PIIHCHTOIJ *\
THÏOLOGICAL ,
Ç56)
Division..'
Section..
No —
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in 2014
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HISTOIRE
D E
LA SORBONNE.
...
HISTOIRE
D E
LA SORBONNE;
DANS
laquelle on voit l'influence de la Théologie
sur l'ordre social.
TOME SECOND.
Opinionum commenta delet dits , naturœ judicia confirmât.
Cic. de nat. deorum. lib. i.
Par M. l'abbé D U V E R N E T.
A PARIS.
Cher Buisson , hôtel Coetlosquet , rue Haute-feuille*
1790.
HISTOIRE
D E
LA SORBONNE.
TOME SECOND.
CHAPITRE XXXVIII.
La Sorbonne dégrade Henri III. Extra- 1589.
.vagance des Parisiens. Emprisonnement
du Parlement. Procédure criminelle contre
Henri HT. Excès des prêcheurs. Exhor-
talioji aux Parisiens.
X-.es ligueurs épouvantes et sans chef, ont Décret de
recours à la Sorbonne': c'est à ce tribunal la ^J*500"
de conscience à diriger leurs démarches. Ils 17 janv.
lui demandent , par une reqtiêtt! , le parti
qu'ils ont à prendre, et la Sorbonne répond
à leur demande en déliant les Français du
serment de fidélité , en les autorisant à
prendre les armes contre Henri de Valois :
elle approuve comme légitimes tous ies
Tome II, A
2 Les Parisiens égarés
moyens de défense. L'assassinat n'en est pa«
exclu. Le décret de la Sorbonne devient
une règle de conduite pour les confesseurs ,
pour les prédicateurs , et pour le peuple qui ,
quand il n'est pas instruit, ou , ce qui est en-
core pire, quand, il est mal instruit , se laisse
toujours mener en aveugle, et par ceux qui le
prêchent , et par ceux qui le confessent.
Les suites du décret de la Sorbonne furent
Extrsvs-
gances des affreuses. Le peuple , dans son égarement ,
Parisiens. 6e cro[t tout permis. On couvre de boue ,
on mutile les statties de Henri III ; ses armes
et ses écussons sont foulés aux pieds : on
brise ses sceaux. Les cordeliers et les jaco-
bins avaient dans leurs maisons Henri III
en peinture. Les premiers lui cliaufourent
le visage , et les dominicains lui coupent la
tête. Les augustins livrent son portrait à la
populace , qui le traîne ignominieusement
dans les mes. Les mausolées de marbre qu'jl
a élevés à Saint-Maigrin , à Qitelus , à Mau-
giron sont renversés , et leurs tronçons dis-
persés. L'université mène ses écoliers à
Sainte -Geneviève en. procession : chaque
enfant , en entrant dans l'église , renverse
son cierge , l'éteint avec le pied en criant :
Dieu éteigne la mce des Valois. Des figures
de cire , représentant Henri III, sont placées
par la Sorbonne. 3
sur l'autel pendant la messe. Le prêtre ,
mêlant aux paroles mystérieuses de la con-
sécration , des évocations abominables , fait
chaque jour une piquure à ces représenta-
tions ; et le quarantième jour il les pique au
cœur , espérant par cette sacrilège momerie
envoûter , c'est-à-dire , faire mourir le
Valois. Les fureurs qui agitent les Parisiens
se répandent dans toutes les provinces. Tou-
louse , après Paris , fut la ville qui se signala
davantage par ses emportemens : l'effigie de
Henri III y fut pendue à un gibet , ensuite
traînée dans les rues , tandis que le peuple
égaré criait : à cinq sous notre tyran.
Point de couvens , point d'associations ,
point de confrairies qui ne rendent des
devoirs funéraires au duc et au cardinal de
Guise. Le tableau de leur mort est exposé
dans les églises à la vénération des peuples.
Les prédicateurs ne parlaient de ces deux
séditieux que comme de deux martyrs. Les
chaires retentirent souvent de ces paroles :
ô saints et glorieux martyrs ! béni soit le
ventre qui vous a portés , et les mammelles
qui vous ont allaités. A Toulouse on leur
érigea deux statues qu'on plaça aux portes
d'une église ; on les faisait pleurer , et le
A x
4 Parlement mis à la Bastille.
peuple imbécille , à gejioux devant ce»
statues , les embrassait et les invoquait.
La mère et la sœur des Guise assassinés
demandent à grands cris vengeance aux
Parisiens : enlonghabit de deuil elles avèrent
de maison en maison , de couvent en cou-
vent solliciter cette vengeance. Le parlement
la refuse ; mais le duc d" Au maie , le décret
de la Sorbonne à la main, veut le forcer à
déclarer la guerre à Henri de l aîois. La
Sorbonne , l'organe des seize, décide qu'on
peut se saisir de douze magistrats. Deux
seize , escortés d'une trentaine de satellites ,
parmi lesquels étaient des prêtres et des
moines déguisés , en cuirasse et le pistolet à
la main , ayant à leur tête Bussi le-clerc , se
rendent à la grand-chambre. Bussi fait la lec-
ture du nom de ceux qui , dit-il , sont mandés
à la maison-de-ville : à peine eut-il nommé
le président du Harlai que tous les conseil-
lers se lèvent : il leur ordonne de descendre
de leur siège et de le suivre. Il les mène à
la Bastille à travers une populace qui , égarée
par ses théologiens , les suit en tumulte , les
chargeant d'injures et de malédictions.
Le jésuite Commolet leur fut donné à la
Bastille pour le? prêcher. Le-, ligueurs relâ-
chèrent les magistrats imbécilles ou fana-
Requête contre Henri III. 5
tiques qui pouvaient les seconder. Les mai-
sons de ceux qu'ils retinrent prisonniers
furent pillées, et s'il faut en croire les mé-.
moires du tems , plusieurs docteurs de Sor-
bonne eurent part au butin.
Un nouveau parlement fut créé , et le
faible Brisson voulut bien en être le premier
président. L'un des premiers attenta s de ce
parlement fut de recevoir le peuple et les
héritiers des Guise parties contre Henri III.
La requête qu'ils présej itèrent porte : « que
» Henri de Valois , dit le Tessa Ionien , pour
» raison de l'assassinat commis ès illubtris-
» slmes personnes de messietirs les duc et
» cardinal de Guise , sera condamné à faire
s» amende honorable , tête et pieds nus , la
P> corde au cou , une torche ardente à la
3> main , assisté du bourreau, les genoux en
33 terre ; il déclarera à l'assemblée des états ,
7* à tort et sans raison , avoir commis cet
x> assassinat; il demandera pardon à Dieu,
3> à la justice et aux états-, sera déclaré in-
<» digne de la couronne de France ; sera
v» banni et confiné à perpétuité au couvent
pi des. hièronimîtes de Vincenncs , pour y
» jeûner au pain et à l'eau le reste de ses
> jours , et que pour salaire d'un si mauvais
6 Serment de l'union.
>» acte on dise de lui, rcx fuit, nunc asinus i
33 il fut roi , il n'est plus qu'un âne 33.
$0 Janv. La cour des pairs fut convoquée en par-
lement : chaque membre de. cette assemblée
jura de venger le sang des Guise. Ce jure-
ment fut appellé le serment de V uni on. On
en dressa un formulaire que trois cent vingt»
• six fanatiques souscrivirent.
Le lendemain de ce serment le parlement
ordonna , à la requête de Catherine de
C fèves , l'instruction du procès contre l'as-
sassin du duc de Guise. Cette instruction
fut imprimée , et pour qu'elle en imposât au
sot peuple , elle fut revêtue de l'approbation
de deux docteurs de Sorbonne.
Le rapport des deux commissaires nommés,
Michou et Courtiii , fut contre Henri III*
Le procureur-général Mdté conclut , dit-on,
conformément à leur rapport. On ignore la
teneur de l'arrêt : on ne sait même s'il fut
rendu. Les feuillets des registres du par-
lement furent déchirés. Ce qui est vrai, c'est
que cette procédure fut précipitée. La cohue
du nouveau parlement n'était pas moins
furieuse y dit le Grain, que les prédicateurs.
Tandis que le parlement jugeait son roi ,
les ligueurs faisaient une enquête de sa vie
Enquête contre Henri III. 7
privée. On dressa un procès-verbal de tous
les faits absurdes qu'on put recueillir contre
lui ; et lequel procès-verbal fut signé do
plusieurs docteurs de Sorbonne , entr'autres
du docteur Génébrard , malheureux prêtre
ou moine dont nous parlerons dans la suite.
Pendant ces jours d'anarchie en France ,
Henri III et les ligueurs avaient leurs en-
voyés à Rome. Les uns et les autres étaient
prosternés aux pieds de Six te V. Les uns ,
au nom de Henri III , lui demandaient und
absolution du meurtre du cardinal de Guise ;
les autres , en lui montrant le décret de la
Sorbonne , le sollicitaient d'excommunier
le Valois.
C'est en attendant cette excommunication
que les ligueurs exposaient aux yeux du pu-
blic des tableaux infâmes contre Henri III.
Les uns le montraient dans l'attitude d'un
homme flagrant de luxure ; les autres sous
l'accoutrement d'un sorcier qui fait des évo-
cations magiques. Enfin on en voyait où il
était représenté en pentalon , velu d'une
longue tunique parsemée de diables. On
anagrammatisait son nom de vingt manières ;
on y trouvait crudelis //jenna. Les uns y
voyaient vilain. Uerodes , et les autres
A 4
8 Lincestre calomniateur,
dehors le vilain. "Tous les écrits, totis les
sermons étaient ornés de ces anagrammes.
La scélératesse des prêcheurs enchérissait
encore sur 1rs rumeurs populaires. C'était. à
l'envi qui dégorgerait plus d'impostures
contre ce roi infortuné. Un sermoneur, en
prêchant les déportemens du V dois , pré-
tendit qu'il était un Turc par la tele , une
Jiarpie par les mains , et un diable en l ame.
Le docteur Lincestre , surnommé le dé-
jnoniaque , se distingua par des excès dont
on ne trouve point d'exemple dans l'histoire
d'aucun peuple. Le mercredi des cendres il
annonce à ses auditeurs qu'il ne parlera point
de l'évangile du jour , mais des gestes abo-
minables du tyran de Valois. Il s'étendit fort
au long sur le culte que ce tyran rendait aux
faunes et aux satyres. Les figures de ces
divinités pnyennes , gravées sur des chan-
deliers , lurent le fondement de cette ca-
lomnie abominable. Il so/lit l'un de ces
chandeliers, et montrant à ses stupides au-
diteurs les satvres qui y étaient cizelés : voilà,
dit le docteur Lincestre , voilà ses dieux ;
c'est ceux-là. qu'il adore et qu'il invoque.
Ce chandelier était un des ornemens ia
chapelle de Vinçonnet; que les ligueur* avaient
Lincestre séditieux. r>
pillée , et que pendant tout le carême* les pré-
dicateurs montrèrent tour-à-tour au peuple.
C'est ce même docteur de Sorbohue qui ,
après la mort des Guise , donna le premier
le signal de la révolte. Il prêchait à Saint-
Bartheîemi ; et après avoir dépeint le Valois
comme un Tyran , un homicide , un barbare ,
un magicien, dont on devait se délivrer , fît
jurer à ses auditeurs , pour guerroyer le
Valuis , d'employer jusqu'au dernier denier
de sa bourse , ot de verser jusqu'à la dernière
goutte de leur sa; g. Il termina cette atroce
philippique en criant : ce jurez-le tous avec
v> moi , et levez la main en s;gne de votre
m serment. Levez aussi la main , M. le presi-
» dent , et levez-la bien haut , afin, que tout
» le monde la voie ».
Ce président était le sage du Hurlai ; aux
cris du fanatique prêcheur , il leva la main.
Pardonnons-lui cette faiblesse que son cœur
désavouait. Mais au lieu de Lever la main ,
il eût été grand à lui d'élever la voix , d'op-
poser la sainteté des loix aux maximes in r-
nales de la Sorbonne prèchées par ce mal-
heureux docteur qui avait Mni de fois désho-
noré le tribunal de la vérité pur d'abomina-
bles mensonges.
ïo Femmes et filles violées.
Tandis que les prêtres, à leur gré , échauf»
fant et maîtrisant l'imagination du peuple ,
l'excitaient à la vengeance et au désordre ,
Mayenne vint à Paris. Les seize scélérats
qui y donnaient la loi lui déférèrent d'abord
le titre de lieutenant-e;énéral de la couronne
de France ; le parlement le lui confirme.
Mayenne eût désiré le titre de roi ; la
fougueuse duchesse de Montpensier , sa
sœur , le pressait à le prendre ; mais il n'en
eut pas le courage : il attend tout des évè-
nemens qu'il ne sait ni préparer ni diriger.
Il souffre pourtant qu'on expose publique-
ment son portrait , avec une couronne impé-
riale sur la tête.
Les deux rois de France et de Navarre mar-
chent à Tours : c'est là qu'ils doivent ci-
menter cette union qui fit le salut du peuple
français , et dont Sulli avait été le médiateur.
Mayenne , le duc et le chevalier àtAumale
accourent pour prévenir la jonction des deux
rois, mais déjà ceux-ci étaient maîtres de
Tours. Mayenne et à'dumale s'emparèrent
des fauxbourgs ; les cruautés qu'ils y exer-
cèrent font frémir l'humanité : les femmes
et les filles y furent violées , les églises dé-
pouillées et polluées , les catholiques pillés
Discours contre la Sorbonne'. lï
et massacrés ; à'Aumale força dans un gre-
nier un enfant de douze ans , lui tenant un
couteau sur la gorge.
Après cette terrible expédition d e brigands ,
îls se replièrent sur Paris , dont ils dévastè-
rent les alentours , exterminant tous ceux
qu'ils soupçonnaient être du parti du roi ;
par-tout où ils passèrent , ils laissèrent les
traces du carnage , du sacrilège , et de la
débauche la plus honteuse.
Le discours dont nous allons transcrire
l'abrégé donnera à nos lecteurs une idée
des calamités déplorables de ces tems-là ,
et nous fera connaître l'une des principales
sources de ces calamités.
« C'est à vous , catholiques de Paris , ca-
y> tholiques rebelles qui marchez sous la ban-
jo nière de Lorraine et de l'Espagne , que je
a» m'adresse.
w Pauvres misérables , de quelles fureurs
» êtes-vous agités ? Je ne vois qu'avec
» dépit les infamies que vos prédicateurs
s» dégorgent contre votre roi. La chaire sert
» aujourd'hui de degrés pour se venger de
►» ses ennemis. La superstition emprunte 1©
s» nom de dévotion , et sous couleur de reli-
>» gion ils prêchent en un saint lieu ce
la Discours contre;
» qu'on ne dirait sans être puni, en tin bor-
» deau et en une taverne ».
Minutius Ft'l'uc disait à Marc-Aurele }
nous prions j ournelle ment pourvotre majesté.
Que dirait ce bon et chrétien philosophe ,
s'il voyait nos prédicateurs défendre, sous
peine d'excommunication , de prier Dieu
|>our notre roi et pour les princes de son
sang, et encourager les assassinats? Voilà le
moyen de faire des Salcede , des Girard ,
dont les rois auront plus à se garder que des
armées ennemies.
« En quelle école , vénérable Lincestre ,
y> avez-voiis appris qu'il faille émouvoir le
» peuple à répandre le sang , et à conspirer
r> contre son prince ? Si vous eussiez été
» parmi des Pàyens , il y a long-tems que
oo vous auriez épousé le gibet
» Ces trompettes de satan ont abusé le
» peuple, pour le précipiter en l'abîme de
» rébellion : ce sont des maîtres es arts crot-
» tés qui mouraient de faim. Ils ne prêchent
» pas la parole de Dieu ., parce qu'ils ne
» l'entendent pas -y ils brayent comme des
*> ânes bâtés, parce qu'ils ne sauraient par-
oi 1er en hommes lettrés ; ils entretiennent
tb lu révolte , parce que votre union serait
les prédicateurs et les tJuïologUns. i3
to leur ruine. Cependant , les uns gagnent
33 une cure , comme le docteur Pigenat ,
33 les autres une abbaye , un prieuré , un
» évêché , selon que plus ou moins ils font
33 de services aux usurpateurs de la cou-
33 ronne. Ils partagent le pillage des maisons
*> qui appartiennent aux serviteurs du roi.
33 C'a été le malheur de ce royaume , qu'il
» n'y ait jamais eu de grandes divisions
>j qu'on ne se soit servi du ministère des
33 prédicateurs. Du tems de Henri d'Angle-
» terre , ils lurent achetés à beaux deniers
» comptai! s , pour faire descendre les An-
>3 glais en France , et y allumèrent un feu
33 qui ne s'éteignit qu'après la mort, de plus
33 de cent mille Français.
33 Fie V , dont on honore la mémoire ,
33 envoya aux galères vingt-deux prédica-
33 teùrs , dont toirt le crime était de se mêler
33 des affaires d'état. C'est ainsi qu'il aurait
33 fallu arrêter les prédications scandaleuses
30 cou ire votre roi
33 Mais, dites-vous , le roi est excommunié
3» parce qu'il a fait mourir ces deux grands
33 princes de la ligue Il fallait, ajou-
33 tez-vous, (aire leur procès : cela était desi-
a» rabie ; mais qui eût cte les accusateurs ?
i4 Discours contre les
>j qui eût informé et décrété ? qui les eut
>» arrêtés ? qui eût instruit ce procès crimi-
»> nel ? enfin , qui eût exécuté le jugement?
» vous vous fussiez soulevé pour les arr.a-
33 cher à la mort , parce que vous étiez sé-
33 duits par vos prêcheurs. Eussiez - vous
33 laissé conduire à la Grève celui que , le
» jour des barricades , vous vouliez couron-
33 ner ? // ne faut pas tant lanterner, disiez-
»3 vous , mais mener Monsieur à Reims. . . .
3> Le tems , père de la vérité , doit nous
53 avoir fait connaître les intentions des chefs
33 de la ligue. Que le grand Turc mette la
33 couronne sur la tête du duc de Mayenne ;
w il prendra le turban dès le lendemain ,
>3 le fera porter à tous ceux de la ligue , et
»3 au lieu d'évangile les fera croire à l'al-
>3 cor an.
33 C'est à faire à des badauts de penser que
33 des brigands, des voleurs , des assassina-
33 teurs aient aucune religion. Ce sont de
33 vrais athéistes. A qui en veulent-ils? Aux
33 protestans. Non ; mais à tous ceux qui
33 ont de l'argent et qui leur ont déplu.
33 Deux cents , tant villes que bourgades
3» prises , pillées ou ruinées , étaient -elles
>» huguenotes ? Tant de magistrats , d'ecclé-
prédicateurs et les théologiens. l5
» siastiques, de gentilshommes , d'artisans,
» massacrés ou emprisonnés étaient - ils hu-
» guenots ?
» Sont -ce des actes de catholicisme que
» yos troupes ont faits quand elles ont con-
3î traint les prêtres de baptiser des veaux ,
*> des moutons et des cochons ? Sont-ce des
» actes de catholicisme que votre régiment
» de Comeronde a fait dans l'Anjou , en brû-
3» lantles portes d'une église , en massacrant
33 aux pieds d'un crucifix un homme qui se
3s plaignait qu'on avoit violé sa femme au
3» même lieu? en accoutrant les garces qui
r> étaient à sa suite des ornemens des sain-
33 tes r en faisant ses ordures dans le béni-
33 tier? Sont-ce des actes de catholique , lors-
33 qu'un soldat affublé des vêcemens sacer-
33 dotaux , ayant les mains encore teintes de
33 sang , communia vingt de ses camarades
33 agenouillés devant lui ? ... .
« Les exploits de votre chevalier & Au-
» maie étaient-ils actes de catholique , quand
33 il pollua un couvent de nonnes , dans la
33 rue Saint-Antoine ? quand dans les faux-
>3 bourgs de Tours , il prostitua aux soldats
33 les femmes et les filles des citoyensabsens?
>3 quand, en ayant découvert quarante ca-
ï6 Discours contre la Sorhonne.
v> chées clans un caveau, il les i'v toutes violer
» dans l'egi ise , en présence de leurs maris ,
de leurs pères et de leurs mères r quand
» lui-même, dans un galetas , il déflora un
» enfant de douze ans , lui mettant un poi-
x> gnard sur le sein ? . . . .
33 Connaissez-donc , ô Français ! que vous .
33 êtes abusés par les impostures de vos chefs.
33 Pensez que vous êtes vendus par vos traî-
33 très prédicateurs qui vous ont prêché le
33 sang , la vengeance, la rébellion , etqui,
33 au lieu de la parole de Dieu , vous ont
» nourris de La doctrine des diables, etc
Rendons grâce à l'homme de lettres qiii
fit cette pathétique exhortation aux Fran-
çais : il rendit à ses contemporains un plus
grand service que le vulgaire des lecteurs
ne pense. Jl est bien vrai que par cet écrit
il ne détrompa que peu de citoyens , que la
Sorbonne par ses décrets en égarait beau-
coup davantage. C'est le sort de la vérité de
ne faire que peu de prosélites. Sa marche est
très-lente , et l'erreur est rapide dans sa
course (îj.
CHAPITRE
CHAPITRE XXXIX.
Nouveau décret de la Sorbonne contre
Henri III. Sixte V l'excommunie. Ha-
rangue à la Sorbonne.
JF/ev/î / III f ainsi que nous l'avons vu , est
déclaré déchu de la royauté par la Sorbonne.
Chaque sujet, sur la foi de ses prêtres, se croit
libre ; et dans le nombre de ceux qui se
croient libi-es, plusieurs aspirent à l'i.onnettr
de lui percer le sein. Ils sont encouragés à
l'assassinat comme à un acte de vertu héroï-
que. Les docteurs leur montrent le ciel pour
prix du meurtre de leur roi. Le peu de ma-
gistrats qui soient fidèles gémit dans les
fers. Les partisans de^ Guise , échappés de
leurs prisons , sèment la révolte dails les
quatre coins du royaume.
Henri III sans courrçe , sans argent et
sans troupes , effrayé* de l'orage qui s'élève
de tous côtés, a pris le seul parti qu'il avait
à prendre pour conserver sa couronne et
pour sauver la nation Française du joug de
la maison de Lorraine et de l'avilissement
Tome IL B
%8 "Nouveau décret de la Sorbonne.
où elle serait peut-être encore plongée, si les
Guise en eussent usurpé le trône.
Déjà les deux Henri marchent vers Paris.
Les ligueurs épouvantés font de nouveau in-
tervenir la Sorbonne. Ils espèrent, en don-
nant un nouveau degré d'exaltation au fana-
tisme , conjurer , ou tout au moins éloigner
la tempête qui les menace. La Sorbonne, qui
a déjà délié les Français du serment de fidé-
lité à Henri III veut encore , par un nou-
veau décret , empêcher que ceux qui lui res-
tent attachés prient pour lui. Les prédica-
teurs ouvrent le ciel aux assassins de ce roi ,
et la Sorbonne ouvre l'enfer à tout bon ci-
toyen qui,dans l'intérieur de sonc.œur,adres-
sera pour lui des vœux à Dieu : elle enjoint 1
aux prêcheurs d'annoncer au peuple qu'il ne
peut, sans être excommunié et damné, prier
Dieu pour Henri de Valois. Dans ce second
anathême elle comprend les princes de la
maison de Bourbon.
Cependant toutes les opérations pour châ-
tier Paris , les ligueurs et leurs prêtres , sont
arrêtées. La noblesse de toutes les provinces,
malgré les décrets de la Sorbonne , accourt
sous les enseignes de Henri III. Ce roi, à la
tête de quarante mille soldats conduits par des
Pusillanimité de Henri III. 19
chefs aguerris , et ayant Henri de Navarre
pour son appui , ne craint plus d'être dé-
trôné ; mais son ame timide est dominée par
une au[re crainte , par celle de l'excommu-
nication. Les canons de la ligue , dit-il , lui
font moins de frayeur que les foudres de
Home. Il ose avouer en plein conseil cette
faiblesse qui , de nos jours , déshonorerait
une ame commune. Enfin , cette excommu-
nication sollicitée par Pellevé arrive enfin
en France. Il faut vaincre , dit le héros de
Navarre et vous serez absous. Si vous êtes
battu y vous demeurerez excommunié , voire
aggravé et réaggravé.
Cette excommunication n'en imposa pas
à tous les Français. Les ligueurs s'en servirent
pour aiguiser les poignards du fanatisme ;
mais il y eut des gens de bien assez éclai-
rés , des hommes de lettres citoyens qui su-
rent la mépriser. Pour penser , ils n'atten-
daient ni que Rome excommuniât, ni que la
S orbonne lançât des décrets. Parmi ces hom-
mes instruits il y en eut un qui essaya de
ramener ses contemporains à la sagesse et à
l'obéissance.
La harangue qu'il adressa à la Sorborme
CSt peu connue, et mérite de l'être beaucoup.
B a
2,0 Sage harangue
Nous transcrirons ici ce morceau rare et pré-
cieux , et le lecteur nous le pardonnera. Il
vient à l'appui de ce que nous avons dit des
tnéologieus de ces tcms malheureux, M. An-
quetilp dans son esprit de la ligue , n'en parle
pas ; c e -t pourtant dans cette harangue
que se trouve tout l'esprit de la ligue.
Harangue d'un bon citoyen à la Sor-
bonne.
« C'est «\ vous , Messieurs de la Sorbonne ;
*> que j'adresse la parole ; à vous qui seuls
» êtes cause de tous nos maux ; qui en vos
» cliaires et assemblées avez médit de votre
33 roi ; qui avez déclaré le peuple absous du
si serment de fidélité ; qui par votre conseil
33 avez donné occasion aux mutinés de violer
3» le vrai et saint domicile de justice , et qui
33 avez mis les armes à la main à quelques
33 brigands pour le déshonorer. Il est expé-
33 dient qu'on sache comment vous vous y
33 êtes comportés.
33 L'avarice, l'ambit ion, le ventre vous ont
>3 fait abover des bénéfices. Pour|y,parvenir,il
3» a fallu monter en chaire et y faire conte-
33 nance de vérités. Pour tenir cette conte-
33 nance , il n'a point fallu épargner les
à la Sorbonne. 21
5? grands , non pas même le roi et son con-
w seil , et ê es pat ce moyen de simples mi-
j> nistres ecclésiastiques conseillers d'état.
« Le simple peuple de celte ville , le plus
»> doux et le plus obéissant de la terre quand
» il trouve des conducteurs qui le mènent
s> à son devoir, a estimé ue vous lui disiez
33 la vérité. Vousl'avez invité par vos injures
y» Oïdinaires de les répeter tout à son aise
?> en son particulier. De cette licence de mé-
a* dire et d'ouir mal pnrler de son prince
3î est venu le mépris d'icelui. L'on est venu
53 aux murmures et menées steretres, delà à
33 la misérable révolte que nous voyons au-
33 jourdhui.
33 Je laisse cette complainte pour conférer
33 avec vous en théologiens , et je vous de- *
33 mande , Messieurs de Sorbonne , de qui
33 avez-vous pris conseil et exemple pourfor-
33 mer votre décret ?du Saint-Esprit en l'hon-
33 neur de qui vous avez célébré la messe ?
33 Mais il vous eûtmontré Jesus-Christ, pen-
33 dant sa vie et à sa mort , portant honneur
33 à son prince , quoiqu'il eût à ses ordres
33 plus de légions que Tibère n'avait d'horn-
» mes.
33 Je viens aux apôtres. Nommez-en un
13 3
22 Sage harangue
?> seul qui ait pu servir d'exemple à votre fa-
s> culte de théologie , pour justifier les fu-
>5 reurs extraordinaires auxquelles elle s'est
ai livrée. Quelques persécutions qu'ils aient
33 souffertes en leur religion , ont-ils jamais
33 prêché aux peuples de se tenir absous du
33 serment de fidélité qu'ils devaient à leurs
» empereurs ?
si Voyons maintenant la primitive église :
33 et vous , théologiens , qui faites des décrets
33 contre votre roi , soyez instruits en votre
33 ignorance. Cette église primitive fut plon-
33 gée jusqu'au cou en l'obéissance des em-
33 pereurs. Elle endura de leur part mille in-
33 dignités , et elle ne dressa jamais de ré-
33 volte contr'eux.
33 Je passerai encore plus outre... Exami-
33 nons quel a été l'état et le département de
33 votre faculté par le passé. Feuilletez vos
33 annales , et vous trouverez qu'environ
>3 1408 votre faculté a publiquement dé-
33 fendu l'homicide perpétré en la personne
33 du duc & Orléans , et qu'elle maintint ce
33 prince bien et duement tué , et que là-des-
33 sus elle employa le verd et le sec , c'est-à-
33 dire , tout autant de raisons qu'elle put
>3 trouver. Si votre faculté fut alors si ingé-
à la Sorbonne. a3
» ïiieuse que de défendre une mort si in-
» juste , pourquoi trouve-t-elle étrange que
» le roi ait fait justice des chefs de la sé~
aa dition ?
» Apprenez , Messieurs , de combien il
33 est plus sûr de tenir le parti de votre roi
■>-> que de faire les 'foux au milieu de la po-
» pulace Ne regardez pas ce qui est ad-
■» venu , mais à la cause . Admirez la patience
» de votre roi , qui , pendant plusieurs an-
33 nées , a laissé agir les séditieux. Ils faisaient
» des ligues dehors du royaume ; ils pre-
» naient pensions et argent de l'étranger, lui
» révélaient le secret de la couronne .... Cha-
» cun trompé par vos sermons , délaissait
33 le roi pour les suivre. Ils voulaient que le
33 roi leur rendît compte de son administra-
is tion ; ils avaient semé contre lui des livres
33 injurieux et diffamatoires , rendu le nom
33 du roi odieux ; ils disputaient le trône de
» France Enfin , ils tuaient le roi , si le
33 roi ne les eût prévenus.
33 Je vois bien , Messieurs , par ce grand
» épanchement de larmes que vous cause la
33 mort des Guise , par toutes les fêtes que
33 vous solemnisez , parles injures que vous
x> faites au roi , et par toutes vos extravagan-
B 4
*4 Sage har.tvgw
» ces, que s'ils l'eussent tué, vous eussiez
» pris vos robés de joie et chanté le T<?
s> jyeum.
33 Quand je considère votre faculté , qui
33 eles-vous , Messieurs, pour excommunier
35 votre prince , et le déclarer privé de la
•>-> royauté ? Faites - nous* apparoir des pri-
î> vilèges qiti vous autorisent k vous mêler,
5' comme souverains , des affaires du royau-
33 me ; vous , Messieurs , qui êtes la plupart
33 pedans et ignorans des affaires de cette
» importance.
33 Examinons plus amplement la forme de
5s votre décret. Vous déclarez les sujets dô
33 ] frnri III quittes de l'obéissance envers
33 lui , qu'ils peuvent s'armer contre lui en
33 bonne conscience Jesus-Christ ne vou-
33 lut se mêler du crime d'adultère , encore
33 que ce fût contre une personne privée ; et
33 votre Sorbonne ose décider des alfa i res
» des plus importantes du royaume , de la
33 capacité ou de l'incapacité de votre prince,
» du devoir du peuple envers son roi !
35 Quel remède à tant de maux dont vous
» êtes les auteurs r II est facile à trouver ce
33 remède. Ass unb'.cz-vous derechef à votre
» école de Sorbonne. Comme c'est votre dé-
à la Sorï>onne. %5
y* cret qui soulève le peuple , formez-en un
» contraire qui le contienne. Criez : vive
35 le roi Heurt. III devant cette populace
33 effrénée, et vous verrez aussi-tôt dissiper
» ce nuage de séditieux. Vous réintégrerez
» le mariage du peuple avec le roi, que vous
33 avez dissous. Jusqu'ici vous avez été les
33 séducteurs du peuple ; il faut dorénavant
33 en être les- docteurs (a) ».
L'avis étoit bon ; c'était celui d'un homme
sage : mais il fut inutile parce qu'il fut
adressé à des insensés. Il ne ramena à l'obéis-
sance que très-peu de personnes , et les dé-
crets de la théologie française les précipi-
taient en foule dans la révolte.
(.;) Ce discours est un des monumens les plus pré-
cieux des teins de la ligue. Nous l'avons prodigieuse-
ment raccourci , mais lui avons laissé toute sa force.
Nous nous sommes aussi permis de substituer , mais
sans jamais altérer le sens , à des tournures alors d'u-
Sage , des tournures plus modernes. Nous avons un peu
rajeuni des expressions qui avaient prodigieusement
vieilli.
i>,6
CHAPITRE XL.
Henri III assassiné par un moine dominé
cain.
Xjes deux rois excommuniés , Henri III et
Henri IV , sont déjà près de Paris. L'ivresse
du fanatisme où ses docteurs l'ont plongée
en a fait une ville rebelle et coupable : ses
citoyens , égarés par la superstition , n'en
savaient point encore assez pour vouloir
être un peuple libre , en respectant leur roi.
Ils n'étaient que d'insensés fanatiques , et
l'honneur de la liberté ne leur était point en-
core dû : ils allaient être soumis et rappelles
à l'obéissance ; mais un jeune moine nommé
Clément , idiot , sombre , inélan colique , et
qu'on avait dressé à l'assassinat , les enfonça
encore plus dans le bourbier des malheurs
où ils étaient déjà plongés.
On avait souvent vu ce jeune moine s®
mêler avec la populace , l'exhortant à dé-
fendre la religion , et ne lui parlant que
d'exterminer les tyrans et les hérétiques.
Son zèle , poussé jusqu'à la fureur , l'avait
Abominable charlatanisme. 27
fait surnommer le capitaine Clément. Ce
sobriquet flattait son orgueil et exaltait son,
mauvais cerveau. On lui fit recevoir la prê-
trise ; et ce nouvel état ne fit qu'accroître sa
haine pour Henri III qu'il regardait comme
un roi assassin dévoué à l'anathême.
Les confrères de Clément , pour donner
un dernier degré de fermentation à son
fanatisme , firent intervenir le ciel. On pra-
tiqua une ouverture à sa cellule ; un moine
entouré d'une auréole éblouissante, et tenant
à la main un glaive nud , descend pendant
les ténèbres de la nuit dans cette cellule.
Le bruit et la lumière réveillent le capitaine
Clément : dans l'agitation et le bouleverse-
ment de ses idées , il ne s'appercoit pas quo
c'est un moine devant lui. Ce fantôme écla-
tant lui paraît réellement un ange. Jacques ,
lui dit-il , je suis messager du tout-puissant
qui te vient acertenir que par toi le tyran
de France doit être mis à mort. La cou-
ronne du martyre t'est préparée ; prépare-
toi aussi. Le fantôme disparoît , et Clément
effrayé de sa vision court chez Bourgoin
son prieur : celui-ci. l'entretient de l'hon-
neur que Dieu lui fait de le choisir pour
exécuteur de ses décrets , et le renvoie au
28 Clément encouragé
père Brusseau qui avait la réputation d'être
un saint. Brusseau le confirme dans son
fanat'sme , en lui parlant de Judith qui eni-
vra et coucha avec Ilulopherne pour lui
couper là tête ; de Jahel oui enfonça un
clou dans la tête àe Sisara , après lui avoir
donné l'hospitalité ; à\éod qui tua le roi
Eglon , et de tant de saints meurtres qui
embellissent l'his:oire juive , et dans la-
quelle , quand on a le bonheur d'avoir une
foi un peu vive , l'on voit visiblement le
doigt de Dieu.
Frère Clément ne douta plus de sa voca-
tion ; il se prépara à l'assassinat du roi par
le jeûne , l'abstinence et la prière. Une nuit
qu'il était en oraison à l'église , des moines
cachés derrière le maître autel lui Crient ,
par le moyen d'une sarbacane , et d'une voix
majestueuse , Jacques Clément tue le roi :
cette dernière imposture consomma son éga-
rement. Il ne doute plus qu'il ne soit charge
des intérêts du ciel ; il se confesse et com-
munie ; on le présenie à Mayenne , à d' Au-
male , à la duchesse de Montpensier : l'ange
lui a promis le martyre : Mayenne lui pro-
met un évêché. On assure que sa sœur pro-
mit à ce jeune moine des plaisirs plus
(} tiier Henri III. 29
convenables à la vigueur de son tempéra-
ment déjà eml:rasé par le jeûne , l'absti-
neiïce et la superstition : on veut même
qu'elle l'en ait* enivré ; mais peut- on établir
des laits historiques sur des rumeurs popu-
laires ?
Frère Mcrgy fut chargé d'acheter le
couteau dont Clément devait se servir pour
assassine! ■ Henri III. Ce couteau, qu'on paya
deux sols , fut consacré avec de certaines
cérémonies : on le Irotta, dit Flavin (a) ,
avec du lard , du jus d'oignon , et d'autres
drogues qui devaient donner une vertu
immanquable.
Ainsi donc le capitaine Clément, armé
du saint couteau par Burgoing son prieur ,
rassuré par les conseils de Brusseau son con-
fesseur et docteur en théologie, muni d'une
lettre surprise à du Harlai. alors enfermé
à la bastille, va à S. Cloud où était Henri III,
bien sûr, s'il le poignarde, d'avoir ou l'au-
réole des martyrs , ou un évêché , ou les
faveurs d'une belle femme. Toutesces choses
semblent s'exclure mutuellement dans une
{a) Liv. 15. pag. 419.
3o Le fanatique CîJment
tête saine ; mais dans le cerveau bouleversé
d'un moine ivre et idiot , tout s'arrange
comme il peut ou plutôt rien ne s'arrange,
et il marche à son but eu insensé.
Le moine arrive à S. Cloud ; on l'exa-
mine , on l'interroge , on semble se défier
de lui ; mais il répond à propos , et la sim-
plicité de ses réponses ne dément point sa
mine hypocrite. Ces réponses ne sont pour
la plupart que des mensonges ; mais vingt
exemples consacrés dans l'ancien testa-
ment l'autorisent à mentir pour ce qu'il
croit la cause de Dieu. On le fait souper, et
l'inquiétude augmente ; avant son coucher ,
on demande à voir ce que contiennent ses
poches. Voilà , dit-il ingénuement , mon
couteau et mon bréviaire : pendant la nuit
on le visite ; il était profondément endormi;
son bréviaire était ouvert à l'histoire de Ju-
dith. Cette circonstance devait faire naître
des défiances ; mais le profond sommeil où
est plongé ce fanatique tranquillise tous
ceux qui sont chargés de l'observer.
Le lendemain , le moine est admis à l'au-
dience du roi : il se met à genoux pour pré-
senter la lettre du président de Harlai , et
en se relevant il plonge son couteau dans Je
Poignarde Henri III. 3i
ventre de Henri III. Ceux qui l'entourent ,
dans l'épouvante et les transports de leur
indignation , égorgent à coups d'épée ce
malheureux fourbe.
La nouvelle de la mort du roi et du moine
son assassin se répand aussi-tôt à Paris. On
arbore l'écharpe verte en signe de réjouis-
sance : on allume des feux de joie. Dans
les rues on n'entend que des chansons pour
célébrer cet événement. Les dominicains
remercient le ciel par un Te JDeum , où se
trouve un peuple immense. La duchesse de
Montpensier accourt à l'église des Corde-
liers , monte sur les marches du grand autel,
annonce la mort de Henri de Valois , et
exhorte le peuple à ne point reconnaîtra
pour roi Henri IV.
Quant au moine , le capitaine Clément ,
on en parle comme d'un héros qui s'est
dévoué à la mort pour sauver la religion et
pour délivrer la France d'un excommunié.
Son portrait est exposé à la vénération pu-
blique , et son nom inscrit dans le marty-
rologe des saints de Tordre de Saint-Domi-
nique. Les temples retentissent de ses éloges.
Les prédicateurs montrent au peuple des
tableaux où il est représenté , la palme du
02. Folie des Fajïsicns.
martyre à la main et une auréole autour de
la tête. Sa mère est appel'lée à Paris, et dans
Ja démence où le peuple est plongé , on
demande de placer la statue de Saint-Clé-
ment sur un piiier de marbre dans l'église
de Notre-Dame.
Le jour que Home apprit la mort de Henri
III lut un jour de triomphe et d'allégresse.
Sixte V, dit- on, compara l'héroïsme de
Clément au courage de Judith qui tua Ho-
loplierue. On ajoute même que ce pape ,
dans l'excès de sa joie , prétendit que Tin-
carnation et la résurrection ne pi'oduisirent
pas un plus grand bien sur la terre que le
couteau de C lewent. Ce propos attribué à
Sixte V n'est pas croyable ; mais l'incroyable
est souvent très-vrai.
Sur le compte de qui peut-on mettre l'as-
sassinat de Henri III ? Nous ne hasardons
rien en le mettant sur la bulle du pape qui
l'a excommunié , sur les prédicateurs qui
le calomnient , et sur la Sorbonnc qui a
délié les Français du serment de fidélité.
L'ambition et la vengeance des Guise n'é-
taient que des causes secondaires.
CHAPITRE
33
CHAPITRE XLI.
Décret de la Sorhonne contre Henri IV.
Royauté du cardinal de Bourbon. Con-
fession de Givri.
Le premier acte d'autorité de Henri IV
fut de venger la mort de Henri III. Il fît
écarteler son assassin avec son habit de
moine : son cadavre fut brûlé , et ses cen-
dres dispersées. Le même jour Jean le Roi ,
autre dominicain qui avait assassiné le com-
mandant du château de Cou^ance , fut cousu
dans un sac et jette dans la rivière.
Henri IV jugeait et punissait ces assassins
français , et n'était point encore reconnu
roi de France. Les gentilshommes remplis-
saient son camp de murmures et de clameurs :
les uns se retirèrent et allèrent se cantonner
dans leur château : les autres mirent leurs
services à l'enchère. Plusieurs disaient :
plutôt mourir que d'avoir un roi huguenot.
Sire , criait Givr i , vous êtes le roi des bra-
ves 3 et ne serez abandonné que des poltrons.
Après de longues et vives discussions , le plus
Tome II. C
84 Décret de la Sorboni^e contre HenrilV;
grand nombre prêta serment de fidélité à
Henri IV et jura de sacrifier sa vie pour le
•maintien des droits de Henri IV et de la reli»
gion catholique.
C'était peu pour Henri IV à' être reconnu
roi de France dans le camp de Saint-Cloud ;
il fallait encore conquérir ce royaume , que
l'ambition de Mayenne et le fanatisme des
prêtres lui enlevaient. Chez les Grecs et les
Romains le clergé , renfermé dans l'intérieur
des temples , gémissait sur les calamités
publiques et ne les augmentait pas. En
France , au contraire , ainsi que dans tous
les pays catholiques , on vit le clergé s'im-
miscer dans les grandes affaires d'état , et
sortant des bornes d'un ministère tout spi-
rituel , prétendre à l'honneur de les diriger.
Décret de Après la mort des Guise , nous avons vu
la Sorbon- la Sorbonne déclarer Henri III déchu de
ne contre
Henri IV. la royauté ; et quand un moine ianatique
eut poignardé ce roi, nous l'avons vu ériger
ce moine en saint et en martyr ; voyons-la
actuellement déclarer Henri IV incapable
de régner , dévouer à l'excommunication et
à la mort éternelle tout Français qui le recon*
( naîtra pour roi , lui défendre de traiter avec
le Béarnais , de lui payer aucun impôt , en.
Décrût de la Sorbonne règle de foi. 35
ou Ire exiger que tout bon catholique croie
ne pouvoir, sans offenser Dieu, reconnaître
pour roi un relaps quand même il abjure-
rait ses hérésies.
Ce décret de la Sorbonne consomma la
révolte en France : il éteignit entièrement
le remord dans toute ame timide ; on prit
les armes en conscience : on crut obéir à
Dieu en se conformant à la décision de ses
ministres. Un Français indéterminé sur le
parti qu'il doit prendre , n 'a rien à répondre
quand on lui dit : « les docteurs de la loi ont
parlé ; si c'était un crime de ne pas obéir
à Henri IV , ce crime ne vous serait pas
imputé. Ce serait le crime des prêtres que
Dieu a établis pour être vos conducteurs.
C'est à eux à discerner ce qui est bon d'avec
ce qui ne l'est pas : ils sont établis juges en
matière de religion. Obéissez donc à leur
voix sans crainte ».
Le clergé de Paris signa le décret de la
Sorbonne ; il fut ensuite envoyé dans toutes
les provinces comme une règle de foi que
tout Français devait suivre aveuglément.
Les ligueurs , appuyés de ce décret , enjoi-
gnirent de renouveller le serment de l'union.
Paris en donna l'exemple , et toutes les villes
C a
56
en reçurent l'ordre. Pour rendre ce serment
plus auguste , on y ajouta l'appareil de la
religion. Ce fut à l'église qu'on le prononça;
et après la célébration d'une messe solem-
nelle de l'église , on se rendit k l'hôtel -de-
ville où. se trouva toute la commune. On
lui pi'ésenta le décret de la Sorbonne con-
tre Henri IV. Chaque habitant mit au bas
sa signature. Ce décret devenait par-là une
vraie déclaration de guerre de l'ordre sacer-
dotal contre son souverain.
Le parlement , Mayenne , et les seize dé-
férèrent la couronne au vieux cardinal de
Bourbon : on lui donna le titre de Charles X.
La. monnaie fut frappée à son coin. Tous les
arrêts , dans les cours souveraines , furent
rendus en son nom. On leva des troupes ,
et les Français se battirent pour ce fantôme
de roi qui , du fond de la prison où il était
alors , était assez raisonnable pour rendre
hommage à Henri IV son neveu.
Mayenne , à la tête d'une armée , marche
contre Henri IV et le joint dans le pays de
Caux. Sa position était si supérieure qu'il fît
annoncer aux Parisiens , par ses couriers ,
que dans peu de jours ils verront le Béarnais
vaincu et prisonnier. D'après cet avis , de
moment en moment on l'attend lié et gar-
rotté : déjà les rues retentissent des chan-
sons insolentes contre le Béarnois ; mais le
sort en décida autrement.
Les ligueurs battus et dispersés à Arque»
le furent encore à ïvri. Le lendemain de
cette victoire mémorable , que Henri IV
appellait la journée du seigneur , il offre la
paix à Mayenne qui , n'osant ni l'accepter
ni rentrer à Paris , alla se cacher à Saint-
Denis.
Le cardinal Caetan demande à être média-
teur de cette paix ; c'était un homme vain ,
petit en tout , et ambitieux. Sixte V l'avait
envoyé en France à titre de légat , avec Bel-
larmin et quelques théologiens , en cas qu'il
fallût disputer. Une petite troupe de soldats
qui escortait ces théologiens fut attaquée et
battue sur la route. Caetan se sauva le pre-
mier et arriva à Paris en fugitif : à peine y
fut-il qu'il commença sa légation par confir-
mer tout ce que les ligueurs avaient fait.
Henri IV demande des théologiens pour
s'instruire , mais Caetan défend aux théo-
logiens de se rendre auprès de lui. Pour le
bien de la paix , Henri accepte cette média-
tien , et souffre tranquillement les hauteurs
C 3
33 Confession de Givri'.
de cet Italien. Ce n'est point par faiblesse ,*
c'est par amour pour ses peuples dont il
voudrait hâter le bonheur. Son ame , qui
s'élance dans l'avenir , voit les Français
heureux sous son règne ; et tout ce qui en
retarde la félicité , afflige son cœur.
Caetan , dans les conférences qu'il eut
avec Henri IV ' , agit moins en ministre de
paix qu'en superstitieux. Ne sachant pas s'y
prendre pour le persuader de changer de
religion , il borna son rôle à celui d'un bas
séducteur. Il tenta la fidélité de Givri qui
aimait son roi à qui il ressemblait par la
bravoure , par la franchise , par la gaieté , et
par son mépris pour les superstitieux. L'in-
sidieux Caetan n'en pouvant faire un traître ,
il essaie d'en faire un imbécille : il l'exhorte
-a demander pardon du passé.
Givri se jette aux genoux du légat , les
mains jointes , demande une absolution gé-
nérale du passé. L'Italien,énorgueilli de voir
un héros français à ses pieds , donne cette
absolution qu'on lui demande. Givri tou-
jours prosterné s'écrie : mon père , donnez-
moi encore l'absolution pour l'avenir , car
je suis tout disposé à battre de nouveau les
ligueurs*
Âpres cette plaisanterie , Gtvri se lève et
sort. Le légat honteux rougit et frémit. Les
témoins rirent de son embarras. Nous en
ririons nous-mêmes, si notre esprit n'était
pas trop profondément affecté de toutes les
extravagances que nous avons encore à ra-
conter.
4°
CHAPITRE XLII.
1 590. Nouveau décret de la Sorbonne contre Henri
IV. Blocus de Paris. Famine. Horreurs.
Montre des gens d'armes de V église mili-
tante. Du docteur Rose.
e Mai. LE cardinal Roi , surnommé Ydne rouge s
mourut en prison : après sa mort plusieurs
cohtendans prétendirent à la couronne. Le
roi d'Espagne la réclamait pour sa fdle , du
chef à\Eliza6eth , sœur de Henri III. Le duc
de Savoye la demandait pour lui , fondant
son droit sur Marguerite sa mère , sœur dô
Henri II. Le duc de Lorraine prétendait
qu'elle était due a son fils , du chef de
Claude , sœur de Henri III. Le jeune car-
dinal de Bourbon y aussi borné crue le défunt,
et dirigé dans ses démarches par des théolo-
giens , s'en croyait le légitime héritier. Les
ligueurs parlaient de la donner au jeune duc
de Guise qui était en prison. Mayenne la
voulait pour lui et n'osait la prendre : il
attendait son destin du sort des armes.
Henri IV est le seul qui ait droit au trône ,
Nouveau décret de la Sorbonne. 4*
le seul qui le mérite , et il fut le seul que le
fanatisme en exclut formellement. La mort
du cardinal de Bourbon ne hâta point sa
forttme. Les ligueurs firent de nouveau inter-
venir la Soruonne contre lui. Elle renouvella
son décret, le déclarant toujours inhabile à
régner , attendu qu'il était relaps : elle enjoi-
gnit à tous les prédicateurs de le publier en
chaire , et aux confesseurs d'exiger de leurs
pénitens une adhésion entière à son décret.
C'était se servir du sacrement de la réconci-
liation pour prolonger la révolte et la guerre :
c'est ainsi que la théologie épaississait sur les
yeux d'un peuple égaré le bandeau de la
crédulité. Les ligueurs s'adressèrent aussi au
pape , dit un historien , par l'entremise des
Sorbonistes leurs conducteurs ; et ces con-
ducteurs^ ajoute-t-il , étaient gens ignorans ,
ambitieux , sanguinaires , accoutumes à.
pédantiser dans un collège. Le pape promit
de l'argent et des hommes, mais il n'en
donna'pas. Le parlement se joignit à la
Sorbonne , et par un arrêt défendit , sous
peine de vie , de parler de paix.
Henri IV mit le siège devant Paris : cette $]„cvs je
ville n'avait alors pour garnison que quel- Vins.
ques troupes Espagnoles et quelques compa-
4^* Famine dans Tans '.
gnies bourgeoises , armées de vieux fusils
rouilles. Mayenne était absent. Hen ri pouvait
se rendre maître de Paris ; mais les suites d'un
assaut lui font horreur. Il aime mieux rame:
ner par la faim les habitans à l'obéissance
que de les égorger : il se contente de les
bloquer et d'intercepter tous les vivres ,
espérant que la disette calmera leur fureur
religieuse. Ce bon roi se trompa.
La famine fut bientôt allumée dans Paris ;
mais seshabitanSjà qui les prédicateurs mon-
trent le ciel ouvert et la palme du martyre
qui les attend , bravent ce fléau qui de jour
en jour se déploie avec plus d'horreur. Au
milieu de la misère à laquelle ils sont en
proie , ils s'assemblent à l'hôtel -de -ville.
Capitaines et bourgeois y jurent de plutôt
mourir que de recevoir un roi hérétique.
La plupart de ceux qui ont demandé la paix
sont condamnés à la mort , et c'est avec un
superbe endurcissement que le peuple se
dévoue à toutes les horreurs de la famine.
L'ambassadeur d'Espagne , Mendose ,
fait frapper des demi-sous avec les armoiries
de Philippe II : on en jettait des poignées
dans les carrefours. Le peuple criait : vive le
roi d'Espagne } mais bientôt l'or de l'Espar
Murmui'es contre le légat: ifS
gne devint inutile. On eut de l'argent et
point de pain. Le peuple changea de lan-
gage : « monseigneur , criait-il sous ses fenê-
tres , gardez vos sous et donnez- nous du
pain ». Le légat ne se lassait point de donner
des indulgences in articulo mortis. Ces in-
dulgences gratuites étaient la consolation;
des mourans.
Les ecclésiastiques et les religieux pour-
vus de tout , prêchaient la patience et la
résignation: cependant on ordonne la visite
des greniers. Tyrius , recteur des jésuites t
demande au légat une exception pour sa mai-
son. Le prévôt des marchands , présent Là
cette demande , trouve qu'elle n'est ni civile
ni chrétienne , et commence ses recherches
par leur collège : ils avaient pour un an de
bled, du biscuit et des viandes salées ; on
n'en trouve guères moins chez les capu-
cins. C'est du sein de cette abondance que
tous les moines prêchaient au peuple qu'il
était plus glorieux de mourir de faim que
de reconnaître le Béarnois pour roi.
L'ouverture des greniers fut une res-
source ; mais elle ne fut que momentanée :
quand on n'eut plus de grains , on eut re-
cours aux animaux. Les chevaux, les ânes,
44 Horreurs de la famine.
les chats et les chiens furent dévorés. Une
femme de la duchesse de Montpensier mou-
rut de faim : la duchesse elle-même à qui
on offrait, pour avoir son chien , des chaînes
et des bagues d'or pour la valeur de deux
mille écus , répondit qu'elle gardait ce chien
pour elle , quand elle aurait fini ses provi-
sions.
On fit un suintent de l'ardoise broyée mê-
lée avec du son et de la poussière du foin ;
mais e fléau augmentant de jour en jour,
on fut obligé de fouiller dans les cimetières
les ossemens des cadavres , et de ramasser
les os des animaux qu'on avait dévorés : on
les convertissait en farine dont on faisait
une nourriture qui portait avec elle un germe
de peste et de mort. On vit des hommes
paître l'herbe qui croissait dans les rues,
et se croire heureux d'en trouver : des mères,
pour prolonger une vie qui devait leur pa-
raître détestable, poussèrent l'égarement jus*
q^^,à dévorer leurs enfans : on trouva dans
le huffet d'une dame , une cuisse d'enfant
qu'elle avait fait cuire dans le pot ; c'était
le second qu'elle mangeait depuis huit jours,
ih périt plus de huit mille personnes dans
les convulsions de la faim.
Procession extravagante. $5
Dans ce comble de misère les parisien*
s'assemblent à l'hôtel-de- ville , ils n'osent
parler de paix ; mais on résout d'invoquer
le ciel qui semble les avoir abandonnés à
leur propre fureur. La vierge qui en Europe
a leplusde célébrité est choisie pourpatrone,
c'est Notre-Dame de Lorette ; on lui voue
un navire d'argent du poids de trois cents
marcs, et la famine continue.
Cependant le peuple murmure; les ressorts
de son fanatisme semblent se détendre ;
mais on trouve le moyen de les rebander
encore pour quelques jours en l'occupant
par des prières , par des sermons , par des
grand'messes , et par des bénédictions :
du haut des chaires en montrant un cruci-
fix, et du haut des autels en montrant au
peuple le S. Sacrement, on lui crie : sachez
mourir pour un Dieu qui est mort pour vous.
Parmi les processions dont on amusait
les parisiens , il en est une qui mérite d'être
décrite. Dans les mémoires de la ligue, elle
est connue sous le titre de la grande montre
de la gendarmerie de l'église militante. Plus
de douze cents religieux ou prêtres séculiers
marchaient à cette procession : les moines
prévient le titre de gendarmes de l'église.
'46 Adresse du petit feuillant.
Chaque gendarme ayant sa robe retroussée
et sur sa robe un corselet militaire, le cas-
que en tête , la cuirasse sur le dos , d'une
main tenait un sponton , et une arquebuse
rouillée de l'autre.
