  et  robe  blanche.  Est-ce  en  signe  de  son 
innocence  et  comme  justification  visible?  je  ne  sais. 
11  y  a  dans  ses  yeux  du  doute  et  de  la  tristesse.  Triste 
de  son  sort ,  je  ne  le  crois  pas ,  mais  de  son  acte, 
peut-être...  Le  plus  ferme  qui  frappe  un  tel  coup, 
quelle  que  soit  sa  foi,  voit  souvent,  au  dernier  mo- 
ment, s'élever  d'étranges  doutes. 

En  regardant  bien  dans  ses  yeux  tristes  et  doux , 
on  sent  encore  une  chose,  qui  peut-être  explique 
toute  sa  destinée  :  Elle  avait  tovjours  été  seule. 

Oui,  c'est  là  l'unique  chose  qu'on  trouve  peu  ras- 
surante en  elle.  Dans  cet  être  charmant  et  bon,  il  y 
eut  cette  sinistre  puissance  :  le  démon  de  la  solitude. 

D'abord,  elle  n'eut  pas  de  mère.  La  sienne  mourut 
de  bonne  heure;  elle  ne  connut  point  les  caresses 
maternelles;   elle   n'eut  point  dans  ses  premières 


CORDAY.  153 

années  ce  doux  lait  de  femme  que  rien  ne  supplée. 

Elle  n'eut  pas  de  père,  à  vrai  dire.  Le  sien,  pauvre 
noble  de  campagne,  tête  ulopique  et  romanesque, 
qui  écrivait  contre  les  abus  dont  la  noblesse  vivait^ 
s'occupait  beaucoup  de  ses  livres,  peu  de  ses  enfants. 

On  peut  dire  même  qu'elle  n'eut  pas  de  frère.  Du 
moins,  les  deux  qu'elle  avait  étaient,  en  92,  si  par- 
faitement éloignés  des  opinions  de  leur  sœur,  qu'ils 
allèrent  rejoindre  l'armée  de  Condé. 

Admise  à  treize  ans  au  couvent  de  l'Âbbaye-aux- 
Dames  de  Caen ,  où  l'on  recevait  lesûlles  de  la  pauvre 
noblesse,  n'y  fut-elle  pas  seule  encore?  On  peut  le 
croire,  quand  on  sait  combien ,  dans  ces  asiles  reli- 
gieux qui  sembleraient  devoir  être  les  sanctuaires  de 
l'égalité  chrétienne,  les  riches  méprisent  les  pau- 
vres. Nul  lieu,  plus  que  l'Abbaye-aux- Dames,  ne 
semble  propre  à  conserver  les  traditions  de  l'orgueil. 
Fondée  par  Mathilde,  la  femme  de  Guillaume-le- 
Conquérant,  elle  domine  la  ville,  et  dans  Teffort 
de  ses  voûtes  romanes,  haussées  et  surexhaussées , 
elle  porte  encore  écrite  Tinsolence  féodale. 

L'âme  de  la  jeune  Charlotte  chercha  son  premier 
asile  dans  la  dévotion ,  dans  les  douces  amitiés  de 
cloître.  Elle  aima  surtout  deux  demoiselles,  nobles 
et  pauvres  comme  elle.  Elle  entrevit  aussi  le  monde. 
Une  société  fort  mondaine  des  jeunes  gens  de  la 
noblesse  était  admise  au  parloir  du  couvent  et  dans 
les  salons  de  l'abbesse.  Leur  futilité  dut  contribuer  à 
fortifier  le  cœur  viril  de  la  jeune  fille  dans  l'éloigne- 
ment  du  monde  et  le  goût  de  la  solitude. 


m  LES  QI|iûKP)NS 

§6S  vrai^  aiiiis  ôlaieoi  ses  livres,  J^a  pbilpsppbi#  dw 
siècle  (3nya])is$ait  lep  cQuvents»  j[^eçli)r@^  fortuH^g  et 
pibq choisies,  Rayoal pêla-môIe  avac  Rpiiss^au.  ««Sa' 
tête,  dit  wn  JQur.naliî^te,  ijtftit  «ne  fHrip  de  lectures 
dç  toylep  sortes,  t 

Elle  ^tait  de  celles  qui  petiveoi  traverser  impuné- 
iqeDt  les  livres  et  les  opinions  mm  que  l^ur  pureté 
es  soit  altérée,  EUe  garda,  daps  la  scieBce  du  Vwn 

et  du  mal,  un  don  singulier  dé  virginité  morale  et 

comme  d'enfance.  Cela  apparaissait  surtout  d^ns  les 
intonations  d'une  voix  presque  enfantine,  d'un  timbre 
argentin,  où  l'on  sentait  parfai témoin t  que  la  personne 
étftit  entière,  que  rjen  encore  n'avait  fléchi.  On  pou- 
vait oublier  peut'-étre  les  traits  de  M'*-  Corday,  mstis 
sa  voii^  jamais?  Une  personne  qui  Tentendit  une  foi» 
k  Çaen,  dans  une  occasion  sans  importance,  dix  ans 
après,  avait  encore  dans  l'oreille  cette  voi?;;  unique, 
et  Veut  pu  noter. 

Celte  prolongation  d'enfance  fut  une  sinsil^rité 
de  Jeauuc  d'Arc,  qui  resta  une  petite  fiU^  et  ne  fut 

jamais  yne  femme^ 

Ce  qui  plus  qu'aucuqe  chose  rendait  M"^  Corday 
irès^frappante,  impossible  à  oublier,  c'est  que  cette 
voii  enfantine  était  unie  à  une  beauté  sérieuse,  virile 

par  réimpression,  quoique  délicate  par  les  traits-  Ce 

contraste  avait  Teffet  double  et  de  séduire  et  d'impo- 
ser. On  regardait,  on  approchait,  mais  dans  cette 
fleur  du  temps,  quelque  chose  intimidait  qui  n'était 
nullement  du  temps,  mais  de  l'immortalité.  Elle  y 

allait  et  la  voulait*  lilUe  vivait  déjà  entre  les  héros 


N*EURENT  AUCUVe  IJH^l^URNCE  SUR  ELLE.  [f^ 

ÛmSt  r^lysée  de  Plutarque,  parmi  ceu^  qui  donijè- 
Tm\  Ipur  i^ii3  pour  vivre  élernellewiçaU 

l^p  GiroodiB?  n'^uroqt  sur  elle  mwm  influepcit 
l^  pJupiirt,  nous  rftvpn$  vu,  avaient  cessé  d'étrç  eui^ 
m^msp*  SHe  vit  d^ux  foi»  Barbarou^^  comme  député 
de  Provence,  pour  avoir  de  lui  une  lettre  et  solliciter 

raffaire  d'une  d9  se»  amies  de  famillQ  provençale* 

JËJle  avftit  vu  ftujsii  Faucl^et,  Tévéquo  du  Calvados; 
elle  l'aimait  peu,  TestiDiait  peu,  aomme  prêtre,  et 
comme  prêtre  immoral.  Il  est  iqutUe  de  dire  que 
W  Cordfty  n'était  m  rapport  avec  aucun  prôtre,  et 
ne  »Q  confessait  jamaia. 

  la  suppression  de»  couvepts,  trouvant  »on  père 
remarié,  elle  s'était  réfugiée  à  Caen  chez  une  vieille 
tantç,  M"'*  de  Brpteville.  Et  c'est  là  qu'elle  prit  sa 
résolution. 


t  Lçs  biftlorlen^  roiiiftQ««qae9  ae  lienRffiit  janaia  qaitte  leur  héroïnt, 
$Qi.i)f  fi§a]f#r  df  prouvât  qy'çlle  a  dû  être  ?P9QU|r9Mse.  CeU^t^ci  prob^? 
blemept,  disent-ils,  Taura  été  de  Barbaroux.  D'autres^  sur  un  ipot 
d^une  vieille  servante,  ont  imaginé  un  certain  Franquelin,  jeune  homme 
sensible  et  bien  tourné,  qui  aurait  eu  Tinsigne  honneur  d-étre  aimé  de 
MMf  Cerdaj  et  de  in%  OQftter  dei  larineç.  Ceat  peu  eoQnatiN  la  naioie 
humaine.  De  tels  actes  supposent  Taastère  virginité  4u  Ccei\X  Si  H 
prêtresse  de  Tauride  savait  çnfoncer  le  çouteaq,  c*est  que  nul  ainour 
humain  n*avait  amolli  son  cœur.  —  Le  plus  absurde  de  tous,  c*est 
Wimpfen,  qui  la  fai(  d'abord  royaliste!  amoureuse  du  royaliste  Bel-* 
zuoe^  I  (^  blipe  de  WiwpffQ  pour  les  Girondins  qui  repoussèreut  lea 
propositip^  d'appiele  rV Anglais  septbie  lui  faire  perdre  T^sprit.  Il  v| 
jusqu^à  supposer  que  le  pauvre  homme  Péiion,  à  moitié  mort,  qui  n*a- 
vait  plus  qu*une  idée,  ses  enfants,  sa  femme,  voulait...  (devinez!...) 
bnUêr  Ciicn,  pour  (aiputer  ensuite  ee  criine  à  la  Montagne  !  Tout  le 
reste  est  de  celte  force. 


156  SON  ARRIVÉE 

La  prit-elle  sans  hésitation?  non;  elle  fut  retenue 
un  moment  par  la  pensée  de  sa  tante,  de  cette  bonne 
vieille  dame  qui  la  recueillait,  et  qu'en  récompense 

elle  allait  cruellement  compromettre...  Sa  tante,  un 
jour,  surprit  dans  ses  yeux  une  larme  :  «  Je  pleure, 
dit  elle,  sur  la  France,  sur  mes  parents  et  sur  vous... 
Tant  que  Marat  vit,  qui  est  sûr  de  vivre?  » 

Elle  distribua  ses  livres,  sauf  un  volume  de  Plu- 
tarque  qu'elle  emporta  avec  elle.  Elle  rencontra  dans 
la  cour  l'enfant  d'un  ouvrier  qui  logeait  dans  la  mai- 
son ;  elle  lui  donna  son  carton  de  dessin,  l'embrassa, 

et  laissa  tomber  une  larme  encore  sur  sa  joue 

Deux  larmes  !  assez  pour  la  nature. 

Charlotte  Corday  ne  crut  pouvoir  quitter  la  vie 
sans  d'abord  aller  saluer  son  père  encore  une  fois. 
Elle  le  vit  à  Argentan,  et  reçut  sa  bénédiction.  De 
là,  elle  alla  à  Paris  dans  une  voiture  publique,  en 
compagnie  de  quelques  Montagnards,  grands  admi- 
rateurs de  Marat,  qui  commencèrent  tout  d'abord 
par  être  amoureux  d'elle  et  lui  demander  sa  main. 
Elle  faisait  semblant  de  dormir,  souriait,  et  jouait 
avec  un  enfant. 

Elle  arriva  à  Paris  le  jeudi  11,  vers  midi,  et  alla 
descendre  dans  la  rue  des  Yieux-Augustins,  n"*  17,  à 
rhôtel  de  la  Providence.  Elle  se  coucha  à  cinq  heures 
du  soir,  et  fatiguée  dormit  jusqu'au  lendemain  du 
sommeil  de  la  jeunesse  et  d'une  conscience  paisible. 
Son  sacrifice  était  fait,  sou  acte  accompli  en  pensée  ; 
elle  n'avait  ni  trouble,  ni  doute. 


A  PARÎSdl  JUILLET  93}.  157 

Elle  était  si  fixe  dans  son  projet,  qu'elle  ue  sentait 
pas  le  besoin  de  précipiter  l'exécution.  Elle  s'occupa 
tranquillement  de  remplir  préalablement  un  devoir 
d'amitié,  qui  avait  été  le  prétexte  de  son  voyage  à 
Paris.  Elle  avait  obtenu  à  Caen  une  lettre  de  Barba- 
roux  pour  son  collègue  Duperret^  voulant,  disait- 
elle  ,  par  son  entremise ,  retirer  du  ministère  de 
l'intérieur  des  pièces  utiles  à  son  amie,  M"""  Forbin, 
émigrée. 

Le  matin,  elle  ne  trouva  pas  Duperret,  qui  était  à 
la  Convention.  Elle  rentra  chez  elle,  et  passa  le  jour  à 
lire  tranquillement  les  Vies  de  Plutarque,  la  bible  des 
forts.  Le  soir,  elle  retourna  chez  le  député,  le  trouva 
à  table,  avec  sa  famille,  ses  filles  inquiètes.  Il  lui 
promit  obligeamment  de  la  conduire  le  lendemain. 
Elle  s'émut  en  voyant  cette  famille  qu'elle  allait  com- 
promettre, et  dit  à  Duperret  d'une  voix  presque  sup- 
pliante :  «  Croyez-moi,  partez  pour  Caen;  fuyez 
avant  demain  soir.  »  La  nuit  même,  et  peut-être 
pendant  que  Charlotte  parlait,  Duperret  était  déjà 
proscrit  ou  du  moins  bien  près  de  l'être.  Il  ne  lui 
tint  pas  moins  parole,  la  mena  le  lendemain  matin 
chez  le  ministre,  qui  ne  recevait  point,  et  lui  fit  enfin 
comprendre  que,  suspects  tous  deux,  ils  ne  pouvaient 
guère  servir  la  demoiselle  émigrée. 

Elle  ne  rentra  chez  elle  que  pour  éconduire  Du- 
perret qui  l'accompagnait,  sortit  sur-le-champ,  et  se 
fit  indiquer  le  Palais-Royal.  Dans  ce  jardin  plein  de 
soleil,  égayé  d'une  foule  riante,  et  parmi  les  jeux 
des  enfants,  elle  chercha,  trouva  un  coutelier,  et 


i4S  ÉTAT  NOHAL  DE  MARAT. 

modération.  Il  s'agitait  en  vain,  en  vain  voulait 
rester  Marat ,  dénonçait  aujourd'hui  tels  gêné-* 
raux,  demain  voulait  qu'on  mît  à  prix  la  tête  des 
Capets.  Plusieurs  anecdotes  curieuses  de  ses  der- 
niers temps  le  dénoncent  et  le  mettent  à  nu  :  il  deve- 
nait humain  ^ 

S'écartait-il  de  sa  nature,  ou  y  revenait-il?  Il  avait 
eu  dans  tous  les  temps  d'étranges  accès  d'humanité, 
li  était  par  moment  généreux  et  sensible.  Il  sauva 
le  physicien  Charles,  son  critique  et  son  ennemi. 

C'est  un  problème  de  savoir  s'il  aurait  conservé  sa 


1  Peu  de  gens  s* adressèrent  à  lui,  sans  s* en  bien  trouver.  On  conte 
qu^une  pauvre  fille  dont  le  père  allait  périr,  et  qui  demandait  sa  vie, 
roblint  de  Marat  eu  lui  promettant  qu*elle  se  donnerait  à  lui.  l\  poussa 
répreuve  jusqu'au  bout,  alla  au  rendez-vous,  et  la  voyant  là  résignée, 
qui  attendait  dans  les  larmes  et  le  désespoir,  il  respecta  la  fille  et 
sauva  le  père.  —  Barras  dit  dans  ses  Mémoires  {inédits y  communiqués 
par  M,  H,  de  Saint- AWin)  qu^un  jour,  rue  Saint-Honoré,  il  vit  an 
pauvre  diable  de  ci-devant,  en  babit  noir,  que  le  peuple  {poursuivait. 
Heureusement  Marat  passait.  Il  sauva  Thomme  d*une  manière  toute 
originale.  «  Je  le  connais,  dit-il,  je  connais  cet  aristocrate.  »  (U  ne 
Pavait  jamais  vu.)  U  lui  applique  un  coup  de  pied  :  «  Voilà  qui  te  cor- 
rigera. »  Tout  le  monde  se  mit  à  rire.  On  s'en  alla  convaincu  que» 
comme  les  anciens  rois  qui  touchaient  les  écrouelles,  r  Ami  du  peuple, 
d'un  coup  de  pied,  guérissait  Taristocratie.  —  Parmi  une  infinité  de 
déclamations  fades,  autant  que  violentes,  il  y  a  plus  d'un  passage  dans 
ses  journaux  qui  indiquent  un  amour  sincère,  ardent,  de  rhumanité* 
Je  me  rappelle  entre  autres  (44  juin  90  ou  94  )  un  passage  sur  la  pos- 
sibilité d^  établir  des  lits  dans  les  couvents  devenus  biens  nationaux 
pour  les  indigents  mariés  ;  il  y  a  visiblement  une  impatience  ardente, 
me  vivacité  de  sentiment  qui  touche  beaucoup.  Je  pensais,  en  le  lisant, 
aux  mots  de  la  Palatine,  cités  par  Bossuet,  mots  naïfs  d'humanité  sainte  : 
c  Vite  !  vite  1  Mettons  ces  trois  pauvres  vieilles  dans  ces  petits  lits.  » 


LES  GIRONDINS  A  GAEN   (JUILLET  95).  149 

popularité  dans  son  rôle  nouveau  de  modérateur 
et  d'arbitre.  Le  seul  homme  pourtant  qui  pût  ha- 
sarder de  le  prendre,  c'était  lui  sans  nul  doute.  Avec 
quelle  force  et  quelle  autorité  aurait-il  proposé  ce  qui 
perdit  Danton  et  Desmoulins  :  le  Comité  de  la  clé- 
mence? 

Mais  revenons  au  Calvados. 

L'ignorance,  nous  Tavons  dit,  y  était  complète.  On 
en  était  comme  au  10  mars.  On  croyait  que  Marat 
menait  tout,  faisait  tout.  Marat  était  le  nom  commun, 
sous  lequel  on  plaçait  tous  les  crimes  réels  ou  pos- 
sibles. On  arrêta  un  homme  à  Caen,  suspect  d'acca- 
parer l'argent  pour  le  compte  de  Marat. 

Chose  puérile,  qu'on  hésite  à  dire,  mais  qui  peint 
la  légèreté  aveugle  des  haines,  on  mêlait  volontiers 
dans  les  imprécations  publiques  (pour  la  rime  peut- 
être),  les  noms  de  Marat  et  Garât;  les  Girondins  con- 
fondaient avec  l'apôtre  du  meurtre  cet  homme  faible 
et  doux,  qui,  à  ce  moment  même,  voulait  venir  à  eux 
et  traiter  avec  eux. 

Le  dimanche  7  juillet^  on  avait  battu  la  générale 
et  réuni  sur  l'immense  tapis  vert  de  la  prairie  de 
Caen  les  volontaires  qui  partaient  pour  Paris,  pour  la 
guerre  de  Marat,  Il  en  vint  trente.  Les  belles  dames 
qui  se  trouvaient  là  avec  les  députés  étaient  surprises 
et  mal  édifiées  de  ce  petit  nombre.  Une  demoiselle, 
entre  autres,  paraissait  profondément  triste  :  c'était 
M*i«  Marie-Charlotte  Corday  d'Armont,  jeune  et  belle 
personne,  républicaine,  de  famille  noble  et  pauvre, 


qpi  vivait  h  Cq«p  «veç  §a  tautp.  Pétioq,  gqi  rpsit VHg 
quelquefois,  supposa  qu'elle  avait  \k  saus  dout^  gMeW 
qu§  sm^nt  dont  le  départ  rattristait,  Il  Yen  plaisunia 
lourdement,  disant  :  ^  Vous  ^xnvm  hm  d^  çhagrjf), 

u'esl-il  pas  vrai,  s'ils  ne  parlaient  pas?  ? 

Le  Girondin  blasé  après  tant  d'événements  n^i  dpvU 
naitpas  le  sentiuient  neuf  et  vierge,  la  flamme  ardente 
qui  possédait  ce  jeune  cœur.  11  ne  savait  pas  que  ses 
discours  et  ceux  de  ses  amis,  qui,  dans  h  tH)uohe 
d'hommes  finis,  n'étaient  que  des  discours,  dans  le 
coeurdeM""*  Corday  étaient  ladeslinée, la  vie,  la  mort 
Sur  celte  prairie  de  Caen,  qui  peut  recevoir  cept  mille 
hommes  et  qui  n'en  avait  que  trente,  elle  avait  vu  une 
chose  que  personne  ne  voyait  :  la  Patrie  abm(ionn^'$. 

Les  hommes  faisant  si  peu,  elle  entra  en  cette  pen- 
sée qu'il  fallait  U  main  d'une  femme, 

M**®  Corday  se  trouvait  être  d'une  bien  grande 
noblesse  ;  la  très^proche  parente  des  héroïnes  de  Cor^ 
nçille,  de  Chimène,  de  Pauline  et  de  la  sœur  d'Horaoe. 
Elle  était  l'arrière-petite-nièce  de  l'auteur  de  Citma, 
Le  sublime  en  elle  était  la  nature. 

P^ns  sa  dernière  lettre  de  mort,  elle  fait  assez 
^«tendre  tout  ce  qui  fut  dans  son  esprit  :  elle  dit  tout 
d^un  mgt,  qu'elle  répète  lans  cesse  :  a  Lapawlla 
paix!  )» 

Sublime  et  raisonneuse ,  comme  son  oncle,  à  \% 
normande,  elle  fit  ce  raisonnement  :  La  Loi  est  la 
Paix  même.  Qui  a  tué  la  Loi  au  2  juin?  Marat  sur- 
tout. Le  u^eurtrier  de  la  Loi  tué ,  la  Paix  va  refleurir. 
La  mort  d'un  seul  sera  la  vie  de  tous. 


Tilte  fut  toi}l#  m  penséi?,  Pour  »4  vie,  à  plie- 
même,  qH'ello  donnait,  elle  n'y  songea  point 

Pw*éeélFoit#,  wiantquç  hftute,  Elle  vit  touten  m 
hooim©}  dans  le  SI  d'une  vie,  elle  crut  couper  celui 
d@  nos  mauvaiw^ destinées,  nettement,  sioipicment, 
comme  elle  coupait,  fiHe  lahorieuse,  celui  de  wn 
fwseî^H. 

Qu'pq  ne  croie  pas  voir  en  M'^  Corday  une  virago 
farouche  qvii  ne  comptait  pour  rien  le  sang.  Tout  aw 
çQOtrairei  ce  fut  pour  l'épargner  qu'elle  se  décida 
k  frapper  ce  coup.  Elle  crut  sauver  tout  nn  monde 
en  externtioftnt  l'exterminateur.  Elle  avait  un  cœur 

de  femme,  tendre  et  doux.  L'acte  qu'elle  s'imposa 

fut  unaotede  pitié. 

Dans  l'unique  portrait  qui  reste  d'elle,  et  qu'on  a 
&it  au  mopaent  de  sa  mort,  on  sent  son  e?^trêm9 
dou€«uF.  Ri^o  qui  soit  moins  en  rapport  avec  le 
sanglant  souvenir  que  rappelle  son  nom,  C'est  la 
figure  d'une  jeune  demoiselle  normande,  figure 
vi#pge,  s'il  en  fut,  l'éclat  doux  du  pommier  en  fleur.- 
Elle  parait  beaucoup  plus  jeune  que  son  âge  de 

viogt-cinq  ans.  On  croit  entendra  sa  m%  un  peu 
anfaotine,  les  mots  marne  qu'elle  écrivit  à  son  père, 
dans  rorlbograpbe  qui  représente  la  prononciation 
traînante  de  Normandie  ;  «  Pardonnais^mpi ,  mon 

papao.  » 
Dans  ce  tragique  portrait,  elle  paraît  infiniment 

sensée,  raisonnable,  sérieuse,  comme  sont  les  feqomes 

de  son  pays.  Prend-ellelégèrernent  son  sort?  point  du 
tout,  il  n'y  a  rien  là  du  fau^^  béroïsnje.  Il  faut  songer 


152  CHARLOTTE 

qu'elle  était  à  une  demi-heure  de  la  terrible  épreuve. 
N'a-t-elle  pas  un  peu  de  l'enfant  boudeur?  Je  le 
croirais;  en  regardant  bien,  l'on  surprend  sur  sa 
lèvre  un  léger  mouvement,  àpeine  une  petite  moue. .. 
Quoi!  si  peu  d'irritation  contre  la  mort!...  contre 
l'ennemi  barbare  qui  va  trancher  cette  charmante 
vie,  tant  d'amours  et  de  romans  possibles.  On  est 
renversé,  de  la  voir  si  douce  ;  le  cœur  échappe,  les 
yeux  s'obscurcissent,  il  faut  regarder  ailleurs. 

Le  peintre  a  créé  pour  les  hommes  un  désespoir, 
un  regret  éternel.  Nul  qui  puisse  la  voir  sans  dire  en 
son  cœur  :  «Oh  !  que  je  sois  né  si  tard! .  ..Oh  !  combien 
je  l'aurais  aimée  !  )) 

Elle  a  les  cheveux  cendrés,  du  plus  doux  reflet; 
bonnet  blanc  et  robe  blanche.  Est-ce  en  signe  de  son 
innocence  et  comme  justification  visible?  je  ne  sais. 
11  y  a  dans  ses  yeux  du  doute  et  de  la  tristesse.  Triste 
de  son  sort,  je  ne  le  crois  pas,  mais  de  son  acte, 
peut-être...  Le  plus  ferme  qui  frappe  un  tel  coup, 
quelle  que  soit  sa  foi,  voit  souvent,  au  dernier  mo- 
ment, s'élever  d'étranges  doutes. 

En  regardant  bien  dans  ses  yeux  tristes  et  doux  y 
on  sent  encore  une  chose,  qui  peut-être  explique 
toute  sa  destinée  :  Elle  avait  tovjours  été  seule. 

Oui,  c'est  là  l'unique  chose  qu'on  trouve  peu  ras- 
surante en  elle.  Dans  cet  être  charmant  et  bon,  il  y 
eut  cette  sinistre  puissance  :  le  démon  de  la  solitude. 

D'abord,  elle  n'eut  pas  de  mère.  La  sienne  mourut 
de  bonne  heure;  elle  ne  connut  point  les  caresses 
maternelles;   elle   n'eut  point  dans  ses  premières 


GORDAY.  153 

années  ce  doux  lait  de  femme  que  rien  ne  supplée. 

Elle  n'eut  pas  de  père,  à  vrai  dire.  Le  sien,  pauvre 
noble  de  campagne,  tête  ulopique  et  romanesque^ 
qui  écrivait  contre  les  abus  dont  la  noblesse  vivait, 
s'occupait  beaucoup  de  ses  livres,  peu  de  ses  enfants. 

On  peut  dire  même  qu'elle  n'eut  pas  de  frère.  Du 
moins,  les  deux  qu'elle  avait  étaient,  en  92,  si  par- 
faitement éloignés  des  opinions  de  leur  sœur,  qu'ils 
allèrent  rejoindre  l'armée  de  Condé. 

Admise  à  treize  ans  au  couvent  de  l'Âbbaye-aux- 
Dames  de  Caen ,  où  l'on  recevait  lesfllles  de  la  pauvre 
noblesse,  n'y  fut-elle  pas  seule  encore?  On  peut  le 
croire,  quand  on  sait  combien ,  dans  ces  asiles  reli- 
gieux qui  sembleraient  devoir  être  les  sanctuaires  de 
l'égalité  chrétienne,  les  riches  méprisent  les  pau- 
vres. Nul  lieu,  plus  que  l'Abbaye-aux- Dames,  ne 
semble  propre  à  conserver  les  traditions  de  l'orgueil. 
Fondée  par  Mathilde,  la  femme  de  Guillaume-le- 
Conquérant,  elle  domine  la  ville,  et  dans  Teffort 
de  ses  voûtes  romanes,  haussées  et  surexhaussées , 
elle  porte  encore  écrile  Tinsolence  féodale. 

L'âme  de  la  jeune  Charlotte  chercha  son  premier 
asile  dans  la  dévotion ,  dans  les  douces  amitiés  de 
cloître.  Elle  aima  surtout  deux  demoiselles,  nobles 
et  pauvres  comme  elle.  Elle  entrevit  aussi  le  monde. 
Une  société  fort  mondaine  des  jeunes  gens  de  la 
noblesse  était  admise  au  parloir  du  couvent  et  dans 
les  salons  de  l'abbesse.  Leur  futilité  dut  contribuer  à 
fortifier  le  cœur  viril  de  la  jeune  fille  dans  l'éloigne- 
ment  du  monde  et  le  goût  de  la  solitude. 


m  LES  ai)\ÛKP)NS 

§6S  vrai§  ami3  ôtaieot  ses  livras,  J^a  pbilpsppbi#  dw 
siècle  (invabissait  l^p  cpuvents,  jf^eçliirep  fortwHfg  et 
pibq choisies,  Jiayi)al pêla-méle  avac  Rousseau.  ««Sa' 
tête,  dit  lin  journaliita,  était  «ne  furie  de  lecture^ 

de  tpyte§  sortes,  t 

Elle  ^tait  de  celles  qui  peuvent  traverser  iropuné- 
inent  les  livres  et  les  opinions  sans  que  leur  pnrelé 
QS  soit  altérée,  Elle  garda,  dans  la  science  du  bien 

et  du  mal,  un  don  singulier  dp  virginité  morale  et 
comme  d'enfance,  Cela  apparaissait  surtout  dans  les 
intonations  d'une  voix  presque  enfantine,  d'un  timbre 
argentin,  où  l'on  sentait  parfaitement  que  la  personne 
était  entière,  que  rjen  encore  n'avait  fléchi,  On  pou- 
vait oublier  peut-être  Ips  traits  de  W^^  Corday,  mais 
sa  voiî^  jamaiSî  Une  personne  qui  l'entendit  une  fois 
k  Çaen,  dans  une  occasion  sans  importance,  dix  ans 

après,  avait  encore  dans  l'oreille  cette  vpi);;  uniqH», 
et  Veut  pu  noter. 

Celte  prolongation  d'enfance  fut  une  sin»}l*rité 
de  Jeanne  d'Arc,  qui  re^^ta  une  petite  fille  et  ne  fut 

jamais  une  femme« 

Ce  qui  plus  qu'aucune  chose  rendait  W^^  Corday 
irès-«frappante,  impossible  à  oublier,  c'est  que  cette 
voix  enfantine  était  unie  à  une  beauté  sérieuse,  virile 

par  réimpression,  quoique  délicate  par  les  traits.  Ce 

contraste  avait  Teffet  double  et  de  séduire  et  d'impo- 
ser. On  regardait,  on  approchait,  mais  dans  cette 
fleur  du  temps,  quelque  chose  intimidait  qui  n'était 

nullement  du  temps,  mais  de  Timmorlalité.  Elle  y 

allait  et  la  voulait*  Elle  vivait  déjà  entre  les  héros 


N*EURENT  kVCUm  I^^l^^RKCE  SUR  ELLE.  [^ 

dans  r^lysée  de  Plutarque,  parmi  ceu^  qui  donijè- 
re»t  Ipur  viia  pour  vivre  éternellew^aU 
|.6p  GJrQpdJB?  fl^uroqt  swr  elle  aucune  influenc#t 

ï^  plHpwt,  nous  TRYon^  vu,  avaient  cessé  d'êtrç  ^^%^ 

m4n?@fi*  £11^  vit  ^Qux  foi»  Barbarou^  ^  comme  député 
de  Provence,  pour  avoir  de  lui  une  leltF«  et  sollicitar 

TaiTaire  d'une  d9  se»  amies  d^  famille  provençale* 

JËlle  avait  vu  au«çi  Faucl^el,  révoque  du  Calvados; 
elle  Tairoait  peu,  l'estinmit  peu,  comme  prêtre,  et 
comme  prêtre  immoral.  Il  est  iuutHe  de  dire  que 
M'*^  Corday  n'était  en  rapport  avec  aucuu  prôtre,  et 
m  »Q  capfessait  jamais. 

  la  suppressioa  des  couvepts,  trouvant  sou  père 
remarié,  elle  s'était  réfugiée  à  Caen  chez  une  vieille 
tantç,  M'"*  dç  Brçteville.  Et  c'est  là  qu'elle  prit  sa 
résolution. 


t  Lçs  bistorleR^  roiiiftQ««qae9  ne  lienacnt  janaia  quitte  leur  héroïne, 

$Qii)f  f#§3]^#r4f  prouver  qy'çlle  ^  dA  être  ^moup^iyse.  Cell^rci  prob^? 
l^Iemept,  disent-jls,  Taura  été  de  Barbaroux.  D'autres^  sur  un  ipot 
d^une  vieille  serTanle,  ont  imaginé  un  certain  Franquelin,  jeune  homme 
sensible  et  bien  tourné,  qui  aurait  eu  l'insigne  honneur  d^étre  aimé  de 
MUf  Cerdaj  et  ie  Iqi  ooftter  dei  larroeç.  C*e6t  peu  coonaltM  la  natuit 
humaine.  De  tels  actes  supposent  Faustère  virginité  4u  ÇQ^MV  Si  H 
prêtresse  de  Tauride  savait  çnfoncer  le  çouteaq,  c^est  que  nul  arnour 
humain  n'avait  amolli  son  cœur.  —  Le  plus  absurde  de  tous,  c'est 
Wimpfen,  qui  la  fait  d'abord  royaliste  !  amoureuse  du  royaliste  Bel- 
zuoef^l  Ifi  blip9  de  Wiwpf^Q  pour  les  Girondins  qui  repoussèrent  f^s 
propositipp^  d'appelé  rV Anglais  septble  lui  faire  perdre  Tespri^  Il  VI 
jusqu'à  supposer  que  le  pauvre  homme  Pétion,  à  moitié  mort,  qui  n'a«- 
vait  plus  qu'une  idée,  ses  enfants,  sa  femme,  voulait...  (devinez!...) 
brûler  Cocn,  pour  (aiputer  ensuite  ee  crline  à  la  Montagne  !  Tout  le 
reste  est  de  cette  force. 


i56  SON  ARRIVÉE 

La  prit-elle  sans  hésitation?  non;  elle  fut  retenue 

un  moment  par  la  pensée  de  sa  tante,  de  cette  bonne 
vieille  dame  qui  la  recueillait,  et  qu'en  récompense 

elle  allait  cruellement  compromettre...  Sa  tante,  un 
jour,  surprit  dans  ses  yeux  une  larme  :  «  Je  pleure, 
dit  elle,  sur  la  France,  sur  mes  parents  et  sur  vous... 
Tant  que  Marat  vit,  qui  est  sûr  de  vivre?  » 

Elle  distribua  ses  livres,  sauf  un  volume  de  Plu- 
tarque  qu'elle  emporta  avec  elle.  Elle  rencontra  dans 
la  cour  l'enfant  d'un  ouvrier  qui  logeait  dans  la  mai- 
son ;  elle  lui  donna  son  carton  de  dessin,  l'embrassa» 
et  laissa  tomber  une  larme  encore  sur  sa  joue..... 
Deux  larmes  !  assez  pour  la  nature. 

Charlotte  Corday  ne  crut  pouvoir  quitter  la  vie 
sans  d'abord  aller  saluer  son  père  encore  une  fois. 
Elle  le  vit  à  Argentan,  et  reçut  sa  bénédiction.  De 
là,  elle  alla  à  Paris  dans  une  voiture  publique,  en 
compagnie  de  quelques  Montagnards,  grands  admi- 
rateurs de  Marat,  qui  commencèrent  tout  d'abord 
par  être  amoureux  d'elle  et  lui  demander  sa  main* 
Elle  faisait  semblant  de  dormir,  souriait,  et  jouait 
avec  un  enfant. 

Elle  arriva  à  Paris  le  jeudi  1 1 ,  vers  midi,  et  alla 
descendre  dans  la  rue  des  Vieux-Augustins,  n*  17,  à 
rhôtel  de  la  Providence.  Elle  se  coucha  à  cinq  heures 
du  soir,  et  fatiguée  dormit  jusqu'au  lendemain  du 
sommeil  de  la  jeunesse  et  d'une  conscience  paisible. 
Son  sacrifice  était  fait,  sou  acte  accompli  en  pensée  ; 
elle  n'avait  ni  trouble,  ni  doute. 


A  PARTS  (ii  JUILLET  93).  157 

Elle  était  si  fixe  dans  sod  projet,  qu'elle  ne  sentait 
pas  le  besoin  de  précipiter  l'exécution.  Elle  s'occupa 
tranquillement  de  remplir  préalablement  un  devoir 
d'amitié,  qui  avait  été  le  prétexte  de  son  voyage  à 
Paris.  Elle  avait  obtenu  à  Caen  une  lettre  de  Barba- 
roux  pour  son  collègue  Duperret,  voulant,  disait- 
elle  ,  par  son  entremise ,  retirer  du  ministère  de 
l'intérieur  des  pièces  utiles  à  son  amie,  M"*  Forbin, 
émigrée. 

Le  matin,  elle  ne  trouva  pas  Duperrel,  qui  était  à 
la  Convention.  Elle  rentra  chez  elle,  et  passa  le  jour  à 
lire  tranquillement  les  Vies  de  Plutarque,  la  bible  des 
forts.  Le  soir,  elle  retourna  chez  le  député,  le  trouva 
à  table,  avec  sa  famille,  ses  filles  inquiètes.  Il  lui 
promit  obligeamment  de  la  conduire  le  lendemain. 
Elle  s'émut  en  voyant  cette  famille  qu'elle  allait  com- 
promettre, et  dit  à  Duperret  d'une  voix  presque  sup- 
pliante :  «  Croyez-moi,  partez  pour  Caen;  fuyez 
avant  demain  soir.  »  La  nuit  même,  et  peut-être 
pendant  que  Charlotte  parlait,  Duperret  était  déjà 
proscrit  ou  du  moins  bien  près  de  l'être.  Il  ne  lui 
tint  pas  moins  parole,  la  mena  le  lendemain  matin 
chez  le  ministre,  qui  ne  recevait  point,  et  lui  fit  enfin 
comprendre  que,  suspects  tous  deux,  ils  ne  pouvaient 
guère  servir  la  demoiselle  émigrée. 

Elle  ne  rentra  chez  elle  que  pour  éconduire  Du- 
perret qui  l'accompagnait,  sortit  sur-le-champ,  et  se 
fit  indiquer  le  Palais-Royal.  Dans  ce  jardin  plein  de 
soleil,  égayé  d'une  foule  riante,  et  parmi  les  jeux 
des  enfants,  elle  chercha,  trouva  un  coutelier,  et 


m  tk  maimm 

acheta  qoàrà&tD  souti  uii  côuteati,  ft&ïi  émoulu,  à 

Oiàiiche  d'êbèné,  t|U*éll6  câôha  âôtii  É(m  ficbu. 

I.ft  voilà  en  {tos^eisiôft  dé  mu  armé  i  èùmtnétit  i'éû 
servira^t-éllë?  Elle  eût  voulu  admet  Une  gi^tldé 
SOléOtlité  à  l'ètécutiofl  du  jugétfieât  ({ti"é\e  ftVâit 
pmé  aûf  Mafat.  Sa  première  idée ,  Celle  qu'elle 

eonçiit  à  caen,  qu'elle  <!ôuva,  qu'elle  apiK)rtfl  à  PaHs, 

dit  été  d'utie  itlise  eâ  scène  salsi^si&titè  et  dratriatiqde. 
Elle  voulait  le  frapper  au  Cbamp-de-Mars,  paf-délfttdt 
le  peuple,  par-devant  le  ciel,  ^  la  SOleUtlité  du  14 

juillet,  putilr,  au  jour  atitiiveriâire  de  la  défaite  dé  la 
royauté.  Ce  roi  de  l'afiarcbie.  Elle  eât  ace6inpli  à  la 
lettre,  en  vraie  nièce  de  Corueilie,  les  fauieux  ters 

de  Cinliâ  : 

Deitiaift  âb  Géipitèilë  It  ftttt  tiA  Méfitide... 
Qu'il  en  Mit  la  tictitnë,  et  ftli««Us  «il  m  lieitl 
Justice  au  m»Bd«  enUer,  à  1»  foce  d«t  Dieux. 

La  fête  étaut  ajournée^  elle  adoptait  une  «utft 
idée,  celle  d@  pUnlr  Marat  au  lieu  ffiôme  de  im 
ofioM,  au  lieu  oh,  brisant  la  repfésehtatiot)  tiatidoMl», 

il  avait  dicté  le  tote  de  la  GonteutiOn^  dédl^Ué  emï-êi 

pour  la  vie^  coux'^lb  pour  la  mort.  Elle  l'aurait  ffappê 

au  sommet  de  la  Moûtague.  Mais  Mâfat  était  mâladd{ 
il  û' allait  plus  à  l'Assemblée. 

Il  follait  doue  aller  obe^  liti$  le  êberober  à  soft 
foy«r,  y  péttétfer  k  tmvers  la  surveillance  inquiète  dé 
coufc  qui  l'efltouraièut;  il  fallait^  eh6se  péfiibie^  êtt^ 
trer  eti  tappdrt  avee  lai^  lé  (fOtiipef.  C'est  fa  setilè 


flE  «AltAt.  41» 

chose  qtii  lili  ait  coûté,  qui  lui  Ait  laissé  Utl  scrapule 
et  ilil  fedldi'dâ. 

hé  premlef  billet  qu'elle  écrivit  à  Mai^t  resta  sâos 
répotise.  Elle  êû  éùfitit  alors  m  secdtid,  où  se  mar- 
qué une  sorte  d'impatience,  le  progrés  de  la  passiou. 
Elle  ta  jusqu'à  dire  i  «  Qu'elle  lut  révélera  des  se^ 
erets;  qu'elle  est  persécutée,  qu'elle  est  tbalheu^- 
reusé...  »,  m  craigtiatit  poitit  d'abuser  de  la  pitié 
pour  tfOMper  celui  qu'elle  coudauitiait  k  mort  comme 
impitôfabiê,  comme  ennemi  de  rbumauitë. 

Elle  n'eut  pas  bosoiu,  du  reste,  dé  commettre 
cette  faute  ;  elle  he  remit  poiût  le  billet. 

Lé  soir  du  là  Juillet,  à  sept  heures,  elle  sortit  de 
cbe2  elle,  prit  urte  voiture  publique  à  la  place  des 
Victoires,  et,  traversant  le  Pont-Neuf,  desceudit  kta 

porte  de  Marat,  fue  des  COfdeliérs,  0*  âO  (aujour- 
d'hui rue  de  l'Ecole-de^Médecitie,  a*  18}.  C'est  la 
gf^ude  et  triste  maisoû,  avant  celle  de  la  tourelle 

qui  fait  le  coin  de  la  riié. 

Marat  demeurait  k  l'étage  le  plus  sombre  de  cette 
sombre  miSisoû,  au  premier ,  étage  commode  pour  lé 
fflouvement  du  journaliste  el  du  tributi  populaire, 

dont  la  maison  est  publique  âUtàtit  qUe  la  rUé,  pottr 

l'afûtténce  des  porteurs,  âfËchèurs,  le  ta^et^vlent  des 
épreuves,  uu  moude  d'allants  et  veuauts.  L'Intérieur, 
rameuMement  prêseûtaicnt  uo  bigarre  contraste, 
fidiie  image  des  dissonaticés  qui  caraetérisaiefit 
Bfarat  et  sa  destiaée.  Les  pièces  fort  obscures  qtii 
étaieut  sur  la  cour,  gâfuies  de  vieux  meublés,  dô 
tables  sales  oit  l'ofi  pliait  les  jourûauf ,  doiitiâiem 


|(tO  LÀ  MAISON 

ridée  il' un  triste  logement  d'ouvrier.  Si  vous  péné- 
triez plus  loin,  vous  trouviez  avec  surprise  un  petit 
salon  sur  la  rue,  meublé  en  damas  bleu  et  blanc, 
couleurs  délicates  et  galantes,  avec  de  beaux  rideaux 
de  soie  et  des  vases  de  porcelaine,  ordinairement  gar- 
nis de  fleurs.  C'était  visiblement  le  logis  d'une  femme, 
d'une  femme  bonne,  attentive  et  tendre,  qui,  soi- 
gneuse, parait  pour  l'homme  voué  à  ce  mortel  tra- 
vail le  lieu  du  repos.  C'était  là  le  mystère  de  la  vie 
de  Marat,  qui  fut  plus  tard  dévoilé  par  sa  sœur  ;  il 
n'était  pas  chez  lui,  il  n'avait  pas  de  chez  lui  en  ce 
monde.  c<  Marat  ne  faisait  point  ses  frais  (c'est  sa  sœur 
Âlbertine  qui  parle);  une  femme  divine,  touchée  de 
sa  situation,  lorsqu'il  fuyait  de  cave  en  cave,  avait 
pris  et  caché  chez  elle  l'Ami  du  peuple,  lui  avait 
voué  sa  fortune,  immolé  son  repos.  » 

On  trouva  dans  les  papiers  de  Marat  une  promesse 
de  mariage  a  Catherine  Evrard.  Déjà  il  l'avait  épousée 
devant  le  soleil,  devant  la  nature. 

Cette  créature  infortunée  et  vieillie  avant  l'âge  se 
consumait  d'inquiétude.  Elle  sentait  la  mort  au- 
tour  de  Marat  ;  elle  veillait  aux  portes,  elle  arrêtait 
au  seuil  tout  visage  suspect. 

Celui  de  mademoiselle  Corday  était  loin  de  l'être  ; 
sa  mise  décente  de  demoiselle  de  province  prévenait 
pour  elle.  Dans  ce  tempsoù  toute  chose  était  extrême, 
où  la  tenue  des  femmes  était  ou  négligée  ou  cynique^ 
la  jeune  fille  semblait  bien  de  bonne  vieille  roche  nor- 
mande, n'abusant  point  de  sa  beauté^  contenant  par  un 
ruban  vert  sa  chevelure  superbe  sous  le  bonnet  connu 


DE  MÀRAT.  161 

des  femmes  du  Calvados,  coiffure  modeste,  moins 
triomphale  que  celle  des  dames  de  Gaux.  Contre 
l'usage  du  temps,  malgré  une  chaleur  de  juillet,  son 
sein  était  sévèrement  recouvert  d'un  fichu  de  soie 
qui  se  renouait  solidement  derrière  la  taille.  Elle  avait 
une  robe  blanche^  nul  autre  luxe  que  celui  qui 
recommande  la  femme,  les  dentelles  du  bonnet 
flottantes  autour  de  ses  joues.  Du  reste,  aucune 
pâleur,  des  joues  roses,  une  voix  assurée,  nul  signe 
d'émotion. 

Elle  franchit  d'un  pas  ferme  la  première  barrière, 
ne  s' arrêtant  pas  à  la  consigne  de  la  portière,  qui  la 
rappelait  en  vain.  Elle  subit  l'inspection  peu  bien- 
veillante de  Catherine,  qui,  au  bruit,  avait  entr'ou-^ 
vert  la  porte  et  voulait  Tempôcher  d'entrer.  Ce  débat 
fut  entendu  de  Marat,  et  les  sons  de  cette  voix  vi- 
brante, argentine,  arrivèrent  à  lui.  Il  n'avait  nulle 
horreur  des  femmes,  et,  quoique  au  bain,  il  ordonna 
impérieusement  qu'on  la  fit  entrer. 

La  pièce  était  petite,  obscure.  Marat  au  bain,  re- 
couvert d'un  drap  sale  et  d'une  planche  sur  laquelle 
il  écrivait,  ne  laissait  passer  que  la  tête,  les  épaules  et 
le  bras  droit.  Ses  cheveux  gras,  entourés  d'un  mou- 
choir ou  d'une  serviette,  sa  peau  jaune  et  ses  membres 
grêles,  sa  grande  bouche  balrachienne,  ne  rappe- 
laient pas  beaucoup  que  cet  être  fût  un  homme. 
Du  reste,  la  jeune  fille ,  on  peut  bien  le  croire , 
n'y  regarda  pas.  Elle  avait  promis  des  nouvelles 
de  la  Normandie  ;  il  les  demanda,  les  noms  surtout 
des  députés  réfugiés  à  Caen  ;  elle  les  nomma,  et  il 

VI.  il 


162  S4  MORT.  ' 

écrivait  à  mesure.  Puis,  ayant  fini  ;  ^  C'est  bon  I  dans 
huit  jours  ils  iront  à  la  guilli^tiDe.  » 

Chariot  te,  ayant  dans  ces  mots  trouvé  un  superolt 
de  force,  une  raison  pour  frapper^  tira  de  son  sein  le 
couteau,  et  le  plongea  tout  entier  jusqu'au  manche 
au  cœur  de  Marat«  Le  coup^  tombant  ainsi  d'en  haut, 
et  frappé  avec  une  assurance  extraordinaire^  passa 
près  de  la  clavicule,  traversa  tout  le  poumon^  ouvrit 
le  tronc  des  carotides  et  tout  un  fleuve  de  sang* 

ce  A  moi  !  ma  chère  amie  !  )>  C'est  tout  ce  qu'il  put 
dire,  et  il  expira. 


CHAPITRE  IV. 

MORT  DE  CHARLOTTE  CORDAY. 

(19  Juillet  95.) 


Inlerrogftoire  de  Ch^rlotU;  Corda^.— CliarloUe  Corday  en  prisQQ.— Charlç^e 
Corday  aa  tribanal.— Ses  derniers  moments.— Son  exécution  (10  juillet  03). 
—La  reliftoB  en  poignard. 


La  femme  entre,  le  commissionnaire...  Il§  trou- 
vent Charlotte,  debout  et  comme  pétrifiée,  prè?  (|e 
la  fenêtre...  L'homme  lui  lance  un  coup  de  chaise 
à  la  tête,  barre  la  porte  pour  qu'elle  ne  sorte.  Mais 
elle  ne  bougeait  pas.  Aux  cris,  les  voisins  accotir 
rent,  les  quartiers,  tous  les  passants.  On  appelle  le 
chirurgien,  qui  ne  trouve  plus  qu'  un  mort.  Cependî^nt 
la  garde  nationale  avait  empêché  qu'on  ne  mît  Char- 
lotte en  pièces;  on  lui  tenait  les  deux  mains.  Elle  Qp 
songeait  çuère  à  3' en  servir^  Immobile^  elle  regftr** 


164  INTERROGATOIRES 

dait  d'un  œil  terne  et  froid.  Un  perruquier  du  quar- 
tier, qui  avait  pris  le  couteau,  le  brandissait  en 
criant.  Elle  n'y  prenait  pas  garde.  La  seule  chose 
qui  semblait  l'étonner,  et  qui  (  elle  l'a  dit  elle- 
même)  la  faisait  souffrir,  c'étaient  les  cris  deCatherine 
Marat.  Elle  lui  donnait  la  première  et  pénible  idée  : 
<  qu'après  tout,  Marat  était  homme.  »  Elle  avait 
l'air  de  se  dire  :  <  Quoi  donc!  il  était  aimé!  ». 

Le  commissaire  de  police  arriva  bientôt,  à  sept 
heures  trois  quarts,  puis  les  administrateurs  de 
police,  Louvet  et  Marino ,  enfin  les  députés  Maure, 
Chabot,  Drouet  et  Legendre,  accourus  de  la  Con- 
vention pour  voir  le  monstre.  Ils  furent  bien  étonnés 
de  trouver  entre  les  soldats,  qui  tenaient  ses  mains, 
une  belle  jeune  demoiselle,  fort  calme,  qui  répondait 
à  tout  avec  fermeté  et  simplicité ,  sans  timidité,  sans 
emphase  ;  elle  avouait  même  qu'elle  eût  échappé,  si 
elle  l'eût  pu.  Telles  sont  les  contradictions  de  la 
nature.  Dans  une  Adresse  aux  Français  qu'elle  avait 
écrite  d'avance,  et  qu'elle  avait  sur  elle,  elle  disait 
qu'elle  voulait  périr ^  pour  que  sa  tête,  portée  dans 
Paris,  servit  de  signe  de  ralliement  aux  amis  des 
lois. 

Autre  contradiction.  Elle  dit  et  écrivit  qu'elle 
espérait  mourir  inconnue.  Et  cependant  on  trouva 
sur  elle  son  extrait  de  baptême  et  son  passeport,  qtii 
devaient  la  faire  reconnaître. 

Les  autres  objets  qu'on  lui  trouva  faisaient  con- 
naître parfaitement  toute  sa  tranquillité  d'esprit^ 
c'étaient  ceux  qu'emporte  une  femme  soigneuse,  qui 


DE  CHARLOTTE  GORDAY.  163 

a  des  habitudes  d'ordre.  Outre  sa  clef  et  sa  montre, 
son  argent,  elle  avait  un  dé  et  du  fil,  pour  réparer 
dans  la  prison  le  désordre  assez  probable  qu'une 
arrestation  violente  pouvait  faire  dans  ses  babits. 

Le  trajet  n'était  pas  long  jusqu'à  l'Âbbaye,  deux 
minutes,  à  peine.  Mais  il  était  dangereux.  La  rue 
était  pleine  d'amis  de  Marat,  de  cordeliers  furieux , 
qui  pleuraient,  hurlaient  qu'on  leur  livrât  l'assassin. 
Charlotte  avait  prévu,  accepté  d'avance  tous  les 
genres  de  mort,  excepté  d'être  déchirée.  Elle  faiblit, 
dit-on,  un  instant,  crut  se  trouver  mal.  On  attei- 
gnit  l'Abbaye. 

Interrogée  de  nouveau  dans  la  nuit  par  les  mem- 
bres du  Comité  de  sûreté  générale  et  par  d'autres 
députés,  elle  montra  non-seulement  de  la  fermeté, 
mais  de  l'enjouement.  Legendre,  tout  gonflé  de  son 
importance,  et  se  croyant  naïvement  digne  du  mar- 
tyre, lui  dit  :  «  N'était-ce  pas  vous  qui  étiez  venu 
hier  chez  moi  en  habit  de  religieuse?  » — «  Le  ci- 
toyen se  trompe,  dit-elle  avec  un  sourire.  Je  n'esti- 
mais pas  que  sa  vie  ou  sa  mort  importât  au  salut  de 
la  République.» 

Chabot  tenait  toujours  sa  montre  et  ne  s'en  dessai- 
sissait pas. . .  a  J'avais  cru,  dit-elle,  que  les  capucins 
faisaient  vœu  de  pauvreté.  » 

Le  grand  chagrin  de  Chabot  et  de  ceux  qui  l'in- 
terrogèrent, c'était  de  ne  trouver  rien,  ni  sur  elle,  ni 
dans  ses  réponses,  qui  pût  faire  croire  qu'elle  était 
envoyée  par  les  Girondins  de  Caen.  Dans  l'interro- 
gatoire de  nuit,  cet  impudent  Chabot  soutint  qu'elle 


J6C  CHARLOTTE  CORDAY 

avait  encore  un  papier  caché  dans  son  sein,  et,  profi- 
tant lâchement  de  ce  qu'elle  avait  les  mains  gàrtollées, 
il  mettait  la  main  sur  elle  ;  il  eût  trouvé  sans  nul  doute 
ce  qui  n'y  était  pas ,  le  manifeste  de  la  Gironde.  Toute 
liée  qu'elle  était,  elle  le  repoussa  vivement;  elle  se 
jeta  en  arrière  avec  tant  de  violence,  que  ses  cor- 
dons en  rompirent,  et  qu^on  put  voir  un  moment  ce 
chaste  et  héroïque  sein.  Tous  furent  attendris.  On  la 
délia  pour  qu'elle  pût  se  rajuster.  On  lui  permit 
aussi  de  rabattre  ses  manches  et  de  mettre  des  gants 
sous  ses  chaînes. 

Transférée  le  16  au  matin  de  l'Abbaye  à  la  Con- 
ciergerie, elle  y  écrivit  le  soir  une  longue  lettre  à 
Barbaroux,  lettre  évidemment  calculée  pour  mon- 
trer par  son  enjouement  (qui  attriste  et  qui  fait  tnal) 
une  parfaite  tranquillité  d'âme.  Dans  cette  lettre, 
qui  ne  pouvait  manquer  d*être  lue,  répandue  dans 
Paris  lé  lendemain ,  et  qui ,  malgré  sa  forme  fami- 
lière, a  la  portée  d'un  manifeste,  elle  fait  croire  que 
les  volontaires  de  Caen  étaient  ardents  et  nombreux. 
Elle  ignorait  encore  la  déroute  de  Vernon. 

Ce  qui  semblerait  indiquer  qu'elle  était  moins 
calme  qu'elle  n'affectait  de  l'être,  c'est  que  par 
quatre  fois  elle  revient  sur  ce  qui  motive  et  excusé 
son  acte  :  La  Paix,  le  désir  de  la  Paix.  La  lettre 
est  datée  :  Du  second  jour  de  la  préparation  de  la 
Paix.  Et  elle  dit  vers  le  milieu  :  «  Puisse  la  Paît 
s'établir  aussitôt  que  je  le  désire!...  Je  jouis  dé  là 
Paix  depuis  deux  jours.  Le  bonheur  de  mon  pays  fait 
le  fnien.  » 


EN  PRISON.  *  167 

Elle  écrivit  à  son  père,  pour  lui  demander  par- 
don d'atoir  dispoëé  de  sa  vi65  et  elle  lui  eita  ce 
ver»  t 

Le  tttmt  fait  là  honU,  et  nen  pat  Téchàfaud. 

Elle  avait  écrit  aussi  à  un  jeune  député,  neveu 
de  Tabbesse  de  Caen ,  Doulcet  de  Poniécoulant ,  un 
Oirondin  prudent  qui,  dit  Charlotte  Gorday,  siégeait 
im  la  Montagne.  Elle  le  prenait  pour  défenseur. 
Doulcet  ne  couchait  pas  ches^  lui ,  et  la  lettre  ne  le 
trouva  pas. 

8i  j'en  croîs  une  note  précieuse,  transmise  par  la 
famille  du  peintre  qui  la  peignit  en  prison ,  elle  avait 
fait  faire  nû  bonnet  exprès  ponr  son  jugement.  C'est 
ee  qui  explique  pouquoi  elle  dépensasse  francs  dans 
sa  captivité  si  courte. 

Quel  serait  le  système  de  raccûsation  T  les  autori- 
tés de  Paris,  dans  une  proclamation,  attribuaient  le 
crime  auœ  fédéralistes,  et  en  même  temps  disaient  : 
(c  Que  cette  furie  élait  sortie  de  la  maison  du  cî^ 
devant  comte  Dorset.  »  Fouquier^Tinville  écrivait 
au  Comité  de  sûreté  :  Qu*il  venait  d'être  inforrhé 
qu'elle  était  amie  de  Belzunce,  qu'elle  avait  voulu 
venger  Belzunce,  et  son  parent  Biron ,  récemment 
dénoncé  par  Marat,  que  Barbaroux  l'avait  poussée, 
etc.  Bioman  absurde,  dont  il  n'osa  pas  même  parler 
dans  son  réquisitoire. 

Le  public  ne  s'y  trompait  pas.  Tout  le  monde  com- 
prit qu'elle  était  seule ,  qu'elle  n'avait  eu  de  conseils 


168  CHARLOTTE  GORDAY 

que  celui  de  son  courage,  de  son  dévouement,  de 
son  fanatisme.  Les  prisonniers  de  l'Âbbaye,  de  la 
Conciergerie,  le  peuple  même  des  rues  (sauf  les  cris 
du  premier  moment),  tous  la  regardaient  dans  le 
silence  d'une  respectueuse  admiration.  «  Quand  elle 
apparut  dans  l'auditoire,  dit  son  défenseur  officieux, 
Ghauveau-Lagarde,  tous,  juges,  jurés  et  spectateurs, 
ils  avaient  Vair  de  la  prendrepour  un  juge  qui  les  aurait 
appelés  au  tribunal  suprême...  Ou  a  pu  peindre  ses 
traits,  dit-il  encore,  reproduire  ses  paroles;  mais  nul 
art  n'eût  peint  sa  grande  âme ,  respirant  tout  entière 
dans  sa  physionomie...  L'effet  moral  des  débats  est 
de  ces  choses  qu'on  sent,  mais  qu'il^  est  impossible 
d'exprimer.  » 

Il  rectifie  ensuite  ses  réponses,  habilement  défi- 
gurées, mutilées,  pâlies  dans  le  Moniteur.  Il  n'y  en  a 
pas  qui  ne  soit  frappée  au  coin  des  répliques  qu'on 
lit  dans  les  dialogues  serrés  de  Corneille. 

«  Qui  vous  inspira  tant  de  haine? — Je  n'avais  pas 
besoin  de  la  haiiie  des  autres;  j'avais  assez  de  la 
mienne.  » 

«  Cet  acte  a  dû  vous  être  suggéré?  —  On  exécute 
mal  ce  qu'on  n'a  pas  conçu  soi-même.  » 

«  Que  haïssiez-vous  en  lui? — Ses  crimes.  » 

«  Qu'entendez-vous  par  là  ? — Les  ravages  de  la 
France.  » 

«  Qu'espériez-vousen  le  tuant? — Rendre  la  paix 
à  mon  pays.  » 

«  Croyez-vous  donc  avoir  tué  tous  les  Maratî— 
Celui-là  mort,  les  autres  auront  peur,  peut-être.  y> 


AU  TRIBUNAL.  169 

a  Depuis  quand  aviez-vous  formé  ce  dessein? — 
Depuis  le  31  mai,  où  Ton  arrêta  ici  les  représentauts 
du  peuple.  » 

Le  président,  après  une  déposition  qui  la  charge  : 
«  Que  répondez-vous  à  cela? — Rieu,  sinon  que  j'ai 
réussi.  » 

Sa  véracité  ne  se  démentit  qu'en  un  point.  Elle 
soutint  qu'à  la  revue  de  Gaen,  il  y  avait  trente  mille 
hommes.  Elle  voulait  faire  peur  à  Paris. 

Plusieurs  réponses  montrèrent  que  ce  cœur  si  ré- 
solu n'était  pourtant  nullement  étranger  à  la  nature. 
Elle  ne  put  entendre  jusqu'au  bout  la  déposition  que 
la  femme  Marat  faisait  à  travers  les  sanglots  ;  elle  se 
hâta  de  dire  :  «  Oui,  c'est  moi  qui  l'ai  tué,  » 

Elle  eut  aussi  un  mouvement,  quand  on  lui  montra 
le  couteau.  Elle  détourna  la  vue,  et  Téloignant  de  la 
main,  elle  dit  d'une  voix  entrecoupée  :  ce  Oui,  je  le 
reconnais,  je  le  reconnais..  •  d 

Fouquier-Tinville  fit  observer  qu'elle  avait  frappé 
d'en  haut,  pour  ne  pas  manquer  son  coup  ;  autre- 
ment elle  eût  pu  rencontrer  une  côte  et  ne  pas  tuer; 
et  il  ajouta  :  a  Apparemment,  vous  vous  étiez  d'avance 
bien  exercée...  » 

«  Oh  !  le  monstre  !  s'écria-t-elle.  Il  me  prend  pour 
un  assassin  !  » 

Ce  mot,  dit  Chauveau-Lagarde,  fut  comme  un 
coup  de  foudre.  Les  débats  furent  clos»  Ils  avaient 
duré  en  tout  une  demi-heure. 

Le  président  Montané  aurait  voulu  la  sauver.  Il 
changea  la  question  qu'il  devait  poser  aux  jurés,  se 


170  SRS  DEUNIEUS 

contentant  de  demander  :  «  L'a-t-elle  fait  avefc  pré- 
inédîtatîon  t  »  et  supprimant  la  seconde  moitié  de  la 
formule  ;  «  avec  dessein  criminel  et  contre-révolu- 
tionnaire î  »  Ce  qui  lui  valut  à  lui-même  son  arresta- 
tion, quelques  joiirs  après. 

Le  président  pour  la  sauver,  les  jurés  pourThli- 
tifiilier,  auraient  voulu  que  le  défenseur  la  présentât 
comtïie  folié.  Il  la  regarda  et  lut  dans  ses  yeux.  Il  la 
servit  comme  elle  voulait  l'être,  établissant  la  longvc 
préméditation  y  et  qUe  pour  toute  défense  elle  ne  vou- 
lait pas  être  défendue.  Jeune  et  mis  àU-dessus  de 
lui-même  par  Taspect  de  ce  grand  courage,  il  ha*- 
sarda  cette  parole  (qui  touchait  de  près  Vêchafaud)  : 
«  Ce  calme  et  cette  abnégation,  sublimes  sous  un 
rapport..,  » 

Après  la  condamnation,  elle  se  fit  conduire  au 
jeune  avocat,  et  lui  dit,  avec  beaucoup  de  grâce, 
qu'elle  le  remerciait  de  cette  défense  délicate  et 
géùéreUse,  qu'elle  voulait  lui  donner  une  pwuve  de 
son  estime  :  «  Ces  mejsîéurs  viennent  de  m'appren-- 
dfê  que  *ne*  biens  sont  confisqués  ;  je  dois  quelque 
chose  à  la  prison,  je  vous  charge  d'acquitter  tnà 
dette.  » 

Redescendue  de  là  salle  par  le  sombre  escalier 
tournant  dans  les  cachots  qui  sont  dessous,  elle  sourit 
à  ses  compagnons  de  prison  qui  la  regardaient  pas- 
ser, et  s'excusa  prés  du  concierge  Richard  et  de 
sa  femme,  avec  qui  elle  avait  promis  de  déjeuner. 
Elle  reçut  la  visite  d'un  prêtre  qui  lui  offrait  son 
ministère ,  et  réconduisit  poliment  :  u  Remerciez 


MOMENTS.  171 

pour  moi,  dit-^IIO)  lespersonned  qui  votis  ont  en- 
voyé. j> 

Elle  avait  remarqué  pendant  Taudience  qu'un 
peintre  essayait  dé  saisir  ses'  traits,  et  la  regardait 
âve(5  un  vif  intérêt.  Elle  s'était  tournée  vers  lui.  Elle 
lé  fit  Appeler  après  le  jugement,  et  lui  donna  les  der- 
niers moments  qui  lui  restaient  avant  Texécution.  Le 
peintre,  M.  Hauer,  était  commandant  eu  second  du 
bataillon  des  Oordeliers.  11  dut  à  ce  titre  peut-être 
la  faveur  qu'on  lui  fit  de  le  laisser  près  d'elle,  sans 
autre  témoin  qu'un  gendarme.  Elle  causa  fort  tran- 
quillement avec  lui  de  choses  indifférentes,  et  aussi 
de  rêvénement  du  jour,  de  la  paix  morale  qu'elle 
sentait  eu  elle-même.  Elle  pria  M.  Hauer  de  copier  le 
portrait  en  petit,  et  de  l'envoyer  à  sa  famille. 

Au  bout  d'une  heure  et  demie,  on  frappa  douce- 
ment à  une  petite  porte  qui  était  derrière  elle.  On 
Ouvrit,  le  bourreau  entra.  Charlotte  se  retournant  vit 
lés  ciseaux  et  la  chemise  rouge  qu'il  portait.  Elle  ne 
put  se  défendre  d'une  légère  émotion,  et.dît  involon- 
tairement :  «  Quoi  !  déjà  !  »  Elle  se  remit  aussitôt,  el 
s'adressant  à  M.  Hauer  :  «  Monsieur,  dit-elle,  je  ne 
sais  comment  vous  remercier  du  soin  que  vous  avez 
pris  ;  je  n'ai  que  ceci  à  vous  offrir,  ^rdez-le  en  mé- 
moire de  moi.  1»  En  même  temps,  elle  prit  les  ciseaux, 
coupa  une  belle  boucle  de  ses  longs  cheveux  blond- 
cendré,  qui  s'échappaient  de  son  bonnet,  et  la  remit 
à  M.  Hauer.  Les  gendarmes  et  le  bourreau  étaient 
três-émus. 

Au  moment  où  elle  monta  sur  la  charrette,  où  la 


1 7:2  SON 

foule,  animée  de  deux  fanatismes  contraires,  de  fu- 
reur ou  d'admiration,  vit  sortir  de  la  basse  arcade  de 
la  Conciergerie  la  belle  et  splendide  victime  dans  son 
manteau  rouge,  la  nature  sembla  s'associer  à  la  pas- 
sion humaine ,  un  violent  orage  éclata  sur  Paris.  Il 
dura  peu,  sembla  fuir  devant  elle,  quand  elle  apparut 
au  Pont-Neuf  et  qu'elle  avançait  lentement  par  la 
rue  Saint-Honoré.  Le  soleil  revint  haut  et  fort;  il 
n'était  pas  sept  heures  du  soir  (19  juillet).  Les  re- 
flets de  l'étoffe  rouge  relevaient  d'une  manière 
étrange  et  toute  fantastique  l'effet  de  son  teint,  de 
ses  yeux. 

On  assure  que  Robespierre ,  Danton ,  Camille 
Desmoulins,  se  placèrent  sur  son  passage  et  la  regar- 
dèrent. Paisible  image,  mais  d'autant  plus  terrible, 
de  la  Némésis révolutionnaire,  elle  troublait  les  cœurs, 
les  laissait  pleins  d'étonnement. 

Les  observateurs  sérieux  qui  la  suivirent  jusqu'aux 
derniers  moments,  gens  de  lettres,  médecins,  furent 
frappés  d'une  chose  rare;  les  condamnés  les  plus 
fermes  se  soutenaient  par  l'animation,  soit  par  des 
chants  patriotiques,  soit  par  un  appel  redoutable 
qu'ils  lançaient  à  leurs  ennemis.  Elle  montra  un 
calme  parfait,  parmi  les  cris  de  la  foule,  une  sérénité 
grave  et  simple  ;  elle  arriva  à  la  place  dans  une 
majesté  singulière,  et  comme  transfigurée  dans  l'au- 
réole du  couchant. 

Un  médecin  qui  ne  la  perdait  pas  de  vue  dit 
qu'elle  lui  sembla  un  moment  pâle,  quand  elle  aper- 
çut le  couteau.  Mais  ses  couleurs  revinrent,  elle 


EXÉCUTION  (i9  JUILLET  95).  173 

monta  d'un  pas  ferme.  La  jeune  fille  reparut  en  elle 
au  moment  où  le  bourreau  lui  arracha  son  fichu  ;  sa 
pudeur  en  souffrit,  elle  abrégea,  avançant  d'elle- 
même  au-  devant  de  la  mort. 

Au  moment  où  la  tête  tontba,  un  charpentier  niara- 
tiste  qui  servait  d'aide  au  bourreau,  l'empoigna  bruta- 
lement, et,  la  montrant  au  peuple,  eut  la  férocité  indi- 
gne de  la  souffleter.  Un  frisson  d'horreur,  un  mur- 
mure parcourut  la  place.  On  crut  voir  la  tête  rougir. 
Simple  effet  d'optique  peut-être  ;  la  foule  troublée 
à  ce  moment  avait  dans  les  yeux  les  rouges  rayons 
du  soleil  qui  perçait  les  arbres  des  Champs-Elysées. 

La  commune  de  Paris  et  le  tribunal  donnèrent 
satisfaction  au  sentiment  public,  en  mettant  F  homme 
en  prison. 

Parmi  les  cris  des  maratistes,  infiniment  peu  nom- 
breux, l'impression  générale  avait  été  violente  d'admi- 
ration et  de  douleur.  On  peut  en  juger  par  Taudace 
qu'eut  la  Chronique  de  Paris,  dans  cette  grande  servi- 
tude de  la  presse,  d'imprimer  un  éloge,  presque  sans 
restriction,  de  Charlotte  Corday. 

Beaucoup  d'hommes  restèrent  frappés  au  cœur,  et 
n'en  sont  jamais  revenus.  On  a  vu  l'émotion  du  pré- 
sident, son  effort  pour  la  sauver,  l'émotion  de  l'avocat, 
jeune  homme  timide  qui  cette  fois  fut  au-*dessus  de 
lui-même.  Celle  du  peintre  ne  fut  pas  moins  grande. 
Il  exposa  cette  année  un  portrait  de  Marat,  peut- 
être  pour  s'excuser  d'avoir  peint  Charlotte  Corday. 
Mais  son  nom  ne  parait  plus  dans  aucune  exposition. 
Il  semble  n'avoir  plus  peint  depuis  cette  œuvre  fatale. 


i74  LA  RELIGION 

IJeiïei  de  cette  mort  fut  terrible  :  ce  ht  die  ï^\vg 
aimer  la  mort. 

Son  exemple,  cette  calme  intrépidité  d'une  fille 
charmante,  eut  un  effet  d'attractjon.  Plus  d'un  qui 
rayait  entrevue  mit  une  volupté  soïnbre  h  h  suivre, 
à  la  chercher  dans  les  mondes  inconnus.  Uu  jeune 
Allemand,  Adam  Lux,  envoyé  à  Paris  pour  demander 
la  réunion  de  Mayence  a  la  France,  ipiprim^  une 
brochure  où  il  demande  à  mourir  pour  rejoindre 
Charlotte Cord^y.  Cet  infortuné,  venu  ici  le  cœur  plein 
d*enthousiasme,  croyant  contempler  face  à  face  dans 
la  Révolution  française  le  pur  idéal  de  la  régénération 
humaine,  ne  pouvait   supporter  l'obscurcissement 
précoce  de  cet  idéal  ;  il  ne  comprenait  pas  les  trpp 
cruelles  épreuves  qu'entraîne  un  tel  enfantomeqt. 
Dans  ces  pensées  mélancoliques,  quand  la  liberté  lui 
semble  perdue,   il  la  voit,  c'est  Charlotte  Cqrday. 
Il  la  voit  au  tribunal  touchante,  admirable  d'intrépi- 
dité; il  la  voit  majestueuse  et  reine  sur  l'éçhafaud... 
Elle  lui  apparut  deux  fois. . .  Assez  !  il  a  bu  1^ 
mort. 

<i  Je  croyais  bien  à  son  courage,  dit-il,  mais  que 
(Jevins-je  quand  je  vis  toute  sa  douceur  parmi  les 
J^urlements  barbares,  ce  regard  pénétrant,  ces  vives 
et  humides  étincelles  jaillissant  de  ces  beaux  yeu}(, 
où  parlait  une  âme  tendre  autant  qu'intrépide  !.. 
0  souvenir  immortel  I  émotions  douces  et  amères  que 
je  n'avais  jamais  connues!...  Elles  soutiennent  en  mqi 
Vamour  de  cette  Patrie  pour  laquelle  elle  voulut 
mourir,  et  dont,  par  adoption,  moi  aussi  je  suis  le  fil^. 


^U  POICfN^RD,  175 

Qu'iii^  ^)'boQoreot  piaintepaiH  dô  leur  guillotine^  elle 
n'ei^t  plus  qu'uD  s^utel  1  ^ 

Ame  pure  et  mainte,  ciBur  mystique,  il  adore  CbftF- 
lotte  Çord^y,  et  il  n'adorç  point  le  meurtre, 

f  On  a  droit  sans  doute^  dit-il,  de  tuerrusqrpatQur 
et  le  tyran,  mais  tel  n'était  point  Marat.  y> 

Remarquable  douceur  d'âme.  Elle  contraste  forte- 
ment avec  la  violence  d'un  grand  peuple  qui  devint 
amoureux  de  l'assassinat.  Je  parle  du  peuple  giron- 
din et  môme  des  royalistes.  Leur  fureur  avait  besoin 
d'un  saint  et  d'une  légende.  Charlotte  était  un  bien 
autre  souvenir,  d'une  tout  autre  poésie ,  que  celui 
de  Louis  XVI,  vulgaire  martyr,  qui  n'eut  d'intéressant 
que  son  malheur. 

Une  religion  se  fonde  dans  le  sang  de  Charlotte 
Corday  :  la  religion  du  poignard. 

André  Chénier  écrit  un  hymne  à  la  divinité  nou- 
velle : 

0  verlu  !  le  poignard,  seul  espoir  de  la  terre, 
Est  ton  arme  sacrée  ! 

Cet  hymne^  incessamment  refait  en  tout  âge  et 
dans  tout  pays,  reparaît  au  bout  de  l'Europe  dans 
Y  Hymne  au  poignard,  de  Puschkine. 

Le  vieux  patron  des  meurtres  héroïques,  Brutus, 
pâle  souvenir  d'une  lointaine  antiquité,  se  trouve 
transformé  désormais  dans  une  divinité  nouvelle  plus 
puissante  et  plus  séduisante.  Le  jeune  homme  qui 
rêve  un  grand  coup,  qu'il  s'appelle  Alibaud  ou  Sand, 


160  CHARLOTTE  COUDAY 

avait  encore  un  papier  caché  dans  son  sein,  et,  profi- 
tant lâchement  de  ce  qu'elle  avait  les  mains  gâitoitées, 
il  mettait  la  main  sur  elle  ;  il  eût  trouvé  sans  nul  doute 
ce  qui  n'y  était  pas ,  le  manifeste  de  la  Gironde.  Toute 
liée  qu'elle  était,  elle  le  repoussa  vivement;  elle  se 
jeta  en  arrière  avec  tant  de  violence,  que  ses  cor- 
dons eti  rompirent,  et  qu^on  put  voir  un  moment  ce 
chaste  et  héroïque  sein.  Tous  furent  attendris.  On  la 
délia  pour  qu'elle  pût  se  rajuster.  On  lui  permit 
aussi  de  rabattre  ses  manches  et  de  mettre  des  gants 
sous  ses  chaînes. 

Transférée  le  16  au  matin  de  l'Abbaye  à  la  Con- 
ciergerie, elle  y  écrivit  le  soir  une  longue  lettre  à 
Barbaroux,  lettre  évidemment  calculée  pouf  mon- 
trer par  son  enjouement  (qui  attriste  et  qui  fait  mal) 
une  parfaite  tranquillité  d'âme.  Dans  cette  lettre, 
qui  ne  pouvait  manquer  d'être  lue,  répandue  dans 
Paris  le  lendemain ,  et  qui ,  malgré  sa  forme  fami- 
lière, a  la  portée  d'un  manifeste,  elle  fait  croire  que 
les  volontaires  de  Caen  étaient  ardents  et  nombreux. 
Elle  ignorait  encore  la  déroute  de  Vernon. 

Ce  qui  semblerait  indiquer  qu'elle  était  moins 
calme  qu'elle  n'affectait  de  l'être,  c'est  que  par 
quatre  fois  elle  revient  sur  ce  qui  motive  et  excuse 
son  acte  :  La  Paix,  le  désir  de  la  Paix.  La  lettre 
est  datée  :  Du  second  jour  de  la  préparation  de  la 
Paix.  Et  elle  dit  vers  le  milieu  :  «  Puisse  la  Pait 
s'établir  aussitôt  que  je  le  désire!...  Je  jouis  de  là 
Paix  depuis  deux  jours.  Le  bonheur  de  mon  pays  fait 
le  mien.  » 


EN  PRISON.  *  167 

Elit  écrivit  k  ton  père,  pour  lui  demander  par- 
don d'atoir  disposé  de  sft  vie,  et  elle  lui  cita  ce 
ver»  : 

Le  erime  fait  la  hotiU,  et  nen  pan  Tëchàfaud. 

Elle  avait  écrit  tusdi  à  un  jeune  député ,  neveu 
ie  Tabbesse  de  Gaen ,  Doulcet  de  Pontécoulant ,  un 
Girondin  prudent  qui,  dit  Charlotte  Gorday,  siégeait 
iUT  la  Montagne.  Elle  le  prenait  pour  défenseur. 
Doulcet  ne  couchait  pas  che2  lui^  et  la  lettfe  ne  lo 
trouva  pas. 

Si  j'en  croîs  une  note  précieuse,  transmise  par  la 
famille  du  peintre  qui  la  peignit  en  prison ,  elle  avait 
fait  faire  uo  bonnet  exprès  pour  son  jugement.  C'est 
ee  qui  explique  pouquoi  elle  dépensa  l36  francs  dans 
M  captivité  si  courte. 

Quel  serait  le  système  de  raccûsationî  les  autori^ 
té«  de  Paris,  dans  une  proclamation,  attribuaient  le 
erime  aux  fédéralistes,  et  en  même  temps  disaient  : 
a  Que  cette  furie  était  sortie  de  la  maison  du  ci- 
devant  comte  Dorset.  »  Fouquier^Tinville  écrivait 
au  Comité  de  sûreté  :  Qu'il  venait  d*être  infortné 
qu'elle  était  amie  de  Belzunce,  qu'elle  avait  voulu 
venger  Belzunce,  et  son  parent  Biron ,  récemment 
dénoncé  par  Marat,  que  Barbaroux  l'avait  poussée, 
etc.  Roman  absurde,  dont  il  n'osa  pas  même  parler 
dans  son  réquisitoire. 

Le  public  ne  s'y  trompait  pas.  Tout  le  monde  com- 
prit qu'elle  était  seule ,  qu'elle  n'avait  eu  de  conseils 


168  CHAKLOTTË  CORDAY 

que  celui  de  sod  courage,  de  son  dévouement,  de 
son  fanatisme.  Les  prisonniers  de  l'Âbbaye,  de  la 
Conciergerie,  le  peuple  môme  des  rues  (sauf  les  cris 
du  premier  moment),  tous  la  regardaient  dans  le 
silence  d'une  respectueuse  admiration.  «  Quand  elle 
apparut  dans  l'auditoire,  dit  son  défenseur  officieux, 
Ghauveau-Lagarde,  tous,  juges,  jurés  et  spectateurs, 
ils  avaient  Vair  de  la  prendrepour  un  juge  qui  les  aurait 
appelés  au  tribunal  suprême...  Ou  a  pu  peindre  ses 
traits,  dit-il  encore,  reproduire  ses  paroles;  mais  nul 
art  n'eût  peint  sa  grande  âme ,  respirant  tout  entière 
dans  sa  physionomie...  L'effet  moral  des  débats  est 
de  ces  choses  qu'on  sent,  mais  qu'il  est  impossible 
d'exprimer.  » 

Il  rectifie  ensuite  ses  réponses,  habilement  défi- 
gurées, mutilées,  pâlies  dans  le  Moniteur.  Il  n'y  en  a 
pas  qui  ne  soit  frappée  au  coin  des  répliques  qu'on 
lit  dans  les  dialogues  serrés  de  Corneille. 

«  Qui  vous  inspira  tant  de  haine? — Je  n'avais  pas 
besoin  de  la  baiiie  des  autres;  j'avais  assez  de  la 
mienne.  i> 

«  Cet  acte  a  dû  vous  être  suggéré?  —  On  exécute 
mal  ce  qu'on  n'a  pas  conçu  soi-même.  » 

«  Que  haïssiez-vous  en  lui? — Ses  crimes.  » 

ce  Qu'entendez-vous  par  là  ? — Les  ravages  de  la 
France.  » 

«  Qu'espériez-vousen  le  tuant? — Rendre  la  paix 
à  mon  pays.  » 

«  Croyez-vous  donc  avoir  tué  tous  les  Marat?— 
Celui-là  mort,  les  autres  auront  peur,  peut-êlre.  p 


AU  TKIBUNAL.  169 

«  Depuis  quand  aviez-vous  formé  ce  dessein? — 
Depuis  le  31  mai,  où  l'on  arrêta  ici  les  représentants 
du  peuple.  » 

Le  président,  après  une  déposition  qui  la  charge  : 
«  Que  répondez-vous  à  cela? — Rieu,  sinon  que  j'ai 
réussi.  » 

Sa  véracité  ne  se  démentit  qu  en  un  point.  Elle 
soutint  qu'à  la  revue  de  Gaen,  il  y  avait  trente  mille 
hommes.  Elle  voulait  faire  peur  à  Paris. 

