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Full text of "Histoire de la Sorbonne : dans laquelle on voit l'influence de la théologie sur l'ordre social"

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PIIHCHTOIJ  *\ 


THÏOLOGICAL  , 


Ç56) 


Division..' 
Section.. 

No  — 


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in  2014 


https://archive.org/details/histoiredelasorb02duve 


HISTOIRE 

D  E 

LA  SORBONNE. 


... 


HISTOIRE 

D  E 

LA  SORBONNE; 

DANS 

laquelle  on  voit  l'influence  de  la  Théologie 
sur  l'ordre  social. 

TOME  SECOND. 

Opinionum  commenta   delet  dits  ,  naturœ  judicia  confirmât. 

Cic.  de  nat.  deorum.  lib.  i. 

Par  M.  l'abbé      D  U  V  E  R  N  E  T. 


A  PARIS. 
Cher  Buisson  ,  hôtel  Coetlosquet ,  rue  Haute-feuille* 


1790. 


HISTOIRE 

D  E 

LA  SORBONNE. 

TOME  SECOND. 


CHAPITRE  XXXVIII. 

La  Sorbonne  dégrade  Henri  III.  Extra-  1589. 
.vagance  des  Parisiens.  Emprisonnement 
du  Parlement.  Procédure  criminelle  contre 
Henri  HT.  Excès  des  prêcheurs.  Exhor- 
talioji  aux  Parisiens. 


X-.es  ligueurs  épouvantes  et  sans  chef,  ont  Décret  de 
recours  à  la  Sorbonne':  c'est  à  ce  tribunal  la  ^J*500" 
de  conscience  à  diriger  leurs  démarches.  Ils   17  janv. 
lui  demandent ,  par  une  reqtiêtt!  ,  le  parti 
qu'ils  ont  à  prendre,  et  la  Sorbonne  répond 
à  leur  demande  en  déliant  les  Français  du 
serment  de  fidélité  ,  en  les  autorisant  à 
prendre  les  armes  contre  Henri  de  Valois  : 
elle  approuve  comme  légitimes  tous  ies 
Tome  II,  A 


2  Les  Parisiens  égarés 

moyens  de  défense.  L'assassinat  n'en  est  pa« 
exclu.  Le  décret  de  la  Sorbonne  devient 
une  règle  de  conduite  pour  les  confesseurs  , 
pour  les  prédicateurs  ,  et  pour  le  peuple  qui , 
quand  il  n'est  pas  instruit,  ou ,  ce  qui  est  en- 
core pire,  quand,  il  est  mal  instruit ,  se  laisse 
toujours  mener  en  aveugle, et  par  ceux  qui  le 
prêchent ,  et  par  ceux  qui  le  confessent. 
Les  suites  du  décret  de  la  Sorbonne  furent 

Extrsvs- 

gances  des  affreuses.  Le  peuple  ,  dans  son  égarement , 
Parisiens.  6e  cro[t  tout  permis.  On  couvre  de  boue  , 
on  mutile  les  statties  de  Henri  III  ;  ses  armes 
et  ses  écussons  sont  foulés  aux  pieds  :  on 
brise  ses  sceaux.  Les  cordeliers  et  les  jaco- 
bins avaient  dans  leurs  maisons  Henri  III 
en  peinture.  Les  premiers  lui  cliaufourent 
le  visage  ,  et  les  dominicains  lui  coupent  la 
tête.  Les  augustins  livrent  son  portrait  à  la 
populace  ,  qui  le  traîne  ignominieusement 
dans  les  mes.  Les  mausolées  de  marbre  qu'jl 
a  élevés  à  Saint-Maigrin  ,  à  Qitelus ,  à  Mau- 
giron  sont  renversés  ,  et  leurs  tronçons  dis- 
persés. L'université  mène  ses  écoliers  à 
Sainte -Geneviève  en.  procession  :  chaque 
enfant  ,  en  entrant  dans  l'église ,  renverse 
son  cierge ,  l'éteint  avec  le  pied  en  criant  : 
Dieu  éteigne  la  mce  des  Valois.  Des  figures 
de  cire ,  représentant  Henri  III,  sont  placées 


par  la  Sorbonne.  3 
sur  l'autel  pendant  la  messe.  Le  prêtre  , 
mêlant  aux  paroles  mystérieuses  de  la  con- 
sécration ,  des  évocations  abominables  ,  fait 
chaque  jour  une  piquure  à  ces  représenta- 
tions ;  et  le  quarantième  jour  il  les  pique  au 
cœur ,  espérant  par  cette  sacrilège  momerie 
envoûter  ,  c'est-à-dire  ,  faire  mourir  le 
Valois.  Les  fureurs  qui  agitent  les  Parisiens 
se  répandent  dans  toutes  les  provinces.  Tou- 
louse ,  après  Paris ,  fut  la  ville  qui  se  signala 
davantage  par  ses  emportemens  :  l'effigie  de 
Henri  III  y  fut  pendue  à  un  gibet ,  ensuite 
traînée  dans  les  rues  ,  tandis  que  le  peuple 
égaré  criait  :  à  cinq  sous  notre  tyran. 

Point  de  couvens  ,  point  d'associations  , 
point  de  confrairies  qui  ne  rendent  des 
devoirs  funéraires  au  duc  et  au  cardinal  de 
Guise.  Le  tableau  de  leur  mort  est  exposé 
dans  les  églises  à  la  vénération  des  peuples. 
Les  prédicateurs  ne  parlaient  de  ces  deux 
séditieux  que  comme  de  deux  martyrs.  Les 
chaires  retentirent  souvent  de  ces  paroles  : 
ô  saints  et  glorieux  martyrs  !  béni  soit  le 
ventre  qui  vous  a  portés  ,  et  les  mammelles 
qui  vous  ont  allaités.  A  Toulouse  on  leur 
érigea  deux  statues  qu'on  plaça  aux  portes 
d'une  église  ;  on  les  faisait  pleurer  ,  et  le 

A  x 


4         Parlement  mis  à  la  Bastille. 

peuple  imbécille  ,  à   gejioux  devant  ce» 

statues  ,  les  embrassait  et  les  invoquait. 

La  mère  et  la  sœur  des  Guise  assassinés 
demandent  à  grands  cris  vengeance  aux 
Parisiens  :  enlonghabit  de  deuil  elles  avèrent 
de  maison  en  maison  ,  de  couvent  en  cou- 
vent solliciter  cette  vengeance.  Le  parlement 
la  refuse  ;  mais  le  duc  d"  Au  maie  ,  le  décret 
de  la  Sorbonne  à  la  main,  veut  le  forcer  à 
déclarer  la  guerre  à  Henri  de  l  aîois.  La 
Sorbonne  ,  l'organe  des  seize,  décide  qu'on 
peut  se  saisir  de  douze  magistrats.  Deux 
seize  ,  escortés  d'une  trentaine  de  satellites  , 
parmi  lesquels  étaient  des  prêtres  et  des 
moines  déguisés  ,  en  cuirasse  et  le  pistolet  à 
la  main  ,  ayant  à  leur  tête  Bussi  le-clerc ,  se 
rendent  à  la  grand-chambre.  Bussi  fait  la  lec- 
ture du  nom  de  ceux  qui ,  dit-il ,  sont  mandés 
à  la  maison-de-ville  :  à  peine  eut-il  nommé 
le  président  du  Harlai  que  tous  les  conseil- 
lers se  lèvent  :  il  leur  ordonne  de  descendre 
de  leur  siège  et  de  le  suivre.  Il  les  mène  à 
la  Bastille  à  travers  une  populace  qui ,  égarée 
par  ses  théologiens  ,  les  suit  en  tumulte ,  les 
chargeant  d'injures  et  de  malédictions. 

Le  jésuite  Commolet  leur  fut  donné  à  la 
Bastille  pour  le?  prêcher.  Le-,  ligueurs  relâ- 
chèrent les  magistrats  imbécilles  ou  fana- 


Requête  contre  Henri  III.  5 
tiques  qui  pouvaient  les  seconder.  Les  mai- 
sons de  ceux  qu'ils  retinrent  prisonniers 
furent  pillées,  et  s'il  faut  en  croire  les  mé-. 
moires  du  tems  ,  plusieurs  docteurs  de  Sor- 
bonne  eurent  part  au  butin. 

Un  nouveau  parlement  fut  créé  ,  et  le 
faible  Brisson  voulut  bien  en  être  le  premier 
président.  L'un  des  premiers  attenta  s  de  ce 
parlement  fut  de  recevoir  le  peuple  et  les 
héritiers  des  Guise  parties  contre  Henri  III. 
La  requête  qu'ils  présej itèrent  porte  :  «  que 
»  Henri  de  Valois ,  dit  le  Tessa Ionien ,  pour 
»  raison  de  l'assassinat  commis  ès  illubtris- 
»  slmes  personnes  de  messietirs  les  duc  et 
»  cardinal  de  Guise ,  sera  condamné  à  faire 
s»  amende  honorable  ,  tête  et  pieds  nus  ,  la 
P>  corde  au  cou  ,  une  torche  ardente  à  la 
3>  main  ,  assisté  du  bourreau,  les  genoux  en 
33  terre  ;  il  déclarera  à  l'assemblée  des  états , 
7*  à  tort  et  sans  raison  ,  avoir  commis  cet 
x>  assassinat;  il  demandera  pardon  à  Dieu, 
3>  à  la  justice  et  aux  états-,  sera  déclaré  in- 
<»  digne  de  la  couronne  de  France  ;  sera 
v»  banni  et  confiné  à  perpétuité  au  couvent 
pi  des.  hièronimîtes  de  Vincenncs  ,  pour  y 
»  jeûner  au  pain  et  à  l'eau  le  reste  de  ses 
>  jours  ,  et  que  pour  salaire  d'un  si  mauvais 


6  Serment  de  l'union. 

>»  acte  on  dise  de  lui,  rcx fuit,  nunc  asinus  i 
33  il  fut  roi ,  il  n'est  plus  qu'un  âne  33. 
$0  Janv.  La  cour  des  pairs  fut  convoquée  en  par- 
lement :  chaque  membre  de.  cette  assemblée 
jura  de  venger  le  sang  des  Guise.  Ce  jure- 
ment fut  appellé  le  serment  de  V  uni  on.  On 
en  dressa  un  formulaire  que  trois  cent  vingt» 
•  six  fanatiques  souscrivirent. 

Le  lendemain  de  ce  serment  le  parlement 
ordonna  ,  à  la  requête  de  Catherine  de 
C fèves  ,  l'instruction  du  procès  contre  l'as- 
sassin du  duc  de  Guise.  Cette  instruction 
fut  imprimée  ,  et  pour  qu'elle  en  imposât  au 
sot  peuple  ,  elle  fut  revêtue  de  l'approbation 
de  deux  docteurs  de  Sorbonne. 

Le  rapport  des  deux  commissaires  nommés, 
Michou  et  Courtiii  ,  fut  contre  Henri  III* 
Le  procureur-général  Mdté conclut ,  dit-on, 
conformément  à  leur  rapport.  On  ignore  la 
teneur  de  l'arrêt  :  on  ne  sait  même  s'il  fut 
rendu.  Les  feuillets  des  registres  du  par- 
lement furent  déchirés.  Ce  qui  est  vrai,  c'est 
que  cette  procédure  fut  précipitée.  La  cohue 
du  nouveau  parlement  n'était  pas  moins 
furieuse  y  dit  le  Grain,  que  les  prédicateurs. 

Tandis  que  le  parlement  jugeait  son  roi , 
les  ligueurs  faisaient  une  enquête  de  sa  vie 


Enquête  contre  Henri  III.  7 
privée.  On  dressa  un  procès-verbal  de  tous 
les  faits  absurdes  qu'on  put  recueillir  contre 
lui  ;  et  lequel  procès-verbal  fut  signé  do 
plusieurs  docteurs  de  Sorbonne  ,  entr'autres 
du  docteur  Génébrard ,  malheureux  prêtre 
ou  moine  dont  nous  parlerons  dans  la  suite. 

Pendant  ces  jours  d'anarchie  en  France  , 
Henri  III  et  les  ligueurs  avaient  leurs  en- 
voyés à  Rome.  Les  uns  et  les  autres  étaient 
prosternés  aux  pieds  de  Six  te  V.  Les  uns , 
au  nom  de  Henri  III ,  lui  demandaient  und 
absolution  du  meurtre  du  cardinal  de  Guise  ; 
les  autres ,  en  lui  montrant  le  décret  de  la 
Sorbonne  ,  le  sollicitaient  d'excommunier 
le  Valois. 

C'est  en  attendant  cette  excommunication 
que  les  ligueurs  exposaient  aux  yeux  du  pu- 
blic  des  tableaux  infâmes  contre  Henri  III. 
Les  uns  le  montraient  dans  l'attitude  d'un 
homme  flagrant  de  luxure  ;  les  autres  sous 
l'accoutrement  d'un  sorcier  qui  fait  des  évo- 
cations magiques.  Enfin  on  en  voyait  où  il 
était  représenté  en  pentalon  ,  velu  d'une 
longue  tunique  parsemée  de  diables.  On 
anagrammatisait  son  nom  de  vingt  manières  ; 
on  y  trouvait  crudelis  //jenna.  Les  uns  y 
voyaient  vilain.    Uerodes  ,    et  les  autres 

A  4 


8  Lincestre  calomniateur, 

dehors  le  vilain.  "Tous  les  écrits,  totis  les 
sermons  étaient  ornés  de  ces  anagrammes. 
La  scélératesse  des  prêcheurs  enchérissait 
encore  sur  1rs  rumeurs  populaires.  C'était. à 
l'envi  qui  dégorgerait  plus  d'impostures 
contre  ce  roi  infortuné.  Un  sermoneur,  en 
prêchant  les  déportemens  du  V dois ,  pré- 
tendit qu'il  était  un  Turc  par  la  tele  ,  une 
Jiarpie par  les  mains ,  et  un  diable  en  l  ame. 

Le  docteur  Lincestre ,  surnommé  le  dé- 
jnoniaque ,  se  distingua  par  des  excès  dont 
on  ne  trouve  point  d'exemple  dans  l'histoire 
d'aucun  peuple.  Le  mercredi  des  cendres  il 
annonce  à  ses  auditeurs  qu'il  ne  parlera  point 
de  l'évangile  du  jour  ,  mais  des  gestes  abo- 
minables du  tyran  de  Valois.  Il  s'étendit  fort 
au  long  sur  le  culte  que  ce  tyran  rendait  aux 
faunes  et  aux  satyres.  Les  figures  de  ces 
divinités  pnyennes  ,  gravées  sur  des  chan- 
deliers ,  lurent  le  fondement  de  cette  ca- 
lomnie abominable.  Il  so/lit  l'un  de  ces 
chandeliers,  et  montrant  à  ses  stupides  au- 
diteurs les  satvres  qui  y  étaient  cizelés  :  voilà, 
dit  le  docteur  Lincestre  ,  voilà  ses  dieux  ; 
c'est  ceux-là.  qu'il  adore  et  qu'il  invoque. 
Ce  chandelier  était  un  des  ornemens  ia 
chapelle  de  Vinçonnet;  que  les  ligueur*  avaient 


Lincestre  séditieux.  r> 
pillée  ,  et  que  pendant  tout  le  carême*  les  pré- 
dicateurs montrèrent  tour-à-tour  au  peuple. 

C'est  ce  même  docteur  de  Sorbohue  qui , 
après  la  mort  des  Guise ,  donna  le  premier 
le  signal  de  la  révolte.  Il  prêchait  à  Saint- 
Bartheîemi  ;  et  après  avoir  dépeint  le  Valois 
comme  un  Tyran  ,  un  homicide  ,  un  barbare  , 
un  magicien,  dont  on  devait  se  délivrer  ,  fît 
jurer  à  ses  auditeurs  ,  pour  guerroyer  le 
Valuis ,  d'employer  jusqu'au  dernier  denier 
de  sa  bourse ,  ot  de  verser  jusqu'à  la  dernière 
goutte  de  leur  sa;  g.  Il  termina  cette  atroce 
philippique  en  criant  :  ce  jurez-le  tous  avec 
v>  moi  ,  et  levez  la  main  en  s;gne  de  votre 
m  serment.  Levez  aussi  la  main  ,  M.  le  presi- 
»  dent ,  et  levez-la  bien  haut ,  afin,  que  tout 
»  le  monde  la  voie  ». 

Ce  président  était  le  sage  du  Hurlai  ;  aux 
cris  du  fanatique  prêcheur  ,  il  leva  la  main. 
Pardonnons-lui  cette  faiblesse  que  son  cœur 
désavouait.  Mais  au  lieu  de  Lever  la  main  , 
il  eût  été  grand  à  lui  d'élever  la  voix  ,  d'op- 
poser la  sainteté  des  loix  aux  maximes  in  r- 
nales  de  la  Sorbonne  prèchées  par  ce  mal- 
heureux docteur  qui  avait  Mni  de  fois  désho- 
noré le  tribunal  de  la  vérité  pur  d'abomina- 
bles mensonges. 


ïo  Femmes  et  filles  violées. 

Tandis  que  les  prêtres,  à  leur  gré  ,  échauf» 
fant  et  maîtrisant  l'imagination  du  peuple  , 
l'excitaient  à  la  vengeance  et  au  désordre  , 
Mayenne  vint  à  Paris.  Les  seize  scélérats 
qui  y  donnaient  la  loi  lui  déférèrent  d'abord 
le  titre  de  lieutenant-e;énéral  de  la  couronne 
de  France  ;  le  parlement  le  lui  confirme. 
Mayenne  eût  désiré  le  titre  de  roi  ;  la 
fougueuse  duchesse  de  Montpensier ,  sa 
sœur  ,  le  pressait  à  le  prendre  ;  mais  il  n'en 
eut  pas  le  courage  :  il  attend  tout  des  évè- 
nemens  qu'il  ne  sait  ni  préparer  ni  diriger. 
Il  souffre  pourtant  qu'on  expose  publique- 
ment son  portrait ,  avec  une  couronne  impé- 
riale sur  la  tête. 

Les  deux  rois  de  France  et  de  Navarre  mar- 
chent à  Tours  :  c'est  là  qu'ils  doivent  ci- 
menter cette  union  qui  fit  le  salut  du  peuple 
français ,  et  dont  Sulli  avait  été  le  médiateur. 
Mayenne  ,  le  duc  et  le  chevalier  àtAumale 
accourent  pour  prévenir  la  jonction  des  deux 
rois,  mais  déjà  ceux-ci  étaient  maîtres  de 
Tours.  Mayenne  et  à'dumale  s'emparèrent 
des  fauxbourgs  ;  les  cruautés  qu'ils  y  exer- 
cèrent font  frémir  l'humanité  :  les  femmes 
et  les  filles  y  furent  violées  ,  les  églises  dé- 
pouillées et  polluées  ,  les  catholiques  pillés 


Discours  contre  la  Sorbonne'.  lï 
et  massacrés  ;  à'Aumale  força  dans  un  gre- 
nier un  enfant  de  douze  ans ,  lui  tenant  un 
couteau  sur  la  gorge. 

Après  cette  terrible  expédition  d  e  brigands , 
îls  se  replièrent  sur  Paris  ,  dont  ils  dévastè- 
rent les  alentours  ,  exterminant  tous  ceux 
qu'ils  soupçonnaient  être  du  parti  du  roi  ; 
par-tout  où  ils  passèrent ,  ils  laissèrent  les 
traces  du  carnage  ,  du  sacrilège  ,  et  de  la 
débauche  la  plus  honteuse. 

Le  discours  dont  nous  allons  transcrire 
l'abrégé  donnera  à  nos  lecteurs  une  idée 
des  calamités  déplorables  de  ces  tems-là  , 
et  nous  fera  connaître  l'une  des  principales 
sources  de  ces  calamités. 

«  C'est  à  vous  ,  catholiques  de  Paris  ,  ca- 
y>  tholiques  rebelles  qui  marchez  sous  la  ban- 
jo nière  de  Lorraine  et  de  l'Espagne  ,  que  je 
a»  m'adresse. 

w  Pauvres  misérables ,  de  quelles  fureurs 

»  êtes-vous  agités  ?  Je  ne  vois  qu'avec 

»  dépit  les  infamies  que  vos  prédicateurs 
s»  dégorgent  contre  votre  roi.  La  chaire  sert 
»  aujourd'hui  de  degrés  pour  se  venger  de 
►»  ses  ennemis.  La  superstition  emprunte  1© 
s»  nom  de  dévotion ,  et  sous  couleur  de  reli- 
>»  gion  ils  prêchent  en  un  saint  lieu  ce 


la  Discours  contre; 

»  qu'on  ne  dirait  sans  être  puni,  en  tin  bor- 

»  deau  et  en  une  taverne  ». 

Minutius  Ft'l'uc  disait  à  Marc-Aurele } 
nous  prions  j  ournelle  ment pourvotre  majesté. 
Que  dirait  ce  bon  et  chrétien  philosophe  , 
s'il  voyait  nos  prédicateurs  défendre,  sous 
peine  d'excommunication  ,  de  prier  Dieu 
|>our  notre  roi  et  pour  les  princes  de  son 
sang,  et  encourager  les  assassinats?  Voilà  le 
moyen  de  faire  des  Salcede  ,  des  Girard , 
dont  les  rois  auront  plus  à  se  garder  que  des 
armées  ennemies. 

«  En  quelle  école  ,  vénérable  Lincestre  , 
y>  avez-voiis  appris  qu'il  faille  émouvoir  le 
»  peuple  à  répandre  le  sang  ,  et  à  conspirer 
r>  contre  son  prince  ?  Si  vous  eussiez  été 
»  parmi  des  Pàyens  ,  il  y  a  long-tems  que 
oo  vous  auriez  épousé  le  gibet  

»  Ces  trompettes  de  satan  ont  abusé  le 
»  peuple,  pour  le  précipiter  en  l'abîme  de 
»  rébellion  :  ce  sont  des  maîtres  es  arts  crot- 
»  tés  qui  mouraient  de  faim.  Ils  ne  prêchent 
»  pas  la  parole  de  Dieu .,  parce  qu'ils  ne 
»  l'entendent  pas  -y  ils  brayent  comme  des 
*>  ânes  bâtés,  parce  qu'ils  ne  sauraient  par- 
oi 1er  en  hommes  lettrés  ;  ils  entretiennent 
tb  lu  révolte ,  parce  que  votre  union  serait 


les  prédicateurs  et  les  tJuïologUns.  i3 
to  leur  ruine.  Cependant  ,  les  uns  gagnent 
33  une  cure  ,  comme  le  docteur  Pigenat , 
33  les  autres  une  abbaye  ,  un  prieuré  ,  un 
»  évêché  ,  selon  que  plus  ou  moins  ils  font 
33  de  services  aux  usurpateurs  de  la  cou- 
33  ronne.  Ils  partagent  le  pillage  des  maisons 
*>  qui  appartiennent  aux  serviteurs  du  roi. 

33  C'a  été  le  malheur  de  ce  royaume  ,  qu'il 
»  n'y  ait  jamais  eu  de  grandes  divisions 
>j  qu'on  ne  se  soit  servi  du  ministère  des 
33  prédicateurs.  Du  tems  de  Henri  d'Angle- 
»  terre  ,  ils  lurent  achetés  à  beaux  deniers 
»  comptai! s  ,  pour  faire  descendre  les  An- 
>3  glais  en  France  ,  et  y  allumèrent  un  feu 
33  qui  ne  s'éteignit  qu'après  la  mort, de  plus 
33  de  cent  mille  Français. 

33  Fie  V ,  dont  on  honore  la  mémoire  , 
33  envoya  aux  galères  vingt-deux  prédica- 
33  teùrs  ,  dont  toirt  le  crime  était  de  se  mêler 
33  des  affaires  d'état.  C'est  ainsi  qu'il  aurait 
33  fallu  arrêter  les  prédications  scandaleuses 
30  cou  ire  votre  roi  

33  Mais,  dites-vous  ,  le  roi  est  excommunié 
3»  parce  qu'il  a  fait  mourir  ces  deux  grands 

33  princes  de  la  ligue  Il  fallait,  ajou- 

33  tez-vous,  (aire  leur  procès  :  cela  était  desi- 
a»  rabie  ;  mais  qui  eût  cte  les  accusateurs  ? 


i4  Discours  contre  les 

>j  qui  eût  informé  et  décrété  ?  qui  les  eut 
>»  arrêtés  ?  qui  eût  instruit  ce  procès  crimi- 
»>  nel  ?  enfin ,  qui  eût  exécuté  le  jugement? 
»  vous  vous  fussiez  soulevé  pour  les  arr.a- 
33  cher  à  la  mort  ,  parce  que  vous  étiez  sé- 
33  duits  par  vos  prêcheurs.  Eussiez  -  vous 
33  laissé  conduire  à  la  Grève  celui  que  ,  le 
»  jour  des  barricades  ,  vous  vouliez  couron- 
33  ner  ?  //  ne  faut pas  tant  lanterner,  disiez- 
»3  vous  ,  mais  mener  Monsieur  à  Reims. . .  . 

3>  Le  tems ,  père  de  la  vérité  ,  doit  nous 
53  avoir  fait  connaître  les  intentions  des  chefs 
33  de  la  ligue.  Que  le  grand  Turc  mette  la 
33  couronne  sur  la  tête  du  duc  de  Mayenne  ; 
w  il  prendra  le  turban  dès  le  lendemain  , 
>3  le  fera  porter  à  tous  ceux  de  la  ligue ,  et 
»3  au  lieu  d'évangile  les  fera  croire  à  l'al- 
>3  cor  an. 

33  C'est  à  faire  à  des  badauts  de  penser  que 
33  des  brigands,  des  voleurs  ,  des  assassina- 
33  teurs  aient  aucune  religion.  Ce  sont  de 
33  vrais  athéistes.  A  qui  en  veulent-ils?  Aux 
33  protestans.  Non  ;  mais  à  tous  ceux  qui 
33  ont  de  l'argent  et  qui  leur  ont  déplu. 

33  Deux  cents ,  tant  villes  que  bourgades 
3»  prises  ,  pillées  ou  ruinées  ,  étaient -elles 
>»  huguenotes  ?  Tant  de  magistrats ,  d'ecclé- 


prédicateurs  et  les  théologiens.  l5 
»  siastiques,  de  gentilshommes ,  d'artisans, 
»  massacrés  ou  emprisonnés  étaient  -  ils  hu- 
»  guenots  ? 

»  Sont -ce  des  actes  de  catholicisme  que 
»  yos  troupes  ont  faits  quand  elles  ont  con- 
3î  traint  les  prêtres  de  baptiser  des  veaux  , 
*>  des  moutons  et  des  cochons  ?  Sont-ce  des 
»  actes  de  catholicisme  que  votre  régiment 
»  de  Comeronde  a  fait  dans  l'Anjou ,  en  brû- 
3»  lantles  portes  d'une  église ,  en  massacrant 
33  aux  pieds  d'un  crucifix  un  homme  qui  se 
3s  plaignait  qu'on  avoit  violé  sa  femme  au 
3»  même  lieu?  en  accoutrant  les  garces  qui 
r>  étaient  à  sa  suite  des  ornemens  des  sain- 
33  tes  r  en  faisant  ses  ordures  dans  le  béni- 
33  tier?  Sont-ce  des  actes  de  catholique  ,  lors- 
33  qu'un  soldat  affublé  des  vêcemens  sacer- 
33  dotaux ,  ayant  les  mains  encore  teintes  de 
33  sang ,  communia  vingt  de  ses  camarades 
33  agenouillés  devant  lui  ? ... . 

«  Les  exploits  de  votre  chevalier  &  Au- 
»  maie  étaient-ils  actes  de  catholique ,  quand 
33  il  pollua  un  couvent  de  nonnes  ,  dans  la 
33  rue  Saint-Antoine  ?  quand  dans  les  faux- 
>3  bourgs  de  Tours ,  il  prostitua  aux  soldats 
33  les  femmes  et  les  filles  des  citoyensabsens? 
>3  quand,  en  ayant  découvert  quarante  ca- 


ï6       Discours  contre  la  Sorhonne. 

v>  chées  clans  un  caveau,  il  les  i'v  toutes  violer 

»  dans  l'egi ise  ,  en  présence  de  leurs  maris  , 

de  leurs  pères  et  de  leurs  mères  r  quand 
»  lui-même,  dans  un  galetas  ,  il  déflora  un 
»  enfant  de  douze  ans  ,  lui  mettant  un  poi- 
x>  gnard  sur  le  sein  ?  . .  .  . 

33  Connaissez-donc  ,  ô  Français  !  que  vous  . 
33  êtes  abusés  par  les  impostures  de  vos  chefs. 
33  Pensez  que  vous  êtes  vendus  par  vos  traî- 
33  très  prédicateurs  qui  vous  ont  prêché  le 
33  sang  ,  la  vengeance,  la  rébellion  ,  etqui, 
33  au  lieu  de  la  parole  de  Dieu  ,  vous  ont 
»  nourris  de  La  doctrine  des  diables,  etc 

Rendons  grâce  à  l'homme  de  lettres  qiii 
fit  cette  pathétique  exhortation  aux  Fran- 
çais :  il  rendit  à  ses  contemporains  un  plus 
grand  service  que  le  vulgaire  des  lecteurs 
ne  pense.  Jl  est  bien  vrai  que  par  cet  écrit 
il  ne  détrompa  que  peu  de  citoyens  ,  que  la 
Sorbonne  par  ses  décrets  en  égarait  beau- 
coup davantage.  C'est  le  sort  de  la  vérité  de 
ne  faire  que  peu  de  prosélites.  Sa  marche  est 
très-lente  ,  et  l'erreur  est  rapide  dans  sa 
course  (îj. 


CHAPITRE 


CHAPITRE  XXXIX. 

Nouveau  décret  de  la  Sorbonne  contre 
Henri  III.  Sixte  V  l'excommunie.  Ha- 
rangue à  la  Sorbonne. 

JF/ev/î  /  III f  ainsi  que  nous  l'avons  vu  ,  est 
déclaré  déchu  de  la  royauté  par  la  Sorbonne. 
Chaque  sujet, sur  la  foi  de  ses  prêtres,  se  croit 
libre  ;  et  dans  le  nombre  de  ceux  qui  se 
croient  libi-es,  plusieurs  aspirent  à  l'i.onnettr 
de  lui  percer  le  sein.  Ils  sont  encouragés  à 
l'assassinat  comme  à  un  acte  de  vertu  héroï- 
que. Les  docteurs  leur  montrent  le  ciel  pour 
prix  du  meurtre  de  leur  roi.  Le  peu  de  ma- 
gistrats qui  soient  fidèles  gémit  dans  les 
fers.  Les  partisans  de^  Guise  ,  échappés  de 
leurs  prisons  ,  sèment  la  révolte  dails  les 
quatre  coins  du  royaume. 

Henri  III  sans  courrçe  ,  sans  argent  et 
sans  troupes  ,  effrayé*  de  l'orage  qui  s'élève 
de  tous  côtés,  a  pris  le  seul  parti  qu'il  avait 
à  prendre  pour  conserver  sa  couronne  et 
pour  sauver  la  nation  Française  du  joug  de 
la  maison  de  Lorraine  et  de  l'avilissement 
Tome  IL  B 


%8     "Nouveau  décret  de  la  Sorbonne. 

où  elle  serait  peut-être  encore  plongée,  si  les 

Guise  en  eussent  usurpé  le  trône. 

Déjà  les  deux  Henri  marchent  vers  Paris. 
Les  ligueurs  épouvantés  font  de  nouveau  in- 
tervenir la  Sorbonne.  Ils  espèrent,  en  don- 
nant un  nouveau  degré  d'exaltation  au  fana- 
tisme ,  conjurer ,  ou  tout  au  moins  éloigner 
la  tempête  qui  les  menace.  La  Sorbonne,  qui 
a  déjà  délié  les  Français  du  serment  de  fidé- 
lité à  Henri  III veut  encore  ,  par  un  nou- 
veau décret ,  empêcher  que  ceux  qui  lui  res- 
tent attachés  prient  pour  lui.  Les  prédica- 
teurs ouvrent  le  ciel  aux  assassins  de  ce  roi , 
et  la  Sorbonne  ouvre  l'enfer  à  tout  bon  ci- 
toyen qui,dans  l'intérieur  de  sonc.œur,adres- 
sera  pour  lui  des  vœux  à  Dieu  :  elle  enjoint  1 
aux  prêcheurs  d'annoncer  au  peuple  qu'il  ne 
peut,  sans  être  excommunié  et  damné,  prier 
Dieu  pour  Henri  de  Valois.  Dans  ce  second 
anathême  elle  comprend  les  princes  de  la 
maison  de  Bourbon. 

Cependant  toutes  les  opérations  pour  châ- 
tier Paris ,  les  ligueurs  et  leurs  prêtres ,  sont 
arrêtées.  La  noblesse  de  toutes  les  provinces, 
malgré  les  décrets  de  la  Sorbonne ,  accourt 
sous  les  enseignes  de  Henri III.  Ce  roi,  à  la 
tête  de  quarante  mille  soldats  conduits  par  des 


Pusillanimité  de  Henri  III.  19 
chefs  aguerris  ,  et  ayant  Henri  de  Navarre 
pour  son  appui ,  ne  craint  plus  d'être  dé- 
trôné ;  mais  son  ame  timide  est  dominée  par 
une  au[re  crainte ,  par  celle  de  l'excommu- 
nication. Les  canons  de  la  ligue  ,  dit-il ,  lui 
font  moins  de  frayeur  que  les  foudres  de 
Home.  Il  ose  avouer  en  plein  conseil  cette 
faiblesse  qui ,  de  nos  jours  ,  déshonorerait 
une  ame  commune.  Enfin  ,  cette  excommu- 
nication sollicitée  par  Pellevé  arrive  enfin 
en  France.  Il  faut  vaincre  ,  dit  le  héros  de 
Navarre  et  vous  serez  absous.  Si  vous  êtes 
battu  y  vous  demeurerez  excommunié  ,  voire 
aggravé  et  réaggravé. 

Cette  excommunication  n'en  imposa  pas 
à  tous  les  Français.  Les  ligueurs  s'en  servirent 
pour  aiguiser  les  poignards  du  fanatisme  ; 
mais  il  y  eut  des  gens  de  bien  assez  éclai- 
rés ,  des  hommes  de  lettres  citoyens  qui  su- 
rent la  mépriser.  Pour  penser  ,  ils  n'atten- 
daient ni  que  Rome  excommuniât,  ni  que  la 
S orbonne  lançât  des  décrets.  Parmi  ces  hom- 
mes instruits  il  y  en  eut  un  qui  essaya  de 
ramener  ses  contemporains  à  la  sagesse  et  à 
l'obéissance. 

La  harangue  qu'il  adressa  à  la  Sorborme 
CSt  peu  connue,  et  mérite  de  l'être  beaucoup. 

B  a 


2,0  Sage  harangue 

Nous  transcrirons  ici  ce  morceau  rare  et  pré- 
cieux ,  et  le  lecteur  nous  le  pardonnera.  Il 
vient  à  l'appui  de  ce  que  nous  avons  dit  des 
tnéologieus  de  ces  tcms  malheureux,  M.  An- 
quetilp  dans  son  esprit  de  la  ligue  ,  n'en  parle 
pas  ;  c  e  -t  pourtant  dans  cette  harangue 
que  se  trouve  tout  l'esprit  de  la  ligue. 

Harangue  d'un  bon  citoyen  à  la  Sor- 
bonne. 

«  C'est  «\  vous ,  Messieurs  de  la  Sorbonne  ; 
*>  que  j'adresse  la  parole  ;  à  vous  qui  seuls 
»  êtes  cause  de  tous  nos  maux  ;  qui  en  vos 
»  cliaires  et  assemblées  avez  médit  de  votre 
33  roi  ;  qui  avez  déclaré  le  peuple  absous  du 
si  serment  de  fidélité  ;  qui  par  votre  conseil 
33  avez  donné  occasion  aux  mutinés  de  violer 
3»  le  vrai  et  saint  domicile  de  justice  ,  et  qui 
33  avez  mis  les  armes  à  la  main  à  quelques 
33  brigands  pour  le  déshonorer.  Il  est  expé- 
33  dient  qu'on  sache  comment  vous  vous  y 
33  êtes  comportés. 

33  L'avarice,  l'ambit  ion,  le  ventre  vous  ont 
>3  fait  abover  des  bénéfices.  Pour|y,parvenir,il 
3»  a  fallu  monter  en  chaire  et  y  faire  conte- 
33  nance  de  vérités.  Pour  tenir  cette  conte- 
33  nance  ,  il  n'a  point  fallu  épargner  les 


à  la  Sorbonne.  21 
5?  grands  ,  non  pas  même  le  roi  et  son  con- 
w  seil ,  et  ê  es  pat  ce  moyen  de  simples  mi- 
j>  nistres  ecclésiastiques  conseillers  d'état. 

«  Le  simple  peuple  de  celte  ville  ,  le  plus 
»>  doux  et  le  plus  obéissant  de  la  terre  quand 
»  il  trouve  des  conducteurs  qui  le  mènent 
s>  à  son  devoir,  a  estimé  ue  vous  lui  disiez 
33  la  vérité.  Vousl'avez  invité  par  vos  injures 
y»  Oïdinaires  de  les  répeter  tout  à  son  aise 
?>  en  son  particulier.  De  cette  licence  de  mé- 
a*  dire  et  d'ouir  mal  pnrler  de  son  prince 
3î  est  venu  le  mépris  d'icelui.  L'on  est  venu 
53  aux  murmures  et  menées  steretres,  delà  à 
33  la  misérable  révolte  que  nous  voyons  au- 
33  jourdhui. 

33  Je  laisse  cette  complainte  pour  conférer 
33  avec  vous  en  théologiens ,  et  je  vous  de-  * 
33  mande  ,  Messieurs  de  Sorbonne  ,  de  qui 
33  avez-vous  pris  conseil  et  exemple  pourfor- 
33  mer  votre  décret  ?du  Saint-Esprit  en  l'hon- 
33  neur  de  qui  vous  avez  célébré  la  messe  ? 
33  Mais  il  vous  eûtmontré  Jesus-Christ,  pen- 
33  dant  sa  vie  et  à  sa  mort ,  portant  honneur 
33  à  son  prince  ,  quoiqu'il  eût  à  ses  ordres 
33  plus  de  légions  que  Tibère  n'avait  d'horn- 
»  mes. 

33  Je  viens  aux  apôtres.  Nommez-en  un 
13  3 


22  Sage  harangue 

?>  seul  qui  ait  pu  servir  d'exemple  à  votre  fa- 

s>  culte  de  théologie  ,  pour  justifier  les  fu- 

>5  reurs  extraordinaires  auxquelles  elle  s'est 

ai  livrée.  Quelques  persécutions  qu'ils  aient 

33  souffertes  en  leur  religion  ,  ont-ils  jamais 

33  prêché  aux  peuples  de  se  tenir  absous  du 

33  serment  de  fidélité  qu'ils  devaient  à  leurs 

»  empereurs  ? 

si  Voyons  maintenant  la  primitive  église  : 

33  et  vous ,  théologiens ,  qui  faites  des  décrets 

33  contre  votre  roi ,  soyez  instruits  en  votre 

33  ignorance.  Cette  église  primitive  fut  plon- 

33  gée  jusqu'au  cou  en  l'obéissance  des  em- 

33  pereurs.  Elle  endura  de  leur  part  mille  in- 

33  dignités  ,  et  elle  ne  dressa  jamais  de  ré- 

33  volte  contr'eux. 

33  Je  passerai  encore  plus  outre...  Exami- 

33  nons  quel  a  été  l'état  et  le  département  de 

33  votre  faculté  par  le  passé.  Feuilletez  vos 

33  annales  ,  et  vous  trouverez  qu'environ 

>3  1408   votre  faculté  a  publiquement  dé- 

33  fendu  l'homicide  perpétré  en  la  personne 

33  du  duc  &  Orléans ,  et  qu'elle  maintint  ce 

33  prince  bien  et  duement  tué  ,  et  que  là-des- 

33  sus  elle  employa  le  verd  et  le  sec ,  c'est-à- 

33  dire  ,  tout  autant  de  raisons  qu'elle  put 

>3  trouver.  Si  votre  faculté  fut  alors  si  ingé- 


à  la  Sorbonne.  a3 
»  ïiieuse  que  de  défendre  une  mort  si  in- 
»  juste ,  pourquoi  trouve-t-elle  étrange  que 
»  le  roi  ait  fait  justice  des  chefs  de  la  sé~ 
aa  dition  ? 

»  Apprenez  ,  Messieurs  ,  de  combien  il 
33  est  plus  sûr  de  tenir  le  parti  de  votre  roi 
■>->  que  de  faire  les  'foux  au  milieu  de  la  po- 

»  pulace  Ne  regardez  pas  ce  qui  est  ad- 

■»  venu ,  mais  à  la  cause .  Admirez  la  patience 
»  de  votre  roi ,  qui ,  pendant  plusieurs  an- 
33  nées ,  a  laissé  agir  les  séditieux.  Ils  faisaient 
»  des  ligues  dehors  du  royaume  ;  ils  pre- 
»  naient  pensions  et  argent  de  l'étranger,  lui 
»  révélaient  le  secret  de  la  couronne ....  Cha- 
»  cun  trompé  par  vos  sermons ,  délaissait 
33  le  roi  pour  les  suivre.  Ils  voulaient  que  le 
33  roi  leur  rendît  compte  de  son  administra- 
is tion  ;  ils  avaient  semé  contre  lui  des  livres 
33  injurieux  et  diffamatoires ,  rendu  le  nom 
33  du  roi  odieux  ;  ils  disputaient  le  trône  de 

»  France  Enfin  ,  ils  tuaient  le  roi  ,  si  le 

33  roi  ne  les  eût  prévenus. 

33  Je  vois  bien ,  Messieurs  ,  par  ce  grand 
»  épanchement  de  larmes  que  vous  cause  la 
33  mort  des  Guise ,  par  toutes  les  fêtes  que 
33  vous  solemnisez  ,  parles  injures  que  vous 
x>  faites  au  roi ,  et  par  toutes  vos  extravagan- 

B  4 


*4  Sage  har.tvgw 

»  ces,  que  s'ils  l'eussent  tué,  vous  eussiez 
»  pris  vos  robés  de  joie  et  chanté  le  T<? 
s>  jyeum. 

33  Quand  je  considère  votre  faculté ,  qui 
33  eles-vous  ,  Messieurs,  pour  excommunier 
35  votre  prince  ,  et  le  déclarer  privé  de  la 
•>->  royauté  ?  Faites  -  nous*  apparoir  des  pri- 
î>  vilèges  qiti  vous  autorisent  k  vous  mêler, 
5'  comme  souverains  ,  des  affaires  du  royau- 
33  me  ;  vous  ,  Messieurs  ,  qui  êtes  la  plupart 
33  pedans  et  ignorans  des  affaires  de  cette 
»  importance. 

33  Examinons  plus  amplement  la  forme  de 
5s  votre  décret.  Vous  déclarez  les  sujets  dô 
33  ] frnri  III  quittes  de  l'obéissance  envers 
33  lui ,  qu'ils  peuvent  s'armer  contre  lui  en 

33  bonne  conscience  Jesus-Christ  ne  vou- 

33  lut  se  mêler  du  crime  d'adultère  ,  encore 
33  que  ce  fût  contre  une  personne  privée  ;  et 
33  votre  Sorbonne  ose  décider  des  alfa  i  res 
»  des  plus  importantes  du  royaume  ,  de  la 
33  capacité  ou  de  l'incapacité  de  votre  prince, 
»  du  devoir  du  peuple  envers  son  roi  !  

35  Quel  remède  à  tant  de  maux  dont  vous 
»  êtes  les  auteurs  r  II  est  facile  à  trouver  ce 
33  remède.  Ass  unb'.cz-vous  derechef  à  votre 
»  école  de  Sorbonne.  Comme  c'est  votre  dé- 


à  la  Sorï>onne.  %5 
y*  cret  qui  soulève  le  peuple  ,  formez-en  un 
»  contraire  qui  le  contienne.  Criez  :  vive 
35  le  roi  Heurt.  III  devant  cette  populace 
33  effrénée,  et  vous  verrez  aussi-tôt  dissiper 
»  ce  nuage  de  séditieux.  Vous  réintégrerez 
»  le  mariage  du  peuple  avec  le  roi,  que  vous 
33  avez  dissous.  Jusqu'ici  vous  avez  été  les 
33  séducteurs  du  peuple  ;  il  faut  dorénavant 
33  en  être  les-  docteurs  (a)  ». 

L'avis  étoit  bon  ;  c'était  celui  d'un  homme 
sage  :  mais  il  fut  inutile  parce  qu'il  fut 
adressé  à  des  insensés.  Il  ne  ramena  à  l'obéis- 
sance que  très-peu  de  personnes  ,  et  les  dé- 
crets de  la  théologie  française  les  précipi- 
taient en  foule  dans  la  révolte. 


(.;)  Ce  discours  est  un  des  monumens  les  plus  pré- 
cieux des  teins  de  la  ligue.  Nous  l'avons  prodigieuse- 
ment raccourci  ,  mais  lui  avons  laissé  toute  sa  force. 
Nous  nous  sommes  aussi  permis  de  substituer  ,  mais 
sans  jamais  altérer  le  sens  ,  à  des  tournures  alors  d'u- 
Sage  ,  des  tournures  plus  modernes.  Nous  avons  un  peu 
rajeuni  des  expressions  qui  avaient  prodigieusement 
vieilli. 


i>,6 


CHAPITRE  XL. 

Henri  III  assassiné  par  un  moine  dominé 
cain. 

Xjes  deux  rois  excommuniés  ,  Henri  III  et 
Henri  IV ,  sont  déjà  près  de  Paris.  L'ivresse 
du  fanatisme  où  ses  docteurs  l'ont  plongée 
en  a  fait  une  ville  rebelle  et  coupable  :  ses 
citoyens ,  égarés  par  la  superstition  ,  n'en 
savaient  point  encore  assez  pour  vouloir 
être  un  peuple  libre  ,  en  respectant  leur  roi. 
Ils  n'étaient  que  d'insensés  fanatiques  ,  et 
l'honneur  de  la  liberté  ne  leur  était  point  en- 
core dû  :  ils  allaient  être  soumis  et  rappelles 
à  l'obéissance  ;  mais  un  jeune  moine  nommé 
Clément ,  idiot  ,  sombre  ,  inélan  colique  ,  et 
qu'on  avait  dressé  à  l'assassinat ,  les  enfonça 
encore  plus  dans  le  bourbier  des  malheurs 
où  ils  étaient  déjà  plongés. 

On  avait  souvent  vu  ce  jeune  moine  s® 
mêler  avec  la  populace  ,  l'exhortant  à  dé- 
fendre la  religion  ,  et  ne  lui  parlant  que 
d'exterminer  les  tyrans  et  les  hérétiques. 
Son  zèle  ,  poussé  jusqu'à  la  fureur ,  l'avait 


Abominable  charlatanisme.  27 
fait  surnommer  le  capitaine  Clément.  Ce 
sobriquet  flattait  son  orgueil  et  exaltait  son, 
mauvais  cerveau.  On  lui  fit  recevoir  la  prê- 
trise ;  et  ce  nouvel  état  ne  fit  qu'accroître  sa 
haine  pour  Henri  III  qu'il  regardait  comme 
un  roi  assassin  dévoué  à  l'anathême. 

Les  confrères  de  Clément ,  pour  donner 
un  dernier  degré  de  fermentation  à  son 
fanatisme  ,  firent  intervenir  le  ciel.  On  pra- 
tiqua une  ouverture  à  sa  cellule  ;  un  moine 
entouré  d'une  auréole  éblouissante,  et  tenant 
à  la  main  un  glaive  nud  ,  descend  pendant 
les  ténèbres  de  la  nuit  dans  cette  cellule. 
Le  bruit  et  la  lumière  réveillent  le  capitaine 
Clément  :  dans  l'agitation  et  le  bouleverse- 
ment de  ses  idées  ,  il  ne  s'appercoit  pas  quo 
c'est  un  moine  devant  lui.  Ce  fantôme  écla- 
tant lui  paraît  réellement  un  ange.  Jacques , 
lui  dit-il  ,  je  suis  messager  du  tout-puissant 
qui  te  vient  acertenir  que  par  toi  le  tyran 
de  France  doit  être  mis  à  mort.  La  cou- 
ronne du  martyre  t'est  préparée  ;  prépare- 
toi  aussi.  Le  fantôme  disparoît  ,  et  Clément 
effrayé  de  sa  vision  court  chez  Bourgoin 
son  prieur  :  celui-ci.  l'entretient  de  l'hon- 
neur que  Dieu  lui  fait  de  le  choisir  pour 
exécuteur  de  ses  décrets  ,  et  le  renvoie  au 


28  Clément  encouragé 

père  Brusseau qui  avait  la  réputation  d'être 
un  saint.  Brusseau  le  confirme  dans  son 
fanat'sme  ,  en  lui  parlant  de  Judith  qui  eni- 
vra et  coucha  avec  Ilulopherne  pour  lui 
couper  là  tête  ;  de  Jahel  oui  enfonça  un 
clou  dans  la  tête  àe  Sisara  ,  après  lui  avoir 
donné  l'hospitalité  ;  à\éod  qui  tua  le  roi 
Eglon  ,  et  de  tant  de  saints  meurtres  qui 
embellissent  l'his:oire  juive  ,  et  dans  la- 
quelle ,  quand  on  a  le  bonheur  d'avoir  une 
foi  un  peu  vive ,  l'on  voit  visiblement  le 
doigt  de  Dieu. 

Frère  Clément  ne  douta  plus  de  sa  voca- 
tion ;  il  se  prépara  à  l'assassinat  du  roi  par 
le  jeûne  ,  l'abstinence  et  la  prière.  Une  nuit 
qu'il  était  en  oraison  à  l'église  ,  des  moines 
cachés  derrière  le  maître  autel  lui  Crient  , 
par  le  moyen  d'une  sarbacane  ,  et  d'une  voix 
majestueuse  ,  Jacques  Clément  tue  le  roi  : 
cette  dernière  imposture  consomma  son  éga- 
rement. Il  ne  doute  plus  qu'il  ne  soit  charge 
des  intérêts  du  ciel  ;  il  se  confesse  et  com- 
munie ;  on  le  présenie  à  Mayenne  ,  à  d' Au- 
male ,  à  la  duchesse  de  Montpensier :  l'ange 
lui  a  promis  le  martyre  :  Mayenne  lui  pro- 
met un  évêché.  On  assure  que  sa  sœur  pro- 
mit à  ce  jeune    moine  des  plaisirs  plus 


(}  tiier  Henri  III.  29 
convenables  à  la  vigueur  de  son  tempéra- 
ment déjà  eml:rasé  par  le  jeûne  ,  l'absti- 
neiïce  et  la  superstition  :  on  veut  même 
qu'elle  l'en  ait*  enivré  ;  mais  peut- on  établir 
des  laits  historiques  sur  des  rumeurs  popu- 
laires ? 

Frère  Mcrgy  fut  chargé  d'acheter  le 
couteau  dont  Clément  devait  se  servir  pour 
assassine! ■  Henri  III.  Ce  couteau,  qu'on  paya 
deux  sols  ,  fut  consacré  avec  de  certaines 
cérémonies  :  on  le  Irotta,  dit  Flavin  (a) , 
avec  du  lard  ,  du  jus  d'oignon  ,  et  d'autres 
drogues  qui  devaient  donner  une  vertu 
immanquable. 

Ainsi  donc  le  capitaine  Clément,  armé 
du  saint  couteau  par  Burgoing  son  prieur  , 
rassuré  par  les  conseils  de  Brusseau son  con- 
fesseur et  docteur  en  théologie,  muni  d'une 
lettre  surprise  à  du  Harlai.  alors  enfermé 
à  la  bastille,  va  à  S.  Cloud  où  était  Henri  III, 
bien  sûr,  s'il  le  poignarde,  d'avoir  ou  l'au- 
réole des  martyrs  ,  ou  un  évêché  ,  ou  les 
faveurs  d'une  belle  femme.  Toutesces choses 
semblent  s'exclure  mutuellement  dans  une 


{a)   Liv.  15.  pag.  419. 


3o  Le  fanatique  CîJment 

tête  saine  ;  mais  dans  le  cerveau  bouleversé 
d'un  moine  ivre  et  idiot ,  tout  s'arrange 
comme  il  peut  ou  plutôt  rien  ne  s'arrange, 
et  il  marche  à  son  but  eu  insensé. 

Le  moine  arrive  à  S.  Cloud  ;  on  l'exa- 
mine ,  on  l'interroge  ,  on  semble  se  défier 
de  lui  ;  mais  il  répond  à  propos  ,  et  la  sim- 
plicité  de  ses  réponses  ne  dément  point  sa 
mine  hypocrite.  Ces  réponses  ne  sont  pour 
la  plupart  que  des  mensonges  ;  mais  vingt 
exemples  consacrés  dans  l'ancien  testa- 
ment l'autorisent  à  mentir  pour  ce  qu'il 
croit  la  cause  de  Dieu.  On  le  fait  souper,  et 
l'inquiétude  augmente  ;  avant  son  coucher  , 
on  demande  à  voir  ce  que  contiennent  ses 
poches.  Voilà  ,  dit-il  ingénuement ,  mon 
couteau  et  mon  bréviaire  :  pendant  la  nuit 
on  le  visite  ;  il  était  profondément  endormi; 
son  bréviaire  était  ouvert  à  l'histoire  de  Ju- 
dith. Cette  circonstance  devait  faire  naître 
des  défiances  ;  mais  le  profond  sommeil  où 
est  plongé  ce  fanatique  tranquillise  tous 
ceux  qui  sont  chargés  de  l'observer. 

Le  lendemain ,  le  moine  est  admis  à  l'au- 
dience du  roi  :  il  se  met  à  genoux  pour  pré- 
senter la  lettre  du  président  de  Harlai ,  et 
en  se  relevant  il  plonge  son  couteau  dans  Je 


Poignarde  Henri  III.  3i 
ventre  de  Henri  III.  Ceux  qui  l'entourent , 
dans  l'épouvante  et  les  transports  de  leur 
indignation  ,  égorgent  à  coups  d'épée  ce 
malheureux  fourbe. 

La  nouvelle  de  la  mort  du  roi  et  du  moine 
son  assassin  se  répand  aussi-tôt  à  Paris. On 
arbore  l'écharpe  verte  en  signe  de  réjouis- 
sance :  on  allume  des  feux  de  joie.  Dans 
les  rues  on  n'entend  que  des  chansons  pour 
célébrer  cet  événement.  Les  dominicains 
remercient  le  ciel  par  un  Te  JDeum  ,  où  se 
trouve  un  peuple  immense.  La  duchesse  de 
Montpensier  accourt  à  l'église  des  Corde- 
liers ,  monte  sur  les  marches  du  grand  autel, 
annonce  la  mort  de  Henri  de  Valois  ,  et 
exhorte  le  peuple  à  ne  point  reconnaîtra 
pour  roi  Henri  IV. 

Quant  au  moine ,  le  capitaine  Clément , 
on  en  parle  comme  d'un  héros  qui  s'est 
dévoué  à  la  mort  pour  sauver  la  religion  et 
pour  délivrer  la  France  d'un  excommunié. 
Son  portrait  est  exposé  à  la  vénération  pu- 
blique ,  et  son  nom  inscrit  dans  le  marty- 
rologe des  saints  de  Tordre  de  Saint-Domi- 
nique. Les  temples  retentissent  de  ses  éloges. 
Les  prédicateurs  montrent  au  peuple  des 
tableaux  où  il  est  représenté  ,  la  palme  du 


02.  Folie  des  Fajïsicns. 

martyre  à  la  main  et  une  auréole  autour  de 
la  tête.  Sa  mère  est  appel'lée  à  Paris,  et  dans 
Ja  démence  où  le  peuple  est  plongé  ,  on 
demande  de  placer  la  statue  de  Saint-Clé- 
ment sur  un  piiier  de  marbre  dans  l'église 
de  Notre-Dame. 

Le  jour  que  Home  apprit  la  mort  de  Henri 
III  lut  un  jour  de  triomphe  et  d'allégresse. 
Sixte  V,  dit- on,  compara  l'héroïsme  de 
Clément  au  courage  de  Judith  qui  tua  Ho- 
loplierue.  On  ajoute  même  que  ce  pape  , 
dans  l'excès  de  sa  joie  ,  prétendit  que  Tin- 
carnation  et  la  résurrection  ne  pi'oduisirent 
pas  un  plus  grand  bien  sur  la  terre  que  le 
couteau  de  C  lewent.  Ce  propos  attribué  à 
Sixte  V  n'est  pas  croyable  ;  mais  l'incroyable 
est  souvent  très-vrai. 

Sur  le  compte  de  qui  peut-on  mettre  l'as- 
sassinat de  Henri  III  ?  Nous  ne  hasardons 
rien  en  le  mettant  sur  la  bulle  du  pape  qui 
l'a  excommunié  ,  sur  les  prédicateurs  qui 
le  calomnient  ,  et  sur  la  Sorbonnc  qui  a 
délié  les  Français  du  serment  de  fidélité. 
L'ambition  et  la  vengeance  des  Guise  n'é- 
taient que  des  causes  secondaires. 


CHAPITRE 


33 


CHAPITRE  XLI. 

Décret  de  la  Sorhonne  contre  Henri  IV. 
Royauté  du  cardinal  de  Bourbon.  Con- 
fession de  Givri. 

Le  premier  acte  d'autorité  de  Henri  IV 
fut  de  venger  la  mort  de  Henri  III.  Il  fît 
écarteler  son  assassin  avec  son  habit  de 
moine  :  son  cadavre  fut  brûlé  ,  et  ses  cen- 
dres dispersées.  Le  même  jour  Jean  le  Roi  , 
autre  dominicain  qui  avait  assassiné  le  com- 
mandant du  château  de  Cou^ance  ,  fut  cousu 
dans  un  sac  et  jette  dans  la  rivière. 

Henri  IV  jugeait  et  punissait  ces  assassins 
français  ,  et  n'était  point  encore  reconnu 
roi  de  France.  Les  gentilshommes  remplis- 
saient son  camp  de  murmures  et  de  clameurs  : 
les  uns  se  retirèrent  et  allèrent  se  cantonner 
dans  leur  château  :  les  autres  mirent  leurs 
services  à  l'enchère.  Plusieurs  disaient  : 
plutôt  mourir  que  d'avoir  un  roi  huguenot. 
Sire ,  criait  Givr  i ,  vous  êtes  le  roi  des  bra- 
ves 3  et  ne  serez  abandonné  que  des  poltrons. 
Après  de  longues  et  vives  discussions ,  le  plus 
Tome  II.  C 


84  Décret  de  la  Sorboni^e  contre  HenrilV; 
grand  nombre  prêta  serment  de  fidélité  à 
Henri  IV et  jura  de  sacrifier  sa  vie  pour  le 
•maintien  des  droits  de  Henri  IV  et  de  la  reli» 
gion  catholique. 

C'était  peu  pour  Henri  IV  à' être  reconnu 
roi  de  France  dans  le  camp  de  Saint-Cloud  ; 
il  fallait  encore  conquérir  ce  royaume  ,  que 
l'ambition  de  Mayenne  et  le  fanatisme  des 
prêtres  lui  enlevaient.  Chez  les  Grecs  et  les 
Romains  le  clergé ,  renfermé  dans  l'intérieur 
des  temples  ,  gémissait  sur  les  calamités 
publiques  et  ne  les  augmentait  pas.  En 
France  ,  au  contraire  ,  ainsi  que  dans  tous 
les  pays  catholiques  ,  on  vit  le  clergé  s'im- 
miscer dans  les  grandes  affaires  d'état  ,  et 
sortant  des  bornes  d'un  ministère  tout  spi- 
rituel ,  prétendre  à  l'honneur  de  les  diriger. 
Décret  de     Après  la  mort  des  Guise ,  nous  avons  vu 

la  Sorbon-  la  Sorbonne  déclarer  Henri  III  déchu  de 
ne  contre 

Henri  IV.  la  royauté  ;  et  quand  un  moine  ianatique 
eut  poignardé  ce  roi,  nous  l'avons  vu  ériger 
ce  moine  en  saint  et  en  martyr  ;  voyons-la 
actuellement  déclarer  Henri  IV  incapable 
de  régner ,  dévouer  à  l'excommunication  et 
à  la  mort  éternelle  tout  Français  qui  le  recon* 

(  naîtra  pour  roi ,  lui  défendre  de  traiter  avec 

le  Béarnais ,  de  lui  payer  aucun  impôt ,  en. 


Décrût  de  la  Sorbonne  règle  de foi.  35 
ou  Ire  exiger  que  tout  bon  catholique  croie 
ne  pouvoir,  sans  offenser  Dieu,  reconnaître 
pour  roi  un  relaps  quand  même  il  abjure- 
rait ses  hérésies. 

Ce  décret  de  la  Sorbonne  consomma  la 
révolte  en  France  :  il  éteignit  entièrement 
le  remord  dans  toute  ame  timide  ;  on  prit 
les  armes  en  conscience  :  on  crut  obéir  à 
Dieu  en  se  conformant  à  la  décision  de  ses 
ministres.  Un  Français  indéterminé  sur  le 
parti  qu'il  doit  prendre ,  n  'a  rien  à  répondre 
quand  on  lui  dit  :  «  les  docteurs  de  la  loi  ont 
parlé  ;  si  c'était  un  crime  de  ne  pas  obéir 
à  Henri  IV ,  ce  crime  ne  vous  serait  pas 
imputé.  Ce  serait  le  crime  des  prêtres  que 
Dieu  a  établis  pour  être  vos  conducteurs. 
C'est  à  eux  à  discerner  ce  qui  est  bon  d'avec 
ce  qui  ne  l'est  pas  :  ils  sont  établis  juges  en 
matière  de  religion.  Obéissez  donc  à  leur 
voix  sans  crainte  ». 

Le  clergé  de  Paris  signa  le  décret  de  la 
Sorbonne  ;  il  fut  ensuite  envoyé  dans  toutes 
les  provinces  comme  une  règle  de  foi  que 
tout  Français  devait  suivre  aveuglément. 
Les  ligueurs  ,  appuyés  de  ce  décret ,  enjoi- 
gnirent de  renouveller  le  serment  de  l'union. 
Paris  en  donna  l'exemple  ,  et  toutes  les  villes 

C  a 


56 

en  reçurent  l'ordre.  Pour  rendre  ce  serment 
plus  auguste  ,  on  y  ajouta  l'appareil  de  la 
religion.  Ce  fut  à  l'église  qu'on  le  prononça; 
et  après  la  célébration  d'une  messe  solem- 
nelle  de  l'église  ,  on  se  rendit  k  l'hôtel -de- 
ville  où.  se  trouva  toute  la  commune.  On 
lui  pi'ésenta  le  décret  de  la  Sorbonne  con- 
tre Henri  IV.  Chaque  habitant  mit  au  bas 
sa  signature.  Ce  décret  devenait  par-là  une 
vraie  déclaration  de  guerre  de  l'ordre  sacer- 
dotal contre  son  souverain. 

Le  parlement ,  Mayenne  ,  et  les  seize  dé- 
férèrent la  couronne  au  vieux  cardinal  de 
Bourbon  :  on  lui  donna  le  titre  de  Charles  X. 
La.  monnaie  fut  frappée  à  son  coin.  Tous  les 
arrêts  ,  dans  les  cours  souveraines  ,  furent 
rendus  en  son  nom.  On  leva  des  troupes  , 
et  les  Français  se  battirent  pour  ce  fantôme 
de  roi  qui ,  du  fond  de  la  prison  où  il  était 
alors  ,  était  assez  raisonnable  pour  rendre 
hommage  à  Henri  IV  son  neveu. 

Mayenne ,  à  la  tête  d'une  armée  ,  marche 
contre  Henri  IV et  le  joint  dans  le  pays  de 
Caux.  Sa  position  était  si  supérieure  qu'il  fît 
annoncer  aux  Parisiens  ,  par  ses  couriers  , 
que  dans  peu  de  jours  ils  verront  le  Béarnais 
vaincu  et  prisonnier.  D'après  cet  avis  ,  de 


moment  en  moment  on  l'attend  lié  et  gar- 
rotté :  déjà  les  rues  retentissent  des  chan- 
sons insolentes  contre  le  Béarnois  ;  mais  le 
sort  en  décida  autrement. 

Les  ligueurs  battus  et  dispersés  à  Arque» 
le  furent  encore  à  ïvri.  Le  lendemain  de 
cette  victoire  mémorable  ,  que  Henri  IV 
appellait  la  journée  du  seigneur ,  il  offre  la 
paix  à  Mayenne  qui  ,  n'osant  ni  l'accepter 
ni  rentrer  à  Paris  ,  alla  se  cacher  à  Saint- 
Denis. 

Le  cardinal  Caetan  demande  à  être  média- 
teur de  cette  paix  ;  c'était  un  homme  vain  , 
petit  en  tout ,  et  ambitieux.  Sixte  V l'avait 
envoyé  en  France  à  titre  de  légat ,  avec  Bel- 
larmin  et  quelques  théologiens  ,  en  cas  qu'il 
fallût  disputer.  Une  petite  troupe  de  soldats 
qui  escortait  ces  théologiens  fut  attaquée  et 
battue  sur  la  route.  Caetan  se  sauva  le  pre- 
mier et  arriva  à  Paris  en  fugitif  :  à  peine  y 
fut-il  qu'il  commença  sa  légation  par  confir- 
mer tout  ce  que  les  ligueurs  avaient  fait. 
Henri  IV  demande  des  théologiens  pour 
s'instruire  ,  mais  Caetan  défend  aux  théo- 
logiens de  se  rendre  auprès  de  lui.  Pour  le 
bien  de  la  paix ,  Henri  accepte  cette  média- 
tien  ,  et  souffre  tranquillement  les  hauteurs 

C  3 


33  Confession  de  Givri'. 

de  cet  Italien.  Ce  n'est  point  par  faiblesse  ,* 
c'est  par  amour  pour  ses  peuples  dont  il 
voudrait  hâter  le  bonheur.  Son  ame  ,  qui 
s'élance  dans  l'avenir  ,  voit  les  Français 
heureux  sous  son  règne  ;  et  tout  ce  qui  en 
retarde  la  félicité  ,  afflige  son  cœur. 

Caetan ,  dans  les  conférences  qu'il  eut 
avec  Henri  IV ' ,  agit  moins  en  ministre  de 
paix  qu'en  superstitieux.  Ne  sachant  pas  s'y 
prendre  pour  le  persuader  de  changer  de 
religion  ,  il  borna  son  rôle  à  celui  d'un  bas 
séducteur.  Il  tenta  la  fidélité  de  Givri  qui 
aimait  son  roi  à  qui  il  ressemblait  par  la 
bravoure  ,  par  la  franchise ,  par  la  gaieté ,  et 
par  son  mépris  pour  les  superstitieux.  L'in- 
sidieux Caetan  n'en  pouvant  faire  un  traître  , 
il  essaie  d'en  faire  un  imbécille  :  il  l'exhorte 
-a  demander  pardon  du  passé. 

Givri  se  jette  aux  genoux  du  légat ,  les 
mains  jointes  ,  demande  une  absolution  gé- 
nérale du  passé.  L'Italien,énorgueilli  de  voir 
un  héros  français  à  ses  pieds  ,  donne  cette 
absolution  qu'on  lui  demande.  Givri  tou- 
jours prosterné  s'écrie  :  mon  père ,  donnez- 
moi  encore  l'absolution  pour  l'avenir  ,  car 
je  suis  tout  disposé  à  battre  de  nouveau  les 
ligueurs* 


Âpres  cette  plaisanterie ,  Gtvri  se  lève  et 
sort.  Le  légat  honteux  rougit  et  frémit.  Les 
témoins  rirent  de  son  embarras.  Nous  en 
ririons  nous-mêmes,  si  notre  esprit  n'était 
pas  trop  profondément  affecté  de  toutes  les 
extravagances  que  nous  avons  encore  à  ra- 
conter. 


4° 


CHAPITRE  XLII. 

1 590.  Nouveau  décret  de  la  Sorbonne  contre  Henri 
IV.  Blocus  de  Paris.  Famine.  Horreurs. 
Montre  des  gens  d'armes  de  V église  mili- 
tante. Du  docteur  Rose. 

e  Mai.  LE  cardinal  Roi  ,  surnommé  Ydne  rouge  s 
mourut  en  prison  :  après  sa  mort  plusieurs 
cohtendans  prétendirent  à  la  couronne.  Le 
roi  d'Espagne  la  réclamait  pour  sa  fdle  ,  du 
chef  à\Eliza6eth ,  sœur  de  Henri III.  Le  duc 
de  Savoye  la  demandait  pour  lui ,  fondant 
son  droit  sur  Marguerite  sa  mère  ,  sœur  dô 
Henri  II.  Le  duc  de  Lorraine  prétendait 
qu'elle  était  due  a  son  fils  ,  du  chef  de 
Claude  ,  sœur  de  Henri  III.  Le  jeune  car- 
dinal de  Bourbon  y  aussi  borné  crue  le  défunt, 
et  dirigé  dans  ses  démarches  par  des  théolo- 
giens ,  s'en  croyait  le  légitime  héritier.  Les 
ligueurs  parlaient  de  la  donner  au  jeune  duc 
de  Guise  qui  était  en  prison.  Mayenne  la 
voulait  pour  lui  et  n'osait  la  prendre  :  il 
attendait  son  destin  du  sort  des  armes. 
Henri  IV  est  le  seul  qui  ait  droit  au  trône , 


Nouveau  décret  de  la  Sorbonne.  4* 
le  seul  qui  le  mérite  ,  et  il  fut  le  seul  que  le 
fanatisme  en  exclut  formellement.  La  mort 
du  cardinal  de  Bourbon  ne  hâta  point  sa 
forttme.  Les  ligueurs  firent  de  nouveau  inter- 
venir la  Soruonne  contre  lui.  Elle  renouvella 
son  décret,  le  déclarant  toujours  inhabile  à 
régner ,  attendu  qu'il  était  relaps  :  elle  enjoi- 
gnit à  tous  les  prédicateurs  de  le  publier  en 
chaire  ,  et  aux  confesseurs  d'exiger  de  leurs 
pénitens  une  adhésion  entière  à  son  décret. 
C'était  se  servir  du  sacrement  de  la  réconci- 
liation pour  prolonger  la  révolte  et  la  guerre  : 
c'est  ainsi  que  la  théologie  épaississait  sur  les 
yeux  d'un  peuple  égaré  le  bandeau  de  la 
crédulité.  Les  ligueurs  s'adressèrent  aussi  au 
pape  ,  dit  un  historien  ,  par  l'entremise  des 
Sorbonistes  leurs  conducteurs  ;  et  ces  con- 
ducteurs^ ajoute-t-il  ,  étaient  gens  ignorans , 
ambitieux  ,  sanguinaires  ,  accoutumes  à. 
pédantiser  dans  un  collège.  Le  pape  promit 
de  l'argent  et  des  hommes,  mais  il  n'en 
donna'pas.  Le  parlement  se  joignit  à  la 
Sorbonne  ,  et  par  un  arrêt  défendit ,  sous 
peine  de  vie  ,  de  parler  de  paix. 

Henri  IV  mit  le  siège  devant  Paris  :  cette  $]„cvs  je 
ville  n'avait  alors  pour  garnison  que  quel-  Vins. 
ques  troupes  Espagnoles  et  quelques  compa- 


4^*  Famine  dans  Tans  '. 

gnies  bourgeoises ,  armées  de  vieux  fusils 
rouilles. Mayenne  était  absent. Hen ri  pouvait 
se  rendre  maître  de  Paris  ;  mais  les  suites  d'un 
assaut  lui  font  horreur.  Il  aime  mieux  rame: 
ner  par  la  faim  les  habitans  à  l'obéissance 
que  de  les  égorger  :  il  se  contente  de  les 
bloquer  et  d'intercepter  tous  les  vivres  , 
espérant  que  la  disette  calmera  leur  fureur 
religieuse.  Ce  bon  roi  se  trompa. 

La  famine  fut  bientôt  allumée  dans  Paris  ; 
mais  seshabitanSjà  qui  les  prédicateurs  mon- 
trent le  ciel  ouvert  et  la  palme  du  martyre 
qui  les  attend  ,  bravent  ce  fléau  qui  de  jour 
en  jour  se  déploie  avec  plus  d'horreur.  Au 
milieu  de  la  misère  à  laquelle  ils  sont  en 
proie  ,  ils  s'assemblent  à  l'hôtel -de -ville. 
Capitaines  et  bourgeois  y  jurent  de  plutôt 
mourir  que  de  recevoir  un  roi  hérétique. 
La  plupart  de  ceux  qui  ont  demandé  la  paix 
sont  condamnés  à  la  mort ,  et  c'est  avec  un 
superbe  endurcissement  que  le  peuple  se 
dévoue  à  toutes  les  horreurs  de  la  famine. 

L'ambassadeur  d'Espagne  ,  Mendose  , 
fait  frapper  des  demi-sous  avec  les  armoiries 
de  Philippe  II  :  on  en  jettait  des  poignées 
dans  les  carrefours.  Le  peuple  criait  :  vive  le 
roi  d'Espagne }  mais  bientôt  l'or  de  l'Espar 


Murmui'es  contre  le  légat:  ifS 
gne  devint  inutile.  On  eut  de  l'argent  et 
point  de  pain.  Le  peuple  changea  de  lan- 
gage :  «  monseigneur ,  criait-il  sous  ses  fenê- 
tres ,  gardez  vos  sous  et  donnez- nous  du 
pain  ».  Le  légat  ne  se  lassait  point  de  donner 
des  indulgences  in  articulo  mortis.  Ces  in- 
dulgences gratuites  étaient  la  consolation; 
des  mourans. 

Les  ecclésiastiques  et  les  religieux  pour- 
vus de  tout  ,  prêchaient  la  patience  et  la 
résignation:  cependant  on  ordonne  la  visite 
des  greniers.  Tyrius  ,  recteur  des  jésuites  t 
demande  au  légat  une  exception  pour  sa  mai- 
son. Le  prévôt  des  marchands  ,  présent  Là 
cette  demande  ,  trouve  qu'elle  n'est  ni  civile 
ni  chrétienne  ,  et  commence  ses  recherches 
par  leur  collège  :  ils  avaient  pour  un  an  de 
bled,  du  biscuit  et  des  viandes  salées  ;  on 
n'en  trouve  guères  moins  chez  les  capu- 
cins. C'est  du  sein  de  cette  abondance  que 
tous  les  moines  prêchaient  au  peuple  qu'il 
était  plus  glorieux  de  mourir  de  faim  que 
de  reconnaître  le  Béarnois  pour  roi. 

L'ouverture  des  greniers  fut  une  res- 
source ;  mais  elle  ne  fut  que  momentanée  : 
quand  on  n'eut  plus  de  grains  ,  on  eut  re- 
cours aux  animaux.  Les  chevaux,  les  ânes, 


44  Horreurs  de  la  famine. 

les  chats  et  les  chiens  furent  dévorés.  Une 
femme  de  la  duchesse  de  Montpensier  mou- 
rut de  faim  :  la  duchesse  elle-même  à  qui 
on  offrait,  pour  avoir  son  chien ,  des  chaînes 
et  des  bagues  d'or  pour  la  valeur  de  deux 
mille  écus  ,  répondit  qu'elle  gardait  ce  chien 
pour  elle  ,  quand  elle  aurait  fini  ses  provi- 
sions. 

On  fit  un  suintent  de  l'ardoise  broyée  mê- 
lée avec  du  son  et  de  la  poussière  du  foin  ; 
mais  e  fléau  augmentant  de  jour  en  jour, 
on  fut  obligé  de  fouiller  dans  les  cimetières 
les  ossemens  des  cadavres  ,  et  de  ramasser 
les  os  des  animaux  qu'on  avait  dévorés  :  on 
les  convertissait  en  farine  dont  on  faisait 
une  nourriture  qui  portait  avec  elle  un  germe 
de  peste  et  de  mort.  On  vit  des  hommes 
paître  l'herbe  qui  croissait  dans  les  rues, 
et  se  croire  heureux  d'en  trouver  :  des  mères, 
pour  prolonger  une  vie  qui  devait  leur  pa- 
raître détestable,  poussèrent  l'égarement  jus* 
q^^,à  dévorer  leurs  enfans  :  on  trouva  dans 
le  huffet  d'une  dame ,  une  cuisse  d'enfant 
qu'elle  avait  fait  cuire  dans  le  pot  ;  c'était 
le  second  qu'elle  mangeait  depuis  huit  jours, 
ih  périt  plus  de  huit  mille  personnes  dans 
les  convulsions  de  la  faim. 


Procession  extravagante.  $5 
Dans  ce  comble  de  misère  les  parisien* 
s'assemblent  à  l'hôtel-de- ville ,  ils  n'osent 
parler  de  paix  ;  mais  on  résout  d'invoquer 
le  ciel  qui  semble  les  avoir  abandonnés  à 
leur  propre  fureur.  La  vierge  qui  en  Europe 
a  leplusde  célébrité  est  choisie  pourpatrone, 
c'est  Notre-Dame  de  Lorette  ;  on  lui  voue 
un  navire  d'argent  du  poids  de  trois  cents 
marcs,  et  la  famine  continue. 

Cependant  le  peuple  murmure;  les  ressorts 
de  son  fanatisme  semblent  se  détendre  ; 
mais  on  trouve  le  moyen  de  les  rebander 
encore  pour  quelques  jours  en  l'occupant 
par  des  prières  ,  par  des  sermons  ,  par  des 
grand'messes  ,  et  par  des  bénédictions  : 
du  haut  des  chaires  en  montrant  un  cruci- 
fix, et  du  haut  des  autels  en  montrant  au 
peuple  le  S.  Sacrement,  on  lui  crie  :  sachez 
mourir  pour  un  Dieu  qui  est  mort  pour  vous. 