A la tête de cette procession était un
chartreux qui portait la croix et une hal-
lebarde. Le pere Bernard de 3fontgai lia rdt
dit le petit feuillant , à cause de sa taille
•courte et ramassée, ayant à sa ceinture une
hache , et son bréviaire attaché à ime ban-
doulière qui pendait sur ses épaules, réglait
les cérémonies de la montre. Ce moine
était boiteux , mais très-courtois envers les
dames : il ne passait jamais devant elles
sans les saluer , faisant admirablement
le moulinet et la pirouette sur le talon.
Bernard de Montgaill ard avait fait du
couvent des féuilians le dépôt des armes de
la ligue : on l'accusait d'avoir souvent intro-
duit pendant la nuit des femmes de débauche
dans son abbaye , d'avoir voulu faire assas-
siner un gentilhomme , d'atoir fait jetter
un de ses moines dans une forge allumée ,
etd'avoir donné quatre cents écus à un apos-
tat du calvinisme pour poignarder /7<?/z/7 IV.
Malgré tant et de si graves accusations,
*Le docteur Rose fait des miracles. 47'
îe petit feuillant était un moine très-agréable
au ciel : Dieu fit de grands prodiges en sa fa-
veur : il lui envoya des extases et des révé-
lations comme à un élu ; il le guérit d'une ré-
tention d'urine etd'un catarre sur la langue.
C'est de son ami le docteur Rose , évêque
de Senlis , que Dieu se servit pour opérer
cette dernière cure. Avec le seul mot ef/œta
l'éveque Rose lui rendit la liberté de la
langue. Ce docteur était un ligueur qui n'é-
tait guères moins forcené que le petit feuil-
lant y ni moins agréable à Dieu. Après la
mort du cardinal de Rourboii , on le revêtit
du magnifique titre de conservateur aposto-
lique de la Sorbonne : on le regarde comme
le théologien qui , par ses propos , par ses
écrits et par ses sermons , contribua le plus
à entraîner Paris dans la révolte , et à faire
chasser Henri III : c'est lui qui donna en
chaire le premier exemple des prédications
séditieuses. Après la mort de Henri III il
fit l'apologie de Clément l'assassin de ce roi :
il fut le premier à signer le décret de la
ligue : après son nom signé en lettres de
sang, il écrivit : utinam qui prœit signo an-?
tecedat martyrio ; plût à Dieu que celui qui
signe le premier soit le premier martyr.
48 Coquinerie du docteur Rose.
Ce docteur Rose , qui desirait fi ardemment
le martyre et qui faisait des miracles , était
aussi un grand confesseur de demoiselles :
nous doutons beaucoup des miracles qu'on
lui attribua dans le temps ; mais nous assu-
rons comme une vérité historique que ce
docteur de Sorbonne , évêque de Senlis ,
eut la coquinerie d'abuser de sa pénitente
la belle et jeune de Neulli , fille 'du pré-
sident de ce nom. Il lui fit un enfant et il
n'en resta pas moins l'ami de ce président
qui était un imbéciile.
Les excès en tout genre de fanastime aux-
quels Rose, le conservateur delà Sorbonne,
s'était livré pendant dix ans , lui méritèrent
l'honneur d'être choisi pour officier à cette
procession : de la main gauche il tenait un
crucifix fort élevé , et de la droite il bran-
dissait en tous sens une épée flamboyante.
Pignatol qui à la cour de Charles IX avait
prêché la S. Barthelemi , et mie les Guise
avaient fait évêque d'Apt , était un des
diacres.
Hamilton, autre docteur de Sorbonne et
curé de S. Cosme , faisait les fonctions de
major; c'était lui qui donnait le signal lors-
qu'on devait marcher, s'arrêcer et tirer.
De
49
de distance en distance on faisait des dé-
charges d'arquebuse. C'est dans une de ces
salves , que fut tué l'aumônier du légat
Caetan: après un tel événement on s'arrête,
mais monseigneur assure que l'aine de son
aumônier est montée au ciel , et la proces-
sion continue sa marche.
Quant à nous, nous continuerons le récit
des folies déplorables auxquelles , dans l'i-
vresse de leur fanatisme, se livraient sans
relâche les prêtres et le peuple de Paris,
Tome II.
D
CHAPITRE XLIII.
7^q0 Henri IV est de nouveau excommunié. Les
et 1591. ligueurs et la Sorbonne offrent à Phi-
lippe II , la couronne de France.
»S i x te V était instruit de ce fanatisme
et se repentait déjà de l'avoir mis en f'er-
tnentation par ses bulles et ses promesses.
En vain Pelle: c , proviseur de Sorbonne,
le sollicitait pour avoir des soldats , de l'ar-
gent et des nouvelles excommunications. On
envoyait à Rome, courier sur courier , et
l'on n'obtenait rien de sa sainteté.
Les ligueurs s'en plaignirent à PhïlippcII,
qui leur lit passer des doublons et qui dé-
pêcha à Rome un envoyé pour sommer le
pape à donner les secours qu'il avait promis.
Sixte /-'"instruit de la commission de l'en-
voyé , lui fait dire qu'il le fera pendre s'il
fait cette sommation ; et elle ne fut pas faite.
Si ce pape n'était point mort, on l'aurait
vu excommunier ce ramas de bourgeois ,
de moines , de prédicateurs et de sorbo
Sorbonistcs déshonorent la religicn. 51
ïiistes insensés qui, par leurs extravagan-
ces déshonoraient la religion. Aussi les li-
gueurs se réjouirent-ils de sa mort. Aubrî%
docteur de Sorhonneet curé de .Saint- André*
des-Arcs , l'annonce au peuple en disant :
Dieu nous a dé livrés d'un méchant pape : s'il
£iit vécu plus long-terns , ou eiit élé étonné
de voir dans Taris prêcher coîitre Lui ; mais
il l'eut hicu fallu faire.
Tandis que les ligueurs invoquent en vain
contre la misère qui les opprime , l'Espa-
gne , Rome , le Ciel et Notre-Dame de Lo-
rel'.e, Henri IV resserre de plus en plus Paris^
Il refuse de laisser sortir les bouches inuti-
les, mais il permet à ses soldats et à ses vi-
vamiiors de vendre aux assiégés, des vian-r
des , du pain et des alimens. Ses troupes
étaient harassées , mal payées et presque
nues. Le duc de Parme, avec une armée pour-
vue de tout , marchait à grandes journées
vers Paris. Henri IF lève le blocus , décampe
et revient sur ses pas, après l'éJoignement
de l'ennemi, tenter une escalade : les échelles
étaient déjà placées -, la sentinelle, qui était
un jésuite , d'un coup de hallebarde ren-
verse dans les fossés le premier soldat qui
parait sur la muraille ; il crie aux armes.
D %
5* Moines guerriers.
Neuf de ses confrères qui étaient dans le
corps-de-garde voisin , accourent. Les bour-
geois arrivent à tems. Tous les escalacleurs
sont repoussés, et Henri IV 'fait sonner la
retraite. « Tout était soldat, dit le -duc de
s> Nevers ; les moines comme les autres ,
55 gardaient les retranchemens des faux-
55 bourgs 55 • ayajit des chapeaux panna-
chés de diverses couleurs , portant arquebu-
ses , corselets et autres armes.
Grégoire XIV 'qui avait succédé à Sixte V
et qui ne le valait pas , envoya aux ligueurs
une petite armée. Son neveu Montemar-
ciano la commandait. Le commissaire gé-
néral était un prélat italien, nommé Mat-
tevei. Tous les novices des jésuites , con-
duits par Aigri leur supérieur , allèrent jus-
qu'à Verdun renforcer cette petite armée
papale. Le nonce Landriano , un peu plus
à craindre que les soldats italiens , était dé-
jà arrivé à Paris avec deux bulles qui de-
vaient préparer les succès à l'année. Par une
bulle Henri IV" était excommunié de nou-
veau ; par l'autre il était enjv)inr d'assembler
les états pour nommer un roi. Le fougueux
.Landriano osa publier la bulle d'excommu-
nication et ordonner par des inonitoires à
Bulle brillé e. 53
tous les ecclésiastiques, d'abandonner Hen-
ri IV ' j sous peine d'être excommuniés.
L'épiscopat et la magistrature se parta-
gèrent : il y eut leséyêques de la li^ue et les
évêques de Henri IV ; les parlcmens de la
sainte union et les parlemens du roi ;
celui de Chàlons ajourne pendant trois jours
au son de la trompe l'insolent JLandria.no y
le décrète de prise de corps , prononce peine
de mort contre ceux qui le logeront , pro-
met dix mille livres de récompense à qui
4e livrera à la justice ; et déclare enfin crimi-
nel de lèze-majeste tout évêque qui publiera
ces bulles scandaleuses et séditieuses. Le par-
lement de Tours p dusse encore plus loin son
zèle pour la patrie. Il fait briller ces belles
par la main du bourreau , et déclare Gré-
goire XIV, fauteur de la mort de Henri III
puisqu'il l'approuve.
Une bulle brûlée n'est que le bien du
moment : mais ce qui devait être le bien
de tous les temps, c'est que Ge même par-
lement <'•.„ Tendit de payer des aimâtes à Ro-
me , enjoignant aux eveures , aux aidé;;
fiux fidèles de ne plus reeourirau pape pou*
avoir des bulles, des disperses de vœux , de
mariages , etc. : c'était la raison , la sagesse,
D 3
54 Projet d'un patriarche.
an patriotisme éclairé qui voulaient intro-
duire cette réforme aussi honorable àl'épis-
copat qu'avantageuse à la France.
Le courageux dn Harlai , qui en payant
une grosse somme d'argent T était sorti de la
Bastille y ernt que cela n'était point encore
assez. Il proposa hautement de créer urt
patriarche en France. Plusieurs évêqucsaj}-
puy^reni celte idée. Hemi LV la rejetta ,
non qu'il ne la jugeât ]>as bonne et raison-
nable, mats son esprit jaiste craignait de
fournir à lasupersli'ion des ligueurs un nou-
veau prétexte pour prolonger leur égare-
ment.
Le parlement de Paris fit brûler coinme-
é.xécrablr et ahominahle , l'arrêt du par-
lement de Tours. Les évt \v.es de la li-
gue condamnèrent les numdemens des évo-
ques de Heur; IV. î>e point important < ùt
été de changer l'opinion dominante; mais
c'était la chose la plus difficile. Cette opi-
nion était de croire (pie ce -prince était
damné et que les français ne pouvaient
être gouvernés par un damné. Cette opinion
à force d'être prêchée s'élnit tellement en-
racinée dans la tête du peuple, que ce peu-
ple la regardait pomme une vérité à laquelle
était attaché son salut éternel.
Lettre au démon du midi. 55
Malgré les arrêts et les man démens en fa-
veur de Henri IV , ses affaires n'en étaient
pas plus avancées. Les ligueurs mus par la
Sorbonne et parles jésuites écrivirent à Pii*
lippe II y déjà surnommé le démon du midi ,
et lui offrirent la couronne de France.
Voici un fragment de cette pièce cu-
rieuse.
« Notre ville déserte , notre université dé-
*j peuplée, n'y restant que la faculté de t/iéo-
log/e , laquelle , tant ici que par tout le reste
>■> du royaume, par ses divines exportations ,
» admonitions tant verbales que par écrit ,
» étreint toujours plus étroitement la sainte
» union entre les princes, seigneurs et peuples
» catholiques C'est une merveille que ce
» grand peuple parisien , lecjuel n'avait ac-
>-> coutumé que l'aise , se soit résolu de souf-
» frir tant de disette , voire plutôt la mort.
» Le S. Esprit souffle où il lui plaît. Dieu
» s'est servi, pour ce grand œuvre des saintes
» et prophétiques exhortations et sermons
« de nos bons pères de la faculté de théo-
» logie , maîtres de nos consciences , et de la
» résistance au mal qu'il a plu lui faire la gra-
» ce à notre compagnie des seize quai-tiers
» d'y pouvoir apporter, de laquelle ces bons
D 4
S6 Lettre des Sorbonistes
?> pères sont modérateurs et y présidant ,
J3 sans l'avis desquels elle ne l'ait aucune ré-
j> solution et entreprise , tant est si étroite
»j entre eux et nous l'union , et de nous
33 à eux l'obéissance grande , comme des
» enfans aux pères et des soldats aux ca-
53 pitaines.
» Sous cette conduite nous avons souf-
» fert tout ce qu'il éîait possible de souffrir :
» ainsi nos misères croissant de jour en jour,
» nous sommes sur le point d'en être acca-
» blés , si Dieu du ciel ne nous suscite un
« libéral bienfaiteur pour nous relever de
» notre tracliement.
33 Une chose nous reste pour , avec l'aide
y> de votre majesté catholique, remédier à
» nos misères; savoir, que nous avions On
» roi déclaré pour parvenir à ce point au-
>3 quel tendent les trois ordres de ce rovau-
>3 me ; nous nous remettons à.'la divine pro-
33 videnceetàla volonté de sa sainteté et de
s» votre catholique' majesté .....
» Tous sentent ce désir engravé au plus
33 profond cabinet de leur cœur , -.assurant
*> à votre catholique majesté , que tous les
s» bie'is et souhaits Sont de voir votre ca-
» tholique majesté tenir le sc eptre de cette
au démon du midi. 5 y
s» couronne et régner sur notis; nous nous
» jetions entre ses bras , ainsi qu'à notre
» père , ou bien qu'elle y établisse quelqu'un
53 de sa postérité , etc.
33 Le R, P. Mathieu, nrésent porteur , lequel
33 nous a beaucoup édifié , sftppléerà au dé-
33 faut de nos lettres envers votre catholi»
33 que majesté , et ont sis^é les gens tenant
33 les seize quartiers. Martin , Génébrard ,
33 Hamihon y docteurs en théologie , etc , etc.
33 Paris, 2.1 novembre îoyi 33.
Cette lettre était la seconde que les li-
gufeurg écrivaient à Philippe II. On avait in-
tercepté la première , et Henri I^V avait
fait remettre à 7\la«, e;zne_, ce qui l'aigrit pro-
digieusement .contre les ligueurs et contre
la Sorboune.
Le fanatisme qui s'était emparé des pari-
siens, n'agitait pas avec moins de fureur
les citoyens de Rouen , ainsi que ceux de
Paris ; ils étaient séduits et entraînés par leurs
prédicateurs. Un docteur en théologie ,
nommé Dadre , et l'un des plus emportés
sermoncurs de Rouen , monte en chaire
et prend pour texte de son discours , nol'fte
jugu/n duccre cum infidtdihus.J^e vive/- pas
arec Jes infidèles. Il conclut de ce passage
58
qu'il valait mieux mourir que de reconnaî-
tre le Béarnais. Quand par ses déclamations
il eut alarmé la conscience de ses auditeurs,
il leur fit renouveller le serment de la sainte
union ; mais avec cet appareil de religion,
qui subjugue toujours les âmes faibles et
qui impose silence aux sages*
fer
59
CHAPITRE X L I V.
Gondi , éçêqne de Paris , refuse de signer
le décret dfla Sorbonne. Magistrats pen-
dus. Requête de la Sorbonne à Mayenne.
È VR 'S , je suis averti qu il y a
des traîtres dans cette compagnie. C'est
trop endurer; il faut jouer des couteaux.
Tel fut le discours que Pelletier , docteur
fie Sorbonne , tint dans une synagogue de
ligueurs. Il y avait en effet quelques lions
citoyens qui eurent le courage de se mêler
à ce rainas de brigands pour épier leurs dé-
marches, et c'étaient ces bons citoyens quelé
docteur Pelletier voulait qu'on poignardât.
Le nonce, le légat, tous les ligueurs en vou-
laient sur-tout à Gondi , évêque de Paris.
Sa sagesse le rendit suspect aux ligueurs : ils
lui proposèrent ou de signer le décret delà
Sorbonne qui excluait Henri IV de là ron-
ronne , ou de sortir de Paris. Gondi préféra
ce dernier parti et livra ses diocésains à leurs
propres fureurs > comme un pasteur aban-
donne un irouncau de betes enragées.
6o Evêque de Paris chassé.
Après ia sortie de l'évêque on procéda
contre lui comme envers un traître. Ses biens
devinrent la proie des ligueurs. Le docteur
Rose , conservateur apostolique de la Sor-
boime, voulait avoir l'évêché de Paris ; mais
dans la crainte de se compromettre avec
Rome, les ligueurs n'osèrent l'enrevetir. Ils
n'eurent point cette crainte à l'égard de
Brisson qu'ils avaient nommé premier pré-
sident du parlement. Un nommé Brlgard
est convaincu d'avoir écrit à quelques par-
tisans de Heur'? Jl . Ils veulent le faire
mourir , mais Brisso/t les en empêche ;
l'indulgence du magistrat leur déplut ; dès
ce moment il leur fut suspect ; lis veulent le
faire assassiner, mais ie soldat qu'ils ont
choisi, se refuse à cette lâcheté.
Les ligueurs n'osèrent demander la mort
du président Brisson en plein conseil} Il
eut été difficile de l'obtenir; exnoi-
sérent dans ce conseil une quesi ion très-epi-
neuse. Les avis furent partagés. On propos^,
de consulter la Sorbonne , un ligux e
chargea de rédiger le mémoire ; il présente
un papier blanc ; chaque membre du
conseil met son nom au bas du pajpieu
ce n'est point une consultation à la Sorbonne
Conjuration conduite par deux docteurs. 6i
qu'on écrit au-dessus de la signature ; c'est
l'arrêt de mort du président Brisson, de
Larcher conseiller de grand'chainbre , et
de 2û/z///*conseiller au châtelet.
Brisson fut arrêté au milieu de la rue."
S'il faut en croire les écrits du teins Lincestre
et Pe/letiertous deux docteurs de Sorbonne ,
conduisirent toute cette conjuration, et se
trouvèrent à la tête des mouchards qui l'arrê-
tèrent. Laujiai autre théologien avait, dit-on,
présidé à tous les conseils secrets où il avait
été question de la mort de ce magistrat.
On le mena dans les prisons du châtelet.
Crômé du grand conseil lui lut sa sentence.
Brissonf\a. tête remplie des formes judiciaires,
demande quel est son crime , quels sont ses
juges et ses témoins ; les bourreaux , vêtus
d'un roquet noir sur lequel était une gi'ande
croix , rient de sa simplicité , le laissent un
moment avec un confesseur , et ensuite
l'étranglent à une échelle arcboutée contre
une poutre.
Pendant qu'on fait mourir le premier
président du parlement, une troupe de fac-
tieux conduits, dit-on encore, par le doc-
teur Ilarnihon , vont prendre Larcher et
Tardif, lesquels voyant Brisson pendu se-
confessent et meurent sans se plaindre. Leurs
6% Soibonistes devenus archers.
corps lurent attachés à trois potences à la grè-
ve, pour épouvanter tout homme Je bien qui
parlera de paix.
Itïayenne irrité de ces assassinats , mais
encore plus irrité de la lettre des ligueurs au
roi d'Espagne f accourt à Paris : il fait arrêter
et étrangler dans une salle du louvre Lou-
cha rd , Anroux , Emonot et Amcline. Le
supplice de ces quatre scélérats fut regardé
comme le martyre des quatre principaux
évangélistes de la ligue. Dans le martyrologe
de la sainte union , à côté de Sa'mt-Guise
et de Saint- Clément, on plaça Saint-TLo//-
chardel S&int-Anroux . Le docteur Launai ,
et Bussi le Clerc menacés d'augmenter le
martyrologe , prirent la fuite. Li/iccslre et
Hamiltoji qui le premier à la tête des con-
jurés, mit la main sur Tardif, ne méritaient
pas un moindre supplice ; mais Mayenne ,
dans la crainte de se brouiller avec Rome
et l'Espagne, qu'il avait intérêt de ménager,
n'osa faire mourir ces deux docteurs de
Soiljonne.
Les théologiens et les prédicateurs ne
tardèrent pas à s'élever contre Mayenne.
Le docteur Boucher qu'il avait menacé de
faire crever l'œil qui lui restait, s'en plaignit
comme d'un commencement de tyrannie.
Henri. IV aux prises avec Farnèse. 63
On parla du supplice des quatre évangélistes
de la ligue , fait d'autorité privée , comme
de quatre assassinats. Pour rendre 1\ layenne
odieux, on rappella qu'il avait fait poignarder
Sacremoiie sous ses yeux , qu'il était l'un
des assassins du duc de Sanit-Âf aigri n , que
la mort du marquis de Mignelai était son
ouvrage. On le fit auteur de divers empoi-
sonnemens.
Pendant que la ligue étalait ces horreurs
au milieu de Paris , Henri IV soumettait
la Normandie ; Rouen était bloqué et affamé.
Farnèse courut au secours de cette ville ;
c'était un héros digne par ses talens d'êtra
opposé à Henri IV. Leur campagne est un
chef-d'œuvre de l'art militaire. On fit rare-
ment de plus savantes manœuvres. Les deux
héros firent heaucoup de fautes , mais elles
furent toujours réparées avec intelligence.
Les fautes de Jfenri IV étaient celle de la
hardiesse ; il tentait tout parce qu'il voulait
jouir; celles du duc de Vanne étaient celle
d'une excessive prudence. Il ne hasardait
rien et ne regardait la valeur emportée de
son adversaire que comme l'héroïsme d'un
carahin. C'est ainsi qu'il appel lait Henri, IV.
Le duc de Vanne blessé au bras devant
64 Décrets de Sorb . , arrêts de conscience.
Caudebec en établissant une batterie , perdit
peu à peu la supériorité qu'il avait d'abord
acquise ; son armée déjà harassée par des
marches et des contremarches autant, que
par différentes escarmouches , se laissa
resserrer dans une étroite langue de
terre qu'entouraient d'un côté l'armée de
Henri IV 'et de l'autre la LSeine dont les eaux
étaient corrompues par la marée. Ses troupes
périssaient par la disette et par la dyssenterie.
Elles n'avaient d'autre ressource ,si elles ne
voulaient mourir de faim , que de combattre
en désespérées ou de se rendre prisonnières.
L'habileté du duc de Parme arracha cette
armée au danger qui la menaçait et la dé-
roba aux poursuites de Henri IV.
Pendant le blocus de Rouen ainsi qu'à
Paris , on y brava les horreurs de la famine.
Chaque citoyen , laïc et prêtre , y fut soldat
et manœuvre. Il fut défendu sous peine
de mort par le parlement , d'entretenir
aucune intelligence avec le Navairois. Tout
homme vertueux qui osa parler ele paix1,
fut traîné au supplice : les décrets de la Sor-
bonne y étaient comme à Paris des arrêts
de conscience qui armaient les Français
contre leur prince.
Les
Sagesse des gens de lettres: 65
Les seize qui, à Paris, avaient vu étrangler „ ..
11 1 . T l DCS P°''
quatre de leurs membres et disperser plu- ques,
sieurs de leurs théologiens , furent moins à
redouter et les hommes de lettres osèrent
davantage ; ils jettèrent dans le public quel-
ques petits écrits qui renfermaient les germes
d'un nouvel ordre de choses. Les honnêtes
gens commencèrent à parler. Ce fut alors
que des bourgeois , pleins d'honneur et
de sens , se confédérèrent. Ils sentirent
combien il était honteux de se laisser en-
traîner par des fanatiques. Ils ne virent
dans les ligueurs et leurs prêtres qu'un ramas
de voleurs , d'assassins et de débauchés.
Rome et la Sorbonne devinrent pour eux
des objets de mépris. Ainsi, bravant les
censures de Rome et les décrets des théo-
logiens français , ils osèrent parler d'accom-
modement avec Henri IV. Du milieu da
l'anarchie où Paris était plongé , ils firent
entendre des paroles de paix. Assemblés
chez l'abbéxle[Sainte-G eneviève, ils arrangè-
rent les moyens de la rappeller en n'écoutant
que l'honneur et l'intérêt de l'humanité.
LaSoi bonne s'alarme de cette cou fédération
qu'elle ne peut arrêter et dont elle ne peut
se venger. Bussi et Louchard ne sont plus,.
Tome IL E
66 Sorbonne tombée dans le mépris.
Boucher était tremblant : en vain elle menace
d'excommunier ces braves cicoyens confédé-
rés pour la plus belle, des causes et pour le
meilleur desrois; ses décisions reçues jusqu'a-
lors comme des oracles , sont tombées dans
l'avilissement. Elle envoie au duc de Ma-
yenne dont elle a à se plaindre des commis-
saires , le sollicitant de faire exécuter les
décrets qu'elle a rendus contre le Béarnois
et contre ceux qui parleront de reconnaître
pour roi cet excommunié. Le duc de Mayen-
ne accueille ces théologiens qu'il méprise,
mais dont il a encore besoin, et leur promet
d'arrêter les progrès de la confédération.
Les prédicateurs en attendant que Mayenne
donne des ordres , se déchaînent contre les
politiques. C'est le nom qu'ils [donnaient à
ces sages citoyens qui , en parlant de paix ,
ne voyaient dans Henri IV ', qu'un roi qui
pouvait les rendre heureux. Tout citoyen
soupçonné de vouloir la paix est menacé se-
crètement d'être ou poignardé ou empoi-
sonné. Morenne , curé de Saint Méri, fut
obligé , pour sauver sa vie, de sortir de Paris.
Il n'avait point d'autre crime à se reprocher
que d'avoir prêché la paix àses paroissiens.
Le nombre des politiques augmentait de
Cri fanatique du docteur Pignarol. 67
jour en jour. Les ligueurs épouvantés com-
mencèrent à se défier de leurs amis et de
leurs partisans. La tranquillité de Tignarol,
(misons Charles iXavait prêché le massacre
des protestans , et qui sous Henri III avait
prêché la rébellion , le fit soupçonner d'être
politique. Devenu vieux son fanatisme sem-
blait s'être éteint. Les ligueurs menacèrent
de l'enfermer en son froc de cordelier comme
en un sac et de V envoyer par la Seine porter
la paix au Béarnois. Ils ne tardèrent pas
à être désabusés. Pignarol les invite à venir
l'entendre. A peine ce vieillard fut -il en
chaire que d'une voix encore tonnante il fît
retentir les voûtes de l'église de ce mot qu'il
répéta trois fois avec sa prononciation sa-
voyarde : gouerra , gouerra , gouerra. Son
sermon fut le commentaire dev ce saint
mot ( 1 ).
et
CHAPITRE XLV.
£ti;59934> Etats de Fan
JlL ripe nos deluto fœcis. Seigneur , débour*
bonnez-noiis. Telle fut la prière à Dieu con-
tre la race des Bourbons , et par laquelle un
docteur de Sorbonne commença l'un des
sermons qui se firent avant l'ouverture des
états , ou plutôt de cette farce que des bala-
dins Espagnols , Italiens , Lorrains et Fran-
çais jouèrent à Paris dans le palais de nos
rois.
Meunier I-e prologue de cette farce fut de faire
attacher un meunier tout nud à la queue
d'un âne , de le promener dans les rues de
Paris et de le faire fouetter dans les carre-
fours pour avoir dit sérieusement à son âne
en entrant à Paris : allons , gros jean > al-
lons aux états.
L'aventure d'un meunier attaché à la
queue d'un âne ne devrait pas , ce semble ,
entrer dans l'histoire de la Sorbonne ; mais
on nous la pardonnera ; elle nous fait connaî-
fc
nette.
Etats convoqués. 69
tre le mépris on étaient ces états , et sert
à peindre l'esprit de vertige et d'atrocité de
ces teins malheureux.
Les comédiens de l'hôtel de Bourgogne Théâtres
curent ordre de fermer leur théâtre ; on fermé,
craignait qu'ils n'immolassent à la risée pu-
blique les députés aux états. Cette crainte
n'était pas sans fondement : ils avaient déjà
joué sous le nom du roi Mambranï , le duc
de Mayenne. Ce héros de la ligucporla jus-
qu'au ridicule la rigueur des défenses. Pour
prévenir toute pasqulnade indécente qu'on
pourrait faire à son sujet lo jour des rois
dans l'intérieur des ménnges, il défendit aux
Parisiens d'élire en soupant le roi de la feve. —
Cependant ces états convoqués au mois'
de décembre avaient peine à s'assembler.
Les députés n'osaient hnsarder le voyage."
Le nonce Sega avait publié une bulle qui
enjoignait aux états de procéder à l'élection
d'un roi catholique. Le parlement de Chalons
déclara infâme tout gentilhomme qui assis-
terait à cette élection. Par le même arrêt
les ecclésiastiques étaient déchus do leurs
bénéfices , sans espérance de pardon. Il lut
enjoint au peuple de courir-, au son du toc-
sin y sur ceux qui viendraient aux cUit-s»
70 Z)# cardinal pelé.
^ ^ Henri IV par un édit les déclara criminels
= 5 janvier, de lèze -majesté. On établit des patrouilles
pour aller à la découverte des députés ; et
la plupart de ces députés , pour échapper
aux patrouilles , se travestirent les uns en
religieux, les autres en mendians.
Avant de s'assembler , les députés allèrent
en procession à Notre-Dame ; on y célébra
une messe en l'honneur du saint-esprit , et
l'on y prononça un sermon contre Henri
IV ', contre la loi salique et sur la nécessité
d'élire un roi catholique. Le légat commu-
nia et bénit , au nom du pape , tous les dé-
putés.Après cette momerie, (toute cérémonie
d'église qui n'a pas pour but le bien public ne
mérite pas d'autre nom) on ouvrit les états.
Les principaux personnages ou plutôt les
premiers acteurs de cette farce nationale
étaient des princes Lorrains divisés entr'eux,
des Italiens , des Espagnols et quelques mau-
vais garnemens français. Quant aux ecclé-
siastiques , H n'y eut gucres , àSx d' Aiibigné 3
que des prêtres débauchés qui s'y firent dé-
puter. Le proviseur de Sorbonne , ce même
Pellevé que par dérision on surnommait le
cardinal pelé , présidait cette farce : il pre-
nait , comme archevêque de Reims , le
t
De Vincestueux cTEspinac. 71
titre de légat-né du saint siège. Il avait été ,
comme nous l'avons vu , le principal agent
d'une conspiration tramée par les Guise
pour détrôner les V ilois ; il voulait dans ces
états détrôner les Bourbons.
A côlé de ce prêtre conspirateur étaient
deux prélats incestueux : l'un , le docteur
Rose , évèque de Senlis et conservateur
apostolique de la Sorbonne. C'était un
théologien fanatique et débauché ; il prê-
chait l'assassinat et la nécessité de la foi
catholique. On sait qu'il avait séduit la fille
du président de Neulli en la confessant.
Les démarches , les actions , les paroles ,
tout en lui décelait un cerveau dérangé ;
aussi avait-il eu , dij>on , divers accès de
frénésie.
L'autre prélat , qui figurait à côté du car-
dinal Vellevë t était à'Espinac y archevêque
de Lyon , l'amant public de sa sœur : il
était rongé de la goutte , fruit de ses dé-
bauches. A la cour de Henri III sa vie
avait été un scandale , et c'est en plein
conseil qu'on lui reprocha son inceste. Il
n'était encore qu'étudiant à Toulouse que
ses camarades lui reprochaient de sentir
?e faSot- U passait, en effet , dans sa jeœ„-
£4
75 Genebrarcl picclie contre Henri IV.
nesse pour croire aux opinions de Calvin.
Dans un âge plus mûr on l'accusa de ne
pas croire en Dieu ; mais il voulait être
cardinal , et c'est ce qui le rendit catho-
lique et ligueur effréné.
Après le docteur Rose et d'Espinac , nous
placerons le vieux Génebrard , docteur de
Navarre. Il était l'un de ceux qui , par ses
écrits et ses. emportemens , s'était le plus
signalé contre Henri III et contre Henri IV.
Le duc de Mayenne avait reconnu ses ser-
vices , en lui donnant l'archevêché d'Aix.
C'est lui qui , à l'ouverture des états , pro-
nonça le sermon qui ne fut qu'une déclama-
tion insensée contre Henri IV ', et contre la
loi sallque.
Apres ces principaux personnages ve-r
liaient plusieurs docteurs de Sorhonne. Nous
n'avançons rien de trop en disant que c'était
- là lie de ce corps qu'on avait choisie pour
assister à ces états. Ils étaient séditieux, em-i
portés. C'est-là ce qui leur donna droit d'y
être, appelles,. Les Espagnols ne les y firent
entrer que comme des a gens subalternes t
pour renforcer leur faction. Philippe /i les
soudoyait ; c'est en leur promettant desévê-
chés et des abbayes , que du fond de l'Eseu-
Sega uni avec la Sorhonne. 7^
rial , avec des doublons , il les faisait mou-
voir , parler , et décider à son. gré. Il les
ameutait , tantôt contre Henri IV t et tantôt
contre Mayenne , comme avec du pain on
ameute des chiens de basse-cour.
Ces théologiens ne craignaient guère moins
le Lorrain que le Béarnois. Dans l'un ils
voyaient un hérétique relaps ; mais dans
Mayenne , ils voyaient leur tyran , un assas-
sin. Ils ne pouvaient lui pardonner d'a-
voir , sans l'orme de justice , fait pendre les
quatre plus zélés chefs de la ligue , d'avoir
obligé les docteurs Pelletier et Launai de
prendre la fuite , d'avoir menacé le docteur
Boucher de lui faire crever l'œil qui lui res-
tait, et de ne parler d'eux tous qu'avec mé-
pris et indignation.
Sega y cardinal de Plaisance , et légat du
pape , admis aussi à jouer son rôle dans
ce tte farce appelléc les états de Paris , é'.ait
uni d'intérêt avec tous ces docteurs de Sor-
honne contre Mayenne. Ce cardinal était
aussi l'un de ces mercenaires qui s'étaient
vendus à l'Espagne , et qui manœuvraient
sourdement pour faire couronner, reine de
France , l'infante d'Espagne , qu'on devait
marier au duc de Guise , neveu de Mayenne.
74 Sega ambitieux et fripon.
Dans les mémoires de la ligue , on parle
de Sega comme d'un ambitieux , d'un inso-
lent et d'un fripon. Il était accusé d'avoir fa-
briqué la bulle qui ordonnait aux Français
de procéder à l'élection d'un roi. Pour bien
connaître cet Italien , il suffit de deitx lignes
d'une lettre qu'à son sujet, don Diego d'I-
barra écrivit de Bruxelles à Philippe II. « II
est partiel du duc de Guise ; les offices qu'on
lui fera de la part de votre catholique ma-
jesté 3 pourront beaucoup avec lui. Il a des
vues , des prétentions et peu de bien. » Cela
voulait dire : « Payez bien ce prêtre Italien,
et vous l'aurez à vos'ordres pour bouleverser
la France. »
L'auteur de cette lettre , don Diego d'I-
barra , était lui-même l'un de ces scélérats
qui sont autant à craindre pour les rois que
pour les particuliers. Il avait fait un long sé-
jour en Flandres , et y avait été chargé par
le démon du midi son catholique maître ,
d'acheter des empoisonneurs et des assas-
sins. C'est lui qui en envoya plusieurs en
Angleterre pour assassiner la reine Elisa-
beth. Ce don Diego d'Ibarra était à la tête
des Espagnols qui entrèrent aux états de
Paris.
7*
? I
CHAPITRE XLVI.
Révolution préparée en France par les hom-
mes de lettres. Fragmens de la Satyre-
Menipée.
L'anarchie était dans Paris , et s'étendait
de-là dans toutes les provinces. Au milieu
de cette anarchie régnait toujours l'aveugle
fanatisme. L'Espagne avec l'or qu'elle pro-
diguait, les Italiens avec le mot de religion ,
la Sorbonne avec ses décrets et ses prédi-
cateurs , entretenaient le peuple dans ses
fureurs contre Henri IV. Cependant une
révolution se préparait peu-à-peu dans les
esprits ; et c'est aux hommes de lettres qu'est
due cette révolution aussi mémorable dans
nos annales qu'heureuse à la race des Bour-
bons. Il y avait alors dans Paris quelques-
uns de ces hommes de bien qui gémissent
en secret du malheur de leur patrie ; qui,
dans le calme des passions , pèsent les in-
térêts de leurs contemporains ; et qui , delà
profonde retraite où ils sont ensevelis, jet-
tent dans le publie des vérités utiles , dont
j6 Heureuse révolution préparée
l'effet n'est d'abord que de détromper pende
personnes , mais qui reparaissant de teins en
teins , forment une masse lie Itsmiere qui , à
la longue, éclaire le gros d« la nation et fait
que chacun finit par détester ce quedanssorr
aveuglement il a adoré.
De L'état de démence où les piètres avaient
mis le peuple, les hommes de lettres le ra-
menèrent à un état de raison. Mayenne , soir
fils , son neveu , les Espagnols , les Italiens,
les évêques , les ligueurs , la Sorbonne, tout
fut immolé par eux à la risée publique : ils
firent pleuvoir dans Paris des épigrammes r
des brocards , des coqs-à-l'âne , n'épargnant
ni la figure , ni le caractère , ni les mœurs 9
soit des chefs de la ligue , soit de ceux qui
tenaient les états. Chaque événement était
chansonné , et toujours présenté sous un»
jour ridicule.
Ces vers qui couraient Paris , et qui de
Paris passaient dans les provinces , ne va-
laient pas grand'chose, mais ils renfermaient
des vérités qui accoutumant le peuple à rire
de ses théologiens et des ambitieux , les dé-
pouillaient insensiblementles uns et les autres-
de La considération où ils avaient été jus-
qu'alors. A ce déluge d'épigrammes les-
par les gens de lettres» 77
hommes de lettres mêlaient des écrits sérieux
dans lesquels on découvrait les manœuvres
des chefs de la ligue , les coqxdneries de
leurs agens , et l'imbécillité d'un peuple qui
s'était exposé aux horreurs de la famine et
d'une guerre civile pour le plaisir de l'Es-
pagne.
Ce qui contribua le plus à faire tomber
des yeux du peuple le bandeau de la su-
perstition et à ouvrir les portes de Paris à
Henri IV , furent les diverses harangues qui,
composent la Satyre Menipée : on les ré-
pandait secrètement chez les bourgeois , et
peu à peai on les détrompait. Cette satyre
ne fut mise en corps d'ouvrage que deux
ans après l'entrée de Henri iT^dans Paris ;
mais ces discours manuscrits coururent pen-
dant la tenue des états. Nous donnerons ici
un abrégé de cette satvre. Loin d'être une
pièce étrangère à l'histoire que nous esquis-
sons , elle en sera le morceau le plus pré-
cieux. Nous la dégagerons seulement de la
rouille du mauvais langage qu'on parlait
alors. Nous ne transcrirons que lesmorceaux
qui peuvent amuser les g?ns instruits et ca-
ractériser ces tems déplorables qu'on ne
«aurait trop faire connaître , et qui , ù
78 Harangue de Mayenne,
mesure qu'on les connaît , nous rendent
Henri IV plus cher et le fanatisme plus
odieux.
Entrons donc avec les députés de la ligue
dans cette salle du Louvre où se tenaient
les états , ou plutôt cette confédération de
conjurés sans mœurs , sans honneur , sans
courage et sans génie. Entendons d'abord
haranguer le duc de Mayenne , qui voulait
être roi, et que les Espagnols appellaient
jjuerco buffalo , porc et buffle (a).
Précis de la Satyre Menipée.
Harangue du duc de Mayenne.
Messieurs, .
Vous serez tous témoins que depuis que
j'ai pris les armes pour la sainte ligue , j'ai
toujours préféré mon intérêt à la cause de
Dieu qui saura bien se garder sans moi....
(<z) On peut confronter les différentes éditions de
cette satyre; on verra que nou« n'avons pas changé
quatre expressions , et que nous n'avor.s pas ajouté dix
mots nécessaires à des transitions, et les^elles transi-
tions sont la suite de la multitude des échancrures que
nous avons cru devoir faire.
Harangue (Je Mayenne. 79
Après les états de Blois vous vîtes avec
quelle diligence je vins voustrouveren cetie
ville , et avec quelle dextérité mon cousin ,
le connétable d'Aumale , ci-présent , fit des-
cendre en haïe le saint-esprit sur une pari le
de messieurs de la Sorbonne (1) ; car, aussi-
tôt dit \ aussi-tôt fait , et de-là sont procédés
tous nos beaux exploits de guerre ; de-ià ont
pris origine ces milliers de martyrs Français
qui sont morts de glaive , de faim , de feu ,
de rage et de désespoir; de-là procèdent tant
de sacs et pillages que nos bons soldats et
novices ont faits en maintes villes , bourgs
et villages qui , pour la foi , ont servi de
curée aux dévots enfans de la messe de
minuit ; de tant de belles filles et femmes
qui , sans noces et malgré elles, ont été
saoulées de ce qu'en mariage elles aiment le
plus , et Dieu sait si ces jeunes novices fraî-
chement défroqués , et prêtres débauchés ,
y ont dévotement tourné les feuillets de leur
bréviaire. C'est là la cause des décrets de
notre mère Sorbonne , après boire , qui a fait
éclater force coups du ciel , et fait que ce
royaume qui n'était qu'un voluptueux jardin
de plaisir, est devenu un amcle cimetière
3o Harangue de Mayenne '.
plein de belle* croix , bières , potences et
gibets.
Madame ma mère , ma femme , ma sœur
et la cousine d'Anmale , qui sont ici pré-
sentes pour m'en démentir, m'assistèrent fort
catlioliquement ; elles et moi n'eûmes plus
grand soin qu'à faire fonds pour la guerre ,
et ce faisant soulager les pauvres habitans en
vidant leur bourse et nous saisissant des
joyaux de la couronne à nous appartenant
en ligne collatérale. . . Nous trouvâmes force
trésors inutiles par la sainte innocence de
M. Machaud , que je nomme ici par hon-
neur , et qui remplit en cachette ses chausses
d'écus d'or au soleil ; nous découvrîmes le
mugot de Moîan {a) qui, refusant honnê-
tement de l'argent à son maître pour nous
le conserver , n'oublia de lui en faire chanter
un salve. . . .
Je ne veux oublier les meubles d'or , d'ar-
gent , tapisseries et autres richesses que
fîmes 'prendre et vendre, appartenant à ces
médians politiques royaux dont la cousine
d Aumale fit fort bien son devoir , fouillant
jusqu'aux fosses où elle savoit qu'il y eût
(*) Trésorier de l'épargne,
4»
Harangue de Mayenne. 8 1
de la vaisselle d'argent cachée. ... Ce fait ,
après m'être assuré de plusieurs villes qui se
laissèrent persuader aux bons prédicateurs ,
je dressai une glorieuse armée que je menai
tout droit à Tours ; mais ce fauteur d'héré-
tiques {Henri III) fit venir tout droit le
Béarnois , lequel je ne voulus attendre de
trop près , ni le voir de face , de peur d'être
excommunié.
Et puis vous savez que par les bonnes
prières des jésuites , l'intercession de ma
sœur et l'entremise de plusieurs saints re-
ligieux , nous trouvâmes ce saint martyr qui
fit éclater ce coup du ciel et nous délivra de
la captivité où nous étions prêts à tomber....
Vous savez que , pour faire dépit aux héré-
tiques, je me fusse fait valet de lucifer. . ..
Toutefois je me suis témoin que j'ai toujours
eu mon dessein à part ... et me suis tou-
jours réservé quelque chose de bon pour moi
çt pour les miens en gardant les gages , si je
puis ; et vienne qui voudra , je trouverai assez
de " dif ficultés pour exécuter ce qu'on me
demande , et ne manquerai pas de bulles et
d'excommunications , merci de M. le légat,
pour embabouiner ceux qui veulent y croire,
î^ous avons des pardons sans bourse délier »
Tome IL F
Sa Harangué
et des Fulminations à tort et à travers contre
nos ennemis : ne les avons-nous pas fait ex-
communier et devenir noirs comme diables ?
N'avons-nous pas fait continuer les paradis
à dessein , embouché les prédicateurs , fait
renouveller les sermens aux confrairies du
cordon et du nom de Jésus ? N'avons-nous
pas ménagé des processions qui ont obscurci
les plus belles momeries qui furent onc vues?
Qu'eussé-je pu faire davantage , sinon me
donner au diable par avancement d'hoirie ?
.... J'ai fait opiniâtrer le pauvre peuple à
mourir de faim : il est péri cent mille ames
dans cette ville : des mères ont mangé leurs
enlans : je n'ai point épargné les reliques et
ustensiles d'église que j'ai fait fondre pour
nies affaires . . . j'ai cent fois violé ma foi
jurée à nos amis pour venir à ce que je
désire , et mon cousin d' Aumale et le duc
de Savoie sauraient bien qu'en dire. Quant
à la foi publique , j'ai toujours estimé que
le rang que je tiens m'en dispense assez : on
ne peut m'en reprocher , puisque j'ai l'abso-
lution de mon grand aumônier et confessenr.
. . . J'aimerais cent fois mieux me faire Turc
avec la bonne grâce et congé de notre Saint-
Père , que de voir ces hérétiques relaps
de Mayenne: 83
jouir de leurs biens que vous et moi pos-
sédons à justes titres et de bonne foi. Mes
amis ! que deviendrions-nous s'il fallait tout
rendre ? Mourons , mourons plutôt que d'en
venir là. C'est une belle sépulture que la
ruine de ce royaume , sous lequel il faut nous
ensevelir si nous ne pouvons grimper des-
sus. . . .
Je sais qu'il n'y a ici que de nos amis , ainsi
qu'aux états de Blois , et je m'assure que vous
voudriez que moi ou un prince de ma maison
fût roi , et vous vous trouveriez bien. Cela
ne se peut faire si-tôt et y a encore une messe
à chanter., et vous prie croire que j'aimerais
mieux voir ma femme , mon neveu , tous
mes cousins et paï ens morts , que de voir le
Béarnois à la messe. Ce n'est plus où il me
démange. Je ne l'ai écrit et publié àdessein,
non plus que le légat son exhortation au
peuple Français ; et tous ces écrits que M. de
Lyon a fait et fera ci-après sur ce sujet ne
sont qu'à intention de retenir le peuple en
attendant quelque bonne aventure ; vous
m'entendez bien ; que les pères jésuites noua
procureront pour faire un second martyr de
l'union. . . . Vous ne devez pas douter que
je ferai tout ce que je pourrai pour me dé-
F a
$4 Harangue de Mayenne.
iiiire de cette race Bourbonnaise : si elle tient
Saint-Denis où les vieux rois sont enterrés,
nous tenons les joyaux, reliques, ornemens;
et par dévotion mon frère de Nemours a fait
fondre la couronne. La sainte ampoule est
en notre puissance quand nous en aurons à
faire , sans laquelle , vous m'entendez bien...
C'est un coup du ciel : si prions tous nos bons
confesseurs , prédicateurs , curés et autres
dévots pensionnaires de faire rage dessus....
Quoi qu'il en advienne , vous ne me con-
seilleriez pas que , pour une messe que le roi
de Navarre pourrait faire chanter, je me dé-
misse de mon pouvoir, et que , de demi-roi ,
je devinsse valet. Toutefois M. de Lyon et
nos prédicateurs m'ont appris qu'il n'est pas
en la puissance du pape de donner l'abso-
lution à un hérétique relaps , fût-ce à l'ar-
ticle de la mort ; et si le pape voulait s'en
mêler , nous le ferions excommunier lui-
même par notre mère la Sorbonne , qui sait
plus de latin et boit plus catholiquement que
le consistoire de Rome. C'est sur quoi il nous
faut principalement insister pour rendre la
guerre éternelle en France. M. de Lyon sait
bien que le roi d'Espagne et moi , s'il peut
yenir ù bout , lui avons promis un chapeau
Harangue du légat. 85
rouge ; et sa sœur a déjà reçu pour arrhes un
carcan de trois mille ducats et une chaîne de
perles catholiques , avec quelques milliers de
doublons. . . . S'il en est autrement , que les
loups me mangent les jambes ; vous priant ,
pour l'honneur de la sainte union , de re-
garder à vos affaires ; car nous avons un
ennemi qui use plus de bottes que de souliers.
Vous y donnerez ordre et vous garderez de
tomber du haut-mal , si vous pouvez. —
J'ai dit.
M. le lieutenant ayant achevé sa harangue ,
le doyen de Sorbonne se leva et cria ; hurni-
liate vos ad benedictionem et posteà habe-
bitis haranguant. Alors M. le légat , trois
copieuses bénédictions données , parla ainsi.
Harangue du légat.
In nomine patris, io mi raîlegro, a signori
et populi . . . di verderi qui collegati pro
uno sogetto tanto grande et catholico ....
una sola causa mi pore necessaria à la salute
délia anime vestre. . . . Cio e di non perlar
mai dipace com questi fbrfanti heretici ma-
gnigoldi . . . guerra donque , guerra , 6* va-
F 3
86" Harangue du légat.
lenti et magnifici Francezi . . . date quanto
voleté le anime vostre al domonio d'inferno :
poco gli e . . . e non parlate piu ditante beni ,
e tante favori, che predecessori vostri hanno
fate à la santé sede apostolica ... la pardot-
nanze che avete ricerute da pochi anni in
qua con la gratuite indulgenze, et jubilei
sono di moïto pin pregio. Basta che le co-
rone , e gli settri del mondo sono à disposi-
tion di sua santita , et si possono cambiare ,
transtulare , tbïre et poire a suo modo.
Scriptum est eu/m hac omnia ù 'Li. dabo. Atqui
ut pergam ling/ia latiria ; vobis loqid non
veni pacem mittere sed gladium. . . . In fine
donque fatte un re , di gracia , pro ainor
mio, e nonniLjie euro si sia, fosse el diavolo,
modo che sia servitore et feudatorio de 'a
«ua santita. . . . VoÈjs promîiio pîenam abso-
lutionem et indulgeiitiani , idque gratis in
s ce eu fa siculorum : amen. Ego vobu me coni-
mendo. Valete.
Ces mots finis le docteur / armai , ci-
devant ministre , puis apostat , tjt à présent
boutte-cu de Sorbonne , se mit à gonou l
avec Guarinur , cordelier, le docteur Caci!ii
et le docteur Aubri , et entonnèrent devant
la croix de M. le légat ôcruxave , spes unica.
Harangue du cardinal pelé. B7
Quolques-uns de l'assemblée le trouvèrent
mauvais. Toutefois chacun les suivit en chan-
tant de même. Le bran le fini , M. le cardinal
l'cllcvé commença à dire.
Harangue du cardinal Pellevé , proviseur
de la Sorbonne.
M. le lieutenant , si vous dirai-je en pas-
sant que perjidem meam , il vous fait bon
voir : oui , monsieur le lieutenant , il vous
fait bon voir assis là où vous êtes , et avec
fort bonne mine remplissez bien votre place ,
et ne vous avient pas mal à faire le roi ;
vous n'avez besoin que d'une cheville pour
vous y tenir ; vous avez toute pareille façon ,
sauf l'honneur que je dois à l'église , qu'un
«aint Nicolas de village, a je di d'to , et me
semble que nous célébrions la fête des in-
nacens ou le jour des rois. Si vous aviez
maintenant un bon verre de vin, et qu'il
piùt à la majesté de votre lieutenance boire
a la compagnie , nous crierions tous le roi
boh ; aussi bien n'y a-t-il guère que les rois
son t passés où vous nous empêchâtes qu'on
ne fît le roi de la feve , de peur de mauvais
présage.
Messieurs , ne me tenez pas homme de
F 4
88 Harangue
bien et bon catholique , si vos misèréS et
pauvretés ne m'ont fait venir par-deçà , où
je me suis comporté en vrai hypocrite , je
voulais dire Hypocraté , mais la langue m'a
fourché. Ce grand médecin, voyant son pays
affligé d'une peste cruelle , fit allumer force
feu par toutes les contrées , pour purger et
chasser le mauvais air. Et moi tout de même,
pour venir à bout de mes desseins catholi*
ques , j'ai été un des principaux auteurs , je
le dis sans vanterie , de tous ces feux et
embrâsemens qui brûlent et ardent mainte-
nant toute la France.
Toutefois, nous avons bien eu raison de ces
Valesiens, et l'aurons de ces Borbonistes , si
chacun de vous y veutfaire di galante huomo*
Quant à moi , messieurs , me voici à votre
commandement à pendre et à dépendre ,
pouvu que , comme bons catholiques , vous
vous soumettiez aux archicatholiques prin-
ces Lorrains .... et vous prie d'y aviser de
bonne heure , de peur que le Béarnois ne
nous joue quelque tour de son métier , car
s'il allait se convertir et ouir une méchante
messe , nous perdrions nos princes et nos
doublons ; c'est pourquoi in dubio
tuez , massacrez et brûlez hardiment tout.
du cardinal pété* 89
M. le légat pardonnera tout , M. le lieute-
nant avouera tout , M. de Lyons cèlera tout.
Je vous servirai de confesseur , et à la France
aussi , si elle a l'esprit de se laisser mourir
bonne catholique , comme je vous en prie
tous en général et en particulier ; vous assu-
rant , après M. le légat , que vos ames ne pas-
seront point par les feux du purgatoire ,
étant assez purgées par les feux que nous avons
allumés aux quatre coins du royaume. . . .
Quant à l'élection d'un roi , je donne ma
voix au marquis des Chaussins (a) ; il n'est
ni lipus ni camus , ains bon catholique ,
apostolique et romain. Je vous le recom-
mande , et moi de même. — J'ai dit.
Ces mots finis , tous les docteurs de Sor-
bonne n appèrent enpaulme , et crièrent par
trois fois, blbat , blbat. Tout à l'instant, un
petit maître es arts saillit en pied , et tour-
nant le visage vers mondit sieur le cardinal
Pellevé s s'écria :
(a) François de Lorraine, marquis des Chaussins ,
frère du duc de Mercœur. Le marquisat de Chaussins
es: en Bourbonnais.
9° Harangue
Les frères ignorans ont eu grande raison ,
De vous faire leur chef, monsieur l'illustrissime ;
Car eux qui ont oui votre belle oraison ,
Vous ont bien reconnu pour ignorantissime.
Tout le monde trouva cette rime fort plai-
sante ; et après un second battement de
mains , M. de Lyon se leva , fit signe qu'il
voulait parler ; par quoi , après que tout le
monde eut toussé , il discourut ainsi.
Harangue de l'aixhevéque de Lyon.
Messieurs,
Ceux qui prendront garde de bien près au
commenerment et aux progrès de notre
sain te union auront bien occasion de crier :
quid non mortaliapeetora cogis, aari sacra
famés ! N'est-ce point chose bien étrange ,
messieurs les zélateurs , que de voir en un mo-
ment les valets devenus maîtres, les petits
être faits grands, les pauvres riches, les
humbles insolens , voire ceux qui obéissent
commander O saint Catholicon d'Es-
pagne , qui es cause que le prix des messes
est redoublé , les chandelles bénites ren-
chéries et les saints multipliés ; qui es aussi
cause qu'il n'y a plus de ptxiidus, de voleurs,
de f archevêque de Lyon. 91
d'incendiaires , de faussaires, de br'gands ,
puisque par une nouvelle conversion ils ont
changé de nom et piis celui de gens d'armes
de l'église militante .... Gardons-nous de
ces nobles qui se disent Français et refusent
prendre pension de l'Espagne ; ces gens-là ,
messieurs , n'entendent la messe que d'un
genouil , et ne prennent de l'eau béiiite qu'à
leur corps défendant. O illustres assistant de
cette notable assemblée , la pure crème de
nos provinces, la mère-goutte de nos gou-
vernemens , n'admire/;- vous pas les laits
héroïques de nos Louchard , Bussi, Senaut,
Crucé? . . . Ne serait-ce pas crime de passer
sous silence «S". Clément , qui ayant été le
plus débauché de son couvent , et ayant eu
plusieurs fois le chapitre et le fouet par ses
larcins et méchancetés , est néanmoins là-
haut ou là-bas à débattre la préséance avec
le petion de Compostelle r . . . Si vous con-
fesserai-je librement qu'avant cette prodi-
gieuse union je n'étais. pas grand mangeur
de crucifix , et quelques-uns de mes plus
proches ont eu opinion que je sentais un peu
le fagot ; mais depuis que j'ai signé la sainte
ligue , personne ne doute de ma créance. De
grand politique que j'étais , je devins conjuré
9« Harangue
Les frères ignorans ont eu grande raison ,
De vous faire leur chef, monsieur l'illustrissime ;
Car eux qui ont oui votre belle oraison ,
Vous ont bien reconnu pour ignorantissime.