Plusieurs  réponses  montrèrent  que  ce  cœur  si  ré- 
solu n'était  pourtant  nullement  étranger  à  la  nature. 
Elle  ne  put  entendre  jusqu'au  bout  la  déposition  que 
la  femme  Marat  faisait  à  travers  les  sanglots  ;  elle  se 
hâta  de  dire  :  «  Oui,  c'est  moi  qui  l'ai  tué.  » 

Elle  eut  aussi  un  mouvement,  quand  on  lui  montra 
le  couteau.  Elle  détourna  la  vue,  et  l'éloignant  de  la 
main,  elle  dit  d'une  voix  entrecoupée  :  a  Oui,  je  le 
reconnais,  je  le  reconnais...  d 

Fouquier-Tinville  fit  observer  qu'elle  avait  frappé 
d'en  haut,  pour  ne  pas  manquer  son  coup  ;  autre- 
ment elle  eût  pu  rencontrer  une  côte  et  ne  pas  tuer; 
et  il  ajouta  :  a  Apparemment,  vous  vous  étiez  d'avance 
bien  exercée...  » 

«  Oh!  le  monstre!  s'écria-t-elle.  Il  me  prend  pour 
un  assassin  !  » 

Ce  mot,  dit  Chauveau-Lagarde,  fut  comme  un 
coup  de  foudre.  Les  débats  furent  clos»  Ils  avaient 
duré  en  tout  une  demi-heure. 

Le  président  Montané  aurait  voulu  la  sauver.  Il 
changea  la  question  qu'il  devait  poser  aux  jurés,  se 


i7Ô  SKS  DERNIEUS 

Contentant  de  demander  :  «  L'a-t^elle  fait  avéfc  pré- 
niéditalîon  t  »  et  supprimant  la  seconde  moitié  dé  la 
formule  ;  «  avec  dessein  criminel  et  contre-rêvolu- 
tionhàîfe?  »  Ce  qui  lui  valut  h  lui-même  son  arresta- 
tion, quelques  jours  après. 

Le  président  pour  la  sauver,  les  jurés  pour  Thli- 
milier,  auraient  voulu  que  le  défenseur  la  présentât 
comtïie  folle.  Il  la  regarda  et  lut  dans  ses  yeux.  Il  la 
servit  comme  elle  voulait  l'être,  établissant  la  Umgvc 
préméditation^  et  que  pour  toute  défense  elle  né  vou- 
lait pas  être  défendue.  Jeune  et  mis  âti-dessiis  dé 
lui-même  par  Taspect  de  ce  grand  courage,  il  ha- 
sarda cette  parole  (qui  touchait  de  près  Véchafaud)  : 
«  Ce  calme  et  cette  abnégation,  sublimes  sous  un 
rapport..,  » 

Après  la  condamnation,  elle  se  fit  conduire  au 
jeune  avocat,  et  lui  dit,  avec  beaucoup  de  grâce, 
qu'elle  le  remerciait  de  cette  défense  délicate  et 
géfiéreiise,  qu'elle  voulait  lui  donner  une  pt^tivé  de 
son  estime  :  «  Ces  meisîéurs  viennent  de  m'appi^en-*- 
dfë  que  înes  biens  sont  confisqués  ;  je  dois  quelque 
chose  k  la  prison,  je  vous  charge  d'acquitter  tnà 
dette.  » 

Redescendue  de  la  salle  par  le  sombre  escalier 
tournant  dans  les  cachots  qui  sont  dessous,  elle  sourit 
à  ses  compagnons  de  prison  qui  la  regardaient  pas- 
ser, et  s^excusa  près  du  concierge  Richard  et  de 
sa  femme,  avec  qui  elle  avait  promis  de  déjeuner. 
Elle  reçut  la  visite  d'un  prêtre  qui  lui  offrait  son 
ministère ,  et  réconduisit  poliment  :  u  Remerciez 


MOMENTS.  171 

pour  mot,  dit^llO)  léspersonned  qui  vous  ont  ëfi* 
voyé.  j> 

Elle  avait  remarqué  pendant  Taudience  qu'un 
peintre  essayait  de  saisir  ses'  traits,  et  la  regardait 
àvee  un  vif  intérêt.  Elle  s'était  tournée  vers  lui.  Elle 
lé  fit  appeler  après  le  jugement,  et  lui  donna  les  der- 
niers moments  qui  lui  restaient  ayant  l'exécution.  Le 
peintre,  M.  Hauer,  était  commandant  en  second  du 
bataillon  de^  Oordeliers.  Il  dut  à  ce  titre  peut-être 
la  faveur  qu'on  lui  fit  de  le  laisser  près  d'elle,  sans 
autre  témoin  qu'un  gendarme.  Elle  causa  fort  traii- 
quilleraent  avec  lui  de  choses  indifférentes,  et  aussi 
de  Têvénement  du  jour,  de  la  paix  morale  qu'elle 
sentait  eu  elle-même.  Elle  pria  M.  Hauer  de  copier  le 
portrait  en  petit,  et  de  l'envoyer  à  sa  famille. 

Au  bout  d'une  heure  et  demie,  on  frappa  douce- 
ment à  une  petite  porte  qui  était  derrière  elle.  On 
ouvrit^  le  bourreau  entra.  Charlotte  se  retouriiant  vit 
leè  ciseaux  et  la  chemise  rouge  qu'il  portait.  Elle  ne 
put  se  défendre  d'une  légère  émotion,  et  .dît  involon- 
tairement :  i<  Quoi!  déjà!  »  Elle  se  remît  aussitôt,  el 
s'adressant  à  M.  Hauer  t  «  Monsieur,  dit-elle,  je  tic 
sais  comment  vous  remercier  du  soin  que  vdtis  avez 
pris  ;  je  n'ai  que  ceci  à  vous  offrir,  ^rdez-le  en  mé- 
moire de  moi.  »  En  même  temps,  elle  prit  les  ciseaux, 
coupa  une  belle  boucle  de  ses  longs  cheveux  blond- 
cendré,  qui  s'échappaient  de  son  bonnet,  et  la  remit 
à  M.  Hauer.  Les  gendarmes  et  le  bourreau  étaient 
très -émus. 

Au  moment  où  elle  monta  sur  la  charrette,  oiija 


1 7:2  SON 

foule,  animée  de  deux  fanatismes  contraires,  de  fu- 
reur ou  d'admiration,  vit  sortir  de  la  basse  arcade  de 
la  Conciergerie  la  belle  et  splendide  victime  dans  son 
manteau  rouge,  la  nature  sembla  s'associer  à  la  pas- 
sion humaine ,  un  violent  orage  éclata  sur  Paris.  Il 
dura  peu,  sembla  fuir  devant  elle,  quand  elle  apparut 
au  Pont-Neuf  et  qu'elle  avançait  lentement  par  la 
rue  Saint-Honoré.  Le  soleil  revint  haut  et  fort;  il 
n'était  pas  sept  heures  du  soir  (19  juillet).  Les  re- 
flets de  l'étoffe  rouge  relevaient  d'une  manière 
étrange  et  toute  fantastique  l'effet  de  son  teint,  de 
ses  yeux. 

On  assure  que  Robespierre ,  Danton ,  Camille 
Desmoulins,  se  placèrent  sur  son  passage  et  la  regar- 
dèrent. Paisible  image,  mais  d'autant  plus  terrible, 
de  la  Némésis révolutionnaire,  elle  troublait  les  cœurs, 
les  laissait  pleins  d'étonnement. 

Les  observateurs  sérieux  qui  la  suivirent  jusqu'aux 
derniers  moments,  gens  de  lettres,  médecins,  furent 
frappés  d'une  chose  rare;  les  condamnés  les  plus 
fermes  se  soutenaient  par  l'animation,  soit  par  des 
chants  patriotiques,  soit  par  un  appel  redoutable 
qu'ils  lançaient  à  leurs  ennemis.  Elle  montra  un 
calme  parfait,  parmi  les  cris  de  la  foule,  une  sérénité 
grave  et  simple  ;  elle  arriva  à  la  place  dans  une 
majesté  singulière,  et  comme  transfigurée  dans  l'au- 
réole du  couchant. 

Un  médecin  qui  ne  la  perdait  pas  de  vue  dit 
qu'elle  lui  sembla  un  moment  pâle,  quand  elle  aper- 
çut le  couteau.  Mais  ses  couleurs  revinrent,  elle 


EXÉCUTION  (i9  JUILLET  95).  173 

monta  d'un  pas  ferme.  La  jeune  fille  reparut  en  elle 
au  moment  où  le  bourreau  lui  arracha  son  fichu  ;  sa 
pudeur  en  souffrit,  elle  abrégea,  avançant  d'elle- 
même  au-  devant  de  la  mort. 

Au  moment  où  la  tête  tontba,  un  charpentier  niara- 
tiste  qui  servait  d'aide  au  bourreau,  l'empoigna  bruta- 
lement, et,  la  montrant  au  peuple,  eut  la  férocité  indi- 
gne de  la  souffleter.  Un  frisson  d'horreur,  un  mur- 
mure parcourut  la  place.  On  crut  voir  la  tête  rougir. 
Simple  effet  d'optique  peut-être  ;  la  foule  troublée 
à  ce  moment  avait  dans  les  yeux  les  rouges  rayons 
du  soleil  qui  perçait  les  arbres  des  Champs-Elysées. 

La  commune  de  Paris  et  le  tribunal  donnèrent 
satisfaction  au  sentiment  public,  en  mettant  T homme 
en  prison. 

Parmi  les  cris  des  maratistes,  infiniment  peu  nom- 
breux, l'impression  générale  avait  été  violente  d'admi- 
ration et  de  douleur.  On  peut  en  juger  par  Taudace 
qu'eut  la  Chronique  de  Paris,  dans  cette  grande  servi- 
tude de  la  presse,  d'imprimer  un  éloge,  presque  sans 
restriction,  de  Charlotte  Corday. 

Beaucoup  d'hommes  restèrent  frappés  au  cœur,  et 
n'en  sont  jamais  revenus.  On  a  vu  l'émotion  du  pré- 
sident, son  effort  pour  la  sauver,  l'émotion  de  l'avocat, 
jeune  homme  timide  qui  cette  fois  fut  au-dessus  de 
lui-même.  Celle  du  peintre  ne  fut  pas  moins  grande. 
Il  exposa  cette  année  un  portrait  de  Marat,  peut- 
être  pour  s'excuser  d'avoir  peint  Charlotte  Corday. 
Mais  son  nom  ne  parait  plus  dans  aucune  exposition. 
Il  semble  n'avoir  plus  peint  depuis  cette  œuvre  fatale. 


i74  LA  RELIGION 

IJeiïei  de  cette  mort  fut  terrible  :  ce  ht  de  Ew^e 
aimer  la  mort. 

Son  exemple,  cette  calme  intrépidité  d'une  fille 
charmante,  eut  un  effet  d'attraction.  Plus  d'un  qui 
rayait  entrevue  mit  une  volupté  soipbre  k  la  suivre, 
à  la  chercher  dans  les  mondes  inconnus.  Un  jeune 
Allemand,  Adam  Lux,  envoyé  à  Paris  pour  demander 
la  réunion  de  Mayence  à  la  France,  ipiprim^  une 
brochure  où  il  demande  à  mourir  pour  re^qiudrp 
Charlotte  Corday.  Cet  infortuné,  venu  ici  le  cœur  plein 
d'enthousiasme,  croyant  contempler  face  à  face  daus 
la  Révolution  française  le  pur  idéal  de  la  régénération 
humaine,  ne  pouvait   supporter  l'obscurcissement 
précoce  de  cet  idéal  ;  il  ne  comprenait  pas  les  trpp 
cruelles  épreuves  qu'entraîne  un  tel  enfantemeqt. 
Dans  ces  pensées  mélancoliques,  quand  la  IJNrté  lui 
semble  perdue,  il  la  voit,  c'est  Charlotte  Corday. 
Il  la  voit  au  tribunal  touchante,  admirable  d'intrépi- 
dité; il  la  voit  majestueuse  et  reine  sur  l'échafaud... 
Elle  lui  apparut  deux  fois. . .  Assez  !  il  a  bu  1^ 
mort. 

<i  Je  croyais  bien  à  son  courage,  dit-il,  mais  que 
devins-je  quand  je  vis  toute  sa  douceur  parmi  les 
l^urlements  barbares,  ce  regard  pénétrant,  ces  vives 
et  humides  étincelles  jaillissant  de  ces  beaux  yeux, 
où  parlait  une  âme  tendre  autant  qu'intrépide  !.. 
0  souvenir  immortel  I  émotions  douces  et  amères  que 
je  n'avais  jamais  connues!...  Elles  soutiennent  en  mpi 
l'amour  de  cette  Patrie  pour  laquelle  elle  voulut 
mourir,  et  dont,  par  adoption,  moi  aussi  je  suis  le  fil^. 


^U  POIGNARD,  175 

Qu'ils  p^'boQoreot  piaintepaiH  dô  leur  guillotine^  elle 
n'ei^t  plus  qu'uD  autai  1  ^ 

Ame  pure  et  mainte,  cour  mystique,  il  adore  CbAF- 
lotte  Çorday,  et  il  n'adore  point  le  meurtre. 

f  On  a  droit  sans  doute^  dit-il,  de  tuer  rusqrpatQur 
et  le  tyran,  mais  tel  n'était  point  Marat.  » 

Remarquable  douceur  d'âme.  Elle  contraste  forte- 
ment avec  la  violence  d'un  grand  peuple  qui  devint 
amoureux  de  l'assassinat.  Je  parle  du  peuple  giron- 
din et  môme  des  royalistes.  Leur  fureur  avait  besoin 
d'un  saint  et  d'une  légende.  Charlotte  était  un  bien 
autre  souvenir,  d'une  tout  autre  poésie,  que  celui 
de  LouisXVI,  vulgaire  martyr,  qui  n'eut  d'intéressant 
que  son  malheur. 

Une  religion  se  fonde  dans  le  sang  de  Charlotte 
Corday  :  la  religion  du  poignard. 

André  Chénier  écrit  un  hymne  à  la  divinité  nou- 
velle : 

0  verlu  !  le  poignard,  seul  espoir  de  la  terre, 
Est  ton  arme  sacrée  ! 

Cet  hymne^  incessamment  refait  en  tout  âge  et 
dans  tout  pays,  reparaît  au  bout  de  l'Europe  dans 
Y  Hymne  au  poignard,  de  Puschkine. 

Le  vieux  patron  des  meurtres  héroïques,  Brutus, 
pâle  souvenir  d'une  lointaine  antiquité,  se  trouve 
transformé  désormais  dans  une  divinité  nouvelle  plus 
puissante  et  plus  séduisante.  Le  jeune  homme  qui 
rêve  un  grand  coup,  qu'il  s'appelle  Alibaud  ou  Sand, 


176  LA  RELIGION  DU  POIGNARD. 

de  qui  réve-t-il  maintenant?  Qui  voit-il  dans  ses 
songes?  est-ce  le  fantôme  de  Brutus?  non,  la  ra- 
vissante Charlotte,  telle  qu'elle  fut  dans  la  splen- 
deur sinistre  du  manteau  rouge,  dans  l'auréole 
sanglante  du  soleil  de  juillet  et  dans  la  pourpre  du 
soir. 


CHAPITRE  V. 

iMORT  DE  GHALIER. 

(16  juillet  95.) 


La  question  lyonnaise  était  moins  politique  que  sociale.  —  Les  rêveurs  de 
Lyon  et  des  Alpes.  —  Le  Piémonlais  Chalier.— Écrits  de  Chalier. — Accusa- 
tions contre  lui.—Son  caractère;  sa  violence  et  sa  tendresse.-^ Les  disci. 
pies  de  Chalier.  —  Son  arrestation  (50  mai  95).  —  Chalier  en  prison.— Son 
isolement.  —  La  Convention  intervient. — Mort  de  Chalier  (16  Juillet  95).^ 
Dernières  paroles  de  Chalier. 


Maratest  poignardé  le  13,  Chalier  guillotiné  le  16. 
Un  monde  passe  entre  ces  deux  coups. 

Marat,  le  dernier  de  Tancienne  révolution,  Cha- 
lier le  premier  de  la  nouvelle. 

Marat,  pourCaen,  Bordeaux,  Marseille,  est  le  nom 
de  la  guerre  civile.  Dans  Lyon,  Chalier  est  celui  de 
la  guerre  sociale. 

Ceci  met  Lyon  fort  à  part  de  l'histoire  générale 
du  girondinisme. 

La  guerre  des  riches  et  des  pauvres  alla  grondant, 

VI.  12 


178  LA  QUESTION  LYONNAISE 

menaçant,  jusqu'au  combat  du  29  mai,  jusqu'à  la 
mort  de  Chalier  (16  juillet).  Les  riches,  entraînant 
les  marchands,  les  commis,  le  petit  commerce,  ga- 
gnèrent avec  eux  cette  bataille,  et  donnant  le  change 
aux  pauvres,  leur  firent  tuer  Chalier,  leur  défenseur, 
les  payèrent,  les  firent  combattre  contre  la  Conven- 
tion, tinrent  cinq  mois  la  France  en  échec. 

Ils  n'échappèrent  ainsi  à  la  guerre  sociale,  dont 
Chalier  les  menaçait,  qu'en  la  détournant  vers  une 
épouvantable  lutte  contre  la  France  elle-même. 

Et  celte  lutte,  ils  ne  la  soutinrent  qu'en  admettant 
dans  leur  armée  lyonnaise  un  élément  royaliste 
étranger  à  Lyon  ;  je  parle  des  nobles  réfugiés,  je 
parle  des  gens  du  Forez  et  autres  provinces  voisines, 
qui  vinrent  gagner  la  haute  paye  que  donnait  la  ville 

et  combattre  pour  le  Roi  dans  les  rangs  républi- 
cains. 

Quels  qu'aient  été  les  efforts  intéressés  de  l'aristo- 
cratie lyonnaise,  sous  la  Restauration,  pour  faire 
croire  que  Lyon,  en  93,  combattait  pour  le  trône  et 
Vautely  cela  n'est  point.  Les  nobles  royalistes  qui  ai- 
dèrent à  soutenir  le  siège  furent  presque  tous  étran- 
gers à  la  ville.  Les  riches  même  étaient  girondins. 

Nous  avons  cru  devoir  expliquer  ceci  d'avance, 
afin  qu'on  ne  se  trompe  pas  sur  le  point  spécial  que 
la  Convention  ni  les  Jacobins  ne  purent  entendre, 
mais  que  l'histoire  ultérieure  du  socialisme  moderne 
éclaire  rétrospectivement  :  La  question  politique  était 
extérieure  et  secondaire  à  Lyon  ;  elle  ne  devint  do- 
minante qu'après  la  mort  de  Chalier.  La  question 


ÉTAIT  MOINS  POLITIQUE  QUE  SOCIALE.  fVJ 

intime  et  profonde  que  les  riches  ajournôrent  par  la 
guerre  de  Lyon  contre  la  France  était  la  queHim 
sociale,  la  dispute  des  pauvres  et  des  riches. 

Celte  grande  et  cruelle  question  voilée  ailleurs 
sous  le  mouvement  politique  a  toujours  apparu  à 
Lvon  dans  sa  nudité. 

Le  marchand  de  Lyon^  républicain  de  principes, 
n'en  était  pas  moins  le  maître,  le  tyran  de  Touvriar, 
et,  qui  pis  est,  le  maître  de  sa  femme  et  de  sa 
fille. 

Notez  que  le  travail,  à  Lyon,  se  faisant  en  famille, 
la  famille  y  est  très-forte  ;  ce  n'est  nullement  un  li^n 
détendu ,  flottant,  comme  dans  les  villes  de  manufac- 
tures. L'ouvrier  lyonnais  est  très-sensible,  très^vul- 
nérable  en  sa  famille,  et  c'est  là  justement  qu'il  était 
blessée 

La  prostitution  non  publique,  mais  infligée  à  la  far 
mille  comme  condition  de  travail,  c'était  le  caractère 
déplorable  de  la  vie  lyonnaise.  Cette  race  était  humi<^ 
liée.  Physiquement,  c'était  une  des  plus  chétives  de 
l'Europe.  Le  haut  métier  à  la  Jacquart  n'existant  pas 
alors,  et  n'ayant  pas  encore  imposé  aux  constructeurs 


*  L'insuffisance  des  salaires,  surtout  pour  les  femmes,  ne  se  compen- 
sait que  paF  le  piquage  d'once,  petit  vel  habituel  sur  le  poi()s  de  1»  soie 
que  Ton  confiait  à  Touvrière  ;  si  le  maître  ou  le  commis  fernaait  Iqs 
yeux,  on  devine  à  quel  prix.  La  femme  même  qui  n'eût  pas  volé  n'ob- 
tenait guère  de  travail  sans  cette  triste  condition.  Nulle  part,  dit-on, 
les  mœurs  n'étaient  plus  mauvaises  qu'h  Lyon.  Ce  n'est  pas  au  hasard 
que  le  plus  affreux  de  nos  romanciers,  écrivant  vers  90,  a  plac^  dans 
cettQ  Sodome  le  derpieF  épisode  de  son  épouvantable  livre. 


\m  LES  RI<:VRUHS  DE  LYON 

l'exhaussement  des  plafonds,  on  pouvait  iofipunément 
entasser  jusqu'à  dix  étages  les  misérables  réduits  de 
ce  peuple  étouffé,  avorté.  Aujourd'hui  encore,  dans 
les  quartiers  non  renouvelés,  quiconque  monte  ces 
noires,  obscènes  et  puantes  maisons,  où  chaque  carré 
témoigne  de  la  négligence  et  de  la  misère,  se  repré- 
sente avec;  douleur  les  pauvres  créatures  misérables 
et  souillées  qui  les  occupaient  en  93. 

Dur  contraste  !  La  fabrique  de  Lyon,  cet  ensemble 
de  tous  les  arts,  cette  grande  école  française,  cette 
fleur  de  l'industrie  humaine...  dans  de  si  misérables 
mains  ! 

Il  y  avait  de  quoi  rêver.  Nulle  part  plus  que  dans 
celte  ville,  il  n'y  eut  plus  de  rêveurs  utopistes.  Nulle 
part,  le  cœur  blessé,  brisé,  ne  chercha  plus  inquiète- 
ment  des  solutions  nouvelles  au  problème  des  desti- 
nées humaines.  Là  parurent  les  premiers  socialistes, 
Ange  et  son  successeur  Fourrier.  Le  premier,  en  93, 
esquissait  le  phalanstère,  et  toute  cette  doctrine  d'as» 
sociation  dont  le  second  s'empara  avec  la  vigueur  du 
génie. 

Là  ne  manquèrent  pas  non  plus  les  rêveurs  parmi  les 
amis  du  passé.  11  suffit  de  nommer  Ballanche,  et  son 
prédécesseur,  le  mélancolique  Chassagnon,  qui  n'é- 
crivait jamais  que  devant  une  tête  de  mort,  et  qui, 
pour  apprendre  à  mourir,  ne  manquait  jamais  une 
exécution. 

Au  moment  où  la  fureur  girondine  du  parti  des 
riches  poussait  Chalier  àTéchafaud,  Chassagnon  eut 
la  très-noble  inspiration  d'écrire  une  brochure  pour 


ET  DES  ALPES.  18i 

lui  SOUS  ce  titre  :  Offraude  à  Chalier.  Il  y  montra  un 
vrai  génie  pour  expliquer  ce  caractère  mêlé  de  tous 
les  contraires,  ce  Centaure,  cette  Chimère,  comme 
il  l'appelle,  ce  monstre  pétri  de  discordances,  cruel 
et  sensible,  tendre  et  furieux.  Dans  ce  beau  portrait, 
un  trait  manque  pour  l'histoire  et  pour  la  justice  : 
c*estla  primitive  inspiration  d'où  Chalier  partit  :  un 
cœur  malade  depitié,  et  souffrant  douloureusement  de 
l'amour  des  hommes. 

Cet  infortuné,  qui  fut  la  première  victime  légale 
de  Lyon,  qui  ètrenna  la  guillotine,  qui  eut  ce  privilège 
horrible  d'être  guillotiné  trois  fois,  —  qui  fut  suivi  à 
la  mort  par  une  foule  de  disciples  en  pleurs,  tout 
aussi  enthousiastes  que  ceux  de  Jésus,  —  qui,  un  an 
durant,  de  juillet  en  juillet,  remplaça  Jésus  sur 
l'autel,  et  fut  pendant  ce  temps,  avecMarat,  la  prin- 
cipale religion  de  la  France,  Chalier  était  né  Italien. 
Son  nom  est  plutôt  savoyard.  Peu  importe.  Il  avait 
un  pied  en  Italie  et  en  Savoie,  étant  né  au  Mont-Ce- 
nis  et  tout  près  de  Suse. 

La  grande  voie  des  nations,  la  voie  de  neiges,  su- 
blime et  misérable,  où  toute  humanité  défile  sur  le 
bâton  du  pèlerin,  offre  la  plus  émouvante  vision  so- 
ciale qui  puisse  troubler  les  cœurs.  Cette  prodigieuse 
échelle  de  Jacob  qui  s'étend  de  la  terre  au  ciel,  les 
contrastes  violents  de  ces  paysages  improbables  où 
la  nature  se  joue  de  toute  raison  humaine,  cet  en- 
semble écrasant  pour  l'âme  semble  fait  pour  produire 
en  tout  temps  de  sublimes  fous,  délirants  de  l'amour 
de  Dieu,  de  l'amour  du  genre  humain.  Là  Rousseau, 


i8i  LE  PIÉMONTAIS 

après  son  terrible  effbirt  de  logique  et  de  raison,  se 
perdit  lui-même  en  ses  rêves.  Là  madame  Guyon 
écrivit  son  livre  insensé  des  Torrens.  Là  Chalier 
s'embrasa,  avec  une  furie  tneurtrière,  du  désir  de 
faire  le  ciel  ici-bas. 

Il  avait  été,  comme  tout  Italien >  élevé  aux  écoles 
de  démence,  qu'on  appelle  théologiques.  Il  voulait 
alors  se  faire  moine.  Il  visita  d'abord  l'Italie  et  l'Ës-^ 
pagne.  Il  vit,  il  eut  horreur. 

Il  parcourut  la  France  aussi,  et  s'arrêta  à  Lyon. 
Il  Vit,  il  eut  horreur. 

On  dit  qu'il  vivait  alors  misérablement,  de  leçons 
de  langues  et  d'enseignement.  Mais^  comme  un 
homme  intelligent,  il  ne  voulut  pas  traîner,  il  domina 
sa  situation.  Il  se  fît  commis,  négociant.  C'est  précis- 
sèment  ainsi  que  commencent  aux  mêmes  lieux  Four- 
rier et  Proudhon. 

Chalier  courut  le  commerce;  il  eut  un  grand  bon^ 
heur,  selon  l'idée  du  monde  :  il  devint  riche.  Mais  il 
eut  un  grand  malheur  :  il  vit  partout  dépouiller  le 
pauvre. 

88  a  sonné.  Et  le  premier  cri  qu'on  entend  en 
France  est  celui  d'un  Italien,  une  brochure  de  Cha* 
lier  :  Vendez  l'argenterie  des  églises,  les  bieûB  ecclé- 
siastiques, créez-en  des  assignats  ;  rendez  aux  pauvres 
ce  qui  fut  fondé  pour  les  pauvres. 

89  a  sonné*  Chalier,  de  Lyon,  court  à  Paris;  il 
recueille  les  moindres  mots  de  l'Assemblée  Consti* 
tuante.  Il  se  levait  de  nuit  pour  se  trouver  le  pre- 
mier àla  queue  qui  assiégeait  les  portes  avant  le  jour. 


CIIALIEIt.  185 

Le  wûr^  il  voyait  Loustalot  (des  Kévolulioos  de 
PiWHi)^  le  meillear  des  journalistes.  Près  de  partir^  il 
lui  dit  :  «  Je  veux  me  toer  ;  je  ne  supporte  plus 
VeuèB  des  misères  de  rbomme.  n  —  €  Virex^  lui  dit 
Loustalot,  senrei  rhumauité.  « 

Si  Ckalier  était  resté  à  Paris^  il  deTeuait  fou.  Il  y 

Torait  tous  les  jours  Marat  et  Fâuebet ,  TAini  du 
peuple  et  la  Bouche-de-fer.  Il  rapporta  à  Lyon  des 
pÊ&ntê  de  la  Bastille^  des  os  de  Mirabeau  qu'il  fiiisftit 
baiser  k  tous  les  passants,  il  prêchait^  il  appelait  tout 
le  nonde  k  la  révolution.  Lyon  était  trop  près.  Cba- 
fmr  pousse  plus  loin  sa  croisade.  Il  Tuit  Lyon  et  les 
koDoeurs  où  le  peuple  l'appelait^  il  va  à  Naples^  en 
Sieile;  il  enseigne  la  révolution  aux  cbevriers  de 
rEtna^  qui  écoutent  i^ans  comprendre.  11  est  cbassé. 
A  Malte  encore,  il  prècbe,  et  il  est  cbassé.  Il  revient^ 
ma^  dépouillé...  O  grandeur  oubliée  de  ces  temps! 
Sur  ce  simple  eiposé  qu'un  Italien  ^  ami  de  la 
Béirolution  ,  a  été  dépouillé  â  Naples,  l'Assemblée 
Constituante  prend  fait  et  cause,  elle  fait  écrire  Louis 
XVI  ;  on  rend  à  Cbalier  son  bien.  «  La  France  seira 
flwo  béritiére,  t  dit-il.  Il  lui  adonné  son  bien  et  sa  vie. 
Cet  bomme,  vébément  de  nature*  emporté  deteni^ 
pérament^ce  fougueui  Italien^  arriva  pcH»édé  de 
josti^  «t  de  pitié  pour  juger  une  ville  où  Tinjustice 
était  le  fond  de  la  vie  même.  Il  apparut^  sous  un 
double  ràkr  comme  ces  rudes  podestats  *  que  les  villes 
du  moyenne  faisaient  venir  de  l'étraDger,  afin  qu'ils 

<  Bék'9ém»m$  é'iUilif ,  par  (jjvôiet.  U  «si  tmlm  îetmmé  ce  UtnM« 
§i%Tr  r  b  fêm  févère  ztMftie  <^'mi  ail  jnMÎs  fûfc  de  la  mon  4*«i 


184  KOKITS  DE  CHALlEIl. 

ignorassent  les  parentés,  les  coteries,  les  mauvaises 
alliances  des  nobles  et  des  riches,  qu'ils  frappassent 
impartialement  à  droite  et  à  gauche.  Le  jour  il  ju- 
geait; et  tout  ce  qu'il  avait  amassé  le  jour  de  haine  et 
de  violence  contre  les  ennemis  du  peuple,  il  le  ré- 
pandait le  soir  dans  les  clubs.  Haï  comme  juge, 
comme  tribun,  à  deux  titres  il  devait  périr. 

Il  semble  qu'on  ait  détruit  tout  ce  qu'avait  écrit 
Chalier.  Le  peu  qui  reste  n'a  nullement  la  banalité 
de  Marat,  nullement  la  trivialité  des  improvisateurs 
italiens.  Il  y  a  du  burlesque,  mais  du  terrible  aussi, 
des  choses  qui  rappellent  les  menaces  cyniques  d'Ezé- 
chiel  au  peuple  de  Dieu,  les  étrangetés  sauvages  des 
mangeurs  de  sauterelles  de  TAncien  Testament. 

L'accent  y  est  extraordinaire.  On  le  sent  trop,  ce 
prophète,  ce  bouffon  n'est  pas  un  homme.  C'est  une 
ville,  un  monde  souffrant  ;  c'est  la  plainte  furieuse  de 
Lyon.  La  profonde  boue  des  rues  noires,  jusque-là 
muette,  apris  voix  en  lui.  En  lui  commencent  à  parler 
les  vieilles  ténèbres,  les  humides  et  sales  maisons, 
jusque-là  honteuses  du  jour;  eu  lui  la  faim  et  les 
veilles;  en  lui  l'enfant  abandonné  ;  en  lui  la  femme 
souillée,  tant  de  générations  foulées,  humiliées,  sacri- 
fiées, se  réveillent  maintenant,  se  mettent  sur  leur 
séant,  chantent  de  leur  tombeau  un  chant  de  menaces 
et  de  mort...  Ces  voix,  ce  chant,  ces  menaces,  tout 
cela  s'appelle  Chalier. 

peuple  !  Je  sais  mainlenant  ce  que  c'est  que  la  mort.  Elle  ue  m'appren- 
dra rien.  Je  suis  entré  dans  le  cercueil.  J'ai  compté  les  vers....  Ah! 
que  cette  initiation,  cruelle  et  profonde,  a  été  amère  pour  moi  ! 


ACCLSATIOXS  CONTRIi:  LLI.  I8b 

L'énorme  apostume  de  maux  a  crevé  par  lui.  Lyon 
recule  effrayé ,  indigné  de  sa  propre  plaie  ;  il  tuera 
celui  qui  Ta  dévoilée. 

Quand  on  chercha,  au  dernier  jour,  des  moyens  de 
le  tuer,  des  preuves  pour  constater  ses  crimes,  on  ne 
put  établir  aucun  acte,  rien  que  des  paroles. 

La  seule  trace  imprimée  qui  reste  de  ses  méfaits, 
c'est  une  suite  de  brochures  relatives  à  une  visite 
domiciliaire  que  Chalier  aurait  faite,  au-delà  de  ses 
pouvoirs,  dans  une  maison  qu'on  soupçonnait  de  fa- 
briquer de  faux  assignats. 

On  a  prétendu  qu'il  avait  dressé  le  plan  d'un  grand 
massacre,  qu'un  tribunal  improvisé  eût  siégé  sur  le 
pont  Morand,  d'où  l'ou  eût  jeté  les  condamnés  au 
Rhône.  Une  biographie  girondine  précise  le  nombre 
douze  mille.  Les  royalistes  eux-mêmes  ne  poussent 
pas  les  choses  si  loin  ;  ils  rougissent  de  ce  chiffre  in* 
sensé  :  ils  disent  vaguement  un  grand  nombre. 

Ses  ennemis,  pour  le  faire  périr,  furent  réduits  à 
l'invention  la  plus  odieuse.  On  fabriqua  une  lettre 
d'un  prétendu  émigré  qui  remerciait  Chalier  de  pré- 
parer les  moyens  de  mettre  la  France  à  feu  et  à  sang. 
Infâme  et  grossier  mensonge  par  lequel  on  poussa  le 
peuple  à  vouloir  la  mort  de  sou  défenseur. 

Si  Chalier  et  ses  amis  étaient  coupables,  au  con- 
traire, c'était  d'avoir  employé  des  moyens  violem- 
ment expéditifs  pour  organiser  la  défense  contre 
l'émigré  et  l'étranger.  Des  paroles  sanguinaires,  des 
menaces  atroces,  des  actes  de  brutalité,  voilà  ce  qu'on 
leur  reproche.  Ils  invoquèrent   la  guillotine,   mais 


180  SON  CARACTÈRES 

leurs  ennemis  l'employèrent,    et  très-injustement 
contre  eux** 

La  violence  des  paroles  et  des  actes  était  alors  à  un 
point  excessif  dans  tous  les  partis.  Un  Italien  roya- 
liste, le  romain  Casatij  avait  offert  à  TarcheVèque  de 
Lyon  d'assassiner,  non  Chalier,  mais  un  gifondin^ 
Vitet,  chef  de  Tadministration  girondine. 

Tout  ce  qui  reste  de  Chalier  dans  ses  écrits,  dads 
la  tradition,  indique  que  cet  bOnime,  si  violent  par 
accès,  était  de  lui-même  très-doux.  Il  aimait  la  na^ 
ture,  désirait  la  retraite.  Il  espérait  finir  ses  jours danà 
la  paix  et  la  solitude.  Il  se  faisait  bâtir  un  ermitage 
sur  les  hauteurs  de  Lyon,  aux  quartiers  pauvres  et 
alors  peu  habités  de  la  Ct'oix-Rousse  ;  il  voulait  y  vi^ 
vre,  disait-il,  comme  Robinson  Crusoë<  Il  aimait  Idl 
plantes,  les  Qeurs,  se  plaisait  à  les  arroset**  Sans  ffr^ 
mille,  il  avait  pour  tout  intérieur  une  bonne  femme 
de  gouvei'nante^  la  Pie  (la  Pia?),  qu'il  avait  prd* 
bablement  amenée  d'Italie. 

Dans  les  actes  que  commandait  la  nécessité  révo- 
lutionnaire, il  restait  sensible.  ^  Ma  chère  amie,  di-^ 
saitMl  à  une  femme  dont  il  bouleversait  la  tnaiSôtt 
et  arrêtait  le  mari,  mettez  la  main  sur  mon  cœur,  et 

1  Un  seul  fait  qui  caractérise  les  partis  et  leurs  historiens^  atroce- 
ment passionnés.  — Guillon  conte  avec  bonheur  la  mort  de  Santemou- 
che,  ami  de  Chalier,  absous  par  le  tribunal,  et  égorgé  par  les  modérés. 
<t  Pour  ses  crimes,  dit-il,  à  telle  page  je  lëâ  ai  déjà  l^âechtés.  »  A  là 
page,  tous  ne  trouvez  rien,  sinon  que  Santemouche,  oflBcier  munieipal, 
levait  de  maison  en  maison  Timpôt  décrété,  le  sabre  à  la  main,  qu'il 
entra  ainsi  chez  deux  femmes  qui  en  furent  fort  effrayées.  L'acte,  sans 
doute,  est  condamnable,  mais  enfin  vaut-il  la  mortt 


I  pouV^rét  inforliini''.  sans 

Hïliliqiie,  c'est  (lu'il  no  Tiil 

l  toujours  une  famille 

^bn  liumnie  miiltiplr. 

Tm  ei\  lui.  ses  amitiés. 

\inin.  La  gotivornanto  de 

i:i  Pin.  Tadmiratrice  de 

■'■ui  sa  tète  martyrisée, 

-II!  cl  modéré  Bertrand, 

'  .|ui  poursuivit  la  veii- 

i''";<;sp6ra.  luus  sont 

l'avenir. 

n\'t  Y  avait-il  vie 
'  liiirommunisme 

"11  mai  93. 

■  \lpes,  était 

lïiatique.  Il 

ux  robes- 

[\ou.  Aban- 

•uvait  troii- 

•c  les  plus 

i.iid,  Ber- 

Ù6iit  de  . 


188  LES  DISCIPLES 

Que  Chalier,  né  furieux,  dans  le  paroxysme  même 
de  sa  fureur,  ait  trouvé  ces  paroles  en  faveur  des 
riches  !  Et  cela  dans  Lyon,  dans  la  ville  où  le  plus 
visiblement  le  pauvre  fut  la  proie  du  riche  !...  Qu'il 
ait.  au  fond  de  ses  entrailles,  senti  ces  violents 
accès  de  miséricorde  infinie ,  cela  le  place  très- 
haut. 


Vile!  vite!  le  dernier  baiser,  et  babillez-vous...  Honnêtes  gens,  quelle 
cruauté  !  comme  on  vous  traite  mal!— «  Est-ce  un  crime  de  goûter  des 
plaisirs  légitimes?  »  —  Oui,  tout  plaisir  est  criminel  quand  les  sans- 
culottes  souffrent,  quand  la  Patrie  est  en  danger. —  Et  puis,  scélérats 
doucereux,  vous  ne  déclarez  pas  tout.  Vous  feignez  de  dormir  et  de 
faire  les  bons  époux,  tandis  que  vous  avez  des  insomnies  de  Catilina, 
que  vous  ourdissez,  dans  le  silence  des  nuits,  des  trames  liberticides... 
Bah!  bah!  à  tout  péché  miséricorde...  Riches,  une  petite  pénitence;... 
mousquet  sur  Tépaule,  et  flamberge  au  vent  ;  galopez  vers  rennemi... 
Vous  tremblez;  oh  !  n'ayez  point  de  peur;  vous  n'irez  pas  seuls;... 
vous  aurez  pour  frères  d'armes  nos  braves  sans-culoUeSy  qui  n'étalent 
pas  de  la  broderie  sous  le  menton,  mais  qui  ont  du  poil  au  bras...  Je 
compte  sur  vous,  malgré  les  mauvaises  langues. . .  Tenez,  amis,  je  m'offre 
à  être  votre  capitaine...  Oui,  je  me  glorifie  d'avoir  de  tels  soldats... 
Vous  n'êtes  point  aussi  mauvais  qu'on  veut  le  dire  ;  oh  !  vous  en 
vaudriez  cent  fois  mieux  si  nous  nous  étions  un  peu  fréquentés.  Les 
aristocrates  ne  sont  incorrigibles  que  parce  que  nous  les  négligeons 
trop  :  il  s'agirait  de  refaire  leur  éducation...  On  parle  de  les  pendre, 
de  les  guillotiner;...  c'est  bientôt  fait;...  c'est  une  horreur...  Y  a-t-il 
de  l'humanité  et  du  bon  sens  à  jeter  un  malade  par  la  fenêtre  pour 
s'exempter  du  souci  de  le  guérir?...  Riches,  venez,  et  laissez  votre  or 
pour   être    plus  légers;   le   drapeau  Hotte;  le  signal    est  donné... 
Plongeons-nous  loyalement  dans  les  boues...  Avancez  ;  faites  feu  ;  vous 
êtes  incorporés  dans  les  bataillons  patriotes  ;  battez-vous  comme  des 
lions;...  vous  ne  mourrez  pas;  vous  ne  serez  pas  blessés...  Ghalier, 
votre  capitaine,  répond  sur  sa  tête  de  tous  les  cheveux  de  la  vôtre... 
Je  veux  que,  pour  votre  part,  vous  apportiez  quelques  centaines  de 
crânes  prussiens,  autrichiens  et  anglais,  dans  lesquels  vos  femmes  et 


DR  nHALlRR.  189 

Ce  qui  attendrit  encore  pour  cet  infortuné,  sans 
logique,  sans  suite  et  sans  politique,  c'est  qu'il  ne  fut 
jamais  un  homme  seul, — il  fut  toujours  une  famille 
spirituelle,  une  société  d'amis,  un  homme  multiple. 
Nous  connaissons  tout  ce  qui  fut  en  lui,  ses  amitiés, 
ses  habitudes,  tout  ce  qu'il  aima.  La  gouvernante  de 
Chalier,  bonne  et  tendre,  la  Pia,  l'admiratrice  de 
Chalier,  la  Padovani,  qui  reçut  sa  tête  martyrisée, 
le  sage  ami  Marteau,  le  patriote  et  modéré  Bertrand, 
le  fanatique  et  terrible  Gaillard,  qui  poursuivit  la  ven- 
geance et  se  tua  quand  il  en  désespéra,  tous  sont 
inscrits  profondément  au  livre  de  l'avenir. 

Comment  vivaient-ils  entre  eux?  Y  avait-il  vie 
commune?  Non.  C'était  entièrement  un  communisme 
d'esprit. 

Rappelons  les  circonstances  de  Lyon  en  mai  93. 

Dubois-Crancé,  envoyé  à  l'armée  des  Alpes,  était 
un  militaire,  un  dantoniste  nullement  fanatique.  Il 
explique  parfaitement  dans  sa  réponse  aux  robes- 
pierristes  la  diflSculté  infinie  de  sa  situation.  Aban- 
donné du  centre,  comme  il  était,  il  ne  pouvait  trou- 
ver d'appui  que  dans  son  étroite  union  avec  les  plus 
violents  patriotes  de  Lyon  (Chalier,  Gaillard,  Ber- 
trand, Leclerc,  elc).  Trois  armées  dépendaient  de 
Lyon,  comme  entrepôt  général  du  Sud-Est,  en  atten- 
daient leurs  subsistances,  en  tiraient  leurs  ressour- 


V06  ûlles  boiront  avec  transport  le  vin  de  la  liberté,  de  la  république  et 
de  la  victoire.  Fragment  de  Chalier,  cité  par  Chassagnon,  Offrande  à 
Chalier.  Guillon,  Mémoires  sur  Lyon,  l,  445. 


iUO  SON  ARRESTATION  (30  MAI  93). 

ces»  Vingt  départemeqts  devaient  suivre  la  destinée 
de  Lyon.  La  grande  ville  girondine,  bourgeoise  et 
commerçante ,  infiniment  rebelle  aux  gacriflces 
qu'e^tigeait  la  situation,  contenait  de  plus  en  son  sein 
une  armée  d'ennemis,  une  masse  énorme  de  prêtres 
et  de  nobles  royalistes.  Dubois-Crançé  ne  pouvait 
plus  rester  dans  les  tempéraments  où  s'étaient  tenus 
m$  prédécesseurs.  Le  dantoniste  s'unit  aux  enragé$y 
donna  la  main  à  Chalier,  frappa  Lyon  d'une  taxe,  et 
créa  l'armée  révolutionnaire  (13  mai).  La  suite  se 
devine.  Les  Lyonnais  défendent  leur  argent.  Ils 
crient  à  la  Convention,  qui  alors  sous  les  Girondins 
dément  DuboisrCrancé ,  autorise  à  repousser  la 
force  par  la  force.  Décret  coupable  et  trop  bien  obéi 
dans  l'affreux  combat  du  29. 

La  veille,  au  soir,  on  criait  dans  toutes  les  rues  : 
Mort  à  Chalier.  Des  masses,  ou  crédules,  ou  payées, 
le  disaient  agent  royaliste.  Chalier  ne  recula  pas. 
«  Ils  veulent  ma  tète,  je  cours  la  leur  porter.  »  Il  va 
aux  Jacobins,  prononce  un  discours  plein  de  feu,  et 
dit  :  «  Prenez  ma  vie.  »  Presque  tout  l'auditoire  se 
précipite  pour  l'arracher  de  la  tribune.  Ses  amis  le 
sauvent  à  peine,  le  conduisent  chez  l'un  d'eux. 
Gaillard.  C'était  entre  onze  heures  et  minuit.  Il  y 
trouva  tous  ses  disciples  qui  voulaient  mourir  avec 
lui.  Le  29  au  matin,  jour  du  combat,  il  se  rendit 
intrépidement  à  son  poste  de  juge,  siégea  de  huit 
heures  à  une  heure.  A  peine  rentrait-il  que  le  canon 
se  fît  entendre.  Prié  et  supplié  de  pourvoir  à  sa  sûre- 
té, il  resta  immuable  dans  son  domicile,  disant  :  «J'ai 


CHALIER  EN  PRISON.  491 

ma  conscience. . .  Je  me  sens  innocent  comme  Tenfant 
qui  vient  de  nattre.  » 

Le  30  au  matin,  il  fut  arrêté,  traîné,  lié,  frappé, 
jeté  dans  le  plus  noir  cachot.  Sentant  bien  qu'il  était 
perdu,  il  voulut  échapper  à  ses  ennemis,  mourir  en 
homme;  au  défaut  d'autres  moyens,  il  avala  deux 
grands  clous,  et  n'en  eut  pas  moins  la  douleur  de 
vivre. 

Ses  lettres,  naïves  et  touchantes,  décousues,  trou- 
blées, témoignent  do  l'état  d'isolement  où  il  se  trouva 
tout  à  coup.  De  ses  amis,  les  uns  étaient  en  fuite,  les 
autres  se  cachaient,  du  moins  dans  leur  effroi  se  te- 
naient immobiles. 

L'Italien,  dominé  par  sa  vive  imagination,  les 
presse,  les  pousse,  veut  leur  donner  des  ailes  :  «Cou- 
rez à  Paris,  voyez  Renaudin  (ami  de  Robespierre); 
que  je  sois  jugé  à  Paris,»  etc.  Une  chose  lui  donnait 
espoir,  l'arrivée  de  Lindet  à  Lyon,  la  prise  de  Brissot; 
les  Montagnards  ayant  un  tel  otage,  Chalier  croyait 
qu'on  n'oserait  le  condamnera  mort.  Rien  ne  servit. 
On  le  jugea  à  Lyon. 

Cependant  on  n'avait  trouvé  nulle  preuve  contre 
lui.  Les  jurés  ne  voulaient  point  juger,  et  les  juges 
eux-mêmes  voulaient  ajourner  le  jugement.  Mais  les 
scribes  et  les  pharisiens,  comme  il  les  appelle, 
avaient  recours  aux  masses  aveugles  ;  on  courait  les 
campagnes,  jusque  dans  les  villages,  on  animait  le 
peuple  à  vouloir  la  mort  de  son  défenseur.  Chalier 
ne  l'ignorait  pas.  Il  alternait  (flottant  dans  une  mer 
de  pensées)  entre  les  souvenirs  de  la  vie,  les  affaires. 


J92  SON  ISOKEWKM. 

et  les  visions  de  la  mort.  Le  cher  petit  ermitage  de  la 
Croix-Rousse,  qu'il  achevait  de  hâlir,  lui  revenait  au 
cœur  :  «  Finissons  la  maison  du  côté  du  jardin.  »  Et 
dans  une  autre  lettre  :  '<  Terminons  la  citerne...  La 
pluie  gâterait  tout.  >  —  Il  retombait  ensuite  dans  son 
cachot,  dans  le  réel  de  sa  situation  :  c<  La  Liberté 
et  la  Patrie  sont  bien  à  plaindre!  leurs  défenseurs 
sont  dans  les  souterrains  ..  »  —  «  0  malheureuse  et 
infortunée  et  aveugle  ville  de  Lyon,  de  persécuter 
ainsi  ton  ami  et  ton  protecteur...  »  —  «  Adieu,  Li- 
berté, adieu,  sainte  Égalité!...  Ah  !  c'est  une  Patrie 
perdue!   » 

Chaque  jour,  à  minuit,  douze  soldats  venaient  à 
grand  bruit,  comme  pour  le  conduire  à  la  mort.  On 
se  jouait  de  ses  souffrances.  Un  voisin  de  prison,  qui 
en  avait  pitié,  lui  donna  un  pigeon  qu'il  aima  fort  et 
qui  lui  fit  société. 

D'où  viendrait  le  secours ,  de  Paris  ?  de  Gre- 
noble ? 

Dubois-Crancé ,  dans  cette  dernière  ville ,  s'é- 
tait trouvé  dans  le  plus  grand  danger.  Les  troupes 
qu'il  y  avait  se  décideraient-elles  pour  la  Gironde  ou 
la  Montagne?  Grenoble  heureusement,  comme  tou- 
jours, fut  admirable,  la  population  enleva  l'armée  ; 
ce  ferme  point  d'appui  montagnard  entre  Lyon  et 
Marseille  devint  le  salut  du  Sud-Est.  Dubois-Crancé 
redevint  fort  et  put  menacer  Lyon.  Mais  plus  il  me- 
naçait, plus  il  fortifiait  le  parti  militaire  qui  voulait 
la  mort  de  Chalier. 

A  Paris,  Lindet  de  retour  demanda  et  obtint  de  la 


LA  CONVENTION  INTERVIENT.  105 

Ck)nveDtion  qu'elle  déclarât  prendre  sous  sa  sauve- 
garde les  patriotes  de  Lyon.  11  se  montra  réservé  et 
prudent,  ne  voulut  rien  dire  de  sa  mission  que  ces 
paroles  infiniment  conciliantes  :  a  Si  la  nouvelle 
autorité  de  Lyon  est  ferme,  il  n'y  a  rien  à  craindre 
pour  la  liberté.  » 

Marat  montra  un  vif  intérêt  pour  Cbalier.  Mais 
lui-même,  mais  Robespierre  et  les  Jacobins  se  trou- 
vaient dans  une  situation  assez  di£Bcile.  Ils  poursui- 
vaient à  Paris  les  enragés  quMls  voulaient  sauver  à 
Lyon.  Ils  firent  chasser  des  Cordeliers,  le  30  juin, 
Leclerc,  ami  de  Chalier. 

Les  liens  de  Chalier  avec  la  masse  du  parti  jacobin 
semblent  n'avoir  pas  été  bien  forts;  c'était  en  réalité 
un  homme  isolé,  tout  à  part,  qui  devait  sa  puissance 
à  son  inspiration  indépendante,  à  la  spontanéité  visi- 
ble de  son  exaltation.  Même  plus  tard,  lorsque  Cha- 
lier, mort,  eut  son  apothéose,  cela  n'empêcha  pas 
plusieurs  de  ses  fidèles  d'être  persécutés. 

La  dangereuse  mission  de  porter  à  Lyon  le  décret 
de  la  Convention  en  faveur  de  Chalier  fut  obtenue 
par  un  autre  Italien,  le  patriote  Buonarroti  (arrière- 
neveu  de  Michel- Ange).  Mais  la  situation  était  encore 
empirée,  quand  il  arriva.  On  le  jeta  en  prison.  Les 
royalistes  soi-disant  convertis  avaient  gagné  du  ter- 
rain. A  force  de  jurer  et  de  se  dire  républicains,  ils 
parvenaient  à  se  faire  accepter.  Hommes  d'épée,  de 
robe,  ils  primaient  aisément  parmi  les  Girondins,  qui 
presque  tous  étaient  marchands.  Ceux-cifirent  maire, 
le  15  juillet,  un  M.  de  Rambaud,  ancien  juge  de  la 

YI.  *• 


sénéchaussée.  Avec  un  tel  choix,  Chalier  était  mort. 
A  grand' peine  il  avait  trouvé  un  défenseur  mer- 
cenaire qui,  pour  2,400  fr.,  consentit  à  parler  pour 
lui.  Le  jugement  n'en  fut  pas  un.  Le  peuple  menaça 
les  témoins  à  décharge  et  les  empêcha  de  déposer 
Des  femmes  pleuraient  dans  l'auditoire.  «  Hélas  !  di- 
saient-elles, comment  faire  mourir  ce  saint  homme  !  » 
Le  peuple  les  frappa,  les  chassa.  Les  juges^  effrayés 
sur  leurs  sièges,  furent  obligés  de  prendre  pour  bonne 
la  lettre  supposée  de  l'émigré  à  Chalier,  comme  si, 
de  toute  façon,  une  lettre,  même  vraie,  où  il  n'était 
pour  rien,  eût  pu  être  citée  contre  lui.  Il  n'en  fut 
pas  moins,  sur  cette  belle  preuve,  condamné  &  mort. 
Quelque  profonde  et  terrible  que  fût  la  surprise 
de  Chalier,  rentré  dans  sa  prison,    il  dit  à  un  ami  : 
«  Je  prévois  que  ceci  sera  vengé  un  jour...  Qu'on 
épargne  le  peuple  ;  il  est  toujours  bon,  juste,  quand 
il  n'est  pas  séduit...  On  ne  doit  frapper  que  ceux  qui 
l'égarent.  d  L'ami  sentit  son  cœur  brisé,  et  tomba 
raide  évanoui. 

Chalier  qui,  dans  ses  lettres  écrites  en  prison,  avait 
donné  des  larmes  à  la  nature,  aux  anxiétés  de  ce 
grand  combat,  ne  se  montra  point  faible  à  la  mort. 
Il  se  rendit  à  pied  à  la  place  des  Terreaux,  où  des 
furies  hurlaient  de  joie.  Il  donna  soixante  francs  au 
gendarme  qui  le  conduisait,  ne  repoussa  pas  le  prê- 
tre qui  se  présenta  à  lui  *.  Quoique  pâle  au  moment 

i  C*est  le  triomphe  facile  que  se  donne  le  clergé  au  martyre  dts 
libre»  penseurs.  L'autorité,  quelle  qu'elle  soit,  ferme  Faocès  à  tout 


DE  GHALffiR  (la^AllbMir  95).  495 

OÙ  il  monta  à  l'échafaùd/ilîiiAtlfèhlieméi^ 

reau  :  «Rendez-moi  ma  èoScan^6:e|;a[tkachez^ia).i]ao^ 

car  je  meurs  pour  la  Liberté.  >  ^  /      - 

Le  bourreau 9  tremblant  et  novice^  qui  voyait  la 
guillotine  pour  la  première  fois^  avait  mal  suspendu 
le  couteau  ;  il  manqua  son  coup,  le  manqua  trois  fois. 
Il  fallut,  chose  horrible,  demander  un  couperet 
pour  achever  de  détacher  la  tète. 

La  foule  furieuse  fut  elle-même  saisie  d'horreur  «ï 


ami  de  la  liberté  qui  les  soutiendrait  dans  leur  foi.  Elle  fait  tpprocbfr 
au  contraire  le  prêtre  qui  peut  tirer  d'eux  le  désaveu  de  leurs  prtAr 
cipes,  faire  du  héros  un  pénitent.  Ce  prêtre  est  bien  reçu  comme 
homme.  Dans  cette  solitude  effroyable  du  pauvre  patient,  déjà  sorti 
de  la  nature  et  qui  ne  Toit  que  le  bourreau^  un  homme  vient  à  lui  Uts 
bras  ouverts  et  le  presse  sur  son  cœur.  11  faut  une  force  surhuidaiite 
pour  que  le  mourant  emploie  les  quelques  minutes  qui  le  .séparent  ae 
Tétemité,  h  se  défendre  logiquement,  à  disputer  son  âme.  Et  s'il  fe 
fait,  qui  le  saura  ?  Le  seul  témoin  de  ce  combat,  cVst  le  prêtre  ini^ 
ressé  à  dire  qu'il  a  vaincu.  Que  le  patient  résiste  ou  non,  oyp  ne  roai^ 
quera  pas  d'assurer  «qu'il  a  fait  une  très-belle  fin.  »  C'est  ain^i  qu'en 
lui  ôtant  toute  chose  et  la  vie  même,  on  lui  ôte  encore  ce  qu'il  estimait 
plus  que  la  vie,  la  constance  dans  sa  foi  et  la  communion  intérieure 
avec  les  siens.  On  leur  donne  cette  amère  douleur  de  croire  quUl  ne 
leur  a  point  été  fidèle,  qu'il  les  a  reniés  à  la  mort. — Il  en  fut  ainsi  poiAr 
Chalier.  Lorsque  Couthon  entra  dans  Lyon  le  8  octobre  avec  l'armée 
victorieuse,  un  M.  Lafausse,  vicaire-général  de  Lyon»  ne  manqua  pas 
de  se  présenter  à  lui  et  de  se  glorifier  d'avoir  confessé  Chalier,  qui 
avait  fini  très-chrétiennement,  baisé  le  crucifix,  etc.  Les  robespier- 
ristes,  infiniment  favorables  au  clergé  constitutionnel,  accueillirent  trèf»- 
bien  la  chose.  On  mit  une  lettre  de  Lafausse  au  Moniteur.  C'est  de 
cette  lettre  et  de  quelques  mots  de  Chassagnon  que  M.  Buchei  et 
d'autres  ont  tiré  la^  fable  d'un  Chalier  chrétien,  réfutée  suffisamment 
et  par  la  tentative  de  suicide  que  Chalier  déclare  lui-même,  et  par  le 
Christ  déchiré  dont  nous  avons  parlé  plus  haut. 


196  DERNIÈRES  PAROLES 

toute  changée.  On  dit  qu'il  éteÀt  mort  martyr,  et  le 
miracle  ne  manqua  pas  à  la  légende.  Plusieurs  assu- 
rèrent que,  sous  l'affreux  couteau,  et  le  cou  k  demi 
coupé,  il  avait  redressé  sa  tète  pantelante,  et  qu'in- 
vincible à  la  douleur,  il  avait  dit  au  bourreau  eftayé 
les  mots  :  «  Àttache-moi  la  cocarde.  ••  » 

Les  femmes,  italiennes  ou  françaises,  la  Pia,  la 
Padovani,  recueillirent  en  pleurant  sa  colombe  veuve, 
le  dernier  amour  du  cachot.  Elles  ne  craignirent  pas 
d'aller  la  nuit  au  cimetière  des  suppliciés.  La  Pado- 
vani, aidée  de  son  fils,  arracha  à  la  terre  la  pauvre 
dépouille,  si  barbarement  massacrée.  La  tète,  hi- 
deuse et  brisée,  n'en  fut  pas  moins  moulée,  repro- 
duite fidèlement  avec  les  trois  horribles  coups.  Lu- 
gubre monument  de  guerre  civile,  qui  fut  montré, 
promené  par  la  France.  On  copia  partout  la  tète  de 
Ghalier,  on  honora,  adora  son  image  ;  mais  sa  pa- 
role :  «  Qu'on  épargne  le  peuple  >  hélas  !  qui  s'en 
est  souvenu? 

DERNIÈRES  PAROLES  DE  GHALIER. 

Je  n'ai  que  ce  papier  pour  vous  faire  mes  adieux ,  mes  chers  frères 
et  sœurs,  quelques  minutes  avant  ma  mort  pour  la  liberté.  Adieu,  frère 
Anloine,  adieu,  frère  Yalentin,  adieu,  frère  Jean,  adieu,  frère  Fran- 
çois, adieu,  neveux,  nièces,  belles-sœurs,  beaux-frères,  parents  et 
amis,  adieu  à  tous. — Chalier,  votre  frère,  votre  parent  et  votre  ami, 
va  mourir  parce  qu'il  a  juré  d'être  libre,  et  que  la  liberté  a  été  ôtée  au 
peuple  le  30  mai  93.  Chalier,  votre  ami,  va  mourir  innocent  pour  tout 
ce  dont  on  Taccuse.  Vivez  en  paix,  vivez  heureux,  si  la  liberté  reste 
après  lui.  Si  elle  vous  est  ravie,  je  vous  plains.  Souvenez-vous  de  moi. 
Tai  aimé  Fhumanilé  entière  et  la  liberté,  et  mes  ennemis,  mes  bour- 
reaux, qui  sont  mes  juges,  m'ont  conduit  à  la  mort.  Je  vais  rentrer  dans 
U  sein  de  P Eternel. 


DE  CHALIER.  197 

Vous,  nies  frères,  venez  recueillir  le  peu  que  je  laisse.  Suivez  les 
conseils  de  Tami  Marteau,  de  la  bonne  Pie,  ma  gouvernante,  que  vout 
considérerez  comme  moi-même,  et  dont  vous  aurez  soin  comme  de 
moi-même  pendant  toute  sa  vie.  Si  elle  désire  aller  près  de  vouti  re- 
cevez-la comme  moi-même,  ayez  toutes  les  bontés  pour  elle  ;  elle  con- 
naît mon  cœur. 

Je  vous  invite  à  faire  tout  pour  faire  rentrer  mes  fonds  et  acquitter 
mes  dettes  contractées. 

Suivez  les  conseils  des  amis  que  je  vous  ai  indiqués,  et  de  Bertrand 
fils,  mon  ami. 

Si  le  sacrifice  de  ma  vie  peut  suffire  à  tous  mes  ennemis  qui  sont 
ceux  de  la  Liberté,  je  meurs  innocent  de  tous  les  crimes  qu*on  m*im- 
pute.  Adieu,  adieu,  je  vous  embrasse  tous.  Lyon,  46  juillet  4793,  à 
trois  heures  après  midi.  Signé  Ghalier,  l'ami  de  THumanité. 

Je  te  salue,  ami  Renaudin  ! 

Je  vais  mourir  pour  la  cause  de  la  Liberté. 

Je  te  salue,  ami  Seules  ! 

Je  vais  verser  mon  sang  pour  la  cause  de  THumanité. 

Je  te  salue,  ami  Marteau  ! 

Je  vais  mourir  pour  satisfaire  à  Penvie  des  ennemis  de  la  Justice.— 
Je  te  recommande  la  bonne  Pie.  Ne  pleure  pas  ainsi  qu'elle  sur  moi, 
mais  sur  les  maux  qui  vont  peut-être  t'accabler.  Salue  ta  sœur  pour 
moi,  salue  tous  mes  amis,  Monteaud,  Demichel  et  autres. 

Je  te  salue,  bonne  femme  Pie.  Adieu,  rappelle-toi  celui  qui  fut  tou* 
jours  Tami  de  THumanilé. 

Ma  justification  est  dans  le  sein  de  TÉternel,  dans  toi,  dans  tous  nos 
amis,  dans  ceux  de  la  Liberté.  Embrasse  Bertrand  fils  pour  moi.  Je 
rinvite  à  ne  pas  t'abandonner  et  à  faire  tout... —  Mes  frères  aussi  in- 
fortunés (surtout  Frauçois]  que  tu  peux  Têtre. — Ne  f  afflige  pas.  Porte 
à  la  citoyenne  Corbet  un  billet  de  cent  livres  que  je  lui  envoie  par  toi 
pour  souvenir.  Son  mari  était  si  bon  et  si  vrai  patriote  !  Salue  et  em- 
brasse tous  nos  amis,  tous  ceux  qui  se  rappelleront  de  moi.  Dis-leur 
que  je  les  aime,  comme  THumanité  entière. 

Adieu,  salut,  salut.  Je  vais  me  reposer  dans  le  sein  de  rÉtemel.— 
Lyon,  46  juillet  4793,  à  quatre  heures  du  soir.  Signé  Châtier.  Archives 
de  la  Préfecture  de  la  Seine,  reg,  34  du  Conseil  général^  25  déc.  93. 


CHAPITRE   VI. 

RÈGNE   ANARCHIQUE   DES   HÉBERTISTES.    DANTON   DEMANDE 

UN  GOUVERNEMENT. 

(Jaillet-Août  93.) 


Enterrement  de  Marat.  —  Le  Père  Duchesne  succède  à  VÀmi  du  Peuple,  — 
Tyrannie  des  hébertistes  au  ministère  de  la  guerre. — Robespierre  uni  aux 
hébertistes  contre  les  enragés,  —  Échec  de  nos  armées  (juin-juillet). — 
Extrême  danger  (août  93).  —  Décrets  violents  (août  93).  —  Le  Comité  de 
salut  public  agissait  peu  encore. — Danton  veut  que  le  Comité  se  constitue 
gouvernement.— Le  Comité  décline  la  responsabilité. 


La  sœur  de  Marat,  qui  a  vécu  jusqu'à  nous,  disait 
en  1836  un  mot  certainement  juste  et  vrai  :  «  Si  mon 
frère  eût  vécu,  jamais  on  n'eût  tué  Danton  ni  Ca- 
mille Desmoulins.  » 

Nous  ne  doutons  pas  qu'en  effet  il  ne  les  eût  sou-- 
tenus,  et  conservé  l'équilibre  de  la  République,  qu'il 
n*eût  sauvé  Danton,  et  par  cela  même  sauvé  Robes- 
pierre. Dès  lors,  point  de  Thermidor,  point  de  réac- 
tion subite  et  meurtrière.  L'arc  de  93,  horriblement 
tendu  par  la  mort  de  Danton,  n'aurait  pas  éclaté  pour 
la  ruine  de  la  liberté  et  de  la  France. 


ENTERREMEN     DE  MARAT.  iQQ 

Les  Cordeliers  demandait  le  Panthéon  pour  Marat. 
La  proposition  fut  reçue  froidement  aux  Jacobins. 
Robespierre  se  déclara  contre,  et  en  cela  il  fut  l'or- 
gane des  sentiments  réels  d'une  grande  partie  de  la 
Montagne,  qui  ne  pardonnait  pas  &  Marat  sa  royauté 
d'un  quart  d'heure  au  2  juin. 

Il  eut  mieux  que  le  Panthéon.  Il  eut  une  pompe 
populaire,  et  fut  enterré  parmi  le  peuple  sous  les 
arbres  des  Cordeliers,  près  de  la  vieille  église  et  du 
fameux  caveau  où  il  avait  écrit.  Les  pauvres  gens, 
ceux  môme  qui  n'avaient  guère  lu  ses  journaux, 
étaient  attendris  de  sa  mort,  de  son  dévouement,  de 
sa  grande  pauvreté.  Ils  savaient  seulement  que  c'é- 
tait un  vrai  patriote,  qui  était  mort  pour  eux,  et  qui 
ne  laissait  rien  au  monde.  Us  avaient  le  pressentiment 
très^juste  que  ses  successeurs  vaudraient  moins,  au- 
raient un  zèle  moins  désintéressé.  Beaucoup  pleu- 
raient. La  pompe  eut  lieu  de  six  heures  à  minuit,  à 
la  lueur  des  torches,  à  laclarté  d'une  resplendissante 
lune  d'été.  Et  il  n*était  pas  loin  d'une  heure  quand 
Marat  fut  déposé  sous  les  saules  du  jardin. 

Thuriot ,  président  de  la  Convention ,  dit  sur  la 
tombe  quelques  mots  chaleureux,  toutefois  propres 
à  calmer  le  peuple,  à  faire  ajourner  la  vengeance. 

Un  seul  fait  montrera  combien  la  mort  de  Marat 
empirait  la  situation. 

L'ami  d'Hébert,  le  secrétaire  général  de  la  Guerre, 
le  petit  Vincent,  brouillon,  intrigant  furieux  qui  ne 
savait  se  contenir,  montra  sa  joie  pendant  l'enterre- 
ment; il  se  frottait  les  mains,  disait  :  «  Enfin  !•••  » 


200  LE  PÈRE  DUCUeSNE 

Ce  qui  signiââit  :  Nous  sommes  enfin  rois.  Nous  hé- 
ritons de  la  royauté  de  la  Presse  populaire. 

Et  cela  n'était  que  trop  vrai.  L'Ami  du  peuple  fut, 
en  réalité,  remplacé  par  le  Père  Duchesne. 

Hébert  n'héritait  pas  sans  doute  de  l'autorité  de 
Marat;  mais,  en  revanche,  il  disposait  d'une  publicité 
bien  autrement  vaste,  illimitée,  on  peut  le  dire,  n'im- 
primant pas,  comme  Marat,  selon  la  vente,  mais  se- 
lon l'argent  qu'il  tirait  des  caisses  de  l'État,  spécia- 
lement de  celle  de  la  Guerre.  Marat  (  sa  sœur  Ta 
imprimé)  ne  fesaitpas  ses  frais.  Hébert,  en  quelques 
mois,  et  vivant  avec  luxe,  fit  une  fort  belle  fortune. 

Employé  des  Variétés  et  chassé  pour  un  vol,  ven- 
deur de  contremarques  à  la  porte  des  théâtres,  il 
vendit  aussi  des  journaux,  spécialement  le  Père  Du- 
chesne  (il  y  avait  déjà  deux  journaux  de  ce  titre). 
Hébert  vola  le  titre,  et  la  manière,  se  fit  entrepreneur 
d'un  nouveau  Père  Duchesne,  plus  jureur,  plus  cyni- 
que  ;  il  le  fesait  écrire  par  un  certain  Marquet.  Par- 
leur facile  aux  Cordeliers,  Hébert  se  fit  porter  par 
eux  à  la  commune.  Club,  commune  et  journal,  trois 
armes  pour  extorquer  l'argent.  On  le  vit  au  2  juin  ; 
dans  ce  grand  jour  d'inquiétude  où  tout  le  monde 
s'oubliait,  Hébert  ne  perdit  pas  la  tète  ;  il  sentit  que 
le  gouvernement,  dans  une  telle  crise,  avait  grand  be- 
soin des  journaux  et  grande  peur  aussi.  Il  reçut  cent 
mille  francs. 

Nous  avons  raconté  qu'au  2  juin.  Prud'homme,  l'é- 
diteur des  Révolutions  de  Paris,  fut  arrêté,  et  si  bien 
tourmenté,  qu'il  cessa  bientôt  de  paraître.  Celui  qui 


SUCCÈDE  A  VA  Ml  Uff  PEUPLE,  201 

le  fit  arrêter,  un  certain  Lacroix,  était  hébertiste  et 
membre  de  la  Commune.  11  rendit  là  un  service  à 
Hébert,  lui  tuant  son  concurrent,  effrayant  tous  les 
autres,  de  sorte  que  la  Terreur  qui  frappa  les  jour- 
naux profita  à  un  seul  ;  la  liberté  de  la  Presse,  entière 
de  nom,  nulle  de  fait,  n'exista  guère  que  pour  le 
Père  Ihicheme.  Lorsque  Prud'homme  reparut,  le 
3  octobre,  ce  fut  à  condition  de  prendre  exclusive- 
ment pour  rédacteurs  des  hébertistes. 

Hébert,  maître  et  seigneur  de  la  presse  populaire, 
pouvait  dans  un  moment  donné  frapper  sur  l'opinion 
des  coups  terribles.  Tels  de  ses  numéros  furent  tirés 
jusqu'à  siœ  cent  mille  ! 

Publicité  factice,  payée  et  mercenaire.  L'honnête 
Loustalot,  le  premier  rédacteur  des  Révolutions,  tira 
à  Aqxoc  cent  mille,  dans  les  grandes  journées  d'en- 
thousiasme universel,  sincère,  qui  ont  marqué  l'au- 
rore de  la  Révolution. 

La  vache  à  lait  d'Hébert  était  Bouchotte,  le  mi- 
nistre de  la  guerre. 

D'une  part,  il  tirait  de  lui  ce  qu'il  voulait  d'argent 
pour  augmenter  sa  publicité ,  l'étendre  surtout  aux 
armées.  D'autre  part,  avec  cette  publicité,  il  le  ter- 
rorisait, lui  faisait  nommer  ses  amis,  commis, 
officiers,  généraux.  Un  ministère  qui  dépensait  trois 
cent  millions  (d'alors)  par  mois,  qui  avait  à  donner 
cinquante  mille  places  ou  grades,  mille  affaires  lucra- 
tives d'approvisionnement,  équipement,  armes,  mu- 
nitions, constituait  une  puissance  énorme,  toute  dans 
la  main  des  hébertistes. 


202  TYRANNIE  DES  UÉBERTISTES 

  la  tête  de  tout  cela,  le  vrai  ministre,  Vincent, 
un  garçon  de  vingt*-cinq  ans,  petit  tigre.  Plus  tard, 
quand  Robespierre  réussit  à  le  mettre  en  cage,  sa 
fureur  était  telle  qu'il  mordait  dans  un  cœur  de 
veau,  croyant  mordre  le  cœur  de  ses  ennemis. 

La  tolérance  de  ces  misérables,  qui  dura  plusieurs 
mois,  fut  le  martyre  de  Robespierre. 

Fous  furieux  dans  leurs  paroles,  ils  étaient ,  dans 
leurs  actes,  infiniment  suspects.  Le  sans-culotte  Hé- 
bert, quand  il  avait  couru  dans  sa  voiture  à  la  Com- 
mune, aux  Cordeliers,  aux  Jacobins,  ou  à  la  Guerre, 
laissait  le  bonnet  rouge,  et  retournait  à  la  campagne, 
à  la  villa  du  banquier  Koch,  que  beaucoup  regardaient 
comme  un  agent  de  F  étranger.  Sa  femme  et  lui  ne 
vivaient  là  qu'avec  des  cinlevant  (spécialement  une 
dame  de  Rochechouart),  le  beau  monde  enfin  d'au«- 
trefois.  Le  plus  assidu  commensal  de  la  maison  était 
un  autrichien,  très-douteux  patriote,  Proly,  bâtard 

du  prince  de  Kaunitz. 
Le  premier  soin  de  Robespierre,  dès  qu'il  eut  un 

bon  Comité  de  sûreté,  ce  fut  de  faire  arrêter  ce  Proly, 

et  saisir  ses  papiers.  Il  ne  trouva  rien  d'abord,  maii» 

plus  tard,  il  l'a  fait  mourir  avec  Hébert. 

Quand  l'étranger  les  eût  payés  pour  maintenir  li 
désorganisation  qui  régnait  à  la  Guerre,  ils  n'auraient 
pas  fait  autrement.  De  moment  en  moment  ilschan*^ 
geaient  tous  les  généraux.  Aux  deux  grandes  armées 
du  Nord  et  du  Rhin,  il  y  eut,  à  la  lettre,  un  général 
par  mois. 

  la  première,  six  généraux  en  six  mois  :  Dmaou** 


AU  mNlSTÉRE  DE  LA  GUBRRB.  905 

rier,  Dampierre,  Beauharaais^  Custme^  Bouchard, 
Jourdan. 

En  huit  mois,  huit  généraux  à  Tarmée  du  Rhin  ! 
Gustine,  Diettmann,  Beauhamais,  Laudremont,  Meu* 
nier,  Garlenc,  Pichegru,  Hoche. 

Cette  mobilité  effroyable  suffisait  à  elle  seule  pour 
expliquer  tous  les  revers. 

La  girouette  ne  fut  fixe  que  pour  un  choix,  celui 
de  Rossignol,  l'inepte  général  de  TOuest.  Ron- 
sin  avait  très-bien  compris  que ,  pour  agir  à 
Taise,  il  valait  mieux  pour  lui  ne  pas  prendre  le  pre- 
mier rôle.  Il  lui  fallait  un  mannequin.  Il  avait  pris 
tout  simplement  un  jeune  gendarme,  homme  illettré 
et  simple,  ex-ouvrier  bijoutier  du  faubottrg  Saint- 
Antoine,  brave,  agréable,  grand  parleur,  aimé 
des  clubs.  Rossignol,  c'était  son  nom,  avait  brillé  au 
siège  de  la  Bastille,  puis  dans  la  gendarmerie,  et  il  y 
avait  atteint  le  vrai  poste  où  il  devait  rester,  celui  de 
commandant  ou  colonel  d'un  corps  de  gendarmerie. 
Bon  enfant,  bon  vivant,  pas  fier,  camarade  du  scin- 
dât, très-indulgent  pour  les  pillards,  il  se  fit  adorer. 
Les  généraux  auraient  voulu  le  pendre  ;  c'est  ce  qui 
fit  sa  fortune.  Traduit  à  la  barre  de  la  Convention,  il 
apparut  comme  une  victime  du  patriotisme.  Il  y  fut 
fort  caressé,  encouragé  de  la  Montagne,  qui  ne  vit 
que  sa  bravoure,  sa  simplicité.  Ronsin  saisit  l'occa* 
sion  avec  un  tact  admirable  ;  il  vit  combien  Rossignol 
avait  plu,  et  qu'on  était  décidé  d'avance  à  tout  par- 
donner à  ce  favori,  qu'il  pourrait  tout  faire  sous  son 
ombre.  Il  demande  et  d)tient  qu'on  le  fasse  féoéral 


iOi  ROBESPIERRE  UNI  AUX  HÉBERTISTES 

en  chef  !  <c  Vous  avez  tort,  dit  Rossignol  lui-même  ,* 
je  ne  suis  pasf....  pour  commander  une  armée.  »  Il 
eut  beau  dire,  il  commanda.  Ronsin,  derrière  Rossi- 
gnol, lui  fit  signer  des  crimes,  d'affreuses  trahisons. 
Toujours  battu,  toujours  justifié.  Rossignol  ne  parvint 
jamais  à  lasser  Tengouement  du  Comité  de  salut 
public.  Il  en  fut  quitte  pour  passer  à  un  autre  poste 
et  dire  en  finissant  :  a  Je  ne  suis  pas  f...  pour  com- 
mander une  armée.  » 

Robespierre  pouvait-il  ignorer  ce  hideux  gâchis  de 
la  Guerre ,  qui  non-seulement  ruinait  la  France,  mais 
la  tenait  sur  le  bord  de  l'abîme?  Il  est  impossible  de  le 
croire.  Mais  une  chose  le  paralysait. 

11  voyait  aussi  un  abîme,  mais  un  autre,  qui  l'ef- 
frayait plus  que  les  désordres  de  l'administration  et 
les  succès  de  l'étranger,  l'abîme  de  la  dissolution  so- 
ciale. Cette  Terra  incognita  au-delà  de  Marat  (  dont 
parle  Desmoulins),  cette  région  inconnue,  hantée  des 
spectres  et  mère  des  monstres,  il  l'avait  vue  dès  juin 
dans  l'étrange  alliance  de  Jacques  Roux  (des  Gravil* 
tiers),  du  Lyonnais  Leclerc,  ami  de  Chalier,  et  de  sa 
maîtresse  Rose  Lacombe,  chef  des  femmes  révolution- 
naires. Connaissait-il  Babeuf,  déjà  persécuté  par  An- 
dré Dumont,  dans  la  Somme,  et  par  la  Commune  à 
Paris?  je  n'en  fais  aucun  doute.  La  révolution  roman- 
tique et  socialiste  (  comme  nous  dirions  aujourd'hui) 
inquiétait  Robespierre.  Dans  sa  visite  aux  Cordeliers, 
pour  combattre  les  monstres,  les  Leclerc,  les  Jacques 
Roux,  il  lui  fallut,  comme  on  a  vu,  se  faire  accompa- 
gner de  cet  ignoble  chien,  Hébert. 


CONTRE  LES  BNKAGÉS.  905 

Maraty  tant  qu'il  avait  vécu,  leur  tenait  la  porte  fer- 
mée. Marat  mort,  ils  s'étaient  habilement  saisis  de 
son  nom.  Roux,  Leclerc  el  Varlet,  rédigeaient  en- 
semble V Ombre  de  Marat.  Là  était  la  terreur  de  Ro- 
bespierre, là  son  lien  avec  Hébert  qui,  comme  con- 
current, ne  demandait  pas  mieux  que  de  les  détruire. 
Avant  la  fête  du  10  août,  lorsque  les  Fédérés  arri- 
vaient à  Paris,  Robespierre  frémissait  de  les  voir  en 
péril  de  tomber  sous  cette  influence  anarcbique.  Il 
lança  la  veuve  Marat  qui  vint  à  la  Convention  accuser 
Roux,  Leclerc,  d'avoir  volé  le  nom  de  son  mari.  Ren- 
voyé au  Comité  de  sûreté,  qui  arrête  le  journal  et  les 
rédacteurs.  Mesure  violente,  presque  inouie.  LesGra- 
villiers  crièrent  pour  Roux,  leur  orateur;  Hébert  les 
reçut  à  la  Commune,  les  traita  sèchement,  du  haut  du 
Père  Duchesne^  les  renvoya  humiliés. 

Voilà  à  quoi  servait  le  Père  Duchesne^  et  le  secret 
de  la  grande  patience  de  Robespierre. 

Robespierre  n'avait  nul  journal.  11  n'avait  de  prise 
que  les  Jacobins.  Et  là  même,  parCollot  d'Herboiset 
autres,  les  hébertistes  étaient  très-forts.  Il  lui  fallut 
donc  patienter,  attendre  qu'ils  se  perdissent  eux-mê- 
mes, laisser  passer  cette  fange.  Sa  conduite  aux 
Jacobins  fut  merveilleuse  de  dextérité.  Jamais  il  ne 
nommait  Hébert,  jamais  Ronsm.  Nais  il  défendait  leur 
ministre  Bouchotte,  et  c'est  ce  qu'ils  voulaient  le  plus, 
n  défendait  aussi  leur  Rossignol,  et  volontiers;  c'était 
une  thèse  populaire. 

A  ce  prix,  Robespierre,  sans  se  salir  avec  Hébert, 
pouvait  s'en  servir  au  besoin.  Le  cas  pouvait  venir  où 


S06  ÉCHECS 

la  Montagne  se  mettrait  en  révolte  contre  son  ascen- 
dant, où  Danton  reprendrait  le  sien.  Ce  jour-là,  il 
aurait  trouvé  un  secours  dans  ce  dogue  qui  pouvait 
en  un  jour  mordre  de  six  cent  mille  gueules  à  la  fois 
(cela  eut  lieu  le  4  octobre) . 