Parmi  les  processions  dont  on  amusait 
les  parisiens ,  il  en  est  une  qui  mérite  d'être 
décrite.  Dans  les  mémoires  de  la  ligue,  elle 
est  connue  sous  le  titre  de  la  grande  montre 
de  la  gendarmerie  de  l'église  militante.  Plus 
de  douze  cents  religieux  ou  prêtres  séculiers 
marchaient  à  cette  procession  :  les  moines 
prévient  le  titre  de  gendarmes  de  l'église. 


'46        Adresse  du  petit  feuillant. 
Chaque  gendarme  ayant  sa  robe  retroussée 
et  sur  sa  robe  un  corselet  militaire,  le  cas- 
que en  tête ,  la  cuirasse  sur  le  dos ,  d'une 
main  tenait  un  sponton  ,  et  une  arquebuse 
rouillée  de  l'autre. 

A  la  tête  de  cette  procession  était  un 
chartreux  qui  portait  la  croix  et  une  hal- 
lebarde. Le  pere  Bernard  de  3fontgai lia rdt 
dit  le  petit  feuillant ,  à  cause  de  sa  taille 
•courte  et  ramassée,  ayant  à  sa  ceinture  une 
hache  ,  et  son  bréviaire  attaché  à  ime  ban- 
doulière qui  pendait  sur  ses  épaules,  réglait 
les  cérémonies  de  la  montre.  Ce  moine 
était  boiteux  ,  mais  très-courtois  envers  les 
dames  :  il  ne  passait  jamais  devant  elles 
sans  les  saluer  ,  faisant  admirablement 
le  moulinet  et  la  pirouette  sur  le  talon. 

Bernard  de  Montgaill ard  avait  fait  du 
couvent  des  féuilians  le  dépôt  des  armes  de 
la  ligue  :  on  l'accusait  d'avoir  souvent  intro- 
duit pendant  la  nuit  des  femmes  de  débauche 
dans  son  abbaye  ,  d'avoir  voulu  faire  assas- 
siner un  gentilhomme  ,  d'atoir  fait  jetter 
un  de  ses  moines  dans  une  forge  allumée , 
etd'avoir  donné  quatre  cents  écus  à  un  apos- 
tat du  calvinisme  pour  poignarder /7<?/z/7  IV. 
Malgré  tant  et  de  si  graves  accusations, 


*Le  docteur  Rose fait  des  miracles.  47' 
îe petit  feuillant  était  un  moine  très-agréable 
au  ciel  :  Dieu  fit  de  grands  prodiges  en  sa  fa- 
veur :  il  lui  envoya  des  extases  et  des  révé- 
lations comme  à  un  élu  ;  il  le  guérit  d'une  ré- 
tention d'urine  etd'un  catarre  sur  la  langue. 

C'est  de  son  ami  le  docteur  Rose ,  évêque 
de  Senlis  ,  que  Dieu  se  servit  pour  opérer 
cette  dernière  cure.  Avec  le  seul  mot  ef/œta 
l'éveque  Rose  lui  rendit  la  liberté  de  la 
langue.  Ce  docteur  était  un  ligueur  qui  n'é- 
tait guères  moins  forcené  que  le  petit  feuil- 
lant y  ni  moins  agréable  à  Dieu.  Après  la 
mort  du  cardinal  de  Rourboii ,  on  le  revêtit 
du  magnifique  titre  de  conservateur  aposto- 
lique de  la  Sorbonne  :  on  le  regarde  comme 
le  théologien  qui ,  par  ses  propos  ,  par  ses 
écrits  et  par  ses  sermons  ,  contribua  le  plus 
à  entraîner  Paris  dans  la  révolte ,  et  à  faire 
chasser  Henri  III  :  c'est  lui  qui  donna  en 
chaire  le  premier  exemple  des  prédications 
séditieuses.  Après  la  mort  de  Henri  III il 
fit  l'apologie  de  Clément  l'assassin  de  ce  roi  : 
il  fut  le  premier  à  signer  le  décret  de  la 
ligue  :  après  son  nom  signé  en  lettres  de 
sang,  il  écrivit  :  utinam  qui  prœit  signo  an-? 
tecedat  martyrio  ;  plût  à  Dieu  que  celui  qui 
signe  le  premier  soit  le  premier  martyr. 


48  Coquinerie  du  docteur  Rose. 
Ce  docteur  Rose ,  qui  desirait  fi  ardemment 
le  martyre  et  qui  faisait  des  miracles  ,  était 
aussi  un  grand  confesseur  de  demoiselles  : 
nous  doutons  beaucoup  des  miracles  qu'on 
lui  attribua  dans  le  temps  ;  mais  nous  assu- 
rons comme  une  vérité  historique  que  ce 
docteur  de  Sorbonne ,  évêque  de  Senlis  , 
eut  la  coquinerie  d'abuser  de  sa  pénitente 
la  belle  et  jeune  de  Neulli ,  fille  'du  pré- 
sident de  ce  nom.  Il  lui  fit  un  enfant  et  il 
n'en  resta  pas  moins  l'ami  de  ce  président 
qui  était  un  imbéciile. 

Les  excès  en  tout  genre  de  fanastime  aux- 
quels Rose,  le  conservateur  delà  Sorbonne, 
s'était  livré  pendant  dix  ans  ,  lui  méritèrent 
l'honneur  d'être  choisi  pour  officier  à  cette 
procession  :  de  la  main  gauche  il  tenait  un 
crucifix  fort  élevé  ,  et  de  la  droite  il  bran- 
dissait en  tous  sens  une  épée  flamboyante. 
Pignatol  qui  à  la  cour  de  Charles  IX  avait 
prêché  la  S.  Barthelemi ,  et  mie  les  Guise 
avaient  fait  évêque  d'Apt ,  était  un  des 
diacres. 

Hamilton,  autre  docteur  de  Sorbonne  et 
curé  de  S.  Cosme  ,  faisait  les  fonctions  de 
major;  c'était  lui  qui  donnait  le  signal  lors- 
qu'on devait  marcher,  s'arrêcer   et  tirer. 

De 


49 

de  distance  en  distance  on  faisait  des  dé- 
charges d'arquebuse.  C'est  dans  une  de  ces 
salves ,  que  fut  tué  l'aumônier  du  légat 
Caetan:  après  un  tel  événement  on  s'arrête, 
mais  monseigneur  assure  que  l'aine  de  son 
aumônier  est  montée  au  ciel ,  et  la  proces- 
sion continue  sa  marche. 

Quant  à  nous,  nous  continuerons  le  récit 
des  folies  déplorables  auxquelles ,  dans  l'i- 
vresse de  leur  fanatisme,  se  livraient  sans 
relâche  les  prêtres  et  le  peuple  de  Paris, 


Tome  II. 


D 


CHAPITRE  XLIII. 

7^q0     Henri  IV  est  de  nouveau  excommunié.  Les 
et  1591.       ligueurs  et  la  Sorbonne  offrent  à  Phi- 
lippe II ,  la  couronne  de  France. 

»S i  x  te  V  était  instruit  de  ce  fanatisme 
et  se  repentait  déjà  de  l'avoir  mis  en  f'er- 
tnentation  par  ses  bulles  et  ses  promesses. 
En  vain  Pelle:  c  ,  proviseur  de  Sorbonne, 
le  sollicitait  pour  avoir  des  soldats  ,  de  l'ar- 
gent et  des  nouvelles  excommunications.  On 
envoyait  à  Rome,  courier  sur  courier  ,  et 
l'on  n'obtenait  rien  de  sa  sainteté. 

Les  ligueurs  s'en  plaignirent  à  PhïlippcII, 
qui  leur  lit  passer  des  doublons  et  qui  dé- 
pêcha à  Rome  un  envoyé  pour  sommer  le 
pape  à  donner  les  secours  qu'il  avait  promis. 
Sixte  /-'"instruit  de  la  commission  de  l'en- 
voyé ,  lui  fait  dire  qu'il  le  fera  pendre  s'il 
fait  cette  sommation  ;  et  elle  ne  fut  pas  faite. 
Si  ce  pape  n'était  point  mort,  on  l'aurait 
vu  excommunier  ce  ramas  de  bourgeois  , 
de  moines  ,  de  prédicateurs  et  de  sorbo 


Sorbonistcs déshonorent  la  religicn.  51 
ïiistes  insensés  qui,  par  leurs  extravagan- 
ces déshonoraient  la  religion.  Aussi  les  li- 
gueurs se  réjouirent-ils  de  sa  mort.  Aubrî% 
docteur  de  Sorhonneet  curé  de  .Saint- André* 
des-Arcs  ,  l'annonce  au  peuple  en  disant  : 
Dieu  nous  a  dé  livrés  d'un  méchant  pape  :  s'il 
£iit  vécu  plus  long-terns  ,  ou  eiit  élé  étonné 
de  voir  dans  Taris  prêcher  coîitre  Lui  ;  mais 
il  l'eut  hicu  fallu  faire. 

Tandis  que  les  ligueurs  invoquent  en  vain 
contre  la  misère  qui  les  opprime  ,  l'Espa- 
gne ,  Rome  ,  le  Ciel  et  Notre-Dame  de  Lo- 
rel'.e,  Henri  IV resserre  de  plus  en  plus  Paris^ 
Il  refuse  de  laisser  sortir  les  bouches  inuti- 
les,  mais  il  permet  à  ses  soldats  et  à  ses  vi- 
vamiiors  de  vendre  aux  assiégés,  des  vian-r 
des  ,  du  pain  et  des  alimens.  Ses  troupes 
étaient  harassées ,  mal  payées  et  presque 
nues.  Le  duc  de  Parme,  avec  une  armée  pour- 
vue de  tout ,  marchait  à  grandes  journées 
vers  Paris.  Henri  IF  lève  le  blocus ,  décampe 
et  revient  sur  ses  pas,  après  l'éJoignement 
de  l'ennemi,  tenter  une  escalade  :  les  échelles 
étaient  déjà  placées  -,  la  sentinelle,  qui  était 
un  jésuite ,  d'un  coup  de  hallebarde  ren- 
verse dans  les  fossés  le  premier  soldat  qui 
parait  sur  la  muraille  ;  il  crie  aux  armes. 

D  % 


5*  Moines  guerriers. 

Neuf  de  ses  confrères  qui  étaient  dans  le 
corps-de-garde  voisin  ,  accourent.  Les  bour- 
geois arrivent  à  tems.  Tous  les  escalacleurs 
sont  repoussés,  et  Henri  IV 'fait  sonner  la 
retraite.  «  Tout  était  soldat,  dit  le -duc  de 
s>  Nevers  ;  les  moines  comme  les  autres  , 
55  gardaient  les  retranchemens  des  faux- 
55  bourgs  55  •  ayajit  des  chapeaux  panna- 
chés  de  diverses  couleurs ,  portant  arquebu- 
ses ,  corselets  et  autres  armes. 

Grégoire  XIV 'qui  avait  succédé  à  Sixte  V 
et  qui  ne  le  valait  pas  ,  envoya  aux  ligueurs 
une  petite  armée.  Son  neveu  Montemar- 
ciano  la  commandait.  Le  commissaire  gé- 
néral était  un  prélat  italien,  nommé  Mat- 
tevei.  Tous  les  novices  des  jésuites  ,  con- 
duits par  Aigri  leur  supérieur  ,  allèrent  jus- 
qu'à Verdun  renforcer  cette  petite  armée 
papale.  Le  nonce  Landriano  ,  un  peu  plus 
à  craindre  que  les  soldats  italiens  ,  était  dé- 
jà arrivé  à  Paris  avec  deux  bulles  qui  de- 
vaient préparer  les  succès  à  l'année.  Par  une 
bulle  Henri  IV"  était  excommunié  de  nou- 
veau ;  par  l'autre  il  était  enjv)inr  d'assembler 
les  états  pour  nommer  un  roi.  Le  fougueux 
.Landriano  osa  publier  la  bulle  d'excommu- 
nication et  ordonner  par  des  inonitoires  à 


Bulle  brillé e.  53 
tous  les  ecclésiastiques,  d'abandonner  Hen- 
ri IV '  j  sous  peine  d'être  excommuniés. 

L'épiscopat  et  la  magistrature  se  parta- 
gèrent :  il  y  eut  leséyêques  de  la  li^ue  et  les 
évêques  de  Henri  IV  ;  les  parlcmens  de  la 
sainte  union  et  les  parlemens  du  roi  ; 
celui  de  Chàlons  ajourne  pendant  trois  jours 
au  son  de  la  trompe  l'insolent  JLandria.no  y 
le  décrète  de  prise  de  corps  ,  prononce  peine 
de  mort  contre  ceux  qui  le  logeront ,  pro- 
met dix  mille  livres  de  récompense  à  qui 
4e  livrera  à  la  justice  ;  et  déclare  enfin  crimi- 
nel de  lèze-majeste  tout  évêque  qui  publiera 
ces  bulles  scandaleuses  et  séditieuses.  Le  par- 
lement de  Tours  p dusse  encore  plus  loin  son 
zèle  pour  la  patrie.  Il  fait  briller  ces  belles 
par  la  main  du  bourreau  ,  et  déclare  Gré- 
goire XIV,  fauteur  de  la  mort  de  Henri  III 
puisqu'il  l'approuve. 

Une  bulle  brûlée  n'est  que  le  bien  du 
moment  :  mais  ce  qui  devait  être  le  bien 
de  tous  les  temps,  c'est  que  Ge  même  par- 
lement <'•.„  Tendit  de  payer  des  aimâtes  à  Ro- 
me ,  enjoignant  aux  eveures  ,  aux  aidé;; 
fiux  fidèles  de  ne  plus  reeourirau  pape  pou* 
avoir  des  bulles,  des  disperses  de  vœux  ,  de 
mariages  ,  etc.  :  c'était  la  raison  ,  la  sagesse, 

D  3 


54  Projet  d'un  patriarche. 

an  patriotisme  éclairé  qui  voulaient  intro- 
duire cette  réforme  aussi  honorable  àl'épis- 
copat  qu'avantageuse  à  la  France. 

Le  courageux  dn  Harlai ,  qui  en  payant 
une  grosse  somme  d'argent  T  était  sorti  de  la 
Bastille  y  ernt  que  cela  n'était  point  encore 
assez.  Il  proposa  hautement  de  créer  urt 
patriarche  en  France.  Plusieurs  évêqucsaj}- 
puy^reni  celte  idée.  Hemi  LV  la  rejetta  , 
non  qu'il  ne  la  jugeât  ]>as  bonne  et  raison- 
nable, mats  son  esprit  jaiste  craignait  de 
fournir  à  lasupersli'ion  des  ligueurs  un  nou- 
veau prétexte  pour  prolonger  leur  égare- 
ment. 

Le  parlement  de  Paris  fit  brûler  coinme- 
é.xécrablr  et  ahominahle ,  l'arrêt  du  par- 
lement de  Tours.  Les  évt  \v.es  de  la  li- 
gue condamnèrent  les  numdemens  des  évo- 
ques de  Heur;  IV.  î>e  point  important  <  ùt 
été  de  changer  l'opinion  dominante;  mais 
c'était  la  chose  la  plus  difficile.  Cette  opi- 
nion était  de  croire  (pie  ce -prince  était 
damné  et  que  les  français  ne  pouvaient 
être  gouvernés  par  un  damné.  Cette  opinion 
à  force  d'être  prêchée  s'élnit  tellement  en- 
racinée dans  la  tête  du  peuple,  que  ce  peu- 
ple la  regardait  pomme  une  vérité  à  laquelle 
était  attaché  son  salut  éternel. 


Lettre  au  démon  du  midi.  55 
Malgré  les  arrêts  et  les  man démens  en  fa- 
veur de  Henri  IV ,  ses  affaires  n'en  étaient 
pas  plus  avancées.  Les  ligueurs  mus  par  la 
Sorbonne  et  parles  jésuites  écrivirent  à  Pii* 
lippe  II  y  déjà  surnommé  le  démon  du  midi , 
et  lui  offrirent  la  couronne  de  France. 
Voici  un  fragment  de  cette  pièce  cu- 
rieuse. 

«  Notre  ville  déserte ,  notre  université  dé- 
*j  peuplée,  n'y  restant  que  la  faculté  de  t/iéo- 

log/e ,  laquelle ,  tant  ici  que  par  tout  le  reste 
>■>  du  royaume,  par  ses  divines  exportations  , 
»  admonitions  tant  verbales  que  par  écrit  , 
»  étreint  toujours  plus  étroitement  la  sainte 
»  union  entre  les  princes,  seigneurs  et  peuples 

»  catholiques         C'est  une  merveille  que  ce 

»  grand  peuple  parisien  ,  lecjuel  n'avait  ac- 
>->  coutumé  que  l'aise  ,  se  soit  résolu  de  souf- 
»  frir  tant  de  disette  ,  voire  plutôt  la  mort. 
»  Le  S.  Esprit  souffle  où  il  lui  plaît.  Dieu 
»  s'est  servi,  pour  ce  grand  œuvre  des  saintes 
»  et  prophétiques  exhortations  et  sermons 
«  de  nos  bons  pères  de  la  faculté  de  théo- 
»  logie  ,  maîtres  de  nos  consciences  ,  et  de  la 
»  résistance  au  mal  qu'il  a  plu  lui  faire  la  gra- 
»  ce  à  notre  compagnie  des  seize  quai-tiers 
»  d'y  pouvoir  apporter,  de  laquelle  ces  bons 

D  4 


S6  Lettre  des  Sorbonistes 

?>  pères  sont  modérateurs  et  y  présidant , 
J3  sans  l'avis  desquels  elle  ne  l'ait  aucune  ré- 
j>  solution  et  entreprise  ,  tant  est  si  étroite 
»j  entre  eux  et  nous  l'union  ,  et  de  nous 
33  à  eux  l'obéissance  grande  ,  comme  des 
»  enfans  aux  pères  et  des  soldats  aux  ca- 
53  pitaines. 

»  Sous  cette  conduite  nous  avons  souf- 
»  fert  tout  ce  qu'il  éîait  possible  de  souffrir  : 
»  ainsi  nos  misères  croissant  de  jour  en  jour, 
»  nous  sommes  sur  le  point  d'en  être  acca- 
»  blés  ,  si  Dieu  du  ciel  ne  nous  suscite  un 
«  libéral  bienfaiteur  pour  nous  relever  de 
»  notre  tracliement. 

33  Une  chose  nous  reste  pour  ,  avec  l'aide 
y>  de  votre  majesté  catholique,  remédier  à 
»  nos  misères;  savoir,  que  nous  avions  On 
»  roi  déclaré  pour  parvenir  à  ce  point  au- 
>3  quel  tendent  les  trois  ordres  de  ce  rovau- 
>3  me  ;  nous  nous  remettons  à.'la  divine  pro- 
33  videnceetàla  volonté  de  sa  sainteté  et  de 
s»  votre  catholique'  majesté  ..... 

»  Tous  sentent  ce  désir  engravé  au  plus 
33  profond  cabinet  de  leur  cœur  , -.assurant 
*>  à  votre  catholique  majesté  ,  que  tous  les 
s»  bie'is  et  souhaits  Sont  de  voir  votre  ca- 
»  tholique  majesté  tenir  le  sc  eptre  de  cette 


au  démon  du  midi.  5  y 

s»  couronne  et  régner  sur  notis;  nous  nous 
»  jetions  entre  ses  bras ,  ainsi  qu'à  notre 
»  père  ,  ou  bien  qu'elle  y  établisse  quelqu'un 
53  de  sa  postérité  ,  etc. 

33  Le  R,  P.  Mathieu,  nrésent  porteur ,  lequel 
33  nous  a  beaucoup  édifié  ,  sftppléerà  au  dé- 
33  faut  de  nos  lettres  envers  votre  catholi» 
33  que  majesté ,  et  ont  sis^é  les  gens  tenant 
33  les  seize  quartiers.  Martin  ,  Génébrard , 
33  Hamihon y  docteurs  en  théologie ,  etc ,  etc. 
33  Paris,  2.1  novembre  îoyi  33. 

Cette  lettre  était  la  seconde  que  les  li- 
gufeurg  écrivaient  à  Philippe  II.  On  avait  in- 
tercepté la  première  ,  et  Henri  I^V avait 
fait  remettre  à  7\la«,  e;zne_,  ce  qui  l'aigrit  pro- 
digieusement .contre  les  ligueurs  et  contre 
la  Sorboune. 

Le  fanatisme  qui  s'était  emparé  des  pari- 
siens, n'agitait  pas  avec  moins  de  fureur 
les  citoyens  de  Rouen  ,  ainsi  que  ceux  de 
Paris  ;  ils  étaient  séduits  et  entraînés  par  leurs 
prédicateurs.  Un  docteur  en  théologie , 
nommé  Dadre  ,  et  l'un  des  plus  emportés 
sermoncurs  de  Rouen  ,  monte  en  chaire 
et  prend  pour  texte  de  son  discours  ,  nol'fte 
jugu/n  duccre  cum  infidtdihus.J^e  vive/-  pas 
arec  Jes  infidèles.  Il  conclut  de  ce  passage 


58 

qu'il  valait  mieux  mourir  que  de  reconnaî- 
tre le  Béarnais.  Quand  par  ses  déclamations 
il  eut  alarmé  la  conscience  de  ses  auditeurs, 
il  leur  fit  renouveller  le  serment  de  la  sainte 
union  ;  mais  avec  cet  appareil  de  religion, 
qui  subjugue  toujours  les  âmes  faibles  et 
qui  impose  silence  aux  sages* 


fer 


59 


CHAPITRE    X  L  I  V. 


Gondi  ,  éçêqne  de  Paris ,  refuse  de  signer 
le  décret  dfla  Sorbonne.  Magistrats  pen- 
dus. Requête  de  la  Sorbonne  à  Mayenne. 

È  VR  'S  ,  je  suis  averti  qu  il  y  a 
des  traîtres  dans  cette  compagnie.  C'est 
trop  endurer;  il  faut  jouer  des  couteaux. 
Tel  fut  le  discours  que  Pelletier ,  docteur 
fie  Sorbonne  ,  tint  dans  une  synagogue  de 
ligueurs.  Il  y  avait  en  effet  quelques  lions 
citoyens  qui  eurent  le  courage  de  se  mêler 
à  ce  rainas  de  brigands  pour  épier  leurs  dé- 
marches, et  c'étaient  ces  bons  citoyens  quelé 
docteur  Pelletier  voulait  qu'on  poignardât. 

Le  nonce,  le  légat,  tous  les  ligueurs  en  vou- 
laient sur-tout  à  Gondi ,  évêque  de  Paris. 
Sa  sagesse  le  rendit  suspect  aux  ligueurs  :  ils 
lui  proposèrent  ou  de  signer  le  décret  delà 
Sorbonne  qui  excluait  Henri  IV  de  là  ron- 
ronne ,  ou  de  sortir  de  Paris.  Gondi  préféra 
ce  dernier  parti  et  livra  ses  diocésains  à  leurs 
propres  fureurs  >  comme  un  pasteur  aban- 
donne un  irouncau  de  betes  enragées. 


6o  Evêque  de  Paris  chassé. 

Après  ia  sortie  de  l'évêque  on  procéda 
contre  lui  comme  envers  un  traître. Ses  biens 
devinrent  la  proie  des  ligueurs.  Le  docteur 
Rose ,  conservateur  apostolique  de  la  Sor- 
boime,  voulait  avoir  l'évêché  de  Paris  ;  mais 
dans  la  crainte  de  se  compromettre  avec 
Rome,  les  ligueurs  n'osèrent  l'enrevetir.  Ils 
n'eurent  point  cette  crainte  à  l'égard  de 
Brisson  qu'ils  avaient  nommé  premier  pré- 
sident du  parlement.  Un  nommé  Brlgard 
est  convaincu  d'avoir  écrit  à  quelques  par- 
tisans de  Heur'?  Jl .  Ils  veulent  le  faire 
mourir ,  mais  Brisso/t  les  en  empêche  ; 
l'indulgence  du  magistrat  leur  déplut  ;  dès 
ce  moment  il  leur  fut  suspect  ;  lis  veulent  le 
faire  assassiner,  mais  ie  soldat  qu'ils  ont 
choisi,  se  refuse  à  cette  lâcheté. 

Les  ligueurs  n'osèrent  demander  la  mort 
du  président  Brisson  en  plein  conseil}  Il 
eut  été  difficile  de  l'obtenir;  exnoi- 
sérent  dans  ce  conseil  une  quesi  ion  très-epi- 
neuse.  Les  avis  furent  partagés.  On  propos^, 
de  consulter  la  Sorbonne  ,  un  ligux  e 
chargea  de  rédiger  le  mémoire  ;  il  présente 
un  papier  blanc  ;  chaque  membre  du 
conseil  met  son  nom  au  bas  du  pajpieu 
ce  n'est  point  une  consultation  à  la  Sorbonne 


Conjuration  conduite  par  deux  docteurs.  6i 
qu'on  écrit  au-dessus  de  la  signature  ;  c'est 
l'arrêt  de  mort  du  président  Brisson,  de 
Larcher  conseiller  de  grand'chainbre  ,  et 
de  2û/z///*conseiller  au  châtelet. 

Brisson  fut  arrêté  au  milieu  de  la  rue." 
S'il  faut  en  croire  les  écrits  du  teins  Lincestre 
et  Pe/letiertous  deux  docteurs  de  Sorbonne  , 
conduisirent  toute  cette  conjuration,  et  se 
trouvèrent  à  la  tête  des  mouchards  qui  l'arrê- 
tèrent. Laujiai  autre  théologien  avait,  dit-on, 
présidé  à  tous  les  conseils  secrets  où  il  avait 
été  question  de  la  mort  de  ce  magistrat. 
On  le  mena  dans  les  prisons  du  châtelet. 
Crômé  du  grand  conseil  lui  lut  sa  sentence. 
Brissonf\a.  tête  remplie  des  formes  judiciaires, 
demande  quel  est  son  crime  ,  quels  sont  ses 
juges  et  ses  témoins  ;  les  bourreaux  ,  vêtus 
d'un  roquet  noir  sur  lequel  était  une  gi'ande 
croix ,  rient  de  sa  simplicité  ,  le  laissent  un 
moment  avec  un  confesseur  ,  et  ensuite 
l'étranglent  à  une  échelle  arcboutée  contre 
une  poutre. 

Pendant  qu'on  fait  mourir  le  premier 
président  du  parlement,  une  troupe  de  fac- 
tieux conduits,  dit-on  encore,  par  le  doc- 
teur Ilarnihon  ,  vont  prendre  Larcher  et 
Tardif,  lesquels  voyant  Brisson  pendu  se- 
confessent  et  meurent  sans  se  plaindre.  Leurs 


6%        Soibonistes  devenus  archers. 
corps  lurent  attachés  à  trois  potences  à  la  grè- 
ve, pour  épouvanter  tout  homme  Je  bien  qui 
parlera  de  paix. 

Itïayenne  irrité  de  ces  assassinats  ,  mais 
encore  plus  irrité  de  la  lettre  des  ligueurs  au 
roi  d'Espagne  f  accourt  à  Paris  :  il  fait  arrêter 
et  étrangler  dans  une  salle  du  louvre  Lou- 
cha rd ,  Anroux  ,  Emonot  et  Amcline.  Le 
supplice  de  ces  quatre  scélérats  fut  regardé 
comme  le  martyre  des  quatre  principaux 
évangélistes  de  la  ligue.  Dans  le  martyrologe 
de  la  sainte  union  ,  à  côté  de  Sa'mt-Guise 
et  de  Saint- Clément,  on  plaça  Saint-TLo//- 
chardel  S&int-Anroux .  Le  docteur  Launai , 
et  Bussi  le  Clerc  menacés  d'augmenter  le 
martyrologe  ,  prirent  la  fuite.  Li/iccslre  et 
Hamiltoji  qui  le  premier  à  la  tête  des  con- 
jurés, mit  la  main  sur  Tardif,  ne  méritaient 
pas  un  moindre  supplice  ;  mais  Mayenne , 
dans  la  crainte  de  se  brouiller  avec  Rome 
et  l'Espagne,  qu'il  avait  intérêt  de  ménager, 
n'osa  faire  mourir  ces  deux  docteurs  de 
Soiljonne. 

Les  théologiens  et  les  prédicateurs  ne 
tardèrent  pas  à  s'élever  contre  Mayenne. 
Le  docteur  Boucher  qu'il  avait  menacé  de 
faire  crever  l'œil  qui  lui  restait,  s'en  plaignit 
comme  d'un  commencement  de  tyrannie. 


Henri.  IV aux  prises  avec  Farnèse.  63 
On  parla  du  supplice  des  quatre  évangélistes 
de  la  ligue  ,  fait  d'autorité  privée  ,  comme 
de  quatre  assassinats.  Pour  rendre  1\ layenne 
odieux,  on  rappella  qu'il  avait  fait  poignarder 
Sacremoiie  sous  ses  yeux  ,  qu'il  était  l'un 
des  assassins  du  duc  de  Sanit-Âf aigri  n  ,  que 
la  mort  du  marquis  de  Mignelai  était  son 
ouvrage.  On  le  fit  auteur  de  divers  empoi- 
sonnemens. 

Pendant  que  la  ligue  étalait  ces  horreurs 
au  milieu  de  Paris  ,  Henri  IV  soumettait 
la  Normandie  ;  Rouen  était  bloqué  et  affamé. 
Farnèse  courut  au  secours  de  cette  ville  ; 
c'était  un  héros  digne  par  ses  talens  d'êtra 
opposé  à  Henri  IV.  Leur  campagne  est  un 
chef-d'œuvre  de  l'art  militaire.  On  fit  rare- 
ment de  plus  savantes  manœuvres.  Les  deux 
héros  firent  heaucoup  de  fautes  ,  mais  elles 
furent  toujours  réparées  avec  intelligence. 
Les  fautes  de  Jfenri  IV  étaient  celle  de  la 
hardiesse  ;  il  tentait  tout  parce  qu'il  voulait 
jouir;  celles  du  duc  de  Vanne  étaient  celle 
d'une  excessive  prudence.  Il  ne  hasardait 
rien  et  ne  regardait  la  valeur  emportée  de 
son  adversaire  que  comme  l'héroïsme  d'un 
carahin.  C'est  ainsi  qu'il  appel  lait Henri,  IV. 

Le  duc  de  Vanne  blessé  au  bras  devant 


64  Décrets  de  Sorb . ,  arrêts  de  conscience. 
Caudebec  en  établissant  une  batterie  ,  perdit 
peu  à  peu  la  supériorité  qu'il  avait  d'abord 
acquise  ;  son  armée  déjà  harassée  par  des 
marches  et  des  contremarches  autant,  que 
par  différentes  escarmouches  ,  se  laissa 
resserrer  dans  une  étroite  langue  de 
terre  qu'entouraient  d'un  côté  l'armée  de 
Henri IV 'et  de  l'autre  la  LSeine  dont  les  eaux 
étaient  corrompues  par  la  marée.  Ses  troupes 
périssaient  par  la  disette  et  par  la  dyssenterie. 
Elles  n'avaient  d'autre  ressource  ,si  elles  ne 
voulaient  mourir  de  faim  ,  que  de  combattre 
en  désespérées  ou  de  se  rendre  prisonnières. 
L'habileté  du  duc  de  Parme  arracha  cette 
armée  au  danger  qui  la  menaçait  et  la  dé- 
roba aux  poursuites  de  Henri  IV. 

Pendant  le  blocus  de  Rouen  ainsi  qu'à 
Paris  ,  on  y  brava  les  horreurs  de  la  famine. 
Chaque  citoyen  ,  laïc  et  prêtre  ,  y  fut  soldat 
et  manœuvre.  Il  fut  défendu  sous  peine 
de  mort  par  le  parlement  ,  d'entretenir 
aucune  intelligence  avec  le  Navairois.  Tout 
homme  vertueux  qui  osa  parler  ele  paix1, 
fut  traîné  au  supplice  :  les  décrets  de  la  Sor- 
bonne  y  étaient  comme  à  Paris  des  arrêts 
de  conscience  qui  armaient  les  Français 
contre  leur  prince. 

Les 


Sagesse  des  gens  de  lettres:  65 
Les  seize  qui,  à  Paris,  avaient  vu  étrangler  „  .. 

11  1  .     T  l       DCS  P°'' 

quatre  de  leurs  membres  et  disperser  plu-  ques, 
sieurs  de  leurs  théologiens ,  furent  moins  à 
redouter  et  les  hommes  de  lettres  osèrent 
davantage  ;  ils  jettèrent  dans  le  public  quel- 
ques petits  écrits  qui  renfermaient  les  germes 
d'un  nouvel  ordre  de  choses.  Les  honnêtes 
gens  commencèrent  à  parler.  Ce  fut  alors 
que  des  bourgeois  ,  pleins  d'honneur  et 
de  sens  ,  se  confédérèrent.  Ils  sentirent 
combien  il  était  honteux  de  se  laisser  en- 
traîner par  des  fanatiques.  Ils  ne  virent 
dans  les  ligueurs  et  leurs  prêtres  qu'un  ramas 
de  voleurs ,  d'assassins  et  de  débauchés. 
Rome  et  la  Sorbonne  devinrent  pour  eux 
des  objets  de  mépris.  Ainsi,  bravant  les 
censures  de  Rome  et  les  décrets  des  théo- 
logiens français ,  ils  osèrent  parler  d'accom- 
modement avec  Henri  IV.  Du  milieu  da 
l'anarchie  où  Paris  était  plongé  ,  ils  firent 
entendre  des  paroles  de  paix.  Assemblés 
chez  l'abbéxle[Sainte-G  eneviève,  ils  arrangè- 
rent les  moyens  de  la  rappeller  en  n'écoutant 
que  l'honneur  et  l'intérêt  de  l'humanité. 

LaSoi  bonne  s'alarme  de  cette  cou  fédération 
qu'elle  ne  peut  arrêter  et  dont  elle  ne  peut 
se  venger.  Bussi  et  Louchard ne  sont  plus,. 
Tome  IL  E 


66  Sorbonne  tombée  dans  le  mépris. 
Boucher  était  tremblant  :  en  vain  elle  menace 
d'excommunier  ces  braves  cicoyens  confédé- 
rés pour  la  plus  belle,  des  causes  et  pour  le 
meilleur  desrois;  ses  décisions  reçues  jusqu'a- 
lors comme  des  oracles  ,  sont  tombées  dans 
l'avilissement.  Elle  envoie  au  duc  de  Ma- 
yenne dont  elle  a  à  se  plaindre  des  commis- 
saires ,  le  sollicitant  de  faire  exécuter  les 
décrets  qu'elle  a  rendus  contre  le  Béarnois 
et  contre  ceux  qui  parleront  de  reconnaître 
pour  roi  cet  excommunié.  Le  duc  de  Mayen- 
ne accueille  ces  théologiens  qu'il  méprise, 
mais  dont  il  a  encore  besoin,  et  leur  promet 
d'arrêter  les  progrès  de  la  confédération. 

Les  prédicateurs  en  attendant  que  Mayenne 
donne  des  ordres  ,  se  déchaînent  contre  les 
politiques.  C'est  le  nom  qu'ils  [donnaient  à 
ces  sages  citoyens  qui ,  en  parlant  de  paix  , 
ne  voyaient  dans  Henri  IV ',  qu'un  roi  qui 
pouvait  les  rendre  heureux.  Tout  citoyen 
soupçonné  de  vouloir  la  paix  est  menacé  se- 
crètement d'être  ou  poignardé  ou  empoi- 
sonné. Morenne  ,  curé  de  Saint  Méri,  fut 
obligé  ,  pour  sauver  sa  vie,  de  sortir  de  Paris. 
Il  n'avait  point  d'autre  crime  à  se  reprocher 
que  d'avoir  prêché  la  paix  àses  paroissiens. 
Le  nombre  des  politiques  augmentait  de 


Cri  fanatique  du  docteur  Pignarol.  67 
jour  en  jour.  Les  ligueurs  épouvantés  com- 
mencèrent à  se  défier  de  leurs  amis  et  de 
leurs  partisans.  La  tranquillité  de  Tignarol, 
(misons  Charles  iXavait  prêché  le  massacre 
des  protestans  ,  et  qui  sous  Henri  III  avait 
prêché  la  rébellion  ,  le  fit  soupçonner  d'être 
politique.  Devenu  vieux  son  fanatisme  sem- 
blait s'être  éteint.  Les  ligueurs  menacèrent 
de  l'enfermer  en  son  froc  de  cordelier  comme 
en  un  sac  et  de  V  envoyer  par  la  Seine  porter 
la  paix  au  Béarnois.  Ils  ne  tardèrent  pas 
à  être  désabusés.  Pignarol  les  invite  à  venir 
l'entendre.  A  peine  ce  vieillard  fut -il  en 
chaire  que  d'une  voix  encore  tonnante  il  fît 
retentir  les  voûtes  de  l'église  de  ce  mot  qu'il 
répéta  trois  fois  avec  sa  prononciation  sa- 
voyarde :  gouerra  ,  gouerra  ,  gouerra.  Son 
sermon  fut  le  commentaire  dev  ce  saint 
mot  (  1  ). 


et 


CHAPITRE  XLV. 


£ti;59934>  Etats  de  Fan 


JlL  ripe  nos  deluto  fœcis.  Seigneur ,  débour* 
bonnez-noiis.  Telle  fut  la  prière  à  Dieu  con- 
tre la  race  des  Bourbons  ,  et  par  laquelle  un 
docteur  de  Sorbonne  commença  l'un  des 
sermons  qui  se  firent  avant  l'ouverture  des 
états ,  ou  plutôt  de  cette  farce  que  des  bala- 
dins Espagnols  ,  Italiens  ,  Lorrains  et  Fran- 
çais jouèrent  à  Paris  dans  le  palais  de  nos 
rois. 

Meunier  I-e  prologue  de  cette  farce  fut  de  faire 
attacher  un  meunier  tout  nud  à  la  queue 
d'un  âne  ,  de  le  promener  dans  les  rues  de 
Paris  et  de  le  faire  fouetter  dans  les  carre- 
fours pour  avoir  dit  sérieusement  à  son  âne 
en  entrant  à  Paris  :  allons ,  gros  jean  >  al- 
lons aux  états. 

L'aventure  d'un  meunier  attaché  à  la 
queue  d'un  âne  ne  devrait  pas  ,  ce  semble , 
entrer  dans  l'histoire  de  la  Sorbonne  ;  mais 
on  nous  la  pardonnera  ;  elle  nous  fait  connaî- 


fc 


nette. 


Etats  convoqués.  69 
tre  le  mépris  on  étaient  ces  états  ,  et  sert 
à  peindre  l'esprit  de  vertige  et  d'atrocité  de 
ces  teins  malheureux. 

Les  comédiens  de  l'hôtel  de  Bourgogne  Théâtres 
curent  ordre  de  fermer  leur  théâtre  ;  on  fermé, 
craignait  qu'ils  n'immolassent  à  la  risée  pu- 
blique les  députés  aux  états.  Cette  crainte 
n'était  pas  sans  fondement  :  ils  avaient  déjà 
joué  sous  le  nom  du  roi  Mambranï ,  le  duc 
de  Mayenne.  Ce  héros  de  la  ligucporla  jus- 
qu'au ridicule  la  rigueur  des  défenses.  Pour 
prévenir  toute  pasqulnade  indécente  qu'on 
pourrait  faire  à  son  sujet  lo  jour  des  rois 
dans  l'intérieur  des  ménnges,  il  défendit  aux 
Parisiens  d'élire  en  soupant  le  roi  de  la  feve.  — 

Cependant  ces  états  convoqués  au  mois' 
de  décembre  avaient  peine  à  s'assembler. 
Les  députés  n'osaient  hnsarder  le  voyage." 
Le  nonce  Sega  avait  publié  une  bulle  qui 
enjoignait  aux  états  de  procéder  à  l'élection 
d'un  roi  catholique.  Le  parlement  de  Chalons 
déclara  infâme  tout  gentilhomme  qui  assis- 
terait à  cette  élection.  Par  le  même  arrêt 
les  ecclésiastiques  étaient  déchus  do  leurs 
bénéfices  ,  sans  espérance  de  pardon.  Il  lut 
enjoint  au  peuple  de  courir-,  au  son  du  toc- 
sin y  sur  ceux  qui  viendraient  aux  cUit-s» 


70  Z)#  cardinal  pelé. 

^  ^  Henri  IV  par  un  édit  les  déclara  criminels 
=  5  janvier,  de  lèze -majesté.  On  établit  des  patrouilles 
pour  aller  à  la  découverte  des  députés  ;  et 
la  plupart  de  ces  députés  ,  pour  échapper 
aux  patrouilles  ,  se  travestirent  les  uns  en 
religieux,  les  autres  en  mendians. 

Avant  de  s'assembler  ,  les  députés  allèrent 
en  procession  à  Notre-Dame  ;  on  y  célébra 
une  messe  en  l'honneur  du  saint-esprit ,  et 
l'on  y  prononça  un  sermon  contre  Henri 
IV ',  contre  la  loi  salique  et  sur  la  nécessité 
d'élire  un  roi  catholique.  Le  légat  commu- 
nia et  bénit ,  au  nom  du  pape  ,  tous  les  dé- 
putés.Après  cette  momerie,  (toute  cérémonie 
d'église  qui  n'a  pas  pour  but  le  bien  public  ne 
mérite  pas  d'autre  nom)  on  ouvrit  les  états. 

Les  principaux  personnages  ou  plutôt  les 
premiers  acteurs  de  cette  farce  nationale 
étaient  des  princes  Lorrains  divisés  entr'eux, 
des  Italiens ,  des  Espagnols  et  quelques  mau- 
vais garnemens  français.  Quant  aux  ecclé- 
siastiques ,  H n'y  eut  gucres  ,  àSx  d' Aiibigné 3 
que  des  prêtres  débauchés  qui  s'y  firent  dé- 
puter. Le  proviseur  de  Sorbonne  ,  ce  même 
Pellevé  que  par  dérision  on  surnommait  le 
cardinal pelé ,  présidait  cette  farce  :  il  pre- 
nait ,  comme  archevêque  de  Reims  ,  le 


t 


De  Vincestueux  cTEspinac.  71 
titre  de  légat-né  du  saint  siège.  Il  avait  été  , 
comme  nous  l'avons  vu  ,  le  principal  agent 
d'une  conspiration  tramée  par  les  Guise 
pour  détrôner  les  V ilois  ;  il  voulait  dans  ces 
états  détrôner  les  Bourbons. 

A  côlé  de  ce  prêtre  conspirateur  étaient 
deux  prélats  incestueux  :  l'un  ,  le  docteur 
Rose  ,  évèque  de  Senlis  et  conservateur 
apostolique  de  la  Sorbonne.  C'était  un 
théologien  fanatique  et  débauché  ;  il  prê- 
chait l'assassinat  et  la  nécessité  de  la  foi 
catholique.  On  sait  qu'il  avait  séduit  la  fille 
du  président  de  Neulli  en  la  confessant. 
Les  démarches  ,  les  actions  ,  les  paroles  , 
tout  en  lui  décelait  un  cerveau  dérangé  ; 
aussi  avait-il  eu  ,  dij>on  ,  divers  accès  de 
frénésie. 

L'autre  prélat ,  qui  figurait  à  côté  du  car- 
dinal Vellevë  t  était  à'Espinac  y  archevêque 
de  Lyon  ,  l'amant  public  de  sa  sœur  :  il 
était  rongé  de  la  goutte  ,  fruit  de  ses  dé- 
bauches. A  la  cour  de  Henri  III  sa  vie 
avait  été  un  scandale  ,  et  c'est  en  plein 
conseil  qu'on  lui  reprocha  son  inceste.  Il 
n'était  encore  qu'étudiant  à  Toulouse  que 
ses  camarades  lui  reprochaient  de  sentir 
?e  faSot-  U  passait,  en  effet ,  dans  sa  jeœ„- 

£4 


75  Genebrarcl picclie  contre  Henri  IV. 
nesse  pour  croire  aux  opinions  de  Calvin. 
Dans  un  âge  plus  mûr  on  l'accusa  de  ne 
pas  croire  en  Dieu  ;  mais  il  voulait  être 
cardinal  ,  et  c'est  ce  qui  le  rendit  catho- 
lique et  ligueur  effréné. 

Après  le  docteur  Rose  et  d'Espinac ,  nous 
placerons  le  vieux  Génebrard ,  docteur  de 
Navarre.  Il  était  l'un  de  ceux  qui ,  par  ses 
écrits  et  ses.  emportemens  ,  s'était  le  plus 
signalé  contre  Henri III  et  contre  Henri  IV. 
Le  duc  de  Mayenne  avait  reconnu  ses  ser- 
vices ,  en  lui  donnant  l'archevêché  d'Aix. 
C'est  lui  qui  ,  à  l'ouverture  des  états  ,  pro- 
nonça le  sermon  qui  ne  fut  qu'une  déclama- 
tion insensée  contre  Henri  IV ',  et  contre  la 
loi  sallque. 

Apres  ces  principaux  personnages  ve-r 
liaient  plusieurs  docteurs  de  Sorhonne.  Nous 
n'avançons  rien  de  trop  en  disant  que  c'était 
-  là  lie  de  ce  corps  qu'on  avait  choisie  pour 
assister  à  ces  états.  Ils  étaient  séditieux,  em-i 
portés.  C'est-là  ce  qui  leur  donna  droit  d'y 
être,  appelles,.  Les  Espagnols  ne  les  y  firent 
entrer  que  comme  des  a  gens  subalternes  t 
pour  renforcer  leur  faction.  Philippe  /i  les 
soudoyait  ;  c'est  en  leur  promettant  desévê- 
chés  et  des  abbayes ,  que  du  fond  de  l'Eseu- 


Sega  uni  avec  la  Sorhonne.  7^ 
rial ,  avec  des  doublons  ,  il  les  faisait  mou- 
voir ,  parler  ,  et  décider  à  son.  gré.  Il  les 
ameutait  ,  tantôt  contre  Henri  IV t  et  tantôt 
contre  Mayenne ,  comme  avec  du  pain  on 
ameute  des  chiens  de  basse-cour. 

Ces  théologiens  ne  craignaient  guère  moins 
le  Lorrain  que  le  Béarnois.  Dans  l'un  ils 
voyaient  un  hérétique  relaps  ;  mais  dans 
Mayenne ,  ils  voyaient  leur  tyran  ,  un  assas- 
sin. Ils  ne  pouvaient  lui  pardonner  d'a- 
voir ,  sans  l'orme  de  justice ,  fait  pendre  les 
quatre  plus  zélés  chefs  de  la  ligue  ,  d'avoir 
obligé  les  docteurs  Pelletier  et  Launai  de 
prendre  la  fuite  ,  d'avoir  menacé  le  docteur 
Boucher  de  lui  faire  crever  l'œil  qui  lui  res- 
tait, et  de  ne  parler  d'eux  tous  qu'avec  mé- 
pris et  indignation. 

Sega  y  cardinal  de  Plaisance ,  et  légat  du 
pape  ,  admis  aussi  à  jouer  son  rôle  dans 
ce  tte  farce  appelléc  les  états  de  Paris  ,  é'.ait 
uni  d'intérêt  avec  tous  ces  docteurs  de  Sor- 
honne contre  Mayenne.  Ce  cardinal  était 
aussi  l'un  de  ces  mercenaires  qui  s'étaient 
vendus  à  l'Espagne  ,  et  qui  manœuvraient 
sourdement  pour  faire  couronner,  reine  de 
France  ,  l'infante  d'Espagne  ,  qu'on  devait 
marier  au  duc  de  Guise ,  neveu  de  Mayenne. 


74  Sega  ambitieux  et  fripon. 

Dans  les  mémoires  de  la  ligue  ,  on  parle 
de  Sega  comme  d'un  ambitieux ,  d'un  inso- 
lent et  d'un  fripon.  Il  était  accusé  d'avoir  fa- 
briqué la  bulle  qui  ordonnait  aux  Français 
de  procéder  à  l'élection  d'un  roi.  Pour  bien 
connaître  cet  Italien ,  il  suffit  de  deitx  lignes 
d'une  lettre  qu'à  son  sujet,  don  Diego  d'I- 
barra  écrivit  de  Bruxelles  à  Philippe  II.  «  II 
est  partiel  du  duc  de  Guise  ;  les  offices  qu'on 
lui  fera  de  la  part  de  votre  catholique  ma- 
jesté 3  pourront  beaucoup  avec  lui.  Il  a  des 
vues  ,  des  prétentions  et  peu  de  bien.  »  Cela 
voulait  dire  :  «  Payez  bien  ce  prêtre  Italien, 
et  vous  l'aurez  à  vos'ordres  pour  bouleverser 
la  France.  » 

L'auteur  de  cette  lettre  ,  don  Diego  d'I- 
barra ,  était  lui-même  l'un  de  ces  scélérats 
qui  sont  autant  à  craindre  pour  les  rois  que 
pour  les  particuliers.  Il  avait  fait  un  long  sé- 
jour en  Flandres  ,  et  y  avait  été  chargé  par 
le  démon  du  midi  son  catholique  maître  , 
d'acheter  des  empoisonneurs  et  des  assas- 
sins. C'est  lui  qui  en  envoya  plusieurs  en 
Angleterre  pour  assassiner  la  reine  Elisa- 
beth. Ce  don  Diego  d'Ibarra  était  à  la  tête 
des  Espagnols  qui  entrèrent  aux  états  de 
Paris. 


7* 

?  I 

CHAPITRE  XLVI. 

Révolution  préparée  en  France  par  les  hom- 
mes de  lettres.  Fragmens  de  la  Satyre- 
Menipée. 

L'anarchie  était  dans  Paris  ,  et  s'étendait 
de-là  dans  toutes  les  provinces.  Au  milieu 
de  cette  anarchie  régnait  toujours  l'aveugle 
fanatisme.  L'Espagne  avec  l'or  qu'elle  pro- 
diguait, les  Italiens  avec  le  mot  de  religion  , 
la  Sorbonne  avec  ses  décrets  et  ses  prédi- 
cateurs ,  entretenaient  le  peuple  dans  ses 
fureurs  contre  Henri  IV.  Cependant  une 
révolution  se  préparait  peu-à-peu  dans  les 
esprits  ;  et  c'est  aux  hommes  de  lettres  qu'est 
due  cette  révolution  aussi  mémorable  dans 
nos  annales  qu'heureuse  à  la  race  des  Bour- 
bons. Il  y  avait  alors  dans  Paris  quelques- 
uns  de  ces  hommes  de  bien  qui  gémissent 
en  secret  du  malheur  de  leur  patrie  ;  qui, 
dans  le  calme  des  passions  ,  pèsent  les  in- 
térêts de  leurs  contemporains  ;  et  qui ,  delà 
profonde  retraite  où  ils  sont  ensevelis,  jet- 
tent dans  le  publie  des  vérités  utiles  ,  dont 


j6  Heureuse  révolution  préparée 
l'effet  n'est  d'abord  que  de  détromper  pende 
personnes  ,  mais  qui  reparaissant  de  teins  en 
teins  ,  forment  une  masse  lie  Itsmiere  qui  ,  à 
la  longue,  éclaire  le  gros  d«  la  nation  et  fait 
que  chacun  finit  par  détester  ce  quedanssorr 
aveuglement  il  a  adoré. 

De  L'état  de  démence  où  les  piètres  avaient 
mis  le  peuple,  les  hommes  de  lettres  le  ra- 
menèrent à  un  état  de  raison.  Mayenne ,  soir 
fils  ,  son  neveu  ,  les  Espagnols  ,  les  Italiens, 
les  évêques  ,  les  ligueurs  ,  la  Sorbonne,  tout 
fut  immolé  par  eux  à  la  risée  publique  :  ils 
firent  pleuvoir  dans  Paris  des  épigrammes  r 
des  brocards ,  des  coqs-à-l'âne  ,  n'épargnant 
ni  la  figure  ,  ni  le  caractère  ,  ni  les  mœurs  9 
soit  des  chefs  de  la  ligue  ,  soit  de  ceux  qui 
tenaient  les  états.  Chaque  événement  était 
chansonné  ,  et  toujours  présenté  sous  un» 
jour  ridicule. 

Ces  vers  qui  couraient  Paris  ,  et  qui  de 
Paris  passaient  dans  les  provinces  ,  ne  va- 
laient pas  grand'chose,  mais  ils  renfermaient 
des  vérités  qui  accoutumant  le  peuple  à  rire 
de  ses  théologiens  et  des  ambitieux  ,  les  dé- 
pouillaient insensiblementles  uns  et  les  autres- 
de  La  considération  où  ils  avaient  été  jus- 
qu'alors. A  ce  déluge  d'épigrammes  les- 


par  les  gens  de  lettres»  77 
hommes  de  lettres  mêlaient  des  écrits  sérieux 
dans  lesquels  on  découvrait  les  manœuvres 
des  chefs  de  la  ligue ,  les  coqxdneries  de 
leurs  agens ,  et  l'imbécillité  d'un  peuple  qui 
s'était  exposé  aux  horreurs  de  la  famine  et 
d'une  guerre  civile  pour  le  plaisir  de  l'Es- 
pagne. 

Ce  qui  contribua  le  plus  à  faire  tomber 
des  yeux  du  peuple  le  bandeau  de  la  su- 
perstition et  à  ouvrir  les  portes  de  Paris  à 
Henri IV ,  furent  les  diverses  harangues  qui, 
composent  la  Satyre  Menipée  :  on  les  ré- 
pandait secrètement  chez  les  bourgeois  ,  et 
peu  à  peai  on  les  détrompait.  Cette  satyre 
ne  fut  mise  en  corps  d'ouvrage  que  deux 
ans  après  l'entrée  de  Henri  iT^dans  Paris  ; 
mais  ces  discours  manuscrits  coururent  pen- 
dant la  tenue  des  états.  Nous  donnerons  ici 
un  abrégé  de  cette  satvre.  Loin  d'être  une 
pièce  étrangère  à  l'histoire  que  nous  esquis- 
sons ,  elle  en  sera  le  morceau  le  plus  pré- 
cieux. Nous  la  dégagerons  seulement  de  la 
rouille  du  mauvais  langage  qu'on  parlait 
alors.  Nous  ne  transcrirons  que  lesmorceaux 
qui  peuvent  amuser  les  g?ns  instruits  et  ca- 
ractériser ces  tems  déplorables  qu'on  ne 
«aurait  trop  faire  connaître  ,  et  qui  ,  ù 


78  Harangue  de  Mayenne, 

mesure  qu'on  les  connaît  ,  nous  rendent 
Henri  IV  plus  cher  et  le  fanatisme  plus 
odieux. 

Entrons  donc  avec  les  députés  de  la  ligue 
dans  cette  salle  du  Louvre  où  se  tenaient 
les  états ,  ou  plutôt  cette  confédération  de 
conjurés  sans  mœurs  ,  sans  honneur  ,  sans 
courage  et  sans  génie.  Entendons  d'abord 
haranguer  le  duc  de  Mayenne ,  qui  voulait 
être  roi,  et  que  les  Espagnols  appellaient 
jjuerco  buffalo ,  porc  et  buffle  (a). 

Précis  de  la  Satyre  Menipée. 

Harangue  du  duc  de  Mayenne. 

Messieurs,  . 

Vous  serez  tous  témoins  que  depuis  que 
j'ai  pris  les  armes  pour  la  sainte  ligue  ,  j'ai 
toujours  préféré  mon  intérêt  à  la  cause  de 
Dieu  qui  saura  bien  se  garder  sans  moi.... 

(<z)  On  peut  confronter  les  différentes  éditions  de 
cette  satyre;  on  verra  que  nou«  n'avons  pas  changé 
quatre  expressions  ,  et  que  nous  n'avor.s  pas  ajouté  dix 
mots  nécessaires  à  des  transitions,  et  les^elles  transi- 
tions sont  la  suite  de  la  multitude  des  échancrures  que 
nous  avons  cru  devoir  faire. 


Harangue  (Je  Mayenne.  79 
Après  les  états  de  Blois  vous  vîtes  avec 
quelle  diligence  je  vins  voustrouveren  cetie 
ville  ,  et  avec  quelle  dextérité  mon  cousin  , 
le  connétable  d'Aumale ,  ci-présent ,  fit  des- 
cendre en  haïe  le  saint-esprit  sur  une  pari  le 
de  messieurs  de  la  Sorbonne  (1)  ;  car,  aussi- 
tôt dit  \  aussi-tôt  fait ,  et  de-là  sont  procédés 
tous  nos  beaux  exploits  de  guerre  ;  de-ià  ont 
pris  origine  ces  milliers  de  martyrs  Français 
qui  sont  morts  de  glaive ,  de  faim  ,  de  feu  , 
de  rage  et  de  désespoir;  de-là  procèdent  tant 
de  sacs  et  pillages  que  nos  bons  soldats  et 
novices  ont  faits  en  maintes  villes ,  bourgs 
et  villages  qui  ,  pour  la  foi ,  ont  servi  de 
curée  aux  dévots  enfans  de  la  messe  de 
minuit  ;  de  tant  de  belles  filles  et  femmes 
qui  ,  sans  noces  et  malgré  elles,  ont  été 
saoulées  de  ce  qu'en  mariage  elles  aiment  le 
plus ,  et  Dieu  sait  si  ces  jeunes  novices  fraî- 
chement défroqués  ,  et  prêtres  débauchés  , 
y  ont  dévotement  tourné  les  feuillets  de  leur 
bréviaire.  C'est  là  la  cause  des  décrets  de 
notre  mère  Sorbonne ,  après  boire ,  qui  a  fait 
éclater  force  coups  du  ciel ,  et  fait  que  ce 
royaume  qui  n'était  qu'un  voluptueux  jardin 
de  plaisir,  est  devenu  un  amcle  cimetière 


3o  Harangue  de  Mayenne  '. 

plein  de  belle*  croix  ,  bières  ,  potences  et 

gibets. 

Madame  ma  mère  ,  ma  femme  ,  ma  sœur 
et  la  cousine  d'Anmale  ,  qui  sont  ici  pré- 
sentes pour  m'en  démentir,  m'assistèrent  fort 
catlioliquement  ;  elles  et  moi  n'eûmes  plus 
grand  soin  qu'à  faire  fonds  pour  la  guerre  , 
et  ce  faisant  soulager  les  pauvres  habitans  en 
vidant  leur  bourse  et  nous  saisissant  des 
joyaux  de  la  couronne  à  nous  appartenant 
en  ligne  collatérale. .  .  Nous  trouvâmes  force 
trésors  inutiles  par  la  sainte  innocence  de 
M.  Machaud ,  que  je  nomme  ici  par  hon- 
neur ,  et  qui  remplit  en  cachette  ses  chausses 
d'écus  d'or  au  soleil  ;  nous  découvrîmes  le 
mugot  de  Moîan  {a)  qui,  refusant  honnê- 
tement de  l'argent  à  son  maître  pour  nous 
le  conserver ,  n'oublia  de  lui  en  faire  chanter 
un  salve.  .  .  . 

Je  ne  veux  oublier  les  meubles  d'or ,  d'ar- 
gent ,  tapisseries  et  autres  richesses  que 
fîmes 'prendre  et  vendre,  appartenant  à  ces 
médians  politiques  royaux  dont  la  cousine 
d  Aumale  fit  fort  bien  son  devoir  ,  fouillant 
jusqu'aux  fosses  où  elle  savoit  qu'il  y  eût 


(*)  Trésorier  de  l'épargne, 

4» 


Harangue  de  Mayenne.  8 1 

de  la  vaisselle  d'argent  cachée.  ...  Ce  fait , 
après  m'être  assuré  de  plusieurs  villes  qui  se 
laissèrent  persuader  aux  bons  prédicateurs  , 
je  dressai  une  glorieuse  armée  que  je  menai 
tout  droit  à  Tours  ;  mais  ce  fauteur  d'héré- 
tiques {Henri  III)  fit  venir  tout  droit  le 
Béarnois  ,  lequel  je  ne  voulus  attendre  de 
trop  près  ,  ni  le  voir  de  face  ,  de  peur  d'être 
excommunié. 

Et  puis  vous  savez  que  par  les  bonnes 
prières  des  jésuites  ,  l'intercession  de  ma 
sœur  et  l'entremise  de  plusieurs  saints  re- 
ligieux ,  nous  trouvâmes  ce  saint  martyr  qui 
fit  éclater  ce  coup  du  ciel  et  nous  délivra  de 
la  captivité  où  nous  étions  prêts  à  tomber.... 
Vous  savez  que ,  pour  faire  dépit  aux  héré- 
tiques, je  me  fusse  fait  valet  de  lucifer.  .  .. 
Toutefois  je  me  suis  témoin  que  j'ai  toujours 
eu  mon  dessein  à  part ...  et  me  suis  tou- 
jours réservé  quelque  chose  de  bon  pour  moi 
çt  pour  les  miens  en  gardant  les  gages  ,  si  je 
puis  ;  et  vienne  qui  voudra ,  je  trouverai  assez 
de  "  dif  ficultés  pour  exécuter  ce  qu'on  me 
demande  ,  et  ne  manquerai  pas  de  bulles  et 
d'excommunications  ,  merci  de  M.  le  légat, 
pour  embabouiner  ceux  qui  veulent  y  croire, 
î^ous  avons  des  pardons  sans  bourse  délier  » 

Tome  IL  F 


Sa  Harangué 

et  des  Fulminations  à  tort  et  à  travers  contre 

nos  ennemis  :  ne  les  avons-nous  pas  fait  ex- 
communier et  devenir  noirs  comme  diables  ? 

N'avons-nous  pas  fait  continuer  les  paradis 
à  dessein  ,  embouché  les  prédicateurs  ,  fait 
renouveller  les  sermens  aux  confrairies  du 
cordon  et  du  nom  de  Jésus  ?  N'avons-nous 
pas  ménagé  des  processions  qui  ont  obscurci 
les  plus  belles  momeries  qui  furent  onc  vues? 
Qu'eussé-je  pu  faire  davantage  ,  sinon  me 
donner  au  diable  par  avancement  d'hoirie  ? 
....  J'ai  fait  opiniâtrer  le  pauvre  peuple  à 
mourir  de  faim  :  il  est  péri  cent  mille  ames 
dans  cette  ville  :  des  mères  ont  mangé  leurs 
enlans  :  je  n'ai  point  épargné  les  reliques  et 
ustensiles  d'église  que  j'ai  fait  fondre  pour 
nies  affaires  .  . .  j'ai  cent  fois  violé  ma  foi 
jurée  à  nos  amis  pour  venir  à  ce  que  je 
désire  ,  et  mon  cousin  d' Aumale  et  le  duc 
de  Savoie  sauraient  bien  qu'en  dire.  Quant 
à  la  foi  publique  ,  j'ai  toujours  estimé  que 
le  rang  que  je  tiens  m'en  dispense  assez  :  on 
ne  peut  m'en  reprocher  ,  puisque  j'ai  l'abso- 
lution de  mon  grand  aumônier  et  confessenr. 
. .  .  J'aimerais  cent  fois  mieux  me  faire  Turc 
avec  la  bonne  grâce  et  congé  de  notre  Saint- 
Père  ,  que  de  voir  ces  hérétiques  relaps 


de  Mayenne:  83 
jouir  de  leurs  biens  que  vous  et  moi  pos- 
sédons à  justes  titres  et  de  bonne  foi.  Mes 
amis  !  que  deviendrions-nous  s'il  fallait  tout 
rendre  ?  Mourons ,  mourons  plutôt  que  d'en 
venir  là.  C'est  une  belle  sépulture  que  la 
ruine  de  ce  royaume ,  sous  lequel  il  faut  nous 
ensevelir  si  nous  ne  pouvons  grimper  des- 
sus. .  .  . 

Je  sais  qu'il  n'y  a  ici  que  de  nos  amis ,  ainsi 
qu'aux  états  de  Blois ,  et  je  m'assure  que  vous 
voudriez  que  moi  ou  un  prince  de  ma  maison 
fût  roi ,  et  vous  vous  trouveriez  bien.  Cela 
ne  se  peut  faire  si-tôt  et  y  a  encore  une  messe 
à  chanter.,  et  vous  prie  croire  que  j'aimerais 
mieux  voir  ma  femme  ,  mon  neveu  ,  tous 
mes  cousins  et  paï  ens  morts ,  que  de  voir  le 
Béarnois  à  la  messe.  Ce  n'est  plus  où  il  me 
démange.  Je  ne  l'ai  écrit  et  publié  àdessein, 
non  plus  que  le  légat  son  exhortation  au 
peuple  Français  ;  et  tous  ces  écrits  que  M.  de 
Lyon  a  fait  et  fera  ci-après  sur  ce  sujet  ne 
sont  qu'à  intention  de  retenir  le  peuple  en 
attendant  quelque  bonne  aventure  ;  vous 
m'entendez  bien  ;  que  les  pères  jésuites  noua 
procureront  pour  faire  un  second  martyr  de 
l'union.  .  .  .  Vous  ne  devez  pas  douter  que 
je  ferai  tout  ce  que  je  pourrai  pour  me  dé- 

F  a 


$4  Harangue  de  Mayenne. 

iiiire  de  cette  race  Bourbonnaise  :  si  elle  tient 
Saint-Denis  où  les  vieux  rois  sont  enterrés, 
nous  tenons  les  joyaux,  reliques,  ornemens; 
et  par  dévotion  mon  frère  de  Nemours  a  fait 
fondre  la  couronne.  La  sainte  ampoule  est 
en  notre  puissance  quand  nous  en  aurons  à 
faire ,  sans  laquelle ,  vous  m'entendez  bien... 
C'est  un  coup  du  ciel  :  si  prions  tous  nos  bons 
confesseurs ,  prédicateurs  ,  curés  et  autres 
dévots  pensionnaires  de  faire  rage  dessus.... 

Quoi  qu'il  en  advienne  ,  vous  ne  me  con- 
seilleriez pas  que  ,  pour  une  messe  que  le  roi 
de  Navarre  pourrait  faire  chanter,  je  me  dé- 
misse de  mon  pouvoir,  et  que  ,  de  demi-roi , 
je  devinsse  valet.  Toutefois  M.  de  Lyon  et 
nos  prédicateurs  m'ont  appris  qu'il  n'est  pas 
en  la  puissance  du  pape  de  donner  l'abso- 
lution à  un  hérétique  relaps  ,  fût-ce  à  l'ar- 
ticle de  la  mort  ;  et  si  le  pape  voulait  s'en 
mêler  ,  nous  le  ferions  excommunier  lui- 
même  par  notre  mère  la  Sorbonne  ,  qui  sait 
plus  de  latin  et  boit  plus  catholiquement  que 
le  consistoire  de  Rome.  C'est  sur  quoi  il  nous 
faut  principalement  insister  pour  rendre  la 
guerre  éternelle  en  France.  M.  de  Lyon  sait 
bien  que  le  roi  d'Espagne  et  moi ,  s'il  peut 
yenir  ù  bout ,  lui  avons  promis  un  chapeau 


Harangue  du  légat.  85 
rouge  ;  et  sa  sœur  a  déjà  reçu  pour  arrhes  un 
carcan  de  trois  mille  ducats  et  une  chaîne  de 
perles  catholiques ,  avec  quelques  milliers  de 
doublons.  .  .  .  S'il  en  est  autrement ,  que  les 
loups  me  mangent  les  jambes  ;  vous  priant , 
pour  l'honneur  de  la  sainte  union  ,  de  re- 
garder à  vos  affaires  ;  car  nous  avons  un 
ennemi  qui  use  plus  de  bottes  que  de  souliers. 
Vous  y  donnerez  ordre  et  vous  garderez  de 
tomber  du  haut-mal  ,  si  vous  pouvez.  — 
J'ai  dit. 

M.  le  lieutenant  ayant  achevé  sa  harangue , 
le  doyen  de  Sorbonne  se  leva  et  cria  ;  hurni- 
liate  vos  ad  benedictionem  et posteà  habe- 
bitis  haranguant.  Alors  M.  le  légat  ,  trois 
copieuses  bénédictions  données ,  parla  ainsi. 

Harangue  du  légat. 

In  nomine  patris,  io  mi  raîlegro,  a  signori 
et  populi  .  .  .  di  verderi  qui  collegati  pro 
uno  sogetto  tanto  grande  et  catholico .... 
una  sola  causa  mi  pore  necessaria  à  la  salute 
délia  anime  vestre.  .  .  .  Cio  e  di  non  perlar 
mai  dipace  com  questi  fbrfanti  heretici  ma- 
gnigoldi  .  .  .  guerra  donque  ,  guerra ,  6*  va- 

F  3 


86"  Harangue  du  légat. 

lenti  et  magnifici  Francezi  .  .  .  date  quanto 
voleté  le  anime  vostre  al  domonio  d'inferno  : 
poco  gli  e .  . .  e  non  parlate  piu  ditante  beni , 
e  tante  favori,  che  predecessori  vostri  hanno 
fate  à  la  santé  sede  apostolica  ...  la  pardot- 
nanze  che  avete  ricerute  da  pochi  anni  in 
qua  con  la  gratuite  indulgenze,  et  jubilei 
sono  di  moïto  pin  pregio.  Basta  che  le  co- 
rone  ,  e  gli  settri  del  mondo  sono  à  disposi- 
tion di  sua  santita ,  et  si  possono  cambiare  , 
transtulare  ,  tbïre  et  poire  a  suo  modo. 
Scriptum  est  eu/m  hac  omnia  ù 'Li.  dabo.  Atqui 
ut  pergam  ling/ia  latiria  ;  vobis  loqid  non 
veni  pacem  mittere  sed gladium.  .  .  .  In  fine 
donque  fatte  un  re  ,  di  gracia  ,  pro  ainor 
mio,  e  nonniLjie  euro  si  sia,  fosse  el  diavolo, 
modo  che  sia  servitore  et  feudatorio  de  'a 
«ua  santita. . .  .  VoÈjs promîiio pîenam  abso- 
lutionem  et  indulgeiitiani  ,  idque  gratis  in 
s  ce  eu  fa  siculorum  :  amen.  Ego  vobu  me  coni- 
mendo.  Valete. 

Ces  mots  finis  le  docteur  /  armai  ,  ci- 
devant  ministre  ,  puis  apostat ,  tjt  à  présent 
boutte-cu  de  Sorbonne  ,  se  mit  à  gonou  l 
avec  Guarinur  ,  cordelier,  le  docteur  Caci!ii 
et  le  docteur  Aubri  ,  et  entonnèrent  devant 
la  croix  de  M.  le  légat  ôcruxave ,  spes  unica. 


Harangue  du  cardinal  pelé.  B7 
Quolques-uns  de  l'assemblée  le  trouvèrent 
mauvais.  Toutefois  chacun  les  suivit  en  chan- 
tant de  même.  Le  bran  le  fini ,  M.  le  cardinal 
l'cllcvé  commença  à  dire. 

Harangue  du  cardinal  Pellevé  ,  proviseur 
de  la  Sorbonne. 

M.  le  lieutenant ,  si  vous  dirai-je  en  pas- 
sant que  perjidem  meam  ,  il  vous  fait  bon 
voir  :  oui ,  monsieur  le  lieutenant ,  il  vous 
fait  bon  voir  assis  là  où  vous  êtes  ,  et  avec 
fort  bonne  mine  remplissez  bien  votre  place  , 
et  ne  vous  avient  pas  mal  à  faire  le  roi  ; 
vous  n'avez  besoin  que  d'une  cheville  pour 
vous  y  tenir  ;  vous  avez  toute  pareille  façon  , 
sauf  l'honneur  que  je  dois  à  l'église ,  qu'un 
«aint  Nicolas  de  village,  a  je  di  d'to  ,  et  me 
semble  que  nous  célébrions  la  fête  des  in- 
nacens  ou  le  jour  des  rois.  Si  vous  aviez 
maintenant  un  bon  verre  de  vin,  et  qu'il 
piùt  à  la  majesté  de  votre  lieutenance  boire 
a  la  compagnie  ,  nous  crierions  tous  le  roi 
boh  ;  aussi  bien  n'y  a-t-il  guère  que  les  rois 
son  t  passés  où  vous  nous  empêchâtes  qu'on 
ne  fît  le  roi  de  la  feve  ,  de  peur  de  mauvais 
présage. 

Messieurs  ,  ne  me  tenez  pas  homme  de 
F  4 


88  Harangue 
bien  et  bon  catholique  ,  si  vos  misèréS  et 
pauvretés  ne  m'ont  fait  venir  par-deçà  ,  où 
je  me  suis  comporté  en  vrai  hypocrite  ,  je 
voulais  dire  Hypocraté ,  mais  la  langue  m'a 
fourché.  Ce  grand  médecin,  voyant  son  pays 
affligé  d'une  peste  cruelle  ,  fit  allumer  force 
feu  par  toutes  les  contrées  ,  pour  purger  et 
chasser  le  mauvais  air.  Et  moi  tout  de  même, 
pour  venir  à  bout  de  mes  desseins  catholi* 
ques  ,  j'ai  été  un  des  principaux  auteurs  ,  je 
le  dis  sans  vanterie  ,  de  tous  ces  feux  et 
embrâsemens  qui  brûlent  et  ardent  mainte- 
nant toute  la  France. 

Toutefois,  nous  avons  bien  eu  raison  de  ces 
Valesiens,  et  l'aurons  de  ces  Borbonistes ,  si 
chacun  de  vous  y  veutfaire  di  galante  huomo* 
Quant  à  moi ,  messieurs ,  me  voici  à  votre 
commandement  à  pendre  et  à  dépendre  , 
pouvu  que  ,  comme  bons  catholiques  ,  vous 
vous  soumettiez  aux  archicatholiques  prin- 
ces Lorrains  ....  et  vous  prie  d'y  aviser  de 
bonne  heure  ,  de  peur  que  le  Béarnois  ne 
nous  joue  quelque  tour  de  son  métier  ,  car 
s'il  allait  se  convertir  et  ouir  une  méchante 
messe  ,  nous  perdrions  nos  princes  et  nos 

doublons  ;  c'est  pourquoi  in  dubio  

tuez  ,  massacrez  et  brûlez  hardiment  tout. 


du  cardinal  pété*  89 
M.  le  légat  pardonnera  tout ,  M.  le  lieute- 
nant avouera  tout ,  M.  de  Lyons  cèlera  tout. 
Je  vous  servirai  de  confesseur ,  et  à  la  France 
aussi ,  si  elle  a  l'esprit  de  se  laisser  mourir 
bonne  catholique ,  comme  je  vous  en  prie 
tous  en  général  et  en  particulier  ;  vous  assu- 
rant ,  après  M.  le  légat ,  que  vos  ames  ne  pas- 
seront point  par  les  feux  du  purgatoire  , 
étant  assez  purgées  par  les  feux  que  nous  avons 
allumés  aux  quatre  coins  du  royaume. .  .  . 

Quant  à  l'élection  d'un  roi ,  je  donne  ma 
voix  au  marquis  des  Chaussins  (a)  ;  il  n'est 
ni  lipus  ni  camus  ,  ains  bon  catholique  , 
apostolique  et  romain.  Je  vous  le  recom- 
mande ,  et  moi  de  même.  —  J'ai  dit. 


Ces  mots  finis  ,  tous  les  docteurs  de  Sor- 
bonne  n  appèrent  enpaulme  ,  et  crièrent  par 
trois  fois,  blbat ,  blbat.  Tout  à  l'instant,  un 
petit  maître  es  arts  saillit  en  pied ,  et  tour- 
nant le  visage  vers  mondit  sieur  le  cardinal 
Pellevé  s  s'écria  : 


(a)  François  de  Lorraine,  marquis  des  Chaussins  , 
frère  du  duc  de  Mercœur.  Le  marquisat  de  Chaussins 
es:  en  Bourbonnais. 


9°  Harangue 

Les  frères  ignorans  ont  eu  grande  raison  , 
De  vous  faire  leur  chef,  monsieur  l'illustrissime  ; 
Car  eux  qui  ont  oui  votre  belle  oraison  , 
Vous  ont  bien  reconnu  pour  ignorantissime. 

Tout  le  monde  trouva  cette  rime  fort  plai- 
sante ;  et  après  un  second  battement  de 
mains  ,  M.  de  Lyon  se  leva ,  fit  signe  qu'il 
voulait  parler  ;  par  quoi ,  après  que  tout  le 
monde  eut  toussé  ,  il  discourut  ainsi. 

Harangue  de  l'aixhevéque  de  Lyon. 

Messieurs, 

Ceux  qui  prendront  garde  de  bien  près  au 
commenerment  et  aux  progrès  de  notre 
sain  te  union  auront  bien  occasion  de  crier  : 
quid  non  mortaliapeetora  cogis,  aari  sacra 
famés  !  N'est-ce  point  chose  bien  étrange , 
messieurs  les  zélateurs ,  que  de  voir  en  un  mo- 
ment les  valets  devenus  maîtres,  les  petits 
être  faits  grands,  les  pauvres  riches,  les 
humbles  insolens  ,  voire  ceux  qui  obéissent 
commander   O  saint  Catholicon  d'Es- 

pagne ,  qui  es  cause  que  le  prix  des  messes 
est  redoublé  ,  les  chandelles  bénites  ren- 
chéries  et  les  saints  multipliés  ;  qui  es  aussi 
cause  qu'il  n'y  a  plus  de  ptxiidus,  de  voleurs, 


de  f  archevêque  de  Lyon.  91 
d'incendiaires  ,  de  faussaires,  de  br'gands , 
puisque  par  une  nouvelle  conversion  ils  ont 
changé  de  nom  et  piis  celui  de  gens  d'armes 
de  l'église  militante  ....  Gardons-nous  de 
ces  nobles  qui  se  disent  Français  et  refusent 
prendre  pension  de  l'Espagne  ;  ces  gens-là  , 
messieurs ,  n'entendent  la  messe  que  d'un 
genouil ,  et  ne  prennent  de  l'eau  béiiite  qu'à 
leur  corps  défendant.  O  illustres  assistant  de 
cette  notable  assemblée  ,  la  pure  crème  de 
nos  provinces,  la  mère-goutte  de  nos  gou- 
vernemens  ,  n'admire/;- vous  pas  les  laits 
héroïques  de  nos  Louchard ,  Bussi,  Senaut, 
Crucé?  . . .  Ne  serait-ce  pas  crime  de  passer 
sous  silence  «S".  Clément ,  qui  ayant  été  le 
plus  débauché  de  son  couvent ,  et  ayant  eu 
plusieurs  fois  le  chapitre  et  le  fouet  par  ses 
larcins  et  méchancetés  ,  est  néanmoins  là- 
haut  ou  là-bas  à  débattre  la  préséance  avec 
le  petion  de  Compostelle  r .  .  .  Si  vous  con- 
fesserai-je  librement  qu'avant  cette  prodi- 
gieuse union  je  n'étais. pas  grand  mangeur 
de  crucifix  ,  et  quelques-uns  de  mes  plus 
proches  ont  eu  opinion  que  je  sentais  un  peu 
le  fagot  ;  mais  depuis  que  j'ai  signé  la  sainte 
ligue ,  personne  ne  doute  de  ma  créance.  De 
grand  politique  que  j'étais ,  je  devins  conjuré 


9«  Harangue 

Les  frères  ignorans  ont  eu  grande  raison  , 
De  vous  faire  leur  chef,  monsieur  l'illustrissime  ; 
Car  eux  qui  ont  oui  votre  belle  oraison  , 
Vous  ont  bien  reconnu  pour  ignorantissime. 