Tout le monde trouva cette rime fort plai-
sante ; et après un second battement de
mains , M. de Lyon se leva , fit signe qu'il
voulait parler ; par quoi , après que tout le
monde eut toussé , il discourut ainsi.
Harangue de l'archevêque de Lyon.
Messieurs,
Ceux qui prendront garde de bien près au
commencement et aux progrès de notre
sain te union auront bien occasion de crier :
quid non morlatlapectora cogis , auri sacra
famés ! N'est-ce point chose bien étrange ,
messieurs les délateurs , que de voir en un mo-
ment les valets devenus maîtres, les petits
être faits grands , les pauvres riches , les
humbles insolens , voire ceux qui obéissent
commander O saint Catholicon d'Es-
pagne , qui es cause que le prix des messes
est redoublé , les chandelles bénites ren-
chéries et les saints multipliés ; qui es aussi
cause qu'il n'y a plus de perlides, de voleurs,
de l archevêque de Lyon. 91
d'incendiaires , de faussaires, de brigands,
puisque par une nouvelle conversion ils ont
changé de nom et pt is celui de gens d'armes
de l'église militante .... Gardons-nous de
ces nobles qui se disent Français et refusent
prendre pension de l'Espagne ; ces gens-là ,
messieurs, n'entendent la inesse que d'un
genouil , et ne prennent de l'eau bénite qu'à
leur corps défendant. O illustres assis tans de
cette notable assemblée , la pure crème de
nos provinces, la mère-goutte de nos gou-
vernemens , n'admirez- vous pas les faits
héroïques de nos Louchard. , Bussi, Senaut,
Crucé? . . . Ne serait-ce pas crime de passer
sous silence S. Clément , qui ayant été le
plus débauché de son couvent , et ayant eu
plusieurs fois le chapitre et le fouet par ses
larcins et méchancetés , est néanmoins là-
haut ou là-bas à débattre la préséance avec
le petion de Compostelle r ' . . . Si vous con-
fesserai-je librement qii'avant cette prodi-
gieuse union je n'étais pas grand mangeur
de crucifix , et quelques-uns de mes plus
proches ont eu opinion quu je sentais un peu
le fagot ; mais depuis que j'ai signé la sainte
ligue , personne ne doute de ma créance. De
grand politique que j'étais , je devins conjuré
$2 Harangue
ligueur , comme je suis à présent , directeur
et ordonnateur des affaires secrettes de la
sainte union. . . .
Quant aux nécessités, chacun y avisera , si
bon lui semble , et de ma part je ne désire
pas la paix que je ne sois cardinal , comme
on m'a promis , et comme je l'ai bien mérité ;
car , sans moi , M. le lieutenant ne serait pas
au degré ou il est. . . Courage donc , mes
amis , ne craignez point d'exposer vos vies
pour lui et ceux de sa maison : demanderiez-
vous un plus beau roi , et plus gros et plus
gras qu'il est ? C'est , par S. Jacques , une
belle pièce de chair , et n'en sauriez trouver
un qui le pèse.
Messieurs de la noblesse , sous quel roi
trouveriez-vous une meilleure condition ?
Vous êtes barons , comtes et ducs de toutes-
les provinces que vous tenez : que vous faut-
il davantage ? Vous y commandez en roi de
carte.
Quant à vous , messieurs les ecclésias-
tiques , se sauve qui pourra , je suis capable
de porter un bonnet rouge ; mais de remé-
dier aux nécessités du clergé , mes gouttes
ne m'en donnent pas le loisir ; je laisse à
messieurs les prédicateurs à tenir en haleine
de V archevêque de Ijyon. ofi
leurs dévots paroissiens , et à réprimer l'inso-
lence de ces demandeurs de pain et de paix.
Ils savent tournevirer les passages de l'écri-
ture comme ils en auront besoin. Or, ce
qu'il importe le plus pour le présent à nos
affaires, c'est de bâtir une loi fondamentale ,
par laquelle les peuples Français seront tenus
de se laisser coëffer , embéguiner et mener
à l'appétit de messieurs les cathédrans. . . .
Nous chargerons la conscience des bons
pères jésuites de défendre , en leurs parti-
culières confessions , sous peine de dam-
nation éternelle , de désirer la paix et d'en
parler, quand bien le Béarnois irait à la
messe, comme il a donné charge d'en assurer
le pape. Si cela advient , nous savons bien
le contre-poison , et donnerons bon ordre
que sa sainteté n'en croira rien, et le croyant
n'en fera rien si je ne suis cardinal ; et
pourquoi , moi qui ai trahi mon pays pour
soutenir la grandeur du saint-siège , ne le
serais-je pas ? Si serai, je vous en assure ,
où mes amis me faudront. — J'ai dit.
Après que le sieur archevêque eut fini , il
demanda permission à madame de Mont-
ç4 Harangue
penslcràe se retirer pour changer de clie-i
mise. Alors mondit sieur Rose , revêtu de
son habit rectoral , sous son roquet et camail
d'évêque , otant sou bonnet par plusieurs
fois , commença ainsi.
Hara?igue du docteur Rose , conseivateur
apostolique de la Sorbonne.
Très-illustre , très-auguste et très-catho-
lique synagogue, je ne veux point ici capter
votre bénévolence par un long exorde ; mais
je vous dirai sommairement que la fille aînée
du roi , je ne dirai point du roi de Navarre ,
mais du roi que nous élirons ici , et en
attendant je dirai la fille aînée de M. le
lieutenant de l'état, l'université de Paris ,
remontre que depuis ses incunabules elle n'a
point été si morigénée , si modeste et si pai-
sible qu'elle l'est maintenant, par la grâce
de vous autres messieurs , et principalement
par vos coups du ciel , sans autres précep-
teurs que vous , M. le lieutenant : ses maîtres
ont appris à mourir de faim per régulas.
Au reste , M. le lieutenant , vous avez fait
pendre votre argentier , conzélaLeur Lou-
chard , et avez déclaré pendables tous ceux
du docteur Rose. $5
qui ont assisté à la cérémonie de l'ordre de
l'union qu'on a baillé au président Brisson.
Or est-il que nous autres docteurs , pour la
plupart , avons été les promoteurs de cette
cérémonie ergo gluê , et vous dis que si vous
ne vous fussiez hâté de venir , nous en eus-
sions bien fait d'autres ; et tel aujourd'hui
parle bien haut , à qui les dents ne feraient
point de mal. Mais pour revenir à mon pre-
mier thème , j'argumente ainsi : Louchard
et consorts ont été justement pendus , parce
qu'ils étaient pendards. Atqui la plupart de
nous autres docteurs nous étions consorts,
adhérens , et conseillers dudit Loucàard ,
ergo pendards et pendables.
Il faut nécessairement argumenter ainsi
in baraco. Quiconque fait pendre les catho-
liques zélés est tyran et fauteur d'héré-
tiques. Atqui M. le lieutenant a fait pendre
Louchard et consorts , carholicissimes et
zélatissimes. Ergo , M. le lieutenant est
tyran et fauteur d'hérétiques pires que
Heu ri de Valois , qui avait pardonné à LôH*
oAand ' , Halte et la Molière , dignes de gibet
plus de trois ans avant ies barricades.
Qu'ainsi ne soit : proho r. in rem àmi jon
mxlma.jus. Le liéarnois a tenu prisonniers les
$6 Harangue
principaux chefs de la ligue , lesquels il n'a
point fait pendre , le pouvant et le devant,
et néanmoins est hérétique. Ergo , M. le lieu-
tenaat est pire , qui a fait pendre ses meil-
leurs amis , lesquels lui avaient mis le pain
à la main. De dire que cela soit fait ad ma-^
jorem cautelam , cela est bon. Mais cepen-
dant on s'étrangle et sommes réputés badauts
de l'avoir enduré , et pour l'avoir enduré ,
qu'on n'en conclue pas que la Sorbonne peut
errer , chose qui me ferait de rechef devenir
insensé et courir les rues. Par quoi je vous
supplie , au nom de notre académie , de
pallier ce fait le plus catholiquement que
vous pourrez ; mais sur- tout je vous recom-
mande nos pensions et de messieurs nos
conducteurs de la faculté de théologie, pour
lesquels je parle. Madame de Montpensier a
bien su dire qu'elle ferait plus de besogne
avec prédicateurs et docteurs , que le roi de
Navarre avec ses tailles et armées. . .
En attendant , messieurs , advisez si nous
ferons un roi ; je sais que M. le lieutenant
voudrait bien l'être , aussi ferait son neveu ,
et encore son frère le duc de Nemours , et
je ne doute pas que les ducs de Lorraine et
de Savoy e n'en aient aussi d'envie ; car , à la
vérité ,
du docteurï\os,e. 97
vérité, ils ont autant de droits l'un que l'au-
tre. Quant au duc de Mercosur ses agens
feront autant que lui. . . .
Je viens à vous maintenant , M. de Guise ,
que des prédictions ont Ion g-tems destiné aux
royaumes et empires } et vous ont surnommé
Pépin Je bref. Vous voilà sur le point d'être
-un Charlemagne si inarcké tient ; mais re-
gardez à ne pas vous laisser tromper par les
Espagnols. lis vous promettent cette divine
«a faute en marjage pour la faire reine in so-
iidunL avec vous. M ais prenez garde aux
blancs du duc de Feria , il en a une pleine
boîte ; il les date ou antidate avec son urinai,.
Si vous avez tant soit peu de nez , vous le
sentirez. Quittez donc CJtte vaine espérance
d'être roi , et croyez que les petits enfans
s'en moquent : l'autre jour j'en ouis un qui
chantait ;
t
La ligne se trouvant camuse
Et les ligueurs fort étonnes ,
Se sont avisés d'une ruse ,
C'est de faire un roi sans nez.
Et Vous , M. le lieutenant , à qui il faut
maintenant que je parle , que pense -vous
iairc ? Vous êtes pesant et mal éficiéjj vous
Tome II% G
98 Harangue du docteur'Rose.
avez la tête assez grosse pour porter une cou-
ronne ; mais quoi ! vous dites que -vous n'en
voulez point , et empêchez sous main que
votre neveu ne soit élu. Que ferons-nous
donc ? Il nous faut un roi. On yous accuse
d'être un marchand de couronnes , et d'a-
voir mis celle de France au plus offrant.
Vous pensez être bien fin ; on sait toutes vos
faciendes à Rome, à Madrid, en Savoye et
en Allemagne. Vous befflez tout le monde,
et tout le monde vous beffle. . . Songez-y,
M. le lieutenant ; vous avez beau faire le roi
et contrecarrer le Béarnois. ... Je vous con-
seillerais , si vous n'étiez bigame , de vous
faire abbé. Quiconque sera roi ne vous re-
fusera pas l'abbaye de Clugni. Vous ruez vo-
lontiers en cuisine : vous avez le ventre ample
etspatîeux, et si serez couronné de couronne
monachale. . . Somme toute ; vous êtes trop
de chiens à ronger un os. Vous êtes jaloux
les uns des autres , et ne sauriez vous accor-
der. . . Je suis d'avis que pas un de vous ne
soit roi : je donne donc ma voix à Gui Ilot
Fagotin , marguillier de Gentilli , bon vi-
gneron et prndhomme qui sait tout son
office par cœur. . . . C'est pourquoi je per-
siste et entends qu'il soit roi connue wi
autre ,
Harangue de M. r/eRieux.
Comme Rose achevait ces paroles , 11 soïtr*
dit un grand murmure entre les députés ,
les uns approuvant , les autres désapprou-*
van t. Néanmoins , il voulut continuer son
propos , mais quand il vit le bruit recom-
mencer par un claquemain général , il se
leva en colère , et cria. ... le plus haut qu'il
put : messieurs , messieurs , je vois bien que
nous sommes à la cour du roi petaut où cha-
cun est maître. Je vous le quitte , et là-des-<
sus se rassit en grommelant. Enfin, la rumeur1
un peu racoisée , M. de Rieuse le jeune s©
leva pour parler, et ayant mis deux ou trois
fois la main à la gorge qui lui démangeait ,
il parla ainsi :
Harangue de M. de Rieux.
Je ne sais pourquoi on m'a député pouf
porter la parole en si bonne compagnie ;
il faut bien qu'il y ait quelque chose de pro-
digieux en la sainte union , puisque par son
moyen, de petit commis dans les vivres , je
suis devenu gentilhomme et gouverneur
d'une bonne forteresse. C'est pourquoi je
me donjie au diable que si quelqu'un de
G a
$91 - Hù>angue
ce fameux président JS'ei^lli que je nommé
ici par respect comme le pere putatif de la-
sa'inte ligue, et qui, pour faire service à mes-
sieurs les curés et prédicateurs , a prostitué
*sa fdle ? Je ne sais ce que ces gens de justice
m'ont fait , mais je ne les aime pas.
' ? Enfin , messieurs , j'ai charge delà noblesse
clé vous remontrer qu'il faut faire ses affaires
pendant que le tems est beau , et qu'il vous
ïaut élire un roi. Je vous prie de vous sou-
venir de moi et de mes mérites. J'en vaux
bien un autre ; et vous en dirais davantage ,
sinon que je suis pressé d'aller exécuter mon
entreprise sur Noyon et sur ce Bacio los
munos de vostra merced.
rm\ ' '
3 Après que le sieur de Rieucc eut parlé ,
■chacun des assistan s montra qu'on avoit
Jjiris plaisir à son éloquence naturelle. La
rumeur un peu, cessée, le sieur ftAubrai,
député du ;tiers-état , ayant laissé son épée ,
haïangua à- peu -près ainsi :
Harangue du sieur d'Aubrai*
Par notre dame , messieurs , vous nous
l'avez baillé belle. Il n'était pas besoin que
du sieur c^Aubraî. io3
nos curés nous prêchassent qu'il fallait nous
tlrltuiirhonner. A ce que je vois par vos dis-
cours , il sera difficile de déhourbonner les
Parisiens : il est temps de nous appercevoir
que le catholicon d'Espagne est une mau-
vaise drogue , et que les prédicateurs et Sor-
bonistes nous ont fait donner, comme cailles
coëlï'ées , dans les filets des tyrans. Nos fran-
chises sont à vau-l'eau ; notre cour de parle-
ment est nulle ; notre université sauvage ;
et la Sorbonne au bordel,
Je vous prie , messieurs , quel profit nous
est venu de cette détestable mort que nos
prêcheurs nous faisaient croire être lé" seul
moyen pour nous rendre heureux ? Le ser-
vice divin ne sert plus qu'à tromper le monde
par hypocrisie. Les prêtres se sont rendus si
vénaux et si méprisés par leur vie scanda-
leuse , qu'on ne se soucie plus d'eux ni de
leurs sermons
Vous confesserez , M. le lieutenant , que
si Henri III av ait fait ce qu'il pouvait et ce
qu'il devait, vous et tous vos agens étiez
perclus , lesquels on connoissait par nom et
surnom. Mais on y procéda trop mollement.
Depuis vous ne cessâtes de pratiquer ouver-
tement les prêcheurs et les curés à qui vous
G 4
i 04 Harangue
faisiez quelque part de vos doublons. ... ;
Je ne yeux pas dire que ce l'ut vous qui choi-
sîtes ce méchant que l'enfer créa pour aller'
faire cet exécrable coup ; mais il est assez
notoire qu'avant qu'il s'acheminât à cette
maudite entreprise , vous le vîtes , et je dirais
bien les lieux si je voulais : vous lui promîtes
abbayes et évêchés , et laissâtes faire le reste
à mademoiselle votre sœur , aux jésuites et
à son prieur qui rie lui promit rien moins
qu'une place en paradis au-dessus des apô-
tres
Les cloeteurs de Jérusalem disaient que
J. C. avait le diable au corps , au nom du-
quel il faisait des miracles ; nos prêcheurs
et docteurs n'ont-ils pa ; prêché que le feu
roi était sorcier et adorait Je diable , au nom
duquel il faisait tontes ses dévotions
Nos- Sorbonisr.es ont prouvé par leurs
textes- appliqués à leur fantaisie , qu'il est
permis , voire méritoire , de tuer le roi. ...»
Quiconque lira l'histoire des factions de
Bourgogne et d'Orléans verra les prédica»
tours boute-feux, comme ils le sont mainte-
nant , encore qu'il ne fut nullement question
dé religion. îîs prêchaient centre leur roi ;
ils le faisaient excommunier comme ils le
du sieur (TJubrai. io5
4'ont maintenant ; ils faisaient des proposi-
tions à la Sorbonne coni re les bons citoyens
comme ils font maintenant , et pour de Tar-
irent comme ils font maintenant
G
Concluons , messieurs , qu'il faut tous
d'une voix aller demander là paix à notre
roi. Allons , M. le légat , retournez à Rome
avec M. le cardinal de Tcllcvé. Nous avons
plus besoin de pain que de grains bénis.
Allons , messieurs les agens d'Espagne ,
nous sommes las de nous entre- tuer pour
votis donner du plaisir. Allons, messieurs
de LojTahw , nous vous tenons pour fantô*-
mes de protection. Nous sommes Français,
et allons avec les Français exposer notre vie
pour notre roi , notre bon roi , notre vrai
roi. Je sais qu'au partir d'ici vous m'enver-
rez peut-être à Ja Bastille , où vous me ferez
assassiner comme Sacremone , Saint -Mai-
grin , le marquis de Mignelai et plusieurs
autres ; mais avant de mourir je concluerai
ainsi ma harangue :
Messieurs les princes Lorrains,
Veus êtes trop faibles de reins;
Pour la couronne débattrî
Voi!s vous faites toujours battre. —
J'ai dit ;
lo6 La Sorbonne et les prédicateurs
Ce discours achevé , beaucoup de gens
demeurèrent étonnés , comme s'ils eussent
été frappés d'un coup de foudre ; jusqu'à ce
qu'un Espagnol se levant , dit tout haut :
to dos /os mattamoros estos ^ellacos. Nous
tuerons tous ces marauds-là : le meilleur
n'en vaut rien. Ce disant , partit de sa place
sans faire aucune révérence et sortit.
. Ces harangues pleines de sel, d'ironies et
de vérités , portèrent la désolation dans le
corps des ligueurs. Leurs chefs naguère
les idoles d'un peuple séduit , devinrent les
objets de ses railleries et de ses reproches.
Les prédicateurs tombèrent dans le discré-
dit et l'avilissement. La Sorbonne , à qui. on
imputait tous les malheurs publics , se trouva
insensiblement couverte d'opprobre et de
ridicule. Elle frémissait et ne pouvait se
venger : elle n'eût osé opposer les décrets
de ses théologiens aux bons mots et aux
raisons des gens de lettres. On sentit bientôt
combien il était absurde que les ministres.
tombent dans le mépris. 107
de la paix et de l'évangile prêchassent la
discorde civile , et combien il était extrava-
gant de voir , au milieu des états généraux,
des Italiens, des Espagnols et des prêtres vou-?
loir donner un roi et desloix à la France.
i'o8
CHAPITRÉ X L V I I.
*Î93"I594* Ccns,n'r d° la Sorbonne. Abjuration do
Henri IV. Lettre d'un docteur de
Sorbonne.
Lks états ouverts depuis long-tems avaient
déjà tenu plusieurs séances. HcririlV n'était
pas tranquille ; d'un jour à l'autre on pouvait
élire «n roi. L'anarchie ciAit augmenté, etl'Es-
pagne eut redoublé d'efforts. Le conseil de
Henri IV y et de son aveu , envoyé à Paris
demander une conférence pour trouver les
moyens de rétablir la paix. Le légat, décon-
certé par une semblable demande , s'écrie
qu'elle est impie et sdiismatique. La Sorbonne'
appeilée à l'appui du légat , et aux gages de
l'Espagne , la déclare, par une censure solem-
nelle , absurde , hérétique , dictée par un es-
prit de révolte contre l'église. Sur quoi la
Sorbonne se fondait-elle pour parler ainsi ?
C'est que dans la demande on y disait qu'un
roi hérétique „ condamné et excommunié
par le pape , pouvait avoir quelque droit à
la couronne de France.
Censure de la Sorlonne. 109
Malgré cette censure de la Sorbonne ,
malgré les cris et les menaces du cardinal
Sega y les brigues et l'argent de l'Espagna,
Mayenne fut d'avîs d'accepter ces confé-
rences. Il est vrai que , pour écarter toute
méfiance de la part des ligueurs , il proposa
avant tout de renouveller le serment de l'u-
nion. On le renouYella en effet. Mayenna
écrivit ensuite , au nom de l'assemblée, .une
lettre dont voici la substance et qui peut
nous faire connaître l'incommensurable dis-
tance qu'il y a d'un siècle où avec les opi-
nions de la théologie et les décrets de la Sor-
bonne on gouvernait les peuples, on trou-
blait l'état, on assassinait les rois, on outra-
geait Henri IV '_, à l'époque présente où avec
la simple philosophie , les Français instruits
et revenus de leurs antiques préjugés , en-
chaînent le despotisme ministériel , en éle-
vant des statues au sage Louis XVI.
« Ce n'est point la nature , est-il dit dans
» cette lettre , ni le droit des gens qui nous
sî apprennent à connaître nos rois ; c'est la
» loi de Dieuet de l'église. . . Ayant donc tous
» juré à Dieu , après avoir reçu son précieux
3î corps et la bénédiction de M. le légat, que
» le but de nos conseils sera d'assurer la re-
lio Conférence.
5> ligion catholique , rions acceptons la con-
5î férence que vous demandez, pourvu qu'elle
» soit entre catholiques seulement. x>
Les théologiens, le légat et les Espagnols
obtinrent encore qu'on ne traiterait point
avec le Béarnais. Le sage et sensé Renaud
de laBeaume , archevêque Je Bourges, était
à la tête des députés de Henri IV. C'était un
homme très- instruit et de bonnes mœurs. Il
parla des avantages de la paix , des malheurs
de la guerre civile allumée en France depuis
trente ans, et de la nécessité de s'unir sous
un prince de la maison de Bourbon.
Le voluptueux d' Espinac , à la tête des
députés ligueurs , répondit à cette exhorta-
tion en avouant qu'il fallait s'unir, mais con-
tre les hérétiques. Il appuya son sentiment
de l'autorité de Rome , de ses bulles , de ses
excommunications , des décrets de la Sor-
bonne et de tout cet attirail qui , comme
nous l'avons déjà dit , en imposait alors à
la nrultitude , et la mettait en mouvement.
Ces conférences n'aboutirent à rien , sinon
à faire connaître à Henri IV toutes les dif-
ficultés qu'il avait encore à vaincre pour être
reconnu roi de France.
En ce tems-là le duc de Ferla , avec de*
Lettre de Philippe IL \\\
trésors, des promesses, et Inigo de Mendosa9
théologien , arrivèrent à Paris. Les états s'as-
semblèrent extraordinairement. Feria et
jMendosa y Turent admis. Le premier ht une
harangue pour déplorer les malheurs de la
natioti ; il remit ensuite au cardinal de Pel-
levé une lettre de Philippe II , adressée à
nos révérends , illustres , magnifiques et
bien-aimés députés aux états généraux de
France. Dans la lettre, le roi d'Espagne de-
mandait l'élection d'un roi , ajoutant : que
par ce moyen j'aye le contentement de tout
ce que je mérite à l'endroit de ce royaume.
Le sens de ces paroles était qu'il desirait la
couronne de France pour lui ou pour sa
fille l'infante d'Espagne. Fellevé répondit
à cette lettre et à la harangue de Feria ,
mais en homme encore plus attaché au parti
Lorrain qu'au parti Espagnol.
Henri //^déconcerta les deux partis, en iS ma*
annonçant qu'il voulait se faire instruire, et
en invitant les évêques et les théologiens
de se rendre à Mantes pour travailler à son
instruction. Les états continuaient leurs séan-
ces sans oser élire un roi. Les Espagnols ,
soutenus de beaucoup d'évêques et de doc-
teurs de Sorbpnne t espéraient l'élection de
ni Mouvement de la Sorbonne.
l'infante ; mais le parlement de Paris donna
un arrêt , déclarant la loi salique fondamen-
tale , et regardant comme nulle toute élec-
tion d'un prince ou d'une princesse étran-
gère.
Mayenne, qui avait secrètementprovoqué
l'arrêt , feint d'être i rrité. Il mande le pré-
sident le Maître , lui reproche avec amer-
tume l'arrêté de la cour. Le Maître répond
avec fermeté qu'elle n'a fait que ce qu'elle
devait faire. Quant à moi , ajoute-t-il , je
soujjrirais cent fois plutôt la mort que d'ê-
tre Espagnol ou hérétique.
Le légat fit défense aux théologiens de
se rendre à Mantes ; et la Sorbonne, où ce
légat avait un grand crédit , agita de noter
d'hérésie les ecclésiastiques qui s'y ren-
draient , et de déclarer leurs bénéfices im-
pétrables. Cette motion, après beaucoup dé
débats , fut enfin rejettée. Beaucoup de
docteurs , les uns par curiosité , les autres
par intérêt , étaient bien aises de trouver
l'occasion d'ajler argumenter. Les théolo-
giens disputèrent entr'eux, et, suivant l'u-
sage , restèrent chacun dans leur opinion.
Henri IV et les évêques furent bientôt d'ac-
cord j ou consulta par-dessus tout l'intérêt
Menaces du légat, ii3
de l'état, et ils se décidèrent à recevoir son
abjuration. Tout Paiis était en mouvement.
Le légat n'avait pas voulu que les théologiens
allassent instruire e^ convertir Henri IV ;
on ne voulut pas permeîtte aux habitans
d'assister à son abjn atîon , dont on cem-
mença bientôt tés préparatifs dans L'église de
Saint-Denis Les portes de Paris Turen fer-
mées par ordre â'e Mayenne. On afficha une
défense de sortir, tt le lfeât annonça que
tout ecclésiastique qui irait voir Henri de
Bourbon, se disant roi de France, per rait
son bénéfice et encourrait lés censures de
l'église ; mais le.s- citoyens avides de voir
un roi dont on publiait de.-> merveilles ,
bravent et défenses et c< n m es , et Se ren-
dent en foule à Saint-Denis.
On avait rédige un fo.iuu'.iire d'abjura-
tion rempli d'articles minutieux. Henri IV
les effaça et ne voulut que des points néces-
saires à La foi. Vêtu d un porarp< int de sa-
tin blanc, bus et souliers ! la^cs, manteau et
chapeau noir, au milieu de tous les oj'Kciers de
la couronne , environné ae ses gardes et des
Suisses, il arrive à !;i porte de i'é^dse où
l'attendaient le cardinal de Bourbon , sept
évêques ou archevêques , quatre cm es de
Tome II, H
1 1 4 Abjuration de Henri IV.
Paris , un clergé très - nombreux et tons les
moines de Saint Denis. Henri IV demande
à être reçu dans le giron de l'église romaine ;
après cette demande faite à genoux aux pieds
des évêques, il jure de protéger cette église ,
remet son serment par écrit à l'archevêque da
Bourges , qui lui donne l'absolution et en-
tonne le Te Deum.
Les voûtes et les fenêtres de l'église étaient
chargées d'un peuple immense qui versait
des larmes de joie , et qui , dans l'ivresse de
son plaisir , à chaque instant, mêlait aux fan-
fares des trompettes, au bruit de la mousque-
terie , les cris de vive le roi , vive Henii IV.
Son amante , la belle Gabrielle cTEstrée ,
était spectatrice de cette abjuration à la-
quelle elle avait autant de part que la théolo-
gie. Ce jour d'alégresse pour les bous Fran-
çais , et qui après de si longs malheurs de-
vait amener l'âge d'or , ne fut pour les Es-
pagnols , pour le légat et pour la Sorbonne ,
qu'un jour de terreur.
Mayenne qui craint que le parti Espa-
gnol , dans son désespoir , ne consomme
l'élection d'un roi , demande une trêve à
.Henri IV. Elle fut accordée , signée et
publiée le lendemain. Cette démarche de
Serment contre Heriri IV. i \ 5
la part de Mayenne était un achemine-?
ment à la paix. Le légat , les Espagnols ,
les ligueurs et les prédicateurs s'en plai-
gnirent comme d'un acte de faiblesse et
de traîtrise de sa part. On voulut lui ôtër la
lieutenance générale c|e la couronne, comme
les Lyonnais avaient ôlé au duc de Nemours t
son frère , le gouvernement de la ville dont
il s'était fait le tyran.
Des murmures s'élevaient sans cesse con-
tre Mayenne ^ le légat , pour le mettre à
l'épreuve et le lier de nouveau par le ser-
ment de la religion, propose de renouveller
le serment de la sainte union ; et Mayenne
qui , pour prolonger son autorité chance-
lante , ne veut qu'écarter toute défiance , y
consent. Il se rend en conséquence avec les
princes , les Espagnols , chez le légat où se
trouve une foule de prêtres et de docteurs de
Sorbonne : on porte le livre de l'évangile ,
on se met à genoux aux pieds du légat , et
là , en touchant ce livre , ils jurent tous entre
ses mains qu'il n'y aur a jamais de paix avec
le roi de Navarre. Le serment fut signé , et
remis au légat.
On va plus loin. Le légat propose à Mayen-
ne la réception du concile de Trente que
H 2,
ii6 Excès des prédicateurs?
Rome n'avait encore pu faire recevoir en
France. Mayenne y consent et convoque
l'assemblée des états où cette réception se
fit avec beaucoup d'appareil , et donne une
déclaration pour annoncer que désormais ce
concile sera regardé en France comme une
loi d'état et de l'église Gallicane.
Dé j à H enri IV avait envoyé à Rome Gondi
évêque de Paris , et le marquis de Pisanni ,
pour annoncer au pape qu'il voulait abjurer ;
et quand il eut abjuré il fit partir le duc de
Nevers pour lui en porter la nouvelle. Les
ligueurs , qui de leur côté avaient dépêché le
jésuite Dupui pour solliciter le pape de fer-
mer les portes de Rome à Gondi , dépêchè-
rent d'autres émissaires pour s'opposer à la
réception du duc de Nevejs , et pour deman-
der une bulle d'excommunication contre les
évêques qui avaient reçu l'abjuration de
Henri Le relaps.
Les prédicateurs , et sur-tout le docteur
Boucher, faisaient retentir Les églises de Paris
de leurs emportemens contre ce roi qu'ils
3ie méritaient pas. Ceux de leurs confrères en
théologie qui ne prêchaient pas, écrivaient.
Nous allons rapporter la lettre d'un docteur
de Sorbonne nommé MaucLerc , à son con-
"Lettre d'un docteur de Sorbonne. iij
frère Ducreil qui était à Rome l'un des
agens Je la ligue. Nous répéterons ici ce que
nous avons déjà dit des écrits que nous trans-
crivons à l'appui de cette histoire. Eu les
abrégeant , nous n'en altérons jamais le
sens.
Lettre du docteur Mauclerc au docteur
Ducreil , résidant à Home.
» Monsieur notre maître , depuis mes der- 4 Auguste,
nières bien amples , se sont passées de terri-
bles affaires par lesquelles vous jugerez que
M. de Mayenne est toujours le même /// Gui-
sium Il 11e craint rien tant que ce que
vous souhaitez , advienne Voyant la
résolution des Espagnols in Javorem. du
duc de Guise, l'on a tâché de heurter contre
l'autorité des états par un bélier d'arrêt
prétendu ; mais le duc de jSlayennc se
voyant pressé de donner consentement à
l'avancement du duc de Guise , il a fait
semblant de le désirer fort , et dit qu'il vou-
lait assurer rétablissement de son neveu et
voir le pouvoir des Espagnols Lcsdits
Espagnols ont été fort joyeux , et étant chez
le légat en présence des cardinau?c et pvin-
II 3
1 1 8 L>ettre dun docteur
ces , ont déclaré un pouvoir de leur maître
pour marier l'infante avec le duc de Guise
comme roi , conjointement avec la dame
infante ».
33 De Mayenne a fait min e d'être fort j oyeux
» et content d'un tel honneur fait à un prince
a? de gente suâ mais il a demandé des choses
>3 si impossibles que l'on a connu qu'il
33 ne voulait auîre que lui esseregern Galliœ.
33 Les Espagnols se complaignent et jure. Les
33 gens de bien simili ter Ledit de
33 Mayenne est conjuré de ne pas envier cet
>3 honneur à son neveu , tamen mens im~
33 mota manet Il ne sait que répondre ,
33 et a dit quïl se perdrait plutôt quàm cogi
33 adid quod nollet. Et ce qui est très-indigne
» de lui , solus àpartibus stetit.
33 Les stratagèmes de quelques-uns electio-
>3 nem régis , in inducias commutarunt ma-
33 acimo cum commilioru/n generalium no-
33 minis de decre. Pour faire avaler ce mor-
33 ceau , on le sucre de belles promesses.
33 O.nnes coram legaio , tacto evangelio
» jurarunt se nunquarn pacem inituros cum.
33 rege Navareo , et hoc juramentum syngra-
33 pho confirmarunt in 7nanu dudit légat.
33 Le duc de Guise m'a dit aujourd'hui
d» Serhonne à son amtï i \ y
5» qu'il n'y a rien de gâté pourvu que sa sain-
» teté tienne ce qu'elle a promis au duc de
y> Sesse, legato catholicae majestatis. Mais
y> ce roi de Navarre tâchera de l'ébranler
33 par la légation du prince qu'il envoie , au-
» quel , si l'on ferme la porte comme à
»• Gondi f tout ira bien.
» Les Espagnols de nos quartiers sont bien
33 résolus de faire tout ce qu'ils pourront
33 pro fatali viro. Si les forces qu'ils promet-
» tent sont prêtes dans trois mois creabitur
y> rex etiant invito de Mayenne. Je pourrai
3» encore vous écrire dans deux jours quel-
3> qu'affaire de conséquence. A Paris, 4 août
» 1593. >»
Mauclerc.
La date de cette lettre , ainsi que ces
mots affaires de conséquence , sont très-
importans à remarquer avant de lire le
chapitre suivant , où il sera question d'un
assassin de Henri IF.
H4
120
CHAPITRE XL VIII.
1^ Démonologie de la Sorbanne. Barrièr»
et écartelé.
1594.
\ ,es bons catholiques se réjouissaient cl©
l'abjuration de Henri IV. Les émissaires de
la ligue manoeuvraient à Bome pour faire
excommunier i s évê pies q*ii l'avaient ab-
sous. Les théologien! c vannèrent d exhaler
en chaire un fanatisme punies ,d>le , et qu'on
ne pouvait encore ni punir ni réprimer. lis
prêchaient que la conversion du Béamois-
n'était {\\i\me fa'ce et la messe qu'on chan-
tait devant lui qu'un batelage.
Le docteur i? >ucker, dans l'eplise de Saint-
Meri (\ue son vrai pasteuravait abandonnée
parla crainte d'être assassiné, se signalait par
ses emportemen i contre Henri ITr. Il fit m uf
6ermons pour prouver [ne les évêques qui
avaient reçu son abjura ion étalent les mi-
nistres de l'enfer , et que le pape lui-même
ne pouvait fécathoUser le Béarnais.
Celte dém ne ■ , de la part d'un tliéologîen
et de ses confrères , lut poussée si loin iju uij
Démoncïogie de la Sorbonne. 12,1
bon citoyen s'en irrita , et au risque d'être
poignardé , il jetta dans le public un petit
écrit avec ce tbre : démonologie de la Sor-
ôo/ine. En voici la substance avec les pro-
pres paroles de l'auteur.
« J'ai toujours pensé cpie, Dieu favorisant
>» la France d une trêve , il y aurait quelque
» sur^eance non - seulement d'armes , mais
» aiusi de paroles aigres et piquantes
» rV^ais je suis déçu de mon opinion , puis-
ai que les chaires sont plus que jamais pi^ofa-
» néesde médisances et de propositions sédi-
>» tieuses Si je n'ai égard qu'à ceux qui
» les avancent , je ne me dois pas étonner
*> beaucoup , attendu qu'ils sont , il y a long-
35 tems , troublés de leurs cerveaux.... Je les
» vois, à la façon des faux prophètes , sé-
» duire le peuple plus que jamais , allumer
« les funestes flambeaux de la discorde
» parmi les Français , aiguiser leurs langues
>3 venimeuses pour peine re leur roi légitime
» et précipiter la f ranco en une fondrière
jj de malheurs incroyables.
y> Prenez garde à ceci , peuples , et que le
>» beau t L spécieux nom de Sorbonne ne vous
» o f'usque p;us les yeux. Ede n'e^t plus
v comme autrefois la perle du monde
1 22 lilaximes infernales.
» Elle est une boutique de toutes méchan-
•>•> cetés , le réceptacle des meurtriers et des
» larrons , le tombeau des loix divines et
» humaines O Sorbonne ! Argentum
» tuum versum est in scoiiam Je vous
*> cotterai quelques-unes des hérésies que ses
» suppôts enseignent à la populace dont j'ai
*> mille et mille témoins.
» Il est permis au peuple de désobéir aux
y> magistrats et de les pendre.
5>I1 est impossible que le roi se convertisse :
» il n'est pas en la puissance du pape de
y> l'absoudre.
y> La messe qu'on chante devant lui est
y> une farce. C'est à la Sorbonne à juger si
» le pape doit recevoir le roi ; et si d'avan-
3> ture il le faisait , le déclarer hérétique et
» excommunié lui-même.
« Qui meurt en faisant la guerre au roi , est
j> martyr. Il est permis d'assassiner son roi » .
Cette doctrine exécrable fermentait déjà
dans beaucoup de cerveaux. Cependant
Henri /Savait pris le seul parti qu'il eût à
prendre , et que sans doute il eût pris plutôt
si dans l'opinion des hommes ordinaires , il
n'était convenu , alors comme aujourd'hui ,
que tout changement cle secte suppose delà
U amour co Avertit Henri IV. 1 »3
Faiblesse, et que toute abjuration n'est qu'un
parjure. Il changea d'abord de religion sans
changer de créance. Sully , le judicieux
Sully , le lui conseille. // faut , lui dit-il ,
que vous soyez papiste et que je reste pro-
testant. Le sévère Mornai , qu'on regardait
comme le pape du calvinisme , ne désap-
prouva pas ce changement. Mais la personne
qui , à ce changement eût le plus de part,
fut sans contredit la belle d'Estrée. Elle
l'aimait , elle voyait avec horreur son amant
répandre le sang de ses sujets ; de plus elle
comptait l'épouser.
L'intérêt de Heniz IV , son amour pour
GabiiclTe d'Estrée , et sur- tout son amour
pour ses peuples , le rendirent donc catholi-
que. On pense bien que quand il abjura ,
il était peu persuadé que pour aller au ciel ,
il dût croire au pape qui l'avait excommu-
nié et déclaré de race bâtarde ; à la Sor-
bonne qui , vendue à Philippe II > nourris-
sait par ses décrets les peuples dans le fa-
natisme ; et aux prédicateurs catholiques
qui prêchaient la calomnie et la révolte.
Nous ne prétendons pas sonder le cœur
de ce bon roi ; mais il est très- vrai que dans un
de ces momens de franchise et de vivacité
12.4 Foudres de Rome.
qui faisaient son caractère , il s'était écrié :
ventre sangris , une couronne vaut bien une
messe. Ce n'est pas là , on doit l'avouer ? le
langage de la persuasion. Les ligueurs lui
avaient donné une aversion étrange pour le
catholicisme. En parlant des tueurs qu'on
avait souvent apostés pour l'assassiner , il
disait : si je il c Lai s protestant , je me ferais
turc. Ajoutons que la veille de son abjura-
tion , il mandait à son amante : c'est de-
main que je fais le saut périlleux.
Il vint un teins , et il en faut convenir ,
où Henri IV fut catholique de bonne foi ;
mais ce ne fut que quand , par l'habitude ,
son ame pliée et façonnée au joug des cé-
rémonies de l'église , on le vit dans un
confessionaJ s'humilier aux pieds d'un prê-
tre , et avouer des faiblesses qu'il ne put
jamais dompter , et qui , dans sa vie , sont
des taches que couvrent ses grandes ver-
tus.
Il avait solcmncllement abjuré le protes-
tantisme ; mais il fallait fléchir Rome. Ses
foudres grondaient encore. Le pape croyait
pouvoir tout hasarder tant que la révolte
serait dans Paris. L'Espagne n'en prodiguait
pas moins l'or du Pérou pour accélérer 1©
La France h V enchère. \i5
mariage de l'infante avec le duc de Guise.
Son oncle , le duc de Mayenne , perdant
l'espérance d'être roi , mettait secrètement
à l'enchère la couronne de France. Le même
levain de fanatisme qui avait fait assassiner
devant Orléans Guise, Coligni , le prince
d'Orange , Henri III y fermentait plus que
jamais dans les mauvaises tei.es. L'homicide
était prêché comme un acte de religion.
Les confesseurs sollicitaient des assassins.
Dans les confrairieS et les congrégations on
échauffait les têtes des jeunes gens en leur
promettant le ciel.
Le docteur de Sorhonne jSîaiiclrrr ox-a it
mandé , ainsi que nous l'avons vu , à son
ami le docteur Ducreil qui était à Rome ,
que dans peu il lui ferait part d'une af-
faire de conséquence. On ignore quelle est
cette affaire. Ce qui est certain, c'est que pen-
dant qu'on annonçait.! Rome une affaire de
conséquence , un homme de la lie du peu-
ple brassait la mort de Henri IV.
La lettre du docteur de Sorbnnne, écrite
ù Rome , est datée du quatre août. Bar-
rière ou la Barre , qui en voulait à la vie do
Henri IV ' , était entré à Paris deux jours
126 Barrière , jeune fanatique.
auparavant , et au moment de son arrivée
il avait cherché des théologiens pour s'en-
courager à tuer le roi. Cet assassinat ne se-
rait-il pas cette affaire de conséquence dont
parlait le docteur Mauclerc dans sa lettre ?
Nous ne décidons rien , et laissons à nos
lecteurs le soin de prononcer.
Barrière était né à Orléans ; son pre-
mier métier fut d'être batelier. Il fit à bonne
heure ses exercices de piété dans la con-
frairie du petit cordon , instituée chez les
cordeliers , en faveur de la religion catho-
lique. Pendant les troubles de la ligue , on
le jugea capable d'une expédition hardie :
il fut présenté aux Guise , qui le chargèrent
d'aller délivrer Marguerite , reine de Na-
varre , et femme de Henri IV , laquelle
était alors enfermée dans le château d'Usson
en Auvergne. Cette expédition ne réussit
point. Barrière se fit soldat , et bientôt il
eut à racheter les iniquités de ces deux pro-
fessions , de soldat et de matelot. I! se rend
à Lyon pour consulter des théologiens sur
ses grands projets. Son premier soin fut de
commencer par faire faire ses obsèques dans
l'église de Saint- Paul , et d'assister à sou
Barrière encouragé. \ij
enterrement avec une grande dévotion. Ce
devoir rempli , il s'adresse à un carme , grand-
vicaire , pour savoir s'il peut tuer le roi. Le
carme loue son courage. Un capucin à qui
il va proposer le même cas de conscience
décide que l'œuvre est méritoire. Deux prê-
tres consultés sur son projet lui avouent ,
pour l'tnflammer davantage , qu'ils se sont
réservés la gloire d'en délivrer la France.
Enfin , un dominicain lui donne des répon-
ses ambiguës , et le fait connaître à un
gentilhomme pour en avertir Henri IV.
Après un séjour d'un mois à Lyon , Bar-
rière vint à Paris. La théologie s'y trouva
conforme à celle de Lyon. Il se rend chez
<Aubri , docteur de Sorbonne , et curé de
Saint-André-des-arcs , comme au prédica-
teur le plus affectionné à la ligue. Ce doc-
teur lui dit que le roi n'était pas encore ca-
tholique quoiqu'il allât à la messe. Son vi-
caire confirme ce propos. Alors Barrière
leur confie son dessein. Aubri lui dit qu'il
est bon d'en conférer avec quelqu'un de
poids , et le mène chez Varade , recteur
des jésuites. Celui-ci lui avoue que c'est
une grande action de tuer le roi ; mais que
ia8 Barrière se confesse.
pour cela il faut du courage , et qu'avant
tour , il faut se co .fesser et taire ses pu pies.
Il lui donna sa bénédiction , et le confie à
un autre jésuite pour le confesser. Ajoutons
que dans te séjour que ce milheun.ux fit
à Paris , un prédicateur , les uns disent
Pigenat , les autres Commolet , criait en
chaire en parlan du . éarnoïs : Il nous faut
un âocl; fut-il moine , fût-il soldat } il nous
faut un aod.
Barrière, conseillé à Lyon* par un carme,
par un capucin et par deux prêtées , en-
courage à Paris pair le docteur Aubri , béni
par le jésuite Varade et confessé par un
autrë jésuite , ac lète un grand couteau
tranchant des deux cotés , le fajit aiguiser
et épointer , et va cher cher Henri IV. Il
le irouve à Saint-Denis , entérinant la messe.
La dévotion du roi lui en impose , et il
manque de courage. Il n'avait point encore
Communié, dit-il dans son interrogatoire.
Il suit Henri I Va CIiàinp-sur-Màrne , àBrie-
Comte- Robert. C'est dai s ce village qu'il se
confesse de nouveau et communie. Bien con-
fessé et muni du pain des forts , il va à
Melun où se rendait Henri IV. Mais Bar-
caleon 3
Supplice de Barrière. 129
calcon , ce même gentilhomme qui l'avait
vu à Lyon , était arrivé à tems : il l'observe
et le fait arrêter.
Barrière demande d'abord à la geôlière
du poison ; il confie son coutelas à un prê-
tre qui était prisonnier ; mais ensuite apper-
cevant ce couteau sur la table du conseil , il
le demande pour s'en couper la gorge. Inter-
rogé pourquoi il est venu à Saint - Denis :
c'est , dit-il , pour emprunter de l'argent ,
et pour se faire capucin à Paris. Appliqué
à la question , il dit qu'il espérait que Dieu
le rendrait invisible après avoii tué le roi.
Il fut condamné à être traîne sur un tombe-
reau dans les rues de Melun ; et avoir le poing
coupé. Sa main et son couteau furent jettés
dans un bûcher. On lui arracha les chairs
avec un fer chaud ; on lui cassa à coups de
barre de fer les bras , les cuisses , les jam-
bes , et quand il eut expiré, on brûla son
corps dont on jetta les cendres dans la rivière.
C'est-là un supplice qu'on croirait inventé
par les Cannibales.
Avant d'être rompu , Barrière reconnut
toute l'énormité de son crime. Il désigna
les deux prêtres de Lvon qui , dit-il, avaient
formé le complot d'assassiner Henri IV.
Tome II. I
i3o
N'étant point lettré , dit-il encore à ses ju-
ges , je me suis laissé persuader par les
ecclésiastiques et docteurs en théologie.
Ces paroles sont tirées du procès-yerbal
de sa mort.
CHAPITRE XLIX.
Travaux des hommes de lettres pour désa-*
buser le peuple et servir Henri IV. Li-
gueurs , parlement et Mayenne épouvan-
tés. Procession à Sainte-Geneviève. En-
trée de Henri IV à Paris. Emportement
d'un prédicateur.
i /^converti , absous etsacré , n'était
point encore maître de sa capitale. Sa si-
tuation sous les murs de Paris était très-em-
barrassante ; il n'avait que peu de soldats
mal vêtus , et point d'argent. Rome d'ai leurs
mettait à son égard une inflexibilité qui pou-
vait lui devenir funeste. Des étrangers Ita-
liens , Lorrains , Espagnols parlaient tou-
jours en souverains au milieu de Paris. Une
armée s'assemblait en Flandre pour entrer
en France sous la conduite de l'archiduc
Ernest. Henri IV avait encore à craindre
et à se défendre des assassins.
Pour l'honneur de ceux alors qui culti-
vaient les lettres , on doit avouer que ce fu-
rent eux qui par leurs écrits déconcer-
I 2
i3a Hommes de lettres
tèrént lés manœttvrës ambitieuses des étran-
gers , et étouffèrent le flambeau de la discorde
que la Sorbonne et les prédicateurs ne ces-
saient de rallumer. C'est sous le tranchant
de la satyre qu'ils firent expirer la sainte
union , ce monstre épouvantable qu'un peu-
ple aveugle avaitsi long-tems adoré. Disons
les noms des hommes de lettres qui , contre
Rome , contre la Sorbonne et contre l'Es-
pagne , servirent la patrie et Henri IV. Ces
noms doivent être chers à tous les bons ci-
toyens.
Louis lePioi conçut l'idée du catholicon
tï Espagne. Quant à la satyre menipée , elle
fut l'ouvrage de Vithou , de Chrétien y de
Passerai et de Gillot. Le nommé Hottman
publia V anti'chopin , qui est la satyre d'un
magistrat fanatique. Le regretfunèbre à ma-
demoiselle ma commère , sur le trépas de son
âne , est de Durand , homme né plai-
sant et caustique. Guillaume du Sable ré-
pandait dans Paris des coqs-à- l'âne. Celui
qui est intitulé la Truie au foin est une
dérision sanglante de la ligue , et sur-tout
de la Sorbonne. Tous ces écrits , que les
cuiieux conservent encore dans leurs bi-
bliothèques , étaient secrètement envoyés à
très-bons citoyens. i33
d'honnêtes bourgeois qui les faisaient courir
dans leurs quartiers. Peu -à -peu la lumière
se formait , et à mesure que les écailles
tombaient des yeux du peuple , Henri IV
lui paraissait un bon roi.
La plupart de ces hommes de lettres joi-
gnaient au titre de bel esprit le mérite d'être
sa vans. Ils s'assemblaient tantôt chez PitJwu ,
tantôt chez Gillot dont la maison était ou-
verte à tous les gens instruits. C'est là qu'en-
tr'eux ils gémissaient en secret sur les misè-
res et l'aliénation du peuple, et arrangeaient
les inovens de rendre Paris à Senti IV.
Titliou , celui qui d'entr'eux connaissait
mieux les loix , agissait auprès de Duvair ,
conseiller au parlement et homme de let-
tres. Ils en conférèrent avec Lemaître , pre-
mier président du parlement et l'ami de
Pithou. C'est celui-ci qui , pour déconcerter
les Espagnols , l'avait déterminé à rendre le
funeux arrêt en faveur de la loi salique.
Ils gagnèrent l'Huilier, prévôt des mar-
chands , et Langlois , échevin. Brissac ,
gouverneur de Paris , à qui l'on promit les
bontés de Henri IV , entra dans les vues de
Pithou et du président Lemai'lre.
Déjà on parlait sourdement d'ouvrir les
I 3
i34
portes de Paris à Henri IV. Cette rumeur
jetta l'épouvante chez les ligueurs et la cons-
ternation dans le parlement. Mayenne cou-
vert de ridicule par les hommes de lettres ,
et se sentant trahi , sortit de Paris avec sa
femme et ses enfans.
Les ligueurs environnés de terreur , font
tm dernier effort auprès du ciel qui les a
toujours désavoués. Ils ont recours àSainte-
Genev'wve. Sa châsse est promenée proces-
sionnellement dans les rues de Paris. Ce
fut là la dernière momerie du fanatisme.
Mars. Le parlement qui avait consenti à la
descente de cette châsse , se signala dans
son effroi , par un dernier acte de révolte.
11 apprend qu'on tient des assemblées
secrettes , et ces assemblées sont tout aussi-
tôt défendues par un arrêt. Cet arrêt
porte qu'on rasera les maisons où elles
seront tenues , et que tout propos contre la
sainte union sera regardé comme un crime
d'état. Le parlement , en rendant cet arrêt
insensé et barbare , ignorait que son premier
président Lemaître , uni avec les hommes
de lettres, travaillait à recevoir Henri IV.
Ce hemaitre se défiait tellement de sa com-
pagnie , qu'il ne mit dans le secret de ses
Henri IV entre à Paris. i35*
démarches que deux ou trois de ses confrères.
Cet arrêt et cette procession calmèrent les
terreurs des Espagnols , du légat et de la
Sorbonne. Il importait de les endormir
encore vingt-quatre heures.
Cependant Brissac négociait auprès de
Henri IV j le plus difficile pour lui était
de tromper les ligueurs qui ne le perdaient
pas de vue. Quatre mille parisiens de la
lie du peuple, à qui Philippe II donnait
par semaine un minot de b-led et une riche-
dale , étaient continuellement sous les armes.
Cette canaille en mousquet l'observait de
près. Il était encore surveillé par une
escouade d'Espagnols que le duc de Ferla
lui avait donnée pour l'accompagner dans
ses rondes. C'étaient autant d'assassins qui
avaient ordre de le poignarder à la moindre
démarche équivoque.
Henri IV ', sous les murs de Paris , la nuit
du vingt-unième mars, attendait les clefs.
Brissac qui a su tromper la vigilance de ses
satellites , les lui apporta. Le roi , précédé
d'une garde de cinq cents L ommes ayant leurs
piques renversées , entouré de sa noblesse
et de ses compagnies d'ordonnances , alla à
Notre-Dame où l'on chanta le te deum ; à
I 4
i36 Clémence de Henri IV.
midi, le dalme et la joie régnaient déjà dans
tout Paris. Il n'en coûta pas une goutte de
sang Français.
Le légat, l'ambassadeur d'Espagne et ses
adjoints , iWZcW proviseur de Sorbonne, et
Rose le conservateur apostolique de cette
école , les prédicateurs cpii avaient prêché
la révolte , tous les théologiens qui avaient
lancé des décrets et des excommunications
contre lui, attendaient leur sort en tremblant ;
mais le jour de la gloire de Henri IV fut
celui de sa clémence. Son premier soin
lut d'envoyer Saint- Luc aux drichesses de
Nemours, û' duma/e et de Montpensier toutes
coupables pour les rassurer , et des soldats
de sa garde pour les dérober aux outrages
d'une foule de bons citoyens qui , dans leur
premier emportement , auraient pia se ven-
ger des maux qu'ils avaient soufferts.
De l'église , HenrilV se rendit au Louvre
où un festin royal l'attendait et où peu de
jours avant un italien , quelques espagnols ,
le proviseur de Sorbonne, son conservateur
et plusieurs théologiens travaillaient à lui
ôter la couronne.
Après le dîner , fe duc de Feria et le légat
sortirent de Paris : le monarque qui eût été
Discours de Henri IV. i3j
fâché qu'on les insultât, ne se refusa pas
au plaisir de les voir humiliés. Ils défilèrent
sous les fenêtres du Louvre , les tambours
couverts et leurs enseignes ployées. Le roi
dit au duc de Ferla : adieu , M. le duc , re-
commandez-moi à votre maitre , mais n'y
lèveriez plus.
Ce même jour Henri IV manda, dit-oli, les
gens de lettres qui avaient préparé son entrée
à Paris et leur dit : « Mes amis , je n'examine
>) pas si vous êtes de la religion du pape ou de
» celle de Calvin : vous êtes de la vôtre se-
s> Ion votre conscience , comme moi de la
55 mienne ; mais vous êtes fort plaisans et
5) m'avez été fort utiles. Je vous en remercia
53 contre l'usage des rois qu'on remercie
5> toujours et qui ne remercient jamais.
>» Vous avez détrompé mes sujets en les
55 faisant rire ; et les théologiens les avaient
55 séduits en les faisant mourir de faim. Si
* les maîtres de Sorbonne , par leurs dé-
53 crets , les avaient rendus fous , vous leur
33 avez redonné leur bon sens par vos plai-
53 santeries. Continuez , mes amis , à me
55 servir , c'est servir votre patrie. Vous êtes
55 les conseillers penseurs de mon royaume ,
15 et il est bon qu'il y ait en cet état beau-
1 38 Propos d'un prédicateur fanatique.
» coup de ces conseillers. Pour cet ofïîce
» le plrs honorable de tous , je ne vous
» donne point de brevet ; vous en ferez
*> votre charge plus librement et mieux.