Jusque  lày  s'il  menaçait  Danton,  Robespierre  Far- 
rètait.  Que  les  dantonistes  et  les  hébertistes  s'usassent 
les  uns  par  les  autres,  il  le  trouvait  très-bon  ;  mais 
abandonner  Danton  même,  c  eût  été  rendre  les  hé- 
bertistes si  forts,  qu'ils  eussent  tout  emporté.  Ils 
avaient  déjà  le  ministère  de  la  Guerre,  ils  auraient 
pris  celui  de  l'Intérieur,  l'objet  de  leur  concupis- 
cence ^  ;  ils  auraient  eu  ainsi  et  le  dehors  et  le  dedans, 


1  Le  faible  mini  sire  du  34  mai,  Gtrat,  miné  aux  Jacobins  par  une 
suite  d'attaques  babilement  ménagées,  harcelé  à  la  Commune,  détigné 
dans  la  rue  par  des  affiches  comme  afifameur  du  peuple ,  n'était  plus 
qu'une  feuille  d'automne  qu'un  coup  de  vent  devait  emporter.  Les  Hé- 
bertistes, croyant  déjà  tenir  son  ministère,  mirent  Collot  d'Herbois  k  ses 
trottsse8«  Collot  était  redoutable  en  ce  qu'il  représentait  les  plus  ànim- 
tres  puissances  de  la  Révolution,  l'ivresse  et  le  vertige,  les  colères, 
vraies  ou  simulées.  Furieux,  facétieux,  terrible,  burlesque,  il  emportait 
Pattention,  parce  qu'on  ne  savait  jamais  si  l'on  devait  trembler  oo  rire. 
Sous  le  prétexte  d'une  mission  qu'il  avait,  il  va  au  ministère  demander 
une  voiture.  Il  y  va  à  l'heure  où  il  sait  que  le  ministre  est  sorti,  c  Pour- 
quoi est-il  sorti?  »  Il  s'indigne,  tempête,  court  les  bureaux,  claque  les 
portes,  épouvante  les  commis.  Alors,  il  demande,  il  exige  qu*on  lui  If- 
vre  un  écrit.  La  pièce  était  bien  innocente  :  c'était  une  série  de  questions 
que  Garât  faisait  aux  départements  pour  connaître  l'état  de  la  France. 
11  y  avait  entre  autres,  celle-ci  :  «Combien  perdent  les  assignats?»  Collot 
court  à  la  Convention,  dénonce,  crie,  écume:  «Supposer  que  les  assignats 
peuvent  perdre  !. ..  O  crhne  t  •  Avec  son  art  de  comédien,  ayant  rendu 
l'hamne  odieux,  il  le  rend  ridicule,  sûr  que,  si  la  Convention  se  met  à 


DE  NOS  ARMÉES  (JUIN-JUILLET).  207 

toute  la  force  active.  Robespierre  ne  le  permit  pas. 

Toutes  les  di£Scultés  de  la  situation  éclatèrent  aux 
premiers  jours  d'août,  quand  la  Convention[fut frappée 
d'une  grêle  effroyable  de  revers  et  de  mauvaises  nou- 
velles. 

Revers  tout  personnels  pour  l'Assemblée.  La  Mon- 
tagne elle-même  était  allée  à  la  frontière.  Nombre  de 
ses  membres,  avec  un  dévouement  admirable,  sans 
songer  qu'ils  sortaient  de  professions  civiles,  avaient 
pris  répée  en  juillet  et  marché  aux  armées,  accep- 
tant toute  la  responsabilité,  défiant  la  fortune.  Là,  ils 
avaient  trouvé  tout  ennemi,  les  militaires  hostiles,  la 
discipline  anéantie,  le  matériel  nul,  la  désorganisation 
radicale  des  administrations  de  la  guerre,  l'ineptie  du 
ministre,  la  perfidie  souvent  des  hébertistes,  tou- 
jours leur  incapacité.  Et  tout  cela  retombait  sur  les 
représentants.  Battus,  blessés,  comme  Bourbotte, 
déshonorés,  comme  d'autres,  et  tout  près  de  la  guil- 
lotine !  A  Mayence,  Merlin  de  Thionville  arrêta  toutes 
les  forces  de  la  Prusse,  se  battit  comme  un  lion,  cou- 
vrit la  France  quatre  mois,  et  au  retour  faillit  être 


rire»  si  le  mépris  atteint  Garât,  Taffaire  est  faite,  il  est  tué  l-— Garât, 
appelé  en  hâte ,  était  fort  pâle  à  la  barre ,  et  plus  il  était  pâle ,  plus 
Tafifaire  allait  mal.  Danton,  alors  président,  vit  qu'il  enfonçait.  Il  céda 
le  fauteuil,  monta  :  «  Garât,  dit-il,  n*est  pas  né  pour  s'élever  jamais 
k  Ténergie,  à  la  hauteur  révolutionnaire.  »  Et  mettant  solennellement 
la  main  sur  la  tête  du  pauvre  diable  :  »  Je  te  déclare  innocent,  de  par 
la  Nature,  » — Celte  grande  scène  de  comédie,  meilleure  que  celle  de 
Collot,  sauva  Garât,  qui  fut  quitte  pour  sa  place,  et  garda  sa  tête.  Hébert 
manqua  sa  proie*  Le  ministère  fut  donné  à  un  tmi  de  Danton. 


208  EXTRÊMES  DANGERS  (AOUT  95). 

arrêté.  À  Valenciennes,  Briez  et  un  autre  se  défendi- 
rent quarante  jours  et  contre  l'ennemi  et  contre  la 
ville  ;  la  bourgeoisie  voulait  se  rendre,  et  lâchait  le 
peuple  contre  eux.  l^es  émigrés  étaient  si  furieux  que 
malgré  la  capitulation,  malgré  les  Autrichiens,  ils 
voulaient  les  tuer.  11  leur  fallut  cacher  leur  écharpes, 
prendre  l'habit  de  soldat,  passer  confondus  dans  les 
troupes  (2^  juillet). 

La  Convention  apprend  les  jours  suivants  qu'elle  a 
perdu  toute  la  frontière  du  Nord,  que  Cambrai  est 
bloqué  ; 

Que  le  Rhin  est  perdu,  Mayence  rendu.  Landau 
bloqué,  Tennemi  aux  portes  de  l'Alsace; 

Que,  pour  la  seconde  fois,  les  Vendéens  vainqueurs 
ont  dissipé  l'armée  de  la  Loire. 

Qui  accuser?  Les  représentants  ne  méritaient  que 
des  couronnes  civiques.  Les  revers  étaient  le  résultat 
de  la  désorganisation  générale.  Le  Comité  de  salut 
public,  renouvelé  depuis  le  10  juillet,  n'avait  pu  faire 
grand' chose  encore.  11  craignait  néanmoins  qu'on  ne 
le  rendît  responsable,  et  se  rejetait  sur  la  trahison. 
La  perfidie  d'un  général ,  l'argent  de  l'étranger, 
telles  étaient  les  explications  que  donnait  le  trem*- 
blant  Barrère.  Les.accusations  de  ce  genre  réussissent 
presque  toujours  auprès  des  assemblées  émues  et 
défiantes.  Barrère  y  excellait. 

Les  incendies  qui  éclataient  dans  nos  ports,  et 
qu'on  imputait  aux  Anglais ,  portaient  au  comble 
l'irritation  de  la  Convention.  Elle  déclara  Pitt 
<K  Tennemi  du  genre  humain.  »  Quelqu'un  voulait 


AGISSAIT  PEU  ENCORE.  fil 

de  salut  public  ;  que  les  ministres  ne  soient  quesesagents^ 
confiez^kur  cinquante  millions. 

Autrement  dit  :  Que  le  Comité ,  gouvernement  de 
droit,  devienne  gouvernement  de  fait,  qu'il  accepte 
toute  la  responsabilité.  Et,  pour  que  cette  respon- 
sabilité soit  entière ,  qu'elle  ne  flotte  plus  partagée 
entre  le  Comité  et  les  ministres.  Abattons  cette  mo* 
narchie  du  pouvoir  ministériel  qui  neutralise  le  Co- 
mité ,  et  qui  n'agit  pas  d'avantage. 

Ce  qui  s'était  fait  depuis  deux  mois  de  plus  utile, 
d'immédiatement  efBcace  pour  le  salut,  s'était  fait 
sans  les  ministres ,  sans  le  Comité. 

Seule,  sans  secours  du  centre,  Nantes  tint  en  échec 
la  Vendée,  malgré  le  centre  même  qui  destituait  Cau- 
daux, l'excellent  général  de  Nantes. 

Seul ,  sans  secours  du  centre,  Dubois-Crancé  orga* 
nisales  forces  montagnardes  qui  continrent  le  sud-est, 
isolèrent  Lyon  des  Alpes,  le  tout,  comme  il  le  dit 
lui-môme,  sans  le  Comité,  malgré  lui. 

Seul,  par  sa  sagesse  individuelle  et  sa  modération , 
Robert  Lindet  poursuivait  la  pacification  de  la  Nor* 
mandie.  El  le  Comité  n'y  fit  rien  qu'envoyer,  pour 
plaire  aux  Hébertistes,  un  homme  à  moitié  fou ,  Car- 
rier. 

Ces  efforts  partiels  avaient  suffi,  pourquoi?  parce 
que  l'orage  de  la  guerre  était  encore  'suspendu  sur 
Mayence  et  sur  Valenciennes.  Maintenant,  il  crevait; 
c'était  le  moment  de  faire  un  gouvernement  un  et 
fort ,  ou  bien  de  périr. 

Le  Comité  devait  prendre  résolument  la  direction^ 


Îi2  DANTON  VEUT  QUE  LE  COMITÉ 

et  déclarer  qu'il  était  ce  gouvernement;  cesserd'obéir, 
commander;  ne  plus  se  laisser  traîner  à  la  remorque , 
mais  prendre  l'avant-garde  el  l'initiative,  entraîner 
tout  le  monde  au  nom  de  la  Patrie. 

Cela  ne  fut  pas  dit,  mais  saisi  à  merveille,  senti 
profondément.  C'était  le  cri  du  cœur  et  du  bon  sens. 
Couthon,  l'ami  de  Robespierre,  sans  attendre  cette 
fois  son  avis,  s'écria  qu'il  appuyait  Danton.  Saint - 
André  en  dit  autant,  ainsi  que  Cambon  et  Barrère. 
Seulement  ils  ne  voulaient  point  de  fonds  en  manie- 
ment. 

Robespierre  dit  que  la  proposition  lui  semblait 
vague.  Il  demanda,  obtint  l'ajournement. 

«  Vous  redoutez  la  responsabilité,  leur  dit  Danton. 
Souvenez-vous  que,  quand  je  fus  membre  du  conseil, 
je  pris  sur  moi  toutes  les  mesures  révolutionnaires. 
Je  dis  :  a  Que  la  liberté  vive,  et  périsse  mon 
nom  !  » 

Grave  appel.  Y  répondre  par  l'ajournement,  c'était 
risquer  beaucoup.  Qu'adviendrait-il,  si  la  chose  qu'on 
pouvait  prévoir,  la  chose  décisive  et  mortelle  (qu'on 
apprit  en  effet  le  7)  venait  à  se  réaliser  :  Vunion  des 
Anglais  avec  les  Autrichiens  pour  marcher  sur  Paris? 

La  situation  de  la  France  étant  si  prodigieusement 
hasardée,  il  semblait  que  le  Comité  de  salut  public 
devait  se  hasarder  lui-même,  prendre  la  force  qu'on 
le  priait  de  prendre,  mettre  la  main  sur  la  Guerre, 
chasser  Bouchotte  ou  le  faire  marcher  droit,  braver 
Hébert,  Vincent,  Ronsin,  tous  les  chiens  aboyants  qui 
faisaient  curée  de  la  France. 


se  CONSTITUE  GOUVERNEMENT.  215 

Robespierre  ne  crut  pas  la  chose  encore  possible. 

Comment,  dans  un  gouvernement  d'opinion  et  de 
publicité,  subsister  sans  la  Presse?  Or,  la  Presse  était 
dans  Hébert,  depuis  la  mort  de  Marat. 

On  n'eût  pas  réussi.  On  eût  aventuré  la  seule  au- 
torité morale  qui  restât  à  la  République.  Cette  au- 
torité subsistait,  mais  à  condition  de  ne  rien  faire. 
Hébert  n'était  pas  mûr  pour  la  mort. 

Donc,  Robespierre  ne  faisait  rien.  Il  siégeait,  écou- 
lait, écrivait.  Cinq  ou  six  heures  par  jour  à  la  Conven- 
tion, autant  aux  Jacobins.  En  août,  il  fut  président  de 
Tune  et  de  l'autre  assemblées.  Les  nuits  pour  ses 
discours.  Il  lui  restait  du  temps  pour  des  occupations 
que  nous  appellerions  philosophiques,  académiques, 
pour  lire  à  l'Assemblée  l'ouvrage  de  Lepelletier  sur 
l'éducation,  pour  écouter  tout  un  livre  de  Garât  sur 
la  situation. 

Tous  ceux  qui  avaient  le  sens  du  danger  ou  tout  au 
moins  la  peur,  étaient  consternés  de  cette  inertie  du 
premier  homme  delà  République.  Plusieurs  en  étaient 
indignés. 

Danton  dit  brutalement  :  «  Ce  b là  n'est  pas 

seulement  capable  de  faire  cuire  un  œuf  !  * 

L'ancien  ami  et  camarade  de  Robespierre,  qui 
avait  tant  contribué  à  le  diviniser  vivant,  Camille 
Desmoulins,  dans  une  maligne  brochure,  en  daubant 
l'ancien  Comité,  effleura  le  nouveau;  il  toucha 
finement  le  point  de  la  situation,  à  savoir  que, 
ni  dans  la  Convention^  ni  dans  le  Comité  de  salut  public, 
personne  ne  surveillait  la  Guerre  :  «Membre  du  Comité 


214  LE  COMITÉ  DÉCLINE  LÀ  RESPONSABILITÉ. 

de  la  Guerre,  dit-il,  j'étais  surpris  de  voir  que  notre 
Comité  chômait.  Et,  comme  on  me  dit  qu'au  Comité 
de  salut  public  il  y  avait  une  section  delà  Guerre,  j'y 
allai  quatre  jours  de  suite,  et  fus  étrangement  surpris 
de  voir  que  cette  section  était  composée  de  trois 
membres,  l'un  malade,  l'autre  absent;  le  troisième 
s'était  démis.  »  Ce  troisième,  l' ex-colonel  Gasparin, 
ayant  refusé,  Robespierre  occupait  sa  place,  la  place 
du  seul  membre  militaire  du  Comité. 

Cet  état  de  choses  était  irritant.  Il  fallait  un  homme; 
on  n'avait  qu'un  dieu. 

Une  société  populaire  ayant  apporté  (le  2  août) 
aux  Jacobins  les  bustes  de  Lepelletier  et  de  Marat, 
le  président  de  ce  jour  dit  ces  étranges  paroles  : 
a  Entre  Marat  et  Lepelletier,  il  doit  rester  un  vidé 
où  sera  placé  le  grand  homme  qui  doit  se  lever  pour 
être   le  Sauveur   du   monde. , .  »  —  «r  Oui ,   dit  le 

boucher  Legendre ,  mais  pourvu  qu'il  soit  aussi 
poignardé.  » 


CHAPITRE    VI! 


FÊTE  DU  10  AOUT  93. 


Léi  fédérés  da  Id  ëôM  99. «-Ouverture  du  Loufte  et  du  musée  des  mona-* 
meuts  fraufais.  —Gomment  les  partis  divers  se  caractérisaient.— Grandeur 
et  terreur  dans  la  fête  du  10  août.— Sombre  effet.— Incidents  cyniques. 
•^  Les  colosses  de  plâtre. 


La  fête  du  10  août  fut  une  grande  représentation 
populaire,  imposante  et  terrible,  toute  marquée  du 
caractère  sinistre  du  moment,  du  danger,  de  la  ré- 
sistance désespérée  qu'on  préparait,  des  lois  de  la 
Terreur  qu'on  lançait  à  l'ennemi.  Ce  fut  à  peine  une 
fête.  L'acceptation  de  la  Constitution,  ce  fait  tou- 
chant de  la  France  s'unissant  en  une  pensée,  n'y  eut 
qu'un  effet  secondaire. 

La  nouvelle  fatale  avait  été  reçue  par  le  Comité  de 
salut  public.  Les  armées  coalisées  n'opéraient  plus  à 


t\e  LES  FÉDÉRÉS  DU  10  AOUT  95. 

part  ;  elles  marchaient  d'ensemble,  et  les  chances  de 
la  résistance  devenaient  inflniment  faibles.  L'armée 
du  Nord  n'avait  dû  son  salut  qu'à  une  manœuvre  ha- 
bile; elle  s'était  jetée  de  côté,  mais  en  livrant  la 
route  de  Paris.  Paris  se  trouvait  découvert;  la  fêle  se 
donnait,  pour  ainsi  dire,  sous  le  canon  ennemi. 

Le  chant  du  jour  fut  le  Chant  du  départ,  —  non 
plus  \dL  Marseillaise  y  l'hymne  humain  et  profond  des 
légions  fraternelles, — mais  un  coup  perçant  de  trom- 
pettes, le  cri  de  la  Terreur  guerrière  qui  fondit  sur 
l'Eurojle  et  l'ensanglanta  vingt  années. 

Pour  la  première  fois,  on  vit  un  autre  peuple,  et 
l'on  put  mesurer  le  grand  changement  qui  s'était  fait 
dans  les  mœurs  et  la  situation.  Au  peuple  confiant 
des  grandes  Fédérations,  au  peuple  enthousiaste  de 
la  grande  croisade,  le  départ  de  92,  un  autre  a  suc- 
cédé. Les  nouveaux  fédérés,  peu  brillants,  sérieux, 
mis  humblement,  hommes  de  travail  et  de  devoir, 
n'apportaient  nulle  parure ,  mais  leur  dévouement 
simple,  leurs  bras,  leur  vie,  dans  cette  grande  cir- 
constance. Le  peuple  de  Paris  n'était  guère  moins 
sérieux,  sauf  les  bandes  ordinaires  qui  dans  toute 
fête  gouvernementale  sont  chargées  de  représenter 
la  joie  publique. 

La  défiance  régnait.  Aux  approches  de  Paris,  les 
fédérés  n'avaient  pas  été  peu  surpris  de  se  voir  fouil- 
lés. On  craignaient  qu'ils  n'apportassent  des  papiers 
dangereux,  quelques  journaux  fédéralistes.  Combien 
à  tort  !  ces  braves  gens  n'avaient  au  cœur  que  l'unité 
de  la  France. 


OUVERTURE  DU  LOUVRE.  217 

La  Commune  craignait  pour  leurs  mœurs  et  leurs 
bourses.  Elle  avait  signifié  aux  Slles  publiques  de  ne 
pas  paraître  dans  les  rues.  On  craignait  encore  plus 
pour  leur  orthodoxie  politique.  La  Commune  s'em- 
para d'eux,  les  embrassa  en  quelque  sorte,  les  mena 
à  la  Convention,  aux  Jacobins,  partout.  La  Conven- 
tion leur  donna  l'accolade  fraternelle.  Les  Jacobins 
les  établirent  dans  leur  propre  salle  pendant  tout 
leur  séjour,  délibérèrent  en  commun  avec  eux. 

La  Convention  n'avait  rien  ménagé  pour  que  cette 
grande  occasion  qui  amenait  à  Paris  tout  un  peuple 
lui  laissât  dans  l'esprit  une  impression  ineffaçable, 
pour  que  ce  peuple  senttt  la  Patrie  et  rapportât  à  la 
France  sa  grande  émotion. 

Elle  consacra  un  million  deux  cent  mille  francs  à 
la  fête. 

Elle  ouvrit  deux  musées  immenses. 

L'un  qu'on  peut  appeler  celui  des  nations,  l'uni- 
versel Musée  du  Louvre,  où  chaque  peuple  est  repré- 
senté par  son  art,  par  d'immortelles  peintures. 

L'autre*  qu'on  pouvait  appeler  celui  de  la  France, 

*  Je  rouvre  ici  une  plaie  de  mon  cœur.  Ce  musée,  où  ma  mère  dans 
mon  âge  d'enfance  indigenle,  mais  bien  riche  d'imagination,  où  ma 
mère  lani  de  fois  me  mena  par  la  main,  il  a  péri  en  18<5.  Un  gouver- 
nement né  de  l'étranger  se  hâla  de  détruire  ce  sanctuaire  de  Fart  na- 
tional. Que  d'âmes  y  avaient  pris  l'étincelle  historique,  l'intérêt  des 
grands  souvenirs,  le  vague  désir  de  remonter  les  âges  !  Je  me  rappelle 
encore  r émotion,  toujours  la  même  et  toujours  vive,  qui  me  faisait  battre 
le  cœur,  quand,  tout  petit,  j'entrais  sous  ces  voûtes  sombres  et  con- 
templais ces  visages  pâles,  quand  j'allais  et  cherchais,  ardent,  curieux, 
craintif,  de  salle  en  salle  et  d'âge  en  âge.  Je  cherchais,  quoi?  je  ne  le 


218  MUSÉE  DES  MONUMENTS  FRANÇAIS. 

le  Musée  des  monuments  français,  incomparable 
trésor  de  sculptures  tirées  des  couvents,  des  palais, 
des  églises.  Tout  un  monde  de  morts  historiques, 
sortis  de  ses  chapelles  à  la  puissante  voix  delà  Révo- 
lution, était  venu  se  rendre  à  cette  vallée  de  Josar 
phat.  Ils  étaient  là  d'hier,  sans  socle,  souvent  mal 
posés,  mais  non  pas  en  désordre.  Pour  la  première 
fois,  au  contraire,  un  ordre  puissant  régnait  parmi 
eux,  l'ordre  vrai ,  le  seul  vrai,  celui  des  âges. 
La  perpétuité  nationale  se  trouvait  reproduite.  La 
France  se  voyait  enfin  elle-même,  dans  son  dévelop- 
pement; de  siècle  en  siècle  et  d'homme  en  homme, 
de  tombeaux  en  tombeaux,  elle  pouvait  faire  en  quel^ 
que  sorte  son  examen  de  consciencOé 

«  Qui  suis-je  ?  disait-elle.  Quel  est  mon  principe 
social  et  religieux?...  Et  de  quelle  vie  donc  bat  mon 
cœur?  »  Cela  n'était  pas  clair  encore.  Chaque  parti 
eût  diversement  répondu  à  la  question.  Âiïtre  eût  été 
là  solution  des  Cordeliers,  des  Jacobins  ;  autre  celle 
de  Robespierre  et  celle  de  Danton,  de  Clootz  et  de 
Chaomette,  de  la  Commune  de  Paris.  Ces  influences 
opposées  se  combattaient  manifestement  dans  la  fête. 
L'ordonnateur  David,  homme  de  Robespierre,  n'en 
avait  pas  moins  suivi  généralement  l'inspiration  de 


sais;  la  vie  d'alors,  sans  doute,  et  le  géoie  des  temps.  Je  n*étais  pfl» 
bien  sûr  qu'ils  ne  Téenssent  point,  tons  ces  dormeurs  de  marbre,  étendoi 
snr  leurs  tombes;  et  quand,  des  somptueux  monuments  du  XVI^  siècle 
éblouissants  d*a1bâtre,  je  passais  à  la  salle  basse  des  Mérovingiens  oii  se 
trouvait  la  croix  de  Dagobert,  je  ne  savais  pas  trop  si  je  ne  vennis 
point  se  mettre  sur  leur  séant  Chilpéric  et  Frédégonde. 


COMMENT  LES  PARTIS  DIVERS  SB  CARACTÉRISAIENT.  %l% 

la  Commune.  C'est  elle-même  qui  fit  les  deviseSé 
Elle  répandit  sur  toute  la  fête  le  souffle  des  Corde- 
liers. 

L'influence  de  Robespierre  est  manifestement  su- 
bordonnée; Y  Être  suprême  de  la  Constitution  ne 
pafûît  point  ici.  Et  d'autre  part,  les  Cordeliers,  peut- 
être  par  une  concession  à  Topinion  jacobine  ^  ont 
caché  leur  Dieu,  la  Raison,  qu'ils  montreront  bien- 
tôt, caché  leur  saint,  Marat.  Chose  étrange,  au  mch* 
ment  où  ils  viennent  d'appendre  le  cœur  adoré  de 
l'Ami  du  peuple  aux  voûtes  de  leur  salle,  ils  man- 
quent l'occasion  d'exhiber  la  relique  à  la  France 
réunie. 

Au  défaut  de  l'unité  de  principe,  la  fêle  avait  du 
moins  une  sorte  d'unité  historique.  C'était  comme 
une  histoire  en  cinq  actes  de  la  Révolution. 

Le  tout,  froid  et  violent,  forcé,  et  néanmoins 
sublime. 

Le  péril  et  l'efibrt  même ,  l'effort  héroïque  que 
l'on  sentait  partout,  donnait  à  l'ensemble  une  vraie 
grandeur. 

David  fut  l'effort  même.  Par  là,  il  exprimait  son 
temps  ^.  Artiste  tourmenté  de  la  grande  tourmente, 


^  L'art  se  cherchait,  comme  répoiiue^  Sa  puissance  donnait  encOret 
en  trois  enfants.  Gros,  Prud'hon,  Géricault.  Le  roi  dealers  était  David. 
Ce  que  Teflort  est  à  la  force,  Datid  le  fbt  à  Géricault. ^Élève  d^archi-* 
tecte,  et  non  de  peintre,  David  posa  ses  premiers  iregards  sur  des 
marbres,  des  lignes  inflexibles,  et  il  efi  garda  la  raideur,  il  haïssait 
deuic  choses  cruellement  et  leur  faisait  la  guerre,  la  nature  d'aboré^ 
la  molle  nature  du  XVIIP  siècle,  puis  les  tim  de  soti  tenptf^  llèxer-* 


220  GRANDEUR  ET  TERREUR 

génie  pénible  et  violent  qui  fut  son  supplice  à  lui- 
mème,  David ,  dans  son  âme  trouble,  avait  en  lui  les 
luttes,  les  chocs,  dont  jaillit  la  Terreur. 

Ce  Prométhée  de  93  prit  de  l'argile,  et  en  tira  trois 
dieux,  trois  statues  gigantesques  :  la  Nature,  aux 
ruines  de  la  Bastille  ;  la  Liberté,  à  la  place  de  la  Ré- 
volution; le  Peuple-Hercule  terrassant  la  Discorde 
ou  le  fédéralisme,  à  la  place  des  Invalides.  Un  arc  de 
triomphe  au  boulevard  des  Italiens,  enfin  l'autel  de 
la  Patrie  au  Champ  -  de  -  Mars ,  c'étaient  les  cinq 
points  de  repos. 

Rude,  immense  improvisation.  Les  pierres  de  la 
Bastille  n'étaient  pas  enlevées.  Sur  ce  chaos  confus, 
on  organisa  une  fontaine.  La  Nature,  un  colosse  en 
plâtre,  aux  cent  mamelles,  jetaient  par  elles  en  un 

çait  ses  élèves  à  jouer  à  la  balle  contre  des  Boucher,  des  Lebrun.  Il 
aurait  fait  guillotiner  Wateau,  s'il  eût  vécu,  et  demanda  qu*au  moins 
on  démolit  la  porte  Saint-Denis.  —  Ce  génie  violent  était  mené,  ce 
semble,  par  sa  nature  aux  études  anatomiques,  comme  Pavait  été  Michel- 
Ange.  Mais  pour  sentir  la  mort,  il  faut  sentir  la  vie.  L'art  antique  ab* 
sorba  David,  le  marbre  le  retint,  non  pas  malheureusement  la  sculpture 
grecque,  maisTantique  de  la  décadence. — Chose  étrange!  chaque 
fois  quMl  s'oublia,  laissa  aller  sa  main,  sans  songer  qu'il  était  David, 
dans  tel  dessin,  dans  tel  portrait,  il  se  retrouva  un  grand  maître.  Le 
mystère  était  là.  Il  y  avait  un  très-grand  peintre  en  lui,  mais  autour  de 
lui  une  école.  Il  se  sentait  trop  responsable,  devant  cette  foule  docile. 
Il  fut  trop  professeur.  L'âge  de  la  Terreur,  l'admiration,  Tamitié  de 
Robespierre,  la  royauté  des  arts  qu'il  eut  alors,  ont  guillotiné  son 
génie. — Il  le  sentait  conhisément,  et  il  en  souffrait.  Cette  souffrance  le 
rendait  cruel.  Elle  le  fécondait  en  quelque  sens,  et  elle  Tannulait.  La 
nature  haïe  de  lui  se  vengeait,  comme  une  femme  maltraitée  d'un  « 
époux  ;  elle  allait  caresser  dans  un  coin  ignoré  le  plus  petit  élève,  et 
d'un  baiser  créait  Prud'hon. 


DANS  LA  FÊTE  DV   10  AOUT  95.  tH 

bassin  l'eau  de  la  régénération.  Chaque  pierre  était 
marquée  d'inscriptions  funèbres,  des  voix  de  la  Bas- 
tille, des  gémissements  des  prisonniers,  des  antiques 
douleurs.  Le  président  de  la  Convention,  le  bel  Hé- 
rault de  Séchelles,  homme  aimable,  aimé  de  tous 
les  partis,  vint  a  la  tète  du  cortège,  et  dans  une  coupe 
antique  puisa  Teau  vive,  étincelante  des  premiers 
rayons  du  matin.  Il  porta  la  coupe  à  ses  lèvres  et  la 
passa  aux  quatre-vingt-six  vieillards  qui  portaient 
les  bannières  des  départements!  lis  disaient  :  «  Nous 
nous  sentons  renaître  avec  le  genre  humain.x>Ils 
burent,  et  le  canon  tonnait. 

Le  cortège  s'allongea  ensuite  par  les  boulevards, 
les  Jacobins  en  tête  et  les  sociétés  populaires.  La 
bannière  redoutable  de  la  grande  Société,  l'œil  clair- 
voyant dans  les  nuages  que  montrait  la  bannière, 
marchaient  et  semblaient  dire  :  La  Révolution  te  voit 
et  t'entend. 

Derrière,  la  Convention,  sans  costume,  entourée 
d'un  ruban  tricolore  que  soutenaient  les  fédérés. 
Le  peuple  apparaissait  ainsi  comme  embrassant  son 
Assemblée,  la  contenant  et  l'enserrant. 

Suivait  un  immense  pèle-mèle  de  toutes  les  auto- 
rités confondues  avec  le  peuple  :  la  Commune,  les 
ministres,  les  juges  révolutionnaires  au  panache 
noir,  au  milieu  des  forgerons,  tisserands,  artisans  de 
toute  sorte.  L'ouvrier  portait  pour  parure  les  outils 
de  son  métier.  Les  seuls  triomphateurs  de  la  fête 
étaient  les  malheureux  ;  les  aveugles,  les  vieillards, 
les  enfants-trouvés  allaient  sur  des  chars,  les  petits 


224  LES  COLOSSES  DE  PLATRE. 

11  y  avait  un  ordonnateur  de  l'allégresse  publique, 
et  cet  ordonnateur,  en  certains  détails,  n'annonçait 
pas  assez  le  respect  de  sa  propre  foi.  David,  aux  Ita- 
liens, dans  ce  lieu  resserré,  avait  élevé  un  petit  arc  de 
triomphe,  aux  femmes  du  5  octobre,  à  celles  qui  ra- 
menèrent de  Versailles  dans  Paris  le  roi  et  la  royauté. 
On  les  voyait  victorieuses,  montées  sur  les  canons 
vaincus.  Le  peintre,  pour  cet  effet  de  drame,  avait 
choisi  de  belles  femmes,  des  modèles,  sans  doute, 
hardies,  effrontées.  Tout  fut  perdu.  Le  5  octobre, 
(c'est  ce  qui  fait  sa  sainteté)  avait  vu  des  mères  de 
famille  s'arracher  de  leurs  enfants  en  larmes,  quit- 
ter leurs  petits  affamés,  et  par  un  courage  de  lion- 
nes, ramener  l'abondance  avec  le  roi  dans  Paris. 
Ce  n'étaient  pas  des  filles  publiques  qui  pouvaient 
reproduire  cette  grande  histoire. 

Si  la  beauté  devait  figurer  seule  dans  une  telle 
représentation,  où  était  la  belle  Théroigne,  l'intré- 
pide Liégeoise,  qui,  dans  ce  jour  mémorable,  gagna 
le  régiment  de  Flandre ,  et  brisa  l'appui  de  .  la 
royauté?...  Brisée  elle  même,  hélas!  fouettée,  dés- 
honorée en  mai  93,  enfermée  folle  à  la  Salpêtrière  !.-• 

Cette  femme  adorée,  devenue  bête  immonde! 

Elle  y  mourut  vingt  ans,  implacable  et  furieuse  de 
tant  d'outrage,  de  tant  d'ingratitude. 

Une  autre  personne  encore  reste  frappée  de  cette 
fête.  Quelle?  Celle  qui  l'a  votée,  la  Convention.  L'in- 
génieux et  subtil  ordonnateur,  pour  symboliser  l'em- 
brassement  du  peuple  réunissant  ses  mandataires, 
avait  imaginé  de  montrer  l'Assemblée  sans  insignes 


LBS  COLOSSES  DE  rLATRE. 

distioctifs,  peuple  parmi  le  peuple,  enserrée  d'un  fil 
tricolore,  que  tiennent  \es  envoyés  des  assemblées 
primaires.  La  Convention  semblait  tenue  en  laisse. 
Ce  fil,  quelque  léger  qu'il  fût,  avait  le  tort  de  trop 
bien  rappeler  Thumilialion  récente  de  l'Assemblée, 
sa  captivité  du  â  juin.  Un  écrivain  avait  dit  de 
Louis  XVI,  mené  à  la  fêle  du  14  juillet  92  :  «  Il  a 
l'air  d'un  prisonnier  condamné  pour  dettes.  »  Du 
moins  n'était-il  pas  lié.  Mais  la  Convention  avait  son 
lien  visible;  on  ne  lui  avait  pas  même  épargné  l'as- 
pect de  ses  fers. 

On  eut  le  tort  de  laisser  sur  les  places  les  trois  co- 
losses improvisés.  David  n'avait  aucunement  le  génie 
du  colossal,  les  formes  simples  et  fortes  qui  convien- 
nent à  ces  grandes  choses.  Ces  statues,  pour  être 
énormes,  n'en  étaient  pas  moins  mesquines  et  froides, 
dans  leur  sécheresse  classique.  On  les  laissa  maladroi- 
tement se  délaver  sur  place  aux  pluies  d'automne; 
elles  furent  bientôt  efiroyables  sous  un  tel  climat. 
Montrer  ainsi  la  Liberté  tout  près  de  l'écbafaud,  c'était 
un  crime,  en  réalité,  un  crime  contre-révolutionnaire. 
La  foule  vint  à  la  prendre  en  haine,  n'y  voyant  qu'un 
Moloch  à  dévorer  des  hommes.  Fâcheuse  image  qui 
entra  bien  loin  dans  l'âme  de  nos  pères,  calomnia  la 
Liberté  dans  leurs  cœurs.  Pendant  qu'elle  fleurissait 
jeune,  forle,  invincible  à  Watignies,  à  Dunkerque, 
à  Fleurus,  ici,  chez  elle,  hideuse  et  délabrée,  elle 
épouvantait  les  regards. 

VI.  i» 


LIVRE  XIII 


.♦*■ 


CHAPITRE  I 


LE  COOTERKEVENT  SE  COKSTITIE.  CARKOT. 


(A^ét  fS). 


Lef  AnglA-AalrieliieBS  réwsis  aurrheat  ven  Paris  (S<  18  êoài  t9\  —  Banèr« 
Eut  ealrer  CarMt  au  Comité  4e  SalvC  pabUc  (14  ••«!).  —  OppMitiMi  4e 
Bobespierre.  —  Robespierre  «ernse  le  CoBîlé  4e  irihisoa. 


I^  guerre  de  la  coalition  changeait  de  caractère* 
D'une  froide  guerre  politique,  elle  menaçait  de  de- 
venir une  furieuse  croisade  de  vengeance  et  de  fana- 
tisme. Le  souffle  de  Témigration  emportait  malgré 
eux  les  généraux  glacés  de  l'Angleterre  et  de  l'Âu- 
triche.  Les  instructions  des  cabinets  leur  disaient  de 
combattre  à  part.  Les  ardentes  prières,  les  larmes 
enragées  des  émigrés  qui  se  roulaient  à  leurs  genoux, 
leur  disaient  de  combattre  ensemble.  De  Vienne,  de 
Londres,  les  ministres  écrivaient  :  «  Garnissez-vous 


230  LES  ANGLO-AUTRICHIENS  RÉUNIS 

les  mains,  prenez  des  places.  »  Mais  les  émigrés  en- 
touraient York,  Cobourg,  priaient  et  suppliaient,  les 
poussaient  à  Paris.  Les  minisires  exigeaient  Dunker- 
que  et  Cambrai.  Les  émigrés  montraient  la  tour  du 
Temple.  «  La  Révolution  est  impuissante,  elle  re- 
cule, disaient-ils.  Voilà  trois  mois  qu'elle  reste 
sans  pouvoir  faire  un  bon  gouvernement.  Avan- 
cez donc.  Maintenant  ou  jamais.  » 

Les  émigrés  risquaient  de  vaincre,  de  tuer  la  Patrie, 
pour  leur  déshonneur  éternel.  M.  de  Maistre  le  leur 
a  dit  :  «  Eh  1  malheureux,  félicitez-vous  d'avoir  été 
battus  par  la  Convention  !.,.  Auriez-vous  donc  voulu 
d'une  France  démembrée  et  détruite?  » 

C'étaitle  moment  où  s'accomplissait  le  grand  crime 
du  siècle,  l'assassinat  de  la  Pologne.  La  France 
n'allait-elle  pas  avoir  le  même  sort?  Deux  peuples 
semblent  tout  près  de  disparaître  ensemble,  deux 
lumières  du  monde  pâlissent  et  vont  s'éteindre.... 
et  la  liberté  avec  elles!...  On  croit  sentir  l'approche 
de  la  grande  nuit....  L'humanité  bientôt  ira,  les 
yeux  crevés,  nouveau  Samson  aveugle,  travaillant 
sous  le  fouet! 

Valenciennes  qui  s'était  livrée  elle-même  à  l'enne- 
mi, était  devenue  un  étrange  foyer  de  fanatisme.  Les 
traîtres  qui  ouvraient  la  ville  avaient  voulu  faire  tuer 
nos  représentants  par  le  peuple;  les  émigrés,  à  la 
sortie,  guettaient  pour  les  assassiner.  Toute  une 
armée  de  prêtres  était  rentrée,  des  moines  de  toute 
robe,  plus  qu'il  n'y  en  eut  dans  Tancienne  France. 
Tout  cela  grouillant,  prêchant,  remplissant  les  égli- 


aeSy  y  ebantant  le  Sahmm  foc  Impeniorem.  Le$ 
femmes  pl^uaî^it  de  joie  et  remerciaieDt  Dîea« 

Un  grand  conseil  eut  lien  le  3  août  Et  là,  York 
céda,  ne  pooTant  plus  lutter  contre  tant  d'instances, 
contre  Témotion  qui  était  dans  Tair.  11  mit  ses  in- 
structions dans  sa  poche,  s'unit  aux  Autrichiens.  Le 
général  conmiandité  de  Ui  banque  et  de  la  boutiquf 
devint  un  dievalier  et  se  lança  dans  la  croisade. 

Ce  bonhomme  d'York,  frère  du  roi  d'Angleterre, 
était  un  homme  de  six  pieds,  brave  et  faible  de  carac- 
tère, n  avait  pour  coutume  (quand  il  dînait  chez  sa 
nudtresse)  de  boire,  après  diuer,  dix  bouteilles  de 
elartL  Les  belles  dames  royalistes  raffolaient  de  lui, 
à  Valenciennes,  renlaçaicot  ;  ce  pauvre  géant  ne  pou- 
vait se  défendre.  L'or  anglais,  qui  était  aussi  entré  à 
flots,  portait  l'enthousiasme  au  comble.  Tout  le 
monde  jurait,  jusque  dans  les  boutiques,  qu'il  n'y 
avait  que  ce  grand  homme ,  ce  bon  duc  d'York, 
qui  pAt  sauver  le  royaume.  York  finit  par  dire 
comme  les  autres  :  Or  now,  or  never.  Maintenant  ou 
jamais. 

Voilà  la  masse  énorme  des  deux  armées  anglaise 
et  autrichienne,  qui  s'ébranle  et  roule  au  Midi.  Les 
Hollandais  viennent  derrière.  En  tète,  voltigeait  la 
brillante  cavalerie  émigrée,  radieuse,  furieuse,  avec 
ses  prévôts  et  ses  juges  pour  pendre  la  Convention. 

On  croyait  que  le  torrent  allait  s'arrêter  à  Cambrai. 
Mais  point.  On  continue.  Les  partis  avancés  poussent 
vers  Saint-Quentin.  Nous  évacuons  La  Fère  en  bâte. 
Rien  entre  l'ennemi  et  Paris.  L'armée  du  Nord,  très- 


23i  LES  ANGLO-AUTRICHIENS  RÉUNIS 

faible,  inférieure  de  quarante  ou  cinquante  mille 
hommes  à  ce  qu'on  la  croyait,  avait  été  trop  heu- 
reuse de  se  jeter  à  gauche  dans  une  bonne  position  et 
d'éviter  l'ennemi. 

La  France  résisterait-elle,  et  qui  dirigerait  la 
résistance?  Chacun  paraissait  reculer  devant  une 
telle  responsabilité.  On  trouvait  des  hommes  dévoués 
pour  braver  lo  feu  des  batteries.  On  n'en  trouvait 
aucun  pour  braver  la  presse  et  les  clubs. 

Le  Comité  de  salut  public  avait  reculé  le  !•'  août 
devant  ce  nom  terrible  de  gouvernement  que  Danton 
le  sommait  de  prendre.  Il  refusait  tout,  ne  voulant  ni 
de  la  dictature,  ni  de  l'état  légal,  de  la  responsabilité 
républicaine. 

Où  était-elle  celte  responsabilité?  Partout,  nuUb 
part.  Les  ministres  la  déclinaient.  Les  représentants 
en  mission  ne  pouvaient  l'accepter,  dans  leur  lutte 
avec  les  ministres.  Tout  le  monde  se  rejettait  sur  un 
mot,  répété  de  tous,  et  très-faux  :  «  C'est  la  Con- 
vention qui  gouverne.  » 

Que  faire?  briser  cette  tiction  fatale,  renouveler  la 
Convention,  lui  faire  créer  pour  l'intérim  un  gouver- 
nement provisoire?  Mais  l'Assemblée  nouvelle  eût  été 
pire,  mais  ce  gouvernement  n'eût  pas  duré  deux  jours, 
sous  les  attaques  de  la  presse  hébertiste. 

La  Convention  avait  décrété,  le  24  juin,  que,  la 
Constitution  une  fois  acceptée  des  départements,  elle 
fixerait  l'époque  où  Von  convoquerait  les  assemblées 
primaires. 

La  France  girondine  comptait  sur  ce  décret,  et. 


c'est  à  ce  prix  qu'elle  aTait  voté  la  ConstitatkHi. 
Nantes  l'aTait  dit  hautement.  Lyon,  Marseille,  Bor- 
deaux, étaient  en  pleine  résistance.  Si  l'on  voulait  les 
rallier,  il  fallait,  non  dissoudre  la  Convention,  mais 
donner  une  garantie  qu'on  la  dissoudrait  un  jour, 
établir  que  la  Convention  ne  voulait  pas  s* éterniser. 

Tel  fut  l'avis  des  conciliateurs,  des  Dantonistes. 

Lacroix  demanda,  le  11  août  que  la  Convention 
décrétât,  non  la  convocation  des  assemblées  primaires, 
mais  une  enquête  préalable  sur  la  population  éledortUe, 
mesure  habile  et  dilatoire,  qui  calmait,  sans  rien 
compromettre. 

Et,  toute  dilatoire  qu'elle  était,  elle  avertissait  l'au- 
torité qu'elle  n'était  pas  éternelle,  secouait  sa  léthar* 
gie,  elle  mettait  en  demeure  le  Comité  de  salut 
public  d'être  on  de  n'être  pas,  de  ne  point  rester  un 
roi  fainéant,  d'agir  enBn  et  de  se  hasarder,  s'il  ne 
voulait  être  balayé  avec  la  Convention  elle-même. 

La  menace  opéra. 

Le  même  jour,  1 1  août,  le  Comité  commença  à 
fonctionner  sérieusement.  Ce  jour,  il  changea  d'exi- 
stence ;  il  osa,  sans  égard  à  Bouchotte,  à  ses  patrons 
les  Hébertistes,  prendre  la  haute  main  sur  la  Guerre. 
Il  envoya Carnot,  avec  tous  ses  pouvoirs,  pour  diriger 
l'armée  du  Nord. 

Qui  rendit  le  Comité  si  audacieux,  et  lui  fit  sur- 
monter cette  peur?  Une  peur  plus  grande,  l'union 
des  armées  alliées,  la  vengeance  prochaine  de  l'émi- 
gration. 

L'homme  le  plus  peureux  du  Comité  (et  le  seul) 


St54  BARRÈRE  FAIT  ENTRER  CARNOT  AU  COMITÉ 

était  Barrère.  C'est  celui  qui  eut  la  plus  vive  intelU* 
gence  du  péril,  et  le  plus  d'audace  pour  l'éviter. 
Entre  la  morsure  hèbertiste  et  la  potence  royaliste,  il 
se  décida,  brava  la  première. 

Barrère  était  le  menteur  patenté  du  Comité.  Cha** 
que  matin,  d'un  coup  frappé  sur  la  tribune,  il  faisait 
jaillir  des  armées  (contre  la  Vendée,  par  exemple, 
quatre  cent  mille  hommes  en  vingt-quatre  heures). 
Mais  lui-même,  dans  un  vrai  péril,  les  armées  idéales 
ne  le  rassuraient  guère.  Il  ne  s'enivrait  point  de  ses 
mensonges,  il  ne  se  croyait  point. 

Sa  peur  lui  disait  parfaitement  que  les  moyens  de 
Danton  opéreraient  trop  tard,  et  que  ceux  de  Robes- 
pierre n'opéreraient  rien.  Danton  voulait  la  levée  en 
masse,  mettre  la  nation  debout  ;  cette  opération  gigan- 
tesque n'aboutit  qu'en  novembre  (quand  nous  étions 
vainqueurs).  Robespierre  ne  proposait  rien  qu©  de 
punir  les  traîires  et  de  faire  des  exemples. 

S'en  tenir  là,  c'était  attendre  l'ennemi,  comme 
le  sénat  romain ,  pour  mourir  sur  sa  chaise  curule. 
Barrère  n'en  avait  nulle  envie. 

Les  chefs  de  la  Révolution  étaient  tous  dans  un 
point  de  vue  noble  et  élevé,  qui  deviendra  plus  vrai 
et  dont  nous  irons  peu  à  peu  nous  rapprochant  dans 
l'avenir  :  Tout  homme  est  propre  à  tout.  Un  sincère 
patriote  mis  en  présence  du  danger,  doit  trouver  dans 
son  cœur  des  lumières  pour  suppléer  à  la  science, 
une  secondevue,  poursauverla  Patrie.  Ils  méprisaiettt 
parfaitement  la  spécialité,  le  métier,  le  technique. 

Barrère,  plus  positif  et  éclairé  par  le  sentiment  de 


DE  SALUT  PUBLIC.  155 

la  conservation,  n'hésita  pas,  dans  une  maladie  qui 
menaçait  d'être  mortelle,  d'appeler  le  médecin.  Il  n^ 
se  fia  pas  à  un  homme  quelconque.  Il  appela  Carnot 
et  Prieur  de  la  Côte  dX)r. 

Il  fallait  là  vraiment  une  seconde  vue  (la  peur  par^ 
fois  la  donne).  Carnot  n'avait  rien  spécialement  qui 
le  désignât  aux  préférences  de  Barrère. 

Il  était  honnête  homme,  visiblement*  Barrère  ne 
Tètâit  pas.  Non  qu'il  fût  malhonnête.  Ni  l'un,  ni 
l'autre.  Mais  un  charmant  faiseur,  improvisateur  du 
Midi. 

Carnot  avait  marqué  par  des  missions,  utiles  et  sans 
éclat. 

11  était  connu  dans  la  Convention  par  les  décrets 
pour  la  fabrication  des  piques  et  la  démolition  des 
places  inutiles. 

Connu  pour  avoir  dirigé  en  92  les  travaux  du  camp 
de  Montmartre,  dont  se  moquaient  les  militaires. 

Il  était  fort  laborieux,  plein  de  zèle;  il  venait  tra- 
vailler de  lui-même  à  l'ancien  Comité  de  salut  public. 

Officier  du  génie,  il  avait  montré  de  la  résolu- 
tion k  Furnes,  et  avait  pris  le  fusil. 

Il  n'y  avait  pas  au  monde  un  meilleur  homme, 
jeune  et  déjà  marié,  régulier,  ne  faisant  rien  que 
d'aller  en  hâte  de  la  rue  Saint-Florentin  (où  il  cou- 
chait) aux  Tuileries,  au  Comité  où  il  fouillait  les  an- 
ciens cartons  de  Grimoard,  l'homme  de  Louis  XVI, 
savant  général  de  cabinet. 

La  doctrine  générale  de  Grimoard,  de  Carnot,  de 
bien  d'autres,  était  d^agir  par  masses.  Ce  sont  de  ces 


LIVRE  XIII 


CHAPITRE  I 


LE  GOUVEKNEVENT  SE  CONSTITUE.  GARNOT. 


(Août  93). 


Les  Anglo-Autrichiens  réunis  marchent  vers  Paris  (3^18  août  93).  —  Barrère 
fait  entrer  Garnot  au  Comité  de  Saint  public  (14  août).  —  Opposition  de 
Robespierre.  —  Robespierre  accuse  le  Comité  de  trahison. 


La  guerre  de  la  coalition  changeait  de  caractère. 
D'une  froide  guerre  politique,  elle  menaçait  de  de- 
venir une  furieuse  croisade  de  vengeance  et  de  fana- 
tisme. Le  souffle  de  Témigration  emportait  malgré 
eux  les  généraux  glacés  de  l'Anglelerre  et  de  TAu- 
triche.  Les  instructions  des  cabinets  leur  disaient  de 
combattre  à  part.  Les  ardentes  prières,  les  larmes 
enragées  des  émigrés  qui  se  roulaient  à  leurs  genoux, 
leur  disaient  de  combattre  ensemble.  De  Vienne,  de 
Londres,  les  ministres  écrivaient  :  «  Garnissez-vous 


i. 


230  LES  ANGLO-AUTRICHIENS  RÉUNIS 

les  mains,  prenez  des  places.  »  Mais  les  émigrés  en- 
touraient York,  Cobourg,  priaient  et  suppliaient,  les 
poussaient  à  Paris.  Les  ministres  exigeaient  Dunker- 
que  et  Cambrai.  Les  émigrés  montraient  la  tour  du 
Temple.  «  La  Révolution  est  impuissante,  elle  re- 
cule, disaient-ils.  Voilà  trois  mois  qu'elle  reste 
sans  pouvoir  faire  un  bon  gouvernement.  Avan- 
cez donc.  Maintenant  ou  jamais.  » 

Lés  émigrés  risquaient  de  vaincre,  de  tuer  la  Patrie, 
pour  leur  déshonneur  éternel.  M.  de  Maistre  le  leur 
a  dit  :  «  Eh  1  malheureux,  félicitez-vous  d'avoir  été 
battus  par  la  Convention  !.,.  Auriez-vous  donc  voulu 
d'une  France  démembrée  et  détruite?  » 

C'était  le  moment  où  s'accomplissait  le  grand  crime 
du  siècle,  l'assassinat  de  la  Pologne.  La  France 
n'allait-elle  pas  avoir  le  même  sort?  Deux  peuples 
semblent  tout  près  de  disparaître  ensemble,  deux 
lumières  du  monde  pâlissent  et  vont  s'éteindre..,, 
et  la  liberté  avec  elles!...  On  croit  sentir  l'approche 
de  la  grande  nuit....  L'humanité  bientôt  ira,  les 
yeux  crevés,  nouveau  Samson  aveugle,  travaillant 
sous  le  fouet! 

Valenciennes  qui  s'était  livrée  elle-même  à  l'enne- 
mi, était  devenue  un  étrange  foyer  de  fanatisme.  Les 
traîtres  qui  ouvraient  la  ville  avaient  voulu  faire  tuer 
nos  représentants  par  le  peuple;  les  émigrés,  à  la 
Sortie,  guettaient  pour  les  assassiner.  Toute  une 
armée  de  prêtres  était  rentrée,  dos  moines  de  toute 
!*ôbe,  plus  qu'il  n'y  en  eut  dans  raucienne  France. 
Tout  cela  grouillant,  prêchant,  remplissant  les  égli- 


y  chaDtaBi  k  Sakmm  fm  hmfawÊÊÊwmL,  hm 
femmes  plemaînt  étjam  tk  wmaBGaàmÈ  OieiL 
l}ngniid€onale«tiHk3M«L    Elâ,Y«fc 

céda,  ne  poaiaDt  plos  Istler  o^aere  la^t  à\ 
contre  rémotioB  qw  était  dbas  Fair.  lâ  wêL  i» 
stractioos  dans  sa  pocte,  sahi  aix  AalnciBH&.  Lt 
général  commaiBtf  ëe  k  bnfne  et  ée  klMâafit 
devint  on  dieTalîer  et  se  knca  daai  k  croméf 

Ce  bonhomme  dTortu  finère  éa  m  #  Jkagklcnc, 
était  un  homme  de  âx  pîe^  bniRe  et  kAk  ée  cane- 
tére.  n  avait  pour  iwrtBmr  faaad  d  HêêsêL  cicK  sa 
maîtresse)  de  boire,  après  diner,  &l  koateûitt  de 
tlartU  Les  bdks  dames  ropdîstes  ntfrJiift  ée  ki, 
à  Yalenciennes,  Tenbcaieol  ;  «  paarre  çéaot  ae  poa- 
Tait  se  défiNidre.  L*or  angkîs,  qm  élaà  ^mssk  ewité  à 
flots,  portait  renthonaasmc  an  «Mbk.  Tmrt  k 
monde  jurait,  jusque  dans  les  bonliqaes,  fn'il  wCj 
avait  que  ce  grand  homme ,  ee  bon  dne  dTorfc, 
qui  pût  sauver  te  rovanme.  York  fimi  par  dire 
comme  les  autres  :  Or  mm:,  or  mecer.  Maintmant  on 
jamais. 

Voilà  la  masse  énorme  des  deax  armées  a^g^aite 
et  autrichienne,  qui  sfébrank  et  ronk  an  MidL  Les 
Hollandais  viennent  derrière.  En  tète,  voltigeait  k 
brillante  cavalerie  émigrée,  radieuse,  furieuse,  avee 
ses  prévôts  et  ses  juges  pour  pendre  U  Convention. 

On  croyait  que  le  torrent  allait  s'arrêtera  CambraL 
Mais  point.  On  continue.  Les  partie  avancés  poussent 
vers  Saint-Quentin.  Nous  évacuons  La  Fère  en  bâte. 
Rien  entre  l'ennemi  et  Paris.  L'armée  du  Nord^  très- 


230  LES  ANGLO-AUTRICHIENS  RÉUNIS 

les  mains,  prenez  des  places.  »  Mais  les  émigrés  en- 
touraient York,  Cobourg,  priaient  et  suppliaient,  les 
poussaient  à  Paris.  Les  minisires  exigeaient  Dunker- 
que  et  Cambrai.  Les  émigrés  montraient  la  tour  du 
Temple.  «  La  Révolution  est  impuissante,  elle  re- 
cule, disaient-ils.  Voilà  trois  mois  qu'elle  reste 
sans  pouvoir  faire  un  bon  gouvernement.  Avan- 
cez donc.  Maintenant  ou  jamais.  )) 

Lés  émigrés  risquaient  de  vaincre,  de  tuer  la  Patrie, 
pour  leur  déshonneur  éternel.  M.  de  Maistre  le  leur 
a  dit  :  «  Eh  1  malheureux,  félicitez-vous  d'avoir  été 
battus  par  la  Convention  !.,.  Auriez-vous  donc  voulu 
d'une  France  démembrée  et  détruite?  » 

C'était  le  moment  où  s'accomplissait  le  grand  crime 
du  siècle,  l'assassinat  de  la  Pologne.  La  France 
n'allait-elle  pas  avoir  le  même  sort?  Deux  peuples 
semblent  tout  près  de  disparaître  ensemble,  deux 
lumières  du  monde  pâlissent  et  vont  s'éteindre.... 
et  la  liberté  avec  elles!...  On  croit  sentir  l'approche 
de  la  grande  nuit....  L'humanité  bientôt  ira,  les 
yeux  crevés,  nouveau  Samsoû  aveugle,  travaillant 
sous  le  fouet! 

Valenciennes  qui  s'était  livrée  elle-même  à  l'enne- 
mi, était  devenue  un  étrange  foyer  de  fanatisme.  Les 
traîtres  qui  ouvraient  la  ville  avaient  voulu  faire  tuer 
nos  représentants  par  le  peuple;  les  émigrés,  à  la 
Sortie,  guettaient  pour  les  assassiner.  Toute  une 
armée  de  prêtres  était  rentrée,  dos  moines  de  toute 
!*ôbe,  plus  qu'il  n'y  en  eut  dans  l'ancienne  France. 
Tout  cela  grouillant,  prêchant,  remplissant  les  égli- 


MARCHENT  VERS  PARIS.  831 

S6$9    y  chantant  le  Salvum  fac  Imperatorem.  he$ 
femmes  pleuraient  de  joie  et  remerciaient  Dieu* 

Un  grand  conseil  eut  lieu  le  3  août  Et  là,  York 
céda,  ne  pouvant  plus  lutter  contre  tant  d'instances, 
contre  l'émotion  qui  était  dans  l'air.  H  mit  ses  in- 
structions dans  sa  poche,  s'unit  aux  Autrichiens*  Le 
général  commandité  de  la  banque  et  de  la  boutique 

devint  un  chevalier  et  se  lança  dans  la  croisade. 

t. 

Ce  bonhomme  d'York,  frère  du  roi  d'Angleterre, 
était  un  homme  de  six  pieds,  brave  et  faible  de  carac- 
tère. 11  avait  pour  coutume  (quand  il  dînait  chez  sa 
maltresse)  de  boire^  après  dîner,  dix  bouteilles  de 
clareU  Les  belles  dames  royalistes  raffolaient  de  lui, 
à  Valenciennes,  l'enlaçaient;  ce  pauvre  géant  ne  pou- 
vait se  défendre.  L'or  anglais,  qui  était  aussi  entré  à 
flots,  portait  l'enthousiasme  au  comble.  Tout  le 
monde  jurait,  jusque  dans  les  boutiques,  qu'il  n'y 
avait  que  ce  grand  homme ,  ce  bon  duc  d'York, 
qui  pût  sauver  le  royaume.  York  finit  par  dire 
comme  les  autres  :  Or  now,  or  never*  Maintenant  ou 
jamais. 

Voilà  la  masse  énorme  des  deux  armées  anglaise 
et  autrichienne,  qui  s'ébranle  et  roule  au  Midi.  Les 
Hollandais  viennent  derrière.  En  tète,  voltigeait  la 
brillante  cavalerie  émigrée,  radieuse,  furieuse,  avec 
ses  prévôts  et  ses  juges  pour  pendre  la  Convention. 

On  croyait  que  le  torrent  allait  s'arrêter  à  Cambrai. 
Mais  point.  On  continue.  Les  partis  avancés  poussent 
vers  Saint-Quentin.  Nous  évacuons  La  Fère  en  bâte. 
Rico  entre  l'ennemi  et  Paris.  L'armée  du  Nord^  très- 


Î32  LES  ANGLO-AUTRICHIENS  REUNIS 

faible,  iuférieure  de  quarante  ou  cinquante  mille 
hommes  à  ce  qu'on  la  croyait,  avait  été  trop  heu- 
reuse de  se  jeter  à  gauche  dans  une  bonne  position  et 
d'éviter  l'ennemi. 

La  France  résisterait-elle,  et  qui  dirigerait  la 
résistance?  Chacun  paraissait  reculer  devant  une 
telle  responsabilité.  On  trouvait  des  hommes  dévoués 
pour  braver  lo  feu  des  batteries.  On  n'en  trouvait 
aucun  pour  braver  la  presse  et  les  clubs. 

Le  Comité  de  salut  public  avait  reculé  le  i*'  août 
devant  ce  nom  terrible  de  gouvernement  que  Danton 
le  sommait  de  prendre.  Il  refusait  tout,  ne  voulant  ni 
de  la  dictature,  ni  de  l'état  légal,  de  la  responsabilité 
républicaine. 

Où  était-elle  celte  responsabilité?  Partout,  nulife 
part.  Les  ministres  la  déclinaient.  Les  représentants 
en  mission  ne  pouvaient  l'accepter,  dans  leur  lutte 
avec  les  ministres.  Tout  le  monde  se  rejettait  sur  un 
mot,  répété  de  tous,  et  très-faux  :  «  C'est  la  Con- 
vention qui  gouverne.  » 

Que  faire?  briser  cette  fiction  fatale,  renouveler  la 
Convention,  lui  faire  créer  pour  l'intérim  un  gouver- 
nement provisoire?  Mais  l'Assemblée  nouvelle  eût  été 
pire,  mais  ce  gouvernement  n'eût  pas  duré  deux  jours, 
sous  les  attaques  de  la  presse  hébertiste. 

La  Convention  avait  décrété,  le  24  juin,  que,  la 
Constitution  une  fois  acceptée  des  départements,  elle 
fixerait  l'époqiœ  où  Von  convoquerait  les  assemblées 
primaires. 

La  France  girondine  comptait  sur  ce  décret,  et^ 


MARCHBM   YKUS  PARIS.  ^35 

c'est  à  ce  prix  qu'elle  avait  voté  la  Constitution. 
Nantes  l'avait  dit  hautement.  Lyon,  Marseille,  Bor- 
deaux, étaient  en  pleine  résistance.  Si  l'on  voulait  les 
rallier,  il  fallait,  non  dissoudre  la  Convention,  mais 
donner  une  garantie  qu'on  la  dissoudrait  un  jour, 
établir  que  la  Convention  ne  voulait  pas  s'éterniser. 

Tel  fut  l'avis  des  conciliateurs,  des  Dantonistes, 

Lacroix  demanda,  le  il  août  que  la  Convention 
décrétât,  non  la  convocation  des  assemblées  primaires, 
mais  une  enqitête préalable  sur  la  population  électorale, 
mesure  habile  et  dilatoire,  qui  calmait,  sans  rien 
compromettre. 

Et,  toute  dilatoire  qu'elle  était,  elle  avertissait  l'au- 
torité qu'elle  n'était  pas  éternelle,  secouait  sa  léthar- 
gie, elle  mettait  en  demeure  le  Comité  de  salut 
public  d'être  ou  de  n'être  pas,  de  ne  point  rester  un 
roi  fainéant,  d'agir  enfin  et  de  se  hasarder,  s'il  ne 
voulait  être  balayé  avec  la  Convention  elle-même. 

La  menace  opéra. 

Le  même  jour,  11  août,  le  Comité  commença  à 
fonctionner  sérieusement.  Ce  jour,  il  changea  d'exi- 
stence ;  il  osa,  sans  égard  à  Bouchotte,  à  ses  patrons 
les  Hébertistes,  prendre  la  haute  main  sur  la  Guerre. 
11  envoya Carnot,  avec  tous  ses  pouvoirs,  pour  diriger 
l'armée  du  Nord. 

Qui  rendit  le  Comité  si  audacieux,  et  lui  fît  sur- 
monter cette  peur?  Une  peur  plus  grande,  l'union 
des  armées  alliées,  la  vengeance  prochaine  de  l'émi- 
gration. 

L'homme  le  plus  peureux  du  Comité  (et  le  seul) 


^        BARRÈRE  FAIT  ENTRER  CARNOT  AU  COMITÉ 

était  Barrère.  C'est  celui  qui  eut  la  plus  vive  intelli- 
gence du  péril,  et  le  plus  d'audace  pour  l'éviter. 
Entre  la  morsure  hèbertiste  et  la  potence  royaliste,  il 
se  décida,  brava  la  première* 

Barrère  était  le  menteur  patenté  du  Comité.  Gba** 
que  matin,  d'un  coup  frappé  sur  la  tribune,  il  faisait 
jaillir  des  armées  (contre  la  Vendée,  par  exemple, 
quatre  cent  mille  bommes  en  vingt-quatre  beures). 
Mais  lui-môme,  dans  un  vrai  périU  les  armées  idéales 
ne  le  rassuraient  guère.  Il  ne  s'enivrait  point  de  ses 
mensonges,  il  ne  se  croyait  point. 

Sa  peur  lui  disait  parfaitement  que  les  moyens  de 
Danton  opéreraient  trop  tard,  et  que  ceux  de  Robes- 
pierre n'opéreraient  rien.  Danton  voulait  la  levée  en 
masse,  mettre  la  nation  debout  ;  cette  opération  gigan- 
tesque n'aboutit  qu'en  novembre  (quand  nous  étions 
vainqueurs).  Robespierre  ne  proposait  rien  qu»  de 
punir  les  traîtres  et  de  faire  des  exemples. 

S'en  tenir  là,  c'était  attendre  l'ennemi,  comme 
le  sénat  romain ,  pour  mourir  sur  sa  chaise  curule. 
Barrère  n'en  avait  nulle  envie. 

Les  chefs  de  la  Révolution  étaient  tous  dans  un 
point  de  vue  noble  et  élevé,  qui  deviendra  plus  vrai 
et  dont  nous  irons  peu  à  peu  nous  rapprochant  dans 
l'avenir  :  Tout  homme  est  propre  à  tout.  Un  sincère 
patriote  mis  en  présence  du  danger,  doit  trouver  dans 
son  cœur  des  lumières  pour  suppléer  à  la  science, 
une  secondevue,  poursauverla  Patrie.  Ils  méprisaient 
parfaitement  la  spécialité,  le  métier,  le  technique. 

Barrère,  plus  positif  et  éclairé  par  le  sentiment  de 


DE  SALUT  PUBLIC.  S35 

la  cûDservation,  n'hésita  pas,  dans  une  maladie  qui 
menaçait  d'être  mortelle,  d'appeler  le  médecin.  Il  m 
se  fia  pas  à  un  homme  quelconque.  Il  appela  Gamot 
et  Prieur  de  la  Côte  d'Or. 

II  fallait  là  vraiment  une  seconde  vue  (la  peur  par^ 
fois  la  donne).  Carnot  n'avait  rien  spécialement  qui 
le  désignât  aux  préférences  de  Barrère. 

Il  était  honnête  homme,  visiblement»  Barrère  ne 
Tétait  pas.  Non  qu'il  fût  malhonnête.  Ni  l'un,  ni 
l'autre.  Mais  un  charmant  faiseur,  improvisateur  du 
Midi. 

Carnot  avait  marqué  par  des  missions,  utiles  et  sans 
éclat. 

11  était  connu  dans  la  Convention  par  les  décrets 
pour  la  fabrication  des  piques  et  la  démolition  des 
places  inutiles. 

Connu  [)our  avoir  dirigé  en  92  les  travaux  du  camp 
de  Montmartre,  dont  se  moquaient  les  militaires. 

Il  était  fort  laborieux,  plein  de  zèle;  il  venait  tra- 
vailler de  lui-même  à  l'ancien  Comité  de  salut  public. 

Officier  du  génie,  il  avait  montré  de  la  résolu- 
tion k  Furnes,  et  avait  pris  le  fusil. 

Il  n'y  avait  pas  au  monde  un  meilleur  homme, 
jeune  et  déjà  marié,  régulier,  ne  faisant  rien  que 
d'aller  en  haie  de  la  rue  Saint-Florentin  (où  il  cou- 
chait) aux  Tuileries,  au  Comité  où  il  fouillait  les  an- 
ciens cartons  de  Grimoard,  l'homme  de  Louis  XVI, 
savant  général  de  cabinet. 

La  doctrine  générale  de  Grimoard,  de  Carnot,  de 
bien  d'autres,  était  d'agir  par  masses.  Ce  sont  de  ceis 


236  BARRÈRli;  FAIT  ENTRER  CARNOT  AU  COMITE 

axiomes  généraux,  qui  ne  sont  rien  que  par  Tapplica- 
tion.Un  seul  hommeavait  appliqué,  le  grand  Frédéric, 
qui,  dans  la  Guerre  de  Sept  ans,  cerné  comme  un 
loup  dans  une  meute  d'ennemis,  avait  porté  ici  et  là, 
brusquement,  des  masses  rapides,  leur  faisant  front  à 
tous,  et  les  battant  tous  en  détail. 

Cet  Allemand,  forcé  d'être  léger  parla  nécessité, 
mit  dans  la  guerre  et  dans  la  science  de  la  guerre, 
cette  idée  instinctive  et  simple  que  la  nature  enseigne 
à  tout  être  en  péril . 

«  Que  faire  donc?  »  demandait  Barrère. — «  Imiter 
le  grand  Frédéric.  Prendre  au  Rhin  de  quoi  fortifier 
l'armée  du  Nord,  y  frapper  un  grand  coup.  » 

La  situation  était-elle  la  môme?  Frédéric,  vive- 
ment, âprement  poursuivi  par  la  France  et  l'Autriche, 
Tétait  bien  moins  par  la  Russie.  Il  put  la  négliger  par 
moments  pour  faire  face  aux  deux  autres. 

11  était  douteux  qu'on  pût  impunément,  en  93, 
négliger  ainsi  le  Rhin.  Les  Prussiens,  libres  enfin  du 
siège  de  Mayence,  s'étaient  unis  aux  Autrichiens. 
Leurs  armées,  débordant  à  la  fois  sur  une  ligne  im- 
mense, menaçaient  la  frontière.  Tout  le  monde  s'en- 
fuyait des  villes  d'Alsace.  L'armée  du  Rhin,  en  pleine 
retraite,  reculait  lentement.  Si  elle  ne  pliait  pas  sous 
la  masse  épouvantable  de  l'Allemagne  qui  avançait, 
elle  le  devait,  non  à  ses  généraux,  Custine,  Beau- 
harnais  et  autres  qui  suivirent  et  qui  changeaient  à 
chaque  instant;  elle  le  dut  à  quelques  officiers  infé- 
rieurs, Desaix,  Gouvion  Saint-Cyr,  qui  chaque  jour 
à  r arrière-garde,  se  faisaient  patiemment,  conscieu- 


m  SALIT  PUBLIC.  257 

cieusement  écraser,  pour  donner  encore  à  Tarmèe  un 
jour  de  retraite.  L'auraient-ils  pu  toujours,  si  les 
Prussiens  avaient  sérieusement  secondé  TAutriche? 

Pourquoi  la  Prusse  agit-elle  mollement?  Parce 
qu'elle  voulait  attendre  le  partage  de  la  Pologne. 

Nous  le  savons  maintenant.  Mais  Garnot  ne  le  sa- 
vait pas.  Il  agit  comme  s'il  le  savait,  et  il  risqua  sa 
tète.  H  proposa  audacieusement  d'affaiblir  de  trente- 
cinq  mille  hommes  nos  armées  de  Rhin  et  de  Mo* 
selle,  au  moment  où  les  Prussiens  fortifiaient  l'armée 
coalisée  de  quarante  mille  hommes  !  Quel  texte  d'ac- 
cusations, s'il  ne  réussissait!  Aucun  des  généraux 
guillotinés  à  cette  époque  n'eût  passé  plus  sûrement 
pour  traître.  Nous-mêmes,  aujourd'hui,  nous  serions 
fort  embarrassés  de  fixer  notre  opinion. 

Garnot  fut  héroïque,  risqua  sa  vie  et  sa  mémoire. 
Barrère  même,  il  faut  le  dire,  eut  un  moment  d'au- 
dace, lorsqu'il  lança  Garnot  devant  le  Gomité.  Sa  tète 
fut  engagée  aussi. 

Non-seulement  la  mesure  était  excessivement 
hasardeuse  à  Tarmëe,  mais  elle  l'était  à  Paris,  où  le 
Gomité  allait  faire  le  grand  pas  devant  lequel  il  re- 
culait toujours  :  subordonner  Bouchotte,  braver  la 
tyrannie  des  Hébertistes,  devenir  ce  que  Danton  de- 
mandait qu'il  fût  :  un  gouvernement. 

Il  y  avait  dans  le  Gomité  deux  Dantonistes,  Hérault 
et  Thuriot,  qui,  pour  que  le  Comité  fût  un  gouverne-' 
ment,  sans  nul  doute  appuyèrent  Barrère.  Gouthon, 
qui  avait  si  vivement  saisi  ce  mot  de  Danton,  l'aura 
peut-être  encore  suivi  en  cette  circonstance.  Saint- 


258  BARRÈRE  FAIT  ENTRER  GARNOT  AU  COMITÉ  DE  SALUT  PUBLIC. 

Just  enfin  aimait  l'audace  ;  quelque  peu  sympathi- 
que qu'il  fût  à  la  personne  de  Garnot,  je  parierais 
qu'il  acceptât  son  héroïque  expédient. 

Le  difficile  était  d'amener  Robespierre  à  braver  la 
presse  hébertiste,  à  toucher  le  sacro -saint  ministère 
de  la  guerre,  à  irriter  la  meute  du  Père-Du- 
chesne.  Il  ne  s'agissait  pas  là  de  partis^  ni  d'opi- 
nions. Il  s'agissait  d'argent.  En  appelant  à  la  sur- 
veillance de  la  guerre  deux  militaires,  Carnot  et 
Prieur,  on  ouvrait  une  fenêtre  sur  celte  caisse  mys- 
térieuse. Robespierre  comptait  sans  nul  doute  éclai* 
rer  un  jour  tout  cela  et  serrer  ces  drôles  de  prÔ8. 
Mais  ils  étaient  encore  bien  forts.  Ils  pouvaient  un 
matin  tirer  sur  lui  à  six  cent  mille,  comme  en  oc- 
tobre ils  le  firent  sur  Danton.  S'ils  n'eussent  osé  l'aV- 
taquer,  ils  l'eussent  travaillé  en  dessous;  cette  grande 
autorité  mofale  de  Robespierre,  cette  position  quwi 
sacerdotale  dans  la  révolution,  elle  s'était  formée  en 
cinq  années,  elle  était  entière;  mais  c'était  chose  dé- 
licate, comme  la  réputation  d'une  femme,  qui  perd 
à  la  moindre  insinuation. 

Autre  danger.  Carnot  n'était  pas  Jacobin,  et  il 
n'avait  jamais  voulu  mettre  les  pieds  aux  Jacobins. 
La  société  Jacobine,  en  cette  affaire,  ne  se  mettrait- 
elle  pas  avec  les  Hébertistes  contre  le  Comité? 

Robespierre  avait  en  lui  une  chose  instinctive,  peut- 
être  prophétique  :  l'anlipalhie  du  militaire.  Il  haïssait 
Tépée.  On  eût  dit  qu'il  sentait  que  nos  libertés  péri- 
raient par  la  maladie  nationale,  l'admiration  de  l'épée. 

Barrère,  à  cette  antipathie,  pouvait  opposer,  il  est 


OPl>OSITiON  DE  ROBESPIERRE.  259 

vrai^  la  figure  très- peu  militaire  de  Carnet.  II  avait 
l'air  d'un  prêtre,  la  mine  simple  et  modeste,  toute 
civile.  Plus  tard,  les  magnifiques  sabreurs  de  l'âge 
impérial  ne  revenaient  pas  de  leur  étonnement  en 
voyant  les  bas  bleus,  la  bourgeoise  culotte  courte  du 
célèbre  directeur  des  quatorze  armées  de  la  Répu- 
blique, de  Vorganisateur  de  la  victoire,  qui  ne  l'orga- 
nisa pas  seulement,  mais  de  sa  main  la  fit  à  Wati* 
gnies. 

Avec  tout  cela,  il  y  avait  un  point  d'après  lequel 
il  est  indubitable  que  Robespierre  n'accepta  pas  Car- 
net, c'est  qu'il  avait  protesté  contre  le  SI  mai.  D'autres 
ravalent  fait  aussi,  mais  ils  se  rétractèrent.  Carnot 
persévéra  dans  son  culte  de  la  légalité.  C'est  ce  qui 
qui  fit  faire  sa  grande  faute  de  fructidor,  où  il  aurait 
laissé  mourir  la  République,  immolé  la  Justice  par 
respect  pour  la  Loi. 

Carnot  força  la  porte  du  Comité,  mais  il  resta 
entre  eux  une  hostilité  incurable.  Robespierre  ne  se 
consola  jamais  des  succès  de  Carnot.  H  le  croyait  trop 
indulgent,  peu  ferme.  Il  devinait  (avec  raison)  qu'il 
employait  dans  ses  bureaux  des  hommes  utiles,  mais 
peu  républicains.  On  le  trouva  parfois  les  yeux  fixés  sur 
les  cartes  de  Carnot,  triste,  à  verser  des  larmes,  accu- 
sant amèrement  sa  propre  nature,  son  incapacité  mi- 
litaire. Il  ne  tenait  pas  à  lui  qu'on  ne  crût  qu'un  com- 
mis de  la  guerre,  un  certain  Aubigny,  dirigeait  presque 
sew/ les  mouvements  des  armées,  et  qu'on  ne  lui  rap- 
portât nos  victoires. 


t4U  KOBKSPIEHRR  AiXUSK  LE  COMITE 

Quelle  qu'ait  été  sa  répugnance,  qui  eût  tout  arrêté 
dans  un  autre  moment,  le  Comité,  sous  Taiguillon 
d'uD  tel  danger^  passa  outre,  et  le  soir  du  11,  envoya 
Carnot  avec  ses  pouvoirs  à  l'armée  du  Nord.  Le  14, 
il  se  le  fit  adjoindre  avec  Prieur  de  la  Côte-d'Or. 

Le  soir  même  du  1 1 ,  Robespierre  alla  droit  du 
Comité  aux  Jacobins.  Soit  que  toute  opposition  contre 
son  sentiment  lui  parût  trahison  contre  la  République, 
soit  que  sa  sombre  et  maladive  imagination  lui  fit 
croire  véritablement  que  ses  collègues  trahissaient, 
soit  enfin  qu'il  craignit  la  Presse  et  voulût  se  laver 
les  mains  d'un  acte  si  hardi  contre  les  Hébertistes,  il 
lança  contre  ses  collègues  une  diatribe  épouvantable, 
et  cela,  d'une  manière  inattendue  et  brusque,  à  la 
fin  d'un  discours  qui  faisait  attendre  autre  chose. 

Il  se  trouvait  précisément  que  le  président  des 
Jacobins  avait  fort  à  propos  cédé  le  fauteuil  à 
rhomme  qui  sans  nul  doute  était  le  plus  intéressé 
au  succès  de  la  dénonciation  de  Robespierre.  C'était 
Hébert  qui  présidait,  et  qui  plus  d'une  fois  soutint, 
encouragea  l'orateur  interrompu  par  des  murmures. 

Robespierre  parla  quelque  temps  sur  ce  texte  : 
«  C'est  toujours  Dumouriez  qui  commande  nos  ar- 
mées; nous  sommes  trahis,  vendus.  »  Il  s'emporta 
contre  Custine  qu'on  mettait  en  jugement,  jusqu'aux 
dernières  limites  de  l'exagération  :  «  Il  a  assassiné 
trois  cent  mille  Français  ;  et  il  sera  innocenté,  l'assas- 
sin de  nos  frères  !  Il  assassinera  toute  la  race  hu- 
maine^ et  bientôt  il  ne  restera  que  les  tyrans  et  les 
«sclaves.  » 


DE  TRAHISON.  141 

Voyant  alors  leâ  Jacobins  émus  et  colères,  il  tourna 
courte  et  dit  :  a  La  plus  importante  de  mes  réflexions 
allait  m'échapper.  Appelé  contre  mon  inclination  au 
Comité  de  salut  public,  j'y  ai  vu  des  choses  que  je 
n'aurais  osé  soupçonner.  Des  traîtres  trament  au  sein 
même  du  Comité  contre  les  intérêts  du  peuple,...  Je  me 
séparerai  du  Comité....  Je  ne  croupirai  pas  membre 
inutile  d'une  Assemblée  qui  va  disparaître....  Rien 
ne  peut  sauver  la  République,  si  Ton  adopte  cette 
proposition  de  dissoudre  la  Convention....  On  veut 
faire  succéder  à  la  Convention  épurée  les  envoyés  de 
Pitt  et  de  Cobourg.  » 

11  présentait  ainsi  la  proposition  de  Lacroix  (/'en- 
qvéte  sur  la  population  électorale)  comme  une  disso- 
lution immédiate  de  la  Convention. 

Les  journaux,  même  les  plus  favorables  à  Robes- 
pierre, ne  nous  donnent  pas  la  fin  de  ce  discours 
excentrique.  Hérault  et  Lacroix  exigèrent  que  la 
Convention  s'expliquât.  Hérault  rappela  qu'au  tO 
août  étaient  expirés  les  pouvoirs  du  Comité  de  salut 
public.  Lacroix  demanda  que  le  Comité  qui  jouissait 
de  la  confiance  de  F  Assemblée  fût  renouvelé  pour  un 
mois.  La  Convention,  non-seulement  accorda  ce  re- 
nouvellement, mais  dans  les  jours  qui  suivirent  elle 
donna  au  Comité  des  marques  d'une  confiance  abso- 
lue, l'obligeant,  entre  autres  choses,  d'accepter  les 
cinquante  millions  qu'il  avait  refusés  le  l""'  août. 

Telle  était  la  fatalité  d'une  situation  si  violente. 
Malgré  la  Terreur  de  la  Presse,  malgré  la  répugnance 
infinie  de  Robespierre  pour  la  responsabilité  gouver- 

VI.  i« 


Î4I  nOBESPIERRE  ACCUSE  LE  COMITÉ  DE  TRAHISON. 

nementale^  la  nécessité  constitua  le  gouîernement. 
liB  Comité»  complété  en  septembre ,  devint  roi 
malgré  lui. 


..y 


CHAPITRE  II 

LA  RÉQUISITION.  VICTOIRE  DE  DUNKERQUE. 
(11  AoA(.-*7  Septembre.) 


Élan  des  Fédérés ,  qui  entraînent  les  Jacobins.  —  Danton  seconde  l'élitt  det 
Fédérés  —  La  France  apparaît  comme  peuple  militaire.  —  Elle  était  relevé* 
dans  l'estime  de  rEurope  par  le  siège  de  Mayence.  —  Custine  avait-il 
trablT  •«  Carnet  croit,  comme  Custine,  que  la  Prusse  a^fira  pen.  «^  Ciriiot 
devine  Jourdan  Hocbe  et  Bonaparte,— Victoire  de  Donkerqne. 


«  Le  peuple  français  debout  contre  les  tyrans*  » 
C'est  rinscription  que  portèrent  les  bannières  dei^. 
bataillons  levés  par  la  Réquisition.  Elle  résume  l'im-». 
mense  effort  de  93. 

L'initiative  n'en  appartient  ni  à  l'Assemblée,  ni  aUi 
Comité  de  salut  public,  ni  à  la  Commune.  Les  pk 
toyables  résultats  qu'avait  eus  et  qu'avait  encore 
la  levée  en  masse,  essayée  depuis  quatre  mois  dansla^ 
Vendée,  faisaient  croire  généralement  que  cette  iM^i 
sure  était  peu  utile.  /- 


244  PUN  DES  FÉDÉRÉS, 

C'est  ce  que  Robespierre  dit  le  15  août  aux  Jaco- 
bins, et  ce  que  dit  aussi  Chaumette.  Ce  mouvement 
immense  contrariait  les  Hébertistes  jusque-là  maîtres 
de  la  Guerre.  Ils  n'osèrent  s'y  opposer.  Hébert  ne 
parla  pas,  mais  fit  parler  Chaumette. 