Tout  le  monde  trouva  cette  rime  fort  plai- 
sante ;  et  après  un  second  battement  de 
mains  ,  M.  de  Lyon  se  leva ,  fit  signe  qu'il 
voulait  parler  ;  par  quoi ,  après  que  tout  le 
monde  eut  toussé  ,  il  discourut  ainsi. 

Harangue  de  l'archevêque  de  Lyon. 

Messieurs, 

Ceux  qui  prendront  garde  de  bien  près  au 
commencement  et  aux  progrès  de  notre 
sain  te  union  auront  bien  occasion  de  crier  : 
quid  non  morlatlapectora  cogis ,  auri  sacra 
famés  !  N'est-ce  point  chose  bien  étrange , 
messieurs  les  délateurs ,  que  de  voir  en  un  mo- 
ment les  valets  devenus  maîtres,  les  petits 
être  faits  grands ,  les  pauvres  riches  ,  les 
humbles  insolens  ,  voire  ceux  qui  obéissent 
commander   O  saint  Catholicon  d'Es- 

pagne ,  qui  es  cause  que  le  prix  des  messes 
est  redoublé  ,  les  chandelles  bénites  ren- 
chéries  et  les  saints  multipliés  ;  qui  es  aussi 
cause  qu'il  n'y  a  plus  de  perlides,  de  voleurs, 


de  l  archevêque  de  Lyon.  91 
d'incendiaires  ,  de  faussaires,  de  brigands, 
puisque  par  une  nouvelle  conversion  ils  ont 
changé  de  nom  et  pt  is  celui  de  gens  d'armes 
de  l'église  militante  ....  Gardons-nous  de 
ces  nobles  qui  se  disent  Français  et  refusent 
prendre  pension  de  l'Espagne  ;  ces  gens-là  , 
messieurs,  n'entendent  la  inesse  que  d'un 
genouil ,  et  ne  prennent  de  l'eau  bénite  qu'à 
leur  corps  défendant.  O  illustres  assis  tans  de 
cette  notable  assemblée  ,  la  pure  crème  de 
nos  provinces,  la  mère-goutte  de  nos  gou- 
vernemens  ,  n'admirez- vous  pas  les  faits 
héroïques  de  nos  Louchard. ,  Bussi,  Senaut, 
Crucé?  . . .  Ne  serait-ce  pas  crime  de  passer 
sous  silence  S.  Clément ,  qui  ayant  été  le 
plus  débauché  de  son  couvent ,  et  ayant  eu 
plusieurs  fois  le  chapitre  et  le  fouet  par  ses 
larcins  et  méchancetés  ,  est  néanmoins  là- 
haut  ou  là-bas  à  débattre  la  préséance  avec 
le  petion  de  Compostelle  r '  .  .  .  Si  vous  con- 
fesserai-je  librement  qii'avant  cette  prodi- 
gieuse union  je  n'étais  pas  grand  mangeur 
de  crucifix  ,  et  quelques-uns  de  mes  plus 
proches  ont  eu  opinion  quu  je  sentais  un  peu 
le  fagot  ;  mais  depuis  que  j'ai  signé  la  sainte 
ligue ,  personne  ne  doute  de  ma  créance.  De 
grand  politique  que  j'étais ,  je  devins  conjuré 


$2  Harangue 
ligueur ,  comme  je  suis  à  présent ,  directeur 
et  ordonnateur  des  affaires  secrettes  de  la 
sainte  union.  .  . . 

Quant  aux  nécessités,  chacun  y  avisera ,  si 
bon  lui  semble  ,  et  de  ma  part  je  ne  désire 
pas  la  paix  que  je  ne  sois  cardinal ,  comme 
on  m'a  promis ,  et  comme  je  l'ai  bien  mérité  ; 
car  ,  sans  moi ,  M.  le  lieutenant  ne  serait  pas 
au  degré  ou  il  est.  .  .  Courage  donc  ,  mes 
amis  ,  ne  craignez  point  d'exposer  vos  vies 
pour  lui  et  ceux  de  sa  maison  :  demanderiez- 
vous  un  plus  beau  roi ,  et  plus  gros  et  plus 
gras  qu'il  est  ?  C'est ,  par  S.  Jacques  ,  une 
belle  pièce  de  chair  ,  et  n'en  sauriez  trouver 
un  qui  le  pèse. 

Messieurs  de  la  noblesse  ,  sous  quel  roi 
trouveriez-vous  une  meilleure  condition  ? 
Vous  êtes  barons  ,  comtes  et  ducs  de  toutes- 
les  provinces  que  vous  tenez  :  que  vous  faut- 
il  davantage  ?  Vous  y  commandez  en  roi  de 
carte. 

Quant  à  vous  ,  messieurs  les  ecclésias- 
tiques ,  se  sauve  qui  pourra ,  je  suis  capable 
de  porter  un  bonnet  rouge  ;  mais  de  remé- 
dier aux  nécessités  du  clergé ,  mes  gouttes 
ne  m'en  donnent  pas  le  loisir  ;  je  laisse  à 
messieurs  les  prédicateurs  à  tenir  en  haleine 


de  V archevêque  de  Ijyon.  ofi 
leurs  dévots  paroissiens ,  et  à  réprimer  l'inso- 
lence de  ces  demandeurs  de  pain  et  de  paix. 
Ils  savent  tournevirer  les  passages  de  l'écri- 
ture comme  ils  en  auront  besoin.  Or,  ce 
qu'il  importe  le  plus  pour  le  présent  à  nos 
affaires,  c'est  de  bâtir  une  loi  fondamentale , 
par  laquelle  les  peuples  Français  seront  tenus 
de  se  laisser  coëffer ,  embéguiner  et  mener 
à  l'appétit  de  messieurs  les  cathédrans.  .  .  . 
Nous  chargerons  la  conscience  des  bons 
pères  jésuites  de  défendre  ,  en  leurs  parti- 
culières confessions  ,  sous  peine  de  dam- 
nation éternelle ,  de  désirer  la  paix  et  d'en 
parler,  quand  bien  le  Béarnois  irait  à  la 
messe,  comme  il  a  donné  charge  d'en  assurer 
le  pape.  Si  cela  advient ,  nous  savons  bien 
le  contre-poison  ,  et  donnerons  bon  ordre 
que  sa  sainteté  n'en  croira  rien,  et  le  croyant 
n'en  fera  rien  si  je  ne  suis  cardinal  ;  et 
pourquoi ,  moi  qui  ai  trahi  mon  pays  pour 
soutenir  la  grandeur  du  saint-siège  ,  ne  le 
serais-je  pas  ?  Si  serai,  je  vous  en  assure  , 
où  mes  amis  me  faudront.  —  J'ai  dit. 


Après  que  le  sieur  archevêque  eut  fini  ,  il 
demanda  permission  à  madame  de  Mont- 


ç4  Harangue 
penslcràe  se  retirer  pour  changer  de  clie-i 
mise.  Alors  mondit  sieur  Rose ,  revêtu  de 
son  habit  rectoral ,  sous  son  roquet  et  camail 
d'évêque  ,  otant  sou  bonnet  par  plusieurs 
fois  ,  commença  ainsi. 

Hara?igue  du  docteur  Rose  ,  conseivateur 
apostolique  de  la  Sorbonne. 

Très-illustre  ,  très-auguste  et  très-catho- 
lique synagogue,  je  ne  veux  point  ici  capter 
votre  bénévolence  par  un  long  exorde  ;  mais 
je  vous  dirai  sommairement  que  la  fille  aînée 
du  roi ,  je  ne  dirai  point  du  roi  de  Navarre , 
mais  du  roi  que  nous  élirons  ici  ,  et  en 
attendant  je  dirai  la  fille  aînée  de  M.  le 
lieutenant  de  l'état,  l'université  de  Paris  , 
remontre  que  depuis  ses  incunabules  elle  n'a 
point  été  si  morigénée  ,  si  modeste  et  si  pai- 
sible qu'elle  l'est  maintenant,  par  la  grâce 
de  vous  autres  messieurs  ,  et  principalement 
par  vos  coups  du  ciel ,  sans  autres  précep- 
teurs que  vous ,  M.  le  lieutenant  :  ses  maîtres 
ont  appris  à  mourir  de  faim per  régulas. 

Au  reste  ,  M.  le  lieutenant ,  vous  avez  fait 
pendre  votre  argentier  ,  conzélaLeur  Lou- 
chard ,  et  avez  déclaré  pendables  tous  ceux 


du  docteur  Rose.  $5 
qui  ont  assisté  à  la  cérémonie  de  l'ordre  de 
l'union  qu'on  a  baillé  au  président  Brisson. 
Or  est-il  que  nous  autres  docteurs ,  pour  la 
plupart ,  avons  été  les  promoteurs  de  cette 
cérémonie  ergo  gluê ,  et  vous  dis  que  si  vous 
ne  vous  fussiez  hâté  de  venir ,  nous  en  eus- 
sions bien  fait  d'autres  ;  et  tel  aujourd'hui 
parle  bien  haut ,  à  qui  les  dents  ne  feraient 
point  de  mal.  Mais  pour  revenir  à  mon  pre- 
mier thème  ,  j'argumente  ainsi  :  Louchard 
et  consorts  ont  été  justement  pendus  ,  parce 
qu'ils  étaient  pendards.  Atqui  la  plupart  de 
nous  autres  docteurs  nous  étions  consorts, 
adhérens  ,  et  conseillers  dudit  Loucàard , 
ergo  pendards  et  pendables. 

Il  faut  nécessairement  argumenter  ainsi 
in  baraco.  Quiconque  fait  pendre  les  catho- 
liques zélés  est  tyran  et  fauteur  d'héré- 
tiques. Atqui  M.  le  lieutenant  a  fait  pendre 
Louchard  et  consorts  ,  carholicissimes  et 
zélatissimes.  Ergo  ,  M.  le  lieutenant  est 
tyran  et  fauteur  d'hérétiques  pires  que 
Heu  ri  de  Valois  ,  qui  avait  pardonné  à  LôH* 
oAand ' ,  Halte  et  la  Molière  ,  dignes  de  gibet 
plus  de  trois  ans  avant  ies  barricades. 

Qu'ainsi  ne  soit  : proho  r.  in  rem  àmi  jon 
mxlma.jus.  Le  liéarnois  a  tenu  prisonniers  les 


$6  Harangue 
principaux  chefs  de  la  ligue  ,  lesquels  il  n'a 
point  fait  pendre  ,  le  pouvant  et  le  devant, 
et  néanmoins  est  hérétique.  Ergo ,  M.  le  lieu- 
tenaat  est  pire  ,  qui  a  fait  pendre  ses  meil- 
leurs amis  ,  lesquels  lui  avaient  mis  le  pain 
à  la  main.  De  dire  que  cela  soit  fait  ad  ma-^ 
jorem  cautelam  ,  cela  est  bon.  Mais  cepen- 
dant on  s'étrangle  et  sommes  réputés  badauts 
de  l'avoir  enduré  ,  et  pour  l'avoir  enduré , 
qu'on  n'en  conclue  pas  que  la  Sorbonne  peut 
errer  ,  chose  qui  me  ferait  de  rechef  devenir 
insensé  et  courir  les  rues.  Par  quoi  je  vous 
supplie  ,  au  nom  de  notre  académie  ,  de 
pallier  ce  fait  le  plus  catholiquement  que 
vous  pourrez  ;  mais  sur- tout  je  vous  recom- 
mande nos  pensions  et  de  messieurs  nos 
conducteurs  de  la  faculté  de  théologie,  pour 
lesquels  je  parle.  Madame  de  Montpensier  a 
bien  su  dire  qu'elle  ferait  plus  de  besogne 
avec  prédicateurs  et  docteurs  ,  que  le  roi  de 
Navarre  avec  ses  tailles  et  armées.  . . 

En  attendant  ,  messieurs  ,  advisez  si  nous 
ferons  un  roi  ;  je  sais  que  M.  le  lieutenant 
voudrait  bien  l'être ,  aussi  ferait  son  neveu , 
et  encore  son  frère  le  duc  de  Nemours  ,  et 
je  ne  doute  pas  que  les  ducs  de  Lorraine  et 
de  Savoy e  n'en  aient  aussi  d'envie  ;  car ,  à  la 

vérité  , 


du  docteurï\os,e.  97 
vérité,  ils  ont  autant  de  droits  l'un  que  l'au- 
tre. Quant  au  duc  de  Mercosur  ses  agens 
feront  autant  que  lui.  .  .  . 

Je  viens  à  vous  maintenant ,  M.  de  Guise , 
que  des  prédictions  ont  Ion g-tems  destiné  aux 
royaumes  et  empires  }  et  vous  ont  surnommé 
Pépin  Je  bref.  Vous  voilà  sur  le  point  d'être 
-un  Charlemagne  si  inarcké  tient  ;  mais  re- 
gardez à  ne  pas  vous  laisser  tromper  par  les 
Espagnols.  lis  vous  promettent  cette  divine 
«a faute  en  marjage  pour  la  faire  reine  in  so- 
iidunL  avec  vous.  M  ais  prenez  garde  aux 
blancs  du  duc  de  Feria  ,  il  en  a  une  pleine 
boîte  ;  il  les  date  ou  antidate  avec  son  urinai,. 
Si  vous  avez  tant  soit  peu  de  nez  ,  vous  le 
sentirez.  Quittez  donc  CJtte  vaine  espérance 
d'être  roi ,  et  croyez  que  les  petits  enfans 
s'en  moquent  :  l'autre  jour  j'en  ouis  un  qui 
chantait  ; 

t 

La  ligne  se  trouvant  camuse 
Et  les  ligueurs  fort  étonnes , 
Se  sont  avisés  d'une  ruse  , 
C'est  de  faire  un  roi  sans  nez. 

Et  Vous ,  M.  le  lieutenant ,  à  qui  il  faut 
maintenant  que  je  parle  ,  que  pense  -vous 
iairc  ?  Vous  êtes  pesant  et  mal  éficiéjj  vous 
Tome  II%  G 


98  Harangue  du  docteur'Rose. 
avez  la  tête  assez  grosse  pour  porter  une  cou- 
ronne ;  mais  quoi  !  vous  dites  que  -vous  n'en 
voulez  point ,  et  empêchez  sous  main  que 
votre  neveu  ne  soit  élu.  Que  ferons-nous 
donc  ?  Il  nous  faut  un  roi.  On  yous  accuse 
d'être  un  marchand  de  couronnes  ,  et  d'a- 
voir mis  celle  de  France  au  plus  offrant. 
Vous  pensez  être  bien  fin  ;  on  sait  toutes  vos 
faciendes  à  Rome,  à  Madrid,  en  Savoye  et 
en  Allemagne.  Vous  befflez  tout  le  monde, 
et  tout  le  monde  vous  beffle.  .  .  Songez-y, 
M.  le  lieutenant  ;  vous  avez  beau  faire  le  roi 
et  contrecarrer  le  Béarnois.  ...  Je  vous  con- 
seillerais ,  si  vous  n'étiez  bigame  ,  de  vous 
faire  abbé.  Quiconque  sera  roi  ne  vous  re- 
fusera pas  l'abbaye  de  Clugni.  Vous  ruez  vo- 
lontiers en  cuisine  :  vous  avez  le  ventre  ample 
etspatîeux,  et  si  serez  couronné  de  couronne 
monachale.  .  .  Somme  toute  ;  vous  êtes  trop 
de  chiens  à  ronger  un  os.  Vous  êtes  jaloux 
les  uns  des  autres  ,  et  ne  sauriez  vous  accor- 
der. .  .  Je  suis  d'avis  que  pas  un  de  vous  ne 
soit  roi  :  je  donne  donc  ma  voix  à  Gui  Ilot 
Fagotin  ,  marguillier  de  Gentilli  ,  bon  vi- 
gneron et  prndhomme  qui  sait  tout  son 
office  par  cœur.  .  .  .  C'est  pourquoi  je  per- 
siste et  entends  qu'il  soit  roi  connue  wi 
autre , 


Harangue  de  M.  r/eRieux. 


Comme  Rose  achevait  ces  paroles  ,  11  soïtr* 
dit  un  grand  murmure  entre  les  députés  , 
les  uns  approuvant ,  les  autres  désapprou-* 
van  t.  Néanmoins  ,  il  voulut  continuer  son 
propos  ,  mais  quand  il  vit  le  bruit  recom- 
mencer par  un  claquemain  général  ,  il  se 
leva  en  colère  ,  et  cria. ...  le  plus  haut  qu'il 
put  :  messieurs  ,  messieurs  ,  je  vois  bien  que 
nous  sommes  à  la  cour  du  roi  petaut  où  cha- 
cun est  maître.  Je  vous  le  quitte  ,  et  là-des-< 
sus  se  rassit  en  grommelant. Enfin,  la  rumeur1 
un  peu  racoisée  ,  M.  de  Rieuse  le  jeune  s© 
leva  pour  parler,  et  ayant  mis  deux  ou  trois 
fois  la  main  à  la  gorge  qui  lui  démangeait  , 
il  parla  ainsi  : 

Harangue  de  M.  de  Rieux. 

Je  ne  sais  pourquoi  on  m'a  député  pouf 
porter  la  parole  en  si  bonne  compagnie  ; 
il  faut  bien  qu'il  y  ait  quelque  chose  de  pro- 
digieux en  la  sainte  union  ,  puisque  par  son 
moyen,  de  petit  commis  dans  les  vivres  ,  je 
suis  devenu  gentilhomme  et  gouverneur 
d'une  bonne  forteresse.  C'est  pourquoi  je 
me  donjie  au  diable  que  si  quelqu'un  de 

G  a 


$91  -  Hù>angue 

ce  fameux  président  JS'ei^lli  que  je  nommé 
ici  par  respect  comme  le  pere  putatif  de  la- 
sa'inte  ligue,  et  qui,  pour  faire  service  à  mes- 
sieurs les  curés  et  prédicateurs  ,  a  prostitué 
*sa  fdle  ?  Je  ne  sais  ce  que  ces  gens  de  justice 
m'ont  fait ,  mais  je  ne  les  aime  pas. 
'  ?  Enfin  ,  messieurs ,  j'ai  charge  delà  noblesse 
clé  vous  remontrer  qu'il  faut  faire  ses  affaires 
pendant  que  le  tems  est  beau ,  et  qu'il  vous 
ïaut  élire  un  roi.  Je  vous  prie  de  vous  sou- 
venir de  moi  et  de  mes  mérites.  J'en  vaux 
bien  un  autre  ;  et  vous  en  dirais  davantage  , 
sinon  que  je  suis  pressé  d'aller  exécuter  mon 
entreprise  sur  Noyon  et  sur  ce  Bacio  los 
munos  de  vostra  merced. 

rm\      ' ' 

3  Après  que  le  sieur  de  Rieucc  eut  parlé  , 
■chacun  des  assistan  s  montra  qu'on  avoit 
Jjiris  plaisir  à  son  éloquence  naturelle.  La 
rumeur  un  peu, cessée,  le  sieur  ftAubrai, 
député  du  ;tiers-état  ,  ayant  laissé  son  épée  , 
haïangua  à- peu -près  ainsi  : 

Harangue  du  sieur  d'Aubrai* 

Par  notre  dame  ,  messieurs  ,  vous  nous 
l'avez  baillé  belle.  Il  n'était  pas  besoin  que 


du  sieur  c^Aubraî.  io3 
nos  curés  nous  prêchassent  qu'il  fallait  nous 
tlrltuiirhonner.  A  ce  que  je  vois  par  vos  dis- 
cours ,  il  sera  difficile  de  déhourbonner  les 
Parisiens  :  il  est  temps  de  nous  appercevoir 
que  le  catholicon  d'Espagne  est  une  mau- 
vaise drogue  ,  et  que  les  prédicateurs  et  Sor- 
bonistes  nous  ont  fait  donner,  comme  cailles 
coëlï'ées  ,  dans  les  filets  des  tyrans.  Nos  fran- 
chises sont  à  vau-l'eau  ;  notre  cour  de  parle- 
ment est  nulle  ;  notre  université  sauvage  ; 
et  la  Sorbonne  au  bordel, 

Je  vous  prie  ,  messieurs  ,  quel  profit  nous 
est  venu  de  cette  détestable  mort  que  nos 
prêcheurs  nous  faisaient  croire  être  lé"  seul 
moyen  pour  nous  rendre  heureux  ?  Le  ser- 
vice divin  ne  sert  plus  qu'à  tromper  le  monde 
par  hypocrisie.  Les  prêtres  se  sont  rendus  si 
vénaux  et  si  méprisés  par  leur  vie  scanda- 
leuse ,  qu'on  ne  se  soucie  plus  d'eux  ni  de 
leurs  sermons  

Vous  confesserez  ,  M.  le  lieutenant  ,  que 
si  Henri III av ait  fait  ce  qu'il  pouvait  et  ce 
qu'il  devait,  vous  et  tous  vos  agens  étiez 
perclus  ,  lesquels  on  connoissait  par  nom  et 
surnom.  Mais  on  y  procéda  trop  mollement. 
Depuis  vous  ne  cessâtes  de  pratiquer  ouver- 
tement les  prêcheurs  et  les  curés  à  qui  vous 

G  4 


i  04  Harangue 
faisiez  quelque  part  de  vos  doublons. ...  ; 
Je  ne  yeux  pas  dire  que  ce  l'ut  vous  qui  choi- 
sîtes ce  méchant  que  l'enfer  créa  pour  aller' 
faire  cet  exécrable  coup  ;  mais  il  est  assez 
notoire  qu'avant  qu'il  s'acheminât  à  cette 
maudite  entreprise ,  vous  le  vîtes  ,  et  je  dirais 
bien  les  lieux  si  je  voulais  :  vous  lui  promîtes 
abbayes  et  évêchés  ,  et  laissâtes  faire  le  reste 
à  mademoiselle  votre  sœur  ,  aux  jésuites  et 
à  son  prieur  qui  rie  lui  promit  rien  moins 
qu'une  place  en  paradis  au-dessus  des  apô- 
tres  

Les  cloeteurs  de  Jérusalem  disaient  que 
J.  C.  avait  le  diable  au  corps  ,  au  nom  du- 
quel il  faisait  des  miracles  ;  nos  prêcheurs 
et  docteurs  n'ont-ils  pa  ;  prêché  que  le  feu 
roi  était  sorcier  et  adorait  Je  diable  ,  au  nom 
duquel  il  faisait  tontes  ses  dévotions  

Nos-  Sorbonisr.es  ont  prouvé  par  leurs 
textes-  appliqués  à  leur  fantaisie  ,  qu'il  est 
permis  ,  voire  méritoire ,  de  tuer  le  roi. ...» 
Quiconque  lira  l'histoire  des  factions  de 
Bourgogne  et  d'Orléans  verra  les  prédica» 
tours  boute-feux,  comme  ils  le  sont  mainte- 
nant ,  encore  qu'il  ne  fut  nullement  question 
dé  religion.  îîs  prêchaient  centre  leur  roi  ; 
ils  le  faisaient  excommunier  comme  ils  le 


du  sieur  (TJubrai.  io5 
4'ont  maintenant  ;  ils  faisaient  des  proposi- 
tions à  la Sorbonne  coni  re  les  bons  citoyens 
comme  ils  font  maintenant ,  et  pour  de  Tar- 
irent comme  ils  font  maintenant  

G 

Concluons  ,  messieurs  ,  qu'il  faut  tous 
d'une  voix  aller  demander  là  paix  à  notre 
roi.  Allons ,  M.  le  légat ,  retournez  à  Rome 
avec  M.  le  cardinal  de  Tcllcvé.  Nous  avons 
plus  besoin  de  pain  que  de  grains  bénis. 
Allons  ,  messieurs  les  agens  d'Espagne  , 
nous  sommes  las  de  nous  entre- tuer  pour 
votis  donner  du  plaisir.  Allons,  messieurs 
de  LojTahw  ,  nous  vous  tenons  pour  fantô*- 
mes  de  protection.  Nous  sommes  Français, 
et  allons  avec  les  Français  exposer  notre  vie 
pour  notre  roi  ,  notre  bon  roi ,  notre  vrai 
roi.  Je  sais  qu'au  partir  d'ici  vous  m'enver- 
rez peut-être  à  Ja  Bastille  ,  où  vous  me  ferez 
assassiner  comme  Sacremone ,  Saint -Mai- 
grin  ,  le  marquis  de  Mignelai  et  plusieurs 
autres  ;  mais  avant  de  mourir  je  concluerai 
ainsi  ma  harangue  : 

Messieurs  les  princes  Lorrains, 
Veus  êtes  trop  faibles  de  reins; 
Pour  la  couronne  débattrî 
Voi!s  vous  faites  toujours  battre.  — 
J'ai  dit  ; 


lo6  La  Sorbonne  et  les  prédicateurs 


Ce  discours  achevé  ,  beaucoup  de  gens 
demeurèrent  étonnés  ,  comme  s'ils  eussent 
été  frappés  d'un  coup  de  foudre  ;  jusqu'à  ce 
qu'un  Espagnol  se  levant ,  dit  tout  haut  : 
to  dos  /os  mattamoros  estos  ^ellacos.  Nous 
tuerons  tous  ces  marauds-là  :  le  meilleur 
n'en  vaut  rien.  Ce  disant  ,  partit  de  sa  place 
sans  faire  aucune  révérence  et  sortit. 


.  Ces  harangues  pleines  de  sel,  d'ironies  et 
de  vérités  ,  portèrent  la  désolation  dans  le 
corps  des  ligueurs.  Leurs  chefs  naguère 
les  idoles  d'un  peuple  séduit ,  devinrent  les 
objets  de  ses  railleries  et  de  ses  reproches. 
Les  prédicateurs  tombèrent  dans  le  discré- 
dit et  l'avilissement.  La  Sorbonne  ,  à  qui. on 
imputait  tous  les  malheurs  publics ,  se  trouva 
insensiblement  couverte  d'opprobre  et  de 
ridicule.  Elle  frémissait  et  ne  pouvait  se 
venger  :  elle  n'eût  osé  opposer  les  décrets 
de  ses  théologiens  aux  bons  mots  et  aux 
raisons  des  gens  de  lettres.  On  sentit  bientôt 
combien  il  était  absurde  que  les  ministres. 


tombent  dans  le  mépris.  107 
de  la  paix  et  de  l'évangile  prêchassent  la 
discorde  civile  ,  et  combien  il  était  extrava- 
gant de  voir  ,  au  milieu  des  états  généraux, 
des  Italiens,  des  Espagnols  et  des  prêtres  vou-? 
loir  donner  un  roi  et  desloix  à  la  France. 


i'o8 


CHAPITRÉ    X  L  V  I  I. 

*Î93"I594*  Ccns,n'r  d°  la  Sorbonne.  Abjuration  do 
Henri  IV.  Lettre  d'un  docteur  de 
Sorbonne. 

Lks  états  ouverts  depuis  long-tems  avaient 
déjà  tenu  plusieurs  séances.  HcririlV n'était 
pas  tranquille  ;  d'un  jour  à  l'autre  on  pouvait 
élire «n roi.  L'anarchie  ciAit  augmenté,  etl'Es- 
pagne  eut  redoublé  d'efforts.  Le  conseil  de 
Henri  IV  y  et  de  son  aveu  ,  envoyé  à  Paris 
demander  une  conférence  pour  trouver  les 
moyens  de  rétablir  la  paix.  Le  légat,  décon- 
certé par  une  semblable  demande  ,  s'écrie 
qu'elle  est  impie  et  sdiismatique. La  Sorbonne' 
appeilée  à  l'appui  du  légat ,  et  aux  gages  de 
l'Espagne ,  la  déclare,  par  une  censure  solem- 
nelle  ,  absurde  ,  hérétique ,  dictée  par  un  es- 
prit de  révolte  contre  l'église.  Sur  quoi  la 
Sorbonne  se  fondait-elle  pour  parler  ainsi  ? 
C'est  que  dans  la  demande  on  y  disait  qu'un 
roi  hérétique  „  condamné  et  excommunié 
par  le  pape  ,  pouvait  avoir  quelque  droit  à 
la  couronne  de  France. 


Censure  de  la  Sorlonne.  109 
Malgré  cette  censure  de  la  Sorbonne  , 
malgré  les  cris  et  les  menaces  du  cardinal 
Sega  y  les  brigues  et  l'argent  de  l'Espagna, 
Mayenne  fut  d'avîs  d'accepter  ces  confé- 
rences. Il  est  vrai  que  ,  pour  écarter  toute 
méfiance  de  la  part  des  ligueurs  ,  il  proposa 
avant  tout  de  renouveller  le  serment  de  l'u- 
nion. On  le  renouYella  en  effet.  Mayenna 
écrivit  ensuite  ,  au  nom  de  l'assemblée, .une 
lettre  dont  voici  la  substance  et  qui  peut 
nous  faire  connaître  l'incommensurable  dis- 
tance qu'il  y  a  d'un  siècle  où  avec  les  opi- 
nions de  la  théologie  et  les  décrets  de  la  Sor- 
bonne on  gouvernait  les  peuples,  on  trou- 
blait l'état,  on  assassinait  les  rois,  on  outra- 
geait Henri  IV '_,  à  l'époque  présente  où  avec 
la  simple  philosophie  ,  les  Français  instruits 
et  revenus  de  leurs  antiques  préjugés  ,  en- 
chaînent le  despotisme  ministériel ,  en  éle- 
vant des  statues  au  sage  Louis  XVI. 

«  Ce  n'est  point  la  nature  ,  est-il  dit  dans 
»  cette  lettre ,  ni  le  droit  des  gens  qui  nous 
sî  apprennent  à  connaître  nos  rois  ;  c'est  la 
»  loi  de  Dieuet  de  l'église. . .  Ayant  donc  tous 
»  juré  à  Dieu ,  après  avoir  reçu  son  précieux 
3î  corps  et  la  bénédiction  de  M.  le  légat,  que 
»  le  but  de  nos  conseils  sera  d'assurer  la  re- 


lio  Conférence. 
5>  ligion  catholique  ,  rions  acceptons  la  con- 
5î  férence  que  vous  demandez,  pourvu  qu'elle 
»  soit  entre  catholiques  seulement.  x> 

Les  théologiens,  le  légat  et  les  Espagnols 
obtinrent  encore  qu'on  ne  traiterait  point 
avec  le  Béarnais.  Le  sage  et  sensé  Renaud 
de  laBeaume ,  archevêque  Je  Bourges,  était 
à  la  tête  des  députés  de  Henri  IV.  C'était  un 
homme  très- instruit  et  de  bonnes  mœurs.  Il 
parla  des  avantages  de  la  paix  ,  des  malheurs 
de  la  guerre  civile  allumée  en  France  depuis 
trente  ans,  et  de  la  nécessité  de  s'unir  sous 
un  prince  de  la  maison  de  Bourbon. 

Le  voluptueux  d' Espinac  ,  à  la  tête  des 
députés  ligueurs  ,  répondit  à  cette  exhorta- 
tion en  avouant  qu'il  fallait  s'unir,  mais  con- 
tre les  hérétiques.  Il  appuya  son  sentiment 
de  l'autorité  de  Rome  ,  de  ses  bulles  ,  de  ses 
excommunications  ,  des  décrets  de  la  Sor- 
bonne  et  de  tout  cet  attirail  qui  ,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit ,  en  imposait  alors  à 
la  nrultitude  ,  et  la  mettait  en  mouvement. 
Ces  conférences  n'aboutirent  à  rien  ,  sinon 
à  faire  connaître  à  Henri  IV  toutes  les  dif- 
ficultés qu'il  avait  encore  à  vaincre  pour  être 
reconnu  roi  de  France. 

En  ce  tems-là  le  duc  de  Ferla ,  avec  de* 


Lettre  de  Philippe  IL  \\\ 
trésors,  des  promesses,  et  Inigo  de  Mendosa9 
théologien  ,  arrivèrent  à  Paris.  Les  états  s'as- 
semblèrent extraordinairement.  Feria  et 
jMendosa  y  Turent  admis.  Le  premier  ht  une 
harangue  pour  déplorer  les  malheurs  de  la 
natioti  ;  il  remit  ensuite  au  cardinal  de  Pel- 
levé  une  lettre  de  Philippe  II ,  adressée  à 
nos  révérends  ,  illustres  ,  magnifiques  et 
bien-aimés  députés  aux  états  généraux  de 
France.  Dans  la  lettre,  le  roi  d'Espagne  de- 
mandait l'élection  d'un  roi  ,  ajoutant  :  que 
par  ce  moyen  j'aye  le  contentement  de  tout 
ce  que  je  mérite  à  l'endroit  de  ce  royaume. 
Le  sens  de  ces  paroles  était  qu'il  desirait  la 
couronne  de  France  pour  lui  ou  pour  sa 
fille  l'infante  d'Espagne.  Fellevé  répondit 
à  cette  lettre  et  à  la  harangue  de  Feria  , 
mais  en  homme  encore  plus  attaché  au  parti 
Lorrain  qu'au  parti  Espagnol. 

Henri  //^déconcerta  les  deux  partis,  en  iS  ma* 
annonçant  qu'il  voulait  se  faire  instruire,  et 
en  invitant  les  évêques  et  les  théologiens 
de  se  rendre  à  Mantes  pour  travailler  à  son 
instruction.  Les  états  continuaient  leurs  séan- 
ces sans  oser  élire  un  roi.  Les  Espagnols  , 
soutenus  de  beaucoup  d'évêques  et  de  doc- 
teurs de  Sorbpnne  t  espéraient  l'élection  de 


ni  Mouvement  de  la  Sorbonne. 
l'infante  ;  mais  le  parlement  de  Paris  donna 
un  arrêt ,  déclarant  la  loi  salique  fondamen- 
tale ,  et  regardant  comme  nulle  toute  élec- 
tion d'un  prince  ou  d'une  princesse  étran- 
gère. 

Mayenne,  qui  avait  secrètementprovoqué 
l'arrêt ,  feint  d'être i  rrité.  Il  mande  le  pré- 
sident le  Maître ,  lui  reproche  avec  amer- 
tume l'arrêté  de  la  cour.  Le  Maître  répond 
avec  fermeté  qu'elle  n'a  fait  que  ce  qu'elle 
devait  faire.  Quant  à  moi  ,  ajoute-t-il  ,  je 
soujjrirais  cent  fois  plutôt  la  mort  que  d'ê- 
tre Espagnol  ou  hérétique. 

Le  légat  fit  défense  aux  théologiens  de 
se  rendre  à  Mantes  ;  et  la  Sorbonne,  où  ce 
légat  avait  un  grand  crédit ,  agita  de  noter 
d'hérésie  les  ecclésiastiques  qui  s'y  ren- 
draient ,  et  de  déclarer  leurs  bénéfices  im- 
pétrables.  Cette  motion,  après  beaucoup  dé 
débats ,  fut  enfin  rejettée.  Beaucoup  de 
docteurs  ,  les  uns  par  curiosité  ,  les  autres 
par  intérêt ,  étaient  bien  aises  de  trouver 
l'occasion  d'ajler  argumenter.  Les  théolo- 
giens disputèrent  entr'eux,  et,  suivant  l'u- 
sage ,  restèrent  chacun  dans  leur  opinion. 
Henri  IV  et  les  évêques  furent  bientôt  d'ac- 
cord j  ou  consulta  par-dessus  tout  l'intérêt 


Menaces  du  légat,  ii3 
de  l'état,  et  ils  se  décidèrent  à  recevoir  son 
abjuration.  Tout  Paiis  était  en  mouvement. 
Le  légat  n'avait  pas  voulu  que  les  théologiens 
allassent  instruire  e^  convertir  Henri  IV ; 
on  ne  voulut  pas  permeîtte  aux  habitans 
d'assister  à  son  abjn  atîon  ,  dont  on  cem- 
mença  bientôt  tés  préparatifs  dans  L'église  de 
Saint-Denis  Les  portes  de  Paris  Turen  fer- 
mées par  ordre  â'e  Mayenne.  On  afficha  une 
défense  de  sortir,  tt  le  lfeât  annonça  que 
tout  ecclésiastique  qui  irait  voir  Henri  de 
Bourbon,  se  disant  roi  de  France,  per  rait 
son  bénéfice  et  encourrait  lés  censures  de 
l'église  ;  mais  le.s-  citoyens  avides  de  voir 
un  roi  dont  on  publiait  de.->  merveilles  , 
bravent  et  défenses  et  c<  n  m  es  ,  et  Se  ren- 
dent en  foule  à  Saint-Denis. 

On  avait  rédige  un  fo.iuu'.iire  d'abjura- 
tion rempli  d'articles  minutieux.  Henri  IV 
les  effaça  et  ne  voulut  que  des  points  néces- 
saires à  La  foi.  Vêtu  d  un  porarp<  int  de  sa- 
tin blanc,  bus  et  souliers  !  la^cs,  manteau  et 
chapeau  noir, au  milieu  de  tous  les  oj'Kciers  de 
la  couronne  ,  environné  ae  ses  gardes  et  des 
Suisses,  il  arrive  à  !;i  porte  de  i'é^dse  où 
l'attendaient  le  cardinal  de  Bourbon  ,  sept 
évêques  ou  archevêques  ,  quatre  cm  es  de 
Tome  II,  H 


1 1 4  Abjuration  de  Henri  IV. 

Paris ,  un  clergé  très  -  nombreux  et  tons  les 
moines  de  Saint  Denis.  Henri  IV  demande 
à  être  reçu  dans  le  giron  de  l'église  romaine  ; 
après  cette  demande  faite  à  genoux  aux  pieds 
des  évêques,  il  jure  de  protéger  cette  église  , 
remet  son  serment  par  écrit  à  l'archevêque  da 
Bourges  ,  qui  lui  donne  l'absolution  et  en- 
tonne le  Te  Deum. 

Les  voûtes  et  les  fenêtres  de  l'église  étaient 
chargées  d'un  peuple  immense  qui  versait 
des  larmes  de  joie  ,  et  qui ,  dans  l'ivresse  de 
son  plaisir ,  à  chaque  instant,  mêlait  aux  fan- 
fares des  trompettes,  au  bruit  de  la  mousque- 
terie  ,  les  cris  de  vive  le  roi  ,  vive  Henii  IV. 
Son  amante  ,  la  belle  Gabrielle  cTEstrée  , 
était  spectatrice  de  cette  abjuration  à  la- 
quelle elle  avait  autant  de  part  que  la  théolo- 
gie. Ce  jour  d'alégresse  pour  les  bous  Fran- 
çais ,  et  qui  après  de  si  longs  malheurs  de- 
vait amener  l'âge  d'or  ,  ne  fut  pour  les  Es- 
pagnols ,  pour  le  légat  et  pour  la  Sorbonne  , 
qu'un  jour  de  terreur. 

Mayenne  qui  craint  que  le  parti  Espa- 
gnol ,  dans  son  désespoir  ,  ne  consomme 
l'élection  d'un  roi  ,  demande  une  trêve  à 
.Henri  IV.  Elle  fut  accordée  ,  signée  et 
publiée  le  lendemain.  Cette  démarche  de 


Serment  contre  Heriri  IV.  i  \  5 
la  part  de  Mayenne  était  un  achemine-? 
ment  à  la  paix.  Le  légat  ,  les  Espagnols  , 
les  ligueurs  et  les  prédicateurs  s'en  plai- 
gnirent comme  d'un  acte  de  faiblesse  et 
de  traîtrise  de  sa  part.  On  voulut  lui  ôtër  la 
lieutenance  générale  c|e  la  couronne,  comme 
les  Lyonnais  avaient  ôlé  au  duc  de  Nemours  t 
son  frère  ,  le  gouvernement  de  la  ville  dont 
il  s'était  fait  le  tyran. 

Des  murmures  s'élevaient  sans  cesse  con- 
tre Mayenne  ^  le  légat  ,  pour  le  mettre  à 
l'épreuve  et  le  lier  de  nouveau  par  le  ser- 
ment de  la  religion,  propose  de  renouveller 
le  serment  de  la  sainte  union  ;  et  Mayenne 
qui ,  pour  prolonger  son  autorité  chance- 
lante ,  ne  veut  qu'écarter  toute  défiance  ,  y 
consent.  Il  se  rend  en  conséquence  avec  les 
princes  ,  les  Espagnols ,  chez  le  légat  où  se 
trouve  une  foule  de  prêtres  et  de  docteurs  de 
Sorbonne  :  on  porte  le  livre  de  l'évangile  , 
on  se  met  à  genoux  aux  pieds  du  légat ,  et 
là ,  en  touchant  ce  livre ,  ils  jurent  tous  entre 
ses  mains  qu'il  n'y  aur  a  jamais  de  paix  avec 
le  roi  de  Navarre.  Le  serment  fut  signé  ,  et 
remis  au  légat. 

On  va  plus  loin.  Le  légat  propose  à  Mayen- 
ne la  réception  du  concile  de  Trente  que 

H  2, 


ii6  Excès  des  prédicateurs? 

Rome  n'avait  encore  pu  faire  recevoir  en 
France.  Mayenne  y  consent  et  convoque 
l'assemblée  des  états  où  cette  réception  se 
fit  avec  beaucoup  d'appareil  ,  et  donne  une 
déclaration  pour  annoncer  que  désormais  ce 
concile  sera  regardé  en  France  comme  une 
loi  d'état  et  de  l'église  Gallicane. 

Dé j à  H enri  IV  avait  envoyé  à  Rome  Gondi 
évêque  de  Paris ,  et  le  marquis  de  Pisanni  , 
pour  annoncer  au  pape  qu'il  voulait  abjurer  ; 
et  quand  il  eut  abjuré  il  fit  partir  le  duc  de 
Nevers  pour  lui  en  porter  la  nouvelle.  Les 
ligueurs ,  qui  de  leur  côté  avaient  dépêché  le 
jésuite  Dupui  pour  solliciter  le  pape  de  fer- 
mer les  portes  de  Rome  à  Gondi ,  dépêchè- 
rent d'autres  émissaires  pour  s'opposer  à  la 
réception  du  duc  de  Nevejs ,  et  pour  deman- 
der une  bulle  d'excommunication  contre  les 
évêques  qui  avaient  reçu  l'abjuration  de 
Henri  Le  relaps. 

Les  prédicateurs  ,  et  sur-tout  le  docteur 
Boucher,  faisaient  retentir  Les  églises  de  Paris 
de  leurs  emportemens  contre  ce  roi  qu'ils 
3ie  méritaient  pas.  Ceux  de  leurs  confrères  en 
théologie  qui  ne  prêchaient  pas,  écrivaient. 
Nous  allons  rapporter  la  lettre  d'un  docteur 
de  Sorbonne  nommé  MaucLerc ,  à  son  con- 


"Lettre  d'un  docteur  de  Sorbonne.  iij 
frère  Ducreil  qui  était  à  Rome  l'un  des 
agens  Je  la  ligue.  Nous  répéterons  ici  ce  que 
nous  avons  déjà  dit  des  écrits  que  nous  trans- 
crivons à  l'appui  de  cette  histoire.  Eu  les 
abrégeant  ,  nous  n'en  altérons  jamais  le 
sens. 

Lettre  du  docteur  Mauclerc  au  docteur 
Ducreil ,  résidant  à  Home. 

»  Monsieur  notre  maître ,  depuis  mes  der-  4  Auguste, 
nières  bien  amples ,  se  sont  passées  de  terri- 
bles affaires  par  lesquelles  vous  jugerez  que 
M.  de  Mayenne  est  toujours  le  même  ///  Gui- 

sium  Il  11e  craint  rien  tant  que  ce  que 

vous  souhaitez  ,  advienne   Voyant  la 

résolution  des  Espagnols  in  Javorem.  du 
duc  de  Guise,  l'on  a  tâché  de  heurter  contre 
l'autorité  des  états  par  un  bélier  d'arrêt 
prétendu  ;  mais  le  duc  de  jSlayennc  se 
voyant  pressé  de  donner  consentement  à 
l'avancement  du  duc  de  Guise  ,  il  a  fait 
semblant  de  le  désirer  fort ,  et  dit  qu'il  vou- 
lait assurer  rétablissement  de  son  neveu  et 

voir  le  pouvoir  des  Espagnols   Lcsdits 

Espagnols  ont  été  fort  joyeux  ,  et  étant  chez 
le  légat  en  présence  des  cardinau?c  et  pvin- 

II  3 


1 1 8  L>ettre  dun  docteur 

ces ,  ont  déclaré  un  pouvoir  de  leur  maître 
pour  marier  l'infante  avec  le  duc  de  Guise 
comme  roi  ,  conjointement  avec  la  dame 
infante  ». 

33  De  Mayenne  a  fait  min  e  d'être  fort  j  oyeux 
»  et  content  d'un  tel  honneur  fait  à  un  prince 
a?  de  gente suâ mais  il  a  demandé  des  choses 

>3  si  impossibles          que  l'on  a  connu  qu'il 

33  ne  voulait  auîre  que  lui  esseregern  Galliœ. 
33  Les  Espagnols  se  complaignent  et  jure.  Les 

33  gens  de  bien  simili  ter   Ledit  de 

33  Mayenne  est  conjuré  de  ne  pas  envier  cet 
>3  honneur  à  son  neveu  ,  tamen  mens  im~ 

33  mota  manet  Il  ne  sait  que  répondre  , 

33  et  a  dit  quïl  se  perdrait  plutôt  quàm  cogi 
33  adid quod nollet.  Et  ce  qui  est  très-indigne 
»  de  lui  ,  solus  àpartibus  stetit. 

33  Les  stratagèmes  de  quelques-uns  electio- 
>3  nem  régis  ,  in  inducias  commutarunt  ma- 
33  acimo  cum  commilioru/n  generalium  no- 
33  minis  de  decre.  Pour  faire  avaler  ce  mor- 
33  ceau  ,  on  le  sucre  de  belles  promesses. 
33  O.nnes  coram  legaio  ,  tacto  evangelio 
»  jurarunt  se  nunquarn pacem  inituros  cum. 
33  rege  Navareo  ,  et  hoc juramentum  syngra- 
33  pho  confirmarunt  in  7nanu  dudit  légat. 

33  Le  duc  de  Guise  m'a  dit  aujourd'hui 


d»  Serhonne  à  son  amtï  i  \  y 
5»  qu'il  n'y  a  rien  de  gâté  pourvu  que  sa  sain- 
»  teté  tienne  ce  qu'elle  a  promis  au  duc  de 
y>  Sesse,  legato  catholicae  majestatis.  Mais 
y>  ce  roi  de  Navarre  tâchera  de  l'ébranler 
33  par  la  légation  du  prince  qu'il  envoie ,  au- 
»  quel  ,  si  l'on  ferme  la  porte  comme  à 
»•  Gondi  f  tout  ira  bien. 

»  Les  Espagnols  de  nos  quartiers  sont  bien 
33  résolus  de  faire  tout  ce  qu'ils  pourront 
33 pro fatali  viro.  Si  les  forces  qu'ils  promet- 
»  tent  sont  prêtes  dans  trois  mois  creabitur 
y>  rex  etiant  invito  de  Mayenne.  Je  pourrai 
3»  encore  vous  écrire  dans  deux  jours  quel- 
3>  qu'affaire  de  conséquence.  A  Paris,  4  août 
»  1593.  >» 

Mauclerc. 

La  date  de  cette  lettre  ,  ainsi  que  ces 
mots  affaires  de  conséquence  ,  sont  très- 
importans  à  remarquer  avant  de  lire  le 
chapitre  suivant  ,  où  il  sera  question  d'un 
assassin  de  Henri  IF. 


H4 


120 


CHAPITRE    XL  VIII. 

1^     Démonologie   de    la   Sorbanne.  Barrièr» 
et  écartelé. 
1594. 

\  ,es  bons  catholiques  se  réjouissaient  cl© 
l'abjuration  de  Henri  IV.  Les  émissaires  de 
la  ligue  manoeuvraient  à  Bome  pour  faire 
excommunier  i  s  évê  pies  q*ii  l'avaient  ab- 
sous. Les  théologien!  c  vannèrent  d  exhaler 
en  chaire  un  fanatisme  punies ,d>le  ,  et  qu'on 
ne  pouvait  encore  ni  punir  ni  réprimer.  lis 
prêchaient  que  la  conversion  du  Béamois- 
n'était  {\\i\me  fa'ce  et  la  messe  qu'on  chan- 
tait devant  lui  qu'un  batelage. 

Le  docteur  i?  >ucker,  dans  l'eplise  de  Saint- 
Meri  (\ue  son  vrai  pasteuravait  abandonnée 
parla  crainte  d'être  assassiné,  se  signalait  par 
ses  emportemen  i  contre  Henri ITr.  Il  fit  m  uf 
6ermons  pour  prouver  [ne  les  évêques  qui 
avaient  reçu  son  abjura  ion  étalent  les  mi- 
nistres de  l'enfer ,  et  que  le  pape  lui-même 
ne  pouvait  fécathoUser  le  Béarnais. 

Celte  dém  ne  ■  ,  de  la  part  d'un  tliéologîen 
et  de  ses  confrères ,  lut  poussée  si  loin  iju  uij 


Démoncïogie  de  la  Sorbonne.  12,1 

bon  citoyen  s'en  irrita  ,  et  au  risque  d'être 
poignardé  ,  il  jetta  dans  le  public  un  petit 
écrit  avec  ce  tbre  :  démonologie  de  la  Sor- 
ôo/ine.  En  voici  la  substance  avec  les  pro- 
pres paroles  de  l'auteur. 

«  J'ai  toujours  pensé  cpie,  Dieu  favorisant 
>»  la  France  d  une  trêve  ,  il  y  aurait  quelque 
»  sur^eance  non  -  seulement  d'armes  ,  mais 

»  aiusi  de  paroles  aigres  et  piquantes  

»  rV^ais  je  suis  déçu  de  mon  opinion  ,  puis- 
ai que  les  chaires  sont  plus  que  jamais  pi^ofa- 
»  néesde  médisances  et  de  propositions  sédi- 

>»  tieuses  Si  je  n'ai  égard  qu'à  ceux  qui 

»  les  avancent  ,  je  ne  me  dois  pas  étonner 
*>  beaucoup ,  attendu  qu'ils  sont ,  il  y  a  long- 
35  tems  ,  troublés  de  leurs  cerveaux....  Je  les 
»  vois,  à  la  façon  des  faux  prophètes  ,  sé- 
»  duire  le  peuple  plus  que  jamais  ,  allumer 
«  les  funestes  flambeaux  de  la  discorde 
»  parmi  les  Français  ,  aiguiser  leurs  langues 
>3  venimeuses  pour  peine  re  leur  roi  légitime 
»  et  précipiter  la  f  ranco  en  une  fondrière 
jj  de  malheurs  incroyables. 

y>  Prenez  garde  à  ceci  ,  peuples  ,  et  que  le 
>»  beau  t  L  spécieux  nom  de  Sorbonne  ne  vous 
»  o  f'usque  p;us  les  yeux.  Ede  n'e^t  plus 
v  comme  autrefois  la  perle  du  monde  


1 22  lilaximes  infernales. 

»  Elle  est  une  boutique  de  toutes  méchan- 
•>•>  cetés  ,  le  réceptacle  des  meurtriers  et  des 
»  larrons ,  le  tombeau  des  loix  divines  et 

»  humaines          O  Sorbonne  !  Argentum 

»  tuum  versum  est  in  scoiiam  Je  vous 

*>  cotterai  quelques-unes  des  hérésies  que  ses 
»  suppôts  enseignent  à  la  populace  dont  j'ai 
*>  mille  et  mille  témoins. 

»  Il  est  permis  au  peuple  de  désobéir  aux 
y>  magistrats  et  de  les  pendre. 

5>I1  est  impossible  que  le  roi  se  convertisse  : 
»  il  n'est  pas  en  la  puissance  du  pape  de 
y>  l'absoudre. 

y>  La  messe  qu'on  chante  devant  lui  est 
y>  une  farce.  C'est  à  la  Sorbonne  à  juger  si 
»  le  pape  doit  recevoir  le  roi  ;  et  si  d'avan- 
3>  ture  il  le  faisait ,  le  déclarer  hérétique  et 
»  excommunié  lui-même. 

«  Qui  meurt  en  faisant  la  guerre  au  roi ,  est 
j>  martyr.  Il  est  permis  d'assassiner  son  roi  » . 

Cette  doctrine  exécrable  fermentait  déjà 
dans  beaucoup  de  cerveaux.  Cependant 
Henri  /Savait  pris  le  seul  parti  qu'il  eût  à 
prendre ,  et  que  sans  doute  il  eût  pris  plutôt 
si  dans  l'opinion  des  hommes  ordinaires ,  il 
n'était  convenu  ,  alors  comme  aujourd'hui , 
que  tout  changement  cle  secte  suppose  delà 


U amour  co Avertit  Henri  IV.  1  »3 
Faiblesse,  et  que  toute  abjuration  n'est  qu'un 
parjure.  Il  changea  d'abord  de  religion  sans 
changer  de  créance.  Sully  ,  le  judicieux 
Sully  ,  le  lui  conseille.  //  faut ,  lui  dit-il  , 
que  vous  soyez  papiste  et  que  je  reste  pro- 
testant. Le  sévère  Mornai ,  qu'on  regardait 
comme  le  pape  du  calvinisme  ,  ne  désap- 
prouva pas  ce  changement.  Mais  la  personne 
qui ,  à  ce  changement  eût  le  plus  de  part, 
fut  sans  contredit  la  belle  d'Estrée.  Elle 
l'aimait ,  elle  voyait  avec  horreur  son  amant 
répandre  le  sang  de  ses  sujets  ;  de  plus  elle 
comptait  l'épouser. 

L'intérêt  de  Heniz  IV ,  son  amour  pour 
GabiiclTe  d'Estrée  ,  et  sur- tout  son  amour 
pour  ses  peuples ,  le  rendirent  donc  catholi- 
que. On  pense  bien  que  quand  il  abjura  , 
il  était  peu  persuadé  que  pour  aller  au  ciel , 
il  dût  croire  au  pape  qui  l'avait  excommu- 
nié et  déclaré  de  race  bâtarde  ;  à  la  Sor- 
bonne  qui ,  vendue  à  Philippe  II  >  nourris- 
sait par  ses  décrets  les  peuples  dans  le  fa- 
natisme ;  et  aux  prédicateurs  catholiques 
qui  prêchaient  la  calomnie  et  la  révolte. 

Nous  ne  prétendons  pas  sonder  le  cœur 
de  ce  bon  roi  ;  mais  il  est  très- vrai  que  dans  un 
de  ces  momens  de  franchise  et  de  vivacité 


12.4  Foudres  de  Rome. 

qui  faisaient  son  caractère ,  il  s'était  écrié  : 
ventre  sangris ,  une  couronne  vaut  bien  une 
messe.  Ce  n'est  pas  là  ,  on  doit  l'avouer  ?  le 
langage  de  la  persuasion.  Les  ligueurs  lui 
avaient  donné  une  aversion  étrange  pour  le 
catholicisme.  En  parlant  des  tueurs  qu'on 
avait  souvent  apostés  pour  l'assassiner  ,  il 
disait  :  si  je  il  c Lai  s  protestant ,  je  me ferais 
turc.  Ajoutons  que  la  veille  de  son  abjura- 
tion ,  il  mandait  à  son  amante  :  c'est  de- 
main que  je  fais  le  saut  périlleux. 

Il  vint  un  teins  ,  et  il  en  faut  convenir  , 
où  Henri  IV  fut  catholique  de  bonne  foi  ; 
mais  ce  ne  fut  que  quand  ,  par  l'habitude  , 
son  ame  pliée  et  façonnée  au  joug  des  cé- 
rémonies de  l'église ,  on  le  vit  dans  un 
confessionaJ  s'humilier  aux  pieds  d'un  prê- 
tre ,  et  avouer  des  faiblesses  qu'il  ne  put 
jamais  dompter ,  et  qui ,  dans  sa  vie ,  sont 
des  taches  que  couvrent  ses  grandes  ver- 
tus. 

Il  avait  solcmncllement  abjuré  le  protes- 
tantisme ;  mais  il  fallait  fléchir  Rome.  Ses 
foudres  grondaient  encore.  Le  pape  croyait 
pouvoir  tout  hasarder  tant  que  la  révolte 
serait  dans  Paris.  L'Espagne  n'en  prodiguait 
pas  moins  l'or  du  Pérou  pour  accélérer  1© 


La  France  h  V enchère.  \i5 
mariage  de  l'infante  avec  le  duc  de  Guise. 
Son  oncle  ,  le  duc  de  Mayenne  ,  perdant 
l'espérance  d'être  roi  ,  mettait  secrètement 
à  l'enchère  la  couronne  de  France.  Le  même 
levain  de  fanatisme  qui  avait  fait  assassiner 
devant  Orléans  Guise,  Coligni ,  le  prince 
d'Orange  ,  Henri  III  y  fermentait  plus  que 
jamais  dans  les  mauvaises  tei.es.  L'homicide 
était  prêché  comme  un  acte  de  religion. 
Les  confesseurs  sollicitaient  des  assassins. 
Dans  les  confrairieS  et  les  congrégations  on 
échauffait  les  têtes  des  jeunes  gens  en  leur 
promettant  le  ciel. 

Le  docteur  de  Sorhonne  jSîaiiclrrr  ox-a it 
mandé  ,  ainsi  que  nous  l'avons  vu  ,  à  son 
ami  le  docteur  Ducreil  qui  était  à  Rome  , 
que  dans  peu  il  lui  ferait  part  d'une  af- 
faire de  conséquence.  On  ignore  quelle  est 
cette  affaire.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  pen- 
dant qu'on  annonçait.! Rome  une  affaire  de 
conséquence  ,  un  homme  de  la  lie  du  peu- 
ple brassait  la  mort  de  Henri  IV. 

La  lettre  du  docteur  de  Sorbnnne,  écrite 
ù  Rome  ,  est  datée  du  quatre  août.  Bar- 
rière ou  la  Barre ,  qui  en  voulait  à  la  vie  do 
Henri  IV ' ,  était  entré  à  Paris  deux  jours 


126  Barrière  ,  jeune  fanatique. 
auparavant  ,  et  au  moment  de  son  arrivée 
il  avait  cherché  des  théologiens  pour  s'en- 
courager à  tuer  le  roi.  Cet  assassinat  ne  se- 
rait-il pas  cette  affaire  de  conséquence  dont 
parlait  le  docteur  Mauclerc  dans  sa  lettre  ? 
Nous  ne  décidons  rien  ,  et  laissons  à  nos 
lecteurs  le  soin  de  prononcer. 

Barrière  était  né  à  Orléans  ;  son  pre- 
mier métier  fut  d'être  batelier.  Il  fit  à  bonne 
heure  ses  exercices  de  piété  dans  la  con- 
frairie  du  petit  cordon  ,  instituée  chez  les 
cordeliers  ,  en  faveur  de  la  religion  catho- 
lique. Pendant  les  troubles  de  la  ligue  ,  on 
le  jugea  capable  d'une  expédition  hardie  : 
il  fut  présenté  aux  Guise ,  qui  le  chargèrent 
d'aller  délivrer  Marguerite ,  reine  de  Na- 
varre ,  et  femme  de  Henri  IV ,  laquelle 
était  alors  enfermée  dans  le  château  d'Usson 
en  Auvergne.  Cette  expédition  ne  réussit 
point.  Barrière  se  fit  soldat ,  et  bientôt  il 
eut  à  racheter  les  iniquités  de  ces  deux  pro- 
fessions ,  de  soldat  et  de  matelot.  I!  se  rend 
à  Lyon  pour  consulter  des  théologiens  sur 
ses  grands  projets.  Son  premier  soin  fut  de 
commencer  par  faire  faire  ses  obsèques  dans 
l'église  de  Saint- Paul  ,  et  d'assister  à  sou 


Barrière  encouragé.  \ij 
enterrement  avec  une  grande  dévotion.  Ce 
devoir  rempli ,  il  s'adresse  à  un  carme ,  grand- 
vicaire  ,  pour  savoir  s'il  peut  tuer  le  roi.  Le 
carme  loue  son  courage.  Un  capucin  à  qui 
il  va  proposer  le  même  cas  de  conscience 
décide  que  l'œuvre  est  méritoire.  Deux  prê- 
tres consultés  sur  son  projet  lui  avouent , 
pour  l'tnflammer  davantage  ,  qu'ils  se  sont 
réservés  la  gloire  d'en  délivrer  la  France. 
Enfin ,  un  dominicain  lui  donne  des  répon- 
ses ambiguës  ,  et  le  fait  connaître  à  un 
gentilhomme  pour  en  avertir  Henri  IV. 

Après  un  séjour  d'un  mois  à  Lyon ,  Bar- 
rière vint  à  Paris.  La  théologie  s'y  trouva 
conforme  à  celle  de  Lyon.  Il  se  rend  chez 
<Aubri ,  docteur  de  Sorbonne  ,  et  curé  de 
Saint-André-des-arcs  ,  comme  au  prédica- 
teur le  plus  affectionné  à  la  ligue.  Ce  doc- 
teur lui  dit  que  le  roi  n'était  pas  encore  ca- 
tholique quoiqu'il  allât  à  la  messe.  Son  vi- 
caire confirme  ce  propos.  Alors  Barrière 
leur  confie  son  dessein.  Aubri  lui  dit  qu'il 
est  bon  d'en  conférer  avec  quelqu'un  de 
poids  ,  et  le  mène  chez  Varade  ,  recteur 
des  jésuites.  Celui-ci  lui  avoue  que  c'est 
une  grande  action  de  tuer  le  roi  ;  mais  que 


ia8  Barrière  se  confesse. 

pour  cela  il  faut  du  courage  ,  et  qu'avant 
tour ,  il  faut  se  co  .fesser  et  taire  ses  pu  pies. 
Il  lui  donna  sa  bénédiction  ,  et  le  confie  à 
un  autre  jésuite  pour  le  confesser.  Ajoutons 
que  dans  te  séjour  que  ce  milheun.ux  fit 
à  Paris  ,  un  prédicateur  ,  les  uns  disent 
Pigenat  ,  les  autres  Commolet ,  criait  en 
chaire  en  parlan  du  .  éarnoïs  :  Il  nous  faut 
un  âocl;  fut-il  moine  ,  fût-il  soldat }  il  nous 
faut  un  aod. 

Barrière,  conseillé  à  Lyon*  par  un  carme, 
par  un  capucin  et  par  deux  prêtées  ,  en- 
courage à  Paris  pair  le  docteur  Aubri  ,  béni 
par  le  jésuite  Varade  et  confessé  par  un 
autrë  jésuite  ,  ac  lète  un  grand  couteau 
tranchant  des  deux  cotés  ,  le  fajit  aiguiser 
et  épointer  ,  et  va  cher  cher  Henri  IV.  Il 
le  irouve  à  Saint-Denis ,  entérinant  la  messe. 
La  dévotion  du  roi  lui  en  impose  ,  et  il 
manque  de  courage.  Il  n'avait  point  encore 
Communié,  dit-il  dans  son  interrogatoire. 
Il  suit  Henri  I Va  CIiàinp-sur-Màrne  ,  àBrie- 
Comte- Robert.  C'est  dai  s  ce  village  qu'il  se 
confesse  de  nouveau  et  communie.  Bien  con- 
fessé et  muni  du  pain  des  forts  ,  il  va  à 
Melun  où  se  rendait  Henri  IV.  Mais  Bar- 

caleon  3 


Supplice  de  Barrière.  129 
calcon  ,  ce  même  gentilhomme  qui  l'avait 
vu  à  Lyon  ,  était  arrivé  à  tems  :  il  l'observe 
et  le  fait  arrêter. 

Barrière  demande  d'abord  à  la  geôlière 
du  poison  ;  il  confie  son  coutelas  à  un  prê- 
tre qui  était  prisonnier  ;  mais  ensuite  apper- 
cevant  ce  couteau  sur  la  table  du  conseil ,  il 
le  demande  pour  s'en  couper  la  gorge.  Inter- 
rogé pourquoi  il  est  venu  à  Saint  -  Denis  : 
c'est  ,  dit-il ,  pour  emprunter  de  l'argent , 
et  pour  se  faire  capucin  à  Paris.  Appliqué 
à  la  question  ,  il  dit  qu'il  espérait  que  Dieu 
le  rendrait  invisible  après  avoii  tué  le  roi. 
Il  fut  condamné  à  être  traîne  sur  un  tombe- 
reau dans  les  rues  de  Melun  ;  et  avoir  le  poing 
coupé.  Sa  main  et  son  couteau  furent  jettés 
dans  un  bûcher.  On  lui  arracha  les  chairs 
avec  un  fer  chaud  ;  on  lui  cassa  à  coups  de 
barre  de  fer  les  bras  ,  les  cuisses  ,  les  jam- 
bes ,  et  quand  il  eut  expiré,  on  brûla  son 
corps  dont  on  jetta les  cendres  dans  la  rivière. 
C'est-là  un  supplice  qu'on  croirait  inventé 
par  les  Cannibales. 

Avant  d'être  rompu  ,  Barrière  reconnut 
toute  l'énormité  de  son  crime.  Il  désigna 
les  deux  prêtres  de  Lvon  qui ,  dit-il,  avaient 
formé  le  complot  d'assassiner  Henri  IV. 
Tome  II.  I 


i3o 

N'étant  point  lettré ,  dit-il  encore  à  ses  ju- 
ges ,  je  me  suis  laissé  persuader  par  les 
ecclésiastiques  et  docteurs  en  théologie. 

Ces  paroles  sont  tirées  du  procès-yerbal 
de  sa  mort. 


CHAPITRE  XLIX. 


Travaux  des  hommes  de  lettres  pour  désa-* 
buser  le  peuple  et  servir  Henri  IV.  Li- 
gueurs ,  parlement  et  Mayenne  épouvan- 
tés. Procession  à  Sainte-Geneviève.  En- 
trée de  Henri  IV  à  Paris.  Emportement 
d'un  prédicateur. 

i /^converti ,  absous  etsacré ,  n'était 
point  encore  maître  de  sa  capitale.  Sa  si- 
tuation sous  les  murs  de  Paris  était  très-em- 
barrassante ;  il  n'avait  que  peu  de  soldats 
mal  vêtus ,  et  point  d'argent.  Rome  d'ai  leurs 
mettait  à  son  égard  une  inflexibilité  qui  pou- 
vait lui  devenir  funeste.  Des  étrangers  Ita- 
liens ,  Lorrains  ,  Espagnols  parlaient  tou- 
jours en  souverains  au  milieu  de  Paris.  Une 
armée  s'assemblait  en  Flandre  pour  entrer 
en  France  sous  la  conduite  de  l'archiduc 
Ernest.  Henri  IV  avait  encore  à  craindre 
et  à  se  défendre  des  assassins. 

Pour  l'honneur  de  ceux  alors  qui  culti- 
vaient les  lettres  ,  on  doit  avouer  que  ce  fu- 
rent eux  qui  par  leurs  écrits  déconcer- 

I  2 


i3a  Hommes  de  lettres 

tèrént  lés  manœttvrës  ambitieuses  des  étran- 
gers ,  et  étouffèrent  le  flambeau  de  la  discorde 
que  la  Sorbonne  et  les  prédicateurs  ne  ces- 
saient de  rallumer.  C'est  sous  le  tranchant 
de  la  satyre  qu'ils  firent  expirer  la  sainte 
union  ,  ce  monstre  épouvantable  qu'un  peu- 
ple aveugle  avaitsi  long-tems  adoré.  Disons 
les  noms  des  hommes  de  lettres  qui ,  contre 
Rome  ,  contre  la  Sorbonne  et  contre  l'Es- 
pagne ,  servirent  la  patrie  et  Henri  IV.  Ces 
noms  doivent  être  chers  à  tous  les  bons  ci- 
toyens. 

Louis  lePioi  conçut  l'idée  du  catholicon 
tï Espagne.  Quant  à  la  satyre  menipée ,  elle 
fut  l'ouvrage  de  Vithou  ,  de  Chrétien  y  de 
Passerai  et  de  Gillot.  Le  nommé  Hottman 
publia  V anti'chopin  ,  qui  est  la  satyre  d'un 
magistrat  fanatique.  Le  regretfunèbre  à  ma- 
demoiselle ma  commère  ,  sur  le  trépas  de  son 
âne  ,  est  de  Durand  ,  homme  né  plai- 
sant et  caustique.  Guillaume  du  Sable  ré- 
pandait dans  Paris  des  coqs-à- l'âne.  Celui 
qui  est  intitulé  la  Truie  au  foin  est  une 
dérision  sanglante  de  la  ligue  ,  et  sur-tout 
de  la  Sorbonne.  Tous  ces  écrits  ,  que  les 
cuiieux  conservent  encore  dans  leurs  bi- 
bliothèques ,  étaient  secrètement  envoyés  à 


très-bons  citoyens.  i33 
d'honnêtes  bourgeois  qui  les  faisaient  courir 
dans  leurs  quartiers.  Peu -à -peu  la  lumière 
se  formait ,  et  à  mesure  que  les  écailles 
tombaient  des  yeux  du  peuple  ,  Henri  IV 
lui  paraissait  un  bon  roi. 

La  plupart  de  ces  hommes  de  lettres  joi- 
gnaient au  titre  de  bel  esprit  le  mérite  d'être 
sa  vans.  Ils  s'assemblaient  tantôt  chez  PitJwu , 
tantôt  chez  Gillot  dont  la  maison  était  ou- 
verte à  tous  les  gens  instruits.  C'est  là  qu'en- 
tr'eux  ils  gémissaient  en  secret  sur  les  misè- 
res et  l'aliénation  du  peuple,  et  arrangeaient 
les  inovens  de  rendre  Paris  à  Senti  IV. 

Titliou  ,  celui  qui  d'entr'eux  connaissait 
mieux  les  loix  ,  agissait  auprès  de  Duvair  , 
conseiller  au  parlement  et  homme  de  let- 
tres. Ils  en  conférèrent  avec  Lemaître  ,  pre- 
mier président  du  parlement  et  l'ami  de 
Pithou.  C'est  celui-ci  qui ,  pour  déconcerter 
les  Espagnols ,  l'avait  déterminé  à  rendre  le 
funeux  arrêt  en  faveur  de  la  loi  salique. 
Ils  gagnèrent  l'Huilier,  prévôt  des  mar- 
chands ,  et  Langlois  ,  échevin.  Brissac  , 
gouverneur  de  Paris  ,  à  qui  l'on  promit  les 
bontés  de  Henri  IV  ,  entra  dans  les  vues  de 
Pithou  et  du  président  Lemai'lre. 

Déjà  on  parlait  sourdement  d'ouvrir  les 
I  3 


i34 

portes  de  Paris  à  Henri  IV.  Cette  rumeur 
jetta  l'épouvante  chez  les  ligueurs  et  la  cons- 
ternation dans  le  parlement.  Mayenne  cou- 
vert de  ridicule  par  les  hommes  de  lettres  , 
et  se  sentant  trahi  ,  sortit  de  Paris  avec  sa 
femme  et  ses  enfans. 

Les  ligueurs  environnés  de  terreur ,  font 
tm  dernier  effort  auprès  du  ciel  qui  les  a 
toujours  désavoués.  Ils  ont  recours  àSainte- 
Genev'wve.  Sa  châsse  est  promenée  proces- 
sionnellement  dans  les  rues  de  Paris.  Ce 
fut  là  la  dernière  momerie  du  fanatisme. 
Mars.  Le  parlement  qui  avait  consenti  à  la 
descente  de  cette  châsse  ,  se  signala  dans 
son  effroi ,  par  un  dernier  acte  de  révolte. 
11  apprend  qu'on  tient  des  assemblées 
secrettes  ,  et  ces  assemblées  sont  tout  aussi- 
tôt défendues  par  un  arrêt.  Cet  arrêt 
porte  qu'on  rasera  les  maisons  où  elles 
seront  tenues ,  et  que  tout  propos  contre  la 
sainte  union  sera  regardé  comme  un  crime 
d'état.  Le  parlement ,  en  rendant  cet  arrêt 
insensé  et  barbare  ,  ignorait  que  son  premier 
président  Lemaître ,  uni  avec  les  hommes 
de  lettres,  travaillait  à  recevoir  Henri IV. 
Ce  hemaitre  se  défiait  tellement  de  sa  com- 
pagnie ,  qu'il  ne  mit  dans  le  secret  de  ses 


Henri  IV  entre  à  Paris.  i35* 
démarches  que  deux  ou  trois  de  ses  confrères. 
Cet  arrêt  et  cette  procession  calmèrent  les 
terreurs  des  Espagnols ,  du  légat  et  de  la 
Sorbonne.  Il  importait  de  les  endormir 
encore  vingt-quatre  heures. 

Cependant  Brissac  négociait  auprès  de 
Henri  IV j  le  plus  difficile  pour  lui  était 
de  tromper  les  ligueurs  qui  ne  le  perdaient 
pas  de  vue.  Quatre  mille  parisiens  de  la 
lie  du  peuple,  à  qui  Philippe  II  donnait 
par  semaine  un  minot  de  b-led  et  une  riche- 
dale ,  étaient  continuellement  sous  les  armes. 
Cette  canaille  en  mousquet  l'observait  de 
près.  Il  était  encore  surveillé  par  une 
escouade  d'Espagnols  que  le  duc  de  Ferla 
lui  avait  donnée  pour  l'accompagner  dans 
ses  rondes.  C'étaient  autant  d'assassins  qui 
avaient  ordre  de  le  poignarder  à  la  moindre 
démarche  équivoque. 

Henri  IV ',  sous  les  murs  de  Paris  ,  la  nuit 
du  vingt-unième  mars,  attendait  les  clefs. 
Brissac  qui  a  su  tromper  la  vigilance  de  ses 
satellites ,  les  lui  apporta.  Le  roi ,  précédé 
d'une  garde  de  cinq  cents  L  ommes  ayant  leurs 
piques  renversées ,  entouré  de  sa  noblesse 
et  de  ses  compagnies  d'ordonnances  ,  alla  à 
Notre-Dame  où  l'on  chanta  le  te  deum  ;  à 

I  4 


i36  Clémence  de  Henri  IV. 

midi,  le  dalme  et  la  joie  régnaient  déjà  dans 
tout  Paris.  Il  n'en  coûta  pas  une  goutte  de 
sang  Français. 

Le  légat,  l'ambassadeur  d'Espagne  et  ses 
adjoints  ,  iWZcW  proviseur  de  Sorbonne,  et 
Rose  le  conservateur  apostolique  de  cette 
école ,  les  prédicateurs  cpii  avaient  prêché 
la  révolte  ,  tous  les  théologiens  qui  avaient 
lancé  des  décrets  et  des  excommunications 
contre  lui,  attendaient  leur  sort  en  tremblant  ; 
mais  le  jour  de  la  gloire  de  Henri  IV  fut 
celui  de  sa  clémence.  Son  premier  soin 
lut  d'envoyer  Saint- Luc  aux  drichesses  de 
Nemours, û'  duma/e  et  de  Montpensier  toutes 
coupables  pour  les  rassurer ,  et  des  soldats 
de  sa  garde  pour  les  dérober  aux  outrages 
d'une  foule  de  bons  citoyens  qui ,  dans  leur 
premier  emportement ,  auraient  pia  se  ven- 
ger des  maux  qu'ils  avaient  soufferts. 

De  l'église  ,  HenrilV se  rendit  au  Louvre 
où  un  festin  royal  l'attendait  et  où  peu  de 
jours  avant  un  italien  ,  quelques  espagnols  , 
le  proviseur  de  Sorbonne,  son  conservateur 
et  plusieurs  théologiens  travaillaient  à  lui 
ôter  la  couronne. 

Après  le  dîner ,  fe  duc  de  Feria  et  le  légat 
sortirent  de  Paris  :  le  monarque  qui  eût  été 


Discours  de  Henri  IV.  i3j 
fâché  qu'on  les  insultât,  ne  se  refusa  pas 
au  plaisir  de  les  voir  humiliés.  Ils  défilèrent 
sous  les  fenêtres  du  Louvre  ,  les  tambours 
couverts  et  leurs  enseignes  ployées.  Le  roi 
dit  au  duc  de  Ferla  :  adieu ,  M.  le  duc ,  re- 
commandez-moi à  votre  maitre  ,  mais  n'y 
lèveriez  plus. 