» Vous n'aurez non plus de gages , car
» de l'argent qu'on me donnera , il m'en
?> faut beaucoup pour acheter les trois quarts
» de la France que tiennent encore des
» ambitieux qui ne vous valent pas. Ce sont
» des voleurs et mercenaires qui me font
35 payer mon bien et chèrement ; mais il
m vaut mieux payer que de guerroyer plus
» long-tems mon pauvre peuple ».
Ce discours , s'il était authentique , serait
une des grandes singularités de cette époque.
Mais ce qui est encore plus singulier , et ce
que la critique la plus sévère n'a jamais
révoqué en doute , c'est l'emportement d'un
prédica'eur, la veille de l'entrée de TIenrilV
dans Paris. Instruit qu'on s'occupait à lui
en ouvrir les portes , il monte en chaire et
exhorte ses auditeurs par ces paroles mémo-
rables : il n'y a pas à marchander , mes frè-
res , il faut à coups de couteau se jetter sur
ceux qui parleront d'ouvrir les portes au
JBe'arnois.
CHAPITRE L.
Dispersion et châtiment des fanatiques. 1594-1595*
Procès contre les jésuites. Singulier décret
de la Sorbonne. Henri IV assassiné. Jé-
suites chassés.
xwi IV , maître de Paris , ordonna la
suppression de tous les arrêts que le par-
lement avait portés contre lui et contre son
prédécesseur. Un homme de lettres , le sa-
vant et célèbre Pithou , ce conseiller pen-
seur de l'état , fut chargé de l'exécution de
cet ordre ; il déchira des registres du greffe
tous les actes de démence dont les conseil-
lers jugeurs avaient signalé leur fanatisme
contre la famille des Valois et contre celle
des Bourbon.
On agita ensuite dans le conseil le sort des
séditieux. Plusieurs membres opinèrent qu'il
fallait chasser de France les dominicains
et raser leurs couvens. L'avis de plusieurs
autres fut d'attacher à leur habit une marque
d'infamie. Celui de Henri IV fut de pardon-
\£o Dispersion
ncr. Quant aux jésuites , le conseil demanda
leur bannissement. Henri IV ne fut point
de cet avis ; il pensa qu'on pouvait sauver
les corps en échancrant les parties gangre-
nées. On dressa en conséquence une liste
des moines et des docteurs de Sorbonne les
plus coupables , et l'on en purgea Paris.
Bourgoin , prieur du régicide Clément f
et l'apologiste de son assassinat , avait déjà
été écartelé à Tours. Mergy , son confrère ,
et qui avait acheté le couteau de Clément ,
fut exécuté à Cbâlons. Le docteur Cisé ou
Jessé avait été pendu à Vendôme , à côté de
Maillé Brcnehard , son pénitent , qu'il ve-
nait de con,fesser. Ce docteur était cordelier ;
c'est lui qui en chaire criait au peuple , qu'il
fallait de tout se débourber et se débour-
bonner.
Le docteur de Saintes , condamné à mort
par le parlement de Tours , fut seulement
enfermé dans le château de Creve-cœur par
la clémence de HenrilV. Le docteur Rose ,
conservateur apostolique de la Sorbonne ,
méritait sans doute de mourir. Le roi se
contenta de le renvoyer à Senlis à la tète de
son diocèse. Le cardinal Pellevé qui en était
le proviseur , mourut le jour môme que
et châtiment des fanatiques.
Henri IF entra à Paris. Il fut subitement
étouffé ou par la douleur de voir ce roi au
milieu de son peuple ou par la crainte d'être
[Mini. Ce même jour le docteur Boucher en
sortit à la suite du légat et à la tête d'une
trentaine de femmes débauchées et fanati-
ques. Le docteur Pelletier fat condamné à
être rompu vif. Les autres prédicateurs et
théologiens , tels que Lucain , Crucê ' , Pige-
nat , Launay , Cueilli , Aubri , Hamihon ,
le jésuite Bernard, le jésuite Commolet 'qui en
chaire demandait un Aod j le jésuite Varade
qui avait : -poussé Barri ère à l'assassinat, furent
tous proscrits. Le jésuite Pigenat , frère du
docteur de Sorbonne , qui était le conseil
des seize lorsqu'il fallait frapper quelque
grand coup , mourut à Bourges peu de
tems après , lié et garrotté sur son lit dans
l'excès de la démence la plus complette.
Toutes les cours souveraines reçurent 27 av"l
leur pardon : la Sorbonne , à la tête des 'î94'
autres facultés , prêta serment de fidélité.
L'université , pour rendre ce serment plus
agréable au roi , avant de le prêter , statua
de redemander au parlement l'expulsion des
jésuites. De tous les religieux ils étaient sajis
doute ceux dont Henri IV avait plus à se
Plaidoyers
plaindre , et ceux desquels il devait le plus
se défier. Ils étaient les plus actifs , les plus
ardens , les plus souples et par conséquent
les plus à craindre : leur conduite était plus
réfléchie. Dans leur* démarches ils avaient
quelque chose de plus suivi et de plus pru-
dent. Ils passaient pour être les espions de
l'ispagne et les émissaires de confiance du
pape qui les appellait ses yeux : oculos
7twntis meae.
i5 avril. Le décret de l'université qui ordonnait la
poursuite du bannissement des jésuites fut
lu , approuvé et signé par la faculté de
théologie, nemine reclamante ; deux doc-
teurs de Sorbonne présidèrent les com-
missaires nommés pour ramasser les preu-
ves nécessaires contre les jésuites. Les curés
de Paris se joignirent à l'université. Arnaud
et IDolé plaidèrent contre eux.
12 ûiillet plaidoyer (M Arnaud, avocat pour l'uni-
versité , n'est qu'une longue déclamation
diffamatoire , dénuée de preuves et rem-
plie de faits hasardés. La péroraison de son
discours renferme quelques idées très -sai-
nes : c'est là tout son mérite.
Le commencement du plaidoyer de Dolé,
pour les curés de Paris , est bien au-dessus de
contre les jésuites. i43
cette péroraison. Le style en est noble ,
mnjestueux. Nous n'avons point d'orateurs
en France qui ne se glorifiassent de l'avoir
fait.
c< Messieurs , dit Dolé , le sénat de Rome
» ayant condamné les sacrifices à'Isis et de
» Serapis , ordonna que leur temple serait
» ruiné , afin que les prêtres Isiaques per-
*> dissent à jamais l'espérance de le rétablir.
» Ceux qui étaient chargés de cette exécu-
« tion furent saisis d'une crainte supersti-
3> tieuse , et n'osèrent y mettre la main de
» peur qu'en violant l'autel de ces dieux
» étrangers , ils ne fussent foudroyés ; mais
« le consul Emilius probus assuré que tout
*» ce qu'un citoyen fait pour le bien de
» son pays est agréable à Dieu , dépouilla
» sa robe de pourpre , prit la hache à la
» main , et le premier pour donner l'exem-
» pie , enfonça la porte.
•>-> Il est aujourd'hui question de savoir si
» l'on doit chasser du milieu de nous des
» prêtres étrangers qui , sous prétexte de
y> piété , sapent peu-à-peu les fondemens de
» l'état et débauchent le peuple de l'obéis-
» sance qu'il doit à son roi.
?> Ceux qui traitèrent ce sujet il y a trente
1 44 "Plaidoyers
" ans n'en parlaient que par conjecture ;
» mais aujourd'hui le ressentiment du mal
s> qu'ils ont fait et l'appréhension d'un plus
w grand , doit nous faire recourir au remède.
» S'il se trouve en vous , messieurs , la réso-
3> lution de cet ancien sénat, vous trouve-
» rez pour celte exécution un bon nombre
•>-> â'JBmileç.
35 Je suis d'accor l avec ceux qui disent qu'ily
» a entr'ewx des hommes doctesetd'un grand
33 jugement ; c'est ce qui nous met en peine.
* Je crains un ennemi qui a de la réputation
33 parmi le peuple. .. . Leurs ruses sont d'au-
33 tant plus dangereuses qu'elles sont mal-
33 aisées à découvrir. Leurs menées sourdes
33 et secrètes sont mille fois plus à craindre
33 et se gardent plus longuement en l'esprit
33 du peuple séduit , que ne ferait une fac-
33 tion découverte où il n'y aurait que de la
33 violence qui tiendrait de l'humeur.
33 Les jésuites attaquent les hommes par
33 la plus dangereuse partie de leur esprit :
33 ils les battent de l'opinion de la religion ,
33 les surprennent et les étonnent lorsqu'ils
33 cherchent de la consolation. Un esprit
33 qui entre en soi-même , qui examine ses
53 fautes , qui minute déjà sa condamna-
tion
contre les jésuites. 1 4 3
» tion est contrict et abattu. Alors il est
33 aisé d'imprimer des opinions étrangères
•>■> en uneame étonnée. La superstition est
33 UNE FURIE CONTINUELLEMENT ATTACHÉE A
j> la conscience des ignor ans : elle ne les
>j laisse point respirer ; elle leur suscite des
r> imaginations horribles. Un homme en
33 proie à cette furie est facile à persuader.
3j Cessons d'imputer au peuple le mal
33 qu'il a fait ; il n'était que l'instrument
33 de ces religieux. Si vous empêchez que
33 le vent ne souffle , vous aurez une mer
33 tranquille. . . h
33 Les pontifes de Rome étaient obligés
» de donner avis au sénat des prodiges qui
53 arrivaient ; ainsi les demandeurs (les curés)
33 qui ont charge des choses sacrées , vous
» avertissent qu'il y a un grand prodige en
33 France ; c'est que des prêtres étrangers
» qui se disent religieux enseignent à leurs
» écoliers qu'il est permis de tuer les rois
33 et les princes, etc. ->•>.
On doit convenir que ce morceau est plein
de noblesse , et qu'il réussirait chez tous les
peuples et dans tous les siècles.
La voix publique s'élevait contre les jé-
suites : ils tremblaient eux-mêmes dans la
Tome II. K
1^6 Contradiction de la Sorbonne
crainte de leur jugement. On s'attendait
à leur proscription : la Sorbonne les sauva.
Nous avons vu qu'à peine venus en France,
la Sorbonne consultée sur leur régime , dé-
clara , sans les connaître , qu'ils formaient
un ramas d'hommes chargés de crimes ,
personas fascinorosas : elle fit plus qu'on
ne lui demandait ; on ne voulait que son
avis sur leur régime , et elle prononça
témérairement sur leurs personnes.
La Sorbonne avait , au mois d'avril ,
signé qu'ils étaient des hommes dangereux,
et avait demandé avec les autres classes de
l'université, leur expulsion de France. Deux
mois après cette demande , elle déclare qu'il
faut les conserver et qu'i's sont des reli-
gieux vénérables , patres venerabilcs.
Cette contradiciion dans l'école de Sor-
bonne mérite d'eire remarquée. Quand on
ne connaissait pas encore les jésuites , la
Sorbonne les calomnia ; et quand ils eurent
fait tout le mal qu'il leur était possible de
faire ; quand on eut trouvé dans leur maison
les bijoux de la couronne qu'ils tenaient
en gage pour du foin et de la paille qu'ils
avaient vendus aux ligtieurs ; quand leur
père Commolet eut en chaire demandé un
au sujet des jésuites . 1 4?
Aod pour poignarder Henri IV ; quand le
père Vanide eut béai et adjuré Barrière t
l'assassin de ce bon roi ; en un mot , quand
un cri unanime en Hollande , en Flandres,
en Angleterre , en France , s'élevait pour
dire qu'ils étaient une secte -d'assassins ,
la Sorbonne décida qu'ils formaient une
société de religieux respectables.
Ce décret de la S or-bonne en faveur des
jésuites arrêta le zèle du parlement. Ceux
des magistrats ligueurs que la clémence de
Henri IV avait laissés dans le corps firent
valoir ce décret et rendirent inutiles les
plaidoyers à.' Arnaud et de Dolé. Les pères
vénérables restèrent en France , et IlcnrilV
île tarda pas , ainsi que les deux avocats le lui
avaient prédit , à être assassiné par un de
leurs écoliers congré";anistes.
Ce congréganiète , âgé de dix-neuf ans,
fils d'un honnête marchand drapier, st nom-
mait Jean Chdtel. Il avait à se reprocher
dos péchés de mollesse commis avec des ani-
maux ; un inceste qu'il avait voulu commet»
treavec sa sœur : l'idée de tuer plusieurs per-
sonnes lui avait passé par la tête , et il se
croyait coupable d'assassinat parce qu'il en
avait eu l'idée. Il pensait aussi n'avoir pas
K i
i/fô Jean Châtel ,
cru en Dieu. Pour se débarrasser des remords
qui déchiraient son arae , il portait sur lui
des agnus , des chapelets et autres pieuses
béatilles ; il avait autour du cou une chemise
de Notre-Dame-des-Crôtes ; il approchait
souvent du sacrement de pénitence , et pen-
sait que toutes ses communions étaient sa-
crilèges parce qu'il ne se croyait jamais bien
confessé.
L'état de cet écolier était une maladie
très-affligeante. Pour le guérir il aurait fallu
de grandes dissipations et les conseils de
quelques philosophes, mais malheureusement
il était livré à des confesseurs , à des direc-
teurs et aux sombres exercices de la cham-
bre de méditation que tenaient les jésuites.
Cette cliambre de méditation , appellée
aussi chambre noire , était une grande et
vaste salle. Un seul cierge allumé dans un
coin de l'autel laissait entrevoir sur les
murailles des peintures effroyables. Là dans
des fournaises embrasées on voyait les vic-
times des vengeances célestes , les unes au
milieu des bûchers , les autres étendues sur
des grils ardens. Les ministres infernaux
armés de Fourches, plongeaient celles-ci
dans des chaudières d'huile bouillante , et
assassin de Henri IV. i4<>
celles-là étaient déchirées avec des peignes
de fer , ou étranglées par des couleuvres.
Les sifflemens des serpens et les hurleiuetis
des damnés semblaient partir des quatre
coins de la salle. A ces hurlemens que les
jeunes gens semblaient entendre , un jésuite
en surplis , au milieu de l'obscurité , mêlait
la voix menaçante d'un énergumène, citant,
suivant l'usage de ces tems-là , des histoireà
de revenans et de diables.
Quand la consternation était générale ,
on éteignait le cierge et on livrait les jeunes
gens , dont l'imagination était déjà boule-
versée , à la méditation des récits épouvan-
tables qu'ils avaient entendus C'esf d us ces
méditations que l'égarement de Châtcl se
consomma : il se dégoûta de la vie et il
se crut damné; c'est dans les momens de
cette sombre dévotion qu'il imagina qu'en
tuant Henri IV\\ ferait une action agréable
à Dieu , non qu'il crût par cet assassinat
mériter le ciel et racheter entièrement tous
ses péchés. Tout ce qu'il espérait , d'après
les aveux de son procès-verbal , c'était de ne
souffrir en enfer que comme quatre , et
non pas comme huit. Ce sont ses expres-
sions : ut quatuor non ut octo*
K S
i5o Henri IV assassiné.
Ce jeune insensé se prépara au crime par
des actes de dévotion ; il en conféra avec
le père Gueret , jésuite , et son professeur
de philosophie. Le ving^-six décembre ,
entraîné par son fanatisme , il se rend à
l'église de Saint -Laurent pour y entendre
la messe ; au sortir de la messe il rentre chez
lui pour prendre un couteau, de là il va à
vêpres , ensuite à l'église de Saint-Jean pour
faire sa prière , et de l'église au Louvre pour
assassiner le meilleur des rois.
La politesse affectueuse de Henri IV, qui
se baissait pour embrasser Montigiii } lui
sauva la vie. Le couteau de Châtel dirigé
sur le sein du roi , ne porta que sur la lèvre
supérieure et lui brisa une dent. On arrêta
l'assassin qui se renfonçait dans la foule ,
mais que son égarement décela. On lui
demande son nom , et il dit qu'il s'appelle
Châtel y écolier des jésuites. Le bon Henri
jVcrie qu'on lui pardonne et commande de
le relâcher. On ne juge pas à propos d'obéir,
on court à la maison de son père. Sa soeur
entendant parler d'assassinat , s'écrie au
•milieu de la rue : les jésuites auront fait
faire quelque folie à mon frère. Toute la
Lcr'ts sèd'ticux. l5i
famille de Chu tel , garrottée et chargée de
fers , fut entraînée dans les prisons.
Après cet enlèvement on va investir la
maison des jésuites qui dormaient déjà. L©
père Haius , entendant du bruit autour du
collège , court de chambre en chambre ré-
veiller ses confrères , leur criant : surge ,
fmter , agitur de religione. Les chambres
de tous les jésuites furent fouillées : on y
trouva des vers infâmes coiatre Henri IV ,
des anagrammes sur son nom , des thèmes
dont les uns contenaient l'approbation du
régicide Clément, et les autres des instruc-
tions pour assaillir les tyrans.
Dans la chambre de Guigna/xi ' on trouva
des libelles séditieux contre Henri III et
Henri IV ; les uns portant que si le jour
de la Saint- Barthelemi on avait tué Henri
IV, on ne fut pas tombé de fièvre en chaud
mal ; que l'action du moine Clément était
tin acte héroïque et tin don de Dieu ; que
Boùrgoing qui l'avait instruit , était un mr<-
pyr ; les autres , que la couronne de avance
devait être ôtt'e aux Bourbons ; le Béar-
nois ores converti à la foi catholique , serait
traité trop doucement si on le, jettait en un
cornent bien réformé avec tonsure monachale
£ i
t 'ki Jésuites jugés
pour il ce faire pénitence ; que si on ne peut
le déposer sans guerre , qu'on guerroie , et
qu'on le tue si on ne peut lui faire la guerre.
Tel était l'élixir de la morale du jésuite
Guignard.
En outre , il fut prouvé que Haius, jésuite
fameux pour avoir excité une sédition en
Ecosse , avait dit qu'un jésuite est un omnis
homo f qu'il est bon de dissimuler et d'obéir
pour un tems. On ordonna des informations
dans plusieurs villes de province ; celles qui
vinrent de Franche - Comté portaient que
deux jours avant que Barrière fût arrêté ,
deux jésuites avaient passé par Besançon
allant à Rome , et ayant assuré que bien-
tôt le roi de Navarre ne serait plus : celles
de Bourges portaient qu'on avait arrêté un
écolier des jésuites , nommé Jacob , qui
s'était vanté de tuer le roi , s'il n'avait cru
qu'il l'était déjà. On les accusa aussi d'a-
buser de la confession pour inspirer l'as-
Si^sinat , et d'entretenir dans le fanatisme
beaucoup de docteurs de Sorbonne qui
étaient leu*<; amis et qui avaient été leurs
élèves.
Enfin , la voix publique dicta leur arrêt.
Jean Châtel, leur congréganiste , fut écar-
et bannis de France. i5â
telé. Haius et Gueret son confesseur furent
bannis à perpétuité. Guignard fut condamné
à être pendu et jette au feu. Le même arrêt
qui condamna Châtel , Haius , Gueret et
Guignard proscrivit de France les jésuites t
ces mêmes hommes que la Sorbonne , par
un décret solemnel , avait qualifiés de pères
vénérables.
i54
CHAPITRE LI.
Menaces d'un patriarchat en France. Henri
IV absous à Rome. Thèses séditieuses en
Sorbonne. Le docteur Rose condamné à
l'amende honorable.
j^Û. ' LDOsRjtNDiK , pontife entêté , colère ,
borné , était instruit de ces assassinats , et
restait inébranlable. Il • entrait en fureur
quand on lui parlait de Henri IV : il ne
pouvait lui pardonner de s'être fait absou*
dre par des évêques français. Sa chaire pon-
tificale était investie par les agens de l'Es-
pagne et par ceux de la ligue. Les émissaires
de Mayenne arrivèrent à Rome en ces tems-
là , apportant avec eux , suivant l'expression
de l'archevêque de Lyon , des]yents pour en
forger de nouvelles tempêtes.
Le duc de Nevers après beaucoup de
petites négociations , fut admis à baiser
les pieds & Aldobrandin. Cette faveur lui
fut accordée non comme à l'ambassadeur
de Henri IV mais comme à un seigneur
distingué. Il fit au pape un tableau très-
d'un patriarche en France. i55
pathétique des calamités qui désolaient la
France, et démasqua les scélérats qui s'a-
charnaient à sa perte. Clément VIII entend
de sang -froid ces tristes récits , et peu
de tems après ordonne à l'orateur de sor-
tir de Rome. WAngcnnes et Seguier , ses
deux collègues , sont cités par les huissiers
du saint-office au tribunal de l'inquisition.
Leur crime était d'avoir assisté à l'abjura-
tion de Henri IV. Ils refusèrent d'obéir ,
et sortirent de Rome avec le duc de Ncvers
qui , dans la crainte d'être insulté par une
canaille superstitieuse , traversa les nies
tenai-t la main sur la garde de son épée.
Cet affront inoui , fait au duc de Revers ,
révolta tous les bons Français. L'indigna-
tion devint universelle ; on parla ouverte-
ment de démembrer la France de l'empire
de la papauté. Beaucoup d'évêques soupi-
raient après un patriarchat. C'était le vœu
unanime de tous les hommes de lettres dont
l'opinion à la longue forme la destinée des
peuples. C'était le désir d'une multitude
de magistrats instruits. Le moment semblait
être venu d'avoir en France une église libre
et indépendante. L'Angleterre, la Suède ,
la Hollande , le Dannemarck , et la moitié
1 56 Le pape ail armé.
de l'Allemagne avaient des églises luthé-
riennes et calvinistes. En France , il était
question d'avoir une église catholique , apos-
tolique et non romaine : on devait garder ses
dogmes et ses liturgies , mais s'affranchir de
ses caprices et de sa tyrannie. Henri IV£nû-
gué de l'inflexibilité de Clément VIII } s'ar-
rangeait pour se passer de son absolution.
Il entrait dans les vues de ceux qui de-
mandaient un patriarche. On nommait delà
Heaume , archevêque de Bourges , pour
remplir cette dignité , et il la méritait pour
s'être mis au-dessus des préjugés en rem-
plissant la formalité d'absoudre son roi dans
l'église de Saint-Denis.
Un moment de courage élevait en France
cette chaire patriarchale. Le bruit s'en ré-
pandit rapidement en Europe. Le pape s'en
allarma. Séraphin Olivier , auditeur de rote,
dont la conversation enjouée et fertile en
bons mots , amusait sa sainteté , interrogé
sur ces rumeurs publiques , répond : ce Clé-
j> ment VII a perdu l'Angleterre par sa viva-
33 cité , Clément VIII perdra la France par
si ses lenteurs». C'est ce même homme qui ,
en plaisantant dit un jour au pape : quand
ce serait le diable qui demanderait à se
Le pape plus accommodant. i5j
convertir , votre sainteté ne devrait pas le
refuser.
La crainte succéda à la colère clans l'es-
prit de Clément VIII : dès-lors il ne parla
plus qu'avec indifférence aux députés de
l'Espagne , de la ligue et de Mayenne qui
demandait toujours de l'argent, des troupes
et des excommunications. Les chartreux ,
les capucins et les minimes français reçu-
rent ordre de sa part de prier pour Henri IV.
Ces moines s'étaient jusqu'alors refusés à
cette formule d'usage. 11 écrivit à ce même
cardinal de Gondi à qui il avait refusé l'en-
trée de Rome , et que son légat , de concert
avec les ligueurs et la Sorbonne , avait fait
chasser de Paris. Le jésuite Possevin, fa-
meux par ses voyages en Savoye , en Polo-
gne , en Suède , en Moscovie , fut envoyé
en France pour renouer les négociations
de cette absolution qu'on avait demandée
avec tant d'instances et dont on croyait
n'avoir plus besoin.
Henri IV prévenu par le pape , chargea
Dupcrron et à'Ossat d'aller traiter de nou-
veau avec lui de cette absolution : il voyait
la chose en politique , et p. usait que cette
cérémonie pourrait disposer à i'obeissance
l58 Demandes du pape.
les provinces révoltées, et refroidir les têteS
encore échauffées de beaucoup de fanati-
ques.
Le pnpe toujours incertain comme le sont
la plupart des hommes ignorans , partagé
entre la crainte de déplaire à Philippe II
et la crainte de perdre la France , assem-
bla le collège des cardinaux. Presque tous
opinèrent pour absoudre Henri IV. Le jé-
suite T'oie t fut celui qui se donna le pluà
de mouvemens : c'étaitù'n jésuite Espagnol ,
Cordohan ; il abandonna les intérêts de Phi-
lippe Il son roi pour les intérêts de sa société
qu'on avait ignominieusement proscrite en,
France : il youlait mériter son rappel eh
servant Henri. IV. Enfin le pape , d'après le
conseil de son sacré collège et les instances
de Tolet , consentit à l'absoudre , aux con-
ditions que l'absolution de l'archevêque de
Bourges serait annullée ; que la réhabilita-
tion de Henri IV dans la royauté serait faite
devant le tribunal de l'inquisition ; que sa
couronne serait mise entre les mains de sa
sainteté et ne serait posée sur la tête d'un
de ses ministres qu'après la cérémonie de
l'absolution ; qu'il promettrait de faire la
guerre au Turc ; enfin , qu'il s'engagerait
Momerîe pontificale. i5()
pnr serment à renoncer à tous ses droits
royaux s'il retombait dans le calvinisme.
Duperron qui ne perdait pas de vue ses
intérêts, consentait à tout. D'Ossat, moine
ambitieux et plus attentif à l'honneur de son
roi , fit rejetter toutes les clauses humilian-
tes de cette bulle , et ne voulut accepter
avec l'absolution qu'une pénitence selon les
canons. La cérémonie s'en fit avec un grand
appareil, dans la place de Saint-Pierre. Le
pape y était sur son trône , au milieu de ses
cardinaux , de ses évêques , d'une multitude
de moines , de prêtres , et de la foule du peu-
ple Romain qui, dans son imbécille stupidité,
croyait encore triompher des rois comme
il en triomphait sous les Scipion et sous
les César.
D'Ossat et Duperronvelvis en simples prê-
tres , à genoux aux pieds du pontife et au
nom de Henri IV, abjurèient le calvinisme ;
ensuite étendus le ventre à terre, et pendant
que d'une voix lamentable les eunuques de la
chapelle papale chantaient le miserere, onleur
administrait sur le derrière des coups de
baguette. Le miserere achevé, le pape tou-
jours assis et la tiare en tête , impose pour
pénitence à Henri IV de réciter le chape-
i6o Momerie pontificale.
let tous les jours , le rosaire tous les same-
dis , le miserere le vendredi , les litanies le
mercredi , et prononça ensuite l'absolution
sur la tête des deux ministres toujours à
genoux , et la tête profondément courbée
sur les marches du trône pontifical. Clé-
ment VIII termina cette farce , le scan-
dale de la raison , en les touchant avec
une baguette , comme on touchait un es-
clave auquel on donnait la liberté.
Ces coups de verges ne firent à la gloire
de Henri IV qu'une tache passagère : il eut
des vertus , et sur-tout un amour pour son
peuple qui lui firent pardorfner cette fai-
blesse dans laquelle il entrait peut-être un
vrai courage.
Les vrais Français murmuraient de l'or-
gueil de Rome , et blâmaient ouvertement
Duperron de s'être soumis à la gaulade»
Le peu de philosophes qu'il y eut alors re-
grettaient qu'on n'eût pas consommé l'af-
faire du patriarchat ; et leurs regrets aug-
mentèrent lorsqu'ils entendirent un ba-
chelier de Sorbonne annoncer au public
qu'il soutiendrait que Rome a le pou-
voir des deux glaives , que c'est elle qui
arme du glaive temporel les rois et les
magistrat*
Thèses séditieuses en Sorbonne. i6x
magistrats pour la destruction des médians;
enfin , que les rois et les évêques relèvent
de C létnent VIII , qu'il a sur eux , en
sa qualité de souverain et de grand pontife,
une autoriié temporelle et spirituelle.
Déjà pour soutenir cet acte public d'ex-
îravagance le jour est indiqué en Sorbonne.
Le docteur Bîansi , l'approbateur du bache-
lier Jacob , devait y présider. La sagesse du
parlement prévint cette folie. Le bachelier
et le docteur Blansi furent enfermés à la
conciergerie , et après une détention de deux
mois ils furent déclarés perturbateurs et sédi-
tieux. Des prisons de la conciergerie , ces
deux coupables théologiens furent conduits
par des huissiers en Sorbonne. Doyen ,
syndic , docteurs , licenciés , bacheliers ,
tous furent mandés en la grande salle du
parlement. Là , en leur présence , Jacob h
genoux et la tête nue , ayant à côté de lui
le docteur Blansi , demanda pardon de sa
scandaleuse doctrine. Après cette amende
honorable l'huissier déchira le programme
qui la contenait.
Le même jour le président F orge t , La-
gucllc , procureur général , et quatre CQn-
seillers se rendirent en Sorbonne et v firent
Tome II. L
î6a Amande honorable de Jacob,
transcrire , avec l'arrêt porté contre le ba-
chelier Jacob et le docteur Blansi , un ordre
d'en faire la lecture tous les ans , déclarant
criminel de lèze-majcsté tout théologien qui
soutiendrait les opinions qu'on venait de
proscrire. Le procureur général ajouta :
si le parlement ne punit peint la Sorhonne ,
c'est qu'il veut bien croire qu'elle n'est
p. int complice de l attentat de Jacob.
L'amende honorable à laquelle fut con-
damné ce bachelier de Sorbonne fut soiem-
neîle ; mais celle que prononça Rose , le
-conservateur apostolique de cette même Sor-
bonne , le fut encore davantage. Ce docteur
au jnel , dans l'excès de sa clémence, Henri
/Savait accordé un pardon qu'il ne méri-
tait pas , au lieu d'édifier ses diocésains de
S en lis par des vertus apostoliques , ne s'y
occupa qu'à prêcher la révolte. Il était rentré
à Paris pour briguer l'honneur d'être grand
anaître du collège de Navarre. Cette dignité
était bien au-dessous de celle d'évêque ;
mais elle mettait le docteur Rose à portée
de nourrir dans Paris le feu d'une sédition
qui y couvait encore. Voila le motif de cette
démarche qu'appuyait en Sorbonne et dans
l'université un parti secret et nombreux.
Amande Iionor. du docteur Rose. i63
On ne parlait que des services que ce doc-
teur avait rendus à la religion. Il se vantait
lui-même d'avoir été ligueur. Cette impru-
dence ne lui réussit pas ; elle ne servit qu'à
le faire observer. On découvrit un libelle
qu'il répandait et qui avait pour titre :
Ludovici d'Orléans uni us ex confederatis
pro caiholicâ jîde expostulatio . Ce libelle
était un nouveau tocsin de révolte. Rose
ne l avait point composé ; mais il avait
rempli les marges de notes qui commen-
taient et approuvaient le texte, et qui toutes
étaient écrites de sa main.
Le procureur-général dénonce l'ouvrage ,
et le conservateur de la Sorbonne est arrêté.
Le parlement le condamne à une amende
honorable aux pieds de la grand'chambre.
Rose y parait vêtu de ses habits pontificaux.
Il prononce de sang-froid cette amende ho-
norable , écoute d'un air arrogant l'arrê. qui
le bannit de S/enlis pour un an , et qui lui
fait défense de prêcher pendant son bannis-
sement.
164
CHAPITRE LU.
Gouverneurs mercenaires. Jésuites rétablis.
Du docteur To\xx\\o\iXOç\\Q. La Sorbonne
réj?rimandée de nouveau parle parlement.
T /Orsoue Clément VIII eut absous Henri
IV le fanatisme ne devait plus avoir, ce
semble y de prétexte pour l'assassiner , ni
les provinces pour demeurer dans la révolte.
Une preuve que le peuple n'était qu'égaré
par la théologie , c'est qu'il rentra dans l'o-
béissance au moment où l'autorité imposa
silence à la Sorbonne et aux prédicateurs ;
mais une preuve non moins forte que la
plupart des seigneurs étaient des fripons ,
c'est qu'ils mirent à l'enchère les provinces
dont ils s'étaient emparés. Henri IV fut
obligé de marchander plus ou moins avec
eux , comme on marchande pour l'acquisi-
tion d'une métairie sur laquelle on n'a
aucun droit. Ce qu'il ne put acheter il le
conquit par les armes. Les restes de l'em-
brasement s'éteignirent d'eux-mêmes.
La bonté de Henri IV qui l'aurait fait
Belles paroles de Henri IV. i65
adorer quand il n'aurait été qu'un simple
particulier , lui ramena tous les cœurs. Son
règne fut celui de Titus. Il fit la paix de
Vervins en roi victorieux. Philippe II ac-
cepta cette paix , et la mort en purgea la
terre avant qu'il l'eût signée. Le fanatique
Boucher , docteur de Sorbonne , retiré à
Bruxelles , fit l'oraison funèbre de ce mons-
tre couronné. Le panégyriste de l'assassin
Clément méritait sans doute de l'être du dé-
mon du midi.
Avant que Henri IV, à la tête de quatre
cents gentilshommes français, et en présence
dos ambassadeurs de l'Espagne , eût solem-
nellement juré , dans l'église de Notre Bame,
la paix de Vervins , il avait donné en faveur
des protestans , dont il n'avait qu'à se louer ,
le fameux édit de Nantes , monument de
tolérance chrétienne. Cet édit éprouva de
violentes contradictions au parlement uni
alors avec le clergé. Le roi y vint et y
prononça un discours paternel dans lequel
on trouve ces paroles mémorables : il ne
fii ut plus de distinction de catholiques et de
huguenots ; il faut que tous soient bons F ran^
rais.
o
La paix faite avec l'Espagne , les protes-
L 3
166 Jésuites pardonnés.
tans satisfaits, HenrilV pardonna encoreaux
jésuites. Sulli représenta à Henri If^le dan-
ger qu'il y avait de rappellcr ces religieux.
Ils seront bien plus dangereux , répond le
monarque , si je les réduis au désespoir*
Il força aussi au silence la justice de son
parlement qui les avait proscrits , en lui di-
sant : s'ils ont été jusqu'ici en mon état par
tolérance } je veux qu'ils y soient par arrêt.
Ils sont nés en mon royaume , et je ne veux
pas entrer en ombrage de mes naturels sujets.
A peine les jésuites étaient-ils rentrés en
grâce qu'ils eurent un démêlé avec l'uni-
versité d'Angers. Ils voulurent être incorpo-
rés de force à cette université qui les repous-
sait de son sein. Miron , l'évêque de cette
ville , les protégeait : il cassa par une sen-
tence de son officialité tout ce qu'on avait
fait contr'eux. L'université interjetta appel
au parlement de Paris. La Sor bonne ap-
prouva cet appel par une délibération qu'elle
tint secrette pour ne pas déplaire au pape
qui regardait les jésuites comme les princi-
paux piliers de la chaire pontificale , et au
jésuite Coton qui , déjà confesseur de Henri
IV commençait à jouir d'une grande faveur.
L'avocat général Senin, en parlant au par-
Mensonge de la Sorhonne. 167
lement contre l'e veque Miron et contre les jé-
suites , cita cette délibération de la Sorbon-
ne pour tranquilliser quelques conseille! s trop
prévenus eu leur faveur. II lit plus : il la fit
imprimer dans le recueil de ses plaidoyers.
La publicité de cette délibération déplut à
la Sorbomie : le pape en l'ut instruit, et son
nonce s'en plaignit amèrement en cour.
Le père Coton agit auprès du roi son péni-
tent , et auprès de la Sorbonne pour faire
anéantir cette délibération : ses intrigues
réussirent. Trente -sept docteurs assembles
en Sorbonne désavouèrent cette délibéra-
tion comme une pièce fausse , supposée ,
impie et sentant Ihcrésie. Ce mensonge
grossier fut inséré dans le cartulaire de la
Sorbonne pour calmer Rome, son nonce,
le confesseur du roi, et les jésuites qu'on
prévoyait déjà être tôt ou tard à craindre.
Le parle nient manda Tierre de Vive ,
chancelier de l'université , plusieurs théolo-
giens et le docteur 'Tourne broche qui , celte
année là , exerçait le syndicat en Soi bonne :
ce syndic avait été garçon de cuisine , et
c'est de ce premier état qu'il tenait son nom
de Tou rne broche , lequel il changea en celui
de 'Tourne roc lie. Interrogé par le premier
168 Docteur Tournebroche réprimandé.
président pourquoi la Sorbonne s'était as-
semblée ; Toumebroche n'osa rien répon-
dre ; mais Pierre de Vive prit la parole , et
dit que l'ordre qu'on avait reçu émanait
d'une personne qui avait droit d'en donner
au parlement ainsi qu'à la Sorbonne. cette
réponse était grossière ; quelques magistrats
voulurent user de sévérité à l'égard de
Pierre de Vive : on se borna à le répri-
mander , et l'on enjoignit , par un arrêt , au
syndic Tournebroche de supprimer des re-
gistres de la Sorbonne sa dernière censure
qui n'était qu'un lâche mensonge en faveur
des jésuites.
i6$
CHAPITRE LUI.
Du philosophe Charron ; du jésuitè Mariana,
et de Ravaillac , assassin de Henri IV.
N^ous avouons de bonne foi que ce que
nous venons de dire du bon homme Tourne-
broche , syndic de la Sorbonne , est très peu
important : ce que nous allons raconter
le sera davantage. Nous parlerons de Charrvn
dont l'esprit mâle et hardi, lumineux et mé-
thodique , recula de quelques pas les bor-
nes de la raison, et à qui les ennemis de
la raison firent payer chèrement le service
qu'il rendit aux hommes.
Garasse assure que Charron était livré à
un athéisme brutal et acoquiné à des mélan-
colies truandes ; que sa tête était remplie
d'écrevisses , et qu'il était plus capable de
faire des roues que des livres. Quand cet
imbécille imprimai' ces pauvretés , qu'il
croyait être de l'éloquence et de la plaisan-
terie , il y avait vingt ans que Charron était
mort. Les jésuites ne pouvaient que troubler
170 dans ses ouvrages.
sa cendre. Mais les théologiens troublèrent
son repos ; Ls se déchaînèrent contre lui de
son vivant , et ce fut au bruit de leui»
sottises et de leur persécution qu'il descen-
dît dans le tombeau.
N«us avons vu que la moitié de l'Europe
devint protestante en haine de Rome dé-
bauchée, ambitieuse , cruelle et persécu-
trice ; mais beaucoup de catholiques ne se
bernèrent pas à méconnaître cette mère
commune ; ils crurent qu'il n'y avait point
de Dieu en voyant l'extravagance , les four-
beries, le luxe et les mœurs corrompues de
ceux qui parlaient au nom de Dieu. Ils rai-
sonnaient mal sans doute, mais c'est ainsi
que raisonneront toujours la plupart des
hommes mal instruits.
Charron, dans un premier ouvrage, com-
battit tout à la fois pour Dieu et pour le
pape : il attaqua les hérétiques et les athées :
ensuite il combattit contre les superstitieux.
A force d'exercer sa pensée , il vit que ce
tlouble égarement de l'athéisme et de l'in-
crédulité découlait des erreurs populaires
comme d'une source commune. Charron
contre les protestans n'avait qu'employé les
argumens de la théologie ; contre les supers-
But de Charron 171
titieux il se servit des armes de H raison.
Tous les hommes sont invités dans son livre
à dépouiller la religion des superstitions qui
l'obscurcissent comme on sépare l'or de ses
alliages quand on veut lui donner totït son
éclat. Charron parlait en philosophe et en
bon citoyen. C'est l'esprit de ]\iont.:yne ,
son maître, qui l'inspire, lorsqu'il dit que
la religion ne peut être raisonnable si le
culte n'est pur. C'était un secret qu'il ré-
vélait au commun des hommes, et le livre
de la sagesse où il découvre ce secret est
un de nos bons livres classiques , et qu'un
millier de volumes de morale , imprimés
depuis , n'ont encore pu faire oublier.
Dans ce livre Charron s'élève contre la
, religion du peuple qui diffère rarement
d'une superstition grossière. Les gens bor-
nés qui, dans toutes les compagnies for-
maient alors le plus grand nombre, crièrent
au scandale, à l'impiété. Ce cri jètta l'a-
larme dans le camp du seigneur, rrètres ,
moines, magistrats s'armèreni pov.r peMre
Charron ; le . uns étaient assez stupides pour
confondre la religion de l'homme instruit
avec la superstition du peuple , < 1 .os entres
assez timides pour craindre que la ruine
172, Charron dénoncé par la Sorbonne.
des erreurs populaires n'entraînât la ruine
de la vérité.
Deux docteurs de Sorbonne commencè-
rent l'attaque contre le philosophe Charron;
ils dénoncèrent sa sagesse comme étant le
renversement de toute religion révélée. Le
zèle des juges du châtelet auquel le livre
fut dénoncé était d'autant plus dangereux
que leurs lumières étaient plus bornées.
La mort inopinée de Charron le sauva de la
rigueur d'un jugement qui eût peut - être
été une tache de plus à la gloire delà nation.
Avant de mourir , s'il en faut croire son
ami de la Rochemaillet , Charron prédit
qu'il serait censuré par les présomptueux ,
rogues f affîrmatifs , gens têtus et opiniâ-
tres y qui pensant tout savoir, être les plus
sages et avisés de ce monde , combien que
pour la plupart ils soient ineptes et ignorans,
et dont aucuns sont frappés de maladies
presque incurables.
Le parlement à son tour , prit connais-
sance du livre de Charron- Les conseillers
n'y étaient guère moins animés contre le
philosophe que les juges du châtelet, et n'é-
taient pa6 plus instruits. La plupart étaient
un reste du parlement de la ligue : ils de«
Livres pernicieux. 1/3
mandaient à hauts cris la flétrissure du livre
de la sagesse. Un sage se fit entendre et força
les préjugés à l'écouter. Ce fut le président
Jeanin qui prit les intérêts de Charron ; il
en parla avec éloge et autorité ; il discuta
les principes de son livre en homme d'état.
Ses raisons furent appuyées par le président
du Harlai, magistrat d'un esprit hardi, fort ,
généreux, nullement populaire ni supersti-
tieux. Le sentiment de ces deux sages de-
vint celui de la pluralité des membres de
la compagnie. Ainsi la Sorbonne avait flétri
le livre de la sagesse comme un livre abo-
minable , et le parlement , par l'arrêt qui
intervint, décida qu'il serait regardé comme
un livre d'état.
La conduite de la Sorbonne mérite à cette
époque l'attention des lecteurs : elle persé-
cute l'homme qui veut épurer le culte ,
assurer la vie des rois , et rendre les peuples
raisonnables ; elle s'arme avec éclat contre
la vérité et laisse l'erreur se propager , en se
condamnant à un silence coupable lors-
qu'elle devrait s'élever contre des livres
pernicieux.
Parmi ces livres pernicieux qui parurent
alors , on vit un amphitheatrum honoris ,
ïj4 Livres pernicieux
composé par un malheureux jésuite d'Ain
vers, nommé Scribanius , pour insulter nos
sages magistrats , nos hommes de lettres et
19 décem- notre bon lierai IV. La même année que
bre. „ -1
parut cet ouvrage , un fanatique attentat de
nouveau à la vie de ce roi.
1606. T autre livre non moins ignoré aujour-
d'hui et encore plus dangereux alors, fut
celui de l'Espagnol Manama qui enseignait
l'art d'empoisonner les rois en conscienc e ,
et qui taisait l'apothéose de l'assassin de
Henri III. Caeso rege , ingens sibi nomen
Jfkûît. in poignardant ce roi , dit ce jésuite
Espagnol , C lémentmévita un nom immortel.
Ces livres abominables étaient colportés
dans toute la France et vendus publique-
ment. La Sorbonne qui , deux ans aupara-
vant, avait fait un grand vacarme contre le
livre de Charron , ne fit aucune démarche
pour proscrire Mariana et Scribanius , dont
les maximes détestables avaient fait de Paris
un repaire de monstres et de la France un
vaste cimetière ; de ces maximes qui finirent'
d'allumer le cerveau d'un fanatique , et mi-
rent un terme à la félicité dont les Français
jouissaient depu;s quinze ans.
Ce fanatique était Ravaillac , maître d'é-
de Rayailïac. ijB
cole à Angoulême : depuis? son feas-âge il
portait dans sa tête le çerrne îles malheurs
de la France. Son aversion pour le hugtïe-
notisme était indomptable ; il ivait été novicte
chez les féuillans et valet dans la cuisine dés
jésuite*. Sa dévotion envers la sainte-vierge et
S\\i\l-Francois était très grande. Celte dé-
votion en fit un assassin. Un bruit populaire
courait alors que Henri IV armait pour
faire la guerre au pàpe. Dès ce inoment ce
roi parut à BavaiUac l'ennemi de Dieu et
du pape , car dans la tête de ce malheureux
Dieu et le pape n'étaient qu'une même chose.
Raxaif/ac réellement malheureux en ce
monde , et craignant, malgré la sainte-
vierge , Saint-François , et toutes ses confes-
sions , d'être damné en l'autre , prétendit
gagner le ciel en faisant ce qu'au noviciat
des Féuillans, et dans la cuisine des Jésuites ,
il avait entendu dire être une bonne action ,
ce qu'il avait même pu lire dans l'ouvrage de
Màriàna (à). C'était un cerveau égaré : il
sortit deux fois de son école et vint à Paris
jprotir consommer cet'e lionne action qui
n'était qu'un crime exccraMe. Le courage
(d) De rege et rtgis irmitutione.
ij6 Bavaillac assassine Henri IV.
lui manqua ou bien l'occasion , et il retourna
à Angoulême. Son égarement le ramena à
Paris , et la fatalité qui semble enchaîner
tous les événemens veut que ce fanatique
se trouve à l'entrée de la rue de la Féron-
nerie au moment où la voiture du roi est
arrêtée par un embarras de charrettes. Ra-
vaillac monte à la porte de la voiture ,
plonge par deux fois son couteau dans le
sein de Henri IV. Après ce crime il ne
cherche point à s'échapper ; il reste quel-
que temps à la portière y tenant à la main et
montrant son couteau tout fumant du sang
du meilleur des rois. Arrêté et interrogé,
il soutient avoir fait une œuvre méritoire.
Un conseiller lui reproche-t-il la mort du
roi très-chrétien ! c'est à savoir s'il est très-
çhrétien , répond-il. L'égarement de sa
tête dura plusieurs jours et ne se dissipa
que lorsqu'il ne douta plus qu'on travaillait
aux apprêts de son supplice.
Plusieurs personnes furent soupçonnées
d'avoir poussé Ravai/lac au crime. L'indi-
gnation publique s'éleva sur-tout contre les
Jésuites dont il avait été le valet ; on fut
obligé d'arrêter la populace , qui dans sa fu-
reur courut à leur maison pour l'embrâser.
Plusieurs
Ravaîllac ahsousi \*jy
Plusieurs prédicateurs se déchaînèrent cou-
tr'eux , imputant à Mariana la mort de
Henri IV. Au reste Ravaillac savait le latin ;
il pouvait avoir lu ce livre qui n'était pas
rare. La lecture de la Sagesse , par Charron ,
aurait pu guérir son cerveau , le sortir de
l'erreur où il était que la mort de Henri IV
était une bonne œuvre. Mais la Sorbonne
avait proscrit cet ouvrage , et alors qui eût
©sé lire un livre proscrit par la Sorbonne !
Deux docteurs de cette même Sorbonne ,
.mais ennemis connus des Jésuites , Fi/sac
et Gamache , l'accompagnèrent à l'écha-
faud , l'exhortèrent et l'assistèrent à la mort.
F'ilsac refusa long-temps de l'absoudre pour
l'obliger à déclarer ses complices: le dévot
Ravaillac, qui ne veut pas mourir sans ab-
solution , pleure et proteste n'avoir aucun
complice ; enfin le confesseur se laisse flé-
chir et , dit-on , lui en donne une sous con-
dition. Les complices de Ravaillac étaient
les mauvais livres qu'il avait lus , et les mau-
vais propos qu'il avait entendus.
L'ame de ce malheureux repentant , et
absous par un docteur de Sorbonne, de le-
chafaud s'envola dans le sein d1 'Abraham.
Nous n'oserions en dire autant du boa
Tome II. M.
*78
Henri IV, qui à la vérité pendant quinze ans
rendit ses peuples heureux , mais qui avait
été prodigieusement sujet à ces faiblesses
de tempérament qui , d'après les principes
de notre théologie , damnent la plupart des
hommes. Recommandons son ame à Dieu.
pggg-I'I * — — ■
CHAPITRE LIV.
X)e Richer , syndic de la Sorbonne , et des 1610
persécutions que ce vertueux citoyen es- *
suya. D'un carme , faiseur de miracles.
H en ri IV est sans contredit la plus
grande victime que la superstition ait jamais
immolée : le sang de cette victime fumait
encore lorsqu'il se forma en France un
complot pour y établir la souveraineté du
pontificat.
Le clergé séculier et régulier fit un effort
pour s'affranchir du pouvoir de la magis-
trature ; il espérait, en établissant l'empire du
pape , rentrer dans les droits d'une jurisdic-
tion qu'il appellait divine , dont il jouit et
abusa dans des temps barbares , et dont le
temps et la sagesse du gouvernement l'a-
vaient dépouillé. Les Jésuites et les moine»
étaient les procl amateurs de cette souverai-
neté sacerdotale. Ils aimaient mieux dépen-
dre d'un prêtre italien que du roi , des
loix et des parlemens exécuteurs des loix.
Xies çvêques assemblés chez le cardinal de
M a
1 8o Confédération sacerdotale.
Joyeuse jurèrent de ne jamais séparer leur
intérêt de l'intérêt de Rome. Ubaldin , nonc»
du pape , était l'ame de cette ligue ecclé-
siastique qu'ils dénommèrent encore la Ste.-
Union. Le cardinal Dupéron , cet homme
fourbe et artificieux , qui trahissait la mé-
moire de Henri IV son bienfaiteur , se joi-
gnit à cette confédération épiscopale qu'un
gouvernement ferme et éclairé eût puni.
Outre cette confédération on eut encore
deux factions en France. Les catholiques
romains , et les catholiques royaux. Les
Romains étaient de mauvais Français , qili
traitaient leurs adversaires de mauvais ca*
tholiques et même d'hérétiques.
C'était fait de nos libertés et la France
était un pays d'obédience sans un homme
aussi vertueux qu'intrépide , qui brava les
foudres de Rome , les menaces des évê-
ques , la persécution de ses confrères en
théologie , et la mort même, pour les intérêts
du roi et de la patrie. Cet homme était
Richer, docteur de Sorbonne. Son nom est
peu connu ; il mérite de l'être beaucoup , et
la nation lui doit une statue si elle a jamais
égard aux services qu'il rendit aux Français :
on le fit syndic perpétuel de la Sorbonne ,
Doctrine de Bellarmîtl.' l8v
et il honora ce syndicat qu'il ne défait qu'à
son seul mérite , par son courage à s'opposer
aux prétentions de Rome, prétentions que
le clergé s'efforçait d'établir en France.
Après la mort déplorable de Henri IV
le premier soin de Richer fut de faire re- 4 ,uin"
îiouveller en S or bonne , malgré la division
que les évêques et le pape y entretenaient ,
le fameux décret contre la doctrine homi- 8 juin;
cide du docteur Jean Petit , et de faire flé-
trir le livre de Mariana, qui érigeait le meur-
tre en acte de religion. Bellarmin con-
damné par le parlement , le fut aussi par la
Sorbortne. Ce Jésuite , cardinal , prétendait 4 "bre!"
qu'il est de foi qu'on peut en conscience
tuer un roi tyran. C'est cette abominable
doctrine qui avait mis à la main du moine
Clément le couteau dont il frappa Henri III ,
la même que l'ex-Feuillant Ravaillac , sur
la sellette , venait de soutenir aux juges qui
l'interrogèrent.
Le zèle de la Sorbonne à proscrire une
doctrine qu'elle avait prêchée si long-temps
lui attira des reproches honorables : on
l'accusa d'être plus royaliste que papiste ,
d'être moins une assemblée de prêtres
qu'une assemblée de parlementaires. C'était
M3
i8» Insolence des moines*
là le temps de la gloire de la Sorborme , ef
cette gloire dont le temps fut si court , était
l'ouvrage de Richer son syndic.
Les religieux de Saint-Dominique travail-
laient de leur côté à établir l'infaillibilité du
pape et la dépendance de nos rois au saint-
siège. Ces moines émissaires de Rome se
rendaient à Paris de tous les coins de l'Eu-
rope; il en venait des Indes et de l'Amé-
rique pour un chapitre général , dont l'ou-
verture se fit avec un grand appareil : la prin-
cipale cérémonie de cette assemblée fut
de soutenir avec éclat des thèses de théo.
logie. Ubaldin } nonce du pape , qui diri-
geait les opérations de cette assemblée ,
avait une place distinguée au milieu d'un
grand nombre de seigneurs , d'évêques , de
magistrats , et de théologiens Français. Ce
fut en leur présence qu'un moine allemand ,
nommé Rosembachy soutint l'infaillibilité du
pape et sa suprématie sur les conciles. La
première conséquence de ces thèses était
de faire entendre aux Français qu'ils n'é-
taient pas maîtres chez eux, et qu'un Italien,
quand une fois il était sur la chaire de Saint-
Pierre , pouvait régner par- tout ailleurs.
C'était anéantir les droits de la royauté^ et
Sage arrêt du parlement. i83
rendre les peuples serfs d'un prêtre. Ce fut
le comble de l'audace d'un moine allemand
de soutenir en France de pareilles imperti-
nences. Le comble de l'imbécillité française
fut de le souffrir.
Le clergé , qui favorisait ces étranges
opinions , gardait le silence. Richer, malgré
les menaces du cardinal Dupéron , vint à
ces thèses escorté de plusieurs bacheliers ,
qui les contredirent. Le parlement en sut
gré à Richer et l'en fit remercier. i6m
Ayant combattu et humilié les Domini-
cains , il mortifia les Jésuites ; ils deman-
daient à être incorporés à l'Université. Déjà
ils avaient obtenu des lettres-patentes pour
ouvrir leur collège. Richer fit former oppo-
sition à ces lettres-patentes. L'arrêt qui in-
tervint leur défendit de se mêler de l'instruc-
tion de la jeunesse : de plus , ou leur enjoi-
gnit de signer , i°. que les conciles sont
au-dessus des papes ; i°. que le pape ne peut
priver les rois de leur royaume -, 3°. que les
ecclésiastiques sont sujets et justiciables des
princes séculiers ; 4°. que les confesseurs
doivent révéler les conjurations tramées con*
tre les rois.
Le nonce Ubaldin , le cardinal Dupéron t
M 4
i 84 Sottise du cardinal DuperroH .'
les évêques de Paris , de Clermont , d'An-
gers et autres , se rendirent en cour pour se
plaindre de cet arrêt et de Richer qui l'a-
vait provoqué. Le cardinal Dupéron dit
à la reine qu'il n'était pas plus permis, de
révoquer en doute la puissance du pape qui
avait donné à Henri IV la permission de se
marier , que de révoquer en doute l'état de
son mariage et de ses enfans. Il parla en-
suite de l'avocat général Servin , comme
d'un sacrilège , qui voulait qu'on violât le
sacrement de la confession dont le secret
fait la base.
Servin , mandé en cour , répondit aux
reproches de la reine , en montrant le direc-
toire des inquisiteurs de i585, qui contient
la forme dont à l'inquisition on procède
contre les rois, et la manière secrette dont
on peut leur ôter la vie. La cour frémit en
lisant ces horreurs et remercia Servin.
Richer fut aussi remercié par le premier
président du zèle qu'il avait mis à l'égard
des jésuites. On l'exhorta à veiller à l'in-
dépendance de la couronne. Il fit, à la prière
du premier président , et sous ce titre : de la
puissance ecclésiastique et politique , urj
petit sommaire des vérités qu'on pouvait
Fausse démarche du pape, îVS
#|>poser aux prétentions ultramontaines. C'é-
tait le code des principes d'un bon citoyen.
Ce code excita le courroux du pape contre
son auteur. Ce pape avait demandé à Ve-
nise fra-Paolo pour le juger; il demanda
Richer, son ami , à la cour de France pour
le punir. Le cardinal Dupéron, le nonce
et plusieurs évêques mus par le pape , allè-
rent en cour solliciter justice contre Richer ,gI2
et contre son livre qui n'était qu'un petit «3 Ma ni
plaidoyer pour la cause des rois et des peu-
ples. Dupéron assemble chez lui des évê-
ques et des théologiens , qui signèrent une
censure du livre de Rîcher.