La  Commune,  en  établissant  aux  Jacobins  les  fé- 
dérés envoyés  pour  la  fête,  avaient  fait  toute  autre 
chose  que  celle  qu'elle  croyait  faire.  Loin  que  les  fé- 
dérés suivissent  la  politique  jacobine,  ce  furent  les 
Jacobins  qui  gagnèrent  l'enthousiasme  des  fédérés. 
Ceux-ci,  vraie  fleur  des  patriotes,  envoyés  par  la 
France  émue,  accueillis,  embrassés  par  la  Conven- 
tion, ivres  de  Paris,  de  la  fête  et  du  danger  public, 
enlevèrent  la  Société  jacobine  à  la  sagesse  de  ses 
meneurs  ordinaires.  Dans  une  atmosphère  si  brû- 
lante, le  dévouement  complet  du  peuple  au  peu- 
ple, l'armement,  le  départ  de  vingt- cinq  millions 
d'hommes,  la  France  tout  entière  devenant  Décius, 
cette  grande  et  poétique  idée  parut  chose  très- 
simple.  Royer,  curé  de  Chalon-sur-Saône,  voulait 
de  plus  que  les  aristocrates,  liés  six  par  six,  marchas- 
sent en  première  ligne  au  feu  de  l'ennemi.  La  levée 
en  masse  fut  ainsi  votée  d'enthousiasme  aux  Jacobins, 
et  dans  un  tel  élan,  que  Robespierre  n'essaya  plus  d'y 
contredire,  il  engagea  Royer  à  rédiger  l'adresse  à  la 
Convention. 

Interrompre  tous  les  travaux,  laisser  les  champs 
sans  culture,  suspendre  l'action  entière  de  la  société, 
c'était  chose  nouvelle;  l'Assemblée  croyait  devoir  y 
regarder  à  deux  fois.  Le  Comité  de  salut  public 


QUI  ENTRAINENT  LES  JACOBINS.  245 

suivit  l'impulsion,  en  la  modifiant,  avec  des  me- 
sures dilatoires.  Mais  Danton  insista,  il  se  fit  cette 
fois  encore  l'orateur  et  la  voix  du  mouvement 
populaire.  Il  se  l'appropria:.  Il  formula  toutes  les 
grandes  mesures  et  les  fit  voter. 

Danton  était  un  esprit  trop  positif  pour  croire  que 
cette  opération  gigantesque  aboutirait  à  temps.  Et  an 
eifet  les  deux  victoires  qui  nous  sauvèrent  (7  septem- 
bre, 16  octobre)  furent  gagnées  par  d'autres  moyens, 
par  des  troupes  toutes  formées  qu'on  porta  à  l'armée 
du  Nord.  Mais  la  Réquisition  n'en  contribua  pas  moins 
à  la  victoire,  par  son  puissant  efiet  moral.  Dans  ces 
mémorables  batailles,  nos  soldats  eurent  le  sentiment 
de  cette  prodigieuse  arrière-garde  d'une  nation  en- 
tière qui  était  là  debout  pour  les  soutenir;  ils  n'eurent 
pas  avec  eux  les  masses  du  peuple,  mais  sa  force,  son 
âme,  sa  présence  réelle,  la  divinité  de  la  France.  L'é- 
tranger s'aperçut  que  ce  n'était  plus  une  armée  qui 
frappait;  an  poids  des  coups,  il  reconnut  le  Dieu. 

Voici  le  texte  du  décret  : 

«Tous  les  Français  sont  en  réquisition  perma- 
nente.... Les  jeunes  gens  iront  au  combat;  les  hom- 
mes mariés  forgeront  des  armes  et  transporteront  des 
subsistances;  les  femmes  feront  des  tentes,  des  habits 
et  serviront  les  hôpitaux  ;  les  enfants  feront  la  char- 
pie; les  vieillards,  sur  les  places,  animeront  les 
guerriers,  enseignant  la  haine  des  rois  et  Tunité  de  la 
République.  » 

Ceci  entrait  dans  la  passion,  donnait  la  grande 
idée  de  la  levée  en  masse.  L'efiet  moral  était  produit. 


€46  DANTON  SECONDE  L*ÉLAN  DES  FÉDÉRÉS. 

Un  article  ramenait  la  chose  aux  proportions  où  elle 
était  utile  :  «  Les  citoyens  non  mariée,  de  ISàSSans, 
marcheront  les  premiers.  » 

Qui  lèverait  la  Réquisition?  Les  communes?  Les 
agents  ministériels?  La  chose  n'eût  pas  été  plus  vite 
que  pour  les  trois  cent  mille  hommes,  votés  eu  mars, 
qui  n'avaient  donné  presque  rien. 

Dantob  ouvrit  un  avis  noble  et  grand,  de  se  fier  à 
la  France  du  salut  de  la  France.  Or,  personne  en  ce 
moment  ne  la  représentait  plus  fortement  que  ces 
braves  fédérés  des  Assemblées  primaires,  tout  émusi 
de  Paris,  exaltés  au-dessus  d'eux-mêmes,  et  trempés 
au  feu  du  10  août.  Robespierre  ne  voulait  pas  qu'on 
s'y  fiât.  Il  avait  dit  aux  Jacobins  qu'on  ne  pouvait 
remettre  de  tels  pouvoirs  à  des  inconnus.  Danton  de- 
manda au  contraire  que  l'Assemblée  leur  donnât  un 
pouvoir,  une  mission  positive,  sous  la  direction  d^ 
représentants,  qu'on  les  chargeât  de  la  Réquisition. 
«  Par  cela  seul,  dit-il,  vous  établirez  dans  le  mouve- 
ment une  unité  sublime.  »  La  chose  fut  votée  en 
effet. 

Les  forges  sur  les  places,  des  ateliers  rapides  qui 
élisaient  mille  fusils  par  jour,  les  cloches  descendant 
de  leurs  tours  pour  prendre  une  voix  plus  sonore  et 
lancer  le  tonnerre,  les  cercueils  fondus  pour  les 
balles,  les  caves  fouillées  pour  le  salpêtre,  la  France 
arrachant  ses  entrailles  pour  en  écraser  rennemi. 
Tout  cela  composait  le  plus  grand  des  spectacles. 

Spectacle  toutefois  infiniment  différent  de  celui  de 
93,  celi]i  d'une  action  ferme,  sérieuse  et  forte  plutôt 


LA  FRANGE  APPARAIT  GOMME  PEUPLE  flUITAIRE.  1|7 

qu'enthousiaste.  Le  beau  nom  de  92  qui  fait  son  au-* 
réole  au  ciel,  c'est  celui  du  libre  départ,  le  Dom  des 
volontaires.  Et  le  nom  de  93,  grave  et  sombre,  est 
réquisition. 

N'importe,  cette  nation  qu'on  croit  légère,  se  mon- 
tre ici  forte  comme  le  destin.  L'étranger  avait  dit  : 
ff  Laissons  dissiper  ces  fumées....  Demain,  décou- 
ragés, ils  laisseront  l'épée  tomber  d'elle-même.  »  Et, 
c'est  tout  le  contraire,  la  nation,  pour  la  première 
fois,  apparaît  vraiment  militaire,  avec  ou  sans  en-^ 
thousiasme,  également  héroïque.  Pour  la  première 
fois,  on  le  vit  à  Mayence.  Cette  épée  qu'on  croyatt 
échappée  des  mains  de  ce  peuple,  il  l'empoigne,  il  la 
serre,  il  l'applique  à  son  cœur  :  «  A  moi,  ma  fiancée  !  n 
Fidèle,  elle  le  suit  au  Nil,  au  pôle.  Il  a  beau  disperser 
ses  os,  elle  reste,  cette  épée  fidèle,  elle  survit  aux 
naufrages  de  ses  idées  et  de  sa  foi...  0  peuple,  n'es^-ta 
donc  qu'une  épée? 

Revenons.  Oui,  93  fut  fort  et  grave,  la  dictature 
du  peuple,  des  fédérés  choisis  par  lui  et  fonctionnant 
sous  ses  représentants.  Ces  fédérés,  gens  simples  (et 
beaucoup  d'entre  eux  paysans)  auraient-^Is  bien  l'au*^ 
torité  efficace,  décisive,  rapide,  pour  exécuter  cette 
graude  chose,  non<*seulement  pour  lever  les  hommes, 
mais  pour  nourrir  l'armée,  pour  frapper  les  réquisw 
tiens?  Y  faudrait-il  des  moyens  de  Terreur? 

Pour  les  rendre  inutiles,  ilMlait  en  parler.  G' est  ce 
que  Danton  fît  à  merveille  :  «  Qu'ils  sachent  bien,  les 
riches,  les  égoïstes,  que  nous  n'abandonnerions  la 
France  qu'après  Tavoir  dévastée  et  rasée  !..••  Qu'iis 


3&0  GUSTIME  AVAIT-IL  TRAHI? 

commaadement;  Gastine  avait  injustement  accusé 
Kellermann  et  d'autres.  11  n'avait  nullement  ménagé 
les  patriotes  allemands,  jusqu'à  menacer  de  pendre 
le  président  de  la  Convention  de  Mayence!  Gela  seul 
méritait  une  peine  exemplaire» 

11  avait  plu  beaucoup  d'abord,  comme  partisan  de 
Toffensive,  malgré  Dumouriez.  Mais,  l'offensive  ayant 
manqué,  il  était  devenu  comme  lui  diplomate.  Il 
ménageait  les  Prussiens,  et  prit  sur  lui  d'inviter  à 
capituler  la  garnison  de  Mayence. 

Eût-il  pu  secourir  la  place?  Évidemment  non. 

Dans  l'état  d'affaiblissement  et  de  désorganisation 
où  était  l'armée,  il  avait  tout  à  risquer.  Il  n'eût  pas 
fait  un  pas  contrôles  Prussiens  sans  que  l'Autriche eà 
profitât,  sans  que  le  bouillant  Wurmser  le  prit  en 
flanc  et  inondât  l'Alsace. 

Gustine,  en  réalité,  n'osa  se  défendre.  Il  n'osa  difê 
ce  que  Gossuin  avait  dit  le  13  août  à  la  GonventioB^ 
ce  que  Levasseur  et  Bentabole  écrivaient  encore  à  la 
fin  de  septembre  :  Le  ministère  de  la  guerre  ne  fait 
rien  pour  mettre  nos  armées  en  état  d'agir. 

Il  ne  dit  point  ce  mot.  Il  eut  peur  des  clubs  et  delà 
presse.  Le  jugement  fut  précipité.  On  craignait 
excessivement,  et  à  tort,  que  l'armée  ne  prît  parti 
pour  lui.  Paris  était  très-agité.  Les  jurés  furent  pMN- 
fois  siffles  des  royalistes  et  menacés  des  Jacobins. 
Gustine  périt  le  27  août,  le  jour  même  où  les  roya- 
listes livraient  Toulon  à  l'ennemi. 

Les  actes  suspects  de  Gustine  avaient  été  dietéi 
par  une  idée,  juste  au  fond ,  et  que  la  paix  de  Bàle 


GARNOT  CROIT,  COMME  €USriNE«  QUE  LA  PRUSSE  AGIRA  PEU.  iM 

devait  confirmer,  à  savoir  :  Que  la  Prusse  haïBêait  la 
France  moins  qu'elle  ne  haïssait  rAutrichCé  Dès  les 
premiers  jours  de  juillet,  la  Prusse  avait  écrit  à  la 
République  française  pour  échanger  les  prisonniers* 
De  toutes  les  puissances,  c'était  celle  qu'on  pouvait 
espérer  détacher  de  la  Coalition. 

Cette  vérité  était  palpable,  et  c'est  elle  qui  guida 
Carnot.  Il  crut  que  la  Prusse  agirait  tard,  et  il  hasarda 
une  chose  qui  l'eût  rendu  tout  aussi  accusable  que 
Custine,  si  le  succès  ne  Teût  lavé  :  il  osa  afibiblir  l'ar- 
mée, déjà  trop  faible,  du  Rhin. 

Il  jugea  parfaitement  que  la  Coalition  était  une 
bande  de  voleurs  qui  n'avaient  nulle  idée  commune^ 
dont  chacun  voulait  piller  à  part.  Cela  se  vérifia. 

L'entente  des  Anglais  et  des  Autrichiens  dura,  en 
tout,  quinze  jours,  du  3  au  18.  Le  18,  une  lettre  dd 
Pitt  sépara  York  de  Cobourg.  Il  écrivit  :  «  Je  veux 
Dunkerque.  > 

Même  division  sur  le  Rhin^  Le  14  août,  parut  dans 
les  journaux  l'acte  par  lequel  la  Russie  s'adjugeait 
moitié  de  la  Pologne.  La  Prusse  réclama  sa  part, 
et  pour  plus  de  deux  mois  encore,  elle  ajourna  sur  le 
Rhin  la  coopération  qu'attendaient  F  Autriche  et  les 
émigrés. 

Donc,  Carnot  avait  eu  raison.  Cela  était  prouvé, 
même  avant  de  tirer  un  coup  de  fusil. 

Le  Comité  lui  montra  une  confiance  sans  réserve. 
Il  obtint  que  la  Convention  défendit  aux  ministres 
d'envoyer  aux  armées  ces  agents  qui  neutralisaient 
l'action  des  représentants  du  peuple.  Coup  hardi  qui 


252  CARNOT  DEVINE  JOURDAN,  HOCHE  ET  BONAPARTE. 

décidément  subordonnait  le  ministère.  Les  Héber- 
tistes  n'osèrent  crier,  mais  ils  firent  parler  Robes- 
pierre. Il  défendit  leur  ministre,  déplora  aux  Jaco- 
bins le  décret  rendupar  la  Convention  (23  août). 

Carnot  avait  trouvé  l'armée  du  Nord  dans  un  état 
indicible.  Le  matériel  n'existaitpoint.  Ni  subsistances, 
ni  équipement,  ni  habillement,  ni  charroi;  toute 
administration  avait  péri.  C'est  le  tableau  qu'en  fait 
Robert  Lindet,  qui,  arrivant  en  novembre,  trouva  les 
choses  dans  le  même  état,  et  recréa,  concentra  beu-^ 
reusement  tout  ce  mouvement. 

Quant  au  personnel,  il  était  prodigieusement  iné- 
gal. On  trouvait  tout  à  côté  les  extrêmes,  les  meilleurs, 
les  pires.  Parmi  ces  troupes  désorganisées,  il  y  avait 
ici  et  là  des  forces  vives,  étonnantes,  les  hommes  les 
plus  militaires  qui  furent  et  seront  jamais.  Tout  cela, 
il  est  vrai,  caché  encore  dans  des  rangs  inférieurs. 
Carnot,  c'est  une  de  ses  gloires,  eut  l'œil  clairvoyant, 
bienveillant,  pour  reconnaître  ces  hommes  uniques  et 
il  les  porta  quelquefois  desderniers  rangsaux  premiers. 

Divination  merveilleuse  du  patriotisme!  Cet  hom- 
me aima  tant  la  Patrie,  il  eut  au  cœur  un  désir  si  vio- 
lent de  sauver  la  France,  que,  devant  cette  foule  où 
les  autres  ne  distinguaient  rien,  lui,  par  une  seconde 
vue,  il  connut,  sentit  les  héros  ! 

Son  premier  regard  lui  donna  Jourdan. 

Le  second  lui  donna  Hoche. 

Le  troisième  lui  donna  Bonaparte. 

Hoche,  encore  petit  oflBcier,  était  dans  Dunkerque. 
Jourdan,  général  de  brigade,  était  dehors,  dans  Tar- 


CARNOT  UEYINK  JOUKUAN,  HOCHE  El  BONAPARTE.     ^ 

mée  d'Houchard,  et  avec  lui,  des  hommes  qui  ont 
laissé  souvenir,  un  homme  follement  intrépide.  Van- 
damme,  Leclerc  qui  devint  le  beau-frère  de  l'Em- 
pereur. Carnot  leur  écrivit,  le  20  :  «  L'affaire  est 
secondaire  sous  le  rapport  militaire;  mais  Pitt  a 
besoin  de  Dunkerque  devant  l'Angleterre.  La,  est 
rhonneur  de  la  France.  »> 

Cela  fut  compris.  Le  plan  de  Carnot  était  de  pren- 
dre l'Anglais  entre  la  ville  qu*il  assiégeait ,  un  grand 
marais  et  la  mer.  Vaste  filet  où  la  proie  s'était  placée 
elle-même.  Au  fond,  était  la  ville  de  Furnes.  Elle 
était  aux  mains  de  l'Anglais  ;  mais,  si  on  la  prenait 
aussi,  le  filet  était  fermé. 

Le  combat  dura  vingt-quatre  heures,  l'armée  fran- 
çaise étant  vivement  secondée  de  la  place  d'où  Hoche 
faisait  des  sorties.  Hondscote,  poste  avancé  des  assié- 
geants, fut  pris  et  repris.  Un  moment  nous  eûmes 
en  main  un  fils  du  roi  d'Angleterre.  Le  représentant 
Levasseur,  qui  eut  un  cheval  tué  sous  lui,  suppléa  à 
la  lenteur,  à  l'hésitation  d'Houchard.  Jourdan,  Van- 
damme  et  Leclerc  forcèrent  les  Anglais  de  se  reti- 
rer par  les  dunes.  Le  duc  d'York  leva  le  siège,  et 
recula  en  bon  ordre.  Tout  le  monde  fut  indigné  ; 
Bouchard  l'a  payé  de  sa  vie.  On  voit  cependant  en 
réalité  qu'un  succès,  obtenu  si  difficilement  par  ce 
furieux  effort,  continué  vingt-quatre  heures,  un 
succès  qui  n'alla  pas  jusqu'à  mettre  l'ennemi  en  de-* 
route,  ne  pouvait  être  aisément  poursuivi.  York  sem- 
blait dans  un  filet  ;  mais,  encore  une  fois,  on  n'avait 
pas  Fumes,  qui  en  était  le  fond* 


2(Mi  VICTOIRE  DE  DUNKERQUE. 

Complète  ou  qod,  cette  victoire  cboDgealt  tout. 
La  levée  subite  du  siège  de  Dunkerque,  cinquante 
canons  abandonnés^  la  retraite  d'une  armée  d'élite, 
l'année  anglaise,  qui  eût  pu  être  si  aisément  aidée  de 
la  mer,  tout  cela  eut  un  effet  immense  sur  l'opinion 
de  l'Europe.  Dès  lors,  la  cbance  avait  tourné.  On  fut 
saisi  de  voir  la  France  que  l'on  croyait  devenue  pour 
toujours  l'impuissance  et  le  chaos^  frapper  un  coup 
si  fort,  si  sûr.  On  soupçonna  ce  qui  était  vrai  en  réa-^ 
litë  :  Il  y  avait  déjà  vm  gcmvemement. 

À  Paris»  on  ne  soufQa  mot.  Qui  avait  été  vaincu? 
bien  moins  les  Anglais  que  les  Hébertistes,  les  impu« 
dents  meneurs  du  ministère  de  la  guerre. 

Ils  étaient  maîtres  des  clubs,  des  sections,  de  la 
Commune,  de  tous  les  organes  de  la  publicité.  Aux 
Jacobins  même,  il  y  eut  une  grande  entente  pour 
parler  le  moins  possible  d'un  succès  si  désagréable 
aux  alliés  qu'on  ménageait. 


CHAPITRE  m 

COMPLOTS  ROYALISTES.  TOULON. 
(Aoikt.-*Septeiiibr»  93). 


hn  Roialittas  Kirtnl  Toulon  aax  Angtais.— Leur  Joie  improdenle  à  Parif.— * 


Les  grandes  mesures  de  défense  étaient  votées. 
Celles  de  Terreur  seraient^lles  nécessaires,  pour  le» 
appuyer,  les  rendre  efficaces?  Danton  avait  montré  la 
foudre^  il  l'avait  fait  entendre  ne  l'avait  pas  lancée% 

Le  droit  donné  aux  fédérés  de  frapper  des  réqui- 
sitions pour  nourrir  et  équiper  l'armée  serait-il 
exercé?  Le  paiement  immédiat  des  contributions  ar- 
riérées, avec  les  neuf  premiers  mois  de  93,  s'exécu- 
terait-il? c'était  la  question. 

Il  était  fort  k  craindre  que  les  riches  ne  prissent 


5tM5  I  ES  IlOYALISTES  LIVRENT  TOULON  AUX  ANGLAIS. 

pas  au  sérieux  la  foudre  de  Danton,  lorsque  tant 
d'actes  d'indulgence  étaient  reprochés  aux  Danto- 
nistes.  Terribles  en  paroles  et  dans  les  mesures  géné- 
rales, ils  étaient  faibles  et  mous  dans  les  rapports 
particuliers.  C'étaient  eux  qui  depuis  le  10  août  se 
trouvaient  à  la  tète  du  mouvement  révolutionnaire.  Il 
aurait  fort  bien  pu  avorter  dans  leur  main,  si  une 
circonstance  imprévue  ne  les  avait  poussés,  et  n'avait 
fait  voter  (chose  étonnante)  par  les  indulgents  même 
les  lois  de  la  Terreur. 

Ce  miracle  fut  opéré  par  les  royalistes  même, 
contre  lesquels  il  se  faisait.  Ce  furent  eux  qui,  par 
un  acte  monstrueux  de  trahison,  mirent  l'étincelle 
aux  poudres,  jetèrent  la  France  républicaine  dans  uo 
tel  accès  de  fureur,  que  les  indulgents  durent  lancer 
le  char  de  la  Terreur,  pour  n'en  être  écrasés  eux- 
mêmes. 

Le  27  août,  pendant  que  les  Anglais  essayaient 
d'emporter  Dunkerque,  à  trois  cents  lieues  de  là  on 
leur  livrait  Toulon. 

Toulon,  notre  premier  port,  des  arsenaux  im- 
menses, d'énormes  magasins  de  bois  précieux,  irrè-* 
parables  (dans  la  situation),  un  monstrueux  matériel 
entassé  pendant  tout  le  règne  de  Louis  XYI,  nos  flottes 
réunies  pour  la  guerre  d'Italie,  nombre  de  vaisseaux 
de  commerce  qu'on  avait  empêché  de  rentrer  à  Mar- 
seille, des  fortifications  enfin,  redoutes,  batteries, 
qu'on  avait  pu  fort  aisément  prendre  par  trahison; 
mais,  par  force,  comment  les  reprendre?  Les  Anglais 
tiennent  bien  ce  qu'ils  tiennent.  Exemple  :  Gibraltar 


LES  ROYALISTES  LIVRENT  TOULON  AUX  ANGLAIS.  257 

et  Calais.  Ils  nous  ont  gardé  Calais  deux  cents  ans, 
sans  qu'on  pût  le  leur  arracher.  Avec  Toulon,  Dun- 
kerque,  ils  avaient  deux  Calais  ;  la  France  était  deux 
fois  bridée  et  muselée.  A  peine  le  démembrement 
était-il  dès  lors  nécessaire.  Il  valait  mieux  pour  eux 
nous  faire  un  petit  roi,  qui  serait  un  préfet  anglais. 

Le  2  septembre,  Soulès,  un  ami  de  Chalier,  qui 
venait  du  Midi,  apporta  la  fatale  nouvelle  de  Toulon, 
non  au  Comité  de  salut  public,  mais  tout  droit  à  la 
barre  de  la  Convention.  On  était  sûr  ainsi  que  la  nou- 
velle ne  serait  pas  étouffée. 

Il  y  avait  de  quoi  faire  sauter  le  Comité  et  guillo- 
tiner peut-être  le  ministre  de  la  marine.  Barré re 
soutint  hardiment  que  la  chose  n'était  pas  vraie. 
Quelques-uns  voulaient  faire  arrêter  le  malencon- 
treux révélateur. 

Le  ministre  était  Monge,  excellent  patriote,  grand 
homme  de  science  et  d'enseignement,  mais  pauvre 
homme  d'affaires,  serf  des  parleurs  et  aboyeurs, 
comme  Bouchotte.  Plusieurs  fois  on  l'avertit  de  la 
légèreté  de  ses  choix  ;  il  en  convenait  avec  douleur, 
avec  larmes.  Cependant,  ni  lui,  ni  personne  ne  soup- 
çonna la  noirceur  de  la  trahison  royaliste,  la  longue 
et  profonde  dissimulation  par  laquelle  les  agents  des 
princes  parvinrent  à  se  faire  accepter  comme  violents 
Jacobins.  Leurs  titres  sous  ce  rapport  ont  été  parfai- 
tement établis  par  l'un  d'eux,  le  baron  Imbert,  dans 
sa  brochure  publiée  ent8I4.  On  ne  peut  lire  sans 
admiration  par  quelle  persévérante  astuce  ces  hon- 
nêtes gens,  à  plat  ventre  devant  la  royauté  des  clubs, 

Vî.  17 


^8  LES  ROYALISTES  LIVRENT  TOULON  AUX  ANGLAIS. 

rampèrent,  jusqu'à  ce  que  Tétourderie  des  Répu- 
blicains leur  livrât  la  proie,  t  Étant  parvenu,  »  dit 
Imbert,  «au  commencement  de  93,  à  obtenir  de 
l'emploi,  je  me  chargeai  d'une  grande  expédition 
pour  en  faire  manquer  les  effets,  ainsi  que  le  por- 
taient mes  ordres  secrets,  les  seuls  légitimes.  » 

Il  y  avait  deux  partis  à  Toulon,  les  Girondins,  les 
Royalistes.  Les  premiers,  faibles  et  violents,  comme 
partout,  prenaient  des  mesures  contraires  ;  ils  guil- 
lotinaient des  patriotes  et  ils  envoyaient  de  l'argent  à 
l'armée  de  la  République.  Les  seconds,  plus  consé- 
quents, ne  pouvaient  manquer  de  les  dominer  ;  ils 
appelèrent  les  Anglais.  Ceux-ci,  pris  pour  juges  et 
arbitres  entre  les  deux  partis,  jugèrent  impartiale- 
ment comme  le  juge  de  la  fable;  ils  donnèrent  une 
écaille  à  chaque  plaideur,  et  s'adjugèrent  Toulon. 

Les  représentants  du  peuple,  Pierre  Rayle  et  Reau- 
vais,  avaient  été  lâchement  outragés  par  les  modérés, 
qui  leur  firent  faire  une  espèce  d'amende  honorable 
de  rue  en  rue  et  à  l'église,  un  cierge  à  la  main.  Traités 
plus  barbarement  encore  sous  la  domination  anglaise, 
et  jetés  dans  les  cachots,  ils  y  trouvèrent  la  mort. 
Reauvais  y  mourut  de  misère  et  de  mauvais  traite- 
ments, Rayle  abrégea  en  se  poignardant. 

Des  gens  moins  légers  que  nos  royalistes  auraient 
contenu  leur  joie.  Pour  se  frotter  les  mains  de  la 
ruine  de  la  France,  il  fallait  au  moins  qu^elle  fût  cer- 
taine. Ils  n'y  tinrent  pas.  Cette  merveilleuse  nouvelle 
des  deux  coups  frappés  en  cadence  sur  Toulon,  sur 
Dunkerque  (ils  tenaient  l'un  tout  aussi  sûr  que  l'autre), 


LEUR  iOIE  IMPRUDENTE  A  PARIS.  359 

leur  monta  à  la  tète.,..  Un  monde  de  guerre  et  de 
marine  rafiflé  en  quelques  heures  !  Lyon  raffermi  dans 
la  révolte  !  L'armée  des  Alpes  compromise  !  Nos  re- 
présentants forcés  de  marchander  avec  le  soldat  et 
d'augmenter  sa  solde!  Ces  signes  universels  de 
débâcle  les  rendaient  fous  de  joie.  Ils  faisaient  des 
chansons  sur  la  levée  en  masse,  déjà  ridicule  en 
Vendée.  Un  représentant  avait  dit  :  «  Qu'en  faire  de 
celte  levée?  et  qui  m'en  débarrassera?  » 

Leur  folie  alla  jusqu'à  jouer  au  Palais-Royal  le 
triomphe  de  la  reine.  On  voyait  dans  une  pièce  une 
dame  charmante,  prisonnière  avec  son  fils  dans  une 
tour  (et  pour  qu'on  ne  s'y  trompât  pas,  la  tour  était 
copiée  sur  celle  du  Temple)  ;  la  prisonnière  était  glo- 
rieusement  délivrée,  et  dans  les  libérateurs,  tout  le 
monde  reconnaissait  Monsieur  et  le  comte  d'Artois. 

Ces  audacieux  étourdis,  ne  ménageant  plus  rien, 
reprenaient  à  grand  bruit  leur  vie  d'avant  89.  Les 
somptueuses  voitures,  depuis  longtemps  sous  la  re- 
mise, étaient  sorties,  roulaient,  brûlaient  le  pavé  de 
Paris;  on  les  admirait  brillantes  en  longues  files  aux 
portes  des  théâtres.  La  pièce  à  la  mode  était  Patnéla, 
drame  larmoyant,  sentimental,  où  le  beau  rôle  était 
pour  les  Anglais  (pendant  qu'ils  assiégeaient  Dun* 
kerque!  ).  Toute  allusion  contre-révolutionnaire  était 
vivement  saisie.  Les  élégants,  braves  au  théâtre, 
sous  les  yeux  de  leurs  maîtresses,  sifflaient  intrépi- 
dement tout  ce  qui  de  près  ou  de  loin  était  favorable 
à  la  République.  Un  militaire  jacobin  ayant  osé  en 
faire  autant  pour  des  passages  royalistes,  tout  le 


260  COMPLOTS  POUR  DÉLIVRER  LA  REINE. 

monde  se  jela  sur  lui.  Le  Comité  de  salut  public 
ferma  le  théâtre. 

Mais  tout  ceci  était  un  jeu.  Un  drame  plus  sérieux 
se  jouait  à  la  Conciergerie.  Le  royalisme  était  si  fort, 
qu'il  perçait  les  murs.  Nulle  précaution  n'empêchait 
de  communiquer  avec  la  reine.  Depuis  la  mort  de 
Louis  XVI,  il  y  eut  une  conspiration  permanente 
pour  la  délivrer. 

Lorsqu'elle  était  encore  au  Temple,  un  jeune  muni- 
cipal, Toulan,  homme  ardent  du  Midi,  s'était  donné 
de  cœur  àelle;  la  reine  l'avait  encouragé,  lui  écrivant 
en  italien  :  «  Aime  peu  qui  craint  de  mourir.  »  Tou- 
lan n'aima  que  trop,  il  périt. 

Transférée  à  la  Conciergerie,  resserrée,  gardée  à 
vue,  elle  n'en  était  pas  moins  en  communication  avec 
le  dehors.  Par  faiblesse,  humanité,  espoir  des  ré- 
compenses, tous  les  surveillants  trahissaient.  La 
femme  du  concierge,  Richard,  favorisait  l'entrée  des 
hommes  qui  tramaient  l'évasion.  Le  municipal  Mi- 
chonis,  administrateur  de  police,  introduisit  un  gen- 
tilhomme qui  remit  une  fleur  à  la  reine,  et  dans  la 
fleur  un  billet  qui  lui  promettait  délivrance.  Le  billet 
tomba,  fut  saisi,  et  la  reine,  sans  se  troubler,  dit 
fièrement  aux  gardes  :  «  Vous  le  voyez,  je  suis  bien 
surveillée,  cependant  on  trouve  moyen  de  me  parler, 
et  moi  de  répondre.  » 

On  chassa,  on  emprisonna  les  Richard.  Qui  leur 
succéda?  un  homme  dévoué  à  la  reine.  Le  concierge 
de  la  Force  demanda  à  passer  à  la  Conciergerie,  tout 
exprès  pour  la  servir.  Les  communications  recom- 


LES  ROYALISTES  POUSSENT  L*ÉMEUTE.  261 

mencèrent.  La  reine  glissa  un  jour  dans  la  main  du 
concierge  des  gants  et  des  cheveux  ;  mais  ces  objets 
furent  saisis,  portés  à  Fouquier-Tinville  qui  les 
donna  à  Robespierre. 

Montgaillard  dit  qu'avec  un  demi-million  on  l'au- 
rait sauvée,  qu'on  ne  trouva  que  180,000  fr.,  dont  il 
donna  (lui  Montgaillard,  qui,  je  crois,  n'avait  pas  un 
sou)  pour  sa  part  72,000[fr. 

Ce  qui  est  plus  sûr,  ce  que  je  lis  dans  les  Registres 
du  Comité  de  sûreté  générale,  c'est  que  la  sœur  de  la 
reine,  l'archiduchesse  Christine,  envoya  à  Paris  un 
certain  marquis  Burlot  et  une  Rosalie  Dalbert,  que 
le  Comité  fit  arrêter  le  20  brumaire  (10  novembre). 

Tout  indique  qu'à  la  fin  d'août  et  au  commence- 
ment de  septembre  les  royalistes  travaillaient  à  faire 
au  profit  de  la  reine  une  révolution  de  sections,  un 
31  mai. 

Les  poissardes  des  marchés,  généralement  roya- 
listes, insultaient  les  couleurs  nationales  (25  août). 
Elles  obtenaient  d'offrir  et  de  faire  passer  à  la  reine 
quelques-uns  de  leurs  plus  beaux  fruits.  Elles  bat- 
taient journellement  les  femmes  du  quartier  qui  se 
réunissaient  aux  charniers  Saint-E  us  tache.  Celles-ci 
étaient  la  plupart  de  pauvres  ouvrières  qui  cousaient 
pour  la  Guerre  et  autres  administrations,  et  qui  n'a- 
vaient pas  la  stature,  la  force,  les  poings  pesants  des 
Dames  de  la  Halle.  Étant  allées  à  la  Convention  pour 
demander  de  l'ouvrage,  elles  faillirent  être  ass^om- 
mées,  et  revenant  par  la  rue  des  Prouvaires,  elles 
reçurent  une  pluie  de  pierfçs  des  fçnêtres.  Leshom- 


262         LES  ROYALISTES  POUSSENT  L'ÉMEUTE. 

mes  des  marchés  commençaient  aussi  à  s'en  mêler. 
Ils  regrettaient  tout  haut  «  le  pain  du  Roi.  » 

Les  subsistances  arrivaient  lentement,  difficile- 
ment ;  chacun  craignait  la  famine,  et,  en  la  crai- 
gnant, la  faisait.  Les  malheureux  travailleurs  après 
les  fatigues  du  jour,  passaient  la  nuit  à  faire  queue 
aux  portes  des  boulangers.  Les  procès-verbaux  des 
sections  les  plus  pauvres  de  Paris  que  j'ai  sous  les 
yeux,  se  résument  en  bien  peu  de  mots,  navrants, 
qui  font  saigner  le  cœur  :  la  faim  et  la  faim  encore, 
la  rareté  du  pain,  nul  travail,  chaque  famille  ayant 
perdu  son  soutien,  plus  de  fils  pour  aider  la  mère; 
tous  aux  armées.  Le  mari  môme  souvent  parti  pour  la 
Vendée.  Toute  femme  délaissée  et  veuve.  Elles  étouf- 
fent aux  portes  des  ateliers  de  la  Guerre  pour  avoir 
un  peu  de  couture;  elles  viennent  avec  leurs  enfants 
pleurera  la  section. 

Ces  grandes  souffrances  du  peuple  donnaient  une 
prise  très-forte  aux  royalistes.  Plusieurs  choses  les 
encourageaient,  l'inertie  surtout  et  la  mésintelligence 
des  autorités. 

La  Convention  presque  entière  était  en  missions 
ou  dans  les  Comités.  Il  n'y  avait  que  deux  cents  mem- 
bres aux  séances  publiques.  Les  Jacobins  étaient  peu 
nombreux,  et  comme  retombés  depuis  le  départ  des 
fédérés.  Robespierre,  depuis  son  attaque  inconsi- 
dérée contre  les  Dantonistes,  s'était  retiré  dans  une 
position  expectante,  qui  le  dispensait  d'initiative,  la 
présidence  de  la  Convention  et  des  Jacobins.  Ses 
votes,  dans  le  mois  d'août,  sont  tous  négatifs.  Le  1^, 


DUCnON  DES  AUTOMTÉS  ET  DE  ROBESPIERRE.  S55 

à  la  proposition  d'ériger  le  Comité  en  gouTenieineDt, 
il  dit  Non.  Fera-t-on  une  enquête  de  la  population 
électorale?  Non  (1 1  août).  Les  fédérés  auront^ils  des 
pouvoirs  illimités?  Non  (14  août).  Même  réponse  né- 
gative pour  la  levée  en  masse,  proposée  aux  Jacobins 
même  pour  le  renouvellement  du  ministère  (23).  II 
n'est  positif  que  sur  deux  points,  la  poursuite  des 
généraux,  des  journalistes  coupables,  et  Taccéléra- 
tion  du  tribunal  révolutionnaire. 

Cela  alla  ainsi  jusqu'à  la  mort  de  Custine  (27  août). 
Les  tribunes  des  Jacobins  étaient  infiniment  bruyan- 
tes. Royalistes,  anarchistes,  une  foule  suspecte  s'en* 
tendait  pour  troubler  les  séances.  Les  Jacobins,  peu 
nombreux,  s'alarmèrent,  et  par  une  mesure  qui  mar- 
quait toutes  leurs  craintes,  ils  fermèrent  leurs  tri- 
bunes au  peuple,  à  tout  homme  non  Jacobin. 

Que  faisait  la  Commune? Elle  voyait  venir  le  mou- 
vement, et  s'en  félicitait.  Elle  était  très-mécontente 
du  Comité  de  salut  public  et  comptait  profiter  du 
mouvement  contre  lui.  11  avait  couronné  ses  torts 
envers  le  ministère  de  la  guerre  et  les  Hébertistes  en 
tranchant  le  24  un  grand  procès  :  A  qui  Von  donnerait 
l'armée  de  Mayence?  V honneur  de  finir  la  Vendée.  Le 
Comité  donna  cette  armée  à  Canclaux,  non  h  Ron- 
sin  et  Rossignol.  Grand  crime.  Hébert  espérait  bien 
que  le  trouble  qui  se  préparait  favoriserait  sa  ven- 
geance, tuerait  le  Comité,  assurerait  aux  siens  et 
l'indépendance  du  ministère  de  la  Guerre  et  la  royauté 
de  Paris. 

Tout  cela  enhardissait  les  royalistes.  Nombreux 


264  FAIBLESSE  DU  COMITÉ 

dans  les  sections,  ils  en  venaient  à  Vidée  de  faire  un 
31  mai,  et  d'étrangler  la  République  au  nom  de  la 
souveraineté  du  peuple. 

Les  subsistances  étaient  un  bon  prétexte.  Voilà  des 
sections  qui,  pour  traiter  des  subsistances,  veulent  en- 
voyer à  rÉvêché,  comme  au  31  mai.  Le  Comité  de 
salut  public  voyant  le  silence  de  la  Commune,  s'alar* 
me  et  croit  tout  étouflFer  en  faisant  décider  que  Paris, 
comme  les  places  de  guerre,  «  pourra  être  approvi- 
sionné par  des  réquisitions  à  main  armée.  »  Il  défend 
la  réunion.  Les  sections  s'en  moquent;  il  n'ose  per- 
sister, et  il  l'autorise  (31  août). 

La  Commune  commençait  pourtant  à  se  demander 
s'il  n'était  pas  possible  que  l'aflFaire  tournât  contre  elle, 
que  ces  gens  réunis  à  l'Évèché,  ne  fissent  une  nou- 
velle Commune.  Chaumette  voulut  calmer  sa  section 
(celle  du  Panthéon)  et  ne  fut  pas  écouté». 

A  la  section  de  l'Observatoire,  les  choses  en  vinrent 
au  point  qu'on  proposa  de  faire  arrêter  comme  contre^ 
révolutionnaires  y  Chaumette,  le  maire  et  la  Commune. 

L'âme  de  cette  section  du  pays  latin  était  un  lati- 
niste, le  boiteux  Lepître,  homme  aventureux,  d'éner- 
gie brutale,  d'autant  plus  remuant  qu'il  avait  peine  à 
remuer.  Furieux  royaliste  sous  sa  criaillerie  jaco- 
bine, il  avait  eu  le  secret  de  se  fourrer  au  conseil 
général  pouravoir  entrée  au  Temple.  Il  était  l'homme 
du  Temple  et  conspirait  pour  délivrer  la  reine. 

L'étonnante  proposition  d'arrêter  tous  les  magis- 
trats de  Paris,  c'est-à-dire  de  faire  plus  qu'au  31 
mai,  choqua  quelques  sections;  mais  ce  n'était  pas 


DE  SALUT  PUBLIC.  205 

le  plus  grand  nombre.  La  Commune,  à  force  de 
laisser  faire,  d'attendre,  était  maintenant  si  bien 
débordée  qu'elle  n'osa  même  pas  poursuivre  l'au- 
teur de  la  proposition. 


CHAPITRE  IV 


MOUVEMENT  DU  4-5  SEPTEMBRE.  LOIS  DE  LA  TERREUR. 


Point  de  départ  du  mouvement.—  Mouvement  du  4,  au  soir.  —  Embarras  des 
Jacobins.  —  Robespierre  ne  vient  pas  le  5  à  la  Convention.  —  La  Commune 
dut  8*entendre  avec  les  Dantonistes. — Comment  Cbaumette  exploite  le  mou- 
vement du  5.  —  Triomphe  de  la  Commune  (5  septembre). 


Justice,  terreur  et  subsistances,  n'était-ce  pas  là 
tout  l'objet  du  mouvement,  s'il  et  lit  sincère?  La  Con- 
vention crut  devoir  lui  donner  quelque  satisfaction. 

Elle  était  avertie  (1*''  septembre)  par  une  adresse 
des  Jacobins  de  Mâcon  à  ceux  de  Paris,  pour  de- 
mander l'armée  révolutionnaire,  la  guillotine  ambu- 
lante, le  maximum,  la  mort  des  Girondins.  Les  Dan- 
tonistes voulurent  faire  quelque  chose.  Danton  (le  3), 
obtint  de  la  Convention  qu'on  fixât  le  maximum  du 
blé;  et  Thuriot  (le  4),  promit  pour  le  lendemain 


POINT  DE  DÉPART  DU  MOUVEMENT.  fffj 

un  rapport  sur  Taccélération  du  tribunal  révolu- 
tionnaire. 

Le  mouvement  n'en  suivait  pas  moins  son  cours. 
Les  vrais  et  les  faux  enragés,  anarchistes  et  royalistes, 
poussaient  d'ensemble  pour  frapper  un  coup  sur  la 
Commune,  sur  la  Convention. 

Autant  qu'on  peut  juger  par  les  procès-verbaux  des 
sections,  il  semble  qu'on  ait  agi  d'abord  sur  la  partie 
la  plus  rude  du  faubourg  Saint-Antoine,  la  moins 
intelligente,  peuplée  de  jardiniers,  maraîchers, 
qu'on  trompait  plus  aisément  que  les  ouvriers.  Le 
mouvement  partit  de  la  lointaine  section  de  Mon- 
treuil,  espèce  de  banlieue  enfermée  dans  Paris  *. 

Montreuil  poussa  le  vrai  faubourg,  les  Quinze- 
Vingts,  la  grande  section  des  ouvriers,  et  entraîna 
Popincourt  (  appendice  du  faubourg ,  sa  troisième 
section). 

Le  mot  de  ralliement  essentiellement  populaire,  et 
pour  lequel  tous  les  partis  pouvaient  s'entendre,  était 
simple  :  Du  pain! 

On  proposa  le  4,  au  nom  de  la  section  de  Montreuil, 
que  dans  tout  le  faubourg,  le  lendemain  à  cinq  heures 
du  matin,  on  battit  la  caisse  et  que  tous,  hommes, 
femmes  et  enfants,  sans  armes,  mais  en  ordre,  par 
compagnies,  on  se  réunit  sur  le  boulevart  «  pour  aller 
demander  du  pain    » 

A  quoi,  l'on  ajouta  aux  Quinze-Vingts  une  pro- 

*  Procès- verbaux  de  la  commune  et  des  sections.  Archives  de  h 
Préfecture  de  la  Seine  et  de  la  Préfecture  de  police. 


268  MOUVEBIENT  DU  4,  AU  SOIR. 

position  plus  révolutionnaire  :  «  Qu'on  enverrait  à 
TÉvêché  des  commissaires  avec  pouvoirs  illimités.  )> 

Tout  cela  dans  la  matinée.  Mais,  le  peuple  qui  n'y 
entendait  point  malice,  au  lieu  d'attendre  au  lende- 
main, le  peuple,  le  soir  même,  alla  droit  à  l'Hôlel- 
de- Ville.  Le  flot  descendit  de  lui-même  et  la  rue  du 
faubourg  et  la  grande  rue  Saint-Antoine,  et  par  l'ar- 
cade Saint-Jean,  déboucha  à  la  Grève. 

La  place,  très-petite  alors,  ne  contenait  pas  deux 
mille  ouvriers,  mais  l'aspect  était  très-sinistre  et  des 
plus  mauvais  jours.  On  avait  grisé  de  colère  ces 
braves  gens  contre  les  affameurs  du  peuple.  Ce  mot, 
lancé  par  la  Commune  contre  le  ministre  de  l'inté- 
rieur, au  mois  d'août,  on  le  lui  lançait  alors  à  elle- 
même  et  à  son  administration  des  subsistances. 

La  foule  aveugle  ne  voulait  rien  qu'agir.  Tout  à 
coup,  dans  la  masse,  se  trouvent  par  enchantement 
des  gens  lettrés,  habiles,  qui  dressent  une  table  sur 
la  place,  forment  un  bureau,  nomment  président^ 
secrétaire,  écrivent  une  pétition.  Puis  ils  lâchent  la 
foule*. •  Elle  se  jette  dans  la  salle,  pousse  au  fond,  et 
tient  acculés  le  maire  et  la  Commune,  commence  à 
les  interroger  avec  insultes  et  menaces,  avec  lasoBi- 
bre  impatience  d'un  estomac  vide  : 

a  Du  pain  !  du  pain!....  Mais  de  suite.  » 

Chaumette,  peu  rassuré,  obtient  de  traverser  la 
foule,  d'aller  à  la  Convention.  C'était  le  moyen  de 
gagner  du  temps.  Il  la  trouva  occupée  justement 
de  fixer  le  prix  des  grains ,  et  revint  avec  cette 
bonne  et  calmante  nouvelle.  La  foule  n'en  criait 


INTIMIDER  BASIRE.  273 

affaires  très-dangereuses.  Les  femmes,  dès  qu'elles 
entrevirent  de  ce  côté  quelque  lueur,  se  précipitèrent, 
assiégèrent  le  Comité  de  sûreté  générale,  le  noyèrent 
de  leurs  larmes,  Tenlacèrent  de  mille  ruses,  d'invin- 
cibles prières,  de  ces  douloureuses  caresses  où  se 
brise  tout  le  nerf  de  l'homme.  Telle  se  réfugia  har- 
diment chez  son  juge,  s'y  cacha  et  n'en  sortit  plus. 

D'autres  membres  étaient  compromis  d'une  ma- 
nière plus  fâcheuse  encore,  par  des  affaires  d'argent. 
Mais  ce  qui  rendait  la  situation  du  Comité  de  sûreté 
extrêmement  périlleuse,  c'est  qu'il  gardait  obstiné- 
ment les  pièces  du  procès  des  Girondins,  n'en  faisant 
point  usage  et  les  refusant  à  Fouquier-ïinville.  Sa 
répugnance  était  insurmontable  pour  les  envoyer  k  la 
mort. 

Les  Jacobins  disaient  à  Fouquier  :  «  Juge  ou 
meurs!  »  Fouquier  se  rejetait  sur  le  Comité.  Le  19 
août,  il  écrivait  à  la  Convention  qu'on  ne  lui  don- 
nait pas  les  pièces.  L'Assemblée  ordonne  que  le  Co- 
mité fera  son  rapport  sous  trois  jours,  et  le  Comité 
fait  toujours  le  mort.  Nouvelle  lettre  de  Fou- 
quier-Tinville  à  l'Assemblée  :  «  Si  le  tribunal  est 
insulté,  menacé  dans  les  journaux  et  dans  les  lieux 
publics,  pour  sa  lenteur  à  juger  la  Gironde,  il  l'est  à 
tort.  Les  pièces  ne  sont  pas  dans  ses  mains.  »  Amar, 
le  futur  rapporteur,  vient  balbutiant  au  nom  du  Co- 
mité, allègue  gauchement  la  complication  de  l'affaire. 
Amar,  ex-trésorier  du  roi,  était  un  homme  très-com- 
promis lui-même. 

>'ous  avons  donné  celte  longue  explication  pour 


274   COMMENT  CHAUMEttÉ  EXPLOITE  LE  MOUVEMENT  DU  5'. 

montrer  comment  le  Comité  in  eœtremi$,  aôcusé 
chaque  jour,  et  presque  aussi  malade  que  la  Gironde 
qu'il  défendait,  ne  pouvait  rien  refuser  aux  menaces 
de  la  Commune  ;  Basire,  bien  moins  encore  qu'aucun 
membre  du  Comité. 

La  fantasmagorie  de  ce  grand  mouvement  si  ter- 
rible le  soir,  disparut  le  matin  du  5.  Le  peuple  se  confia 
aux  promesses  et  resta  chez  lui.  Il  ne  vint  que  des 
députationsàTHÔtel-de-Ville,  point  de  foule.  Presque 
personne  n'alla  à  l'Évêché.  Les  royalistes  avaient 
manqué  leur  coup.  Il  restait  de  toute  TafiFaire  juste 
assez  d'apparence  pour  que  la  Commune  pût  l'ex- 
ploiter encore,  parler  au  nom  du  peuple  et  tourner 
tout  à  son  profil. 

Les  meneurs  de  la  veille  furent  furieux  de  voir 
que  la  pétition,  arrangée  par  Chaumette,  ne  spéci- 
fiait rien  de  leurs  demandes,  qu'un  tribunal  contre 
les  affameurs  et  l'armée  révolutionnaire.  L'un  d'eux, 
un  imprimeur  connu,  attendit  Chaumette  au  Pont- 
Neuf,  et  là,  le  voyant  venir  à  la  tête  du  cortège,  il  lui 
sauta  à  la  gorge,  criant  :  «  Misérable!  tu  te  joues  du 
peuple.  » 

La  Convention,  en  attendant,  pour  avoir  un  gâteau 
à  jeter  au  Cerbère  redouté,  s'était  hâtée  d'organiser 
le  nouveau  tribunal  révolutionnaire,  multiple,  nom- 
breux et  rapide,  qui  fonctionnerait  par  quatre  sec- 
tions. Thuriot  était  au  fauteuil. 

Elle  vota  avec  acclamation  les  propositions  de  la 
Commune,  auxquelles  Danton  et  Basire  ajoutèrent 
celles-ci,  vraisemblablement  convenues  : 


TKIOMI^HE  DE  LA  COMMUNE  (5  SEPTEMBRE).  275 

Daaton  reproduisit  l'aDcienne  propositioD  de  Ro- 
bespierre^  que  l'on  salariât  ceux  qui  assisteraient  aux 
assemblées  de  sections,  qu'ils  reçussent  deux  francs 
par  séance;  les  séances  n'auraient  plus  lieu  que  le 
dimanche  et  le  jeudi.  On  maintenait  à  ce  prix  une 
ombre  de  sections ,  chose  utile  pour  que  chacune 
d'elles  ne  fût  pas  toute  absorbée  dans  son  comité 
révolutionnaire. 

Basire  demanda  (c  Que  les  comités  révolutionnaires 
de  sections  arrêtassent  les  suspects,  mais  que  préala- 
blement la  Commune  fût  autorisée  à  épurer  ces  Comités, 
ET  A  LEUR  NOMMER  D'AUTRES  MEMBRES 
provisoirement.  » 

Proposition  énorme  qui  faisait  trois  choses  à  la  fois  : 

l""  Elle  reconnaissait,  sanctionnait  la  toute-puis* 
sance  de  ces  comités. 

2''  Mais  cette  royauté  elle  la  subordonnait  à  celle 
de  la  Commune,  qui  pouvait  non-seulement  les  cen- 
surer, les  épurer,  bien  plus  :  les  recréer. 

3®  La  centralisation  de  ces  comités  de  police  qui 
eût  pu  se  rattacher  au  grand  Comité  de  sûreté  ou  de 
haute  police,  c'était  ce  Comité  lui-même  qui,  par  la 
voix  de  Basire,  demandait  qu'on  la  plaçât  dans  la  Com- 
mune. 

Et  la  Commune  reconnaissante,  que  faisait^Ue 
pour  ce  généreux  Comité ,  pour  Basire?  Une  seule 
chose  :  elle  omettait  dans  sa  pétition  de  demander  la 
mort  de  la  Gironde.  Elle  semblait  donner  un  répit  au 
fatal  rapport. 

Ils  ne  réchappèrent  pas.  Si  la  Commune  se  tut,  les 


276  THIOMPHE  UK  LA  COMMUNE  (5  SEPTEMBRE). 

Jacobins  ne  se  turent  point.  Ils  vinrent  aussi  à  la 
Convention  et  denaandèrent  le  renvoi  au  tribunal 
révolutionnaire ,  au  nouveau  tribunal ,  au  tribunal 
vierge,  sévère,  et  Tétrenne  du  glaive.  Voté  sans 
discussion. 

Les  Dantonistes  étaient  fort  abattus.  La  mort  avan- 
çait vers  eux  d'un  degré.  Thuriot  montra  cependant 
uue  gravité  intrépide.  Un  membre  ayant  dit  folle- 
ment :  «  C'est  peu  d'arrêter  les  suspects.  Si  la  liberté 
devient  en  péril,  qu'ils  soient  massacrés!»  (Murmure 
général.)  Thuriot  interpréta  dignement  le  sentiment 
de  l'Assemblée  :  «  La  France  n'est  pas  altérée  de 
sang,  mais  de  justice.  » 

Deux  curieuses  carmagnoles  égayèrent  ce  sombre 
jour.  Chaumette  demanda  que  les  Tuileries  et  autres 
jardins  publics  fussent  cultivés  en  légumes,  a  Ne 
vaut-il  pas  mieux,  dit-il,  des  aliments  que  des  sta- 
tues? r> 

Mais  Barrère  tît  le  bonheur  de  l'Assemblée  en  don- 
nant une  nouvelle  qu'il  réservait  pour  la  tîn  :  «  On  a 
pris,  dit-il,  un  neveu  de  Pitt!....  »  La  joie  fut  telle 
que  pendant  longtemps  il  ne  put  continuer. 

Barrère  résuma  la  journée  avec  sa  netteté  ordi- 
naire :  «  Les  royalistes  ont  voulu  organiser  un  mou- 
vement. . .  Eh  bien  !  ils  l'auront. . .  (Applaudissements.) 
Ils  l'auront  organisé  par  l'armée  révolutionnaire  qui, 
selon  le  mot  de  la  Commune,  mettra  la  terreur  à  V or- 
dre du  jour....  Ils  veulent  du  sang....  eh  bien!  ils 
auront  celui  desleurs,  de  Brissot  et  d' Antoinette....  » 


CHAPITRE  VU 


TOlîTE-PUISSANCE  DES  HÉBERTISTES  DANS  LA  VENDÉE. 

LEUR  TRAHISON. 

(6—19  Septembre  93), 


Affaiblisseroenl  de  Robespierre  et  Danton.  —  Division  d*Hébert  et  Chaumette. 
—  Puissance,  insolence  d'Hébert.  —  Collot  et  Billaud  au  comité.  —  Danton 
refuse. —  Les  Hébertisles  dans  la  Vendée.  —  Jalousie  de  Ronsin  contre 
Rléber,  etc.  —  Ronsin  est  soutenu  aux  Jacobins  par  Robespierre.  —  Trahi- 
son  de  Ronsin  pour  faire  périr  Kléber,  19  sept.  —  Kléber  et  l'armée  ûq 
Mayence. — Le  journal  de  Kléber.— Kléber  écrasé  à  Torfou,  19  sept. 


Les  lois  du  5  septembre,  justifiées  par  l'excès  du 
péril,  par  l'horrible  événement  de  Toulon,  par  Ta- 
btme  inconnu  de  trahison  qu'on  sentait  sous  les  pieds, 
avaient  le  tort  de  ne  pas  répondre  à  la  première  né- 
cessité de  la  situation,  à  celle  que  Danton  avait  posée 
le  l"'août  :  Il  faut  un  gouvernement. 

Ces  lois  donnaient  des  moyens  de  terreur,  peu  pré- 
cisés et  vagues.  Mais  qui  s'en  servirait? 

Loin  de  créer  un  gouvernement,  elles  affaiblissaient 
la  faible  autorité  qui  en  tenait  la  place,  le  Comité  de 


278  DIVISION  D'HÉBERT  ET  CHAUMETTE. 

salut  public.   C'est  contre  lui  justement  que  s'était 
fait  le  mouvement. 

Les  deux  grandes  autorités  morales,  Robespierre  et 
Danton,  enrestaient amoindries.  L'éclipsé  de  Robes- 
pierre au  5  septembre  aurait  tué  tout  autre  homme  ;  la 
moindre  blessure  de  la  Presse  lui  eût  été  mortelle  en  ce 
moment  ;  or,  la  Presse,  c'était  Hébert.  Les  Jacobins 
s'étaient  divisés  le  4,  et  ils  ne  s'étaient  montrés  le  5 
qu'en  seconde  ligne.  Pour  Danton  et  lesDantonistes, 
qui,  en  août,  avaient  pris  l'avant-garde  dans  les  gran- 
des mesures  de  défense,  ils  eurent  beau  au  5  septem- 
bre couvrir  leur  nécessité  d'une  fière  attitude  révolu- 
tionnaire, ils  n'apparurent  qu'à  l' arrière-garde  des 
mesures  de  terreur.  Visiblement  ils  étaient  traînés. 

Qui  avait  vaincu?  la  Commune.  Mais  la  Commune 
de  Paris  ne  pouvait  prétendre  sérieusement  à  être  le 
gouvernement  de  la  France.  Elle  s'était  faîte  celui  de 
Paris,  absolu  et  indépendant,  en  se  faisant  déclarer 
centre  des  comités  révolutionnaires.  En  quoi  elle 
imitait  précisément  les  cités  girondines  à  qui  elle 
faisait  la  guerre,  et  diminuait  d'autant  le  peu  qu*îl  y 
avait  de  gouvernement  central. 

La  Commune  était  en  deux  hommes  :  Chaumetle, 
Hébert.  Dès  ce  jour,  ils  se  divisèrent. 

On  a  vu  comment  Chaumette  avait  neutralisé,  es- 
camoté le  mouvement  du  4,  pour  en  faire  habilement 
le  5  la  victoire  de  la  Commune.  Véritable  artiste  en 
révolution,  il  fit  le  succès  et  ne  s'occupa  pas  d'ed 
profiter.  Il  avait  bien  d'autres  pensées.  Toute  la  révo- 
lution de  93  ne  lui  paraissait  qu'un  degré  pour  en 


COLLOT  ET  RILUUD  AU  COMITÉ.  S^79 

bâtir  dessus  UDe  autre.  Peu  après  le  S  septembro^ 
il  s'absenta,  mena  sa  mère  pialade  dans  sou  pays,  U 
Nièvre.  Était-il  bien  content  de  sa  victoire?  j'eii 
doute,  elle  lui  imposait  d'épurer  et  remanier  les  co- 
mités révolutionnaipes^  de  limiter  leur  tyrannie.  C'est 
ee  qu'il  essaya  plus  tard  et  qui  le  mena  à  la  mort, 

Hébert  ne  voyait  rien  de  tout  cela.  11  voyait  qu'il 
régnait.  Mattre  de  la  Commune,  par  l'absence  de 
Gbaumette,  mattre  des  Cordeliers  à  qui  il  distribuait 
les  places  de  la  Guerre,  il  enlevait  les  Jacobins  dan^ 
les  grandes  questions  par  les  défii^  de  l'exagération, 
par  la  crainte  que  beaucoup  avaient  de  cette  gueule 
effrénée  du  Père-Duchesne  qui  leur  eût  transporté  Jes 
noms  des  Girondins  :  politiques,  hommes  d'État, 
égoïstes,  etc.  Les  Jacobins  avaient  à  se  faire  pardour 
ner  leur  division  du  4  et  l'indécision  de  {lobespierre. 

Avec  tout  cela,  la  personn^ité  misérable  et  mes- 
quine d'Hébert,  son  attitude  de  petit  muscadin  qui 
couvrait  le  petit  fripon,  ses  tristes  précédents  (de  ven» 
deur  de  contre-marques  et  commis  peu  fidèle),  tout 
cela  le  faisait  hésiter  un  peu  à  se  charger  de  gouver^ 
ner  la  France.  Il  eut  du  moins  la  magnanimité  d'atr 
tendre.  Mais  quand  il  eut  vu  (le  U)  Robespierre  et 
Danton,  soumis  et  patients,  suivre  docilement  l'impul- 
sion du  Père^Duchesne,  l'impudent  alors  ne  connut 
plus  rien,  et  le  i 8  il  demanda  le  pouvoir. 

En  attendant,  son  ami  Collot-d'Herbois  entra  le  Ç 
au  Comité  de  salut  public.  Choix  sinistre.  CoUot, 
c'était  l'ivresse  (même  à  jeun),  les  bruyantes  colères, 
vraies  ou  fausses,  le  rire  et  les  larmes,  l'orgie  &  la 


2S0  DANTON  REFUSE. 

tribune.  Ce  puissant  amuseur  des  clubs ,  le  plus 
furieux  des  hommes  sensibles,  faisait  peur  même  à 
ses  amis. 

A  cette  terreur  fantasque  (qui  est  la  plus  terrible), 
le  Comité  opposa  la  terreur  fixe,  gouvernementale 
et  mathématique,  Billaud-Yarennes.  Il  s'adjoignit 
pour  membre  le  patriote  reciîligne.  Billaud,  c'était 
la  ligne  droite,  le  prescripteur  inflexible  de  toutes 
les  courbes.  La  courbe,  c'est  la  ligne  vivante;  Billaud, 
sans  sourciller,  eût  proscrit  toute  vie. 

Le  contre-poids  possible  à  ces  hommes,  c'eût  été 
Danton.  Mais  il  déclara  que  jamais  il  n'entrerait  au 
Comité. 

Pour  y  entrer,  il  fallait  accepter  deux  conditions 
terribles,  devant  lesquelles  il  faiblissait  : 

La  mort  des  Girondins; 

La  mort  de  la  Vendée. 

Je  dis  la  Vendée  patriote.  Celle-ci,  pêle-mêle  avec 
la  Vendée  royaliste,  devait  périr  dans  le  système  des 
maîtres  de  la  situation,  les  Hébertistes.  L'ami  d'Hé- 
bert, Ronsin,  se  chargeait  de  faire  un  désert  de  deux 
ou  trois  départements.  Il  comptait  laisser  à  l'avenir 
ce  monument  de  son  nom. 

Ce  Ronsin  était  le  grand  homme  de  guerre  du  parti, 
sa  glorieuse  épée.  Auteur  de  mauvais  vaudevilles, 
c'était  cependant  un  homme  d'esprit,  fort  résolu, 
singulièrement  pervers,  qui  fut  bientôt  mené,  par 
vanité  et  ambition,  à  un  acte  exécrable.  La  première 
chose  que  les  Hébertistes  exigèrent  du  Comité,  ce  fut 
une  organisation  de  l'armée  révolutionnaire,  qui  lais- 


LES  HÉBERTISTRS  DANS  LA  YRNDÉF..  281 

sftt  le  choix  du  général  au  miuislre,  à  Bouchotte^ 
leur  homme  ^  et  qui  par  conséquent  assurât  la  place 
à  Ronsin. 

La  dispute  était  entre  deux  systèmes.  Les  véritables 
militaires,  Canclaux,  Kléber,  voulaient  soumettre  la 
Vendée.  Les  faux,  comme  Ronsin,  Rossignol,  déses- 
pérant de  la  soumettre,  auraient  voulu  l'anéantir. 

Le  Comité  de  salut  public  avait  ordonné,  le  26 
juillet,  de  brûler  les  bois  et  les  haies,  de  faire  refluer 
toute  la  population  dans  l'intérieur.  Le  2  août,  il 
prescrivait  de  détruire  et  brûler  les  repaires  des  bri" 
gands. 

Rossignol  arrivant  à  Fonlenai  devant  les  repré- 
sentants Bourdon  et  Goupilleau,  leur  avait  dit  :  c<  Je 
vais  brûler  Cholet.  »  Et  peu  après,  quand  on  lui 
demanda  des  secours  pour  Parthenai ,  une  ville 
patriote,  saccagée  par  les  Vendéens,  il  dit:  a  Nous  la 
brûlerons.  » 

Ce  mot,  cette  fatale  équivoque,  les  repaires  des 
brigands,  comment  donc  fallait-il  l'entendre?  Il  n'y 
avait  guère  de  ville  de  Vendée  qui  n'eût  été  forcée 
de  donner  passage  ou  refuge  aux  bandes  roya- 
listes. Fallait-il  brûler  ces  villes  patriotes ,  qui  en 
92,  par  une  vigoureuse  initiative,  avaient  à  elles 
seules  éteint  la  guerre  civile?  Pour  couronne  civique, 
à  ces  excellents  citoyens',  on  accordait  Texil,  la  faim, 
la  mort;  on  les  chassait  tout  nus,  on  jetait  sur  la 
France  deux  ou  trois  cent  mille  mendiants. 

J'ai  sous  les  yeux  une  masse  de  lettres  qui  mon- 
trent la  situation  épouvantable  de  ces  malheureux 


â8S  LES  HKBKRTISTES  BANS  LA  VENDÉE. 

patriotes.  Les  royalistes  étaient  plus  heureux.  Pan* 
dant  queBarrère,  à  l{i  tribune,  les  exterminait  deux 
fois  par  semaine,  ils  faisaient  leurs  moissons  tran-^ 
quillement.  Mais  les  patriotes,  s'ils  restent,  ils  sont 
toujours  sous  le  coup  de  la  mort.  S41s  partent,  ils 
meurent  de  faim  et  de  misère.  On  les  reçoit  avec  dé- 
fiance. «  Ah!  vous  êtes  de  la  Vendée !..••  Crevés, 
chiens  !  »  C'est  l'hospitalité  qu'ils  trou  valent  partout. 

Le  système  des  Héberlisles  était-il  celui  du  Comité? 
Le  contraire  est  prouvé.  Il  leur  faisait  écrire  (1*^  et 
9  septembre)  qu'on  ne  pouvait  brûler  les  patriotes, 
Le  plus  simple  bon  sens  disait  en  effet  qu'on  risquait 
non-seulement  de  faire  mourir  de  faim  la  Vendée 
républicaine,  mais  de  royaliser  la  Vendée  neutre,  de 
la  jeter  par  la  misère  et  le  désespoir  dans  l'armée  des 
brigands.  C'est  ce  qui  arriva  en  94. 

Lors  donc  que  Rossignol  déclara  naïvement  qu'il 
allait  brûler  tout,  Bourdon,  Goupilleau  reculèrent. 
Bourdon,  ex-procureur,  très-corrompu,  ivrogne  et 
furieux,  était  né  enragé.  Cependant  ce  Bourdon,  cette 
hôte  sauvage,  quand  il  entendit  Rossignol,  il  recola 
trois  pas. 

De  lui  faire  entendre  raison,  nul  moyen.  On  n'eu 
trouva  qu'un,  ce  fut  de  le  faire  empoigner  comme 
voleur,  pour  une  voiture  qu'il  avait  prise.  Envoyé  à 
la  Convention,  il  y  eut  un  triomphe,  revint  plus 
puissant  que  jamais.  Ce  fut  Bourdon  qu'on  rappela. 

Que  Carnot  et  le  Comité  refusassent  à  ce  favori 
l'armée  de  Mayence,  c'était  un  effort  héroïque  qu'ils 
n'étaient  pas  en  état  de  soutenir.  Rossignol  et  Ronsin 


JALOUSIE  DE  RONSIN  CONTRE  KLÉBEB.  SSfiS 

en  effet,  au  lieu  d'obéir,  discutèrent  encore  en  con- 
seil à  Sauraur  pour  retenir  les  Mayençais.  Vaincus 
parla  majorité,  ils  signèrent  enfin  le  plan  de  Cau- 
daux, adopté  parle  Comité  de  salut  public.  Canclaux, 
Kléber  partant  de  Nantes,  Rossignol  partant  de  Sau- 
mur,  devaient  percer  la  Vendée  et  se  réunir  à  Morta- 
gne.  Un  lieutenant  de  Rossignol,  qui  commandait 
sur  la  côte,  devait  appuyer  Canclaux  sur  la  droite. 
Le  B  septembre  changea  toute  la  face  des  choses. 
Ronsin,  voyant  la  victoire  des  Hébertistes  à  Paris,  se 
voyant  lui-môme  en  passe  de  commander  l'armée 
révolutionnaire,  de  quitter  la  dictature  militaire  de 
la  Vendée  pour  celle  de  la  France,  Ronsin  regretta 
vivement  de  s'èlre  engagé  à  soutenir  l'armée  mayen- 
çaise.  Pour  qu'un  faiseur  de  bouts-rimés,  fait  gé- 
néral en  quatre  jours,  montât  si  haut,  passât  sur  le 
corps  à  tous  les  généraux,  il  fallait  un  prétexte  ;  il 
fallait  qu'au  plus  tôt,  il  eût  quelque  succès,  tout  au 
moins  l'ombre  d'un  succès:  et  il  lui  était  aussi  infini- 
ment utile  que  cette  armée  qu'on  ne  lui  donnait  pas, 
fût  écrasée  dans  la  Vendée,  de  sorte  que,  par  cette 
défaite,  on  démontrât  l'habileté  du  général  Ronsin 
qui  avait  prévu  ces  malheurs.  Ronsin  savait  parfaite- 
ment que  les  Vendéens  croyaient  tout  gagner  s'ils 
frappaient  un  grand  coup  sur  l'armée  de  Mayence; 
le  reste  ne  leur  importail  guère.  Ils  faisaient  front 
du  côté  de  Kléber,  et  tournaient  le  dos  à  Ronsin.  Il 
avait  chance  de  les  trouver  très-faibles.  Il  convoque 
un  conseil  de  guerre,  annule  sans  façon  le  plan  du 
Comité  de  salut  public. 


284  M  EST  SOUTENU  AUX  JACOBINS  PAR  ROBESPIEHRE. 

Qui  le  rendait  donc  si  hardi?  Il  comptait  sur  deux 
choses  :  la  partialité  des  représentants  Choudieu, 
Bourbotte  pour  Rossignol,  et  les  ménagements  de 
Robespierre  pour  lout  le  parti  hébertiste. 

Bourbotte,  l'Achille  de  la  Vendée,  brave  et  de  peu 
de  tète,  avait  avec  Rossignol  une  maîtresse  commune, 
une  camaraderie  de  viveur.  Pour  Robespierre,  il  n'y 
avait  pas  à  songer  à  lui  donner  une  maîtresse.  Mais  on 
avait  réussi  à  mettre  près  de  lui  un  honnête  homme,  un 
bon  sujet,  un  certain  d'Aubigny  qui,  par  de  grands 
dehors  d'honnêteté,  le  capta  jusqu'à  l'engouement. 
Ce  très-habile  agent  travaillait  d'autant  mieux  qu'il  ne 
,  ressemblait  pas  en  tout  aux  Hébertistes.  Il  défendait 
les  prêtres,  moyen  sûr  de  plaire  à  Robespierre^  Il 
entra  le  24,  comme  adjoint  à  la  Guerre,  fort  appuyé 
de  Robespierre  et  de  Saint-Just  qui  le  vantaient  aux 
dépens  de  Carnot. 

La  séance  du  11,  aux  Jacobins,  fut  terrible.  Futile 
en  apparence,  personne  n'osant  dire  les  mots  de  la 
situation,  et  d'autant  plus  terrible.  Tous  s'expri- 
maientàmots  couverts,  et  s'entendaient  parfaitement. 
Bourdon  était  là,  traduit  devant  les  Jacobins  ;  on  par^ 
lait  de  la  voiture  volée  par  Rossignol,  et  autres  baga- 
telles. Eu  réalité,  il  s'agissait  de  l'incendie  de  trois 
départements,  de  l'extermination  d'un  peuple. 

La  tragédie  monta  très-haut,  quand  Bourdon,  dé- 
chirant le  voile.  Bourdon  l'enragé,  le  sauvage,  cria  : 
«  Que  voulait-on?  Pou  vais-je  davantage?....  J'ai  brû- 
lé sept  châteaux,  douze  moulins,  trois  villages.... 
Vous  ne  vouliez  pas  apparemment  que  je  laissasse  de- 


TKAHISUN  DF:  KOiNSiN  POUK  FAlKb;  PEKIK  KLÉBKR.  285 

bout  la  maison  d'un  seul  patriote?....  »  Et  en  même 
temps  il  sommait  Robespierre  de  dire  s'il  n'avait  pas 
donné  des  preuves  écrites  de  tout  ce  qu'il  avançait 
au  Comité  de  salut  public....  On  le  fit  taire  à  force 
de  cris. 

Le  plus  triste  fut  de  voir  Danton  parlant  contre  les 
Danlonistes,  louant  Henriot,  louant  Rossignol,  men- 
diant la  faveur  de  ses  ennemis. 

Le  faible  de  Robespierre  et  Danton  pour  Rossignol, 
un  ouvrier  devenu  général  en  chef,  s'explique  cer- 
tainement. Nous  ne  voyons  pas  cependant  qu'il  ait 
été  le  même  pour  les  vrais  héros  sans-culottes,  pour 
Hoche,  fils  d'un  palefrenier,  neveu  d'une  fruitière, 
pour  Jourdan,  que  sa  femme  nourrissait  en  vendant 
dans  les  rues  des  petits  couteaux,  etc.,  etc. 

Cette  séance  offrit  ce  curieux  spectacle  d'Hébert, 
fort  et  majestueux,  paisible,  encourageant,  rassurant 
Robespierre,  le  poussant  et  le  retenant.  <  Sois  tran- 
quille, Robespierre....  Ne  réponds  pas,  Robespierre, 
à  ces  propositions  insidieuses,  »  etc.  Pour  Danton,  il 
avait  beau  se  mettre  en  avant,  et  vouloir  plaire,  Hé- 
bert n'y  daigna  prendre  garde. 

L'issue  naturelle,  attendue,  était  que  Bourdon  fût 
chassé  des  .lacobins.  Il  arrêta  tout  par  l'audace  ;  «  Je 
ne  veux  pas  vous  ôter  ce  plaisir.  Faites  ce  qu'il  vous 
plaît!  1^  cria-t-il.  Les  politiques  se  radoucirent.  Ils 
sentirent  qu'ils  allaient  lui  ramener  l'opinion,  le  ren- 
dre intéressant.  Robespierre  l'excusa  en  l'humiliant, 
disant  (c  que  sans  doute  il  ne  faisait  qu'ajourner  son 
repentir.  » 


280  TKAHISON  DE  HONSIN  POUK  FAIHË  PÉRIR  KLÉB^H. 

Au  moment  où  la  nouvelle  de  cette  séance  arriva 
à  Saumur,  Rossignol,  malade  de  ses  orgies,  était 
dans  sa  baignoire.  Ronsin  exploita  le  succès.  Il  crut 
que^  Rossignol,  soutenu  à  ce  point  par  Robespierre 
et  par  Danton,  Rossignol,  Pobjet  de  ce  monstrueux 
engouement,  divinisé  vivant,  devenu  impeccable, 
pouvait  faire  passer  tous  les  crimes,  et  que  lui  Ron- 
sin, sans  péril,  pouvait,  avec  la  main  de  cet  inepte 
Dieu,  assassiner  ses  ennemis. 

De  la  baignoire,  sous  sa  dictée»  Rossignol  écrit 
1^  aux  Jacobins  qu'il  a  déjà  eu  un  grand  avantage  (il 
n'y  avait  rien  eu);  2^  à  Canclaux,  que  le  conseil  de 
guerre  tenu  le  11  n'est  pas  d'avis  qu'on  coopère  à  ses 
mouvements. 

Canclaux  et  l'armée  mayençaise  étaient  en  mouve* 
ment.  L'affaire  était  lancée.  Dans  cinq  départements, 
le  tocsin  sonnait  et  la  levée  en  masse  se  faisait  pour 
ce  coup  décisif.  Tout  le  monde  partait  (de  18  ans  à  80) 
avec  fusils,  fourches  et  faulx.  Chacun  prenait  six  jours 
de  vivres.  On  dit  que  quatre  cent  mille  hommes 
étaient  levés.  Fallait-il  que  Rossignol,  de  sa  baignoire, 
arrêtât  tout?  Cela  paraissait  difficile.  Le  ridicule  aussi 
était  immense.  Et  que  diraient  les  royalistes, 
la  Vendée  menacée  pour  rien?  Quel  rire  !  Quelles 
gorges  chaudes  !....  Canclaux  était  forcé  de  marcher 
en  avant. 

Si  Ronsin  eût  en  même  temps  fait  écrire  Rossignol 
à  son  lieutenant  Chalbos  que  l'on  ne  devait  pasd^ 
conder  Canclaux,  tout  eût  été  moins  mal.  On  eût 
arrêté  ce  tocsin  qui,  dans  toute  la  Basse- Vendée,  faî- 


KLÉ6ER  ET  L'ÀKMÉË  DE  MÀYSNCE.  287 

sait  partir  les  hommes»  Mais  point.  La  lettre  de  Ros- 
signol à  Ganclaux  fut  écrite  le  14,  et  la  lettre  au 
lieutenant  Ghalbos  deux  jours  plus  tard,  le  16,  de 
sorte  que  ce  grand  mouvement  continua,  et  que  Can- 
daiix  qui  Tenlendait,  dit  :  «  N'importe  !  si  Rossignol 
n'agit  pas  de  Saumur,  ici  près,  son  lieutenant,  avec 
la  levée  en  masse,  va  nous  soutenir  et  nous  seconder*  » 
Ainsi,  il  s'enfourna,  lui,  Kléber,  l'armée  mayençaise, 
en  pleine  Vendée.  C'est  ce  qu'on  voulait. 

N'eût-il  que  cette  armée,  il  se  sentait  très-fort. 
Quand  il  les  vit  réunis  ces  dix  mille,  il  fut  étonné. 
Troupe  unique,  admirable,  qui  ne  s'est  retrouvée  ja- 
mais, ardente  comme  92,  solide  comme  93,  aussi 
manœuvriére  que  les  armées  impériales.  Cette  armée 
avait  en  elle  la  force  et  la  gravité  d'une  idée,  la  con- 
science d'avoir  couvert  la  France  tout  l'été,  àMajence, 
et  de  l'avoir  relevée  dans  l'es'ime  de  l'Europe.  Elle 
avait  la  ferme  espémnce  de  finir  la  Vendée.  Ellé- 
tnêtne  y  est  restée  malheureusement  presque  entière, 
livrée,  trahie,  assassinée. 

Nommons  un  des  soldats,  Lepic,  créature  hoûnêtie, 
s'il  en  fut,  innocente,  héroïque,  qui  resta  soUs  l'Em- 
pire le  soldat  de  la  République,  l'homme  du  devoir 
sans  ambition.  Seize  ans  après  93,  il  était  encore 
simple  colonel,  quand  le  dernier  jour  de  l'horrible 
boucherie  d'Eylau,  tous  étant  épuisés,  il  recommença 
la  bataille,  traversa  deux  fois  l'armée  russe,  arracha 
la  victoire  et  la  donna  à  l'Empereur. 

Nommons  le  général  de  F  avant-garde  mayençaise, 
l'immortel,  l'infortuné  Kléber.  C'était  alors  un  homme 


288  kLËBblH  ET  L'AHMëë  DE  MAYENGE. 

de  treote^leux  rds,  d'une  maturité  admirable,  d'une 
figure  si  militaire  qu'on  devenait  brave  à  le  regarder. 
Il  était  très-instruit  et  avait  fait  toutes  les  guerres 
d'Allemagne.  A  Mayence,  on  lui  avait  donné  le  com- 
mandement des  postes  extérieurs,  c'est-à-dire  un 
combat  de  cent  vingt  jours  de  suite.  La  récompense 
l'attendait  à  la  frontière.  Il  fut  arrêté.  Tel  était  son 
destin.  Toujours  victime.  Il  le  fut  en  Vendée,  il  le  fut 
sur  le  Rhin  où  on  le  laissa  sans  secours.  Il  le  fut  en 
Egypte.  Et  il  l'est  dans  l'histoire  encore. 

Avec  cette  stature  imposante,  cette  figure  superbe 
et  terrible,  il  n'y  eut  jamais  un  homme  plus  modeste, 
plus  humain,  meilleur.  Marceau  avait  pour  lui  un 
sentiment  de  vénération,  une  profonde  déférence  et 
une  sorte  de  crainte,  comme  pour  un  maître  sévère 
et  bon.  Kléber,  de  son  côté,  avait  senti  l'extraordi- 
naire beauté  morale  du  jeune  homme,  et  son  charme 
héroïque  qui  enlevait  les  cœurs.  Plus  tard,  on  le  verra 
refusant  le  commandement;  il  força  Marceau  de  le 
prendre,  et  lui  donna  ainsi  la  gloire  du  dernier  coup 
d'épée  qui  finit  la  Vendée. 

On  ne  peut  sans  émotion  écrire  l'histoire  de  ces 
temps.  Le  respect  de  Marceau  pour  Kléber,  Kléber  le 
rendait  à  Canclaux.  La  déférence  morale,  la  frater- 
nité était  admirable  dans  cette  armée.  Elle  vivait  d'une 
même  âme.  Tous  ses  chefs,  Dubayet,  Vimeux,  Haxo, 
Bnjaupuy,  Kléber,  furent  un  faisceau  d'amis.  Joi- 
gnons-y leur  représentant  chéri,  Merlin  de  Thion- 
ville,  toujours  k  l'avant-garde,  et  qui  ne  se  fût  pas 
consolé  de  manquer  un  combat.  Merlin  était  l'enfant 


LE  JOURNAL  DE  KLÉBER.  289 

de  l'armée.  Kléber  conte  avec  complaisance  ses  hardis 
coups  de  tète.  Le  jour  qu'on  arriva  à  Nantes,  dans  la 
fête  qu'on  donna  à  l'armée  sur  la  prairie  de  Mauves, 
Merlin  saute  dans  une  chaloupe,  passe  la  Loire  et  va 
faire  le  coup  de  fusil  avec  les  Vendéens. 

Cette  armée  héroïque  arrivait,  mais  dénuée  de  tout, 
sauf  les  couronnes  civiques  dont  on  l'avait  chargée 
de  ville  en  ville.  Du  reste,  plus  d'habits,  ils  étaient 
restés  dans  la  redoute  de  Mayence;  ni  vivres,  ni  sou- 
liers, ni  chevaux.  Tout  ce  qu'on  envoya  de  Paris, 
Ronsin  l'empêcha  de  passer,  le  garda  pour  lui  à  Sau- 
mur.  Heureusement,  Philippeaux  était  à  Nantes. 
Avec  ses  fidèles  amis  du  club  Vincent,  il  parvint  en 
huit  jours,  chose  admirable,  à  équiper  l'armée.  La 
perfidie  de  Ronsin  fut  trompée  encore  une  fois. 

Les  voilà  donc  en  route,  Kléber  et  Merhn  en  tète. 
Le  très-sage  Canclaux  faisait  accompagner  l'armée 
des  meilleurs  Montagnards  du  club  de  Vincent  la 
Montagne,  qui  pussent  au  besoin  témoigner  pour  lui 
et  répondre  aux  calomnies  de  Saumur. 

Les  notes  inestimables  qu'a  laissées  Kléber  nous 
permettent  de  suivre  sa  route.  Il  marchait  par  Clisson, 
parla  vallée  âpre  et  boisée  de  laSèvre  nantaise,  beaux 
lieux,  pleins  de  danger,  qui  déjà  en  septembre  étaient 
noyés  de  pluies  et  n'offraient  que  d'affreux  chemins. 