Ce  même  jour  Henri IV manda,  dit-oli,  les 
gens  de  lettres  qui  avaient  préparé  son  entrée 
à  Paris  et  leur  dit  :  «  Mes  amis  ,  je  n'examine 
>)  pas  si  vous  êtes  de  la  religion  du  pape  ou  de 
»  celle  de  Calvin  :  vous  êtes  de  la  vôtre  se- 
s>  Ion  votre  conscience ,  comme  moi  de  la 
55  mienne  ;  mais  vous  êtes  fort  plaisans  et 
5)  m'avez  été  fort  utiles.  Je  vous  en  remercia 
53  contre  l'usage  des  rois  qu'on  remercie 
5>  toujours  et  qui  ne  remercient  jamais. 
>»  Vous  avez  détrompé  mes  sujets  en  les 
55  faisant  rire  ;  et  les  théologiens  les  avaient 
55  séduits  en  les  faisant  mourir  de  faim.  Si 
*  les  maîtres  de  Sorbonne  ,  par  leurs  dé- 
53  crets  ,  les  avaient  rendus  fous  ,  vous  leur 
33  avez  redonné  leur  bon  sens  par  vos  plai- 
53  santeries.  Continuez  ,  mes  amis  ,  à  me 
55  servir  ,  c'est  servir  votre  patrie.  Vous  êtes 
55  les  conseillers  penseurs  de  mon  royaume  , 
15  et  il  est  bon  qu'il  y  ait  en  cet  état  beau- 


1 38  Propos  d'un  prédicateur  fanatique. 
»  coup  de  ces  conseillers.  Pour  cet  ofïîce 
»  le  plrs  honorable  de  tous  ,  je  ne  vous 
»  donne  point  de  brevet  ;  vous  en  ferez 
*>  votre  charge  plus  librement  et  mieux. 
»  Vous  n'aurez  non  plus  de  gages  ,  car 
»  de  l'argent  qu'on  me  donnera  ,  il  m'en 
?>  faut  beaucoup  pour  acheter  les  trois  quarts 
»  de  la  France  que  tiennent  encore  des 
»  ambitieux  qui  ne  vous  valent  pas.  Ce  sont 
»  des  voleurs  et  mercenaires  qui  me  font 
35  payer  mon  bien  et  chèrement  ;  mais  il 
m  vaut  mieux  payer  que  de  guerroyer  plus 
»  long-tems  mon  pauvre  peuple  ». 

Ce  discours  ,  s'il  était  authentique  ,  serait 
une  des  grandes  singularités  de  cette  époque. 
Mais  ce  qui  est  encore  plus  singulier ,  et  ce 
que  la  critique  la  plus  sévère  n'a  jamais 
révoqué  en  doute ,  c'est  l'emportement  d'un 
prédica'eur,  la  veille  de  l'entrée  de  TIenrilV 
dans  Paris.  Instruit  qu'on  s'occupait  à  lui 
en  ouvrir  les  portes  ,  il  monte  en  chaire  et 
exhorte  ses  auditeurs  par  ces  paroles  mémo- 
rables :  il  n'y  a  pas  à  marchander  ,  mes  frè- 
res ,  il  faut  à  coups  de  couteau  se  jetter  sur 
ceux  qui  parleront  d'ouvrir  les  portes  au 
JBe'arnois. 


CHAPITRE  L. 

Dispersion  et  châtiment  des  fanatiques.  1594-1595* 
Procès  contre  les  jésuites.  Singulier  décret 
de  la  Sorbonne.  Henri  IV  assassiné.  Jé- 
suites chassés. 

xwi  IV ,  maître  de  Paris  ,  ordonna  la 
suppression  de  tous  les  arrêts  que  le  par- 
lement avait  portés  contre  lui  et  contre  son 
prédécesseur.  Un  homme  de  lettres  ,  le  sa- 
vant et  célèbre  Pithou ,  ce  conseiller  pen- 
seur de  l'état  ,  fut  chargé  de  l'exécution  de 
cet  ordre  ;  il  déchira  des  registres  du  greffe 
tous  les  actes  de  démence  dont  les  conseil- 
lers jugeurs  avaient  signalé  leur  fanatisme 
contre  la  famille  des  Valois  et  contre  celle 
des  Bourbon. 

On  agita  ensuite  dans  le  conseil  le  sort  des 
séditieux.  Plusieurs  membres  opinèrent  qu'il 
fallait  chasser  de  France  les  dominicains 
et  raser  leurs  couvens.  L'avis  de  plusieurs 
autres  fut  d'attacher  à  leur  habit  une  marque 
d'infamie.  Celui  de  Henri  IV  fut  de  pardon- 


\£o  Dispersion 
ncr.  Quant  aux  jésuites ,  le  conseil  demanda 
leur  bannissement.  Henri  IV  ne  fut  point 
de  cet  avis  ;  il  pensa  qu'on  pouvait  sauver 
les  corps  en  échancrant  les  parties  gangre- 
nées. On  dressa  en  conséquence  une  liste 
des  moines  et  des  docteurs  de  Sorbonne  les 
plus  coupables ,  et  l'on  en  purgea  Paris. 

Bourgoin  ,  prieur  du  régicide  Clément  f 
et  l'apologiste  de  son  assassinat ,  avait  déjà 
été  écartelé  à  Tours.  Mergy  ,  son  confrère , 
et  qui  avait  acheté  le  couteau  de  Clément , 
fut  exécuté  à  Cbâlons.  Le  docteur  Cisé  ou 
Jessé  avait  été  pendu  à  Vendôme  ,  à  côté  de 
Maillé  Brcnehard  ,  son  pénitent ,  qu'il  ve- 
nait de  con,fesser.  Ce  docteur  était  cordelier  ; 
c'est  lui  qui  en  chaire  criait  au  peuple  ,  qu'il 
fallait  de  tout  se  débourber  et  se  débour- 
bonner. 

Le  docteur  de  Saintes  ,  condamné  à  mort 
par  le  parlement  de  Tours  ,  fut  seulement 
enfermé  dans  le  château  de  Creve-cœur  par 
la  clémence  de  HenrilV.  Le  docteur  Rose  , 
conservateur  apostolique  de  la  Sorbonne  , 
méritait  sans  doute  de  mourir.  Le  roi  se 
contenta  de  le  renvoyer  à  Senlis  à  la  tète  de 
son  diocèse.  Le  cardinal Pellevé qui  en  était 
le  proviseur  ,  mourut  le  jour  môme  que 


et  châtiment  des  fanatiques. 
Henri  IF  entra  à  Paris.  Il  fut  subitement 
étouffé  ou  par  la  douleur  de  voir  ce  roi  au 
milieu  de  son  peuple  ou  par  la  crainte  d'être 
[Mini.  Ce  même  jour  le  docteur  Boucher  en 
sortit  à  la  suite  du  légat  et  à  la  tête  d'une 
trentaine  de  femmes  débauchées  et  fanati- 
ques. Le  docteur  Pelletier  fat  condamné  à 
être  rompu  vif.  Les  autres  prédicateurs  et 
théologiens  ,  tels  que  Lucain ,  Crucê ' ,  Pige- 
nat  ,  Launay  ,  Cueilli  ,  Aubri  ,  Hamihon  , 
le  jésuite  Bernard,  le  jésuite  Commolet 'qui  en 
chaire  demandait  un  Aod  j  le  jésuite  Varade 
qui  avait : -poussé  Barri  ère  à  l'assassinat,  furent 
tous  proscrits.  Le  jésuite  Pigenat ,  frère  du 
docteur  de  Sorbonne  ,  qui  était  le  conseil 
des  seize  lorsqu'il  fallait  frapper  quelque 
grand  coup  ,  mourut  à  Bourges    peu  de 
tems  après ,  lié  et  garrotté  sur  son  lit  dans 
l'excès  de  la  démence  la  plus  complette. 

Toutes  les  cours  souveraines  reçurent  27  av"l 
leur  pardon  :  la  Sorbonne  ,  à  la  tête  des  'î94' 
autres  facultés  ,  prêta  serment  de  fidélité. 
L'université  ,  pour  rendre  ce  serment  plus 
agréable  au  roi ,  avant  de  le  prêter ,  statua 
de  redemander  au  parlement  l'expulsion  des 
jésuites.  De  tous  les  religieux  ils  étaient  sajis 
doute  ceux  dont  Henri  IV  avait  plus  à  se 


Plaidoyers 
plaindre  ,  et  ceux  desquels  il  devait  le  plus 
se  défier.  Ils  étaient  les  plus  actifs ,  les  plus 
ardens  ,  les  plus  souples  et  par  conséquent 
les  plus  à  craindre  :  leur  conduite  était  plus 
réfléchie.  Dans  leur*  démarches  ils  avaient 
quelque  chose  de  plus  suivi  et  de  plus  pru- 
dent. Ils  passaient  pour  être  les  espions  de 
l'ispagne  et  les  émissaires  de  confiance  du 
pape  qui  les  appellait  ses  yeux  :  oculos 
7twntis  meae. 

i5  avril.  Le  décret  de  l'université  qui  ordonnait  la 
poursuite  du  bannissement  des  jésuites  fut 
lu ,  approuvé  et  signé  par  la  faculté  de 
théologie,  nemine  reclamante  ;  deux  doc- 
teurs de  Sorbonne  présidèrent  les  com- 
missaires nommés  pour  ramasser  les  preu- 
ves nécessaires  contre  les  jésuites.  Les  curés 
de  Paris  se  joignirent  à  l'université.  Arnaud 
et  IDolé plaidèrent  contre  eux. 

12  ûiillet  plaidoyer  (M Arnaud,  avocat  pour  l'uni- 

versité ,  n'est  qu'une  longue  déclamation 
diffamatoire  ,  dénuée  de  preuves  et  rem- 
plie de  faits  hasardés.  La  péroraison  de  son 
discours  renferme  quelques  idées  très -sai- 
nes :  c'est  là  tout  son  mérite. 

Le  commencement  du  plaidoyer  de  Dolé, 
pour  les  curés  de  Paris ,  est  bien  au-dessus  de 


contre  les  jésuites.  i43 
cette  péroraison.  Le  style  en  est  noble  , 
mnjestueux.  Nous  n'avons  point  d'orateurs 
en  France  qui  ne  se  glorifiassent  de  l'avoir 
fait. 

c<  Messieurs  ,  dit  Dolé ,  le  sénat  de  Rome 
»  ayant  condamné  les  sacrifices  à'Isis  et  de 
»  Serapis ,  ordonna  que  leur  temple  serait 
»  ruiné  ,  afin  que  les  prêtres  Isiaques  per- 
*>  dissent  à  jamais  l'espérance  de  le  rétablir. 
»  Ceux  qui  étaient  chargés  de  cette  exécu- 
«  tion  furent  saisis  d'une  crainte  supersti- 
3>  tieuse ,  et  n'osèrent  y  mettre  la  main  de 
»  peur  qu'en  violant  l'autel  de  ces  dieux 
»  étrangers  ,  ils  ne  fussent  foudroyés  ;  mais 
«  le  consul  Emilius probus  assuré  que  tout 
*»  ce  qu'un  citoyen  fait  pour  le  bien  de 
»  son  pays  est  agréable  à  Dieu ,  dépouilla 
»  sa  robe  de  pourpre  ,  prit  la  hache  à  la 
»  main ,  et  le  premier  pour  donner  l'exem- 
»  pie  ,  enfonça  la  porte. 

•>->  Il  est  aujourd'hui  question  de  savoir  si 
»  l'on  doit  chasser  du  milieu  de  nous  des 
»  prêtres  étrangers  qui  ,  sous  prétexte  de 
y>  piété  ,  sapent  peu-à-peu  les  fondemens  de 
»  l'état  et  débauchent  le  peuple  de  l'obéis- 
»  sance  qu'il  doit  à  son  roi. 

?>  Ceux  qui  traitèrent  ce  sujet  il  y  a  trente 


1 44  "Plaidoyers 
"  ans  n'en  parlaient  que  par  conjecture  ; 
»  mais  aujourd'hui  le  ressentiment  du  mal 
s>  qu'ils  ont  fait  et  l'appréhension  d'un  plus 
w  grand ,  doit  nous  faire  recourir  au  remède. 
»  S'il  se  trouve  en  vous  ,  messieurs ,  la  réso- 
3>  lution  de  cet  ancien  sénat,  vous  trouve- 
»  rez  pour  celte  exécution  un  bon  nombre 
•>->  â'JBmileç. 

35  Je  suis  d'accor  l  avec  ceux  qui  disent  qu'ily 
»  a  entr'ewx  des  hommes  doctesetd'un  grand 
33  jugement  ;  c'est  ce  qui  nous  met  en  peine. 
*  Je  crains  un  ennemi  qui  a  de  la  réputation 
33  parmi  le  peuple. .. .  Leurs  ruses  sont  d'au- 
33  tant  plus  dangereuses  qu'elles  sont  mal- 
33  aisées  à  découvrir.  Leurs  menées  sourdes 
33  et  secrètes  sont  mille  fois  plus  à  craindre 
33  et  se  gardent  plus  longuement  en  l'esprit 
33  du  peuple  séduit ,  que  ne  ferait  une  fac- 
33  tion  découverte  où  il  n'y  aurait  que  de  la 
33  violence  qui  tiendrait  de  l'humeur. 

33  Les  jésuites  attaquent  les  hommes  par 
33  la  plus  dangereuse  partie  de  leur  esprit  : 
33  ils  les  battent  de  l'opinion  de  la  religion  , 
33  les  surprennent  et  les  étonnent  lorsqu'ils 
33  cherchent  de  la  consolation.  Un  esprit 
33  qui  entre  en  soi-même  ,  qui  examine  ses 
53  fautes  ,  qui  minute  déjà  sa  condamna- 
tion 


contre  les  jésuites.  1 4  3 

»  tion  est  contrict  et  abattu.  Alors  il  est 
33  aisé  d'imprimer  des  opinions  étrangères 
•>■>  en  uneame  étonnée.  La  superstition  est 

33  UNE  FURIE  CONTINUELLEMENT  ATTACHÉE  A 

j>  la  conscience  des  ignor ans  :  elle  ne  les 
>j  laisse  point  respirer  ;  elle  leur  suscite  des 
r>  imaginations  horribles.  Un  homme  en 
33  proie  à  cette  furie  est  facile  à  persuader. 

3j  Cessons  d'imputer  au  peuple  le  mal 
33  qu'il  a  fait  ;  il  n'était  que  l'instrument 
33  de  ces  religieux.  Si  vous  empêchez  que 
33  le  vent  ne  souffle  ,  vous  aurez  une  mer 
33  tranquille. . .  h 

33  Les  pontifes  de  Rome  étaient  obligés 
»  de  donner  avis  au  sénat  des  prodiges  qui 
53  arrivaient  ;  ainsi  les  demandeurs  (les  curés) 
33  qui  ont  charge  des  choses  sacrées  ,  vous 
»  avertissent  qu'il  y  a  un  grand  prodige  en 
33  France  ;  c'est  que  des  prêtres  étrangers 
»  qui  se  disent  religieux  enseignent  à  leurs 
»  écoliers  qu'il  est  permis  de  tuer  les  rois 
33  et  les  princes,  etc.  ->•>. 

On  doit  convenir  que  ce  morceau  est  plein 
de  noblesse  ,  et  qu'il  réussirait  chez  tous  les 
peuples  et  dans  tous  les  siècles. 

La  voix  publique  s'élevait  contre  les  jé- 
suites :  ils  tremblaient  eux-mêmes  dans  la 

Tome  II.  K 


1^6       Contradiction  de  la  Sorbonne 
crainte  de  leur  jugement.    On  s'attendait 
à  leur  proscription  :  la  Sorbonne  les  sauva. 

Nous  avons  vu  qu'à  peine  venus  en  France, 
la  Sorbonne  consultée  sur  leur  régime  ,  dé- 
clara ,  sans  les  connaître  ,  qu'ils  formaient 
un  ramas  d'hommes  chargés  de  crimes  , 
personas  fascinorosas  :  elle  fit  plus  qu'on 
ne  lui  demandait  ;  on  ne  voulait  que  son 
avis  sur  leur  régime  ,  et  elle  prononça 
témérairement  sur  leurs  personnes. 

La  Sorbonne  avait  ,  au  mois  d'avril  , 
signé  qu'ils  étaient  des  hommes  dangereux, 
et  avait  demandé  avec  les  autres  classes  de 
l'université,  leur  expulsion  de  France.  Deux 
mois  après  cette  demande  ,  elle  déclare  qu'il 
faut  les  conserver  et  qu'i's  sont  des  reli- 
gieux vénérables  ,  patres  venerabilcs. 

Cette  contradiciion  dans  l'école  de  Sor- 
bonne mérite  d'eire  remarquée.  Quand  on 
ne  connaissait  pas  encore  les  jésuites  ,  la 
Sorbonne  les  calomnia  ;  et  quand  ils  eurent 
fait  tout  le  mal  qu'il  leur  était  possible  de 
faire  ;  quand  on  eut  trouvé  dans  leur  maison 
les  bijoux  de  la  couronne  qu'ils  tenaient 
en  gage  pour  du  foin  et  de  la  paille  qu'ils 
avaient  vendus  aux  ligtieurs  ;  quand  leur 
père  Commolet  eut  en  chaire  demandé  un 


au  sujet  des jésuites .  1 4? 

Aod  pour  poignarder  Henri  IV ;  quand  le 
père  Vanide  eut  béai  et  adjuré  Barrière  t 
l'assassin  de  ce  bon  roi  ;  en  un  mot ,  quand 
un  cri  unanime  en  Hollande  ,  en  Flandres, 
en  Angleterre  ,  en  France ,  s'élevait  pour 
dire  qu'ils  étaient  une  secte  -d'assassins  , 
la  Sorbonne  décida  qu'ils  formaient  une 
société  de  religieux  respectables. 

Ce  décret  de  la  S  or-bonne  en  faveur  des 
jésuites  arrêta  le  zèle  du  parlement.  Ceux 
des  magistrats  ligueurs  que  la  clémence  de 
Henri  IV  avait  laissés  dans  le  corps  firent 
valoir  ce  décret  et  rendirent  inutiles  les 
plaidoyers  à.' Arnaud  et  de  Dolé.  Les  pères 
vénérables  restèrent  en  France  ,  et  IlcnrilV 
île  tarda  pas ,  ainsi  que  les  deux  avocats  le  lui 
avaient  prédit ,  à  être  assassiné  par  un  de 
leurs  écoliers  congré";anistes. 

Ce  congréganiète  ,  âgé  de  dix-neuf  ans, 
fils  d'un  honnête  marchand  drapier,  st  nom- 
mait Jean  Chdtel.  Il  avait  à  se  reprocher 
dos  péchés  de  mollesse  commis  avec  des  ani- 
maux ;  un  inceste  qu'il  avait  voulu  commet» 
treavec  sa  sœur  :  l'idée  de  tuer  plusieurs  per- 
sonnes lui  avait  passé  par  la  tête  ,  et  il  se 
croyait  coupable  d'assassinat  parce  qu'il  en 
avait  eu  l'idée.  Il  pensait  aussi  n'avoir  pas 

K  i 


i/fô  Jean  Châtel , 

cru  en  Dieu.  Pour  se  débarrasser  des  remords 
qui  déchiraient  son  arae ,  il  portait  sur  lui 
des  agnus  ,  des  chapelets  et  autres  pieuses 
béatilles  ;  il  avait  autour  du  cou  une  chemise 
de  Notre-Dame-des-Crôtes  ;  il  approchait 
souvent  du  sacrement  de  pénitence  ,  et  pen- 
sait que  toutes  ses  communions  étaient  sa- 
crilèges parce  qu'il  ne  se  croyait  jamais  bien 
confessé. 

L'état  de  cet  écolier  était  une  maladie 
très-affligeante.  Pour  le  guérir  il  aurait  fallu 
de  grandes  dissipations  et  les  conseils  de 
quelques  philosophes,  mais  malheureusement 
il  était  livré  à  des  confesseurs  ,  à  des  direc- 
teurs et  aux  sombres  exercices  de  la  cham- 
bre de  méditation  que  tenaient  les  jésuites. 

Cette  cliambre  de  méditation  ,  appellée 
aussi  chambre  noire  ,  était  une  grande  et 
vaste  salle.  Un  seul  cierge  allumé  dans  un 
coin  de  l'autel  laissait  entrevoir  sur  les 
murailles  des  peintures  effroyables.  Là  dans 
des  fournaises  embrasées  on  voyait  les  vic- 
times des  vengeances  célestes  ,  les  unes  au 
milieu  des  bûchers  ,  les  autres  étendues  sur 
des  grils  ardens.  Les  ministres  infernaux 
armés  de  Fourches,  plongeaient  celles-ci 
dans  des  chaudières  d'huile  bouillante  ,  et 


assassin  de  Henri  IV.  i4<> 
celles-là  étaient  déchirées  avec  des  peignes 
de  fer  ,  ou  étranglées  par  des  couleuvres. 
Les  sifflemens  des  serpens  et  les  hurleiuetis 
des  damnés  semblaient  partir  des  quatre 
coins  de  la  salle.  A  ces  hurlemens  que  les 
jeunes  gens  semblaient  entendre  ,  un  jésuite 
en  surplis  ,  au  milieu  de  l'obscurité  ,  mêlait 
la  voix  menaçante  d'un  énergumène,  citant, 
suivant  l'usage  de  ces  tems-là  ,  des  histoireà 
de  revenans  et  de  diables. 

Quand  la  consternation  était  générale  , 
on  éteignait  le  cierge  et  on  livrait  les  jeunes 
gens  ,  dont  l'imagination  était  déjà  boule- 
versée ,  à  la  méditation  des  récits  épouvan- 
tables qu'ils  avaient  entendus  C'esf  d  us  ces 
méditations  que  l'égarement  de  Châtcl  se 
consomma  :  il  se  dégoûta  de  la  vie  et  il 
se  crut  damné;  c'est  dans  les  momens  de 
cette  sombre  dévotion  qu'il  imagina  qu'en 
tuant  Henri  IV\\  ferait  une  action  agréable 
à  Dieu  ,  non  qu'il  crût  par  cet  assassinat 
mériter  le  ciel  et  racheter  entièrement  tous 
ses  péchés.  Tout  ce  qu'il  espérait ,  d'après 
les  aveux  de  son  procès-verbal ,  c'était  de  ne 
souffrir  en  enfer  que  comme  quatre  ,  et 
non  pas  comme  huit.  Ce  sont  ses  expres- 
sions :  ut  quatuor  non  ut  octo* 
K  S 


i5o  Henri  IV  assassiné. 

Ce  jeune  insensé  se  prépara  au  crime  par 
des  actes  de  dévotion  ;  il  en  conféra  avec 
le  père  Gueret ,  jésuite  ,  et  son  professeur 
de  philosophie.  Le  ving^-six  décembre  , 
entraîné  par  son  fanatisme  ,  il  se  rend  à 
l'église  de  Saint -Laurent  pour  y  entendre 
la  messe  ;  au  sortir  de  la  messe  il  rentre  chez 
lui  pour  prendre  un  couteau,  de  là  il  va  à 
vêpres ,  ensuite  à  l'église  de  Saint-Jean  pour 
faire  sa  prière  ,  et  de  l'église  au  Louvre  pour 
assassiner  le  meilleur  des  rois. 

La  politesse  affectueuse  de  Henri  IV,  qui 
se  baissait  pour  embrasser  Montigiii  }  lui 
sauva  la  vie.  Le  couteau  de  Châtel  dirigé 
sur  le  sein  du  roi ,  ne  porta  que  sur  la  lèvre 
supérieure  et  lui  brisa  une  dent.  On  arrêta 
l'assassin  qui  se  renfonçait  dans  la  foule  , 
mais  que  son  égarement  décela.  On  lui 
demande  son  nom  ,  et  il  dit  qu'il  s'appelle 
Châtel y  écolier  des  jésuites.  Le  bon  Henri 
jVcrie  qu'on  lui  pardonne  et  commande  de 
le  relâcher.  On  ne  juge  pas  à  propos  d'obéir, 
on  court  à  la  maison  de  son  père.  Sa  soeur 
entendant  parler  d'assassinat  ,  s'écrie  au 
•milieu  de  la  rue  :  les  jésuites  auront  fait 
faire  quelque  folie  à  mon  frère.  Toute  la 


Lcr'ts  sèd'ticux.  l5i 
famille  de  Chu  tel ,  garrottée  et  chargée  de 
fers  ,  fut  entraînée  dans  les  prisons. 

Après  cet  enlèvement  on  va  investir  la 
maison  des  jésuites  qui  dormaient  déjà.  L© 
père  Haius ,  entendant  du  bruit  autour  du 
collège  ,  court  de  chambre  en  chambre  ré- 
veiller ses  confrères  ,  leur  criant  :  surge  , 
fmter  ,  agitur  de  religione.  Les  chambres 
de  tous  les  jésuites  furent  fouillées  :  on  y 
trouva  des  vers  infâmes  coiatre  Henri  IV , 
des  anagrammes  sur  son  nom  ,  des  thèmes 
dont  les  uns  contenaient  l'approbation  du 
régicide  Clément,  et  les  autres  des  instruc- 
tions pour  assaillir  les  tyrans. 

Dans  la  chambre  de  Guigna/xi '  on  trouva 
des  libelles  séditieux  contre  Henri  III  et 
Henri  IV  ;  les  uns  portant  que  si  le  jour 
de  la  Saint- Barthelemi  on  avait  tué  Henri 
IV,  on  ne fut  pas  tombé  de  fièvre  en  chaud 
mal  ;  que  l'action  du  moine  Clément  était 
tin  acte  héroïque  et  tin  don  de  Dieu  ;  que 
Boùrgoing  qui  l'avait  instruit ,  était  un  mr<- 
pyr  ;  les  autres  ,  que  la  couronne  de  avance 
devait  être  ôtt'e  aux  Bourbons  ;  le  Béar- 
nois  ores  converti  à  la  foi  catholique  ,  serait 
traité  trop  doucement  si  on  le,  jettait  en  un 
cornent  bien  réformé  avec  tonsure  monachale 

£  i 


t  'ki  Jésuites  jugés 

pour  il  ce  faire  pénitence  ;  que  si  on  ne  peut 
le  déposer  sans  guerre  ,  qu'on  guerroie ,  et 
qu'on  le  tue  si  on  ne  peut  lui  faire  la  guerre. 
Tel  était  l'élixir  de  la  morale  du  jésuite 
Guignard. 

En  outre ,  il  fut  prouvé  que  Haius,  jésuite 
fameux  pour  avoir  excité  une  sédition  en 
Ecosse  ,  avait  dit  qu'un  jésuite  est  un  omnis 
homo  f  qu'il  est  bon  de  dissimuler  et  d'obéir 
pour  un  tems.  On  ordonna  des  informations 
dans  plusieurs  villes  de  province  ;  celles  qui 
vinrent  de  Franche  -  Comté  portaient  que 
deux  jours  avant  que  Barrière  fût  arrêté  , 
deux  jésuites  avaient  passé  par  Besançon 
allant  à  Rome ,  et  ayant  assuré  que  bien- 
tôt le  roi  de  Navarre  ne  serait  plus  :  celles 
de  Bourges  portaient  qu'on  avait  arrêté  un 
écolier  des  jésuites  ,  nommé  Jacob  ,  qui 
s'était  vanté  de  tuer  le  roi  ,  s'il  n'avait  cru 
qu'il  l'était  déjà.  On  les  accusa  aussi  d'a- 
buser de  la  confession  pour  inspirer  l'as- 
Si^sinat ,  et  d'entretenir  dans  le  fanatisme 
beaucoup  de  docteurs  de  Sorbonne  qui 
étaient  leu*<;  amis  et  qui  avaient  été  leurs 
élèves. 

Enfin  ,  la  voix  publique  dicta  leur  arrêt. 
Jean  Châtel,  leur  congréganiste ,  fut  écar- 


et  bannis  de  France.  i5â 
telé.  Haius  et  Gueret  son  confesseur  furent 
bannis  à  perpétuité.  Guignard fut  condamné 
à  être  pendu  et  jette  au  feu.  Le  même  arrêt 
qui  condamna  Châtel ,  Haius  ,  Gueret  et 
Guignard  proscrivit  de  France  les  jésuites  t 
ces  mêmes  hommes  que  la  Sorbonne ,  par 
un  décret  solemnel ,  avait  qualifiés  de  pères 
vénérables. 


i54 


CHAPITRE  LI. 

Menaces  d'un patriarchat  en  France.  Henri 
IV  absous  à  Rome.  Thèses  séditieuses  en 
Sorbonne.  Le  docteur  Rose  condamné  à 
l'amende  honorable. 

j^Û. ' LDOsRjtNDiK  ,  pontife  entêté  ,  colère  , 
borné  ,  était  instruit  de  ces  assassinats  ,  et 
restait  inébranlable.  Il  •  entrait  en  fureur 
quand  on  lui  parlait  de  Henri  IV  :  il  ne 
pouvait  lui  pardonner  de  s'être  fait  absou* 
dre  par  des  évêques  français.  Sa  chaire  pon- 
tificale était  investie  par  les  agens  de  l'Es- 
pagne et  par  ceux  de  la  ligue.  Les  émissaires 
de  Mayenne  arrivèrent  à  Rome  en  ces  tems- 
là  ,  apportant  avec  eux ,  suivant  l'expression 
de  l'archevêque  de  Lyon  ,  des]yents  pour  en 
forger  de  nouvelles  tempêtes. 

Le  duc  de  Nevers  après  beaucoup  de 
petites  négociations  ,  fut  admis  à  baiser 
les  pieds  & Aldobrandin.  Cette  faveur  lui 
fut  accordée  non  comme  à  l'ambassadeur 
de  Henri  IV mais  comme  à  un  seigneur 
distingué.  Il  fit  au  pape  un  tableau  très- 


d'un  patriarche  en  France.  i55 
pathétique  des  calamités  qui  désolaient  la 
France,  et  démasqua  les  scélérats  qui  s'a- 
charnaient à  sa  perte.  Clément  VIII  entend 
de  sang -froid  ces  tristes  récits  ,  et  peu 
de  tems  après  ordonne  à  l'orateur  de  sor- 
tir de  Rome.  WAngcnnes  et  Seguier ,  ses 
deux  collègues  ,  sont  cités  par  les  huissiers 
du  saint-office  au  tribunal  de  l'inquisition. 
Leur  crime  était  d'avoir  assisté  à  l'abjura- 
tion de  Henri  IV.  Ils  refusèrent  d'obéir , 
et  sortirent  de  Rome  avec  le  duc  de  Ncvers 
qui  ,  dans  la  crainte  d'être  insulté  par  une 
canaille  superstitieuse  ,  traversa  les  nies 
tenai-t  la  main  sur  la  garde  de  son  épée. 

Cet  affront  inoui ,  fait  au  duc  de  Revers  , 
révolta  tous  les  bons  Français.  L'indigna- 
tion devint  universelle  ;  on  parla  ouverte- 
ment de  démembrer  la  France  de  l'empire 
de  la  papauté.  Beaucoup  d'évêques  soupi- 
raient après  un  patriarchat.  C'était  le  vœu 
unanime  de  tous  les  hommes  de  lettres  dont 
l'opinion  à  la  longue  forme  la  destinée  des 
peuples.  C'était  le  désir  d'une  multitude 
de  magistrats  instruits.  Le  moment  semblait 
être  venu  d'avoir  en  France  une  église  libre 
et  indépendante.  L'Angleterre,  la  Suède  , 
la  Hollande  ,  le  Dannemarck  ,  et  la  moitié 


1 56  Le  pape  ail  armé. 

de  l'Allemagne  avaient  des  églises  luthé- 
riennes et  calvinistes.  En  France ,  il  était 
question  d'avoir  une  église  catholique  ,  apos- 
tolique et  non  romaine  :  on  devait  garder  ses 
dogmes  et  ses  liturgies ,  mais  s'affranchir  de 
ses  caprices  et  de  sa  tyrannie.  Henri IV£nû- 
gué  de  l'inflexibilité  de  Clément  VIII }  s'ar- 
rangeait pour  se  passer  de  son  absolution. 
Il  entrait  dans  les  vues  de  ceux  qui  de- 
mandaient un  patriarche.  On  nommait  delà 
Heaume  ,  archevêque  de  Bourges  ,  pour 
remplir  cette  dignité  ,  et  il  la  méritait  pour 
s'être  mis  au-dessus  des  préjugés  en  rem- 
plissant la  formalité  d'absoudre  son  roi  dans 
l'église  de  Saint-Denis. 

Un  moment  de  courage  élevait  en  France 
cette  chaire  patriarchale.  Le  bruit  s'en  ré- 
pandit rapidement  en  Europe.  Le  pape  s'en 
allarma.  Séraphin  Olivier ,  auditeur  de  rote, 
dont  la  conversation  enjouée  et  fertile  en 
bons  mots  ,  amusait  sa  sainteté  ,  interrogé 
sur  ces  rumeurs  publiques  ,  répond  :  ce  Clé- 
j>  ment  VII  a  perdu  l'Angleterre  par  sa  viva- 
33  cité  ,  Clément  VIII  perdra  la  France  par 
si  ses  lenteurs».  C'est  ce  même  homme  qui , 
en  plaisantant  dit  un  jour  au  pape  :  quand 
ce  serait  le  diable  qui  demanderait  à  se 


Le pape plus  accommodant.  i5j 
convertir  ,  votre  sainteté  ne  devrait  pas  le 
refuser. 

La  crainte  succéda  à  la  colère  clans  l'es- 
prit de  Clément  VIII  :  dès-lors  il  ne  parla 
plus  qu'avec  indifférence  aux  députés  de 
l'Espagne  ,  de  la  ligue  et  de  Mayenne  qui 
demandait  toujours  de  l'argent,  des  troupes 
et  des  excommunications.  Les  chartreux  , 
les  capucins  et  les  minimes  français  reçu- 
rent ordre  de  sa  part  de  prier  pour  Henri IV. 
Ces  moines  s'étaient  jusqu'alors  refusés  à 
cette  formule  d'usage.  11  écrivit  à  ce  même 
cardinal  de  Gondi  à  qui  il  avait  refusé  l'en- 
trée de  Rome  ,  et  que  son  légat ,  de  concert 
avec  les  ligueurs  et  la  Sorbonne  ,  avait  fait 
chasser  de  Paris.  Le  jésuite  Possevin,  fa- 
meux  par  ses  voyages  en  Savoye  ,  en  Polo- 
gne ,  en  Suède  ,  en  Moscovie  ,  fut  envoyé 
en  France  pour  renouer  les  négociations 
de  cette  absolution  qu'on  avait  demandée 
avec  tant  d'instances  et  dont  on  croyait 
n'avoir  plus  besoin. 

Henri  IV  prévenu  par  le  pape  ,  chargea 
Dupcrron  et  à'Ossat  d'aller  traiter  de  nou- 
veau avec  lui  de  cette  absolution  :  il  voyait 
la  chose  en  politique  ,  et  p.  usait  que  cette 
cérémonie  pourrait  disposer  à  i'obeissance 


l58  Demandes  du  pape. 

les  provinces  révoltées,  et  refroidir  les  têteS 
encore  échauffées  de  beaucoup  de  fanati- 
ques. 

Le  pnpe  toujours  incertain  comme  le  sont 
la  plupart  des  hommes  ignorans  ,  partagé 
entre  la  crainte  de  déplaire  à  Philippe  II 
et  la  crainte  de  perdre  la  France  ,  assem- 
bla le  collège  des  cardinaux.  Presque  tous 
opinèrent  pour  absoudre  Henri  IV.  Le  jé- 
suite T'oie t  fut  celui  qui  se  donna  le  pluà 
de  mouvemens  :  c'étaitù'n  jésuite  Espagnol , 
Cordohan  ;  il  abandonna  les  intérêts  de  Phi- 
lippe Il  son  roi  pour  les  intérêts  de  sa  société 
qu'on  avait  ignominieusement  proscrite  en, 
France  :  il  youlait  mériter  son  rappel  eh 
servant  Henri.  IV.  Enfin  le  pape  ,  d'après  le 
conseil  de  son  sacré  collège  et  les  instances 
de  Tolet ,  consentit  à  l'absoudre  ,  aux  con- 
ditions que  l'absolution  de  l'archevêque  de 
Bourges  serait  annullée  ;  que  la  réhabilita- 
tion de  Henri  IV  dans  la  royauté  serait  faite 
devant  le  tribunal  de  l'inquisition  ;  que  sa 
couronne  serait  mise  entre  les  mains  de  sa 
sainteté  et  ne  serait  posée  sur  la  tête  d'un 
de  ses  ministres  qu'après  la  cérémonie  de 
l'absolution  ;  qu'il  promettrait  de  faire  la 
guerre  au  Turc  ;  enfin  ,  qu'il  s'engagerait 


Momerîe  pontificale.  i5() 
pnr  serment  à  renoncer  à  tous  ses  droits 
royaux  s'il  retombait  dans  le  calvinisme. 

Duperron  qui  ne  perdait  pas  de  vue  ses 
intérêts,  consentait  à  tout.  D'Ossat,  moine 
ambitieux  et  plus  attentif  à  l'honneur  de  son 
roi ,  fit  rejetter  toutes  les  clauses  humilian- 
tes de  cette  bulle  ,  et  ne  voulut  accepter 
avec  l'absolution  qu'une  pénitence  selon  les 
canons.  La  cérémonie  s'en  fit  avec  un  grand 
appareil,  dans  la  place  de  Saint-Pierre.  Le 
pape  y  était  sur  son  trône  ,  au  milieu  de  ses 
cardinaux ,  de  ses  évêques  ,  d'une  multitude 
de  moines  ,  de  prêtres  ,  et  de  la  foule  du  peu- 
ple Romain  qui,  dans  son  imbécille  stupidité, 
croyait  encore  triompher  des  rois  comme 
il  en  triomphait  sous  les  Scipion  et  sous 
les  César. 

D'Ossat  et  Duperronvelvis  en  simples  prê- 
tres ,  à  genoux  aux  pieds  du  pontife  et  au 
nom  de  Henri  IV,  abjurèient  le  calvinisme  ; 
ensuite  étendus  le  ventre  à  terre,  et  pendant 
que  d'une  voix  lamentable  les  eunuques  de  la 
chapelle  papale  chantaient  le  miserere,  onleur 
administrait  sur  le  derrière  des  coups  de 
baguette.  Le  miserere  achevé,  le  pape  tou- 
jours assis  et  la  tiare  en  tête  ,  impose  pour 
pénitence  à  Henri  IV  de  réciter  le  chape- 


i6o  Momerie  pontificale. 

let  tous  les  jours  ,  le  rosaire  tous  les  same- 
dis ,  le  miserere  le  vendredi ,  les  litanies  le 
mercredi ,  et  prononça  ensuite  l'absolution 
sur  la  tête  des  deux  ministres  toujours  à 
genoux  ,  et  la  tête  profondément  courbée 
sur  les  marches  du  trône  pontifical.  Clé- 
ment VIII  termina  cette  farce  ,  le  scan- 
dale de  la  raison  ,  en  les  touchant  avec 
une  baguette  ,  comme  on  touchait  un  es- 
clave auquel  on  donnait  la  liberté. 

Ces  coups  de  verges  ne  firent  à  la  gloire 
de  Henri  IV  qu'une  tache  passagère  :  il  eut 
des  vertus ,  et  sur-tout  un  amour  pour  son 
peuple  qui  lui  firent  pardorfner  cette  fai- 
blesse dans  laquelle  il  entrait  peut-être  un 
vrai  courage. 

Les  vrais  Français  murmuraient  de  l'or- 
gueil de  Rome  ,  et  blâmaient  ouvertement 
Duperron  de  s'être  soumis  à  la  gaulade» 
Le  peu  de  philosophes  qu'il  y  eut  alors  re- 
grettaient qu'on  n'eût  pas  consommé  l'af- 
faire du  patriarchat  ;  et  leurs  regrets  aug- 
mentèrent lorsqu'ils  entendirent  un  ba- 
chelier de  Sorbonne  annoncer  au  public 
qu'il  soutiendrait  que  Rome  a  le  pou- 
voir des  deux  glaives  ,  que  c'est  elle  qui 
arme  du  glaive  temporel  les  rois  et  les 

magistrat* 


Thèses  séditieuses  en  Sorbonne.  i6x 
magistrats  pour  la  destruction  des  médians; 
enfin  ,  que  les  rois  et  les  évêques  relèvent 
de  C  létnent  VIII  ,  qu'il  a  sur  eux  ,  en 
sa  qualité  de  souverain  et  de  grand  pontife, 
une  autoriié  temporelle  et  spirituelle. 

Déjà  pour  soutenir  cet  acte  public  d'ex- 
îravagance  le  jour  est  indiqué  en  Sorbonne. 
Le  docteur  Bîansi  ,  l'approbateur  du  bache- 
lier Jacob  ,  devait  y  présider.  La  sagesse  du 
parlement  prévint  cette  folie.  Le  bachelier 
et  le  docteur  Blansi  furent  enfermés  à  la 
conciergerie  ,  et  après  une  détention  de  deux 
mois  ils  furent  déclarés  perturbateurs  et  sédi- 
tieux. Des  prisons  de  la  conciergerie  ,  ces 
deux  coupables  théologiens  furent  conduits 
par  des  huissiers  en  Sorbonne.  Doyen  , 
syndic  ,  docteurs  ,  licenciés  ,  bacheliers  , 
tous  furent  mandés  en  la  grande  salle  du 
parlement.  Là  ,  en  leur  présence  ,  Jacob  h 
genoux  et  la  tête  nue  ,  ayant  à  côté  de  lui 
le  docteur  Blansi ,  demanda  pardon  de  sa 
scandaleuse  doctrine.  Après  cette  amende 
honorable  l'huissier  déchira  le  programme 
qui  la  contenait. 

Le  même  jour  le  président  F  orge  t  ,  La- 
gucllc ,  procureur  général  ,  et  quatre  CQn- 
seillers  se  rendirent  en  Sorbonne  et  v  firent 
Tome  II.  L 


î6a  Amande  honorable  de  Jacob, 
transcrire  ,  avec  l'arrêt  porté  contre  le  ba- 
chelier Jacob  et  le  docteur  Blansi ,  un  ordre 
d'en  faire  la  lecture  tous  les  ans  ,  déclarant 
criminel  de  lèze-majcsté  tout  théologien  qui 
soutiendrait  les  opinions  qu'on  venait  de 
proscrire.  Le  procureur  général  ajouta  : 
si  le  parlement  ne  punit  peint  la  Sorhonne  , 
c'est  qu'il  veut  bien  croire  qu'elle  n'est 
p.  int  complice  de  l  attentat  de  Jacob. 

L'amende  honorable  à  laquelle  fut  con- 
damné ce  bachelier  de  Sorbonne  fut  soiem- 
neîle  ;  mais  celle  que  prononça  Rose  ,  le 
-conservateur  apostolique  de  cette  même  Sor- 
bonne ,  le  fut  encore  davantage.  Ce  docteur 
au  jnel ,  dans  l'excès  de  sa  clémence,  Henri 
/Savait  accordé  un  pardon  qu'il  ne  méri- 
tait pas  ,  au  lieu  d'édifier  ses  diocésains  de 
S  en  lis  par  des  vertus  apostoliques  ,  ne  s'y 
occupa  qu'à  prêcher  la  révolte. Il  était  rentré 
à  Paris  pour  briguer  l'honneur  d'être  grand 
anaître  du  collège  de  Navarre.  Cette  dignité 
était  bien  au-dessous  de  celle  d'évêque  ; 
mais  elle  mettait  le  docteur  Rose  à  portée 
de  nourrir  dans  Paris  le  feu  d'une  sédition 
qui  y  couvait  encore.  Voila  le  motif  de  cette 
démarche  qu'appuyait  en  Sorbonne  et  dans 
l'université  un  parti  secret  et  nombreux. 


Amande  Iionor.  du  docteur  Rose.  i63 
On  ne  parlait  que  des  services  que  ce  doc- 
teur avait  rendus  à  la  religion.  Il  se  vantait 
lui-même  d'avoir  été  ligueur.  Cette  impru- 
dence ne  lui  réussit  pas  ;  elle  ne  servit  qu'à 
le  faire  observer.  On  découvrit  un  libelle 
qu'il  répandait  et  qui  avait  pour  titre  : 
Ludovici  d'Orléans  uni  us  ex  confederatis 
pro  caiholicâ  jîde  expostulatio .  Ce  libelle 
était  un  nouveau  tocsin  de  révolte.  Rose 
ne  l  avait  point  composé  ;  mais  il  avait 
rempli  les  marges  de  notes  qui  commen- 
taient et  approuvaient  le  texte,  et  qui  toutes 
étaient  écrites  de  sa  main. 

Le  procureur-général  dénonce  l'ouvrage  , 
et  le  conservateur  de  la  Sorbonne  est  arrêté. 
Le  parlement  le  condamne  à  une  amende 
honorable  aux  pieds  de  la  grand'chambre. 
Rose  y  parait  vêtu  de  ses  habits  pontificaux. 
Il  prononce  de  sang-froid  cette  amende  ho- 
norable ,  écoute  d'un  air  arrogant  l'arrê.  qui 
le  bannit  de  S/enlis  pour  un  an  ,  et  qui  lui 
fait  défense  de  prêcher  pendant  son  bannis- 
sement. 


164 


CHAPITRE  LU. 

Gouverneurs  mercenaires.  Jésuites  rétablis. 
Du  docteur  To\xx\\o\iXOç\\Q.  La  Sorbonne 
réj?rimandée  de  nouveau  parle  parlement. 

T  /Orsoue  Clément  VIII  eut  absous  Henri 
IV le  fanatisme  ne  devait  plus  avoir,  ce 
semble  y  de  prétexte  pour  l'assassiner  ,  ni 
les  provinces  pour  demeurer  dans  la  révolte. 

Une  preuve  que  le  peuple  n'était  qu'égaré 
par  la  théologie  ,  c'est  qu'il  rentra  dans  l'o- 
béissance au  moment  où  l'autorité  imposa 
silence  à  la  Sorbonne  et  aux  prédicateurs  ; 
mais  une  preuve  non  moins  forte  que  la 
plupart  des  seigneurs  étaient  des  fripons  , 
c'est  qu'ils  mirent  à  l'enchère  les  provinces 
dont  ils  s'étaient  emparés.  Henri  IV  fut 
obligé  de  marchander  plus  ou  moins  avec 
eux ,  comme  on  marchande  pour  l'acquisi- 
tion d'une  métairie  sur  laquelle  on  n'a 
aucun  droit.  Ce  qu'il  ne  put  acheter  il  le 
conquit  par  les  armes.  Les  restes  de  l'em- 
brasement s'éteignirent  d'eux-mêmes. 
La  bonté  de  Henri  IV  qui  l'aurait  fait 


Belles  paroles  de  Henri  IV.  i65 
adorer  quand  il  n'aurait  été  qu'un  simple 
particulier  ,  lui  ramena  tous  les  cœurs.  Son 
règne  fut  celui  de  Titus.  Il  fit  la  paix  de 
Vervins  en  roi  victorieux.  Philippe  II  ac- 
cepta cette  paix  ,  et  la  mort  en  purgea  la 
terre  avant  qu'il  l'eût  signée.  Le  fanatique 
Boucher  ,  docteur  de  Sorbonne  ,  retiré  à 
Bruxelles  ,  fit  l'oraison  funèbre  de  ce  mons- 
tre couronné.  Le  panégyriste  de  l'assassin 
Clément  méritait  sans  doute  de  l'être  du  dé- 
mon du  midi. 

Avant  que  Henri  IV,  à  la  tête  de  quatre 
cents  gentilshommes  français,  et  en  présence 
dos  ambassadeurs  de  l'Espagne  ,  eût  solem- 
nellement  juré ,  dans  l'église  de  Notre  Bame, 
la  paix  de  Vervins  ,  il  avait  donné  en  faveur 
des  protestans ,  dont  il  n'avait  qu'à  se  louer  , 
le  fameux  édit  de  Nantes  ,  monument  de 
tolérance  chrétienne.  Cet  édit  éprouva  de 
violentes  contradictions  au  parlement  uni 
alors  avec  le  clergé.  Le  roi  y  vint  et  y 
prononça  un  discours  paternel  dans  lequel 
on  trouve  ces  paroles  mémorables  :  il  ne 
fii ut  plus  de  distinction  de  catholiques  et  de 
huguenots  ;  il  faut  que  tous  soient  bons  F ran^ 
rais. 

o 

La  paix  faite  avec  l'Espagne  ,  les  protes- 
L  3 


166  Jésuites  pardonnés. 

tans  satisfaits,  HenrilV pardonna  encoreaux 
jésuites.  Sulli  représenta  à  Henri If^le  dan- 
ger qu'il  y  avait  de  rappellcr  ces  religieux. 
Ils  seront  bien  plus  dangereux  ,  répond  le 
monarque  ,  si  je  les  réduis  au  désespoir* 
Il  força  aussi  au  silence  la  justice  de  son 
parlement  qui  les  avait  proscrits  ,  en  lui  di- 
sant :  s'ils  ont  été  jusqu'ici  en  mon  état  par 
tolérance  }  je  veux  qu'ils  y  soient  par  arrêt. 
Ils  sont  nés  en  mon  royaume  ,  et  je  ne  veux 
pas  entrer  en  ombrage  de  mes  naturels  sujets. 

A  peine  les  jésuites  étaient-ils  rentrés  en 
grâce  qu'ils  eurent  un  démêlé  avec  l'uni- 
versité d'Angers. Ils  voulurent  être  incorpo- 
rés de  force  à  cette  université  qui  les  repous- 
sait de  son  sein.  Miron  ,  l'évêque  de  cette 
ville  ,  les  protégeait  :  il  cassa  par  une  sen- 
tence de  son  officialité  tout  ce  qu'on  avait 
fait  contr'eux.  L'université  interjetta  appel 
au  parlement  de  Paris.  La  Sor bonne  ap- 
prouva cet  appel  par  une  délibération  qu'elle 
tint  secrette  pour  ne  pas  déplaire  au  pape 
qui  regardait  les  jésuites  comme  les  princi- 
paux piliers  de  la  chaire  pontificale  ,  et  au 
jésuite  Coton  qui ,  déjà  confesseur  de  Henri 
IV commençait  à  jouir  d'une  grande  faveur. 

L'avocat  général  Senin,  en  parlant  au  par- 


Mensonge  de  la  Sorhonne.  167 
lement  contre  l'e  veque  Miron  et  contre  les  jé- 
suites ,  cita  cette  délibération  de  la  Sorbon- 
ne  pour  tranquilliser  quelques  conseille!  s  trop 
prévenus  eu  leur  faveur.  II  lit  plus  :  il  la  fit 
imprimer  dans  le  recueil  de  ses  plaidoyers. 
La  publicité  de  cette  délibération  déplut  à 
la  Sorbomie  :  le  pape  en  l'ut  instruit,  et  son 
nonce  s'en  plaignit  amèrement  en  cour. 
Le  père  Coton  agit  auprès  du  roi  son  péni- 
tent ,  et  auprès  de  la  Sorbonne  pour  faire 
anéantir  cette  délibération  :  ses  intrigues 
réussirent.  Trente -sept  docteurs  assembles 
en  Sorbonne  désavouèrent  cette  délibéra- 
tion comme  une  pièce  fausse  ,  supposée  , 
impie  et  sentant  Ihcrésie.  Ce  mensonge 
grossier  fut  inséré  dans  le  cartulaire  de  la 
Sorbonne  pour  calmer  Rome,  son  nonce, 
le  confesseur  du  roi,  et  les  jésuites  qu'on 
prévoyait  déjà  être  tôt  ou  tard  à  craindre. 

Le  parle  nient  manda  Tierre  de  Vive  , 
chancelier  de  l'université  ,  plusieurs  théolo- 
giens et  le  docteur  'Tourne broche  qui  ,  celte 
année  là ,  exerçait  le  syndicat  en  Soi  bonne  : 
ce  syndic  avait  été  garçon  de  cuisine ,  et 
c'est  de  ce  premier  état  qu'il  tenait  son  nom 
de  Tou rne broche ,  lequel  il  changea  en  celui 
de  'Tourne  roc  lie.  Interrogé  par  le  premier 


168  Docteur Tournebroche  réprimandé. 
président  pourquoi  la  Sorbonne  s'était  as- 
semblée ;  Toumebroche  n'osa  rien  répon- 
dre ;  mais  Pierre  de  Vive  prit  la  parole ,  et 
dit  que  l'ordre  qu'on  avait  reçu  émanait 
d'une  personne  qui  avait  droit  d'en  donner 
au  parlement  ainsi  qu'à  la  Sorbonne.  cette 
réponse  était  grossière  ;  quelques  magistrats 
voulurent  user  de  sévérité  à  l'égard  de 
Pierre  de  Vive  :  on  se  borna  à  le  répri- 
mander ,  et  l'on  enjoignit ,  par  un  arrêt ,  au 
syndic  Tournebroche  de  supprimer  des  re- 
gistres de  la  Sorbonne  sa  dernière  censure 
qui  n'était  qu'un  lâche  mensonge  en  faveur 
des  jésuites. 


i6$ 


CHAPITRE  LUI. 

Du  philosophe  Charron  ;  du jésuitè  Mariana, 
et  de  Ravaillac  ,  assassin  de  Henri  IV. 

N^ous  avouons  de  bonne  foi  que  ce  que 
nous  venons  de  dire  du  bon  homme  Tourne- 
broche  ,  syndic  de  la  Sorbonne  ,  est  très  peu 
important  :  ce  que  nous  allons  raconter 
le  sera  davantage.  Nous  parlerons  de  Charrvn 
dont  l'esprit  mâle  et  hardi,  lumineux  et  mé- 
thodique ,  recula  de  quelques  pas  les  bor- 
nes de  la  raison,  et  à  qui  les  ennemis  de 
la  raison  firent  payer  chèrement  le  service 
qu'il  rendit  aux  hommes. 

Garasse  assure  que  Charron  était  livré  à 
un  athéisme  brutal  et  acoquiné  à  des  mélan- 
colies truandes  ;  que  sa  tête  était  remplie 
d'écrevisses ,  et  qu'il  était  plus  capable  de 
faire  des  roues  que  des  livres.  Quand  cet 
imbécille  imprimai'  ces  pauvretés  ,  qu'il 
croyait  être  de  l'éloquence  et  de  la  plaisan- 
terie ,  il  y  avait  vingt  ans  que  Charron  était 
mort.  Les  jésuites  ne  pouvaient  que  troubler 


170  dans  ses  ouvrages. 

sa  cendre.  Mais  les  théologiens  troublèrent 
son  repos  ;  Ls  se  déchaînèrent  contre  lui  de 
son  vivant  ,  et  ce  fut  au  bruit  de  leui» 
sottises  et  de  leur  persécution  qu'il  descen- 
dît dans  le  tombeau. 

N«us  avons  vu  que  la  moitié  de  l'Europe 
devint  protestante  en  haine  de  Rome  dé- 
bauchée, ambitieuse  ,  cruelle  et  persécu- 
trice ;  mais  beaucoup  de  catholiques  ne  se 
bernèrent  pas  à  méconnaître  cette  mère 
commune  ;  ils  crurent  qu'il  n'y  avait  point 
de  Dieu  en  voyant  l'extravagance  ,  les  four- 
beries, le  luxe  et  les  mœurs  corrompues  de 
ceux  qui  parlaient  au  nom  de  Dieu.  Ils  rai- 
sonnaient mal  sans  doute,  mais  c'est  ainsi 
que  raisonneront  toujours  la  plupart  des 
hommes  mal  instruits. 

Charron,  dans  un  premier  ouvrage,  com- 
battit tout  à  la  fois  pour  Dieu  et  pour  le 
pape  :  il  attaqua  les  hérétiques  et  les  athées  : 
ensuite  il  combattit  contre  les  superstitieux. 
A  force  d'exercer  sa  pensée ,  il  vit  que  ce 
tlouble  égarement  de  l'athéisme  et  de  l'in- 
crédulité découlait  des  erreurs  populaires 
comme  d'une  source  commune.  Charron 
contre  les  protestans  n'avait  qu'employé  les 
argumens  de  la  théologie  ;  contre  les  supers- 


But  de  Charron  171 
titieux  il  se  servit  des  armes  de  H  raison. 
Tous  les  hommes  sont  invités  dans  son  livre 
à  dépouiller  la  religion  des  superstitions  qui 
l'obscurcissent  comme  on  sépare  l'or  de  ses 
alliages  quand  on  veut  lui  donner  totït  son 
éclat.  Charron  parlait  en  philosophe  et  en 
bon  citoyen.  C'est  l'esprit  de  ]\iont.:yne  , 
son  maître,  qui  l'inspire,  lorsqu'il  dit  que 
la  religion  ne  peut  être  raisonnable  si  le 
culte  n'est  pur.  C'était  un  secret  qu'il  ré- 
vélait au  commun  des  hommes,  et  le  livre 
de  la  sagesse  où  il  découvre  ce  secret  est 
un  de  nos  bons  livres  classiques  ,  et  qu'un 
millier  de  volumes  de  morale  ,  imprimés 
depuis  ,  n'ont  encore  pu  faire  oublier. 

Dans  ce  livre  Charron  s'élève  contre  la 
,  religion  du  peuple  qui  diffère  rarement 
d'une  superstition  grossière.  Les  gens  bor- 
nés qui,  dans  toutes  les  compagnies  for- 
maient alors  le  plus  grand  nombre,  crièrent 
au  scandale,  à  l'impiété.  Ce  cri  jètta  l'a- 
larme dans  le  camp  du  seigneur,  rrètres  , 
moines,  magistrats  s'armèreni  pov.r  peMre 
Charron  ;  le .  uns  étaient  assez  stupides  pour 
confondre  la  religion  de  l'homme  instruit 
avec  la  superstition  du  peuple  ,  <  1  .os  entres 
assez  timides  pour  craindre  que  la  ruine 


172,    Charron  dénoncé  par  la  Sorbonne. 
des  erreurs  populaires  n'entraînât  la  ruine 
de  la  vérité. 

Deux  docteurs  de  Sorbonne  commencè- 
rent l'attaque  contre  le  philosophe  Charron; 
ils  dénoncèrent  sa  sagesse  comme  étant  le 
renversement  de  toute  religion  révélée.  Le 
zèle  des  juges  du  châtelet  auquel  le  livre 
fut  dénoncé  était  d'autant  plus  dangereux 
que  leurs  lumières  étaient  plus  bornées. 
La  mort  inopinée  de  Charron  le  sauva  de  la 
rigueur  d'un  jugement  qui  eût  peut  -  être 
été  une  tache  de  plus  à  la  gloire  delà  nation. 

Avant  de  mourir ,  s'il  en  faut  croire  son 
ami  de  la  Rochemaillet ,  Charron  prédit 
qu'il  serait  censuré  par  les  présomptueux  , 
rogues  f  affîrmatifs  ,  gens  têtus  et  opiniâ- 
tres y  qui  pensant  tout  savoir,  être  les  plus 
sages  et  avisés  de  ce  monde  ,  combien  que 
pour  la  plupart  ils  soient  ineptes  et  ignorans, 
et  dont  aucuns  sont  frappés  de  maladies 
presque  incurables. 

Le  parlement  à  son  tour ,  prit  connais- 
sance du  livre  de  Charron-  Les  conseillers 
n'y  étaient  guère  moins  animés  contre  le 
philosophe  que  les  juges  du  châtelet,  et  n'é- 
taient pa6  plus  instruits.  La  plupart  étaient 
un  reste  du  parlement  de  la  ligue  :  ils  de« 


Livres  pernicieux.  1/3 
mandaient  à  hauts  cris  la  flétrissure  du  livre 
de  la  sagesse. Un  sage  se  fit  entendre  et  força 
les  préjugés  à  l'écouter.  Ce  fut  le  président 
Jeanin  qui  prit  les  intérêts  de  Charron  ;  il 
en  parla  avec  éloge  et  autorité  ;  il  discuta 
les  principes  de  son  livre  en  homme  d'état. 
Ses  raisons  furent  appuyées  par  le  président 
du  Harlai,  magistrat  d'un  esprit  hardi,  fort , 
généreux,  nullement  populaire  ni  supersti- 
tieux. Le  sentiment  de  ces  deux  sages  de- 
vint celui  de  la  pluralité  des  membres  de 
la  compagnie.  Ainsi  la  Sorbonne  avait  flétri 
le  livre  de  la  sagesse  comme  un  livre  abo- 
minable ,  et  le  parlement  ,  par  l'arrêt  qui 
intervint,  décida  qu'il  serait  regardé  comme 
un  livre  d'état. 

La  conduite  de  la  Sorbonne  mérite  à  cette 
époque  l'attention  des  lecteurs  :  elle  persé- 
cute l'homme  qui  veut  épurer  le  culte  , 
assurer  la  vie  des  rois ,  et  rendre  les  peuples 
raisonnables  ;  elle  s'arme  avec  éclat  contre 
la  vérité  et  laisse  l'erreur  se  propager ,  en  se 
condamnant  à  un  silence  coupable  lors- 
qu'elle devrait  s'élever  contre  des  livres 
pernicieux. 

Parmi  ces  livres  pernicieux  qui  parurent 
alors  ,  on  vit  un  amphitheatrum  honoris  , 


ïj4  Livres  pernicieux 

composé  par  un  malheureux  jésuite  d'Ain 

vers,  nommé  Scribanius  ,  pour  insulter  nos 

sages  magistrats ,  nos  hommes  de  lettres  et 

19  décem-  notre  bon  lierai  IV.  La  même  année  que 
bre.  „  -1 

parut  cet  ouvrage  ,  un  fanatique  attentat  de 

nouveau  à  la  vie  de  ce  roi. 
1606.  T autre  livre  non  moins  ignoré  aujour- 
d'hui et  encore  plus  dangereux  alors,  fut 
celui  de  l'Espagnol  Manama  qui  enseignait 
l'art  d'empoisonner  les  rois  en  conscienc  e  , 
et  qui  taisait  l'apothéose  de  l'assassin  de 
Henri  III.  Caeso  rege ,  ingens  sibi  nomen 
Jfkûît.  in  poignardant  ce  roi ,  dit  ce  jésuite 
Espagnol ,  C  lémentmévita  un  nom  immortel. 

Ces  livres  abominables  étaient  colportés 
dans  toute  la  France  et  vendus  publique- 
ment. La  Sorbonne  qui ,  deux  ans  aupara- 
vant, avait  fait  un  grand  vacarme  contre  le 
livre  de  Charron  ,  ne  fit  aucune  démarche 
pour  proscrire  Mariana  et  Scribanius  ,  dont 
les  maximes  détestables  avaient  fait  de  Paris 
un  repaire  de  monstres  et  de  la  France  un 
vaste  cimetière  ;  de  ces  maximes  qui  finirent' 
d'allumer  le  cerveau  d'un  fanatique ,  et  mi- 
rent un  terme  à  la  félicité  dont  les  Français 
jouissaient  depu;s  quinze  ans. 

Ce  fanatique  était  Ravaillac  ,  maître  d'é- 


de  Rayailïac.  ijB 
cole  à  Angoulême  :  depuis?  son  feas-âge  il 
portait  dans  sa  tête  le  çerrne  îles  malheurs 
de  la  France.  Son  aversion  pour  le  hugtïe- 
notisme  était  indomptable  ;  il  ivait  été  novicte 
chez  les  féuillans  et  valet  dans  la  cuisine  dés 
jésuite*. Sa  dévotion  envers  la  sainte-vierge  et 
S\\i\l-Francois  était  très  grande.  Celte  dé- 
votion en  fit  un  assassin.  Un  bruit  populaire 
courait  alors  que  Henri  IV  armait  pour 
faire  la  guerre  au  pàpe.  Dès  ce  inoment  ce 
roi  parut  à  BavaiUac  l'ennemi  de  Dieu  et 
du  pape  ,  car  dans  la  tête  de  ce  malheureux 
Dieu  et  le  pape  n'étaient  qu'une  même  chose. 

Raxaif/ac  réellement  malheureux  en  ce 
monde  ,  et  craignant,  malgré  la  sainte- 
vierge  ,  Saint-François ,  et  toutes  ses  confes- 
sions ,  d'être  damné  en  l'autre  ,  prétendit 
gagner  le  ciel  en  faisant  ce  qu'au  noviciat 
des  Féuillans,  et  dans  la  cuisine  des  Jésuites  , 
il  avait  entendu  dire  être  une  bonne  action  , 
ce  qu'il  avait  même  pu  lire  dans  l'ouvrage  de 
Màriàna  (à).  C'était  un  cerveau  égaré  :  il 
sortit  deux  fois  de  son  école  et  vint  à  Paris 
jprotir  consommer  cet'e  lionne  action  qui 
n'était  qu'un  crime  exccraMe.  Le  courage 


(d)  De  rege  et  rtgis  irmitutione. 


ij6  Bavaillac  assassine  Henri  IV. 
lui  manqua  ou  bien  l'occasion  ,  et  il  retourna 
à  Angoulême.  Son  égarement  le  ramena  à 
Paris  ,  et  la  fatalité  qui  semble  enchaîner 
tous  les  événemens  veut  que  ce  fanatique 
se  trouve  à  l'entrée  de  la  rue  de  la  Féron- 
nerie  au  moment  où  la  voiture  du  roi  est 
arrêtée  par  un  embarras  de  charrettes.  Ra- 
vaillac  monte  à  la  porte  de  la  voiture , 
plonge  par  deux  fois  son  couteau  dans  le 
sein  de  Henri  IV.  Après  ce  crime  il  ne 
cherche  point  à  s'échapper  ;  il  reste  quel- 
que temps  à  la  portière  y  tenant  à  la  main  et 
montrant  son  couteau  tout  fumant  du  sang 
du  meilleur  des  rois.  Arrêté  et  interrogé, 
il  soutient  avoir  fait  une  œuvre  méritoire. 
Un  conseiller  lui  reproche-t-il  la  mort  du 
roi  très-chrétien  !  c'est  à  savoir  s'il  est  très- 
çhrétien  ,  répond-il.  L'égarement  de  sa 
tête  dura  plusieurs  jours  et  ne  se  dissipa 
que  lorsqu'il  ne  douta  plus  qu'on  travaillait 
aux  apprêts  de  son  supplice. 

Plusieurs  personnes  furent  soupçonnées 
d'avoir  poussé  Ravai/lac  au  crime.  L'indi- 
gnation publique  s'éleva  sur-tout  contre  les 
Jésuites  dont  il  avait  été  le  valet  ;  on  fut 
obligé  d'arrêter  la  populace ,  qui  dans  sa  fu- 
reur courut  à  leur  maison  pour  l'embrâser. 

Plusieurs 


Ravaîllac  ahsousi  \*jy 
Plusieurs  prédicateurs  se  déchaînèrent  cou- 
tr'eux  ,  imputant  à  Mariana  la  mort  de 
Henri  IV.  Au  reste  Ravaillac  savait  le  latin  ; 
il  pouvait  avoir  lu  ce  livre  qui  n'était  pas 
rare.  La  lecture  de  la  Sagesse ,  par  Charron , 
aurait  pu  guérir  son  cerveau  ,  le  sortir  de 
l'erreur  où  il  était  que  la  mort  de  Henri  IV 
était  une  bonne  œuvre.  Mais  la  Sorbonne 
avait  proscrit  cet  ouvrage  ,  et  alors  qui  eût 
©sé  lire  un  livre  proscrit  par  la  Sorbonne  ! 

Deux  docteurs  de  cette  même  Sorbonne  , 
.mais  ennemis  connus  des  Jésuites  ,  Fi/sac 
et  Gamache  ,  l'accompagnèrent  à  l'écha- 
faud  ,  l'exhortèrent  et  l'assistèrent  à  la  mort. 
F'ilsac  refusa  long-temps  de  l'absoudre  pour 
l'obliger  à  déclarer  ses  complices:  le  dévot 
Ravaillac,  qui  ne  veut  pas  mourir  sans  ab- 
solution ,  pleure  et  proteste  n'avoir  aucun 
complice  ;  enfin  le  confesseur  se  laisse  flé- 
chir et ,  dit-on  ,  lui  en  donne  une  sous  con- 
dition. Les  complices  de  Ravaillac  étaient 
les  mauvais  livres  qu'il  avait  lus  ,  et  les  mau- 
vais propos  qu'il  avait  entendus. 

L'ame  de  ce  malheureux  repentant ,  et 
absous  par  un  docteur  de  Sorbonne,  de  le- 
chafaud  s'envola  dans  le  sein  d1 'Abraham. 
Nous  n'oserions  en  dire  autant   du  boa 

Tome  II.  M. 


*78 

Henri  IV,  qui  à  la  vérité  pendant  quinze  ans 
rendit  ses  peuples  heureux ,  mais  qui  avait 
été  prodigieusement  sujet  à  ces  faiblesses 
de  tempérament  qui  ,  d'après  les  principes 
de  notre  théologie  ,  damnent  la  plupart  des 
hommes.  Recommandons  son  ame  à  Dieu. 


pggg-I'I  * —  — ■ 

CHAPITRE  LIV. 

X)e  Richer  ,  syndic  de  la  Sorbonne  ,  et  des  1610 
persécutions  que  ce  vertueux  citoyen  es-  * 
suya.  D'un  carme  ,  faiseur  de  miracles. 

H  en  ri  IV  est  sans  contredit  la  plus 
grande  victime  que  la  superstition  ait  jamais 
immolée  :  le  sang  de  cette  victime  fumait 
encore  lorsqu'il  se  forma  en  France  un 
complot  pour  y  établir  la  souveraineté  du 
pontificat. 

Le  clergé  séculier  et  régulier  fit  un  effort 
pour  s'affranchir  du  pouvoir  de  la  magis- 
trature ;  il  espérait,  en  établissant  l'empire  du 
pape ,  rentrer  dans  les  droits  d'une  jurisdic- 
tion  qu'il  appellait  divine ,  dont  il  jouit  et 
abusa  dans  des  temps  barbares  ,  et  dont  le 
temps  et  la  sagesse  du  gouvernement  l'a- 
vaient dépouillé.  Les  Jésuites  et  les  moine» 
étaient  les  procl amateurs  de  cette  souverai- 
neté sacerdotale.  Ils  aimaient  mieux  dépen- 
dre d'un  prêtre  italien  que  du  roi  ,  des 
loix  et  des  parlemens  exécuteurs  des  loix. 

Xies  çvêques  assemblés  chez  le  cardinal  de 
M  a 


1 8o  Confédération  sacerdotale. 
Joyeuse  jurèrent  de  ne  jamais  séparer  leur 
intérêt  de  l'intérêt  de  Rome.  Ubaldin ,  nonc» 
du  pape  ,  était  l'ame  de  cette  ligue  ecclé- 
siastique qu'ils  dénommèrent  encore  la  Ste.- 
Union.  Le  cardinal  Dupéron  ,  cet  homme 
fourbe  et  artificieux  ,  qui  trahissait  la  mé- 
moire de  Henri  IV  son  bienfaiteur  ,  se  joi- 
gnit à  cette  confédération  épiscopale  qu'un 
gouvernement  ferme  et  éclairé  eût  puni. 

Outre  cette  confédération  on  eut  encore 
deux  factions  en  France.  Les  catholiques 
romains  ,  et  les  catholiques  royaux.  Les 
Romains  étaient  de  mauvais  Français  ,  qili 
traitaient  leurs  adversaires  de  mauvais  ca* 
tholiques  et  même  d'hérétiques. 

C'était  fait  de  nos  libertés  et  la  France 
était  un  pays  d'obédience  sans  un  homme 
aussi  vertueux  qu'intrépide  ,  qui  brava  les 
foudres  de  Rome  ,  les  menaces  des  évê- 
ques  ,  la  persécution  de  ses  confrères  en 
théologie  ,  et  la  mort  même,  pour  les  intérêts 
du  roi  et  de  la  patrie.  Cet  homme  était 
Richer,  docteur  de  Sorbonne.  Son  nom  est 
peu  connu  ;  il  mérite  de  l'être  beaucoup  ,  et 
la  nation  lui  doit  une  statue  si  elle  a  jamais 
égard  aux  services  qu'il  rendit  aux  Français  : 
on  le  fit  syndic  perpétuel  de  la  Sorbonne , 


Doctrine  de  Bellarmîtl.'  l8v 
et  il  honora  ce  syndicat  qu'il  ne  défait  qu'à 
son  seul  mérite  ,  par  son  courage  à  s'opposer 
aux  prétentions  de  Rome,  prétentions  que 
le  clergé  s'efforçait  d'établir  en  France. 

Après  la  mort  déplorable  de  Henri  IV 
le  premier  soin  de  Richer  fut  de  faire  re-    4  ,uin" 
îiouveller  en  S  or  bonne  ,  malgré  la  division 
que  les  évêques  et  le  pape  y  entretenaient , 
le  fameux  décret  contre  la  doctrine  homi-   8  juin; 
cide  du  docteur  Jean  Petit ,  et  de  faire  flé- 
trir le  livre  de  Mariana,  qui  érigeait  le  meur- 
tre en    acte  de  religion.   Bellarmin  con- 
damné par  le  parlement ,  le  fut  aussi  par  la 
Sorbortne.  Ce  Jésuite  ,  cardinal  ,  prétendait  4  "bre!" 
qu'il  est  de  foi  qu'on  peut  en  conscience 
tuer  un  roi  tyran.  C'est  cette  abominable 
doctrine  qui  avait  mis  à  la  main  du  moine 
Clément  le  couteau  dont  il  frappa  Henri  III , 
la  même  que  l'ex-Feuillant  Ravaillac ,  sur 
la  sellette  ,  venait  de  soutenir  aux  juges  qui 
l'interrogèrent. 

Le  zèle  de  la  Sorbonne  à  proscrire  une 
doctrine  qu'elle  avait  prêchée  si  long-temps 
lui  attira  des  reproches  honorables  :  on 
l'accusa  d'être  plus  royaliste  que  papiste  , 
d'être  moins  une  assemblée  de  prêtres 
qu'une  assemblée  de  parlementaires.  C'était 

M3 


i8»  Insolence  des  moines* 

là  le  temps  de  la  gloire  de  la  Sorborme  ,  ef 
cette  gloire  dont  le  temps  fut  si  court ,  était 
l'ouvrage  de  Richer  son  syndic. 

Les  religieux  de  Saint-Dominique  travail- 
laient de  leur  côté  à  établir  l'infaillibilité  du 
pape  et  la  dépendance  de  nos  rois  au  saint- 
siège.  Ces  moines  émissaires  de  Rome  se 
rendaient  à  Paris  de  tous  les  coins  de  l'Eu- 
rope; il  en  venait  des  Indes  et  de  l'Amé- 
rique pour  un  chapitre  général ,  dont  l'ou- 
verture se  fit  avec  un  grand  appareil  :  la  prin- 
cipale cérémonie  de  cette  assemblée  fut 
de  soutenir  avec  éclat  des  thèses  de  théo. 
logie.  Ubaldin  }  nonce  du  pape  ,  qui  diri- 
geait les  opérations  de  cette  assemblée , 
avait  une  place  distinguée  au  milieu  d'un 
grand  nombre  de  seigneurs  ,  d'évêques  ,  de 
magistrats  ,  et  de  théologiens  Français.  Ce 
fut  en  leur  présence  qu'un  moine  allemand  , 
nommé  Rosembachy soutint  l'infaillibilité  du 
pape  et  sa  suprématie  sur  les  conciles.  La 
première  conséquence  de  ces  thèses  était 
de  faire  entendre  aux  Français  qu'ils  n'é- 
taient pas  maîtres  chez  eux,  et  qu'un  Italien, 
quand  une  fois  il  était  sur  la  chaire  de  Saint- 
Pierre  ,  pouvait  régner  par- tout  ailleurs. 
C'était  anéantir  les  droits  de  la  royauté^  et 


Sage  arrêt  du  parlement.  i83 
rendre  les  peuples  serfs  d'un  prêtre.  Ce  fut 
le  comble  de  l'audace  d'un  moine  allemand 
de  soutenir  en  France  de  pareilles  imperti- 
nences. Le  comble  de  l'imbécillité  française 
fut  de  le  souffrir. 

Le  clergé ,  qui  favorisait  ces  étranges 
opinions ,  gardait  le  silence.  Richer,  malgré 
les  menaces  du  cardinal  Dupéron  ,  vint  à 
ces  thèses  escorté  de  plusieurs  bacheliers  , 
qui  les  contredirent.  Le  parlement  en  sut 
gré  à  Richer  et  l'en  fit  remercier.  i6m 

Ayant  combattu  et  humilié  les  Domini- 
cains ,  il  mortifia  les  Jésuites  ;  ils  deman- 
daient à  être  incorporés  à  l'Université.  Déjà 
ils  avaient  obtenu  des  lettres-patentes  pour 
ouvrir  leur  collège.  Richer  fit  former  oppo- 
sition à  ces  lettres-patentes.  L'arrêt  qui  in- 
tervint leur  défendit  de  se  mêler  de  l'instruc- 
tion de  la  jeunesse  :  de  plus  ,  ou  leur  enjoi- 
gnit de  signer ,  i°.  que  les  conciles  sont 
au-dessus  des  papes  ;  i°.  que  le  pape  ne  peut 
priver  les  rois  de  leur  royaume  -,  3°.  que  les 
ecclésiastiques  sont  sujets  et  justiciables  des 
princes  séculiers  ;  4°.  que  les  confesseurs 
doivent  révéler  les  conjurations  tramées  con* 
tre  les  rois. 

Le  nonce  Ubaldin  ,  le  cardinal  Dupéron  t 
M  4 


i  84  Sottise  du  cardinal  DuperroH .' 
les  évêques  de  Paris  ,  de  Clermont ,  d'An- 
gers et  autres  ,  se  rendirent  en  cour  pour  se 
plaindre  de  cet  arrêt  et  de  Richer  qui  l'a- 
vait provoqué.  Le  cardinal  Dupéron  dit 
à  la  reine  qu'il  n'était  pas  plus  permis,  de 
révoquer  en  doute  la  puissance  du  pape  qui 
avait  donné  à  Henri  IV  la  permission  de  se 
marier  ,  que  de  révoquer  en  doute  l'état  de 
son  mariage  et  de  ses  enfans.  Il  parla  en- 
suite de  l'avocat  général  Servin  ,  comme 
d'un  sacrilège ,  qui  voulait  qu'on  violât  le 
sacrement  de  la  confession  dont  le  secret 
fait  la  base. 

Servin  ,  mandé  en  cour  ,  répondit  aux 
reproches  de  la  reine ,  en  montrant  le  direc- 
toire des  inquisiteurs  de  i585,  qui  contient 
la  forme  dont  à  l'inquisition  on  procède 
contre  les  rois,  et  la  manière  secrette  dont 
on  peut  leur  ôter  la  vie.  La  cour  frémit  en 
lisant  ces  horreurs  et  remercia  Servin. 