Rome savait quele ministère français était
faible et vacillant. Le pape crut pouvoir ha-
sarder de faire enlever Richer, et le faire
juger par l'inquisition. On échoua dans les
moyens qui furent employés pour cet enlè-
vement.Le duc d'Fper/wn , dont la tête était
échauffée par le nonce , par le cardinal Du-
péron et par l'évêque de Paris , aposta des
satellites pour le faire assassiner ; mais le$
satellites manquèrent leur coup. Les évê-
ques obtinrent du chancelier qu'il serait en-
fermé à la Bastille, et qu'il serait jugé com-
me criminel de lèze-majesté. Le clergé pro-
i86 Richer déchu du syndicat:
mit deux mille écus d'or. Villeroi eut assez
de courage pour s'opposer dans le conseil
à cet acte d'exécrable despotisme de la part
du chancelier.
La Sorbonne , qui avait dû prendre la dé-
fense de Richer son syndic , l'abandonna.
Parmi les docteurs de cette école il avait
deux amis, Gamache et Filsac. On donna
une abbaye à Fun , on promit un évêché à
l'autre ,et ces deux amis le trahirent. Le doc-
teur Duval , l'agent du nonce , des jésuites
et des évêques; Duval, qui toute sa vie avait
prêché le despotisme de Rome et la dépen-
dance des rois au pape , sollicitait la déposi-
tion de Richer. Un jeune ambitieux , abbé
de Saint- Victor , du nom et de la maison
du Harlai , la proposa : c'est de cet abbé que
l'évêque de Nantes disait qu'au lieu du cha-
peron de Sorbonne on aurait dû le coëffer
d'un bonnet verd avec des sonnettes.
;eptem- -^es eiinemis de Richer l'emportèrent en
bre. cour et on lui ôta son syndicat de Sorbonne.
On punit en lui une vertu qui méritait des
récompenses. Le curé de Saint-Gilles pro-
testa contre cette injustice , et fut aussi-tôt
interdit de la célébration de la messe. Ce
Le pape irrité contre "Richer. 187
curé n'ayant plus de messe à d:re se vengea
de i'évêque , en se faisant huguenot.
Richer était déposé du syndicat, mais le
pape ne le croyait pas assez puni. Persis-
tant à vouloir le juger à Rome , il écrivit à
la reine po^.r le demander. On assemble un
conseil où le nonce Ubaldin fut admis. Le
duc tl'Epernon appuya les demandes insen-
sées de cet Lalien. On allait donner des or-
dres ponr arrêter Richer , mais le prince de
Condé arrive à temps au conseil. « Voilà, dit-
il au nonce , une étiange demande : Richer
est homme de bien et bon serviteur du roi :
ce serait se jouer de ses sujets que de les
envoyer à Rome ». Richer est prêtre, répond
d'JSpernon, et par conséquent sujet du pape.
Les prêtres , réplique le prince de Condé,
ne sont point sujets du pape quand ils sont
Français.
Le conseil fut très - orageux et ne décida
rien ; le pape toujours irrité menace de faire
brûler l'effigie de Richer : à quelque prix
que ce fût , il voulait l'avoir à Rome. Le duc
d'Epcrnon eut la promesse d'un chapeau de
cardinal pour son fds Lavalette , s'il le lui
envoyait tout vif. Pour gagner ce chapeau il
fit arrêter Richer dans son collège ; ce res-
1 8£ Doctrine ultramontainc proscrite.
pectable citoyen fut traîné dans les rues;1
couvert de boue et jette dans les prisons de
Saint- Victor. Le parlement intervint et ren-
dit la liberté à Richer , lui donna une sauve-
garde , et décréta les satellites qui l'avaient
arrêté. C'est le duc à'Epernon qui aurait
1613. dû être puni. Jusqu'à nos jours les loix n'ont
servi qu'à contenir les faibles.
Quel était donc le crime de Richer? il
avait dit dans un petit livre de trente pages ,
que les papes ne peuvent détrôner les rois ;
il l'avait écrit et il le soutenait dans un
temps où tout conspirait à établir en France
la suprématie pontificale ; oùles jésuitess'ef-
«614. forçaient de répandre cette abominable doc-
trine. Suarès, sous prétexte de la défense de
la foi catholique , venait d'imprimer que les
papes peuvent détrôner les rois et les faire
mourir après les avoir détrônés. Quatre jé-
suites furent mandés à. -la barre du parlement;
on leur reprocha la frénésie de leur con-
frère à reproduire cette doctrine si souvent
proscrite , et on ordonna que la Défense de
f la foi par Suarès serait brûlée en leur pré-
sence , par la main du bourreau»
Malgré cet arrêt que le docteur Richer
avait 6ûllicité , le cardinal Dupérott osa
Cardinal vendu aux jésuites. 189
avancer clans les états généraux , qui se tin-
rent alors , que la puissance du pape était
pleine eLplcnissime et quil excommunierait
ceux qui soutiendraient que l'église n&
pas le pouvoir de déposer les rois.
Il serait difficile de trouver un plus mauvais
Français que ce Dupéron , si on en excepte
le cardinal de la Rochefoucaut qui lui suc-
céda dans la place de grand aumônier de
France. Ce cardinal était vendu aux jésuites ;
ce fut sur les d emandes du père Amoux, con-
fesseur de Louis XIII , qu'il obtint la grande
aumônerie. 11 était beaucoup moins instruit
que Dupéron , plus violent et aussi vindi-
catif. Il signala sa reconnaissance envers les
jésuites, en s'acharnant à la perte de Riclier;
il promit à Bentivoglio , nouveau nonce ,
sa rétractation. Tous lesmoyens imaginables
furent mis en œuvre pour séduire ce ver-
tueux citoyen ; mais ne pouvant le corrom-
pre , on voulut le rendre suspect. Il fut dé-
noncé au roi comme criminel de lèze- ma-
jesté , et ses adhérens comme une troupe
dangereuse d'obscurs schismatiques. On dit
à Louis XIII que c'était d'après ses conseils
que le prince de Cpndé s'était éloigné delà
•our , et qu'il n'armait que pour attaqtier la
1 90 Résistance de Rîcher.
légitimité des enfans de Henri IV. Sire ;
lui dit ce cardinal calomniateur , ces gens
sont encore plus à craindre que les hugue-
nots ; il faut les exterminer , ou tout au
moins les châtier comme vous avez châtié
les protestans.
Louis XIII ne s'empressa pas de seconder
le zèle fougueux de son aumônier. Celui-ci,
fécond en ressources , convoque une assem-
blée de prélats ; il leur remontre que Richer
est schismatique , qu'il faut le faire signer
que le pape , comme pape , peut faire des
loicc qui obligent en conscience , et s'il refuse ,
le faire enfermeràlaBastille avec une dixaine
de ses adhérens. Richer est mandé au tribu-
nal de ces prélats , et refuse de signer. Puis-
qu'il refuse , s'écrie le violent cardinal de la
Rochefoucault , il faut le coudre en un sac
et lejetterdans la rivière. Nous en deman-
dons pardon à ce cardinal ; mais si quel-
qu'un méritait d'être puni et noyé, c'était
ceux qui trahissaient le roi et la patrie.
Et c'était les trahir de prétendre qu'un évê-
que de Rome peut détrôner un roi de France.
Duvair avait obtenu les sceaux. Richer,
qui en était estimé , alla le voir , et le pria
d'arrêter une persécution qui durait depuis
Garde des sceaux vendu a Rome. 19I
dix ans ; mais Duvair , ce magistrat si intè-
gre à la tête du parlement de Provence ,
et si courageux pour défendre le livre de
Richer , n'était plus le même : l'air de la
cour l'avait corrompu. Il répondit à Richer
qu'il devait signer ce que le nonce et les
évêques desiraient. Mais , Monseigneur ,
répond Richer > il s' agit de l'indépendance de
la couronne. « N'importe , répliqua le garde
des sceaux , vous ne devez pas être plus sage
que les tems ; si la Sorbonne est de l'avis
des évêques , vous ne devez pas penser au-
trement j>. Le nœud gordien de tout cela ,
c'est que ce garde des sceaux , déjà évêque
de Lisieux , espérait le cardinalat , et qu'en
attendant le chapeau , le clergé lui payait
douze mille livres de pension.
Richer } comme un roc au milieu des
mers orageuses y était inébranlable aux sé-
ductions , aux menaces , aux promesses ,
aux violences , aux calamités , aux persécu-
tions. Ne pouvant donc ni armer le gouver-
nement contre lui , ni faire ployer sa façon
de penser , on eut recours à un stratagème
que les fripons ont souvent employé pour
rendre odieux les ennemis. On fit parier
le ciel contre lui , et l'on se servit d'un
Iça Sainteté , miracles'.
carme , nommé Dominique , pour en êtrô
l'organe.
[ Frère Dominique était un taumaturge
un faiseur de miracles ; il courait le monde
avec le titre de vicaire apostolique ; il avait
traversé l'Allemagne traînant à sa suite une
Foule de gens , redressant les Loiteux , fai-
sant entendre les sourds , voir les aveugles ,
chassant les démons du corps des possédés.
Paris était un théâtre digne de ses grand»
talens : sa renommée l'y avait devancé 'r
le peuple , par-tout avide de prodiges , l'at-
tendait comme l'envoyé du ciel. Pour pré-
parer les esprits à son avènement , les car-
mes avaient fait graver le portrait du tau-
maturge avec la légende des prodiges qu'il
avait opérés parmi les Bohémiennes , les
Allemandes et les Champenoises. Les ima-
ginations déjà échauffées finirent de s'em-
braser par le récit de tant de merveilles.
Le couvent des carmes fut bientôt entouré
d'une multitude innombrable de manchots,
de teigneux , de borgnes , de bancroches ,
et de vérolés. Tous ces malheureux pas-
saient devant lui l'un après l'autre. Il les
bénissait , en disant : je te touche , Dieu te
bénisse. On coupait des morceaux de son
manteau
et prophétie d'un carme. ip3
manteau pour les enchâsser dans de petits
reliquaires , et le saint-homme , qui n'était
qu'un fripon , laissait tailler son manteau
pour ne pas , disent-ils , contristerla foi des
fidèles.
Le taumaturge n'avait eu jusqu'alors que
le don des miracles ; mais bientôt on lui fit
honneur du don de prophétie ; et il prédit
au docteur Ricker qu'il serait damné pour
désobéir au pape et aux évêques. Les dévo-
tes s'empressèrent de répandre cette pro-
phétie dans leurs quartiers.
Ces tours de charlatan n'ont été que trop
souvent employés par les fripons. Il y avait
vingt ans que, pour allumer une persécution
contre les protestans , on avait produit à
Paris une démoniaque qui dans ses extrava-
gances leur annonçait de grands malheurs.
Duval , ce même docteur de Sorbonne
qui avait mis en vogue cette femme , mit
en crédit la prophétie de frère Dominique
contre Richer. Mais le parlement qui , en
1599 avait procédé contre les farces de cette
possédée , et le moine qui la confessait et
les évêques qui la dirigeaient , menaça de
se mêler des miracles et des prophéties du
nouvel Elie. Les carmes , ses confrères ,
Tome IL N
i94
contens de s'être enrichis des libéralités
des imbécilles , de voir leur église tapissée
d'ex voto , prévinrent le parlement ; et le
taumaturge , éconduit par ses confrères >
alla opérer ailleurs.
En attendant que Richer fût damné ,
comme frère Dominique l'avait prédit , on
le traita en chaire d'hérétique et de schis-
matique. Gotidi , évêque de Paris , défendit
de le confesser , et lui envoya dire qu'après
sa mort il serait privé de la sépulture ec-
clésiastique. Richer était un citoyen trop
éclairé pour ne pas mépriser cette ven-
geance d 'évêque.
CHAPITRE LV.
Tour abominable du père Joseph , capucin. de
Décret criminel de la Soj^bonne. F ai- 1 >2'
blesse et mort de Pdcher. 1630.
rcjir.R avait rendu inutile la politique
de quatre nonces : il avait par sa fermeté
déconcerté les manœuvres des jésuites et
des oratoriens ; il n'avait opposé qu'un front
inaltérable aux violences du fanatique et
ignorant duc d'Lpernon ; il avait pendant
vingt ans résisté aux efforts des cardinaux
Dupéron , de Bonsi, de Retz, de \a Roche-
Foucault et de Rerrule. Il lui restait encore
à soutenir les séductions du cardinal de
Richelieu.
On sait que ce prêtre devenu ministre
tenait son roi Louis XIII en tutelle ; il s'é-
tait emparé et environné de la souveraineté ,
comme tout ministre s'en empare quand les
princes sont faibles et qu'une nation n'est
point encore instruite. Il recevait les dédi-
caces de presque tous iei livres de dévotion.,
et faisait soutenir dans son palais des tliè*cs
N 2
196 La Sorbonne em b clRe.
sur l'amour profane. Ce même prêtre ,
évêque et cardinal , qui , pendant le cours
de son ministère tyran nique , enrichit les
commissaires et les bourreaux , voulut être
le bienfaiteur de la Sorbonne pour mieux
l'asservir.
Les pauvres prêtres de cette école habi-
taient des masures , il les logea dans un
magnifique palais ; sur l'espèce d'antre qui
leur servait de chapelle , il leur lit élever un
temple auguste.
Le parti de Kicher , peu nombreux en.
Sorbonne , parvint après beaucoup de mou-
vemens à faire condamner un livre de San-
tarel , dans lequel ce jésuite soutenait encore
que les papes peuvent détrôner les roi?.
Urbain VIII s'irrita de cette condamnation.
La Sorbonne pour l'appaiser ordonna à
tous ses candidats , bacheliers et licenciés ,
la prestation d'un serment sur le décret des
papes. Duval qui menait la Sorbonne comme
un chef de parti mène une troupe , avait
inventé cette prestation de serment : il ré-
digea un recueil de toutes les décrétales par
lesquelles les prpes s'attribuent un pouvoir
absolu sur le temporel des rois. C'était sur
ce recueil qu'on devait jurer et auquel on
Richelieu vendu à Rome. 197
avait mis pour titre : pars decretorum tri
qud jurabunt studiosi in theotogiâ. Depuis
les décrets contre Henri Ill^et Henri IV ,
la Sorbonne n'avait rien fait d'aussi crimi-
nel.
Ce serment alluma la discorde en Sor*
bonne. Richer et ses amis en demandèrent
la suppression. Le cardinal de Richelieu ,
qui avait ses vues y voulut être le média-
teur. Il assembla chez lui un grand nom-
bre de théologiens ; il commença par leur
dire que le roi l'avait armé d'une verge de
fer pour châti er les brouillons ; ensuite leur
prodiguant les caresses, il leur défendit de
se traiter d'hérétiques , et termina son dis-
cours par l'éloge de Ric/ier. C'est ce bon
citoyen que le cardinal voulait corrompre.
Il avait promis au pape la rétractation de
son livre sur la puissance ecclésiastique ,
et le nonce Scapi n'attendait pour partir
que cette rétractation. Elle était le prix con—
venu pour le chapeau de cardinal que ITrbaim
VJII devait donner à son frère Alphonse *
ex - chartreux , qui , du cloître où il s'en-
nuyait , avait passé à l'archevêché de Lyon..
Le pape comptant sur la promesse et la
toute-puissance de Richelieu y avait déjà.
N S.
198 Barbare coquînerie
envoyé le chapeau à frère Alphonse ; maïs
Richer ferme clans ses principes , résista à
tous les manèges des émissaires de Riche-
lieu. Le pape , mécontent de ce ministre , en
parlait comme d'un fourbe qui l'avait trompé.
Pour appaiser sa sainteté, Richelieu demande
un notaire apostolique , et ce notaire fut
sur le champ dépêché de Rome. On le logea
chez le père Joseph , capucin*, espion de
ce cardinal et l'un de ses principaux a gens ;
du sein de la splendeur et la bonne chère
où il vivait , ce capucin s'était donné le
mérite d'instituer X aunonciade , l'un des
ordres les plus austères de la religion ,
tandis que dans tous les mémoires du tems,
on l'accusait de ne pas croire en Dieu.
Richer e t plusieurs docteurs de Sorbonne
furent invités à dîner chez lui ; après le
dîner Rider fut mené dans une chambre.
Le père Joseph lui présenta une rétracta-
tion toute dressée , et d'une voix mena-
çante lui dit : c'est aujourd'hui qu'il faut
rétracter votre livre ou mourir.
A ces mots deux assassins apostés sortent
d'un cabinet voisin , se jettent sur le vieil-
lard , et lui tenant le poignard sur la gorge
lui font signer une rétractation. Richer at*
'du capucin : Joseph. 199
terré par la crainte , et accablé d'horreur
se retire pleurant et offrant à Dieu les res-
tes de sa vie en expiation d'une faiblesse à
laquelle il ne survécut que peu de mois.
Le poignard n'était peut-être qu'un jeu pour
m timîder le vieillard ; mais eût-il perdu la vie,,
la gloire qu'il en eût retirée l'eût bien vengé
aux yeux de la postérité d'un lâche assas-
sinat ordonné par un prêtre cardinal et
exécuté par un prêtre capucin.
Cette rétractation ne fût pas la seule faute
qii'avant de mourir fit ce vieillard. Le sta-
tut arrêté en Sorbonne , de jurer sur les dé-
crets des papes , occasionnait un schisme
parmi les théologiens. Richelieu le modifia
un peu , et Richer qni l'avait improuvé
comme un opprobre , le signa avec des mo-
difications. Le statut devint un scandale en
France : on afficha ce distique à la porte de
la Sorbonne :
Instaurata ruct jam jam Sorbona. Caduca
Dumfuit , inconcussa itetit. Rénovât a peribit.
Outre ces vers il en parut encore d'autres-
sur la défection de la Sorboune , et qui con-
tenaient encore plus de véritésOn y rappel-
lait toutes les époques qui pouvaient l'hu-
N 4
2.Q.O
milier. On la montrait sous ces diverses dé-
nominations : la Sorbonne Bourguignone ,
Anglaise , Guisarde y Espagnole , Italienne
et Riche liste.
Le docteur Filsac qui changeait d'opi-
nion à chaque événement , et qu'on surr
nomma tantôt le docteur le voici y le voilà ,
et tantôt le terminus indefinitus , vient eu
Sorbonne protester contre le serment et
contre les modifications de Richelieu. Il
déclara à tous, ses confrères qu'il voulait
mourir bon Français , et qu'il sortait
de la Sorbonne comme d'une Babylone et
d'une retraite de prostituée.
Son courage alla plus loin ; il présenta
requête au parlement pour demander l'abo-
lition de ce serment ; mais ce corps vendu
à Richelieu , ou tremblant sous son despo^
tisme , garda le silence.
CHAPITRE LVI.
Vanini condamné en Sorbonne et brûlé à
Toulouse. Trois chimistes condamnés en
Sorbonne et bannis par le parlement de
Taris.
On n'entend point prononcer le nom de
Vanini sans penser qn'il était un athée. Point
du tout ; c'était un prêtre néapolitainqui avait
quitté sa patrie , où il vivait dans la misère ,
pour venir faire fortune en France , et où U
ne trouva que des prêtres persécuteurs , des
magistrats barbares et un bûcher.
Quoiqiie né en Italie et prêtre, iln'avaitsur
la puissance papale aucune de ces opinions
ultramontaines qui ont bouleversé l'Europe
si souvent , et qui partageaient alors notre
Sorbonne en deux factions , en Riche listes
et en Dmalistes. Il n'était pas non plus un
ignorant comme on a affecté de le publier.
De nos jours on le regarderait comme un
homme fort instruit : il avait des connais^
sauces en astronomie i en anatomie , en mé-
decine et en chimie. La métaphysique était
161S
à
1626.
203 Vanini était métaphysicien
ce qu'il avait le plus cultivé et ce qui lui
devint le plus funeste.
Vanini ne trouva guères à Paris d'autres
ressources pour vivre que de dire la messe
à cinq sous par jour. Il se plaisait à disputer
avec les théologiens qu'il rencontrait dans
les sacristies, et avec ces bâtards de la phi-
losophie alors si coin mu is et que les pro-
grès de la raison ont rendus si rares. Tout
en disputant , Van'ud s'acquit un peu de
célébrité et se fit des ennemis implacables :
il voulut être auteur et cela le perdit. Les
dialogues qu'il donna étaient écrits en latiu
et par conséquent peu lus et peu dangereux.
Le jargon obscur de sa métaphysique nuisit
à l'orthodoxie de ses opinions. Ces dialogues
réveillèrent la jalousie de ses ennemis, qui
prétendirent qu'un homme qui parlait tant
de la nature sans qu'on pût l'entendre ,
devait avoir peu de foi aux mystères de la
r eligion
Deux docteurs de Sorbonne avaient ap-
prouvé ces dialogues. Luur suffrage , qui de-
vait les mettre à i'al 'i delà censure , fut pré-
cisément ce qui l'occasionna. Les approba-
teurs des dialogues de Vanini étaient cor-
deli*rs. Les docteurs dominicains , ennemis-
et n'était point athée. 2o3
nés des cordeliers , ne virent dans ces dia-
logues que ce qu'on appellait alors les hor-
reurs du naturalisme , et les dénoncèrent à
laSorbonne. Leur auteur n'était connu delà
plupart des théologiens que parce qu'il
avait disputé à outrance contr'eux, soit dans
les sacristies , soit dans les actes publics.
Personne ne s'intéressa à son sort , et l'on
censura son livre sans le comprendre.
Deux ans après cette condamnation Va-
jùni était à Toulouse , disputant toujours
sur la métapbysique , et se faisant de nou-
veaux ennemis. Ceux qu'il s'était faits à Paris
n'avaient censuré que son livre , ceux qu'il
se fit à Toulouse firent condamner sa per-
sonne. Ils l'accusèrent d'être athéjs . A cette
accusation la société civile se soulève tou-
jours , et sans trop examiner si elle est fon-
dée , en commence à crier : c'estun monstre ;
il faut l étouffer.
Le pauvre prêtre , métaphysicien et dis-
puteur lut arrête et emprisonné. Interrogé
sur la divinité, il prend un brin de paille,
le montre à ses juges , et leur dit : ce brin
seul prouve l'existence d un Dieu.
Après cet aveu on devait , ce semble , le
relâcher ; mais malheureusement parmi les
ao4 Vanini injustement Brûlé.
preuves qui le chargeaient, on crut entrevoir
qu'à son athéisme il mêlait la magie. On.
trouva dans sa chambre une phiole dans
laquelle était un crapaud. Les juges n'en
savaient pas assez pour voir que ces deux
crimes ne peuvent subsister ensemble , qu'un
sorcier ne peut être athée ; qui croit au
pouvoir du Diable doit certainément croire
en Dieu.
Vanini eût peut-être été absous; mais mal-
heureusement on se ressouvint que la Sor-
bonne avait condamné ses ouvrages ; on
crut qu'un homme jugé par ce tribunal , et
qui nourrissait un crapaud dans une phiole ,
devait être un homme très-dangereux ; et le
parlement de Toulouse , qui trente ans au-
paravant avait proscrit son roi Henri III \
qui avait déclaré Henri IV incapable de
régner , qui avait fait brûler un millier de
protestans , qui de nos jours a fait rompre
le vertueux Calas x fit alors je I ter dans un bû-
cher Fin fortuné Vanini, après lui avoir fait
couper la langue ; et ce faisant , crut faire
mie œuvre méritoire aux yeux de Dieu. Cet
acte d'édification se passa en 1619. Pour
peupler la terre d'athées , on n'aurait qu'à
le répéter souvent. Prions Dieu qu'il noua
Mensonge abominable sur Vaninî. 2o5
donne des magistrats éclairés. L'ignorance des
juges estundes plus grands fléaux delà société.
Après le supplice de T^anini sa réputa-
tion alla en croissant ; mais ceux qui ont lu
ses ouvrages sont obligés de convenir que
cet honnête homme , beaucoup plus instruit
que les pédans qui le dénoncèrent , et que
les barbares magistrats qui le firent brûler ,
croyait en Dieu ; qu'il adorait cet être su-
prême , éternel sans être dans le temps ,
présent par-tout et hors de tout y ayant tout
créé et gouvernant tout. Telle était la foi et
le langage de Vanlni , ainsi que celle de
Platon et à'Averoès ses guides. La foi de
Van'inl , à la vérité , était dégagée de toute
superstition , et aux yeux des gens de bien
il n'en était que plus estimable.
Quand il fut mort , on crut rendre son,
histoire plus intéressante en la farcissant de
mensonges et d'absurdités. Le minime Mer-
senne écrivit qu'il était sorti d'Italie avec
douze apôtres pour aller prêcher l'athéisme.
Ce projet eût été aussi impraticable qu'in-
sensé.Il n'en fut pas moins cru par ceux qui,
n'ayant ni le temps ni la force de rien exa-
miner , croient toutes les sottises dont les
frippons cherchent à les bercer.
206 Théophile persécuté.
Le jésuite Garrasse est un de ceux qui
écrivirent avec le plus d'emportement con-
tre le philosophe néapolitain. Ah! mon cher
lecteur , si le temps ne me pressait pas autant
et que je pusse arrêter un moment la mar-
che de cette histoire déjà trop chargéede faits
obscurs, je me plairais à vous esquisser le por-
trait de ce Garrasse , de cet homme odieux,
et dont le nom est devenu une injure atroce.
Je vous le montrerais comme une furie im-
placable , tour-à-tour acharnée sur la cen-
dre encore fumante de l'infortuné Vanini ,
sur celle du sage Charron , let sur la répu-
tation du malheureux poëte Théophile. Ce
jeune homme de bonne compagnie , d'une
conversation vive et agréable, fut dénoncé
connue athée parles jésuites, on le brûla en
effigie ; arrêté au cateleton le plongea dans la
même prison où l'on avait mis Ravaillae; on
suborna des témoins pour le perdre ; il triom-
pha , il est vrai , de lu calomnie. [Mais les
jésuites ses délateurs restèrent impunis. Sa
santé s'usa par de longs malheurs , et il ne
tarda pas à succomber sous le poids des in-
firmités qu'il avait contractées dans le
cachot.
Tandis que les jésuites Garrasse , Guerin,
Sottise du parlement. 207
Voisin manœuvraient la perte du pauvre
Théophile t la Sorbonne de son côté pour-
suivait trois eliimistes , Billon , Bitaut , et
Cimes ; uniquement coupables d'avoir corn- 1624.
battu A ris to te , de s'être moqués des formes
substantielles , et d'avoir admis des élé-
mens différens de ceux du philosophe grec.
Ces nouveautés furent un scandale dans
l'université : on y cria à l'hérésie , à l'im-
piété , à l'athéisme , les suppôts de la théo-
logie en parlaient comme du renversement
de l'évangile. De Claves fut mandé en Sor-
bonne et là en sa présence on y déchira ses
thèses ; ensuite on présenta requête au par-
lement, qui les bannit de son ressort. C'était
à-peu-près dans ce temps que le saint office ,
composé de juges aussi peu instruits que ceux
du parlement , condamna Galliléa coupable
d'avoir renouvelle l'ancien système plané-
taire.
Le parlement défendit aussi d'enseigner
aucune opinion qui ne fût revêtue du suf-
frage de deux docteurs en théologie , ou des
maîtres des autres facultés. La défense fut
faite sous peine de mort. Elle était absurde
et barbare ; si la philosophie ne l'eût mé-
prisée , nous serions encore , grâce au zèle
208
de la magistrature , plongés dans les ténèbres
de la stupidité.
Un citoyen philosophe frémit en pensant à
ces temps malheureux où l'ignorance par-
iait hautement et se croyait en droit de
parler seule ; où la souple et ardente supers*
tition se cantonnait et se faisait redouter;
où les gens de loix étaient ignorans , fana-
tiques , cruels et despotes.
Ces temps ne sont plus. Bénissons la phi-
losophie.
CHAPITRE
CHAPITRE LVII.
L'abbé de Saint-Cjran emprisonné. Arnaud ,624
chassé de Sorbonne et vengé par Pascal. }
1657.
Sottise du formulaire.
Garasse, ce jésuite persécuteur et in-
sensé , n'avait jusqu'alors attaqué que des
hommes morts qu'on prend rarement la
peine de justifier , ou des poètes qui ne
se vengent que par des épi grammes , ou des *
philosophes qui d'ordinaire n'opposent à la
calomnie que le mépris et le silence ; mais
il osa attaquer des théologiens dans un livre
qu'il intitula : la Somme des vérités de la iCz^;
Religion, et qu'on appella la Somme des
erreurs de Garasse. L'abbé du Verger de
Haurane , connu sous le nom d'abbé de ifoj.
St-Cyran , se disposait à faire connaître les
inepties de ce livre. La Sorbonne évoqua le
procès et prononça que la Somme des vé-
rités de la Religion était l'ouvrage d'un
fourbe, qui falsifiait l'écriture- sainte , qui
citait à faux les pères, et qui à la sunpli-
Tome IL O
2io Saînt-Cyran emprisonné.
cité du texte sacré, mêlait le jargon d'un
mauvais farceur.
L'année suivante, le parlement lit brûler1
un libelle fait contre le roi et contre Riche-
lieu. Le style du libelle décela la main du
bouffon fanatique qui l'avait écrit , et qui
prétendait que le pape devait excommunier
çt le roi et son ministre pour avoir fait un
traité d'alliance avec les protestans d'Alle-
magne. Les jésuites ne pardonnèrent pas au
docteur de St-Cyran d'avoir dénoncé l'ou-
vrage au parlement ; ils attendirent seule-
ment le teins de la vengeance, et ce tems ne
tarda pas à arriver. Ils écrivirent contre les
évêques et contre la Sorbonne. Le docteur
St-Cyran répondit aux jésuites dans un livre
intitulé : Petrns Aurelius , qu'ils étaient des
insolens , des brouillons et des religieux re-
belles à l'église. Ceux-ci, qui avaient un crédit
auprès du roi , obtinrent un ordre pour le
faire enfermer dans le donjon de Vincennes,
où il resta cinq ans.
Les évêques vengèrent St-Cyran en fai-
sant une belle apologie de son livre qui
était fort plat. La Sorbonne prit parti pour
son docteur prisonnier ; elle informa théolo-
giquement contre le jésuite Célot , qui s'é-
Misères péJantcsqUcs. ai t
taît mêlé île traiter de la hiérarchie ecclé-
siastique dans un livre fort ennuyeux; mais
l'adroit jésuite prévint le jugement de la
Sorbonne ; il vint s'humilier dans une de
ses assemblées , désavouer ses erreurs et
obtenir un pardon.
Ces évéiiemens., je l'avôue , sont petits,
froids et obscurs : ils ne méritent guères
d'être rapportés ; mais alors ils avaient quel-
que célébrité : un vingtième de la nation
s'en occupait ; ce qui à nos yeux peut leur
donner quelqu'importance, c'est qu'ils ame-
nèrent la fameuse querelle du jansénisme,
de cette lèpre dont l'état a été tourmenté
pendant cent quarante ans, et dont la philo-
sophie l'a entièrement purgé malgi'é les char-
latans intéressés à prolonger cette maladie
honteuse»
Le docteur Arnaud, jeune mais hardi,
entra dans la lice , et voulant rompre une
lance en faveur de St-Oyran , son maître
en théologie , il donna le livre de la Fré-
quente Lommuniou. Vingt-quatre docteurs
de laSorbonne et plusieurs évêques approu-
vèrent cet ouvrage qui était la censure des
jésuites, accusés alors comme ils l'ont été
mille fois depuis , de faire de leurs églises
O 2
212 Saint-Cyraft allume
des boutiques de sacrilèges , en achalandant
les confessionaux par une extrême facilité à
donner l'absolution.
Les jésuitesrépondirentquele docteur Ar-
/zazi<f était un excommunié et un infâme sico-
phante. Le père Petau, le même qui, suivant
l'expression de Vol Lai refaisait des hommes à
coupsde plume , écrivit ces étranges paroles :
l'auteur de la Fréquente Communion ne
nous agrée pas ; il faut tirer le nœud cou-
lant , incontinent l'étrangler et avec lui
tous ceux qui l'approuvent.
Richelieu mourut , et Sa.int Oyran sortit
de prison. Le premier usage que ce doc-
teur de Sorbonne fit de sa liberté , fut d'al-
lumer en France une guerre civile ecclésias-
tique , en y faisant connaître un livre qu'un
évêque d'Ypres , son ami , avait fait en l'hon*
neur de J. C. , à la gloire de Sa'wt'Augustin ,
et en haine des jésuites. Cet évêque était
Jansénius 7 prêtre parvenu et obscur quoi-
que parvenu. Son livre intitulé Augustinus
eût demeuré dans l'oubli , tant il était mau-
vais , s'il n'eût attaqué les jésuites. Us en
détachèrent quelques propositions qu'ils
dénoncèrent à Rome. Urbain FUI les cen-
sura , sans parler de Jansénius. La Sorbonne
la guerre du jansénisme: si 3
fut partagée : plus de quatre-vingt docteurs
condamnèrent ces propositions ; soixante
autres en appellèrent au parlement.
Arnaud y pour le malheur de la France ,
se mêla de la querelle : il répondit que la
bulle du pape était très-respectable , que la
doctrine qu'il condamnait était affreuse ,
mais qu'elle ne parlait pas de Jansénius.
Mazarin n'était pas soupçonné de s'amu-
ser à lire des livres de théologie ; il était
plus occupé à se défendre de la fronde qu'à
lire un livre qu'il n'eût pas compris ; il de-
manda »ne autre bulle portant condamna-
tion des cinq propositions extraites de Jan-
sénius. C'était pour complaire aux évêques ,
dont il attendait des secours r qu'il fit cette
demande. Le pape lui accorda cette con-
damnation qui ne fit qu'aigrir les esprits.
Le6 ambitieux occupèrent bientôt la scène.
Pendant plusieurs années il ne fut ques-
tion que d'intrigues de cour et d'intérêts
politiques. Cela était un peu plus imposant
que les querelles des théologiens. Les noms
de Condé , de Beaufort , de Longueville >
de Turenne , de Retz , sonnent un peu plus
haut que tous les noms des jésuites et des
Sorbonistes qui disputaient alors.
O 3
2i 4 - Guerre du jansénisme
Un parlement qui lève une armée et qui
met à prix la tête d'un ministre ; un roi en-
fant, fugitif au milieu de ses états et man-
quant du nécessaire ; un cardinal qui , en
sortant des bras de sa maîtresse , va siéger
au pari dînent un poignard dans sa poche ;
la fille de Henri IV dans la misère , et de-
meurant au lit faute de bois pour se chauffer ;
mademoiselle faisant tirer le canon de la
Bastille sur les troupes de son roi , ce sont
là des objets- un peu plus intéressans que
toutes les disputes de l'école.
Cependant les ambitieux déposèrent leur
vengeance : plusieurs d'entr'eux rirent dans
la suite du ridicule qui avait accompagné
leurs dissensions ; mais les théologiens con-
tinuèrent à se battre. Los guerres de l'am-
bition ont toujours une fin , celles de la
théologie sont interminables.
Il n'est pas indigne du philosophe d'ob-
server qu'un prêtre ignorant , nommé Pr-
coté , habitué de Saiut-Sulpice , ralluma la
querelle entre les théologiens. Ce Picoté
refusa l'absolution au duc de JLiàiïebttrï.
Le malheur veut que le pénitent soit aussi
peu instruit que le confesseur était tyran-
nique, rkoté meivxcc de lui laisser ses pé-
rallumée. zv5
chés , s'il ne chasse de chez lui l'abbé P>our^
sier de l'académie française, s'il ne retire
sa petite-fille de Port-Royal , et s'il ne rompt
toute relation avec les solitaires de cette
maison.
Arnaud y né avec un génie impétueux , 24 janvier
était à la tête de tous ces savans ; il était
l'ennemi des jésuites et l'ami du. duc de
1 .iancourt. Irrité du refus qu'on fait d'ab-
soudre son amî , il écrit une lettre contre
l'abbé Picoté son confesseur. Les jésuites
répondent à cette lettre par des injures , et
la dispute s'envenime. Arnaud adresse une
seconde lettre au duc de Luyues qui entexu-
dait très-peu de théologie et qui ne connais-
sait pas l'abbé Picoté.
Convenons que , si de nos jours itn habitué
de Saint- Sulpice refusait une absolution
dont on- croirait avoir besoin , sans faire
tant de bruit on s'adresserait à un habitué
de Saint-Roch , et si Saint-Roch n'enten-
dait pas raison , on passerait à Saint-Ger-
vais ou à Saint Gilles où. l'on trouverait peut-
être mieux son compte.
Les deux lettres du docteur Arnaud furent
dénomecs à la Sorbonne. Sans prononcer
entre l'abbé Picoté qui refusait l'absolution
O 4
ai 6 Le jeune docteur Arnaud
er le duc de Lia/icourt qui la demandait ,
elle nomma des commissaires pour exami-
ner ces lettres , où à propos de cet habitué
qui refusait d'absoudre un seigneur Fran-
çais , .Arnaud disait qu'il condamnait avec
le pape les cinq propositions proscrites ,
mais qu'il ne les avait pas lues dans Jansé-
nius , ajoutant que l'église , infaillible dans
le droit , ne l'est pas dans le fait , et que
Saint-Pierre qui avait renié J. C. , après
avoir coupé une oreille à Malchus , était
un juste à qui la grâce avait manqué.
Deux cents docteurs assemblés régulière-
ment enSorbonne pendant cinq mois se tour-
mentèrent inutilement pour fixer le sens de
cette proposition. On permit à Arnaud d'ex-
poser son sentiment ; mais il lui fut défendu
de disputer contre ceux qui , en opinant ne
penseraient pas comme lui : il les eût écrasés
par l'abondance de ses argumens. La Sor-
bonnè n'avait point alors et n'a jamais eu
cle docteur aussi aguerri o^x Arnaud dans
les luttes scholastiques.
Soixante docteurs combattaient pour Ar-
naud -y mais la multitude était contre lui.
Elle cherchait à plaire aux jésuites , alors
en faveur auprès du cardinal de Mazar'm
paraît dans la lice. 217
qui avait demandé la bulle contre Jansénius ,
et qui, animant la Sorbonne contre les jan-
sénistes , cherchait à se venger de leur pro-
tecteur , le cardinal de Retz , lequel avait
fait mettre sa tête à prix.
La coutume qui laissait à chaque opinant
la liberté de discourir aussi long-tems qu'il
le jugeait à propos , semblait devoir éterniser
les séances. Chacun voulait se faire enten-
dre en traitant les matières inintelligibles de
la grâce , et cela obligeait d'être long et
ennuyeux.
Le chancelier Seguier vint dans ces as-
semblées tumultueuses pour y maintenir
l'ordre et la paix. Quand un docteur avait
suffisamment parlé , il lui ordonnait de se
taire et de s'asseoir. On borna à une demi-
heure le tems que chaque docteur mettrait
à s'expliquer. On mit en conséquence un
sa'blier devant le syndic. Ce tems est très-rai-
sonnable. Celui qui en une demi-heure ne
s'explique pas clairement ne se ferait pas
entendre en pariant pendant dix ans.
Cet usage du sablier devait être adopté
dans toutes les grandes compagnies. On y
perdrait moins de tems à pérorer sous le
vain prétexte d'éclaircir des matières qui
21 3 Arnaud condamné.
d'elles-mêmes sont claires ou qui sont d'une
jiature à ne jamais l'être. Pas cal appellait
l'usage du sablier une règle pour les igno-
rons. Avec plus de raison on pourrait l'ap-
peller un bâillon pour les bavards , qui sont
le fléau le plus redoutable des grandes as-
semblées.
La Sorbonne dérogea encore à l'usage
qui n'admettait de chaque ordre mendi.mt
que deux docteurs pour opiner. On en ad-
mit quarante , et ce nombre justifia ce qu'un
plaisant disait alors : nous fej-ons venir tant
do moines qne nous. V emporterons bien.
On l'emporta en effet. Arnaud iut déclaré
hérétique et retranché de la Sorbonne ; c'é-
tait pourtant le théologie» qui lui faisait le
plus d'honneur. Il n'avait répété que ce que
Saint-Augustin avait écrit mille ans avant
lui. Dieu, dit-il , pour montrer que sans la
grâce on ne peut rien , a laissé Saint-Vicrre
sans grâce. Cette proposition/devint hérétique
en Fiance après avoir été orthodoxe en
Affrique.
Dans le monde , Arnaud eût pu êsre un
grand homme d'état ; on le destina à la prê-
trise pour en faire un ovêque, et il ne fut
guère qu'un homme de parti. La nature
Arnaud vengé par Pascal. 219
forma peB d'hommes d'un esprit aussi juste et
aussi infatigable* S'il n'eût jamais connu la
théologie et s'il n'eût écouté que sa seule rai-
son , il eût pu par l'ascendant de son génie
c\o\\iiweyJ)\n /e; aussi grand dialecticien que
ce philosophe, mais écrivain plus correct et
plus énergique. On met Arnaud dans le
petit nombre de ceux qui ont un peu éclai-
ré la société , mais on est aussi forcé de le
pincer parmi ceux qui l'ont troublée. S'il
É 1 al jamais écrit que pour perfectionner la
langue française , la science du calcul et
l'art de raisonner, il eût eu pendant sa vie
moins de célébrité, mais aussi plus de ce
repos qui est peut-être préférable à la célé-
brité, et il jouirait aujourd'hui d'une plus
grande gloire.
Ce fut au bruit des bons mots de Pascal
que la Sorbonne condamna Arnaud. C'est
à après lui qne dans toutes les sociétés on
repétait à l'unvi, qu'en Sorbonne il était
pins facile de censurer que de répondre, et
qu'il avait été plus aisé de trouver des moi-
res que des raisons. Ses lettres provinciales
eurent cela de bon , qu'elles firent rire , qu'el-
les instruisirent et qu'elles furent le modèle
cl un langage pur et précis. Fascalne fut à la
sîo Pascal , génie sublime.
vérité que le metteur-en-œuvre. Les solitaires
de Port-Royal lui fournissaient les maté-
riaux , mais la façon qu'il leur donnait était
bien au-dessus de la matière première.
Après avoir couvert la Sorbonne de ridi-
cules dans ses premières lettr es, Pascal tom-
ba sur les jésuites dont les partisans avaient
élevé dans la faculté de théologie l'orage qui
fondit sur Arnaud. Ils lui répondirent pas
line multitude d'écrits pour lui prouver
qu'il était un bouff on , un ignorant possédé
d'une légion de diables ; que ses souffleurs
étaient les portes de l'enfer et les pontifes de
satan. Ils firent plus : ils firent condamner
en Sorbonne les lettres de Pascal que Nicola-
avait traduites en latin.
Le temps qui a détruit les jésuites et creusé
la tombe où la raison va faire descendre la
Sorbonne , laisse encore subsister les lettres
de Pascal comme un monument d'éloquence,
de force et de plaisanteries. Ce n'est pas qu'on
puisse toujours approuver sa doctrine; elle
est souvent celle d'un rêveur sinistre qui ne
voit que des péchés dans toutes les actions
des hommes , et des damnés dans tous ceux
qui n'ont point entendu parler de la Judée.
Plaignons-le d'avoir ployé son génie au^
Pascal , esprit malade. azi
opinions de quelques hommes vertueux ,
mais sombres et entêtés. Ce fut un grand
malheur pour sa gloire de ne vivre qu'avec
des théologiens qui lui noircirent l'imagi-
nation. Ce fut à leur école , quittait celle
de la plus auslère misanthropie , qu'il apprit
que l'être éternel , le père de tous les hom-
mes , n'est pas le Dieu de tous les hommes.
Après sa mort on trouva dans la doublure
de son habit un morceau de parchemin
roulé , sur lequel il avait écrit les paroles
suivantes : Dieu d' Abraham, Dieu dlsaac,
Dieu de Jacob , et non des Philosophes. Il
portait sur lui ce morceau de papier par
superstition, comme un Turc porte une
amulette pour gagner le ciel.
On ne peut refuser à Pascal la gloire d'a-
voir eu un des plus beaux génies qui aient
jamais existé ; mais en voyant sa papillote
de parchemin , on est forcé de convenir que
son esprit était très-faible.
Quoi ! mon cher Biaise , vous avez cru que
l'être éternel était le Dieu de Jacob qui t
ainsi que cela était arrangé dans les adora-
bles desseins de la providence , escamota à
son iière le droit d'aînesse pour un plat de
lcntilles;leDieuâ?'ZKzac, qui faisait paître des
22,2 Mauvaise foi ^Arnaud,
brebis, des chèvres et des ânes dans les
déserts de l'Arabie Pétrée ; et vous ne voulez
pas qu'il ait été le Dieu de Confucius , de
Socrate , de Platon , de Mallebranclte , de
Descartes, de Bayle , de Locke , de tôus
ces hommes dont Dieu lui-même s'est, servi
pour perfectionner l'intelligence de leurs
semblables. Quoi ! il ne serait pas le dieu du
philosope Neirton qui , comme vous , eut
un profond génie et un très-petit esprit.
Vous voulez que cet être éternel soit le
dieu de vos amis les théologiens qui, en par-
lant de paix , de foi et de charité , boulever-
saient la société civile , et vous ne voulez
pas qu'il soit le dieu des philosophes qui ont
vécu paisibles au milieu de cette société ,
qui l'ont éclairée par leurs écrits , qui en
l'éclairant l'ont empêchée de s'égorger pour
d'absurdes enthymêmes , pour de misérables
vétilles scholastiques !
Revenons au docteur Arnaud, que laSor-
bonne rejettade son sein, et écoutons-le un
moment: « je condamne, disoit-il, l'hérésie
s» que l'église condamne, mais je ne l'ai point
» vue dans Jansénius, et j e défie de me la mon-
» trer^î. En faisant ce défi, \e.à.oç,\e.\xx Arnaud
•n'était pas , ce semble , de bonne foi. Dans
le livre de Jansènius nous ayons lu en 1er-
Sottise du formulaire. 223
mes formels , les deux propositions suivantes:
Un y a rien de plus fondamental qu'il y a
certains commandemens impossibles aux
infidèles et aux justes (a). J. C. n'est
point mort pour tous les hommes (bj. La Sor-
bonne en les lui montrant l'eût réduit au
silence ; elle aima mieux le tourmenter que
de le confondre.
Arnaud était plus raisonnable en soute- Formulai
nant que Rome , infaillible dans le dogme ,
ne l'est pas dans le fait ; mais les jésuites
alors devenus , à l'aide de la Sorbonne ,
les apôtres de cette infaillibilité , voulurent
forcer Arnaud et son parti dans les derniers
retrancliemens en leur faisant signer une
profession de foi : on dressa un formulaire qui
portait que les cinq propositions proscrites à
Rome étaient dans Jansénius et condamnées
dans le sens de l'auteur. On' promit des
récompenses à ceux qui le signeraient. On le
porta en Sorbonne où il fut presqu'unani-
mement souscrit. On l'envoya ensuite à Port-
Royal des Champs , où les jansénistes étaient
cantonnés : ils le rejettèrent avec horreur.
(a) Auvusùnus , édition de Paris , tome III. pag. 138,'
(b ) Id. pag. i6j.
224 Projet de Bourg-Fontaine .
On la présenta aux religieuses les pénitentes.
C'était une grande absurdité de vouloir l'aire
condamner par des fîlles françaises un livre
écrit en latin. Elles aimèrent mieux obéir
à leurs confesseurs qu'aux émissaires des
jésuites. On eut beau leur dire que la S or-
bonne l'avait signé ; leur entêtement déplut
à la Cour 3 et on les dispersa ainsi que les
solitaires et leurs disci >les".
Ces vierges n'opposèrent à la persécution
qu'une profonde résignation. Les jésuites ,
les plus forts en Cour et enSorbonne, étaieat
battus dans les champs de la raison et de
la plaisanterie ; pour se défendre ils eurent
recours à la calomnie. Ils publièrent que
le but des jansénistes était d'anéantir la
religion chrétienne. L'histoire de ce com-
pl ot fut donné sous le nom de projet du bourg-
Fontaine. Suivant ce projet les chefs de la
confédération s étaient assemblés en 162.1
dans ce village. Ces chefs étaient Jansénius ,
le docteur Sain t-^ra/z,l'évêqiie du iWifey, le
docteur Jmaud; à chaque confédéré on assi-
gna un objetd'attaque. L'un devait dirigerses
coups contre J. C. et contre le mystère de la
-grâce ; l'autre contre l'église et le pape.
Celui-ci devait travailler à la destruction
du
Jésuites calomniateurs et calomniés. %iS
du Sacrement de l'eucharistie , et celui-là à
l'anéantissement des religieux. Quelques té-
moins subornés appuyèrent cette fable ; elle
fut crue par la reine et par des courtisans
que les jésuites confessaient , mais elle ren-
dit les jésuites exécrables dans le monde.
Les jansénistes repoussèrent cette calom-
nie affreuse par d'autres calomnies non
moins affreuses. Ils inondèrent l'Europe
d'un déluge de libelles , pour prouver que les
jésuites avaientformé le complot de détruire
la morale , qu'ils n'allaient dans les Indes et
la Chine que pour s'enrichir , se faire por-
ter sur des palanquins , et pour prêcher l'i-j
dolatrieet l'athéisme.
Arrêtons-nous et apprenons à nos lecteurs
que pendant cent trente ans nos théologiens
français se sont querellés , calomniés et
persécutés cruellement à propos d'un ou
deux passages sur la grâce , et cela parce
que , dans la dispute, chaque parti s'est servi
des termes que l'autre parti réprouvait; et
qu'à ces termes , qui ne sont ni dans l'évan-
gile ni dans l'écriture sainte , les uns don-
naient un sens que les autres ne voulaient
pas admettre.
Un ami de Pascal disait en i656 : je
-Terne II. P
22.6 Dispute faute de s entendre,
voudrais que la Sorbonne , qui doit tant
à la mémoire du cardinal de Riche-
lieu, voulût reconnaître la jurisdiction de
l'académie franc aise. Cet ami avait raison.
Ce tribunal, s'il eût été aussi éclairé qu'il l'a
été dans notre siècle , aurait commencé ou
par proscrire les mots sur lesquels on dis-
putait , ou par en fixer le sens.
L'académie française eût d'abord fait ap-
porter, en présence de la Sorbonne , le livra
de Jansenius , et eût convaincu de mau-
vaise foi les deux partis qui s'agitaient , e6
qui par contre-coup troublaient la paix du
royaume. Elle eût montré aux jansénistes
les deux propositions que nous avons déjà
rapportées, et eût fait voir aux jésuites qu'ils
avaient arrangé les autres trois proposi-
tions condamnées ; elle eût dit aux uns
et aux autres : Mazarin , qui dénonça Vau-
gustin de Pévêque d' Ypres , ne l'avait pas
lu parce qu'il n'avait pas le temps de
lire; le pape, qui le condamna, ne l'avait
pas lu , parce qu'il avait encore moins de
temps : ne parlons donc plus de ce livre
puisqu'il vous fait battre , qu'il entretient
Yotre animosité , et qu'en outre il est fort
ennuyeux.
Mystères et scandales. 227
Le secrétaire de l'académie eût ensuite
fait un petit sermon 'aux théologiens pour
leur apprendre que les mistères de la grâce
et autres mistères doivent être des objets de
silence et d'adoration, et non 1 aliment des
querelles humaines. Il leur eût appris que tour
tes ces expressions de pouvoir' prochain , de
pouvoir éloigné y de concours concomitant ,
de science moyenne , de grâce excitante >
de grâce suffisante , de grâce prévenante >
de grâce versatille , de grâce efficace , de
grâce victorieuse , de grâce congrue , xi3
sont que des signaux de ralliement pour
préparer les oisifs à des guerres scandaleu-
ses , et pour troubler le repos des imbé-
cilles qui veulent se mêler du combat.
Ce secrétaire eût encore enseigné aux
théologiens que tout est grâce de la part de
Dieu ; que dans son principe , cette grâce est
Une , et que suivant les diverses occurrences
de la vie , on peut sans se quereller lui don-
ner diverses dénomtaa ions.
L'intérêtde lasociété demande une bonne
morale , et point de ces dogmes qui sont des
sujets de disputes et de haines. Si elle en a
qui soient reconnus pour être divins, il faut
qu'on les respecte assez pour n'en point
P %
$2,8 Mystères et scandales,
parler , ou du moins pour n'en pas disputer,
crainte d'en affaiblir la croyance , et de les
exposer, après avoir affaibli cette croyance,
au mépris et à la dérision.
La tranquillité des citoyens demande sur-
tout de proscrire les formulaires de foi ,
qui ne font que des fourbes et des hypo-
crites , et qui ont toujours été des prétextes
de persécution. Crainte d'assurer le men-
songe y disait saint Augustin , ne jurez-pas ,
et quand père Augustin ne l'aurait pas dit ,
cela n'en serait pas moins vrai.
CHAPITRE LVIII.
Alexandre VII condamne la Sorbonne. La
parlement condamne Alexandre VII.
La querelle qni s'éleva entre le pape et le&
théologiens français était très-grave : il s'a-
gissait de bonnes mœurs et de l'indépen-
dance des rois. La Sorbonne n'aguêre s&
prêtant à toutes les manœuvres des jésuites,
et à la vengeance de Mazarin , avait con-
damné le docteur Arnaud, et persécuté ses
partisans. Après la mort de Mazarin, la plu-
part des amis dC Arnaud revinrent en Sor-
bonne , et y firent proscrire deux livres plus"
dangereux certainement que les rêves deJan-
senius , sur la grâce et la liberté de l'homme.
L'un de ces livres était la Défense- de- N. S.,
P. le pape, et de V emploi des religieux me ra-
dians. Ce livre était un monument élevé art
despotisme pontifical, par un jésuite , sous le
nom de V ornant. L'infaillibilité du pape et sa;
suprématie sur les conciles , sorvaîent de-
base à l'édifice ; le pouvoir de l'épiscopaK
était anéanti , et tôt ou tard l'évêqoe
P &
%3Q Doctrine abominable
Rome devait } avec le seul secours des reli-
gieux ses émissaires , gouverner les rois et
les peuples. Nous devons obéir , disait le
jésuite, pag. 120, à ce que commande le pape
jan s demander raison de ce qu'il fait et de
ce qu'il ordonne } croyantpour certain qu'il
ne peut nous tromper, ni être trompé.
1664 Cet ouvrage dénoncé à la Sorbonne, y
6 1 "iai* fut flétri et méritait de l'être; mais à peine
les théologiens eurent-ils donné cette preuve
de courage et de patriotisme , qu'il parut un
autre livre sur le Probabilisme : il était du
jésuite Moya , espagnol et confesseur de
Marie - ytnne d'Autriche. Le livre que la
£ or! lonne avait flétri sapait les fondemens
du trône ; celui de Moya ruinait tous les
principes de la morale , et convertissait la
société civile en une espèce de coupe-gorge.
Le confesseur de la reine Anne d' AuLriciie
prétendait qu'il est permis de donner un
coup de couteau à celui qui nous dit des
injures, ét de le tuer en cachette si on ne le
peut autrement ; qu'un père peut , en cons-
cience , poignarder sa fille dans les bras de
son amant; qu'un juge peut., en certaines
circonstances, vendre sa sentence comme un
ççclésiasticrue son bénéfice.
du jésuite Moya. i3t
Le théologien Moya traitait aussi fort au
long des plaisirs des maris et de ceux des
amans : il examinait avec scrupule quelles
sont les attitudes de la volupté qui sont
péchés mortels , et celles qui ne sont que
fautes vénielles ; quels sont, dans les plaisirs
des sens., les rafinemens qui peuvent être per-
mis , et ceux qui doivent être prohibés.
Plusieurs théologiens avaient approuvé la
doctrine de Moya. La S or bonne les somma
de comparaître devant elle ; ils furent exclus
de ses délibérations ; et , sans entrer dans
aucun détail , elle condamna le livre du con-
fesseur de la reine , comme digne d'être en*
seveli dans un silence éternel.