Le  souci  de  Kléber,  c'était  de  conserver  l'honneur 
de  l'armée  de  Mayence,  d'empêcher  tout  pillage.  Le 
pays  était  généralement  abandonné  ;  les  biens  de  la 
terre  étaient  là  qui  tentaient  le  soldat.  Prendre  en 
Vendée  était-ce  prendre?  Chaque  nuit,  il  faisait  bi- 

VI.  1» 


290  LE  JOURNAL  DE  KLÉBER. 

vouaquer  dans-  des  prés  feroiés  de  bardèrei  et  dé 
grands  fossés  d'eaux.  Là^  il  se  mettait  à  écrire>  q(h 
tant  av^c  la  complaisance  d'un  ami  de  la  nature  lei 
paysages  charmants^  les  échappées  de  vue  qu'il  ren^^ 
contrait  dans  ce  pays  fourré,  les  belles  clairières  des 
forêts  qui  n'avaient  pas  encore  perdu  leurs  feuiltes, 
les  grandes  prairies  où  erraient  des  troupeaut  qui 
n'avaient  plus  de  mattres.  Puis  viennent  des  paroleA 
pleines  d'humanité  et  de  mélancolie  «  sur  le  sort  de 
ces  infortunés^  qui,  fanatisés  par  leurs  prêtres,  de* 
viennent  des  furieux  altérés  de  sang,  repoussent  les 
biens  qui  venaient  à  eux  et  courent  à  leur  ruine.  » 

Nul  retour  sur  lui-môme,  ni  sur  son  propre  sort. 

Pendant  qu'il  avance  ainsi  avec  confiance,  la  Yen'« 
dée  l'attend^  tapie  dans  ses  bois«  Le  sanglier,  déste^ 
péré,  furieux,  est  dans  sa  bauge,  immobile  et  prêt  à 
iVapper.  Toute  la  grande  masse  vendéenne  était  tour*- 
née  vers  Kléber,  suivant  à  la  lettre  le  mot  qu'avait 
ditléruséBernier  ;  «  Ëreidtez  Mayence,  etmoqbex^ 
vous  du  reste,  i»  Ils  obéirent  autant  qu'il  fut  en  etir* 
II  était  entendu^  et  dans  l'armée  d'Anjou^  et  dans  celle 
de  Charette  (dont  les  soldats  nous  l'ont  redit),  qu'on 
ne  devait  taire  prisonnier  nul  Mayençais,  mais  exaiH 
tement  tuer  tout. 

Kléber  marchait  soutenu,  comme  il  croyait,  à 
gauche,  par  l'Alsacien  Beysser,  jaloux  de  lui  et  plein 
de  mauvaise  volonté,  et  à  droite  par  Cbalbos,  lieu-^ 
tenant  de  Rossignol,  qui,  d'après  les  conventions, 
devait  se  rapprocher  de  lui  avec  toute'  la  levée  eil 
masse  de  la  Basse-Vendée. 


KLÉBÈR  ÉCItAJtÉ  A  tOftrOU.  fel 

Que  faisait  ôelieutèfiàntt  II  atftnçrttf  abord,  ôt  I*OH 

eompia  sur  lui,  oti  s'engagea  plus  loin,  et  on  ap^irit 
alors  qu'il  élait  m  pleine  retraite.  Sur  Tordre  de  Ros* 
signol,  Chalbos  s'éloigtia  de  Klébw,  fit  reculer  léi4 

ôorps  qui  dépéudaidtit  de  lui,  et  toute  là  levée  en 
masse. 

Kléber  et  les  deuï  mille  cinq  cetits  hommef  de  l^a^ 
vaût^^rde  étaient  au  fotid  du  piège.  Les  défilés  étroits, 

profonds,  boueux,  de  Torfou,  avaierit  reçu  k  Ibtigue 
file  et  quatre  catioui  qu'elle  traînait.  Au  fofld,  vingt-» 
cinq  mille  Vettdéeris.  N'âyattt  point  affairé  â  Chalbos, 
ils  avaient  pu  Se  concentrer.  La  masse  est  d'abord 
enfoncée,  mais  elle  se  divise,  se  rapproche  sur  les 
côtés,  se  range  derrière  les  fossés  et  le.^  haieâ,  fusille 
de  toutes  parts,  et  même  derrière,  à  bout  portant. 
La  réserve  qui  suivait,  répond;  sa  fusillade  akrme; 
ou  erolt  qu'on  est  coupé,  ttléber  avait  tout  d'abord 
reçu  un  coup  de  feu.  On  voulait  retirer  les  pièces; 
un  caisson  brisé  sur  la  route,  la  ferme,  et  les  canbns 
sont  pris.  Kléber,  quoique  blessé,  dirigeait  tout.  Il 
dit  à  Cheverdin,  commandant  dé  Saône-et-Loire  : 
«  Fais-ioi  tuer,  et  couvre  la  retraite.  ^  Ce  brâVe 
homme  le  fit  à  la  lettre.  Avec  luf,  tînt  fertne  Merlin. 
Merlin  avait  près  de  lui  un  excellent  ami,  un  réfugié 
de  Mayence,  qui  n'avait  plus  de  patrie  que  nos  camps. 
Ce  pauvre  Allemand,  Riffle,  se  fit  tuer  en  sauVânl 
une  armée  de  la  France. 

Ce  jour-là,  quelqu'un  passant  à  Saumur,  vit  Ros- 
signol encore  malade.  «  Comment  vont  les  affaires? 
dit  Rossignol.  »  —  «  Mal,  dit  l'autre;  Chalbos  se  re- 


292  KLÉBER  ÉCRASÉ  A  TORFOU. 

tire.  »  —  €  Comment  cela?  Qui  lui  a  ordonné?  »  — 
c  Vous-même.  »  Rossignol  demanda  son  registre  de 
lettres,  il  vil  que  la  chose  était  vraie,  et  changea  de 
couleur.  Il  comprit  un  peu  tard. 

Le  criminel  Ronsin  tenait  pendant  ce  temps  la 
place  de  Rossignol  ;  la  levée  en  masse  était  faite  par- 
tout sur  la  Loire  pour  le  seconder.  Il  avance  et  s'en- 
fourne dans  le  bourg  étroit  de  Coron.  Là,  trois  mille 
Vendéens  suffisent  pour  l'écraser.  Il  Tétait  d'autre 
part  par  le  sentiment  de  son  crime,  pensant  ne  pou- 
voir se  laver  que  par  une  victoire.  «  Mourons  ici,  » 
dit-il  à  Santerreson  lieutenant.  «  Il  n'en  mourut  pas, 
dit  Santerre,  mais  fît  comme  les  autres.  »  Il  n'eut  pas 
même  la  présence  d'esprit  de  faire  rétrograder  un 
autre  corps  qui  arrivait  d'Angers  et  fut  battu  aussi. 
Toute  la  levée  en  masse,  voyant  fuir  les  troupes  régu- 
lières, se  débanda;  cent  mille  hommes  rentrèrent  chez 
eux;  tout  ce  grand  mouvement  fut  perdu. 

Que  fit  Rousin  ?  Sans  s'étonner,  il  écrit  à  Paris  que 
six  jours  durant,  il  a  toujours  vaincu;  que  la  Vendée 
fuit  devant  lui.  Le  ministre,  d'accord  avec  lui,  cache 
les  relations  plus  fidèles.  Ronsin,  suivant  de  près  sa 
lettre,  dénonce  aux  Jacobins  Canclaux  et  l'armée  de 
Mayence.  11  est  désigné  unanimement  par  l'enthou-* 
siasme  public  pour  le  grand  poste  de  général  de  l'ar- 
mée révolutionnaire. 


CHAPITRE  VIII 


ROBESPIERRE  COMPROMIS.   SA  VICTOIRE. 
(95  Septembre). 


Violence  dei  Héberlistes.  Loi  des  Suspects.  —  Désespoir  de  Danton.  —  Les 
Hébertlstes  dénoDcés  (35  septembre}.^Victoire  de  Robespierre  à  U  Gon- 
Tention.  —  Maître  de  la  Justice  et  de  U  Police,  il  essaie  la  modération 
(S  octobre  93). 


Merlin  de  Thionville  ne  perdit  pas  une  minute.  Il 
arriva  derrière  Ronsin,  chargé  des  preuves  de  son 
crime,  des  ordres  qu'il  avait  fait  signer  à  son  manne- 
quin Rossignol  pour  trahir  l'armée  de  Mayence  et 
faire  périr  Kléber. 

Que  trouve-t-il?  les  amis  de  Ronsin  au  pinacle* 
Tout  le  monde  lui  rit  au  nez.  On  lui  conseille  d'être 
prudent,  de  s'excuser,  s'il  peut,  lui-même,  de  sa  dé- 
faite de  Torfou . 

Les  Hébertistes  ne  gardaient  aucune  mesure.  Dans 


294  VIOLENCE  DES  HÉBKRTISTES. 

l'affaiblissement  de  Danton  et  de  Robespierre,  ils 
maîtrisaient  les  Jacobins  et  les  faisaient  marcher. 
Pour  mot  de  la  situation,  pour  ralliement  des  pa- 
triotes, pour  épreuve  des  bons  citoyens,  ils  avaient 
pris  la  mort  des  Girondins.  A  tout  ce  qu'on  disait, 
ils  objectaient  :  Les  Girondins  vivent  encore* 

Poursuivant  tout  le  monde  avec  ce  verre  de  sang 
qu'ils  vous  forçaient  de  boire,  il^  faisaient  reculer 
les  Dantonistes,  les  stigmatisaient  du  nom  d'indul- 
gents. 

Les  Jacobins,  poussés,  dèÛès,  marchant  sous  l'ai- 
guillon, voulaient  prouver  leur  énergie.  Le  8,  le  9, 
le  15,  le  30,  le  1",  des  députations  jacobines  vinrent 
coup  sur  cQup  à  la  Convention,  la  sommer  de  tenir 
parole. 

Les  Jacobins  franchirent  un  pas  bien  grayç»  Il3  se 
constituèrent  juges,  allèrent  au  Comité  de  sûreté 
générale,  prirent  le  dossier  de  la  Gironde,  le  rappor- 
tèrent chez  eux,  se  chargeant  d'instruire  le  procès, 
à  la  barbe  du  Comité  et  de  la  Convention. 

L'As^embléQ  pq  voyait  que  trop  derrière  1^^  JfftQO- 
hm  1q  machiniste  Hébert,  tirant  les  Ql8.  Elle  fit  le. 
17  wm  tentative  pour  reprendre  quelquq  chose  4a  P© 
qu'elle  avaitcédé  le  5  Ma  Commune.  Elle  avait  pfçk 
mis  la  loi  des  suspects,  et  elle  la  donna,  mai^  fiutffi 
qu'elle  n'avait  promis.  Dans  le  projet  du  8,  les  comi- 
tés révolutionnaires,  chargés  d'arrêter  le§  suspecta, 
étaipnt  soumis  à  la  Commune.  Dans  la  loi  du  t7 ,  ils 
l'étaient  au  Comité  de  sûreté  générale  de  la  CoR*^ 
vention;  ils  devaient  lui  envoyer  leim  motifs  et  les 


LOI  DES  SUSPECTS  (17  SEPT.  93).  1^ 

pgpiars  saisis.  En  d'autres  termes,  la  Co^vântion  (ot 
BQP  Comité  da  sûreté)  restait  maltressie  de  Vexiéoutiop 
dQ  la  loi,  et  si  dans  cette  loi  de  terreur,  d'immense 
portée,  qui  enveloppait  tout,  on  risquait  d'enfermer 
la  France,  tout  au  moins  l'Assemblée  voulait  garder 
la  elef ,  ouvrir  et  fermer  les  prisons. 

C'était  neutraliser  au  profit  de  la  Convention  et  de 
son  Comité  de  sûreté,  cette  dictature  de  police  qu'on 
avait  le  5  septembre  donnée  à  la  Commune,  Léredout 
table  Hébert  se  fâcha,  laissa  toute  prudence  et  dans  m 
fureur  étourdie,  proposa  la  chose  même  pour  laquelle 
on  voulait  faire  mourir  les  Girondins,  une  chose  dan-^ 
gereuse,  impossible  :  Que  l'on  mît  en  vigueur  la  Con- 
$Hlutîon,  c'est-»à-dire  que  l'on  supprimât  les  deus 
Comités  dictateurs,  qu'on  donnât  le  pouvoir  m%  mi'» 
nistres  (sans  doute  au  grand  ministre  Hébert). 

Telle  était  la  reconnaissance  des  Hébertistes  pour 
Robespierre  qui,  le  1 1 ,  les  avait  si  bien  soutenus  dao» 
l'affaire  de  Vendée.  Ils  anéantissaient  le  Comité  de 
salut  public,  renvoyaient  Robespierre  aux  spécula- 
tions théoriques,  h  la  morale,  à  la  philosophie. 

Aucun  journal  n'a  osé  imprimer  cette  séance 
étrange  des  Jacobins.  Nous  savons  seulement  Tim-^ 
pertinente  proposition  d'Hébert,  à  laquelle  Robes- 
pierre aurait  répondu  avec  une  douceur  exemplaire 
que  la  demande  était  prématurée. 

Ce  même  soir  (18),  Vincent  aux  Cordeliers  fit  le 
dernier  outrage  à  la  Convention ,  la  demande  d'une 
loi  qui  rendît  les  représentants  en  mission  refponsa- 
blés  de  favoriser  les  friponneries  des  agents  miHtAir$$* 


29t$  DÉSESPOIR  DE  DANTON. 

Que  les  fripons  eux-mêmes ,  les  amis  de  Ronsin  y  les 
efifrontés  pillards  de  la  Vendée,  se  missent  à  crier  Au 
voleur  !  et  contre  la  Convention  !  c'était  chose  irri- 
tante! L'Assemblée  perdit  patience,  et  renvoya  la 
pétition  à  qui  de  droit,  pour  être  poursuivie. 

Nous  ignorons  malheureusement  ce  qui  se  passa  au 
Comité  de  salut  public.  Robespierre  s*y  trouvait 
entre  Collot,  ami  d'Hébert,  et  Thuriot,  ami  de  Dan- 
ton. La  question  était  de  savoir  si  le  Comité  tolère* 
rait  à  jamais  les  furieuses  folies  des  Hébertistes ,  qui 
demandaient  sa  suppression ,  et  se  portaient  pour  ses 
successeurs  au  pouvoir.  La  connivence  du  Comité 
pour  ces  scélérats  étourdis  n'était-elle  pas  lâcheté? 
une  lâcheté  meurtrière  contre  soi-même!  Il  était 
trop  aisé  de  voir  où  on  allait  de  faiblesse  en  faiblesse  : 
la  Gironde  aujourd'hui,  demain  les  Dantonistes;  que 
leur  manquerait-il  alors  ?  l'immolation  de  Robespierre 
lui-même  ! 

Robespierre  le  voyait  aussi  bien  que  les  autres ,  et 
ne  répondait  rien.  Tout  cela  se  passait  au  Comité 
devant  Collot  -  d' Herbois ,  autrement  dit,  devant 
Hébert.  Ce  silence  obstiné,  cette  patience  par*delà 
tous  les  saints,  étonnait,  effrayait. 

Les  Dantonistes  aimèrent  mieux  briser  en  face,  se 
séparer,  que  de  se  laisser  toujours  entraîner.  Ils 
avaient  cédé  le  5  septembre ,  parlé  pour  leurs  enne- 
mis. Qu'y  avaient-ils  gagné?  Ceux-ci  depuis  ce  jour, 
étaient  plus  insolents,  plus  altérés  de  leur  sang. 

Thuriot,  le  président  du  5  septembre,  donna  le  20 
sa  démission  du  Comité  de  salut  public. 


LES  HÉBERTISTES  DÉNONCÉS.  297 

Danton  quitta  la  Convention  et  partit  pour  Ârcis. 
Pour  rien  au  monde,  il  ne  voulait  livrer  les  Girondins. 

Le  bon  Garât,  qui  alla  le  voir  avant  son  départ,  le 
trouva  malade,  consterné,  altéré.  La  ruine  de  son 
parti ,  sa  débâcle  personnelle,  sa  popularité  anéantie 
l'occupaient  peu.  Ce  qui  lui  perçait  le  cœur,  c'était 
la  mort  de  ses  ennemis.  r<  Je  ne  pourrai  les  sauver,  » 
s'écria-t-il.  Et  quand  il  eut  arraché  le  mot  de  sa  poi- 
trine, toutes  ses  forces  étaient  abattues.  De  grosses 
larmes  lui  tombaient;  il  était  hideux  de  douleur.  Plus 
d'éclairs,  la  flamme  était  éteinte,  la  lave  refroidie  ;  le 
volcan  n'était  plus  que  cendres. 

Son  départ  fut  une  grande  faute.  Les  Hébertistes 
crièrent  partout  qu'il  avait  émigré.  Les  Dantonistes 
ne  furent  pas  soutenus  de  sa  grande  voix ,  puissante 
encore,  dans  leur  bataille  décisive  du  25  septembre. 

Les  preuves  qu'ils  apportaient  contre  Rossignol 
étaient  telles  qu'elles  devaient  le  faire  guillotiner 
sur-le-champ,  à  moins  qu'il  ne  prouvât  qu'il  était  un 
idiot,  qu'il  avait  signé  sans  comprendre.  Auquel  cas, 
c'était  Ronsin  qui  devait  porter  sa  tête  sur  l'échafaud. 

11  se  trouvait  par  une  coïncidence  singulière  qu'au 
moment  même,  une  autre  accusation  presque  aussi 
grave  contre  les  Hébertistes  du  ministère  de  la 
Guerre  arrivait  de  l'armée  du  Nord.  C'était  une 
foudroyante  lettre  écrite  en  commun  par  deux 
montagnards  de  nuance  difiFérente,  le  maratisle  Ben- 
tabole  et  le  robespierriste  Levasseur.  Cette  lettre 
dévoilait  l'état  épouvantable  où  Bouchotte  et  Vincent 
laissaient  nos  armées  ;  celle  du  Nord  était  inférieure 


yj8  VICTOIHE  DE  ROUtSriKRHR 

de  quarante  mille  hommes  à  ce  qu'elle  eût  dû  être 
pour  paraître  devant  l'ennemi.  Il  y  avait  pourtant  sis 
mois  que  les  trois  cent  mille  hommes  étaient  votés. 
Ni  subsistances,  ni  habillements,  ni  officiers  8upé<- 
rieurs.  Gossuin  l'avait  dit  le  13  août,  et  cela  l'a  meoé 
à  la  guillotine.  Les  généraux  le  disaient  ;  on  les  guiK 
lotinait.  Tout  revers  était  attribué  à  la  trahison. 
Robespierre,  Barrère  et  le  Comité ,  que  faisaient^ils 
en  poursuivant  aveuglément ,  indistinctement ,  tous 
les  généraux?  ils  excusaient  Bouchotte,  ils  appuyaient 
Hébert,  leur  ennemi,  flattaient  la  presse  populaire,  le 
Père  Duchesne  qui ,  s'il  eût  trouvé  jour,  aurait  hurlé 
contre  eux  et  les  eût  menés  à  la  mort. 

Ici,  c'était  Levasseur,  un  homme  de  Robe^pierr^^ 
qui  dénonçait  un  ministère  dont  Robespierre  étiat 
l'ttllié. 

La  mémorable  séance  du  2S  fut  ouverte  par  Thu- 
riot,  de  manière  à  donner  une  grande  attente^  l\ 
déplora  le  sort  de  la  Révolution,  tombée  dans  la  main 
des  derniers  des  honimes  :  €  N'avonsrrnous  donOt  û\\k^ 
il,  tant  combattu  que  pour  donner  le  pouvoir  aux 
voleurs,  aux  hommes  de  sang?  Nous  détrônons  le 
royalisme  et  nous  intronisons  le  coquinisme.  f  C'était 
nomtaer  Hébert,  Ronsin  ;  on  attendait  qu'il  conclût  h 
envoyer  celui-rci  chez  Fouquier-Tinville.  La  Conven*- 
tioq  applaudissait  violemment.  Mais  point,  11  demanda 

l'impression  d'une  feuille  morale... 

Chute  étrange  I  Elle  fut  relevée;  on  lut  la  terrible, 
lettre  de  Levasseur  contre  le  ministère  de  la  guerre. 
A  la  chaleur  de  cette  lettre  tout  dégela.  Les  paroles 


A  LA  CONYBNTlÛ.Y.  299 

glaeéei  an  Tair  se  fondipontet  se  firent  entendre»  Le 
représentant  Briez,  que  la  trahison  ftvait  foreé  de 
fondre  Valenoiennesi  et  qui  restait  depuis  en  suspieion 
%t^m  03er  même  se  justifier,  parla  et  parla  si  bien  qu# 
la  Convention,  iion  contente  de  décréter  l'impression 
du  dUoours,  décréta  Vadjonetion  de  Briei  au  Comité 

d^  mht  publiOf 

Au  moment  où  le  Comité  recevait  ce  terrible  coup, 
Merlin  de  Tbion ville  survint,  comme  le  matador  sur 
le  taureau  blessé ,  pour  enfoncer  le  glaive.  Il  donna 
l'ftffaire  de  Bonsin, 

Plu3ieurjs  membres  se  lèvent  :  «  Et  que  dit  à  cela 
le  Comité  de  salut  public  ?  que  ne  parle-t-il  ?  » 

h^  Comité  parla,  mais  d'abord  par  Billaud-Varen- 
nes,  maladroitement,  avec  fureur,  avec  menaces 
oonlre  la  ConvenlioUf  Barrôre  vint  au  secours,  lou- 
voyai., suivant  son  procédé  ordinaire,  jetant  à  la  colère 
de  l'Asieroblée  ce  qui  suffit  pour  amuser  les  foules 
dapsi  ç«g  moments,  une  victime  humaine.  Si  l'armée 
du  Nord  avait  des  revers,  c'était  la  faute  d'Houchard. 
Barrère  fit  de  ce  pauvre  diable  du  grand,  un  profond 
conspirateur.  «  Heureusement,  dit-il,  le  voilà  des- 
titué. Avec  les  lumières  des  bureaux  de  la  guerre  (il 
fla^ttait  les  Héberlisles),  et  les  lumières  de  Carnol  (il 
flattait  les  neutres),  nous  ferons  de  meilleurs  choix. 
—  On  vient  dénommer  Jourdan,  i Prieur,  l'ami 
de  Carnot,  appuya  et  couvrit  Barrère  de  son  honnê- 
teté connue. 

Saint-André  et  Billaud  reprirent  sur  l'utilité  du  Co- 
mité de  salut  public  et  la  nécessité  détenir  secrètes  les 


300  VICTOIRE  DE  ROBESPIERRE 

grandes  opérations.  —  Et  Billaud  immédiatement  : 
c(  Nùus  allons  faire  en  Angleterre  une  descente  de  cent 
mille  hommes  l...  Nous  avons  levé  dix-huit  cent  mille 
hommes  ! . . .  —  Barrère  :  «  En  Vendée  seulement, 
quatre  cent  mille  hommes  en  vingt-quatre  heures!» 
L'Assemblée  applaudit  vivement  ces  exagérations, 
l'indiscrétion  surtout  de  Billaud- Varennes  qui ,  sor- 
tant de  son  caractère ,  criait  dans  la  Convention  un 
projet  si  loin  de  l'exécution ,  et  dont  le  secret  eût  pu 
seul  assurer  le  succès. 

Dans  tout  cela  pas  un  mot  de  réponse  à  ce  qui  fair* 
sait  l'objet  de  la  séance.  L'objet,  bien  posé,  était 
celui-ci  : 

Doit-on  guillotiner  Ronsin  et  Rossignol  pour  avoir 
livré  à  la  mort  une  armée  de  la  République  î 

Doit-on  chasser  Bouchotte,  qui,  dans  un  ministère 
de  cinq  mois,  n'a  rien  organisé  encore,  ni  le  matériel, 
ni  le  personnel,  qui,  des  trois  cent  mille  hommes  dé* 
crélés  en  mars,  n'envoie  presque  rien  aux  armées? 

Les  Dantonistes  furent  pitoyables.  Ils  n'osèreet 
rappeler  l'Assemblée  à  la  question.  Ils  avaient  en 
main  un  procès  terrible  pour  accabler  leurs  ennemis. 
Ils  s'en  servirent  à  peine.  Thuriot  aboutit  à  sàfeuiUe 
morale.  IVIerlin  de  Thionville  ne  montra  point  à  la 
Convention  l'intrépidité  qu'il  avait  sur  les  champs  de 
bataille.  S'il  eût  pointé  aux  Hébertistes,  aussi  juste 
qu'il  le  faisait  aux  Prussiens,  Ronsin  était  perdu. 

11  fallait  écarter  vivement  et  d'un  mot  toute  cette 
défense  du  Comité  qui  n'avait  là  que  faire.  Que  le 
Comité  eût  été  faible  pour  les  Hébertistes,  pour  Bou- 


A  LA  CONVENTION.  301 

chotte  et  RonsiD,  c'était  une  question  secoudaire 
qu'on  devait  ajourner.  II  fallait  concentrer  l'attaque 
sur  la  trahison  de  Vendée.  Bien  loin  qu'on  accusât  le 
CSomité  en  cette  affaire ,  le  crime  de  Ronsin  était  jus- 
tement de  s'être  moqué  du  plan  adopté  par  le  Comité, 
d'avoir  fait  écraser  Kléber,  que  ce  plan  l'obligeait  de 
soutenir.  Si  le  Comité  n'eût  pas  eu  peur  de  la  presse 
bébertiste,  c'est  lui  qui  aurait  accusé  Ronsin. 

Robespierre  profita  des  fautes  avec  une  admirable 
présence  d'esprit. 

Il  ne  défendit  pas  les  Hébêrtisles,  et  n'en  dit  pas 
un  mot.  Il  les  laissa  hideusement  découverts ,  percés 
à  jour,  et  dépendants  de  lui  qui  dépendait  d'eux  jus- 
que-là. 

Il  défendit  le  Comité ,  assez  vaguement,  en  répé- 
tant ce  qu'avait  dit  Barrère,  du  reste  se  mettant  à 
part,  et  parlant  pour  son  compte  :  «Si  ma  qualité  dé 
membre  du  Comité  doit  m'empêcher  de  m'expliquer 
avec  une  indépendance  extrême,  je  dois  l'abdiquer  à 
l'instant,  et  après  m'être  séparé  de  mes  collègues 
(que  j'estime  et  honore),  je  vais  dire  à  mon  pays  des 
vérités  nécessaires...  »  —  Grande  attente.  Ces  véri- 
téSj  c'était  qu'il  existait  un  plan  d* avilir ^  de  paralyser 
la  Convention,  a  On  veut  que  nous  divulguions  les 
secrets  de  la  République,  que  nous  donnions  aux 
trattres  le  temps  d'échapper...  Remplacez- le  ce 
Comité  qui  vient  d'être  accusé  avec  succès  dans  votre 
sein...  L'argent  de  l'étranger  travaille.  Cette  journée 
vaut  à  Pitt  plus  de  trois  victoires.  La  faction  n'est 
pas  morte,  elle  conspire  du   fond  de  se$  cachots 


202  KLÉBER  ÉCRASÉ  A  TORFOU. 

tire.  *  —  €  Comment  cela?  Qui  lui  a  ordonné?  »  — 
c  Yous-mème.  »  Rossignol  demanda  son  registre  de 
lettres,  il  vit  que  la  chose  était  vraie,  et  changea  de 
couleur.  Il  comprit  un  peu  tard. 

Le  criminel  Ronsin  tenait  pendant  ce  temps  la 
place  de  Rossignol  ;  la  levée  en  masse  était  faite  par- 
tout sur  la  Loire  pour  le  seconder.  Il  avance  et  s'en- 
fourne dans  le  bourg  étroit  de  Coron.  Là,  trois  mille 
Vendéens  sufiBsent  pour  l'écraser.  Il  Tétait  d'autre 
part  par  le  sentiment  de  son  crime,  pensant  ne  pou- 
voir se  laver  que  par  une  victoire.  «  Mourons  ici,  » 
dit-il  à  Santerreson  lieutenant.  «  11  n'en  mourut  pas, 
dit  Santerre,  mais  fit  comme  les  autres.  »  Il  n'eut  pas 
même  la  présence  d'esprit  de  faire  rétrograder  im 
autre  corps  qui  arrivait  d'Angers  et  fut  battu  aussi* 
Toute  la  levée  en  masse,  voyant  fuir  les  troupes  régu- 
lières^ se  débanda;  cent  mille  hommes  rentrèrent  chez 
eux;  tout  ce  grand  mouvement  fut  perdu. 

Que  fit  Rousin?  Sans  s'étonner,  il  écrit  à  Paris  que 
six  jours  durant,  il  a  toujours  vaincu;  que  la  Vendée 
fuit  devant  lui.  Le  ministre,  d'accord  avec  lui,  cache 
les  relations  plus  fidèles.  Ronsin,  suivant  de  près  sa 
lettre,  dénonce  aux  Jacobins  Canclaux  et  l'armée  de 
Mayence.  11  est  désigné  unanimement  par  l'enthou- 
siasme public  pour  le  grand  poste  de  général  de  l'ar- 
mée révolutionnaire. 


CHAPITRE  VIII 


ROBESPIERRE  COMPROMIS.    SA  VICTOIRE. 
(35  Septembre). 


Violence  des  Hébertistes.  Loi  des  Suspects.  —  Désespoir  de  Danton.  —  Les 
Hébertistes  dénoncés  (25  septembre). — Victoire  de  Robespierre  à  la  Gon- 
Tention.  —  Maître  de  la  Justice  et  de  la  Police,  il  essaie  la  modération 
(S  octobre  93). 


Merlin  de  Thionville  ne  perdit  pas  une  minute.  11 
arriva  derrière  Ronsin,  chargé  des  preuves  de  son^ 
crime,  des  ordres  qu'il  avait  fait  signer  à  son  manne- 
quin Rossignol  pour  trahir  l'armée  de  Mayence  et 
faire  périr  Kléber. 

Que  trouve-t-il?  les  amis  de  Ronsin  au  pinacle. 
Tout  le  monde  lui  rit  au  nez.  On  lui  conseille  d'être 
prudent,  de  s'excuser,  s'il  peut,  lui-même,  de  sa  dé- 
faite de  Torfou. 

Les  Hébertistes  ne  gardaient  aucune  mesure.  Dans 


294  VIOLENCE  DES  HÉBKRTISTES. 

l'affaiblissement  de  Danton  et  de  Robespierre,  ils 
maîtrisaient  les  Jacobins  et  les  faisaient  marcher. 
Pour  mot  de  la  situation,  pour  ralliement  des  pa- 
triotes, pour  épreuve  des  bons  citoyens,  ils  avaient 
pris  la  mort  des  Girondins.  A  tout  ce  qu'on  disait^ 
ils  objectaient  :  Les  Girondins  vivent  encore. 

Poursuivant  tout  le  monde  avec  ce  verre  de  sang 
qu'ils  vous  forçaient  de  boire,  ils  faisaient  reculer 
les  Dantonistes,  les  stigmatisaient  du  nom  d'indul- 
gents. 

Les  Jacobins,  poussés,  dèÛès,  marchant  sous  l'ai- 
guillon, voulaient  prouver  leur  énergie.  Le  8,  le  9, 
le  15,  le  30,  le  1",  des  dèputations  jacobines  vinrent 
CQup  $ur  coup  à  la  Convention,  la  sommer  de  tenir 
parole. 

Les  Jacobins  franchirent  un  pas  bien  grave*  II3  se 
constituèrent  juges,  allèrent  au  Comité  de  sûreté 
générale,  prirent  le  dossier  de  la  Gironde,  le  rappor- 
tèrent chez  eux,  se  chargeant  d'instruire  le  procès, 
à  la  barbe  du  Comité  et  de  la  Convention. 

L'AssembléQ  m  voyait  que  trop  derrière  I9S  Jfico- 
h\m  la  machiniste  Hébert,  tirapt  les  fils.  Elle  Qt  la 
17  une  tentative  pour  reprendre  quelque  chose  de  ce 
qu'elle  avait  cédé  le  5  à  la  Commune.  Elle  avait  pro- 
mis la  loi  des  suspects,  et  elle  la  donna,  mais  autrfl 
qu'elle  n'avait  promis.  Dans  le  projet  du  8,  les  comi- 
tés révolutionnaires,  chargés  d'arrêter  les  suspects, 
étaient  soumis  à  la  Commune.  Dans  la  loi  du  17 ,  ils 
l'étaient  au  Comité  de  sûreté  générale  de  la  Con- 
vention; ils  devaient  lui  envoyer  leurs  motif»  et  les 


LOI  DES  SUtiPECTS  (17  SBI'T.  93).  1^ 

papiers  mim.  En  d'autres  termes,  la  Co^vôntion  (fit 
BQP  Comité  da  sûreté)  restait  mallressie  de  l'exéoutiop 
de  la  loi,  et  si  dans  cette  loi  de  terreur,  d'immense 
portée,  qui  enveloppait  tout,  on  risquait  d'enfermer 
la  France,  tout  au  moins  l'Assemblée  voulait  garder 
la  elef ,  ouvrir  et  fermer  les  prisons. 

C'était  neutraliser  au  profit  de  la  Convention  et  de 
son  Comité  de  sûreté,  celte  dictature  de  police  qu'on 
avait  le  5  septembre  donnée  à  la  Commune,  LéredouT 
table  Hébert  se  fàcba,  laissa  toute  prudence  et  dans  m 
fureur  étourdie,  proposa  la  chose  même  pour  laquelle 
on  voulait  faire  mourir  les  Girondins,  une  chose  dan* 
gereuse,  impossible  :  Que  Von  mît  en  vigueur  la  Con^ 
$Hlution,  c'est-»à-dire  que  l'on  supprimât  les  deus 
Comités  dictateurs,  qu'on  donnât  le  pouvoir  mx  m^ 
nistres  (sans  doute  au  grand  ministre  Hébert)* 

Telle  était  la  reconnaissance  des  Héberlistes  pour 
Robespierre  qui,  le  1 1 ,  les  avait  si  bien  soutenus  dans 
l'affaire  de  Vendée.  Ils  anéantissaient  le  Comité  de 
salut  public,  renvoyaient  Robespierre  aux  spécula- 
tions théoriques,  h  la  morale,  h  la  philosophie. 

Aucun  journal  n'a  osé  imprimer  cette  séance 
étrange  des  Jacobins.  Nous  savons  seulement  l'im-^ 
pertinente  proposition  d'Hébert,  à  laquelle  Robes- 
pierre aurait  répondu  avec  une  douceur  exemplaire 
que  la  demande  était  prématurée. 

Ce  même  soir  (18),  Vincent  aux  Cordeliers  fit  le 
dernier  outrage  à  la  Convention ,  la  demande  d'une 
loi  qui  rendît  les  représentants  en  mission  r^fpçnsd' 
blés  de  favoriser  les  friponneries  des  agents  fniliiAiri»» 


29t$  DÉSESPOIR  DE  DANTON. 

Que  les  fripons  eux-mêmes ,  les  amis  de  Ronsin ,  les 
effrontés  pillards  de  la  Vendée,  se  missent  à  crier  Au 
voleur  !  et  contre  la  Convention  !  c'était  chose  irri- 
tante! L'Assemblée  perdit  patience ,  et  renvoya  la 
pétition  à  qui  de  droit,  pour  être  poursuivie. 

Nous  ignorons  malheureusement  ce  qui  se  passa  au 
Comité  de  salut  public.  Robespierre  s*y  trouvait 
entre  CoUot,  ami  d'Hébert,  et  Thuriot,  ami  de  Dan- 
ton. La  question  était  de  savoir  si  le  Comité  tolére- 
rait à  jamais  les  furieuses  folies  des  Hébertistes ,  qui 
demandaient  sa  suppression ,  et  se  portaient  pour  ses 
successeurs  au  pouvoir.  La  connivence  du  Comité 
pour  ces  scélérats  étourdis  n'était-elle  pas  lâcheté? 
une  lâcheté  meurtrière  contre  soi-même!  Il  était 
trop  aisé  de  voir  où  on  allait  de  faiblesse  en  faiblesse  : 
la  Gironde  aujourd'hui,  demain  les  Dantonistes  ;  que 
leur  manquerait-il  alors  ?  l'immolation  de  Robespierre 
lui-même  ! 

Robespierre  le  voyait  aussi  bien  que  les  autres ,  et 
ne  répondait  rien.  Tout  cela  se  passait  au  Comité 
devant  Collot-d'Herbois,  autrement  dit,  devant 
Hébert.  Ce  silence  obstiné,  cette  patience  par*delà 
tous  les  saints,  étonnait,  effrayait. 

Les  Dantonistes  aimèrent  mieux  briser  en  face,  se 
séparer,  que  de  se  laisser  toujours  entraîner.  Ils 
avaient  cédé  le  5  septembre ,  parlé  pour  leurs  enne- 
mis. Qu'y  avaient-ils  gagné?  Ceux-ci  depuis  ce  jour, 
étaient  plus  insolents,  plus  altérés  de  leur  sang. 

Thuriot,  le  président  du  5  septembre,  donna  le  20 
sa  démission  du  Comité  de  salut  public. 


LES  HÉBERTISTES  DÉNONCÉS.  297 

Danton  quitta  la  Convention  et  partit  pour  Àrcis. 
Pour  rien  au  monde,  il  ne  voulait  livrer  les  Girondins. 

Le  bon  Garât,  qui  alla  le  voir  avant  son  départ,  le 
trouva  malade,  consterné,  attéré.  La  ruine  de  son 
parti ,  sa  débâcle  personnelle,  sa  popularité  anéantie 
l'occupaient  peu.  Ce  qui  lui  perçait  le  cœur,  c'était 
la  mort  de  ses  ennemis.  r<  Je  ne  pourrai  les  sauver,  » 
s'écria-t-il.  Et  quand  il  eut  arraché  le  mot  de  sa  poi- 
trine, toutes  ses  forces  étaient  abattues.  De  grosses 
larmes  lui  tombaient;  il  était  hideux  de  douleur.  Plus 
d'éclairs,  la  flamme  était  éteinte,  la  lave  refroidie  ;  le 
volcan  n'était  plus  que  cendres. 

Son  départ  fut  une  grande  faute.  Les  Hébertistes 
crièrent  partout  qu'il  avait  émigré.  Les  Dantonistes 
ne  furent  pas  soutenus  de  sa  grande  voix ,  puissante 
encore,  dans  leur  bataille  décisive  du  25  septembre. 

Les  preuves  qu'ils  apportaient  contre  Rossignol 
étaient  telles  qu'elles  devaient  le  faire  guillotiner 
sur-le-champ,  à  moins  qu'il  ne  prouvât  qu'il  était  un 
idiot,  qu'il  avait  signé  sans  comprendre.  Auquel  cas, 
c'était  Ronsin  qui  devait  porter  sa  tête  sur  l'échafaud. 

Il  se  trouvait  par  une  coïncidence  singulière  qu'au 
moment  même,  une  autre  accusation  presque  aussi 
grave  contre  les  Hébertistes  du  ministère  de  la 
Guerre  arrivait  de  l'armée  du  Nord.  C'était  une 
foudroyante  lettre  écrite  en  commun  par  deux 
montagnards  de  nuance  difiFérente,  le  maratiste  Ben- 
tabole  et  le  robespierriste  Levasseur.  Cette  lettre 
dévoilait  l'état  épouvantable  où  Bouchotte  et  Vincent 
laissaient  nos  armées  ;  celle  du  Nord  était  inférieure 


yj8  VICTOIHF  DE  ROBUSrirUHR 

de  quarante  mille  hommes  à  ce  qu'elle  eût  dû  être 
pour  paraître  devant  l'ennemi.  Il  y  avait  pourtant  sis 
mois  que  les  trois  cent  mille  hommes  étaient  votés. 
Ni  subsistances,  ni  habillements,  ni  officiers  8upé<- 
rieurs.  Gossuin  l'avait  dit  le  13  août,  et  cela  Ta  meoé 
à  la  guillotine.  Les  généraux  le  disaient  ;  on  les  guiK 
lotinait.  Tout  revers  était  attribué  à  la  trahison. 
Robespierre,  Barrère  et  le  Comité ,  que  faisaient^ils 
en  poursuivant  aveuglément ,  indistinctement ,  tous 
les  généraux  ?  ils  excusaient  Bouchotte,  ils  appuyaient 
Hébert,  leur  ennemi,  flattaient  la  presse  populaire,  le 
Père  Duchesne  qui ,  s'il  eût  trouvé  jour,  aurait  hurlé 
contre  eux  et  les  eût  menés  h  la  mort. 

Ici,  c'était  Levasseur,  un  homme  de  Robespierre, 
qui  dénonçait  un  ministère  dont  Robespierre  étiât 
l'ttllié. 

La  mémorable  séance  du  25  Tut  ouverte  par  Thu- 
riot,  de  manière  à  donner  une  grande  attente.  Il 
déplora  le  sort  de  la  Révolution,  tombée  dans  la  main 
des  derniers  des  honimes  :  €  N'avonsrruous  donOt  dil** 
il,  tant  combattu  que  pour  donner  le  pouvoir  wx 
voleurs,  aux  hommes  de  sang?  Nous  détrônons  le 
royalisme  et  nous  intronisonsle  coquinisme.  >  C'était 
nomtaer  Hébert,  Ronsin  ;  on  attendait  qu'il  conclût  k 
envoyer  celui-rci  chez  Fouquier-Tin ville.  La  Conven*- 
tioq  applaudissait  violemment.  Mais  point.  11  demanda 
l'impression  d'une  feuille  morale... 

Chute  étrange  I  Elle  fut  relevée;  on  lut  la  terrible, 
lettre  de  Levasseur  contre  le  ministère  de  la  guerre. 
A  la  chaleur  de  cette  lettre  tout  dégela.  Les  paroles 


A  LA  C0NYKNTIÛ.1Î.  S99 

glaaéen  en  Tair  se  fondipdnt  et  se  firent  entendre»  Le 
r^prénentant  Briez,  que  la  trahison  avait  forcé  de 
rendre  Valenoiennesiet  qui  restait  depuis  en  suspieion 
%%m  03er  même  ne  justifier,  parla  et  parla  si  bien  que 
la  Convention,  non  contente  de  décréter  Tinapréssion 
du  dUeours,  décréta  Fadjonetion  de  Bries  au  Comité 
du  palut  public. 

Au  moment  où  le  Comité  recevait  ce  terrible  coup, 
Merlin  de  Tbion ville  survint,  comme  le  matador  sur 
le  taureau  blessé ,  pour  enfoncer  le  glaive.  Il  donna 
l'affaire  de  Bonsin. 

Plusieurs  membres  se  lèvent  :  «  Et  que  dit  à  cela 
le  Comité  de  salut  public  ?  que  ne  parle-t-il  ?  » 

I^e  Comité  parla,  mais  d'abord  par  Billaud-Varen- 
nes,  maladroitement,  avec  fureur,  avec  menaces 
oonlre  la  Çonvenliont  Barrôre  vint  au  secours,  lou- 
voyai-, suivant  son  procédé  ordinaire,  jetant  à  la  colère 
de  TAesemblée  ce  qui  suffit  pour  amuser  les  foules 
dans  ces  moments,  une  victime  humaine.  Si  l'armée 
du  Nord  avait  des  revers,  c'était  la  faute  d'Houchard. 
Barrère  ût  de  ce  pauvre  diable  du  grand,  un  profond 
conspirateur,  a  Heureusement,  dit-il,  le  voilà  des- 
titué. Avec  les  lumières  des  bureaux  de  la  guerre  (il 
flattait  les  Hébertisles),  et  les  lumières  de  Carnol  (il 
flattait  les  neutres),  nous  ferons  de  meilleurs  choix. 
—  On  vient  dénommer  Jourdan,  i Prieur,  l'ami 
de  Carnot,  appuya  et  couvrit  Barrère  de  son  honnê- 
teté connue. 

Saint-André  et  Billaud  reprirent  sur  l'utilité  du  Co- 
mité de  salut  public  et  la  nécessité  détenir  secrètes  les 


300  VICTOIRE  DE  ROBESPIERRE 

grandes  opérations.  —  El  Billaud  immédiatement  : 
<(  Nom  allons  faire  en  Angleterre  une  descente  de  cent 
mille  hommes  \...  Nous  avons  levé  dix-huit  cent  mille 
hommes!...  —  Barrère:  «  En  Vendée  seulement, 
quatre  cent  mille  hommes  en  vingt-quatre  heures  I» 
L'Assemblée  applaudit  vivement  ces  exagérations, 
l'indiscrétion  surtout  de  Billaud- Varennes  qui ,  sor- 
tant de  son  caractère ,  criait  dans  la  Convention  un 
projet  si  loin  de  l'exécution ,  et  dont  le  secret  eût  pu 
seul  assurer  le  succès. 

Dans  tout  cela  pas  un  mot  de  réponse  à  ce  qui  hir 
sait  l'objet  de  la  séance.  L'objet,  bien  posé,  était 
celui-ci  : 

Doit-on  guillotiner  Ronsin  et  Rossignol  pour  avoir 
livré  à  la  mort  une  armée  de  la  République? 

Doit-on  chasser  Bouchotte,  qui,  dans  un  ministère 
de  cinq  mois,  n'a  rien  organisé  encore,  ni  le  matériel, 
ni  le  personnel,  qui,  des  trois  cent  mille  hommes  dé* 
crétés  en  mars,  n'envoie  presque  rien  auxarméesT 

Les  Dantonistes  furent  pitoyables.  Ils  n'osèrent 
rappeler  l'Assemblée  à  la  question.  Ils  avaient  en 
main  un  procès  terrible  pour  accabler  leurs  ennemis. 
Ils  s'en  servirent  à  peine.  Thuriot  aboutit  à  s^  feuille 
morale.  Merlin  de  Thionville  ne  montra  point  à  la 
Convention  l'intrépidité  qu'il  avait  sur  les  champs  de 
bataille.  S'il  eût  pointé  aux  Hébertistes,  aussi  juste 
qu'il  le  faisait  aux  Prussiens,  Ronsin  était  perdu. 

Il  fallait  écarter  vivement  et  d'un  mot  toute  cette 
défense  du  Comité  qui  n'avait  là  que  faire.  Que  le 
Comité  eût  été  faible  pour  les  Hébertistes,  pour  Bou- 


A  LA  CONVENTiOX.  3(M 

chotle  et  Ronsin^  c'était  une  question  secondaire 
qu'on  devait  ajourner.  Il  fallait  concentrer  l'attaque 
sur  la  trahison  de  Vendée.  Bien  loin  qu'on  accusât  le 
Comité  en  cette  affaire ,  le  crime  de  Ronsin  était  jus- 
tement de  s'être  moqué  du  plan  adopté  parle  Comité^ 
d'avoir  fait  écraser  Kléber,  que  ce  plan  l'obligeait  de 
soutenir.  Si  le  Comité  n'eût  pas  eu  peur  de  la  presse 
hébertiste^  c'est  lui  qui  aurait  accusé  Ronsin. 

Robespierre  profita  des  fautes  avec  une  admirable 
présence  d'esprit. 

Il  ne  défendit  pas  les  Hébèrtistes,  et  n'en  dit  pas 
un  mot.  Il  les  laissa  hideusement  découverts ,  percés 
à  jour,  et  dépendants  de  lui  qui  dépendait  d'eux  jus- 
que-là. 

Il  défendit  le  Comité ,  assez  vaguement,  en  répé- 
tant ce  qu'avait  dit  Barrère,  du  reste  se  mettant  à 
part,  et  parlant  pour  son  compte  :  «Si  ma  qualité  dé 
membre  du  Comité  doit  m'empêcher  de  m'expliquer 
avec  une  indépendance  extrême,  je  dois  l'abdiquer  à 
l'instant,  et  après  m'être  séparé  de  mes  collègues 
(que  j'estime  et  honore),  je  vais  dire  à  mon  pays  des 
vérités  nécessaires...  »  —  Grande  attente.  Ces  véri- 
tés, c'était  qu'il  existait  un  plan  d* avilir ,  de  paralyser 
la  Convention,  a  On  veut  que  nous  divulguions  les 
secrets  de  la  République,  que  nous  donnions  aux 
traîtres  le  temps  d'échapper...  Remplacez- le  ce 
Comité  qui  vient  d'être  accusé  avec  succès  dans  votre 
sein...  L'argent  de  l'étranger  travaille.  Cette  journée 
vaut  à  Pitt  plus  de  trois  victoires.  Lia  faction  n'est 
pas  morte,  elle  conspire  du   fond  de  ses  cachots 


502  VICTOmE  DE  ROBESPIERRE 

(il  associait  ainsi  les  Girondins  aui  DàntOnistos); 

c  Les  sèrpentidu  Marais  ne  sont  pas  encore  éefaàéSi  » 

loi,  c'était  le  centre  qui  se  trouvait  atteint.  Nottt 
qu'à  ce  moment  où  la  Convention  fi'avait  guèfe  p\ni 
dô  deux  cents  membres  ^  la  Montagne  étant  presque 
absente  et  la  droite  mutilée^  le  centre  c'était  àpeii 
près  tout. 

Robespierre  n'avait  pas  l'habitude  des  basseii  injo» 
res,  et  il  venait  d'accuser  ceuï  qui  atilissaietrt  la 
Convention.  On  fut  stupéfait  de  ce  mot. 

D'après  sa  prudence  excessive  au  6  septembre  et 
autres  grandes  journées  ^  on  ne  le  croyait  nullement 
audacieux.  Il  ne  s'avançait  qu'à  coup  i^ûr.  On  pensa 
qu'il  était  bien  fort ,  puisqu'il  avait  hasardé  une  t6ll# 
injure  à  la  Convention. 

Si  son  initiative  avait  été  faible  depuis  un  mois  (fû 
deux^  dans  les  choses  politiques,  elle  avait  été  grande 
et  terrible,  judiciairement.  C'était  par  devant  lui , 
comme  président  des  Jacobins  ^  que  les  juges  et 
jurés  du  procès  de  Custine  avaient  été  vtolemffiéflt 
tancés  par  la  Société.  Elle  se  constitua  le  f  B  eti  tri-* 
bunal  contre  les  Girondins,  et  devint  une  Gont  éê 
justice.  Dans  de  telles  circonstances^  le  chef  deir  laoOk 
bini^  se  trouvait  en  réalité  le  grand  juge  de  la  RépU-^ 
blique. 

Le  Centre,  donc,  fut  muet  de  terreur.  11  comméti^ 
à  respirer  un  peu ,  quand ,  des  menaces  vagifM  ^ 
Robespierre  passa  à  une  désignation  spéciale,  tneml-^ 
çant  les  seuls  Dantonistes  :  <  Nos  àùcusateurs  serotft 
bientât  accusés.  » 


A  LA  CONVENTION.  g^g 

On  respira  mieux  encore^  quand ^  réduisant  le 
nombre^  il  dit  t  «  Deux  ou  trois  traîtres  ^  »  enfin 
(]uand^  ajournant  les  autres,  il  se  limita  cette  fois  à 
Dubem  et  Briez^  l'un  coupable  d'excuser  Gustinei 
l'autre  l'homme  déshonoré  qui  s'est  trouvé  dans  une 
placé  fMdue.  Le  mot  tombait  d'aplomb  sur  Merlin  de 
Tbionville)  dont  la  posifion  avait  été  analogue  à 
Mayedce. 

Tous  se  turent,  et  le  peu  qu'on  dit,  ce  fut  pour 
s'excuseré  Briez  déclina  le  périlleux  honneur  d'être 
adjoint  au  Comité» 

La  Convention  se  croyait  quitte.  Robespierre 
insista.  Il  vil  son  avantage  et  qu'il  tenait  l'Assemblée 
sous  le  pied,  et  que  plus  il  frapperait^  plus  elle  serait 
docile.  Il  dit  donc  audacieusement  :  <(  La  Convention 
n'a  pas  fàontré  Vénergie  qu'elle  eût  dû»é«  J*ai  i)u 
applaudir  Barrère  par  ceux  qui  nous  calomnient,  qui 
nous  voudraient  un  poignard  dans  le  sein««.  > 

Tous  frémissaient  :  t  Est-ce  moi  qu'il  a  vu  ?  » 

Cependant  l'Assemblée  n'était  pas  domptée,  à 
terre  et  aplatie ,  tant  que  Robespierre  n'avait  pas 
assommé  les  représentants  dont  la  gloire  militaire 
relevait  la  Convention.  Il  bàtonna  Merlin  sur  le  dos 
de  Briez  :  <  Si  j'avais  été  dans  Yalenciennes ,  je  no 
serais  pas  ici  pour  faire  un  rapport*. #  J'y  aurais  péri. 
Qu'il  dise  tout  ce  qu'il  voudra,  il  ne  répondra  jamai» 
à  ceci  :  «  Éles-vous  mort  ?  » 

L'Assemblée  foulée  aux  pieds  n'avait  qu'à  remer- 
cier. C'est  ce  qu'elle  fit  par  Basire.  Il  fut»  comme  au 
S  septembre,  l'organe  de  la  faiblesse  communCvH 


304  MAITRE  DR  LA  JUSTICE  ET  DE  LA  POLICE, 

saisit  Toccasion  des  50  millions  que  Billaud  voulait 
rendre,  et  que  Robespierre  avec  dignité  déclara  vou- 
loir garder.  <i  Où  en  serions-nous,  dit  Basire^  si 
Robespierre  avait  besoin  de  se  justifier  devant  la 
Montagne?...  On  ne  peut  repousser  sa  proposition  ; 
il  demande  que  la  Convention  déclare  que  son  Comité 
a  toute  sa  confiance.  >  Â  cet  appel  des  accusateurs  du 
Comité  en  faveur  du  Comité,  TÂssemblée  entière  se 
leva  et  donna  le  vote  de  confiance. 

Ce  vote  eut  des  conséquences  immenses  que 
personne  n'attendait.  Robespierre  et  l'Assemblée 
s'étaient  trouvés  en  face,  et  l'Assemblée  avait  tremblé. 
Celui  qui  a  eu  une  fois  cet  avantage,  le  garde  fort 
longtemps.  Robespierre  l'a  gardé  jusqu'au  9  ther- 
midor. 

La  Convention  était  tellement  dominée  désormais 
que,  le  lendemain  26,  elle  lui  remit  en  quelque  sorte 
les  deux  glaives ,  Justice  et  Police;  je  veux  dire  que 
le  Tribunal  révolutionnaire  et  le  Comité  de  sûreté 
générale  furent  renouvelés  entièrement  sous  son 
influence.  Au  tribunal,  il  mit  les  siens,  des  hommes  à 
lui  et  qui  lui  appartenaient  personnellement,  (Her- 
man  d'Arras,  Dumas,  Coffinhal,  Fleuriot,  Duplay, 
Nicolas,  Renaudin,  Topino-Lebrun ,  Souberbiel, 
Yilatle,  Payan,  etc.).  Au  Comité,  avec  un  art  plus 
grand,  une  composition  plus  savante,  il  ne  mit  que 
deux  hommes  à  lui,  Lebas,  David,  deux  hommes  de 
son  pays,  Lebon,  Guffroy,  et  pour  le  reste,  des  gens 
très-compromis  et  d'autant  plus  dociles.  Ce  très- 
graud  tacticien  savait  qu'en  révolution  l'ennemi  sert 


IL  ESSAIE  DE  LA  MODÉRATION.  305 

souvent  mieux  que  Tami.  L'ami  raisonne,  examine 
et  discute.  L'ennemi,  s'il  a  peur,  va  bien  plus  droit. 
Placé  sur  un  rail  de  fer,  il  marche  dans  la  voie  ri- 
gide ;  sachant  bien  qu'à  droite  et  à  gauche,  c'est  l'a- 
bîme, il  marche  très-bien. 

Qui  était  le  plus  consterné  î  le  Comité  de  salut 
public.  Il  sentait  trop  que  Robespierre,  au  25  sep- 
tembre,  s'était  défendu  seul,  qu'il  avait  vaincu  seul, 
seul  profité  de  la  victoire.  Un  homme  dominait  la 
République. 

Un  homme  en  trois  personnes  :  Robespierre,  Cou- 
thon  et  Saint-Just. 

Les  cinq  autres  membres  du  Comité  qui  n'étaient 
pas  en  mission  se  trouvèrent  d'accord  sans  s'être 
entendus.  Le  dantoniste  Hérault ,  les  impartiaux 
Barrère,  Prieur,  Carnot,  Billaud-Yarennes,  la  Ter- 
reur pure,  CoUot  d'Herbois,  avant-garde  hébertiste, 
mais  fort  indépendant  d'Hébert,  tous,  quelle  que  fût 
la  diversité  de  leur  nuance,  agirent  comme  un  seul 
homme  contre  Robespierre. 

Ils  craignaient  extrêmement  que  Couthon  qui,  alors 
marchait  sur  Lyon  avec  des  masses  de  paysans  ar- 
més, n'eût  la  gloire  de  l'affaire  et  ne  donnât  aux  Ro- 
bespierristes  la  seule  chose  qui  leur  manquât,  un 
succès  militaire.  Dubois-Crancé,  dantoniste  allié  aux 
enragés  de  Lyon,  avait  fait  des  efforts  incroyables, 
il  avait  sauvé  tout  le  sud-est.  Le  fruit  de  ce  travail 
immense,  Couthon  allait  le  recueillir,  se  couronner, 
couronner  Robespierre.  Le  30  septembre  et  jours 
suivants,  les  cinq  du  Comité  écrivirent  trois  fois  en 

VI.  20 


306  MAITRE  DE  LA  JUSTICE  ET  DE  LA  POLICE , 

trois  jours  à  Dubois-Grancé  qu'il  fallait  à  l'heure 
même  forcer  Lyon,  y  entrer  avant  l'arrivée  de  Cou- 
thon.  Lyon  résistait  avec  des  efforts  désespérés,  du 
moms  pour  choisir  son  vainqueur,  aimant  mieux, s'il 
fallait  se  rendre,  se  remettre  aux  mains  de  Couthon 
désintéressé  dans  l'affaire  qu'à  celles  de  Dubois- 
Grancé,  aigri  par  un  long  siège,  ami  des  amis  de 
Chalier,  et  qui  n'eût  pu  rentrer  qu'en  vaiiUjueur 
irrité,  en  vengeur  du  martyr. 

Le  Comité  eut  beau  faire.  La  fortune  de  Robes- 
pierre eut  l'ascendant  à  Lyon  comme  à  Paris,  et 
presque  en  même  temps  il  porta  un  coup  très-grave 
au  Comité  devant  la  Convention. 

Le  3  octobre,  par  une  belle  et  douce  matinée  d'au- 
tomne, où  les  arbres,  épargnés  par  la  saison  plus 
longtemps  qu'en  92 ,  semaient  lentement  leurs  feuil- 
les, on  annonça  à  la  Convention  que  le  rapporteur  du 
Comité  de  sûreté ,  Amar ,  allait  faire  son  rapport  sur 
les  Girondins. 

La  longue  et  froide  diatribe  n'ajoutait  pas  un  fait  à 
celle  de  Saint-Just.  Les  soixante-treize  qui,  en  juin, 
avaient  protesté  contre  la  violation  de  l'Assemblée, 
étaient  là  présents  et  la  plupart  ne  se  défiaient  de  rien. 
Tout  à  coup  Amar  demande  qu'on  décrète  «  que  les 
portes  soient  fermées.  »  Le  tour  est  fait.  Les  soixante* 
treize  sont  pris,  comme  au  filet.  L'arrestation  est 
votée  sans  discussion.  Les  voilà,  parqués,  à  la  barre, 
pauvre  troupeau  marqué  pour  la  mort. 

Dans  cette  foule  de  soixante-treize  représentants, 
sans  doute  fort  mêlée,  ceux  qui  ont  vécu  jusqu'à 


IL  ESSAIE  LA  MODÉRATION.  507 

nous^  les  Dâunou,  les  Blanqui  et  autres,  étaient  trôs- 
sincèrement  républicains  et  seraient  morts  pour  la 
République. 

Jusque-là,  l'affaire  avait  une  apparence  hideuse, 
celle  d'un  guet-àpens.  Quelques  montagnards  de- 
mandaient que  les  soixante- treize  fussent  jugés  avec 
les  vingt-deux.  Mais  voici  que  les  soixante-treize  trou- 
vent dans  l'Assemblée  un  défenseur  inattendu.  Ro* 
bespierre  se  lève  et  parle  pour  eux.  L'étonnement 
fut  au  comble. 

«  La  Convention  ne  doit  pas  multiplier  le$  coupa-» 
blés,  dit  Robespierre,  il  suffît  des  chefs.  S'il  en  ê$t 
d'autres  ,  le  Comité  de  sûreté  générale  vous  en  présen- 
tera la  nomenclature.  Je  dis  mon  opinion  en  présence 
du  peuple^  je  la  dis  franchement,  et  le  prends  pour 
juge...  Peuple,  tu  ne  seras  défendu  que  par  ceux 
qui  auront  le  courage  de  te  dire  la  vérité  !  » 

Amar,  parlant  de  lire  les  preuves  contre  les 
soixante-treize  :  «  Cette  lecture,  dit  Robespierre,  est 
absolument  inutile,  x» 

Clémence  rassurante ,  efiFrayante  !  La  droite ,  le 
centre  même  avaient  entendu  aVec  terreur  ce  mot 
sonner  à  leur  oreille:  «  Si  il  en  est  d^  autres,  le  Comité 
en  présentera  la  nomenclature.  j> 

Ils  se  voyaient  dès  lors  suspendus  à  un  fll,  l'huma- 
nité de  Robespierre  ! 

La  Montagne  sentait  que  ces  soixante-treize  ainsi 
réservés,  que  cette  droite  tremblante,  c'était  une  arme 
disponible  pour  lui  ;  contre  qui  I  contre  la  Monta- 
gne, contre  le  Comité  de  salut  public. 


308  IL  ESSAIE  DE  LA  MODÉRATION. 

La  majorité  n'était  plus  celle  du  Comité  et  du  gou- 
vernement; c'était  celle  de  Robespierre. 

Le  Comité  avait  devant  l'Assemblée  Vodieuic  du 
guet-apens,  Robespierre  seul  le  mérite  de  la  modé- 
ration,— tranchons  le  mot,  de  la  clémence. 

Ce  n'était  pas  ici  un  avis  modéré  d'un  représen- 
tant quelconque,  c'était  l'impérieuse  clémence  d'un 
homme  qui,  dominant  les  Jacobins,  le  Comité  de 
sûreté,  le  tribunal  révolutionnaire,  pouvait  accuser, 
arrêter,  juger.  C'était  une  restauration  du  droit  de 
grâce.  Marat  l'exerça  au  2  juin  pour  trois  représen- 
tants, et  Robespierre  ici  pour  soixante-treize. 

Robespierre,  jusqu'ici,  n'avait  fait  rien  attendre 
de  tel. 

Quelle  était  donc  cette  puissance  nouvelle,  étrange, 
qui  s'attachait  la  droite,  le  centre,  en  faisant  grâce, 
et  qui  s'appuyait  d'autre  part  sur  ceux  qui  ne  voulafent 
point  de  grâce,  sur  les  Hébertistes? 

Robespierre,  le  25  septembre,  parla  voix  de  David, 
avait  répondu  de  Ronsin ,  le  plus  cruel  des  hébertis- 
tes, l'avait  lavé  devant  les  Jacobins.  Les  Robespier- 
ristes  eux-mêmes  ne  comprenaient  plus  Robespierre. 
L'un  d'eux,  le  rédacteur  du  Journal  de  la  Montagne^ 
ayant  attaqué  les  bureaux  hébertistes ,  Robespierre 
le  fit  tancer  aux  Jacobins  et  on  lui  ôta  le  journal. 


CHAPITRE  IX 


MODÉRATION   DES  ROBESPIERRISTES  A  LYON 
(Octobre  93). 


Robespierre  terrorise  par  Saint-Jusl  (10  octobre),  pendant  quMl  pacifie  par 

Couthon  (8-20  octobre). 


Rappelons-nous  les  précédents  de  Robespierre. 

Juge  d'église  à  Arras  avant  89,  la  nécessité  mal- 
heureuse où  il  fut  de  condamner  un  homme  à  mort , 
le  décida  à  donner  sa  démission. 

Son  rôle  à  la  Constituante  fut  celui  d'un  sévère 
et  ardent  philanthrope ,  poursuivant  par  tous  les 
moyens,  et  même  aux  dépens  de  son  cœur,  le  progrès 
de  l'humanité.  Il  refusa  la  place  d'accusateur  public. 

Il  était  né  ému,  craintif  et  défiant,  colérique  (de  la 
colère  pâle).  Saint- Just  le  lui  reprochait ,  lui  disant  : 
«  Calme-toi;  l'empire  est  aux  flegmatiques.  *) 


310  ROBESPIERRE  TERRORISE 

Les  trahisons  et  les  disputes,  la  guerre  à  coups 
d'aiguille  que  lui  fit  la  Gironde,  avaient  prodigieu- 
sement aigri  son  cœur.  La  fatalité  déplorable  qui 
l'obligea,  pour  annuler  et  les  Girondins  et  les  enra- 
gés, de  s'associer  aux  Hébertistes,  de  puiser  dans 
ce  qui  lui  était  le  plus  antipathique,  dans  l'appui  de 
leur  presse,  la  force  populaire  qu'il  n'avait  pas  en  lui, 
cette  dure  et  humiliante  nécessité  devait  l'aigrir 
encore.  Ce  qu'il  avait  refusé  en  90,  il  le  devint  réel- 
lement en  93,  le  grand  accusateur  public.  Ses  véhé- 
ments réquisitoires  aux  Jacobins  emportèrent  et 
juges  et  jurés,  et  forcèrent  la  mort  de  Custine. 

Son  triomphe  toutefois  du  25 ,  qui  avait  terrorisé 
la  Convention,  qui  lui  avait  mis  en  main  et  la  Justice^ 
et  la  Police ,  ce  jour  qui  l'avait  tant  grandi  sur  les 
ruines  des  Dantonistes  et  des  Hébertistes  à  la  fois,  lui 
permettait  de  suivre  une  plus  libre  politique.  Il  le 
tenta  en  octobre.  Il  fit  un  pas  dans  les  voies  de  la 
modération, — un  pas,  et  les  circonstances  le  refou- 
lèrent dans  la  Terreur. 

Pendant  ce  mois,  sa  stratégie  fut  si  obscure ,  que 
les  Robespierristes  s'y  trompaient  à  chaque  instant, 
croyant  lui  plaire  et  le  servir  en  des  choses ,  préma- 
turées sans  doute,  qu'il  se  hâtait  de  désavouer. 

Cependant  deux  choses  furent  claires  : 

1°  Ses  ménagements  pour  les  soixante-treize,  qu'il 
refusa  d'envelopper  dans  la  perte  des  Girondins; 

2°  La  modération  étonnante  que  son  aller  ego, 
Coulhon,  son  homme  et  sa  pensée  (bien  plus  étroite- 
ment que  Saint-Just),  osa  montrer  à  Lyon  dans  tout 


PAR  SAINT-JUST  (10  OCTOBRE).  311 

le  mois  d'octobre, — au  point  de  s'aliéner  tous  les 
violents ,  de  pousser  à  la  dernière  fureur  les  amis  de 
Chalier. 

Couthon,  comme  Robespierre,  avant  89,  était 
un  philanthrope ,  bien  plus  qu'un  révolutionnaire. 
On  a  de  lui  un  drame  qu'il  écrivait  alors,  plein  de 
sensibilité  et  de  larmes,  dans  le  genre  de  Lachaussée. 

Au  temps  où  nous  sommes  arrivés,  tous  deux,  s'ils 
n'avaient  pashJa  clémence  dans  le  cœur ,  ils  l'avaient 
dans  l'esprit.  Robespierre  voulait  arracher  aux  deux 
partis  les  deux  puissances,  aux  Dantonistes  la  clé- 
mence ,  aux  Hébertistes  la  rigueur ,  transférer  ces 
deux  forces  des  mains  impures,  suspectes,  aux  mains 
des  honnêtes  gens,  c'est-à-dire  des  Robespierristes. 

L'essai  était  inQniment  périlleux  et  ne  pouvait  se 
faire  que  sur  des  questions  toutes  nouvelles,  nulle- 
ment sur  celles  qui  étaient  irrévocablement  lancées 
dans  la  polémique  révolutionnaire. 

Garât  raconte  qu'au  mois  d'août ,  il  fit  une  tenta- 
tive auprès  de  Robespierre  pour  sauver  la  Gironde. 
Il  lui  lut  une  espèce  de  plaidoyer  pour  la  clémence. 
Robespierre  souffrait  cruellement  à  l'entendre.  Ses 
muscles  jouaient  d'eux-mêmes.  Les  convulsions  ordi- 
naires de  ses  joues  étaient  fréquentes,  violentes.  Aux 
passages  pressants,  il  se  couvrait  les  yeux.  Que  pou- 
vait-il pour  la  Gironde  ?  rien ,  ni  lui,  ni  personne.  Il 
sentait  bien  toutefois  qu'une  des  meilleures  chances 
pour  relever  l'autorité  ,  c'eût  été,  dans  une  question 
possible  et  neuve,  c'eût  été  de  saisir  les  cœurs  par  un 
effet  d'étonnement,  par  un  retour  subit  à  la  clémence 


312  ROBESPIERRE  TERRORISE 

qui  enlèverait  la  France  à  T  improviste ,  et  par  TefiFet 
d'un  tel  miracle  briserait  les  partis. 

Lyon,  éloigné,  pour  une  telle  surprise,  valait 
mieux  que  Paris.  Si  l'habile  main  de  Couthon  pou- 
vait, de  là,  donner  le  premier  branle  à  la  politique 
nouvelle,  l'équilibre  dans  la  terreur,  la  terreur  appli- 
quée aux  terroristes  même,  il  allait  ajouter  une  force 
inouïe  au  parti  de  Robespierre.  Tout  ce  qui  avait  peur 
(et  c'était  tout  le  monde),  allait  se  précipiter  vers  lui. 
Ce  petit  jour  inattendu,  une  fois  ouvert  à  la  masse 
serrée  qui  étouffait,  le  flot  immense  y  passait  de  lui- 
même.  Toute  la  France  girondine,  la  France-prêtre, 
la  France  royaliste  (en  bonne  partie),  auraient  tout 
oublié,  se  seraient  ralliés  à  un  seul  homme.  Dans 
l'excès  des  alarmes,  il  s'agissait  bien  moins  d'opinion 
que  de  sûreté.  Celte  vague  toute-puissante  de  popu- 
larité l'eût  soulevé,  au  trône?  non,  au  ciel. 

Coup  d'audace  intrépide  !...  Les  Hébertisles  n'al- 
laient-ils pas  dénoncer  un  tel  changement  î  pousser 
Robespierre  à  l'abîme  ofi  descendaient  les  Danto- 
nistes  ?  Ceux-ci  n'allaient-ils  pas  crier ,  lorsque  l'im- 
pitoyable leur  escamotait  la  clémence  ? 

Il  fallait  faire  trembler  les  uns,  les  autres,  et  leur 
imposer  le  silence. 

Robespierre  tenait  encore  les  Hébertistes  qui 
avaient  grand  besoin  de  lui.  Il  les  avait  lavés  le  25  aux 
Jacobins,  en  faisant  patroner  Ronsin  par  son  homme 
David.  Et  le  3  octobre  encore ,  les  misérables  avaient 
besoin  de  se  laver  d'une  trahison  nouvelle  dans  la 
Vendée.  Empêtrés  dans  leurs  crimes,  ils  n'espéraient 


PAK  SAINT-JUST  (10  OCTOBRE).  313 

pas  moins  s'emparer  de  l'armée  révolutionnaire  mal- 
gré les  Dantonistes.  Le  4  donc,  à  leur  profit  et  au  pro- 
fit de  Robespierre,  ils  frappèrent  un  coup  prodigieux 
de  publicité,  tirèrent  un  numéro  du  Père  Duchesne  à 
six  cent  mille  contre  Danton  absent,  et  qui,  selon 
eux,  avait  émigré. 

L'affaire  étant  toute  chaude,  Robespierre  lance  le 
soir  du  4  David  aux  Jacobins  pour  dénoncer  les  Dan- 
tonistes :  «  Thuriot,  dit-il,  complote  toutes  les  nuits 
avec  Barrère  et  Julien  de  Toulouse  chez  la  comtesse 
de  Beauforl.  »  David ,  membre  du  Comité  de  sûreté , 
comme  tel,  avait  autorité.  Malgré  les  dénégations,  le 
coup  porta  très-loin. 

Exacte  ou  non,  la  dénonciation  indiquait  au  moins 
que  Robespierre  avait  la  prescience  d'une  alliance  qui 
allait  se  former  contre  lui  entre  les  nuances  les  plus 
diverses.  Barrère,  glissant  comme  une  anguille  et  fau- 
filé partout,  était  l'intermédiaire  probable,  à  moins 
qu'on  ne  parvînt  à  l'anéantir  par  la  peur.  C'est  ce 
qu'on  fit  le  4,  le  15,  par  de  cruelles  attaques  aux  Ja- 
cobins, attaques  qui  touchaient  de  très-près  l'ac- 
cusation, sentaient  la  guillotine. 

Le  moment  était  venu,  ou  jamais,  de  constituer  le 
gouvernement  honnête  et  terrible,  qui  frapperait 
les  fripons  de  tous  côtés  sans  distinction  de  partis. 
11  fut  comme  proclamé  le  4  en  deux  décrets,  l'un 
pour  contenir  les  autorités  dans  leurs  sphères  respec- 
tives (avis  à  la  commune,  à  la  royauté  d'Hébert  et 
Bouchotte),  l'autre  pour  limiter  les  pouvoirs  des  repré  • 
sentants  aux  armées.  Cette  formule  simple  et  redou- 


314     PENDANT  QUiL  PACinE  PAR  COUTHON  (8-20  OCT.). 

table  de  centralisation  fut  donnée  par  Billaud-Varen- 
nes.  Et  l'esprit  du  nouveau  gouvernement  fut  donné 
le  10  par  Saint-Just. 

Ce  manifeste  original,  parmi  beaucoup  de  choses 
fausses  et  forcées,  déclamatoires  ou  trop  ingénieuses, 
n'est  pas  moins  imposant,  respectable,  par  un  accent 
vrai  de  douleursurl'irrémédiable  corruption  du  temps. 
C'est  la  voix  d'une  jeune  âme  hautaine  et  forte,  impi- 
toyablement pure,  résignée  à  une  lutte  impossible, 
où  elle  s'attend  bien  à  périr.  Cette  voix  métallique  et 
qui  a  le  strident  du  glaive,  plane,  terrible,  sur  tous 
les  partis.  Pas  un  qui  ne  baissât  la  tête,  en  écoutant. 
Pas  un  qui  refusât  son  vote.  Il  fut  réglé  que  le  gou- 
vernement restait  révolutionnaire  jusqu'à  la  paix,  que 
les  ministres  dépendaient  du  Comité,  qu'un  tribunal 
demanderait  des  comptes  à  tous  ceux  qui  avaient 
manié  les  deniers  publics. 

Terreur  sur  tous. 

Personne,  même  les  plus  purs,  n'eût  pu  répondre 
à  une  telle  enquête,  dans  le  désordre  du  temps. 

Ce  qui  effraya  encore  plus,  c'est  que  Saint-Just 
n'avait  pas  craint  de  dénoncer  ceux  que  Robespierre 
ménageait  jusque-là,  stigmatisant  Y  insolence  des  gens 
en  place^  nommant  en  propres  termes  le  tyran  du 
monde  nouveau,  la  bureaucratie. 

L'effroi  commun  rapprocha  des  gens  qui  ne 
s'étaient  jamais  parlé.  Les  Indulgents,  les  Héber- 
tistes  se  virent  et  se  donnèrent  la  main. 

Les  choses  en  étaient  là ,  quand  arriva  le  grand 
événement  de  Lyon,  la  clémence  de  Couthon,  qui 


PENDANT  QU'IL  PACIFIE  PAR  COUTHON  (8-20  OCT.).  315 

allait  donner  aux  ligués  une  si  forte  prise  contre 
Robespierre. 

Pendant  que  les  Hébertistes  recrutaient  à  Paris 
leur  armée  révolutionnaire,  Couthon,  sur  son  che- 
min, en  avait  fait  une  de  paysans.  De  son  pays  natal, 
l'Auvergne,  de  la  Haute-Loire  et  de  toutes  les  con- 
trées voisines,  il  entraînait  la  masse,  ayant  donné  la 
solde  incroyable  de  trois  francs  par  jour.  «  Il  faut  les 
arrêter,  disait  Couthon,  deux  cent  mille  hommes 
viendraient.  »  On  réduisit  la  solde. 

Couthon,  attendu  et  désiré  des  Lyonnais ,  comme 
un  sauveur  qui  les  d  éfendrait  de  Dubois-^Crancé, 
reçoit  leur  soumission  (8  octobre).  Il  ne  juge  nulle- 
ment à  propos  de  livrer  un  dernier  combat  pour  fer- 
mer le  passage  à  deux  mille  désespérés  qui  voulaient 
se  faire  jour,  l'épée  à  la  main.  Il  les  laisse  passer. 

Le  Comité,  à  cette  nouvelle,  sentit,  frémit;  il 
reconnut  cette  politique  inattendue,  celle  qui  avait 
sauvé  les  soixante -treize  :  Régner  par  la  clémence. 

Que  se  passa- t-il  dans  le  Comité?  Il  est  facile  à 
deviner  que  CoUot-d'Herbois,  que  Billaud,  que  Bar- 
rère,  organes  de  la  fureur  commune,  demandèrent  ce 
qu'il  adviendrait,  si,  après  avoir  accompli  toutes  les 
hautes  œuvres  de  la  Révolution,  poussé  dans  la  ter- 
reur, dans  le  sang,  jusqu'à  la  victoire,  en  engageant 
sa  vie  et  sans  se  réserver  aucune  porte,  on  rencon- 
trait au  bout  l'embuscade  d'un  philanthrope  qui  rafle- 
rait le  fruit ,  qui  se  laverait  les  mains  de  tout,  renie- 
rait les  sévérités,  les  punirait  peut-être,  qui  guillo- 
tinerait la  guillotine,  et  des  débris  se  ferait  un  autel  ! 


316  PENDANT  QU'IL  PACIFIE 

Deux  choses  restent  à  faire  :  poignarder  le  tyran,  ou 
le  compromettre.  Collot  écrivit  un  décret  qui  effaçait 
Lyon  de  la  terre.  A  la  place,  une  colonne  s'élèverait 
portant  ces  mots  :  «  Lyon  s'est  révolté ,  Lyon  n'est 
plus.  »  Tous  les  membres  du  Comité  signèrent,  et  ils 
firent  signer  Robespierre. 

Force  étonnante  d'un  gouvernement  d'opinion.  Il 
avait  en  main  la  Convention,  les  Jacobins,  le  Comité 
de  sûreté,  le  tribunal  révolutionnaire.  Mais  à  quelle 
condition  ?  celle  de  rester  impitoyable.  11  périssait, 
s'il  n'eût  signé. 

Mais,  en  signant,  il  exigea  qu'on  suivît  à  la  lettre  la 
dénonciation  de  Couthon  contre  Dubois-Crancé  qui, 
rappelé  à  Paris,  hésitait  à  revenir  et  réorganisait  les 
clubs  à  Lyon;  il  voulut  qu'on  l'arrêtât,  qu'on  le 
ramenât  de  force  à  Paris.  Arrêter  l'homme  qui,  en 
réalité,  avait  tout  fait,  qui  venait  de  rendre  ce  ser- 
vice immense,  l'amener  à  Paris  entre  deux  gendar- 
mes avec  les  drapeaux  pris  de  sa  main,  c'était  une 
mesure  exorbitante,  odieuse,  prodigieusement  impo- 
pulaire. Le  Comité  l'accorda  avec  empressement, 
donna  l'ordre  avant  même  d'en  parler  à  l'Assemblée, 
espérant  perdre  Robespierre  (12  octobre). 

Le  décret  exterminateur  fut  immédiatement  porté 
à  la  Convention  ;  on  dit,  on  répéta,  à  la  louange  de 
Robespierre ,  que  lui  seul  avait  pu  trouver  la  sublime 
inscription. 

«  Comment  expliquer,  dit  Barrère  innocemment, 
que  deux  mille  hommes  aient  passé  à  travers  soixante 
mille  ?. .  c'  est  une  énigme  dont  nous  cherchons  le  mot.» 


PAR  COUTHON  (8-20  OCT.).  317 

Deux  Dantonistes,  Bourdon  de  TOise  et  Fabre 
d'Èglantine,  relevèrent  la  chose,  s'informèrent,  paru- 
rent curieux,  désirèrent  une  enquête.  Ainsi  chan- 
geaient les  rôles.  Les  Indulgents  regrettaient  que  le 
sang  n'eût  coulé. 

La  Montagne  vota  comme  un  seul  homme,  et  toute 
la  Convention. 

L'alliance  des  Dantonistes  et  des  Hébertistes  était 
consommée  ce  jour-là.  Leurs  haines  mutuelles  repa- 
raîtront souvent,  mais  toujours  avec  une  chance  de 
conciliation  dans  la  haine  de  Robespierre. 


CHAPITRE  X 


MORT  DE  LÀ  REINE.  VICTOIRE  DE  WATIGNIES. 

(16  Octobre). 


Procès  de  la  reine  (14-16  octobre  93).  —  Blocus  de  Maubeuge.  —  Position  de 
Walignies.»» Attaques  inutiles  du  15. ^Effort  désespéré  du  16. 


Le  Comité  de  salut ,  par  sa  hautaine  déclaration 
d'honnêteté  absolue  et  de  guerre  aux  partis,  faite 
solennellement  le  10  par  Saint-Just,  s'était  posé 
une  nécessité  absolue  de  vaincre  l'étranger.  Au  plus 
léger  échec,  tous  criaient  contre  lui. 

Robespierre,  en  particulier,  voyait  son  sort  sus- 
pendu à  cette  loterie  de  la  victoire.  Il  le  fit  entendre 
le  11  aux  Jacobins,  dit  qu'il  attendait  la  bataille  et 
qu'il  était  prêt  à  la  mort. 

Pour  passer  ce  passage  étroit,  franchir  le  gouffre, 


PROCÈS  DE  LÀ  REINE  (14-16  OGT.  93).  319 

il  lui  restait  un  pont  étroit ,  le  tranchant  du  rasoir  : 

Tuer  la  reine,  tuer  les  Girondins,  battre  les  Autri- 
chiens. 

Aux  amis  de  Chalier,  aux  furieux  patriotes  de  Lyon, 
jeter  en  réponse  la  tête  de  rAutrichienne. 

Aux  drapeaux  accusateurs  de  Dubois-Crancé  oppo- 
ser les  drapeaux  jaunes  et  noirs  de  l'Autriche,  une 
grande  victoire  sur  la  coalition. 

La  reine  fut  expédiée  en  deux  jours,  14  et  15.  Elle 
périt  le  16,  jour  de  la  bataille,  et  sa  mort  eut  peu 
d'effet  à  Paris.  On  pensait  à  autre  chose,  au  grand 
scandale  de  Lyon  et  à  la  lutte  désespérée,  terrible, 
que  soutenait  l'armée  du  Nord. 