Richer  fut  aussi  remercié  par  le  premier 
président  du  zèle  qu'il  avait  mis  à  l'égard 
des  jésuites.  On  l'exhorta  à  veiller  à  l'in- 
dépendance de  la  couronne. Il  fit,  à  la  prière 
du  premier  président ,  et  sous  ce  titre  :  de  la 
puissance  ecclésiastique  et  politique  ,  urj 
petit  sommaire  des  vérités  qu'on  pouvait 


Fausse  démarche  du  pape,  îVS 
#|>poser  aux  prétentions  ultramontaines.  C'é- 
tait le  code  des  principes  d'un  bon  citoyen. 
Ce  code  excita  le  courroux  du  pape  contre 
son  auteur.  Ce  pape  avait  demandé  à  Ve- 
nise fra-Paolo  pour  le  juger;  il  demanda 
Richer,  son  ami  ,  à  la  cour  de  France  pour 
le  punir.  Le  cardinal  Dupéron,  le  nonce 
et  plusieurs  évêques  mus  par  le  pape  ,  allè- 
rent en  cour  solliciter  justice  contre  Richer  ,gI2 
et  contre  son  livre  qui  n'était  qu'un  petit  «3  Ma  ni 
plaidoyer  pour  la  cause  des  rois  et  des  peu- 
ples. Dupéron  assemble  chez  lui  des  évê- 
ques et  des  théologiens  ,  qui  signèrent  une 
censure  du  livre  de  Rîcher. 

Rome  savait  quele  ministère  français  était 
faible  et  vacillant.  Le  pape  crut  pouvoir  ha- 
sarder de  faire  enlever  Richer,  et  le  faire 
juger  par  l'inquisition.  On  échoua  dans  les 
moyens  qui  furent  employés  pour  cet  enlè- 
vement.Le  duc  d'Fper/wn  ,  dont  la  tête  était 
échauffée  par  le  nonce  ,  par  le  cardinal  Du- 
péron et  par  l'évêque  de  Paris ,  aposta  des 
satellites  pour  le  faire  assassiner  ;  mais  le$ 
satellites  manquèrent  leur  coup.  Les  évê- 
ques obtinrent  du  chancelier  qu'il  serait  en- 
fermé à  la  Bastille,  et  qu'il  serait  jugé  com- 
me criminel  de  lèze-majesté.  Le  clergé  pro- 


i86  Richer  déchu  du  syndicat: 

mit  deux  mille  écus  d'or.  Villeroi  eut  assez 
de  courage  pour  s'opposer  dans  le  conseil 
à  cet  acte  d'exécrable  despotisme  de  la  part 
du  chancelier. 

La  Sorbonne  ,  qui  avait  dû  prendre  la  dé- 
fense de  Richer  son  syndic  ,  l'abandonna. 
Parmi  les  docteurs  de  cette  école  il  avait 
deux  amis,  Gamache  et  Filsac.  On  donna 
une  abbaye  à  Fun ,  on  promit  un  évêché  à 
l'autre  ,et  ces  deux  amis  le  trahirent.  Le  doc- 
teur Duval ,  l'agent  du  nonce  ,  des  jésuites 
et  des  évêques;  Duval,  qui  toute  sa  vie  avait 
prêché  le  despotisme  de  Rome  et  la  dépen- 
dance des  rois  au  pape  ,  sollicitait  la  déposi- 
tion de  Richer.  Un  jeune  ambitieux  ,  abbé 
de  Saint- Victor  ,  du  nom  et  de  la  maison 
du  Harlai ,  la  proposa  :  c'est  de  cet  abbé  que 
l'évêque  de  Nantes  disait  qu'au  lieu  du  cha- 
peron de  Sorbonne  on  aurait  dû  le  coëffer 
d'un  bonnet  verd  avec  des  sonnettes. 
;eptem-  -^es  eiinemis  de  Richer  l'emportèrent  en 
bre.  cour  et  on  lui  ôta  son  syndicat  de  Sorbonne. 
On  punit  en  lui  une  vertu  qui  méritait  des 
récompenses.  Le  curé  de  Saint-Gilles  pro- 
testa contre  cette  injustice  ,  et  fut  aussi-tôt 
interdit  de  la  célébration  de  la  messe.  Ce 


Le  pape  irrité  contre  "Richer.  187 
curé  n'ayant  plus  de  messe  à  d:re  se  vengea 
de  i'évêque  ,  en  se  faisant  huguenot. 

Richer  était  déposé  du  syndicat,  mais  le 
pape  ne  le  croyait  pas  assez  puni.  Persis- 
tant à  vouloir  le  juger  à  Rome  ,  il  écrivit  à 
la  reine  po^.r  le  demander.  On  assemble  un 
conseil  où  le  nonce  Ubaldin  fut  admis.  Le 
duc  tl'Epernon  appuya  les  demandes  insen- 
sées de  cet  Lalien.  On  allait  donner  des  or- 
dres ponr  arrêter  Richer ,  mais  le  prince  de 
Condé  arrive  à  temps  au  conseil.  «  Voilà,  dit- 
il  au  nonce  ,  une  étiange  demande  :  Richer 
est  homme  de  bien  et  bon  serviteur  du  roi  : 
ce  serait  se  jouer  de  ses  sujets  que  de  les 
envoyer  à  Rome  ».  Richer  est  prêtre,  répond 
d'JSpernon,  et  par  conséquent  sujet  du  pape. 
Les  prêtres  ,  réplique  le  prince  de  Condé, 
ne  sont  point  sujets  du  pape  quand  ils  sont 
Français. 

Le  conseil  fut  très  -  orageux  et  ne  décida 
rien  ;  le  pape  toujours  irrité  menace  de  faire 
brûler  l'effigie  de  Richer  :  à  quelque  prix 
que  ce  fût ,  il  voulait  l'avoir  à  Rome.  Le  duc 
d'Epcrnon  eut  la  promesse  d'un  chapeau  de 
cardinal  pour  son  fds  Lavalette  ,  s'il  le  lui 
envoyait  tout  vif.  Pour  gagner  ce  chapeau  il 
fit  arrêter  Richer  dans  son  collège  ;  ce  res- 


1 8£  Doctrine  ultramontainc proscrite. 
pectable  citoyen  fut  traîné  dans  les  rues;1 
couvert  de  boue  et  jette  dans  les  prisons  de 
Saint- Victor.  Le  parlement  intervint  et  ren- 
dit la  liberté  à  Richer ,  lui  donna  une  sauve- 
garde ,  et  décréta  les  satellites  qui  l'avaient 
arrêté.  C'est  le  duc  à'Epernon  qui  aurait 
1613.  dû  être  puni.  Jusqu'à  nos  jours  les  loix  n'ont 
servi  qu'à  contenir  les  faibles. 

Quel  était  donc  le  crime  de  Richer?  il 
avait  dit  dans  un  petit  livre  de  trente  pages  , 
que  les  papes  ne  peuvent  détrôner  les  rois  ; 
il  l'avait  écrit  et  il  le  soutenait  dans  un 
temps  où  tout  conspirait  à  établir  en  France 
la  suprématie  pontificale  ;  oùles  jésuitess'ef- 
«614.  forçaient  de  répandre  cette  abominable  doc- 
trine. Suarès,  sous  prétexte  de  la  défense  de 
la  foi  catholique ,  venait  d'imprimer  que  les 
papes  peuvent  détrôner  les  rois  et  les  faire 
mourir  après  les  avoir  détrônés.  Quatre  jé- 
suites furent  mandés  à. -la  barre  du  parlement; 
on  leur  reprocha  la  frénésie  de  leur  con- 
frère à  reproduire  cette  doctrine  si  souvent 
proscrite  ,  et  on  ordonna  que  la  Défense  de 
f  la  foi  par  Suarès  serait  brûlée  en  leur  pré- 
sence ,  par  la  main  du  bourreau» 

Malgré  cet  arrêt  que  le  docteur  Richer 
avait  6ûllicité  ,  le  cardinal  Dupérott  osa 


Cardinal  vendu  aux  jésuites.  189 
avancer  clans  les  états  généraux  ,  qui  se  tin- 
rent alors  ,  que  la  puissance  du  pape  était 
pleine  eLplcnissime  et  quil  excommunierait 
ceux  qui  soutiendraient  que  l'église  n& 
pas  le  pouvoir  de  déposer  les  rois. 

Il  serait  difficile  de  trouver  un  plus  mauvais 
Français  que  ce  Dupéron  ,  si  on  en  excepte 
le  cardinal  de  la  Rochefoucaut  qui  lui  suc- 
céda dans  la  place  de  grand  aumônier  de 
France.  Ce  cardinal  était  vendu  aux  jésuites  ; 
ce  fut  sur  les  d  emandes  du  père  Amoux, con- 
fesseur de  Louis  XIII ,  qu'il  obtint  la  grande 
aumônerie.  11  était  beaucoup  moins  instruit 
que  Dupéron  ,  plus  violent  et  aussi  vindi- 
catif. Il  signala  sa  reconnaissance  envers  les 
jésuites,  en  s'acharnant  à  la  perte  de  Riclier; 
il  promit  à  Bentivoglio  ,  nouveau  nonce  , 
sa  rétractation.  Tous  lesmoyens  imaginables 
furent  mis  en  œuvre  pour  séduire  ce  ver- 
tueux citoyen  ;  mais  ne  pouvant  le  corrom- 
pre ,  on  voulut  le  rendre  suspect.  Il  fut  dé- 
noncé au  roi  comme  criminel  de  lèze- ma- 
jesté ,  et  ses  adhérens  comme  une  troupe 
dangereuse  d'obscurs  schismatiques.  On  dit 
à  Louis  XIII  que  c'était  d'après  ses  conseils 
que  le  prince  de  Cpndé  s'était  éloigné  delà 
•our  ,  et  qu'il  n'armait  que  pour  attaqtier  la 


1 90  Résistance  de  Rîcher. 

légitimité  des  enfans  de  Henri  IV.  Sire  ; 
lui  dit  ce  cardinal  calomniateur  ,  ces  gens 
sont  encore  plus  à  craindre  que  les  hugue- 
nots ;  il  faut  les  exterminer ,  ou  tout  au 
moins  les  châtier  comme  vous  avez  châtié 
les  protestans. 

Louis  XIII ne  s'empressa  pas  de  seconder 
le  zèle  fougueux  de  son  aumônier. Celui-ci, 
fécond  en  ressources  ,  convoque  une  assem- 
blée de  prélats  ;  il  leur  remontre  que  Richer 
est  schismatique ,  qu'il  faut  le  faire  signer 
que  le  pape  ,  comme  pape  ,  peut  faire  des 
loicc  qui  obligent  en  conscience ,  et  s'il  refuse , 
le  faire  enfermeràlaBastille  avec  une  dixaine 
de  ses  adhérens.  Richer  est  mandé  au  tribu- 
nal de  ces  prélats  ,  et  refuse  de  signer.  Puis- 
qu'il refuse ,  s'écrie  le  violent  cardinal  de  la 
Rochefoucault ,  il  faut  le  coudre  en  un  sac 
et  lejetterdans  la  rivière.  Nous  en  deman- 
dons pardon  à  ce  cardinal  ;  mais  si  quel- 
qu'un méritait  d'être  puni  et  noyé,  c'était 
ceux  qui  trahissaient  le  roi  et  la  patrie. 
Et  c'était  les  trahir  de  prétendre  qu'un  évê- 
que  de  Rome  peut  détrôner  un  roi  de  France. 

Duvair  avait  obtenu  les  sceaux.  Richer, 
qui  en  était  estimé  ,  alla  le  voir ,  et  le  pria 
d'arrêter  une  persécution  qui  durait  depuis 


Garde  des  sceaux  vendu  a  Rome.  19I 
dix  ans  ;  mais  Duvair ,  ce  magistrat  si  intè- 
gre à  la  tête  du  parlement  de  Provence  , 
et  si  courageux  pour  défendre  le  livre  de 
Richer ,  n'était  plus  le  même  :  l'air  de  la 
cour  l'avait  corrompu.  Il  répondit  à  Richer 
qu'il  devait  signer  ce  que  le  nonce  et  les 
évêques  desiraient.  Mais  ,  Monseigneur , 
répond  Richer  >  il  s' agit  de  l'indépendance  de 
la  couronne.  «  N'importe ,  répliqua  le  garde 
des  sceaux  ,  vous  ne  devez  pas  être  plus  sage 
que  les  tems  ;  si  la  Sorbonne  est  de  l'avis 
des  évêques  ,  vous  ne  devez  pas  penser  au- 
trement j>.  Le  nœud  gordien  de  tout  cela  , 
c'est  que  ce  garde  des  sceaux ,  déjà  évêque 
de  Lisieux ,  espérait  le  cardinalat ,  et  qu'en 
attendant  le  chapeau ,  le  clergé  lui  payait 
douze  mille  livres  de  pension. 

Richer  }  comme  un  roc  au  milieu  des 
mers  orageuses  y  était  inébranlable  aux  sé- 
ductions ,  aux  menaces  ,  aux  promesses  , 
aux  violences  ,  aux  calamités  ,  aux  persécu- 
tions. Ne  pouvant  donc  ni  armer  le  gouver- 
nement contre  lui ,  ni  faire  ployer  sa  façon 
de  penser  ,  on  eut  recours  à  un  stratagème 
que  les  fripons  ont  souvent  employé  pour 
rendre  odieux  les  ennemis.  On  fit  parier 
le  ciel  contre  lui  ,  et  l'on  se  servit  d'un 


Iça  Sainteté ,  miracles'. 

carme  ,  nommé  Dominique ,  pour  en  êtrô 

l'organe. 

[  Frère  Dominique  était  un  taumaturge 
un  faiseur  de  miracles  ;  il  courait  le  monde 
avec  le  titre  de  vicaire  apostolique  ;  il  avait 
traversé  l'Allemagne  traînant  à  sa  suite  une 
Foule  de  gens  ,  redressant  les  Loiteux  ,  fai- 
sant entendre  les  sourds  ,  voir  les  aveugles  , 
chassant  les  démons  du  corps  des  possédés. 
Paris  était  un  théâtre  digne  de  ses  grand» 
talens  :  sa  renommée  l'y  avait  devancé  'r 
le  peuple ,  par-tout  avide  de  prodiges  ,  l'at- 
tendait comme  l'envoyé  du  ciel.  Pour  pré- 
parer les  esprits  à  son  avènement ,  les  car- 
mes avaient  fait  graver  le  portrait  du  tau- 
maturge avec  la  légende  des  prodiges  qu'il 
avait  opérés  parmi  les  Bohémiennes  ,  les 
Allemandes  et  les  Champenoises.  Les  ima- 
ginations déjà  échauffées  finirent  de  s'em- 
braser par  le  récit  de  tant  de  merveilles. 
Le  couvent  des  carmes  fut  bientôt  entouré 
d'une  multitude  innombrable  de  manchots, 
de  teigneux  ,  de  borgnes  ,  de  bancroches  , 
et  de  vérolés.  Tous  ces  malheureux  pas- 
saient devant  lui  l'un  après  l'autre.  Il  les 
bénissait  ,  en  disant  :  je  te  touche ,  Dieu  te 
bénisse.  On  coupait  des  morceaux  de  son 

manteau 


et  prophétie  d'un  carme.  ip3 
manteau  pour  les  enchâsser  dans  de  petits 
reliquaires  ,  et  le  saint-homme  ,  qui  n'était 
qu'un  fripon  ,  laissait  tailler  son  manteau 
pour  ne  pas ,  disent-ils  ,  contristerla foi  des 
fidèles. 

Le  taumaturge  n'avait  eu  jusqu'alors  que 
le  don  des  miracles  ;  mais  bientôt  on  lui  fit 
honneur  du  don  de  prophétie  ;  et  il  prédit 
au  docteur  Ricker  qu'il  serait  damné  pour 
désobéir  au  pape  et  aux  évêques.  Les  dévo- 
tes s'empressèrent  de  répandre  cette  pro- 
phétie dans  leurs  quartiers. 

Ces  tours  de  charlatan  n'ont  été  que  trop 
souvent  employés  par  les  fripons.  Il  y  avait 
vingt  ans  que,  pour  allumer  une  persécution 
contre  les  protestans  ,  on  avait  produit  à 
Paris  une  démoniaque  qui  dans  ses  extrava- 
gances leur  annonçait  de  grands  malheurs. 

Duval ,  ce  même  docteur  de  Sorbonne 
qui  avait  mis  en  vogue  cette  femme  ,  mit 
en  crédit  la  prophétie  de  frère  Dominique 
contre  Richer.  Mais  le  parlement  qui ,  en 
1599  avait  procédé  contre  les  farces  de  cette 
possédée ,  et  le  moine  qui  la  confessait  et 
les  évêques  qui  la  dirigeaient  ,  menaça  de 
se  mêler  des  miracles  et  des  prophéties  du 
nouvel  Elie.  Les  carmes  ,  ses  confrères  , 

Tome  IL  N 


i94 

contens  de  s'être  enrichis  des  libéralités 
des  imbécilles  ,  de  voir  leur  église  tapissée 
d'ex  voto  ,  prévinrent  le  parlement  ;  et  le 
taumaturge  ,  éconduit  par  ses  confrères  > 
alla  opérer  ailleurs. 

En  attendant  que  Richer  fût  damné  , 
comme  frère  Dominique  l'avait  prédit ,  on 
le  traita  en  chaire  d'hérétique  et  de  schis- 
matique.  Gotidi  ,  évêque  de  Paris ,  défendit 
de  le  confesser  ,  et  lui  envoya  dire  qu'après 
sa  mort  il  serait  privé  de  la  sépulture  ec- 
clésiastique. Richer  était  un  citoyen  trop 
éclairé  pour  ne  pas  mépriser  cette  ven- 
geance d 'évêque. 


CHAPITRE  LV. 


Tour  abominable  du  père  Joseph  ,  capucin.  de 
Décret  criminel  de  la  Soj^bonne.  F  ai-  1  >2' 
blesse  et  mort  de  Pdcher.  1630. 

rcjir.R  avait  rendu  inutile  la  politique 
de  quatre  nonces  :  il  avait  par  sa  fermeté 
déconcerté  les  manœuvres  des  jésuites  et 
des  oratoriens  ;  il  n'avait  opposé  qu'un  front 
inaltérable  aux  violences  du  fanatique  et 
ignorant  duc  d'Lpernon  ;  il  avait  pendant 
vingt  ans  résisté  aux  efforts  des  cardinaux 
Dupéron  ,  de  Bonsi,  de  Retz,  de  \a Roche- 
Foucault  et  de  Rerrule.  Il  lui  restait  encore 
à  soutenir  les  séductions  du  cardinal  de 
Richelieu. 

On  sait  que  ce  prêtre  devenu  ministre 
tenait  son  roi  Louis  XIII  en  tutelle  ;  il  s'é- 
tait emparé  et  environné  de  la  souveraineté  , 
comme  tout  ministre  s'en  empare  quand  les 
princes  sont  faibles  et  qu'une  nation  n'est 
point  encore  instruite.  Il  recevait  les  dédi- 
caces de  presque  tous  iei  livres  de  dévotion., 
et  faisait  soutenir  dans  son  palais  des  tliè*cs 

N  2 


196  La  Sorbonne  em b clRe. 

sur  l'amour  profane.    Ce   même   prêtre  , 

évêque  et  cardinal ,  qui  ,  pendant  le  cours 

de  son  ministère  tyran  nique  ,  enrichit  les 

commissaires  et  les  bourreaux  ,  voulut  être 

le  bienfaiteur  de  la  Sorbonne  pour  mieux 

l'asservir. 

Les  pauvres  prêtres  de  cette  école  habi- 
taient des  masures  ,  il  les  logea  dans  un 
magnifique  palais  ;  sur  l'espèce  d'antre  qui 
leur  servait  de  chapelle  ,  il  leur  lit  élever  un 
temple  auguste. 

Le  parti  de  Kicher ,  peu  nombreux  en. 
Sorbonne  ,  parvint  après  beaucoup  de  mou- 
vemens  à  faire  condamner  un  livre  de  San- 
tarel ,  dans  lequel  ce  jésuite  soutenait  encore 
que  les  papes  peuvent  détrôner  les  roi?. 
Urbain  VIII  s'irrita  de  cette  condamnation. 
La  Sorbonne  pour  l'appaiser  ordonna  à 
tous  ses  candidats  ,  bacheliers  et  licenciés  , 
la  prestation  d'un  serment  sur  le  décret  des 
papes.  Duval  qui  menait  la  Sorbonne  comme 
un  chef  de  parti  mène  une  troupe  ,  avait 
inventé  cette  prestation  de  serment  :  il  ré- 
digea un  recueil  de  toutes  les  décrétales  par 
lesquelles  les  prpes  s'attribuent  un  pouvoir 
absolu  sur  le  temporel  des  rois.  C'était  sur 
ce  recueil  qu'on  devait  jurer  et  auquel  on 


Richelieu  vendu  à  Rome.  197 
avait  mis  pour  titre  :  pars  decretorum  tri 
qud  jurabunt  studiosi  in  theotogiâ.  Depuis 
les  décrets  contre  Henri  Ill^et  Henri  IV , 
la  Sorbonne  n'avait  rien  fait  d'aussi  crimi- 
nel. 

Ce  serment  alluma  la  discorde  en  Sor* 
bonne.  Richer  et  ses  amis  en  demandèrent 
la  suppression.  Le  cardinal  de  Richelieu  , 
qui  avait  ses  vues  y  voulut  être  le  média- 
teur. Il  assembla  chez  lui  un  grand  nom- 
bre de  théologiens  ;  il  commença  par  leur 
dire  que  le  roi  l'avait  armé  d'une  verge  de 
fer  pour  châti  er  les  brouillons  ;  ensuite  leur 
prodiguant  les  caresses,  il  leur  défendit  de 
se  traiter  d'hérétiques  ,  et  termina  son  dis- 
cours par  l'éloge  de  Ric/ier.  C'est  ce  bon 
citoyen  que  le  cardinal  voulait  corrompre. 
Il  avait  promis  au  pape  la  rétractation  de 
son  livre  sur  la  puissance  ecclésiastique  , 
et  le  nonce  Scapi  n'attendait  pour  partir 
que  cette  rétractation.  Elle  était  le  prix  con— 
venu  pour  le  chapeau  de  cardinal  que  ITrbaim 
VJII  devait  donner  à  son  frère  Alphonse  * 
ex  -  chartreux ,  qui  ,  du  cloître  où  il  s'en- 
nuyait ,  avait  passé  à  l'archevêché  de  Lyon.. 

Le  pape  comptant  sur  la  promesse  et  la 
toute-puissance  de  Richelieu  y   avait  déjà. 

N  S. 


198  Barbare  coquînerie 

envoyé  le  chapeau  à  frère  Alphonse  ;  maïs 
Richer  ferme  clans  ses  principes  ,  résista  à 
tous  les  manèges  des  émissaires  de  Riche- 
lieu. Le  pape  ,  mécontent  de  ce  ministre ,  en 
parlait  comme  d'un  fourbe  qui  l'avait  trompé. 
Pour  appaiser  sa  sainteté,  Richelieu  demande 
un  notaire  apostolique  ,  et  ce  notaire  fut 
sur  le  champ  dépêché  de  Rome.  On  le  logea 
chez  le  père  Joseph  ,  capucin*,  espion  de 
ce  cardinal  et  l'un  de  ses  principaux  a  gens  ; 
du  sein  de  la  splendeur  et  la  bonne  chère 
où  il  vivait  ,  ce  capucin  s'était  donné  le 
mérite  d'instituer  X aunonciade  ,  l'un  des 
ordres  les  plus  austères  de  la  religion  , 
tandis  que  dans  tous  les  mémoires  du  tems, 
on  l'accusait  de  ne  pas  croire  en  Dieu. 

Richer  e  t  plusieurs  docteurs  de  Sorbonne 
furent  invités  à  dîner  chez  lui  ;  après  le 
dîner  Rider  fut  mené  dans  une  chambre. 
Le  père  Joseph  lui  présenta  une  rétracta- 
tion toute  dressée  ,  et  d'une  voix  mena- 
çante lui  dit  :  c'est  aujourd'hui  qu'il  faut 
rétracter  votre  livre  ou  mourir. 

A  ces  mots  deux  assassins  apostés  sortent 
d'un  cabinet  voisin  ,  se  jettent  sur  le  vieil- 
lard  ,  et  lui  tenant  le  poignard  sur  la  gorge 
lui  font  signer  une  rétractation.  Richer  at* 


'du  capucin :  Joseph.  199 
terré  par  la  crainte  ,  et  accablé  d'horreur 
se  retire  pleurant  et  offrant  à  Dieu  les  res- 
tes de  sa  vie  en  expiation  d'une  faiblesse  à 
laquelle  il  ne  survécut  que  peu  de  mois. 
Le  poignard  n'était  peut-être  qu'un  jeu  pour 
m  timîder  le  vieillard  ;  mais  eût-il  perdu  la  vie,, 
la  gloire  qu'il  en  eût  retirée  l'eût  bien  vengé 
aux  yeux  de  la  postérité  d'un  lâche  assas- 
sinat ordonné  par  un  prêtre  cardinal  et 
exécuté  par  un  prêtre  capucin. 

Cette  rétractation  ne  fût  pas  la  seule  faute 
qii'avant  de  mourir  fit  ce  vieillard.  Le  sta- 
tut arrêté  en  Sorbonne  ,  de  jurer  sur  les  dé- 
crets des  papes  ,  occasionnait  un  schisme 
parmi  les  théologiens.  Richelieu  le  modifia 
un  peu  ,  et  Richer  qni  l'avait  improuvé 
comme  un  opprobre  ,  le  signa  avec  des  mo- 
difications. Le  statut  devint  un  scandale  en 
France  :  on  afficha  ce  distique  à  la  porte  de 
la  Sorbonne  : 

Instaurata  ruct  jam  jam  Sorbona.  Caduca 
Dumfuit  ,  inconcussa  itetit.  Rénovât  a  peribit. 

Outre  ces  vers  il  en  parut  encore  d'autres- 
sur  la  défection  de  la  Sorboune  ,  et  qui  con- 
tenaient encore  plus  de  véritésOn  y  rappel- 
lait  toutes  les  époques  qui  pouvaient  l'hu- 
N  4 


2.Q.O 

milier.  On  la  montrait  sous  ces  diverses  dé- 
nominations :  la  Sorbonne  Bourguignone  , 
Anglaise ,  Guisarde  y  Espagnole ,  Italienne 
et  Riche  liste. 

Le  docteur  Filsac  qui  changeait  d'opi- 
nion à  chaque  événement ,  et  qu'on  surr 
nomma  tantôt  le  docteur  le  voici  y  le  voilà  , 
et  tantôt  le  terminus  indefinitus  ,  vient  eu 
Sorbonne  protester  contre  le  serment  et 
contre  les  modifications  de  Richelieu.  Il 
déclara  à  tous,  ses  confrères  qu'il  voulait 
mourir  bon  Français  ,  et  qu'il  sortait 
de  la  Sorbonne  comme  d'une  Babylone  et 
d'une  retraite  de  prostituée. 

Son  courage  alla  plus  loin  ;  il  présenta 
requête  au  parlement  pour  demander  l'abo- 
lition de  ce  serment  ;  mais  ce  corps  vendu 
à  Richelieu ,  ou  tremblant  sous  son  despo^ 
tisme  ,  garda  le  silence. 


CHAPITRE  LVI. 

Vanini  condamné  en  Sorbonne  et  brûlé  à 
Toulouse.  Trois  chimistes  condamnés  en 
Sorbonne  et  bannis  par  le  parlement  de 
Taris. 

On  n'entend  point  prononcer  le  nom  de 
Vanini  sans  penser  qn'il  était  un  athée.  Point 
du  tout  ;  c'était  un  prêtre  néapolitainqui  avait 
quitté  sa  patrie ,  où  il  vivait  dans  la  misère  , 
pour  venir  faire  fortune  en  France  ,  et  où  U 
ne  trouva  que  des  prêtres  persécuteurs  ,  des 
magistrats  barbares  et  un  bûcher. 

Quoiqiie  né  en  Italie  et  prêtre,  iln'avaitsur 
la  puissance  papale  aucune  de  ces  opinions 
ultramontaines  qui  ont  bouleversé  l'Europe 
si  souvent ,  et  qui  partageaient  alors  notre 
Sorbonne  en  deux  factions  ,  en  Riche  listes 
et  en  Dmalistes.  Il  n'était  pas  non  plus  un 
ignorant  comme  on  a  affecté  de  le  publier. 
De  nos  jours  on  le  regarderait  comme  un 
homme  fort  instruit  :  il  avait  des  connais^ 
sauces  en  astronomie  i  en  anatomie  ,  en  mé- 
decine et  en  chimie.  La  métaphysique  était 


161S 

à 

1626. 


203       Vanini  était  métaphysicien 

ce  qu'il  avait  le  plus  cultivé  et  ce  qui  lui 

devint  le  plus  funeste. 

Vanini  ne  trouva  guères  à  Paris  d'autres 
ressources  pour  vivre  que  de  dire  la  messe 
à  cinq  sous  par  jour.  Il  se  plaisait  à  disputer 
avec  les  théologiens  qu'il  rencontrait  dans 
les  sacristies,  et  avec  ces  bâtards  de  la  phi- 
losophie alors  si  coin  mu  is  et  que  les  pro- 
grès de  la  raison  ont  rendus  si  rares.  Tout 
en  disputant  ,  Van'ud  s'acquit  un  peu  de 
célébrité  et  se  fit  des  ennemis  implacables  : 
il  voulut  être  auteur  et  cela  le  perdit.  Les 
dialogues  qu'il  donna  étaient  écrits  en  latiu 
et  par  conséquent  peu  lus  et  peu  dangereux. 
Le  jargon  obscur  de  sa  métaphysique  nuisit 
à  l'orthodoxie  de  ses  opinions. Ces  dialogues 
réveillèrent  la  jalousie  de  ses  ennemis,  qui 
prétendirent  qu'un  homme  qui  parlait  tant 
de  la  nature  sans  qu'on  pût  l'entendre  , 
devait  avoir  peu  de  foi  aux  mystères  de  la 
r  eligion 

Deux  docteurs  de  Sorbonne  avaient  ap- 
prouvé ces  dialogues.  Luur  suffrage ,  qui  de- 
vait les  mettre  à  i'al  'i  delà  censure  ,  fut  pré- 
cisément ce  qui  l'occasionna.  Les  approba- 
teurs des  dialogues  de  Vanini  étaient  cor- 
deli*rs.  Les  docteurs  dominicains ,  ennemis- 


et  n'était  point  athée.  2o3 
nés  des  cordeliers  ,  ne  virent  dans  ces  dia- 
logues que  ce  qu'on  appellait  alors  les  hor- 
reurs du  naturalisme  ,  et  les  dénoncèrent  à 
laSorbonne.  Leur  auteur  n'était  connu  delà 
plupart  des  théologiens  que  parce  qu'il 
avait  disputé  à  outrance  contr'eux,  soit  dans 
les  sacristies  ,  soit  dans  les  actes  publics. 
Personne  ne  s'intéressa  à  son  sort ,  et  l'on 
censura  son  livre  sans  le  comprendre. 

Deux  ans  après  cette  condamnation  Va- 
jùni  était  à  Toulouse  ,  disputant  toujours 
sur  la  métapbysique  ,  et  se  faisant  de  nou- 
veaux ennemis.  Ceux  qu'il  s'était  faits  à  Paris 
n'avaient  censuré  que  son  livre  ,  ceux  qu'il 
se  fit  à  Toulouse  firent  condamner  sa  per- 
sonne. Ils  l'accusèrent  d'être  athéjs .  A  cette 
accusation  la  société  civile  se  soulève  tou- 
jours ,  et  sans  trop  examiner  si  elle  est  fon- 
dée ,  en  commence  à  crier  :  c'estun  monstre  ; 
il  faut  l  étouffer. 

Le  pauvre  prêtre  ,  métaphysicien  et  dis- 
puteur lut  arrête  et  emprisonné.  Interrogé 
sur  la  divinité,  il  prend  un  brin  de  paille, 
le  montre  à  ses  juges  ,  et  leur  dit  :  ce  brin 
seul  prouve  l'existence  d un  Dieu. 

Après  cet  aveu  on  devait ,  ce  semble  ,  le 
relâcher  ;  mais  malheureusement  parmi  les 


ao4  Vanini  injustement  Brûlé. 
preuves  qui  le  chargeaient,  on  crut  entrevoir 
qu'à  son  athéisme  il  mêlait  la  magie.  On. 
trouva  dans  sa  chambre  une  phiole  dans 
laquelle  était  un  crapaud.  Les  juges  n'en 
savaient  pas  assez  pour  voir  que  ces  deux 
crimes  ne  peuvent  subsister  ensemble  ,  qu'un 
sorcier  ne  peut  être  athée  ;  qui  croit  au 
pouvoir  du  Diable  doit  certainément  croire 
en  Dieu. 

Vanini  eût  peut-être  été  absous;  mais  mal- 
heureusement on  se  ressouvint  que  la  Sor- 
bonne  avait  condamné  ses  ouvrages  ;  on 
crut  qu'un  homme  jugé  par  ce  tribunal  ,  et 
qui  nourrissait  un  crapaud  dans  une  phiole  , 
devait  être  un  homme  très-dangereux  ;  et  le 
parlement  de  Toulouse  ,  qui  trente  ans  au- 
paravant avait  proscrit  son  roi  Henri  III \ 
qui  avait  déclaré  Henri  IV  incapable  de 
régner  ,  qui  avait  fait  brûler  un  millier  de 
protestans  ,  qui  de  nos  jours  a  fait  rompre 
le  vertueux  Calas  x  fit  alors  je  I  ter  dans  un  bû- 
cher Fin fortuné  Vanini,  après  lui  avoir  fait 
couper  la  langue  ;  et  ce  faisant ,  crut  faire 
mie  œuvre  méritoire  aux  yeux  de  Dieu.  Cet 
acte  d'édification  se  passa  en  1619.  Pour 
peupler  la  terre  d'athées ,  on  n'aurait  qu'à 
le  répéter  souvent.  Prions  Dieu  qu'il  noua 


Mensonge  abominable  sur  Vaninî.  2o5 
donne  des  magistrats  éclairés.  L'ignorance  des 
juges  estundes  plus  grands  fléaux  delà  société. 

Après  le  supplice  de  T^anini  sa  réputa- 
tion alla  en  croissant  ;  mais  ceux  qui  ont  lu 
ses  ouvrages  sont  obligés  de  convenir  que 
cet  honnête  homme  ,  beaucoup  plus  instruit 
que  les  pédans  qui  le  dénoncèrent ,  et  que 
les  barbares  magistrats  qui  le  firent  brûler  , 
croyait  en  Dieu  ;  qu'il  adorait  cet  être  su- 
prême ,  éternel  sans  être  dans  le  temps , 
présent  par-tout  et  hors  de  tout  y  ayant  tout 
créé  et  gouvernant  tout.  Telle  était  la  foi  et 
le  langage  de  Vanlni ,  ainsi  que  celle  de 
Platon  et  à'Averoès  ses  guides.  La  foi  de 
Van'inl ,  à  la  vérité  ,  était  dégagée  de  toute 
superstition ,  et  aux  yeux  des  gens  de  bien 
il  n'en  était  que  plus  estimable. 

Quand  il  fut  mort  ,  on  crut  rendre  son, 
histoire  plus  intéressante  en  la  farcissant  de 
mensonges  et  d'absurdités.  Le  minime  Mer- 
senne  écrivit  qu'il  était  sorti  d'Italie  avec 
douze  apôtres  pour  aller  prêcher  l'athéisme. 
Ce  projet  eût  été  aussi  impraticable  qu'in- 
sensé.Il  n'en  fut  pas  moins  cru  par  ceux  qui, 
n'ayant  ni  le  temps  ni  la  force  de  rien  exa- 
miner ,  croient  toutes  les  sottises  dont  les 
frippons  cherchent  à  les  bercer. 


206  Théophile  persécuté. 

Le  jésuite  Garrasse  est  un  de  ceux  qui 
écrivirent  avec  le  plus  d'emportement  con- 
tre le  philosophe  néapolitain.  Ah!  mon  cher 
lecteur ,  si  le  temps  ne  me  pressait  pas  autant 
et  que  je  pusse  arrêter  un  moment  la  mar- 
che de  cette  histoire  déjà  trop  chargéede  faits 
obscurs,  je  me  plairais  à  vous  esquisser  le  por- 
trait de  ce  Garrasse  ,  de  cet  homme  odieux, 
et  dont  le  nom  est  devenu  une  injure  atroce. 
Je  vous  le  montrerais  comme  une  furie  im- 
placable ,  tour-à-tour  acharnée  sur  la  cen- 
dre encore  fumante  de  l'infortuné  Vanini  , 
sur  celle  du  sage  Charron  ,  let  sur  la  répu- 
tation du  malheureux  poëte  Théophile.  Ce 
jeune  homme  de  bonne  compagnie  ,  d'une 
conversation  vive  et  agréable,  fut  dénoncé 
connue  athée  parles  jésuites,  on  le  brûla  en 
effigie  ;  arrêté  au  cateleton  le  plongea  dans  la 
même  prison  où  l'on  avait  mis  Ravaillae;  on 
suborna  des  témoins  pour  le  perdre  ;  il  triom- 
pha ,  il  est  vrai  ,  de  lu  calomnie.  [Mais  les 
jésuites  ses  délateurs  restèrent  impunis.  Sa 
santé  s'usa  par  de  longs  malheurs  ,  et  il  ne 
tarda  pas  à  succomber  sous  le  poids  des  in- 
firmités qu'il  avait  contractées  dans  le 
cachot. 

Tandis  que  les  jésuites  Garrasse  ,  Guerin, 


Sottise  du  parlement.  207 
Voisin  manœuvraient  la  perte  du  pauvre 
Théophile  t  la  Sorbonne  de  son  côté  pour- 
suivait trois  eliimistes  ,  Billon  ,  Bitaut ,  et 
Cimes  ;  uniquement  coupables  d'avoir  corn-  1624. 
battu  A ris  to  te ,  de  s'être  moqués  des  formes 
substantielles  ,  et  d'avoir  admis  des  élé- 
mens  différens  de  ceux  du  philosophe  grec. 

Ces  nouveautés  furent  un  scandale  dans 
l'université  :  on  y  cria  à  l'hérésie ,  à  l'im- 
piété ,  à  l'athéisme  ,  les  suppôts  de  la  théo- 
logie en  parlaient  comme  du  renversement 
de  l'évangile.  De  Claves  fut  mandé  en  Sor- 
bonne et  là  en  sa  présence  on  y  déchira  ses 
thèses  ;  ensuite  on  présenta  requête  au  par- 
lement, qui  les  bannit  de  son  ressort.  C'était 
à-peu-près  dans  ce  temps  que  le  saint  office  , 
composé  de  juges  aussi  peu  instruits  que  ceux 
du  parlement ,  condamna  Galliléa  coupable 
d'avoir  renouvelle  l'ancien  système  plané- 
taire. 

Le  parlement  défendit  aussi  d'enseigner 
aucune  opinion  qui  ne  fût  revêtue  du  suf- 
frage de  deux  docteurs  en  théologie  ,  ou  des 
maîtres  des  autres  facultés.  La  défense  fut 
faite  sous  peine  de  mort.  Elle  était  absurde 
et  barbare  ;  si  la  philosophie  ne  l'eût  mé- 
prisée ,  nous  serions  encore  ,  grâce  au  zèle 


208 

de  la  magistrature ,  plongés  dans  les  ténèbres 
de  la  stupidité. 

Un  citoyen  philosophe  frémit  en  pensant  à 
ces  temps  malheureux  où  l'ignorance  par- 
iait hautement  et  se  croyait  en  droit  de 
parler  seule  ;  où  la  souple  et  ardente  supers* 
tition  se  cantonnait  et  se  faisait  redouter; 
où  les  gens  de  loix  étaient  ignorans ,  fana- 
tiques ,  cruels  et  despotes. 

Ces  temps  ne  sont  plus.  Bénissons  la  phi- 
losophie. 


CHAPITRE 


CHAPITRE  LVII. 

L'abbé  de  Saint-Cjran  emprisonné.  Arnaud  ,624 

chassé  de  Sorbonne  et  vengé  par  Pascal.  } 

1657. 

Sottise  du  formulaire. 

Garasse,  ce  jésuite  persécuteur  et  in- 
sensé ,  n'avait  jusqu'alors  attaqué  que  des 
hommes  morts  qu'on  prend  rarement  la 
peine  de  justifier  ,  ou  des  poètes  qui  ne 
se  vengent  que  par  des  épi  grammes  ,  ou  des  * 
philosophes  qui  d'ordinaire  n'opposent  à  la 
calomnie  que  le  mépris  et  le  silence  ;  mais 
il  osa  attaquer  des  théologiens  dans  un  livre 
qu'il  intitula  :  la  Somme  des  vérités  de  la  iCz^; 
Religion,  et  qu'on  appella  la  Somme  des 
erreurs  de  Garasse.  L'abbé  du  Verger  de 
Haurane  ,  connu  sous  le  nom  d'abbé  de  ifoj. 
St-Cyran  ,  se  disposait  à  faire  connaître  les 
inepties  de  ce  livre.  La  Sorbonne  évoqua  le 
procès  et  prononça  que  la  Somme  des  vé- 
rités de  la  Religion  était  l'ouvrage  d'un 
fourbe,  qui  falsifiait  l'écriture- sainte  ,  qui 
citait  à  faux  les  pères,  et  qui  à  la  sunpli- 
Tome  IL  O 


2io  Saînt-Cyran  emprisonné. 

cité  du  texte  sacré,  mêlait  le  jargon  d'un 

mauvais  farceur. 

L'année  suivante,  le  parlement  lit  brûler1 
un  libelle  fait  contre  le  roi  et  contre  Riche- 
lieu. Le  style  du  libelle  décela  la  main  du 
bouffon  fanatique  qui  l'avait  écrit ,  et  qui 
prétendait  que  le  pape  devait  excommunier 
çt  le  roi  et  son  ministre  pour  avoir  fait  un 
traité  d'alliance  avec  les  protestans  d'Alle- 
magne. Les  jésuites  ne  pardonnèrent  pas  au 
docteur  de  St-Cyran  d'avoir  dénoncé  l'ou- 
vrage au  parlement  ;  ils  attendirent  seule- 
ment le  teins  de  la  vengeance,  et  ce  tems  ne 
tarda  pas  à  arriver.  Ils  écrivirent  contre  les 
évêques  et  contre  la  Sorbonne.  Le  docteur 
St-Cyran  répondit  aux  jésuites  dans  un  livre 
intitulé  :  Petrns  Aurelius ,  qu'ils  étaient  des 
insolens  ,  des  brouillons  et  des  religieux  re- 
belles à  l'église. Ceux-ci,  qui  avaient  un  crédit 
auprès  du  roi ,  obtinrent  un  ordre  pour  le 
faire  enfermer  dans  le  donjon  de  Vincennes, 
où  il  resta  cinq  ans. 

Les  évêques  vengèrent  St-Cyran  en  fai- 
sant une  belle  apologie  de  son  livre  qui 
était  fort  plat.  La  Sorbonne  prit  parti  pour 
son  docteur  prisonnier  ;  elle  informa  théolo- 
giquement  contre  le  jésuite  Célot ,  qui  s'é- 


Misères  péJantcsqUcs.  ai  t 

taît  mêlé  île  traiter  de  la  hiérarchie  ecclé- 
siastique dans  un  livre  fort  ennuyeux;  mais 
l'adroit  jésuite  prévint  le  jugement  de  la 
Sorbonne  ;  il  vint  s'humilier  dans  une  de 
ses  assemblées  ,  désavouer  ses  erreurs  et 
obtenir  un  pardon. 

Ces  évéiiemens.,  je  l'avôue ,  sont  petits, 
froids  et  obscurs  :  ils  ne  méritent  guères 
d'être  rapportés  ;  mais  alors  ils  avaient  quel- 
que célébrité  :  un  vingtième  de  la  nation 
s'en  occupait  ;  ce  qui  à  nos  yeux  peut  leur 
donner  quelqu'importance,  c'est  qu'ils  ame- 
nèrent la  fameuse  querelle  du  jansénisme, 
de  cette  lèpre  dont  l'état  a  été  tourmenté 
pendant  cent  quarante  ans,  et  dont  la  philo- 
sophie l'a  entièrement  purgé  malgi'é  les  char- 
latans intéressés  à  prolonger  cette  maladie 
honteuse» 

Le  docteur  Arnaud,  jeune  mais  hardi, 
entra  dans  la  lice  ,  et  voulant  rompre  une 
lance  en  faveur  de  St-Oyran ,  son  maître 
en  théologie  ,  il  donna  le  livre  de  la  Fré- 
quente Lommuniou.  Vingt-quatre  docteurs 
de  laSorbonne  et  plusieurs  évêques  approu- 
vèrent cet  ouvrage  qui  était  la  censure  des 
jésuites,  accusés  alors  comme  ils  l'ont  été 
mille  fois  depuis  ,  de  faire  de  leurs  églises 

O  2 


212  Saint-Cyraft  allume 

des  boutiques  de  sacrilèges ,  en  achalandant 
les  confessionaux  par  une  extrême  facilité  à 
donner  l'absolution. 

Les  jésuitesrépondirentquele  docteur  Ar- 
/zazi<f  était  un  excommunié  et  un  infâme  sico- 
phante.  Le  père  Petau,  le  même  qui,  suivant 
l'expression  de  Vol  Lai  refaisait  des  hommes  à 
coupsde plume ,  écrivit  ces  étranges  paroles  : 
l'auteur  de  la  Fréquente  Communion  ne 
nous  agrée  pas  ;  il  faut  tirer  le  nœud  cou- 
lant ,  incontinent  l'étrangler  et  avec  lui 
tous  ceux  qui  l'approuvent. 

Richelieu  mourut  ,  et  Sa.int  Oyran  sortit 
de  prison.  Le  premier  usage  que  ce  doc- 
teur de  Sorbonne  fit  de  sa  liberté  ,  fut  d'al- 
lumer en  France  une  guerre  civile  ecclésias- 
tique ,  en  y  faisant  connaître  un  livre  qu'un 
évêque  d'Ypres  ,  son  ami ,  avait  fait  en  l'hon* 
neur  de  J.  C. ,  à  la  gloire  de  Sa'wt'Augustin , 
et  en  haine  des  jésuites.  Cet  évêque  était 
Jansénius  7  prêtre  parvenu  et  obscur  quoi- 
que parvenu.  Son  livre  intitulé  Augustinus 
eût  demeuré  dans  l'oubli ,  tant  il  était  mau- 
vais ,  s'il  n'eût  attaqué  les  jésuites.  Us  en 
détachèrent  quelques  propositions  qu'ils 
dénoncèrent  à  Rome.  Urbain  FUI  les  cen- 
sura ,  sans  parler  de  Jansénius.  La  Sorbonne 


la  guerre  du  jansénisme:  si 3 

fut  partagée  :  plus  de  quatre-vingt  docteurs 
condamnèrent  ces  propositions  ;  soixante 
autres  en  appellèrent  au  parlement. 

Arnaud  y  pour  le  malheur  de  la  France  , 
se  mêla  de  la  querelle  :  il  répondit  que  la 
bulle  du  pape  était  très-respectable  ,  que  la 
doctrine  qu'il  condamnait  était  affreuse  , 
mais  qu'elle  ne  parlait  pas  de  Jansénius. 

Mazarin  n'était  pas  soupçonné  de  s'amu- 
ser à  lire  des  livres  de  théologie  ;  il  était 
plus  occupé  à  se  défendre  de  la  fronde  qu'à 
lire  un  livre  qu'il  n'eût  pas  compris  ;  il  de- 
manda »ne  autre  bulle  portant  condamna- 
tion des  cinq  propositions  extraites  de  Jan- 
sénius. C'était  pour  complaire  aux  évêques  , 
dont  il  attendait  des  secours  r  qu'il  fit  cette 
demande.  Le  pape  lui  accorda  cette  con- 
damnation qui  ne  fit  qu'aigrir  les  esprits. 

Le6  ambitieux  occupèrent  bientôt  la  scène. 
Pendant  plusieurs  années  il  ne  fut  ques- 
tion que  d'intrigues  de  cour  et  d'intérêts 
politiques.  Cela  était  un  peu  plus  imposant 
que  les  querelles  des  théologiens.  Les  noms 
de  Condé  ,  de  Beaufort ,  de  Longueville  > 
de  Turenne  ,  de  Retz  ,  sonnent  un  peu  plus 
haut  que  tous  les  noms  des  jésuites  et  des 
Sorbonistes  qui  disputaient  alors. 

O  3 


2i  4  -  Guerre  du  jansénisme 

Un  parlement  qui  lève  une  armée  et  qui 
met  à  prix  la  tête  d'un  ministre  ;  un  roi  en- 
fant, fugitif  au  milieu  de  ses  états  et  man- 
quant du  nécessaire  ;  un  cardinal  qui  ,  en 
sortant  des  bras  de  sa  maîtresse  ,  va  siéger 
au  pari  dînent  un  poignard  dans  sa  poche  ; 
la  fille  de  Henri  IV  dans  la  misère  ,  et  de- 
meurant au  lit  faute  de  bois  pour  se  chauffer  ; 
mademoiselle  faisant  tirer  le  canon  de  la 
Bastille  sur  les  troupes  de  son  roi  ,  ce  sont 
là  des  objets- un  peu  plus  intéressans  que 
toutes  les  disputes  de  l'école. 

Cependant  les  ambitieux  déposèrent  leur 
vengeance  :  plusieurs  d'entr'eux  rirent  dans 
la  suite  du  ridicule  qui  avait  accompagné 
leurs  dissensions  ;  mais  les  théologiens  con- 
tinuèrent à  se  battre.  Los  guerres  de  l'am- 
bition ont  toujours  une  fin  ,  celles  de  la 
théologie  sont  interminables. 

Il  n'est  pas  indigne  du  philosophe  d'ob- 
server qu'un  prêtre  ignorant ,  nommé  Pr- 
coté ,  habitué  de  Saiut-Sulpice  ,  ralluma  la 
querelle  entre  les  théologiens.  Ce  Picoté 
refusa  l'absolution  au  duc  de  JLiàiïebttrï. 
Le  malheur  veut  que  le  pénitent  soit  aussi 
peu  instruit  que  le  confesseur  était  tyran- 
nique,  rkoté  meivxcc  de  lui  laisser  ses  pé- 


rallumée.  zv5 
chés ,  s'il  ne  chasse  de  chez  lui  l'abbé  P>our^ 
sier  de  l'académie  française,  s'il  ne  retire 
sa  petite-fille  de  Port-Royal ,  et  s'il  ne  rompt 
toute  relation  avec  les  solitaires  de  cette 
maison. 

Arnaud  y  né  avec  un  génie  impétueux  ,  24  janvier 
était  à  la  tête  de  tous  ces  savans  ;  il  était 
l'ennemi  des  jésuites  et  l'ami  du.  duc  de 
1 .iancourt.  Irrité  du  refus  qu'on  fait  d'ab- 
soudre son  amî ,  il  écrit  une  lettre  contre 
l'abbé  Picoté  son  confesseur.  Les  jésuites 
répondent  à  cette  lettre  par  des  injures  ,  et 
la  dispute  s'envenime.  Arnaud  adresse  une 
seconde  lettre  au  duc  de  Luyues  qui  entexu- 
dait  très-peu  de  théologie  et  qui  ne  connais- 
sait pas  l'abbé  Picoté. 

Convenons  que ,  si  de  nos  jours  itn  habitué 
de  Saint- Sulpice  refusait  une  absolution 
dont  on-  croirait  avoir  besoin  ,  sans  faire 
tant  de  bruit  on  s'adresserait  à  un  habitué 
de  Saint-Roch  ,  et  si  Saint-Roch  n'enten- 
dait pas  raison  ,  on  passerait  à  Saint-Ger- 
vais  ou  à  Saint  Gilles  où.  l'on  trouverait  peut- 
être  mieux  son  compte. 

Les  deux  lettres  du  docteur  Arnaud  furent 
dénomecs  à  la  Sorbonne.  Sans  prononcer 
entre  l'abbé  Picoté  qui  refusait  l'absolution 

O  4 


ai  6  Le  jeune  docteur  Arnaud 
er  le  duc  de  Lia/icourt  qui  la  demandait , 
elle  nomma  des  commissaires  pour  exami- 
ner ces  lettres ,  où  à  propos  de  cet  habitué 
qui  refusait  d'absoudre  un  seigneur  Fran- 
çais ,  .Arnaud  disait  qu'il  condamnait  avec 
le  pape  les  cinq  propositions  proscrites  , 
mais  qu'il  ne  les  avait  pas  lues  dans  Jansé- 
nius  ,  ajoutant  que  l'église  ,  infaillible  dans 
le  droit ,  ne  l'est  pas  dans  le  fait ,  et  que 
Saint-Pierre  qui  avait  renié  J.  C.  ,  après 
avoir  coupé  une  oreille  à  Malchus  ,  était 
un  juste  à  qui  la  grâce  avait  manqué. 

Deux  cents  docteurs  assemblés  régulière- 
ment enSorbonne  pendant  cinq  mois  se  tour- 
mentèrent inutilement  pour  fixer  le  sens  de 
cette  proposition.  On  permit  à  Arnaud  d'ex- 
poser son  sentiment  ;  mais  il  lui  fut  défendu 
de  disputer  contre  ceux  qui ,  en  opinant  ne 
penseraient  pas  comme  lui  :  il  les  eût  écrasés 
par  l'abondance  de  ses  argumens.  La  Sor- 
bonnè  n'avait  point  alors  et  n'a  jamais  eu 
cle  docteur  aussi  aguerri  o^x  Arnaud  dans 
les  luttes  scholastiques. 

Soixante  docteurs  combattaient  pour  Ar- 
naud -y  mais  la  multitude  était  contre  lui. 
Elle  cherchait  à  plaire  aux  jésuites  ,  alors 
en  faveur  auprès  du  cardinal  de  Mazar'm 


paraît  dans  la  lice.  217 
qui  avait  demandé  la  bulle  contre  Jansénius , 
et  qui,  animant  la  Sorbonne  contre  les  jan- 
sénistes ,  cherchait  à  se  venger  de  leur  pro- 
tecteur ,  le  cardinal  de  Retz  ,  lequel  avait 
fait  mettre  sa  tête  à  prix. 

La  coutume  qui  laissait  à  chaque  opinant 
la  liberté  de  discourir  aussi  long-tems  qu'il 
le  jugeait  à  propos ,  semblait  devoir  éterniser 
les  séances.  Chacun  voulait  se  faire  enten- 
dre en  traitant  les  matières  inintelligibles  de 
la  grâce  ,  et  cela  obligeait  d'être  long  et 
ennuyeux. 

Le  chancelier  Seguier  vint  dans  ces  as- 
semblées tumultueuses  pour  y  maintenir 
l'ordre  et  la  paix.  Quand  un  docteur  avait 
suffisamment  parlé  ,  il  lui  ordonnait  de  se 
taire  et  de  s'asseoir.  On  borna  à  une  demi- 
heure  le  tems  que  chaque  docteur  mettrait 
à  s'expliquer.  On  mit  en  conséquence  un 
sa'blier  devant  le  syndic.  Ce  tems  est  très-rai- 
sonnable. Celui  qui  en  une  demi-heure  ne 
s'explique  pas  clairement  ne  se  ferait  pas 
entendre  en  pariant  pendant  dix  ans. 

Cet  usage  du  sablier  devait  être  adopté 
dans  toutes  les  grandes  compagnies.  On  y 
perdrait  moins  de  tems  à  pérorer  sous  le 
vain  prétexte  d'éclaircir  des  matières  qui 


21 3  Arnaud  condamné. 

d'elles-mêmes  sont  claires  ou  qui  sont  d'une 
jiature  à  ne  jamais  l'être.  Pas cal  appellait 
l'usage  du  sablier  une  règle  pour  les  igno- 
rons. Avec  plus  de  raison  on  pourrait  l'ap- 
peller  un  bâillon  pour  les  bavards  ,  qui  sont 
le  fléau  le  plus  redoutable  des  grandes  as- 
semblées. 

La  Sorbonne  dérogea  encore  à  l'usage 
qui  n'admettait  de  chaque  ordre  mendi.mt 
que  deux  docteurs  pour  opiner.  On  en  ad- 
mit quarante  ,  et  ce  nombre  justifia  ce  qu'un 
plaisant  disait  alors  :  nous  fej-ons  venir  tant 
do  moines  qne  nous.  V emporterons  bien. 

On  l'emporta  en  effet.  Arnaud  iut  déclaré 
hérétique  et  retranché  de  la  Sorbonne  ;  c'é- 
tait pourtant  le  théologie»  qui  lui  faisait  le 
plus  d'honneur.  Il  n'avait  répété  que  ce  que 
Saint-Augustin  avait  écrit  mille  ans  avant 
lui.  Dieu,  dit-il ,  pour  montrer  que  sans  la 
grâce  on  ne  peut  rien  ,  a  laissé  Saint-Vicrre 
sans  grâce.  Cette  proposition/devint  hérétique 
en  Fiance  après  avoir  été  orthodoxe  en 
Affrique. 

Dans  le  monde ,  Arnaud  eût  pu  êsre  un 
grand  homme  d'état  ;  on  le  destina  à  la  prê- 
trise pour  en  faire  un  ovêque,  et  il  ne  fut 
guère  qu'un  homme  de  parti.  La  nature 


Arnaud  vengé  par  Pascal.  219 
forma  peB  d'hommes  d'un  esprit  aussi  juste  et 
aussi  infatigable*  S'il  n'eût  jamais  connu  la 
théologie  et  s'il  n'eût  écouté  que  sa  seule  rai- 
son ,  il  eût  pu  par  l'ascendant  de  son  génie 
c\o\\iiweyJ)\n  /e;  aussi  grand  dialecticien  que 
ce  philosophe,  mais  écrivain  plus  correct  et 
plus  énergique.  On  met  Arnaud  dans  le 
petit  nombre  de  ceux  qui  ont  un  peu  éclai- 
ré la  société  ,  mais  on  est  aussi  forcé  de  le 
pincer  parmi  ceux  qui  l'ont  troublée.  S'il 
É  1  al  jamais  écrit  que  pour  perfectionner  la 
langue  française  ,  la  science  du  calcul  et 
l'art  de  raisonner,  il  eût  eu  pendant  sa  vie 
moins  de  célébrité,  mais  aussi  plus  de  ce 
repos  qui  est  peut-être  préférable  à  la  célé- 
brité, et  il  jouirait  aujourd'hui  d'une  plus 
grande  gloire. 

Ce  fut  au  bruit  des  bons  mots  de  Pascal 
que  la  Sorbonne  condamna  Arnaud.  C'est 
à  après  lui  qne  dans  toutes  les  sociétés  on 
repétait  à  l'unvi,  qu'en  Sorbonne  il  était 
pins  facile  de  censurer  que  de  répondre,  et 
qu'il  avait  été  plus  aisé  de  trouver  des  moi- 
res que  des  raisons.  Ses  lettres  provinciales 
eurent  cela  de  bon ,  qu'elles  firent  rire  ,  qu'el- 
les instruisirent  et  qu'elles  furent  le  modèle 
cl  un  langage  pur  et  précis.  Fascalne  fut  à  la 


sîo  Pascal ,  génie  sublime. 

vérité  que  le  metteur-en-œuvre.  Les  solitaires 
de  Port-Royal  lui  fournissaient  les  maté- 
riaux ,  mais  la  façon  qu'il  leur  donnait  était 
bien  au-dessus  de  la  matière  première. 

Après  avoir  couvert  la  Sorbonne  de  ridi- 
cules dans  ses  premières  lettr  es,  Pascal  tom- 
ba sur  les  jésuites  dont  les  partisans  avaient 
élevé  dans  la  faculté  de  théologie  l'orage  qui 
fondit  sur  Arnaud.  Ils  lui  répondirent  pas 
line  multitude  d'écrits  pour  lui  prouver 
qu'il  était  un  bouff  on  ,  un  ignorant  possédé 
d'une  légion  de  diables  ;  que  ses  souffleurs 
étaient  les  portes  de  l'enfer  et  les  pontifes  de 
satan.  Ils  firent  plus  :  ils  firent  condamner 
en  Sorbonne  les  lettres  de  Pascal  que  Nicola- 
avait  traduites  en  latin. 

Le  temps  qui  a  détruit  les  jésuites  et  creusé 
la  tombe  où  la  raison  va  faire  descendre  la 
Sorbonne  ,  laisse  encore  subsister  les  lettres 
de  Pascal  comme  un  monument  d'éloquence, 
de  force  et  de  plaisanteries.  Ce  n'est  pas  qu'on 
puisse  toujours  approuver  sa  doctrine;  elle 
est  souvent  celle  d'un  rêveur  sinistre  qui  ne 
voit  que  des  péchés  dans  toutes  les  actions 
des  hommes  ,  et  des  damnés  dans  tous  ceux 
qui  n'ont  point  entendu  parler  de  la  Judée. 
Plaignons-le  d'avoir  ployé  son  génie  au^ 


Pascal ,  esprit  malade.  azi 
opinions  de  quelques  hommes  vertueux  , 
mais  sombres  et  entêtés.  Ce  fut  un  grand 
malheur  pour  sa  gloire  de  ne  vivre  qu'avec 
des  théologiens  qui  lui  noircirent  l'imagi- 
nation. Ce  fut  à  leur  école  ,  quittait  celle 
de  la  plus  auslère  misanthropie  ,  qu'il  apprit 
que  l'être  éternel ,  le  père  de  tous  les  hom- 
mes ,  n'est  pas  le  Dieu  de  tous  les  hommes. 
Après  sa  mort  on  trouva  dans  la  doublure 
de  son  habit  un  morceau  de  parchemin 
roulé  ,  sur  lequel  il  avait  écrit  les  paroles 
suivantes  :  Dieu  d' Abraham,  Dieu  dlsaac, 
Dieu  de  Jacob  ,  et  non  des  Philosophes.  Il 
portait  sur  lui  ce  morceau  de  papier  par 
superstition,  comme  un  Turc  porte  une 
amulette  pour  gagner  le  ciel. 

On  ne  peut  refuser  à  Pascal  la  gloire  d'a- 
voir eu  un  des  plus  beaux  génies  qui  aient 
jamais  existé  ;  mais  en  voyant  sa  papillote 
de  parchemin ,  on  est  forcé  de  convenir  que 
son  esprit  était  très-faible. 

Quoi  !  mon  cher  Biaise  ,  vous  avez  cru  que 
l'être  éternel  était  le  Dieu  de  Jacob  qui  t 
ainsi  que  cela  était  arrangé  dans  les  adora- 
bles desseins  de  la  providence ,  escamota  à 
son  iière  le  droit  d'aînesse  pour  un  plat  de 
lcntilles;leDieuâ?'ZKzac,  qui  faisait  paître  des 


22,2  Mauvaise  foi  ^Arnaud, 
brebis,  des  chèvres  et  des  ânes  dans  les 
déserts  de  l'Arabie  Pétrée  ;  et  vous  ne  voulez 
pas  qu'il  ait  été  le  Dieu  de  Confucius ,  de 
Socrate  ,  de  Platon ,  de  Mallebranclte ,  de 
Descartes,  de  Bayle  ,  de  Locke ,  de  tôus 
ces  hommes  dont  Dieu  lui-même  s'est,  servi 
pour  perfectionner  l'intelligence  de  leurs 
semblables.  Quoi  !  il  ne  serait  pas  le  dieu  du 
philosope  Neirton  qui ,  comme  vous  ,  eut 
un  profond  génie  et  un  très-petit  esprit. 

Vous  voulez  que  cet  être  éternel  soit  le 
dieu  de  vos  amis  les  théologiens  qui,  en  par- 
lant de  paix ,  de  foi  et  de  charité ,  boulever- 
saient la  société  civile ,  et  vous  ne  voulez 
pas  qu'il  soit  le  dieu  des  philosophes  qui  ont 
vécu  paisibles  au  milieu  de  cette  société  , 
qui  l'ont  éclairée  par  leurs  écrits  ,  qui  en 
l'éclairant  l'ont  empêchée  de  s'égorger  pour 
d'absurdes  enthymêmes ,  pour  de  misérables 
vétilles  scholastiques  ! 

Revenons  au  docteur  Arnaud,  que  laSor- 
bonne  rejettade  son  sein,  et  écoutons-le  un 
moment:  «  je  condamne,  disoit-il,  l'hérésie 
s»  que  l'église  condamne,  mais  je  ne  l'ai  point 
»  vue  dans  Jansénius,  et  j  e  défie  de  me  la  mon- 
»  trer^î.  En  faisant  ce  défi,  \e.à.oç,\e.\xx  Arnaud 
•n'était  pas  ,  ce  semble ,  de  bonne  foi.  Dans 
le  livre  de  Jansènius  nous  ayons  lu  en  1er- 


Sottise  du  formulaire.  223 
mes  formels ,  les  deux  propositions  suivantes: 
Un  y  a  rien  de  plus  fondamental  qu'il  y  a 
certains  commandemens  impossibles  aux 

infidèles  et  aux  justes  (a).   J.  C.  n'est 

point  mort  pour  tous  les  hommes  (bj.  La  Sor- 
bonne  en  les  lui  montrant  l'eût  réduit  au 
silence  ;  elle  aima  mieux  le  tourmenter  que 
de  le  confondre. 

Arnaud  était  plus  raisonnable  en  soute-  Formulai 
nant  que  Rome  ,  infaillible  dans  le  dogme  , 
ne  l'est  pas  dans  le  fait  ;  mais  les  jésuites 
alors  devenus  ,  à  l'aide  de  la  Sorbonne  , 
les  apôtres  de  cette  infaillibilité  ,  voulurent 
forcer  Arnaud  et  son  parti  dans  les  derniers 
retrancliemens  en  leur  faisant  signer  une 
profession  de  foi  :  on  dressa  un  formulaire  qui 
portait  que  les  cinq  propositions  proscrites  à 
Rome  étaient  dans  Jansénius  et  condamnées 
dans  le  sens  de  l'auteur.  On'  promit  des 
récompenses  à  ceux  qui  le  signeraient.  On  le 
porta  en  Sorbonne  où  il  fut  presqu'unani- 
mement  souscrit.  On  l'envoya  ensuite  à  Port- 
Royal  des  Champs ,  où  les  jansénistes  étaient 
cantonnés  :  ils  le  rejettèrent  avec  horreur. 


(a)  Auvusùnus ,  édition  de  Paris ,  tome  III.  pag.  138,' 

(b )  Id.  pag.  i6j. 


224  Projet  de  Bourg-Fontaine . 
On  la  présenta  aux  religieuses  les  pénitentes. 
C'était  une  grande  absurdité  de  vouloir  l'aire 
condamner  par  des  fîlles  françaises  un  livre 
écrit  en  latin.  Elles  aimèrent  mieux  obéir 
à  leurs  confesseurs  qu'aux  émissaires  des 
jésuites.  On  eut  beau  leur  dire  que  la  S  or- 
bonne  l'avait  signé  ;  leur  entêtement  déplut 
à  la  Cour  3  et  on  les  dispersa  ainsi  que  les 
solitaires  et  leurs  disci  >les". 

Ces  vierges  n'opposèrent  à  la  persécution 
qu'une  profonde  résignation.  Les  jésuites  , 
les  plus  forts  en  Cour  et  enSorbonne,  étaieat 
battus  dans  les  champs  de  la  raison  et  de 
la  plaisanterie  ;  pour  se  défendre  ils  eurent 
recours  à  la  calomnie.  Ils  publièrent  que 
le  but  des  jansénistes  était  d'anéantir  la 
religion  chrétienne.  L'histoire  de  ce  com- 
pl  ot  fut  donné  sous  le  nom  de  projet  du  bourg- 
Fontaine.  Suivant  ce  projet  les  chefs  de  la 
confédération  s  étaient  assemblés  en  162.1 
dans  ce  village.  Ces  chefs  étaient  Jansénius , 
le  docteur  Sain  t-^ra/z,l'évêqiie  du  iWifey,  le 
docteur  Jmaud;  à  chaque  confédéré  on  assi- 
gna un  objetd'attaque.  L'un  devait  dirigerses 
coups  contre  J.  C.  et  contre  le  mystère  de  la 
-grâce  ;  l'autre  contre  l'église  et  le  pape. 
Celui-ci  devait  travailler  à  la  destruction 

du 


Jésuites  calomniateurs  et  calomniés.  %iS 
du  Sacrement  de  l'eucharistie  ,  et  celui-là  à 
l'anéantissement  des  religieux.  Quelques  té- 
moins subornés  appuyèrent  cette  fable  ;  elle 
fut  crue  par  la  reine  et  par  des  courtisans 
que  les  jésuites  confessaient ,  mais  elle  ren- 
dit les  jésuites  exécrables  dans  le  monde. 

Les  jansénistes  repoussèrent  cette  calom- 
nie affreuse  par  d'autres  calomnies  non 
moins  affreuses.  Ils  inondèrent  l'Europe 
d'un  déluge  de  libelles ,  pour  prouver  que  les 
jésuites  avaientformé  le  complot  de  détruire 
la  morale  ,  qu'ils  n'allaient  dans  les  Indes  et 
la  Chine  que  pour  s'enrichir  ,  se  faire  por- 
ter sur  des  palanquins  ,  et  pour  prêcher  l'i-j 
dolatrieet  l'athéisme. 

Arrêtons-nous  et  apprenons  à  nos  lecteurs 
que  pendant  cent  trente  ans  nos  théologiens 
français  se  sont  querellés ,  calomniés  et 
persécutés  cruellement  à  propos  d'un  ou 
deux  passages  sur  la  grâce ,  et  cela  parce 
que  ,  dans  la  dispute,  chaque  parti  s'est  servi 
des  termes  que  l'autre  parti  réprouvait;  et 
qu'à  ces  termes  ,  qui  ne  sont  ni  dans  l'évan- 
gile ni  dans  l'écriture  sainte  ,  les  uns  don- 
naient un  sens  que  les  autres  ne  voulaient 
pas  admettre. 

Un  ami  de  Pascal  disait  en  i656  :  je 
-Terne  II.  P 


22.6  Dispute faute  de  s  entendre, 
voudrais  que  la  Sorbonne  ,  qui  doit  tant 
à  la  mémoire  du  cardinal  de  Riche- 
lieu,  voulût  reconnaître  la  jurisdiction  de 
l'académie  franc  aise.  Cet  ami  avait  raison. 
Ce  tribunal,  s'il  eût  été  aussi  éclairé  qu'il  l'a 
été  dans  notre  siècle  ,  aurait  commencé  ou 
par  proscrire  les  mots  sur  lesquels  on  dis- 
putait ,  ou  par  en  fixer  le  sens. 

L'académie  française  eût  d'abord  fait  ap- 
porter, en  présence  de  la  Sorbonne  ,  le  livra 
de  Jansenius  ,  et  eût  convaincu  de  mau- 
vaise foi  les  deux  partis  qui  s'agitaient ,  e6 
qui  par  contre-coup  troublaient  la  paix  du 
royaume.  Elle  eût  montré  aux  jansénistes 
les  deux  propositions  que  nous  avons  déjà 
rapportées,  et  eût  fait  voir  aux  jésuites  qu'ils 
avaient  arrangé  les  autres  trois  proposi- 
tions condamnées  ;  elle  eût  dit  aux  uns 
et  aux  autres  :  Mazarin  ,  qui  dénonça  Vau- 
gustin  de  Pévêque  d' Ypres  ,  ne  l'avait  pas 
lu  parce  qu'il  n'avait  pas  le  temps  de 
lire;  le  pape,  qui  le  condamna,  ne  l'avait 
pas  lu  ,  parce  qu'il  avait  encore  moins  de 
temps  :  ne  parlons  donc  plus  de  ce  livre 
puisqu'il  vous  fait  battre  ,  qu'il  entretient 
Yotre  animosité  ,  et  qu'en  outre  il  est  fort 
ennuyeux. 


Mystères  et  scandales.  227 
Le  secrétaire  de  l'académie  eût  ensuite 
fait  un  petit  sermon  'aux  théologiens  pour 
leur  apprendre  que  les  mistères  de  la  grâce 
et  autres  mistères  doivent  être  des  objets  de 
silence  et  d'adoration,  et  non  1  aliment  des 
querelles  humaines.  Il  leur  eût  appris  que  tour 
tes  ces  expressions  de  pouvoir' prochain  ,  de 
pouvoir  éloigné  y  de  concours  concomitant , 
de  science  moyenne  ,  de  grâce  excitante  > 
de  grâce  suffisante  ,  de  grâce  prévenante  > 
de  grâce  versatille ,  de  grâce  efficace  ,  de 
grâce  victorieuse  ,  de  grâce  congrue  ,  xi3 
sont  que  des  signaux  de  ralliement  pour 
préparer  les  oisifs  à  des  guerres  scandaleu- 
ses ,  et  pour  troubler  le  repos  des  imbé- 
cilles  qui  veulent  se  mêler  du  combat. 

Ce  secrétaire  eût  encore  enseigné  aux 
théologiens  que  tout  est  grâce  de  la  part  de 
Dieu  ;  que  dans  son  principe ,  cette  grâce  est 
Une  ,  et  que  suivant  les  diverses  occurrences 
de  la  vie  ,  on  peut  sans  se  quereller  lui  don- 
ner diverses  dénomtaa  ions. 

L'intérêtde  lasociété  demande  une  bonne 
morale  ,  et  point  de  ces  dogmes  qui  sont  des 
sujets  de  disputes  et  de  haines.  Si  elle  en  a 
qui  soient  reconnus  pour  être  divins,  il  faut 
qu'on  les  respecte  assez  pour  n'en  point 

P  % 


$2,8  Mystères  et  scandales, 

parler ,  ou  du  moins  pour  n'en  pas  disputer, 
crainte  d'en  affaiblir  la  croyance  ,  et  de  les 
exposer,  après  avoir  affaibli  cette  croyance, 
au  mépris  et  à  la  dérision. 

La  tranquillité  des  citoyens  demande  sur- 
tout de  proscrire  les  formulaires  de  foi , 
qui  ne  font  que  des  fourbes  et  des  hypo- 
crites ,  et  qui  ont  toujours  été  des  prétextes 
de  persécution.  Crainte  d'assurer  le  men- 
songe y  disait  saint  Augustin  ,  ne  jurez-pas  , 
et  quand  père  Augustin  ne  l'aurait  pas  dit  , 
cela  n'en  serait  pas  moins  vrai. 


CHAPITRE  LVIII. 

Alexandre  VII  condamne  la  Sorbonne.  La 
parlement  condamne  Alexandre  VII. 

La  querelle  qni  s'éleva  entre  le  pape  et  le& 
théologiens  français  était  très-grave  :  il  s'a- 
gissait de  bonnes  mœurs  et  de  l'indépen- 
dance des  rois.  La  Sorbonne  n'aguêre  s& 
prêtant  à  toutes  les  manœuvres  des  jésuites, 
et  à  la  vengeance  de  Mazarin ,  avait  con- 
damné le  docteur  Arnaud,  et  persécuté  ses 
partisans.  Après  la  mort  de  Mazarin,  la  plu- 
part des  amis  dC  Arnaud  revinrent  en  Sor- 
bonne ,  et  y  firent  proscrire  deux  livres  plus" 
dangereux  certainement  que  les  rêves  deJan- 
senius ,  sur  la  grâce  et  la  liberté  de  l'homme. 
L'un  de  ces  livres  était  la  Défense- de- N.  S., 
P.  le  pape,  et  de  V  emploi  des  religieux  me  ra- 
dians. Ce  livre  était  un  monument  élevé  art 
despotisme  pontifical,  par  un  jésuite  ,  sous  le 
nom  de  V ornant.  L'infaillibilité  du  pape  et  sa; 
suprématie  sur  les  conciles  ,  sorvaîent  de- 
base  à  l'édifice  ;  le  pouvoir  de  l'épiscopaK 
était  anéanti  ,  et  tôt  ou  tard  l'évêqoe 

P  & 


%3Q  Doctrine  abominable 

Rome  devait }  avec  le  seul  secours  des  reli- 
gieux ses  émissaires  ,  gouverner  les  rois  et 
les  peuples.  Nous  devons  obéir ,  disait  le 
jésuite,  pag.  120,  à  ce  que  commande  le  pape 
jan s  demander  raison  de  ce  qu'il  fait  et  de 
ce  qu'il  ordonne  }  croyantpour  certain  qu'il 
ne  peut  nous  tromper,  ni  être  trompé. 
1664  Cet  ouvrage  dénoncé  à  la  Sorbonne,  y 
6  1  "iai*  fut  flétri  et  méritait  de  l'être;  mais  à  peine 
les  théologiens  eurent-ils  donné  cette  preuve 
de  courage  et  de  patriotisme ,  qu'il  parut  un 
autre  livre  sur  le  Probabilisme  :  il  était  du 
jésuite  Moya  ,  espagnol  et  confesseur  de 
Marie  -  ytnne  d'Autriche.  Le  livre  que  la 
£  or!  lonne  avait  flétri  sapait  les  fondemens 
du  trône  ;  celui  de  Moya  ruinait  tous  les 
principes  de  la  morale  ,  et  convertissait  la 
société  civile  en  une  espèce  de  coupe-gorge. 
Le  confesseur  de  la  reine  Anne  d' AuLriciie 
prétendait  qu'il  est  permis  de  donner  un 
coup  de  couteau  à  celui  qui  nous  dit  des 
injures,  ét  de  le  tuer  en  cachette  si  on  ne  le 
peut  autrement  ;  qu'un  père  peut ,  en  cons- 
cience ,  poignarder  sa  fille  dans  les  bras  de 
son  amant;  qu'un  juge  peut.,  en  certaines 
circonstances,  vendre  sa  sentence  comme  un 
ççclésiasticrue  son  bénéfice. 


du  jésuite  Moya.  i3t 
Le  théologien  Moya  traitait  aussi  fort  au 
long  des  plaisirs  des  maris  et  de  ceux  des 
amans  :  il  examinait  avec  scrupule  quelles 
sont  les  attitudes  de  la  volupté  qui  sont 
péchés  mortels  ,  et  celles  qui  ne  sont  que 
fautes  vénielles  ;  quels  sont,  dans  les  plaisirs 
des  sens.,  les  rafinemens  qui  peuvent  être  per- 
mis ,  et  ceux  qui  doivent  être  prohibés. 