Les jugemens de la Sorbonne indisposé- ,
rent Alexandre VII ; il envoya un bref à a6
Louis XIV y le louant adroitement de son
zèle à persécuter les jansénistes , et l'invi-
tant à ne pas émousser la pointe du couteau,
qu'il leur tenait sur la gorge. Nollet
gladii eorum jugido instantis aciem adeà
importuné retundi. Ce pape finissait par de-
mander à Louis XIV la suppression des
jugemens que la Sorbonne avait portés con-
tre les livres de Vemant et de Moya;re*
gardant ces jugemens comme injurieux au
Le pape condamne Ja Sorbonne.
gaint siège. Le nonce & Alexandre VII se
rendit en Sorbonne , et ne pouvant obtenir
cette suppression , il s'emporta jusqu'à dire
qu'il faisait autant de cas des décrets de la
Sorbonne que des nouvelles de la gazette.
Ce propos était insolent ; mais le bref
& Alexandre VII était un outrage fait à la
raison. On le dénonça au parlement ; il fut
arrêté , dans une assemblée des chambres ,
que Louis XIV ne pouvait donner satis-
faction au pape sans compromettre les droits
de la France, et que la Sorbonne, loin d'être
blâmée , devrait être puissamment excitée de
persévérer dans ses sentimens.
Le réquisitoire de l'avocat général Talon.
eut cela de bon , c'est qu'il passa en revue
ia plupart des excès de Rome, et qu'en ci-
tant tous les papes qui avaient erré dans la
foi et dans la morale , il coulait à fonds la
cliimère toujours renaissante de l'iniailli-
bilité.
Alexandre VU > mécontent de Louis
XIV et du parlement , condamna les deux
censures de la Sorbonne , prononçant par
sa bulle une exeomunication majeure con-
tre ceux qui oseraient s'en déclarer les dé-
fenseurs , menaçant de la colère de Dieuetv
Moines mandes au parlement.
de l'indignation de saint Pierre et de saint
Paul tons ceux qni n'obéiraient pas à la
plénitude de sa puissance.
Le parlement respectant, comme on le 29 juillet
doit, saint Pierre et sârint Paul , et se mo-
quant, comme cela peut être permis quel-
quefois, de l'excomunication du pape, pros-
crivit sa bulle, et maintint la Sorbonne dans
le droit de veiller aux droits de la couronne
et à la pureté des mœurs. Les supérieurs
des quatre ordres mendians , ceux des ber-
nardins, les principaux jésuites furent man-
dés à la barre du parlement , et il leur fut
enjoint de ne rien enseigner de tout ce que
la Sorbonne avait censuré.
On fit plus. Le parlement envoya deux
commissaires en Sorbonne pour faire trans-
crire son arrêt sur ses délibérations. Du
H aidai , substitut du procureur- général sou
père , fit un discours aussi éloquent que
savant , pour montrer l'absurdité et le dan-
ger de la bulle & Alexandre VII ; ce dis-
cours était d'autaut plus nécessaire que la
bulle avait allarmé beaucoup de théologiens ,
que plusieurs s'étaient retirés des assemblées
où l'on rédigea les censures portées contre
les jésuites Ventant et Maya , et qu'il y
2,3 4 M\ oînes mandés au parlement.
avait encore en Sorbonne des partisans dé-
clarés & Alexandre VII, de son infaillibilité
et de son audace. Bossuct disait, en parlant
de ce pape, que sa bulle n'était propre
qu'à couvrir l'église d'ojprobre et d infa-
mie.
235
CHAPITRE LIX.
Querelle de la maison de Sorbonne avec les
comédiens.
XjA Sorbonne jouit d'un moment de gloire :
elle ns répara pas tous ses torts , mais elle
les fit oublier pendant quelque tems. Sa fer-
meté contre le pape la mit en faveur , et le
monarque lui offrit la conduite du collège
Mazai in : en l'acceptant, elle demanda l'éloi-
gnementdes comédiens qui avaient leur tl éâ>
tre , rue Guénégaud , auprès de ce collège.
Cette demande souffrit de grandes difficultés
en cour. Molière y avait de puissans pro-
tecteurs , et les jésuites , mécontens de la
Sorbonne , les y appuyaient de tout leur cré-
dit et de toutes leurs intrigues. La Sorbonne
l'emporta ; et Molière , malgré les conseils
de ses amis qui le poussaient à se venger de
la Sorbonne , fut assez sage pour ne rien
hasarder sur son théâtre qui pût déplaire à
la théologie.
La troupe de Molière fut long-tems dana
l'embarras de trouver un emplacement.
Querelle avec les comédiens.
Presque tous les curés étaient jansénistes ,
en haine du confesseur du roi , et par con-
séquent ennemi des comédiens et des jésui-
tes leurs protecteurs. Aucun d'eux n'en vou-
lait sur sa paroisse.
Les comédiens achetèrent l'hôtel de Sour-
dis , près le Louvre ; mais le curé de Saint-
txermain-rAuxerrois , qui pensait que les co-
médiens étaient réprouvés , en parla au roi ;
et Jtfolièrc fut obligé de chercher un autre
emplacement. Un autre curé Féloigna de
son église , en disant que ses paroissiens,
ayant un spectacle à leur portée , ne vien-
draient plus à vêpres.
Point de curé alors dans Paris qui ne fût
docteur de Sorbonne , et qui , pour se dé-
faire des comédiens , ne citât l'évangile.
A Athènes et dans toutes les villes de l'Asie
mineure il y avait des théâtres. Saint-7W/
annonça l'évangile dans ces villes , et ne
prêcha jamais contre les théâtres.
Ce chapitre est peu de chose : c'est assez
de ce que nous avons dit ; passons à Des-
cartes,
23f
CHAPITRE LX.
De Descartes et de la condamnation de set
doctrine en Sorbonne.
Ce philosophe , le premier en France ,
nous apprit à faire usage de notre raison :
on connaît tous ses manèges pour engager
la Sorbonne dans ses intérêts. Rien ne fut
négligé pour se la rendre favorable et pour
s'assurer du suffrage de la plupart des théo-
logiens : il fit remettre à plusieurs d'entr'eux.
un exemplaire de sonliyredes méditations ;
ensuite il offrit de dédier cet ouvrage à la
Sorbonne. C'était une puérilité de sa part ;
mais cela prouve la crainte qu'il avait de ses
censures. Le père Mersenne fut chargé de
négocier l'offrande de cette dédicace. Quel-,
que bon droit qu'on ait , lui écrivait- il #
on ne laisse pas d 'avoir besoin d'amis.
Dans une des lettres de Descartes à un
docteur de Sorbonne , on lit ces paroles :
c'est la cause de Dieu que j'ai entrepris
de défendre : j'espère beaucoup de vous ,
fant par votre conseil que par votre faveur ^
2.38 Opinions de Descartss
en me procurant des juges favorables et en.
vous mettant du Jiombre.
La Sorbonne sentit le piège que lui ten-
dait le philosophe. Soumise à Aristote, elle
craignit qu'en adoptant la doctrine àeDes-
cartes y on n'innovut dans la foi ; elle crai-
gnit que l'esprit, s'accoutumant à raisonner,
ne voulût plus se rendre qu'à l'évidence.
Telles furent les considérations qui l'empê-
chèrent d'agréer la dédicace des médita-
tions. Descartes s'en consola, en disant que
les meilleurs esprits de la Sorbonne pen-
saient comme lui , et qu'il préférait le juge-
ment du jeune docteur Arnaud à celui des
anciens.
Cependant les cajoleries que Descartes
prodigua à plusieurs théologiens lui valu-
rent des amis en Sorbonne ; et c'est à ces
émis qu'il dut la paix où la Sorbonne le
laissa , quand d'imbécilles théologiens hol-
landais s'élevaient contre lui , accusant sa
doctrine d'athéisme ; quand l'inquisition
romaine , après avoir mis cette doctrine à
l'index expurgatoire , la frappait d'un dé-
cret.
Descartes n'était plus , et ses opinions
faisaient de grands progrès en Europe.
condamnées en Sobonne.' 23ç>
Malebranche en défendait quelques-unes
avec la force et l'éloquence du génie , et
dans la suite FonteneUe en orna ses romans.
Aristote, après avoir eu l'empire dans nos
écoles , tombait dans le discrédit. La théo-
logie s'en allarma. On parla à Louis XIV
du danger des opinions de Descartes ; et
ce roi , que l'ambition et les gens à préjugés
gouvernaient , crut ce danger fort réel ;
l'archevêque de Paris reçut ordie de sa part
de faire assembler les facultés de l'univer-
sité pour examiner la doctrine de Descar-
tes : au nombre des propositions pros-
crites , on trouve les deux vérités sui-
vantes.
Il faut se défaire de tout préjugé , et
douter de tout avant de s' assurer d' aucune
connaissance.
En philosophie il ne faut pas se mettre en
peine des conséquences qu'une opinion peut
avoir pour la foi : nonobstant ces conséquen-
ces , il faut s'y arrêter si elle semble évi-
dente.
Deux ans après que l'université eût pros-
crit ces deux vérités , la Sorbonnc crut qu'il
était de son devoir de ne pas rester muette \
elle les proscrivit à son tour, Elle fit plus :
a4°
à l'anathême dont elle les frappa elle
joignit la défense de s'éloigner de la doc-
trine iïAristote. C'est ce qu'elle avait décidé
soixante et dix ans avant cette époque ,
c'est-à-dire , lorsqu'après avoir condamné ,
en 1624 y les opinions de BiLlon , de Bitaud
et de Claves , elle fit lacérer au milieu de
la salle de ses exercices leurs ^thèses en
présence de ce dernier.
CHAPITRE
Ml
CHAPITRE LXI.
De Marie Agreda et de ses visions proscrites 1696;
en Sorbonne.
On peut blâmer la Sorbonne d'avoir con-
damné, dans Descartes y des opinions que les
esprits sensés regardent aujourd'hui comme
des vérités; mais on doit la louer d'avoir
frappé de ses censures les visions de Marie
Agreda : peut-être eût-il encore mieux valu
les livrer à la dérision qu'à une improba-
tion théologique.
Cette visionaire s'appellait Coroncl ; elle
étoit d'Agreda , petite ville d'Espagne qui
avoisine le pays de Sainte-Thérèse , célèbre
dans le catalogue des prephétesses , par ses
extases et par la réforme des carmes , après
l'avoir été dans sa jeunesse par ses galan-
teries.
On ne peut nier que les parens de Marie
Co roncin eussent le cerveau un peu timbré,
et la fille tenait beaucoup de ses parens. Le
pere et les deux frères de Ivlarie se .firent
Tome II. Q
Famille de Marie Agreda.
moines de Saint-François par ordre de Dieu,
qui, comme personne n'en doute , et avant
qu'il eût perfectionné notre raison , avait
une grande prédilection pour les religieux
de cet institut. Le même ordre fut donné à
la mere et à la sœur de Marie , de se faire
religieuses. La maison paternelle fut ainsi
convertie en un couvent consacré à l'im-
maculée conception.
Marie, comme la plus sensée, fut choisie ,
en 162.7, Pour en être abesse ; et J. C. de
son côté la choisit pour écrire la vie de la
sainte-vierge sa mere : ce fut pendant qu'elle
dormait qu'elle en reçut les ordres ; mais
elle y résista long-tems , et ce ne fut qu'après
d'itératives révélations et de l'exprès com-
mandement de son confesseur , qu'elle se
décida à écrire les faits , gestes , dons et pri-
vilèges de la sainte vierge.
Tout ce que les é van gelistes nous en ont
dit se réduit à trois ou quatre pages. Marie
d 'Agreda ,pour suppléer au silence des évan-
gelistes , en écrivit huit volumes. Ce supplé-
ment , quant à la longueur , était fort rai-
sonnable , et quant au fonds , fort édifiant.
Un dévot ne peut en effet qu'être très-
édifié de lire et d'apprendre que la sainte
Roman sur la sainte Vierge. %fô
vierge, ati moment de sa naissance, fut trans-
portée dafts le ciel empiré , qui , probable-
ment est un peu au-dessus de celui ou Saint-
Paul voyagea dans une de ses extases. Un
détachement de neuf cents esprits fut com-
mandé pour la garder. Douze de ces esprits,
sous la figure de beaux garçons , comme des
pages d'élite et de confiance , faisaient au-
près d'elle le service ordinaire. Dix -huit
tirés de la légion des chérubins furent char-
gés des ambassades. Pour la promptitude
des dépêches et la commodité des messagers,
on arebouta contre la voûte céleste l'échelle
de Jacob. Saint-Michel fut mis à la tête des
domestiques emplumés pour veiller au ser-
vice. Il était surintendant du palais de la
reine , et il n'y eut jamais au monde de
maison de reine aussi bien administrée.
Marie Agreda , son fidèle historien , dé-
crit ensuite les aventures qui arrivèrent à la
sainte vierge dans le sein de sainte-^/z/z<? ;
la belle conversation qu'elle eut avec Dieu
à l'âge de dix-huit mois ; elle nous donne
un détail très-circonstancié des dons, grâces ,
prérogatives et grandeurs de la sainte vierge ,
de la puissance qu'elle a de créer les rois et
de les détrôner , le tout fondé sur l'avantage
Q ?
ï44 ^es folies de Marïe Agreclâ
qu'elle eut d'être immaculée en sa concept
tion.
Tant "de mistères ineffables , depuis dix-
sept cents ans que la sainte vierge était mon-
tée au ciel , n'avaient point encore été ré-
vélés à personne. L'honneur de leur mani-
festation était réservé à l'abbesse à'Agreda,
mais qui ne les divulgua que poussée par la
force de la vérité.
Cette fille , comme on peut «n juger par
ce que nous venons d'en dire , était rempli©
de ce même esprit dont était enivrée Sainte-
Thérèse sa contemporaine , et dont dans
d'autres tems furent enivrées en France ,
et la Guion qui épousa J. C. et qui était
enceinte du saint-esprit , et la Bourignon ,
en Flandres , et tant d'autres filles à exta-
ses et à prophéties , mais qui n'ont été célè-
bres que dans leurs rues et ches leurs voi-
sines.
Les mystiques impertinences de Marie
Agreda , qu'elle avait intitulées : mystique
eité de Dieu , histoire divine , firent un©
fortune étonnante en Espagne ou la cha-
leur exalte infiniment l'imagination du
sexe.
A Salamanque , les théologiens parlaient
font fortune en Espagne. n/fi
fle Marie Agreda comme d'une sainte.
A Rome on travaillait à la canoniser. En
France un récolct s'occupait à donner de la
vogue aux visions de Marie : il en avait
déjà traduit une grande partie ; mais sa
traduction , quoiqu'imparfaite , fut dénon-
cée à la Sorbonne qui employa trente-neuf
6eances pour examiner l'affaire de cette fille
Espagnole. On conviendra qu'il eût été pos-
sible de mieux employer son tems.
Trois évêques poussés par les Domini-
cains , ennemis déclarés de l'immaculée
conception , poursuivaient secrettement la
condamnation de Marie Agreda. D'autres
évêques, appuyés en Sorbonne par les corde-
liers , combattaient pour elle : on les sur-
nomma les Agredins. L'un de ses défenseurs
en appella au saint- père. Deux conseillers
au parlement , les abbés Mas et Bos , et qui
avaient l'honneur d'être docteurs en théolo-
gie , protestèrent de nullité contre la cen-
sure (m'en devait faire la Sorbonne.
On remarquera que les visions à' Agreda
divisaient la Sorbonne et partageaient l'épis-
copat dans le tems même que Bossuet et
F enelon étaient aux prises pour la Guion 9
Q3
2.46 Visions ûPAgreda condamnées.
autre espèce de folle qu'on venait de ren-
fermer dans le donjon de Vincennes.
Malgré l'appel des évêques Agredins et
la protestation des conseillers théologiens ,
les visions de Marie Agreda furent pros-
crites par un décret de la Sorbonne : elles
l'étaient déjà par les gens sensés.
Les Agredins se vengèrent par des bro-
chures remplies d'injures contre ceux qui
avaient minuté la censure. Ils les accusè-
rent d'avoir vendu leur suffrage à quelques
ambitieux pour avoir des bénéfices.
Ce qui est très-vrai , c'est que les assem-
blées en Sorbonne, au sujet de Marie Agreda,
furent très-orageuses ; que les deux partis
s'injurièrent grossièrement , et qu'au rap-
port d'un écrivain de ces teins là , ils criaient
de telle manière qu'il semblait qu'on fdt
dans une halle.
Mais il est encore vrai que le bruit n'em-
pêche pas la vérité de se faire connaître.
Le saint-esprit , le jour de la pentecôte ,
s'annonça aux apôtres par un grand bruit.
Etfactus est repentè de cœlo sonus.
*47
CHAPITRE LXII.
Les récolets et les Hurons au tribunal de la
Sorbonne.
Les récolets , vers la fin du siècle dernier ,
furent les premiers apôtres du Canada. Ils
s'établirent à l'endroit même où est aujour-
d'hui Québec ; de-là ils pénétrèrent chez les
Hurons , et s'y formèrent quelques cabanes.
Avec du tems , de la patience , de l'eau de
vie et du vermillon , ils parvinrent à gagner
la confiance de ces sauvages , comme avec
des dragées on gagne l'amitié des enf'ans.
Ce n'était pas là le plus difficile : il fallait
encore les instruire. Les récolets travaillè-
rent en vain à leur mettre dang la tête les
idées confuses et métaphysiques de notre
catéchisme. Quels succès pouvaient en
effet avoir les leçons de ces missionnaires ,
quel que fut leur zèle , sur l'esprit d'un peu-
ple dont la mémoire est affaiblie par l'humi-
dité du climat , et qui pour vivre , forcé
d'être chasseur et pêcheur^ est constamment
distrait par les longs exercices d'une vie
Q4
2.48 Faible intelligence
errante f Des sauvages dont l'idiome est en-
tièrement dépourvu de mors propres à expri-
mer des idées , pouvaient -ils se contenter
d'un langage qui ne porte dans l'imagina-
tion aucune image f
Les enfans chez nous, dit-on , se payent
de mots : cela est vrai; mais c'est parce qu'ils
sont des enfans , c'est parce qu'on les y ac-
coutume en sortant du b.erceau ; c'est parce
qu'ensuite nous les forçons à croire sur pa-
role un catéchiste qui , au milieu d'une
église , leur parle avec l'autorité d'un maître
et d'un délégué de Dieu pour les instruire.
Il n'en est pas de même des sauvages ; un
missionnaire ne les force pas de croire sur pa-
role , comme on y foi ce des enfans; d'ailleurs
les idées échappent de iamémoire des Hurons,
à mesure qu'on les y verse. Ajoutons qu'ils
n'ont pas , comme nos enfans , le tems d'é-
couter leurs instructeurs, parce que le besoin
de pourvoir à leur nourriture les force sou-
ventd'alltr chercher leurs provisions à quel-
ques centaines de lieues de leur tribu.
Je pense bien qu'on peut apprendre à un
Iroquois qu'il y a un Dieu , c'est-à-dire , un
grand être qui gouverne le monde ; qu'il
des H urons '. a4<)
fest en nous une ame , c'est-à-dire , un petit
être qui meut et régit notre corps à-peu-près
comme un horloger monte et régit une pen-
dule. Ce grand et ce petit être peuvent for-
mer dans l'imagination d'un Canadien 1 em-
preinte plus ou moins grossière d'une image
quelconque.
On peut encore lui apprendre et faire
croire qu'une première femme mangea une
pomme défendue ; mais l'embarras est de
lui mettre dans la tête, avant de le baptiser,
que trois ne font qu'un , que dans la trinité
trois personnes ne font qu'un seul Dieu ,
que la gourmandise &E\ e imprima une tache
à son ame ainsi qu'à l'ame de ses en fans ;
que cette tache, si on ne l'efface , a damné
ses arrières petit-fils jusqu'à la millième géné-
ration ; qu'avec une eau bénite et quelques
paroles on lève cette tache , comme avec une
eau savoneuse on lève de grosses taches sur
un linge très-sale.
Ii est probable que les récolets parvinrent
à faire répéter quelques mots de ces mys-
tères aux Hurons , à-peu-près comme nous
les faisons redire à nos enfansquiles répè-
tent sans y rien entendre , et qui , dans un
i.5o Hurons baptisés.
âge avancé sont étonnés de ne pouvoir le»
concevoir malgré beaucoup de lumières ac-
quises.
Cependant lesrécolets hasardèrent quelques
baptême» : cela ne réussit pas. Il eût fallu, ce
semble, avant tout, conférer aux sauvages le
sacrement de confirmation qui donne l'in-
telligence , quoiqu'il y ait dans l'Europe
chrétienne une infinité de personnes con-
firmées et qui sont sans intelligence.
Ce n'est pas l'usage , me dira-t-on , de
conférer ce sacrement le premier. D'ailleurs,
l'évèque seul a le droit de le conférer , et il
n'y avait point encore d'évêques parmi les
sauvages de la Huronie. Etant les succes-
seurs des apôtres , ce serait bien aux évê-
ques à aller annoncer l'évangile ; mais de-
puis que de pauvres prêcheurs ils sont
devenus en l'église chrétienne des princes
magnifiques , ils se sont reposés des soins
de leur apostolat sur ceux qui ont voulu en
prendre la peine.
Les récolets et les Hurons s'ennuyaient
réciproquement,les premiers de ne point être
entendus , et les autres dm ne point enten-
dre leurs instructeurs. Lesrécolets consultè-
rent la Sorbonne sur l'espèce d'impossibilité
Mensonges des jésuites. 2.5l
d'instruire ces sauvages. Son tribunal de
conscience répondit que pour être admis au
sacrement de baptême , il fallait au moins
la connaissance implicite de ce qu'on reçoit.
Les récolets appellèrent à leur secours le«
jésuites, qui alors remplissaient le monde
chrétien de leurs relations mensongères ;
il n'était question que des miracles qu'ils
faisaient et des conversions qu'ils opéraient.
Cette mal-adresse desrécolets leur coûta cher;
car la première manœuvre des hommes apos-
toliques qu'ils avaient appellés dans la Hu-
ronie pour les aider à défricher la vigne du
seigneur, fut de commencer par s'emparer de
leurs habitations. Ensuite ils publièrent qne
les sauvages du Canada étaient susceptibles
Je toute instruction; mais que les récolets
s'y prenaient mal , qu'ils étaient de mauvais
convertisseurs ; enfin, que les Hurons avaient
plus d'esprit que leurs apôtres.
Lauson , président de la compagnie du
commerce du Canada , servait les jésuites ,
qui à leur tour le servaient de tout leur cré-
dit en cour. Jl ordonna aux récolets , sous
des peines très-rigoureuses, de sortir du pays.
Sur leur refus , il leur intenta un procès
â5z Espèce humaine
qu'ils perdirent. Ils furent condamnés à
ne plus rentrer dans le Canada.
Louis XI r, tour-à-tour trompé parles fem«
mes , par les prêtres et par les partisans , ne
tarda pas à être félicité d'avoir converti les
Canadins par le ministère des jésuites ; mais
bientôt les cris de messieurs des missions
étrangères se joignirent aux plaintes des
récolets contre les jésuites ; ils furent, ainsi
que les Hurons , cités au tribunal de la Sor-
bonne : il y fut question de savoir si uni
jésuite missionnaire pouvait baptiser un
néophyte qui , pour un verre d'eau-de-vie
ou pour une pincée de vermillon , consenti-
rait à se laisser verser sur la tête un verre
d'eau froide.
La Sorbonne avait déjà jugé cette cause
sur le rapport des récolets : elle prononça
de nouveau qu'un Américain qui n'aurait
pas autant de connoissance qu'il en faut
pour comprendre ce qu'il fait, ne pouvait
être baptisé. Les jésuites annonçaient des
conversions qu'ils faisaient dans ces pays.
Ce qui est vrai , c'est qu'aujourd'hui il ne
reste presque pas de traces de ces préten-
dues conversions.
Rapportons - nous en à M. de Pair qui
dégradée en Amérique'* 253
BOUS a appris que l'espèce humaine
était en Amérique par -tout dégradée , et
il l'a prouvé victorieusement. Quarante
ans après la découverte de l'Amérique, quel-
ques Européens étaient tellement frappés
de l'imbécillité de ces peuples , qu'ils dou-
taient qu'ils fussent des hommes. Dans leur
doute , ils consultèrent le pape Paul III ,
qui répondit : nous déclarons qu'on doit les
regarder comme des hommes. Ut pote verè
homines Indos eœistere decernimus.
Nous venons de voir au tribunal de la Sor-
bonne Descartes , Marie Jgreda 3 les réco-
lets et les Huions. Voyons-y encore les Chi-
nois et les jésuites.
254
CHAPITRE LXIII.
Les jésuites et les Chinois condamnés en
Sorbonne .
1700. Les querelles des théologiens sur la grâce
efficace etsur la grâce versatille en firent naî>
tre en Sorbonne une sur les rites Chinois.
Cette nouvelle contestation ne fut ni moins
aigre, ni moins frivole , mais beaucoup plus
ridicule. On disputait depuis long - temps
pour savoir comment Dieu agit sur la créa-
ture ; on voulut encore savoir comment les
Chinois adorent Dieu , quelle est leur inten-
' tion , soit en invoquant le ciel , soit en brû-
lant des parfuns devant les images de Con-
fusius , et devant celles de leurs ancêtres.
Le jésuite le Comte, qui avait demeuré
parmi eux , dit dans ses mémoires , que la
Chine avait sacrifié dans le plus ancien
temple de l'Univers } cvaelle avait consené
plus de deux mille ans la connaissance du
vrai Dieu ; truelle l'avait honoré d'une ma-
nière qui peut servir d'exemple aux cl/ré-
Calomnie de la Soj-bonne. 2.55
tiens , enfin quelle pratiquait une morale
aussi pure que sa religion , tandis que l'Eu-
rope était encore dans l'erreur et la cor-
ruption.
Le père le Comte fondait cet éloge sur la
connaissance qu'il avait de la langue et des
annales de cet empire , ainsi que sur les
éclipses que ses confrères avaient examinés
et calculés. Il s'agissait de savoir si ce jé-
suite et ses confrères , dont il était 1 organe ,
connaissaient bien cette religion des Chi-
nois avec lesquels ils avaient vécu pendant
cent ans ; s'ils avaient bien lu leurs annales ,
bien calculé les éclipses ; enfin s'ils ne se
trompaient pas en parlant de son antiquité,
de son culte et de ses vertus.
En Sorbonne où l'on ne sait pas tin mot
de Chinois , où la multitude des docteurs
ignore les premiers élémens de la géomé-
trie et de l'astronomie , on prétendit que
les jésuites avaient mal vu et mal calculé
dans la Chine , qu'ils n'allaient pas dans ces
contrées opulentes pour annoncer Jésus
crucifié , mais pour s'y enrichir , se faire
mandarins, permettre l'idolâtrie etl'athéisme.
Ces deux derniers griefs renfermaient une
contradiction monstrueuse.
2,56 Jésuites dénoncés en Sorboitnel
Le docteur Boileau et ie docteur Prioua*
dénoncèrent à la Sorbonne les mémoires dit
père le Comte, et l'histoiie du dernier édit
de l'empereur, par le père Go bien. On
nomma des commissaires. L'abbé Boileau,
qui avait fait la dénomination , fut un des
examinateurs. C'étaitun vieillard hargneux ,
d'une imagination caustique et bouftbne.
Il cherchait à se venger des jésuites qui
avaient fait une critique fort amère de l'un
de ses ouvrages. On connaît le livre singu-
lier de ce théologien sur les attouchemens
impudiques , et son histoire encore plus sin-
gulière des flagellans , ouvrages qu'il compo-
sait, dit il , en latin de peur que les éveques
ne les lussent et ne les censurassent. Ils sont
écrits du ton d'une farce des boulevards ,
et faits , disait-on , pour être placés dans la
bibliothèque d'un mousquetaire entre Pé-
trone et Lucien. On appellait ce docteur
lepetit Flagellant; etle judicieux Despréauaz
6on frère , disait de lui , que s'il n'eût pas été
docteur de Sorbonne , il eût été docteur de
îa comédie italienne.
Ce fut ce docteur Boileau qui , au nom
des commissaires , fit le rapport des deux
jésuites le Comte et Gobien. Voici, en peu
de
Discussion sur les Chinois. z5y
de mots ce qu'il dit , et ce que les autres
docteurs ajoutèrent à son avis.
Il commença par déclarer que les opi-
nions du père le Comte , sur les Chinois ,
avaient ébranlé son cerveau chrétien. Cet
ébranlement était vraisemblable, et proba-
blement durait encore lorsqu'il dit que les
Chinois étaientdes magiciens, des pélagiens ,
et des Athées , vivant sans sacrement , et
■dont le premier principe , s'ils en connais-
sent un, n'est que l'objet de leur philoso-
phie et non de leur religion , objectum phi-
losophiae , non reïïgionis. Il parla ensuite
comme d'une chose abominable , de la
morale de Confucius ; et après quelques
mauvaises plaisanteries sur les maîtresses,
tle ce philosophe , il ajouta que les jésuites,
ces hommes nouveaux qui nourrissaient le
roi de leur malice et de leurs mensonges ,
au lieu de venir nous entretenir de la reli-
gion des Chinois , auraient dû leur apporter
la nôtre.
La plupart des docteurs qui opinèrent
après l'abbé Boileau , ne dirent rien de
moins sensé. Un nommé Dupin prétendit
que si le père le Comtea.Yait raison , J. C. au-
rait dû naître à la Chine , et conclut que le»
Tome U- §
258 Dhc7!ss;icn en Sorbonnc
Chinois étaien t des idolâtres qui sacrifiaient
au ciel in rotundo et à la terre in piano»
Le docteur Chaussemerd dit , ou que les
jésuites avaient tort ou que Dieu était men-
teur et J. C. inutile. L'avis de M. le Sage
fut d'envoyer à la Chine douze docteurs des
plus robustes , pour aller voir par eux-mê-
mes si l'empereur et les lettrés étaient Athées.
Cet avis était très-sage , mais ayant oublié de
dire aux frais de qui se ferait le voyage ,
la députation n'eut pas lieu.
Le curé de Gonesse , docteur ubiquiste ,
Êoutint que les jésuites étaient des renards ,
et qu'il fallait les exterminer pour leur em-
pêcher de ravager la vigne du seigneur.
On lui répondit qu'il convenait peu à un
curé de Gonesse d'insulter les religieux de
la compagnie de Jésus. Condamnons-les , lui
dit-on , s'ils ont tort , mais ne les outrageons
pas.
Le docteur Imbert dit aux adversaires des
jésuites , que puisqu'ils n'avaient pas le cou-
rage d'aller convertir les Chinois, ils ne de-
vaient pas persécuter ceux qui y allaient.
Le docteur Berbise ajouta que le symbole
fie la Trinité se trouvait dans la philosophie
des Clûn^Ls , et que le général des Génové»,
snr la religion des Chinois. 2.5<)
faim avait imprimé , avec l'approbation de
trois docteurs , les mêmes vérités qu'on vou-"
lait condamner dans le père le Comte. Cela
était vrai : mais on fit entendre à M. Berbise
que ce n'était point à MM. de Sainte-Gene-
viève , mais aux jésuites qu'on en voulait.
En Sorbonne , comme dans d'autres compa-
gnies , c'est , comme on voit , l'intérêt qui
condamne ou qui absout.
L'opinion chi docteur Février mérite d'ê-
tre citée ; nous la rapporterons donc, ainsi
que les honnêtetés qui s'en suivirent. « Les
» hommes , dit-il , aiment naturellement h
n monter comme les poissons qui passent
» de la mer dans les lleuvcs. " Les ènfà&s* de
>ï Noé , en suivant la zone tempérée , ont
*> donc dû aller tout droit à la Chine ».
Et M. Février sortant alors une carte de1
l'Asie , montra avec le doigt la route que
les enfans de Noé avaient tenue.
Un docteur interrompit le sage maître
Février , et lui reprocha de comparer les
hommes aux poissons. Celui-ci répond que
Dieu envoyé les hommes aux beies pouf
s'instruire. Alors le syndic se lève et prie"
les sages maîtres de ne rien dire qui ne soit
digne de la compagnie. Le docteur Février'
R 3
2,6o Discussion enSorbonnel
réplique que ce qu'il dit est du sage Salo-
mon , et que Salomon vaut bien un syndic
de Sorbonne.
Le docteur Chaussemevd prend la parole
et montre coanbien il est indigne d'envoyer
des docteurs aux bêtes. Cette école , répond
le préopinant, est préférable à l'école des
dominicains. Ayant ainsi fermé la bouche
à tous les contradicteurs , il continua son
discours , soutenant que les enfans de Semy
ayant fondé le royaume de la Chine , y
avaient porté la religion de Noé; car,ajou-
ta-t-il, pourquoi ne l'y auraient- ils pas porté
quare non detu lissent? et prie l'assemblée de
répondre à cet argument : respondetead hoc?
C'est en mil-sept-cent qu'on raisonn ait ainsi
en Sorbonne ; on peut , d'après ces raison-
nements et ces saillies, juger de ce qu'étaient
ces assemblées de docteurs qui jugeaient
les jésuites et les Chinois : elles ne furent
jamais composées de moins de quatre- vingt
opinans. Enfin les mémoires du pere ls
Comte furent proscrits , et le culte des Chi-
nois , qui vivent à trois mille lieues de la
rue Saint-Jacques, fut déclaré idolâtre.
La Sorbonne , après avoir jugé les jésuites
çt les Chinois , les déf ra à Rome , qui prit le
parti d'envoyer à la Chine deux députés ,
sur la religion des Chinois. 261
pour voir par eux-mêmes comment on y
adorait Dieu , et comment les enfans y ho-
noraient leurs ancêtres.
Ces deux députes étaient ennemis des
jésuites ; l'un était un docteur de Sorbonne ,
prêtre des missions étrangères , et l'ami de
Boileau qui avait dénoncé le pere le Comte.
Le pape donna à l'un des deux le titre d'ê-
vêque de Conon ; l'empereur instruit qu'il
y avoit un évêque dans son empire , le fît
comparaître devant lui ; cet évêque ne sa-
vait que très-médiocrement la langue des
Chinois ; il eut la mal-adroite politique ù&
soutenir à cet empereur que lui et ses peuples
étaient Athées. Mais l'empereur qui étoit
bon , se contenta dé l'envoyer à Canton.
La Chine ire peut guère convenir
aux théologiens. C'est en quelque façon
l'empire des philosophes. Us y sont tout
et les théologiens n'y sont rien : on
y laisse en paix les bonzes qui , pour
vivre , enseignent à la lie du peuple,,
les fables de Laokium. et l'histoire mer-
veilleuse de Foé. Le gouvernement ne
s'y occupe que des progrès de la verra. S'il
s'y occupait autant des progrès de la ral*-
soîi-, il détruirait les bonzes qui sont une
R 3
2-62 Les Do/nmicains
vermine qui s'attache au bas peuple et
l'appauvrit. Ils n'y sont probablement ni am-
bitieux, ni insolens, ni intolérans. Voilà
ce qui leur assure le repos et prolonge
leur existence.
Il est évident que les jésuites ne furent
que tolérés à la Chine, qu'ils ne furent re-
çus dans le palais de l'empereur que parce
qu'on les prenait pour des philosophes.
lit ecl , liai, Marthi-Martinius yVcrreyra >
Gerbillon , IVerhiest ne se donnaient guère
d'autre titre que celui de philosophes. Ils
étaient tolérans parce qu'ils avoient besoin
qu'on les tolérât.
L'ordre de Sa.ïnt-Domînique , en voyant
qu'on y portait les jésuites sur des pa-
lanquins dorés, qu'on les élevait aux man-
darinats , qu'ils étaient accueillis de l'empe-
reur, y dépêcha une colonie de ses religieux;
■mais ils voulurent faire les théologiens et
médire des jésuites, regardés comme phi-
losophes. L'empereur les somma de paraître
devant lui pour les examiner s'ils savaient
le chinois , et s'ils étaient philosophes. Ils
osèrent désobéir à l'empereur , et eurent la
démence, pour justifier cette désobéissance,
de citer la bulle in cœna domiiù et l'exira,-
chasses de la Chine. 263
vagante Super gentes qui défend aux
chrétiens , quand il est question de Dieu ,
d'obéir aux puissances du siècle.
Les jésuites instruisirent l'empereur de
l'objet de ces bidles. La désobéissance chez
un peuple moins doux eût été sévèrement
punie. On se contenta de se moquer d'eux
et de leur bulle in cœna do mini , et de les
renvoyer, avec l'extravagante Super gentes,
en Europe pour y disputer , et sur-tout pour
leur apprendre à être polis et philosophes.
Telles furent dans la Chine les suites du
procès que les jésuites eurent en Sorbonne.
Le jésuite le Telierf pour venger ses confrè-
res du jugement qu'ils avaient essuyé en
Sorbonne , fit un fort gros livre pour justi-
fier le culte des Chinois. Le cardinal de
Noailles , à l'instigation de quelques doc-
teurs de Sorbonne , fit condamner à Rome
l'ouvrage de le Tellicr par le saint-office.
Le Telier , implacable dans ses haines ,
pour se venger de Noailles fabriqua la bulle
unigenitus. Il est tems de parler de cette bulle
ec de tous les mau^c qui, avec cilc , entrèrent
en France.
CHAPITRE LXIV.
de De la bulle unigenitus en France ;
s^14 elle est tour-à-tour reçue et refettée en
172.8. Sorbonne. Du docteur Grand-Colas.
C^uest-ce que la constitution unigenitus ?
A cette demande , j'entends du sein de la
Sorbonne ,, cent docteurs élever la voix pour
répondre , criant , s'injuriant, parlant tous
ensemble , et se chargeant mutuellement
d'anathëmes. Le bruit qu'ils font m'empê-
che de les entendre : je les interroge en.
particulier , et l'un après l'autre. La moitié
des théologiens assure que celte bulle
est un décret dogmatique porté contre
un livre trés-dangereux , par un pape qui ,
ainsi que tous les papes , est infaillible ,
et qu'on doit se soumettre à ce décret sous
peine d'être excommunié , exilé , persécuté
en ce monde , et damné en l'autre.
L'autre moitié des docteurs me dit , au
contraire , que cette bulle est un décret
impie qui anéantit l'évangile et nos libertés,
De la bulle unigenitus. 2.65
et qui condamne un très-bon livre. Quelques
abbés , m'ajoutent-ils , ou ambitieux , ou
pusillanimes , ou ignorans , reçoivent cette
bulle , les uns par intérêt pour avoir des
abbayes , les autres de peur d'être persé-
cutés.
Les deux partis ont parlé fort long-tems ;
ce qu'ils ont dit contiendrait à peine en.
cent volumes , sans y comprendre les
citations qu'ils pnt faites et les injures
qu'ils se sont prodiguées. En résumant le
tout , j'ai vu que la bulle unigenitus était
un petit écrit de vingt pages, en latin,
frabriqué en France par le jésuite le Tel-
lier , signé par Clément XI, publié à ^
Borne dans le champ de Flore , et porté en 8fept«nbn
poste par un capucin à Louis XIV \ pour
bouleverser ses états, pour être aux jansé-
nistes un objet de scandale et d'horreur ,.
aux plaisans un sujet d'épigrammes et de
vaudevilles, enfin, pour servir aux jésuites et
aux évêques de prétexte à des persécutions
abominables.
Les jésuites n'aimaient pas le cardinal de
Koailles , qui s'était élevé par son propre
mérite , et qui plaisait au roi sans leur suf-
frage. Je veux bien, disait ce cardinal,,
■3.66 Noailles persécuté
être leur ami , non leur valet. Ses sentimens
sur les querelles de la grâce n'étaient pas
ceux de leur société. Le père la Chaise ,
tout-puissant par sa place de confesseur de
Louis XIV dit, à son sujet : je lui ferai boire
jusqu'à la lie le vase de la colère de la^
société.
Le jésuite le Tcllier remplaça le père
de la Chaise dans le poste important de
confesseur. Cet homme violent et im-
placable en voulait personnellement au
cardinal de 7SoaiU.es qui avait fait condam-
ner à Rome un livre pour la défense des
chrétiens de la Chine , et qui méritait de
l'être par toutes les académies de l'Europe ,
tant il était mal écrit. On voulut faire la pais
entre Noailles et le Tëllier , mais celui-ci
répondit qu'on ne pouvait faire avec lui
qu'une fausse paix , et qu'il était plus sûr de
le perdre que de le gagner.
La première manœuvre de le Tellier ,
devenu confesseur de Louis XIV \ pour per-
dre le cardinal de Noailles , fut de rendre
sa foi suspecte. Ce cardinal avait approuvé >
i! y avait au moins dix ans, les Réflexions
mcrcles sur l'ancien testament. Ce livre ,
composé par Quesnel3 cratorien , était plein
pnr les jésuites. ?,6j
do force et d'onction : c'était le meilleur qui
eut encore paru en ce genre. Le Te II 1er la
dénonça comme très-dangereux au roi son
pénitent.
Les évêques se partagèrent entre le Tellicr
et Noai/les ; mais le plus grand nombre se
rangea du côté du confesseur qui disposait
des grâces ecclésiastiques. Louis XIV ,
trompé par le Tellicr , demanda au pape
la condamnation du livre des Réflexions.
Le Tellier minuta, la bulle qui devait le con-
damner ; mais en attendant que le pape se
décidât à signer cette bulle , les évêques de
France , pour plaire au confesseur , donnè-
rent des mandemens contre le livre et con-
tre l'archevêque de Paris , son approbateur.
Le parti des jésuites poussa l'impudence
jusqu'à afficher ce mandement aux portes
de la cathédrale : on en tapissa les murs et
les avenues de son palais. C'était une insulte
atroce et punissable faite à un homme pai-
sible.
Les émissaires de le Tellier mettaient tout ij$â
en œuvre à Rome , pour faire signer la bulle
unigenitus. Le Pape voulait bien se venger
du cardinal de Noailles qui, en 1 ~~o5, avait sou-
tenu les droits de Tépiscopat contre les pré-
2.68 Scandale
tentions de Rome, mais en même-temps îl
craignait de commettre son irtfaîllibîté en
donnant cette bulle. On lui persuada qu«
l'autorité de Louis XIF lèverait toutes les
difficultés, et il la signa.
Le sacré collège ne fut point consulté ;
seulement pour la forme , Clément XI en
conféra ayec quelques cardinaux. Cassiuise
jetta a ses pieds pour en empêcher la publi-
cation : le cardinal Campeche lui conseilla
de la jetter au feu. Elle fut remise au père
Timothée , capucin ; c'était le courrier dix
molinisme : il était ordinairemeut chargé
des dépêches des jésuites ; il fît plusieurs
voyages à Rome à franc étrier et habillé en.
postillon. On lui faisait espérer d'être car-
dinal, tout au moins évêque. Ses confrères
lès capucins se dévouèrent au service de
le Tellier. Dès-lors ils ne passèrent plus dans
le monde qvte pour les valets-de-picds des
jésuites .
Trente évoques qui se trouvèrent à- Paris
eurent ordre du Ror de s'assembler pour
délibérer sur cette bulle qui proscrivait cent
et une propositions du livre des Réflexions
Morales. Ils nommèrent une commission et
mirent l'archevêque de Paris à la tête. Les
de la bulle unigenitus, 269
çommis^aîresetaientlaplupartdes ambitieux,
qui se fesaient un jeu de tendre des pièges; à
la simplicité de cet archevêque , qui ne
tarda pas à s'absenter des séances, pouréviter
disait-il , des altercations indécentes. Huit
é\ êques se séparèrent de rassemblée où. l'on
traitait un e affaire qui n'était , suivant Silleri,
évêque de Soissons , qu'un mystère d' ini-
quité.
L'avis de l'évêque du Mans est une des
choses des plus remarquables et des plus
singulières de cette assemblée. « Je n'ai
*> jamais lu , dit- il , le livre des Réflexions ,
35 que la bulle proscrit; mais j'en ai ouï dire
» beaucoup de bien. Plusieurs saints éve-
il» ques l'ont approuvé , cependant le pape le
v> condamne. Cette contrariété forme un
» grand embarras. D'un côté des saints qui
>î approuvent , de l'autre un pape qui con-
*» damne. Quelques évêques ont opiné qu'il
3> fallait défendre l'écriture sainte à cause
» de son obscurité ; la bulle n'est pas moins
p» obscure , il faudrait aussi en interdire la
>» lecture >■>. C'est ce même évêque , homme
simple et droit qui , voyant tant de manèges
pour perdre ie cardinal de Roailles , disais
*tjo Episcopat divisé.
plaisamment : si nous mettons la foi à cou-
vert 7 nous ny mettons pas la bonne foi.
ï7l4 Enfin , après de longs débats , quarante
i»7 février, évêques assemblés à l'hôtel-de ville de Sou-
bise , acceptèrent la bulle et signèrent une
instruction pastorale. Neuf prélats signèrent
une protestation. Le roi enjoignit à ceux-ci
de sortir de Paris , et défendit àl'archevêque
de venir à Versailles. On sait la réponse de
l'évêque de Vence , à qui on reprochait d'a-
voir accepté la bulle: c'est, dit-il, qu'il
n était pas possible de faire autrement sans
s'arracher le blanc des yeux.
L'instruction jointe à la bulle parut bien»
tôt insuffisante : on commit des docteurs de
Sorbonne pour la corriger. Noailles en pro-
vint la publication et en donna une qui sus-
pendait dans son diocèse la bulle unigenitus.
Tout Paris, qui aimait ce cardinal, applaudit
à cet acte de vigueur. En cour on le regarda
comme un acte de schisme à l'égard de Rome,
et de désobéissance envers Louis XIV ; la 1
Vaille devint un objet de raillerie. Le pape
irrité lança un décret contre l'archevêque.
Les plaisans vengèrent cet archevêque en
mettant ce décret en chanson. Dans aucune-
Episcopat divisé. zjl
époque de l'histoire de France , si on en
excepte les teins orageux et ridicules de la'
fronde , on ne vit" à Paris un plus grand
débordement de couplets , d'épigrammés ,
et de vaudevilles contre le pape , contre les
jésuites , contre la bulle et contre les éve-
ques qui l'avaient acceptée.
Le cardinal d'Lstrc'e et l'abbé de Tolignac,
chargés par Louis XIV de ramener ies es-
prits à l'unanimité , travaillèrent en vain.
Ils assistèrent aux conventicules qu'on tenait
encore à l'hôtel Je Soubise et dont le Telliër
était toujours Famé. On n'opposa à leurs
bons désirs et à leurs raisons que les menaces.
Le cardinal de Rohan et l'ambitieux de Bissi
étaient acharnés contre le cardinal de Noail-
Ics : ils voulaient le forcer à croire ce qu'ils
ne croyaient pas eux-mêmes. Rohan avait
été son ami : il était alors son persécuteur.
Cette lâcheté lui valut l'abbaye de Saint-
Vast. Bissi eut pour lui celle de Saint-Ger-
main-des-Près et le chapeau de cardinal ;
c'est à ce fanatique que le cardinal REstrée
dit un jour : monsieur , vous ne pajiez pas
comme un évéque , mais comme un- bar'bare.
Il ne parlait jamais que de persécution. Le
Tellicr se servait de ces deux hommes pour
2.7 2 Episcopat divise.
tromper le roi son pénitent , devenu dévot t"
ïmbécille et persécuteur. Sans être théolo-
gien , dît un jour ce roi à l'abbé de Poli-
griac , je vois que le cardinal de Noailles
est hérétique ; il doit s'attendre que je le
pousserai à bout.
Cependant avant de mourir , ce roi avoua
qu'il n'avait jamais rien entendu dans l'af-
faire de cette bulle. Cet aveu annonçait l'in-
quiétude et peut-être le remord d'une ame
égarée. Le Tellier et les deux cardinaux de
Jxohan et de Bissi tranquilisèrent lame
alarmée du monarque mourant ; ils se char-
gèrent , dit-on , d'être sa caution auprès
de Dieu. A peine Louis XIV fut-il mort ,
que le régent chassa de la cour le scélé»
rat le Tellier.
La bulle unigenitus , qui avait allumé une
guerre honteuse dans le haut clergé, fut en-
core un sujet de discorde en Sorbonne.
Deux partis y éclatèrent avec scandale. Ces
débats., tout obscurs qu'ils sont de nos jours,
ne l'étaient pas alors , et ne sont pas tout à
fait indignes d'occuper , pendant quelques
minutes , les loisirs d'un lecteur philoso-
phe.
L'histoire des querelles qu'occasionna
cette
La bulle Unîgenitus en Sorbonne. 2.7^
cette bulle en Sorbonne , contient plus de
trente volumes. Nous la réduirons à dix
pages , parce que nous ne voulons dire que
ce qui est intéressant , et rendre justice à
qui il appartient.
Le Tellier , avant d'envoyer cette bulle en
Sorbonne , s'assura prudemment par des
promesses , du suffrage du syndic nommé
le Rouge et de celui de beaucoup de doc-
teurs , entr'autres du docteur Tournely dont
il fit son espion , ou, comme l'on parlait alors,
son mouchard. C'était sur la dénonciation de
ce drôle qu'on exilait , qu'on excluait des
assemblées , ou qu'on emprisonnait ses con-
frères.
Louis XIV envoya la bulle en Sorbonne
avec une lettre qui en enjoignait l'enregis-
trement. Avant de la transcrire sur leurs
registres , ils s'en permirent la lecture : cela
était dans la règle. Il fallait bien qu'ils sus-
cent ce qu'ils enregistraient. Mais cette
lecture produisit un effet étrange ; à chaque
proposition condamnée , ceux des docteurs
qui étaient vendus kle Tellier , s'écriaient :
cela est abominable , c'est scandaleux , c'est
le renversement de toute la hiérarchie. Les
autres répondaient à ces cris , en disant ;
Tome IL S
%j4 Bulle Unigenkus , sujet de scandale:
cela n'est-il pas vrai ? nos pères n'ont-ils pas
dit la même chose ? n'avons-nous pas tous cru
et enseigné ces vérités ?
La cour , voyant déjà les difficultés qu'en-
traînait l'examen de la bulle , envoya une
seconde lettre portant défense d'user de re-
tardement pour la recevoir , ni de modifica*
tions à l'enregistrement. Cette lettre du roi ,
réduite à sa valeur , voulait dire : lisez ,
enregistrez et croyez , je vous l'ordonne.
Plusieurs docteurs, en présageant l'orage qui
allait s'élever sur eux, versèrent des larmes
et se retirèrent. Il y en eut d'autres qui res-
tèrent , pour honorer , disaient-ils , par leur
présence les funérailles de la liberté de la
Soj-bonne.
Nous allons discuter en peu de mots quel-
ques-unes des propositions théologiques qu'on
défendait aux théologiens d'examiner : nous
n'avons point de lettres de cachet à craindre ;
le tems de ces folies absurdes et tyranniques
est passé de mode.
Ne dissimulons rien. Quesnel n'avait fait
son livre des Réflexions morales que pour
décréditer les excommunications dont Romo
jusqu'alors avait fait un si étrange abus , et
les formulaires de foi introduits en Franc©
Absurdité de Quesnel. %y5
afin d'avoir des prétextes de persécuter ceux
<m'on voulait perdre. Le but de Quesnel
perce en vingt endroits de son livre , et
c'est là ce qui en faisait alors le grand mé-
rite ; mais il voulait en même-tems rétablir
la grâce efficace que les jésuites remettaient ,
et dont il ne faudrait jamais parler de peur
de n'être pas entendu , et de peur de dire
des sottises en parlant d'un mystère.
Parmi les cent et une propositions que
le Tellier dénonça à Rome , et que l'infailli-
ble Clément XI proscrivit , il y en avait plu-
sieurs inintelligibles au commun des hom-
mes , et qui méritaient d'être proscrites par
tous ceux qui pensent que la clarté est la
première qualité de la langue française.
« La grâce de Dieu , dit Quesnel , est pr0p.
» une grâce divine , comme çréée pour
» être digne du Jils de Dieu ; forte , puis-
» santé souveraine , invincible , comme
y» étant V opération de la volonté toute puis-
» santé , une suite et une imitation de l'opé-
v> ration de Dieu , incarnant et ressuscitant
» son Jils »>.
Quand la folle Guion eut épousé J. C. ,
et quand , après avoir été obumbrée par le
verbe j c'est-à-dire par le moine Lacombe ,
S %
276 Galimatias de Quesnel.
son confesseur, elle fut enceinte delà grâce,
elle ne parlait pas autrement. Dans ce mys-
tique galimatias de Quesnel , il y a matière
à faire égorger tous les théologiens de l'Eu-
rope , si on voulait seconder leur zèle. Dans
Saint-Paul et Saint-Augustin on trouva cent
passages de cette force et de cette clarté,
et c'est par-là même qu'on les cite souvent
et qu'on se querelle depuis di^-sept cents
ans pour les entendre et sans les entendre.
« L'accord , continue Quesnel , de l'opéra'
35 tion toute-puissante de Dieu dans le cœur
de l'homme avec le libre consentement de
33 la volonté nous est montré d'abord dans
33 l'incarnation comme étant la source et le
33 modèle de toutes les autres opérations de
33 miséricorde et de grâces toutes aussi gra-
>3 tuites et aussi dépendantes de Dieu que
>3 cette opération originale 33.
La sublimité de ce langage ne peut être
bien vue que par un de ces hommes qui ,
chaque matin en sortant du lit , voyent la
lumière du tabor au bout de leur né. Nous
avons. malheureusement le né très-long et
la vue très-courte. C'est un reproche qu'au
séminaire M. le Galic , notre digne supé-
rieur , nous fit souvent : d'où il concluait
Vérités proscrites. 277
Iju'un jour nous pourrions avoir le malheur
d'être honnête homme et mauvais théolo-
gien.
Nous blâmons Quesnel lorsqu'il ne parle
pas clairement ; nous le blâmons aussi de
dire que Dieu exige du pécheur l'accom- prop. VI.
plissement de la loi en le laissant dans
l'impossibilité de l'accomplir. Cela paraît
dur et semble faire de Dieu un tyran barbare
qui pour s'amuser ordonnerait à un homme
qui n'a point de jambes de jouer aux barres.
Quesnel mérite sans doute d'être con-
damné lorsqu'il est absurde , mais il ne mé-
rite pas de l'être lorsqu'il dit quW croit pr0p. C.
sacrifier à Dieu un impie et qu'on sacrifie
■Souvent un se/viteur de Dieu.
Les gens de bien qui ne sont pas aveuglés
par les préjugés pensent aussi avec Ques-
nel qu'en rendant communs les sennensde pr0p< ç\t
l'église , c'est multiplier les occasions de
parjure , dresser des pièges aux ignorans ,
eL faire servir quelquefois le nom de Dieu
aux desseins des méchans.
Un bon citoyen, qui est de l'avis de Quesnel
. sur les formulaires , ne peut aussi s'empêcher
. dédire avec lui que la crainte d'une ex commu- Prop. 9 1.
, nication injuste ne doit point nous empêcher
S 3
278 La bulle Unigenitus
de faire notre devoir. Le pape qtiî, par SA
bulle unigenitus , datnnait de plein droit
ceux qui croyaient cette vérité qui e6t de
tons les pays et de tous les terris , avait-il la
folie de prétendre que la crainte d'être ex-
communié injustement dût empêcher un
Français d'obéir à sort roi , de payer les
impôts , d'honorer son père et sa mère ?
Rien n'est plus faux en morale , et rien ne
serait plus dangereux en poétique.
Cette bulle unigenitus qui proscrivait tout-
à-là-fois quelques erreurs théologiques et
qui condamnait des vérités de morale , ne
pouvait qu'être en SorbOrtrte un sujet de
scandale. Le terme de ma vie est proche >
dit le docteur Bigre , mais j'aime mieux
mourir et renoncer au doctorat que de
recevoir cette bulle. L'abbé Coursier, s'écria:
pourquoi nous assemble-t-on ? pour rece-
voir une constitution sans raisonner; quon
la reçoive à cette condition et non autrement.
A chaque opinant le syndic criait : ad-
versatur régi , il est séditieux. Les émis-
saires de le Tellier faisaient écho , et répé-
taient en criant : oui , il est rebelle , mar-
quez son nom. Nota nomen. Enfin , cette
bulle fut reçue au bruit di s crialleries , des
sujet de scandale.
plaintes , des menaces et des injures dont
les deux partis s'accablèrent réciproquement.