La  reine  était  coupable,  elle  avait  appelé  l'étran- 
ger. Cela  est  prouvé  aujourd'hui  S  On  n'avait  pas  les 


*  Prouvé  1 0  par  les  aveux  de  M.  de  Bouille,  le  père,  1 797  ;  2°  par  la 
déclaration  plus  positive  de  M.  de  Bouille,  le  fils  {\  823),  qui  eut  en  main 
un  billet  où  le  roi  et  la  reine  disaient  eux-mêmes  qu'ils  feraient  appel 
aux  armes  étrangères  ;  3o  par  la  lettre  où  la  reine  écrit  à  son  frère, 
le  \  «r  juin  91 ,  pour  obtenir  un  secours  de  troupes  autrichiennes,  (Revue 
rétrospective  1835,  d'après  la  pièce  conservée  aux  Archives  natio- 
nales.) —  La  famille  de  la  reine  ne  fit  rien  pour  elle.  L'Autriche,  nous 
Pavons  dit,  ne  faisait  la  guerre  que  pour  ses  intérêts,  nullement  pour 
Louis  XYI  ou  Marie-Antoinette.—  Je  ne  crois  pas  un  mot  de  ce  qu'ont 
dit  plus  tard  les  hommes  de  la  coalition  pour  excuser  la  cruelle  indiffé- 
rence de  leurs  princes,  qu*un  Linange  avait  offert  la  paix  en  échange 
de  la  reine.  (Mémoires  d'un  homme  d'état,  II,  316.)  —  Si  M.  deMercy, 
ami  personnel  de  la  reine,  ofl'rit  de  l'argent  à  Danton  pour  la 
sauver,  il  était  donc  bien  ignorant  de  la  situation  ;  il  se  trompait  d'épo- 
que. Danton  ne  pouvait  rien,  n'était  plus  rien  alors.  —  Charles  IV  a 
dit  aussi,  pour  s'excuser,  que  son  ministre  avait  fait  ce  qu'il  avait  pu, 
mais  que  Danton  voulait  de  l'or.  M.  Artaud  ne  manque  pas  de  répéter 


3à0  PROCÈS  DE  LA  REINE  (14-16  OCT.  93). 

preuves  ;  elle  essaya  de  défendre  sa  vie.  Elle  dit 
qu'elle  était  une  femme,  une  épouse  obéissante, 
qu'elle  n'avait  rien  fait  que  par  la  volonté  de  son 
mari,  rejetant  la  faute  sur  lui. 

Ce  qu'il  y  eut  de  plus  saisissant  dans  ce  procès, 
c'est  qu'on  y  fit  paraître  des  témoins  inutiles,  des 
hommes  condamnés  d'avance,  le  constitutionnel 
Bailly,  le  girondin  Valazé,  Manuel  ou  la  Montagne 
modérée,  trois  siècles  de  la  Révolution,  trois  morts 
pour  témoigner  sur  une  morte. 

Rude  moment.  La  République  guillotine  une  reine. 
Les  rois  guillotinent  un  royaume.  La  Pologne  est 
tuée  avec  Marie-Antoinette.  Les  bourreaux  de  la 
Pologne  ont  fini  ,avec  elle  ;  ils  sont  libres  d'agir.  La 
Prusse  est  contente  maintenant ,  elle  a  sa  proie  ;  elle 
va  agir  enfin  sur  le  Rhin,  gagner  l'argent  anglais, 
aider  l'Autriche  qui  n'a  rien  cette  fois  en  Pologne  et 
veut  saisir  l'Alsace.  Autriche  et  Prusse,  elles  vont 
enfoncer  les  portes  de  la  France,  le  13  octobre.  Le 
calcul  de  Carnot ,  qui  affaiblit  le  Rhin  pour  vaincre 
au  Nord,  va  tourner  contre  lui. 

Carnot  semble  un  homme  perdu.  Barrère  aussi, 
qui,  malgré  Robespierre,  malgré  Bouchotte,  Hébert, 
a  mis  Carnot  au  Comité. 

Que  pouvait  ce  calculateur,  quand  nos  armées, 
immobiles  de  misère,  se  trouvaient  incapables  de  sui- 
vre ses  calculs  ?  Les  administrations  militaires  (sub- 


ces  sots  mensonges.  —  Il  n'y  a  rien  cerlainemenl  que  ce  que  nous 
avons  dit  plus  haut  d'après  les  registres  du  Comité  de  sûreté  générale. 


BLOCUS  DE  MAUBEUCK.  52i 

sistances,  habillements,  transports),  la  cavalerie  aussi 
étant  à  peu  près  anéanties,  ces  pauvres  armées  para- 
lytiques ne  pouvaient  prendre  Toffensive,  à  peine  fai- 
saient-elles de  Taibles  mouvements. 

Hoche  disait  un  mot  dur  dans  son  langage  de  sol- 
dat :  '«  Nous  faisons  une  guerre  de  hasard  et  de  bam- 
boche; nous  n'avons  pas  d'initiative;  nous  suivons 
l'ennemi  où  il  veut  nous  mener.  » 

Ce  fut  en  effet  sur  un  mouvement  de  l'ennemi  et 
facile  à  prévoir  que  s'éveilla  le  Comité  de  salut  public. 
Le  contraste  était  grand  L'Autrichien  agissait  scien- 
tifiquement, comme  un  bon  géographe  qui  étudierait 
le  pays,  suivant  les  cours  des  eaux  avec  méthode  et  la 
série  échelonnée  des  places  fortes.  Il  avait  pris  d'abord 
toute  la  grande  artère  du  Nord,  l'Escaut,  Condé  et 
Valenciennes  ;  puis  il  avait  pris  une  position  inexpu- 
gnable  au  Quesnoy,  aux  abords  de  la  forêt  de  Mor- 
mal.  Un  autre  eût  avancé  au  centre.  Lui,  il  voulait 
plutôt  s'enraciner  au  Nord,  prendre  Landrecies  et 
Maubeuge  ;  nous  avions  dans  Maubeuge  et  le  camp 
de  Maubeuge,  vingt  mille  hommes,  une  armée,  la 
plupart  de  recrues;  n'importe,  il  ne  dédaignait  pas 
de  prendre  cette  armée.  Un  matin,  il  passa  la  Sam- 
bre  (28  septembre),  plus  vivement  qu'on  ne  l'eût 
attendu  de  sa  pesanteur  ordinaire.  Ni  Maubeuge ,  ni 
le  camp  n'étaient  approvisionnés;  dès  le  huitième 
jour,  on  en  était  à  manger  du  cheval.  Les  Autrichiens 
avaient  déjà  en  batterie  sur  la  ville  soixante  pièces  de 
canon  ;  mais  ils  n'en  avaient  que  faire.  I^s  assiégés, 

VI.  21 


3i2  BLOCUS  DE  NAUBEUGE. 

la  faim  aux  dents,  allaient  être  obligés  de  leur  dematH 
der  grâce. 

La  plaine  était  en  feu  ;  on  brûlait  tout«  Les  pleurs 
des  paysans  réfugiés,  Tencombrement  des  malades  et 
les  cris  démoralisaient  les  soldats.  Le  représentant 
Drouet  croyait  si  bien  la  ville  perdue,  qu'il  essaya  de 
passer,  se  Qt  prendre,  et  fut  mené  droit  au  Spielberg. 
Treize  dragons  furent  plus  heureux;  ils  passèrent  à 
travers  les  coups  de  fusil ,  allèrent  demander  secours 
à  trente  lieues,  et  ils  revinrent  encore  à  temps  pour 
la  bataille. 

Le  général  Bouchard  avait  duré  un  mois.  On  le 
menait  à  Paris  pour  le  guillotiner.  Personne  ne  vou- 
lait commander.  On  fit  la  presse,  et  l'on  trouva  jQur- 
dan,  qui ,  n'ayant  jamais  commandé,  ne  voulait  pas 
d'abord,  mais  on  le  fit  vouloir.  Il  se  sacrifia. 

Jourdan  commence  par  chercher  son  armée.  Elle 
était  dispersée,  pour  manger  le  pays ,  n'ayant  nul 
magasin,  sur  une  ligne  de  trente  lieues  de  long.  Uûe 
bonne  moitié  était  bloquée  ou  dans  les  garnisons, 
tristes  recrues  en  veste  et  en  sabots.  Il  prend  vite 
aux  Ardennes  pour  compléter  l'armée  du  Nord , 
et  réunit  à  Guise  environ  quarante  -  cinq  mille 
hommes. 

Cobourg,  qui  venait  de  recevoir  douze  mille  Hd- 
landais,  et  qui  avait  quatre-vingt  mille  soldats,  ne  dai- 
gna même  pas  appeler  les  Anglais,  qui  étaient  à  deux 
pas.  Il  laisse  trente  mille  hommes  pour  garder  les 
affamés  de  Maubeuge,  et  lui ,  avec  ses  forces  princi- 
pales, il  se  poste  à  deux  lieues,  sur  un  enchaînement 


POSITION  DE  WATIGNIES.  SfS 

de  collines  de  villages  boisés ,  ferme  tous  les  chemins 
par  des  abattis  d'arbres  ^  couronne  les  hauteun»  de 
superbes  épaulements  entre  lesquels  les  canons  mon- 
trent la  gueule  à  Tennemi.  Dessous ,  sa  ferme  infan- 
terie hongroise  garde  TapprochCi  Derrière,  les  mas- 
ses autrichiennes  et  croates.  De  côté ,  dans  la  plaine, 
une  cavalerie  immense,  la  plus  belle  du  monde,  s'éta- 
lait au  soleil,  prête  à  sabrer  les  bataillons  que  l'arlil- 
lerie  aurait  ébranlés  ;  le  tout  dirigé ,  surveillé ,  moins 
par  Cobourg  que  par  l'excellent  général  Clairfayt, 
le  premier  homme  de  guerre  de  l'empire  autrichien. 

Cette  fois  encore,  c'était  un  Jemmapes ,  mais  infi- 
niment agrandi  ;  armée  triple  et  victorieuse,  position 
bien  plus  redoutable  ,  localités  plus  âpres.  Cobourg, 
en  amateur,  parcourant  cet  amphithéâtre,  cet  enchaî- 
nement admirable  de  postes,  de  barrières  artificielles 
et  naturelles,  de  forces  de  tout  genre  qui  se  liaient  et 
se  prêtaient  appui,  s'écria  :  «  S'ils  viennent  ici,  je  me 
fais  sans-culotte.  » 

Le  mot  ne  tomba  pas.  Reporté  aux  Français,  il 
excita  chez  eux  une  incroyable  ardeur  de  convertir 
l'Allemand  et  de  lui  faire  porter  le  bonnet  rouge. 
Leurs  bandes  traversaient  la  ville  d'Avesnes,  en 
chantant  à  tue-tête  les  chants  patriotiques  ;  ces  drôles 
sans  souliers  étaient  les  conquérants  du  monde. 

Le  14,  lorsque  Maubeuge  commençait  à  recevoir 
les  bombes  autrichiennes,  elle  crut,  dans  les  inter- 
valles, entendre  le  canon  au  loin.  Et  elle  avait  raison. 
Carnot  et  Jourdan  étaient  devant  l'ennemi;  on  se 
regardait ,    se  tâtait.  Plusieurs  voulaient  sortir  de 


524  ATTAQUES  INUTILES  DU  15  OC.T. 

Maubeuge  et  se  mettre  de  la  partie.  Mais  d'autres, 
craiguirent  une  surprise,  une  trahison  :  on  ne  sortit 
pas. 

Lorsque  Carnot  arriva,  portant  en  lui  une  si 
énorme  responsabilité,  la  nécessité  de  la  France,  la 
vie  ou  la  mort  de  la  République,  la  cause  des  libertés 
du  monde ,  ce  grand  homme ,  avant  tout  honnête 
homme,  eut  un  scrupule  et  se  demanda  s'il  fallait  ris- 
quer l'enjeu  complet,  mettre  le  monde  sur  une  carte. 
Il  voulut  attaquer  d'abord  sur  toute  la  ligne,  en  gar- 
dant ses  communications  avec  l'intérieur,  avec  la 
route  de  Guise,  où  restaient  les  réserves  de  la  levée 
en  masse,  de  sorte  que,  s'il  arrivait  un  malheur,  tout 
ne  fût  pas  perdu  encore,  et  que  l'armée  battue  pût 
reculer  vers  Guise.  Il  avait  devant  lui  trois  villages,  à 
gauche  Watignies,  à  droite  Levai,  etc.,  Deniers  au 
centre.  Ses  trois  divisions  marchant  d'ensemble, 
devaient  par  un  mouvement  se  rapprocher  du  cen- 
tre, le  forcer,  le  percer  pour  rejoindre  Maubeuge, 
s'y  fortifier  de  l'armée  délivrée,  et  tous  ensemble, 
tombant  sur  Cobourg ,  lui  faisaient  repasser  la 
Sambre. 

La  droite  s'égara  d'abord;  victorieuse,  elle  s'étale 
en  plaine,  au  lieu  de  forcer  la  hauteur  ;  elle  trouve  la 
cavalerie  ennemie  qui  la  disperse  en  un  clin-d'œil, 
lui  prend  tous  ses  canons.  Complet  désordre.  Et  un 
moment  après,  tout  réparé.  Les  volontaires  s'étaient 
raffermis ,  reformés ,  avec  un  à-plomb  de  vieux 
soldats. 

La  gauche  avait  mieux  réussi.  Elle  perçait  vers 


ATTAQUBS  INUTILES  DU  15  OCT.  325 

Watignies.  Mais  il  lui  fallait  le  succès  du  centre, 
pour  s'appuyer.  Et  le  centre  n'aboutissait  pas. 

Quatre  heures  durant,  au  centre,  en  montant  vers 
Doulers ,  nos  troupes,  et  Jourdan  en  personne,  com- 
battirent à  la  baïonnette.  Du  premier  choc ,  tous  les 
corps  de  l'ennemi  avaient  été  renversés.  Les  nôtres 
arrivent  essoufflés  au  pied  des  hauteurs,  ils  se  trouvent 
face  à  face  avec  les  canons,  souffletés  de  mitraille. 
Quelques-uns  pe  s'arrêtèrent  pas  ;  un  tambour  de 
quinze  ans,  trouvant  un  trou,  passa,  s'alla  poster  dans 
le  village  de  Doulers,  sur  la  place  de  l'église,  et  là 
battit  la  charge  derrière  les  Autrichiens  ;  leurs  batail- 
lons en  perdirent  contenance,  et  ils  commençaient  à 
se  disperser.  En  1 837,  on  a  retrouvé  là  les  os  du  petit 
homme  entre  sept  grenadiers  hongrois. 

Au  moment  où  les  nôtres,  sous  le  torrent  de  la 
mitraille,  hésitaient  et  flottaient,  la  cavalerie  autri- 
chienne arriveen  flanc,  l'infanterie  qui  avait  cédé  nous 
retombe  sur  les  bras.  Nous  sommes  rejetés  en  arrière. 

Jourdan ,  après  quatre  heures  d'efforts ,  voulait 
laisser  le  centre,  attaquer  de  côté.  Carnot  l'apprend, 
s'écrie  :  «  Lâche  !  »  Jourdan  alors  fit  comme  Dam- 
pierre,  il  voulait  se  faire  tuer.  Une  fois,  deux  fois,  il 
recommença  la  lutte,  amenant  toujours  ses  hommes 
décimés  au  pied  de  ces  hauteurs  meurtrières,  de  ces 
canons  féroces  qui  se  jouaient  à  les  balayer.  Pas  un 
ne  refusait,  pas  un  de  ces  jeunes  gens  n'hésita  à 
marcher;  tous  embrassaient  la  mort. 

La  nuit  mit  fin  à  cette  affireuse  exécution,  qui  eftt 
toujours  continué.    Cobourg  croyait  avoir  vaincu. 


31U  ErFOKT  UËBËSPEUÉ  DU  i6  0€T- 

Quels  hommes  n'eussent  pas  tombé  de  décourage^ 
ment?  Et  comment  croire  que  ces  soldats  d'hier,  dont 
plusieurs  se  voyaient  pour  la  première  fois  à  une  telle 
fête,  ne  vse  tiendraient  pas  satisfaits? 

On  vit  alors  toute  la  justesse  du  mot  du  maréchal 
de  Saxe  :  a  Une  bataille  perdue ,  c'est  une  bataille 
qu'on  croit  perdue.  » 

Or,  les  nôtres,  après  leur  perte  énorme,  ne  se  te- 
nant pas  pour  vaincus,  ils  ne  le  furent  pas  en  effet* 

Carnot,  dit-on,  reçut  la  nuit  un  avis  important. 
Quel?  on  ne  le  sait  pas.  Mais  on  peut  bien  le  de- 
viner. Il  reçut,  dans  cette  nuit  du  15  au  16,  la  nou-^ 
velle  que,  le  13,  la  Prusse  et  l'Autriche,  lançant 
devant  eux  la  valeur  furieuse,  désespérée  des  émigrés, 
avaient  forcé  les  lignes  de  l'Alsace,  les  portes  de  la 
France. 

Donc,  il  fallait  absolument,  et  sous  peine  de  mort, 
vaincre  le  16. 

Le  16  aussi  mourait  la  reine. 

Le  16,  l'ébranlement  immense  de  la  Vendée  eut 
son  effet  ;  elle  passa  la  Loire;  cette  grande  armée  dés- 
espérée courut  l'Ouest,  plus  redoutable  que  jamais. 
Où  se  jetterait-elle? Sur  Nantes  ou  sur  Paris? 

Le  désespoir  aussi  illumina  Carnot,  Jourdan.  Ils 
firent  cette  chose  incroyable.  Sur  quarante-cinq  mille 
hommes  qu'ils  avaient,  ils  en  prirent  vingt-quatre 
mille,  et  ils  les  portèrent  à  la  gauche,  laissant  au 
centre  et  à  la  droite  des  lignes  faibles,  minces,  et 
sûres  d'être  battues.  Ce  centre  et  cette  droite  sacri- 
fiés devaient  cependant  agir,  agir  tout  doucement. 


EFFORT  DÉSESPÉRÉ  DU  16  OGT.  327 

Le  destin  de  la  France,  complice  d'une  opération 
si  hasardeuse  7  nous  accorda  un  grand  brouillard 
d'octobre.  Si  Clairfayt  avait  eu  du  soleil,  une  longue- 
vue,  tout  était  perdu.  L'affaire  devenait  ridicule  ;  on 
guillotinait  Jourdan  et  Carnot,  et  le  ridicule  éternel 
les  poursuivrait  dans  l'avenir. 

Le  16  du  mois  d'octobre  93,  à  midi  (l'heure  précise, 
où  la  tête  de  la  reine  tombait  sur  la  place  de  la  Révolu- 
tion), Carnot,  Jourdan,  silencieux,  marchaient  avec  la 
moitié  de  l'armée  (et  laissant  derrière  eux  le  vide  !  ) 
— vers  le  plateau  de  Watignies  ^ 

Watignies  est  une  position  superbe,  formidable, 
bordée  d'une  petite  rivière,  de  deux  ruisseaux,  cer- 
née de  gorges  étroites  et  profondes.  La  raideur  de  ces 
pentes  pour  remonter,  est  rude,  et  au  haut,  se  trou- 
vaient les  plus  féroces  de  l'armée  ennemie,  les  croa- 
tes, les  plus  vaillants,  les  émigrés. 

Le  brouillard  se  lève  à  une  heure.  Le  soleil  montre 
aux  Autrichiens  une  masse  énorme  d'infanterie  en 
bas.  Un  cri  immense  éclate  :  Vive  la  République  ! 
Trois  colonnes  montaient. 

Elles  montent.  Et  de  l'escarpement,  les  décharges 
les  retardent.  Elles  montent,  mais  de  leurs  flancs, 
ouverts  et  fermés  tour  à  tour,  sortait  la  foudre  ; 
chaque  colonne  avait  sa  pièce  d'artillerie  volante. 


^  L*ouvrage  capital  sur  la  bataille  est  celui  de  M.  Piér&ri  de  Mau^ 
beuge.  n  donne  avec  une  précision  admirable  le  détail  topograpbique, 
et  les  faits,  les  dates,  toutes  les  circonstances,  avec  infiniment  d*in- 
térêt  et  de  clarté. 


d2S  EFFOKT  DÉSESPÉRÉ  DU  iOOCT. 

Rien  ne  charmait  plus  nos  soldats.  Ils  ont  toujours 
été  amoureux  de  l'artillerie.  Les  canons  étaient  ado* 
rés.  À  la  vigueur  rapide  dont  ils  étaient  servis,  à  la 
mobilité  parfaite  dont  les  bataillons  les  facilitaient  en 
s'ouvrant  et  se  refermant,  on  eût  pu  reconnaître  déjà 
non-seulement  le  peuple  héros,  mais  le  peuple  mi- 
litaire. 

Du  reste,  les  Autrichiens  avouèrent  que  jamais 
telle  artillerie  ne  frappa  leur  oreille.  Cela  évidena- 
ment  veut  dire  qu'aucune  ne  tira  des  coups  si  pressés* 

Trois  régiments  autrichiens  furent  mis  en  pièces, 
et  disparurent.  Leur  artillerie  tourna  contre  eux. 

Une  seule  de  nos  brigades  échoua,  ayant  reçu  de 
front  l'épouvantable  orage  de  la  cavalerie  ennemie* 
Cobourg  s'était  enfin  éveillé  ;  il  avait  lancé  la  tem- 
pête. 

Prodigieuse  fermeté  de  nos  soldats  !  Rien  ne  fut 
troublé.  Cette  malheureuse  colonne  se  reforma  à  deux 
pas  de  là.  Carnot  et  Duquesnoy,  les  représentants  du 
peuple,  destituèrent  le  général,  prirent  le  fusil,  et 
marchèrent  à  pied,  montrant  aux  jeunes  soldats 
comment  il  fallait  s'en  servir. 

Carnot  avait  avec  lui  deux  dogues  de  combat^  très- 
féroces,  Duquesnoy,  le  représentant,  et  son  frère,  le 
général.  Le  premier,  ancien  moine,  ei  depuis  paysan, 
était  né  furieux.  En  prairial,  il  ne  se  manqua  pas; 
d'autres  se  blessèrent,  lui  d'un  mauvais  ciseau  il  se 
perça  le  cœur.  Son  frère,  l'un  des  exterminateurs  de 
la  Vendée,  et  blessé  des  pieds  à  la  tête,  est  bientôt 
mort  aux  Invalides.  Ce  furent  en  réalité  ces  deux 


IX  VICTOIHK.  32U 

eunigés^  qui  avec  Garnot  et  Jourdan  ^  gagnèrent  la 
bataille.  Jourdan  se  fixa  invincible  sur  le  plateau  de 
Watignies. 

L'armée  ennemie  avait  profité  de  Taffaiblissemenl 
extrême  où  était  restée  notre  droite.  Elle  Tavait  fait 
fléchir  sans  peine  et  lui  avait  pris  ses  canons.  Cobourg 
ne  savait  même  pas  son  avantage  de  ce  côté^  mais  il 
était  si  saisi  du  coup  frappé  sur  Watignies  qu'il  par- 
tit sans  s'informer  de  l'état  des  choses.  Il  n'attendit 
pas  York  qui  venait  le  secourir.  Il  multiplia  ses  feux 
pour  donner  le  change  aux  nôtres,  et  prudemment 
repassa  la  Sambre.  Maubeuge  était  délivré. 

Cette  bataille  eut  des  résultats,  tels  qu'aucune 
autre  peut-être  n'en  eut  de  semblables  : 

Elle  couvrit  la  France  pour  longtemps  au  nord,  et 
lui  permit  bientôt  sur  le  Rhin  et  de  défendre  et  d'at- 
taquer. 

Elle  nous  donna,  l'hiver  aidant,  une  longue  paix 
intérieure,  et  malheureusement  aux  partis  le  loisir 
de  s'exterminer. 

Carnot,  qui  l'avait  gagnée,  revint  s' enfermer  à  son 
bureau  des  Tuileries,  et  laissa  triompher  ses  col- 
lègues. 

Jourdan  qu'on  voulait  lancer  en  Belgique,  sans 
vivres  ni  cavalerie,  fit  quelques  observations  et  fut 
destitué. 

La  grande  affaire  du  Rhin  fut  confiée  à  Pichegru 
cl  Hoche,  deux  soldats  devenus  tout  à  coup  généraux 
en  chef.  La  République  allait  tout  emporter. 


CHAPITRE   XI 


SUITE  DE  LYON.   MORT  DES   GIRONDINS. 


(i5  Oclobre.— 8  Novembre  9S.) 


La  victoire  sauve  Robespierre  de  GoUot  et  de  Pbilippeaux  (19  octobre). ~ 
Procès  des  Girondins  (34-30  octobre  95).—  On  étouffe  le  procès  par  un 
décret  (29  octobre).— ^ Mort  des  Girondins  (50  octobre  99). — Faible  «flèt  de 
l'exécution.— Mort  de  madame  Roland,  (8  novembre  95).— Mort  de  Roland. 


La  bataille  se  donna  plus  tard  qu'on  ne  croyait. 
Tout  le  monde  attendait  à  Paris  dans  une  extrême 
anxiété,  mais  personne  plus  que  Robespierre.  Si  elle 
était  gagnée,  elle  allait  remplir  les  esprits,  rendre 
minime  l'affaire  de  Lyon,  balancer  l'effet  dangereux 
du  vainqueur  de  Lyon  arrêté.  Dubois-Crancé  était 
en  route,  captif  et  portant  ses  drapeaux. 

Point  de  nouvelle  le  13,  point  le  14.  Robespierre 
s'alarma,  il  chercha  une  occasion  de  se  mettre  h  part 
de  Couthon,  de  se  laver  les  mains  de  ce  qui  pouvait 


LA  VlCTOiUE  SAUVE  HOBËSPJEKhli;  DE  COLLOl  £T  DE  PHlLiP.  351 

se  faire  à  Lyon.  Pour  se  disculper  d'indulgence,  il 
attaqua  un  indulgent,  le  très  suspect  Julien  de  Tou- 
louse, qui  (surprenant  effet  de  la  coalition)  avait  fait 
approuver  d'Hébert,  de  la  Commune,  un  rapport  apo» 
logétique  pour  les  Girondins  de  Bordeaux.  Robes-* 
pierre  s'anima,  et  dit:  «  Non,  je  ne  puis,  comme 
Julien,  faire  bon  marché  du  sang  des  patriotes.,.  La 
prise  de  Lyon  n'a  pas  rempli  l'espérance  des  bons 
citoyens...  tant  de  scélérats  impunis,  tant  de  traîtres 
échappés  !  Non,  il  faut  que  les  victimes  soient  ven- 
gées, les  monstres  démasqués,  exterminés,  ou  que  je 
meure  I  » 

Ainsi  Robespierre  reculait ,  il  abandonnait  Cou- 
thon.  Hébertà  l'instant  recula  ;  la  Commune  brûla  le 
rapport  de  Julien. 

La  reculade  de  Robespierre  aurait  été  sans  dignité, 
s'il  n'eût  au  moment  même  frappé  un  nouveau  coup. 

Un  Jacobin  influent,  ami  d'Hébert  et  de  CoUot, 
disparut  (e  matin  du  IS,  sans  que  personne  pût  en 
donner  nouvelle. 

Collet,  le  soir,  aux  Jacobins,  arriva  si  furieux, 
que  les  Robespierristes,  effrayés,  le  prévinrent  eux- 
mêmes,  demandèrent  une  enquête.  L'homme  enlevé 
était  Desfieux,  ex-espion  du  Comité  de  salut  public. 
11  logeait  avec  un  homme  plus  suspect  encore,  un 
Proly,  Autrichien,  bâtard  du  prince  de  Kaunitz.  Ils 
avaient  disparu  tous  deux.  Collot  jette  feu  et  flamme; 
il  se  garde  bien  de  vouloir  deviner  que  l'enlèvement 
mystérieux  est  l'œuvre  du  Comité  de  sûreté  générale. 
11  veut  ignorer,  crie,  cherche,  pleure,  rugit  :  «  On 


55i  LA  VIGTOIKB  SAUVE  ROBILSPIËURE 

nous  prendra  tous,  dit-il,  aujourd'hui  Tun,  demain 
Tautre.  »  Delà,  il  court  à  la  Commune  et  recommence 
la  scène,  dans  la  grande  assemblée  du  conseil  général, 
devant  les  tribunes  émues.  On  entre  dans  son  cha- 
grin ;  on  fait  venir  la  police  ;  hélas!  elle  ne  sait  rien; 
elle  n'a  sur  les  registres  aucun  mandat  d'amener.  On 
finit  par  découvrir,  grâce  à  cette  longue  filière,  ce 
que  Collot  certainement  avait  deviné  tout  d'abord, 
que  c'est  le  Comité  de  sûreté  qui  a  fait  faire  l'enlè- 
vement. 

Un  Jacobin  enlevé,  à  l'insu  de  la  Société,  à  l'insu 
de  toute  autorité,  et  du  Comité  de  salut  public,  et 
de  la  Commune,  et  de  la  police  municipale,  et  des 
Comités  dé  sa  section  !  C'était  un  fait  nouveau,  re- 
nouvelé de  l'inquisition  de  Venise.  La  Société  tout 
entière  se  mit  en  mouvement  ;  elle  alla  en  masse  au 
Comité  de  sûreté,  et  lui  arracha  Desfieux.  Il  rentra 
triomphant  le  17  aux  Jacobins. 

Collot,  le  même  jour,  y  montait  une  forte  scène 
contre  Couthou  et  Robespierre,  voulant  rendre  coup 
pour  coup.  Couthon,  pour  se  conciHer  la  Société, 
avait  imaginé  de  demander  quarante  Jacobins  pour 
Taider  à  régénérer  Lyon.  «  Il  n'y  a  qu'un  mot  qui 
me  blesse  dans  ces  nouvelles  de  Lyon,  dit  Collot  ma- 
lignement; c'est  cette  trouée  par  laquelle  les  rebelles 
ont  échappé.  Faut-il  croire  qu'ils  ont  passé  sur  le  corps 
des  patriotes?  ou  bien  ceux-ci  se  seront-ils  dérangés 
pour  les  laisser  passer?....  » 

La  société,  peu  satisfaite,  accueillit  d'autant  mieux 
une  proposition  que  jadis  Robespierre  avait  fait  rejeter, 


DE  COLLOT  ET  DE  PHILIPPKAUX  (i\)  OCT.).        555 

celle  de  mettre  Marat  au  Panthéon,  avec  Chalier  et 
J.-J.  Rousseau. 

Il  devenait  probable,  d'après  ceci,  que  Dubois- 
Crancé  allait  trouver  un  accueil  sympathique.  Avec 
lui,  arrivait  de  Lyon  Tami  de  Chalier,  le  second  Cha- 
lier, la  victime  des  Girondins,  Gaillard,  qui,  pendant 
tout  le  siège,  était  resté  dans  les  cachots,  et  qui,  n'es- 
pérant rien  de  Couthon,  venait  demander  vengeance 
à  l'Assemblée,  aux  Jacobins. 

Dubois-Crancé  arriva  le  19  avec  Gaillard.  Et  ce 
jour  même  où  Robespierre  avait  à  redouter  cette  ter- 
rible accusation  de  modérantisme^  paraissait  un  vio- 
lent rapport  de  Philippeaux,  contre  la  protection  que 
Robespierre  avait  donnée  en  septembre,  à  Ronsin, 
aux  exagérés. 

Il  était  pris  de  deux  côtés. 

Mais  ce  même  jour,  19  octobre,  tomba,  comme 
du  ciel,  la  nouvelle  de  la  victoire. 

Robespierre  était  sauvé ,  l'effort  de  ses  ennemis 
atténué.  Dubois-Crancé  ,  reçu  à  la  Convention, 
n'obtint  pas  même  d'y  parler.  Aux  Jacobins,  amené 
par  CoUot,  il  montra  beaucoup  de  prudence,  se  justi- 
fia, sans  accuser.  Il  flatta  les  Jacobins  en  legr  offrant 
le  drapeau  lyonnais  qu'il  avait  pris  de  sa  main.  Et 
avec  tout  cela,  la  Société  restait  froide.  Gaillard 
même,  l'ombre  de  Chalier,  Gaillard  vivant,  en  per- 
sonne, que  Collot  menait  et  montrait  comme  les 
reliques  d'un  saint.  Gaillard  produisit  peu  d'effet. 
Avant  qu'on  le  laissât  parler,  on  fit  passer  je  ne  sais 
combien  d'incidents  minimes  et  de  froids  discours.  Il 


354  LA  VICTOIRE  SAUVE  ROBESPlEnRE  DE  COLLOT  ET  DR  PHILIP. 

parla  enfin  avec  une  âpreté  extrême,  et  contre  tous  ; 
il  parla  avec  une  sécheresse  désolée ,  une  brièveté 
désespérée.  Un  mois  après  il  se  tua. 

Les  Jacobins  montrèrent  en  cette  circonstaDce 
f|u'ils  étaient  des  politiques,  bien  moins  prenables  au 
fanatisme  qu'on  n'aurait  pu  le  croire. 

Couihon,  qui  les  connaissait  parfaitement  et  qiii 
comptait  sur  eux,  montra  plus  de  sang-froid  que  Ro^ 
bespierre.  Il  neutralisa  à  Lyon  tout  l'élan  des 
vengeances.  Il  se  hâta  lentement  d'organiser  ses  tri- 
bunaux. Quand  il  reçut  le  décret  exterminateur, 
il  répondit  avec  admiration,  avec  enthousiasme  à  la 
Convention,  mais  ne  fit  rien  du  tout.  Sauf  quelques 
hommes  pris  les  armes  à  la  main,  personne  ne  périt. 
Couthon  attendit  au  25  sans  prendre  aucune  mesure 
contre  l'émigration.  Vingt  mille  hommes  au  moins 
sortirent  de  Lyon,  qui  se  trouvaient  en  grand  danger 
de  mort.  Et  la  plupart  étaient  de  pauvres  ouvriers  qui 
avaient  agi  au  hasard. 

La  mort  des  Girondins,  demandée  tant  de  foiSj  fut 
le  calmant  qu'on  crut  devoir  donner  à  la  fureur  des 
violents  qui  s'indignaient  devoir  cette  immense  proie 
de  Lyon  fondre  et  s'échapper  de  leurs  mains. 

Les  vingt-deux  députés  arrêtés  le  2  juin  étaient 
réduits  par  la  fuite  ou  la  mort  à  une  douzaine.  On  en 
ajouta  d'autres  qui  n'étaient  point  de  la  Gironde,  et 
l'on  parvint  à  compléter  ce  nombre  sacramentel,  au- 
quel le  peuple  était  habitué. 

Fouquier-Tinville  avait  pour  la  dixième  fois 
demandé  les  pièces.  On  a  vu  que  les  Jacobins  «'en 


PAOGÉS  DES  GIRONDINS  (24-50  OCTOBRE  93).       335 

étaient  emparés.  Ils  les  cherchèrent  duns  leurs  archives 
et  plusieurs  jours.  On  retrouva  enfin  dans  un  coin  un 
petit  dossier,  si  nul  que  Fouquier  n'osa  le  montrer. 
Nulle  pièce  ne  fut  communiquée  d'avance  aux  défen- 
seurs. Au  jour  de  l'ouverture  des  débats,  Fouquier 
cherchait  encore. 

On  n'était  pas  sans  inquiétude  sur  la  manière  dont 
Paris  prendrait  cette  hécatombe.  L'immense  majo- 
rité des  sections  était  girondine,  et  quoiqu'elles  fus- 
sent muettes,  terrifiées,  tenues  comme  applaties  par 
leurs  comités  révolutionnaires,  on  craignait  un  réveil. 
A  tort.  Paris  était  très-mort.  Les  Girondins  étaient 
très-vieux.  L'attention  était  ailleurs.  On  les  exhuma 
pour  les  tuer. 

Toutefois  on  crut  utile  de  créer  une  diversion  (et 
burlesque)  à  la  tragédie,  comme  la  queue  du  chien 
d'Alcibiade.  Des  femmes  de  clubs,  coiffées  du  bonnet 
rouge,  habillées  en  hommes  et  armées,  se  prome- 
nèrent aux  Halles,  trouvèrent  mauvais  que  les  pois^ 
sardes  n'eussent  pas  la  cocarde.  Celles-<>i,  royalistes 
et  fort  colères,  comme  on  saitj  tombèrent  sur  les 
belles  amazones,  et  de  leurs  robustes  mains  leur 
appliquèrent,  au  grand  amusement  des  hommes,  une 
indécente  correction.  Paris  ne  parla  d'autre  chose. 
La  Convention  jugea,  mais  contre  les  victimes;  elle 
défendit  aux  femmes  de  s'assembler.  Cette  grande 
question  sociale,  se  trouva  ainsi  étranglée  par  hasard. 

Une  autre  chose  fit  tort  aux  Girondins.  On  plaça 
leur  procès  immédiatement  après  celui  du  député 
Perrin,  condamné  aux  fers  pour  spéculations  scan- 


330  PIIOCÊS  DhS  GIRONDINS  (24-50  OCTOBRK  93). 

daleuses,  exposé  le  19  à  la  place  de  la  Révolution. 
Us  trouvèrent  ainsi  l'échafaud  sali  par  un  voleur.  La 
foule,  qui  n'y  regarde  guère,  les  voyant  exécutés 
entre  les  voleurs  et  les  royalistes,  s'intéressa  moins  à 
leur  sort. 

Royalistes  et  Girondins  furent  habilement  entre- 
mêlés. La  reine  péril  le  16,  les  Girondins  le  30, 
M'*"  Roland  le  8,  et  le  surlendemain  un  royaliste, 
Bailly.  Le  Girondin  Girey-Dupré  le  21,  et  peu  de 
jours  après  le  royaliste  Barnave.  En  décembre ,  les 
exécutions  des  Girondins  Kersaint,  Rabaut,  firent 
faites  ainsi  pêle-mêle  avec  celle  de  la  Dubarry. 

Qu'il  eût  bien  mieux  valu  pour  eux  périr  le  2  juin, 
sur  les  bancs  de  la  Convention  !  Ils  n'auraient  pas 
passé  ainsi  après  la  reine,  dans  ce  fâcheux  mélange 
royalisle,  comme  une  annexe  misérable  du  procès  de 
la  royauté.  lisseraient  morts  eux-mêmes,  tout  entiers, 
d'un  cœur  invaincu!  Ils  n'auraient  pas  subi  Taffai- 
blissemcnt,  l'énervalion  des  longues  prisons*  Ils 
n'auraient  pas  essayé  de  défendre  leur  vie.  Ils  seraient 
morts  comme  Charlotte  Çorday. 

Sauf  cette  faiblesse  qu'ils  eurent  de  plaider,  ils 
montrèrent  beaucoup  de  constance  dans  leurs  prin- 
cipes, Républicains  sincères,  invariables  dans  la  haine 
des  rois,  pleinsd'immuable  foi  aux  libertés  du  monde. 
Du  reste,  fidèles  aussi  à  la  philosophie  du  xvm*  siècle, 
sauf  deux,  le  marquis  etl'évêque,  Fauchet  et  Sillery, 
tous  les  autres  étaient  de  la  religion  de  Voltaire  ou 
de  Condorcet. 

On  voit  encore  aux  Carmes  les  trois  ou  quatre  gre- 


PROCÈS  DES  GIRONDINS  (2^-30  OCTORRE  93).       337 

niers  qu'y  occupèrent  les  Girondins.  Les  murs  sont 
couverts  d'inscriptions.  Pas  une  n'est  chrétienne.  Le 
mot  Dieu  n'y  est  qu'une  fois.  Toutes  respirent  le  sen- 
timent de  l'héroïsme  antique,  le  génie  stoïcien.  Celle- 
ci  est  de  Vergniaud  : 

Potius  mort  quam  fœdari. 
La  mort  !  Et  non  le  crime. 

Les  faibles  Mémoires  de  Brissot,  écrits  dans  sa 
longue  prison,  témoignent  du  même  caractère.  On 
sent  un  cœur  qui  ne  s'appuie  que  sur  le  droit  et  le 
devoir,  sur  le  sentiment  de  son  innocence,  sur  l'espoir 
du  progrès  et  le  futur  bonheur  des  hommes.  Croi- 
rait-on que  r infortuné  qui  écrit  sous  la  guillotine 
ne  s'occupe  que  d'une  chose  sur  laquelle  il  revient 
toujours ,  l'esclavage  des  noirs  !  Indifférent  à  ses 
fers,  il  ne  sent  peser  sur  lui  que  les  fers  du  genre 
humain. 

Les  trois  grands  procès  du  tribunal  révolutionnaire 
(ceux  de  la  reine,  des  Girondins,  de  Danton)  ont  été 
conduits  par  le  même  homme,  Herman,  président  du 
tribunal.  C'était  un  homme  d'Arras,  compatriote  et 
ami  personnel  de  Robespierre.  Dans  les  différentes 
listes  que  celui-ci  a  laissées  d'hommes  qui  devaient 
arriver  aux  grands  emplois,  le  premier  nommé  en 
tête  est  toujours  Herman.  Un  homme  de  lettres  dis- 
tingué, d'Arras,  qui  vit  encore  dans  un  grand  âge, 
m'a  souvent  conté  qu'il  l'avait  connu.  Herman  était 
un  homme  de  maintien  posé,  de  parole  douce,  de 

M.  22 


338  PROCÈS  DES  GIRONDINS  (24-30  OGTOBRB  U3). 

figure  sinistre  ;  il  louchait  extrêmement  d'un  œil  et 
paraissait  borgne. 

Il  n'y  eut  aucune  hypocrisie  dans  le  procès.  Tout  le 
monde  vit  de  suite  qu'il  ne  s'agissait  que  de  tuer.  On 
dédaigna  toutes  les  formalités,  usitées  encore  à  cette 
époque  au  tribunal  révolutionnaire.  Point  de  pièces 
communiquées.  Les  accusateurs  (Hébert  et  Ghau- 
mette),  reçus  comme  témoins.  Aucune  défense  d'a- 
vocat. Plusieurs  des  accusés  ne  purent  parler,  chose 
bien  nécessaire  pourtant  dans  un  procès  où  l'on  acco- 
lait ensemble  des  hommes  accusés  de  crimes  tout  dif«- 
fèrents,  les  uns  de  faits,  les  autres  de  paroles^  queK 
ques-uns  d'opinions. 

Ce  qui  fut  très-choquant,  ce  fut  de  voir  arriver 
pour  accabler  les  vingt-deux,  morts  d'avance,  jugés 
pour  la  cérémonie,  des  hommes  eux-mêmes  en 
péril,  et  qui,  sous  le  coup  d'une  extrême  péur^ 
croyaient  racheter  leur  vie  en  se  faisant  bourreaux. 

Desfieux,  que  l'on  a  vu  tout  à  l'heure  arrêté  et 
violemment  délivré  par  Gollot,  par  l'émeute  de  la 
Société  jacobine,  Desfieux,  terrifié  de  son  succès  et 
sentant  qu'il  serait  repris,  vint  jeter  une  pierre  à  ces 
mourants.  Il  imagina  de  les  accuser  d'avoir  fabriqué 
une  lettre  pour  le  perdre,  lui,  Desfieux  1  «  Eh  1  mon 
ami,  lui  dit  Yergniaud,  si  nous  avions  eu  intérêt  à 
perdre  quelqu'un,  ce  n'était  pas  toi;  c'était  Robes** 
pierre.  > 

Chabot  était  dans  le  même  cas.  Il  n'était  nullement 
cruel,  et  quand  Garât  alla  prier  Robespierre  pour  les 
Girondins,  Chabot  qui  était  là,  laissa  voir  de  l'intérêt 


PROCÈS  DES  GIRONDINS  (â4-30  OCTOBRE  93).       399 

pour  eux.  Mais  Tex-moine,  homme  de  chair,  paillsurd, 
lâche  et  bas,  mourait  de  peur,  faisant  en  môme  temps 
ce  qu'il  £allait  pour  mourir.  Il  se  faisait  riche,  en- 
graissait, épousait  une  fille  de  banque.  Et  plus  il 
engraissait,  plus  sa  peur  croissait.  Il  is'évaûouissait 
presque  devant  Robespierre.  Il  l'avait,  par  étourderie, 
blessé  sur  Tarticle  délicat  de  la  Constitution.  Com^ 
ment  rentrer  en  grâce?  Il  fit  une  pièce  remarquable, 
un  long  roman,  industrieusement  tissu  ;  l'ensemble 
était  ingénieux,  le  détail  mal  choisi,  trop  visiblement 
romanesque.  11  reprochait  aux  Girondins  les  massa- 
cres de  septembre  !  La  tentative  d'assassiaat  en  mars 
(o'est-à-dire  d'avoir  voulu  s'assassiner  eux-mêmes  !  )  ; 
enfin  le  vol  du  garde-meuble  1 

Les  Girondins  étaient  accusés  d'avoir  été  amis  de 
Lafayette,  d'Orléans  et  de  Dumouriez.  Tous  trois, 
s'ils  n'eussent  été  absents,  auraient  dit,  sans  nul 
doute,  ce  qui  éiait  vrai,  qu*au  contraire  ils  avaient 
trouvé  dans  la  Gironde  leur  principal  obstacle.  Pour 
le  dernier,  il  atteste  en  94,  six  mois  après  leur  mort, 
qu'il  fut  leur  mortel  ennemi,  et  il  le  prouve  par  un 
torrent  d'injures.  En  réalité,  ce  fut  Bris^otqui,  par 
son  acte  vigoureux  de  déclarer  la  guerre  à  TAngle- 
terre,  trancha  la  trame  que  filait  Dumouriez,  coupa 
les  ailes  à  sa  fortune. 

La  déclaration  de  guerre  à  tous  les  rois  leur  fut 
imputée  au  procès,  avec  raison.'— Elle  leur  appar- 
tient et  leur  reste  dans  Thistoire  ;  c'est  leur  titre  de 
gloire  éternelle. 

Du  reste,  que  les  Girondins  fussent  coupables  ou 


340  FROGÈS  DES  GIRONDINS  (24-30  OCTOBRE  9S). 

non,  il  eût  fallu  du  moins,  dans  ces  vingt-deux, 
mettre  à  part  ceux  qui  se  trouvaient  là  introduits 
par  erreur,  et  qui,  en  réalité,  n'étaient  pas  Giron- 
dins. 

Fonfrède  et  Ducos,  par  exemple,  assis  à  la  droite, 
avaient  le  plus  souvent  voté  avec  la  Montagne.  Marat 
lui-même  au  2  juin  défendit  Ducos.  Ces  deux  jeunes 
représentants,  nullement  en  danger  alors,  restèrent 
généreusement  pour  protéger  leurs  collègues,  et  pa- 
rurent plus  girondins  par  cette  défense  qu'ils  ne 
l'étaient  d'opinion.  Il  n'y  avait  personne  dans  la 
Montagne  qui  ne  s'intéressât  pour  eux. 

Deux  hommes  encore  étaient  à  part,  et  ne  pou- 
vaient se  mêler  avec  la  Gironde.  Quoi  qu'on  pût  leur 
reprocher  dans  le  passé,  c'était  à  Dieu  de  les  punir  et 
non  à  la  France,  qu'ils  avaient,  par  leur  intrépidité, 
par  leur  crime  même ,  enrichie  d'un  département. 
La  France  ne  pouvait  toucher  Mainvielle  et  Duprat, 
qui  s'étaient  perdus  pour  elle,  qui,  dans  leur  patrio- 
tisme frénétique,  s'immolèrent,  se  déshonorèrent 
pour  lui  donner  sa  plus  belle  conquête,  la  plus  sûre, 
celle  d'Avignon. 

Qu'avaient-ils  eu  pour  allié,  pour  ami,  dans  cette 
guerre  d'Avignon  î  Le  maire  d'Arles,  Antonelle,  et 
c'était  lui  justement  qui  présidait  le  jury.  Antonelle, 
ex-marquis,  forcé  par  là  d'être  implacable,  âpre 
d'ailleurs  de  nature,  sincère  amant  de  la  Terreur, 
n'en  était  pas  moins  troublé  en  voyant  dans 
cette  malheureuse  bande ,  ceux  qui  de  concert 
avec  lui  avaient  rendu  à  la  France  cet  immense  ser^ 


ON  ÉTOUFFE  LE  PROCÈS  PAK  UN  DÉCRET  (il)  OCT.).    541 

vice,  et  qui,  quand  elle  aurait  entassé  sur  eux  For 
et  les  couronnes  civiques,  restaient  encore  ses  créan- 
ciers. 

Il  y  avait  déjà  sept  jours  que  durait  le  triste  procès. 
11  était  beaucoup  moins  avancé  que  le  premier  jour. 
Il  devenait  impossible  de  le  dénouer  sans  le  glaive. 
Il  fallut  à  la  lettre  guillotiner  le  procès,  afin  de  pou- 
voir ensuite  guillotiner  les  accusés. 

Le  matin  du  29  octobre,  Fouquier-Tinville  fait  lire 
la  loi  sur  Taccélèration  des  jugements.  Herman  de- 
mande si  les  jurés  sont  suflBsamment  éclairés.  Anto- 
nelle  répond  négativement. 

Cependant  on  voulait  finir.  On  court  aux  Jacobins. 
On  obtient  d'eux  une  députation  pour  demander  à 
l'Assemblée  de  décréter  qu'au  troisième  jour  le  jury 
peut  se  dire  éclairé,  et  fermer  les  débats.  La  minute 
du  décret  s'est  retrouvée,  écrite  par  Robespierre. 
Chose  étrange!  ce  fut  un  indulgent  qui  appuya  la 
chose,  le  dantoniste  Osselin.  C'était  lui-même  un 
homme  terrorisé,  en  péril  ;  il  avait  chez  lui  une  jeune 
femme  émigrée,  qu'il  cachait.  Dans  son  anxiété,  il 
croyait  se  couvrir  en  donnant  ce  couteau  pour  en  finir 
avec  les  Girondins.  Lui-même  il  fut  pris  quelques 
jours  après. 

Le  décret  demanda  du  temps.  Herman ,  pour 
passer  quelques  heures,  pour  empêcher  surtout  de 
parler  Gensonné,  le  logicien  de  la  Gironde,  qui 
voulait  résumer  toute  la  défense,  Herman  interrogeait 
celui-ci,  celui-là,  sur  des  questions  sans  importance. 
Enfin,  à  huit  heures  du  soir,  arrive  le  décret.  Pou-' 


342     ON  ÉTOUFFE  LE  PROCÈS  PAR  UN  DÉCRET  (29  OCT.). 

vait-on  l'appliquer  dans  une  affaire  commencée  sous 
une  autre  législation  î  On  n'y  regarda  pas  de  si  près. 
Le  jury,  sans  preuve  nouvelle,  et  sans  nouveau  dé- 
bat, après  un  jour  passé  à  divaguer,  se  trouve  éclairé 
tout  à  coup,  et  le  déclare. 

Ils  sont  tous  condamnés  à  mort. 

Plusieurs  des  condamnés  n'y  croyaient  pas.  Hs 
poussèrent  des  cris  de  malédiction.  Vergnîaud,  pré- 
paré sur  son  sort ,  demeurait  impassible.  Yalazé  se 
perça  le  cœur. 

La  scène  fut  si  terrible,  dit  Ghaumette,  qui  était 
présent,  que  les  gendarmes  restèrent  littéralement 
paralysés.  Les  accusés  qui  maudissaient  leurs  juges, 
auraient  pu  les  poignarder,  sans  que  rien  y  fit 
obstacle. 

Mais  le  plus  tragique  accident  eut  lieu  dans  Taudi- 
toire.  Camille  Desmoulins  s'y  trouvait.  La  senteuce 
lui  arracha  un  cri  :  t  Ah  !  malheureux  !  c'est  moi, 
c'est  mon  livre  qui  les  a  tués.  » 

Il  n'était  pas  loin  de  minuit.  Le  mort  et  lesvivàfite 
redescendirent  du  tribunal  dans  les  ténèbres  dé  la 
Conciergerie. 

D'une  voix  grave,  ils  marquaient  la  descente  du 
funèbre  escalier  par  le  chant  de  la  Marseillaise  : 

Contre  nous  de  la  tyrannie 
Le  couteau  sanglant  est  levé. 

Les  autres  prisonniers  veillaient  et  attendaient  Ce 
mot  convenu  leur  dit  la  sentence,  et  que  c'était  fiût 


ON  ÉTOUFFE  LE  PROCÈS  PAR  UN  DÉCRET  (29  OCT.).    543 

de  la  Gironde.  De  tous  les  cachots,  ils  répondirent  par 
leurs  cris  et  par  leurs  sanglots. 

Eux,  ils  ne  pleuraient  pas.  Un  repas  soigné,  déli- 
cat, avait  été  envoyé  par  un  ami  pour  le  dernier 
banquet. 

Deux  prêtres  voulaient  les  confesser.  L'évéque  et 
le  marquis,  Fanchet  et  Sillery,  acceptèrent  seuls. 

Si  l'on  en  croit  l'un  de  ces  prêtres  (qui  lui-même 
avoue  ne  pas  être  entré  dans  la  salle),  ils  auraient 
passé  la  nuit  à  parler  de  religion.  Pour  le  croire,  il 
faudrait  bien  peu  connaître  ces  temps  et  la  Gironde. 

€  De  quoi  donc  parlèrent-ils?  j> 

Pauvres  gens,  pourquoi  vous  le  dire?  Êtes -vous 
dignes  de  le  savoir,  vous  qui  pouvez  le  deman- 
der? 

Ils  parlèrent  de  la  République,  de  la  Patrie.  C'est 
ce  que  dit  en  propres  termes  leur  compagnon  de 
prison. 

Ils  parlèrent  (nous  l'affirmons  et  le  jurons  au  be- 
soin) de  la  France  sauvée  par  la  glorieuse  bataille 
qui  la  fermait  à  l'invasion.  Ils  y  trouvèrent  la  conso- 
lation de  leurs  malheurs  et  de  leurs  fautes.  Nul  doute 
qu'ils  n'aient  senti  ces  fautes,  qu'ils  ne  $e  soient 
repentis  d'avoir  compromis  l'unité.  Vergniaud  le  dit 
lui-même  :  t  Je  n'ai  écrit  ces  choses  qu* égaré  par  la 
douleur,  r^  Noble  aveu  devant  la  mort,  et  d'un  homme 
qui  ne  voulait  ni  n'attendait  la  vie. 

Fondateurs  de  la  République,  dignes  de  la  recon^ 
naissance  du  monde  pour  avoir  voulu  la  croisade  de 
92  et  la  liberté  pour  toute  la  terre^  ils  avaient  besoin 


544  MOKT  DES  GIRONDINS  (30  OCTOBRE  93). 

de  laver  leur  tache  de  93,  d'entrer  par  Texpiation 
dans  r immortalité. 

Le  30  octobre  se  leva  pâle  et  pluvieux,  un  de  ces 
jours  blafards  qui  ont  l'ennui  de  l'hiver  et  n'en  ont 
pas  le  nerf,  la  salutaire  austérité.  Dans  ces  tristes  jours 
détrempés,  la  fibre  mollit;  beaucoup  sont  au-dessous 
d'eux-mêmes-  Et  l'on  avait  eu  soin  de  défendre  qu'on 
donnât  désormais  aucun  cordial  aux  condamnés.  Le 
cadavre ,  déjà  livide,  de  Valazé,  mis  dans  les  mêmes 
charrettes,  la  tête  pendante,  sur  un  banc,  était  là 
pour  énerver  les  cœurs,  réveiller  l'horreur  de  la  mort; 
ballotté  misérablement  à  tous  les  cahots  du  pavé,  il 
avait  l'air  de  dire  :  «  Tel  je  suis,  et  tel  tu  vas  être.  » 

Au  moment  où  le  lugubre  cortège  des  cinq  char- 
rettes sortit  de  la  sombre  arcade  de  la  Conciergerie, 
un  chœur  ardent  et  fort  commença  en  même  temps, 
une  seule  voix  de  vingt  voix  d'hommes  qui  fit  taire  le 
bruissement  de  la  foule,  les  cris  des  insulteurs  gagés. 
Ils  chantaient  l'hymne  sacrée  :  a  Allons ,  enfants  de 
la  patrie  !...  »  Cette  Patrie  victorieuse  les  soutenait 
de  ^on  indestructible  vie,  de  son  immortalité.  Elle 
rayonnait  pour  eux  dans  ce  jour  obscur  d'hiver,  où 
les  autres  ne  voyaient  que  la  boue  et  le  brouillard.. 

Ils  allaient  forts  de  leur  foi,  d'une  foi  simple,  où 
tant  de  questions  obscures  qui  devaient  surgir  depuis, 
ne  se  mêlaient  pas  encore. 

Forts  de  leur  ignorance  aussi  sur  nos  destinées  fu- 
tures, sur  nos  malheurs  et  sur  nos  fautes. 

Forts  de  leur  amitié,  la  plupart  allaient  deux  à  deux 
et  se  réjouissaient  de  mourir  ensemble.  Fonfrède  et 


FAIBLB  EFFET  DE  L'EXÉCUTION.  545 

Ducos,  couple  jeune,  iunocent,  frères  par  l'hymen  de 
deux  sœurs,  n'auraient  pas  voulu  de  la  vie,  pour  sur- 
vivre séparés.  Mainvielle  et  Duprat,  couple  souillé , 
voué  à  la  fatalité,  frères  dans  Tamour  d'une  femme, 
frères  dans  ce  frénétique  amour  de  la  France,  qui  les 
précipita  au  crime,  embrassaient  cette  commune  gué- 
rison  de  la  vie  qui  allait  les  unir  encore.  Ils  chantaient 
en  furieux  et  sur  la  triste  voiture,  et  descendant  sur 
la  place,  et  remontant  sur  Féchafaud;  la  pesante 
masse  de  fer  put  seule  étouffer  leurs  voix. 

Le  chœur  allait  diminuant ,  à  mesure  que  la 
faulx  tombait.  Rien  n'arrêtait  les  survivants.  On  en- 
tendait de  moins  en  moins  dans  l'immensité  de  la 
place.  Quand  la  voix  grave  et  sainte  de  Vergniaud 
chanta  la  dernière,  on  eût  cru  entendre  la  voix  dé- 
faillante de  la  République  et  de  la  Loi,  mortelle- 
ment atteintes,  et  qui  devaient  survivre  peu. 

Les  assistans  des  débals,  les  spectateurs  du  sup- 
plice, furent  également  émus,  mais,  s'il  faut  le  dire, 
l'impression  fut  assez  faible  dans  Paris.  Ce  grand  et 
terrible  événement  n'entraîna  pas  l'agitation  qu'avait 
excitée  l'affaire  deCustine,  si  peu  importante  relative- 
ment. Les  morts  stoïques  affectaient  peu.  Les  masses 
jugeaient  ces  tragédies  uniquement  au  point  de  vue  de 
la  sensibilité.  Les  larmes  que  le  vieux  général  versait 
sur  ses  moustaches  grises,  sa  dévotion  attendrie  et 
l'étreinte  de  son  confesseur,  son  intéressante  belle- 
fille  qui  l'avait  entouré,  défendu  de  sa  piété  filiale, 
tout  cela  faisait  un  tableau  touchant  de  nature  et  de 


3lft  MORT  DE  MADAME  ROLAND  (8  NOV.  93). 

faiblesse  qui  émouvait  et  troublait.  L'émotion  fut  au 
comble,  le  jour  de  l'exécution  de  la  plus  indigne 
victime^  de  madame  Dubarry.  Son  désespoir,  ses 
cris,  sa  peur  et  ses  défaillances,  son  violent  amour 
de  la  vie,  firent  vibrer  en  tous  une  corde  matè^ 
rielle,  la  sensibilité  instinctive;  on  se  souvint  que  la 
mort  est  quelque  chose  ;  on  douta  que  la  guillotine, 
€  ce  supplice  si  doux  »  ,  ne  fût  rien. 

La  mort  de  madame  Roland ,  justement  pour 
cette  raison,  fut  à  peine  remarquée  (  8  novembre). 
Cette  reine  de  la  Gironde  était  venue  à  son  tour 
loger  à  la conciei^erie,  près  du  cachot  de  la  Reine, 
sous  ces  voûtes  veuves  à  peine  de  Vergniaud  ,  de 
Brissot,  et  pleines  de  leurs  ombres.  Elle  y  venait 
royalement ,  héroïquement ,  ayant ,  comme  Ver- 
gniaud, jeté  le  poison  qu'elle  avait,  et  voulu  mourir 
au  grand  jour.  Elle  croyait  honorer  la  République 
par  son  courage  au  tribunal  et  la  fermeté  de  sa  mort. 
Ceux  qui  la  virent  à  la  Conciergerie ,  disent  qu'elle 
était  toujours  belle,  pleine  de  charme,  jeune  h  30  ans; 
une  jeunesse  entière  et  puissante ,  un  trésor  de  vie 
réservé,  jaillissait  de  ses  beaux  yeux.  Sa  force  parais- 
sait surtout  dans  sa  douceur  raisonneuse,  dans  l'irré- 
prochable harmonie  de  sa  personne  et  de  sa  parole. 
Elle  s'était  amusée  en  prison  à  écrire  à  Robespierre, 
non  pour  lui  demander  rien,  mais  pour  lui  faire  la 
leçon.  Elle  la  faisait  au  tribunal,  lorsqu'on  lui  ferma 
la  bouche.  Le  8  où  elle  mourut  était  un  jour  froid  de 
novembre.  La  nature  dépouillée  et  morne  exprimait 
l'état  des  cœurs;  la  Révolution  aussi  s'enfonçait  dans 


MORT  DE  ROLAND.  347 

son  hiver,  dans  la  mort  des  illusions.  Entre  les  deux 
jardins  sans  feuilles,  la  nuit  tombant  (  cinq  heures 
et  demie  du  soir),  elle  arriva  au  pied  de  la  Liberté 
colossale,  assise  près  de  Téchafaud,  k  la  place  où  est 
Tobélisque,  monta  légèrement  les  degrés,  et  se  tour- 
nant vers  la  statue,  lui  dit,  avec  une  grave  douceur, 
sans  reproche  :  «  0  Liberté,  que  de  crimes  commis 
en  ton  nom  !  * 

Elle  avait  fait  la  gloire  de  son  parti,  de  son  époux, 
et  n'avait  pas  peu  contribué  à  les  perdre.  Elle  a  invo- 
lontairement obscurci  Roland  dans  l'avenir.  Mais  elle 
lui  rendait  justice,  elle  avait  pour  celte  âme  antique^ 
enthousiaste  et  austère,  une  sorte  de  religion.  Lors- 
qu'elle eut  un  moment  l'idée  de  s'empoisonner,  elle 
lui  écrivit  pour  s'excuser  près  de  lui  de  disposer  de 
sa  vie  sans  son  aveu.  Elle  savait  que  Roland  n'avait 
qu'une  unique  faiblesse,  son  violent  amour  pour  elle, 
d'autant  plus  profond  qu'il  le  contenait. 

Quand  on  la  jugea,  elle  dit  :  «  Roland  se  tuera  » . 
On  ne  put  lui  cacher  sa  mort.  Retiré  près  de  Rouen, 
chez  des  dames,  amies  très-sûres,  il  se  déroba,  et  pour 
faire  perdre  sa  trace,  voulut  s'éloigner.  Le  vieillard, 
par  cetle  saison,  n'aurait  pas  été  bien  loin.  Il  trouva 
une  mauvaise  diligence  qui  allait  au  pas;  les  routes 
de  93  n'étaient  que  fondrières.  Il  n'arriva  que  le  soir 
aux  confins  de  l'Eure.  Dans  l'anéantissement  de  toute 
police,  les  voleurs  couraient  les  routes,  attaquaient  les 
fermes;  des  gendarmes  les  poursuivaient.  Cela  in- 
quiéta Roland,  il  ne  remit  pas  plus  loin  ce  qu'il  avait 
résolu.  Il  descendit,  quitta  la  route,  suivit  une  allée 


548  MORT  DE  ROLAND. 

qui  tourne  pour  conduire  à  un  château  ;  il  s'arrêta  au 
pied  d'un  chêne,  tira  sa  canne  à  dard  et  se  perga 
d'outre  en  outre.  On  trouva  sur  lui  son  nom,  et  ce 
mot  :  «  Respectez  les  restes  d'un  homme  vertueux.  » 
L'avenir  ne  Ta  pas  démenti.  Il  a  emporté  avec  lui 
l'estime  de  ses  adversaires ,  spécialement  de  Robert 
Lindet. 

On  le  trouva  le  matin,  et,  l'autorisation  venue,  on 
l'enfouit  négligemment,  hors  de  la  propriété,  à 
l'angle  de  la  grande  route.  On  lui  jeta  deux  pieds  de 
terre.  Les  jours  suivants,  les  enfants  y  venaient  jouer, 
et  enfonçaient  des  baguettes  pour  sentir  le  corps. 

Nulle  attention  du  public.  La  Gironde  est  déjà  an- 
tique, reculée  dans  un  temps  lointain.  Comment  en 
serait-il  autrement?  Ses  vainqueurs,  les  Jacobins,  sont 
dépassés  eux-mêmes.  La  Révolution  les  déborde  les 
uns  et  les  autres,  et  par  ses  fureurs  et  par  son  génie. 
Madame  Roland  meurt  le  8,  mais  le  7,  une  question 
immense  a  surgi,  également  incomprise  et  des  Giron- 
dins et  des  Jacobins. 


LIVRE  XIV 


'V^ 


CHAPITRE  I 


8  !.  -  LA  RÉVOLUTION  N'ÉTAIT  RIEN  SANS  LA  RÉVOLUTION 

RELIGIEUSE. 


Pourquoi  échoua  la  Révolution.  —  Comment  elle  fût  devenue  une  création.  — 
Impuissance  des  Girondins  et  des  Jacobins. —  Les  Gordeliers  Clootz  et  Chau- 
melle. —  Registres  de  la  Commune.  Admirables  inspirations  d'humanité. 


Le  fondateur  des  jacobins,  Adrien  Duport^  avait 
dit  un  mot  de  génie,  qu'il  suivit  trop  peu  lui-même, 
À  ceux  qui  voulaient  une  révolution  anglaise  et  su- 
perficielle, il  disait  :  «  Labourez  profond  3. 

Ce  que  Saint- Jusl  a  dit  aussi  sous  cette  forme 
grave  et  mélancolique  :  «  Ceux  qui  font  les  révolu- 
tions à  demi,  ne  font  que  creuser  leurs  tombeaux  ». 

Ce  mot  s'applique  non  seulement  à  tous  les  révo- 
lutionnaires artistes,  mais  aux  deux  partis  raison- 
neurs : 


5&4      COMMENT  SLLE  FUT  DBVENUB  UNE  CHÊàTION. 

ton;  son  grand  homme,  Robespierre,  n'eurent  pas  le 
temps  d'observer  (emportés  par  Touragan)  ce  qu'elle 
avait  précisément  à  foire  pour  perdre  le  nom  de  ré* 
Tolution,  devenir  création. 

Elle  devait,  sous  peine  de  périr,  non  seulement 
codifier  le  XVIH'  siècle,  mais  le  vivifier,  réali$er  en 
affirmation  vivante  ce  qui  chez  lui  fut  négatif.  —  Je 
m'explique  : 

Elle  devait  montrer  que  sa  négation  d'une  religion 
arbitraire  de  faveur  pour  les  élus  contient  (^affirma- 
tion de  la  religion  de  justice  égale  pour  tou$;  montrer 
que  sa  négation  de  la  propriété  privilégiée  contient 
F  affirmation  de  la  propriété  non  privilégiée,  étendue  à 
tous. 

Voilà  ce  que  la  Révolution  devait  à  son  illustre 
père,  le  XVIIF  siècle  :  briser  le  noyau  scolastique 
qui  contenait  sa  doctrine,  en  tirer  le  fruit  de  vie. 

Dès  ce  jour,  elle  vivait,  et  elle  pouvait  dire  ;  Je 
suis.  A  elle,  la  vie,  le  positif.  Et  l'ancien  régime,  coçh 
vaincu  d'être  le  vide,  s'évanouissait. 

La  Révolution  réserva  justement  les  deux  ques- 
tions où  était  la  vitalité.  Elle  ferma  un  moment 
l'église  et  ne  créa  pas  le  temple.  Elle  changea  la  pro- 
priété de  main ,  mais  la  laissa  monopole  ;  le  privi- 
légié renaquit  comme  usurier  patriote,  bande  noire, 
agioteur,  tripotant  dans  l'assignat  et  les  biens  na- 
tionaux ^. 

i  Ce  dernier  point  fut  marqué  fortement  par  la  Commune  le  5  sep* 
iembre,  par  Saint-Just  le  4  6  octobre  :  «  De  nouveaux  seigueurs,  non 
moins  croelsi  s^élèvent  mr  les  ruines  de  la  féodalité  t,  dit  Chaonette. 


POUROUOI  ÉCHOUA  LA  RÉVOLUTION.  555 

du  siècle.  Elle  réalisait  en  institutions  une  partie  de 
ces  idées ,  mais  elle  y  ajoutait  peu.  Féconde  en  lois, 
stérile  en  dogmes,  elle  ne  contentait  pas  Téternelle 
faim  de  Tâme  humaine,  toujours  affamée,  altérée  de 
Dieu. 

La  loi,  c'est  le  mode  d'action ,  c'est  la  roue^  la 
meule.  Mais  qui  tourne  cette  roue?  Mais  cette  meule, 
que  moud-elle?  —  Mettez-y  le  grain,  le  dogme, — 
sinon,  la  meule  tourne  à  vide,  elle  s'use,  elle  va  frot- 
tant ;  elle  pourra  se  moudre  elle-  même. 

Les  deux  partis  raisonneurs,  les  Girondins,  les  Ja- 
cobins, tinrent  peu  compte  de  ceci,  La  Gironde  écarta 
entièrement  la  question,  les  Jacobins  l'éludèrent.  Ils 
crurent  payer  Dieu  d'un  mot. 


Toute  la  fureur  des  partis  ne  leur  faisait  pas  illu-- 
sion  sur  la  quantité  de  vie  que  contenaient  leurs  doc- 
trines. Les  uns  et  les  autres  ardents  scolastiques,  ils 
se  proscrivirent  d'autant  plus^  que,  différant  moins 
au  fond,  ils  ne  se  rassuraient  bien  sur  les  nuances 
qui  les  séparaient,  qu'en  mettant  entre  eux  le  dis^ 
tinguo  de  la  mort. 

Eh  bien  !  ces  drames  terribles,  cette  horreur,  ce 
sang  versé,  tout  cela  ne  remplissait  pas  le  vide  infini 
de  l'âme  nationale.  Tout  l'ennuyait  également.— Et 
elle  attendait. 


Les  deu\  génies  de  la  Révolution,  Mirabeau,  Dari- 

YI.  85 


5&4      COMMBHT  SLLE  FUT  DBVENUB  UNE  CR^iTION. 

ton;  son  grand  homme,  Robespierre,  n'eurent  pas  le 
temps  d'observer  (emportés  par  l'ouragan)  ce  qu'elle 
avait  précisément  à  foire  pour  perdre  le  nom  de  ré* 
Tolution,  devenir  création. 

Elle  devait,  sous  peine  de  périr,  non  seulement 
codifier  le  XVIH'  siècle,  mais  le  vivifier,  réali$er  en 
affirmatùm  vivante  ce  qui  chez  lui  fut  négatif.  —  Je 
m'explique  : 

Elle  devait  montrer  que  sa  négation  d'une  religion 
arbitraire  de  faveur  pour  les  élus  contient  taffirtna- 
tion  de  la  religion  de  justice  égale  pour  U>u$;  montrer 
que  sa  négation  de  la  propriété  privilégiée  contient 
F  affirmation  de  la  propriété  non  privilégiée,  étendue  à 
tous. 

Voilà  ce  que  la  Révolution  devait  à  son  illustre 
père,  le  XVIir  siècle  :  briser  le  noyau  scolastique 
qui  contenait  sa  doctrine,  en  tirer  le  fruit  de  vie. 

Dès  ce  jour,  elle  vivait,  et  elle  pouvait  dire  ;  Je 
suis.  A  elle,  la  vie,  le  positif.  Et  l'ancien  régime,  con^ 
vaincu  d'être  le  vide,  s'évanouissait. 

La  Révolution  réserva  justement  les  deux  ques« 
tiens  où  était  la  vitalité.  Elle  ferma  un  moment 
Téglise  et  ne  créa  pas  le  temple.  Elle  changea  la  pro- 
priété de  main ,  mais  la  laissa  monopole  ;  le  privi- 
légié renaquit  comme  usurier  patriote,  bande  noire, 
agioteur,  tripotant  dans  l'assignat  et  les  biens  na- 
tionaux ^. 

^  Ce  dernier  point  fut  marqué  fortement  par  la  Commune  le  5  sep* 
iembre,  par  Saint-Just  le  4  6  octobre  :  «  De  nouveaux  seigneurs,  non 
moins  croelsi  s^élètent  lur  les  ruines  de  I«  féodalité  t,  dit  Chamneue. 


IMPUISSANCE  DBS  GIRONDINS  ET  DES  JACOBINS.  3ôô 

Quels  remèdes?  la  répression  individuelle,  la  sé« 
vérité  croissante,  vieux  moyens  gouvernementaux^ 
furent  de  moins  en  moins  elficaces.  Êmonder  ^ervak 
très-peu,  si  la  racine  était  la  même.  C'est  elle  qu'il 
eût  fallu  changer  par  la  force  d'une  sève  nouvelle. 
Cette  sève,  qui  pouvait  la  donner?  l'apparition  d'une 
idéd  dominante  et  souveraine  qui  ravissant  les  es- 
prits, soulevant  l'homme  du  pesant  limon,  se  créant 
&  soi  un  peuple,  s' armant  du  monde  nouveau  qu'elle 
aurait  créé,  neutraliserait  d'en  haut  l'effort  mourant 
de  Tancien  monde« 

Le  rapport  de  l'homme  à  Dieu  et  de  l'homme  à  la 
nature,  la  religion,  la  propriété,  devaient  se  constituer 
sur  un  dogme  neuf  et  fort,  ou  la  Révolution  devait 
s'attendre  &  périr. 


Les  Girondins  ne  firent  rien,  ne  soupçonnèrent 
même  pas  qu'il  y  eût  à  faire. 

Les  Jacobins  ne  firent  rien  que  juger,  épurer,  cri« 
hier.  Ils  se  montrèrent  infiniment  peu  capables  de 
création . 

Les  Cordeliers  essayèrent.  Seulement  comme  ils 
étaient  en  insurrection  permanente,  spécialement 
contre  eux-mêmes,  ce  qu'ils  essayaient  était  nul 
d'avance.  Le  seul  parti  qui  par  moment  semble  avoir 
rêvé  les  moyens  de  féconder  la  Révolution,  c'est 

Et  Saiut-Just,  avec  douleur  ;  «  No$  ennemis  ont  tiré  profit  de  nos 
lois  I  > 


556  LES  CORDfiLIERS  CLOOTZ  ET  r.HAOMETTE. 

celui  qui^  comme  anarchie  vivEote ,  était  infécond. 

Comme  foyer  d'anarchie,  les  Gordeliers  continrent 
tout  élément,  ce  que  la  Révolution  eut  de  meilleur,  ce 
qu'elle  eut  de  pire. 

Le  mélange  fit  horreur,  et  les  Jacobins  brisèrent 
tout. 

Les  contrastes  adoucis,  fondus  plus  habilement 
dans  la  Société  jacobine  (véritable  société),  appa- 
rurent avec  une  dureté  cruelle  et  choquante  dans 
celle  des  Gordeliers, 

L'ange  noir  des  Gordeliers  est  dans  le  scélérat  Ron- 
sin,  dans  Hébert,  muscadin  fripon,  masqué  sous  le 
Père  Duchesne,  dans  le  petit  tigre  Vincent. 

L'ange  blanc  des  Gordeliers  fut  dans  l'infortuné, 
l'innocent,  le  pacifique  Ânacharsis  Clootz,  l'orateur 
du  genre  humain,  homme  du  Rhin,  frère  de  Beetho- 
wen,  français,  hélas!  d*adoption. 

Cette  blessure  saigne  en  moi,  et  elle  saignera  tou- 
jours :  la  mort  des  étrangers  illustres,  mis  à  mort 
pour  nous,  par  nous  ! 

Âh!  France!  quelle  chose  es-tu  donc?  et  com- 
ment te  nommerai-je?..«  Tant  aimée !...  Et  combien 
de  fois  tu  m'as  traversé  le  cœur...  Mère,  maîtresse, 
marâtre  adorée!...  Que  nous  mourions  par  toi,  c'est 
bien  !  que  tu  nous  brises,  c'est  toi-même  ;  tu  n'en- 
tendras pas  un  soupir.  Mais  ceux-ci,  qui,  si  confiants, 
vinrent  d'eux-mêmes  se  mettre  en  tes  bras,  âmes 
d'or,  âmes  innocentes,  qui  n'avaient  plus  vu  de  fron- 
tières, qui,  dans  leur  aveugle  amour,  ne  distin- 
guaient ni  Rhin  ni  Alpes  ,  qui  ne  sentaient  plus  la 


LES  GORDELIERS  CLOOTZ  ET  CHAUJIETTfi,  557 

patrie  qu'en  la  déposant  aux  genoux  de  leur  meil* 
leure  patrie,  la  France!...  ah!  leur  destinée  laisse 
en  moi  un  abime  de  deuil  éternel  \ 


Entre  l'ange  noir  et  l'ange  blanc,  le  bon  et  le  mau- 
vais esprit,  entre  Hébert  et  Clootz,  s'agitait  Cbau- 
mette. 

*  Qui  sentait  nos  cruelles  discordes?  Eux,  autant,  plus  que  nou 
peut-être.  Nous  en  avions  la  fureur,  ils  en  avaient  le  désespoir. 

Nous  fûmes  très-mal  pour  Mayence.  Custine,  dans  la  brutalité  d'un 
soldat,  d*un  grand  seigneur,  alla  jusqu*à  menacer  le  président  de  la 
Convention  mayençaise.  Des  deux  envoyés  de  Mayence,  Adam  Lux 
voulait  se  tuer  au  31  mai ,  croyant  voir  mourir  la  République  et  ne 
pouvant  lui  survivre.  H  voulait  la  mort,  il  l'eut  (guillotiné  8  novembre). 
L*autre,  Forster,  le  fils  de  Tillustre  navigateur,  échappé  à  tous  les 
dangers  des  plus  périlleux  voyages,  venu  à  Paris  comme  au  port,  mou- 
rut de  misère,  de  douleur,  dMsoIement,  comme  si,  dans  le  naufrage, 
la  mer  Teût  jeté  sur  un  écueil  désert.  Des  patriotes  de  Mayence  qui 
avaient  soutenu  ce  long  siège,  run,  Riffle,  combattant  vaillamment 
pour  la  France  en  pleine  Vendée,  fut  la  première  victime  de  la  trahison 
de  Ronsin.  A  Torfou,  près  de  Kléber,  la  première  balle  vendéenne  fut 
pour  lui  !  Il  mourut  là,  loin  des  siens,  sans  autre  parent  que  Kléber, 
qui  lui-même  renversé,  blessé  à  cette  cruelle  affaire,  fut  aussi  blessé 
au  cœur,  sentit  une  larme  amèredans  sa  forle  âmede  soldat. 

Durs  aveux  pour  rhistorien!...  Mais  savez- vous,  pendant  oe  temps, 
ce  que  disait  TAllemagne? 

0  violent  amour  de  la  France !.^.  Sanglant  miracle,  impossible  à 
comprendre  pour  ceux  qui  n^ont  pas  en  leur  foi  la  clé  des  mystères... 
L'Allemagne,  idéaliste  et  forte,  s'arrachant  le  cœur  maternel,  la  pitié 
de  ses  enfants,  disait  stoïquement,  du  haut  de  la  chaire  de  Fichte  : 
«  Non,  ce  sang  n'est  pas  du  sang,  non,  la  mort  n'est  pas  la  mort...  Quoi 
que  puisse  faire  la  France  et  la  Révolution,  c'est  bien.  »  De  sorte  que, 
pendant  que  la  France  se  maudissait  elle-même,  l'Allemagne,  ce  grand 
prophète,  lui  envoyait  d'avance  les  bénédictions  de  l'avenir. 


568  LES  GORDBLIERS  GLOOTZ  ET  GHAUMBTTB. 

Le  parleur  ingénieux  et  adroit,  Fhomme  matériel 
et  lâche,  qui,  même  à  côté  d'Hébert,  n'eut  jamais  la 
force  d'être  un  scélérat,  et  garda  un  cœur. 

11  fut  tué  par  son  bon  génie,  par  l'influence  de 
Cloolz.  11  osa,  un  jour,  être  humain.  Et  il  alla  a  la 
mort*. 

Le  mariage  de  ces  deux  hommes,  si  profondément 
différents  d'esprit. 

Du  pauvre  spéculatif  Allemand,  bayant  aux  nuées, 

Et  du  caméléon  mobile,  homme  d'affaires,  tout  pra- 
tique; ce  mariage  étonnant  mérite  d'être  expliqué. 

Clootz,  comme  tout  Allemand,  arrivait  du  fond  du 
panthéisme ,  de  la  nature,  et  de  l'infini  ; 

Chaumette,  comme  tout  Français  (  et  celui-ci  de 
basse  espèce),  partait  de  l'individualisme,  du  parti- 
culier, du  jour,  de  l'aventure  quotidienne,  qui  en 
tout  temps  n'est  guère  que  l'infiniment  petit. 

Une  chose  les  ralliait,  celle  qu'ils  avaient  tous 
deux  haïe  dans  les  Girondins,  l'esprit  décentralisa?* 
teur. 

La  générosité  de  Clootz,  son  ardent  amour  de  la 
France  ,  où  il  fut  amené  enfant,  le  désintéressait 
de  l'Allemagne.  Il  était  Français,  regardait  le  Rhin, 
comme  un  futur  département  de  la  république  fran- 


1  Chaumette  a  révélé  ce  mystère.  Quand  on  lui  demande  aux  Cor- 
deliers  :  «  Comment  il  a  pu  soupçonner  que  les  Comités  révolatîoB- 
naires  étaient  capables  parfois  d'accuser  et  de  poursuivre  leurs  ennemis 
personnels^  d'abuser  de  leur  dictature?  »  U  répond:  «  J'ai  suivi  la 
pensée  d'Anacharsis  Clootz.  »  (Arch.  de  la  Police,) 


REGISTRES  DE  LA  COMMUNE.  360 

çaise.  Il  était  décentralisateur  de  rAllemagne  j  à 
force  d'aimer  la  France. 

Ghaumette,  c'était  le  contraire.  Il  n'avait  pas  à 
décentraliser  une  patrie  étrangère  ;  il  ne  connaissait 
que  Paris.  Il  était  ia  voix,  l'agréable  organe^  du  chaos 
discordant  de  la  Commune.  Ce  chaos,  dans  sabouobO) 
était  harmonie.  Sa  vie,  sa  voix^  étaient  municipales. 
Donc  9  avec  toutes  ses  déclamations  violentes  contre 
les  décentralisateurs ,  il  n'était  décentralisateur 
qu'au  profit  de  la  grande  et  redoutable  Commune , 
qui,  il  est  vrai,  contient  It  tout. 

Le  tout?  est-ce  seulement  la  France?  Ne  le  croyez 
pas.  Paris,  c'est  le  monde. 

Donc ,  sur  ce  terrain ,  se  retrouvaient  4'homme 
du  monde,  Ânacharsis,  et  le  municipal  Chaumette. 


On  a  imprimé  quelques  pages  des  registres  du  con- 
seil général  de  la  Commune,  celles  qui  se  rapportent 
aux  grandes  journées  de  la  Révolution.  Pour  bien 
connaître  la  Commune,  il  faut  la  prendre  dans  un 
moment  plus  paisible.  Ouvrons  ces  registres  en  ud^ 
vembre  93,  risquons  ^^  nous  dans  ces  archives  des 
crimes,  pénétrons  dans  ce  repaire  de  l'impie,  de 
rhorrible,  de  la  sanguinaire  Commune,  comme  rap- 
pellent les  historiens.  Je  donne  les  faits  sans  ordre, 
comme  ils  se  suivent  au  registre.  (Arch.  delà  Sêinê.) 

Une  enfant  de  onze  ans,  maltraitée  de  sa  mère,  est 
amenée  par  le  comité  révolutfonnaire  de  sa  section  '^ 


5eO  REGISTHES  DE  LA  COMMUNE* 

elle  demande  du  travail.  La  Commune  se  charge  de 
pourvoir  k  ses  besoins  (19  brum.). 