Plusieurs  théologiens  avaient  approuvé  la 
doctrine  de  Moya.  La  S  or  bonne  les  somma 
de  comparaître  devant  elle  ;  ils  furent  exclus 
de  ses  délibérations  ;  et ,  sans  entrer  dans 
aucun  détail ,  elle  condamna  le  livre  du  con- 
fesseur de  la  reine ,  comme  digne  d'être  en* 
seveli  dans  un  silence  éternel. 

Les  jugemens  de  la  Sorbonne  indisposé-  , 
rent  Alexandre  VII  ;  il  envoya  un  bref  à  a6 
Louis  XIV  y  le  louant  adroitement  de  son 
zèle  à  persécuter  les  jansénistes  ,  et  l'invi- 
tant à  ne  pas  émousser  la  pointe  du  couteau, 
qu'il  leur  tenait  sur  la  gorge.  Nollet 
gladii  eorum  jugido  instantis  aciem  adeà 
importuné  retundi.  Ce  pape  finissait  par  de- 
mander à  Louis  XIV  la  suppression  des 
jugemens  que  la  Sorbonne  avait  portés  con- 
tre les  livres  de  Vemant  et  de  Moya;re* 
gardant  ces  jugemens  comme  injurieux  au 


Le  pape  condamne  Ja  Sorbonne. 
gaint  siège.  Le  nonce  &  Alexandre  VII  se 
rendit  en  Sorbonne ,  et  ne  pouvant  obtenir 
cette  suppression ,  il  s'emporta  jusqu'à  dire 
qu'il  faisait  autant  de  cas  des  décrets  de  la 
Sorbonne  que  des  nouvelles  de  la  gazette. 

Ce  propos  était  insolent  ;  mais  le  bref 
&  Alexandre  VII  était  un  outrage  fait  à  la 
raison.  On  le  dénonça  au  parlement  ;  il  fut 
arrêté  ,  dans  une  assemblée  des  chambres  , 
que  Louis  XIV  ne  pouvait  donner  satis- 
faction au  pape  sans  compromettre  les  droits 
de  la  France, et  que  la  Sorbonne,  loin  d'être 
blâmée ,  devrait  être  puissamment  excitée  de 
persévérer  dans  ses  sentimens. 

Le  réquisitoire  de  l'avocat  général  Talon. 
eut  cela  de  bon  ,  c'est  qu'il  passa  en  revue 
ia plupart  des  excès  de  Rome,  et  qu'en  ci- 
tant tous  les  papes  qui  avaient  erré  dans  la 
foi  et  dans  la  morale  ,  il  coulait  à  fonds  la 
cliimère  toujours  renaissante  de  l'iniailli- 
bilité. 

Alexandre  VU  >  mécontent  de  Louis 
XIV  et  du  parlement ,  condamna  les  deux 
censures  de  la  Sorbonne  ,  prononçant  par 
sa  bulle  une  exeomunication  majeure  con- 
tre ceux  qui  oseraient  s'en  déclarer  les  dé- 
fenseurs ,  menaçant  de  la  colère  de  Dieuetv 


Moines  mandes  au  parlement. 
de  l'indignation  de  saint  Pierre  et  de  saint 
Paul  tons  ceux  qni  n'obéiraient  pas  à  la 
plénitude  de  sa  puissance. 

Le  parlement  respectant,  comme  on  le  29  juillet 
doit,  saint  Pierre  et  sârint  Paul ,  et  se  mo- 
quant, comme  cela  peut  être  permis  quel- 
quefois, de  l'excomunication  du  pape,  pros- 
crivit sa  bulle,  et  maintint  la  Sorbonne  dans 
le  droit  de  veiller  aux  droits  de  la  couronne 
et  à  la  pureté  des  mœurs.  Les  supérieurs 
des  quatre  ordres  mendians  ,  ceux  des  ber- 
nardins, les  principaux  jésuites  furent  man- 
dés à  la  barre  du  parlement  ,  et  il  leur  fut 
enjoint  de  ne  rien  enseigner  de  tout  ce  que 
la  Sorbonne  avait  censuré. 

On  fit  plus.  Le  parlement  envoya  deux 
commissaires  en  Sorbonne  pour  faire  trans- 
crire son  arrêt  sur  ses  délibérations.  Du 
H  aidai ,  substitut  du  procureur- général  sou 
père  ,  fit  un  discours  aussi  éloquent  que 
savant ,  pour  montrer  l'absurdité  et  le  dan- 
ger de  la  bulle  &  Alexandre  VII  ;  ce  dis- 
cours était  d'autaut  plus  nécessaire  que  la 
bulle  avait  allarmé  beaucoup  de  théologiens  , 
que  plusieurs  s'étaient  retirés  des  assemblées 
où  l'on  rédigea  les  censures  portées  contre 
les  jésuites  Ventant  et  Maya  ,  et  qu'il  y 


2,3  4  M\ oînes  mandés  au parlement. 
avait  encore  en  Sorbonne  des  partisans  dé- 
clarés &  Alexandre  VII,  de  son  infaillibilité 
et  de  son  audace.  Bossuct  disait,  en  parlant 
de  ce  pape,  que  sa  bulle  n'était  propre 
qu'à  couvrir  l'église  d'ojprobre  et  d infa- 
mie. 


235 


CHAPITRE  LIX. 

Querelle  de  la  maison  de  Sorbonne  avec  les 
comédiens. 

XjA  Sorbonne  jouit  d'un  moment  de  gloire  : 
elle  ns  répara  pas  tous  ses  torts  ,  mais  elle 
les  fit  oublier  pendant  quelque  tems.  Sa  fer- 
meté contre  le  pape  la  mit  en  faveur  ,  et  le 
monarque  lui  offrit  la  conduite  du  collège 
Mazai  in  :  en  l'acceptant,  elle  demanda  l'éloi- 
gnementdes  comédiens  qui  avaient  leur  tl  éâ> 
tre  ,  rue  Guénégaud  ,  auprès  de  ce  collège. 
Cette  demande  souffrit  de  grandes  difficultés 
en  cour.  Molière  y  avait  de  puissans  pro- 
tecteurs ,  et  les  jésuites  ,  mécontens  de  la 
Sorbonne  ,  les  y  appuyaient  de  tout  leur  cré- 
dit et  de  toutes  leurs  intrigues.  La  Sorbonne 
l'emporta  ;  et  Molière  ,  malgré  les  conseils 
de  ses  amis  qui  le  poussaient  à  se  venger  de 
la  Sorbonne  ,  fut  assez  sage  pour  ne  rien 
hasarder  sur  son  théâtre  qui  pût  déplaire  à 
la  théologie. 

La  troupe  de  Molière  fut  long-tems  dana 
l'embarras  de  trouver  un  emplacement. 


Querelle  avec  les  comédiens. 
Presque  tous  les  curés  étaient  jansénistes  , 
en  haine  du  confesseur  du  roi  ,  et  par  con- 
séquent ennemi  des  comédiens  et  des  jésui- 
tes leurs  protecteurs.  Aucun  d'eux  n'en  vou- 
lait sur  sa  paroisse. 

Les  comédiens  achetèrent  l'hôtel  de  Sour- 
dis  ,  près  le  Louvre  ;  mais  le  curé  de  Saint- 
txermain-rAuxerrois  ,  qui  pensait  que  les  co- 
médiens étaient  réprouvés ,  en  parla  au  roi  ; 
et  Jtfolièrc  fut  obligé  de  chercher  un  autre 
emplacement.  Un  autre  curé  Féloigna  de 
son  église  ,  en  disant  que  ses  paroissiens, 
ayant  un  spectacle  à  leur  portée  ,  ne  vien- 
draient plus  à  vêpres. 

Point  de  curé  alors  dans  Paris  qui  ne  fût 
docteur  de  Sorbonne  ,  et  qui ,  pour  se  dé- 
faire des  comédiens  ,  ne  citât  l'évangile. 
A  Athènes  et  dans  toutes  les  villes  de  l'Asie 
mineure  il  y  avait  des  théâtres.  Saint-7W/ 
annonça  l'évangile  dans  ces  villes  ,  et  ne 
prêcha  jamais  contre  les  théâtres. 

Ce  chapitre  est  peu  de  chose  :  c'est  assez 
de  ce  que  nous  avons  dit  ;  passons  à  Des- 
cartes, 


23f 


CHAPITRE  LX. 

De  Descartes  et  de  la  condamnation  de  set 
doctrine  en  Sorbonne. 

Ce  philosophe  ,  le  premier  en  France  , 
nous  apprit  à  faire  usage  de  notre  raison  : 
on  connaît  tous  ses  manèges  pour  engager 
la  Sorbonne  dans  ses  intérêts.  Rien  ne  fut 
négligé  pour  se  la  rendre  favorable  et  pour 
s'assurer  du  suffrage  de  la  plupart  des  théo- 
logiens :  il  fit  remettre  à  plusieurs  d'entr'eux. 
un  exemplaire  de  sonliyredes  méditations  ; 
ensuite  il  offrit  de  dédier  cet  ouvrage  à  la 
Sorbonne.  C'était  une  puérilité  de  sa  part  ; 
mais  cela  prouve  la  crainte  qu'il  avait  de  ses 
censures.  Le  père  Mersenne  fut  chargé  de 
négocier  l'offrande  de  cette  dédicace.  Quel-, 
que  bon  droit  qu'on  ait  ,  lui  écrivait- il  # 
on  ne  laisse  pas  d 'avoir  besoin  d'amis. 

Dans  une  des  lettres  de  Descartes  à  un 
docteur  de  Sorbonne ,  on  lit  ces  paroles  : 
c'est  la  cause  de  Dieu  que  j'ai  entrepris 
de  défendre  :  j'espère  beaucoup  de  vous  , 
fant  par  votre  conseil  que  par  votre  faveur  ^ 


2.38  Opinions  de  Descartss 

en  me  procurant  des  juges  favorables  et  en. 

vous  mettant  du  Jiombre. 

La  Sorbonne  sentit  le  piège  que  lui  ten- 
dait le  philosophe.  Soumise  à  Aristote,  elle 
craignit  qu'en  adoptant  la  doctrine  àeDes- 
cartes  y  on  n'innovut  dans  la  foi  ;  elle  crai- 
gnit que  l'esprit,  s'accoutumant  à  raisonner, 
ne  voulût  plus  se  rendre  qu'à  l'évidence. 
Telles  furent  les  considérations  qui  l'empê- 
chèrent d'agréer  la  dédicace  des  médita- 
tions. Descartes  s'en  consola,  en  disant  que 
les  meilleurs  esprits  de  la  Sorbonne  pen- 
saient comme  lui  ,  et  qu'il  préférait  le  juge- 
ment du  jeune  docteur  Arnaud  à  celui  des 
anciens. 

Cependant  les  cajoleries  que  Descartes 
prodigua  à  plusieurs  théologiens  lui  valu- 
rent des  amis  en  Sorbonne  ;  et  c'est  à  ces 
émis  qu'il  dut  la  paix  où  la  Sorbonne  le 
laissa ,  quand  d'imbécilles  théologiens  hol- 
landais s'élevaient  contre  lui  ,  accusant  sa 
doctrine  d'athéisme  ;  quand  l'inquisition 
romaine  ,  après  avoir  mis  cette  doctrine  à 
l'index  expurgatoire  ,  la  frappait  d'un  dé- 
cret. 

Descartes  n'était  plus  ,  et  ses  opinions 
faisaient  de  grands  progrès  en  Europe. 


condamnées  en  Sobonne.'  23ç> 
Malebranche  en  défendait  quelques-unes 
avec  la  force  et  l'éloquence  du  génie  ,  et 
dans  la  suite  FonteneUe  en  orna  ses  romans. 

Aristote,  après  avoir  eu  l'empire  dans  nos 
écoles ,  tombait  dans  le  discrédit.  La  théo- 
logie s'en  allarma.  On  parla  à  Louis  XIV 
du  danger  des  opinions  de  Descartes  ;  et 
ce  roi ,  que  l'ambition  et  les  gens  à  préjugés 
gouvernaient  ,  crut  ce  danger  fort  réel  ; 
l'archevêque  de  Paris  reçut  ordie  de  sa  part 
de  faire  assembler  les  facultés  de  l'univer- 
sité pour  examiner  la  doctrine  de  Descar- 
tes :  au  nombre  des  propositions  pros- 
crites ,  on  trouve  les  deux  vérités  sui- 
vantes. 

Il  faut  se  défaire  de  tout  préjugé ,  et 
douter  de  tout  avant  de  s' assurer  d' aucune 
connaissance. 

En  philosophie  il  ne faut pas  se  mettre  en 
peine  des  conséquences  qu'une  opinion  peut 
avoir  pour  la  foi  :  nonobstant  ces  conséquen- 
ces ,  il  faut  s'y  arrêter  si  elle  semble  évi- 
dente. 

Deux  ans  après  que  l'université  eût  pros- 
crit ces  deux  vérités  ,  la  Sorbonnc  crut  qu'il 
était  de  son  devoir  de  ne  pas  rester  muette \ 
elle  les  proscrivit  à  son  tour,  Elle  fit  plus  : 


a4° 

à  l'anathême  dont  elle  les  frappa  elle 
joignit  la  défense  de  s'éloigner  de  la  doc- 
trine iïAristote.  C'est  ce  qu'elle  avait  décidé 
soixante  et  dix  ans  avant  cette  époque  , 
c'est-à-dire  ,  lorsqu'après  avoir  condamné  , 
en  1624  y  les  opinions  de  BiLlon ,  de  Bitaud 
et  de  Claves  ,  elle  fit  lacérer  au  milieu  de 
la  salle  de  ses  exercices  leurs  ^thèses  en 
présence  de  ce  dernier. 


CHAPITRE 


Ml 


CHAPITRE  LXI. 

De  Marie  Agreda  et  de  ses  visions  proscrites  1696; 
en  Sorbonne. 

On  peut  blâmer  la  Sorbonne  d'avoir  con- 
damné, dans  Descartes  y  des  opinions  que  les 
esprits  sensés  regardent  aujourd'hui  comme 
des  vérités;  mais  on  doit  la  louer  d'avoir 
frappé  de  ses  censures  les  visions  de  Marie 
Agreda  :  peut-être  eût-il  encore  mieux  valu 
les  livrer  à  la  dérision  qu'à  une  improba- 
tion  théologique. 

Cette  visionaire  s'appellait  Coroncl ;  elle 
étoit  d'Agreda ,  petite  ville  d'Espagne  qui 
avoisine  le  pays  de  Sainte-Thérèse ,  célèbre 
dans  le  catalogue  des  prephétesses  ,  par  ses 
extases  et  par  la  réforme  des  carmes ,  après 
l'avoir  été  dans  sa  jeunesse  par  ses  galan- 
teries. 

On  ne  peut  nier  que  les  parens  de  Marie 
Co roncin  eussent  le  cerveau  un  peu  timbré, 
et  la  fille  tenait  beaucoup  de  ses  parens.  Le 
pere  et  les  deux  frères  de  Ivlarie  se  .firent 
Tome  II.  Q 


Famille  de  Marie  Agreda. 
moines  de  Saint-François  par  ordre  de  Dieu, 
qui,  comme  personne  n'en  doute  ,  et  avant 
qu'il  eût  perfectionné  notre  raison ,  avait 
une  grande  prédilection  pour  les  religieux 
de  cet  institut.  Le  même  ordre  fut  donné  à 
la  mere  et  à  la  sœur  de  Marie ,  de  se  faire 
religieuses.  La  maison  paternelle  fut  ainsi 
convertie  en  un  couvent  consacré  à  l'im- 
maculée conception. 

Marie,  comme  la  plus  sensée,  fut  choisie , 
en  162.7,  Pour  en  être  abesse  ;  et  J.  C.  de 
son  côté  la  choisit  pour  écrire  la  vie  de  la 
sainte-vierge  sa  mere  :  ce  fut  pendant  qu'elle 
dormait  qu'elle  en  reçut  les  ordres  ;  mais 
elle  y  résista  long-tems  ,  et  ce  ne  fut  qu'après 
d'itératives  révélations  et  de  l'exprès  com- 
mandement de  son  confesseur  ,  qu'elle  se 
décida  à  écrire  les  faits ,  gestes ,  dons  et  pri- 
vilèges de  la  sainte  vierge. 

Tout  ce  que  les  é van gelistes  nous  en  ont 
dit  se  réduit  à  trois  ou  quatre  pages.  Marie 
d 'Agreda ,pour  suppléer  au  silence  des  évan- 
gelistes  ,  en  écrivit  huit  volumes.  Ce  supplé- 
ment ,  quant  à  la  longueur  ,  était  fort  rai- 
sonnable ,  et  quant  au  fonds  ,  fort  édifiant. 

Un  dévot  ne  peut  en  effet  qu'être  très- 
édifié  de  lire  et  d'apprendre  que  la  sainte 


Roman  sur  la  sainte  Vierge.  %fô 
vierge,  ati  moment  de  sa  naissance,  fut  trans- 
portée dafts  le  ciel  empiré  ,  qui  ,  probable- 
ment est  un  peu  au-dessus  de  celui  ou  Saint- 
Paul  voyagea  dans  une  de  ses  extases.  Un 
détachement  de  neuf  cents  esprits  fut  com- 
mandé pour  la  garder.  Douze  de  ces  esprits, 
sous  la  figure  de  beaux  garçons  ,  comme  des 
pages  d'élite  et  de  confiance  ,  faisaient  au- 
près d'elle  le  service  ordinaire.  Dix -huit 
tirés  de  la  légion  des  chérubins  furent  char- 
gés des  ambassades.  Pour  la  promptitude 
des  dépêches  et  la  commodité  des  messagers, 
on  arebouta  contre  la  voûte  céleste  l'échelle 
de  Jacob.  Saint-Michel  fut  mis  à  la  tête  des 
domestiques  emplumés  pour  veiller  au  ser- 
vice. Il  était  surintendant  du  palais  de  la 
reine  ,  et  il  n'y  eut  jamais  au  monde  de 
maison  de  reine  aussi  bien  administrée. 

Marie  Agreda  ,  son  fidèle  historien  ,  dé- 
crit ensuite  les  aventures  qui  arrivèrent  à  la 
sainte  vierge  dans  le  sein  de  sainte-^/z/z<?  ; 
la  belle  conversation  qu'elle  eut  avec  Dieu 
à  l'âge  de  dix-huit  mois  ;  elle  nous  donne 
un  détail  très-circonstancié  des  dons,  grâces  , 
prérogatives  et  grandeurs  de  la  sainte  vierge , 
de  la  puissance  qu'elle  a  de  créer  les  rois  et 
de  les  détrôner  ,  le  tout  fondé  sur  l'avantage 

Q  ? 


ï44       ^es  folies  de  Marïe  Agreclâ 
qu'elle  eut  d'être  immaculée  en  sa  concept 
tion. 

Tant  "de  mistères  ineffables  ,  depuis  dix- 
sept  cents  ans  que  la  sainte  vierge  était  mon- 
tée au  ciel ,  n'avaient  point  encore  été  ré- 
vélés à  personne.  L'honneur  de  leur  mani- 
festation était  réservé  à  l'abbesse  à'Agreda, 
mais  qui  ne  les  divulgua  que  poussée  par  la 
force  de  la  vérité. 

Cette  fille ,  comme  on  peut  «n  juger  par 
ce  que  nous  venons  d'en  dire  ,  était  rempli© 
de  ce  même  esprit  dont  était  enivrée  Sainte- 
Thérèse  sa  contemporaine  ,  et  dont  dans 
d'autres  tems  furent  enivrées  en  France  , 
et  la  Guion  qui  épousa  J.  C.  et  qui  était 
enceinte  du  saint-esprit ,  et  la  Bourignon  , 
en  Flandres ,  et  tant  d'autres  filles  à  exta- 
ses et  à  prophéties  ,  mais  qui  n'ont  été  célè- 
bres que  dans  leurs  rues  et  ches  leurs  voi- 
sines. 

Les  mystiques  impertinences  de  Marie 
Agreda  ,  qu'elle  avait  intitulées  :  mystique 
eité  de  Dieu  ,  histoire  divine  ,  firent  un© 
fortune  étonnante  en  Espagne  ou  la  cha- 
leur exalte  infiniment  l'imagination  du 
sexe. 

A  Salamanque ,  les  théologiens  parlaient 


font  fortune  en  Espagne.  n/fi 
fle  Marie  Agreda  comme  d'une  sainte. 
A  Rome  on  travaillait  à  la  canoniser.  En 
France  un  récolct  s'occupait  à  donner  de  la 
vogue  aux  visions  de  Marie  :  il  en  avait 
déjà  traduit  une  grande  partie  ;  mais  sa 
traduction  ,  quoiqu'imparfaite  ,  fut  dénon- 
cée à  la  Sorbonne  qui  employa  trente-neuf 
6eances  pour  examiner  l'affaire  de  cette  fille 
Espagnole.  On  conviendra  qu'il  eût  été  pos- 
sible de  mieux  employer  son  tems. 

Trois  évêques  poussés  par  les  Domini- 
cains ,  ennemis  déclarés  de  l'immaculée 
conception  ,  poursuivaient  secrettement  la 
condamnation  de  Marie  Agreda.  D'autres 
évêques,  appuyés  en  Sorbonne  par  les  corde- 
liers  ,  combattaient  pour  elle  :  on  les  sur- 
nomma les  Agredins.  L'un  de  ses  défenseurs 
en  appella  au  saint- père.  Deux  conseillers 
au  parlement ,  les  abbés  Mas  et  Bos ,  et  qui 
avaient  l'honneur  d'être  docteurs  en  théolo- 
gie ,  protestèrent  de  nullité  contre  la  cen- 
sure (m'en  devait  faire  la  Sorbonne. 

On  remarquera  que  les  visions  à' Agreda 
divisaient  la  Sorbonne  et  partageaient  l'épis- 
copat  dans  le  tems  même  que  Bossuet  et 
F enelon  étaient  aux  prises  pour  la  Guion  9 

Q3 


2.46     Visions  ûPAgreda  condamnées. 
autre  espèce  de  folle  qu'on  venait  de  ren- 
fermer dans  le  donjon  de  Vincennes. 

Malgré  l'appel  des  évêques  Agredins  et 
la  protestation  des  conseillers  théologiens  , 
les  visions  de  Marie  Agreda  furent  pros- 
crites par  un  décret  de  la  Sorbonne  :  elles 
l'étaient  déjà  par  les  gens  sensés. 

Les  Agredins  se  vengèrent  par  des  bro- 
chures remplies  d'injures  contre  ceux  qui 
avaient  minuté  la  censure.  Ils  les  accusè- 
rent d'avoir  vendu  leur  suffrage  à  quelques 
ambitieux  pour  avoir  des  bénéfices. 

Ce  qui  est  très-vrai ,  c'est  que  les  assem- 
blées en  Sorbonne,  au  sujet  de  Marie  Agreda, 
furent  très-orageuses  ;  que  les  deux  partis 
s'injurièrent  grossièrement  ,  et  qu'au  rap- 
port d'un  écrivain  de  ces  teins  là  ,  ils  criaient 
de  telle  manière  qu'il  semblait  qu'on  fdt 
dans  une  halle. 

Mais  il  est  encore  vrai  que  le  bruit  n'em- 
pêche pas  la  vérité  de  se  faire  connaître. 
Le  saint-esprit  ,  le  jour  de  la  pentecôte  , 
s'annonça  aux  apôtres  par  un  grand  bruit. 
Etfactus  est  repentè  de  cœlo  sonus. 


*47 

CHAPITRE  LXII. 

Les  récolets  et  les  Hurons  au  tribunal  de  la 
Sorbonne. 

Les  récolets  ,  vers  la  fin  du  siècle  dernier , 
furent  les  premiers  apôtres  du  Canada.  Ils 
s'établirent  à  l'endroit  même  où  est  aujour- 
d'hui Québec  ;  de-là  ils  pénétrèrent  chez  les 
Hurons  ,  et  s'y  formèrent  quelques  cabanes. 
Avec  du  tems  ,  de  la  patience  ,  de  l'eau  de 
vie  et  du  vermillon  ,  ils  parvinrent  à  gagner 
la  confiance  de  ces  sauvages  ,  comme  avec 
des  dragées  on  gagne  l'amitié  des  enf'ans. 

Ce  n'était  pas  là  le  plus  difficile  :  il  fallait 
encore  les  instruire.  Les  récolets  travaillè- 
rent en  vain  à  leur  mettre  dang  la  tête  les 
idées  confuses  et  métaphysiques  de  notre 
catéchisme.  Quels  succès  pouvaient  en 
effet  avoir  les  leçons  de  ces  missionnaires , 
quel  que  fut  leur  zèle  ,  sur  l'esprit  d'un  peu- 
ple dont  la  mémoire  est  affaiblie  par  l'humi- 
dité du  climat  ,  et  qui  pour  vivre  ,  forcé 
d'être  chasseur  et  pêcheur^  est  constamment 
distrait  par  les  longs  exercices  d'une  vie 

Q4 


2.48  Faible  intelligence 

errante  f  Des  sauvages  dont  l'idiome  est  en- 
tièrement dépourvu  de  mors  propres  à  expri- 
mer des  idées  ,  pouvaient -ils  se  contenter 
d'un  langage  qui  ne  porte  dans  l'imagina- 
tion aucune  image  f 

Les  enfans  chez  nous,  dit-on  ,  se  payent 
de  mots  :  cela  est  vrai;  mais  c'est  parce  qu'ils 
sont  des  enfans  ,  c'est  parce  qu'on  les  y  ac- 
coutume en  sortant  du  b.erceau  ;  c'est  parce 
qu'ensuite  nous  les  forçons  à  croire  sur  pa- 
role un  catéchiste  qui ,  au  milieu  d'une 
église  ,  leur  parle  avec  l'autorité  d'un  maître 
et  d'un  délégué  de  Dieu  pour  les  instruire. 

Il  n'en  est  pas  de  même  des  sauvages  ;  un 
missionnaire  ne  les  force  pas  de  croire  sur  pa- 
role ,  comme  on  y  foi  ce  des  enfans;  d'ailleurs 
les  idées  échappent  de  iamémoire  des  Hurons, 
à  mesure  qu'on  les  y  verse.  Ajoutons  qu'ils 
n'ont  pas  ,  comme  nos  enfans  ,  le  tems  d'é- 
couter leurs  instructeurs,  parce  que  le  besoin 
de  pourvoir  à  leur  nourriture  les  force  sou- 
ventd'alltr  chercher  leurs  provisions  à  quel- 
ques centaines  de  lieues  de  leur  tribu. 

Je  pense  bien  qu'on  peut  apprendre  à  un 
Iroquois  qu'il  y  a  un  Dieu ,  c'est-à-dire  ,  un 
grand  être  qui  gouverne  le  monde  ;  qu'il 


des  H urons  '.  a4<) 
fest  en  nous  une  ame  ,  c'est-à-dire  ,  un  petit 
être  qui  meut  et  régit  notre  corps  à-peu-près 
comme  un  horloger  monte  et  régit  une  pen- 
dule. Ce  grand  et  ce  petit  être  peuvent  for- 
mer dans  l'imagination  d'un  Canadien  1  em- 
preinte plus  ou  moins  grossière  d'une  image 
quelconque. 

On  peut  encore  lui  apprendre  et  faire 
croire  qu'une  première  femme  mangea  une 
pomme  défendue  ;  mais  l'embarras  est  de 
lui  mettre  dans  la  tête,  avant  de  le  baptiser, 
que  trois  ne  font  qu'un  ,  que  dans  la  trinité 
trois  personnes  ne  font  qu'un  seul  Dieu  , 
que  la  gourmandise  &E\  e  imprima  une  tache 
à  son  ame  ainsi  qu'à  l'ame  de  ses  en  fans  ; 
que  cette  tache,  si  on  ne  l'efface  ,  a  damné 
ses  arrières  petit-fils  jusqu'à  la  millième  géné- 
ration ;  qu'avec  une  eau  bénite  et  quelques 
paroles  on  lève  cette  tache ,  comme  avec  une 
eau  savoneuse  on  lève  de  grosses  taches  sur 
un  linge  très-sale. 

Ii  est  probable  que  les  récolets  parvinrent 
à  faire  répéter  quelques  mots  de  ces  mys- 
tères aux  Hurons  ,  à-peu-près  comme  nous 
les  faisons  redire  à  nos  enfansquiles  répè- 
tent sans  y  rien  entendre  ,  et  qui  ,  dans  un 


i.5o  Hurons  baptisés. 

âge  avancé  sont  étonnés  de  ne  pouvoir  le» 
concevoir  malgré  beaucoup  de  lumières  ac- 
quises. 

Cependant  lesrécolets  hasardèrent  quelques 
baptême»  :  cela  ne  réussit  pas.  Il  eût  fallu,  ce 
semble,  avant  tout,  conférer  aux  sauvages  le 
sacrement  de  confirmation  qui  donne  l'in- 
telligence ,  quoiqu'il  y  ait  dans  l'Europe 
chrétienne  une  infinité  de  personnes  con- 
firmées et  qui  sont  sans  intelligence. 

Ce  n'est  pas  l'usage  ,  me  dira-t-on ,  de 
conférer  ce  sacrement  le  premier.  D'ailleurs, 
l'évèque  seul  a  le  droit  de  le  conférer  ,  et  il 
n'y  avait  point  encore  d'évêques  parmi  les 
sauvages  de  la  Huronie.  Etant  les  succes- 
seurs des  apôtres  ,  ce  serait  bien  aux  évê- 
ques  à  aller  annoncer  l'évangile  ;  mais  de- 
puis que  de  pauvres  prêcheurs  ils  sont 
devenus  en  l'église  chrétienne  des  princes 
magnifiques ,  ils  se  sont  reposés  des  soins 
de  leur  apostolat  sur  ceux  qui  ont  voulu  en 
prendre  la  peine. 

Les  récolets  et  les  Hurons  s'ennuyaient 
réciproquement,les  premiers  de  ne  point  être 
entendus  ,  et  les  autres  dm  ne  point  enten- 
dre leurs  instructeurs.  Lesrécolets  consultè- 
rent la  Sorbonne  sur  l'espèce  d'impossibilité 


Mensonges  des  jésuites.  2.5l 
d'instruire  ces  sauvages.  Son  tribunal  de 
conscience  répondit  que  pour  être  admis  au 
sacrement  de  baptême  ,  il  fallait  au  moins 
la  connaissance  implicite  de  ce  qu'on  reçoit. 

Les  récolets  appellèrent  à  leur  secours  le« 
jésuites,  qui  alors  remplissaient  le  monde 
chrétien  de  leurs  relations  mensongères  ; 
il  n'était  question  que  des  miracles  qu'ils 
faisaient  et  des  conversions  qu'ils  opéraient. 
Cette  mal-adresse  desrécolets  leur  coûta  cher; 
car  la  première  manœuvre  des  hommes  apos- 
toliques qu'ils  avaient  appellés  dans  la  Hu- 
ronie  pour  les  aider  à  défricher  la  vigne  du 
seigneur,  fut  de  commencer  par  s'emparer  de 
leurs  habitations.  Ensuite  ils  publièrent  qne 
les  sauvages  du  Canada  étaient  susceptibles 
Je  toute  instruction;  mais  que  les  récolets 
s'y  prenaient  mal ,  qu'ils  étaient  de  mauvais 
convertisseurs  ;  enfin,  que  les  Hurons  avaient 
plus  d'esprit  que  leurs  apôtres. 

Lauson  ,  président  de  la  compagnie  du 
commerce  du  Canada  ,  servait  les  jésuites  , 
qui  à  leur  tour  le  servaient  de  tout  leur  cré- 
dit en  cour.  Jl  ordonna  aux  récolets ,  sous 
des  peines  très-rigoureuses,  de  sortir  du  pays. 
Sur  leur  refus  ,  il  leur  intenta  un  procès 


â5z  Espèce  humaine 

qu'ils  perdirent.    Ils  furent  condamnés  à 

ne  plus  rentrer  dans  le  Canada. 

Louis XI r,  tour-à-tour  trompé  parles  fem« 
mes  ,  par  les  prêtres  et  par  les  partisans ,  ne 
tarda  pas  à  être  félicité  d'avoir  converti  les 
Canadins  par  le  ministère  des  jésuites  ;  mais 
bientôt  les  cris  de  messieurs  des  missions 
étrangères  se  joignirent  aux  plaintes  des 
récolets contre  les  jésuites  ;  ils  furent,  ainsi 
que  les  Hurons  ,  cités  au  tribunal  de  la  Sor- 
bonne  :  il  y  fut  question  de  savoir  si  uni 
jésuite  missionnaire  pouvait  baptiser  un 
néophyte  qui ,  pour  un  verre  d'eau-de-vie 
ou  pour  une  pincée  de  vermillon  ,  consenti- 
rait à  se  laisser  verser  sur  la  tête  un  verre 
d'eau  froide. 

La  Sorbonne  avait  déjà  jugé  cette  cause 
sur  le  rapport  des  récolets  :  elle  prononça 
de  nouveau  qu'un  Américain  qui  n'aurait 
pas  autant  de  connoissance  qu'il  en  faut 
pour  comprendre  ce  qu'il  fait,  ne  pouvait 
être  baptisé.  Les  jésuites  annonçaient  des 
conversions  qu'ils  faisaient  dans  ces  pays. 
Ce  qui  est  vrai ,  c'est  qu'aujourd'hui  il  ne 
reste  presque  pas  de  traces  de  ces  préten- 
dues conversions. 

Rapportons  -  nous  en  à  M.  de  Pair  qui 


dégradée  en  Amérique'*  253 
BOUS  a  appris  que  l'espèce  humaine 
était  en  Amérique  par -tout  dégradée  ,  et 
il  l'a  prouvé  victorieusement.  Quarante 
ans  après  la  découverte  de  l'Amérique,  quel- 
ques Européens  étaient  tellement  frappés 
de  l'imbécillité  de  ces  peuples ,  qu'ils  dou- 
taient qu'ils  fussent  des  hommes.  Dans  leur 
doute  ,  ils  consultèrent  le  pape  Paul  III , 
qui  répondit  :  nous  déclarons  qu'on  doit  les 
regarder  comme  des  hommes.  Ut  pote  verè 
homines  Indos  eœistere  decernimus. 

Nous  venons  de  voir  au  tribunal  de  la  Sor- 
bonne  Descartes  ,  Marie  Jgreda  3  les  réco- 
lets  et  les  Huions.  Voyons-y  encore  les  Chi- 
nois et  les  jésuites. 


254 


CHAPITRE  LXIII. 

Les  jésuites  et  les  Chinois  condamnés  en 
Sorbonne . 

1700.  Les  querelles  des  théologiens  sur  la  grâce 
efficace  etsur  la  grâce  versatille  en  firent  naî> 
tre  en  Sorbonne  une  sur  les  rites  Chinois. 
Cette  nouvelle  contestation  ne  fut  ni  moins 
aigre,  ni  moins  frivole  ,  mais  beaucoup  plus 
ridicule.  On  disputait  depuis  long  -  temps 
pour  savoir  comment  Dieu  agit  sur  la  créa- 
ture ;  on  voulut  encore  savoir  comment  les 
Chinois  adorent  Dieu  ,  quelle  est  leur  inten- 
'  tion  ,  soit  en  invoquant  le  ciel ,  soit  en  brû- 
lant des  parfuns  devant  les  images  de  Con- 
fusius  ,  et  devant  celles  de  leurs  ancêtres. 

Le  jésuite  le  Comte,  qui  avait  demeuré 
parmi  eux  ,  dit  dans  ses  mémoires  ,  que  la 
Chine  avait  sacrifié  dans  le  plus  ancien 
temple  de  l'Univers  }  cvaelle  avait  consené 
plus  de  deux  mille  ans  la  connaissance  du 
vrai  Dieu  ;  truelle  l'avait  honoré  d'une  ma- 
nière qui  peut  servir  d'exemple  aux  cl/ré- 


Calomnie  de  la  Soj-bonne.  2.55 
tiens  ,  enfin  quelle  pratiquait  une  morale 
aussi  pure  que  sa  religion  ,  tandis  que  l'Eu- 
rope était  encore  dans  l'erreur  et  la  cor- 
ruption. 

Le  père  le  Comte  fondait  cet  éloge  sur  la 
connaissance  qu'il  avait  de  la  langue  et  des 
annales  de  cet  empire  ,  ainsi  que  sur  les 
éclipses  que  ses  confrères  avaient  examinés 
et  calculés.  Il  s'agissait  de  savoir  si  ce  jé- 
suite et  ses  confrères  ,  dont  il  était  1  organe , 
connaissaient  bien  cette  religion  des  Chi- 
nois avec  lesquels  ils  avaient  vécu  pendant 
cent  ans  ;  s'ils  avaient  bien  lu  leurs  annales  , 
bien  calculé  les  éclipses  ;  enfin  s'ils  ne  se 
trompaient  pas  en  parlant  de  son  antiquité, 
de  son  culte  et  de  ses  vertus. 

En  Sorbonne  où  l'on  ne  sait  pas  tin  mot 
de  Chinois  ,  où  la  multitude  des  docteurs 
ignore  les  premiers  élémens  de  la  géomé- 
trie et  de  l'astronomie ,  on  prétendit  que 
les  jésuites  avaient  mal  vu  et  mal  calculé 
dans  la  Chine  ,  qu'ils  n'allaient  pas  dans  ces 
contrées  opulentes  pour  annoncer  Jésus 
crucifié  ,  mais  pour  s'y  enrichir  ,  se  faire 
mandarins, permettre  l'idolâtrie  etl'athéisme. 
Ces  deux  derniers  griefs  renfermaient  une 
contradiction  monstrueuse. 


2,56       Jésuites  dénoncés  en  Sorboitnel 

Le  docteur  Boileau  et  ie  docteur  Prioua* 
dénoncèrent  à  la  Sorbonne  les  mémoires  dit 
père  le  Comte,  et  l'histoiie  du  dernier  édit 
de  l'empereur,  par  le  père  Go  bien.  On 
nomma  des  commissaires.  L'abbé  Boileau, 
qui  avait  fait  la  dénomination ,  fut  un  des 
examinateurs.  C'étaitun  vieillard  hargneux  , 
d'une  imagination  caustique  et  bouftbne. 
Il  cherchait  à  se  venger  des  jésuites  qui 
avaient  fait  une  critique  fort  amère  de  l'un 
de  ses  ouvrages.  On  connaît  le  livre  singu- 
lier de  ce  théologien  sur  les  attouchemens 
impudiques ,  et  son  histoire  encore  plus  sin- 
gulière des  flagellans ,  ouvrages  qu'il  compo- 
sait, dit  il ,  en  latin  de  peur  que  les  éveques 
ne  les  lussent  et  ne  les  censurassent.  Ils  sont 
écrits  du  ton  d'une  farce  des  boulevards  , 
et  faits  ,  disait-on  ,  pour  être  placés  dans  la 
bibliothèque  d'un  mousquetaire  entre  Pé- 
trone et  Lucien.  On  appellait  ce  docteur 
lepetit Flagellant;  etle  judicieux  Despréauaz 
6on  frère ,  disait  de  lui ,  que  s'il  n'eût  pas  été 
docteur  de  Sorbonne  ,  il  eût  été  docteur  de 
îa  comédie  italienne. 

Ce  fut  ce  docteur  Boileau  qui  ,  au  nom 
des  commissaires ,  fit  le  rapport  des  deux 
jésuites  le  Comte  et  Gobien.  Voici,  en  peu 

de 


Discussion  sur  les  Chinois.  z5y 
de  mots  ce  qu'il  dit  ,  et  ce  que  les  autres 
docteurs  ajoutèrent  à  son  avis. 

Il  commença  par  déclarer  que  les  opi- 
nions du  père  le  Comte ,  sur  les  Chinois  , 
avaient  ébranlé  son  cerveau  chrétien.  Cet 
ébranlement  était  vraisemblable,  et  proba- 
blement durait  encore  lorsqu'il  dit  que  les 
Chinois  étaientdes  magiciens,  des pélagiens , 
et  des  Athées  ,  vivant  sans  sacrement  ,  et 
■dont  le  premier  principe  ,  s'ils  en  connais- 
sent un,  n'est  que  l'objet  de  leur  philoso- 
phie et  non  de  leur  religion  ,  objectum  phi- 
losophiae  ,  non  reïïgionis.  Il  parla  ensuite 
comme  d'une  chose  abominable  ,  de  la 
morale  de  Confucius  ;    et  après  quelques 
mauvaises  plaisanteries  sur  les  maîtresses, 
tle  ce  philosophe  ,  il  ajouta  que  les  jésuites, 
ces  hommes  nouveaux  qui  nourrissaient  le 
roi  de  leur  malice  et  de  leurs  mensonges  , 
au  lieu  de  venir  nous  entretenir  de  la  reli- 
gion des  Chinois  ,  auraient  dû  leur  apporter 
la  nôtre. 

La  plupart  des  docteurs  qui  opinèrent 
après  l'abbé  Boileau  ,  ne  dirent  rien  de 
moins  sensé.  Un  nommé  Dupin  prétendit 
que  si  le  père  le  Comtea.Yait  raison  ,  J.  C.  au- 
rait dû  naître  à  la  Chine  ,  et  conclut  que  le» 

Tome  U-  § 


258  Dhc7!ss;icn  en  Sorbonnc 
Chinois  étaien  t  des  idolâtres  qui  sacrifiaient 
au  ciel  in  rotundo  et  à  la  terre  in  piano» 
Le  docteur  Chaussemerd  dit ,  ou  que  les 
jésuites  avaient  tort  ou  que  Dieu  était  men- 
teur et  J.  C.  inutile.  L'avis  de  M.  le  Sage 
fut  d'envoyer  à  la  Chine  douze  docteurs  des 
plus  robustes  ,  pour  aller  voir  par  eux-mê- 
mes  si  l'empereur  et  les  lettrés  étaient  Athées. 
Cet  avis  était  très-sage ,  mais  ayant  oublié  de 
dire  aux  frais  de  qui  se  ferait  le  voyage  , 
la  députation  n'eut  pas  lieu. 

Le  curé  de  Gonesse  ,  docteur  ubiquiste  , 
Êoutint  que  les  jésuites  étaient  des  renards  , 
et  qu'il  fallait  les  exterminer  pour  leur  em- 
pêcher de  ravager  la  vigne  du  seigneur. 
On  lui  répondit  qu'il  convenait  peu  à  un 
curé  de  Gonesse  d'insulter  les  religieux  de 
la  compagnie  de  Jésus.  Condamnons-les  ,  lui 
dit-on ,  s'ils  ont  tort ,  mais  ne  les  outrageons 
pas. 

Le  docteur  Imbert  dit  aux  adversaires  des 
jésuites  ,  que  puisqu'ils  n'avaient  pas  le  cou- 
rage d'aller  convertir  les  Chinois,  ils  ne  de- 
vaient pas  persécuter  ceux  qui  y  allaient. 
Le  docteur  Berbise  ajouta  que  le  symbole 
fie  la  Trinité  se  trouvait  dans  la  philosophie 
des  Clûn^Ls ,  et  que  le  général  des  Génové», 


snr  la  religion  des  Chinois.  2.5<) 
faim  avait  imprimé ,  avec  l'approbation  de 
trois  docteurs  ,  les  mêmes  vérités  qu'on  vou-" 
lait  condamner  dans  le  père  le  Comte.  Cela 
était  vrai  :  mais  on  fit  entendre  à  M.  Berbise 
que  ce  n'était  point  à  MM.  de  Sainte-Gene- 
viève ,  mais  aux  jésuites  qu'on  en  voulait. 
En  Sorbonne  ,  comme  dans  d'autres  compa- 
gnies ,  c'est ,  comme  on  voit ,  l'intérêt  qui 
condamne  ou  qui  absout. 

L'opinion  chi  docteur  Février  mérite  d'ê- 
tre citée  ;  nous  la  rapporterons  donc,  ainsi 
que  les  honnêtetés  qui  s'en  suivirent.  «  Les 
»  hommes  ,  dit-il ,  aiment  naturellement  h 
n  monter  comme  les  poissons  qui  passent 
»  de  la  mer  dans  les  lleuvcs.  "  Les  ènfà&s*  de 
>ï  Noé ,  en  suivant  la  zone  tempérée  ,  ont 
*>  donc  dû  aller  tout  droit  à  la  Chine  ». 
Et  M.  Février  sortant  alors  une  carte  de1 
l'Asie  ,  montra  avec  le  doigt  la  route  que 
les  enfans  de  Noé  avaient  tenue. 

Un  docteur  interrompit  le  sage  maître 
Février  ,  et  lui  reprocha  de  comparer  les 
hommes  aux  poissons.  Celui-ci  répond  que 
Dieu  envoyé  les  hommes  aux  beies  pouf 
s'instruire.  Alors  le  syndic  se  lève  et  prie" 
les  sages  maîtres  de  ne  rien  dire  qui  ne  soit 
digne  de  la  compagnie.  Le  docteur  Février' 

R  3 


2,6o  Discussion  enSorbonnel 

réplique  que  ce  qu'il  dit  est  du  sage  Salo- 
mon ,  et  que  Salomon  vaut  bien  un  syndic 
de  Sorbonne. 

Le  docteur  Chaussemevd  prend  la  parole 
et  montre  coanbien  il  est  indigne  d'envoyer 
des  docteurs  aux  bêtes.  Cette  école  ,  répond 
le  préopinant,  est  préférable  à  l'école  des 
dominicains.  Ayant  ainsi  fermé  la  bouche 
à  tous  les  contradicteurs  ,  il  continua  son 
discours ,  soutenant  que  les  enfans  de  Semy 
ayant  fondé  le  royaume  de  la  Chine  ,  y 
avaient  porté  la  religion  de  Noé;  car,ajou- 
ta-t-il,  pourquoi  ne  l'y  auraient- ils  pas  porté 
quare  non  detu  lissent?  et  prie  l'assemblée  de 
répondre  à  cet  argument  :  respondetead hoc? 

C'est  en  mil-sept-cent  qu'on  raisonn  ait  ainsi 
en  Sorbonne  ;  on  peut ,  d'après  ces  raison- 
nements et  ces  saillies,  juger  de  ce  qu'étaient 
ces  assemblées  de  docteurs  qui  jugeaient 
les  jésuites  et  les  Chinois  :  elles  ne  furent 
jamais  composées  de  moins  de  quatre- vingt 
opinans.  Enfin  les  mémoires  du  pere  ls 
Comte  furent  proscrits  ,  et  le  culte  des  Chi- 
nois ,  qui  vivent  à  trois  mille  lieues  de  la 
rue  Saint-Jacques,  fut  déclaré  idolâtre. 

La  Sorbonne ,  après  avoir  jugé  les  jésuites 
çt  les  Chinois ,  les  déf  ra  à  Rome ,  qui  prit  le 
parti  d'envoyer  à  la  Chine  deux  députés , 


sur  la  religion  des  Chinois.  261 
pour  voir  par  eux-mêmes  comment  on  y 
adorait  Dieu  ,  et  comment  les  enfans  y  ho- 
noraient leurs  ancêtres. 

Ces  deux  députes  étaient  ennemis  des 
jésuites  ;  l'un  était  un  docteur  de  Sorbonne  , 
prêtre  des  missions  étrangères  ,  et  l'ami  de 
Boileau  qui  avait  dénoncé  le  pere  le  Comte. 
Le  pape  donna  à  l'un  des  deux  le  titre  d'ê- 
vêque  de  Conon  ;  l'empereur  instruit  qu'il 
y  avoit  un  évêque  dans  son  empire ,  le  fît 
comparaître  devant  lui  ;  cet  évêque  ne  sa- 
vait que  très-médiocrement  la  langue  des 
Chinois  ;  il  eut  la  mal-adroite  politique  ù& 
soutenir  à  cet  empereur  que  lui  et  ses  peuples 
étaient  Athées.  Mais  l'empereur  qui  étoit 
bon  ,  se  contenta  dé  l'envoyer  à  Canton. 

La  Chine  ire  peut  guère  convenir 
aux  théologiens.  C'est  en  quelque  façon 
l'empire  des  philosophes.  Us  y  sont  tout 
et  les  théologiens  n'y  sont  rien  :  on 
y  laisse  en  paix  les  bonzes  qui  ,  pour 
vivre  ,  enseignent  à  la  lie  du  peuple,, 
les  fables  de  Laokium.  et  l'histoire  mer- 
veilleuse de  Foé.  Le  gouvernement  ne 
s'y  occupe  que  des  progrès  de  la  verra.  S'il 
s'y  occupait  autant  des  progrès  de  la  ral*- 
soîi-,  il  détruirait  les  bonzes  qui  sont  une 
R  3 


2-62  Les  Do/nmicains 

vermine  qui  s'attache  au  bas  peuple  et 
l'appauvrit.  Ils  n'y  sont  probablement  ni  am- 
bitieux, ni  insolens,  ni  intolérans.  Voilà 
ce  qui  leur  assure  le  repos  et  prolonge 
leur  existence. 

Il  est  évident  que  les  jésuites  ne  furent 
que  tolérés  à  la  Chine,  qu'ils  ne  furent  re- 
çus dans  le  palais  de  l'empereur  que  parce 
qu'on  les  prenait  pour  des  philosophes. 
lit  ecl ,  liai,  Marthi-Martinius  yVcrreyra  > 
Gerbillon  ,  IVerhiest  ne  se  donnaient  guère 
d'autre  titre  que  celui  de  philosophes.  Ils 
étaient  tolérans  parce  qu'ils  avoient  besoin 
qu'on  les  tolérât. 

L'ordre  de  Sa.ïnt-Domînique  ,  en  voyant 
qu'on  y  portait  les  jésuites  sur  des  pa- 
lanquins dorés,  qu'on  les  élevait  aux  man- 
darinats ,  qu'ils  étaient  accueillis  de  l'empe- 
reur, y  dépêcha  une  colonie  de  ses  religieux; 
■mais  ils  voulurent  faire  les  théologiens  et 
médire  des  jésuites,  regardés  comme  phi- 
losophes. L'empereur  les  somma  de  paraître 
devant  lui  pour  les  examiner  s'ils  savaient 
le  chinois  ,  et  s'ils  étaient  philosophes.  Ils 
osèrent  désobéir  à  l'empereur  ,  et  eurent  la 
démence,  pour  justifier  cette  désobéissance, 
de  citer  la  bulle  in  cœna  domiiù  et  l'exira,- 


chasses  de  la  Chine.  263 
vagante  Super  gentes  qui  défend  aux 
chrétiens ,  quand  il  est  question  de  Dieu  , 
d'obéir  aux  puissances  du  siècle. 

Les  jésuites  instruisirent  l'empereur  de 
l'objet  de  ces  bidles.  La  désobéissance  chez 
un  peuple  moins  doux  eût  été  sévèrement 
punie.  On  se  contenta  de  se  moquer  d'eux 
et  de  leur  bulle  in  cœna  do  mini  ,  et  de  les 
renvoyer,  avec  l'extravagante  Super  gentes, 
en  Europe  pour  y  disputer  ,  et  sur-tout  pour 
leur  apprendre  à  être  polis  et  philosophes. 

Telles  furent  dans  la  Chine  les  suites  du 
procès  que  les  jésuites  eurent  en  Sorbonne. 
Le  jésuite  le  Telierf  pour  venger  ses  confrè- 
res du  jugement  qu'ils  avaient  essuyé  en 
Sorbonne  ,  fit  un  fort  gros  livre  pour  justi- 
fier  le  culte  des  Chinois.  Le  cardinal  de 
Noailles  ,  à  l'instigation  de  quelques  doc- 
teurs de  Sorbonne  ,  fit  condamner  à  Rome 
l'ouvrage  de  le  Tellicr  par  le  saint-office. 
Le  Telier  ,  implacable  dans  ses  haines  , 
pour  se  venger  de  Noailles  fabriqua  la  bulle 
unigenitus.  Il  est  tems  de  parler  de  cette  bulle 
ec  de  tous  les  mau^c  qui,  avec  cilc ,  entrèrent 
en  France. 


CHAPITRE  LXIV. 

de  De  la  bulle  unigenitus  en  France  ; 
s^14  elle  est  tour-à-tour  reçue  et  refettée  en 
172.8.        Sorbonne.  Du  docteur  Grand-Colas. 

C^uest-ce  que  la  constitution  unigenitus  ? 
A  cette  demande  ,  j'entends  du  sein  de  la 
Sorbonne  ,,  cent  docteurs  élever  la  voix  pour 
répondre  ,  criant ,  s'injuriant,  parlant  tous 
ensemble  ,  et  se  chargeant  mutuellement 
d'anathëmes.  Le  bruit  qu'ils  font  m'empê- 
che de  les  entendre  :  je  les  interroge  en. 
particulier ,  et  l'un  après  l'autre.  La  moitié 
des  théologiens  assure  que  celte  bulle 
est  un  décret  dogmatique  porté  contre 
un  livre  trés-dangereux  ,  par  un  pape  qui  , 
ainsi  que  tous  les  papes  ,  est  infaillible  , 
et  qu'on  doit  se  soumettre  à  ce  décret  sous 
peine  d'être  excommunié  ,  exilé  ,  persécuté 
en  ce  monde  ,  et  damné  en  l'autre. 

L'autre  moitié  des  docteurs  me  dit ,  au 
contraire  ,  que  cette  bulle  est  un  décret 
impie  qui  anéantit  l'évangile  et  nos  libertés, 


De  la  bulle  unigenitus.  2.65 
et  qui  condamne  un  très-bon  livre.  Quelques 
abbés  ,  m'ajoutent-ils  ,  ou  ambitieux  ,  ou 
pusillanimes  ,  ou  ignorans  ,  reçoivent  cette 
bulle ,  les  uns  par  intérêt  pour  avoir  des 
abbayes  ,  les  autres  de  peur  d'être  persé- 
cutés. 

Les  deux  partis  ont  parlé  fort  long-tems  ; 
ce  qu'ils  ont  dit  contiendrait  à  peine  en. 
cent  volumes  ,  sans  y  comprendre  les 
citations  qu'ils  pnt  faites  et  les  injures 
qu'ils  se  sont  prodiguées.  En  résumant  le 
tout ,  j'ai  vu  que  la  bulle  unigenitus  était 
un  petit  écrit  de  vingt  pages,  en  latin, 
frabriqué  en  France  par  le  jésuite  le  Tel- 
lier  ,  signé  par  Clément  XI,  publié  à  ^ 
Borne  dans  le  champ  de  Flore  ,  et  porté  en  8fept«nbn 
poste  par  un  capucin  à  Louis  XIV \  pour 
bouleverser  ses  états,  pour  être  aux  jansé- 
nistes un  objet  de  scandale  et  d'horreur  ,. 
aux  plaisans  un  sujet  d'épigrammes  et  de 
vaudevilles,  enfin,  pour  servir  aux  jésuites  et 
aux  évêques  de  prétexte  à  des  persécutions 
abominables. 

Les  jésuites  n'aimaient  pas  le  cardinal  de 
Koailles  ,  qui  s'était  élevé  par  son  propre 
mérite  ,  et  qui  plaisait  au  roi  sans  leur  suf- 
frage. Je  veux  bien,  disait  ce  cardinal,, 


■3.66  Noailles  persécuté 

être  leur  ami ,  non  leur  valet.  Ses  sentimens 
sur  les  querelles  de  la  grâce  n'étaient  pas 
ceux  de  leur  société.  Le  père  la  Chaise , 
tout-puissant  par  sa  place  de  confesseur  de 
Louis  XIV  dit,  à  son  sujet  :  je  lui  ferai  boire 
jusqu'à  la  lie  le  vase  de  la  colère  de  la^ 
société. 

Le  jésuite  le  Tcllier  remplaça  le  père 
de  la  Chaise  dans  le  poste  important  de 
confesseur.  Cet  homme  violent  et  im- 
placable en  voulait  personnellement  au 
cardinal  de  7SoaiU.es  qui  avait  fait  condam- 
ner à  Rome  un  livre  pour  la  défense  des 
chrétiens  de  la  Chine  ,  et  qui  méritait  de 
l'être  par  toutes  les  académies  de  l'Europe , 
tant  il  était  mal  écrit.  On  voulut  faire  la  pais 
entre  Noailles  et  le  Tëllier  ,  mais  celui-ci 
répondit  qu'on  ne  pouvait  faire  avec  lui 
qu'une  fausse  paix  ,  et  qu'il  était  plus  sûr  de 
le  perdre  que  de  le  gagner. 

La  première  manœuvre  de  le  Tellier , 
devenu  confesseur  de  Louis  XIV \  pour  per- 
dre le  cardinal  de  Noailles  ,  fut  de  rendre 
sa  foi  suspecte.  Ce  cardinal  avait  approuvé  > 
i!  y  avait  au  moins  dix  ans,  les  Réflexions 
mcrcles  sur  l'ancien  testament.  Ce  livre , 
composé  par  Quesnel3  cratorien ,  était  plein 


pnr  les  jésuites.  ?,6j 
do  force  et  d'onction  :  c'était  le  meilleur  qui 
eut  encore  paru  en  ce  genre.  Le  Te II  1er  la 
dénonça  comme  très-dangereux  au  roi  son 
pénitent. 

Les  évêques  se  partagèrent  entre  le  Tellicr 
et  Noai/les  ;  mais  le  plus  grand  nombre  se 
rangea  du  côté  du  confesseur  qui  disposait 
des  grâces  ecclésiastiques.  Louis  XIV , 
trompé  par  le  Tellicr ,  demanda  au  pape 
la  condamnation  du  livre  des  Réflexions. 
Le  Tellier  minuta,  la  bulle  qui  devait  le  con- 
damner ;  mais  en  attendant  que  le  pape  se 
décidât  à  signer  cette  bulle  ,  les  évêques  de 
France  ,  pour  plaire  au  confesseur  ,  donnè- 
rent des  mandemens  contre  le  livre  et  con- 
tre l'archevêque  de  Paris ,  son  approbateur. 
Le  parti  des  jésuites  poussa  l'impudence 
jusqu'à  afficher  ce  mandement  aux  portes 
de  la  cathédrale  :  on  en  tapissa  les  murs  et 
les  avenues  de  son  palais.  C'était  une  insulte 
atroce  et  punissable  faite  à  un  homme  pai- 
sible. 

Les  émissaires  de  le  Tellier  mettaient  tout  ij$â 
en  œuvre  à  Rome ,  pour  faire  signer  la  bulle 
unigenitus.  Le  Pape  voulait  bien  se  venger 
du  cardinal  de  Noailles  qui, en  1 ~~o5,  avait  sou- 
tenu  les  droits  de  Tépiscopat  contre  les  pré- 


2.68  Scandale 
tentions  de  Rome,  mais  en  même-temps  îl 
craignait  de  commettre  son  irtfaîllibîté  en 
donnant  cette  bulle.  On  lui  persuada  qu« 
l'autorité  de  Louis  XIF lèverait  toutes  les 
difficultés,  et  il  la  signa. 

Le  sacré  collège  ne  fut  point  consulté  ; 
seulement  pour  la  forme  ,  Clément  XI  en 
conféra  ayec  quelques  cardinaux.  Cassiuise 
jetta  a  ses  pieds  pour  en  empêcher  la  publi- 
cation :  le  cardinal  Campeche  lui  conseilla 
de  la  jetter  au  feu.  Elle  fut  remise  au  père 
Timothée ,  capucin  ;  c'était  le  courrier  dix 
molinisme  :  il  était  ordinairemeut  chargé 
des  dépêches  des  jésuites  ;  il  fît  plusieurs 
voyages  à  Rome  à  franc  étrier  et  habillé  en. 
postillon.  On  lui  faisait  espérer  d'être  car- 
dinal, tout  au  moins  évêque.  Ses  confrères 
lès  capucins  se  dévouèrent  au  service  de 
le  Tellier.  Dès-lors  ils  ne  passèrent  plus  dans 
le  monde  qvte  pour  les  valets-de-picds  des 
jésuites  . 

Trente  évoques  qui  se  trouvèrent  à- Paris 
eurent  ordre  du  Ror  de  s'assembler  pour 
délibérer  sur  cette  bulle  qui  proscrivait  cent 
et  une  propositions  du  livre  des  Réflexions 
Morales.  Ils  nommèrent  une  commission  et 
mirent  l'archevêque  de  Paris  à  la  tête.  Les 


de  la  bulle  unigenitus,  269 
çommis^aîresetaientlaplupartdes  ambitieux, 
qui  se  fesaient  un  jeu  de  tendre  des  pièges;  à 
la  simplicité  de  cet  archevêque ,  qui  ne 
tarda  pas  à  s'absenter  des  séances, pouréviter 
disait-il ,  des  altercations  indécentes.  Huit 
é\  êques  se  séparèrent  de  rassemblée  où.  l'on 
traitait  un  e  affaire  qui  n'était ,  suivant  Silleri, 
évêque  de  Soissons  ,  qu'un  mystère  d' ini- 
quité. 

L'avis  de  l'évêque  du  Mans  est  une  des 
choses  des  plus  remarquables  et  des  plus 
singulières  de  cette  assemblée.  «  Je  n'ai 
*>  jamais  lu  ,  dit- il ,  le  livre  des  Réflexions , 
35  que  la  bulle  proscrit;  mais  j'en  ai  ouï  dire 
»  beaucoup  de  bien.  Plusieurs  saints  éve- 
il» ques  l'ont  approuvé  ,  cependant  le  pape  le 
v>  condamne.  Cette  contrariété  forme  un 
»  grand  embarras.  D'un  côté  des  saints  qui 
>î  approuvent  ,  de  l'autre  un  pape  qui  con- 
*»  damne.  Quelques  évêques  ont  opiné  qu'il 
3>  fallait  défendre  l'écriture  sainte  à  cause 
»  de  son  obscurité  ;  la  bulle  n'est  pas  moins 
p»  obscure ,  il  faudrait  aussi  en  interdire  la 
>»  lecture  >■>.  C'est  ce  même  évêque  ,  homme 
simple  et  droit  qui ,  voyant  tant  de  manèges 
pour  perdre  ie  cardinal  de  Roailles ,  disais 


*tjo  Episcopat  divisé. 

plaisamment  :  si  nous  mettons  la  foi  à  cou- 
vert 7  nous  ny  mettons  pas  la  bonne  foi. 
ï7l4  Enfin  ,  après  de  longs  débats  ,  quarante 
i»7  février,  évêques  assemblés  à  l'hôtel-de  ville  de  Sou- 
bise  ,  acceptèrent  la  bulle  et  signèrent  une 
instruction  pastorale.  Neuf  prélats  signèrent 
une  protestation.  Le  roi  enjoignit  à  ceux-ci 
de  sortir  de  Paris  ,  et  défendit  àl'archevêque 
de  venir  à  Versailles.  On  sait  la  réponse  de 
l'évêque  de  Vence  ,  à  qui  on  reprochait  d'a- 
voir accepté  la  bulle:  c'est,  dit-il,  qu'il 
n  était  pas  possible  de  faire  autrement  sans 
s'arracher  le  blanc  des  yeux. 

L'instruction  jointe  à  la  bulle  parut  bien» 
tôt  insuffisante  :  on  commit  des  docteurs  de 
Sorbonne  pour  la  corriger.  Noailles  en  pro- 
vint la  publication  et  en  donna  une  qui  sus- 
pendait dans  son  diocèse  la  bulle  unigenitus. 
Tout  Paris,  qui  aimait  ce  cardinal,  applaudit 
à  cet  acte  de  vigueur.  En  cour  on  le  regarda 
comme  un  acte  de  schisme  à  l'égard  de  Rome, 
et  de  désobéissance  envers  Louis  XIV  ;  la  1 
Vaille  devint  un  objet  de  raillerie.  Le  pape 
irrité  lança  un  décret  contre  l'archevêque. 
Les  plaisans  vengèrent  cet  archevêque  en 
mettant  ce  décret  en  chanson.  Dans  aucune- 


Episcopat  divisé.  zjl 
époque  de  l'histoire  de  France  ,  si  on  en 
excepte  les  teins  orageux  et  ridicules  de  la' 
fronde ,  on  ne  vit"  à  Paris  un  plus  grand 
débordement  de  couplets ,  d'épigrammés  , 
et  de  vaudevilles  contre  le  pape  ,  contre  les 
jésuites ,  contre  la  bulle  et  contre  les  éve- 
ques  qui  l'avaient  acceptée. 

Le  cardinal  d'Lstrc'e  et  l'abbé  de  Tolignac, 
chargés  par  Louis  XIV  de  ramener  ies  es- 
prits à  l'unanimité  ,  travaillèrent  en  vain. 
Ils  assistèrent  aux  conventicules  qu'on  tenait 
encore  à  l'hôtel  Je  Soubise  et  dont  le  Telliër 
était  toujours  Famé.  On  n'opposa  à  leurs 
bons  désirs  et  à  leurs  raisons  que  les  menaces. 
Le  cardinal  de  Rohan  et  l'ambitieux  de  Bissi 
étaient  acharnés  contre  le  cardinal  de  Noail- 
Ics  :  ils  voulaient  le  forcer  à  croire  ce  qu'ils 
ne  croyaient  pas  eux-mêmes.  Rohan  avait 
été  son  ami  :  il  était  alors  son  persécuteur. 
Cette  lâcheté  lui  valut  l'abbaye  de  Saint- 
Vast.  Bissi  eut  pour  lui  celle  de  Saint-Ger- 
main-des-Près  et  le  chapeau  de  cardinal  ; 
c'est  à  ce  fanatique  que  le  cardinal  REstrée 
dit  un  jour  :  monsieur ,  vous  ne  pajiez  pas 
comme  un  évéque ,  mais  comme  un-  bar'bare. 
Il  ne  parlait  jamais  que  de  persécution.  Le 
Tellicr  se  servait  de  ces  deux  hommes  pour 


2.7 2  Episcopat  divise. 

tromper  le  roi  son  pénitent ,  devenu  dévot  t" 

ïmbécille  et  persécuteur.  Sans  être  théolo- 
gien ,  dît  un  jour  ce  roi  à  l'abbé  de  Poli- 
griac  ,  je  vois  que  le  cardinal  de  Noailles 

est  hérétique  ;  il  doit  s'attendre  que  je  le 
pousserai  à  bout. 

Cependant  avant  de  mourir ,  ce  roi  avoua 
qu'il  n'avait  jamais  rien  entendu  dans  l'af- 
faire de  cette  bulle.  Cet  aveu  annonçait  l'in- 
quiétude et  peut-être  le  remord  d'une  ame 
égarée.  Le  Tellier  et  les  deux  cardinaux  de 
Jxohan  et  de  Bissi  tranquilisèrent  lame 
alarmée  du  monarque  mourant  ;  ils  se  char- 
gèrent ,  dit-on  ,  d'être  sa  caution  auprès 
de  Dieu.  A  peine  Louis  XIV  fut-il  mort , 
que  le  régent  chassa  de  la  cour  le  scélé» 
rat  le  Tellier. 

La  bulle  unigenitus ,  qui  avait  allumé  une 
guerre  honteuse  dans  le  haut  clergé,  fut  en- 
core un  sujet  de  discorde  en  Sorbonne. 
Deux  partis  y  éclatèrent  avec  scandale.  Ces 
débats.,  tout  obscurs  qu'ils  sont  de  nos  jours, 
ne  l'étaient  pas  alors ,  et  ne  sont  pas  tout  à 
fait  indignes  d'occuper ,  pendant  quelques 
minutes  ,  les  loisirs  d'un  lecteur  philoso- 
phe. 

L'histoire   des  querelles  qu'occasionna 

cette 


La  bulle  Unîgenitus  en  Sorbonne.  2.7^ 
cette  bulle  en  Sorbonne  ,  contient  plus  de 
trente  volumes.  Nous  la  réduirons  à  dix 
pages  ,  parce  que  nous  ne  voulons  dire  que 
ce  qui  est  intéressant  ,  et  rendre  justice  à 
qui  il  appartient. 

Le  Tellier ,  avant  d'envoyer  cette  bulle  en 
Sorbonne  ,  s'assura  prudemment  par  des 
promesses  ,  du  suffrage  du  syndic  nommé 
le  Rouge  et  de  celui  de  beaucoup  de  doc- 
teurs ,  entr'autres  du  docteur  Tournely  dont 
il  fit  son  espion  ,  ou,  comme  l'on  parlait  alors, 
son  mouchard.  C'était  sur  la  dénonciation  de 
ce  drôle  qu'on  exilait ,  qu'on  excluait  des 
assemblées  ,  ou  qu'on  emprisonnait  ses  con- 
frères. 

Louis  XIV  envoya  la  bulle  en  Sorbonne 
avec  une  lettre  qui  en  enjoignait  l'enregis- 
trement. Avant  de  la  transcrire  sur  leurs 
registres  ,  ils  s'en  permirent  la  lecture  :  cela 
était  dans  la  règle.  Il  fallait  bien  qu'ils  sus- 
cent  ce  qu'ils  enregistraient.  Mais  cette 
lecture  produisit  un  effet  étrange  ;  à  chaque 
proposition  condamnée  ,  ceux  des  docteurs 
qui  étaient  vendus  kle  Tellier ,  s'écriaient  : 
cela  est  abominable  ,  c'est  scandaleux ,  c'est 
le  renversement  de  toute  la  hiérarchie.  Les 
autres  répondaient  à  ces  cris  ,  en  disant  ; 
Tome  IL  S 


%j4  Bulle  Unigenkus  ,  sujet  de  scandale: 
cela  n'est-il  pas  vrai  ?  nos  pères  n'ont-ils  pas 
dit  la  même  chose  ?  n'avons-nous  pas  tous  cru 
et  enseigné  ces  vérités  ? 

La  cour ,  voyant  déjà  les  difficultés  qu'en- 
traînait l'examen  de  la  bulle  ,  envoya  une 
seconde  lettre  portant  défense  d'user  de  re- 
tardement pour  la  recevoir  ,  ni  de  modifica* 
tions  à  l'enregistrement.  Cette  lettre  du  roi  , 
réduite  à  sa  valeur ,  voulait  dire  :  lisez  , 
enregistrez  et  croyez  ,  je  vous  l'ordonne. 
Plusieurs  docteurs,  en  présageant  l'orage  qui 
allait  s'élever  sur  eux,  versèrent  des  larmes 
et  se  retirèrent.  Il  y  en  eut  d'autres  qui  res- 
tèrent ,  pour  honorer ,  disaient-ils  ,  par  leur 
présence  les  funérailles  de  la  liberté  de  la 
Soj-bonne. 

Nous  allons  discuter  en  peu  de  mots  quel- 
ques-unes des  propositions  théologiques  qu'on 
défendait  aux  théologiens  d'examiner  :  nous 
n'avons  point  de  lettres  de  cachet  à  craindre  ; 
le  tems  de  ces  folies  absurdes  et  tyranniques 
est  passé  de  mode. 

Ne  dissimulons  rien.  Quesnel  n'avait  fait 
son  livre  des  Réflexions  morales  que  pour 
décréditer  les  excommunications  dont  Romo 
jusqu'alors  avait  fait  un  si  étrange  abus  ,  et 
les  formulaires  de  foi  introduits  en  Franc© 


Absurdité  de  Quesnel.  %y5 
afin  d'avoir  des  prétextes  de  persécuter  ceux 
<m'on  voulait  perdre.  Le  but  de  Quesnel 
perce  en  vingt  endroits  de  son  livre  ,  et 
c'est  là  ce  qui  en  faisait  alors  le  grand  mé- 
rite ;  mais  il  voulait  en  même-tems  rétablir 
la  grâce  efficace  que  les  jésuites  remettaient , 
et  dont  il  ne  faudrait  jamais  parler  de  peur 
de  n'être  pas  entendu  ,  et  de  peur  de  dire 
des  sottises  en  parlant  d'un  mystère. 

Parmi  les  cent  et  une  propositions  que 
le  Tellier  dénonça  à  Rome ,  et  que  l'infailli- 
ble Clément  XI  proscrivit ,  il  y  en  avait  plu- 
sieurs inintelligibles  au  commun  des  hom- 
mes ,  et  qui  méritaient  d'être  proscrites  par 
tous  ceux  qui  pensent  que  la  clarté  est  la 
première  qualité  de  la  langue  française. 

«  La  grâce  de  Dieu  ,  dit  Quesnel  ,  est  pr0p. 
»  une  grâce  divine  ,  comme  çréée  pour 
»  être  digne  du  Jils  de  Dieu  ;  forte ,  puis- 
»  santé  souveraine  ,  invincible  ,  comme 
y»  étant  V opération  de  la  volonté  toute puis- 
»  santé  ,  une  suite  et  une  imitation  de  l'opé- 
v>  ration  de  Dieu ,  incarnant  et  ressuscitant 
»  son  Jils  »>. 

Quand  la  folle  Guion  eut  épousé  J.  C.  , 
et  quand  ,  après  avoir  été  obumbrée  par  le 
verbe  j  c'est-à-dire  par  le  moine  Lacombe , 

S  % 


276  Galimatias  de  Quesnel. 

son  confesseur,  elle fut  enceinte  delà  grâce, 
elle  ne  parlait  pas  autrement.  Dans  ce  mys- 
tique galimatias  de  Quesnel ,  il  y  a  matière 
à  faire  égorger  tous  les  théologiens  de  l'Eu- 
rope ,  si  on  voulait  seconder  leur  zèle.  Dans 
Saint-Paul  et  Saint-Augustin  on  trouva  cent 
passages  de  cette  force  et  de  cette  clarté, 
et  c'est  par-là  même  qu'on  les  cite  souvent 
et  qu'on  se  querelle  depuis  di^-sept  cents 
ans  pour  les  entendre  et  sans  les  entendre. 

«  L'accord ,  continue  Quesnel ,  de  l'opéra' 
35  tion  toute-puissante  de  Dieu  dans  le  cœur 
de  l'homme  avec  le  libre  consentement  de 
33  la  volonté  nous  est  montré  d'abord  dans 
33  l'incarnation  comme  étant  la  source  et  le 
33  modèle  de  toutes  les  autres  opérations  de 
33  miséricorde  et  de  grâces  toutes  aussi  gra- 
>3  tuites  et  aussi  dépendantes  de  Dieu  que 
>3  cette  opération  originale  33. 

La  sublimité  de  ce  langage  ne  peut  être 
bien  vue  que  par  un  de  ces  hommes  qui  , 
chaque  matin  en  sortant  du  lit ,  voyent  la 
lumière  du  tabor  au  bout  de  leur  né.  Nous 
avons. malheureusement  le  né  très-long  et 
la  vue  très-courte.  C'est  un  reproche  qu'au 
séminaire  M.  le  Galic  ,  notre  digne  supé- 
rieur ,  nous  fit  souvent  :  d'où  il  concluait 


Vérités  proscrites.  277 
Iju'un  jour  nous  pourrions  avoir  le  malheur 
d'être  honnête  homme  et  mauvais  théolo- 
gien. 

Nous  blâmons  Quesnel  lorsqu'il  ne  parle 
pas  clairement  ;  nous  le  blâmons  aussi  de 
dire  que  Dieu  exige  du  pécheur  l'accom-  prop.  VI. 
plissement  de  la  loi  en  le  laissant  dans 
l'impossibilité  de  l'accomplir.  Cela  paraît 
dur  et  semble  faire  de  Dieu  un  tyran  barbare 
qui  pour  s'amuser  ordonnerait  à  un  homme 
qui  n'a  point  de  jambes  de  jouer  aux  barres. 

Quesnel  mérite  sans  doute  d'être  con- 
damné lorsqu'il  est  absurde  ,  mais  il  ne  mé- 
rite pas  de  l'être  lorsqu'il  dit  quW  croit  pr0p.  C. 
sacrifier  à  Dieu  un  impie  et  qu'on  sacrifie 
■Souvent  un  se/viteur  de  Dieu. 

Les  gens  de  bien  qui  ne  sont  pas  aveuglés 
par  les  préjugés  pensent  aussi  avec  Ques- 
nel qu'en  rendant  communs  les  sennensde  pr0p<  ç\t 
l'église  ,  c'est  multiplier  les  occasions  de 
parjure  ,  dresser  des  pièges  aux  ignorans  , 
eL  faire  servir  quelquefois  le  nom  de  Dieu 
aux  desseins  des  méchans. 

Un  bon  citoyen,  qui  est  de  l'avis  de  Quesnel 
.  sur  les  formulaires ,  ne  peut  aussi  s'empêcher 
.  dédire  avec  lui  que  la  crainte  d'une  ex  commu-  Prop.  9 1. 
,  nication  injuste  ne  doit  point  nous  empêcher 

S  3 


278  La  bulle  Unigenitus 

de  faire  notre  devoir.  Le  pape  qtiî,  par  SA 
bulle  unigenitus  ,  datnnait  de  plein  droit 
ceux  qui  croyaient  cette  vérité  qui  e6t  de 
tons  les  pays  et  de  tous  les  terris ,  avait-il  la 
folie  de  prétendre  que  la  crainte  d'être  ex- 
communié injustement  dût  empêcher  un 
Français  d'obéir  à  sort  roi ,  de  payer  les 
impôts  ,  d'honorer  son  père  et  sa  mère  ? 
Rien  n'est  plus  faux  en  morale  ,  et  rien  ne 
serait  plus  dangereux  en  poétique. 

Cette  bulle  unigenitus  qui  proscrivait  tout- 
à-là-fois  quelques  erreurs  théologiques  et 
qui  condamnait  des  vérités  de  morale  ,  ne 
pouvait  qu'être  en  SorbOrtrte  un  sujet  de 
scandale.  Le  terme  de  ma  vie  est  proche  > 
dit  le  docteur  Bigre  ,  mais  j'aime  mieux 
mourir  et  renoncer  au  doctorat  que  de 
recevoir  cette  bulle.  L'abbé  Coursier,  s'écria: 
pourquoi  nous  assemble-t-on  ?  pour  rece- 
voir une  constitution  sans  raisonner;  quon 
la  reçoive  à  cette  condition  et  non  autrement. 