Six docteurs, ayant le syndic de la Sorbonne
à leur tête , apportèrent au roi le décret d'ac-
ceptation , et lui dirent qu'elle avait été reçue-
avec respect, ajoutant que sa majesté avait
été inspirée du saint-esprit pour le deman-
der à sa sainteté.
Le décret de la Sorbonne fut imprimé , ,7I^
et la discorde fut plus que jamais allumée 15 mars*
en théologie. Le syndic fut bientôt traité .
de faussaire , il l'était en effet ; on voulut
le chasser de Sorbonne , mais le Te Hier
vint à son secours , paya son zele par une
pension de cinq cents écus , et fit exclure
des séances six théologiens anti-constitu-
tionnaires. Plusieurs autres furent obligés
de sortir deParis- par lettre de cachet : l'abbé
Boileau dit que ces lettres de cachet étaient
des lettres de noblesse. Ce bon mot lui en
attira une et un exil de deux ans.
La Sorbonne , molimste sous Louis XIV \
fut janséniste sous le régent, et toujours
divisée. Le docteur Raxechet fut pourvu
du syndicat : il haïssait les jésuites autant
que le syndic le Rouge les aimait. Depuis
la mort de Louis XIV , ils n'étaient plus
S 4
2S0 La Sorbonne divisée.
à craindre : plusieurs docteurs qu'on avait
m A récompensés se rétractèrent : il y en
eut qui demandèrent pardon à genoux 9
d'avoir signé la bulle : d'autres opinèrent
pour casser tout ce qui s'était fait sous le
syndicat précédent. Le décret d'acceptation
présenté à Louis XIV fut arraché des re-
gistres , déchiré et déclaré faux, corrompu
et supposé , spurium , falsum adulte ri nu m.
1716 La paix du royaume était troublée pour
4 janv cette bulle Unigenitus, et le foyer des troubles
se maintint en Sorbonne. Le régent lui défen
dit de parler de cette bulle , et elle députa
plusieurs docteurs pour demander la liberté
d'en parler encore. Le régent renouvella ses
défenses ; la Sorbonne les transgressa , et
apella de la bulle au futur concile. Qua*
yante docteurs furent exilés. L'evêque de
Toulon, regardant la Sorbonne comme schis-
matique , défendit par un mandement , à
ceux de ses diocésains qui étudiaient en
théologie , de fréquenter ses écoles , qu'il
compara à un fleuve qui ne roule plus que
des eaux corrompues et contagieuses.
Sous le ministère du cardinal de Fleuri ,
la Sorbonne redevint moliniste. Tout ce qui
ne voulut pas l'être fut persécifté. C'est alors
Du docteur Grand-Colas. 281
qu'on vit en France une conspiration pour
perdre tout ce qui ne l'était pas , soitmoines,
soit prêtres , soit laïcs : point d'évêque qui
ne fut muni de lettres de cachet qu'il ex-
pédiait à son caprice contre tous ceux
qui n'étaient pas de son avis ; la persécution
était ouverte , c'était une vraie guerre civile
de religion.
Le parlement qui , en haine des jésuites
et du cardinal de Fleury , appuyait ceux qui
réprouvaient la bulle , ne cessait de donner
des arrêts contre les mandemensdes évêques;
il ne se passait point de mois qai'il n'en
brûlât quelqu'un.
Le docteur Grand-Colas crut devoir s'en rju
plaindre à la Sorbonne , et l'armer contre doctei
1 • o i i » / • ti Grand
la magistrature , en faveur de 1 episcopat. 11 Colas,
y dénonça la conduite des parlemens ; sa ha-
rangue commençait par cesparoles : Raucae
f'actae surit fauces meae : à force de crier
mon gosier s'est désséché ; et d'une voix
conforme à ces paroles , il dit : ce on con-
» damne , on flétrit , on supprime , on brûle
>» des mandemens et des instructions pas-
» torales ; on attaque les évêques en leur
» juridiction ; c'est à la Sorbonne à venir
» à leur secours , et à assurer les droits de
282 Tumulte en Sorhonne.
» l'épiscopat. Cela est vrai , répondirent le»
» théologiens , mais quels remèdes à tant de>
» malheurs. Quel remède 1 s'écrie Grand-
■» Colas , quel remède ! ils s'élevèrent eon-
» tre Moyse et contre Aaron. La terre
» s'ouvrit et engloutit Corée , Dathan et
» jâbij-on ». Le docteur , qui semblait de-
yoir ajouter qu'il fallait enterrer les ma-
gistrats , conclut seulement de l'aventure
des trois juifs, que la Sorbonne devait sans
délai aller se jetter aux pieds du roi, et
lui demander justice contre les parlemens.
Les assemblées de la Sorbonne , dans l'af-
faire de la bulle , furent toujours tumul-
tueuses ; un témoin oculaire nous les décrit
ainsi : « Imaginez-vous , dit-il , être dans
» une épaisse forêt, battue d'un orage fu-
» rieux , qui par ses violentes secousses
*> brise les arbres les uns contre les autres.
yy Mêlez avec ce fracas horrible les hurle-
» mens des bêtes féroces. Telles furent les
» clameurs excitées dans la salle de- Sor-
33 bonne : les molinistes criaient à tue-tête ;
» les autres ne criaient pas moins fort :
» on n'entendait qu'un bruit confus , plutôt
y> que des voix humaines ».
Après la mort de le Tellier, un docteur
Tumulte en Sorhonne. ^83
ttoliniste , n'ayant plus rien à craindre ni à
espérer, se mit à déclamer contre la bulle.
Un jeune abbé de Brajelonne , dans la sur-
prise d'un changement si inopiné , s'écrie :
Dieu soit loué l en voici un qui croit en
Dieu.
En société , on a souvent cité cette saillie :
c'est un grain d'or dans un tas de boue.
a84
— . ■"■ i- -ft
CHAPITRE LXV.
Z)z/; Czar Pierre I en Sorboune , et de V en-
voyé de Sorbonne en Russie.
De 1717 (^'Est pendant ces étranges et ridicules
convulsions qu éprouvaient 1 episcopat , la
Sorbonne, et par contre-coup tous les ordres
de l'état, que l'empereur de Russie vint
à Paris : il vit d'abord tout ce qui pouvait
l'instruire : les gobelins , la savonnerie ,
les atteliers de tous les artistes célèbres ,
• depuis ceux du- peintre et du sculpteur ,
jusqu'à ceux ou se fabriquent les instru-
mens de physique et d'astronomie : en un
mot, il vit tous ces monùmens qui attestent
encore , et la grandeur de Louis XIV et le
glorieux esclavage de la nation. Il assista
à une assemblée de l'académie des siences ;
la salle était ornée de tout ce qui pouvait
exciter sa curiosité et son admiration.
La Sorbonne , comme école de théologie,
ne méritait guères son attention ; il ne la
regardait que comme une école dedispu-
teurs , auxquels le gouvernement venait de dé-
Le czar Pierre I en Sorbonne. 2.85
fendre dev s'assembler à cause du bruit qu'ils
fesaient , et des injures dont ils se char-
geaient au sujet de la bulle Vnigenitus qu'ils
avaient d'abord reçue , et qu'ils avaient
ensuite rejettée avee horreur.
Le Czar Pierre I , l'avant-veille de son
départ , et sans être annoncé , alla voir les
bâtiments de cette école orageuse , et le
mausolée du cardinal de Richelieu. Tous
le° docteurs se rendirent auprès de lui , on
e mena à l'église : c'est là qu'on voit ce
fameux mausolée, l'objet de la curiosité du
Czar Pierre I} et le chef-d'œuvre d'un grand
artiste. Ce tombeau , comme la plupart des
mausolées , n'est qu'un monument de flatte-
ries et de mensonges , élevé à la gloire d'un
prêtre ambitieux, ingrat , jaloux , fourbe,
impudique, vindicatif et sanguinaire. La
religion, qu'il ne consulta jamais, est à côté
de lui avec un visage éploré , et lui-même
est représenté avec un air de piété qu'il
n'eut jamais. L'artiste aurait dû graver sur
son front l'empreinte d'une ame déchirée
par le remord ; encore aurait-il fallu sup-
poser qu'en mourant il fût assez vertueux
pour sentir des remords d'avoir fait mourir
sur l'échaffaud de Thou et Marillac , d'à-
2.86 Le czàr Pierre I en Sorhonne".
voir fait brûler Urbain-Grandier , et d'avoir
fait périr dans dea oublietttes un grand
nombre de citoyens dont il voulait dérober
la mort aux yeux du public.
Le Czar Pierre ne vit dans ce mausolée
que l'image d'un grand politique ; dans
les transports de son enthousiasme il em-
brassa cette image en s'écriant : grand-
homme ,je t'aurais donné la moitié de mes.
états pour apprendre de toi à gouverner
Vautre. Ce fut là l'élan d'une ame grande ,
sublime, et bien supérieure à celle de Ri-
chelieu , qui en matière de gouvernement
n'eût rien appris à Pierre I , si ce n'est à
être un despote dur, intolérant, persécuteur
et implacable dans ses haines.
De l'église , les docteurs de Scrbonn»
conduisirent l'empereur russe à la bi-
bliothèque. Pendant qu'il examinait quel-
ques manuscrits en langue esclavone , on
lui proposa de se convertir : le docteur
Boursier le harangua en latin , et lui prouva
que son église russe était réprouvée , et
qu'il fallait la réunir à l'église romaine.
Le Czar , un peu embarrassé du compli-
ment , répond qu'il est un soldat et non un
théologien. On lui observa qu'en qualité d*
Le czar Pierre I en Sorbonne. 287
prince , il doit se mêler de la religion de
son empire et réunir les deux églises : cette
réunion n'est pas aisée , réplique l'empereur
russe { le J>ape, le saint esprit , le pain et
la coupe nous divisent ; s'il n'y avait que la
verre, nous serions bientôt d'accord :SX vou-
lait dire nous boirions ensemble , et nos
querelles seraient terminées.
Les théologiens rirent du propos du Czar
qui mit adroitement la conversation sur la
bulle Unigenitus ; c'était leur faire plaisir ;
il était au fait de cette bulle. On sait qu'en
parlant de la conduite du pape , il disait :
s'il se croit infaillible , c'est un sot ; s il ne
le croit pas , c'est un frippon.
Les docteurs laissent tomber la conversa-
tion au sujet du pape , et redoublent d'ins-
tances pour la réunion des églises grecques
et romaines. Le Czar, pour se tirer d'affaire,
demande un mémoire ; l'abbé Besogne fut
chargé de le rédiger ; mais quand il fut
prêt, Pierre I étoit parti : ce mémoire lui
fut envoyé à Spa où il s'était arrêté poux
prendre les eaux.
La démarche de la Sorbonne était très-
louable ; mais elle dut paraître bien sin-
gulière aux yeux d'un homme qui avait l'har
o.88 Le czar Pierre I en Soj-bonne.
bitude de porter un esprit de réflexion sur
tout ce qu'il entendait comme sur tout ce
qu'il voyait. Le harangueur lui-même était
un boute -feu ; on fut bientôt obligé de
l'exclure de la Sorbonne pour y faire ren-
trer la paix. D'ailleurs, dans quelle circons-
tance la Sorbonne proposait- elle la réunion
des deux églises ? dans un tems où elle était
déchirée dans son sein par deux factions tur-
bulentes , et qu'elle était réprouvée de Rome
dont elle venait de flétrir un jugement re-
connu pour dogmatique.
Au seizième siècle , l'église russe , jus-
qu'alors soumise au patriarche de constan-
tinople , devint libre et indépendante. L'ar-
chevêque de Novogorod fut sacré patriar-
che, en i588,par ^/-tf7/zz>, patriarche de Cons-
tantinople , qui renonça à ses droits.
Depuis cette époque , les papes ont fait
de vaines tentatives pour faire reconnaître
leur suprématie. Le jésuite Possevin y fut
envoyé vers la fin du seizième siècle pour
travailler à ce grand ouvrage : il intrigua
beaucoup et fut chassé. La Sorbonne voulut
avoir la gloire d'avoir opéré cette réunion à
laquelle les papes, aidés des jésuites, avaient
échoué.
Le
Rome Indisposée contre la Sorhonne. 289
Le czar , en arrivant en Russie , remit le
mémoire de la Sorbonne à l'archevêque de
Novogorod , et lui enjoignit de répondre
honnêtement. Pierre In' eut jamais l'idée de
reconnaître le pape. Quarante princes ex-
communiés , vingt états bouleversés par les
papes , l'instruisaient assez de ce qu'il avait à
faire.
Quant à l'archevêque de Novogorod , pré*
sident perpétuel du synode grec , il était peu
disposé à se donner un maître dans un prêtre
italien , que l'église grecque déteste , qu'elle
excommunie tous les ans , et dont elle est
excommuniée. Etait-il vraisemblable que
cette église russe , après s'être affranchie du
joug du patriarchat de Constantinople > eût
voulu ployer sous le joug de la papauté ,
encore plus à craindre pour elle ?
La Sorbonne , par son mémoire , indisposa
et la cour de France et la cour de Romef
L'ahhé Dubois, alors secrétaire des affaires
étrangères , la regardait comme un corps
séditieux;^ le pape , de son côté , la regardait
connue un corps schismatique qui se soule-
vait contre la bulle Unigenitus. Il était en
outre très-irrité que, dans'son mémoire au
Tome IL T
290 Jésuites chassés de Russ'/e.
czar , elle eût avancé que les conciles sont
supérieurs aux papes ; que l'église Russe, en
se réunissant à Rome , pourrait avoir ses
libertés comme l'église de France a les siennes.
Tout cela indignait le pape : il s'en vengea,
en traversant l'entreprise de la Sorbonne,
et envoya en Russie cinq capucins pour né-
gocier cette réunion. Ces capucins s'y prirent
mal ; ils étaient des ignorans qui, au rapport
clu père Qiàen , dominicain , dirent des
injures aux Russes. Ce n'était point s'y en-
tendre pour des apôtres. Les jésuites eussent
été plus propres à cette mission ; mais le
czar , qui en France avait appris combien
Ils étaient turbulens et dangereux , les avait
chassés en rentrant dans ses états.
La Sorbonne ne s'en tint pas à la réponse
de l'archevêque de Novogorod ; elle écrivit
à quelques éveques Russes pour traiter de
cette réunion. Le czar en fut instruit , ainsi
que de la commission dont étaient chargés ,
au nom du pape , les cinq capucins. Le peu-
ple et le clergé Russes , instruits de ce qu'on
tramait , prirent l'allarme ; mais pour la
dissiper , le czar institua la fête du conclave.
Cette fête était une farçe grossière, mai*
Fête du conclave. 2.91
instructive. Elle apprenait aux Russes qu'ils
n'avaient rien à craindre, au pape qu'il n'a-
vait rien à espérer de ses émissaires , et à la
Sorbonne qu'elle n'avait rien à attendre dé
son mémoire et de ses lettres.
Dans le palais impérial , il y avait un
vieil yvrogne, nommé Sotof; c'était une
espèce de fou , qui demandait les premières
dignités de l'empire ; le czar le créa Kenef
papa , et lui donna , pour soutenir cette di-
gnité , de bons appointemens et une maison
qu'on nomma le palais papal. Sotof , qui
s'entendait en plaisanterie, se forma un col-
lège de cardinaux , fit annoncer au peuple le
jour de son installation à la papauté , et
ordonna une procession. A la tête de ses
Cardinaux et de tout son clergé , il prit pos-*
séssion de son palais. Des baladins l'instal-
lèrent avec de grandes cérémonies sur la
chaire pontificale. Quatre muets en surplis
]e félicitèrent sur son intionisation. Une
des singularités de cette farce , c'est que le
pape , les cardinaux , les harangueurs qui le
complimentèrent, les baladins qui Pinstal-;*
lèrent , en un mot tous les clercs de la cha-
pelle papale Russe étaient y vres d'eau-de-vie.
Après la mort de Sotof, on nomma, tu<
T 2
292 "La Sorhonne dépêche
autre Kenef et la dignité ne fut supprimé»
qu'après que le peuple fut bien persuadé que
l'église grecque ne serait jamais dépendante
de l'église romaine : ces amusemens grossiers
entretenaient la Russie dans son aversion
pour le pape.
Cct!e farce , politique autant que burles-
que, fit pcn're pour quelque tems à la Sor-
borme l'espérance de consommer la réunion
des deux églises. Cependant, après la mort
du czar , arrivée en 17/7,' elle envoya en
Russie un prêtre nommé Jubé , curé d'As-
llières près de Paris , et persécuté pour le
jansénisme ; il s'était sauvé de sa cure ; il y
avait un ordre de l'arrêter pour avoir col-
porté des livres de jansénisme. Il erra quel-
que tems de province en province , deman-i
dant son pain ; réfugié ensuite en Hollande,'
il y vécut très- Ion g-tems d'aumônes. En
1728 , la Sorbonne lui remit des lettres de
créance pour aller traiter avec le clergé
russe du rapprochement des deux églises :
le cardinal de NoaiHes , qui le vit en secret,
lui donna sa bénédiction , et il partit.
Les pouvoirs donnés au docteur Jubé fu-
rent signés par douze jansénistes de Sor-
bonne : cette signature mérite d'être obseï-
un envoyé en Rvssîe. 2q3
yée. Ces jansénistes travaillaient à agrandir
l'empire du pape , dansle tems même que le
pape les rejettait du sein de l'église , et fai^
sait pleuvoir sur eux tous les foudres du Va-
tican.
L'envoyé de sorbonne , en arrivant en
Kussie , se fit précepteur de la princesse
à? Olgojvuski qu'il avait connue en Hollande
dans le tems que le prince son mari y était
ambassadeur. Cet état de précepteur le mit
à portée de connaître le prince de Galitzm >
qui gouvernait l'empire, et JVasili d'Olgo-
rouski , qui avait accompagné Pierre I en
France , et qui était venu avec lui en Sor-
bonne.
Ce prince n'avait point d'en fans , mais il
avait un neveu nommé Jeaques , qui avait
été élevé à Paris dans le rite latin. Le patriar*-
chat , que le czar avait détruit et qu'on de-
vait rétablir , était destiné à ce neveu. Ffra-
si/i était flatté d'une telle distinction pour
sa lamille. Sa femme professait la religion
romaine.
En 1730, les espérances de cette famille
et celles du docteur Jubé s'évanouirent lout-
<à-coup. Le czar Pierre II wionrut le jour
T 3
;>,()4 Scène polit/que
même qu'on devait célébrer ses noces
avec Catherine KG/gorouski , sœur de Jea-
ques.
La princesse Anne , duchesse de Cour-
lande , fille de Yvan , frère aîné de Pierre I3
fut appellée au trône. L'archevêque deNovo-
gorod , en faveur sous ce nouveau règne,
fit punir tous ceux qui avaient parlé de la
réunion de l'église russe avec l'église de
Rome , et tous ceux qui l'avaient favorisée.
Tou'-e la famille des d' O/gorouski fut pros-
crite. WasiU fut exilé à l'extrémité du lac
La doga. Le prince Démett ais , de cette même
famille , fut envoyé aux galères , et Jeaques,
qui devait être patriarche, fut condamné à
être matelot. La princesse Galitzin-d'GLgo-
rouski ohùxït son pardon en abjurant le ca-
tholicisme que l'impératrice An?ie appellait
religion diabolique.
Jubé, l'envoyé de Soi bonne , qui confes-
sait cette princesse , eut ordre de sortir de
l'empire , où il n'avait fait d'autre métier
que celui de précepteur , de confesseur et
de disputeur. Il revint à Paris , et il mourut
en 1745 à l'hôpital , très- persuadé que si
dieu avoit envoyé avec lui la graée efficace
Dénouée en Russie.
aux russes , ils auraient reconnu la puissance
du pape, et auraient, d'un bout de l'empire
à l'autre , chanté le Credo à la manière de
Rome , ce qui eût fait un grand honneur à
la Sorbcnne.
at>6
CHAPITRE LXVI.
T)u diacre Paris , des miracles qiiiljît dans
un cimetière et dans des galetas. Conver-
sion miraculeuse d'un conseiller au par-
lement.
Ïl est beau de voir la Sorbonne combattre
Rome pour la cause des rois et des peuples ,
s'élever contre les excommunications in-
justes et contre les formulaires de foi qui sont
toujours dangereux ; mais il est triste de voir
cette même Sorbonne troubler la France pour
la grâce efficace et pour quelques passages
d'un évêque affricain mort depuis quatorze
siècles aux pieds du mont Atlas.
« Dieu est pour nous , disaient les jansé-
» nistes en Sorbonne. Pour confondre les
sa jésuites , nos ennemis et les ennemis de la
y> religion , il guérit autrefois miraculeuse-
» ment d'une fistule lacrymale la nièce de
y> Pascal : aujourd'hui il vient à l'appui de
a» notre appel , en manifestant avec éclat
53 dans le cimetière d'un fauxbourg de Paris
» la gloire d'un de nos saints.
Miracle opéré par un janséniste, lyf
Avant de faire des miracles à Paris, dieu
en avait déjà (ait plusieurs en province pour
la cavise du jansénisme. Un prêtre , nommé
Housse , mourut au village d'Avenai , dio-
cèse de Reims. Sans crédit pendant sa vie
auprès des hommes , il en eut après sa mort
un très-grand auprès de dieu. Anne Augier ,
qui avait un bras perclus et le sein rongé
d'un cancer, n'ayant pu obtenir sa guérison
en invoquant saint Remi , s'adressa à feu
M. Rousse , et c'est par son intercession
qu'elle obtint l'usage de son bras et la guéri-
son de son sein. Trente-huit jansénistes at-
testèrent miracle; mais les grands vicaires,
qui abhorraient le jansénisme comme une
secte qui fermait la porte aux grâces ecclé-
siastiques , et qui préféraient , en bons calcu?
lateurs, des abbayes à des miracles , défen-
dirent aux malades , par un mandement, de
s'adresser , quand ils voudraient recouvrer
la santé , au prêtre Rousse , de faire des
neuvaines et des pèlerinages à son tombeau;
et il ne fut plus question de lui dans le peu-
ple.
Peu d'années après le miracle assez obscur
opéré dans un village sur la tombe d'un prêtre
champenois , dieu en lit à Paris de très-
3Bj$ Miracles opérés
éciatans sur, le tombeau d'un diacre, et cela
pour prouver que la bulle Unigenittfs était
absurde ; que le pape n'était point infail-
lible , et que les jésuites étaient des f'rippons.
Cediacie s'appellait François Paris , frère
d'un conseiller au parlement : pour plaire à
dieu , il ne voulut point recevoir Ja prêtrise.
Après avoir appelle et réappellé de la bulle
Unigcnitus au futur concile, il renonça à sort
patrimoine et au sens commun , et alla se
cacher dans le fauxbourg saint - Marceau.
Pendant dix ans , son occupation fut de faire
des bas , et mourut dans cette obscurité pour
laquelle il était né. Ce fauxbourg , comme
on sait , est le quartier de la misère , de la
gueuserie et le plus mal sain de la capitale.
Apres la mort du diacre Paris } le parti jan-
séniste lui lit jouer un grand rôle ; il en fit
un faiseur do miracles , un Taumaturge.
Quelques gueux malades allèrent prier sur
son tombeau , et prétendirent être guéris.
Vn miracle en faveur de ces gueux leur va-
lut quelques aumônes et de la considération
dans le quartier : d'autres gueux, à leur tour,,
et se disant malades pour gagner de l'argent,
et avoir de la considération , invoquèrent
le nouveau saint , et guérirent* Le bruit de
par le diacre Pans. 199
Ces guérisons se répandit clans tout Paris;
qJors les estropiés , les paralitiques se traînè-
rent on foule au cimetière de saint Méclard:
c'était -là qu'était enterré le diacre Paris.
A la cour , en province on ne parla plus;
quç de miracles et de miraculés. C'était un
tems de clémence. Marguerite Tibaut , Ma-
rie Couroneau 3 Louise Coirin , Louise Har-
doitin } Françoise Duchesne devinrent le
sujet de presque tous les entretiens. Les uns;
vantaient leur foi : les autres les chanson-
naient ; toutes ces femmes, les unes hydro-
piques , les autres paralitiques ou couvertes
de plaies et d'ulcères, recouvrèrent la santé
en se couchant et en se trémoussant .sur le
diacre Paris, ou , pour parler le langage de
ses partisans , sur les précieux restes de sa
moralité. Cent témoins trompés et trom-
peurs attestaient ces nouveaux miracles qui
n'ont servi qu'à décréditer les anciens faits
dans des tems moins éclairés.
Philippe Sergent, carcleur de laine , Pierre
Gautier et un abbé Becheraud eurent part
aux miracles du bienheureux diacre. Cet
abbé avait une jambe plus courte l'une que
l'autre , le gazetier cccicsiasfciqne publia que
sa jambe s'était allongée d'un pouce ; mais
3oo Miracles manqué s.
cette jambe bien examinée, au bout d'uri cer-
tain tuns , ne se trouva allongée que d'une
ligne ; aussi cette guérison ne fut-elle re-
gaidée qu e comme un demi - miracle. La
foi de cet abbé Languedocien n'était proba-
blement pas entière , ce n'était peut-être
qu'une demi-foi ; malgré cet inconvénient ,
il allait devenir , pour la canaille , un objet
de vénération , si le gouvernement ne l'eût
fait enfermer à saint-Lazare. Il manqua aussi
quelque chose à la foi de Marguerite Tibaut\
car après sa guérison, il lui re6ta trois doigts
crochus , mais on doit convenir que dans le«
merveilles de dieu , trois doigts sont peu d©
chose.
Don Alphonse de Talacio , fils du sur*
intendant des postes de l'Espagne , fut un de
ceux qui , parmi les miraculés , eut le plus
de célébrité. Ce jeune homme , étudiant au
collège de Navarre , borgne de l'œil gauche ,
était menacé de perdre l'œil droit des suites
d'un coup de poing qu'il reçut d'un cama-
rade d'école. Ceux qui veillaient à l'instruc-
tion de ce jeune espagnol firent appeller un
apothicaire, qui bassina cet œil avec de l'eau
de guimauve mêlée avec du jus de solanum.
Ce bain produisit un bon effet. L'apothicaire
Convulsions'. 3ot
te réjouissait d'avoir guéri cet œil ; mais les
jansénistes revendiquèrent cette guérison,
en disant que le linge dont il s'était servi
^tait un morceau de la chemise du diacre
Paris. On fit entendre des témoins et dres-
ser un procès-verbal du miracle.
La manière dont on s'y prenait pour ob-
tenir un miracle mérite d'être connue. On
posait le malade sur le tombeau du diacre.
Des milliers de spectateurs en prières , dans
un recueillement religieux , étaient attentifs
à l'œuvre de dieu. Cet œuvre s'annonçait
par de légers frémissemens qu'éprouvait le
corps clu malade. A ces frémissemens suc-
cédaient des convulsions plus marquées , des
trémoussemens soudains et involontaires.
Ces convulsions étaient une singularijé qui
accompagnait une guérison; mais qui, aux
yeux des jansénistes , n'avaieut rien d'éton-
nant : elles étaient une suite de l'état d'effroi
et de souffrance qu'éprouvait la nature en
sentant déranger ses loix générales.
Les trémoussemens furent poussés jus<-
qu'aux saults , aux pirouettes et aux gam-
bades. Ceux qui ont avancé qu'on dansa sur
le tombeau du diacre Paris n'ont dit qu'une
vérité en preuve de laquelle déposent des
5oa Convulsionnaires et frippons.
témoins oculaires et même vivans. Ces té-
moins , au moment où nous écrivons l'his-
toire de ces turpitudes , attestent qu'ayant
plusieurs fois assisté à cette dégoûtante co-
médie , ils n'avaient vu dans le cimetière de
saint Médard que des milliers de sots en
admiration, et quelques frippon s qui jouaient
bien leur rôle. Quiconque , nous ajoutent ces
mêmes témoins , eût osé , soit par un ris
moqueur , soit par un geste de mépris ou
d'indignation , troubler ces abominables
mystères,eût couru les risquesdeperdrela vie.
Ce qui pouvait indigner , c'était de voir;
dans ce cimetière des conseillers au parle-
ment , des magistrats de toutes les cours
souveraines , en robe de palais par respect1
pour le bienheureux; les femmes de ces ma-
gistrats , leurs confesseurs , des oratoriens ,
des docteurs de Sorbonne, se mêler à la lie
du peuple , et par leur présence accréditer
ces extravagantes bouffonneries.
Le gouvernement, étonné des progrès de"
ce fanatisme , fit fermer le cimetière de
saint Médard. Un plaisant écrivitsur laporte j
De par le roi , défense à dieu ,
De faire miracle en ce lieu.
Fanatisme des seconrs. 3o3
et les miracles continuèrent. La poussière
ramassée autour du cimetière opérait des
guérisons moins éclatantes, mais non moins
réelles. L'eau du puits tlu diacre était mer-
veilleuse pour les plaies , pour les yeux et
pour les hémorroïdes. On arrêta tous ceux
qui se présentèrent pour invoquer Paris : on
mit à La bastille ceux qui méritaient quelques
égards , et la canaille fut enfermée , soit à
la salpêtrière, soit à bicêtre.
Une sentinelle veillait sans cesse autour
du tombeau ; mais les fanatiques , n'osant en
approcher , se réunirent dans des maisons
particulières , pour prier et invoquer en
commun le bienheureux diacre. On ne se
borna pas à trembler et à se contordre les
membres ; pour guérir on eut besoin de se
faire fouetter et de se faire battre. A force
de s'exercer, les convulsionnaires parvinrent
à soutenir l'épreuve du feu et de la croix >
des coups de bûches et de barre de fer sur
l'estomac. Dans ces synagogues, les épreuves
furent appellées l'œuvre des convulsions y ou
l'exercice du chenet, du caillou , de la bro-
che et de la croix. Les coups étaient appelles
les secours , ou le capital de l'œuvre* De
jeunes filles, appellées prophetesses, fuient
3o4 Fanatisme des secours?
dressées à ces charmans exercices ; c'est-à-
<iire à demander et à soutenir les secours
humains , et les hommes ne manquèrent ja~
maispourles administrer. On donna le nom de
jfreres h. cewx. qui administraient ces secours,
ou le capital de l'œuvre. Quand les sœurs
demandaient ces secours , les frères ne pou-
vaient les refuser sans pécher grièvement
contre la charité.
On distingua les grands et les petits se-
cours : pour les premiers on se servait du
chenet , de la bûche , de la proche , du bâ-
ton ; ils étaieut bienfaisans et point dange-
reux. La sœur secourue sous les coups terri-
bles qu'on lui administrait était non -seu-
lement impassible et invulnérable , mais
encore elle éprouvait un grand soulagement
à ses souffrances. Frappez , mon frère , s'é-
criait-elle ,fappez', au nom de dieu , redou-
blez vos secours.
L'œuvre allait en croissant , chaque jour le
fanatisme enchérissait sur la violence des
secours. A force d'expériences , on trouva,
avec des pommades dont on se graissait , le
secret d'arrêter les effets du feu. Une pro-
phétesse , qu'on nomma la salamandre , se
mettait sur un. brasier ardent ; et quand le
feu
Exercices des comulsionn aires. 3o5
feu expirait, elle criait : sucre d'orge : c'é-
tait l'argot. Ce sucre d'orge consistait en un
bâton aussi gros que le bras et pointu par
un bout. La salamandre , en sortant du feu,
ployait son corps en arc au milieu de la
chambre , le ventre en l'air et les reins por-
tant sur la pointe du bâton ; dans cette si-
tuation affreuse , elle criait : biscuit , discuit.
Ce biscuit était une pierre de cinquante livres
attachée à une corde qui passait par une
poulie accrochée au plancher. On laissait
tomber à plusieurs reprise* cette pierre sur
l'estomac de la sœur. Ce secours était réitéré
jusqu'à ce que la sœur cessât de crier sucre
d'orge.
L'exercice de la broche avait encore quel- Exercice
que chose de plus merveilleux. On embro- ^gla ^ro"
chait une sœur toute nue , de l'espèce de la
salamandre , à peu-près comme on embro-
che réellement un aloyau. On attachait une
poularde sur ses reins. Un frère tournait la
broche devant un feu très-ardent : le mer-
veilleux de ce secours était l'impassibilité
de la sœur embrochée , pendant que la pou-
larde cuisait sur son derrière.
Nous rapporterons encore l'exercice de la Exercice
croix; c'était un vrai crucifiement. On clouait delacr»lX«
Terne IL . V
3c6 Exercices des convulsionnai f es '.
à une croix un frère ou une sœur, à kr
quelle on donnait ensuite plusieurs coups
de lance ; les spectateurs avaient la permis-
sion d'aller sur elle à coups d'épée. Le sang
coulait des pieds et des mains et du côté de
la crucifiée. Les sots et f rippons , de con-
cert, criaient au miracle. La sœur expirait,
mais sa mort n'était qu'un assoupissement
mystérieux qui terminait ses souffrances.
Elle descendait ensuite de la croix toute
joyeuse, sans qu'on apperçût ni sur ses mains-
ni sur son côté les moindres vestiges des
coups de lance qu'elle avait reçus.
Tous ces tours de charlatans, dont le mer-
veilleux paraît aussi incroyable qu'il sem-
blait barbare, se terminaient toujours par des
imprécations contre la bulle unigenïtus ,
pour annoncer le triomphe de la grâce et la
chute des jésuites. Les expressions indécentes
et les blasphèmes n'étaient point ménagés.
C'était le style de ces prophètes de greniers ;
le tout était mêlé de prières , d'hymnes à
l'honneur du diacre Paris, et des litanies des
saints jansénistes. On prêchait , on disait la
messe. Frère H? taire rebaptisait. Ce nouveau
baptême était celui de la perfection.
JDaiis l'administration de ces secours ef-
iSeetcs des convulsionnairesl 3c>7
frayàns , aucune miraculée ne périt , peu fu-
rent blessées , et il y en eut un grand nom-
bre qui, dit-on, guérirent de maladies in-
curables. En 1737 on comptait plus de six
cents filles qui avaient demandé les secours,
et plus de six mille frères qui les avaient
administrés.
Bien des personnes qui avaient déclamé
contre ces secours appellés l'œuvre de dieu,
finirent par les demander. Telle fut sœur
Cabane : elle avait poussé l'impiété jusqu'à
rire et mal parler de ces saintes farces.
Mais bientôt vaincue par la grâce efficace ,
elle devint une des plus fameuses prophé-
tesses de l'ordre des secouristes : elle se fit
mettre tour a tour à la croix et à la broche- ,
prédit aux Jésuites des choses terribles qui
leur sont déjà arrivées ; elle annonça aussi
aux papes de grands malheurs qui , avec le
temps , pourront bien aussi leur arriver.
Ce fanatisme des secours qui se variait à
l'infini , se partagea en plusieurs sectes ;
il y eut des augustinistes, des naturalistes ou
figuristcs, des vaillantistes , des mélan gis tes
et des discernans.
Frerc Augustin , effrayé de la violence
dçs grands secours, fit bande à part. Les
3o8 Sectes des comulsionnairesi
Augusti- siens lui donnèrent le nom de précurseur ;
pistes. paais les autres secouristes ne le regardèrent
que comme un apostat indigne du nom de
dieu. Dans sa troupe on n'administrait que
les petis secours que ses adversaires rendi-
rent suspects d'indécence. Ce n'était, di-
saient-ils , que la fantaisie ou la sugestion
du malin qui les demandait. Quand par
hazard l'événement prédit arrivait, on com-
parait ces petites prophéties à celles de l'â-
nesse de Bdlaam. Les grands secouristes ne
désapprouvraient pourtantpas certains petits
secours , quand l'instinct d'une bonne con>-
vidsion V exigeait.
Natura- Dans le grenier de frère Augustin on au-
figuristes" tor*salt y ^ ^a vérité , des expressions qui
étaient ©elles de la luxure , et des attitudes
opposées à la pudeur , sous prétexte qu'elles
étaient des figures. Une couvulsionnaire se
mettait toute nue pour représenter la nudité
de J. C. et la beauté de son église. On ra-
conte qu'il y en avait une qui , marchant à
quatre pattes , portait deux prêtres sur son
dos. Tout cela était des figures , des emblè-
mes , des symboles tels qu'on en trouve dans
les prophètes.
Pendant que frère Augustin se disait la
Sectes des convutsiorniaîres. 009
précurseur , et que les sœurs de son grenier Vaillantî-
1 1 . * *, nistes ou
montraient leur derrière , dans d autres ^-liiéSt
préaux les prophétesses annonçaient l'aven e-
ment d'Èlie ; cet Elle qu'on attendait était
l'abbé Vaillant , qui avait été chassé de la
trape , et que le gouvernement avait fait en-
fermer à la bastille : il s'était fait , par ses fo-
lies et ses prédictions, un grand nom parmi
les fanatiques du fauxbonrg St. Marceau.
Dieu devait le sortir de la bastille par un
miracle, comme il sortit autrefois St. Pierre
de sa prison. Le nouvel Elle devait paraître
au milieu des airs et se montrer à tout Paris.
Le peuple passa plusieurs nui: s d'été dans
l'attente de son avènement. Pour disperser
les attroupemens qui se formaient , on fut
obligé de faire marcher en force le guet; et
Elie ne parut pas.
Frère Vaillant, avant d'être enfermé à la
bastille, avait soufflé sur sœur Magdeloru
C'était à-peu-près' vers le temps que le jé-
suite Girard était accusé d'avoir soufflé sur
la belle Cadiere. Je ne sais ce qu'on doit en-
tendre par ce souffle du frère Vaillant > non
plus- ce qui arriva à sœur Magdelon. Mais
dans les mémoires du temps , on trouve
qu'il y eut une petite prophétesse de la trou-
y 3
3lo Sêctes des comulsionnaireS'.
pe de ce Vaillant , dont les seins et le ventfe
grossirent prodigieusement. Ce ne fut qu'au
bout de neuf mois que la tumeur disparut.
C'était un symbole.
Principe On voulut savoir quel était le principe
ftons!>nVU' dominant qui opérait le merveilleux de là
convulsion. Cette question très-importante,-
comme on voit , fut Ion g- temps agitée dans
les diverses synagogues des secouristes. Les
nns voulaient que ce fût l'œuvre du démon ,
- Les dis- les autres soutenaient que c'était uniquement
cernans. pœuvre <]e c]ieu< Au milieu de ce conflit
d'opinions parurent les discernons , qui pré-^
tendirent que toute convulsion accompagnée
de secours était une œuvre mêlée , d'où ils
conclurent que , dans le merveilleux de la
convulsion , il y avait le diable dominant
Lét mé- et le diable domJné. Ceux qui embrassèrent
îangistes. ce sentiment se nommèrent les mélangistes.
Le diable , comme on voit , se trouvait de
moitié avec dieu. On eut aussi des demi-mi-
racles et des miracles manqués ; mais qui
n'en étaient pas moins l'œuvre de dieu.
Les évêques de France furent partagé» sur
ces merveilles ; plusieurs les traitèrent à! œu-
vres sataniques , les autres les placèrent au
rang des miracles. On donna des mande-
Les convuhîonnaires persécutés, oit
lnens pour et contre. Chaque parti eut à ses
gages des médecins , des chirurgiens , des
apothicaires pour les attester ou pour les in-
firmer. Les jésuites déconcertés décriaient
fort sérieusement ces miracles : les philoso-
phes faisaient mieux , ils les mettaient en
chansons,
Cependant , malgré les cris des jésuites , là
vigilance de la police et les plaisanteries des
philosophes , les synagogues des secouristes
Se multipliaient. Ce n'était pas uniquement
dans le fauxbourg saint - Médard qu'ils
étaient cantonnés ; il s'en établit dans plu-
sieurs quartiers de Paris. Ce qui était déplo-
rable , c'est que ce ténébreux fanatisme i
dont les deux ressorts étaient la fourberie et
l'imagination , et qui semblait ne devoir être
que la pâture de la populace , avait infecté
une partie de la magistrature.
La police , pour nétoyer les galetas de
Paris de ces vils troupeaux d'énergumenes ,
fut obligée d'en venir à des voies de rigueur.
L'exil, les cachots , les prisons furent , pen-
dant plusieurs années , et toujours en vain ,.
employés contr'eux. Biceire et la Salpetriere
regorgeaient de ces malheureux. Pour en
purger Paria , il eût , ce semble , suffi de faire
V 4
Si 3 Le parlement refuse d'informer'.
jouer leurs miracles sur les boulevards et sur
les théâtres de la foire. C'était l'avis de
d' ' Alernbert , qui était déjà l'un des conseil-
lers penseurs de l'état. M. à'Argenson , qui
l'avait interrogé sur ces turpitudes , pensait
comme lui. Il en fut question au conseil du
roi , mais les préjugés de la plupart des mem-
bres qui composaient alors ce conseil , firent
rejetter ce remède , le seul qui eût pu guérir
et désabuser la populace , toujours facile à
égarer quand des frippons et des charlatans
lui parlent au nom de dieu. L'arnour-propre
peut trouver son compte à être persécuté ;
mais il ne plaça jamais sa gloire à être vili-
pendé sur des théâtres et sifflé du public.
Du sein de la persécution , les chefs des
convulsionn aires s'adressèrent au parlement
où ils avaient beaucoup de partisans et d'a-
deptes. Ils demandèrent d'informer juridi-
quement de la vérité de leurs miracles et de
la bonté de leurs secours. La grand'chambre
refusa cette information qui l'eût déshono-
rée. Il eût en effet été ridicule de publier des
arrêts et des miracles. On blâma pourtant
le parlement de ne pas défendre aux convul-
sionnaires de tenir des assemblées, de s'y
faire crucifier et mettre à la broche.
Conversion de Montgeron; 3i3
La conversion à jamais mémorable de
Carré de Montgeron, conseiller an parlement,
est un des événemens des pins merveilleux
du tombeau du diacre Paris. C'est d'après lui-
même que nous allons en parler. Ce magis-
trat était un homme débauché , crapuleux ,
dur , vain, violent et lâche. Il avait , dit-il ,
lame vile et méprisable. La prostitution des
femmes et des filles était le prix des grâces
qu'il vendait à Bourges et à Limoges , dont
son père fut successivement intendant. Dans
cette dernière ville il nia une dette. L'arti-
san qui lui avait prêté son argent lui assena
publiquement un coup de poing sur le visage.
Après l'aventure de ce soufflet , le fils de
M. l'intendant se fit magistrat au parlement
de Paris , et n'en fut ni plus sage ni plus
honnête homme. Pour vivre plus librement
avec les filles des rues , il ne voulut , dit- il ,
ni se marier , ni prendre une maîtresse. A
tant de vices il joignait la peur de l'enfer.
C'est ainsi que Carre 'de Montgeron , pendant
plusieurs années , vécut daus la débauche et
la crainte du diable.
La curiosité le mena au tombeau de Paris.
Il voulait s'amuser des prodiges qui s'y opé-
raient j mais c etait-là que dieu l'attendait-
k i 4 Imbécillité dû MoîltgerOïT
Une lumière céleste le terrassa , des écailles
épaisses lui tombèrent des yeux ; il reconnut
dieu et son bienheureux diacre -y il devint
l'apôtre des miracles qu'il avait décriés , et
finit par en être le martyr. Il rassembla en un
énorme volume toutes les guérisonsque dieu
avait opérées par l'intercession de son servi-
teur Paris. Chaque miracle était renforcé
du suffrage de plusieurs médecins et chirur-
giens , d'une foule de témoins oculaires qui
en attestaient la vérité. Quand cette compi-
lation fut achevée , ce fanatique , vêtu de la.
simarre de magistrat, se rendit à Versailles et
la présenta. à Louis XV. C'était se dévouer.
Il fut arrêté et enfermé à la bastille , et il ne
devait l'être qu'aux petites maisons. Sa cause
devint celle de tout le parlement. Les cham-
bres s'assemblèrent et envoyèrent des dé-
putés à Versailles pour demander leur con-
frère, qui était un insensé, et qui ne méritait
pas les démarches d'une compagnie d'hom-
mes sages.
Cependant les miracles , les convulsions
et les secours s'accréditaient déplus en plus.
Trente docteurs de Sorbonne consultés ,
répondirent que ces miracles de greniers
devaient être livrés au mépris, que les secours
"'Reproche à la Sorbonne. 3i5
étaient indécens , inhumains , meurtriers ,
et qu'on était coupable de les demander et
de les administrer.
Cette réponse semblait être un désaveu de
plusieurs autres docteurs de Sorbonne qui
appuyaient ces turpitudes ; elle n'empêcha
pourtant pas les reproches que plusieurs
évêques leur firent d'avoir donné naissance
aux convulsions , et d'avoir mis en vogue le3
folies de Saint Médard.
Le tems qui nous presse ne nous permet
pas d'examiner quel peut être le degré de
vérité et d'exactitude de ce reproche ; ce qui
est certain , c'est que le premier témoin cité
par Carré de Monlgeron dans son histoire
des convulsions, est un docteur de Sorbonne.
Ecouterez-vous encore ces docteurs , et vous
Jwrez-vousplus long-tems à eux, disait à ses
diocésains Lan guet , archevêque de Sens.
Il reprochait à ces docteurs d'aller de galetas
en galetas admirer les saulis , les culbutes et
les crtiçifiemens d'une canaille moitié fourbe
et moitié fanatique. On vit en effet beaucoup
de théologiens , ainsi que beaucoup de ma-
gistrats , se mêler avec les frères et les sœurs,
encourager par leur présence l'œuvre des
convulsions et administrer eux-mêmes les
3i<5
grands secours , c'est-à-dire , des coups de
broche ou de barre de fer sur l'estomac en-
cuirassé des petites prophétesses que les Jan-
sénistes soudoyaient.
N'arrêtons pas plus long-tems nos regards
«ur ces objets de la démence et de la frippon-
nerie ; ils sont trop humilians pour la raison
humaine, pour la nation et pour le siècle
où nous vivons. Passons à des sujets plus
dignes de la curiosité d'un lecteur qui veut
s'instruire. Voyons les grands hommes s'oc-
cuper à éclairer la France , tandis que le fa-
natisme travaillait à l'égarer et à l'avilir.
Racontons les persécutions que leur fit la
Sorbonne , et tous les dangers auxquels ces
grands hommes, de leur vivant, furent expo-
sés pour avoir dit la vérité.
CHAPITRE LXVII.
Montesquieu juge par la Sorbonne. Buffon
menacé. Encyclopédie. Déisme soutenu
en Sorbonne.
Ije fanatisme des conclusions , auquel tant
de magistrats et tant de théologiens pri-
rent part, durait encore. Les parlemens et
les évêques continuaient à se faire pour la
bulle unigenitus , avec des arrêts et des man-
demens , une guerre interminable. \ ing6
fois, et toujours en vain , le roi interposa son
autorité par des édits et des déclarations de
son conseil : tout fut inutile. Les évêques se
croyaient en droit, malgré le roi et les parle-
mens , d'instruire leurs diocèses ; et les parle-
mens , de leur coté , malgré le roi , et au nom
du roi , se croyaient en droit de brûler les
man démens des évêques.
Pour ramener la paix , il s'agissait de ren-
dre les français raisonnables. Des hommes
de génie s'occupaient de ce grand ouvrage.
A l'ombre des querelles odieuses et ridi-
cules du jansénisme , ils disséminaient en si-
3i8 Sectaires ennemis de la philosophie.
lenee les germes de cette philosophie , la-
quelle , eh respectant une religion instituée
pour unir les hommes , dissipe les préjugés
qui les rendent ennemis les uns des autres ,
•et les exposent au danger de s'entr'égorger
pour des fadaises. Montesquieu , ce vrai-
ment grand homme à la gloire duquel le
temps a déjà imprimé un sceau inéfaçable ,
fut un de ceux qui, après Voltaire , contri-
bué! eut le plus à répandre en France les ger-
mes de cette philosophie.
h' esprit des loia:, l'un des plus beaux mo-
ïrumens qu'on ait encore élevé au bonheur
des hommes, lui coûta un tiers de sa vie et
ne lui valut que la perte de son repos. Il était
rare alors qu'un bon livre, sous les chaînes
du despotisme , pût produire autre chose.
On le menaça d'abord de l'exclure de l'aca-
démie française. Cet affront n'eût point flétri
sa gloire, et eût déshonoré ses persécuteurs.
Les jansénistes , ces sectaires dangereux
que leurs convulsions , leurs miracles de ga-
letas couvraient d'opprobre ; les molinistes ,
ces autres sectaires moins obscurs, à la vérité ,
mais plus actifs, plus violens et plus dange-
reux encore , attendu qu'ils étaient confes-
seurs, prédicateurs , directeurs , courtisans et
%,a Sorbonne tourmente Montesquieu. 3ï£.
journalistes, s'armèrent contre Montesquieu,
pt contre son livre : ils commencèrent par le
.traiter d'athée , de déiste et de séditieux.
La Sorbonne ne crut pas devoir garder le
silence : elle se joignit à ses persécuteurs ,
pt voulut l'accabler en proscrivant solen-
nellement l'esprit des loix. Dix-huit propo-
sitions , dont la plupart sont aujourd'hui re»
connues pour des vérités d'état, lui parurent
i-epréheiisibles. La censure de l'esprit des
loix causa à la Sorbonne deux ans de travail,
et lorsqu'elle fut achevée , elle n'osa la pu-
blier ; son zèle se borna à menacer de tems à
autre Montesquieu. Ces tracasseries empoi-
sonnèrent les dernières années de sa vie , et
finirent de ruiner sa constitution naturelle-
ment faible. Le jésuite Roust se venta de lui
avoir fait faire , au moment de son agonie ,
une rétractation, et Roust£uX convaincu de
mensonge.
L'orage que la Sorbonne éleva sur la tête
de ce- grand homme ne tarda pas à gronder
sur celle de Buffon , dont le sentiment sur
la forme et l'antiquité de notre planette ne
paraît pas quadrer avec le récit de Moyse
sur la création de la terre. Il prétend qu'elle
n'est qu'une parcelle séparée de la masse du
3io Buffon mejiacé.
soleil. Qu'au sortir du soleil, et de l'état do
liquéfaction, elle passa à l'état d'un globe de
verre , lequel ne fut terre habitable que
lorsque le refroidissement des pôles eut suc-
cédé à sa longue incandescence.
Les opinions du Buffon sur quelques
points de métaphysique , ne paraissent pas
non plus être celles de la théologie ; il assure
que nous ne faisons qu'un , l existence de
notre ame et nous ; que Vame est impassible
par essence. La Sorbonne fit un petit extrait
des assertions de X histoire naturelle , et les-
quelles étaient , disait-elle , contraires à la
croyance de l'église. L'extrait fut renvoyé
à Buffon, qui répondit à la Sorbonne en
expliquant ses idées , et en avouant que son
globe de verre n'était qu'une supposition
philosophique. Cette réponse, qui n'était
qu'une défaite , et qui ne réussirait pas à
tout le monde , réussit à Buffon. La. Sor-
bonne feignit d'être contente.
C'est pendant ces années-là que s'élevait
ce vaste dépôt de toutes nos connaissances ,
dont la postérité étonnée bénira le siècle où
l'on en jetta les fondemens. Nous parlons
de Y Encyclopédie. Des hommes éclairés ,
de grands artistes en tout genre , sans aucun
intérêt
Encyclopédie persécutée. 321
Intérêt que celui de servir l'état , prépa-
raient les matériaux de cet ouvrage im-
mense. Deux hommes déjà célèbres, & Aient-
bert et Diderot , peut-être les deux en Eu-
rope dont le courage ne fût pas effrayé da
l'entreprise , mettaient en ordre et perfec-
tionnaient ces matériaux. Le gouvernement
protégeait le travail de ces hommes géné-
reux. C'était la gloire de la France.
Les mêmes ennemis qui avaient attaqué
Montesquieu et Bujfon se jettèrent avec
acharnement sur V Encyclopédie . On triom-
pha d'un premier orage. Le ministère con-
tinua à la protéger ; le calme ne fut que pas-
sager. D' ' Alembert et Diderot étaient entiè-
rement livrés à X Encyclopédie , qui deman-
dait tout leur tems , et qui , pour sa perfec-
tion , en eût exigé davantage ; mais leurs
ennemis , qui n'avaient rien à faire } veil-
laient , intriguaient , composaient et répan-
daient des brochures et des mensonges :
ils parvinrent à rendre l'ouvrage suspect
à quelques ignorans en place ; et après une
paix de quatre ans , la persécution recom-
mença.
La Sorbonne , dont Y Encyclopédie dé-
créditait la théologie scholastique , joi-
Tome II. X
3aî Déisme
gnit ses crîs aux cris de la canaille conJ
vulsionnaire : elle n'osa pourtant soumettre
l'ouvrage à son jugement ; mais elle menaça,,
intrigua sourdement auprès du ministre et
du procureur- général du parlement. Elle
mit en mouvement les dévotes de la cour ;
mais ce qui augmenta le déchaînement con-
tre Y Encyclopédie fut la thèse que Martin,
de Prades soutint en Sorbonne. Ce jeune
bachelier avait fourni quelques articles ,
et les détracteurs de X Encyclopédie en firent
un prétexte pour crier que tout l'ouvrage
«tait empoisonné du déisme qu'il avait sou-
tenu en Sorbonne , en présence de cent doc-
teurs en théologie. Ils publièrent que sa
thèse était l'ouvrage de ceux qui présidaient
à Y Encyclopédie. C'était une calomnie.
Martin de Prades n'avait pris conseil que
de lui-même et de quelques licenciés de
Sorbonne dont il était l'ami.
Ce jeune abbé était plein d'esprit et d'é-
rudition. Tous les suffrages des supérieurs
étaient en sa faveur. Son application à l'é-
tude était constante : il ne s'était pas borné
aux pères de l'église et à la théologie ; il avait
fouillé et examiné les annales du monde
entier , comparant les mythologies des an-
de Martin de Pracles.
tiens peuples avec les my thologies des peu-
ples nouveaux. La religion lamique avec le
budso du Japon , les fables sacrées du peu-
ple Chinois avec les fables du peuple de
Siam , le judaïsme et le mahométhisme :
ces religions ou systèmes religieux lui paru-
rent tous appuies sur les mêmes bases , la,
fripponnerie et l'imbécillité. Il vit les aveu-,
gles sectateurs de ces diverses mythologies
vantant tous leur origine , leurs prophéties y
leurs incarnations , leurs miracles , leurs
martyrs , leurs saints , leurs lythurgies et le
code de leur croyance.
Dans le cours de ses études historiques il
trouva chez tous les peuples civilisés , chez
les anciens comme chez les modernes , une
portion d'hommes pratiquant la vertu sans
croire à ces fadaises mythologiques , regar-
dées par les francs-pensans comme la pâtura
grossière du peuple , à qui elle ne sera né-
cessaire qu'autant de tems qu'on le tiendra
plongé dans l'abruttissement.
Le savoir de l'abbé de J? rades l'égara ;
il fut trompé par des ressemblances qui ne
sont qu'apparentes ; il confondit le chris-
tianisme avec ces cultes ridicules dont la
Verre est couverte, , et qui tous composés de
X a
o2.£ Déisme soutenu en Sorhonne
pièces de rapport , sont tissus de manière k
laisser appercevoir à chaque suture la main
de l'homme qui les a cousues.
N'écoutant que sa raison, l'abbé de Prades
forma le projet insensé de soutenir en S or-
bonne le déisme dont il s'était nourri. Plu-
sieurs bacheliers entrèrent dans ce complot
et encouragèrent son imprudence : il lui
fallait des approbateurs , et il eut par sur-
prise tous ceux qui lui étaient nécessaires.
Le syndic de la Sorbonne , lui-même , mit
son nom au bas du programme que l'abbé
de Prades distribua dans tout Paris. Il lui
fallait un président , et l'évêque de Lombés
accepta cette commission ; mais obligé de
se rendre dans son diocèse , le docteur
Hook, professeur de théologie enSorbonne,
suppléa cet é vêque, et présida à la thèse qu'il
avait déjà approuvée.