Les  adoptions  d'enfants  se  présentent  à  chaque  in« 
stant.  L'adoption  d'un  vieillard,  chose  si  rare  aujour- 
d'hui,  se  retrouve  quelquefois  sur  les  registres  de  la 
Commune. 

Les  cadavres  des  suppliciés ,  que  des  scélérats  ont 
l'infamie  de  dépouiller,  seront  décemment  inhumés 
en  présence  d'un  commissaire  de  police  (17  brum.). 

À  Bicètre  et  autres  hôpitaux ,  on  séparera  dé- 
sormais des  malades  les  fous  et  les  épileptiques 
(17  brum.). 

À  la  Salpétrière,  on  détruira  les  cabanons  hor- 
ribles où  l'on  enfermait  les  folles  (  21  brum.  ).  On 
améliorera  le  logement  des  fous  de  Bicètre  (26 
brum.). 

On  traitera  avec  des  soins  particuliers  les  femmes 
en  couches.  On  leur  assigne  (pour  la  première  fois!) 
une  maison  à  part,  celle  de  la  Mission,  et  plus  tard, 
l'Archevêché.  On  mettra  sur  la  porte  :  Respect  aux 
femmes  en  couches,  espoir  de  la  Patrie. 

Je  vois  aussi  que,  dans  les  cérémonies  publiques, 
la  Commune  fît  donner  des  places  réservées,  l'une 
aux  femmes  enceintes,  l'autre  aux  vieillards,  pour 
les  préserver  de  la  foule. 

Violente  invective  de  Chaumette  contre  les  loteries 
(24  brum.)  ;  contre  les  filles  publiques.  Les  arrêtés 
de  la  Commune  contre  elles  ne  servant  à  rien,  on 
rend  responsables  tous  ceux  qui  les  logent,  proprié* 
taires,  principaux  locataires,  etc. 


ADMIRABLES  INSPIRATIONS  D^IUMANITÉ.  56i 

Le  théâtre  de  la  Monlansier  au  Palais-Royal  sera 
fermé,  de  crainte  qu'il  ne  brûle  la  Bibliothèque  na- 
tionale qui  est  en  Tace  (24  brum.). 

La  section  de  Bonne-Nouvelle  demande  que  la  bi- 
bliothèque de  son  arrondissemen  t  soit  ouverte  tous 
les  jours  (même  date). 

La  Commune  place  au  Musée  du  Louvre  une  garde 
de  dix  hommes  pour  la  nuit  (3  niv.).  Elle  demande 
à  la  Convention  de  suspendre  toute  restauration  de 
tableaux ,   et  qu'on  institue  un  concours  à  ce  sujet 

(13frim.). 

Une  section  demande  que  l'on  écrive  des  livres 
pour  les  enfants.  La  Commune  en  fera  l'objet  d'une 
pétition  à  la  Convention  (28  brum.). 

On  cherchera  les  moyens  de  loger  les  indigents , 
les  infirmes  et  les  vieillards  ;  on  emploiera  les  indi- 
gents valides  dans  Tintérèt  de  la  République  et  dans 
leur  propre  intérêt  (1*'  frim.). 

Des  femmes  viennent  se  plaindre  de  ce  qu'elles  ne 
peuvent  avoir  des  nouvelles  de  leurs  enfants  qui  sont 
à  l'armée.  On  nomme  des  commissaires  pour  inviter 
le  ministre  à  demander  la  liste  des  jeunes  soldats 
dont  les  parents  ont  droit  aux  secours  (7  frimaire). 
Le  procureur  de  la  Commune  observe,  à  cette  oc- 
casion, la  bonne  conduite  des  femmes  qui  remplis- 
sent les  tribunes  et  travaillent  en  écoutant.  Men- 
tion civique. 

Organisation  des  Quinze-Vingts.  On  y  donnera  un 
logement  à  part  aux  aveugles  plus  infirmes  ou  plus 
âgés.  On  demander(^  ^  ]^  commission  de  bienfaisance 


362  REGISTRES  DE  LA  COMMUNE. 

16  SOUS  par  jour,  pour  les  aveugles  non  logés  aux 
Quinze-Vingts  (16  frim.). 

On  nomme  une  commission  pour  prendre  des 
notes  sur  ceux  qui  soignent  les  malades.  (9  niv.)* 
On  fait  prêter  serment  aux  infirmières  (14mr.)« 

Ghaumette  fait  décider  que  la  bibliothèque  de  la 
Commune  fera  collection  des  arrêtés,  imprimés, 
adresses,  etc.,  qui  peuvent  servir  de  matériaux  aux 
historiens  (29  firim.). 

Un  mari  vient  se  plaindre  du  vicaire  général  Bodin, 
qui  lui  enlève  sa  femme,  et  de  l'administration  de 
police  qui  repousse  sa  plainte*  La  Commune  fera  une 
enquête  à  ce  sujet  (2  niv.,  22  décembre). 

Des  plaintes  analogues  &  celles^i  sont  portées  aux 
Jacobins ,  qui  les  accueillent  et  se  chargent  de  les 
appuyer  auprès  des  autorités.  Les  sociétés  populaires 
et  le  pouvoir  municipal  devenaient  les  garants  de  la 
moralité  publique,  et  d'une  manière  très-eflScacô,  la 
peine  la  plus  terrible  étant  en  réalité  l'excommabi- 
cation  des  patriotes.  L'homme  immoral  était  jitgè 
suspect  et  aristocrate. 

La  commission  de  correspondance  donnera  doi 
exemplaires  de  tous  les  imprimés  intéressants  aux 
communes  qui  correspondent  avec  celle  de  Paris,  et 
spécialement  aux  hospices  (2  niv.). 

Que  d'idées  touchantes,  heureuses  !  Et  tout  cela  en 
deux  mois,  novembre  et  décembre!...  Quelle admî* 
nistration,  en  si  peu  de  temps,  peut  montrer,  par  tant 
de  faits,  un  si  tendre  intérêt  pour  l'espèce  humaiiie, 
une  telle  préoociipation  de  tout  ce  qui  touche  lacivili* 


ADMIRABLE^  INSPIRATIONS  D*HUMANITÉ.  SQS 

satioD,  même  des  objets  auxquels  on  semblait  devoir 
moins  songer  dans  ces  temps  de  troubles,  des  biblio- 
thèques ,  des  musées,  et  jusqu'aux  restaurations  de 
tableaux?  Plût  au  ciel  que  l'administration  de  nos 
temps  civilisés  eût  suivi,  sur  ce  dernier  point,  Vidée 
dû  vandale  Chaumette  !  le  musée  du  Louvre  n'eût 
pas  subi  les  transformations  bideuses  qu'on  y  déplore 
aujourd'hui. 

On  répète  à  satiété,  en  preuve  de  la  barbarie  de  la 
Commune,  que  Chaumette  demanda  qu'on  plantât 
en  légumes  les  jardins  publics  et  autres  domaines 
nationaux.  La  première  proposition  de  ce  genre  fut 
faite  à  Nantes  par  un  Girondin.  Un  M.  Laënnec  fit 
observer  que,  par  suite  de  l'émigration,  des  jardins, 
des  parcs  immenses,  étaient  sans  culture,  qu'on  de- 
vrait les  cultiver  en  plantes  alimentaires.  Cette  obser- 
vation judicieuse,  dans  la  disette  de  Nantes  (mai  93), 
fut  reproduite  par  Chaumette  dans  la  disette  de  Paris 
(septembre).  En  ce  qui  touche  nos  promenades, 
elle  semblait  exagérée,  mais  elle  était  fort  habile 
et  propre  à  calmer  le  peuple,  très -ému  en  ce 
moment. 

Je  ne  ferai  pas  à  mes  lecteurs  l'injure  d'analyser 
les  choses  admirables  qu'ils  viennent  de  lire.  Qu'ils 
les  relisent ,  les  méditent  et  tâchent  d'en  profiter, 
qu'ils  agrandissent  leur  cœur  dans  la  contem- 
plation du  grand  cœur  de  93,  dans  l'admiration  du 
pouvoir  le  plus  populaire  qui  sans  doute  ait  été  ja- 
mais. 

Qu'on  me  permette  de  m'arrèter  sur  une  seule 


3(>4  REGISIIŒS  DE  LA  COMMUNE. 

chose,  toute  simple,  et  malgré  sa  simplicité,  vrai*^ 
ment  ingénieuse  et  profonde. 

C'est  l'arrêté  du  2  nivôse  :  Envoyer  les  impri- 
més intéressants  spécialement  aux  hospicesj  c'est- 
à-dire,  les  envoyer  à  ceux  qui  ont  le  plus  de  temps 
pour  les  lire,  les  envoyer  aux  pauvres  désoccupés  qui 
se  meurent  d'ennui,  les  envoyer  au  malade,  à  l'in- 
firme, à  celui  qui  gtl  oublié,  souvent  délaissé  de  sa 
famille,  lui  dire  :  c  Si  tes  parents  t'oublient,  ta  pa- 
rente, ta  mère,  la  bonne  commune  de  Paris  se  sou- 
vient de  toi...  Elle  vient  te  visiter  par  l'écrit  qu'elle 
t'envoie...  Pauvre  homme  dédaigné  du  monde»  celle 
qui  est  la  lumière  du  monde,  la  grande  ville  qui  est 
ta  ville,  veut  rester  en  communication  avec  toi,  te 
faire  part  de  sa  pensée  ^.  s> 


1  Voilà  pour  Tinfirme,  le  vieillard,  riiomme  profondément  seul  dans 
la  foule  des  inconnus,  perdu  k  la  fin  de  sa  vie  dans  ces  vastes  déserts 
d^bommes  qu'on  appelle  hospices.  Combien  il  est  noble,  généreux  et 
tendre,  de  penser  toujours  à  celui  à  qui  le  monde  ne  pense  pins  ! 

Pour  le  malade,  d'autre  part,  pour  le  travailleur  dans  Tâge  de  force 
qui  passagèrement  habite  l'hospice,  combien  une  telle  communication 
peut  être  utile  et  féconde  !  c'est  le  moment,  et  Tunique,  où  il  se  trouve 
de  loisir.  Plus  jeune,  il  a  eu  et  perdu  les  deux  occasions  de. culture 
que  tous  perdent  (l'école  et  l'armée).  Demain,  le  travail  incessant,  im« 
placable^  inexorable,  le  ressaisira  tout  entier.  Que  servent  vos  écoles 
du  soir  à  ce  pauvre  forgeron  qui,  douze  ou  quinze  heures  de  suite,  a 
battu  le  fer?  Il  don  debout;  comment  le  liendrez-vous  éveillé?  Non» 
le  seul  moment,  c'est  l'hospice,  ce  sont  les  jours  de  maladie,  les  jours  de 
la  convalescence.  L5,  ou  jamais,  le  travailleur  est  propre  h  la  réflexioa. 
Ces  hommes  de  force  et  de  labeur  ont  besoin  d'un  peu  de  faiblesse  pùQt 
être  tout-à-fait  éveillés.  La  plénitude  sanguine,  dans  leur  état  ofdl» 
naire,  est  pour  eux  comme  une  sorte  d'jvresse  ou  de  rêve.  AUendriSf 


ADMIRABLES  INSPIRATIONS  O'HUMANITI^  3t)6 

Qui  trouve  de  pareilles  choses?  celui  qui  aime 
le  peuple,  celui  qui  respecte  en  lui  et  ses  maux  et 
ses  énergies  dont  on  proGte  si  peu,  celui  qui  sent  le 
besoin  d'adoucir  son  présent,  d'ouvrir  son  avenir, 
celui  qui  sent  Dieu  en  l'homme  ! 

Clootz  disait  pieusement,  dévotement  :  «  Notre 
Seigneur  Genre  humain  !  n 

Hélas  !  après  tant  de  siècles  où  l'homme  a  été  si 
barbarement  ravalé  plus  bas  que  la  bête,  où  la 
pauvre  personne  humaine  fut  chaque  jour  écrasée 
sous  la  roue  du  char  des  faux  dieux,  qui  ne  pardon- 
nera au  grand  cœur  de  nos  patriotes  de  93  l'erreur 
généreuse  de  vo^iloir,  en  expiation,  faire  un  dieu  de 
l'homme,  de  repousser  les  symboles  auxquels  on 
avait  cruellement  immolé  la  vie,  de  mettre  la  victime 
elle-même  sur  l'autel ,  de  diviniser  le  malheur  et 
l'humanité?  Pieux  blasphèmes,  auxquels  Dieu  aurait 
pardonné  lui-même,  comme  à  la  violente  réaction 
de  la  pitié  ! 


mortifiés  par  la  maladie,  ils  sonl  plus  civilisubles.  Qu'il  leur  vienne  un 
aliment,  qu'une  lecture  patriotique,  ou  spéciale  à  leur  art,  vienne 
remplir  leur  loisir,  leur  Ame  prendra  Tessor.  Ils  semctiront  à  songer, 
ils  pourront  s'orienter ,  dans  celte  halte,  s'arranger  une  vie  meilleure, 
plus  intelligente,  plus  sagement  ordonnée.  Lu  maladie,  tournée  ainsi  au 
profit  des  hommes  par  une  autorité  paternelle,  deviendra  comme  une 
utile  fonction  de  la  nature  qui  n'asuspendu  leur  travail  que  pour  lesini- 
lier  à  la  civilisation.  Que  la  Patrie  les  reçoive,  améliorés  ainsi,  au  sortir 
de  rhospice,  qu'elle  leur  ouvre  ses  écoles,  ses  fêles,  ses  musées,  aux 
jours  de  repos;  qu'elle  leur  continue  l'éducation  commencée  au  lit  de 
rhospice  par  la  prcvoyauie  Commune  qui  vint  les  y  consoler. 


CHAPITRE  II 

CALENDRIER  RÉPUBLICAIN.  CULTE  NOUVEAU. 
(Novembre  98.) 

Pour  la  première  fois,  l'homme  eut  la  mesare  da  tempa,  de  reapaee«  de  la 
pesanteur.  —  L'année  commencée  au  semailles.  —  Aastérilé  da  Calendrier 
de  Romme.^Féte  attronomiqne  à  Arras  (10  octobre  9S).— -Fabre  d^Églas- 
tine  troaTe  les  noms  des  mois  et  des  Jours.  —  Raison,  Logos,  Verbe  4e 
Platon.  — Clooti  et  Chaametle.  — Chaamette  fait  créer  le  Consenratoire  de 
musique.  —  Opposition  de  Chaamette  et  d'Hébert.  —  Chaamette  combat  le 
Fédéralisme  tyrannlque  des  comités  de  sections.  —  Il  vent  aopprlaiar  le 
salaire  da  clergé.  —  Il  obtient  Pégalité  des  sépultores  et  Tadoption  nailo* 
nale  des  enfants  des  suppliciés. 


Le  20  septembre,  avant-veille  de  Tanniversaire 
de  la  République,  Romme  lut  à  la  Convention  le  pro- 
jet du  calendrier  républicain,  adopté  le  5  octobre. 
Pour  la  première  fois  en  ce  monde,  l'homme  eut  la 
vraie  mesure  du  temps. 

11  eut  celle  de  l'espace,  celle  de  la  pesanteur.  L'u- 
niformité des  poids  et  mesures,  dont  le  type  inva- 
riable fut  pris  dans  la  mesure  même  de  la  terre^  fit 
disparaître  le  chaos  barbare  qui  jetait  l'inexactitude, 
le  hasard ,  et  dans  les  transactions ,  et  dans  les 
œuvres  d'industrie. 


POUR  LA  i'«  FOIS,  L'HOMME  EUT  LA  MESURE  DU  TEMPS,  ETC.  567 

Romme  put  dire  cette  grave  parole  :  «  Le  temps 
enfin  ouvre  un  livre  àThistoire..,»  Jusque-là,  elle 
ne  pouvait  pas  même  dater  dans  la  vérité. 

Il  ne  serait  pas  facile»  en  travaillant  bieUi  de  rien 
trouver  de  plus  absurde  que  notre  calendrier.  Les 
nations  antiques  commençaient  Tannée  à  une  époque 
ou  astronomique  ou  historique  ?  à  telle  saison ,  à  tel 
événement  national.  Notre  V'  janvier  n'est  ni  l'un 
ni  l'autre.  Les  noms  des  mois  n'ont  aucun  sens,  ou 
un  sens  faux ,  comme  octobre ,  pour  dire  le  dixième 
mois.  Les  noms  des  jours  de  la  semaine  ne  rappellent 
que  les  sottises  de  l'astrologie.  Pour  la  longueur  de 
l'année,  l'erreur  julienne,  corrigée  par  l'erreur  gré- 
gorienne,  n'offrait  encore  qu  un  à  peu  près  qui  devait 
de  plus  en  plus  devenir  sensible.  Le  ciel,  pour  la 
première  fois,  fut  sérieusement  interrogé. 

L'ère  fut  historique  et  astronomique  à  la  fois. 

Historique.  Non  plusl'ère  chrétienne,  rappelée  par 
la  fête  variable  de  Pâques,  —  mais  l'ère  française, 
fixée  à  un  jour  précis,  à  un  événement  daté  et  certain  : 
la  fondation  de  la  république  française,  premier  fon- 
dement jeté  de  la  république  du  monde. 

Traduisons  ces  mots  :  Vère  de  justice,  de  vérité,  de 
raison. 

Et  encore  :  l'époque  sacrée  où  l'homme  devint 
majeur,  l'ère  de  la  majorité  humaine. 

Les  successeurs  d'Alexandre,  suivant  la  tradition 
de  l'Egypte,  et  suivis  eux*mèmes  de  tout  l'Orient , 
avaient  fait  commencer  Tannée  à  Téquinoxe  d'au^ 
tomne.  En  prenant  cette  ère,  la  République  ouvrait 


568  L'ANNÉE  COMMENCÉE  AUX  SEMAILLES. 

Tannée  comme  le  doit  un  peuple  agricole,  au  mo- 
ment ofi  la  vendange  ferme  le  cercle  des  travaux,  où 
les  semailles  d*oclobre  qui  confient  le  blé  à  la  terre, 
commencent  la  carrière  nouvelle.  Moment  plein  de 
gravité  où  l'homme  croise  un  moment  les  bras,  re- 
voit la  terre  qui  se  dépouille  de  son  vêtement  annuel, 
la  regarde  avant  de  mettre  dans  son  sein  le  dépôt  de 
l'avenir. 

La  Révolution  française ,  le  grand  semeur  du 
monde,  qui  mit  son  blé  dans  la  terre,  n'en  profita  pas 
elle-même,  préparant  de  loin  la  moisson  à  nous, 
enfants  de  sa  pensée,  la  Révolution  dut  prendre  cette 
ère  annuelle.  Qu'une  partie  ait  péri,  tombant  sur  la 
pierre,  une  autre  mangée  des  oiseaux  du  ciel,  n'im- 
porte! le  reste  viendra....  Soyez  béni,  grand  se- 
meur! 

Donc,  la  terre  pour  la  première  fois  répondit  au 
ciel  dans  les  révolutions  du  temps.  Et  le  monde  du 
travail  agissant  aussi  dans  les  mesures  rationnelles 
que  donnait  la  terre  elle-même,  l'homme  se  trouva 
en  rapport  complet  avec  sa  grande  habitation.  11  vit 
la  raison  au  ciel,  et  la  raison  ici-bas.  A  lui,  de  la 
mettre  en  lui-même. 

Elle  absente,  le  chaos  régnait.  L'œuvre  divine, 
brouillée  par  l'ignorance  barbare,  semblait  un  caprice, 
un  hasard  sans  Dieu.  État  impie,  objection  perma- 
nente contre  toute  religion.  La  science,  à  la  fin  des 
temps,  se  charge  d'y  répondre  en  rétablissant  l'har^ 
monie,  en  détrônant  le  chaos,  en  intronisant  la 
Sagesse. 


AUSTÉRITÉ  DU  CALENDRIER  DE  ROMME.         309 

Il  était  facile  de  dire  avec  Platon  et  le  platonisme 
chrétien  :  La  Sagesse  (le  logos  ou  verbe)  est  le  Dieu 
du  monde.  Mais  comment  fonder  son  autel ,  quand 
l'apparente  discordance  de  son  œuvre  ne  nous  mon- 
trait rien  de  sage  ? 

Le  génie  stoïcien  de  Romme ,  sa  foi  austère  dans 
la  Raison  pure  apparaît  dans  son  calendrier.  Nul  nom 
de  saint,  ni  de  héros,  rien  qui  donne  prise  à  l'ido- 
lâtrie. Pour  noms  des  mois,  les  idées  éternelles  : 
Justice,  Égalité,  etc.  Deux  mois  seuls  étaient  nommés 
de  leurs  dates  sublimes  :  juin  s'appelait  Serment  du 
Jeu  de  Paume,  et  juillet,  c'était  la  Bastille. 

Du  reste,  rien  que  des  noms  de  nombres.  Les  jours 
et  les  décades  ne  se  désignent  plus  que  par  leur 
numéro.  Les  jours  suivent  les  jours,  égaux  dans  le 
devoir,  égaux  dans  le  travail.  Le  temps  a  pris  la  face 
invariable  de  TÉlernité. 

Cette .  austérité  extraordinaire  n'empêcha  pas  le 
nouveau  Calendrier  d'être  bien  reçu.  On  avait  faim  et 
soif  du  vrai.  Une  fête  prodigieuse  de  tous  les  départe- 
ments du  Nord  eut  lieu  à  cette  occasion,  le  10  oc- 
tobre, à  Arras,  fête  astronomique  et  mathématique, 
où  la  terre  imita  le  ciel;  elle  n'eut  pas  moins  de  vingt 
mille  acteurs  qui  figurèrent  dans  une  pompe  immense 
les  mouvements  de  l'année.  Tout  cela,  six  jours  avant 
la  bataille  qui  délivra  la  France,  si  près  de  Tennemi, 
dans  cette  attente  solennelle!...  Devant  la  Belgique 
idolâtre,  devant  l'armée  barbare  qui  nous  rapportait 
les  faux-dieux,  la  France  républicaine  se  montra 
pure,  forte,  paisible,  jouant  le  jeu  sacré  du  temps, 

VI.  n 


870  FÉtË  AâtRiMIOMlQÙE  À  ÀRRXS  (10  OCt.  »). 

Célébrant  Tère  nouvelle  ^  la  plus  grande  qu'ait  vue 
la  planète  depuis  son  premier  Jour* 

Lies  vingt  mille  hommes^  divisés  en  douze  groupes 
selon  les  ftges,  représentaient  les  mois.  L'année  dé^ 
filait  variée  en  visages  humains,  jeune  et  riante  d'es* 
pérance,  puis  mûre  et  grave,  enfin  aspirant  au  repos. 
Les  vainqueurs  dé  la  vie,  ceux  qui  ont  dépassé  leurs 
quatre-vingts  années,  en  un  petit  groupe  sacré, 
étaient  les  jours  complémentaires  qui  ferment  Tan- 
née républicaine.  Le  jour  ajouté  au  bout  des  quatre 
ans  dans  ce  Calendrier  avait  la  figure  vénérable  d'un 
centenaire  qui  marcbait  sous  un  dais.  Derrière  ces 
vieux  courbés  sur  leurs  bâtons,  venaient  les  tout 
petits  enfants  comme  la  jeune  année  suit  la  vieille, 
comme  les  générations  nouvelles  remplacent  celles 
qui  vont  au  tombeau. 

La  grâce  de  la  fête  était  le  bataillon  des  viei^es, 
avec  cette  devise,  touchante  dans  un  si  grand  danger  : 
«  Ils  vaincront  ;  nous  les  attendons.  »  Ëtaient-ce 
leurs  amants?  ou  leurs  frères?  La  bannière  virginale 
ne  le  disait  point. 

Tous  les  métiers  qui  font  le  soutien  de  la  vie  hu- 
toaine  consacrèrent  leurs  outils  en  touchant  Tarbre 
de  la  liberté. 

Le  centenaire  prit  la  Constitution  et  la  leva  au  ciel. 
Autour  de  lui,  au  pied  de  l'arbre,  les  vieillards  sié- 
gèrent et  prirent  un  repas.  Les  vierges,  les  jeunes 
gens  les  servaient.  Le  peuple  faisait  cercle,  entourant 
d*une  couronne  vivante  la  table  sacrée,  bénissant  les 
uns  et  les  autres,  et  ses  pères  et  ses  enfants. 


FABRB  D'ÉGLANtldÉ  XMVft  LES  N6MÉ  tti  tttRtfeTDBS  JOURS.  VU 

Ce  Càleùdrief  tout  austère^  dès  fôtôd  iaûtiiffierit 
pdfesi,  dû  tout  était  pour  h  ttkdti  «t  le  càbnf,  tiôfl 
pôUr  rimtigitlSilioti,  poufraiètit-its  reiDpIacef  le  ^h* 
moiré  du  vieil  Âlm&nach,  btiroqUé,  bariolé  it  eettt 
couleurs  idolâtriqués,  chargé  de  fêtes  légendaires, 
de  noms  bizarres  (|u'oii  dit  saus  les  comprendre,  de 

Lœtare,  d'Oculi,  de  Quasimodo  ?  La  Convention  Cillt 

qu'il  fallait  donner  quelque  chose  de  moins  abstrait 
à  rame  populaire.  Elle  adopta  la  base  scientifiii}Ue  de 
Romme,  mais  elle  changea  1&  nomenclature.  L'iti'- 
génieux  Fabre  d'Ëglantine,  dans  un  Himftblé  écrit 
des  temps  paisibles,  en  1783  {l'Histoire  nafUf'éllé,  dans 
k  touf^  dés  saiions),  avait  donné  l'idée  du  Calendrier 
vrai,  où  la  nature  elle-^mèmé,  dans  la  langue  cbAr" 
mante  de  ses  fruits,  de  ses  fleurs,  dans  tes  bienfki-> 
santés  révélations  de  ses  dons  maternels,  domme  les 
phases  de  l'année.  Les  jours  sont  nommés  d'âpre 
les  récoltes,  de  sorte  que  l'ensemble  est  comme  vu 
manuel  de  travail  pour  l'homme  des  champs  ^  sa 
^  s'associe  jour  par  jour  à  celle  de  la  tfàture. 

Quoi   de   mieux   approprié    à    un    peuple    tout 

agricole,  comme  l'était  là  France  àlorèt  Les  noms 
des  mois,  tirés  ou  du  climat  ou  deà  récolter,  sont  si 
heureux,  si  expressif^,  d'un  tel  charme  mélodi(|tie, 
qu'ils  entrèrent  à  l'instant  au  cûsntt  dé  fous,  et  n'en 
sont  point  sortis.  Ils  composent  aujourd'hui  une  partie 

de  notre  héritage,  une  de  Ces  créations  toujours  Vi- 
vantes, où  la  Révolution  subsiste  et  duretà  toujours. 
Quels  cœurs  ne  vibrent  à  ceâ  noms  1  Si  Tinforfuné 
Fabre  ne  vit  pas  quatre  mois  dé  son  Calendrier,  H, 


37S  RAISON,  LOGOS,  VERBE  DE  PLATON. 

arrêté  en  pluviôse,  il  meurt  avec  Danton  en  germinal; 
sa  mort,  trop  cruellement  vengée  en  thermidor,  n'em- 
pêche pas  qu'il  ne  vivra  toujours  pour  avoir  seul 
entendu  la  nature  et  trouvé  le  chant  de  l'année. 

La  portée  de  ces  changements  était  immense.  Us 
ne  contenaient  pas  moins  qu'un  changement  de  re- 
ligion. 

L'Almanach  est  chose  plus  grave  que  ne  croient 
les  esprits  futils.  La  lutte  des  deux  calendriers,  le 
républicain  et  le  catholique,  c'était  celle  du  passé, 
de  la  tradition,  contre  ce  présent  éternel  du  calcul  et 
de  la  nature. 

Rien  n'irrita  davantage  les  hommes  du  passé.  Un 
jour,  avec  colère,  l'évêque  Grégoire  disait  à  Romme  : 
€  A  quoi  sert  ce  calendrier  î  »  Il  répliqua  froide- 
ment :  «  Â  supprimer  le  dimanche  ?  »  Grégoire  as- 
sure que  tous  les  gallicans  eussent  souffert  le  martyre 
pour  ne  pas  transporter  le  dimanche  au  décadi. 

Mirabeau,  qui  se  mêlait  parfois  de  prophétiser , 
avait  dit  :  «  Vous  n'aboutirez  à  rien  si  vous  ne  dé- 
christianisez la  Révolution.  » 

Le  siècle  de  l'analyse,  le  XVIIP  siècle,  gravitait 
invinciblement  au  culte  de  la  Raison  pure.  La  Con- 
vention, le  3  octobre ,  décrète  la  translation  de  Des- 
cartes au  Panthéon.  L'initiateur  du  grand  doute  qui 
commença  la  Foi  nouvelle,  repose  avec  Rousseau, 
Voltaire,  le  père  à  côté  de  ses  fils. 

L'œil  sévère ,  le  regard  brûlant  de  la  pensée  mo- 
derne, envisage  cette  immense  agrégation  de  dogmes 
que  les  siècles  entassèrent.  Et  dessous,  que  voit-elle? 


RAISON,  LOGOS,  VERBE  DE  PLATON.  375 

le  roc  OÙ  tant  d'allu vions  se  sont  déposées  peu  à  peu, 
le  Logos  ou  Verbe  platonicien,  l'Idée  de  la  Raison 
vivante- 

Gomme  une  lie  du  sud  qui  fut  jadis  fertile,  et  que 
le  corail  peu  à  peu  a  couverte  de  sa  riche  et  stérile 
fructification. . .  Arrachez  tout  ce  luxe  aride. . .  Rendez 
le  soleil  à  la  terre  et  les  rosées  du  ciel.  Elle  sera 
féconde  encore. 

Cette  révolution  nécessaire  du  XVIII*  siècle  donne 
en  métaphysique  Kant  et  la  Raison  pure  ;  en  pra- 
tique la  tentative  religieuse  de  Homme  et  d'Anachar- 
sis  Glootz,  le  culte  de  la  Raison. 

Culte  mathématique  dont  les  voyants  seraient 
les  Newton  et  les  Galilée.  Culte  humanitaire  dont  les 
Pères  sont  les  Descartes  et  les  Voltaire,  les  bienfai- 
teurs du  genre  humain. 

Dans  quels  sens  différents  comprit-on  le  mot  de 
Raison  ? 

Tels  n'y  voyaient  que  la  raison  humaine.  Pos- 
sédés du  besoin  critique  d'une  époque  de  lutte,  ils 
ne  cherchaient  guère  dans  la  vérité  qu'une  néga- 
tion de  l'erreur,  une  arme  pour  briser  le  vieux 
monde. 

D'autres,  spécialement  certaines  sociétés  popu- 
laires, déclarent  que  par  Raison,  ils  entendent 
la  raison  divine  et  créatrice,  autrement  dit  TÊtre 
suprême. 

Entre  la  divine  et  l'humaine,  où  sera  la  limite? 
Les  idées  nécessaires  (cause,  substance,  temps,  es- 
pace, devoir),  qui  sont  en  nous,  mais  non  notre  œu- 


1^4  i^OMUfi ,  GLQQTZ  ET  CUAVMflTTP. 

VFâ,  qui  copBtituept  pourtant  notre  raison  mèmai 
sûDt^elles  nôtres,  sont-ellos  de  Dieu? 

Les  grands  esprits  qui  donnèrent  cette  impulsion 
en  employant  les  formes  dû  temps,  flottèrent  d'un 
sens  à  l'autre ,  et  firent  peu  de  distinction.  Nul 
doute  que  la  Raison  ne  soit  le  côté  le  plus  btut  ^ 
Bien.  Nul  doute  qu'elle  ne  soit  nulle  part  pins  Qlai^ 
rement  révélée  que  dans  son  incarnation  permAnento, 
l'Humanité.  Lorsque  le  pauvre  Clootz  s'attendrissait 
au  mot  :  <  Notre  Seigneur  Genre  Humain  n,  lorsqu'il 
déplorait  les  misères  de  ce  malheureux  roi  du  monde^ 
Dieu,  pour  lui  apparaître  ainsi  voilé,  n'en  fut  pM 
moins  en  lui. 

Le  philosophe  Clootz,  le  mathématicien  liommef 
n'auraient  rien  fait  si  leurs  idées  n'avaient  g^faé 
un  homme  d'activité  pratique,  l'ingénieux  et  infa^ 
tigable  tribun  de  la  Commune,  Ânaxagore  Chau- 
mette. 

Le  36  septembre,  Chaumette  demanda  à  la  Com- 
mune qu'on  bâtit  un  hospice,  sous  le  nom  de  Temple 
de  l'Humanité.  Il  revenait  de  son  pays,  la  Nièvre,  QÙ 
il  avait  eonduit  sa  mère  malade.  Fouché  y  avait 
hardiment  aboli  le  Catholicisme.  Fouché,  de  Nantea, 
témoin  des  premiers  massacres  de  Vendée,  les  ven- 
geait dans  la  Nièvre ,  secondait  violemment  le  moit^ 
vement  populaire  contre  le  clergé.  Chaumette  raconte 
ainsi  la  chose  à  la  Commune  :  ((  Le  peuple  a  ditaiM 
prêtres  :  Vous  nous  promettez  des  miracles.  Nous, 
nous  allons  en  faire...  Et  il  a  institué  les  fôtes  de  la 
vieillesse  et  du  maUnçur. . .  Vous  auriez  vu  les  pauvrei^ 


GHAUHBTT9  FAIT  CWiE^  h%  GOMW^VAfmRK  M  MUSIQUE.    STS 

1q«  &V6uglei$,  163  paralytiques,  siéger  aux  preimières 
l^c^o,  £q  yoWk  d^  miracles  I  » 

ChauQieUe,  pour  ^es  fêtes,  avait  besoin  de  ohauts, 
I)  demap^»,  obtint  la  création  de  la  grande  éoole  de 
musique,  le  Conservatoire^  Lie  vénérable  Gossec, 
rajeuni  par  Veutbousiasroe»  dirige  c^Ue  école,  et 
trouva  les  obants  du  culte  nouveau. 

Cbaumette,  pour  les  vers,  s'adressa  à  ûeliUe,  h 
facile  versificateur.  L-abbé  Delille,  violent  royaliste, 
eofant  colère ,  trouva  du  courage  dans  sa  douieuf , 
dans  son  deuil  de  la  reine  dont  il  avait  été  le  maître. 
Il  lut  hardiment  à  Chaumette  son  dithyrambe  sur 
r  Immortalité  : 


Lâches  oppresseurs  de  h  terre. 
Tremblez ,  vous  êtes  immprtejs  l 


C'était  aller  droit  à  la  guillolîne,  Cbaumelte  ne 
voulut  pas  comprendre,  h  C'est  bon,  l'abbé,  diM^ 
cela  servira  pour  une  autre  fois,  j)  Il  garda  la  chose 
$eorète,  et  lui  sauva  la  vie. 

Il  avait  sauvé  de  même  l'imprimeur  Tiger  qui,  an 
5  septembre,  l'insulta,  le  prit  à  la  gorge,  publique»» 
ment  sur  le  quai ,  comme  il  marchait  à  F  Assemblée 
à  k  tète  de  la  Commune. 

On  a  vu  l'émotion  de  Chaumette  au  procès  de 
touis  XYl,  et  l'intérêt  qu'il  montra  à  M.  Hue,  qui 
pleurait.  Il  en  témoigna  beaucoup  aussi  à  la  jeune 
dauphine.  Il  fit  élargir  Cléry. 

La  fatalité  l'avait  comme  attelé  k  Hébert  daua  cette 


376  OPPOSITION  DE  GHAimETTE  ET  D*HÉBERT. 

terrible  direction  de  la  Commune.  Cependant  la  forte 
opposition  de  leurs  caractères  ne  laissait  pas  que  de 
paraître.  On  le  vit  au  31  mai  ;  on  le  vit  le  14  août 
où  il  parla  assez  vivement  contre  Hébert  et  Henriot. 
Vers  la  fin  d'août,  aux  Jacobins,  une  polémique  s'é- 
leva sur  la  question  de  savoir  si  les  suspects  devaient 
être  enfermés  ou  déportés  ;  Hébert  et  Robespierre 
étaient  pour  le  premier  avis  ;  Chaumette  préférait 
la  déportation,  peine  plus  dure  en  apparence,  plus 
douce  en  réalité  à  une  époque  où  la  prison  se  trou- 
vait si  près  de  la  guillotine. 

Le  caractère  de  Chaumette  était  très-faible.  Dès 
qu'il  risque  d'être  pris  en  flagrant  délit  de  modéra- 
tion (par  exemple,  le  4-5  octobre),  on  le  voit  reculer 
sur-le-champ,  se  cacher  dans  la  cruauté.  Le  10,  jour 
du  foudroyant  rapport  de  Saint-Just  où  le  parti  de 
Chaumette  était  trop  désigné,  Chaumette  donna  à 
la  Commune  une  liste  de  tous  les  cas'qui  rendaient 
suspects,  liste  telle  qu'il  eût  fallu  emprisonner  tonte 
la  France. 

Avec  tout  cela,  Chaumette  et  le  conseil  général 
qu'il  dirigeait  seul  (Hébert  était  à  son  journal,  à  la 
Guerre,  aux  Jacobins),  Chaumette,  dis-je,  était  encore 
le  meilleur  secours  qu'on  eût  contre  la  tyrannie  locale 
des  comités  révolutionnaires  de  sections.  Il  y  avait 
du  moins  là  une  publicité  devant  laquelle  ces  comités 
reculaient.  Dénoncés  fréquemment  à  la  Commune, 
ils  le  furent  h  la  Convention  le  9  octobre  par  Léonard 
Bourdon,  le  18  par  Lecointre,  comme  sujets  à  frap« 
per  leurs  ennemis  personnels,  parfois  à  emprisonner 


GUAUMETTE  COMBAT  LE  FÉDÉRALISME  TYRANNIQUB,  ETC.      577 

leurs  créanciers.  Collât  d'Herbois  lui-même,  qui  ne 
peut  passer  pour  un  modéré,  accusait  le  26  septembre 
aux  Jacobins  la  furieuse  étourderie  des  Comités  révo- 
lutionnaires. 

Le  Comité  de  sûreté  générale,  placé  si  haut  et  si 
loin,  obligé  d'embrasser  la  France,  n'offrait  pas  un  re- 
cours sérieux  contre  ces  petits  tyrans.  11  les  ménageait 
comme  ses  agents  personnels,  étouffait  dans  le  secret 
tous  leurs  excès  de  pouvoir.  A  la  Commune  au  con- 
traire tout  arrivait  au  jour.  Le  26  septembre,  le  3, 
le  26  octobre,  elle  accueillit,  appuya  les  plaintes 
qu'on  faisait  contre  ces  comités,  parfois  même  réforma 
leur  jugement. 

Enrayer  ainsi  politiquement,  c'était  un  grand  péril, 
si  l'on  n'ouvrait  à  la  Révolution  une  autre  carrière,  si 
l'on  ne  compensait  la  modération  politique  par  Tau- 
dace  religieuse;  c'est  ce  que  sentirent  plusieurs 
représentants.  Ils  firent  la  terreur  sur  les  choses  et 
non  sur  les  personnes  ;  ils  décapitaient  des  images, 
suppliciaient  des  statues,  envoyaient  à  la  Convention 
des  charretées  de  saints  guillotinés  qui  allaient  à  la 
Monnaie. 

Pour  centre  de  sa  propagande,  Chaumette  prit  les 
Gravilliers,  les  Filles-Dieu  (passage  du  Caire).  C'est 
le  principal  foyer  de  la  petite  industrie,  l'industrie 
vraiment  parisienne  ;  elle  y  est  prodigieusement  ac- 
tive, y  comprend  mille  métiers.  11  y  a  là  un  esprit  plus 
varié  qu'au  faubourg  Saint-Antoine,  classé  en  grandes 
légions,  cellp  du  fer,  di}  bois,  etc.  Léonard  Bourdon 
avait  établi  son  école  d'Enfapts  de  la  patrie,  dans  le 


i78  li  VKUT  SUPPUMBE  LB  SAUIRB  OU  GLKRfi|L 

prieuré  S^int-Martio  ;  de  là  il  secondait  Ghaumettç. 
lie  premier  point  de  leur  prédication,  trè^hien  reçu, 
fut  ;  Qu'il  ne  fallaii  plus  payer  le  clergé 9  principe 
adopté  bientôt  par  toutes  les  sections,  qui  ep  portèrent 
le  vœu  à  la  Conyention. 

Le  second  point,  fort  populaire,  fut  un  bel  arrêté 
(Si8  octobre)  sur  Végalité  des  sépuUures.  Le  pauyre, 
comme  le  riche ,  doit  être  enterré  avec  un  cortège 
décent,  non  sous  un  méchant  drap  noir,  mais  dans 
un  drapeau  tricolore,  le  drapeau  de  la  section^  i^it 
ville  de  Paria  a  gardé  quelque  chose  de  cette  loi  ^9 
YéghMxé.  L'indigept,  le  mendiant,  va  à  sa  deruièif 
demeure  dans  un  char  à  deux  chevaux,  ftvec  quatre 
appartteuni,  précédé  (l*uu  commissaire  des  poiQpes 
funèbresi. 

C'est  aussi  sur  le  drapeau  de  la  section  que  U  Cim^ 
.  mune  devait  recevoir  les  enfants,  qu'on  lui  apportaH 
pour  les  rebaptiser  de  noms  révolutionnaires. 

Aipsi  pos  saiptes  couleurs,  le  drapeau  sacré  de  l» 
régépération  humaine  recevait  Vl)omme  àlapfûsiaiiQe 
et  le  recueillait  à  la  mort.  Pour  consolation  de  Ia 
destinée,  il  trouvait  ce  bon  accueil  à  son  ^ernifr 
jour;  il  s'en  allait  vêtu  de  la  France,  sa  mère,  en- 
veloppé de  la  Patrie. 

Le  peuple  reconnaissant  éprouvait  le  besoin  d'ôtre 
béni  de  la  Commune.  Des  ouvriers  vainqueurs  de  la 
Bastille  voulaient  être  remariés,  pe  croyant  pas^  df-r 
saient-ils,  qu'aucun  mariage  fût  légitipie  sinon  de  l» 
main  de  Çbaumette. 

Une  scène  infiniment  touchante  fut  cel:le  d-itiM 


adoption  ;  un  oaporAl  des  vétérans  y  iiit  pr^sant^r  nm 
e»im\y&\k  d'uu  guillotiné  qui  «vaiUwsfiié  huit  en- 
flante. Ca  hmn  homme  demandait  si,  en  adoptant 
lafiUe  d'un  coupable,  il  n'agissait  pas  contre  la  PaWe. 
Chaumetto  prit  l'enfant  dans  ^es  bras  et  ra3$it  à  côté 
âe  lui.  «  Heureux  ei^emple,  dit-*i},  des  vertus  de  la 
BôpubliqoelM*  Nous  les  voyons  d^  paraître^oes 
vertus  douées  qui  partout  se  mêlèrent  à  Thér^sme 
de  la  liberté.  Ici  ce  n'est  plus  l'adoption  d'orgueili 
«elle  de^  patrioien^  de  l'Antiquité,^  les  ^eipiona  entés 
sur  les  PauKÊmile  :  c'est  la  raison  qui  dérobe  l'ior- 
nocence  à  l'ignominie  du  préjugé.  Citoyens,  joignez*- 
¥ous  tous  à  ce  bon  et  vieux  soldat  I  Orpheline  par  la 
loi,  qu'elle  reçoive,  cette  enfant,  dans  vos  embras^ 
sements  paternels,  l'adoption  de  la  Patrie*  » 

Cette  séance  porta  un  fruit  admirable.  La  Conven^ 
tion  créa  un  hospice  des  enfants  de  la  Patrie.  C'est 
ainsi  qu'on  nomma  ceux  des  condamnés. 

Événement  de  grande  portée.  Il  attaquait  dans  son 
principe  les  croyances  du  moyen^^àge,  dont  la  base 
n'est  autre  que  l'hérédité  du  crimOf 

Cette  aurore  de  modération  et  d'humanité  éclaira 
k  dissentiment  secret  d'Hébert  et  de  Chaumette.  Le 
premier  voulait  tendre  l'arc,  déjà  horriblement  tendu» 
Chaumette  voulait  détendre» 

Le  4  novembre,  la  section  du  Luxembourg^  dirigée 
spécialement  par  Hébert  et  Vincent,  lança  un  fréné-^ 
tique  arrêlé  pour  publier  les  noms  de  tous  ceux 
qui  avaient  été  en  prison,  les  prosorire  comme 
incapables  de  toute  place ,  ainsi  qtt«  les  signa?* 


380  ACTION  G0NTRADIGT01KE  D*HÉBERT  ET  GHAUMETTE. 

taires  des  pétitions  des  huit  mille  et  des  vingt  mille. 

Ce  mouvement  de  terreur  était  directement  con- 
traire aux  intérêts  du  mouvement  religieux  auquel 
travaillait  Ghaumette.  Il  para  le  coup,  en  disant 
toutefois  qu'on  allait  rechercher  cette  fameuse  péti- 
tion des  vingt  mille.  Le  6,  il  paya  l'assistance  d'une 
comédie  qui  prévenait  le  reproche  de  modérantisme. 
La  section  du  Bonnet  rouge  (Croix  rouge) ,  venant 
faire  serment,  ofiFrit  le  bonnet  à  Chaumette  qui  le 
mit  avec  enthousiasme,  et  le  fît  mettre  à  tout  le 
monde.  Des  bonnets  rouges  se  trouvèrent  à  point 
pour  cette  nombreuse  assemblée. 

Le  moment  semblait  venu  de  frapper  les  grands 
coups. 

La  Convention  accueillait  à  merveille  les  envois 
de  saints,  de  châsses,  les  défroques  ecclésiastiques, 
que  lui  faisaient  passer  Fouché,  Dumont,  Bô,  Rulh^ 
etc. 

La  Convention  avait  voté  la  destruction  des  tom- 
beaux de  Saint-Denis.  L'on  avait  réuni  la  cendre  des 
rois  à  celle  des  morts  obscurs.  Cruel  outrage  pour 
ceux-ci  d'être  accolés  à  Charles  IX,  de  recevoir  à 
côté  d'eux  la  pourriture  de  Louis  XV,  ou  l'infftme 
mignon  Henri  III  ! 

La  Convention  avait  trouvé  très-bon  que  le  vieux 
Rulh,  ardent  et  austère  patriote  (humain  au  fond,  et 
compromis  par  son  humanité),  brisât  de  sa  main  la 
fîole,  appelée  la  Sainte-Ampoule. 

On  pouvait  croire  d'après  ceci  qu'elle  ordonnerait 
ou  accepterait  l'abolition  de  l'ancien  culte. 


LA  CONVENTION  SUIT  LE  MOUVEMENT  DE  LA  COMMUNE.   381 

L'obstacle  était  le  personnel.  Que  faire  de  l'Église 
constitutionnelle?  Pour  avoir  fait  serment  de  fidélité 
à  la  République^  elle  n'en  gardait  pas  moins  tous  ses 
dogmes  anti-républicains.  Intolérants,  persécuteurs 
comme  les  autres  prêtres,  ils  ont  fait  mourir  de  faim 
les  prêtres  mariés  en  95  et  96.  Même  en  93  ils  per- 
sécutaient; ils  étaient  à  ces  malheureux  leur  état, 
leur  coupaient  les  vivres.  Au  15  juillet,  au  1*' sep- 
tembre ,  au  17  encore,  la  Convention  retentit  des 
plaintes  douloureuses  des  prêtres  mariés  que  leurs 
seigneurs,  les  évêques  républicains,  voulaient  empê- 
cher d'être  hommes.  L'Assemblée,  de  mauvaise  hu- 
meur, réduisit  les  évêques  à  six  mille  francs  de  traite- 
ment, et  menaça  les  persécuteurs  de  déportation. 

Une  partie  plus  tolérante  de  l'Église  constitution- 
nelle, c'étaient  les  prêtres  philosophes;  tels  étaient 
Gobel ,  èvêque  de  Paris,  tel  Thomas  Lindet,  tel  j'ai 
connu  M.  Daunou.  Moralistes  avant  tout  et  de  vie 
honorable,  ils  acceptaient  le  christianisme  comme 
véhicule  de  morale.  Eux-mêmes  cependant,  honnêtes 
et  loyaux,  souffraient  de  celte  position  double  et  ne 
demandaient  qu'à  en  sortir.  Daunou  en  sortit  de 
bonne  heure,  et  de  lui-même.  Les  autres  eurent  le 
tort  d'attendre  la  pression  des  événements. 

Gobel  réunissait  chez  lui  chaque  soir  Anacharsis 
Clootz  et  Chaumelte.  Tous  deux  lui  montraient  com- 
bien son  christianisme  philosophique,  suspect  aux 
populations,  était  impuissant,  inutile  ;  ils  le  pressaient 
de  quitter  cet  autel  désert,  de  déposer  les  fonctions 
de  ministre  catholique. 


mi      Ik  (idttVBNtlON  SUIT  It  IMDVEMBMÏ  Ol  U  60lMt((B. 

tl  céda  le  6  au  «oif ^  et  sô»  cl«i^  V'mMi  II  fut 
convenu  que  le  leudetuafu  tôuà  ensemble  dotmemièiit 
leur  démission  datis  les  taains  de  l' Aissetnblée. 


CHAPITRÉ  III 

rÊÎE  HÊ  LA  hAiSON. 
(10  Nov.  95.) 


L*évéqùe  dé  l^arîs  et  autres  résignent  leurs  pouvoirs  (7  novembre) .  ~  Les  Gomitéi 
essaient  de  terroriset  T Assemblée. — Ils  s'apj^uyetit  de  là  résistance  de  Gré- 
goire.— Irrtiation  de  Robespierre. — Les  Comités  frappent  là  Gouventioni-^ 
Accord  de  Chaumette  et  de  la  Convention. — Fête  de  la  Raison  à  Notre-Dame 
(10  nov.  93}.  —  Basirc  réclame  contre  l'asservissement  de  rAssembléé  et 
centre  l'avilissement  dé  la  Justice  »4««  Otfvéntloii  reçoit  là  Raison  et  la 
soit  à  Notre-Dame  (10  novembre). 


La  chose  fut  ^ue  à  rin^tant'mème  atix  Comités  de 
salut  public  et  de  sûreté.  Violetite  fut  leur  îfritallon 
contre  ces  audacieuses  nouveautés,  contre  riûitiatîve 
hardie  de  la  Commune,  contre  T encouragement  se-- 
cret  qu'elle  trouvait  dans  la  Montagne,  Une  machine 
fut  montée  pour  faire  manquer  tout  l'efitet  de  la  scène 
qui  se  préparait. 

La  séance  s'ouvrit  par  la  lettre  d*un  prêtife  tnarîé 
qui  brutalement  abjurait^  disait  que  lui  et  ses  con- 
frères n'étaient  que  des  charlatans ,  puis  demandaU 


384    L'ÉVÉQUE  DE  PARIS  ET  AUTRES  RÉSIGNENT  LEURS  FONCTIONS. 

pension  pour  lui,  sa  femme  et  ses  enfants,  —  Lettre 
habilement  combinée  pour  avilir  d'avance  la  démis- 
sion de  Gobel,  pour  montrer  que  la  suppression  du 
clergé  ne  ferait  qu'augmenter  les  charges  publiques. 

Gobel  avec  son  clergé,  amené  par  la  Commune, 
parla  avec  convenance,  n'abjura  aucune  doctrine  et 
remit  ses  fonctions.  Il  fut  imité  de  plusieurs  prêtres 
et  évoques  de  la  Convention ,  spécialement  du  frère 
de  Lindet  qui  parla  avec  beaucoup  de  noblesse  et  de 
gravité  :  «Ce  n'est  pas  tout  de  détruire,  dit-il,  il 
faut  remplacer. . .  Prévenez  le  murmure  que  feraient 
naître  dans  les  campagnes  l'ennui  de  la  solitude, 
l'uniformité  du  travail,  la  cessation  des  assemblées... 
Je  demande  un  prompt  rapport  sur  les  fêtes  natio- 
nales ». 

Chaumette  pria  l'Assemblée  de  donner  dans  le  ca- 
lendrier une  place  à  la  fête  de  la  Raison. 

Ce  fut  au  nom  de  la  Raison  que  deux  représen-> 
tants  du  peuple,  l'un  évêque  catholique,  l'autre  mi- 
nistre protestant,  se  réunirent  à  la  tribune,  donnèrent 
leur  démission  ensemble  et  se  donnant  la  main.  Ils 
n'abjurèrent  point  (quoi  qu'en  dise  le  Journal  de  ht 
Montagne,  rédigé  alors  par  un  homme  de  Robes- 
pierre) . 

A  ce  moment  qui  n'était  pas  sans  grandeur,  daos 
l'émotion  de  l'Assemblée,  Amar,  de  la  douce  voix  qui 
lui  était  ordinaire,  prend  la  parole,  au  nom  du  Comité 
de  sûreté  générale;  il  demande  que  les  portes  de  la 
salle  soient  fermées.  Nul  n'objecte.  Décrété.  Tous  les 
cœurs  se  contractèrent.  On  savait,  depuis  le  3  oo- 


ILS  S'APPUIENT  DE  LA  RÉSISTANCE  DE  GRÉGOIRE.  385 

tobre,  ce  que  devait  amener  ce  préalable  sinistre  ;  il 
fallait  des  victimes  humaines.  Âmar  lit  alors  une 
lettre  adressée  de  Rouen  à  un  membre  peu  connu 
de  TÂssemblée  ;  on  lui  donnait  la  nouvelle  <c  que 
Rouen  allait  en  masse  au  secours  de  la  Vendée  » .  Le 
contraire  était  exact  ;  les  Comités  savaient  parfaite- 
ment que  les  Normands  étaient  en  marche  contre  la 
Vendée.  L'invention  parut  si  misérable  que  TAssem- 
blée  rassurée  demanda  d'un  cri  quel  était  le  signa- 
taire d'une  telle  lettre.  Amar  avoua  qu'elle  était  ano- 
nyme. «  Quoi!  dit  Basire,  notre  liberté  dépend  d'une 
lettre  anonyme!  Si  cela  suffît  pour  arrêter  un  repré- 
sentant, la  contre-révolution  est  faite  !  »  Amar  des- 
cendit de  la  tribune  et  alla  se  cacher. 

On  avait  gardé  pour  le  dernier  acte  Grégoire 
l'évoque  de  Blois.  Il  vint  enfin  fort  à  point  pour  les 
Comités,  malade  de  cette  chute.  Absent  jusqu'à  ce 
dernier  moment  de  la  séance,  il  vint  à  leur  prière,  je 
n'en  fais  nul  doute.  Leur  politique,  tristement  dé- 
masquée par  la  tentative  d'Amar  pour  terroriser 
l'Assemblée ,  avait  grand  besoin  de  secours.  On 
lança  le  gallican.  Grégoire,  courageux  de  lui-même, 
sanguin,  colérique,  fort  d'ailleurs  de  se  sentir  défen- 
seur du  Gouvernement,  fut  vaillant  à  bon  marché 
contre  la  Montagne  :  «  Je  ne  tiens  mon  autorité  ni  de 
vous,  ni  du  peuple.  Je  suis  évoque,  je  reste  évêque.» 
La  Montagne  poussa  des  cris  furieux.  Mais,  dès  lors, 
les  gallicans  pouvaient  la  braver,  réfugiés  qu'ils 
étaient  sous  l'abri  des  Comités  et  de  Robespierre. 

L'irritation  était  extrême  contre  l'acte  inqualifiable 

Yl.  25 


386  IRRITATION  DE  ROBESPIERRE. 

des  (comités.  Elle  passa  même  aux  Jacobins.  On  y  at- 
taqua le  faiseur  de  Robespierre,  un  Laveaux^  direc- 
teur du  Journal  de  la  Montagne,  qui  venait  d'y  faire 
pour  lui  un  article  religieux.  Les  Jacobins  lui  ôtôrent 
la  direction  du  journal,  et  ils  nommèrent  président 
de  la  Société  Ànacharsis  Glootz. 

Le  soir  même  de  la  grande  séance,  Glootz  avait  été 
aux  comités,  tàter  Robespierre.  Il  le  trouva  exaspéré, 
mais  se  contenant.  Robespierre,  sans  toucher  le 
fond,  ni  faire  pressentir  sa  dénonciation  prochaine, 
ne  dit  que  ce  petit  mot  :  «  Vous  vouliez  nous  gagner 
la  Belgique  catholique,  et  vous  la  mettez  contre 
nous  !  » 

Pendant  que  Glootz  parlait  à  Robespierre,  Ghau* 
mette,  de  retour  à  la  Gommune,  siégeant  au  conseil 
général,  fit  la  demandé  hardie  que  la  fête  de  la  Rai*- 
son,  qui  devait  se  faire  au  Girque  du  Palais-Royal,  $e 
fît  dam  V église  même  de  Notre-Dame,  au  heu  et  place 
du  culte  supprimé,  et  sur  son  autel. 

Il  prenait  là  une  position  aggressive  contre  les 
Gomités.  Ils  résolurent  d'y  répondre  par  un  coup  de 
terreur  sur  la  Convention.  Terrorisée,  elle  servirait 
elle-même  d'arme  pour  écraser  la  Gommune. 

Ils  avaient  en  main  une  affîtire  sérieuse,  à  faire 
trembler  la  Montagne,  à  troubler  chacun  pour  soi.  11 
n'y  avait  pas  un  Montagnard  qui  n'eût  sauvé  quelques 
proscrits.  Les  plus  terribles  en  paroles  étaient  sou-* 
vent  les  plus  humains.  On  avait  preuve  qu'un  des 
purs,  un  de  ceux  qui  portaient  le  mieux  le  masque  de 
la  Terreur,  cachait  chez  lui  une  femmes  une  jeune 


ACCORD  DR  GHAUNETTE  ET  DE  LA  CONVBMTKW.     987 

emme  émigrée.  Cette  femme  éperdue  de  peur  s'était 
mise  dans  l'antre  du  Hou,  réfugiée  au  Comité  de  sû-^ 
reté  générale  9  chez  Osselin,  qui  en  était  membre^ 
L'aimait*-il  ?  ou  fut-il  saisi,  comme  il  arrivait  parfois 
aux  plus  fermes,  d'un  violent  accès  de  pitié?  On  ne 
sait.  Elle  fut  découverte  à  Paris.  Il  la  sauva,  la  cacha 
chez  son  oncle,  vicaire  d'un  village  dans  les  bois  de 
Versailles.  Osselin,  plein  de  son  péril,  pour  éloigner 
les  soupçons,  devint  à  la  Convention  un  implacable 
terroriste.  En  septembre,  il  ne  veut  pas  qu'on  entende 
Perrin  accusé.  En  octobre,  il  fait  porter  le  décret 
cruel  qui  décapita  la  Gironde.  En  novembre,  il  fait 
arrêter  Soulès,  ami  de  Chalier,  administrateur  de 
police,  pour  avoir  à  la  légère  élargi  des  suspects.  —^ 
Et  le  même  jour,  9  novembre,  le  Comité  de  sûreté 
vient  à  la  Convention,  arrache  à  Osselin  son  masque  j 
ce  terrible  puritain  a  caché  madame  Charry. 

La  Convention  tout  entière  baissa  les  yeux,  fré- 
mit. Bien  d'autres  se  sentaient  coupables. 

L'événement  eut  sur-le-champ  son  contre-coup  à 
la  Commune.  A  l'occasion  d'une  demande  de  la  sec- 
tion d'Henriot  pour  qu'on  poursuivît  les  électeurs 
girondins  qui  avaient  jadis  voté  pour  avoir  un  autre 
commandant  qu'Henriot,  Chaumelte  laissa  échapper 
son  cœur.  Il  s'éleva  avec  une  franchise  fort  inatten- 
due contre  ce  système  universel  de  dénonciations  :  «  Ceux 
qui  dénoncent,  dit-il,  ne  veulent  le  plus  souvent  que 
détourner  les  regards  d'eux-mêmes,  reporter  le  dan- 
ger sur  d'autres.  On  arrête  le  dénoncé^  il  faudrait 
arrêter  pareillement  le  fauço  dérumciateur  »  • 


388  FÊTE  DE  LA  RAISON  A  NOTRE-DAME  (10  NOV.  95)* 

C'est  SOUS  cette  bannière  de  modération  et  de  jus- 
tice indulgente,  que  s'inaugura  le  lendemain  (10  no- 
vembre) la  nouvelle  religion.  Gossec  avait  fait  les 
chants,  Chénier  les  paroles.  On  avait,  tant  bien  que 
mal,  en  deux  jours  bâti  dans  le  chœur,  fort  étroit, 
de  Notre-Dame,  un  temple  de  la  Philosophie,  qu'or- 
naient les  effigies  des  sages,  des  pères  de  la  Révolu- 
tion. Une  montagne  portait  ce  temple  ;  sur  un  rocher 
brûlait  le  flambeau  de  la  Vérité.  Les  magistrats  sié- 
geaient sous  les  colonnes.  Point  d'armes,  point  de 
soldats.  Deux  rangs  de  jeunes  filles  encore  enfants 
faisaient  tout  l'ornement  de  la  fête;  elles  étaient'  en 
robes  blanches,  couronnées  de  chêne,  et  non,  comme 
on  l'a  dit,  de  roses. 

Quel  serait  le  symbole,  la  figure  de  la  Raison?  Le  7 
encore,  on  voulait  que  ce  fût  une  statue.  On  objecta 
qu'un  simulacre  fixe  pourrait  rappeler  la  Vierge  et 
créer  une  autre  idolâtrie.  On  préféra  un  simulacre 
mobile,  animé  et  vivant,  qui,  changé  à  chaque  fête, 
ne  pourrait  devenir  un  objet  de  superstition.  Les  fon- 
dateurs du  nouveau  culte,  qui  ne  songeaient  nulle- 
ment à  l'avilir,  recommandent  expressément  dans 
leurs  journaux,  à  ceux  qui  voudront  faire  la  fête  en 
d'autres  villes,  de  choisir  pour  remplir  un  7*6le  si  au- 
guste des  personnes  dont  le  caractère  rende  la  beauté 
respectable,  dont  la  sévérité  de  mœurs  et  de  regards  re- 
pousse  la  licence  et  remplisse  les  cœurs  de  sentiments 
honnêtes  et  purs.  Ceci  fut  suivi  à  la  lettre.  Ce  furent 
généralement  des  demoiselles  de  familles  estimées 
qui,  de  gré  ou  de  force,  durent  représenter  la  Raison. 


BASIRE  RÉCLAME  CONTRE  L'ASSERVISSEMENT  DE  L'ASSEMBLÉE.  388 

J'en  ai  connu  une  dans  sa  vieillesse,  qui  n'avait  ja- 
mais été  belle,  sinon  de  taille  et  de  stature;  c'était 
une  femme  sérieuse  et  d'une  vie  irréprochable.  Ea 
Raison  fut  représentée  à  Saint-Sulpice  par  la  femme 
d'un  des  premiers  magistrats  de  Paris,  à  Notre-Dame 
par  une  artiste  illustre,  aimée  et  estimée,  M^^^  Maillard. 
On  sait  combien  ces  premiers  sujets  sont  obligés  (par 
leur  art  môme)  à  une  vie  laborieuse  et  sérieuse.  Ce 
don  divin  leur  est  vendu  au  prix  d'une  grande  absti- 
nence de  la  plupart  des  plaisirs.  Le  jour  où  le  monde 
plus  sage  rendra  le  sacerdoce  aux  femmes,  comme 
elles  l'eurent  dans  l'Antiquité,  qui  s'étonnerait  de  voir 
marcher  à  la  tête  des  pompes  nationales  la  bonne , 
la  charitable,  la  sainte  Garcia  Viardot? 

La  Raison,  vêtue  de  blanc  avec  un  manteau  d'azur, 
sort  du  temple  de  la  Philosophie,  vient  s'asseoir  sur 
un  siège  de  simple  verdure.  Les  jeunes  filles  lui 
chantent  son  hymne;  elle  traverse  au  pied  de  la  mon- 
tagne en  jetant  sur  l'assistance  un  doux  regard,  un 
doux  sourire.  Elle  rentre,  et  l'on  chante  encore... 
On  attendait...  C'était  tout. 

Chaste  cérémonie,  triste,  sèche,  ennuyeuse  *. 


^  Ëst-il  nécessaire  de  dire  que  ce  culte  n^était  nullement  le  vrai  culte 
de  la  Révolution  ?  Elle  était  déjà  vieille  et  lasse,  trop  vieille  pour  en- 
fanter. Ce  froid  essai  de  93  ne  sort  pas  de  son  sein  brûlant,  mais  des 
écoles  raisonneuses  du  temps  de  FEncyclopédie. — Non,  cette  face  né- 
gative, abstraite  de  Dieu,  quelque  noble  et  haute  qu'elle  soit,  n*était 
pas  celle  que  demandaient  les  cœurs  ni  la  nécessité  du  temps.  Pour 
soutenir  TeiTort  des  héros  et  des  martyrs,  il  fallait  un  autre  Dieu  que 
celui  de  la  géométrie.  Le  puissant  Dieu  de  la   nature»  le  Dieu 


990  BASmB  RÉ€LAMB  CONTRE  L*AS8BRVISSBMENT  »B  I/AMMBLÉB 

La  Convention,  le  matin,  avait  promis  d'assister  à 
la  fête,  sûr  la  demande  expresse  des  Indulgents, 
réconciliés  avec  Chaumette,  mais  une  violente  dis- 
cussion la  tint  tout  le  jour.  Saisissant  une  occasion 
indirecte,  Basire  éclata,  revint  sur  Faffitire  d'Os«- 
selin  ;  lui  aussi,  il  avait  sauvé  des  proscrits.  Il  parla 
avec  une  vivacité,  une  franchise  sans  réserve,  qui 
fit  frissonner  TAssemblée,  une  sensibilité  violente» 
comme  un  homme  qui  défend  son  cœur,  sa  liberté  et 
sa  vie.  «  Où  s'arrêtera,  dit-il,  cette  boucherie  de  repré- 
sentants ?  cette  proscription  de  tous  les  fondateurs  de 
la  République?  cet  audacieux  système  de  terroriser 
l'Assemblée?  Nous  retournons  au  despotisme...  Âsseï, 
assez  de  victimes  ! ... .  Eh  !  ne  voyez-vous  pas  que  ceux 
qu'on  poursuit,  pour  avoir  péché  par  faiblesse,  ne 
sont  nullement  des  ennemis  de  la  Révolulion?...  Sar 
vez-vous  ce  qu'on  va  faire?  c'est  que  rAssemblée 
glacée,  tombera  dans  un  honteux  mutisme?...  Et  qui 
osera,  dans  cette  mort  de  l'Assemblée,  montrer  plus 
de  courage  qu'elle?...  Tous  fuiront  les  fonctions  pu- 


Père  et  Créateur  (méconnu  du  moyen  âge ,  V,  Monuments  de  Didron) 
lui-même  n*eût  pas  sulïï  ;  ce  n'était  pas  assez  de  la  révélation  de 
Newton  et  de  Layoisier.  Le  Dieu  qu*il  fallait  à  Tâme,  c'était  le  Dieu  de 
Justice  héroïque,  par  lequel  la  France,  prêtre  armé  dans  FEuropey 
deyait  évoquer  du  tombeau  les  peuples  ensevelis. 

Pour  n*être  pas  nommé  encore,  pour  n^être  point  adoré  dans  nos 
temples,  ce  Dieu  n'en  fut  pas  moins  suivi  de  nos  pères  dans  leur  croisade 
pour  les  libertés  du  monde.  Aujourd'hui,  qu'aurions-nous  sans  M? 
Sur  les  ruines  amoncelées,  sur  le  foyer  éteint,  brisé,  lorsque  le  toi 
fuit  sous  nos  pieds ,  en  lui  reposent  fermes  et  fixes  notre  cceor  et 
notre  espérance. 


ET  GONTRS  L'AVIUSSBHfiNT  DE  Là  JUSTICE.  3dî 

bliqaeSy  chacun  s'enfermera  chez  soi ,.  et  tout  finira 
dans  la  solitude». 

Elle  se  faisait  déjà  sentir.  Le  désert  s'étendait 
chftque  jour.  Il  avait  fallu  payer  l'assistance  aux  sec- 
tions. Les  clubs  étaient  nuls.  Le  club  central  des  so- 
ciétés populaires  fut  visité  un  jour  par  les  Jacobins 
qui  n'y  trouvèrent  que  six  personnes.  Les  Jacobins 
eux-mêmes  n'étaient  guère  nombreux  à  cette  époque. 
Lorsque  Couthon  leur  demanda  quarante  Jacobins 
pour  l'aider  à  Lyon,  ils  refusèrent  ce  grand  nombre,  de 
crainte  de  se  dépeupler  eux-mêmes.  Même  les  fonctions 
salariées,  et  les  plus  brillantes,  n'étaient  acceptées 
que  par  force.  Kléber  dit  qu'une  nomination  de  gé- 
néral s'appelait  un  brevet  d^échafaud.  Il  fallut  un  ordre 
exprès  et  menaçant  du  Comité  pour  forcer  Jourdan 
de  se  laisser  faire  général  en  chef. 

Où  était  le  mai  de  la  situation?  dans  Tanéantisse- 
ment  de  la  justice. 

Le  vrai  jury  d'accusation  y  c'étaient  les  Jacobins. 
Cette  société,  si  utile  politiquement,  n'avait  nulle- 
ment la  lixité ,  la  suite  qu'aurait  demandées  ce  rôle 
judiciaire.  Le  dossier  des  Girondins,  enlevé  par  elle, 
fut  quelque  temps  égaré.  Sa  mobilité  était  excessive. 
En  novembre,  elle  prit  Clootz  pour  son  président,  et 
sans  cause,  elle  le  raya  outrageusement  en  décembre. 

Le  tribunnl  révolutionnaire  n'était  pas  organisé. 
Sauf  Antonelle,  Herman,  Payan,  il  ne  comptait 
que  des  hommes  illettrés ,  ou  des  adolescents , 
dont  plusieurs  étaient  de  la  réquisition,  et  jugeaient 
pour  ne  pas  combattre.  Un  garçon  léger,  étourdi, 


3^  BASIRE  RÉCLAME  CONTRE  L'ASSERVISSEMENT  DE  L'ASSEMBLÉE 

comme  Vilatte  dont  on  a  les  mémoires,  de  jeunes 
peintres  (très-nombreux  à  ce  tribunal)  ne  présentaient 
nullement  le  haut  jury,  imposant  et  grave,  qui  pou- 
vait juger  sérieusement  les  crimes  de  trahison,  ju- 
ger des  représentants,  juger  Danton  ou  Robespierre  ! 
Les  grands  coupables  ayant  presque  tous  émigré, 
ce  tribunal  expédiait  généralement  de  pauvres  diables 
qui  avaient  crié  Vive  le  roi!  ou  envoyé  une  lettre  & 
un  émigré.  On  réparait  la  qualité  par  la  quantité.  Et 
il  en  résultait  seulement  qu'en  voyant  tomber  pèle- 
mèle  tant  de  gens  obscurs,  et  obscurément,  sommai- 
rement jugés,  on  les  croyait  tous  innocents. 

Un  seul  procès,  un  seul  exemple,  mis  en  grande 
lumière,  éclairci  avec  force  et  grandeur,  entouré 
d'une  grande  publicité,  aurait  produit  infiniment 
plus  d'effet  que  beaucoup  de  morts  obscures,  i  Un 
saumon  vaut  cent  grenouilles  ^ ,  disait  très-bien  le  duc 
d'Albe. 

Le  procès  de  la  Dubarry,  habilement  conduit,  re- 
pris dans  tous  ses  précédents,  avec  ses  ornements 
naturels  du  Parc*aux-cerfs,  des  millions  jetés  aux 
filles,  avec  ses  rapprochements  légitimes  des  vols 
immenses,  des  guerres  de  la  Pompadour,  —  enfin 
l'ouverture  totale  de  l'égout  de  Louis  XV, — ^le  tout 
tiré  à  600,000, — eût  été  plus  efficace  contre  le  roya- 
lisme, que  de  guillotiner  par  vingtaines  des  domes- 
tiques, des  porteurs  d'eau  ivres,  ou  de  vieilles  femmes 
idiotes. 

Les  patriotes  de  Laval  écrivirent  que  les  prêtres 
vendéens  avaient  fait  rôtir  des  hommes,  nourri  les 


ET  CONTRE  L'AVILISSEBIENT  DE  LA  JUSTICE.  593 

feux  des  bivouacs  de  leur  armée  fugitive  avec  de  la 
chair  humaine.  Si  le  fait  était  exact,  on  ne  devait  pas 
fusiller  dans  un  coin  ces  cannibales,  il  fallait  les  ame- 
ner au  grand  jour  de  Paris,  les  juger  solennellement 
et  donner  au  jugement  une  telle  publicité  qu'il  n'y 
eût  pas  un  paysan  en  France,  dans  les  lieux  les  plus 
écartés,  qui  n'en  eût  pleine  connaissance. 

A  ces  justes  jugements  des  monstres  vivants,  la  Ré- 
volution pouvait  mettre  en  confrontation  le  jugement 
des  morts.  Que  servait  de  souiller  l'air  des  cendres  de 
Charles  IX?  il  fallait  amener  à  comparaître  le  roi  de 
la  Saint-Barthélemi,  en  face  de  ses  élèves,  les  mo- 
dernes brûleurs  d'hommes. 

Revenons  au  discours  de  Basire  et  à  la  Convention. 

Elle  allait  décidément  tomber  au  rôle  de  machine 
à  décrets,  si,  à  la  moindre  parole  libre,  ses  mem- 
bres les  plus  illustres ,  dénoncés  par  un  jacobin 
quelconque  (Brichet,  Brochet,  Blanchet,  ou  autre), 
s'en  allait,  obtorto  collo^  droit  au  tribunal  révolution- 
naire devant  des  rapins  étourdis ,  sans  pouvoir  dire 
seulement  un  mot  d'explication  à  la  Convention. 

Il  fallait  savoir,  oui?  ou  non?  si  l'on  voulait  une 
Assemblée? 

Dans  celle-ci ,  qui  fut  si  cruellement  épurée  et 
mutilée,  combien  y  avait-il  d'hommes  coupables? 
Cinq  ou  six  fripons,  pas  un  traître,  à  cette  époque,  du 
moins.  Le  peu  qu'il  y  avait  de  coupables  n'étaient  nul- 
lement de  ceux  qui  pouvaient  perdre  la  République.  Il 
eût  encore  mieux  valu  les  laisser  impunis,  que  de  ter- 
roriser, comme  on  Qt,  l'Assemblée  jusqu'au  suicide. 


804  LA  CONVBHTIOM  REÇOIT  LA  RAISON 

Ce  mutisme,  qu'on  recommande  parfois  dans  une 
place  assiégée,  au  moment  de  Tassaut,  n'était  nulle** 
ment  de  saison,  lorsque  la  France,  sauvée  par  la  vio» 
toire  de  Watignies,  avait  devant  elle  six  mois  pour  se 
reconnaître.  Lyon  était  réduit,  les  Girondins  ralliés. 
Restaient  à  reprendre  deux  points  sur  l'extrême  fron- 
tière. Landau  et  Toulon.  Cette  situation  n'expliquait 
nullement  un  tel  anéantissement  systématique  des 
libertés  de  la  tribune. 

Quoique  Chabot,  Thuriot,  Desmoulins,  aient  parlé 
maladroitement  et  gâté  l'impression,  toute  l'Assem- 
blée suivit  Basire,  et  décréta  cette  chose  décrétée  par 
la  justice  elle-même  :  Que  nul  de  ses  membres  n'irait 
au  tribunal,  sans  avoir  pu  s'expliquer  auparavant  de- 
vant la  Convention. 

La  Raison,  à  ce  moment,  entrait  dans  la  salle  avec 
son  innocent  cortège  de  petites  filles  en  blanc; — la 
Raison,  l'humanité.  Chaumette  qui  la  conduisait,  par 
la  courageuse  initiative  de  justice  qu'il  avait  prise  la 
veille,  s'harmonisait  entièrement  au  sentiment  de 
l'Assemblée. 

Une  fraternité  très-franche  éclata  entre  la  Com- 
mune, la  Convention  et  le  peuple.  Le  président  ût 
asseoir  la  Raison  près  de  lui,  lui  donna,  au  nom  de 
l'Assemblée,  l'accolade  fraternelle,  et  tous,  unis  un 
moment  sous  sou  doux  regard,  espérèrent  de  meil-- 
leurs  jours. 

Un  pâle  soleil  d'après-midi  (bien  rare  en  brumaire) 
pénétrant  dans  la  salle  obscure,  en  éclaircissait  un 
peu  les  ombres.  Les  Dantonistes  demandèrent  que 


ET  LA  SUIT  A  NOTRE-DAME  (10  NOY.).  595 

TAssemblée  tînt  sa  parole,  qu'elle  allât  à  Notre- 
Dame,  que,  visitée  par  la  Raison,  elle  lui  rendît  sa 
visite.  On  se  leva  d'un  môme  élan. 

Le  temps  était  admirable,  lumineux,  austère  et 
pur,  comme  sont  les  beaux  jours  d'hiver.  La  Conven- 
tion se  mit  en  marche^  beureiise  de  cette  lueur 
d'unité  qui  avait  apparu  un  moment  entre  tant  de  di- 
visions. Beaucoup  s'associaient  de  cœur  à  la  fête, 
croyant  de  bonne  foi  y  voir  la  vraie  consommation 
des  temps. 

Leur  pensée  est  formulée  d'une  manière  ingénieuse 
dans  un  mot  de  Clootz  :  a  Le  discordant  fédéralisme 
des  sectes  s'évanouit  dans  r unité,  V indivisibilité  de  la 
Raison  » . 

Romme  ajoutait  Y  immutabilité.  Un  jour,  dit 
révoque  Grégoire ,  il  nous  proposait ,  sur  certaines 
données  astronomiques,  de  décréter  Tannée,  comme 
elle  serait  dans  3,600  ans. — Tu  veux  donc,  luidis-je, 
que  nous  décrétions  l'éternité  ? —  Sans  doute,  dit  le 
stoïcien. 


CHAPITRE  ly 

LA  CONVENTION  POUR  LE  NOUVEAU  MOUVEMENT. 
(li-Si  Novembre  98.) 


La  CoBvention  donne  les  églises  et  presbytètes  anx  pauvres  et  aux  écoles  (IS 
novembre). —  Elle  supprime  l'hérédité  da  crime.  — Hébert,  isolé  de  Cbaa- 
mette,  attaque  les  Conventionnels.  —  La  Convention  effrayée  se  rapproche 
de  Robespierre. —  Chabot  et  Rasire  en  prison  (17  novembre]*— Terreur  des 
représentants  en  mission.— La  monarchie  des  comités  (18  novembre).— EUe 
n'osa  toucher  les  petites  tyrannies  locales.— Mouvement  des  filles  publiques 
et  des  dames  de  la  halle.  —  La  Convention  accueille  les  dépouilles  des 
églises.— Robespierre  assure  que  la  Convention  ne  touchera  pas  au  CalheU- 
cisme  [21  novembre). 


La  grande  initiative  de  la  Commune  fut  suivie  sans 
di£Bculté  de  la  Convention.  Elle  décréta,  le  16  no- 
vembre, sur  la  proposition  de  Cambon  :  «  qu'en  prin- 
cipe,  tous  les  bâtiments  qui  servaient  au  culte  et  au 
logement  de  ses  ministres  devaient  servir  d'asiles 
aux  pauvres  et  d'établissements  pour  l'instruction 
publique.  i> 

L'Assemblée,  par  ce  seul  mot,  déclarait  implicite- 
ment le  catholicisme  déchu  du  culte  public. 

La  Convention  pensa,  ce  qu'ont  si  bien  démontré 


LA  CONVENTION  DONNE  LES  ÉGLISES  ET  PRESBYTÈRES,  ETC.  897 

M.  de  Bonald  et  M.  de  Maistre,  que  royalisme  et  ca- 
tholicisme sont  choses  identiques,  deux  formes  du 
même  principe  :  incarnation  religieuse,  incarnation 
politique. 

Le  christianisme  mème^  démocratique  extérieure- 
ment et  dans  sa  légende  historique,  est  en  son  es- 
sence, en  son  dogme,  fatalement  monarchique.  Le 
monde  perdu  par  un  seul  est  relevé  par  un  seul.  Et 
cette  restauration  continue  par  le  gouvernement  d'un 
seul.  Dieu  y  dit  aux  rois  :  <c  Vous  êtes  mes  Christs.  » 
Bossuet  établit  admirablement  contre  les  protestants, 
contre  les  républicains  catholiques,  que,  le  christia- 
nisme donné,  la  royauté  en  ressort,  comme  sa  forme 
logique  et  nécessaire  dans  Tordre  temporel. 

La  vie  du  catholicisme,  c'est  la  mort  de  la  répu- 
blique. La  vie  de  la  république ,  c'est  la  mort  du 
catholicisme. 

La  liberté  du  catholicisme,  dans  un  gouvernement 
républicain,  est  uniquement  et  simplement  la  liberté 
de  conspiration. 

Un  système,  un  être,  est-il  obligé,  au  nom  de  la 
liberté ,  à  laisser  libre  ce  qui  doit  nécessairement  le 
tuer  î  Non,  la  nature  n'impose  à  nul  être  le  devoir  du 
suicide. 

La  Convention  ne  s'arrêta  pas  aux  Grégoire,  à 
l'inconséquence  des  absurdes  gallicans,  qui  ne  savent 
pas  seulement  ce  qui  est  au  fond  de  leur  dogme.  Ce 
clergé  assermenté,  républicain  de  position,  n'en  gar- 
dait pas  moins,  par  la  force  des  choses  et  comme 
clergé  catholique,  les  principes  les  plus  ennemis  de  la 


38a  ^l^^  SUPPRIME  L*HiRÉDlTÉ  DU  CRIMB. 

RévolutioD»  Leur  patriarche  Grégoire  meurt  da&sle 
dogme  monarchique  du  monde  sauvé  par  ua  seul, 
dans  la  foi  contres-révolutionnaire  de  l'hérédité  du 
crime  (ou  péché  originel).  Il  meurt  «enfant  soumis  du 
pape  »  ^  finit  comme  a  fini  Bossuet.  C'est  l'invariable 
histoire  de  cette  église»  ridicule  et  respectable,  ua 
grand  esprit  de  résistance  »  de  l'éloquence  et  des 
menaces  ;  —  tout  cela,  en  conclusion ,  pour  se  faire 
fouetter  à  Rome. 

Du  reste,  la  Convention  ne  persécuta  nullement  le 
clergé  soumis  aux  lois.  Elle  laissa  Grégoire  piéger  taqt 
qu'il  voulut,  en  habit  violet.  Elle  maintint  les  pen*- 
sions  ecclésiastiques  )  et  nourrit  ces  gallicans,  qui 
travaillèrent  la  plupart  à  la  destruction  de  la  Répu<* 
blique. 

Ce  qui  est  assez  remarquable^  c'est  que  ce  décret 
de  Camhon  qui  enlevait  au  clergé  les  églises  et  lespr^Sr 
bytèreS;  fut  voté  sans  réclamation,  ni  des  gallicans, 
ni  des  robespierristes,  leurs  patrons,  et  l'on  put  croira 
qu'il  avait  pour  lui  l'unanimité  de  rÂssemblée. 

Ce  même  jour,  16  novembre,  la  Convention  expia 
le  dernier  sacrifice  humain.  Les  enfants  de  Calas 
étaient  à  la  barre;  ils  furent  accueillis  avec  effusioo; 
on  décréta  une  colonne  pour  la  place  de  Toulousa  où 
Calas  subit  son  martyre.  Voltaire,  enfin  satisfaiti  re- 
posa dans  son  tombeau. 