A  chaque  opinant  le  syndic  criait  :  ad- 
versatur  régi  ,  il  est  séditieux.  Les  émis- 
saires de  le  Tellier  faisaient  écho  ,  et  répé- 
taient en  criant  :  oui ,  il  est  rebelle ,  mar- 
quez son  nom.  Nota  nomen.  Enfin  ,  cette 
bulle  fut  reçue  au  bruit  di  s  crialleries ,  des 


sujet  de  scandale. 
plaintes  ,  des  menaces  et  des  injures  dont 
les  deux  partis  s'accablèrent  réciproquement. 
Six  docteurs,  ayant  le  syndic  de  la  Sorbonne 
à  leur  tête ,  apportèrent  au  roi  le  décret  d'ac- 
ceptation ,  et  lui  dirent  qu'elle  avait  été  reçue- 
avec  respect,  ajoutant  que  sa  majesté  avait 
été  inspirée  du  saint-esprit  pour  le  deman- 
der à  sa  sainteté. 

Le  décret  de  la  Sorbonne  fut  imprimé  ,  ,7I^ 
et  la  discorde  fut  plus  que  jamais  allumée   15  mars* 
en  théologie.  Le  syndic  fut  bientôt  traité  . 
de  faussaire  ,  il  l'était  en  effet  ;  on  voulut 
le  chasser  de  Sorbonne  ,  mais  le  Te  Hier 
vint  à  son  secours  ,  paya  son  zele  par  une 
pension  de  cinq  cents  écus ,  et  fit  exclure 
des  séances  six  théologiens  anti-constitu- 
tionnaires.  Plusieurs  autres  furent  obligés 
de  sortir  deParis-  par  lettre  de  cachet  :  l'abbé 
Boileau  dit  que  ces  lettres  de  cachet  étaient 
des  lettres  de  noblesse.  Ce  bon  mot  lui  en 
attira  une  et  un  exil  de  deux  ans. 

La  Sorbonne  ,  molimste  sous  Louis  XIV \ 
fut  janséniste  sous  le  régent,  et  toujours 
divisée.  Le  docteur  Raxechet  fut  pourvu 
du  syndicat  :  il  haïssait  les  jésuites  autant 
que  le  syndic  le  Rouge  les  aimait.  Depuis 
la  mort  de  Louis  XIV ,  ils  n'étaient  plus 

S  4 


2S0  La  Sorbonne  divisée. 

à  craindre  :  plusieurs  docteurs  qu'on  avait 
m  A  récompensés  se  rétractèrent  :  il  y  en 
eut  qui  demandèrent  pardon  à  genoux  9 
d'avoir  signé  la  bulle  :  d'autres  opinèrent 
pour  casser  tout  ce  qui  s'était  fait  sous  le 
syndicat  précédent.  Le  décret  d'acceptation 
présenté  à  Louis  XIV  fut  arraché  des  re- 
gistres ,  déchiré  et  déclaré  faux,  corrompu 
et  supposé  ,  spurium ,  falsum  adulte  ri  nu  m. 
1716  La  paix  du  royaume  était  troublée  pour 
4  janv  cette  bulle  Unigenitus,  et  le  foyer  des  troubles 
se  maintint  en  Sorbonne.  Le  régent  lui  défen 
dit  de  parler  de  cette  bulle ,  et  elle  députa 
plusieurs  docteurs  pour  demander  la  liberté 
d'en  parler  encore.  Le  régent  renouvella  ses 
défenses  ;  la  Sorbonne  les  transgressa  ,  et 
apella  de  la  bulle  au  futur  concile.  Qua* 
yante  docteurs  furent  exilés.  L'evêque  de 
Toulon,  regardant  la  Sorbonne  comme  schis- 
matique ,  défendit  par  un  mandement  ,  à 
ceux  de  ses  diocésains  qui  étudiaient  en 
théologie  ,  de  fréquenter  ses  écoles ,  qu'il 
compara  à  un  fleuve  qui  ne  roule  plus  que 
des  eaux  corrompues  et  contagieuses. 

Sous  le  ministère  du  cardinal  de  Fleuri , 
la  Sorbonne  redevint  moliniste.  Tout  ce  qui 
ne  voulut  pas  l'être  fut  persécifté.  C'est  alors 


Du  docteur  Grand-Colas.  281 
qu'on  vit  en  France  une  conspiration  pour 
perdre  tout  ce  qui  ne  l'était  pas ,  soitmoines, 
soit  prêtres  ,  soit  laïcs  :  point  d'évêque  qui 
ne  fut  muni  de  lettres  de  cachet  qu'il  ex- 
pédiait à  son  caprice  contre  tous  ceux 
qui  n'étaient  pas  de  son  avis  ;  la  persécution 
était  ouverte  ,  c'était  une  vraie  guerre  civile 
de  religion. 

Le  parlement  qui  ,  en  haine  des  jésuites 
et  du  cardinal  de  Fleury  ,  appuyait  ceux  qui 
réprouvaient  la  bulle  ,  ne  cessait  de  donner 
des  arrêts  contre  les  mandemensdes  évêques; 
il  ne  se  passait  point  de  mois  qai'il  n'en 
brûlât  quelqu'un. 

Le  docteur  Grand-Colas  crut  devoir  s'en  rju 
plaindre  à  la  Sorbonne  ,  et  l'armer  contre  doctei 

1  •  o  i    i  »  /    •  ti  Grand 

la  magistrature ,  en  faveur  de  1  episcopat.  11  Colas, 
y  dénonça  la  conduite  des  parlemens  ;  sa  ha- 
rangue commençait  par  cesparoles  :  Raucae 
f'actae  surit  fauces  meae  :  à  force  de  crier 
mon  gosier  s'est  désséché  ;  et  d'une  voix 
conforme  à  ces  paroles  ,  il  dit  :  ce  on  con- 
»  damne ,  on  flétrit ,  on  supprime  ,  on  brûle 
>»  des  mandemens  et  des  instructions  pas- 
»  torales  ;  on  attaque  les  évêques  en  leur 
»  juridiction  ;  c'est  à  la  Sorbonne  à  venir 
»  à  leur  secours  ,  et  à  assurer  les  droits  de 


282  Tumulte  en  Sorhonne. 

»  l'épiscopat.  Cela  est  vrai ,  répondirent  le» 
»  théologiens  ,  mais  quels  remèdes  à  tant  de> 
»  malheurs.  Quel  remède  1  s'écrie  Grand- 
■»  Colas  ,  quel  remède  !  ils  s'élevèrent  eon- 
»  tre  Moyse  et  contre  Aaron.  La  terre 
»  s'ouvrit  et  engloutit  Corée ,  Dathan  et 
»  jâbij-on  ».  Le  docteur  ,  qui  semblait  de- 
yoir  ajouter  qu'il  fallait  enterrer  les  ma- 
gistrats ,  conclut  seulement  de  l'aventure 
des  trois  juifs,  que  la  Sorbonne  devait  sans 
délai  aller  se  jetter  aux  pieds  du  roi,  et 
lui  demander  justice  contre  les  parlemens. 

Les  assemblées  de  la  Sorbonne ,  dans  l'af- 
faire de  la  bulle ,  furent  toujours  tumul- 
tueuses ;  un  témoin  oculaire  nous  les  décrit 
ainsi  :  «  Imaginez-vous ,  dit-il ,  être  dans 
»  une  épaisse  forêt,  battue  d'un  orage  fu- 
»  rieux  ,  qui  par  ses  violentes  secousses 
*>  brise  les  arbres  les  uns  contre  les  autres. 
yy  Mêlez  avec  ce  fracas  horrible  les  hurle- 
»  mens  des  bêtes  féroces.  Telles  furent  les 
»  clameurs  excitées  dans  la  salle  de-  Sor- 
33  bonne  :  les  molinistes  criaient  à  tue-tête  ; 
»  les  autres  ne  criaient  pas  moins  fort  : 
»  on  n'entendait  qu'un  bruit  confus  ,  plutôt 
y>  que  des  voix  humaines  ». 

Après  la  mort  de  le  Tellier,  un  docteur 


Tumulte  en  Sorhonne.  ^83 
ttoliniste ,  n'ayant  plus  rien  à  craindre  ni  à 
espérer,  se  mit  à  déclamer  contre  la  bulle. 
Un  jeune  abbé  de  Brajelonne ,  dans  la  sur- 
prise d'un  changement  si  inopiné  ,  s'écrie  : 
Dieu  soit  loué  l  en  voici  un  qui  croit  en 
Dieu. 

En  société ,  on  a  souvent  cité  cette  saillie  : 
c'est  un  grain  d'or  dans  un  tas  de  boue. 


a84 


—     .   ■"■  i-  -ft 

CHAPITRE  LXV. 

Z)z/;  Czar  Pierre  I  en  Sorboune ,  et  de  V en- 
voyé de  Sorbonne  en  Russie. 

De  1717  (^'Est  pendant  ces  étranges  et  ridicules 
convulsions  qu  éprouvaient  1  episcopat ,  la 
Sorbonne,  et  par  contre-coup  tous  les  ordres 
de  l'état,  que  l'empereur  de  Russie  vint 
à  Paris  :  il  vit  d'abord  tout  ce  qui  pouvait 
l'instruire  :  les  gobelins  ,  la  savonnerie  , 
les  atteliers  de  tous  les  artistes  célèbres  , 
•  depuis  ceux  du-  peintre  et  du  sculpteur  , 
jusqu'à  ceux  ou  se  fabriquent  les  instru- 
mens  de  physique  et  d'astronomie  :  en  un 
mot,  il  vit  tous  ces  monùmens  qui  attestent 
encore  ,  et  la  grandeur  de  Louis  XIV et  le 
glorieux  esclavage  de  la  nation.  Il  assista 
à  une  assemblée  de  l'académie  des  siences  ; 
la  salle  était  ornée  de  tout  ce  qui  pouvait 
exciter  sa  curiosité  et  son  admiration. 

La  Sorbonne ,  comme  école  de  théologie, 
ne  méritait  guères  son  attention  ;  il  ne  la 
regardait  que  comme  une  école  dedispu- 
teurs ,  auxquels  le  gouvernement  venait  de  dé- 


Le  czar  Pierre  I  en  Sorbonne.  2.85 
fendre  dev  s'assembler  à  cause  du  bruit  qu'ils 
fesaient  ,  et  des  injures  dont  ils  se  char- 
geaient au  sujet  de  la  bulle  Vnigenitus  qu'ils 
avaient  d'abord  reçue  ,  et  qu'ils  avaient 
ensuite  rejettée  avee  horreur. 

Le  Czar  Pierre  I ,  l'avant-veille  de  son 
départ  ,  et  sans  être  annoncé  ,  alla  voir  les 
bâtiments  de  cette  école  orageuse  ,  et  le 
mausolée  du  cardinal  de  Richelieu.  Tous 
le°  docteurs  se  rendirent  auprès  de  lui ,  on 
e  mena  à  l'église  :  c'est  là  qu'on  voit  ce 
fameux  mausolée,  l'objet  de  la  curiosité  du 
Czar  Pierre  I}  et  le  chef-d'œuvre  d'un  grand 
artiste.  Ce  tombeau  ,  comme  la  plupart  des 
mausolées  ,  n'est  qu'un  monument  de  flatte- 
ries et  de  mensonges  ,  élevé  à  la  gloire  d'un 
prêtre  ambitieux,  ingrat  ,  jaloux ,  fourbe, 
impudique,  vindicatif  et  sanguinaire.  La 
religion,  qu'il  ne  consulta  jamais,  est  à  côté 
de  lui  avec  un  visage  éploré  ,  et  lui-même 
est  représenté  avec  un  air  de  piété  qu'il 
n'eut  jamais.  L'artiste  aurait  dû  graver  sur 
son  front  l'empreinte  d'une  ame  déchirée 
par  le  remord  ;  encore  aurait-il  fallu  sup- 
poser qu'en  mourant  il  fût  assez  vertueux 
pour  sentir  des  remords  d'avoir  fait  mourir 
sur  l'échaffaud  de  Thou  et  Marillac ,  d'à- 


2.86     Le  czàr  Pierre  I  en  Sorhonne". 

voir  fait  brûler  Urbain-Grandier ,  et  d'avoir 
fait  périr  dans  dea  oublietttes  un  grand 
nombre  de  citoyens  dont  il  voulait  dérober 
la  mort  aux  yeux  du  public. 

Le  Czar  Pierre  ne  vit  dans  ce  mausolée 
que  l'image  d'un  grand  politique  ;  dans 
les  transports  de  son  enthousiasme  il  em- 
brassa cette  image  en  s'écriant  :  grand- 
homme  ,je  t'aurais  donné  la  moitié  de  mes. 
états  pour  apprendre  de  toi  à  gouverner 
Vautre.  Ce  fut  là  l'élan  d'une  ame  grande  , 
sublime,  et  bien  supérieure  à  celle  de  Ri- 
chelieu ,  qui  en  matière  de  gouvernement 
n'eût  rien  appris  à  Pierre  I ,  si  ce  n'est  à 
être  un  despote  dur,  intolérant,  persécuteur 
et  implacable  dans  ses  haines. 

De  l'église ,  les  docteurs  de  Scrbonn» 
conduisirent  l'empereur  russe  à  la  bi- 
bliothèque. Pendant  qu'il  examinait  quel- 
ques manuscrits  en  langue  esclavone  ,  on 
lui  proposa  de  se  convertir  :  le  docteur 
Boursier  le  harangua  en  latin  ,  et  lui  prouva 
que  son  église  russe  était  réprouvée  ,  et 
qu'il  fallait  la  réunir  à  l'église  romaine. 

Le  Czar ,  un  peu  embarrassé  du  compli- 
ment ,  répond  qu'il  est  un  soldat  et  non  un 
théologien.  On  lui  observa  qu'en  qualité  d* 


Le  czar  Pierre  I  en  Sorbonne.  287 
prince  ,  il  doit  se  mêler  de  la  religion  de 
son  empire  et  réunir  les  deux  églises  :  cette 
réunion  n'est  pas  aisée  ,  réplique  l'empereur 
russe  {  le  J>ape,  le  saint  esprit ,  le  pain  et 
la  coupe  nous  divisent  ;  s'il  n'y  avait  que  la 
verre,  nous  serions  bientôt  d'accord  :SX  vou- 
lait dire  nous  boirions  ensemble  ,  et  nos 
querelles  seraient  terminées. 

Les  théologiens  rirent  du  propos  du  Czar 
qui  mit  adroitement  la  conversation  sur  la 
bulle  Unigenitus  ;  c'était  leur  faire  plaisir  ; 
il  était  au  fait  de  cette  bulle.  On  sait  qu'en 
parlant  de  la  conduite  du  pape ,  il  disait  : 
s'il  se  croit  infaillible  ,  c'est  un  sot  ;  s  il  ne 
le  croit pas ,  c'est  un  frippon. 

Les  docteurs  laissent  tomber  la  conversa- 
tion au  sujet  du  pape  ,  et  redoublent  d'ins- 
tances pour  la  réunion  des  églises  grecques 
et  romaines.  Le  Czar,  pour  se  tirer  d'affaire, 
demande  un  mémoire  ;  l'abbé  Besogne  fut 
chargé  de  le  rédiger  ;  mais  quand  il  fut 
prêt,  Pierre  I  étoit  parti  :  ce  mémoire  lui 
fut  envoyé  à  Spa  où  il  s'était  arrêté  poux 
prendre  les  eaux. 

La  démarche  de  la  Sorbonne  était  très- 
louable  ;  mais  elle  dut  paraître  bien  sin- 
gulière aux  yeux  d'un  homme  qui  avait  l'har 


o.88  Le  czar  Pierre  I  en  Soj-bonne. 
bitude  de  porter  un  esprit  de  réflexion  sur 
tout  ce  qu'il  entendait  comme  sur  tout  ce 
qu'il  voyait.  Le  harangueur  lui-même  était 
un  boute -feu  ;  on  fut  bientôt  obligé  de 
l'exclure  de  la  Sorbonne  pour  y  faire  ren- 
trer la  paix.  D'ailleurs,  dans  quelle  circons- 
tance la  Sorbonne  proposait- elle  la  réunion 
des  deux  églises  ?  dans  un  tems  où  elle  était 
déchirée  dans  son  sein  par  deux  factions  tur- 
bulentes ,  et  qu'elle  était  réprouvée  de  Rome 
dont  elle  venait  de  flétrir  un  jugement  re- 
connu pour  dogmatique. 

Au  seizième  siècle  ,  l'église  russe  ,  jus- 
qu'alors soumise  au  patriarche  de  constan- 
tinople  ,  devint  libre  et  indépendante.  L'ar- 
chevêque de  Novogorod  fut  sacré  patriar- 
che, en  i588,par  ^/-tf7/zz>, patriarche  de  Cons- 
tantinople  ,  qui  renonça  à  ses  droits. 

Depuis  cette  époque  ,  les  papes  ont  fait 
de  vaines  tentatives  pour  faire  reconnaître 
leur  suprématie.  Le  jésuite  Possevin  y  fut 
envoyé  vers  la  fin  du  seizième  siècle  pour 
travailler  à  ce  grand  ouvrage  :  il  intrigua 
beaucoup  et  fut  chassé.  La  Sorbonne  voulut 
avoir  la  gloire  d'avoir  opéré  cette  réunion  à 
laquelle  les  papes,  aidés  des  jésuites,  avaient 
échoué. 

Le 


Rome  Indisposée  contre  la  Sorhonne.  289 
Le  czar  ,  en  arrivant  en  Russie  ,  remit  le 
mémoire  de  la  Sorbonne  à  l'archevêque  de 
Novogorod  ,  et  lui  enjoignit  de  répondre 
honnêtement.  Pierre  In' eut  jamais  l'idée  de 
reconnaître  le  pape.  Quarante  princes  ex- 
communiés ,  vingt  états  bouleversés  par  les 
papes ,  l'instruisaient  assez  de  ce  qu'il  avait  à 
faire. 

Quant  à  l'archevêque  de  Novogorod  ,  pré* 
sident  perpétuel  du  synode  grec  ,  il  était  peu 
disposé  à  se  donner  un  maître  dans  un  prêtre 
italien  ,  que  l'église  grecque  déteste ,  qu'elle 
excommunie  tous  les  ans ,  et  dont  elle  est 
excommuniée.  Etait-il  vraisemblable  que 
cette  église  russe  ,  après  s'être  affranchie  du 
joug  du  patriarchat  de  Constantinople  >  eût 
voulu  ployer  sous  le  joug  de  la  papauté  , 
encore  plus  à  craindre  pour  elle  ? 

La  Sorbonne ,  par  son  mémoire ,  indisposa 
et  la  cour  de  France  et  la  cour  de  Romef 
L'ahhé  Dubois,  alors  secrétaire  des  affaires 
étrangères  ,  la  regardait  comme  un  corps 
séditieux;^  le  pape  ,  de  son  côté  ,  la  regardait 
connue  un  corps  schismatique  qui  se  soule- 
vait contre  la  bulle  Unigenitus.  Il  était  en 
outre  très-irrité  que,  dans'son  mémoire  au 
Tome  IL  T 


290  Jésuites  chassés  de  Russ'/e. 
czar  ,  elle  eût  avancé  que  les  conciles  sont 
supérieurs  aux  papes  ;  que  l'église  Russe,  en 
se  réunissant  à  Rome  ,  pourrait  avoir  ses 
libertés  comme  l'église  de  France  a  les  siennes. 
Tout  cela  indignait  le  pape  :  il  s'en  vengea, 
en  traversant  l'entreprise  de  la  Sorbonne, 
et  envoya  en  Russie  cinq  capucins  pour  né- 
gocier cette  réunion.  Ces  capucins  s'y  prirent 
mal  ;  ils  étaient  des  ignorans  qui,  au  rapport 
clu  père  Qiàen  ,  dominicain  ,  dirent  des 
injures  aux  Russes.  Ce  n'était  point  s'y  en- 
tendre pour  des  apôtres.  Les  jésuites  eussent 
été  plus  propres  à  cette  mission  ;  mais  le 
czar ,  qui  en  France  avait  appris  combien 
Ils  étaient  turbulens  et  dangereux  ,  les  avait 
chassés  en  rentrant  dans  ses  états. 

La  Sorbonne  ne  s'en  tint  pas  à  la  réponse 
de  l'archevêque  de  Novogorod  ;  elle  écrivit 
à  quelques  éveques  Russes  pour  traiter  de 
cette  réunion.  Le  czar  en  fut  instruit ,  ainsi 
que  de  la  commission  dont  étaient  chargés , 
au  nom  du  pape ,  les  cinq  capucins.  Le  peu- 
ple et  le  clergé  Russes  ,  instruits  de  ce  qu'on 
tramait ,  prirent  l'allarme  ;  mais  pour  la 
dissiper ,  le  czar  institua  la  fête  du  conclave. 
Cette  fête  était  une  farçe  grossière,  mai* 


Fête  du  conclave.  2.91 
instructive.  Elle  apprenait  aux  Russes  qu'ils 
n'avaient  rien  à  craindre,  au  pape  qu'il  n'a- 
vait rien  à  espérer  de  ses  émissaires ,  et  à  la 
Sorbonne  qu'elle  n'avait  rien  à  attendre  dé 
son  mémoire  et  de  ses  lettres. 

Dans  le  palais  impérial  ,  il  y  avait  un 
vieil  yvrogne,  nommé  Sotof;  c'était  une 
espèce  de  fou  ,  qui  demandait  les  premières 
dignités  de  l'empire  ;  le  czar  le  créa  Kenef 
papa  ,  et  lui  donna  ,  pour  soutenir  cette  di- 
gnité ,  de  bons  appointemens  et  une  maison 
qu'on  nomma  le  palais  papal.  Sotof ,  qui 
s'entendait  en  plaisanterie,  se  forma  un  col- 
lège de  cardinaux  ,  fit  annoncer  au  peuple  le 
jour  de  son  installation  à  la  papauté  ,  et 
ordonna  une  procession.  A  la  tête  de  ses 
Cardinaux  et  de  tout  son  clergé ,  il  prit  pos-* 
séssion  de  son  palais.  Des  baladins  l'instal- 
lèrent avec  de  grandes  cérémonies  sur  la 
chaire  pontificale.  Quatre  muets  en  surplis 
]e  félicitèrent  sur  son  intionisation.  Une 
des  singularités  de  cette  farce  ,  c'est  que  le 
pape  ,  les  cardinaux  ,  les  harangueurs  qui  le 
complimentèrent,  les  baladins  qui  Pinstal-;* 
lèrent ,  en  un  mot  tous  les  clercs  de  la  cha- 
pelle papale  Russe  étaient  y  vres  d'eau-de-vie. 
Après  la  mort  de  Sotof,  on  nomma,  tu< 

T  2 


292  "La  Sorhonne  dépêche 

autre  Kenef   et  la  dignité  ne  fut  supprimé» 

qu'après  que  le  peuple  fut  bien  persuadé  que 
l'église  grecque  ne  serait  jamais  dépendante 
de  l'église  romaine  :  ces  amusemens  grossiers 
entretenaient  la  Russie  dans  son  aversion 
pour  le  pape. 

Cct!e  farce  ,  politique  autant  que  burles- 
que, fit  pcn're  pour  quelque  tems  à  la  Sor- 
borme  l'espérance  de  consommer  la  réunion 
des  deux  églises.  Cependant,  après  la  mort 
du  czar  ,  arrivée  en  17/7,'  elle  envoya  en 
Russie  un  prêtre  nommé  Jubé  ,  curé  d'As- 
llières  près  de  Paris ,  et  persécuté  pour  le 
jansénisme  ;  il  s'était  sauvé  de  sa  cure  ;  il  y 
avait  un  ordre  de  l'arrêter  pour  avoir  col- 
porté des  livres  de  jansénisme.  Il  erra  quel- 
que tems  de  province  en  province  ,  deman-i 
dant  son  pain  ;  réfugié  ensuite  en  Hollande,' 
il  y  vécut  très- Ion g-tems  d'aumônes.  En 
1728  ,  la  Sorbonne  lui  remit  des  lettres  de 
créance  pour  aller  traiter  avec  le  clergé 
russe  du  rapprochement  des  deux  églises  : 
le  cardinal  de  NoaiHes  ,  qui  le  vit  en  secret, 
lui  donna  sa  bénédiction  ,  et  il  partit. 

Les  pouvoirs  donnés  au  docteur  Jubé  fu- 
rent signés  par  douze  jansénistes  de  Sor- 
bonne :  cette  signature  mérite  d'être  obseï- 


un  envoyé  en  Rvssîe.  2q3 
yée.  Ces  jansénistes  travaillaient  à  agrandir 
l'empire  du  pape  ,  dansle  tems  même  que  le 
pape  les  rejettait  du  sein  de  l'église  ,  et  fai^ 
sait  pleuvoir  sur  eux  tous  les  foudres  du  Va- 
tican. 

L'envoyé  de  sorbonne  ,  en  arrivant  en 
Kussie  ,  se  fit  précepteur  de  la  princesse 
à? Olgojvuski qu'il  avait  connue  en  Hollande 
dans  le  tems  que  le  prince  son  mari  y  était 
ambassadeur.  Cet  état  de  précepteur  le  mit 
à  portée  de  connaître  le  prince  de  Galitzm > 
qui  gouvernait  l'empire,  et  JVasili  d'Olgo- 
rouski  ,  qui  avait  accompagné  Pierre  I  en 
France  ,  et  qui  était  venu  avec  lui  en  Sor- 
bonne. 

Ce  prince  n'avait  point  d'en  fans  ,  mais  il 
avait  un  neveu  nommé  Jeaques ,  qui  avait 
été  élevé  à  Paris  dans  le  rite  latin.  Le  patriar*- 
chat  ,  que  le  czar  avait  détruit  et  qu'on  de- 
vait rétablir ,  était  destiné  à  ce  neveu.  Ffra- 
si/i  était  flatté  d'une  telle  distinction  pour 
sa  lamille.  Sa  femme  professait  la  religion 
romaine. 

En  1730,  les  espérances  de  cette  famille 
et  celles  du  docteur  Jubé  s'évanouirent  lout- 
<à-coup.   Le  czar  Pierre  II  wionrut  le  jour 

T  3 


;>,()4  Scène  polit/que 

même    qu'on  devait  célébrer   ses  noces 

avec  Catherine  KG/gorouski ,  sœur  de  Jea- 

ques. 

La  princesse  Anne  ,  duchesse  de  Cour- 
lande  ,  fille  de  Yvan  ,  frère  aîné  de  Pierre  I3 
fut  appellée  au  trône.  L'archevêque  deNovo- 
gorod  ,  en  faveur  sous  ce  nouveau  règne, 
fit  punir  tous  ceux  qui  avaient  parlé  de  la 
réunion  de  l'église  russe  avec  l'église  de 
Rome  ,  et  tous  ceux  qui  l'avaient  favorisée. 
Tou'-e  la  famille  des  d' O/gorouski  fut  pros- 
crite. WasiU  fut  exilé  à  l'extrémité  du  lac 
La  doga.  Le  prince  Démett  ais ,  de  cette  même 
famille  ,  fut  envoyé  aux  galères  ,  et  Jeaques, 
qui  devait  être  patriarche,  fut  condamné  à 
être  matelot.  La  princesse  Galitzin-d'GLgo- 
rouski  ohùxït  son  pardon  en  abjurant  le  ca- 
tholicisme que  l'impératrice  An?ie  appellait 
religion  diabolique. 

Jubé,  l'envoyé  de  Soi  bonne  ,  qui  confes- 
sait cette  princesse ,  eut  ordre  de  sortir  de 
l'empire  ,  où  il  n'avait  fait  d'autre  métier 
que  celui  de  précepteur  ,  de  confesseur  et 
de  disputeur.  Il  revint  à  Paris  ,  et  il  mourut 
en  1745  à  l'hôpital  ,  très- persuadé  que  si 
dieu  avoit  envoyé  avec  lui  la  graée  efficace 


Dénouée  en  Russie. 
aux  russes ,  ils  auraient  reconnu  la  puissance 
du  pape,  et  auraient,  d'un  bout  de  l'empire 
à  l'autre  ,  chanté  le  Credo  à  la  manière  de 
Rome  ,  ce  qui  eût  fait  un  grand  honneur  à 
la  Sorbcnne. 


at>6 


CHAPITRE  LXVI. 

T)u  diacre  Paris  ,  des  miracles  qiiiljît  dans 
un  cimetière  et  dans  des  galetas.  Conver- 
sion miraculeuse  d'un  conseiller  au  par- 
lement. 

Ïl  est  beau  de  voir  la  Sorbonne  combattre 
Rome  pour  la  cause  des  rois  et  des  peuples  , 
s'élever  contre  les  excommunications  in- 
justes et  contre  les  formulaires  de  foi  qui  sont 
toujours  dangereux  ;  mais  il  est  triste  de  voir 
cette  même  Sorbonne  troubler  la  France  pour 
la  grâce  efficace  et  pour  quelques  passages 
d'un  évêque  affricain  mort  depuis  quatorze 
siècles  aux  pieds  du  mont  Atlas. 

«  Dieu  est  pour  nous  ,  disaient  les  jansé- 
»  nistes  en  Sorbonne.  Pour  confondre  les 
sa  jésuites  ,  nos  ennemis  et  les  ennemis  de  la 
y>  religion  ,  il  guérit  autrefois  miraculeuse- 
»  ment  d'une  fistule  lacrymale  la  nièce  de 
y>  Pascal  :  aujourd'hui  il  vient  à  l'appui  de 
a»  notre  appel ,  en  manifestant  avec  éclat 
53  dans  le  cimetière  d'un  fauxbourg  de  Paris 
»  la  gloire  d'un  de  nos  saints. 


Miracle  opéré  par  un  janséniste,  lyf 
Avant  de  faire  des  miracles  à  Paris,  dieu 
en  avait  déjà  (ait  plusieurs  en  province  pour 
la  cavise  du  jansénisme.  Un  prêtre  ,  nommé 
Housse  ,  mourut  au  village  d'Avenai ,  dio- 
cèse de  Reims.  Sans  crédit  pendant  sa  vie 
auprès  des  hommes  ,  il  en  eut  après  sa  mort 
un  très-grand  auprès  de  dieu.  Anne  Augier , 
qui  avait  un  bras  perclus  et  le  sein  rongé 
d'un  cancer,  n'ayant  pu  obtenir  sa  guérison 
en  invoquant  saint  Remi  ,  s'adressa  à  feu 
M.  Rousse  ,  et  c'est  par  son  intercession 
qu'elle  obtint  l'usage  de  son  bras  et  la  guéri- 
son  de  son  sein.  Trente-huit  jansénistes  at- 
testèrent    miracle;  mais  les  grands  vicaires, 
qui  abhorraient  le  jansénisme  comme  une 
secte  qui  fermait  la  porte  aux  grâces  ecclé- 
siastiques ,  et  qui  préféraient ,  en  bons  calcu? 
lateurs,  des  abbayes  à  des  miracles  ,  défen- 
dirent aux  malades ,  par  un  mandement,  de 
s'adresser  ,  quand  ils  voudraient  recouvrer 
la  santé  ,  au  prêtre  Rousse  ,  de  faire  des 
neuvaines  et  des  pèlerinages  à  son  tombeau; 
et  il  ne  fut  plus  question  de  lui  dans  le  peu- 
ple. 

Peu  d'années  après  le  miracle  assez  obscur 
opéré  dans  un  village  sur  la  tombe  d'un  prêtre 
champenois  ,  dieu  en  lit  à  Paris  de  très- 


3Bj$  Miracles  opérés 

éciatans  sur, le  tombeau  d'un  diacre,  et  cela 
pour  prouver  que  la  bulle  Unigenittfs  était 
absurde  ;  que  le  pape  n'était  point  infail- 
lible ,  et  que  les  jésuites  étaient  des  f'rippons. 

Cediacie  s'appellait  François  Paris ,  frère 
d'un  conseiller  au  parlement  :  pour  plaire  à 
dieu  ,  il  ne  voulut  point  recevoir  Ja  prêtrise. 
Après  avoir  appelle  et  réappellé  de  la  bulle 
Unigcnitus  au  futur  concile,  il  renonça  à  sort 
patrimoine  et  au  sens  commun ,  et  alla  se 
cacher  dans  le  fauxbourg  saint  -  Marceau. 
Pendant  dix  ans  ,  son  occupation  fut  de  faire 
des  bas ,  et  mourut  dans  cette  obscurité  pour 
laquelle  il  était  né.  Ce  fauxbourg  ,  comme 
on  sait ,  est  le  quartier  de  la  misère  ,  de  la 
gueuserie  et  le  plus  mal  sain  de  la  capitale. 
Apres  la  mort  du  diacre  Paris  }  le  parti  jan- 
séniste lui  lit  jouer  un  grand  rôle  ;  il  en  fit 
un  faiseur  do  miracles  ,  un  Taumaturge. 

Quelques  gueux  malades  allèrent  prier  sur 
son  tombeau  ,  et  prétendirent  être  guéris. 
Vn  miracle  en  faveur  de  ces  gueux  leur  va- 
lut quelques  aumônes  et  de  la  considération 
dans  le  quartier  :  d'autres  gueux,  à  leur  tour,, 
et  se  disant  malades  pour  gagner  de  l'argent, 
et  avoir  de  la  considération  ,  invoquèrent 
le  nouveau  saint ,  et  guérirent*  Le  bruit  de 


par  le  diacre  Pans.  199 
Ces  guérisons  se  répandit  clans  tout  Paris; 
qJors  les  estropiés  ,  les  paralitiques  se  traînè- 
rent on  foule  au  cimetière  de  saint  Méclard: 
c'était -là  qu'était  enterré  le  diacre  Paris. 

A  la  cour ,  en  province  on  ne  parla  plus; 
quç  de  miracles  et  de  miraculés.  C'était  un 
tems  de  clémence.  Marguerite  Tibaut ,  Ma- 
rie Couroneau 3  Louise  Coirin ,  Louise  Har- 
doitin  }  Françoise  Duchesne  devinrent  le 
sujet  de  presque  tous  les  entretiens.  Les  uns; 
vantaient  leur  foi  :  les  autres  les  chanson- 
naient  ;  toutes  ces  femmes,  les  unes  hydro- 
piques ,  les  autres  paralitiques  ou  couvertes 
de  plaies  et  d'ulcères,  recouvrèrent  la  santé 
en  se  couchant  et  en  se  trémoussant  .sur  le 
diacre  Paris,  ou  ,  pour  parler  le  langage  de 
ses  partisans  ,  sur  les  précieux  restes  de  sa 
moralité.  Cent  témoins  trompés  et  trom- 
peurs attestaient  ces  nouveaux  miracles  qui 
n'ont  servi  qu'à  décréditer  les  anciens  faits 
dans  des  tems  moins  éclairés. 

Philippe  Sergent,  carcleur  de  laine ,  Pierre 
Gautier  et  un  abbé  Becheraud  eurent  part 
aux  miracles  du  bienheureux  diacre.  Cet 
abbé  avait  une  jambe  plus  courte  l'une  que 
l'autre  ,  le  gazetier  cccicsiasfciqne  publia  que 
sa  jambe  s'était  allongée  d'un  pouce  ;  mais 


3oo  Miracles  manqué  s. 

cette  jambe  bien  examinée,  au  bout  d'uri  cer- 
tain tuns  ,  ne  se  trouva  allongée  que  d'une 
ligne  ;  aussi  cette  guérison  ne  fut-elle  re- 
gaidée  qu  e  comme  un  demi  -  miracle.  La 
foi  de  cet  abbé  Languedocien  n'était  proba- 
blement pas  entière  ,  ce  n'était  peut-être 
qu'une  demi-foi  ;  malgré  cet  inconvénient  , 
il  allait  devenir  ,  pour  la  canaille  ,  un  objet 
de  vénération  ,  si  le  gouvernement  ne  l'eût 
fait  enfermer  à  saint-Lazare.  Il  manqua  aussi 
quelque  chose  à  la  foi  de  Marguerite  Tibaut\ 
car  après  sa  guérison,  il  lui  re6ta  trois  doigts 
crochus  ,  mais  on  doit  convenir  que  dans  le« 
merveilles  de  dieu  ,  trois  doigts  sont  peu  d© 
chose. 

Don  Alphonse  de  Talacio  ,  fils  du  sur* 
intendant  des  postes  de  l'Espagne ,  fut  un  de 
ceux  qui ,  parmi  les  miraculés  ,  eut  le  plus 
de  célébrité.  Ce  jeune  homme  ,  étudiant  au 
collège  de  Navarre  ,  borgne  de  l'œil  gauche  , 
était  menacé  de  perdre  l'œil  droit  des  suites 
d'un  coup  de  poing  qu'il  reçut  d'un  cama- 
rade d'école.  Ceux  qui  veillaient  à  l'instruc- 
tion de  ce  jeune  espagnol  firent  appeller  un 
apothicaire,  qui  bassina  cet  œil  avec  de  l'eau 
de  guimauve  mêlée  avec  du  jus  de  solanum. 
Ce  bain  produisit  un  bon  effet.  L'apothicaire 


Convulsions'.  3ot 
te  réjouissait  d'avoir  guéri  cet  œil  ;  mais  les 
jansénistes  revendiquèrent  cette  guérison, 
en  disant  que  le  linge  dont  il  s'était  servi 
^tait  un  morceau  de  la  chemise  du  diacre 
Paris.  On  fit  entendre  des  témoins  et  dres- 
ser un  procès-verbal  du  miracle. 

La  manière  dont  on  s'y  prenait  pour  ob- 
tenir un  miracle  mérite  d'être  connue.  On 
posait  le  malade  sur  le  tombeau  du  diacre. 
Des  milliers  de  spectateurs  en  prières  ,  dans 
un  recueillement  religieux ,  étaient  attentifs 
à  l'œuvre  de  dieu.  Cet  œuvre  s'annonçait 
par  de  légers  frémissemens  qu'éprouvait  le 
corps  clu  malade.  A  ces  frémissemens  suc- 
cédaient des  convulsions  plus  marquées  ,  des 
trémoussemens  soudains  et  involontaires. 
Ces  convulsions  étaient  une  singularijé  qui 
accompagnait  une  guérison;  mais  qui,  aux 
yeux  des  jansénistes  ,  n'avaieut  rien  d'éton- 
nant :  elles  étaient  une  suite  de  l'état  d'effroi 
et  de  souffrance  qu'éprouvait  la  nature  en 
sentant  déranger  ses  loix  générales. 

Les  trémoussemens  furent  poussés  jus<- 
qu'aux  saults  ,  aux  pirouettes  et  aux  gam- 
bades. Ceux  qui  ont  avancé  qu'on  dansa  sur 
le  tombeau  du  diacre  Paris  n'ont  dit  qu'une 
vérité  en  preuve  de  laquelle  déposent  des 


5oa  Convulsionnaires  et  frippons. 
témoins  oculaires  et  même  vivans.  Ces  té- 
moins ,  au  moment  où  nous  écrivons  l'his- 
toire de  ces  turpitudes  ,  attestent  qu'ayant 
plusieurs  fois  assisté  à  cette  dégoûtante  co- 
médie ,  ils  n'avaient  vu  dans  le  cimetière  de 
saint  Médard  que  des  milliers  de  sots  en 
admiration, et  quelques  frippon s  qui  jouaient 
bien  leur  rôle.  Quiconque ,  nous  ajoutent  ces 
mêmes  témoins  ,  eût  osé  ,  soit  par  un  ris 
moqueur  ,  soit  par  un  geste  de  mépris  ou 
d'indignation  ,  troubler  ces  abominables 
mystères,eût  couru  les risquesdeperdrela  vie. 

Ce  qui  pouvait  indigner ,  c'était  de  voir; 
dans  ce  cimetière  des  conseillers  au  parle- 
ment ,  des  magistrats  de  toutes  les  cours 
souveraines ,  en  robe  de  palais  par  respect1 
pour  le  bienheureux;  les  femmes  de  ces  ma- 
gistrats ,  leurs  confesseurs  ,  des  oratoriens  , 
des  docteurs  de  Sorbonne,  se  mêler  à  la  lie 
du  peuple  ,  et  par  leur  présence  accréditer 
ces  extravagantes  bouffonneries. 

Le  gouvernement,  étonné  des  progrès  de" 
ce  fanatisme  ,  fit  fermer  le  cimetière  de 
saint  Médard.  Un  plaisant  écrivitsur  laporte  j 

De  par  le  roi ,  défense  à  dieu  , 
De  faire  miracle  en  ce  lieu. 


Fanatisme  des  seconrs.  3o3 
et  les  miracles  continuèrent.  La  poussière 
ramassée  autour  du  cimetière  opérait  des 
guérisons  moins  éclatantes,  mais  non  moins 
réelles.  L'eau  du  puits  tlu  diacre  était  mer- 
veilleuse pour  les  plaies ,  pour  les  yeux  et 
pour  les  hémorroïdes.  On  arrêta  tous  ceux 
qui  se  présentèrent  pour  invoquer  Paris  :  on 
mit  à  La  bastille  ceux  qui  méritaient  quelques 
égards  ,  et  la  canaille  fut  enfermée ,  soit  à 
la  salpêtrière,  soit  à  bicêtre. 

Une  sentinelle  veillait  sans  cesse  autour 
du  tombeau  ;  mais  les  fanatiques ,  n'osant  en 
approcher  ,  se  réunirent  dans  des  maisons 
particulières ,  pour  prier  et  invoquer  en 
commun  le  bienheureux  diacre.  On  ne  se 
borna  pas  à  trembler  et  à  se  contordre  les 
membres  ;  pour  guérir  on  eut  besoin  de  se 
faire  fouetter  et  de  se  faire  battre.  A  force 
de  s'exercer,  les  convulsionnaires  parvinrent 
à  soutenir  l'épreuve  du  feu  et  de  la  croix  > 
des  coups  de  bûches  et  de  barre  de  fer  sur 
l'estomac.  Dans  ces  synagogues,  les  épreuves 
furent  appellées  l'œuvre  des  convulsions  y  ou 
l'exercice  du  chenet,  du  caillou  ,  de  la  bro- 
che et  de  la  croix.  Les  coups  étaient  appelles 
les  secours  ,  ou  le  capital  de  l'œuvre*  De 
jeunes  filles,  appellées  prophetesses,  fuient 


3o4  Fanatisme  des  secours? 
dressées  à  ces  charmans  exercices  ;  c'est-à- 
<iire  à  demander  et  à  soutenir  les  secours 
humains  ,  et  les  hommes  ne  manquèrent  ja~ 
maispourles  administrer. On  donna  le  nom  de 
jfreres  h.  cewx.  qui  administraient  ces  secours, 
ou  le  capital  de  l'œuvre.  Quand  les  sœurs 
demandaient  ces  secours ,  les  frères  ne  pou- 
vaient les  refuser  sans  pécher  grièvement 
contre  la  charité. 

On  distingua  les  grands  et  les  petits  se- 
cours :  pour  les  premiers  on  se  servait  du 
chenet ,  de  la  bûche  ,  de  la  proche ,  du  bâ- 
ton ;  ils  étaieut  bienfaisans  et  point  dange- 
reux. La  sœur  secourue  sous  les  coups  terri- 
bles qu'on  lui  administrait  était  non -seu- 
lement impassible  et  invulnérable  ,  mais 
encore  elle  éprouvait  un  grand  soulagement 
à  ses  souffrances.  Frappez  ,  mon  frère  ,  s'é- 
criait-elle ,fappez',  au  nom  de  dieu  ,  redou- 
blez vos  secours. 

L'œuvre  allait  en  croissant ,  chaque  jour  le 
fanatisme  enchérissait  sur  la  violence  des 
secours.  A  force  d'expériences  ,  on  trouva, 
avec  des  pommades  dont  on  se  graissait ,  le 
secret  d'arrêter  les  effets  du  feu.  Une  pro- 
phétesse ,  qu'on  nomma  la  salamandre  ,  se 
mettait  sur  un.  brasier  ardent  ;  et  quand  le 

feu 


Exercices  des  comulsionn aires.  3o5 
feu  expirait,  elle  criait  :  sucre  d'orge  :  c'é- 
tait l'argot.  Ce  sucre  d'orge  consistait  en  un 
bâton  aussi  gros  que  le  bras  et  pointu  par 
un  bout.  La  salamandre ,  en  sortant  du  feu, 
ployait  son  corps  en  arc  au  milieu  de  la 
chambre  ,  le  ventre  en  l'air  et  les  reins  por- 
tant sur  la  pointe  du  bâton  ;  dans  cette  si- 
tuation affreuse ,  elle  criait  :  biscuit ,  discuit. 
Ce  biscuit  était  une  pierre  de  cinquante  livres 
attachée  à  une  corde  qui  passait  par  une 
poulie  accrochée  au  plancher.  On  laissait 
tomber  à  plusieurs  reprise*  cette  pierre  sur 
l'estomac  de  la  sœur.  Ce  secours  était  réitéré 
jusqu'à  ce  que  la  sœur  cessât  de  crier  sucre 
d'orge. 

L'exercice  de  la  broche  avait  encore  quel-  Exercice 
que  chose  de  plus  merveilleux.  On  embro-  ^gla  ^ro" 
chait  une  sœur  toute  nue ,  de  l'espèce  de  la 
salamandre ,  à  peu-près  comme  on  embro- 
che réellement  un  aloyau.  On  attachait  une 
poularde  sur  ses  reins.  Un  frère  tournait  la 
broche  devant  un  feu  très-ardent  :  le  mer- 
veilleux de  ce  secours  était  l'impassibilité 
de  la  sœur  embrochée  ,  pendant  que  la  pou- 
larde cuisait  sur  son  derrière. 

Nous  rapporterons  encore  l'exercice  de  la  Exercice 
croix;  c'était  un  vrai  crucifiement.  On  clouait  delacr»lX« 

Terne  IL    .  V 


3c6  Exercices  des  convulsionnai f es  '. 
à  une  croix  un  frère  ou  une  sœur,  à  kr 
quelle  on  donnait  ensuite  plusieurs  coups 
de  lance  ;  les  spectateurs  avaient  la  permis- 
sion d'aller  sur  elle  à  coups  d'épée.  Le  sang 
coulait  des  pieds  et  des  mains  et  du  côté  de 
la  crucifiée.  Les  sots  et  f  rippons ,  de  con- 
cert, criaient  au  miracle.  La  sœur  expirait, 
mais  sa  mort  n'était  qu'un  assoupissement 
mystérieux  qui  terminait  ses  souffrances. 
Elle  descendait  ensuite  de  la  croix  toute 
joyeuse,  sans  qu'on  apperçût  ni  sur  ses  mains- 
ni  sur  son  côté  les  moindres  vestiges  des 
coups  de  lance  qu'elle  avait  reçus. 

Tous  ces  tours  de  charlatans,  dont  le  mer- 
veilleux paraît  aussi  incroyable  qu'il  sem- 
blait barbare,  se  terminaient  toujours  par  des 
imprécations  contre  la  bulle  unigenïtus , 
pour  annoncer  le  triomphe  de  la  grâce  et  la 
chute  des  jésuites.  Les  expressions  indécentes 
et  les  blasphèmes  n'étaient  point  ménagés. 
C'était  le  style  de  ces  prophètes  de  greniers  ; 
le  tout  était  mêlé  de  prières ,  d'hymnes  à 
l'honneur  du  diacre  Paris,  et  des  litanies  des 
saints  jansénistes.  On  prêchait ,  on  disait  la 
messe.  Frère  H? taire  rebaptisait.  Ce  nouveau 
baptême  était  celui  de  la  perfection. 
JDaiis  l'administration  de  ces  secours  ef- 


iSeetcs  des  convulsionnairesl  3c>7 
frayàns ,  aucune  miraculée  ne  périt ,  peu  fu- 
rent blessées ,  et  il  y  en  eut  un  grand  nom- 
bre qui,  dit-on,  guérirent  de  maladies  in- 
curables. En  1737  on  comptait  plus  de  six 
cents  filles  qui  avaient  demandé  les  secours, 
et  plus  de  six  mille  frères  qui  les  avaient 
administrés. 

Bien  des  personnes  qui  avaient  déclamé 
contre  ces  secours  appellés  l'œuvre  de  dieu, 
finirent  par  les  demander.  Telle  fut  sœur 
Cabane  :  elle  avait  poussé  l'impiété  jusqu'à 
rire  et  mal  parler  de  ces  saintes  farces. 
Mais  bientôt  vaincue  par  la  grâce  efficace  , 
elle  devint  une  des  plus  fameuses  prophé- 
tesses  de  l'ordre  des  secouristes  :  elle  se  fit 
mettre  tour  a  tour  à  la  croix  et  à  la  broche- , 
prédit  aux  Jésuites  des  choses  terribles  qui 
leur  sont  déjà  arrivées  ;  elle  annonça  aussi 
aux  papes  de  grands  malheurs  qui ,  avec  le 
temps ,  pourront  bien  aussi  leur  arriver. 

Ce  fanatisme  des  secours  qui  se  variait  à 
l'infini  ,  se  partagea  en  plusieurs  sectes  ; 
il  y  eut  des  augustinistes, des  naturalistes  ou 
figuristcs,  des  vaillantistes ,  des  mélan gis  tes 
et  des  discernans. 

Frerc  Augustin  ,  effrayé  de  la  violence 
dçs  grands  secours,  fit  bande  à  part.  Les 


3o8       Sectes  des  comulsionnairesi 
Augusti-  siens  lui  donnèrent  le  nom  de  précurseur  ; 
pistes.       paais  les  autres  secouristes  ne  le  regardèrent 
que  comme  un  apostat  indigne  du  nom  de 
dieu.  Dans  sa  troupe  on  n'administrait  que 
les  petis  secours  que  ses  adversaires  rendi- 
rent suspects  d'indécence.  Ce  n'était,  di- 
saient-ils ,  que  la  fantaisie  ou  la  sugestion 
du  malin  qui  les  demandait.    Quand  par 
hazard  l'événement  prédit  arrivait,  on  com- 
parait ces  petites  prophéties  à  celles  de  l'â- 
nesse  de  Bdlaam.  Les  grands  secouristes  ne 
désapprouvraient  pourtantpas  certains  petits 
secours ,  quand  l'instinct  d'une  bonne  con>- 
vidsion  V exigeait. 
Natura-      Dans  le  grenier  de  frère  Augustin  on  au- 
figuristes"  tor*salt  y  ^  ^a  vérité  ,   des  expressions  qui 
étaient  ©elles  de  la  luxure ,  et  des  attitudes 
opposées  à  la  pudeur ,  sous  prétexte  qu'elles 
étaient  des  figures.  Une  couvulsionnaire  se 
mettait  toute  nue  pour  représenter  la  nudité 
de  J.  C.  et  la  beauté  de  son  église.  On  ra- 
conte qu'il  y  en  avait  une  qui ,  marchant  à 
quatre  pattes  ,  portait  deux  prêtres  sur  son 
dos.  Tout  cela  était  des  figures  ,  des  emblè- 
mes ,  des  symboles  tels  qu'on  en  trouve  dans 
les  prophètes. 

Pendant  que  frère  Augustin  se  disait  la 


Sectes  des  convutsiorniaîres.  009 

précurseur  ,  et  que  les  sœurs  de  son  grenier  Vaillantî- 

1  1      .  *  *,  nistes  ou 

montraient  leur  derrière  ,  dans  d  autres  ^-liiéSt 

préaux  les  prophétesses  annonçaient  l'aven  e- 
ment  d'Èlie  ;  cet  Elle  qu'on  attendait  était 
l'abbé  Vaillant ,  qui  avait  été  chassé  de  la 
trape ,  et  que  le  gouvernement  avait  fait  en- 
fermer à  la  bastille  :  il  s'était  fait ,  par  ses  fo- 
lies et  ses  prédictions,  un  grand  nom  parmi 
les  fanatiques  du  fauxbonrg  St.  Marceau. 
Dieu  devait  le  sortir  de  la  bastille  par  un 
miracle,  comme  il  sortit  autrefois  St. Pierre 
de  sa  prison.  Le  nouvel  Elle  devait  paraître 
au  milieu  des  airs  et  se  montrer  à  tout  Paris. 
Le  peuple  passa  plusieurs  nui: s  d'été  dans 
l'attente  de  son  avènement.  Pour  disperser 
les  attroupemens  qui  se  formaient  ,  on  fut 
obligé  de  faire  marcher  en  force  le  guet;  et 
Elie  ne  parut  pas. 

Frère  Vaillant,  avant  d'être  enfermé  à  la 
bastille,  avait  soufflé  sur  sœur  Magdeloru 
C'était  à-peu-près'  vers  le  temps  que  le  jé- 
suite Girard  était  accusé  d'avoir  soufflé  sur 
la  belle  Cadiere.  Je  ne  sais  ce  qu'on  doit  en- 
tendre par  ce  souffle  du  frère  Vaillant  >  non 
plus-  ce  qui  arriva  à  sœur  Magdelon.  Mais 
dans  les  mémoires  du  temps  ,  on  trouve 
qu'il  y  eut  une  petite  prophétesse  de  la  trou- 

y  3 


3lo       Sêctes  des  comulsionnaireS'. 
pe  de  ce  Vaillant ,  dont  les  seins  et  le  ventfe 
grossirent  prodigieusement.  Ce  ne  fut  qu'au 
bout  de  neuf  mois  que  la  tumeur  disparut. 
C'était  un  symbole. 
Principe     On  voulut  savoir  quel  était  le  principe 

ftons!>nVU'  dominant  qui  opérait  le  merveilleux  de  là 
convulsion.  Cette  question  très-importante,- 
comme  on  voit ,  fut  Ion  g- temps  agitée  dans 
les  diverses  synagogues  des  secouristes.  Les 
nns  voulaient  que  ce  fût  l'œuvre  du  démon  , 
-  Les  dis-  les  autres  soutenaient  que  c'était  uniquement 

cernans.  pœuvre  <]e  c]ieu<  Au  milieu  de  ce  conflit 
d'opinions  parurent  les  discernons ,  qui  pré-^ 
tendirent  que  toute  convulsion  accompagnée 
de  secours  était  une  œuvre  mêlée ,  d'où  ils 
conclurent  que  ,  dans  le  merveilleux  de  la 
convulsion  ,  il  y  avait  le  diable  dominant 
Lét  mé-  et  le  diable  domJné.  Ceux  qui  embrassèrent 

îangistes.   ce  sentiment  se  nommèrent  les  mélangistes. 

Le  diable  ,  comme  on  voit ,  se  trouvait  de 
moitié  avec  dieu.  On  eut  aussi  des  demi-mi- 
racles et  des  miracles  manqués  ;  mais  qui 
n'en  étaient  pas  moins  l'œuvre  de  dieu. 

Les  évêques  de  France  furent  partagé»  sur 
ces  merveilles  ;  plusieurs  les  traitèrent  à! œu- 
vres sataniques ,  les  autres  les  placèrent  au 
rang  des  miracles.  On  donna  des  mande- 


Les  convuhîonnaires  persécutés,  oit 
lnens  pour  et  contre.  Chaque  parti  eut  à  ses 
gages  des  médecins  ,  des  chirurgiens  ,  des 
apothicaires  pour  les  attester  ou  pour  les  in- 
firmer. Les  jésuites  déconcertés  décriaient 
fort  sérieusement  ces  miracles  :  les  philoso- 
phes faisaient  mieux  ,  ils  les  mettaient  en 
chansons, 

Cependant ,  malgré  les  cris  des  jésuites ,  là 
vigilance  de  la  police  et  les  plaisanteries  des 
philosophes  ,  les  synagogues  des  secouristes 
Se  multipliaient.  Ce  n'était  pas  uniquement 
dans  le  fauxbourg  saint  -  Médard  qu'ils 
étaient  cantonnés  ;  il  s'en  établit  dans  plu- 
sieurs quartiers  de  Paris.  Ce  qui  était  déplo- 
rable ,  c'est  que  ce  ténébreux  fanatisme i 
dont  les  deux  ressorts  étaient  la  fourberie  et 
l'imagination ,  et  qui  semblait  ne  devoir  être 
que  la  pâture  de  la  populace  ,  avait  infecté 
une  partie  de  la  magistrature. 

La  police  ,  pour  nétoyer  les  galetas  de 
Paris  de  ces  vils  troupeaux  d'énergumenes , 
fut  obligée  d'en  venir  à  des  voies  de  rigueur. 
L'exil,  les  cachots  ,  les  prisons  furent ,  pen- 
dant plusieurs  années  ,  et  toujours  en  vain  ,. 
employés  contr'eux.  Biceire  et  la  Salpetriere 
regorgeaient  de  ces  malheureux.  Pour  en 
purger  Paria ,  il  eût ,  ce  semble ,  suffi  de  faire 

V  4 


Si  3  Le  parlement  refuse  d'informer'. 
jouer  leurs  miracles  sur  les  boulevards  et  sur 
les  théâtres  de  la  foire.  C'était  l'avis  de 
d' '  Alernbert  ,  qui  était  déjà  l'un  des  conseil- 
lers penseurs  de  l'état.  M.  à'Argenson  ,  qui 
l'avait  interrogé  sur  ces  turpitudes ,  pensait 
comme  lui.  Il  en  fut  question  au  conseil  du 
roi ,  mais  les  préjugés  de  la  plupart  des  mem- 
bres qui  composaient  alors  ce  conseil ,  firent 
rejetter  ce  remède ,  le  seul  qui  eût  pu  guérir 
et  désabuser  la  populace  ,  toujours  facile  à 
égarer  quand  des  frippons  et  des  charlatans 
lui  parlent  au  nom  de  dieu.  L'arnour-propre 
peut  trouver  son  compte  à  être  persécuté  ; 
mais  il  ne  plaça  jamais  sa  gloire  à  être  vili- 
pendé sur  des  théâtres  et  sifflé  du  public. 

Du  sein  de  la  persécution  ,  les  chefs  des 
convulsionn aires  s'adressèrent  au  parlement 
où  ils  avaient  beaucoup  de  partisans  et  d'a- 
deptes. Ils  demandèrent  d'informer  juridi- 
quement de  la  vérité  de  leurs  miracles  et  de 
la  bonté  de  leurs  secours.  La  grand'chambre 
refusa  cette  information  qui  l'eût  déshono- 
rée. Il  eût  en  effet  été  ridicule  de  publier  des 
arrêts  et  des  miracles.  On  blâma  pourtant 
le  parlement  de  ne  pas  défendre  aux  convul- 
sionnaires de  tenir  des  assemblées,  de  s'y 
faire  crucifier  et  mettre  à  la  broche. 


Conversion  de  Montgeron;  3i3 
La  conversion  à  jamais  mémorable  de 
Carré  de  Montgeron,  conseiller  an  parlement, 
est  un  des  événemens  des  pins  merveilleux 
du  tombeau  du  diacre  Paris.  C'est  d'après  lui- 
même  que  nous  allons  en  parler.  Ce  magis- 
trat était  un  homme  débauché  ,  crapuleux , 
dur  ,  vain,  violent  et  lâche.  Il  avait ,  dit-il , 
lame  vile  et  méprisable.  La  prostitution  des 
femmes  et  des  filles  était  le  prix  des  grâces 
qu'il  vendait  à  Bourges  et  à  Limoges ,  dont 
son  père  fut  successivement  intendant.  Dans 
cette  dernière  ville  il  nia  une  dette.  L'arti- 
san qui  lui  avait  prêté  son  argent  lui  assena 
publiquement  un  coup  de  poing  sur  le  visage. 
Après  l'aventure  de  ce  soufflet ,  le  fils  de 
M.  l'intendant  se  fit  magistrat  au  parlement 
de  Paris ,  et  n'en  fut  ni  plus  sage  ni  plus 
honnête  homme.  Pour  vivre  plus  librement 
avec  les  filles  des  rues ,  il  ne  voulut ,  dit- il , 
ni  se  marier  ,  ni  prendre  une  maîtresse.  A 
tant  de  vices  il  joignait  la  peur  de  l'enfer. 
C'est  ainsi  que  Carre 'de Montgeron ,  pendant 
plusieurs  années ,  vécut  daus  la  débauche  et 
la  crainte  du  diable. 

La  curiosité  le  mena  au  tombeau  de  Paris. 
Il  voulait  s'amuser  des  prodiges  qui  s'y  opé- 
raient j  mais  c  etait-là  que  dieu  l'attendait- 


k  i  4  Imbécillité  dû  MoîltgerOïT 
Une  lumière  céleste  le  terrassa  ,  des  écailles 
épaisses  lui  tombèrent  des  yeux  ;  il  reconnut 
dieu  et  son  bienheureux  diacre  -y  il  devint 
l'apôtre  des  miracles  qu'il  avait  décriés  ,  et 
finit  par  en  être  le  martyr.  Il  rassembla  en  un 
énorme  volume  toutes  les  guérisonsque  dieu 
avait  opérées  par  l'intercession  de  son  servi- 
teur Paris.  Chaque  miracle  était  renforcé 
du  suffrage  de  plusieurs  médecins  et  chirur- 
giens ,  d'une  foule  de  témoins  oculaires  qui 
en  attestaient  la  vérité.  Quand  cette  compi- 
lation fut  achevée  ,  ce  fanatique  ,  vêtu  de  la. 
simarre  de  magistrat,  se  rendit  à  Versailles  et 
la  présenta. à  Louis  XV.  C'était  se  dévouer. 
Il  fut  arrêté  et  enfermé  à  la  bastille ,  et  il  ne 
devait  l'être  qu'aux  petites  maisons.  Sa  cause 
devint  celle  de  tout  le  parlement.  Les  cham- 
bres s'assemblèrent  et  envoyèrent  des  dé- 
putés à  Versailles  pour  demander  leur  con- 
frère, qui  était  un  insensé,  et  qui  ne  méritait 
pas  les  démarches  d'une  compagnie  d'hom- 
mes sages. 

Cependant  les  miracles  ,  les  convulsions 
et  les  secours  s'accréditaient  déplus  en  plus. 
Trente  docteurs  de  Sorbonne  consultés  , 
répondirent  que  ces  miracles  de  greniers 
devaient  être  livrés  au  mépris,  que  les  secours 


"'Reproche  à  la  Sorbonne.  3i5 
étaient  indécens  ,  inhumains  ,  meurtriers  , 
et  qu'on  était  coupable  de  les  demander  et 
de  les  administrer. 

Cette  réponse  semblait  être  un  désaveu  de 
plusieurs  autres  docteurs  de  Sorbonne  qui 
appuyaient  ces  turpitudes  ;  elle  n'empêcha 
pourtant  pas  les  reproches  que  plusieurs 
évêques  leur  firent  d'avoir  donné  naissance 
aux  convulsions  ,  et  d'avoir  mis  en  vogue  le3 
folies  de  Saint  Médard. 

Le  tems  qui  nous  presse  ne  nous  permet 
pas  d'examiner  quel  peut  être  le  degré  de 
vérité  et  d'exactitude  de  ce  reproche  ;  ce  qui 
est  certain ,  c'est  que  le  premier  témoin  cité 
par  Carré  de  Monlgeron  dans  son  histoire 
des  convulsions,  est  un  docteur  de  Sorbonne. 
Ecouterez-vous  encore  ces  docteurs  ,  et  vous 
Jwrez-vousplus  long-tems  à  eux,  disait  à  ses 
diocésains  Lan  guet ,  archevêque  de  Sens. 
Il  reprochait  à  ces  docteurs  d'aller  de  galetas 
en  galetas  admirer  les  saulis  ,  les  culbutes  et 
les  crtiçifiemens d'une  canaille  moitié  fourbe 
et  moitié  fanatique.  On  vit  en  effet  beaucoup 
de  théologiens  ,  ainsi  que  beaucoup  de  ma- 
gistrats ,  se  mêler  avec  les  frères  et  les  sœurs, 
encourager  par  leur  présence  l'œuvre  des 
convulsions  et  administrer  eux-mêmes  les 


3i<5 

grands  secours  ,  c'est-à-dire  ,  des  coups  de 
broche  ou  de  barre  de  fer  sur  l'estomac  en- 
cuirassé  des  petites  prophétesses  que  les  Jan- 
sénistes soudoyaient. 

N'arrêtons  pas  plus  long-tems  nos  regards 
«ur  ces  objets  de  la  démence  et  de  la  frippon- 
nerie  ;  ils  sont  trop  humilians  pour  la  raison 
humaine,  pour  la  nation  et  pour  le  siècle 
où  nous  vivons.  Passons  à  des  sujets  plus 
dignes  de  la  curiosité  d'un  lecteur  qui  veut 
s'instruire.  Voyons  les  grands  hommes  s'oc- 
cuper à  éclairer  la  France  ,  tandis  que  le  fa- 
natisme travaillait  à  l'égarer  et  à  l'avilir. 
Racontons  les  persécutions  que  leur  fit  la 
Sorbonne  ,  et  tous  les  dangers  auxquels  ces 
grands  hommes,  de  leur  vivant,  furent  expo- 
sés pour  avoir  dit  la  vérité. 


CHAPITRE  LXVII. 

Montesquieu  juge  par  la  Sorbonne.  Buffon 
menacé.  Encyclopédie.  Déisme  soutenu 
en  Sorbonne. 

Ije  fanatisme  des  conclusions ,  auquel  tant 
de  magistrats  et  tant  de  théologiens  pri- 
rent part,  durait  encore.  Les  parlemens  et 
les  évêques  continuaient  à  se  faire  pour  la 
bulle  unigenitus ,  avec  des  arrêts  et  des  man- 
demens  ,  une  guerre  interminable.  \  ing6 
fois,  et  toujours  en  vain  ,  le  roi  interposa  son 
autorité  par  des  édits  et  des  déclarations  de 
son  conseil  :  tout  fut  inutile.  Les  évêques  se 
croyaient  en  droit,  malgré  le  roi  et  les  parle- 
mens ,  d'instruire  leurs  diocèses  ;  et  les  parle- 
mens ,  de  leur  coté  ,  malgré  le  roi ,  et  au  nom 
du  roi ,  se  croyaient  en  droit  de  brûler  les 
man démens  des  évêques. 

Pour  ramener  la  paix ,  il  s'agissait  de  ren- 
dre les  français  raisonnables.  Des  hommes 
de  génie  s'occupaient  de  ce  grand  ouvrage. 
A  l'ombre  des  querelles  odieuses  et  ridi- 
cules du  jansénisme ,  ils  disséminaient  en  si- 


3i8  Sectaires  ennemis  de  la  philosophie. 
lenee  les  germes  de  cette  philosophie ,  la- 
quelle ,  eh  respectant  une  religion  instituée 
pour  unir  les  hommes ,  dissipe  les  préjugés 
qui  les  rendent  ennemis  les  uns  des  autres  , 
•et  les  exposent  au  danger  de  s'entr'égorger 
pour  des  fadaises.  Montesquieu  ,  ce  vrai- 
ment grand  homme  à  la  gloire  duquel  le 
temps  a  déjà  imprimé  un  sceau  inéfaçable  , 
fut  un  de  ceux  qui,  après  Voltaire  ,  contri- 
bué! eut  le  plus  à  répandre  en  France  les  ger- 
mes de  cette  philosophie. 

h' esprit  des  loia:,  l'un  des  plus  beaux  mo- 
ïrumens  qu'on  ait  encore  élevé  au  bonheur 
des  hommes,  lui  coûta  un  tiers  de  sa  vie  et 
ne  lui  valut  que  la  perte  de  son  repos.  Il  était 
rare  alors  qu'un  bon  livre,  sous  les  chaînes 
du  despotisme ,  pût  produire  autre  chose. 
On  le  menaça  d'abord  de  l'exclure  de  l'aca- 
démie française.  Cet  affront  n'eût  point  flétri 
sa  gloire,  et  eût  déshonoré  ses  persécuteurs. 

Les  jansénistes  ,  ces  sectaires  dangereux 
que  leurs  convulsions  ,  leurs  miracles  de  ga- 
letas couvraient  d'opprobre  ;  les  molinistes , 
ces  autres  sectaires  moins  obscurs,  à  la  vérité , 
mais  plus  actifs,  plus  violens  et  plus  dange- 
reux encore ,  attendu  qu'ils  étaient  confes- 
seurs, prédicateurs ,  directeurs ,  courtisans  et 


%,a  Sorbonne  tourmente  Montesquieu.  3ï£. 
journalistes,  s'armèrent  contre  Montesquieu, 
pt  contre  son  livre  :  ils  commencèrent  par  le 
.traiter  d'athée ,  de  déiste  et  de  séditieux. 

La  Sorbonne  ne  crut  pas  devoir  garder  le 
silence  :  elle  se  joignit  à  ses  persécuteurs , 
pt  voulut  l'accabler  en  proscrivant  solen- 
nellement l'esprit  des  loix.  Dix-huit  propo- 
sitions ,  dont  la  plupart  sont  aujourd'hui  re» 
connues  pour  des  vérités  d'état,  lui  parurent 
i-epréheiisibles.  La  censure  de  l'esprit  des 
loix  causa  à  la  Sorbonne  deux  ans  de  travail, 
et  lorsqu'elle  fut  achevée ,  elle  n'osa  la  pu- 
blier ;  son  zèle  se  borna  à  menacer  de  tems  à 
autre  Montesquieu.  Ces  tracasseries  empoi- 
sonnèrent les  dernières  années  de  sa  vie ,  et 
finirent  de  ruiner  sa  constitution  naturelle- 
ment faible.  Le  jésuite  Roust  se  venta  de  lui 
avoir  fait  faire ,  au  moment  de  son  agonie  , 
une  rétractation,  et  Roust£uX  convaincu  de 
mensonge. 

L'orage  que  la  Sorbonne  éleva  sur  la  tête 
de  ce-  grand  homme  ne  tarda  pas  à  gronder 
sur  celle  de  Buffon ,  dont  le  sentiment  sur 
la  forme  et  l'antiquité  de  notre  planette  ne 
paraît  pas  quadrer  avec  le  récit  de  Moyse 
sur  la  création  de  la  terre.  Il  prétend  qu'elle 
n'est  qu'une  parcelle  séparée  de  la  masse  du 


3io  Buffon  mejiacé. 

soleil.  Qu'au  sortir  du  soleil,  et  de  l'état  do 

liquéfaction,  elle  passa  à  l'état  d'un  globe  de 
verre  ,  lequel  ne  fut  terre  habitable  que 
lorsque  le  refroidissement  des  pôles  eut  suc- 
cédé à  sa  longue  incandescence. 

Les  opinions  du  Buffon  sur  quelques 
points  de  métaphysique  ,  ne  paraissent  pas 
non  plus  être  celles  de  la  théologie  ;  il  assure 
que  nous  ne  faisons  qu'un ,  l  existence  de 
notre  ame  et  nous  ;  que  Vame  est  impassible 
par  essence.  La  Sorbonne  fit  un  petit  extrait 
des  assertions  de  X histoire  naturelle ,  et  les- 
quelles étaient ,  disait-elle  ,  contraires  à  la 
croyance  de  l'église.  L'extrait  fut  renvoyé 
à  Buffon,  qui  répondit  à  la  Sorbonne  en 
expliquant  ses  idées ,  et  en  avouant  que  son 
globe  de  verre  n'était  qu'une  supposition 
philosophique.  Cette  réponse,  qui  n'était 
qu'une  défaite  ,  et  qui  ne  réussirait  pas  à 
tout  le  monde  ,  réussit  à  Buffon.  La.  Sor- 
bonne feignit  d'être  contente. 

C'est  pendant  ces  années-là  que  s'élevait 
ce  vaste  dépôt  de  toutes  nos  connaissances  , 
dont  la  postérité  étonnée  bénira  le  siècle  où 
l'on  en  jetta  les  fondemens.  Nous  parlons 
de  Y  Encyclopédie.  Des  hommes  éclairés  , 
de  grands  artistes  en  tout  genre ,  sans  aucun 

intérêt 


Encyclopédie  persécutée.  321 
Intérêt  que  celui  de  servir  l'état  ,  prépa- 
raient les  matériaux  de  cet  ouvrage  im- 
mense. Deux  hommes  déjà  célèbres,  &  Aient- 
bert  et  Diderot ,  peut-être  les  deux  en  Eu- 
rope dont  le  courage  ne  fût  pas  effrayé  da 
l'entreprise  ,  mettaient  en  ordre  et  perfec- 
tionnaient ces  matériaux.  Le  gouvernement 
protégeait  le  travail  de  ces  hommes  géné- 
reux. C'était  la  gloire  de  la  France. 

Les  mêmes  ennemis  qui  avaient  attaqué 
Montesquieu  et  Bujfon  se  jettèrent  avec 
acharnement  sur  V Encyclopédie .  On  triom- 
pha d'un  premier  orage.  Le  ministère  con- 
tinua à  la  protéger  ;  le  calme  ne  fut  que  pas- 
sager. D' '  Alembert  et  Diderot  étaient  entiè- 
rement livrés  à  X  Encyclopédie  ,  qui  deman- 
dait tout  leur  tems  ,  et  qui ,  pour  sa  perfec- 
tion ,  en  eût  exigé  davantage  ;  mais  leurs 
ennemis ,  qui  n'avaient  rien  à  faire  }  veil- 
laient ,  intriguaient ,  composaient  et  répan- 
daient des  brochures  et  des  mensonges  : 
ils  parvinrent  à  rendre  l'ouvrage  suspect 
à  quelques  ignorans  en  place  ;  et  après  une 
paix  de  quatre  ans ,  la  persécution  recom- 
mença. 

La  Sorbonne  ,  dont  Y  Encyclopédie  dé- 
créditait la  théologie  scholastique  ,  joi- 
Tome  II.  X 


3aî  Déisme 
gnit  ses  crîs  aux  cris  de  la  canaille  conJ 
vulsionnaire  :  elle  n'osa  pourtant  soumettre 
l'ouvrage  à  son  jugement  ;  mais  elle  menaça,, 
intrigua  sourdement  auprès  du  ministre  et 
du  procureur- général  du  parlement.  Elle 
mit  en  mouvement  les  dévotes  de  la  cour  ; 
mais  ce  qui  augmenta  le  déchaînement  con- 
tre Y  Encyclopédie  fut  la  thèse  que  Martin, 
de  Prades  soutint  en  Sorbonne.  Ce  jeune 
bachelier  avait  fourni  quelques  articles  , 
et  les  détracteurs  de  X Encyclopédie  en  firent 
un  prétexte  pour  crier  que  tout  l'ouvrage 
«tait  empoisonné  du  déisme  qu'il  avait  sou- 
tenu en  Sorbonne  ,  en  présence  de  cent  doc- 
teurs en  théologie.  Ils  publièrent  que  sa 
thèse  était  l'ouvrage  de  ceux  qui  présidaient 
à  Y  Encyclopédie.  C'était  une  calomnie. 
Martin  de  Prades  n'avait  pris  conseil  que 
de  lui-même  et  de  quelques  licenciés  de 
Sorbonne  dont  il  était  l'ami. 

Ce  jeune  abbé  était  plein  d'esprit  et  d'é- 
rudition. Tous  les  suffrages  des  supérieurs 
étaient  en  sa  faveur.  Son  application  à  l'é- 
tude était  constante  :  il  ne  s'était  pas  borné 
aux  pères  de  l'église  et  à  la  théologie  ;  il  avait 
fouillé  et  examiné  les  annales  du  monde 
entier ,  comparant  les  mythologies  des  an- 


de  Martin  de  Pracles. 
tiens  peuples  avec  les  my  thologies  des  peu- 
ples nouveaux.  La  religion  lamique  avec  le 
budso  du  Japon  ,  les  fables  sacrées  du  peu- 
ple Chinois  avec  les  fables  du  peuple  de 
Siam  ,  le  judaïsme  et  le  mahométhisme  : 
ces  religions  ou  systèmes  religieux  lui  paru- 
rent tous  appuies  sur  les  mêmes  bases  ,  la, 
fripponnerie  et  l'imbécillité.  Il  vit  les  aveu-, 
gles  sectateurs  de  ces  diverses  mythologies 
vantant  tous  leur  origine  ,  leurs  prophéties  y 
leurs  incarnations  ,  leurs  miracles  ,  leurs 
martyrs  ,  leurs  saints  ,  leurs  lythurgies  et  le 
code  de  leur  croyance. 

Dans  le  cours  de  ses  études  historiques  il 
trouva  chez  tous  les  peuples  civilisés  ,  chez 
les  anciens  comme  chez  les  modernes ,  une 
portion  d'hommes  pratiquant  la  vertu  sans 
croire  à  ces  fadaises  mythologiques  ,  regar- 
dées par  les  francs-pensans  comme  la  pâtura 
grossière  du  peuple  ,  à  qui  elle  ne  sera  né- 
cessaire qu'autant  de  tems  qu'on  le  tiendra 
plongé  dans  l'abruttissement. 

Le  savoir  de  l'abbé  de  J? rades  l'égara  ; 
il  fut  trompé  par  des  ressemblances  qui  ne 
sont  qu'apparentes  ;  il  confondit  le  chris- 
tianisme avec  ces  cultes  ridicules  dont  la 
Verre  est  couverte, ,  et  qui  tous  composés  de 

X  a 


o2.£     Déisme  soutenu  en  Sorhonne 
pièces  de  rapport ,  sont  tissus  de  manière  k 
laisser  appercevoir  à  chaque  suture  la  main 
de  l'homme  qui  les  a  cousues. 

N'écoutant  que  sa  raison,  l'abbé  de  Prades 
forma  le  projet  insensé  de  soutenir  en  S  or- 
bonne  le  déisme  dont  il  s'était  nourri.  Plu- 
sieurs bacheliers  entrèrent  dans  ce  complot 
et  encouragèrent  son  imprudence  :  il  lui 
fallait  des  approbateurs  ,  et  il  eut  par  sur- 
prise tous  ceux  qui  lui  étaient  nécessaires. 
Le  syndic  de  la  Sorbonne  ,  lui-même  ,  mit 
son  nom  au  bas  du  programme  que  l'abbé 
de  Prades  distribua  dans  tout  Paris.  Il  lui 
fallait  un  président ,  et  l'évêque  de  Lombés 
accepta  cette  commission  ;  mais  obligé  de 
se  rendre  dans  son  diocèse  ,  le  docteur 
Hook,  professeur  de  théologie  enSorbonne, 
suppléa  cet  é  vêque,  et  présida  à  la  thèse  qu'il 
avait  déjà  approuvée. 