L'abbé de Prades , parlant en politique ;
disait qu'il faut épurer la religion des fables
qui l'ont déshonorée ; que dans un état bien
constitué on peut admettre toutes les reli-
gions ; qu'aucune n'est dangereuse, à moins
qu'elle ne soit persécutée. Ces maximes ,
qui aujourd'hui sont des textes d'état, de-
vaient alors armer contre lui des milliers de
par Martin de Prades. 32.5
personnes. Maïs ce qui aigrit le plus les
théologiens contre lui , c'est de l'entendre
dire que l'arae est un esprit igné , mens
ignea. Il est vrai que les anciens pères qui
la croyaient corporelle , s'étaient à-peu-près
exprimés ainsi ; et ce n'est que par un ran-
gement de métaphysique qu'elle est devenue,
avec le temps, toute spirituelle.
Qimnt à la création , de T rades rejettait
tous les systèmes et sans assurer , comme il
convenait à son état , que Moïse est le plus
sûr des Théogonistes , il disait seulement
qu'il avait été plus hardi que les autres pour
fixer l'époque du monde. Caeter'is auden-
cior Moscs ausus est determinare epoquam
miuidr.
Le pai\illele des miracles de J. C. avec
ceux à'Esculape , fut une des plus hardies
assertions de l'abbé de Prades. Ce fut aussi
cette assertion , regardée comme impie dans
toutes les communions chrétiennes , qui
devint l'objet de la dispute. Elle fut soutenue
avec fierté et courage au milieu d'une foule
de théologiens de tous les ordres religieux ,
de docteurs , de licenciés , de bacheliers ,
dont plusieurs étaient dans le secret. Après
cette éclatante imprudence , Martin de
X3
D2.6 Furte de Martin de Prades
J? rades sortit de Paris et passa en Prusse. A
peine était-il hors de la capitale , qu'il y eut
ordre de l'arrêter. Vinrent ensuite^ contre
lui les arrêts , les édits , les mandemens , les
censures de Sorbonne , et cent petites bro-
chures où , pour le moins , il y avait autant
d'injures contre l'abbé de Prades, que de
raisons contre ses opinions.
Cet acte de déisme , approuvé par des
théologiens en place , et soutenu avec intré-
pidité au milieu de la Sorbonne , retentit
dans toute l'Europe chrétienne ; Rome s'en
allarma. Le scandale fut grand ; et les
querelles qui s'ensuivirent en Sorbonne ne
furent que ridicules. Les séances qui s'y tin-
rent pour examiner et condamner la thèse
de l'abbé de T rades, furent des plus tumul-
tueuses. Lesdocteurs se chargèrent mutuelle-
nient de reproches. Parmi les anecdotes de ce
temps-là , on trouve que leur salle d'assemblée
fut un champ de bataille. On les accusa d'a-
voir , dans leurs disputes , passé des injures et
des argumens aux coups de poing ; nous ne
garantissons pas la vérité de ces pugilats ,
quoiqu'attestés par des docteurs. Nous ne
perdrons pas notre temps à examiner si dans
ce qu'on a imprimé au sujet de ces combats,
327
tout ce qui a l'air du- mensonge n'est pas
vrai dans le fonds : nous serions trop longs ,
et peu intéressans.
L'imprudence de Martin de P rades n'était
pas un exemple unique en Sorbonne : qua-
rante ans avant lui , un jeune licencié y
soutint qu'on ne pouvait prouver que la re-
ligion chrétienne fut la meilleure . Le soute-
nant et le docteur Bidet , son approbateur ,
n'éprouvèrent aucune persécution : ils en
furent quittes pour s'expliquer. La philoso-
phie n'avait point encore donné de l'om-
brage au fanatisme.
CHAPITRE LXVIII.
De Bélisaire et de M. Marmontel , l'un et
l'autre condamnés en Sorbonne.
L e s théologiens n'ont jamais aimé Beli*
saire (1) ; sévères à l'égard de ce général ,
ils se sont toujours montrés fort indulgens
envers Justinien, empereur dur, vain, avare,,
voluptueux et persécuteur. Ce Justinien se
mêlait de théologie , et par-là même il de-
vait être un grand homme aux yeux de ceux
dont il épousait les opinions.
Deux factions théologiques , comme il y
en a toujours eu dans tous les coins du
monde , où l'on ne s'est pas contenté d'en-
seigner la morale, partageaient et troublaient
Constantinople. Ces deux factions , l'une
des théologiens verds , et l'autre des théolo-
giens bleus , s'anathématisaient et se dam-
naient mutuellement, suivant l'usage de tous
les pays où des esprits creux voulurent
amalgamer les chimères de la méthaphysi-
que à la simplicité de la religion naturelle.
L'empereur était à la tête d une de ces
Source de malheurs '. 029
factions , et le patriarche de Constantinople
à la tète de l'autre : il était question de
savoir si J. C. de son vivant avait eu besoin
de manger. Or pense bien que ce patriarche
devait avoir tort en disputant a.\ecJustinîen;
aussi fut-il exilé. C'est ce même argument
que Justinien employa contre les évêques et
les prêtres qui avaient embrassé le parti
du patriarche , et cela pour les convaincre
qu'un empereur comme lui avait toujours
raison , même en parlant de ce qu'il n'en-
tend pas.
Quiconque est instruit, sait que les diffé-
rentes théologies ont fait de notre globe un
théâtre de carnage : les philosophes ont re-
connu cette source de nos malheurs, et cher-
chant à substituer aux opinions religieuses
la morale qui n'a jamais divisé personne ,
ils ont prêché aux hommes cette raison qui
crie aux Cantabres , aux Castillans , aux
Lu ..ravàens qu'il est honteux à eux de faire
dépendre leurs façons de penser de quelques
bourreaux tonsurés , qu'on appelle inquisi-
teurs ; cette raison, qui promet aux français
d'être le premierpeuple de la terre, s'ils réfor-
ment leurs loix , leur clergé, leurs préjugés
et les énormes abus de leur administration.
33o De Bélissaire
Au ion mâle et hardi dont les philosophe»
annonçaient la raison et ses avantages ,
M. Mormon tel j oignit sa voix douce et élo-
quente : il donna le roman de Bélisaire ; il
nous montra ce héros dans ces instans- de
revers où , rendu à lui-même et pensant en
philosophe, il expose tranquillement tous
les vices qui altèrent une bonne législation.
Parmi ces vices , il met le crédit que les sou-
verains donnent à des opinions méprisées du
sage , et la persécution qu'ils exercent en-
vers de malheureux rêveurs qui ne sont qu'à
plaindre , et qui guérissent toujours quand le
gouvernement ne s'occupe ni de leurs rêves,
ni de leurs folies , ou quand il permet aux
philosophes de leur administrer les remèdes
convenables.
Bélisaire fut regardé comme un ouvrage
utile à tous l es hommes , aux rois comme aux
sujets. A mesure qu'on le lit , on est porté à
être plus doux , plus modéré , plus coura-
geux dans les revers. Un prince qui aime
sespeuplcs , les aime encore davantage quand
il s'est entretenu avec Bélisaire.
On trouva très-sage le conseil qu'il donne
aux rois de m T>-iser ces opinions prétendues
sacrées , epsti ont fait exiler , tourmenter et
et de M. Marmontel. 33 1
même égorger plusieurs millions de chré-
tiens. Les ames honnêtes applaudirent sur-
tout à ce qu'il dit de la tolérance dont ont
besoin tous ceux qui dans des matières in-
différentes ne sont pas de notre avis.
Le conseil de mépriser les rêveries de la
métaphysique souleva tous les théologiens:
ils crurent que Bélisaire ne prêchait le mé-
pris des opinious de l'école que pour faire
mépriser ceux qui les enseignent Le con-
seil de tolérer ceux qui ne pensent pas comme
nous , fut encore plus mal reçu des deux
partis qui étaient alors en Sorbonne. Ces
deux petites factions sombres et turbulentes
sonnèrent l'alarme contre M. Mormontel et
contre Bé/isairs: l'intérêt commun réunit
contre l'ouvrage et contre son auteur jan-
sénistes et molinistes ; c'est-à-dire, des hom-
mes qu'une haine implacable divisait de-
puis cent ans : ils travaillèrent auprès de
quelques ministres pour susciter une persé-
cution à l'un et à l'autre : ne pouvant réussir
en cour, ils s'ameutèrent en Sorbonne.
M. Marmontel , trop sage pour ne pas
désirer la paix, consentit à des entretiens
ayee le nommé Ribalicr, alors syndic de la
33a Maladresse
Sorbonne : il offrit des notes et des explica-
tions pour tous les endroits de Bélisaire dont
l'idiotisme serait effrayé. Pendant le cours
de ces entretiens , la raison fit souvent taire
le jargon de l'école ; le théologien disparois-
sait devant le philosophe ; il ne montrait
que l'homme raisonnable. Tout tendait à
une conciliation prochaine ; mais parut alors
un libelle écrit avec fiel et pesanteur: M. Mar-
montel y était dénoncé aux prêtres comme
un impie, et à Louis XV comme un séditieux:
ce libelle était d'un pédant nommé Cogé ;
le syndic l'avait approuvé , et on doit conve-
nir qu'en approuvant ce libelle , il avait ap-
posé son cachet aux calomnies qu'il conte-
nait. C'était signer une déclaration de guerre
dans le terus qu'il traitait de la paix.
Cette lâcheté du syndic indigna tous les
honnêtes gens qui conseillèrent à M. Mar-
mojitel d'abandonner Bélisaire au jugement
de la Sorbonne, laquelle ne tarda pas à dénon-
cer au public trente-sept propositions, dont
la moindre , disait-elle , était capable de
renverser le trône et l'autel.
Les philosophes répondirent à ce premier
acte d'hostilité en faisant imprimer les trente-
sept propositions qu'on traitait d'impies avec
de la Surbonne. 333
les vérités qui leur étaient opposées. Edl
voici quelques-unes des plus dangereuses.
Impiétés de Bélisaire
condamnées par la
Sorbonne.
Pkop. X I.
Est-il besoin, dit
Bélisaire , qu'il y ait
tant de réprouvés ,?
X I I.
Vous vous faites une
religion bien douce ,
et c'est la bonne , re-
/?rzYBélisaire : ne vou-
lez-vouspasqueje me
représente Dieu, que
je dois adorer,comme
un tyran sévère , tris-
te , farouche , et qui
ri aime qu'à punir?
XIII.
Moi, c&VBélisaire,
J/'érités opposées aux
impiétés de Béli-
saire.
X I.
Il est besoin qu'il y
ait beaucoup de ré-
prouvés.
XII.
Une religion douce
n'est pas bonne -.pour-
quoi ne pas se repré-
senter Dieu comme
un tyran farouche ,
et qui n'aime qu'à
punir ?
)
XIII.
Il n'est pas certain
334 Ineptie de la Sorbonnê.
je suis certain qu'il que Dieu ne punis sa
ne punit qu'autant qu'autant qu'il ne
qu'il ne peut pardon- peut pardonner , et
ner ; que le mal ne que le mal vient de
vient point de lui. lui.
XIV.
XIV.
Ce qui m' attache à Si la religion rend
la religion , c est meilleur et plus hu-
qu elle me rend meil- main , ce n'est pas ce
leur et plus humain. qui doit nous y atta-
cher.
XV.
X V.
Dieu m a créé f ai- Quoique Dieu m'ait
ble y il sera indul- créé faible , il ne sera
gent. pas indulgent.
Ces deux colonnes mirent à découvert la
maladroite ineptie de la Sorbonne , et l'ort
se moqua d'elle : elle sentit son tort et crut le
réparer par une censure qui lui coûta deux
ans de travail ; quand elle éut rédigé cette
censure , Ribalier , qu'on surnommait déjà
le syndic Ribaudier , la publia sans en con-
Justice rendue à Marmontel. 335
férer avec la Sorbonne ; c'était uîie infrac-
tion à ses réglemens , et qui fut un signal de
guerre entre les théologiens ; ils députèrent
ftu roi pour demander la déposition de leur
syndic ; mais le roi, trop sagtè pour écouter
ces frivoles querelles de i'oisivetjB,, leur en-
joignit par une lettre «-le cachet de. laisser en
paix leur syndic et Bélisaire.
Tandis qu'en Soi bonne on s'occupait de
la condamnation de Bélisaire , et qu'après
l'avoir condamné l'on s'y querellait , dans le
nord on parlait de cet ouvrage comme d'un,
bréviaire pour les rois , et d'un calhéchisme
pour les peuples. L'impératrice de Russie Ca-
therine II y la seule femme qui sur le trône
ait véritablement été philosophe , s'amusait
à le traduire dans le cours d'un voyage en
Asie. L'histoire d'aucun roi ne fournit un
exemple d'un plus utile et d'un plus no-
ble délassement. Neuf princes ou grands
seigneurs, qui accompagnaient cette souve-
raine , partageaient avec elle ce délassement.
La traduction de Bélisaire achevée , fut im-
primée à Casan , et dédiée à l'archevêque de
Tuer ; c'était à peu près dans le tems que
Christophe de Beaumont , archevêque de
Paris , travaillait à sa condamnation. Cache-
336 Justice rendue à Marmontel.
ri ne II écrivit elle-même à M. Marmontel ;
ty6j, Bélisaire est un livre qui mérite d'être tra-
7 Mai. duit dans toutes les langues ; il me confirme
dans l'opinion qu'il n'y a de vraie gloire que
celle qui résulte des principes que Bélisaire
soutient avec autant d'agrément que de so-
lidité. ...
Le roi de Pologne Stanislas Poniatouski ',
ce roi qui eût fait les délices d'une nation
philosophe , et qui eût régné avec gloire sur
une nation, libre , après la lecture de cet
a auguste, ouvrage : « vous avez réussi , écrivait-il à
6on auteur , a faire lire dans ce siècle frivole
un traité de morale très sérieux. Que les
hommes les plus éloquens et les plus instruits
soient les apôtres de la vertu , et les para-
doxes injurieux aux lettres tomberont !
La reine de Suéde ne s'exprime pas moins
ï4 agréablement que le roi de Pologne. «Malgré
auguste les trente-sept propositions de la Sorbonne ,
'^stockolm. écrivit-elle de sa propre main à M. Mar-
montel, je ne puis refuser mon estime à Bé-
lisaire que j'ai lu avec un plaisir infini. Cet
éloge était accompagné d'une boîte d'or
émaillée , sur laquelle étaient représentés
les tableaux les plus intéressais de Bèli-
saire.
Si
Ineptie de la Sorbonne.' 337
Si la Sorbonne vous condamne , lui manda ^ 9 i,uin
le prince royal de Suéde , vous êtes bien
vengé par la voijc publique qui condamne la
Sorbonne. Le plaisir d' avoir contribué au
bonheur des hommes vaut mieux que celui
d' avoir contenté quelques docteurs de Sor~
bonne.
Le suffrage de tant de souverains instruits
couvrait M. Marmontel de gloire , et le dé-
dommageait des criailleries de quelques ha-
bitués de paroisse, des tracasseries de la
Sorbonne , des procédés odieux de son
syndic Ribalier et des mauvais propos de
quelques publicains français qui aux douces
et sages conversations de Bélisaire eussent
préféré un système de finance qui eût enri-
chi une centaine de trippons , et ruiné
l'état.
En proscrivant Bélisaire , la Sorbonne
déclara que Caton , Titus , TrajanelMarc-
Aurele étaient en enfer. Elle n'en a jamais
dit autant de Mandrin et de Cartouche , dd
Poltrot, de Barrière , de Chatel , de Ra>
taillac , de Da miens de frère Ridicoux ,
de frère Jean le Roi, de frère Mergy , de
frère Clément , qui furent tous ou assassins
ou fauteurs d'assassinats.
Mme. IL Y
338 U approbateur de Bélisaîre
La décision de la sorbonne sur Titus et
Trajan parut étrange à tous les honnêtes
gens instruits : il leur sembla sur-tout qu'elle
décidait de la damnation éternelle de ces
bons princes aussi légèrement rjue lorsqu'elle
décida que Henri III n'était plus roi de
France , et que le bon Henri IV ne méritait
pas de l'être. La Sorbonne pensera de nous
ce qu'il lui plaira, mais nous dirons, avec Tic
de la Mirandole , que c'est une impiété de
damner une personne quand on peut la
sauver.
Une chose très-remarquable, et que très-
peu de personnes remarquèrent , c'est que
Béiisaire , que la Sorbonne anathématisait
comme un code d'impiété , était approuvé
par un doctenr de Sorbonne. Cette appro-
bation,qui semblait devoir mettre cet ouvrage
à l'abri de toute persécution , fut précisé-
ment ce qui l'occasionna. Le docteur qui
l'avait approuvé n'était d'aucun parti en
Sorbonne , où il y a toujours eu deux partis
sans cesse armés l'un contre l'autre. Les actes
d'hostilité cessèrent cntr'eux, et ils se réuni-
rent pour accabler le sage qui avait approuvé
Béiisaire. Delà s'ensuivirent les bruits , les
cris les syllogismes et les injures dont »
est persécuté. 339
pendant six mois , retentirent les murs de la
Sorbonne contre M. Marmontel , contre Bé-
lisaire et contre son approbateur.
Avant de terminer cet ouvrage , déjà trop
long, il est utile de parler des approba-
tions.
34o
CHAPITRE LXIX.
Des Approbations de la Sorbonne.
Les Romains n'entreprenaient rien sans
consulter le collège des pontifes ; ce n'était
jamais qu'après avoir interrogé les prêtres
Fessaliens et l'appétit des poulets sacrés qu'ils
allaient ravager les campagnes de leurs voi-
sins , enlever leurs moissons , leurs troupeaux
et leurs filles. Cette loi , que de grands capi-
taines osèrent souvent mépriser, fut instituée
quand Rome n'était encore qu'un ramas da
bandits indisciplinés. Ce fut un frein que le
sage Numa mit à la férocité d'une horde qui
ne respirait que le vol et le pillage. Ce grand
homme aima enore mieux voir les Romains
superstitieux que brigands. Avant de les ren-
dre raisonnables , il les subjugua par la su-
perstition. C'est le sort de tous les peuples
qui , encore enveloppés des ténèbres de
l'ignorance , se forment en société.
Quand le développement de l'esprit hu-
main eût fait de Rome une ville éclairée et
savante , Cicéron publia, ses Tusculanes et
'Approbation y invention moderne. 34 1
«on livre de la Nature des Dieux , sans
prendre la permission d'aucun Flamen. Le
poëme de Lucrèce fut lu de tous les hon-
nêtes gens qui savaient lire , sans qu'il fut
approuvé par aucun théologien du pays.
Chez les Grecs , les opinions de Talés ,
d 1 Anaximandre , de Platon ne furent ja-
mais scellées de l'approbation des Curettes ,
ni de celle des prêtres d'Apollon. On ne ht
nulle part qu'un Schoen d'Egypte ait dit à un
homme instruit , vous ne pourrez parler
d'I/îs , de Canope , de la divinité de nos
chats et de l'embompoint de notre dieu Apis,
si je ne vous le permets.
Rien n'atteste qu'un bonse Chinois ait
jamais mis son nom à la tête du livre d'un
lettré. Un fanatique Japonais, dont la rai-
son est entièrement abrutie , peut à son gré
demander auDaïri ou pontife, en lui payant
an brevetd' apothéose , la permission de se
jetter dans la mer ou de se faire broyer les
os sous les roues des chars qui portent leurs
dieux ; mais un homme d'esprit, sans crain-
dre d'être persécuté , dit son sentiment sur
le testament de Xaca (1) , et avant de le
dire , aucune loi ne l'oblige de prendre le
suffrage des kuges ou des goguis, qui sont
Y3
34* 'Approbation, invention moderne.
les évêques et les théologiens de la religion
Japonaise.
L'antiquité et tous les peuples policés
méconnurent cet usage des approbations.
Il est entièrement nouveau pour nous : ce
fut au milieu de la barbarie du quatorzième
siècle que les moines l'introduisirent en
Italie et en Allemagne. Il se fortifia en Por-
tugal et en Espagne avec l'Inquisition. En
France , nous ne voulûmes pas de ce tribu-
nal , qui juge et punit par le feu les pensées
des hommes ; mais nos théologiens s'établi-
rent juges de ceux qui les mettaient par
ëcrit. Peu-à-peu ils s'ai'rogèrent le droit
d'approuver les livres qui avaient quelques
rapports à la religion ; et bientôt tout fut
soumis à leur censure , parce que bientôt
l'ignorance eut enchaîné aux dogmes de la
religion , l'astronomie , la chymie , la mé-
taphysique, la politique et même la gram-
maire. On les vit alors condamner eux-
mêmes , ou dénoncer comme impie , tout
ouvrage qui , en paraissant, n'était pas re-
vêtu de l'approbation de quelqu'ecclésias-
tique. . i
La dépendance où étaient les libraires , à
l'égard de l'université , favorisa l'établisse-
Origine des approbations. 34$
ment de cet usage , si contraire aux progrès
des connaisances humaines : pour se mettre
à l'abri des poursuites de l'université , les
imprimeurs exigeaient qu'un auteur joignît
à son manuscrit un certificat d'orthodoxie,
signé de quelque maître en théologie. Alors
le sage qui voulait dire la vérité , était obligé
ou de la déguiser , ou de prendre la fuite
après l'avoir dite. Son livre était d'abord
flétri par un décret de la Sorbonne , et,
dans ces temps malheureux , une décision
de théologiens devenait une affaire très-
grave. L'homme de lettres, qui avait eu le
malheur d'être condamné en Sorbonne ,
finissait presque toujours par être poursuivi
par le parlement. Tel était alors l'ordre des
choses , et cet ordre était le comble de l'im-
bécillité.
Sous le règne de François I , la Sorbonne
obtint un édit qui convertit en loi l'usage
déjà introduit des approbations. Henri II
confirma cette loi qui, en 1624 > reçut une
nouvelle force par le bannissement auquel
il condamna tous ceux qui avanceraient des
doctrines contraires à celle àHAristote et des
écoles de Paris. Cet arrêt était le scandale de
la raison ; il déposera éternellement contre
Y4
344 Livres ahominables
l'ignorance des magistrats qui siégeaient
alors, et qui prétendaient poser des bornes
à l'esprit humain.
Ainsi donc la Sorbonne , par édit et par
arrêt , devint juge des livres , et arbitre , en
les jugeant , de la destinée des hommes de
lettres. On la vit alors repousser la vérité avec
autant d'acharnement que si la vérité était
l'ennemie du genre humain , et elle ne l'est
que de ses préjugés.
La Sorbonne se servit aussi du droit qu'elle
avait d'approuver les livres ou de les con-
damner, pour accréditer des erreurs, pour
étendre et affermir la puissance papale, ainsi
que pour aggrandir , si j'ose m'exprimer
ainsi, l'empire du démon sur la terre. Elle
nourrissait dans le peuple ce double germe
de servitude et d'abrutissement toutes les
fois que les théologiens munissaient de leur
approbation les livres qui consacraient, soit
les prétentions ou extravagances ultramon-
taines , soit les histoires du diable et de la
sorcellerie , lesquelles histoires ont été , jus-
que vers le milieu de ce siècle y la lecture
ordinaire des artisans et des habitans de la
campagne.
Parcourez tous les contes qu'on fUisail à
approuvés par la Sorhonne. 345
nos pères sur les revenans et sur les vam«
pires , sur le sabat et les magiciens , sur les
démons sucubes et incubes ; tous les contes ,
dis-je, que la fourberie et l'idiotisme ont
consignés clans les dégoûtantes compilations
de la démonomanie , et vous les verrez tous
revêtus de l'approbation de q-uelque lectetir
en théologie ou docteur de Sorbonne (a).
Les théologiens de Cracovie , de Louvain ,
de Coimbre , de Salamanque en ont , tout
au moins , autant approuvé que les théolo-
giens français. La plupart même des doc-
teurs en théologie étaient démonographes ,
c'est-à-dire, les historiens du diable.
Un usage bien ridicule est celui qui ne
laisse point à l'académie française la liberté
de couronner un ouvrage envoyé au con-
cours, quelqu 'utile qu'il soit, s'il n'est revêtu
de la signature de deux docteursde Sorbonne.
C'est un joug que l'académie s'imposa elle-
même dans l'institution de ses prix , temps
(a) Voyez les Disquisitions Magiques du jésuite Del-
rio. — La Doctrine Chrétienne. — Les Sept Trompettes*
— Les Histoires des Spectres. — Le Pédagogue Chrétien,
— Le Tréfor des Ames du Purgatoire. — etc. etc.
346 M. de la Harpe dédaigne de faire
où, moins éclairée qu'elle ne l'a été depuis ,
elle ne proposait pour sujet de ses prix qu'un
insipide texte de morale à amplifier.
Vers l'an 1769 , les docteurs de Sorbonne
refusèrent d'approuver l'Eloge de Molière :
ils craignirent qu'on ne prît l'approbation
de cet éloge pour l'approbation de l'état de
comédien que la Sorbone réprouve, et que
le gouvernement autorise.
Malgré ce refus , l'académie française
couronna Y Eloge de Molière , et deux ans
après , elle se crut en droit de décerner le
prix de l'éloquence à Y Eloge de Fénélon ,
par M. de la Harpe , quoique cet éloge ne
fût point muni du suffrage de la Sorbonne.
Les hommes de lettres se crurent alors af-
franchis pour toujours de cette servitude
à l'égard des théologiens ; mais leur liberté
ne fut cjue de courte durée. Le crédit de
l'archevêque de Paris , et les petites intri-
gues du petit et charmant maréchal de Ri-
chelieu auprès de Louis XV , les replon-
gèrent bientôt dans la dépendance de la
Sorbonne. Ainsi, le jugement de quarante
académiciens , et la mâle façon de penser
d'un homme de génie qui célèbre un grand
approuver /'éloge de Fénélon. 3^7
homme , furent de nouveau asservis aux
préjugés de deux docteurs en théologie.
Cette sottise a du disparaître au moment
du réveil de la raison.
343
CHAPITRE LXX.
Des consultations faites à la Sorbonne,
Sage réponse de la Sorbomie au Parle-
ment. Outrage fait par la Sorbonne à la
mémoire de /'Hôpital , à Buffon , à
Raynal > à Mabli.
D ans le pays des aveugles les borgnes
sont rois. Ce proverbe renferme un grand
sens : il veut dire que lorsqu'il n'y avait
point de philosophes en Europe , les théo-
logiens devaient gouverner les hommes. Ils
étaient pour nos pères à-peu-près ce qu'é-
taient les poulets sacrés pour les Romains.
Ils étaient un peu moins ignorans et plus
adroits que le reste de l'espèce humaine ;
il était tout naturel qu'on les consultât dans
les divers événemens de la vie ; ils passaient
d'ailleurs pour avoir les clefs du paradis et
pour en savoir le chemin. Il n'est donc pas
surprenant qu'où se servît d'eux comme de
conducteurs pour aller jusqu'à la porte.
Les rois et les peuples les interrogèrent
Sorhonne consultée par le peuple. 349
■Souvent : les premiers pour commettre en
conscience de grandes injustîces,et les autres
pour s'empêcher d'en commettre. Il y avait
peu d'artisans qui ne les consultassent pour
régler leur ménage : la moindre discussion
qu'occasionnait dans le fond d'une province
le partage de quelqu'arpens de terre , était
ordinairement terminée par la Sorbonne ;
et pour l'intérêt de la société peut - être
valait-il encore mieux, dans des affaires de
cette nature, s'adresser à un tribunal de cons-
cience , que de se faire juger à grands frais
par un présidial ou par un parlement qui
siégeait à cent lieues des parties plaidantes.
Du tems de Rabelais, les consultations
faites à la Sorbonne étaient très-communes :
il fallait même qu'elles fussent devenues
très-abusives , car, pour en faire sentir le
ridicule , il envoyé Panurge consulter le
théologien Hypodamée pour savoir s'il se
mariera et s'il sera ....
A peu près dans le tems que le curé
de Meudon se moquait de notre Sorbonne
et de ses consultations , Charles - Quint
consultait les théologiens de Salaman-
que : ce n'était point , à la vérité , pour
le morne sujet que Panurge , mais il vou-
35o La Sorhonne consultée
lait savoir si sans pécher on pouvait dissé-
quer un cadavre pour connaître l'organisa-
tion du corps humain. Cette opération ana-
tomique lui paraissait sacrilège et impie.
C'était, comme on voit , un bon catholique
que Charles - Quint : il est bien vrai que
pour faire un cimetière de l'Italie et de
l'Allemagne, il ne consulta que son ain*
bition.
Pescaire qui commandait ses armées en
Italie , était aussi bon catholique que lui.
Il consulta les théologiens pour savoir si
un sujet immédiat pouvait légitimement tra-
Jiir son souverain. Les casuites italiens furent
du sentiment de Pescaire , qui , malgré leur
décision , trahit ensuite sa patrie , après
avoir trahi Charles-Quint.
C'est un fait très-avéré que pour encou-
rager les protestans français à la conjuration
d'Amboise, dont le but était d'enlever le
roi François II, et de faire arrêter les Guise,
on fit venir d'Allemagne une décision de
théologiens protestans.
On sait aussi que Henri VIII , monstre
couronné , s'adressa à la Sorbonne pour
légitimer son divorce aux yeux des Anglais :
4e tous les docteurs aux-quels il fit compter
par les rois. 35 1
de l'argent , il n'y en eut aucun qui ne fût
d'avis que ce roi était en droit de répudier
sa femme avec laquelle il avait habité pert-
dant vingt-ans, pour épouser Anne de Bou-
len dont il avait déjà' défioré la soeur. Ce fut
Thomas Kronck , agent du tyran , qui vint
en France consulter la Sorbonne , et qui , sur
les quittances de ses théologiens, leur déli-
vra l'argent. Ces quittances existent encore
a Londres.
Nos rois appelleront quelquefois la théo-
logie à leur secours. Philippe le Bel la
consulta et s'en servit comme d'une arme
puissante pour résister à l'audace de Boni-
face VIII. Sous l'infortuné Charles VI nous
en eûmes besoin pour purger la France des
exacteurs du pape. Le bon Louis XII, avant
de faire entrer ses armées en Italie , se munit
du suffrage de la Sorbonne. Il craignait que
ses troupes refusassent de faire la guerre
au souverain pontife. La déclaration de la
Sorbonne prévint , à la vérité , quelques
désertions , mais ne put empêcher Louis XII
d'être battu et chassé de l'Italie.
Louis XIV veut-il se permettre l'envahis-
sement de la Franche-Comté , province sur
laquelle il n'avait d'autre droit que celui de
3^2 Scrupules de Louis XIV.
la bienséance ? Il s'adresse aux théologiens
qui mettent en sûreté sa conscience ; et
les armées se mettent en marche. Veut-il ,
après une oppression de cinquante ans ,
fouler encore ses sujets par un impôt désas-
treux , appellé dixième ? Il interroge la Sor-
bonne ; et ses théologiens répondent qu'à
titre de roi , étant maître de tous les biens
du royaume , il était aussi maître d'en pren-
dre le dixième.
Les scrupules de ce roi sont un peu diffi-
ciles à concevoir. Sa conscience , qui s'effa-
rouche lorsqu'il veut , soit enlever aux Es-
pagnols une belle province , soit piller ses
sujets , le laisse tranquille dans le crime
lorsqu'il enlevé la Montespan à son mari ;
et que , pour assouvir l'insatiable avarice et
l'orgeuil effréné de cette femme adultère , il
plonge des milliers de Français dans une
profonde misère.
Le parlement , en 1765 , consulta la Sor-
bonne sur l'inoculation. Il s'agissait de sa-
voir s'il était avantageux à la nation de
donner la petite vérole aux enfans. Les
médecins disputaient avec aigreur. Les deux
tiers des Fi ançais , déclamant contre toute
nouveauté , et ne raisonnant jamais , préten-
daient
Sorbonne consultée. 353
daîent qu'un usage né en Géorgie , au mi-
lieu du mahométisme , pratiqué chez les
Chinois qu'on croit idolâtres , admis par les
Anglais qui sont hérétiques , ne pouvait
être reçu , sans offenser Dieu , par des ca-
tholiques.
L'autre tiers de la nation , instruit par les
philosophes , pensait qu'il n'y avait pas plus
de péché à donner aux enfans une maladie
légère pour en prévenir une cruelle et dan-
gereuse , que de les purger en automne
pour leur assurer une bonne santé pendant
l'hiver.
Le parlement , pour fixer l'incertitude du
public , interrogea la Sorbonne qu'il ne
croyait pas favorable à l'inoculation. Sa
demande n'était pas pour savoir 's'il en ré-
sulterait le bien de l'état, mais pour savoir
si Dieu en était offensé. Sur la réponse de
la Sorbonne, l'inoculation devait être pros-
crite. On était attentif à sa décision ; ce qui
est utile aux hommes , répondit elle , ne
peut déplaire à Dieu.
Les philosophes n'eussent pas répondn
plus sensément. La demande du parle-
ment était puérile , et la réponse de la
Sorbonne fut l'oracle d'une assemblée de
Tome II. Z
354 L'Hôpital outragé.
sages. Cette école donna en ce moment- là
une grande idée de ce qu'elle aurait pu
être en France, si elle n'eût jamais écouté
que la raison. Mais l'outrage que, peu d'an-
nées après, elle prétendit faire à la mémoire
du sage de V Hôpital, détruisit entièrement
cette idée.
Louis XVI lui avait fait élever une statue.
C'était reconnaître, par ce monument, tout
le bien que ce chancelier philosophe avait
fait aux Français pendant sa magistrature.
C'était le remercier d'avoir voulu les em-
pêcher de s'entr'égorger pour des sottises ,
et leur persuader qu'ils devaient vivre en
frères , quelle que fut leur manière de prier
Dieu.
Le jour même que la statue du magistrat
philosophe fut exposée en public , un jeune
orateur, l'abbé Rcmi , célébra son éloge.
L'académie Française , dans une assemblée
solemnelle, couronna le jeune orateur. La
Sorbonne qui , du vivant du chancelier de
Y Hôpital , fut toujours opposée à ses vues
de tolérance , et toujours secrètement liée
avec ses ennemis et les ennemis de l'état ,
condamna cet éloge par une censure fort
amère. C'était tout-à-la-fois condamner et
Philosophes l 'outragés 355
la sagesse de Y Hôpital ,et\e jeune monarque
qui avait ordonne l'érection de cette statue,
et l'orateur qui avait célébré son éloge , et
l'académie française qui l'avait couronné ,
et la voie publique qui applaudissait à l'éloge,
à la statue , à l'académie et à Louis XVI.
Rien ne ressemble tant à Arimane 3 principe
de toute erreur, combattant contre Orojnasei
principe de toute vérité.
Après cet outrage fait à la mémoire de
X Hôpital , la Sorbonne tomba dans un pror
fond oubli. En vain pour en sortir voulut-
elle imprimer une flétrissure à l'immortel
Buffon , à l'immortel Pvaynal, à l'immortel
Mablj . C'est à pure perte qu'elle censura
les ouvrages de ces grands hommes , dont
la France s'honorera éternellement. On ne
fit nulle attention à ses censures. Du mo-
ment que les hommes ont été instruits , elle
a perdu toute l'influence qu'elle avait eue
sur eux. La raison , en enchaînant les pré-
jugés, a pour jamais enchaîné la théologie
sur les bancs de la Sorbonne ; et ia situai
tion de cette école est telle aujourd'hui ,
qu'elle ne peut prolonger son obscure
existence qu'autant que l'assemblée natior
nale ne s'appercevra pas qu'çlie existe.
L'historien Mezerai disait , de son temps,
que la Sorbonne était le concile perpétuel
des Gaules.
Le philosophe Deslandes disait au con-
traire , que la Sorbonne lui paraissait le
corps le plus méprisable qui fût en France.
Entre ces deux portraits, c'est à nos lec-
teurs à choisir , et aux législateurs à pro«
noncer.
357
CHAPITRE LXXI
ET DERNIER.
Résumé de l'Histoire de la Sorbonne.
O N vient de parcourir les annales de la
Sorbonne , et c'est d'après la série des faits
qu'on a exposés , qu'un citoyen peut se for-
mer une idée de ce tribunal de conscience.
Ceux qui gouvernent pourront eux-mêmes
juger s'il est avantageux de le conserver, ou
si, pour la nation et l'utilité de la métropole,
il ne vaudrait pas mieux avoir un collège de
médecine ou de pharmacie qu'une école de
disputeurs qui , dans les affaires d'état , ont
toujours pris le parti des ennemis de l'état.
On a vu les quatre grandes époques de la
défection de la Sorbonne, delà les quatre dé-
nominations flétrissantes sous lesquelles les
historiens en ont parlé : la Sorbonne Bour-
guignone , la Sorbonne Anglaise , la Sor-
bonne Guizarde et Espagnole , enfin , la
Sorbonne Ultramontaine. Sous Louis XIV
et Louis XV ~t elle fut tour à tour Jansé-
Z3
358 Services rendus*
hisi e , Moliniste , et dans tous les temps per-
sécutrice.
Les persécutions qui déposent contre la
Sorbonne sont le bûcher de Jeanne d'Arc >
l'emprisonnement du paëte Marot , la mort
du philosophe Ramus , la rétractation du
docteur à'jEJspence , la condamnation du
sage Chajvn , la déposition du Vertueux
Richer, l'affront, dont elle couvrit Arnaud )
ses Censures contre Descartes , le procès
ridicule qu'elle intenta aux Jésuites au sujet
des Chinois ; enfin , les persécutions que de
ii os jours elle a suscitées à Montesquieu , à
HeU etius , à Rousseau , à Rujfon , à M . Mar-
montel. Oserions-nous demander ce que la
Sorbonne persécutait dans ces hommes de
lettres , dont il n'en est aucun qui n'ait ré-:
pandri en Europe quelqu'étincelle de lu-
mière ? Le citoyen qui éclaire ses sembla-
bles , le philosophe qui travaille à les ren-
dre meilleurs , en les désabusant de leurs
préjugés (1).
Les Français erraient au milieu d'épais-
ses ténèbres . la philosophie a peu-à-peu
dissipé ces ténèbres ; et si cette philosophie
ne fut venue au secours de la France , on y
serait encore à genoux devant les cathé-
par les philosophes. o5y
gorîes & Aiistote : on n'entrerait point au
lit sans la crainte d'être étranglé par des
esprits nocturnes ; la plupart des maris trem-
bleraient encore que le diable ne vînt r
comme le peuple le croyait au commence-
ment du siècle , partager avec eux les embras-
seraens de leurs femmes. La terreur reli-
gieuse fut poussée jusqu'à ce point de stupl*
dite, et les théologiens de Sorbonne, comme
ceux de Coimbre et de Salamanqne , non -
rissaient dans le peuple cette frayeur avilis-
sante , en approuvant les livres qui l'inspi-
raient.
Les temps de la démonomanie , il est vrai
sont passés de mode ; mais à qui en est la
gloire ? Aux philosophes seuls : ce sont eux
qui ont opéré ce pi-odige , en brisant le joug
affreux de la superstition sous lequel les
Français avaient le cou entièrement ployé,
pour ne leur laisser que le joug doux , léger
et adorable de la religion. Ils sont les con-
seillers penseurs de l'état , et il importe que
dans un état il y ait beaucoup de ces conseil-
lers penseurs.
Un lecteur impartial peut actuellement
juger lesquels en France , des théologiens
ou des philosophes , méritent l'estime pu-
Z4
36o Philosophes à protéger.
blique et avec cette estime la protection du
gouvernement. Le problême sera aisé à ré-
soudre , si l'on a égard àl'uttilité des uns et
au mal qu'ont produit les autres. La gloire
d'une nation ne vient pas de ceux qui enchaî-
nent la pensée et la raison , mais bien du
petit nombre de ceux qui la cultivent : s'il en
était autrement , l'Espagne et le Portugal ,
les deux dernières des nations en Europe x
par l'abrutissement où les préjugés les tien-
nent plongées , seraient les deux premières en
considération et en gloire ; car nulle part , il
n'y eut autant de théologiens , autant d'in-
quisiteurs , et aussi peu de philosophes (a).
Considerera-t-on les théologiens relative-
ment à la société ? On avouera que par leurs
controverses , ils en ont fait une espèce de
coupe-gorge. Il n'est aucune contrée en Eu-
rope que leurs schismes n'aient divisée et
troublée ; il en est même beaucoup qu'ils
ont ensanglantées. C'est pendant ces guerres
de religion que les philosophes disaient ,
tantôt hautement , tantôt à voix basse :
« Frères , vivons en paix ; il est absurde de
» s'entr'égorger pour des surplis de linon et
w de se battre pour la grâce versatile ou pour
>» la bulle Vnigenitus. Il importe peu à Dieu,
Utilité des philosophes. 36 1
» dont vous êtes tous les enfans , que vous
t> mangiez son verbe sous une ou deux es-
5» peces ; qu'en sortant du lit, vous le remer-
» ciezenlatin ou en français; que voudrai fas-
» siez la révérence du pied droit ou du pied
5> gauche ». A force de répéter ces vérités ,
les philosophes se sont fait entendre , et à
peine les a-t-on entendus 3 que les peuples
ont rougi de s'être égorgés pour des bille-
vesées.
Si vous considérez les théologiens relati-
vement à la religion , vous verrez que ce
sont eux qui ont travesti nos ministres en
sujet de disputes et de haines interminables.
Les philosophes , au contraire , en ont fait
des objets de respect et de silence. « Ado-
» rons, ont-ils dit , ce que la faible intelli-
33 gence humaine ne peut comprendre, & ne
33 disputons pas : car toute dispute produit
33 les injures et éteint la charité.
Cen'est point en effet en disputant , comme
on a fait si long-temps, et en s'injuriantsur la
grâce , qu'on peut plaire à Dieu. Le philo-
sophe , qui se confond en adorant ce Dieu
juste- et bon , lui est plus agréable que tous
ces hyérophantes Milanais , Castillans , Lu-
sitaniens , Bataves , Gaulois , qui argu-
$6i
mentent pour savoir qui il est, comment
il est , et qui , dans le délire de leurs argu-
mens , osent tout à la fois scruter la ma-
nière dont il départ ses dons , et poser des
bornes étroites à sa toute bonté.
Fin de l'Histoire de la Sorbonne.
NOTES
DU SECOND VOLUME.
Chap. 38 (1) , pag. 16 , Mènerai dit : « le menu peu*
w pie qui , plus il est ignorant , plus il veut se mêler des
»> affaires de la religion ; s'échauffait afTez de lui-même.
» Les directeurs & les confesseurs animaient les bour-
»geois, qui étaient simples 6k crédules , par le moyen
j» des confessions & par la persuasion de leurs femmes;
»& les entretenaient par des congrégations, des con->
« frairles , des paradis ou oratoires qu'ils paraient d'ar-
» genterie , d'images & d'agnus dei > & par des procès*
» sions qu'ils fesaient venir de Brie , de Champagne et
» de Picardie : elles entraient dans Paris , vCtnes dé
j) toiles blanches, ce qui fit nommer cette année-lai
» Vannée des processions blanches ?».
Chap. 44 (1) , pag. 3 , quelques auieurs ont pré->
tendu que ce fut le docteur Guerin qui prit pour texte de
son sermon , ce mot guerra & qu'il le répéta trois fois:
nous n'avons pas le tems d'éclaircir ce fait, qui e;1 ,
comme on peut en juger , l'un des plus imporrans de
l'histoire des c^rJeliers : nous le soumettons , comme
de rnisor . • érudirs dé l'ordre : ce qu'en attendant
on peut a,s ur«r , c'tft que le docteur Guarinus ne lé
364 NOTES.
cédait point en fanatisme à son confrère le docteur
Pignarol : nous ajoutons qu'ils étaient l'un & l'autre
Savoyards d'origine , et de leurs métiers l'un et l'autre
çordeliers prédicateurs et théologiens.
Chap. 46(1), pag. 79. Les délibérations en Sor-
bonne étràcnt ordinairement précédées d'un repas. Lors-
que les docteurs avaient la tête échauffée , ils fesaient
leurs décrets. C'est cet usage qui mit pendant long-
tems à la mode ces manières proverbiales de parler:
boire forboniquement , pour dire s'enyvrer. Vin forboni'
que , pour du mauvais vin ; décider après boire , voulant
dire, imiter la Sorbonne.
On trouve dans ï'antichopinus , qui est un écrit
burlesque de ces tems malheureux. Chopinare efl unus
gradus ad magistro nostrandum in Surbond. Pour passer
maître en Sorbonne il faut savoir boire.
Chap, 6S (1) , pag. 328. Le crime de Sélisaire , aux
yeux des théologiens , efl d'avoir dépouillé le pape
Silvtre de la simarre sacerdotale , de l'avoir revêtu d'un
sac de palfrenier , de l'avoir jetté dans un cul-de-basse-
fosse , éc d'avoir vendu la papauté quatre cents marcs
d'or au sotidiacre Vigile.
On ne discutera point la vérité de ces faits reprochés
à Béliidire. Mais on doit observer que dans le pontife
Silvere ce général punissait un traître qui avait des
intelligences avec les ennemis , & que l'or du soudiacre
Vigile fut utilement employé à soudoyer des armées qui
at*êî£rent des barbares, lesquels , dans leurs impétueux
NOTES. 365
débordement , menaçaient de renverser l'empire & le
sacerdoce.
Crftp. 69(1), pag. 341. Xaca fut dans le Japon ce
que Laokium fut dans la Chire ; Foi , dans \t Thibet;
& ce que , deux mille ans après , Mahomet fut en Arabie ;
l'envoyé de Dieu aux yeux de l'ignare vulgaire , &
un insigne charlatan aux yeux des philolosophes.
Chap. 71 (1), pag. 358. Ce n'est point seulement
dans les deux derniers siècles que la Sorbonne a per-
sécuté les hommes de lettres: « Les théologiens du
» tems passé , dit SUïdan , ont toujours été en posses-
» sion de faire la guerre aux gens doctes , et la raison
» en est qu'ils voient leurs âneries découvertes et mé-
» prisées » : est hoc omninb inscitum superioris <ztaùs
theologis , ut vires doctos exag'uent. Hujus autem rei
causa est quod inscitiam suam vident esse desptetam. Lib. V,
pag. 84.
Et ailleurs : « il n'y eut jamais homme de bien et de
»> savoir qui n'ait été tourmenté d'eux ». Omnes omnium
temporum viros bonos et eruditos ab ipjis perpetub fuisse de-
vexatos. Id. lib. a, p. 27 , ann. 1720.
Pourquoi cette longue querelle entre les philosophes
et les théologiens ? Le voici : les sages , les hommes
instruits de tous les pays ont dit aux doctes de la Sor-
bonne , et à tous les théologiens du monde : parlez
clairement ; parlez raisonnablement , & nous vous
croirons. « Il ne s'agit pas ici de raison , ont toujours
366 NOTES.
v répondu les théologiens ? Il n'eft pas non plus question
j> de comprendre ce que nous enseignons , mais il eft
»> question de croire quand nous parlons , et sur-tout
» de ne pas raisonner ».
C'eft à-peu-près ce qu'en 1663 disait , en parlant de
religion, le bon Godeau, évêque de Vence , dans un
poëme en l'honneur de la Sorbonne.
Ne vouî étonnez pas d'y trouver des épines ;
Ne pensez pas percer les ténèbres divines.
Admirez Az la nuit l'obscure profondeur:
Par son obscurité jugez de sa splendeur.
Chap. Id.(2), pag 360 C'est, en vérité, un pays
bien misérable que ccluioù les peuples ne peuvent penser
et parler sans l'agrément des moines et des théologiens.
Ces peuples , me dira-t-on , sont heureux. Quoi! le
bonheur consisterait-il il à ne pas sentir sa dégradation ?
Ce seroit le bonheur de l'esclavage. Disons plus , ce
seroir le bonheur de la bête de somme qui, contente de
rentrer dans son écurie , en voyant quelques chardons
dans sa mangeoire, oublie & le pesant fardeau sous
lequel elle vient de succomber , & les sentiers sca-
breux où elle a passé , & les coups de bâton dont on
l'a assommée pour la faire marcher. L'homme n'eft vé-
ritablement homme que par l'exercice de sa pensée & le
développement de toutes ses facultés intellectuelles.
Qu'ils sont donc coupables ! qu'ils sont à craindre ,
ces charlatans qui ont ainsi avili l'espèce humaine! ils
en ont agi envers les hommes à-peu-près comme des
bateleurs de foire en agiraient à l'çgard d'un troupeau.
NOTES. 36;
de singes qu'après avoir bien emmuselés , ils feraient , à
coups d'étrivières , mettre à genoux , joindre les mains,
et marmoter entre les dents des mots qu'ils ne com-
prendraient pas. C'eft aux philosophes , malgré les
criailleries des prêtres et de l'ignorance , à rappellcr
les singes , leurs camarades , à la dignité d'homme , à
l'état d'être pensant.
A propos de bateleurs de foire , je demande pardon
à mes lecteurs d'avoir parlé peu respectueusement des
Portugais et des Espagnols. J'avoue qu'on peut les
compter parmi les nations qui chantent, qui dansent,
qui digèrent , qui se battent & qui font très-bien
l'amour. Mais , en vérité , peut-on les mettre dans le
petit nombre des nations Européennes qui cultivent
leur pensée , et font chaque jour un pas vers le dernier
degré de civilisation , c'eft à-dire , vers la liberté. C'est-
ià le but unique du progrès de lumières.
Patience: le tour des Espagnols viendra ; la raison,
qui voyage en poste de la France dans tous les coins de
l'Europe , partit le mois passé pour se rendre en Espa-
gne ; arrivée sur les frontières , elle s'arrêta tout-à-coup
un peu effrayée des hurlemens que , dans la crainte
d'être étouffés , poussaient deux monstres épouvan-
tables, la superstition & le despotisme. La raison n'osa
entrer en Espagne; elle eut peur d'aigrir la férocité
de ces deux monstres, mais je la vis gravir les Py-
rennées & planter sur le plus haut de ses monts un
jalon , au bout duquel elle arbora la cocarde de la
liberté.
Je vis en même tems de braves Catalans, des Mur-
ciens , dés Navarrois , des Andalousiens , des Canta-
363 NOTES.
bres , des Castillans regarder cette cocarde avec admi-
ration , et se dire entr'eux : ma foi elle est fort belle !
puisqu'elle eft fi belle , s'écrie un fier Catalan , que ne
la prenons-nous ? Et tous les autres à l'envi s'écrièrent
en chorus, que ne la prenons-nous I
Après ce premier élan d'une ame qui commence à
penser et à rougir de son esclavage , je les vis jetter
loin d'eux l'ignominieux bâillon que depuis trois siècles
d'infâmes inquisiteurs leur tiennent à la bouche.
Ce que je crains pour les Espagnols , c'est qu'en
quittant leur bâillon, ils ne prennent le mords aux dents.
Fin des Rotes du second volume.
TABLE.
369
TABLE
DU SECOND VOLUME,
Chapitre XXXVIII.
IjA Sorbonne dégrade Henri III. Extrava-
gance des Parisiens. Emprisonnement du
parlement. Procédure criminelle contre
Henri III. Excès des prêcheurs. Exhor-
tations aux Parisiens. Page 1
Chapitre XXXIX.
Nouveau décret de la Sorbonne contre
Henri III. Sixte V F exco?nmunie . Ha-
rangue à la Sorbonne. 17
Chapitre XL.
Henri III assassiné par un moine domini-
cain. 2,6
Chapitre XLI.
Décret de la Sorbonne contre Henri IV.
Royauté du cardinal de Bourbon. Con-
fession de Givri. 33
Tome II. Ji. a
TABLE.
Chapitre X L I I.
Nouveau décret de la Sorbonne contre
Henri IV. Blocus de Paris. Famine. Hor-
reurs. Montre des gens d' armes de V église
(nilitante. Du docteurRose. Page 4°
Chapitre XLIII.
.Henri IV excommunié de nouveau. Les li-
gueurs et la Sorbonne offrent à Philippe
II la couronne de France. 5o
Chapitre XLIV.
Gondi , évêque de Taris , refuse de signer
le décret de la Sorbonne. Magistrats
pendus. Requête de la Sorbonne à
Mayenne. 5$
Chapitre XLV.
États de Paris. 6$
Chapitre XL VI.
Révolution préparée en France par les hom-
mes de lettres. Fragmens de la satyre
Ménippée. j5
Chapitre XLVII.
Censure de la Sorbonne. Abjuration de
TABLE. 37 1
Henri IV. Lettre d'un docteur de Sor'
bonne. P;lSe
Chapitre XLVIII.
Démonologie de la Sorbonne. Barrière
écartelé. »5i
Chapitre XLIX.
Travaux des hommes de lettres pour désa-
buser le peuple. Ligueurs , parlement et
Mayenne épouvantés. Procession à sainie-
Genevieve. Entrée de Henri IV à Paris.
Emportement d'un prédicateur. i3i
Chapitre L.
Dispersion et châtiment des fanatiques*
Procès contre les jésuites. Singulier décret
de la Sorbonne. Henri IV assassiné. Jé-
suites chassés. 189
Chapitre L I.
Menaces d'un patriarchat en Finance. Henri
IV absous à Rome. Thèses séditieuses en
Sorbonne. Le docteurFx-Ose condamné à
V amende honorable. i5 |
Chapitre L I I.
Gouverneurs mercenaires. Jésuites rétablis.
A a a
37a TABLE.
Du docteur Tournebroche. La Sor-
bonne réprimandée de nouveau par le
parlement. page 164
Chapitre L I I I.
Du docteur Charron. Du JésuiteMaxiana. et
de Ravaillac , assassin de Henri IV. 1 69
Chapitre LIV.
De Richer , syndic de la Sorbonne , et des
persécutions que ce vertueux citoyen es-
suya. D'un carme , faiseur de miracles.
179
Chapitre LV.
Tour abominable du P. Joseph , capucin.
Décret insensé de la Sorbonne. Faiblesse
et mort de Richer. 195
Chapitre LVI.
Vanini condamné en Sorbonne et brûlé à
Toulouse. Trois caymistes condamnés en
Sorbonne et bannis par le parlement de
Taris. 201
Chapitre LVII.
L'abbé de saint-Cyrun emprisonné. Arnaud
chassé de Sorbonne et vengé par Pascal.
Sottise du formulaire. 209
TABLE. 573
Chapitre LVIII.
Alexandre VII condamne la Sorbonne. Le
parlement condamne Alexandre VII.
page 22a
Chapitre LIX.
Querelle de la maison de Sorbonne avec les
comédiens. 235
Chapitre LX.
De Descartes et de la condamnation de sa
doctrine en Sorbonne. zZj
Chapitre LXI.
De Marie Agreda et de ses visions proscrites
en Sorbonne. i\\
Chapitre LXII.
Les Récolets et les Hurons au tribunal de
la Sorbonne. 247
Chapitre LXIII.
Les Jésuites et les Chinois condamnés par
la Sorbonne. u.5i
Chapitre LXIV.
De la bulle Unigenitus en France , tour-à-
374 TABLE.
tour reçue et 7-ejettée en Sorbonne. Du
Docteur Grand-Colas. page 264
Chapitre LXV.
Du czar Pierre en Sorbonne et de l'envoyé
de Sorbonne en Russie. 284
Chapitre LX VI.
Du diacre Paris : des miracles qu'iljit dans
un cimetière et dans les galetas. Conver-
sion merveilleuse d'un conseiller au par-
lement. 296
Chapitre LX VII.
Montesquieu jugé par la Sorbonne. Buffon
menacé. Encyclopédie. Déisme soutenu:
en Sorbonne. $17
Chapitre L X V 1 1 I.
De Bélisaire et de M. Marmontel , l'un et
l'autre jugés en Sorbonne. 328
Chapitre LXIX.
Des approbations de la Sorbonne. 34o
Chapitre L X X.
Des consultations faites à la Sorbonne.
Sage repense de la Sorbonne au parle-
TABLE. 375
ment. Outrage fait par la Sorbonne à la
mémoire de l'Hôpital , à BufTon , à Ray-
nul , à Mabli , etc. PaSe ^4^
Chapitre LXXI et dernier.
Résumé de l'histoire de la Sorbonne. 35y
Fin de la Table du second Volume.