Le  principe  terrible  du  moyen-âge  (l'hérédité  du 
crime  ou  péché  originel  ),  frappé  déjà  par  la  Coiiitî«* 
tuante,  fut  décidément  rayé  par  la  Convention,  0t 
d'une  manière  sublime.  Elle  adopta^  comme  eniiuito 


ELLE  SUPPRIME  L'fTÉRÉDITE  DU  GRIME.  399 

dé  la  FrûDcei^  ceux  des  suppliciés.  Des  secours  furent 
doùnés  aux  enfants  indigents  des  Girondins  qui  ¥e« 
naient  de  périr.  Le  président  formula  ainsi  la  pensée  de 
TÀssemblée^  la  foi  du  monde  nouveau  :  «  Les  fautes 
sont  personnelles  ;  le  supplice  mérité  du  père  n'em-^ 
pèche  pas  la  nation  de  recueillir  les  enfants  »  (17  ven- 
tôse). Ce  président  était  Saint-Just. 

Cette  doctrine  n'était  point  du  tout  la  clémence^ 
mais  la  justice.  La  question  du  moment  ne  pouvait 
être  d'arrêter  la  Terreur,  lorsque  le  monde  entier 
l'employait  contre  la  France.  Mais  on  pouvait  rendre 
la  Terreur  moins  aveugle  et  plus  efficace.  Là  encore, 
au  défaut  des  hauts  Comités  gouvernementaux  qui 
n'essayaient  rien ,  la  Commune  de  Paris  avait  pris 
l'initiative.  Nous  l'avons  vuedéjà  réformer  en  divers 
cas  les  décisions  fantasques  des  comités  de  sections 
qui  terrorisaient  pour  leur  compte^  au  hasard  de 
leurs  passions.  Le  1 5  novembre,  Chaumette  hasarda 
de  poser  la  chose  en  principe,  revendiqua  pour  la 
Commune  qui,  depuis  le  5  septembre,  épurait,  re- 
créait ces  comités,  la  surveillance  et  la  censure  de 
leurs  actes,  exigeant  du  moins  qu'ils  correspondissent 
avec  elle,  travaillassent  au  grand  jour,  ne  fussent 
plus  une  inquisition. 

Ce  grand  mouvement  de  la  Commune,  qui  ouvrait 
à  la  Révolution  sa  voie  religieuse  en  essayant  de  la 
guider  dans  sa  voie  politique,  fut  accueilli,  poussé 
unanimement  dans  les  provinces  par  les  Représen- 
tants en  mission,  ils  changèrent  partout  les  églises  en 
temples  de  la  Raison.  Partout ,  ils  organisènmt  U 


400  ELLE  SUPPRIME  L*HÊRÉDITÉ  DU  GRIME. 

prédication  religieuse  et  politique  du  décadi.  Seule- 
mentj  la  majorité  des  masses  républicaines  entendant 
parle  mot  Raison  la  Raison  divine,  ou  Dieu,  la  figure 
féminine  que  Ton  promena  s'appela  la  Liberté.  L'at- 
tachement des  patriotes  à  cette  forme  de  culte  parut 
en  ceci,  que  les  robespierristes  même  qui  Técrasèrent 
à  Paris,  furent  obligés  de  la  ménager  infiniment  dans 
les  départements,  et,  môme  après  que  Robespierre 
eut  fait  périr  Clootz  et  Chaumette,  les  sociétés  popu- 
laires des  frontières,  nos  armées  victorieuses  ouvraient 
encore,  môme  hors  de  France,  des  temples  de  la 
Raison. 

L'obstacle  vint  non  de  la  France,  mais  de  Paris 
môme,  du  désaccord  de  la  Commune^  de  la  désertion 
d'Hébert  qui  abandonna  Chaumette,  de  la  violente 
opposition  du  Comité  de  Salut  public  et  de  Robes- 
pierre S  singulièrement  jaloux  de  l'allure  indépen- 


1  Une  machine  très-habile  fut  employée  par  Ifts  Robespierristes  pour 
guérir  le  mal  homéopatbiquement,  pour  neutraliser  par  un  autre  eulte 
celui  de  la  Raison.  Robespierre^  très-peu  sympathique  h  Marat  (Y.  le 
remarquable  ouvrage  de  M.  Hilbey),  avait  empêché  qu'on  né  le  mtt  an 
Panthéon.  On  fut  bien  étonné  (le  1 4  novembre)  de  voir  Thomme  de 
Robespierre^  David,  demander  que  Marat  y  fût  porté  en  pompe  solen- 
nelle. La  Raison  ne  pouvait  manquer  d*ètre  compromise  par  la  concur- 
rence ou  Fadjonction  de  ce  nouveau  Dieu.  La  dévotion  des  Cordelière 
avait  exposé  son  cœur  à  Tadoration  perpétuelle  avec  une  autre  relique, 
le  cœur  du  bossu  Verrières.  Les  idiots  mêlaient  Marat  avec  le  Sacré 
Cœur,  marmottant  :  «  Cœur  de  Marat  !  cœur  de  Jésus,  etc.  »  La  tête  de 
Chalier  partagea  bientôt  les  mêmes  honneurs.  Telles  et  telles  sections 
de  Paris  y  firent  des  adjonctions  fantasques,  celle  entre  autres  du  buste 
de  Mucius  Scévola.  Chaumette  eut  peur  un  moment  que  sa  propre  image 


HÉBERT,  ISOLÉ  DE  GHAUMETTE,  ATTAQUE  LES  GONVENTIOIINBL^.  4(H 

dante  qu'avait  prise  la  Convention  en  cette  affaire^ 
irrités  surtout  de  la  grande  décision  prise  (le  1 6)  sans 
les  consulter,  de  la  majorité  inattendue  que  Çambon 
avait  trouvée  sur  ce  terrain,  et  qui,  si  on  ne  la  brisait, 
se  retrouverait  sur  bien  d^autres. 

La  décision  du  16,  en  un  mot,  parut  au  Comité 
un  cas  de  révolte. 

La  partie  honteuse  et  faible  où  Clootz  et  Chau- 
mette  étaient  vulnérables  était  Falliance  d'Hébert. 
Étrange  apôtre  !  une  doctrine  qui  passait  par  la 
gueule  du  Père  Duchesne,  bonne  ou  mauvaise,  d'a- 
vance était  tuée.  Et  non-seulement  Hébert  salissait 
ridée  nouvelle,  mais  il  la  compromettait  et  la  ruinait 
directement,  en  frappant  la  Convention,  dontralliance 
faisait  seule  la  force  de  la  Commune. 

Hébert  paraissait  très-peu  à  la  Commune,  ne  s'en- 
tendait nullement  avec  Chaumette,  vivait  aux  Jaco- 
bins, à  son  journal,  au  spectacle,  dans  certaines  com- 
pagnies. Il  marchait  seul,  et  dans  ses  voies.  Pendant 
que  Chaumette,  assidu  à  THôtel-de-Ville,  y  tentait 
son  suprême  effort  pour  subordonner  à  la  Commune 
les  comités  révolutionnaires,  Hébert,  pour  se  les  at- 


ne  devint  un  objet  d'idolâtrie,  et  défendit  de  la  graver.  Il  avait  refusé  au 
peuple  les  plus  innocenls  symboles.  Par  exemple,  le  faubourg  Saint- 
Antoine,  les  forgerons  des  Quinze-Vingts  auraient  voulu  que  le  nouveau 
culte  eût  un  foyer,  un  feu  éternel.  Cette  idée,  nullement  idolâtrique, 
fut  repoussée  par  la  Commune.  La  seule  parole  humaine ,  le  seul  en- 
seignement moral,  disait  Cbaumette,  est  avouée  de  la  Raison.  (Procès- 
verbaux  de  la  Commune  et  des  sections.— iircfetv^s  du  déparif^ment  et 
de  la  Police.) 

VI.  a« 


4M  HÉnniT,  ISOLÉ  DKGHAOlfBTTB,  ATTAQOB  lESJGOIfytMTKNflllLS. 

tacher^  lançait  contre  laGonvehtion  toutes  les  fureurs 
des  Jacobins.  On  pouvait  prévoir  aisément  que  l'As- 
semblée qui  avait  essayé  quelques  pas  hardis  à  la  suite 
de  la  Commune,  effrayée  par  les  Hébertistes,  se  ré- 
fugieraii  sous  Taile  de  Robespierre ,  qui  étoufferait 
le  mouvement  à  la  grande  satisfaction  de  tous  les 
amis  du  passé. 

Hébert,  sans  s'en  apercevoir,  agit  au  profit  des 
robespierristes,  et  le  plus  souvent  sous  leur  influence* 
Ils  s'en  servirent  comme  d'un  épouvantail  pour  poUs« 
ser  à  eux  le  troupeau. 

Les  objets  habituels  des  morsures  du  Père  Du- 
chesne  étaient  les  faibltsses  de  Basire,  les  belles  aoh- 
liciteuses,  la  corruption  de  Chabot^  les  méfaits,  vrais 
ou  supposés,  de  l'ancien  Comité  de  sûreté,  généra- 
lement dantoniste.  Le  nouveau,  très-robespierriste 
alors,  surveillé,  mené,  poussé  par  David  (l'homme  de 
Robespierre),  guettait  cet  ancien  comité  et  voulait  le 
perdre,  croyant  avec  raison  que  Danton  serait  mor- 
tellement atteint  par  ce  procès  dantoniste.  Chabot 
venait  de  se  marier  avec  la  sœur  d'un  banquier  ail- 
trichien,  fort  suspect,  et  d'autre  part  on  savait  qu'il 
tripotait  avec  des  banquiers  royalistes,  amis  des  re- 
présentants Delaunai  et  Jui'?n  de  Toulouse.  David, 
pour  être  mieux  instruit,  se  fît  l'amant  de  la  maîtresse 
de  Delaunai ,  et  quand  par  elle  il  eut  de  quoi  perdre 
Chabot ,  il  le  livra  préalablement  aux  attaques  du  * 
Père  Duchesne.  Chabot  eut  peur,  fit  inviter  à  dîner 
celui-ci  par  sa  jeune  femme.  Hébert  n'en  tint  compte, 
le  poussa  à  mort,  mais  comme  les  chiens  trop  ardents. 


LA  CONVENTION  SE  lUrPROeHE  DE  ROBESPIERRE.  405 

jl  se  fit  mftl  à  lui«-ntèinejf  ét>  mordaût  Ghabol  ^  se 
mordité 

Cette  chasse  se  fit  aui  Jacobios^  Celui  qui  lancA 
la  bète^  fut  un  Dufourni  qu'Hébert  croyait  béber^»- 
tiste,  mais  qui  ne  bougeait  pas  de  l'antichatubrfe 
des  Comités,  et  dont  le  zèle  excessif  lassait  Robes»- 
pierre.  Un  ami  personnel  de  celui^^ci,  Renaudin^  juifé 
du  tribunal  révolutionnaire^  poussa,  avec  Dufourni, 
sur  Basire,  sur  Chabot,  sur  Thuriot. 

Le  tout,  rédigé  en  une  pétition  atroce  &  la  Con- 
vention, pétition  menaçante^  méprisante^  où  on  lui 
prescrivait  d'être  impitoyable  pour  elle-même  et  de 
se  saigner  aux  quatre  membres  « 

Hébert  était  si  aveugle  qu'il  rendit  cet  acte  plus 
utile  encore  à  Robespierre  que  les  robespierristes  ne 
l'avaient  voulu^  faisant  demander  en  outre  la  mort 
des  soixante-treize  qu'avait  défendus  Robespierre^  et 
poussant  la  Convention  à  chercher  son  salut  en 
lui! 

Basire,  Thuriot,  s'excusèrent.  La  Convention  sup- 
prima la  faible  et  dernière  barrière  qu'elle  avait 
élevée  le  9  entre  la  vie  de  ses  membres  et  la  guillo- 
tine (son  droit  d'examen  préalable  sur  tout  représen- 
tant qu'on  accuserait).  Hébert  n'en  suivit  pas  moins 
contre  Thuriot  son  élan  sauvage.  Le  13,  il  le  fit 
chasser  des  Jacobins,  sans  lui  tenir  oômpte  de  l'aj^ui 
qu'il  avait  donné  à  la  Commune  dans  l'affaire  reli- 
gieuse, sans  voir  qu'il  rompait  l'alliance  entre  la 
Commune  et  la  Montagne<  A  qui  profiterait  ce  di- 
vorce ?  Il  était  facile  de  te  deviner. 


404  TERREUR 

Le  16;  Gbabot,  poussé,  pressé,  étranglé  aux  Jaco- 
bins...  se  sauva  chez  Robespierre,  qui,  comprenant 
à  merveille  le  parti  qu'il  en  tirerait,  ne  le  reçut  pas 
trop  mal ,  le  conseilla  paternement ,  lui  dit  qu'il 
fallait  dire  ceci,  ajourner  cela,  qu'au  total,  il  n'y 
avait  qu'une  chose  à  faire,  c'était  d'aller  au-devant, 
de  se  constituer  prisonnier  au  Comité  de  sûreté  géné- 
rale, comme  complice  d'un  complot  <  où  il  n'était 
entré  que  pour  le  révéler.  > 

La  confession  de  Chabot,  semblable  à  celle  de 
Scapin,  en  fit  savoir  encore  plus  qu'on  n'imaginait. 
Il  fit  découvrir  lui-même  cent  mille  francs  qu'il  avait 
reçus  pour  corrompre  Fabre  d'Églantine,  mais  dont 
il  n'avait  pu  jusque-là  se  séparer,  et  que  provisoire- 
ment il  tenait  suspendus  dans  ses  lieux  d'aisance. 

Le  plus  étrange,  c'est  que  le  pauvre  Basire,  étran- 
ger à  ces  vilenies,  se  mit  en  prison  avec  le  voleur. 
Basire  n'était  plus  à  lui.  On  avait  lu  le  matin  à  la 
Convention  le  procès  d'Osselin  et  de  la  jeune  femme 
qu'il  avait  cachée.  Chacun  regardait  Basire.  Lui- 
même  se  reconnaissait.  Lui  aussi,  il  avait  essayé  de 
sauver  des  femmes,  entre  autres  une  princesse  polo- 
naise qui  n'avait  nulle  pièce  contre  elle,  et  qui  n'en 
périt  pas  moins.  Basire,  se  croyant  perdu,  le  fut  en 
effet.  Avec  l'aveugle  vertige  du  mouton  qui  par 
peur  se  jette  à  la  boucherie ,  lui-même  il  alla  se 
livrer. 

La  Terreur  gagnait  la  Montagne.  Chabot,  il  est 
vrai,  était  un  fripon.  Basire  n'était  pas  sans  reproche. 
Mais  nombre  de  Montagnards,  inattaquables  sous  les 


DES  REPRÉSENTANTS  EN  MISSION.  é^ 

deux  rapports,  n'en  étaient  pas  moins  en  péril,  ceux 
surtout  qui,  dans  leurs  missions,  avaient  été  obligés 
parla  loi  du  salut  public,  d'agir  en  dictateurs,  en 
rois,  qui  avaient  fait  et  dû  faire  cent  choses  illégales, 
qui,  sur  chaque  point  de  la  France,  s'étaient  préparé 
des  légions  d'accusateurs.  Maintenant,  les  faiseurs 
de  discours,  les  sédentaires,  les  assis,  les  croupions, 
qui  n'avaient  jamais  eu  occasion  de  se  compro- 
mettre avec  les  affaires,  n'allaient-ils  pas,  à  leur 
aise,  recueillir  ces  accusations,  éplucher  cruel- 
lement la  conduite  de  leurs  collègues  sacrifiés  dans 
les  missions,  et  dire  :  ((  Seuls,  nous  sommes  purs.  » 
Chose  facile  à  qui  n'a  rien  fait. 

Mais  ceux  qui  avaient  ces  cramtes  étaient,  après 
tout,  trop  heureux,  si  en  oubliant  leurs  services,  on 
oubliait  aussi  leurs  fautes.  Les  Comités  lurent  en  eux 
cette  pensée  et  cette  peur.  Et,  le  18,  ils  présentèrent 
hardiment  la  grande  loi  gouvernementale  qui  fondait 
la  monarchie  des  Comités  de  Salut  public  et  de  sûreté 
générale,  brisant  à  leur  profit  d'une  part  le  pouvoir 
de  la  Commune  de  Paris,  d'autre  part  celui  des  Re- 
présentants en  mission . 

Cette  loi  fut  présentée  par  Billaud-Varennes ,  qui, 
le  6  septembre ,  avait  été  porté  au  Comité  par  la 
victoire  de  la  Commune.  On  le  croyait  hébertiste. 
Mais  quelles  que  fussent  ses  sympathies  pour  le  mou- 
vement d'Hébert  et  Chaumette,  elles  étaient  bien 
moins  fortes  que  ses  haines  pour  les  Représentants 
illustrés  par  leurs  missions.  Billaud  n'avait  pas  brillé 
dans  la  sienne  à  l'armée  du  Nord  ;  on  plaisantait  de 


406  LA  MOMARCHIB  DES  COMITÉS  (48  NOV.). 

soB  courage.  Il  satisfit  ses  rancunes  et  suivit  d'ailleurs 
ridéal  d'unité  gouvernementale,  automatique  et  mé- 
canique, qu'il  avait  naturellement  dans  l'esprit. 

La  loi  nouvelle  en  trois  choses,  était  un  bienfait: 
1^  Elle  créait  le  Bulletin  des  lois,  en  assurait  la  pro- 
mulgation» la  connaissance  universelle  ;  2^  Elle  re»- 
serrait  les  autorités  diverses  dans  leurs  limites  natu^* 
relier  ;  S""  Elle  supprimait  les  administrations  d^art^r 
mt^tale^,  aristocratie  bourgeoise,  d'esprit  girondin, 
qui  s'était  montrée  infiniment  dangereuse  pour  la 
liberté. 

Cette  loi  voulait  la  cho^e  que  toute  la  France  vou- 
lait :  Créer  l'unité  d'action ,  supprimer  les  petits 
tyrans. 

Les  Représentants  en  mission  pe  CQrrespoodQOt 
plus  avec  l'Àsaemblée,  mais  avec  sot^  Comité  de 
salut  public  ; 

l<e9  comités  de  sections»  de  communes,  ne  çQrrM* 
pondent  plus  qu'avec  sm  Comité  de  sûreté  génèr 
raie. 

Pour  que  les  deux  mots  indiqués  ne  fussent  pas 
un  mensonge,  il  fallait  qu'en  effet  la  Convention  ffyl 
appeler  siens  les  deui^  Comités. 

C'est-à-dire  qu'ils  fussent  renouvelés ,  en  tout  ou 
partie,  à  époque  fixe,  et  renouvelés  de  droit,  par  h 
farce  de  la  loi,  non  par  le  vote  éventuel  d'une  Assem- 
blée, ou  terrorisée,  ou  quasi-déserte. 

C'est  ce  que  la  loi  se  garde  bien  d'exiger.  Et  % 
est  son  crime.  De  temps  à  autre,  ces  rois  (j'appelle 
«in»  \m  Comités)  viendront  dire,  ayant  deffièie 


LA  MONÂRCHIB  DBS  GOMITtS  (18  NOV.).  «QJ 

eui  les  clubs  et  la  guillotine  :  a  Voulez-vous  nous 
renouveler  î  » 

Gomment  se  fait-il  que  les  membres  des  deu;i 
Comités,  qui  vraiment  étaient  patriotes,  aient  prâ-f 
sente  ce  piège  à  la  'llonvention  ? 

Parce  que  leur  vanité  leur  dit  :  «  iXous  sommes 
les  seuls,  -^  les  seuls  purs,  les  bons  citoyens,,.  I4 
Patrie  périrait  sans  nous.  » 

Qu'ils  soient  absous  pour  cette  erreur.  Nous  allons 
montrer  toutefois,  d'après  les  actes  authentiques 
qu'ils  se  trompaient  absolument.  Sans  méconnattw 
l'éminent  mérite  de  ces  excellents  citoyens  qui  se 
chargèrent  de  régner,  il  faut  dire  que  Voriginalité 
^p^eu{a^tt;e  des  hautes  et  grandes  idées  qui  domin^^ient 
la  situation  sociale  et  reh'gieuse,  leur  manqua  entiè- 
rement,— et  que,  d'autre  part,  \^^  deux  grq,n4&  acte$ 
pratiques  qui  tranchèrent  les  qiiestipns  4^  salut  (le 
Rhin,  la  Vendée}  réussirent  précisément  parce  qu'on 
ne  suivit  aucune  des  idées  du  Comité  de  saint  public. 
Sa  singulière  indifférence  à  la  question  polor^ise^ 
en  94-,  témoigne  aussi  contre  lui. 

Le  Comité  de  sûreté  générale  (ses  registres  le  moor 
trent  assez)  ne  fit  aucune  des  phoses  qu'il  ôta  à  I9. 
Commune.  Il  ne  centralisa  point  l'action  de  Ifi 
police  révolutionnaire.  Il  n'osa  exercer  sur  les  petilf; 
comités  la  surveillance  qu'il  interdisait  à  Chaumette, 

Sa  faiblesse  ou  sa  négligence  alla  à  ce  poiRt  qy'U 
laissa  un  des  comit:?s,  celui  de  la  Croix  rouge  ou  dij 
faubourg  Saint-Germain,  fi^ire  Ici  spéculatip»  IJWCr*? 
tive  d  avoir  une  prison  à  lui,  oii  Içs  geps  tr/isr;|clje5 


406  MOUVEMENT  DES  FILLES  PUBLIQUES,  ETC. 

payaient  des  pensions  énormes.  Au  fond,  ils  ache- 
taient la  vie  :  le  comité  protégeait  ses  précieux 
pensionnaires  ;  cette  maison  fut  entamée  la  dernière, 
en  thermidor. 

Si  ces  petits  comités  furent  ainsi  maîtres  à  Paris, 
sous  les  yeux  du  pouvoir,  combien  plus  partout 
ailleurs  !  Ils  eurent  à  discrétion  les  fortunes  et  les 
personnes. 

De  sorte  qu'en  détruisant  le  fédéralisme  départe-^ 
mental ,  on  conserva  tout  entier  le  fédéralisme  œmtnunal, 
et  la  tyrannie  locale,  si  pesante  et  si  tracassière,  que 
la  France  en  est  redevenue  monarchique  pour  soi- 
xante années. 

La  loi  d'unité  gouvernementale  au  profit  des  deux 
Comités,  se  vota  pendant  dix  jours,  du  18  au  29. 
Personne  n'osa  dire  non. 

Mais  revenons  sur  nos  pas,  et  suivons  Paris. 

De  grands  rassemblements  de  femmes  se  faisaient 
à  Saint-Eustache,  sous  la  protection  des  Dames  dé 
la  Halle,  maîtresses  de  cette  église  et  très-bonnes 
royalistes  ;  mais  elles  ne  Tétaient  pas  plus  que  les 
filles,  contrariées  par  la  Commune,  qui  frappait  d'a- 
mende ceux  qui  les  logeaient.  Le  Palais-Royal  s'était 
fait  dévot.  Le  royaliste  Beugnot  nous  a  conservé  l'his- 
toire d'Églé  et  autres,  qui  se  firent  guillotiner  pour  le 
trône  et  l'autel.  Onvit,vers  le  15 novembre,  une  lon- 
gue file  de  ces  Madeleines,  le  rosaire  en  main,  s'ache- 
miner vers  Saint-Eustache.  Le  but  était  d'expier  la 
profanation  de  Notre-Dame,  où,  disait-on,  on  avait 
eu  l'infamie  d'exposer  u^e  femme  nue  sur  Vautel.  Cette 


LA  CONVENTION  ACCUEILLE  LES  DÉPOUILLES  DES  ÉGLISES.  409 

belle  légende  fut  répandue  dans  toute  l'Europe,  im- 
primée par  les  émigrés.  D'autres  disaient  que  Tévêque 
républicain  de  Cambrai  avait  eu,  à  son  élection,  pour 
concurrent  une  femme,  et  que,  sans  une  voix  qu'il 
eut  de  plus,  l'histoire  de  la  papesse  Jeanne  se  renou- 
velait dans  cet  évèché.  Dans  la  Vendée,  on  faisait 
mieux  ;  on  fabriquait  des  hosties  empreintes  de  figures 
d'animaux,  pour  faire  croire  aux  paysans  que  la 
République  adorait  les  bêtes. 

L'Assemblée  et  la  Commune  apprenaient  en  même 
temps  les  scènes  terribles  qui  suivirent  le  passage  de 
la  Loire.  Une  lettre  portait  :  «  Leurs  prêtres  leur  ont 
fait  jeter  des  patriotes  dans  le  feu  » ,  etc. 

Quand  l'Assemblée  reçut,  le  20,  les  ornements, 
les  costumes  de  Saint-Roch  et  de  Saint-Germain- 
des-Prés,  elle  les  vit,  comme  elle  eût  vu  un  butin 
pris  sur  l'ennemi,  les  dépouilles  des  Vendéens,  elle 
s'associa  sans  réserve  k  la  passion  populaire.  Un 
mannequin,  couvert  d'un  drap  noir,  figurait  l'enter- 
rement du  fanatisme;  les  canonniers  de  Paris,  en 
habits  sacerdotaux ,  exécutèrent  une  ronde  pour 
célébrer  son  décès.  Tous  crièrent  :  «  Plus  de  culte 
que  celui  de  la  Raison,  de  la  Liberté,  de  la  Répu- 
blique! »  Un  cri  unanime  partit:  «  Nous  le  jurons! 
nous  le  jurons  !  »  Un  enfant,  sorti  du  cortège,  de- 
manda que  r Assemblée  fît  faire  un  petit  catéchisme 
républicain.  Émotion  générale.  On  décrète  que  tout 
le  détail  sera  envoyé  à  tous  les  départements. 

Personne,  d'après  cette  séance,  ne  douta  que  le 
décret  obtenu  par  Gambon^  le  16,  ne  fût  mis  à  exécu- 


410  IKmBSPIERRE  ASSURE  QUE  LÀ  GONVEHTION 

tion^  que  T  Assemblée  ne  donnât  les  églises  aux  hôpi?? 
taux,  les  presbytères  aux  écoles,  que  le  culte  public 
du  catholicisme  ne  fût  supprimé. 

Il  ne  fallait  plus  qu'une  chose  :  qu'on  en  ftt  la 
motion. 

L'Assemblée  s'était  montrée  déjà  fort  audacieuse, 
d'agir  sans  l'aveu  de  son  pédagogue,  le  Comité  de 
salut  public.  Irait-elle  jusqu'au  bout?  Ce  Comité 
était  très-mécontent.  Il  se  sentait  fort,  ayant  ua 
Chabot  sous  la  clef,  homme  perdu,  qui,  pour  plaire, 
étendait  déjà  ses  accusations. 

Dans  ce  moment  où  tant  d'hommes  tremblaient 
dans  la  Convention,  la  démentir  outrageusement 
c'était  une  inconvenance,  mais  ce  n'était  pas  un 
pèriK  Robespierre  eut  ce  courage.  Le  soir  du  21,  m% 
Jaœbins,  il  assura  froideo^ent  :  <  Que  la  Cenvenfim 
ne  voulait  point  toucher  au  culte  catholique,  que  J4i|li|i$ 
elle  ne  ferait  cette  démarche  téméraire; — que  d'ail-* 
leurs  le  fanatisme  expirai t^  qu'il  était  mort,  qu'il  q'y 
avait  plus  de  fanatisme  que  celui  des  hommes  im-f 
moraux,  coudoyés  par  l'étranger  pour  donner  à  notre 
Révolution  le  vernis  de  l'immoralité.  » 

(a  question  posée  le  16,  ou  plutôt  déjà  résplue  p^r 
le  décret  de  l'Assemblée,  était  desavoir  silecle^é 
catholique  conserverait  la  possession  des  églises.  Ro^ 
bespierre  n'en  dit  pas  un  mot.  Il  s'étendit  longuement 
3ur  r existence  de  Dieu. 

Cela  s'entendait  de  reste.  Et  quoique  Robespierre 
assurât  qu'il  avait  toujours  été  mauvais  catholique, 
les  oatholiques  le  tinrent  quitte  dçs  croyance»,  «t 


m  TOUGHBRA  PAS  AU  GATi|01.Kll81Ul  (t|  WW.).  Uà 

virent  en  lui  dès  ee  jour  leur  défenseur  politique» 

«  La  Convention ,  dit  encore  Robesi^ierre,  n'es| 
point  un  faUeur  de  livres,  un  auteur  de  systèmes  mé^ 
taphysiques.  >  Dans  un  de  ces  discours  qui  suivent,  il 
parla  avec  mépris  du  philosophisme.  Ainsi  l'élève  d^ 
Rousseau  allait  s'enfonçant  rapidement  dans  les  voies 
rétrogrades.  Le  même  jour  où  il  opposait  à  l'Assemf* 
blée  le  veto  de  sa  royauté,  il  fut  pris  du  mal  des  rois, 
qui  est  :  la  haine  de  l'Idée. 

Caractère  indélébile  de  la  nature  dans  l'homme  le 
plus  artificiel!  véridiques  harmonies  du  dehors  et  du 
dedans!...  Qui  eût  rencontré  Robespierre,  poudré, 
costumé  dans  la  tenue  de  l'ancien  régime,  l'eût 
déclaré  un  ci-devant.  Eh  bien  !  cet  air  ne  mentait 
pas.  Après  tant  d' efforts  sincères,  de  progrès  réels, 
d'élans ,  de  nobles  aspirations,  tel  il  fut ,  tel  il  re- 
tombait, pour  la  question  capitale  ,  et  redevenait 
l'espoir  de  ceux  qu'il  avait  combattus! 

Son  discours  du  21  novembre,  justifiable  ou 
louable  pour  tout  ignorant  qui  n'y  voit  qu'une  thèse 
générale  et  ne  sait  pas  le  sens  précis  que  lui  don- 
nait le  moment,  fut  parfaitement  compris  de  l'Eu- 
rope. Elle  sentit  dès  lors  que  tôt  ou  tard  la  Révolu- 
tion traiterait.  En  décembre  93,  en  juin  94,  à  la  fête 
de  l'Être-Suprême,  les  rois,  aussi  bien  que  les  prê- 
tres, espérèrent  en  Robespierre. 

Quoiqu'en  ce  discours  il  eût  suivi  vraiment  sa 
nature,  et  n'eût  point  du  tout  dévié,  on  crut  y  voir 
une  grande  conversion,  un  miracle  et  le  doigt  de 
Dieu.  Et  comme  il  y  a  au  ciel  cent  fois  plus  de  joie 


412  ROBESPIERRE  ASSURE  QUE  LA  CONVENTION  NE  TOUCHERA,  ETC. 

pour  un  pécheur  qui  revient  que  pour  un  juste,  la 
joie  fut  intime,  profonde,  dans  la  Contre-révolution. 
Robespierre,  sans  s'en  douter,  était  rentré  par  son 
discours  dans  le  monde  des  honnêtes  gens.  Il  n'y  eut 
pas  dès  lors  une  femme  bien  pensante  en  Europe 
qui  dans  sa  prière  du  soir  n'ajoutât  quelques  mots 
pour  M.  de  Robespierre. 


CHAPITRE  V 


PAPAUTÉ    DE    ROBESPIERRE. 
(32  N0V.-I6  Décemb.  9S.) 


Robespierre  terrorise  ses  ennemis  par  Tattente  d*une  épuration.  -  Résistance 
de  Ghaumette. — Robespierre  protège  contre  Ini  les  comités  de  sections.—- 
Gbaumelle  ferme  les  églises.  —  Qanton  employé  à  écraser  Ghaomette.— 
Robespierre  arrache  à  TAssemblée  la  liberté  des  cultes.  —  Hébert  renie 
Ghaumette.  ~  DesmouKns  employé  à  écraser  Glootz. —  Robespierre  force  les 
Jacobins  de  chasser  Glootz.  ->  Ils  gardent  Gamille  Desmoulins.—  Robespierre 
veut  exiger  de  la  Convention  un  credo  précis.  —  Il  fait  maintenir  les  prêtres 
dans  la  Société  jacobine. 


Le  discours  de  Robespierre  finissait  par  un  mot 
qui  jeta  la  terreur  dans  les  esprits.  Il  demanda  et 
obtint  une  épuration  solennelle  de  la  Société,  c(  l'ex- 
pulsion des  agents  de  l'étranger.  » 

Peu  après,  il  demanda  Tépuration  des  suppléants 
de  la  Convention,  qui  eût  amené  celle  des  anciens 
membres,  de  toute  l'Assemblée. 

Son  aigreur  était  très-grande  pour  la  présidence 
de  Ciootz  aux  Jacobins,  et  sans  doute  pour  celle  de 
Romme  à  la  Convention.  Les  deux  corps  avaient 


414  ROBESPIERRE  TERRORISE  SES  ENNEMIS. 

porté  au  fauteuil  les  foudateurs  principaux  du  culte 
qu'il  proscrivait. 

Cependant,  aux  Jacobins,  son  autorité  était  prédo- 
minante, pour  mieux  dire,  la  seule  (dans  l'absence  de 
CoUot-d'Herbois).  La  Société  pouvait  avoir  un  mo- 
ment d'inQdélité  ;  au  fond,  elle  était  son  épouse  et 
elle  lui  appartenait.  On  l'avait  vu  spécialement  au 
19  octobre,  jour  de  crise  où  Robespierre  attaqué  de 
deux  côtés,  comme  patron  du  modérantisme  à  Lyon, 
et  des  Hébertistes  en  Vendée,  atteint  en  deux  sens 
opposés  et  par  Duboîs-Crancé  et  par  Philippeaux, 
aurait  péri  dans  l'éclat  d'une  telle  inconsistance, 
s'il  n'eût  été  raffermi  sur  l'inébranlable  base  de  la 
fidélité  jacobine.  La  Société  ne  voulut  rien  TOtr,  ni 
savoir.  Elle  fut  volontairement  sourde,  aveugle^  et 
garda  son  Dieu. 

Elle  avait  fort  changé,  mais  au  profit  de  Robes- 
pierre. Dépouillée  de  ses  grands  hommes,  recrutée 
de  gens  peu  connus,  elle  avait  sa  force  et  sa  gloire 
uniquement  dans  son  grand  Maximilien.  Elle  dé- 
pendait de  lui  bien  autrement  qu'à  l'époque  où 
d'autres  influences  contrebalançaient  la  sienne.  On 
était  très'-sûr  d'avance  que  l'épuration  jaeobinëflertût 
l'épuration  de  Robespierre  et  de  lui  seul,  que  ia 
voix,  dans  un  sens  ou  l'autre,  déciderait^  tradëhe- 
rait  tout,  qu'il  ferait  rayef  qui  il  lui  plairait*  Condi- 
tion vraiment  effrayante  pour  tous  ceux  qui,  comme 
Danton,  Desmoulins^  étaient  jacobins  amateurs^  sans 
assiduité  et  sans  influence.  Ce  n'était  pas  {totite 
chose  d'être  rayé  des  Jacobins.  La  redoutable  Sé« 


RÉSISTANCE  DE  CHAOMBTTE.  415 

eiété,  en  gardant  les  formes  d'un  club,  était  en  réa- 
lité un  grand  jury  d'accusation.  Sa  liste  était  le 
livre  de  mort  ou  de  vie.  Le  sort  de  Brissot  le  disait 
assez.  Celui  de  Basire  parlait  plus  éloquemment 
encore.  Rayé  le  10,  le  19  prisonnier.  La  radiation 
était  le  premier  degré  de  la  guillotine,  une  marche 
de  l'échafaud.  La  route  était  frayée  par  Basire; 
Danton,  Fabre,  Desmoulins,  allaient  suivre,  s'ils 
n'obtenaient  quelque  répit,  en  rejetant  le  péril  sur 
d'autres,  en  frappant  les  ennemis  de  Robespierre. 
Celui-ci  en  profita.  Par  Danton,  il  tua  Chaumette, 
et  par  Desmoulins,  Anacbarsis  Clootz. 

La  menace  de  Robespierre  tombait  d'aplomb  et  en 
premier  lieu  sur  Clootz  et  Chaumette.  Ils  ne  bran- 
lèrent pas.  L'orateur  du  genre  humain,  l'orateur  de 
Paris,  se  montrèrent  très-fermes.  Comjae  Galilée  à 
ses  juges,  ils  répondirent  :  «  Elle  se  meut...  > 

Autrement  dit  :  <  La  situation  est  la  même.  Les 
paroles  ne  changent  pas  les  réalités.  » 

Trois  réalités  crevaient  les  yeux  : 

1^  Dans  l'extrême  afifaiblissement  des  croyances 
religieuses,  les  églises  étaient  purement  le  foyer  du 
royalisme  ; 

2"  Dans  les  misères  excessives  de  la  France, 
spécialement  de  Paris  avec  ses  cent  mille  indigents, 
le  décret  rendu,  le  16,  par  la  Convention,  était  l'ex- 
pression même  do  la  nécessité  :  que  l'église  abrite  le 
pauvre  ; 

Z""  Enfin,  dans  l'anxiété  universelle  où  se  trou- 
vaient les  esprits ,  la  société  tout  entière  ne  respi- 


416   ROBESPIERRE  PROTÈGE  CONTRE  LUI  LES  COMITÉS,  ETC. 

rant  plus,  n'ayant  ni  pouls,  ni  haleine,  il  fallait 
qu'une  autorité  puissante,  au  moins  par  la  publicité , 
surveillât  l'inquisition  locale  des  comités  révolution- 
naires, inquisition  tantôt  haineuse,  tantôt  inintelli- 
gente, qui  ne  savait  rien  qu'encombrer  les  prisons 
d'hommes  enlevés  au  hasard.  Il  ne  s'agissait  pas  de 
supprimer  la  Terreur,  mais  de  la  rendre  efficace  en 
dirigeant  mieux  ses  coups. 

Ces  comités  rendaient  d'incontestables  services 
en  levant  les  réquisitions,  les  taxes  révolutionnaires. 
Cambon  demandait  seulement  qu'ils  en  rendissent 
compte.  Chaumette  demandait  seulement  qu'à  Paris 
du  moins  ils  motivassent  les  arrestations. 

Robespierre  couvrit  ces  comités  de  sa  protection, 
sous  l'un  et  l'autre  rapport.  Ils  furent  censés  rendre 
compte  au  Comité  de  sûreté  générale,  compte  secret, 
illusoire  ;  on  n'osa  jamais  l'exiger. 

Qu'arriverait-il  pourtant  si  l'on  laissait  subsister 
ce  fédéralisme  effroyable  de  quarante  mille  comités 
qui  ne  répondaient  de  rien?  Que  la  France,  déses- 
pérée de  la  tyrannie  locale ,  se  réfugierait  bientôt 
dans  la  tyrannie  centrale,  je  veux  dire  sous  la  dicta- 
ture de  ce  Dieu  sauveur,  que  prédisait,  en  août,  un 
prophète  jacobin. 

L'association  jacobine  qui  remplissait  ces  comités^ 
l'association  ecclésiastique,  parties  de  deux  points 
opposés,  allaient 'se  trouver  face  à  face,  réunies  au 
même  point  :  la  dictature  de  Robespierre. 

Le  23,  Chaumette  agit  intrépidement.  Il  obtint  de 
la  Commune  :  1"*  l'organisation  immédiate  des  se- 


CHAUMETTE  FERME  LES  ÉGLISES.  417 

cours,  logement,  nourriture,  vêtement  des  pauvres, 
par  taxes  levées  sur  les  riches  ;  2'>  la  répression  des 
mouvements  qui  se  faisaient  dans  Paris,  la  fermeture 
des  églises,  les  prêtres  déclarés  responsables  des  trou- 
bles, exclus  de  toute  fonction.  On  profita  d'une  absence 
de  Chaumette  pour  ajouter  de  tout  ouvrage^  disposi- 
tion inhumaine  qu'il  fit  effacer. 

Il  montra  la  même  fermeté  pour  les  comités  révo- 
lutionnaires, leur  reprochant  d'oublier  que  la  Com. 
mune  était  leur  auteur,  leur  centre  et  leur  unité, 
disant  qu'ils  sectionnaient,  fédéralisaient  Paris  en  je 
ne  sais  combien  de  communes.  «  Ils  suivent  leurs 
haines  personnelles,  dit-il,  ils  s'attaquent  aux  patriotes 
autant  qu'aux  aristocrates...  Apprenons-leur  que 
tous  les  hommes,  y  compris  nos  ennemis,  appar- 
tiennent à  la  Patrie,  et  non  pas  à  l'arbitraire.  Et 
quand  nous  porterions  nous-mêmes  la  tête  sur  l'écha- 
faud,  nous  aurions  fait  un  grand  acte  de  justice  et 
d'humanité.  » 

Il  ajoutait  ces  mots  très-forts  qui  tendaient  à 
liguer  la  Commune  et  la  Montagne  :  «  Rallions- 
nous  à  la  Convention...  Qu'ils  sachent,  nos  ennemis, 
qu'il  nous  reste  encore  une  cloche,  et  que,  s'il  le 
faut,  elle  sera  sonnée  par  le  peuple.  » 

Ce  fut  de  la  Montagne  même,  à  laquelle  Chau- 
mette faisait  appel,  que  Robespierre  tira  de  quoi 
l'écraser.  Danton,  inquiet  de  l'épreuve  qu'il  allait 
subir  aux  Jacobins  (et  qui  fut  terrible  en  effet), 
s'assura  par  ce  service  l'assistance  de  Robespierre. 
La  Convention  ,  étonnée ,  vit ,   le  26  novembre  , 

VI.  " 


418       DANTON  EMPLOYÉ  À  ÉCRASER  CHAUMBTTE. 

un  nouveau  Danton  ,  robespierrisé ,  qui  parlait 
de  Y  Être  suprême  (mot  tout  nouveau  dans  sa 
bouche),  des  mascarudes  religieuses  que  l'Assem- 
blée ne  devait  plus  souffrir.  Au  milieu  toutefois  de 
ce  discours  politique ,  sa  nature  perçant  les  meâr 
songes 7  il  ouvrit  son  cœur,  parla  de  clémence^ 
d'Henri  lY,  et  qu'un  jour  le  peuple  n'aurait  plus 
besoin  de  rigueur.  Là  même,  il  nuisit  encore*  Cette 
échappée  irréfléchie  d'une  clémence  impossible  dépas* 
sait  tout  à  coup  la  mesure  de  la  situation,  qui  excluait 
la  clémence,  demandait  la  jmtice ,  une  justice  mr* 
veillée  y  sérieuse,  efficace,  celle  que  la  Commune 
voulait  exiger  des  comités  révolutionnaires. 

Ce  discours,  sautant  d'un  extrême  à  l'autre^  pa»^ 
sant  par-dessus  la  raison,  pouvait  se  traduire  ainsi  : 
Restons  aujourd'hui  dans  le  terrorisme  absurde, 
vague,  inefficace  où  nous  sommes;  nous  serons  clé- 
ments demain. 

Coup  terrible  pour  Chaumette.  Il  fit,  le  38,  un 
discours  sur  la  tolérance,  la  limitant  toutefois  à  per- 
mettre aux  croyants  de  louer  des  maisons  et  de  ptxjfér 
leurs  ministres  (ce  qui  réservait  tout  entier  le  décret 
du  16  :  l'Église  aux  pauvres);  faisant,  de  plus, 
garantir  par  la  Commune  qu'elle  ferait  respecter  la 
volonté  des  sections  qui  avaient  renoncé  au  cuUe 
catholique.  Il  fut  arrêté ,  que  le  4  décembre ,  au 
soir^  les  comités  révolutionnaires  paraîtraient  à  la 
Commune. 

Le  4  décembre,  au  matin,  dans  la  Convention, 
Billault-Varennes,  avec  l'aisance  et  la  facilité  royale 


ROBESPIERRE  ARRACHE  A  L'ASSBMB.  LA  LIBERTÉ  DBS  CULTES.  419 

d'un  homme  qui  tient  la  machine  à  décrets^  s'égaya 
iur  la  sensibilité  de  Chaumette,  et  obtint  qu*aucun6 
autorité  ne  convoquât  les  comités  révolutionnaires^ 
sous  peine  de  dix  ans  de  fer. 

La  Commune  fut  écrasée^  mais  les  Comités  de 
gouvernement  n'eurent  pas  la  victoire  entière.  Le  6^ 
Merlin  de  Thionville,  Thuriot,  Dubois-Crancé,  sai- 
sirent une  occasion  pour  faire  ressortir  avec  force 
rimpuissance  absolue  où  était  le  Comité  de  sûreté 
générale  de  réformer  les  erreurs  des  quarante  mille 
comités  de  France.  Le  Comité  résista.  Mais  il  fut  aban- 
donné par  le  Comité  de  salut  public.  Sa  puissance^  en 
réalité,  se  trouva  réduite  à  peu  près  à  Tenceinte  de 
Paris.  Il  fut  accordé  que,  dans  les  départements,  les 
comités  révolutionnaires  motiveraient  les  arresta- 
tions non  prévues  par  la  loi  des  suspects,  et  que  les 
représentants  qui  seraient  sur  les  lieux  jugeraient^ 
dans  les  vingt-quatre  heures,  de  la  validité  de  l'ar- 
restation. 

Au  prix  de  cette  concession  apparente  (elle  n'eut 
nulle  application),  Robespierre  obtint  de  l'Assem- 
blée la  liberté  des  cultes. 

Le  catholicisme,  gêné,  violenté  localement,  acci- 
dentellement, n'en  eut  pas  moins  dès  lors  la  loi  pour 
lui.  Il  n'osa  rouvrir  ses  églises.  Mais  qu'importe? 
Ayant  la  loi  de  son  côté,  et  n'ayant  contre  lui  que 
les  violences  fortuites  du  peuple  des  villes,  il  at- 
tendit patiemment.  Il  était  à  l'état  solide  (je  veux 
dire  comme  squelette),  et  la  Révolution^  comme 
nouveau-née  et  vivante,  était  à  l'état  fluide,  mobile 


.m  ROBESPIERRE  ARRACHE  A  L'ASSEMB.  LA  LIBERTÉ  DES  CULTES. 

et  bieD  plus  attaquable.  L'autre,  en  dessous,  avait 
les  femmes,  et  les  politiques  en  dessus,  qui  aiment 
tous  la  religion  de  l'obéissance. 

Robespierre,  probablement,  ne  voyait  rien  de  tout 
cela.  Il  suivait  son  instinct  gouvernemental  ;  il  croyait 
se  rallier  le  grand  peuple  qui  marchait  derrière  Gré- 
goire :  le  catholique  républicain,  le  dévot  de  Vautorité 
dans  la  liberté  (le  non-sens  le  plus  complet  qu'on  ait 
pu  trouver  encore). 

Comment  se  fit  cet  étrange  traité  du  6  décembre, 
où  la  Convention,  pour  une  modification  douteuse 
dans  l'arbitraire  des  comités,  subit  cet  énorme  et 
monstrueux  démenti  à  tout  ce  qu'elle  avait  fait  î 

1^  Parce  qu'elle  était  légère,  indifférente  à  ces 
profondes  questions  ; 

2°  Parce  que  Cambon,  se  voyant  seul,  lâcha  pied; 

3*"  Parce  que  Danton  était  mort. 

Il  était  mort  aux  Jacobins,  soutenu,  protégé,  avili 
par  Robespierre.  Il  avait  reparu  le  3,  l'indigne,  Tin- 
fortuné  Danton,  justiciable  d'une  Société  toute 
changée,  abaissée,  où  personne  n'avait  plus  le  sens 
ni  le  respect  du  passé.  Devant  ces  juges  impo- 
sants ,  Danton  parla ,  dit-on ,  avec  une  éloquence, 
une  véhémence  extraordinaires  ;  mais  personne 
n'écouta ,  et  personne  n'a  écrit.  Ce  qui  est  sûr, 
c'est  qu'il  fut  obligé  de  faire  appel  à  la  sensibilité, 
à  l'amitié,  tranchons  le  mot,  à  la  pitié...  Il  avait 
déjà  dix  pieds  dans  la  terre...  Robespierre  lui  ten- 
dit la  main;  il  y  eut  dix  pieds  de  plus. 

Le  jour  où  la  liberté  catholique  fut  décrétée  à  la 


HÉBERT  KENIE  CUAUMETTE.  4^1 

Couveutioii,  Hébert  comprit  que  Chaumette  était 
fini,  et  le  7,  il  le  fit  renier  aux  Cordeliers,  procla- 
mant qu'il  était  étranger  aux  tentatives  de  Chau- 
mette contre  les  comités  révolutionnaires.  Le  11,  il 
fit  lui-même  en  personne  aux  Jacobins  la  palinodie 
la  plus  éclatante,  assurant  qu'il  avait  toujours  con- 
seillé la  lecture  de  TÉvangile  «  aux  habitants  des 
campagnes,  >>  qu'après  tout  c'était  un  bon  livre,  «  et 
qu'il  suffisait  d'en  suivre  les  maximes  pour  être  un 
parfait  jacobin.  j> 

Chaumette,  trahi  par  Hébert,  justement  puni 
d'avoir  subi  une  telle  amitié,  courut  aux  Corde- 
liers, s'excusa,  dit  que  «  s'il  avait  désiré  que  les 
comités  donnassent  leurs  motifs  aux  gens  arrêtés, 
c'était  uniquement  pour  empêcher  les  vengeances 
personnelles  ;  qu'au  reste,  il  n'avait  rien  fait  que  de 
concert  avec  Anacharsis  Clootz.  »  Il  se  raccrochait  à 
l'apôtre,  au  prophète  des  Cordeliers,  à  l'homme  que 
les  Jacobins  avaient  fait  leur  président.  Et  il  n'y  avait 
plus  ni  apôtre,  ni  prophète,  ni  président.  Ce  même 
soir  du  12  décembre,  pendant  que  Chaumelte  attes- 
tait le  nom  de  Clootz  aux  Cordeliers,  Clootz  péris- 
sait aux  Jacobins,  conspué,  avili,  détruit  par  une 
furieuse  attaque  de  Robespierre,  qui  le  chassa  de  la 
Société. 

Pour  expliquer  cette  versatilité  prodigieuse  des 
Jacobins,  il  faut  savoir  que  Clootz,  miné  par  le  renie- 
ment d'Hébert,  parla  chute  de  Chaumette,  avait  été 
le  11  percé,  transpercé  d'un  pamphlet  de  Desmou- 
lins. Portant  en  lui  l'aiguillon  de  la  guêpe  envenimée, 


422  DESMOULINS  EMPLOYÉ  A  ÉCRASER  GLOOTZ. 

il  arriva,  le  12  au  soir,  faible,  chancelant,  vacillant, 
et  trouva  tous  les  Jacobins  armés  du  pamphlet  ter* 
rible  ;  ces  choses,  les  plus  aiguës  qui  soient  dans  la 
langue  française,  peuvent  s'appeler,  d'un  nom  précis, 
l'assassinat  par  la  Presse.  Robespierre  trouva  son 
homme  mûr  pour  la  mort^  suffisamment  attendri, 
mortifié;  avec  infiniment  de  grâce  et  de  facilité,  il 
enfonça  le  couteau. 

Il  savait  que  Clootz  était  tué  d'avance  ;  Camille  lui 
avait  lu  son  œuvre.  Ce  grand  artiste,  très-faible, 
incarnation  misérable  de  la  faiblesse  du  temps,  était 
dans  un  accès  de  peur.  Et  c'est  ce  qui  lui  donnait  une 
force  incroyable  :  la  peur  de  tous  était  en  lui.  La 
violente,  l'ignoble  séance  où  Danton  faillit  périr, 
mordu  des  plus  vils  animaux,  avait  ébranlé  le  cer^ 
veau  du  pauvre  Camille.  Il  n'avait  de  religion  que 
Danton  en  ce  monde  ;  Danton  de  moins,  il  périssait. 
Il  se  jeta  à  corps  perdu  du  côté  de  Robespierre,  qui 
avait  défendu  Danton,  l'embrassa  comme  un  autel, 
<  0  mon  cher  Robespierre,  ô  mon  vieux  camarade 
de  collège,  »  etc.,  etc.  Camille,  et  Danton,  peut-être, 
se  figuraient  follement,  comme  on  croit  ce  qu'on 
désire,  qu'ils  feraient  entrer  Robespierre  dans  leur 
complot  de  clémence.  La  douceur  de  Coulhon  à 
Lyon  et  quelques  autres  indices  en  donnaient  un 
faible  espoir.  Sur  cet  espoir  incertain,  ils  lui  donnè- 
rent sur-le-champ  un  gage  réel  et  solide,  l'abandon 
complet  de  la  question  religieuse,  et  la  mort  de 
Clootï. 

Souvenons-nous  que  Camille,  le  premier  écrivain 


ROBESPIERRE  FORGE  LES  JACOBINS  DE  CHASSER  CLOOTZ.  4^ 

du  temps,  était  un  peu  bègue,  partant  très-timide, 
incapable  de  plaider  sa  cause  devant  cette  illus- 
trissime assemblée  des  Jacobins.  Il  fallait  que  quel- 
qu'un parlât  pour  lui;  il  espérait,  s'il  frappait 
Clootz,  que  ce  quelqu'un  secourable  serait  Robes- 
pierre. Il  écrivit,  imprima  «  que  le  Prussien  Clootz 
était  cousin  de  l'Autrichien  Proly,  »  fils  du  prince  de 
Kaunitz,  «  que  Clootz  et  Chaumette  étaient  deux 
pensionnaires  delà  Prusse,  »  etc.,  etc. 

Ce  pamphlet  était  d'autant  plus  cruel,  que  la  veille 
de  la  publication,  on  avait  guillotiné  les  Vandeny ver, 
amis  et  banquiers  de  Clootz. 

La  besogne  de  Robespierre  était  bien  simplifiée. 
Il  fondit  comme  l'épervier  sur  un  oiseau  lié  d'avance, 
mordit  la  proie  par  l'endroit  tendre,  celui  qui  irritait 
l'envie,  appelant  Clootz  un  baron  prussien  do  cent 
mille  livres  de  rente  (en  réalité,  il  en  avait  douze, 
placéesen  biens  nationaux) .  Du  reste,  il  suivit  Desmou- 
lins, se  moqua  du  citoyen  du  Monde,  de  \di République 
universelle.  Parmi  ces  basses  risées,  brillait  un  mor- 
ceau pleureur  dans  le  genre  du  crocodile  :  ci  Hélas  ! 
malheureux  patriotes  !  Nous  ne  pouvons  plus  rien 
faire,  notre  mission  est  finie...  Nos  ennemis,  élevés 
au-dessus  de  la  Montagne,  nous  prennent  par  der- 
rière... Veillons  !  la  mort  de  la  Patrie  n'est  pas  éloi- 
gnée I  » 

Ce  mouvement  calculé,  cette  voix,  visiblement 
fausse,  détonnait  horriblement.  La  Société  restait 
morne,  inerte  comme  une  pierre.  Mais  le  pauvre 
Clootz,  en  véritable  Allemand ,  au  lieu  de  se  défendre, 


i^  ILS  GAUDEiNT  GAMiLm  DESMOULINS. 

était  en  contemplation  de  cet  étrange  événement,  en 
admiration  de  cet  homme.  «  Il  parlait  comme  Ma- 
homet, dit  Clootz  (dans  la  brochure  qu'il  publia).,. 
Moi,  je  me  disais,  pendant  qu'il  débitait  son  roman, 
ce  que  le  Juif  Orobio^  prisonnier  de  l'Inquisition, 
disait  dans  les  cachots  de  Yalladolid  :  <  Est-ce  bien 
toi,  Orobioî  — Mais  non,  je  ne  suis  point  moi...  » 

Puis,  sans  aigreur  ni  rancune,  s' adressant  à  sa 
patrie  d'adoption,  à  cette  pauvre  France  malade  de 
cet  étrange  besoin  de  se  faire  et  refaire  des  dieux,  il 
lui  dit  ce  mot  de  génie,  dont  elle  a  si  peu  profité  : 
«  France  !  guéris  des  individus  !  d 

Les  Jacobins  montrèrent  qu'ils  étaient  une  société 
bien  disciplinée.  Croyant  ou  ne  croyant  pas  le  roman 
de  Robespierre,  ils  suivirent  leur  chef  de  file,  et, 
sans  mot  dire,  rayèrent  Clootz. 

Camille  avait  fait  pour  Clootz  ce  qu'il  avait  fait  pour 
les  Girondins.  L'enfant  terrible  leur  avait  tordu  le 
cou,  sauf  à  les  pleurer  ensuite.  Tout  le  monde  l'avait 
vu,  la  nuit  du  30  octobre,  pleurant,  s'arrachant  les 
cheveux.  Et  voilà  pourquoi  il  avait  tant  besoin,  le 
1 3  décembre,  de  l'appui  de  Robespierre. 

Il  y  croyait.  Il  se  trompait.  Robespierre  le  laissa 
froidement  barbouiller  dans  son  embarras,  patauger 
dans  son  bégaiement.  Enfin,  comme  les  femmes  qui 
trouvent  de  la  force  dans  leurs  larmes  et  leur  faiblesse, 
voilà  tout-à-coup  le  bègue  qui  parle  rapidement... 
Un  mot  lui  jaillit  du  cœur  :  «  Oui,  je  me  suis  sou- 
vent trompé  !..  Sept  des  vingt-deux  furent  mes  amis. 
Hélas!  soixante  amis  vinrent  à,  mon  mariage  ;  tous 


ILS  GARDENT  CAMILLE  DËSMOULINS.  425 

sont  morts  ou  émigrés  !•••  Il  ne  m* en  reste  que 
deux,  Robespierre  et  Danton,  »  Un  silence  général 
se  fit,  un  silence  ému,  plein  de  larmes...  Chacun 
étouffait. 

Il  avait  vaincu.  Robespierre  vint  alors  à  son  se- 
cours; il  rappela,  avec  une  inconvenance  cruelle 
pour  cet  homme  gracié,  a  Qu'il  avait  été  l'ami  des 
Lameth,  des  Mirabeau,  des  Dillon,  mais  qu'enfin, 
s'il  se  faisait  des  idoles,  il  était  prompt  à  les  briser. 

Glootz  fut  chassé,  Camille  admis.  Ce  qui  revenait 
au  même.  Tous  deux  allaient  à  la  mort. 

Un  pouvoir  terrible  avait  apparu  dans  ces  deux 
séances,  terrible  surtout  par  le  vague  et  l'indécision. 
On  n'avait  rien  objecté  de  sérieux  à  Clootz,  sauf  une 
hérésie. . .  «  Clootz  a  toujours  été  en  deçà  ou  au  delà  de 
la  Révolution.  »  Et  ailleurs  :  a  Rien  ne  ressemble  plus 
au  fédéraliste  que  le  prédicateur  intempestif  àe  l'indi- 
visibilité. »0n  pouvait  donc  errer  de  deux  manières  : 
être  hérétique  par  le  degré  ou  seulement  par  le 
temps,  par  le  défaut  d' à-propos.  Qui  pouvait  répondre 
de  trouver  justement  la  ligne  précise  où  il  fallait  se 
tenir  pour  marcher  droit  dans  la  voie  du  salut  révo- 
lutionnaire ?  La  Révolution  étant  devenue  cette  chose 
fine  et  déliée,  la  règle  étant  si  délicate,  si  difficile  à 
déterminer,  une  casuistique  nouvelle  commençait, 
un  arbitraire  infini  sur  les  cas  particuliers.  Nul  des 
plus  fervents  dévots  de  Robespierre  n'était  bien  sûr 
d'être  pur.  Et  comment  savoir  dès  lors  qui  devait 
vivre,  qui  devait  mourir? 

Ces  choses  étaient  de  nature  à  faire  profondément 


ii6   ROBESPIERRE  YECT  EXIGER  PE  LA  CONVENTION,  ETC. 

sooger  la  Convention,  Elles  lui  prêtèrent  le  courage 
de  rejeter  violemment  l'opération  analogue  que  lui 
proposait  Robespierre. 

Ou  se  rappelle  qu'Israël,  voulant  massacrer  les 
Benjamites  au  passage  du  Jourdain ,  leur  fit 
prononcer  Shiboleth^  et  quiconque  prononçait  mal 
était  mis  à  mort.  C'est  une  opération  dans  ce  genre 
que  Robespierre,  le  15  décembre,  demandait  qu'on 
fit  subir  à  la  Convention,  aux  suppléants  pour  com* 
mencer.  Les  historiens  robespierristes  assurent  (et  je 
les  en  crois)  que  tous  les  membres  auraient  subi  cette 
épreuve.  Il  s'agissait  de  faire  dire  k  chacun  sa  pro- 
fession de  foi  sur  tous  les  événements  de  la  Réyolutioo, 
Des  dissentiments  innombrables  auraient  éclaté,  le 
fractionnement  réel  de  la  Convention  eût  été  visible 
et  sa  faiblesse  palpable  ;  toute  coalition  pour  la  Répa*- 
blique  et  le  droit  de  TÂssemblée  serait  devenue 
impossible. 

Romme ,  irréprochable  lui-^mème  et  qui  eût  pu 
parler  haut,  sentit  le  coup,  et  s'empara  de  la  propo- 
sition en  la  resserrant,  bornant  tout  à  ces  questions: 
€<  Que  pensez-vous  du  6  octobre?  du  21  juinf  du 
jugement  de  Capet?  de  Marat?  »  La  Convention 
adopta  ;  puis,  sur  la  demande  de  Thibaudeau,  ré- 
tracta l'adoption,  déclina  toute  profession  de  foi  :  ce 
qui  signifiait  qu'en  cas  de  coalition  contre  la  dictar- 
ture,  la  Montagne  appellerait  à  elle  les  nuances  les 
plus  opposées,  ce  qui  eut  lieu  en  thermidor, 

La  carrière  de  l'épuration  où  se  lançait  Robes- 
pierre devait  le  mener  très-loin. 


IL  FAIT  MAINTENIR  LES  PRÊTRES  DANS  LA  SOCIÉTÉ  JACOBINE.  4f7 

Le  10,  ÂnacharsisGlootz  est  indigne  d'être  jacobin. 
Le  12,  Camille  Desmoulins  en  est  trouvé  digne  & 
grand'peine.  Le  16,  on  en  exclut  les  nobles,  des 
nobles  comme  Antonelle,  chef  du  jury  contre  la  reine 
et  contre  les  Girondins.  Mais  on  n'exclut  point  les 
prêtres. 

Robespierre  ,  qui ,  deux  jours  avant ,  dans  une 
adresse  à  l'Europe  «  contre  le  philosophisme,  »  ex- 
cusait la  Révolution  :  <&  Nous  ne  sommes  pas  des  im- 
pies, »  etc.,  etc.,  il  ne  le  dit  pas  seulement  ;  le  16,  il 
le  prouve,  en  empêchant  que  les  prêtres  soient  rayés  de 
la  Société. 

Et  pourtant,  combien  les  nobles  généralement  for-^ 
maient  moins  un  corps  I  combien  ils  étaient  moins 
serrés,  moins  habiles  à  combiner,  à  calculer  d'en** 
semble  leurs  efforts  et  leurs  intrigues!  Les  prêtres>  ce 
corps  redoutable,  gardien  fatal,  immuable  de  toute 
la  tradition  contre-révolutionnaire,  pour  un  serment 
(dont  ils  sont,  par  leurs  règles,  déliés  d'avance),  les 
voilà  bons  républicains,  jugés  et  acceptés  tels. 

Acceptés  au  saint  des  saints.  La  Société  épura- 
trice  qui,  dans  la  Révolution,  est  comme  le  Juge- 
ment dernier,  envoyant  les  uns  au  pouvoir,  les  autres 
à  la  mort!  elle  se  mêle  avec  les  prêtres...  Étrange 
accouplement  des  plus  hostiles  esprits  ! 

Quelle  est  cette  haute  puissance  qui  change  la 
nature  des  choses,  décide  que  le  blanc  est  noir,  que 
le  prêtre  est  républicain  ! 

Sévérité  infinie  dans  le  triage  des  amis  !  Et,  d'autre 
part,  facilité,  indulgence  pour  l'ennemi  I  N'est-ce 


4!28  CBNSURE  DES  THÉATHES 

pas  là  l'arbitraire  complet  et  le  vague  du  vieux 
système  de  la  Grâce,  du  dogme  contre  lequel  préci- 
sément s'était  faite  la  Révolution? 

Gbaumette  avait  dit  le  lendemain  du  grand  dis- 
cours où  Robespierre  releva  l'espérance  des  prêtres  : 
«  Si  vous  n'y  prenez  garde,  ils  vont  faire  des  mira- 
cles. » 

Ils  les  gardèrent  pour  la  Vendée  ^  A  Paris,  on  en 
fit  pour  eux.  Le  Comité  de  salut  public  fit  cette  chose 
miraculeuse  de  rétablir  la  censure  en  pleine  Révo- 
lution, d'interdire,  sur  les  théâtres,  non-seulement 
rimitation  des  cérémonies  catholiques ,  mais  les 
costumes  sacerdotaux.  Une  foule  de  pièces  toutes 
faites,  dans  l'attente  que  donnait  le  décret  du  16  no- 
vembre, furent  défendues  et  ne  purent  paraître. 
La  censure  s'étendit  aux  journaux,  et  l'évêque  de 
Blois  obtint  qu'on  supprimât  une  feuille  intitulée  : 
La  Confession. 

Dès  ce  jour,  les  communautés  se  rassurèrent.  Il 


^  Dans  la  Vendée  ils  abondent.  Les  guillotinés  ressuscitent  ;  des 
honoraes  montrent  à  leur  cou  la  cicatrice  rouge  de  la  guillotine.  — 
Le  diable,  sous  forme  de  chat  noir,  s'est  montré  au  fond  du  taber- 
nacle, où  un  prêtre  assermenté  allait  prendre  Thostie. — Pourquoi  les 
républicains,  à  Tune  de  leurs  victoires,  connurent-ils  si  bien  d'avance 
Tordre  de  Tarmée  vendéenne  ?  C'est  qu'un  curé  constitutionnel  a  pris 
la  forme  d'un  lièvre  pour  approcher  de  plus  près  :  on  Ta  vu  entre  deux 
sillons  ;  on  tire  en  vain  sur  le  diabolique  animal  plus  de  cinq  cents 
coups  de  fusil.  {Mémoires  manuscrits  deMercierdu  Rocher,) — Heurea- 
sementles  Vendéens  ont  à  leur  tête  un  magicien,  non  du  diable,  mais 
de  Dieu,  le  dévot  sorcier  Stofllet. 


ET  DBS  JOURNAUX  (DÉCEMBRE  98).  429 

en  existait  toujours  de  femmes  au  faubourg  Saint* 
Jacques.  Elles  ne  furent  saisies  que  le  S  thermidor, 
en  haine  de  Robespierre. 

La  confiance  du  clergé  pour  son  patron  allait  si 
loin,  qu'en  janvier,  la  messe,  les  vêpres,  chantées  à 
l'institution  de  Jésus,  s'entendaient  non*-seulement 
dans  la  rue,  mais  au  loin,  des  prisonniers  même  de 
Port-Libre,  qui  dans  leur  prison  de  la  rue  Saint- 
Jacques,  suivaient  commodément  l'office,  chanté  à 
si  grande  distance.  {Mêm.  sur  les  pris.  23  nivôse^  t.  Il, 
p.  32). 

Il  en  était  de  même  dans  la  rue  Saint-André-des- 
Arts,  où  tout  le  monde  entendait  l'office  en  passant, 
et  cela,  près  du  Pont-Neuf,  c'est-à-dire  au  centre  de 
Paris, 


FIN  DU   SIXIÈME   VOLUME. 


TABLE 


LIVRE    XI 


CHAPITRE  1. 

§  I. 

Paris  et  la  Convention. 

Misère  et  grandeur  de  la  Convention.  o 

Danger  suprême  de  la  France.  7 

Le  crime  de  la  Gironde.  8 

Y  avait-il  un  gouvernement?  9 

La  seule  force  organisée  est  dans  les  jacobins.  10 
Aspects  nouveaux  de  la  Révolution.  La  terra 

incognila.  11 
T  VI.                                                    28 


432 

La  Convention  ne  veut  rien  faire  que  la  Con- 
stitution. 16 

§  II. 

Absence  de  tout  gouvernement.  18 

§  m. 

L'armée  révolutionnaire.  25 

Comment  on  demanda  l'armée  révolutionnaire.  24 

Comment  on  éluda  l'armée  révolutionnaire.  26 

Robespierre  et  Marat  gardiens  de  l'ordre.  28 

CHAPITRE  11. 


S  I- 


La  Constitution  de  93. 

Mérites  de  la  constitution.  31 

Comment  se  fit  la  constitution.  34 

Elle  menait  à  la  dictature.  36 

Attaques  dont  elle  est  l'objet.  40 

Du  parti  prêtre  à  1»  Conveirtioft.  42 

Du  parti  contraire.  44 

Robespierre  blessa  le  parti  contraire.  45 
Robespierre  se  ralliait  trois  classes  différente»^      49 


&â8 


CHAPITRE  111. 

S  I. 

Les  Girondins. 

Opinion  des  montagnard  enf  n^hssiôiï.  50 
Efforts  de  conclliâtteft .  54 
Les  Girondins  se  perdent  eux-mêmes.  55 
La  Convention  pouvait-elle  traiter  avec  les  dé- 
partements? 56 
Les  Girondins  confondus  avec  les  royalistes.  57 
La  Convention  sanctionne  le  â  juin.  58 

Robespierre  entre  leà  Gifôndtm  et  lès  enragée. 

Les  robespierristes  au  comité  de  salut  public.        59 
Stratégie  de  Robespierre»  60 

CHAPITRE  IV. 

Immobilité  y  ennui. — Second  mariage  de  Danton, 

Abattement  de  Marat.  67 

Découragement  général.  69 

Danton  se  marie  dans  une  fomtlle  royaliste.  72 

Devant  un  prêtre  réfraetaiFe.  74 

CHAPITRE  V. 

Les  Vendéens. — Leur  appel  à  V étranger. 
Le  salut  de  Nantes  fut  ceiut  de  iff  FrUitce.  76 


434 

Machines  employées  pour  armer  la  Vendée.  78 

Henri  de  Larochejaquelein.  80 

Bataille  de  Saumur.  81 
Rapports  des  Vendéens  avec  l'étranger  (avril 

95).  84 

Ils  marchent  vers  Nantes.  8(> 

Ils  essayent  de  s'entendre  avec  Charelte.  87 


CHAPITRE  VI. 

Siège  de  Nantes. 

S  1. 

Noble  hospitalité  de  Nantes.  92 

Férocité  vendéenne.  95 

Nantes  appelle  à  son  secours.  96 

Anarchie  du  ministère  de  la  guerre.  97 

Les  héros  à  500  livres.  99 


§  11 

Difficulté  de  défendre  Nantes.  100 

Le  maire  Baco.  103 

Le  ferblantier  Meuris.  105 

Le  club  de  Vincent-la-Montagne.  108 

Jalousie  des  Girondins.  109 

Union  des  deux  partis.  110 


435 

Arrivée  des  Vendéens.  1 H 
Les  représentants  et  les  militaires  ne  croient 

pas  pouvoir  défendre  la  ville.  112 

La  mort  de  Cathelineau  (î29  juin  1793).  1 18 

La  guerre  change  de  caractère  (V)  juillet  95).  121 


LIVRE  XII 


CHAPITRE  I. 

Efforts  de  pacification.  —  Missions  des  dantonistes.  — 

Mission  de  Lindet. 

Comment  Danton  et  Robespierre  jugeaient  la 

situation.  425 

Missions  dantonistes.  128 

Missions  de  Lindet.  129 


CHAPITRE  IL 

Mission  de  Philippeaux, — Mort  de  Meuris. 

Mission  de  Philippeaux  (juillet  95).  133 

Mort  de  Meuris  (14  juillet  93).  141 

Baco  à  la  Convention  (2  août  93).  143 

Philippeaux  à  Nantes  (août-septembre  93).  144 

Son  catéchisme.  145 


im 


CHAPITRE  III. 
Mort    de    Marai. 


Etat  moral  de  Marat. 

U6 

Les  Girondins  à  Caeo  (jaiUet  95). 

U9 

Charlotte  Corday. 

UO 

Les  Girondins  n'eurent  aucane  influence  sur 

elle. 

\U 

Son  arrivée  à  Paris  (1 1  juillet  93) . 

i56 

La  maison  de  Marat. 

158 

Sa  mort. 

162 

CHAPITRE  IV. 

Mort  de  Charlotte  Corday. 

Interrogatoires  de  Charlotte  Corday.  163 

Charlotte  Corday  en  prison.  166 

Charlotte  Corday  au  tribunal.  168 

Ses  derniers  moments.  170 

Son  exécution  (19  juillet  93).  1 72 

La  religion  du  poignard.  174 


CHAPITRE  V. 

Min-t  de   ChaUn^^ 

La  question  lyonni»te6  était  moios  politique 

que  sociale,  177 

Les  rêveurs  de  Lyon  et  des  Alpes,  180 


487 

Le  Piémontais  Chalier. 

i82 

Ecrits  de  Chalier. 

184 

Accusations  contre  lui. 

185 

Son  caractère. 

i86 

Sa  violence  et  sa  tendresse. 

187 

Les  disciples  de  Chalier. 

188 

Son  arrestation  (30  mai  93). 

190 

Chalier  en  prison. 

191 

Son  isolement. 

192 

La  Convention  intervient. 

195 

Mort  de  Chalier  (16  juillet  93). 

194 

Dernières  paroles  de  Chalier. 

196 

CHAPITRE  VI. 

Règne  anarchique  des  héber listes.  —  Danton  demande  un 

gouvernement. 

Enterrement  de  Marat.  i  98 

Le  Père  Duchesne  succède  à  VAmi  du  peuple.  200 
Tyrannie  des  hébertistes  aa  ministère  de  la 

guerre.  202 
Robespierre  uni  aux  hébertistes   contre  les 

enragés.  204 
Echecs  de  nos  armées  (juin-juillet).  206 
Extrêmes  dangers  (août  95).  208 
Décrets  violents  (!•'  août  93).  209 
Le  Comité  de  salut  public  agissait  peu  encore.  210 
Danton  veut  que  le  Comité  se  constitue  gou- 
vernement. 212 
Le  Comité  décline  la  responsabilité.  214 


a38 

CHAPITRE  VII. 

Fête  du  4  0  août  93. 


Les  fédérés  du  10  août  93. 

215 

Ouverture  du  I^uvre. 

217 

Musée  des  monuments  français. 

218 

Gomment  les  partis  divers  se  caractérisaient. 

219 

Grandeur  et  terreur  dans  la  fête  du  10  août 

93. 

220 

Sombre  effet 

222 

Incidents  cyniques. 

223 

Les  colosses  de  plâtre. 

224 

LIVRE    XIII 


CHAPITRE  I. 

Le  gouvernement  se  constitue.  Carnot, 

Les  Anglo-Âutrichiens  réunis  marchent  vers 

Paris.  2S9 

Barrère  fait  entrer  Carnot  au  Comité  de  salut 

public.  234 

Opposition  de  Robespierre.  239 

Robespierre  accuse  le  Comité  de  trahison.  S40 

CHAPITRE  II. 

La  réquisition.  —  Victoire  de  Dunkerque. 

Élan  des  Fédérés  qui  entraînent  les  Jacobins.      243 
Danton  seconde  l'élan  des  Fédérés.  246 


439 

La  France  apparaît  comme  peuple  militaire.  247 
Elle  était  relevée  dans  l'estime  par  le  siège  de 

Mayence.  248 

Custine  avait-il  trahi?  250 
Carnot  croit,  comme  Custine,  que  la  Prusse 

agira  peu.  251 

Carnot  devine  Jourdan,  Hoche  et  Bonaparte,  252 

Victoire  de  Dunkerque.  254 

CHAPITRE  III. 

Complots  royalistes. — Toulon. 

Les  royalistes  livrent  Toulon  aux  Anglais.  255 

Leur  joie  imprudente  à  Paris.  289 

Complots  pour  délivrer  la  reine.  260 

Les  royalistes  poussent  l'émeute.  261 

Inaction  des  autorités  et  de  Robespierre.  263 

Faiblesse  du  Comité  de  salut  public.  264 

CHAPITRE  IV. 

Mouvement  du  4-5  septembre. — Lois  de  la  Terreur, 

Point  de  départ  du  mouvement.  266 

Mouvement  du  4,  au  soir.  268 

Embarras  des  Jacobins.  270 

Robespierre  ne  vient  pas,  le  5,  à  la  Convention.  271 
La  Commune  dut  s'entendre  avec  les  danto- 

nistes.  272 

Intimider  Basire.  273 
Comment  Chaumette  exploite  le  mouvement 

du  5.  ^  274 

Triomphe  de  la  Commune  (5  septembre).  275 


m 


CHAPITRE  V. 

Toute-puissance  des  héberttstes  dans  la  Vendée. 

— Leur  trakiicn. 

Division  d'Hébert  et  Chaumette.  277 

Collot  et  Billau(}  au  Comité.  279 

Danton  refuse.  280 

Les  hébertistes  dans  la  Vendée.  281 

Jalousie  de  Ronsin  contre  Klébar.  285 

Il  est  soutenu  aux  Jacobins  par  Robespierre.  284 

Trahison  de  Ronsin  pour  faire  périr  Kléber.  285 

Kléber  et  Tarpiée  de  Mayence.  287 

Le  journal  de  Kléber.  289 

Kléber  écrasé  à  Torfou,  29i 

CHAPITRE  VI, 

Robespierre  compromis. — Sa  victoire . 

Violence  des  hébertjstes,  293 

Loi  des  suspects  (17  septembre  93).  295 

Désespoir  de  Danton,  296 

Les  hébertistes  dénoncés.  297 

Victoire  de  Robespierre  à  la  Convention*  298 
Maître  de  la  justice  et  de  la  policô,  il  essaye  de 

la  modération.  304 

CHAPITRE  VIL 

Modération  des  robespierristes  à  hyon, 

Robespierre  terrorise  par  Saint- Just  (10  oc- 
tobre). 309 


441 

Pendant  qu'i)  pacifie  par  Cauthon  (S-âO  oc- 
tobre) .  3i  4 

CHAPITRE  Vni. 

Mort  de  la  reine.  Victoire  de  Watignies. 

Procès  de  la  reine  (14-46  octobre  95).  518 

Blocus  de  Maubeuge.  521 

Position  de  Watignies.  525 

Attaques  inutiles  du  15  octobre.  324 

Effort  désespéré  du  16  octobre.  526 

La  victoire.  529 

CHAPITRE  IX. 

Suite  de  Lyon.^^Mort  des  Girondins. 

La  victoire  sauve  Robespierre  de  Colloj;  et  de 

Philippeaux.  550 

Procès  des  Girondins  (24-50  octobre  95).  555 

On  étouffe  le  procès  par  un  décret  (29  octobre).  541 

Mort  des  Girondins  (50  octobre  95).  544 

Faible  effet  de  l'exécution.  345 

Mort  de  madame  Roland  (8  novembre  95).  546 

Mort  de  Roland.  547 


LIVRE  XIV 


CHAPITRE  I. 

La  Révolution  n  était  rien  sans  la  révolution  religieuse. 

Pourquoi  échoua  la  Révolution.  55! 

Comment  elle  fut  devenue  une  création.  554 


442 

Impuissance  des  Girondins  et  des  Jacobins.  355 

Les  Cordeliers  Clootz  et  Chaumette.  356 

Registres  de  la  Commune.  359 

Admirables  inspirations  d'humanité.  361 

CHAPITRE  II. 

Calendrier  républicain.  -—Culte  nouveau. 

Pour  la  première  fois^  l'homme  eut  la  mesure 

du  temps  y  etc.  366 

L'année  commencée  aux  semailles.  368 

Austérité  du  calendrier  de  Romme.  369 

Fête  astronomique  à  Arras  (10  octobre  93).  370 
Fabre  d'Eglantine  trouve  les  noms  des  mois  et 

des  jours.  371 
Raison,  Logos,  Verbe  de  Platon.  372 
Romme,  Clootz  et  Chaumette.  374 
Chaumette  fait  créer  le  Conservatoire  de  mu- 
sique. 375 
Opposition  de  Chaumette  et  d'Hébert.  376 
Chaumette  combat  le  fédéralisme  tyrannique, 

etc.  377 
11  veut  supprimer  le  salaire  du  clergé.  378 
11  obtient  l'égalité  des  sépultures  379 
Action  contradictoire  d'Hébert  et  Chaumette.  380 
La  Convention  suit  le  mouvement  de  la  Com- 
mune. 38i 

CHAPITRE  UI. 

Fête  de  la  Raison, 

L'évèque  de  Paris  et  autres  résignent  leurs 
fonctions.  385 


443 

Ils  s'appuient  de  la  résistance  de  Grégoire.  585 
Irritation  de  Robespierre.  .  386 
Accord  de  Chaumette  et  de  la  Convention.  587 
Fête  de  la  Raison  à  Notre-Dame  (10  novem- 
bre 95).  588 
Basire  réclame  contre  l'asservissement  de  TAs- 

semblée  et  contre  Tavilissementde  la  justice.  589 
La  Convention  reçoit  la  Raison  et  la  suit  à 

Notre-Dame  (1 0  novembre).  594 

CHAPITRE  IV. 

La  Convention  pour  le  nouveau  mouvement. 

La  Convention  donne  les  églises  et  presby- 
tères, etc.  596 
Elle  supprime  l'hérédité  du  crime.  398 
Hébert,  isolé  de  Chaumette,  attaque  les  Con- 
ventionnels. 401 
La  Convention  se  rapproche  de  Robespierre.  403 
Terreur  des  représentants  en  mission.  404 
La  monarchie  des  Comités  (18  novembre).  406 
Mouvement  des  filles  publiques,  etc.  408 
La  Convention    accueille  les  dépouilles    des 

églises.  409 
Robespierre  assure  que  la  Convention  ne  tou- 
chera pas  au  catholicisme  (21  novembre).  410 

CHAPITRE  V. 

Papauté  de  Robespierre. 

Robespierre  terrorise  ses  ennemis.  413 

Résistance  de  Chaumette.  41 1 


444 

Robespierre  protège  contre  lai  fes Comités,  etc.  416 

Chaumette  ferme  les  églises.  4\  7 

Danton  employé  à  écraser  Chanmette.  418 
Robespierre  arrache  à  TAssembléc  la  liberté 

des  cultes.  419 

Hébert  renie  Chaumette.  421 

Destnoulms  employé  à  écraser  Clootz.  422 

Robespierre  force  les^ JacobinS'  de  chasser  C!6ol/f.  423 

Us  gardent  Camille  lyesfûoulîns.  424 
Robespierre  veut  exiger  de  la  Convention  un 

credo  précis.  426 
II  fait  maintenir  les  prêtres  dans  la  société 

jacobine.  427 
Censure  des  théâtres^  et  des  jotirnaux  (dé-^ 

cembre  93).  429 


FIN  DD   TOME  VI. 


Paris.— Imprimerie  Bonaventure  el  Ducesioir.  SÎT  qtiai  des  Grand^-A\i^uUins 


Errata. 

Livre  XIII,  page  277,  au  lieu  de  chap.  VU,  Usez  chap.  V. 

—  page  293,  au  lieu  de  chap.  YIII,  lisez  chap.  VI. 

—  page  509,  au  lieu  de  chap.  IX,  lisez  chap.  VU. 

—  page  318,  au  lieu  de  chap.  X,  lisez  chap.  VIII. 

—  page  330,  au  lieu  de  chap.  XI,  lisez  chap,  IX. 


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