L'abbé  de  Prades  ,  parlant  en  politique  ; 
disait  qu'il  faut  épurer  la  religion  des  fables 
qui  l'ont  déshonorée  ;  que  dans  un  état  bien 
constitué  on  peut  admettre  toutes  les  reli- 
gions ;  qu'aucune  n'est  dangereuse,  à  moins 
qu'elle  ne  soit  persécutée.  Ces  maximes  , 
qui  aujourd'hui  sont  des  textes  d'état,  de- 
vaient alors  armer  contre  lui  des  milliers  de 


par  Martin  de  Prades.  32.5 
personnes.  Maïs  ce  qui  aigrit  le  plus  les 
théologiens  contre  lui ,  c'est  de  l'entendre 
dire  que  l'arae  est  un  esprit  igné  ,  mens 
ignea.  Il  est  vrai  que  les  anciens  pères  qui 
la  croyaient  corporelle  ,  s'étaient  à-peu-près 
exprimés  ainsi  ;  et  ce  n'est  que  par  un  ran- 
gement de  métaphysique  qu'elle  est  devenue, 
avec  le  temps,  toute  spirituelle. 

Qimnt  à  la  création  ,  de  T  rades  rejettait 
tous  les  systèmes  et  sans  assurer ,  comme  il 
convenait  à  son  état ,  que  Moïse  est  le  plus 
sûr  des  Théogonistes  ,  il  disait  seulement 
qu'il  avait  été  plus  hardi  que  les  autres  pour 
fixer  l'époque  du  monde.  Caeter'is  auden- 
cior  Moscs  ausus  est  determinare  epoquam 
miuidr. 

Le  pai\illele  des  miracles  de  J.  C.  avec 
ceux  à'Esculape  ,  fut  une  des  plus  hardies 
assertions  de  l'abbé  de  Prades.  Ce  fut  aussi 
cette  assertion ,  regardée  comme  impie  dans 
toutes  les  communions  chrétiennes  ,  qui 
devint  l'objet  de  la  dispute.  Elle  fut  soutenue 
avec  fierté  et  courage  au  milieu  d'une  foule 
de  théologiens  de  tous  les  ordres  religieux , 
de  docteurs  ,  de  licenciés  ,  de  bacheliers  , 
dont  plusieurs  étaient  dans  le  secret.  Après 
cette  éclatante  imprudence  ,    Martin  de 

X3 


D2.6  Furte  de  Martin  de  Prades 
J?  rades  sortit  de  Paris  et  passa  en  Prusse.  A 
peine  était-il  hors  de  la  capitale  ,  qu'il  y  eut 
ordre  de  l'arrêter.  Vinrent  ensuite^  contre 
lui  les  arrêts ,  les  édits  ,  les  mandemens  ,  les 
censures  de  Sorbonne  ,  et  cent  petites  bro- 
chures où ,  pour  le  moins  ,  il  y  avait  autant 
d'injures  contre  l'abbé  de  Prades,  que  de 
raisons  contre  ses  opinions. 

Cet  acte  de  déisme  ,  approuvé  par  des 
théologiens  en  place ,  et  soutenu  avec  intré- 
pidité au  milieu  de  la  Sorbonne  ,  retentit 
dans  toute  l'Europe  chrétienne  ;  Rome  s'en 
allarma.  Le  scandale  fut  grand  ;  et  les 
querelles  qui  s'ensuivirent  en  Sorbonne  ne 
furent  que  ridicules.  Les  séances  qui  s'y  tin- 
rent pour  examiner  et  condamner  la  thèse 
de  l'abbé  de  T rades,  furent  des  plus  tumul- 
tueuses. Lesdocteurs  se  chargèrent  mutuelle- 
nient  de  reproches.  Parmi  les  anecdotes  de  ce 
temps-là ,  on  trouve  que  leur  salle  d'assemblée 
fut  un  champ  de  bataille.  On  les  accusa  d'a- 
voir ,  dans  leurs  disputes ,  passé  des  injures  et 
des  argumens  aux  coups  de  poing  ;  nous  ne 
garantissons  pas  la  vérité  de  ces  pugilats , 
quoiqu'attestés  par  des  docteurs.  Nous  ne 
perdrons  pas  notre  temps  à  examiner  si  dans 
ce  qu'on  a  imprimé  au  sujet  de  ces  combats, 


327 

tout  ce  qui  a  l'air  du- mensonge  n'est  pas 
vrai  dans  le  fonds  :  nous  serions  trop  longs  , 
et  peu  intéressans. 

L'imprudence  de  Martin  de  P  rades  n'était 
pas  un  exemple  unique  en  Sorbonne  :  qua- 
rante ans  avant  lui  ,  un  jeune  licencié  y 
soutint  qu'on  ne  pouvait  prouver  que  la  re- 
ligion chrétienne  fut  la  meilleure .  Le  soute- 
nant et  le  docteur  Bidet ,  son  approbateur  , 
n'éprouvèrent  aucune  persécution  :  ils  en 
furent  quittes  pour  s'expliquer.  La  philoso- 
phie n'avait  point  encore  donné  de  l'om- 
brage au  fanatisme. 


CHAPITRE  LXVIII. 


De  Bélisaire  et  de  M.  Marmontel ,  l'un  et 
l'autre  condamnés  en  Sorbonne. 

L  e  s  théologiens  n'ont  jamais  aimé  Beli* 
saire  (1)  ;  sévères  à  l'égard  de  ce  général  , 
ils  se  sont  toujours  montrés  fort  indulgens 
envers  Justinien,  empereur  dur,  vain,  avare,, 
voluptueux  et  persécuteur.  Ce  Justinien  se 
mêlait  de  théologie  ,  et  par-là  même  il  de- 
vait être  un  grand  homme  aux  yeux  de  ceux 
dont  il  épousait  les  opinions. 

Deux  factions  théologiques  ,  comme  il  y 
en  a  toujours  eu  dans  tous  les  coins  du 
monde  ,  où  l'on  ne  s'est  pas  contenté  d'en- 
seigner la  morale,  partageaient  et  troublaient 
Constantinople.  Ces  deux  factions  ,  l'une 
des  théologiens  verds  ,  et  l'autre  des  théolo- 
giens  bleus  ,  s'anathématisaient  et  se  dam- 
naient mutuellement,  suivant  l'usage  de  tous 
les  pays  où  des  esprits  creux  voulurent 
amalgamer  les  chimères  de  la  méthaphysi- 
que  à  la  simplicité  de  la  religion  naturelle. 

L'empereur  était  à  la  tête  d  une  de  ces 


Source  de  malheurs  '.  029 
factions  ,  et  le  patriarche  de  Constantinople 
à  la  tète  de  l'autre  :  il  était  question  de 
savoir  si  J.  C.  de  son  vivant  avait  eu  besoin 
de  manger.  Or  pense  bien  que  ce  patriarche 
devait  avoir  tort  en  disputant  a.\ecJustinîen; 
aussi  fut-il  exilé.  C'est  ce  même  argument 
que  Justinien  employa  contre  les  évêques  et 
les  prêtres  qui  avaient  embrassé  le  parti 
du  patriarche  ,  et  cela  pour  les  convaincre 
qu'un  empereur  comme  lui  avait  toujours 
raison  ,  même  en  parlant  de  ce  qu'il  n'en- 
tend pas. 

Quiconque  est  instruit,  sait  que  les  diffé- 
rentes théologies  ont  fait  de  notre  globe  un 
théâtre  de  carnage  :  les  philosophes  ont  re- 
connu cette  source  de  nos  malheurs,  et  cher- 
chant à  substituer  aux  opinions  religieuses 
la  morale  qui  n'a  jamais  divisé  personne  , 
ils  ont  prêché  aux  hommes  cette  raison  qui 
crie  aux  Cantabres  ,  aux  Castillans  ,  aux 
Lu  ..ravàens  qu'il  est  honteux  à  eux  de  faire 
dépendre  leurs  façons  de  penser  de  quelques 
bourreaux  tonsurés  ,  qu'on  appelle  inquisi- 
teurs ;  cette  raison,  qui  promet  aux  français 
d'être  le  premierpeuple  de  la  terre,  s'ils  réfor- 
ment leurs  loix  ,  leur  clergé,  leurs  préjugés 
et  les  énormes  abus  de  leur  administration. 


33o  De  Bélissaire 

Au  ion  mâle  et  hardi  dont  les  philosophe» 
annonçaient  la  raison  et  ses  avantages  , 
M.  Mormon  tel j oignit  sa  voix  douce  et  élo- 
quente :  il  donna  le  roman  de  Bélisaire  ;  il 
nous  montra  ce  héros  dans  ces  instans-  de 
revers  où  ,  rendu  à  lui-même  et  pensant  en 
philosophe,  il  expose  tranquillement  tous 
les  vices  qui  altèrent  une  bonne  législation. 
Parmi  ces  vices  ,  il  met  le  crédit  que  les  sou- 
verains donnent  à  des  opinions  méprisées  du 
sage  ,  et  la  persécution  qu'ils  exercent  en- 
vers de  malheureux  rêveurs  qui  ne  sont  qu'à 
plaindre ,  et  qui  guérissent  toujours  quand  le 
gouvernement  ne  s'occupe  ni  de  leurs  rêves, 
ni  de  leurs  folies ,  ou  quand  il  permet  aux 
philosophes  de  leur  administrer  les  remèdes 
convenables. 

Bélisaire  fut  regardé  comme  un  ouvrage 
utile  à  tous  l  es  hommes ,  aux  rois  comme  aux 
sujets.  A  mesure  qu'on  le  lit ,  on  est  porté  à 
être  plus  doux  ,  plus  modéré  ,  plus  coura- 
geux dans  les  revers.  Un  prince  qui  aime 
sespeuplcs ,  les  aime  encore  davantage  quand 
il  s'est  entretenu  avec  Bélisaire. 

On  trouva  très-sage  le  conseil  qu'il  donne 
aux  rois  de  m  T>-iser  ces  opinions  prétendues 
sacrées ,  epsti  ont  fait  exiler ,  tourmenter  et 


et  de  M.  Marmontel.  33 1 

même  égorger  plusieurs  millions  de  chré- 
tiens. Les  ames  honnêtes  applaudirent  sur- 
tout à  ce  qu'il  dit  de  la  tolérance  dont  ont 
besoin  tous  ceux  qui  dans  des  matières  in- 
différentes ne  sont  pas  de  notre  avis. 

Le  conseil  de  mépriser  les  rêveries  de  la 
métaphysique  souleva  tous  les  théologiens: 
ils  crurent  que  Bélisaire  ne  prêchait  le  mé- 
pris des  opinious  de  l'école  que  pour  faire 
mépriser  ceux  qui  les  enseignent  Le  con- 
seil de  tolérer  ceux  qui  ne  pensent  pas  comme 
nous ,  fut  encore  plus  mal  reçu  des  deux 
partis  qui  étaient  alors  en  Sorbonne.  Ces 
deux  petites  factions  sombres  et  turbulentes 
sonnèrent  l'alarme  contre  M.  Mormontel  et 
contre  Bé/isairs:  l'intérêt  commun  réunit 
contre  l'ouvrage  et  contre  son  auteur  jan- 
sénistes et  molinistes  ;  c'est-à-dire,  des  hom- 
mes qu'une  haine  implacable  divisait  de- 
puis cent  ans  :  ils  travaillèrent  auprès  de 
quelques  ministres  pour  susciter  une  persé- 
cution à  l'un  et  à  l'autre  :  ne  pouvant  réussir 
en  cour,  ils  s'ameutèrent  en  Sorbonne. 

M.  Marmontel ,  trop  sage  pour  ne  pas 
désirer  la  paix,  consentit  à  des  entretiens 
ayee  le  nommé  Ribalicr,  alors  syndic  de  la 


33a  Maladresse 
Sorbonne  :  il  offrit  des  notes  et  des  explica- 
tions pour  tous  les  endroits  de  Bélisaire  dont 
l'idiotisme  serait  effrayé.  Pendant  le  cours 
de  ces  entretiens ,  la  raison  fit  souvent  taire 
le  jargon  de  l'école  ;  le  théologien  disparois- 
sait  devant  le  philosophe  ;  il  ne  montrait 
que  l'homme  raisonnable.  Tout  tendait  à 
une  conciliation  prochaine  ;  mais  parut  alors 
un  libelle  écrit  avec  fiel  et  pesanteur:  M.  Mar- 
montel  y  était  dénoncé  aux  prêtres  comme 
un  impie,  et  à  Louis XV comme  un  séditieux: 
ce  libelle  était  d'un  pédant  nommé  Cogé ; 
le  syndic  l'avait  approuvé  ,  et  on  doit  conve- 
nir qu'en  approuvant  ce  libelle  ,  il  avait  ap- 
posé son  cachet  aux  calomnies  qu'il  conte- 
nait. C'était  signer  une  déclaration  de  guerre 
dans  le  terus  qu'il  traitait  de  la  paix. 

Cette  lâcheté  du  syndic  indigna  tous  les 
honnêtes  gens  qui  conseillèrent  à  M.  Mar- 
mojitel  d'abandonner  Bélisaire  au  jugement 
de  la  Sorbonne,  laquelle  ne  tarda  pas  à  dénon- 
cer au  public  trente-sept  propositions,  dont 
la  moindre  ,  disait-elle  ,  était  capable  de 
renverser  le  trône  et  l'autel. 

Les  philosophes  répondirent  à  ce  premier 
acte  d'hostilité  en  faisant  imprimer  les  trente- 
sept  propositions  qu'on  traitait  d'impies  avec 


de  la  Surbonne.  333 
les  vérités  qui  leur  étaient  opposées.  Edl 
voici  quelques-unes  des  plus  dangereuses. 


Impiétés  de  Bélisaire 
condamnées  par  la 
Sorbonne. 

Pkop.  X  I. 

Est-il  besoin,  dit 
Bélisaire  ,  qu'il  y  ait 
tant  de  réprouvés ,? 

X  I  I. 

Vous  vous  faites  une 
religion  bien  douce  , 
et  c'est  la  bonne ,  re- 
/?rzYBélisaire  :  ne  vou- 
lez-vouspasqueje  me 
représente  Dieu,  que 
je  dois  adorer,comme 
un  tyran  sévère  ,  tris- 
te ,  farouche ,  et  qui 
ri  aime  qu'à  punir? 

XIII. 
Moi,  c&VBélisaire, 


J/'érités  opposées  aux 
impiétés  de  Béli- 
saire. 

X  I. 

Il  est  besoin  qu'il  y 
ait  beaucoup  de  ré- 
prouvés. 

XII. 

Une  religion  douce 
n'est  pas  bonne -.pour- 
quoi ne  pas  se  repré- 
senter Dieu  comme 
un  tyran  farouche  , 
et  qui  n'aime  qu'à 
punir  ? 

) 

XIII. 
Il  n'est  pas  certain 


334  Ineptie  de  la  Sorbonnê. 
je  suis  certain  qu'il  que  Dieu  ne  punis  sa 
ne  punit  qu'autant  qu'autant  qu'il  ne 
qu'il  ne  peut  pardon-  peut  pardonner  ,  et 
ner  ;  que  le  mal  ne  que  le  mal  vient  de 
vient  point  de  lui.  lui. 


XIV. 


XIV. 


Ce  qui  m' attache  à       Si  la  religion  rend 
la    religion  ,    c  est    meilleur  et  plus  hu- 
qu  elle  me  rend meil-    main  ,  ce  n'est  pas  ce 
leur  et  plus  humain.      qui  doit  nous  y  atta- 
cher. 


XV. 


X  V. 


Dieu  m  a  créé f ai-  Quoique  Dieu  m'ait 
ble  y  il  sera  indul-  créé  faible ,  il  ne  sera 
gent.  pas  indulgent. 

Ces  deux  colonnes  mirent  à  découvert  la 
maladroite  ineptie  de  la  Sorbonne  ,  et  l'ort 
se  moqua  d'elle  :  elle  sentit  son  tort  et  crut  le 
réparer  par  une  censure  qui  lui  coûta  deux 
ans  de  travail  ;  quand  elle  éut  rédigé  cette 
censure  ,  Ribalier ,  qu'on  surnommait  déjà 
le  syndic  Ribaudier ,  la  publia  sans  en  con- 


Justice  rendue  à  Marmontel.  335 
férer  avec  la  Sorbonne  ;  c'était  uîie  infrac- 
tion à  ses  réglemens  ,  et  qui  fut  un  signal  de 
guerre  entre  les  théologiens  ;  ils  députèrent 
ftu  roi  pour  demander  la  déposition  de  leur 
syndic  ;  mais  le  roi,  trop  sagtè  pour  écouter 
ces  frivoles  querelles  de  i'oisivetjB,,  leur  en- 
joignit par  une  lettre  «-le  cachet  de. laisser  en 
paix  leur  syndic  et  Bélisaire. 

Tandis  qu'en  Soi  bonne  on  s'occupait  de 
la  condamnation  de  Bélisaire  ,  et  qu'après 
l'avoir  condamné  l'on  s'y  querellait ,  dans  le 
nord  on  parlait  de  cet  ouvrage  comme  d'un, 
bréviaire  pour  les  rois  ,  et  d'un  calhéchisme 
pour  les  peuples.  L'impératrice  de  Russie  Ca- 
therine II y  la  seule  femme  qui  sur  le  trône 
ait  véritablement  été  philosophe  ,  s'amusait 
à  le  traduire  dans  le  cours  d'un  voyage  en 
Asie.  L'histoire  d'aucun  roi  ne  fournit  un 
exemple  d'un  plus  utile  et  d'un  plus  no- 
ble délassement.  Neuf  princes  ou  grands 
seigneurs,  qui  accompagnaient  cette  souve- 
raine ,  partageaient  avec  elle  ce  délassement. 
La  traduction  de  Bélisaire  achevée ,  fut  im- 
primée à  Casan  ,  et  dédiée  à  l'archevêque  de 
Tuer  ;  c'était  à  peu  près  dans  le  tems  que 
Christophe  de  Beaumont ,  archevêque  de 
Paris ,  travaillait  à  sa  condamnation.  Cache- 


336  Justice  rendue  à  Marmontel. 
ri  ne  II  écrivit  elle-même  à  M.  Marmontel  ; 
ty6j,  Bélisaire  est  un  livre  qui  mérite  d'être  tra- 
7  Mai.  duit  dans  toutes  les  langues  ;  il  me  confirme 
dans  l'opinion  qu'il  n'y  a  de  vraie  gloire  que 
celle  qui  résulte  des  principes  que  Bélisaire 
soutient  avec  autant  d'agrément  que  de  so- 
lidité. ... 

Le  roi  de  Pologne  Stanislas  Poniatouski ', 
ce  roi  qui  eût  fait  les  délices  d'une  nation 
philosophe  ,  et  qui  eût  régné  avec  gloire  sur 
une  nation,  libre  ,  après  la  lecture  de  cet 
a  auguste,  ouvrage  :  «  vous  avez  réussi ,  écrivait-il  à 
6on  auteur  ,  a  faire  lire  dans  ce  siècle  frivole 
un  traité  de  morale  très  sérieux.  Que  les 
hommes  les  plus  éloquens  et  les  plus  instruits 
soient  les  apôtres  de  la  vertu ,  et  les  para- 
doxes injurieux  aux  lettres  tomberont  ! 
La  reine  de  Suéde  ne  s'exprime  pas  moins 
ï4      agréablement  que  le  roi  de  Pologne.  «Malgré 
auguste   les  trente-sept  propositions  de  la  Sorbonne , 
'^stockolm.  écrivit-elle  de  sa  propre  main  à  M.  Mar- 
montel,  je  ne puis  refuser  mon  estime  à  Bé- 
lisaire  que  j'ai  lu  avec  un  plaisir  infini.  Cet 
éloge  était  accompagné  d'une  boîte  d'or 
émaillée  ,  sur  laquelle  étaient  représentés 
les  tableaux  les  plus  intéressais  de  Bèli- 
saire. 

Si 


Ineptie  de  la  Sorbonne.'  337 
Si  la  Sorbonne  vous  condamne  ,  lui  manda  ^  9  i,uin 
le  prince  royal  de  Suéde ,  vous  êtes  bien 
vengé  par  la  voijc  publique  qui  condamne  la 
Sorbonne.  Le  plaisir  d' avoir  contribué  au 
bonheur  des  hommes  vaut  mieux  que  celui 
d' avoir  contenté  quelques  docteurs  de  Sor~ 
bonne. 

Le  suffrage  de  tant  de  souverains  instruits 
couvrait  M.  Marmontel  de  gloire  ,  et  le  dé- 
dommageait des  criailleries  de  quelques  ha- 
bitués de  paroisse,  des  tracasseries  de  la 
Sorbonne  ,  des  procédés  odieux  de  son 
syndic  Ribalier  et  des  mauvais  propos  de 
quelques  publicains  français  qui  aux  douces 
et  sages  conversations  de  Bélisaire  eussent 
préféré  un  système  de  finance  qui  eût  enri- 
chi une  centaine  de  trippons  ,  et  ruiné 
l'état. 

En  proscrivant  Bélisaire  ,  la  Sorbonne 
déclara  que  Caton  ,  Titus  ,  TrajanelMarc- 
Aurele  étaient  en  enfer.  Elle  n'en  a  jamais 
dit  autant  de  Mandrin  et  de  Cartouche  ,  dd 
Poltrot,  de  Barrière  ,  de  Chatel ,  de  Ra> 
taillac  ,  de  Da miens  de  frère  Ridicoux , 
de  frère  Jean  le  Roi,  de  frère  Mergy  ,  de 
frère  Clément ,  qui  furent  tous  ou  assassins 
ou  fauteurs  d'assassinats. 

Mme.  IL  Y 


338         U  approbateur  de  Bélisaîre 

La  décision  de  la  sorbonne  sur  Titus  et 
Trajan  parut  étrange  à  tous  les  honnêtes 
gens  instruits  :  il  leur  sembla  sur-tout  qu'elle 
décidait  de  la  damnation  éternelle  de  ces 
bons  princes  aussi  légèrement  rjue  lorsqu'elle 
décida  que  Henri  III  n'était  plus  roi  de 
France  ,  et  que  le  bon  Henri  IV ne  méritait 
pas  de  l'être.  La  Sorbonne  pensera  de  nous 
ce  qu'il  lui  plaira,  mais  nous  dirons,  avec  Tic 
de  la  Mirandole ,  que  c'est  une  impiété  de 
damner  une  personne  quand  on  peut  la 
sauver. 

Une  chose  très-remarquable,  et  que  très- 
peu  de  personnes  remarquèrent ,  c'est  que 
Béiisaire ,  que  la  Sorbonne  anathématisait 
comme  un  code  d'impiété  ,  était  approuvé 
par  un  doctenr  de  Sorbonne.  Cette  appro- 
bation,qui  semblait  devoir  mettre  cet  ouvrage 
à  l'abri  de  toute  persécution  ,  fut  précisé- 
ment ce  qui  l'occasionna.  Le  docteur  qui 
l'avait  approuvé  n'était  d'aucun  parti  en 
Sorbonne  ,  où  il  y  a  toujours  eu  deux  partis 
sans  cesse  armés  l'un  contre  l'autre.  Les  actes 
d'hostilité  cessèrent  cntr'eux,  et  ils  se  réuni- 
rent pour  accabler  le  sage  qui  avait  approuvé 
Béiisaire.  Delà  s'ensuivirent  les  bruits  ,  les 
cris    les  syllogismes  et  les  injures  dont  » 


est  persécuté.  339 
pendant  six  mois ,  retentirent  les  murs  de  la 
Sorbonne  contre  M.  Marmontel ,  contre  Bé- 
lisaire  et  contre  son  approbateur. 

Avant  de  terminer  cet  ouvrage  ,  déjà  trop 
long,  il  est  utile  de  parler  des  approba- 
tions. 


34o 


CHAPITRE  LXIX. 

Des  Approbations  de  la  Sorbonne. 

Les  Romains  n'entreprenaient  rien  sans 
consulter  le  collège  des  pontifes  ;  ce  n'était 
jamais  qu'après  avoir  interrogé  les  prêtres 
Fessaliens  et  l'appétit  des  poulets  sacrés  qu'ils 
allaient  ravager  les  campagnes  de  leurs  voi- 
sins ,  enlever  leurs  moissons ,  leurs  troupeaux 
et  leurs  filles.  Cette  loi ,  que  de  grands  capi- 
taines osèrent  souvent  mépriser,  fut  instituée 
quand  Rome  n'était  encore  qu'un  ramas  da 
bandits  indisciplinés.  Ce  fut  un  frein  que  le 
sage  Numa  mit  à  la  férocité  d'une  horde  qui 
ne  respirait  que  le  vol  et  le  pillage.  Ce  grand 
homme  aima  enore  mieux  voir  les  Romains 
superstitieux  que  brigands.  Avant  de  les  ren- 
dre raisonnables  ,  il  les  subjugua  par  la  su- 
perstition. C'est  le  sort  de  tous  les  peuples 
qui ,  encore  enveloppés  des  ténèbres  de 
l'ignorance  ,  se  forment  en  société. 

Quand  le  développement  de  l'esprit  hu- 
main eût  fait  de  Rome  une  ville  éclairée  et 
savante ,  Cicéron  publia,  ses  Tusculanes  et 


'Approbation  y  invention  moderne.  34 1 
«on  livre  de  la  Nature  des  Dieux  ,  sans 
prendre  la  permission  d'aucun  Flamen.  Le 
poëme  de  Lucrèce  fut  lu  de  tous  les  hon- 
nêtes gens  qui  savaient  lire  ,  sans  qu'il  fut 
approuvé  par  aucun  théologien  du  pays. 
Chez  les  Grecs  ,  les  opinions  de  Talés  , 
d 1  Anaximandre ,  de  Platon  ne  furent  ja- 
mais scellées  de  l'approbation  des  Curettes  , 
ni  de  celle  des  prêtres  d'Apollon.  On  ne  ht 
nulle  part  qu'un  Schoen  d'Egypte  ait  dit  à  un 
homme  instruit  ,  vous  ne  pourrez  parler 
d'I/îs  ,  de  Canope  ,  de  la  divinité  de  nos 
chats  et  de  l'embompoint  de  notre  dieu  Apis, 
si  je  ne  vous  le  permets. 

Rien  n'atteste  qu'un  bonse  Chinois  ait 
jamais  mis  son  nom  à  la  tête  du  livre  d'un 
lettré.  Un  fanatique  Japonais,  dont  la  rai- 
son est  entièrement  abrutie  ,  peut  à  son  gré 
demander  auDaïri  ou  pontife,  en  lui  payant 
an  brevetd' apothéose  ,  la  permission  de  se 
jetter  dans  la  mer  ou  de  se  faire  broyer  les 
os  sous  les  roues  des  chars  qui  portent  leurs 
dieux  ;  mais  un  homme  d'esprit,  sans  crain- 
dre d'être  persécuté  ,  dit  son  sentiment  sur 
le  testament  de  Xaca  (1)  ,  et  avant  de  le 
dire ,  aucune  loi  ne  l'oblige  de  prendre  le 
suffrage  des  kuges  ou  des  goguis,  qui  sont 

Y3 


34*    'Approbation,  invention  moderne. 
les  évêques  et  les  théologiens  de  la  religion 
Japonaise. 

L'antiquité  et  tous  les  peuples  policés 
méconnurent  cet  usage  des  approbations. 
Il  est  entièrement  nouveau  pour  nous  :  ce 
fut  au  milieu  de  la  barbarie  du  quatorzième 
siècle  que  les  moines  l'introduisirent  en 
Italie  et  en  Allemagne.  Il  se  fortifia  en  Por- 
tugal et  en  Espagne  avec  l'Inquisition.  En 
France  ,  nous  ne  voulûmes  pas  de  ce  tribu- 
nal ,  qui  juge  et  punit  par  le  feu  les  pensées 
des  hommes  ;  mais  nos  théologiens  s'établi- 
rent juges  de  ceux  qui  les  mettaient  par 
ëcrit.  Peu-à-peu  ils  s'ai'rogèrent  le  droit 
d'approuver  les  livres  qui  avaient  quelques 
rapports  à  la  religion  ;  et  bientôt  tout  fut 
soumis  à  leur  censure ,  parce  que  bientôt 
l'ignorance  eut  enchaîné  aux  dogmes  de  la 
religion ,  l'astronomie  ,  la  chymie ,  la  mé- 
taphysique, la  politique  et  même  la  gram- 
maire. On  les  vit  alors  condamner  eux- 
mêmes  ,  ou  dénoncer  comme  impie  ,  tout 
ouvrage  qui ,  en  paraissant,  n'était  pas  re- 
vêtu de  l'approbation  de  quelqu'ecclésias- 
tique.  .  i 

La  dépendance  où  étaient  les  libraires  ,  à 
l'égard  de  l'université  ,  favorisa  l'établisse- 


Origine  des  approbations.  34$ 
ment  de  cet  usage  ,  si  contraire  aux  progrès 
des  connaisances  humaines  :  pour  se  mettre 
à  l'abri  des  poursuites  de  l'université  ,  les 
imprimeurs  exigeaient  qu'un  auteur  joignît 
à  son  manuscrit  un  certificat  d'orthodoxie, 
signé  de  quelque  maître  en  théologie.  Alors 
le  sage  qui  voulait  dire  la  vérité  ,  était  obligé 
ou  de  la  déguiser  ,  ou  de  prendre  la  fuite 
après  l'avoir  dite.  Son  livre  était  d'abord 
flétri  par  un  décret  de  la  Sorbonne  ,  et, 
dans  ces  temps  malheureux  ,  une  décision 
de  théologiens  devenait  une  affaire  très- 
grave.  L'homme  de  lettres,  qui  avait  eu  le 
malheur  d'être  condamné  en  Sorbonne  , 
finissait  presque  toujours  par  être  poursuivi 
par  le  parlement.  Tel  était  alors  l'ordre  des 
choses  ,  et  cet  ordre  était  le  comble  de  l'im- 
bécillité. 

Sous  le  règne  de  François  I ,  la  Sorbonne 
obtint  un  édit  qui  convertit  en  loi  l'usage 
déjà  introduit  des  approbations.  Henri  II 
confirma  cette  loi  qui,  en  1624 >  reçut  une 
nouvelle  force  par  le  bannissement  auquel 
il  condamna  tous  ceux  qui  avanceraient  des 
doctrines  contraires  à  celle  àHAristote  et  des 
écoles  de  Paris.  Cet  arrêt  était  le  scandale  de 
la  raison  ;  il  déposera  éternellement  contre 

Y4 


344  Livres  ahominables 

l'ignorance  des  magistrats  qui  siégeaient 
alors,  et  qui  prétendaient  poser  des  bornes 
à  l'esprit  humain. 

Ainsi  donc  la  Sorbonne  ,  par  édit  et  par 
arrêt ,  devint  juge  des  livres  ,  et  arbitre  ,  en 
les  jugeant ,  de  la  destinée  des  hommes  de 
lettres.  On  la  vit  alors  repousser  la  vérité  avec 
autant  d'acharnement  que  si  la  vérité  était 
l'ennemie  du  genre  humain  ,  et  elle  ne  l'est 
que  de  ses  préjugés. 

La  Sorbonne  se  servit  aussi  du  droit  qu'elle 
avait  d'approuver  les  livres  ou  de  les  con- 
damner, pour  accréditer  des  erreurs,  pour 
étendre  et  affermir  la  puissance  papale,  ainsi 
que  pour  aggrandir  ,  si  j'ose  m'exprimer 
ainsi,  l'empire  du  démon  sur  la  terre.  Elle 
nourrissait  dans  le  peuple  ce  double  germe 
de  servitude  et  d'abrutissement  toutes  les 
fois  que  les  théologiens  munissaient  de  leur 
approbation  les  livres  qui  consacraient,  soit 
les  prétentions  ou  extravagances  ultramon- 
taines  ,  soit  les  histoires  du  diable  et  de  la 
sorcellerie  ,  lesquelles  histoires  ont  été ,  jus- 
que vers  le  milieu  de  ce  siècle  y  la  lecture 
ordinaire  des  artisans  et  des  habitans  de  la 
campagne. 

Parcourez  tous  les  contes  qu'on  fUisail  à 


approuvés  par  la  Sorhonne.  345 
nos  pères  sur  les  revenans  et  sur  les  vam« 
pires  ,  sur  le  sabat  et  les  magiciens  ,  sur  les 
démons  sucubes  et  incubes  ;  tous  les  contes , 
dis-je,  que  la  fourberie  et  l'idiotisme  ont 
consignés  clans  les  dégoûtantes  compilations 
de  la  démonomanie  ,  et  vous  les  verrez  tous 
revêtus  de  l'approbation  de  q-uelque  lectetir 
en  théologie  ou  docteur  de  Sorbonne  (a). 
Les  théologiens  de  Cracovie  ,  de  Louvain  , 
de  Coimbre ,  de  Salamanque  en  ont ,  tout 
au  moins  ,  autant  approuvé  que  les  théolo- 
giens français.  La  plupart  même  des  doc- 
teurs en  théologie  étaient  démonographes , 
c'est-à-dire,  les  historiens  du  diable. 

Un  usage  bien  ridicule  est  celui  qui  ne 
laisse  point  à  l'académie  française  la  liberté 
de  couronner  un  ouvrage  envoyé  au  con- 
cours, quelqu 'utile  qu'il  soit,  s'il  n'est  revêtu 
de  la  signature  de  deux  docteursde  Sorbonne. 
C'est  un  joug  que  l'académie  s'imposa  elle- 
même  dans  l'institution  de  ses  prix  ,  temps 


(a)  Voyez  les  Disquisitions  Magiques  du  jésuite  Del- 
rio. —  La  Doctrine  Chrétienne.  —  Les  Sept  Trompettes* 

—  Les  Histoires  des  Spectres.  —  Le  Pédagogue  Chrétien, 

—  Le  Tréfor  des  Ames  du  Purgatoire.  —  etc.  etc. 


346  M.  de  la  Harpe  dédaigne  de  faire 
où,  moins  éclairée  qu'elle  ne  l'a  été  depuis , 
elle  ne  proposait  pour  sujet  de  ses  prix  qu'un 
insipide  texte  de  morale  à  amplifier. 

Vers  l'an  1769  ,  les  docteurs  de  Sorbonne 
refusèrent  d'approuver  l'Eloge  de  Molière  : 
ils  craignirent  qu'on  ne  prît  l'approbation 
de  cet  éloge  pour  l'approbation  de  l'état  de 
comédien  que  la  Sorbone  réprouve,  et  que 
le  gouvernement  autorise. 

Malgré  ce  refus  ,  l'académie  française 
couronna  Y  Eloge  de  Molière ,  et  deux  ans 
après  ,  elle  se  crut  en  droit  de  décerner  le 
prix  de  l'éloquence  à  Y  Eloge  de  Fénélon  , 
par  M.  de  la  Harpe  ,  quoique  cet  éloge  ne 
fût  point  muni  du  suffrage  de  la  Sorbonne. 
Les  hommes  de  lettres  se  crurent  alors  af- 
franchis pour  toujours  de  cette  servitude 
à  l'égard  des  théologiens  ;  mais  leur  liberté 
ne  fut  cjue  de  courte  durée.  Le  crédit  de 
l'archevêque  de  Paris ,  et  les  petites  intri- 
gues du  petit  et  charmant  maréchal  de  Ri- 
chelieu  auprès  de  Louis  XV ,  les  replon- 
gèrent bientôt  dans  la  dépendance  de  la 
Sorbonne.  Ainsi,  le  jugement  de  quarante 
académiciens  ,  et  la  mâle  façon  de  penser 
d'un  homme  de  génie  qui  célèbre  un  grand 


approuver  /'éloge  de  Fénélon.  3^7 
homme  ,  furent  de  nouveau  asservis  aux 
préjugés  de  deux  docteurs  en  théologie. 

Cette  sottise  a  du  disparaître  au  moment 
du  réveil  de  la  raison. 


343 


CHAPITRE  LXX. 

Des  consultations  faites  à  la  Sorbonne, 
Sage  réponse  de  la  Sorbomie  au  Parle- 
ment. Outrage  fait  par  la  Sorbonne  à  la 
mémoire  de  /'Hôpital  ,  à  Buffon  ,  à 
Raynal  >  à  Mabli. 

D  ans  le  pays  des  aveugles  les  borgnes 
sont  rois.  Ce  proverbe  renferme  un  grand 
sens  :  il  veut  dire  que  lorsqu'il  n'y  avait 
point  de  philosophes  en  Europe  ,  les  théo- 
logiens devaient  gouverner  les  hommes.  Ils 
étaient  pour  nos  pères  à-peu-près  ce  qu'é- 
taient les  poulets  sacrés  pour  les  Romains. 
Ils  étaient  un  peu  moins  ignorans  et  plus 
adroits  que  le  reste  de  l'espèce  humaine  ; 
il  était  tout  naturel  qu'on  les  consultât  dans 
les  divers  événemens  de  la  vie  ;  ils  passaient 
d'ailleurs  pour  avoir  les  clefs  du  paradis  et 
pour  en  savoir  le  chemin.  Il  n'est  donc  pas 
surprenant  qu'où  se  servît  d'eux  comme  de 
conducteurs  pour  aller  jusqu'à  la  porte. 
Les  rois  et  les  peuples  les  interrogèrent 


Sorhonne  consultée  par  le  peuple.  349 
■Souvent  :  les  premiers  pour  commettre  en 
conscience  de  grandes  injustîces,et  les  autres 
pour  s'empêcher  d'en  commettre.  Il  y  avait 
peu  d'artisans  qui  ne  les  consultassent  pour 
régler  leur  ménage  :  la  moindre  discussion 
qu'occasionnait  dans  le  fond  d'une  province 
le  partage  de  quelqu'arpens  de  terre ,  était 
ordinairement  terminée  par  la  Sorbonne  ; 
et  pour  l'intérêt  de  la  société  peut  -  être 
valait-il  encore  mieux,  dans  des  affaires  de 
cette  nature,  s'adresser  à  un  tribunal  de  cons- 
cience ,  que  de  se  faire  juger  à  grands  frais 
par  un  présidial  ou  par  un  parlement  qui 
siégeait  à  cent  lieues  des  parties  plaidantes. 

Du  tems  de  Rabelais,  les  consultations 
faites  à  la  Sorbonne  étaient  très-communes  : 
il  fallait  même  qu'elles  fussent  devenues 
très-abusives  ,  car,  pour  en  faire  sentir  le 
ridicule  ,  il  envoyé  Panurge  consulter  le 
théologien  Hypodamée  pour  savoir  s'il  se 
mariera  et  s'il  sera  .... 

A  peu  près  dans  le  tems  que  le  curé 
de  Meudon  se  moquait  de  notre  Sorbonne 
et  de  ses  consultations  ,  Charles  -  Quint 
consultait  les  théologiens  de  Salaman- 
que  :  ce  n'était  point ,  à  la  vérité  ,  pour 
le  morne  sujet  que  Panurge ,  mais  il  vou- 


35o  La  Sorhonne  consultée 

lait  savoir  si  sans  pécher  on  pouvait  dissé- 
quer un  cadavre  pour  connaître  l'organisa- 
tion du  corps  humain.  Cette  opération  ana- 
tomique  lui  paraissait  sacrilège  et  impie. 
C'était,  comme  on  voit ,  un  bon  catholique 
que  Charles  -  Quint  :  il  est  bien  vrai  que 
pour  faire  un  cimetière  de  l'Italie  et  de 
l'Allemagne,  il  ne  consulta  que  son  ain* 
bition. 

Pescaire  qui  commandait  ses  armées  en 
Italie  ,  était  aussi  bon  catholique  que  lui. 
Il  consulta  les  théologiens  pour  savoir  si 
un  sujet  immédiat  pouvait  légitimement  tra- 
Jiir son  souverain.  Les  casuites  italiens  furent 
du  sentiment  de  Pescaire ,  qui ,  malgré  leur 
décision  ,  trahit  ensuite  sa  patrie  ,  après 
avoir  trahi  Charles-Quint. 

C'est  un  fait  très-avéré  que  pour  encou- 
rager les  protestans  français  à  la  conjuration 
d'Amboise,  dont  le  but  était  d'enlever  le 
roi  François  II,  et  de  faire  arrêter  les  Guise, 
on  fit  venir  d'Allemagne  une  décision  de 
théologiens  protestans. 

On  sait  aussi  que  Henri  VIII ,  monstre 
couronné  ,  s'adressa  à  la  Sorbonne  pour 
légitimer  son  divorce  aux  yeux  des  Anglais  : 
4e  tous  les  docteurs  aux-quels  il  fit  compter 


par  les  rois.  35 1 

de  l'argent ,  il  n'y  en  eut  aucun  qui  ne  fût 
d'avis  que  ce  roi  était  en  droit  de  répudier 
sa  femme  avec  laquelle  il  avait  habité  pert- 
dant  vingt-ans,  pour  épouser  Anne  de  Bou- 
len  dont  il  avait  déjà'  défioré  la  soeur.  Ce  fut 
Thomas  Kronck  ,  agent  du  tyran  ,  qui  vint 
en  France  consulter  la  Sorbonne ,  et  qui ,  sur 
les  quittances  de  ses  théologiens,  leur  déli- 
vra l'argent.  Ces  quittances  existent  encore 
a  Londres. 

Nos  rois  appelleront  quelquefois  la  théo- 
logie à  leur  secours.  Philippe  le  Bel  la 
consulta  et  s'en  servit  comme  d'une  arme 
puissante  pour  résister  à  l'audace  de  Boni- 
face  VIII.  Sous  l'infortuné  Charles  VI nous 
en  eûmes  besoin  pour  purger  la  France  des 
exacteurs  du  pape.  Le  bon  Louis  XII,  avant 
de  faire  entrer  ses  armées  en  Italie ,  se  munit 
du  suffrage  de  la  Sorbonne.  Il  craignait  que 
ses  troupes  refusassent  de  faire  la  guerre 
au  souverain  pontife.  La  déclaration  de  la 
Sorbonne  prévint  ,  à  la  vérité  ,  quelques 
désertions ,  mais  ne  put  empêcher  Louis  XII 
d'être  battu  et  chassé  de  l'Italie. 

Louis  XIV  veut-il  se  permettre  l'envahis- 
sement de  la  Franche-Comté  ,  province  sur 
laquelle  il  n'avait  d'autre  droit  que  celui  de 


3^2  Scrupules  de  Louis  XIV. 
la  bienséance  ?  Il  s'adresse  aux  théologiens 
qui  mettent  en  sûreté  sa  conscience  ;  et 
les  armées  se  mettent  en  marche.  Veut-il , 
après  une  oppression  de  cinquante  ans  , 
fouler  encore  ses  sujets  par  un  impôt  désas- 
treux ,  appellé  dixième  ?  Il  interroge  la  Sor- 
bonne  ;  et  ses  théologiens  répondent  qu'à 
titre  de  roi  ,  étant  maître  de  tous  les  biens 
du  royaume  ,  il  était  aussi  maître  d'en  pren- 
dre le  dixième. 

Les  scrupules  de  ce  roi  sont  un  peu  diffi- 
ciles à  concevoir.  Sa  conscience ,  qui  s'effa- 
rouche lorsqu'il  veut ,  soit  enlever  aux  Es- 
pagnols une  belle  province  ,  soit  piller  ses 
sujets ,  le  laisse  tranquille  dans  le  crime 
lorsqu'il  enlevé  la  Montespan  à  son  mari  ; 
et  que ,  pour  assouvir  l'insatiable  avarice  et 
l'orgeuil  effréné  de  cette  femme  adultère ,  il 
plonge  des  milliers  de  Français  dans  une 
profonde  misère. 

Le  parlement  ,  en  1765  ,  consulta  la  Sor- 
bonne  sur  l'inoculation.  Il  s'agissait  de  sa- 
voir s'il  était  avantageux  à  la  nation  de 
donner  la  petite  vérole  aux  enfans.  Les 
médecins  disputaient  avec  aigreur.  Les  deux 
tiers  des  Fi  ançais  ,  déclamant  contre  toute 
nouveauté ,  et  ne  raisonnant  jamais ,  préten- 
daient 


Sorbonne  consultée.  353 
daîent  qu'un  usage  né  en  Géorgie  ,  au  mi- 
lieu du  mahométisme  ,  pratiqué  chez  les 
Chinois  qu'on  croit  idolâtres  ,  admis  par  les 
Anglais  qui  sont  hérétiques  ,  ne  pouvait 
être  reçu ,  sans  offenser  Dieu ,  par  des  ca- 
tholiques. 

L'autre  tiers  de  la  nation  ,  instruit  par  les 
philosophes  ,  pensait  qu'il  n'y  avait  pas  plus 
de  péché  à  donner  aux  enfans  une  maladie 
légère  pour  en  prévenir  une  cruelle  et  dan- 
gereuse ,  que  de  les  purger  en  automne 
pour  leur  assurer  une  bonne  santé  pendant 
l'hiver. 

Le  parlement ,  pour  fixer  l'incertitude  du 
public  ,  interrogea  la  Sorbonne  qu'il  ne 
croyait  pas  favorable  à  l'inoculation.  Sa 
demande  n'était  pas  pour  savoir 's'il  en  ré- 
sulterait le  bien  de  l'état,  mais  pour  savoir 
si  Dieu  en  était  offensé.  Sur  la  réponse  de 
la  Sorbonne,  l'inoculation  devait  être  pros- 
crite. On  était  attentif  à  sa  décision  ;  ce  qui 
est  utile  aux  hommes  ,  répondit  elle  ,  ne 
peut  déplaire  à  Dieu. 

Les  philosophes  n'eussent  pas  répondn 
plus  sensément.  La  demande  du  parle- 
ment était  puérile  ,  et  la  réponse  de  la 
Sorbonne  fut  l'oracle  d'une  assemblée  de 

Tome  II.  Z 


354  L'Hôpital  outragé. 

sages.  Cette  école  donna  en  ce  moment- là 
une  grande  idée  de  ce  qu'elle  aurait  pu 
être  en  France,  si  elle  n'eût  jamais  écouté 
que  la  raison.  Mais  l'outrage  que,  peu  d'an- 
nées après,  elle  prétendit  faire  à  la  mémoire 
du  sage  de  V Hôpital,  détruisit  entièrement 
cette  idée. 

Louis  XVI  lui  avait  fait  élever  une  statue. 
C'était  reconnaître,  par  ce  monument,  tout 
le  bien  que  ce  chancelier  philosophe  avait 
fait  aux  Français  pendant  sa  magistrature. 
C'était  le  remercier  d'avoir  voulu  les  em- 
pêcher de  s'entr'égorger  pour  des  sottises  , 
et  leur  persuader  qu'ils  devaient  vivre  en 
frères ,  quelle  que  fut  leur  manière  de  prier 
Dieu. 

Le  jour  même  que  la  statue  du  magistrat 
philosophe  fut  exposée  en  public  ,  un  jeune 
orateur,  l'abbé  Rcmi ,  célébra  son  éloge. 
L'académie  Française  ,  dans  une  assemblée 
solemnelle,  couronna  le  jeune  orateur.  La 
Sorbonne  qui ,  du  vivant  du  chancelier  de 
Y  Hôpital ,  fut  toujours  opposée  à  ses  vues 
de  tolérance  ,  et  toujours  secrètement  liée 
avec  ses  ennemis  et  les  ennemis  de  l'état , 
condamna  cet  éloge  par  une  censure  fort 
amère.  C'était  tout-à-la-fois  condamner  et 


Philosophes  l 'outragés  355 
la  sagesse  de  Y  Hôpital  ,et\e  jeune  monarque 
qui  avait  ordonne  l'érection  de  cette  statue, 
et  l'orateur  qui  avait  célébré  son  éloge  ,  et 
l'académie  française  qui  l'avait  couronné  , 
et  la  voie  publique  qui  applaudissait  à  l'éloge, 
à  la  statue  ,  à  l'académie  et  à  Louis  XVI. 
Rien  ne  ressemble  tant  à  Arimane  3  principe 
de  toute  erreur,  combattant  contre  Orojnasei 
principe  de  toute  vérité. 

Après  cet  outrage  fait  à  la  mémoire  de 
X  Hôpital ,  la  Sorbonne  tomba  dans  un  pror 
fond  oubli.  En  vain  pour  en  sortir  voulut- 
elle  imprimer  une  flétrissure  à  l'immortel 
Buffon  ,  à  l'immortel  Pvaynal,  à  l'immortel 
Mablj .  C'est  à  pure  perte  qu'elle  censura 
les  ouvrages  de  ces  grands  hommes  ,  dont 
la  France  s'honorera  éternellement.  On  ne 
fit  nulle  attention  à  ses  censures.  Du  mo- 
ment que  les  hommes  ont  été  instruits  ,  elle 
a  perdu  toute  l'influence  qu'elle  avait  eue 
sur  eux.  La  raison ,  en  enchaînant  les  pré- 
jugés, a  pour  jamais  enchaîné  la  théologie 
sur  les  bancs  de  la  Sorbonne  ;  et  ia  situai 
tion  de  cette  école  est  telle  aujourd'hui  , 
qu'elle  ne  peut  prolonger  son  obscure 
existence  qu'autant  que  l'assemblée  natior 
nale  ne  s'appercevra  pas  qu'çlie  existe. 


L'historien  Mezerai  disait ,  de  son  temps, 
que  la  Sorbonne  était  le  concile  perpétuel 
des  Gaules. 

Le  philosophe  Deslandes  disait  au  con- 
traire ,  que  la  Sorbonne  lui  paraissait  le 
corps  le  plus  méprisable  qui fût  en  France. 

Entre  ces  deux  portraits,  c'est  à  nos  lec- 
teurs à  choisir ,  et  aux  législateurs  à  pro« 
noncer. 


357 


CHAPITRE  LXXI 

ET  DERNIER. 

Résumé  de  l'Histoire  de  la  Sorbonne. 

O  N  vient  de  parcourir  les  annales  de  la 
Sorbonne ,  et  c'est  d'après  la  série  des  faits 
qu'on  a  exposés  ,  qu'un  citoyen  peut  se  for- 
mer une  idée  de  ce  tribunal  de  conscience. 
Ceux  qui  gouvernent  pourront  eux-mêmes 
juger  s'il  est  avantageux  de  le  conserver,  ou 
si,  pour  la  nation  et  l'utilité  de  la  métropole, 
il  ne  vaudrait  pas  mieux  avoir  un  collège  de 
médecine  ou  de  pharmacie  qu'une  école  de 
disputeurs  qui ,  dans  les  affaires  d'état ,  ont 
toujours  pris  le  parti  des  ennemis  de  l'état. 

On  a  vu  les  quatre  grandes  époques  de  la 
défection  de  la  Sorbonne,  delà  les  quatre  dé- 
nominations flétrissantes  sous  lesquelles  les 
historiens  en  ont  parlé  :  la  Sorbonne  Bour- 
guignone ,  la  Sorbonne  Anglaise  ,  la  Sor- 
bonne Guizarde  et  Espagnole ,  enfin  ,  la 
Sorbonne  Ultramontaine.  Sous  Louis  XIV 
et  Louis  XV ~t  elle  fut  tour  à  tour  Jansé- 

Z3 


358  Services  rendus* 

hisi  e  ,  Moliniste  ,  et  dans  tous  les  temps  per- 
sécutrice. 

Les  persécutions  qui  déposent  contre  la 
Sorbonne  sont  le  bûcher  de  Jeanne  d'Arc  > 
l'emprisonnement  du  paëte  Marot ,  la  mort 
du  philosophe  Ramus ,  la  rétractation  du 
docteur  à'jEJspence  ,  la  condamnation  du 
sage  Chajvn ,  la  déposition  du  Vertueux 
Richer,  l'affront,  dont  elle  couvrit  Arnaud  ) 
ses  Censures  contre  Descartes  ,  le  procès 
ridicule  qu'elle  intenta  aux  Jésuites  au  sujet 
des  Chinois  ;  enfin ,  les  persécutions  que  de 
ii os  jours  elle  a  suscitées  à  Montesquieu  ,  à 
HeU  etius ,  à  Rousseau  ,  à  Rujfon ,  à  M .  Mar- 
montel.  Oserions-nous  demander  ce  que  la 
Sorbonne  persécutait  dans  ces  hommes  de 
lettres  ,  dont  il  n'en  est  aucun  qui  n'ait  ré-: 
pandri  en  Europe  quelqu'étincelle  de  lu- 
mière ?  Le  citoyen  qui  éclaire  ses  sembla- 
bles ,  le  philosophe  qui  travaille  à  les  ren- 
dre meilleurs  ,  en  les  désabusant  de  leurs 
préjugés  (1). 

Les  Français  erraient  au  milieu  d'épais- 
ses ténèbres  .  la  philosophie  a  peu-à-peu 
dissipé  ces  ténèbres  ;  et  si  cette  philosophie 
ne  fut  venue  au  secours  de  la  France ,  on  y 
serait  encore  à  genoux  devant  les  cathé- 


par  les  philosophes.  o5y 
gorîes  & Aiistote  :  on  n'entrerait  point  au 
lit  sans  la  crainte  d'être  étranglé  par  des 
esprits  nocturnes  ;  la  plupart  des  maris  trem- 
bleraient encore  que  le  diable  ne  vînt  r 
comme  le  peuple  le  croyait  au  commence- 
ment du  siècle ,  partager  avec  eux  les  embras- 
seraens  de  leurs  femmes.  La  terreur  reli- 
gieuse fut  poussée  jusqu'à  ce  point  de  stupl* 
dite,  et  les  théologiens  de  Sorbonne,  comme 
ceux  de  Coimbre  et  de  Salamanqne  ,  non  - 
rissaient  dans  le  peuple  cette  frayeur  avilis- 
sante ,  en  approuvant  les  livres  qui  l'inspi- 
raient. 

Les  temps  de  la  démonomanie  ,  il  est  vrai 
sont  passés  de  mode  ;  mais  à  qui  en  est  la 
gloire  ?  Aux  philosophes  seuls  :  ce  sont  eux 
qui  ont  opéré  ce  pi-odige  ,  en  brisant  le  joug 
affreux  de  la  superstition  sous  lequel  les 
Français  avaient  le  cou  entièrement  ployé, 
pour  ne  leur  laisser  que  le  joug  doux  ,  léger 
et  adorable  de  la  religion.  Ils  sont  les  con- 
seillers penseurs  de  l'état ,  et  il  importe  que 
dans  un  état  il  y  ait  beaucoup  de  ces  conseil- 
lers penseurs. 

Un  lecteur  impartial  peut  actuellement 
juger  lesquels  en  France  ,  des  théologiens 
ou  des  philosophes  ,  méritent  l'estime  pu- 

Z4 


36o  Philosophes  à  protéger. 

blique  et  avec  cette  estime  la  protection  du 
gouvernement.  Le  problême  sera  aisé  à  ré- 
soudre ,  si  l'on  a  égard  àl'uttilité  des  uns  et 
au  mal  qu'ont  produit  les  autres.  La  gloire 
d'une  nation  ne  vient  pas  de  ceux  qui  enchaî- 
nent la  pensée  et  la  raison ,  mais  bien  du 
petit  nombre  de  ceux  qui  la  cultivent  :  s'il  en 
était  autrement  ,  l'Espagne  et  le  Portugal , 
les  deux  dernières  des  nations  en  Europe  x 
par  l'abrutissement  où  les  préjugés  les  tien- 
nent plongées ,  seraient  les  deux  premières  en 
considération  et  en  gloire  ;  car  nulle  part ,  il 
n'y  eut  autant  de  théologiens  ,  autant  d'in- 
quisiteurs ,  et  aussi  peu  de  philosophes  (a). 

Considerera-t-on  les  théologiens  relative- 
ment à  la  société  ?  On  avouera  que  par  leurs 
controverses  ,  ils  en  ont  fait  une  espèce  de 
coupe-gorge.  Il  n'est  aucune  contrée  en  Eu- 
rope que  leurs  schismes  n'aient  divisée  et 
troublée  ;  il  en  est  même  beaucoup  qu'ils 
ont  ensanglantées.  C'est  pendant  ces  guerres 
de  religion  que  les  philosophes  disaient  , 
tantôt  hautement  ,  tantôt  à  voix  basse  : 
«  Frères  ,  vivons  en  paix  ;  il  est  absurde  de 
»  s'entr'égorger  pour  des  surplis  de  linon  et 
w  de  se  battre  pour  la  grâce  versatile  ou  pour 
>»  la  bulle  Vnigenitus.  Il  importe  peu  à  Dieu, 


Utilité  des  philosophes.  36 1 

»  dont  vous  êtes  tous  les  enfans  ,  que  vous 
t>  mangiez  son  verbe  sous  une  ou  deux  es- 
5»  peces  ;  qu'en  sortant  du  lit,  vous  le  remer- 
»  ciezenlatin  ou  en  français;  que  voudrai  fas- 
»  siez  la  révérence  du  pied  droit  ou  du  pied 
5>  gauche  ».  A  force  de  répéter  ces  vérités  , 
les  philosophes  se  sont  fait  entendre  ,  et  à 
peine  les  a-t-on  entendus  3  que  les  peuples 
ont  rougi  de  s'être  égorgés  pour  des  bille- 
vesées. 

Si  vous  considérez  les  théologiens  relati- 
vement à  la  religion  ,  vous  verrez  que  ce 
sont  eux  qui  ont  travesti  nos  ministres  en 
sujet  de  disputes  et  de  haines  interminables. 
Les  philosophes  ,  au  contraire  ,  en  ont  fait 
des  objets  de  respect  et  de  silence.  «  Ado- 
»  rons,  ont-ils  dit ,  ce  que  la  faible  intelli- 
33  gence  humaine  ne  peut  comprendre,  &  ne 
33  disputons  pas  :  car  toute  dispute  produit 
33  les  injures  et  éteint  la  charité. 

Cen'est  point  en  effet  en  disputant ,  comme 
on  a  fait  si  long-temps,  et  en  s'injuriantsur  la 
grâce  ,  qu'on  peut  plaire  à  Dieu.  Le  philo- 
sophe ,  qui  se  confond  en  adorant  ce  Dieu 
juste-  et  bon  ,  lui  est  plus  agréable  que  tous 
ces  hyérophantes  Milanais  ,  Castillans ,  Lu- 
sitaniens ,   Bataves  ,  Gaulois  ,   qui  argu- 


$6i 

mentent  pour  savoir  qui  il  est,  comment 
il  est ,  et  qui ,  dans  le  délire  de  leurs  argu- 
mens  ,  osent  tout  à  la  fois  scruter  la  ma- 
nière dont  il  départ  ses  dons  ,  et  poser  des 
bornes  étroites  à  sa  toute  bonté. 


Fin  de  l'Histoire  de  la  Sorbonne. 


NOTES 

DU       SECOND  VOLUME. 


Chap.  38  (1)  ,  pag.  16  ,  Mènerai  dit  :  «  le  menu  peu* 
w  pie  qui ,  plus  il  est  ignorant ,  plus  il  veut  se  mêler  des 
»>  affaires  de  la  religion  ;  s'échauffait  afTez  de  lui-même. 
»  Les  directeurs  &  les  confesseurs  animaient  les  bour- 
»geois,  qui  étaient  simples  6k  crédules ,  par  le  moyen 
j»  des  confessions  &  par  la  persuasion  de  leurs  femmes; 
»&  les  entretenaient  par  des  congrégations,  des  con-> 
«  frairles  ,  des  paradis  ou  oratoires  qu'ils  paraient  d'ar- 
»  genterie  ,  d'images  &  d'agnus  dei  >  &  par  des  procès* 
»  sions  qu'ils  fesaient  venir  de  Brie  ,  de  Champagne  et 
»  de  Picardie  :  elles  entraient  dans  Paris  ,  vCtnes  dé 
j)  toiles  blanches,  ce  qui  fit  nommer  cette  année-lai 
»  Vannée  des  processions  blanches  ?». 


Chap.  44  (1)  ,  pag.  3  ,  quelques  auieurs  ont  pré-> 
tendu  que  ce  fut  le  docteur  Guerin  qui  prit  pour  texte  de 
son  sermon  ,  ce  mot guerra  &  qu'il  le  répéta  trois  fois: 
nous  n'avons  pas  le  tems  d'éclaircir  ce  fait,  qui  e;1 , 
comme  on  peut  en  juger ,  l'un  des  plus  imporrans  de 
l'histoire  des  c^rJeliers  :  nous  le  soumettons  ,  comme 
de  rnisor  .  •  érudirs  dé  l'ordre  :  ce  qu'en  attendant 
on  peut  a,s  ur«r  ,  c'tft  que  le  docteur  Guarinus  ne  lé 


364  NOTES. 

cédait  point  en  fanatisme  à  son  confrère  le  docteur 
Pignarol  :  nous  ajoutons  qu'ils  étaient  l'un  &  l'autre 
Savoyards  d'origine ,  et  de  leurs  métiers  l'un  et  l'autre 
çordeliers  prédicateurs  et  théologiens. 


Chap.  46(1),  pag.  79.  Les  délibérations  en  Sor- 
bonne  étràcnt  ordinairement  précédées  d'un  repas.  Lors- 
que les  docteurs  avaient  la  tête  échauffée  ,  ils  fesaient 
leurs  décrets.  C'est  cet  usage  qui  mit  pendant  long- 
tems  à  la  mode  ces  manières  proverbiales  de  parler: 
boire  forboniquement ,  pour  dire  s'enyvrer.  Vin  forboni' 
que  ,  pour  du  mauvais  vin  ;  décider  après  boire  ,  voulant 
dire,  imiter  la  Sorbonne. 

On  trouve  dans  ï'antichopinus  ,  qui  est  un  écrit 
burlesque  de  ces  tems  malheureux.  Chopinare  efl  unus 
gradus  ad  magistro  nostrandum  in  Surbond.  Pour  passer 
maître  en  Sorbonne  il  faut  savoir  boire. 

Chap,  6S  (1)  ,  pag.  328.  Le  crime  de  Sélisaire  ,  aux 
yeux  des  théologiens  ,  efl  d'avoir  dépouillé  le  pape 
Silvtre  de  la  simarre  sacerdotale  ,  de  l'avoir  revêtu  d'un 
sac  de  palfrenier ,  de  l'avoir  jetté  dans  un  cul-de-basse- 
fosse  ,  éc  d'avoir  vendu  la  papauté  quatre  cents  marcs 
d'or  au  sotidiacre  Vigile. 

On  ne  discutera  point  la  vérité  de  ces  faits  reprochés 
à  Béliidire.  Mais  on  doit  observer  que  dans  le  pontife 
Silvere  ce  général  punissait  un  traître  qui  avait  des 
intelligences  avec  les  ennemis ,  &  que  l'or  du  soudiacre 
Vigile  fut  utilement  employé  à  soudoyer  des  armées  qui 
at*êî£rent  des  barbares,  lesquels ,  dans  leurs  impétueux 


NOTES.  365 

débordement ,  menaçaient  de  renverser  l'empire  &  le 
sacerdoce. 


Crftp.  69(1),  pag.  341.  Xaca  fut  dans  le  Japon  ce 
que  Laokium  fut  dans  la  Chire  ;  Foi ,  dans  \t  Thibet; 
&  ce  que ,  deux  mille  ans  après  ,  Mahomet  fut  en  Arabie  ; 
l'envoyé  de  Dieu  aux  yeux  de  l'ignare  vulgaire  ,  & 
un  insigne  charlatan  aux  yeux  des  philolosophes. 


Chap.  71  (1),  pag.  358.  Ce  n'est  point  seulement 
dans  les  deux  derniers  siècles  que  la  Sorbonne  a  per- 
sécuté les  hommes  de  lettres:  «  Les  théologiens  du 
»  tems  passé  ,  dit  SUïdan  ,  ont  toujours  été  en  posses- 
»  sion  de  faire  la  guerre  aux  gens  doctes  ,  et  la  raison 
»  en  est  qu'ils  voient  leurs  âneries  découvertes  et  mé- 
»  prisées  »  :  est  hoc  omninb  inscitum  superioris  <ztaùs 
theologis  ,  ut  vires  doctos  exag'uent.  Hujus  autem  rei 
causa  est  quod  inscitiam  suam  vident  esse  desptetam.  Lib.  V, 
pag.  84. 

Et  ailleurs  :  «  il  n'y  eut  jamais  homme  de  bien  et  de 
»>  savoir  qui  n'ait  été  tourmenté  d'eux  ».  Omnes  omnium 
temporum  viros  bonos  et  eruditos  ab  ipjis  perpetub  fuisse  de- 
vexatos.  Id.  lib.  a,  p.  27  ,  ann.  1720. 

Pourquoi  cette  longue  querelle  entre  les  philosophes 
et  les  théologiens  ?  Le  voici  :  les  sages ,  les  hommes 
instruits  de  tous  les  pays  ont  dit  aux  doctes  de  la  Sor- 
bonne ,  et  à  tous  les  théologiens  du  monde  :  parlez 
clairement  ;  parlez  raisonnablement  ,  &  nous  vous 
croirons.  «  Il  ne  s'agit  pas  ici  de  raison  ,  ont  toujours 


366  NOTES. 

v  répondu  les  théologiens  ?  Il  n'eft  pas  non  plus  question 
j>  de  comprendre  ce  que  nous  enseignons  ,  mais  il  eft 
»>  question  de  croire  quand  nous  parlons  ,  et  sur-tout 
»  de  ne  pas  raisonner  ». 

C'eft  à-peu-près  ce  qu'en  1663  disait ,  en  parlant  de 
religion,  le  bon  Godeau,  évêque  de  Vence  ,  dans  un 
poëme  en  l'honneur  de  la  Sorbonne. 

Ne  vouî  étonnez  pas  d'y  trouver  des  épines  ; 
Ne  pensez  pas  percer  les  ténèbres  divines. 
Admirez  Az  la  nuit  l'obscure  profondeur: 
Par  son  obscurité  jugez  de  sa  splendeur. 


Chap.  Id.(2),  pag  360  C'est,  en  vérité,  un  pays 
bien  misérable  que  ccluioù  les  peuples  ne  peuvent  penser 
et  parler  sans  l'agrément  des  moines  et  des  théologiens. 
Ces  peuples  ,  me  dira-t-on  ,  sont  heureux.  Quoi!  le 
bonheur  consisterait-il  il  à  ne  pas  sentir  sa  dégradation  ? 
Ce  seroit  le  bonheur  de  l'esclavage.  Disons  plus  ,  ce 
seroir  le  bonheur  de  la  bête  de  somme  qui,  contente  de 
rentrer  dans  son  écurie  ,  en  voyant  quelques  chardons 
dans  sa  mangeoire,  oublie  &  le  pesant  fardeau  sous 
lequel  elle  vient  de  succomber  ,  &  les  sentiers  sca- 
breux où  elle  a  passé  ,  &  les  coups  de  bâton  dont  on 
l'a  assommée  pour  la  faire  marcher.  L'homme  n'eft  vé- 
ritablement homme  que  par  l'exercice  de  sa  pensée  &  le 
développement  de  toutes  ses  facultés  intellectuelles. 

Qu'ils  sont  donc  coupables  !  qu'ils  sont  à  craindre , 
ces  charlatans  qui  ont  ainsi  avili  l'espèce  humaine!  ils 
en  ont  agi  envers  les  hommes  à-peu-près  comme  des 
bateleurs  de  foire  en  agiraient  à  l'çgard  d'un  troupeau. 


NOTES.  36; 
de  singes  qu'après  avoir  bien  emmuselés ,  ils  feraient ,  à 
coups  d'étrivières  ,  mettre  à  genoux  ,  joindre  les  mains, 
et  marmoter  entre  les  dents  des  mots  qu'ils  ne  com- 
prendraient pas.  C'eft  aux  philosophes  ,  malgré  les 
criailleries  des  prêtres  et  de  l'ignorance  ,  à  rappellcr 
les  singes ,  leurs  camarades  ,  à  la  dignité  d'homme  ,  à 
l'état  d'être  pensant. 

A  propos  de  bateleurs  de  foire  ,  je  demande  pardon 
à  mes  lecteurs  d'avoir  parlé  peu  respectueusement  des 
Portugais  et  des  Espagnols.  J'avoue  qu'on  peut  les 
compter  parmi  les  nations  qui  chantent,  qui  dansent, 
qui  digèrent  ,  qui  se  battent  &  qui  font  très-bien 
l'amour.  Mais  ,  en  vérité ,  peut-on  les  mettre  dans  le 
petit  nombre  des  nations  Européennes  qui  cultivent 
leur  pensée ,  et  font  chaque  jour  un  pas  vers  le  dernier 
degré  de  civilisation  ,  c'eft  à-dire  ,  vers  la  liberté.  C'est- 
ià  le  but  unique  du  progrès  de  lumières. 

Patience:  le  tour  des  Espagnols  viendra  ;  la  raison, 
qui  voyage  en  poste  de  la  France  dans  tous  les  coins  de 
l'Europe  ,  partit  le  mois  passé  pour  se  rendre  en  Espa- 
gne ;  arrivée  sur  les  frontières  ,  elle  s'arrêta  tout-à-coup 
un  peu  effrayée  des  hurlemens  que  ,  dans  la  crainte 
d'être  étouffés  ,  poussaient  deux  monstres  épouvan- 
tables, la  superstition  &  le  despotisme.  La  raison  n'osa 
entrer  en  Espagne;  elle  eut  peur  d'aigrir  la  férocité 
de  ces  deux  monstres,  mais  je  la  vis  gravir  les  Py- 
rennées  &  planter  sur  le  plus  haut  de  ses  monts  un 
jalon  ,  au  bout  duquel  elle  arbora  la  cocarde  de  la 
liberté. 

Je  vis  en  même  tems  de  braves  Catalans,  des  Mur- 
ciens ,  dés  Navarrois ,  des  Andalousiens ,  des  Canta- 


363  NOTES. 

bres  ,  des  Castillans  regarder  cette  cocarde  avec  admi- 
ration ,  et  se  dire  entr'eux  :  ma  foi  elle  est  fort  belle  ! 
puisqu'elle  eft  fi  belle  ,  s'écrie  un  fier  Catalan  ,  que  ne 
la  prenons-nous  ?  Et  tous  les  autres  à  l'envi  s'écrièrent 
en  chorus,  que  ne  la  prenons-nous  I 

Après  ce  premier  élan  d'une  ame  qui  commence  à 
penser  et  à  rougir  de  son  esclavage  ,  je  les  vis  jetter 
loin  d'eux  l'ignominieux  bâillon  que  depuis  trois  siècles 
d'infâmes  inquisiteurs  leur  tiennent  à  la  bouche. 

Ce  que  je  crains  pour  les  Espagnols  ,  c'est  qu'en 
quittant  leur  bâillon,  ils  ne  prennent  le  mords  aux  dents. 

Fin  des  Rotes  du  second  volume. 


TABLE. 


369 


TABLE 

DU    SECOND  VOLUME, 

Chapitre  XXXVIII. 

IjA  Sorbonne  dégrade  Henri  III.  Extrava- 
gance des  Parisiens.  Emprisonnement  du 
parlement.  Procédure  criminelle  contre 
Henri  III.  Excès  des  prêcheurs.  Exhor- 
tations aux  Parisiens.  Page  1 

Chapitre  XXXIX. 

Nouveau  décret  de  la  Sorbonne  contre 
Henri  III.  Sixte  V  F exco?nmunie .  Ha- 
rangue à  la  Sorbonne.  17 

Chapitre  XL. 

Henri  III  assassiné  par  un  moine  domini- 
cain. 2,6 
Chapitre  XLI. 

Décret  de  la  Sorbonne  contre  Henri  IV. 
Royauté  du  cardinal  de  Bourbon.  Con- 
fession de  Givri.  33 
Tome  II.  Ji.  a 


TABLE. 


Chapitre   X  L  I  I. 

Nouveau  décret  de  la  Sorbonne  contre 
Henri  IV.  Blocus  de  Paris.  Famine.  Hor- 
reurs. Montre  des  gens  d' armes  de  V église 
(nilitante.  Du  docteurRose.        Page  4° 

Chapitre  XLIII. 

.Henri  IV  excommunié  de  nouveau.  Les  li- 
gueurs et  la  Sorbonne  offrent  à  Philippe 
II  la  couronne  de  France.  5o 

Chapitre  XLIV. 

Gondi ,  évêque  de  Taris ,  refuse  de  signer 
le  décret  de  la  Sorbonne.  Magistrats 
pendus.  Requête  de  la  Sorbonne  à 
Mayenne.  5$ 

Chapitre  XLV. 

États  de  Paris.  6$ 

Chapitre  XL  VI. 

Révolution  préparée  en  France  par  les  hom- 
mes de  lettres.  Fragmens  de  la  satyre 
Ménippée.  j5 
Chapitre  XLVII. 

Censure  de  la   Sorbonne.   Abjuration  de 


TABLE.  37 1 

Henri  IV.  Lettre  d'un  docteur  de  Sor' 
bonne.  P;lSe 
Chapitre  XLVIII. 

Démonologie  de  la  Sorbonne.  Barrière 
écartelé.  »5i 

Chapitre  XLIX. 

Travaux  des  hommes  de  lettres  pour  désa- 
buser  le  peuple.  Ligueurs  ,  parlement  et 
Mayenne  épouvantés.  Procession  à  sainie- 
Genevieve.  Entrée  de  Henri  IV  à  Paris. 
Emportement  d'un  prédicateur.  i3i 

Chapitre  L. 

Dispersion  et  châtiment  des  fanatiques* 
Procès  contre  les  jésuites.  Singulier  décret 
de  la  Sorbonne.  Henri  IV  assassiné.  Jé- 
suites chassés.  189 
Chapitre   L  I. 

Menaces  d'un patriarchat  en  Finance.  Henri 
IV  absous  à  Rome.  Thèses  séditieuses  en 
Sorbonne.  Le  docteurFx-Ose  condamné  à 
V amende  honorable.  i5  | 

Chapitre    L  I  I. 

Gouverneurs  mercenaires.  Jésuites  rétablis. 

A  a  a 


37a  TABLE. 

Du  docteur  Tournebroche.  La  Sor- 
bonne  réprimandée  de  nouveau  par  le 
parlement.  page  164 

Chapitre   L  I  I  I. 

Du  docteur  Charron.  Du  JésuiteMaxiana.  et 
de  Ravaillac ,  assassin  de  Henri  IV.    1 69 

Chapitre  LIV. 

De  Richer  ,  syndic  de  la  Sorbonne  ,  et  des 
persécutions  que  ce  vertueux  citoyen  es- 
suya. D'un  carme  ,  faiseur  de  miracles. 

179 

Chapitre  LV. 

Tour  abominable  du  P.  Joseph  ,  capucin. 
Décret  insensé  de  la  Sorbonne.  Faiblesse 
et  mort  de  Richer.  195 

Chapitre  LVI. 

Vanini  condamné  en  Sorbonne  et  brûlé  à 
Toulouse.  Trois  caymistes  condamnés  en 
Sorbonne  et  bannis  par  le  parlement  de 
Taris.  201 
Chapitre  LVII. 

L'abbé  de  saint-Cyrun  emprisonné.  Arnaud 
chassé  de  Sorbonne  et  vengé  par  Pascal. 
Sottise  du  formulaire.  209 


TABLE.  573 
Chapitre  LVIII. 
Alexandre  VII  condamne  la  Sorbonne.  Le 
parlement  condamne  Alexandre  VII. 

page  22a 

Chapitre  LIX. 

Querelle  de  la  maison  de  Sorbonne  avec  les 
comédiens.  235 

Chapitre  LX. 

De  Descartes  et  de  la  condamnation  de  sa 
doctrine  en  Sorbonne.  zZj 

Chapitre  LXI. 

De  Marie  Agreda  et  de  ses  visions proscrites 
en  Sorbonne.  i\\ 

Chapitre  LXII. 

Les  Récolets  et  les  Hurons  au  tribunal  de 
la  Sorbonne.  247 

Chapitre  LXIII. 
Les  Jésuites  et  les  Chinois  condamnés  par 
la  Sorbonne.  u.5i 

Chapitre  LXIV. 
De  la  bulle  Unigenitus  en  France ,  tour-à- 


374  TABLE. 

tour  reçue  et  7-ejettée  en  Sorbonne.  Du 
Docteur  Grand-Colas.  page  264 

Chapitre  LXV. 

Du  czar  Pierre  en  Sorbonne  et  de  l'envoyé 
de  Sorbonne  en  Russie.  284 

Chapitre   LX  VI. 

Du  diacre  Paris  :  des  miracles  qu'iljit  dans 
un  cimetière  et  dans  les  galetas.  Conver- 
sion merveilleuse  d'un  conseiller  au  par- 
lement. 296 

Chapitre   LX  VII. 

Montesquieu  jugé  par  la  Sorbonne.  Buffon 
menacé.  Encyclopédie.  Déisme  soutenu: 
en  Sorbonne.  $17 

Chapitre  L  X  V  1 1  I. 

De  Bélisaire  et  de  M.  Marmontel ,  l'un  et 
l'autre  jugés  en  Sorbonne.  328 

Chapitre  LXIX. 

Des  approbations  de  la  Sorbonne.  34o 

Chapitre  L  X  X. 

Des  consultations  faites  à  la  Sorbonne. 
Sage  repense  de  la  Sorbonne  au  parle- 


TABLE.  375 
ment.  Outrage  fait  par  la  Sorbonne  à  la 
mémoire  de  l'Hôpital ,  à  BufTon  ,  à  Ray- 
nul  ,  à  Mabli  ,  etc.  PaSe  ^4^ 

Chapitre   LXXI  et  dernier. 

Résumé  de  l'histoire  de  la  Sorbonne.  35y 


Fin  de  la  Table  du  second  Volume.